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1774, 07, vol. 1-2
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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU RO I.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
JUILLET , 1774.
PREMIER VOLUME .
Mobilitate viget. VIRGILE.
Beugn
A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire , Rue
Chriſtine , près la rue Dauphine .
Avec Approbation & Privilège du Rei.
AVERTISSEMENT.
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Chriſtine , que l'on prie d'adreſſer , francs de port,
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, les piéces de vers ou de proſe , la muſique
, les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , &généralement
tout ce qu'on veutfaire connoître au
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8°. broché , 3 liv.
21101.
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&françois , 1772 , in - 8 °. br ..
Traité du Rakitis , ou l'art de redreffer les
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LesMuſesGrecques , in-8°. br. 11166
Les Pythiques de Pindare , in-8°. br. sliv.
Monumens érigés en France à la gloire de
1 Louis XV, &c. in -fol. avec planches ,
rel . en carton , 241.
Mémoires ſur lesobjets les plus importans de
l'Architecture , in -4°. avec figures, rel, en
carton , 121.
Les Caractères modernes , 2 vol. br. 31.
MERCURE
: DE FRANCE.
JUILLET , 1774 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
Il faut que le coeur ſeul parle dans l'Elégie .
BOIL. art. poët. chant 11 , vers 57 .
ÉLÉGIE.
VOus àà qui pour jamais j'ai voué mon loiſir ,
Muſes que je chéris , que je devrois haïr ,
De mes égaremens innocentes complices ,
Et pourtant de mes maux dignes conſolatrices ,
Dans ce lieu ſolitaire où je viens vous chercher
Un inſtant avec vous laiſſez- moi m'épancher.
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Mon ame en a beſoin ; elle lutte ſans ceſſe ,
Pour ne pas fuccomber ſous le poids qui l'op
preffe:
1
Mais dès que je vous vois , plein d'une douce erreur
,
Mon front s'épanouit & je crois au bonheur.
Je crois , me direz - vous ! quoi ! parce qu'on est
triſte ,
Eſt-ce un droit de douter que le bonheur exiſte ?
Oui , Muſes , c'en eſt un dans l'état où je ſuis ,
Et je puis en douter après trente ans d'ennuis.
Inutiles regrets ! Jeuneſſe inconféquente,
A vos dépens toujours ferez -vous imprudente ?
Ne verrez- vous jamais l'erreur qui vous ſéduit
Qu'à la vaine lueur du remords qui la ſuit ?
O toi qui dans les pleurs terminas une vie
Dont le cours glorieux fut ſi digne d'envie ,
Sage voluptueux , diſciple de l'Amour,
Favori de Vénus & l'honneur de ſa Cour ,
Maître dans l'art d'aimer , maître dans l'art d'écrire
,
Tendre Ovide , permets qu'avec toi je ſoupire ,
Non d'amour ( dès long-temps mon coeur en eft
levré )
Maisde tes propres maux dont tu m'as pénétré.,
Je dévore du coeur leur touchante peinture ,
Et j'en fais jour & nuit ma plus chère lecture.
Malheureux comme toi , cette conformité
Semble étourdir un peu ma ſenſibilité.
1
JUILLET. 1774 . 7
Deux êtres affligés qu'un même ſort raſſemble ,
Se croyent foulagés lorſqu'ils pleurent enſemble.
Mes malheurs cependant font au - deſlous des
tiens ,
Mais chaque infortuné ſent beaucoup plus les
fiens.
Relégué pour toujours chez le Gète barbare ,
Dans un climat lauvage , où la Nature avare
N'offroit par -tout qu'un ſol aride , nud, déſert ,
Entout temps de glaçons & de neiges couvert ,
Vivre parmi ce peuple altéré de rapine ,
Entouré de voiſins ardensà ſa ruine ,
Et riſquer chaque jour de périr avec eux ,
C'étoit là ton deſtin ; il eſt ſans doute affreux.
Je n'ai pas , il eſt vrai , ce comble d'infortune :
Mais enfin végétant ſans eſpoir , ſans fortune ,
Traînant par-tout les ſoins , les ſoucis dévorans ,
Loinde mon lieu natal errant depuis vingt-ans ,
Blâmé de mes amis &méprilé peut-être ,
J'en ſuis comme exilé , je n'oſe y reparoître.
Une ſoeur me reſtoit qui m'aimoit tendrement :
Ce ſeroit de mes maux l'unique allègement ;
Elle auroit pu ſans doute , au milieu de l'aiſance ,
De mes deſtins un jour corriger l'inclémence ;
Mais comme elle cut toujours le théâtre en hore
reur ,
La haineà l'amitié ſuccède dans ſon coeur. 1
De tous les coups du Sort ce coup m'eſt le plus
rude ,
Aiv
8 MERCURE DE FRANCE.
C'eſt un mal que ne peut adoucir l'habitude.
Avec le temps , dit on , tout s'oublie aiſément :
Je n'en puis convenir , je ſens trop vivement.
Heureux cent fois heureux ce vulgaire apathique
Confervant en tout temps un ſens froid léthargique
,
Coeur dur par habitude , à qui le bien , le mal ,
La peine , le plaifir , enfin tout est égal !
Heureux ce portefaix content du néceſſaire !
Ilbrave le mépris , il craint peu la misère ;
Ses bras ſont ſes garants ; leur produit eſt certain:
Joyeux il vit , boit , chante , eſt heureux ; car
enfin
Qu'est-ce que le bonheur? Un être chimérique
Qui de nos goûts divers prend le nom fantaſtique,
Dont on ne peut donner de définition
Que celle de l'objet de notre paſſion .
L'un le met dans l'argent , un autre dans la gloire,
Les amans à jouir , les ivrognes à boire ,
Et ce même manant ſi content quant il boit ,
S'eſtimât-il un Prince , eſt tout ce qu'il ſe croit.
Mais moi que mon mal - être &terrafle & renverſe
,
Qui , comme lui , n'ai point une erreur qui me
berce ,
Pointd'intervalle heureux qui trompe mes ennuis,
Ce que j'étois hier , aujourd'hui je le ſuis ,
JUILLET. 1774. 9
Toujours vil hiftrion; * quel métier , quand j'y
penſe!
Voilà pourtant le fruitde mon extravagance.
Ah! i j'ai quelquefois éprouvé vos douceurs ,
Muſes , vous m'avez fait bien payer vos faveurs.
Encor , ſi préférant l'agréable à l'utile ,
Du moins jcufle occupé quelque poſte tranquille ,
Où , libre & jouiffant d'un honnête loiſir ,
De l'étude des arts j'euſſe fait mon plaiſir ,
Depuis long-temps peut-être entré dans la carrière
,
Onme verroit couvert d'une noble pouſſière;
Mais un deſtin vengeur , pour combler mes revers
, 1
M'a toujours ſuſcité mille obstacles divers ,
Et ſemblableau vaiſſeau dont l'Aquilon ſe joue
Qui , loin d'avancer , a toujours le vent en proue,
Chaque emploi que , pour vivre , il m'a fallu remplir,
Semble avoir toutexprès contredit mondefir.
Déjà pourtant j'ai vu quarante fois Borée
Faire prendre la fuite à Pomone éplorée ;
L'eſprit toujours en peine , accablé de travaux ,
Jen'ai pu diſpoſer d'un inſtant de repos ,
Et , ſoupirant en vain après la renommée ,
* Très - médiocre comédien dans une petite
troupede province.
Av
10 MERCURE DE FRANCE:
t
[
Mon feu , dejour en jour , le diffipe en fumées T
Ma folle erreur ainſi doublement me punit ;
Je n'en puis retirer ni gloire ni profit :
Ma faute inceſſamment ſe retrace à ma vue ,
Je vois avec douleur l'occaſion perdue.
Inſenſé quej'étois ! Un bon canonicat :
Pour moi qui n'avois rien valoit un marquiſatai
Ce ſeroit maintenant qu'exempt d'inquiétude,
Je pourrois tout entier me livrer à l'érude ,
Conſacrer chaque inſtant d'un loiſir enchanteur
Am'éclairer l'eſprit , à m'épurer le coeur.
Des paſſions le louffle en vain voudroit me nuires
De l'amour , àmon âge , on ne craint plus l'ema
pire.
L'ambition jamais n'égara ma raiſon :
Satisfait , je craindrois encor moins ſon poiſon.
Je verrois en pitié ce courtiſan volage
S'agiter & toujours n'embraſler qu'un nuage.
Qu'il me feroit aiſé d'éviter le fracas
D'un monde queje hais&dontje ſuis ſi las !
Je plaindrois ces mortels , jouets de la folic,
Qui dans le tourbillon vont confumant leur vie
Et ſe diſant heureux , évoquent à grand bruit
Le plaifir effrayé qui ſans ceſſe les fuit.
Non , la frivolité n'auroit point mon hommage.
Jouir en paix de foi , c'eſt le plaiſir du ſage.
*Un canonicat m'étoit deſtiné , & l'on ne m'a
voit fait étudier que dans cette vue.
JUILLET. 1774.
Souventje paſſerois , oiſif , laborieux ,
En ſpéculations des jours délicieux ;
Tantôt l'oeil enchanté , l'ame tranquille & pure ,
Sur le bord d'un ruiſſeau contemplant la Nature ,
Ou, pour en ſavourer les beautés tour-à-tour,
D'autrefois admirant l'aurore d'un beau jour.
Quel ſpectacle divin ! quel délice ſuprême !
L'homme s'élève alors au deſſus de lui-même.
Son coeur ivre dejoie , hors de lui tranſporté,
Sembleprendre ſon vol vers la Divinité.
Ah ! c'eſt-là le bonheur , la volupté parfaite ,
Le bien que j'ai perdu , le bien queje regrette,
Le ſeul qui cauſe encor mon plus ardent defir ,
Et queje pleurerai juſqu'au dernier ſoupir.
D** , à Cl**.
SUR LE PRINTEMS.
CHARMANTE HARMANTE Déefle
Des fleurs , du printems
Et de la jeuneſſe ,
T
4: 1
Reviens dans nos champs.
Déjà le Zéphire
Plein de ſon amour,
Dans nos bois ſoupire
Après ton retour.
Chaque jour l'Aurore ,
Avj
12 MERCURE DE FRANCE.
De ſes tendres pleurs
En faiſant éclore
Des moiſlons de fleurs ,
Aux Plaiſirs encore
Ouvrira nos coeurs.
Tout dans laNature
Va ſe ranimer ,
Ft c'eſt pour aimer.
Cette onde fi pure
Qui roule en grondant ,
Du flot,fon amant ,
Plaint par ce murmure
L'amoureux tourment.
Sous le verd feuillage
Un eſlaim volage
D'oiſeaux amoureux ,
Par fon doux ramage ,
Par fon badinage
Exprime les feux ,
Et nous fait entendre
Que pour être heureux
Il faut être tendre.
Déjà le Soleil ,
Seplongeant dans l'onde,
Va du nouveau Monde
Preſſer le réveil.
Hâte- toi , Nuit ſombre ;
La Beauté dans l'ombre
JUILLET. 1774 . 13
Aime à ſe cacher ,
Et la plus ſévère
Ne repoufle guère
Qui fait l'y chercher.
Ceprofond filence
Qu'interrompt par fois
Le vent qui balance
Mollement nos bois ,
De la nuit épaiſle
Augmentant l'horreur ,
Jette au fond du coeur
Certaine terreur
Propre à la tendrefle,
LeDieu du repos
Sur les yeux des mères ,
Des Argus lévères ,
Répand ſes pavots.
Quand tout est tranquille ,
Lors , à petit bruit ,
Cupidon conduit
Sa cohorte agile.
Les Ris & les Jeux
Jamais ne ſommeillent ;
:
:
Mais pourquoi , comme eux ,
Tant de jaloux veillent ?
Importuns jaloux
Seriez- vous à craindre ?
Ah! loindevous plaindre ,
4 MERCURE DE FRANCE.
Vous êtes pour nous
Bien ſouvent utiles :
Les Nymphes ſans vous
Seroient moins dociles
Les Plaiſirs moins doux
Aimable Jeuneſſe
Plongez- vous ſans ceffe
Dans la douce ivrefle
Des tendres amours.
Tout dans la Nature
Offre la peinture
Du rapide cours
De vos plus beaux jours.
Un plaifir s'envole :
Qu'un autre qui ſuit
Toujours vous confole
Decelui qui fuit.
L'Hermite Maillanne
P
LE VISIR PRECEPTEUR.
Fable orientale. *
Ourdonnerdes leçonsde ſageſſe à fon fils ,
Certain Sultan choiſit parmi ſes favoris
*Cette pièce & laſuivanteſontimitées deM. de
St Lambert.
JUILLET. 1774-
UnViſiréclairé , connu par ſa prudence ;
Va , dit- il au Miniſtre , au sein de l'innocence ,
Loindu tumulte de la Cour ,
Elever ſa tendre jeuneſle;
Quepar les moeurs il puifle un jour
De les peuplesfoumis mériter la tendreffe :
Pour former fûrement ſon coeur à la vertu
Choiſis quelque lieu folitaire ,
Je remets en tes mains l'autorité d'un père :
Puifle- t-il vertueux m'être bientôt rendu ! ...
Le jeune Prince part ; .. après quatre ans d'ab
ſence ,
Il vient revoir enfin ce dangereux ſéjour:
Déjà ſa raiſon jointe aux grâces de l'enfance
Plaît , & charme toute la Cour ...
Cependant à ſon fils trouvant moins de mérite
Qu'àcelui de ſon favori ,
Le Sultan mécontent s'en plaint ; mais celui- ci
Calme en ce péude mots la douleur qui l'agite :
«Sire , de tous les deuxj'ai prévu les beſoins;
>>Entre eux également j'ai partagé mes foins :
>>>Je conviens que mon fils abien pu reconnoître
Qu'il lui faudroit compter ſur le ſecours d'au
>>trui ;
Maisje n'ai pu cacherà l'enfant demon maître:
Que les autres mortels auroient beſoin de tui.
ParM. Houllier de St Remi.
16 MERCURE DE FRANCE.
LE LABOUREUR SUR LE TRONE ,
fable orientale.
これ
Un Roi mourant ſans héritier
Qui pût prétendre à la couronnne ,
Ordonna qu'on mit ſur le trône
Celui qu'on verroit le premier
Paroître aux portes de la ville;
Bien perfuadé que les Dieux い
:
Ne fontjamais rien d'inutile ,
Etqu'ils choiſiroient pour le mieux : ..
Cependant à peine il expire , 1
Qu'on découvre au pied du rempart
Un laboureur que le haſard
Vient en ce moment d'y conduire ;
On lui dit qu'il eſt Empereur : ..
Lepeuple accoutt , on l'environne ,
Ons'en ſaiſit , on le couronne ;
Le pauvre homme eſt tranſide peur.
Pour marque du pouvoir ſuprême ,
On ceint fon front du diadême ;
Régnez , lui dit- on : du feu Roi
Telle eſt la volonté dernière ;
Oubliez votre humble chaumière ...
Il oſe à peine ajouter foi
A ce prodige qui l'éronne ; ..
Tremblant il monte ſur le trône :
:
:
T
JUILLET. 1774. 17
:
Sur les degrés , tout près de lui ,
Les triſtes chagrins & l'ennui ,
Auſſitôt viennent prendre place ;
Un voiſin puiſſant le menace :
Il eſt trahi par des flatteurs
Qu'il accabloit de ſesfaveurs ;
Déjà la cruelle famine
Enlève les meilleurs ſoldats ;
Pour comble , une guerre inteſtine
S'allume au ſein de ſes Etats...
Ami du Roi dès le jeune âge ,
Certain manant de ſon village
Joyeux vient le complimenter ;
«Je ne peux que louer ton zèle ,
Mais , loin de me féliciter ,
>>Plains , dit- il , ma grandeur nouvelle.
>> Lorſqu'accablé du poids du jour ,
>>> Ami , je labourois la terre ,
>>Manquant de tout à mon retour ,
>> Je ne ſentois que ma misère ;
Aujourd'hui j'ai bien d'autres loins :
>>Chaque ſujet de mon Empire
Trouble mon âme , la déchire ;
> Je ſouffrede tous leurs beſoins.
Par lemême.
i
18 MERCURE DE FRANCE.
LES TROIS PRÉCEPTES.
Nouvelle.
HEUREUX , quatre fois heureux le fils
obéiſſant& foumis à fon père ! Obfervant
le divin précepte , il obtient une longue
vie ,& rout lui réuſſit ; au lieu que le fils
déſobéiſſant eſt malheureux , toutes ſes
entrepriſes ont une iſſue funeſte : la nouvelle
ſuivante offre un exemple frappant
de cette vérité. Dans Gênes la Superbe
vivoit Regnaud l'Eſcalle , gentilhomme
partagé des dons de l'eſprit & de la fortune.
Il avoit un fils unique appelé Salardin
, qui poffédoit toute ſon affection ; il
l'élevoit & l'inftruiſoit en bon père , n'épargnant
rien de ce qui pouvoit lui
être utile ou glorieux. Regnaud , déjà
vieux , tomba dangereuſement malade ;
&, fentant approcher le terme de ſes
jours , il manda un notaire pour faire fon
teſtament ; il inſtitua Salardin fon héritier
univerſel. Enſuite il l'exhorta , en
père affectueux , à graver trois préceptes
dans fa mémoire , pour ne jamais s'en
écarter : le premier , de ne point révéler
fon ſecret à ſa femme , quelque tendreffe
JUILLET. 1774. 19
qu'il eût pour elle ; le ſecond ,de ne pas
élever comme fon fils & héritier un enfantdont
il ne feroit pas le père ; le troiſième
, de ne pas s'attacher à un Prince
qui , par lui feul , veut régir ſes États.
Après ces mots ſuivis de ſa bénédiction ,
il expira.
Salardin , jeune , riche & de qualité ,
réſolut de prendre femme , & de ſi bien
la choiſir , qu'il eût lieu d'en être fatisfait.
Il époufa donc Théodora , qui ,étane
belle & bien élevée,lui inſpira tant d'amour
, qu'il ne pouvoit s'éloigner d'elle.
Au bout de pluſieurs années de mariage ,
Salardin , ſe voyant ſans enfans , crut, de
concert avec ſa femme , devoir en adopter
un pour l'élever comme fien , & lui
laiſſer ſes grands biens , au mépris des
avis paternels . Ils adoptèrent un nommé
Poſthume , enfant d'une pauvre veuve ,
& l'élevèrent avec plus de tendreſſe qu'il
ne méritoit.
Au bout d'un certain temps, Salardin ,
moins las du brillant féjour de Gênes ,
qu'excité par une demangeaiſon ordinai
se à gens qui vivent dans l'indépendance,
jugea à propos de s'expatrier. Ayant donc
pris quantité d'or & de bijoux , & fait
préparer tous ſes équipages , il partit de
20 MERCURE DE FRANCE.
Gênes avec Théodora ſon épouſe chérie ,
&pofthume fon fils adoptif; & , paffant
par le Piémont, il ſe rendit à Montferrat .
Là , s'étant arrêté , il fréquenta beaucoup
de Gentilshommes , faiſant avec eux des
parties de chaſſe & de plaiſir , & ſe montrant
ſi magnifique & libéral , qu'il étoit
généralement chéri & conſidéré. La magnificence
de Salardin parvint juſqu'au
Marquis de Montferrat qui , le voyant
jeune , opulent , ſage & fpirituel , prit
tant d'amitié pour lui , qu'il ne pouvoir
paller un jour ſans le voir. La faveur de
Salardin auprès du Prince s'accrut au point
qu'il devint le canal de toutes les grâces.
Dans ce degré d'élévation , le favori faiſoit
ſon étude unique de complaire au
Souverain , juſqu'à prévenir ſes deſirs. Le
Marquis , jeune auſſi , aimoit fingulièrement
la chaſſe à l'épervier : il avoit quantité
d'oiſeaux , de chiens & d'autres animaux
, ſelon l'uſage des grands ſeigneurs;
& il ne chaſſoit jamais à l'oiſeau , on autrement
, ſans être accompagné de Salardin.
Un jour celui ci , ſeul en ſon logis ,
ſe mit à penſer aux honneurs dont le
Prince le combloit ; puis, ſe rappelant les
bons procédés , les moeurs honnêtes de
Poſthame, ſon fils reſpectueux , ildiſoit ;
JUILLET. 1774 . 21
•Ah ! que mon père ſe trompoit lourde-
" ment ! Je crois très - fort qu'il radotoit ,
>>ſelon la coutume des vieillards. Quelle
tottiſe , quelle frénéfie lui inſpiroit
>>cette défenſe expreſſe d'élever un enfant
>>d'autrui , & de m'attacher à un Prince
>>qui ſeul gouvernât tout par lui- même ?
>>Je vois à préſent qu'il étoit dans l'erreur.
"Poſthume n'eſt à moi que par adoption ;
wil n'en eſt pas moins ſage , bien élevé&
infiniment reſpectueux. Et de qui pour-
>>rois - je être plus fêté que je le ſuis du
>>Marquis ? Cependant il fait tout par ſa
>>tête & ne conſulte perſonne. Il m'affec-
>tionne & m'honore à tel point , qu'il ne
>>ſauroit avoir plus de déférence pour un
ſupérieur ; choſe qui m'étonne & me
>confond. Mais puiſque je me suis déjà
»tiré au-delà de mes eſpérances de deux
>>des charges que mon père m'impoſa , je
>veux expérimenter la troiſième , ſûr de
redoubler le juſte & tendre amour de
>>mon épouse. Qui mérite plus ma confiance
qu'unefemme qui laiſſa la maiſon
>>paternelle pour ne faire qu'un coeur &
>>qu'une ame avec moi ? Aſſuré donc que
je puis lui confier les plus importans
fecrets , je veux éprouver ſa fidéliré ,
>>non pour moi qui ſuis convaincu qu'elle
22 MERCURE DE FRANCE.
1
>>m'adore , mais pour la tenter comme
>>feroient de jeunes idiots qui croiroient
>pécher irrémiſſiblement s'ils contreve-
>>>noient aux loix inſenſées de leurs vieux
>>parens . "
C'eſt ainſi que Salardin plein de mépris
pour les trois préceptes de ſon père , réſo-
Jut d'en violer le troiſième. Il ſortit ſans
délai de chez lui pour ſe rendre au Palais ;
& s'étant approché d'une barre où étoient
perchés quantité de faucons , il prit le
meilleur & le plus cher au Marquis. Il
l'emporte ſans être vu , court chez un de
ſes amis nommé Francin , & le lui montre
en le priant au nom de l'intime amitié
qui les unit , de le garder juſqu'à
nouvelordre ; enſuite il revient chez lui ,
où en ayant pris un des ſiens , il le tue
en cachette&le porte à ſa femme. «Theo-
>>d>ora , lui dit- il , ma chere épouſe , tu
>>ſais que je ne peux avoir une heure de
>>repos avec le Marquis , lequel , avec
>ſes chaſſes à l'oiſeau , avec ſes tour-
>>nois & mille occupations différentes
>>me tient dans un ſi continuel exercice ,
>>que ſouvent j'en ſuis plus mort que vif.
>> Pour le détourner de ſes éternelles par-
>>>ties de chaſſe , je lui ai joué un tour
>>dont ilne ſera pas fort aiſe. Peut-être ſe
,
JUILLET. 1774. 23
&
>>Tepoſera- t- il quelques jours , & auronsnous
un peu de relâche. Qu'avez - vous
>donc fait , lui ditThéodora ?-Je lui ai
>>tué ſon faucon favori ; il eſt pour en
mourir de rage quand il le ſaura. » A
ces mots il ouvre ſon manteau ,
montre le faucon mort qu'il remet à ſa
femme , la chargeant de le faire cuire
pour le manger à ſouper en l'honneur
du Marquis. Théodora voyant l'oiſeau
mort ſe lamenta beaucoup ; &
ſe tournant vers ſon mari , elle le tança
durement d'une pareille ſottiſe. Comment
avez - vous pu , lui dit - elle , vous
oublier affez pour outrager un Prince qui
a pour vous tant de bontés ? Sûr d'en obtenir
tout ce que vous voulez , vous tenez
le premier rang auprès de ſa perſonne.
Ah! mon cher Salardin , vous avez attiré
un cruel fléau ſur votre tête. Ily va dela
vie, ſi le Prince vient à ſavoir le fait .
Comment veux- tu qu'il l'apprenne, s'il
n'y a que toi & moi qui le ſachions ? Je
te conjure par la tendreſſe que tu eus toujours
pour moi , de ne jamais dévoiler un
myſtère dont la découverte entraîneroit
notre ruine. » -Ne craignez point ; je
mourrois plutôt que de révéler un tel ſecret.
L'oiſeau cuit & apprêté , Salardin ſe
-
24
MERCURE DE FRANCE.
mit à table avec ſon épouse. Mais comme
elle ne vouloit point manger & fe
rendre à ſes invitations preflantes de goûter
du faucon , il leva la main & lui fit
une menace qui la mit tout en feu.
Théodora , furieuſe de ſe voir ainſi
maltraitée , quitte la table ; & , tout en
murmurant , elle proteſte de ſe venger
de ſon mari. Le jour ſuivant elle fort de
grand matin , & court chez le Marquis , à
qui elle apprend la mort du faucon. A
cette nouvelle le Prince fut ſaiſi d'un ſi
violent courroux qu'il fit arrêter Salardin ,
& , fans vouloir entendre aucune raiſon
il ordonna qu'il fût décapité ſur l'heure ,
& qu'on divisat ſes biens en trois parts ,
dont l'une ſeroit adjugée à ſa femme qui
l'avoit dénoncé , une autre à ſon fils , & la
troiſième à l'exécuteur.
Pofthume qui étoit robuſte & diſpos ,
ayant appris la ſentence portée contre Salardin
, & la diviſion de ſes biens , s'en
fut en diligence à Théodora, & lui dit :
Ma mère , ne vaudroit- il pas mieux que
je gagnaſſele tiers des biens de mon père,
qu'un étranger ?-Tu as raiſon, mon fils;
par ce moyen le patrimoine de Salardin
nous reſteroit en totalité . Le fils alla ſans
délai demander au Marquis la faveur
d'exécuter
JUILLET. 1774 . 25
d'exécuter Salardin pour hériter dutiers
de ſes biens. Sa demande fut agréée .
Salardinavoit prié Francin ſon fidèle ami,
dépoſitairede ſon ſecret ,d'aller,dès qu'on
le conduiroit à la mort , ſupplier le Marquis
de permettre que l'accuſé lui fût
amené pour ſe juſtifier. Francin s'acquitta
de ſa commiffion .
Cependant l'infortuné Salardin en prifon,
les fers aux pieds , s'attendoit d'heure
en heure à ſe voir conduire au théâtre
d'une mort ignominienfe ; & , pleurant à
chaudes larmes , il ſe diſoit : " Je ne vois
>>que trop à cette heure que la longue
>>expérience de mon père veilloit à ma
>>confervation. Il me conſeilloit en hom-
>>me ſage & prudent ; & moi , infenſé que
>>je fuis , je mépriſai ſes avis. Lui , pour
>>>me fauver , me conſeilla de fuir mes en-
>>nemis domeſtiques ,&je me ſuis rendu
>>leur proie pour qu'ils m'égorgeaffent &
>>jouiſſent de mon trépas : lui qui con-
>noiffoit l'humeur des Princes qui fou-
>vent aiment&haïffent , élèvent & abaif-
>>fent un ſujet d'une heure à l'autre ,
>>m'exhortoit à fuir leur approche ; & je
>> les ai imprudemment recherchés poury
>>perdre les biens , l'honneur & la vie.
>> Plût-à-Dieu n'avoir jamais éprouvé ma
I. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
ود
>>perfide épouse! Ah ! Salardin, qu'il vau-
>>droit bien mieux pour toi avoir ſuivi les
traces de ton père , & laiſſé aux flatteurs
>>le ſoin de faire la cour aux Princes ! Je
>>ne vois que trop où m'a précipité mon
"aveugle confiance en moi , dans mon
>>épouſe , dans mon fils ſcélerat , & fur-
>>tout dans le cruel Marquis. Ah ! malheureux
Salardin ! à quoi es - tu réduit ?
>>Que te fervent tes titres , tes parens , ta
loyauté , ton intégrité , ta tendreſſe ? O
>mon père ! je crois que regardant , tout
>>mort que tu es , dans le miroir de la cé-
>>leftebonté , tu me vois conduire au ſup-
>>plice en punition de n'avoir pas cru &
ſuivi tes ſages & affectueux avis. Je crois
>>qu'animé pour moi de la même ten-
>>dreſſe qu'autrefois , tu pries l'Etre Su-
>>prême d'avoir pitié des travers de ma
>>folle jeuneſle . Pardonne , je t'en con-
>>jure , à un fils ingrat & rebelle à tes
»leçons . »
Pendant que Salardin ſe faiſoit ainſi
ſon procès , Poſthume ſon fils adoptif vint
à la priſon avec les sbires ; & s'offrant infolemment
aux yeux de ſon père , il lui
tint ce langage : mon père, comme vous
devez être décapité d'après l'arrêt du Prince,
&que le tiers de vos biens eſt dévoJUILLET.
1774. -27
,
lu à celui qui vous exécutera , perfuadé
de votre tendreſſe à mon égard , je penſe
que vous n'improuverez pas que je me
charge de cette fonction. Par ce moyen
vos facultés ne tombant pas en mains
étrangères, reſteront dans la maiſon. Salardin
qui avoit écouté attentivement
Poſthume , lui répondit :"Dieu te béniſſe !
mon fils : tu as penſé comme je le deſirois;
& fi d'abord je fuſſe mort inconfolatle
je mourrai content déſormais. Fais donc
ſans délai ton digne emploi. » Poſthume
lui demande pardon & l'embraſſe ; puis ,
lui liant les mains , l'exhorte à ſe réſigner
à la mort. Salardin, frappé dela viciffitude
deschoſes, étoit interdit. Enfin fortant de
la prifon accompagné des sbires & du
bourreau , il s'achemina en diligence vers
le lieu du ſupplice. Y étant arrivé, il regarda
les aſſiſtans & leur conta la cauſede
ſa mort. Enfuite il demanda à Dieu humblement
pardon de ſes fautes , exhortant
les enfans à la ſoumiſſion envers leurs pères.
Quand le peuple ſut le motif de la
condamnation de Salardin , il n'y eut perſonne
qui ne donnât des larmes au fort
de ce jeune infortuné , & qui ne fît des
voeux pour ſa délivrance .
Cependant Francin s'étoit rendu chez
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
:
le Marquis , & lui avoit adreſſe ce dife
cours: " Très- illuftre Seigneur , ſi jamais
>>une étincelle de pitié s'alluma dans le
coeur d'un Prince équitable , je ſuis für
>>qu'elle enflammera le vôtre , ſi vous je-
>>tez un regard de votre clémence ordinai.
>>re fur l'innocence de monami , victime
>>d'une méprife, Seigneur , quel motifa
>>pu vous induire à condamner à la mort
Salardin pour qui vous aviez tant de
>>bienveillance ? Jamais il ne ſongea a
vous offenfer. Mais,Prince très-clément,
»ſi vous permettez qu'on amène devant
vous le plus fidèle de vos ſerviteurs avant
>>qu'il meure , je me flatte de vous dé-
>>montrer ſon innocence. » Le Marquis ,
les yeux étincelans de fureur , vouloit,
fans répondre un mot à Franci'n , lechaf
ſer de ſa préſence , quand celui - ci ſe prof.
ternantàſespieds, embraſſant ſes genoux,
s'écria les larmes aux yeux ; « Grâce,grâce,
Prince équitable; que l'innocent Salardin
pne vous doive pas la mort; calmez votre
>>courroux,& je vous convaincrai que l'ac
cuſé n'eſt pas coupable . Au nom de cette
juſtice ſiinviolable pour vos ayeux& pour
vous , accordez une heure de délai. Qu'il
>>ne ſoit pas dit, Seigneur, que vous ordonwniez
précipitamment & fans preuve le
JUILLET. 17746 29
trépas de vos amis. Le Prince enveloppant
Francin dans ſon courtoux , lui dit
Sans doute que tu veux t'aſſocier à Salardin
? Pour peu que tu allumes encore ma
fureur , je te ferai expédier après lui .
Seigneur , je conſens de mourit avec lui,
pour prix de mes ſervices, ſi vous le trouvez
criminel . Le Prince conſidérant l'intrépidité
de Francin , jugea qu'il ne s'obligeroit
pas à mourir avec ſon ami ſans
une parfaite conviction de ſon innocen
ce. Je veux bien , reprit- il , accorder une
heure de délai ; mais diſpoſe toi à ſubit
le même ſupplice que ton ami , ſi tu ne
prouves qu'il eſt innocent. Aces mots il
dépêcha unde ſes officiers vers les Minif
tres de la juſtice pour leur commander
de ſa part de ſurſeoir à l'exécution , &
de lui amener Salardin eſcorté de l'exécuteur&
lié comme il étoit. Quand celui-
ci fut devant le Marquis encore tout
enflammé de colère , il retint fon dépit ,
&,montrant un viſage ouvert & ſerein ,
il lui parla en ces termes: Seigneur, mes
>>> fervices & mon attachement envers vo-
>>tre Alteſſe n'avoient pas mérité l'ou-
>>trage que vous me faites en me con-
>>damnant à une mort ignominieufe ; &,
>>ſi l'indignation que vous inſpire ma fo
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
lie ( ſi c'en eſt une ) vous rend cruel en
>>>vers moi , contre votre naturel , vous ne
>>deviez pourtant pas m'envoyer au ſup-
>>plice ſans m'entendre. Le faucon dont'
>>la mort prétendue vous rend ſi furieux
>>contre moi, eſt plein de vie & tel qu'au-
>>paravant. Ce ne fut ni pour le tuer , ni
>>pour vous infulter que je le pris ; c'étoit
>>pour faire une ſecrette épreuve dont
-vous allez être inſtruit. » Alors s'adreſfant
à Francin qui étoit préſent, il le pria
de montrer l'oiſeau & de le rendre à fon
patron. Enfuite il conta au Marquis les
préceptes affectueux de fon père & leur
infraction . Le Prince entendant ainfi
parler Salardin , & voyant fon faucon
plus alerte & plus beau que jamais ,
étoit tout interdit. Mais quand il ſe
fut un peu remis , fongeant à fon injuſtice
d'avoir condamné à mort un ami
innocent , il leva des yeux pleins de larmes
, & fixant l'accuſé , il lui parla de la
forte : « Si tu pouvois , Salardin , lire au
>>fond de mon coeur , tu verrois que les
>>liens qui te ferrent les bras ne t'ont pas
>>cauſé tant de douleur & de détreſſe qu'à
>>moi de chagrin &d'amertume. Il n'y
Maura plus de joie &de félicité pour moi,
>>ayant fi fort outragé un ami fidèle &
2
JUILLET. 17740 31
>>zélé pour mon ſervice. Que ne puis-je
>>anéantir le paſſé ! mais la choſe étant
>>impoffible , je n'efforcerai ſi bien de la-
>> ver l'affront que tu reçus , que tu ſeras
>>content de moi . »
A ces mots le Prince lui ôta de ſes propres
mains le cordon dont il étoit lié ,
l'embraſſa pluſieurs fois avec la plus vive
tendrefle ; &, l'ayant pris par la main droite
, le fit affeoirà côté de lui. Enfuite il
vouloit que le même cordon ſervit pour
étrangler Poſthume en punition de ſa ſcélérateſſe.
Mais Salardin s'y oppoſa , &
ayant fait approcher l'exécuteur, il lui tine
cedifcours : Poſthume,que j'élevois par
charité dès le bas âge , Dieu m'eſt té-
>>moin queje ne ſais que faire de toi. Entraîné
, à la fois , parlatendreſſe que
j'eus pour toi juſqu'ici , & par l'indignation
que m'inſpire ton atrocité , l'une
veut que je te pardonne , & l'autre que je
féviſſe contre toi à toute rigueur. Que
faut- il doncqueje faffe ? Montréau doigt
ſije t'abſous , je déſobéis au précepte divin
ſi je me venge. Pour qu'onne me taxe
d'être ni trop bon ni trop cruel , je prendrai
un parti mitoyen ; tu ne recevras de
moi ni peine afflictive , ni pardon abfolu.
Prends donc en échange de mes biens
Biy
312 MERCURE DE FRANCE .
que tu voulois ufurper , cette corde dont
tumelias les mains. Emporte la pour te
rappeler ſans ceſſe mes bienfaits & ton
crime. Fuis fi loin que je n'entende plus
parler de toi . C'eſt ainſi qu'il renvoya
Poſthume avec ſa malédiction , & l'on
n'en eut jamaisde nouvelles. Théodora ,
déjà informéedela délivrance de Salardin,
s'enfuit dans un couvent où elle termina
miférablement ſa carrière.Salardin l'ayant
fu , prit congédu Marquis , quitta Monferrat;
& ayant appliqué à debonnes oeu
vres une partie de ſes richeſſes , il employa
le reſte à couler de longs &paiſibles
jours dans Gênes ſa patrie .
Traduit de l'italien de Strapparole ,
parM. Flandy.
EPITRE adreffée à MM. les Elèves de
l'Ecole royale militaire fur la mort de
: Louis le Bien-Aimé.
PAr un arrêt cruel quand le Deſtin ſévère
Aux voeux d'une famille arrache un tendre père,
Ses membres défolés , que réunit le deuil ,
Refferrentdes liens relâchés parl'abfence.
Dans ce malheur commun leurs coeurs d'intelli
gence
JUILLET. 1774. 33
Viennent tous à l'envi gémir ſur ſon cercueil.
Ainſi que ces enfans , uniſſons nos misères ,
Nous dont un même ſort a faitde tendres frères ,
Orphelins malheureux qui perdons à la fois
Un père , un bienfaiteur & le meilleur des Rois.
Hélas! tant qu'a regué l'Antonin de la France ,
Nous l'avons adoré dans un profond ſilence.
Aux Rois , pendant leur vie , un hommage adreflé
N'eſt ſouvent que le voeu d'un coeur intéreſlé .
Leur mort vient écarter tout ſoupçon d'impof.
ture.
Des louanges alors le mérite eſt fixé ;
C'eſt ſur leur tombe enfin que notre encens s'épure.
Sur celle de Louis humectons de nos pleurs
L'encens , le triſte encens qu'en nos ſenſiblescoeurs
Ajamais doit brûler la flamme la plus pure.
François, oferiez -vous ſuſpecter nos douleurs ?
Pouvions-nous donc l'aimer qu'avec idolatric ?
Ne lui devons- nous pas l'eſpoir délicieux
De remplir quelque jour , envers notre partic ,
Les devoirs impolés par ces dons glorieux
Que nous reçûmes d'elle en recevant la vict
Défenſeurs de l'Etat , nos modestes ayeux
Ne nous avoient laillé , pour toutbien après cux,
Que leur nom à porter & leur exemple à luivre.
Leurs rejetons obſcurs , oubliés , fans ſecours ,
Dans un repos honteux alloient traîner leurs
jours.
A
By :
34 MERCURE DE FRANCE.
Leur ardeur s'éteignoit : pour la faire revivre ,
Louis le Bien Aimé trouve un moyen nouveau,
Perce le voile épais qui couvroit leur enfance;
Et du haut de ſon trône on voit ſa bienfaitance
Etendre ſes doux ſoins juſques à leur berceau .
Pour un fi beau projet tout lui paroît facile .
Son royaume n'a pas de ténébreux aſyle
Où ſon coeur paternel ne porte le flambeau :
Quels furent les tranſports de cette claſſe heureuſe
A
Où Louis vint choiſir le languiſſant efſaim
Que lui - même vouloit ranimer dans ſon ſein!
Dès- lors la pauvreté ceſſa d'être honteuſe ;
Et , ſur elle jetant un regard moins hautain ,
L'orgueilleuſe opulence envia ſon deſtin .
Ah! repréſentons- nous nos mères pénétrées
Peignant de ce bon Roi les vertus adorées ,
L'offrant avec tranſport à notre affection ,
Moins comme un ſouverain que comme un père
tendre ,
4
Formant nos foibles voix à bégayer ſon nom ,
A chanter fes bienfaits avant de les comprendre.
Retraçons - nous encor nos pères attendris ,
Juſtement enivrés d'un ſi glorieux prix ,
Nous prenant dans leurs bras , nous arrofant de
larmes ,
Des lauriers belliqueux nous vantant tous les
charmes ,
Ouvrant à nos regards le livre de l'honneur
JUILLET. 1774 . 35
Et déjà nous donnant des leçons de valeur.
«Eh ! quoi , nous diſoient- ils , un Roi brillant de
>>gloire
Abaille ſes regards ſur de Amples enfans!
>>Ce n'étoit pas aſſez que ſes bras triomphans ,
>>Aux champs de Fontenoy guidés par la Victoire ,
>>E>uſlent placé ſon nom au temple deMémoire.
>>D>ans ce temple , à côté des Princes bienfaiſans ,
>>Son grand coeur ſe livrant à toute la tendreſſe ,
>>Plein d'une noble ardeur , brigus les premiers
rangs.
>>L'on tremble , l'on frémit , on l'aime avec
ivrefle.
>>Que n'étiez- vous témoins de la vive détreſſe
Oti ſa vie en danger plongea la Nation !
>>L'amour ſeul égaloit la conſternation ;
>>Du deuil le plus profond la France étoit couverte
.
>>On n'entendoit que cris , que ſanglots en tout
>>li>eu ,
1.1
>>D'un ſeul homme pourtant on redoutoit la perte;
>>Mais l'Amour , en nos coeurs , en avoit fait un
Dieu.
>>Ce fut à cette époque , à jamais mémorable ,
>>Q>ue les François , ſortant de leur cruel effroi ,
>>D>o>nnèrent tous d'une voix à ce Prince adorable
>L>e>titre le plus beau que pût choisir un Roi.
Ah ! ce titre ſi vrai , ſi touchant & fitendre ,
>>S'il n'avoit pas été le fruit de ce tranſport ,
:
B vj
3.6 MERCURE DE FRANCE.
>>V>os bouches , dont nos voix ſeconderoient l'ef

fort
A Louis , en ce jour , devroient le faire entendre.
Répétez- le avec nous en des momens fi chers,
Et devenez du moins l'écho de l'Univers.
Ainfi pardes leçons au-deſlus de notre âge ,
Nos pères , de l'amour nous dictoient le langage.
Pour réponſe, effuyant les pleurs que de leurs
yeux
De notreheureux deſtin faiſoit couler l'image ,
Sans le connoître encor , nous pleurions avec eux.
Et , lorſque pour ce Roi ſenſible& généreux ,
Des plus vifs ſentimens nous éprouvons l'ivrefle,
Quand nous pouvons, comblés de les dons pré-
!cieux ,
Répandre à notre tour des larmes detendrefle ,
C'eſt dedouleur ſur lui qu'il nous en faut verſer !
Sourde à nos voeux ardens , la mort vient le percer.
Hélas ! nous le perdons ſans avoir pu lui rendre
Quelque ſervice au moins pour les rares bienfaits,
Etnos premiers tributs font de cruels regrets.
Paramour pour ſon Peuple , il a vouluTufpendre
Nos bras par lui formés à l'ombre de la paix.
Sabonté nous ravit l'honneur deledéfendre,
EtLouis en mourant ne fait peut-être pas
Si fes enfans chéris ne font pas des ingrats.
Pour ſedéſabuſer que ne peut-il entendre
Les longs gémiffemens qu'ils pouſſent ſur ſacendre;
JUILLET. 1774. 37
Voir les pleurs dont leurs yeux , par la douleur
flétris ,
Baignent de ſon tombeau les lugubres trophées ;
Recevoir les ſermens que leurs voix étouffées
Répètent aux genoux de ſon auguſte fils ;
Sermens chers & facrés dont l'hommage fincère
A nos coeurs délolés rendra ſans doute un père...
Maispourquois'arrêter àdes voeux ſuperflus ?
Dans la nuit de la tombe il ne nous entend plus.
Quoi ! Louis , duTrès-Haut image ſur la terre ,
Suivit les doux tranſports de ſon coeur paternel ,
Louis fut bienfaiſant, &n'eſt pas éternel !
Vainement voulions- nous , ô Sort inexorable ,
Sur nousen la faveur détourner ton pouvoir :
Tu n'as pas épargné ce Monarque adorable.
Ah! puiſque de la mort le courroux implacable ,
En immolant Louis, a trompé notre eſpoir ,
Vengeons- le de ſes coups; &, ſi la Bienfaiſance
Ne rend que pour un temps égal aux Immortels ,
Eterniſons- le au moins par la reconnoiflance ;
Dreflons- lui dans nos coeurs à jamais des autels.
ParM. Bourgoing , lieutenant au rég.
d'Auvergne , ancien Elève de l'Ecole
royale militaire.
38 MERCURE DE FRANCE.
CHANSON.
Dédiée au Roi & à la REINE.
L
Sur l'AIR: Liſon dormoit.
E malheur ſembloit nous pourſuivre
En nous ôtant un Roi chéri ;
Mais dans ſon fals il va revivre
De même que le grand Henri.
Moins notre Roi que notre père ,
Grand Dieu , qu'il va ſe faire aimer !
Se faire aimer ,
Se faire aimer
D'un peuple fidèle & fincère ;
Se faire aimer ,
Se faire aimer ,
Puiſqu'il fait ſi bien gouverner.
Et vous , Princefle incomparable ,
Quel bonheur d'être ſous vos loix !
Couple charmant , Reine adorable ,
Soyez le modèle des Rois .
Junon , ſi noble & ſi touchante ,
Ne brille par tant dans les cieux ,
Dedans les cieux ,
Dedans les cieux ,
Et ne paroît pas ſi charmante
Parmi les Dieux ,
JUILLET. 1774. 39
:
Parmi les Dieux ,
Que vous l'êtes devant nos yeux .
Recevez pour temple notre ame
Et tous nos coeurs pour vos autels ;
Notre encens , c'eſt la vive flamme
• Que fentent pour vous les mortels.
En vous contemplant ſur le trône
L'on dit : ah ! quel objet charmant !
Qu'il eſt charmant !
Qu'il eſt charmant ,
Et bien digne de la couronne!
Qu'en le voyant ,
Qu'en le voyant ,
L'on goûte un doux raviſſement!
Par Mlle Hebert , âgée d'onze
ans& demi,
VERS écrits dans le cabinet d'un Poëte
D
Provençal.
u Génie , en ces lieux , la flamme eſt attiſée
Par les rayons du Dieu qui rallume le jour.
De fon feu créateur cette terre embraſée
Semble être des beaux arts le fortuné ſéjour.
Ici , par tout les ſens , l'ame eſt électriſée ,
Ici la Poësie eſt file de l'Amour.
40 MERCURE DE FRANCE.
Tandis qu'en nos climats la Nature glacée
Dans les cerveaux plus froids reſſerre la penſée,
Apollon , dont le char éclaire l'univers ,
Dérobe la Provence au ſouffle des hivers .
Il échauffe , il remplit la tête du poète ,
Il défend à la voix de demeurer muerte ,
Et l'aſpect d'un beau ciel enfante de beaux vers.
Ah! livre-toi ſans crainte aux tranports qu'il infpire.
Au ſon des tambourins & des pipeaux légers ,
Sous ces lauriers touffus , ſous ces vieux orangers
Dont le parfum le mêle à l'air que l'on reſpire ,
Chante-nous les amours & les jeux des bergers.
Ami , retracenous ces images riantes ,
Ces bolquets toujours verds , ces fleurs toujours
brillantes ,
(Card'un climat heureux les fécondes chaleurs
Prolongent le printems , éterniſent les fleurs ; )
Peins fur-tout à mes yeux, dans ungrouppe folâtre ,
Ces nymphes au front gai que mon coeur idolâtre.
Ici , de la beauté les regards font parlans .
Aux Mules,à Venus il n'eſt point de rebelles .
Tout de l'enthousiasme excite les élans ;
Tous les eſprits ſont vifs ; tous les coeurs font
brûlans.
Des Troubadours , ami , ſuis les traces fidelles.
L'aſpect de la Nature & le fouris des belles
Sont les flambeaux du goût & les Dieux des talens.
Par M. François de Neufchâteau,
JUILLE Τ. 1774. 41
MES TORTS.
J'ETOIS jeune, &pourtant je rimois ſans effort.
Bientôt ce tort léger devint conſidérable :
On imprima mes vers ; ce tort irréparable
Danslepublic me nuifit fort.
Par le ton louangeur je débutai d'abord :
J'eus tort , à ce qu'on dit. Un célèbre critique
Changea mon miel trop fadeen un ſel trop cauftique;
J'eus cette fois un plusgrandtort.
Laflé de la philoſophie ;
D'arts , de livres , d'auteurs , d'eſprit raflafić ,
Je revins à l'amour que j'avois oublié ;
Mais j'eus tort de choifit Sylvie.
Je l'adoroisde bonne foi :
Ce tort ( car c'en eſt un ) fut celui de ſes charmes.
La belle ritbientôt de ſa flamme &de moi :
J'eus grand tort ; je verſai des larmes.
La fortune , à ſon tour , vint éblouir mes yeux.
Je l'invoquai ; j'eus tort. La déeſſe infidelle
M'accorda , me reprit ſes dons capricieux:
J'avois trop attendu ; je me plaignis tropd'elle.
Enfin , caché dans ma maiſon ,
42 MERCURE DE FRANCE.
Je vivrai ſans projet & ſans inquiétude ;
Le dernier de mes torts ſera la ſolitude
Et c'eſt le tort de la raiſon .
Par le même.
EPITRE à mon Ami M. de B*** ,
Officier au régiment de **.
Deta lettre profimétrique
Mon coeur eft vraiment enchanté .
Le raviſſement ſéraphique
Qu'en la liſant j'ai tant goûté ,
Par mes vers , par ma réthorique ,
Mérite bien d'être exalté .
Cherchons quelque tour énergique
Qu'aucun rimeur n'ait inventé ...
Hélas ! ma muſe qui ſe pique
D'avoir quelque facilité ,
Va perdre toute ſa rubrique
A chercher une route unique
Sur ce Pinde ſi fréquenté .
Des rimailleurs la république
A tant rimaillé , tant chanté
Pour les héros , pour la beauté ,
Et pour cet Apollon antique
Par qui le Parnaſſe gallique
Jaſi longtemps eſt régenté ;
)
JUILLET. 1774 . 43
Pour ce chantre épique & tragique ,
Pour ce chantre anacreontique ,
Ce chantre comique & liryque ,
Hiſtorien philoſophique
Qui vers le téjour plutonique
Par octante hivers emporté ,
Nous fait encore à tous la nique
Alors qu'avec légèreté
Ilrouche ſon luth homérique
Que le dieudu Pinde a monté.
En vain mon eſprit s'alambique
Cherchant quelque oeuvre poëtique
Qui puiſſe à l'imortalité ,
Près de ton oncle l'aſcétique *
Conduire ta muſe comique
Qu'inſpira toujours la gaieté.
Apollon n'a point écouté
La prière ſi pathétique
Quepour toi mon coeur m'a dicté:
Du Parnaſle comme hérétique
Hélas ! je me vois rejeté !
Derimeurs ungros famélique ,
En tous lieux déjà revendique
L'ouvrage que j'ai médité.
* M. de B. a eu un oncle Général de l'Oratoire
&connu par plufieurs ouvrages de piété.
44 MERCURE DE FRANCE.
Dans mon délire pindatique ,
Dit unpoëte à mine étique ,
Voiture ainſi fut préſenté.
Ainfi ceChaulieu reſpecté ,
Dans un poëme magnifique ,
Er, ſans mentir , affez goûté ,
Par moi, dit l'autre, fut vante.
Un troiſième aux champs de l'Attique
Connu par ſa fureur métrique
Qu'oublia la poſtérité ,
Voudroit que moi , j'eufle imité
Une ſuperbe ode pithyque ,
Oùjuſqu'aux cieux il a porté
La gloire du chantte érotique
Qui du lein de l'oifiveté
Au ſortird'un feſtin bachique ,
Par le tendre amour excité
PeintBathile & la volupté.
Ah ! meſſieurs de lapoëtique;
Avotre troupe fantaſtique
Je laifle l'honneur chimérique
D'avoir tout dit & tout tenté.
Ceflez , meſſieurs , votre critique
Je ſuis un rimeur pacifique
Qui n'aura point la vanité
D'égaler votre docte clique ;
Mais permettez que je m'explique
Sans aigreur , ſans malignité ;
1
:
JUILLET. 1774. 45
Dans un délire prophétique
Monami par vous fut chanté,
Et votre héros fut doté
Dubeau laurier académique
Que B.. , ſeul a mérité.
Par M. le Marquis de C **,
RONDE AU .
1
Av bon vieux temps , & Rondeaux & balades
De nos Cléments &de nos Benférades
Furentla langue, Ils chantoienttour-à-tour
Surun refrain , leur bouteille & l'amour.
Mais plus n'entends que poëtiſeurs fades .
Farceurs Anglois aux cervelles malades ,
Je ſuis laflé de vos jérémiades.
Oyez les fons d'un joyeux troubadour
Aubon vieux temps.
Il peint lesjeux , les ris , & les ménades.
Comme labelle applaudit ſes aubades !
S'il revenoiten ce maudit ſéjour ,
Que je rirois de lui voir lans détour
i
Dire : meſliears , nous étions moins mauſlades
Aubonvieux temps,
Par le mémy,
46 MERCURE DE FRANCE.
IMPROMPTU.
Mlle de G. , qui demandoit des vers
à l'Auteur.
Vous croyez quel'on peut rimer
Auſſi facilement que vous tournez nos têtes...
Dès qu'on vous voit il faut aimer ;
Lecoeur le plus farouche augmente vos conquê
tes;
Un ſeul de vos regards ſuffit pour le charmer.
Il n'en eſtpas ainſi d'un malheureux poëte ;
Il lui faut mendier les faveurs d'Apollon ;
Et les caprices au vallon
Règnent comme à votre toilete.
Par le même.
AM. le Comte de la ** , échappé à une
tempête, à la vûe du château où sa
maîtreffe l'attendoit.
L'AIR fans nuage
Nous rafluroit
Contre l'orage ;
L'heureux rivage
JUILLET . 1774. 47
Déjà paroît ;
Pleins d'alegreſſe ,
Nos matelots
Avec vîteſle
Fendent les flots ;
Le vaiſſeau vole ;
Maistout- à-coup
Le vieux Eole
Entre en courroux ;
La mer s'agite ,
L'Eure * fougueux
Se précipite
Du hautdes cieux ;
Au fondde l'onde
Phoebus s'enfuit ;
La foudre gronde ,
Le flot mugit ,
Le mât ſuccombe ;
Du haut des airs
Le vaiſſeau tombe
Juſqu'aux enfers ;
Et le naufrage
:
Achaque pas
:
Offre l'image
Du noir trépas.
Un Dieu ſenſible
* Vent .
48 MERCURE DE FRANCE.
A ce tourment
Commande au vent
D'être paiſible ;
L'Aquilon fuit ,
Le flot s'abaiſle ,
La ſombre nuit
Bientôt nous laifle ;
J'échappe au fort ,
L'amour m'éclaire ;
J'arrive au port;
Je vois Cythère :
Une Beauté ,
ur le rivage
Tantdeſiré ,
Malgré l'orage ,
Prévient le jour :
Eſt- ce la mère
Du tendre Amour ?
Non; c'eſt Glycère.
Ah! quel plaiſir !
Après l'abſence
Je vaisjouir
Deſa conſtance :
Mais déſormais
Plus de voyage ;
Jegoûte en paix
Après l'orage
Le vrai bonheur :
L'objcz
JUILLET. 1774. 49
L'objet que j'aime ,
Eſt pour mon coeur
Lebien ſuprême.
ParM. Collin .
L'EXPLICATION du mot de la première
énigme du Mercure du mois de Juin
1774 , eſt Miel; celui de la ſeconde est
la Poudre ( à poudrer& àtirer) ; celui de
la troiſième eſt le Mémoire ; celui de la
quatrième eſt l'oeil. Le mot du premier
logogryphe eft Corps ( de tailleur ) où ſe
trouvent corps & cor ; celui du ſecond ,
qui eſt une Epître logogryphique à Mile la
C*** , ſous le nom d'Eglé , eſt Rhinoceros
, où l'on trouve riz, rien , nier , Jo ,
non , noir , Corine , re , fi , rire , cire , os,
ire , fon ( voix) , fon , finon , ronce , Noé ,
Enọc , Rhône , Rhin , Roch , héron , oie ,
ferin , oife, Rose , noces , cornes & or.
ÉNIGME.
Qui donc apratiquédans mes flancs ténébreux
Des fouterrains parmi les ombres ?
Je conduis ,par deux antres fombres ,
1. Pol. C
ي م
MERCURE DE FRANCE,
Ades ſentiers étroits & tortueux ,
Et puis encor vers une fortereffe ,
Roc eſcarpé , réduit heureux
Où l'homme fait en paix circuler ſa richeſſe,
Il eſt un temps ou mes obſcurs cachots
Sont vers le feuil hériſlés de brouflailles ;
Quelquefois , des hauts lieux les abondantes
eaux
Viennent inonder mes canaux
[
Et ſaper ſourdement mes folides murailles ;
Quelquefois , des adroits mineurs
D'un ſalpêtre en mon fein dirige une traînée ,
Dont le rapide élan , par des efforts yainqueurs ,
Amène un bruit qui send la frontière étonnée
Enfin voit on foiblir le couple de fanaux
Dont notre Commandant s'éclaire ?
De mes diſques brillans partent des feux nous
veaux ,
Et pour lui mon fommet et unDicu tutelaire,
Par M. Papelart.
AUTRE.
1
E luis gại, je ſuis triſte ou mauſlade ou char
mạng ;
Je ſuis tout ce qu'on veur : je fais également
Exprimerla furene on peindre la rendrellea
JUILLET. 1774. 58
La je ſers àl'amant , plus loin à la maîtreſle.
Quoique du ſexe maſculin
Souvent , ſans me tromper, on peut me croire
femme.
Riende plus faux que moi: ſouvent j'ai l'air chas
grin
Lorſque je ris au fond de l'ame;
Souvent, lorſque mon front reſpire la candeur,
Méconnoiſſant toute pudeur ,
Mabouche exhale l'impoſture.
Contraire quelquefois àma propre nature ,
Je fais, tout le premier , démaſquer le trompeurs
Mais propice à l'amour fidèle ,
J'aime à le dérober aux regards des jaloux.
Vois-tu ce tête-à-tête où Damis & labelte
Goûtent leplaiſir le plus doux ?
C'est moi ... Mais j'en dis trop peut-être...
Quandon parlede ſoi , c'eſt à ne pas finir.
Je perds tout cependant ſi je me fais connoître,
Adieu: li mespropos ont pu te divertir ,
Et a demain encor le jeu plaît à mon maître,
Je reviendrai t'entretenir.
Par un Abonné auMercure
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
TANTÔT un bien , tantôt un mal ,
Tout chez moi ſe reſlentde mon pays natal.
Souvent je fais le fruit de l'ignorance ,
Et conduis quelquefois mon homme à la potence.
Le fripon me prodigue & l'avare me vend.
"Souvent , lecteur , j'exerce un pouvoir deſpotique
Sur le clerc & fur le laïque ,
Sur le petit & fur le grand.
Quoiquebon , tranſplanté dans une terre ingrate,
Je languis , je me meurs fans porter aucun fruit ;
Et , plus précieux que l'agathe ,
Je m'appelle Gagne-petit.
Ici fils de Minerve ou du lage Caton ,
Je les fais adorer au temple de Mémoire ;
Là de parens pervers exéctable avorton ,
Tout annonce bientôt leur crime & ma victoire.
L'amour- propre ſouvent devient mon ennemi ;
Sans lui je ferois des miracles ;
Mais ce petit furet , qui ne dort qu'à demi ,
Eſt preſque toujours fourd au bruit de mes oracles...
Si quelquefois je fais le bonheur d'un Etat ,
J'y jette plus ſouvent la pomme de diſcordes
Je fais d'un ſaint un ſcélerat
Qui file doucement ſa corde.
L
JUILLET. 1774. 53
Je fis mon coup d'eſſai ſur nos premiers ayeux :
Lecontrecoup frappa leur future famille ,
Et lamort , de fil en aiguille ,
Apprendra mon triomphe à nos derniers neveux.
Si ces traits , cher lecteur , ne me font pas connoître,
Dis- moi donc de finir ; tu m'auras donné l'être.
Par M. Cott , P. deB.
AUTRE.
UNE de nom, mais deux de ſexe différent ,
Notre but , cher lecteur , quoique toujours le
même ,
Eſt d'opérer diverſement.
Ceci ſent un peu fon problême.
Mon frère , en travaillant , tourne dans ſon étui ,
Et ſa gloire eſt de voir que tout cède à ſa force ;
Non moins forte , un pivot flatté , pris à l'amorce
,
Se gliſlant dans mon ſein, devient mon point
:
d'appui
Sous mille formes différentes
Une parcelle de mon corps
A
1. 2
Vaut mieux que l'oeil de tes ſervantes
Pour conferver tous les tréſors.
Notre art commun qu'inventa la Prudence.
Cij
34 MERCURE DE FRANCE.
4
T
N'eſt pastoujours du goût de l'Indigence;
De nos ſoins vigilans un dangereux rival
En devient en ſes mains l'ennemi capital.
Sans moi ,dans le chaos dormiroit laMuſique,
Etmonnom fit toujours l'orgueilde la Logique.
Je fais trembler l'Enfer , & , docile à mes loix ,
L'homme augmente la cour du ſouverain des
Rois.
Jeduis, dans quelques cas , ſynonyme à frontière ;
Dans l'hiſtoire , toujours je le fuis à lumière.
Encore un mot, lecteur , & je se mets au fait ;
Dans les mainsd'un Apôtre on me voit trait pour
trait.
J'en ai trop dit: quelqu'un fait du bruit àla portes
Ah ! c'eſt mon ennemi ; vite , vite main-forte,
Parle même.
LOGOGRYPH Ε.
JiEfuis cemerveilleux qui , d'une :ilelégère,
Va rendre ſi ſouvent ſa viſite à Cythère.
Au-dedans de tes murs , ami lecteur ,jenais ;
Etdans l'hiver je me repais.
Sept lettres font montout. Prends les trois de ma
tête,
Lecteur ; tu trouveras en moi
Cetermeque chacun répète
JUILLET. 1774.
Alorsqu'ilveut parler de ſoi.
Ote celle qui fuit , alors facilement ,
Dans les trois de ma queue on voitun élément.
On voit encor chez moi , de même qu'en unclot
e tre,
Cemortel que par-tout l'habit nous fait connoitre;
Un chétff animal , une note , celui
Qui , dans tous nos malheurs , vient nous ſervis
d'appui:
Cinq voyelles avecune double confonne ,
Enfincemotlatin qui veut dire perfonne .
Pour le coupj'en dis trop:je vais m'eſquiver ; cat
Tu me prendrois au piége, & pronerois merveilles.
')
C'estmon défaut:je fuis fi babillard
Queſouvent, malgrétoi ,je te romps les oreilless
ParM. l'Abbé Lau*** , P. de C** ,
AUTRE.
:
INSTRUMENT néceffaire à quiconqueLaut,
Lecteur , je ſuis , (ans tête , à côté de tonlir.
Par M. Houllier de St Remi.
Civ
16 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
Du vrai côté , latin ,en logique enuſage ,
Je tracafle & j'exerce aſſez l'adoleſcent.
Pris à rebours , j'amuſe & fais trembler l'enfant
Quin'en fait pas encore davantage.
J
AUTRE.
e ſuis un fruit ſur ſeptpieds foutena ,
Fort agréable & bien connu .
Cher Antoine , tu ris & ton ame eſt contente,
Voyantdemes pareils la récolte abondante ;
Mais au moins , tout en les mangeant ,
Des dons du Ciel es- tu reconnoiſſant ?
Par des combinaiſons d'ulage ,
En moi l'on trouve une arme du Sauvage;
Un terme deblaſon , un animal ſautant :
Ou ſe mettre àcouvert ; enfin un élément.
L
JUILLET. 1774. $7
ROMANCE. *
Larghetto .)
En ſe jou- ant dans la prair1-
e , Ce ruiſſeau fait mille détours
; Ainfi je vois , près de Silvi-
e , doucement s'écouler mes
* Paroles & muſique deM.Girard- Raigné.
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
jours : Des mêmes nouds l'Amour nous
li-e , Et puiſſent - ils durer tcujours
! Des mêmes noeuds l'Amour nous
live, Et puiffent- ils duer toujour !
JUILLET. يو . 1774
:
C'est dans les bras de ce qu'on aime
Qu'on oublie aisément ſes maux.
Aimer , être chéri de même ;
Voilà les deſtins les plus beaux.
Out: c'eſt la volupté fuprême. bis.
Ses charmes font toujours nouveaux.
Dans ſes bras ferrer ſa maîtrefle
Se ſentir preflé fur ſon coeur ;
Trouver les dons de la tendreile
Sous le voilede la pudeur ;
D'un baifer prolonger l'ivreſſe , bis.
Voilà le comble du bonheur.
NOUVELLES LITTÉRAIRES
Lettres édifiantes & curieuses, écrites des
miffions étrangères , parquelques Milfionraires
de la C. de J. XXXI &
XXXII recueil in- 12 . A Paris, chez
de Hanſy le jeune , rue St. Jacques .
CES
Es nouveaux recueils ,ainſi que cen
annoncés dans les volumes du Mercure
des moisde Mars & Avril 11 775 , doivent
fervirde ſuite à la collection des ler
tres édifiantes&curieuſes, commencée om
1702. Les tomes 31 & 32 de cerre cot
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
lection, qui viennent d'être publiés, contiennent
pluſieurs détails de travaux apoftoliques,
& offrentdes exemples de charité
, de courage , de dévouement aux
devoirs les plus pénibles du ſaint Miniſtère
, très- propres à nourrir la piété du lec-
⚫teur chrétien , à l'affermir dans ſa foi &
à échauffer ſon zèle pour le progrès du
Chriſtianiſme.
Ceux qui cherchent de nouvelles inftructions
ſur les pays éloignés, trouveront
ici deux mémoires ; l'un fur la Cochinchine
, l'autre fur le Tongkin. Nous
étions peu inſtruits de l'intérieur de ces
royaumes & de leur hiſtoire. Nous ignorions
la ſuite des Rois qui les ont gouver.
nés , &les révolutions fréquentes qui y
font arrivées. Le tome 31 en donne une
netice où l'on s'eſt borné à raſſembler
quelques traits principaux. Cette notice ,
ainſi qu'une autre ſur le Thibet & fur le
royaume des Eleuthes nouvellement
ſubjugué par l'Empereur de la Chine ,
paroîtra un peu ſeche , mais il eſt des
matières uniformes & pen ſuceptibles
d'ornemens.
Les autres morceaux de ce recueil font
un mémoire fur les Juifs qui font à Cais
fongfou, capitale de laprovince deHonan
JUILLET. 1774. 61
enChine; un tableau touchant de l'état de
la religion Chrétienne dans cet empire en
1754 ; un journal exact du voyage d'un
Miſionnaire au Pérou; un recueil d'obſervations
ſur les moeurs & le caractère
des habitans duroyaume de Bengale ; in
précis des uſages & des cérémonies des
Chinois dans leurs mariages. Le Millionnaire
auteur de ce précis, daté de Péking
le , Septembre 1765 , nous inftroit
de pluſieurs particularités curieuſes négligées
par les autres Miſſionnaires . Nous
en rapporterons quelques-unes. On doit
obſerver d'abord qu'en Chine les pères&
mères , ou à leur défaut les ayeux & les
ayeules , ou enfin les plus proches parens ,
ont une autorité entièrement arbitraire
fur les enfans lorſqu'il s'agit de les marier.
On entend par les plus proches parens
ceux qui font du côté paternel ; car les
parens du côté maternel n'ont de l'autorité
qu'au défaut des premiers. Les mariages
des Chinois diffèrent des nôtres
encequenon-feulement la fille n'apporte
aucune dot , mais encore en ce que l'époux
eſt , pour ainſi dire , obligé d'acheter la
fille& de donner à ses parens une fomme
d'argentdont on convient de part & d'autre.
Ce font des eſpèces d'arthes dout on
62 MERCURE DE FRANCE.
paye une partie après que le contrat eft
figré , & l'autre partie quelques jours
avant la célébration du mariage. Ourre
ces arches, l'époux fait aux parens de l'époufeun
préſent d'étoffes de foie , de riz , de
fruits,&c. Si les parens reçoivent les arthes
&le préſent , le contrat eſt cenfé parfair ,
& il neleur est plus permis de ſe dédire.
Quoique l'épouſe ne ſoit point dotée ,
cependant l'uſage eft que les parens qui
n'ont point d'enfant nale,lui donnent par
pure libéralité , des habillemens & ure
eſpècede troulleau. Il arrive même quelquefois
en pareilcas que le bear-père fait
venir fon gendre dans ſa maiſon , & le
conftitue héritier d'une parrié de fes
biens ; mais ilne peut ſe diſpenſer de léguer
l'autre partie à quelqu'un de fa famil'e
& de fon nom, pour vaquer aux fa
crifices domeſtiques qu'on fait aux eſprits
des aveux ; & s'il menit avant d'avoir
fixé fon choix , lesloix obligert ſes plus
proches parens às'affembler , & à procédér
àl'élection d'un ſujer capablede remplir
cette pieuſe occupation. On regarde ces
facrifices comme quelque choſe de fi e
fentiel ,que celui qui ſe marie ne peut
aller habirer la maiſon de ſon beau-père ,
s'il eſt fils unique ; & en cas qu'il le falſe ,
JUILLET. 1774. 63
il ne peut y reſter que juſqu'à la mort de
fon père. Les Chinois reconnoiffent deux
fins dans le mariage. La première est cel.
le de perpéruer les facrifces dans le templede
leurs ayeux ; la ſeconde eſt la mu!
tiplication de l'eſpèce. Les philofophes
qui ont fait le recueil contenudans le livre
des rits , parlent de l'âge propre au
mariage , & diviſent tous les âges en gé
néral , en leur prefcrivant à tous, leurs em.
plois. Les hommes , diſentils , à l'âge
de dix ans,ont le cerveau aufli foible que
le corps , & peuvent tout au plus s'appli
quer aux premiers lémens des ſcierces.
Les hommes de vingt ans n'ont point ercore
toute leur force, ils apperçoivent à
peine les premie's rayons de la raifon; cependantcommeils
commencent àdevenic
hommes , on doit leur donner le chapeau
viril. Atrente ans l'homme eſt vraiment
homme; il eſt rotuſte, vigoureux;
&cet age convient au mariage. On peut
confier à un homme de quarante ans les
magiſtratures médiocres , & àune homme
de cinquante ans les emplois les plus difficiles&
les plus étendus. Afoixante ans
on vieillir , & il nereſte plus qu'une prudence
fans vigueur ; de forte que ceux
de cer âge ne doivent tien faire par eux64
MERCURE DE FRANCE.
:
mêmes, mais preſcrire ſeulement cequ'ils
veulent que l'on faffe. Il convient à un
ſeptuagénaire , dont les forces du corps
&de l'eſprit fontdéſormais atténuées &
-impuiſſantes , d'abandonner aux enfans
le ſoindes affaires domeſtiques. L'âge décrépit
eſt celui de quatre- vingt& quatrevingt
dix ans . Les hommes de cet âge ,
ſemblables aux enfans , ne ſont pas ſujets
des loix ; & s'ils arrivent juſqu'à cent
ils ne doivent plus s'occuper que du ſoin
d'entretenir le ſouffle de vie qui leur
reſte . On voit par cette diviſion des âges ,
que les Chinois croyoient autrefois que
l'âge de trente ans étoit le plus propre au
mariage. Mais aujourd'hui les loix cèdent
à l'uſage & aux circonstances des temps.
