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1774, 01, vol. 1-2
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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU RO Ι.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES:
JANVIER , 1774.
PREMIER VOLUME .
Mobilitate viget. VIRGILE.
A PARIS ,
و Chez LACOMBE , Libraire
Chriſtine , près la rue Dauphine.
Rue
AvecApprobation & Privilége du Roi.
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GEST au Sicur LACOMBE libraire , àParis, rue
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, les piéces de vers ou de proſe , la mufique
, les annonces , avis , obſervations , anecdotes
événemens finguliers remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
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, ,
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T
2
Aij
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Fables orientales , par M. Bret , vol. in-
8°. broché , 3liv.
La Henriade de M. de Voltaire , en vers latins
&françois , 1772 , in - 8 °. br . 21.101.
Traité du Rakitis , ou l'art de redreſſer les
enfans contrefaits, in 8°, br . avec fig. 41.
Lettresd'Elle &de Lui , in- 8 °. b .
Le Phasma ou l'Apparition , hiſtoire grecque
, in- 8° . br. 1 1. ref.
11.166.
LesPythiques de Pindare , in- 8 °. br. sliv.
11.46.
LesMufesGrecques , in-8 °. br.
LePhilofopheférieux , hist. comique , br. 1 1. 4 f.
Monumens érigés en France à la gloire de
Louis XV, &c. in -fol. avec planches ,
rel. en carton , 241.
Mémoires fur les objets les plus importans de
l'Architecture , in 4. avec figures, rel. en
carton , 121.
Les Caractères modernes , 2 vol. br. 3 1.
Maximesdeguerre du C de Kevenhuller, 1 1. 10 1.
Histoire naturelle du Thé , avec fig.br. 11. 16
MERCURE
DE FRANCE.
JANVIER , 1774 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LES BAISERS DU JOUR DE L'AN.
DIALOGUE .
AIR: Tendresfruitsdes pleurs de l'Aurore.
LUCILE & CHLOÉ .
L. QUE le Tems , d'une aîle lègère ,
Entraîne après lui nos beaux jours !
Chaque an qui fuit dans la carrière ,
Nous débauche un efſſaim d'amours .
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
CH. Quand on eft encor jeune& belle,
C'eſt le fixer que d'en jouir ,
Etchaque an qui ſe renouvelle
Nous ouvre un cercle de plaiſirs.
Lu. Tout ,en cejour , glace les ames.
Froids complimens , voeux indifcrets ,
Baiſers de vieillards ou de femmes,
Fuyez loin de moi pour jamais.
CH. Je reçois les voeux de l'uſage ;
Mais j'en reçois qui mè font chers ,
Et mon amant me dédominage
Des froids bailers que j'ai ſoufferts .
Lu. C'eſt lejour de l'indifférence ,"
Des embraſlemens-lans appas ;
Nous en craignons trop I influence ;
Mon ami ne m'embrafle pas.
CH. Pour moi , mon bien aimém'embraſle
Au premier comme au dernierjour ,
Et mêle à ces baiſers de glace
Lesbaifers ardens de l'amour
Lu. Et moi je fuis fur toute choſe
La foule qui vient m'accueillir,
Doit-on lailler flétrir la roſe
Que l'amant chéri doit cueillir ?
CH. De ces baifers fans conféquence ,
4
A
:
JANVIER. 1774- 7
Cherami , tu n'es pas jaloux .
Tu fais quelle eſt ta récompente :
Lestiens ſeuls me paroiſlent doux .
Lu. Ilas veut m'avoir ſans partage ;
C'eſt qu'Ilas m'aime tendrement.
Votre amant ne prend point d'ombrage ;
C'eſt qu'il vous aime foiblement.
CH. Si mon amant eſt ſi tranquille ,
C'eſt qu'il eſt bien sûr de ma foi .
Il craindroit plus avec Lucile
Qui l'aimeroit bien moinsque moi.
Toduetuexs.
Que chacun aime à ſa manière ;
Ceflons un débat dangereux.
Le grand art eſt de ſavoir plaire
Acelui qu'on veut rendre heureux.
Par Mlle de Zis , à Nemours.
:
:
VERS fur le mariage de Monseigneur le
Comte d'Artois avec Madame Marie-
Théreſe , Princeffe de Savoie.
De l'Empire des Lys riante deſtinée !
Quel préſage flatteur d'un avenir heureux ! ..
De deux Princes chéris l'Amour & l'Hymenée
Aiv
8 MERCURE DE FRANCE.
Déjà , dans moins d'un luſtre , ont couronné les
feux ;
Du ſceptre des Bourbons la troiſième eſpérance,
D'Artois , jeune héros , comme eux cher à la
France ,
Répond à nos deſirs ,& ſuit les douces loix
De l'adorable objet dont ſon coeur a fait choix.
Fidèle Protecteur , tutélaire Génie ,
Tu veux done nous venger de la Parque ennemie
;
Tu veux donc terminer les trop juſtes regrets
Que nous cauſa le trône entouré de cyprès !
Aux lauriers que Louis moiſlonna dans la
guerre ,
Au paiſible olivier que ſa bonté préfère ,
Tu veux mêler encor les myrtes amoureux ,
Et nous faire jouir même dans nos neveux.
De nos ſenſibles coeurs reçois le tendre hommage
;
Pourfuis , comble nos voeux , acheve ton ouvrage...
Sur les jours d'un Monarque aimé de ſes Sujets
De l'urne fortunée épanche les bienfaits :
Aux enfans de nos Rois , aux brillantes Déeſſes ,
Qui , ſur les bords du Pô , ſur les rives du Rhin ,
Reçurent leur encens , prodigue les richeſſes !
Puiflent toujours unis, Paris , Vienne & Turin ,
Renouveler cent fois l'alliance ſacrée
Qui flatte notre eſpoir d'une auguſte lignée !
JANVIER. 1774 .
Puiſſe-t'elle régner , & fixer à jamais
Le bonheur & la gloire au milieu des Français !
Par M. de la Toiſe- Prioul , avocat.
L
ODE A L'AURORE.
EMPRESSE- TOI , brillante Aurore ;
Viens ouvrir la porte des cieux ;
De ces feux que tu fais éclore
Augmente l'éclat radieux :
Les habitans de ces campagnes,
Quittant les douceurs du ſommeil ,
Vont bientôt franchir ces montagnes
Pour t'admirer à ton réveil .
Etale la magnificence
Dont t'a fait préſent l'Eternel ;
Célèbre ſa toute-puiſſance
Par ton hommage ſolennel.
La fauvette , par ſon ramage,
La brebis , par (on bêlement ,
Te diſputeront l'avantage
De le ſaluer dignement.
Le ſommeil couvre vos paupières ,
Triſtes habitans des cités ,
Et déjà s'ouvrent les barrières
D'où s'élancent tant de beautés.
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
En vain à fournir ſa carrière
Se prépare le Roi des Cieux :
Ces maſſes d'ombre &de lumière
Ne font pas faites pour vos yeux.
Coulez au ſein de la pareile
Des jours flétris par les plaifirs
Ne fortez d'une folle ivrefle
Que pour former de vains defirs.
Toujours conduits par l'eſpérance ,
Toujours trompés par fon erreur ,
Sacrifiez à l'apparence
La réalité du bonheur.
:
:
2
Pour nous , dans ce léjour tranquille,
Loin du tumulte & loin du bruit ,
Goûtons , dans un repos utile ,
Les douceurs que la paix produit.
Aux ſeuls bienfaits dela Nature
Livrons nous , ſans être indifcrets ;
Leur jouiſſance eſt toujours fûre ,
Et ne laifle pas de regrets.
:
Déjà le ſpectacle commence ,
Le ſoleil fort du ſein des eaux ;
Voyez quelle richeſſe immenfe
Se répand ſur tous ces côteaux !
Je me profterne , & je t'adore ,
Auteur de tant de majesté ,
:
i
1
JANVIER. 1774.. Π
Fais que pendant long-tems encore
Nous jouiſſions de la beauté.
Par M. Domain.
VERS adreſſfés à Monseigneur le Duc de
Penthièvre , par M. de Cofnac , d'Uffel
en Limousin , Page de Son Alcffe , en
lui donnant un merle blanc , le 18 No.
vembre 1773 .
PRIRINNCCEE , excuſez ma hardieffe !
J'oſe vous offrir un cadeau.
On eût mis à vos pieds des ſceptres dans la Grèce ,
Moi , j'y viens placer un oiſeau ,
Comme une offrande au dieu de ma jeuneſle.
Daignez le recevoir ; c'eſt toute ma richefle .
1
Si vous euſſiezjadis tous deux été connus ,
On l'eût joint pour ſymbole au nom de VotreAltefle
,
Etant , par ſa couleur , rare dans ſon eſpèce ,
Comme vous , dans la vôtre , en ſublimes vertus,
Avj
12 MERCURE DE FRANCE.
LES AMES , Conte arabe.
Né dans la ſuperbe Bagdad , avant la
fin du Califat d'Abou- Giaffar Almanzor ,
21. fucceffeur du Prophète , Prince courageux
& ferme , vindicatif& avare , &
ſous lequel la philofophie & l'aſtrologie
avoient fait de grands progrès :je dus une
première éducation à un des ſages que
renfermoit cette cité au milieu des fous
innombrables qui l'habitoient. Heureux ,
fi j'avois toujours cru les confeils du vieillard
Haſſeim , qui m'avoit prédit d'aſſez
bonne-heure queje ne tiendrois pas longtemps
aux principes de ſageſſe dont il
s'efforçoit de me remplir!
Azor Lme diſoit - il , mon cher Azor !
je vous aime , & , fi j'avois de plus longs
jours à demander à l'Etre Suprême , ce
feroit pour affurer votre bonheur, & pour
en être témoin. Que je crains , hélas !
quand je ne veillerai plus ſur vous , que
la contagion publique ne vous frappe ;
que tous les avantages dont la Providence
vous a gratifié ne tournent contre vous ,
&ne détruiſent mon ouvrage ! Votre fortune,
votre figure heureuſe , la force de
JANVIER. 1774. 13
votre conſtitution , vos diſpoſitions à des
talens agréables , votre eſprit , tout me
fait trembler . O mon élève ! emporteraije
cette crainte fatale dans un monde où
ma vieilleſſe va bientôt me faire paffer ?
Je raſfurois mon guide que je reſpectois
, en m'indignant de ſes ſoupçons; &,
ranimant mon zèle pour ſes préceptes ,
j'eus le bonheur de marquer les premiers
pas de ma jeuneſſe par quelques actes de
bienfaiſance & d'humanité , qui ſoutinrent
ſes eſpérances ſur mon compte juſqu'à
ſa mort , arrivée trop tôt pour moi.
Tous les défordres triomphoient alors
dans l'opulente Bagdad. On y parvenoit
par l'impudence & par la baſſeſſe . Un
homme destiné en naiſſant à être le valet
de quelque éléphant , avec quelque
adreſſe d'eſprit , fur-tout par les fervices
les plus vils rendus à quelques Grands,&
par les intérêts accumulés d'une uſure infame
, y devenoit un être d'importance ,
&s'y montroit porté faſtueuſement fur
un de ces animaux qu'il eût dû conduire
à l'abreuvoir . On n'y connoiſfoit plusde
pudeur que celle que donne la timide
honnêteté de la vertu. Tout s'y animoit
pour le plaifir & par le plaiſir , à ce qu'on
diſoit mais rien n'étoit ſi rare à y ren14
MERCURE DE FRANCE.
contrer. Ce mot circuloit dans des milliers
de bouches qui ne s'ouvroient que
pour bailler. Les femmes , ſansy être belles,
y étoient charmantes , parce qu'elles
avoient ſu ſe ſouſtraire aux vieilles loix
qui enchaînoient fortement leur ſexe à la
pratique de quelques vertus paiſibles ,
douces & domestiques . On y rioit de tout
ſans en être plus gai , parce que ce rire em .
helliſfoit quelques bouches , découvroit
quelques dents aſſez blanches , & parce que
ce rire étoit par tout l'expreſſion de la
malignité & de l'envie , plutôt que celle
du plaifir. Le mot d'honneury avoit fait
place à celui des honneurs. Celui de
moeurs faifort pitié. Bagdad enfin,où tout
ſe nommoit divin , exquis , délicieux ,
étort la corruption même.
Ce n'eſt point ainsi que j'en jugeai
Jorſque j'eus perdu mon Mentor . Ma rai
fon trop foible diſparut avec lui comme
il l'avoit redouté. J'oubliai que les plaifis
que m'avoient procurés les deux ou
trois petites actions honnêtes que j'avois
fates fous ſes yeux étoient les plas douces
fenfations que j'euſſe éprouvées , &
qu'elles m'avoient templi , fans orgueil,
de la précieuſe fatisfaction de foi même,
fans laquelle aucun plaifir continu , aucun
bonheur n'existent .
JANVIER 1774 . 15
La femme d'un Emir m'avoit mis à la
mode ; car il n'étoit pas alors queſtion à
Bagdad de l'ancienne & prudente ſépar
ration des deux ſexes. Il n'y eut point de
folies qu'elle ne fit ouvertement & fans
gêne , & auxquelles elle ne m'accoutumât
affez pour me rendre digne d'en faire à
mon tour d'auffi piquantes. Le génie de
ces fortes d'eſcapades eſt d'y joindre quelque
choſe de neuf & de plus impudent
que de coutume ; j'y réuflis à merveille ,
& je fus en peu de tems un des plus jolis
fots de la ville .
:
Au milieu de tout cela pas un mot du
défunt Haſſeim , ou de fa doctrine , dont
la plus petite trace s'effaça dans ma tête ;
car l'indigent me trouvoit fans égards , &
le malheureux ſans pitié.
Quelques années ſe paſfèrent dans le
tourbillon des riens qui m'occupoient
tout entier ; mais je ne fais pourquoi , au
milieu de l'enivrement & des jouillances
variées dont la riante frivolité faifoit mes
délices , je me trouvai peſant & rêveur un
jour en rentrant chez moi. On dira : c'eſt
le funefte ennui ; mais je n'ai garde de le
traiter ſi mal , puiſqu'il produifit ce que
l'on va voir.
Je m'ennuyois donc , parce que j'étois
16 MERCURE DE FRANCE.
avec moi - même , & que c'étoit ( pour
trancher le mot ) affez mauvaiſe compagnie.
Enfin je m'ennuyois & je ne concevois
pas comment je pouvois payer ſi cher
le defir d'être heureux ſans parvenir jamais
à l'être. Et je me levois machinalement
de deſſus mes oreillers entaffés , &
je m'y rejetois de même , & je bâillois ,
& je levois les épaules , & j'étendois les
bras , &je paſſois la main ſur mes yeux ,
&je me relevois encore ſans ſavoir pourquoi;
& j'avois ouvert vingt tiroirs ſans
avoir rien vu de ce qu'ils renfermoient ,
lorſqu'au vingt- unième j'apperçus une
médaille ſur laquelle un habile artiſte
avoit gravé jadis la tête reſpectable d'Haf.
ſeim. O vertueux Haſſeim , m'écriai - je !
& puis je rougis avec grande raifon ; car
lenom ſeul de ce ſage étoit foudroyant
pour moi. Haſſeim ! répétai - je échauffé
par ſon image , Haſſeim ! prends pitié de
ton diſciple indigne.
Quel fut mon étonnement lorſque, ſans
voir perſonne , j'entendis clairement ces
mots: fors &fuis moi. La voix mystérieuſe
me parut avoir gagné mes jardins , &
jem'y précipitai.
La même voix qui me rappeloit celle
d'Haffein ſe faifoit entendre par inter
JANVIER. 1774. 17
valles, toujours en s'éloignant ; & moi de
voler toujours à elle. Son projet étoit de
me fatiguer ſans doute , & elle y réuffit;
car je tombai de laffitude au bord d'un
baffin , où je m'endormis bientôt.
Est-ce un rêve que ce que je vais conter
? Est-ce une viſion telle qu'en eutjadis
le ſage Lokman ? J'oferois le ſoupçonner
ſi j'eufle été auſſi digne que lui de certe
faveur des Cieux; mais tout ſe peint encore
à mon imagination comme un événement
ſenſible & comme une réalité.
Quoi qu'il en ſoit, je me ſentis tranfporté
par les airs dans une ille qui offroit
aux yeux tout ce que la Nature a de plus
noble & de plus beau dans ſa fublime
ſimplicité. J'y fus pénétré de ce reſpect
qu'impoſe la route ſacrée des temples de
l'Eternel . A peine le nuage qui me defcendit
mollement dans ce ſéjour s'éloigna.
t'il de moi , que j'apperçus l'ombre d'Haffeim.
Mon front toucha auſſi tôt la terre,
&ce ne futqu'en tremblant que je prononçai
fon nom.
Azor , relève toi , me dit- il , & daigne
m'écouter pour la dernière fois. Je vais
te faire connoître les inviſibles habitans
de cette iſle juſqu'à préſent inconnue &
inacceſſible à tout autre mortel que toi ;
18 MERCURE DE FRANCE .
c'eſt l'iſle des Ames. Ne te défie point de
ton vieil ami ; tu fais qu'il ne trompa ja
mais perſonne.
LesAmes ? lui dis-je avec plus de confiance
depuis qu'il m'avoit parlé de notre
ancienne amitié , quoi donc, reſpectable
Haffeim , eſt- ce ici le magaſin des Ames
que la Providence répand chaque jour fur
la furface de la terre? Non , me répondit
mon ſage; ce ſont celles qui ont déjà habité
des corps qui exiftent encore, & dont
l'incompatibilité avec leurs enveloppes
groſſières , leur a fait obtenir d'êrre ſéparées.
Elles attendent en ce lieu d'exil que
la deſtruction de leur demeure les rappelle
au ſein de la Divinité dont elles
font émanées . Je ne vous comprends
point , Haſſeim. - Je le crois.
Vous vous figurez peut être avoir encore
la vôtre ? Elle eſt ici : je vais vous conduire
au quartier des Ames de Bagdad ,
&vous pourrez la reconnoître parmi celles
de preſque tous vos compatriotes. -
Mais comment ſe pourroit- il ? -Je vous
entends , Azor ; vous ne concevez pas
qu'un corps privé de ſon ame puiſſe exifter
, & moi j'aurois peine à comprendre
que le maître d'une maiſon , dont on mépriſeroit
fans ceſſe les avis & qu'on trai-
-
JANVIER. 1774 19
teroit comme un vil ſubalterne , pûry der
meuter long-temps : enfin , que des êtres
ſpirituels fuſſent toujours enchaînés dans
des cachots ſi peu dignes d'eux. Mais ,
Haſſeim, tous mes compatriotes penſent,
réfléchiffent.-Azor, ne dégradez point la
penſée , cet exercice profond deseſprits ;
elle n'eſt telle que par les objets qui l'oc
cupent. -Difcuter , combiner , analyſer
des frivolités , c'eſt plutôt agir que penſen.
Ecoutez moi , vous dis-je ; voici le myf
tère : c'eſt que l'ame indignée de ſes fers,
lorſqu'elle obrient du grand Etre la faveur
de les brifer , eſt obligée de laiffer
la plus mince ſuperficie d'elle-même, une
pellicule (s'il eſt permis de s'expliquer
ainfi ) un atome , une ſcorie mille fois
plus légère que celles qu'on voit ſurnager
fur les méraux en fuſion : & voilà tout ce
qui reſte à vos concitoyens , à vous-même,
& ce qui fuffit au - delà pour toutes les
opérations intellectuelles que vous leur
ſuppoſez; car il ne faut preſque que des
ſens pour tout ce qu'on leur voit faite.
Venez , venez , ajouta-t'il , dans le quartier
de Bagdad , & ce que je vous dis vous
paroîtra démontré. Il faut vous dire encore
que ces ames font obligées de ſe
repréſenter de temps en temps dans
20 MERCURE DE FRANCE.
leurs cages , pour voir ſi elles s'y trouveront
mieux , & c'eſt delà que viennent les
ſynderèſes , les remords , les inquiétudes
&les ennuis : mais , lorſqu'elles jugent
qu'elles font toujours parfaitement inutiles
, elles revolent ici. Nous ſommes préeiſément
au moment de leur retour; ne
dites mor, & écoutez . ?
Arrivé en effet fous un boſquetde myrtes&
d'orangers avec mon conducteur ,
&ne voyant rien , j'entendis diſtinctement
ce que je vais tranſcrire ici.
Première Ame. Sommes - nous encore
ennombre égal ? Quelqu'une de nous eſtelle
reſtée ?
Deuxième Ame. Pas une à Bagdad ; &
deux , je crois , à dix milles de la ville .
Première Ame. C'eſt bien peu. Et ton
Satrape, comment t'a-t'il reçue ?
Deuxième Ame. Indignement , à fon
ordinaire. Plongé dans la fange de ſes
ſens , je l'ai trouvé combinant de nouveaux
moyens d'engloutir , s'il le peut ,
par la faveur dont il eſt honoré , les immenſes
tréſors de Giaffar.
Première Ame. Cela ne ſera pas aifé ;
car ils ſont ſous une triple clé.
Deuxième Ame. Tu fais que l'avidité
trouve le ſecret d'arracher des Soudans ce
qu'ils n'aiment pas à donner.
JANVIER. 1774. 21
(
Première Ame. Pourſuis .
Deuxième Ame. Sa maiſon étoit pleine
de gens auxquels il devoit& qui ne remportoientrien
, tandis que d'autres apportoient
des monceaux d'or pour acheter les
injuſtices qu'ils venoient folliciter. Je me
fuis fait entendre un moment ; il s'eſt
mépriſé d'être aſſez foible pour balancer
à ſe ſatisfaire. J'ai fui , comme je ferai
toujours. Et toi - même , tu n'as pu reſter
chez ton Bonze ?
Première Ame. Où voulois - tu que je
priſſe place entre l'Hypocriſie & le Défordre
? Il ne changera pas plus que ton Satrape
, & nous ſommes ici pour longtemps.
: Pluſieurs Ames enſemble. C'eſt précisé
ment mon hiſtoire .
Première Ame. Le maſque de l'hypocriſie
s'incruſte par le temps dans la peau,
&ne peut plus tomber. Quand on a oſé
tromper la Divinité , il en coûte ſi peu
pour tromper les hommes , & le métier
eſt ſi utile , qu'on n'en change point.
Conduit par Haſſeim un peu plus loin,
j'entendis un cri qui m'étonna. O Ciel !
dit une voix , c'eſt Azor qui me pourſuit,
&que lui importe de me rencontrer ?
22 MERCURE DE FRANCE.
M'a-t'il ſeulement écoutée une minute ?
La voilà , me dit mon fage ; c'eſt votre
ame , c'eſt elle-même que vous épouvantez.
Ah! pardon , m'écriai - je , pardon ,
Fille augufte du Ciel ; ah ! daignez rentrer
dans mon fein : je le rendrai digne de
vous ; je le ſens au tranſport qu'excite en
moi votre prefence .
Ingrat Azor , répondit la voix , tu ſentois
autrefois ces tranſports ; mais depuis
que tu m'as forcée de te quitter.. Reviens ,
reviens mon ame , repris je : Halfeim &
vous , m'inſpirez tous deux; vous m'avez
changé pour jamais , j'en jure par tọi mê.
me... A ce mot la voix ne fe fit plus entendre
, & je me fentis échauffé intérieurement
du zèle que donne la vertu, mon
ame avoit quitté les compagnes , & je
crus la poſſéder au moment où mon chet
Haffeim membraſſa avec tendreffe.

1
En avançant quelques pas nous enten
dîmes une foule d'ames qui s'entrete
noient des paiſibles,foins du ménage &
dela tendreſſe conjugale , du bonheur
d'élever de jeunes créatures , qui preſque
toutes , apportent en naiffant le beſoin &
l'inftin& d'imiter , & auxquelles il eſt ſi
néceſſaire par conféquent de n'offrir que
de bons exemples . Vous les reconnoiſſez
bien, me ditHafeimui : ce font
JANVIER . 1774. 23
les ames du plus grand nombre des femmes
de Bagdad. -Elles nous épargnent
par cet entretien modeſte bien des détails
contraires qui vous auroient amufé. -
Vous me croyez encore le même ; je ſuis
changé , vous disje . -Je vous en féli
cite; en ce cas là vous ne regretterez
rien.
L'amour de la patrie étoit plus loin le
ſujet d'une converſation touchante , & je
reconnus les ames de plus d'un chef de
nos Spahis. Cette héroïque vertu que
nous inſpirions , dit l'une d'elles , s'eſt
donc évanouie ? L'Intérêt , ce bas ennemi
de la Gloire , eſt donc venu ſe mettre inſolemment
à ſa place ? O mes foeurs ! la
baſe de tout ce qu'il peut y avoir de grand
&d'élevé parmi les hommes n'exiſte
plus: ce font les moeurs ; fans elles tout
périt & ſe dénature. Qui les rappellera
donc ces moeurs ſi eſſentielles à la ſûreté &
au bonheur des Etats ?
: J'entendis enſuite les ames de ceux
qui dans Bagdad , étoient alors chargés de
la perception des revenus de l'Etat. Elles
gémiſſoient de la dureté de ceux qu'elles
avoient été deſtinées à animer. Il n'eſt
plus d'eſpérance pour nous , diſoit l'une ;
leur gloire eſt attachée à la découverte
d'un nouveau ſyſtême de vexation. Re
24
MERCURE DE FRANCE.
commandez - leur un homme honnête &
droit ; vous les verrez plier de dédain
leurs larges épaules . Oh qu'ils ſavent bien
ſe paſſer de nous ceux- là !
À quelque diſtance étoient d'autres
ames que je reconnus au ſtyle élégant, pathétique
& fleuri. C'étoient celles de ces
hommes chargés d'étendre les connoifſances
humaines. Relâcher chaque jour
quelqu'un des liens de la ſociété, diſoit
une ame en ſoupirant , eux qui devroient
les refferrer par l'exemple &par leurs difcours
! O ma ſoeur , diſoit une autre , ôrer
l'amitié pure & douce du milieu des hommes
! quelle barbarie ! traiter tous les devoirs
de conventions locales & momentanées
! quelle ignorance ! Nous méconnoître
, diſoit une troiſième , nous affervir
aux loix de notre ennemi , aux chaînes
mépriſables du corps , nous, mes foeurs ,qui
exiſtons aujourd'hui loin d'eux ! Vouloir
expliquer tout , rendre compte de tout ,
croire qu'on s'eſt glitſé dans le ſanctuaire
du Très- Haut pour y ſurprendre ſes ſecrets
, diſoit une quatrième , quelle préſomption!
quelle ſotiſe! Et s'attaquer à
la Divinité même , s'écrivit une cinquième
, quelle démence & quelle fureur !
Je me portois vers d'autres grouppes,
quand
JANVIER. 1774. 25
quand tout à coup , fur le bord du même
baffin où j'étois tombé de fatigue , j'ouvris
les yeux , & ne vis plus que mes jardins
; mais tout ce que je venois de voir
étoit auſſi préſent à ma penſée , que ſi ces
objets avoient encore été devant moi .
Des malheureux étoient à ma porte
lorſque j'y arrivai . Je les fis entrer ; je les
embraſſai ; je voulus moi- même les arrofer
de parfums , & je les fis mettre à ma
table. Ah ! me dis- je intérieurement , ce
n'eſt point un rêve ; je fais du bien , je
goûte du plaiſir à le faire ; mon ame s'eſt
vraiment réunie à moi , & je ne veux jamais
qu'elle s'en ſépare .
Depuis ce temps je m'interroge tous les
jours pour ſavoir ſi je n'en ſuis pas réduit
à la foible pellicule ou à la ſcorie de mon
ame. Le deſir conſtant &voluptueux d'être
utile à mes frères , que je conſerve ,
m'eſt un garant qu'elle n'habite plus l'iſſe
où le ſage Haſſeim me la fit rencontrer.
Puiffent mes concitoyens , en appelant à
leur fecours le fage Haſſeim , en recevoir
le même bienfait que moi , & n'être pas
long - temps encore la plus lâche partie
d'eux-mêmes!
Par M. B....
I. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE .
VERS fur la mort de M. le Marquis
de Chauvelin .
IOIN de moi le froid délire
Qu'enfante le dieu des vers !
Venez accorder ma lire ,
Noirs ſoucis , regrets amers !
Sur les cordes gémiſſantes ,
Mes mains s'égarent , tremblantes :
Coulez librement mes pleurs !
Ledéſordre de ces rimes ,
Mieux que des accens fublimes ,
Saura peindre mes douleurs .
O! quelle ſcène cruelle
Pour les regards de ton Roi ,
Quand le Temps, ouvrant fon aîle,
Eſt venu fondre ſur toi !
Tu diſparois , ſans attendre
Que l'épouſe la plus tendre
Ferme tes yeux de ſa main !
Ainſi tomberoit en poudre
Le convive que la foudre
Eût frappé dans un feſtin.
Il meurt , ce héros aimable !
Ma joie expire avec lui :
Dema mule inconfolable
Il fut la gloire & l'appui.
JANVIER. 1774. 27
Il meurt ! & l'homme inutile
A vu vieillir ſon argile ;
Sur lui s'entaſſent les ans ;
, Et la terre qui l'oublie
A trois fois , pendant ſa vie ,
Reproduit ſes habitans !
Non ; tu vivras : ton image
Reſpire au fonds de nos coeurs :
Elle y peint les traits d'un lage
Dont l'eſprit ornoit les moeurs.
Tu fus chéri de ton maître ;
Il avoit ſçu te connaîtte ;
Son choix fut juſtifié :
Conti t'aimoit : ſur ta cendre
Onvoit ce Prince répandre
Les pleurs dûs à l'amitié.
Ah ! fi ton ombre célèbre
Eft ſenſible à mes accords ;
Si cet éloge funèbre
Peut te flatter chez les morts ;
Plein du bienfaiteur que j'aime ,
Je viens , ſur ſa tombe même
Chanter ſes mâles vertus ;
Et, ſûr de tous les fuffrages ,
J'offre, en pleurant , mes hommages
Au grand homme qui n'eſt plus.
Par M. Leonard.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
AMadamela Marquise de Fits-James.
CIEIELL propice à mes voeux , j'adore tes décrets ;
Tu répands à ton gré res tréſors ſur la terre.
Il eſt né , cet enfant doué de tes bienfaits ;
Lagloire en ſoit rendue au Maître du tonnerre !
:
Acet inftant heureux Lucine a préſidé.
Ce préſage eſt flatteur ſous ſes chaſtes auſpices .
Couple chéri des Cieux , il fera vos délices ;
Les Dieux , dans leur conſeil , l'ont ainſi décidé.
Tel un aſtre nouveau paroît dans l'atmosphère ,
Et fixe les regards du mortel étonné ;
Tel je le vois briller , ce nouveau Dieu-donné ,
Aux acclamations de tout notre hémisphère.
Croiſſez , fils de Héros , ſous l'aîle des Amours ;
Suivez de vos ayeux le triomphe & la gloire ;
Déjà la Renommée , annonçant vos beaux jours ,
Amarqué votre place au temple de mémoire.
Miroir de la ſageſſe & de la bienfaiſance ,
Immortelle Biſly , j'admire vos vertus !
Heureux , ſi vous jetez un oeil de complaiſance
Surmon profond reſpect ! Que ſouhaiter de plus!
Nos neveux le diront à la poſtérité :
Vive l'auguſte fruit d'une illuſtre alliance !
JANVIER. 1774. 29
Noble ſang de Berwik ! nom ſi cher à la France !
Le terme de ta gloire eſt l'immortalité.
Par M. J. B. Humbert , de Besançon.
RONDEAU .
A Madame *** , jouant le rôle de la
Servante Maîtreſſe.
Vou ous voir & vous aimer , Zerbine,
C'eſt même choſe , à mon avis .
Telle ſoubrette a bien la mine
D'être la maîtreſle au logis.
En vous tout plaît , tout intéreſle;
Votre voix , vos gentils diſcours ;
Oui , Zerbine , on voudroit toujours
Vous voir.
Ah! qu'une ſcène de tendreſſe ,
Oùdans mes bras je vous tiendrois!:
Où tête- à- tête j'oſerois ! ... :
C'eſt- là , c'eſt- là que je voudrois
Vous voir.
Par M. Levrier de Champ-Riond.
Biij
:
301 ERC URE DE FRANCE.
U
LE CHAR & LE CHIEN.
Fabie.
N pauvre Chien ſans maître , hargneux ,galleux
, crotté ,
Faute de meilleure pâture ,
Rongeoic , parmi des tas d'ordure ,
Près d'une borne , un os que l'on avoitjeté.
Près de lui pafle un char ou brilloit la richeſle .
Il effleuroit à peine les pavés ,
Tant il voloit avec vitelſe,
Tiré par fix chevaux en Eſpagne élevés.
Voilà t'il pas cette chetive bêre.
Qui le met ſoudain dans la têre
T
7
De quitter ſa borne & fon os ,
Puis de courir après Puis de faireuntapage,
Des cris , des hurlemens à troubler le repos
De tous les gens du voisinage!
Ses yeux étincelans ont l'air de menacer :
Il grince des dents , jappe , jure :
Ondiroit qu'il veut terraffer
Et les chevaux & la voiture .
ز
Le conducteur du char , d'ailleurs aflez courtois ,
Sur ſa vilaine peau lui détachoit par fois
Quelques légers coups d'étrivière ,
Non par mouvement de colère ,
Mais ſeulement pour l'obliger ,
JANVIER. 1774. 35
Crainte de pis , à ſe ranger;
Ce qui l'animoit davantage.
Quelques autres gredins admiroient fon courage ,
Et de la voix l'enhardiſſoient.
Maisd'autres gens , qui mieux s'y connoiſſoient ,
S'entrediſoient : ce chien a peut - être la rage ;
Et je crois qu'il ſeroit prudent
De l'aſſommer , de crainte d'accident.
S'il eût été de race cavaline ,
Ne fût- il que porteur de choux ,
On auroit dit : c'eſt un tranſport jaloux
Qui le tourmente & le lutine :
Il enrage de n'être pas ,
Ainſi que ces courſiers , bien ſoigné , gros &gras.
Mais un gredin hargneux , propre à rien, ſale ,
immonde !
C'eſt ce qui ſurprenoit le monde.
Enfin il en fit cant : tant paſſa , repafla
Autour du char , qu'il fut ſaiſi par une roue ,
Qui dans le ruiſſeau l'écraſa.
Il avoit vécu dans la boue ,
Il y mourut. Son corps , dit - on ,
D'être écorché n'eut pas même la gloire ,
Etſa peau n'étoit propre à rien du tout de bon .
Ceci me rappelle l'hiſtoire
De ce pauvre Monfieur Damon.
Biv
32
MERCURE DE FRANCE.
VERS à Mademoiselle Fanni , de Tours ,
auteur de l'énigme inférée dans le Mercure
de Novembre , dont le mot est la
Senſibilité.
TENDRI Fanni , votre énigme charmante ,
En amuſant l'eſprit , intéreſſe le coeur.
Plus je la lis , plus ſa grâce touchante
Me force d'en aimer l'auteur .
Dans cette énigme ingénieuſe
J'aurois ſeulement ſouhaité
Qu'une ombre plus myſtérieuſe
Eût entouré le mot de ſon obſcurité.
Dece léger défaut la cauſe eſt bien viſible ,
Souffrez qu'on vous la diſe avec fincérité ,
Ce n'étoit pas un coeur ſenſible
Qui pouvoit déguiſer la ſenſibilité.
Par Mde Aubri.
JANVIER. 1774. 33
DIALOGUE
Entre MARIVAUX & Mademoiselle
DE SCUDERI.
Mile ScUDERI .
Je cherche depuis plus de cent ans les
Héros que j'ai célébrés ; Cyrus , Mandane,
Clélie , & je ne trouve rien ici qui leur
reſſemble.
MARIVAUX.
Je ne cherchois pas mon Payſan parvenu,&
je viens de le rencontrer.
Mile SCUDERI .
Et vous l'avez reconnu d'abord ?
MARIVAUX .
Je l'avois ſi bien étudié pour lepeindre,
que je ne craignois pas de méconnoître
mon original .
J'ai bien rencontré un homme qui porta
fur terre le nom de Cyrus , une femme
qui s'appela Mandane , une autre qui ſe
nommoit Clélie ;je n'ai point reconnu en
:
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
eux les perſonnages que j'ai voulu peindre.
Cyrus ne fut qu'un brutal , Mandane
qu'une orgueilleuſe,& Clélie qu'une coureuſe
d'armée.
ARIVAUX .
Je doute qu'ils ſe reconnoiſſent mieux
dans vos ouvrages que vous ne les avez
reconnus ici.
Mlle SCUDERI .
Je les peignois tels queje voulois qu'ils
fuflent.
MARIVAUX .
Je peignis mes Héros comme je les
ſoupçonnois d'être .
Mile SCUDERI .
Et vous avez écrit des romans ?
MARIVAUX .
Oui ; & j'oſe dire avec quelque ſuccès.
Mile SCUDERI
Si le ſuccès prouvequelque choſe, je ne
dois porter envie à perſonne. On lut mes
romans,&, vu leur étendue , c'étoit les approuver
que de les lire.
JANVIER . 1774 . 35
MARIVAUx.j
Je ne mis point mes lecteurs à de ſi lon.
gues épreuves ; je n'écrivis pas même pour
toutes fortes de lecteurs. Quelques uns
m'accusèrent d'être trop recherché dans
mes tours , dans mes expreſſions , dans
mes idées. Je l'euſſe été moins il y a un
ſiècle . Il a fallu apprendre à lire au Public
avant que de lui apprendre à penſer .
Mlle SCUDERI.
Je lui épargnai toujours ce dernier ſoin :
il n'y a peut-être pas dix penſées dans mes
cinquante volumes de romans .
MARIVAUX .
Cetuſage a ſa commodité pour certains
lecteurs , & pour l'auteur qui veut enfanter
cinquante volumes. Je compare ces
Ecrivains à ce Général, qui n'ayant qu'une
petite troupe , la fit repaſſer tant de fois
ſous les yeux de l'ennemi , qu'on lui crut
une forte armée.
Mile SCUDERI .
Cette invention a fon mérite , & j'efpère
que vous ne me diſputerez point celui-
là.
• Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
MARIVAUX .
Je ſerois plutôt enclin à vous le reprocher.
Paſſez -moi cette expreſſion . Les politeſſes
d'uſage dans l'autre monde ſont
ignorées dans celui - ci. Les deux ſexes
n'ont plus le même motif ni de ſe rechercher
, ni de ſe ménager. L'ame retrouve
ſa franchiſe en perdant ſon enveloppe
terreſtre. Vous eûtes beau jeu pour être
encenſée ; vous étiez femme & bel- efprit.
Mile SCUDERI .
Oui ; mais j'étois bien laide.
MARIVAUX .
Vos lectrices n'en furent que plus indulgentes.
La beauté eſt l'avantage qu'ambitionnent
le plus les femmes. Ne leur
diſputez point celui-là ; elles vous pardonnent
facilement les autres .
Mile SCUDERI .
Vous ne me parlez pasdes hommes.
MARIVAUX.
Je ſuis encore mieux en fondspour vous
les peindre. L'homme eſt auſſi indulgent
pour vous qu'il l'eſt peu pour ſes pareils.
4
JANVIER. 1774.
37
La beauté le ſubjugue ; & , lors même
qu'elle vous manque , le nom de femme
lui en impoſe encore. Il faut qu'une femme
ſoit bien mal adroite pour ne plaire à
perſonne. Vous voyez combien cet aſcendant
naturel peut vous ſervir dans toutes
vos entrepriſes . Celle d'écrire eft pour
vous la moins épineuſe. Le ſuccès d'un
auteur eſt bien préparé, quand ſes lecteurs
font profeſſion d'être indulgens.
Mile SCUDERI .
Les miens le furent , je l'avoue. On
me furnomma même la Sapho de mon
fiècle. Mais je penſe que ſije l'enfle imitée
en tout point , j'aurois trouvé plus
d'un Phaon .
MARIVAUX .
Ne trouvates - vous pas dans Péliſſon
un Bergerfidèle & conftant ?
Mile SCUDERI ..
Péliffon fut encore plus maltraité que
moi par la Nature ? Nous nous aimions
ſans craindre ni les rivales , ni les rivaux.
MARIVAUX. :
La conſtance de votre ame ſe manifeſte
juſques dans vos ouvrages. Comment
38 MERCURE DE FRANCE.
pûtes-vous finir ces romans ſi volumineux?
Mile SCUDERI .
Comment n'achevêtes-vous point les
petits romans de Marianne & du Paysan
parvenu ?
MARIVAUX .
C'eſt qu'il m'a toujours paru très inutile
de finir un roman .
Mlle SCUDERI .
Eh ! pourquoi ?
MARIVAUX.
Par la raiſon qu'ils finiſſent tous par un
mariage , & qu'on pourroit charger le premier
notaire du ſoin d'arranger le dénouement.
Mile SCUDERI.
Il faut bien renvoyer le lecteur fatisfait.
MARIVAUX .
Je doute qu'un mariage ſoit toujours
propre à le fatisfaire,
Mile SCUDERI.
On ne m'accufera point de bruſquer la
4
JANVIER. 1774. 39
concluſion. Je fais parcourir à mes héros
toute la carte du pays du Tendre , & je
les fais long- temps ſéjourner dans les cantons
les moins habitables .
ARIVAUX.
Ce n'étoit plus la peine de les en faire
fortir. On ne conçoit pas comment, après
de ſi rudes épreuves, il leur reſte encore
affez de force pour conclure.
Mile SCUDERI .
Eh! voilà ce qui dut vous paroître admirable
. Eft - il fort aisé , ſelon vous ,
d'empêcher ſi long-temps des héroïnes
d'être foibles ?
MARIVAUX.
Onne vous en croit pas , vous dis-je.
De plus , vos Héros font toujours hors de
la nature : leurs faits font auſſi incroyables
que leurs fentimens ; leurs aventures auffi
romaneſques que leurs diſcours.
Mile SCUDERI .
C'eſt ce qu'il falloit au Public de mon
temps. L'eſprit humain ſe trouvoit encore
parmi nous à fon berceau , &je traitois
mes lecteurs comme des enfans qui
40. MERCURE DE FRANCE.
s'endorment quand on leur parle raiſon ,
& qui ne s'éveillent qu'au récit des fables.
MARIVAUX .
Mais falloit- il choiſir pour les héros
d'une tendreſſe éternelle des hommes qui
avoient tant d'autres chofes à faire ?
Mile SCCUUDDEERI.
Il me falloit de grands noms , &je
prisceux qui me tombèrent ſous les mains.
Ne puis je pas , à mon tour , vous demander
pourquoi vous choisîtes des héros
fifubalternes?
MARIVAUX.
Pour me rapprocher de la nature&de la
vérité.
Mlle SCUDERI.
On vous reproche d'avoir porté cette
imitation trop loin. Si les figures de mes
tableaux font trop grandes , les vôtres,
ſont le plus ſouvent trop petites.
MARIVAUX.
Il eſt des tableaux de différent genre ,
& plus d'un grand peintre a égayé une
compoſition noble par quelques figures
groteſques.
:
JANVIER . 1774. 41
Mlle SCUDERI .
On vous reproche auſſi d'avoir peint la
Nature plutôt comme vous crûtes la voir
que comme on la voyoit généralement .
MARIVAUX.
Peut- être ai-je rectifié cette manière
générale de voir. J'ai fait plus d'une re-,
cherche ſur le coeur humain . L'on n'avoit
guères étudié juſqu'alors que ſa ſuperficie :
j'en fondai l'intérieur , j'en développai
tous les replis ; j'analyſai ſes penchans ,
ſes foibleſſes , ſes travers , ſes vertus. Je
diſtinguai les nuancesdes ſentimens &des
paſſions. J'en ſaiſis les traits imperceptibles
pour tant d'autres. Cette recherche ,
minutieuſe en apparence , donne à mon
ſtyle un air minutieux ; mais cette recherche
n'en fut pas moins utile. Les petits
écarts font la monnoie du coeur ; il eſt
rarement affez riche pour faire une autre
dépenſe.
Mile SCUDERI .
Puis -je vous demander ſi votre monnoie
s'accrédita aiféinent ?
MARIVAUX.
On la crut d'abord de mauvais aloi .
42 MERCURE DE FRANCE.
Le tems ſeul parvint à lui donner cours .
Parlons plus naturellement. Chaque fuccès
qui me couronna eut d'abord toute
l'apparence d'une chûte. Je ne jouis de ma
gloire qu'après avoir craint la honte. On
m'accordoit moins les ſuffrages qu'on ne
ſe les laiſſoit arracher. Il ſembloit que je
parlaſſe une langue nouvelle à mes lecteurs
, & qu'ils ne puſſent m'applaudir
qu'après l'avoir étudiée.
Mile SCUDERI
Je doute qu'on entendit mieux mon
langage il y a cent ans ; mais j'étonnai par
les faits; & le merveilleux aura toujours
bien du pouvoir ſur le plus grand nombre
des hommes.
MARIVAUX .
C'eſt pour cela que mes nuances furent
moins accueillies que vos portraits exagérés.
L'orgueil de notre eſpèce y contribua
; un Nain voudroit ſe contempler
peint en Géant. Mais l'orgueil a beau
faire; il faut toujours en revenir au toiſe
de la Nature : il faut toujours peindre la
Nature , ſi nous voulons qu'elle-même ſe
reconnoiffe dans nos portraits.
Par M. de la Dixmerie.
JANVIER . 1774 . 43
SONNETS DE PETRARQUE ..
Loda il Cardinale Colonna .
GLORIOSA Colonna , in cui s'appogia
Noſtra ſperanza , e'l gran nome latino ,
Eh' ancor non torſe dal vero cammino
L'ira di giove per ventoſa pioggia ;
Qui non palazzi , non teatro , o loggia ,
Ma in lor vece un abere , un faggio , un pino
Trà l'herba verde , e'l bel monte vicino ,
Onde ſi ſcende poëtando , e poggia ,
Levan di terra al ciel noſtr' intelletto :
E'l roſſignuol , che dolcemente all'ombra
Lutte le nolti ſi lamenta , e piagne ,
D'amoroſi penſieri il cor ne ingombra.
Ma tanto ben ſol tronchi , e fai imperfetto
Tu , che da noi , Signor mio , ti ſcompagne.
Il loue le Cardinal Colonne , & lui témoigne
le regret de le quitter.
vous qui ſoutenez l'honneur de l'Italie ,
Glorieuſe Colonne où notre eſpoir s'appuie ,
Que n'ébranla jamais l'inutile courroux
:
44 MERCURE DE FRANCE .
Du Ciel ſouvent injuſte & du deſtin jaloux ;
Les ſuperbes jardins , les palais magnifiques
Qui portent dans les airs l'orgueil de leurs portiques;
Des théâtres mondains l'aſpect licentieux
N'ont point droit d'élever notre ame juſqu'aux
cieux.
L'aſpect touchant de la Nature ,
Un vénérable chêne , un lugubre ſapin ,
Des prés fleuris , une jeune verdure ,
Un humide vallon au pied d'un mont voiſin ;
Voilà les doux objets dont mon ame eſt ſaiſic :
C'eſt - là qu'errant & tranſporté,
Je me livre avec volupté
Aux charmes de la poëſie.
Le roſſignol , ſoit qu'il chante ſes feux
A l'ombre d'un épais feuillage ,
Soit qu'il trouble la nuit par ſon tendre ramage,
Fait paſſer dans mon coeur ſes defirs amoureux .
Mais de chercher ces biens vainement je m'em-
*
preffe;
Voul ſeul m'empêchez d'être heureux.
Je vais partir & je vous laiſſe.
QUABANNDD'io veggio dal ciel ſcender l'aurora
Con la fronte di roſe , e co' crin d'oro ,
*Petrarque fit ce ſonnet après la mort de Laure.
:
JANVIER. 1774. 45
Amor m'aſſale : ond'io mi diſcoloro ,
Edico ſoſpirando , ivi è Laura ora.
O felice Titon ! tu ſai ben l'ora
Da sicouvrare il tuo caro teſoro :
Ma io chedebbo far del dolce alloro ?
Che ſe'l vo' riveder , conven ch'io mora.
I voſtri dipartir non ſon ſi duri ,
Ch' almen di notte ſuol tornal colei ,
Che non ha à ſchifo le tue bianche chiome :
Le mie notti fa triſte , e i giorni oſcuri ,
Quella , che n'ha , porlato i penſier mici ,
Nè di ſe m'a laſciate altro che ' l nome.
Il regrette Laure , &fe compare à Titon.
Lorsque ORSQUE ſur ſon chat lumineux
Je vois la diligente aurore
:
Lever de ſes beaux doigts le voile obſcur des
cieux,
L'amour qui me pourſuit encore
Avec le jour ramène ma douleur.
Je ſoupire , & je dis , en changeant de couleur :
Voilà donc le ſéjour de Laure !
Que ton deſtin a de douceur ,
Titon ! De ton tréſor paiſible poſlefleur ,
Tu peux attendre en aſſurance
Lemoment qui de ton bonheur
1
46 MERCURE DE FRANCE.
Renouvelle la jouiſſance.
Mais , pour moi , dans mon déſeſpoir ,
Ce n'est qu'en finiſlant ma vie & ma ſouffrance
Qu'il m'eſt permis de la revoir.
:
Vos tranquilles adieux vous cauſent moins de
peine:
Lejour te l'enlevoit ; la nuit te la ramène.
Elle aime ta vieilleſſe ; elle reſpecte en toi
Ces cheveux que le Temps a blanchis ſous ſa loi.
Hélas ! cette Beauté , l'objet de ma tendreſſe ,
Me fait gémir la nuit , me fait gémir le jour ;
Elle emporte mes voeux ,&la mort ne me laifle
Que ſon beau nom & mon amour
EPITRE fur l'Eloquence du Barreau.
A M. d'Albertas , Avocat- Général du
Parlement de Provence.
Lorsqu'un Dieu charmantt'environne
De fleurs que tu pourrois cueillir ,
On te voit jaloux de courir
Aux travaux que Thémis ordonne ,
Et, pour les arrêts qu'elle donne ,
Quitter le code du plaiſir ;
Ainſi le ſage ſait unir
Lesjeux à la philioſophie ,
Et faire de l'art de jouir
JANVIER . 1774 . 47
L'art d'être utile à ſa Patrie :
Elle a tes veux & ton ferment :
Je l'en félicite , & vraiment
Les malheureux , de leurs alarme
Verront le terme confolant ;
Ton éloquence les défend
Et ton père ſèche leurs larmes.
Mais c'eſt à toi d'examiner
Pourquoi dans la brillante ſphère
Où tu pourras un jour régner ,
Aujoug le laiſſant enchaîner,
Notre éloquence minaudière
Se contente de raiſonner ;
Pourquoi notre barreau ſévère
N'adinet point le ſentiment.
En flattant l'eſprit on peut plaire.
Qui parle au coeur eſt éloquent .
Patru correct , pur , élégant ,
N'a jamais rien qui nous anime ;
Sous le compas & ſous la lime
Son plaidoyer devient glaçant.
Bien moins orateur que ſavant ,
Le Maiſtre creuſe dans l'abyme
Des auteurs qu'il cite ſouvent ;
Son feu leglace en ſoulevant
Le fardeau dont il nous opprime.
Cochin eſt précis , conféquent ;
Mais Cochin n'oſe être ſublime.
D'Agueſſeau charme à tout moment ,
48 MERCURE DE FRANCE .
Sa voix fait aimer la juſtice :
Toujours il attaque le vice;
Mais jamais il n'eſt vehement.
C'eſt Jupiter lorſqu'il annonce
Aux dieux aſſemblés ſon deſſein ;
Mais non lorſque , la foudre en main
Il dicte fes loix , les prononce
Pour effrayer le genre humain .
C'eſt la méthode qui fit naître
Cet art qui glace le talent ,
Et qui, voulant toujours paraître,
A fait un eſclave d'un maître ,
Et d'un Hercule un foible enfant.
Mais , dira -t'on , fi la logique
De l'éloquence pathétique
N'eût borné le pouvoir trop grand ,
Du ſentiment les vives flammes
Desjuges égarant les ames ,
On eût vu périr l'innocent
Et le coupable de ſes trames
N'eût point reçu le châtiment.
On croit cetteadreſſe trompeuſe ,
Et l'on ne redoutera pas
Les yeux d'une ſolliciteule
Au teint vif, aux brillans appas ,
Qui, d'un coup-d'oeil ou bien d'un geſte,
Brouillant le code & le digeſte ,
Fait mentir Barthole & Cujas,
En
JANVIER 1774 49
En vain , repouflant l'artifice ,
Ledroit eſt dans le plus beau jour ;
On I élude par un détour ,
Etle bandeau de la Juſtice
Eſt ſouvent celui de l'Amour.
Mais la loi , fiere ſouveraine ,
Regne bien mieux dans nos arrêts
Qu'en ceux de Rome, où, foible Reine,
Elle cédoit à ſes ſujets ,
Où des Préteurs , à leurs ſouhaits ,
Répandoient la grâce & la peine ,
Où des orateurs indiſcrets
Faiſoient , ſuivant leurs intérêts ,
Pencher la Majeſté Romaine.
Oû fuis-je ! mon oreille entend
Ce Cicéron & redoutable
Par ſa haine& par ſon talent :
Un de ſes amis eſt coupable ;
Sa voix fait le rendre innocent,
Et ſes ennemis qu'il accable
Traînent l'opprobre en gémiſſant.
Je vois toujours l'homme éloquent
Et rarement l'homme équitable ;
Mais il faudroit en imiter
Ce pathétique dont l'empire
Etonne , touche & fait dompter
Le plus obſtiné qui l'admire.
La vertu n'eſt point dans l'eſprit.
I. Vol. C
:
.
50 MERCURE DE FRANCE.
Le philoſophe la décrit ;
Mais c'eſt l'orateur qui l'inſpire.
Alors que le juge eſt inſtruit ,
Il faut que le diſcours l'enflamme :
Au vrai la raiſon nous conduit ;
Le ſentiment le met dans l'ame ;
Mois où peut- il mieux dominer
Qu'en ce pays de la faillie ,
Oùl'Amour ne ſemble régner
Que pour être dieu du génie.
C'eſt ſous notre ciel embaumé
Des parfums que Zéphire exhale ,
Que le coeur toujours animé
Peut lancer le dardenflammé
D'une éloquence vive & mâle ,
Et dans ce Sénat où Duvair,
Deſcendant des plaines de l'air ,
Vole& voit avec complaifance
Ton père tenir la balance ,
Quijadis illuſtra ſes mains..
Quels hommes ,réglant nos deſtins,
Peuvent encore à l'éloquence ,
Rendre ſes honneurs louverains !
S'armer pourdompter la licence ,
C'eſt partager les droits divins.
Qu'un guerrier que chacun renomme,
De ſa valeur montre le feu :
Qui nous défendeſt ungrand homme;
Mais qui nous conſerve eſt un dieu.
JANVIER. 1774. St
Dans cette carrière ſacrée ,
Où t'appelle un laurier brillant ,
Tu croiras ta gloire affurée ,
Si tu peux être bienfaifant.
La gloire , toujours pourſuivie,
S'offre aux vertus , & le génie,
S'il eſt utile , eſt ſon amant.
Tu n'iras point , oui , je le jure
Par ton ame & par tes ayeux ,
Tu n'iras point , foible &parjure ,
Servir l'opprefleur adieux ,
Et de l'opprimé qui murmure
Aggraver les fers rigoureux ,
Oublier ſes maux , ſon injure
Dans des feſtins délicieux ,
Et , faiſant taire la nature ,
Boire les pleurs des malheureux.
Mais lorſque l'Automne propice ,
Fermant le temple des Plaideurs ,
Viendra faire aſſeoir la Juſtice
Surungazon bordé de fleurs';
Lorſque Pan , ornant ſa houlette
Des dons vermeils de nos côteaur ,
Fera danſer tous les hameaux ,
Et des doux ſons de ſa muſette
Fera treflaillir Gemenos ,
Dans cette retraite charmante
Tu viendras retrouver les jeux ,
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
Et te repoſer ſous les yeux
De la Juſtice, ton amante,
Là , ſous les traits de d'Albertas ,
Sans orgueil montrant ſa puiſſance ,
Elle raſlemble ſur ſes pas
L'enjouement & la complaiſance ,
Et les grâces dont les appas
Ornent ces lieux de leur préſence ;
Des plaiſirs le folâtre eſſaim
S'y joint à la magnificence ;
Et la Gloire , d'un air ſerein ,
Tenantdes lauriers dans la main ,
Dit aux hérauts qu'elle devance ,
D'immortaliſer ſur l'airain
Un nom qu'adore la Provence.
F
ParM. Sabatier , profeſſeur d'éloquence
au collège de Tournon.
La TACTIQUE.
J'ÉTAIS lundi paflé chez mon libraire Caille ,
Qui , dans ſon magaſin , n'a ſouvent rien qui
vaille .
J'ai , dit- il par malheur , un ouvrage nouveau ,
Néceflaire aux humains ,& ſage autant que beau;
C'eſt à l'étudier qu'il faut que l'on s'applique.
Il fait ſeul nos deſtins ; prenez : c'eſt la Tactique.
JANVIER . 1774 . 33
La Tactique , lui dis-je ! hélas ! juſqu'à préſent
J'ignotais la valeur de ce mot ſa ſavant.
Ce mot , répondit il , venu de Grèce en France ,
Veut dire le grand art , ou l'art par excellence .
Des plus nobles eſprits il remplit tous les voeux .
J'achetai ſa Tactique , & je me crus heureux .
J'eſpérais trouver l'art de prolonger ma vie ;
D'adoucir les chagrins dont elle eſt poursuivie ;
De cultiver mes goûts , d'être ſans paſſion ,
•D'aſſervir mes defirs au joug de la raiſon ;
D'être juſte envers tous , ſans jamais être dupe.
Je m'enferme chez moi ; je lis , je ne m'occupe
Que d'apprendre par coeur un livre ſi divin .
Mes amis , c'était l'art d'égorger ſon prochain .
J'apprends qu'en Germanie autrefois un bon prêtre
Pétrit pour s'amuſerdu foufre & du ſalpêtre ;
Qu'un énorme boulet , qu'on lance avec fracas ,
Doit mirer un peu haut pour arriver plus bas ;
Qued'un tube de bronze auſſi tôt la mort vole
Dans la direction qui fait la parabole ,
Et renverſe en deux coups prudemment ménagés,
Cent automates bleus , à la file rangés .
Moufquet , poignard , épée ou tranchante ou
pointue ,
Tout eſt bon, tout va bien, tout ſert pourvu qu'on
tue.
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
L'auteur , bientôt après , peint des voleurs de
nuit ,
Quidansun chemin creux, ſans tambour & ſans
bruit,
Difcrètement chargés de fuſils & d'échelles ,
Aſlaſſinent d'abord cinq ou fix ſentinelles :
Puis montant leſtement aux murs de la cité ,
Où les pauvresbourgeois dormaient en ſûreté ,
Portent dans leur logis le fer avec les flammes ,
Poignardent les maris , couchent avec les Dames ,
Ecralentles enfans , &, las de tant d'efforts ,
Boivent le vin d'autrui ſur des monceaux de
morts.
Le lendemainmatin on les mène à l'Eglife
Rendre grâce au bon Dieu de leur noble entre
priſe;
Lui chanter en latin qu'il eſt leur digne appui ,
Que, dansla ville en feu , l'on n'eût rien fait ſans
lui ;
Qu'on ne peut ni voler , ni violer ſon monde ,
Ni maſlacrer les gens, ſi Dieu ne nous ſeconde.
Etrangement ſurpris de cet art ſi vanté ,
Je cours chez Monfieur Caille encore épouvanté :
Je lui rends ſon volume , & lui dis en colère :
Allez , de Belzebuth déteſtable libraire ,
Porter vorre Tactique au Chevalier du T**;
Il fait marcher les Turcs au nom de Sabaoth ;
C'eſt lui qui de canons couvre les Dardanelles ,
JANVIER. 1774. 55
Dans leurpropre ſcience inſtruit les Infidèles.
Allez , adreſſez - vous à Monfieur R*** ,
Aux vainqueurs tous ſanglans de Bender & d'Afoph
;
AF*** fur- tout offrez ce bel ouvrage ,
Et ſoyez convaincu qu'il en fait davantage.
Lucifer l'infpıra bien mieux que votre auteur ;
Il eſt maîtrepaflé dans cet artplein d'horreur ,
Plus adroit meurtrier que Guftave & qu'Eugène ;
Allez,jeme crois point que la nature humaine
Sortit , je ne lais quand, des mains du Créateur ,
Pour infulter ainſi l'éternel bienfaiteur;
Pour montrer tant de rage& tant d'extravagance.
L'homme avec ſes dix doigts , ſans armes , fans
défenſe ,
N'a point été formé pour abréger des jours
Que la néceſſité rendait déjà ſi courts .
Lagoutte avec ſa craie & la glaire endurcie
Qui ſe forme en cailloux au fond de la veſſie ;
La fièvre , le cathare & cent maux plus affreux ,
Cent charlatans fourés , encor plus dangereux ,
Auraient ſuffi ſans doute aux malheurs de la
terre ,
Sans que l'homme inventât ce grand art de la
guerre.
Je hais tous les héros , & Nemrod & Cyrus ,
Et ce Roi ſi brillant qui forma Lentulus.
Le monde admire en vain leur valeur indomptable;
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Je m'enfuis loin d'eux tous , & je les donne au diable.
En m'expliquant ainſi je vis que dans un coin
Un jeune curieux m'obſervait avec ſoin .
Son habit d'ordonnance avait deux épaulettes ,
De ſon grade à la guerre éclatans interprètes.
Ses regards aflurés , mais tranquilles & doux ,
Annonçaient ſes talens , ſans marque de courroux.
De la Tactique enfin c'était l'auteur lui- même .
Je conçois , me dit- il , la répugnance extrême
Qu'un vieillard philoſophe , ami du monde entier
,
Dans ſon coeur attendri ſe ſent pour mon metier.
Il n'eſt pas fort humain , mais il est néceſſaire ;
L'homme est né bien méchant; Caïn tua ſon frère
,
>
Et nos frères les Huns , les Francs , les Viſigots ,
Des bords du Tanaïs accourant à grands flots
N'auraient point déſolé les rives de la Seine
Si nous avions mieux fu la Tactique Romaine.
Guerrier né d'un guerrier , je profeſſe aujourd'hui
L'art de garder ſon bien , non de voler autrui .
Eh quoi! vous vous plaignez qu'on cherche à vous
défendre !
Seriez - vous bien content qu'un Goth vint mettre
en cendre
Vos arbres , vos maiſons , vos granges , vos châ
teaux ?
JANVIER . 1774 . 57
Il vousfaut de bons chiens pour garder vos troupeaux
;
Il eſt , n'en doutez point , des guerres légitimes ,
Et tous les grands exploits ne ſont pas de grands
crimes .
Yous-même , à ce qu'on dit , vous chantiez autrefois
Les généreux travaux de ce cher Béarnois.
Il foutenoit le droit de ſa Naiſſance auguſte .
La Ligue était coupable; Henri - Quatre était juſte.
Mais, ſans plus retracer les faits de ce bon Roi ,
Ne vous louvient- il plus du jour de Fontenoi ?!
Quand la colonne Anglaiſe , avec ordre animée ,
Marchait à pas comptés à travers notre armée ,
Trop fortuné Badaut , dans les murs de Paris ,
Vous faiſiez en riant la guerre aux beaux eſprits :
De la douce Gauſſin le centième idolâtre ,
Vous alliez la lorgner ſur lesbancs duthéâtre , -
Et vous jugiez en paix les talens des acteurs ;
Hélas ! qu'auriez - vous fait , vous& tous les auteurs
;
Qu'aurait fait tout Paris , ſi Louis en perſonne ,
N'eût paflé le matin ſur le pont de Calonne ,
Et fi tant de Célars , à quatre fols par jour ,
N'euflent bravé l'Anglais qui partit ſans retour ?
Vous ſavez quel mortel amoureux de la gloire
Avec quatre canons ramena la victoire.
Ce fut au prix du ſang du généreux Grammon
Et du ſage Luttaux , &du jeune Craon ,
:
Cv
38 MERCURE DE FRANCE.
Que de vos beaux eſprits les bruyantes cohues
Compoſoient les chanſons qui couraient dans les
rues ,
Ou qu'ils venaient gaîment avec un ris malin
Siffler Semiramis, Mérope & l'Orphelin .
Souffrez donc , s'il vous plaît , qu'on prenne la
défenſe
D'un art qui fit long-temps la grandeur de la
France ,
Et qui des citoyens aſſure le repos .
MonfieurGuibert ſe tut après ce long propos.
Moi , je me tus aufſi , n'ayant rien à redire.
De la droite raiſon je ſentis tout l'empire.
Je conçus que la guerre eſt le premier des arts ,
Et que le Peintre heureux des Bourbons , des
Bayards ,
En dictant leurs leçons , était digne peut- être
De commander déjà dans l'art dont il eſt maître.
Mais, je vous l'avoûrai , je formai des ſouhaits
Pour que cet art ſi beau ne s'exerçât jamais ;
Et qu'enfin l'équité fit régner ſur la terre
L'impraticable paix de l'Abbé de Saint-Pierre,
JANVIER. 1774. 59
RÉPONSE de M. l'Abbé de Voiſenon ,
à M. de Voltaire .
PRORODDIIGGEE de tous les talens ,
Homme étonnant , divin Voltaire ,
Ta Muſe eſt toujours au printems ,
Et , bien loin d'être octogénaire ,
Elle arrête la faulx du Temps.
Dans tes vers ou forts ou charmans ,
Jelis ton extrait baptiftaire :
Tu n'as encore que vingt ans.
Leplus grand fléau de la terre ,
Dans ton ouvrage eſt ſéduiſant.
Ton pinceau terrible & plaiſant ,
Atous les honneurs de laguerre :
Tu rends l'effroi même amuſant.
LaGaité, cewe enchantereſſe ,
Que l'on ne violejamais ,
Répand ſur tout ce que tu fais ,
Le coloris de la jeuneſle ;
En fuyant l'éclat des palais ,
Pour fuir unſommeil lethargique ,
Les cède à l'Ennui magnifique
Qui les fait bailler à grands frais !
On la bannit , quand on l'appelle;
La liberté fait ſes atours :
!
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
Les plaiſirs pompeux ſont toujours
Des lettres de cachet pour elle.
Emprunte ſes heureux ſecours.
Qu'elle prolonge & qu'elle épure
De tes ans le paiſible cours ;
Quandtu prends ſoin de ſa parure ,
Qu'elle prenne ſoin de tes jours.
Madame LA DAUPHINE ,
furfon incognito.
QUOI ! ſous un nuage curieux ,
Croyez- vous , auguſte Dauphine ,
Pouvoir vous cacher en ces lieux ?
Lorſque Vénus defcend des cieux ,
On ſent l'influence divine
De ſon aſpect majestueux ;
Et , lorſque vous trompez les yeux ,
Le coeur des François vous devine.
Par M. Dorat.
A Monfieur D'ESPAGNAC.
OUIur d'Eſpagnac , lois fier des bienfaits de ton
Roi ;
L'orgueil ſied à la gloire & s'ennoblit dans toi,
JANVIER. 1774 . 61
Aux honneurs de Chevert ton Souverain te nomme
;
Il eſt beau d'hériter des titres d'un grand homme.
Ah ! pourquoi feindross -tu d'en ignorer le prix?
Regarde ces ſoldats mutilés & meurtris ;
Ces reſtes de Héros échappés à la guerre ;
Ces braves Vérérans , tous frappés du tonnerre :
Quelle joie éclaircit leurs fronts cicatriſés ,
Et ranime ces corps de fatigue épuiſés !
Ils ont vu ſur ton ſein la pourpre militaire ;
La gloire de leur chef les flatte & leur eſt chère ;
C'eſt un nouveau laurier que leur main croit cucillir
,
Et leur coeur fatisfait s'en laiſle enorgueillir.
Ce peuple de vainqueurs , cette antique milice
Aime à voir honorer l'ami du grand Maurice.
Sous ce brave Saxon tu combattis comme eux ;
Il leur apprit à vaincre ; & tu les rends heureux.
L'EXPLICATION du mot de la première
énigme du Mercure du mois de Décembre
1773 , eſt la Lanterne magique ; celui
de la ſeconde eſt Plaiſanterie; le mot de
la troiſième est une Canne ; celui de la
quatrième eſt Carreau. Le mot du premier
logogryphe eſt Choux , où se trouve
houx ; celui du ſecond eſt Rime , où l'on
trouve mer, ire,re , mi , (St) Remi , me ,
62 MERCURE DE FRANCE.
mie; celui du troiſième eſt Corail , où ſe
trouvent cor, ail, ali , lia , la , lai , il , Clio ,
or, Roi , io , Roc , aï , col , car , lac , cri ,
are , Corali , Iorc , ia , air ( qu'on reſpire)
air ( en muſique.)
ÉNIGME.
ONNne ſauroit ſans moi terminer un voyage.
Admirez ma propriété;
Je mets pour l'ordinaire à l'abri du naufrage;
Je fais aux voyageurs donner de la gaîté ;
Leurs craintes bien ſouvent maiſſent de mon abfence;
Aufſi l'eſpoir& la fécurité
Sont le premier effet toujours de ma préſence.
Cependant de l'humanité
Regardez la bizarrerie :
Le voyageur me quitte lorſqu'il part ;
Il m'abandonne , au mépris de ſa vie;
Et, dès qu'il m'a perdu , fon avide regard
Cherche à me retrouver.
Aces traits , cher lecteur , tu dois me reconnoitre.
En faut-il davantage! ch! bien, jevais parokre.
JANVIER . 1774. 63
Dumot qui doit me déſigner ,
Si l'on fait l'inverſion , ( cela te fera rire )
Tu verras que.... c'eſt trop te dire.
Par M. l'Abbé T....
AUTRE.
SOIXANTE enfans de moi reçoivent l'être ,
Féconds comme leur mère , ainſi qu'il va paroître:
L'addition de leurs enfans
Donne un total de trois mille fix cens,
Faut- il encor calculer la nature ?
Ah ! dieux , lecteur , quelle progéniture !
Tous mes petits enfans
Montrent à m'imiter mêmes empreſſemens
Et , par une puiflance à nulle autre pareille,
Admire que dans tous égale eſt la merveille.
Chacun produit ſoixante rejetons ,
Leſquels... mais à compter franchement renonçons:
Pour égaler la mienne , en vain mille familles
Enſemble s'uniroient ; chacune de mes filles ,
64 MERCURE DE FRANCE.
(Remarque auſſi que dans notre maiſon
Il ne ſe fait point de garçon )
Chacune enfin , comme ſes ſoeurs féconde ,
Egalement conçoit & met au monde.
Par le même.
D
AUTRE .
Es millions d'ennemis , en bataillon preſlés ,
Qui ne croiflent point ſur la terre ,
Par moi ſont bientôt renverſés
Dès que je leur livre la guerre.
En les touchant , je les fais tomber tous ;
J'en détruis à la fois dix mille .
La réſiſtance eſt inutile .
(
Les plus foibles ſont ſeuls à l'abri de mes coups ;
Mais contre eux mon ardeur eſt vaine.
Quand je ſuccombe aux injures des ans ,
A mes efforts ils réſiſtent ſans peine ,
Etje ne puis que leur montrer les dents.
Par M. Gélede , perruquier.
UTILE
AUTRE .
TILE au confileur , utile au pâtifier ,
Pour peu qu'ils travaillent d'office ;
JANVIER. 1774 . 65
Le banquier m'a chez lui , le riche financier ;
Aux négocians je rends ſervice.
Mais toujours les premiers me comblent de douceur
:
Il eſt vrai que chez eux je ſuis foible & légère .
Des ſeconds je reçois une dure matière
Qui tente beaucoup le voleur.
Je voyage pour l'un , pour l'autre ſédentaire .
On peut tout me confier , fruits , vins , drogues ,
métal .
Lorſque les Rois ſe font la guerre ,
Je loge au quartier général.
Par M. Hubert.
AUTRE.
Pour être auſſi bon que ſuperbe ,
Il faut , dit- on , d'après certain proverbe ,
Que je raflemble en moi , dans mon tout , dans
mon corps ,
Avec dix animaux , trois importans rapports .
Les voici tous nommés dans l'ordre convenable ;
Le premier , le ſeul raisonnable ,
Eſt la femme ! il en reſte neuf.
J'en trouve trois ; le cerf, le renard & le boeuf.
Il en faut fix encor , ſi je ſais bien mon compte ;
Le lion , le ſerpent , ce monſtre que l'on dompte ,
66 MERCURE DE FRANCE.
Lemouton , le lièvre & le loup ,
Les voilà tous dix pour le coup.
