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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES:
NOVEMBRE , 1773 .
Mobilitate viget. VIRGILE .
Peugne
A PARIS ,
, Chez LACOMBE , Libraire
Chriſtine , près la rue Dauphine.
Rue
AvecApprobation & Privilège du Roi.
AVERTISSEMENT.
C'EST au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriſtine , que l'on prie d'adreſſer , francs de port,
les paquets & lettres , ainſi que les livres , les eftampes
, les piéces de vers ou de proſe , la muſique,
les annonces , avis , obſervations , anecdoévénemens
finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
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tes
,
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Le Phasma ou l'Apparition, hiſtoire grecque
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LesMuſes Grecques , in-8 °. br.
Les Odes pythiques de Pindare
11.4.
Σ
11. 10 f.
11.166.
in - 8 °.
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121.
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Hiftoire naturelle duThé, avec fig.br. 11. 166
MERCURE
DE FRANCE.
NOVEMBRE , 1773 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EPITRE A L'AMOUR.
ENFANTgâté, dont les fredaines
S'embelliflent dejour en jour ,
Petit vaurien , frippon d'amour ,
Je ſuis quitte enfin de tes peines !
Je ne veux plus de tes fadeurs ;
En vain tu m'offriras tes charmes ,
Je rejetterai tes faveurs :
Je braverai juſqu'à tes larmes ,
Et je rirai de tes fureurs.
Aiij
6 MERCURE DE FRANCE.
Tonne à ces mots , fais grand tapage ,
Tu nem'épouvanteras pas :
Je prétends fuir tout embarras
Et je renonce à l'esclavage.
Aflez long- tems comme un forçat
Tu m'as tenu ſous ta puiſſance :
Je chantois ma froide conſtance ,
Et mon air imbécille & plat
Me ſembloit un air d'importance.
Le triſte rôle quand j'y penſe !
Je le jouois aves éclat : 1
Quandj'étois aux genoux d'Hortenſe,
Je ne voyois que ſes appas ;
On me fiffloit à toute outrance ,
Et je ne le ſoupçonnois pas.
J'étois dupe de matendiefles
C'eſt un uſage apparemment.
Quoi qu'il en ſoit ,j'étois amant;
Et j'étois amant ſans fineſſe.
M'éloignois-je de ma maîtrefle ,
Je fuyois tout amusement.
J'épiois , plein d'emprellement,
Un ſeul regardde la traîtreſle .
Que je n'obtenois pas ſouvent.
Toujours faiſant le piedde grue ,
J'étois l'eſclave des momens ,
Et je ſoupirois bien long -tems
Avant d'avoir une entrevue.
:
1
i
NOVEMBRE. 1773 .. 7
L'obtenois - je , l'ame éperdue
Je balbutiais mon ardeur ;
Mais Hortenfe , loin d'être émue ,
S'armoit encor plus de rigueur.
Pour avoir ſa moindre faveur ,
Il falloit des ſoins , du myſtère...
Et plus je cherchois à lui plaire ,
Moins je pénétrois dans ſon coeur :
Enfin je mourais de langueur
Aux pieds d'une Beauté ſévère
Qui s'amuſait de ma candeur.
Je me ſuis guéri par bonheur ,
Et je reſpire , loindes chaînes
D'un impitoyable vainqueur :
Amour , je ſuis ton ferviteur;
Me voilà quitte de tes peines !
ParM. Willemain d'Abancourt.
L'AMANT ABSENT.
Dialogue anacreontique.
LA FORTUNE , L'AMAN T.
L'AMANT.
VIENS- TU , bizarre Fortune ,
M'offrir un eſpoir trompeur ?
Aiy
MERCURE DE FRANCE.
LA FORTUNE .
J'ai pitié de ta douleur ;
Et ( la grâce eſt peu commune ,
Je veux faire ton bonheur.
A tes pieds vois mes largeſles ;
Choifis : veux- tu des honneurs ?
L'AMANT.
Le chagrin ſuit les grandeurs.
LA FORTUNE .
Des biens ?
L'AMANT.
Je fuis les richeſſes .
LA FORTUNE .
Le refus eft généreux :
Quoi ? rien ne te fait envie !
Que manque t'il àtes voeux ?
L'AMANT.
Conduis-moi près de mamie.
Parle même.
NOVEMBRE 1773.
و
LE ROSSIGNOL & L'ALLOUETTE ,
Fable imitée de l'allemand.
AuU retour du printems Philomèle chantoit ,
Et les oiſeaux s'arrêtoient pour l'entendre :
Sa voix mélodieuſe & tendre
Formoit l'accord le plus parfait.
Quel chant délicieux ! s'écria l'Allouette;
Encore s'il duroit toujours ,
Comme celui de la Fauvette;
Mais vous chantez trop peu dejours.
Il est vrai , reprit Philomèle ,
Je chante peu ſouvent , mais c'eſt pour chanter
mieux.
Ecci s'adreſſe à vous , chantres harmonieux ,
Qui du génie avez une étincelle ;
Compoſez moins , compofez mieux.
Par le même.
(
:
Av
18 MERCURE DE FRANCE.
VERS à Madame de la Poupelinière , à
Toulouse , au mois de Juin dernier.
EnN revoyant votre pays
Yous comblez ſon orgueil , fans en être plus
fière;
Un nom , des traits , des goûts exquis ,
Ont fixé la Poupelinière ;
Ce brillant favori des Arts &de Plutus
Laiſſe à votre grand coeur des regrets ſuperflus ;
Tout promet à vos yeux de nouvelles conquêtes :
Toulouſe peut dans ce moment
Egaler de Paſly les plus ſuperbes fêtes ;
Elle en poſléde l'ornement.
Par M. de la Louptière.
A M. TERRAY , Intendant de
Montauban.
Disvos plus jeunes ans vous voilà , Dieu
merci,
Ungrave Préfet du Querci ;
D'un Nom cher à l'Etat vous foutenez la gloire ,
Comme lui vous vivrezanTemple de Mémoire.
YA
NOVEMBRE. 1773. 11
Déjà tous les Montalbanois ,
Voyant vos vertus ingénues
Et la ſageſſe de vos vues ,
Volent au- devant de vos loix.
Pour faire le bonheur d'une province entière
Vous quittez Paris & la Cour.
Les Dieux doivent un fils à qui ſe montre père:
Ce gage fortuné vous attend au retour.
Par le même.
VERS aux Dames qui ont aſſiſté à la
féance des Jeux Floraux , les Mai
dernier.
C'EST 'est peude voir les fleurs que vous préſente
Iſaure ,
C'eſt trop peu d'y toucher ; il faut vous en ſaiſir :
Pour un ſexe vainqueur elle les fit eclore,
Tout vous invite à les cueillir ;
Votre tact y produit une impreſſion vive ,
Ofez de Montégut dérober le ſecret ;
Chacunede ces fleurs eſt une ſenſitive ,
Qui , ſous vos doigts mignons ſe reſſerre à regret.
Par le même.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE .
EPITAPHE DE M. MORAND.
Cr gît un citoyen utile à fa patrie
Par ſes écrits & ſes travaux ;
Qui fut chirurgien d'hôpitaux,
Et qui n'a bleſlé que l'Envie.
Par le même
:
ALMET ou l'Emploi de la Richeſſe.
Conte oriental.
I E Dervis Almet , qui gardoit la lampe
facrée dans le ſépulcre du prophète , s'étoit
levé dès la pointe dujour pour faire à
la porre du temple ſes prières accoutumées.
En relevant de la pouſſière ſon front
tourne vers l'Orient , il vir devant lui un
homme revêtu d'une robe éclatante , &
fuivi d'une multitude d'eſclaves . Cet
homme te regardoit avec l'air d'une douloureuſe
complaiſance , & ſembloit à la
fois defirer de lui parler & craindre de.
l'offenſer.
Le Dervis , après un court filence ,
s'approcha de lui,& le ſaluant avec la di
NOVEMBRE . 1773. 13
gnitécalme de l'indépendance qui regarde
l'humilité , il lui demanda ce qu'il defisoit.
Almet , dit l'Etranger , tu vois un
homme que la main de la proſpérité a
accablé de malheurs. Je poſſede tout ce
que j'ai cru néceſſaire à ma félicité ; cependant
je ne ſuis point heureux , & je
ne m'aveugle point par l'eſpoir de le devenir.
Je regrette la courſe du tems parce
qu'il s'échappe en gliſſant , & emporte
avec lui la jouiſſance. Mais , comme je
n'attends de l'avenir que les vanités du
paflé , je ne ſouhaite point qu'il arrive .
Je tremble cependant qu'il ne me ſoit
enlevé , & mon coeur frémit quand il anticipe
le moment où l'éternité, ſemblable
à la mer fur le paſſage d'un vaiſſeau , fermera
le vuide de ma vie , & ne laiffera
de mon existence que des traces moins
durables que les fillons des flors quiferéuniffent.
Si les tréſors de ta ſageſſe renferment
quelque précepte qui conduiſe au
bonheur , daigne faire briller à mes yeux
la lumière confolante de la vérité . Voilà
ce qui m'amene devant toi , voilà ce que
je n'oſois te révéler , dans la crainte d'être
encore trompédans mes efpérances , com
me je l'ai toujours été.
Almet écoutoit avec étonnement
14 MERCURE DE FRANCE.
regardoit avec compaffion cet être infortuné
, dont l'ame ne s'ouvroit qu'au ſentiment
de la douleur. Mais bientôt ſon
viſage reprit ſa ſérénité accoutumée :
Étranger , lui dit- il , je vais te communiquer
la connoiſſance que j'ai reçue du prophète.
J'étois aſſis un ſoir ſur le portique du
temple , & mon oeil ſe promenoit ſur la
multitude qui m'environnoit. L'inquiétude
, la fatigue & les maux exprimoient
fur tous les viſages des caractères différens.
Mon ame éprouva toutes les ſenſa
tions dont je voyois les images. Malheureux
mortels , m'écriai je , que vous propoſez
vous ? ſi vous fatiguez vos jours
pour diſtribuer le bonheur , quel eſt donc
le mortel qui doit jouir de vos travaux ?
Les toiles de l'Egypte , les ſoiesde la Perſe
donnent- elles autant de plaifir à ceux
qu'elles couvrent , que de peine à ceux
qui les fabriquent , ou à ces eſclaves infortunés
qui conduiſent les chameaux qui
les portent. Ceux qui éblouiffent par l'éclat
de leurs diamans héréditaires , gagnent-
ils en proportion ce que perd cé
malheureux qui les cherche dans la mine,
qui vit exclu des bontés communes de la
Nature, qui ne connoît pas même la dou-
-
NOVEMBRE. 1773 .
ce viciffitude du jour &de la nuit , &
dont la vie n'est qu'une douloureuſe alternative
de travail& de douleur. Si l'habitude
de la jouiſlance dégoûte ceux qui
poffèdent , ſans rendre inſenſibles ceux
qui donnent , & fi la valeur de l'existence
ades rapports fi différens , la vie de l'homme
n'eſt- elle pas véritablement un fonge?
&peut- on ne pas accuſer de partialité la
main qui diſtribue le bonheur & l'infortune
? Je m'égarois dans ces penſées , &
mon eſprit échauffoit mon coeur , quand
tout- à-coup, par une influence céleste , les
rues & le peuple de la Mecque diſparurent
; je me trouvai aſſis ſur le penchant
d'une montagne : j'apperçus à ma droite
unAnge ,& je reconnus Azora , le miniftre
des reproches. Saifi d'effroi , je baiſſai
les yeux vers la terre , & j'allois le prier
d'éloigner de moi les maux dont j'étois
menacé; mais il m'ordonna de garder le
filence. Almet , me dit- il , tu as conſacré
ta vieà la méditation pour délivrer l'ignorance
des replis de l'erreur , &détourner
la préſomption des précipices qui
l'environnent ; mais tu as lu dans le livre
de la Nature ſans le comprendre : il eſt
encore ouvert devant toi ; regarde, confi
dère , & fois ſage. 3
16 MERCURE DE FRANCE.
Je regardai , & je vis un clos auſlibeau
que les jardins du Paradis , mais d'une
petite étendue ; un grand chemin le traverſoit
par le milieu , & aboutiſſoit à un
déſert ſauvage enveloppé d'une obſcurité
impénétrable. Le chemin étoit ombragé
d'arbres couverts de boutons&de fruits,
les oiſeaux voltigeoient ſous le feuillage,
&formoient un concert mélodieux: l'herbe
étoit couverte de fleurs qui parfumoient
les airs , & le doux zéphir nuançoit
par ſon ſoufle l'émail éclatant de leurs
couleurs. D'un côté l'on entendoit le
murmure paiſible d'un ruifſeau qui promenoit
lentement ſur un ſable d'or fon
eau vive & tranſpatente. De l'autre l'on
voyoit des boſquets, des grottes, des fontaines
&des caſcades qui diverfifioient
la ſcène par leur agréable variété , fans
pouvoir cependant détober aux yeux le
déſert qui les ſuivoit. 1
Tandisque je confidérois ce ſéjour enchanté
avec le tranſportde l'étonnement
& du plaifir , j'apperçus un homme qui
fuivoit le chemin frayé d'un air penfif,
&d'un pas mal affure. Son oeil fixoit la
terre , & ſes bras croiſés embraffoient fa
poitrine. Il s'arrêtoit quelquefois comme
s'il eût été ſaiſi d'une frayeur ſubite. Son
:
NOVEMBRE. 17730 17
viſage peignoit l'inquiétude & la terreur;
il regardoit autour de lui en ſoupirant ,
jetoit les yeux ſur le déſert , & parutdefirer
de ne pas avancer plus loin . Mais il
étoit pouflé malgré lui par une force puiffante&
inviſible. Une ſombre mélancolie
enveloppoit ſon exiſtence. Il laiſſa une
ſeconde fois tomber ſes regards ſur la
terre , & continua triſtement ſa courſe.
J'étois étonné de ce ſpectacle,& me tournant
vers Azora , j'allois lui demander ce
qui pouvoit rendre malheureux un homme
environné de tous les objets capables
de flatter tous ſes ſens. Mais il prévint
ma demande & me dit:Le livre de la Nature
eſt devant toi ; lis & fois ſage. Je
regardai ,& je vis entre deux collines une
vallée ſtérile & deſſéchée. Les prés étoient
fans fleurs & l'herbe ſans verdure. L'ombre
rafraîchitfante ne deſcendoit point des
montagnes. Le foleildans ſon zenith
lançoit des rayons de feu & avoit pompé
les eaux des ſources qui n'offroient plus
qu'un ſable altéré ; mais cette vallée étoit
terminée par une plaine riante & fertile ,
ombragée par des taillis épais,& couverte
de ſuperbes édifices. Amon ſecond coupd'oeil
je découvris un homme nud & fort
maigre ; mais ſa phyſionomie étoit gaie ,
,
18 MERCURE DE FRANCE.
& ſa démarche active. Il tenoit les yeux
fixés ſur la plaine qui étoit devant lui ,
&ſembloit vouloir courir , mais il étoit
tetenu comme le premier avoit été pouffé
par une influence ſecrette. Quelquefois
j'appercevois les ſignes d'une douleur fubite
; quelquefois il s'arrêtoit comme ſi
ſes pieds étoient bleſſés par les épines ſemées
ſur ſon chemin ; mais il reprenoit
bientôt ſa première vivacité , & alloit en
avant fans avoir l'air de ſe repentir ni de
ſeplaindre.
Je me retournai une ſeconde fois vers
l'Ange , impatient de connoître la ſource
ſecrette d'un contentement ſi apparent &
d'une ſituation ſi différente de celle qu'on
auroit dû attendre ; mais il me prévint
encore , & medit : Almet , ſouviens-toi
que ce monde n'eſt que la route de l'au
tre , &que le bonheur n'eſt qu'à la fin du
ſentier. Les périodes de ton exiſtence ſont
l'eſpérance & la crainte. Le malheureux
que tu as vu languir dans le jardin eft
prive de la jouiſſance parce qu'il eſt privé
de l'eſpoir & perpétuellement tourmenté
par la crainte de perdre des biens dont il
ne peut jouir. Il n'entend plus les chants
des oiſeaux , parce qu'il les a trop entendus;
le parfum & l'éclat des fleurs ſere
NOVEMBRE . 1773. 19
nouvellent ſi ſouvent qu'il n'en ſent plus
l'odeur , & n'en connoît plus la beauté.
Le doux murmure de ce ruiſſeau ne Aatte
plus fon oreille inſenſible , & ſesyeux,qui
n'oſent plus ſe lever ſur aucun de ces
objets, craignent de rencontrer le déſert
qui les environne. Mais celui qui marche
avec peine dans la vallée eſt heureux ,
parce que l'eſpérance le précède. Qu'importe
en effet que l'homme qui voyage,
fur la terre foule à ſes pieds des épines ou
des fleurs , s'il conſidère les régions dont
il s'approche à chaque inſtant , & où la
peine & le plaifir, toujours relatifs icibas
, perdent leur diſtinction imaginaire?
Ecoute : un feul chemin eſt également
ouvert à tous les hommes; c'eſt celui de
la vertu. Tous peuventy prétendre , tous
peuvent l'acquérir. Avec elte ſeule on
peut être heureux ; fans elle on est toujours
infortuné. Almet , ſouviens- toi de
ce que tu as vu , & que mes paroles foient
écritesdans ton coeur en caractères ineffaçables;
alors tu pourras conduire ceux
qui s'égarent en cherchant le bonheur, &
juſtifierdevant les hommes la conduite de
l'Eternel. La voix d'Azora fappoit encore
mon oreille , quand tout- à- coup les objets
que je voyois diſparurent à mes yeux , &
20 MERCURE DE FRANCE.
jemetrouvai affis ſous le portiquedu temple.