Rien n'eſt plus ordinaire parmi les Chinois
que de convenir des articles d'un mariage
, long-temps avant que les Parties
foienten âgedele contracter ; ſouventmême
on dreſſe ces articles avant que les futurs
époux ſoient nés. Deux amis ſe promettent
très - férieufement & d'une manière
folemnelle , d'unir, par le mariage,
les enfans qui naîtront du leur , fi ces én,
fans font de ſexe différent , & la folemnitéde
cette promeſſe conſiſte àdéchirer ſa
tunique & à s'en donner réciproquement
JUILLET. 1774 . 65
une partie. Cependant ceux qui profeffent
la morale chinoiſe dans toute fa pureté, ne
ceſſent point d'exhorter les peoples à fuir
ees fortes d'engagemens téméraires. Tous
les mariages fe font par des négociateurs ,
tant du côté de l'homme que du côté de
la femme. Il n'eſt peut- être pas d'emploi
plus délicat & plus périlleux que celui là;
car fi on commet quelqu'irrégularité dans
la négociation , on est très - ſévèrement
puni . Outre le négociateur , il y a communémentune
perſonne qui préſide au
mariage de part &d'autre ; c'eſt ordinairement
le père ou le plus proche parent
des futurs époux. On punit aufli ces préfidens
s'ils font quelque ſupercherie ou
quelque fraude notable , & le degré des
peines qu'on leur fait fubir eſt preſcris
par te livre des rits. Il n'eſt permis à aucun
Chinois d'avoir plus d'une femme
légitime ; & cette loi eſt preſque auffi ancienne
que leur empire. Il y a cetre différence
entre la femme légitime & la concubine
, que la première eſt la compagne
dumari & la maîtreſſe des autres femmes
qui lui font entièrement fubordonnées .
LesChinois recherchent dans leurs mariages
l'égalité d'âge & de condition ;
mais pour ce qui regarde les concubines,
66. MERCURE DE FRANCE.
chacun ſuit ſon caprice , & les achette
ſelon ſes facultés. Tous les enfans qui
naiſſent des concubines reconnoiffent
pour leur mère la femme légitime de leur
père : ils ne portent point le deuil de leur
mère naturelle ; & c'eſt à la première
qu'ils prodiguentles témoignages de leur
tendreſſe , de leur obéillance & de leur
teſpect. Les loix écrites de l'Empire décernent
des châtimens févères contre les
perſonnes mariées qui s'écarrent ouverte.
ment des devoirs de leur état. Ces mêmesloix
cependant permettent ledivorce
en certains cas , dont voici les principaux.
Si entre le mari & la femme il y a une
antipathie notable, enforte qu'ils ne puiſſent
vivre en paix , il letit eſt permisde
ſe ſéparer , pourvu que les deux Parties
confentent audivorce. Secondement, fi
une femme eſt convaincue d'adultère ,
crime très-rare parmi les Chinois , elle
eſt répudiée ſur le champ , fans qu'elle
puiſſe ſe prévaloirdes loix qui pourroient
lui être favorables dans des cas, moins
graves. Ily a encore ſept autres cauſesde
divorce marquées par la loi , ſans lef
quelles un mari ne peut répudier ſa fem
mes& s'expoſe , s'il l'entreprend , à rece
voir quatre - vingt coups de bâton , &
JUILLET. 1774. 67
1
vivre encore avec ſa femme malgré lui.
Cescas font, premièrement , fi la femme
eſt ſtérile; fecondement, ſi elle fe conduit
d'une manière peu décente; troifemement
,fi elle a contracté une habitude
de déſobéir aux ordres du beau-père ou
de la belle- mère ; quatrièmement, fi elle
eſt indifcrete & peu prudente dans ſes
paroles; cinquièmement, ſi elle détourne
à fon profit , ou à celui de quelqu'autre ,
les biensde la maiſon; fixièmement , fi
elle manifeſte des vices contraires au bon
ordre&au repos de la famille ; ſeptiè
mement enfin , fi elle est attaquée de
quelquemaladie dégoûtante , comme la
lèpre , qui eſt un mal affez commun en
Chine. Il faut néanmoins que tous ces
cas foient accompagnés de circonstances
aggravantes. Mais voici d'autres loix. Si
une femme s'enfuit contre la volonté&
àl'inſçu de fon mari , on lui donne cent
coups de verges ,& le mari peut la vendreàl'encan.
Si elle ſe marie après s'être
enfuie , on l'étrangle. Si fon époux la
laiſſe& s'abfente pendant trois ans fans
donner de ſes nouvelles, elle ne peut
prendre aucun parti fans en avoir auparavant
averti le Magiſtrat ; & fi , par imprudence
ou par ſupercherie, elle omet
68 MERCURE DE FRANCE.
cette précaution , on lui donne quatrevingt
coups de verges , ſi elle abandonne
la maiſon de ſon mari , & cent coups, fi
elle ſe remarie : au lieu que quand elle a
préſenté une requête aux Mandarins , &
qu'elle leur a expoſé la ſituation où elle
ſe trouve , elle peut obtenir la liberté de
ſe remarier , ou d'embraſfer l'état de concubine.
Dans tous ces différens cas , la
concubine eſt punie de deux degrés moins
ſévèrement que la femme légitime.
Mais la concubine eſclave eſt ſujette au
même châtiment. Lorſque deux familles
ſontconvenuesd'un mariage par le moyen
des négociateurs&que le contrat eſt ſigné,
on commence les cérémonies en uſage ;
elles ſe réduiſent à fix chefs. La première
conſiſte à convenir du mariage ; la fecondeà
demander le nom de la fille , le mois
&le jour de ſa naiſſance; la troisième à
confulter les Devins ſur le mariage futur,
&àen porter l'heureux augure aux parens
de la fille ; la quatrième à offrir des étoffes
de foie & d'autres préfens , comme
des gages de l'intention où l'on est d'effectuer
le mariage ; la cinquième à propoſer
le jourdes noces , & enfin le ſixième
à aller au-devant de l'épouſe pour la conduire
enfuite dans la maiſon de l'époux.
JUILLET. 1774. 69
Mais ces cérémonies ne ſe pratiquent
qu'entre les familles conſidérables. D'ailleur
, comme elles font fort longues , les
gens du commun joignent ordinairement
les cinq premières .
- Le Milionnaire auteur de cette notice
nous donne les formules de complimens
pratiqués dans ces occaſions ; & ces
complimens font mis pas écrit fur des
cahiers; car les Chinois n'écrivent pas
fur des feuilles volantes. Des dépurés
portent ces cahiers & les accompagnent
de préſens. La famille de l'époux envoie
des étoffes de différentes couleurs , parmi
leſquelles on a ſoinde ne rien mêler de
blanc , parce que cette couleur eſt celle
du deuil. Au jour marqué pour la célébration
du mariage, l'époux s'habille le plus
magnifiquement qu'il lui eſt poſſible , &
tandis que ſes parens fontaſſemblés dans
le temple domeſtique des ayeux qu'ils
inſtruiſent de ce qu'ils vont faire , il ſe
met à genoux ſur les degrés du temple ,
& , ſe profternant la face contre terre , il
ne ſe lève que quand le ſacrifice eſt achevé.
Après cette cérémonie on prépare
deux tables , l'une vers l'Orient pour le
père de l'époux , l'autre vers l'Occident
pour l'époux lui- inême. Le maître des
70 MERCURE DE FRANCE.
cérémonies , qui eſt ordinairement undes
patens , invite le pèreà prendre ſa place ,
& auſſi tôt qu'il eſt aſſis , l'époux s'approchedu
ſiege qui lui eſt préparé. Lemaître
de cérémonies lui préſente alors une coupe
pleine de vin; &, l'ayant reçue à genoux
, il en répand un peu fur la terre en
forme de libation,& fait, avantdeboire,
quatre génuflexions devant ſon père , s'avance
enſuite vers ſa table, & reçoit ſes
ordres à genoux . Allez , mon fils, lui dit
>>le père , allez chercher votre épouse ;
"amenez dans cette maiſon une fidelle
>>compagne qui puiſſe vaquer avec vous
aux foinsdes affairesdomeſtiques.Com.
>>portez-vous en toutes chofes avec pru-
>>dence & avec ſageſſe. Le fils ſe profternant
quatre fois devant fon père , lui
répond qu'il obéira. Un moment après
il fort , il entre dans une chaiſe qu'on
tient prête à la porte de la maiſon ; pluſieurs
domeſtiques marchent devant lui
avec des -lanternes , uſage qu'on a conſervé,
parce qu'autrefois tous les mariages
ſe faifoient de nuit; & lorſqu'il eſt arrivé
à lamaiſon de l'épouſe , il s'arrête à
la portede la ſecondecour , & attendque
fon beau - père vienne le prendre pour
L'introduire. On obſerveà peu- près les
JUILLET. 1774. 7
mêmes formalités dans la maison de l'épouſe.
Le père & la mère ſont affis l'un
à la partię orientale , l'autre à la partię
occidentale de la cour du portique intérieur
, & les parens forment un cercle
autour d'eux . L'épouſe , que ſa mère a parée
elle même de ſes plus riches vêtemens,
ſetientdebout fur les degrés du portique ,
accompagnée de fa nourrice , qui , dans
cette circonftance , eſt comme fa para.
nymphe , & d'une autre femme qui fait
l'office de maîtreſſe des cérémonies . Elle
s'approche enfuite de fon père & de fa
mère , & les ſalue l'un & Pautre quatre
fois. Elle falue égalementtous fes parens,
&leurditle dernier adieu. Alors la maîtreffe
des cérémoies lui préſente une coupede
vin qu'elle reçoit à genoux : elle fait
la libation ordinaire & boit le reſte du
vin, après quoi elle fe met à genoux deyant
la table de ſon père qui l'exhorte
à fe conduire avec beaucoup de fagetſe ,
& à obéir ponctuellement aux ordres de
fon beau- père &de ſa belle-mère. Après
l'exhortation , ſa paranymphe la conduit
hors la porte de la cour , & fa mère lui
mer un collier pour marque de la perte
de la liberté , & après avoir orné ſa tête
d'une guirlande , la couvre d'un grand
7.2 MERCURE DE FRANCE.
voile : Ayez bon courage , ma fille , lui
>>dit-elle ; foyez toujours foumiſe aux vo
>>lontésde votre époux , & obſervez avec
exactitude les uſages que les femmes
doivent pratiquer dans l'intérieur de
>>leur maiſon , &c . Les concubines de
fon père , les femmes de ſes frères & de
ſes oncles l'accompagnent juſqu'à la porte
de la première cour , en lui recommandant
de ſe ſouvenir des bons conſeils
qu'elle a reçus. Cependant le père de
l'épouſe va recevoir l'époux . Lorsqu'ils
font arrivés au milieude la ſeconde cour,
l'époux ſe met à genoux , & offre à fon
beau-père un canard ſauvage que les domeſtiques
de cedernier portent àl'épouſe
comme un nouveau gage de ſon attachement.
Enfin les deux époux ſe rencontrent
pour la première fois : ils ſe ſaluent
l'un & l'autre , & adorent à genoux le
ciel , la terre& les eſprits qui ypréſident.
La paranymphe conduit enſuite l'épouſe
au palanquin qui lui eſt préparé , & qui
eft couvert d'étoffe couleur de roſe. L'époux
lui donne la main , & ſe place dans
un autre palanquin, ou bien monte à cheval
. Mais il eſt à remarquer qu'il marche
entouré d'une foule de domeſtiques qui ,
outre les lanternes dont il eſt parlé plus
haut,
JUILLET. 1774. 73
haut, portent tout ce qui ſert àun ménage,
comme lits , tables , chaiſes , & c , Quand
l'époux eſt arrivé à la porte de ſa maiſon ,
il deſcend de cheval ou fort de ſa chaiſe,
& invite fon épouſe à entrer chez lui . Il
marche devant elle , & entre dans la cour
intérieure où le repas nuptial eſt préparé.
Alors l'épouſe lève ſon voile & ſalue fon
mari. L'époux la ſalue à ſon tour , & l'un
& l'autre lave ſes mains ; l'époux, à la partie
ſeptentrionale, & l'épouſe , à la partie
méridionale du portique. Avant de ſe
mettre à table , l'épouſe fait quatre génuflexions
devant fon mari , qui en fait à
fon tour deux devant elle . Enſuite ils ſe
mettent à table tête à tête ; mais avant de
boire & de manger , ils répandent un peu
de vin en forme de libation , & mettent
à part des viandes pour les offrir aux efprits
; coutume qui ſe pratique dans tous
les repas de cérémonie. Après avoir un
peu mangé & gardé un profond ſilence ,
l'époux ſe lève , invite ſon épouſe à boire,
& ſe remet incontinent à table. L'épouſe
obſerve la même cérémonie à l'égard de
ſon mari ; & en même-temps on apporte
deux taſſes pleines de vin; ils en boivent
une partie , & mêlent ce qui reſte dans
une feule taſſe pour ſe le partager enfuite
I. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
&achever de boire. Cependant le père
de l'époux donne un grand repas à ſes parens
dans un appartement voiſin ; la mère
de l'épouſe en donne un autre dans le
même temps à ſes parentes & aux femmes
des amis de ſon mari ; de forte que
la journée ſe paſſe en feſtins. Ilyaencore
quelques cérémonies à remplir;mais
la dernière& celle que l'on peut regarder
comme le complément & la perfection
des autres , eſt de faire un facrifice aux
ayeux pour les inſtruire de la viſite que
la nouvelle mariée va leur rendre. Pendant
ce temps-là les deux époux ſe profternent
ſur les degrés du temple ; ils ne
ſe relèvent que quand on a tiré le voile
fur les tablettes où ſont écrits les noms des
ayeux. Enſuite on introduit les mariés
dans le temple , où , après pluſieurs génuflexions
, ils adreſſent à voix baſſe des
prières aux eſprits pour les engager à leur
être propices.
Le même Miſſionnaire auteur de cette
notice ſur les uſages &cérémonies de mariage
des Chinois , cite deux loix trèsſages
concernant les Mandarins. La première
défend d'exercer aucune magiſtrature
dans la ville & dans la province où
l'on est né. Rien ne peut diſpenſer de
1
JUILLET. 1774 . 75
cette loi , & il n'en eſt peut-être aucune
qui ſoit plus conſtamment & plus régulièrement
obſervée. La ſeconde interdit toute
forte d'alliances dans la province où
l'on exerce quelque emploi public.
Une lettre écrite de Chandernagor ,
dans le royaume de Bengale , le premier
Janvier 1753 , contient quelques détails
curieux fur les habitans de l'île de Madagascar
& fur pluſieurs uſages ſuperſticieux
obſervés dans le Bengale. L'auteur
fait mention d'une grande Pagode ou d'un
grand Temple ſitué près de Chandernagor
, & dédié au Dieu Jagrenat. Cette
divinité eſt placée ſur une eſpèce d'autel
aſſez élevé. Elle avoit autrefois deux yeux
d'un éclat ſi éblouiſſant qu'on n'oſoit l'enviſager.
C'étoit deux pierres précieuſes ,
d'un prix inestimable. Un Anglois en
arracha une il y a quelques années , &
rendit le dieu borgne. Des François ont
tenté ſouventde le rendre aveugle ; mais
il eſt actuellement ſi bien gardé qu'ils ont
perdu l'eſpérance d'y reuſſir. Le bruit
court ici , ajoute le Miſſionnaire , que
le profanateur Anglois a vendu l'oeil du
dieu Jagrenat au Roi de France , qui le
porte en certain jour de cérémonie.
On verra avec ſatisfaction dans une
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
lettre du R. P. H. B** , Miſſionnaire de
la C. de J. différentes inſtructions ſur les
moeurs des Perſans, leurs exercices , & les
feſtins que le Roi fait en public. L'uſage
de ces feſtins eſt très- ancien dans la Perſe
, puiſque le livre d'Eſther fait mention
de la ſomptuoſité du banquet d'Affuérus
; mais ceux qu'on fait maintenant
ſont plutôt des feſtins d'audience que des
banquets de réjouiſſance. C'eſt durant ces
feſtins que le Roi traite des affaires d'Etat
& qu'il donne audience aux Miniſtres
des Princes Etrangers. On y étale toutce
qu'il ya de plus précieux dans la maiſon
du Roi. On met en parade devant la ſalle ,
quantité d'éléphans , de lions , de tigres ,
de léopards & tous les animaux rares de
la ménagerie ; les chaînes & les clous avec
leſquels on les attache ſont d'or , & chacunde
ces animaux a devant lui deux cuvettes
d'or , dans l'une deſquelles eſt ſa
boilfon & dans l'autre ſa nourriture .
Mais ce qui relève l'éclat de ce pompeux
étalage , c'eſt le coup-d'oeil magnifique
que préſentent dix-huit chevaux de main ,
rangés devant cette falle ; chaque cheval
vaut un tréſor. Les étriers ſont d'or , les
brides , les devant & les derrières des
ſelles ſont d'or émaillé , garni de pierres
,
JUILLET. 1774. 77
précieuſes auſſi bien que les houſſes. On
range quelquefois parmi ces chevaux des
ânes ſauvages richement enharnachés , &
l'on metdevant eux commedevantchaque
cheval deux baſſins d'or , où font leur
nourriture& leur boiſſon . Un Eſpagnol
ſe trouvant à cette Cour , ſurpris de voir
des ânes ſauvages ſi bien parés , & firichement
couverts , perdit ſa gravité , &
ne put s'empêcher de rire : un Officier
de la Cour s'approcha de lui & lui demanda
fort civilement ce qui lui donnoit
occaſion de rire. Il répondit qu'ii rioit
de voir traiter avec tant de distinction des
animaux qu'on regardoit avec le dernier
mépris enEſpagne. L'officier luirépliqua
avec reſpect : « C'eſt que les înes font
>>communs dans votre pays ,& nous en fai-
>>ſons grand cas dans le nôtre , parcequ'ils
>> yfonttrès-rares.
Le Comte de Valmont , ou les Egaremens
de la raiſon ; lettres recueillies & publiées
par M. *** ; 3 vol . in 12. A Paris
, chez Moutard , libraire , rue du
Hurepoix , à St Ambroiſe .
Ce roman épiſtolaire , dont les incidens
& les caractères n'ont été tracés que
pour amener des ſujets d'inſtruction
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
peut être regardé comme un code de religion&
de morale , une eſpèce de manuel
propre aux perſonnes de tout état ,
de tout âge & principalement aux jeunes
gens qui , peu affermis dans les principes
de leurs devoirs , veulent ſe mettre en
garde contre les raifonnemens captieux
des eſprits ſceptiques & les faufles maximesdes
coeurs dépravés. Le héros de ce
roman , dont les aventures ſervent en
quelque forte de cadres à toutes ces inftructions
, eſt un jeune homme d'un naturel
heureux , mais d'un caractère trop
facile& d'un génie trop ardent. Ses paffions
lui font adopter les principes des incrédules
qui peuvent favoriſer ſes égaremens.
La réflexion , les conſeils d'un
père ſage & inftruit , la conduite d'une
épouſe tendre & vertueuſe ramènent inſenſiblement
le Comte de Valmont & le
rendent à fes devoirs , à la religion & à
lui-même.
L'auteur , afin de rendre les inftructions
répandues dans cet ouvrage plus
utiles , plus intéreſſantes &plus propres
à être ſaiſies par toute fortede lecteurs ,
ne ſe contente pas de convaincre l'eſprit ;
il parle encore au coeur par la peinture
naïve des ſentimens de la Nature; il réerée
l'imagination par les images agréa
JUILLET. 1774. 79
»
bles du bonheur que procure la vertu ;
il échauffe le coeur du patriote françois
par les motifs qu'il lui rappelle pour aimer
de plus en plus ſes Princes. « Dans
>>quel temps , écrit le Marquis de Val-
>> mont à ſon fils , le Prince , la patrie
>>doivent-ils nous être plus chers que
» dans le ſiècle où nous vivons ? Toutes
» les cauſes de nos anciennes révolutions
» & de nos plus grands malheurs font dif-
>> parues . Nous ne connoiſſons plus ces démembremens
& ces partages ſi funeſtes
» entre les enfans de nos Rois ; les grands
>> fiefs , & la tyrannie des ſeigneurs ; ces
>> hauts jufticiers, qui redoutoientles frais
» de la juſtice qu'ils devoient à leurs vaf-
>> ſaux ; l'énorme &dangereuſe puiſſance
>>des Grands; cette valeur mal entendue
» des chefs , qui nous a fait éprouver tant
>>de défaites , & cette rivalité entre plu-
> ſieurs commandans , qui nous a déro-
>>bé tant de victoires ; ces conquêtes
► éloignées qui nous faifoient perdre de
>>vue notre propre pays ; le conflit des
>> autorités ; les diviſions de ſecte & de
>> parti , & les entrepriſes des ſectaires ,
>>formant comme une république à part
> au ſein de la monarchie ; nous n'avons
➡plus d'ennemis dans le coeur du royau
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
me& fur nos frontières ; tout enfin par-
>>mi nous eſt rappelé à l'unité : unité
>>précieuſe , qui rend aux yeux des vrais
>>ſages notre genre de gouvernement ſi
>> reſpectable ; &qui fait de nos Roisl'i-
>> mage de Dieu ſur la terre ! Les Fran-
>>çois ſont tous les membres d'une même
>> famille ; ils font un peuple de frères ,
>>ſous l'autoritéd'un père commun. C'eſt
>>cette autorité ſainte qui les unit entre
>> eux , en les uniſſant àleur chef; & dans
>> cette union ſi belle , leur amour pour la
>>patrie s'identifieavecceluiqu'ils ont pour
>> le Monarque. Elevés eux mêmes dans
>> ces maximes , nos Princes , après avoir-
>> obéi comme nous avec reſpect , avec
>>tendreſſe , apprennentà régner un jour
>> fur nous dans le même eſprit que
>> leur père : leur pouvoir tranfmis par
>> droitde ſucceſſion , ſansaltération , fans
>>partage , les invite à le transmettre avec
>> les mêmes avantages àleurs enfans. Les
>>intérêts de leur propre fang leur devien-
>> nent communs avec les nôtres ; aſſurés
>>de l'héritage qu'ils lui laiſſent , & par
>> leurs droits & par notre amour , ils
>> ne ſont point tentés comme les deſpotes
» &les tyrans,d'en cimenter la durée par
» la violence ; & leur empire ſe perpétue
JUILLET. 1774. 81
» ſans effort , comme il s'eſt établi ſans
>>contrainte. Auſſi , à bien peu de rè-
>> gnes près , ne comptons nousdans nos
>> faſtes que de bons Rois . Eh ! quelle dou-
>>ce récompenſe ne trouvent-ils pas à leur
>> amour pour nous, dans ce cri du Fran-
» çois , ſi vif , ſi répété , quand il voit
>> ſon Prince , & qu'il fait qu'il en eſt ché
>> ri ! Dans ce cri public , quel motifd'en-
>>couragement pour eux à nous aimer tou-
>>jours davantage , & à nous rendre tou-
>>jours plus heureux ! Quelle leçon au
>> contraire , quand ce cri s'affoiblit ! Par-
>> mi des peuples eſclaves , on a vu des
" Empereurs ſe déguiſer pour ſavoir ce
>>qu'on penſoit d'eux : ici le Prince n'a
» qu'à ſe montrer.
On trouve , dans ces mêmes lettres ,
pluſieurs points de controverſe difcutés ;
&, comme cet ouvrage eſt particulièrement
deſtiné à l'éducation de la Jeuneſſe ,
l'auteur lui rappelle les raiſonnemens ſi
ſouvent oppoſés au ſyſtème des incrédules
, & particulièrement à celui desNaturaliſtes
; dénomination employée dans ces
lettres pour fignifier les partiſans de la
loi naturelle.
Ces lettres contiennent auffi pluſieurs
diſcuſſions fur le mal moral , le mal phy-
Dy
$2 MERCURE DE FRANCE.
fique , le luxe , l'éducation & autres objets
les plus importans de notre moralité.
Dans toutes ces diſcuſſions on voit un
bon citoyen , un ami de l'ordre & de la
vertu , un écrivain qui a nourri ſon eſprit
de la lecture des meilleurs ouvrages de
nos jours , & a cherché à faire paſſer les
fruits de cette lecture dans les lettres que
nous venons d'annoncer & les notes qui
les accompagnent.
Méthode aiféé pour prononcer & parler
correctement la Langue Angloiſe, ſans
le ſecours d'aucun maître ; par J. A.
Dumay ; vol . in-8 ° . AParis , chez Merigot
l'aîné , quai des Auguſtins , à la
defcente du Pont-neuf.
Ce traité eſt diviſé en trois parties qui
apprennent comment il faut prononcer
les voyelles , les diphtongues & les conſonnes.
Chaque page offre trois colonnes.
La première colonne repréſente les mots
anglois ; la ſeconde en indique la prononciation
, & la troiſième en donne l'explication
en françois. Outre les ſignifications
générales , l'auteur a été attentifà donner
les ſignifications particulières de chaque
terme ; il expoſe dans des notes les raiſons
ſur leſquelles il s'appuie pour mon
JUILLET. 1774. 83
trer de quelle manière on doit arranger
les différens idiomes , & pour enſeigner
la véritable conſtruction angloiſe.
La Langue Angloiſe eſt compoſée de
beaucoup de termes empruntés des langues
occidentales , & principalement de
la Langue Saxone & de la Langue Françoiſe.
Ce mélange d'idiomes empêchera
toujours d'établir des règles certaines ſur
la prononciation de tous les termes en
général. La méthode que nous venons
d'annoncer ne peut donc diſpenſer abſolúment
un François qui veut apprendre à
prononcer l'Anglois , de confulter l'uſage
ou un maître de langue ; mais elle lui facilitera
beaucoup la prononciation des
mots les plus difficiles ; elle ſuppléera ,
dans bien des occaſions,aux leçons orales,
& l'aidera à retenir les exceptions que le
caprice ou la bizarrerie a introduites dans
la prononciation de la Langue Angloiſe ,..
ainſi que dans celle des autres Langues .
Second Recueil de Mémoires & Obfervations
fur la perfectibilité de l'Homme :
dédiés à M. de Sartine , Conſeiller
d'Etat , Lieutenant-Général de Police ;
par M. Verdier , conſeiller - médecin
ordinaire du feu Roi de Pologne , inf
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
tituteur phyficien , &c. A Paris , chez
Moutard , 1774 .
Les eſprits patriotes qui s'intéreſſent
àla culture des hommes & au renouvellement
de l'art néceſſaire qui s'en
occupe , attendoient avec empreſſement
la continuation de l'ouvrage que
M. Verdier annonça , il y a deux ans ,
ſous le titre de Recueils fur la perfectibilité
de l'Homme. Un Magiſtrat caractériſé
par fon zèle pour le bien public , vient
d'encourager l'anteur , en donnant une attention
particulière fur ſon ouvrage & fur
fes travaux, & le Public va être à portée
dejugerde ſathéorie &de ſa pratique par
ces recueils.
Le fecond , qui paroît maintenant, débute
par un nouveau Tableau d'Education
physique. En réfutant la notion de nature
&d'éducation négative que nosmétaphyſiciens
répandent à l'envi dans tous les
ouvrages, M. Verdier prend pour principe
que l'enfant ne fait &ne fait rien natutellement
; qu'il doit tout apprendre ; que
l'art par conféquent doit confifter à développer
fans ceſſe ſes facultés ,& à corriger
les vices que le haſard ne manque jamais
dejeter dans ſes fonctions lorſqu'il prend
la place de l'art.
JUILLET. 1774. S
Après avoir fait reconnoître à les lecteurs
les colonnes ſur leſquelles la nature
générale des hommes eſt poſée , il recherche
les cauſes de la dégradation & de la
perfection de la nature particulière des
individus. L'homme, dans le premier inftantde
ſa vie , eſt , dit- il , le réſultat du
tempérament des deux êtres qui ont concouru
à ſa formation ; mais bientôt ſa nature
ſe détériore ou ſe perfectionne par les
ſucs qu'il reçoit de ſa mère , par le lait de
ſa nourrice , par le régime qu'on fait fuc.
céder , mais ſur-tout par celui que l'élève
obſerve dans le temps de la puberté. M.
Verdier prétend que le lait des animaux
convient mieux aux enfans que celui des
nourrices , & que celui de chaque animal
a des propriétés qui le rendent propre à
corriger les natures vicieuſes ; mais il eſt
pourtant bien éloigné de le préférer au
lait des mères , avec un auteur moderne
qui a ſcandaliſé les coeurs ſenſibles par ce
paradoxe contre nature. En réglant le régime
, M. Verdier voudroit qu'on fit autant
d'attention aux effets que chaque
ſubſtance opère ſur la conſtitution délicatedes
enfans , ſuivant les principes dont
ils font compoſés , qu'à leur correfpondance
avec les forces digeſtives de leur
86 MERCURE DE FRANCE.
eſtomac . C'eſt fur - tout ſur les organes
ſenſibles & irritables qu'on doit , ſuivant
lui , ſuivre les effets des ſubſtances nour-..
ricières & médicamenteuſes. Il poſe à cet
égard pour principe , contre le ſentiment
général du vulgaire & des phyſiologiſtes
même , que l'enfant , preſque inſenſible
au moment de ſa naiſſance , mais auffi
très - irritable , acquiert de la ſenſibilité
juſqu'à l'âge viril , à meſure qu'il perd de
fon irritabilité. Ce nouveau principe mérite
d'être approfondi : il annonce plus de
préciſion dans la théorie de l'éducation
phyſique.
Paſſant enſuite à l'art de développer les
mouvemens volontaires M. Verdier
avance encore contre les théories communes
, que tous les organes qu'on regarde
comme naturellement soumis à la volonté ,
nefont , dans les premiers temps de la vie,
que des refforts bruts , purement mécaniques
, & certainement fans aucunesoumisfion
aux ordres de l'ame : que le hafard ,
il eſt vrai , ne met en action queles mufcles
qui font le plus diſpoſés au mouvement
par leur grande quantité de nerfs ;
mais que l'art peut les ſoumettre tous plus
ou moins à l'ame , leur donner les déter
minations les plus avantageuſes , &corri
JUILLET. 1774. 87
ger les vicieuſes que le haſard a fait naître.
Il poſe les principes de cet art , & il
en fait l'application aux organes de la ſuccion
, de la déglutition , de la digestion ,
de la reſpiration , de la circulation du
fang , des excrétions , du marcher, du toucher
& de l'amour. Sur chacune de ces
fonctions il fait voir les dangereux effets
des routines qu'on ſupplée aux procédés
qu'inſpirent les loix de l'économie animale.
L'art n'a pas moins d'efficacité ſur la
configuration des parties du corps humain ,,
enréglant par le régime l'action des organes
extérieurs , qui font les premières
caufes de l'accroiſſement & la réſiſtance
extérieure que l'athmosphère leur oppoſe ;.
en déterminant l'action réciproque des
organes les uns fur les autres , & fur-tout
celle des muſcles ſur les os. Ce dernier
jeu, entièrement foumis à la volonté,donne
les principes d'arts nouveaux très - efficaces
pour corriger les difformités des
membres par des exercices appropriés &
pardes muſcles artificiels qui ont les mêmes
actions & les mêmes effets que ceux
de la nature.
M. Verdier ne voudroit pas qu'on com.
mençat l'éducation littéraire avant d'avoir
88 MERCURE DE FRANCE .
développé les ſens au moyen de l'exercice
méthodique de leurs organes par leurs
agens : c'est- à-dire , d'une main par l'autre
, des yeux par le prifme , des oreilles
par le monocorde , le gloffomètre & le
cronomètre ; des organes , du goût & de
l'odorat par une collection de faveurs
reglée d'après les principes de la chimie;
de la faim , de la foif & de l'appétit vénérien
par le régime , & enfin de tous les
ſens par le tact , pour former , par l'expérience,
leurs témoignages qu'on regardoit
comme naturels avant MM. Moulineux
&Locke.
,
Il n'eſt point de ſens dont l'uſage ne ſoit
attaché à l'action préliminaire de quelques
muſcles . De-là le dernier art de l'éducation
phyſique , dont l'objet eſt de réunir les
fonctions muſculaires avec celles des ſens.
Après être entré dans le détail de chacune
de ces actions ſympathiques , M. Verdier
en examine la réunion dans le cerveau ;
&en démontrant que l'analyſe& la ſynthèſe
font les effets naturels de la mécanique
des ſens , & particulièrement du
fens intérieur , il jette les fondemens de
l'éducation morale & littéraire qui feront
l'objet de ſon troiſième recueil .
Ce mémoire eſt ſuivi de pluſieurs ob
JUILLET. 1774. 89
ſervations ſur l'état des nouveaux - nés ,
fur celui des enfans nés avant terme , &
ſur un homme réduit , par une maladie
du cerveau , à l'état d'un enfant nouveauné.
Ces obſervations rendent ſenſibles
les deux termes de la vie. Dans les principes
de M. Verdier , l'enfant doit apprendre
à tetter comme toute autre choſe
; & cet auteur démontre , par ces obfervations
, comment le foetus eſt inſtruit
dans cet art , pendant les derniers mois
de la groſſeſſe; comment on doit juger.
de la vitalité d'un avorton , d'après le plus
ou moins d'habileté qu'il y a acquife , &
comment le vieillard ſoutient ſa vie tant
qu'il conſerve l'habitude d'avaler.
Ce recueil eſt terminé par l'hiſtoire
phyſique de la Maiſon d'Education de
MM. Verdier & Fortier. Après avoir décrit
l'état phyſique de chacun de ſes élèves
, M. Verdier expoſe les effets que
l'eau de la Seine , priſe à ſon entrée dans
Paris , l'air pur que cette rivière charrie
avec ſes eaux , de bons alimens , des exer
cices , la privation de toute peine corporelle
& les variationsde l'athmoſphère ont
produit fur eux ; genre nouveau d'obſervations
auxquels l'auteur invite les inſtituteurs.
Et en effet , ſi l'éducation eſt un
१० MERCURE DE FRANCE.
art , ce n'eſt que de l'obſervation & de
l'expérience qu'on doit en eſpérer des progrès&
la perfection.
Laſeule véritable Religion démontrée contre
les Athées , les Déiſtes & tous les
Sectaires , par M. l'Abbé Heſpelle ,
Docteur de Sorbonne & Curé de Dunkerque.
A Paris , chez Hériſſant , rue
Notre-Dame ; Humblot , rue St Jacques
; de Laguette , rue de la Vieille
Draperie. Tome II , un vol. in
276 pag. 1774 , avec approbation &
privilégeduRoi.
:
- 12
Ce deuxième volume n'eſt pas moins
intéreſſant que le premier.; il comprend
auſſi quatre chapitres. M. Abbé Heſpelle
yexpoſe toutes les rentes religions
& ſectes qui ſubſiſten: encore aujourd'hui,
&en fait voir les erreurs. Dans le sechapitre
, après avoir fait voir l'extravagance
du paganiſme , il montre qu'à la Chine ,
avant les Miſſionnaires , il ne reſtoit que
quelques principes de la loi naturelle ; encore
étoient - ils bien défigurés ; qu'ils
croyoient l'exiſtenced'unDieu,mais qu'ils
lui aſſocioient des eſprits inférieurs qui
préſidoient aux villes, &c. qu'ils croyoient
uneProvidence, l'immortalité de l'ame
JUILLET. 1774
&c. Mais .... il s'occupe enſuite de la
chronologie des Chinois. Il démontre
que la prodigieuſe antiquité qu'on denne
à cet Empire ne peut ſe prouver ni par
aucun livre chinois ni par aucune obſervation
aſtronomique ; que ce que l'hiſtoire
rapporte des premiers Empereurs peut
être attribué aux Patriarches dont il eſt
parlé dans l'Ecriture .
Enfuite , il parle de l'aveuglement des
Juifs . Les différentes prophéties qu'il rapporte
, auxquelles ils ne peuvent rien répliquer
, font voir leur infidélité. « La
>> preuve , dit- il, la plus complette con-
>> tre eux , eſt que cet homme qu'ils ont
>>crucifié comme l'opprobre & l'anathê-
>> me de toute la terre... entre deux vo-
>> leurs , pour rendre ſa mémoire infame
>>& odieuſe à la poſtérité , s'eſt néan-
>> moins fait adorer par tout l'Univers ,
» & a fait embraſſer une religion qui épu--
>> re tous les ſentimens de la nature &
>> combat toutes les paſſions. » Le Mahométiſme
, qui n'est qu'un mélange monftrueux
du Judaïfme avec quelque peu du
Chriſtianiſme , termine ce chapitre. " Ma--
homet , dit - il , a puiſé dans nos livres
>>faints quelques paſſages qu'il a inter-
* prétés à ſa guiſe , auxquels il a joint
92 MERCURE DE FRANCE.
>>quelques erreurs des Jacobites , & beau
> coup de rêveries & de paradoxes fans
>>liaiton , ſans raiſonnement , & en a com-
> poſé une loi qu'aucun homme ſenſé ne
>>peut regarder comme venant de Dieu ,
>>puiſqu'elle répugne aux bonnes moeurs
» & à la droite raifon .»
Dans le 6º. M. l'Abbé Heſpelle s'occupe
à démêler , parmi toutes les ſociétés
qui ſe diſent chrétiennes , celle qui doit
nous fixer. « Il eſt certain , dit- il , qu'il y
> a fur la terre une ſociété viſible à qui le
» dépôt de la révélation a été confié....
>>que cette ſociété eſt celle où on enſei-
» gne ce que J. C. a enſeigné , & ce que
>>les Apôtres ont annoncé; celle où on
>> eſt ſoumis à ceux que J. C. a établis
> pour nous conduire... que Dieu lui a
» imprimé des caractères ſi ſenſibles que
> tout eſprit attentif eſt obligé de dire :
>> voilà la ſociété qui profeſſe les vérités
> que Dieu a révélées , qui a recours aux
>>ſacremens qu'il a inſtitués... dansla-
>>quelle Dieu veut qu'on vive ; & qu'il
» n'y a qu'une ſociété qui a Dieu pour au-
>> teur , parce que les objets révélés étant
>> toutes vérités émanées de la Sagelſe éter-
>> nelle , ne peuvent fouffrir aucune alté-
>> ration , & que Dieu ne peut autoriſer
JUILLET. 1774. 93
>>deux contradictoires. Il rapporte enſuite
les différens ſignes qui doivent diftinguer
cette ſociété. En parcourant toutes
les ſectes , il fait voir qu'il n'y a que
l'Egliſe Romaine qui a ces caractères .
L'ordre que l'auteur met dans cette difcuffion
, la netteté & la préciſion qui règnent
par tout , ſont propres à convaincre
ceux qui ſont dans l'erreur. Ce point étant
de la dernière conféquence pour le ſalut
éternel , M. l'Abbé Heſpelle a mis tout
en oeuvre pour porter ſes preuves juſqu'à
l'évidence.
Dans le ſeptième chapitre , M. l'Abbé
Heſpelle traite des règles de la Foi , de
l'écriture &de la tradition. Il prouve qu'il
faut admettre des traditions ; que la certitude
des vérités révélées eſt auſſi ferme
que celle des vérités métaphyſiques les
mieux démontrées; que la foi des Catholiques
eft divine; qu'elle est fondée ſur
la parole de Dieu, ſûrement & infailliblement
bien entendue.
Dans le huitième , M. l'Abbé Heſpelle
réunit tous les obſtacles qui ferment aux
ſectaires les portes du ſalut , & tout ſon
ouvrage annonce un bon logicien & un
profond théologien .
94 MERCURE DE FRANCE.
Traité des intérêts des Créances ſuivant les
loix & uſages obſervés tant en pays
Coutumier qu'en pays de Droit Ecrit :
par M. le Camus d'Houlouve , ancien
Avocat au Parlement ; vol. in - 12 .
Prix , 3 liv . relié. A Paris , chez Fr.
Amb. Didot l'aîné,libraire-imprimeur,
rue Pavée , près du quai des Auguftins,
1774 , avec approbation & privilége
duRoi.
On a donné au Public différens traités
ſur l'uſure , le prêt , les billets de commerce
, & fur la légitimité ou illégitimité
des intérêts convenus ou payés en pareil
cas; mais ces ouvrages , quoique trèsutiles
pour ce qu'ils renferment , n'ont
embraſſé que la moindre partie des intérêts
dont il peut être queſtion dans les
affaires réglées à l'amiable ou portées en
Juſtice ; &, par cette raiſon, ſont inſuffifans
aux Jurifconfultes , comme aux Juges
, pour leur indiquer les ſources où ils
peuvent puiſer des moyens de défenſe qu
de déciſion ſur toutes les eſpèces d'intérêt.
M. le Camus a fait des recherches
fur les intérêts de toutes les créances qui
enſont ſuſceptibles ; il a difcuté ces différens
intérêts d'après les loix & la jurifJUILLET.
1774. 95
prudence des arrêts qui les autoriſent ou
les rejettent, & il a expliqué la diverſité
de ces loix &de cette jurisprudence dans
les différentes provinces du royaume ,
dont les unes font régies par des coutumes
, & les autres par le Droit Ecrit. L'analyſe
de cet ouvrage peut en faire con
noître l'utilité.
:
Ce traité eſt compoſé de douze chapitres
, dont pluſieurs font diviſés par des
ſections .
Le chapitre premier , des Intérêts en général
, renferme la définition des intérêts,
leur origine du Droit Romain , la comparaiſon
de ce Droit avec le Droit François
ſur cette matière ; & l'auteur , en
fixant l'état actuel du Droit François ſur
des intérêts , annonce toutes les eſpèces
d'intérêts dont il doit traiter.
Le chapitre ſecond , des intérêts légaux
ou de droit, traite des intérêts des dots ,
repriſes , remplois , & autres conventions
matrimoniales; des intérêts dûs à l'occafion
des ſucceſſions échues , ou des droits
qui en tiennent lieu; des intérêts relatifs
aux tutelles des mineurs , & aux curatelles
des interdits pour démence ; des intérêts
du prix d'un immeuble ou bien réputétel;
enfin des intérêts dûs à titre de dommages
<
96 MERCURE DE FRANCE.
&intérêts , tous intérêts exigibles par la
nature de la choſe ou en vertu de la difpofition
de la loi.
Le chapitre troiſième , des intérêts conventionnels
, a pour objet les intérêts dûs
en vertu d'une ſtipulation licite . L'auteur
obſerve ſur le prêt Mutuum , qu'en pays
coutumier on ne peut ſtipuler aucunsintérêts
pour ce prêt fait à des pauvres comme
à des riches , & pour cauſe de commerce,
comme pour l'acquiſition d'un immeuble
, encore que l'emprunteur puiſſe
enretirerduprofit ; parce que l'argent,qui
eſt ſtérile de ſa nature , n'en peut produire
d'autre ſans aliénation. Il excepte cependant
de cette prohibition les intérêts
ſtipulés entre négocians&marchands fréquentant
les foires de Lyon , & pour obligations
rélatives à leur commerce &paya--
bles en paiemens de ces foires , ſuivant
les loix & règlemens à ce ſujet, & il comprend
auſſi ,dans cette exception, pareille
ſtipulation entre toutes perſonnes dans
quelques-unes des provinces régies par le
Droit Ecrit , & quelques autres lieux où
la préſomption du lucre ceſſant ou du
dommage naiſſant paroît l'autorifer. Mais
il établit la légitimité de la ſtipulation
des intérêts en vente de choſes mobiliaires
JUILLET. 1774 97
res dont le prix dépend de la volonté des
Parties , & qui font ſuſceptiblesde pareils
accroiffemens. Telles font des pratiques
d'offices de notaire ou procureur ; un fond
de commerce de marchand ou artiſan ;
une ceffion de manufacture , d'entrepriſe ,
de ſociété , enfin une univerſalité de meubles
; parce que ces intérêts font partie du
prix , que de pareils meubles peuvent prodaire
des fruits induſtriaux , & qu'il y a
compenſation des fruits avec les intérêts.
Enfin l'auteur traite des intérêts qui peuvent
être ſtipulés en matière de dons &
legs , dont ils font la convention ou l'accroiflement;
dans les tranſactions dont
ils font la condition , dans les ſociétés , à
cauſe du riſque de la perte comme du
gain.
Le chapitre quatrième , des intérêtsjudiciaires
, traite des intérêts qui peuvent
être demandés en Justice &des formalités
néceſſaires pour les obtenir.
Le chapitre cinquième , des Intérêts
d'intérêts , distingue ceux qui peuvent
-être demandés &doivent être adjugés, de
ceux qui ne peuvent être adjugés , encore
qu'ils ayent été requis.
Les intérêts de la première eſpèce font
ceux des intérêts dûs par un tuteur à fon
1. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
mineur ; ceux des arrérages de rente échus
par un partage à un héritier , & pour lefquels
, faute de paiement , il exerce fon
recours contre ſes cohéritiers ; ceux des
intérêts pour leſquels un créancier a été
colloqué utilement dans un ordre , quand
l'acquéreur n'a pas conſigné le prix de fon
adjudication ; ceux des arrérages de rente
foncière ou viagère , de loyers ou fermages
, de douaire , & autres intérêts légaux
oude droit ; enfin ceux des fruits d'un héritage
dont un poſleſſeur est tenu de ſe
déſiſter. Cependant ces règles générales
reçoivent quelques exceptions en différens
pays de Droit Ecrit , & elles ſont expliquées.
Les intérêts de la ſeconde eſpèce ſont
ceux des intérêts judiciaires , ceux des arrérages
de rente conſtituée à prix d'argent,
&ceux des intérêts dûs à un mineur pour
le reliquat de ſon compte de turelle , lefquels
ne peuvent jamais être adjugés .
Le chapitre ſixième , du Taux des Intérêts
, porte que ce taux eſt le même que
celui des rentes conſtituées à prix d'argent.
L'auteur indique ces différens tauxdepuis
1509 juſqu'à préſent ; mais il établit la
différence qu'il y a entre les rentes & les
intérêts , en ce que le taux d'une rente est
JUILLET. 1774. 99
invariable & toujours le même que celui
du temps de fa conftitution & qu'au
contraire le taux des intérêts fuit celui des
édits , & varie à chaque changement de
taux.
Le chapitre ſeptième , de l'Hypothèque
des Intérêts , prouve que les intérêts qui
ſont l'acceſſoire du principal , ontla même
hypothèque que le principal , fauf
quelques exceptions en Normandie , en
Auvergne & au Parlement de Toulouſe.
Le chapitre huitième , de l'imputation
des paiemens relativement aux intérêts ,
traite de l'imputation de fait, qui eſt la
même en tous lieux & qui écarte toute
imputation de droit ; & de l'imputation
de droit , ainſi que de ſes différences en
pays coutumier & en pays de droit écrit.
Le chapitre neuvième , de l'extinction
des Intérêts , établit que les intérêts peuvent
ceſſer par le paiement de fait ou de
droit , par la confufion , par la novation ,
par la conſignation ou le dépôt , par l'adjudication
par decret ou par l'ordre de ſon
prix , par la péremption d'inſtance , s'il
s'agit d'intérêts judiciaires ; &en pays de
droit écrit , par le doublement du principal
, ſauf quelques exceptions.
Le chapitre dixième , des Gages réels
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
qui produisent des fruits ou des intérêts ,
ou lefimple paiement des dettes , traite de
trois eſpèces de gages de cette nature.
Le premier Gage eſt l'Antichrèse. Par
ce contrat le créancier jouit de l'héritage
de ſon debiteur tant qu'il n'en eſt pas
payé , & compenſe les fruits de l'héritage
avec les intérêts de ſa créance. L'antichrèſe
n'eſt tolerée en pays coutumier que
dans quelques cas particuliers ; mais elle
eſt reçue dans preſque tous les pays régis
par le droit écrit , ſous la condition que
les fruits n'excèdent pas les intérêts légitimes
de la créance .
Le ſecond Gage eſt le Contrat pignoratif.
C'eſt un acte par lequel le débiteur
vend ſon héritage ſous faculté de rachat,à
fon créancier , & le créancier loue ce même
héritage à ſon vendeur par une redevance
à- peu- près égale aux intérêts de ſa
créance; mais ſi le débiteur n'exerce le
rachat au temps convenu , le créancier
peut faire vendre l'héritage par décret , &
être payé de ce qui lui eſt dû , ſur le prix
de l'adjudication. Ce contrat n'eſt en uſageque
dans quelques coutumes,à cauſe de
leur courte preſcription des hypothèques .
Il eſt peu uſité en pays de droit écrit où
l'antichrèſe paroît préférable .
JUILLET. 1774 .
Le troiſième Gage eſt leſimple Engagement.
Par ce contrat le créancier reçoit
l'héritage de ſon débiteur , en gage de ſa
créance , pour être payé ſur les truits de ce
qui lui eſt dû en principal , intérêts &
frais. La coutume de Bretagne& le droit
commun autoriſent ce dernier gage , qui
eft bien différent des précédens , & qui
n'a rien d'onéreux pour le débiteur, puifque
le créancier eſt tenu de lut compter
des fruits qu'il a perçus ,&de les imputer
ſur ſa créance, ſuivant les règles de l'imputation
de fait ou de droit.
Le chapitre onzième , des contrats à
groſſe aventure , explique la nature , la forme
, les règles & l'exécution de ce contrat,
& les intérêts extraordinaires qui
peuvent être ſtipulés à cauſe du riſque de
la perte du prêt; & que c'eſt moins un
ſimple prêt qu'une eſpèce de ſociété entre
le donneur à la groffe & le preneur. Ce
chapitre eſt fondé ſur les diſpoſitions de
l'ordonnance de la Marine au même titre
dont il eſt un commentaire fuccinct ; &
renferme l'examen , la diſcuſſion & la folution
de pluſieurs queſtions d'après ſes
trois commentateurs .
Le chapitre douzième & dernier , de
l'Ufure , traite de l'uſure modérée & de
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
l'uſure exceſſive. L'auteur y rapporte les
différentes loix du royaume fur ce crime ,
explique cominent il peut être prouvé &
de quelles peines il doit être puni.
Cette analyſe prouve quelles ont été
les recherches de l'auteur ſur les intérêts
de toute forte de créances , & avec quel
ordre & quelle préciſion il a traité une
matière auſſi étendue ; ce qui doit rendre
fon ouvrage également utile aux Magiftrats
, aux Jurifconfultes & au Public.
Mélanges historiques , politiques , critiques
& philofophiques ; deux volumes in- 8 ° .
brochés . Prix , 6 liv . 4 f. chez d'Houry
, imprimeur- libraire de Mgr le Duc
d'Orléans , rue de la Vieille Bouclerie,
au StEfprit .
Cet ouvrage eſt diviſé en trois parties.
La première contient un abrégé d'hiſtoires
choifies depuis le commencement
de l'Ere Chrétienne juſqu'à la paix d'Utrecht
qui mit fin aux guerres de Louis
XIV. L'auteur y rapporte auſſi quelques
traits frappans de la vie privée de ce grand
Monarque, qu'il a laiſſés écrits de ſa main ,
&qui font connus de très peu de perſonnes
.
La ſeconde eſt un abrégé de l'hiſtoire
JUILLET. 1774. 103
de Louis XV , depuis le commencement
de ſon règne juſques aux préliminaires
de la paix de 1763. Vient enfuite un
précis des maximes générales touchant
l'artillerie .
La troiſième & dernière partie eſt une
defcription hiſtorique , civile & naturelle
des royaumes de Siam , de l'Abiffinie , de
Tripoli , de Tunis , d'Alger , de l'Amérique
, de l'Empire de la Chine , d'après les
plus ſavans géographes & pluſieurs miffionnaires.
Parmi les traits de l'hiſtoire de ces pays
éloignés , l'auteur a choiſi ceux qui font
les plus dignes de notre curioſité.& les
plus propres à l'inſtruction ; c'eſt dans cetre
vue qu'il rapporte , entre pluſieurs autres
, un jugement mémorable prononcé à
Pékin, ſous le règne de l'EmpereurKanghi
. Ce jugement eſt d'autant plus intéreſfant
qu'il tient à l'éducation de la Jeunefle
Françoiſe , dont le Ministère s'occupe
beaucoup de nos jours , afin d'en faire
des citoyens inſtruits & vertueux .
On trouve auſſi dans ce recueil le portrait
des conquérans , & la notice des
femmes illuſtres qui ſouvent ont difputé
la palme aux héros. L'auteur a fait
quelques obſervations ſur les intérêts des
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
Souverains & fur les reſſorts de la politique.
Toutes ces notions peuvent être
avantageules aux jeunes militaires auxquels
l'auteur dit qu'il a particulièrement
intentionde fournir des connoiſſances relatives
à leur profeffion .
Acmet III , fils de Mahomet IV , fut
nommé Empereur après la dépoſition de
fon frère Mustapha II . Les ſéditieux qui
l'avoient élevé à l'empire , l'obligèrent
d'éloigner la Sultane ſa mère , qui leur
étoit ſuſpecte . Il leur obéit d'abord ;
mais , las de dépendre de ceux qui lui
avoient donné la couronne , il les fit tous
périr les uns après les autres , de peur
qu'un jour ils ne tentaſſent de la lui ôter.
Dès qu'il ſe vit affermi for le trône , it
s'appliqua à amaſſer des tréſors . Ce Sultan'
fit la guerre aux Ruſſes , aux Perfans , aux
Vénitiens , auxquels il enleva la Morée,
Moins heureux dans la guerre contre
l'Empereur d'Allemagne , il fut battu en
Hongrie par le Prince Eugène . La paix
ayant été conclue avec l'Empire , il ſe pré
paroit à tourner ſes armes contre les Perfans,
lorſqu'une révolution le renverſa du
trône en 1730 , & y plaça ſon neveu . Ce
Prince étoit en priſon quand on lui apporta
la couronne. Acmet fut enfermé
JUILLET.
1774. 105
dans la même retraite , après avoir donné
les avis ſuivans à ſon neveu . " Souvenez-
» vous que votre père ne perdit le trône
» que pour avoir eu une complaifance
>> trop aveugle pour le Mufti Seizula Ef-
>> fendi , & que je ne le perds moi-même
>> que par mon excès de confiance en
» Ibrahim Bacha , mon Viûr ; profitez de
» ces exemples. Si j'avois toujours fuivi
>> mon ancienne politique ; i je m'étois
> toujours fait rendre un compte exact
» des affaires de l'Empire , j'euſſe peut-
>> être fini mon règne auſſi glorieuſement
» que je l'ai commencé. Adieu : je ſou-
» haite que le vôtre ſoit plus heureux ,
» & je vous recommande mes fils & ma
» perſonne. »
Médecine pratique de Sydenham avec des
notes , ouvrage traduit en françois fur
la dernière édition angloiſe ; par feu
M. A. F. Jault , docteur en médecine
& profeſſeur au Collège royal ; in- 8 ° .
Prix , relié , 7 liv. A Paris , chez P. F.
Didor le jeune , libraire de la Faculté
de Médecine , quai des Auguſtins .
Sydenham eſt le premier d'entre les
Modernes qui nous ait donné un recueil
conſidérable d'obſervations de médecine,
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
de deſcriptions de maladies , de méthodes
curatives & de règles de pratique.
On peut juger combien un ouvrage de
cette nature eſt propre à perfectionner la
médecine : auſſi ſon exemple a til été
fuivi par pluſieurs autres excellens médecins
.
Quand on donne en françois les ouvrages
de Sydenham , c'eſt afin que les perfonnes
qui n'entendent pas la langue latine
puiſſent en profiter , &que ceux même
qui l'entendent , mais qui aiment encore
mieux ce qui eſt écrit dans leur langue
naturelle , lifent plus volontiers des écrits
fa instructifs & fi utiles. Ce n'est pas qu'on
prétende que Sydenham foit exempt de
fautes , on lui en a reproché pluſieurs ,
mais quand il ne ſe ſeroit trompé en rien ,
il n'en faudroit pas conclure qu'on dût le
fuivre en tout. Ainſi quelqu'utiles que
foient les ouvrages de Sydenham , il faut
ſe ſouvenir de deux choſes , pour éviter
l'abus qu'on en pourroit faire. La première,
c'eſt que l'auteur étoit Anglois, &
que la méthode qu'il ſuit ne peut convenir
en tout pour les François , dont le climat
, les alimens , la manière de vivre &
les maladies ne ſont pas entièrement les
mêmes ; la feconde choſe , c'eſt que les
JUILLET. 1774 107
remèdes que l'auteur recommande ne
doivent pas être employés au hafard ,,
mais ſeulement par le conſeil d'un médecin
ſage , auquel il appartient de décider.
cet objet ſuivant les circonstances .
Le mêîne libraire vient de recevoir de
l'Etranger les livres ſuivans :
Artis medicæ principes : Hippocrates ,
Areræus , Alexander Tral. Celfus , Aurelianus
,&c. recenfuit, præfatus eft , Albertus
de Haller. Lausanne , 1769 à 1773 ,
11 vol . in- 80. Prix , relié , 42 liv.
L'on vendra ſéparément ,
4
7
Hippocrates , 4 vol. in- 8°. 16 liv.
Aræteus Cap. I vol. in- 8 °.
Alexander Tral. 2 vol . in- 8 °. 7
Cor. Celfus , 2 vol. in So.
Cæl. Aurelianus , 2 vol.in. 8 °. S
On trouvera auſſi chez le même libraire
quelques exemplaires des ſuivans.
Abrégé des Elémens de Botanique , ou
Méthode pour connoître les plantes ;
par Tournefort. Avignon , 1749 , in- 12.
Prix , relić , 3 liv.
L'Inoculation juſtifiée, ou Diſſertationpratique
& apologétique ſur cette méthode
, avec un Eſſai ſur la mue de la voix ,
Evj
108 MERCURE DE FRANCE .
nouvelle édition par M. Tiflot. Lausanne,
(Paris ) 1773, in-12. Prix ,br. 1 liv. 16 f.
Conchyliologie nouvelle & portative ,
ou collection de coquilles propres à orner
les cabinets des Curieux ,& c. Paris , 1767 ,
in- 12. Prix , rel. 2 liv. s fols .
&
OEuvres choifies de M. Geffner , contenant
la mort d'Abel , la Nuit , & autres
poëmes ; avec des Idylles , des
Pattorales & autres pièces miſes en
vers françois par différens auteurs ,
les meilleures pièces en ce genre;précédéesd'une
notice raiſonnée de la vie&
des ouvrages de M. Geffner ; ſuivies
de poësies diverſes de l'Allemand ,
auſſien vers françois; ſçavoir des Fables
, Idylles , Chanfons Odes ,
&c . avec des obſervations hiſtoriques
ſur la littérature allemande ; vol .
in 12 : prix , relié en veau 3 liv . A
Paris , chez Saillant , la Ve Duchefne,
Brocas , Durand& Moutard , libraires.
,
L'Editeur de ce recueil a fait un choix
heureux des oeuvres poëtiques de M.Gefſner
, traduites en vers françois , les plus
propres à nous faire connoître ce génie facile
, cetre Muſe vertueuſe , ce philoſophe
aimable qui s'eſt moins appliqué à
JUILLET. 1774. 109
donner des préceptes à ſon lecteur qu'a
nourtir en lui ces fentimens tendres &
honnêtes ſi propres à le guider , à le confoler
& à le faire contribuer au bonheur
de la ſociété.
,
Il ſuffit d'annoncer ce recueil. Les Idylles
& autres poëfies qui le compoſent font
déjà connues par les verſionsde MM. Léonard
, Blin de Sainmore Mercier
François de Neufchâteau , &c. publiées
dans différens journaux. L'éditeur a cru
devoir inférer dans cette collection plu-
Geurs traductions d'une même pièce ,
lorſque ces traductions pouvoient offrir
des objets intéreſſansde comparaiſon , ou
lorſqu'une de ces traductions préſentoit
des détails ſaiſis avec facilité & qui avoient
été négligés par un premier traducteur.
Le poëme de la Mort d'Abel n'eſt pas la
moindre pièce de cette collection & par
fon étendue & par le tableau touchant de
la mort du juſte que ce poëme préſente.
Une traduction en proſe , publiée il y a
quelques années par M. Huber , l'avoit
deja fait connoître ; mais la traduction
qu'on en donne ici eſt en vers ; & deux
poëtes y ont travaillé , M. Marteau &
M. Gilbert. Ceux qui ſont familiarifés
avecles beautés ſimples , nobles & variées
110 MERCURE DE FRANCE.
du poëme original,pourront encore goûter
cette traduction , & c'eſt aſſez en faire
l'éloge.
Une notice raiſonnée & très bien faite
des ouvrages de M. Geffner enrichit ce
recueil . L'auteur de cette notice , après
nous avoir repréſenté M. Geffner comme
le chantre de la Nature & le peintre du
Sentiment , nous entretient de ſes talens
pourle deſſin & la gravure. Les éloges
qu'on lui donnne ici feront confirmés par
tous ceux qui ont vu des deſſins & desgravures
de cet amateur distingué. Comme
c'eſt le goût principalement qui a mis le
crayon à la main de M. Gefner , il a dû
réuffir patticulièrement dans la partie du
deſſin qui n'exige point une étude longue
&pénible de la figure. Nous avons vu de
cet amateur pluſieurs deſſins de payſage
d'une touche facile , pittoreſque & moëlleuſe.
Pluſieurs de ces payſages ont été
gravés par le deſſinateur même qui a fu
donner à fa pointe la liberté & toutes les
fineſſes de ſon crayon. M. Geffner , dans
ſon enfance , avoit en quelques leçons de
deſſin ; dans les années ſuivantes il avoit
encore crayonné beaucoup de papier
mais fans fonger à devenir artiſte. C'eſt
à l'âge de 30 ans qu'il ſentit naître en lui
JUILLE Τ. 1774 . 111
cesdeſirs violens qui font la voix du génie.
Ils furent excités en grande partie ,
par la vue du beau cabinet formé par fen
M. Heidegger , dont il avoit épousé la
fille en 1661. Pour plaire à fon beaupère
, il conſidéroit ſon tréfor compofé
principalement des meilleurs morceaux
de l'Ecole Flamande , & il devenoit artiſte
pour obéir à la Nature qui épioit en
quelque forte ce moment. Peu s'en eſt
falluque ce nouveau goût n'ait été exclufif
; M. Geffner n'étudioit plus que le
Lorrain , Ruifdaal , le Pouffin. Il riſqua
d'abord quelques fleurons ſur les frontifpices
des livres curieux qui ſortoient de
fon imprimerie ; mais peu -à-peu il ofa
montrerd'autres eſſais. En 1765 il publia
dix payſages gravés à l'eau- forte par luimême
, & les dédia à ſon ami M. Watelet.
Douze autre morceaux ont paru en
1769 ; &, depuis ces premiers eſſais , M.
Geffner a fait les ornemens qui accompa
gnent foit les collections de ſes oeuvres ,
foit une traduction allemande du docteur
Svift , & autres éditions ſorties de ſes
preffes .
Il eſt fait mention , dans cet éloge de
M. Geffner ,d'une lettre que cet amateur
a écrite en 1770àM. Fueſlin , peintre
112 MERCURE DE FRANCE .
eſtimé & fon ami, ſur la manière dont il
eſt devenu deſſinateur & graveur preſque
ſans le ſavoir. On trouve dans cette lettre
, quia pour objet principal les payſages
, genre favori de M. Geffner , la
route qu'il a ſuivie pour parvenir à fe faire
admirer dans un art qu'il a commencé à
cultiver à l'âge de trente ans. On le voit
d'abord s'eſſayer à copier la Nature , mais
ſe tromper lui même , & ſe livrer à des
détails qui détruiſoient l'effet de l'enſemble;
étudier enſuite dans les meilleurs maîtres
la manière d'imiter en artiſte ce qu'il
avoit fi long temps obſervé en poëte ;
prendre pour les arbres Waterlo dont le cabinetde
ſon beau-père lui offroit une am-
_ple collection de deſſins ; pour les rochers
, Berghem & Salvator Rofe ; pour
les campagnes & les vallons , le Lorrain &
Wauvermans ; tirer de ces grands morceaux
des croquis pour fon propre uſage ,
commeon faitdes extraits des livres qu'on
veut lire avec fruit; retourner enſuite à la
Nature , qu'il trouvoit déja plus féconde ;
apprendre encore à l'école d'Everdingen ,
de Dietrich , &c. l'ordonnance des objets
qu'il empruntoit de ce fonds fi riche
pour un oeil obſervateur ; & enfin devenir
payſagiſte original , malgré les traits
JUILLET . 1774. 113
*
qu'une mémoire des plus heureuſes &
des plus exercées pouvoit lui faire retenir
de ſes modèles. Ce n'eſt- là qu'une partie
desdétails contenus dans cette lettre que
l'auteur de l'éloge auroit dû traduire en
entier pour la fatisfaction des amateurs .
Il s'eft contenté d'en détacher l'endroit
ſuivant où il ſemble que M. Geſſnens'eſt
peint lui - même d'une manière indirecte
: « Si le goût de l'artiſte , dit - il
>>ne devient pas une paſſion ; ſi les heures
>>qu'ils conſacre à fon att ne font pas les
>>plus délicieuſes de ſa vie ; ſi la ſociété
>>des critiques éclairés n'eſt pas celle qui a
>>le plus de charmes pour lui ; ſi des fon-
>>ges utiles ne l'occupent pas encore de
>>fon art ; file matin, à fon réveil , il.
>>ne vole pas à ſes crayons avec une ar-
>>deur nouvelle ; s'il n'a pas d'autre anı-,
>>bition que de flatter le mauvais goût de
>>ſon ſiècle ; s'il n'aime à marcher que
>>dans la route commune ; enfin s'il ne
* Nous apprenons avec plaiſir que M. Huber ,
connu des gens de lettres par pluſieurs traductions
de poëſies allemandes , ſe propoſe de nous
donner une traduction des nouvelles Idylles de
M Geffner , & d'inférer dans ce volume la traduction
de ſa lettre ſur la manière de deſfiner le
payſage, dont il eſt ici fait mention.
114 MERCURE DE FRANCE.
travaille pas pour de vrais amateurs ,
>>pour la gloire folide , pour la poſtérité ,
>>les véritables connoiffeurs l'excluront
>>dans tous les temps de leurs recueils
>>eût-il vu ſes ouvrages devenir l'orne-
» ment des boudoirs & des appartemens à
»la mode . » Il ſeroit à ſouhaiter que tous
les grands artiſtes euſſent tracé comme M.
Geffner , la route qu'ils ont ſuivie ; qu'ils
euffent parlé comme lui des difficultés
qu'ils ont rencontrées , de la manière
dont ils les ont furmontées , & des fautes
même qu'ils ont faites. C'eſt un voeu par
lequel M. Geſſner commence ſa lettre ;
c'eſt auſſi celui que fait l'auteur de fon
éloge;& tous les lecteurs ſe réuniront fans
doute à lui pour demander à l'auteur des
Idylles , un pareille hiſtoire de ſes progrès
&de fes travaux dans la poësie.
Le volume de cette collection eſt terminé
par des poëſies françoiſes , imitées
dedifférens poëtes Allemands . Ces poëſies
ſont précédées d'obſervations qui offrent
une eſquiſſe ſatisfaiſante de l'hiftoite
de la littérature en Allemagne.
Vie de Marie de Medicis , Princeffe de
Toscane , Reine de France & de Navarre
; 3 vol . in - 8 ° . grand format. Prix ,
JUILLET. 1774. 115
18 liv . reliés . A Paris , chez Ruault ,
libraire , rue de la Harpe .
,
L'hiſtorien , après avoir répandu de
nouvelles lumières ſur l'origine de la
Maiſon de Médicis , nous entretient de
l'éducation de cette Princeſſe & des détails
qui ont rapport à ſon mariage avec Henri
IV. Il n'omet pas les démêlés de ce Prince
avec Marie de Médicis , relativement
à ſes maîtreſſes & à ſes projets pc.itiques.
Ily a quelques autres faits qur ſembloient
ne devoir appartenir qu'à la vie
d'Henri IV ; mais tous les lecteurs font
ſi flattés quand on les entretient dugrand ,
du magnanime , du bon Roi Henri
qu'ils pardonneront facilement ces détails
D'ailleurs les morceaux curieux & pour
la plupart inconnus que l'hiſtorien a
raſſemblés ſur la mort d'Henri le Grand ,
ont dû lui faire croire que le Public ne les
trouveroit pas ici déplacés . L'hiſtorien a
penſé de plus que c'étoit un acte de juſtice
que de réfuter les calomnies qu'on répandit
alors contre les prétendus auteurs de
l'affaffinat d'Henti IV ; de démontrer la
fauſleté des opinions qu'on s'eſt formées
fur cet attentat , & dont beaucoup de
gens ſenſés font encore imbus .
Marie de Médecis
2 veuve du grand
116 MERCURE DE FRANCE.
Henri , mère de Louis XIII , des Reines
d'Eſpagne & d'Angleterre & de la
Duchefle de Savoie , & Régente de France
pendant fept ans , mourut à Cologne
le 3 Juillet 1642,& n'avoit point en mourant
, dit Montglat , un ſeul pouce de
terre. Si l'on confidère les divers événemens
qui ont rempli la vie de cette infortunée
Princeſſe , on ne peut s'empêcher
de lui attribuer tous ſes malheurs. La fortune
l'avoit placée ſur le premier Trône
de l'Europe. Elle lui avoit donné pour
époux un des plus grands Rois que la
France ait eus ; mais, loin de chercher à
captiver le coeur d'un Prince dont le penchant
pour les femmes étoit trop connu ,
elle ſe livra ſans ménagement aux tranfports
de ſa jaloufie. Marie avoit d'autant
plus de tort , que Henri IV lui donnoit
toute forte de témoignages de confiance ,
& étoit rempli de ſoin pour elle . Ce
Prince , aufli bon mari que bon Roi , redoubloit
fon attention pour la Reine lorfqu'elle
étoit enceinte. Lors de la première
groſſeſſe de Marie , Henri craignant
que la pudeur de cette Princeſſe ne
fûtbleſlée du grand nombre de ſpectateurs
qui devoient aſliſter à ſon accouchement ,
la préviat de la néceſſité indiſpenſable
JUILLET. 1774. 117
qu'il y avoit que les Princes en fuflent
témoins , pour qu'on ne pût pas en douter.
Il accompagna ſes raiſons de tant de
témoignages d'amitié , que la Reine parut
ſe prêter ſans peine à ſouffrir la préſence
des Princes & Seigneurs de la
Cour. Le Roine la quitta pas un moment
pendanttout ſon travail , qui fut auflilong
que douloureux. Il partageoit ſes ſouffrances
, la conſoloit , & tâchoit de fortifier
ſon courage par l'eſpoir d'une prompte
délivrance , & du plaiſir qu'elle refſentiroit
ſi elle donnoit un Dauphin à la
France. Il pouffa même les ſoins juſqu'à
l'exhorter de crier ( parce que la honte &
la timidité l'en empêchoient ) de crainte ,
difoit- il , que fa gorge ne s'enflat par les
efforts qu'elle faisoit pour se retenir. La
Reine accoucha d'un Prince après un travail
de vingt - deux heures. Comme il
étoit très- important que Marie de Medicis
ne fût pas qu'elle avoit mis au monde
un Dauphin , de crainte que la trop grande
joie ne fût contraire à ſon état , Hen.
ri IV avoit recommandé à la Bourſier
(ſage femme de la Reine ) de le cacher à
la Princeſſe. Cette femme s'acquitta ſi
bien de cet ordre , & eut tant de pouvoir
ſur ſon eſprit , qu'elle ne témoigna
118 MERCURE DE FRANCE.
pas la plus légère émotion , & que fon viſage
n'en fut pointaltéré. Cette tranquil
lité apparente futpouffée au point qu'Henri
IV lui même y fut trompé,& ne voulut
pas croire l'heureuſe nouvelle que lui
porta une femme-de- chambre de la Reine
avec laquelle la Bourſier étoit convenue
d'un ſigne qui lui apprendroit ſi Marie
étoit accouchée d'un Prince . Le Roi vint
donc trouver la Bourſier d'un air trifte &
changé , ne doutant pas que ce ne fût une
fille qui venoitde naître,& lui dit : Sagefemme
, est- ce unfils ? La Bourſier ayant
répondu que oui , je vous prie continuat'il
, ne me donnezpoint de courte joie ;
cela me feroit mourir. La ſage- femme développa
auſſitôt l'enfant & le lui fit voir.
S. M. après avoir demandé à la Bourfier s'il
pouvoir , ſans danger , inſtruire la Reine
de leur bonheur commun , courut
tranſporté au lit de cette Princeſſe , & lui
apprit, en l'embraffant tendrement, qu'elle
venoit de donner un héritier à la France.