ParM.de Boufſanelle , brigadier
des armées du Roi.
A
LOGOGRYPH Ε.
MOI , lecteur,, à moi gourmands & beaux
elprits ,
Vous tous amans de labelle nature,
Sous cetre équivoque parure
Venez à me trouver vous diſputer le prix.
Neuf lettres de mon nom cempolent la ſtructure.
Une ſe trouve enfaim ; une autre dans Cypris ;
La troiſième en Paris ſuit de près la première ;
Une autredans Manheim le montre la dernière;
LeBoiteux chancelant va fur trois de mes pieds;
De Rofe enfin deux autres font triés ;
Mais c'eſt encor trop te laiſſer à faire ;
Ami lecteur , pour diriger tes pas ,
A ton loiſir décompoſe mon être.
Dans ce détail d'abord tu trouveras ,
(Ce qu'en ce même inſtant tu defires peut- être ; )
Ce gage heureux d'un amour agréé ,
JANVIER. 1774. 67
Dont l'auſtère pudeur s'irrite ,
Mais qu'elle pardonne fi vite
Alors qu'il eſt dérobé.
D'un buveur altéré l'implacable ennemie,
Le caſſe- tête d'un rimeur ;
Une fleur des belles chérie;
Cequ'en été chacun recherche avec ardeur ;
Dans l'hiſtoire ſacrée
Un législateur de renom ;
Ledéclin de chaque journée ;
Cequi fait raiſonner l'homme & le violon ,
Etles diftingue dela bête ;
L'effroi furtitd'un tête-à- tête 3
Un métal ſéducteur du ſage mépriſé ;
Ce dieu , tour à la fois & galant & barbare ,
Du ſexe fi maudit & fi favorisé .
Cette eſpèced'hommes ſi rares
Que nous cherchons tous , mais en vain ;
Et dont ſi ſouvent un coquin
Prend,pour nous poignarder, la trompeuſe apparence;
Cedont l'on vit mourir au ſein de l'abondance ,
Maintavare. Une ville en pays Champenois ;
Un nom qu'en leur parlant nous donnons à nos
Rois ;
Un vent froid; un royaume en lointaine contrée;
Du Chrétien la guide aflurée ;
Un vêtement commun au docteur , au barreau ,
68 MERCURE DE FRANCE .
Aux moines , & fur- tout au ſexe le plus beau ;
Les amours de la nouvelle Eve ;
Unbeau nom , mais vuide d'effet';
Dont en un certain jour nous décore une fève ;
Enfin fi de moi ce n'eſt fait ;
Si , ſous le voile qui me cèle ,
Malgré tes regards curieux
Et mes téméraires aveux ,
Ton oeil encor ne me décèle ;
Bien différent de ce monſtre affamé ,
Qui ſans pitié vous dévoroit ſon homme ,
Si ſon énigme il n'avoit deviné ,
Ami lecteur , à toi je m'abandonne :
Ta volonté fera ma loi.
Ecrale -moi ,
Bats - moi ,
Enſevelis moi ſous laglace ,
Ou même , en me croquant , à l'inſtant vengetoi
;
De mon fort je te rendrai grâce .
Mourante encor je veux parfumer ton palais ,
Et juſquesdans ton ſein te porter mes bienfaits .
Par M. G.... , avocat.
JANVIER . 1774 . 62
AUTRE.
:
ENTIERE , je ſoutiens. Qu'on me coupe la tête ,
Dans le Monde Chrétien on célèbre ma fête .
Remettez ma tête en ſon lieu ,
Expulſez de mon tout la lettre du milieu ,
Je deviens femelle amphibie ;
Un repas en latin , ville de Normandie.
Prenez mon front , mon centre & mon extrémité ,
Il pafle pour être entêté.
Rétabliſſez mon corps , la plus grande partie
Vous donne un chefen Tartarie .
Vous aurez avec l'autre une conjonction ,
Qu'on peut facilement rendre propoſition .
En moi l'on trouve encore, étant bien combinée ,
De vendre & d'acheter une forme uſitée ;
Ce que font douze mois : en voilà bien aſſez
Pour ſavoir qui je ſuis. Mais chez les gens aiſés
Je porte un certain fruit , oh ! qu'on le trouve aimable
!
Ovide en a parlé : cherchez , liſez la fable.
:
Par M. Hubert .
70 MERCURE DE FRANCE.
A MONSEIGNEUR
LE COMTE D'ARTOIS.
Gracieusement.
3
8
ENFIN nos voeux font ac - complis
: Par les doux noeuds de l'hi - mené
- e , Le der- nier Re - je - ton des
Lys , En- chaîne auf - ſi ſa def - ti -
née ; Des ver - tus & de la beauté
La Cour de vien - dra le thé -
Paroles par M. Grouber.
Muſique par M. Philidor.
JANVIER . 17740 71
a - tre ;.Le Français qui vous i - dolâ
tre , Va voir un ſpec -
ta cle en- chan - té : Les plai -
firs mar - cher fur VOS tra
ces ,
Et con- duit par le ſenti- ment,
Des amours un ef - ſaim charmant
Embellir le Tri- 0 des

Grâ - - - ces.
MERCURE DE FRANCE . 72
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
L'Inoculation , poëme en quatre chants ,
dédié à Catherine 11 , Impératrice de
toutes les Ruffies ; par M. L. R.
... Ea vifa falus morientibus una.
VIRG . Georg. 1. 111 .
vol. in- 8 °. A Amſterdam ; & ſe trouve
à Paris , chez Lacombe , rue Chriſtine ,
près la rue Dauphine .
JE chante un art heureux , trop long-teins
jeté ,
re-
Qui conſerve , à la fois , la vie & la beauté.
O Père des humains , toi que la terre adore ,
Et qui , maître abſolu de cent mondes divers ,
D'un ſouffle créateur fais germer , fais éclore
Tous les êtres ſemés dans ce vaſte univers ,
Prête moi , Dieu puiſſant , la voix de la Nature ,
Dont les mortels charmés aiment les ſons flatteurs
,
Et que mes vers par toi du préjugé vainqueurs ,
Semblables à des traits lancés d'une main ſûre ,
Pénètrent les eſprits , & paſſent dans les coeurs.
odelés , par tes mains , ſur ta divine image ,
Nous
JANVIER. 1774 . 73
Nous lommes , ici - bas , ton plus parfait ouvra
ge;
Daigne nous protéger , & veille à nos côtés.
Jette unde tes regards ſur ces jeunes Beautés,
Qui , pour prix d'un ainour dont leur main eſt le
gage ,
Ne voulant recevoir , ſur la foi des fermens ,
Que des voeux épurés & le plus chaſtehommage,
Au pied de tes autels conduiſent leurs amans .
Ils feront leurs époux , ſi ces vierges timides ,
Sourdes à des conſeils aveugles & perfides ,
Savent le garantir de l'éternel affront
Qu'unmal contagieux peut graver ſur leur front!
Viens deſfiller les yeux de ces aveugles pères ,
Viens enflammer le coeur de ces tremblantes mères
,
Dont une frayeur vaine alarme les eſprits.
Ils veulent épargner à leurs enfans chéris
De l'acier aiguité la piqûre légère ,
Et d'un levain choiſi l'atteinte paſlagère ;
Ils mépriſent de l'art l'infaillible ſecours ;
Et la Mort va frapper , de ſa faulx meurtrière ,
Les fruits , à peine éclos , de leurs tendres amours,
&c.
Nous avons pluſieurs bons écrits fur
l'Inoculation . Ces écrits pleins de recherches
& de connoiſſances phyfiologiques
paroiſſent avoir été composés pour les
I. Vol. D
74
MERCURE DE FRANCE.
ſavans ou ceux qui ont fait leur étude de
la médecine. Mais,dans une maladie qui
attaque principalement les enfans , ce
font les mères , ce ſont les femmes enfin
auxquelles ce précieux dépôt eſt confié ,
qu'il faut inſtruire. Cette inſtruction doit
être claire , facile , attrayante . Un écrivain
philofophe , pour mieux arriver à ce
but , revêtira cette inſtruction des grâces
&des ornemens de la poësie . Les raiſons
peuvent bien convaincre; mais le charme
des vers attire & perfuade . Cet écrivain
écartera de ſes préceptes les termes
techniques qui peuvent rebuter des lecteurs
peu verſés dans la pratique de la
médecine. Il leur préſentera ſes leçons
ſous les images les plus ſimples & les plus
naturelles . Il imitera enfin la tendre colombe
qui amollit dans ſon eſtomach les
grains qu'elle veut donner à ſes petits .
L'auteur de ce poëme didactique a fait
plus encore ; il a , pour rendre ſes inſtruc
tions plus efficaces , répandu , dans pluſieurs
endroits de ſon poëme, le pathétique
& l'intérêt du drame , & cherché à
exciter dans le coeur des mères la crainte
& la pitié : la pitié, pour les tendres victimes
de la petite vérole ; la crainte , en
leur préſentant l'image de la mort & le
maſque de la laideur.
JANVIE R. 1774. 75
Le poëte , dans le premier chant de ce
poëme qui en a quatre , décrit l'origine
de la petite vérole & ſes progrès. Il place
à l'époque de l'invaſion des Maures le
tranſport de la petite vérole en Eſpagne
& en France. Il penſe que cette contagion
nous a été tranſmiſe par les Arabes.
Leurs médecins ſont les premiers qui en
aient parlé , & il eſt très- probable qu'elle
eſt née en Arabie ; comme il y a lieu de
croire que l'Afrique eſt la véritable patrie
de la peſte ; & l'Amérique , celle de ce
venin qui empoiſonne les ſources de la
vie. Tout ceci eſt éclairci dans des notes
inſtructives qui accompagnent chaque
chant.
Le poëte nous trace enſuite les différens
périodes de la petite vérole. Il nous
peint avec énergie les ravages de cette
cruelle maladie. Il prouve l'inſuffiſance
des remèdes,leurdanger même,& fait voir
que pluſieurs de cesremèdes que l'on croit
ſalutaires, au lieu d'attaquer la maladie ,
frappent le malade &le bleſſent. Pluſieurs
récits de victimes de ces remèdes ajoutent
au pathétique de ce tableau & nous font
defirer un ſecours de la Providence, pour
être délivrés de cette funefte épidémie.
Le poëte la compare au Minotaure de la
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
fable , monſtre auquel des Nations devoient
un tribut de ſang & de carnage.
Quel eſt le nouveau Théſée qui nous délivrera
d'un monſtre encore plus avide ?
L'art de l'inſertion. Les pratiques utiles
que cet art enſeigne ont effuyé bien des
contradictions ; ceux même qui les premiers,
ont cherché à répandre ces inftructions
, ont éprouvé des perſécutions. Il eſt
donc vrai que
L'impitoyable envie a déclaré la guerre
Atous les hommes nés pour éclairer la terre.
On pourroit même faire une longue
liſte des grands hommes qui , depuis Socrate
, ont été perſécutéspour la vérité,en
phyſique & en morale. L'auteur du nouveau
peēme , dont le coeur bienfaiſant eft
plus porté à répandre la louange que la
cenſure , a paflé ſous ſilence les ennemis
de l'Inoculation , & s'eſt arrêté avec complaiſance
à payer le tribut de louanges
que méritent les artiſtes & les écrivains
célèbres qui en ont favoriſé les progrès .
Vos noms , o Montagu , Jurin , la Condamine ;
Gravés ſur vos écrits par une main divine ,
Voleront avec eux à l'immortalité,
Leurs nobles ſentimens pénètrent dans mon ame ;
JANVIE R. 1774 . 77
Leur gloire m'éblouit ; leur exemple m'enflamme.
Je ſuis homme comme eux , les hommes me ſont
chers ,
Et je veux leur payer le tribut de mes vers.
Couronnez de lauriers l'amant de Melpomène ;
Donnez le myrthe verd au chantre des amours ;
De mes concitoyens je veux ſauver les jours ;
Qu'on mette ſur mon front la couronne de chêne
:
D'un art ingénieux j'annonce les bienfaits ;
Qu'aux accens de ma voix l'aſpic ferme l'oreille;
Je remonte mon luth , ma muſe ſe réveille ,
Et de l'inſertion je décris les effets.
Les procédés que cet art indique , le
régime qu'il faut fuivre , les dangers à
éviter ; enfin tout ce qu'il est néceſtaire
d'obſerver, remplit le ſecond & le troiſième
chant de ce poëme. Les avantages de
l'infertion de la rougeole ſont célébrés
dans lequatrième . L'hiſtoire de trois Circaffiennes
forme ici un épiſode qui fera
peut- être plus d'impreſſion ſur l'eſprit des
mères que les plus ſages conſeils que le
poëte leur a donnés. Ces trois foeurs ,
dont deux furent victimes de la petite
vérole naturelle , & la troiſième triompha
de cette épidémie par le ſecours de l'inſertion
, ont droit d'intéreſſer par leur
Diij
28 MERCURE DE FRANCE.
jeuneſſe , leur beauté , &ces grâces naturelles
ſupérieures encore à la beauté.
Elles ſe reſſembloient ; toutes trois étoient belles ;
Mais , quand l'oeil détailloit leurs charmes attirans
,
On leur trouvoit un air & des traits différens.
La belle Lycoris (c'eſt le nom de l'aînée )
Dans ſes nobles contours grandement deſſinée ,
Avoit l'air impoſant & le port orgueilleux ,
Que l'Olympe admiroit dans la Reine des Dieux.
Sa taille retraçoit la Nymphe des montagnes ,
Lorſque , voyant de loin que ſon front gracieux
S'élevoit au - deſſus de toutes ſes compagnes ,
Latone ſourioit attentive à leurs jeux.
Dela ſage Minerve elle avoit les yeux bleux ;
Et dans ces yeux , brillans de la plus pure flamme,
D'où l'on voit s'échapper de timides regards ,
Se peint , au naturel , la douceur de ſon ame.
Ses épaules offroient de blonds cheveux épars ,
Flottans , & variant leurs boucles naturelles ,
Que le Zéphir ſoulève , en agitant ſes aîles.
De ſes traits afſortis , l'un pour l'autre formés ,
Le bel enſemble offroit aux ſpectateurs charmés
Le plus parfait accord , la plus belle harmonic.
Telle on te voit encore , au ſein de l'Anſonie ,
Omère des Amours , Reine de la Beauté ,
Reſpirer mollement ſur un marbre enchanté.
De l'Olympe chafiée , &des temples bannic ,
JANVIER. 1774 . 79
1
Au ſeul ciſeau desGrecs , conduit par le Génie ,
Tu dois un nouveau culte & l'immortalité .
Moins belle que ſa ſcoeur , Zaïde eſt plus piquante;
Un vermillon brillant colore ſon beau teint;
A l'aſpect de ſa peau fraîche , unie , éclatante ,
L'oeil promet au toucher le moëlleux du ſatin.
Onvoit ſes longs cheveux , d'un noir luiſant d'ébène
,
Imiter , en tombant , les anneaux d'une chaîne.
Ses traits moins décidés ont plus d'ame & de jeu ;
Et, ſous un ſourcil noir , ſon oeil a plus de feu .
Dans cet oeil pétillant le ſourire étincelle ,
Comme un rayon dardé ſur le miroir des eaux.
Lycoris , en tout tems , eſt également belle ,
Zaïde à chaque inſtant a des charmes nouveaux.
Aumoindre mouvement de ſa vive prunelle ,
De ſa bouche de roſe & de ſes traits charmans ,
Vous croyez voir paroître une beauté nouvelle ,
Et Zaïde ne fait que changer d'agrémens .
Mais, chef-d'oeuvre de l'Art, comme de la Nature,
La plusjeunedes trois , Glicère , à quatorze ans ,
Attiroit tous les yeux par ſes charmes naiſſans .
LesGrâces ont pétri ſon aimable figure ,
Le goût le plus exquis préſide à ſa parure.
Ses cheveux , chatain-clair , de fleurs entrelaflés ,
Sont autour de ſa tête élégamment treflés .
Telle étoit de Cypris la galante coëffure.
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
Le flambeau de l'Amour brilloit dans ſes beaux
yeux ,
Son langage étoit doux , ſon regard étoit tendre ,
Son filence éloquent , ſon ſouris gracieux ;
Onne ſe laſſoit point de la voir , de l'entendre.
Elle ajoutoit encore à de fi doux appas
Les charmesdes talens , la voix d'une firène ;
C'eſt avec ces liens que cette belle enchaîne
L'eſlaim des jeunes coeurs qui volent ſur ſes pas.
Sa timide pudeur la rend encor plus belle ;
Modeſte , elle ignoroit le pouvoir de ſes traits ,
Et l'amour innocent qu'allument ſes attraits,
Eſt tendre , délicat & timide comme elle.
Pourfaire une Vénus d'une ſimple mortelle ,
La Nature , à loiſir , fit un modèle exprès ,
D'après lui , de Glicère elle arrangea les traits ,
L'admira , lui ſourit & briſa le modèle.
Lycoris nous eſt ici repréſentée atteinte
du venin fubtil de la petite vérole fur les
marches même de l'autel de l'Hymenée,
&mourant peu de jours après dans les
bras d'un amant fidèle. Zaïde , frappée
du même poiſon , échappe au trépas ;
mais ſa beauté eſt éclipſée. Le maſque de
la plus affeuſe laideur couvre ſon viſage;
&le Circaffe dont l'amour étoit le guide ,
recule d'horreur à la vue de Zaïde défigurée.
En vain l'amante éplorée lui reproJANVIER.
1774 . 81
che ſon infidélité; en vain elle lui rappelle
ſes ſermens : l'amant abuſé les abjure,
& déclare qu'il ne doit point à la triſte
difformité la foi & l'amour qu'il a voués à
la beauté . L'art de l'inſertion vient au ſecours
de Glicère , la plus jeune des trois ;
& cet art bienfaiſant la fait triomphet de
la mort& de la laideur.
Des roſes du printems ſa mère la couronne,
Et la conduit parée au temple de l'Amour .
Un eflaim de Beautés l'admire & l'environne ;
Au Dieu qui fait aimer on conſacre ce jour ;
Sur fon autel chéri on porte des offrandes ,
Les belles , leurs amans enlaſſent des guirlandes ,.
S'enchaînent l'un à l'autre , & danſent à l'entour.
Tout le peuple applaudit & ſe mêle à la danſe ,
Aux pieds du dieu préſent on jure tour- à- tour
D'eſlayer l'art nouveau ſur la plus tendre enfance
Cependant la Renommée publie au
loin les grâces & l'aventure de la jeune
Circaffienne. L'Empereur Bajazet veut
voir cette rare Beauté. Elle lui eſt préſentée.
Il reconnoît auſſi-tôt ſon vainqueur
dans Glicère . Il offre ſon coeur à cette
vierge pour prix de ſes charmes , &l'élève
au rang de Sultane favorite. L'exemple
de cette Circaſſienne fut long-temps
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
à faire des profélites dans les pays éloignés.
L'illuſtre Ladi Wortley-Montagu ,
femme de l'Ambaladeur d'Angleterre à
la Porte ,a été la première qui ait combattu
en Europe l'ignorance , la peur & la ſuperſtition
armées contre l'art de l'inoculation.
Cet art , appelé aujourd'hui chez les
Grands & reçu dans les Cours , paroît
avoir triomphe de tous ſes ennemis. Mais
ſon plus beau triomphe eſt d'avoir été
adopté par Catherine II , Impératrice de
toutes les Ruffies . Cette Souveraine, ainſi
qu'il eſt dit dans les remarques ſur ce
poëme, ſe ſoumit , le 10 Octobre 1768 ,
à Czarskozelo , à l'inſertion de la petite
vérole. Le docteur Deinsdale , médecin
Anglois , fut fon inoculateur , &il ne put
obtenir que le premier médecin fût inftruit
du projet de l'Impératrice , ni qu'il
fût préſent à l'opération. La Cour n'en
fut informée qu'après l'éruption. Cette
Princeſſe courageuſe , de retour à Pétersbourg
, fit inoculer en ſa préſence & avec
du ferment pris ſur elle même , le Grand
Duc , ſon fils : elle fut préſente à l'inoculation
de douze enfans des principaux Seigneurs
de fa Cour. On rendit des actions
de grâces pour le rétabliſſement de ſa
ſanté , & elle reçut , le 2 Décembre , les
complimens des Miniſtres & de la prinJANVIER.
1774 . 83
cipale Nobleffe . Cette folennité fut annoncée
par des ſalves d'artillerie , & terminée
par des illuminations dans toute
la ville. Les principales villes de l'Empire
célébrèrent cet événement par des fêtes
brillantes. Le Sénat , qui en a voulu per.
pétuer la mémoire , a ordonné que le 21
Novembre de chaque année , on fît des
réjouiſſances dans toutes les villes de
l'Empire. Le docteur Deinsdale a reçu de
S. M. I. 10000 liv. ſterlings , 1000 pour
retourner en Angleterre , & sooliv . fterlings
de penſion annuelle. Cette Princeſſe
a fondé un hôpital d'inoculation à
Pétersbourg. La dédicace d'un poëme fur
l'art de l'Inoculaton étoit donc un hommage
bien dû à cette héroïque Princeſſe .
Cethommage n'a pu avoir été dicté que
par un coeur ſenſible & vertueux .
Princeſſe , dont l'Europe admire le courage ,
Daigne ſourire aux vers dont je t'offre l'hommage;
Il eſt libre , il eſt pur ; je ne l'offre qu'à toi :
Ton fceptre &tes grandeurs font étrangers pour
moi.
*Eh ! quel eſt le mortel , de ſon encens avare ,
Qui pourroit contempler , inſenſible & barbare ,
L'eſſor de ton génie ,& ne pas l'admirer ,
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
Ta bonté généreuſe , & ne pas l'adorer ?
Sur le bronze animé , Princefle magnanime ,
Il refpire à tes yeux , ce Monarque ſublime ,
Dont l'efprit méditant les projets les plus hauts ,
A créé la lumière au milieu du chaos.
De ton règne brillant qu'il parcoure les faſtes :
Il verra des projets plus hardis & plus vaſtes ;
Il verra la Victoire , enchaînée à ton char ,
Soumettre un nouveau Peuple à l'Empire du Czar.
Il verra , fur les mers où ſe lève l'aurore ,
Tes flottes menacer l'Euxin & le Boſphore ;
Tes braves régions , des rives de l'Iſter ,
Porter contre la Thrace & la flamme & le fer ;
Le Grec obéiſſant dans les champs de l'Aulide ,
Et le Scythe ſoumis au ſein de la Tauride.
Deguerre & de conquête incroyable deſſein !
OMars ! ce plan terrible eſt- il né dans ton ſein ?
Non : la Reine du Nord , Catherine elle-même,
Au bord de la Néva , conçut ce grand ſyſtême.
Perdez - vous dans l'oubli , campagnes des Héros
,
Voyages entrepris par les guerriers d'Argos !
Mille vaiſſeaux , lancés des ports voiſins de l'Ourfe,
Vers les bords de l'Orient ont dirigé leur courſe ,
Et le Pilote Ruſſe , affis au gouvernail ,
Fait trembler le Sultan au fond de ſon ſérail.
Du ſommeil de la mort , Pierre , tu te réveilles
JANVIE R. 1774.
Pour ſuivre l'heureux cours de ces rares merveilles
.
Pour moi qui n'apperçois ſur le front des guerriers
Que le ſang des humains ſouillant de beaux lauriers
,
Sur cet auguſte écrit qu'adreſſe à la patric
La bienfaiſante main d'une Reine chérie ,
J'aime mieux repoſer mes regards ſatisfaits.
O pouvoir arbitraire ! père des forfaits !
Une femme a brifé ce colofle fragile
Dont les bras ſont de fer , dont les pieds ſont d'argile:
Sur la baſe des loix elle fonde à jamais
De l'Etat affermi le bonheur & la paix .
Catherine , voilà ta plus belle conquête ;
C'eſt aflez de combats : élève juſqu'au faîte
L'édifice des loix à peine commencé ,
Que , d'un ſouffle , Bellone a preſque renverſé.
Acheve ton ouvrage , aſſure l'équilibre ,
Que ton pouvoir ſoit juſte , & tout un peuple
libre.
Sous un joug accablant le ſerf humilié
Embrafle tes genoux , invoque ta pitié.
Il eſt encor des ſerfs , dans le ſiècle où nous fommes!
L'homme , tel que la brute , eſt le jouet deshommes
!
86 MERCURE DE FRANCE.
:
L'Humanité rougit : efface cet effront
Que de barbares mains gravèrent ſur ſon front.
Cette belle épître que nous voudrions
tranſcrire ici en entier , ne pouvoit être
mieux placée qu'à la tête d'un poëme infpiré
par un vifdeſir d'être utile à l'Humanité
; poëme où les grâces de l'imagination
font diſparoître la ſéchereſſe de l'inftruction
ſous les formes variées & cadencées
d'une poësie noble , facile & harmonieuſe.
Rofalie , ou la Vocation forcée , mémoires
de la Comteſle d'Hes *** ; 2 parties
in 12. A Paris , chez J. F. Baſtien ,
libraire , rue du petit Lyon , fauxbourg
StGermain .
Un père ou une mère a quelquefois de
la prédilection pour un de ſes enfans;
mais il eſt rare que cette prédilection ,
lorſqu'elle eſt trop marquée , ne jette le
trouble dans la famille , ne rende celui
qui en eſt l'objet injuſte envers ſes frères,
& ne le porte à abuſer de la tendreſſe de
ſes parens pour fatisfaire ſes paſſions.
Madame de St Clat *** en fait ici la
triſte expérérience . Cette mère avoit pour
l'aîné de fes fils la tendreſſe la plus aveu-
1
JANVIER. 1774. 87
*** ,
د
gle ; elle avoit elle-même , pour augmenter
la fortune de cet aîné , forcé Rofalie
de St Clat de prononcer des voeux
dans une maiſon religieuſe. Mais quel
eſt le fruitde cette prédilection ? Madame
de St Clat ... ne reçoit que des marques
d'ingratitude de la part de celui pour qui
elle a tout facrifié. Elle apprend , après
avoir eſſuyé bien d'autres chagrins , que
ce fils, en proie à ſes paſſions , a été tué
dans une diſpute , d'un coup d'épée . Ses
yeux ſont enfin deſfillés . « Je ne plains
>> pas ſa mort , s'écrie t'elle dans l'amer-
>> tume de la douleur ; c'eſt ſa vie que je
>> regrette; c'eſt mon indulgence aveugle,
» ma tendreſſe dénaturée qui le rendit
>> coupable. » Roſalie , quoique victime
de cette prédilection , n'avoit cependant
jamais cellé d'avoir pour ſa mère le plus
tendre attachement. Comme ſa vocation
n'a point été libre , elle réclame contre fes
voeux ; elle eſt rendue au monde , au
Comte d'Hes *** , ſon amant , enfin à
une mère qui reconnoît que les prédilections
des parens ne ſont pas moins contraires
à la juſtice que nous devons à nos
enfans, que nuifibles à la tranquillité des
familles. Il y a dans la fable de ce roman
pluſieurs incidens qui retardent le bonheur
de Rofalie. Ces incidens font mê
88 MERCURE DE FRANCE.
me de nature à faire déſeſpérer au lecteur
de voir un jour Mlle de St Clar... heureuſe.
L'auteur a moins dénoué que tranché
ces difficultés ; ce qui diminue néceſſairement
l'intérêt que l'on pourroit
prendre aux malheurs de l'héroïne. Mais
la leçon que les pères&mères peuventretirer
de ces malheurs fuffit pour les intéreſſer
à la lecture de ce roman écrit dansla
forme épiſtolaire .
Vies des Pères , des Martyrs , & des autres
principaux Saints, tirées des actes origi .
naux , & des monumens les plus authentiques
, avec de notes hiſtoriques
& critiques ; ouvrage traduit de l'Anglois
. Tome IX , in 8 °. Prix , 6 liv.
relié . A Villefranche - de- Rouergue ,
chez Pierre Vedeilhić , imprimeur-libraire
; & à Paris , chez Barbou , rue
des Mathurins .
Ce nouveau volume contient la ſuite
des Saints du mois de Septembre. Il intéreſſe
particulièrement par les hiſtoires
qu'il nous préſente de St Jerôme docteur,
de St Remi de Reims , de St François
d'Aſſiſe , de St Denis , evêque de Paris
de St Calliſte Pape , de St Bruno , fondateur
des Chartreux. Ce vertueux anacho
JANVIER. 1774
rète avoit pris pour deviſe ces paroles du
Pfalmiſte : « Mes yeux devançoient les
>> veilles & les ſentinelles de la nuit : j'é-
>> tois plein de trouble , & je ne pouvois
» parler .... J'avois les années éternelles
>> dans l'eſprit. Je me ſuis éloigné par la
» fuite , &j'ai demeuré dans la ſolitude. >>
On voir par les écrits de St Bruno que ce
Saint goûtoit dans ſa ſolitude une joie &
des délices inconnues au gens du monde.
Une aimable gaîté accompagne toujours
la vertu , & cette diſpoſition de l'ame eſt
fur tout néceffaire aux folitaires , le genre
de vie qu'ils ont embraſlé étant incompatible
avec une humeur fombre & un
eſprit qui s'occupe trop fortement de penſées
affligeantes. Le biographe, après nous
avoir entretenu des principales actions
de St Bruno , nous fait connoître ſes ouvrages
, dont le plus recommandable fans
doute eſt la fondation des Chartreux ,
Ordre que l'on voit , après ſept ſiècles ,
perſévérer avec la même ardeur dans la
pratique de la prière , du travail & de la
folitude. « Les Chartreux , dit le biogra-
>> phe , d'après un célèbre écrivain , con-
>> ſacrent entièrement leur tems au jeûne,
>>au filence , à la folitude & à la prière :
>>parfaitement tranquilles au milieu d'un
१० MERCURE DE FRANCE.
>> monde tumultueux , dont le bruit par-
>> vient rarement juſqu'à leurs oreilles ;
>> ne connoiſſant leurs Souverains reſpec-
>>tifs que par les prières dans lesquelles
>> leurs noms ſont inférés . »
Cette vie des Saints écrite avec beaucoup
de ſageſſe , de piété & d'onction ,
eft très - propre à édifier les fidèles ; &
nous croyons devoir exhorter le biographe
à accélerer la publication des volumes
ſuivans.
Recherches critiques , hiſtoriques & topographiques
fur la Ville de Paris , depuis
ſes commencemens connus jufqu'à
préſent ; avec le plan de chaque
quartier : par le Sr Jaillot , géographe
ordinaire du Roi , de l'Académie royale
des ſciences &belles-lettres d'Angers.
Quid verum... curo & rogo , & omnis in hocfum.
Hor. lib. 1 , ép. 1 .
13 cahier in- 80 . A Paris , chez l'auteur
, quai & à côté des grands Auguf
tins; & chez Lottin aîné , imprimeurlibraire
, rue St Jacques .
Ce nouveau cahier contient les recherches
de l'auteur ſur le treizième quartier
de Paris , Ste Avoie oude la Verrerie. Ce
JANVIER . 1774. 91
quartier eſt borné à l'orient par la vieille
rue du Temple excluſivement ; au ſeptentrion
, par les rues des Quatre-Fils & des
Vieilles Haudriettes auſſi excluſivement ;
à l'occident , par les rues StAvoie & Barre-
du-Bec incluſivement , depuis le coin
de la rue des Vieilles- Haudriettes juſqu'à
la rue de la Verrerie ; & , au midi , par
les rues de la Verrerie & de la Croix-
Blanche incluſivement , depuis le coin
de la rue Barre- du-Bec juſqu'à la vieille
rue du Temple. On compte dans ce quartier
ſeize rues , un cul-de- fac, quatre communautés
d'hommes , une de filles , &c.
Supplément à l'Art du Peintre , Doreur ,
Vernisseur du St Watin , ſervant de
réponſe à la réfutation du St Mauclerc
&à ſes profpectus. Prix , 12 fols , franc
de port par- tout le royaume. A Paris ,
chez l'auteur , carré de la porte Saint-
Martin.
M. Watin , qui aime ſon art& le cultive
avec ſuccès , ne néglige rien pour en
perfectionner les procédés , & y faire de
nouvelles découvertes . Il nous donne
dans le ſupplément qu'il vient de publier
pluſieurs obſervations utiles à ceux qui
ont acquis ſon premier ouvrage. Mais
92 MERCURE DE FRANCE.
J'auteur s'eſt principalement occupé dans
ce ſupplément à réfuter la critique que
M. Mauclerc , marchand épicier , a faite
de pluſieurs de ſes procédés . Il a pour cet
effet tranſcrit tout le traité de M. Mauclerc
, & il y répond article par article.
M. Watin , ou celui qui lui prête ſa plume
, porte même ſon attention juſqu'à
prendre en main la défenſe de Newton ,
qui n'avoit pas beſoinde défenſeur, contre
les aſſertions de M. Mauclerc ſur les couleurs
primitives .
On trouvera peut être déplacé que l'aueur
du ſupplément cite à ce ſujet à ſon
adverſaire le proverbe : Nefutor ultrà crepidam
, tandis qu'il s'occupe lui - même
dans un écrit où il ne doit être queſtion
que de vernis & de couleurs , à relever
les fantes de françois du Traité des couleurs&
vernis. On pourra auſſi blâmer le
ton que M. Watin a pris dans ſa réponſe
à l'auteur de la Gazette de Santé , nouvel
écrit périodique dont les gens de l'art &
les lecteurs qui cherchent l'inſtruction ,
re onnoiffent l'utilité .
Principes généraux & particuliers de la
Langue Françoise , confirmés par des
exemples choiſis , inſtructifs , agréa
JANVIER . 1774. 93
bles , & tirés des bons auteurs. Avec
les moyens de ſimplifier notre orthographe
, des remarques ſur les lettres ,
la prononciation , la proſodie , les ace
cens , la ponctuation , l'orthographe &
un abrégé de la verſification françoiſe.
Par M. de Wailly. Septième édition ,
revue & conſidéralement augmentée .
Sur-tout , qu'en vos écrits la langue révérée ,
Dans vos plus grands excès vous ſoit toujours
facrée.
BOIL .
vol . in- 12 . Prix , 2 liv . 10 f. A Paris ,
chez J. Barbou , imprimeur - libraire ,
rue des Mathurins .
Cette grammaire, qui a mérité l'approbation
de l'Univerſité de Paris , a été accueillie
de tous ceux qui veulent étudier
la langue françoiſe , & en connoître les
règles générales & particulières .
Ondistribue chez le même libraire une
nouvelle édition de la " profodie latine ,
• ou méthode pour apprendre les princi-
>> pes de la quantité & de la poësie lati-
» ne , à l'ufage de la Jeuneſſe , par M.
» l'Abbé *** , aſſocié de l'Académie des
>> ſciences , inſcriptions &belles - lettres
94
MERCURE DE FRANCE .
» de Châlons ſur Marne ; » vol. in
Prix , 15 fols .
• 12.
Le même libraire vient d'acquérir
nombre d'exemplaires des lettres de Pline
& le panégyrique de Trajan , traduits par
M. de Sacy ; ; vol . in- 12 .
On trouve aufſi chez lui la belle édition
de Molière , 6 vol. in- 8 ° . avec des remarques
grammaticales , & des obſervations
ſur chaque pièce par M. Bret. Prix , les 6
vol. brochés avec figures , 54 liv.
Mémoire hiſtorique&pratiquefur la Mufique
des Anciens , où l'on expoſe les
principes des proportionsauthentiques,
dites de Pythagore, & de divers ſyſtêmes
de muſique chez les Grecs , les
Chinois & les Egyptiens ; avec un-parallèle
entre le ſyſtême des Egyptiens
&celui des Modernes. Par M. l'Abbé
Rouſſier , Chanoine d'Ecouis ; ſeconde
édition .
Satis viaftrata eft , ut pofteri perfectam uno traça
tatu Muficam exponant.
Ariſtid. Quintil. de Muſicâ ,in fine , lib. 3 .
AParis , chez Lacombe , libraire , rue
Chriſtine ; avec approbation & priv .
du Roi , 1773 , in-4° .
JANVIER. 1774. 95
Lettres touchant la diviſion du Zodiaque
& l'inſtitution de la Semaine planetaire,
&c. petit in- 12. Par le même auteur &
chez le même libraire .
L'objet du Mémoire de M. R. eſt déjà
affez connu des ſcavans. En y expoſant
divers ſyſtèmes anciens , il s'eſt attaché à
combattre une multitude d'erreure qui ,
avec quelques principes vrais qui ſe ſont
conſervés parmi nous , forment le corps
de notre doctrine ſur la muſique. Quant
aux Lettres que nous venons d'annoncer ,
elles font un développement de quelques
matières traitées plus ſuccinctement dans
le mémoire , & contiennent de nouvelles
preuves touchant le principe que l'auteur
yavoit établi.
Les anciens ſyſtèmes dont il eſt principalement
queſtion dans ce mémoire, font :
la lyre de Mercure, à quatre cordes , l'hep .
tacorde ou cythare à ſept cordes , l'octacorde
ou lyre de Pythagore , le ſyſtême
des Chinois , & enfin le grand ſyſtême
des Grecs , dont Gui d'Arezzo a formé
ce que les Modernes appellent aujourd'hui
leur ſyſtême. Mais l'auteur fait voir
endivers endroits de fon mémoire que ce
prétendu ſyſtême n'eſt autre choſe que
celui des Grecs , pris à contre ſens. Ce
96 MERCURE DE FRANC
lui- ci , diſpoſé d'une certaine manière ,
procède de l'aigu au grave. Or Gui d'Arezzo
, n'appercevant pas même cette
diſpoſition particulière du ſyſtême , &
voulant y ajouter un ſon de plus du côté
du grave , s'eſt vu forcé par la tournure
du chant qui réſultoit de ſon nouveau fon ,
de prendre le ſyſtême à rebours , c'est- àdire
, en montant ; & c'eſt encore là notre
manière de procéder lorſqu'il s'agit
de ſyſtême muſical. Auſi toutes les interprétations
que divers auteurs ont voulu
nous donner des différens ſyſtemes
anciens , fur tout de celui desGrecs, fontelles
abſolument fauſſes , & , pour ainſi
dire , plus abſurdes les unes que les autres
, à meſure que chacun d'eux a plus
ou moins fuivi le fil des erreurs qu'il trouvoit
établies .
Les recherches de l'auteur l'ont con
duit à l'heureuſe découverte que les ſyſ.
têmes anciens dont il traite dans ſon némoire
, ne font tous que le réſultat d'un
ſeul& même principe , une ſérie de quartes
ou de quintes , c'eſt-à dire, de quartes
en montant , ou de quintes en defcendant;
intervalles qui , pris en ce ſens, ont
toujours été regardés comme ſynonymes
en muſique . Or , d'une ſérie de quartes ,
ou de quintes , commeſi , mi , la ,re ,fol,
ut
JANVIER. 1774. 97
ut , fa , prenez les trois premiers fons ,fi ,
mi , la , vous aurez la tyre de Mercure ,
formant le chant deſcendant mi , fi , la ,
mi. Ajoutez aux trois fons fi, mi , la ,
les deux ſuivans re &fol , vous aurez le
ſyſtême des Chinois mi , re , fi , la , fol ,
mi. Prenez les ſix ſons fi , mi , la , re ,
fol , ut , vous aurez l'heptacorde mi , re ,
ut , fi , la , fol , mi. Enfin les ſept fons
fi, mi , la , re , fol , ut , fa , donnent le
ſyſtême diatonique complet la ,fol , fa ,
mi , re , ut , fi , la , felon les Grecs , ou ut,
re , mi , fa , fol , la , fi , ut , felon la manière
inverſe des Modernes .
Aureſte , l'intonation particulière de
chacun des fons de ces différens ſyſtêmes
ſe trouve invariablement aſſignée par la
ſérie inaltérable ſi , mi , la , re , & c. qui ,
donnant à chaque ſon ſa forme & fa teneur
, fert en même temps à juger de la
fauſſeté d'une multitude de proportions
factices , arbitraires , & par-la abfurdes ,
propoſées ſur cette matière depuis les
Grecs poftérieurs à Pythagore juſqu'à nos
jours.
Enfin la même ſérieſi , mi , la , re ,
fol , ut , fa , augmentée de cinq fons ,
toujours à la quarte ou à la quinte l'un de
l'autre , commeſi-bémol , mi bémol , &c.
I. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
donne le ſyſtème plus étendu que devoient
avoir les Egyptiens , & dans lequel l'octave
eſt divisée en douze ſemi-tons , qui ,
comme les tons des ſyſtêmes précédens ,
tirent leur forme & leur intonation des
ſons de la ſérie de quintes dont ils font
formés.
Il ſemble qu'un principe ſi ſimple & en
même- tems li fécond , auroit dû ſe tranſmettre
juſqu'à la poſtérité la plus reculée,
fur-tout avec les précautions qu'avoient
priſes les premiers inſtituteurs des ſciences
de le fixer à des objets qui devoient le
perpétuer. Il eſt étonnant que ces objets ,
parvenus juqu'à nous , y foient demeurés
comme vuides de ſens , malgré l'uſage
journalier que nous faiſons&de ces
objets & de la muſique. Nous voulons
parler ici des ſept jours de la ſemaine ,
dont les dénominations , ſelon un certain
ordre des planètes, ſont une inſtitution pu
rement muſicale , & préſentent en abrégé
toute la théorie du ſyſtême diatonique
dont les Anciens compofoient leurs gammes
. En effet , la ſérie ſi , mi , la , re
fol , ut , fa , nous repréſente les jours de
la ſemaine dans l'ordre auquel les Egyptiens
, ou peut- être les Chaldéens , y ont
fait correſpondre les planètes. On voit ,
,
JANVIER. 1774. 99
par le mémoire de M. R. , que les fons
diatoniquesfi , ut , re , mi , fa , fol , la ,
répondoient , chez les Anciens , à l'ordre
ſuivant des planètes : Saturne , Jupiter ,
Mars , le Soleil , Vénus, Mercure, la Lune.
Or , arrangez par quartes ces fons diatoniques
, en commençant par fi , vous aurez
la ſérie harmonique ſi , mi , la , re ,
fol , ut , fa ; & les planètes qui y correfpondent
feront : Saturne , le Soleil , la
Lune , Mars , Mercure , Jupiter , Vénus ;
ordre qui conſtitue exactement la ſemaine
planétaire , telle qu'il a plu aux
Egyptiens , ou aux Chaldéens , de l'établir
, & qui commence par le jour de Saturne
ou Samedi , en cette manière : Saturnedi
, Soldi , Lundi , Mardi , Mercredi,
Jeudi , Vendredi.
Un Bronze antique cité par l'auteur ,
où la ſemaine eſt repréſentée en figures ,
& où l'on voit Saturne à la tête des autres
dieux , conſtate cet ordre , & ne permettroit
à cet égard aucune objection , quand
même l'auteur n'auroit pas raſſemblé, ſoit
dans ſon mémoire , ſoit dans ſes lettres ,
des preuves de taiſonnement par leſquelles
il eſt démontré que la ſemaine planétaire
a dû être telle que le Bronze antique
la repréſente.
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Quant à la férie de douze fons , à la
quinte l'un de l'autre , qui doivent fournir
les douze ſemi-tons contenus dans
une octave diviſée chromatiquement,M.
R. , guidé par le rapport que les Anciens
avoient mis , d'une part, entre l'ordre des
fons diatoniques & celui des planètes ; de
l'autre , entre la ſérie harmoniquefi , mi ,
la , re , & c . & l'arrangement des planètes
dans la ſemaine , n'avoit pas craint
d'avancer dans fon mémoire que les auteurs
de ces inſtitutions avoient eux-mêmes
diviſé le Zodiaque en douze portions,
afin d'y faire correſpondre leur férie de
douze fons à la quinte l'un de l'autre.
Cette idée , qui paroît d'abord affez fingulière
, & fur laquelle , faute de monumens
, l'auteur n'avoit pu fournir aucune
preuve , ſe trouve aujourd'hui confirmée
par des manufcrits touchant la
muſique des Chinois , qu'on s'eſt empreſſéde
lui confier depuis la publication
de ſon mémoire. On voit , par les morceaux
de ces manufcrits , rapportés dans
la première lettre de l'auteur , que les
Chinois diviſent en effet l'année en douze
lunaiſons , auxquelles ils font correfpondre
douze fons de leur ſyſtème muſical ,
&cela, dans le même ſens &pour les mêJANVIER.
1774. 101
mes vues que l'auteur avoit ſuppoſées
aux Egyptiens dans fon mémoire. Les favans
reconnoiffent aujourd'hui l'intime
rapport qu'il y a entre les Chinois & les
anciens Egyptiens : d'où il réſulte que
ce qui eſt un fait chez les Chinois ceffe
d'être une conjecture à l'égard des Egyptiens.
Les bornes de cet extrait ne nous
permettent pas d'entrer dans aucun détail
àce ſujer ; nous croyons devoir renvoyer
nos lecteurs à la lettre dont nous venons
de parler. Ils y trouveront les développemens
& les preuves qu'ils pourroient
ſouhaiter. Ceux qui ne connoiſſent pas le
mémoire de l'auteur doivent y recourir.
Il embraſſe une infinité d'objets vraiment
intéreſſans , tant pour la théorie que pour
la pratique de la Muſique.
*Régulus , tragédie, & la FeinteparAmour,
comédie en trois actes. A Paris , chez
Delalain , libraire , rue & à côté de la
Comédie Françaiſe .
L'auteur a réuni dans un même volume
ces deux ouvrages qu'il avait réunis au
* Cet Article & le ſuivant font de M. de la
Harpe.
Eiij
102 MERCURE DE FRANCE.
théâtre ,& qui tous deux ont obtenu l'applaudiſſement
du Public .
Onconnaît le ſujet de Regulus .On fait
que Pradon en a fait un qui eut du ſuccès
& qui eſt oublié. Il y avoit quelqu'intérêt
dans ſon ouvrage. Il avait rendu Régulus
amoureux . C'étoit alors la mode que tous
les héros le fuſſent. On n'avait pas ſenti
qu'il y a des caractères qui excluent l'amour
, parce qu'ils excluent la faibleſſe.
Régulus ne doit pas être plus amoureux
que Brutus ; c'eſt ce qu'a très bien ſenti le
célèbre Métaſtaſe , qui, forcéde ſubordonner
ſon génie aux loix de l'opéra italien ,
&de înêler deux épiſodes d'amour au ſujet
de Régulus , s'eſt bien gardé du moins
de faire entrer cette paſſion dans le caractère
de ſon héros , qui d'ailleurs eſt un
modèle de grandeur & d'éloquence. M.
Dorat , qui ,aux épiſodes près , a fuivi la
marche & le plan de l'ouvrage italien , a
très-ſagement imité Métaſtaze en cette
partie. Mais , aux perſonnages de Publius
&d'Attilie , tous deux enfans de Régulus ,
il a ſubſtitué Marcie , épouſe de ce digne
Romain, qui joue dans la pièce un rôle digne
d'une femme Romaine , & plus tragique
que les deux perſonnages épiſodiques
deMétaſtaze.Elle nous apprend elle-même
JANVIER. 1774. 103
dans la première ſcène comment furent
formés les liens qui l'attachent à Régulus .
Ils ne ſont plus, ces temps,
Où j'oſais reſpirer un légitime encens ;
Ces jours où Regulus , domptant juſqu'à l'envie,
Illuſtrait à- la- fois la femme & ſa patric.
Le rapport inégal de ſes ans & des miens
Ne fut point un obſtacle à de fi beaux liens ,
Et mon ame, féduite au bruit de ſon courage ,
En comptant ſes lauriers , n'apperçut point ſon
âge.
Au ſortir d'un long fiége où ſon noble ſecours
Avait ſauvé la vie à l'auteur de mes jours ,
Il revint précédé d'une pompe guerrière :
J'épouſai le vainqueur, & j'acquittai mon père.
Régulus m'adorait , & me plut à ſon tour :
C'était un ſentiment... au-deſſus de l'amour !
Quels tranſports , quelle joie ont marqué la naiffance
De ce fils , ce cher fils , notre unique eſpérance !
Je voyais mon époux , au retour des combats ,
Sourire à cet enfant careſlé dans mes bras ,
Nous prodiguer les ſoins d'une ame ſimple &
pure ,
Et dépoſer ſa gloire au ſein de la nature.
Pouvais -je alors prévoir un ſiniſtre avenir ;
Et que de ſi beaux jours duſſent ſitôt finir ?
Abſente de nos murs , tu ne vis point , Barfine ,
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
De mes profonds ennuis la fatale origine.
Après cinq ans de paix & d'un hymen heureux ,
La haine dans Carthage alluma tous les feux.
Il fallut , affurant la fortune publique ,
Détourner les complots que méditait l'Afrique.
Sans briguer cet emploi , modeſte & renfermé ,
Parmi tous les rivaux , Régulus fut nommé.
Il vint me l'annoncer ; ſon front plein de noblefle
Impoſa , malgré moi , filence à ma faiblefle .
Par ſa mâle conſtance étonnant mes eſprits ,
Sans verfer une larme , il embraila ſon fils ;
Il partit ; mais bientôt ſa prompte renommée
Fit connaître l'orgueil à mon ame charmée.
De les nombreux exploits dévorant les récits ,
Rome tournait vers moi ſes regards attendris .
Le nom de mon époux , ſa valeur fortunée ,
Au bonheur de l'Etat joignaient ma deſtinée.
Quel changement , hélas ! dans ſon fort & le
mien !
Régulus eſt eſclave , & je ne ſuis plus rien .
Régulus eſt eſclave ! Ah ! dieux ! ô fort funeſte !
Un regret éternel eſt tout ce qui me reſte.
Plus d'honneurs , plus de rang, lorſqu'il eſt dans
les fers .
Partager , loin de lui , l'horreur de ſes revers ,
Sentir tous les degrés de la longue infortune ,
Fatiguer les Romains de ma plainte importune ,
Affiéger le Conful , pleurer avec mon fils :
Voilà tous mes devoirs ; je les ai tous remplis.
JANVIER. 1774. 105
On attend un Ambaſſadeur de Carthage
. Marcie eſpère la délivrance de fon
époux ; mais elle craint l'inflexible auſtérité
du Conful Manlius à qui même elle
ſuppoſe une fecrette jalouſie de la gloire
de Régulus. Elle attend plus d'appui du
jeune Licinius , tribun du peuple , adorateur
enthouſiaſtedu héros captifen Afria
que. On apprend à Marcie que Régulus
arrive avec l'Ambaſſadeur. Elle court audevant
de lui. Le Sénat s'aſſemble dans
le temple de Bellone. Régulus y paraît
avec l'envoyé Carthaginois qui vient propoſer
l'échange des prifonniers. On demande
l'avis de Régulus. Ce Romain
avait juſqu'alors refuſé de prendre ſa place
parmi les Sénateurs . Mais,au moment
où il peut être utile à ſa patrie , il reprend
ſon rang avec joie pour lui faire un dernier
ſacrifice. Voici le diſcours qu'il
tient :
Puiſque , malgré mes fers , ma défaite & vos loix,
Vous permettez qu'icij'oſe élever la voix ,
Je n'abuſerai point de cet honneur infigne ;
Et,moinsje l'eſpérais , plus mon coeur en eſtdigne.
Me laiſſant vos bontés , le fort ne m'ôte tien ,
Et l'eſclave dans moi fait place au citoyen.
Deſcendans de Rémus , peuple vainqueur & libre,
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
Guerriers , légiſſateurs , héros & dieux du Tibre ,
Vos ennemis enfin s'abaiſſent devant vous ;
Mais ne laiſſez jamais fléchir votre courroux.
Encore une victoire , & l'Afrique eſt ſoumiſe ;
Deux poftes exceptés , la Sicile eft conquife.
Rome voit ſe former des ſoldats généreux ,
Nés ſur le même ſol , ſervant les mêmes Dieux ,
Réunis par les loix , les moeurs & le langage :
Eh ! que pourraient contre eux les foldats de Carthage
,
Mercenaires errans , dont le ſang mendié
Ne vaut pas même l'or de ceux qui l'ont payé ?
Quedis- je ? l'Etranger , qu'aigrit leur injustice,
Aux Africains déjà ne vend plus ſon ſervice.
Xantippe , ce héros leur vengeur , leur appui ,
Dont j'ai pleuré la mort , quoique vaincu par lui ,
Xantippe , qu'opprima leur perfide inconſtance ,
Apprend à l'Univers ce qu'il faut qu'il en penſe ,
Détourne les ſecours qu'on oſait leur porter ,
Et décourage ceux qui pourraient l'imiter.
Triomphans aujourd'hui , vous allez l'être encore:
Eſt- il temps de traiter alors qu'on vous implore?
Enfin que craignez-vous de ce Peuple affaibli ?
Une fois , il est vrai , les deſtins m'ont trahi :
Mais ſoudain notre Rome , en guerriers fi fertile
,
Pour effacer ma honte arme un bras plus utile :
Métellus a paru , nos vainqueurs ont tremble ;
JANVIER. 1774 . 107
Et leur ſang odieux à grands flots a coulé .
Combien de fois , ô Ciel ! j'ai joui de leurs craintes
!
L'écho de leurs rochers me renvoyait leurs plaintes.
De la contagion le ſouffle dévorant
Les enſeveliſſait ſous leur ſable brûlant ,
Et les cris deCarthage , à la douleur en proie ,
Au fond de mon cachot venaient porter la joie.
J'y rentre ſans regret , pourvu que par vos mains
Ruiflellejuſqu'à moi le fangdes Africains .
Que je hais leur demande & leur infame adreſſe !
Ils ont cru dans mon coeur ſurprendre une faiblefle
,
Et, par un vil appas , s'aſſurer de ma foi :
Mais ils me connaîtront , mais Rome eſt tout
pour moi ;
Mais je voue à Carthage une haine immortelle ,
Et ne viens parmi vous que pour m'armer con
tre elle.
Licinius combat la généroſité du Héros
, & le Sénat remet la délibération à
une aſſemblée dans l'intérieur de Rome ,
où aſſiſteront pluſieurs des Sénateurs les
plus conſidérables qui n'ont pu ſe trouver
dans le temple de Bellone.
A l'ouverture du ſecond acte , Marcie
ſe plaint que Régulus s'eſt dérobé à ſes
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
embraffemens . Amilcar , envoyé de Carthage
, vient lui apprendre que le plus
horrible fupplice eſt préparé pour Régulus
, s'il retourne en Afrique . Marcie ,
épouvantée, quitte l'Ambaſſadeur & veut
foulever tous les coeurs en faveur de Régulus
. C'eft lui fur-tout qu'il faut fléchir.
Elle reparaît un moment après avec lui ,
& emploie , pour l'attendrir , les droits de
Thymenée & ceux de la nature. Elle lui
parle fur- tout du jeune Attilius fon fils.
Ce morceau eſt un des plus touchans de
la pièce.
Avec moi renfermé ſous un toit folitaire ,
Sans ceffe à ma douleur il demande ſon père ;
De fon âge innocent il dédaigne les jeux :
Le fils de Régulus eſt déjà malheureux !
Songe avec quels tranſports , quelle touchante
ivreffe,
Tu reçus dans tes bras ce fruitde ma tendrefle !
Toi , qui l'as tant chéri, tu vas donc l'immoler ?
Inſtruit par tes leçons , il peut te reflembler.
Ses progrès , ſon ardeur auraient pour toi des charmes.
Déjà fa faible main à ſoulevé des armes .
Regulus fait un mouvement de joie.
Digne d'être ton fils , il ſe fait mille fois ,
Tou ours plus accentif, raconter tes exploits.
JANVIER . 1774. 109
Souvent même, au récit de ta longue ſouffrance ,
Il ſemble être ſaiſi d'un inſtinct de vengeance ;
Et , de mon déſeſpoirprévenant les éclats ,
Il vient , avec des cris , ſe jeter dans mes bras ...
Oui , je l'ai vu ſouvent , pour toi quel doux prélage
!
Friſſonner de colère , au ſeul nom de Carthage.
Tu ſembles t'attendrir !
RÉGULUS . ( retenantfes larmes .)
Je reconnais mon fils ...
Il ſera quelque jour l'honneur de mon pays .
MARCIE.
Ton égal , ton vengeur , ſi tu veux le conduire.
RÉGULUS.
Mon exemple & sonnom ſuffiront pour l'inſtruire:
On a dû remarquer dans ce morceau
pluſieurs vers heureux &du vrai ton de
la tragédie.
Le fils de Régulus eſt déjà malheureux.
Déja la faible main a ſoulevé des armes.
Il ſemble être ſaiſi d'un juſtinct de vengeance.
Friflonner de colère au ſeul nom de Carthage, &c.
Nous obferverons que l'auteur n'aurait
peut-être pas dû laiſſer dans ce morceau
ΙΙΟ MERCURE DE FRANCE .
pathétique ce vers qui n'eſt pas d'un ſens
bien clair :
Et demon déſeſpoir prévenant les éclats.
Le ſentiment n'admet rien de vague ,
& c'eſt fur- tout dans de pareils momens
que le ſtyle doit être ferme& plein , que
rien ne doit être donné à la rime ,& tout
à la vérité. Des vers de cette eſpèce pafſent
au théâtre à la faveur de la déclamation
; nais,ſur le papier, ils refroidiraient
le lecteur , s'ils étaient multipliés .
Et mon vers,bien ou mal , dit toujours quelque
choſe.
(BOIL.)
Ce vers doit fervir de règle ſur - tout
dans le ſtyle dramatique. Nous ajouterons
encore comme une remarque générale
, qu'on ne nous foupçonnera pas d'appliquer
à l'auteur de Régulus , que ce qui
fait tomber aujourd'hui tant d'ouvrages
en vers , ce ne font point les fautes grofſières
faciles à éviter parmi tant de modèles;
c'eſt le grand nombre de vers vuidesde
ſens , étrangers au ſujet , à la ſituation.
C'eſt-là le défaut vraiment funeſte ,
parce qu'il produit l'ennui ,& que l'ennui
détruit les ouvrages .
On apporte un billet de Manlius qui
apprend que l'avis de Régulus a prévalu
JANVIER. 1774 . "
dans le Sénat , qu'on refuſe l'échange des
captifs , & qu'il ſera renvoyé en Afrique.
Marcie ſe livre au déſeſpoir ; mais le tribun
Licinius vient la raſſurer , en lui apprenant
que le Peuple s'émeut en faveur
de Régulus , qu'on met en queſtion ſi la
foi eſt due à des barbares , & que les Augures
s'aſſemblent à ce ſujet. Régulus
s'écrie :
Ces inutiles ſoins ſont pour moi des injures.
Mon coeur & mes ſermens , ce ſont- là mes augures.
Il s'arrache des brasde ſa femme &de
ceux de Licinius .
On voit , au troiſième acte , les vaifſeaux
figurés dans le lointain pour l'embarquement
de Régulus. Il ſe débat avec
indignation au milieu du peuple qui veut
l'arrêter. Il s'adreſſe aux Romains.
Eh ! bien , ſi vous m'aimez , embraſſez ma vengeance
:
C'eſt la vôtre : armez - vous armez mille vailleaux
;
Cherchez au ſein des mers des triomphes nouveaux
:
Teints d'un ſang odieux , rapportez ſur ces rives
Vos drapeaux enlevés & vos aigles captives :
Nequittez point le fer , que vos rivaux punis
112 MERCURE DE FRANCE .
N'expirent étendus ſur de ſanglans débris .
Eternel monument de la rage Africaine ,
Que ma mort dans vos coeurs foit un titre de
haine !
Pour vous guider encor , mes mânes en courroux,
S'élevant dans vos rangs , marcheront devant
vous ;
Et mon nom , devenant le ſignal du carnage ,
Du fond de mon tombeau je détruirai Carthage.
On lit dans Pradon :
Je détruirai Carthage encore après ma mort.
Cette idée est belle. M. Dorat, qui a en
grande raiſon de ſe l'approprier , a fait
d'un vers très - plat un très beau vers .
Manlius ſe préſente d'un côté pour faire
ranger le Peuple , &de l'autre le Tribun
Licinius anime les Romains & les exhorte
à retenir le héros. Régulus leur reproche
avec tant de vivacité de vouloir fon
déshonneur , qu'ils lai ouvrent le paſſage.
Arrive alors Marcie qui ſe préſente audevant
de lui avec ſon fils. Le jeune Attilius
lui dit :
Ne partez point ; ſoyez l'appui de ma jeuneſle :
Queje puiffe vous voir , vous contempler ſans
cefle!
Laifſez dans votre coeur , faible une ſeule fois ,
JANVIER . 1774. 113
Pénétrer les accens de ma timide voix.
Au nom de mon amour , de mes pleurs , de mon
âge ,
(Avec le cri de la douleur .)
.. Laiflez - vous attendrir . N'allez point à Carthage.
Ce dernier mot eſt attendriffant. Il a
la fimplicité de l'enfance. Mais cet hémiltiche
,faible unefeule fois , n'eſt- il pas
un peu fort pour l'âge d'Attilius ? On
peut remarquer d'ailleurs qu'il ne faut
mettre un enfant ſur la ſcène que lorfqu'il
fait une partie néceſſaire de l'action ,
comme dans Athalie où le péril de Joas
eſt le fondement de la pièce ; dans Inès ,
où les enfans qu'on amène font le crime
de Dom Pédre , & obtiennent ſa grâce.
On ne doit employer les grands refforts
du pathétique que pour produire de grands
effets. Le fils de Régulus n'eſt point néceſſaire
à la pièce , & n'y produit rien.
On fent trop qu'il peut indifféremment
y être ou n'y être pas , & qu'il ferait trop
aifé , dans tous les drames où l'on aurait
quelque choſe à obtenir d'un père , de
faire arriver fon fils pour le fléchir.
Régulus eſt inflexible. Il conſole fon
fils & fon épouſe , mais il eſt déterminé
114 MERCURE DE FRANCE.
à partir. Ses adieux à Marcie ont de l'intérêt&
de la nobleſſe.
Veille ſur notre fils... qu'il ſoit digne de moi !
Que parmi nos guerriers la gloire un jour le nomme!
Tule dois à ce fils , & tu le dois à Rome ,
Qu'il garde ſes ſermens ! qu'il s'exerce aux travaux
!
Qu'il vive en citoyen , &qu'il meure en héros !
Dans tous les temps Marcie aux Romains ſera
chère ;
Du fils de Régulus on aimera la mère.
Marcie tombe dans les bras de ſes femmes
, & Régulus monte au vaiſſeau.
Onne nous faura pas mauvais gré de
rapprocher ici quelques endroits du poëte
Italien des imitations de l'auteur Français.
La langue de Métaſtaze eſt ſi fami.
lière à tous les lecteurs inſtruits , que nous
nous contenterons de citer fes vers ſans
en donner une traduction littérale qui ne
ferait qu'alonger inutilement cet article,
Prenons , par exemple,cet endroit où Attilie
, fille de Régulus , rappelle à Manlius
les ſervices de ſon père , endroit qui n'eſt
lui-même qu'une imitation de Tite- live.
Chi queſt aure reſpira
Ah , come
JANVIER . 1774. 115
Può regolo obbliar ! qual parte in Roma
Non vi parla di lui ? Le vie ? Per quelle
Ei paflò trionfante. Il foro ? A noi
Provide leggi ivi detto. Le mura ,
Ove accorre il Senato ? I ſuoi conſigli
La fabbricar più volte
La pubblica ſalvezza. Entra né tempi ,
Aſcendi , o Manlio , il campidoglio , e dimmi ,
Chi gli adornò di tante
Inſegne pellegrine ,
Puniche , Siciliane , e Tarentine.
Queſti , queſti littori ,
Ch' or precedono à te ; queſta che cingi ,
Porpora confolar Regolo ancora
Ebbe altre volte intorno. Ed or ſi laſcia
Morir fra' ceppi ? Ed or non ha per lui ,
Che i pianti miei , ma ſenza pro verſati ?
Oh padre ! oh Roma ! oh Cittadini ingrati !
Voici comme l'auteur français fait dire
à peu près les mêmes choſes à Marcie.
Comment excuſer Rome ? & peut- on , Manlius ,
Reſpirant l'air du Tibre , oublier Régulus ?
Quel enclos dans nos murs n'atteſte point ſon zèle,
Sa ſublime équité , ſa valeur immortelle ?
Les tribunaux ? du faible il y fut le vengeur :
Le Sénat ? vous ſavez s'il en était l'honneur .
Montez au Capitole où ſa main triomphante
:
116 MERCURE DE FRANCE.
Suſpendit des vaincus la dépouille ſanglante,
Ces lances , ces drapeaux à Carthage enlevés ,
Monumens glorieux , que Rome a confervés .
Que dis - je ? & ces faifceaux, & ces aigles altières
Et l'auguſte appareil des honneurs contulaires ,
Etcette pourpre enfin ſouveraine des Rois ,
Régulus , comme vous , les obtint autrefois .
Le chef, l'ami , le Dieu des légions Romaines ,
Vainqueur en cent combats , va mourir dans les
chaînes :
Moi ſeule je lui reſte. O Ciel ! ô Régulus ! ..
Et voilà donc le prix que l'on garde aux vertus !
1
Manlius prétend qu'il faut s'en prendre
àCarthage,& non pas à Rome. La réponſe
d'Attilie est belle.
Eh , che Cartago..
La barbara non è. Cartago opprime
Un nemico crudel : Roma abbandona
Un fido Cittadin . Quella ramenta ,
Quant'ei già l'oltraggio : queſta ſi ſcorda ,
Quant' ei ſudò per lei. Vendica l'una
I fuoi roflori in lui ; l'altra il puniſce ,
Perché d'allor le circondò la chioma :
La barbara or quale ? Cartago , o Roma ?
: MARCIE .
Carthage enchaîne un bras toujours armé con
tre elle ;
JANVIER 1774. 117
Rome oublie un Romain , un défenſeur fidèle .
Carthage , en l'accablant , ſe venge d'un vainqueur;
Rome , en l'abandonnant , punit un bienfaiteur.
Prononcez , Manlius ; qui des deux eſt coupable ? ..
On voit que l'auteur Français a abrégé
cette réponſe , mais ne l'a- t'il pas un peu
affaiblie ? En revanche il paraît au-deilus
de l'auteur Italien dans le morceau fuivant
fur les devoirs du citoyen envers ſa patriea
C'eſt Régulus qui parle .
La patria è un tutto ,
Di cui fiam parti. Al' cittadino è fallo
Confiderar ſe ſteflo
Separatoda lei . L'utile , o'l danno ,
Ch'ei conoſcer dee ſolo , è ciò , che giova ,
Onuoce alla ſua patria , a cui di tutto
E' débitor. Quando i ſudori , e'l ſangue
Sparge per lei , nulla del proprio ei dona :
Rende ſol ciò , che n'ebbe. Eila il produfle ,
L'educo lo nudrì : con le ſue leggi
Dagl' inſulti domeftici il difende ;
Dagli eſterni con l'armi. Ella gli preſta
Nome , grado , edonor : ne premia ilmerto ,
Ne vendica le offefe : e madre amante
Afabbricar s'affanna
La ſua felicità , per quanto lice
118 MERCURE DE FRANCE.
Al deſtinde' mortali eſle felice .
Han tanti doni , è vero ,
Il peſo lor . Chi ne ricuſa il peſo ,
Rinunzi al benefizio . A far fi vada
D'inolpite forefte
Mendico abitatore : èlà di poche
Miſere ghiande , e d'un covil contento
Viva libero , e ſolo à ſuo talento.
Ce morceau eſt un peu long ; il y a
même de la langueur , quoique les idées
en ſoient vraies & frappantes . M. Dorat
l'a refferré & l'a rendu plus vif & plus
énergique .
La patrie eſt un corps reſpectable & facré.
Qui de nous peut , ſans crime , en être léparé ?
Lui prodiguer ſon ſang , la ſervir , la défendre ;
Va , crois - moi , ce n'eſt point lui donner : c'eſt lui
rendre.
Ne lui devons - nous pas rangs , honneurs , sureté
;
Le nom de citoyen , ſur- tout , la liberté ;
La liberté ! .. ſans qui l'homme ceſſe d'être hom
me ,
Le fondement , l'orgueil & la gloire de Rome ?
Il faut de quelque peine acheter ſa douceur ;
Mais , exempt de travaux , at'on droit au bong
heur?
JANVIER. 1774 1 ,
L'ingrat qui le prétend , qu'il s'éloigne , qu'il
fuie ,
Qu'il aille loin du Tibre enfevelir ſa vie ,
Et, malheureux par tout , chaſſé de l'Univers ,
Ades monſtres errans diſputer les déſerts !
M. Dorat nous paraît encore avoir furpaſſe
ſon modèle dans ces deux beaux
vers .
C'eſt une lâcheté que des Romains demandent ,.
Et c'eſt de Régulus que les Romains l'attendent !
Le poëte Italien dit littéralement : on
veutune perfidie , on la veut dans Rome,
on la veut de moi ! Les deux vers françois
nous paraiſſent d'une fimplicité plus nerveuſe.
Terminons ces citations par le
difcours qué Régulus adreſſe aux Romains
, & qui les détermine à lui ouvrir
un paſſage. Licinius lui objecte que Rome
va perdre en lui ſon père. Il répond :
Roma rammenti ,
Che'l ſuo padre è mortal ; che alfin vacilla
Anch ' ei ſotto l'acciar : che ſente alfine
Anch ' ei le vene inaridir ; che omai
Non può verſar per lei
Ne' ſangue , ne' fudor : che non gli reſta ,
Che finir da Romano. Ah ! m'apre il cielo
120 MERCURE DE FRANCE.
Una ſplendida via : de' giorni miei
Pofſo l'annoſo ſtame
Troncar con lode ; e mi volete infame !
No : poffibil non è . De' miei Romani
Conoſco il cor. Da regolo diverſo
Penſar non può , chi reſpiro nafcendo
L'aure del campidoglio. Ognun di voi
So , che m'invidia : e che fra' moti ancora
Diquel , che l'ingannò tenero ecceflo ,
Fa voti al Ciel di poter far l'iſteſſo ,
Ah ! non più debolezza. A terra a terra
Quell' armi inopportune ; al mio trionfo
Più non tardate il corſo
O amici , o figli , o cittadini. Amico
Favor da voi domando :
Eforto citadin : padre comando .
Il ſemble que M. Dorat aurait pu tirer
unplus grand parti de ce morceau qui eſt
d'une grande beauté. Il en a imité ainſi
quelques mouvemens .
Non : vous êtes Romains ;
Vous allez à l'inſtant m'ouvrir tous les chemins.
Je fais qu'au fond du coeur , chacun de vous
m'envie ,
Et fait des voeux ſecrets pour perdre ainſi la vie.
Unmomentde pitié ſurprit votre vertu ;
Mais
JANVIER. 1774.
121
:
Mais vous en rougiſſez ; l'honneur a reparu :
Vous avez furmonté cette indigne faibleſſe :
Je le vois... dans vos coeurs a paſlé mon ivreſſe.
Dieux ! le rivage eſt libre ! .. Africains , je vous
Luis.
Le plus grand inconvénient du ſujet de
Régulus , c'eſt que le noeud de l'action eſt
tranché dès la première ſcène où ce Romain
paraît. Dès qu'il s'eſt oppoſé à l'échange
des priſonniers , il eſt obligé de
retourner à Carthage , parce que, même
ſans être un héros , on n'eſt jamais difpenſé
de tenir ſa parole. Dès lors le dénouement
est néceſſaire & prévu. Le devoir
de Régulus n'a pas de contrepoids
qui le balance. L'amour qu'il peut avoir
pour ſa femme &pour ſon filsn'eſt point
une raiſon d'être infidèle à ſon ſerment.
Il faudrait, pour produireune ſuſpenfion
motivée , qu'il s'élevât quelque obſtacle
qui pût mettre Régulus lui- même dans
l'incertitude s'il doit ou ne doit pas partir.
Mais, quoiqu'il en ſoit de ce défaut qu'il
n'était peut-être pas poſſible d'éviter , le
drame de M. Dorat n'en eſt pas moins
eſtimable . Il y a de la ſimplicité dans la
marche , de l'élévation & de la force dans
les ſentimens , &de beaux vers.
I. Vol. F 1
122 MERCURE DE FRANCE .
La Feinte par Amour a auſſi un fonds
très fimple. Le ſujet eſt à- peu-près tel que
celui des pièces de Marivaux. Tout le
noeud conſiſte dans un mot qu'il faut arracher.
Mais la manière d'écrire de ces
deux auteurs ne ſe reſſemble nullement.