Le ſoleil étoit couché,&la multitude
étoit retirée pour ſe délaſſer par le repos
de la nuit, & ſe préparer aux fatigues du
jour. La nuit bienfaiſante rafraîchit mes
ſens agités , & mon eſprit , délivré de ſes
doutes, fut bientôt calme comme elle.
Telle eſt , mon fils, la viſion que le prophète
m'a accordée pour ton avantage
ainſi que pour le mien. Tu as cherché
la félicité dans les choſes temporelles , &
tu as été trompé. Que cette leçon ne ſoit
point perdue pour toi comme le ſceaude
Mahomet dans le puits d'avis. Que tes
troupeaux couvrent celui qui eſt nud ,
que ta table nourriſſe celui qui a faim .
Délivre le pauvre de l'oppreſſion du riche
; que res actions parlent ſeules ; c'eſt
à elles à faire l'éloge de ton coeur. Alors
tu te réjouiras dans l'eſpérance,& tu regarderas
la fin de ta vie comme le commencement
& le ſceau d'une éternelle
félicité.
Almet , que cet entretien avoit enflammé
d'un zèle divin , retourna au temple
, &l'étranger s'en alla en paix .
NOVEMBRE. 1773. 21
د
EPITRE à ma première Mattreſſfe ,
furfon mariage.
AIMABLE & jeuneenchantereffe,
(
1.
:
Otoi que je connus trop tard ,
Toi, qui ſans apprêt & fans art ,
Dans mon ame portes l'ivreſſe ;
C'en estdonc fait : ton coeur , ta foi ,
Tesgrâces , tréſors de ton âge ,
Qui c'embelliflent davantage of
Tout ton être n'eſt plus àtoi !
Tu n'es donc plus cette bergère !
Dont les appas frais & piquans,
Dont la gaîté folle & légère
Auroient charmé tous mes inſtans ?
Un devoir cruel & ſévère
Fait taire mes ſens attendris;
T'adorer , chercher à te plaire
Ne font plus des plaiſirs permis.
Au matin brillant de la vie ,
Nousn'avions pas encor vingt ans ,
Une charmante ſympathie
Alloit confondre nos penchans ;
Dans le temple de l'Innocence ,
AFAmour tendre & généreux ,
Nos coeurs , unis par la conſtance,
T
:
:
22 MERCURE DE FRANCE.
Auroient ſacrifié tous deux.
Du théâtre de l'Impoſture
Et du tourbillon des Erreurs
Je t'apportois une ame pure
Et des ſentimens & des moeurs,
٢٢
De nos élégantes coquettes
Leperfiflage ſéducteur 33
Ade frivoles étiquettes
N'avoit point lié mon bonheur : г
Toi ſeule , de mon existence :
Me fis connoître tout le prix ;
Tes yeux , ta taille , ton fouris ,
Tout devint pour moi jouiflance.
Nous danions , fi tu t'en souviens ,
Quand ; par d'inviſibles liens ,
L'Amour m'enchaîna fur tes traces .
Mes bras , enlaflés dans les tiens ,
Crurent ſerrer une des Grâces .
L'intéreſſante Volupté
De tes pas marquoit la cadence ;
De ta taille la molle aiſance
S'offroit à mon oeil enchanté ;
Des ſens , qui peut dompter l'empire ?
Dans mon ame tu fis paſſer
Leur rapide & brûlant délire ;
Malheur à qui t'a vu danſer !
Ce tems , qui n'eſt plus qu'un vain ſonge ,
Flatte encor mon coeur agité ,
NOVEMBRE. 1773 . 43
En dépit de la vérité
J'aime à me nourrir du menſonge;
Souvenir cher & précieux
Conſole mes douleurs cruelles ;
O toi , qui ſemblois à nos yeux
Un ange au milieu des mortelles ,
Tu trompes donc ainſi nos voeux ?
L'hymen , de ſes droits orgucilleux ,
T'arrache à mille amans fidèles
Pour ne faire qu'un ſeul heureux ...
Si l'époux que le fort te donne
Brûle pour toi de mon ardeur ,
Il eſt digne d'avoir ton coeur ,
Et , malgré moi , je lui pardonne.
Par M. Doigny du Ponceau.
HOMMAGE à M. de V** , bienfaiteur
d'un Gentilhomme malheureux.
:
Je fais mépriſer l'arrogance
D'un Grand qui n'eſt que faſtueux ;
Mais j'adore la bienfaiſance
Par qui l'homme reflemble aux dieux .
Toi qui répands dans le filence
Les tréſors d'un coeur généreux ,
Qui ſais ennoblir l'opulence ,
En foulageant les malheureux ,
14 MERCURE DE FRANCE.
V** , mortel fublime & rare
Dans ces délicieux momens ,
Que ta belle ame ſe prépare
Des plaiſirs nobles & touchans !
Spectacle pour moi plein de charmes !
Le triomphe du ſentiment ,
C'eſt quand je vois couler tes larmes
Sur un reſpectable indigent
Qui , levant la tête affoiblie
Par les angoiſles du trépas ,
Retrouve , en tombant dans tes bras ,
L'amitié , l'honneur & la vie.
Auguſte & douce Humanité ,
Déeſſe , appui de nos misères ,
De ceux qu'échauffe ta bonté.
Tu fais un peule heureux de frères.
Des Calas l'ardent protecteur ,
Grâces à ton aimable empire ,
A de plus grands droits ſur mon coeur
Que l'auteur d'Edipe & d'Alzire.
OV ** , puiflent tes vertus
Long- tems honorer ma patrie !
De mon ame émue & ravic
Les hommages t'étoient bien dûs.
D'un bonheur pur , inaltérable ,
Puiſle-tu goûter les attraits !
Que dis-je , lorſque tes bienfaits
Vont au- devant du miſérable ;
Lorſque ton oeil eſt humecté
:
Des
NOVEMBRE. 1773 . 25
Des pleurs qu'on doit à l'indigence ,
Quel bonheur n'as - tu pas goûté ?
Ton coeur devient ta récompenfe.
Par le même.
ESSAI de traduction de quelquesfonnets
de Pétrarque.
PARLER de Pétrarque, c'eſt rappeler aux
ames ſenſibles un nom qui leur doit être
cher. Son amour pour Laure l'a rendu
auffi célèbre que les ouvrages que cette
paſſion a produits , & ſes ſonnets lui ont
acquis une réputation qui doit durer autant
que la langue dans laquelle ils font
écrits. Tous les amans ſavent ſes vers , &
toutes les femmes les retiennent. Je fais
qu'on lui reproche une monotonie fatiguante,
des jeux de mots déplacés , les
mêmes penſées repréſentées ſouvent fous
pluſieurs formes. Quelques- uns de ces reproches
font aſſez bien fondés. Mais auſſi
quelle ſource inépuiſable de ſenſibilité
doit avoir une ame qui s'épanche continuellement
ſans ſe déſſécher jamais , qui
après avoir parlé long-tems de ce qu'elle
B
26 MERCURE DE FRANCE.
aime , en reparle encore avec la même
effuſion , &dont les tendres douleurs augmentent
lesdeſirs & multiplient les jouiffances
! Son coeur & fon efprit fontprefque
toujours d'intelligence pour produire
àla fois le ſentiment& l'expreffion qui lui
conviennent. Si quelquefois il s'abandonne
à des éloges exagérés où la pation
l'emporte fur le goût , l'on reconnoît un
homme qui ne vit que par fon amour;
qui tantôt permet à fon imagination bru
lante des tranſports impétueux ; tantôt
recueille toute la ſenſibilité de fon ame
pourjouir , au ſein d'une douce mélancolie
,du bonheur de ſe croire aimé. Il eſt
difficile de ne point pardonner àune imagination
exaltée qui peint avec des couleurs
vives ce qui l'a frappée vivement ,
& je ne crois pas que l'on aimât Pétrarque
plus parfait &moins fenfible,
Ses ouvrages firent une révolution dans
lalangue italienne , & le tems où il écrivit
fut l'époque d'un changement heureux
dans les lettres . L'homme qui feroit acuellement
des vers françois dans le ſtyle
de Maret , feroit regardé commeun barbare
, & le poëte qui écriroit en italien
comme Pétrarque,feroit comme lui l'honneur
de ſon ſiècle ; je conviens qu'il eft
NOVEMBRE. 1773 . 27
difficile de lire de fuite une quantité prodigieuſe
de vers dont le ſujer eſt toujours
le même; que la raiſon defire des penſées
qui l'occupent lorſque le coeur ne ſe place
point entre deux amans occupés d'euxmêmes.
Mais l'on ne doit regarder les
fonnets de Pétrarque que comme une
belle galerie de tableaux. L'oeil ſe fatigueroit
s'il les parcouroit tous ſans diſtraction.
C'eſt un vaſte payſage dont tous les
points de vue font diviſés en autant de
cadres différens. Tous les tableaux de
Berghen font charmans , &tous offrent la
nature ſaiſie par le même génie,& variée
ſeulement dans ſes images .
La traduction fuivante *, malgré la diftance
qui la ſépare de l'original , peut donner
auxperſonnes quine ſavent point l'italien
, une idée du génie de Pétrarque. Je
n'ai point cru devoit m'aſſervir à rendre
un fonnet françois pour un fonnet italien.
La difficulté ſeroit trop grande , &
j'aurois été certain de faire un très- mauvaisouvrage.
Le plus granddéfaut queje trouve dans
*Si cet oſſai ne déplaît point au Public, l'on
poutta en donner de ſuite quelques autres more
ceaux.
Bij
MERCURE DE FRANCE.
ceux de Pétrarque , c'eſt qu'ils n'ont prefque
jamais de chûte heureuſe. L'oreille
&l'eſprit attendent toujours à la fin d'un
ſonnet, comme à la fin d'une épigramme,
un mot , une idée ſaillante que ce genre
d'ouvrage ſemble exiger.Si vous les trompez
tous deux , vous ne faites plus d'effet :
c'eſt une flèche lancée mollement qui
vient tomber près du but fans y toucher .
L'on a cru devoir ſe permettre quelques
tranſpoſitions pour conduire une idée plus
piquante juſqu'aux derniers vers , ou pour
ajouter le mot, qui fouvent manque ſeul à
la penſée du poëte. Dans la crainte d'être
troparide , on a donné plus d'étendue aux
imagesque la contrainte étroite d'un fonnet
ne permettoit pas de développer. Pétrarque
dit mot en mot , je ſuis devenu
amoureux l'an treize cens vingt- ſept, le ſix
du mois d'Avril, à une heure après midi.
Il n'eſt pas poſſiblede rendre cette fimplicité
naïve d'un homme pour qui cette
époque eſt celle de ſa vie , & qui auroit
peut- être mal dit s'il eût parlé plus poëtiquement.
Paraphrafer ce petit détail chronologique
avec des vers travaillés , vous
ſeriez peut-être ridicule , & certainement
froid & enflé. En voici la preuve.
Treize ſiècles complets , cinq luſtres & deux ans
C
NOVEMBRE. 1773 . 29
Etoient déjà rentrés dans l'abîme des tems
Au mois où Phoebus ouvre & féconde la terre ;
Pour la fixième fois il doroit l'hémisphère ,
Et déjà le cadran , par l'aiguille obſcurci ,
Annonçoit que d'une heure il pafſoit ſon midi ,
Alors que , & c .
Lorſque je fis ces vers , il y a pluſieurs
années , je crusavoir vaincu mon original
& avoir furmonté une grande difficulté.
Mais je n'ai point tardé à reconnoître que
j'avois fait parler Pétrarque non pas comme
un amant , mais comme un hiſtorien
emphatique qui cherche à faire fonner
des mots.
Se voi poteſte per turbati ſegni ,
Per chinar gli occhi , o per piegar la teſta
O per effer più d'altra al fuggir preſta
Torcendo'l vilo à preghi oneſti e degni ,
Uſcir giammai , ovver per altri ingegni ,
Del petto , ove dal primo Lauro inneſta
Amor più rami , io direi ben , che queſta
Fofle giuſta , cagione à voſtri sdegni :
Che gentil pianta in arido terreno
Par , che ſi diſconvenga , è però lieta
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Naturalmente quindi ſi diſparte.
Ma Poi voſtro deſtino a voi pur vieta
L'effer altrove , provvedete almeno
Di non ſtar ſempre in odiofa parte.
S1 , par ce dédain affecté ,
Ces regards de mépris , cet air plein de fierté ,
Si toujours pour me fuir attentive & légère ,
Toujours vous dérobant à ma tendre prière ,
Si par quelques ſecours vous pouviez fuirjamais .
De ce coeur où l'Amour a gravé vos attraits ,
L'orgueil feroit plus juſte étant moins inutile.
La jeune role avec plaiſir
Doit quitter le jardin ſtérile
Qu'elle dédaigne d'embellir;
Mais de votre deſtin quoique peu fatisfaite ,
Puiſqu'il vous a ſoumiſe à n'en jamais fortir ,
Tâchez d'aimer votre retraite .
Par M. L. H.
NOVEMBRE. 1773 . 31
ROMANCE à Mademoiselle
*
Au bord charmant d'une onde vive & pure
Clycère un jour diſoit en ſoupitant ?
Quels ſont les maux que depuis peu j'endure?
Hélas ! mon coeur ſoupire à chaque inſtant.
De mes troupeauxje détourne ma vue ;
Ils ne ſont plus l'objet de mes amours:
Une langueur qui ne m'eſt pas connue
Vient de troubler le repos de mes jours.
Je vois danſer dans ces riantsbocages
Tous nos bergers au ſon du chalumeau.
Je n'aime plus leurs tendres badinages ;
Mais à mes yeux Lycas eſt le plus beau.
Je voudrois bien que ſa tendre muſette
Vînt ſe mêler à mes triſtes accens ....
Jeune berger ! de mon ame inquiète
Tu pourrois ſeul diſſiper les tourmens.
A fes defirs l'Amour fut favorable .
Un traitpartit dans le corur de Lycas ;
Il l'enfamma du feu le plus durable
Pour un objet qu'il ne connoiſſoit pas .
*
1
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
Dans le bocage il apperçoit Glycère:
Son coeur y voit l'objet qui l'a charmé.
L'amour le guide, & fon flambeau l'éclaire;
Bientôt il court ; mais il eſt alarmé. ....
Glycère attend un pur &tendre hommage ,
Et Lycas craint de paroître à ſes yeux ;
Il fait un pas vers ce charmant bocage....
Heureux berger ! Glycère en a fait deux.
Lycas ſe livre au plus tendre délire :
De ſa bergère il a vu les appas ;
Il tremble encore... il héſite... il ſoupire....
L'Amour l'emporte , il vole dans ſes bras.
Alors l'Amour , les couvrant de ſon aîle ,
Montre aux amans le temple des Plaiſirs ,
Et les ſermens de leur flamme éternelle
Sont confondus dans leurs tendres ſoupirs.
ENVOI.
Jeune Daphné , reçois mon tendre hommage ,
De ces amans garde le ſouvenir.
Cherche comme eux , au printems de ton âge ,
Le vrai bonheur dans ton premier ſoupir.
Par M. G *** , de Limoux en
Languedoc.
:
NOVEMBRE. 1773. 33
HISTOIRE NATURELLE .
Du croisement des Espèces .
Si l'homme rempliſſoit bien ſon auguſte
fonction de coopérateur de la Nature ,s'il
faifoit le bonheur de ſon eſpèce & de
toutes les autres ( il le doit , car il le peut)
la terre preſque entière ſeroit un magnifique
jardin , un parc immenfe où les
plantes & les animaux utiles à l'homme
ſe multiplieroient à l'infini , & les autres
ſeroient relégués en petit nombre & conſervés
comme objets de curioſité dans des
lieux d'où ils ne pourroient fortir. ( 1 )
En même tems que l'on enfermeroit
quelques animaux féroces pour qu'il reſtât
des individus de leurs eſpèces à la deftruction
deſquels on employeroit partout
ailleurs la force & l'induſtrie , on
pourroit peu à peu corriger le naturel
dans ces individus enfermés. ( 2) Les ex-
(1 ) La Nature doit produire ſans cefle& puiſer
toutes les combinaiſons poſſibles ; c'eſt à l'homme
à trier ſes productions , & à les mettre à la
place qu'il leur deſtine .
(2) Quand je dis enfermés , c'eſt dans des lieux
By
:
34 MERCURE DE FRANCE.
périences qui ont été faites là-deſſus jufqu'ici
l'ont été avec trop peu de foins &
de précautions. La Nature ne ſe détermine
à changer ſa marche qu'autant qu'on
la conduit par une gradation infenſible ,
avec beaucoup de douceur,& j'oſe ajouter
de reſpect.