Quoique la Bourfier eût aſſuré S. M.
qu'Elle pouvoit apprendre cette heureuſe
nouvelle à Marie ſans courir aucunriſque,
le plaiſir qu'elle en reſſentit fut fi vif ,
qu'elle tomba auſſi- tôt en foibleſſe , & y
reſta même aſſez long temps. Le Roi en
JUILLET. 1774. 119
,
fut très-alarmé , maisla Reine ayant enfin
recouvré ſes ſens , Henri IV ſe livra tout
entier à l'excès de ſa joie. Dans l'ivreſſe
où il étoit , il embraſſoit tous ceux qu'il
rencontroit , & couroit dans les ſalles de
l'appartementde la Reine , pour amener
tous ceux qui s'y trouvoient , voirle Dauphin
qui venoitde naître. Il perdit même
fon chapeau dans la foule. La Bourſier
lui ayant repréſenté qu'il entroit trop de
perſonnes dans la chambre de Matie de
Médicis qui pouvoit en être incommodée
: Tais-toi , Sage-femme lui dit le
Roi en lui frappant ſur l'épaule , cet
enfant est à tout le monde ; il faut que chacun
le voye & s'en réjouiſſe. L'eſpèce d'ivreſſe
où étoit Henri IV de la naillance de
fon fils, ne l'empêchoit pas d'être très-occupé
de la Reine , à laquelle il rendoit les
foins les plus affidus. Il fit même tendre
un lit dans ſa chambre , & y coucha
tout le temps qu'elle fut en couche. Des
attentions & des témoignages d'amitié
auffi marqués prouvent que ſi Marie de
Médicis eût mis plus de douceur & de
complaiſance dans ſa conduite , elle eût
peut être guérile Roi de cet amour effréné
pour les femmes , qui terniſſoit quel.
quefois ſes autres qualités ; car l'intérêt
120 MERCURE DE FRANCE.
qu'il marquoit à la Reine étoit très fincère.
Elle lui plaiſoit au point même
qu'il diſoit à ſes confidens que ſi elle n'eût
point été ſa femme , il eût donné tout
fon bien pourqu'elle fût ſa maîtreffe ; mais
l'aigreur & les emportemens auxquels
elle ſe livroit fouvent contre Henri IV ,
loin de l'aider à ſurmonter ſes foibleſſes ,
ne ſervoient qu'à l'y entretenir , parce
qu'il cherchoit à ſe conſoler auprès de ſes
maîtreſſes & fur-tout auprès de Madame
de Verneuil qui étoit vive & enjouée ,
deschagrinsjournaliers que Marie de Médicis
lui faifoit éprouver. M. de Sully
rapporte dans ſes mémoires qu'il ne les a
jamais vu paſſer huit jours fans ſe quereller.
Le Roi fut même un jour contraintde
fortirde Paris pour aller à Fontainebleau,
& fit dire à la Reine que fi elle ne changeoitde
conduite , il ſeroit contraint de
la renvoyer à Florence, avec ſes confidens,
voulant déſigner Concini & ſa femme.
Ces diſſentions perpétuelles rendoient
Henri IV auſſi malheureux que Marie.
Certe Princeſſe , d'un caractère naturellement
emporté, ſe laifſoit quelquefois aller
à la plus grande violence. Elle la poufſaun
jour au point de lever le bras pour
frapper le Roi . Sully , qui étoitpréſent ,
le
JUILLET. 1774. 121
le rabattit même avec tant de force &
'de vivacité qu'elle prétendit qu'il l'avoit
frappée; mais elle lui en ſutbon gré quand
ſa colère fut paffée .
Cette Princeſſe , ſi peu digne par ſes
caprices & ſes humeurs de l'affection de
Henri , l'étoit encore moins de ſa confiance
, puiſqu'aulieu d'entrer dans ſes
vues , elle négocioit à ſon inſcu des
alliances pour ſes enfans , contraires à
celles que ce Prince avoit projetées , &
dont il lui avoit même fait part . Elle
perd ce grand Roi dans le moment où il
jouiſſoit de la double réputation qu'il
avoit ſi juſtement acquiſe,de politique habile
&de guerrier invincible . On a reproché
à Marie peut-être avec raiſon , ajoute
ſon hiſtorien , le peu de ſenſibilité qu'elle
témoignade la mortd'Henri;mais cequ'on
ne doit pas lui pardonner , c'eſt d'avoir
ſi mal profité des ſages conſeils que le
Roi lui donna peu de temps avant de mourir
; d'avoir , fans reſpect pour ſa mémoire
, rompu les engagemens de ce
Prince avec le Duc de Savoye ; épuisé
par ſon faſte & par ſes profuſions les
tréſors amaſſés par la prudente économie
d'Henri , malgré les guerres continuelles
qu'il avoit été obligé de foutenir ; acca-
I. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE .
blé de bienfaits ceux dont elle redoutoit
des cabales , & de leur avoir appris par
fes largeſſes déplacéesà tout obtenir d'elle
en s'en faiſant craindre. Une conduite fi
inconſidérée ne pouvoit manquer de pro .
duire des mécontens . Auſſi les Princes &
les Grands abuſèrent - ils de ſa foibleffe
pour la forcer à fubir le jougde leur defpotifme.
lis ſe réunirent tous pour fonder
leur puiſſance ſur les débris de l'autorité
royale qu'ils cherchoient à anéantir. Le
bien général qu'ils donnoient pour motif
de leur révolte étoit le ſeul dont ils ne fuffent
point occupés ; ils ne ſongeoient qu'à
profiterde la puſillanimité de la Reine mère
pour ſe faire accorder de nouveaux dons .
Ils trahiffoient donc la cauſe commune
pour leur avantage perfonnel. Ils avoient
chacun leur parti ſéparé : le Roi étoit le
feul qui n'en eût point , & ce fut à cette
divifion que l'Etat dut ſon ſalut , quoique
cette anarchie ne tendît qu'à renverſer
le pouvoir ſouverain. La France devint
bientôt le théâtre des factions. La majori
té de Louis XIII apporta peu de remèdes
aux maux dont le royaume étoit accablé
, parce que Marie , ſous le nom de
fon fils , conferva la même puiſſance , &
fe conduifit par les mêmes principes.
JUILLET. 1774. 123
Que dis- je , des principes , s'écrie ici
>> l'hiſtorien ? Elle n'en avoit point. En-
>>t>ièrement livrée au Maréchal d'Ancré
»& à ſes créatures, elle ne ſedécidoit qué
>par leurs conſeils ; & comme il étoit
>>très - important pour eux que le Roi
>>reſtât toujours dans la dépendance de ſa
>>>mère , ils engagèrent cette Princeffe d
l'éloigner de la connoiſtance desaffaires.
>>Pour cet effet elle eut l'imprudence dé
>>favoriser le goût que Louis avoit pris
>>pour MM. de Laynes & particulière-
>>ment pour l'aîné . Mais elle ne ſentit pas
>>que l'intérêt de ce favori étoit contraire
>>au ſien , & que l'eſpoir degouverner, dès
>>que le Roi ſeroit le maître , le porteroit
>> bientôt à perfuader à ce Prince de ſecouer
>>un joug honteux. Marie travailloit donc
>>contre elle- même en protégeantce jeune
>>Seigneur , & perdit ſon autorité par les
moyens qu'elle employa pour la confer-
>>ver. Il fut aifé à Luynes de rendre odieux
>> à Louis l'eſclavage où on letenoit , en
»lui faiſant obſerver qu'il vivoit plutôt
>>ſous la domination de Concini que ſous
„la tutelle de ſa mère. Le defir de com-
>>mander eſt inné dans tous les coeurs ,&
»les caractères les moins deſpotiques ſai-
»ſiſſent avec empreſſement les occafions
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
१२
>>d'exercer un pouvoir donrleur ſeule vo-
>>lonté peut les mettre en poffeffion. La
>>Reine s'apperçut trop tard qu'elle avoit
plaiſſé prendre au favori trop de crédit
fur l'eſprit du Roi , & voulut détruire
fon ouvrage ; mais il n'étoit plus temps.
L'ambition démeſurée du Maréchal
>>d'Ancre , ſon faſte & ſon arrogance pre-
>>> toient des armes à ſon rival. Luyness'en
fervit habilement , & l'orgueilleux favori
de Marie fut bientôt ſacrifié à celui
de Louis XIII . Luynes du même coup
>>ſe délivra du ſeul concurrent qui pût
mettre des bornes à ſa puiſſance , & enpleva
à la Reine mère les rênes du gou-
>>vernement , dont il s'empara ſous le
nom du Roi , & Louis ne fit que changer
de maître . Malgré les fautes dont
Marie s'étoit rendue coupable pendant
fon adminiſtration, on ne peut voir, ſans
>>être attendri , la dureté avec laquelle ſon
fils la traita par les conſeils de ſon confident.
Cette malheureuſe Princeſſe ,
chaſſée ignominieuſement d'un lieu où
welle régnoit peu de temps auparavant
& retenue priſonnière à Blois , oublia ce
qu'elle devoit à l'Etat , à fon fils & à fon
Roi , follicita des ſecours pour lui faire
pla guerre , & s'arma elle - même contre
RA
JUILLET . 1774 . 125
wlui; La haine que le deſpotiſme de Luynes
avoit infpirée à tous les Grands fit
>>t>rouver des défenſeurs à la Reine mèré
plutôt fans doute que la juſtice de ſa
>>caufe ; mais , trahie par Richelieu , elle
>>perdit tous les avantages qu'elle auroit
>pu retirer d'une révolte que l'excès de
>>ſes malheurs peut feul rendre excufable .
>>Revenue enfin à la Cour ; la paffion de
>>gouverner , qui n'avoit jamais été étein-
>>te dans ſon ame , s'y réveilla bientôt.
>>Elle s'y ralluma avec d'autant plus de
>>force que la mort du Connétable de
>>Luynes lui donna lieu de ſe latter qu'el-
>>le pourroit une ſeconde fois être maî-
>>treſſe du royaume. Elle obtint en partie
>>ce qu'elle defiroit avec tant d'ardeur,&
>>ſe conduiſit d'abord avec beaucoup de
sprudence par le conſeil de Richelieu. Il
nétoit en effet d'autant plus intéreſſé à
contenir ſa maîtreſſe dans dejuſtes bor
>>nes , qu'il eſpéroit par fon moyen entret
>> dans le ministère. Il avoit trop de fagá
>>cité pour ne pas ſentit que cette faveut
>>ne pouvoit lui être accordée , malgré
tous les miniſtres qui s'y oppofoient ,
>>qu'en exhortant Marie àſe ménager l'af
>>fection de ſon fils par une conduite qui
one lui donnât aucun ombrage. Parvenue
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE .
>>enfin à faire admettre le Cardinal au
>>Conſeil , la Reine ne douta plus qu'elle
>>n'eût bientôt tout pouvoir , dès que ce-
>>lui qui lui devroit le ſien auroit acquis
>>la confiance de Louis. Mais quoiqu'on
>>ne puiſſe s'empêcher d'accufer Riche-
>>lien d'ingratitude envers ſa bienfaitrice,
>>il faut convenir que la jalouſie qu'elle
>>prit contre ce miniſtre , & la cabale for-
>>mée contre lui , dans laquelle elle s'en-
»gagea , excufent , en quelque façon , le
>>Cardinal de l'avoir miſe hors d'état de
>>lui nuire. En effet Marie , après avoir
>>juré la perte de Richelieu pendant la
>>maladie du Roi à Lyon , refuſa opiniatrément
à ſon fils de ſe réconcilier avec
>>ce miniſtre. Les témoignages d'attache-
>>ment & de ſoumiſſion réitérés de ce
>>Prélat furent inutiles . Le Cardinal ayant
>>fait néanmoins toutes les démarches les
>>plus propres à adoucir l'aigreur de cette
>>Princeſſe contre lui , n'avoit plus guère
>>d'autre parti à prendre que d'employer
>>toutes les voies poſſibles pour ſe garan-
>>tir de la diſgrace dont il étoit fans ceſſe
menacé. Il est vrai qu'il ne fut pas dé-
>>licat fur les moyens. La Reine mère ,
>>aveuglée par ſa haine que les ennemis
>>de Richelieu ne cherchoient qu'à fo-
1
JUILLET. 3774. 127
رد
>>menter , ne mettoit aucun art dans ſa
>>conduite , & ſe livroit à ſon reſſenti-
>>ment , fans faire réflexion que ceux qui
>>l'animoient contre le Cardinal ſacri-
>>fioient ſes véritables intérêts à leur ani-
>>moſité contre un homme dont la puif-
>>ſance leur étoit odieuſe. » L'hiſtorien ,
après avoir ajouté encore d'autres traits à
ce portait que l'on peut regarder comme
un précis très -bien faitde la vie de Marie,
le termine par cette réflexion . "Cette
>>Princeffe , avec tous les défauts de fon
>>ſexe , n'avoit aucune des qualités pro-
>>pres à ſeconder ſon ambition. Les fautes
qu'elle commit tant dans ſon admi-
>>niſtration que dans ſa conduite particu-
>lière en font une preuve , &ne font que
>>trop connoître combien il eſt dangereux
>>& imprudent de vouloir commander
> aux autres , quand on eſt incapable de ſe
>>gouverner foi- même. »
ود
Un eſprit de recherches , guidé par le
deſir de ſe rendre urile à ceux qui s'adonnent
à la philoſophie de l'hiſtoire , a préfidé
à la rédaction de la vie de Marie. II
faut bien diftinguer ce morceau hiſtorique
de ces rédactions ordinaires qui ne
préſentent riende neuf que les réflexions
ſouvent déplacées du rédacteur. On trou
Fiv
12S MERCURE DE FRANCE .
vera dans l'hiſtoire de Marie pluſieurs
faits qui n'étoient point connus & qui
méritoient de l'être . Ces faits ne font
point ici commentés , mais difcutés. Ils
font le plus ſouvent appuyés de pièces
justificatives & accompagnés de notes qui
renferment des traits propres à faire connoître
les différens perſonnages qui ont
joué quelques rôles importans relatifs à
Marie. Cette hiſtoire d'ailleurs mérite
d'être accueillie par l'impartialité qui y
règne , l'exactitude de l'écrivain & fon
attention à ne rien omettre de ce qui
peut éclairer le jugement du lecteur ;
toutes qualités eſſentielles à un hiſtorien
&fans lesquelles les réſultats moraux des
faits qu'il rapporte font toujours vains &
abuifs .
Differtation fur la Lymphe , par M. de
Laſſus, premier chirurgien des Mefdames
de France , ancien profeffeur d'anatomie
& de chirurgie à l'Ecole- pratique
, membre du collége & de l'Académie
royale de Chirurgie de Paris ;
brochure in 8 ° . A Paris , chez Lambert,
rue de la Harpe .
Cette diſſertation a remporté le prix
double de phyſique en 1773 , accordé par
JUILLET. 1774 . 129
l'Académie des ſciences , belles lettres &
arts de Lyon. Cette Académie avoir, dans
fon programme , propoſé " de déterminer
quels font les principes qui conſtituent
>>la lymphe : quel eſt le véritable organe
qui la prépare : fi les vaiſſeaux qui la
>>portent font une continuation des der-
*nières diviſions des artères ſanguines ,
nou fi ce ſont des canaux totalement dif-
>>férens & particuliers à ce Auide : quel eſt
>>ſon uſage dans l'économie animale.
L'auteur a fait un emploi raiſonné & mé
thodiquede ſes connoiſſances dans la phy
fiologie , la phyſique & la chimie , pour
réſoudre ces quatre queſtions & répandre
un nouveau jour ſur cette partie intéreſſantede
l'économie animale. Ce n'eſt pas
cependant qu'on ne pourroit exiger de
P'auteur de nouvelles recherches chimiques
pour éclaircir ou appuyer pluſieuts
points de doctrine énoncés dans ſa differ.
tation.
Traitéfur le Scorbut , traduit du latin de
M. le Meilleur , médecin de Montpel
lier ; par M. Giraud , médecin de Be
fançon ; vol. in- 12. Prix , 1 liv. 16 f.
br. port franc par la poſte .AParis, chez
Delalain , libraire ,rue de la Comédis
Françoile.
130 MERCURE DE FRANCE.
Le Meilleur , natif de Port- au - Prince
dans l'Iſle de Saint-Domingue , étoit un
élève de l'Ecole de médecine de Montpellier.
Il avoit beaucoup d'amour pour
l'étude ; & le traité dont on donne la traduction
étoit le réſultat des lectures qu'il
avoit faites de différens écrits fur le Scorbut.
Il a divifé ſon traité en ſept chapitres.
Il examine dans le premier les caufes
auxquelles divers auteurs attribuent le
Scorbut,& fait voir qu'elles font abfolument
abuſives & imaginaires. Il établie
dans le fecond chapitre les véritables cauſes
de cette maladie , d'après les obfervations
les plus exactes tant ſur terre que
fur mer. Il expoſe dans le troiſième les
fignes diagnoſtiques du Scorbut. Il indique
dans le quatrième les fignes prognoftiques
de cette maladie ; &, après avoir
proposé dans le cinquième la manière de
la guérir , il donne , dans le ſixième , la
cure prophylactique , c'est- à- dire , les
moyens qu'il faut employer pour ſe garantir
du Scorbut fur terre & fur mer . Enfin
it rapporte dans le ſeptième & dernier
chapitre les obſervations qui ont été faites
à l'ouverture des cadavres de ceux qui
font morts de cette maladie . La traductionde
ce traité eſt exacte & enrichie de
JUILLET. 1774 131
quelques notes qui confirment les principes
énoncésdans le texte.
La Philosophie des Vapeurs , ou Lettres
raiſonnées d'une jolie Femme ſur l'uſage
des ſymptômes vaporeux .
Duplex libelli dos eft.
PHED .
brochure in- 11 . petit format. A Paris,
chez Baftien , libr., rue du petit Lyon ,
fauxbourg St Germain .
L'auteur de ces Lettres s'aviſe peut- être
un peu tardde perfiffler les jolies Femmes
fur leurs vapeurs , ou , pour nous fervie
d'une de ſes expreſſions , ſur leur foiblomanie.
Ce ridicule paroît aujourd'hui
avoir fait place àd'autres.
Cours d'hippiatrique , ou Traitéde lamédecine
des chevaux, par M. de la Foffe,
Hippiatre ; un volume in-folio , grand
papier , avec de belles gravures & privilége
du Roi .
Poiré , libraire à Paris , quai &paſſage
des grands Auguſtins , donne avis qu'il
vient d'acquérir tout ce qui reſtoir de l'édition
de ce cours d'hippiatrique dont le
Public a reconnu l'utilité , & qui auroit
Fj
132 MERCURE DE FRANCE..
eu un ſuccès bien plus prompt , ſi le prix
auquel on l'avoit porté d'abord , n'eûs
empêché grand nombre de perſonnes de
ſe le procurer. Le Sr la Foffe , après avoit
porté cet ouvrage à ſa dernière perfection ,
n'a jamais pu ſe déterminer à en diminuer
le prix , malgré les vives ſollicitations,
qu'on lui en a faites; il a mieux aimé le
céder au ſieur Poiré qui , pour ſe rendre
au defir du Public & faciliter l'acquiſition
de cet ouvrage , a réduit à 72 liv. le
premier prix qui étoit de 120 liv. broché
cartonné ;,le ſecond prix à 110 liv. au
lieu de 160 liv . avec les planches enluminées
, & le troiſième à 140 au lieu de
240 liv . avec les planches doubles enluminées,
& non enluminées. Cette diminution
aura lieu juſqu'an premier de Novembre
prochain ; & , s'il en reſte alors
quelques exemplaires , ils feront remis à
leur ancien prix..
Détail des fuccès de l'établiſſement que la
Ville de Paris a fait en faveur des perfonnes
noyées ; premier ſupplément ,,
depuis le premier Avril 1773 , julques
& compris le mois de Décembre
Luivant; par M.P. A..
(Ampliat ætatem fuam vir bonus,,
Quandolongevitati confortium prodest. )
JUILLET. 1774 . 133
3
brochure in- 12 . d'environ 120 pag . A
Paris , chez Lottin l'aîné , imprimeur
de la Ville ; & Eugène Onfroy , libraire
, rue St Jacques .
Ces ſuccès , dit M. le Bégue de Preſte,
médecin , cenſeur royal , doivent être pu
bliés pour engager à employer plus four
vent ces divers fecours qui ont rappelé
des noyés à la vie & qui peuvent être égalementutiles
dans les cas d'étranglemens,
de violentes ſyncopes , de ſuffocations
par la vapeur du charbon allumé , des
exhalaiſons des mines , des cloaques, des
puits abandonnés , des foſſes d'aiſances ,
&c. Un citoyen patriote & très- inftruit a
conſacré ſon zèle , fon temps & ſes connoiſſances
à ſeconder & perfectionner
Pétabliſſement ſi utile de la Ville de Paris
, fait fous l'adminiſtration d'un Magiſtrat
caractérisé par ſes lumières & fa
bienfaiſance , pour rappeler à la vie les
perſonnes ſuffoquées récemment dans
l'eau. Le modèle de ce dépôt de la capitale
où ſont raſſemblés les ſecours propres
à rappeler les noyés à la vie , a été imité
dans plus de cent endroits de la France ,
&leur avantage eſt tellement reconnu
aujourd'hui que l'on ne doute pas qu'il
ne ſe multiplie par-tout où il y aura des
134 MERCURE DE FRANCE.
A
Officiers Municipaux , des Magiftrats ,
des Seigneurs de Terre attentifs à la conſervation
des hommes. M. le Duc de la
Vrillière , qui veille au bien de l'humanité
& au foulagement des malheureux
a établi un pareil dépôt dans ſon Duché ,
& l'on rapporte dans ce recueil le ſuccès
qu'il a obtenu.
On trouve au commencement de cette
brochure, une lettre de M. l'Abbé Jacquin
au ſujet du lit de cendres chaudes propoſé
pour ſupplément à l'établiſſement de la
Ville de Paris ; mais il faut voir dans la
réponſe de l'auteur de cette brochure les
raifons&les inconvéniens qui empêchent
que ce moyen foit adopté parmi les autres
qui ſont ſuffifans pour l'objet que l'on a
en vue.
Nous rapporterons unde ces détails de
Noyé , rappelé à la vie , pour donner un
exemple du traitement employé efficacement
en pareil cas.
« Le nommé Antoine Noiſy , compa-
>>gnon d'imprimerie , âgé de 13 ans , fe
>baignant au Port de l'Hôpital , perdit
>pied , & fut entraîné par le courant.
>>Après trois ſubmerſions , il fut porté du
>>côté du bateau à leſſive de l'hôpital , où
>>il diſparut encore , en coulant ſous le bateau.
Deux bateliers garçons - paſſeurs,
i
JUILLET. 1774 . 1 135
qui s'en apperçurent , s'empreſſèrent de
le chercher , & ne le trouvèrent qu'a l'au
>>tre extrémité dudit bateau : ils le repêchèrent
; mais il étoit ſans connoiffance
>>ni mouvement ; il avoit la bouche béan-
>>te & les yeux ouverts & fixes. Amené à
>>bord , l'un des deux bateliers le chargea
>>fur fon épaule pour le conduire au corps
>>de garde du port de l'Hôpital : ce tranf
>>port n'a rien changé à fon état.
>>Arrivé au corps - de - garde , il a été
>>eſſuyé & enveloppé dans la couverture ;
"on a allumé le poële pour le réchauffer ;
>>on l'a frotté avec une flanelle imbibée
>>d'eau - de - vie camphrée; on l'a forte-
>ment agité,en lui faiſant ſans ceſſe chan-
>>ger de poſition ; on a fait chauffer d'au-
>tres flanelles qui lui ont été appliquées
>>ſur le ventre& fur la poitrine , & qu'on
>>renouveloit continuellement ; on avoit
>>ſoin de diriger de bas en haut les fric-
»tions qu'on lui faifoit pendant cette application
. Ces ſecours ont été pratiqués
>>pendant environ une bonne demi-heure,
>>& ont fait appercevoir quelques fignes
>> de vie. Alors on a eſſayé de lui faire
>avaler une cuillerée d'eau de-vie cam-
>>phrée , qui a paflé & a paru le ranimer
>>en lui faiſant vomir un peude glaires ;
136 MERCURE DE FRANCE.
>une ſeconde cuilletée qu'on lui a fait
prendre peu de temps après la première,
na fait beaucoup plus d'effet ; il a vomi
„de même des glaires , mais beaucoup
"plus abondamment, & fa connoillance
>>fe fortifioit de plus enplus ; enfin ,com-
>>me il répugnoit à l'eau de vie camphrée,
& qu'il ſe plaignoit d'avoir grand froid,
non lui a fait avaler , à différentes repri-
»ſes & dans des intervalles ſuffifans, une
>>chopine de vin chaud avec du ſucre.
>>L'application des flanelles chaudes ſe
pratiquoit toujours & ſe renouveloit
fans ceffe.
"Ce jeune-homme eſt reſté au moins
une demi - heure dans l'eau , dont il a
paffé un bon quart d'heure fubmergé ;
* on a employé une heure à lui adminiftrer
les ſecours ; ſa connoiffance a commencéà
fe manifeſter au bout de la pre-
>>mière demi-heure; dans la ſeconde demi
heure on a eu la fatisfaction de voir
augmenter les ſuccès. Une ſeconde heuwre
s'eſt paſſée à le réchauffer & à le ranimer
; & , après ces deux heures de
foins ,on l'a remis à une femme voiſine
>>de ſa mère qui l'a réclamé , & s'eſt chargéede
le ſoigner, pour enfuite le rendre
và lesparens.
JUILLET. 1774. 137
ود >>Lefroiddontilſeplaignoitétantdif
>>ſipé , il s'eſt trouvé dans ſon état natu-
»rel . »
On emploie auſſi quelquefois des mèches
de papier imbibées d'eſprit volatil
de ſel ammoniac que l'on met dans l'une
& l'autre narine ; de la fumée de tabac
introduite par le fondement; un air chaud
en foufflantdans la bouche , & c. On trouve
auſſi dans la même brochure ce faitfi
intéreſſant d'un enfant cru mort & rappelé
à la vie .
« Voici un événement qui eſt confor-
>>me à la plus exacte vérité. Ce fait , qui
»a déjà été rapporté dans la Gazette de
»Manhein , mais qu'on ne fauroit trop
>>répandre , fait voir qu'il y a beaucoup
>>de danger , & même une forte d'inhu-
>>manité à abandonner auffi- tôt des en-
>>f>ans nouvellement venus au monde ,
lorſqu'ils paroiſſent morts , au lieu d'é-
>>puiſer auparavant toutes les reſſources.
>>pour les rappeler à la vie .
>>Un des Membres des Ecoles des ac-
>>couchemens de cette ville , ayant été
>>appelé le vendredi faint dernier à Lam.
>>pertheim , auprès d'une femme qui étoit
dans les douleurs de l'enfantement , la
trouva dans un état de foibleſſe extraor-
>>dinaire , occaſionné par un flux de ſang
:
-138 MERCURE DE FRANCE.
>>de quinze jours. Il parvint à délivrer la
>>femme , & reçut un garçon qui étoit bien
>>conformé , mais qui ne donna aucun
>>ſigne de vie , malgré tous les ſecours
>>qu'on a coutume d'employer en pareil
"cas .
>>Cependant l'accoucheur ſe rappela
>>qu'en coupant le cordon ombilical, l'ar-
>>tère qui s'y trouve avoit encore été rem-
>>plie de fang ; d'où il conclut que le flux
>>de ſang de la mère ne devoit pas avoir
été la cauſe de la mort de l'enfant, puif-
"que , dans le cas où il l'occaſionne effec-
>>tivement , l'artère ombilicale ſe trouve
ordinairement vuide & rétrécie. Cette
>>réflexion l'engagea à faire la tentative
>>ſu>ivante :
>>Il appliqua ſa bouche fermement fur
>>celle de l'enfant dont tout le corps étoit
>baigné dans du vin tiède , introduifit fon
>>haleine dans la bouche de l'enfant , lui
>>bouchant le nez de la main droite, pour
>>forcer l'air d'entrer dans la trachée- ar-
>>tère , pendant que de la main gauche il
>>l>ui frottoit continuellement le bas ven
>>tre , & produiſit de cette manière une
>>ſorte de reſpiration artificielle dans l'en-
>>fant. Il continua cette opération l'ef-
>>pace d'une demi - heure entière , ſans
>>remarquer aucun effet , finon que le
JUILLET. 1774. 139
>>corps de l'enfant fe couvroit d'une couleur
un peu animée. Cette légère appa-
>>rence de ſuccès le fit perſiſter dans ſon
>>entrepriſe. Après dix minutes de tra-
>>vail , l'enfant rendit tout - à- coup un
>>ſouffle en quelque forte convulfif , ac-
>>compagné d'un cri plaintif, mais auquel
>>il n'en ſuccéda pas d'autres . En même
>>temps on obferva un léger battement
>>de pouls au cordon ombilical, fans mou-
>>vement ſenſible de la poitrine. Encou-
>>ragé par ces ſymptômes de vie , on ne
>>ceſſa point de ſouffler dans la bouche de
>>l'enfant, qui ne tarda point à pouffer des
>>ſanglots répétés ; &, peu de temps après ,
>>un ſuccès complet fut la récompenfe
>>d'un travail opiniâtre de trois quarts
>>d'heure.
>>L'auteur de ce récit authentique &
>>ſi intéreſſant pour la population , ne ſe
>>flatte nullement d'avoir trouvé une nou-
>>velle méthode pour rappeler à la vie des
>>enfans qui paroiffent morts en venant
>>au monde ; il prie ſeulement les Accou-
>>cheurs & les Sages-Femmes , par amour
>>pour l'humanité , d'uſer de la même per-
>>ſévérance que lui en pareil cas. Il con-
>>vient en même temps qu'il avoit douté
>>lui-même du ſuccès de ſon entrepriſe ,
140 MERCURE DE FRANCE.
»à cauſe du violent flux de ſang qui avoit
>>précédé l'accouchement.
Le nouveau Règne , Ode à la Nation , par
M. Dorat. A Genève ; & le trouve à
Paris , chez Monory , libraire de S. A.
S. Mgr le Prince de Condé , rue de la
Comédie Françoiſe , 1774 .
Le poëte a choiſi un rythme inconnu
dans le genre de l'ode , ayant compoſé
des ſtrophes chacune de douze vers alexandrins;
mais la majeſté du ſujet lui a ſans
doute paru exiger une marche auffi grave
& aufli impofante. Il commence par un
tableau très- poëtique de l'horrible Eumé.
ni le qui plane ſur les tours du palais de
nos Rois , & qui frappe ſon auguſte victime.
France , dans ton malheur vois l'appui qui te reſte.
Sous un autre Louis , qu'annoncent les bienfaits ,
Les lys vont refleurir à travers les cyprès .
Il va te conſoler d'une perte funeſte .
Dieu , ſoutien des Bourbons , ne l'abandonnez
pas!
Obarrières du trône , ouvrez-vousſous ſes pas ! ..
Il vient; il les franchit... tout- à - coup le tonnerre
Eclate dans la nue , & fait trembler la terre .
Le front ceintde rayons , de feux reſplendiſlans,
JUILLET . 1774. 141
Sous le dais du Monarque un Phantôme s'avance,
C'eſt ſon Père ! ... il lui parle , & le Prince en
filence
Prête une oreille avide à ſes nobles accens:
Suivent huit ſtrophes contenant de
grandes leçons dignes d'être entendues
par un Monarque juſte , bienfaiſant &
ami de la vérité .
Omon Maître , ô mon Roi , déjà le Ciel t'écoute.
Il échauffe ton ame , il remplira tes voeux ;
Sur les dangers du trône il ouvrira tes yeux ,
Et l'Ange de l'Empire applanira ta route.
Ce ſceptre ſi peſant , objet de tes frayeurs ,
Ton auguſte Moitié l'entrelace de fleurs.
Ah ! combien fes vertus parent le diadême !
On reſpecte le rang ; c'eſt la bonté qu'on aime.
La bienfaiſance en elle eſt unie aux attraits.
Elle eſt de ſes Etats l'ornement & l'exemple .
Couple heureux & ſacré , que l'Univers contemple
,
Vous allez partager les coeurs de vos Sujets .
Les deux dernières ſtrophes expriment
le bonheur & l'hommage des François ,
les voeux & les ſentimens du poëte. Il
finit par ces vers ;
• : • : : : : :
Cultivant loin des Cours un art conſolateur,
0
142 MERCURE DE FRANCE.
D'un empire naiſſant je chante les prémices.
J'adore des vertus quiferont nos délices .
Du bonheur de l'Etat ſachant faire le mien ,
A les jeunes appuis j'adreſſe un libre hommage ,
Et je mourrois heureux , en contemplant l'image
D'une Reine ſenſible & d'un Roi citoyen.
Sur la Maladie des Mesdames , par M.
Lemierre.
Arâfub unaſe vovet hoftia
Triplex.
SANTEUIL.
AParis , chez le même libraire.
Ce poëme eſt en vers libres & en rimes
croisées . Il renferme des ſentimens
rendus avec autant d'énergie que de vérité.
On en jugera par les vers ſuivans.
Quel effortde courage en un ſexe timide !
On admire l'homme intrépide ,
Qui , dans l'ivrefle des combats ,
Pour ſauver ſon Roi du trépas ,
De ſon corps lui fait une égide :
Onvante juſtement la femme de Brutus ,
Et l'épouſe d'Admète , & celle de Pooetust
On te bénit , on te révère ,
Toi qui vins dans un fouterrain ,
Trompant la prudence ſévère
JUILLET. 1774. 143
D'un ſurveillant trop inhumain ,
Soutenir de ton lait les foibles jours d'un père
Contre les aflauts de la faim .
Mais les Filles d'un Roi , dans leur zèle héroïque ,
Prodigues envers lui de ſoins conſolateurs ,
Reſpirer les noires vapeurs
D'un venin qui ſe communique
Sans pouvoir s'aſſurer du fruit de leurs ſecours ,
Sans goûter la douceur ſecrette
Deſe dire , s'il eſt des dangers queje cours ,
Ce font , aux dépens de mes jours ,
Des jours plus chers que je rachette ;
Mais ſous un ſimple vêtement ,
Ceintes d'un humble lin , leur plus digne parure ;
Dans leur fidèle empreſſement
Oubliant la Grandeur pour être à la Nature ,
Soulever dans leurs bras un Père languiſſant ,
A les lèvres porter la coupe ſalutaire
Que leur amour compatiſlant
Cherche à lui rendre moins amère ;
Le coeur déchiré par l'accent
De les douleurs profondes & plaintives ,
Entendre ſonner triſtement
Et des jours & des nuits les heures ſi tardives
Pour qui ſouffre & qui voit ſouffrir ,
Sans ceſſe auprèsd'un père en victimes s'offrir ;
Avec l'ame la plus ſenſible
Redoutant pour lui les horreurs
144 MERCURE DE FRANCE.
Du mal ſi ſouvent invincible ,
Dont il éprouve les fureurs ,
Pour lui dérober leurs terreurs ,
Lui préſenter un front paiûble
Et le faire l'effort pénible
De renfermer juſqu'à leurs pleurs:
Ovous , Adelaide ! ô Sophie ! ô Victoire !
Voilà votre courage , & voilà votre gloire.
L'Agriculture réduite àſes vrais principes,
par M. Jean Gottschalk Wallerius ;
ouvrage traduit en françois ſur la verfion
latine , auquel on a ajouté un grand
nombre de notes tirées de la verſion
allemande . A Paris , chez Lacombe
libraire , rue Chriſtine , près la rue
Dauphine , 1774 .
:
Pluſieurs auteurs écrivent journellement
ſur l'Agriculture , mais peu l'ont
fait avec autant de ſuccès que Wallerius .
Ce Savant ne s'eſt pas contenté de traiter
de l'Agriculture en agronome , mais il l'a
traitée auſſi en chimiſte , ce que perſonne
n'avoit ofé entreprendre avant lui ; auſſi
fon ouvrage a-t-il joui dans toute l'Europe
du ſuccès le plus complet. Il eſt
traduit en toutes les langues , & la traduction
en françois que nous annonçons
à préſent , quoique ce ſoit la ſeconde qui
ais
JUILLET . 1774. 145
ait paru , mérite d'être conſultée par préférence
: le traducteur a rendu parfaitement
le ſens de l'auteur , & il l'a accompagné
de notes ſavantes qui ne ſe trouvent
que dans l'édition allemande de ce
précieux ouvrage. Pour mieux faire connoître
à nos lecteurs l'importance de cet
ouvrage , il fuffit de leur en préſenter un
morceau pris au hafard.
M. Wallerius , après avoir fait voir
combien l'eau contribue à la végétation ,
pour donner plus de preuves à cette aſſertion
, examine 1º. l'effet que l'eau produit
ſur les végétaux. 2°. L'effet qu'elle
produit ſur le terrein. Voici comme il
s'explique à ce ſujet :
•L'eau qui contribue à la végétation
>>agit ſur les plantes 1º. d'une façon ma-
»terielle ; 1°. en ce qu'elle est néceſſaire
>pour leur porter la ſubſtance nutriti-
>>ve , & par le concours d'une certaine
»matière aërienne , il ſe forme des parti-
>>cules terreuſes , ſalines & huileuſes.
>>(Wallerius l'a démontré ailleurs ) 2 °. en
>>ce qu'elle fournit aux plantes , par le
>>moyen de ſon fluide non élastique , une
>>ſubſtance viſqueuſe , qui , ſi elle ne pro-
>>duit point la réunion parfaite des parti-
>>cules terreuſes , la favoriſe du moins au
I. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
>>moyen de l'huile , vu qu'une partie de
l'eau est fi fortement attachée dans l'in-
>>térieur ſolide du corps de la plante ,
ودqu'on ne peut l'en chaſſer ſans la dé-
>>> compoſer & la détruire totalement ;
>>mais comme l'eau , de cette manière ,
>>forme la combinaiſon de la plante dans
„laquelle elle entre elle- même , perſonne
>>ne pourra nier que l'eau comme fluide
>>ne doive être regardée comme la vraie
>>cauſe materielle de la végétation.
• >> 2°. L'eau agit ſur les plantes d'une
>>façon mécanique , ſur- tout 1º. en amol-
>>liſſant l'écorce ou l'enveloppe , afin
>>>qu'elle puiſſe ſe nourrir & s'étendre . 2º.
>>En communiquant à la plante une ſubſtance
huileuſe , ſaline & aërienne à l'ai-
>>de de la chaleur ( ainſi que l'a obſervé
"Wallerius dans un autre endroit de l'ou-
ودvrage. ) 3º. En favoriſant le mouvement
>>de la fermentation , excité par l'air & la
>>chaleur. 4° . En ce que l'eau eſt un véhi .
>>cule & un diſſolvantdes particules fali-
>>nes & nutritives ; car c'eſt par l'inter-
>>mède du ſel que les parties graſſes peu-
>>vent être combinées avec l'eau , être
>>élaborées & converties en une ſubſtance
>>fluide propre à la nourriture de la plante.
5 °. En ce que l'eau eſt un véhicule pro-
>>pre à entraîner les excrémens & les lies,
JUILLET. 1774. 147
ود »& les faire évaporer avec les ſucs ou li-
>>queurs ſurabondantes .
L'eau agit fur le terrein lui- même 1º .
en ce qu'elle le rend poreux , de ma-
>>nière que l'air puiſſe parvenir juſqu'aux
racines , & que celles- ci puiſſent s'éten-
>>dre . 2 ° . En ce qu'elle humectele ter-
>>rein & le rend nourriflant , en lui four-
>>niſſant une humidité qui puiſſe par l'évaporation
, s'élever juſqu'à la racine
>>des végétaux . 3°. En ce qu'elle diſſout
>>les ſubſtances ſalines qui ſont dans la
>>terre , à l'aide deſquelles l'eau ſe com-
>>bine avec les parties huileuſes & graf-
» ſes , & c . »
Il eſt inutile de ſuivre l'auteur plus loin
dans ſes raiſonnemens : ce que nous venons
de rapporter peut faire voir combien
ſa théorie eſt ſavante.Dans tout l'ouvrage
l'expérience vient auſſi à l'appui de la
théorie ; nous ne pouvons mieux finir cet
extrait qu'en le finiſſant comme l'auteur ,
c'est- à-dire , en expoſant la belle maxime
de Caton ſur l'agriculture . Par où faut- il
commencer , dit Caton ? Par bien travailler
le terrein. Que faut il faire enfuite ?
bien labourer . Que faut- ilfaire en troisième
lieu ? bien fumer. Ne labourez point
inégalement , & labourez au temps propre.
Tout champ doit d'abord être labouré en
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
fillons droits , & ensuite enfillons transver
faux,
Cet ouvrage mérite d'autant plus l'impreſſion
, que M. Wallerius y développe
réellement les vrais principes de l'agriculture
, que tout y eſt préſenté d'une
façon claire , nette , méthodique ; que ces
principes ne ſont pas tirés de raiſonnemens
vagues , hypothétiques , mais d'expériences
phyſiques ou chimiques bien
faites & bien conſtatées. Un ouvrage
ſemblable ne peut qu'être très - utile &
mérite d'être de plus en plus répandu au
moyen de l'impreffion ,
Almanach de Santé ; avec cette épigra
phe,
Hacbenè fiferves longo tu tempore vives.
broché , petit in- 12. de 140 pages ſans
la table. Prix , 1 liv. 10 ſols franc de
port par tout le royaume. A Paris ,
chez Ruault , libraire , rue de la Harpe .
Cet almanach , à l'exemple de l'Ecole
de Salerne , rapporte les préceptes généraux
pour conferver la ſanté , ou les
moyens de la recouvrer lorſqu'elle eſt altérée.
On ſent que l'auteur ne peut donper
que des avis & aucun détail ; mais
JUILLET. 1974. 149
ces avis peuvent être utiles; ils rappellent
combien la ſanté eſt précieuſe , &
combien il faut de ménagement pour l'entretenir.
Jerufalem délivrée , poëme du Taſſe; tra
duction nouvelle ; 2 vol . in 8°.1774 ,
avec 72 gravures br. 28 liv. ; en papier
d'Hollande 36 liv. & in- 4°. en feuilles
, 39 liv.
Autre édition en 2 vol. in -12 . ornée
de gravures , br. 4 liv. 10 f. A Paris ,
chez Muſier fils , quai des Auguſtins.
On lit à la tête de l'ouvrage cette ſingulière
& coutte préface des éditeurs .
:
La traduction que nous donnons au
Public a été arrachée à l'auteur preſque
malgré lui : c'eſt , nous a-t- il dit , un ouvrage
de ma première jeuneffe. J'étois
paſſionné pour le Taſſe & mécontent de
ſes traducteurs :j'ai fait autrement; je n'ai
peut-être pas fait mieux .
Eh bien, corrigez & retouchez .
-Non : j'ai fait voeu de ne plus écrire;
&puis mon imagination a été refroidie
par l'âge & froiffée par les événemens.
Je ſerois plus correct , mais je vaudrois
encore moins .
Et la préface ?
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
-Je n'en ai point fait; je n'en ferai
point. Qu'y mettrois-je ?
Vous parlerez du poëme épique ?
-Tant de monde en a parlé !
Des traductions ?
-Ce que j'en dirois ne rendroit pas la
mienne meilleure.
Du Taffe .
-Sa vie eſt par- tout. Son génie doit
ſe trouver dans mon ouvrage , ou mon
ouvrage ne vaut rien .
Nous ne ferons qu'annoncer cet ouvrage
intéreſſant , nous propofant de faire
connoître le mérite de cette nouvelle traduction
imprimée avec beaucoup de foin
&de magnificence.
Nous ne pouvons pareillement qu'annoncer
les ouvrages ſuivans , dont nous
reprendrons l'analyſe .
La Rofière de Salenci , paſtorale en 3
actes , mêlée d'ariettes , repréſentée pour
la première fois par les Comédiens Italiens
ordinaires du Roi le lundi 28 Février
1774 , in- 8 °. Prix , 1 liv. 16 ſols broché ,
chez Delalain , libraire , rue de la Comédie
Françoiſe .
Hiftoire du Tribunat de Rome depuis ſa
création juſqu'à la réunion de ſa puiffance
à celle de l'Empereur Auguſte ; 2 parties
in- 8 °. Prix , 5 liv. broché.A Paris , chez
JUILLET. 1774. 151
Vincent , libraire , rue des Mathurins .
Suite du Précis fur les Montres marines
de France , avec un ſupplément au mémoire
ſur la meilleure manière de meſurer
le temps en mer , par M. le Roi , horloger
du Roi , in 4°. A Paris , chez l'auteur
, rue du Harlay ; & Jombert, libraire,
rueDauphine .
Choix des Poëfies de Pétrarque , traduction
de l'italien , par M. l'Evêque ; vol .
in 12. Prix , 2 liv. relié , chez Valade ,
libraire , rue St Jacques , vis- à- vis celle
des Mathurins .
On trouve chez le même ,
Jean Sansterre , ou la Clémence de Philippe-
Auguste , tragédie in 8°. Prix , 1 liv .
10 fols .
Journal du voyage de Michel Montaigne
en Italie par la Suiffe & l'Allemagne en
1580 & 1581 , avec des notes , par M.
de Querlon . A Paris , chez le Jay , libraire
, rue St Jacques , 1774. Il y a trois
éditions de cet ouvrage, in 4°. broché.
Prix , 18 liv.; grand in- 12 . br. 5 liv. ; petit
in- 12 . 4 liv. 10 fols.
Hiftoire de France depuis l'établiſſement
de la Monarchie juſqu'au règne de
Louis XV ; par M. Garnier , hiſtoriographe
du Roi & de Mgr le Comte de Provence
pour le Maine & l'Anjou , infpec
Giv
I152 MERCURE DE FRANCE.
teur & profeffeur du collége royal ,de l'Académie
des belles - lettres. Prix , 3 liv.
relié le volume , tomes 23 & 24. contenant
l'hiſtoire de François I. A Paris, chez
Saillant & Nyon , rue St Jean - de Beauvais
, & V. Deſaint , rue du Foin St Jacques
, 1774 .
Abrégé d'Aftronomie par M. de la Lande
, lecteur royal en mathématiques , de
l'Académie royale des ſciences de Paris ,
de celles de Londres , de Pétersbourg, de
Berlin , de Stockolm , de Bologne , &c .
cenſeur royal ; in- 8º. avec fig. chez la Ve.
Deſaint , rue du Foin St Jacques.
On trouve à la même adreſſe.
Elémens des forces centrales ou Obfer
vations fur les loix que fuivent les corps
mus autour de leur centre de pefanteur;
fuivies d'un jugement de l'Académie
royale des ſciences fur pluſieurs de ces
obſervations , & d'un examen critique
de ce même jugement , à quoi on ajoint
un théorème général & fondamental fur
la meſure des ſurfaces &des ſolides , &
quelques obſervations ſur la nature des
courbes quarrables & rectifiables , parM.
le Chevalier de Forbin ; in- 8°.
Traité de Mécanique par M. l'Abbé
Marie , de la Maiſon & Société de Sor
JUILLET. 1774. 153
bonne , cenfeur royal , profeſſeur de mathématiques
au collége Mazarin , in-4°.
AVIS fur le Dictionnaire raisonné de
Diplomatique , en 2 vol. in 8 °.
On nous écritde Lyon &de Neuchâtel
en Suiſſe que des imprimeurs de ces deux
villes,qui font lemétierde contrefaire les
bons livres pour les rendre mauvais , ont
imprimé à la hâte le Dictionnaire raiſonné
de Diplomatique , en 2 vol . in- 8 °. avec
figures par Dom de Vaines , dont la véritable
édition ſe vend à Paris , chez Lacombe
, libraire , rue Chriſtine. Le premier
volume de la bonne édition , outre
l'épître dédicatoire & la préface , finit par
le mot Frère , avec fix lignes imprimées
au recto de la page 547 .
Et le ſecond volume finit à la pag. 482,
fur le verſo où font les approbations:vient
enfuite le privilége du Roi en deux pages.
Onfent qu'un ouvrage de cette mature
ne peut être utile que par une exactitude
ſcrupuleuſe dans l'impreffion , & par une
repréſentation préciſe des caractères des
différentes écritures anciennes dans la
gravure. Les contrefacteurs ne prennent
pas tant de foins pour furprendre le Public
, & lui vendre un livre plein de fau-
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
tes. Nous avons cru devoir donner cet
avis pour prévenir les lecteurs de ne point
attribuer à l'édition originale les erreurs&
Jes inepties ridicules des éditions & des
gravures contrefaites.
ACADÉMIE.
Séance &programme d'une des Académies
de Rouen , établie en l'honneur &fous
le titre de l'Immaculée Conception de
la Ste Vierge.
2
Le jeudi 23 Décembre 1773 , s'eſt tenue
la ſéance publique de l'Académie de
l'Immaculée Conception de la Ste Vierge à
Rouen , en la manière accoutumée. M.
l'Abbé Cotton des Houſſayes a ouvert la
féance en rappelant à l'Aſſemblée que
le prix d'éloquence pour 1772 avoit été
remis pour 1773 , & publiant qu'il venoit
d'être remporté par M. l'Abbé de Formé,
profeſſeur au collège de Moulins en Bourbonnois
, le même qui avoit obtenu , en
1771 , un prix d'Idylle. Le ſujet du diſcours
eſt la Religion élève l'ame & agrandit
l'efprit. Le diſcours propoſé pour
1773 , fur ces paroles : Rien d'étranger à
l'homme de ce qui intéreſſe l'humanité , a
JUILLE T. 1774. I
été couronné à la ſuite du précédent. M.
Sallé , avocat à Amiens , en eſt l'auteur.
Reſtoient à couronner pluſieurs pièces de
poëſie dont le genre avoit été preſcrit :
telles , 1 °. qu'une ode françoiſe ; 2°. Une
ode latine ; 3 ° . Une Idylle. Mais aucune
de ces productions n'a réuni les ſuffrages,
quoique pluſieurs ne fuſſent pas ſans quelque
mérite. En conféquence elles ont été
remiſes toutes au concours pour cette année
1774 , ſans préjudicier à celles qui
ſont en tour ; ſavoir , 1º. Un poëme en
vers héroïques ; 2°. Des ſtances ; 3 ° . Une
allégorie latine.
Outre les prix mentionnés , il en eſt
deux autres qui doivent particulièrement
intéreſſer les auteurs. Le premier ſera
donné au emilleur Eloge de M. le Cardinal
d'Amboise , Archevêque de Rouen &
miniſtre de Louis XII.
Le ſecond prix propoſé pour 1774 eſt
celui du Prince. Le ſujet eſt à la volonté
des poëtes , qui ont à choiſir entre un
poëme &une ode ; le premier de cent
vers environ ; la ſeconde de douze ſtrophes
plus ou moins , l'an & l'autre en
vers françois. Ce prix extraordinaire fera
donné , outre ceux des fondations , par
M. le Couteulx , Maire de la ville de
Rouen.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
M. le ſecrétaire de ladite Académie ,
en annonçant qu'on remettoit au concours
de cette année tous les vers latins & françois
qui avoient été préſentés pour celui
de l'année dernière , a fait obſerver que
parmi les pièces remiſes, il falloit endiftinguer
pluſieurs auxquelles les auteurs ſeront
libresde mettre la dernière main,telle
que celui 1º. de l'ode qui a pour fentence
:Omniafunthominum tenui pendentia
filo. 2. D'une autre ode qui commence
par ce vers : Inftruis- moi , divine Sageffe.
3º. D'une ode latine, intitulée, De vanis
impiorum in Relligionem infultibus . On
pourroit ſoupçonner cette dernière pièce
d'avoir déjà concouru à l'honneur d'être
employée en qualité d'hymne dans l'office
récent du Triomphe de la Foi , fêre
établie & fondée , l'année dernière , en la
paroiſſe de St Roch à Paris; mais cette
circonſtance n'empêchera pas qu'on ne
retouche l'ouvrage , afin qu'il ſoit digne
de la palme qu'on lui réſerve. Peut - être
auroit-il en conféquence un autre avanzage
, celui d'être préféré aux hymnes qui
ont été faites pour la ſolennité dont on
vient de parler : nouveau motif pour
l'auteur , & peut-être pour d'autres , de
s'exercer fur un auſſi riche ſujet.
Les conditions communes à tous les
JUILLET. 1774. 157
ouvrages qu'on pourra envoyer au concours
, font 1º. de les terminer tous par
une prière à la Ste Vierge , ſur le priviloge
de ſon immaculée conception , ce
qui ſuppoſe qu'on ne traitera que des
fujers auxquels puiſſe aſſez naturellement
s'adapter cette prière. 2°. D'envoyer deux
copies de chaque pièce , liſiblement écrites,
& adreffées , franc de port , au R. P.
Prieur des Carmes de la ville de Rouen ,
dans le courant de Novembre 1774 ; le
tout avec une ſentence & un chiffre au
bas de l'ouvrage , puis dans un billet cacheté
où ſera en outre le nom de l'auteur,
comme il eſt d'uſage dans toutes les
Académies. On obfervera que dans le
choix des matières , les qualités du vertueux
Cardinal dont on propoſe l'éloge ,
ne font point deſtinées à faire excluſivement
le fonds du diſcours annoncé. Les
poëtes y pourront auffi puifer les plus
heureux ſujets pour les différens genres
où ils voudront s'exercer. Pourroient-ils
oublier , par exemple , le trait de bienfaiſance
fi naif & i fublime de fa part ,
envers un Gentilhomme de ſes voiſins
au château de Gaillon ? Il n'y a que
M. de la Rochefoucauld , actuellement
Archevêque de Rouen , qui l'ait dernièxement
imité , en faiſant entièrementdé
158 MERCURE DE FRANCE.
truire une garenne immenſe , dont les
terres voiſines fouffroient tant & depuis
fi long-temps.
SPECTACLE S.
Les Spectacles , qui avoient été ſuſpendus
le ſamedi 30 Avril 1774 , comme un
témoignage de l'alarme des citoyens fur
la maladie du Roi & de l'affliction publique
à l'occaſion de la mort de Louis
le Bien- Aimé , ont enfin repris leur activité
le 15 Juin dernier , ſous le nouveau
règne du jeune Monarque qui fait l'efpoir
de la France & qui aſſure le bonheur
de la Nation .
OPÉRA.
L'ACADÉMIE Royale de Muſique a
donné le mercredi 15 Juin , la première
repréſentation de la repriſe du Carnaval
du Parnaffe , ballet héroïque en trois actes
précédés d'un prologue ; poëme de
Fuzelier , muſique de Mondonville . Cet
opéra , joué pour la première fois en
1749 , & repris avec ſuccès en 1759
JUILLET. 1774 159
1767 , fait encore aujourd'hui les plaiſirs
des amateurs d'une muſique douce, agréa
ble&bien modulée .
Le prologue annonce la fête du Printemps.
Clarice chante avec tendreſſe , &
Florine avec légèreté les délices de l'Amour.
Ces bergères , diviſées par le goût
de leur chant , ſe réuniſſent avec les bergers
qui viennent célébrer le retour du
Printemps .
ACTE 1. Du Carnaval du Parnasse.
Momus , dieu de la raillerie , exerce
fon humeur fatirique : Apollon paroît en
berger. Il feroit mieux déguisé , lui dit
Momus , s'il préféroit au fer de la houlette
, du redoutable Mars le fer victorieux
; Apollon répond que Momus fans
ſe déguiſer pourroit ſurprendre ; il n'anroit
qu'à louer ; il ſeroit méconnu. Apollon
veut plaire à Lycoris , & Momus à
Thalie. Les deux amans defirent de favoir
qui des deux ſera le plus heureux .
Thalie arrive , & Apollon , en confident
difcret , ſe retire. Momus fait l'aveu de
fon amour . Thalie paroît ſe rendre à ſes
doux empreſſemens ; Momus ſe félicite
déjà de fon bonheur. Thalie reprend :
Il eſt temps de vous dire que j'aime ,
Quej'aimerai toujours.... la liberté.
160 MERCURE DE FRANCE.
Momus , furpris de cette ironie perfide
, veut en vain cacher ſon dépit Illance
des traits de ſatire que Thalie repouffe
avec avantage. Enfin ils conviennent de
s'épargner , & prennent part aux jeux de
la fête.
ACTE II . Lycoris , bergère , veut conſerver
ſon indifférence , malgré le charme
qu'elle éprouve en écoutant les chants de
fon berger.
Momus vient pour obſerver Apollon ;
mais il eſt reconnu par Lycoris qui lui
reproche fon goût pour la fatire. Elle
lui dit de craindre.
MOMUS.
Que dois-je craindre ?
Quel pouvoir eſt égal au mien?
Si l'époux de Junon veut alarmer la terre,
*Il lui faut les éclats & les feux du tonnerre :
Le trident de Neptune , effroi des matelots ,
Déchaîne l'aquilon & ſoulève les flots :
Le Tyran des Enfers voit au fond du Ténare
Centmonftres réunis fuivre ſa loi barbare ;
La Mort vole à ſa voix & ſert ſa cruauté :
De tous ces dieux le courroux redouté
Fait trembler ſous leur empire
JUILLET. 1774. 161
L'Univers épouvanté ;
Mais pour être reſpecté ,
Momus n'a beſoin que de rire.
Momus , appercevant Apollon , fort
en diſant à la bergère :
J'apperçois un berger qui ſait flatter les belles ;
Il n'a pourtantjamais trouvé que des cruelles.
Apollon veut parler de ſa paſſion ; Lycoris
détourne ſes diſcours flatteurs en
exigeant qu'il chante la puiſſance de Jupiter
, la gloire de Bacchus & letriomphe
de Diane. Il termine les louanges de ces
dieux par celles de l'Amour. Lycoris s'échappe,
& Momus à ſa place, ſans d'abord
être apperçu , jouit de la confuſion d'Apollon.
Les bergers célèbrent dans leurs
jeux le pouvoir de l'Amour.
ACTE III . Momus , ſous l'habit de
berger , &Thalie fous celui de bergère ,
ſans ſe connoître , eſſayent de faire une
conquête : ils ſe promettent une conſtance
&unamour mutuels; mais lorſqu'ils ôtent
leur maſque , ils font étrangement trompés.
Momus s'écrie : quelle bergère ! &
Thalie, quel berger ! Lycoris voyant Momus
& le croyant ſon berger , l'invite à
chanter dans la nouvelle fête ; Momus ,
162 MERCURE DE FRANCE .
confus de ſa triſte aventure , ſe retire ſans
rien dire. Lycoris eſt offenſée ,& fait des
reproches de tant d'indifférence à Apollon
qui la déſabuſe. Momus veut diffuader
la bergère , en lui apprenant que
fon amant eſt un dieu inconſtant ; mais
la bergère cède à la tendreſſe qu'Apollon
chante trop bien pour ne pas l'infpirer.
Terpſicore amène les Jeux & les
Plaifirs.
Cet opéra eſt très-bien remis. Mde
Larrivée joue & chante avec applaudiflement
les rôles de Florine & de Thalie .
Mile Beaumeſnil remplit avec intérêt les
rôles de Clarice & de Lycoris. M. Legros
chante comme Apollon qu'il repréſente .
M. Durand eſt avantageuſement placé
dans le rôle de Momus.
Les ballets font de la compoſition de
M. Veftris & d'Auberval , & très - bien
exécutés. Mlle Heinel danſe pluſieurs
entrées dans le ballet du ſecond acte avec
une très-grande ſupériorité de talent. II
fuffit de nommer Mile Guimard , Mile
Peflin , M. Veſtris , M. d'Auberval pour
faire leur éloge. Ces premiers talens font
parfaitement ſecondés .
La danſe a acquis de nos jours une
perfection qui la fait dominer dans nos
JUILLET. 1774 . 163
opéra , quoiqu'elle ne ſoit par la conſtitution
des poëmes qu'un acceſſoire de l'action.
Mais lorſqu'elle en fera partie , &
qu'elle prendra un rôle , c'eſt alors que
plus eſſentielle , & même néceſſaire , elle
fera ſentir davantage combien , ſecondée
par une muſique éloquente &pittoreſque,
elle a de reſſources pour exprimer toutes
les paffions & tous les ſentimens . Elle
pourroit même devenir le premier des
arts ; car il eſt d'expérience que la vue eſt
de tous les ſens celui qui frappe l'ame
avec le plus de rapidité & d'énergie , fuivant
ce précepte d'Horace :
Segnius irritant animos demiſſa per aures
Quàm quæfunt oculis fubjecta fidelibus .
On ſe diſpoſe à donner à ce théâtre
Orphée , opéra célèbre de M. le Chevalier
Gluck.
COMÉDIE FRANÇOISE.
L
ES Comédiens François ont ouvert
leur théâtre par Héraclius , tragédie de P.
Corneille , & le Cocherſuppoſe , comédie
de Hauteroche .
On doit donner inceſſammenr fur ce
64 MERCURE DE FRANCE .
théâtre le Vindicatif , comédie de carac
tère en cinq actes& en vers,de M. D...
COMÉDIE ITALIENNE.
Les Comédiens Italiens ont repréſenté
le is Juin dernier , le Déserteur & une
pièce italienne. Le jeudi 16 , on a joué
l'Ami de la Maiſon , comédie charmante
pour les paroles , & le chef d'oeuvre de
l'art & du goût pour la muſique .
Mde Trial ya joué pour la première fois ,
en l'absence de Mde la Ruette , le rôle ſi
ingénu & fi ingénieux d'Agathe. Elle a
été très applaudie, tant à cauſe de la beautédefon
organe& de la préciſion de fon
chant,que pour l'agrément & la fineſſe de
fonjeu.
M. Clairval , excellent acteur & chanteur
agréable , a rendu le rôle de Célicourt
avec beaucoup de ſuccès. M. Nainville
, jouant le rôle d'Oronte , a fait le
plus grand plaiſir dans le magnifique air
l'Amourſous les lauriers .
On ne peut entendre une baſſe - taille
plus belle , plus franche , plus lacteuſe ,
&qui faſſe deſirer davantage que cet ac
JUILLET. 1774. 165 .
teur qui a d'ailleurs beaucoup de talens ,
veuille ſe prêter ſouvent aux deſirs que
les Spectateurs ont de l'applaudir dans les
rôles qu'il travaille & qu'il affectionne .
M.Julien,repréſentant Cliton ou l'Ami
delaMaiſon,eſt applaudi comme acteur &
comme chanteur dans ce rôle brillant qu'il
rend avec autant de chaleur que d'intelligence.
Mde Billioni a joué& chanté avec
beaucoup d'ame & de talent le rôle d'Or
phife.
Le ſamedi 18 Juin , les Comédiens ont
joué la Roſière , pièce qui a été réduite , à
cette repriſe , en trois actes au lieu de
quatre , ce qui a mis dans l'action plus de
vivacité&un intérêt plus preſſé.
La muſique , qui eſt de M. Gretry , a
fait un nouveau plaiſir par la fraîcheur
délicieuſe de chants neufs , variés & trèspiquans.
Cette pièce eſt très-bien jouée,
LETTRE de M. de la Croix , avocat ,
à l'auteur du Mercure.
Il ne nous étoit pas permis , Monfieur, de dou
ter que les femmes douées d'une ſenſibilité acqui
ſe,n'euſſent l'heureux talent de prêter à la poëſie
le charme de la tendreſſe ; de lui donner l'aimable
empreinte de leur soeur ; de l'animer , de la
156 MERCURE DE FRANCE .
vivifier des feux qu'elles ſavent ſi bien ſentir &
faire naître.
Sapho , la tendre Sapho n'a point encore été
imitée. On ne trouve nulle part ce déſordre impétueux
, ce délire enchanteur , ces évocations ſi
douces , ces deſirs ſi touchans , ces idées ſi voluptueuſes
, ces expreſſions brûlantes , ces tournures
poëtiques qui nous feront à jamais regretter que
tousles ouvrages ne ſoient point arrivés juſqu'à
nous.
Les hommes les plus jaloux du mérite des femmes
, les plus injuftes à leur égard , n'ofent leur
refuſer la fineſle des pensées , le charme de l'expreſſion
; ils avouent que leur eſprit embraſſle
avec grâce toute la ſuperficie des idées ; que fi
elles n'ont pas le vol auſſi élevé que nos poëtes ,
elles l'ont ſouvent plus rapide; que ſi elles ne
déploient pas dans leur compoſition les ailes immenſes
du Génie , elles font un uſage bien agréable
de la légèreté de leur eſprit.
Ces hommes , pénétrés du ſentiment de leur
ſupériorité ſur les femmes en regardant Corneille,
Racine , le Chantre de Henri comme des aigles ,
ſont contraints d'avouer que Meſdames des Houbières
, du Bocage , d'Entremont ſont au moins de
charmans colibris .
Les vers que je vous adreſſe , Monfieur , leur
prouveront que l'enthouſiaſme le plus noble , le
plus fublime peut tranſporter ces êtres ſi délicats,
fi fragiles , fur leſquels la Nature a répandu tant
de douceur. Ils font d'une jeune Demoiselle qui
n'a jamais appris les règles de notre verfification
que dans nos poëtes ; qui n'a point d'autre Apollon
que ſon coeur , & n'a reçu de leçons d'harmonie
que de ſon oreille .
JUILLET. 1774. 167
AU SOMMEIL.
Fils de la Nuir , père des Songes ,
Conſolateur des malheureux ,
Sommeil , digne préſent des Dieux ;
Le fleuvedu Léthé dans lequel tu nous plonges
Fait oublier les maux affreux ,
Pour ne nous abreuver que des plus doux menfonges.
Sommeil , ô divin enchanteur !
Quand ta baguette a touché ma paupière ,
C'eſt l'inſtant des plaiſirs , & leur troupe légère
Diſſipe les chagrins qui dévoroient mon coeur.
Et lorſque dans ta profondeur ,
De la Mort tu m'offres l'image ,
Tu me voiles du moins l'excès de mon malheur .
Lorſque j'exiſte plus , je ſouffre davantage.
Mon coeur , s'il ne ſent rien , ne ſent point la dou
leur :
Dans ton filence il ſe repoſe.
Sommeil , ton néant même eſt pour lui quelque
choſe ;
L'abſence de ſes maux, voilà ſon ſeul bonheur.
Par Mlle de B....
168 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE de M. le Marquis de Condorcet
à M. de la Harpe.
Recevez, Monfieur, tous mes remerciemens des
choſes flatteuſes que votre amitié pour moi vous
a inſpirées ſur l'éloge de M. de la Condamine. Si
cet ouvrage a quelque mérite , c'eſt d'être écrit
fimplement , & il eſt fâcheux d'être obligé de regarder
cela comme un mérite .
J'ai la fi avec plaifir l'occafion de rendrejuſtice
*un vieillard illuſtre ſur lequel tous les inſectes
de notre littérature s'acharnent avec tant de bafſefle&
d'indécence. Je n'ai pu dire qu'un mot de
ſes élémens de la philofophie neutonienne. Sans
cela j'aurois fait obſerver que cet ouvrage eſt encore
le ſeul où les hommes qui n'ont point cultivé
les ſciences puiflent acquérir des notions ſimples&
exactes ſur le ſyſtème du monde , & fur la -
théoriede la lumière ; que ces élémens bien loin de
renfermer des fantes groſſières , comme l'ont imprimé
des gens qui n'étoient pas en état de les
entendre , He renferment même aucune erreur
qu'on puiſſe imputer à M. de Voltaire. Car s'il
yen a quelques - unes, ce fontdes opinions qu'il
a adoptées d'après le témoignage des auteurs les
plus accrédités . J'aurois pu faire obſerver encore
que lorſque M. de Voltaire donna cet ouvrage ,
le premier des géomètres de l'Europe , Jean Bernoulli
, combattoit encore le neutonianiſme ; que
plus de la moitié de l'Académie des ſciences étoit
cartéfienne; que Fontenelle enfin , ſi ſupérieur à
tous les préjugés de ſecte ou de nation , Fontenelle
JUILLET. 1774. 1169
nelle qui n'avoit pas trente ans lorſque le ſyſtême
de Neuton parut , & qui étoit du petit nombre de
gens qui pouvoient l'entendre ; que Fontenelle
étoit reſté opiniâtrément attaché à ſes premières
opinions. Si on ajoute à tout cela que le premier
livre claſſique où l'on ait développé en France les
théories de Neuton ne parut que dix ans après
l'ouvrage de M. de Voltaire , on ne peut ſe difpenſer
de convenir qu'il y avoit bien du mérite
en 1738 , à donner ce que notre illuſtre maître
appelle avec tant de modeſtie ſon petit catéchif
me d'attraction .
Vous avez raiſon de remarquer qu'on ne pardonna
point alors au même homme d'avoir fair
Zaïre , & de vouloir faire entendre Neuton. Mais
il ya des gens plus difficiles qui ne peuvent fouffrir
ceux même qui ſont purement géomètres.
L'Abbé des Fontaines étoit de ce genre; il dit
quelque part que quand l'esprit d'un géomètre
fort d'un angle , il paroît presque toujours obtus;
que tel géomètre ou phyſicien qui , dansson genre
, est un aigle , eft , en tout autre genre , ou un
boeuf, ou un canard, ou un hanneton ; trois fortes
d'animaux qui ont l'honnenr de partager la ref-
Semblance de la plupart. Cet Abbé des Fontaines
reprochoit à Fontenelle ſon ſtyle , & l'accuſoit de
corrompre le goût.
Ce Journaliſte a laiſſé une poſtérité nombreuſe
&dignede lui Je liſois dans une de leurs rapſodies,
(car on peut en lire comme on s'arrête quelquefois
dans les rues pour écouter les propos du
peuple) j'y liſois donc que des problêmes n'immortaliſoient
perſonne ; que fi Paſcal alloit à la
poſtérité, ce ne ſeroit pas comme géomètre ; & on
citoit pour exemple des géomètres qui n'ont pas
été à la poſtérité , MM. Clairaut , Fontaine &
I. Vol. H
1
170 MERCURE DE FRANCE.
Euler.Heureuſement que, malgré la décision du
critique , M. Euler eſt encore plein de vie & de
génie ; qu'il n'est pas mort & que fon nom ne
mourra point. Le même Ariſtarque décidoit que
M. d'Alembert étoit un géomètre fans invention.
Cela vaut à-peu-près le jugement de l'Abbé des
Fontaines qui imprimoit dans ſes feuilles que
Neuton n'avoit point d'autre philofophiedans la
tête que quelques termes de logique.
Peut-on ſe fâcher après cela lorſque les mêmes
gens trouventplus de génie dans Suréna que dans
Mahomet , & préfèrent le Brutus de Fontenelle à
celui de M. de Voltaire ? Tous ces jugemens ne
peuvent nuire ni à la philoſophie ni aux beaux
arts , mais les délations & les calomnies nuiſent
à ceux qui cultivent la philoſophie & les arts.
Voilà ce qui est vraiment déteſtable ; le reſte n'eſt
que ridicule.
Adieu , Monfieur : aimez - moi toujours ; je
compte avoir bientôt le plaisir de vous embraſler
en attendant celui de pleurer aux Barmécides qui ,
malgré mes critiques dans lesquelles je perfiſte ,
font un chef-d'oeuvre d'éloquence.
ARTS.
GRAVURES.
I.
Costumedes anciens Peuples , par M. Dan .
dré Barbon , profeſſeur de l'académie
royale de Peinture & de ſculpture ,
JUILLET. 1774. 171
directeur perpétuel de celle de Mar
feille , & membre de l'Académie des
Belles Lettres Sciences & Arts de
la même ville, 18º cahier in 4°. APar
ris rue Dauphine , chez Jombert libraire
,&Cellor Imprimeur.
M. Dandré Barbon continue de nous
préſenter dans les 7 premières planches de
ce nouveau cahier les uſages religieux des
Ifraëlites ; & il entre dans le détail des
principaux meubles du Temple de Salomon.
Les cinq dernières planches de ce
même cahiet nous offrent pluſieurs uſages
civils & domeſtiques des Hébreux. Les
explications qui accompagnent les planches
ſont toujours inſtructives & renfermentſouventdes
réflexions critiques,pro
pres à guider l'artiſte & à éclairer ceux
qui s'occupent de recherches ſur les
moeurs , uſages &coutumes des anciens
Peuples.
I I.
:
Première & deuxième vue de Pirna en
Saxe. Prix, & liv. 10 f. chaque eſtampe.
A Paris , chez Buldet , rue de Gêvres.