Marivaux a plus de fineſſe , & M. Dorat
a plus de gaîté. Il a d'ailleurs l'avantage
d'écrire en vers , & il y en a de très-jolis
dans ſa comédie. On a remarqué que la
gaîtéde ſa diction comique tient ſouvent
à ce que l'on anomméde nos jours le perfifflage
, & à un certain langage très- uſité
dans pluſieurs ſociétés , & qui eſt inconnu
dans beaucoup d'autres. Mais ſi ce langage
eſt un des ridicules du moment ,
on ne peut blâmet un auteur comique de
Pavoir faifi . Ce n'eſt pas que le perfifflage
foit abſolument moderne. On en trouve
des traits fort agréables dans de bons
écrivains du fiècle paffé , par exemple ,
dans Hamilton . Mais ce perfifflage tenait
à une tournure d'eſprit qui faiſait dire
plaiſamment les choſes ſérieuſes , & férieuſement
les choſes plaiſantes , & alors
il était vraiment ingenieux & original,
Lorſque le Comte de Grammont dit au
Roi d'Angleterre , en parlant de ſon valetde-
chambre Termes :je l'aurais infailli
JANVIER. 1774. 123
blement tué , fije n'avais craint de faire
attendre Mademoiselle d'Hamilton , il dic
une choſe très - gaie. Mais depuis , des
gensqui avaient beaucoup moins d'eſprit,
ſe ſont fait un langage découſu , néologique
, vague& burleſque , qu'ils ont appelé
perfifflage. Peut être M. Dorat aurait-
il dû faire de fon Floricourt un perſonnage
de cette eſpèce. En l'annonçant
d'avance comme très - ridicule , & lui
donnant le jargon entortillé & vuide de
ſens , ſi fort à la mode chez les agréables
du mauvais ton , il aurait rempli un des
objets principaux de la comédie , celui
de donner une bonne leçon. En général
il ne faut jamais que les caractères comi.
ques ſoient deſſinés à demi. On ne peut
trop en approfondir les traits. Auffi at'on
trouvé que les caractères de Liſimon
& de Floricourt n'étaient pas affez décidés.
Mais les ſcènes des deux amans font
pleines d'agrément &d'eſprit , &ont fait
avec raiſon le ſuccès de l'ouvrage dont
nous allons donner une idée.
Liſimon , vieux politique , rempli de
la manie des projets , a pour nièce une
jeune veuve nommée Méliſe , très aimable
, mais un peu coquette , livrée au tourbillon
du monde , & environnée de fou-
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
pirans. Damis , qui loge dans la même
maiſon , eſt amoureux d'elle , & s'eſt apperçu
qu'elle a du goût pour lui. Mais il
craint que ce goût ne ſoit un ſentiment
auſſi léger que le paraît le caractère de
Mélife. Il craint que cette femme ſi diſſipée
ne foit peu capable de conſtance , &
il voudrait éveiller &fixer ſa ſenſibilité. Il
ſe détermine à cacher ſur - tout l'amour :
qu'il reffent, pour augmenter celui qu'il
inſpire , & il veut , en alarmant la jalouſie
& la vanité de ſa maîtreſſe , lui faire
mieux connaître enſuite le plaifir d'être
véritablement aimée. Méliſe , impatientée
de ſa réſerve , prend le parti , pour,
mettre ſon amour à l'épreuve , de lui envoyer
une lettre de congé. C'eſt Dorine
qui l'apporte , & cette ſuivante eſt dans
les intérêts de Floricourt , l'un des étourdisqui
compoſent la Cour de Méliſe , &
qui aſpirent à ſa main plus ou moins ouvertement.
Cette Dorine, en cauſant avec
Germain, le valet de Damis, trace le portrait
de ſa maîtreſſe qui n'eſt point du
tout raſſurant pour un homme bien épris.
Veuve d'un pédagogue , appelé ſon mari ,
Elle a pris dans le monde un maintien aguerri ,
Et , de la liberté connaiſſant l'avantage ,
Elle ne voudra plus tâter de l'eſclavage.
:
JANVIER . 1774.
125
D'honneur , l'indépendance eſt un état charmant !
Les veilles , le ſpectacle, & les goûts d'un moment
,
Et la coquetterie à toute heure excitée ,
Et le renom flatteur d'une femme citée ,
Voilà ce qui l'enivre ! ... à quelques humeurs
près ,
Qui , depuis pluſieurs jours, ont voilé ſes attraits.
Fière d'accumuler conquête ſur conquête ,
Fort légère , un peu folle & pourtant très honnête,
Son unique deſir , crois- moi , c'eſt de charmer :
Nous vous laiſſons le ſoin & l'embarras d'aimer.
Damis paraît , tenant le portrait de
Mélife. Ce portrait eſt une copie qu'il a
fait tirer ſans qu'elle le fût. Il lui adreſſe
ces jolis vers :
Heureuſe illuſion , qui me rends ſa préſence ,
L'amour ne t'inventa que pour charmer l'abſence!
Je ne ſais cependant ; ce portrait ſéducteur ,
En captivant mes yeux , contente peumon coeur.
Un reproche ſecret vient troubler mon ivreſſe.
Qu'est-ce qu'un bien qui pèſe à la délicateſſe?
Ce qui m'enchante ici , gage trop imparfait ,
N'eſt qu'un larcin , hélas ! & dut être un bienfait.
On lui rend ſa lettre de congé. Il la
reçoit avec un grand air d'indifférence. Il
donne même ſa bourſe à Dorine pour la
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
payer de fon meſlage. Fioricourt s'annonce
en chantant :
Je ſuis triſte , &je viens près de toi
Pour éclaircir le noir qui s'empare de moi .
Que je te trouve heureux tun eſprit toujours
libre!
Tu maintiens dans tes goûts le plus juſte équilibre;
Le Sort prévient tes voeux , tout ſuccède à ton
gré ;
Très peu d'ambition , un amour tempéré !
Moi , je ſuis baloté de toutes les manières :
Le feu , plus que jamais , s'eſt mis dans mes affais
res :
Tout , depuis ce matin , m'affecte horriblement.
Voilà précisément ce jargon dont nous
parlions tout à l'heure , ces grands mots
qui nediſent rien . Mais, un moment après,
cet étourdi fait un portrait de la Cour
digne d'un excellent eſprit. Ce morceau
eft charmant , & l'un des mieux écrits de
la pièce .
La faveur maintenant n'est qu'un flux & reflux ;
On a beau la pourſuivre: on ne la fixe plus.
Il ſemble qu'aujourd'hui la fortune vous rie.
Demain le ciel ſe brouille & la ſcène varie .
Le terrein où je marche eſt fertile en ingrats;
JANVIER. 1774. 127
C'eſt un ſable mouvant qu'on ſent fuir ſous ſes
pas;
Et le Public léger , qu'un changement réveille ,
Brife , en riant , l'autel qu'il encenſait la veille.
Ainfide crainte en crainte , & d'eſpoir en eſpoir ,
On le tue à briguer ce qu'on ne peut avoir.
Parmi cent concurrens , coudoyé dans la foule ,
Moins de gré que de force , on cède au hot qui
roule ,
-Et, plus que mécontent , mais non pas converti ,
On ſe retrouve au point d'où l'on était parti .
On voit que ce Floricourt a pluſieurs
tons fort differens ; par conféquent ſon caractère
manque d'une forte d'unité. Damis
au contraire ſoutient parfaitement le
ſien. Il eſt toujours réſervé , toujours maître
de ſes mouvemens , & attentif à ſe
régler fur ceux d'autrui. Floricourt lui demande
s'il épouſe Mélife. Il ſe garde bien
de répondre à cette queſtion. Mais Floricourt
déclare qu'il ira toujours en avant ,
&qu'il eſt déterminé à épouſer Mélife .
Je veux de ma fortune étayer les ruines.
Pour les gens de notre ordre il n'eſt que ce recours.
Etourdis par nos goûts , diſtraits par nos amours ,
Tant que l'activité nous tient lieu d'opulence ,
F1V
128 MERCURE DE FRANCE.
Nous vivons dans l'ivreſſe & dans l'indépendance.
Autres temps , autres ſoins ; riſquant quelques
ſoupirs ,
Nous implorons l'hymen pour payer nos plaifirs.
Adicu; je vais courir chez tous mes gens d'affaires
,
Et mettre à la raiſon intendant & notaires .
Tous ces animaux-là,qu'on voit en enrageant ,
Ont toujours de l'humeur , & n'ont jamais d'argent.
Ces deux derniers vers ſont très-plaifans.
Damis fort , réſolu de foutenir jufqu'au
bout fon plan de conduite . Auſecond
acte il voit Lifimon qui lui avait
fait quelques ouvertures ſur le mariage
de ſa nièce. Il lui demande comment il
eſt poſſible que Méliſe ait choiſi le train
de vie qu'elle mène .
Comment ſouffre-t'elle un cercled'étourdis,
D'agréables , de ſots , par la mode enhardis ;
Du bon ton , qu'ils n'ont pas , ſe croyant les arbitres
,
Mettant leur ineptie à l'ombre de leurs titres ,
Traînant d'un luxe outré l'indiſeret attirail,
Petits Sultans , honnis même dans leur ſérail ;
Tous ces demi - Seigneurs , ſans talens & fans
ames,
JANVIER. 1774. 129
Qui bornent leurs exploits à tromper quelques
femmes ,
Depères très - fameux enfans très- peu connus,
Dont on cite les noms au défaut des vertus ?
Voilà fans contredit de très - beaux
vers de comédie.
Petits Sultans , honnis même dans leur ſérail,
Eſt un vers fait pour être retenu. Lifimon
avoue bonnement que s'il a ſouffert
cette cohue , c'eſt qu'il a toujours cru qu'il
s'y trouverait quelqu'homme affez accrédité
pour faire paſſer ſes projets à la
Cour; mais il promet que , puiſqu'ils ne
peuvent rien , ils feront éconduits. Damis
ne lui diſſimule pas qu'il trouve le
caractère de Méliſe un peu trop porté à la
coquetterie .
Jeu cruel qui bientôt mène à la perfidie ,
Des plus doux ſentimens corrompt la pureté,
Eteint le caractère & nuit à la beauté,
Il faudrait à Méliſe un ami difficile ,
Qui tourmentât ſon coeur encor neuf&docile;
Employât pour le vaincre un manége innocent ,
Yjetât par degrés un trouble intéreſlant ,
Enveloppât de fleurs les traits de la cenfure,
Et fût , àforce d'art, le rendreà la nature..
F
130 MERCURE DE FRANCE.
Cet endroit était important. Il s'agif
fait d'y tracer avec précision , mais en
même temps avec intérêt,les moyens que
Damis ſe propoſe d'employer pour réformer
les erreurs de Méliſe , & la ramener
à l'amour. Peut être fallait- il écarter ces
expreſſions de tourmenter fon coeur , de
manége , de fleurs , de cenfure , d'art & de
nature , premièrement parce que l'oppofition
de l'art à la nature eſtun peu uſée ,
&ne doit plus s'employer qu'avec une
combinaiſon neuve & un très-grand ſens,
enfuite parce que les mots de manége &
d'art vont toujours mal avec l'amour. Ce
vers ,
Yjetât par degrés untrouble intéreſſant ,
était le modèle ſur lequel tous les autres
devaient être faits. On ſe permet cette
obſervation qui peut paraître ſévère,parce
que le caractère de Damis eſt piquant&
attachant , & qu'il peut être perfectionné.
C'eſt cette perfection qu'on defire , & que
l'on attend d'un homme qui a le talent de
M. Dorat.
Lifimon propoſe à Damis d'être cet
ami dont Mélife a beſoin . Mais il s'en
défend & fe refuſe à cette union . Ligmon
le redit un moment après à Méliſe
JANVIER. 1774. 131
qui ne manque pas d'en être très piquée.
Elle commence à être vivement inquiette.
Elle fait que Damisa , dans ſes mains,
un portrait qu'il regarde ſouvent. Elle
ignore que ce portrait eſt le ſien. L'auteur
a fait un uſage très-adroit de ce reffort
qui donne le mouvement à la pièce ,
&qui en fait le dénouement. Floricourt
furvient dans le moment où il eſt le plus
importun. Il tient à Méliſe des propos
en l'air , & la remercie des douceurs
qu'elle ne lui dit pas. Il tombe à ſes pieds,
&Damis le ſurprend dans cette attitude.
Floricourt fort enchantéde ſon prétendu
bonheur , & Damis reſte avec Méliſe qui
voudrait bien le trouver jaloux. Leur
ſcène eſt vive& piquante. Damis lui reproche
cette lettre de congé qu'il ne méritait
pas , puiſque jamais il ne prit la liberté
de ſe déclarer amoureux. Méliſe
s'efforce de lui faire avouer qu'il l'était&
qui l'eſt encore. Mais il s'en défend avec
une politeſſe qui l'offenſe au point qu'elle
le renvoie.
Eh ! de cet homme-là je ſerais le jouet !
Qu'est - ce donc qui me tient ? L'aimerais - je en
effet?
Oh ! que je l'aime ou non , je prétends qu'il dé
chiffe ;
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
Je le veux par raiſon , bien plus que par caprice ..
J'ai ſu toucher ſon coeur ; il abeau ſe malquer ,
Et ſon adroit orgueil ne veut pas s'expliquer !
C'eſt mon maudit billet ! ... Qui me forçait d'écrire?
:
Que prétendais -je avant qu'il m'eût olériendire
Ma conduite eſt étrange , incroyable vraiment ;
Mais la ſienne ! ... la ſienne eſt un affront ſanglant.
Oh! cet homine eſt un monſtre... eh ! bien, il eſt
aimable ;
C'eſt la règle... que faire ? ô trouble inſupportable
!
Cemonſtre- làme plaît : je le ſens , j'en rougis ;
Mais je m'en vengerai , quand je l'aurai ſoumis.
Cet homme eſt un monſtre... eh bien il eſt aimable;
C'eſt la règle;
C'eſt encore là uutrait fort heureux.
Au troiſième acte Liſimon a changé
d'avis : piqué du refus de Damis , il eſt
revenu à Floricourt. Méliſe ſe retrouve
avec Damis , & c'eſt la ſcène du dénouement.
Elle le preſſe de queſtions au ſujet
de ce portrait. Elle veut abſolument le
voir. Elle éprouve une bien douce furpriſe
en le reconnaiſſant. Damis demande
s'il peut eſpérer ſon pardon.
JANVIER. 1774. 133
Fais-t'on grâce au larcin ?
Il faut qu'abſolument votre bouche prononce.
MÉLISE.
Il vous tint lieu d'aveu : qu'il ſoit donc ma réponte.
Elle lui rend le portrait. Il tombe à ſes
pieds.
J'ai feint quelques inſtans pour ne feindrejanais ,
Lui dit - il avec tranſport. Viennent
enſuite le Notaire & le mariage , & le valet
de Danis dit d'un air de triomphe :
Nous avons eſquivé la déclaration. :
Ce traitde plaiſanterie qui rappelle le
caractère de Damis , termine fort bien
cette jolie comédie , qui a été jouée ſupérieurement
& qui paraît faite pour reſter
au théâtre. Elle a eu un ſuccès égal à la
Ville&à la Cour. Les deux pièces de M.
Dorat ſont dédiées à Madame la Dauphine
, à cette Princeſſe adorée , vers qui
ſe tournent aujourd'hui les voeux de tous
les Français , qui eſt l'objet des hommagesde
nos Muſes & des travaux de nos
Artiſtes,& qui les juge & les récompenſe
d'un regard. Nous devons citer un mor
134 MERCURE DE FRANCE.
ceau de cette dédicace qui rappelle une
anecdotebien intéreſſante .
:
Vois les neuf Scoeurs t'offrir des chants
Que l'ame applaudit , qu'elle inſpire ,
Et qui peignent nos ſentimens.
De roſes couronnant ſa lyre ,
L'une cherche dans ton ſoutire
Le prix flatteur de ſes accens :
Aux bergers des prochaines rives
L'autre raconte ces vertus
Que ton rang ne tient point captives,
Et qu'il fait aimer encor plus .
Sur la muſette ſolitaire
Elle dit aux bois d'alentour ,
Par quels ſoins ta main tutélaire ,
Sous l'humble toit d'une chaumière ,
Conſola l'Hymen & l'Amour ;
Comment ta noble bienfaiſance
Fitavec tant d'humanité
Dans ton char afleoir l'Indigence
Et l'Infortune à ton côté.
C'eſt alors qu'une hymne touchante
S'élève à toi du fond des coeurs ,
Et qu'oubliant tous ſes malheurs ,
La Pauvreté reconnaiſlante
En tributs préſente des fleurs
A laGrandeur compatiſfante ,
Quiconnoît le charme des pleurs.
:
JANVIER . 1774. 135
La récompenſe la plus flatteuſe pour un
Français eſt ſans doute l'accueil que le
Souverain fait à ſes travaux. M. Dorat ,
honoré de cette récompenſe , a préſenté
ces vers au Roi le jour que la Feinte par
Amour fut jouée devant S. M. à Choiu.
Des Souverains , quoi ! le plus adoré ,
Ames eſſais daigne ſourire !
Ah ! plus mon coeur eſt enivré ,
Moins j'ai de force pour le dire.
Des écrivains heureux que leur fiècle chérit ,
Un autre âge louvent vient fanner la couronne ;
Mais rienjamais ne la flétrit ,
Lorſque c'eſt Louis qui la donne.
Une timide fleur , peu faite pour briller ,
Loin de lui languiſſait encore ;
Sous ſes yeux elle vient d'éclore ...
Et la fleur ſe change en laurier.
Hiftoire deMaurice , Comte de Saxe , &c.
par M. le Baron d'Eſpagnac , Gouverneur
de l'Hôtel royal des Invalides , &c .
A Paris , chez la Ve Ducheſne , rue St
Jacques ; Piſlot , à l'entrée du quai de
Conti , au bas du Pont- neuf , & l'Efprit
, au Palais royal .
Certe hiſtoire préſente un tableau trèsexact
de toutes les campagnes du Maré-
1
136 MERCURE DE FRANCE.
chal de Saxe , tracé de la main d'un militaire
très -diftingué par les grades où il a
été élevé , par la manière dont il les a
remplis & par les récompenfes qu'il a
obtenues . On y trouve dans le plus grand
détail , les plus fameuſes opérations de la
guerre de 1741 , qui doivent exciter la
curiofité & l'intérêt de tous les lecteurs
citoyens. L'auteur , particulièrement attaché
au Maréchal de Saxe , parle ſouvent
comme témoin oculaire , & quelquefois
il fait parler le Maréchal lui-même dont
il a eu entre les mains les correſpondances.
Par exemple , la célèbre eſcalade de
Prague eſt racontée dans une lettre du
Maréchal de Saxe avec cette ſimplicité
militaire qui rend compte des faits ,&qui
laiſſe aux connaiſſeurs le ſoinde les apprécier.
La deſcription de la journée de
Fontenoy , de celles de Loffelt & de Rocou
, n'a peut - être jamais été faite avec
tant de foin. Mais fur-tout on rencontre
avec plaiſir beaucoup de traits particuliers
fur le caractère & la vie du Maréchal de
Saxe , & l'on fait que lorſqu'il s'agit d'un
homme extraordinaire , ces traits font
toujours dignes d'attention. Par exemple,
l'auteur nous apprend que lorſque le
Comte de Saxe épouſa la Comteſſe de
JANVIER . 1774. 137
Loben , fille de condition , riche & aimable
, il n'avait pas de penchant pour le
mariage . Le nom de Victoire que portait
laComteſſe le décida.
On ſe ſouviendra toujours du fingulier
fiége que Charles XII ſoutint dans ſa maiſon
de Bender. Dans le temps des troubles
de Pologne , ſous le règne du Roi
Auguſte , le Comte de Saxe ſoutint un
fiége à peu-près ſemblable dans une maifon
du village de Crachnitz , où il ſe défendit
avec dix-huit hommes contre huit
cent. Voici le détail de cette aventure .
« Le Comte de Saxe ſe trouva à l'entrée
>> de la nuit dans le village de Crachnitz;
> il ſe logea dans un carthemar , eſpèce
» de bâtiment à peu - près ſemblable à
>> ceux qu'on appelle caravanferai, en Tur-
>> quie. Les Polonais , en étant informés ,
>> détachèrent huit cent cavaliers ou dra-
>> gons pour l'enlever ; ils comptaient que
c'était le Maréchal Comte de Flem-
» ming , qu'ils ſavaient devoir venir par
> la même route . Le Comte de Saxe était
>>à peine à table , qu'on l'avertit qu'il en-
>> trait beaucoup de cavalerie dans le
>> bourg , & qu'elle défilait de ſon côté;
>> dans l'impoſſibilité de défendre tous les
» bâtimens de ſon logis avec dix - huit
138 MERCURE DE FRANCE.
>> personnes , il abandonna la cour , &
>> occupa les chambres du premier étage ;
>> il plaça deux ou trois de ſes valets dans
>>chacune , avec ordre de percer le plan-
>> cher pour tirer ſur ceux qui entreraient
>> dans celle du rez- de-chautſée.
>>Comme il pouvait donner du ſecours
>> à ſes gens par l'écurie , il s'y mit avec
>> le reſte de fon monde. A peine avait il
>>fait ces diſpoſitions , que les Polonais
>> l'attaquèrent ; ils enfoncèrent d'abord
>> les portes d'en bas ; mais les premiers
>> entrés ayant été tués , cenx qui venaient
→ après craignirent le même fort; ils aban-
>>donnèrent cette attaque pour monter
> dans les chambres qu'ils voyaient n'ê-
>> tre pas gardées ; leur deſſein était de
>>fufilter par le plancher de celle- ci ,dans
>> celles où il y avait du monde; le Com-
» te de Saxe ne pouvait s'y oppoſer ; il
>> les laiſſa monter , & , les ayant ſuivis
>> avec ce qu'il avait d'officiers , il les
>> paſſa au fil de l'épée . Malgré cet échec,
>> les Polonais tentèrent une ſeconde attaque
; le Comte de Saxe , quoique
>>bleſſé d'un coup de feu à la cuiffe , les
>> chargea avec le même ſuccès ; ils n'osè-
>> rent s'expoſer de nouveau ; & , ayant
>> inveſti la maiſon par de petits poſtes ,
JANVIER. 1774 . 139
• ils envoyèrent un officier ſommer te
► Cointe de Saxe , avec menace de le
brûler , s'il ne ſe rendait. Le Comte de
Saxe avait de fortes raiſons de leur
>> échapper ; il cria à l'officier de s'en re-
>>> tourner : cet officier inſiſtant for ce
» qu'il y aurait bon quartier, le Comte
>> de Saxe eut de l'inquiétude que ſes of-
>> fres ne tentaſſent les perſonnes qu'il
> avait avec lui; il ſe vit obligé de faire
>> tuer cet officier. Les Polonais ne ſe re-
>> burèrent point ; ils lui députèrent un
» Dominicain qui eut le même fort. Le
►Comte de Saxe aſſembla enfuite fon
>> monde ; it leur dit que n'y ayant aucun
> quartier à attendre pour lui non plus
>> que pour eux , il ne voyait d'autre parti
>> que de fortir à la faveur de la nuit ;
* que les petits détachemens qui les in-
>>veſtiſſaient , ne pouvant être fecourus
>> ſur le champ par le gros de leurs trou-
>>pes , on les forcerait aisément , & que ,
>> ſi on réuſſiſſait à gagner le bois qui n'é-
>>tait qu'à quelques pas de la maiſon, la
>> retraite ferait aſſurée .
>>Cette propoſition ayant été approu-
» vée du plus grand nombre , il fortit
>> avec quatorze hommes ; il rencontra
>> d'abord une garde qui avait mis pied à
140 MERCURE DE FRANCE.
>> terre; elle ne pouvait s'imaginer qu'une
>> poignée de gens fût capable d'une telle
>> réſolution. Cette garde fut chargée l'é-
» pée à la main & mife en fuite ; le
» Comte de Saxe ayant le paſſage libre ,
>> gagna le bois & la ville de Sandomir
» où il y avait garniſon Saxonne ..
L'auteur ne manque jamais l'occaſion
de rapporter ces traits d'héroïſme dont
de ſimples foldats ont été quelquefois
capables , & qu'il faut rappeler d'autant
plus ſouvent , que le feu ſacré des vertus
patrioriques,aujourd'hui prêt à s'éteindre,
a plus beſoin d'aliment. Tel eſt ce mot
d'un grenadier du régiment d'Orléans
qui avait eu la jambe emportée d'un boulet
de canon à la bataille de Rocou. Le
Maréchal de Saxe craignant qu'on ne marchât
ſur lui , & avertiſſant d'y prendre
garde : Que vous importe ma vie , dit le
ſoldat ? Gagnez la bataille. « A l'attaque
>> du poſte de Sandberg , il y avait , à la
>> tête de la tranchée , des compagnies de
>> grenadiers qui s'étaient couvertes avec
>>des ſacs à terre , parmi leſquels on
> avait , par mépriſe , mêlé des ſacs de
>> poudre ; le feu y prit pendant la nuit ,
>> tous ces grenadiers furent tués ou bleſ-
> ſés. L'ennemi pouvant profiter de cet
JANVIER . 1774. 141
>> accident pour venir combler les tra-
>>vaux , on alla ſur le champ demander
>> du ſecours à un bataillon de grenadiers
>>poſtiches qui campait tout auprès ; ces
>>grenadiers coururent nuds pieds , leurs
» gibernes ſur leurs chemiſes ; ils prirent,
>>dans cet état , la place de ceux qui ve-
>> naient de périr. »
: Des exemples d'intrépidité paraîtront
moins étonnans dans un homme qui porte
le nom de Boufflers ; mais l'extrême.
faibleſſe de l'âge rend la force d'ame plus
admirable . « Le fils du Duc de Bouflers
» était colonel d'un régiment d'infante-
» rie à la journée de Rocou , & fi jeune ,
>> que ne pouvant franchir l'eſcarpement
» du village qu'on attaquait , il pria un
>>grenadier de le paſſer de l'autre côté du
» verger ; ſon digne père demanda au
» Maréchal de Saxe la permiſſion de com-
„ battre à côté de ſon fils .
Après avoir ainſi rendu juſtice aux fujets
, il fallait bien que l'auteur la rendît
au maître. Voici comme il s'explique ſur
la part que le Roi prit à l'affaire de Lawfeld.
« Le Roi témoigna , pendant toute
>> l'action , cette tranquillité qui eſt l'ame
>>du ſuccès. Ayant toute confiance dans
2 les moyens du Maréchal de Saxe char
142 MERCURE DE FRANCE,
wge de la conduite des attaques , il ne
>>futjamais inquiet de celles qui ne réuf-
>> fitfaient pas. Attentifà tout , il le fai-
» fait avertir de ce qui lui paraiſſait critique
: s'appercevant à la quatrième at-
>>taque de Lawfeld , que les Alliés fai-
» fatent marcher leurs lignes pour foute-
>> nir le village , il donna ordre aux bri-
» gades de Navarre , Guſtine , Auvergne
>>& de la Cour- au- Chantre , de ſe porter
→ à l'appui de celles qui attaquaient. Le
>> village ayant été pris pendant qu'el-
>> les étaient en marche , il les fit revenir
» à leurs poſtes. Sa préſence ſur la hau-
>>>teur d'Heerderen contint le Maréchal
>> de Bathiany. Ce général ne put jamais
>> croire que , Sa Majesté y étant , la gau-
> che de l'armée françaiſe ne fût pas plus
>> en force . »
Si quelqu'un était en état d'apprécier
les talens du Maréchal de Saxe , c'était
fans doute le Roi de Pruffe. Il lui rendait
un témoignage bien glorieux en écrivant
àM. de Voltaire en 1744: « J'ai vu ici le
❤héros de la France, ce Saxon , ce Turen-
> ne du ſiècle de Louis XV ; je me ſuis
>> inſtruit par ſes diſcours, dans l'art de la
» guerre. Ce général paraît être le pro-
> fefleur de tous les généraux de l'Europe.
JANVIER. 1774. 143
>>Le Maréchal de Saxe jouitfait d'une
> ſanté robuſte & bien conſtituée : tout
lui annonçait une carrière longue & dé-
» licieuſe , lorſqu'une fièvre putride l'en-
>> leva , le 30 Novemb . 1750 , après neuf
>>jours de maladie , n'étant âgé que de
>> cinquante- quatre ans , un mois& douze
>> jours. Il ſe vit mourir avec cette fer-
» meté qu'il avait montrée dans tant d'oc-
> caſions périlleuſes. Le Roi ayant en-
» voyé à ſon ſecours M. de Sénac , ſon
>>premier médecin , très attaché au Ma-
>> réchal de Saxe , & qui l'avait ſuivi pen-
» dant quatre campagnes : Docteur , lui
» dit- il un moment avant ſa mort , la vie
» n'est qu'un ſonge ; le mien a été beau ,
» mais il est court.
>>Le Maréchal de Saxe était de la gran-
>> de taille : il avait les yeux bleus , le nez
» bien fait , le regard noble & martial.
Un fourire agréable & gracieux corri-
> geoit un peu de rudeſſe que ſon teint
• baſané& ſes ſourcils noirs& épais don-
>> naient à ſa phyſionomie . Son caractère ,
>> naturellement fier , n'aimait pas à être
> contrarié; mais il revenait aisément ,
» & ſon ame était auſſi incapable de haïr
>> long temps , que de nuire à qui que ce
>> fût. Perſonne n'ignore qu'il étoit fa
144 MERCURE DE FRANCE .
>> meux par ſa force & fon adreſſe . Il était
>>fi fort qu'il partageait en deux un fer- à-
>> cheval , & tortillait un gros clou de
>> maréchal avec ſes doigts , detelle ſorte
>> qu'il en faiſaitun tirebouchon. On ra-
>>conte que courant Londres à pied , il
>> eut avec un boueur une affaire qu'il ter-
>> mina en un tour de main ; il laiſſa ve-
>> nir ſur lui ſon boueur , le ſaiſit par le
>> chignon , & le fit voler en l'air en le
>>dirigeant de manière qu'il tombât au
> milieu de ſon tombereau rempli juſ-
>> qu'aux bords d'une boue liquide. Quant
>>à ſon adreſſe, on cite qu'étant à la chaſſe
>>à Chantilly , il plongea ſon couteau de
>> chaſſe entre la tête & le cou d'un fan-
>> glier avec une telle dextérité , que le
>> ſanglier reſta mort ſur la place.
>> Il diſait quelquefois : Je me défie de
» ces militaires qui demandent fans ceſſe
» des détachemens pour aller à l'ennemi ;
» ils font d'ordinaire comme le cheval de
» bronze , qui a toujours le pied levé & ne
» marchejamais. Affable à tout le mon-
>> de , attentif aux besoins des ſoldats ,
» mais rigide ſur le bon ordre , il était
» adoré& craint des troupes. Ayant tou-
>> jours l'air content, il inſpirait cette con-
>> fiance ſans laquelle un général ne fau-
>>rait
JANVIER. 1774. 145
» rait réullir. Emporté par fon zèle pour
>>la difcipline , & par l'austérité des prin-
>> cipes de fon éducation militaire , fi
>>dans les commencemens qu'il fut char-
» gé du commandement , il tint quelques
>>propos dars à des officiers indolens
» ou peu inſtruits , il en répara l'amertu-
» me par ſes attentions pour eux : per-
» ſonne n'ignore qu'au camp de Bra-
>>mahoff , un capitaine d'infanterie ayant
>> voulu donner ſa démiſſion , parce qu'il
>> s'était fervi vis à vis de lui , de termes
> propres à l'humilier , il lui en fit ſes
>>excuſes publiquement , & ne cefla de
>> lui donner des preuves de fon amitié.
• Généreux & humain , il ne faifait mou-
>> rir ni eſpions , ni maraudeurs : il pré-
» férait de les tenir à la chaîne juſqu'à la
ود
"
ود
fin de la campagne. D'un caractère ou-
» vert , il communiquait ſouvent aux
officiers qui s'aſſemblaient chez lui , ce
» qu'il ſavait des projets des ennemis , &
ſes moyens pour s'y oppofer. Protecteur
décidé du mérite , il louait , en
> toutes occaſions , les officiers qui ſe
diftinguaient ; il allait les voir lorf-
„ qu'ils étaientbleflés ; il follicitait pour
» eux les grâces dues à leurs ſervices.
» Jamais général ne fut plus ménager
1. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
> du fangdes ſoldats. Quand on lui pro
>> poſoit dans les ſiéges , des attaques de
>> vive force , ſoit du chemin couvert ,
» ſoit de quelques ouvrages extérieurs ,
>>il ne s'y prêtait que dans les cas d'une
>> néceſſité abſolue : Il vaut mieux , di-
» ſait - il , différer de quelques jours , plu .
» tôt que de perdre un grenadier , qu'il faut
» vingt ans pour remplacer.
»
>>Précis dans ſes ordres , vingt lignes
contenoient les diſpoſitions d'une ba-
>> taille ; cependant tout étoit combiné ,
>> prévu & de la plus grande clarté.
>>LeComte Turpin étant à dîner à Aix-
» la Chapelle , avec pluſieurs officiers gé.
» néraux des Alliés,& leur ayant demandé
ce qu'ils penſaient du Maréchal de
» Saxe : il nous commande , répondirentils
, tout comme vous. »
>> Le Prince de Lichtenstein dînant avec
>> lui à Manheim , chez l'Electeur Pala-
» tin , en 1734 , le preſſait d'entrer au
>> ſervice de l'Empereur , où il avait dans
> la perſonne du Prince Eugène , un ami
» qui s'occuperait de lui ; au lieu qu'étant
>> étranger en France , il aurait peine à s'y
>> avancer. J'eſpère , lui répondit- il , me
>> conduire de façon à mériter l'eſtime
>> des Français ; ſi je parviens àl'obtenit ,
JANVIER. 1774. 147
» je ferai mon chemin chez eux plus vite
» qu'ailleurs. >> رو
Il n'y a point d'Officier qui ne doive
être jaloux de ſe procurer cet ouvrage ,
où M. le Baron d'Eſpagnac réunit les
connaiſſances d'un militaire & les ſentimens
d'un citoyen .
LETTRE de M. de Voltaire à M. le
Baron d'Espagnac.
De Ferney, le 15 Décemb. 1773-
La première choſe que j'ai faite , Monfieur , en
recevant votre livre , c'eſt de paſſer preſque toute
la nuit à le lire avec mes yeux de quatre - vingts
ans ; & le premier devoir dont je m'acquitte en
m'éveillant, eſt de vous remercier de l'honneur &
du plaifir extrême que vous m'avez fait.
J'ai déjà lu tout ce qui regarde la guerre de
Bohême , & je n'ai pu m'empêcher d'aller vîte à la
bataille de Fontenoy , en attendant que je reliſe
tout l'ouvrage d'un bout-à-l'autre. On m'avait
dit que vous donniez d'autres idées que moi de
cette mémorable journée de Fontenoy. Je me
préparais déjà à me corriger ; mais j'ai vu , avec
unegrande (atisfaction, que vous daignez juſtifier
le petit précis que j'en avois donné ſous les yeux
deM. le Comte d'Argenſon. Il n'appartient qu'à
un Officier tel que vous , Monfieur , qui avez
ſervi avec tant de distinction , d'entrer dans tous
les détails intéreſlans que mon ignorance de l'art
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
de la guerre ne me permettait pas de développer.
Je regarde votre hiſtoire comme une inſtruction à
tous les Officiers , & comme un grand encouragement
à bien ſervir l'Etat . Vous rendez juftice à
chacun , fans bleſler jamais l'amour - propre de
perſonne. Vous faites ſeulement ſentir très fagement,
par les propres lettres du Maréchal de Saxe,
combien il était fupérieur aux Généraux de Charles
VII , Electeur de Bavière. Il n'y a guère d'Of
ficiers bleſlés ou tués dans le cours de cette guerre,
dont la famille ne trouve le nom, foit dans vos
notes , ſoit dans le corps de l'hiſtoire.
<
Votre ouvrage ſera lu par toute la Nation , &
principalement par ceux qui ſont deſtinés à la
guerre.
Vous êtes très- exact dans toutes les dates; c'eſt
le moindre de vos mérites , mais il est néceſſaire ;
&c'eſt ce qui manque aux commentaires de Célar,
& même à Polybe.
Vous ne pouviez , Monfieur , employer plus
dignement le noble loiſir dont vous jouiflez , qu'en
inſtruiſant la Nation pour laquelle vous avez
combattu.
Agréez ma reconnaiſlance de l'honneur que
vous m'avez fait , & le reſpect avec lequel je ferai
tant qu'il me reſtera un peu de vie , Monfieur
vôtre très- humble & très - obéiflant ſerviteur.
VOLTAIRE .
PS. Je viens de lire le portrait du Maréchal de
Saxe qui eſt à la fin du ſecond volumezil eſtde main
de maître , & écrit comme il convient.
J'oſe eſpérer qu'on fera bientôt une nouvelle
edition in 4º . avec des planches qui me paraiflent
abſolument néceſſaires pour l'inſtruction de tout
le Militaire.
JANVIER . 1774. 149
Etrennes d'un Père àſes Enfans , troiſième
partie avec cette épigraphe :
Ilfaut ſemer , lorſqu'on veut recueillir.
vol. in 16. A Paris , chez Grange, im
primeur - libraire , au Cabinet Littéraite
, Pont Notre-Dame.
L'auteur de ces étrennes fuit les progrès
de ſes élèves; il s'eſt plus appliqué
dans cette troiſième partie que dans les
premières , à développer les élémens des
connoiffances & les maximes de moralepratique.
Les Etrennes de Clio & de Mnemosyne ;
vol . in 12. A Paris , chez Ruault ,li
braire , rue de la Harpe .
Ces étrennes contiennent des tablettes
élémentaires & chronologiques de l'hiſtoire
ancienne ; un mémorial hiſtorique ,
avec l'année , le mois & le jour auquel
l'événement eſt arrivé ; un tableau de
l'hiſtoire de France en vers techniques ,
& un recueil d'apophtegmes , ſentences ,
maximes , anecdotes , bons - mots , &c.
Ces étrennes ſeront très-bien placées entre
les mains des jeunes perſonnes ; elles
-leur inſpireront le deſir de s'inſtruire , &
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
ſerviront dans l'occaſion à leur rappeler
le fruit de pluſieurs lectures. Une maxi .
me de Platon qu'elles ne doivent point
perdre de vue , ſe trouve dans le recueil
d'adages de ces étrennes : L'ignorance eft
pour les yeux de l'esprit ce que l'aveuglement
estpour les yeux du corps.
Terée & Philomèle , tragédie en cinq actes
par M. Renou , de l'académie de peinture
, repréſentée pour la première fois
par les Comédiens François ordinaires
du Roi , le 3 Juin 1773. Prix , 30 f.
A Paris , chez Delalain , rue & à côté
de la Comédie Françoiſe .
Cette tragédie eſt précédée d'une préface
dans laquelle l'auteur détaille ſes
plaintes contre les Comédiens , qui ont
refuſé de rejouer ſa pièce; avec des ré-
Aexions ſur l'abus de laiſſer les Comédiens
juger les auteurs.
Le ſujet de Terée & Philomèle eſt
connu ; il inſpire la terreur & la pitié , qui
font les deux grands refforts de la tragédie.
On a jugé bien rigoureuſement à la
repréſentation les moyens employés par
M. Renou , pour exciter ces deux ſentimens
: peut- être la lecture lui ſera - t'elle
plus favorable.
JANVIER. 1774 15
Orphanis , tragédie par M. Blin de Saint
More , repréſentée pour la première
fois par les Comédiens ordinaires du
Roi , le ſamedi 25 Septembre 1773 .
Prix , 36 f. A Paris , chez Delalain ,
libraire , rue & à côté de la Comédie
Françoiſe , 1773 .
L'auteur a fait précéder cette pièce
d'une préface où il avoue que la lecture
du Marchand de Londres lui a fait naître
l'idée de ſa tragédie ; cependant la ſeule
reſſemblance entre la pièce angloiſe & la
fienne , c'eſt qu'une femme artificieuſe
abuſe de ſa beauté pour conduire un jeune
homme au crime; mais les perſonnages ,
le lieu de la ſcène , l'intrigue , le noeud , le
dénouement , l'action , la conduite , les
moyens ſont abſolument différens dans
les deux ouvrages. M. Blin de St More
rend un juſte hommage dans une épître en
vers, aux talens & à la beauté de Mlle Raucourt,
ainſi qu'aujeu& auzèle de M.Molé.
Les Spectacles de Paris , ou Calendrier
historique & chronologique des Théatres,
avec des Anecdotes & un Catalogue
de toutes les pièces jouées ſur les difrens
théâtres ; les noms des auteurs vivans
qui ont travaillé dans le genre
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
C
dramatique , & la liſte de leurs ouvrages.
On y a joint les demeures des
principaux acteurs , danſeurs , muficiens
& autres perſonnes employées
aux ſpectacles : 23º partie pour l'année
1774; à Paris chez la veuve Duchefne ,
Libraire , rue S. Jacques .
Cet ouvrage a été revu , cette année ,
avec beaucoup d'exactitude & de foin ,
& il y a des augmentations qui le rendent
plus inſtructif & plus intéreſlant ;
on y a inferé un grand nombre d'anecdotes
nouvelles , dont pluſieurs étoient
peu connues. Le Catalogue des pièces
jouées ſur le théâtre de la Comédie Françaiſe
, a été conſidérablement augmenté ,
de même que celui des auteurs vivans
&de leurs ouvrages .
Voici quelques-unes des anecdotes rapportées
dans ce Calendrier.
En 1730 , on inventa & exécuta à
Limoges un opéra. Le théâtre repréſentoit
une nuit ſemée d'étoiles , & le poëme
commençoit par ce vers ridicule qui fut
entonné avec beaucoup d'emphaſe :
Soleil vis-tu jamais une ſi belle nuit ?
Le Directeur d'un opéra de Province
plaidoit contre les maficiens , & ne vou
JANVIER. 1774. 153
loit point payer leur ſalaire , les accuſant
d'être ignorans . Ceux ci , pour tous
moyens, exécutèrent une ſymphonie, avec
beaucoup d'habileté , à l'audience même
où leur cauſe fut appelée. Leur Avocat
n'eut pas la peine de parler. Les Juges
leur donnèrent gain de cauſe , & le Directeur
fut condamné à les payer.
Un acteur qui arrivoit de Flandres ,
choiſit , pour fon début ſur le théâtre de
la Comédie Françaiſe , le rôle d'Andronic
; cet acteur déplut beaucoup , &
quand il vint à réciter ce vers :
Mais pour ma fuite , ami , quel parti dois -je
prendre ?
un plaifant du parterre s'empreſſa de ré
pondre :
L'Ami , prenez la poſte , & retournez en Flandre .
Les 4º & 5º volumes des causes célèbres,
ont ſuivi les premiers dont nous avons
rendu compte. Il ſeroit trop long de
donner ici l'analyſe de toutes les cauſes
&de toutes les queſtions qu'ils renferment.
On en lira avec intérêt tout le
détail dans l'ouvrage même. Elles y font
traitées avec une clarté & une préciſion
qu'ornent agréablement l'élégance & le
1
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
f coloris du ſtyle. Ce recueil devient de
jour en jour plus intéreſſant; le se volume
qui vient de paroître , offre une variété
piquante & a de quoi plaire
aux lecteurs mêmes qui n'ont d'autre
objet que leur amuſement. Tout annonce
que les auteurs de cet ouvrage périodi
que , loin de démentir les promefles de
leur début , perfectionnent de plus en
plus leur travail , à meſure qu'ils avancent
dans la carrière qu'ils ont à parcourir.
Ce Recueil eſt compoſé chaque année
de huit volumes in- 12 , de dix à onze
feuilles chacun. Le prix de l'abonnement
eſt de 13 liv. 4 fols pour Paris , & de
17 liv. 14 ſols pour la Province , port
franc par la Poſte . On s'abonne à Paris
chez Lacombe , Libraire , rue Chriſtine ,
& chez M. des Eſſarts , l'un des auteurs
du Journal , rue S. Dominique , Fauxbourg
S. Germain.
Calendrierintéreſſant pour l'année 1774,
ou Almanach phyſico- économique , contenant
une hiſtoire abregée & raiſonnée
des indictions qu'on a coutume
d'inférer dans la plupart des Calendriers :
un Recueil exact & agréable de pluſieurs
JANVIER. 1774. 155
opérations phyſiques amusantes & furprenantes
, qui mettent tout le monde à
portée de faire pluſieurs ſecrets éprouvés ,
utiles à la ſociété. A Bouillon & à Paris
chez Lacombe , Libraire , rue Chriſtine ,
1774 ; prix 18 fols brochés , 1 liv. 4 fols
reliés.
Obfervations fur la Phyſique , ſur l'Hiftoire
naturelle & fur les Arts , avec des
Planches en taille douce . Dédiées à
Monſeigneur le Comte d'ARTOIS , par
M. l'Abbé RoOZIER , Chevalier de l'Egliſe
de Lyon , de l'Académie Royale
des Sciences , Beaux - Arts & Belles-
Lettres de Lyon , de Villefranche , de
Dijon , de Marſeille , de la Société Impériale
de Phyſique &de Botanique de
Florence , Correſpondant de la Société
des Arts de Londres , &c &c . ancien
Directeur de l'Ecole Royale de Médecine
vétérinaire de Lyon .
Ce Journal n'a aucun rapport avec les
ouvrages périodiques, répandus en France
ou dans les Pays étrangers : on peut en
juger par les volumes déja publiés. Le
but de cet ouvrage eſt d'annoncer les découvertes
qui ſe font chaque jour dans
les Sciences.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
Nos engagemens envers le Public ,
font , fuivant les termes du Profpectus
de l'auteur , de traiter de toutes les parties
de la Phyſique. Nous comprenons
fous ce titre , la Phyſique générale & expérimentale
; les productions des trois
Regnes de la nature , & leur analyſe ; la
Médecine qui les emploie pour conferver
nos jours ; l'Agriculture qui ſçait en
tirer une partie de nos alimens ; les Arts
& les Métiers qui les préparent pour les
beſoins & les commodités de la vie : en
un mot , tout ce qui a rapport à l'obfervation
& à l'expérience.
Chaque cahier ſera diviſé en quatre
parties ; la première eſt deſtinée pour la
Phyſique ; la ſeconde , pour l'Histoire
naturelle ; la troiſième , pour les Arts &
Métiers ; la quatrième contiendra les faits
finguliers & les nouvelles littéraires ;
enfin , les gravures néceffaires pour l'intelligence
des ſujets , compléteront ce
cahier.
Nous publierons & nous traduirons
en entier les Mémoires communiqués
par les auteurs , en quelque langue qu'ils
foient écrits , ou les ſimples extraits de
leurs découvertes , en attendant de plus
grands détails.
Nous nous déterminâmes l'année derJANVIER.
1774. 157
nière à changer le format de cet ouvrage
, & à l'imprimer dans la forme
in-4°, parce qu'on peut le regarder comme
le complément des volumes que les
Académies publient: d'ailleurs le format
in - 4º multiplie moins le nombre des
volumes ; il paroît plus propre à un ouvrage
conſacré à l'avancement des Sciences
, & à faire fonds de Bibliothèque.
SOUSCRIPTION.
Il paroîtra chaque mois un Cahier de
dix à onze feuilles d'impreſſion in 4º ,
entichi de deux gravures en taille-douce .
On pourra à la fin de chaque année
relier ces douze Cahiers , & ils formeront
deux volumes in - 4º de 60 à 70
feuilles chacun. On ſouſcrit pour cet
ouvrage à Paris , chez l'Auteur , Place &
Quarré Sainte- Geneviève , au coin de la
rue des Sept- Voies. Le prix de la ſoufcription
eſt de 24 liv. pour Paris , & de
30 liv. pour la Province , franc de port.
PROSPECTUS de la NATURE CONSIDÉRÉESOus
fesdifférens aspects ou Journaldes trois règnes de
laNature, contenant tout ce qui a rapport à la
Science phyfique de l'homme , à l'art vétérinaire,
à l'histoire des animaux , au règne végétal,
àlaconnoissance des plantes , à l'agriculture
au Jardinage , aux arts , au règne minéral , à
158 MERCURE DE FRANCE.
l'exploitation des mines , aux fingularités &à
l'usage des différens foſſiles , avec approbation
& privilège du Roi , 1774.
,
La plupart des Souſcripteurs de cet ou.
vrage périodique , ont defiré qu'il parût
toutes les femaines , afin qu'il raffemblât
plus de Nouveautés ; nous nous ſommes
donc déterminés à le publier par feuille
régulièrement tous les Lundis , du même
format in -8° que l'Avantcoureur , qui
dès - lors n'aura plus lieu. Quoique , fuivant
ce plan , le prix de ce Journal& le
nombre des feuilles ſoient diminués , cependant
nos Abonnés y trouveront plus
de matières , & le recevront plus ſouvent.
Nous y mettrons plus de préciſion , par
la forme didactique que nous adoptons ,
&par le ſoin de ne préſenter que le néceſſaire
& l'utile. Nous rendrons compte
dans cette feuille de tout ce qui ſera intéreſſant
pour l'étude de l'Hiſtoire Naturelle
, tant dans les établiſſemens publics,
que dans les Ouvrages nouveaux. Nous
nous attacherons principalement à préſenter
à nos Lecteurs , la Science Phyſique de
l'Homme , l'Art Vétérinaire , l'Agriculture
, la Minéralogie , &c . Nous leur ferons
part des découvertes , des Nouveautés
, des phénomènes , des faits remar
JANVIER. 1774. 159
quables , des Anecdotes , & généralement
des Sciences&des Arts qui font du reſſort
de l'Histoire Naturelle .
Nous auronsfoin particulierement d'indiquer
les travaux à faire par chaque ſaiſon
dans l'agriculture & le jardinage,& de
rapporter les maladies endémiques &
épidémiques avec les remèdes ou les traitemens
reconnus les plus efficaces . 1
Pour faciliter l'acquisition de ce Journal
de la Nature , nous n'avons fixé qu'à
12 liv . le prix de la Soufcription , de 2
feuilles par an qui feront rendues port
francpar la Pofte , tant à Paris qu'en Province.
د
MM. les Souſcripteursfontpriés de don .
ner leur nom écrit liſiblement , & d'envoyer
lafomme de 12 liv . port franc , ainſi que
la Lettre d'avis , au Sr Lacombe , Libraire,
rue Christine.
L'ESPAGNE LITTÉRAIRE , ouvrage propose
par foufcription , & rédigé par une Société de
Gensde Lettres ; avec privilège du Roi.
PLAN DE L'OUVRAGE .
1º. Notre première loi ſera de nous interdire
toute critique offenſante : cette promeſſe d'éviter
toute perſonnalité même la plus légère , n'eſt
point ici une formule d'ufage ; c'eſt une parole
ſacrée que nous ne violerons jamais. ٠٥
160 MERCURE DE FRANCE.
2º. Nous donnerons des détails tirés des
Mémoires de toutes les Académies , ſoit d'Eſpagne,
foit de Portugal , tant à cauſe de la trèsgrande
analogie qu'ont entr'elles ces deux Langues
, que parce que ces deux Royaumes n'appartenoient
autrefois qu'à un ſeul Souverain.
3 °. Nous ferons connoître tous les Ecrits
des différens Littérateurs , attachés ou non à ces
corps reſpectables ; nous en donnerons ſoit des
analyſes plus ou moins étendues , ſoit des traductions
entieres , s'ils font affez piquans , ou
aflez courts pour nous le permettre .
4°. Nous fuivrons dans nos obſervations les
progrès ſucceſſifs des connoiſſances & du goût ;
méthode qui indiquera la marche de l'eſprit humain
, & les obligations que chaque fiècle contractoit
avec les générations ſuivantes .
5°. Nous inférerons des anecdotes , & même
des extraits circonstanciés ſur la vie des Auteurs
déjà morts , lorſqu'ils ſe ſeront affez diftingués
pour mériter ce tribut de reconnoiſſance , & fur
celle des hommes célèbres en tout genre , qui
ont honoré ces deux Nations. Annoncer ces
objets , c'eſt en faire aſſez ſentir toute l'importance.
6°. Nous embrafferons tout ce qui eft Science,
Morale , Jurisprudence , Phyſique , Mathématique
, Botanique , Chymie , Chirurgie , Hiftoire
, Géographie , Critique , Commerce , Hiftoire
naturelle. La partie des Belles - Lettres
fournira feule un objet conſidérable , en nous
offrant les Romans , le Théâtre , les Pièces fugitives
, les Ouvrages de goût , tant en proſe qu'en
vers, ſur des ſujets ſçavans , ou galans , ou badins.
On ſçait combien les Romans & le Théâtre
JANVIER . 1774. 161
préſentent d'intrigues piquantes , de traits faillants
,& de fituations heureuſes chez les Auteurs
Eſpagnols .
7°. Nous y ajouterons des notices ſoignées
tant fur les Artiſtes célèbres , comme Sculpteurs,
Peintres , Graveurs , Architectes , que fur les
Inventeurs illuftres de travaux purement mécaniques.
8. Nous aurons ſoin de raſſembler dans les
écrits des autres Nations tout ce qui pourra ſe
rapporter à l'Hiftoire & à la Littérature Eſpagnole.
Ces Ouvrages foit Anglois , foit Allemands,
ou autres, feront traduits , lorſqu'ils traitetont
des ſujets ſuceptibles de comparaiſon ,
tant à la politique , qu'aux moeurs , ou lorſqu'ils
offriront des contraſtes curieux , ou des diſcuſ
ſions intéreſſantes. On comprend aisément combien
ce ſeul article eſt immenſe dans ſes rapports
, & curieux par ſa variété.
9°. Pour joindre à tant d'agrémens une utilité
abſolument neuve en ce genre , nous donnerons
dans chaque volume une leçon ſur la Langue
Eſpagnole , courte , mais claire , & propre à
en hâter la connoiſſance. Par là nos lecteurs
pourront apprendre par eux - mêmes une Langue
digne certainement de fixer leur attention plus
qu'on ne le penſe communément , & joindront
au plaifir de jouir de nos richeſſes , l'avantage de
pouvoir vérifier par eux - mêmes nos travaux .
Entrer dans de nouveaux détails , ce ſeroit paroître
vouloir ſurprendre le ſuffrage du Public.
Cette eſquiſſe légère doit ſuffire à donner une
idée de l'ouvrage. Nous nous contenterons
d'obſerver que nous ne promettons rien que
Pous ne puiſſions remplir avec fidélité.
162 MERCURE DE FRANCE.
Nous ajouterons ſeulement , qu'en Eſpagne ,
&'en Portugal , les Libraires n'étant pas , pour
l'ordinaire , dans l'uſage de ſe charger de manuſcrits
, beaucoup d'ouvrages reſtent dans les
cabinets , faute par les Auteurs de pouvoir ſuppléer
aux avances quelquefois confidérables que
leur impreſſion exige. Des Académiciens reſpectables
ſe ſont engagés à nous ouvrir ces ſources
inconnues. Nous avons d'ailleurs une collection
de Livres Eſpagnols & Portugais , fi ample ,fi
curieuſe, que nous nous flattons que le Public
ſera étonné des richeſſes qu'il y trouvera.
Quelque abondans , quelque précieux que
foient ces fecours , nous invitons tous les Savans
avec qui nous n'avons point l'avantage d'être en
correſpondance , à vouloir bien contribuer au
fuccès de notre Ouvrage, notre reconnoiffance
ne ſera que plus vive , lorſqu'ils nous permettront
de lesnommer ,& d'annoncer les obligations que
nous leur aurons.
CONDITIONS DE LA SOUSCRIPTION.
Notre ouvrage formera chaque année une
collection de fix volumes de douze feuilles chacun.
Nous les diviſerons en pluſieurs parties ,
dont chacune fera un cahier de trois feuilles
d'impreſſion in - 12 , qui paroîtront tous les quinze
jours. Le premier cahier paroîtra le is Janvier
1774. Le ſecond , le trente du même mois , &
ainſi de ſuite , avec la plus grande exactitude
vu que tous les morceaux qui doivent compoſer
les volumes de lapremière année , ſont tous
prêts à être imprimés.
Le prix de la Souſcription eſt de 18 liv. pour
Paris , & de vingt - quatre livres pour la Province
, franc de port.
JANVIER. 1774. 163
On ſouſcrira chez M. Jean - Frédéric Wild ,
Banquier , rue Grenier St Lazare , à côté du Notaire,
pour la correſpondance des Pays Etrangers;
& chez LACOMBE , Libraire , rue Chriſtine , pour
celle de Paris , & de toute laFrance.
Ceux qui n'auront pas foufcrit , payeront cette
Collection vingt-quatre livres à Paris ; c'est-àdire
, à raiſon de vingt ſols chaque cahier.
Les paquets qui ne ſeront point envoyés franos
deport ne feront pas retirés.
PROSPECTUS publié d'un Journal de Littérature ,
contenant toutes les Nouvelles de la République
des Lettres,des Analyfes claires & précises des
Edits ,Ordonnances , Déclarations , Lettres-
Patentes , &c. les Causes célèbres & intéreffantes,
foitparles Faits,foit par les Questions,
lesPièces nouvelles , &c. Ce Journal paroîtra
exactement les Mardi & Samedi de chaque femaine
; ilfera composé d'une demi-feuille in 4º
chaque ordinaire. Le premier Numéro paroîtra
le 11 Janvier 1774. Avec Approbation & Privilége
du Roi.
Le titre de ce Journal , diſent les auteurs, ſuffit
pour en faire connoître l'objet , l'étendue &
l'importance ; ce nouvel Ouvrage périodique
manquoit à notre Littérature.
Nous avons pluſieurs excellens Journaux ; mais
comme ils ne paroiffent la plupart que de mois
en mois , ils ne ſatisfont pas l'impatience du
Public éclairé , qui aime à être inſtruit de bonne
heure de toutes les nouveautés Littéraires .
Ces Journaux ont l'avantage de pouvoir entrer
dans les diſcuſſions approfondies des Ouvra
164 MERCURE DE FRANCE.
gés dont ils rendent compte ; la nature du nôtre
exclut les détails , & ne nous permet que des notices
& des réſultats ; mais la multiplicité & la
variété des objets qu'il embraſſe , & la célérité
avec laquelle nous préſenterons à nos Lecteurs
tout ce qui pourra les intéreſſer & les inftruire ,
donnera un autre prix à notre travail ; ainfi ,
quoique cette nouvelle Feuille périodique ait un
objet commun avec les autres Journaux , la
forme , le ton & le but en ſont effentiellement
différens , & écartent toute eſpèce de concur-
-reace.
L'Avant-Coureur ſera déſormais réuni & confondu
avec ce JOURNAL DE LITTERATURE.
Le prix de la Souſciption , tant pour Paris
que pour la Province , rendu franc de porr, eſt de
18 liv. On pourra s'abonner en tout tems , &
commencer par le premier numéro de chaque
mois.
On s'adreſſera à Paris , à L'HÔTEL de Thou,
rue des Poitevins , & dans les Provinces , chez
MM. les Directeurs & Contrôleurs des postes ,
ainſi que chez les principaux Libraires.
LE SCAPMANDRE , ou le Bateau de l'homme ,
vol. in- 8 ° . avec figures , propoſé parfoufcription.
A Paris , chez Quillau , Libraire , rue
Christine , au Magaſin Littéraire.
F
M. de la Chapelle, des Académies de Lyon ,
de Rouen & de la Société Royale de Londres ,
dont nous avons des Inſtitutions de Géométrie
des Sections Coniques , & un écrit ſur les Ventriloques
, avait , dans ce dernier ouvrage publié
l'année dernière , promis à ſes lecteurs de
JANVIER. 1774. 165
mettre la dernière main à un traité fur la conftruction
théorique & pratique du Scaphandre, ou
du Bateau de l'homme , de ſon invention . Ce
traité , abſolument neuf , eſt achevé , ainſi que
l'Auteur nous l'annonce par un Profpectus qui
ſe diſtribue chez le Libraire ci - deſſus nommé.
Toute perſonne , forte ou foible , la plus neuve
ou la moins exercée dans les travaux mécaniques
, pourra y apprendre , fans maître , ou fans
autre ſecours que ſon induſtrie naturelle , à
conftruire méthodiquement & par principes un
corſelet avec lequel les hommes & femmes pourront
, tout habillés , beaucoup mieux que fans
vêtemens , nager ſur le champ , ſans l'avoir jamais
fait , en ſe tenant tout de bout, à flot , plongés
ſeulementjuſqu'aux mamelles. Ce Profpectus
que nous venons de citer , trace le plan de cet
Ouvrage propoſé par ſouſcription , dont voici les
conditions.
On ne demande aucune avance pour l'impreffion
de ce Livre , en un volume in- 8 ° . L'Auteur,
qui ſe propoſe d'en faire les frais , prie ſeulement
les perſonnes qui voudroient ſe procurer cet
Ouvrage , de lui adreſſer une ſoumiſſion d'en
prendre un ou pluſieurs exemplaires , &d'en faire
payer le prix à Paris , au moment qu'il fera diftribué.
On en donnera avis par les Ouvrages périodiques
, ou Papiers publics.
L'exemplaire coûtera quatre livres ſeize ſols ,
broché. L'édition en fera accélérée ou retardée ,
ſelon le nombre deſdites ſoumiſſions , & le plus
ou le moins de diligence que l'on mettra à les
faire . Elles feront conçues en ces termes : « Je ,
>>> ſouſſigné , m'oblige de prendre ou de faire
>> prendre tant d'exemplaires ( on en déſignera
166 MERCURE DE FRANCE.
>> le nombre ) du livre intitulé le Scaphandre , &
>> d'en faire payer 4 liv. 16 f. pour chaque exem-
> plaire broché , dès qu'il ſera mis en vente. »
On fignera ſon nom , avec ſes qualités , demeure
&date.
On pourra ſouſcrire , ou envoyer ſimplement
Ja ſoumiffion ci - deſſus , franche de port , chez
Quillau , libraire , rue Chriſtine , attenant la rue
Dauphine , auquel on adreſſera , auffi franches
de port , toutes les lettres concernant cette entrepriſe
; ou chez M. Demarandel , notaire , rue
Michel-le-Comte , au Marais ; ou chez l'Auteur
rue Ste Anne , maiſon de M. Diancourt , à côté
d'un bureau de la loterie de l'Ecole royale militaire
, Butte St Roch .
Ceux qui n'auront point fait de ſoumiſſion
payetont fix livres pour chaque exemplaire en
blanc.
MM. CASTILHON frères , anciens Auteurs du
Journal Encyclopédique , ont acquis le Privilége
du Journal des beaux Arts & des Sciences , que
faiſoit ci - devant M. l'Abbé Aubert. Ils ſe propoſent
de faire de grands changemens dans le
plan ,& d'y traiter avec ſoin la partie des beaux
Arts qui y étoit fort négligée , & de joindre à
ce Tableau de la littérature Françaiſe , celui de
la littérature Etrangère, dont on ne parloit pas.
La réputation dont a joui le Journal Encyclopédique,
qu'ils n'ont quitté que depuis le 15 Décembre
1772 , doit faire eſpérer qu'ils porteront
le Journal des beaux Arts & des Sciences , à la
perfection dont il eſt ſuſceptible. La ſouſcription
de ce Journal eſt de 10 liv . pour Paris , &
de 13 liv. 12 fols pour la Province , franc de
JANVIER. 1774. 167 .
port. Il en paroît un Volume tous les mois. On
Couſcrit chez M. Castilhon , l'un des Auteurs ,
Place St Michel , & chez Moutard , Libraire , rue
du Hurepoix.
M. Lattré , Graveur ordinaire de Mon.
ſeigneur le Dauphin , rue S. Jacques ,
près la rue du Plâtre , vient de mettre au
jour l'Almanach Iconologique pour l'année
1774 , dixième ſuite. Seconde partie
des Sciences , par M. Cochin , ainſi que
les explications. Prix ordinaire 7 liv.
4 ſols relié en maroquin.On trouve chez
le même un bel aſſortiment d'écrans
nouveaux ſur l'hiſtoire , la géographie ,
la fable & la morale , & beaucoup d'autres
ſur des ſujets intéreſſans , hiſtoriques
& allégoriques. Six fur la partie
de chaſſe d'Henri IV , deſſinés par M.
Gravelot , & ſupérieurement gravés ,
3 liv. pièce ; on trouve auſſi ces mêmes
morceaux montés ſous verres , enfemble
ou ſéparement arrangés comme des
deſſins.
L'almanach néceſſaire ou tablettes
utiles à tous le monde , & beaucoup d'autres
objets utiles &agréables pour étrennes
honnêtes.
168 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à M. ***** , Coopérateur des
petites Affiches d'Amiens.
Je connoiffois , Monfieur , la Feuille des Petites
Affiches de Picardie , du 3 Novembre dernier ,
dans laquelle ſe trouve une longue diatribe bien
minutée contre le nouveau Commentaire fur
Molière. Vous avez craint qu'elle ne me fût pas
parvenue , & vous venez de poufſſer l'attention à
mon égard , juſqu'à me la faire rendre à Paris
par un Quidam qui ignoroit ce qu'il me remettoit
: c'eſt vouloir m'attirer au combat , & j'accepte
le défi .
J'ai ſenti tout ce qu'il y avoit de méchant de
votre part , à m'oppoſer d'abord le Commentaire
de M. de Voltaire ſur Corneille. Eh ! comment
ne permettez- vous pas qu'on reſte fort au-defſous
de cethomme célèbre , par le nom duquel
notre ſiècle , à ce que vous dites , fera peut- être
un jour appelé ? Mais , Monfieur , dès que vous
me faifiez l'extrême honneur de me comparer à
un auſſi grand homme , pourquoi exigez-vous
de moi plus qu'il n'a fait lui-même ? Voyez ſa
première Préface : y trouvez-vous ſur l'art de la
tragédie la poétique raiſonnée que vous voudriez
que j'eufle faite dans mon Difcours Préliminaire
, fur la comédie ?
Je m'en fuis bien gardé , Monfieur , de trancher
du législateur en débutant. C'eſt un peu la
maladie de notre tems, d'ofer beaucoup ; c'eſt la
vôtre , ſans doute : ce n'eſt pas la mienne , &,
malgré vous , je m'en garantirai toujours . En
parcourant
JANVIER. 1774. 169
parcourant mes diverſes Remarques , vous auriez
pu appercevoir quelque choſe de ce que
vous voudriez que j'euſſe placé à la tête de l'Ou
vrage , mais ce n'étoit pas votre deſſein de l'y
trouver.
Vous prétendez que je n'ai pas même défini
la comédie , & il eſt vrai que j'ai adopté la meilleure
définition que j'en ai trouvée : je ne crois
pas , Monfieur , que vous en faſſiez une meilleure
que Pontanus.
Vous rapportez ce que M. de Voltaire , dans
la Préface de Mariane , a dit de l'intrigue de
l'Avare , comparée à celle de Mithridate : c'eſt
ce que j'ai fait auffi ; mais vous trouvez dans ce
paſſage une notion précise de la comédie , & beaucoup
de gens penſent que M. de Voltaire ne ſongeoitguère
alors à la définir ſi bien.
Ce qui paroît vous fâcher le plus , Monfieur ,
c'eſt que j'ai dit que ce sont les ridicules & les
travers dont la comédie doit offrir l'image , & que
ce nefont ni les vices groffiers , ni les crimes qu'il
faut porter dans nos jeux ſcéniques. Eh quoi !
vous voulez donc , & l'on y peint les crimes , faire
dreſſer ſur nos Théâtres des bûchers & des gibets!
car de quelle manière l'Auteur dénoueroitil
ſa fable ſans cela ? Une lettre de cachet tira
Molière d'affaire pour le Tartufe : c'eſt un
moyen qu'il ne faut plus répéter , & qui , d'ailleurs,
conviendroit moins vis-à-vis un ſcélérat
d'une autre eſpèce : je vous prie d'y faire attention
; Molière ne peut ſervir d'exemple pour
ceux qui voudroient faire monter le crime ſur
notre ſcène comique Aucune loi ne s'eſt élevée
contre celui de l'hypocrifie , & par là ce vice
étoit du reſſort de la comédie. Ce caractère y
I. Vol.
-
H
170 MERCURE DE FRANCE.
tenoit encore par le maſque plaiſant dont il ſe
couvre,& par la fottiſe de ceux qui en ſont les
dupes ; comparez-lui les autres ſcélérats de la
ſociété,& vous verrez la différence.
Oai , Monfieur , ce que vous me reprochez
d'avoir dit , je l'ai répété plus d'une fois , parce
que je n'ai vu dans l'art de la comédie qu'un
fupplément à la législation , & que tous lesbons
eſprits & les vrais juges de cet art l'ont penſé
comme moi .
Vous me ſçavez gré d'avoir employé la vie de
Molière par M. de Voltaire , &je vous remercie
de cet effort que vous vous êtes fait , pour être
au moins content une fois. Cependant , vous
voudriez que je n'euſſe pas oublie de dire qu'elle
avoit été deſtinée en 1736 à l'édition in-4° , &
qu'on lui préféra celle du vieux la Serre: Ce
n'eſt pas cette anecdote incroyable qu'il falloit
me reprocher d'avoir oubliée : je la ſçavois ,
Monfieur; mais je ne pouvois me perfuader que
M. de Chauvelin , Garde- des-Sceaux , qui préfidoit
à cette édition , eût pu donner la preuve
d'un auſſi mauvais goût , & j'avois raiſon. Voici
če que je ſuis vraiment faché d'avoir appris trop
tard, parce que j'aime mieux écrite ce quihohore
l'humanité que ce qui la fait rougir : c'eſt
que M. de Voltaire n'offrit fon ouvrage que
lorſque celui de la Serre , employé par les Libraires,
étoit ſous preffe , &que M. de Voltaire
lui-même , ayant appris qu'en obtenant la préférence
qui lui étoit due , il ruinoit un vieillard
indigent , écrivit lui-même au Miniftre de laiffer
les choſes en l'état où elles étoient. Ma
faute fe borne donc ici à n'avoir pas voulu ca-
Jomnier mon fiècle, & je vous fais de nouveau
JANVIER. 1774. 17t
remerciemens de m'avoir procuré l'occaſion de
réparer l'oubli bien involontaire d'un fait plus
honorable à M. de Voltaire que votre petite
anecdote , que ni vous ni moi ne devions pas
croire.
Paſſons à vos remarques critiques. Vous le
dirai-je , Monfieur ? Je pourrois tirer quelque
vanité de la futilité des unes & de la mauvaiſe
foi des autres : votre envie de me nuire eſt bien
évidente ; les moyens qu'elle emploie font bien
petits ; il vous a donc été difficile de vous fatisfaire?
Sur ce vers de l'Étourdi : Quand nousferons à
dix nous ferons une croix , j'ai dit que ce proverbe
vient peut- être de ce que pour marquer
dix en chiffre Romain , on fait ce qu'on appelle
une croix de S. André , ou croix de Bourgogne ,
X. Et vous obſervez qu'il eſt plus naturel de
penfer qu'en comptant , comme on le faiſoit, par
tailles , on marquoit chaque dixaine par une
petite croix. Mais , Monfieur , l'uſage de cette
petite croix pour marquer dix , d'où venoit- il ?
Ne rentre-t-il pas dans ma conjecture ? Et puis,
de bonne foi , qu'importe que vous ou moi
ayons raiſon fur de pareils objets ?
Dans les Précieuſes Ridicules , fur ce mot de
Jodelet : Vos attraits exigent leurs droits feigneuriaux
fur toutesfortes de personnes , j'ai dit :
on n'exige pas un droit ſur quelqu'un; & vous
dites ingénieuſement que lorſque les droits s'acquittent
par des devoirs perſonnels , on les exige
de celui qui y eſt ſoumis; mais que lorſqu'ils ſe
payent par une rétribution pécuniaire , on les
exige fur , &c. Eh bien , Monfieur , vous décidez
vous-même qu'on ne devoit pas dire exiger
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
fur, puiſque Jodelet ne parloit afſſurément pas
de rétribution pécuniaire.
Même comédie & même ſcène , nos libertés
auront peine à fortir d'ici les brayes nettes , j'ai
dit : ce mot a vieilli , & ne ſe trouve plus dans
nos Dictionnaires. Et vous , Monfieur , pour me
faire pièce , vous allez puiſer dans celui de Trévoux
une ſale érudition que j'y ai laiſſée. Il y
en avoit une plus décente à prendre dans le
ſeptième volume du Dictionnaire utile de M. Sabbathier
, page 333 , mais je n'ai eu deſſein que
d'éloigner nos jeunes Écrivains de l'uſage d'un
mot dont j'ai pu dire qu'il ne ſe trouvoit plus
dans nos Dictionnaires , puiſque celui de l'Académie
, dernière édition , en 1762 , n'en parle
pas. Je vous ſupplie , Monfieur , de trouver bon
que j'aie ſacrifié les détails ſuperfus aux choſes
utiles. LeSecret d'ennuyer est celui de tout dire.