Il faut pluſieurs générations pour changer
l'eftomac & l'inſtinct d'un animal ;
car ces deux choſes là font intimement
liées. M. de Bomare , qui s'eſt acquis une
fi juſte réputation pat ſes connoiſſances en
hiſtoire naturelle , avoit élevé un petit
loup qu'il faifoit coucher dans fon lit. Une
nuit qu'il dormoit d'un ſommeil un peu
agité , il rêva que fon loup le mordoit à
une jambe &lui ſuçoit le fang. Il s'éveilla
& s'apperçut que ce rêve n'étoit pas
produit par le hafard , mais par le ſentiment
même de la douleur. Il tua fon loup :
-
vaſtes &clos , dans des parcs où ils puiſſentàpeine
s'appercevoir qu'une clôture les retient; car en
toute eſpèce , à commencer par la nôtre , l'eſclavage
ne faitque des ſujets vils & laches ; &le
chevalmême , le plus ſuperbe &le plus noble des
animaux , feroit tout à fait abâtardi ſi l'on ne
relevoitde tems en tems ſon eſpèce par de beaux
étalons , & en lui laiſtant paſſer ſa première jeuneſſe
en liberté dans les enclos des haras ou dans
degrandes prairies .
NOVEMBRE. 1773 . 35
enil
eut raiſon. Ce n'est pas à un loop qu'on
vient d'apprivoiſer qu'il faut avoir confiance
, mais à ſes arrières-petits- fils :
core faut- il avoir peu-à- peu rendu leur
race preſque frugivore,& s'être aſſuré pas
pluſieurs expériences , qu'elle l'eſt réelle-,
mentdevenue.
J'aurois beaucoup d'autres choses à dire
fur la manière de graduer l'éducation des
animaux dont on veut changes le naturel ;
mais je ferai là-deſſus des expériences qui
vaudront mieux que des raiſonnemens .
Paſſons au croifement des eſpèces & à la
manière de multiplier dans un climat ,
fans les altérer , celles qui viennent d'un
climat tout différent .
Le hafard & l'amour forment dans les
déſerts de l'Arabie des croiſemens d'efpèces
, & par conféquent des monſtres
qu'il feroit fort agréable d'obſerver& de
perpétuer. Mais comment les ſuivre dans
ces fables brûlans ? Il fuffit de les avoir
entrevus ,&de ſavoir, comme on le fair,
qu'ils font poſſibles. Elayons - les dans
nos climats paiſibles ; mais voyons auparavant
quel est dans ce phénomène le
procédé de la Nature.
Abondance , paix & liberté : voilà ce
qui produit les croiſemens d'eſpèces.On
B vj
36 MERCURE DE FRANCE!
pourra dire qu'il y a peu d'abondance
dans les déſerts , & qu'il n'y a que guerres
& malheurs où il y a ſtérilité. Je conviens
de ce fait , il n'eſt que trop évident ; mais
il y a dans les déſerts même des momens
d'abondance , & par conséquentde paix ;
&l'amour ſaiſit ces momens- là.
Pluſieursanimaux cherchent une fource;
ils s'y rencontrent ; ils boivent . Les
plus foibles , les plus timides ſe hâtent de
boire , & s'éloignent. Un lion qui avoit
faim vient de dévorer un chameau. Il eſt
raſſafié : il n'eſt plus féroce . Un autre be-
- ſoin preſqu'aufli vif, mais bien plus doux,
le preſſe : il aime. Il nerugit plus ; il foupire
; il cherche avec inquiétude une
lionne, & n'en voit point; il rencontre
la femelle d'un chameau ; il l'attaque , &
ce n'eſt avec rien moins que la fureur de
la voracité. Elle s'en apperçoit ; ( on ne
ſe trompe pas là- deſſus ) : elle cède en
tremblant à fon fier vainqueur. Il la careffe,
la raffure , lui promet ſa protection .
Ce ne ſera jamais elle qui aſſouvira ſa
faim . Elle deviendra mère d'un animal
mixte qui tiendra du chameau & du lion .
L'abondance & la paix d'un moment ont
formé cette union paſſagère ; la Liberté y
amis le ſceau. Ni le lion ni fa compagne
NOVEMBRE . 1773 . 37 :
n'étoient point là dans une petite enceinte
gémiſſans ſous l'empire tyrannique
de l'homme , expoſés à ſes importuns
regards.
Voulez - vous croifer les eſpèces les
moins faites pour multiplier enſemble ?
Tenez les dans des lieux vaſtes & tranquilles.
Obſervez - les fans bruit par de
petites ouvertures , de manière qu'ils ne
puiſſent pas s'en douter. N'eſſayez l'union
entre un male & une femelle d'eſpèce
différente qu'après les avoir tenus quelque
tems ſéparés , mais de manière qu'ils
puiſſent ſe voir& ſe deſirer. N'approchez
de ces animaux que dans les momens où
vous leur aporterez de la nourriture , &
que ce ſoit à des heures un peu réglées.
Ils voient toujours avec plaifir leurs bienfaiteurs
. Careſſez-les alors , mais en laiffant
une grille de fer entre eux & vous ,
du moins pendant les premières générations.
Accoutumez - les à voir des hommes
& des femmes pendant qu'ils mangent
, afin qu'il prennent l'habitude de
nous aimer.
Rarement les Monſtres phyſiques en
gendrent ( quoique l'on artribue cette
propriété aux Mulets . ) * Ainti les ex
*On n'eſt pas bien d'accord là- deflus. Voyez
38 MERCURE DE FRANCE.
périences que je viensde propoſer fur le
croiſementdeseſpèces ne font , en général
, que curieuſes; celles que je vais
propoſer ſur la méthode de naturalifer
des eſpèces étrangères , peuvent devenir
utiles.
Abondance , paix & liberté font également
les vrais moyens &de croifer les
eſpèces & de multiplier dans un climat ,
les individus qui viennent d'un climat
différent; bien entendu qu'il faut dans
l'une&dans l'autre expériences , donner
à ces animaux , du moins pendant les
premières générations , des abris où on
leur procure une température d'air à peuprès
ſemblable à celle de leur patrie.
Il faudroit ne conſerver que quatre individus
, deux mâles &deux femelles de
chaque portée ou de chaque couvée , &
les laiffer produire enſemble quand la
Nature leur en inſpireroit le defir. On
auroit par ce moyen preſque chaque année
une génération nouvelle excepté
dans les très - grands animaux dont l'accroiſſement
ſe fait avec lenteur , & qui
font long- tems à atteindre la puberté.
Cours d'Hift. Nat,vol. 1, p. 455 , à Paris, chez
Defaint.
NOVEMBRE. 1773 . 39
Je crois qu'en ſuivant les procédés que
je viens d'indiquer , & quelques autres
que l'uſage apprendra aux perſonnes qui
s'appliqueront à cette partie très -intéreſſante
de l'hiſtoire naturelle , il ſera poffible
de multiplier chez nous des autruches
, des aigles , des perroquets , des
ſinges &d'autres animaux bien plus utiles
, des zèbres ou ânesrayésdu Cap , des
lamas ou moutons rouges du Perrou ,
&c.
Nous avons déjà fait depuis long-tems
la conquête du dindon , de la pintade,
du faiſan ; pourquoin'en tenterions-nous
pas de nouvelles ? Mais il faudroit que
ces animaux fuffent libres , tenus proprement
, jamais importunés , qu'ils fuffent
auſſi heureux que font à plaindre ceux que
nous tenons dans des prifons infectes
ceux que l'on montre dans les foires ,
&c.
Si quelqu'un vouloit avoir de plus
grands détails ſur ces expériences , fur la
manière très- peu difpendieuſe de former
des enceintes ou parcs , &c. je me ferai
un plaifir de lui communiquer mon plan
qu'on vient de deſſiner,& tout ce qui me
paroîtra pouvoir aſſurer le ſuccès de l'en
trepriſe. 1
40 MERCURE DE FRANCE.
On s'adreſſera à M. Lacombe , libraire,
auteur du Mercure de France , qui veut
bien ſe charger de m'en avertir.
:
ADORIS.
MAIS pourquoi donc être jolie ?
Pourquoi ces yeux où la pudeur
A la tendreſle eſt réunie ?
Pourquoi cet organe enchanteur
Dont l'ame ſe ſent attendrie ?
Pourquoi donc ce bras fait au tour ?
Ce ſein arrondi par l'amour ?
Pourquoi? ..... pourquoi m'avoir ſcu plaire ?
Voyons , que vous avois - je fait ?
Depuis près d'un an , ſolitaire ,
J'étois tranquile , farisfait.
Avec un Horace , un Voltaire ,
Un Ovide , ou bien un Greſſet ,
Maudiſſant l'Amour & fes peines ,
Je me diſois : ſoyons heureux ,
Le plaiſir de porter des chaînes
Eſt un plaifir trop dangeureux.
Hélas! ... inutile chimère ! .....
Vaines reflources de l'eſprit ! ...
Ce que raiſon m'avoit fait faire ,
Unde vos regards l'a détruit.
Par M. Levrierde Champrion. :
NOVEMBRE. 1773 . 41
PRIÈRE d'un pauvre Diable , à l'occaſion
du secret de l'air fixe.
QUIUI que tu fois , Docteur , Diable , ou Chi
miſte
Qui fixes l'air , pour être bien payé ;
Je crois pieuſement que ton ſecret exiſte ;
Mais hélas ! ne peut-il être mieux employé ?
Contre les coups du ſort fais-nous donc l'amitié
De découvrir quelque reflource .
Fixe - moi ſeulement mille écus dans ma bourſe ,
Et je t'en promets la moitié.
A M. C.
DIEU bénifle Monfieur C.....
Avec les lettres éternelles !
Quel goût ! quel feu ! quel enjouement!
Dieu bénifle Monfieur C.....
Quelque jour on dira pourtant
D'un autre ton ſur ces querelles ,
Dieu bénifle Monfieur C.
Avec ſes lettres éternelles !
42 MERCURE DE FRANCE.
L'EXPLICATION du mot de la
première
énigme du Mercure du ſecond volume
du mois d'Octobre 1773 , eſt la Montre
ou Pendule ; celui de la ſeconde eſt la
Canne; celui de la troiſième est le Baifer;
celui de la quatrième eſt un Epic de
froment. Lemot du premier logogrypheeft
Arithmétique, où se trouvent mur, have,ut,
ré, mi, ariette, tiare , mitre , meute , ham,
ame , mare , huée , amer , Ruth, mère, taie,
hure , quai , ami, Remi , tête , rat , mari,
rue , été , air , eau , Amérique , Attique ,
armée , hue , uri , Maur, étau, hier, Itaque ,
atre , raquette , rime, ire , hare , quarte
mer , ah , ahi , étui , mie , muette , Urie
Ruth , mérite , Marie , Marthe , hutte, mát,
tique , mite , rame , art, hum , shume , arme
, marque , muet , rate , theatre , thême ,
terme , Maure , étique , métairie , métier ,
quête , huitre , quart , quatre , hermite,rit ,
muer , aimer , hair , humer , quéter , être; le
mot du ſecond eſt Mercure , dans lequel
on trouve mer , cure, mère; celui du troiſième
eſt Avoine.
,
NOVEMBRE. 1773 . 43
ÉNIGME.
J'ACCOMPAGNE la foudre & fais trembler la
terre:
Portant par tout la mort , on me voit à la guerre;
A ce début , lecteur , je ne dois pas te plaire.
Ecoute juſqu'au bout ; par un deſtin contraire
Souvent on me recherche , on me fête en tous
lieux;
Près de moi je raſſemble & les ris & les jeux.
Par M. d'Elbeuf.
AUTRE.
CHAUVE au- dehors & velue au- dedans ,
Courant fans pieds , volant ſans aîles ,
Par les coups les plus violens
Je reprends des forces nouvelles.
AUTRE.
ROBE de toutes les ſaiſons ,
Contre tout accident je ſuis un fût aſyles .
44 MERCURE DE FRANCE.
Je ſers aux champs comme à la ville ,
Dans les palais , dans les ſimples maiſons :
En liqueur on me voit à table
De plus d'un peuple amuſer le loiſir ;
Mais, quand on me vêtit , hélas ! lecteur aimable ,
On peut bien dire adieu plaiſir .
Par M. l'Abbé Gueullette , chapelain
de l'Eglise de St Quentin.
J
AUTRE.
E viens préſenter en ces lieux
Une choſe toute célefte ;
C'eſt pour l'homme un bien précieux ,
Mais un bien quelquefois funeſte.
Perſonne n'ignore mon nom ,
Et tous prétendent me connaître.
Coquette , libertin , bégueule & petit-maître
Veulent m'avoir , & c'eſt le ten.
Mais fuyant ce peuple bizarre
Enqui tout me ſemble affecté ,
Pour l'heureuſe ſimplicité
Modeſtement je me déclare.
Placée ici pour le bonheur
De tous les êtres qui reſpirent ,
Mon devoir eſt ſur-tout , lecteur ,
NOVEMBRE . 1773 . 45
De conſoler ceux qui ſoupirent.
Je fais m'affliger avec eux :
Tendre , douce & compatiſſante ,
Ils ſe trouvent moins malheureux
Alors que je leur tends une main careſſante
De l'amour & de l'amitié
Je fais moi ſeule tous les charmes
Si j'y cauſe quelques alarmes
Leurs feux en croiffent de moitié ,
Et fi j'y fais verſer des larmes ,
Qu'elles n'excitent point dans ton coeur la pitić ,
C'eſt un de mes bienfaits. La timide Sophie ,
Qui me cache avec ſoin aux yeux de ſon amant ,
Par ſes pleurs quelquefois découvre un ſentiment
Dont le berger me remercie.
Je pourrois par différens traits
Me montrer avec évidence ;
Mais , voilant mes autres attraits ,
Jeme laiſſe chercher à ton intelligence.
Pour te deſſiner mon tableau
Je voudrois une main divine ,
Ou du moins l'élégant pinceau
De l'inimitable Racine.
C'eſt lui qui lepremier ſut mettre ſous les yeux
Cette métaphyſique eſſence.
J'habitois dans ſon coeur , ce fut un don des cieux.
Le charme de ſes vers prouvoit mon exiſtence.
46 MERCURE DE FRANCE.
Aujourd'hui l'on me voit en toi ,
Toname , Elifabeth , * eſt mon plus cher alyle;
Ton ame , des vertus la demeure tranquille,
Si je n'y faifois pas la loi ;
Mais ma puiflance trop active
Vient toujours troubler ton repos.
Je fais &tes biens & tes maux ,
Je te gouverne & te captive.
Lecteur , qui la connois, ce traitt'en dit aſſez
Pour que tu me trouves fans peine.
Je ne veux point , pas de nouveaux eflais ,
Mettre ton eſprit à la gene
Par Mlle Fanny , de Tours.
AUTRE.
Rien n'eſt fi bon , fi précieux ,
Si commun , ſi pernicieux ,
Si volontaire & fi docile ,
Si paiſible & fi furieux
Que ce que j'offre au lecteur curieux.
Demande- t'on le domicile
Decet être capricieux ?
Il eſt aux champs, à la cour , à la ville ,
Au ſein des mers , au haut des cieux ;
* Elifabeth , Mde la Ducheſſe d'En.....
र
NOVEMBRE. 1773. 47
Etdans les temples ſomptueux ,
Etdans le folitaire aſyle
De l'artiſan laborieux.
Admirez ce préſent utile :
Sans lui point de terrein fertile ;
Point de jardins délicieux ,
Point de fruits ... Mais fuyez ce fléau dange
reux; !
Car bientôt la rage incivile
Va tout ravager à vos yeux.
Par le Solitaire d'Escote,
LOGOGRYPHE.
Ma préſence afflige , humilie
;
Rois, bergers , humains , animaux.
Foibles , forts , barbons , jouvenceaux ,
Sous moi touts'incline , tout plie.
Fais deux parts de mon corps ; à la ville accueil
lie ,
Lapremière eſt du ſexe aimée à la folic.
Jadıs la Laideur l'inventa ;
En ſoupirant la Beauté l'adopta ,
Et la Mode l'accrédita ,
1
-MERCURE DE FRANCE.
La ſeconde eft utile à tout ſexe , à tout âge ,
Et ſe trouve preſque en tous lieux ;
Au lieu de la première on l'emploie au village ,
Et la Beauté ne s'en trouve que mieux.
Par lemême.
0
AUTRE.
Que l'on change avec le tems !
Jadis je tenois en ſuſpens
Le Sénat & l'Aréopage :
Aujourd'hui les plus ignorans,
Ofent rire de mon uſage.
Mais peut- être riront- ils moins ,
Quand ils auront pu me connoître:
Silène trouve en moi l'objet de tous ſes ſoins ;
Le Parafite , ſon bien- être ;
Le Jardinier , un inſtrument ;
L'Abbé de Cour , un bénéfice ;
LeDefir , ſon contentement ;
Le Porteur , le Cocher , un cri de leur office ;
L'avide Finance , un impôt ;
L'Homme , ainſi que la Brute , un mal preſque
incurable ;
Climène, ce qui vient trop tôt; :
Lee
-
Romance àMadhe
LaMusiqueestdeM.Albaneze.
Amoroso andantino.
Novembre,
1773 .
Au bord charmant d'un Onde
vive etpure Glycereunjour disoiten
sou :pi: rant Quels sont les maux que
de puis peuj'en du .......re
Helas'mon coeur soupire a chaqu' ins:
tant: Quels sont les maux que .
depuis peuj'endu....... re He:lasmon
coeur soupire à chaqu'instant.
NOVEMBRE. 1773. 49
Les modernes Cotins , un cheval intraitable ;
LeGéographe , une île au parage d'Aunis ;
Le Prince , ce qui fait briller ſon équipage ;
LesDragons , lesHuſlards , un lieu pour le fouri
rage :
Mais j'en dis trop ; je metrahis.