Ces deux eſtampes , d'environ 8 pouces
dehaut fur to de large , font pendant &
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
ont été gravées par R. Daudet, d'après les
tableaux originaux peints à gouache par
Vagner. Ce payſagiſte Allemand , mort
il y a quelques années à la fleur de fon
âge , avoit un coloris très- chaud , & le
graveur nous rappelle ce coloris dans ces
gravures exécutées avec intelligence.
III.
Les Plaisirs de l'Hiver ;
La Récolte d'Automne ;
Les Travaux de l'Eté ;
Les Délices du Printems.
Ces quatre eſtampes figurent les quatre
Saiſons. Elles font d'une compoſition
agréable &galante,d'après le deſſin deM.
Queverdot , gravées par M. Fruflotte ; &
dédiées à M. le Comte de Beauvilliers ,
Maréchal des camps & armées du Roi.
La hauteur de ces eſtampes eſt de 11 pouces
, & de 8 pouces de largeur. Elles ſe
vendent à Paris , chez M. Fruflotte , rue
des Grands- Degrés , chez le limonadier ,
vis-à-vis la rue Perdue ; & chez le Père &
Avaulez , marchands , rue St Jacques .
:
IV.
Albertus Haller, célèbre médecin , gravé
par M. Pruneau ; & ſe trouve à Paris ,
JUILLET. 1774. 173
rue des Mathurins , au petit hôtel de
Cluni . Prix , 1 liv.
V.
La belle Matinée , eſtampe d'environ 17
pouces de hauteur & 13 de largeur ,
gravée d'après le tableau original de J.
Vernet , peintre du Roi , par P. Benazech
; & ſe trouve à Paris , chez Vernet
le jeune , quai des Auguftins , au
coinde la rue Gît-le-cooeur.
Cette eſtampe eſt d'une compofition
agréable & fpirituelle , gravée avec beaucoup
de ſoin & de talent par M. Benazech
; elle fait le pendant des Plaisirs de
l'Eté, eſtampe publiée en 1772 à la mê
me adreſſe . C'eſt une ſuite curieuſe que
les amateurs ajouteront à la riche collec
tion des gravures d'après M. Vernet.
V I.
Le Sieur Demarteau , graveur du Roi ,
vient degraver dans le genre du crayon ,
d'après les deſſins de M. Monnet , peintre
du Roi , un cours d'anatomie au nombre
de 42 planches , diviſé en ſept cahiers différens.
Perſuadé que l'anatomie eſt une des
parties fondamentales du deſſin , & comme,
dans ce qui a été fait juſqu'à préſent ,
Hiij
$ 74 MERCURE DE FRANCE.
J'on a trop négligé les pieds & les mains ,
l'auteur s'eſt attaché à rendre tous les détails
en les faiſant grands comme nature .
Undes avantages de cette fuite , eſt que
l'on trouve l'explication de chaque partie
du corps & l'os à côté , afin que les élèves
s'attachent à connoître les deſſous , & fe
rapprochent des règles des proportions &
duvrai.
Chaque cahier de 6 feuilles ſe vend
25 ſols chez Demarteau , graveur& penfionnaire
du Roi , ruede la Pelleterie , à
la Cloche , à Paris.
VII.
Portrait de Louis XVI , Roi de France ,
avec ces vers de M. l'Abbé de l'Attaignant
:
Un Roi qui ſe fait tant chérir ,
Avec une Reine adorée ,
Vont bientôt faire revenir
Les jours de Saturne &de Rhée.
Portrait de Marie - Antoinette , Reine de
France , avec ces vers du même auteur :
Ce lis que la France vous donne ,
Princeſſe , étoit digne de vous ;
Vous méritez une couronne
Et d'avoir Louis pour époux.
JUILLET. 1774. 175
Ces médaillons font ornés des attributs
de la puiſſance&des vertus. Ils font
gravés par M. le Beau ,& ſe trouvent chez
lui , rue St Jacques, maiſon de la Veuve
Ducheſne , libraire .
VERS pour être mis au bas d'un nouveau
Portrait de la Reine , très-bien fait &
fort reffemblant.
L '
ART auroit une fois égalé la Nature ,
Si de tes traits charmans la fidelle peinture
Pouvoit offrir encore à nos yeux ſatisfaits
Ton coeur vraiment royal , tes talens , tes bienfaits.
Par Madame L**.
PREDICTION.
QUAND, fous deuxautresnoms également che
ris
LeCiel aura placé ſur le thrône des lis
Legrandcoeur d'Henri-Quatre &de Marie-Thé
rèle,
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
*Le dernier des François pourra vivre à ſon aiſe.
VIII.
,
Par la méme.
Portraits du feu Roi , du Roi , de la Reine,
de Monfieur , de Madame , de Monfeigneurle
Comte & de Madame la Com .
teffe d'Artois en médaillons réunis
dans la même eſtampe& foutenus par
des Génies . Ils font gravés d'après le
deſſin de M. Huet par M. Briceau dans
la manière du crayon rouge , avec les
acceſſoirs gravées dans la manière du
crayon noir.
Cette eſtampe a le mérite de préſenter
à la fois les objets de nos hommages refpectueux
.
On lit au bas ces vers :
Il n'eſt plus , chers François , ce Roi plein de clémence;
Il n'eſt plus ce grand Roi ſi rempli d'équité :
*Alluſionà ce propos d'Henri IV ſi ſouvent répété
, mais qui ne peut l'être trop , lorſque ce
Prince s'entretenant un jour avec le Duc Charles.
Emmanuel de Savoye , diſoit : ... « Si Dieu me
laiſſe vivre, je ferai enforte qu'il n'y aura point
de laboureur en mon royaume qui n'ait le moyen
d'avoir une poule dans ſon pot.
JUILLET. 1774. 177
Mais ce ſoleil n'eſt point éclipſé pour la France ;
Son digne petit fils reproduit ſa clarté.
Et vous , Héros naiſſans , affermiflez ſon trône;
D'un Monarque adoré ſecondez les projets .
Si vous nepartagez ſon ſceptre & ſa couronne ,
Partagez avec lui l'amour de ſes Sujets.
Cette eſtampe ſe vend à Paris , prix , 6
liv. chez M. Briceau , rue St Honoré ; près
l'Oratoire..
PORTRAIT DE LA REINE.
M. DE LORGE , jeune homme qui a le
talent le plus décidé pour la peinture , a
repréſenté la Reine en Diane , donnant
des ordres , à un retour de chaffe. Ce tableau
eft d'une beauté parfaite. La déeffe,
plus grande que nature , d'une taille ſvelte
, élégante , & d'un port majestueux ,
paroît faillante & animée par l'art enchanteur
de l'artiſte. Elle eſt peinte avec
l'éclat de la beauté , de la jeuneſſe & des
grâces ſur un fonds de payſage ,& environnée
de fleurs. Tous les acceſſoires , les
draperies & les ornemens font touchés
avec eſprit, & avec beaucoup d'effet & de
liberté. Ceux qui ont vu , au Louvre , ce
4
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
portrait ſi intéreſſant , n'ont pu ſe laffer
d'en admirer la reſſemblance frappante ,
le coloris ſéducteur & la douce magie.
Le tableau eſt dans un cadre magnifique
dont tous les ornemens relatifs , en grand
nombre & fort riches , ſont du travail le
plus élégant & le plus précieux.
L
VERS pour le Portrait de la Reine.
E Ciel mit dans ſes traits cet éclat qu'on admire.
France , il la couronna pour ta félicité.
Un ſceptre eſt inutile avec tant de beauté;
Mais à tant de vertus il fallait un Empire.
:
ParM. de laHarpe.
MUSIQUE.
I.
Nouvelle Méthode , ou premiers Elémens
pour l'inſtrument appelé le Biffex ou
les deux- fix-cordes par M. Van Hecke,
de l'Académie royale de Muſiqué , auteur
& prof.ffeur dudit inſtrument ,
exécuté par M. Naderman , luthier ordinaire
de la Reine; dédié à Mм. **,
2
JUILLET. 1774. 179
premiers écoliers dudit inſtrument.
OEuvre II . Prix , 12 liv. A Paris, chez
l'auteur , rue St Thomas-du- Louvre ;
chez M. Venier , marchand de muſique,
vis - à - vis le château - d'eau , &
chezNaderman , luthier , rue d'Argenteuil
, butte St Roch.
LE Bifex préſente a- peu-près la forme
d'un luth ; il a l'épaiſſeur de la guitarre
ordinaire. Douze cordes qui font en tout
trois octaves & demie , compoſent l'inftrument
; elles en tiennent le milieu. La
méthode que nous annonçons enſeignera
les moyens de jouer le Biſſex avec les
agrémens& le goût qui lui ſont propres .
Pièces d'orgue , Meſſe en re mineur, dédiées
à Mde de Montmorency - Laval ,
Abbeſſe de l'Abbaye royale de Montmattre;
compoſé par M. Benaut , M. de
clavecin. Prix , liv. AParis , chez l'auteur
, rue Gît le-Coeur , la ſeconde porte
àgauche en entrant par le pont - neuf, &
aux adreſſes ordinaires de muſique .
Six Trio pour deux violons &baffe ,
dont le premier & le ſixième peuvent
s'exécuter à grand orcheſtre , compoſés par
J. G. Burckhoffer ; oeuvre IV . Prix , 7 liv .
4 fols. A Paris , chez M. Boüin , Md de
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
muſique & de cordes d'inſtrumens , rue St
Honoré , près St Roch , au Gagne petit .
Trois Duo pour un violon & un violoncelle
, par J. B. Cirry ; oeuvre se. Prix,
4 liv. 4 fols , à la même adreſſe .
La Chaconne de l'Opéra de l'Union de
l'Amour & des Arts , arrangée en pièce
de clavecin , par M. Pouteau , organiſte
de St Jacques de la Boucherie & M. de
clavecin . Prix 1 liv. 16 f. à la même
adreſſe.
د
Six Sonates aiſées pour le piano forte
&le clavecin , par J. A. Paganelly , directeur
de la Muſique du Roi d'Eſpagne.
Prix , 3 liv. 12 ſ. à la même adreſſe .
Six Symphonies à trois , deux violons
&baffe , dédiées à Mde la Comteſſe de
Rouault , par Andrea Och. op . I. Prix ,
و ſols ; ſe vendent à Paris , au bureaud'abonnement
muſical , cour de l'ancien
grand Cerf , rues St Denis & des Deux-
Portes St Sauveur ; & aux adreſſes ordinaires
de muſique ; à Lyon , chez M. Caftaud
, Md libraire , place de la Comédie.
Six Sonates de chambre à deux violons
&baſſe , dédiées à la même par le même
auteur ; Op . II . Prix , 7 liv. 4 fols , & fe
vendent aux mêmes adreſſes.
JUILLET. 1774. 181
Sei Divertimenti per l'Arpafola , o accompagnata
da flauto traverſo , violino
eBalſo metfi in ordine da Franceſco Petroni
; opera IV . Prix , 7 liv. 4 f. A Paris ,
chez l'auteur , rue Montmartre , entre les
deux cafés , vis-à- vis la rue des Vieux
Auguſtins , & aux adreſſes ordinaires de
mulique.
Ile Recueil de petits Airs , arrangés en
pièces avec des variations & des préludes
endifférens tous pour la harpe , dédié
àMde la Marquiſe de Genlis , parle même
auteur ; OEuvre VIII. Prix , 71.4 f.
On trouve du même auteur & aux mêmes
adreſſes ,
Sixième Livre de Harpe , contenant des
airs choiſis avec accompagnement. Prix ,
7 liv. 4 f.
Et Duo pour deux Harpes , dédié à
Mlle de Guines ; Op . VII. Prix , 4 l . 4 f.
Sei Sonate per Cembalo , o piano forte
con violino ad libitum, compoſte da Matia
Vento ; Opera II . Prix , 7 liv. 4 fols.
A Paris , chez M. Venier , éditeur de pluſieurs
ouvrages de muſique , rue St Thomas
du Louvre, vis - à- vis le châteaud'eau
; & aux adreſſes ordinaires ; à Lyon,
aux adreſſes de muſique .
182 MERCURE DE FRANCE.
VERS préſentés à Louis XVI , àfon
avénement au Trône.
ETRTREE Roi bon&juſte,&n'avoirquevingt-ans,
Des Peuples &des Grands avoir la confiance ,
N'écouter que la voix des Titus,des Trajans ,
C'eſt illustrer les droits que donne la naiſſance ,
C'eſt devoir la couronne aux vertus , aux talens ;
C'eſt mériter enfin tous les voeuxde la France.
De votre Majesté
L'Edit plein de bonté ,
Diſpenſant vos Sujets d'un tribut légitime ,
Augmente leur amour , leur reſpect , leur eſtime ;
Quedis-je ? tous les coeurs à votre avénement
Pénétrés de reconnoiſſance ,
Exaltent votre bienfaiſance
Parle plus tendre attachement.
Par M. de Glatigny , Officier de
la Chambre de la Reine,
}
JUILLET. 1774. 183
VERS préſentés à la Reine par M. Alicon
Desgoustes , Avocat au Parlement , le
16 Juin 1774.
HENRI Quatre en cejour renaît en Louis Scizez
Sous ce nouveauTitus renaîtront les Sully.
Son Peuple déformais va jouir à ſon aife ,
Sous ſes auguſtes loix , d'un bonheur accompli .
La Reine eſt des vertus la fidelle compagne.
Tous les jours ſont comptés par autant de bien
faits.
Dansnos preſlans beſoins Minerve l'accompagne;
Lucine achevera de combler nos ſouhaits.
Au Roi & A LA REINE ,
àleur avénement à la Couronne.
Surun trône éclatant on regne la Justice,
L'Amour & la Vertu ſont couronnés de fleurs;
Le plus pur hommage des coeurs
Fait pour eux , au ſein des grandeurs ,
Notre bonheur &leur délice.
Par M. Mouret de St Firmin, ancien
Commiſſaire de laMarine,
184 MERCURE DE FRANCE
VERS préſentés au Roi , à Marly ,
le 19 Juin 1774 .
Comment avez- vous pu ,Monarque généreux ,
Sécher fitôt les larmes de la France !
Que ne peut , d'un bon Roi , l'active bienfaiſance!
A peine vous régnez : vos ſujets ſont heureux.
Vous étendez plus loin encor la prévoyance :
Vous voulez triompher juſques de l'avenir :
Dédaignant d'attendre en filence
Unmal qui ſi ſouvent ravit notre eſpérance ,
Vous marchez au- devant pour vous en garantir.
Ah ! l'intérêt de votre vie
N'eſt pas le ſeul motifqui vous le fait braver :
C'eſt votre Peuple en vous que vous voulez ſauver
:
Vous immolant vous-même au bien de la patrie ,
Vous expoſez vos jours pour les lui conſerver.
Peut- être j'en crois trop une erreur qui m'eſt chère;
Mais à quel autre Roi pourriez-vous reſſembler !
L'Eternel a permis que , pour nous conſoler ,
L'ame du grand Henri vînt viſiter la terre .
S'il l'enleva trop tôt aux pleurs de nos ayeux ,
C'eſt qu'il le réſervoit un jour à cet empire :
Il le rend aujourd'hui plusjeune à leurs neveux ;
Sous les traits de Louis , Henri-Quatre reſpire .
ParM. le Prieur, garçon ordinaire de
la Chambre de Sa Majesté.
JUILLET. 1774. 185
Sur la remise du Droit de Joyeux-
Avénement.
CEE qu'on nomma dans tous les temps
Joyeux avénement , ne fut , à le bien prendre ,
Qu'un hommage forcé , qu'en beaux deniers comptans,
Joyeux alors ou non , les Sujets devoient rendre
Au Prince qui montoit au trône des Français ;
Louis nous en diſpenſe. Il dédaigne l'hommage
Qui des vrais ſentimens n'eſt que la fauſſe images
Il le veut libre & pur. Il veut par ſes bienfaits
Du règne de Titus faire briller l'aurore ;
Et, ſans en perdre aucun , ſe livrer chaque jour
Au doux plaiſir d'aimer un Peuple qui l'adore ,
Et de lui prouver ſon amour.
ParM. Ganeau.
PROCÉDÉ pour se rendre maître des
Abeilles .
Nous avons, dans le volume du Mercure
du mois de Mars dernier , annoncé que le
Sr Daniel Wildman , Anglois , faifoit
voir à Paris aux Curieux différentes expériences
ſur les abeilles dont il ſavoit ſe
186 MERCURE DE FRANCE.
rendre maître au point de les agiter , de
les irriter même impunement & de les
faire paffer de leur ruche ſur ſon bras nud
ou fur fon viſage, ſans en recevoir aucune
piqûre. Ce ſpectacle avoit été donné déjà
à Londres en 1765 & 1766 par le St Thomas
Wildman , parent vraiſemblablement
du Sr Daniel. Les abeilles lui obéifſoient
également ; il ſe promenoit dans les rues
de Londres avec l'eſſaim attaché à fon
menton , ce qui formoit une eſpèce de
barbe très-longue. On peut croire que
c'eſt à lui que le St Daniel doit le ſecret
de ſe rendre maître de l'eſſaim. Le St
Thomas Wildman lorſqu'il étonnoit
Londres par cette nouveauté , promit de
publier ſon ſecret; il tint parole en 1768 ,
& on le trouve dans un traité imprimé
cette année , qui eſt intitulé : A treatise
on the management of te bees ; ce ſecret a
été publié dans la gazette universelle de
littératuredes Deux - Ponts de la préſente
année , nº. 43 .
,
Le Sr Thomas Wildman , après avoit
indiqué pour tirer le miel & la cire de la
ruche , un moyen nouveau& moinsdefructeur
, qui conſiſte à faire paſſer les
abeilles de la ruche pleine dans une ruche
vuide en les effrayant par un petit bruit
qu'on fait en frappant fur les parois exté
JUILLET. 1774 187
sieurs, continue ainſi : « Il ne paroît pas
>>qu'on ait réfléchi fur les effetsde la peur
>>imprimée aux abeilles par un bruit con-
>>tinuel. C'eſt par ce moyen qu'on peut
>>en faire ce que l'on veur. Dès qu'eiles
>>font effrayées , elles reſtent tranquilles
dans l'endroit où elles vont ſe placer ,
>>pourvu qu'elles n'y ſoient pas troublées .
>>>Ceux qui m'ontvu les manier à ma fan-
>>taiſfie ont été étonnés;&deſitent mon fe-
>>cret ; je le leur ai promis ; je déclare
>>qu'il ne confifte que dans la peur de ces
>>i>nſectes , & dans le ſoin de ſe rendre
>>maître de leur reine ; mais j'avertis en
>>même temps qu'il ya un art à tout cela
>>qui demande beaucoup de patience &
>>de dextérité ; pour l'apprendre & s'y
>>perfectionner , il faut riſquer beaucoup
>de piqûres & la ruine de pluſieurs ruches.
Une longue expérience m'a ap-
>>pris qu'auſſi tôt que je frappe ſur les côtés
de la ruche, la reine fort immédia-
>>tement , comme pour apprendre lacau-
>>ſe de ce bruit qui alarme tout l'eſſaim .
>>De fréquentes épreuves m'ont mis en
>>étatde la diftinguer ſur le champdes au-
>>tres abeilles ; la patience & l'habitude
>>m>'ont inſtruit à la ſaiſir adroitement&
>>fans la bleſſer : ce point eſt de la dernière
importance. Si l'on n'a pas une
188 MERCURE DE FRANCE .
>>n>ouvelle reine de réſerve àdonner à la
>>>ruche , elle eſt détruite ; j'en ai fait
>>ſouvent l'expérience. Quand je tiens
>>cette Reine , je puis , tans lui faire du
>>mal, ni l'irriter , la tenir dans ma main;
les abeilles volent en bourdonnant au-
>>tour de la ruche avec beaucoup de con-
>fuſion ; leur trouble , leur inquiétude
>>paroiſſent à des yeux peu exercés , de la
>>>fureur ; on les croit irritées , elles ne
>font qu'effrayées ; cet état dure tant
>>qu'elles ne voient pas la reine ; je le
>>prolonge ou je l'abrége en la cachant ou
>>en la montrant ; alors je la place ſur la
>>partie de mon corpsoù je veux avoir l'ef-
>>ſaim; quelques abeillesne tardent pas à
la découvrir ; elles l'indiquent aux pre-
>mières qu'elles rencontrent , celles-ci
>>au reſte , &toutes viennent ſe placer auprèsde
leur ſouveraine ; elles paroiffent
>>ſi joyeuſes , ſi ſatisfaites de la voir ,
>>qu'elles demeurent en repos au tour d'el-
>>le , ne faiſant ni mouvement, ni bruit ;
>>elles la ſuivent lorſque que je la fais
>avancer ou reculer , & vont auprès d'el-
>>le par-tout où je la place. Mon attache-
>>ment pour la reine & le tendre égard que
>>j'ai pour ſa précieuſe vie , me feroit fon-
>>h>aiterunautre ſecret; je crains que le
mien ne ſoit mis en uſage pardes mains
JUILLET. 1774 189
maladroites , qui en tueront un grand
>>nombre ; mais je n'en ai point d'autre
>>que mon adreſſe ; une pratique longue
>>& conftante l'a tellement fortifiée , que
>>je parviens à paſſer un fil de ſoie au tour
>du corpsde la reine ſans la bleſfer ; il
>>me ſert à l'arrêter ſur la partie de mon
>corps où je veux faire paſſer l'eſſaim .
>>Quelquefois pour ce dernier objet je me
>>ſers d'un autre moyen qui conſiſte à lui
>>rogner les ailes d'un côté ; mais je n'en
>>fuis pas fibien le maître. Je terminerai
>>ces détails , ajoute le St Thomas Wild-
>>man , par le mot de Furius Creſinus ,
>>qui , cité devant les Ediles pour répondre
>>au peuple qui l'accuſoit de fortilége par-
-ceque ſes champsportoientdes moiffons
>>plus abondantes que les autres , ſe pré-
>>ſenta avec ſes inſtrumens de labourage ,
>>en diſant : Romains , voilà mes fortilé-
»ges . Je dirai : Anglois , mon adreſſe eft
toute ma magie.
ANECDOTES.
I.
MADAME DE M.... étoit dans ſes ter
tes lorſque ſon mari fut fait Maréchal de
:
د
190 MERCURE DE FRANCE.
France. Son Bailli crut qu'il lui devoit
faire une harangue :il la compoſa de ſon
mieux, & l'apprit par coeur. Il étoit vieux
&d'une figure fort extraordinaire ; mais
il n'étoit rien moins qu'éloquent , quoiqu'il
joignît au titre de Bailli celui d'Avocat
du Roi du fiége préſidial. Mde la
Maréchale qui écoutoit la harangue avec
beaucoup de dignité , voyant que l'orateur
reſtoit court au milieu d'une période,
& que les larmes lui venoient aux yeux :
lui dit : ( pour le remettre apparemment)
Eh bien , courage M. H...., laſenſibilité
de votre coeur me touche! Ce qui produiſt
un effet tout contraire; les ſanglots redoublèrent
& la harangue ne fut point
achevée.
II.
Jean Ernich , natif de Vienne en Autriche
, voyant à deux doigts de la mort ,
le ſecrétaire Jean - Baptiste Ballarin, fon
maître, prifonnier d'état aux Sept Tours
à Conſtantinople , s'offrit à lui ſauver la
vie enprenant ſa veſte vénitienne pour
mourir à ſa place. :
III. :
Dammartin appercevant un jour Balue ,
Evêque d'Evreux , depuis Cardinal , en
JUILLET. 1774. 191
rochet & en Camail faire une revue , dit
au Roi ( Louis XI ) : « Sire , je vous ſup-
>>plie de m'envoyer à Evreux ordonner
des Prêtres , puiſque l'Evêque vient ici
>>paſſer des foldats en revue. >>>
DÉCLARATIONS , ARRÊTS ,
LETTRES - PATENTES , & c.
DECLARATION du Roi pour faire jouir des
priviléges des Commenſaux les Officiers de la
Maiſon de la Reine , donnée à la Muette le 29
Mai 1774 , enregiſtrée au Parlement le premier
Juin.
Edit du Roi , portant fuppreffion & création
de l'office de premier Huiſlier au Parlement de
Paris , donné à la Muette au mois de Mai , enregiſtré
au Parlement le premier Juin .
Lettres - patentes du Roi qui ordonnent qu'il
fera fait fonds pendant fix années , dans les Etats
des Financesdes recettes générales, de quatre mil-
Jions quatre cens mille livres au profit de la compagniedes
Receveurs-généraux des Finances, pour
opérer le rembourſement en capital & intérêts des
vingt-un millions huit cent mille livres qu'ils ont
été aauuttoorrités d'emprunter par l'arrêt&lettrespatentes
du premier Avril 1770 , pour être employés
au paiementdes reſcriptions par eux retirées
; données à Verſailles le 23 Juin 1774 , enregiſtrées
en la Chambre des Comptes le 2Mars
fuivant.
Arrêt du Conseil d'état du Roi du 26 Avril
192 MERCURE DE FRANCE .
1774 , pour la priſe de poſleſſion du bail des Fer
mes- générales , ſous le nom de Laurent-David ,
pendant fix années qui commenceront au premier
Octobre 1774 , pour les droits dont la jouiſlance
commence au premier Octobre , & au r Janvier
1775 pour ceux dont la jouiſſance commence au
premier de Janvier.
Déclaration du Roi donnée à la Muette le 26
Mai 1774 , enregiſtrée au Parlement le premier
Juin, interprétative de l'Edit d'Août 1749 , concernant
les acquifitions des Gens de main- morte.
Déclaration du Roi concernant le rembourſement
des quittances de finance provenant de la
liquidation des Officiers du Parlement de Toulouſe
ſupprimés. Donné à Versailles le 23 Avril
1774, & registré au Parlement de Toulouſe le
18 Mai ſuivant.
Déclaration du Roi , du 26 Mars 1774 , caregiftrée
le 23 Avril , portant que les Cures du diocèſe
de Boulogne , ſituées en Artois , feront conférées
au concours .
Déclaration du Roi donnée à la Muette le 23
Mai 1774 , & enregiſtrée le 30 du même mois en
la Cour des Monnoies , qui ordonne les changemens
des poinçons pour la fabrication des eſpèces ,
ſans que néanmoins le titre , le poids & la valeur
en ſoientchangés ; & qui en conséquence ordonne
que les précédentes eſpèces continueront d'avoir
cours concurremment avec les nouvelles .
Nous rapporterons en entier l'édit ſuivant , qui
renferme le préſage heureux du règne le plus juſte
&l'expreſſion des ſentimens d'un Monarque qui
veut être le bienfaiteur & le père de ſes ſujets.
Edit du Roi , donné à la Muette au mois de Mai
1774 , regiſtré en Parlement le 30 deſdits mois
&
JUILLET. 1774. 193
&an, portant remiſe du droit de joyeux-avénement
, qui ordonne que toutes les rentes , tant
perpétuelles que viageres , charges , intérêts &
autres dettes de l'Etat , continueront d'être payés
comme par le paſlé , & que les rembourſemens
des capitaux ordonnés , feront faits aux époques
indiquées.
Louis , par la grâce de Dieu , Roi de France
&de Navarre : A tous préſens & à venir , Salut.
Afſis ſur le trône où il a plu à Dieu de nous élever
, nous eſpérons que la bonté ſoutiendra notre
jeunefle , & nous guidera dans les moyens qui
pourront rendre nos peuples heureux ; c'eſt notre
premier defir : Et connoiſſant que cette félicité dépend
principalement d'une ſage adminiſtration des
finances , parce que c'eſt elle qui détermine un des
rapports les plus eſſentiels entre le Souverain
&ſes ſujets , c'eſt vers cette adminiſtration que ſe
tourneront nos premiers ſoins & notre première
étude. Nous étant fait rendre compte de l'Etat actuel
des recettes &des dépenſes , nous avons vu
avec plaiſir qu'il y avoit des fonds certains pour le
payement exact des arrérages & intérêts promis ,
& des rembourſemens annoncés ; & confidérant
ces engagemens comme une dette de l'Etat , & les
créances qui les repréſentent comme une propriété
au rangde toutes celles qui ſont confiées à notre
protection , nous croyons de notre premier devoir
d'en aſlurer le payement exact Après avoir ainſi
pourvuà la fûreté des créanciers de l'Etat , & conſacré
les principes de juſtice qui feront la baſe de
notre règne , nous devons nous occuper de ſoulagernos
peuples du poids des impoſitions ; mais
nous ne pouvons y parvenir que par l'ordre & l'économie:
les fruits qui doivent en réſulter ne font
pas l'ouvrage d'un moment , & nous aimons
I. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
mieux jouir plus tard de la fatisfaction de nos fujetsquede
les éblouir par des foulagemens dout
nous n'aurions pas aſſuré la ſtabilité. Il eſtdes dépeaſes
nécellaires , qu'il faut concilier avec l'ordre&
la fûreté de nos Etats : Il en eſt qui dérivent
de libéralités ſuſceptibles peut-être de modé.
ration , mais qui ont acquis des droits dans l'ordre
de la justice par une longue poffeffion , & qui
dès-lors ne préfentent que des économies graduelles.
Il eſtenfin des dépenses qui tiennent à notre
Perſonne& au faſte de notre Cour ; fur celles-là
nous pourrons ſuivre plus promptement les mouvemens
de notrecoeur , & nous nous occuponsdé
jàdes moyensde les réduire à des bornes convenables.
De tels ſacrifices ne nous coûteront rien ,
dès qu'ilspourront tourner au foulagementde nos
ſujets; leur bonheur fera notre gloire , & lebien
que nous pourrons leur faire ſera la plusdouce récompentede
nos foins &de nos travaux, Voulant
que cerEdit, lepremier émané de notre autorité ,
porte l'empreinte de ces diſpoſitions , & foit comme
le gage denos intentions, nous nous propoſons
dedifpenter nos Lujets du droit qui nous eſtdû
cauſo de notre avénementà la couronne; c'eſt affez
poureux d'avoir à regretter un Roi plein de bonté,
éclairé par l'expérience d'un long règne , refpectédans
l'Europe par la modération, fon amour
pour la paix & fa fidélité dans les traités.Aces
caules, & autres à ce nous mouvant , de l'avis de
otre Confeil , &denotre certaine ſcience, pleinepuiſlance&
autorité royale , Nous avons , par
le préſent Edit perpétuel & irrévocable , dit , ſtatué&
ordonné ; diſons , ſtatuons & ordonnons ,
voulons& nousplaît ce qui fuit :
à
ART. I. Voulons que les arrérages de Rentes
perpétuelles &viagères , Charges & Intérêrs , &
JUILLE Τ. 1774. 193
autres Dettes de notre Etat , continuent d'être
payés; & que les rembourſemens indiqués par
loterie ou autrement ſoient faits fans interruption
: en conféquence,ordonnons à tous Tréſoriers
&Payeurs de faire tous leſdits payemens avec
exactitude. Voulons pareillement que les rembourſemens
des Emprunts , faits par les pays d'Etats
pour le compte de nos finances , continuent d'avoirlicujuſqu'à
la parfaire extinction deſditsEmprunts.
ART. I I. Faiſons remiſe à nos ſujets du produit
du droit qui nous appartient à cauſe de notre avénement
à la Couronne ; le fond du droit , réſervé
commedomanial & inceſſible, pour en être uſé par
nos fuccefleursRois, ainſi qu'ils lejugeront conve.
nable. Si donnons en Mandement à nos amés &
féaux Conſeillers les Gens tenant notre Cour du
Parlement à Paris , que notre préſent édit ils ayent
à faire lire , publier & registrer ; &le contenu en
icelui garder , obſerver & exécuter ſelon ſa forme
&teneur. Voulons qu'aux copies du préſent Edit ,
collationnées par l'un de nos amés & féaux Conſeillers
Secrétaires , foi ſoit ajoutée comme à l'original:
Cat tel eft notre plaifir;&afin que ce ſoit
choſe ferme& ſtable à toujours , nous y avons fait
mettre notte ſcel. Donné à la Muette au mois de
Mai, l'an de grâce mil ſept cent ſoixante-quatorze,
&de notre règne le premier. Signé LOUIS. Et
plus bas , Par le Roi. Signé PHELYPEAUX. Visa
DE MAUPEQU. Vu au Conſeil, TERRAY. Et fcellé
dugrand ſceaude cireverte, en lacsde foie rouge
&verte.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
MANDEMENT de Mgr l'Archevêque
d'Aix , fur la mort du Roi.
Ce Mandement , qui vient de nous tomber entre
les mains , nous a paru écrit du ton le plus noble
& avec la plus touchantefenfibilité. Comme il est
peu connu à Paris & dans les autres villes du
royaume , excepté celle pour laquelle il eſt deſlinė,
nous avons cru devoir le répandre par la voie de
ce Journal , & nous sommes persuades que nos
lefteurs nous en faurontgré.
Nous n'avons pas beſoin , mes très chers fre-.
res , de grands exemples pour être inſtruits du
fort qui nous attend. C'eſt celui de tous les hommes
, & chacun porte en lui- même la confcience
toujours préſente de l'arrêt qu'il doit ſubir ; les
maux du corps & les peines mortelles de l'ame.
par qui la vie eſt confumée , en rappellent fans
ceflel'accablant ſouvenir. Nous vivons ſous l'em.
pire du glaive qui ravage le monde ( 1 ) , & chaque
inſtant qui s'écoule eſt une triſte portion du
tribut que nous devons à la Mort.
Malheur à qui ſe confie dans les vains calculs
de l'âge , dans les reſſources d'une ſanté qui réſiſte
au cours du temps ! Il conçoit l'eſpérance de
longs jours qui ne lui ſont point accordés. Il embrafle
l'ombre fuyante d'un avenir qui n'exiſtera
point pour lui. L'erreur cefle quand tout finit , &
Î'homme qui ſe détrompe & qui meurt jette un
(1 ) Gladius acutus infimulatum imperium porsans&
stans replevit omnia morte.
JUILLET. 1774. 197
dernier regard foible & languiſſant fur le nuage
qui s'évanouit.
Oh! quel mortel ſe flattera d'atteindre aux bornes
de la carrière , quand le Monarque qui nous
eſt enlevé voit dépérir en un moment cette force
&certe maturité que le progrès des ans n'avoit
point altérée ! Qui jamais eut plus de droits à
cette confiance perfide , fi l'humaine certitude
pouvoit s'étendre au - delà du préfent (1 ) ? Un
mois n'eſt pas encore écoulé. Il vivoit dans la
paix. Il voyoit croître à l'ombre du trône les dou.
ces eſpérances de la Nation ; & , devenu l'ancien
des Souverains du monde , il avoit vu paroître &
difparoître tous les Rois ſes contemporains. Ses
années toujours égales ſe ſuccédoient ſans trouble&
fans changement , & la faveur du Ciel
ſembloit avoir déposé dans ſon ſein les promeſles
de la plus longue vie .
Que la mort eſt un ennemi terrible & impitoyable
, & qu'il étoit loin , comme il le diſoit luimême
, de prévoir ſon malheur ! Elle accourt
comme un feu violent& caché qui d'abord a conſumé
les fondemens (2) ; c'eſt le mal le plus cruel
& le plus imprévu qui ſe déclare. C'eſt ſous la
forme la plus effrayante que la mort s'approche.
Elle imprime toutes ſes horreurs fur ces traits que
le temps avoit reſpectés . Elle appelle les ſouffrances
, elle écarte les confolations. Frappé d'un
mal contagieux , le Monarque languit méconnoiſlable
au milieu de la Cour , & les têtes les
plus chères font condamnées à s'éloigner de ſes
embraflemens. ( 3 )
(1) Memor esto quoniam mors non tardat , &
seftamentum inferorum, quia demonstratum eft tibi.
( 2) Succendit ignem & devoravit fundamenta.
(3 ) Non es paſſus un ofcularer filios meos .
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Le Roi , plus à plaindre que le dernier de fes
Sujets , n'a point vu ſa famille entière le raffembler
autour de lui. Ses yeux prêts à ſe fermer ne
ſeſont point repoſes ſur le premier objet de ſes
foins& de fes eſpérances. Il n'a point tranfmis
lui-mêmeà ſon ſucceſſeur ces ſages leçons , &des
volontés reſpectées par qui les pères mourans
ſemblent goûtet une ſeconde vie ( 1 ) .
Pourquoi faut- il que les auguſtes filles ſe ſoient
dévouées par un généreux ſacrifice à des ſoins qui
n'ont ou le ſauver ? Elles n'ont point réſiſté à la
voixdu ſentiment le plus tendre& le plus reſpectable;
&maintenant cette contagion funefte dont
elles éprouvent les atteintes , nous force à trembler
pour leurs jours.
Dieupuiſlant ! écartez le péril qui les menace ,
écoutez les prières de votre Peuple. Jamais une
ſituation plus touchante n'a cauté ſes alarmes.
Elles ontbienmérité de conſerver cette vie qu'elles
n'ont pas craintde perdre pour prolonger celle
d'un père.Que leur exemple & leur guérilon nous
apprennent que le Ciel ſe plaît à récompenſer auſſi
dans letemps les vertus&le courage.
Dans ces circonstances terribles le Roi ne mit
ſa confiance que dans les ſaintes reſſources que
la Religion préfente. C'eſt elle ſeule qui reſte ,
quand tout difparoît (2). Il implora les ſecours
qu'elle accorde à la ſoumiſſion & au repentir.
Tranquille au milieu de ſes douleurs , il ordonna
lui-même les apprêts de cette triſte & confolante
cérémonie par laquelle l'Egliſe enfante les ames
fidelles à l'éternité. Il entendit la voix qui procla-
(1) Benedictio patrisfirmat domos filiorum .
(2) Introductio verò melioris ſpei per quama
proximamus ad Deum.
JUILLET. 1774. 199
*
moit les derniers voeux que ſon coeur avoit formés.
Il ne defira de revivre que pour étendre le
règne de la Religion & pour faire le bien de ſes
Peuples.
UnRoi jaloux de remplir ce teftament refpectable
de ſon ayeul eſt monté ſur le trône. Ses paroles
& les actions annoncent un coeur droit qui
fe conſacre aux travaux de ſon rang. Ila ſentile
fardeau que le Ciel impoſe à la jeuneſle. Il a mis
devant les yeux vingt millions d'hommes auxquelsil
commande, & il veut régner pour les rendreheureux.
fes
Que la ſageſſe ſoit ſon guide , & qu'il foit
comblé de tous les biens dont elle est la ſource(1) .
LeCiel forma dans ſa bonté , par les ſoins d'une
illuftre mère , une Princeſſe deſtinée à partager
avec lui les viciffitudes de la vie. Qu'elle répande
lecalme&la férénité ſur les jours de ſon auguſte
époux. Qu'elle diſſipe par vertus le triſte ſentiment
que donne trop ſouvent aux bons Rois la
connoiſſancedes hommes , & qu'un Prince , heureux
au fein de ſa famille&de ſes devoirs , ſoit
Jui-même la loi vivante qui fonde l'empire des
moeurs & le bonheur des Peuples. Nous unirons
nos prières pour le ſalut éternel d'un Roi dont la
mort édifiante juftifie nos cípérances & pour la
gloire paiſible d'un gouvernement juſte & vertueux.
(1) Venerunt omnia bona, quoniam antecedebat
fapientia , quoniam horum omnium mater eft.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
AVIS .
L...
LE Profpectus publié pour l'édition en deux vo.
lumes in-4° . grand papier , de l'Histoire du Maréchal
de Saxe , avec le portrait de ce grand
homme , cinq cartes & trente- cing plans , par
M. le Baron d'Eſpagnac , n'ayant fait mention
que du prix de la ſouſcription , on croit devoir
prévenir le Rublic que chaque exemplaire ſera de
quarante-deux livres pour les perſonnes qui n'aurontpas
ſouſcrit .
Cette édition fera d'autant plus intéreſſante ,
que Louis XVI , notre auguste Monarque , a
daigné la prendre ſous la protection , & en agréer
ladédicace.
Les ſouſcriptions feront ouvertes juſqu'à la fin
de Juillet pour la France , & pour l'Etranger julqu'à
la fin d'Août 1774 , chez Ph . D. Pierre , imprimeur
, rueSt Jacques. Le premier paiement
eſt de 18 liv . & le ſecond ſera de 12 , en recevant
l'ouvrage en feuilles à la fin de Décembre 1774.
1.
II.
Pâte d'orge.
Parmi les recherches & les travaux auxquels
l'eſprit d'humanité & de charité de feu M. deChamouflet
l'a livré toute ſa vie , & dans lesquels il
aſacrifié une fortune de vingt- cinq ou trente milie
livres de rente , il eſt parvenu à extraire les ſucres
de la farine d'orge. Ils ont été jugés par la Faculté
de Médecine de Paris ſous la dénomination
de Pâte d'orge comme un aliment très doux , &
JUILLET. 1774. 201
dont l'ufage ne peut être que très - favorable aux
poitrines foibles ou malades . Madame la Comtefle
d'Amfreville , héritière bénéficiaire de feuM.
de Chamouflet , aſſurée que l'uſage de cette pâté
aeu des ſuccès , & animée du même eſprit , a de
nouveau ſoumis cette pâte à l'examen du Bureau
royal de Médecine ; & , d'après leur arrêté du
mois de Février dernier , elle a obtenu du Roi un
brevet en vertu duquel elle a fait établir des bureaux
de diſtribution de cette pâte.
Au Bureau général de la Poſte de Paris , rue des
Déchargeurs.
Chez
le Sr Cadet , apothicaire , rue St Honoré ,
près la rue de l'Arbre ſec.
le Sr Bellanger , marchand Mercier , rue &
près le petit St Antoine.
le Sr Bernard , rue St Jacques , près les
Dames Urſulines..
A Verſailles , chez le ſieur Vaſial, apothicaire de
Madame la Comteſſe d'Artois , vis-à- vis les Recolets.
Le dépôt général eſt chez M le Moyne , rue de
Buffy , faubourgSt Germain, maiſon du Sr André,,
chapelier.
III.
Fabrique de Chocolat.
La fabrique de Chocolat du ſieur Adeline étant
toujours continuée dans la même maiſon , rue St
Honoré , artenant St Roch , pluſieurs Médecins
de Paris m'ont engagé de faire un chocolat de
fanté pour les eſtomacs foibles & délicats. L'ayant
goûté , ils l'ont trouvé bon & bienfaiſant : il eft:
donc à propos d'en faire part au Public. Les perſonnes
qui enverront leurs domeſtiques ou commaffionnaires
auront attention de le faire deman
Lv
202 MERCURE DE FRANCE.
der diſtinctement du chocolat de ſanté , marqué
S. T. M. , pour éviter la mépriſe; de plus , le nom
d'Adeline eſt imprimé ſous la tablette. On y trouvera
auſſi des paſtillesde cacao ſans ſucre ,&de
lavanille engros & en détail de la meilleure qualité.
IV.
Magaſin de papiers tontifles & autres pour
meubler les appartemens , à Paris &à la campagne
, chez Mile Hemery , rue Comteſled'Artois.
Ontrouve dans ce magaſin , & au prix le plus
modéré , des papiers d'un deſſin varié &du meilleur
goût pour orner très agréablement les marſonsde
la ville&de la campagne.
V.
Supplément aux annonces qui ont été faites
par le ſieur Juvigny , ingénieur du Roi ,dans les
années 1772 & 1773 , concernant différentes mécaniques
qu'il a offerts au Public.
SAVOIR;
1º. Le cure-mole pour curer les étangs & les puics.
2º. Le moulindomeſtique avec lequel deux hommes
peuvent moudre juſqu'à foixante livres de
farine par heure.
3°. Le batoir àbled à douze fléaux .
4°. Le défrichoir mécanique propre à mettre les
terres incultes en valeur , & capables d'être enfemencées&
rapporter avantageuſement.
. La force mouvante.
6°.Pluſieurs pompes hydrauliques.
Le ſieur Juvigny offre de donner les plans détaillés
de toutes les pièces relatives à la mécanique
de chacuned'elles , avec les modèles en bois d'un
pouce fix lignes pour pied, pour l'intelligence de
JUILLET. 1774. 203
Fexécution en grand , avec les mémoires inftructifs
bien expliqués. Il demeure rue du petit Carreau
, à l'hôtel deBourgogne , chez le Perruquier ,
à Paris. Il prie ceux qui lui feront l'honneur de
lui écrire , d'affranchir les lettres.
Pour les forces mouvantes & les pompes hydrauliques,
ceux qui endeſirerontonleur fournira
felon l'uſage qu'ils voudront en faire.
NOUVELLES POLITIQUES.
Des Frontières de la Turquie , le x Juin
1774.
Des lettres de Kiovie portentque le parti de Pugatſchew
n'eſt point encore abattu ; que ce Chef
des rebellesſe trouve entre le Jaïk & le Wolga , à
la tête de ſoixante mille hommes ; qu'il devoit
être joint par les Tartares Nogays & par ceux.
d'Olokari qui ontdéjà paflé les Steppas ( déferts )
d'Aſtracans qu'un grand nombre de Coſaques dur
Don s'eſt rangé ſous les étendards des mutins ;
que les Détachemens qui avoient bloqué Orenbourg
, s'étant retirés juſques dans l'intérieur de
la Sibérie , ont trouvé le moyen de s'y renforcer ,
&que le Corps de Galitzin ſe trouve non-feulement
ſéparé de celui du feu Général Bibikow ;
mais qu'il court riſque d'être aflailli de toutes parts
parles rebelles& leurs alliés qui l'ont enveloppé.
De Warfovie , le 4 Mai 1774.
Les troupesdu Roi de Pruffe ont encore étendu
Jeur cordon. Elles ont, pour ainſi- dire enfermé
&bloqué le Régimentaire Kraczewski avec tout
fon détachement. Suivant quelques avis qui ont
beſoin cependant de confirmation , le Général
i
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Prufſien de Loflow eſt entré à la tête d'un corps
de troupes dans la Samogitie..
:
Des Frontières de la Pologne , le 9 Mai 1774.
La plupart des Délégués continuent à rejeter le
projetdu Conſeil permanent. Les partiſans du Roi
partagent , à cet égard , l'opinion de ceux qui
font les plus défavorables à fon autorité. LeMiniſtre
de Ruſſie ſe plaint hautement de l'oppofition
qu'il éprouve ; mais ſi les trois Miniſtres
étoient d'accord ſur cet acte , il y a apparence
qu'ils feroient bientôt évanouir une réſſtance qui
n'eſt ſans doute fondée que ſur l'eſpèce de neutralité
de deux d'entre eux.
On écrit des bords du Danube qu'un Corps de
trente mille Turcs a paflé ce fleuve pour marcher
contre les Rufles& les chaffer de leurs poſtes , nais
qu'il a été repouflé après avoir perdu beaucoup de
monde , & contraint de repaffer le Danube. On
apprend auſſi que l'arméeRuſle a reçu un renfortde
trente mille hommes de recrues qu'on a exercés
pendant l'hiver dans la Petite Ruffie .
:
De Vienne , le 28 Mai 1774.
LeComte de Haddick qui doit arrivet inceflamment
ici pour y remplir les fonctions de Miniſtre
de la guerre, vient d'être élevé à la dignitéde Feld-
Maréchal des Armées Impériales.
2
De Copenhague , le 3 Mai 1774-
On a propolé , en vertu du projet de réforme
dans le Militaire , à tous les Officiers qui voudroient
ſe retirer du ſervice , à cauſe de leur âge
oude leurs infirmités , de ſe préſenter , & on leur
accorderades penſions proportionnées à leur grade
militaire.
Le Prince Frédéric de Danemarck a envoyé 450
rixdalles ( environ 2000 liv. ) à l'Académie de
JUILLET. 1774. 205
Drontheim , en Norwege , dont il eſt le protecteur
, pour être diftribués , en forme de Prix ,
aux Paylans qui ſe ſont le plus diſtingués dans l'Agriculture.
De Ratisbonne , le 8 Juin 1774.
Le Miniſtre Plénipotentiaire du Grand- Maître
de l'Ordre Teutonique vient de faire diftribuer en
Ion nom un acte de proteſtation folemnelle con.
tre l'occupation de la Pomérélie & de la Prufle
Polonoiſe par le Roi de Prufle , & contre la ceſſon
que la République confédérée en a faite à ce Prince.
On rappelle dans cette pièce les droits que
l'Ordre Teutonique avoiteus fur cette province ,
avant le fameux Traité de Thorn en 1464 , qui la:
fit paſſer ſous le ſceptre de Caſimir , Roi de Pologne.
De la Haye , le 3 Juin 1774.
La Cour d'Eſpagne a fait faire de nouvelles
plaintes aux Etats des Provinces . Unies fur des
enrôlemens de gens de mer pratiqués en Eſpagne
par des équipages Hollandois. Les Eniôlents ont
éré mis enprifon & fubiront la rigueur des peines
portées contre leur délit , ſi les Eſpagnols qu'ils
ont féduits , ne ſont pas inceſſamment rendus à
leur patrie. Les Etats - Généraux ont donné les
ordres les plus précis pour la fatisfaction qu'exige
Sa Majesté Catholique.
De Londres , le 3 Juin 1774 ...
Une lettre de Williamsbourg dans la Virginie,
endate du 17 Mars , porte ce qui ſuit :
«Nous apprenons par un particulier arrivé de
>>la province de Fincastle qu'environ quarante fa-
>>milles ont été maſſacrées par les Sauvages dans
le pays des Okonies , & il paroît en général par
toutes les nouvelles qui viennent de ce pays que
les excès commis parces Peuples barbares y ont.
>>répandu la plus grande conſternation,
206 MERCURE DE FRANCE.
De Rome, le 11 Mai 1774.
On a appris en cette ville , avec beaucoup de
fatisfaction , la reſtitution faire au St Siége de la
villed'Avignon &du Comtat Venaiffin.
Parmi les antiquités qui ont été découvertes
près l'Arc de Conſtantin, ou diftingue une tête
d'un travail précieux , qu'on croit être celle de
Marciana , foeur de l'Empereur Trajan .
De Turin , le 6 Mai 1774.
Des lettres de Salé portent que la Horde des
Breberes Quirouans s'eſt ſoumiſe; qu'ils ont égorgé
des boeufs ſur les tombeaux des ancêtres de
l'Empereur de Maroc, &qu'ils lui ont demandé
pardon. En conséquence les effets &les priſonniers
retenus de part & d'autre ſeront rendus ;
mais l'Empereur gardera en otage quelque Chefs
de cetteHorde qui répondrontde la fidélité des
autres.
De Choify , le 19 Juin 1774.
Hier à huit heures du matin , le Roi , Mon
fieur , Mgr le Comte d'Artois & Madame la Comteſſed'Artois
ont été inoculés de la petite vérote
&par la piqûre , après avoir été bien préparés.
Lamatière variolique a été priſe d'un enfant de
deux ans , dont la petite vérole étoit difcrete &
de la meilleure eſpèce. La fantéde l'enfant , ainfi
que celle du père& de la mère , a été conftarée
avec le plus grand ſoin par l'examen des médecins
&par les informations les plus exactes duMagif
trat. Il en a étédreflé un procès- verbal.
DeParis, le 20 Juin 1774.
Les Six Corps des Marchands de la Ville de
Patis , après avoir fait célébrer , dans l'Egliſe des
Pères de l'Oratoire , un Service ſolemnel pour le
repos de l'ame du feu Roi , délivrerent ſoixanteJUILLET.
1774. 207
feize prifonniers détenus pour n'avoir pas payé
les moisde nourrice de leurs enfans..
,
L'Abbefle & les Religieuſes de l'Abbaye royale
de Panthemont firent célébrer , le 3 de ce mois
jour auquel leur Egliſe fut dédiée à Sre Clotilde
par feu Mgr le Dauphin qui enpoſa la première
pierre en 1755 , une Meſſe ſolemnelle fondée à
perpétuité pour la conſervation des jours du Roi
&de la Famille Royale.
L'Abbefle de Royal- Lieu , près Compiegne , a
fait chanter une Meſſe ſolemnelle & le TeDeum
en actions de grâces du parfait rétabliſſement de
MesdamesAdelaide ,Victoire & Sophie.
NOMINATIONS.
LeRoi a accordé la place de GrandCroix dans
l'Ordre royal & militaite de St Louis , vacante par
la mort du Marquis de Narbonne- Pelet, au Comte
de la Cheze , lieutenant-général,capitaine-lieutenant
de la première compagnie des Mouſquetaires
de Sa Majesté , & Commandeur dans cer
Ordre; & celle de Commandeur , au Chevalier
de Redmont lieutenant-général de ſes armées.
LeComte de Damas - d'Anlezy ayant donné fa
démiſſion du régiment de Dragons dont il étoit
pourvu , Sa Majesté en a diſpoté en faveur de
Mgr le Comte d'Artois. Elle a accordé la charge
de meſtre-de-camp-lieutenantde ce régiment , au
Chevalier d'Eſcars , colonel du régiment provincial
de Laon , & celle de colonel du régiment
provincial de Laon , au Marquis de Chavigny ,
capitaine dans le régiment d'Infanterie de Sa
Majesté.
Le Roi a nommé Grand-Aumônier de la Reine,
l'Evêque de Chartres ; premier Aumônier , l'Evêque
de Nancy , & Chancelier , le Marquis de
Paulmy.
Le Roi a accordé l'Evêché d'Orange à l'Abbé
208 MERCURE DE FRANCE .
du Tillet , vicaire - général de Sens ; l'Abbaye
d'Ivry , Ordre de St Benoît , diocèſe d'Evreux , à
l'Abbé du Lau , agent - général du Clergé; celle
de Fontenay , Ordre de Citeaux, diocèle d'Autun,
àl'Abbé de Vogué , agent général du Clergé , &
celle des Echalis , même Ordre , diocèſe de Sens ,
à l'Abbé de Mauroux , vicaire- général de Rheims.
Le Roi a accordé la charge de mestre de- camplieutenant
du régiment de ſes Cuiraſſiers , vacante
par la démiſſion du Comte de Laigle , au Comte
deCivrac, meſtre-de camp de Cavalerie , & celle
de meſtre-de- camp- lieutenant du régiment Royal
Champagne , vacante par la mort du ComteDurtat
, au Comte de Roucy , Exempt des Gardesdu-
Corps en la compagnie de Luxembourg.
Le Roi a accordé au Marquis de Courtomer ,
ci -devant capitaine au régiment Meſtre-de-Camp.
Général , Dragons , la place de Cornette dans la
première compagnie de ſes Mouſquetaires , vacante
par la démiſſion du Comte de la Breteche ;
fur la demande de Madame , celle de Dame pour
accompagner cette Princeſſe , vacante par la mort
de la Marquiſe de Damas , à la Vicomtefle de
Narbonne- Pelet , & fur la demande de Mgr le
Comte d'Artois , celle de Capitaine-Colonel des
Suiſſes de fa Garde , vacante par la demiffion du
Marquis du Barry , au Chevalier de Monteil ; la
place de Dame d'Honneur de Madame la Comteſle
d'Artois , vacante par la démiſſion remiſe au
Koi par la Comteſſe de Forcalquier , a été donnée
à la Ducheſſe de Quintin , fur la demande de
cette Princeſſe , ainſi que celle de Daine pour l'ac.
compagner , vacante par la démiſſion de la Marquiſe
du Barry , à la Comtefle de Polignac.
Le Duc d'Aiguillon ayant remis au Roi la
démiſſion de ſa charge de ſecrétaire d'état , Sa
Majesté a nommé le Comte de Vergennes , lon
JUILLET. 1774 . 209
ambafladeur en Suède , pour le département des
affaires étrangères , & le Comte du Muy pour celui
de la guerre. Le Roi a chargé le ſieur Bertin ,
miniftre & lecrétaire d'état , du département des
affaires étrangères, juſqu'à l'arrivée du Comte
de Vergennes.
Le Roi a accordé les entrées de ſa Chambre à
l'Abbé de Vermont , lecteur de la Reine .
Le ſieur Lieutaud a prêté ferment entre les
mains du Roi pour la place de premier Médecin
de Sa Majesté , dont le ſieur de Laflone , premier
Médecin de la Reine , a obtenu la ſurvivance.
Le Prince de Poix a prêté ferment entre les
mains du Roi pour la place de Capitaine des Gardes-
du- Corps , en ſurvivance , dont eſt pourvu le
Prince de Beauveau.
Le ſieur Lieutaud , conſeiller d'état , premier
Médecin du Roi , a ſupplié Sa Majeſté d'agréer
le ſieur de la Bordere pour la place de premier
Médecin, en ſurvivance , de Mgr le Comte d'Artois,
dont le ſieur Lieutaud eſt titulaire.
Le Roi a accordé les grandes Entrées de ſa
Chambre à la Ducheſſe de Coflé.
Le 17 Juin ,le Roi reçut Chevalier de l'Ordre
royal & militaire de St Louis le Marquis de Saint-
Hermin , Gentilhomme d'Honneur de Mgr le
Comte d'Artois .
PRÉSENTATIONS .
Les Juin , le Parlement , dont la députation
étoit compofée du premier Préſident , de deux
Préſidens à mortier , de quatre Conſeillers de
*Grand Chambre , de quatre Conſeillers de la
Chambre des Enquêtes & des Gens du Roi , ſe
rendit ici pour préſenter fes premiers hommages
à Leurs Majestés : il fut introduit chez le Roi par
Je Marquis de Dreux , grand maître des cérémonies
, & par le Duc de la Vrillière , miniftre &
210 MERCURE DE FRANCE.
fecrétaire d'état , ayant le département de Paris.
Le même jour , la Chambre des Comptes & la
Cour des Monnoies eurent l'honneur de faire à
Leurs Majestés leurs complimens de condoléance
fur la mort de Louis XV, & de félicitation fur
leur avénement au trône : ces deux Compagnies
furent introduites avec les cérémonies d'uſage.
L'Univerſité de Paris a eu l'honneur de complimenter
Leurs Majestés ſur leur avénement au
trêne , ſuivant l'uſage &à la manière accoutumée.
Le St Guerin , Recteur , a porté la parole.
Le 10 Jain , leCorps-de-Ville de Paris ayant à
ſa tête la Maréchal Duc de Briflac , Gouverneur
de Paris , eut l'honneur d'être préſenté au Roi &
à la Reine par le Duc de la Vrillière , miniſtre c
ſecrétaire d'état , ayant le département de Paris.
Il fut introduit par le Marquis de Dreux , grand'.
maître, par le ſieur des Granges , maître , & par
le ſieur deWatronville , aide des cérémonies. Le
fieur de laMichodière , conſeiller d'état & Prévôt
des Marchands , cut l'honneur de complimenter
Leurs Majelés.
Le même jour, les Juges & Confuls de Paris
eurent l'honneur d'être préſentés au Roi & à la
Reine pat leMaréchalDuc de Briflac , accompagnédu
ſieur de Sartine , conſeiller d'état & lieurenant-
général de police , &de haranguer Leuts
Majeſtés.
Le Maréchal Duc de Briflac & le Sr de Sartine
curent en même temps l'honneur de préſenter au
Roi& à la Reine les fix Corps de Marchands ; &
le St Gondouin , grand- garde du corps de la Draperie
, eut l'honneur de complimenter Leurs Majeſtés
ſur leur avénement au Trône .
Les 7 , 8 & 9 Juin , toutes les perſonnes préſentées
eurent l'honneur de faire leurs révérences à
Leurs Majestés & à la Famille Royale.
JUILLET. 1774. 25F
Le Comte de Monteynard , brigadier des armées
du Roi & miniſtre plénipotentiaire de Sa
Majesté près l'Electeur deCologne , ayant obtenu
un congé , a eu l'honneur d'être préſenté au
Roi par le Sr Bertin , miniſtre & ſecrétaire d'état.
L'Académie Françoiſe cut l'honneur de complimenter
Leurs Majestés , les Juin , ſur leur
avénement au Trône. Elle fut introduite par le
Marquis de Dreux ,grandmaître , & par le ſicur
de Watronville , aide des cérémonies , & préſentée
au Roi & à la Reine par le Duc de la Vrillière,
miniſtre & lecrétaire d'état , ayant le département
de Paris. Le Sr Greſſet , directeur de l'Académie ,
porta la parole.
MARIAGE.
Le 20 Juin 1774, François Comte de Montholon
, chevalier de l'Ordre royal & militaire de St
Louis , &colonel d'infanterie, époula en l'Egliſe
de St Laurent à Paris , Françoife-Sophie Binot de
Villiers , fillede feu Antoine - Hyacinte Binet de
Villiers , chevalier , ſeigneur d'Onières & de Touteville
en partie , ancien commiflaire de la Gendarmerie
, & de Françoiſe Paſquier , mariée en
fecondes noces à Claude de Mondétour , Chevalier
, chevalier de l'Ordre royal & militaire de St
Louis , ci devant capitaine dans le régiment de
Nice.
NAISSANCES.
Le Mai , la Comtefle de Matignon , fille du
BarondeBreteuil , ambaſſadeur de France , accoucha
d'une fille .
Marie- Jeanne- Françoiſe-Georges de Nollent,
épouſe de Louis-Charles de Cotty de Brecourt ,
ancienofficier au régiment d'infanterie de la Fère,
eſt accouchée , en ſon château de Menil - Pean ,
diocèſe d'Evreux , de trois enfans qui ſont en
212 MERCURE DE FRANCE.
bonne ſanté. Cette Dame a eu onze enfans en fix
ans & demi de mariage , parce qu'elle eſt preſque
toujours accouchée d'enfans jumeaux .
MORTS.
Elifabeth-SophieGilly , épouſe de Louis Pierse
Comte de Jaucourt , maréchal de camp , premier
gentilhomme de la Chambre du Prince de Condé ,
eft morte en ſon château de Combreux en Brie ,
âgée de trente- neuf ans.
Armand Prevod , Marquis de l'Etorière , meftre
de camp de Dragons , chevalier de l'Ordre
royal & militaire de St Louis , eſt mort à Paris ,
dans la trente fixième année de ſon âge.
Louiſe-Geneviève Lemazier , veuve de Maurice-
Alexandre François , Comte de Billy , cheva.
lier de l'Ordre royal & militaire de St Louis , eft
morte âgée de quatre- vingt-deux ans .
Marie du Bernard , de la paroifle de Séches
diocèſe d'Agen , eſt morte âgée de cent - un ans.
Depuis une chûte qu'elle avoit fait àl'âge de quathe
vingt deux ans , elle a vécu infirme. Cependant
on a obſervé qu'elle ne failoit uſage ni de
viande ni de bouillon gras. Sa principale nourriture
étoit de la ſoupe faite avec de l'huile de noix
&du pain roti trempé dans du vin. Elle a confervé
une parfaite connoiſlancejuſqu'à ſon dernier
moment.
Le Marquis de Mora , grand d'Eſpagne , gentilhomme
de la chambre de Sa Majesté Catholique
, eſt mort à Bordeaux le 27 Mai. Le conſul
d'Eſpagne réſidant en cette ville , a dépêché un
courier à Madrid pour informer de cet événement
le Comte de Fuentes , père de ce Marquis .
Philippe de Beaupoil , Comte de St Aulaire, ancien
capitaine de cavalerie , eſt mort en FrancheJUILLET.
1774. 213
Comté dans la quatre- vingt-douzième année de
fonâge.
Louis- François Gabriël de la Motte , Evêque
d'Amiens , eſt mort , dans ſon diocèle , âgé de quatre
vingt- douze ans. Il étoit né à Carpentras en
1683 & avoit été ſacré en 1734.
Le Sr John Tice eſt mort , il y a quelques jours,
àHagley , dans le Comté de Worcester , âgé de
cent vingt- cinq ans; il étoit né en 1649 ſous
Cromwel. Son frère puîné , William Tice , eſt
mort à Ridderminster , dans le même comté , à
l'âge de cent-deux ans .
Madeleine Agnès de Bourdon du Moncel, veuve
d'Antoine - Joſeph de Martainville , Marquis
d'Eſtouville , chevalier de l'Ordre royal & militaire
de St Louis , lieutenant- colonel du régiment
duMaine , cavalerie , eſt morte à Paris .
Les nommés Dominique Drouillard , vigneron
de la paroiſſe de St Sauvant , à deux lieues de
Saintes , & Pierre Faucheraux , de la paroiſſe de
Pizany , font morts , l'un âgé de cent onze ans ,
ſan's avoir jamais été malade ; & l'auttrree , au village
de Croix-Blanche , dans le marquilat de Pizany
, â l'âge de cent- trois ans. Ce dernier a conſervé
lejugement&la mémoirejuſqu'à fon dernier
inſtant.
LOTERIES.
Le cent ſoixante - unième tirage de la Loterie
de l'hôtel - de - ville s'eſt fait , le 25 Mai , en la
manière accoutumée. Le lot de cinquante mille
liv. eſt échu au No. 68483. Celui de vingt mille
livres au No. 78665 , & les deux de dix mille ,
aux numéros 64111 & 73492 .
Le tirage de la loterie de l'Ecole royale militaire
214 MERCURE DE FRANCE.
s'est fait le 6 Juin. Les numéros ſortis de la roue
de fortune ſont 57 , 36 , 2 , 6 , 51. Le prochain
tirage le fera les Juillet.
TABLE.
PIECES FUGITIVES envers &enprofe, page
Elégie ,
Sur le Printems ,
Le Viſir précepteur ,
Le Laboureur ſur le Trône ,
Les trois Préceptes , nouvelle ,
Epître à MM. les Elèves de l'Ecole royale
militaire,
Chanfon dédiée au Roi & à la Reine ,
Vers écrits dans le cabinet d'un poëte Proibid.
II
14
16
18
32
38
vençal , 39
Mes Torts , 41
Epître à mon Ami , 42
Rondeau , 45
Impromptu , 46
AM. leComte de la ** , ibid.
Explication des Enigmes & Logogryphes , 49
ENIGMES ,
ibid.
LOGOGRYPHE , 54
Romance , 57
angloiſe ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES,
Lettres édifiantes & curieuſes ,
Le Comte de Valmont ,
Méthode aifée pour bien parler la langue
Secondrecueil ſur la perfectibilité de l'homme, 83
La ſeule véritable Religion démontrée,
Traitédesintérêtsdes Créances,
१०
+6.
59
ibid.
77
82
JUILLET. 1774. 215
Mélanges hiſtoriques , 102
Médecine pratique de Sydenham , 105
OEuvres choifies de M. Geffner , 108
Vie de Marie de Médicis , 114
Diflertation ſur la Lymphe, 128
Traité ſur le Scorbut , 129
La Philofophie des Vapeurs , 131
Cours d'Hippiatrique , ibid.
Détails des luccès de l'établiſſement en faveur
des perſonnes noyées , 132
Le nouveau Règne , Ode à la Nation par
M. Dorat, 140
Sur la Maladie de Mesdames , 142
L'Agriculture réduite àdes vrais principes , 144
AlmannaacchhddeeSanté, 148
Jérusalem délivrée , 149
La Roſière de Salenci , 150
Hiſtoire du Tribunat de Rome, ibid.
Suite du Précis ſur les montres marines de
France , ISI
Choix des Poëſies de Pétrarque , ibid.
Jean Sansterre ou la Clémence de Philippe-
Auguſte , ibid.
Journal du Voyage de Michel Montaigne , ibid.
Hiftoire de France , ibid.
Abrégé d'Aftronomie , 152
Elémens des Forces centrales , ibid.
Traité de Mécanique , ibid.
Avis ſur le Dictionnaire de Diplomatique , 193
ACADÉMIE de Rouen , 154
SPECTACLES , Opéra , 158
Comédie Françoiſe , 163
Comédie Italienne , ibid.
Lettre de M. de la Croix , avocat , à l'auteur
du.Mercure , 165
Lettre deM. le Marquis de Condorcet àM.
de laHarpe, 168
216 MERCURE DE FRANCE .
ARTS , gravures , 170
Verspour un nouveau portrait de la Reine , 175
Prédiction ,
Portrait de la Reine
,
Vers pour le portrait de la Reine ,
Muſique ,
Vers préſentés à Louis XVI ,
-préſentés à la Reine ,
Au Roi & à la Reine ,
Vers préſentés au Roi ,
ibid.
177
178
ibid.
182
183
ibid.
184
Sur la remife du Droit dujoyeux- avénement , 185
Procédé pour ſe rendre maître des Abeilles , ibid.
Anecdotes ,
Déclarations , &c.
Mandement de Mgr l'Archevêque d'Aix ,
la mort du Roi ,
Avis ,
Nouvelles politiques ,
Nominations,
Préſentations ,
Mariage,
Naiſlances ,
Morts ,
Loteries,
18
213
APPROBATI0N.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Chancelier ,
premier vol . du Mercure du mois de Juillet 1774
& je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreffion .
A Paris , le 30 Juin 1774
LOUVEL.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la
MERCURE
{
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI..
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
JUILLET , 1774.
SECOND VOLUME .
Mobilitate viget. VIRGILE .
A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire , Rue
Chriſtine , près la rue Dauphine.
AvecApprobation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
C'EST au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriſtine , que l'on prie d'adreſſer , francs de port,
lespaquets&lettres, ainſi que les livres , les eftampes,
les piéces de vers ou de proſe , la muſique,
les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques ſur les
Sciences &arus libéraux & mechaniques ,&généralement
tout ce qu'on veur faire connoître an
Public , & tout ce qui peut inſtruire ou amufer le
Lecteur. On prie auſſi de marquer le prix des livres
, eſtampes & pièces de muſique.
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres& de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourirà ſaperfection;
on recevra avec reconnoiſſance ce qu'ils
enverront au Libraire ;on les nommera quand
ils voudront bien le permettre ,& leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront mêine un titre de
préférence pour obtenir des récompenſes ſur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eſt de 24 liv.
que l'on paiera d'avance pour ſeize volumes rendus
francsde port.
L'abonnement pour la province eſt de 32 livres
pareillement pour ſeizevolumes rendus francs de
port par la poſte.
Ons'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eſt de 36 ſols pour
ceux quin'ontpas ſouſerit,au lieu de 30 fols pour
ceux qui font abonnés.
On ſupplie Meffieurs les Abonnés d'envoyer
d'avance le prix de leur abonnement franc deport
parllaapoſte, ou autrement, au Sieur LACOMBE
ibraire , àParis , rueChristine.
On trouve auſſi chez le même Libraire
les Journauxfuivans.
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paranà Paris.
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GAZETTE UNIVERSELLE DE LITTÉRATURE ; port
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Lettres nouvelles de Mde de Sévigné,in- 12. br. 21.
Les Mêmes in 12. petit format ,
Poëme fur l'Inoculation , in- 8 ° . br.
Ille liv des Odes d'Horace , in- 12 .
Vie du Dante , &c. in 8°. br.
11. 166.
31.
2liv.
11. 10 f.
Mémoirefur la Muſique desAnciens , nouv.
édition in 4º. br. 71.
Lettrefurladiviſion du Zodiaque , in-12 . 12 f.
Eloge de Racine avec des notes , par M. de
la Harpe , in- 8 °. br.
La Henriade de M. de Voltaire , en vers latins&
françois , 1772 , in - 8 °. br .
Traité du Rakitis , ou l'art de redreffer les
LesMuſesGrecques , in -8 °. br. 11.161,
11.101.
Fables orientales , par M. Bret , vol. in-
8º. broché , 3 liv.
21.101.
enfans contrefaits , in 8º br. avec fig. 41.
Les Pythiquesde Pindare , in-8 °. br. 5 liv.
Monumens érigés en France à la gloire de
Louis XV, &c. in -fol. avec planches ,
rel.en carton , 241.
Mémoires fur les objets les plus importans de
l'Architecture , in-4°. avec figures, rel. en
carton , 121.
Les Caractères modernes, 2vol.br. 31.
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET , 1774 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS à Sa Majesté Louis XVI.
TEL s'annonçoit au monde heureux ſous fes
aufpices ,
CeTitus , des Humains l'amour & les délices ,
Quand il pleuroit un jour vainement écoulé ,
Unjourqué ſes bienfaits n'avoient pas ſignalé.
Ainfi leGrandHenri , l'idole de la France ,
Déploya dans Rouen ſa loyale éloquence ,
-L'éloquence du coeur , du Trône & des vertus.
Prince qui rends l'eſpoir aux Peuples abattus ,
A iij
MERCURE DE FRANCE.