Je n'ai pas obſervé , dites-vous encore à l'égard
de la même pièce , que Molière , par l'impromptu
de Maſcarille , avoit voulu jeter du ridicule
ſur tous les mots dont il eſt compoſé , &
dont cependant une partie nous eſt demeurée.
J'avoue que je n'ai point fait cette remarque , &
que ſignifieroit- elle? Je ſuis bien sûr d'avoir
fortement appuyé ſur les ſervices que rendit
Molière au goût de la nature & du vrai .
Je ne comprends rien à votre première critique
ſur le Cocu Imaginaire ; car la même innocence
& la même bonté ne veut pas dire l'innocence
& la bonté même , & c'eſt ce dernier que
Molière vouloit dire & qu'il n'a pas dit.
Dans la ſeconde , vous voulez que j'aie eu
tort d'obſerver que Molière , en faiſant dire à
Sganarelle :
JANVIER. 1774.173
Là , hardi! tâche à faire un effort généreux ,
En le tuant tandis qu'il tourne le derrière ,
le rendoit odieux & le faifoit ceſſer d'être ridicule.
Vous aſſurez que Sganarelle n'a pas plus
envie de tuer que de l'être , & d'où le ſçavezvous
? Sa poltronerie vous raſſure: c'eſt la poltronerie
qui fait qu'on tue les gens par-derrière.
J'ai cru devoir mon obſervation aux moeurs du
théâtre , & je la ferois encore après votre leçon .
A l'égard de ce que j'ai dit dans l'École des
Femmes, du fameux tarte à la crême , j'ai mis
tant de ménagement à ma conjecture , qu'il
falloit vouloir me trouver des torts pour en
faire l'objet d'une diſcuſſion bien longue pour la
frivolité de l'objet.
Nous voici , Monfieur , arrivés à une obſervation
que je ne qualifierai point , parce que je
erains la juſtice même , lorſqu'elle eſt offenfante
; vous craignez moins de bleſſer , vous , lorfque
vous terminez votre obſervation par ces
mots: .. Cette erreur n'est pasfaite pour inspirer
beaucoup defécurité & de confiance. Ne ſembleroit-
il pas qu'il doit être queſtion d'une erreur
bien grave , puiſqu'elle doit me faire déclarer
indigne de la confiance publique ? Eh bien , il ne
s'agit de ma part que d'avoir dit que le portrait
dupeintrede Bourfault avoit précédél'Impromptu
de Versailles . Mais , ſi ce n'eſt point une erreur ,
qu'allez -vous devenir , Monfieur ? Je vous de
mande pardon de vous laiſſer ſans réplique
dans une occaſion auſſi délicate .
Ouvrez , s'il vous plaît , le Dictionnaire des
Théâtres , page 246 , au mot Impromptu de Ver-
Jailles; vous y lirez: cette pièce n'est qu'une con
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
verſation fatirique , dans laquelle Molière fe
donne carrière contre les Comédiens de l'Hôtel de
Bourgogne ; & Bourfault , qui avoit fait contre
tui la comédie du Portrait du Peintre , l'entendezvous
bien, Monfieur , qui avoit fait. 1
Paffez à la page 360, au mot Portrait du
Peintre. Molière, ydit l'Auteur ,y répliqua vivement
dans fon Impromptu de Versailles. Voyez
encore l'Hiſtoire du Théâtre François , Tom. 9 ,
pag. 219 : vous y verrez le Portrait du Peintre ,
dans l'ordre chronologique , précéder l'Impromptu
de Versailles. Point d'erreur de ma part ,
comme vous le voyez , mais de la vôtre .... Je
l'ai promis , je ne bleſſerai point l'honnêteté.
Le dernier objet de votre critique est bien plus
foutenable , & vous n'êtes pas le feul qui m'ayez
grondé d'avoir dit qu'Alceste , dans la rigueur
du terme, n'étoit pas un parfait honnête homme.
Je l'avoue: defirer que ſes juges commettent
une iniquité pour avoir le plaiſir de les
haïr , s'expoſer pour un fonnet au danger d'être
tué , ou d'arracher la vie à un homme : cela m'a
paru détruire quelque choſe de l'exacte probité.
Le voulez-vous? J'ai peut- être prouvé trop pour
prouver affez , mais je n'aime de vertu que celle
qu'on rend aimable .
Votre homme n'eſt pas taillé ſur ce modèle.
Cependant la vertu devient chaque jour fi
sare , qu'il ne falloit pas tant médire de celle-là :
N'a pas... une Honeſta qui veur.
J'en tombe d'accord avec vous .
Voilà , Monfieur , à quoi aboutiſſent vos fix
JANVIER. 1774. 175
longues pages de critique , & , quoique vous
n'ayez rien dit de mon travail fur le Tartufe,
fur l'Avare , fur Amphitrion , ſur le Bourgeois
Gentilhomme , ſur le Malade Imaginaire , &c .
vous ne laiffez pas d'avancer que vous avez vu
un très-beau livre , de magnifique papier... en
tout , une exécution typographique faite pour
plaire , mais que vous n'avez pas été auſſi content
du reſte que vous l'aviez eſpéré. Vous
aviez donc quelque confiance , Monfieur: c'eſt
un compliment dont je vous remercie ; mais
vous êtes un peu cruel , avec toutes vos politefſes,
& je crains que les honnêtes gens de la Ville
d'Amiens , & fur-tout l'homme de génie qui
l'habite & qui en fait la gloire , ne foient fâchés
de voir leur petite Feuille économique ſervir
d'aſyle à une critique amère & ſans fondement.
Je ſuis , Monfieur , ſans haine & fans fiel,
votre , &c. BRET.
LETTRE deM. Moline , Avocat en
Parlement , à M. de Voltaire.
MONSIEUR ,
J'avois reçu la permiffion de M. le Maréchal
Duc de Richelieu , de compofer fa notice pour la
Galerie univerſelle ; je n'ai rien négligé pour la
rendre intéreſlante : j'ai même employé tout ce
que vous avez dit ſi élégamment dans le ſiècle de
Louis XV. J'apprends que vous voulez bien con.
ſacrer votre plume à la notice de cet illuftre guer
rier , & que vous n'attendez que des renseignemens
néceflaires pour y travailler .
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
Plein de reſpect & d'admiration pour vos fir
blimes talens e ſaiſis cette occaſion pour vous
envoyer la notice que j'ai faite , dont les époques
font exactes,puiſquelles m'ont été communiquées
par les ordres de M.le Maréchal de Richelieu.
Il n'étoit permis qu'àAppelle de peindre Alexandre;
il n'appartient qu'à vous de chanter lesHéros
, &d'ajouter encore àleur gloire par la force
de votre éloquence. Joſe ſoumettre àvos lumières
les vers que j'ai faits pour lui : je ſerai trop
flatté, s'ils font dignes de mériter le moindre de
vos regards.
Favori de Bellone ,il triomphe dans Gênes ;
DeMinorque il eſt le vainqueur ;
Il réunit à la valeur
L'amour des arts , le goût &l'eſprit deMécènes.
Permettez moi , Monfieur , de vous tracer encore
ici ceux quej'ai composés pour vous , &que
je prends la liberté de vous adreſſer avec votre
portrait.
Si Voltaire eût vécu dans le temps où laGrèce
Achaque homme célèbre érigeoit un autel ,
11 en auroit de toute eſpèce ;
Mais un ſeul eût ſuffi pour le rendre immortel.
Voilà , Monfieur , quels font mes ſentimens à
votre égard: j'ai du plaisir à croire que cette penfée
eſt vivement empreinte dans le coeur de tous
ceux qui connoiſſent les beautés de vos ouvrages.
Puiffent mes foibles vers mériter l'approbation
du plus grand homme du ſiècle !
J'ai l'honneur d'être , &c.
JANVIER. 1774. 177
REPONSE de M. de Voltaire .
à M. Moline.
"A Fernei, ce 22 Novembre 1773-
MONSIEUR ,
Agréez les remerciemens que je vous dois de votre
lettre obligeante , & de la notice des ſervices
rendus à la France par M. le Maréchal Duc de Richelieu
; notice dont vous ernez la Galerie Françaiſe.
Il eſt vrai qu'on m'avoit proposé de travailler
à cet article ; mais je ne m'en ſerais jamais acquitté
ſi bienque vous. D'ailleurs les juſtes éloges
que vous lui donnez , Monfieur , ſeront mieux
reçus de votre part que de la mienne : j'aurais pu
paraître ſuſpect à quelques perſonnes , par un attachement
de près de ſoixante années à M. leMaréchal
de Richelieu.
Mon portrait , que vous me faites l'honneur de
m'envoyer , m'eſt un témoignage de votre bontés
Moins je mérite une place dans la Galerie Françaife
, & plus je vous dois de reconnaiſſance . C'eſt
avec ces ſentimens bien véritables quej'ai l'honneur
d'être Monfieur , &c.
ACADÉMIES.
ARRAS.
LE 24 Avril 1773 , la Société littéraire
de cette Ville tint une ſéance publique ,
dans laquelle M. le Baron Deflyons ,
directeur en exercice, fit lecture de la fer
Hv
178 MERCURE DE FRANCE
conde partie d'une deſcription de l'Artois
, dont il avoit donné le commencement
à l'aſſemblée de 1772. Le morceau
qu'il a lu cette année contient l'examen
du cours des rivières & canaux , avec des
remarques ſur les moyens de rendre quel-.
ques- unes de ces rivières plus utiles , en
les faiſant fervir à la navigation , & en
empêchant les inondations qu'elles occafionnent.
M. Denis , Avocat, lut enſuite des Réflexions
fur la diverſité des goûts & des
jugemens , en matière de littérature .
M. l'Abbé Breuvat , profeſſour de rhétorique
, donna une differtation ,dans laquelle
il examine pourquoi les Anciens
croyoient que la plus triſte de toutes les
morts étoit de mourir dans l'eau. Il y
combat le ſentiment de Servius , adopté
par Nannius, chanoine d'Arras , Delvius ,
le Père de la Cerda , & l'Abbé Desfontaines
, qui,d'après ce premier Commentateur
, ont prétenda que les Anciens
penfoient ainſi , parce que l'ame étoit
felon eux , une ſubſtance ignée , que le
feu éteignoit , comme élément contraire.
M. l'Abbé Breuvart prouve que les Philofophes
& les Poëtes de l'Antiquité ne
diſent rienqui favoriſe cette explication;
& il attribue à deux cauſes l'averſion des
JANVIER. 1774. 179
Anciens pour le genre de mort dont il
s'agit ; l'une particulière aux gens courageux
& guerriers , qui ne voyotent rien
de plus glorieux que de périr dans un
champ de bataille ; l'autre , commune à
tous les hommes , qui craignoient extrêmement
d'être privés , en mourant dans
l'eau , des honneurs de la ſépulture , dont
ils faifoient dépendre leur bonheur dans
l'autre vie .
M. Entart de Grandval , Doyen du
Confeil Supérieur d'Arras , lut des ob.
ſervations fur les reproches injustes qu'on
fait à la langue Françoife ; favoir , qu'elle
n'eſt point propre à certains genres; qu'elle
manque de mots pour exprimer différens
objets ; qu'elle a beaucoup de ſyllabes
fourdes& étouffées ; qu'elle n'a ni accens
ni profodie ; qu'elle eſt ingrate pour la
verſification , & incapable de muſique ,
&c.
Le ſecrétaire a lu , pour terminer la
ſéance un écrit de M. Wartel , Chanoine
Régulier de l'Abbaye de St Eloi , aſſocié
honoraire , intitulé : Réflexions ſur l'imitation
, & particulièrement fur la manicre
dont elle a été pratiquée par la Fontaine.
La Société littéraire d'Arras , qui n'étoit
autorisée que par une lettre du Mi-
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
niſtre , a obtenu , dans le mois de Juillet
dernier , des lettres - patentes qui l'érigent
en Académie Royale des Belles Lettres.
Elles ont été adreſſées au Conſeil
Supérieur de cette Ville , lequel en a ordonné
l'enregiſtrement par Arrêt du 24
Aoûr..
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
Le mercredi 8 Décembre on a donné un
concert ſpirituel au château des Tuileries,
qui a commencé par une belle ſymphonie
deToeski . M. Naudi a chanté un nouveau
motet à voix ſeule ; après lequel
MM. Paifible , Guerin & Guenin ont
exécuté une ſymphonie concertante riche
de chants agtéables & de beaux effets
d'harmonie de M. Davaux , amateur dif
ringué. M. l'Abbé Borel a chanté un petit
motet de M. l'Abbé Girouſt. On a exécuté
à grand orcheſtre une ſuite d'airs fore
agréables de M. Martini . Mde Charpentier
, excellente muſicienne dont la
voix eſt très - gracieuſe , & le goût trèsdélicat
, a chanté un motet nouveau de
Cambini. M.. Capron a joué avec beau
JANVIER. 1774 . 181
coup de feu & de préciſion un concertode
violon. Le concert a fini par In exitu Ifraël,
motet à grand choeur de la compofition
de M. Rey , ci - devant maître de
muſique du concert de Marseille. On a
applaudi dans ce motet de beaux chants ,
&degrands effets de muſique qui annoncentde
l'invention &du talent.
Du vendredi 24 Décembre , veille de
Noël , le concert a commencé par une
grande ſymphonie. Mde Charpentier a
chanté un motet à voix ſeule del fignor
Cambini . M. Bezoſſi , de la muſique du
Roi , a exécuté un concert de hautbois
de ſa compoſition ; moter à deux voix de
M. Goffec , chanté par MM. le Gros &
Platel ; ſuite de noëls à pleine orchestre ,
mêlés de ſolo & d'écho concertans , arrangés
M. le Duc l'aîné . Mde l'Arrivée
a chanté un motet à voix ſeule , de la
compoſition de M. Mereau. M. Jarnovic
a exécuté un concerto de violon de ſa
compoſition. Le concert a fini par Dixit
Dominus, motet à grand choeur del Sig.
Durante.
Le ſamedi 25 Décembre , le concert a
commencé par une grande ſymphonie ;
enfuire M. l'Abbé Boilli a chanté un moret
à voix ſeule , de M. l'Abbé Girouſt ..
M. Bezoffi a exécuté un concert de haut
182 MERCURE DE FRANCE.
bois de ſa compoſition . Mde l'Arrivée ,
MM.le Gros & Borel ont chanté un mo.
tet à trois voix , de M. Mereau; ſuite de
noëls concertans , avec écho , arrangés
par M. le Duc l'aîné . M. Jarnovica exécutéun
concerto de violon de ſa compo.
ſition. Le concert a fini par Diligam te ,
&c. motet à grand choeur de M. l'Abbé
Girouſt , maître de muſique des SS. Innocens
.
OPERA.
L'ACADÉMIE royale de Muſique , beaucoup
occupée par les ſpectacles de la
Cour, continue à Paris l'Union de l'Amour
& des Arts , opéra que le Public a ſuivi
avec un plaifir toujours nouveau.
Ifmenor eft le premier des ſpectacles
lyriques donnés dans les fêtes du mariage
de Mgr le Comte d'Artois ; il a été repréſenté
dans la magnifique ſalle du château
de Versailles le 17 Novembre 1773 .
Ce ballet héroïque eſt en trois actes ,
paroles de M. Desfontaines , cenfeurroyal;
muſique de M. Rodolphe , ordinaire
de la muſique du Roi. Le ſujet eſt
allégoriqué. L'Enchanteur Ifmenor veut
JANVIER. 1774. 183
connoître l'amour de Zulim & éprouver
Zemire , jeune princeſſe , dont une Fée
a pris ſoin de former le coeur. Il traverſe
leur hymen prêt à ſe conclure. Il enlève
Zémire , & la tranſporte dans un déſert
affreux où il feint de l'amour ; il éprouve
par la terreur la conſtance de la jeune
Beauté : mais la fidélité de Zémire fait
ceffer le fatal enchantement ; elle eft
tranſportée dans le palais du Bonheur ,
&ſe trouvedans la gallerie de Verſailles
où elle revoit Zulim fon amant , & la
Fée ſa protectrice. Le théâtre repréſente
alors le parc de Verfailles du côté du baſſin
d'Apollon , avec le temple de l'Hymen ,
où l'Enchanteur & la Fée , d'intelligence ,
concourent à la félicité des époux amans ,
& ordonnent des fêtes.
La beauté de ce ſpectacle , l'allégorie
relative à la fêre , la parfaite exécution
de la muſique , des danſes & des décorations
, la beauté du lieu ont produit
l'effet que l'on en eſpéroit.
On a repréſenté le 27 Novembre 1773
Bellérophon , tragédie lyrique , paroles de
Fontenelle , muſque de Lulli , avec des
changemens par M. Berton , maître de
la muſique du Roi , Directeur de l'Opéra
, & M. Granier , ordinaire de la muſique
du Roi. Ce poëme eſt trop connu
1
184 MERCURE DE FRANCE.
pour être içi détaillé. On a réduit cette
tragédie à quatre actes , & l'on a beaucoup
abrégé l'action & diminué les ſcenes.
On y a cependant ajouté quelques
couplets nouveaux , relatifs à la fête du
mariage. Cet opéra offroit un grand ſpectacle
& beaucoup de jeu de machines.
La muſique , les ballets & les décorations
ont paru remplir toute l'idée qu'on en
attendoir.
Sabinus , tragédie lyrique en cinqactes,
poëme de M. Chabanon , muſique deM.
Goſſec , a été repréſentée le 4 Décembre
1773 .
Sabinus , prince Gaulois , eſt perſécuté
par Mucien , Romain , gouverneur de la
la Gaule , & fon rival. Mucien veut
l'empêcher de donner ſa foi à Eponine ,
princeſſe Gauloiſe : mais cette amante
généreuſe brave la colère des Romains &
de leur Chef. Sabinus , animé par tant
d'amour , provoque ſes guerriers au combat
, voulant affranchir les Gaulois de la
tyrannie des Romains. Eponine , inquiète
du fort de ſon amant, vient confulter les
Druides. Mucien , vainqueur , pénètre
juſques dans l'aſyle ſacré de la forêt ; il
fait enlever Eponine. Sabinus s'eſt réfugié
dans une folitude affreuſe ; il est tour
JANVIER. 1774. 189
menté par ſon malheur , & plus encore
par l'incertitude du fort d'Eponine .
Le Génie de la Gaule vient le confoler ;
&, pour preuve de ſes promeſſes , il lui
préſente l'image des ſiècles de grandeur
qui doivent illuſtrer ſa poſtérité. Cependant
Mucien ſe livre à toute la fureur
d'un amour jaloux & méprifé. Il fait détruire
par le feu le palais de Sabinus.
Eponine eſt ſaiſie d'horreur à la vue du
tombeau qui lui annonce la mort de ſon
amant. Mais Sabinus , caché dans le lieu
des ſépultures de ſes ancêtres , attend le
moment de la vengeance. Mucien oſe
encore profaner cet aſyle de la mort , &
en arracher Eponine. Sabinus , fortant
du tombeau , arrête le bras d'Eponine
qui veut s'immoler ſur ſa tombe ; il
attaque Mucien & le tue. Ce triomphe
rend la liberté aux Gaulois , & le bonheur
aux deux amans. Cette tragédie doit
être réduite à quatre actes , & donnée
inceſſamment à Paris fur le théâtre de
l'Opéra . Nous parlerons alors avec plus
de détailsde ſes beautés &de ſes ſuccès.
Ernelinde , tragédie lyrique en cinq
actes , a été repréſentée le 11 Décembre
1773. Le poëme eſt de M. Poinſinet , la
muſique de M. Philidor. On connoît ce
ſpectacle , la magnificence & ſes grands
186 MERCURE DE FRANCE.
effets de muſique , augmentés encore a
cette repriſe par M. Philidor. :
Ifé , paftorale héroïque en cinq actes ,
repréſentée le 18 Décembre 1773. Paroles
de feu M. la Mothe , muſique de feu
M. Deſtouches , avec des changemens
dans les fêtes par M. Berton , Maître de
Muſique du Roi , Directeur de l'Opéra .
Cette paſtorale eſt trop connue pour
que nous en retracions le deſſin.
On doit donner le 30 Décembre Céphale&
Procris , ballet héroïque en trois
actes , dont les paroles fontde M. Marmontel
, & la muſique eſt de M. Grétry,
Nous en parlerons dans le prochain Mercure.
Ces ſpectacles , embellis par l'augufte
préſence de la Famille Royale , & par
Péclat d'une Cour brillante , dans une
falle ſuperbe , & foutenus par les talens
les plus diſtingués , ont réaliſé tout ce
que l'imagination exaltée peut concevoir
de féerie & d'enchantement.
COMÉDIE FRANÇOISE.
Les Comédiens François doivent donner
inceſſamment Sophonishe , tragédie
JANVIER. 1774. 187
nouvelle de M. de Voltaire ; enſuite
Loredan, drame tragique en quatre actes.
-Mlle Luzi , abſente du théâtre depuis
deux ans , à cauſe d'une longue maladie ,
a rentré & repris ſes rôles dans la comédie
, à la fatisfaction & avec les applaudiſſemens
des amateurs & de tous ceux
qui aiment la gaîté pétillante , vive &
maligne de Thalie.
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ont donné le
mardi 7 Décembre , la première repréſentation
des trois Vénitiens jumeaux ,
comédie en quatre actes de M. Colalto ,
auteur & acteur.
Trois jumeaux Vénitiens , nommés
Zanetto , Bifogniofi , courent le monde.
Ils font très reſſemblans par la figure ,
& très différens par le caractère . Ils ne
s'écrivent point ; ils ignorent juſqu'au
lieu de leur réſidence ; & ils out cela de
particulier , qu'ils portent tous trois un
habit ſemblable , ſuivant une condition
expreſſe du teſtament de leur oncle , qui
tenoit à cet habillement. L'aîné des trois
frères s'annonce par ſa politeſſe , par la
188 MERCURE DE FRANCÉ.
gaîté& la vivacité de ſon humeur. Il eſt
venu à Paris , où il a fait connoiſſance du
Docteur& de ſa fille. Il doitépouſerRoſaura
, & n'attend plus pour fon mariage
que les certificats d'uſage , qui doivent
lui être envoyés de Venise. Il eſt , ainſi
que le père & la fille , dans la plus grande
impatience. Arlequin fon valet court à la
poſte ; il revient enfin apporter ces papiers
tant deſirés. Il les remet avec grande
joie à Zanetto , qui les reçoit, àſon grand
étonnement , avec beaucoup de bruſquerie,&
commequelqu'un qui ne le connoît
pas. Arlequin ne fait ce qu'a fon maître;
car il ſe méprend à la reſſemblance parfaite
de ce nouveau Zanetto , qui eſt un
marin fort bruſque , qui a la tête échauffée
de quelques verres de vin de Bordeaux
, & qui eſt d'ailleurs fort aigri pat
une femme jalouſe qu'il fuit & qu'il
abandonne . Le haſard l'avoit amené dans
la même hôtellerie où loge ſon frère. Le
marin de ſon côté , ne comprend rien à
tout ce que lui dit Arlequin; cependant
il lui arrache les papiers , & s'en va , le
laiſſant fort interdit de cette aventure.
L'amant de Roſaura accourt fort empref.
fé , & demande ſes papiers à Arlequin.
Autre ſurpriſe des deux parts , lorſque
l'un foutient qu'il a remis la lettre de Ve
JANVIER. 1774. 189
miſe , & l'autre qu'il ne l'a pas reçue . A
la fin Zanetto ſe fâche &renvoie fon valet
à la poſte. Arrive un troiſième Zanetto
dans l'hôtellerie ; celui - là eſt un
bon idiot qui voyage en France pour ap .
prendre la politetle , ſous la conduite de
Scapin , fon mentor, Il fait venir la maî
treſſe de l'auberge ; il la trouve jolie ; il
en eſt auſſi- tôt amoureux , & , comme elle
parle le vénitien &le françois , il lui demande
des leçons de langage françois
qu'elle promet de lui donner. Tous ces
trois frères , réunis par le haſard dans la
même auberge , logés dans des appartemens
ſéparés , cauſent par leur parfaite
reſſemblance des ſurpriſes & des incidens
qui augmentent à chaque ſcène l'intérêt
de curioſité. Arlequin apporte tout
joyeux une nouvelle lettre adreſſée à Zanetto
Biſogniofi ; il la donne à fon maî
tre en préſence du docteur & de Roſaura
La fille. Zanetto ouvre cette lettre ; il eſt
inquiet de la voir écrite en françois , ſans
les papiers attendus , & datée de Lyon , où
il ne connoît perſonne. Comme il ne
fait pas la langue , il la remet an Docteur:
pour la lire, On lui mande qu'Eléonora
Biſognioni ſa femme , ſe diſpoſe à venir à
Paris ; cette nouvelle cauſe d'étranges
soupçons contre lui. Le père& la fille ca
190 MERCURE DE FRANCE.
ſont indignés . Le malheureux amant reſte
ſtupéfait. Il ne fait que dire , ni comment
ſe juſtifier. Il croit que c'eſt une
feinte & une méchanceté qu'on veut lui
faire . La femme du matin arrive dans la
même hôtellerie; elle voit Zanetto affis
dans un coin ; elle eſt étonnée de n'en
être pas reconnue. Elle s'avance à lui ;
l'attaque , & ſe livre à tout fon reſſenti
ment. L'amant de Roſaura eſt bien étonné
de cette nouvelle aventure ; mais cette
femme ne le quitte point. Le Docteur &
ſa fille arrivent au bruit , prennent le
parti de la femme, qui leur communique
ſon contrat de mariage. Ils l'attirent dans
leur appartement , & accablent le malheureux
Zanetto qui ne peut ſe faire entendre.
Dans ce moment fâcheux la maî
treſſe de l'auberge vient pour lui donner
leçon de langue: Zanetto la reçoit fort
mal , & s'en va ; elle eit étonnée & courroucée
d'un ſi bruſque accueil , lorſque le
bon Zanetto vient avec Scapin au rendezvous.
Il fait , à ſa manière , beaucoup de
révérences & de prévenances à la maîtreſſe
de l'hôtellerie ; & , la voyant irritée
contre lui , il ſe met à pleurer. Elle lui
réproche ſa bruſquerie, dont il a beaucoup
de peine à ſe justifier. Enfin Zanetto le
fimple voulant donner à cette femme
JANVIER. 1774. igi
une preuve de ſon amour, fait , malgré
Scapin , une promeſle de mariage. Pendant
qu'il l'écrit , Arlequin arrive , & ,
étant à l'écart , examine ce qui ſe paſſe ,
& reſte fort furpris de cet engagement
qu'il croit que ſon maître contracte , tandis
qu'il en a un avec Roſaura , & qu'on
le dit même marié. Lorſqu'il ſe préſente ,
Zanetto en eſt effrayé , à cauſe de ſa
figure noire , & le prend pour un grand
finge. Il s'enfuit. Arlequin voyant Scapin
valet , & croyant que ſon maître l'évite ,
ſe croit renvoyé. Alors le Docteur , muni
du contrat de mariage de Zanetto Biſognioſi
, reproche à Arlequin de l'avoir
trompé ſur l'état & la probité de fon
maître. Arlequin , ne ſachant que répondreàdes
preuves ſi fortes qu'un contrat&
qu'une femme , lui dit que ſon maître
vient encore de s'engager à la maîtreſſe
de l'auberge . Le Docteur , juſtement itrité
, va faire ſa plainte à un Commiſſaire ,
&lui remet le contrat de mariage ; la
maîtreſſe de l'auberge lui dépoſe ſa promeſſe
de mariage ; la femme abandonnée
lui raconte ſes chagrins. Le Commiffaire
donne des ordres : on met des gardes fur
différentes routes , pour que Zanetto ne
puifle échapper.
D'après le fignalement bien donné ,
192 MERCURE DE FRANCE.
les trois frères font faits prifonniers ; d'abord
comparoît le Marin, qui répond
avec un bruſque laconiſme aux queſtions
du Commiſſaire . Comme on lui demande
s'il eſt marié , il répond par fingularité ,
non ; il veut eſſayer d'embarraſſer le queftionneur
& connoître les moyens qu'il a
dit avoir de connoître la vérité. On lui
montre la lettre de Lyon; cela l'embarraffe
un moment , en y voyant le nom
de ſon Correſpondant qui l'avertit de
l'arrivée de ſa femme ; cependant il feint
de ne pas ſavoit pourquoi on lui écrit.
On lui préſente ſon contrat de mariage ;
plus grande ſurpriſe ; mais il ſoutient encore
fon menfonge , & ſe ſouvenant des
certificats d'homme libre qu'Arlequin lui
a remis , il s'en fert pour embarrafler à
fon tour le Commiſſaire qui ne comprend
rien en effet à ces contradictions. Un
garde vient en ce moment l'avertir qu'il
aexécuté ſes ordres , & que Zanetto eſt
fon prifonnier. Le Commiſſaire qui voit
Zanetto , n'en veut rien croire : mais il
fait reconduire le Marin dans ſon appartement,
&Zanetto l'idiot eſt amené tout
tremblant & en ſe lamentant. Le Commiſſaire
eſt ſurpris de la reſſemblance ; il
l'interroge : il avoue ſans difficulté qu'il
afait une promeſſe de mariage à l'hôteſſe
&
JANVIER. 1774. 193
&qu'il va la tenir. Un autre garde annonce
de nouveau la capture d'un Zanetto
; autre ſurpriſe. Le Commiſſaire
ſoupçonnant que ce ſont pluſieurs frères ,
renvoye celui- ci dans ſa chambre , & fait
venir le troiſième Zanetto , l'amant de
Roſaura. Il débrouille enfin toute cette
affaire par ſes queſtions. Il comble l'amant
de joie en lui montrant ſes certifi
cats. Tout alors s'explique facilement. Le
Docteur fatisfait n'hésite plusdedonner ſa
filleàZanetto; le ſecondZanetto ſe récon
cilie avec ſa femme; letroiſième Zanetto
épouſe l'hôteſſe. Il n'y a point d'intrigue
ſi mêlée,& qui ſe développe ſi heureuſement
& plus ingénieuſement. Cette Comédie
a le plus grand ſuccès , & fait
beaucoup d'honneur àM Colalto. Nous
la rapportons dans un certain détail
parce que les pièces Italiennes ſe jouant
à l'improvifte & ne s'imprimant point ,
le lecteur ſera bien aiſe d'en trouver ici
le canevas & les principaux incidens. II
n'eſt guère poſſible de porter à un plus
haut degré l'intérêt de ſurpriſe & de curiofité
, & de préparer avec plus d'eſprit
les ſcènes ſi variées & fi plaiſantes de cet
imbroglio. Rien de plus adroit que d'avoir
fait tomber dans la même main les
papiers qui ont cauſe tant d'embarras,&
I. Vol. 1
,
194 MERCURE DE FRANCE.
qui ſervent à dénouer fi heureuſement
toutes les difficultés . M. Colalto , acteur
excellent dans le rôle de Pantalon , joue
dans cette pièce ſans maſque , & paroît
plus ſurprenant par les trois différens caractères
qu'il ſaiſit & joue ſucceſſivement
avec une intelligence , une vivacité &
une vérité qui font la plus grande illuſion .
Il a été très-bien ſecondé par le jeu plaifant
de M. Carlin ; par MM. Véronèſe ,
Camerani & Marignan , & par Mesdames
Billioni & Zanerini , mère & fille.
ARTS.
GRAVURE.
I.
Costume des anciens Peuples , par M. André
Barden , profeſſeur de l'académie
royale de peinture&de ſculpture , quatorzième
cahier in- 4 °. A Paris , rue
Dauphine , chez Antoine Jombert ,
père; Louis Cellot , imprimeur , &
Ch. Antoine Jombert, fils aîné.
Ce dernier cahier donne des modèles
des Birème & Trirème , vaiſſeaux des Anciens
à deux & à trois rangs de rames. Plu
JANVIER. 1774. 195
ſieurs autres planches de ce même cahier
nous offrent des images des trophées &
chars de triomphe des Anciens. Des explications
toujours inſtructives accompagnent
cesplanches & fuppléent aux détails
que la gravure n'a pu donner.
I I.
Jeune femme donnant de la bouillie àfon
enfant , estampe d'environ 12 pouces
de large ſur 11 de haut , gravée d'après
le deſſin de François Boucher par L.
Bonnet . A Paris , chez l'auteur , rue St
Jacques , au coin du celle du Plâtre.
Prix, 2 liv. 8 f.
Cette eſtampe eſt gravée dans la manidre
du deſſin au crayon noir ſur papier bleu
rehauffé de blanc. Elle nous repréſente
une mère qui a ſon enfant ſur les genoux
& lui donne de la bouillie , tandis qu'un
autre enfant dort dans ſon berceau. Une
jeune fille eſt placée derrière la mère . Différens
acceſſoires enrichilent cette compoſition
rendue avec beaucoup de naïveté.
Le Sr Bonnet vient auſſi de mettre au
jour une eſtampe repréſentant un Chriſt
ſur la croix. Cette eſtampe d'environ 17
pouces de haut ſur 12 de large , eſt gra-
1
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
vée dans la manière du deſſin au crayon
rouge d'après le deſſin de M. Lagrenée
l'aîné , peintre du Roi .
III.
Archimède , eſtampe d'environ 13 pouces
de haut fur y de large , gravée d'après
M. le Prince , peintre du Roi , par R.
Gaillard. A Paris, chez l'auteur , rue St
Jacques , au-deſſus des Jacobins. Prix ,
3. liv.
Archimède,ſous la figure d'un vieillard
agrande barbe , tient un compas , & a
devant lui un papier où font tracées des
figures de géométrie. Ileſt vêtud'une étoffe
à fleurs , qui, par les détails qu'elle préſente
, nuit un peu àl'effet de la tête ;
mais fait connoître bien avantageuſement
les talens du graveur , dont le burin eſt
pur,& varié avec intelligence.
MUSIQUE.
I.
Trois Sonates pour le Clavecin , ou le forte
piano , avec accompagnement de flûre
ou de violon & baſſe , composées par
G. Mathielli ; oeuvre 11. Prix 4 liv.4
JANVIER. 1774. 197
A Paris, chez M. Taillard l'aîné, tue de
laMonnoie , la première porte cochère
à gauche , en defcendantdu pont neuf,
maiſon de M. Fabre , & aux adreſſes
ordinaires de muſique.
L'OEUVRE premier de M. Mathielli que
nous avons annoncé précédemment , eft
une bonne recommandation pour celui ci.
Un chant agréable , d'un tour heureux &
d'une exécution facile , & cependanttrèspropre
à faire briller l'inſtrument , affure
le ſuccès de ces nouvelles fonates , ainſi
que des premières.
Recueil de Romances , Tome ſecond in-
8 ° . A Paris , chez le Jay, libraire , tue
St Jacques . Prix , 6 liv .
Les Romarices contenues dans ce ſecond
volume , ſont d'un bon choix. Ces
fortes de poëmes , dontle ſujet eſt ordinairement
amoureux ou tragique , ont dreic
d'intéreſſer par la naïveté des ſentimens ,
la ſimplicité des images , la douceur & le
naturel de la mélodie dans laquelle un
goût même un peu antique ne déplaît pas;
auſſi at'on regretté pluſieurs anciens airs
desromances du premier volume auxquels
l'éditeur en a ſubſtitué de ſa compoſition
:
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
d'un goût un peu maniéré. Ces airs anciens
font aujourd'hui reſtitués dans un
ſupplément placé à la fin du ſecond volume.
Ce fupplément eſt diſpoſé de façon
qu'il peut ſe détacher de ce volume & être
relié , ſi l'on veut , à la fuite du premier.
,
Premier Recueil d'airs & duo avec
accompagnement de violon & alto , ou
avec la guitarre & baſſe , dédié à M.
d'Orgeville , composé par M. Itaffe
Maître de chant & de goût ; prix 7 liv .
4 fols. Chez M. Itaſſe , de l'Académie
Royale , rue de la Chanverrerie , quartier
S. Denis ; chez le ſieur Bignon , graveur
& marchand de Muſique , place du Louvte
; à Rouen chez M. Magny , rue des
Carmes .
L'opéra de M. Floquet, intitulé : l'Union
de l'Amour & des Arts , après plus
de 40 repréſentations confécutives , dans
leſquelles il a fait les délices du Public ,
vient d'être grave; les airs qu'on en avoit
détachés ont fait l'objet d'un procès que
l'auteur ſoutient contre les contrefacteurs
; mais on en trouvera la partition entière
chez l'auteur , rue Montmartre , au
café de Frari , de même qu'à la porte de
JANVIER. 1774. 199
l'Opéra , & aux adreſſes ordinaires de
Muſique ; prix 24 liv .
Le Bouquet refuſé , duo de M. Albanèſe
, de la Muſique du Roi. Prix 24 fols,
avec les parties ſéparées .
Au bureau du Journal de Muſique ,
rue Montmartre , vis- à- vis celle des Auguſtins
, & aux adreſſes ordinaires.
La manière nouvelle dont la gravure
de ce duo eſt traitée,& fur-tout l'élégance .
du chant le feront rechercher des Amateurs.
Ouverture de Zémire & Azor , arranrangée
pour le clavecin ou le forte piano ,
avec accompagnement d'un violon ad
libitum. Par M. Benaut , Maître de clavecin
. Prix 2 liv. 8 fols.
A Paris chez l'auteur , rue Gift-lecoeur
, la deuxième porte cochère à gauche
en entrant par le Pont neuf.
Ariette comique , ou eſpèce de parodie.
à grande orchestre pour une baſſe-taille :
toutes les parties font obligées , violons ,
flûtes ou hautbois , cors , alto , ballons
&bafle . Par M. Lecuyer , ordinaire de
l'Académie Royale de Muſique . Les paroles
font de M. Piron ; prix 3 liv . A
1
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Paris chez l'auteur , rue S. Honoré , mai .
ſon de M. Margane , marchand Parfumeur
vis - à - vis l'Oratoire , & aux adreſſes
ordinaires de Muſique.
Le comique des paroles eſt très bien
rendu par le caractère de la muſique , qui
eft burleſquement grave &impoſante.
Six Divertiſſemens pour le forte-piano
ou la harpe , avec accompagnement de
flûte& violon , compoſés par Philippe-
Jacques Meyer , mis au jour par M.
Boüin. Prix 4 liv. 16 ſols ; à Paris che
l'éditeur , marchand de Muſique & de
cordes d'inſtrumens , rue S. Honoré , au
gagne-petit , près S. Roch .
TABLEAU de fleurs , allégorique , à l'occafion
de la naiſſance de Mgr le Duo
de Valois.
E
Henrici Magni progenies dilecta
Liliorum ſplendor.
Ce tableau repréſente un vaſe antique
de lapis en forme d'urne , lequel porte
fur fon champ un médaillon d'Henri IV ,
en agathe- onix , furmonté de laCouronne
Royale de France en or , d'où partent de
droite & de gauche des guirlandes d'a
JANVIER. 1774. 201
bondance de même métal. Le pied de ce
vaſe eſt orné dans ſon pourtour de différens
attributs des vertus ; dans le milieu
eſt un trophée d'armes qui exprime que
Henri le Grand a conquis la Couronne
avec le bouclier de la religion catholique ,
&fon épée , de même que la couronne
&les guirlandes ſignifient que , dès qu'il
fut parvenu au trône , l'abondance & la
tranquilité commencèrent à régner dans
fonRoyaume.
De ce vaſe fort un bouquet de lis de
la plus grande eſpèce , dont deux font
accouplés & portent dans leurs calices
les portraits de leurs Alteſſes Monfeigneur
le Duc de Chartres & Madame
la Ducheſſe ; de ces deux lis part une
tige portant un bouton nouvellement
éclos , d'où l'on voit fortir un petit enfant
, qui doit être le portrait de Monſeigneur
le Duc de Valois ; à la ſuite de
ce bouton il en paroît d'autres par progreffion
, dont le nombre ſe perd dans
le fond du tableau ; ce qui annonce la
perpétuité de cette illuftre progéniture.
Ces lis font accompagnés d'immor-
- telles de pluſieurs couleurs , de roſes ,
de jaſmin , de mitte , d'oliviers & de
lauriers; toutes fleurs & feuilles symboliques
relatives au fublime du ſujet; le
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
tout eſt grouppé pittoreſquement , & le
peintre a eu grand ſoin d'éviter toutes
ces petites altérations qui fe trouvent ordinairement
dans la nature des fleurs &
de leurs feuilles , & qui ajoutent à la vérité
, pour faire fentir que celles qui
compofent ce bouquet ſont d'une eſpèce
inaltérable.
Tout cet enſemble eſt porté ſur un focle
de porphite , pour en exprimer la folidité .
Ce tableau eſt peint dans le genre fini ,
&à la manière éludorique qui le garantit
de toute dégradation. Nous ne connoifſons
rien de plus parfait pour l'exécution
& de plus agréable pour la compoſition
que ce tableau , chef-d'oeuvre précieux de
M. Vincentde Montpetit , peintre , rue
du Gros Chenet , à Paris.
INDUSTRIE .
I.
LES fieurs Odo & Betterami , opticiens ,
établis à Marseille , font ſçavoir aux
amateurs & aux connoiffeurs, qu'ils conftruiſent
des lunettes acromatiques & autres
, depuis un pied de foyer juſqu'à
cent , avec une perfection égale à celle
qui caractériſe les meilleurs ouvrages
des ouvriers anciens & modernes ; ils
JANVIER. 1774. 203
exécuteront avec la plus grande préciſion
, les verres objectifs, ſimples ou compoſés
, qui leur feront commandés , quel
que puiſſe en être le foyer & l'ouverture
, qui pourra être portée juſqu'à dix
pouces , ſi quelqu'un déſiroit une ouverture
auffi grande , &donnât de courbures
affez parfaites , pour pouvoir la ſupporter
; ils s'engagent à faire parvenir aux
perſonnes qui les feront travailler , les
ouvrages qu'ils auront faits pourelles , le
tout à un prix plus modique que celui
qu'exigent ordinairement les gens de
l'art , ſur tout les artiſtes étrangers , auxquel
on eſt ſouvent obligé d'avoir recours
, pour ſe procurer des verres excellens.
1
I I.
Le 19 du mois de Décembre , le Sieur
COMPIGNÉ , Tabletier du Roi & breveté
de Sa Majesté , eut l'honneur de préſenter
à Madame la Dauphine , un tableau
d'écaille & de forme ronde, portant dans
fa bordure , fix pouces neuf lignes de diamètre
, ayant pour titre : le malheur repare
par la bienfaiſance ,& repréſentant le fait
arrivé au village d'Achères , près Fontainebleau
, le 2 Octobre dernier. Madame
la Dauphine a bien voulu faire l'honneur
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
à cetArtiſte de l'accepter,en lui marquant
fa- fatisfaction par l'accueil le plus favorable.
On trouvera de ces Tableaux dans le Magafin
du St Compigné , rue Grenera , au Roi David.
Ilacu attention de réduire ce ſujet en petit , afin
de leplacer ſurdes tabatières en place de médaillons.
Il a auſſi un très -beau buſte de Louis XV ,
portant 6 pouces&demi de haut , & qui augmente
le nombre des nouveautés dont ce Magaſin eft
sempli.
PHÉNOMÈNES ELÉCTRIQUES .
M. BARON , Notaire , rue de Condé ,
a adreſſé à l'Académie royale des Sciences
la lettre ſuivante.
MESSIEURS ,
Pluſieurs perſonnes perfuadées que
l'on peut faire de la connoiffance des
phénomenes électriques , une a plication
utile pour préſerver de la foudre , ſe
ſont propofé de faire chez moi une
ſouſcription , dont le produit ſeroit deftiné
à un prix pour l'ouvrage qui indiquera
le mieux les moyens de garantir
du tonnerre les édifices & les individus.
Elles deſireroient que l'Académie des
Sciences daignât ſe charger de juger ce
5
JANVIER. 1774. 205
4
prix , & de le propoſer ſous la forme
qu'elle jugera la plus convenable. La
ſouſcription feroit ouverte juſqu'à la fin
du Carême prochain , & alors l'Académie
, ſi elle veut bien concourir à ce
projet , pourroit publier le programme
de prix . Nous demandons auſſi à l'Académie
la permiſſion d'annoncer dans les
papiers publics , qu'elle a bien voulu
concourir à ce projet , & ſe charger du
jugement du prix .
J'ai l'honneur d'être , &c.
BARON.
En conféquence de cette lettre , l'Académie
a arrêté qu'auſſi - tôt que la foufcription
feroit ſuffiſante , elle ſe chargeroit
volontiers de juger le prix. Ainfi
toutes les perſonnes qui defireront foufcrire
, pourront envoyer leur argent chez
M. Baron , Notaire , rue de Condé , qui
leur en donnera un récépiffé. St , dans
l'eſpace d'un an , la ſouſcription ſe trouve
trop peu conſidérable , l'argent ſera rendu
aux ſouſcripteurs. Sinon la pièce couronnée
ſera rendue publique auſſi - tốt le
jugeinent; & il en ſera donné gratis un
exemplaire à chaque ſouſcripteur , dont
la ſouſcription ſera d'un louis , ou an
déffus.
206 MERCURE DE FRANCE:
Etabliſſement en faveur des Nourrices
:
& des Nourriffons.
0N ne peut trop faire connoître aux grandes
Villes & aux Nations étrangères , les moyens
ſimples & éprouvés par lesquels la Police fi prevoyante
& fi vigilante de la Capitale de France ,
eſt parvenue à protéger & à conferver ces petits
Citoyens qui naiſſent en quelque forte enfans
de l'Etat , & fur qui l'Etat doit porter une
attention paternelle. Tel eſt l'établiſſement fi
utile fondé par le Magifttat de la Police , &
confié à la direction de MM. Framboifier de
l'Effert & Framboiſier de Beaunay, dont nous
allons rendre compte .
La plupart des mères , ſoit par délicateſſe ,
ſoit par néceſſité , ayant écarté leurs enfans de
leur ſein , il eſt venu dans Paris une grande
quantité de Nourrices offrir leur lait à ces nouveaux-
nés. T
Bientôt cette espèce de trafic s'eſt étendu
dans les Campagnes. Différens pourvoyeurs
pour l'approviſionnement de Paris , & d'autres
Voituriers ont raſſemblé & amené en troupe
ces mères mercenaires. Leurs auberges ſont devenues
des dépôts publics où l'on alloit louer
des Nourrices. Alors la Police a craint les dangers
que les Enfans pouvoient courir dans des
mains étrangères. On a propoſé des Recommandareſſes
pour raſſembler ces Nourrices . Le Roi ,
par fes Déclarations du 29 Janvier 1711 & I
:
JANVIER. 1774. 207
Mars 1727 , a prescit des règles , & impoſé des
obligations aux Nourrices , ainſi qu'à leurs Meneurs
ou Meneuſes. Mais les pertes & les difficultés
qu'éprouvoient ces femmes dans le recouvrement
de leurs ſalaires , ont déterminé le
Parlement à ordonner, par Arrêt de Juin 1737 ,
que les condamnations prononcées pour mois:
de nourritures d'Enfans , ſeroient exécutoires
par la capture des débiteurs faite dans leurs maiſons.
Quelques années après , Sa Majefté s'eſt
chargée du paiement des frais de poursuite , &
les Magiſtrats de la Police ont rendu ſucceſſi- :
vement différentes Ordonnances pour prévenir
les abus ; mais, les abus continuant , M. de Sartine
a fait faire des tournées dans tous les endroits
où il y a des Nourriſſons de Paris ; ce Magiftrat
a connu alors que le meilleur moyen d'aſſurer
le ſervice des Nourrices , étoit de leur faire
toucher leurs ſalaires à l'échéance , & de leur.
ôter par-là tout prétexte d'excuse en cas de négligence
& d'inexactitude à remplir les devoirs
deleur état.
En conféquence M. de Sartine a formé le
projet avantageux dont l'exécution a été ordon- .
née par la Déclaration du Roi du 24 Juillet
1.769 , laquelle d'une part fupprime les quatre
Bureaux de Recommandareſſes alors exiſtans
dans des lieux trop ferrés , & y en ſubſtitue un
ſeul , qui , par ſa ſituation & ſon étendue , puiſſe
procurer des logemens également ſains & commodes
pour les Nourriciers & pour les Enfans
qui leur ſont confiés , & d'autre part établit un
Bureau de Direction , chargé de faire aux Nourrices
les avances de leurs mois de nourriture ,
fauf fon recours contre les Pères & Mères.des
208 MERCURE DE FRANCE.
Enfans , & même d'entretenir entre les Nourriciers
& les Pères & Mères , une correſpondance
continuelle qui les mette en état de concourir
tous également à la sûreté des jours des
Enfans.
Conformément à cette Déclaration , au premier
Janvier 1779 , il a été ouvert un Bureau
pour la Direction , & un pour la location des
Nourrices. Le premier de ces Bureaux eſt régi
par deux Directeurs , & l'autre l'eſt par deux
femmes connues ſous la dénomination de Recommandareſſes
; c'eſt à celui-ci que les Bourgeois
trouvent en tout temps des Nourrices ;
elles y font toutes , dans le jour , raſſemblées en
une falle appelée la ſalle de la Location ; cette
falle eſt aſlez grande pour y contenir quelques
fois juſqu'à cent Nourrices , parmi toutes lefquelles
les Bourgeois ont le droit de choiſir celles .
qui leur conviennent le plus, ſoit parrapport à
la Province dont elles font , ſoit par rapport à
leur diſtance de Paris , ſoit par rapport à leurs
avantages perſonnels. Il y a dans ce Bureau plufieurs
dortoirs ou couchent toutes les Nourrices
àcôté deſquelles font à droit & à gauche des
berceaux pour les Nourriſſons. Les Recommandareſſes
tiennent un Regiſtre de tous les Nourriffons
confiés aux Nourrices de leur Bureau où
elles ne font admiſes que ſur le vu d'un certificat
qu'ellesydépoſent , par lequel leCuré
leurParoiffe atteſte l'age de leur lait ,&qu'elles
ont les qualités morales , néceſſaires à leur état ,
comme auſſi qu'elles ſont munies d'un berceau)
&d'un garde-feu pour l'enfant dont elles ſe
chargeront. Il vient tous les jours à ce Bureau
un des deux Médecins préposés par le Magiftrat ,
de
4
1
JANVIE R. 1774. 209
pourjuger des qualités phyſiques des Nourrices ,
& du bon ou mauvais état des Enfans qu'elles
rapportent , lorsque les Pères & Mères l'exigent ;
ces viſites ſe font gratuitement, ainſi que les rapports
que les Medecins adreſſent au Magiſtrat
pour faire droit ſur les plaintes des Pères & des
Mères , le cas échéant.
Le droit d'enregiſtrement à ce Bureau eſt de
1 liv. 11 fols , par chaque Nourriſſon , dont 1 liv.
10 fols pour les Recommandareſſes , & 1 fol pour
leur Factrice; ce droit eſt dû par les Pères &
Mères qui font tenus de dépoſer au Bureau l'extrait
baptiftaire de leur enfant. Suivant les dispoſitions
de l'Ordonnance de Police du 17 Décembre
1762 , chaque Nourrice qui emporte un
Nourriſſon , doit auſſi- tôt ſon arrivée chez elle,
remettre au Curé de ſa Paroiſſe , le certificat de
renvoi que les Recommandateſles lui ont délivré
à ſon départ de Paris ; ce certificat de renvoi
contient les noms de la Nourrice , ceux de fon
Mari , les noms du Nourriſſon , ceux de ſes Père
& Mère , & leurs demeure & profeffion ; au
moyen de quoi le Curé de la Paroiſſe de la
Nourrice eſt en état de porter dans l'acte qu'il
fait de l'inhumation de l'enfant , s'il vient à dé
céder en nourrice , ſes vrais noms & ceux de ſes
Père & Mère , ce qui évite qu'il ne ſe gliſſe dans
ces fortes d'actes des erreurs de noms qui pourroient
être préjudiciables à l'état des familles ;
au moyen auſſi de ce certificat de renvoi , les
Curés des Paroiſſes des Nourrices , inſtruits des
noms , profeſſion & demeure des Père & Mère ,
peuvent les informer de l'état & beſoin de leurs
enfans , ce qui fait un contrôle du compte que
210 MERCURE DE FRANCE.
les meneurs font tenus d'en rendre , à chacun de
leurs voyages à Paris .
Le Bureau des Recommandareſſes eſt rue
Quincampoix ; celui de la Direction a ſa principale
entrée rue Saint Martin , vis-à-vis Saint
Julien des Ménétriers , & une fortie rue Quincampoix.
Suivant la Déclaration du Roi du 24 Juillet
1769 , les deux Directeurs de ce Bureau font
garans envers les Pères & Mères & les Nourrices
, de la recette & geſtion de leurs Prépoſés
au recouvrement des mois de nourrice , ainſi que
de celle de tous les Meneurs & Meneuſes ; ils
remettent à ces derniers à chaque voyage qu'ils
font à Paris , toutes les ſommes qui font dues
aux Nourrices pour leurs mois d'allaitement &
de nourriture , quand même ils ne les auroient
pas recus des Pères & Mères ; ils font chargés
de tous les frais de leur régie & des appointemens
de tous leurs Prépoſés ; ils ne peuvent
répéter aucuns frais des pourſuites qu'ils font
contre les Pères & Mères pour défaut ou retard
des paiemens ; &, pour les mettre en état de ſatisfaire
à toutes ces charges & les indemnifer
des pertes & retards qu'ils eſſuyent dans le recouvrement
des deniers dont ils font obligés de
faire l'avance , ils ont à leur profit un droit de
fol pour livre fur toute leur comptabilité, déduction
faite fur icelle du droit de ſol pour livre,
attribué aux Meneurs & Meneuſes qui ſont au
nombre d'environ 200. Les mois de nourriture
étant l'un dans l'autre de 8 liv . le ſol pour liv . de
ces mois ne fait par an qu'un objet de 4 liv . 16
fols pour chaque Nourriflon.
JANVIER . 1774. 211
,
Il eſt aux choix des Pères & Mères de venir
payer au Bureau de la Direction les mois de
nourriture , attendu qu'on y tient un double des
Regiſtres de chaque Meneur , ou bien de les
payer aux Meneurs lorſqu'ils vont chez eux leur
donner des nouvelles de leurs Enfans , à chaque
voyage qu'ils font à Paris ce dont les Meneurs
doivent juſtifier au Bureau de la Direction
par un vu ſur leurs Regiſtres , ſigné des Pères &
Mères , à l'article de leur enfant. Dans le cas où
les Pères & Mères ne ſont point venus payer au
Bureau , ou n'ont pas remis au Meneur les mois
échus , les Directeurs en font l'avance , & écrivent
enſuite aux Pères & Mères pour les en prévenir
& leur en demander le remboursement.
C'eſt au Bureau de la Direction que les Pères &
Mères doivent ſe préſenter pour y demander le
retour de leurs enfans . Les Directeurs exercent
un compte ouvert avec chaque Pere & Mere , &
les Nourrices; ils tiennent la correſpondance qui
eſt preſque continuelle entre le Magiſtrat & les
Curés des Paroiſſes des Nourrices les Juges
des lieux de leur réſidence , & les Commandans
de Maréchauffée , pour l'exécution des ordres du
Magiftrat. Ils communiquent aux Peres & Meres
les rapports que font au Magiſtrat qui les leur
renvoye , les Inſpecteurs de tournées par lui
commis , tant pour aller viſiter dans les campagnes
les Nourriſlons , que pour s'affurer des foins
qu'en prennent les Nourrices , & pour vérifier
l'exercice des Meneurs & Meneuſes , au nombre
de près de deux cens.
,
Les Directeurs, tant par eux-mêmes que par les
Commis de leurs Bureaux , ont la vigilance la
plus active ſur la conduite des Meneurs , qui , par
212 MERCURE DE FRANCE.
l'utilité de leurs ſervices , méritent la protection
du Souverain , la bienveillance de ſes Miniſtres
& l'affection des Citoyens de la Capitale. En
effet , Recruteurs de nourrices dans les Campagnes
, fans eux il y en auroit diſette dans Paris:
Contrôleurs de la conduite des nourrices , ils
veillent également ſur les nourriſſons : Commiffionnaires
des Peres & Meres , c'eſt par eux qu'ils
fubviennent aux beſoins de leurs enfans ; enfin
Collecteurs & Distributeurs des mois de noutriture
, ils font les canaux de la circulation d'une
partie de l'argent de Paris qui ſe verſe dans les
campagnes à cinquante lieues de ſes alentours,
& fait une reſſource pour plus de 12000 ménages.
D'après les avantages qui réſultent de l'établiſſement
de ces deux Bureaux pour les nourrices
, on n'entend plus gémir les Meres de ce
qu'elles font obligées d'arracher leurs enfans de
leur ſein; ils ont un Tuteur qui ne les perd
point de vue. Les nourrices ne craindront point
de prodiguer leurs foins & & leurs veilles auprès
des nourriſſons ; elles font aſſurées de toucher
leur ſalaire , & l'on n'appréhender point
que ces foibles & chers enfans de la patrie
tombent entre les mains de marâtres , & foient
des victimes immolées à leur cupidité. LeMagiſtrat
les protége & eſt leur défenſeur ; il les a
ſauvés des dangers auxquels ils étoient expoſés ,
il s'eſt aſſuré de la pureté du lait qui doit faire
leur aliment ; enfin il a rendu leur état çertain
dans leurs familles.
JANVIER. 1774, 213
TRAIT DE BIENFAISANCE ,
Lettre àM. Lacombe , auteur du Mercure
AVersailles , le 10 Décembre 1773 .
MONSIEUR ,
Un jeune poëte célébrant , il y a quel
que temps , la ſenſibilité de Madame la
Dauphine , à propos de l'accident arrivé
à la chaſſe , au village d'Achères , avoir
bien raiſon de lui dire :
C'eſt peu de calculer vos grâces ;
Il faut aujourd'hui faire plus :
Déſormais en ſuivant vos traces
Il faudra compter vos vertus.
En effet , cetre auguſte Princeſſe vient
encore de marquer unde ſes plus beaux
jours , par une action de générofité bien
précieuſe pour toutes les perſonnes qui
ont le bonheur de l'approcher & de la
fervir. Pouvant diſpoſer d'une ſomme
aſſez conſidérable , fruit ou de ſon gain
au jeu , ou de ſes épargnes , elle demanda
à ſon premier Maître d'Hôtel un
état de toutes les perſonnes attachées à
fon ſervice , qui pouvoient avoir des bea
214 MERCURE DE FRANCE.
ſoins que la ſaiſon de l'hiver rend ordinairement
plus preſſans & plus cruels :
lorſque M. le Vicomte de Talaru , fait ,
par ſa façon de penſer , pour ſeconder la
bienfaiſance , lui préſenta ſa liſte , Madame
la Dauphine voyant que ſes fonds
pouvoient s'étendre ſur un plus grand
nombre , ajouta de ſa main les noms de
pluſieurs perſonnes dont elle avoit lu la
misère & ſur la mine & dans l'habillement;
faiſant enſuite ſon calcul d'après
ſon coeur ſenſible & juſte , elle affigna
à chacun une ſomme ; aux uns deux louis ,
aux autres trois , &c .
Je tiens ce nouveau trait de bienfaiſance
d'une perſonne , qui , au ſortir de
la diſtribution, eſt venue m'en faire le récit
; & je ſuis encore pénétré en me rappetant
les larmes précieuſes qui accompagnoient
les vives expreſſions de ſa reconnoiſſance.
L'Abbé JAEQUIN.
ANECDOTES.
I.
L'EMPEREUR Selim commanda à fon
Grand Vifir d'arborer les queues de che
JANVIER.
1774. 215
val aux portes du Sérail , ( c'eſt le ſignal
ordinaire des grandes expéditions ) & de
faire dreffer des tentes dans un lieu convenable.
Le Vifir lui ayant demandé en
quel endroit il plairoit à ſa Hauteſſe
qu'elles fuſſent préparées , Selim , pour
toute réponſe le fit mourir. Il traita de la
même manière un autre Viſit pour une
ſemblable queſtion. Un troiſième Viſir ,
plus aviſé que les deux autres , fit placer
des tentes vers les quatre points du ciel ,
& dit au Sultan que tout étoit prêt pour
ſon expédition , de quelque côté qu'il
marchât. La mort de deux Vifirs , dit Selim
, a ſauvéla vie à ce troisième , & ma
procuré un Miniſtre tel que je le veux.
Selim fut le premier Empereur des
Turcs qui ſe fit couper la barbe, contre le
précepte de l'alcoran ; comme on lui en
demanda la raiſon , il répondit : c'est
afin que mes Viſirs aient moins de priſe
fur moi.
I I.
Le Grand Guſtave , Roi de Suéde ,
ayant réſolu d'abolir dans ſon armée le
duel , prononça la peine de mort contre
tous ceux qui accepteroient un combat
fingulier.
216 MERCURE DE FRANCE:
:
Cependant deux Officiers ſupérieurs
&de grande conſidération , ayant eu
querelle , demandèrent au Roi la permiſſion
de ſe battre : Gustave, indigné de
leur demande , y confentit pourtant ,
mais il ajouta qu'il vouloit être lui-même
témoin du combat , & il aſſigna l'heure
& le lieu. Ce Prince vient au rendezvous
avec un corps d'infanterie qui environne
les champions ; enſuite il appelle
le bourreau de l'armée , & lui dit : mon
ami , dans l'inſtant qu'ily en aura un de
tué, coupe devant moi la tête à l'autre.
A ces mots les deux officiers généraux
reſtèrent quelque tems immobiles; puis
ils ſe jetèrent enſemble aux pieds du
Roi , lui demandèrent leur grâce , & fe
jurèrent l'un & l'autre une amitié conftante.
Depuis ce moment on n'entendit
plus parler de duel dans les armées Suédoiſes.
III.
La repréſentation d'un Opéra comique
fut interrompue par une querelle
qui s'éleva entre les pages du Roi & les
pages des Princes ; l'un d'eux , âgé d'environ
10ou 12 ans , culébuta du haut en
bas de leur loge ; heureuſement qu'il
tomba
JANVIER. 1774. 217
tomba fur unebanquette bien rembourée
qui le préſerva. il emporta dans ſa chûte
la perruque d'un grave perſonnage , qui
lui dit : « morbleu ! mon perit bon-
>> homme ; prenez donc garde à ce que
>> vous faites quand vous tombez : je vous
» demande pardon , Monfieur , lui ré-
>> pondit le petit page ; je ne l'ai pas fait
» exprès. »
I V.
Le Sage , Fuzelier & d'Orneval , piqués
de ce qu'on avoit refuſé le privilége
de l'Opéra comique à Franciſque , acteur
forain , pour lequel ils s'intéreſſoient ,
louèrent , en 1722, une loge dans le préau
de la Foire St Germain ; & , là , fous le
nom de Laplace , ils firent repréſenter ,
par les marionnettes , des pièces de leur
compoſition , qui attiroient tout Paris.
Ils donnèrent entr'autres PierrotRomulus,
parodie de la tragédie de ce nom , pat
M. de la Motte. Le ſuccès de cette pièce
fut fi grand , que M. le Duc d'Orléans ,
Régent , voulut voir ce ſpectacle , & le fit
repréſenter à deux heures après minuit.
Le Grand , acteur de la Comédie Françoiſe
, choqué des traits répandus contre
I. Vol.
K
218 MERCURE DE FRANCE.
lui dans cette parodie , fit le couplet ſuivant
:
Le Sage & Fuzelier dédaignant du haut ſtyle , la
bonté...
Pour le Polichinelle ont abandonné Gille , la
rareté!
,
Il ne leur manque plus qu'à crier par la ville , la
5
curiofité..
ÉDITS , ORDONNANCES ,
ARRÊTS , &c.
Iz paroît deux arrêts du Conſeil d'Etat ;
Le premier , du 17 Octobre , réduit à 6 liv.
To f. par quintal le droit de vingt livres ſur tous
les livres imprimés ou gravés , foit en françois ,
foiten latin , & en outre les 8 l. pour liv.
Le ſecond, du 28 Octobre , ordonne la fixationdes
offices de Lieutenant- Exempts & Archers
de la compagnie du Prévôt général des Monnoies
&Maréchauffées de France , ſur le pied de laquelle
ils ſeront tenus de payer le centième denier.
Ordonnance du Roi , du 19 Octobre 1773 ,
concernant les Régimens Provinciaux .
L'intention de Sa Majesté eſt que le nombre
desbataillons qui ſeront levés dans les provinces
foit porté à l'avenir à cent - onze , au licu de
cent-quatre , relativement à la population des
généralités.
JANVIER 1774. 219
AVIS .
I.
M. LOUCHET , profeſſeur à l'Ecole des Artsde
M. Blondel , au Louvre , pour la coupe des pierres
, continue d'enſeigner aux Elèves de ſon bureau
, l'Art du Trait. Sa demeure ordinaire eſt
cloître St Louis du Louvre , à côté de l'Egliſe, en
face du 2 guichet , où il donne ſes leçons far
cette ſcience ſi néceflaire à l'art de bâtir , tous les
jours , excepté les jours de congé.
Il continue auſſi des collections & modèles pour
les amateurs.
11.
Inſtitution académique & militaire pour la
jeune Noblesse de Paris.
M. Rolin , connu par pluſieurs éducations particulières
dont il a été chargé , & par les ſuccès
d'une Inſtitution académique & militaire pour la
jeune Nobleſle , dont il a fait l'établiſſement àParis
depuis cinq ans , donne avis qu'il vient de
changer ſa demeure de la rue & barrière St Dominique
, dans une vaſte & belle mailon , dont il a
fait l'acquiſition , ſituée rue & barrière de Sève ,
vis- à- vis l'Enfant Jeſus , ſur les nouveaux Boulevards
: Meſſieurs les Elèves jouiront dans la belle
ſaiſon , par l'agréable ſituation de cette maiſon ,
de l'avantage de la ville & de la campagne : on y
trouvera , fi on le defire , des appartemens particuliers
pour un gouverneur & ſon élève. Les per
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
ſonnes qui voudront des éclairciſſemens fur le
plan& le prix de cette Inſtitution , où il y a les
meilleurs maîtres de Paris en tous gentes , auront
la bonté de s'adreſſer à M. Rolin , qui leur fera
paſſer des Proſpectus.
III.
annonce
Le ſieur Pierre Bocquillon , marchand gantierparfumeur
à Paris , à la Providence , rue St Antoine
, entre l'Eglife de MM. de Ste Catherine &la
rue Percée , vis- à - vis celle des Balets
au Public qu'il a été reçu à la Commiſſion royale
de Médecine , le 11 Octobre 1773. Il continue
depuis nombre d'années , de vendre une liqueur
nommée le véritable Trésor de la Bouche, dont
il eſt le ſeul compoſiteur. La vertu de ſa liqueur
eft de guérir tous les maux de dents , tels violens
qu'ils puiſſent être; de purger de tous venins, comme
chancres , & enfin de préſerver la bouche de
tout ce qui peut contribuer à gâter les dents. Cette
liqueur a un goût gracieux à la bouche , rend
Thaleine agréable & douce , conſerve même les
dents, quoique gâtées .
L'auteur reçoit tous les jours de nouveaux fuffrages
ſur l'excellence de la liqueur , par nombre
decertificats que lui envoient ſans cefle des perſonnes
de la première distinction . Ily a des bouteilles
à 10,5 , 3 liv. & à 24 fols. Il donne la
manière de s'en ſervir avec fignature & paraphe de
la main , & met ſes noms de famille & baptême
fur les étiquettes des bouteilles & bouchons. Il a
mis ſon tableau à la porte de ſa boutique , pour
aflurer la demeure au Public. Il vend auſſi le raffetas
d'Angleterre pour les coupures & brûlures.
:
JANVIER. 1774. 221
I V.
Maucollot , expertpour toutes les incommodités
des pieds , eſt parvenu à procurer l'entière
diflolutiondes cors , des oignons & dutillons ; il
guérit auffi entièrement les verrues qui viennent
ſous la plante des pieds & ailleurs , le tout fans
couper. Il fait tomber les ongles trop épais & mal
conftruits , les rend beaux & naturels , &fait difparoître
les excroiflances qui le forment quelquefois
à côté. Son expérience & lamanière de traiter
lui ont acquis la confiance de tous les gens de
distinction , & l'approbation de MM. de la Commiffion
reyale de Médecine. Il fort tous les matins
à ſept heures , & reçoit du monde chez lui
depuis trois heures après - midi juſqu'à huit heures
du ſoir , excepté le dimanche. Il traite les pauvresgratis
les lundi & vendredi depuis cinq heures
du ſoir juſqu'à fix.
Ildemeure Place du Chevalier du Guet , à l'an .
cienbureaude lapetise Poſte, près l'Apport-Paris.
NOUVELLES POLITIQUES.
Du Bas - Danube , le 28 Octobre 1773 .
On n'a reçu aucune nouvelle certaine touchant
les ſuites du paflage du Danube par les
Rufles . Le corps d'Obſervation Ottoman qui s'eſt
seplié à l'approche de la réſerve commandée par
le général Ungher , s'eſt arrêté au-delà de Karaſow
, où il a été joint par des renforts arrivés de
l'armée du Grand Viſir. Toutes les autres divifions
que le général Turc avoit établies ſur les
Knj
222 MERCURE DE FRANCE.
( rives du Danube ſe ſont jetées dans les places
confiées à leur défenſe On ignore encore fi les
corps des généraux Ungher & Dolgorouki ſe ſont
approchés de la grande armée Ottomane pour lui
donner de l'inquiétude & diſtraire l'attention du
Grand Viſir ſur le ſort de Siliſtrie , ou s'ils ſe ſont
joints au corps du général Potemkin qui doit attaquer
de nouveau cette place, ou enfin s'ils ſe
font réunis à celui du général Szuwarow , qui a
ordre de couvrir cette entrepriſe.
De Warfovie , le 7 Novembre 1773 .
On eſt rafluré ici ſur la prétendue invaſion des
Tartares dans le Palatinar de Braclavie. Les bruits
effrayans qui en avoient été répandus , ſe réduiſent
au pillage exércé ſur la frontière de ce Palatinat
, par une centaine de brigands , la plupart
Valaques fugitifs.
Les prétentions de l'Ordre de Malte font ici
une forte impreſſion. Pluſieurs de ceux qui poflèdent
des biens dépendans de l'Ordinacie d'Oſtrog ,
réclamée par le Chevalier de Sagramoſo , offrent
de payer une ſomme déterminée pour que l'Ordre
ſe déſiſte de ſes demandes , ils veulent , en mêmetemps
, obtenir le conſertement de la Diete pour
être délivrés de la Milice qu'ils ont été obligés
d'y entretenir.
De Stockolm , le 30 Novembre 1773 .
Le 25 de ce mois , le Roi déclara le mariage
duDuc de Sudermanie , ſon frère , avec la Princefle
Hedwige- Eliſabeth -Charlotte de Holſtein-
Gottorp , fille de l'Evêque de Lubeck , oncle de
Sa Majeſté. Il y eut le mêmejour gala à la Cour.
Leurs Majeſtés reçurent , à cette occafion , ainſi
JANVIER. 1774. 223
que le Duc de Sudermanie, les complimens du
Sénat , des divers Corps de l'Etat & des Miniſtres
Etrangers. Toute la Famille Royale dîna en public
, & ſe rendit enſuite au ſpectacle , où l'on repréſenta
un opéra nouveau. Il y eut , le ſoir , un
bal maſqué dans la grande ſalle des Etats. Ce
mariage ne ſera célébré qu'au printemps prochain.
Le Duc de Sudermanie partit , le 27 , pour
fon château de Roſerberg.
De Hambourg , le 22 Novembre 1773 .
La priſe de poſleſſion ſolennelle du Holſtein-
Ducal , par les Commiſſaires Danois , a été conſommée
, le 16 de ce mois , & l'on croit que la
remiſe des Comtés d'Oldenbourg & de Delmenhorft
au Prince Evêque d'Eutin , muni , pour cet
effet , des pleins pouvoirs du Grand Duc de Ruffie
, aura lieu inceſſamment. Les Commiſſaires
d'Artillerie Danois qu'on y avoit envoyés de
Gluckſtadt , en ont déjà vuidé tous les arcenaux .
De Vienne , le premier Décembre 1773 .
,
L'échange formel des ratifications des trois
Cours avec celle du Roi & de la République de
Pologne ayant été fait, le 19 du mois dernier ,
chez l'Evêque de Poſnanie , grand Chancelier de
la Couronne , un courier du cabinet , arrivé ici
le 28 apporta à Leurs Majestés Impériales &
Royale la ratification du Roi de Pologne , munie
de la ſignature , de celle de quatre Chanceliers ,
ainſi que des deux ſceaux , de ſorte que le Traité
de ceſſion eſt entièrement conclu. Les troupes
des trois Puillances ont commencé à évacuer les
Diſtricts qui reſtent à la République de Pologne ,
oùtout ſemble promettre le retour de l'ancienne
tranquillité.