ParM. L. M... de F *** , fur les bords
de l'Aute , en Baffe-Normandie.
AUTRE.
C'EST moi qui repeuple l'Eglife.
J'enferme le mont où Moyfe ,
De la bouche de Dieu , reçut ſes ſaintes lois ;
Un terme de reſpect , en parlant à nos Rois ;
Un royaume dans l'Inde ; un fleuve en Franconie ,
د
Et la quatrième partie
Du plus petitde tous nos mois ;
Des Rois la logique & le juge ;
Ce qu'à quinze ans attend Cloris ;
Une ville en Artois ſur la rive du Lis .
Conſidère ma tête ; elle a vu le déluge ;
Regarde, & reconnois le fougueux éléments
Des pauvres forçats le tourment ;
Ce qui de notre poëfie
Fait le principal agrément ;
Salue à qui tu dois la vie ;
C
SO MERCURE DE FRANCE.
Vois ici ce qu'en vain l'on cherche en fon malheur;
L'animal que Boileau préféroit au docteur ;
Le chef d'une cité ; trois notes de muſique;
Cequi peut rendre frénétique ;
L'auguſte compagne des Rois ;
Un animal léger chez le pelant Suédois ;
Une ville dans la Gascogne ; 1
Un ruiſſeau dont la ſource eſt près le Mont-Jura;
Un Evêché jadis en Catalogne ;
Un autre au Maine , & catera.
Par M. *** , à Falaise.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Le Voyageur François , ou la connoiſſance
de l'ancien & du nouveau Monde ,
mis au jour par M. l'Abbé de la Porte.
Tomes XVII & XVIII in 12. A Paris,
chez L. Cellot , imprimeur - libraire ,
rue Dauphine.
Le Voyageur François eſt actuellement
en Angleterre ; & les relations qu'il nous
endonne rempliſſent les deux volumes
qui viennentde paroître. Ce Voyageur ,
après avoir rappelé tes principaux faits de
l'hiſtoire britannique à ſon lecteur, entre
L
NOVEMBRE. 1773 .
dans tous les détails qui peuvent intéreſſer
ſa curioſité ſur le gouvernement , la
police , le commerce , la navigation , les
finances , la littérature , les moeurs , coutumes
& uſages des Anglois. Son ail ob .
ſervateur ne s'eſt laiſſe prévenir par aucune
haine nationale, ni par cette antipathie
que les deux peuples ſemblent avoir
l'un pour l'autre. Aux yeux d'un François,
l'Angleterre eſt le ſéjour de la fingularité
,de la fierté & de la jalouſie ; aux
yeux d'un Anglois , la France eſt celui de
la frivolité , de l'inconſtance & des modes
; aux yeux du philoſophe , la France
&l'Angleterre font, commetous les lieux
du monde , le pays des vertus , du méri
te, des ſottiſes &des vices. Notre Voyageur
, après avoit examiné particulièrement
l'origine de cette antipathie , fait
voir qu'elle entre pour quelque choſe
dans la politique du gouvernement. Les
Anglois cherchent même à faire germer
cette haine juſques dans le coeur des enfans.
Pendant la dernière guerre on parloit
dans une maiſon de Londres , du
projet qu'avoient les François de faire
une defcente en Angleterre ; un petit
garçon de neuf ans écoutoit avec beaucoup
d'attention ce que l'on diſoit , & puis tout
Cij
52 MERCURE DE FRANCE,
d'un coup ſe levant de fa chaiſe , s'approche
de fon père , & lui dit : « Si les Fran-
>> çois viennent ici , ameneront - ils des
>> enfans avec eux ? Pourquoi cette quef-
>> tion , répondit le père ? C'eſt , répliqua
>> l'enfant en ferrant les poings , que je
>> me battrai de bon coeur avec ces petits
» garçons. Toute l'aſſemblée fut enchantée
, embraſſa l'enfant & loua ſa courageuſe
réſolution. Les crocheteurs , les
matelots , les porteurs de chaiſe & tous
les journaliers répandus dans les rues de
Londres, font ceux qui mettent le moins
de bornes à cet excès d'animoſité . Cette
populace brutale ne prononce même jamais
un nom François ſans y ajouter les
épithètes les plus odieuſes. C'eſt cette
populace qu'il faut enviſager , ſi l'on veut
juger de la phyſionomie particulière du
peuple Anglois , & en général de celle
de tout autre peuple ; car l'éducation
répand ſur les caractères un vernis de po-
Jiteſſe qui en efface les principales nuances
.
Pour être affailli des journaliers de
Londres , il n'eſt pas néceſſaire de lier
converſation avec eux ; il ſuffit de paffer
à leur portée. Charles II , qui prenoit
plaisir à ſe familiariſer avec eux , leur di.
NOVEMBRE. 1773 .
1
foit des injures&s'en faifoit dire ; & c'eſt
ce qui rend ſa mémoire encore ſi chère
au petit peuple . Ce Prince étoit noir de
viſage ; & il venoit de mettre ſur les cheminées
un impôt dont tout le monde
murmuroit. Ayant provoqué quelques
bateliers fur la Tamiſe , ceux-ci ripoftèrent;
le Roi répliqua & crut avoir vaincu
fes adverſaires , lorſqu'un d'eux le déconcerta
en l'appelant Ramoneur de cheminées.
Charles décontenancé , refta court ,
ne fut que rire ; & cette victoire , qui fit
grand plaiſir aux bateliers , les confola de
l'impôt. Répondre à cette canaille , c'eſt
fouvent lier partie pour ſe meſurer à
coups de poings. La police de Londres
laiffe un champ libre à ces fortes de comm
bats très - fréquens parmi le peuple , &
quelquefois entre les honnêtes gens , qui ,
par forme de récréation, veulent battre ou
être battus. Les athlètes quittent leurs
habits , ſouvent même la chemiſe pour
ne pas les falir ni les déchirer , & en même-
tems pour avoir les bras plus libres &
agir avec plus de vigueur. Le Comte de
Saxe , depuis Maréchal de France , ne dédaigna
pas de meſurer ſes forces avec un
boueur de Londres , dans ce genre d'efcrime.
Il laiſſa venir ſon homme , le prit
C iij
54 MERCURE DE FRANCE .
par le chignon , & le jeta dans ſon tombereau
rempli de boue liquide. Le peuple
attroupé , témoin & charmé de ſa victoire,
le porta glorieuſement juſqu'à ſon hôtel .
Le goût pour les combats à coups de
poings tient tellement au caractère de
cetteNation , que dans les penſions& les
écoles , les enfans de la première Nobleſſe
ſe font de fréquens défis , & ſe batrent
ſuivant toutes les règles de l'art. Un
Chevalier Baronet étoit un ſi grand partiſan
de cette ſcience , qu'il avoit fait un
livre fur cette partie de la gymnaſtique
angloiſe , & l'enſeignoit même gratuitement
à ſes voiſins . Un Lord s'entretenant
avec lui ſur cette matière, il le ſaiſit
à l'improviſte , & le jera par deſſus ſa têre.
Celui ci un peu froiffé de ſa chûte , fe
releva en colère . « Milord , lui dit le
> Baronet d'un ton grave, il faut que j'aie
» bien de l'amitié pour vous ; car vous
>>êtes le ſeul à qui j'ai montré ce tour-
» là . Aureſte , cette manière de ſe battre
eſt très-ancienne enAngleterre. Dans
la fameuſe entrevue de François I. avec
Henri VIII , à Boulogne , ce dernier prit
un jour le Roi de France au collet& lui
propoſa de lutter. Le défi accepté , Henri
donna deux crocs en jambe à ſon adverNOVEMBRE.
1773 . 55
faire; mais François I les eſquiva & renverſa
le Monarque Anglois.
Notre voyageur cite pluſieurs traits
finguliers & funeſtes de cette maladie
cruelle qui porte un homme à s'oter la
vie. Ces traits ne paroiſſent peut - être
plus communs parmi les Anglois que
chez toute aurre Nation , que parce qu'on
a ſoin de les recueillir dans les papiers
publics. Notre Voyageur rapporte,d'après
ces mêmes papiers, cette anecdotequi peut
ſervir de leçon à ceux qui regardent la
funeſte réſolution de fortir de la vie comme
un acte de courage. Un pauvre homme
ayant été ramaſſer du bois mortdans
la forêt de Hydepark, vit un Gentilhomme
bien mis , ayant l'épée à ſon côté &
une cocarde à fon chapeau , qui ſe promenoit
d'un air trifte & rêveur. Ce pauvrehomme,
croyant que c'étoit un officier
qui venoit là pour ſe battre en duel , ſe
cachederrière un rocher. Le Gentilhomme
s'approcha de cet endroit , ouvrit un
papier qu'il lut avec un air fort ému , &
qu'il déchira. Il tira enfuite un piſtolet
de ſa poche , regarda l'amorce &battit
la pierre avec une clef. Après avoir jeté
fon chapeau à terre , il appuya le piſtolet
fur fon front; l'amorce prit; le coup ne
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
partit point. L'homme qui s'étoit caché,
s'élança ſur l'officier , & lui arracha fon
piſtolet; mais celui - ci mit l'épée à la
main, & voulut en percer fon libérateur,
qui lui dit tranquilement : « Frappez ; je
>> crains auſſi peu la mort que vous ; mais
>> j'ai plus de courage. Il y a plus de vingt
« ans que je vis dans les peines & dans
» l'indigence ; & j'ai laiſſé àDieu le ſoin
>> de mettre fin à mes maux, >>> Le Gentilhomme
, touché de cette réponſe,reſta
un moment immobile , répandit un tor
rent de larmes , embraſſa cet honnête
vieillard , lui fit accepter ſa bourſe, & fe
retira perfuadéque cet infortunéétoit plus
courageux que lui& plus raisonnable.
Chaque Nation ſe forme une idée par
ticulière de la beauté des femmes. Une
peau fine & très - blanche , des couleurs
tendres & légères , de la fraîcheur dans le
teint, un embonpoint ſeulement de ſanté,
un viſage plus ovale que rond , un nez un
pau alongé , mais d'une belle forme ,aſſez
comme l'antique , des yeux grands,moins
vifs que touchans , plus intéreſſans que
fpirituels , une bouche gracieuſe ſans fourire
, d'un tour même un peu boudeur ,
qui lui donne à la fois de la dignité &
un air voluptueux , des cheveux propres ,
V
NOVEMBRE . 1773 . $7
mais fans poudre , une taille avantageuſe
&droite , le cou long& dégagé , les
épaules quarrées & un peu plates , la gorge
ſaillante , des mains preſque toujours
un peu maigres : voilà ce qu'on trouve
de beau dans les Angloiſes .On peut dire,
en général , qu'elles ont peu de phyſionomie
; & preſque toutes ont paru à notre
voyageur avoir la même coupe de
viſage. Les Angloiſes n'ont pas encore
appris des Françoiſes l'art de déguifer la
nature au point de la rendre méconnoiffable
par le fard & le vermillon. Adifion
leur reprochoit d'avoir emprunté de nos
Dames la coutume de s'habiller en homme.
Il eſt vrai que dans la belle faifon
elles renoncent aux parures de leur ſexe ,
&ne confervent de leur vêtement naturel
que ce qu'elles croient ne pouvoir
abandonner ſans renoncer à la modeſtie.
L'habit d'homme leur paroît plus commode
pour la campagne &moins embarraffant.
Elles ſavent d'ailleurs que pour
peu qu'une femme ſoit bien faite , elle a,
fous cet habillement , quelque chofe de
piquant qu'elles ne veulent pas négliger .
L'eſprit de liberté qui règne en Angle.
terre doit contribuer à montrer les carac
tères plus à découvert. Pluſieurs traits
Cr
::
58 MERCURE DE FRANCE.
cependant que l'on a cités comme origi
naux , n'ont dû paroître tels que par la
manière ſeule dont ils ont été préſentés.
Un habitant de Londres , qui n'avoit
point d'enfans , donna aux pauvres tout
fon bien par ſon teftament; &cette action
, qui, quoique très - louable en ellemême
, n'avoit cependant rien de bien
rare , fut célébrée pendant pluſieurs mois
dans tous les papiers publics,uniquement
à cauſe de cette tournute fingulière :
« J'inſtitue pour mes héritiers , ceux qui
>>ont faim , ceux qui ont foif, ceux qui
>> font nuds , &c. »
Notre Voyageur s'eſt principalement
arrêté à nous faire connoître les moeurs ,
les uſages , & le génie particulier de la
Nation qui fait l'objet de ſon voyage.
Comme cet écrivain n'a point négligé de
confulter les écrits les plus inſtructifs fur
le commerce des Anglois , ſur les ſciences&
les arts qu'ils cultivent avec le plus
de ſuccès, ſur les loix& la forme de leur
gouvernement , ces deux nouveaux volumes
pourronttenir lieu de pluſieurs ouvrages
compoſés ſur ces différens objets .
Ils préſentent , ainſi que les volumes précédens
, un cours d'inſtructions , de.connoiſſances
& d'amuſemens très - utile à la
jeuneſſe.
NOVEMBRE. 1773 . 59
OEuvres de Molière , avec des remarques
grammaticales , des avertiſſemens & des
obfervations fur chaque pièce , par M.
Bret ; 6 vol. in 8°. avec figures, broch .
en carton ; prix , 54 liv. A Paris , chez
leClerc , quai des Auguſtins , & chez
les libraires aflociés .
Nous n'avons donné juſqu'ici qu'une
fimple notice de cet ouvrage intéreſfant
pour la littérature , & qui nous paroît
réunir les fuffrages des gens de goût . Nous
comptions y revenir avec un plus grand
détail ; mais la difficulté de faire un enſemblede
mille traits épars dans une production
du genre de celle de M. Brer ,
nous détermine à prendre le parti de donner
une idée de ſon travail , par l'examen
de celui qu'il a fait fur le Tartuffe& far
le Malade imaginaire ſeulement , en prévenant
nos lecteurs que dans preſque toutes
les autres pièces , & fur - tout dans
celles qui font le plus grand honneur à
Molière , nout trouverions également de
quoi faire un extrait qui piqueroit lour
curioſité.
Les trois premiers actes de la comédie
ineſtimable du Tartuffe,ditM. B. avoient
paru à la fixième journée des plaiſirs de
I'lleenchantée,en1664.
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
L'auteur pufillanime de la deſcription
de cette fête , vendu au parti qui redoutoit
la publicité de cette pièce , écrivit
que Louis XIV eut de la peine à fouffrir
dans cette Comédie , trop de reffemblance
du vice & de la vertu , & qu'il la défendit
par cette raiſon. Louis , dit le
Commentateur , ne fit point cette injure
aux vrais dévots . Tartuffe, plein du defir
criminel de ſéduire la femme de fon
bienfaiteur , ne put pas ſe confondre un
moment dans l'eſprit de ce Prince , avec
un homme de bien ; mais le manége ,
les criailleriesdes impoſteurs qui s'étoient
reconnus , arrachèrent cette défenſe que
Louis XIV dut ſe reprocher plus d'une
fois.
Un torrent de libelles ſe déchaîna
contre Molière. On écrivit que les deux
auguſtes Reines de ce tems étoient a
la tête de ſes ennemis : fait démenti par
la repréſentation des trois mêmes actes ,
trois mois après à Villers- corterets , en
préſence des deux mêmes Princeſſes.
Une nouvelle penſion accordée à
Molière , prouve encore mieux que fes
Maîtres ne groſſiſſoient pas la foule de
fes perfécuteurs.
Trois ans après , Louis XIV, dans la
confiance que le tems avoit dû calmer
1
NOVEMBRE . 1773 . 61
le faint effroi de 1664 , donna à Molière
une permiffion verbale de faire re
préſenter fa Comédie : on fait ce qui
en arriva ; mais ce qu'on ne trouve point
par- tout , c'eſt que Louis avoit en la
circonfpection d'exiger qu'elle ne parûr
point fous le titre de Tartuffe qui avoit
été le ſignal des premières fureurs ; que
l'acteur qui joueroit le perſonnage de l'impoſteur
eût un habit chargé de dentelles,
& l'epée au côté comme un laïque. Es
a ce propos M. B... demande pourquoi
les Comédiens ont préféré depuis,
de montrer Tartuffe ſous une décoration
qui le rapproche trop d'une application
qui avoit été ſi ſagement évitée , & qui
contredit même le plan de Molière
puiſque en le préſentant comme un homme
qui devoit époufer la fille d'Orgon ,
cette idée exclut toute idée d'un étap
incompatible avec ce mariage .. Hobſerve
qu'on fait le même contreſensdans
les Femmes ſcavantes en donnant à
Triffotin la décoration d'un abbé.
Le Commentateur obſerve que M.
Gigli , dans fa traduction de cette pièce
fous le titre de D. Pilone overo il Bacchetone
falfo en 1711 , avoit dit expref-,
fément qu'il ne falloit pas croire que,
le perſonnage du faux dévot für de
62 MERCURE DE FRANCE.
l'état eccléſiaſtique. Non deverfi credere
che in foggito fia perfona ecclefiaftica.
Le déchaînement contre Molière ne
devint que plus fort après l'Arrêt du
Parlement : on le traitadeſcélérat , d'athée
à brûler ; on compoſa des écrits fé
ditieux dont on chercha à le faire paffer
pour Auteur , & les chaires de Paris retentirent
de ſa diffamation .