ORoi ſage à vingt ans ! il eſt beau qu'à cet age
Ton ame t'ait dicté ce fublime langage ,
Qu'au vainqueur de la Ligue apprirent autrefois
Le temps & le malheur , les ſculs maîtres des
Rois.
Comme lui tunous dis : Reprenez l'eſpérance
Ma vie ett dévouée au bonheur de la France.
>>Elle attend tout de moi : je veux tout lui donner.
>>Ah! fide longs revers qu'on n'a pu détourner ,
>>Ont tari les canaux des publiques richeſſes ,
S'il faut facrifier , pour remplir mes promelles,
>>Ces pompes de ma Cour , ce luxe , cet éclat
Qu'autoriſe enun Roila grandeur de l'Etat ,
>>Omon Peuple ! pour vous tout me ſera facile.
>>>An Trône des Bourbons le faſte eſt inutile.
>> Peuple , à vos intérêts je ſoumettrai les miens,
Et les beſoins du Trône à ceux des Citoyens.
>>Si mes foins vigilans vous font des jours propices,
7 >>Je ſerai trop payé de tous mes facrifices.
C'eft ma première gloire &mon premierdefin
• >>Français , foyez heureux : tel eft notre plaifir
Qui, j'en crois la promefle cu ta bontét'engage..
Louis de nos deſtins a déposé le gage
Dans cet édit facié , monument folemnel,
Ecrit vraiment royal , & vraiment paternel,
Qui prévient nos ſouhaits , qui calme nos alarmes,
JUILLET. 1774.
Qu'on litavec tranſport , & qu'on baigne de lar
mes.
Atavoix,ô Louis! ce Peuple a répondu.
De ce qu'on fait pour lui rien n'eſt jamais perdu,
Tu le connois ce Peuple&fenfible & docile ,
Et ſon amour ſi prompt& ſa douceur facile s
Peuple, qui de ſon Prince adorateur charmé ,
Le conjure à genoux de vouloir être aimé.
Tu le ſeras , tu l'es , Monarque aimable &juſte ,
D'un Etat affoibli réparateur augufte.
Tous les yeux , tous les coeurs ſe ſont tournés vers
toi .
Lepauvre conſolétend les bras à Con Roi .
Dubonheurqu'il eſpère il embraſſe l'image ;
Et déjà de ton règne adore le préſage.
Sans doute ſon eſpoir ne fera pas trompé.
De tes devoirs nouveaux profondément frappé,
Tumontres deton rang une frayeur modeſte ;
C'eſt cetheureux effroi , c'eſt lui que j'en atteſte ;
C'eſt le garantdes biens que nous allons goûter ;
Qui craint le poils d'un Sceptre eſt fait pour le
porter.
Mais pour quoi craindre tant le Trône & ta jeu
nelle?
Dans ces jours de diſcorde , où le Rei , la Now
bleffe ,
Les Barons , les Vatlaux , diviſés tous entre eux ,
Cherchant tous à ſe nuire , étoient tous malheur
reuz ,
Aiv
8 MERCURE DE FRANCE.
L'art de régner , parmi tant d'intérêts contraires ,
Sembloit un compoſé de ténébreux myſtères ;
Un art triſte & profond d'intrigues , decomplots
Irdigne des vrais Rois , indigne des Héros ,
L'artd'être tour- à -tour ou faux ou tyrannique ;
Qu'en vain Machiavel appela politique.
Mais aujourd'hui qu'enfin du Maître & des Sujets
Le plus étroit lien unit les intérêts ,
Nos heureux Souverains , sûrs de l'obéiſſance ,
N'ont rien à redouter que leur propre puiſlance ;
Et s'ils ont des vertus , ils ontles vrais talens .
Quiconque eſt juſte & bon peut régner à vingt
ans.
La ſcience des Rois est toute dans leur ame.
La vérité t'éclaire & la gloire t'enflamme.
Dans ton coeur bienfaiſant tes devoirs font tracés
:
Tu chéris tes ſujets : c'eſt en ſavoir aflez .
De l'Etat dans tes mains la fortune affermie
Aura pour fondement l'ordre & l'économie.
Ta lage vigilance & ton activité ,
Et l'amour du travail , baſe de l'équité ,
Repouflent loin de toi le menſonge , la brigue ,
Et vont déshonorer le talent de l'intrigue .
Le vice rougira fous un Roi vertueux ,
Et le luxe inſolent ſera vil à tes yeux .
Puiflelong-temps encor pour nous ſe reproduire
L'éclat du jour nouveau qui luit ſur cet Empire !
Je ne t'offrirai point , pour prix de tes efforts ,
JUILLET. 1774.
Les chanſons des neuf Scoeurs & leurs ſavans accords.
1.
Apollon quelquefois proſtitua ſa lyre.
Cet hommage fi beau , quand l'équité l'inſpire,
Fut louvent , je l'avoue , untribut mendié ,
Vendu par la baſſefle & par l'orgueil payé.
Honorons la vertu ſans flatter la puiſlance.
Il eſt pour toi ſans doute une autre récompenfe;
L'amour de tes ſujets , l'aſpect de leur bonheur ,
Les regards d'uneEpouſe & la voix de ton coeur.
:
Par M. de la Harpe.
AuRo I.
DU Prince Bien-Aimé que regrette la France
Nous retrouvons en vous la bonté, la douceur.
De votre auguſte Aycul aimable fuccefleur ,
Vous faites fur le trône aſſeoir la Bienfaiſance.
UneReine charmante y brille auprès de vous.
O Couple généreux ! ô ſublimes Epouz !
Régnez ſur tous les coeurs , voilà votre partage.
Quevotre Empire eft für ! de l'Amour c'eſt lowvrage.
1.
Quel ſpectacle offrez-vous àmes yeux enchantés !
Fuyez loin de la Cour , profanes Voluptés.
La Vertu chez Louis trouve un accès facile ;
Du Mérite ingénu ſon palais eſt l'aſyle.
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
LaVéritéfans fardpeut afterjusqu'à lui
Il l'appelle , il l'accueille, il eſt ſon ferme appui

Γ.
Du Peuple qui l'adore il veut être le Père.
Oluxe dangereux ! & brillante misère !
4
Fantôme du bonhear , toi qui confondsles rangs,,
Tu n'en impoles point à les yeux pénétrans..
Des tyrans fortunés , élevés par le crime ,,
L'Etatno ſeraplus l'efclave & la victime.
Revenez, âge heureux , ômoeurs du ſiècle d'ort !
La ſagefledosRois eft leur plus grand tréſor :
C'eſt ellequi, par-tout fait naître l'abondance .....
C'eſt un aftre éclatant,dont la douce influence
Du laboureur charmé prévient les voeux ardenss ;
İkmurit les moilons , il féconde les champs.
Que l'eſpoir des François, ce Prince jeune &
Jage 2
GrandDieu , danstous lestempe foieta plus digee
image !
Répands fur lui tes dóns ,qu'il chériſſe ta loi!!
faitnous conſoler à la fleurde fon âge;:
Quedebeauxjours promet l'autore demonRoi
4
ParM. Marteau...
JUILLET. 17744
VERS donnés à Madame ADELAIDE ,
àChoiſi, après ſa convalescence , le 20
Juin 1774.
Après les craintes , la triftefle
Que votre vue a pour nous de douceurs !!
Vous vivoz ,auguſte Princeſſel
Jamais plaifir plus doux n'a pénétré nos coeurs
Touché de nos chagrins , ſenſible à nos alarmes,,
LeCiel vient d'eſſuyer nos larmes..
Il fait combien vosjours ſont précieux
Amille coeurs pour vous pleinsde tendreſſe ;
If fait que l'indigent n'a point d'autre richeſſe ,.
Et combien vous aimez à faire des heureux ;
Sur ſonplus digne ouvrage il va veiller fans cefle,,
En prolongeant vos jours au gré de nos ſouhaits
En nous confervant à jamais.
Votre ame généreuse&bella ,.
De toutes les vertus l'alyle & le modele;
C'eſtnouscombler de ſes plus doux bienfaits
ParM. Bede StP
1:1
12 MERCURE DE FRANCE..
• COUPLETS fur la bienfaisance du Roi
& de la Reine.
:
AIR : Or écoutez , petits & grands.
FAIRE des heureux àvingt- ans
Eſt bien le bonheur le plus grand.
Tu poſledes la bienfaisance.ro/
JeuneMonarque dela France...
Antoinette comble tes voeux
En voulant tous nous rendre heureux
Un jour chaſſant avec fureur ,
On crutſeconder ton ardeur.
En voulant traverſer des terres
Renfermant des grains falutaires ;
"Cesguérets ne font pas à nous :
Je reſpecte lesdroits de tous..
C'eſt ainſi que tu préludois
Le bonheur du Peuple Français
Antoinette faiſoit de même ,
Pleine d'une bonté fuprême,
Achère a vucouler ſes pleurs.
Et l'infortuné ſes faveurs..
DeTriptoleme imitateur
Unjour tu te fis laboureur,
:
JUILLET. 1774. 13
:
Et prenanten mainla charrue
Tu dis , d'un ame toute émue :
Honorons de ces laboureurs
Et les travaux & les fueurs.
Pour nous rendre long- temps heureux
Tuveux d'unmal contagieux
:
Subir la maligne influence :
Oui , c'eſt inoculer la France.
Grand Dieu ! veille du haut des cieux
Sur des jours auſſi précieux.
DANS
VERS AU Rol..
ANS Athènes , dans Rome un farouche vain
queur
Encensé par la flatterie
Méritoit par ſa barbaric
Le beau nom de libérateur ,
Et ſouvent n'avoit eu que le triſte bonheur
D'enfanglanter la terre & ſa patrie.
Juſte , & plus bienfaifant que ces héros fameux
Inſcrits au temple de Mémoire
Afaire des heureux vous mettez votre gloire ,
Et,pour tribut de vos foins généreux ,
Vous n'exigez, pour vous quelledouce victoire!
Devos ſujets que l'amour & les voeux.
Yous entendez les cris de leur reconnoiflance;
14 MERCURE DE FRANCE.
Leur amoureſt ſans borne , ainſi que vos vertus ,
Leur bonheur à jamais paffe toute efpérance ;
Le TrônedesBourbons eſt celui desTitus.
:
ParMaeMartin ,épouse d'un Procureur
au Châtelet.
QUATRAIN à la louange des
LOUIS XVI
MES Concitoyens ! nous poſlédons un mat
tre
Modèle des vertus&le ſoutien des moeurs ;
Méritons ſon amour , & failons lui connoître
Qu'il n'eſt doux de régner qu'en règnant dans les
coeurs.
ParleMarquisde la Tournelle, Chev. de St
Louis, ancien Cap. de Gendarmerie.
L'INGRAT PUNE , Nouvelle traduite de
I'Italiende Cinthio, par M. Flandy...
ANS Dans le temps que Selim tenoitl'Em--
pire Ottoman , des Corfaires lui firenet
préſent d'un jeune Eſclave de Corfouy ,
JUILLET. 1774
nommé Aladin , très bien fait & remplis
de belles qualités . Ce Prince , tout cruel
qu'il étoit& altéré du ſang desChrétiens,.
charmé de la phyſionomie du jeune homme
, lui laiſſa la vie , ſous condition de:
renier la vraie foi dans laquelle il avoit
éré élevé juſqu'à l'âge de quinze ans. Aladin
ſe voyant entre les mains du Mo-
Darque ſanguinaire , réſolut,autant par
foibleſſe & inexpérience , que par
crainte , de rendre en apparence hommage
à Mahomet , réſervant au fond
du coeur le vrai culte qu'il étoit obligé de
renier. Le jeune eſclave croiſſoit de jour
en jour enmérite , &la bienveillance de:
Selim à proportion ; ce qui fâchoit les
Grands de la Cour. Un d'entr'eux , nom
mé Facardin , s'étoit rendu ſi odieux au
Sultan , que , démis de ſa charge , it rif
quoit encore pour la vie. Cet homme
penſa que fi Aladin , favorisé comme it!
P'étoit da Monarque , intercédoit pour
lui , il obtiendroit aisément ſa grâce. It
fat donc le trouver , lui expoſa ſon infor--
tune ,& le conjura de s'intéreſſer en fa
faveurauprès de Selim , pour qu'il le ré---
tablit dans ſon poſte , jurant à fon pro
secteur une reconnoiſſance éternelle.
Aladin qui étoit porté àrendre ſervices,
!
16 MERCURE DE FRANCE.
voyant une occaſion de ſervir Facardin',
lui promit de ne rien oublier pour le fatisfaire
; ayant faifi un inſtant favorable ,
il épuiſa ſon éloquence en ſa faveur auprès
du Sultan. Selim étonné de l'entendre
parler ſi fortement pour cet homme ,
lui dit : « Tu ne connois pas comme moi
>>le naturel de Facardin; ne crois pas que
>je l'aye dépouillé de fon emploi par haine;
c'eſt qu'il m'en paroihoit abfolu-
>>m>ent indigne. Mais pourque tu n'ayes
jamais à te plaindre d'aucun refus de
*ma part , je veux bien te complaire à ce
>>ſujet : non que j'eſpère qu'il ſe corrige
"à l'avenir , mais pour te convaincre qu'il
>>ne mérite pas le poſte où tu veux le ré-
>>tablir.>> -Je n'ai garde , répondit Aladin
, d'induire V. M. à agir contre fon
gré. Je croirois faire tort aux fentimens
d'un ſujet auſſi dévoué & reconnoiffant
que je le ſuis. Mais comme je m'affure
que Facardin , déſormais ſerviteur inviolable
, n'aura d'autre fouci que de plaire
à V. M. j'oſe l'implorer en ſa faveur ,
perfuadé qu'il tiendra la promeffe qu'il
m'a folemnellement donnée. -Je veux
le croire comme toi; mais tu verras que
nous ferons dupés tous les deux. - J'espère
que non,fi les faits répondent aux paroJUILLET.
1774. 17
les. -Je le ſouhaite : ainſi , va lui dire
que je n'ai pu refuſer ſa grâce à ta médiation.
Aladin remercia l'Empereur , &
fut chercher Facardin pour le lui préſenter.
Selim le reçut avec bonté & lui rendit
ſa charge , en lui diſant : tu en as l'obligation
à Aladin. C'eſt à toi de te comporter
de manière à ne pas le faire rougir
de s'être intéreſſé pour toi. Facardin promitd'obéir.
Dès que le perfide ſe crut aſſez accrédité
auprès du Sultan pour pouvoir compter
ſur ſa confiance & perdre ſon bienfaiteur
, il ſe mit àruminer comment il
pourroit le rendre ſi odieux à l'Empereur,
qu'il le fit mourir ; préfumant qu'une fois
ſacrifié , lui-même gagneroit affez d'afcendant
fur l'eſprit du Monarque pour
éclipſer tous les autres courtiſans. Dans
la foule des moyens qu'il rouloit dans ſa
tête , il ne ſavoit auquel ſe fixer. La prédilection
du Sultan pour Aladin lui faifoit
craindre d'échouer , sil ne faifoit au
favori quelque imputation affez atroce
pour que le Prince ſe trouvat piqué au
vif. Montrant donc la plus vive reconnoiſſance
à Aladin , il couvoit fon noir
projet en fon coeur , en attendant une occafion
favorable de l'exécuter , quand la
IS MERCURE DE FRANCE.
2
fortune qui ſe plait à troubler le bonheur
deshumains , fit que le Sultan lui-même
la lui offrir .
Selim avoit dans fon férail une eſclave
, Chrétienne d'origine , que des Corfaires
lui avoient donnée ainſi qu'Aladin.
Il l'avoit auſſi forcée d'embraſſer l'Alcoran;
&,fa beauté la lui rendant extrêmement
chère , il en étoit jaloux à l'excès .
Mais plein de confiance dans Aladin , il
le fit chambellan de la jeune Odalique ,
lui ordonnant d'en avoir le plus grand
foin, Le favori accepta l'emploi , & s'en
acquitta avec d'autant plus de zèle qu'il
reconnut ſa ſoeur dans la jeune perſonne
appelée Tamulie. Captive une année
avant Aladin & remiſe au Sultan , ſa
beauté , accompagnée des graces les plus
touchantes , l'éteva bientôt au-deſſus des
autres femmes de l'empire. Tamulie qui
avoit auffi reconnu fon frère , lui faifoit
mille carefſes , ſans découvrir le lien du
fang qui les uniffoir .
Facardin avoit vu avec peine Aladin
créé chambellan de Tamulie ; mais fongeant
qu'il pourroit s'ouvrir par là une
voie pour accomplir fa méchanceté , au
milieu du chagrin que lui caufoit la fiveur
d'Aladin ,il fut ſaiſi de ce tranſport
JUILLE . 1774.

dejoie qu'ont les envieux, quand , pea
contens de ravir à quelqu'un ſa félicité ,
i's comptent le faire périr cruellement.
Le ſcélérat voyant les témoignages d'ami .
tié & les préfens mutuels du frère & de
la ſoeur , réſolut , à la faveur de ce prétexte
, de donner de l'ombrage au Sultan .
Unjour que Selim diſcourant avec lui ,
lui faiſoit l'éloge d'Aladin , le perfide
répondit : Les Princes ſe trompent fou-
>>vent fur le compte de leurs ferviteurs,
*jugeant peu dignes de leur confiance les
>plus fidèles , & très affidés ceux qui ne
>>cherchent qu'à les tromper. Vous êtes
>>dans le cas, Sire; car à ſuppoſer qu'Aladin
ait toutes les bellesqualitésdont ilpa-
>>roît doué aux yeux de V. M. , fa perfidie
>>envers l'Etat lesternit toutes à tel point ,
>>qu'il doit êtreréputéle plus coupable courtifanqui
futjamais.» Ace difcours Selim
conſidérant les obligations que le traître
avoit à Aladin , répliqua : « Est- ce-là le
»prix du ſervice qu'Aladin te rendit en
te rétabliſfant fibien dans mon efprir ,
>>que je t'ai fait ministre d'état , d'écuyer
>>diſgracié que tu érois ? »-Sire,je m'avoue
redevable àAladin ,& je me fercis
tû û je n'eutfe confulté que ſes ſervices.
Mais vous devant plus qu'à lui , je ſuis
رد
20 MERCURE DE FRANCE.
contraint de révéler ſa perfidie , par le
zèle que j'ai pour V. M. -Et comment
te ſemble-t- il ſi perfide ? Sa conduite ne
m'a offert juſqu'ici aucun ſigne de ce que
tu avances . -Je le dirai , Sire , pour le
bien de V. M. l'opinion que vous avez
conçue de lui , faute de le connoître à
fond , vous fafcine les yeux au point de
le croire un modèle de fidélité ; & il vous
en manque dans l'objet le plus eſſentiel .
-En quoi donc ? -C'eſt qu'établi par
vous gardien de Tamulie , il fait tous fes
efforts pour s'en rendre poſſeſſeur ; &, fuivant
l'apparence , elle ne lui feroit pas
avare de ſes faveurs , ſi elle ne redoutoit
votre courroux . Cette crainte lui ſert de
frein; mais comme il n'eſt coeur de femme
ſi dur que les prières & l'amour n'amolliffent
, ſi l'on n'arrête cette intrigue ,
je ſuis fûr que cet homme déloyal trouvera
le ſecret de jouir de l'objet de votre
tendrelle.
Au nom deTamulie , Selim montrant
un viſage tout en feu , s'écria : Aladin
cherche donc à m'enlever mon idole !
Oui , Seigneur ; & fi la prévention ne
vous eût fait illufion ; ſi vous aviez obfervé
la conduite d'Aladin envers Tamu.
lie , vous auriez vu la vérité de ce queje
JUILLET. 1774. 21
dépoſe. Quant à moi,je ne ſuis point furpris
qu'un étranger , d'une religion contraire
à la nôtre , ne garde point la foi à
V. M. Les Chrétiens ne nous tiennent
pas moins pour leurs ennemis que nous
les regardons comme les nôtres . Ils triomphent&
croient faire une oeuvre trèsméritoire
quand ils nous cauſent tout le
mal poffible ; & leur joie eſt meſurée ſur
la grandeur de l'injure. Aladin & Tamulie
font nés Chrétiens , & tous deux à
Corfou. La conformité de croyance & de
patrie pourroit bien faire que V. M.
croyant avoir l'entière poſſeſſion de la
belle Sultane , la partageroit avec un indigne
rival , d'où pourroient naître des
enfans qui, préſumés fils de V. M. , avec
le temps ufurperoient l'Empire de l'Orient.
Ce diſcours troubla beaucoup Selim :
cependant il répondit à l'accuſateur : « Si
>>les ſervices que te rendit Aladin ne me
>>perfuadoient qu'il faut qu'il y aille du
>>bien de l'Etat pour que tu me parles de
>>la forte , je te chârierois ſi durement du
>>mauvais office dont tu paies ton bien-
>>faiteur , que ton exemple apprendroit à
tous les mauvais coeurs quelle peine eſt
due à l'ingratitude. J'obſerverai Aladin.
>>Si je le trouve fourbe & impoſteur , il
22 MERCURE DE FRANCE .
aura le ſalaire qu'il mérite ; mais fi je
>>vois l'oppoſé , tu apprendras de moi à
>quel point les ingrats me font odieux.
>>J'y confens , ajouta Facardin , ſi j'en im-
- »poſe à V. M. »
La jalouſie une fois reveillée dansl'ame
de Selim , il ne fut plus maître de ſes
idées. Il ſe perſuada que Facardin étoit
ſincère ; & l'ayant trouvé un autre jour ,
ilmontra combien il eſt dangereux de
donner de l'ombrage à un homme pafſionnément
amoureux. J'ai réfléchi , lui
dit- il , ſur tes propos au ſujet d'Aladin ;
tu me parois véridique , &, quoique je
>>fache bien que Tamulie eſt trop hon-
>>nête pour ſe livrer à un autre que moi ,
>>je ſens néanmoins , comme tu me l'as
>>dit, que le ton familier qu'Aladin prend
avec elle, ne vient que d'un deſir amoureux
& d'un appétit libertin , & qu'il
>n'aſpire qu'à m'offenſer dans la perſon-
>>nede Tamulie que j'adore. Maisje rom.
prai ſes meſures. Je veuxque ſon exem.
>>ple apprenne aux courtiſans quelle ſcru-
>>puleuſe fidélité ils doivent à leurs Sou-
>verains. Je veux qu'indigne de périr par
>>la main d'un homme, le traître ſoit dé-
>>chiré par les bêtes féroces. » Jamaisdifcours
n'avoit ſi agréablement flatté l'oreil
le de Facardin, Seigneur ,reprit il , vous
JUILLET. 1774. 23
ferez très-bien . Aladın mérite affurément
le ſupplice auquel V. M. le condamne .
Selim avoit une ménagerie remplie de
lions & d'autres animaux féroces dont les
combats l'amuſoient beaucoup,& dont la
garde étoit confiée à gens très-affidés. Il
fit appeler un garde- lions , & lui dit : «Je
>>t'enverrai ce foir un exprès qui tedira ces
>>propres paroles : L'Empereur m'envoie ici
»pour favoirfi tu as exécutéfes ordres.A
>>ces mots tu arrêteras le meſſager , & le
>>feras jeter aux lions fans entendre aucu-
>>ne raiſon , fût- il reconnu de toi pourun
>de mes premiers officiers. » L'homme
aux lions promit d'obéir , & alla attendre
l'arrivée du député. L'Empereur mande
Aladin ,& lui donne l'ordre pour le garde-
lions. Le docile Aladin va où il eſt
mandé , mais très-inquiet. Il lui ſembloit
étrangede ſe voirdépêché vers un homme
auſſi vil , dans le poſte où il étoit. Craignant
quelque revers funeſte,en ſon voya
ge, il s'écarta du chemin ; & , comme la
nuit approchoit , il entra dans un bofquetqui
étoità ſa droite. Là, les yeux au
ciel , les genoux en terre& le coeur à Jefus
- Chriſt , il s'écria : « Seigneur , vous
>>ſavez que ſi ma fragilité me fit déférer
>en apparence aux préceptes de Mahomet,
votre faintNomn'en eftpas moins gravé
24 MERCURE DE FRANCE.
dans mon coeur , & que je n'ai ceflé de
vous adorer en ſecret de toute mon ame.
>>Je vous ſupplie donc , Seigneur , d'excuſer
ma foibleſſe; & fi l'ordre du Sultan
>>a quelque choſe de nuiſible pour moi ,
-de m'en préſerver & de m'ouvrir une
>>voie , pour qu'arraché à l'eſclavage & à
la ſuperſtition de Mahomet , je puiſſe
>> vous adorer en public ainſi qu'en fecret,
>>comme le Créateur&le Rédempteurdu
>>genre humain. " Aladintermina ſa prière
par le ſigne de croix , & reprit le chemin
de la ménagerie.
Facardin avoit aſſiſté à l'ordre donné au
garde- lions. Croyant n'apprendre jamais
allez tôt la mort d'Aladin , il le ſuivit de
près pour le voir dévorer par les bêtes.
Mais Dieu qui punit le crime & récompenſe
les bonnes oeuvres , permit que
pendant qu'Aladin prioit dans le bois ,
Facardin le devançat auprès du gardelions
, lequel attendoit ſur le chemin
celui que le Sultan deftinoit à ſervir de
proie aux animaux carnaciers. Facardin
l'accoſte & lui dit : L'Empereur m'envoie
ici pourfavoirfi tu as exécutéſes ordres.
A ces paroles le gardien jugea que
c'étoit l'homme en queſtion; & , comme
il avoit diffoſé tous ſes gens, il le fit auſſi
tôt ſaiſir & dépouiller pour être jeté aux
lions.
JUILLET. 1774. 25
lions. A la vue du péril , Facardin invo .
quant fon faux prophète , s'écrie : « Ce
n'eſt pas moi qui dois être livré aux
>>lions ; c'eſt Aladin. C'eſt pour lui qu'eſt
>>l'ordre du Sultan,&non pour moi. Laifle-
>>moi donc. Attends qu'il vienne : il ne
>peut être bien loin: su feras de lui ce
que tu me prépares. » L'impoſteur eut
beau parler ; tout fut inutile. Dépouillé
fur le champ , il fut livré aux lions , qui
exerçant fur lui leurs dents carnacières ,
ne laiſſèrent pas un de ſes membres entiers
. Aladin arriva bientôt. Il n'avoit pas
encore ouvert la bouche que le gardien
lui dit : " Sans doute , vous venez voir h
>>j'ai exécuté l'ordre de Sa Hauteſſe? Oui,
>>répondit Aladin ſans ajouter un ſeul
>>mot , attendant à quoi aboutiroit la queſ
>>tion du gardien . -J'ai traité , ajouta
>>celui ci , l'officier qui s'eſt offert à moi
"ſelon la commiflion que j'en avois ; & ,
menant Aladin vers les lions, illuimon-
>>tra le ſquelette&les habits du défunt . »
Acette vue, Aladin connut que Facardin
avoit fervi de pâture aux lions ;&, fachant
la haine qu'il lui portoit ( car la mauvaiſe
intention du perfide n'avoit pu être ſi ſe
crette qu'elle ne transpirat) iljugea qu'il
étoit venu pour lui voir faire la fin qu'il
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
avoit faite lui - même. Le gardien le con
firma dans cette idée , en lui diſant : "Cet
homme cherchoit à me tromper , & fou-
>>tenoit que ce n'étoit pas lui que je de-
>>vois livrer aux lions , mais un nommé
"Aladin . Quant à moi , déférant aux pa.
>>roles de mon Souverain & non aux ſien-
>>nes , j'ai voulu remplir ma miſſion ; ce
>>que vous voudrez bien dire à Sa Hau-
>>teſſe. >> Je n'y manquerai pas , dit Aladin,
qui, partant de la ménagerie, vit bien
que l'ordre avoit été donné pour lui &
non pour Facardin , & qu'il devoit fon
ſalut au vrai Dieu qu'il adoroit en ſecret.
Aufſi,lui rendant les plus humbles actions
de grâces , il réſolut de quitter ces clie
mats , le barbare Monarque & ſa loi
fauffe.
Aladin manioit d'ordinaire un courſier
très-docile que le Sultan montoit quand
il alloit à la ménagerie voir le combat
des animaux. Il ſongea à ſe tirer de là au
moyen de ce cheval , & dit au gardien de
le préparer ; que S. H. l'avoit chargé de
le lui amener. Le gardien obéit ; & Aladin
, ſur l'impétueux courſier , dirigea ſa
courſe vers l'Eſclavonie , diſant aux offiçiers
de l'Empire qu'il rencontroit , qu'il
partoitpourune commiſſion très-impor
JUILLET. 1774. 27
tante& fecrette de S. H. Les officiers le
voyant ſur le courſier impérial,& fachant
le crédit dont il jouiſſoit à la Cour , le
laiffèrent fuir ſans oppoſition. Arrivé en
pays Chrétien , ſon premier ſoin fut de
rentrer dans le ſein de l'Eglife .
Le Sultan qui croyoit Aladin dévoré par
les lions , ne voyant plus Facardin , étoit
tout étonné. Il le fit chercher ; & comme
on ne le trouvoit point &que perſonne
n'en avoit de nouvelles, il ne ſavoit qu'en
penſer. Au bout de quelques jours il lui
prit fantaiſie de faire combattre les animaux
; il fit demander ſon courſier au
garde - lions. Celui- ci dit l'avoir remis à
Aladin au nom de S. H. L'envoyé étant de
retour vers le Sultan avec la réponſe du
garde- lions: " Comment , s'écria ce Prin-
>>ce ! il n'a pas livré Aladin aux lions ? II
manda le gardien , & lui dit : pourquoi
>>donc n'as- tu pas exécuté ines ordres au
>>ſujet de l'homme que je t'envoyois ?
>>J'ai obéi , Sire . -Et comment ? ſi tu lui
>>as donné mon cheval pour s'évader ?
>>Je n'ai pas remis le cheval à celui qui
>>devoit être dévoré ; c'eſt à Aladin qui
l'a demandé au nom de V. M. Ec
>>c'eſt lui qui devoit périr. -Je ne ſais
ce qu'il en eſt. Vous m'avez chargé de
-
-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
>>jeter aux lions l'homme qui s'offriroit à
>>moi avec les paroles que V. M. m'avoit
>>d>onnées pour ſignal de ce que j'avois à
>faire. Il eſt venu un courtiſan porteur
>>de ces paroles , & j'ai fait de lui ce qui
>>m'étoit enjoint. -Et quel eſt ce cour-
>>tiſan ? quel habit avoit-il ? » Le gardien
déſigna l'habit du défunt , à quoi le Sulran
reconnut que Facardin avoit été la
proie des lions ; d'où il inféra que le
waître avoit accuſé à tort Aladin , & que
Dieu l'avoit puni de ſon impoſture &de
fon ingratitude envers ſon bienfaiteur à
qui ſouhaitant la mort , pour en être ſpectateur
, il avoit couru à la ménagerie. Il
admira la juſte providence de l'Etre Suprême
, qui avoit fait ſubir à l'inique artifande
la mort d'Aladin le même ſupplice
qu'il lui avoit préparé ſi injuſtement.
Le bruit répandu à la Cour que l'Empereur
avoit voulu faire périr Aladin
pour avoir tenté de jouir de Tamulie ,
étoit parvenu juſqu'à Aladin lui - même
en fon aſyle. Ne voulant pas qu'une tache
fi honteuſe ſouillât ſa fidélité , il écrivit
au Sultan qu'on l'avoit fauſſement accufé
auprès de S. H.; que pour le convaincre
de ſon innocence , il lui apprenoit que
JUILLE Τ. 1774. 29
Tamulie étoit ſa propre foeur ; qu'expofé
à une mort cruelle & ignominieuſe par
le crédit de ſon calomniateur , pour s'y
ſouſtraire & non par manque de fidélité
pour S. H. , il s'étoit enfui fur fon courfier
,qu'il lui renvoyoit pour qu'on ne pût
pas dire qu'il eût jamais rien pris au Sultan.
Quand Selim eut vu la lettre du fugitif
, il demanda à Tamulie quelle liaifon
ily avoit entre elle & lui? Nulle autre
, répondit - elle , ſinon que je ſuis ſa
foeur. A ces paroles , Selim maudiſſant ſa
fatale prévention qui l'avoit privé d'un
ferviteur auſſi fidèle , uſa de toute diligence
imaginable pour le rappeler. A fon
refus, la bienfaiſance eut tant d'aſcendant
fur ce coeur barbare , qu'il ne voulut pas
qu'un ſi loyal ſerviteur reſtât ſans récompenſe.
Il lui envoya de magnifiques préſens
, & l'exhorta à marquer à tel Prince
auquel il s'attacheroit déſormais , le même
zèle qu'il avoit eu pour ſon ſervice .
Quelques mois après, Selim mourut,&
laiſſa de grandes richeſſes à Tamulie.
Laſſe de vivre au milieu des ſectateurs
de Mahomet , elle écrivit à ſon frère
qu'elle defiroit finir ſes jours avec lui
dans le ſein du Chriſtianiſme , & le pria
de la venir prendre pour la ramener dans
Bij
30 MERCURE DE FRANCE.
leur commune patrie. Aladin ayant obtenu
un ſaufconduit de Soliman , qui
avoit fuccédé à l'Empire , alla à Conftantinople
, d'où il ramena à Corfou ſa
foeur, qui, laſſe des vanités du ſiècle, s'enfermadans
un couvent, laiſſant à fon frère
tous ſes tréſors. Aladin pourvut amplement
à tous ſes beſoins dans ce monastère
qu'il enrichit. C'eſt ainſi qu'après la mort
de l'ingrat & déteſtable Facardin , Aladin
s'étant arraché à l'eſclavage & au mahométiſme
, délivra ſa ſoeur ; & , rendu à la
vraie foi , paſſa le reſte de ſes jours dans
la proſpérité.
LES progrès du Luxe arrêtés , Ode
au Roi.
Luxe , deſtructeur barbare
DesEtats ſoumis àta loi ,
Les coups que ton orgueil prépare
Vontdonc ſe tourner contre toi !
Oui , c'en eſt fait , trompeuſe idole ,
Le bras de Louis qui t'immole ,
Aton joug va nous dérober :
Déjà plus humble & plustimide ,
Tuprends ànos regards un eſſor moins rapide :
Tremble... lejour approche oùtu dois ſuccomber.
JUILLET. 1774.
De ton trône à jamais durable ,
Tu croyois que la main du temps',
Sur une baſe inébranlable
Avoit aſſis les fondemens .
Tu diſois : « Puiſſant & tranquille ,
>>Du François à ma voix docile
>>Monjoug ne peut être briſé ,
>>Qu'à la fin tout cet édifice
Ne comble , en s'écroulant , le vaſte précipice
Qu'à loiſir , ſous ſes pas , ma fureur a creulé.
En vain , conſtante dans ſa haine ,
>> Carthage avoit du fang Romain
>G>r>oſſi les flots deTraſimene ,
Et rougi les bords du Téfin :
>>>Rome , toujours victorieuſe,
>>Plus brillante & plus glorieuſe ,
>>Sortoit du gouffre de ſes maux :
>>A>inſi , dans l'ombre du filence ,
>>L>'ormeau , plus fier encore&plus hardi , s'élance
>>Sous l'acier rigoureux qui parcourt ſes rameaux
>>Mais ſur les pas de la Richeſſe ,
>>Guidé par cent détours obſcurs ,
Joſai , rampant avec adreſſe ,
>>Me glifler juſques dans ſes murs.
>>Là , pour ufurper ſon hommage ,
>>L>eplaifir , dontj'offris l'image ,
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
>>De fleurs entrelaça mes fers ;
>>Etbientôt , par degrés ſappée ,
>>Rome , d'un dernier trait mortellement frappée,
>>S'>affaiſſa ſous ſon poids& vengeal'Univers.
>>Il n'eſt plus cet hydre ſuperbe ,
Demes coups témoin éclatant ;
Dans ſes reſtes cachés ſous l'herbe ,
Lis , François , le ſort qui t'attend :
>>Et ne crois pas à mon empire ,
D'un bras armé pour me détruire ,
>O>p>poſer le foible ſecours :
Le fils du Maître du tonnerre *
Ne peut plus , quand les Dieux le rendroient à la
terre,
Du torrentqui t'entraîne interrompre le cours. »
Mais de tes trames criminelles
Les noeuds ſecrets ſont apperçus :
Louis paroît , & tu chancelles ;
Il te menace , & tu n'es plus.
Tombe à les pieds , coloſſeimpie ;
Qu'enfin ce ſacrifice expie
Les maux qu'a caulés ta fureur :
Que, déſarmé par la victime ,
Le Cielnous applaudifle & referme l'abyſme
Où ton charme fatal précipitoit l'erreur.
*Hercule.
JUILLET . 1774. 33
Me trompé-je ? ô Dieux ! quelle aurore
M'éblouit d'un éclat loudain ;
Un ſoleil plus beau vient d'éclorre ,
L'air eſt plus pur & plus ſerein.
Mais n'est- ce point un doux menſonge
Que le ſommeil préſente en fonge
A mes yeux dans l'ombre abuſés ?
Ou les plaiſirs imaginaires
De ces temps fortunés & féconds en chimères ,
Vont- ils donc, de nos jours, être réaliſés ?
La fiction fuit , & fait place
Au flambeau de la vérité.
Louis s'avance , & ſur la trace
Voit germer la félicité.
Cérès qui , longtemps dédaignée ,
Laiſloit , juſtement indignée ,
Languir nos coupables ſillons ,
Court, prodigue en ſa bienfaiſance ;
Au trône de Louis enchaîner l'Abondance ,
Et nous rend pour jamais ſa préſence & ſes dons.
O Louis ! ô mon tendre Père !
OPrince , objet de mes accens !
O Princefle adorable & chère
A tous les coeurs reconnoiſlans !
Qu'il doit , l'amour qui nous anime ,
Enivrer votre ame fublime
D'un ſentiment délicieux !
By
34 MERCURE DE FRANCE.
Ah ! malheur à quiconque en doute !
Lebonheur qu'on répand , & celui que l'on goûte,
Sont entr'eux attachés d'indiflolubles noeuds.
Et vous , Parques , de ines années ,
Reculez , s'il ſe peut , la fin ;
Que le filde mes deſtinées
Tourne plus lent ſous votre main.
Faites qu'après trois fois cinq luftres ,
De ces deux Monarques illuftres
La France adore encor la loi :
Et quand vous ouvrirez ma tombe ,
Que mes derniers ſoupirs foient , avant que j'y
tombe,
Des voeux formés encor pour les jours de mon
Roi.
VERS AU Roi Louis XVI.
Daux IUX Princes auront fait lesdélicesdumonde.
Un nouveau Titus va régner.
Il ne fautplus nous confterner ,
Français ; d'un jeune Roi la ſageſſe profonde
Le rend digne de gouverner.
L'Epouſe que leCiel a daigné lui donner
Lui plaît , nous aime , &le ſeconde.
Quele plus doux eſpoir ſuccède à ladouleur.
JUILLE Τ. 1774. 35
GrandDieu ! que n'êtes- vous féconde ,
Princeſſe , pour notre bonheur !
Déjà l'Univers le contemple
Ce couple heureux , l'admire en chantant ſes vertus
,
Er , pour modèle , aux Rois propoſe ſon exemple.
Louis le Bien Aimé n'eſt plus ...
D'un Roi ſi bienfaiſant reſpectons la mémoire ,
Français , mais ſans le regretter.
Louis , avant vingt ans , émule de ſa gloire,
Saura bien la repréſenter....
O prodige ! auſſi , dans l'hiſtoire ,
Le beau nom qu'il va mériter !
Par M. Faypont , ancien Bailli de
Joinville en Champagne.
SUR LA MORT DE LOUIS XV.
FRANCE ! ton Roi ſuccombe... & regrets fuperflus
!
Pleure ta perte. Hélas ! tonBien-Aimén'eſt plus.
Fatale illuſion d'une trop courte vic !
Des Français l'eſpérance en un jour eſt ravic...
Si jamais le néant de l'humaine grandeur ,
Dans un triſte appareil en s'offrant à mon coeur ,
Par d'utiles leçons m'apprit à le connaître ;
C'eſt ſur-tout quand Louis notre amour , notre
maître,
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
En bute à ta fureur , expire ſous tes coups ,
O mort ! cruelle mort! pour le malheur de tous !
Des Rois ambitieux nourris dans les alarmes
Ont cherché les moyens d'illustrer par leurs armes
Un nom ſouvent funeſte à leur propre pays ...
Les charmes de la paix furent ceux de Louis :
Toutefois , foutenant l'éclat de fa couronne ,
Il ſur bien ſe défendre & n'attaqua perſonne.
Satisfait de régner dans le coeur des François ,
Il compra tous ſes jours par autant de bienfaits.
Superbes bâtimens , I Ecole de la guerre ,
D'intrépides guerriers , féconde pépinière ;
Citoyens 2 fortunés enrichis par ſes ſoins ,
Qui du cultivateur prévenez les beſoins ,
Et vous , ponts orgueilleux 3 , dont la mafle immobile
Brave des flots groſſis la fureur inutile ,
Magnifiques palais 4, vous, temples immortels ,
De ſa Religion monumens éternels s ,
Sombres bois éclaircis 6 , montagnes abattues 7 ,
Agréables chemins 8 percés en avenues
1 L'Ecole militaire. 2 L'Ecole d'agriculture.
3 Les ponts de Neuilly , Mantes , Orléans , &c.
4 L'hôtel de la Monnoie , &c. f Les Egliſes. 6 , 7,
8 Les grands chemins , & généralement tous les
monumens qui éterniferont le règne bienfaiſant
de Louis XV.
JUILLET. 1774. 37
Où l'on voit en touttemps , comme dans un verger
,
Voyager en reposle François , l'Etranger ,
Aux pâles envieux ſans qu'il faille répondre ,
Eternifant Louis , vous ſaurez les confondre !
Oui , Français , votre Roi , des temples éternels
Laillant tomber ſur vous ſes regards paternels ,
Et ſans cefle veillant au bonheur de la France ,
Ne vous fera ſentir que les maux de l'abience...
Quoi ! votre amour s'obſtine à demander Louis ?
Eh bien! léchez vos pleurs , il revit dans ſon fils...
C'eſt la mêmebonté , c'eſt la même ſageſle
Qui ſe montre à vos yeux ſous cet air dejeuneſſes
Et le Ciel attendri de vos gémiſſemens ,
Vous redonne Louis à la fleur de ſes ans.
Déjà le Crime altier , prévoyant ſa défaite ,
Se creuſe , en frémiſſant , une obſcure retraite ,
Et du luxe orgueilleux le pouvoir rétréci
S'alarme au ſeul penſer de Louis rajeuni.
ParM. P. F.G. Cerceau ,
deMeaux.
38 MERCURE DE FRANCE.
VERS A LA FRANCE.
A la gloire de LOUIS XV & de fon
Succeffeur.
Cesse de t'alarmer ESSE , ô ma chère patrie !
Le reſpectable Roi dont tu pleures la mort ,
Jouit , parmi les Dieux, d'une nouvelle vie ,
Que ne peut altérer l'inconſtance du Sort.
Il n'eſt rien que pour toi ſon ſucceſſeur ne fafle.
En ſuivant le chemin que lui-même il ſe trace ,
Le petit- fils bientôt égalera l'aïeul .
CePrince ne ſera ni moinsbon ni moinsjuſte ;
Puiſqu'au nomde Louis il joint celui d'Augufte ,
Il faut qu'un ſi beau nom ne ſoit dû qu'à lui ſeul.
Par M. Bellot , étudiant en Droit
àPoitiers.
Sur l'Inoculation de la Famille Royale.
Duu feu Roi la fin déplorable ,
Pour ſon auguſte ſucceſſleur ,
Pour Monfieur , pour leur Frère & fa Compagne
aimable ,
Nous faiſoit craindre un ſort ſemblable.
JUILLET. 1774. 39
Banniflons déſormais une vaine terreur.
Ce monſtre impur qui renaît de ſa cendre ,
Que tôt ou tard on voit fondre ſur nous ,
N'eſt funeſte qu'à ceux qui s'en laiſſent ſurprendre
;
Mais on fait braver ſon courroux ,
Quand on oſe , au lieu de l'attendre ,
Le provoquer & prévenir ſes coups.
C'eſt ainſi que le Prince & ſa ſoeur & ſes frères
Ont triomphé d'un fléau deſtructeur ,
Et nous ont pour jamais délivrés de la peur
De le voir attenter ſur des têtes ſi chères .
Les Docteurs incertains fembloientfe partager;
Louis a décidé ce qu'ils n'ofoientjuger.
Par M. L. P. Maffon.
FICTION en l'honneur de M. le Duc
de N**.
ARGUMENT.
Un Muſicien réclame la protection de
M. le Duc de N ** auprès du Roi pour
obtenit une charge dans l'une des Maifonsdes
Princes . Il profite de l'idée qu'ont
euelesMythologiſtesde repréſenter Erato
fur le Parnaſſe , ſous la figure d'une jeune
40 MERCURE DE FRANCE.
tiile ayant un Amour auprès d'elle. Le
Muficien ſuppoſe que cet Amour lui ap .
paroît en dormant , & lui remet un billet
pour Linus . Ce billet eſt cenſé d'Apollon
&de Therpſicore deſquels naquit Linus.
Le Muſicien donne le billet à M. le Duc
de N **
adreffe.
**, & prouve qu'il le remet à fon
T
FICTION .
ANT que le Dieu de la lumière
Guidant fon char brillant , fait ſur notre hémiſ
:
phère
De ſes rayons pourprés éclater les faiſceaux ,
Dans mon réduit ouvert à tous les maux ,
Trifte & confus , je penſe à ma misère .
Mais fitôt que la nuit a pu fermer mes yeux ,
Heureux , ſous les ombres propices
Je fors du fond des précipices ,
Et je m'envole dans les cieux.
Hier , ſur un chalit où je n'ai que ma place ,
Triſtement étendu , mon noir plafond en face ,
J'attendois du ſommeil mon changement d'état ,
Et je diſois ſur le ton du Stabat :
Je dois au Dieu de l'harmonie
Le peu de goût & de génie
Qu'on apperçoit dans mes refreins.
Je fais valoir , par ſes accords divins ,
JUILLET 1774 41
Les madrigaux , les vers badins
Dictés par l'aimable Thalie.
Demes chants quelquefois la touchante magie
Des mortels malheureux diſſipa les chagrins.
Quel en ſera le prix ? Quels ſeront mes deſtins ?
O vous , dont en naiſſant j'ai reſpiré l'ivreſſe ,
Vous dontj'ai noté les chanſons ,
Muſes , dois-je toujours vivre dans la détreſſe ?
Eſt-ce donc là le ſort de tous vos nouriſſons ?
Par ces mots , prononcés ſans fiel & ſans audace ,
Je finis d'exprimer l'excès de mes tourmens.
Mes accens juſques au Parnaſſe
Furent emportés par les vents.
Odoux ſoulagement ! ô charme ſalutaire !
Sur ce grabat , où je me déſeſpère ,
Où ſemble m'étendre Atropos ,
La main du bienfaiſant Morphée
Couvre mes yeux de les pavors.
Moins promptement la plus puiſſante Fée
Par ſon pouvoir eût diffipé mes maux.
Mon lit ſe change en un trophée
Formé des myrthes de Paphos ,
Des touchants attributs d'Orphée
Et des couronnes des Saphos.
D'un front riant les aimables menſonges
Me font boire l'eau du Léthé :
Je m'endors , bercé par les longes
Comme un Sybarite enchanté.
42 MERCURE DE FRANCE.
De mon ame agiſſante ô ſuprême avantage !
Jediftingue les corps , & mon oeil eſt voilé :
Je ſuis fans mouvement ; cependant je voyage
Juſques au ſéjour étoilé.
Des ceintres azurés ſe détache un nuage ;
Tranquilles ſouverains de la céleste plage
Les Zéphirs, juſqu'à moi , l'ont doucement ſoufflé.
Il s'ouvre , & me préſente unjeune enfant ailé ,
Un Amour , dont l'aſpect eſt ſeul d'un doux préſage.
LaMalice , en ſes traits , ne dément point fon âge.
Un feinte ſérénité
N'eſt point fon dangereux partage.
Ce n'eſt pointCupidon : je vois ſur ſon viſage
La pudeur, la nobleſſe & l'ingénuité .
Je l'interroge: il parle ,& ſon tendre langage
Dans mon coeur porte le courage
Avec l'eſpoir & la félicité.
Ami , dit-il , je ſuis le compagnon fidèle
De la jeune Erato ſenſible à tes chagrins.
L'héritier d'Apollon changera tes deſtins ;
Il eſt prêt d'accomplir ce que je te révèle:
Déſormais tu ne croiras plus
Que le Parnaſſe t'abandonne.
Prends cet écrit; il s'adreſle à Linus.
Auprès de lui va , vole ; Erato te l'ordonne :
Rends grâce à ſes bontés, & reconnois Phébus.
Il dit; & , commeun trait partant avec viteſſe ,
JUILLET. 1774. 43
Il fut ſe replacer auprès de ſa maîtreſſe.
Le lendemain , quand j'eus frotté mes yeux ,
J'apperçus près de moi ( le fait eſt merveilleux)
Ce même écrit , que d'un ton prophétique
De l'aimable Erato le meſſager charmant
M'avoit remis ; j'ai volé dans l'inſtant
Vous porter ce titre authentique.
Quel mortel eſt plus ſéduiſant ,
Plus affable , plus magnifique ?
Quel autre a , comme vous , l'amour de la muſique,
La paſſion des arts & le feu du talent
Oui , vous êtes Linus : tout m'en eſt legarant ;
Tout le décèle , tout l'indique.
De mon Roi l'ami véridique
Ne peut être qu'un Dieu ſous l'air d'un courtiſan.
Billet d'Apollon à Linus.
De par Phébus &Therpſicore
N'oubliez pas , près de Louis ,
B ** , l'un de nos favoris
Quidepuis long-temps nous implore.
J'irai vous voir : adieu , mon fils .
Par un Affocié de l'Académie
deMarseille.
44 MERCURE DE FRANCE .
MA RETRAITE.
CELUI qui a oſé dire que la vie eſt un
mauvais préſent de la Nature , a blafphemé.
Que faut- il pour être heureux ? Du
pain , une femme , des enfans & un coeur .
Qu'ils déteſtent la vie, ceux qui l'empoifonnent
de plaiſirs factices , de jouiſſances
forcées , & fur-tout de crimes , de remords,
de paſſions tumultueuſes; maisun
honnête homme qui obſerve paiſiblement
les loix , qui n'augmente les maux de la
ſociété ni par fon luxe ni par aucun autre
vice , qui fait au contraire tout le bien
qu'il peut , croyez-vous que fon fort ne
paiſſe pas être appelé un état heureux ?
Qu'il ſe livre encore à la délicieuſe eſpérance
de l'immortalité , & il ſe trouvera
alors élevé au degré de bonheur des anges.
Comme eux, il fast dubien ,& ne fait que
du bien . Il joint à tous les plaiſirs furnaturels
dont l'élévation& la ſérénité de fon
ame le rendent capable , tous les plaifirs
ſeoſibles, plaiſirsdontles anges ne ſeroient
que foiblement dédommagés, s'ils ne l'étoient
par la vue de Dieu même ... Cet
homine eſt le modèle que je me propoſeà
JUILLE Τ. 1774. 45
(
moi & à tous ceux qui ont quelqu'idée du
vrai bonheur. Voici comment,à la ſuite
de mon guide , je tâche d'y arriver.
Ce n'eſt pas une folitude que ma retraite.
Non, ce n'en n'eſt pas une. La ſolitude
reſſemble trop au néant. Malheur à
l'homme qui estseul ! Il s'oppoſe à Dieu.
Lesmorts ſont utiles : l'enſemble des atomes
qui les compoſoient ſe répand de nouveau
dans la maſſe des êtres. Leurs ames
s'élèvent dans les ſphères ſupérieures ;
mais les folitaires , à quoi font ils-bons , excepté
letrès- petit nombre de ceux qui ſont
des anges ici-bas ?
,
La vie ledon inestimable de la vie ,
celui plus inestimable encore de la ſenſibilité
& des vertus , je le tiens de mes
pères , je le tiens de Dieu , je le partage
avec ma femme , je le tranſmets à mes
enfans. Je ſuis dans l'ordre , nos voeux
font comblés ... mes enfans ! leur mère !
que cela eſt doux à nommer! .. Il vientde
m'en naître un le jour même où le Roi
nous a promis que pour ſon bonheur &
pour le nôtre il ſeroit le père de la France.
J'ai donné àmon fils le nom de Louis. J'ai
mis dans la même bordure, ſous la même
glace , l'édit du Roi & l'extrait baptiftaire
de mon fils , que j'ai énoncé en ces termes:
Le 30 Mai 1774 ,jour éternellement mé
46 MERCURE DE FRANCE.
morable où Louis XVI nous a promis le
bonheur, est népour être heureux, Louis, &c.
,
11 va croître ſous mes yeux dans le fein
où il a été formé cet enfant qui m'eſt
doublement cher, & parce qu'il eſt mon
enfant , & parce qu'il me rappellera tous
les jours de ma vie , la bonté , la juſtice
du meilleur des Rois. Ma femme le nourrit
de ſon lait. Leur ſanté à tous deux &
l'amour mutuel qui doit faire leur bonheur,
dépend de ce premier devoir qu'il
eſt affligeant de penſer que toutes les mères
ne rempliffent pas.
Continuellement occupé ou des travaux
champêtres ou de la lecture de quelque
bon livre , je reçois parmi ces travaux
plus agréables que pénibles , les tendres
careſſes de ma femme & de mes
enfans . Je m'entretiens avec mes amis
detout ce qui intéreſſe le bien public , &
nous avons depuis quelque temps des choſes
bien intéreſſantes à dire. Nous entremêlons
à tout cela les innocens plaiſirs de
la table ; nous buvons & nous chantons,
parce que nous ſommes gais , parce que
nous ſomme ſains , parce que nous n'avons
nous-mêmes rien contre nous ; parce
que nous nous aimons réellement ; en un
mot parce que nous ſommes heureux,
JUILLET. 1774. 47
LE LIMACON & LA ROSE.
Fable.
Un jour un Limaçon diſoit
A la Rofe
Au pied de laquelle il rampoit :
Une choſe
Obſcurcit , je crois , vosappas;
C'eſt l'épine .
Sans cela vous ſeriez divine ,
N'oſe pas
Vous approcher qui veut , & même
Le Zéphir
Qui depuis fi long- temps vous aime ,
D'un ſoupir
Paye à peine votre tendreſſe.
Le plaiſir
Fuit : fixez- le ; tout vous en prefle.
Immolez
Al'Amour l'épine cruelle ,
Et plus belle
Encor vous paroîtrez . Parlez
Ce langage ,
Fût-ce à la femme la plus ſage ;
Il plaira.
Ilplut aufli ; tant pérora
Le reptile ,
48 MERCURE DE FRANCE.
Que la Roſe , enfin trop facile ,
Déſarma
Sa tige , & le rampant inſecte
Ymonta ,
De la tige , à la fleur ; l'infecte
La flétrit :
Dedouleur la Roſe en périt .
:
Si vous voulez qu'on vous reſpecte ,
Ne dépoſez jamais cette noble fierté
Qui ſert , fexe charmant , d'épine à labeauté.
Par M. Landrin
LE COURTISAN AU BAL ,
UN
Fable imitée d'un mot connu.
N courtiſan , dans certainbal , un jour
Lutinoit femme très-jolie.
De l'aimable Arthemiſe , après mainte folie ,
Il fit tomber le maſque , & voulut à ſon tour
Oter le fien . ( L'homme de Cour
Avoit percé . ) Monfieur, gardez le vôtre
Lui dit la Dame fans détour ;
Entre nous , j'aime autant ce maſque- là qu'un au
tre.
Par le méme.
LE
JUILLET. 1774.
49
i
LE MILAN , Fable .
MARGOT la Pie & le ſavant Jacot
Avoient à décider un procès d'importance :
Sçavoir qui parloit mieux , étoit de conféquence ;
Selon eux , leperdant devoit payer l'écot :
Auſſi lepayera t'il , mais plus cher qu'il ne penſe.
Au temple de Themis le couple chicaneur
Se rendit ; un Milan , de procès éplucheur ,
Sous ſa griffe tenoit l'équitable balance ;
Nos deux plaideurs prennent léance.
Déjà ledocte Américain
Parle françois ,grec & latin ,
Etale en fix mots ſa ſcience :
LeMilan avec complaiſance
L'écoutoit ; le matois appercevoit ſon gains
Le Perroquet finit ; il s'incline & fait place
A ſon adverfaire l'Agaſſe ;
Elle ſelève , approche & vient leur débiter
De fon rauquejargon la longue kirielle ;
Mais le juge déjà s'ennuyoit d'écouter :
Ceci , cela; fur lui , får elle ;
DeMargot le hardi caquet
Donnoit àchacun ſon paquet :
1
{
Le Perroquet craintif , avec impatience,
Sans rien dire , attendoit la tardive fentence.
Dans un coin du barreau tranquille il ſe taiſoit,
II. Vol. C
50
MERCURE DE FRANCE.
Tandis que la légèreAgafle
Du juge s'approchoit , ſautoit de place en place :
Elle ignoroit , hélas ! ce qui la menaçoit.
Le Milan , que la faim preſſoit ,
Se ſaiſit de Dame Jacquette.
Le Perroquet veut fuir : l'oiſeau-juge l'arrête.
J'allois , dit- il , finir ce procès important ;
Il en ſurvient un plus preſſant.
Attendez ; car je ſens une cauſe inteſtine
Alaquelle je dois répondre auparavant :
Avant de rendre arrêt il eſt juſte qu'on dîne.
Il dit : fon large bec immola ces plaideurs
A ſa faim importune.
:
Vous qui , plaidant pour rien , imprudens chicaneurs
,
Au temple de Thémis allez tenter fortune ,
De ces oiſeaux, pour vous, redoutez les malheurs .
ParM. le Mabert , de Meaux.
LES TROIS POULES ,
ou le danger des voyages .
TROIS Poulettes , un jour , laſſes de leur demeure
,
Projetèrent d'aller dans le pays lointain :
Point ne fut différé le projet ; mais ſur l'heure
On l'exécute , on ſe met en chemin,
JUILLET. 1774. 31
Les voilà qui dabord ſavourent ce délice
Que femelle eut toujours à ſuivre fon caprice ;
Etbientôt , pour tromper la longueur du chemin,
Laconverſationtomba ſur le prochain.
Mais , lorſqu'àce métier qui fait ſi bien leur plaire,
Leur charitable eſprit s'exhaloit en bons mots ,
Le ſoleil déjà las d'éclairer l'hémisphère ,
Dans les bras de Thétis fut chercher du repos.
La plus affreuſe nuit ſuccède à ſa lumière ;
Imaginez l'image du chaos ,
L'abſcurité, les vents , &la pluie& lagrêle.
Voici le repentir , les pleurs& les ſanglots :
On déteste un projet , cauſe de tant de maux ,
Et, pour dernier malheur , encore on ſe querelle.
Ainſi l'on voit des Généraux ,
Le lendemain d'une défaite ,
S'en prendre l'un à l'autre & combattre en propos ,
Tandis que leur vainqueur de près les inquiète.
Mais , pour en revenir au ſiniſtre ſuccès
D'un voyage entrepris dans une autre eſpérance ,
Nos Poules en proie aux regrets
Maudiſloient de bon coeur leur fatale imprudence.
Elles ne ſavoient pas que le Sort en courroux
Leur préparoit encor de nouveaux coups.
Pour leur vertu juſqu'alors ſaine & pure ,
Voici certainement le pis de l'aventure.
Vers ces lieux habitoit un Coq jeune , fringant ;
Nulle Beauté chez lui , par un profane uſage ,
Cij
52
MERCURE DE FRANCE.
Nepaſloitqu'ilne prîtcertain droit de péage.
Tel que je le dépeins , Dieu ſait ſi le galant
Sentit de loin nos trois pucelles .
Le feu de ſes deſirs brilla dans ſes prunelles ;
Mais , affectant un air de modération ,
Il voulut réuſſir par la ſéduction,
Il y court , les aborde & les plaint; car la plainte,
Des feintes de l'amour est la meilleure feinte.
Il propoſe chez lui le gîte & le coucher :
La pudeur feint d'abord de s'en effaroucher.
Coucher chez un garçon ! que diroit la ſatire ?
Ce ſeroit aux voiſins bien apprêter à rire,
Ah ! ſexe trop facile àla tentation ,
Quand tu n'as plus pour ta défenſe
Que le reſpect public &le qu'en dira-t on ,
Ta pudeur aux abois cède à la paſſion ;
Et le vice eſt vainqueur quand la vertu balance.
LeCoqleur expoſa ledanger plus preſſant
D'être toute la nuit en bute à tout paſſant.
Quelle pofition ! d'horreur il en friſlanne.
La raiſon , j'en conviens , paroiſſoit allez bonne
D'ailleurs elles ſont trois , ſi par déloyauté
Il violoit les droits de l'hoſpitalité :
Enfin que devenir en cette circonſtance ?
La plus ſage eût été dans un grand embarras:
S'abandonnant donc à la Providence ,
Vers le logis du fire elles hâtent le pas.
Je vous laiſſeàpenſer la chère , labombance;
JUILLET. 1774: 53
Quel accueil on leur fit , quelle réception :
Telle fut celle en même occafion
Que , grâce à faint Julien , eut certain proſélyte
Qui l'invoquoit, dit- on , pour avoir un bon gîte...
Je vois , lecteur , votre deſir malin ;
Il vous tarde ſavoir la fin de l'aventure ,
Et ce qui ſe paſſa durant la nuit obſcure.
Qui le ſauroit ſeroit bien fin ;
Car des témoins , on n'en prit , je vous jure ;
Ce que je ſais , c'eſt que le lendemain
A l'excès on loua de l'hôte le mérite ,
Lebon coeur & fur- tout la modeſte conduite.
Et certes mon avis eſt qu'elles firent bien ;
Mais voici le malheur, perſonne n'en crut rien.
Le Public qui toujours prit plaiſir à médire ,
De deux préſomptions à coup fûr prend la pire.
De la fureur de voyager
Défiez- vous , jeunes fillettes ;
Point ne connois pour vous plus terrible danger :
Etdans ſes rêts s'il veut vous engager ,
Point n'a l'Eſprit malin embûches plus ſecrettes .
Par M. L. de V. , mousquetaire.
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
L'EXPLICATION du mot de la première
énigme du Mercure du premier volume
du mois de Juillet 1774 , eſt le Nez;
celui de la ſeconde eſt le Masque ; celui
de la troiſième eſt Confeil; celui de la
quatrième eſt Clef. Le mot du premier
logogryphe eſt Moineau , où se trouvent
moi , eau , Moine , Ane , mi , ami , nemo;
celui du ſecond eſt Truelle , dans lequel
ſe trouve Ruelle ; le mot du troiſième eſt
Ergo , dans lequel ſe trouve Ogre ; celui
du quatrième eſt Abricot , où l'on trouve
arc , cri , cabri , abri , air.
CHAQUE
ÉNIGME.
HAQUE choſe a fon prix
dicton ;
2
c'eſt un commun
Pour moi j'avouerai ſans façon
Que ſeul je ne vaux rien , qu'il me faut compagnie
,
Non parmi mes frères choiſie ;
Car eux ſeuls avec moi
2 Ne feroient par ma foi
Je le dis ſans myſtère ,
Que de l'eau toute claire;
JUILLET. 1774 .
Amoins quede faire de nous
Soit de quelques- uns ou de tous
Des comettes à queues
Noires , rouges ou bleues.
Mais j'ai parlé trop clairement ,
Yous me tenez bien sûrement.
Par M. L. G.
AUTRE.
JE ſuis ne prifonnier , chétif &mépriſable:
Je ſuis père d'enfans priſonniers comme moi ;
Souvent de ma priſon on me délivre à table ,
Et je porte le nom d'un Roi.
Sans être le Dieu de Cythère ,
J'habite pourtant dans les coeurs.
Ici , mortels , verſez des pleurs ,
Ma priſon perdit votre mère
Et vous cauſa bien des malheurs.
Par M. L. Pons , étudiant.
AUTRE.
Ma mer n'eut jamais d'eau , mes champs font
infertiles :
Civ
36 MERCURE DE FRANCE .
Je n'ai point de maiſon, & j'ai de grandes villes ;
Je réduits en un point mille ouvrages divers ,
Je ne ſuis preſque rien, & je fais l'Univers .
Parle même.
AUTRE.
LIERE autrefois , careflé des Zéphirs ,
Je voltigeois au gré de mes defirs.
Maintenant garrotté , lié dans les entraves ,
Je ſuis un vil jouet du plus vil des eſclaves .
Comme tout change hélas ! mes beaux jours font
paflés,
N'étant plus qu'un trone ſec dont les membres
ufés
Aujourd'hui mordent la pouſſière ,
Eux dont jadis la tête altière ,
Al'exemple de leurs ayeux ,
Sembloit s'élancer vers les cieux ;
Enfin dans un moment une aride vieilleſſe
Succède à ma vertejeuneſle .
Mais pourquoi ſur mes maux m'arrêter plus longtemps
?
Mes lecteurs pourroient bien n'en être pas contens
;
Il faut leurexpliquer mes talens , mon uſage ,
Mon origine enfin . Né dans un vert bocage ,
JUILLET. 1774. $7
J'en ſuis forti dès mes plus tendres ans:
J'entre dans les maiſons & fais peur aux enfans ,
Pour leur communiquer le don de ſapience;
Auſſi voilàma ſeule chance :
Comme ma fonction eſt de rendre tout net ,
Il faut que je devienne un triſte & ſale objer .
C'en eſt , je penſe , affez pour te faire connoître
Mon fort , ma nature , mon être.
Parle même.
LOGOGRYPΗ Ε.
D'untout , mon cher lecteur , je ſuis une partie
;
Ou , ſi vous l'aimez mieux , une ſuperficie ;
Mais j'ai pour le vieillard de dangereux appas,
Il préfère ma foeur , il en fait plus de cas.
Ces mots ſont ſuffiſans pour me faire connoître ;
Voulez-vous combiner ? Vous allez voir paroître
Ce qu'on luit en voyage , un métal recherché ;
Ce bâtiment fameux où l'on mitDanać.
Ce que craint le pilote approchant du rivage;
L'oppoſé de donner , d'un médecin l'ouvrage ;.
Ce que fait un renard quand il veut ſe terrer ;
Cequi ſoutient un char , machine pour ferrer ;
UnEmpire ſitué dans l'Europe & l'Afie ,
:
:
Cv
S& MERCURE DE FRANCE.
Aujourd'hui mal mené par celui de Ruſſie ;
Cequ'un prêtre defire , un inſecte rampant ;
Certain vent déreglé , deux notesde plain-chant
Manière d'acheter fans donner de finance ;
Un cri qui fait frémir , une eſpèce de France;
Un chemin dans Paris , unebelle couleur ;
Une conjonction familière au recteur ;
L'inſtrument des chafleurs , de l'homme une partie
;
Un Lévite rebelle : adieu; je vous ennuie.
Par M. Hubert.
AUTRE.
VEUX-TU , Zirma , favoir mon exiſtence
En des climats lointains je reçois la naiſſance
De laZone Torride , endroits circonvoiſins ,
Où, par keffort de ſes rayons divins ;
Le ſoleil perpendiculaire ,
(
Echauffe & brûle l'hémisphère
Qui fait naître les noirs humains.
Blanc moi-même en naiſſant , noir pour maine
autre uſage;
Mais chut! ... je ſuis trahi ſi j'en dis davantage.
i
Per M. Dubosq.
JUILLET . 1774. 59
J'AI
AUTRE.
'AI de Charles Martel fait le nom& lagloire :
Ma tête à bas , lecteur , je brille à faire boire.
Par M. de Lanevère , anc. Mousquetaire
du Roi, abonné.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
L'Homme du Monde éclairé par les Arts,
par M. Blondel , architecte du Roi ,
profefleur royal au Louvre , membre
de l'Académie d'architecture ; publié
par M. de Baftide ; 2 vol. in - 8°. A
Paris , chez Monory , libraire , rue &
vis- à- vis la Comédie Françoiſe.
Un Homme de qualité , uni par le fentiment
du beau &de l'honnête , à une
femme du même rang que lui , s'occupe
à perfectionner ce fentiment par l'étude
des arts relatifs au deſſin. Il n'ignore poinr
que leur langage récrée l'imagination ,
parle aux fens, échauffe le coeur. Celui
qui eſt étranger à ce langage reſte froid
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
& folitaire au milieu des plus fublimes
productions du génie. Mais comme ce
langage n'eſt intelligible qu'à ceux qui
ont l'eſprit & le goût éclairés , l'Homme
du Monde que l'on fait ici écrire à une
Dame de qualité , lui fait part de pluſieurs
obſervations utiles ſur l'architecture
, la peinture &la ſculpture. « S'inf-
>>truire & ſe communiquer à ce qu'on
>>aime, eſt la manière d'aimer la plus voluptueuſe.
Je m'imagine cependant, ajou
>>te le Comte de Saleran dans une de ſes
>>lettres à la Comteſſe de Vaujeu , qu'au-
>>tant qu'il eſt poſſible , les connoiſſances
>>de la femme ne doivent point s'étendre
>>auffi loin que celles du mari. Elle a des
>>o>ccupations naturelles , dont une étude
>>trop ſuivie la diſtrairoit trop. J'oſe écri-
>>re auffi que , trop inſtruite , elle devien-
>>droit trop férieuſe , trop ſupérieure à
>>mille riens qu'elle répand dans la fo-
» ciété , & qui , réunis , donnent à fon
>>exiſtence une étendue & une utilité
>>auxquelles il n'y a point de ſupplément.
>>Les femmes naiffent pour nous charmer.
>>>Les amertumes de la vie , les beſoins
>>de notre ame , les imperfections de no-
>>tre eſprit rendentce ſoin néceflaire. Il
>>faut des agrémens pour y parvenir. L'efprit
, conſtamment élevé à la fublimité
ود
ود
JUILLET. 1774. 61
>>des arts , ne ſe plieroit plus aux habitu-
>>des ſimples de l'amabilité ; on raiſonne-
>>roit trop pour conſentir à imaginer des
>>riens. Les principes feroient tort aux
>>goûts : l'eſprit n'auroit plus qu'un objer,
la beauté ſeroit ſans ambition . L'hom-
>> me ne verroit plus que ſon ſemblable
dans l'objet naturel de ſes deſirs , & le
>>ſentiment ne ſeroit plus qu'un mot fans
>effet. Il faut d'ailleurs que les femmes
>>puiffent toujours avoir quelques obli-
>>gations aux hommes. Vous convien-
>>drez qu'un peu de dépendance ne leur
>>ſied pas mal : il me ſemble même qu'elle
les embellit. Le beſoin de nos leçons
>les attache à nous ; & fi nous ſavons les
inſtruire d'une manière conforme à leur
>>nature très - délicate & un peu légère ,
>nous leur inſpirons la confiance , l'eſti-
>>me & ſouvent l'amour. Or , tout cela ne
>>pourroit exiſter ſi , s'enfermant dans des
>>cabinets avec des maîtres de l'art , elles
>>parvenoient à n'avoir plus beſoin des
>>hommes du monde ; & voilà autant de
>>biens perdus pour nous & pour elles-
>>mêmes. L'égalité appauvriroit les deux
>>ſexes , & la prévention peut- être dégra-
>>deroit celui en qui la modeſtie & la re-
>>connoiffance ſont des qualités fi tous
- >chantes, »
62 MERCURE DE FRANCE .
Le Comte de Saleran donne plus d'étendue
à ſes idées dans une autre lettre .
Quoiqu'il recommande que les femmes
ne s'adonnent point aux études ſérieuſes
des hommes , il exige n'éanmoins qu'elles
s'inſtruiſent. C'eſt un beſoin qui ne
peut jamais être fatisfait ſans qu'il n'en
réſulte un grand avantage pour elles. Elles
ont le goût trop délicat pour ne pas
ainer les véritables louanges. En peutondonner
à celles à qui on ne doit que
des fadeurs ? Rarement contentes de leur
beauté (malgré l'amour-propre ) peuventelles
croire qu'il ſuffira d'être jolies pour
intéreler véritablement les hommes ? II
reſte l'eſprit &la galanterie ; l'un eſt plus
loué que ſenti ; il eſt d'ailleurs affez commun
; conféquemment il n'aſſure pas
beaucoup de diſtinction ; l'autre déshonnore
, quoiqu'elle donne une ſotte de
célébrité. Elle peut égarer l'imagination
d'une femme , comme vice : elle ne peur
jamais l'abuſer , comme reflource : elle
fent qu'on n'occupe pas beaucoup de place
dans le monde raiſonnable , quand on
ne ſait que donner des defirs .