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
De Rome , le 12 Novembre 1773 .
On a tranſporté dans les ſalles du Vatican les
tableaux les plus renommés trouvés dans les colléges&
maiſons des Jéfuires.
On écrit de Naples que la ville de Ceva , qui
eneſt éloignée de vingt milles , a étépreſqu'entièrement
détruite par un ouragan , & que près de
trois cens perſonnes y ont péri .
De Cartagene , le 9 Novembre 1773 .
On écrit de Madrid qu'on doit faire embarquer
inceſſamment à Cadıx deux régimens d'infantezie
, l'un pour la Vera-Cruz , & l'autre pour la
Havane, & qu'on a envoyé au Ferrol l'ordre d'y
tenir vingt vaiſleaux en état d'être armés au premier
ſignal.
DeRagufe , le 14 Novembre 1773 .
On a appris , par un bâtiment de la République
, que quatre vaiſſeaux Ruſſes , armés enguer.
re , s'oppoloient au paſſage des navires marchands
entre Zante & Corfou ; qu'ils les viſitoient
tous avec la plus grande ſévérité , &qu'ils enlevoient
tous les bâtimens Turcs & Grecs , ſous
quelque pavillon qu'ils paruſſent.
De Londres , le 10 Décembre 1773 .
Le4 de ce mois , le Lord Maire fut élu Membre
du Parlement pour la Ville de Londres , à
la pluralité de deux cens quatorze voix. Ie fieur
Roberte , ſon concurrent , a fait demander un
Acrutin.
On apprend que cinq familles , compofées de
plus de cinquante perſonnes , ont abandonné ,
dernièrement, le Comté de Sutherland , & font
JANVIER . 1774. 225
allées s'embarquer à Greenock pour l'Amérique.
Ces fréquentes émigrations déſolent le pays à qui
elles ont enlevé plus de quinze cens habitans,
DeVerfailles, le 23 Décembre 1773 .
Monſeigneur le Comte de Provence qui prêta ,
le mois dernier ferment entre les mains de Sa
Majesté , en qualité de Grand- Maître de l'Ordre
de St Lazare &de Notre- Dame de Mont- Carmel,
ſe rendit , le 17 de Décembre , dans la talle du
chapitre de l'Ordre & enfuite àl'Eglife Royale &
Parouffiale de Saint Louis. Il étoit précédé du Duc
de la Vrilltère , Ministre & Secrétaire d'Etat , Gérent
& Adminiſtrateur de l'Ordre des Grands
Officiers Commandeurs & des Chevaliers. Il prononça
àgenoux ſur ſon Prie-Dieu , les voeux dont
le Grand- Maître eſt dans l'uſage de faire l'émiffion.
L'Abbé de Bouville , Commandeur Eccléſiaſtique
, officia à la Grand -Mefle qui fut chantée
par la Muſique du Roi. Pendant que le Prince
recevoit ſous fon dais l'obédience de l'Ordre , on
exécuta le motet Exaudiat , de la compofition
du ſieur Mathieu , maître de muſique de la Chapelle
de Sa Majesté Monſeigneur le Comte de
Provence ſe plaça , après la Mefle, fous le dais qui
avoit été préparé, &y reçut Commandeur Eccléſiaſtique
le ſieur Poncet de la Riviere , ancien
Evêque de Troyes. Après cette cérémonie, Monſeigneur
le Comte de Provence fut reconduit à la
Salle du Chapitre dans le même ordre qu'on avoit
obſervé en allant à la Paroifle. Le fieur Baret ,
Curédela Paroiſſe , eut l'honneur de complimenter
Monſeigneur le Comte de Provenceà la rête
du Clergé , lorſque le Prince entra dans l'Eglife
&lorſqu'il en fortir.
226 MERCURE DE FRANCE .
De Paris , le 27 Novembre 1773 .
Le corps de la Princeſſe Charlotte de Lorraine ,
morte à Mons le 7 du mois dernier , fut transféré
àNancy la nuit du II au 12 de ce mois. Il a été
inhumé dans le caveau du Couvent des Cordeliers
, où repoſent les cendres des Princes de la
Maiſon de Lorraine .
NOMINATIONS.
Sa Majesté a diſpoſé de la chargede Colonel du
régiment de Grenadiers Royaux de Dauphiné, en
faveur du Marquis de Bayanne , Colonel du régiment
provincial de Valence , & de celle de ce
dernier régiment , en faveur du Marquis de la
Tour-du-Pin-Montauban , capitaine dans le régiment
Royal-Piémont.
La mort du Marquis de Chauvelin ayant fait
vaquer une place de Grand'Croix dans l'Ordre de
St Louis , Sa Majesté l'a accordée au Comte de
Chabo , lieutenant-général de ſes armées , inſpecteur
- général de la cavalerie & des dragons , &
commandeur dudit ordre , & a diſpoſé de la place
de commandeur , en faveur du Marquis de Pufignieux
, également lieutenant - général de ſes armées.
Sa Majefté a accordé l'évêché de Toul à l'Evêque
de Senès ; l'abbaye du Gard , ordre de Gîteaux,
diocèſe d'Amiens , à l'Evêque d'Arras , & celle de
Leyme , même ordre , diocèſe de Cahors , à la
Dame du Garric d'Ozech , Religieuſe Maltoiſe
du couvent de l'hôpital de Saint-Doluc.
Le Roi a accordé le prieuré royal de l'Hôtel-
Dieu de St Jean-d-e Château-Thierry , ordre de St
Auguſtin , diocèſe de Soiflons , à la Damede Beſſe
JANVIER . 1774 . 227
de la Richardie , religieuſe de l'abbaye de Leclache
, diocèſe & ville de Clermont .
Le Roi a accordé l'évêché d'Evreux à l'Evêque
de Gap , celui de Gap à l'Abbé de Jouffrey Goufſans
, vicaire - général d'Evreux , & l'abbaye de
Beaulieu en Argonne , ordre de St Benoît, diocèle
de Verdun , à l'ancien Evêque d'Evreux .
PRÉSENTATION S.
Le 28 Novembre , la Comteſle de Châlons eut
l'honneur d'être préſentée au Roi & à la Famille
Royale par la Comteſle Jules-de-Polignac.
La Baronne de Lort - Saint - Victor a eu l'honneur
d'être préſentée au Roi & à la Famille Royale
par la Comteſle de Noailles , Dame d'Honneur de
Madame la Dauphine.
La Duchefle de Chartres , dont la ſanté eſt parfaitement
rétablie , fut préſentée , le 12 Décemb.
àMadame la Comteſſe d'Artois , par Sa Majesté.
Les Marquiſes de Marcicu , de Pelagrue& de
Lort Serignan , & la Comteſſe d'Andlau ont eu
T'honneur d'être préſentées au Roi & à la Famille
Royale ; la première , par la Marquile de Talaru;
la ſeconde , par la Comtefle de Beaumont ; la
troiſième , par la Baronne de Lort - St- Victor , &
la quatrième , par la Comteſſe de Châlons .
NAISSANCES.
Le 4 Novembre, la Princefle de Prufle accoucha
heureuſement , à Berlin , d'un Prince , & cet événement
fut annoncé au Peuple par une décharge
de ſoixante-douze coups de canon .
4
MARIAGES .
Le Roi & la Famille Royale ſignèrent , le 12
228 MERCURE DE FRANCE.
Decembre , le contrat de mariage du Comtede
Berenger , brigadier des armées du Roi , colonel
du régiment de Saintonge , avec Demoiselle de
Villemorien.
MORT S.
Le fieur Touſlaint-le- Roi , au fauxbourg de
Landreci, vientd'y mourir à l'âge de quatre-vingtfeize
ans . La veille de la Touflaint , jour de ſa
fête , il avoit aſſemblé ſes enfans , petits- enfans&
artière- petits -enfans , au nombre de ſoixante dixneuf;
il leur avoit donné un repas & un bal. II
avoit préſidé à cette fête , ainſi que la femme ,
qui jouit de la meilleure ſanté dans la quatrevingts-
dixièmeannée de ſon âge, & après ſoixante-
quatorze ansde mariage.
Eléonore Spicer eſt morte à Accomak , dans la
Virginie , âgée de cent-vingt-un ans. Elle a conſervé
l'uſage de tous ſes ſens juſqu'au dernier momentde
ſa vie.
Pierre Caffard , ci - devant Fermier du Bac de
Choiſi , qui s'étoit retiré à la Croix St Ouen , près
Compiegne , y eſt mort dans la quatre-vingt dixhuitième
année de ſon âge. Il laiſle foixante cinq
enfans ou petits- enfans Il a joui juſqu'à la mort
de la meilleure ſanté , & alloit preſque tous les
jours à la meſſe.
Jeanne Anne de Raymont , Marquis de Lafbordes
Pebrens , efſt mort , le 21 Novembre , au châ
teau de Lasbordes , près de Caſtelnaudary .
Le Marquis de Villeneuve , Baron des Etats du
Languedoc , eſt mort , le 26 Novembre , dans ſon
château de Villeneuve près de Beziers.
JANVIER. 1774. 229
Claude-François de Forbin de la Barben , vicaire
général du diocèſe de Châlons , eſt mort à
Paris , le 10 Décembre.
Henriette deMontaigu, veuve de Louis-Daniel
Brufle de Montberard, eit morte , le 7 Décembre ,
dans ſes terres en Poitou , âgée de foixante dixneufans.
L'Abbé Comte de Ligneville & du St Empire ,
chanoine de la cathédrale de Bayeux , grand Ar
chidiacre de Caën , eſt mort à Bayeux le 27 No ..
vembre.
La nommée Fockie Joannes , née le 11 Novem
bre 1660 , eft morte à Olderboorn , en Frife , le
26Novemb. dernier. Elle étoit veuve depuis 17.10.
Sa longue carrière a été active , mais réguliere &
uniforme.
-Marie Eve de Staremberg, Landgrave deHeffe-
Rhinsfeld , eſt morte à Strasbourg , le 13 Décembre,
dans la cinquante - unième année de fon
âge.
Marie - Louiſe Princeſſe Jablonowska , veuve
d'Anne - Charles Fréderic de la Tremoille , Duc
de Châtellerault , Prince de Talmont , Comte de
Taillebourg &de Benou , premier Baron de Saintonge
, &c. brigadier des armées du Roi , ancien
meſtre de camp du régiment de Talmont & du
régiment Royal- Pologne ; fille de feu Jean Prince
Jablonowski , Grand Enſeigne de la Coutonne
de Pologne , Palatin de Volhynie&de la Petire-
Ruffie , & tante du Prince de ce nom , Palatin de
Poſnanie , eſt morte à Paris , le 20 Décembre ,
dans la foixante-treizième année de fon âge.
230 MERCURE DE FRANCE.
LOTERIES.
Le cent cinquante - cinquième tirage de la Loterie
de l'hôtel-de- ville s'est fait , le 26 Novem .
bre , en la manière accoutumée. Le lot de cinquante
mille liv. eſt échu au No. 44781. Celui de
vingt mille livres au N°. 48293 , & les deux de
dix mille , aux numéros 45619 & 54584 .
Le tirage de la loterie de l'Ecole royale militaire
s'eſt fait les Décembre. Les numéros ſortis de la
roue de fortune , ſont 86 , 42 , 16,73 , 22. Le
prochain tirage ſe fera le s Jauvier 1774 .
Faute à corriger dans le dernier Mercure.
Page 185 , lig. 17 , Amérique plage , lifez Armorique
plage.
PIECES
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers &en proſe , pages
Les Baiſers du jour de l'an , ibid.
Vers ſur le mariage de Mgr le Comte d'Artois , 7
Ode à l'Aurore , 9
Vers àMgr leDuc de Penthièvre , II
Les Ames , Conte arabe , 13
Vers ſur la mort de M. le M. de Chauvelin , 26
AMde la Marquiſe de Fits - James , 28
Rondeau. AMde * 8 * , jouant le rôle de la
Servante Maîtreſſe , 29
LeChar & le Chien , fable , 30
Vers à Mile Fanni , 32
JANVIER. 1774. 231
Principes de la Langue Françoiſe ,
Mémoire ſur la muſique des Anciens ,
Dialogue entre Marivaux & Mlle Scuderi ,
So nnets de Pétrarque ,
Epître ſur l'Eloquence du Barreau ,
La Tactique ,
Réponſe de M. l'Abbé de Voiſenon à M. de
Voltaire ,
A Madame la Dauphine ,
AM d Elpagnac ,
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
AMgr le Comte d'Artois ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
L'Inoculation ,
Roſalie , ou la Vocation forcée ,
Vie des Pères , des Martyrs , &c.
Recherches critiques ſur la Ville de Paris ,
Supplément à l'Art du Peintre ,
Lettres touchant la diviſion du Zodiaque ,
33
43
46
52
رو
60
ibid.
61
62
66
70
72
ibid.
86
88
१०
91
92
94
95
Régulus , & la Feinte par Amour , ΙΟΙ
Hiſtoire du Comte de Saxe , 135
Lettre de M. de Voltaire à M. le Baron d'Elpagnac,
147
Etrennes d'un Père à ſes Enfans , 149
Les Etrennesde Clio ,
ibid.
Terée & Philomèle , 150
Orphanis , tragédie , ISI
Les Spectacles de Paris , &c. ibid.
Obſervations ſur la Phyſique , Journal ,
La Nature conſidérée , Journal ,
L'Eſpagne littéraire , Journal,
Journal de Littérature , & c.
Le Scaphandre ,
Lettre à M. ***** , Coopérateur des petites
Affiches d'Amiens ,
ISS
157
159
163
164
168
212 MERCURE DE FRANCE.
LettredeM MolincàM. de Voltaire , 175
Réponſe , 177
ACADIMIE , Arras , ibid.
SPECTACLES, Concert ſpirituel, 180
Opéra , 182
Comédie Françoife, 186
Comédie Italicone , 187
ARTS, Gravures , 197
Mufique. 196
Tableau de fieurs, allégorique, 200
Indultric 202
Phénomènes électriques , 204
Etablitlement en faveur des Nourrices&des
Noartitfons, 206
Traitde Bienfaiſance , 213
Ancadores , 214
Edits , Ordonnances , Arrêts ,, &c. 218

Avis , 219
Nouvelles politiques ,
Nominations,
Préſentations ,
Mariages , Naillance ,
Morts,
Loterics
221
226
227
ibid.
228
230
J'AI
APPROBATION.
AI lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le
premier vol. du Mercure du mois de Janvier 1 774,
&je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoit en
empêcher l'impreffion .
A Paris , le 30 Décembre 1773-
LOUVEL.
De F'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpo.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU RO Ι .
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES:
JANVIER , 1774.
SECOND VOLUME.
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Beugnei
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Avec Approbation & Privilege du Roi.
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Chriſtine, que l'on prie d'adreſſer , francs de port,
les paquets & lettres , ainſi que les livres , les eftampes,
les piéces de vers ou de proſe , la muſique
, les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , &généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auſſi de marquer le prix des livres
, eſtampes & pièces de muſique.
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres& de ceux qui les
cultivent , ils font invités àconcourirà ſa perfection;
on recevra avec reconnoiſſance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre ,& leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront même un titrede
préférence pour obtenir des récompenſes ſur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eſt de 24 liv
que l'on paiera d'avance pour ſeize volumes renfrancs
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édition , in 4°. br. 71.
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Elogede Racine avec des notes, par M. de
laHarpe, in-8°. br. 11.101.
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La Henriade de M. de Voltaire , en vers latins&
françois , 1772 , in-8°, br. 21.101.
Traité du Rakitis , ou l'art de redreffer les
enfans contrefaits, in-8°. br. avec fig. 41.
Lettres d'Elle&de Lui , in-8 °. b.
LePhasma ou l'Apparition , hiſtoire grecque
, in- 8°.br.
11.4C.
1 1. 10 f.
LesMuſesGrecques , in-8°. br. 11.166.
Les Pythiques de Pindare , in-80 . br. sliv.
LePhilofopheſérieux , hift. comique , br. 1 1. 4 f.
Monumens érigés en France à la gloire de
Louis XV, &c. in - fol. avec planches ,
rel . en carton , 241.
Mémoires ſur les objets les plus importansde
l'Architecture , in-4°. avec figures, rel . en
carton , 121.
Les Caractères modernes , 2 vol . br. 3 1.
MaximesdeguerreduC.de Kevenhuller ,1I1. 101.
Histoire naturelle du Thé , avec fig. br. 11.16 .
MERCURE
DE FRANCE.
JANVIER , 1774 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
L'HOMME & LE CHEVAL.
Conte.
CERTAIN manant , nommé maîtreGrégoire,
Bon- homme, ſimple , & franc provincial ,
Venoit de faire , à la prochaine foire ,
Emplette d'un très beau cheval ,
Et même , en homme de ménage ,
Il l'avoit à bon compte , en dépit de l'uſage.
C'étoit bien le phénix des chevaux du village ,
Je pourrois dire encor de tout le voifinage.
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
On ne vit one plus ſuperbe animal.
Tête au vent , l'oeil en feu , marche noble & hardie,
Jambe leſte , poil liſſe , &croupe rebondie ,
Crins épais , en un mot une bête accomplie.
Des pimpans de la Cour
Il eût fait les délices ,
De leur plus tendre amour
Il eût eu les prémices ,
Il eût fait à Paris la nouvelle du jour ;
Et, pour le careſſer, tout plein de ſon ivreffe ,
Quelqu'un de nos Marquis eût quitté tour- à- tour
Le jeu , le bal & fa maîtreſſe.
Mais , cequ'en lui Grégoire eſtimoit beaucoup
mieux ,
C'étoit fon naturel bouillant & vigoureux.
"Chaque jour dans les champs la renaiſſante Aurore
Le retrouvoit couvert d'un ruſtique attirail ,
Et le ſoleil couchant l'y retrouvoit encore :
C'étoit un démon au travail.
Le plus pénible ouvrage
Ne faiſoit qu'exciter ſa courageuſe ardeur ;
Et le bon-homme , heureux de ſon partage ,
Voyoit tous ſes voiſinsjaloux de ſon bonheur ;
Car on eſt jaloux au village .
Tout alloit bien au gré de ſes ſouhaits ,
Hors un ſeul point ( ſource de ſes regrets ! )
Notre heureux vit bientôt qu'il en falloit rabattre.
JANVIER. 1774 . 7
Cecourfier ſi vaillant , ſi vigoureux , ſi frais ,
Travailloit fort , mais mangeoit comme quatre .
Double pitance le matin ,
A
Double àmidi , le ſoir encordouble pitance ; !
Foin , paille , herbage , picotin ,
Tout diſparoifloit , tout étoit croqué d'avanec.
Rien n'appaiſoit ſon indomptable faim ,
Tout tomboit ſous ſa dent , & , qu'on l'eût laiſſé
faire ,
De toute la journée il n'eût fait qu'un repas ,
Sans manquer toutefois ſa beſogne ordinaire.
Grégoire étoit dans un grand embarras :
Par malheur l'avoine étoit chère ,
Tout ſe vendoit au poids de l'or ,
Et Grégoire n'en avoit guère.
Son champ & ſon verger étoient tout ſon tréfor.
Que faire done ? Revendre ſa monture
Semble d'abord le parti le meilleur ;
Mais il l'aimoit : ce goût eſt fort dans la nature ;
Puis il craignoit de ne pouvoir ailleur
Trouver une auſſi bonne chance .
Il en avoit la rude expérience ;
A feſſer le défunt s'étant rompu les bras ,
Plus ne vouloit tomber en même cas .
Le bon-homme avoit lu dans je ne ſais quel livre
Qu'un certain Roſſinante , errant de ſon métier ,
Trottant jadis par l'Univers entier ,
Aiv
8 MERCURE DE FRANCE.
Mangeoit fort rarement , & qu'il n'avoit pour
vivre
Que force coups & les herbes des champs ;
Ragoûts , comme l'on fait , ſecs & peu nourriffans.
"Parbleu ! ſe fit l'ingenieux Grégoire ,
- Ce Rofſfinante , à ce que dit l'hiſtoire ,
>> Ne mangeoit point , ou preſque point du tout :
>> Encore étoit-il vieux & ſec comme un coucou ,
>> Foible , & trop décharné pour ſoutenir lejeûne;
>> Le malheureux n'avoit que la peau ſur les os.
>>Mais mon cheval eſt vif , léger , diſpos ;
>>>Il eſt ardent , il eſt gras , il eſt jeune ,
→ Plein de vigueur : un pareil animal
>>Doit bien pouvoir ſe paſſer de mangeaille :
Retranchons - lui la victuaille :
> Je réponds bien qu'il n'ira pas plus mal ,
>> Et mon bonheur deviendra ſans égal .
>> Il mange fort , c'eſt vrai , mais c'eſt que l'on
: >>donne ;
>>Qu'on cefle de donner , il ne mangera plus .
>> L'expédient eſt ſûr, & j'y conclus.
>>Ma foi , vive l'eſprit ! l'invention eſt bonne ,
>>Employons- la ſans perdre tems. »
Voilà l'effet de tous ces beaux romans !
Gregoire ne voit point le ſort qui le menace.
Déjà le ratelier eſt vuide & ſupprimé ;
Il n'eſt plus d'auge , ni belace :
Tout en jeûnant le premier jour ſe paſſe ,
lui
JANVIER. 1774 9
:
Le ſecond en fuyant au troiſième fait place ,
Et l'ouvrage d'aller ſon train accoutumé.
En vain l'animal affamé
Se tourmente , bondit , rue , hennit &tempête :
Onn'entientcompte, & vaine eſt ſa requête ,
En efforts impuiſſans il ſeche confumé;
Son cou trop amolli ne porte plus ſa tête ,
Son oeil éteint & creux eſt à demi fermé;
Si bien qu'enfin , déplorable (quélette,
Il trébuche , il chancèle , il tombe inanimé.
Lors, mille fois déteſtant ſon ouvrage ,
Et de la faim maudiſſant le ravage ,
Grégoire inconfolable & les larmes aux yeux,
Dans les tranſports de ſa douleur amère ,
:
•Quel coup ! s'écrioit- il; quel dommage , grands
>>dieux!
>>La pauvre bête , hélas ! commençoit à s'y faire.
ParM. L.. , de la Société
Littérairede...
A
10 MERCURE DE FRANCE.
VERS à Monseigneur le Maréchal Duc
:
deBriffac , Gouverneur de Paris.
ILLLLUUSSTTRREE Gouverneur ,&guerrier citoyen ,
Toi qui réponds au Roi de notre obéiſſance ,
BRISSAC , voici le jour où ta magnificence
Vient de quarante époux former l'heureux lien.
Le ſévère deſtin ravit à leur jeuneſſe
De leurs plus chers parens les utiles ſecours :
Aqui , dans leur malheur , auroit - ils donc recours
?
Paris qui les vit naître à leur fort s'intéreſſe :
Des vierges dont l'honneur eſt l'unique tréſor ,
Sont , au gré de nos voeux , par la Ville adoptées ,
Déjà par ſes bienfaits vingt épouſes dotées
Reçoivent noblement des préſens & de l'or :
Onveut que leur bonheur devienne leur ouvrage,
Et, pour nommer l'époux ,on attend leur fuffrage :
Ceux qu'un travail utile affranchit des befoins
,
Leur préſentent des voeux , font agréer leurs
foins.
Le jour luit , l'airain tonne , &le Peuple s'emprefle
Tout inſpire &reſſent la publique alégreſſe ,
BRISSAC l'accroît encore encejour ſolennel ,
JANVIER. 1774. - II
De ces jeunes époux c'eſt l'Ange tutélaire :
Suivi de l'ordre entier qui leur tient licude père,
Il vient pompeulement les conduire à l'autel.
Le Miniſtre ſacré bénit leur alliance.
Puiſſent ils à jamais revivre dans leurs fils
Tant qu'on verra fleurir la tige de nos lis ,
Et tant que les Bourbons règneront ſur la France!
Par M. G H. Leroy.
CHANSON nouvelle , dédiée à Madame
la Dauphine , le 1 Janvier 1774 .
DIGNE Princeſſe, dans ce jour!
Chacunvous rend un purhommage.
Les plaiſirs de ce beau ſéjour,
A votre Cour ,
A votre Cour ,
Ont l'avantage
D'être plus brillans ſous vos yeux.
Ils ſuivent conftamment vos traces ;
L'Amour , pour embellir leurs jeux ,
Eſt dans ces lieux ,
Dans ces lieux ,
Accompagné des Grâces .
Dès qu'il vint, il fallut chercher
• Quelque logement à la mode ,
Avj
12 MERCURE DE FRANCE..
1
Dans vos yeux il s'alla nicher ,
Sûr d'y trouver ,
Sûr d'y trouver ,
Leplus commode.
Les Grâces ont formé vos traits
Sur votre teint le lis habite.
Où l'on voit briller vos attraits,
Les plus parfaits ,
Plus parfaits ,
N'ont qu'un foible mérite.
Vous joignez à votre beauté
Ladouceur la plus engageante,
L'eſprit , la générofité,
A la bonté,
Ala bonté
Qui nous enchante ; 1.
Les Vertus ont de votre coeur
Fait leur temple de préférence ;
L'Univers eft admirateur
Du vrai bonheur ,
Vrai bonheur
Que goûte en vous la France.
Par Mile Hebert , âgée de onze ans
JANVIER. 1774 . 13
TRIO DE VILLAGEOIS.
Sur l'AIR du Trio : Aimable Vieilleſſe, de l'opéra
de l'Union de l'Amour & des Arts.
DIEU de la tendreſſe ,
Les traits charmans dont tu bleffe ,
Cauſent une douce ivrefle .
Lance- les (ur nous fans ceſſe :
Ah ! ſois- nous propice !
Que ta chaîne nous uniſſe;
Que le bonheur embellifle
De nosjours ,
Le cours !
Ce n'eſt qu'au village
Qu'on voit l'Amour ſans nuage
De nos oiſeaux le ramage
Nous invite à jouir ;
Sous un verd feuillage
Règne le plaifir.
Dieu de la tendrefle , &c.
Fidèles à la Nature ,
Ennemis de l'impoſture ,
Notre flamme eſt pure
Comme nos mecurs :
f
14 MERCURE DE FRANCE.
Et jamais l'envie ,
Les ſoucis , la jalouſic
N'environnent ,
N'empoisonnent
Nos ardeurs.
Dicu de la tendreſſe , &c .
ParM. Laus de Boiffy.
VERS fur la mort deMde la Comteffe
d'Egmont.
D'EGMONT n'eſt plus ! Pleurez ,Amours!.
Quedis-je ? ſuſpendez vos larmes ;
Ajoutez encore à vos charmes ;
J'ai beſoin de votre ſecours :
D'Egmont n'eſt plus ! Eh ! bien , Amours ,
Si vous n'avez pu la défendre ,
Dans ſon cercueil oſez deſcendre !
Vous devez ranimer les jours.
Qu'elle repaſſe le rivage
Qui la conduit aux Champs Elyſiens ;
Ramenez- la dans les liens
D'un époux qui fut votre ouvrage !
Hélas ! nous gémirons toujours
Sur cet objet où brilloient tant de grâces!
Mille vertus embelliſſoient ſes traces !
D'Egmont n'estplus ! Picurez , Ampurs!
JANVIER. 1774. I
VOTRE
AMademoiselle P.
OTRE éclat doit céder à l'éclat de l'aurore
Qui va ramener mes beaux jours ;
Je vous reverrai donc , ô Maman que j'adore !
Mon tendre coeur vous voit toujours.
Vous êtes le ſeul bien , le dieu d'Alexandrine :
Tout m'eſt ſoleil quand je vous vois;
Mais que me ſert hélas! que vous ſoyez divine ,
Dès que vous n'êtes pas éternelle pour moi ?
Par M. B.....
MIRZA , ou la néceſſité d'être utile.
: Conte oriental.
Dans une chronique perſane de l'an 530 *
de l'Egire, eſt écrit ce qui ſuir.
Iz plut à notre puiſſant ſouverain Abbas-
Caraskan , dont les Rois de la terre reçoivent
l'honneur & la puiſſance , d'envoyer
Mirza , ſon ſerviteur ,dans la pro-
* L'an 530 de l'Hégire répondàl'année 14de
- ſuputation grégoricane.
16 MERCURE DE FRANCE.
vince de Tauris , pour y gouverner les
Fidèles. Labalance de la diſtribution étoit
ſuſpendue avec impartialité dans la main
de Mirza. La foibleſſe étoit protégée , la
ſcience honorée & la probité enrichie.
Tous les yeux le regardoient avec complaiſance
, &tous les coeurs le béniſſoient.
Cependant , au milieu des heureux qu'il
faifoit , Mirza paroiſſoit ne pas l'être luimême.
Il devint ſombre & mélancolique.
Il paſſoit dans la ſolitude les momens
qu'il pouvoit donner au plaifir , il
ne s'appliquoit qu'avec répugnance aux
affaires publiques ; il réſolut enfin de
quitter les rênes du gouvernement.
Il obtint la permiffion d'approcher du
trône. Intérogé ſur l'objet de ſes demandes
, il répondit en ces termes :
" Que le Maître du Monde pardonne
>> à fon eſclave qui l'honore , s'il oſe dé-
>>poſer à fes pieds les faveurs de fon
>> maître. Tu m'as donné l'empire d'une
>> contrée auſſi fructueuſe que les jardins
>> de Damafeus & d'une ville la plus cé-
>>lèbre de tes Etats,après celle qui reflé-
>>chit la ſplendeur de ta préſence. Mais
>>la vie la plus longue eſt un période in-
>> fuffifant pour ſe préparer à la mort.
>> Toute autre occupation eſt vaine& fri
JANVIER . 1774. 17
vole comme la toile du moucheron
>>écrasé ſous les pas du voyageur. Toute
>>jouiſſance eſt inſubſtantielle , & s'éva-
>> nouit comme la couleur de l'arc-en- ciel
» qui paroît dans l'intervalle des orages:
> permets moi de méditer ſur mon ame ;
>> que la folitude & le filence m'inſtrui-
>> ſent des vérités célestes . Je veux ou-
>> blier le monde & en être oublié juf-
>> qu'au moment où le voile de l'éternité
>> tombera , & où je paroîtrai devant le
>>>tribunal du Tout Puiſſant. " Alors
Mirza ſe proſterna en terre,& attendit en
filence.
Il eſt rapporté par l'ordre d'Abbas qu'à
ces mots il trembla ſur ſon trône aux
marches duquel l'Univers vient lui rendre
hommage. Tous les Grands de la Cour
pâlirent &tenoient leurs yeux attachés à
la terre. Aucun n'ouvrit la bouche , & ce
froid filence ayant duré quelque tems
l'Empereur lerompit par ces mots : Mirza ,
la terreur & le doute m'environnent. Je
fuis alarmé comme un homme qui ſe
voittout-à coup ſur le bord d'un précipice
où il eſt pouffé par une force ſupérieure.
J'ignore cependant ſi mon danger
eft réel ouimaginaire. Je ſuis,comme toi,
un reptile de la terre. Ma vie n'eſt qu'un
18 MERCURE DE FRANCE.
moment , & l'éternité eſt devant moi.
Mais par qui donc le Fidèle ſera-t'il gouverné
? Sera ce par les mortels préſomptueux
qui ne ſavent point adorer l'Eternel
, qui promenent leur vie dans le
champ de la licence , & qui ne fongent
point qu'ils font nés ſujets de la mort ?
Ehquoi ! la multitude qui fourmille dans
les cités n'auroit- elle aucun droit ſur la
bonté divine , & la cellule d'un Dervis
ſeroit- elle la ſeule porte du bonheur céleſte?
La vie d'un Dervis n'eſt pas poſſible
à tous. Elle ne peut donc être un devoir
pour tous. Retourne dans le palais préparé
pour ta réſidence. Je méditerai ſur les
raiſons de ta demande. Puiſſe celui qui
éclaire l'eſprit de l'humilité me mettre en
état de me déterminer avec ſageſſe !
Mirza partit , &, le troiſième jour , ne
recevant aucun ordre , il demanda une
nouvelle audience qui lui fut accordée. Il
parut devant fon maître avec un air plus
calme , & la douce férénité brilloit fur
fon viſage. Il tira une lettre de ſon ſein ,
&, s'étant incliné profondément, il la préſentade
ſa main droite . Seigneur, lui ditil
, cette lettre que jai reçue de Cofrou
l'Iman qui eſt actuellement devant toi ,
m'a appris l'emploi de mon exiſtence. Je
JANVIE R. 1774 . 19
puis lire dans le paſſé avec plaifir , & dans
l'avenir avec eſpérance. Je me réjouirai
toujours d'être l'ombre de ton pouvoir à
Tauris , & de conſerver ces honneurs que
je defirois dernièrement te remettre.
L'Empereur qui avoit écouté Mirza avec
un mélange de ſurpriſe & de curioſité ,
donna la lettre à Cofrou, & lui commanda
de la lire . Auſſi - tôt tous les yeux ſe
tournerent fur ce reſpectable vieillard.
Son viſage ſe couvrit de la modeſte rougeur
de la confufion. Il héſita quelque
tems,& lut ces mots qu'il avoit écrits luimême
:
<<Eternelle ſanté à Mirza , que la fa-
» geſle d'Abbas notre ſouverain a honoré
>> de ſon pouvoir : lorſque j'ai appris que
>> tu voulois priver de tes bienfaits les
» milliers d'habitans que tu gouvernes
>> à Tauris , mon coeur a été bleſlé par la
>> flèche de l'affliction , & les nuages du
> chagrin ont obfcurci mes yeux. Mais
>>quel mortel oſeroit parler quand fon
>> maître ſe tait , ou décider quand il dou-
> te ? Je vais te rapporter les événemens
>> de ma jeuneſſe , dont tu m'a rappelé le
>> ſouvenir , & le prophète pourra multi-
>>plier pour toi les vérités qu'il m'a tranf-
>>miſes.»
20 MERCURE DE FRANCE.
1
>>Par les leçons du médecin Aluſa , je
>> me ſuis inſtruit dans ſon art. J'expri-
>> mois le ſuc des plantes que le ſoleil a
>> imprégnées de l'eſprit de ſanté. Mais
>>la ſouffrance , la langueur , la mort qui
>> m'environnoient ſans ceſſe , me firent
>> ſouvent trembler pour moi-même. Je
>> vis le tombeau ouvert ſous mes pieds .
» Je me déterminai donc à ne contem-
>>pler que les régions qui le ſuivent , & à
>>dédaigner d'acquérir ce qu'on ne peut
>> conſerver. Je mépriſai l'or , ceux qui
>> le poſſedent , & ceux qui le defirent .
» J'enfouis le mien dans la terre , & , re-
>> nonçant à la ſociété , j'errai dans une
>> partie déferte & fauvage de la contrée.
» Je choiſis pour retraite une caverne
>>ſituée ſur le côté d'une montagne. Je
>>buvois l'eau qui couloit d'une fontaine
>> voiſine , & je me nourriffois des fruits
» & des herbages que la terre me préſen-
>> toit. Pour rendre ma vie plus auſtère , je
> paſſois ſouvent la nuità l'entrée de ma
>> caverne & j'attendois les influences
>> ſecrettes du Prophète. Un matin, com-
>> me je regardois l'horizon ſe développer
> à l'approche de l'aſtre qui l'éclaire , mes
>> yeux appeſantis ſe ſoumirent , malgré
>> moi , au pouvoir du ſommeil. Je me
,
ANVIER. 1774. 21
» croyois toujours près de ma cellule. Je
>>voyois l'aurore lever le voile des cieux,
» & je voulois ſurprendre le premier
» rayon du jour , lorſqu'une tache téné-
>> breuſe parut l'intercepter. J'apperçus
>> un objet en mouvement ; fon approche
»m'augmenta ſa grandeur , & je décon-
>> vris un aigle. Je fixai les yeux , & je le
>> vis ſe repoſer à quelque diſtance près
>> d'un renard dont les pattes de devant
» me parurent caffées . L'aigle mit devant
>> ce renard un morceau de venaiſon qu'il
>> avoit apporté dans ſes ſerres , & diſpa-
>>>rut. Lorſque je fus éveillé , j'inclinai
>> mon front vers la terre,& rendis grâces
» au prophète. Je repaſſai mon ſonge , &
» me dis à moi- même : Cofrou ,tu as bien
fait de renoncer au tumulte & aux va-
>> nités de la vie ; mais tu n'as remplique
>> la moitié de ton projet. Ton eſprit
» n'eſt pas dans un parfait repos , & ta
" confiance dans la Providence n'eſt pas
> entière. Si tu as vu un aigle envoyé par
>> le Ciel pour nourrir un renard infirme ,
» que ne fera- t'il pas pour toi , ſi tu te re-
• fuſes la nourriture plutôt par zèle que
» par néceſſité. Je me fiai tellement à ce
• fecours miraculeux que je négligeai
» d'aller chercher mon repas ordinaire.
22 MERCURE DE FRANCE.
» Je l'attendis le premier jour avec une
>> impatience qui ne me permit point de
» m'occuper d'autre objet. Je tâchai ce-
>> pendant de ranimer mon courage , &
» perſiſtai dans ma réſolution. Malgré
>> tous ces efforts , je ſentis mes genoux
> plier ſous mon corps défaillant , & je
>> tombai de foibleſſe. J'eſpérois qu'elle
» me conduiroit à l'inſenſibilité ; mais je
>> fas tout- à- coup ranimé par la voix d'un
» être inviſible qui prononça ces mots:
» Coftou , je ſuis l'Ange qui, par l'ordre
>> du Tout - Puiſſant ai tenu regiſtre des
>> penſées de ton ame , dont je dois te
>>faire connoître l'erreur. En t'efforçant
» de devenir ſage , tu as fait une fauſſe
» application de la révélation qui t'a été
>> accordée. Es - tu impuiſſant comme le
» renard?N'as tu pas plutôt le pouvoir de
>>l'aigle ? Elève ton être abattu , fois en-
» core le meſſager de l'alegreſſe & de la
» ſanté. La vertu n'aime point le repos ;
» elle eſt toujours active. La tienne n'eſt
> que le fruitde la morale humaine. Imi-
» te ton Dieu, fais le bien ; elle devien-
»dra divine. »
Aces mots je ne fus pas moins étonné
que ſi une montagne ſe fût écroulée à mes
pieds ; je m'humiliai dans la pouſſière. Je
JANVIER. 1774. 23
retournai à la ville . Je recreuſai la terre
pour lui reprendre mon tréſor. Je fus libéral
, & cependant je devins riche. J'avois
de fréquentes occafions de guérir les
maladies de l'eſprit , en guériſſant celles
du corps. Je pris les vêtemens ſacrés: l'on
m'eſtima, & mon maître trouva bonque
je paruſſe de bout devant lui. Ne fois
point offenſé de cet aveu : je ne ne vante
d'aucune connoiſſance que je n'ai reçue.
De même que le ſable du déſert boit les
gouttes de la pluie ou la roſée du matin ,
de même,moi qui ne fuis que pouſſière ,
je m'imbibe des inſtructions du Prophète.
Une vie paſſée dans une froide ſpéculation
eſt perdue pour l'humanité. Le
Tout-Puiſſant ſeul donne la vertu : mais
ſi les loix d'un Prince ne peuvent convaincre
les coeurs endurcis , ſon exemple
peutdu moins encourager au noble exercicede
la bienfaiſance. Soit que la charité
donne ou que l'oſtentation répande , le
bien eſt fait , & le pauvre eſt ſecouru.
Adieu: puiſſe l'Étre qui réſide dans l'immenſité
des airs te favorifer d'un ſourire ,
& puiſſe le bonheur être écrit contre ton
nom dans le volume de ſa volonté!
L'Empereur , dont les doutes, ainſi que
ceux de Mirza,étoient diffipés,regarda ſa
24 MERCURE DE FRANCE.
:
Cour d'un air fatisfait qui fit paſſer dans
tous les eſprits le calme que le ſien éprouvoit.
Il renvoya le Prince dans ſon gouvernement
, & fit déposer le récit de ces
événemens dans ſes archives , pour apprendre
à la poſtérité que la vie de l'homme
ne plaît à Dieu qu'autant qu'elle eſt
utile au genre humain.
VERS à une Demoiselle de 16 ans , trèsjolie
, qui , malgré le caractère le plus
gai , affectoit un air fombre &févère.
IMITEZ la roſe nouvelle
Qui s'ouvre aux baifers des Zéphirs :
Vousbrillez à nos yeux comme elle ,
Comme elle goûtez les plaiſirs.
Mais ne l'imitez qu'en ſes charmes ,
Dont vous avez l'éclat brillant :
Vous ſavez hélas ! que pour armes
Ellle offre un aiguillon piquant.
Qu'épris de votre humeur badine
L'on vous approche en ſûreté:
Sans qued'une importune épine
L'on redoute la cruauté.
Vos
JANVIER. 1774. 25
:
Vos vertus ſont votre défenſe :
Quelle main oſeroit franchir
Cette gaze dont l'élégance ,
Sans cacher , ſait ſi bien couvrir?
:
Tous les coeurs volent ſur vostraces ;
Çédez à la voix du plaifir :
Pour conferver long-tems les grâces ,
L'art le plus fûr eſt de jouir.
ParM. Buirette , de Ste Menhould;
Abonné.
L'ARAIGNÉE & LA FOURMI.
Apologue.
D'un coin de ſa toile perfide ,
Une Araignée apperçoit la Fourmi
Qui va , qui vient , paroiffant fort avide
D'avoir toujours ſon magaſin fourni.
Quelle fureur , dit-elle ! au ſeinde l'abondance
Setourmenter , ne vivre qu'à demi ,
Comme ſi l'on étoit en proie à l'indigence !
Pour moi , tranquille en mon réduit ,
J'attends qu'un inſecte volage
Dans mes filets tombe& s'engage ;
Je le ſaiſis , & l'égorge ſans bruit.
Tu veux m'accuſer d'avarice ,
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE:
Réplique la Fourmi ; mais je crois qu'il vaut
mieux
Etre actif , économe , & vivre ſans malice ,
Qued'avoir , comme toi , le ſecret o lieux
Degoûter le repos en bleſſant la juſtice.
Par M. Dareau , à Guéret
dans la Marche.
COUPLETS à Mademoiselle ***.
Sur l'AIR : Anetteàl'âge dequinze ans.

Vous n'ignorez pas qu'autrefois ,
Quand il naiſſoit des fils de Rois ,
Onſavoitdans le même inſtant ,
Par maintes Fécs ,
Les deſtinées
De cet enfant.
Il eſt à croire que pour vous ,
Uniflant les traits les plus doux ,
Les Grâces , par un tendre accord
Avec ces Fées ,
De vos années
Fixent le fort,
L'une a dit : je veux la pourvoir
Du donde plaire, &du pouvoir
JANVIER . 1774. 27
De tout ſéduire & tout charmer ;
Qu'elle ſoit belle ,
Et qu'autour d'elle
Tout fache aimer.
Une vieille étoit dans un coin
Qui voyoit tout , ne parloit point ;
Enfin , ſe levant à ſon tour :
Eh ! bien , dit- elle ,
Qu'elle ſoit belle ,
Mais ſans amour.
Voilà pourquoi, juſqu'à préſent ,
Votre coeur eſt indifférent ;
Mais on verra céder unjour
Ce ſortilége,
Autendre piége
Du Dieu d'amour.
Puifle le Mortel fortuné
Aqui ce prix eſt deſtiné ,
En ſentir toute la valeur !
Et que votre ame
Trouve en la flamme
Le vrai bonheur !
Par M. le Clerc de la Motte , Capitaine
Chev. de St Louis au rég. d'Orléans inf.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.

VERS à M. Bridan , Sculpteur du Roi ,
fur une Assomption qu'il a faite in
marbre dans le choeur de l'Eglise cathedrale
de Chartres .
CHARTRES
:
d'un monument nouveau ,
Artiſte aimable que j'honore ,
Grâces à ton favant cileau ,
Vient donc de s'enrichir encore.
J
Son temple étoit déjà fameux ,
Mais cette rare Cathédrale
N'a
3001
: plus aujourd'huiderivale:
Oui , tes chef d'oeuvres précieux ,
Elevant ton nom juſqu'aux Cieux ,
Font envie à la capitale.
Enfin tu vas y revenir ,
Pour enfanter d'autres merveilles ;
C'est déſormais à l'embellir ,
Que tu vas conſacrer tes veilles.
Viens , Bridan'; hate ton retour ,
Seconde mon impatience :
Voici le tempsde ta préſence ,
Le temps de montrer au grandjour
Cegrouppe , fruitde tongénie ,
Qui va fixer tous les regards ,
Et t'attirer de toutes parts ,
(
JANVIER 29

. 1774
Après ceux de l'Académie ,
Les fuffragesde tout Paris.
Ton martyr * demes yeux ſurpris
Fit couler de pieuſes larmes ;
Je voulois des dents du bourreau
Arracher le fatal couteau ;
LaGrâce me prêtoit. ſes armes.
Hélas! heureuſe émotion ,
Ardent defir , noblecourage,
Faut- il que de l'illuſion
Vous ſoyez le ſtérile ouvrage !
Cher Bridan , le tien eſt parfait ,
Puiſque ce regret ſalutaire
Me vient de lui. Ton art a fait
Tout ce que l'art humain peut faire.
Va , pourſuis tes heureux travaux ,
Immortalife les Héros ;
Que ta main , décorant nos temples ,
Tranſmette à la poſtérité
La généreuſe piété
1
Dont ta vie offre à tous l'exemple.
Par M. Guedon de Berchère.
* St Barthélemy.
MOT
T
σε
:
Biij L
30 MERCURE DE FRANCE.
DIALOGUE
Entre CROMVEL & RICHELIEU.
CROMVE L.
Nous ſommes tous deux célèbres, vous ,
pour avoir accru l'autorité de votre Monarque
, moi , pour avoir anéanti celledu
mien.
RICHELIEU.
J'étais premier Miniſtre de mon Roi ;
je travaillai à fortifier la puiſſance des
Rois.
CROMVEL.
J'étais ne & confondu parmi la foule
du peuple ; je cherchai à détruire l'autorité
ſouveraine.
RICHELIEU.
Vos projets furent - ils d'abord auſſi
déterminés que les miens ?
CROMVEL .
Je me livrai , ſans examen , à l'impulſion
de mon ame. Le fanatiſme qui ſe
JANVIER. 1774 . 31
communique , m'avait gagné. Je prêchai
d'abord ma famille , en attendant le moment
d'en prêcher d'autres , & même ſans
prévoir ce moment. Mes projets & mon
ambition ſe développèrent avec les circonſtances.
Il s'agiſſait d'élire un député
de la ville que j'habitais. Une telle place,
par elle-même, n'était rien; mais, dans
un temps d'orage & de trouble , c'était
quelque choſe. Je fus élu. Je parlai avec
enthouſiaſme , & je paſſai pour un hom.
me éloquent ; ce qui était facile dans
un temps où chacun ſe piquoit d'être infpiré.
Mes diſcours étaient auſſi obfcurs ,
auſſi enveloppés que des oracles , & ils
furent écoutés comme des oracles pourraient
l'être . Du tumulte de ces aſſemblées
je pafla ià celui des armes. Je contribuai
à ſouffler le feu de la guerre & à le
maintenir. Je combattis avecle même enthouſiaſme
que j'avais parlé. Nous triomphâmes;
& c'eſt auſſi ce qui devait arriver
dansdes combats où préſidait la fureur ,
plûtot que la ſcience militaire , & où le
fanatiſme n'exiſtoit que d'un côté .
RICHELIEU.
Il m'était plus difficile d'arriver à la ſeconde
place que vous à la première. J'é
Biv
32
MERCURE DE FRANCÉ.
tais Evêque , &, par cette raifon , autant
gêné par mon état que vous fûtes ſecondé
par le vôtre. C'eſt un grand obstacle pour
un génie ambitieux que certaines dignités
qui proſcrivent toute ambition. Vous
n'eutes qu'à fuivre votre inſtinct guerrier ,
& j'étois réduit à cacher le mien. Il me
fallutrecourir aux fouterreinsde la brigue
&de la politique. On éventa plus d'une
fois la mine que j'allais faire jouer , & ,
pour fruit demes efforts ,je me vis quelque
temps réduit à habiter ma ville épifcopale
, & à commenter les pleaumes de la
Pénitence.
CROMVEL.
Ce trait me rappelle mes fermons de
Cambridge.
RICHELIEU.
Avec cette différence, que vos fermons
vous menaient à votre but , & que mes
oeuvres théologiques nuifoient à mes deffeins.
CROMVEL.
Si vous faviez ce qu'il en coûte pour
diriger la multitude !
JANVIER 1774 33
RICHELIEU .
ر
Il m'en coûtoit bien davantage pour
diriger un Roi qui avoit beloin qu'on le
dirigeât , & qui eût voulu ſe cacher à luimême
ce beſoin ; qui ne me pardonnait
pas de lui être néceſſaire , & qui ne me
gardoit que par néceffité ;; qui m'enviait
la gloire de mes opérations , & qui en
recueillait les fruits , auſſi jaloux de fes
prerogatives que peu diſpoſe à les faire
valoir ; toujours prêt à me dépouiller
d'une faveur qu'il ne m'accordait pas , a
croiſer mes vues quand il devoit y con
courir : ſe méfiant de mon zèle quand je
le ſervais le mieux , & accueillant mes
ennemis tandis qu'il m'oppoſait aux ſiens.
Ce fut malgré lui que je ſoutins fon autorité
& la mienne.
P
1,71
CROMVEL.
D
Onne me vit point ramper auprès des
Rois; je ſentis qu'il m'était plus facile de
les remplacer.
RICHELIEU .
J'ai peine à croire que vos vues ſe
foientéleveés juſques là. On fait ſouvent
honneur au courage & au génie des ſeules
By
31
34
MERCURE DE FRANCE.
opérations de la fortune. Rien de plus
rarequ'un plan bien arrêté. Céfar lui-même
ne paſſa le Rubicon qu'en s'y précipitant.
Peut être la réflexion l'eût- elle retenu
encore long-temps ſur le tivage . On a
des idées confuſes , quelques projets à
peine ébauchés , de l'ambition , un defir
vague de s'élever ; on ſe livre à cette implulſion
plutôt qu'on ne développe les
moyens de la ſoutenir. Le premier chemin
qui s'offre à nous eſt toujours celui
que nous choiſiffons : nous eſquivons
quelques obſtacles , nous en bruſquons
d'autres ; la fortune fait le reſte.
CROMVEL .
J'avoue que nous dirigeons moins les
événemens qu'ils ne nous dirigent. Ce
furent eux qui développèrent mon génie
& mes deſſeins. Je ne fus d'abord que
Prédicant , & je l'étois de la meilleure
foi du monde : je finis par être un héros.
La Nature m'avaitdonné plus de courage
que de véritable éloquence. Le fanatiſme
avoit enhardi l'une ; l'ambition foutint
l'autre. Je ne tardai point à éclipſer tous
mes chefs , & même à les remplacer. Je
vainquis Charles I à Vorceyſtre ; je me
sendis maître de ſa perſonne , & je lui
JANVIE R. 1774. 35
nommai des juges dont je n'étais pas
moins le maître que s'ils euſſent été mes
priſonniers. Enfin , je dénouai cette tragédie
par une catastrophe dont l'hiſtoire
ne fournit pas d'exemple. On vit un Roi ,
jugé par une portion de ſes ſujets , perdre
la tête ſur un échafaud. Je parus le plaindre
en le faiſant condamner. J'eus éternellement
pour principe qu'il faut ſe mafquer
lorſqu'on ſe permet un crime. Parlà
, on en impofſe ſouvent au grand nombre
, & l'on ne met qu'à demi dans ſa confidence
ceux à qui l'on n'en impoſe pas .
RICHELIEU.
Je ne connus jamais la diſſimulation .
Je fis tomber plus d'une tête , & ce fut
toujours fans afficher une fauſſe pitié .
J'aurois rougi de ne point me montrer tel
que j'étais , & d'être redevable à la rufe
de ce que je pouvais emporter par la force.
Vous vous rappelez , ſans doute , le
fiége de la Rochelle. J'avais à combattre
à la fois & le courage des affiégés , & les
fecours que leur prêtait l'Angleterre , &
la mer qui facilitait ces fecours. J'oppofai
une digue aux Anglois & aux flots de
la mer, & mes attaques redoublées fürmontèrent
la réſiſtance des Rochelois . Ce
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
fiége eſt l'image de ma conduite danstou
tes les actions de ma vie.
CROMVEL.
Jen'employai la ruſe que pour ſéduire ;
mais je vainquis toujours à force ouverte.
RICHELIEU.
Vous eutes beau jeu pour triompher.
Le fanatifſme combattait pour vous , &
moi j'avois à le combattre .
CROMVEL.
Nousn'eumes nil'unni l'autre le choix
des moyens que nous employâmes. Ces
moyens nous réuffirent : voilà le point
capital. Vous abaiſsâtes la puiſſance des
ennemis & des grands vaſſaux de votre
maître. Je détruiſis celledu mien ; je fis
triompher l'Angleterre comme vous fîtes
triomphet la France : mais j'avoue qu'il
ne me reſtait point , comme à vous , affez
de temps pour faire des tragédies , ni pour
protéger ceux qui en faifoient .
RICHELIEU.
Je réunis cette double ambition à tant
d'autres. Je voulus à la fois pacifier la
France & l'éclairer. Je pofai les fonde-
:
:
5
JANVIER. 1774. 37 .
mens de fon temple des Arts. Un autre
' acheva l'édifice ; mais ſi les fondemens
n'euflent pas dès lors été poſés , l'édifice
n'existerait peut- être pas encore .
ROMVEL.
On dit que vous protégiez comme l'on
domine : que vous preſcriviez aux auteurs
ce qu'ils devaient produire , & que vous,
fûtes plus d'une fois jaloux de leurs productions.
RICHELIEU .
J'eus ce faible , il eſt vrai ; mais le plus
grand des hommes ſerait celui qui n'en
aurait qu'un . Le mien fut de vouloirqu'on
me crût auffi grand poëte que j'étais grand
miniſtre. Il me parut encore plus Aatteur
dedominer ſur les eſprits que ſur les individus
, & ma joie fut plus vive de voir
accueilli Mirame que de me voir apporter
les clefs de la Rochelle .
CROMVEL.
Quand j'aurais eu le génie de Shakefpéar
, je n'eulle jamais fait de tragédies.
Cette ambition ne croiſait point vos vues;
mais elle eût entièrement dérangé les
miennes. Vous aviez beſoin d'adoucir
l'eſprit de vos compatriotes , &moi de
38 MERCURE DE FRANCE.
maintenir les miens dans l'ignorance&
le fanatiſme. Il ne me fallait , pour me
faire entendre d'eux , que le jargon d'un
Illuminé; ils euſſent mal ſaiſi le langage
d'Homère & de Virgile .
RICHELIEU .
Votre tâche était plus facile & plus
commode que la mienne. Quoi qu'il en
foit , elle nous réuſſit à tous deux . Nous
voulions devenir abſolus , & nous le devinmes
: vous un peu plus que moi , je
l'avoue , & peut être plus qu'aucun Roi
que l'Europe ait encore vu régner. Ce qui
m'étonne , c'eſt qu'on vous regarde comme
le reſtaurateur de la liberté Angloife.
CROMVEL.
C'eſt un paradoxe en politique, & ceuxlànefont
pas plus rares que d'autres. Je
n'ambitionnai pas le titre de Roi : c'en
fut affez pour que les Anglois me cruffent
fans ambition , & pour qu'eux mêmes ſe
cruffent libres . Le nomde Protecteur que
j'avais pris leur parut modeſte quoiqu'ilne
le fût pas; ils m'en laiſſerent étendre
les prérogatives plus loin que celles de
la Royauté. Le nom fait plus que la cho.
ſe auprès des hommes, & fur-tout auprès
د
JANVIER. 1774. 39
d'un Peuple. Je gouvernai l'Angleterre
avec le deſpotiſme le plus abſolu; jechaffai
avec ignominie le Parlement qui m'avait
fait ſon Maître . Tout l'Etat , toutes
les forces de l'Etat étaient à ma diſpoſition
: mes ordres ne partaient que de ma
volonté. Elle ſeule fut ama loi , & devint
celle de toute l'Angleterre. Cependant
on m'attribua l'honneur d'avoir mainte-.
nu les loix anciennes , & reconftruit l'édifice
de la liberté. Il n'en eſt pas moins vrai
qu'il n'exiſta aucune liberté ſous mon règne.
L'Angleterre ne réſidoit qu'en moi
feul , & ce fut la ſource de ſa puiffance.
Un Etat reſſemble à certaines machines
dont les reſſotts font très compliqués ,
mais qui pourtant ne peuvent être mis en
jeu que parune ſeule main. Le concours
de pluſieurs dérangerait la machine , ou
retarderait fon mouvement.
RICHELIEU.
;
Telle eſt la machine que j'ai conſtruire
en France & qui fubſiſte encore. Elle n'a
rien perdu de ſon activité , parce qu'une
ſeule main la dirige. On a ſubſtitué au
principal mobile de la vôtre une foule
d'agens qui en retardent l'effer ; & le retarder,
c'eſt quelquefois l'anéantir. L'An40
MERCURE DE FRANCE.
gleterre ne doit ſon ſalut qu'aux flots de
la mer qui l'environnent. Suppoſons.cette
ifle un continent : ce Peuple libre deviendra
bientôt l'eſclave de ſes voiſins.
CROMVEL .
Je le ſais ; mais , malgré cette barrière
poſée par la Nature , je ne laiſſai jamais
affez de liberté aux Anglais pour ſe nuire,
ni pour négliger de ſe défendre.
RICHELIEU.
Avouons-le donc : il faut du pouvoir
pour faire du bien aux hommes ; il en faut
même pour les contraindre d'acquiefcer
au bien qu'on veut leur faire.
ParM. de la Dixmeric.
LA PASSÉ JADE .
CHANSON.
Pour les Belles du Bourdelais
La Pafléjade a des attraits ;
Tout plaifir ſemble fade ,
Eh bien !
Sans quelque pafléjade ,
Yous m'entendez bien,
JANVIE NVIER . 1774.41
En vain, pour guérir leurs vapeurs ,
Elles confultent des docteurs
Il faut à la malade ,
Eh bien !
Un peu de patléjade ,
Vous m'entendez bien.
Dansun repas où la gaîté
Anime une jeune Beauté ,
On propoſe rafade ,
Eh bien !
Et puis la Pafléjade ,
Vous m'entendez bien.
Dorilas aimele gros jeu ,
Clidamis aime le bon feu ;
Pour moi , cher camarade ,
Eh bien!
J'aime la paflejade ,
f Vous m'entendez bien.
Loin des yeux d'une mère en pleurs,
Europe cueilloit quelques fleurs ;
Jupin , en embuscade ,
Eh bien !
Fit bonne pafléjade ,
Vous m'entendez bien.
Pour vous qui ne m'entendez pas ,
En Gascogne portez vos pas;
42 MERCURE DE FRANCE.
C'eſt là que paſléjade ,
Eh bien !
Veut dire promenade ,
Vous m'entendez bien.
Par M. de la Louptière.
INSCRIPTION pour une maison de campagne
que l'auteur occupoit aux environs
de Toulouse.
Monplaifir eſt le nom de ce riant manoir ;
La douce liberté vous invite à le voir :
Venez ſouvent , vous & les vôtres ;
Je veux que mon plaifir ſoit le plaiſir des autres.
Par le même.
A une Loueuse de Chaises.
SÉDUIT par tes mines fripones ,
Chacun voudroit , belle Suzon ,
Pour le fiége que tu lui donnes
T'en choiſir un ſur le gazon.
L'art de préſenter une chaiſe
Attire plus d'undoux merci;
JANVIER . 1774 . 43
Tu mets tout le monde à ſon aiſe ,
Le deſtin doit t'y mettre auffi .
Par le même.
A une Loueuse de Livres.
FAITE AITE pour jouir & pour plaire ,
Pour vivre au pays des Amours ,
Dans un cabinet littéraire
La Raiſon file tes beaux jours ;
Une foule docte & difcrète
Yporte gravement les pas;
Mais , pour inſpirer un poëte ,
La ſéance auroit plus d'appas
Dans ton cabinet de toilete.
Si de tes Abonnés on vient fendre les flors,
C'eſt pour trouver quelque repos .
Quel trouble nous excite à te voir , àt'entendre ?
On a beau lire , étudier ,
Sous tes yeux que peut- on apprendre ?
Ne font- ils pas tout oublier ?
Pour être heureux faut - il attendre
Brochure fur brochure & courier ſur courier ?
Que nous importent leurs dépêches ?
Ta bouche vermeille fait foi
Que les nouvelles les plus fraîches
Ne le ſont pas autant que toi .
44 MERCURE DE, FRANCE
Tu nous fais reſſentir de plus fortes alarmes ;
Mais en vain tous les coeurs ſont épris de tes charmes
2
En vain les curieux te demandent tous bas
Un livre défendu : tu ne le prêtes pas.
Par le même.
A unejolie Femme , qui met du coton
dansfes oreilles,
Vous dont les petits trous embelliroient Cythère
,
Pourquoi dans votre oreille enfoncer du coton ?
Dédaignez - vous d'ouir quelque récit fincère
Des maux que vos beaux yeux font à notre raifon?
Pour ſurprendre vos ſens c'eſt en vain qu'Amour
veille:
Comment ce ſuperbe vainqueur
Pourra-t'il gagner votre coeur ,
Si vous lui fermez votre oreille !
Quand les faux plaiſans du canton ,
Et les beaux- eſprits de la ville ,
Sur les moeurs du prochain épancheront leur bile,
Enfoncez bien votre coton ;
Par votre ſurdité vous pourrez vous ſouſtraire
Atous les vains propos des fois & des jaloux ;
JANVIER. 1774.45
Mais elle n'eſt pas néceflaire
Lorſque l'on vous parle de vous.
Par le même.
TRADUCTION de l'Ode ze du premier
livre d'Horace.
Au vaiſſeau fur lequel Virgile alloit à
Athènes.
Sur l'empire des mers que Venus attentive
Se hâte de lancer tout l'éclat de ſes feux;
Que les frères d'Hélène éclairent votre rive ;
Qu'aux yeux du nautonnier ils brillent tous les
deux.
Qu'Eole , à ines voeux favorable ,
Enchaîne auprès de lui l'Aquilon furieux ;
Qu'agitant ſeul la mer , le Zéphir agréable
Aille vous prodiguer ſes baiſers amoureux .
Vaifleau , délicieux aſyle !
Hâte le jour de mon bonheur ;
1
Quebientôt dans le port j'aille embrafier Virgile
;
Conſerve ſur les flots la moitié de mon coeur.
Quel homme a pu braver l'orage & la tempête ?
Son coeur fans doute étoit d'airain .
Les vents ſont déchaînés ; il part , rien ne l'arrête
:
4
45 MERCURE DE FRANCE.
Vingt fois la foudre éclate en vain.
Du Midi dévorant il enchaîna la rage ;
Son ſouffle dangereux n'agita plus les flots ;
Les monſtres étonnés craignirent ſon courage :
Il les vit s'engloutir dans l'abyme des eaux.
Jamais le bruit affreux de la mer courroucée
Ne put ralentir ſon ardeur :
En vain pour l'engloutir la vague eſt élevée :
Des terribles écueils il eſt toujours vainqueur.
C'eſt en vain que donnant des bornes à la terre ,
La ſagefle des Dieux en traça le contour ;
Hardi , ſur l'Océan , l'homme porte la guerre ,
Et tout devient propice à ſon heureux retour.
L'homme, rival des Dieux , oſe tour entreprendre ;
Aleur grandeur ſublime il veut même prétendre
;
Téméraire enfant de Japhet !
Il s'élance & craint peu d'être réduit en poudre ,
Des mains d'un Dieu terrible il va ravir la foudre
;
Ce Dieu venge ſur nous cet horrible forfait.
La terre reſſentit ſa colère enflammée ,
Le mortel ſous ſes coups ſuccomba ſans effort:
Il fuyoit vainement ſa triſte deſtinée .
Par- tout il rencontra le glaive de la mort.
Qui croira des mortels la ſuprême puiſſance ?
L'Acheron , par Hercule , a vu forcer ſes flots.
Dédale prend l'eſſort ; dans les cieux il s'élance :
L'homme peut tout par ſes travaux !
JANVIER. 1774.47
Nous provoquons les Dieux ... O fureur infen
ſée !
Nous bravons leur courroux prêt à nous embrafer
,
Sans fonger qu'en leurs mains la foudre eſt enflammée
, :
Etqu'elle peut nous écraſer.
ParM. Guittard cadet , de Limoux
en Languedoc.
MADRIGAL.
A Madame la Ducheffe de Montmorenci,
qui nourritfon enfant.
PRORDODIIGGEE attendriſſant ! Vénus eſt donc noure
rice!
Elle-même allaite un Amour !
Renonçant aux plaiſirs de la céleſte Cour ;
Acet enfant , ſon coeur en fait le ſacrifice,
Qui ; fiez - vous à ce diſcours :
Jefais un peu mieux la connoître.
Marâtre& tendre mère ... oh ! voilà de ſes tours.
Elle nourrit le puîné des Amours :
Mais mille autres qu'elle a fait naître ,
A ſes yeux n'oſeroient paroître ,
Etn'en obtiendroient pas le plus léger lecours.
:
ParM. duMerfan,
48 MERCURE DE FRANCE.
*Adieux au Château de la Broffe.
IMPROMPTU.
Sur l'AIR du Menuet d'Exaudet.
RESTERA
Qui voudra
A la Brofle :
Pour moi , je n'en ferai rien.
D'autres s'y trouvent bien ;
Chaque jour on les roſle.
.:
Unemain
De ſatin
Les régale
De foufflers délicieux
Qu'aucun préſent des Dieux
Négale.
C'eſt toujours en ma préſence
Que la Duchelle difpenfe
12 Ses bienfaits :
Etjamais
Ma figure
N'obtient la même faveur :
De cet oubli mon coeur
Murmure.
Croita t'on
Que le nom
1
:
:
1
De
JANVIE R. 1774 49
DeDuchefle
Soit ce qui me rend jaloux
De partager ſes coups ?
Non. Fût-elle déeſle ;
J'apperçois
Un minois
De Soubrette ,
Dontje fais autant de cas .
Ne devine- t'on pas ...
Fanchette ? *
Par le même.
:
L'INGRAT PU NI.
Tous les hommes s'accordent à donner
à la reconnoiſſance les éloges qu'elle mérite
; tous ſe piquent d'en avoir : cependant
combien de monftres d'ingratitude
un père tendre , un ami ſincère , un zélé
bienfaiteur ne nourriſſent -ils pas dans
leur ſein ? L'hiſtoire ſuivante en eſt une
nouvelle preuve : puiſſe- t'elle ne ſe reproduire
jamais ſur le théâtre du monde! ..
Berville avoit pour père un homme
*Madame la Ducheſle de Monmorenci venoit
de jouer le rôle de Fanchette dant l'opéra- comiquedu
Tonnelier,
11. Vol. C
50
MERCURE DE FRANCE.
diſtingué par des emplois conſidérables ,
mais qui s'étant laiſſé dominer par l'amour
du jeu &d'un faſte exceffif, en
éprouva bientôt les ſuites ordinaires ; car
il ſe vit en peu de tems hors d'état de
faire honneur à ſes affaires , & en conçut
un ſi vif chagrin ,qu'une fièvre ardente le
prit& le réduifit dans la poſition la plus
déplorable . La penſée de la triſte ſituation
où il laiſſoit une épouse & un fils
qui lui reſtoit , âgé de huit ans , l'accabloit.
Il ne voyoit aucune reſſource pour
eux dans ſa famille , qui n'étoit pas opulente.
Ses talens ſeuls lui avoient acquis
la fortune que ſa mauvaiſe conduite lui
avoit fait diffiper. Comme ces idées
affligeantes l'occupoient , il ſe ſouvint
d'un ami dont il connoiſſoit le caractère
généreux & bienfaiſant; c'étoit un riche
négociant qui lui avoit donné , en pluſieurs
occaſions , des preuves de ſon attachement
; il réſolut auſſi tôt de lui faire
ſavoir le funeſte état où il ſe trouvoit. A
peine M. Dubois ( c'étoit le nom de cet
honnête homme) l'ent il appris, qu'il vint
à ſon ſecours; le père de Berville ſaific
ce moment , & profitant du peu de forces
qui lui reſtoit , avec un viſage fur lequel
la confufion & le repentir étoient peints ,
&d'une voix ſouvent interrompue par
JANVIER. 1774. 51
de profonds ſoupirs , il le conjura de mertre
ſa famille à l'abri de la misère où il
la laiſſoit. Il n'en falloit pas tant pour
attendrir le coeur ſenſible du négociant ;
il mêla ſes larmes à celles de fon ami , &
lui donna les plus fortes aſſurances d'en
prendre ſoin ; ce qui ayant calmé ſes inquiétudes
, il mourut enfuite tranquillement
entre ſes bras , en recommandant à
ſon épouſe & à ſon fils , qui étoient préſens
, la reconnoiſſance due à leur commun
bienfaiteur. Celui- ci , après lui avoir
rendu les derniers devoirs , mit ordre à
ſes affaires ; il abandonna ce qui reſtoit
du bien aux créanciers , aſſura une honnête
penſion à ſa veuve qui prit le parti
de la retraite , & mit ſon fils dans un collége
, avec le ſien qui étoit à peu près da
même âge. L'habitude d'être toujours
enſemble , plutôt que la conformité des
inclinations , leur fit lier une étroite amitié.
Lorſque leurs études furent finies , le
négociant les fit revenir chez lui ; il fur
charmé de leur union ; tout annonçoit en
eux deux jeunes gens accomplis . Son fils
ſe montrant tel qu'il étoit , retraçoit fon
caractère & ſes vertus , & il étoit bien
éloigné de connoître le vrai fond de Berville.
L'eſprit ambitieux de ce dernier le
Cij
32 MERCURE DE FRANCE.
rendoit capable des plus grandes noirceurs;
il ne témoignoit de la reconnoiſſance au
père& de l'amitié au fils , que parce qu'il
Tentoit que fon propre intérêt l'y obligeoit.
Son coeur naturellement ingrat , étoit tout.
à fait fermé à ces tendres ſentimensqu'inf.
pire le moindre bienfait dans les ames
bien nées. Fourbe & diffimulé, il ſavoit cacher
ſes vices ſous un extérieur impofant;
&, s'il n'étoit pas vertueux , il en avoit
tous les dehors. M. Dubois y fut donc
trompé ; étant ſans artifice , il étoit incapable
d'en foupçonner dans les autres, &
encore moins dans un jeune homme ;
ainſi il partageoit également ſon admiration&
fa tendreſſe entre ſon fils & fon
élève. Trouvant en celui- ci un goût décidé
pour le commerce , l'étude des langues
qui y font propres , telle que l'Anglois&
l'Hollandois,ne fut point oubliée,
ni rien de ce qui étoit néceſſaire à fon
éducation : Berville répondoit parfaitement
à ſes ſoins , ce qui lui attiroit tous
lesjours de nouvelles preuves de ſon ami.
tié&de ſa confiance ; il ne tarda pas à en
abufer.
Car , au bout de quelque tems , le négociant
ayant appris qu'un vaiſſeau qu'il
avoit chargé à ſon compte & celui d'an
JANVIER. 1774. 53
(
aſſocié , étoit péri ; qu'il ſe trouvoit auffi
enveloppé dans deux banqueroutes confi .
dérables qui venoient de ſe déclarer , &
ces triftes nouvelles l'obligeant à faire un
voyage , il réſolutd'emmener ſon fils avec
lui ; & laiffant à Berville le ſoin de ſa
maiſon , il l'informa qu'il avoit vingtcinq
mille écus dans ſon coffre fort deftinés
pour des paiemens , & lui en confia,
la clef. A peine fut il abſent que ce traître
forma un projet digne du caractère
fous lequel nous l'avons dépeint; ils'empara
facilement de cette fomme avec
d'autres effets de la valeur de vingt mille
francs, & palla, avec la plus grande diligence,
en Angleterre. Pour aſſurer ſa fuite
il avoit pris la précaution de montrer au
premier commis du négociant une lettre
fuppofée par laquelle il lui marquoit de
le venit joindre ; cet homme , le croyant
de bonne foi , ne fut nullement étonné
de ſon départ.