M. B... a trouvé les raiſons ſur lefquelles
s'appuyoit le parti redoutable
des hypocrites , dans les jugemens du
peſant Baillet. Molière , dit- il , avoit eu
la présomption de croire que Dieu vouloit
bien fefervir de lui pour corriger un
vice répandu par toute l'Eglise , & dont
la réformation n'est peut - être pas même
réservée à des conciles entiers , &c. hac
ferid quemquam dixifſſe , ſumma hominum
contemptio est , dit le Commentateur
d'après Pline.
M. B ... tire à cette occafion ur
morceau du Sermon du ſeptième Dimanche
d'après Pâques , du célèbre Bour
daloue , dans lequel on voit que ce ſublime
orateur proſcrivoit une pièce qu'il
n'avoit pas vue , mais fans doute fur
des mémoires que lui avoit fournis une
cabale qui faifoit ſervir ſes talens à
NOVEMBRE. 1773 . 63
défendre publiquement une charlatanerie
qu'il n'avoit pas.
Une lettre , qui parut quinze jours
après l'unique répréſentation de l'Impoſteur,
fut ſa ſeule apologie. Bien des
raiſons conduiſent à croire que , malgré
les éloges qu'on y donne à Molière , cette
lettre eſt de lui , & l'on eſt fâché de
ne pas la voir dans cette nouvelle
édition.
: Le GrandCondé fait lui ſeul tête à
l'otage , & fait jouer pluſieurs fois la
pièce à Chantilly. Enfin en 1669 , Louis
XIV ſe laffe d'être également obfédé &
par les ennemis , & par les amis de
Molière; it donne ordre de la jouer
fous fon ancien nom de Tartuffe .
Trois mois du plus grand ſuccès attirent
à Molière de nouveaux ennemis
auffi incommodes , mais moins redoutables
que les premiers. On l'accable
d'injures groſſières & plates fur d'autres
théâtres que le ſien. Ce tableau des perfécutions
littéraires qu'éprouva Molière ,
eſt intéreſſant pour l'hiſtoire des ſottiſes
humaines.
M. B... s'attache enſuite à juſtifier
par les raiſons les plus convaincantes
&toujours puiſées dans le véritable art
de la Comédie , le dénouement duTar
64 MERCURE DE FRANCE.
tuffe toujours trop légèrement critiqué.
Il défend auſſi la fameuſe ſcène cinquième
du quatrième acte , peu ménagée
dans une de nos poëtiques modernes ;
mais nous obferverons que l'orſqu'il s'eſt
vu dans la néceſſité de repouſſer les
attaques de quelques - uns de ſes contemporains
, ce qui lui eſt arrivé plus
d'une fois dans ſon édition , il a ſu
joindre au courage que demandoit la
défenſe de Molière , l'honnêteté que ſe
doivent mutuellement les gens de lettres
. Il s'eſt rappelé ſans doutel'utile exemple
de ces deux Romains dontladiwerſité
des opinions ne bleſſoit point
Famitié . Cùm aliud M. Catoni , aliud
L. Lentulo videretur , nulla inter eos concertatio
umquam fuit. Cicero. Tufcul.
lib . 3 .
Ce dont M. B... par oft avec raifon
ſe ſavoir plus de gré dans ſon travail
fur le Tartuffe , c'eſt d'avoir le premier
détruit une opinion répandue par tout ,
qu'une farce intitulée il doctor Bacchetone,
pat Buonvicin Gioanelli , étoit l'original
de la pièce de Molière , & qu'il y avoit
cent ans que cene pièce ſe jouoit en
Italie , lorſque le Tartuffe parut. Or
il prouve que la dramaturgie de Leo Allatius
,augmentée de notre tems par
1
NOVEMBRE. 1773 . 65
Cerdoni & Apoftolozeno , ne fait pas
même mention de cette farce , & qu'au
contraire on y trouve à l'article du Buonvicin
Gioanelli , plufieurs pièces de fa facon
compoſées long- tems après la mort
de Molière , dont il imita encore le
Malade imaginaire ſous le titre d'ammalato
imaginario ſotto la cura del doctor
purgon. Il faut voir dans l'avertuf
fement de M. B... tout le détail cu
rieux de cette juſtification .
M. B... avoit un plus grand ennemi
du Tartuffe à repouffer ; c'étoit le célèbre
la Bruyere , qui , dans ſon chap. de
la Mode , avoit fait la plus vive cenſure
de cette Comédie. Le Commentateur
prouve que la critique artificieuſe &
jalouſede la Bruyere ne démontre qu'une
choſe ; c'eſt que, propre à faire un excellent
livre de morale , il ne fût parvenu
qu'à faire un drame triſte & froid .
Une anecdote inconnue fur M. Piron
à l'occaſion du Tartuffe , termine l'avertiſſement
de M. B... qui , dans le
cahier de fes obſervations ſur la même
pièce , a répandu pluſieurs autres faits
curieux , & des remarques utiles à l'art
de la Comédie , aujourd'hui ſi éloigné
de ſes premiers & de fes vrais principes.
66 MERCURE DE FRANCE.
Nous paſſerons au Malade imaginaire
dont nous avons promis d'eſquiſſer audi
le Commentaire , en nous reſſerrant le
plus qu'il nous fera poſſible.
Les conquêtes de Louis XIV en Hollande
, dit M. B... où ce Prince avoit
pris trente- fix Villes preſque toutes fortifiées
, excitoient tous les talens , animoient
tous les arts à célèbrer leur auguſte
protecteur ; & c'eſt à ce fentiment
que nous devons le prologue qui
précède le Malade imaginaire.
Il étoit conſacré à la louange de Louis
le Grand; mais il n'en étoit pas meilleur
, parce que ce n'étoit pas le genre
de Molière , & qu'il fut toujours médiocre
dans le lyrique : mais en donnant
un nouveau chef d'oeuvre comique , il
faifoit bien plus pour la gloire du règne
de ce Monarque , que s'il l'eût loué avec
plus d'art & de délicateſſe.
Les excurſions qu'il avoit faites jufquelà
fur les Médecins , n'étoient rien en
comparaiſon du combat qu'il parut livrer
ici au Corps entier. M. Perrault parla de
cette dernière attaque, comme ſi ſa plume
avoit été guidée par l'humeur d'un Médecin
ſubalterne. Molière , à la vérité ,
ſemble paffer le but , mais dans l'art
NOVEMBRE. 17730 67
de Thalie fur-tout , il faut ſouvent le
paffer pour l'atteindre.
Dailleurs quoique Molière dans cette
pièce ait paru confondre l'art même avec
les Praticiens , il eſt aiſé de voir par les
portraits qu'il a deſſinés , qu'ils ne devoient
point alarmer les gens honnêtes
de cette profeſſion. La pédante ſtupidité
de Meſſieurs Diafoirus père & fils , la
demande de M. Purgon ne font pas
faites dir M. B ... pour bleſſer des gens
qui ne peuvent leur reſſembler. Il y a un
art de la Médecine a dit M. de Vol.
taire , mais dans tout art il y a des
Virgiles & des Mævius. Les portraits de
Vadius & de Triſſotin, ne rendirent pas
les gens de lettres ridicules , & la cen
fure qu'on feroit aujourd'hui de l'écri
vaillerie de notre tems , n'atteindroient
ni Buffon , ni Voltaire , ni d'Alembert ,
ni beaucoup d'autres.
Si Montaigne avoit fourni à Molière
des traits contre la Médecine , il avoit
pu lui inſpirer même le caractère du
Malade imaginaire : j'en ai vu , dit ce
philofophe aimable, que liſoit Molière ,
comme Ménandre liſoit Platon : j'en ai
vu prendre la chèvre de ce qu'on leur
trouvoit le visage frais , & le pouls pose ,
68 MERCURE DE FRANCE.
contraindre leur ris , parce qu'il trahiſſoit
leur guérison , & hair la santé de ce
qu'elle n'étoit pas regretable.
M. B... n'oublie pas de comparer
à cette pièce le Malade imaginaire de
Dufreſny. C'est le bel-eſprit aux priſes
avec le génie , dit- il , & c'eſt a cet
auteur, ( qu'apparamment M.B... eſt bien
éloigné de ne pas eſtimer auſſi , ) que
commence dit - il , le déclin de l'art
comique. Pour le précipiter , il ne devoit
manquer à fes imitateurs que le
degré de fineſſe & d'eſprit qu'il avoit ,
& cela n'est arrivé que trop aifément
& trop fréquemment.Mais le Commentateur
obſerve qu'un objet plus important
encore qu'avoit Molière dans le dernier
de ſes ouvrages , étoit de tracer à nos
yeux le portrait d'une marâtre avare ,
intéreſſée & cruelle. Ce portrait deffiné
de main de maître , dit-il , n'est qu'un
acceſſoire du ſujet principal ..... c'eſt
ici qu'il faut apprendre à ne pas détruire
l'unité de ſon ouvrage en doublant
avec art fon utilité par les effets différens
qu'on lui fait produire.... Térence avoit
préſenté une belle- mère , mais honnête ,
douce , & raiſonnable , & le comique
réſulte moins d'un exemple à ſuivre , que
NOVEMBRE. هو . 1773
de celui qu'on propoſe à fuir. De- là
vient le peu de ſuccès de tant d'inftruc .
tions purement morales , que l'on diviſe
par ſcènes , au lieu de les donner
par chapitres dans un ouvrage d'un autre
genre,
M. B... obſerve auſſi que les édidions
antérieures à celle 1682 , que
ſuivent nos auteurs , & à laquelle l'édition
in 4º s'eſt conformée , ent entreelles
de grandes différences dont il fait
remarquer quelques- unes , où une moins
étrangère , ſe laiſſe aisément appercevoir.
C'eſt ce qui a fait ſouhaiter à un
journaliſte qui vient de rendre compte
de l'édition de M. B... , qu'on réimprimật
par ſupplément le texte ancien , &
⚫ qu'on y ajoutât la lettre ſur le Tartuffe
qu'on ſoupçonne être de Molière .
Il ne pouvoit pas ſe faire en s'occupant
de cette dernière Comédie de Mo.
lière , que M. B... ne ſe rappelât point
quelle fut l'époque de ſa mort. A cette
occafion il peint les hommages centenaires
qu'on a rendus dans cette année à
ce grand homme.... fi M. de Saint-
Foy , dit il , réimprime ſes ingénieux
eflais fur Paris , il ne s'écriera plus ou
est la statue de Molière ? Elle eſt décernée
dans un moment de tranſport &
70
MERCURE DE FRANCE.
d'amour , par un acte public qui la
rend digne de ce grand homme. Ce qui
tombe fur l'engagement que prirent nos
acteurs , d'élever un monument au fondateur
de leur art .
Les obſervations de l'éditeur ſur cette
pièce, ont, comme toutes les autres, letriple
mérite d'être utiles à la ſcience des
moeurs , à celle de la langue , & à l'att
de la Comédie , dont l'auteur , dans ſon
diſcours préliminaire & dans beaucoup
d'autres endroits , s'eſt toujours fait un
devoir de faifir les principes par la
pratique qu'en a fait Molière.
Nous terminerons cet extrait par un
poft-ſcriptum qui eſt à la fin des obfervations
de M. B... , ſur le Malade
imaginaire.
Poft-Scriptum.
>>Chargés du Commentaire du plus
>>>grand auteur comique qui ait exifté
>>dans tous les temps , nous avons eu
>>pour objet de le rendre utile au vé-
→→ ritable art de la Comédie , à nos jeu-
>> nes artiſtes , & aux étrangers auffi
>>> idolâtres de cet auteur que nous mê-
» mes , parce qu'il n'y a que le talent
» qui ſoit national ; & que le génie eſt
NOVEMBRE. 1773 . 71
» commun à tous les lieux où l'on penſe .
»Heureux ſi nos efforts ont répondu à
>> nos intentions !
ود
» Nous nous rappelons que dans le
> cours de nos remarques nous avons
été forcés de défendre Molière contre
>>des opinions modernes qui nous ont
>>paru hafardées. Si le zèle dont nous
» étions remplis pour notre auteur nous
» avoit portés au de-là des égards dont
» les gens de lettres devroient rougir de
» s'écarter les uns envers les autres ,
» nous en déſavouerions la chaleur :
>> mais nous croyons nous être tenus
» à cet égard dans les bornes d'une
»défenſe permiſe , & qui entroit dans
>>les obligations que nous avoit fait
>> contracter notre qualité de Commen
tateur. »
Nouveaux éclairciſſemensfur la vie & les
ouvrages de Guillaume Postel; par le
Père Des Billons , de la Compagnie de
Jeſus; vol. in. 12. A Liége , chez Tutot
, imprimeur - libraire ; & à Paris ,
chez la Ve. Babuty , libraire , rue de
laHuchette.
Guillaume Poſtel , profeſſeur des mathématiques
& des langues au collége
72 MERCURE DE FRANCE.
,
royal de Paris , naquit de parens pauvres
&obfcurs , le 25 Mars 1510 à Dolerie
village proche Barenton en Normandie.
11 ajouta lui-même à fon nom celui de
Dolerienfis dans le titre de ſa ſeconde
production , imprimée in-4°. à Paris en
1538. Tous les auteurs contemporains ,
qui parlent de ſon âge , comme l'obſerve
le P. Des Billons , le font naître dans le
ſiècle précédent: mais le témoignage de
fon testament , qui ſe trouve écrit de ſa
propre main dans la bibliothèque du Roi,
réfute celui de ces auteurs ; & c'eſt le ſeal
que le P. D. a cru digne d'être ſuivi. Il ne
répète point le récit qu'on a déjà fait tant
de fois des aventures de Guillaume Pofzel
&de ſes malheurs qui traversèrent fon
amour pour les ſciences , ſans pouvoir le
ralentir. Il ne parle point de ceux de ſes
ouvrages qui n'ont rien de curieux , ou
dont divers écrivains ont donné des notions
ſuffifantes. Les obſervations du P.
D. n'ont pour objet que des choſes peu
connues , ou mal éclaircies. On ne doit
donc pas s'attendre à trouver ici une hiftoire
liée & méthodique de ia vie & des
ouvrages de Poſtel , mais ſeulement quelques
remarques détachées.
Poſtel avoit beaucoup de vivacité &
une
NOVEMBRE. 1773 . 73
une mémoire prodigieuſe. Il connoiffoit
parfaitement les langues orientales , une
partie des langues mortes , & preſque
toutes les langues vivantes. On pourroit
dire de lui qu'il étoit le plus ſavant, mais
non le mieuxfavant defonfiècle. La lecture
des écrits des Rabbins & des livres
orientaux lui avoit fi fort échauffé l'imagination
, qu'il étoit parvenu à prendre
ſes rêves pour des viſions. Il s'étoit mis
dans la tête que le règne évangélique de
Jeſus-Chriſt , établi par les Apôtres , ne
pouvoitplus ni ſe ſoutenir parmi lesChrétiens
, ni ſe propager parmi les Infidèles
que par les lumières de la raiſon. li fe crut
deſtiné pour l'exécution de ce grand ouvrage
: c'eſt pour y diſpoſer les efprits ,
qu'il fit ſes quatre livres de la Concorde
de l'Univers , de orbis Terra Concordia.
Acette idée qui le regardoit perſonnellement,
il en joignit une autre qui confiftoit
dans la deſtination d'un Roi de France
à la monarchie univerſelle. Il falloit
lui préparer les voies par la conquête des
ceoeurs ,& la conviction des eſprits , afin
qu'il n'y eût plus dans le monde qu'une
ſeule croyance , & que Jeſus - Chrift y
régnât par un ſeul Roi , une ſeule loi &
une feule foi. Poſtel, pour en impoſer aux
D
74
MERCURE DE FRANCE.
ſimples , & donner quelque poids à fon
ſyſtème par l'apparence d'une économie
divine&d'une conduite ſurnaturelle , s'étoit
aſſocié une Vénitienne , connue sous
le nomde la mère Jeanne , de laquelle il
raconte bien des merveilles dans un ouvrage
intitulé : Revelationes Matris Mun.
di , fivè Evæ nova; les Révélations de
la Mère du Monde ou de l'Eve nouvelle.
Poſtel nous dit dans une de ſes lettres
«que cette Eve nouvelle étoit âgée de
>> cinquante ans lorſqu'il eut le bonheur
>> de la connoître : que la plénitude de la
» ſubſtance de Jeſus - Chriſt habite en
>>elle , ainſi que la ſubſtance de la Divi-
>nité habite en Jeſus - Chriſt ; que le
> Myſtère de l'éternité , c'eſt à direde la
>> reſtitution parfaite , doit être confom-
» mé en elle : que tout le monde à Ve-
>> niſe ſe moque de lui , mais qu'il s'en
» conſole , parce qu'il fait bien ce qu'il a
» vu & entendu. Il nous apprend , dans
>>une autre lettre,que cette fille , après ſa
>> mort , lui tint la promeſſe qu'elle lui
» avoit faite, de l'aſſiſter quand elle feroit
>>auCiel : qu'elle vint en effet lé trouver à
>> Paris;&que ce fut alors qu'elle lui com-
> muniqua ſa ſubſtance , qu'elle l'établit
» dans tous les droits de premier né de la
NOVEMBRE. 173. 75
>> régénération ;qu'elle lui fit comprendre
» par la lumière de la raiſon tous les
>> myſtères de la Religion chrétienne , &
>>le chargea de les faire comprendre à
> tous les habitans de la terre , en leur
> communiquant cette même lumière..