Ces réflexions pourront faire goûter un
ouvrage d'agrément , où l'auteur a fait entrer
quelques inſtructions ſur les arts. On
reconnoît , dans celles qui ont pour objet
JUILLET. 1774. 67
l'architecture , les obſervations que feu
Blondel , architecte du Roi & profeffeur
royal d'architecture au Louvre , répandoit
dans ſes leçons particulières & publiques.
Quoique ces obſervations peu approfondies
puiſſent ſe préfenter à tout homme
qui n'eſt pas abſolument dépourvu de lumières
, on ſentira cependant de quelle
importance il eſt de les remettre ſous les
yeux du Public , puiſque l'on voit encore
aujourd'hui les premières règles de l'architecture
violées dans l'ordonnance des
façades , des maſſes ſans aucune proportion
, des parties ſans relation , des détails
où règne une exceſſive confufion
des ornemens mal conçus & qui n'annoncent
le plus ſouvent que le faſte du propriétaire
& le mauvais goût de l'ordonnateur.
Les dedans pour l'ordinaire ne
ſont pas mieux conſultés : de grandes
pièces & des planchers trop bas; des décorations
d'un deſſin trivial , des meubles
chamarés dont les couleurs diſputent avec
le ton des lambris ; de gros cadres renfermant
de petits deſſus de porte ; des
corniches d'une peſanteur afſommante ,
enrichies de ſculpture à filigrane ; partout
enfin des contraſtes ſans néceſſité ,
d'où il eſt aifé de conclure que le faux
,
64 MERCURE DE FRANCE.
goût n'eſt que trop ſouvent préféré à une
ſymmétrie raiſonnable & réfléchie que
malheureuſement le commun des eſprits
appelle monotonie .
Ces obſervations ſur l'architecture contiennent
quelques réflexions critiques ſur
des monumens connus , & ces réflexions
ne ſont pas ce qu'il y a ici de moins piquant.
L'amateur, en parlant du portail de l'Egliſe
St Roch , fait une remarque fort juſte en
faveur de l'inégalité heureuſe qui ſe trouve
entre le fol de l'Egliſe & celui de la
rue. Il ſeroit à ſouhaiter en effet que nos
temples jouiflent tous de cet avantage
que la ſeule diſpoſition du terrein a precuré
à l'architecte ; mais combien d'erreurs
, dans l'ordonnance de cet édifice ,
font oublier l'importance que peut lui
donner l'élévation du ſol de l'Egliſe ſur celui
de la rue ! L'architecte eſt ici interrogé.
Pourquoi deux ordres dans le portail
d'une Eglife , dont l'intérieur monte de
fond dans toute ſa hauteur , pendant
qu'aujourd'hui , dans nos bâtimens d'habitation,
on en place un ſeul qui embraſſe
pluſieurs étages ? C'eſt renverſer l'ordre
des chofes , & oublier que le premier
mérite de l'architecture eſt d'aſſigner un
caractère distinctif à chaque genre d'édi
JUILLET. 1774. 65
fice. Ces deux ordres , à la vérité,avoient
été employés bien avant 1739 , année où
le portail de St Roch fut élevé. Ils l'avoient
été aux Minimes par Manſard ,&
à St Gervais par Deſbroſſes : dans ce dernier
même on en remarque juſqu'à trois ;
mais alors on n'avoit pas encore penfé ,
comme on l'a fait depuis , qu'un édifice
ſacré ne doit rien avoir de vulgaire . Autre
abfurdite ! Pourquoi un ordre dorique
furmonté d'un ordre corinthien ? ( erreur
qui frappe également dans le portail de
l'Oratoire. ) On répondra que Manſard ,
aux Minimes , a pallé tout aufli bruſquement
du folide au délicat. Cela eſt vrai ;
mais quelle différence d'avoir , au lieu du
corinthien , employé le compoſite ; &
avec quel art d'ailleurs cet architecte célèbre
n'a - t- il pas ajusté ſon ordre grec
pour lui faire ſupporter l'ordre romain ?
Dans le portail de St Roch ces deux ordres
ſont pauvres , incorrects , négligés &
ſemblent être élevés par un maçon. Les
reffauts multipliés que forment les colonnes
doriques & leur entablement s'accordent
mal avec la virilité de cet ordre ,
la première belle production des Grecs .
L'arcade du milieu n'étant que médioerement
bien, ſe répète mauſſadement en
66 MERCURE DE FRANCE.
tours creuſes dans les collatéraux , & ren
ferme plus ridiculement encore des portes
bombées du plus mauvais goût. Ajou
tons qu'au-deſſus on remarque une ſculpture
beaucoup trop petite ,& d'une exécution
auffi inédiocre que l'architecture
qui la reçoit. Ce critique ne fait pas plus
de grâce à la colonne accouplée avec le
pilaſtre dans les angles de cet édifice ,
eſpèce de liberté condamnable , & qu'on
ne devroit jamais prendre , fur-tout dans
les objets de décoration , parce qu'ils ne
font introduits dans l'architecture que
pour plaire aux yeux délicats & aux perfonnes
intelligentes. N'y a-t- il pas encore
un très-grand ridicule dans cet aſſemblage
indiſcret de membres déplacés , d'ornemens
poſtiches & épars , qui n'ont aucune
affinité avec le choix de l'ordonnance &
le caractère du monument? Le ſecond
ordre , fuivant le même Critique , n'eſt
ni plus eſtimable ni de meilleur goûr.
Unegrande arcade trop baffe décore l'entrecolonnement
du milieu. Un ordre corinthien,
qui ne ſe manifeſte que par fon
chapiteau , d'une affez médiocre exécution
, & dépourvu de cannelures , ainſt
que le ſoffite de ſon entablement l'eſt de
fes caflettes , achève de rendre cette or
JUILLET. 1774 . 67
donnance médiocre& indigente. L'ordre
dorique qu'on remarque au deſſous n'eſt
pas moins ridicule ,& ne diffère du Tofcan,
dans ſa fimplicité mauſſade , que par
la diſtribution des mutules &des trigliphes
de ſon entablement. Les armes du
Roi , placées dans le tympan à reſſauts du
fronton , forme un ornement beaucoup
trop peſant ; peſanteur qui rend infoutenable
la petiteſſe des anges placés ſur les
corniches rampantes du fronton. Notre
amateur n'eſt point aſſez généreux pour
paſſer ſous filence les conſoles renverſées
qui accotent la partie ſupérieure de ce
portail , leſquelles viennent ridiculement .
s'enrouler contre des piédeſtaux dont la
petiteſſe ſemble à peine pouvoir foutenir
les grouppes de figures qui les terminent.
Cet amateur nous promet de revenir encore
à ce portail s'il a jamais occaſion de
nous parler de l'intérieur de l'Eglife.
L'auteur de ces obſervations porte les
mêmes yeux critiques fur pluſieurs façades
d'hôtel qui frappent par leur diſſonance.
On y voit quelquefois un ordreridiculement
coloſſal , dont les entrecolonnemens
reſſerrés laiſſent à peine de la
place pour l'ouverture des portes & des
croiſées , leſquelles ſe trouvant dans un
68 MERCURE DE FRANCE .
eſpace infiniment trop étroit , font alors
dépourvues des membres d'architecture
qui leur appartiennent. Nos jeunes artiftes
croitont ils encore long-temps que
leurs ſuccès dépendent d'employer des ordres-
colonnes ou pilaſtres ? Il n'y a guèresd'élèves
fortisde la pouſſière de l'école,
qui , à la première occafion qui ſe préſente
, ne faſſent uſage des colonnes ,
duſſent- elles n'être que flanquées , ou en
gagées . Ils font plus : ils dogmatiſent ;
ils élèvent la voix contre tout ce qui n'eſt
pas conforme à leur ſyſteme; & leurs maîtres
, felon eux, font plongés dans le ſommeil
de l'habitude. Plus on aura occafion
de réfléchir , plus on conférera avec les
artiſtes diftingués , plus on examinera
les belles productions des Grecs , des Romains
, de quelques François , & plus
on reconnoîtra que l'unité , les proportions
, les rapports& une belle fimplicité
forment l'eſſence de l'art.
Les obſervations du même amateur fur
la peinture ſe réduiſent à quelques notices
ſur les maîtres les plus connus des trois
écoles d'Italie , de Flandre & de France.
Les obſervations ſur la ſculpture intérefferont
davantage ; elles ſont d'un artiſte
connu qui a bien voulu ſe charger de
JUILLET. 1774. 69
cet article que feu Blondel n'avoit point
eu le temps de traiter. Le but principal de
l'art de la ſculpture eſt l'imitation du nu ;
ou s'il emploie des vêtemens , il reſte toujours
fidèle à fon principe , en ne ſe ſervant
que d'ajuſtemens fictifs , aſſujettis à
rendre le nu le plus exactement qu'il eſt
poſſible. Les exercicesde la gymnaſtique
préſentoient tous les jours aux yeux des
Grecs diverſes natures nues , dans tous
les mouvemens dont le corps humain eſt
ſuſceptible. C'eſt à ces avantages précieux
&infinis , comme le remarque l'auteur
de ces obſervations , qu'il faut attribuer
principalement le degré de perfection où
lesGrecs ont porté la ſculpture , & non
à des règles plus particulières que celles
que les artiſtesdes derniers ſiècles ont établies.
Quoique l'on trouve dans lenom-
>>bre des fables que Pline & Paufanias
wontaccumulées , que certaine figure fut fi
>>parfaite , qu'elle fut appelée la Règle ,
>>il eſt évident qu'une ſeule figure , quel-
>>que parfaite qu'on veuille la ſuppoſer ,
>>ne peut être la règle que d'une ſeule na-
>>ture &d'un ſeul âge. Comme les carac-
>>tères des diverſes natures ſont extrême-
>>ment variés &doivent néanmoins pro-
>>d>uire un tout dont les parties foient
70 MERCURE DE FRANCE.
>>dans un rapport convenable entre elles ,
>il auroit fallu , pour établir des figures
>>comme règles qu'on ne pût violer fans
>>>inconvénient , en avoir autant de diffé-
>>rentes qu'il y a de diverſes natures dans
>>les deux ſexes . Cette tradition , légère-
>>ment adoptée par les anciens auteurs , a
>>fait penſer à beaucoup de perſonnes que
>>les Grecs cherchoient une forte de beau
>>idéal , & qu'ils y aſſujettiſloient la Na-
>>ture. C'eſt une erreur, ou plutôt un défaut
dejuſteſſe dans l'expreſſion. Les
>>hommes ne peuvent rien imaginer au-
„delà de la belle Nature : ils peuvent parvenir
à reconnoître ſes défectuoſités
>>par les comparaiſonsqu'ils fontde divers
>>individus ,& conféquemment les éviter.
>> De l'absence de ces défauts , & du plai-
>>ſir que produitla beauté , ils ſe ſont for-
>>mé l'idée du teau. Ce que l'on nomme
>>improprement beau - idéal , n'est donc
>>que la réunion de diverſes beautés ap-
>>perçues dans différens objets , & l'on
>>pourroit l'appeler le beau d'élection. Les
>>ſecours que les Grecs avoient en abon-
>>dance pour faire ces comparaiſons heu-
>>> reuſes , les mettoient non- ſeulement à
>>portée d'éviter lesdéſagrémens de la Naturedéfectueuſe;
ils les aidoient encore à
ود
ود
,
JUILLET . 1774. 71
connoître des beautés de différentgenre ,
dans les diverſes ſortes de nature . Bien
>>loin de s'étonner que dans nos derniers
>>ſiècles ont ait pu les égaler , on doit
>>plutôt être ſurpris du degré où ſe ſont
>>élevés les ſculpteurs de ces mêmes ſiè-
>>cles , dépourvus deſecours comme ils
l'étoient , entourés de natures défectueu-
>>ſes par elles - mêmes ou contraintes dès
l'enfance par des vêtemens qui les dé-
>>>forment . >>>
L'auteur de ces réflexions n'entre dans
aucun décail ſur les grands ſculpteurs antiques
, foit Grecs , ſoit Romains ; il nous
donne quelques obſervations critiques
propres à éclairer l'amateur & l'artiſte ,
& finit par une réflexion que lui a infpirée
la différence ſenſible que l'on voit
entre la ſculpture de notre fiècle &
celle du règne de Louis XIV. « A en
juger par le plus grandnombre des mor-
>>ceaux qui font à Verſailles , les ſculpteur's
qui ont orné ces jardins étoient en
>>général ſavants , attachés aux grandes
formes & à l'imitation de l'antique ;
>>mais onpeut reprocher à pluſieurs de s'être
peu attachés à l'imitation des vérités
de la Nature ; & ils me forcent preſqu'à
>>penfer qu'on peut faire de pareilles figu-
1
72 MERCURE DE FRANCE.
>res , purement de mémoire. Laſculp-
>>ture de nos jours a incontestablement
"beaucoup acquis à cet égard . Jouiffons
>>de nos avantages , ſans nous inquiéter
>>des dangers que pourroit avoir cette nouvelle
manière d'étudier, ſi elle conduiſoit
>>nos artiſtes à s'écarter trop de l'étude dé
>>l'antique , & fi elle affoibliſſoit en eux
le fentiment du grand & du beau , en
>>les portant fucceffivement à rendre les
*vérités désagréables des natures pauvres
»& défectueuſes. Ce danger eſt encore
„éloigné. Souhaitons ſeulement que les
>occafions de travailler ne manquent pas
wau zèle & au ralent. Cefontles grandes
"occaſions qui forment les grands hom-
>>mes. S'il avoit été poſſible , par exemple ,
>>qu'au lieu de ces pompes funèbres ou catafalques
qui ne durent qu'un jour , on
>>eût érigé dans les chapelles de Notre-
»Dame autant de tombeaux durables à
tous les Princes de la Maiſon de Bour-
>>bon , quel ſujet d'émulation pour les artiſtes!
&quel embelliſſement n'auroit-ce
>>pas été pour la capitale ! Onen peut juger
>>par la magnificence de Saint Pierre de
Roine , vaiſſeau beaucoup plusvaſte , à
la vérité , mais dont ces monumens font
>>le plus noble&le plus bel ornement.
Cet
JUILLET. 1774 . 73
Cet ouvrage qui renferme des obfervations
utiles ſur les arts relatifs au deffin
, eſt ſous la forme épiſtolaire. Comme
les lettres font cenſées écrites par un
homme de qualité à une Dame du même
rang que lui , l'auteur a répandu dans pluſieurs
cette fleurde galanterie qui confifte
àdire aux femmes des choſes agréables ,
&qui leur donnent bonne opinion d'elles
- mêmes & de nous. Il a uni les ré
flexions utiles aux ſentimens tendres. Ces
ſentimens,exprimés ici dans le jargon pro
lixe du genre épiſtolaire, détournent fou
vent l'attention du lecteur des réflexions
fur l'architecture , la peinture & la ſculpture
,objet principal de cet écrit. Mais
le butde l'écrivain , ainſi qu'il s'en explique
dans ſa préface , a été d'exciter l'in
dolence des gens du monde , en leur of
>>frant les avantages de l'inſtruction , ſans
wexiger les peines de l'étude ; de fournir
»aux femmes le prétexte d'une application
, en paroiffant leur offrir un amu-
>>ſement; de les mettre à portée de s'ac
quitter en vers les beaux - arts , en leur
faiſant faire connoiſſance avec eux , &
»à les engager à donner un exempleutile,
>>en autoriſant les hommes à leur apporter
>>le fruitde leurs réflexions. n
IL. Vol, D
74 MERCURE DE FRANCE.
Les Promenades de M. Frankly , publiées
par ſa ſoeur ; traduction de l'Anglois ;
2 parties in- 12. A Paris , chez le Jay ,
libraire , rue St Jacques.
M. Frankly , jeune eccléſiaſtique ,
n'ayant pour ſa ſubſiſtance que le revenu
d'un bénéfice modique , goûtoit dans la
ſociété d'une épouſe cherie des plaiſirs
avoués par la vertu. Ces modeſtes époux
contemploient fans envie les plaiſirs
bruyans& faſtueux des gens riches. La
Nature & l'Amour couronnèrent leur
union. Ils eurent trois enfans. Leur famille&
leurs beſoins augmentoient,mais
leurs reſſourcesn'augmentoientpas. Combien
l'enfance a de charmes , fur- tout pour
le coeur d'un père ! M. Frankly verſoit
tous les jours des larmes de tendreſſe ſur
fes enfans. Ils étoient, après leur mère ,
fon bien le plus précieux. Mais comment
les élever avec un revenu à peine ſuffiſant
à ſa ſubſiſtance ? Quel état leur donner ,
qui répondit à l'étendue de fon amour &
de ſes vues pour leur bonheur ? Cette ré.
flexion aigriffoit ſon eſprit. Le murmure
entroit dans ſon ame ſous le maſque de
la tendreſſe paternelle. Il ne croyoit pas
qu'il y eût au monde un être plus malheu
JUILLET. 1774. 75
reuxque lui. Ainti penſent tous leshommes
, avec auffi peu de raiſon peut être.
Mais que celui qui ſe plaint de ſon fort
faiſe , à l'exemple de M. Frankly , des
obſervations fur les hommes qui font autour
de lui & fur ceux qu'il rencontre dans
ſes voyages ou dans ſes promenades ;
qu'il quitte les livres & qu'il étudie le
coeur de l'homme dans l'homme lui même
; & il apprendra qu'il ne faut pas juger
du bonheur par les apparences ; il
verra les deſirs & les foucis rongeans
s'accroître avec la fortune; & ces obfervations
pourront le conduire à régler ſes
deſirs ſur ſes facultés , & à chercher le
bonheur dans lui même.
Ces réflexions morales contenues dans
cet écrit ſont le réſultat de différentes
ſcènes que l'auteur ſuppoſe s'être préſen. -
rées à lui dans ſes promenades. Chaque
ſcène aun titre particulier. L'une eſt intitulée
: les Sueurs. " Suis je bien avec ce
bonnet , ma soeur Gatty ?-Très-bien ;
>>vous êtes charmante , ma chère Bab.-
>>Je vous proteſte que vous êtes auſſi très .
>>jolie.-Nous remplirons ſûrement l'ef-
>poir de Maman en épouſant quelque
>>riche gentilhomme. Ne voyez vous pas
>>que la moitié de ces femmes de qualité
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
>>font moins belles que nous ? » «De pareilles
vues , s'écrie ici le moraliſte ob-
>>ſervateur , pourroient bien devenir pour
>votre vanité une ſource de mortifica-
>>t>ions , car il faudra rabattre de vos pro-
>>jets de fortune. Si la beauté étoit le ſeul
>>attrait propre à porter un homme de
>>qualité au mariage , vous verriez davan-
>> tage de belles femmes. Orgueil extra-
>>vagant! les filles d'un Epinglier préten-
>>dre au plus haut rang , parce que l'art&
la Nature de concert leur ont donné une
>>figure ſupportable ! Vain & ridicule ef-
>>poir de mère ! oubliez - le. Vous ſeriez
>>mieux dans la ſimplicité de votre état
>que d'avoir été nourries de chimères
>>auſſi dangereuſes qu'abſurdes. Si les gens
>>du peuple apprenoient à leurs enfans
>>combien il eſt important de régler ſa
>>conduite fur la ſituation dans laquelle il
»а plu Providence de nous placer ,
nous ne verrions pas tant de malheureuſes
ſe conſacrer aux plaiſirs publics
&à une honteuſe proſtitution, L'oifiveté&
le luxe multiplient les ſéduc
tions. Que les mères prennent ſoinque
>>les vêtemens de leurs filles foient la
fruit d'une honnête induſtrie . Elles y
pattacheront moins de vanité; elles en
à la
JUILLET. 1774. 77
>>connoîtront la valeur réelle ; elles y met
stront plus de ſimplicité . >>
M. Frankly , après avoir , dans une de
ſes promenades philoſophiques, appris à
modérer ſes deſirs & à être content de
ſon fort , s'efforce, dans une autre promenade
, à rendre tous ceux qui veulent ſe
prêter à ſes raifonnemens , auſſi heureux
que lui. Il cherche du moins à les con-.
vaincre que leur prétendue misère ne
conſiſte pas dans la privation des chofes ,
mais dans le beſoin qui s'en fait fentir ;
il leur fait voir que l'opinion ſeule , en
rendant tout difficile , chaſſe le bonheur
devant nous. Les réflexions de l'obſervateur
ont pour baſe la religion,& annoncentun
coeur droit& vertueux. Ses peintures
ou tableaux font tirés du milieu de
la fociété ; mais le coloris en eſt foible ,
& on eſt fâché de n'y pas trouver de ces
touches originales & fortes qui animent
letableau , nous rendent en quelque forte
préſens à la ſcène repréſentée,&dérobent
pour quelque temps le ſpectateur à la fouledes
objets qui l'environnent.
Dictionnaire abrégé de la Fable , pour
l'intelligence des Poëtes,des tableaux &
des ſtatues , dont les ſujets ſont tirésde
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
:
l'hiſtoire poëtique ; onzième édition;
par M. Chompré , licencié en droit
vol. in- 12 . petit format. Prix , relié ,
2 liv. 10 fols. A Paris , chez Saillant
& Nyon , rue St Jean de Beauvais ;
Ve. Defaint , rue du Foin.
,
Ce petit lexique eſt , par ſa préciſion &
fon exactitude devenu un livre claſſique
pour la Jeuneſſe. Les éditions multipliées
qui en ont été faites prouvent allez que
le Public en a reconnul'utilité. Cetteutilité
ſera encore mieux ſentie dans la nou
velle édition qu'en vient de publier M.
Monchablon auteur du Dictionnaire
abrégé d'Antiquités du même format, trèsbien
accueilli du Public. Les corrections
& les addicions qu'il a faites à cette nouvelle
édition du dictionnaire abrégé de la
fable font ſi importantes , qu'on peut aujourd'hui
regarder ce petit livre comme
une eſpèce de commentaire général de
mythologie fur les textes des anciens auteurs
, non ſeulement en ce qui conſtitue
l'hiſtorique de la fable , dans les articles
tels que ceux d'Achille , d'Ajax, &c.
& ce qui regarde la religion payenne ,
comme dans lesarticles Ambrofie, Dieux,
Manes , &c. nais auſſi dans ce qui concerne
la géographie poëtique , les noms
JUILLET. 1774. 79
patronymiques& les ſurnoms des fauſles
Divinités. Outre les obſervations qui regardent
l'intelligence des auteurs , la
nouvelle édition de ce dictionnaire en
préſente quelques autres qui , ſans y avoir
un rapport auſſi direct , peuvent néanmoins
y contribuer. A l'article Achille ,
par exemple , on a obſervé que la fable
qui le ſuppoſe invulnérable , n'étoit pas
reçue du temps d'Homère. Ce poëte dit
précisément le contraire. Il devoit en
effet être éloigné d'adopter une fiction
qui auroit déshonoré ſon héros.
L'hiſtoire poëtique nous apprend que
la Colchide étoit un royaume d'Afie renommé
par la toiſon d'or. Cyta en étoit
la capitale. Le nouvel éditeur remarque
à ce mêmearticle que les habitans de cette
contrée qu'on appeloit Colchi ont donné
lieu à la fauſſe ſuppoſitiond'une prétendue
villede Colchos qui n'a jamais exiſté.
Tous les peintres & les ſculpteurs repréſententles
ſyrènes commedes monftres
moitié femmes & moitié poiffons. On
fait voir ici que cette imagination qui ne
vient que de l'ignorance de la fable, eft démentie
par les poëtes&les anciens auteurs ,
du moins ceux qui ſont les plus recommandables
, & qui tous dépeignent les
Div
80 MERCURE DE FRANCE .
!
ſyrènes moitié femmes & moitié oiſeaux.
Pline les place parmi les oiſeaux fabuleux
, & Ovide leurdonne des viſages de
jeunes filles avec des plumes & des pieds
d'oiſeaux.
L'éditeur prévient le Public dans ſon
avertiſſement, qu'on a contrefaitdans plufieurs
endroits&pluſieurs fois le dictionnaire
abrégéde la fable. Ceux qui ne veulent
point être les dupes de ces contrefactionsexécutéesà
la hâte ſurde très mauvais
papier& toujours très - fautives, doivent
s'adreſſer directement à Paris aux libraires
que nous avons ſoin d'indiquer. Les livres
leur feront envoyés ſans qu'ils leur
coûtent plus que les copies informes qu'ils
achetent en province.
Traité de Mécanique par M. L'Abbé Marie,
de laMaiſon&fociété deSorbonne,
cenſeur royal , profeſſeur de mathématiques
auCollége Mazarin ; vol. in-4°.
AParis , chez la Ve. Deſaint , libraire,
rue du Foin St Jacques.
Ce bon ouvrage eſt diviſé en deux parties
, la Statique & la Dynamique. La première
a pour objet l'équilibre ; la ſeconde
traite du mouvement. Mais comme elles
ſuppoſent toutes deux les principes géné
JUILLET. 1774. 81
raux de la mécanique , & certaines théories
préliminaires qui leur ſont communes
, l'auteur a raſſemblé dans une
courte introduction ces principes & ces
théories. Outre les difinitions ordinaires ,
cette introduction contient la théorie du
mouvement uniforme , celle du mou
vement compofé , celle des réſultantes ,
&le principe général de l'équilibre.
La Statique eſt partagée en deux ſections;
l'une eſt pour les centres de gravité
, l'autre pour les machines . On trouvera
dans la première les propriétés &
les loix de la peſanteur , deux méthodes
de déterminer le centrede gravité dans
tous les cas , &des applications en affez
grand nombre , pour rendre cette théorie
familière. Maispour la rendre complet
te , il falloit avoir égard à deux élémens
que l'on néglige preſque toujours , & en
apprécier l'influence. C'eſt par- làque finit
la première ſection de la ſtatique.
La ſeconde expoſe d'abord les condi
tions propres à chaque machine ſimple ,
pour que l'équilibre ait lieu. Elle defcend
enfuite dans le détail de pluſieurs machines
compoſées , dont elle enſeigne à calculer
les effets , &à connoître les proportions
les plus avantageuſes. Quelques ré
Dv
32 MERCURE DE FRANCE .
Aexionsgénérales ſur les machines& fur
le frottement terminent la ſtatique.
Ily a trois fections dans la dynamique.
La première traite du mouvement d'un
corps confidéré comme un point libre qui
obéit avec une égale facilité aux diverfes
impulfions des forces accélératrices .
On ſuppoſe de même dans la feconde
ſection que le mobile n'est qu'un point ,
mais qu'il eſt aſſujetti à ſe mouvoir fur
une ligne donnée , quelles que foient
les puiſſances qui le ſollicitent au mouvement.
La troiſième a pour but de faire connoître
le mouvement de pluſieurs corps
qui agiſſent les uns ſur les autres , en les
conſidérant comme autant de points dif
férens , ce qui facilite la même recherche
pour le cas où on les fuppoferoit d'un
volume fini.
Les principaux objets de la dynamique
font diſcutés avec plus ou moins d'étendue
dans ces trois ſections. Elles renferment
les formules du mouvement varié ,
les forces centrales , les trajectoires des
projectiles , de nouvelles applications au
jetdes bombes & au mouvementdes pla
nètes , la gravitation réciproque des corps
célestes , le problême des trois corps, ta
JUILLET . 1774 . 83
:
,
réſiſtance des milieux , lathéorie des pendules
, la courbe de la plus vîte deſcente
les loix du choc des corps , le principe
de la conſervation des forces vives , le
moment d'inertie , l'uſage des trois axes
principaux , & la manière de déterminer
le centre d'oſcillation .
Les règles du calcul différentiel & du
calcul intégral trouvent ſouvent leur applicationdans
ce traité , ſoit parce qu'elles
rendent les démonſtrations plus courtes
, ſoit qu'il en réſulte plus d'uniformité
dans la marche de l'ouvrage , ſoit enfin
parce qu'il n'eſt guère poſſible de réfoudre
autrement beaucoup de problêmes
demécanique.
L'auteur a cité dans le cours de fon onvrage
la plupart des géomètres illuſtres
dont les travaux ont reculé les bornes de
la mécanique , afin d'indiquer les fources
mêmes où l'on pourra puiſer des comnoiſſances
plus approfondies.
Hiſtoire des nouvelles découvertes faites
dans la Mer du Sud en 1767 , 1768 ,
1769 & 1770 , rédigée d'après les dernières
relations ; par M. de Fréville ,
accompagnée d'une carte dreſſée parM.
de Vaugondy ; 2 vol. in-8°. AParis ,
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
chez de Hanſy le jeune , libraire , rue
St Jacques.
La foifde l'or & la folie de l'ambition ,
ou le projet de dompter des Nations encore
plus éloignées de nous par leurs
moeurs & leurs uſages que par les mers
qui les ſéparent de notre continent , ſemblent
aujourd'hui avoir fait place à un
deſir plus ſage& plus noble de répandre
un nouveau jour ſur l'hiſtoire naturelle ,
la phyſique , la géographie , & d'étendre
les progrès des connoiſſances & du commerce.
C'eſt ſous des auſpices ſi favorables
que les vaiſſeaux Anglois & François
ont pénétrédans l'hémisphère auſtral,
&qu'ils ont fait dans l'Océan pacifique
des découvertesplus importantes que cellesde
tous les navigateurs en trois fiècles.
Mais l'hiſtoriende ces nouvelles découvertes,
avant d'entrer dans le détail de ces
expéditions brillantes , rappelle ſuccinctement
les entrepriſes dejà faites dans ce
même Océan pacifique. Il nous prévient
mêmedans ſa préface qu'on va publier en
un volume in- 8 °. enrichi de cartes,lacol.
lection de ces anciens voyages , d'après
M. Dolrymple qui s'eſt donné tous les
ſoins imaginables pour raſſembler tout ce
que nous avions de connoiſſances géogra
JUILLET. 1774. 85
phiques , hiſtoriques & naturelles fur la
mer Pacifique.
Les terres nouvellement découvertes
dans l'Océan Pacifique , comme l'obſerve
M. de Fréville dans ſon introduction à
l'hiſtoire de ces découvertes , font iſolées
, éparſes& comme perdues dans cette
mer immenfe : la vue s'égare en voulant
ſaiſir l'enſemble de toutes ces îles que
renferme dans ſon ſein cette étonnante
région où les végétaux , les foſſiles , les
animaux & les hommes font pour nous
d'un ordre tout nouveau . Mais cette merveilleuſe
partie du globe , où depuis plus
de deux ſiècles les riches & précieuſes
productions du ſol ont attiré les navigateurs
de toutes les Nations , eſt trop peu
connue encore pour pouvoir en donner
unedeſcription exacte. Afin donc de diri
ger&de fixer l'attention d'une manière
plus particulière ſur une ſi vaſte mer ,
l'hiſtorien a cru devoir la conſidérer comme
étant diviſée en deux portions à peuprès
égales par le deux cent vingtième méridien,
à compter d'Occident en Orient
de celui de l'Iſle de Fer , ſuivant la méthode
générale reçue des géographes . D'aprèscette
diviſion toute ſimple , l'hiſtoire
qui vient d'être publiée forme naturelle
$6 MERCURE DE FRANCE.
ment deux parties. L'auteur comprend
dans la première toutes les nouvelles découvertes
faites à l'eſt ; toutes celles qui ſe
trouvent à l'ouest de ce même méridien
font l'objet de la ſeconde partie.
La première deſcription que l'hiftorien
nous donne eſt celle de la terre de
Feu. Cette terre , diviſée en pluſieurs îles
par différens canaux ou détroits , s'étend
environ cent-quinze lieues le long du Détroit
de Magellan. Quelques philoſophes
penfent qu'elle faiſoit autrefois partie du
Nouveau Monde. On voit , diſent - ils ,
par l'inſpection même de ce terrible détroit
, par le paralléliſme des deux côtes ,
& par la conformité des deux climats ,
qu'elle a été arrachée avec violencedu pays
des Patagons , par une de ces révolutions
phyſiques qui changent la face du globe ,
détruiſent les Nations & anéantiffent
juſqu'à la trace de leurs déſaſtres. Jufqu'à
préſent cette terre n'avoit été que très-imparfaitement
reconnue. Prefque tous les
écrivains qui en ont fait mention nous ta
repréſentent commeune chaîne de rochers
inacceſſibles , d'une hauteur étonnante
fuſpendus preſque fans baſe , & couverts
d'une neige auſſi ancienne que le monde.
Ileſt vrai que la plus grande partie de la
2
JUILLET. 1774. 87
Terre de Feu eſt remplie de montagnes ;
maisentre ces montagnes on découvre de
belles vallées , de riantes prairies atrofées
de ruifſeaux très- agréables : le fol en eſt
riche & d'une profondeur conſidérable.
Au pied de chaque colline on trouve pref.
que toujours des ſources dont les eaux
ſont d'une couleur rougeâtre , mais fans
aucun mauvais goût. Les habitans de la
Terre de Feu forment la ſociété la moins
nombreuſe qu'on puiſte rencontrer dans
toutes les parties du monde. De tous les
Sauvages, ce font les plus dénués de tout.
Ils vivent exactement dans ce qu'on peut
appeler l'état de nature. Rien de ſi chétif ,
ou de ſi miférable que leurs habitations.
Ce ne ſont que de mauvaiſes cabanes
compoſées de branches d'arbres. La forme
en eſt ronde , mais elles ſe terminent
en pointe par une petite ouverture qui
fert de paſſage à la fumée. Dans ces cabanes
, au milieu deſquelles le feu eſt allumé
, mais où l'on reſte expoſé d'ailleurs à
toutes les injures de l'air , ces Sauvages
habitent pêle-mêle , hommes , femmes &
enfans. Quelques herbes répandues dans
l'intérieur de ces hutes , leur fervent de
chaiſes &de lits. De tous les meubles que
la néceſſité & l'induſtrie ont fait imaginer
parmi les autres nations ſauvages , on ne
88 MERCURE DE FRANCE.
leur a vu que quelques corbeilles dejone
qu'ils portent à la main ,de petits ſacsde
peau , dont ils ſe ſervent comme de havre-
facs , & des veſſies de quelques animaux
, qu'ils rempliſſent d'eau , à défaut
de vaſes plus commodes. Ces Sauvages
font de médiocre ſtature. Les plus grands
n'excèdent pas cinq pieds fix pouces. Ils
font de couleur de rouille de fer mêlée
avec de l'huile , & joignent à beaucoup
de quarrure un air robuſte , ſans cependant
avoir les membres fort gros. Un
viſage large & plat , le front étroit , de
groſſes joues , le nez écrasé , de petits
yeux noirs , une grande bouche , de petites
dents ſans être belles , des cheveux
noirs & droits , qui tombent ſur l'une
& l'autre oreilles & fur le front &
groſſièrement peints de brun &de rouge ,
font lesprincipaux traitsde la figure de ces
Indiens , qui font imbarbes , ainſi que les
indigènes de l'Amérique. Le climat le
plus rigoureux ne les empêche pas d'aller
preſque nuds. Ils n'ont pour habillement
quede mauvaiſes peaux de guanaques ou
de veaux marins , trop petites pour les
envelopper. Les hommes portent ſur la
tête des panachesde laine filée de guanaques.
Ce panache leur tombe ſur le front
&ſenouepar derrière avec des courroies.
,
JUILLET. 1774- 89
Lesdeux ſexes ſe peignent également les
différentes parties du corps de rouge , de
blanc & de brun. Les hommes comme
les femmes s'impriment ſur le viſage divers
traits qui leur traverſent le nez & les
joues. Les femmes ont toutes des tabliers
de peau , & portent ſur le dos leurs enfans
dans le manteau qui leur fert de vêtement.
Ce font elles auſſi qui font chargées
des foins domeſtiques les plus pénibles
& les plus bas . Elles voguent dans les
pirogues , prennent ſoin de les entretenir,
&ramaſſent le bois & les coquillages ,
ſans que les hommes prennent aucune
part au travail . On voit également dans
d'autres pays dont on nous donne ici la
deſcription les femmes dégradées au-def.
ſous de l'autre ſexe , occupées ſans relâ
che aux plus durs travaux & foumiſes à
cette autorité que le fort prend ſur lefoi,
ble ; autorité toujours très dure& ſouvent
cruelle lorſqu'elle n'eſt pas réglée par les
loix , ou tempérée par les moeurs douces
que donne l'état de ſociété.
La découverte de l'île du Roi George
ou d'Otahiti forme un des articles les plus
intéreſlans de cette hiſtoire . Comme le
récit des événemens a toujours plus d'attrait
pour le lecteur dans les deſcriptions
mêmes qu'en ont données ceux à qui ils
१०
MERCURE DE FRANCE.
font arrivés , ou qui en ont été les temoins
oculaires , l'hiſtorien fait parler le
plus ſouvent les navigateurs qui ont fait
les découvertes dont il écrit l'hiſtoire.
C'eſt par cette raiſon qu'il a rapporté dans
les propres termes de M. Wallis pluſieurs
détails intéreſſans concernant l'île d'Otahiti
. Ce navigateur Anglois eſt le premier
qui ait découvert certe île , devenue.
depuis un objet de la plus grande curiofité
par la belle deſcription qu'on en trouve
dans le voyage autour du Monde de M.
de Bougainville , qui a relâché ſur cette
terre où il a paſſé neuf jours , & plus particulièrement
encore par la relation de
M. Cook , qui , dans le voyage le plus
extraordinaire qu'on ait entrepris , a demeuré
trois mois dans cette île , pour y
attendre le paſſage de Vénus fur le diſque
du ſoleil , vivantdans la plus parfaite intimitéavec
les Naturels.Les lumières qu'il
a publiées fur ce beau pays &ſes habitans
ne laiſſent rien à deſirer , & M. F. en a
habilement profité pour rédiger ſon hiftoire
.
Comme il a été ſouvent queſtion dans
les Journaux, de l'île d'Otahiti , nous nous
bornerons ici à quelques remarques fur
les Nations antropophages de l'Améri
que. Quelques Sceptiques ſe ſont perdus
JUILLET. 1774. 21
t
en de vains raiſonnemens pour révoquer
en doute la véracité des voyageurs qui ,
dans leurs relations , ont avancé qu'il y
avoit des peuples antropophages ſur plufiours
côtes de l'Afrique & de l'Amérique
; mais ce fait eſt aujourd'hui tropbien
éclairci pour pouvoir être rendu douteux
par les objections de quelques écrivains
qui ne font peut être jamais fortis de leur
ville. Lorſque les navigateurs Anglois
abordèrent dans la Nouvelle Zélande , en
1769 , ils trouvèrent un peuple qui avoit
beaucoup de douceur &d'aménité dans le
caractère. Ces Inſulaires entre eux font
tendres , affectueux , viventdans une bonne
intelligence & une étroite union ;
mais ils font cruels , implacables à l'égard
de leurs ennemis à qui ils ôrent impitoyablement
la vie pour les dévorer . Les Zélandois
informèrent les navigateurs que
cinq à fix jours avant leur arrivée , une
pirogue d'un diſtrict ennemi s'étoit montrée
dans leur baie ; qu'ils avoient attaqué
ceux qui étoient à bord , & en avoient
tué ſept qu'ils avoientmis à la broche. Ils
penſent avoir un droit incontestable for
les ennemis qu'ils ont tués dans un combat;
& ils ne croient pas devoir les laiſſer
dévorer par les corbeaux , ſur leſquels ils
92
MERCURE DE FRANCE .
prétendent la préférence. Ileſt du moins
certain qu'ils n'imaginent pas qu'il y ait
quelque infamie dans cet uſage : loin d'en
rougir, ils enparloient aux navigateurscom.
med'une coutumeque la raiſon& le droit
autoriſent. Un Indien qui étoit dans la
compagnie des navigateurs ayant demandé
à un Zélandois fort âgé : « Quand
>>vous mangez un homme , que faitesvous
de la tête ? La mangez -vous ?-
>>Nous n'en mangeons que la cervelle ,
>>répliqua le vieillard ; c'eſt un mets dé-
»licieux; ſi vous étiez curieux d'en goûter,
>>dites-le moi ; dès demain je veux vous
>>en régaler. Le vieillard informa encore
l'Indien qu'ilsattendoient leurs ennemis ,
qui ne manqueroient pas de vouloir venger
la mortdes ſepthommes qu'ils avoient
tués , &dont ils avoient fait d'excellens
repas.
Il doit paroîtred'abord étrange , com
me l'obſerve l'hiſtorien , que dans un
pays oùles habitans n'ont rien à ſe diſputer
, une guerre éternelle leur metre
continuellement les armes à la main ; &
que chaque petit diſtrict , habité par un
peuple humain affable généreux ,
foit dans une inimitié conſtante avec
tout ce qui l'environne. Mais il peut fe
, ,
JUILLET. 1774.
1
93
faire que dans un combat il y ait plus à
gagner pour le vainqueur qu'on ne pourroitd'abord
le croire , &que ces peuples
foient pouffés à commettre de mutuelles
hoſtilités par des motifs qu'aucun degré
d'amitié & d'affection n'eſt capable de
furmonter. Il paroît que le poiflon &
quelques racines compoſent toute leur
nourriture ; mais cette ſubſiſtance ne peut
ſe procurer que ſur les côtes ; encore
n'eſt-cequ'en certain temps del'année que
la pêche eſt abondante. C'eſt une conféquence
néceſſaire que les Tribus qui viventdans
l'intérieur des terres , ſi quelques-
unes y ont leur réſidence , & mê
me celles qui ſont ſur les côtes, foient fouventexpoſées
à périr par la famine. La con.
trée ne produit ni brebis , ni chèvres , ni
cochons , ni aucune eſpèce de bétail : ils
n'ont point d'oiſeaux privés , & ne connoiſſent
pas l'art d'en prendre d'autres en
quantité ſuffiſante pour en faire des proviſions.
Si quelque circonſtance ne permet
pas à une Tribu de faire ſa provifion
de poiſſon , ouſi on vient à l'en priver
après l'avoir faire, elle n'a pour y ſuppléer
quequelques chiens&des racines , dont
les principales font les iniams , les patates&
les racines de fougère ; & quand
paraccident cette reſſource vient encoreà
94 MERCURE DE FRANCE.
manquer , elle eſt alors dans une ſituation
qui doit la porter aux extrémités les
plus violentes. Mais les Tribus inêmes
qui habitent les bords de la îner doivent
quelquefois ſe trouver dans cet état de
déſeſpoir; ſoit parce que leurs plantations
auront étédévaſtées , oun'aurontrien produit
, ſoit parce que la pêche n'aura pas
été affez abondante pour en faire des proviſions
sèches.
"Ces conſidérations , ajoute l'hiſtorien ,
paroiffent expliquer pourquoi ces peu-
>ples , dont les Tribus ſont continuelle-
>>ment expoſées aux incurſions les unes
»des autres , ont fait de chaque village
>>un Fort , & rendre en même temps rai-
>>ſon de l'horrible coutume de manger
>>ceux qui ont perdu la vie les armes à la
>>main; car on ne doit pas ſuppoſer que
celui que la famine a forcé d'égorger
>>fon voisin , puiſſe être touché d'huma-
>>nité à la vue de ce corps ſanglant qui ,
>>mis à la broche , calmera la farm qui le
dévore : mais ſi l'on a rencontré juſte
>>dans l'origine d'une ſi barbare coutume,
>>il faut alors obſerver que le mal ne finit
>>pas avec la cauſe qui l'a produit. Cette
>>coutume , que la néceſſité a fait naître ,
meſt en fuire adoptée par la vengeance .
>>>Quelques Philoſophes peuvent prétenJUILLET.
1774. 95
dre qu'il eit au fond très indifférent de
>manger ou d'enterrer un corps mort;
mais , ſans entrer dans cette difcutlion ,
mon peut dire que dans la ſuppoſition
>>même que cette pratique ne fût pas en
elle-même criminelle , elle eſt très pernicieuſe
dans ſes conféquences. Elle
>>déracine du coeur de l'homme un prin.
>>cipe qui fait la plus grande sûreté de la
»vie ; car l'horreur d'un tel mets eſt bien
>p>lus propre à retenir la main des meurwrriers
que le ſentiment du devoir , ou la
crainte du châtiment. Parmi ceux qui
>>>font accoutumés à dévorer les membres
humains , la mort doit perdre de fon
horreur; & dès que l'homme ne frémit
plus à la vue d'un cadavre ſanglant , il
»lui en coûte peu d'égorger ſon ſembla-
>ble. Le ſentiment du devoir & la crainte
>>du châtiment ſont plus aisément furmontés
que les ſentimens de la nature,
»ou que les préjugés , qui , inculqués dès
l'âge le plus tendre , font en quelque
>>forte greffés ſur la nature. L'horreur du
meurtre vient moins de la perfuafion
>>intime du crime que de ſon effet natu-
>>rel . Celui qui s'eſt familiariſé avec le
carnage n'éprouve plus une ſi vive horvreur
à la vue d'un cadavre encore palpiwtant
, & tout dégouttantde ſang". Dans
96 MERCURE DE FRANCE.
les gouvernemens où les loix & la religion
infligent le même ſupplice dans ce
monde & dans l'autre aux voleurs & aux
meurtriers , on voit une foule d'hommes
voler après une mûre délibération , &
ces voleurs font rarement affaffins , avec
la certitude même de ſe procurer de plus
grands avantages. Mais il y a de trèsfortes
raiſons de croire que les hommes
dans l'uſage de ſe repaître de mets humains
, & de trancher un cadavre avec
tout auſſi peu de ſenſibilité que nos cuiſiniers
découpent un lièvre , ne ſentitoient
pas plus d'horreur à commetire un affaffinat
, qu'à voler dans les poches; & dèslors
ils deviendroient meurtriers par les
legères tentations qui les ont rendus fripons.
Si quelqu'un pouvoit douter que
ceraiſonnement fût concluant , qu'il s'interroge
lui-même , & qu'il ſe demande
fi , dans ſa propre opinion , il ne fe croiroit
pas plus en ſûreté avec un homme
que l'idée ſeule du meurtre fait friffonner
, que s'il étoit au pouvoir de celui
qui , tenté d'ailleurs de lui ôter la vie,
ne ſeroit arrêté que par des conſidérations
d'intérêt?
L'hiſtorien fait voir que la ſituation&
les circonstances où se trouvent les peuples
de lanouvelle Zelande , font favorables
JUILLET. 1774. 97
bles aux nations Européennes qui ſe
propoferoient d'y établir une colonie. II
n'eſt pas douteux que ce ſeroit un bienfait
de civilifer des peuples qui , comme
ceux de la nouvelle Zélande , font , par
défaut d'induſtrie , fréquemment expoſés
à manquer du néceſſaire phyſique , & qui
en conféquence font réduits à la triſte
alternative de s'égorger entre eux pour
ſe dévorer , ou de périr par la faim. Tout
cet article de la nouvelle Zélande , ainſi
que celui de l'île d'Orahiti , de quelquesautres
îles découvertes par les navigateurs
Anglois & François , offrent beaucoup
de faits & d'obſervations très-propres à
accélerer les progrès de la navigation ,
de la phyſique , & de l'hiſtoire naturelle.
Ces inſtructions , très bien rédigées , ſont
d'autant plus intéreſſantes , qu'elles font
données par des navigateurs naturaliſtes
&philofophes , exempts par conféquent
des préjugés ordinaires aux anciens voyageurs
, qui , pour la plupart , ignorans ou
menteurs , ne publioient la relation de
leur voyage , quepour ſurprendre l'admiration
ſtupide de quelques lecteurs oiſifs ,
Si les journaux de nos navigateurs modernes
préſentent un tableau frappant de
phénomènes finguliers & nombreux , on
II. Vol.
E
98 MERCURE DE FRANCE.
1
peut croire avec confiance qu'ils ne les
ont décrits qu'après les avoir vus en ſcrupuleux
obſervateurs.
* Hiftoire de la rivalité de la France & de
l'Angleterre , &c. Tomes IV , V , VI
& VII , par M. Gaillard , de l'Académie
Françaiſe & de l'Académie des
Inſcriptions & Belles Lettres . A Paris,
chez Moutard , libraire de Madame la
Dauphine , rue du Hurepoix , à St Ambroife.
Les trois premiers volumes de cette
hiſtoire ont paru il y a environ trois ans ,
&le mérite & le ſuccès en ont été conftatés
par les fuffrages du Public. Ces quatre
derniers volumes terminent l'ouvrage
de l'auteur , & rempliſſent tout le plan
qu'il s'étoit propoſé & qu'il rappelle dans
ſa préface : « c'eſt d'éteindre les haines
>>nationales & de déſabuſer les hommes
>>de la guerre. Si cette entrepriſe eſt une
>>folie , c'eſt une folie douce & humaine
>>qui combat une folie cruelle. »
Il veut prouver que toutes les guerres
injuftes ſont toujours inutiles ou même
* Les trois articles fuivans font deM. de la
Harpe.
JUILLET. 1774. 99
funeſtes à ceux qui les entreprennent. Il
n'excuſe , il n'approuve que la guerre légitime
, néceſſaire & defenfive. Toute
autre guerre , dit- il , trompe les voeux de
l'ambition , trahit les intérêts de la politique
, & n'aſſure jamais ni un ſuccès durable
ni une poſſeſſion paiſible . On peut
combattre ce ſyſtème . On peut prouver
qu'en exceptant les Etats libres , toutes
les autres Puiflances de l'Europe n'ont été
établies originairement que par la conquête
; que lorſque les Francs envahirent
lesGaules ſur les Romains , ils n'y avaient
pas plus de droit que les Romains n'en
avaient eu quand Céfar s'en empara ;
qu'ils l'ont cependant gardée , & en ont
fait une des plus Horiſſantes Monarchies
de l'Univers . Mais il faut ſuppoſer que
le ſyſtême de l'auteur ne remonte pas
juſqu'à l'établiſſement des Nations , &
n'a lieu que depuis l'époque où leurs limites
reſpectives ont été à-peu près fixées .
Dans cette ſuppoſition , l'on pourrait citer
encore des conquêtes durables & avantageuſes
; par exemple, celle de la Franche-
Comté , l'une des plus belles parties de
l'ancien royaume de Bourgogne , & aujourd'hui
l'une des plus riches provinces
de la France & du plus grand revenu.
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Mais auffi l'on pourrait répondre que cer
te conquête , celle de l'Alface & de quelques
villes de Flandre ont été bien payées
par les diſgrâces qui accablèrent la France
fur la fin du règne de Louis XIV , & dont
elle fent encore le contre-coup . Quoi
qu'il en foit , tout ſyſtème général en politique
, en philoſophie & même en morale
, peut fouffrir des exceptions . Mais
au fonds , celui de M. Gaillard ſur la
guerre eft auſſi raiſonnable qu'il eſt utile .
Il défend les droits naturels des peuples
que l'on ne doit pas mener au carnage ,
fi ce n'eſt pour leur défenſe néceſſaire . Il
inſpire la haine de l'oppreffion & de la
violence. C'eſt à Grifler , dit-il , qu'il
" faudroit pouvoir demander ce que lui a
valu le deſpotiſme inſolemment abfur-
>>de qui ordonnait à tout un peuple de ſe
>>profterner devant le ſigne de la Tyran-
>>nie exposé dans la place publique , ou
»le deſpotiſme infolemment barbare qui
>>forçait un père d'exercer ſon adreſſe ſur
>>la tête de ſon fils. Ce ferait à Philippe
>>Second qu'il faudrait pouvoir demander
ce que lui a valu le projet d'aſſujettir les
>>Pays - Bas au joug de l'Inquisition. Ce
>>ſerait au Duc d'Albe à nous dire quel
bien ont fait à cette odieuſe cauſe ces
JUILLET. 1774. 101
dix - huit milte victimes qu'il ſe glori-
>>fiait d'avoir livrées aux bourreaux . >>
On a révoqué en doute l'hiſtoire du
chapeau expoſé &de la pomme abattue .
Mais le mépris de l'humanité eſt ſi naturel
aux tyrans , & dans ces temps bathares
l'homme ſerf était compté pour peu
de choſe & fi facilement foulé aux pieds ;
il a été ſi commun de tout temps que les
Puiſſances regardaſlentles hommes comme
des animaux de ſervice , qu'il ne fant
pas traiter de fable un trait hiſtorique ,
ſous prétexte que, s'il était vrai , ce feraic
un trop grand outrage à la nature humai
ne. Il y a vingt traits avérés auffi forts.
que l'aventure de Guillaume Tell , & fa
réponſe au tytan eſt ſibelle que pour cette
raiſon ſente il faudrait abſolument que
fon histoire fût vraie .
On allègue en faveur des ufurpations
heureuſes l'exemple de Cromwel " qui
>>de la pouſſière de l'école s'élève juſqu'au
>>Trône , fait trancher la tête à fon mai-
>>tre , & meurt dans ſon lit. »
ود
M. Gaillard répond : « Si Cromwel a
>>régné paiſiblement; ſi ſa race ſolide-
*ment établie ſur le Trône en a joui ſans
contradiction , l'exemple de Cromwel
fera une exception à la règle , & cette
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
&
"exception même ne prouvera rien con-
>>tre la règle . Mais je vois Cromwel ne
>>recueillir que le fruit ordinaire du cri-
»me; je vois la terreur qu'il inſpire &
>>celle qu'il éprouve ; il fait trembler l'in-
>>>nocence , & la justice le fait trembler ;
>>il pourſuit dans leurs aſyles étrangers
>>les Princes qu'il a proſcrits , &du fond
>>de ces mêmes aſyles ces proſcrits le con-
>>ſument d'inquiétude & de frayeur fur
>>ſon Trône ufurpé. Il craint juſqu'aux
>>regards du peuple qu'il a féduit
>>une garde terrible le dérobe à tous les
>>yeux. Il cherche dans des projets vaſtes
>>& glorieux à ſa patrie une distraction
>>aux remords qui le rongent; il ne peut
"en trouver. Il eſt grand , mais malheu-
>>reux ; illuſtre , mais odieux ; redouté ,
>>mais puni . Sa gloire même lui pèſe;
>>elle éternife le ſouvenir de ſes crimes.
>>Cet homme , dit Pope , eft condamné à
wune renommée éternelle. Si le malheur
>>d'éprouver la crainte en inſpirant l'hor-
>>reur , eſt l'objet que ſe propoſe la poli-
>>tique , nous avouons que la guerre , la
>>rebellion , le crime peuvent remplir
>>cet objet ; mais qui peut le rechercher
»ou l'envier ? »
Ces quatre nouveaux volumes contienJUILLET.
1774. 10,
nent l'hiſtoire détaillée de la querelle
d'Edouard III & de Philippe de Valois
pour la ſucceſſion à la Couronne de France
; querelle continuée ſous les ſucceſſeurs
de ces deux Princes , & qui , malgré les
fameuſes défaites de Crécy , de Poitiers
& d'Azincourt , finit par l'expulfion totale
des Anglais. La priſe de Calais, leur
dernière poffeſſion en France , fut l'ouvrage
du célèbre François de Guiſe , père
du Balafré , plus célèbre encore , &le
héros de la Ligue. Dans le cours de cette
querelle , qui dura deux cent-vingt ans ,
l'hiſtorien pèſe avec un jugement für &
avec l'équité la plus impartiale les droits &
les avantagesdes deux Nations ennemies.
Il les confidère dans tous les objets de
rivalité , dans la guerre , dans la politique,
dans l'adminiſtration , dans la gloire
perſonnelle de leurs Souverains , dans la
gloire nationale des lettres &des arts.
Par-tout il puiſe dans les meilleures fources
; par - tout on voit les ſentimens du
citoyen , les lumières du littérateur & le
talent de l'écrivain. Nous nous bornérons
à citer en partie ce qui regarde le règne
de Louis XI. Ce morceau nous a paru le
plus remarquable de tout l'ouvrage par
les vues ſaines & juſtes qu'il préſente ſur
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
un Prince que quelques hiſtoriens ont
trop excufé ou trop fait valoir, louant la
fauffeté & la diffimulation , pour affecter
de la politique. On ſe ſouvient que M.
Duclos qui a fait une vie de Louis XI ,
finit l'énumération de tous ſes vices qui
compoſent un homme déteſtable , par ces
mots qui ont paru révoltans : C'était pourtantunRoi.
Certes , c'eſt faire à la royauté
une cruelle injure que de la ſéparer de
P'humanité au point que celui qui n'a pas
une ſeule des qualités ſans lesquelles on
ne mérite pas le nom d'homme , puiſſe
mériter le nom de Roi . Non , ſans doute,
ce n'était pas un Roi que Louis XI ;
ce n'était pas même un tyran qui eût du
génie : c'était un homme pervers & un
efprit médiocre qui croyait que la fauffeté
était toujours de la fineſſe , quoiqu'en
voulant être toujours faux il ſoit difficile
d'être fin ; qui croyait que le mépris de
toute morale était la vraie politique , &
qui commit autant de fautes contre l'une
que contre l'autre ; qui déshonorait for
rang fans relever ſa puiſſance; qui ſe rendait
odieux ſans obtenir rien que de la
haine , & vil ſans recueillir autre choſe
que du mépris ; qui méditait profondément
des méchancetés gratuites ou mal
entendues , & commettait de grandes
JUILLET. 1774. 105
د
cruautés ſans y avoir un grand intérêt ;
qui prodiguait beaucoup d'art dans de petites
affaires & manqua toujours les
grands avantages qui s'offraient à lui ;
qui, s'occupant toujours d'intrigues , fit
toujours de mauvais traités; qui dreſſant
toujours des piéges , y tomba très - fouvent;
avare , jaloux & ſuperſtitieux, trois
défauts des petites ames ; qui vécut dans
Pagitation & inourut dans la terreur.
Telle eſt l'idée que donne de Louis
XI l'examen de ſa conduite , & tel il eſt
repréſenté dans l'excellent réſumé que
M.Gaillard a fait de fon règne. C'eſt une
belle leçon pour quiconque croirait qu'il
y a beaucoup à gagner à être méchant.
>>Je prends Louis XI à l'inſtant de fon
>>couronnement. Juſques là des tracaffe-
>>ries , des factions , des révoltes contre
>>ſ>on père, des conſpirations contrel'E-
>>tat, avaient formé toute ſa politique.
>>Cette politique n'avait pas été heureuſe.
>> Chaffé du Dauphiné , fugitif dans les
>>Pays-bas, ſa ſeule confolation avait étéde
>>troubler la Cour du Duc de Bourgogne ,
"ſonbienfaiteur, comme celle du Roi de
>>France , fon frère. Voilà le ſujer; voici
>>le roi . Etant allé à Reims pour la cérémonie
du facre , il jure aux Rémois de
ود
106 MERCURE DE FRANCE.
>ne point établird'impoſitions nouvelles,
>>il promet même une diminution fur
>>les anciennes. Quel eſt l'effet de ces-
>>promeſſes ? Le renouvellement du bail
>>des gabelles & des autres exactions ,
>>avec une ſurcharge confidérable. Mais
auſſi quel eſt le fruit de cette infidélité ?
>>La révolte de Reims , d'Alençon , d'An-
>>gers , d'Aurillac , & de pluſieurs autres
>>villes en différentes provinces.
>>Charles VII fut entretenir la paix
>>pendant vingt-cinq ans avec les Ducs
>>de Bourgogne & de Bretagne ; il fut
>>m>ême tourner leurs forces contre l'en-
>>nemi commun , les Anglais. Louis XI
>>fut toujours en guerre avec les mêmes
>>princes , parce qu'il ne ceſſa de leur
>>nuire , de les irriter , de les réunir par
>>les moyens même qu'il prenoit pour
>>les diviſer .... Ces grandes Puiffances
>>t>ouchoient à leur fin. Le Duc de Bre-
>>tagne n'avoit que des filles , celui de
>>B>ourgogne n'avoit qu'un fils ; c'étoit
>>une raiſon de plus de ménager ces
>>Princes. Au lieu de les attaquer , il fal-
>>loit rechercher leur amitié , préparer
>>par des négociations habiles & des pro-
>>cédés honnêtes , desalliances qui ſuſlent
>>réunir leurs Etats à la Couronne , ou du
JUILLET. 1774. 107
>>moins qui puſſent les rapprocher du
>>t>rône. Louis XI au commencement de
>>fon règne avoit un frère , & fur la fin
>>de ſon règne un fils qui pouvaient fervir
>>à ce deſſein ; mais il fut l'ennemi & de
>>ſon frère & de ſon fils , & du repos
>>public de ſes ſujets , & du ſien, plus
>>encore que des Ducs de Bretagne &de
>>Bourgogne. Il haïſſait ces Ducs parce
>>qu'ils étaient puiſſans , & il les combat-
>>tit parce qu'il les haïſſoit ; voilà toute
>>ſa politique. Quel en fut le fruit ? Il
>>manqua la fucceffion de Bourgogne qui
>>fut portée dans la maiſon d'Autriche.
On ne peut rien oppoſer à ces judi-
• cieuſes réflexions de l'hiſtorien . Si jamais
on a commis en politique une faute
inexcuſable , & qu'il eſt même difficile
de concevoir , c'eſt le refus que fir Louis
XI de la main de Marie de Bourgogne ,
que l'on offrait au Dauphin Charles ,
avec tous les Etats héréditaires de cette
maiſon. Il fallait ou qu'il craignît d'avoir
un fils trop puiſſant , ou qu'il crût qu'il
lui ferait facile d'envahir l'héritage d'une
jeune Princeſſe ſans appui ; mais elle en
trouva dans l'Empereur Maximilien. Les
Pays-bas furent perdus pour la France ,
& ce fut l'origine de la longue& funeſte
jalouſie qui a diviſé juſqu'à nos jours les
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
maiſons de Bourbon & d'Autriche , &
qui a fait verſer tant de fang. Tel fut le
fruit de la déteſtable politique du grand
politique Louis XI.
Il
C'eſt lui faire trop d'honneur , ( continue
M. Gaillard) que de le regarder
>comme un politique Machiaveliſte .
>> ne fut que l'eſclave de ſes paffions &
le jouet de ſes caprices. Un politique
>>Machiaveliſte n'aime ni ne hait; il ne
voit que ſes intérêts; il les ſuit ſans
> acception de perſonnes ni de moyens ;
>ily facrifie tout. Louis XI ſacrifia tour
"à la haine , manqua tous les avantages
>>politiques pour courir après de petites
vengeances , & ſe priva de la paix pour .
le ſeul plaiſir de vivre en guerre.
ور
>>II affectait la plus tendre reconnoif-
>>ſ>ance pour le Ducde Bourgogne Philippe-
le-bon , ſon bienfaiteur. La pre-
>>m>ière preuve qu'il lui en donne eſt de
vouloir établir dans les états du Duc la
gabelle, qui depuis Philippe de Valois
>>était regardée en France comme un
fléau. Le Duc rejeta ſans détour, la
propofition ; il chargea même le Seigneur
de Chymay d'en porter ſes plaintes
au Roi . Le Roi refuſe audience.
Chymay l'attend ſur ſon paſſage , & le
force de l'écouter. Quel homme est donc
JUILLET. 1774. 109
le Duc de Bourgogne , dit Louis XI
>>avec colère ? Eft il autre ou d'autre métail
que nefont les autres Princes & Seigneurs
wde mon royaume ? Oui , Sire , reprit
"Chymay , le Duc de Bourgogne voire-
>>>ment eft autre , & d'autre métail , que
wles autres Princes de votre royaume ni
des pays environ ; car il vous a gardé ,
porté & foutenu , contre la volonté du
"Roi Charles votre père , que Dieu abfolve,
auquel il en déplaiſoit; ce que d'autres
>>Princes n'eſſent voulu ni ofé faire . Le
>>R>oi ſe tut. Le Comte de Dunois s'étonna
de la liberté avec laquelle Chy-
>may avait ofé parler à ce Monarque ſi
>>fier. Sij'euſſe été cinquante lieues loin ,
>>répondit Chymay , & que j'euſſe pense
»que le Roi m'eût voulu dire ce qu'il m'a
»dit de Monseigneur mon maître , je fufle
retourné pour lui dire ce que je tui ai
répondu. Voilà comment Louis XI
traitait ſes amis, & comment il s'en
faifoit traiter.
>>Sa ſeule politique ſur tous les objets
"d'administration fut de renverſer toujours
l'ouvrage de ſon père , de deſtituer
arbitrairement tous les Officiers
nommés par Charles VII , ce qui produifit
deux effets; l'un de ſoulever contre
lui ces Officiers, leurs parens & leurs
110 MERCURE DE FRANCE.
>>amis ; l'autre d'alarmer & d'effaroucher
>>la nation , aux voeux de laquelle il fut
obligé d'accorder en 1467 la fameuſe
>>loi de l'inamovibilité des charges . Ainfi
>>je vois ſa politique toujours ou trompée
>ou punie. Il rempliſſait les Cours étran-
*gères d'eſpions , & la ſienne de délateurs
, fûrmoyen d'être trompé à grands
»frais.
>>Acette irrégularité d'adminiſtration,
wà ce caprice de conduite , il joignait
>>l'indocilité la plus opiniâtre , l'orgueil
>>de ne jamais demander de confeil , &
>>de n'en vouloir point recevoir. Le Duc
>>d'Orléans , père de Louis XII , crut que
>>ſon âge , ſon expérience , ſes malheurs,
>>ſes ſervices , fon rang de premier Prince
>>du ſang , fon zèle pour l'Etat & pour le
trône , l'autoriſaient à faire au Roi quel-
>>ques repréſentations ſur le renverſement
>>des loix . Le Roi, bleſſé de cette liberté,
>>outragea fi durement ce vénérable vieil-
>>lard , qu'il en mourut de douleur ; ce
»qui ne contribua pas à diminuer le
>>nombre des ennemis de Louis XI , &
>>jeta Dunois dans la ligue du bien pu-
>>blic. Tour à tour faſtueux & fimple ,
>>avare & prodigue , toujours avec inten-
>>tion , & très - ſouvent hors de propos ,
>>Louis XI , dans une cérémonie qui exiJUILLET.
1774 . III
>geait de la repréſentation , dans une
>>entrevue de Rois , paraiſſait vêtu de
>>bure , avec l'image de la Vierge pen-
>>dante à ſa barrette. Il ne rougiſloit pas
>>de donner vingt écus à une héroïne qui
>avoit repouffé les ennemis , & ſauvé
>>une. place , & il prodiguait l'argent
>>pour corrompre un ſujet , pour entrete-
>>nir des correſpondances fecrettes & ſté-
>>riles , pour faire des traîtres , & pour
>>en être environné. Les Miniſtres étran-
>>gers tiraient des penſions de lui pour le
>>tromper. Ils en recevaient ſi publique-
>>ment , qu'on pouvait croire que c'était
>>de l'aveu de leurs maîtres , qui tour-
>>naient ſouvent contre lui ſes propres
>>artifices .
Un Tyran n'eft jamais populaire .
>>Louis XI affectait de le paraître ; mais
>>c'était pour mortifier les Grands; il ad-
>>mettait des bourgeois à ſa table , mais
>>il les humiliait par des railleries amè-
>>res ; il employait des gens ſans carac-
>>tère , pour les déſavouer plus aisément ,
>>& les facrifier au beſoin. Tant de ci-
>>toyens de Paris jetés de nuit dans la
>>rivière , tant d'exécutions ſecrettes , tant
d'inutiles violences exercées ſur des
gens fans nom , ne ſont pas d'un ami
112 MERCURE DE FRANCE.
du peuple. Est- ce un Roi populaire ou
même un Roi politique , qui poulle
>>l'indécence de la barbarie juſqu'à daigner
afſiſter aux exécutions de juſtice ,
juſqu'à exciter par ſa préſence le bour-
>>reau à faire ſon devoir , juſqu'à l'animer
>du geſte & de la voix. Un homme
mayant été condamné au fouet, pour un
>propos peut-être innocent , mais capa-
"ble de repande l'alarme dans Paris:
battez-lefort, criait le Roi au bourreau ,
»& n'épargnez-point ce paillard , car il a
bien pis deffervi? Ne ſuffirait- il pas d'un
>pareil trait pour avilir le plus grandPrin-
>>ce? La connoiſſance des hommes , pre-
>>miertalent d'un Roi politique , manqua
entièrement à Louis XI . Il commence
>>par perfécuter les Duchâtel & les Chawlannes
, auxquels il fut obligé de reve-
>>nir dans la ſuite , & qui le ſervirent
"avec le même zèle qu'ils avaient ſervi
>>Charles VII , & il proſtitua ſa confiance
au Cardinal Balue , au Comte de Me-
>>lun , au Duc d'Alençon , au Comte
d'Armagnac , au Duc de Nemours , au
>> Connétable de St Pol , qui tous le trahi-
>>rent. Il ne connoiſſait pas mieux le
>prix du moment & de l'occaſion. Au
>>milieu des plus grands avantages , on
JUILLET. 1774. 113
L
>>pouvait toujours l'arrêter en lui propo-
>>fant une négociation ; non qu'il aimât
»la paix , mais il aimait l'intrigue . Un
>>ennemi trompé était plus pour lui qu'u-
>>ne province conquife.
>>De quoi lui ſervaient les eſpions qu'il
>>entretenoit ? Pendant le fiége de Paris ,
>>cette ville , bien approviſionnée , ſe
>>défendait vaillamment contre les Prin-
>>ces ligués : Louis XI , toujours inquiet
>>& impatient , ſe hâta de ſigner les trai-
>>tés de Conflans & de St Maur des- follés,
>>après avoir pris la précaution de protef-
>>ter contre. Le lendemain ce furent les
>>alliégeans qui_demandèrentdes vivres
>aux alliégés ; la difette étoit dans leur
camp , & alloit diſſiper leur armée
»ſi le ſiége eût duré encore deux jours.
>>On n'en ſavait rien dans la ville ... Un
>>de ſes confidens lui demandait ce qui
>>avait pu le réduire à recevoir des condi-
>>tions auffi dures que celles qui lui a-
>>vaient été impoſées par les traités de
>>Conflans & de St Maur ; il répondit :
»La jeuneſſe de mon frère de Berry , la
prudence de Beau- coufin de Calabre , le
»fens de beau- frère de Bourbon , la malice
du Comte d' Armagnac , l'orgueil grand
nde beau - coufin de Bretagne , & la puif
114 MERCURE DE FRANCE.
fance invincible de beau -frère de Charolois.
Un grand homme n'aurait dit
>qu'un mor : Ce sont mes fautes ; mais
>>un grand homme ne les eût pas faites .
„Plus Louis XI était diffimulé , plus
il affectait de franchiſe. Il vint trouver
" le Comte de Charolois dans ſon camp ,
>>pour conférer avec lui. Paris le vit par-
>>tir , & fut fans inquiétude. Les foldats
>>Bourguignons diſaient en riant : Voilà
>>pourtant le Roi au pouvoir de notre
>>Prince. Le Comte de Charolois , pour
>>répondre à ce procédé , reconduifit le
>>Roi juques fous les murs de Paris.
>>Toute l'armée Bourguignone trembla
>>pour lui , & déſeſpera de le revoir.
>>Comparez cette ſécurité d'un côté , ces
>>alarmes de l'autre , & jugez de la réputation
des deux Princes.