Cependant, les paiemens échus,on vint
les demander. Le commis écrivit auffitôt
à fon maître que , s'il ne revenoit au
plutôt , ſon crédit étoit perdu. M. Dubois
ne comprenoit rien à cette lettre ; néanmoins
il revint précipitamment. Arrivé
chez lui , il fut furpris de ne point trou
Ciij
54
MERCURE DE FRANCE.
ver Berville . On lui dit qu'il étoit parti
pour l'aller joindre. Sur cela , commençant
à craindre quelque malheur , il alla à
fon coffre-fort; le trouvant vuide , il ne
put alors douter de ſa perfidie.
On peut juger de l'affliction du négociant
par l'état où il ſe trouvoit. Soixantequinze
mille livres d'argent comptant ôté
de fon commerce , jointes aux pertes irréparables
qu'il venoit d'eſſuyer , le ruinoient
entièrement; mais ,ce qui augmenroit
infiniment ſa douleur , c'étoit de voir
que ce coup funeſte partoitde la mainde
Berville ; de celui qu'il avoit tiré de la
misère ; qu'il avoit élevé , & qu'il chériffoit
comme s'il eût été ſon propre fils ; de
celui , en un mot , qu'il avoit comblé de
fes bienfaits , & à qui il en deſtinoit encore
de plus grands : ce n'étoit cependant
que le prélude des maux que ce monftre
devoit un jour lui caufer; mais n'anticipons
pas fur de tels événemens ! ..
Pour arrêter les pourſuites occaſion.
nées par le retard des paiemens , M. Dubois
demanda un ſurfis ; l'ayant obtenu ,
il en employa le tems à faire chercher
Berville : ce fut inutilement. Il avoit ſi
bien pris ſes meſures , qu'il ne put en
avoir aucune nouvelle ; de forte que , ce
JANVIER. 1774. 55
terme expiré , il ſe vit obligé de tout
abandonner pour fatisfaire à ſes engagemens.
N'ayant plus rien qui l'attachât en
France , il réſolut dé paſſer en Angleterre,
eſpéranty trouver Berville. Arrivé à Lon
dres , il prit un petit logement dans une
rue écartée , & ſe répandit enſuite dans
cette capitale pour voir s'il ne le découvriroit
point. Il y étoit effectivement venu
, comme nous l'avons dit ; mais, voulant
augmenter ce qu'il avoit emporté de
la maiſon du négociant , & ſe faire une
fortune brillante , il s'étoit embarqué
aufli-tôt pour trafiquer dans les Illes; &
il y avoit plus d'un mois qu'il en étoit
førti, lorſque M. Dubois y arriva. Ses ſecondes
recherches étoient donc auſſi inutiles
que les premières ; il s'en apperçut ,
&, fatigué de ſes démarches , il ſe renferma
chez lui , plongé dans le plus profond
chagrin. Son fils , pour le diffiper ,
le fit réfoudre à rendre viſite à un marchand
Anglois de ſa connoiſſance nommé
Weſther . Cet ami le reçut avec joie;
& , touché du récit de ſes malheurs , il
l'engagea à prendre un logement chez lui .
Il avoit un fils qui , de ſon côté , prit un
ſenſible intérêt au fort du jeune Dubois,
& conçut pour lui la plus tendre amitié.
Malgré les ſoins que prenoient ces géné
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
reux hôtes de le diſtraire , le négociant .
étoit dans une mélancolie qui ne le quittoit
point. Le ſouvenir de l'ingrat qu'il
avoit autrefois fi chéri étoit toujours gravé
dans ſa mémoire ; trois ans s'écoulèrent
:
dans cette pénible ſituation .
1
Un jour qu'il étoit venu pour prendre
l'air dans le parcde Saint- James, trouvant
ce lieu, pour lors folitaire, propre à la rê
verie, il s'atfit & ſe mit à réfléchir ſur ſes.
infortunes , lorſqu'un moment après, entendant
avancer quelqu'un , & tournant
la tête de ce côté- là, quelle fut ſa ſurpriſe
d'en appercevoir l'auteur ! En effet c'étoit
Berville ; fon voyage aux Iſles avoit été fi
heureux , qu'il en étoit revenu une fois
plus riche. Il y avoit deux jours qu'il étoit
de retour à Londres , & fon mauvais génie
l'amenoit ſans doute en cet endroit.
pour conſommer le crime le plus affreux.
Auſſi-tôt que le négociant l'eut enviſagé
dans le premier tranſport , il s'écria; c'eſt
lui même ! A cette voix Berville qui ne
l'avoit point encore apperçu , leva les
yeux fur lui . En même tems M. Dubois,
le ſaiſiſſant par le bras : Eſt- ce bien toi
>> que je vois , ingrat ? .. perfide ? lui dit-
>> il , & reconnois - tu celui que tu ás ré-
>> duit dans l'état le plus malheureux , en
>> abuſant de ſa confiance & de fa bonne
JANVIER. 1774-57
>>foi ? .. Etoit-ce donc là la récompenſe
» que je devois attendre de mes bien-
>>faits ? .. » Berville , qui ne s'attendoit
pas à cette rencontre , étoit devenu pâle ,
interdit & chancelant ; mais , regardant
enfuite autour de lui , & ne voyant perfonne
, remarquant d'ailleurs que le négociant
étoit fans armes , il penſa qu'il
lui étoit facile de ſe délivrer tout d'un
coup d'un homme dont la préſence& les
juſtes reproches l'embarraffoient. Dans
cette infame réſolution , retirant , par un
mouvementbruſque, ſon bras qu'il tenoit
toujours , & reculant de deux pas , il tira
fon épée. M. Dubois vit fon deſſein. Ah !
malheureux , s'écria - t'il , après m'avoir
enlevé mon bien, tu veux donc encore
m'ôter la vie ? la douleur arrêta ſa voix en
ce moment, &, le ferrant de toute fa force
, il s'efforçoir de lui arracher des mains
cette arme meurtrière ; mais Berville,que
dis je? ce monſtre; (qui ne ſera ſaiſi d'horreur
! ) étant parvenu à le renverſer , la
plongea deux fois dans le ſein de fon
bienfaiteur. Les mains teintes du fang de
fon homicide , il regagna promptement
ſa demeure ; & , profitant d'un vaiſſeau
qui mettoit à la voile , il s'embarqua de
nouveau.
Cy
SS MERCURE DE FRANCE.
Cependant l'infortuné négociant étoit
reſté ſans mouvement. Le ſang qui ſortoit
de ſes bleſſures l'affoibliſſoit de plus en
plus ; il étoit dans cet état mitoyen de la
vie à la mort , lorſqu'une compagnie de
trois Anglois vint à paſſer. Appercevant
un homme étendu par terre , ils s'approchèrent
, &, par un fentiment d'humanité
, voyant qu'il refpiroit encore , bandèrent
fes plaies le mieux qu'il leur fut pofſible
,& le tranſportèrent à la maiſon la
plus proche . Un d'eux l'ayant reconnu
pour l'avoir vu ſouvent chez M. Weſther,
alla promptement l'en avertir. A cette
nouvelle le marchand , fon fils & le jeune
Dubois accoururent : on avoit couché le
bleſſé ſur un lit; une extrême pâleur couvroit
ſon viſage; ſes membres glacés &
ſes yeux preſque éteints ne donnoient
aucun figne de retour. Son fils s'étantapproché
lepremier , ne put foutenir la vue
d'un tel ſpectacle ; ſes forces l'abandonmèrent
; il perdit connoiſſance ,& ſe laiſſa
tomber entre les bras de fon ami.
Revenu à lui , ſon premier ſoin fut de
retourner auprès du négociant , qui,par
les ſecours qu'on lui avoit donnés, venoit
auſſi de recouvrer l'uſage de ſes ſens. Il en
profita pour lui demander qui l'avoit mis
JANVIER. 1774. 59
dans le cruel état où il le voyoit ? Au nom
deBerville, lejeune homme frémit. Dans
ſon juſte reſſentiment , il vouloit fortir
pour aller chercher ce lâche aſſaſſin ; mais
fon vertueux père le retint. Non , mon
fils , lui dit- il d'une voix auſſi forte que
ſa foibleſſe lui put permettre : non , laifſez
à la justice divine le ſoin de me venger
: quelque grands que foient les maux
qu'il m'a caufés , je les lui pardonne ; le
Ciel l'a permis ainſi ; je reſpecte ſes ordres
: & ne meprivez pasde votre préſence
dans ces derniers inſtans ; car je ſens bien
qu'il me reſte peu de tems à vivre. En
effet quelques heures après il rendit les
derniers ſoupirs . Son fils , laiſſant alorsun
libre cours à ſa douleur , artacha les larmes
de tous les aſſiſtans. Tous le ſecondè.
rent pour chercher l'auteur de la perte d'un
père qui lui étoit ſi cher ; mais le moment
que la Providence avoit marqué pour le
punir n'étoit pas encore arrivé; elle permit
qu'il ſe dérobát à leurs pourſuites.
Le jeune Dubois , fuccombant à ſon déſeſpoir
, tomba malade ; cependant , par
ſes ſoins , ſon ami parvint à le calmer , &
ſa ſanté ſe rétablit.
Au bout de quelques années M. Wefther
ſon protecteur mourut , laiſſant à fes
enfans d'immenſes richeſſes. Son fils ,
Cvj
60 MERCURE DE FRANCET
.
ayant recueilli ſa fucceffion , réfolut d'al
ler s'établir à la Jamaïque , où il avoit un
oncle dont le bien devoit un jour auffi
lui appartenir. Ne pouvant ſe ſéparer du
jeune Dubois , il lui propoſa de l'accompagner
pour partager enfuite avec lui ſa
fortune ; ils s'embarquèrent donc , & arrivèrent
heureuſement dans cette île.
Avant de s'y fixer entièrement , le defir
de connoître le nouveau Monde qu'ils
alloient habiter , les engagea à parcourir
les autres parties de l'Amérique. Dansle
cours de ce voyage ils abordèrent à Que-'
bec ; c'étoit le lieu où Berville s'étoit retiré
après fon horrible forfait. Ayant
acquis de belles poſſeſſions , il jouiffoir
tranquillement du ftuit de ſon ambition
dans ce climat éloigné , où il ſe croyoitfi
en ſûreté , qu'il n'avoit pas même pris la
précaution de changer de nom : mais il
ne tarda pas à éprouver cette vérité , déjà
fi conſtatée , que le Cieltôt ou tard punit
le crime , & cela par un événement auquel
il s'attendoit bien peu.
Comme le jeune Dubois & Weſther
fon ami ſe promenoient en viſitant les
environs de la capitale du Canada , ils
remarquèrent une maiſon de plaiſance ,
dont la charmante perſpective fixa leurs
regards, &attira leur admiration. Ils deJANVIER
. 1774. 61
mandèrent à un habitant du pays qui les
accompagnoit , quel étoit le maître de
cette magnifique habitation . Celui - ci
leur répondit que c'étoit un nouveau Colon,
nommé Berville , qui depuis peu de
tems en étoit poſſeſſeur. Tenez , ajouta
t'il en le leur montrant du doigt , le
voilà qui fort de ſa maiſon , ſuivi d'un
Nègre. Le jeune Dubois , tranſporté de
ce qu'il entendoit : feroit- il bien poffible,
mon cherami , s'écria-t'il en ſe tournant
vers Weſther , que ce foit cet ingrat , ce
perfide aflaffin , qu'il ya fi longtems que
je defire de trouver ? Il faut que je m'en
affure par mes yeux ; en diſant cela , il
vola à ſa rencontre : le reconnoiffant , il
l'arrêta , & fe mit en devoir de le punir :
Berville furpris voulut ſe défendre , &
ordonna à ſon Négre de le ſeconder ; mais
Dubois , à qui l'indignation redoubloit le
courage , lui porta de fi terribles coups ,
qu'il le fit tomber mort à ſes pieds , pendant
que Weſther , de ſon côté , faifoit
prendre la fuite à ſon eſclave. C'eſt ainfi
que périt ce monſtre , qui, en violanttoutes
les loix de l'humanité & de la plus
belle des vertus, méritoit encore une fin ,
finon moins tragique , du moins plus
honteuſe. Monfieur N. , pour lors Gouverneur
de la Colonie , ayant été informé
62 MERCURE DE FRANCE .
de cette hiſtoire , & aſſuré de la vérité des
faits , fit rentrer le jeune Dabois en pofſeſſion
des biens que ce perfide meurtrier
de ſon père lui avoit uſurpés .
Par Mile D... N.. , de
Châlons-fur-Marne.
LES PLAIDEURS D'ACCORD ,
ON
Anecdote Champenoise.
N conte qu'à Reims , lagrand'ville ,
Pendant un certain carnaval ,
Chacun , pour s'égayer la bile ,
Chez ſoi vouloit avoir le bal ;
Mais de leurs racleurs de muſique
Trop peu nombreuſe étoit la clique.
Alors des voiſins cantons
S'en vinrent des violons
Qui , pour légère finance,
Vous mettoient Rémois endanſe.
Bienvous penſez qu'aux autres amphions
Point ne plutent tels rigaudons ;
Ils les trouvent téméraires ,
Et , ſans pitié pour leurs pauvres confrères,
Devant un juge compétent
Ils les citent à l'inſtant .
Pour une fi grave affaire ,
lfautque tout ſe diffère :
JANVIER. 1774. 63
Notre Juge, fans balancer ,
Près de lui les fait tous placer;
Et veut que pour procédure
On lui joue une ouverture.
Auſfi-tôt les Défendeurs
Se joignent aux Demandeurs :
Et chacun fait la partie
Dans la plus juſte harmonie.
Le Juge , voyant ce ſuccès ,
Dit alors d'une voix polie :
• Entre gens bien d'accord il n'eſt point de pro-
>>>cès :
>>>Hors de cour , mes enfans ; allez , vivez ca
» paix.
Par Mlle Coffon de la Creffonniere.
COUPLETS fur les vingt Mariages
faits par la Ville de Paris.
AIR: Dans un bois ſolitaire &ſombre.
Les vingt Mariés de la Ville
Pour contenter le voeu commun,
Etant rentrés dans leur aſyle ,
Ontjoué tous au vingt& un.
Et la Michodière qui penſe
Ales encourager chacun ,
64 MERCURE DE FRANCE.
Apromis belle récompenſe
Pour le premier beau vingt&un.
Sans doute , par ces mariages ,
De Poupons il viendra plus d'un ;
Souvent l'Amour à tels ménages
En donne juſqu'à vingt& un.
Parlamême
COUPLETS fur la naiſſance de Mgrle
Duc de Valois, chantés à Dourdan ,
chez M. le Comte de Verteillac , à la
fête qu'ila donnée à cette occafion.
Sur l'AIR : Par ma débauche continuelle
CÉLÉBRONS P'heureuſe naiſlance
Du nouveau Prince de Valois ,
Et répétons tous d'une voix
Des noms qui ſont chers à la France ?
Chantons , amis , chantons cent fois
Vive Orléans , vive Valois !
Chéride tous comme la mère ,
Il va faire notre bonheur.
De Penthièvre il aura le coeur ;
Les malheureux auront un père:
Chantons , amis , &c.
JANVIER. 1774 . 6
Bientôt nous verrons la Victoire
Couronner ſes plus jeunes ans ;
De l'auguſte nom d'Orléans
Il portera bien loin la gloire :
Chantons , amis , &c.
Comme ſes illuſtres ancêtres ,
C'eſt ton Prince , ton protecteur.
Dourdan , ſignale ton ardeur ;
On n'ajamais trop de tels maîtres :
Chantons , amis ,&c.
Par des feux de réjouiflance *
Elevons ces noms juſqu'aux cieux ;
Qu'ils foient gravés dans tous les lieux
Des mains de la Reconnoiſlance :
Chantons , amis , &c.
Par la lumière la plus vive
Faiſons de la nuit un beau jour
Pour cet objet de notre amour ,
Et diſons mille fois qu'il vive,
Vive , vive , vive àjamais ,
Vive Orléans , vive Valois !
Par un Vicaire de Dourdan.
* Il y avoit chez M. le Comte de Verteillac feu
d'artifice & illumination pendant la nuit. 2
{
66 MERCURE DE FRANCE
L
VERS pour mettre au bas des Portraits
de M. & de Madame *** tirés par
leur Petite- Fille .
Vorer d'heureux Epoux les modèles parfaits
Philémon & Baucis revivent dans ces traits ,
Et la Nature & l'Art offrent un double hommage ;
Une main filiale a tracé leur image.
L'EXPLICATION du mot de la première
énigme du Mercure du premier vol. de
Janvier 1774 , eſt Port; celui de la ſeconde
eſt Heure; le mot de la troiſième
eſt le Rafoir ; celui de la quatrième eſt
Caiſſe ; celui de la cinquième eſt Cheval,
avec dix animaux , trois importans rapports
, c'eſt à-dire trois rapports avec le
ſexe , poitrine large , croupe remplie ,
crins longs ; trois du Cerf , la tête , la
jambe & le poil court ; trois du Renard,
l'oreille , la queue , le trot ; trois du
Broeuf , l'oeil , la narine ,la jointure ; trois
du Lion , le maintien , la hardieſſe , le
courage ; trois du Serpent , la mémoire ,
la vue , le contournement ; trois du Mu
JANVIER. 1774. 67
let , la force , la conſtance au travail & le
pied ; trois du Mouton , le nez , la douceur
, la patience ; trois du Lièvre , le pas,
la courſe , la ſoupleſſe ; trois du Loup ,
la gorge , le col & l'ouie. Le mot dupremiet
logogryphe eſt Framboise , où l'on
trouve baifer , foif, rime , Rose , le frais ,
Moïse , le foir , ame , Mari , or , Mars ,
ami , faim , Reims , Sire , Siam , lafoi ,
robe , mûre , Roi , glace de framboise ; celui
du ſecond eſt Canne ,dans lequel on
trouve Anne ( fainte ) Cane , ( oiſeau domeſtique
) cena , Caen , ane , Can , (qu'on
écrit indifféremment par un c, un ch , ou
unk ) ne , en , encan ,
&an.
ÉNIGME.
Soumise à des mains étrangères ,
Toujours ſous le manteau j'exerce mon emploi ;
Non loin du coeur entre deux frères ,
Une fémelle agit , tourne au- deſſus de moi.
Alors , d'un élément bravant la violence ,
Et fans m'embarraſler du ſort des malheureux ,
Sans jamais m'attendrir pour eux ,
Je m'engraiſſe de leur ſubſtance.
Par M. Hubém.
68 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
QUOIQUE valet deplus d'un maître ,
J'ai le coeur aflez haut , quelquefois bien placé:
Ama livrée on peut me reconnoître :
C'eſt un fond rouge & blanc , ſouvent un peu
paflé;
Je tâche toujours d'être utile ;
Mes gages fontplus ou moins forts ,
Et cependant un maître difficile
M'amis plusd'une fois dehors ;
Mais je n'en fuis pas fort en peine ,
Puiſque , malgré quelque fredaine ,
Chez les voiſins je me place aufli,tôt ,
Et j'y fuis payé comme il faut ;
Souvent même , pour récompenfe,
Et pour affurer ma finance ,
On me paffe un très -bon contrat
Alors je me vois en état
D'aller au bout de ma carrière.
Je m'excite à mieux travailler ;
Je tâche d'être le dernier
A quitter l'ouvrage ordinaire ;
J'ai le défaut d'aimer lejeu.
De maudits compagnons une éternelle engeance
Vient me chercher & me relance .
On me force àjouer ; monmaître jure un peu :
:
:
JANVIER . 1774. 69
Ah ! du diantre ſi je le garde ,
Dit-il , pour me ſervir ainſi.
Peſte ſoit ſi je me haſarde
conſerver un valet tel que lui .
Eh ! bien , onjure , on me menace ;
Maisje n'en tiens pas moins ma place ,
Et même c'eſt à qui m'aura ,
Adieu , lecteur; j'enreſte là.
Par M.le Clerc de la Motte,
Chevalier de St Louis.
!
Q
AUTRE.
UOIQUE je ſois mince&très-délicat,
On me traite comme un forçat ş
On me tient toujours à la gêne ...
Je m'agite , je me débat ;
Mais hélas ! inutile peine !
Je ne fais qu'alonger ma chaîne .
Ah! chers amis, que le chagrin abat !
Tenez - vous cois dans votre état,
Tous les ſoulevemens qu'excite le murmurę
Ne feront point changer de vos maux la nature.
Dela néceffité ſe faire une vertu ,
Voilà le grand ſecret ; lecteur , qu'en penſes-tu ?
Par un Chapelain de Dourdan.
70
MERCURE DE FRANCE.
LOGOGRYPΗ Ε.
PLANTE de ma nature ,
Trois pieds fontmon ſupport.
Soit raiſon , ſoit à tort ,
De ma mince figure ,
Lecteur , Horace, ton ami ,
Se déclara mon mortel ennemi.
Je ne ſais à ſes yeux quel put être mon crime;
Carmême de ſon temps
J'avois conquis l'eſtime
De nombre d'honnêtes gens.
Je la poſſède encor. D'où vient donc cette haine
Qu'avoit pour moi cet ami de Mécène ? ..
Cher lecteur , après tout ,
On peut dire à cela que chacun a ſon goût.
Te plairoit- il , par aventure ,
De mes trois pieds déranger la ſtructure ?
D'abord, dans ce travail , pour te reconforter ,
Je t'offre un vin d'un fumet agréable.
Je puis encor te préſenter
La ſoeur d'une femme aimable
Dont le nom dans la bible eſt placé fûrement.
Undes tons de la gamme; un lieutenant
De Mahomet... Sans te donner au diable
Pour me chercher. Ecoutemon confcil . Attends
JANVIE R. 1774. 71
Ademain ... A ce ſoir... Peut- être en ce moment
Ton cuisinier me met- il ſur ta table...
Par M. M... D. L. M...
à Senlis.
AUTRE.
REDOUTABLE ennemi de tout cequi reſpire,
Dans l'Univers entier je porte mon empire ;
Egalement tertible aux Bergers comme aux Rois ,
Je fais ſentir à tous la rigueurde mes loix ;
Il n'en eſt pas un ſeul que mon abord n'étonne ,
Et le plus courageux à mon aſpect friflonne.
Tantôt, comme un voleur, marchant à petitbruit,
J'immole ma victime en un ſombre réduit ;
Tantôt en furieux je briſe les couronnes ,
C
Et vais porter mes coups juſques aux pieds dos
trênes.
Ne te plains point , lecteur , de cette cruauté ;
Vois-y plutôt l'effet du malheureux péché ,
Et tremble , en reſpectant la céleſte colère
Qui punit dans l'enfant le crime de ſon père :
En vain pour me corrompre , ou vouloir me fles
chir ,
Le mondain auroit- il des tréſors à m'offrir :
Ni ſes biens , ni ſon or , ni ſon rang , ni ſon âge
Ne ſauroient d'un moment le ſouſtraire à ma
rage;
72 MERCURE DE FRANCE.
:
Miniſtre ſanguinaire , inflexible , inhumain,..
Je lui lance le trait qui lui perce le ſein.
Quoi qu'il en ſoit , lecteur , & malgré mon audace
Ate faire périr ſans eſpérer de grâce ,
Il eſt un vrai moyen d'arrêter ma fureur :
C'eſt de trancher ma tête : alors quelle douceur !
Je deviens de tes jours le ſoutien defirable ,
Et j'engageun convive à prendre place à table.
Par M. de Rozière , à Melun.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
,
Vie du Dante avec une notice de fes
ouvrages , par M. de Chabanon , de l'Académie
royale des inſcriptions & belles-
lettres ,& de celle de Lyon , in - 8 °.
br. 30 1. A Amſterdam , & ſe trouve
à Paris , chez Lacombe , libraire , rue
Chriſtine, près la rueDauphine.
¿
PLUSIEURS chaires ont été fondées en
Italie pour expliquer le Dante , le père
de la poëſie Italienne. En France , faputation
ſe ſoutient par le reſpect d'une
anciennetradition. On le loue plus qu'on
* nele lit. La lecture de ſon poëme ou de ſa
comédi
JANVIER. 1774 . 73
comédie partagée en trois actes ou récits
intitulés l'Enfer ,le Purgatoire & le Paradis,
doit en effet rebuter au premier abord
des lecteurs François , par la bizarrerie de
l'invention , le mauvais choix des perſonnages
, des folies triſtement plaiſantes &
des deſcriptions que le bon goût rejette .
* De toutes les qualités qui font un bon
» écrivain , le goût , comme l'obſerve le
› judicieux auteur de cet écrit , eſt la plus
>> tardive. Le génie eſt un don de la Natu-
» re , & par toutoù elle en jette la ſemen-
>> ce , ce germe ne tarde pas à paroître.
» Celui du goût ne peut s'accroître & ſe
» développerqu'avec le ſecours du temps
■ & de l'expérience , ſecours qui man-
» quoit au Dante , puiſqu'il entroit le
>>premier dans la carrière. Le Dante
>> abuſe quelquefois d'une penſée vraie ;
>> il la rend fauſſe eny ajoutant. La véri-
» té, en matière de goût , n'eſt qu'une ligne
, un point ; le mérite n'eſt pas d'al.
>> ler au-de-làde ce but , mais de l'atrein-
>>>dre&d'y reſter. » M. de C. cite quelques
endroits où leDante n'a point apperçu
le point juſte où il devoit s'arrêter. Il
nous fait auſſi connoître pluſieurs fautés
dans lesquelles de Dante eſt tombé ; car
l'écrit qu'il nous donne ſur ce poëte eſt
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
unenotice & nonpas un éloge. Mais ile
Dante a les vices du mauvais goût , il eſt
en recompenſe doué de toutes les qualités
du génie ; il eſt original , vrai , fublime
&pathétiqne.
,
Le Dante , dont le premier projet étoit
d'écrire ſon poëme en latin , l'avoit commencé
à la manière des Anciens, par une
expoſition claire& fuccincte ; mais lorfque
, pour ſe procurer plus de lecteurs
il réſolutde le compoſer en langue vulgaire
, & dans un ſtyle humble , ſuivant
l'expreffionde Bocace , il changea de méthode,
comme ſi l'idiôme eût réglé le plan
qu'il devoit ſuivre. Ce poëte feint qu'il
voyage & ſe perddans une forêt. Il arrive
au pied d'une montagne dont le ſoleil
éclairoit la cime ; il veut gravir ſur la
montagne , un léopard s'oppoſe à ſon pafſage
: l'animal furieux étoit preſſé par la
faim ; fon aſpect inſpiroit l'effroi , l'air
même enparoiſſoit épouvantė.
SI CHE PAREA CHE L'AER NE TEMESSE.
penſée fauſſe , comme l'obſerve ici M. de
Ch. Virgile a dit dans une circonſtance
ſemblable :
REFLUITQUE EXTERRIEUS AMNIS.
EtRacine,
1
JANVIER. 1774. 75
LA TERRE S'EN E'MEUT, L'AIR EN EST INFECTE",
LE FLOT QUI L'APPORTA RECULE E'POUVANTE'.
L'un & l'autre eſt vrai , parce que le
rebrouſſement du fleuve peut justifier le
ſentiment qu'on lui prête ; mais la préſence
d'un monſtre ne produit dans l'air
aucun effet ſenſible auquel on puiſſe attacher
le ſentiment de la crainte.
Le monſtre avançant toujours ſur le
Dante , le force à deſcendre juſques dans
les profondeurs d'une vallée obſcure. Au
milieu d'un vaſte déſert le poëte apperçoit
une ombre ; il lui crie d'avoir pitié
de fon fort. A ſes cris l'ombre accourt.
Certe ombre eſt Virgile ſous les aufpices
duquel il pénètre dans l'enfer. « La def-
>> cription qu'il en fait , dit M. de Ch. ,
> ne reſſemble point à celle qu'on lit
» dans l'Enéïde. En lifant l'Enfer du
» Dante , on ne peut s'empêcher de re-
>> gretter les nobles fictions de la mytho-
» logie ancienne , auſſi conformes augé-
» nie des beaux- arts que celles du Dante
>> y font contraires. Dans l'ouvrage de ce
>> dernier , l'enfer eſt un abyme profond,
» qui , depuis ſon ouverture juſqu'à ſa
>>dernière profondeur , conſerve une for
>> me ronde & regulière. C'eſt , à propre-
Y
!
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
>> ment parler , un puits immenſe dont
>> les différens cercles forment autant de
>>régions. Au reſte , le commencement
>> de cette deſcription , il le faut avouer,
>> a quelque choſe d'impoſant. Le pre-
>> mier objet que le poëte apperçoit eſt
>>uneporte d'airain , au-deſſus de laquelle
>font écrits ces vers : >>
:
:
Perme fi và nella citta dolente ,
Per me ſi và nel eterno dolore ,
Per me ſi và trà la perduta gente.
Giustizia moſle'l mio alto fattore ;
Fece mi la divina poteſtate
La lomma ſapienza , e'l primo amore :
Dinanzi à me non fur coſe create
Se non eterne , & io eterno duro.
Laffate ogni ſperanza voi ch'entraſte.
Queſte parole di colore ofcuro
Vid'eo ſcritte al ſommo d'una porta.
C'eſt ici de l'Enfer le paſſage effroyable ,
C'eſt ici le chemin vers la race coupable ,
C'eſt ici le ſéjour du crime & des tourmens.
L'Eternel enjeta les ſacrés fondemens .
La ſageſle & l'amour gouvernent ſa puiſſance ;
Sa juſtice m'a fait pour ſervir ſa vengeance.
Je fus fait avant tout , & n'aurai point de fin .
Yous , qu'amenent ici les ordres du deſtin ,
4
J
:
JANVIER. 1774. 77
Sur le ſeuil en entrant dépoſez l'eſpérance.
Ces mots étoient tracés ſur des portes d'airain.
Ce paſſage , continue M. de Ch . , a
» quelque choſe de plus impoſant & de
>>plus fombre , de plus terrible que tout
>>ce qu'on lit dans le fixième livre de
>>Virgile. Ce vers entre aurres :
Laflate ogni ſperanza voi ch'entraſte.
Sur le ſeuil en entrant dépoſez l'eſpérance,
>> porte un caractère de ſévérité qui inf-
>>pire le reſpect& la crainte. Quoique
>>cette porte& cette inſcription ne ſoient
>> que des fictions du poëte , elles ſem-
>>blent appartenir de plus près à la vé-
>> rité que les fictions dont Virgile em-
>>bellit ſa deſcription de l'enfer. D'ail-
>>leurs une obſervation que je crois vraie,
>> c'eſt qu'un ſtyle auſſi élégant , auſſi har-
>> monieux que celui de Virgile, diminue
>>l'horreur des objets les plus effrayans ,
» & mêle je ne ſais quoi dedoux aux im-
>>preſſions les plus terribles. C'eſt ce que
>>Boileau fans doute indiquoit par ces
» vers :
Il n'eſt point de ſerpent ni de monſtre odieux
Qui , par l'art imité , ne puiſſe plaire aux yeux.
Diij
28 MERCURE DE FRANCE.
D'unpinceau délicat l'artifice agréable
Du plus affreux objet fait un objet aimable.
> Il réſulte delà que les ouvrages où l'art
>> a mis la dernière perfection , ſont d'un
effet plus égal , plus continu & plus
> doux : mais dans certains ouvrages
>> moins parfaits , le goût ſe montre par
>> intervalles ſousun appareil terrible. Ses
>> accens ont une énergie brute & ſauva-
>> ge , dont l'ame s'étonne & dont elle
>> frémit intérieurement. Cette obfervation
peut s'étendre à tous les arts d'imitation,
&qui ont pour objet de faire naître
en nous des ſenſations , comme la
peinture , la muſique , &c. L'artiſte ne
fauroit gagner d'un côté ſans perdre de
l'autre. Un muſicien , par exemple , qui
puiſeroit ſa mélodie dans la nature des
paffions , &ne conſulteroit que la fucceffion
des tons qui expriment les affections
de l'ame , feroit fans doute une muſique
plus vraie , plus pathétique , plus propre
aux grands effets , que celui qui auroit
principalement égard à la nature des fons,
à leurs combinaiſons & à leurs rapports
entre eux. Mais ſi cette dernière eſpèce
de mélodie fait moins d'impreſſion ſur le
coeur , elle flatte davantage une oreille
JANVIER. 1774 . 79
exercée & délicate. Ily a lieu de préſumer
que cette diftinction eſt celle qui
pouvoit ſe trouver entre la muſique des
Anciens,dont on rapporte des effers étonnans
, & la muſique moderne qui ſe borne
pour l'ordinaire à produire des ſenſations
agréables. Nous avons pu faire plus
de progrès que les Grecs dans la connoiffance
des accords qui flattent l'oreille ;
maisnotre muſique factice eſt ſans force,
fans génie ,ſans effet ; ou du moins les
effers qu'elle produit ne fervent qu'à nous
faire paroître peu vraisemblables ceux
qui ,dars des traités philofophiques, ont
été attribués à la muſique des Anciens.
Les remarques que M. de Ch. continue
de faire fur le génie du Dante & fur les
endroits les plus frappans de ſon poëme ,
n'ont pu avoir été dictées que par un
homme du goût , un littérateur éclairé &
un critique judicieux qui fait distinguer
les traits qui caractériſent le génie,de ceux
qui naiſſent de l'étude & de la réflexion.
Ces remarques ne feront pas moins utiles
à ceux qui voudront étudier les poëfies
du Dante , qu'intéreſſantes pour les lecteurs
curieux de comparer ce poëte àſa ré
putation , &juger s'il mérite les honneurs
dont il jouit. Le Purgatoire& le Paradis
que l'on peut regarder comme le ſecond
Div
80 MERCURE DE FRANCE
& le troiſième acte de ſa comédie , dont
l'Enfer eſt le premier , ſont remplis de
fictions & d'allégories du même genre.
M. de Ch. a beaucoup abrégé ici ſa notice
pour nous entretenir avec un peu plus
d'étendue des poëſies lyriques & autres
ouvrages du créateur dela pcëſie italienne.
« L'obſcurité trop ordinaire au ſtyle
>>du Dante règne dans ſes poëlies lyri
» ques. On dit de quelques perſonnes
que l'infortune les rend intéreſſantes ;
>> ce mot pourroit s'appliquer au talent
» du Dante. Ses vers n'inſpirent jamais
>> plus d'intérêt que lorſqu'il déplore ſes
>>peines réelles : plus ſon ſtyle eſt négli-
>> gé, plus il fert de témoignage à la dou-
> leur. Ce n'eſt pas un poëte exprimant
> avec art des peines qu'il n'a jamais
> ſenties; c'eſt un malheureux qui ſouffre
» & qui gémit : de ſes écrits il s'exhale en
» quelque forte une mélancolie douce ,
» qui, ſemblable à une vapeur ſombre , ſa
→ répand ſur l'eſprit du lecteur. » Entre
les poëſies lyriques du Dante , M. de
Ch. cite de préférence la chanſon qu'il a
compoſée ſur la mort de Beatrix ſa maî
trefle. On peut reprocher à cette pièce
des répétitions& des longueurs; mais il
y règne un ton de mélancolie , dont on
ſe laiſſe aisément pénétrer.
4
JANVIER. 1774 . 8P
M. de Ch. , dans ce même article ,
nous donne une notice ſur Guido Caval
canti , concitoyen du Dante , ſon émule
& ſon ami. Il en rapporte un morceau de
poëfie , qui eſt une balade , & dans laquelle
le poëte s'eſt éloigné de l'eſprit de
ſon ſiècle , &s'eſt un peu rapproché de la
manière ſimple &vraie des Anciens. M.
de Ch. donne d'abord la traduction en
proſe de cette balade. Il y a joint une
idylle , intitulée la Colombe , dont ce
morceau lui a fait naître l'idée, mais dont
elle n'eſt qu'une imitation éloignée.
1
Sous l'ombrage écarté d'un boſquet ſolitaire
J'apperçus l'autre jour une jeune bergère :
Elle avoir de Vénus la fraîcheur &l'éclat;
Son teint s'embellifloit d'un modeſte incarnat :
Elle fouloit aux pieds l'herbe tendre & fleurie ,
Où l'humide roſée , en perles arrondie ,
Brilloit pour rafraîchir la trace de ſes pas.
Unjonc ſouple , ornement de ſesdoigts délicats ,
Raflembloit ſes troupeaux errans à l'aventure ;
L'orde ſesblonds cheveux lui ſervoit de parure ;
Elle chantoit l'amour , la tendre volupté;
Et l'attrait du plaiſir animoit ſa beauté.
« Bergère , êtes -vous ſeule ? Hélas ! réponditelle
, 4
J'erre ſeule en ce bois : -Quoi ! ſeule ?-Oui :
:
>> tous lesjours
Dy
:
82 MERCURE DE FRANCE.
>>> Jy viens lorſque l'autore aux travaux nous
>> rappelle ,
J'en fors lorſque la nuit recommence fon
cours,
L'AMANT.
Ainfi le ſombre ennui doit vous ſuivre ſans cefle.
Sont- ce là les plaiſirs de l'aimable jeuneſle ?
LA BERGÈRE .
Je voudrois ignorer qu'il en eſt de plus doux.
L'AMAN T.
L'ignorer? eh pourquoi ? parlez , expliquez-vous.
LA BERGÈRE.
Tous les jours lacolombe, en cebois gémiflante,
Prolonge en fons plaintifs ſa voix attendrifſſante :
Elle appelle un oiſeau qui ſoudain lui répond ,
Et leurjoie innocente aufſi- tôt ſe confond.
Ce ſpectacle touchant que chaque jour répète ,
Jette un trouble confus dans mon ame inquiète ;
Quand la colombe chante , une douce langueur
M'avertit enſecret desbeſoins demon coeur.
L'AMANT.
Acettevoix , bergère , il eſt temps de te rendre ;
Tes beſoins ſont remplis fi ton coeur veut m'entendre;
Dis-unmot ; à tesjours j'aſſocierai les miens ;
JANVIER. 1774 . $3
Cebien ſeul qui te manque eſt le plus grand des
biens ;
Et ton ame , éprouvant tout ce qu'amour infpire
,
N'enviera plus le ſort de l'oiſeau qui ſoupire...
Tu crains de t'expliquer : parle , timide enfant ;
Ouvre-moi les replis de ton coeur innocent :
Souffre qu'à tes ſecrets je faſle violence.
Je la preſſois envain , & fon jaloux filence
Retardoit un bonheur où j'étois deſtiné :
Maisduhautd'un feuillage , en ceintre couronné,
Lacolombe éleva ſa voix plaintive & tendre ;
La bergère en rougit , & fon coeur fut trouble ;
*Hélas ! je n'ai plus rien , me dit- elle, à t'ap-
:
>>prendre;
>>Jen'avois qu'un ſecret : l'oiſeau l'a révélé,
Pluſieurs remarques fur différens traités
en proſe du Dante terminent cette notice
&contribuent à nous faire connoître plus
particulièrement le génie du reſtaurateur
des lettres en Italie , dont M. Ch. nous
peint le caractère dans la vie de cet homme
célèbre placéeà la tête de cet écrit
2
Il eſt à remarquerque ce reſtaurateurdes
lettres& ce créateurde la poëſie italienne
naquit& vécut au milieu des diſſentions
civiles. M. de Ch. obſerve à ce ſujer que
le ſiècle de Périclès fut celui de laguerre
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
du Péloponnefe; que les lettres s'acrureng
à Rome au milieu des profcriptions d'Auguſte
, & que du ſein des troubles de la
fronde on a vu éclore le règne des beaux
arts. On pourroit citer encore d'autres
exemples pour prouver quece n'eſt point
lé túmulte des armes , mais le défaut de
liberté qui nuit aux progrès des lettres.
? Le Dante , né à Florence en 1260
d'une famille noble & diftinguée , joua
un grand rôle dans l'Etat , & ſe vit la victime
de la faction des Guelfes & des
Gibelins dans laquelle il étoit entré. La
neutralité étoitun parti qu'on ne devoit
guère attendre d'un républicain & d'un
poëte. Le Dante , exiléde ſa patrie , après
avoir parcoura différentes villesd'Italie,
paffa les Alpes & vint à Paris ; tous les
écrivains ne font pas d'accord fur ce voyage
, mais Bocace l'atteſte , & fon autorité
eſt d'un grand poids. Le Dante lui -même
au dixième chant de ſon Paradis nousapprend
qu'il fuivoit les écoles , rue du
Fouarre. Bocace dit qu'il argumentoit en
théologie ; occupation convenable à celui
qui par choix écrivoit ſur l'enfer &
le purgaroire. Și on fuit les différentes
époques de la vie de cet homme célèbre ,
on y verra unealternative bien remarquable
debonheur &de malheur. Il faut auſſi
JANVIER. 1774. 83
avouer que le Dante donna qualquefois
lieu àſesdiſgraces par des reparties pil
quantes. Albuinde Leſcale qui avoitprocuré
un aſyle au Dante dans Vérone , lui
faiſoit unjour remarquerune eſpècede fon
qu'il avoit à ſa cour , perſonnage en qui de
baſſes complaiſances &d'infipides bouf.
fonneries faifoient ſupporter l'abſence de
tout mérite. Comment ſe fait- il , di-
>>>foit Albuin , que cet homme ſe faffe
>> aimer ici plus que vous ? - C'eſt , ré-
>> pondit le Dante , qu'il y trouve plus
>> que moi des hommes qui lui reſſentblent
. 1 : :
८९
Le Dante , ſuivant le portait qui nous
en eſt ici tracé , fut de moyenne ſtature' :
fon viſage étoit long , font nez aquilin ,
ſes yeux fortans , ſes lèvres épaiffes , &
celle d'en haut plus avancée. Il avoit le
teint rembruni , la barbe & les cheveux
noirs , épais & crépus. Bocace rapporte à
ace ſujet l'anecdote fuivante. Des femmes
voyoient un jour le Dante paſſer dans les
rues de Vérone. Son poëme de l'Enfer
lavoit déjà fait du bruit. L'unede ces femmes
dit à l'autre : " Tenez , voilà cet
homme qui est revenu de l'Enfer pour
nous en donner des nouvelles . Són
steint & fa barbe , reprit l'autre , font
:
86 MERCURE DE FRANCE.
>>>encore noirs de la fumée de ce lieu. >>
LeDante entendit ce propos ; il regarda
ces femmes , &, s'appercevant qu'elles
parloient debonne foi , da pura credenza,
il fourit & les falua. La phyſionomiede
>>notre poëte,ajoute ſon hiſtorien , avoit,
>comme ſes ouvrages , je ne ſais quoi
> dedoux &demélancolique qui intéreſ-
> ſoit. Avec cet avantage , avec ceux du
>>génie &plus encore avec la paſſion qui
>>>l>'animoit, le Dante avoit droitde pré-
> tendre au fort des amans heureux. II
>> fut loinde l'obtenir. Il ne connut guère
>>que cette félicité paſſagère&d'illufion,
>>q>ue les grandes paſſions ſe procurent
>> d'elles- mêmes; car , en amour , le plus
>>facile à contenter eſt celui qui aime
>> le plus ; il eſt trop enivré de ce qu'il
>> fent pour diſputer ſur le retour dont
on le paie. Les amans paſſionnés ref-
>> ſemblent aux grands parleurs ; pleins
>> de ce qu'ils ontà dire , il faffir qu'on
ait l'air de les écouter avec intérêt &
>> ſans les diſtraire.>>> 1
LeDante eut bientôt à pleurer celle qu'il
aimoit; elle ne vécut que vingt-quatre
ans. Le chagrin de la perdre le mit pref
que au tombeau. Pour le conſoler de fon
affliction , on lui perſuada de ſe inarier .
JANVIER. 1774. 87
Le remède fut pire que le mal. Ilne trouvadans
ce lien quedes contrariétés qui le
réduifirent enfin à ſe ſéparerde ſa femme.
Il eut en mariage , dit M. de Ch. , le
même fort que Socrate , &ne fut pasdouć
dela même patience. L'ame d'un poëte
eſt moins exercée àcette vertu que celle
d'un philofophe.
Les Bibliothèques Françoises de la Croix
du Maine & de du Verdier , Sieur de
Vauprivas , nouvelle édition , dédiée
au Roi , revue , corrigée & augmentée
d'un diſcours ſur le progrès des lettres
en France , & des remarques hiſtoriques
, critiques & littéraires de M. de
la Monnoye , & de M. le Préſident
Bouhier , de l'Académie Françoiſe ;de
M. Falconnet , de l'Académie des belles-
lettres ; par M. Rigoley de Juvigny,
Conſeiller honoraire au Parlement de
Metz; Tomes V & VI in- 4°. A Paris ,
chez Saillant & Nyon , libraires , rue
St Jean de Beauvais ; & Michel Lambert
, imprimeur , rue de la Harpe ,
près St Côme.
Ces deux volumes terminent la colleetion
des Bibliothèques françoiſes de la
Croix du Maine & de du Verdier. La
88 MERCURE DE FRANCE.
première bibliothèque eſt renfermée en
deux volumes ; la ſeconde en contient
quatre. Mais le dernier volume eſt le
ſupplément que donna du Verdier pour
la bibliothèque univerſelle que Gefner
publia à Zurich en 1545. Ce fupplément
eſt en latin. La nouvelle édition de cet
ouvrage ſera d'autant plus accueillie que
le laborieux éditeur n'a rien négligé pour
la rendre exacte & correcte. Il a rectifié
les noms corrompus ; il acorrigé les barbariſmes&
les fautes ſansnombre qui fourmilloient
dans l'édition originale. On
conçoitque ce travail a dû exiger beaucoup
de foins &de recherches. La riche
bibliothèque du Roi a été fur - tout d'un
grand fecours à l'éditeur , pour vérifier
fur les livres mêmes les textes copiés par
du Verdier ſouvent avec beaucoup de négligence.
Ces deux derniers volumes font , ainſi
que les précédens , enrichis de notes curieuſes
& inſtructives . Il eſt fait mention
à l'article d'Olivier de Lyon , docteur
théologien , recteur & grand - maître du
collége royal de Navarre , que ce docteur
furemployé dans la négociation de l'Univerſité
avec la Cour au ſujet du Concordat.
Il harangua à cette occafion le Chancelier
du Prat , & termina ainſi ſon éloge:
JANVIER. 1774. 89
« Qu'on ne s'imagine pas que je veuille
>> ici vous flater ; je me conforme à l'uſa-
> ge de cette célèbre Univerſité , lorf-
>>qu'elle aborde lesGrands; elle les loue,
>> non pour leur inſpirer de l'orgueil ,
>> mais pour les exciter à la vertu. » Laudathomines
, non ut efferantur, fed ut excitentur.
Philippe Melanchthon , célèbre théologien
& l'un des plus favans hommes de
ſon ſiècle , nous eſt ici repréſenté comme
le plus paiſible , le plus modeſte & le plus
doux de tous les Proteftans. Sa mère qui
étoitCatholique l'interrogeoit ſur ce qu'il
falloit qu'elle crût au milieu de toutes les
diſputes qui agitoient l'Allemagne. «Con-
>> tinuez , lui dit- il , de croire &de prier ,
>> comme vous avez faitjuſqu'à préſent,&
> ne vous laiſſez point troublerpar le con-
>> flict des diſputes de religion.
Du Verdier a rendu ſa bibliothèque intéreſſante
, en s'appliquant à faire connoître
les auteurs plus par leurs ouvrages que
par des faits particuliers. Il cite de Pierre
le Loyer , qui a publié des oeuvres& mélanges
poëtiques , pluſieurs pièces de poëfies,
entr'autres ce ſonnet qui renferme
un petit conte dicté avec affez de naïveté.
१० MERCURE DE FRANCE.
En même lit étoient couchés deux fouls ,
L'un léthargique ,& l'autre phrénétique ,
Qui, d'un remède admirable & oblique ,
Se font guéris l'un & l'autre de coups.
Lephénetiq , ſe levant en courroux ,
Pour la fureur de ſon mal qui le pique ,
Detous côtés frappe leléthargique ,
Et vous l'étrille & deflus & deflous.
Ainfi aux coups , ô étrange merveille !
Le léthargique endormi , ſe réveille ,
Guéri du mal qui l'aggravoit fi fort ;
Et l'autre, épris de fureur & de rage ,
Lasde frapper , matte ſon fier courage ,
Et, du travail , devient foible & s'endort.
1
Le ſixième volume de cette collection
eſt terminé par une table raiſonnée des ouvrages
imprimés ou manufcrits annoncés
dans la bibliothèque françoiſe de du
Verdier,& par une table des auteurs cités
dans la même bibliothèque .
Ces monumens de notre ancienne littérature
, éclairés par la critique judicieuſe
de l'éditeur , tiendront une place diftinguée
dans les bibliothèques. Ils nous offrent
un tableau fidèle de l'aurore de la lirtérature
françoiſe , & peuvent être regardés
comme des guides fürs pour la recherche
& la connoiſſance des anciens li
JANVIE R. 1774.
vres. Les notices & les extraits des bibliographes
ſuppléeront même dans bien
des circonstances à pluſieurs ouvrages
qu'il feroit très-difficile aujourd'hui de ſe
procurer.
Odesd'Horace, traduites en vers françois ,
avec des notes , par M. Chabanon de
Maugris ; livre troiſième , vol . in- 12 .
br. 36 f. A Paris , chez Lacombe , libraire
, rue Chriſtine.
Doit- on traduire les poëtes en vers ?
Ce doute n'a pu être propoſé que par des
lecteurs dont l'ame de glace , fatisfaite de
connoître la penſée du poëte original ,
compte pour rien ce charme de l'harmonie&
ces images qui tiennent aux formes
variées & cadencées de la poësie .
M. Ch . de M. s'eſt bien pénétré des impreffions
qu'il a reçues en lifant Horace ,
& a cherché à réveiller ces mêmes impreſſions
dans l'ame du lecteur ; ce qu'il
n'auroit pu exécuter auſſi heureuſement
qu'il l'a fait , s'il n'eût employé les ſecours
de la poësie. Mais comme le génie
de la langue latine n'eſt pas le même que
celui de la langue françoiſe , on conçoit
que le traducteur a dû quelquefois négliger
de compter les mots , & ſe contenter
92 MERCURE DE FRANCE:
de les donner au poids , ſuivant l'expreffion
de Cicéron qui dit , en parlant de la
traduction qu'il avoit faite des deux harangues
de Démosthène &d'Eſchine,pour
&contre Créſiphon: Non enim ea ( verba )
me annumerare lectori putavi oportere ,
fed ea tanquam appendere. « Lorſque la
>> conciſion , ajoute ici M. Ch. eſt un
>> mérite dans le texte , le traducteur doit
>> être concis : mais , quand il n'y a ni
>> mérite ni avantage à l'être , pourquoi
>> n'accorderoit - on pas au traducteur la
>>liberté de donner à ſon ſtyle le nombre
» & la rondeur que ſon oreille lui preſ-
>> crit ? Par exemple , dans ces vers ,
Coelo ſupinas ſi tuleris manus
Naſcente luna ruſtica Phidyle ,
:
>> je doute que la préciſion de ces mots ,
>> nafcente luna , la lune naiſſant , ait au-
>> cun charme pour le lecteur : que l'on
>> traduiſe ainſi :
Lève tes mains au Ciel , ruſtique Phidylé ,
Quand la lune ſe renouvelle ,
» en ſera plus ſerré que le texte ; mais
> cette préciſion eſt - elle de quelque im-
>> portance , & , pour y avoir égard , faut-
• il que le traducteur s'interdiſe une péJANVIER.
1774. 93
>>riphrafe qu'il jugera plus favorable à
> l'harmonie ? » M. Ch . a traduit ainſi les
vers qu'il vient de citer :
Lève tes mains au Ciel , ruſtique Phidylé ,
Lorſque la lune renaiſſante
Répand fur l'Olympe étoilé
Sa clarté foible & languiſſante.
Les notes qui accompagnent la traduction
de chaque ode font d'ailleurs connoître
l'ordre & le ſens littéral du texte,
lorſque le traducteur s'en écarte , & donnent
, autant qu'il eſt poſſible , une idée
préciſe de l'original , aux perſonnes qui
ne le liſent point. Il ſera ſans doute agréable
pour le lecteur , s'il rencontre par
haſard un trait qui lui plaiſe dans la traduction
, de voir dans le texte le trait qui
l'a produit. C'eſt , pour ainſi dire , manger
le fruit à l'arbre : on peut auſſi confidérer
les efforts que fait le poëte traducteur
pour atteindre ſon original comme
une eſpèce de joûte dont chaque lecteur
devient le juge, Si le traducteur d'Horace
n'obtient pas toujours la palme, il peur
s'en conſoler aisément. Parmi les odes
quepréſente ce troiſième livre d'Horace ,
nous choiſirons celle qui a été le plus fouvent
traduite en vers , afin de procurer
1
94 MERCURE DE FRANCE.
nos lecteurs le plaiſir de la comparaiſon :
Donec gratuseram tibi , &c .
HORACE .
Quand tu m'aimois , quand ta beauté ſévère
D'un autre amant rejetoit les tranſports ,
Des Souverains que la Perſe révère
Je dédaignois la gloire & les tréſors.
LYDIE.
Quandtu brûlois poouurr moi , quand ton ame attiédie
N'avoit point à Chloé ſacrifié Lydie ,
Cent fois je me diſois , fière d'un tel lien :
Legrand nom d'Ilia n'eſt point égal au mica.
HORACE .
Chloé , Chloé metient ſous ſon empire ;
Ses chants flatreurs , ſa lyre me ravit ;
Faut- il mourir pour elle? oui , c'en eſt fait , j'ex-
.
pire ;
Mais conſervez , grands Dieux , Chloé qui me
furvit.
LYDIE.
J'adore Calaïs & Calais m'adore :
Calaïs , prends mes jours ;& , s'il ne te ſuffit ,
Dieux , rendez- moi la vic , & je la perds encore;
Mais confervez , grands Dieux,l'amant qui me
furvit.
JANVIER. 1774. 95
HORACE .
Quoi ! ſi Vénus près de toi me ramène ,
Et ſous le même joug tous les deux nous enchaîne,
Si Chloé ſort d'un coeur qui rentre ſous ta loi ,
Sima porte jamais ne s'ouvre que pour toi ?
LYDIE .
Calaïs eſt plus beau que l'aſtre qui m'éclaire ;
Léger dans tes amours , bouillant dans ta colère ,
Que de riſques nouveaux il me faudroit courir ! ..
Mais n'importe : avec toi je veux vivre & mourir.
Le traducteur , à l'occaſion de ce vers :
Et ſous le même joug tous les deux nous enchaîne
;
obſerve dans ſes notes que le latin porte ,
Et ſous un joug d'airain tous les deux nous enchaîne.
Cette métaphore , ajoute - tt'' il, parJaquelle
Horace exprime un noeud indiffor
luble , nous offriroit l'idée d'un eſclavage
dur & malheureux ; par conféquent on
ne peut la conſerver dans le françois.
Dans le dernier vers du quatrain ,
Şima portejamais ne s'ouvre que pour toi ,
MERCURE DE FRANCE.
lemotjamais annonce un retour conſtant,
&fupplée par conféquent au joug. d'airain.
Les autres notes du traducteur & les
remarques inférées dans les deux differtations
qui accompagnent la traduction
font defirer que M. C. ne borne point ici
ſon travail , mais qu'il continue de nous
préſenter dans une verſion poëtique , élégante
& facile le poëre ſenſé, le critique
Judicieux , le philoſophe aimable de la
cour d'Auguſte.
Les Exercices du corps chez les Anciens ,
pour ſervir à l'éducation de la jeuneſſe ;
par M. Sabbathier,profeſſeur au collége
de Châlons-fur- Marne , & fecrétaire
perpétuel de l'Académie de la même
ville ; 2 vol . in 8 ° . AParis , chez de
Lalain , libraire , rue de la Comédie
Françoife.
Les Exercices du corps chez les Anciens
étoient d'autant plus cultivés , qu'avant
l'invention de la poudre , la force & l'agilité
du corps décidoient principalement
la victoire dans lescombats. Salluſte loue
Pompée de ce qu'il couroit , ſautoit &
portoitun fardeau auſſi bien que l'homme
de ſon temps le plus exercé. Les principaux
JANVIE R. 1774. 97
cipaux de ces exercices étoient le ſaut , le
diſque , la lutte, le javelot , le pugilat ,
lacourſe à pied& en charriot , &c . M.
Sabbathier a raſſemblé fur ces différens objers
les recherches de MM. Burette , l'AbbéGédoyn,
laBarre & autres. Ces recherches
fontcurieuſes ;elles ſontmême utiles
pour faciliter l'intelligence des écrits des
Anciens.
, on
On voit par ces recherches que ſi l'exercice
de la courſe étoiten créditchezles Anciens
, par rapport à l'art militaire
ne la cultivoit pas avec moins d'attention
& de confiance par rapport à la médecine.
Hippocrate , dit l'auteur de ces recherches
, attribue , dans le ſecond livre
du Régime ,différens effets pour la fan-
» té , àdifférentes fortes de courſes dont
>>il fait mention. Il prétend que celle qui
> ſe fait en ligne droite , dans un long efpace
, & donτρη augmente peu a-peu
» la vîteffe , contribue , en échauffant la
char , à la diftribution & à la coction
du fuc nourricier qui s'y trouve ; mais
qu'elle diminue moins la pefanteur &
l'embonpoint du corps , que ne fait la
-> courſe circulaire,qu'elle convient mieux
aux grands mangeurs ,& qu'elle est plus
uride Shiverque l'été. Ileftime que la
II. Vol. E
و
MERCURE DE FRANCE .
!
courſequel'onfait touthabillé,produit les
mêmes effets, à l'exceptionqu'elle échauf.
>> fe davantage , & qu'elle rend le corps
>>plushumide&moins coloré , parcequ'il
>>eſt toujours environné du même air
» bien loin d'en rencontrer à chaque mo-
>> ment un nouveau qui le purifie ; ce qui
rend cette eſpèce de courſe propre aux
>> gens ſecs , à ceux qui étant trop gras ,
„ veulent s'amaigrir , & aux vieillards , à
„ cauſe de leur froideur naturelle. Il croit
>>que la courſe à cheval, ſoit qu'on la ren-
» ferme dans le double ſtade , ſoit qu'on
> ne s'y preſcrive nulles bornes , exténue
»davantage les chairs , parce que cet
>> exercice n'agitant que les parties exté-
» rieures , ne fait que diſſiper les humi-
>> dités ſuperficielles qu'il pouſſe au-de-
» hors , & que déſſécher les parties qui
» en étoient chargées. Il enſeigne que la
>> courſe circulaire eſt moins capable de
>>fondre les chairs , mais qu'elle les atté-
» nue & les enfle ; produiſant cet effet
>> principalement au ventre , parunefré-
>> quente reſpiration , qui attire dans ces
>>parties beaucoup d'humidité. Il dit en-
>> core que la courſe à toutes jambes def-
>> fèche très-promptement , à la vérité ,
>> mais qu'elle eſt nuiſible en ce qu'elle
3
JANVIER. 17740 ११
>cauſe des convulfions . Il ajoute qu'en
>> échauffant le corps , elle rend la peau
>>plusdéliée , & qu'elle donne aux chairs
>> moins de conſiſtance que ne fait la cour
>> ſe circulaire ,& qu'elle les décharge des
>> humidités ſuperflues.Hippocrate nebor.
>>noit pas au ſeul régime ſes expériences
>> ſur cet article; il les étendoit juſqu'à
>> prévenir & même à guérir certaines ma-
>> ladies par la courſe , & à découvrir cel-
>> les qui pouvoient être cauſées par cet
>> exercice. Il conſeille , par exemple , à
> ceux qui ont vu en ſonge les étoiles , la
>> lune ou le ſoleil s'obſcurcir , de courir
>> en long, couverts de leurs habits , ſi ce
>> font les étoilesqui leur aient paru éclip-
>> ſées ; en rond , ſi c'eſt la lune, & en
>> long & en rond, ſi c'eſt le ſoleil . »
Ces détails paroîtront au moins frivoles
; & on pourra ſe rappeler en les lifant
laqueſtionque fait le Malade imaginaire
à ſon médecin , s'il doit ſe promener en
long ou en large. M. Sabbathier , pour
excuſer leridiculede ces conſeils,dit qu'ils
étoient fondés ſur l'opinion où l'on étoit
alors , que l'obſcurciſſement de quelquesuns
de ces aſtres , vu en ſonge , marquoit
telle ou telle mauvaiſe diſpoſition corporelle
, dans celui qui avoitun tel ſonge ,
E ij
100 MERCURE DE FRANCE .
&demandoit qu'on employât pour corriger
cette mauvaiſe difpofition, tels ou tels
remèdes , parmi lesquels étoient comprifes
les différentes fortes de courſes . Nous
croyons cependant que pour l'honneur
d'Hippocrate, il feroir plus fimple d'adopter
le fentiment de ceux qui penſent que
les trois livres'intitulés duRégime,dans leſquels
ſe trouvent les détails ci-deſſus, ont
été fauffement attribués à cet illuſtre médecin.
Ce fentiment paroît d'autant mieux
fondé que ce même écrit nous entretient
d'autres minuties indignes du célèbre auteur
des aphorifmes . Ily est encore queftion
, par exemple , d'un jeu de main &
de doigts prétendu très-ürile pour la fanté
, & qui s'appeloit chironomie.
On diſtribue chez le même libraire &
du même auteur les quatre premières livraiſons
du recueil de planches pour le
dictionnaire de l'intelligence desaureurs claffiques
Grecs & larins. Ces quatre cahiers
deplanches préfentent les monumens qui
ſe rapportent à l'architecture avec les objets
qui en dépendent. Des explications
courtes& faciles accompagnent cesplanches&
en facilitent l'intelligence.
:
:
JANVIER. 1774. 101
Mémoire for l'uſage où l'on eſt d'enterrer
les morts dans les Eglifes & dans l'en-
¿ ceintedes villes; par M. Marer , docteur-
médecin- chirurgien de la Faculté
*de Médecine de Montpellier , agrégé
au collége des Médecins de Dijon ,
< ſécretaire perpétuel de l'académie des
ſciences , arts & belles-lettres de la
même ville , agrégé honoraire du collègede
Médecine de Nancy , des académies
de Bordeaux , Clermont Ferrand
& Caën; brochure in- 8°. A Dijon
, chez Cauffe , imprimeur , place
St. Etienne ; & a Paris , chez Moutard
, libraire , quai des Auguſtins.
11
Cemémoire , dreſſé à la recommandation
des Officiers municipaux de Dijon ,
fait très bien voir les inconvéniens d'enterrer
les morts dans l'enceinte des villes
, & fur tout dans les Eglifes. Ces in.
convéniens avoient déja été expoſés dans
pluſieurs écrits. Mais l'auteur de ce mémoire
, en raſſemblant ce qui a déjà été
dit contre cette pratique , & en y ajoutant
de nouvelles obſervations , pourra
peut-être fixer l'attention des Officiers
municipaux fur cet objet important. Les
obſervations de M. Maret font d'autant
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
plus preffantes qu'elles ſe trouvent d'accord
avec tous les principes de la ſaine
phyſique. Ces obſervations ſontd'ailleurs
appuyées ſur des calculs aiſés à vérifier &
ſurdes faits qu'il n'eſt pas poſſible de révoquer
en doute. Pluſieursde ces faits ſe ſont
même pallés ſous nos yeux , &les papiers
publics nous ont inſtruits pluſieurs fois des
épidémies & autres accidens ſurvenus à
l'ouverture des tombes , ou occcaſionnés
par des fouilles faites dans les Eglifes &
même dans les cimetières. Les Anciens
avoient coutumed'enſevelir leurs morts le
longdes grands chemins ; ce qui pouvoit
ſervirde leçon aux voyageurs. Maisindépendamment
de cette raiſon morale , ily
avoit une raiſon de police , celle de pro.
curer aux exhalaiſons impures des cadavres
la facilité de ſe perdre dans le vague de
l'air. Si la plupart des terreins deſtinés
aux ſépultures , ſe trouvent aujourd'hui
renfermés dans nos villes , c'eſt que ces
villes , en s'agrandiſſant , ont enveloppé
ces terreins dans leur enceinte. Le mauvais
ait que ces terreins exalent ſe trouveaujourd'hui
concentré par la hauteur
des édifices qui empêchent les vents de le
diffiper. Il peut devenir de plus en pluspernicieux
, parce que la terre raſlaſiée en plu
JANVIER. 1774. 103
ſieurs endroits , refuſe de confumer les
corps qu'elle reçoit tous lesjours. Mais en
attendant que des arrangemens ſuffiſans
puiſſent être pris par les Magiftrats pour
écarter des villes les lieux ordinaires de
ſépulture , nous croyons devoir rappeler
ici pluſieurs exemples de laïques, qui, par
humilité ou par les mêmes motifs qui font
deſirer que l'on ceſſe d'enterrer dans les
Eglifes , ont voulu l'être dans les cimetières.
On lit dans le Ménagiana , tome
2 , fage 385 , que Simon Pietre , méde
cin , dont Gui Patin a écrit la vie ,
fendit par fon teſtament qu'on l'enterrât
dans l'Eglife , de peur de nuirà la ſanté
des vivans. Philippe Pietre fon fils , avocat
au parlement de Paris , lui fit cette épitaphe
qui ſe voitau cimetière de St. Etienne-
du-Mont :
Simon Pietre , vir pius & probus ,
Hic fub dio ſepeliri voluit ,
Ne mortuus cuiquam noceret ,
Qui vivus omnibus profuerat.

5
Oncite auſſiun anatomiſte de Louvain,
qui voulut être inhumé au cimetière, dans
la crainte de profaner l'Egliſe & d'incomder
les vivans .
S. A.S. Monfeigneur Philippe , Duc
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
d'Orléans , dernier mort , ſi diſtingué
pardes connaiſfauces & les vertus , avoit
demandéa être inhumé dans le cimetière .
: M. le Chancelier d'Agueſleau , dont
les talens coles vues rendront la mémoire
immortelle , recommanda expreffément
qu'on l'enterrât dans le cimetière
d'Aureail, & fes volontés ont éré reſpec
tées. Nouspourrions rapporterd'aprèsM.
Maret de pareils exemples donnés par des
Prélats recommandables par leurs vertus.
Mais ceux que nous avonscités fuffifent
fansdoute pour inſpirer aux Particuliers
les mêmesſentimens d'humilité & de refpect
pour les Eglifes ,&de dévouement
au bien être de la fociété
Recueil ou Table& Précis des Édits , Dé
clarations , Lettres - Patentes , Ordonnances
, &c . premier ſemeſtre 1773 ;
vol. in 4. AParis , chez Ruault , libraire
, rue de la Harpe.
Cepremier volume juſtifie l'exactitude
del'éditeur à remplir les engagemensqu'il
avoit contractés par ſon Prospectus. Il ſe
flatte même que les ſouſcripteurs trouveront
dans ce volume plus qu'il ne leur
avoit promis. Peut -être en effet n'attendoient
ils que letitre , la date , &uneno
JANVIER. 1774. 10ς
tice ſuccincte des loix. L'éditeur leur en
donne les diſpoſitions dans leur entier. En
les abrégeant , il auroit craint de les altérer;
il n'a ſuppriméque les clauſes de ſtyle
& les préambules ; il a cependant confervé
les préambules même , quand ilslui
ont paru néceffaires pour développer la
raiſon & l'eſprit delaloi. Son recueil renferme
tout à la fois & les loix & une table
des matières ordre alphabétique.
Aſſervi à l'ordre des dates , il a rejeté à
l'année 1772des loix qui n'ont été rendues
publiques que dans les fix premiers mois
de l'année 1773 ; mais il les replaceradans
la table chronologique de 1772 , dontil
donnera le premier volume au mois de
Janvier prochain. Il reprendra ainſi fuccefſivement
les années qui ont précédé jufqu'à
l'avénement de Sa Majeſté au trône .
par
Le prixde la ſouſcription eſt de to livres
10 fols pour les deux volumes de chaque
année , rendus frans de port par tout
le royaume . Les perſonnes qui ne fourcriront
point payeront chaque volume ſéparément
7 livres broché. On ſouſcrira
àParis , chez le libraire ci- deſſus nommé.
Il faut affranchir les lettres & l'argent.
:
:
1
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
1
Tableau du Ministère de Colbert ;
Mens agitat molem.
vol in- 8 ° . A Amſterdam ; & ſe trouve
à Paris , chez le Jay , rue St Jacques ;
Baſtien , rue du petit Lyon , & Angot ,
rue du Mail .
Colbert partagea le ſort des plusgrands
hommes ; il travailla long - temps pour
des ingrats , & on n'a ſenti que de nos
jours les avantages qu'il a procurés à la
France , celui fur-tout de l'avoir délivrée
des vices des inſtitutions féodales. Ce
Miniſtre , au milieu même de l'ignorance
où l'on étoit alors des premiers principes
de l'adminiſtration &des finances, fonda
un Commerce , créa une Marine , établit
des Colonies , appela en même temps les
ſciences & les arts , & ſe ſervit de tous
ces refforts pour imprimer à la Nation une
activité nouvelle. Eclairé par ſes propres
réflexions , il compris de bonne heure
que , dans un fiècle où les ſervices ſe
payent , où la force n'eſt que la richeſſe ,
où l'or & l'argent ſont devenus des proviſions
néceſſaires pour l'attaque & la défenſe
, on ne pouvoit donner trop d'encouragement
au commerce extérieur qui
procure ces proviſions à l'Etat. Le com
JANVIER. 1774. 107
merce eſt même le ſeul canal par lequel
onpuiſſe faire rentrer les matières d'or &
d'argent que l'on a été obligé de faire fortir
pour les entrepriſes au - dehors , à
moins de ſuppoſer qu'un Etat ait les inftitutionsdu
Peuple Romain que la guerre
enrichifloit , ou qu'il poſlède des mines
d'or &d'argent. Mais ces mines ſe tarifſent
; l'argent au contraire que procure le
trafic ſe renouvelle ſans cefle avec le beſoin.
Le bénéfice total de l'induſtrie ſe répartiſſant
d'ailleurs par petites portions ,
met une plus grande proportion entre les
fortunes des citoyens , écarte les excès du
luxe , favoriſe la population & étend les
ſentimens patriotiques en attachant un
plus grand nombre de ſujets à la fortune
de l'Etat. C'eſt d'après ces principes dont
étoit pénétré Colbert que furent publiés
tous ces règlemens dans lesquels l'auteur
du tableau a puiſé ſes réflexions pour nous
tracer le ministère de cet homme d'Etat.
Ce miniſtre, entraîné par la néceſſité des
affaires,uſa quelquefois de ces moyens qui
foutiennent l'Etat pour un temps , & l'obèrent
pour pluſieurs années. Perſonne
néanmoinsne poſſéda à un plus haut degré
cet eſprit de calcul &de combinaiſon
qui fait appercevoir un profit réel là où
!
Evj
XOS MERCURE DE FRANCE.
les autres ne verroient qu'une perte ou
une dépenſe ſuperflue. Il ſupprima des
augmentations établies ſur les droits des
fermes dans le temps même qu'il ſe
voyoit obligéde ſe procurer de nouveaux
fonds pour fubvenir aux dépenſes de l'Etat.
Mais il ordonna ces fuppreffions parce
qu'iln'ignotoit pas qu'il doitexiſterune
meſure proportionnelle entre les droits
&laconſommation. Il apprit aux minif
trèsdes finances qu'il eſt un terme où ils
doivent s'arrêter; il leur enſeigna que
toure production qui n'eſt pas effentielle à
la vie deshommes , reſte & pétit tôt ou
tarddansles mains qui la cultivent , dès
que le droit impofé fur elle furpaffe les facultés
du plus grand nombre qui pourroit
la confommet. C'est ainsi, ajoutel'auteur
» de ce tableau , que Colbert dévoile à
Poppreffion , à la tyrannie leur impuiffance;
c'est ainſi qu'il montre à tous les
>> Souverains les limites qu'ils doivent fe
préfcrire , & qu'il leur enſeigne de de-
> venirjuſtespar l'intérêt même qu'ils ont
àPêre.
Des notes placées à la fin de l'ouvrage
rendent ce tableau du ministère de Colbert
plus instructif& plus intéreſſant.
A
JANVIER. 1774. 109
Mémoires de la Société royale de Turin
Tome 40.
Cevolume contient les Mémoires préſentés
à la Société royale de Turin dans
ales années 1766 , 1767 , 1768 & 1769 .
:
Il eſt diviſé en deux parties ; l'une con.
tient les Mémoires de Phyſique , & l'autre
ceux de Mathématiques. Nous allons
rendre compte ſucceſſivement des principaux
objets qui y font traités.
Mémoires de Physique.