Parmi les écrits dont Poſtel ſurchargea
le monde littéraire , les Bibliomanes recherchentprincipalement
ceux où il traite
de ce qui regarde ſa Mère Jeanne. Le
premier qu'il donna far ce ſujet, eſt intitulé
: les très - merveilleuses victoires des
femmes du nouveau Monde ( c'eſt à dire
du Monde renouvelé ) & comment elles
doivent à tout le monde par raiſon commander,
& même à ceux qui auront la monarchie
du Monde vieil. A la fin eft ajoutée
la doctrine du Siècle doré , ou de l'é
vangélique règne de Jesus , Roi des Rois.
Paris , Jean Ruelle , 1553. in- 16. petites
lettres. 51 feuillets pour le premier traité,
&16 pour le ſecond. Un exemplaire de
cette édition , relié en maroquin rouge ,
fut acheté 220 liv. en 1767 , à la vente
des livres de M. le D. de la V*** . Il y
en a une autre édition de la même année,
qui parut dans la même ville chez Jean
Gueullart : elle eſt du même format
mais d'un caractère plus gros , &contient
,
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
81 feuillets. L'édition de Ruelle a été
contrefaite à Paris dans ces derniers tems
ſous la même date , mais dans un format
un peu différent. Voilà trois éditions de
cet ouvrage : il n'eſt donc pas auffi tare
que bien des gens ſe l'imaginent. Cette
contrefaction ne ſe vend pas cher , quoiqu'elle
contienne toutes les extravagances
qui font rechercher les deux autres avec
tant d'empreſſement.
Poſtel dit de ſa Vergine Venetiana , que
quoique ſa béate eût cinquante ans , elle
paroiſſoit n'en avoir que quinze,parce que
les longues méditations la rajeuniſſoient,
ce qui lui arrivoit ſur - tout les jours de
communion. Ce livre de la Vergine Venetiana
n'a que 39 feuillets. Ileſt regardé
comme le plus rare & le plus cher de
tous les ouvrages de Poſtel. Le Père D.
B. ne le connoît que par l'extrait qu'en a
donné le père Niceron ,& ce n'eſt que ſur
le rapport d'autrui qu'il parle de quelques
exemplaires qui exiſtoient ou qui exiftent
encore dans la république des lettres. Il
yen avoit undans la bibliothèque royale
de Dreſde : on fait mention d'un autre
dans le catalogue d'Uffenbach , où il eſt
taxé vingt thalers. M. le Préſident de
Cotte en poffède untroiſième. Un qua
A
NOVEMBRE. 1773 . 77
trième relié avec in libro della divina ordinatione
; dovesi tratta delle cose miraculose
, lequale jono ſtato , &fino al fine
hanno da effere in Venetia , & principalmente
la causa , par laquale iddio fin qui
habbi havuto piu cura di Venetia , che di
tutto il mondo infienne ; per Gulleimo
Poftello, Padoua , 1556 , in 8 ° , de vingt.
huit feuillets , fut acheté à la vente des
livres de feu M. Gaignat , 901 liv .; & feu
M. de Boze en poſlédoit un cinquième ,
qui eft paffé dans la bibliothéque du Roi
de France , moyennant , dit-on , les oeuvres
latines de Morlinus , données en
échange. Le père D. B. nous donne en
note le titre de ces oeuvres : Hieronymi
Morlini novellæ fabulæ & comadia , Neapoli
, 1520 , in- 4º. de 110 feuillets en
tout ; livre très - mal écrit , plein de foléciſmes
, & qui n'eſt fingulier que par
les obfcénités qu'il contient. Cette miférable
production fut donnée en 1701 , à
la vente des livres du St Witt, Hollandois
, pour un florin dix fols. Elle für ven.
due 60 liv. en 1725 à la vente de Dufay :
880 , en 1754 , à celle de M. de Boze :
enfin 1121 liv . en 1769 , à celle de M.
Gaignat.
Quelques autres notices pareilles font
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
:
connoître la rareté de pluſieurs écrits ,&
le prix qu'y mettent les bibliomanes ,
toujours moins empreſſés à ſe procurer
les bons livres que les livres rares. Le P.
D. B. a auffi fait voir l'eſprit dans lequel
Poſtel a compoſé la plupart de ſes ouvrages.
On pourra ſe convaincre , en liſant
ces éclairciſſemens , que les erreurs de ce
viſionnaire étoient encore plus ridicules
que dangereuſes. Ces éclairciſſemens font
ſuivis d'un catalogue des ouvrages impri
més de Poſtel .
Dictionnaire des Voyages , contenant ce
qu'il y ade plus remarquable , de plus
utile & de mieux avéré dans les pays
où les voyageurs ont pénétré : touchant
leur fituation , leur étendue , leurs limites,
leur climat , leur territoire, leurs
productions ; leurs principales villes ,
&c. avec les moeurs & les uſages des
habitans ; leur religion , leur gouvernement
, leurs arts, leurs ſciences &&
leur commerce , &c. Tome premier &
tome ſecond in 12. A Paris , chez Coftard
fils , &compagnie , rue St Jean-de-
Beauvais.
L'utilité d'un dictionnaire où l'on peut
trouver commodément & fans recherches
NOVEMBRE. 17736 79
ce que les voyageurs nous ont appris de
plus curieux d'une Nation ou d'une contrée
concernant ſa ſituation , ſon commerce
, ſes moeurs & uſages, fera fur-tout
bien ſentie de ceux qui n'ont ni le tems ,
ni la commodité de lire les relations des
voyageurs. Ces relations font même aujourd'hui
fi fort multipliées , elles font
pour la plupart ſi diffuſes & entrent dans
tant de détails , que celui qui les auroit
raſſemblées pourroit encore trouver un
dictionnaire très - commode pour ſe rappeler
quelques traits particuliers ou piquants.
Peut- être le lecteur ſera-t'il fâché
de ne pas voir de ſuite l'hiſtoire naturelle
du pays dont on lui décrit la ſituation , le
commerce , les uſages, &c. Mais l'auteur
de ce dictonnaire a penſé que pour faciliter
les recherches , objet principal de fon
recueil , il valoit mieux placer ſous leurs
noms propres , la deſcription des arbres ,
des plantes , des animaux &des poiſſons
qui peuvent avoir quelque fingularité par
rapport ànous.
:
Les deux volumes de ce dictionnaire ,
qui viennentde paroitre, comprennent les
deux premières lettres & une partie de la
lettre C, dont le dernier mot eſt Chepeys,
monument chinois avec diverſes inſcrip
Div
So MERCURE DE FRANCE.
tions , qu'on rencontre dans les grandes
routes , vis- à-vis les temples. Ce font de
gros blocs de marbre , ſur des baſes de la
même matière , où , par le moyen d'une
mortoiſe & de quelques tenons , le bloc
eſt aisément fixé. On en voit de la hauteur
de huit pieds , larges& épais de deux .
Mais leur hauteur commune n'eſt que de
quatie ou cinq pieds , & leurs autres dimenfions
font proportionnées. Les plus
grands font élevés ſur une voûte de pierre.
Quelques-uns ſont environnésdegrandes
falles. D'autres n'ont pour enclos qu'un
petit bâtiment de brique , mais ſont couverts
d'un toit fort propre. Leur forme
feroit un quarré régulier , s'ils n'étoient
un peu arrondis vers le ſominet , & couverts
de quelques figures groteſquesd'une
autre pierre. Les habitans des villes voifines
érigent ces monumens en l'honneur
des Mandarins, lorſqu'ils ont été fatisfaits
de leur gouvernement. Ces officiers en
élèvent auſſi , pour immortaliſer quelques
honneurs extraordinaires qu'ils ont reçus
de l'Empereur , ou par d'autres motifs.
Mais lorſqu'il eſt queſtion d'une faveur
impériale , on y joint deux figures de dragons
diverſement entrelacées.
Les articles des Royaumes préſenNOVEMBRE.
1773 . 81
tant néceſſairement beaucoup de détails,
font auſſi les plus étendus de ce dictionnaire.
Benin, grand royaume d'Afrique ,
nous ett dépeint comme rempli d'érabliſſemens
qui reſpirent la douceur &
l'humanité . Le Roi , les grands & les
gouverneurs de Provinces font fubfſiſter
les pauvres dans les Villes de
leur demeure , employent à divers exercices
, ceux que leur âge & leur fanté
rendent propres au travail , & nourriffent
gratuitement les vieillards &
les malades : auſſi ne voit-on pas de
mendians dans le Pays . Mais cette humanité
ſe trouve dans le même Pays ,
en contradiction avec la plus étrange
des barbaries ; ce qui peut ſervir à prouver
combien peu les hommes font dirigés
dans leur conduite par des priacipes
philoſophiques . Il eſt d'uſage à
Benin, lorſq'une perſonne de distinction
eſt morte , de maſſacrer trente ou quarante
eſclaves. Cette boucherie eſt beaucoup
plus ſanglante à la mort des Rois . Un
Roi de Benin n'a pas plutot rendu le
dernier foupir , qu'on ouvre , près du
Palais , une très grande foffe , & fi
profonde que les ouvriers font quelquefois
en danger d'y périr , par la quantité
d'eau qui s'y amaffe. Cette eſpèce
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
:
de puits n'a de largeur que par le fond,
& l'entrée au contraire eſt aſſez étroite
pour être bouchée facilement d'unegrande
pierre. On y jette dabord le corps du
Roi ; enfuite on fait faire le même ſaut
à quantité de ſes domeſtiques de l'un
&de l'autre ſexe , qui font choiſis pour
set honneur. Après cette première exécution
, on bouche l'ouverture du puits
à la vue d'une foule de Peuple que la
curiofité retient nuit & jour dans le
même lieu . Le jour ſuivant on leve la
pierre , & quelques officiers deſtinés à
cet emploi , baiſſent la tête vers le fond
du trou pour demander à ceux qu'on y
a précipités , s'ils ont rencontré le Roi.
Au moindre cris que ces malheureux
peuvent faire entendre , on rebouche le
puits , & le lendemain on recommence
la même cérémonie , qui ſe renouvelle
encore tous les jours fuivants , juſqu'à
ce que le bruit ceffant dans la foffe ,
on ne doute plus que toutes ces victimes
ne foient mortes. Après cette
affreuſe exécution , le premier miniſtre
d'État en va rendre compte au ſucceſſeur
du Roi mort , qui fe tranſporte auffitot
fur le bord du puits , &, l'ayant fait
fermer en ſa préſence , fait apporter fur
lapietre toutes fortes de viandes &
NOVEMBRE. 1773 . 83
de liqueurs , pour traiter le Peuple. Chacun
boit & mange abondamment jufqu'à
la nuit ; enſuire cette multitude
de gens échauffés par le vin , parcourt
toutes les rues de la Ville en commettant
les derniers déſordres. Elle tue tout
ce quelle rencontre , hommes , & bêtes ,
elle leur coupe la tête , & porte le
corps au puits ſépulcral , où elle les
précipite comme une nouvelle offrande
que la nation fait à ſon Roi.
ou
Lorſque l'on examine les différentes
opinions des Peuples , fur ce qui conftitue
la beauté dans les hommes
dans les femmes , on eſt porté à croire
que cette beauté eſt une choſe purement
arbitraire , du moins pour ce qui
regarde la couleur & la forme; car l'expreſſion
des paſſions douces & la grâce
plaiſent à tout le monde. Les habitans
d'Arrakan , royaume maritine des Indes
orientales , eſtime un front large & plat ;
&, pour lui donner cette forme , ils
appliquent aux enfans , dès le moment
de leur naiſſance , une plaque de plomb
fur le front.
Les Azanaghis, nation d'Afrique , qui
habite pluſieurs endroits de la côte au
de-là du cap -blanc , font confifter la
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE .
4
:
principale beauté des femmes dans la
-groffeur & la longueur de leur mamelles.
Dans cette idée , à peine les femmes
ont elles atteint lâge de ſeize ou
dix- sept ans , qu'elles ſe ferrent les
:mamelles avec des cordes , pour les
faire deſcendre quelquefois juſqu'à leurs
genoux.
La plupart des femmes Banianes ont
le tour du viſage bien fait , & beaucoup
d'agrémens. Leurs cheveux noirs
& luftres forment une ou deux boucles
- fur le derrière du cou ; ils font attachés
: d'un noeud de ruban. Ces femmes ont
: des anneaux d'or paſſés dans le nez ou
dans les oreilles. Elles en ont aux doigts ,
aux bras , aux jambes , & aux gros
•doigts du pied. Celles du commun les
ont d'argent , de laque , d'yvoire , de
verre ou d'étain. Comme l'ufage du
betel leur noircit les dents , elles font
parvenues à ſe perfuader que c'eſt une
beauté de les avoir de cette couleur.
Les habitans de l'ifle. Célèbes ou
Macaffar , font très - curieux d'avoir les
dents peintes en verd ou en rouge. Cette
opération ne fe fait point fans douleur ;
mais l'empire de la mode n'eſt pas moins
reſpecté à Célèbes qu'en Europe."
NOVEMBRE. 1773 . 85
Certains défauts très- répandus ont
auffi contribué à altérer legoût naturel ;
& l'on voit des nations qui exigent
-qu'un bel homme ſoit gros & gras ,
qu'il ait un front large & de petits
yeux. Si l'on confultoit les habitans des
Alpes fur la beauté , ils pourroient demander
pour première condition qu'un
homine ait un goërre , parce qu'il eſt
allez ordinaire parmi eux d'avoir ce
défaut. A
On auroit defiré que l'auteur de
ce dictionnaire des voyages eût cité
les fources où il a puiſé , fur-tout lorfqu'il
nous rapporte des coutumes fingulières
, & un peu éloignées des moeurs
ordinaires . Il nous dit, par exemple , que
la principale femme du Royaume d'Ardra
porte le titre de Reine , avec l'étrange
prérogative de pouvoir vendre
les compagnes de fon fort , pour ſuppléer
à ſes befoins , lorſque leur mari
commun refofe d'y fatisfaire. Mais le
voyageur qui a rapporté cette prétendue
coutume , n'auroit- il pas pris un
fait arrivé de ſon temps , comme un
uſage établi ? On fait qu'il n'eſt que
trop ordinaire au commun des voyageurs
, la plupart commerçans , & qui
n'ont fait que paſſer dans les différentes
86 MERCURE DE FRANCE.
1
contrées , d'ériger en coutume l'exemple
peut être unique d'une action.
Les Soirées de Paphos , avec cette épigraphe
O Venus , Regina Cnidi , Paphique.
Horat. lib . od. xxv .
1
,
deux parties in- 12 . A Paris , chez
Jacques- François Quillau , Libraire
rue Chriſtine , au Magaſin Littéraire,
pour la lecture par abonnement.
Paphos retentiſſoit des louanges de la
mère des amours ; les habitans de ce
pays fortuné s'empreſſoient à l'envi d'offrir
leur reconnoiſſance & leur hommage
à une divinité bienfaiſante , qui
cauſoit tout le bonheur de leur vie ;
& la déeſſe, ſenſible au culte d'une nation
fi chere , l'autoriſoit encore par ſa
préſence enchantereſſe. Les Paphiens
éprouvoient-ils quelques diſgraces , ils
s'adreſſoient à leur ſouveraine , & ils
étoient heureux. Un berger refuſoit fa
foeur à un autre , parce que ſes troupeaux
n'étoient pas affez nombreux ;
la déeſſe ordonne qu'on ouvre les lieux
où ſont renfermés les animaux qu'on
lui facrifie ; on en tire deux cens , on
NOVEMBRE . 1773 . 87
les donne au berger malheureux ; elle
aura des ſacrifices de moins , mais elle
fera deux heureux de plus. Une Paphienne
ſe plaignoit d'avoir été trahie par
un amant : la déeſſe , loin de lui rendre
un berger parjure & mépriſable , la bleſſe
pour un amant plus digne de ſon choix ,
qui , rebuté juſqu'alors , avoit dévoré ſa
douleur , ſans fonger à être infidèle.
Souvent la déeſſe , au milieu des fêres
qui ſe célèbroient en ſon honneur , ſe
retiroit ſur le ſoir dans l'intérieur de
ſon temple , & ſe faisoit chanter fur la
lyre , les aventures des Dieux & des
Héros qui avoient le plus accrédité fon
empire. Ces aventures ſont empruntées
de la poëfie ancienne , dont l'auteur a
cherché à faire paſſer dans ſon ſtyle les
principaux ornemens. Ces ſoirées , au
nombre de quatre , nous offrent les hiftoires
de Pâris & d'Hélène , de Pyrame
& Thiſbé , d'Ariane & Theſée , de
Sapho & Phaon. Les poëtes Alcée &
Archiloque répandirent par leurs vers
fatyriques de l'amertume ſur les jours
de Sapho qui avoit dédaigné leurs hommages.