>>Pour terminer ce portrait; aux in-
>>conféquences du caprice , à l'audace du
>>Machiaveliſme , joignons toute la pu-
>>fillanimité de la ſuperſtition , la crainte
>>d'entendre parler d'affaires le jour des
>>Innocens , la diſpoſition à ſe parjurer
>>fur toute forre de reliques , excepté
>>ſur la Croix de St Lô , parce qu'elle
>>avait la vertu de faire périr misérable-
>>m>ent le parjure dans l'année; la permif
ود
JUILLET. 1774. 115
>>ion qu'il demandait à ſes reliques de
>>commettre les crimes qu'il croyait uti-
>>les , ſes foibleſſes honteuſes dans ſes
>>maladies , ſes petits efforts pour déro-
>>ber à ſes ſujets le ſpectacle de ſa déca-
>>dence , & pour s'en déguiſer à lui- même
>>le fentiment ; cette eſpérance de tromper
les yeux en couvrant ſon cadavre
"d'habits ſuperbes dans les cérémonies
>>publiques , en étalant une parure qu'il
"avait trop mépriſée autrefois ; repré-
"ſentons-nous à ſes derniers momens ,
>>ce tyran inviſible , caché au fond de
>>ſon palais , environné de tout l'appareil
>>de la terreur , défendu par une enceinte
>>>redoutable de fer & de grillages , con-
>>fumé par la crainte que ſon affoibliſſe-
>>ment ne le fit mépriſer ; plus jaloux de
>>ſon autorité , à meſure qu'elle lui échap-
"poit ; puniſſant juſqu'aux violences fa-
>>lutaires qu'on exerçoit ſur lui , pour
>>l'empêcher de ſe nuire ; déchiré de
>>remords , tourmenté de ſoupçons , dé.
>>gradé par la fuperftition , craignant &
>>f>aiſant trembler toute ſa Cour; mena-
>>çant ſes Médecins , qui le mettaient à
>>leurs pieds en le menaçant lui-même ;
>>demandant , en pleurant , la vie à l'her-
>>mite de Calabre ;déſeſpéré de l'affreuſe
116 MERCURE DE FRANCE.
néceſſité de mourir , & mourant tous
>>les jours par degrés dans des convulfions
>>de frayeur , plus horribles que la mort
>même.
>>Il fut mauvais fils , mauvais frère ,
mauvais mari , frère injufte , peut- être
dénaturé , énnemi implacable faux
wami , allié infidèle , mauvais Roi , &,
>>quoi qu'on en dife , mauvais politique.
Nous avons peut- être érendu les citations
un peu plus que de coutume . Deux
raifons nous y ont engagés ; le mérite de
ce morceau & l'importance du ſujet. On
n'avait point encore auſſi bien apprécié
Louis XI . Il n'y aurait plus dans la poſtérité
, ni d'encouragement pour la vertu,
ni de frein pour le vice , ſi l'on parvenait
à corrompre l'Hiſtoire, le Juge incorruptible
des Rois.
Journal du Voyage de Michel de Montaigne
en Italie , par la Suiſſe & l'Allemagne
, en 1980 & en 1981 ; avec
des notes par M. de Querlon. A Rome;
& ſe trouve à Paris , chez le Jay , libraire
, rue St Jacques , au grand Corneille.
On veut avoir tout ce qui porte le nom
d'an grand écrivain ,& cette curioſité eſt
JUILLET. 1774. 117
ſouvent un piége. Ceux qui ont lu les
Effais de Montaigne ont cru le retrouver
dans ſes voyages; mais ils ſe ſont tronpés.
C'eſt bien ſa diction libre & naïve ;
mais ce n'eſt pas ſon génie. On ne voit
qu'un Journal ſec , ſans agrément & fans
inſtruction , dont il a pu profiter lui-même
, mais dans lequel il n'y a rien à gagner
pour le lecteur. L'éditeur prétend
queMontaigne s'y peint beaucoup mieux
quedans ſes Effais , parce qu'il n'écrit que
pour lui & pour ſa famille , ſans aucun
deſſein & fans aucun travail. Il ſe peut
qu'il n'y ait ni deſſein ni travail. On le
voit; mais il n'y a nulle raiſon pour qu'un
homme ſe peigne lui - même dans une
courte notice faite pour fon uſage , de
tous les lieux qu'il parcourt en voyageant.
Si l'ouvrage n'est pas très - intéreſſant ,
le diſcours préliminaire de l'éditeur &
l'épître dédicatoire à M. le Comte de
Buffon font des morceaux curieux dans
leur genre, Voici le début de la dédicace
.
« Le premier livre qu'on dédia fut un
>>préſent de l'amitié. Le ſecond fut un
whommage au Génie , à la ſupériorité des
>>connaiſances , des lumières , du goût ,
»&c. Je ne chercherai point le motif qui
i
AIS MERCURE DE FRANCE .
fit dédier le troiſième . L'intérêt , la flatterie&
la vanité ont tout brouillé de-
>>puis long- temps chez les hommes . En
>>c>alculant autant que Neuton , on ne
trouverait pas aisément le minimum ou
»le maximum du procédé moral le moins
>>compliqué. »
Dans une dédicace à un Savant illußre
il fallait bien étaler un peu de ſcience;
mais il faut convenir que celle - ci eſt
mal appliquée . Il eſt difficile de concevoir
ce que c'eſt que le minimum ou le
maximum d'un procédé moral; mais fil'on
cherchait le réſultat d'une pareille phraſe
, & qu'on prétendît y trouver un maximum
de ridicule & un minimum de bon
fens , on ſe ferait entendre plus aifément .
La généalogie des dédicaces n'eſt pas une
découverte beaucoup plus claire que le
produit mathématique du procédé moral.
Il ne ferait pas facile d'expliquer pourquoi
la première dédicace a dû s'adreſſer
à l'Amitié & la feconde au Génie &
pourquoi la première n'aurait pas été
pour leGénie & la ſeconde pour l'Amitié.
Cet arrangement gratuit eſt de l'autorité
de M. Querlon ,& il n'en faut rien
conclure ni pour le Génie ni pour l'Amitié.
Ily a dans les hommes de génie , dit-
,
JUILLET. 1774. 119
1
al quelques lignes après , un point de contactqui
les rapproche. Il le trouve , ce point
de contact , & même il lui est devenu ſenfible,
entre Montaigne& le Pline Français,
qui ſe reſſemblent a-peu-près comme la
Fontaine & Ariftote .
Le diſcours préliminaire eſt écrit comme
la préface . On y trouve que Montaigne
avait comme imbibé le latin avec
le lait. On pourrait apprendre à M. de
Querlon que des latiniſmes de cette force
peuvent paffer en français pour des
barbariſmes .
La richeſſe & la chaleur de fon imagination
, ( dit-il ailleurs ) ſuppléant à
>>tous les beſoins du boute- dehors , ( c'eſt
>>ainſi que Montaigne appelait le langa-
>>ge ) y attachaient des formes heureuſes
»& un coloris qui lui prétaient un nerf,
»&c. » La chaleur de l'imagination qui
attache des formes & le coloris qui prête
un nerf, ne ſont pas des modèles de jofteſſe
dans le genre de la métaphore . On
n'en citera pas davantage. On n'aurait
même fait aucune obſervation de cette
eſpèce , ſi M. de Querlon n'affectait pas
depuis long-temps de prononcer d'un ton
très- décisif & très - peu décent ſur toutes
les nouveautés littéraires, dans des Affi
120 MERCURE DE FRANCE .
ches de province , deſtinées , comme celles
de Paris , à annoncer les biens à vendre
, les maiſons à louer & les titres des
livres nouveaux. Il eſt aſſez ridicule queM.
de Querlon ait plus d'une fois employé la
moitié de ſa feuille à occuper fes Abonnés
d'un article du Mercure , comme ſi c'eût
été un bien en litige ou une pièce nouvelle.
Il annonçait dans une de ſes affiches que
l'auteur de l'éloge de Racine mettait le
mot de création à toute fauce. On pourrait
peut- être s'exprimer plus noblement.
Mais encore une fois nous ne prétendons
point lui apprendre à écrire . Nous conſentons
même qu'il nous donne , aind
qu'à tous les écrivains , des leçons de
goût & de ſtyle telles que les belles phraſes
que nous venons de citer , pourvuque
nous lui en donnions de modération &
d'honnêteté , qu'il ne cherche pas la guerre,
quandtout le monde le laiſſe en paix,
&qu'il ne s'expoſe pas à des repréſailles
toujours fi faciles , & qui trop ſouvent fe
préſentent d'elles mêmes à ceux qui les
cherchent le moins.
Obfervations fur l'Art du Comédien &fur
d'autres objets concernant cette profeffion
en général , avec quelques extraits
de
JUILLET . 1774. 121
de différens auteurs & des remarques
analogues au même ſujet ; ouvrage
deſtiné à de jeunes acteurs & actrices.
Par le ſieur D*** , ancien Directeur
des Spectacles de la Cour de Bruxelles.
Seconde édition corrigée & augmentée
de beaucoup d'anecdotes théâtrales &
de pluſieurs obſervations nouvelles ;
vol . in 8º br. prix 3 liv. A Paris , chez
Duchefne , rue St Jacques.
Ce volume eſt ce que l'on a écrit de
plus complet ſur l'Art du Comédien.
L'auteur y a fondu ce qu'on trouvait de
mieux dans les ouvrages de MM. Rémond
de Ste Albine & Riccoboni fur le
même ſujet ; il s'eſt appliqué à égayer les
réflexions & les préceptes par une foule
d'anecdotes qu'il a recueillies de tous
côtés. La plupart roulent ſur l'amourpropre
des Comédiens. Il eſt naturel en
effet que la vanité ſoit exaltée par le befoin
continuel & l'habitude journalière
des applaudiſſemens. Quiconque eſt toujours
en ſpectacle dépend plus que tout
autre de l'opinion d'autrui. Cette avidité
de louanges dans les Comédiens ne s'eſt
peut-être jamais mieux manifeſtée que
dans un trait fort fingulier qui a échappé
aux curieux d'anecdotes , &dont on ga-
II. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
rantit la certitude. Il n'y a peut- être perſonne
qui ne ſe ſouvienne d'avoir entendu
dire que le Comédien du B *** , mort
il y a dix ou douze ans , & reconnu de
fonvivant pour un très- mauvais acteur ,
était un excellent juge dans le gente dramatique
& s'y connaiſſait mieux que tous
ſes camarades . C'était une réputation établie
ſans que perſonne pût en produire
les titres. A ſa mort on en a ſu le ſecret .
Un particulier déclara qu'il perdait une
penſion de 600 livres que lui payair du
B** , pour répandre journellement qu'il
était grand connaiſſeur en pièces de théâtre.
Cet homme le publiait dans les cafés
; perſonne n'ayant d'intérêt à le contredire
, cette opinion paſſait de bouche
en bouche , & l'on ſe diſait au parterre :
vous voyez cet acteur ſi ridicule ; c'eſt le
plus éclairé de tous les Comédiens fur le
mérite d'une pièce nouvelle. Ainfi du B..
ne pouvant faire croire au Public qu'il
était bon acteur , était parvenu du moins
àlui perfuader qu'il avait un jugement
exquis. Il voulait être loué de quelque
choſe , & ce plaiſir qui lui coûtait 6001.
ne lui paraiſſait pas payé trop cher. Cette
anecdote ſerait très remarquable quand
elle ne ſervirait qu'à prouver ce que les
JUILLET. 1774. 123
méchans ne ſavent que trop bien & ce
que les honnêtes gens refuſent ſouvent de
croire : c'eſt que quiconque fort de chez
lui avec le deſſein de répandre un menſonge
, eft für de l'accréditer pour un
temps , à moins qu'il n'y ait beaucoup de
gens intéreſſés à le détruire. Tout ſe dit ,
tout fe répète& tour fe croit.
L'Inoculation , ode par M. Dorat. Prix ,
12 fols. A Paris , chez Monory , libraite
de S. A. S. Mgr le Prince de
Condé , rue de la Comédie Françoiſe,
1774.
M. Dorat , après avoir célébré le nouveau
Règne , vient encore de conſacrer
par ſes chants les bienfaits de l'Inoculation.
Nous citerons quelques ſtrophes de
cette dernière ode pleine de grandes vérités
heureuſement exprimées .
Le poëte déplore la raifonde l'homme
prompte à s'égarer ,lente pour tout ce qui
peut l'éclairer.
Sar le Temps appuyée , en vain l'expérience
Ofedes droits de l'homme embraſter la défenfes
Que peut un Sage , hélas! contre mille impor
reurs ? A
Sous la garde des loix le préjugé circule :
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
On atteſte le Ciel , & la Terre crédule
Punit ſes Bienfaiteurs.
Combien de grands hommes perſécutés
pour avoir en le courage d'enſeignet
la vérité ! Socrate , Descartes , Galilée en
font des exemples terribles.
O malheureux humains ! l'habitude indocile
Proſcrira donc toujours ce qui vous eſt utile !
Eh ! ne voyons nous point cent détracteurs ingrats
Contre un Art bienfaiſant s'armer avec furic
Pour ce monſtre hideux qui , né dans l'Arabie ,
Vint fouiller nos climats ?
Dans ſa première fleur il flétrit la Jeuneſſe ,
Il moiſſonne l'Enfance , il atteint la Vieilleſſe ;
Il n'épargne beautés , vertus , âges ni rangs :
De ſes poiſons ſubtils la rapide influence
Corrompt la terre & l'air , le toit de l'Indigence ,
Etles lambris des Grands .
On a vu ce monſtre exercer ſa fureur
fur les plus nobles têtes; cependant l'opinion
ſtupide écartoit l'Egide de l'art.
Monarques , c'eſt à vous de renverſer l'Idole.
La plainte des Sujets n'eſt qu'une arme frivole ;
Le Peuple en vain gémit ſous le joug abattu:
Mais l'exemple peut tout lorſqu'un Prince le
donne;
:
:
JUILLET. 1774. 12
Σ
Les Rois forment nos moeurs ; tout émane du
Thrône ,
Le vice & la vertu
LeCiel entendmes voeux ! Fuyez , vaines alarmes;
François , applaudiſſez ; Amours , ſéchez vos
larmes.
De L'affreuſe Euménide on éteint les flambeaux ;
La tige des Bourbons ſaura triompher d'elle ,.
Et verra s'affermir , plus pompeuſe & plus belle ,
Ses fertiles rameaux.
-Un ſouverain chéri , dans le printemps de l'âge
Développe à nos yeux la fermeté d'un Sage.
•Par une épreuve heureuſe il veut nous raffurer ,
&d'un venin choiſi , qu'un Art ſavant modère ,
Il reçoit dans ſon ſein l'atteinte paſſagère

Qui le doit épurer.
, Ainaque par le ſang , unis par la tendreſſe
Ses deux Frères qu'imite une jeune Princefle ,
Partagent , lans trembler , cet effort courageux ;
•Et déſormais leurs jours , dans un calme durable ,
Ne redouteront plus d'un mal inexorable
Les retours orageux.
On trouve chez le même libraire un
Discours prononcé le lundi 30 Mai 1774 ,
à l'iſſue d'un Service,pour le repos de
l'ame du feu Roi. Prix , 6 fols .
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
: Cediſcours rerrace avec énergie les
principaux événemens du règne de Louis
XV. C'eſt ainſi qu'il nous le repréſente
malade à Merz .
• Une maladie funeſte arrête LouisXV
au milieude ſa gloire. Un triſte preſſentiment
ſe fait ſentir dans le coeur du François
, & prévient le bruit de l'accident ;
on fritlonne , on gémit , on eſt au pied
desAutels , avant même qu'on ait appris
les détails de ce malheur ; vieillards , enfans
, riches , pauvres , grands , petits
, on ſe refuſe la nourriture , on n'a
de force que pour implorer la Divinité ,
pour racheter par des ſacrifices , des
voeux , des aumônes , la vie du Prince ;
rien n'intéreſſe plus dans le monde que ce
qui tient à cette ſanté précieuſe ; jamais,
jamais tant d'impatience , de curioſité ,
de piété , de douleur , de crainte & d'efpoir
ne paſſa à la fois & fi rapidement
dans l'ame de chaque François ; il
étouffe , il ſanglotte : c'eſt le Chef de
la Famille , ce Chef glorieux & adoré ,
dont les jours font menacés, Je vous
atteſte vous tous Etrangers que le hafard
conduifit alors dans les Provinces
les plus éloignées : vous avez vu des Familles
défolées perdre leur Père , celui de
qui dépendoient l'existence , la fortune ,
1
JUILLET. 1774. 117
le bonheur d'enfans malheureux : leurdouleur
eſt elle comparable à celle du dernierdes
François , lorſque Louis XV étoit
àMetz n'attendant plus que la mort ?
Unrayon d'eſpérance luit: enfin il eſt
ſauvé ; le Très-Haut remercié , l'alégreſſe
eſt générale , lajoie tientdu délire ,
&du coeur enchanté de chaque François
fort dans le même moment cet élan plein
d'amour : c'eſt notre Bien-Aimé..
Les voeux & la prière de l'orateur pour
le règne préſent ſont exprimés avec autant
de nobleſſe que de ſenſibilité.
O toi divine Providence , entre les
mains de laquelle la Nation adepuis fi
long - temps mis ſa confiance unique ,
daigne écouter ce Peuple fi reconnoillant
de tesbienfaits perpétuels ; nos yeux font
encorebaignés de larmes , & Louis XVI
vales effayer. Salomon avoit fon age ,
lorſqu'il demanda la ſageſſe , & elle lui
fut accordée. Les Sajetsdujeune Monarque
ſe joignent à lui pour te la demander
; exauce leurs voeux, mets la ſageſſe
de Salomon dans ſes deſſeins , ajoure la
bonté de Louis XII à celle de ſon coeur ;
fais induer l'économie du Grand Henri
dans ſes actions. Jerte un coup - d'oeil favorable
ſur ſon auguſte Epouſe , ſur cene
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
Princeſſe dont l'affabilité , le noble en
jouement , la pieuſe compaſſion ſuffiroient
pour inſpirer aux François les ſentimens
les plus tendres , ſi ſes autres ver-
-tus , ſa beauté , ſon titre d'Epouſe du
jeune Roi pour qui nous nous empreffons
, ne lui donnoient un droit acquis
&merité ſur l'amour des François ; accorde
- lui une fécondité pareille à celle dont
l'Autriche & l'Europe entière ont reffenti
l'avantage en admirant les hautes vertus
de l'Impératrice ſa Mère & de ſa nombreuſe
Famille.
Manuelfecret , & Analyse des remèdes de
MM. Sutton , pour l'inoculation de la
petite Vérole , par M. de Villiers ,
Docteur - Régent de la Faculté de
Médecine de Paris , ancien Médecin
des Armées du Roi de France en Allemagne
, & Médecin de l'école royale
& vétérinaire , in 8 ° , prix 15 ſols ,
à Paris , chez P. Fr. Didot , le jeune ,
Libraire , Quai des Auguſtins.
Il faut lire dans l'ouvrage même que
nous annonçons , le traitement bien dé-
*taillé que MM. Sutton emploient pour
la préparation de l'inoculation , ainſi que
T'analyſe faite avec beaucoup de ſoin ,
JUILLET. 1774. 129
de leurs remèdes , & les obſervations du
Médecin François fur leur compoſition.
Avis à mes Concitoyens , ou Effai fur la
Fièvre Miliaire , fuivi de pluſieurs
obſervations intéreſſantes ſur la même
maladie ; par M. Gaſtellier , Médecin,
un vol. petit in- 8º, prix , 2. liv. 10 f.
relié. A Paris , chez P. Fr. Didor le
jeune , Libraire de la Faculté de Médecine
, quai des Auguſtins.
CetOuvrage eſt le fruit de l'obſervation
& de l'expérience. L'Auteur , qui a
eu de fréquentes occaſions de voir & de
traiter la Fièvre miliaire , s'y propoſe
d'en faire une deſcription exacte , & de
préſenter un tableau achevé de tous ſes
ſymptômes , tels qu'il les a obſervés dans
un Pays où elle exerce depuis long temps
les plus cruels ravages. Ce qu'il a vu ne
lui permet pas de ſe ranger du côté des
Médecins qui ne regardent cette maladie
que comme ſymptomatique ; toutefois
-il apporte les preuves du ſentiment qu'il
-ſe croit obligé d'adopter , & il les tire ,
non d'une vaine théorie qui conduit
preſque toujours à l'erreur, mais des différens
phénomènes qui ſe ſont mille fois
préſentés à ſes yeux : d'ailleurs il ſuic
Fw
130 MERCURE DE FRANCE.
dans tout le cours de fon ouvrage l'ordre
le plus méthodique. Toujours occupé de
fon objet ,il le traite en Médecin éclairé;
&en parlant des médicamens qu'il a mis
en uſage , c'eſt avec une fidélité d'autant
plus facile àreconnoître , qu'il fait également
part au Lecteur des bons & des
mauvais ſuccès qu'ils ont eus entre ſes
mains.
Cet Ouvrage mérite l'attention des
Médecins & Chirurgiens , tant par fon
objet , que par la manière dont il eſt
rempli.
LesAvantages de l'Inoculation , ou la
meilleure méthode de l'adminiſtrer ,
Ouvrage traduitde ladiffertation Latine
couronnée par l'Académie Royale des
Sciences , Inſcriptions & Belles Lettres
de Toulouſe , & composé par M. Camper
, Docteur en Médecine dans l'Univerſité
deGroningue , des Académies de
Paris ,de Londres , &c. :
On y a ajouté le texte de l'Aureur &&
deux planches en taille-douce , qui repréfentent
au naturel les plaies de l'inoculation
, tant regulière qu'irrégulière , &c.
AToulouſe , chez la Veuve J. P. Robert,.
&àParis , chez P. Fr. Didot lejeune ,
Libraire ,quai des Auguftias......
JUILLET. 1774. 131
Traité fur le Vice cancéreux , par M.
Dupré de Lille , 2 vol. in- 12 , chez
Couturier le jeune , Libraire , quai
desAuguſtins.
: Cet Ouvrage eſt un Traité complet
fur les cancers. Il eſt plein d'érudition,
& renferme la théorie la plus ſaine.
L'Auteur a profité de tout ce qui a été
dit fur cet objet. Il l'a enrichi de plufieurs
obfervations de fameux Praticiens,
&il y a joint les fiennes propres.
Mémoire Chimique & Médicinal, ſur les
principes& les vertus des eaux minérales
de Contrexeville en Lorraine ,
par M. Thouvenel , Docteur en Médecine,
de la Faculté de Montpellier ,
in- 12 , àParis , chez Valade , Libraire,
rue St Jacques , prix , 24 f. broché.
La Fontaine de Contrexeville n'eſt
connue que depuis peu. C'eſt à fenM.
Bagard , Préſident & Doyen du Collége
royal des Médecins de Nancy ,que nous
fommes redevables de la découverte de
cette Fontaine qui opère journellement
de grands effers dans le calcul & la
gravel'e. M. Bagard a publié différentes
obfervations fur l'efficacité de ces eaux
Evi
132 MERCURE DE FRANCE .
,
M. Buchoz les a auſſi fait connoître dans
Jes différens ouvrages qu'il a publiés fur
la Lorraine ; mais perſonne n'en avoit
encore fait une analyſe exacte , & fur
les lieux même. Cela étoit réſervé à
M. Thouvenel qui s'eſt tranſporté à
Contrexeville pour en analyſer les
eaux . L'analyſe qu'il nous en donne dans
la petite brochure que nous annonçons ,
eſt des plus exactes. Elle annonce dans
l'Auteur un homme zélé , & en même
temps un habile Chimiſte. Contrexe.
ville eſt éloigné d'environ quatre à cinq
lieues des villes de Remiremont , Neufchâteau
, Bourmont & la Marche , de
trois lieues de Darney , & de ſix de Bourbonne
en Champagne ; il eſt pour ainſidite
au centre de toutes ces petites villes.
f
:
M. Thouvenel donne auffi dans cette
brochure l'analyſe des eaux acidules de
Buſlang. Cette analyſe n'eſt pas moins
exacte que celle des eaux de Contrexeville.
Table ou Dictionnaire des matières contenues
dans tous les volumes publiés
par l'Académie royale des Sciences de
Paris , & dans ceux de la collection académique
propoſée par ſouſcription
par M. l'Abbé Rozier , & approuvée
JUILLET. 1774. 133
t
par l'Academie , avec la permiffion
de la faire imprimer ſous ſon privilége .
M. l'Abbé Rozier ſe propoſe dans cette
table 1º. de rapprocher fous un même
point de vue & par ordre alphabétique ,
chaque matière ſéparée , par les titres des
mémoires , des differtations , desobſervations
, &c. & de ſimplifier tellement
la marche dans les recherches , que l'on
puiſſe en ſe reſſouvenant d'un seul mot
caractéristique du titre , trouver l'objet
que l'on defire connoître; en un mot ce ſera
une véritable concordance en tout ſemblable
à celle de la bible , ou a l'Index
d'Horace.
2° . Le ſecond avanrage réſulte même
dufolio qu'on laiſſera en blanc & de l'immenſequantité
de matériaux qu'il pourra
contenir, parce qu'en n'imprmant le folio
que d'un ſeul côté , on écrira à la main
fur le folio vis-à vis les titres des volumes
qui paroîtront dans la fuite. Ot fi la concordonnance
de centquinze volumes in 4
'eſt déjà compriſe dans ce dictionnaire ,
*il eſt à ſuppoſer qu'il faudra un nombre
*égal de volumes pour remplir le verfo ,
&par conféquent cette table ſuffira bien
au-delà dela vie d'un homme. こ
3º. Certains mots raſſemblent une
134 MERCURE DE FRANCE.
:
quantité allez conſidérable de titres ,
pour qu'on regrette le temps qu'on palferoit
à les lire avant de trouver précifément
l'article que l'on cherche. Auffi
pour ſimplifier , ces mêmes mots font
fubdivilés par ordre de matière , dont
voici quelques exemples pris au hazard.
EAU. MONSTRE. OR. OS. Le mot
EAU , eſt divisé par eau physique , eau
chimie, eau médecine , eau minérale; fubdiviſéeencore
ſuivant ſes qualités , ouful
fureuſes , ou martiales , ou aérées , &c .
Le motMONSTRE eſt diviſé en monſtre
kumain , ou par excès ou par défaut; la
même diviſion ſubſiſte pourles monitres
animaux quadrupedes , reptiles ouvolatiles.
Le mot Or , minéralogie , forme
la première diviſion & comprend tout
ce qui eſt relatifà ſes mines; Or , Art ,
fes différens emplois dans les arts; OR,
Médecine , les remedes dans leſquels it
a été employé ; & le mot OS préſente
pour divifion , OS humains & OS des
animaux , ce qui comprend leur formation
, leur contexture , &c. OS médecine,
leurs maladies , OS foſſiles des hommes
&enſuitedes animaux. Ainfi dans chaque
article , paſſant des diviſions générales aux
diviſions particulières , on trouve ſur le
champ l'objet defiré.
JUILLET. 1774. 135
4. Un autre avantage eſt de réunirdans
un même corps la concordance des mémoires
, differtations , obſervations , &c.
dela collection académique étrangère qui
forme près d'un quart de cette table. Le
but de cette précieuſe collection , encore
trop peu connue , eſt de donner le précis
des volumesde toutesles Académiesétrangères;
par exemple ,de Londres , de Berlin
, de Stockolm , de S. Péteſbourg , de
Turin, des Ephémérides des curieux de
de la nature , &c. Cette collection eſt de
toutes les entrepriſes littéraires de ce
ſiècle , une des plus utiles pour le progrès
des ſciences ,&la plus économique pour
T'acheteur.
La manière d'indiquer dans ce Dictionnaire
ou dans cette concordance les volemes
, les pages , &c. eſt de la plus grande
fimplicité.
Conditions de la Soufcription.
1º. La Souſcription ſera décidément
fermée au premier Septembre 1774 .
2º.On ne tirera que le nombre d'exemplaires
demandés par Meſſieurs les Souf
cripteurs.
3º. Si à l'époque du premier Septembre
le nombre de Souſcripteurs n'eſt pas allez
confidérable , l'impreſſion n'aura pas lieu..
136 MERCURE DE FRANCE.
4°. Ceux qui deſireront ſouſcrire font
priés de le fairele plus proprement poſſible,
& d'en donner avis directement à M.
P'Abbé Rozier , place & quarré Sainte
Geneviève , ou par la petite poſte pour
Paris , ou par la grande poſte pour la
Province , en affranchiſſant la Lettre , &
le Demandeur y ſpécifiera qu'il s'engage
à prendre l'ouvrage.
5. Sur cet avis , on lui fera tenir un
billet qu'il aura la bonté de repréſenter
pour retirer l'exemplaire , qui , crainte
de ſurpriſe , ne ſera pas délivré fans
ce biller.
6°. En recevant le premier volume le
premier Novembre 1774 , le Souſcripteur
payera 12 livres , & la même ſomme en
retirant le ſecond au premier Février.
Ces deux volumes in-4°. feront trèsforts.
Plus Meſſieurs les Souſcripteurs ſe
hâteront de faire leur foumiſſion , plutôt
l'impreſſion ſera commencée & finie.
On répond de la plus grande exactitude
pour l'impreſſion.
. JUILLET. 1774. 157
ACADÉMIES.
I.
LA ROCHELLE.
L ACADÉMIE Royale des Belles Lettres
de la Rochelle tint ſon aſſemblée publique
le 27 Avril dernier. M. le Chevalier
de Longchamps , directeur , ouvrit la
féance par une Differtationfur l'Héroïde ,
ſuivie d'une épître en vers.M. Bourgeois ,
avocat, lut enſuite des recherches hiftoriques
ſur la queſtion de ſavoir fi Othon ,
Ve. du nom , Empereur d'Allemagne , a
jamais joui du Duché d'Aquitaine & du
Comté de Poitiers en qualité de propriétaire
ou defimple administrateur , avec un abrégéde
ſa vie. Ce morceau fut fuivi d'Obfervationsfur
le projet de M. l'Abbé de St
Pierre pour rendre lesſpectacles plus utiles;
parM. Montandouin ,de Nantes, aſſocié.
La ſéance fut terminée par des Ré
flexionsfur les Incas , par M. l'Abbé de
Gafcq , principal du collége royal de la
Rochelle.
138 MERCURE DE FRANCE .
I I.
NISMES.
Le triſte événement qui met en deuil
toute la France , ayant forcé l'Académie
Royale de Niſmes de différer juſqu'au s
Juin ſa ſéance publique , annoncée pour
le ſept; en l'absence de M. le Préſident
de Reynaud , Directeur , M. le Baron
de Marguerite , Chancelier , en fit l'ouverture
par un Difcoursfur l'habitude du
travail , & la pureté du langage.
Plufieurs Académiciens lurent enſuite
des ouvrages de leur compoſition , ſavoir :
M. Razoux , l'éloge historique de M.
le Marquis de Rochemore , ancien Secrétaire
perpétuel de la Compagnie.
M. Beaux de Maguielles , une Odefur
la vengeance.
M. le Cointe de Marcillac , un Mémoirefur
le meilleur moyen de prévenir
le ravage des eaux. Il y combat le ſentiment
de M. Belidor , fur la verticalité
que ce ſavant conſeille de donner aux
digues , & celui de M.l'Abbé Bollut ,
fur la preffion que font ſur elles les eaux
Sauvages ; il prouve que les digues font
JUILLET. 1774 139
;
d'autant plus efficaces & folides , qu'elles
font plus inclinées .
M. Baragnon lut un Diſcours dans lequel
, après avoir prouvé que l'enthousiafme
patriotique est le reſſort des démocraties,
mème peut l'être des Monarchies , il fait
voir que le reffort de la Monarchie Françoise
est l'amour mutuel du Roi pour la
Nation, de la Nation pour le Roi. Il le
termina par le morceau ſuivant. :
>>Que les premières leçons de l'en-
>> fance donnent toujours aux Princes
>> l'habitude de s'identifier avec la Na-
>> tion , de n'exiſter que par elle , & pour
>> elle ; aux Citoyens , de voirdans le Roi
>>le Chef de toutes les familles , le prin-
>>cipe de tous les biens ,l'objet final de
>> toutes les affections ! Que les écrits du
>> Philoſophe , de l'orateur , du Poëte ,
» entretiennent l'enthouſiaſme commun !
> Que nos loix politiques & civiles en
>>portent l'empreinte ! Quenotre ame , en
>>unmot,le reçoivepar tous les ſens, & ne
>>le perde par aucun ! ainſi l'intérêt per-
> ſonnel ne régnera jamais fur des coeurs
>> iſolés . L'intérêt commun les confondra
>> tous dans un ſeul. Tous les Rois fe-
>> ront des Henri IV, tous les ſujets des
>>Sulli ; & le bonheur de la Monarchie
repoſera ſur des fondemens éternels.
140 MERCURE DE FRANCE .
» Feu facré de Veſta , le deſtin de
>> l'Empire eſt attaché à votre durée !
>> Malheur à nous , ſi l'indifférence vous
>> éloignoit jamais ! Malheur à nous , fi
>> des Rois fans amour pour le Peuple ,
>régnoient ſur un Peuple fans amour
>> pour eux !
,
Après la lecture de tous les ouvrages ,
M. Séguier , Secrétaire perpétuel annonça
, par celle du programme , que le
prix propofé pour cette année avoit été
décerné au mémoire ayant pour deviſe ,
ôfortunati nimiùm , fua fi bona norint ,
dont l'auteur eſt M. Angrave , Infpecteur
*des Ponts & Chauffées de Languedoc ;
&que le ſujer du prix propoſé pour l'année
prochaine , eſt l'éloge d'Esprit Fléchier,
Evêque de Nisme , & reftaurateur de l'Académie.
Les paquets doivent être adreffés
francs de port à M. Séguier , Secrétaire
perpétuel de l'Académie. Ils ne ſeront pas
reças après le premier Mars 1775. Le
prix ſera délivré à la féance publique du
1?3 Juin 1775 .
M. Séguter invita Meſſieurs les Magiftrats
municipaux , préfens à l'Affemblée
, de mettre en exécution l'utile projet
de M. Angrave , & lut enfuite l'ou .
vrage couronné.
M. le Baron de Marguerite termina
JUILLET. 1774. 141
Ja ſéance par un Diſcours fur les bons
effets de l'émulation , & les caractères qui
la diftinguent de la jaloufie. Il y rappela
les différens ouvrages des Académiciens
ou des aſſociés , lus pendant l'année dans
les ſéances particulières , & fit l'analyſe
de ceux qui venoient d'être lus dans la
féance Publique.
Le Difcours de M. Baragnon lui fournit
l'occaſion de peindre la conſternation
de la France pendant la maladie de Louis
XV , l'héritière des vertus de Thérèse en
courageant les uns , confolant les autres;
Son.auguste Epoux faiſant autant de voeux
pour s'éloigner du Trône , que d'autres
enauroient fait pour y monter , & l'héroiſme
de trois Princeſſes oubliant auprès
de leur Père mourant l'intérêt de
leur propre vie.
M. le Baron de Marguerite , revenantau
Difcours de M. Baragnon , obferva
que le reffort de la Monarchie prendroit ,
ou plutôt avoit déjà pris une force nouvelle
ſous le règne du Prince vertueux
qui vient de monter fur le_Trône.
» Fidèle aux engagemens de l'Etat ,
>> Protecteur religieux de la propriété de
>> ſes ſujets , laborieux par principe , bien.
faifant par inclination , économe par
>> amour pour ſon Peuple, il fait que la
142 MERCURE DE FRANCE.
>>>juſtice eſt le premier devoir d'un Sou-
>>verain. Mais pour rendre la justice, il
>> faut ſavoir la vérité. LOUIS s'appli-
»que à la connoître .
: :
..
Pourſuis , jeune héros.
Déja , dans un tranſport auſſi tendre que juſte ,
Tes ſujets t'ont donné pour nom Louis Augufte.
Maista vertu modeſte , avant dele porter ,
Par de nobles travaux prétend le mériter.
Orefus héroïque ! ô ma patric ! ô France!
C'eſt un nouveau Titus dont le règne commence.
Ami de la justice , ennemi des flatteurs ,
Ilveut chérir ſon peuple & régner par les moeurs...
SPECTACLES.
OPERA.
L'ACADÉMIE royale de Musique conti
nue les repréſentations du Carnaval du
Parnaſſe en attendant Orphée , tragédieballet
en trois actes , dont la muſique est
de M. le Chevalier Gluck; on répète à
préſent cet opéra qui doit être repréſenté
inceſſamment. Lagranderéputation dont
jouit la muſique d'Orphée dans tous les
pays où il a été joué , intéreſſe avée raifon
la curioſité des amateurs.
JUILLET. 1774. 143
COMÉDIE FRANÇOISE.
Le ſamedi 2 du mois de Juillet , les
Comédiens François ordinaires du Roi
ont repréſenté , pour la première fois , le
Vindicatif, drame nouveau en cinq actes,
en vers , par M. Dudoyer.
Sir St Alban , fils du premier Magiftrat
de Londres , aime Miff Worth , qui
eſt d'une famille illuſtre , mais dont fon
père eſt devenu l'ennemi implacable. St
Alban fait la confidence de ſon amour à
Sir James, fon frère, jeune homme violent
dans ſes paſſions. Sir James ne peut
voir Miff Worti ſans en être éperdument
épris; il plaît à ſa maîtreſſe , captive
ſon coeur , l'enlève & l'épouſe ſecret.
tement. St Alban diſfimule ſon chagrin ,
& ſemble pardonner à ſon frère , qu'il
continue de voir & de ſecourir , autant
que le lui permettent les faibles libéralirés
de fon père. L'amour ſe change dans
ſon ame en fureur; il médite les moyens
de perfécuter fon rival , & de l'arracher
à l'objet de ſa tendreſſe. SirJames , obligé
de ſe cacher pour éviter le reſſentiment
de deux familles juſtement irritées,
:
144 MERCURE DE FRANCE.

craignant encore la diſſolution de ſon
mariage fait au mépris des loix , eſt
réduit à vivre du talent de ſa femme
pour le delfin qu'elle avoit appris pat
amusement , & dont la néceſſité lui fait
une foible reſſource contre la mifère . Ces
époux font encore poursuivis par leurs
créanciers . Ils ſe conſolent de tant d'adverſités
par leur amour conſtant & mutuel
. Cependant St Alban excite avec
adreſſe l'animoſité des créanciers de fon
frère. On eſt prêt de venir ſaiſir leurs
biens , & de leur ôter la liberté , lorſque
Milord Dheli , Seigneur bienfaiſant &
fort riche , touché de la ſituation de ces
malheureux époux qu'il eſtime & qu'il
fecourt , prévient les maux dont ils font
menacés , en payant leurs obligations .
Une ſeule reſtoit , & St Alban , toujours
par des inſtigations ſecrettes, a la perfidie
d'en faire exercer la pourſuite. Dheli ſe
trouve encore à portée d'arrêter ces rigueurs.
St Alban trompé dans ſon projet
de haine , a l'art de répandre le poiſon
de l'amour dans l'ame honnête de Milord
Dheli , & celui de la jalouſie dans
le coeur enflammé de Sir James. Les bienfaits
du généreux Milord ſervent même
de moyens que le traître emploie adroitement
pour exciter la jalouſe fureur de
Sir
JUILLET. 1774. 145
Sir James , & pour humilier la vertueuſe
Miff Worti , qui a pris en ſe mariant le
nom de Miſtritf Flings. Il perfuade à fon
frère que ſa femme lui eſt infidelle, & à
Milord Dheli que Miſtriſſ Flings l'aime,
&qu'elle hait ſon époux , dont elle ne
reçoit, dit- il , que de mauvais traitemens.
Il arrache enfin à Milord le ſecret
de ſon inclination pour Miſtriff Flings ,
& bientôt il l'engage à faire caſſer un
mariage contraire aux loix. Dheli oſe
même offrir ſa protection , ſes voeux &
ſa main à Miſtriſf Flings dans une lettre
que St Alban a ſu lui faire écrire. Muni
de ce papier faral que la haine vient
d'arracher à l'imprudence , St Alban excite
la jaloufie & la colère de fon frère.
Ce malheureux époux fait les plus vifs
réproches à Miſtriff Flings ; il n'eſt pas
retenu par les témoignages les plus tendres
de ſon amour ni par ſes alarmes;
il vole à la vengeance. Il attaque
Milord Dheli , en triomphe , & vient
senfuite trouver ſa femme pour rompre
tous ſes engagemens , & lui jurer une
éternelle ſéparation. Miſtriſſ parvient à
peine à ſe juſtifier, à calmer les fureurs
de fon mari , & à lui faire craindre d'avoir
été trompé par ſon frère, lorſque
des Satellites qui poursuivent le meur-
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE .
trier de Dheli , fondent fur lui , & l'entraînent
en prifon. On conduit le coupable
devant le Juge , & ce Juge eſt ſon
père . Sir James jette des cris de défefpoir
, & fe couvre le viſage ; le Jugeluimême
eſt alarmé lorſqu'il entend la
voix du criminel ; il vient à lui , &
reconnoît bientôt fon malheureux fils ,
que la douleur & la honte renverſent
fur le carreau. Il l'accable de reproches ,
& veut ſe récuſer pour le Juge de fon
fils ; mais les gens de Juſtice perfiftent
à le laiſſer l'arbitre de ſon ſort. Sir
James expoſe l'hiſtoire de ſa paffion
pour Milf Worti . « C'eſt vous-même ,
shui dit-il , qui avez allumé ce funeſte
»amour dans mon coeur , & que vous
>>avez ensuite profcrit par la haine
>>fubite que vous aviez conçue contre
>>le père de Milf. Je n'ai pu me défendre
de ſes charmes & de ſes vertus . Elle a
>>tout facrifié pour être à moi. Nous étions
>>> heureux dans le ſein même de l'obſcu-
>>rité & de l'indigence , lorſqu'un cruel
>>fuborneur est venu m'enlever le coeur
وہde ma femme': c'eſt Milord Dehli. Je
l'ai attaqué en homme d'honneut , je
>>me ſuis vengé; voilà tout mon crime.»
Mifl Worti vient ſe jeter aux pieds du
Juge, & implore ſa clémence. Auffi- tôt
JUILLET. 1774. 147
arrive Milord Dehli , qui , prêt à mourir
, juftafie Sir James , en découvrant le
piége affreux dans lequel St Alban avoit
en l'adreſſe de l'entraîner. Il diffipe en
même temps les ſoupçons jaloux que
cet époux paſſionné avoit conçus ſur la
vertu de la femme la plus tendre & la
plus reſpectable. Il demande à Milord
St Alban de ratifier une union fi belle
& fi bien aſſortie; il le conjure de donner
ſa bénédiction & ſa tendreſſe à ſes
enfans. Milord les embraſſe ; il promet
d'oublier ſa haine , & de folliciter l'amitié
de Milord Worty. Le Vindicatif ſe
fait justice lui-même en s'éloignant pour
toujours des yeux d'un père dont il entretenoit
la colère , & des époux dont
il faifoit , avec une perfidie cruelle , les
malheurs. Cette pièce eſt , ſuivant Auteur,
la leçon des maris & l'école des pères .
Cedrame eſt encore un de ces ſpectacles
Anglois où règne une fombre horreur ,
où les paſſions ſont ſi forcenées, & les
caractères ſi exagérés , qu'ils portentdans
l'ame une émotion violente qui la
tourmente fans l'intéreſſer , & la remplit
de vaines terreurs. L'hypocrifie cruelle
de St Alban , & ſa haine patiente qui
combinent lentement les moyens de
2
Gij
148 MERCURE DE FRANCE .
tromper fon frère , ſa foeur &fon ami , &
de les attirer dans les piéges affreux
qu'il prépare à leur confiance & à leur
amitié ; ce caractère , trop horrible pour
être dans la nature , révolte les coeurs
ſenſibles , & feroit déteſter l'humanité ,
s'ils pouvoient exifter. C'eſt un compoſé
monitrueux de l'art & de la réflexion,
dont le modèle ne devroit jamais être
repréſenté. On excuſe , on ſupporte au
théâtre les mouvemens impétueux de la
paflion ; mais comment y foutenir le
-travail d'un ſcélérat qui diſpoſe avec
artifice , ſous le maſque des vertas , les
horreurs de la haine & de la vengeance!
Cependant on remarque dans ce drame !
l'edor d'un grand talent; on y applaudit
des vers très heureux , on y admire des
-maximes bien exprimées , &des tableaux
qui ne font pas à leur place , mais qui
n'en ont pas moins une touche énergique
&un colaris brillant .
Il ſeroic à deſurer que M. Dudoyer ,
qui a la facilité de l'expreffion , une imagination
forte &de la ſenſibilité , choifico
des ſujets plus convenables à nosi
moeurs , à la douceur & à la gaieté de
Ja Nation .
Aureſte il n'est pas poſſible de jouer
JUILLET. 17748 149
avec plus de feu , plus d'ame & plus de
vérité , que n'a fait M. Molé , le rôle
paſſionné de Sir James. Mile Doligni a
rendu le rôle de Miff Worti avec autant
d'intérêt que de ſentiment; elle ſemble
jouer toujours d'après ſon coeur tendre ,
honnête & ſenſible. M. Préville a paru
gêné, comme il devoit l'être naturellement,
dans le rôle odieux de St Alban.
M. Monvel a joué avec beaucoup d'intelligence.
Milord Dehli , & M. Briſart
avec intérêt le perſonnage du Juge .
COMÉDIE ITALIENNE.
2
LEs Comédiens Italiens ont donné le
famedi 25 Juin , la première repréſentation
de Perrin & Lucette , comédie nouvelle
en deux actes en profe,mêlée d'ariettes;
les paroles ſont de M. Davefne ; la
muſique eſt de M. Cifolelli. Le ſujet de
cette comédie eſt imité de la Probité vitlageoife
, conte inféré dans le ſecond vo
lume du Mercure de Janvier 1770. L'auteur
a mis en ſcènes ce qui étoit en récit.
Perrin fait à Lucette l'aveu de fon
amour; les deux amans defirent d'être
unis par les noeuds du mariage. Perrin
Gaij
159 MERCURE
DE FRANCE .
Π
ofe hafarder de faire ſa demande au père
de Lucette. Le vieillard le refuſe bruſque
ment , en avouant qu'il eſt un honnête
garçon ; mais qu'il eſt trop pauvre , qu'il
eſt jeune & qu'il n'a qu'à devenir riche
pour obtenir ſa fille. Les deux amans ſe
déſeſpèrent de cette réponſe; ils confient
Jeur chagrin au Bailli , homme bienfaifant
qui s'intéreſſe à leur fort. Le Bailli
ſe reſſonvient alors que Perrin lui a remis
il y a quelques années , une bourſe qu'il
avoit trouvée , contenant fix mille francs
en or ; & qui , n'ayant pas été réclamée , malgré ſes recherches pour en découvrir
le propriétaire , doit lui appartenir. L'a- mant ſe félicite de cette bonne fortune
qui favoriſe ſon amour. Son deſſein eſt
d'acheter une petite ferme , de la faire
valoir & de conſerver le prix de l'argent
au maître de la bourſe , s'il fe fait connoître
. Le père de Lucette ne peut plus
refuſer ſon conſentement , & le mariage
eſt arrêté. Cependant Perrin , tout tranfporté
d'alegreſſe apperçoit une voiture
renverſée fur le chemin; il vole porter
du ſecours au voyageur; il lui ſauve la
vie , & le tire hors du danger. Ce voyageur
marque fa reconnoiflance
au jeune
hoinme , voit avec plaifir la charmante
Lucette , & s'intéreſſe au bonheur de ces
:
JUILLET. 1774. 15
.
deux amans. Il fait pourtant réflexion , en
préſence de Perrin , que l'endroit où il ſe
trouve lui eſt funeſte , y ayant perdu la
première fois une bourſe remplie d'or ,
& ayant riſque la ſeconde fois d'y perdre
la vie. A ce récit Perrin eſt interdit ;
il interroge le voyageur , & prêt à reſtituer
le tréſor qui devoit faire fon bonheur,
il ne voit plus qu'avec douleur Lucette &
ſon père. Il fait part de ſon chagrin au
Bailli , ainſi que du deſſein qu'il a de rendre
le bien dont il n'eſt que le dépoſitaire .
Cet effort de vertu paroît au Bailli trop
louable pour être ſans récompenfe.
Le père de Lucette approuve le généreux
facrifice de Perrin; mais il héſire de
lui donner ſa fille , à cauſe de la pauvreté
dans laquelle il eſt retombé. Cependant
tant de vertu , d'amour & de zèle de la
part du jeune homme ; les prières de fa
fille& les repréſentations du Bailli engagent
le vieillard à rendre ſa parole. Perrin
n'eſt pas encore inſtruit de cette heureuſe
réſolution lorſqu'il fait au voyageur la
reſtitution de ſon or ; l'étranger , reconnoiſſant
des ſervices que lui a rendus Perrin,
remet la bourſe à Lucette pour qu'elle
en faſſe , à ſon amant , un don qu'il recevra
, dit - il , avec plus de plaifir de fa
main. Perrin apprend en même temps
:
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
que le père de Lucette avoitdéjà confirmé
fon bonheur. Ces deux amans ſe livrent
à leur joie & à l'expreſſion de leur reconnoiffance.
L'auteur n'a peut être point aſſez diſtingué
la différence qu'il doit y avoir entre
la fable du conte& celle de la comédie :
la première eſt en récit; mais il faut que
l'autre foit , autant qu'il eſt poſſible , en
action.
Les ſpectateurs aiment à être les témoins
d'un événement ; ils y apportent
d'autant plus d'attention que les perfonnages
agilfent avec plus de confiance devant
eux. C'eſt ce défaut d'action qui eſt
la cauſe d'un peu de langueur & de froid
que l'on reproche à ce drame , quoiquele
fond en ſoit d'ailleurs intéreſfant.
La muſique de M. Cifolelli eft dans le
bon ſtyle italien ; fon harmonie tend à
l'effet. Les motifs de ſes chants font bien
choiſis , &modulés avec art. On y defire
engénéral une expreſſion plus originale&&
plus ſenſible. Mde Trial , MM. Clairval ,
la Ruette , Nainville & Colalto ont joué
avec beaucoup d'intelligence & de talent
les principaux rôles de cette comédie*.
* La pièce eſt imprimée & ſe vend , priz 24. f.
chez la Ve Duchefne , libraire , rue St Jacques.
JUILLET. 1774 153
PHYSIQUE.
Noticefur les fouilles faites à Châtelet
en Champagne.
Les papiers publics ont annoncé dans le temps
la découverte que M. Grignon , correspondant
des Académies royales des Belles - Lettres & des
Sciences de l'aris , & affocié de celle de Châlors ,
fit , en 1772 , des ruines d'une ville Romaine dans
lapetite montagne de Châtelet en Champagne ,
fituée fur les bords de la Marne entre St Dizier
&Joinville. Ces papiers donnèrent un extrait de
la differtation qui fut lue , à ce ſujet , à l'Académie
des Belles- Lettres. M. Grignon n'avoit alors
tiré de ſes premières fouilles qu'une petite quantité
d'antiques & de médailles qui fuffifoient
pour conſtater l'existence de cette ville,& donner
lieu d'espérer que , ſi l'on continuoit les fouilles
deces ruines , les antiques que l'on en retireroit
dédommageroient des dépenfes & fourniroient
des matériaux intéreſſans pour l'histoire. En ef
fet , M. Grignon ayant repris le travail de ces
fouilles en Octobre & Novembre derniers , par
ordre & aux frais du Roi , il a cu lien d'être fasisfait
du ſuccès.
M. Grignon voulant établir de l'ordre & de
l'économie dans les travaux dont il étoit chargé,
n'a pas cru devoir confier au hatard le ſuccès de
cette entrepriſe; c'est pourquoi il a commencé
par faire ouvrir une tranchée de 1200 pieds de
Gv ...
154 MERCURE DE FRANCE.
longueur ſur le grand diamètre de la platte-forme-
elliptique qui forme l'emplacement de cette
ville, ſur le ſommet de la montagne ; il a fait
couper cette première ligne par une autre tranchée
de 1600 pieds de longueur , tirée ſur le petit diamètre
de l'ellipfoïde. Vers le point d'interfection
de ces deux lignes , il a trouvé les fondemens des
mursd'un temple, formant un quarré long avec
un périſtile au-devant, d'ordre corinthien ;l'intérieurdu
temple étoit peint à fresque en compartimensde
diverſes couleurs; le pavé étoit en pierres
du pays ; des dalles de même pietre de 15 lignes
d'épaifleur&de 18 à 20 pouces d'étendue,attachées
avec de grands clous , couvroient le comblede
l'édifice; le faîte étoit formé par des pierres raillées
engoulots renverſés s'emboîtant Fun dans
l'autre , & terminés par des têtes de lion & d'animaux
fantaſtiques. L'on apperçoit dans le fond
du temple la pièce quarrée ſur laquelle étoit éta
bli l'autel des victimes. A meſure que M. Gi
gnon a découvert les fondations des autres édifi
ces, il en a fait fuivre les pourtours extérieurs.
Il a enfuite fait commencer la fouille dans le
centrede l'espace circonscrit. Ila obſervé d'ac
cumuler les décombres , de façon qu'ils ne pusfent
couvrir en aucune manière les fondations
des bâtimens. Il a déjà fait décombrer quinze caves
, deux puits , deux citernes ,une chaufe-bains,
une fonderie , deux latrines , pluſieurs maiſons &
une partie du temple. Il a deſſiné les antiques
qu'il a retirées de cette ſeconde opération , fur
quatre-vingt planches in fol. qu'il aeu l'honneur
depréfenter au Roi & d'expliquer à Sa Majefté.
Parmi ces antiques , celles qui font le plus dignes
d'attention font cinq ftatues en bronze très -bien
confervées avec leur piedestal de même métal ,
JUILLET. 1774. ISS
&dont on peut les ſéparer. Ces ſtatues repréſentent
Jupiter Olympien , en cuivre de rolette,avec
des yeux d'argent; Mercure , avec l'inscription
de ſon nom ponctuée ſur le piedeſtal ; Mars ,
la Victoire ailée , une petite figure de Pallas
enfin unpetit Bouc. Les ſtatues en pierre , trouvées
dans ces ruines, ſont moins bien conſervées
que les précédentes.
Ces ſtatues ſont celles de Jupiter Barbu , de
Bacchus Cornu , de Latone, &de la Félicité. On y
voit auſſi le tronc d'une victime humaine , ceinte
de labandelette ſacrée; deux fragmens de ſtatues
en terre cuite blanche , dont l'une eſt la tête d'une
Veſtale &l'autre le corps d'un Flamine revêtu de
ſeshabits facerdotaux. Ces dernières ſtatues ont
un caractère de coeffure d'un coſtume local
ayant tous les cheveux contournés en boucles
dont les ſupérieures forment des eſpèces de cornes :
celles en bronze ſont nues ; elles ont leulemene
une mante , dont un bout poſe ſur l'épaule gauche
, deſcend derriere le bras , vient ſe replier fur
l'avant-bras & tombe à la hauteur du genou Celles
enpierre ſont plus ou moins drapées ; pluſieurs
fontd'unbon ſtyle.
C
L'on a trouvédesbagues &des colliers de verre
&depierres factices.
Parmi les nombreuſes pièces en cuivre en tout
genre , on voit avec intérêt le pied romain dans
fon entier ; il eſt formé d'un petit quarré méplat ,
ſe pliant en deux parties égales au moyen d'une
double charnière garnie d'une alidade qui empêche
qu'il ne ſe courbe lorſqu'il eſt ouvert dans
ſon étendue. Ce pied qui contient 1306 parties du
pied de Roi ou 10 pouces to lignes 6 points ,
Gvj i
136 MERCURE DE FRANCE.
eſt diviſé par des ponctuations en quatte palmes
d'un côté& en ſeize doigts de l'autre.
Les autres objets les plus curieux fontunepatèreprofonde
argentée en dedans &garnie au dehors
furles bords d'un cercle d'argent fort mince , qui
eſt uni au cuivre parjuxtaposition ; une fleur de
lis percée a jour , qui amortifioit unornement
dontelle a été rompue , un fléau debalance pour
peſerdes chofes précieuſes; des aiguilles de tête
terminées par des maſſettes ſphériques & poligones;
un exvoto; des fragmens de turibulum , plufieurs
cuillers de formes variées pour les parfums ,
un mors de cheval à crochet ; un perpendiculum
(plomb) ; des ornemens pour des boucliers; des
garnitures de fourreau d'épée ; des anneaux de
Chevaliers Romains ; d'autres pour les bras ,
d'autres pour des claviers & différens uſages domeſtiques
; des reſſorts ayant l'élaſticité de ceux
d'acier;des portions de cadres ornés d'oves; des
bractćoles pour différens ufages; des fibules de
divers caractères &de toures grandeurs, la plupart
argentés; des manches de couteaux terminés par
des têtes d'animaux ; des clefs; des entrées de
ſerrure , &c.
Les pièces de cette collection en os& en ivoire
font des cuillers à baſſins ronds & ovales , des
ſtyles à écrire en grand nombre,dont les têtes ont
des caractères différens , une aiguille à paffer ,
unébauchoirde ſculpteur ,une garde d'épée , un
morceaud'un haut-bois , des pièces de marqueterie
, des défenſes de ſangliers engrandnombre :
tous ces objets font d'une très - belle confervation.
Les antiques en fer fon nombreuſes,mais forten.
dommagéespar la rouille. L'onytrouve lesdolo
JUILLET. 1774 . 157
1
bra, lesfeva , lesfecefpita, la fecuris , unegriffe;
tous inſtrumens a l'uſage des ſacrifices ſanglans ;
la haſte , des javelors , des caſſeroles , des cuillers
, des poids de Romaine , des clochettes , des
harpons , un mors de cheval , des chaînes de ditférentes
formes , une ſuite complette de clouterie
dedifférentgenre , des clefs de formes variées ,des
entréesde ferrure , &c.
Cette collection est terminée par les deſſins
de 60vaſes laplupart étruſques , des urnes cinéraires
, des lampes , des meſures & autres pièces
enterre cuite de différentes couleurs &qualités :
tousces vaſes ne font pas du mêmemérite; quelques
uns font d'un goût barbare ; mais plufieurs
font de bon ſtyle , & ontdes formes agréables &
variées. Ils font chargés d'ornemens analogues à
leurs elages ſacrés ou civils : les ouvriers ont imprimé
leurs noms latins ougrecs ſur ceux dont la
pâte finea été préparée avecle plus de ſoin,dont les
ornemens en bas relief , ou gravés ou taillés en
creux, font les plus riches , le vernis te plus éclatant,&
le poli le plus achevé.
Lesdécouvertesde M. Grignon ne lui ont point
encore procuré d'infcriptions qui puiflent donner
des idées préciles ſur lenom , la fondation & la
duréede cette ancienne ville ; mais par l'hiſtoire
nuiniſmatique qu'il a tirée des médaillesde cette
même ville , il préſurme qu'elle fut fondée fous
Auguſte & détruite ſous Conftance , 3º fils de
Conſtantin , par les Goths quichaffèrent les Romains
desGaules & détruifirent par le fer&par le
feu preſque toutes les villes qu'ils pritent fur leurs
ennemis.
Les médailles recouvrées juſqu'a préſent par
M.Grignon, font d'Auguſte , Agrippa , Tibère ,
158 MERCURE DE FRANCE.
,
,
Caligula , Claude , Néron , Galba , Vefpafien ,
Titus , Domitien , Nerva , Trajan , Adrien
Fauſtine- Mère , Marc-Aurelle , Fauftine -Jeune ,
Lucius Verus , Lucille Comode , Septime- Sévère
, Caracalla , Sévère - Alexandre , Maximin
, Gordius- Pius , Voluſien , Valérien , Galien
, Salonius , Poſtume , Tétricus-Père . Τέ
tricus jeune Maxime - Hercule , Conſtans-
Clore , Galère- Maxime , Maxence , Conſtantin
I. Conſtantin - Junior , Magnence , Decentius ,
Magnus--Maximus , Conſtance ; des villes de
Rome & de Conſtantinople. Ily a de ces médailles
en moyen & petit bronze. Il y a auſſi des
quinaires. Quelques- unes de ces médailles font en
argent , d'autres ſaucées , d'autres de potin ,
avec des revers différens ; une en plomb reprélenteApollon
habilléen femme , affis , & ayant à
ſespieds le ferpent Pithon ; on voit à ſagaucheun
trépied ſur lequel eſt ſa lyre : le revers de la médaillepréſente
ces lettres initiales tracées dans un
cercle , CAIH , avec deux palmes croiſées au deffous
: ilſe trouve auſſi dans ces ruines plufieurs
médailles Gauloiſes en potin & en argent qui font
des plus barbares.
M.Grignon va reprendre inceſſammentles travaux
de ces ruines ; il eſpère les compléter cette
année & publier enfuite le plantopographique de
lamontagne & de ſes environs que ton fils a levé,
&celui de la diftribution de la ville. La précaution
qu'il prend de laifler en état & àdecouvert les fondations
de tous les édifices , lui permettra detracer
des plans exacts des fortifications , des
rues , du temple , des édifices , &des maiſons des
particuliers ; il donnera auſſi une defcription de
toutes les antiques retirées par le moyen des touilles,&
publiera les connoiſſances hiſtoriques qu'il
JUILLET. 1774. 159
,
pourra ſe procurer far cette ville enfevelie ſous fes
ruines depuis plus de 1400 ans &fur laquelle
les hiſtoriens ont gardé un filence abſolu de même
que fur celle deGrand, qui n'en est éloignée que
de ſept lieues ; ville néanmoins célèbre autrefoispar
les monumens que Julien y fit ériger , &
dont il (ubſiſte encore des veftiges .
7
M.Grignon invite les ſavans qui auroient apperçu
dans des fources qui ont échappé à fes recherchesdes
indices relatifs à l'existence de la ville
nouvellement découverte, de vouloir bien lui en
fairepart.
Sur l'Electricité des Corps animés , causée
par la structure & le mouvement des
poumons ; par M. Gautier d'Agoty ,
père, anatomiſte penſionnéduRoi.
LEs corps vivans & animés font fans cefle électriſés
par les poumons toujours en mouvement ,
&dont le repos occafionne la mort. L'air fournit
aux poumons la matière électrique , comкве сес
élément fait dans toutes les autres électricités ,
en ſe dépouillant des parties de feu qu'il contient.
* Le ſang artériel qur vient des poumons eſt
le conducteur de cette électricité. Ce fluide la
* J'ai démontré , en 1750 , dans ma Chroagenéfie&
dans mes Tables anatomiques , que l'électricité
n'étoit compoſée que des parties de feu,
aink quele fluide nerveux.
160 MERCURE DE FRANCE.
porte au cerveau par l'impulſon du ventriculegauche
du coroeur , & par l'épanouiflement des
artères qui le répandent dans la moële où l'électricité
eft retenue, comine dans la bouteille de
Leyde,&de là ſe répand dans tous les nerfs.
Le tang dépouillé de ſon électricité revient du
cerveau &des autres parties du corps , dans le
fecond ventricule du coeur. Ce viſcère est l'agent
de la circulation ; il recoit le ſang veinale d'un
rouge noirâtre ou violet , & fans vertu , mais
augmenté de volume & rétabli dans les parties
qui doivent le compoſer , par le chyle que
lui fournit le canal thorachique avant ſon arrivée
dans le ventricule droit. Par ce mécaniſme
on peut expliquer quelle eſt la ſource des eſprits
animaux.
En 1765 , je donnai au Public mon électričiré
terrestre , c'est-à- dire , celle qui eſt occafionnée
par la rotation journalière de la terre ,
que je comparai à un globe d'électricité en mouvement;
& je dis que la vitele de fa furface ,
quoique nous ne nous en appercevions point ,
étoit infiniment plus précipitée que celle d'une
boule que l'on fait tourner ; puiſqu'en failant ſa
révolution en 24 heures , elle fait environ ſepr
lieues dans une minute. Le foleil eſt la main qui
l'échauffe & d'où elle tire ſon feu. J'ajoutai que
tous les météores que nous appercevons fontpro
duits parcette électricité continuelle ; la végétar
tion même des plantes n'eſt occafionnés que
par cette électricité. *
*Je lus un mémoire fur cette électricné à l'Académiede
Dijon , dont j'ai l'honneur d'être mern
bre ,&je la publiai dans la Gazette d'Amſterdam,
JUILLET. 1774. 161
Pour prouver mes nouvelles idées ſur l'électri
cité animale dont il s'agit , je n'ai besoin que
d'expoſer en peu de mots l'expérience électrique
la plus commune , qui est celle de l'étincelle
, ſelon moi , la plus curieuſe & la plus infructive.
Elle démontre tout à la fois le mouvement
vital , & la nature des eſprits animaux.
Je dis d'abord , & avant tout , que les Phyſi-,
ciens conviennent tous 1º. Qu'ilya deux forte,s
de mouvemens électriques , qu'ils diftinguentpar
le terme de plus , &de moins. 2°. Que l'électricité
en général ſe tire de l'air ou des corps quis
l'avoiſinent. 3 °. Qu'elle ſe perd dans l'air oudans
certains corps, ſi elle n'eſt retenue par ceux qui ſont ,
capables de la contenir &de lui ſervir de conducteur.
4°. Que l'on peut électrifer enplus &
en moins. Tous ces effers fe trouvent réunis dans
P'expérience de l'étincelle.
Les animaux & l'homme ſont reconnus pour
recevoir facilement l'électricité , la retenir & la
communiquer; mais on n'a pas encore apperçu
qu'ils étoient eux mêmes électriſés ſans lelecours
d'aucune machine électrique.
Il faut , pour tirer l'étincelle , la rencontre,
dedeux fortes d'électricités , l'uneen plus & l'autre
en moins. Lorſqu'un homme poſé ſur un fupport
ou gâteau de réſine , eſt électriſé par leglobe,
par un tube ou par leplateau, il eſt élec
rifé en plus ; mais fi c'eſt un morceau demétal
que l'on électriſe par communication fur des
fupports , ce corps n'eſt alors électriſé qu'en
moins. Si celui qui eſt électrité en plus touche le
métal électriſé , il en tire l'étincelle ; mais fi le
métal n'eſt point électrifé , il n'en fort aucune
étincelle. Si au contraire l'homme électriſé par
1
}
E
162 MERCURE DE FRANCE.
la boule , touche une perſonne ou un animal vivant
, ſans que ceux- ci ſoient électriſés , il en tire
également l'étincelle comme du métal électrifé.
Donc les corps vivans ſont électrifés par euxmêmes
.
D'une autre part ſi deux hommes également
électriſés en plus fur des ſupports par les machines
d'électricité , ſe touchent , ils ne formeront
aucune étincelle ; & fi chacun d'eux touche un
animal , ou tout autre corps vivant , il en tire
l'étincelle. Donc l'inégalité de mouvement électrique
peut ſeule former le feu de l'étincelle.
Les liqueurs inflammables , comme l'eſprit-devin
ou la quinteſſence végétale, étant bien échauffées
, peuvent s'allumer , ſi elles ſont touchées par
un homme électriſé par la machine électrique ;
mais elles ne le ſont jamais à froid. Elles s'allument
aufſi , ſi l'on veut , ſans les faire chauffer ,
lorſqu'une perſonne les tient dans le creux de la
main , ou qu'elle les préſente dans un cuiller de
métal . ( Voyez page 86 , de l'an 1737 , des Mé
moires de l'Académie des Sciences . )
Ces expériences démontrent fans autre recherche
que l'homme eſt électriſé par lui- même , &
que les corps inanimés ne font point électriſés ;
qu'ils peuvent ſeulement retenir l'électricité qu'on
leur communique. Je puis citer à l'appui de tout
ce que je viens de dire une expérience de M.
Francklin , dans ſes lettres à M. Collinſon , de la
Société royale de Londres. Quoique nous ne
foyous pas d'accord ſur l'explication de cette expérience
, M. Francklin ſuppoſe que le feu eſt un
élément répandu dans tous les corps ; il doute
s'il eſt la même choſe que le feu électrique , & ne
connoît aucunement l'électricité animale. Il fup
JUILLET. 1774. 163
poſe ſeulement qu'ily a une certaine quantité de
feu élestrique dans l'homme. Voici ce qu'il dit :
A, eft un homme qui est sur un gâteau de cire ,
&quifrotte le tube ,&par ce moyen raſſemble de
fon corps dans le verre le feu électrique ; & fa
communication avec le magasin commun étant interceptée
par la cire , fon corps ne recouvre pas
d'abord ce qui lui en manque.
;
M. Francklin croit alors que le magaſin de l'électricité
ſe trouve dans la terre & fur le plancher
, puiſqu'il ſuppoſe que le gâteau de cire intercepte
la ſource du feu que doit recevoir celui
qui frotte le tube. Il ne confidère pas que la perſonne
ainſi poſée & dans cette action , forme une
électricité par l'agitation & le frottement de la
furface du tube, que le tube reçoit preſque en entier
& conſerve juſqu'à l'attouchement d'un corps
propre à recevoir l'électricité : donc le tube eft
alors le magafin&non pas le plancher .
B, continue M. Franklin , est un homme qui est
pareillementfur la cire, alongeant ſon doigtprès
du tube , reçoit le feu que le verre avoit tire de
A; &fa communication avec le magasin commun
étant auſſi interceptée, il conferve de furplus la
quantitéquilui a été communiquée.
B a reçu en effer l'électricité du tube électrife
par le frottement , & doit , lorſqu'il a porté le
doigt ſur le tube , être électrifé en plus ; parce que
le gâteau de cire empêche que l'électricité qu'il
reçoit du tube dans cet inſtant ne ſe perde dans
le plancher ;&il ſe trouve plus électriſé que A ,
parce que celui- ci qui conſerve auffi ſon électricité
ſur le gâteau , en frottant le tube avec le chamois
, a reçu moins d'électricité de celle qui s'eft
formée ſur le tube par le frottement , que celui
164 MERCURE DE FRANCE.
qui a porté tout d'un coup le doigt ſur le rabe
tout électrife ; moment auquel l'exploſion ſe fain
avec plus d'abondance .
A, B , dit enſuite M. Franklin , paroiſſent électriſes
à C , qui est fur le plancher; car ayantfeulement
la moyenne quantité de feu électrique , il
reçoit une étincelle à l'approche de B , qui en a
deplus , &il en donne uneàA, qui en a de moins.
Ainfi, lans connoître l'électricité animale , M.
Francklin ſuppoſe que l'homme non électrifé a
une moyenne quantité de feu électrique qui oc
cafionne l'étincelle lorſqu'il touche B , qui eft
électriſé en plus ; & , d'une autre part , qu'il forme
auſſi une étincelle quand il touche A , qui eft
celui qui est défélectriſé. Je dis au contraire que
l'étincellequi le forme entre A&Cn'est pas causée
par l'électricitéde plus en C; & queA , qui est la
perfonne fur legâteau de cire qui a frotté le tube
qu'il tient dans ſa main , &dont l'électricité est
retenue fur le gâteau , eſt toujours plus électrité
que C, qui est l'homme ſur le plancher dans
l'inaction , qui n'a point communiqué avec le
tube.
M. Franklin dit enſuite : SiA & Bs'approchentjusqu'àse
toucher l'un & l'autre , l'étincelle
eftplus forte, parce que la différence entre eux eft
plusgrande qu'entreA&C.
L'étincelle peut être égale entre A & C , & B
&C, quoique B & A foient inégalement électriſés
entre eux , parce que la différente électricité
de B& A eſt toujours de la même nature vis-à- vis
Cqui n'a que la ſimple électricité , & l'étincelle
peut être plus forte entre A& B qu'entre A & C
& B & C, fans que le mouvement électrique
foit moins fort enAqu'en C. Une électriqué
JUILLET. 1774. 165
l'ac
comme celle deCn'eſt point retenue par le gâteau
de cire, &les électricités de B &de A fontappuyées
fur le gâteau d'où elles font reſſort , s'il faut ainſi
s'expliquer ; alors il n'eſt pas étonnant que , s'il
ya la moindre inégalité de mouvement
tion de rencontre ſoit plus forte & l'étincelle
plus conſidérable: il ſuffit même qu'il y ait diſproportion
entre deux corps plus fortement électri
dés , pour former une étincelle bien plus forte.
:
Je crois avoir aflez prouvé l'électricité naturelle
de l'homine , & par conséquent des
corps vivans & animés en général, il reſte à démontrer
que les poumons ſont les ſeuls viſcères
ducorps qui peuvent fournir cette électricité.
Si l'électricité ſe tire de l'air , puiſque les Phyficiens
en conviennent , il faut auſſi convenir que
le poumon qui est le ſeul viſcère qui ait une communication
libre & directe avec cet élément , eſt
ſeul capable de le comprimer & de lui faire
-fouffrir toutes les colliſions qui lui ſont néceffaires
pour le forcer de paſler , par ſes parties
les plus fubtiles , dans le ſang que le feu accompagne
, & où il reçoit , par la preſſion des
bronches , l'impulfion qui forme ſon électricité.