1
21º.Mémoire fur latrompe du coufin&.
du taon , par Dom Maurice Roffredi ,
abbé de Cafanova , Ordre de Citeaux./
Il est très-difficite d'obſerver la ſtruc
ture d'organes auſſi petits: on ne peut les
dilléquer; &, fi on les broie pout tâcher
de découvrir leur organiſation par l'examen
de leurs débris , alors toutes des parties
délicarés , ou fufceptibles de contraction
, doivent être bien défigurées.
DomRoffredi a imaginé de détremper les
objets qu'il vent obferver , non avec de
L'eau, dont l'action eſt trop prompte , mais
avec de T'huile d'olive; enſuire il place
fon objet nageant dans une goutte d'huile
fur une lame de verre qu'il couvre d'une
110 MERCURE DE FRANCE.
autre lame ; elles ne ſont ſéparées que par
l'épaiſſeur d'une feuille de papier plus ou
moins gros , afin que l'objet ſoit aſſujetti ,
& ne foit pas écrafé. C'eſt par ce moyen
que Dom Roffredi eſt parvenu à voir les
différentes parties dont ſont compoſées
les trompes des couſins &des taons. Il en
donne la deſcription & la figure. 1
2º. Sur la décompoſition du nitre & du
ſel marin par les intermèdes terreux , par
M. Monnet. Cette décompoſition paroît
contraire aux loix des affinités. Les Chi .
miſtes ont d'abord imaginé de l'expliquer
enneregardant les terres que commedes
agens mécaniques. Ils ont cru enſuite devoir
l'attribuer à l'acide vitriolique contenu
dans les terres argilleuſes qu'on emploie
communément dans cette opération.
M. Monnet prouve ici que cette décompoſition
eſt due à l'affinité de l'alcali
avec la terre. M. Viellard a préſenté à
l'Académie des Sciences de Paris , un Mémoire
ſur le même objer.
3 °. La deſcription de trente eſpèces de
gramens qui ne ſe trouvent ni dans les
ouvrages de M. de Linné , ni dans celui
de M. Scheuzcher , par le célèbre M. de
Haller.
4°. Une Lettre de M. Monnet ſur le
minium.
JANVIER. 1774.
5°. Lesrecherches du même ſur la recti
fication & la purification des acides volatils
tirés des matières animales .
6°. Un eſſai analyſé des eaux ſpiri.
tueuſes & martiales de Vinoglio.
7°. Sur la combinaiſon de la crême de
tartre & de mercure , par M. Monnet.
Les expériences que cette combinaiſon a
donné lieu de faire à M. Monnet , lui
fourniſſent une preuve de l'exiſtence de
l'alcali fixe tout formé dans la terre .
8°. Extrait des Lettres de Dom Roffredi
, ſur un ouvrage de M. Needhan. Il
faut ſuppoſer que cet ouvrage a fait affez
de bruit en Italie pour qu'un obfervateur
du mérite de Dom Roffredi ait cru qu'il
étoitnéceſſaire d'y répondre ..
9. Sur une eſpèce d'agaric , par M.
Dona. Cet agaric , qui reſſemble à une
peau , n'avait pas encore été décrit avec
exactitude. On l'emploie contre les hémorragies
de toute eſpèce .
10°. Obſervations chimiques , par M.
le Comte de Saluces. Ces obſervations
roulent ſur des objets utiles , ſur l'ens
veneris , préparation dont Boyle a vanté
les effets contre le rachitis , & qu'on
prouve ici ne pouvoir être fait ſans danger
qu'avec du vitriol martial , ſans mélange
de cuivre , malgré l'opinion an
F12 MERCURE DE FRANCE.
cienne , & le nom que l'inventeur de ce
remède lui avait donné ; ſur la teinture
en ſoie , ſur l'huile bonne à manger qu'on
retire des pepins de raiſins , & du fruit
du hêtre appelé faîne , ( il y a quelques
cantons de France où le peuple n'en connoît
pas d'autre) ; ſur les différentes eſpèces
de plantes qu'on peut ſubſtituer à
l'écorce de chêne & de bouleau , pour les
tanneries.
Mémoires de Mathématiques.
1 °. & 2°. Sur le calcul intégral , par
M. le Marquis de Condorcet.
Dans ces deux Mémoires , &dans une
addition poſtérieure , l'auteur ſe propoſe
de déduire de la théorie générale des
équations différentielles , un moyen de
parvenir à en avoir l'intégrale en termes
finis toutes les fois que cela eſt poffible.
Le moyen que l'exceſſive longueur des
calculs doit néceſſairement rendre impraticable
dans une infinitéde cas , n'eſt
préſenté ici que comme une reflource qui
pourra toujours fuppléer audéfautde méthodes
particulières . 1
7
3°.& 4°. Dans le premier de ces deux
Mémoires , M. de la Grange démontre
un théorême que Fermat avait propoſé
aux Mathématiciens Anglais , & dont
JANVIER. 1774. 113
Wallos n'avoit donné que quelques cas
particuliers. Dans le ſecond , M. de la
Grange applique la théorie du premier à
la folution en nombres entiers des problêmes
indéterminés du 2º degré.
5º. Dans ceMémoire , M. de la Grange
examine une claſſe d'équations différentielles
du premier ordre , où deux fonc
tions ſemblables de chacune des deux
variables , font égales l'une à l'autre . M.
Huler avait déja conſidéré cette eſpèce
d'equation. M. de laGrange donne ici ,
pour les réfoudre, une méthode générale
directe , & d'une élégance ingulière.
6°, Recherches fur différens ſujets, par
M. d'Alembert. Les triangles ſphériques
formés par de petits cercles , la théorie
générale de l'arc-en- ciel , le mouvement
des noeuds des Satellites , & une fonction
différentielle dont l'intégration dépend
de la rectification des ſections coniques ,
font l'objet de ces fragmens où l'on reconnoît
le génie de M. d'Alembert,
7º. Sur la méthode des variations , par
M. de la Grange. M. de la Grange eſt
conſtamment le premier qui ait trouvé,
par une méthode générale analytique &
directe , les formules qui donnent les
conditions du maximum ou du minimum
114 MERCURE DE FRANCE...
pour les fonctions ſans le ſigne d'intégration
, ou donnée par une équation différentielle.
Il eſt auſſi le premier qui l'ait
appliquée d'une manière générale à la folution
des problêmes de dinamique. Ces
découvertes , quoiqu'imprimées pour la
première fois en 1762 , avoient été envoyées
en 1756 à M. Huler , par l'auteur ,
qui alors n'avoit pas vingt ans. M. Huler
fut affez grand pour avouer la ſupériorité
que ces méthodes de M. de la Grange
avoient fur celles qu'il avoit données auparavant,
M. Fontaine a prétendu , &n'a
pas prouvé , que cette méthode étoit
fautive. M. le Chevalier de Borda a propoſé
quelques objections ſur une des
queſtions qu'elle renferme . M. de la
Grange donne ici de ſa méthode une
nouvelle analyſe plus fimple & plus claire
, & répond aux objections de M. le
Chevalier de Borda avec tout le détail
que méritent ces objections en ellesmêmes
, & le nom du Géomètre qui les
apropoſées .
8°. & 9° . Sur le mouvement d'un corps
attiré par deux centres fixes. M. de la
Grange intègre les équations du problême,
foit que le mouvement du corps ſe
faſſedans un plan , ſoit que ſon orbite
JANVIER. 1774. 115
foit une courbe à double courbure , lorfque
l'attraction s'exerce en raiſon inverſe
du quarré des diſtances. Dans le ſecond
Mémoire , il examine dans quelles autres
hypothèſes de gravitation les équations
des problêmes ſeroient encore intégrales
, par la même méthode.
109. Sur l'intégration de l'indéfinitinome
, par le Pere Gianella , Jésuite.
Ce Mémoire eſt une généraliſation des
méthodes que les Géométres ont données
pour les binomes , les trinomes , les quadrinomes
placés ſous un radical quelconque
, & l'auteur détermine de même
les cas d'intégrabilité par certaines conditions
des expoſans.
11°. Mémoire de M. de la Place fur
les équations linéaires aux différences infiniment
petites , & aux différences finies .
M. de la Grange & M. d'Alembert ont
donné de très beaux théorêmes ſur cette
matière. Dans le tome 3º des Mémoirés
de la Société royale , M. de la Place généraliſe
ces théorêmes , en les étendant aux
équations aux différences finies. Il examine
auffi différentes claſſes d'équations
linéaires dontles coefficiens non conftans ,
ſont cependant d'une forme telle que l'on
puiffe intégrer rigoureuſement ces équations.
C'est ici le premier ouvrage im-
!
116 MERCURE DE FRANCE.
primé de M. de la Place. L'Académie des
Sciences , qui le connoît depuis longtemps
, quoiqu'il ſoit encore très -jeune ,
vient de l'admettre parmi ſes membres
il lui a préſenté un très-grand nombre
d'excellens Mémoires ; & le Public peut
juger de leur mérite par celui que renferme
ce volume.
:
Preſque tous les Mémoires dont nous
venons de parler , ſont en François ; car
le François ſemble devenir la langue univerfelle
des Savans de l'Europe. Quel
homme de lettres pourroit ſe réfoudre à
ignorer la langue dans laquelle Montefquieu
, d'Alembert & Voltaire ont écrit?
On trouvera inceſſamment des exemplaires
de ce volume &de la collection
complette des Mémoires de l'Académie
deTurin , quarre volumes in 4°. chez M.
Jombert fils , rue Dauphine.
Grammaire latine , avec des differtations
fur la Syntaxe , par M. Goulier , maî
tre de penſion; vol. in - 12 . A Paris ,
chez Didot , aîné , libraire & imprimeur
, rue Pavée , près du quai des
Auguſtins. :
Les Commiſſaires nommés par l'Univerſité
de Paris pour examiner cette gramJANVIE
R. 1774. 119
maire en ont porté un jugement qui doit
guider celui du lecteur. « Nous eſtimons,
>> difent ces Commiſſaires, que la Gram-
» maire latine , avec des differtations fur
> la Syntaxe , par M. Goulier , maître de
» pension à Versailles , mérite à tous
>> égards , c'eſt-à dire , & par la forme&
>> par le fond , l'attache diſtinguée de la
>>Compagnie ſavante à laquelle on a cru
>>devoir préſenter cet ouvrage. Il fautfe
>>gardet de le confondre avec cette foule
>>obfcure de rudimens routiniers qu'on
>> imprime tous les jouts , & qui tous les
>>jours perpétuent les erreurs grammati-
>>cales. C'est un livre vraiment élémen-
>> taire , une méthode courte & lumineu-
» ſe , un réſultat des meilleurs principes
<>> des grammairiens célèbres que l'auteur
>> avoue avoir profondément médités. Il
>> nejure point fur la parole de ces grands
•maltres. Il ofe les redreſſet , quand ils
> s'écartent de la vérité ; & fa critique eſt
>> toujours folide & philofophique . A
>> leur exemple , il ne ſe borne point à
>> développer le mécaniſme d'un idiome
>> particulier ; il s'élève juſqu'à l'analyſe
» de la Grammaire générale , qui eſt la
» clef de toutes les langues , & la logi-
>> que univerſelle. Ses differtations ſur la
118 MERCURE DE FRANCE .
>> ſyntaxe , principalement deſtinées pour
» les maîtres , nous ont paru rapidement
>> écrites & ſagement penſées. Elles con-
>> tiennent des obſervations neuves , ou
> expoſées dans un nouveau jour. Si ,
>> comme le penſe M. Rollin dans fon
>traité des Etudes , il est d'une grande
» importance que les méthodes que l'on met
» entre les mains des jeunes gens foient
»faites avec ſoin , celle-ci ſemble rem-
>> plir ſes vues. Nous croyons donc que
» les élèves & les jeunes maîtres de nos
>> écoles ne peuvent que gagner infini-
» ment à l'étudier , & que l'Univerſité ne
-> fauroit accueillir avec trop de diſtinc-
» tion& l'auteur & l'ouvrage. » 3
Defense de la volatilité du Phlogiſtique ,
ou Lettre de l'auteur des digreſſions
académiques , à l'auteur duJournal de
Médecine , en réponſeà ſa critique de
ladiſſertation ſur le Phlogiſtique ; brochure
in- 12 . A Paris , chez Didot le
jeune , quai des Auguſtins.
Les ſavantes digreſſions académiques
de M. de M.contiennent des faits intéreſ-
*ſans & pluſieurs idées neuves qui , pour
cette raiſon , ont même eſſuyé quelques
crítiques. M. de M. a, pour le progrès ſeul
JANVIER. 1774. 119
2
de la ſcience , cru devoir répondre à ces
crítiques , détruire les objections , éclair .
cir les difficultés & fournirde nouvelles
preuves des faits qui lui font conteftés .
C'eſt ce qu'il a fait avec une ſagacité peu
commune , dans l'écrit que nous venons
d'annoncer , écrit que l'on peut regarder
comme un très bon appendix à ſes autres
differtations chimiques où il eſt particulièrementqueſtiondes
propriétés du Phlogiſtique
qui joue un ſigrand rôle dans la
chimie.

Cours de Mathématiques , à l'uſage de
MM. les Elèves de l'Ecole royale militaire
. Seconde partie in. 8°. par M.
Berthelot , ancien profeſſeur de mathématiques
à l'Ecole royale militaire.
AParis , chez Humaire , rue du Marché-
Palu ,
Cette ſeconde partie contient l'algèbre,
la théorie & la pratique de l'extraction
de' la racine carrée , & celles de l'extraction
de la racine cube ; des applications
de la première à la tactique , & quelquesunes
de la ſeconde aux mines ; la ſolution
de pluſieurs problêmes choiſis , du
premier degré , tant déterminés qu'indéterminés
; la théorie des équations du 2 .
110 MERCURE DE FRANCE.
2
L
degré ; & la méthode de réfoudre celles
du 3. degré , du 4. , &c.
L'emploi du temps dans la folitude , par
l'auteur des Entretiens d'une Ame pénitente
avecfon Createur.
२... Procul este , profani.
vol. in 12. A Paris , chez Humblot ,
libraire , rue St Jacques.
Le pieux auteur des Entretiens d'une
Ame pénitente avecfon Créateur a raffemoblé
dansi ce nouvel ouvrage les vérités les
-plus importantes de la morale évangélique.
Les réflexions qui accompagnent
-ces vérnés font priſes, pour la plus gran-
.de partie , dans les fermons d'un de nos
-plus célèbres prédicateurs du commencementde
ce ſiècle. Ces réflexions , rédigées,
par un zèle éclairé & remplies d'une
piété tendre , ſont bien propres à nous
rappeler à nos devoirs au milieu même
des plus grandes diffipations , & à calmer
les mouvemens involontaires que des
exemples pernicieux peuvent exciter .
L'auteur a fait hommage de fon travail
à Madame Louife de France, dite
Soeur Therefe de St Augaiſtin ,Religieuſe
Carmelite à Saint-Denisc
Almanach
JANVIER. 1774. 12.
Almanach encyclopédique de l'Histoire de
France; année 1774 ; vol . in - 16. A
Paris . chez Vincent , imprimeur - libraire
, rue des Mathurins.
Les principaux événemens de notre
hiſtoire ſe trouvent rangés dans cet almanach
, ſuivant leurs dates , ſous chacun
des jours de l'année. L'auteur avoit , en
1772 , augmenté cet almanach de deux
articles nouveaux : l'un eſt un tableau
chronologique des Rois de France , divifés
en trois races , depuis le fondateur de
la Monarchie ; & l'autre , une première
époque de l'hiſtoire de France , comprenant
l'hiſtoire abrégée de la première
race de nos Rois. L'auteur , pour faire
fuite à ces deux morceaux , a donné , en
1773 , une ſeconde époque , comprenant
les règnes de Pepin & de Charlemagne ;
il termine l'almanach de 1774 par les
règnes des deſcendans de cet Empereur.
Almanach forain , ou les différens Spec
tacles des Boulevards &des Foires de
Paris ; avec un catalogue des pièces ,
Farces & Parades , tant anciennes que
nouvelles , qui y ont été jouées, & quelques
anecdotes plaiſantes qui ont rap-
II. Vol, F
122 MERCURE DE FRANCE .
:
port à cet objet. Seconde partie, pour
l'année 1774. Vol. in- 16. A Paris ,
chez Quillau , libraire , rue Chriſtine ;
& la veuve Duchefne , rue S. Jacques.
La première partie de cet Almanach a
été publiée l'année dernière. L'auteur y a
rapporté , ainſi que dans celle de cette année
, quelqués anecdotes qui peuvent fervir
de leçon à la partie du Public qui s'amuſedes
ſpectacles des Baladins. Elles lui
font connoître les ruſes que les ſaltimbanques
emploient ordinairement pour mettre
ſa curiofité à contribution. Un de ces
bateleurs faifoit voir ſur les quais de Paris
un animal terrible,de la groſſeur d'un fort
cheval,dontla peau étoit mouchetée, à- peuprès
comnie celle d'un tigre , & qui avoit
desoreilles très-courtes.Cetanimal unique
& monstrueux étoit renfermé dans une cagede
fer , & le moindre de fes mouvemens
en ebtanloit les barreaux. Comme
le maître connoiſſoit toute ſa férocité , il
le faiſoit ſoigneuſement veiller pardeux
gardes , qui étoient attentifs à faire reculer
les ſpectateurs , dès qu'il paroiffoit y
avoir du danger. Cet animal extraordinaire
, & dont en effet on n'avoit jamais
vu le pareil , n'étoit qu'un boeuf à qui le
maître avoit ſcié les cornes , & dont il
1
JANVIER. 1774. 123
avoit teint & moucheté la peau . Les barreaux
de la cage étant poſés très lâches, le
boeuf ne pouvoit faire aucun mouvement
ſans les ébranler , en forte qu'on croyoit
qu'il alloit tout briter. Quand l'inventeur
de cette ſuperchetie eut recueilli tout l'argent
qu'il pouvoit eſpérer , il vendit au
boucher le prétendu monſtre .
L'auteur de cet almanach , en rendant
compte des ſpectacles des Boulevards &
des Foires , égaye quelquefois ſes détails
par des anecdotes affez plaiſantes. Un
homme de la plus haute taille ſe promenoit
un ſoir à la Foire Saint Ovide , pendant
qu'on jouoit en dehors les parades ;
tout occupé des lazzis qui ſe faifoient à
celle d'un joueur de marionnettes , il
heurta , par hafard , un petit boſſu , qui,
ſe redreſſant fur la pointe du pied, apoftropha
très - incivilement cet homme
grand. Celui - ci , fans ſe démonter , affecta
de ſe courber , & de dire en élevant
la voix : Qu'est ce qui est là- bas ? L'Eſope
furieux de ce farcafme , met la main ſur
la garde de ſon épée , & en demande raifon
à ſon adverſaire. Mais l'homme
grand , toujours de l'air le plus tranquille
, prit le mirmidon par le milieu du
corps , &le poſa ſur le balcon de la pa-
Fij
124 MERCURE DE
1
rade, en diſant froidement: Tenez l'hom
me, ferrez un peu votre Polichinel , qui
s'aviſe de faire ici du tapage.
Journal historique & politique des principaux
événemens de différentesCours
del'Europe; à Geneve.
Ce Journal qui a commencé en Octobre
1772 , est compoſé de trente - fix
cahiers par an , chacun de foixante pag. ,
& paroît trois fois par mois , le to , le
20 & le 30.
Le prix de la ſouſcription pour une
année entiere , eſt de 18 liv. franc de
port à Paris comme en Province. 1
On foufcrit chez Lacombe , Libraire ,
Rue Chriſtine , à Paris .
Ce Journal fuit la rapidité de la Renommée
politique. Il raſſemble & fixe
en quelque forte toutes les nouvelles
qu'elle diſtribue dans ſa courſe fugitive.
Il devient le dépôt exact & univerſel
de l'Histoire du temps , & mérite
d'être conſervé & confulté par les faits
que le Journaliſte ou plutôt l'Hiſtorien ,
rédige&préſente avec autant d'art que de
préciſion. On a beaucoup applaudi au tableau
des affaires de l'Europe , qu'il a don.
né en 1772 , en commençant cetouvrage
JANVIER. 1774. 125.
périodique. Il a encore tracé au commencement
de cette année 1774 , une
eſquiſſe hiſtorique , dans laquelle il def.
fine à grands traits les événemens étonnants
qui occupent actuellement la politique.
Ce morceau impoſant eſt de
main de Maître , & ne peut avoir été
conçu & exécuté que par un Ecrivain
qui a de la profondeur & de la pénétration.
Nous ne citerons ici que l'article
de la Suède .
" Pendant que les Plénipotentiaires des
deux Puiſſances belligérantes , aſſemblés
àFockiani , y diſcutoient les conditions
d'un traité de paix ; pendant que les
Cours de Vienne , de Pétersbourg & de
Berlin , occupant des Provinces en Pologne
, épouvantoient la nation par des
prétentions dont la préſence de leurs armées
appuyoit les titres ; pendant que
le reſte de l'Europe contemploit avec
effroi , dans les calamités paffées &dans
l'humiliation préſente de cette République
, les déplorables effets d'une liberté
déſordonnée ; un jeune Monarque
dégageoit la Suède des liens d'une anarchie
qui la menaçoit d'une diffolution
prochaine.
Le trône des Guſtaves étoit devenu ,
comme celui des Jagellons , l'inutile té-
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
-
moin des orages qui ſe formoient à ſes
pieds. Dépouillé de toutes ſes préroga
rives , il n'avoit confervé qu'une fplendeur
de décoration, tandis que le pouvoir
ſouverain , n'ayant plus de point
d'appui , flottoit au gré des factions qui
s'en faififfoient tour à - tour , pour en
faite l'inſtrument de leurs vengeances.
Autant de diètes , autant de nouvelles
révolutions dans l'Erat. Le patti dominant
aimoit mieux, voir la nation en
proie à des diffentions funeſtes , que de
perdre , en fermant ſes plaies , les fruits
qu'il ſe flattoit d'en retirer. C'étoit toujours
ſous le prétexte de la fervir , qu'on
déchiroit la patrie ; c'étoit en invoquant
la liberté , qu'on travailloit à opprimer
le peuple.
Le déſordre étoit à fon comble , lorfque
le Roi conçut le projet magnanime
de ſe jeter au-devant du gouffre où le
Royaume alloit s'engloutir. L'inſtant
étoit déciſif ; le Prince étoit ſeul ; l'orage
grondoit fur ſa tête ; mais ſa fermeté
créa des reſſources. Des coeurs généreux
, émus de fon danger & de celui
de la patrie , s'offrirent à ſeconder ſes
vues ſalutaires. Un moment pouvoit éternifer
le mal ; un moment le fit diſparoître
fans retour. Du haut du trône
JANVIER. 1774 127
que ſa main venoit de relever , Gustave
rappela la nation , étonnée de ſa reſtauration
ſubite , à l'eſprit de ſes anciennes
loix. Les barrières que la tyrannie avoit
pris ſoin d'élever entre le Monarque &
les ſujets , furent abattues. On reconnut ,
dans le légiflateur , le pere de l'état :
Prince vertueux , qui n'a cherché dans
l'uſage de l'autorité , que les moyens de
la rendre utile & bienfaiſante ! Heureux
d'avoir ſçu , dans un jour , conſommer
un ſi grand ouvrage ! Plus heureux mille
fois , d'avoit pu l'achever fans effuſion
de ſang , & fans avoir vu couler d'autres
larmes que celle qu'une alegreſſe univerſelle
fit répandre!
Délivrée du joug funeſte qui Aétriſſoit
ſon adminiſtration , la Suède reſpire
enfin. Des ſecours efficaces vont au-devant
de l'indigence. Une juſtice infatigable
éclaire les tribunaux . L'Agriculture
eſt encouragée. Le commerce commence
à refleurir. Le Royaume a déjà vu deux
fois ſon libérateur parcourir ſes provinces
, dans le deſſein de recueillir les lumières
dont il a beſoin , pour donner à
fon gouvernement tous les degrés de
perfection qu'il peut recevoir. La nation
a repris le ſentiment de ſes forces ; le
zèle & l'activité du Monarque out ref-
4
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
titué à ſa couronne , la réputation qui
doit lui appartenir dans l'ordre politique.
On n'ignore pas combien elle en étoit
déchue : & fi quelque Puiſſance a tendu
la main à ce grand Prince pour l'aider
àeffectuer cette révolutionglorieuſe , on
doit avouer qu'elle a plus fait en faveur
du ſyſtême général , que ſi elle eût empêché
le démembrement de la Pologne..
Etrennes Historiques & Géographiques ,
ou Almanach de Versailles , année
1774 , contenant une deſcription de
cette Ville; la Maiſon du Roi , ſes
Officiers ; les Maiſons de la Famille
Royale , les Bureaux des Miniſtres ,la
Prévôté de l'Hôtel , le Gouvernement
de la Ville , une Notice des principaux
Marchands & Négocians qui y font établis
, &c. Ouvrage utile aux perfonnes
qui y demeurent , & à celles qui font
néceſſitées à y avoir correſpondance.
A Paris , chez Valade , Libraire , rue
St Jacques , à Verſailles , chez Blaizot
, au Cabinet Littéraire , rue Satory,
&chez les Libraires de la Ville.
CetAlmanach eft non-feulement très
ntile pour la connoiffance qu'il donne de
la Cour& des perſonnes qui y font ate
JANVIER. 1774. 129
tachées ; mais encore très- curieux par less
dérails & l'explication des richeſſes de
arts qui embelliſſent le Parc & la Ville
deVersailles.
:
Dictionnaire raisonné de Diplomatique ,
contenant les règles principales & efſentielles
, pour ſervir à déchiffrer les
anciens titres, diplômes & monumens,
ainſi qu'à juftifier de leur date & de
leur authenticité. On y a joint grand
nombre de planches rédigées aufli par
ordre alphabétique , & revues avec le
plus grand foin , avec l'explication à
chacune , pour aider également à connoître
les caractères & écritures ds
différens âges & des différentes nations
; par D. de Vaines , Religieux Bénédictin
de la Congrégation de Saint
Maur ; 2 vol. in 8°. le premier de
$48 pages , fans la préface , avec 25
planches; & le ſecond de 482 pages
y compris la table , avec 26 planches ;
avec approbation & privilége du Roi.
AParis , chez Lacombe , Libraire , rue
Chriſtine , brochés ; prix , 12 1.
Journal des Dames , dédié à Madame
la Dauphine , par Madame la Baronne
dePrincen.
FyY
130 MERCURE DE FRANCE.
Profpectus
Le Littérateur qui conçut le premier
l'idée d'un ouvrage périodique , intitulé
le Journal des Dames , avoit imaginé
l'hommage le plus propre à réunir les
fuffrages d'un Sexe ſans qui les ſciences
& les arts ſeroient encore un chaos .
On fait comment le Poëte de tous les
âges , le Fabuliſte Philoſophe repréfente
un Dieu ſe jouant à dégroffir la maſſe
informe de l'Univers ( *)
Que fait l'Amour ? .. volant de bout en bout ,
Cejeune enfant , fans beaucoup de myſtère ,
En badinant vous débrouille le tout ,
Mille fois mieux qu'un ſage n'eût ſu faire.
1
Changez le nom , & voilà le pouvoir
de la beauté ſur les arts , exprimé avec
autant de naïveté que d'élégance & de
vérité. Ainfi un ouvrage périodique confacré
à célébrer les vertus ,le génie , les
bienfaits ou les talens d'un ſexe qui fut
pour l'autre ce que le fer eſt au caillou
qu'il frappe , n'étoit en effet qu'un tribut
de la reconnoiſſance la plus égitime. Le
fuccès d'un pareil ouvrage devoit être
* Pſyche , liv. 1 , p. 32, id. in-12.k
JANVIER. 1774. 131
auſſi rapide que durable. Je ne me permettrai
point d'examiner quelles cauſes ontpu
faire éprouver au Journal des Dames, des
révolutions ſucceſſives. Un ſeul objet
doit fixer aujourd'hui mes idées ; c'eſt de
le préſenter aux yeux du Public fous
l'aſpect qui peut le rendre cher à toutes
les claſſes des Citoyens .
Une Princeſſe que l'on ne peut louer
dignement qu'en diſant qu'elle eſt audeſſus
des éloges , a daigné accepter la
dédicace du Journal propre à un ſexe
dont elle eſt la gloire & l'exemple ; ſous
quels auſpices plus favorables les Muſes
pourroient-elles réunir & leurs travaux ,
& leurs talens ? Qui pourroit , en voyant
à la tête de cet ouvrage un nom auſſi
auguſte , foupçonner ſon Auteur de n'avoir
point cherché à remplir autant qu'il
eſt en lui , tous les devoirs que lui impoſe
le reſpect dû à ce nom , que l'on
ne peut prononcer , fans ſe rappeler le
ſouvenir de toutes les grâces unies à toutes
les vertus . Détailler le plan que jeme
fuis formé du Journal des Dames ,
c'eſt donner une idée de l'exactitude ſcrupuleuſe
avec laquelle j'eſpère être fidelle
àtous les engagemens que j'ai cru devoir
prendre avec moi même ; parce que la
plus sûre manière de reſpecter toujours
;
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
le Public, eſt de ſe reſpecter ſoi-même.
1º. Aucun morceau , ſoit en proſe,
ſoit en vers , qui offriroit ou des idées
trop analogues à ce genre de tableaux
que l'oeil de la candeur ne peut fixer ſans
perdre de ſon ingénuité , ou des ſyſtêmes
que la morale la plus pure ne puiſſe
avouer , aucun morceau de ce genre ne
fera inféré dans ce Journal ; la glace où
ſe réfléchir le rayon du génie , doit être
pure comme lui.
2°. Toute perſonnalité , même la plus
légère, fera regardée comme indigne d'un
ſexe dont la douceur eſt l'attribut caractériſtique.
Pourquoi , d'ailleurs , entre
tous les ouvrages qui paroiffent chaque
jour , choiſir , pour en rendre compte ,
ceux précisément qui annoncent un talent
moins heureux ? Et dans ceux qui font
honneur à la littérature , pourquoi exataire
par préférence les paffages qui paroiffent
les plus défectueux ? Si j'en juge
par le ſentiment qui me guide , il endoit
plus coûter au Journaliſte qui critique ,
qu'à l'Auteur critiqué ; parce que le Public
, quelque fortement qu'on affirme le
contraire , ne croit pas que l'on ait l'eſprit
méchant , fans foupçonner le coeur du
même vice ; & rarement ce ſoupçon s'ef
face, quand unefois il eſt établi,
JANVIER. 1774 133
3 °. Le Journal contiendra la Notice
de tous les ouvrages nouveaux , compofés
par des Dames , ou pour elles. Tous
les genres de Poëſie & de Littérature feront
admis. Les vies des Femmes célèbres
de tous les fiècles & de tous les pays formeront
un objet auſſi varié qu'intéreſſant.
J'imiterai dans cette galerie de tableaux ,
la Nature qui placé dans un parterre la
violette modeſte à côté du lis ſuperbe.
Au Temple de Mémoire les Buſtes ſont
placés indiſtinctement : Semiramis eft en
regard avec Sapho , &Sévigné avecAnne
deBretagne.
4°. Toutes les Artiſtes célèbres , dans
quelque genre que ce foit , recevront le
tribut qui leur ſera dû. J'annoncerai , ſoit
leurs talens , foit leurs travaux; & toutes
les Notices qui m'en feront envoyées ,
deviendront pour moi le ſujet d'une reconnoiſſance
toujours nouvelle. Peinture,
Muſique , Gravure , Hiſtoire naturelle ,
&c. tout ſé réunira dans ce monument
élevé à la gloire de mon ſexe.
5º. Si quelques anecdotes chères à la
vertu , aux ſciences , à la gloire on an
bonheur public , intéreſſent auſſi mon fexe
, je me ferai un devoir de les recueillir.
La cauſe de l'eſprit ne doit jamais
nuire à celle du coeur. Comme après
134 MERCURE DE FRANCE.
avoir admiré le génie de Virgile , on aime
à s'attendrir au récit des vertus de Titus ;
après avoir célébré l'Uranie qui commen.
ta Newton , on acquiert des droits à s'eftimer
ſoi même , en narrant les bienfaits:
de l'auguſte Fille de Stanislas.
6°. Il ne me reſte plus qu'à inviter tous
les Ecrivains dont s'honore la Littérature
Françoiſe , à vouloir bien contribuer
au ſuccès d'un Journal , qui ne peut que
plaire , dès qu'il fera plutôt le leur , que
le mien. Ils m'enverront les fleurs qu'ils
auront cueillies , ou fait naître. Tout mon
foin ſera de leur conſerver leur fraîcheur .
En les affortiffant , on ne peut guère les
Aétrir; & le tact d'une femme eſt rare .
ment accuſé d'ôter aux objets le coloris
quites embellit.
Je devrois , en terminant ce Profpectus
, rendre des actions de grâces à l'Augufte
Protectrice qui veut bien agréer
Phommage que je lui fais de ce Journal.
Mais , j'oſe le croire , cette faveur eſt une
dette que toute la Littérature doit partager
avec moi ; & la meilleure manière
de s'en rendre digne , eſt de l'acquitter
par un zèle unanime , & par une exactitude
qui ne laiſſe rien à defirer.
:
JANVIER. 1774 . 135
Conditions de la Souſcription .
L'ouvrage formera ſix volumes par année
, diviſe chacun en deux parties : chaque
partie aura cinq feuilles d'impreffion
in - 12 , & paroîtra le 30 de chaque mois.
Le Public peut eſpérer que chaque livraiſon
ne ſera amais retardée , même d'un
jour. Le plan de la rédaction eſt diſpoſé
de manière à n'occaſionner aucun délai.
Le prix de la Souſcription eſt de 12
livres pour Paris & Verſailles ; & de 15
livres pour la Province , franc de port.
On fouforira à Paris , chez le ſieur
Lacombe , Libraire , rue Chriſtine , près
la rue. Dauphine..
,
Tous les paquets feront adreſſés au
fieur Quillau , Imprimeur du Journal
rue du Fouarre , pour remettre à Madame
la Baronne de Princen. :
Tous ceux qui ne feront point envoyés
francs de port reſteront à la Pofte....
Le premier volume paroîtra au 30
Janvier 1774 .
Code Lorrain , ou Conférence des Edits
&Ordonnances des Ducs de Lorraine
& de Bar , & des Coutumes générales
& particulières de ces deux Duchés
parM. François de Neufchâteau , Doc
136 MERCURE DE FRANCE.
teur en droit , de pluſieurs Académies,
&c. Conſeiller , Avocat du Roi au
Bailliage de Vézelize.
L'ouvrage qu'on propoſe au Public eſt
compoſé de deux Parties très- diſtinctes ,
ſans être diſparates. Elles font liées entr'elles
par l'identité du but auquel elles
conſpirent, Les peuples, font régis à la
fois par les Coutumes revêtues de la ſanction
de l'autorité du Prince , & par les
décrets émanés directement de cette autorité
même : l'étude des Loix-municipales
ne ſauroit donc ſe ſéparer de celle
des Loix ſouveraines , puiſque toutes les
deux ſe prêtent un appui réciproque &
une lumière mutuelle .
C'eſt dans la vue de faciliter l'une &
l'autre , que je me ſuis déterminé à réunir
, ſous un titre, commun , la Conférence
des Edits & Ordonnances des Ducs
de Lorraine & de Bar , & celle des Coutumes
générales &particulières de ces deux
Duchés.
Conditions de lafoufcription.
Cet Ouvrage ſera composé de deux
fortsvolumes in 4º. Onne donnera point
d'argent en ſouſcrivant. On fignera ſeu
JANVII R. 1774. 137
lement une reconnoiffance conçue en ces
sermes:
Je ſouſſigné m'engage à remettre au
fieur Babin , Libraire à Nancy , 7 liv. de
france pour leprix de chaque volume broché
du Code Lorrain , lorſqu'il me remettra
cet Ouvrage.
Le premier volume paroîtra vers Pâques
1774; le ſecond le ſuivra de près.
Les ſouſcripteurs feront contens de l'exécution
Typographique. Ceux qui n'auront
pas ſouſcrit payeront l'Ouvrage 24
livres.
Dictionnaire de la Nobleſſe, contenant les
Généalogies , l'Hiſtoire & la Chronologie
des familles nobles de France ;
l'explication de leurs armes , & l'état
de grandes Terres du royaume , aujourd'hui
poflédées à titre de Principautés,
Duchés, Marquiſats , Comtés ,
Vicomtés , Baronnies , &c. par création
, héritages , alliances , donations,
ſubſtitutions , mutations , achats ou
autrement. On a joint à ce Dictionnaire
le Tableau généalogique , hiftorique
, des Maiſons fouveraines de
l'Europe , & une notice des familles
étrangères , les plus anciennes, les plus
nobles & les plus illuftres , par M.de
:
138 MERCURE DE FRANCE.
la Chenaye Des- bois , tome VI , ſeconde
édition ; prix , 18 livres broché ,
àParis, chez Antoine Boudet , Libraire.
Imprimeur du Roi , rue St Jacques ,
1772 , avec approbation & privilége .
duRoi.
Entre les premières Maiſons remarquables
que l'on trouvera dans ce volume
à la lettre E, ſont celles d'Egmond ,
d'Erlach , Suiffe , d'Eſcars , d'Efcoubleau
, d'ESPAGNE , Maiſon régnante ,
d'Eſparbez , d'Elpinay- Saint-Luc , d'Eſt,
Maiſon d'Italie , d'Estaing , d'Estampes ,
d'Eſtouteville , maiſon éteinte , d'Eſtrades
, d'Eſtrées , &c. A la lettre F, la
Fare , Farnèſe , maiſon d'Italie , Faudoas,
Fay-Maubourg , Fitz James , Foix , Forbin
, Foucault , Foudras , Fouquet de
Belle Ifle , France , Franquetot de Coigny
, &c .
Detemps en temps , ditl'auteur, je rencontre
de ces critiques qui me reprochent
que j'inſère dans mon Livre toutes fortes
de Mémoires; je leur réponds encore que
dès qu'une famille a la nobleſſe , ſoit ancienne,
ſoit nouvelle , elle a droit d'y
être , &tour homme inſtruitde la ſcience
héraldique , ne ſe méprend point à fon
origine : il fait diftinguer les différentes
JANVIER. 1774. 139
claſſes de nobleſſe , & adjuger à chacune
le rang qui lui eſt dû. Pour peu qu'on
foit ve ſé dans notre hiſtoire de France ,
où les grands noms de la nation font
célebres preſque à chaque page , on voit
la diſtance des noms communs aux leurs.
Ily a beaucoup de Souſcripteurs de cet
ouvrage qui négligent de faire retirer chaque
volume à mesure qu'il paroît ; on les
prie de vouloit bien y faire attention , &'
d'envoyerchercher ceuxquileur manquent
chez l'Auteur ( de la Chenaye- Desbois ,
rue St André-des-Arts , à côté de l'hôtel
d'Hollande ) s'ils ont foufcrit chez lui ,
ou chez le Libraire , Antoine Boudet ,
Libraire Imprimeur du Roi , rue St Jacques.
Ceux qui envoient des Mémoires
font également priés d'en affranchir le
port , ainſi que la lettre qu'ils y doivent
joindre , ſans quoi l'Auteur ne les emploiera
pas, ne pouvant ni ne devant faire
aucun uſage de Mémoires anonymes. La
ſouſcription eſt toujours ouverte , & continuera
de l'être juſqu'au volume qui
contiendra les dernières Lettres de l'Alphabet.
140 MERCURE DE FRANCE.
Annonces.
Les deux amis , ou le Négociant de
Lyon , drame en cinq actes , en profe,
par M. Beaumarchais , 1 vol. in - 8. br.
1 liv. 16 fols. A Paris , chez Ruault, Libraire
, rue de la Harpe.
:
L'Esprit du Militaire , ou Entretiens
avec moi-même , par le Chevalier Guy ,
i-n8. br. avecfig. 1 liv. 10 ſols.ARouen,
chez Beſogne , Libraire , cour du Palais.
Etrennes de la Nobleffe , ou Etat actuel
des familles nobles de France , & des
Maiſons des Princes & Souverains de
l'Europe , pour l'année 1774, 1 v . in- 12 .
br. A Paris , chez Deſventes de Ladoué ,
Libraire , rue St Jacques, vis à-vis le Collége
de Louis leGrand.
Vie de St Gaëtan de Thienne , Inſtitu
teur de la Congrégation des Clercs réguliers
dits Théatins , du B. Jean Marinon
de S. André Avellin , & du B. Cardinal
Paul Burali d'Arezzo , de la même Congrégation
, avec les Panégyriques de faint
Gaëtan & de St André Avellin , par le
R. P. de Toncy , Théatin ; 1 vol. in- 12 .
rel. 2 liv. 10 f. A Paris , chez Lottin l'aî
JANVIER. 17740 14
né , Libraire , & Onfroi , Libraire , rue
St Jacques.
Le Jardinierprévoyant, Almanach pour
l'année 1774 , ſuivi de conſidérations fur
le Jardinage , I vol . in- 16. br. 1 liv. 10 f.
A Paris , chez Didot le jeune , Libraire ,
quai des Auguſtins.
Fleurettes du Parnaffe, Bouquetdu jour
de l'an , ou Recueil de chanfons de fociété
, qui n'avoient jamais paru , i vol.
in- 18. br. 1 liv. 10 fols. A Filodie , & à
Paris , chez Pillot , Libraire , rue St Jacques.
:
Mémoirefur unedécouverte dans l'art
de bâtir , faite par le St Loriot , mécanicien,
penſionnaire du Roi; dans lequel
l'on rend publique , par ordre de Sa
Majesté , la méthode de compofer un Ci-
*ment ouMortierpropre à une infinitéd'ouvrages
, tantpour la conſtruction que pour
la décoration. Prix , 30 fois. A Paris ,
chez Michel Lambert , rue de la Harpe ,
près St Côme . 1774 :
Traité élementaire d'Algèbre, par M. l'Abbé
Boſfut , de l'Académie royale des
ſciences , Examinateurdes Ingénieurs ,
in- 8ºAParis , chez C. Ant. Jombert ,
142 MERCURE DE FRANCE.
fils aîné , libraire , rue Dauphine , près
le Pont neuf, 1773 .
Difcours préliminaire. *
Les mathématiques ont pour objet la
meſuré de la grandeur. Elles embrallent,
fous ce pointde vue, toutes les quantités
fufceptibles d'augmentation ou de diminution
, par exemple , les nombres , l'étendue
, le mouvement , &c. C'eſt à la
curiofité & au beſoin qu'elles doivent
leur naiſſance , qui remonte à l'antiquité
la plus reculée . Ces deux puiſſans mobiles
excitant fans ceſſe l'eſprit humain à
de nouvelles recherches , les découvertes
fe font accrues & multipliées dans la fuite
des ſiècles ; & l'édifice des ſciences s'eſt
élevé peu à peu à la hauteur où nous le
voyons aujourd'hui : la poſtérité y ajou-
-tera encore , fans pouvoir peut être jamais
en poſer le faîte.
Tous les Peuples qui ont cultivé les
mathématiques , n'y ont pas fait des progrès
égaux. Cette différence doit être at-
* Les deux traités d'Arithmérique & d'Algèbre
devoient paroître enſemble , & ce diſcours étoit
deſtiné à les précéder. Quelques circonstances ont
dérangé ce plan ; mais l'auteur parle ici comme s'il
avoit été exécuté.
JANVIER . 1774. 143
:
:
:
tribuée à celle des climats , des gouvernemens
, & quelquefois à des circonſtances
particulières qui impriment à une
Nation , un mouvement général vers cer
tains objets . Nous pouvons citer en preuve,
des exemples remarquables .Les Grecs,
nés ſous un ciel heureux , libres , ou du
moins foumis à des maîtres modérés , ont
excellé dans tous les genres : ils ſemblent
avoir mené de front les ſciences , les lettres&
les Arts . Les Romains , long-tems
barbares & occupés de leurs conquêtes ,
eurent enfin des orateurs , des Hiſtoriens
&des poëtes, qui ſe formèrent au ſein de
leurs diviſions inteſtines ; & bientôt le talent
de la parole devint un moyen prefqu'aſſuré
d'arriver aux premières places
de la république : mais ils montrèrentpeu
de goût & de génie pour les ſciences qui
ne leur promettoient pas les mêmes honneurs.
De tems immémorial , les Chinois
s'adonnent aux mathématiques: la plupart
de leurs Empereurs les ont aimées & les
ont encouragées par des bienfaits : le climat
qu'ils habitent eſt , en particulier ,
très favorable aux obſervations aſtronomiques.
Néanmoins , malgré le concours de
tant de circonstances avantageuſes , les
ſciences demeurent toujours , parmi eux ,
144 MERCURE DE FRANCE.
dans un état de médiocrité &delangueur.
Leur aſtronomie eſt à-peu près ce qu'étoit
la nôtre il y adeux cens ans. Attachée
ſuperſtitieuſement à ſes anciennes inſtitutions
, la Nation Chinoiſe paroît dépourvue
de cette activité inquière qui
cherche la nouveauté , & qui produit les
découvertes .
Il y a des différences encore plus ſenfſibles
entre les hommes qui compoſent
un même Peuple. Tous les eſprits ne ſont
pas propres à pénétrer bien avant dans les
mathématiques. Une intelligence ordinaire
fuffit pour en comprendre les élémens
, &même pour en faire des applications
utiles à la pratique. Mais veuton
s'élever à la géométrie des courbes , à
la mécanique , à l'aſtronomie , &c. ? Les
principes ſe multiplient , les combinaiſons
ſe compliquent , & il faut être capable
d'embraſſer & d'étendre tout à lafois
une longue chaîne d'idées & de raiſonnemens.
La ſagacité & la force de tête
que ces opérations exigent , ne font pas
communes. Vous êtes deſtiné à devenir
grand orateur ou grand poëte , ſi à une
imagination brillante & féconde , vous
joignez un goût ſévère &dirigé par l'érude
des excellens modèles : les caractères
du
JANVIER. 1774. 145
du génie mathématique ſont la juſteſſe,
la clarté & la profondeur. Mon intention
n'eſt pas d'affigner ici les places aux talens
, ni de réfuter les jugemens que l'envie
ou la prévention haſarde quelquefois
à ce ſujet ; mais je crois que dans tous les
genres , les hommes ſupérieurs font àpeu
près également rares. La Nature met
une forte d'égalité ou d'équilibre entre
ſes productions . Qui auroit à choisir , dit
l'illustre M. d'Alembert , d'être Corneille
ou Neuton , feroit bien d'être embarraffé,
ou ne mériteroit pas d'avoir à choisir. Si la
vanité pouvoit s'oublier un moment ellemême
, & fi elle vouloit conſidérer que le
ſuccès complet dans une partie ne s'obtient
que par un travail opinia re & fuivi , qui
nouscondamneàl'ignoranceouà la médiocritédans
toutes les autres , on deviendroit
plus réſervé , plus équitable ; &, lorſqu'on
ne feroit pas en état d'apprécier un talent
, on s'abſtiendroit au moins de le rabaiffer.
Les mathématiques ont acquis parmi
nous , fur tout depuis quelques années ,
undegré de faveur , qui a prodigieuſement
multiplié les livres élémentaires
deſtinés à les expliquer &à les répandre.
Jen'en aurois pas augmenté le nombre ,
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
ſi le devoir de ma place , & des invitations
auxquelles je ne pouvois réſiſter ,
ne m'en avoient fait une loi. Ces fortes
d'ouvrages font très-difficiles à bien faire,
& la gloire qu'ils produiſent à leurs auteurs,
n'eſt jamais proportionnée aux pei.
nes, à l'attention qu'on est obligé d'y
donner. Je n'ai donc pris d'abord la plume
qu'avec répugnance ; & , pour diminuer
le dégoût attaché à ce travail , j'ai
tâché de ſemer ſur un fond néceſlairement
ufé , des choſes nouvelles & intéreſſantes.
J'ai cherché en même temps à
remplir un autre objet que la plupart de
mes prédéceſſeurs paroiſſent avoir négligé
: c'étoit d'appliquer , lorſque l'occaſion
s'en préſenteroit , les vérités mathématiques
à des problêmes utiles à la ſociété.
Par-là, fans rompre l'enchaînement théo
rique des propoſitions qui doivent former
le corps d'une ſcience , la pratique eft
éclairée , l'attention du lecteur eſt ſoutenue
, & l'on prévient le reproche que les
mathématiciens méritent quelquefois,de
n'offrir que des réſultats abſtraits& purement
ſpéculatifs . Je publie aujourd'hui
l'Arithmétique & l'Algèbre. Avant que
d'indiquer la manière dontj'ai cru devoir
traiter ces deux ſciences , commençons
JANVIER. 1774. 147
2
par nousfaire un tableau raccourcide leut
objet &de leurs progrès.
Rien n'eſt plus ſimple&plus familier
aux hommes , que l'idée du nombre oude
la multitude. Elle est née comme d'ellemême,
auffi-tôt qu'on a vu pluſieurs ar
bres , pluſieurs étoiles , &en général plu
ſieurs individus de la même eſpèce. Ainfi
on ne dut pas tarder à imaginer les premières
opérations de l'arithmétique. On
apprit ſans doute en peu de temps, à joindre
enſemble les nombres par l'addition ,
&à les ſéparer par la ſouſtraction. Mais
ſi ces opérations primitives étoient fimples
dans leur principe , il ſe préſenta
bientôt des queſtions où elles menoient
àdes calculs compoſés , & quelquefois
capables de rebuter par leur longueur.
L'eſprit fut donc forcé de ſe replier fur
lui même , & de chercher les moyens
d'abréger la pratique de l'addition & de
la ſouſtraction , dans les cas qui le permettoient.
De-là naquirent la multiplica
tion , la diviſion ,& fucceſſivement les au
tres règles de l'arithmétique .
Suivant Strabon , les Phéniciens qui
ont été les premiers commerçans du mon
de , ont été auſſi les premiers arithméticiens.
Il eſt probable qu'avant ces peuples,
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
l'art de compter avoit déjà fait quelque
progrès . Mais ils l'appliquèrent aux objets
du commerce, & par- là ils méritèrent la
gloire de l'avoir en quelque ſorte inventé.
Cet art ſe perfectionna chez les Egyp .
tiens , & c'eſt d'eux qu'il a paſſé aux autres
Peuples.
La ſcience des Prêtres Egyptiens a été
renommée dans l'antiquité. Ils étoient ,
pour ainſi dire , les dépoſitaires de toutes
les connoiffances naturelles que les hommes
avoient acquiſes depuis l'origine du
monde. Thalès de Milet , & Pythagore
de Samos , vinrent s'inſtruire parmi eux.
De retour dans la Grèce , Thalès y forma
la ſecte ou philofophie lonienne , qui ſe
partagea en pluſieurs branches. Pythagore
alla s'établir en Italie , où il devint le chef
d'une école long- temps célèbre. Ileut parmi
ſes diſciples des Princes&des Légiflateurs.
Ce philoſophe , à qui l'on doitdes
découvertes dans preſque toutes les parties
des mathématiques , s'appliqua d'une
manière ſpéciale à la recherche des propriétés
des nombres. Il avoit l'imagination
vive & portée à l'eſprit de ſyſteme.
Il attachoit à certaines combinaiſons de
nombres , pluſieurs vertus mystérieuſes ;
mais ce qu'il avoit écrit ſur ce ſujet n'eſt
1
JANVIER. 1774. 149
pas arrivé juſqu'à nous ; le temps n'a refpecté
que ſa table de multiplication.
Alexandre aimoit tout ce qui appartient
au domaine de l'eſprit. La plupart de ſes
ſucceſſeurs eurent les mêmes goûts. Lagus
, maître de l'Egypte , fonda l'école
d'Alexandrie , où les mathématiques fleuritent
avec éclat pendant plus de dix fiècles.
Il en eſt ſorti une foule de ſçavans
du premier ordre. L'un d'entr'eux s'ouvrit
, dans l'arithmétique , déjà fort étendue
, un champde problêmes entièrement
nouveaux. Je veux parler de Diophante ,
qui vivoit , felon les conjectures les plus
vraiſemblables , vers l'an 350 de notre
Ere. Il conſidéra les propriétés des quarrés
numériques. Il demandoit , par exemple
, qu'on partageât un nombre quarré
endeux autres nombres qui fuffent également
des quarrés ; qu'on trouvât deux
nombres rationnels dont la ſomme fût à
celle de leurs quarrés , dans un rapport
rationnel , &c. L'art que Diophante ema
ploie pour réfoudre ces fortes de queftions
, eſt extrêmement ingénieux. Il
avoit écrit treize livres d'arithmétique
fur cette matière ; nous n'avons que les
fix premiers ; les ſept autres ſont perdus.
Pluſieurs modernes ſe ſont efforcés de ré.
parer cette perte ; & on a lieu de croire
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
qu'ils ont été plus loin que Diophante
lui-même , parce qu'ils ont trouvé dans
les nouvelles méthodes , des ſecours qui
manquoient au premier inventeur. Les
plus célèbres de ces ſcavans font Bachet
de Meziriac , éditeur & commentateur
de Diophante ; Fermat , Frenicle de Befſy
, le Père Preſter , le Père de Billy ,
Maclaurin , Saunderſon ; &, de nos jours,
M. Euler & M. de la Grange. Du reſte ,
on ne doit pas regarder la théorie dont il
s'agit, comme ſimplement curieuſe : elle
eſt utile dans l'algèbre & dans le calcul
intégral , pour transformer, dans pluſieurs
cas ,des quantités affectées de radicaux ,
end'autres purement rationnelles .
On ſe rappelle qu'un peu avant le mie
lieu du VII ſiècle , les Arabes ravagerent
l'Egypte , la Perſe &la Lybie. Cette
guerre fit une plaie cruelle aux lettres. La
bibliothèque d'Alexandrie , dépôt immenſe
des productions de l'eſprit humain,
fut livrée aux flammes. Le Calife
Omar ordonna qu'en brûlât tous ces livres
, parce que , diſoit- il , s'ilsfont conformes
à l'Alcoran , ils font inutiles , & ,
s'ilsyfont contraires , ils doivent être
abhorrés & détruits : raiſonnement bien
digne d'un brigand fanatique ! L'Ecole
fondé par Lagus , périt ou fut diſperſée ,
JANVIER. 1774. 15
Les mathématiques refluèrent dans la
Grèce , où elles ne firent plus que languir.
Mais , par une révolution qui n'avoit
point d'exemple , les moeurs des Arabes
changèrent tout d'un coup , & perdirent
leur première férocité. Bientôt cetteNation
cultiva elle - même les arts qu'elle
avoit voulu anéantir. Il ne s'étoit pas
écoulé cent ans depuis l'époque que je
viens de citer , qu'on vit naître en foule
dans ſon ſein , des poëtes , des orateurs ,
des mathématiciens, &c. On compte dans
ce nombre la plupart des Califes qui la
gouvernèrent. Le mouvement des corps
céleſte attira fur-tout l'attention de ces
Princes. Rien n'égale la magnificence des
obſervatoires qu'ils érigèrent au progrès
de l'aſtronomie. Les Arabes furent ,
pendant plus de trois ſiècles , le peuple
le plus poli &le plus éclairé de la terre ,
tandis que tout le nord de l'Europe étoit
plongé dans la barbarie. Parmi les découvertes
dont ils enrichirent les mathématiques
, celle de notre numération actuelle
eft à jamais mémorable. Il eſt vrai
que les Hébreux , les Grecs , les Romains,
&preſque tous les anciens Peuples afſembloient
les nombres par dixaines ;
c'eſt- à- dire , qu'après avoir compté depuis
l'unité juſqu'à dix, ils commençoient
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
une nouvelle période. Mais leur arithmé
tique étoit d'ailleurs très - compliquée . Ils
n'avoient pas imaginé de diftinguer les
périodes par la différence des places : ils
repréſentoient les nombres par les lettres
de leur alphabeth ; notation impropre ,
qui devenoit très - embarraſſée , lorſqu'il
s'agiſſoit d'exprimer des nombres un peu
conſidérables .De ce double inconvénient
réſultoit une longueur fatigante dans les
calculs numériques. Qu'on jette,par exemple
, les yeux ſur l'arithmétique des Romains
: on jugera combien elle devoit
être laborieuse & pénible , même dans
des queſtions fort ſimples. Les Arabes
exprimèrent les nombres par des caractères
particuliers , appelés chiffres ; & ils
établirent , par une loi de convention ,
qu'un même chiffre repréſenteroit des unités
, des dixaines , des centaines , &c. felon
la place qu'on lui feroit occuper. Ce
ſyſtême ingénieux a tous les avantages
qu'on pouvoit deſirer. Il réunit la clarté à
la préciſion. Un nombre immenſe par la
multitude de ſes unités , ſe peint aux yeux
& à l'eſprit, dans un très-petit eſpace . On
prétend que les Arabes tenoient cette
idée des Indiens. C'eſt un point decritiqueque
je ne diſcuterai pas ici.Quoi qu'il
en ſoit, il eſt certain que nous devons
JANVIER . 1774 153
immédiatement aux Arabes , l'arithmétique
telle que nous la pratiquons. Le célèbre
Gerbert, qui fut dans la ſuite Pape,
fous le nom de Silvestre II , alla puifer
cette ſcience en Eſpagne , où les Arabes
dominoient alors ; & il la répandit
dans le reſte de l'Europe , vers l'an 960.
Quant à la figure particulière des chiffres ,
elle a fubi quelques changemens : celle
que nous employons aujourd'hui ne s'eſt
introduite d'une manière invariable que
fur la fin du XIIe siècle .
Nous trouvons chez les Grecs modernes
quelques étincelles du génie quiavoit
animé Archimède , Apollonius , Diophante
, &c. Ils inventèrent les quarr s
magiques vers le milieu du XVe fiècle ,
& c'eſt à Moſcopule qu'on en attribue les
premières notions . Cette épithète de magique
eſt donnée à un quarré divifé en
cellules égales & quarrées , dans lesquel
les on infcritles termes d'une progreffion
arithmétique , de telle forte qu'en les
ajoutant enſemble , ſuivant les bandes
verticales ou horizontales , & fuivant les
diagonales du quarré , on ait conftamment
la même ſomme . On s'eſt exercé
pendant long temps à ces problêmes , &
on les a variés de pluſieurs manières.
G
::
;
134 MERCURE DE FRANCE.
Mais,comme ils formentune claffe abſo
Iument ifolée & inutile dans l'uſage , ils
ont perdu l'attrait que la nouveauté ,
jointe au méritede la difficulté vaincue ,
avoit pu leur donner.
En 1614 , le Baron de Neper , Ecoffois
, fit l'importante découverte des logarithmes
, qui mettent dans les calculs
numériques des abréviations auxquelles
l'aſtronomie doit en partie ſes progrès . Il
arriva à cette découverte , en conſidérant
la correſpondance qui règne entre la progreffion
arithmétique & la progreffion
géométrique: il forma le projet de conftruire
fur ce principe des tables qui devoient
réduire les multiplications & les
diviſions à de ſimples additions & fouftractions
; & il avoit déjà commencé à
les calculer , lorſqu'il fut enlevé par la
mort. Henri Brigge & Adrien Vlacq reprirent
ce travail fous une forme un peu
différente; &ils publièrent enfinles tables
de logarithmes , qu'on emploie aujourd'hui.
Pluſieurs auteurs les ont faitimprimer
, avec des changemens qui ne touchent
point au fond,&qui tendent feulementà
faciliter les uſages auxquels elles
font deſtinées.
3.
Le fiècle paffé vit naître encore plu
JANVIER. 17744 155
ſieurs théories qui concernent les proprié.
tés des nombres. Le Lord Brouncker inventa
les fractions continues , qui lui
ſervirent àtrouver le rapport très-approché
du diamètre du cercle à la circonférence.
Huighensemploya le même moyen
dans le calcul d'une machine deſtinée à
repréſenter les mouvemens de notre fyftême
planétaire. Mercator &Vallis imaginèrent
pluſieurs fuites de nombres d'une
eſpèce nouvelle. Mais toutes ces recherches
, &d'autres ſemblables , dûrent leur
origine & leur accroiffement à une autre
ſcience , à l'Algèbre , dont nous allons
parler.
Lafuite auMercure prochain.
ACADÉMIES.
Extrait de la Séance publique de l'Académie
de Villefranche.
I.
Mercredi 25 du mois d'Août , l'Académie
a tenu ſa ſéance publique. Le panégyrique
de St Louis a été préché le matin
par M. l'Abbé Meurier.
M. Deſſertine , directeur , a ouvert la
:
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE:
féance par des réflexions ſur l'homme de
lettres conſidéré par rapport à la fociété.
" On croiroit , a dit M. Deſſertine , que
>> l'homme de lettres n'a beſoin que de
>> paroître dans le monde poury plaire&
>> y réunirtous les fuffrages ; il paffe fa
>> vie à polir fon eſprit & à régler ſon
>> coeur; fes moeurs doivent être douces
» & pures ; ſa converſation a le double
>> mérite d'être inſtructive & agréable.
>> Cependant on ne le voit guères réuffir
>> dans la ſociété; &la raiſon en eſt qu'il
* eſt ignoré , qu'il en mépriſe les frivoles
>>uſages ; que le plus ſouvent on y parle
>> une langue qui n'eſt pas la ſienne;enfin
>> que fon amour- propre trop peu déguifé
> ne ménage pas aſſez celui des autres. >>
M. le Chevalier de Monſpey , reçu au
nombre des académiciens honoraires , a
prononcé ſon diſcours de remerciement ,
où , après les complimens en uſage dans
ces fortes de circonſtances , il a examiné
combien la ſenſibilité , cette précieuſe
qualité de l'ame qui viviſe toutes les autres,
eſt néceſſaire pour obtenir des faccès
dans la carrière des lettres ; &quel intervalle
immenfe cet avantage que pofſédèrent
au plus haut degré les Homères ,
lesRacines, les Fénélons , a mis entre ces
JANVIER. 1774. 157
grands hommes & la foule des écrivains
qui en ont été privés.
..
M. de Foſi , avocat, fit part de quelques
conjectures ſur les écarts lyriques attribués
à Horace , qui ne nous paroiſſent tels
que par l'ignorance où nous fommes des
événemens publics & particuliers qui y
donnoient lieu . Il regrette que les anciens
poëtes n'ayent pas eu l'avantage dont
jouiffent quelques uns de nos modernes ,
d'être commentésde leur vivant. Il choifitune
des odes d'Horace du nombre de
celles qui ont en apparence le plus d'écarts
, ( l'ode x1 du 3º livre, Mercuri, nam
ze docilis magiftro ) , & il les fait difparoî.
tre par des explications auſſi ſolides qu'ingénieuſes.
M. de Fofi a dit en finiffant :
N'est- ce pas , Meffieurs , vous entrete-
>>nir trop long-tems d'une littérature au-
>> jourd'hui hors de mode? Il n'eſt preſque
>>pluspermis de jouer avec lesMuſes.On
>> veut qu'elles s'occupent des grands ob-
> jets de l'adminiſtration publique ; on ne
» veut les voir qu'au milieu des bureaux,
comptoirs , des guérets&des charrues:
>>on ne les écoutequ'autant qu'elles dictent
>> des loix au Magiſtrat politique & civil,
» au Négociant , au Cultivateur. Mais
>lorſqu'on ſe repoſoit de toutes ces cho
>>ſes ſur ceux à qui ce ſoin appartient &
>>
158 MERCURE DE FRANCE.
» qui en répondent ; lorſqu'il y avoit
> moins de chaleur & d'inquiétude dans
>>> les eſprits ; lorſque l'on étoit plus fou-
>> mis , quoique auſſi éclairé , n'étoit - on
>> pas plus tranquille , & par confequent
>plus heureux ?
M. de Garnerans , ancien premier Pré.
fident du Parlement de Dombes , lut un
mémoire rempli de recherches curieuſes
&ſavantes , dans lequel , après avoir établi
qu'au temps de Céfar &d'Auguſte , la
taille ordinaire des Romains , & fur tout
desGaulois, étoit plus élevée que la taille
ordinaire des hommes actuels , il donne
les raiſonsles plus plauſibles de cette différence.
L'éloge hiſtorique de M. l'Abbé Humblot
, prédicateur ordinaire du Roi , fut
enfuite lu par le ſecrétaire.
Cette lecture fut ſuivie d'une imitation
de Tibulle par M. le Chev. de Monfpey;
D'une épître en vers par M. l'Abbé de
Caftillon , grand-vicaire du diocèſe ;
D'un poëme intitulé , Artemise , par
M. l'Abbé la Serre.
La ſéance fut terminée par une lettre
en vers à un ami ſur la perte d'un fils unique
, mort à l'âge de dix ans , par M. le
Comte de Laurencin.
JANVIER. 1774. 159
a
1 I.
L'Académie Royale d'Ecriture fit fon
ouverture le 23 Novembre , en préfence
de M. de Sartine , Conſeiller
d'Etat , Lieutenant-Général de Police;
: & de M. Moreau , Procureur du Roi
au Châtelet.
M. Collier , Secrétaire de cetre Açadé.
mie , & Profeſſeur de Grammaire , y lut
un Diſcours dans lequel il expoſa l'utilité
de l'Académie , le bien qui réfultoit
de ſes ſéances,tant pour le Public que pour
les Membres qui la compoſent. Il fit une
courte analyſe de ce qui s'y étoitdit derelatifaux
ſciences& aux arts que cette Académie
embraffe. Il établit en peu de mots
cequi devoit fairela matière de ſon cours .
M. Bédigis , Profeſſeur d'écriture , y
a lu un Diſcours relatif à cet art , où il a
fait voir ſes progrès , & les fiècles où l'écriture
a acquis le plus de perfection. Il
a montré la néceſſité de cultiver cet art
ſi utile au commerce de la vie , & le
danger de ſe livrer avec trop d'empreſſement
à l'écriture qu'on appelle coulée.
M. Potier , Profefleur d'arithmérique,
a fait une differtation ſur l'origine des
caractères numériques &grammaticaux
160 MERCURE DE FRANCE.
a diſcuté les différentes opinions des
Ecrivains qui ont traité cette matière , &
a conclu que les caractères avoient été
mis en uſage à la ſuite des hiéroglyphes
qui n'étoient employés que pour tranfmettre
à la poſtérité des faits mémorables
, ou pour exprimer des ſymboles de
religion , ſous le voile deſquels les Miniſtres
cachoient au peuple ce qu'il
croyoit qu'il dût ignorer ; ce qui donna
lieu à l'idolâtrie , parce que le peuple
prit pour réel ce qui n'étoit qu'allégorique.
M. Paillaſſon , Ecrivain du Cabinet
du Roi , & Profeſſeur de vérification , a
fait enſuire la lecture d'une diſſertation
, où , en remontant à la plus haute
antiquité , il fait voir , non ſeulement
que les Egyptiens avoient des Loix pour
punir les fauſſaires , mais que vraiſemblablement
ils font les premiers qui ont
fait uſage de la comparaiſon des écritures.
M. Paillaſſon termine ſa diſſertation
, en diſant que l'on doit regarder
cette comparaiſon d'écritures , comme le
moyen le plus propre pour éclairer les
Juges , & qu'il ne convient qu'à l'AcadémieRoyale
d'Ecriture , de produire des
ouvrages capables de terrafler les fauſlai
JANVIER. 1774. 161
res , ces monftres dont on voudroit que
la race fût éteinte.
M. Guillaume, Directeur , a terminé
la ſéance par un Difcours où il témoigna
les ſentimens de reconnoiſſance de'
l'Académie envers les Magiſtrats qui la
protégeoient & qui l'honoroient de leur
préſence : enſuite M. de Sartine diſtribua
des Médailles aux Profeſſeurs , Sécretaire
& Directeur ſortant d'exercice.
III.
Ecole royale gratuite de Deſſin.
Le 27 du mois dernier , on fit au châ
teau des Tuileries , dans la galerie de la
Reine , la diſtribution des maîtriſes , apprentiſſages
, grand Prix & Prix de quartier
de l'école royale gratuite de deſſin.
Après que M. Bachelier , directeur , eut
prononcé un Difcours relatif aux circonftances
, M. de Sartine , Conſeiller d'Etat
& Lieutenant-Général de Police de la
ville de Paris , qui étoit à la tête du bureau
d'Adminiſtration , diſtribua deux
cens-vingt Prix , outre les Brevets de
maîtriſe & d'apprentiſſage. Les ſieurs
Trebuchet & Allard obtinrent des Brevets
de maîtriſe ; le premier , de Graveur;
le ſecond deLuthier : on accorda
1
162 MERCURE DE FRANCE.
des Brevets d'apprentiſſage aux ſieurs
Airin l'aîné , de Serrurier ; Guyot l'aîné ,
de Fondeur Ciſeleur ; Sautiſſe , Morin ,
Cherbonnier & Bonnemain , de Conftruction.
SPECTACLES
DE LA COUR.
OPERA.
CEPHALE & Procris , ou l'Amour Conjugal
, tragédie lyrique en trois actes ,
repréſentée devant ſa Majesté à Verfailles
, le 30 Décembre 1773 .
Poëme de M. Marmontel , muſique
de M. Gretry.
Premier acte. L'Aurore déguiſée en
Nymphe , eſt deſcendue du céleſte ſéjour
, pour voir le beau Céphale ; mais /
tout la trahit : ſa présence embellit tous
les lieux d'alentour.
Naiſſantes fleurs , ceſſez d'éclore:
Oiſeaux indifcrets , taiſez- vous ;
Vous révélez aux Dieux jaloux
L'alyle où ſe cache l'Aurore.
Elle ſe dérobe aux yeux de Céphale ;
il chante.
i
JANVIER. 1774. 163
De mes beaux jours que le partage eſt doux !
Puiſſent les Dieux n'en être point jaloux !
Le plaifir m'appelle à la chaffe ;
Le bonheur m'attend au retour :
Loin de ſe nuire tour-à-tour ,
L'amour me donne plus d'audace,
Et la chaſſe encor plus d'ainour.
Brillante Aurore , tu me vois
Franchir les monts , courir les bois;
Et , quand le jour brûle la plaine ,
Que l'ombrage a pour moi d'attraits !
Le plus doux des vents , le plus frais ,
AURA, ſous ce feuillage épais ,
Vient me flatter de ſon haleine;
Mais plus heureux quand vient le ſoir ,
Oui cent fois plus heureux encore
Quand vient le ſoir ,
Je vais revoir
Cequej'adore.
L'Aurore aborde Céphale ; elle lui
raconte le tourment de ſon ame , fans
lui déclarer qu'il eſt ſon vainqueur. Céphale
lui demande ſi elle va quitter
Diane ; l'Aurore lui répond :
Et le puis-je ſans l'offenſer ?
L'exemple de Procris me défend d'ypenſer.
1
T
164 MERCURE DE FRANCE.
DeProcris !
CEPHALE.
L'AURORE .
La Déeſle à périr la condamne.
CEPHALE.
Quedites- vous ?
L'AURORE .
Telle eſt ſon inflexible loi ;
T
T
Etl'amantde Procris lui - même
Doit , en inimolant ce qu'il aime,
Venger laDécſic.
CEPHALE.
C Qui ? moi !
L'AURORE.
Vous , Céphale , ah ! fuyez un deſtin ſi funeſted
Elle lui offre ſon palais pour aſyle ,
& laiſſe Céphale à ſes inquiétudes.
Procris jalouſe aborde ſon époux
en lui reprochant de voler après une
amante nouvelle. Céphale ſe juſtifie;
il lui apprend l'horreur de ſon defrin.
Procris ne craint que de perdre fon
époux : les Nymphes de Diane fe raffemblent
ſous le feuillage. Une jeune
JANVIER. 1774. I169.
-
Nymphe reçue parmi celles de Diane ,
eſt arméeChaſſereſſe ; & elles enſeignent
à leur nouvelle Compagne , à fuir les
piéges de l'Amour.
Actefecond. Le théâtre repréſente le
palais de l'Aurore , environné de nuages
légers , qui ſe diſſipent enſuite. Flore
& Palès demandent à l'Aurore le ſujet
de ſes déplaiſirs fecrets . Elle veut en vain
diſſimuler ; elle eſt obligée d'avouer
qu'elle adore Céphale , quand Céphale
adore Procris .
:
:
:
AIR :
Que je ſuis à plaindre ,
Hélas ! j'ai beau feindre ;
Les hommes , les Dieux
Tout lit dans mes yeux,
Je baigne de larmes
Mon char radicux ,
Et de mes alarmes
Je remplis les Cicux.
Sans cefle captive ,
Quel est mon deſtin!
Confuſe , plaintive ,
Il faut que je ſuive
L'aſtre du matin,
Plaiſirs , vous naiſſez ,
Et me délaiſſez ,
t
I
166 MERCURE DE FRANCE.
Moi qui vous fis naître ;
Je fais les beaux jours ,
Et, ſans les connoître,
Je languis toujours.