Ce n'eſt pas qu'elle fût infenſible
à l'amour : perſonne au contraire n'a
reſſenti plus vivement ſes tranſports , &
n'amieux ſcu les décrire. Elle aima le
88 MERCURE DE FRANCE .
1
jeune Phaon , mais elle ne put l'enflam
mer. En vain cette amante malheureuſe
adreffa-t- elle à Vénus cette hymne qui
nous eft parvenue , où elle demande fi
ardemment la faveur de cette déeſſes:
ſes prières ne furent point exaucées. Les
vers pallionnés qu'elle compoſafi fouvent
ſur le même ſujet , furent également
inutiles ; enfin ne pouvant contenir
le feu qui la dévoroit , elle alla
l'éteindre dans les eaux de la mer. « Il
» y avoit à Leucade un promontoit
>> du haut duquel les amans déſeſpérés
>> avoient coutume de ſe jeter , après
" la précaution ſouvent inutile de s'at-
> tacher des aîles aux épaules. Ce faut
» devoit les guérir d'un amour malheu-
>> reux ; mais la mort qu'il leur procuroit
>>étoit communément l'unique remède
>> à leurs maux. Cet acte de déſeſpoir ſe
>> faifoit avec beaucoup de pompe ; il
» étoit annoncé quelque tems auparavant
, & honoré d'un grand concours
>> de ſpectateurs. Sapho choitit ce genre
>> de mort ; car c'étoit la mort qu'elle
>> cherchoit ; elle n'avoir pas affez de
>>crédulité pours'imaginer qu'un fautgué-
>>ritoit une paſſion que la raifon ne
> pouvoit vaincre. On publia fon def-
>> fein dans la Grèce : une foule innomNOVEMBRE.
1773 . 89
*>> brable d'étrangers avoit dévancé ſon
» arrivée à Leucade. Elle parut couron-
» rée de fleurs dans l'habillement d'une
>> victime qu'on va immoler. Son teint
>> paroiſſoit plombé , ſes yeux éteints ,
>> mais elle étoit un peu foutenue par
» la folemnité de ſes derniers momens.
» On égorgea un nombre infini de vic-
>> times dont ou fit couler le fang au
>> fond du gouffre où elle alloit ſe pré-
>> cipiter. On y jeta des fleurs. On lui
>> attacha des ailes avec pluſieurs céré-
>> monies ſuperftitieuſes , on adreſſa aux
>> Dieux des prières qui ne l'étoient pas
» moins ; Sapho s'avança ſur le bord
>> du précipice , en levant au Ciel les
>> yeux & les mains. O Dieux , dit-
> elle , dont mille adulateurs me di-
> fotent la rivale , ô Vénus ! à qui j'ai
>> confacré toute ma vie, ó ſexe impérieux
à qui je ne devois chercher
» qu'à plaire , & que j'ai oſé adorer
» & toi , poëte affreux coeur pêtri de
„ fiel , dans lequel remuent les ferpens
» des Euménides, fixez tous les yeux
» für moi. Peuple ſtupide qui me con-
>> temples , foule bornée pour qui ma
>> rage n'est qu'un ſpectacle , goûte ton
>>bonheur. Jamais les flammes de l'a-
6
,
90 MERCURE DE FRANCE.
>> mour n'ont échaufféton coeur engourdi ,
» jamais de noirs tableaux n'ont effrayé
>> ton ame groſſière. Ah ! pourquoi la
mienne s'eſt elle élevée au deſſus de
> ton froid instinct ? Pourquoi ne tai -je
>> pas reflemblé ? Je vivrois encore com-
» me la plante qui végète , je m'avan-
>> cerois d'un pas égal vers la mort que
>>je ne prévoyois pas , je ne ſentirois
>> pas l'atteinte de ſa faulx , je n'aurais
>> pas frémi long-tems d'avance en la
voyant étinceler , & le déſeſpoir ne
>>m'auroit pas à la fin précipitée ſous fes
> coups. Puiffe ma mort effrayer toutes
>> celles que l'amour viendra ſéduire !
Puiffent - elles fermer leurs coeurs à
>> ſes cruelles amorces! Puiſſe mon fang
> enlever ane ſeule victime a l'amour !
>> Il ſera trop payé! En prononçant ces
» mots , elle ſe précipita du haut du
» roc , aux yeux de ce Peuple imbécile
qui auroit du ſauver , malgré
» elle, les jours précieux , au lieu d'at-
>> tendre ſa guériſon d'une chûte qui
>> devoit lui donner la mort. On fut
> étonné de voit ſes aîles inutiles; ſa tête
»& ſes membres ſe brisèrent ſur la
> pierre qui fut rougie de ſon ſang. »
Toute la Cour de Vénus plaignit la
NOVEMBRE. 1773. 91
triſte fin de Sapho , mais la déeſſe déclara
qu'elle la méritoit en partie , pour
avoir paflé les bornes de la décence qui
devoient être ſacrées , fur-tout pour fon
ſexe. Mon culte , ajoutoit Vénus , n'admet
que des coeurs naifs & purs. Elle
fit ſentir par la punition des poëtes
Alcée & Archiloque , dont il eſt fait
mention dans cette hiſtoire , le danger
d'abuſer de ſes talens. Elle commençoit
à exhorter les poëtes à concevoir
une idée aſſez élevée de la poëfie
pour ne pas la proſtituer à leurs querelles
particulières , lorſqu'elle reçut
avis qu'une nymphe venue des bords
de la Seine faifoit grand bruit dans
l'Olympe . « Cette divinité nouvelle
> étoit plus jolie que belle ; elle avoit
>> des grâces , mais c'étoient des agrémens
>de caprices; il ne falloit pas y regar-
>>der de bien près , pour s'appercevoir
>> de l'incarnat de ſes joues ; & le co-
» rail de ſes lèvres avoit un éclat étran
»ger à la nature. Pleine de vivacité ,
>> elle n'étoit pas aſſez tendre pour qu'on
>> la nommât la déeſſe de l'amour; mais
>> tous les Dieux , ſéduits par ſes char-
> mes finguliers , l'appeloient la déeſſe
>>des plaiſirs . Vénus ſe hâta de voler
>> vers l'Olympe pour en chaſſer la ſu92
MERCURE DE FRANCE.
د
pire des coeurs
رد
>> perbe ennemie qui lui diſputoit l'em-
C'est ainsi que le
termine cette fiction , où l'auteur s'eft
plu à peindre d'apres les poëtes , les
défordres que cauſe ſouvent la plus
impérieuſe des paſſions , dans un coeur
qui s'en eſt rendu l'efciave.
:
:
La Génération , ou expofition des phénomènes
relatifs à cette fonction naturelle;
de leur mécaniſme , de leurs cauſes
reſpectives , & des effets immédiats
qui en réſultent. Traduite de la phyfiologie
de M. de Haller , augmentée
dequelques notes , & d'une differtation
for l'origine des eaux de l'Amnios ; 2
vol . in 8 ° . A Paris , chez DesVentes de
la Doué, libraire , rue St Jacques , visà-
vis le collége de Louis-le-Grand.
Le docteur Haller , qui a répandu beaucoupde
lumières ſur la botanique & l'anatomie
, n'a pas moins contribué par ſes
travaux aux progrès de la phyſiologie ou
de cette partie de la médecine qui s'occupe
de l'économie animale. Les écrits de
ce ſavant médecin méritent d'autant plus
d'être conſultés que l'auteur , toujours en
garde contre l'erreur, n'a emprunté aucune
découverte de ſes prédéceſſeurs , qu'il ne
NOVEMBRE. 1773 . 23
l'ait vérifiée par l'expérience . Sa phyfiologie,
ſcience qu'il a traitée en grand , préſente
beaucoup d'obſervations neuves &
intéreſſantes. On n'y trouve aucune propoſition
théorique qui ne foir le réſultat
de faits bien conſtates , & des recherches
que l'auteur a faites dans une ſuite confidérable
de diſſections de cadavres tant
d'hommes que d'animaux. Les opinions
qu'il eſt impoſſible de vérifier par l'expérience
, ne font offertes dans cette phyſiologie
que comme des conjectures ; mais
une conjecture donnée par un homme
auſſi éclairé que le docteur Haller , peut
paroître au moins très-probable. La partie
de fa phyſiologie qui concerne la
la génération , mérite particulièrement
l'attention des gens de l'art. Le mécaniſme
de la reproduction des êtres
animés eft , comme l'obſerve le traducteur
dans un avant propos , un myſtère
impénétrable à l'oeil du phyſicien; cependant
elle est le réſultat d'un nombre de
cauſes de détail , qui ne nous font pas
entièrement.cachées ; elle donne lieu auffi
àbeaucoup de phénomènes qui ſont foumisanos
ſens . Mais nous n'avions, avant
M. Haller , fur ces objets , que des obfervations
éparſes & fans ordre; la plupart
94 MERCURE DE FRANCE.
étoient contradictoires ; toutes manquoient
de préciſion ,&beaucoupd'entre
elles étoient totalement fauſſes. Il en
étoit de même des raiſonnemens qu'on
avoit faits d'après ces obſervations : puiſque
les choſes étoient mal vues , il étoit
impoflible que les conféquences qu'on en
tiroit fuſſent conformes à la vérité. Le
docteur Haller , infatigable dans ſes travaux
, a pourſuivi la nature dans ſes derniers
retranchemens ; il a fait & répété à
P'infini des obſervations ſut des cadavres,
ſurdes embrions , ſur des fétus , ſurdes
animaux vivans , ſur des oeufs ſoumis à
l'incubation , &c. enfin il eſt parvenu à
répandre autant de clarté &de certitude
qu'il étoit poſſible, dans une matière auſſi
obfcure que l'eſt la génération .
Le traducteur a éclairci par des notes
les obſcurités qui pouvoient ſe trouver
dans le texte , quelquefois même il a
ajouté de nouvelles obſervations à celles
du phyſiologiſte Anglois. M. Haller obſerve
que dans les accouchemensdifficiles
la tête du fétus peut changer de forme
qu'elle peut être comprimée ſur les cotés
& s'alonger , & que le coronal peut chevaucher
ſur les pariétaux , ou les pariécaux
fur le coronal ; par ce moyen le
,
NOVEMBRE. 1773 . 95
diamètre de la tête , qui par ſon étendue
rendoit fon paſſage difficile , peut être
diminué ; il faut quelquefois , ajoute M.
Haller , remettre ces os en place , après
l'accouchement. Le traducteur fait à ce
ſujer dans une note , cette obſervation de
pratique que la plupart des ſages-femmes
ſemblent encore ignorer. «On étoit au-
» trefois , dit - il , dans l'uſage , quand la
• tête de l'enfant avoit été déformée pen-
>> dant le travail de l'accouchement, de la
» mouler & de la pêtrir , pour ainſi dire,
>>pour lui rendre ſa première figure; mais
>ona fenti combien ces manipulations
>> peuvent être préjudiciables à l'enfant
» & d'un autre côté on a obſervé que la
> nature ſe ſuffifſoit à elle - même pour
• réparer ces petits défordres ; c'eſt pour-
>>quoi les accoucheurs modernes dé-
>> fendent très - expreſſément d'agir ſur la
>> rête de l'enfant , ſi déformée qu'elle ait
>>été; dans l'eſpace de vingt- quatre heu-
» res , le plus ſouvent elle reprend d'elle-
» même ſa forme naturelle. »
,
Le traducteur donne à la ſuite de ſes
notes la ſolution d'un problême intéreſfant
de phyſiologie. Cette ſolation &les
notes qui accompagnent la traduction dé
cèlentun homme inſtruit de toutes les par
:
96 MERCURE DE FRANCE.
ties de la phyſiologie , & qui a ſu applanir
à ſon lecteur les difficultés que préſente
non ſeulement la langue étrangère dans
laquelle le traité eſt écrit , mais encore la
langue de la ſcience qui eſt l'objet de ce
traité.
* Fables , Contes & Epitres , par M.
l'Abbé le Monnier. A Paris , rue Dauphine
, chez Jombert , père & fils ,
& Cellot , imprimeur- libraires. :
On trouve , à l'ouverture du volume
, un diſcours ſur la fable. L'auteur
ſe demande qu'eſt ce que la fable ou
l'apologue ? Il rejette pluſieurs définitions
qu'onen a données , & paroit même
croire qu'on ne ſauroit en donner
une bonne. Pourquoi ? En définiſſant la
fable une narration allégorique & morale
, il me ſemble qu'on exprimeroit
affez bien les caractères principaux , &
les différences ſpécifiques de ce genre
de compoſition. Quand on citeroit quelques
fables de Phèdre ou de la Fontaine
, qui ne contiennent ni allégorie ,
ni morale , on ne renverſeroit pas cette
définition , parce qu'on peut répondre
*Article de M.de la Harpe.
premièrement
:
NOVEMBRE. 1773 . 97
premièrement , que ce ne font pas des
fables dans la rigueur du terme , mais
des morceaux analogues à ce genre , trèsbien
placés dans un recueil de fables .
En effet , le mot de Socrate ſur la maiſon
qu'il bâtit , n'eſt point une fable ,
mais un mot philofophique , qui contient
une inſtruction. Simonide préſervé
par les Dieux , le chat-huaut qui coupe
les pieds aux ſouris , le teſtament expliqué
par Elope , ſont du même gente.
Mais de ce qu'on les a joints àun recueil
de fables , il n'en faut pas conclure
qu'on ne peut aſſigner avec préciſion
les limites de ce genre d'écrire.
D'ailleurs il n'eſt pas néceſſaire pour
qu'une définition ſoit bonne en matière
littéraire , qu'elle ait la juſteſſe rigoureuſe
d'une définition méthaphyſique.
Il ſuffit qu'elle convienne en général
au plus grand nombre d'ouvrages du
genre dont il s'agit , & qu'elle en exprime
heureuſement les qualités effentielles
. Il y a toujours des exceptions dont
s'empare le génie , & qu'on ne ſoupçonne
pas , avant qu'il les faſſe connoître.
Mais, dans ces exceptions mêmes ,
il ſuit toujours un certain nombre de
règles générales fondées ſur la nature ;
1
E
98 MERCURE DE FRANCE.
parce qu'il n'eſt pas en lui de ne les
pas ſuivre , & qu'il n'exiſte rien , ni
dans la nature , ni dans les arts qui
l'imitent, qui n'ait ſes principes néceffaires.
Et c'eſt la réponſe à ceux qui
prétendent qu'il n'y a point de règles ,
parce qu'on a réuſſi à en violer quetques-
unes , pour en remplir éminemment
de plus eſſentielles.
M. l'Abbé le Monnier , renouvelant
les objections de la Motte contre l'obſervation
des règles , ne conçoit pas
pourquoi le genre dramatique veut expofition,
noeud & dénouement. Où a-t on
pris cette régle ? ( dit il ) . Ce n'est cerzainement
pas dans la nature. Certainement
on n'a pu la prendre autre part ,
& M. l'Abbéle Monnier n'y a pas réfléchi .
Je le défie de mettre ſur la ſcène des
perſonnages & une action, fans qu'il y
ait expoſition , noeud & dénouement ,
foit qu'il veuille faire une tragédie on
une parade. Car, certainement , les acteurs
de la ſcène françaiſe ou des treteaux des
boulevards me diront ce qu'ils font &
de quoi il s'agit ; & voilà l'expoſition .
Certainement il s'agira de quelque choſe ;
& voilà le noeud. Certainement , ce dont
il s'agiffoit aura lieu ou n'aura pas lieu;
&voilà le dénouement.
NOVEMBRE. 1773 . 99
M. l'Abbé le Monier veut donner
un exemple d'un ſpectacle , d'un drame
où il n'y auroit ni expofition ni aucune
trace de cette diſpoſition que l'on croit
néceſſaire. « Vous entendez du bruit
»dans la rue : vous mettez la tête à la
>> fenêtre. Vous voyez deux hommes qui
>> ſe querellent . La diſpute s'échauffe. Ar-
» rive une femme toute troublée ; à fon
>> trouble , à l'intérêt qu'elle prend à
> l'un des conteſtans , vous jugez qu'elle
» eſt ſa femme. Après beaucoup d'in-
" cidens que je ſupprime pour ne pas
>>faire ici le plan d'un drame , un des
>> querelleurs poignarde ſon adverſaire.
» La garde arrive , veut ſaiſir l'affaffin';
» il ſe défend. Se voyant prêt d'être
» arrêté , il ſe tue , & vous fermez votre
» fenêtre .
Je ne crois pas que cet exemple
prouve rien pour Monfieur l'Abbé le
Monier. Il faut ſuppoſer ſans doute que
la rue c'eſt le théâtre , & la fenêtre c'eſt
le parterre. Au parterre ou à ma fenêtre,
j'entendrai la querelle de ces deux hommes
,je ſaurai de quoi il eſt queſtion ;
& voilà l'expoſition. Le fonds de la
querelle & l'intérêt que je mettrai.a
ſavoir lequel des deux aura tort ou
E ij
100 MERCURE DE FRANCE .
raifon & l'emportera ſur l'autre , ou lui
cédera , fera le noeud. Les meurtres font
le dénouement . Si l'on ſuppoſe que je
n'entends pas les acteurs , c'eſt une pan.
tomime , & leurs geſtes me parleront.
Mais il y aura toujours dans une action
un commencement , un milieu & une
fin , & ce n'est pas trop la peine de
diſputer là-deſſus.
M. l'Abbé le Monnier parle auſſi du
ſtyle de la fable. On veut , dit - il ,
qu'un fabuliſte reſſemble à la Fontaine .
Non: il y a des reſſemblances qu'on
n'attrape pas . Mais , quand nous avons
vu une phyſionime charmante , nous aimons
à trouver quelque choſe qui nous la
rappelle. C'eſt un defir fort naturel qui
pourtant n'empêche pas qu'on ne goûte
beaucoup les jolis viſages qui plaiſent
d'une manière différente. Pour parler
fans figure , il eſt certain que les hommes
font portés à juger par comparaifon .