Le coeur , qui a fon mouvement particulier , n'agit
que for le fang. Il ne communique point avec
l'air , & ne peut en tirer aucune électricité. Il ne
fert , comme nous avons dit , que pour le tran(-
portqui est néceflaire au fang , conducteur de
l'électricité.
Je donnerai un plus grand détail de ceci dans
les tables anatomiques qui paroîtront au mois
d'Août prochain *, dans lesquelles je donne autli
les organes des ſens. :
*On nous asouvent demandé la demeure de
166 MERCURE DE FRANCE.
1
Voici quelques réflexions ſur l'éducation
, par M. le Bel , Avocat , quise propoſede
tenirune penſion & donner tousfes
Soins àformer le coeur & la raison de jeu
nes enfans , ensa maison , rue de Sève ,
vis à vis la rue S. Romain , à Paris.
De la Nature & de l'Education .
:
د
Les Romains n'employoient qu'un mot
dans leur langue pour nous peindre toute
l'éducation , & fous les deux rapports
dont elle eſt ſuſceptible ; c'eſt alumnus ,
compofé d'al , ſignificatif d'alere , alo
alis , alui , altum , faire croître ou grandir
, & d'umnus pour omnis , tout : enforte
que ce mot fignifie , quand il eſt
pris pour le maître , qui fait ou doitfaire
zout grandir: & qui grandit ou doit grandir
en tout, quand c'eſt pour l'élève qu'il
eſt employé.
M. Dagoty père , pour la diftribution deſesplanches
anatomiques. Le bureau est actuellement rue
Dauphine , vis- à- vis le magasin de Provence.
Iln'y est que les lundis& les jeudis ; mais on le
trouve tous les jours au bureau royal de la cor-
-cefpondance générale , rue S. Sauveur.
JUILLET. 1774. 167
Cette petite définition nous paroît ſi
juſte , ſi ſimple & fi naturelle , que nous
n'allons l'étendre davantage que pour
en raſſembler la matière ſous les yeux de
nos lecteurs , avant de la partager aux
ouvriers. Voici la nôtre : on reconnoîtra
bien à ſes traits qu'elle eſt fille de celle
des Romains .
L'éducation eſt l'art d'aider l'homme
tant à développer & à fortifier ſes facultés
naturelles , qu'à les diriger chacune
vers ſa deſtination .
Nous entendons ici par les facultés
naturelles de l'homme, tout ce que fon
ame & fon corps ont de capable de produire
quelque bon effet ou de concourir
à le produire.
Nous fentons bien que cette explication
eſt fort vague; mais il n'y a point
de riſque à rapprocher beaucoup de choſes
ſous un même point de vue , lorfque
l'on doit les revoir toutes en détail ;
au contraire , c'eſt ſe ménager des moyens
fûrs pour faire fentir le mérite des diviſions&
des ſoudiviſions .
Quelsfont la matière , l'ouvrier , l'ouvrage
de l'éducation .
La différence pour les facultés naturel
168 MERCURE DE FRANCE.
les de l'homme , d'être ou en friche , ou
en défrichement , ou en culture, nous
donne celle de trois états particuliers , à
conſidérer dans ce chef- d'oeuvre du Créateur
, ou trois hommes à diſtinguer dans
une même perſonne : qui font , l'homme
-phyſique , ou tel qu'il eſt en ſortant des
mains de la Nature : l'homme moral :
ou tel qu'il doit être après avoir été inftruit
des devoirs & des obligations de
fon pofte , & enfin l'homme novice , ou
paffant du phyſique au moral.
Il eſt évident & très évident, quoique
l'on ne paroiffe pas y fonger , que c'eſt
l'homme phyſique qui fait la matière de
l'éducation : il ne l'eſt pas moins que c'eſt
l'homme moral qui en eſt l'effet ou le
véritable ouvrage : & s'il ne l'eſt pas de
même que c'eſt l'homme novice qui doit
en être le véritable ouvrier , ce n'eſt qu'au
premier coup d'oeil que l'on en peut douter:
car il n'y a rien de plus domanial
oude plus inceſſible dans tout notre apa.
-nage, que le droit denous former nousmêmes.
C'eſt la première émanation de
notre liberté naturelle ; s'il y a des pères
ou des maîtres qui ne ſentent pas la force
d'une pareille preuve , qu'ils y joignent
les trois vérités ſuivantes. Ils conviendront
bientôt
JUILLET. 4 1774. 169
bientôt de la réalité de cette prérogative ;
& , qui plus eſt , de l'impoſſibilité d'en
ôter l'exercice aux enfans qui ne le veulent
pas céder. La première de ces vérités ,
c'eſt qu'il n'y a point d'enfant qui ne
ſoit le maître abſolu de ne s'approprier
que ce qu'il veut des leçons qu'on lui
donne: la ſeconde , c'eſt qu'il ne dépend
pas de même de ceux qui les lui donnent,
ni de lui en faire adopter davantage , ni
même de l'empêcher d'empoiſonner ce
qu'il en prend : enfin la troiſième , c'eſt
que , s'il étoit poffible d'ôter cette liberté
aux enfans , ce ne ſeroit pas eux que l'on
devroit punir corporellement de leurs
fautes lorſqu'elles le mériteroient , mais
les perſonnes qui les conduiſent.
Voilà donc trois premiers attributs à
conſidérer dans chaque élève par rapport
à l'art de lui aider à devenir ce qu'il doit
être , qui ſont d'en être lui même la matière
, l'ouvrier & l'ouvrage.
Première conféquence à tirer de cette démonstration.
Si la réunion de ces trois points capitaux
n'eſt pas ſuffiſante pour nous faire
ſentir que l'éducation eſt réellement auffi
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
près de nous que nous ſommes loin d'elle,
ajoutons y que ce font les ſens de chaque
élève qui doivent lui ſervir d'inſtrumens
pour ébaucher toutes les notions extérieures
dont il a beſoin , & de voitures
pour les amener à un ſens interne que
nous appelons raison , & dont l'emploi
eſtde trier le vrai d'avec le faux dans fon
attelier , ſur tout ce que l'on y apporte ,
pour rejeter l'un & ferrer l'autre dans
ſon magaſin appelé mémoire ; ajoutons
que quand les ſens extérieurs font frappés
d'impreffions trop vives ou trop peu
attendues , ils accourent auſſi-tôt avec tant
de trouble & de précipitation pour en
rendre compte , que la raiſon effrayée
leur ferme ſa porte ; & qu'il ſe préſente
fur le champ pour recevoir leur rapport tel
qu'il eſt , & le garder de même , un ſecond
ſens interne que l'on appelle imagination
, & dont le reffort eſt borné
aux cas extraordinaires , &c ,
Ce détail qu'il feroit fort aiſé d'étendre
, car , pour parler comme la Fontaine
, ce n'eſt pas l'affaire d'un jour que
d'épuiſer cette ſcience ; ce détail, dis je,
ne prouve-t-il pas évidemment que les
premiers foins d'un inſtituteur pour ſes
élèves doivent avoir pour but de leur
JUILLET . 1774. 171
:
aider à rabattre leurs regards ſur euxmêmes
, pour y prendre connoiſſance de
la matière qu'ils ont à mettre en cenvre
, de la manière de la travailler , des
meſures & des inſtrumens que l'on y
emploie , & fur-tout de la langue du
métier . C'eſt la méthode de tous les
Artiſtes du monde , & ils font un fi grand
cas de cet apprentiſſage des yeux , fi
l'on peut parler de la forte , qu'ils le
comptent preſque tous pour moitié aux
fils de maîtres dans la profeſſion de leurs
pères.
Moyen très- sûr & très-facile pour apprendre
en peu de temps la Géographie aux
jeunes gens , imaginépar M. Pingeron,
ancien Ingénieur de la ville & fortereſſe
de Zamoſch , en Pologne.
La Géographie entrant nécellairement
dans l'éducation des perſonnes bien
nées , & faiſant partie de leurs premières
études, je préſume que l'on verra avec
plaifir un moyen très-ſimple que j'ai
imaginé pour leur enſeigner cette ſcience
en très-peu de temps. L'expérience nous
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
apprend que s'il étoit poſſible d'intéreſſer
tous les ſens à la fois, pour tranfmettre
à l'ame ce qu'on veut lui faire connoître ,
nos progrès ſeroient bien plus rapides.
Ariftote (a) & Horace (b) furent de ce
ſentiment. Ceux qui enſeignent devroient
donc avoir toujours cette maxime devant
les yeux , pour ſe mettre plus à la portée
de leurs élèves. En ne parlant qu'à l'elprit
, on ſe perd ſouvent dans des raifonnemens
métaphysiques , toujours difficiles
à ſaiſir dans la première jeuneſſe. On ne
tarde pas à s'en dégoûter. De- là naît
ſouvent l'éloignement qu'un grand nom.
bre de perſonnes confervent pour ce
travail pendant toute leur vie. Rendez
les jeunes gens curieux , appliquez plufleurs
de leurs fens à la fois , & fixez
par ce moyen leur légèreté ; vos leçons
profpéreront.
Ces principes une fois poſés , j'ai cru
qu'après avoirdonné une idéede la figure
de la terre aux jeunes perſonnes , & leur
(1) Nihil eſt in intellectu, quod non prius fuerit
in ſenſu. Ariftote.
(2)Segnius irritant animos demiſſa per aures ,
Quàm quæ funt oculis fubjecta fidelibus. Horace.
JUILLET. 1774. 173
en avoir prouvé la ſphéricité par la rondeur
de fon ombre dans les éclipſes de
lune , que l'on peut imiter facilement
avec deux boules & un flambeau , il feroit
facile de leur faire entendre que le
moyen le plus naturel de repréſenter la
terre , conſiſteroit à ſe ſervir d'un globe
terrestre. Cependant , comme il ſeroic
trop diſpendieux & ſouvent trop em.
barraſſant , d'en avoir un dont la grofleur
fût affez confidérable, pour que la furface
repréſentât tous les détails de la
Géographie, il a fallu recourir aux cartes.
On conſidérera donc ces dernières
comme autant de ſuperficies détachées
de celle d'un grand globe terreſtre. Il y
a très peu de jeunes perſonnes qui n'ac
quièrent par ce raiſonnement une idée
juſte de ces diverſes repréſentations des
parties de la terre & de l'eau.
Il ne reſte plus qu'à leur donner une
notion de chaque contrée , après leur
avoir fait remarquer que pour connoître
un pays , il faut en ſavoir , 1 °. la poſition
géographique & aſtronomique ,
c'est- à-dire , ſa place ſur la terre & par
rapport au ciel ; 2°. connoître ſes bornes;
3.º ſavoir fa plus grande étendue en longueur
& en largeur ; 4°. avoir une idée
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
de ſon hiſtoire ancienne & moderne ;
Ce qui renferme fon gouvernement & fa
religion; so . connoître ſes productions
&les fingularités ; 6°. ſavoir ſa diviſion ,
& connoître les noms & la poſition des
principaux lieux qu'elle renferme .
Cette dernière partie eſt toujours la
plus difficile à ſaiſir pour les jeunes gens.
La multiplicité des poſitions qui ſe
trouvent fur la même carte ne contribue
pas peu à les égarer. C'eſt à cet inconvénient
que j'ai tâché d'obvier , & j'ai
vu le ſuccès le plus complet couronner
mes tentatives .
J'ai pris une certaine quantité de gros
plomb pour la chaſſe , que j'ai applati
avec un marteau , pour en former de
petits diſques ou palets. A meſure qu'une
jeune perſonne entroit dans le détail
des grandes diviſions géographiques , &
que nous nommions la poſition d'une
ville , après l'avoir trouvée ſur la carte,
je lui faifois mettre un de ces petits
diſques de plomb fur cet endroit ; j'exigeois
qu'elle répétât pluſieurs fois ( 1 ) de
( 1 ) Sæpè recordari medicamine fortius omni.
Ancien vers Léoninfervant defentence dans les
écoles d'Allemagne.
JUILLET. 1774. 175
ſuite cette diviſion , après en avoir couvert
toutes les poſitions avec les diſques
dont j'ai parlé . On les enlevoit enfuite ,
& l'on répétoit à l'ordinaire ; & cela
ſans preſque faire de faute. Ces petits
plombs arrêtent les yeux ſur l'endroit
de la carte qu'il est néceſſaire de connoître
, & ne permettent pas que l'on
confonde les poſitions qu'ils déſignent ,
avec celles qui font dans le voiſinage.
D'ailleurs le petit mouvement qu'il faut
faire pour les placer , amuſe les jeunes
gens , & leur fait aimer un travail affez
infipide pour leur âge , quand on emploie
les méthodes ordinaires.
J'ai encore remarqué qu'en ſe ſervant
de l'hypotheſe dont je vais parler , on
leur donnoit une idée très exacte des
objets déſignés par les principaux termes
confacrés pour la deſcription de la terre
& de l'eau. Je fuppofois donc pour le
moment que la terre avoit été changée
en eau , & que ce dernier élément avoit
remplacé la terre ; je demandois alors
ce qu'étoient devenus les continens &
l'océan , les îles & les lacs dans cette
métamorphofe.
On ſe ſert avec ſuccès de cartes collées
far de forts cartons , & découpées ſelon
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
les ſinuoſités des lignes qui déſignent les
limites des provinces. On met ces différens
morceaux de carton dans un petit
ſac , & l'on engage les jeunes gens à les
en tirer pour les raſſembler , de manière
qu'ils puiffent compofer la totalité de la
carre dont chacun d'eux fait pattie .
Je crois que l'on met en général trop
d'importance dans l'étude de laGéographie.
Il convient d'en avoir une idée
fuccinate , que l'on étend par l'étude de
l'hiſtoire , & par la lecture des voyages.
C'eſt au maître à écarter la ſéchereffe
de cette ſcience par les noticesde certains
uſages pratiqués dans les lieux dont il
parle , ou aurres anecdotes , ſans exiger
que ſes élèves les lui répétent.
Le moyen le plus ſimple de ne jamais
perdre de vue les notions géographiques ,
feroit d'avoir destables telles qu'en avoir
données feu l'Abbé de Gourné, Prieur de
Taverni , où l'on voit d'un coup d'oeil les
grandes diviſions , les fubdiviſions des
quatre parties du monde &des principaux
Etats ; les fleuves qui les arroſent;
la Généralité où se trouvent telle ou telle
ville de France , & le Diocèſe dont elle
dépend. Cette voie eſt preſque auſſi süre
que les Atlas , qui, par leur prix, ne font
pas du seflott de la jeuneſſe.
JUILLET. 1774. 177
Comme je traite ici de tous les petits
moyens dont on peut faire uſage pour
fixer l'attention des jeunes perſonnes qui
apprennent la Géographie, je vais faire
connoître un expédient très-naturel pour
faire voir la correſpondance de la Gépgraphie
ancienne avec la moderne. Il
faudroit avoir deux cartes du même pays,
de même grandeur & d'une même échelle.
L'une ſeroit diviſée ſuivant les Anciens ,
& l'autre ſuivant les Modernes. La première
feroit imprimée ſur un papier trèsmince
, que l'on rendroit tranſparent
avec du vernis. Il eſt évident qu'en l'appliquant
fur la carte exécutée ſelon les
divifions & fubdiviſions modernes, on
verta facilement la correſpondance de
l'ancien état politique d'un pays avec fon
état actuel .
;
Ceux qui font chargés de jeunes gens,
joignant à une certaine intelligence quelque
dextérité , peuvent les exercer à conf
truire des cartes par le ſecours des longitudes
& des latitudes , en employant
le moyen ſuivant.
On aura deux longs fils de foie , aux
bouts deſquels feront ſuſpenduesde grofſes
balles de plomb ; on placera un de
ces fils fur les degrés de latitude du lieu
178 MERCURE DE FRANCE.
:
dont on veut marquer la poſition ſur la
carte ( ces degrés font indiqués à droite
& à gauche de la carte ) . Ce fil repréſente
alors le parallèle ou cercle de latitude
ſous lequel ſe trouve la ville en
queſtion.
On place en ſuite le ſecond fil ſur les
degrés de longitude de cet endroit , qui
font marqués au- deſſus & au-deſſous de
la carte. Ce fil , qui tient la place du méridien
de ce lieu , coupe le parallèle dans
l'endroit où doit être placée la ville dont
on veut marquer la poſition ſur la carte .
Veut-on copier des cartes dans diverſe
grandeur ou fur le même point , ſelon
l'expreffion en uſage chez les Géographes?
On ſe ſertdu pantographe (1) ou des
carreaux. Si l'on emploie le compas à
trois branches , il faudra calquer les contours
des terres à la vitre , de même que
les ſinuoſités des rivières , ou les deſſiner
àla vue.
On ne ſe ſert guère des carreaux que
(1 ) Inſtrument aſſez compliqué pour réduire
les plans & les cartes de petit en grand ou de
grand en petit , felon une proportion donnée. Il
s'en trouve de très- exacts chez le ſieur Bernier
fabricateur d'inftrumens de Mathématique , à
Paris , quai de l'horloge,
i
JUILLET. 1774. 179
pour réduire de grand en petit , ou de
petit en grand , quand on n'a pas de
pantographe , inftrument ingénieux , qui
eſt malheureuſement trop cher pour être
à la portée de tout le monde.
Je n'ai point prétendu faire ici la
fatire des méthodes en uſage pour enſeigner
la Géographie , & encore moins
de ceux qui la ſuivent. Je propoſe ſimplement
une idée, dont le ſuccès le plus
complet aſſure la bonté. Je defire pour
le progrès d'une ſcience , d'une utilité
indiſpenſable , que ceux qui voudront
bien l'adopter ſuivent exactement ce que
je viens de dire.
Qui bonusexcuſat , ſed qui malus omnia culpat ,
Sis bonus aut non ſis facilè cenſura probabit .
GÉOGRAPHIE.
Le Père Chryfologue de Gy en Franche-
Comté, Capucin , a eu l'honneur de préſenter
au Roi , à la Reine , à Monfieur ,
à Madame , à Mgr le Comte & à Madame
la Comteſſe d'Artois , une Mappemonde
nouvelle , projetée ſur l'horizon
de Paris , imprimée avec l'approbation &
1
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
ſous le privilège de l'Académie royale des
ſciences de cette ville.
MM. Caffini , le Monnier , & d'Anville
, Commiſſaires nommés par l'Académie
pour l'examen de cette carte , en
ont fait ce rapport qui en développe les
avantages. Elle renferme toutes les propriétés
de celles qui ſont projetées ſur le
premierMéridien , & elle ena beaucoup
d'autres dont ces dernières ne font pas
ſuſceptibles. 1º. Toutes les parties des
quatre continens y font autour du centre
de l'hémisphère ſupérieur dans la même
proportion qu'elles font ſur la terre autour
de Paris : de là un rayon gradué &
mobile fert d'échelle , au moyen de laquelle
on trouve facilement la diſtance
de tous les endroits de la terre à Paris ,
tant en degrés d'un grand cercle qu'en
lieues communes de France; leurs angles
de poſition , & l'airde vent auquel
ils font ſitués reſpectivement à cette ville;
ce qui fixe très juſtement l'imagination ,
& facilite la connoiſſance de la Géographie
univerſelle. 2°.Ontrouve auſſi ladif.
tance entre les villes qui font ſous chaque
vertical de Paris , & l'on diftingue celles
qui en font également éloignées par les
almicantarats que le rayondécrit en le fai
JUILLET. 1774. 181
fant tourner autour du centre où il eſtartaché
, 3 ° . On ytrouve la longueur des
crépuscules , le lever , le coucher & les
amplitudes du ſoleil , les arcs ſemi- diurnes
, &la grandeur des jours. 4°. Les
Méridiens étant décrits de 7 deg. 30 min .
en7 deg. 30 min. , la zone torride devient
un cadran , qui , combiné avec
un autre cadran commun horizontal tracé
fur la même méridienne , s'oriente de
lui-même & avec lui toute la carte. Toutes
ces queſtions de la Sphère ſont réduites
enProblêmes par l'Auteur. L'écrit qu'il
a joint à ſa carte contient , outre le difcours
général & préliminaire fur cegenre
deprojection , dix neuf Problêmes appli .
qués àdes exemples dont ildonne par ce
moyen une prompte ſolution.
Cette Mappemonde eſt dans la grandeur
convenable des grandes qui ont parujuſqu'ici;
elle eſt remplieſuffiſamment.
L'Auteurs'eſt ſervi des longitudes & des
latitudes marquées dans les derniers volumes
de l'académie comme d'autant de
points fixes pour placer enfuite les autres
points felon les meilleures cartes dreſſées
d'après les obfervations des voyageurs ,
&particulièrement celles de MM. d'An
182 MERCURE DE FRANCE.
ville , Daprés , la nouvelle carte du Mexique
, l'Atlas de Ruſſie , & , dans le Sud,
celles de MM. de Bougainville , Banck ,
&Solander .
La projection de Prolomée , qui eſt ſi
connue , a été bien variée dans le ſeiziè.
me& le dix- ſeptième ſiècles à l'occaſion
des Aftrolabes : enfin il en parut une en
1760 , à- peu - près ſemblable à celle- ci .
Que ſi l'auteur l'eût faite plus grande , elle
différeroit encore de celle qu'on préſente
aujourd'hui , parce qu'il y manque des
cercles & autres explications néceſſaires ,
& qu'elle eſt projetée ſur le 4 5º degré , &
non pas fur le 48. 51 min. , ce qui
empêche que le rayon puiſſe ſervir d'échelle
pour Paris; mais elle eſt ſi petite
qu'on n'a pas pu y mettre un détail confidérable
& convenable à une Mappemonde.
Les longitudes n'y étant marquées que
ſur l'équateur , il eſt très difficile de trouver
celle des arcs des méridiens qui ne
coupent pas ce cercle ſur chaque hémiſphere
, & l'horizon n'étant pas gradué ,
on n'y peut pas connoître facilement les
anglesde poſition.
L'avantage ſur le globe , que l'Auteur
allégue en faveur de ſa projection , eſt ,
en peude mots , que , celui- là étant fé
JUILLET. 1774 . 183
paré de l'horizon , on ne peut pas y réſoudre
ſi préciſement pluſieurs Problêmes
, & qu'à cauſe de ſa convexité on
perd de vue un endroit , quand on en regarde
un autre , quoiqu'aſſez proche ; au
lieu que ſur ſa carte on voit tout notre
hémisphère d'un coup d'oeil .
Cette projection, bien loin d'empêcher
l'uſage des cartes des quatre continens
données juſqu'a préſent , y paroît au contraire
très néceſſaire , & à plus forte raiſon
, à celui des cartes particulières ,
puiſqu'elle rectifie nos idées en enſeignant
leur ſituation reſpective à notre égard.
Cetouvrage ſervira très-utilement pour
toute l'Europe , mais fur tout pour Paris ,
la France & les pays voiſins. On en trouvera
à Paris , chez Mérigot l'aîné , libraire,
quai des Auguſtins ; Eſprit, libraire
, au palais royal , ſous le veſtibule du
grand eſcalier ; Iſabey , marchand d'eftampes
, rue du Gevres , maiſon de M.
Baldet ; Serrete , cour du manége , à l'entrée
des Tuileries. Prix , 6 livres , même
dans les Provinces , où il ſera annoncé
par les affiches particulières des villes où
l'on en diftribuera .
2
184 MERCURE DE FRANCE.
ARTS.
GRAVURE.
COSTUME des anciens Peuples , par M.
d'André Bardon ; 19º cahier , contenant
les figures & l'explication des uſages religieux
des Ifraëlites. A Paris, rue Dauphine
, chez Jombert père , libraire ; Cellot
, imprimeur , & Jombert fils aîné ,
libraire.
PRESERVATIF DU TONNERRE.
Les expériences multipliées ſur l'élec
A
tricitédu célèbre M. Francklin ont eu des
fuccès ſiheureux , ſi conſtans , qu'elles out
acquisune aurorité à laquelle il eſt trèsdifficile
de ſe refuſer depuis 1747 , c'eſtà-
dire , depuis vingt-fix ans. La ville de
Philadelphie , capitale de la Penſilvanie
, dans l'Amérique Angloiſe , com.
poſée d'environ dix mille maiſons , n'a
éprouvé aucun accident du tonnerre ,
quoique ſituée par les 40degrés de latitude
, ſous un ciel fécond en orages aufli
JUILLET. 1774. 185
fréquens que terribles ; ce bonheur dont
elle n'avoit jamais joui , eſt le fruit de fa
docilité aux avis de M. Francklin , qui a
conſeilléàces habitans d'armer leursmaifonsd'une
barre préparée de quelque métal
que ce foit , à laquelle eſt attaché un femblable
conducteurqui conduit & faitcou
let juſqu'en terre fourdement , ſans bruit
ni explosion , tout le feu que la barre peue
recevoir de lanuée qui contenoit la foudre
; par ce moyen ſimple en lui même ,
plus ſimple encote par la petite dépenſe
qu'il exige , ils ſe ſont mis à couvert
desmalheurs dont ils étoient menacés ſans
ceffe , & qui ne fondoient que trop fou.
vent fur eux.
L'Angleterre , la Hollande & l'Italie ,
en adoptant cette méthode pour anéan
tir la foudre , rendent le témoignage le
plusauthentique à la vérité de ce que nous
avançons.
Les barres pointues&préparées ſe font
multipliées dans l'un &dans l'autre pays ;
&laHollande fur- tout paroîtſi convaincue
de leur utilité & de leur néceflité , que la
République s'eſt proposé d'en diſtribues
à ceux qui , par eux - mêmes , ne pourtoient
s'en procurer,
Si parmi nous elles ne font point en-
:
186 MERCURE DE FRANCE.
core en uſage , il ſemble qu'on ne doive
s'en prendre qu'à l'étude trop ſuperficielle
qu'on a faite de cette partie de la Phytique
, & au peu de conoiſſance qu'on a
eu des expériences de M. Francklin .
Mais à préfent que ſes ouvrages ſont à la
portée de tout le monde, parla traduction
qu'ena faite récemment M. Dubourg, l'un
de nos concitoyens , qui ya joint des obſervations
effentielles , & en a fait les
plus heureuſes applications , il eſt à croire
que la France s'empreſſera de ſuivre
l'exemple de ſes voisins ; car quand on
fera perfuadé que ces barres ou pointes
préparées reçoivent le feu du tonnerre ,
&le conduifent en terre ſans bruit & à la
fourdine , ſans faire aucun dommage , on
ne peut douter qu'on n'ait ſoin d'en armer
non-feulement les grands édifices
les magaſins à poudre , les maiſons particulières
, les vaiſſeaux , foit en pleine
mer , foit dans les ports , mais encore
les voitures publiques par terre & par eau ,
ainſi que les voituresde chaſſe & particulières
, & juſqu'aux parafols , pour la ſûreté
de ceux qui ſe promènent ou qui
voyagent à pied. Ce dernier objet ne pèſe
que deux onces de plus , & il ne faut
qu'une minutede temps pour le metre en
place.
:
JUILLET. 1774 . 187
On tient l'appareil en réſerve dans
un petit gouffet du ſac du paraſol , pour
s'en fervir au beſoin .
Monfieurle Roy,de l'Académie Royale
des Sciences , lutà la rentrée publique
de cette Académie , du treizième Novembre
dernier , un mémoire , où ,
après avoir rendu compte de l'opinion
de quelques Phyſiciens Anglois, qui voudroient
qu'on fe contentâtde préparer des
conducteurs pour recevoir le tonnerre ,
& le porteren terre , ſans armer ſes conducteurs
de pointes pour décharger la
nuée , en le conduiſant en terre , il démontra
par de ſavantes expériences qu'il
avoit faites , à l'appui de M. Francklin ,
l'utilité des pointes. Mais comme il
pourroit reſter quelque ſrupule à cet égard
dans l'eſprit de quelques perſonnes peu
au fait de l'électricité , j'ai fait , de l'avis
de M. Dubourg , quelques changemens à
fon paratonnerre , qui , ſans le rendre
plus embaraſfant , ſe prêtent ſans peine
à l'un & à l'autre ſyſtême. Veut- on ſe
prémunir contre l'attente du tonnerre pour
le conduire en terre , s'il venoit à tomber
fur la machine ? On ſe contente d'adapter
une chaîne au bout extérieur des branches
du parafol diſpoſées à cet effet.
188 MERCURE DE FRANCE .
Mais ceux qui font bien convaincus
que les pointes , loin d'être dangeureuſes ,
font au contraire fort utiles pour ſoutirer
en détail & de loin la matière du tonnerre
, auront de plus une pointe moaſle
à ajouter ſur la tête du parafol , pour
remplir cette intention.
On trouveces fortes de paratonnerres ,
dont pluſieurs perſonnes de condition ſe
font déjà fournies , chez le Geur Bairin
de la Croix , Ingénieur privilégié du Roi,
rue Coupeau , Fauxbourg Saint Marcel ,
du côté de la rue Mouffetard , maiſon des
treize Cantons. Il fait & vend toutes
fortes de machines à l'uſage de la Phyfi
que expérimentale , des Machines électriques
pour attendrir les viandes , comme
auſſi pour faire toute forte d'expériences
fur cette marière , & aufli des appareils
pour garantir du tonnerre.
Lesperſonnes qui defireront ſe fournit
de quelques- uns de ſes ouvrages , auront
la bontéde lui donner avis pat lapetite
Poſte ; il ſe rendra à leurs invitations.
Il fait toute forre d'Expériences de
Phyſique ,& va en ville.
JUILLET. 1774. 189
LETTRE de M.d'Ottevilleſurſa traduction
de Tacite. *
A Juilli, ce 6 Juin 1774.
J'appelle à vous-même , Monfieur , de votre
jugement ſur ma traduction de Tacite , Mercure
d'Avril 1774. Cette cenfure , à l'occaſion des
deux derniers volumes , m'étonne d'autant plus
de votre part, que vous aviez fait l'éloge des
deux premiers , fans aucune reſtriction , quoi .
que j'y aye moins rendu les mots que le tens
de Tacite , comme j'en avertis dans ma préface.
Si cette manière vous déplaiſoit , il falloit
la critiquer alors. Preſque tous vos reproches
roulent aujourd'hui ſur quelques mots que je
n'ai pas traduits littéralement. Venons au détail.
Texte. Interim Meſſalina Lucullanis in hortis
prolatare vitam. Cependant , Meſſaline , retirée
dans les jardins de Lucullus , ne renonçoit point
à la vie.
Critique. Non-ſeulement elle ne renonçoit
point à la vie , mais elle cherchoit à la prolonger.
Réponse. Ne point renoncer à la vie , ſigni-
* Nous imprimons cette lettre pour la ſatisfaction
de l'Auteur , mais fans adopter toutes
ſesréponſes aux remarques qui lui ont été faites ,
dont au reſte le lecteur jugera:fub judice lis eft.
190 MERCURE DE FRANCE.
fie , y conferver des prétentions , & rend bien
l'idée que vous indiquez .
Texte. Componere preces nonnulla ſpe &
aliquando ira ; tanta , inter extrema , ſuperbia
agebat. Des eſpérances & quelquefois le dépit
ſeul, ( tant l'orgueil agiſſoit encore fur elle à
ſa dernière heure ) , lui faifoient compoſer une
requête.
Critique. Dépit ne répond point au mot latin
ira.
Réponse. Quel mot latin répond donc à dépit
? Il est vrai que les écoliers traduiſent invariablement
ira par colère ; mais rien n'empêche
qu'on n'exprime dépit par ira.
Critique. On ne conçoit pas comment le dépit
peut engager une femme àfaire des prières.
Réponse. Est-il bien vrai que vous ne concevez
pas comment le dépit de Meſſaline contre
Narciſſe la peut engager à ſupplier Claude
de perdre cet affranchi ? Au reſte , Tacite dit
formellement : componere preces nonnullâ spe
& aliquando ira : fur quelque espérance & quelquefois
par colère. Ces prières étoient de deux
fortes : les unes pour elle-même, les autres contre
Narciffe.
Critique. Compoſer une requête n'eſt pas
élégant.
Réponse. Niez vous Monfieur qu'elle en composât
une , & s'il-eſt vrai qu'elle méditoit une
requête , pourquoi ne ſeroit- il pas élégant de le
dire? C'est que vous aimez mieux faire des
prières dans lesquelles il entroit de l'éſpérance
& de la colère. A qui les adreſſoit-elle ? Elle
étoit ſeule.
Critique. A la dernière heure ne rend pas la
JUILLET. 1774. 191
force de la penſée ; il falloit dire au comble du
malheur.
,
Réponse. Inter extrema ſignifie vers le dernier
terme, Sur la fin , proche de l'extrémité ; Tacite
a pu ſousentendre fortis ou vita & l'un &
l'autre eſt également bon. Une femme qui du
ſein du bonheur & de l'opulence , jouiſſant de
la jeuneſle & d'une pleine ſanté , eſt entraînée
tout-à-coup vers ſon heure dernière , eſt bien
au comble du malheur. Je ne blâme pas le
ſens que vous choiſiſſez ; laiſſez moi le mien :
les deux reviennent au même , & Tacite n'indique
pas plus l'un que l'autre .
Texte. Nam Claudius domum regreffus , &
tempeſtivis epulis delinitus , ubi vino incaluit ,
iri jubet , nuntiarique mifera , ( hoc enim verbo
uſum ferunt ) dicendam ad cauſam poſterâ die
adeffet. Une table opulente dont on avoit devancé
l'heure diſſipoit les chagrins de Claude .
Critique. Que de mots pour rendre tempef
zivis epulis delinicus !
Réponse. A la ſeule inſpection de mon ouvrage,
on peut ſe convaincre qu'il n'eſt , en
général , guères plus long que le latin. Au furplus
il n'eſt pas queſtion de compter les mots ,
mais de les apprécier. Epula ne ſignifie pas fimplement
un repas , mais un grand repas : tempestivus
ne peut ſe rendre par un mot unique ,
& delinire fignifie diſſiper les chagrins. Cette
phraſe n'ayant point de termes inutiles , n'eſt
donc pas longue.
Critique. Il n'eſt pas bien extraordinaire que
la table d'un Empereur Romain ſoit opulente ;
Réponse. Quand il s'y met à l'heure accou
192 MERCURE DE FRANCE.
tumée: cela devient extraordinaire , lorſqu'on
en devance le temps.
Critique. C'est moins l'opulence d'une table
que la délicatefle des mets qui diſſipe les chagrins.
Réponse. Je m'en rapporte volontiers ſur cet
article à l'auteur de la critique qui , s'y connoît
ſans doute mieux que moi. Mais j'ai cru qu'une
table n'étoit pas véritablement opulente , s'il
ne s'y trouvoit points de mets délicats.
Texte. Il venoit de dire , échauffé par le
vin: qu'on avertiſſe cette malheureuse , ( on affure
qu'il ſe ſervit de ce terme ) de ſe juftifier
demain devant moi .
Critique. On eſt tenté de prendre cette malheureuse
en mauvaiſe part.
Réponse. Tout lecteur ſenſé le prendra dans
le ſens qu'indique ce qui précède. Cette miférable
eſt le terme que j'aurois employé, ſi j'euſſe voulu
qu'on le prît tout à fait en mauvaiſe part.
Texte. Quod ubi auditum , & larguefcere ira,
redire amor , ac ſi cunctarentur , propinqua nox
& uxorii cubiculi memoria timebantur. Ces
mots marquoient que ſa colère s'affoibliſſoit.
On craignit un retour de tendrefle. La nuit approchoit:
la chambre pouvoit rappeler le fouvenir
de l'épouſe.
Critique. Ce tour n'est pas clair.
Réponse. Vous avertiſſez dès le commencement
que fi quelquefois je suis parvenu à rendre
la briéveté du latin , ce n'a été qu'aux dépens
de la clarté & de l'énergie de l'expreffion . C'ependant
voici le ſeul exemple que vous taxiez
d'obſcurité; préjugé favorable pour moi , puifqu'il
eſt impoſſible de n'en pas faifir le ſens.
Critique.
JUILLET . 1774. 193
Critique. Il auroit été plus fimple de dire :
la nuit approchoit : la chambre de l'épouſe en
pouvoit rappeler le fouvenir.
Réponse. Quel ſouvenir ? Celui de la nuit ?
de la chambre ? ou de l'épouſe ?
Texte. Prorumpit Narciſſus denuntiatque
centurionibus & tribuno qui aderant, exſequi
cædem: ita imperatorem jubere. Narciffe fort
bruſquement. Les Centurions &le Tribun attendoient
l'ordre en dehors ; il leur commande
au nom de l'Empereur de faire mourir Meffaline.
Critique. Ces mots prorumpit denuntiatque
ne devoient pas être ſéparés dans le François.
Outre que cette diviſion ôte la vivacité , c'eſt
que Narciffe fortoit pour donner cet ordre. Il
falloit au moins le faire ſentir.
Réponse. L'obſervation me paroît fondée.
C'eſt une phrafe à changer.
Texte. Cuſtos & exactor libertus Evodus datur
; iſque raptim in hortos progreffus , reperit
fuſam humi , adfidente matre Lepida , quæ
florenti filiæ haud concors , fupremis ejus neceffitatibusad
miferationem evicta erat; fuadebatque
ne percufforem opperiretur : tranfiffe vitam , neque
aliud morte quàm decus quærendum. On
leur joignit l'affranchi Evodus , pour s'aſſurer.
d'elle & faire exécuter la Sentence : Evodus
les devance en grande hâte; il trouve l'Imperatrice
étendue par terre : à côté d'elle étoit afſiſe
Lépida ſa mère. Lépida , brouillée avec
Meſſaline pendant ſa fortune , étoit accourue
pour prendre part à fon malheur. Elle lui con
ſeilloit de ne point attendre qu'un bourreaut
portât la main ſur elle : ſa vie étoit paffée ; il
n'étoit queſtion que de périr ſans honte.
II. Vol. I
:
194 MERCURE DE FRANCE.
Critique. Qu'un bourreau portât la main ſur
elle n'eſt point dans le latin.
Réponse. Ne percufforem opperiretur. Vous
trouveriez donc mieux de ne point attendre le
bourreau. C'eſt une affaire de goût, & je vous
avoue que le mien eſt différent.
Critique. Périr ſans honte ne dit pas périr
avec gloire morte decus.
Réponse. Il étoit impoſſible que Meſſaline pérît
avec beaucoup de gloire , même aux yeux de
ceux qui admiroient le ſuicide , parce que ſa
mort étoit inévitable & trop méritée. Il m'a
ſemblé révoltant de placer la gloire ſi proche
de l'infamic , & j'ai cru mieux remplir l'intention
de l'auteur en affoibliſſant le terme. Si l'on
s'obſtine à me juger à coup de Dictionnaire ,
on me trouvera de temps en temps de ſemblables
torts ; mais peut-être ceux qui voudront
approfondir le ſens m'en abſoudront-ils. Si en
rendant ira par colère , decus par gloire , & ainſi
de tous les autres mots , Tacite ſe traduit bien;
comment dites-vous qu'il faut une ame vaste
pour contenir la fienne & un espritſouple & hardi
pour ſe plier au fien ?
Texte. Sed animo per libidines corrupto nihil
honeſtum inerat. Mais cette ame flétrie par
la volupté n'étoit plus ſuſceptible d'honneur.
Permettez-moi de vous demander , Monfieur ,
ſi les phrafes que vous citez ſans en porter de
jugement ſontobſcures ou rendent mal le ſens.
Mais peut-être eft-il du devoir d'un journaliſte
de ſe taire ſur ce qu'il y a de bon dans un ouvrage
, pour n'entretenir le Public que de ſes
défauts , vrais ou prétendus.
Texte. Lacrymæque & inviti queſtus ducebantur
, quum impetu venientium pulſæ fores.
JUILLET. 1774. 19S
Toutes deux s'abandonnoient aux larmes & à des
regrets ſuperflus , lorſque les Soldats , dès leur
arrivée , enfoncent la porte.
Critique. Tacite ne dit point que toutes deux
s'abandonnoient aux larmes.
Réponse. Il ne le dit pas même de Meſſaline.
Souffrez que je vous demande , Monfieur , de
quel droit vous exigez que je l'aſſure d'elle. Lacrymaque
ducebantur : on s'abandonnoit aux larmes.
Mais qui eſt- ce qui s'y abandonnoit ? Meffaline
& ſa mère..
Critique. Tacite ne parle que la foibleſſe de
Meſſaline.
Réponse. Il parle auſſi de la tendreſſe de ſa
mère , qua ad miferationem evicta erat : dont la
compaffion avoit étouffé le reffentiment. Eh !
Qu'elle mère retiendroit ſes pleurs dans une
telle conjoncture ? Lépida , voyant l'inutilité d'un
conſeil vigoureux , ne trouvoit plus rien de
mieux que de mêler ſes larmes à celles de ſa
malheureuſe fille .
Texte. Adſtititque per filentium tribunus , &
libertus increpans multis & fervilibus probris.
Le Tribun ſe préſente , debout , en filence
devant Meſſaline ; l'affranchi l'accable d'injures
groffières.
Critique. Debout eſt inutile.
,
Réponſe. Supprimons-le, puiſqu'il vous déplaît,
dût-on me reprocher d'avoir manqué l'image
que forme adftitit.
Critique. On ne ſe préſente point afſis.
Réponse. Non , mais on s'inclinoit profondément
en ſe préſentant aux perſonnes à qui l'on.
devoit beaucoup de reſpect. Le Tribun ne le
fit pas, & c'eſt ce que je voulois faire entendre.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Terminons cette lettre déjà trop longue par
une réflexion de M. d'Alembert. Mém. de lit.
tit . 3 , pag. 30 & 31. De toutes les injustices
dont les traducteurs ont droit de ſe plaindre...
la principale est la manière dont on a coutume
deles cenfurer. Pour les critiquer avecjuftice,
il ne fuffit pas de montrer qu'ils font tombés
dans quelque faute ; il faut les convaincre
qu'ils pouvoient faire mieux ou aussi bien, Sans
y tomber.
...
1
ANECDOTES.
I.
Le Roi Clotaire It érigea la ſeigneurie
d'ivetot en royaume-pour avoir tué Gautier
, ſieur d'Ivetot , dans l'Eglife de Soiffons
, un jour de vendredi faint, lorſque
ce Gentilhomme lui demandoit pardon à
genoux pour quelque offenſe qu'il lui
avoit faite.
I I.
Un jeune Moine déguiſé ſe trouvant
àla repréſentation de Childeric , tragédie
de Morand , en 1736 , cria à un acteur
qui venoit avec une lettre à la main &
qui tâchoit de ſe faire jour au travers de
la foule dont le théâtre étoit rempli :
JUILLET. 1774. 197
place au facteur. L'éclat de rire que ce
mot excita interrompit la pièce. On arrêta
ce Moine qui avoua qui il étoit , &
qui convint qu'il étoit venu avec fix jeunes
gens uniquement dans le deſſein de
faire tomber la pièce nouvelle dont ils ne
connoiſſoient point l'auteur.
III.
:
Vadé , acteur de pluſieurs opéra-comiques
, contoit qu'il venoit de quitter un
fat qui faifoit le beau parleur , & qui en
lui racontant ſes bonnes fortunes , diſoit
toujours : j'ai é-û la Comteſſe de ** , j'ai
é-û la belle Madame de **. Ennuyé de
ſa fatuité& de fa prononciation affectée ,
Vadé lui dit : « Que me dites vous- là ?
>>Jupiter fut plus heureux que vous ; cac
>>il a é-u-I-o. »رد
V
НоммAGE
A Sa Majesté LOUIS XVI.
1
IVE LE ROI ! qu'au loin ce doux cri reten
tifle.
Hommes , Femmes , Enfans , Vieillards même ,
éclatez!
Appui de l'Innocence , effroi de l'Injustice ,
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Louis , Louis ſe montre àvos yeux enchantés .
Si jeune , il vous étonne ; ô qu'il eſt honorable
D'être utile , dans l'âge où l'on n'eſt qu'agréable !
Ciel, toujours de ſon Trône écarte le Flatteur !
Célébrez ſes vertus , Déités du Parnaſſe !
France , proſterne- toi , baiſe & chéris ſa trace !
Court- il à ſes plaiſirs ? Non ; c'eſt à ton bonheur.
Par M. Guichard.
:
VERS d'un Etrangerſur l'avénement de
Louis XVI au Trône de France.
MAITRE de l'Empire des Lis ,
Sous quels heureux aufpices
Voyons-nousde ton règne éclore les prémices?
Apeine ſur le Trône affis ,
Tu te montres , aux yeux de tes peuples ravis,
Etl'ami des vertus & l'ennemi des vices .
Tes illuſtres projets
Conçus pout aſſurer le bonheur des Français ,
Et qui te placeront au temple de Mémoire
Orné du plus rare ſurnom ,
Ces projets annoncés en cette région
Livrent nos coeurs qu'intéreſſe ta gloire ,
Ala plus tendre émotion.
Pour toi c'eſt trop peu d'être
L'amour de cette Nation
JUILLE T. 1774. 199
Que leCiel a fait naître
Pour t'obéir ;
Tout l'Univers , heureux de te connaître ,
Doit te chérir.
VERS fur l'inoculation du Roi de
France.
MOUILLER encor des pleurs
Que t'a fait répandre
Le trépas d'un père tendre ;
Dans quelles terreurs ,
O France , es-tu plongée!
Tu trembles pour les jours d'un digne ſucceſſeur
Dont le règne naiſſant t'a déjà du bonheur
Découvert l'apogée.
De ta mortelle frayeur
Qui le croiroit ? lui-même eſt cauſe ;
Lui-même s'expoſe
Au danger dont l'aſpect te fait frémird'horreur ;
Mais d'un amour fans borne en cela vois le gage.
Quand , à la fleur de fon âge ,
Sans crainte enviſageant la mort ,
D'un mal qui le menace il provoque la rage ,
Rempli du juſte efpoir de prolonger ſon ſort ;
A ce noble effort
Sais- tu ce qui l'engage ?
Jaloux de rendre heureux
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Ceux dont le Ciel l'a rendu maître ,
Il aime mieux cefler d'être
Que de ne point remplir ce projet généreux.
VERS préſentés au Roi & à Mesdames ,
le 3 Juillet , par M. l'Abbé Batanchon ,
Chapelain de Madame Adelaide & de
Madamela Comteſſe d'Artois.
Nous n'avons plus , Français , à craindre le hafard;
De l'accord fait pour nous j'en ai tiré l'augure ;
La Nature , à Marly , vient de ſeconder l'Art ;
L'Art avoit , à Choiſy , ſecondé la Nature.
Au milieu des horreurs d'un mal contagieux ,
Les Filles de Louis , dans leur douleur amère ,
Sur leur propre danger avoient fermé les yeux
Pour veiller ſur les jours de leur auguſte Père.
Louis a fuccombé malgré tous leurs efforts ;
Et par ce coup affreux la nature affaiblie
Laiſſoit gagner le mal & rapprocher des morts
Celles dons les vertus éterniſent la vie.
Appelé par nos voeux , l'Art arrive au fecours
De la Nature défaillante ;
Le mal termine heureuſement ſon cours ;
Toute la France eſt triomphante.
JUILLET. 1774. 201
* Illuſtres Rejetons du beau fang de nos Rois !
** Princefle auguſte ! jeune & déjà grand Monarque
!
Vous nous donnez tous à la fois
De votre amour pour nous la plus ſenſible marque..
Non, ce n'eſt point pour vous , Roi fage & bien
faiſant!
Que d'un venin affreux vvoous braviez les atteintes;
Vous vouliez , en vousexpoſant ,
Bruſquer le mal , le vaincre & diſſiper nos craintes.
Avos ordres ſoumis l'Art a pris le flambeau
De la main de l'Expérience , ự
Et la Nature a trouvé beau
D'agir au gré de la Science.
Tel qu'éclate, ſans riſque , un fourneau redouté ,
Lorſqu'un Mineur habile , en ouvrant un paſlage
A l'air par le feu dilaté ,
ravage : En prévient ſagement l'effort & &le
Tel ce venin caché dans le corps des humains
S'échappe ſans danger à travers l'épiderme ,
Lorſque , par les conduits qu'ouvrent d'habiles
mains,
Il eſt forcé de fuir du ſang qui le renferme.
Notre bonheur , Français , n'est donc point paffager
st
*Monfieur & Mgr le Comte d'Artois.
** Madame la Comteſſe d'Artois.
1
Iv
202 MERCURE DE FRANCE .
Célébrons à l'envi l'heureuſe expérience
Qui , ſauvant Louis du danger ,
Sauve avec lui toute la France.
QUATRAIN à M. MussON ,
choisipourfaire , en miniature , leportrait
de la Reine.
LE voilà ceportrait , cette image fidelle
De l'objet que vos yeux ſont jaloux d'admirer.
Français , fi la Nature eſt encore plus belle,
N'en accuſez point l'Art; il ne peut l'égaler.
2
ParM. Levrierde Champ-rion.
ORDONNANCES.
ORDONNANCE du Roi du 2 Mai 1774 , pour
mettre , ſous le nom de Monfieur , les différens
Corps qui portent celui de M. le Comte de Provence.
Ordonnance du Roi du 20 Février 1774 , pour
mettre le régiment de Dragons de Montecler fous
lenomduComte de Provence.
OrdonnanceduRoi du 10 Mars 1774 , portant
règlement concernant les deux compagnies des
Gardes du Corps de M. le Comte d'Artois
Ordonnance du Roi du 20 Mai 1774 , pour
mettre le régiment de Dragons de Damas ſous le
om deCointed'Artois.
JUILLET. 1774. 203
Ordonnance du Roi du 11 Juin 1774 , pour
Erablir des Chefs de bataillons dans les régimens
d'infanterie Françoiſe & Etrangère .
Ordonnance du Roi du to Avril 1774 , concernant
la police& la diſcipline de la compagnie
de la Maréchauflée de l'Ifle de France .
AVIS.
I.
Marchandises nouvelles & étrangères.
E
:
Le ficur Granchez , marchand bijoutier de la
Reine , connu par ſon magaſin ſous le nom du
Petit-Dunkerque , quai-Conti , au coin de la rue
Dauphine , toujours auſſi empreflé à maintenir
fon magaſin fourni de toutes fortes de marchandiſes
étrangères& françoiſes , vient, à la ſuite des
premièresboîtes qu'il a imaginées en chagrin noir,
avec le portrait du Roi & de la Reine incrusté
deſſus , qu'il a nominé la Confolation dans le chagrin,
d'en faite de nouvelles en petit deuil , renfermant
en-dedans du couvercle le premier édit
du Roi , avec toujours en-deſſus les mêmes portraits
; ces dernières ſe nomment le Surcroît de
confolation , & prennent avec autant de ſuccès
que les premières.
Entre autres nouveautés , l'on trouve encore
chez lui ;
Superbes girandoles de trois enfans grouppés ,
portant des lis , ſupérieurement dorées au mat;
Tabatières d'or , émaillées en gris , avec bordure
auſſi émaillée, imitant les pierres fines ;
I vj
"
204 MERCURE DE FRANCE.
: :
Idem. En acier , doublées d'or , en forme de
châtle ;
Petits lambeaux de cabinet , pouvant auſſi ſervir
pour le jeu , avec bougies à reffort , maintenant
toujours la lumière à la même hauteur ;
Superbes garnitures de cheminée de forme nouvelle
, en cryſtal d'Angleterre , montées en bronze
doré d'or moulu ;
Nouveau crayon d'or à reſſort;
Un aſſortiment de jai pour le deuil.
Anneaux de diamant & cheveux; il fait ſupérieurement
établir dans ce genre toute forte
d'ouvrages, tel que chaînes de montre , rubans
brafelets , colliers en prétention , cordons de
montre & de canne;
Jolis néceſſaires en forme de fur - tout avec
cryſtaux , contenant tout ce qui est néceffaire à
Tufage de la table, très commodes à fervir fur le
lit d'un malade;
Très jolies cannes de femine , avec pomme d'acier
& dez d'ivoire ;
Ruches à l'Angloiſe auffi commodes pour le
travailde l'infecte qu'agréables aux curieux , pouvant
, fans s'expoſer , les voir travailler & leur
ôter le miel fans les déranger'; il donne avec ces
ruches un traité ſur l'abeille & la manière d'uſer
deces ruches;
Boutons d'acier pour le petit deuit , bleus &
blancs, & toujours une infinité d'articles de clircaillerie
& bijouterie dans ce qu'il y a de plus recherché
& de mieux fini.
:
II.
:
Le ſicur Juville , expert - herniaire , reçu au
collége royal de Chirurgie de Paris , jaloux de
JUILLET. 1774. 205
mériter de plus en plus les fuffrages & les éloges
que l'Académie des Sciences , les Gens de l'art &
le Public lui ont accordés , vient d'inventer pour
I'Anus un bandage qui eſt de la plus grande commodité.
Ceux qui en font uſage peuvent , ſans la moin.
dre gêne , marcher , s'affeoir , monter à cheval &
ſe livrer , avec une parfaite ſécurité , à tous leurs
exercices ordinaires. Ce bandage nouveau ne
pèle pas deux onces. Rien de plus fimple que fa
compofition , qui conſiſte en un petit corps d'ivoire
percé à jour , foutenu par deux courroies
qui ſe fixent à une ceinture ; la courroie de devant
ſe ſubdiviſe en deux , en fautoir , & répond auz
aines ; l'autre eft appliquée ſur l'os facrum. Cha
que courroie ſe termine par un reffort plat dont
le jeu preſqu'imperceptible permet tous les mou.
vemens. Quoique ce bandage ſoit mince& léger,
il comprime efficacement ſans jamais ſe déranger.
On l'ôte & on le remet ſoi- même aufli facilement
que la ceinture d'un caleçon .
Le fieur Juville continue d'appliquer ſes autres
bandages avec ſuccès Il a perfectionné ſon inguinal
fimple & le double à cremaillière , dont les
pelottes s'éloignent & fe rapprochent à volonté.
Son exomphale à reffort pour les hernies, ven+
trales fatisfait de plus en plus les connoiffeurs &
les perſonnes qui en fontufage. ٠٤
En lui envoyant de province une meſure des
proportions exactes , on eft für de recevoir promptementun
bandage convenable.
La demeure du Sr Juville eft toujours rue des
FoffesSt Germain l'Auxerrois,vis- à- vis la cotonnadedu
Louvre. 1
206 MERCURE DE FRANCE.
III.
Remède contre la maladie des Chiens.
Le ſieur Duponty eſt poſſeſſeur d'une liqueur
fouveraine pour guérir toutes les maladies des
Chiens , même la rage mue &la galle .
La doſe eſt de deux cuillerées à bouche pour un
grand chien , pendant neuf jours; & pour les petits
il faut diminuer la doſe à proportion de leur
groſſeur.
On trouvera en tout temps de cette liqueur
chez le Sr Duponty , qui eſt viſible tous lesjours,
excepté le Dimanche , depuis neuf heuresjuſqu'à
midi , &depuis trois heures juſqu'à fix .
Il eſt logé au No.83 , rue du Four St Honoré ,
vis-à-vis l'hôtel de Bayonne , à la Vache noire ,
aupremier , chez la Marchande de crême.
Les perſonnes qui lui écritont ſont priées d'affranchir
leurs lettres .
IV.
Le ſieur Gacher , maître en Chirurgie de la
-Ferté-Milon , vend & débite un Elixir antigoutteux
, vrai ſpécifique contre la goutte& le rhumatiſme
qu'il guérit radicalement. Ce remède
n'a rien de déſagréable ni de gênant .
Le prix des flacons , felon la grandeur , eſt de
24, 36 & 48 liv. On donne avec l'Elixir la ma
nière d'en faire uſage. On prie les perſonnes qui
en demanderont d'affranchir les lettres.
Il demeure à Paris, rue Montmartre , du côté
des Boulevards , maiſon dont l'allée fait face àla
ruedeNotre-Dame des Victoires , au premier.
JUILLET. 1774. 207
NOUVELLES POLITIQUES.
Des Frontières de la Pologne, le4Juin 1774.
L'IMPÉRATRICE de Ruffie a paru extrêmement
ſenſible à la perte du ſieur de Bibikow , l'un de
ſes meilleurs généraux. Pluſieurs gentilshommes
Polonois envoyés à Caſan par les Rufles pendant
les derniers troubles , ſe ſontjoints à Pugatſchew
& les combattent aujourd'hui au lieu même de
leur exil. On prétend qu'un frère de Pulawski a
battu le Princede Galitzin au moment même qu'il
venoit de remporter ſur Pugatschew un avantage
confidérable. Cependant les troupes Rufles
répandues dans la Lithuanie , au lieu de fe porter
vers la Crimée , comme on s'y attendoit , ont
reçu ordre de ſe raflembler àGrodno. Des lettres
particulières annoncent même qu'elles occupent
déjà les poſtes qui leur ont été aſſignés , & qu'elles
ſe ſont étendues ſur les bords de Niemen en-
•tre la Pruffe& la Samogitie.
On a répandu le bruit que les Rufles ſe ſont
établis dans le Palatinat de Polocz ; mais cette
nouvelle paroît d'autant moins vraiſemblable
que cettePuiflance n'a jamais paru être dans la
diſpoſition de reculer ſes limites.
La marche des Aigles Pruffiennes eſt un peu ralentie;
cependant elles ſe ſont encore approchées
de deux lieues.
De Warfovie, le 3 Juin 1774.
L'arrangement des frontières avec les trois
Puiffences donne lieu à de grands mouvemens.
Les troupes Prudiennes ont établi des poſtes àun
208 MERCURE DE FRANCE.
mille de diſtance autour de la ville de Thorn ,
& ne permettent à aucun de ſes habitans , à
moins qu'il ne foit muni d'un paſleport , de pafler
dans leur territoire.
De Dantrick , le 8 Juin 1774-
La fituation de cette ville devient de jour en
jour plus fâcheuſe. Le ſieur Reichart , Confeiller
Intime du Roi de Prufie , foutenu du Comte de
Golowkin , Miniſtre de Ruffie , ayant vivement
preflé le Magiſtrat de reconnoître le droit territorial
de Sa Majeſté Pruſſienne ſur le Port , celuici
déclara qu'il étoit prêt à le faire pourvu qu'on
s'expliquât ſur les conditions qui en affureroient
l'uſage à la Ville. Le Comte de Golowkin répondit
qu'il n'étoit point autorisé à accepter un aveu
conditionnel , & le fieur Reichart infifta fur cette
réponſe catégorique : oui ou non. Les trois Ordres
s'étant aflemblés pour prendre un parti , le
Tiers-Etatfit entendre au Sénat que l'on ne pou
voit , ſans trahir les droits de la Ville , conftatés
par les actes les plus ſolemnels , propoſer de reconnoître
le droit territorial d'une Puiflance étrangère
ſur le port.
:
De Constantinople , le 17 Mai 1774.
On a répandu ici le bruit qu'un corps de Colaques
a paflé le Danube & s'eſt poſté dans les environs
de Babadag , d'Hirsowa & de Karafow.
D'un autre côté , on apprend qu'il s'eſt formé parmi
les Tartares de Crinée un nouveau Parti enh
faveur de l'ancien Kan Dewlet - Guerai qui médite
une expédition contre le Kan que les Rufles
ont placé fur le Trône. On préfume cependant
qu'il attendra les ſecours que le Capit Pacha
lui amene. Cet Amiral mouille encore avec fa
؟ يرا :
21
JUILLET . 1774. 209
flotte à une liene de cette capitale , d'où il mettra
à la voile dès que le temps ſera favorable.
De Smyrne , le 20 Avril 1774 .
On écrit de Paros que le ſieur Elmanow a pris
le commandement de la Flotte Rufle à la place de
l'Amiral Spiritow qui a obtenu ſa démiſlion.
Les Ruffes ont reſtitué aux François 100,000
écus au lion pour les dédommager des marchandiſes
qui leur avoient été enlevées .
De la Haye , le 21 Juin 1774 .
Les lettres qu'on a reçues ici des bords de l'Etbe,
feroient craindre l'établiſſement d'une nouvelle
Douane Danoiſe à Gluckſtadt au- defious
de Hambourg. Dans le temps même qu'on parle
d'une réforme de troupes en Danemarck , on écrit
que deux vaiſleaux de cette Nation viennent de
croifer dans l'Elbe , & qu'il a été ordonné de pré .
parer des quartiers à Ottenhuſen & autour d'Altona
pour un corps de cavalerie. On ne fait point
quel eſt l'objet de ces diſpoſitions.
De Londres , le 26 Juin 1774-
Nos Colonies de l'Amérique ayant reçu , le is
Mai dernier , une copiedu Bill relatif au port de
Boſton , les aflemblées des Provinces mirent fur
le champ un embargo fur tous les vaiſſeaux appartenant
à l'Angleterre & aux Ifles , & ordonnèrent
que les Ports ſeroient fermés pour toute el
pèce de commerce avec la Grande - Bretagne. Ce
Bill fut d'abord imprimé à Boſton & à la Nouvelle
Yorck dans les gazettes avec une bordure noire ,
& fut crié dans toutes les rues ſous le nom d'acte
inhumain , cruel , ſanguinaire , barbare & meurtrier.
Onen diſtribua dix mille exemplaires avec
pluſieurs lettres écrites de Londres , & on en en
210 MERCURE DE FRANCE.
voya dans toutes les différentes Colonies. L'alarme
devint générale ; on s'aſlembla de toutes parts,
&le Peuple fur tout fit éclarer les ſentimens de
ladéſobéiflance la plus punifiable ; mais les perſonnes
les plus modérées& les plus prudentes ralentirent
cette impétuoſité & empêchèrent qu'on
ne prit une réſolution plus violente. On y attend
des ordres ultérieurs du Parlement , & l'on préfume
que toutes les Colonies ſe réuniront pour
ne rien recevoir de la Grande- Bretagne. Il paroît
d'ailleurs que la Chambre de Boſton refuſera de
délibérer avec le nouveau Conſeil . Auffi- tôt que
le Bill fut connu dans les Provinces de Penſylvanie
, du Maryland &de la Virginie , les habitans
arrêtèrent que toutes ces Provinces ſejoindroient
à la Nouvelle-Yorck pour fermer tous leurs potts,
&qu'elles ne feroient paſſer en Angleterre & aux
Ifles aucune de leurs productions , juſqu'à ce
qu'on eût rendu juſtice àla Province de laBaiede
Maflachuſett.
DeMarly, le 3 Juillet 1774.
Si la Nation qui adore ſes Maîtres , avoit pus
concevoir des inquiétudes de la réſolution courageuſe
priſe par le Roi , par ſes auguſtes frères
&par Madame la Comteſſe d'Artois , de ſe foumettre
à l'inoculation , elles auroient été bientôt
diſſipées par les nouvelles conſtantes du ſuccès de
eette opération. Elle eft aujourd'hui au comble
de la joie d'apprendre que Sa Majesté , Monfieur ,
Mgr le Comte d'Artois , Madame la Comtefle
d'Artois ſont entièrement rétablis , & d'être délivrée
à jamais de la crainte de les perdre par la
cruelle maladie qui vient de lui enlever le Monar.
que qu'elle pleure , & menaçoitàla fois les jours
de trois Priuceſſes qui , après avoir donné les
preuves les plus héroïques de l'amour filial, ſont
JUILLET. 1774. 211
devenues bien plus chères à la France qui hono
roit leur rang auguſte moins encore qu'elle n'admiroit
leurs vertus .
L'inoculation du Roi , de Monfieur , de Mgr le
Comte d'Artois & de Madame la Comtefle d'Artois
, ayant ſuivi ſon cours ordinaire avec ſuccès,
les médecins ceſſèrent , le 30 du mois dernier , de
donner au Public des bulletins : depuis cette époque
, la ſanté du Roi , des Princes & de la Princefle
continue àſe fortifier ,& ne laiſſe plus rien à
defirer.
NOMINATIONS.
Le Roi a accordé le régiment de Royal-Rouffillon
, Infanterie , vacant par la démiſſion du
MarquisdeTrans , au Marquis de Fremur , Colonel
du régiment d'Angoumois; le régiment d'Angoumois
au Marquis d'Uflon , Colonel du régiment
provincial de Montargis ; lerégimentprovincialdal
dee Montargis au Marquis de la Suze. Sa
Majesté a diſpolé du régiment de la Reine , infanterie
, vacant par la démiſſion du Marquis de
Tavannes , en faveur du Comte de Tavannes ſon
frère , & du régiment provincial de Châlons, vacant
par la démiſſion du Comte de Monteynard,
en faveur du Marquis de Beaumont- d'Auty.
Le ſieurde Laflone , conſeiller d'état & premier
médecin de la Reine , a prêté ſerment entre les
mains du Roi pour la place de premier médecin
de Sa Majesté , en ſurvivance , dont eſt pourvu
le ſieur Lieutaud , conſeiller d'état.
Le Roi a accordé l'abbaye de St Allyre , Ordre
deSt Benoît , congrégation de St Maur , dioceſe
&fauxbourg deClermont en Auvergne , à l'Abbé
Gaſton de Pollier , vicaire-général de Vabres&
premier aumônier de Mgr le Comte d'Artois , ſur
212 MERCURE DE FRANCE.
la préſentation de ce Prince en vertu de ſon apanage
, & celle de Bémont , Ordre de Citeaux ,
diocèſe de Langres , à la Dame Eſmangart , religieuſe
de l'abbaye de Pont- aux-Dames .
Le Roi a accordé la place de Commandeur dans
l'Ordre de St Louis , vacante par la mort du Marquis
de Caulaintourt , au ſieur de Saint Sauveur ,
maréchal de camp , inſpecteur-général de la Cavalerie.
Le Comte de Muy , ſecrétaire d'Etat , ayant le
département de la Guerre , eſt entré au conſeil
d'état.
/
MORT S.
Eméric - Joſeph , Archevêque de Mayence ,
Electeur du Saint Empire , Prince & Evêque de
Worms , né Baron de Breidenbach - Burresheim ,
eſt mort ſubitement à Mayence le 11 Juin. Се
Prince étoit âgé de ſoixante- ſept ans ; il avoit été
élu électeur le s Juillet 1763 , & Evêque de
Wormsle premier Mars 1768 ..
Marc- Louis , Marquis de Caulaincourt , maréchal
des camps & armées du Roi , commandeur
de l'Ordre royal & militaire de St Louis , &grand
Bouteiller héréditaire de Saint-Denis en France ,
eſt mort à Paris , âge de cinquante- trois ans .
Louiſe l'Eau de Linières , veuve de René -Charles
Marquis de Menou , eſt morte à Loudun, dans
la quatre-vingt- neuvième année de fon âge.
Jacques Hulin, miniſtre du feu Roi de Pologne,
Duc de Lorraine & de Bar , eſt mort à Paris à l'âge
de quatre vingt- feize ans .
Le Comte de Ros , capitaine au régiment des
Carabiniers , eſt mort à Metz , âgé de trente-un
ans.
JUILLET . 1774. 213
Daniel- Raoul Charles Loir , Comte du Lude ,
eſt mort en ſon château d'Aureville , en Baffe-
Normandie , dans la ſoixante -ſeizième année de
fonâge.
• Charles Comte de Grimaldy - d'Antibes , chef
d'eſcadre , eſt mort à Toulon.
Marie - Charlotte de Bragelongne , époule
d'Armand Henri Comte de Clermont-Gallerande,
eſt morte à Charonne , dans la foixante onzième
année de ſon âge.
Marie- Chriftine- Chrétienne de Saint - Simon de
Ruffec , époule de Charles - Maurice Grimaldy de
Monaco , Comte de Valentinois , Grand d'Eſpagne
de la première Clafle , lieutenant- général de
la province de Normandie , gouverneur des ville
& château de Saint-Lo .de Cherbourg , Grandville
&des Ifles de Chauſay , brigadier des armées
du Roi , eſt morte à Paris , âgée de quarantefix
ans .
Marguerite Rouſſange , de la paroiſſe d'Aix ,
diocèſe de Limoges , y eſt morte à l'âge de cent
huit ans. Elle n'a éprouvé , dans le cours de ſa
vie , que quelques légères indipoſitions . Un mois
avant que de mourir elle alloit encore à pied à la
meſle de la paroifle , diſtante du village d'environ
une demi - lieue . Elle avoit confervé un vilage
fans rides , un coloris animé , l'eſprit ſain & gai ,
&fur- tout la mémoire & la vue fans aucune altération.
LOTERIES.
Le cent ſoixante-deuxième tirage de la Loterie
de l'hôtel - de - ville s'est fait , le 25 Juin enla
manière accoutumée. Le lot de cinquante mille
liv. eſt échu au No. 89127. Celui de vingt mille
214 MERCURE DE FRANCE.
livres au Nº. 92482 , & les deux de dix mille ,
aux numéros 80315 & 85792 .
Le tirage de la loterie de l'Ecole royale militaire
s'eſt fait les Juillet. Les numéros ſortis de la rouc
de fortune font 62 , 73 , 27 , 54 , 15. Le prochain
tirage le fera les Août.
TABLE.
PIEICECEESS FUGITIVES en vers&en proſe,page
Vers à Sa Majesté Louis XVI ,
Au Roi ,
Vers donnés àMadame Adelaide à Choiſy ,
après la convalefcence ,
Couplets ſur la bienfaiſance du Roi & de la
Reine,
Vers au Roi ,
Quatrain à la louange de Louis XVI ,
Les progrès du Luxe arrêtés , ode auRoi ,
L'Ingrat puni ,
Vers au Roi Louis XVI ,
Sur la mort de Louis XV ,
Vers à la France ,
Sur l'inoculation de la Famille royale ,
Ma Retraite ,
Fiction en l'honneur de M. le Duc deN**,
Le Limaçon & la Roſe ,
Le Courtiſan au bal ,fable ,
Le Mılan , fable ,
Les trois Poules ,
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
ibid.
9
11
12
13
14
ibid.
30
34
35
38
ibid.
39
44
47
48
49
50
54
ENIGMES , ibid.
JUILLET. 1774. 215
LOGOGRYPHE ,
57
NOUVELLES LITTÉRAIRES , 59
L'Homme du Monde éclairé par les Arts , ibid.
Les Promenades de M. Frankly , 74
Dictionnaire abrégé de la Fable , 77
Traité de Mécanique , ৪০
Hiſtoire des nouvelles découvertes faites dans
la Mer du Sud , 83
Hiſtoire de la Rivalité de la France , 78
Journal du voyage de Michel de Montaigne
en Italie , 116
Obſervations ſur l'Art du Conédien , 120
L'Inoculation , Ode par M. Dorat ,
Diſcours prononcé à l'iſſue d'un Service pour
123
le repos de l'ame du feu Roi ,
Manuel ſecret , & analyſe des remèdes de
125
MM. Sutton pour l'inoculation de la petite
vérole , 128
Avis à mes Concitoyens , 129
Les avantages de l'Inoculation 6 130
Traité fur le Vice cancéreux , 131
Mémoire chimique & médicinal , & c . ibid.
Table de toutes les matières contenues dans
tous les volumes publiés par l'Académie
royale des Sciences de Paris , 132
ACADÉMIES , 137
-de la Rochelle & de Nîmes , ibid.
SPECTACLES , Opéra , 142
Comédie Françoiſe , 143
Comédie Italienne , 149
Phyfique , 153
Sur l'électricité des corps animés ,
159
De la nature de l'éducation , 166
Moyen très- sûr & très - facile pour apprendre
enpeu de temps la géographie auxjeunes
gens , 171
216 MERCURE DE FRANCE.
Tacite ,
Anecdotes ,
Géographie ,
ARTS , gravures ,
Préſervatif du Tonnerre ,
Lettre de M. d'Otteville ſur ſa traduction de
Hommages à Sa Majeſté Louis XVI ,
179
184
ibid.
189
196
197
Vers d'un Etranger ſur l'avénementde Louis
XVI au Trône de France ,
:
Vers fur l'inoculation du Roi de France ,
Vers préſentés au Roi & à Meldames ,
Quatrain à M. Muflon ,
Ordonnances ,
AVIS ,
Nouvelles politiques ,
Nominations ,
198
199
200
202
ibid.
203
207
211
Morts, 4
Loteries ,
212
213
APPROB AT 10N.
J''AAII lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le
ſecond vol. du Mercure du mois de Juillet 1774 .
&je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreſſion .
AParis , le 15 Juillet 1774.
LOUVEL.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le