Le Printems lui-même
Ritde mes malheurs ;
On diroit qu'il aime
Avoir mes douleurs.
Je verſe des pleurs :
Il en naît des fleurs .
Lesbois & la verdure,
Tout s'épanouit :
Des maux que j'endure
L'Univers jouit.
Les Divinités compagnes de l'Aurore
, de Flore &de Palès , font un divertiſſement.
Céphale vient dans le palais
de l'Aurore. Flore lui dit que s'il
veut rendre la Déeſſe favorable , il eft
un mortel qu'elle aime , & qui fera
plus lui ſeul , que tous les Dieux fans
lui. Il invoque ce mortel ſans le connoître.
La Cour de l'Aurore s'empreſſe
à lui plaire , & l'Aurore elle-même lui
déclare ſon amour.
AIR:
Nevois-tu pas ce qui m'engage
plaindre& foulager tes maux!
JANVIER 1774. 167
J'ai pour confidens ces oiſeaux :
Céphale , écoute leur ramage ;
Dès que je parois dans les Cicux
Toute la Nature à tes yeux
Doit parler le même langage.
J'aurois beau feindre , hélas!
L'Univers ſait que j'aime.
Oui , ſans toi , le Ciel même
Eſt pour moi ſans appas.
Des lieux où tu n'es pas
Négligeant la parure ,
Je répands ſur tes pas
Ma clarté la plus pure ,
Etje me plains toutbas
D'embellir la Nature
Aux lieux où tu n'es pas.
L'Aurore dit à Céphale de briſer des
noeuds que Diane a proſcrits.
Il faut, pour l'appaiſer , ne plus revoir Procris.
CEPHALE.
:
1
Neplus la voir!
L'AURORI .
C'eſt la victoire
Dont je te réſerve le prix.
Yois ce palaisbrillant : il ſera ton aſyle,
168 MERCURE DE FRANCE,
: CEPHALE .
Ah ! belle Aurore , ce ſéjour
Doit être riant & tranquille.
L'AURORE.
Le ſeroit- il fans toi ?
CEPHALE.
D'une plainte inutile
Je le remplirois nuit & jour.
L'AUROR
Tu veux me fuir !
CEPHALE.
Je veux ou revoir ce que j'aime ,
Oudans le fond des bois aller ſeul à moi - même
Mourir de douleur & d'amour.
L'Autore veut en vain l'effrayer encore
du crime qu'il va commettre : Céphale
fuit où ſon deſtin cruel l'entraîne.
Acte troisième. Le théâtre repréſente
un bois. La Jalouſie & ſa ſuite ſe prépare
à venger Diane , & à verſer ſon
poifon dans le coeur de Procris .
AIR:
Fille cruelle de l'Amour ,
Jehais le Dieu qui m'a fait naître.
L'infenfe
JANVIER. 1774. 169
1
L'inſenſé m'a donné le jour ,
Et ne veut pas me reconnoître;
Je le méconnois à mon tour.
Noir ſoupçon que ce Dieu condamne,
Des coeurs jaloux triſte vautour ,
Vengeons la gloire de Diane :
Diane déteſte l'Amour.
La Jalouſie paroit transformée en
Nymphe de Diane. Procris ſeule ſe
plaint , & appelle Céphale ſon amant.
Témoin de ma naiſſante flame ,
De l'Amour aſyle charmant ,
Temple où je reçus le ſerment
Qui combloit les voeux de mon ame ,
Rendez , rendez- moi mon amant,
Sans lui , dans mon inquiétude ,
Je ne puis plus vivre un moment;
D'une éternelle folitude
Aurois-je à ſubir le tourment !
La Jalouſie ſe plaint de Céphale , de
ſon infidélité , & fait à Procris même
les faufſſes confidences de fa tendreſſe ;
elle lui dit :

C'eſt ici , ſous ce même ombrage ,
Qu'il ſoupiroit à mes genoux :
AURA , diſoit- il , c'eſt à vous
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
Que les oiſeaux , dans leur ramage ,
Adreſſent des accords fi doux.
,
Elle ajoute qu'elle eſt abandonnée pour
l'Aurore & que les Dieux du printemps
ont célébré la fête de fes amours.
Procris , ne doutant plus de la perfidie
de Céphale , ſe livre à ſa douleur . La
Jalouſie vient annoncer à Procris l'arrivée
de Céphale , & l'engage à le furprendre.
Céphale accablé de douleur ,
tombe ſur un lit de gazon ; il appelle
AURA.
Viens AURA , viens que je reſpire;
Plus careflante que Zéphire ,
Tu n'as ranimé tant de fois !
Viens ; qu'un doux repos me foulage.
Cependant , il voit le feuillage s'agiter
; il s'arme de ſon javelot qu'il
lance; une voix plaintive , celle de Procris
, fe fait entendre ; efle paroît avec
le javelot qu'elle a retiré de ſon ſein.
Ils déplorent leur malheur. Alors la
Jaloufie vient s'applaudir de ſon horrible
triomphe ; mais l'Amour , ſenſible à l'infortune
de ces amants trompés &fidèles,
rend le jour à Procris.
JANVIER. 1774. 171
AIR DE L'AMOUR .
Plus d'ennemis dans mon empire ;
Que Diane cède à ſon tour ;
Et qu'à fon tour elle loupire
Dans les chaînes de l'Amour.
Belle Aurore , à ces époux
Pardonne une ardeur fidelle ;
Quedans ton ame un trait plus doux
Allume une flamme nouvelle.
Oui , que ta félicité
Soit pure comme tes charmes,
Et fi tu verſes des larmes ,
Que ce ne foient que des larmes
D'amour & de volupté.
Dans le divertiſſement qui termine
cet Opéra , l'Aurore & Heſper , Diane
& Endimion , enchaînés par les Plaifirs
, viennent tomber aux pieds de
l'Amour.
Nous avons affez détaillé ce Poёте ,
pour que le Lecteur puiſſe juger qu'il
doit former on ſpectacle brillant, intéreffant
& vatié . On defireroit fans doute
que l'Aurore eût un rôle moins fubordon.
né , & plus convenable au caractère que la
Fable donne à cette Divinité , dont au
refte , le Poëte a rendu les principaux
traits dans des vers très agréables. Nous
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
ne porterons pas plus loin nos obſervations
ſur cet ouvrage eſtimable qui paroît
avoir eu les fuffrages de la Cour dont
il a fait les plaiſirs .
Le Muſicien , M. Grétry , dont tous
les travaux ſont des ſuccès , a développé
dans cet opéra , les charmes & les
reſſourcesde ſon génie. Il nous a paru
que fon récitatif s'approprioit ſans effort
aux formes de notre langue ; qu'il faififfoit
& rendoit l'expreſſion juſte du
ſentiment ou de la paſſion ; qu'il étoit
commandé par la proſodie; qu'il ne gênoit
ni la voix , ni le jeu de l'Acteur ;
&qu'enfin , il étoit une vraie déclamation
muſicale. Ses chants jamais vagues ,
font toujours inſpirés par le ſentiment ,
& indiqués par les paroles. Ils les expliquent&
les embelliſſent avec un choix
&dans le mouvement le plus analogue
& le plus juſte. Comme tout ce que
chante l'Aurore a de grâce , de fraîcheur ,
&d'élégance ! Que les chants de Céphale
conviennent bien à un Chaſſeur à un
amant fier & paſſionné ! Que Procris eſt
tendre, douce& ſenſible dans l'expreffion
de ſon amour , de ſes plaintes & de ſa
douleur ! La jalouſie ne s'eſt jamais fait
entendre avec plus de force & d'énergie .
Les choeurs de cet opéra ſont du plus
JANVIER. 1774. 173
grand effet & de la plus riche compoſition.
Les airs de danſe ſont tous trèsſaillans
& d'une mélodie agréable ,neuve
&pittoreſque. On ne s'attendoit pas
à la réuſſitede cette partie de la muſique
des danſes,toutenouvelle pourM.Gretry :
le ſuccès n'en eſt pas même encore librement
avouépar ceux qui ne fontpoint
attention que le Muſicien qui a le génie
de l'invention , qui fait créer des motifs
& les moduler , qui en un mot eſt
le maître de ſes chants , l'eſt néceſſairement
de ſon art , & doit traiter toutes
les parties ſubordonnées à l'expreſſion ,
avec autant de facilité que de ſupériorité.
Cet Opéra a été parfaitement exécuté
par M. & Madame Larrivé , par Mlle.
Arnoult & Mile. Duplant. Les ballets
qui font de la compoſition de MM.
Laval , Gardel & Veſtris , ſont d'une
pantomime noble , ingénieuſe & trèsagréable
. Le Palais de l'Aurore eſt de
l'effet le plus éclatant. Le triomphe de
cet Opéra , c'eſt d'avoir plu à une Cour
brillante dont le goût & le ſentiment
doivent gui der nos jugemens; il a auſſi l'avantage
précieux d'être admis par un
choix & par un attrait particulier , aux
amuſemens de nos Princes & Princeſſes
qui aiment & connoiſſent la bonne mufique.
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LELSES Comédiens François ont remis fur
leur Théâtre , dans les premiers jours
de Janvier , les Etrennes de l'Amour ,
Comédie en un acte en profe , mêlée
de chants &de danſes , par M. Cailhava .
Cette piece épifodique a été revue avec
plaifir. C'eſt l'Amour qui donne ſes
Etrennes. Il fait préſent de ſes aîles à
un petit- Maître , de fon bandeau à un
Financier , de ſes tablettes à un Abbé
volontaire , de fon carquois à une Coquette
, & du bonheur à de jeunes
Amans. Ses préfens font accompagnés
d'une critique ingénieuſe, ou d'un adage ,
& ſuivis d'airs d'un chant fort agréa
ble de la compoſition de M. Boyer.
Mile Luſy joue avec fineſſe & gaieté
le rôle de l'Amour ; les autres rôles
font parfaitement remplis , la Coquette
par Mile Hus , l'Abbé volontaire par
M. Préville, le Financier par M. Feulhie ,
les jeunes Amans par Miles Doligni &
Fanier.
JANVIER. 1774. 175
VERS adreſſes à Mile Luzy ,jouant le
role de l'Amour dans les Etrennes de
l'Amour , par un Inconnu.
AMOUR , puiflant Amour , pour fixer notre
hommage
Dela Divinité n'emprunte point l'image.
Son impoſante majesté
: Rapproche trop de l'eſclavage
Les coeurs faitspour goûter l'aimable liberté:
Abandonne la Déité ,
Viens ſous une forme plus belle:
Al'attrait de la Nouveauté
Vole , enchaîne l'Humanité.
Sous les traits enchanteurs d'une aimable Mor
telle,
Sous les traits de Luzy, parois , puiſlant Amour !
Parois , & tous les coeurs ſont à toi ſans retour .
Briſe le Char honteux que traînoit la Folie ;
Fixe par tes vertus , marque par tabeauté
L'âge de la Galanterie ;
Fixc cet âge ſi vanté ;
Il renaît ſous des traits que tout le monde adore,
Et fi la Conſtance t'honore ,
Amour ! ... non ... tu ne fus jamais plus honoré.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
ENVOI.
Luzy , d'un inconnu recevez cette étrenne:
De vous , belle Mortelle , il eut hier la ſienne.
S'il pouvoit vous la rendre , ainſi qu'il la reſſent ,
Hélas ! qu'il vous feroit un funeſte préſent.
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens n'ont donné
aucune nouveauté ; mais ils ſe diſpoſent
àjouer inceſſamment la Rofière , comédie
nouvelle en trois actes mêlée de
chants , dont la muſique eſt de M. Gretry.
ARTS.
GRAVURES.
I.
PORTRAIT de Marie-Thérèſe Imperatrice
Douairière Reine de Hongrie &de
Bohême,gravé en grand médaillon d'après
le tableau de Ducreux par L. J. Cathelin .
L'artiſte a mis beaucoup de ſoin & de
JANVIER. 1774 177
talent dans la gravure de ce portrait intéreſſant.
Prix , 2 liv. chez Bligny , lancier
duRoi , cour du manége , aux Tuileries.
On trouve à la même adreſſe , une vue
de la nouvelle Egliſe de Ste Géneviève .
Prix , 1 liv . 4 f. Cette vue eſt une vraie
miniature , gravée avec beaucoup de
fineffe & de netteté. Illuminée , elle eſt
du prix de 2 liv . 8 f.
On trouve auſſi chez le même
Le Portrait très reſſemblant du Prince de
Condé ; prix , 3 liv .
Celui de M. Vernet , peintre du Roi ;
prix , 3 liv .
Celui de M. Geliotte , célèbre acteur de
l'opéra ; prix , 6 liv .
I I.
Tableau de Zémire &Azor. Cette ſcène
fi intéreſſante où le père & les deux ſoeurs
de Zémire paroiffent , par un enchantement
, regretter & pleurer l'absence de
Zémire , a été composé par M. Touzé
avec beaucoup de talent &de vérité. Ce
tableau a été gravé par M. Voyer l'aîné.
Les reſſemblances des acteurs & actrices
font confervées , & ajoutent au mérite de
cette compoſition. On a foufcrit pour
cette eſtampe chez M. Touzé , peintre
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
dans l'enclos des Quinze-Vingts , rue St
Honoré ; les Souſcripteurs font priés de
retirer l'eſtampe qui paroît depuis quelque-
temps. Ceux qui n'auront pas foufcrit
la trouveront à la même adreſſe. Le
prix eſt de 6 liv .
Cours de Mathématiques.
Le fieur Dupont , Maître de Mathematiques
, a commencé le 9 de ce mois ,
dans fon école rueNeuve Saint- Médéric ,
ſes cours d'Arithmétique & de Géométrie
; & dans les premiers jours de Février
prochain , il recommencera auffſi l'Algèbre
& la Mécanique : la théorie & la
pratique marchent toujours d'un pas égal
dans fes leçons , & l'on y fuit alternativement
les oeuvres de MM. Bezout &
l'abbé Boffut , fur la Marine , l'Artillerie
&leGénie , &c .
L'heure des leçons publiques eſt toujours
depuis trois heures après midi jufqu'à
fept. Il continue ſes cours gratuits
les Dimanches depuis fept heures juſqu'à
neuf; & il a chez lui un excellent Maître
de Deffin. L'on trouve chez lui fix jolies
chambres toutes meublées , dont pluſieurs
vont être libres.
JANVIER. 1774. 179
Cours de Langue Angloise.
M. Robert ouvrira ce cours le 24 de
ce mois à dix heures du matin. Les perſonnes
qui voudront le ſuivre , ſe feront
infcrire d'avance ; le prix eſt de deux
louis.
Ily aura féance tous les jours , les Fê
tes exceptées, pendant quatre mois;& à la
première , on prendra une heure dans la
matinée qui ſera la plus commode pour
tout le monde. L'auteur de ce cours penſe
qu'il peur , ſans néanmoins prétendre en
avoir plus de mérite , faire ce que dit
Horace : Mifcere utile dulci , parce que les
auteurs Anglois lui en fourniront bien
l'occafion .
Il continue toujours à donner des leçons
en ville , & de particulières chez
lui , rue des Francs-Bourgeois, place Saint-
Michel , vis- à-vis du Marbrier , à Paris .
Hvj
ISO MERCURE DE FRANCE.
MUSIQUE.
Six Duo pour deux violons , dédiés à
M. Aucane , Conſeiller au Châtelet , par
M. Michaud l'aîné , de l'Académie royale
de Muſique , oeuvre 3º ; prix 7 liv. 4 f.
à Paris chez l'auteur , vis-à-vis les Cordeliers
, au caffé de Malthe , & aux
adreſſes ordinaires de Muſique. A Lyon ,
chez M. Cafſtaud.
Six Sonates pour le violoncelle , qui
peuvent ſe jouer ſur le violon avec accompagnement
de baſſe continue , dédiées
à M. Boiffier , Gentilhomme Anglois
, par M. Bordery fils , oeuvre 2 ;
miſes au jour par M. Michaud , aux
adreſſes ci-deſſus.
Six Trio pour deux violons & violoncelle
obligés , dédiés à M. Chabenat
de la Malmaiſon , Conſeiller an Parlement,
compoſés par M. Aubert , Muficien
de la Comédie Italienne ; prix 7 liv. 4 f.
A Paris , chez le ſieur Huguet , Graveur-
Muſicien de la Comédie Italienne , rue
Pavée Saint Sauveur ; & chez M. le Roi ,
Banquier , vis - à- vis la rue des deux ,
Portes.
JANVIER. 1774. 181
Sei Quintetti per due Violini Alto &
due Violoncelli Concertanti. Compoſti
Dall . Signor Luigi Boccherini Virtuoſo
di Camera & Compoſitor di Muſica di
S. A. R. Dom Luigi , Infante di Spagnia.
Opera XII . Libro primo di Quintetti.
Nuovamente Stampati a Speſe di G. B.
Venier. Prix , 12 liv. La partie du
ſecond violoncelle ſe pourra exécuter fur
l'alto , ou un baſſon. A Paris , chez M.
Venier , éditeur de pluſieurs ouvrages de
Muſique , rue Saint Thomas du-Louvre ,
vis-à-visle Château d'eau , & aux adrefſes
ordinaires. A Lyon , aux adreſſes de
Muſique.
VIELLE PERFECTIONNÉE.
Extrait des regiſtres de l'AcadémieRoyale
des Sciences , du 11 Décembre 1773 .
Nous
ous avons exaniné , par ordre de
l'Académie , les changemens faits par M.
Delaine , à l'inſtrument de Muſique nommé
Vielle.
د
Ces changemens conſiſtent 1º. en
deux bafcules placées entre la roue & le
clavier , & deſtinés à ſoulever les quatre
bourdons , fans déranger les mains , & à
182 MERCURE DE FRANCE.
lereplacer; ce qui ſe fait en preſſant légèrement
, ou en ne preſſant point le couvercle
du clavier ſous lequel on a inſéréd'abord
une potence tournante qui
conduit le repouſſoir de ces baſcules.
Ce moyen nous paroît ingénieux , &
procure à l'inſtrument la facilité de pafſer
d'un ton à un autte dans ces eſpèces
de folo , & de revenir au ton des
bourdons , quand on les remet ; ce qui
ſe peut faire pluſieurs fois dans le cours
d'une même pièce. Ces moyens confiftent
, 2°. en ce que l'auteur a évidé la
boîte du clavier ; (ce qui augmente le fon
de l'inſtrument ) & a garni cette boîte
intérieurement de pluſieurs cuirs qui em.
pêchent le cliquetis des touches.
3°. Dans la fuppreffion d'une chanterelle.
La Vielle ordinaire en a deux à
l'unition ; mais cet uniſſon ſe conſerve
difficilement ; l'auteur a préféré avec raiſon
de n'en avoir qu'une , mais plus
forte.
4°. Dans la facilité d'enlever la roue
&de la réparer , fans décoller le corps de
l'inſtrument ; ce qui s'exécute en retirant
ce qui s'engage dans les pièces viffées .
50. Enfin ,dans l'additiond'un nombre
de corde de clavecin indépendantes des
JANVIER. 1774. 183
(
touches & accordées à tous les tons &
demi-tons . L'inconvénient de cette pratique
déja connue , eſt que la modulation
venant à changer , les cordes du ton précédent
réſonnent encore ; mais cet inconvénientn'eſt
pas grand pour un inftrument
auſſi ingrat & auffi borné que l'eſt
la Vielle par rapport aux variétés de modulation.
Il nous paroît que les changemens dont
nous venons de parler contribuent à la
perfection de l'inſtrument auquel ils
font appliqués. L'Académie a été fatisfaite
de l'eſpèce d'analogie du fon de cet
inftrument , & penſe que fon auteur
mérite fon approbation.
Signés , VANDERMONDE & DE FOUCHY.
Je certifie l'extrait ci-deſſus conforme à
Son original & au jugement de l'Académie.
A Paris, le 13 Décembre 1773 .
GRANDJEAN DE FOUCHY , Secrétaireperpétuel
de l'Académie Royale des Sciences.
Précis du Mémoire de M. le Roy , fur la
forme des Barres , ou des conducteurs
métalliques destinés à préserver les édifices
des effets de lafoudre ; lu à la ren184
MERCURE DE FRANCE.
1
tree publique de l'Académie des Sciences
, le 13 Novembre dernier.
DANS la Phyſique , rien n'eſt à négliger , &
tout eft important ; car dans l'ignorance où nous
ſommes ſur la plupart des cauſes qui régiflent ce
vaſte Univers , les choses qui nous paroiſſent les
plus indifférentes , les plus triviales même , nous
menent ſouvent aux plus grandes découvertes.
Tout le monde connoît les foibles commencemens
de l'électrité & les expériences à peine ſenſibles
du tube de verre , qu'on frottoit avec la
main: cependant ces expériences nous ont conduits
à une des découvertes les plus étonnantes de
la phyſique moderne. Ce n'eſt pas trop dire ! Les
philoſophes des ſiècles paflés les plus hardis
dans leurs conjectures , n'auroientjamais penſé ,
ou ſoupçonné même qu'il viendroit un temps ou
l'on parviendroit , non- ſeulement à découvrir la
nature du feu du tonnerre , mais encore à le faire
deſcendre , pour ainſi dire , dans nos laboratoires
, pour le combiner & le toucher , en quelque
façon, dans une multitude d'expériences diverſes.
Cependant , c'eſt ce que nous avons vu de nos
jours par une ſuitedes progrès de nos connoiflances
fur l'électricité , & de l'expérience auſſi ingénieuſe
que hardie , imaginée par M. Franklin .
Souvent les avantages des plus belles découvertes
n'appartiennent qu'à la ſimple ſpéculation;
mais celle ci nous en préſentoit de plus importans.
La ſeule analogie nous menoit à penſer
qu'en étendant les moyens par leſquels on avoit
fait cette découverte , on parviendroit à garantir
les édifices des ravages de la foudre , &M. Franklin
n'avoit pas manqué de ſaiſir cette analogie ;
JANVIER. 1774. 185
il propoſa en conféquence d'établir fur les édifices
des verges ou des barres métalliques , qui ,
communiquant par d'autres barres de même nature
juſqu'au terrein en bas , * devoient ſervir
par- là à tranfmettre la foudre , au cas qu'elle ſe
jetât ſur ces édifices .
Le ſuccès de cette idée paroifloit ſi bien fondé ,
qu'il ſemblait qu'on devoit s'empreſſer d'en faire
uſage pour préſerver les bâtimens des effets du
tonnerre ; la phyfique ſur tout ne pouvant ſe
propoſer de plus grand objet que de prévenir ces
terribles effets de la Nature qui paroiffent nous
menacer d'une deſtruction générale ; mais il en
arriva tout autrement. La jaloufie , qui s'élève fi
ſouvent contre les découvertes , foit pour en diminuer
le mérite , foit pour les anéantir , joua
ici ſon tôle ordinaire. Loin d'expérimenter l'effet
de ces barres , on s'empreſſa de les critiquer. Il
* La découverte de l'analogie de la foudre avec
l'électricité avoit été faite au moyen de verges de
fer , qui , iſolées ou foutenues ſur du verre , ou par
des cordons de ſoie , s'étoient chargées d'électricité
pendant le tonnerre ou à l'approche d'un
nuage orageux ; or ce que M. Franklin propofoit
ſe concevra facilement , en ſe repréſentant
une de ces tours ſurmontée d'une girouette. Qu'on
ſuppoſe que la girouette ſoit enlevée ; qu'il ne
reſte que la verge de fer qui la ſoutenoit , & que
cette verge , par d'autres verges ou barres de fer,
deſcendant le long du bâtiment , aille ſe plonger
dans la terre au-deſſous : on aura une idée des
verges , ou , comme nous les appellerons dans la
fuite, des conducteurs de la foudre de M. Frank,
lin.
:
ز
186 MERCURE DE FRANCE.
faut l'avouer , ce fut même parmi nous qu'elles
eſſuyèrent le plus de contradictions . Non-content
de les combattre par des raiſons ſpécieuſes,
on voulut encore yjeter du ridicule ; on prétendit
que le philoſophe de Philadelphie vouloit
Souterrer le tonnerre. Enfin ces barres ou ces conducteurs
de la foudre ayant été peu accueillis en
Europe , on ne s'en ſervit qu'en Amérique parmi
les compatriotes de M. Franklin , foit qu'ils penfatient
plus favorablement de ſes idées ,ſoit qu'ils
s'intéreſlaſſent davantage à ſa gloire.
Cependant le temps qui amène tour, fit voir
que ce que M. Franklin avoit prévu étoit arrivé,
&que des maiſons à Philadelphie armées,ficela
ſepeutdire, de conducteurs , avoient échappé,
par leur moyen , aux ravages de la foudre , ces
conducteurs l'ayant tranſmiſe juſqu'au terrein
ſans qu'elle caufât aucun dommage ſenſible.
Ces obſervations parvenues en Europe , firent
faire des réflexions ; on fentit qu'on s'étoit prevenu
très-mal à- propos contre les conducteurs de
la foudre, & de nouveaux exemples des funeſtes
effers du tonnerre ayant fait ſentir encore plus la
néceſſité de prévenir de pareils malheurs , on ſe
détermina en Angleterre ,en Hollande &en Italie,
à armer de conducteurs pluſieurs édifices que
leur magnificence ou leur utilité engageoit à préſerver
de la foudre.
Tantil eſt vrai , comme le remarque M. leRoy,
que la vérité , quoique lente dans ſa marche ,
triomphe toujours , & ne manque jamais de ren
verſer les vainsobſtacles qu'on veut lui oppoſer!
Frappé des avantages des conducteurs , M.le
Roy s'étoit déclaré en leur faveur dès que l'identité
du feu électrique & de celui de la foudre avoit
été prouvée ; non ſeulement il avoit combattu les
JANVIER. 1774. 187
faux raiſonnemeus par leſquels on prétendoit en
prouver le danger , mais encore il avoit donné
des inſtructions pour les établir de la manière la
plus avantageute ; enfin , pour achever de diſſiper
toute prévention ſur une matière de cette importance
,il tut un Mémoire * à l'Académie il y a déjà
pluſieurs années , où il établit l'utilité des conducteurs
par une comparaiſon ſuivie & raiſonnéedes
phénomènes de l'électricité & du tonnerre ; mais
plus occupé dans ce Mémoire de prouver leurs
avantages que de difcuter ſoigneusement leur
forme, il revient aujourd'hui fur ce ſujet : cela lui
aparu d'autant plus néceſſaire , que les Phyficiens
lesplus inftunits de ces matières ne font pas entièreinent
d'accord fur la forme qu'il faut leur
donner , les ous voulant qu'ils pient fort pointus
, & fuffisamment élevés au- defius des combles
des édifices , les autres , au contraire , qu'ils
foient moufles ou arrondis par le bout , & preſque
à raſe de ces combles.

La Société Royale de Londres ayant été conſultée
l'année dernière par le département de l'artillerie
, fur les meilleurs moyens de garantir du
tonnerre les magaſins à poudre de Purfleet , on
vit ce partage d'opinions parmi les commiſſaires
qu'elle nomma à cette occafion: ils convenoient
tous de la néceſſité d'employer des conducteurs
métalliques , mais ils différoient fur la forme
qu'il falloit leur donner. Les uns prétendoient que
les pointes dérobant le feu électrique de bien
loin , on pouvoit , en attirant par leur moyen un
volume de feu conſidérable ſur un édifice , produire
précisément l'effet que l'on le propoſoit de
* Voyez le volume des Mémoires de l'Acad.
des Sciences de l'année 1770 , pag. 53 .
188 MERCURE DE FRANCE.
prévenir ; que les conducteurs ne devoient pas
attirer le tonnerre ſur les bâtimens mais
uniquement le tranſmettre , fi par halard il
ſe portoit de leur côté ; enfin , que ceux qui
étoient arrondis par le bout avoient tout ce
qu'il falloit pour remplir cet objet. D'un autre
côté , leurs antagoniſtes répondoient que c'eſt
précisément parce que les pointes attirent le feu
électrique de plus loin , qu'il faut en donner la
forme àces conducteurs ; * que par là le volume
de feu qui , dans l'éclair , pourroit ſe jeter fur un
bâtiment, fera tellement diminué , qu'il ne pourra
plus caufer aucun dommage ; enfin , qu'en ſuppoſant
encore que la foudre tombât fur un édifice
armé d'un de ces conducteurs formés en pointe ,
on n'en pourroit rien conclure à leur défavantage
, puiſqu'il eſt prouvé par pluſieurs obſervations
que dans ce cas-là même ils ont tranfmis
la matière fulminante ſans qu'elle ait produit de
dommages marqués.
Ces dernières raiſons paroiſlent aſſez fortes en
faveur des conducteurs terminés en pointe; cependant
il faut l'avouer , elles ne décident pas
nettement la queſtion ; & comme entre deux événemens
poſſibles on eſt toujours porté à croire
que le plus fâcheux arrivera plutôt que l'autre ,
* On ſe formera aisément une idée de ces
deux différens conducteurs , en ſe repréſentant la
tour dont j'ai parlé dans la Note précédente ,
tantôt ſurmontée d'une pointe de fer qui s'élève
à une aflez grande hauteur au-deſſus de fon
comble , & tantôt ſurmontée uniquement d'une
barre de fer arrondie par le bout , & débordant
à peine le haut du comble.
JANVIER. 1774. 189
quoiqu'il y ait même une plus grande probabilité
en faveur de ce dernier , les pointes attirant
le feu électrique de plus loin que les corps moufſes
, on étoit toujours dans le cas de craindre que
les conducteurs à qui on donneroit cette forme ,
n'attiraſſent le tonnerre .
Il étoit donc très-important de diſſiper toute
eſpèce de nuage à ce lujet: c'eſt ce qu'a entrepris
M. le Roy , & à quoi il paroît qu'il a pleinement
réufſi. Plus d'attention , dit - il , aux phénomènes
de l'électricité qui ont trait à la queſtion , auroit
bientôt montré que les conducteurs d'une forme
pointue doivent être abſolument préférés aux
autres.
Nous ne pouvons le ſuivre dans le détail de
ces phénomènes & des expériences qu'il a faites
pour les confirmer : nous nous contenterons d'en
expoſer les réſultats.
Mais auparavant il faut ſe rappeler que l'on
diftingue deux différens effets dans l'eſpèce de
lumière que l'on excite en préſentant ou en approchantdes
corps mmééttaalllliiques , d'uncorps électriſé
; l'un eſt la lumière tranquille qui ne fait
qu'un point lumineux , qu'on voit au bout du
corps préſenté quand il eſt terminé en pointe';
l'autre qui éclate , brille , & diſparoît à l'inſtant ,
qu'on appelle l'étincelle , qu'on obſerve principalement
quand le corps eſt obtus ou arrondi à
lon extrémité , & qu'on l'approche affez près du
corps électriſé.
Čeci ſuppoſé, il réſulte des expériences de M.
le Roy , i . qu'une pointe très-aiguë tiroit ou
enlevoit le feu électrique d'un corps électriſé de
fort loin , c'est-à- dire , à plus de trois pieds , &
que cependant elle n'en faiſoit partir l'étincelle
qu'à la diſtance d'un tiers de ligne , ou quand on
190 MERCURE DE FRANCE.
l'avoit approchée du corps électrife 1296 foisplus
près.
2°. Qu'une balle de métal d'un pouce de diamètre
ne tiroit que peu ou point le feu du corps
électriſé avant d'approcher à la diſtance où elle
en faiſoit partir l'étincelle , & que cette diſtance
étoit cependant trente fix fois plus grande que
celle où il falloit en approcher la pointe.
3°.Que le feu électrique ne produit jamais de
grands effets , d'effets violens , qu'autant qu'en
vertu de ſa différente denfité dans le corps où il
entre& dans celui d'où il fort , il pafle dans le
premier , ou fort du ſecond avec une grande rapidité.
Enfin, que cet effet n'a jamais lieu que parune
forte étincelle qui éclate entre les deux corps; car
toutes les fois que le feu électrique ſort des corps
ou qu'il y entre lentement , & ſous l'apparence
d'une lumière tranquille , ces violens effets n'exiftentplus.
Pourmieux faire fentir ce double effet du pafſage
lent ou rapide du feu électrique au travers
des corps, M. le Roy le ſert d'une comparaifon.
Les métaux & tous les corps électrifables par
communication , recelant dans leurs pores une
quantité de feu électrique toujours la même lorfqu'ils
ne ſont pas électriſés , peuvent être comparés
par-là, felon cet Académicien, à une éponge
contenantdans ſes pores une certaine quantité
d'eau. Or , dit- il, fi l'on verſe de l'eau fur
cette éponge , mais lentement , & de manière que
devenant une eſpèce de filtre , elle en laiffe paffer
autant en bas qu'on en verſe en hant; la nouvelle
eau traverſera l'éponge ſans qu'il en réfulte
aucun effet ſenſible : mais fi , au contraire , on la
force avec la plus grande violence , de façon
JANVIER . 1774. 191
qu'elle ne puifle pas paſſer à travers l'éponge avec
la même rapidité qu'elle eſt forcée , elle en rompra
& en déchirera entièrement toutes les parties.
L
Le feu électrique & celui du tonnerre étant les
mêmes , tout ce que nous venons d'expoſer eſt
parfaitement appliquable à la détermination de la
forme des conducteurs de la foudre , & prouve
en même- temps , avec la plus grande évidence ,
qu'ils doivent être formés en pointe ; car les corps
moufles excitant l'étincelle qui répond à l'éclair
debeaucoup plus loin que les pointes , quoique
celles-ci tirent cependant le feu électrique en
filence , d'une diſtance beaucoup plus grande , &
le feu électrique qui éclate ſous la forme d'étincelle
étantle ſeul dangereux , & non celui qui
fort des corps , ou qui y entre ſous une forme
tranquille; il en réſulte que les conducteurs terminés
en pointe n'attireront pas l'éclair de fi
loin, à beaucoup près , que ceux qui font arrondis
par leur extrémité , & que par conféquent
tout ce qu'ont dit les Phyſiciens qui s'oppolent
aux premiers, tombe de lui-même.
-.Pour mieux en juger , & rendre ſenſibles les
avantages de ces conducteurs , ſuppoſons pourun
momentque deux différens édifices , peu éloignés
P'un de l'autre , ſoient armés reſpectivement , l'un
d'un conducteur terminé en pointe , l'autre d'un
conducteur arrondi par le bout , & qu'un nuage
chargé de matière fulminante flotte dans l'air ,
&s'en trouve éloigné d'une diſtance de 2000
roiſes: il eſt clair que fi l'atmosphère électrique
de ce nuage s'érend juſqu'à eux , le premier en
tirera du feu , mais en filence , pendantque le ſecond
n'en pourra tirer en aucune façon , puif
qu'il ne peut agir qu'à une diſtanee trente- fix
192 MERCURE DE FRANCE.
fois moindre. Imaginons à préſent que le nuage
s'approche , & qu'il ſe trouve 36 fois plus près
de ces conducteurs à 45 toiſes ou aux environs ;
arrivé à cette diſtance , il éclatera au- deſſus du
conducteur arrondi , ou celui- ci en tirera l'éclair
à une diſtance où ce nuage ſera encore bien loin
d'éclater au-deſſus du conducteur terminé en
pointe , puiſqu'il faudra , pour que cet effet arrive
, qu'il s'en approche encore trente- fix fois
davantage.
Ainſi , qu'un orage ſoit formé par une grande
nuée ou
Pa parbeaucoup de petites ; que ces nuées
renferment peu ou beaucoup de matière fulminante;
que les éclairs qui en partent lancent plus
ou moins de feu: tout ce qu'on vient de dire n'en
ſera pas moins vrai , & le conducteur mouſſe
ſera toujours frappé de l'éclair beaucoup plutôt
que l'autre; & , quand on ſuppoſeroit encore que
celui-ci le fût , l'éclair ſeroit toujours beaucoup
plus foible , la pointe ayant continuellement dérobé
le feu du nuage à mesure qu'il s'en approchoit.
En vain objecteroit- on que ces conféquences
ſont déduites de nos expériences en petit ſur l'électricité
, & que les proportions que M. le Roy
a établies entre l'action des pointes & celle des
corps moufles , peuvent ſe démentir dans la région
des nuages; le fonds n'en ſera pas moins
vrai , par la parfaite identité du feu électrique
avec celui de la foudre , & il reſtera toujours
pour conftant que le conducteur arrondi ſera toujours
frappé de l'éclair beaucoup plutôt que le
conducteur terminé en pointe , quoique celui- ci
tire la matière fulminante d'une diſtance beaucoupplus
grande.
> Nous avons dit que l'éclair pourra éclater aus
deflus
JANVIER. 1774. 193
deſſus de ce dernier conducteur , mais , ſelon M.
le Roy , c'eſt une ſuppoſition qui ne ſe réaliſera
que très - rarement , la matière fulminante devant ,
àmoins qu'elle ne ſoit très - abondante , ſe transmettre
en filence & fans que ſon feu éclate : cependant
, quand cela arriveroit , on n'en auroit
encore rien à redouter , comme l'obſervation l'a
prouvé , & comme on l'a vu arriver l'année dernière
au dôme de S. Paul de Londres , quoiqu'il
n'y eût d'autre pointe à ce dôme que celle de la
croix.
Le Chapitre avoit fait placer , d'après l'avis de
la Société Royale , des barres de fer , pour faire
une communication bien exacte par une ſuite de
parties métalliques , * depuis cette croix juſqu'an
terrein au pied de l'égliſe. Dans un grand orage ,
le 22 Mars 1772 , on vit darder un violent éclair
fur le dôme ; on alla le lendemain viſiter par curiofité
toutes les barres de fer ſervant à la communication
dont on vient de parler ; on trouva
* S'il y avoit eu une pareille communication
métallique depuis la croix & la lanterne du dôme
de Saint Pierre de Rome juſqu'au tericin en bas ,
il y a toute apparence que la foudre n'auroit pas
fait le dégât qu'eellllee aa fait dans l'eſcalier de cette
lanterne , & dont parle la Gazette de France du
13 Décembre à l'article de Rome ; car il paroît
que cette égliſe a été frappée du tonnerre à-peuprès
de la même manière que l'égliſe de S. Paul
de Londres , mais la foudre n'ayant pas trouvé
dans la première un libre paflage , a fait fauter
tout ce qui lui a réſiſté ſur ſa route , tandis qu'à
S. Paul, les barres de tranfmiffion ontprévenu fes
ravages.
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
dans un endroit ( ou par négligence deux barres
de tranſmiſſion ſe trouvoient éloignées l'une de
l'autre de pluſieurs pouces , ) des traces viſibles
du paflage de la foudre. M. le Roy ajoute qu'il
eft comme certain que ſi on viſitoit avec la même
attention les édifices expolés au tonnerre , & où
il ſe rencontrede ces communications métalliques
ainfi interrompues , on y trouveroit des marques
ſemblables de fon paſſage.
Après avoir aints établi la forme des conducteurs
de la foudre , & démontré que de toute néceſſité
ils doivent être terminés en pointe , & enfin
que c'eſt à tort qu'on les a cru dangereux ,
en confondant mal-à-propos la propriété de tirer
le feu des nuages , en filence , avec celle d'en attirer
l'éclair , deux choſes cependant très -diftinctes:
M. le Roy conclut en faiſant des voeux
pour que l'uſage s'en introduiſe parmi nous.
Puiflions-nous , ajoute-t- il , les appliquer aux
égliſes , aux magaſins à poudre , aux vaiſſeaux ,
ànos palais , à nos maisons , & faire ceffer le
reproche ſi ſouvent fait à notre nation , & qui
n'eſt malheureuſement que trop fondé ; que nous
imitons avec vivacité & empreflement toutes les
modes frivoles de nos voiſins , & que les uſages
dont les avantages ſont les mieux démontrés
ne s'introduiſent parmi nous qu'après que toute
l'Europe les a adoptés.
TRAIT DE BIENFAISANCE .
,
M. voici un nouveau trait d'humanité
&de générofité , bien propre à ſervir de
modèle à la bienfaiſance.
JANVIER. 1774. 19
,
Des Comédiens , avant de quitter en
1772 , la ville de Gap où ils avoient
pallé quelque temps , proposèrent de revenir
l'année ſuivante , pourvu qu'on leur
aſſurât 3000 livres à leur retour . Pendant
que quelques Amateurs travailloient à
raſſembler dans la claſſe des perſonnes aifées
, des Souſcripteurs pour cette ſomme,
M. de Narbonne Lara , alors Evêque de
cette Ville , entendant parler de l'engagement
des Acteurs , &des peines qu'on
ſe donnoit pour y répondre , propoſa aux
Notables les plus honnêtes de la Ville
de changer la deſtination de ces foufcriptions
en une oeuvre plus utile , en faveur
de laquelle il promit d'ajouter pareille
ſomme à celle que l'on cherchoit à ra.
maffer. Cet établiſſement , qui a été
adopté avec empreſſement, confiſte dans
une eſpèce de mont de piété , dont l'objet
eſt de former & d'entretenir un grenier
d'abondance , d'où l'on diſtribue , à
certain temps de l'année ,ſur les certificats
de MM. les Curés , du grain aux
Citoyens , qui , ſans être dans la claſſe
des pauvres , ſouffrent cependant, s'ils ne
font pas fecourus dans certaines ſaiſons.
Ce grain prêté doit être rendu au gre
nier avec undouzième en ſus dans la faiſon
favorable; ce qui ſuffi: pour entre-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
tenir & augmenter cette fource féconde.
J'ai actuellement ſous les yeux le Mandement
du reſpectable Prélat à cette occafion
; il eſt ſuivi d'un règlement infpicé
par la ſenſibilité , & rédigé par la
prudence : il y a fur-tout un article qui
paroît dicté par la charité même ; c'eſt
celui ( le XXV ) où il eſt dit que l'excédent
de la quantité de bled déterminée
pour faire le fond permanent du grenier,
Sera diftribué aux pauvres les plus indigens
que leur misère met hors d'état de
participer au bénéfice du grenier , & qui ,
n'étant pas folvables , n'ont ni gages , ni
cautions à fournir.
Quels regrets pour les habitans du
diocèſe deGap , de perdre ce Prélat que
Sa Majesté vient de nommer à l'Evêché
d'Evreux , pour le rapprocher du ſervice
de Meſdames Victoire & Sophie dont
il eſt premier Aumônier ! Quelles flatteuſes
eſpérances pour ſon nouveau troupeau
! Quel exemple pour les ames bienfaiſantes!
Le fuccès de cette bonne oeuvre fait
de plus en plus defirer aux honnêtes gens
de voir enfin établir dans la Capitale un
mont de piété d'un objet plus étendu :
moyen ſeul capable de faire ceffer cette
ufure criante & funeſte qui abſorbe la
JANVIER. 1774 197
fortune du Citoyen malheureux , & qui
conduit à l'indigence la jeuneſſe trop facile.
ANECDOTES.
I.
CHARLES IV, Duc de Bourgogne , ſe
comparoit à Annibal , celui des grands
hommes de l'antiquité qu'il admiroit le
plus. Après la bataille de Granſon , qu'il
perdit contre les Suiſſes , il fut obligé de
prendre la fuite; fon frère qui le ſuivoit ,
lui crioit , en courant à toute bride : Ah !
Monfeigneur , nous voilà bien annibalés?
I I.
Un Duc de Guiſe avoit prié ſa femme
de ne point aller à un bal où devoit ſe
trouver quelqu'un qu'il foupçonnoit d'être
fon amant : elle s'opiniâtra à y aller.
Afon retour , lorſqu'elle fut couchée , le
Duc entra dans ſon appartement avec un
maître-d'hôtel qui portoit un bouillon ; il
lui ditd'un ton de maître , qu'elle devoit
être fatiguée , & qu'il lui ordonnoit de
prendre ce bouillon. La Dame obéit , &
Iiij
198 MERCURE DE FRANCE.
ſe recommanda à tous les Saints du Paradis
. Le maître-d'hôtel retiré , le Duc reſta
dans l'appartement , & , lorſqu'il ſe fut
écoulé un peu de tems , il entr'ouvrit le
rideau & demanda à ſa femme comment
elle ſe trouvoit? << Hélas ! Monfieur , lui
» dit elle , je ſuis auſſi bien qu'on peut
>> l'être dans mon état ! Votre état , Ma-
>> dame , reprit le Duc , n'a rien de fa-
>> cheux , & vous en ferez quitte pour la
>> peur ; je ſouhaite en être quitte auffi
» pour cela ; mais , croyez moi , ne nous
>> en faiſons plus l'un à l'autre. >>
:
III.
Après la bataille de Denain , à laquelle
avoit affifté M. de Magnac , excellent
officier de cavalerie , qui avoit contribué
au ſuccès de pluſieurs batailles , & qui
diſoit : « Tu-Dieu , Magnac ! tu fais des
>> Maréchaux de France ; quand le de-
> viendras- tu ? Ce M. de Magnac vint
trouver M. le Maréchal de Villars ,& le
pria de donner ſes ordres pour que fa
cavalerie , qui étoit ſur pied depuis deux
jours , eût du fourrage. « Voyez vous-mê-
>> me , mon cher Magnac , où l'on pourra
>>en avoir , répondit le Maréchal , & il
ſe ſervit du proverbe latin : De minimis
3
1
1
JANVIER. 1774. 199
non curat Prætor. Morbleu , M. le Maréchal
, reprit Magnac qui n'entendoit pas
*le latin , laiſſez-là vos minimes & vas
Prêtres ; nous n'en avons que faire ; c'est
dufourrage qu'il nous faut.
REPONSE à M. l'Abbé Grofier , fur fa
dénonciation d'un prétenduplagiat dans
LeMercure.
Vous dites , Monfieur , que dans le Mercure de
Novembre 1773 , ) qu'on lit ou qu'on ne lit pas ,
comme vous le remarquez fort plaiſamment, )
on a employé un conte ſous le titre d'Almet ;
& vous dénoncez à l'année littéraire ce conte ,
comme un plagiat fait au Journal étranger du
mois d'Août 1754 ; mais vous vous trompez :
ce conte n'eſt ſigné ni avoué par aucun Auteur ,
&par conséquent il n'y a point de plagiaire ;
car il me lemble que le plagiat conſiſte à
s'attribuer un ouvrage qui n'eſt pas de foi. D'ailleurs
vous convenez que ce conte eft traduit
de l'arabe en anglois. Eh bien ! c'eſt de l'anglois
que je l'ai traduit , ainſi que vous; avec
beaucoup d'autres nouvelles tirées du même recueil
, & imprimées pareillement dans le Mercure.
Ce conte vous paroît défiguré , parce qu'il
n'a pas la bouffiffure , les additions & les prétendus
ornemens employés dans votrenouvelle.
C'est donc ce qui prouve que je ne ſuis pas votre
plagiaire. Au reſte , excuſez- moi , plaignezmoi
, de n'avoir admiré ni reſpecté , fuivant
vos éloges , votre abondance destyle , vvotremagnificence
d'idées & de figures , votre hardieſſe ,
Ι ιν
200 MERCURE DE FRANCE .
vos beautés , &c. &c , & tant d'autres qualités
que vous regrettez . Le Mercure eſt confervateur
autant que rédacteur ; j'y ai rétabli les
formes originales de l'arabe que vous y aviez
altérées ; & nous ſommes deux traducteurs de
l'anglois , ſans être plagiaires ; vous , abondant ,
magnifique , hardi & beau ; moi , concis , fimple,
exact & fidèle. Ainfi , ni le ſieur Lacombe
ni vous M. l'Abbé Groſſer , ni mmoi , ne ſommes point
plagiaires ; & en vérité, on auroit tort de l'être de
votre abondance de ſtyle , de votre magnificence
d'idées , &c. Je fais que la critique peut trouver à
reprendre dans le Mercure qui eſt plus l'ouvrage
du Public que de l'Editeur ; mais ce reproche ne
peut- il pas le faire auſſi aux Auteurs de feuilles ,
de Journaux , &c. ? C'eft ce queje ne prendrai pas
la peine d'examiner. Je ſuis ,&c.
A Madame D **.
En quoi ! vous êtes étonnée
Qu'aubout de quatre-vingts hivers,
Ma muſe faible & furannée
Puifle encor fredonner des airs ?
Quelquefois un peu de verdure
Rit ſous les glaçons de nos champs ;
Elle conſole la Nature ,
Mais elle sèche en peu de temps.
Un oiſeau peut ſe faire entendre
Après la ſaiſon des beaux jours ;
JANVIER . 1774 . 201
Mais ſa voix n'a plus rien de tendre :
Il ne chante plus ſes amours.
Ainfi je touche encor ma lyre
Qui n'obéit plus à mes doigts ;
Ainſi j'eſſaye encor ma voix ,
Au moment même qu'elle expire.
Je veux dans mes derniers adieux,
(Diſoit Tibulle à ſon Amante , )
Attacher mes yeux ſur tes yeux ,
Te preſſer de ma main mourante.
Mais , quand on ſent qu'on va paſſer ,
Quand l'ame fuit avec la vie ,
A-t'on des yeux pour voir Délie ,
Et desmains pour la careffer ?
Dans ces momens chacun oublie
Tout ce qu'il a fait en ſanté ;
Quel mortel s'eſt jamais flatté
D'un rendez -vous à l'agonie ?
Délie elle-même, à lon tour ,
S'en vadans la nuit éternelle ,
En oubliant qu'elle fut belle ,
Et qu'elle a vécu pour l'Amour.
Nous naiſſons , nous vivons , Bergère ,
Nous mourons ſans ſavoir comment.
Chacun eſt parti du néant :
Où va- til ? .... Dieu le fait , ma chère,
Par M. de Voltaire.
1 v
202 MERCURE DE FRANCE.
VERS préſentés pour le nouvel an à M.
l'Abbé Terray , Contrôleur- Général des
Finances , &c . par un Officier que fes
infortunes alloient obliger de quitter le
Service, lorſque ce Miniſtre préſenta lui.
même auRoi letableau defes infortunes,
& lui obtint plusieurs graces de S. M.
FAVORI du meilleur des Rois ,
Tour-a-tour ſoutiende ſes droits
EtMiniſtre de la clémence ;
Qui ſçus raſſembler à ta voix
Les tréſors épars de la France ,
Etqui vois couler ſous tes loix
Les ſourcesdenotre opulence ;
Qui toujours promptà ſecourir
Ou lemérite ou l'indigence ,
Teplais fans ceſſe à leur ouvrir
Les canaux de la bienfaiſance ;
Terray, je périflois ſans toi :
J'étoisun fardeau pour le monde ,
J'étois inutile à mon Roi ;
Maisde cette fource féconde 3
Une veine a coulé vers moi:
Soudain je me ſuis vu renaître ,
Etc'eſt àtoncoeur que je dois
D'avoir connu le plaifir d'être.
JANVIER. 1774. 203
:: Nous touchons enfin à ces jours
Où , pour décrire un nouveau cours ,
Le temps neurt& naîtde lui même ;
Entre mon fore & ces momens.
J'entrevois des rapports charmans ,
Grâces àta bonté fuprêine :
On voit une année aujourd'hui
Plongerdans la nuit éternelle ;
Unnouveau jour a déjà lui :
Mon malheur s'enfuit avec elle,
Mon bonheur commence avec lui .
Qu'une autre muſe moins timide
Oſant écouter ſes tranſports
Suive ton génie intrépide
Dans ſes plus fublimes eſſors
Te fafle voir nouvel Alcide*
1
:
Domptant le cours de nos tréſors
Et détournant par tes efforts
Le Pactolede nos contrées ,
Lorſque ſes ondes égarées
Alloient enrichird'autres bords:
Moinshardi , ſans être moins rendre ,
Je peindrai ton coeur généreux ,
Etje ferai par-tout entendre
Que par toi je me vois heureux :
Je le ferai ; c'eſt pour te plaire
*On fait qu'un des plus fameux travaux d'Hercule
eſt d'avoir détourné un fleuve.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Sans doute le plus für moyen ; :
Onjouit d'obtenir le bien ,
Ettoi , tu jouis de le faire.
Dans ces temps ſuperſtitieux
Où le droit de régner aux Cieux
S'achetoit par la bienfaiſance ;
Dans ces ſiècles où tous les Dieux
Nommés par la reconnaiſſance
Etoient de généreux mortels ,
L'encens cût été ton partage.
Va , prends nos coeurs au lieu d'autels ;
L'amour eſt un plus doux hommage.
ARRÊTS , ÉDITS , DECLARATIONS ,
LETTRES - PATENTES , & c.
I.
ARRÊT du conſeil d'état du Roi , du 29 Août
1773 ; & Lettres - patentes ſur icelui , regiſtrées
en la Cour des Monnoies le 12 Novembre 1773 ;
qui ordonnnent une fabrication de cent mille
marcs d'eſpèces de cuivre dans la Monnoie de la
Rochelle.
I I.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 11 Décembre
1773 ; qui commet le fieur Vanneſſon
pour , & au lieu du ficur Gougenot de Croiſly ,
faire les mentions ordonnées par l'Edit de Mars
1760 , fur les Quittances de finance des Offices
fur les ports , & les Contrats des Rentes dues par
les communautés deſdits Officiers,
JANVIER. 1774. 205
III .
Déclaration du Roi , donnée à Verſailles le 1,
Septembre 1773 , & regiſtrée en la Chambre des
Comptes le 27 Octobre audit an ; qui fixe les délais
pour la préſentation des comptes du Tréſorier
de laMaiſon de la feue Reine.
I V.
Lettres-patentes du Roi , données àVerſailles
le 21 Juin 1773 , & regiſtrées en la Chambre des
Comptes le 18 Septembre audit an ; au ſujet du
Duché de Longueville.
V.
Edit du Roi , donné à Compiegne au mois
d'Août 1772 , & regiſtré en la Chambre des Com.
ptes le 6 Novembre audit an; portant création
de l'Office de Receveur général des Vingtièmes
&Capitation de la Ville de Paris .
VI.
Il paroît trois Edits du Roi . Le premier fupprime
fix Offices de Notaires Royaux à Caen , & en
crée enmême temps fix autres dans la même ville.
Lefecondporteque le ſeul fiége de Maréchauffée
établi àValanciennes étant inſuffiſant pour l'exercice
de la Jurisdiction Prévôtale dans toute l'étendue
de la Province du Hainault, Sa Majesté a jugé
néceſſaired'en établir un àAveſnes ,dont la ſituation
lui a paru propre à remplir ſes vues pour le maintiendubon
ordre & de la sûreté publique dans cette
partie de lad. Province. En conféquence , Elle
a créé un Office de Lieutenant & d'un Aflefleur
206 MERCURE DE FRANCE
d'un Procureur du Roi & d'un Greffier. Le troiſième
porte création de trois Offices de Conſeillers au
Baillage de Pontoiſe.
AVIS.
,
M. Rolin , connu par le ſuccès de pluſieurs
éducations particulières , & par celui de ſon
inſtitution académique , compoſée de vingt cinq
jeunes Seigneurs de la première distinction
donne avis qu'il vient de quitter ſa demeure
rue & barrière Saint- Dominique , pour faire (on
établiſſement plus ſtable dans une grande &
belle maiſon ſituée rue & barrière de Sève , visà-
vis l'enfant Jeſus ; les perſonnes qui voudront
des éclairciflemens de ladite inſtitution pour la
jeune Noblefle , s'adreſſeront à M. Rolin , qui
leur donnera des profpectus.
NOUVELLES POLITIQUES.
DeConftantinople , le 25 Novembre 1773.
Au premier avis de la défaire du Général Ungher,
le Prince Dolgorouki rebroufla chemin , &
n'eſluya d'autre perte que celle d'un corps de Cofaques
qui formoit ton avant-garde & qui s'étant
enfoncé trop avant , fur futpris & défait par le
Boftangi Bacli d'Andrinople qui marchoit au ſecours
de Varna .
Dewlet Guerai Kan vient d'informer la Porte
* de lon arrivée à l'iſle de Taman , aprèsavoirlivré
JANVIER . 1774 . 207
pluſieurs combats à l'Eſcadre Ruſſe , dans lesquels
les Turcs ont été victorieux ; mais l'expédition
ſur la Crimée n'a pas eu lieu , parce que les troupes
du débarquement ,levées aux environs de Synope,
que les vents contraires out fait aborder aux
côtes d'Aſie , ont preſque toutes déſerté , & que
celles qu'il avoit amenées de. Conſtantinople ,
n'ont pas été ſuffiſantes pour former le fiége de
Kerès & de Jeni Kalé.
DeWarfovie, le 3 Décembre 1773 .
Les troupes Autrichiennes & Pruſſiennes continuent
à évacuer le Royaume. Les Prufſiens ont
établi leurdernier poſte à Naklo , petite ville enclavée
dans la nouvelle frontiere de Pruffe , &
l'artillerie a été renvoyée à Berlin . Ces troupes
ſont diſpolées cependant de manière qu'il feroit
facile de les raſlembler & de les faire rentrer en
Pologne , ſi l'eſprit de Confédération s'y reproduiloit.
Les troupes Rufles qui font aux ordres du Général
Major Lapuchin , ont paflé auprès de Kaminiec
& marchent vers le Danube avec la plus
grande diligence. La cavalerie de ce corps a reçu
ordre de camper dans les environs de Choczim
parce que les fourrages y font plus abondans. Les
équipages du Lieutenant Général Bibikow font arrivés
également àKaminiec. On y attend cetOfficier
qui ſe rend à la grande armée.
,
Les troupes Autrichiennes ont étendu leur cordon
ſur les frontières de Tranſylvanie , & , pour
mieux.couvrir ce pays contre les incurfionsdes
Ottomans , ils ont rendu le paſlage des montagnes
impraticable & y ont élevé pluſieurs Forts.
Onécritde Bromberg qu'on preſſeavec vigueur
208 MERCURE DE FRANCE .
les travaux du canal , & qu'on bâtit aux environs
de cette ville des Egliſes pour les Luthériens.
Les nouvelles arrivées des bords du Dnieſter
portentque les Rufles ont établi a Yaſſi pluſieurs
hôpitaux , & qu'il ont ceſſé de faire tranſporter
leurs denrées au-delà de ce fleuve ; ce qui feroit
préſumer qu'ils ſe diſpoſent à s'approcher deChotzim.
D'Alger , le 30 Octobre 1773 .
Des Maures du voiſinage de cette ville s'étant
de nouveau révoltés , an corps de troupes ,
commandé par le Bey de Conſtantine , les a attaqués&
mis en déroute. Ce Bey vient d'envoyer
en cette capitale , ſoixante têtes , quatre cens
paires d'oreilles & cinquante priſonniers.
De Stockolm , le 8 Décembre 177.3 .
Dans la dernière ſéance de l'Académie Royale
des Belles-Lettres , tenue le 24 du mois dernier , la
Reine Douairiere propoſa des prix pour ceux qui
s'exerceroient dans l'Art de faire des deviſes, des
emblêmes & des infcriptions relatives aux événemens
intéreſſans qui ſe paſſeroient.
Hier on poſa ſur ſon piédeſtal dans la place
des Nobles , en préſence de Sa Majesté , mais
ſans cérémonie , la ſtatue pédestre de Gustave
Vaſa , qui a été faite par le ſieur l'Archevêque ,
ſeulpteur François. Elle reſtera enveloppée de
ſa charpente juſqu'au printemps prochain . On la
découvrira alors & on en fera l'inauguration avec
beaucoup de pompe. On ſe rappelle que c'eſt
l'Ordre de la Nobleſſe qui a fait ériger , à ſes frais ,
ce monument.
JANVIER. 1774. 209
De Copenhague , le 7 Décembre 1773 .
La défenſe faire aux Habitans des campagnes
dans les Duchés de Sleſwick & de Holſtein , dans
la Seigneurie de Pinneberg & le Comté de Rantzau
, d'exercer des métiers & autres profeſſions
convenables aux villes , vient d'être renouvelée &
déterminée d'une manière plus précile , par un
Règlement du Roi .
De Breme , le 15 Décembre 1773 .
La remile folennelle des Comtés d'Oldenbourg&
de Delmenhorst au Grand- Duc de Ruffie
, eut lien le 10 de ce mois. Le comte de Reven
tlau , Commiſſaire de Sa Majesté Danoiſe , préſen
ta au Baron de Saldern , Commiſlaire du Grand-
Duc , les clefs du Château d'Oldenbourg , un gazon
& un rameau d'arbre. Mais ſon Alteſſe Impériale
ne demeura pas long- temps en poffeffion de
cesComtés , le Baron de Saldern ayant convoqué,
le jour même de la ceſſion , une aſſemblée des
Etats pour le 14 , dans laquelle il en transféra la
Souveraineté au Duc Frédéric- Augustede Holftein
, Evêque de Lubeck & oncle du Roi de Suéde,
lequel s'étoit rendu , à cet effet , à Oldenbourg .
Onaſſureque le Grand-Duc a aboli la capitation
dans ces deux Comtés , & que le ſuffrage de Holftein-
Gottorp à la Diete générale de l'Empire ſera
attaché à ce Domaine originaire& patrimonialde
laMaiſon qui occupe aujourd'hui les Trônes de la
Ruffie , dela Suéde &du Danemarck .
De la Haye, le 31 Décembre 1773 .
Outre la révolte des Nègres dans la Guiane
Hollandoiſe , leur déſertion augmente de jour
en jour dans les Colonies de Turacao , de Saint210
MERCURE DE FRANCE.
Eustache , d'Eſſequebo &de Démerari. Il paſſent
chez les Eſpagnols , & l'on deareroit que la
Courde Madrid voulût bien prendre des mefures
poury remédier. Les EtatsGénéraux ont envoyéau
Comte de Rechteren , leur Miniſtre en
Eſpagne , un mémoire à ce ſujet.
Le commercede la Baltique augmente dejour
en jour le produitde la Douane du Sund. Onn'y
connoiſſoit que quatre Nationsfavorisées , comme
on s'exprime dans les Traités ; (çavoir , les Hollandots
, les Suédois , les Anglois & les François.
Les Eſpagnols viennentd'obtenir la même faveur
parune convention qui allure , à ce qu'on dit ,
aux Danois la réciprocité en Elpagne. Le commiſlaire
Eſpagnol qui réſidoit à Dantzick , a eu ordre
en conféquence d'aller s'établit à Elſeneur
avec des inſtructions relatives à cette nouvelle
miflion.
?
De Londres , le 27 Décembre 1773 .
On procéda à l'examen des ſcrutins pour l'élection
du Repréſentant de la Ciré de Londres au
Parlement. Le ſieur Bull Lord Maire , le trouva
avoir eu deux mille fix cens quatre- vingt quinze
voix , & le ſieur Roberts , fon compétiteur , deux
mille quatre cens quatre-vingt une. En conféquence
le premier fut déclaré légitimement élu.
Il adreſſaà ce ſujet , un difcours à la Bourgeoifie ,
dans lequel il renouvela les aſlurances de ſon
zèle à défendre dans le Parlement les intérêts du
royaume , & particulièrement ceux de la ville de
Londres.
NOMINATIONS.
Le Roi a accordé l'Evêché de Senès à l'Abbé de
JANVIER. 1774 . 21
Beauvais , prédicateur de Sa Majesté & vicairegénéral
de Noyon.
Le Roi a accordé les grandes Entrées de ſa
Chambre à la Comtefle de Forcalquier , Dame
d'honneur de Madame la Comtefled'Artois,
L'Abbé de la Ville ayant été nommé , fur la
demande du Roi , à l'Evêché in partibus de Trichontum
en Natolie , a eu l'honneur de lui être
préſenté en cette qualité par le Cardinal de la
Roche-Aymon , Grand Aumônier de France. Sa
Majeſté voulant lui donner une nouvelle preuve
de la ſatisfaction qu'Elle a de ſes ſervices , l'a
nommé Directeur des Affaires Etrangères. Il a eu
l'honneur d'être préſenté , en cette dernière qualité
, au Roi , par le Duc d'Aiguillon , miniftre &
ſecrétaire d'état , ayant le département des affaires
étrangères , & de faire ſes remercimens à Sa
Majesté.
Le Roi a accordé les Entrées de fa Chambre à
l'Abbé Gaston, premier Aumônier de Monteigneur
le Comte d'Artois ; aux Comtes de Maillé & de
Bourbon Buffer , premiers Gentilshommes de la
Chambre de ce Prince ; au Matquis de Thianges,
maître de ſa garderobe ; au Prince d'Henin &au
Chevalier de Cruflot, Capitaines de ſes Gardes ;
au Marquis du Barry , Capitaine - Colonel des
Suiſles de la Garde ; à l'Evêque de Cahors,premier
Aumônier de Madame la Comtefle d'Artois ; au
Marquis de Vintimille , ſon Chevalier d'Honneur ,
&auMarquis de Chabrillan, ſon premierEcuyer.
PRÉSENTATIONS .
Le 26 Décembre , la Marquiſe de la Muzanchère
fut préſentée au Roi & à la Famille Royale
par la Marquiſede Doniſſan.
212 MERCURE DE FRANCE.
Les Députés des Etats de Bretagne furent admis
, le 3 Janvier, à l'audience du Roi. Ils furent
préſentés à Sa Majesté & à la Famille Royale par
leDucdePenthièvre , Gouverneur de la province,
&par le Ducde la Vrillière , miniſtre & ſecrétaire
d'état , ayant le département de cette province ,
&conduits par le Marquis de Dreux , grandmaître
, & le ſieur de Watroville , aide des cérémonics.
La Députation étoit compofée pour le
Clergé , de l'Evêque de Dol qui porta la parole;
pour la Noblefle, du Comte Deſgrecs du Lou , &
pour le Tiers-Etat , du ſieur Léon de Treverrer ,
Lénéchal au préſidial de Quimper , & du ſieur de
la Lande-Magon , Tréſorier des Etats .
Le ſicur Sabatier de Cabre , miniſtre-plénipotentiaire
du Roi près le Prince Evêque de Liége,
eut l'honneur de prendre congé , le 30 Décembre ,
de Sa Majestéà qui il fut préſenté par le Duc d'Aiguillon,
miniftre & fecrétaire d'état , ayant le département
des affaires étrangères.
MORTS.
Jacques Martin , natif des Cévennes , eſt mort
àBerne , les Novembre , âgé de cent ans . Après
avoir fait quelques campagnes en Italie , ſous le
Maréchal de Catinat , il s'étoit retiré parmi les
Camizards , où il gagnoit ſa vie à filer de la lainc.
Ila conſervé, juſqu'au dernier moment, beaucoup
de gaîté & de préſence d'eſprit.
Le 8 Novembre , Chriſtian Zimmermann eſt
mort à Herren - Schwanden , dans la cent- cinquième
année de fon âge.
Louis de Bompar , docteur en théologie ,Abbé
Commendataire de l'abbaye royale de la Couronne
, Ordre de St Auguſtin , diocèse d'Angoulême,
JANVIER. 1774. 213.
eſt mort à Grafle , le premier Décembre , dans la
ſoixante-dixième année de ſon âge.
Jeanne - Thérèſe Carrel , veuve d'Antoine du
Meſnyel , Marquis de Sommery , Colonel du régiment
de Sommery , Dragons , eſt morte à St
Germain- en- Laye , le 23 Décembre , âgée de 68
ans.
Joſeph -Thomas Marquis d'Eſpinchal , lieutenant-
général des armées du Roi , gouverneur des
ville& château de Salces , en Rouſſillon , eſt mort
ici , le 27 Décembre , à l'âge de ſoixante-dix- huit
ans.
Le nommé Pierre Larffon , habitant du District
d'Arwicka dans le Wermeland , y eſt mort âgé de
quatre-vingt- treize ans .
Jacques-Etienne Comte de Jaucourt-Duveaur
eſtmort ici , le 4 Janvier , dans la quarante-ſeptième
année de ſon âge.
Henriette Grumelon eſt morte à Saint - Caſt ,
évêché de Saint - Brieux , dans la cent- cinquième
année de ſon âge. Elle n'avoitjamais été malade,
&a confervé la mémoire juſqu'au dernier moment.
LOTERIES.
Le cent cinquante - fixième tirage de la Loterie
de l'hôtel-de- ville s'est fait , le 24 Décembre
, en la manière accoutumée. Le lot de cinquantemille
liv. eſt échu au No. 62531. Celui de
vingt mille livres au No. 71767 , & les deux de
dix mille , aux numéros 65623 & 75038 .
Le tirage de la loterie de l'Ecole royale militaire
s'est fait les Janvier. Les numéros fortis de la
roue de fortune , ſont 82 , 23,40 , 15 , 84. Le
prochain tirage ſe fera les Février 1774.
214 MERCURE DE FRANCE.
TABLE.
PIEICECEESS FUGITIVES en vers&en proſe, page
L'Homme & le Cheval , Conte , ibid.
A Mgr de Briflac , gouverneur de Paris , 10
Chanfon à Madame la Dauphine , II
Trio de Villageois , 13
Vers ſur la mort de Mde la Comteſſe d'Egmont, 14
A Mademoiselle P. , 15
MIRZA , conte oriental , ibid.
Vers à une Demoiselle de ſeize ans , 24
L'Araignée & la Fourmi , apologue , 25
Couplets à Mademoiselle *** 26
Vers à M. Bridan , 28
Dialogue, +30
La Paffejade, chanlon , 40
Inſcription pour une maiſon de campagne , 42
Aune Loueaſe de chaile ibid .
Aune Loueuſe de livres , 43
Aune jolie femme, qui met du coton dans ſes.
oreilles , 44
Traduction de l'Ode 3 me d'Horace , 45
Madrigal à Mdela Ducheſte de Montmorenci, 47
Adieux au château de la Brofie, 48
L'Ingrat puni , nouvelle , 49
Les Plaideurs d'accord , anecdote, 62
Couplets ſur les vingt Mariages faits par la
Ville de Paris , 63
Couplets ſur la naiſſance de Mgr le Duc de
Valois , 64
Vers au bas des portraits de M. de Mde ***
tirés par leur petite- fille , 66
Explicationdes Enigmes & Logogryphes, ibid
ENIGMES , 67
JANVIER. 1774. 215
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES,'
Vie du Dante , par M. Chabanon ,
Les Bibliothèques françoiſes de la Croix du
Maine & de du Verdier , tomes V & VI ,
Odes d'Horace , traduites en vers françois ,
Les Exercices du corps chez les Anciens , par
M. Sabbathier ,
Mémoire ſur l'uſage où l'on eft d'enterrer les
morts dans les Eglifes & dans l'enceinte
des villes , par M. Maret ,
Recueil ou table & précis des édits , &c.
Tableau du Ministère de Colbert ,
70
72
ibid.
87
و
96
ΙΟΙ
104
106
Mémoire de la Société R. de Turin, tome IV . 109
Grammaire latine , par M. Goulier
Défenſe de la volatilité du Phlogiſtique ,
116
118
Cours de Mathématiques , par M. Berthelot, 119
L'emploi du temps dans la ſolitude , 120
Almanach encyclop. de l'hiſtoire de France , 121
Almanach forain ,
Journal hift. & politique des principaux évéibid.
nemens de différentes Cours de l'Europe , 124
Almanach de Verſailles ,
Dictionnaire raiſonné de Diplomatique ,
Journal des Dames ,
Code Lorrain
2.
Dictionnaire de la Noblefle ,
Annonces ,
Les deux Amis ,
L'eſprit du Militaire ,
128
3
129
ibid.
135
137
140
ibid.
ibid.
ibid.
ibid.
1,41
ibid,
Mémoire fur une découverte dans l'art de
bâtir , pat M. Loriot , ibid.
Traité élémentaire d'Algèbre par M. l'abbé
Boffut , difcours , ibid.
Etrennes de la Noblefle,
Vie de St Gaëtan de Thienne
Le Jardinier prévoyant ,
Fleurettes du Parnafle
216 MERCURE DE FRANCE.
ACADÉMIES , Villefranche , : ISS
-Royale d'Ecriture , 159
Ecole royale gratuite de Deſſin , 161
SPECTACLES de la Cour , Opéra , 162
Comédie Françoiſe , 174
Vers à Mlle Luzy , 175
Comédie Italienne , 176
ARTS , Gravures , ibid.
Cours de mathématiques , 178
Cours de Langue Angloiſe, 176
Muſique , 180
Vielle perfectionnée , 181
Précis du Mémoire de M. le Roi ſur la forme
des Barres , &c . 183
Trait de Bienfaiſance , 194
Anecdotes , 197
Réponſe à M. l'Abbé Groſier , 199
A Madame D. *** . 200
Vers à M. l'Abbé Terray , 202
Arrêts , Edits , Déclarations , &c. 204
AVIS , 206
Nouvelles politiques , ibid.
Nominations , Préſentations , 210-211
Morts , Loteries , 212-213
APPROBATIO Ν.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le
ſecond vol. du Mercure du mois de Janvier 1774 ,
&je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreſſion.
AParis , le 15 Janvier 1774.
LOUVEL.
De FImp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le