Comme il faut réfléchir beaucoup pour
ſe faire des principes qui ſoient la
règle de nos jugemens ; comme il eſt
beaucoup plus facile d'écouter ſes ſenfations
que de ſe rendre compte de ſes
idées , & qu'on eſt bien plus fûr des
unes que des autres , le commun des
NOVEMBRE. 1773. 101
hommes n'embraſſe vivement un objet
que pour rejeter tout ce qui n'y refſemble
pas. Mais les eſprits d'une meilleure
trempe ſavent dans chaque choſe
ſaiſir le degré de mérite qu'elles ont ,
& trouver le degré de plaisir qu'elles
offrent. En admirant , en adorant la
Fontaine , près duquel il ne faut rien
mettre , ils goûtent les fables ingénieuſes
& élégantes qu'on remarque dans la
Motte. Dautres écrivains de nos jours
ont produit quelques morceaux du même
genre que les amateurs ont diftingués.
Exigez- vous que j'imite le ſtyle de cet
auteur inimitable , dit M. l'Abbé le
Monier en parlant de la Fontaine? Non
répondra- t on . Oubliez que la Fontaine
a écrit; mais ſouvenez-vous que quand
* même il n'auroit pas écrit, il faudroit
toujours , pour réuſſir dans la fable ,
joindre le naturel de la diction à la
fineſſe des idées , donner à ſon ſtyle
cette forte d'élégance qui n'exclut pas
les grâces de la ſimplicité , & faire appercevoir
de temps en temps le poëte ,
fans perdre le ton de narrateur. Voilà
ce qu'on doit trouver dans tout fabuliſte
; & quiconque aura cette qualité
dont la réunion ne ſuppoſe pas encore
د
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
le charme particulier qui caractériſe la
Fontaine , ſera ſûr d'obtenir des ſuffrages
&du ſuccès.
Mais qu'arrive - til ! L'un, perfuadé
que dès qu'on écrit en vers , il ne faut
rien dire comme un autre , entalfera des
mots figurés , & épuiſera le dictionnaire
des métaphores uſées. Il fatiguera les
lecteurs. L'autre , voulant être ſimple ,
débitera des platitudes ; il dégoûtera .
In vitium ducit culpæ fuga D'ailleurs la
plupart oublieront l'etſentiel, c'eſt à- dire,
un fonds de morale attachant & vrai-
• ment inſtructif. Il faut un très-bon efprit
pour imaginer des apologues ,
& un très bon goût pour les écrire.
L'un & l'autre eſt rare. L'auteur finit
par avertir que ces fables veulent
>>être lues comme de la proſe toute
>> fimple. Il faut oublier qu'il s'y trouve
>>des rimes . On ne doit point les dé-
>> clamer ; il faut les caufer bonnement.
Pourquoi cet avertiſſement ? Perſonne
n'eſt tenté de déclamer des fables . Ilfaut
les lire comme de la profe. Pourquoi , ſi ce
font des vers ? il faut oublier qu'il s'y
trouve des rimes. Pourquoi en mettre ? Il
faut les caufer bonnement. Queſt - ce que
caufer des fables ? On eſt faché , puiſqu'il
NOVEMBRE. 1773 . 103
,
faut le dire , qu'un homme du mérite de
M. l'Abbé le Monnier affecte ce néologiſine
dont quelques législateurs modernes
ont couvert des idées fauſſes ou bizarres
. Tout ce difcours préliminaire ne
ſe ſent que trop de ce goût hétérodoxe
de ces principes erronés que l'on peut
appeler les axiomes de l'impuiſſance , &
que les vrais talens ne peuvent jamais
adopter. Dans quelque genre que ce ſoit ,
dès qu'on écrit en vers , il faut que le
poëte ſe retrouve &ſe faſſe ſentir même
en ſe cachant. Quoi ! n'est- ce donc plus un
art que cet accord heureux qui doit ſe
trouver entre la penſée &le mouvement
du vers , entre le ſentiment &le ſon ? N'y
a-t'il pas quelque mérite à varier la mefure
des vers & la chûte des rimes de
manière à produire des effets ? N'y a-t'il
pas une harmonie pour tous les genres ?
Les fables de la Fontaine en font pleines.
Il n'a point averti ſon lecteur de les caufer.
Un homme très - connu , à qui l'on
parlait d'une pièce de théâtre qu'il était
impoſſible de lire , répondit magiſtralement
: fi elle n'est pas bien écrite , elle est
bien parlée. Je ne fais trop ce qu'il voulait
dire. Mais les pièces de Molière font
bien écrites , & font affez bien parlées ,
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
puiſqu'il faut ſe ſervir des barbariſmes
qui expriment les nouveaux principes.
Si vous ne penſez pas , créez de nouveaux mots .
VOLT.
Dans cette pièce bien parlée , il n'y
avait pas une phraſe finie ; mais , en récompenfe
, il y avait une quantité prodigieuſe
de points. C'eſt apparemment là
ce qu'on appelle bien parler. Les auteurs
du ſiècle paſſé , le versificateur Boileau , le
petit bel esprit Racine finiſſaient leurs
phrafes & mettaient bonnement un point.
Mais ces gens- là ne parlaient pas bien
leurs pièces , & ſe contentaient de parler
français. Ils ne connaiſſaient pas l'interponctuation
, cette partie de génie qu'on
n'a pas affez approfondie , dit un auteur
de nosjours. Nos drames modernes ſont
chargés de points qui veulent dire : ici je
ſuis fublime , ici je ſuis profond ; redou .
blez ici votre admiration ; ici devinezmoi.
Toutes ces grandes découvertes font
de notre ſiècle , ainſi que les préfaces où
l'on dit au lecteur précisément ce qu'il
doit penſer de l'ouvrage qu'on lui pré
ſente , & même ſur quel ton il doit le
lire ou le chanter.
Au reſte j'eſpère que M. l'Abbé le
NOVEMBRE. 1773. 10.5
Monnier pardonnera cette légère excurfiondont
il n'eſt tout au plus que l'occafion
, & dont il n'eſt point l'objet , au
zèle qui doit animer tous les vrais littérateurs,&
lui tout le premier, à la défenſe
du bon goût . L'intérêt que l'on a mis à
combattre ſes principes était proportionné
à l'eſtime qu'inſpirent ſes talens , &
que ſes nouvelles fables doivent augmenter
à pluſieurs égards. Preſque toutes lui
appartiennent en propre. La morale en eft
ſaine , & la diction facile . Il y a des traits
de naturel . Pluſieurs font agréablement
narrées ; celle- ci , par exemple , intitulée
la Foire de Briquebec .
21
Le bourg de Briquebec eſt un aflez gros bourg ,
Peu diſtant de Vallogne , un peu plus de Cherbourg.
:
Dans cebourg tous les ans , à la foire Ste Anne ,
Il ſe tient une foire où filles & garçons ,
Lebouquer au côté , viennent des environs
Se louer pour un an. On y voit fur ſon âne
Artiver le Fermier, les Nobles à cheval ,
Et les Curés aufli . Chacun vient le moins mal
Qu'il peur. Tous ont deſſein de faire bonne emplette.
L'un d'un maître-valet , l'autre d'une fillette.
Il s'y rencontre encore , & ce n'eſt pas tant
mieux,
E
106 MERCURE DE FRANCE.
Nombre de freluquets faiſant les petits- maîtres ,
Comme on l'eſt au pays , en frac , en fines guêtres
De coutil blanc . Leur canne eſt un bâton noneux;
Boire , mentir , jurer , lorgner toutes les filles ,
Baifer en ricannant celles qui ſont gentilles ;
Si l'oncle ou le couſin en ſemblent mécontens ,
Les aſſommer : voilà les plus doux pafle- tems
De ces petits Meſſieurs . Avec de telles gens
Unhomme un peu ſenſé jamais ne ſe faufile.
Auſſi je leur tournai le dos ,
Et je trouvai plus à propos-
D'aller me fourer dans la file
Des Curés & des bons Fermiers.
Ilsvont de rang en rang pour chercher leur af
faire;
Combien le bouquet ? Tant. Vous me paraiſſez
chère.
Mais auſſi je ſuis forte. Etque ſavez-vous faire ?
Je fais traire une vache ; épandre les fumiers
Bêcher, faner , gerber & tout le gros ouvrage
D'une ferme. Quel âge !
J'aurai , viennent les Rois ,
Vingt ans , pas davantage.
D'autres diſarent dix - huit , ou vingt- deux , on
ving trois ,
Plus ou moins , c'eſt ſelon. Etes vous fille ſage ?
Demandez à ma tante . Elle ? ceſt un démon.
Malheur à tout pauvre garçon
:
NOVEMBRE. 1773. 107
2
Qui pour la chiffonner s'approche!
Il eſt plus für d'une taloche
Que d'un baiſer. C'eſt bon. Voyons les mains.
Tenez ,
Voyez , tâtez , examinez.
On les tâte , on les examine ,
Avec plus de ſoin que la mine.
Quelques jeunesCurés y regardaient pourtant,
Mais très -modeſtement , & ſans faire ſemblant
D'y regarder. La main eſt le point important ;
C'eſt à celui- là qu'on s'attache .
Apartmoi je me dis : il faudra que je ſache
La cauſe de ce fait qui me ſemble étonnant.
A l'un des vieux fermiers en riant je demande
Si parmi la race Normande
Le mérite eſt au bout des doigts .
A ce diſcours le villageois
D'un ton malignement fournois ,
Me répond : vous venez , comme je puis coma
prendre ,
Du bou Paris en Badaudois.
C'eſt- là qu'on eſt ſavant ! mais je vais vous apprendre
Ce qu'à Paris jamais vous ne pourriez ſavoir.
Quand je viens louer une fille ,
C'eſt afin qu'elle m'aide à bien faire valoir.
Belle , laide ou gentille ,
Avotreavis ,Monfieur , que cela me
fait-il?
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
-5
Labeauté n'eſt pas un outil
Néceflaire dans mon ménage.
Ce ſont les mains qui font l'ouvrage ;
Auſſi je regarde à la main.
Quand elle eſt dure & bien calleuſe ,
C'eſt un figne certain
Que celle qui la porte eſt bonne travailleufe.
Si jamais vous prenez ou ſervante ou garçon
Souvenez - vous de la leçon.
Grand merci , mais jamais je n'aurai domeſtique
Aucun: je me ſers ſeul. Tant mieux , c'eſt un
bonheur.
1
Avez - vous des amis ? beaucoup &je m'en pique .
Eh ! bien pour les connaître employez ma rubrique.
Quoi ! leur tâter les mains ? oh ! que non. C'eſt le
coeur
Qu'il faut examiner pour ſavoir fi la pâte
En est bonne. Fort bien. Mais dites - moi comment.
Confiez un ſecret , empruntez de l'argent.
C'eſt par ces endroits qu'on les tâte .
La morale de cette fable eſt un peudétournée
,& le récit eſt un peulong. La fable
ſuivante n'eſt pas exempte de ce dernier
défaut qui eft celui de preſque toutes
lés fables du même auteur, A
NOVEMBRE. 1773 . 109
LE FERMIER & SON CHEVAL.
Un Fermier avoit un Cheval
Qu'il nourriflast tant bien que mal.
Mais en revanche il doublait ſon ouvrage.
Au marché ſous le bât , ſous la ſelle en voyage
A la charrue , au bois , au moulin , au preſſoir
Cadet portait , tirait du matin juſqu'au foir.
Il faiſait maigre chère , il avait de la peine
Plus que ſon ſaoul le long de la ſemaine ,
Depuis l'aurore du lundi
Juſqu'à la nuit du ſamedi.
:
Mais au moins le dimanche en repos dans l'herbage
?
Oui dà ! chaque dimanche un ſaint pélerinage ›
Vous fait trotter Cadet. Trotter ? oh non. J'ai
tort. I
Il ne va que le pas . C'eſt encore affez fort ,
Quand on a fur le dos une groſſe fermière , I
Son fils Pierrot en croupe , & puis dans deux paniers
M
Deux pouparts qu'on n'a pas ſevrés ces jours derniers
,
Mais de trois & quatre ans. Le mari vient derrière.
Apied ? Trouvez-lui place. Eh ! mais , ſur la crinière
. "
Paix: ne badinez point , railleur ; n'en dites rien :
Je connais le manant; il ymonterait bien
110 MERCURE DE FRANCE.
Tant il a de pitié du pauvre roffinante!
De MonfieurSt Hubert en cheminant il chante
Le cantique , d'un ton rudement enroué.
Hu , dià , Cadet , va donc ; eſt- ce qu'on t'a cloué
Sur le pavé ? Clic , clac , on le fouette , on le pique.
Mon coeur , Jeannot eſt lourd; il emporte Angelique.
Je le vois. Ungros grès vous remet au niveau
Les paniers inégaux. Cadet d'un poids nouveau
Sent encore augmenter ſon trop peſant fardeau.
Nous n'arriverons pas. J'entends ſonner la meſſe.
On ſaccade la bride , on le claque , on le preſle.
Tant fut chargé Cadet , Cadet fut tant roſlé ,
QueCadet débarda dans un bourbenx foflé ,
Ou Lucifer n'aurait pas voulu borre ,
Fermière , enfans , paniers , bât , cheval ,juſqu'au
grès.
D'aucuns ont prétendu qu'il le fit tout exprès ,
Pour fioirde les maux la déplorable hiſtoire.
Mais chrétiennement on ne doit pas le croire;
Rarement un cheval ſe livre au déleſpoir.
Il ſupporte , & fait bien , ſa vie& la misère.
Quand on eut retiré les enfans & la mère ,
Crottés , boueux , il fallait voir ;
On voulut ſe mettre en devoir
De retirer la pauvre bête ,
Qui ne montrait plus que la tête.
On fit de vans efforts. Il enfonce toujours,
NOVEMBRE. 1773 .
Avant que le bourbier lui bouchât la parole ,
Il fait entendre ce diſcours
Afon maître qui se déſole:
Adieu ; mes malheurs vont finir.
Soyez moins dur à l'avenir.
Ne charger plus outre meſure
Cheval que vous voudrez qui dure.
Ceconſeil ne doit pas vous fâcher contre moi.
Ceque je vous dis là , je le dirais ... Tais- toi .
L'auteur s'eſt trompé en faiſant chrétien
nementde cinq fyllabes. Il n'eſt que de quatre
, comme le mot chrétien n'e que de
deux. Du reſte il y a de jolis détails dans
cettte fable.
Fermière , enfans , paniers , bât, cheval , juſqu'au
grès , &c .
Ce dernier mot eſt un trait heureux &
qui eſt bien dans le ton du genre. hu , dia
tombe un peu dansle bas. Cette forte d'imitation
eſt trop facile & n'eſt pas de bon
goûr.
L'équipage ſuait , ſoufflait , était rendu ,
dit la Fontaine. Il peint très-bien la farigue
des chevaux ſans répéter les mots
techniques du cocher. M. l'Abbé le Monnier,
en plus d'un endroitde ſes fables,ne
Z MERCURE DE FRANCE.
diftingue pas affez le familier du trivial &
prendle ton grivois pour le ton naif.
Voyez, par exemple, comme ilpeint la lune
éclipcée.
Elle a trouvé le pot au noir.
Va te cacher, qu'on ne te voye ,
Belle enſeigne de chaudronnier.
Ho ! la feminedu charbonnier ,
Combien le vendez-vous la voye ?
A
1
C'eſt là parfaitement le ſtyle du déjeûnéde
la Rapée , mais ce n'eſt pas celui de
la fable.
Tiens , commère , le grand glaçon !
Soutenez - vous , mon beau garçon.
Soutenez donc votre jeunelle..
Si tu prétends qu'il ſe redreſſe ,
f
1
2
Voiſine , de ton poing donne- lui ſans façon
Un hauflecol ſous le menton.
Net'en aviſe pas , coininère.
Vois-tu qu'il porte une rapière?
Que cela me fait- il , à moi ?
Sais - tu qu'il a ſervi le Roi ?
Pardi , je le vois à ſa mine.
:
1
r
N'était-ce pas dans la Marine ?
Certainement depuis feu Vadé'on n'a
pas mieux répété les dictons populaires.
Mais M. l'Abbé le Monhier doitconce
NOVEMBRE . 1773. 113
voir ſans peine qu'il n'y a aucun fel , aucun
agrément à rimer le jargon des halles
, & que quand on marche dans la carrière
de la Fontaine , ce n'eſt pas Vadé qu'il
faut ſe propoſer pour modèle.
Ce n'eſt pas qu'on veuille faire entendre
que toutes les fables de M. l'Abbé le
Monnier fontdans ce goût. Si cela était,
il ne faudrait pas le critiquer. En voici une
qui roule ſur un mot connu , mais dont
P'auteur a tiré une excellente morale.
Dans ſon pays Monfieur Ficquet
Eſt un affez bon Gentilhomme
Que pour la douceur on renomme.
Un de ſes vieux amis l'an paflé lui diſait :
Vos valets ne vous craignent guère.
Monfieur Ficquet , d'un ton tout - à- fait débonnaire
,
Répondit : Et moi donc eſt- ce que je les crains ?
J'ai vu blâmer cette réponſe
Par des gens qui ſe croyaient fins .
On est peu réfléchi , quand ainſi l'on prononce.
Pour moi , fi j'avais des enfans ,
Si du plus puiſſant des Sultans
Je poſſédais le vaſte empire ,
De mes enfans , de mes ſujets
Je voudrais pouvoir dire
Ce que Monfieur Ficquet diſait de ſes valets.
114 MERCURE DE FRANCE.
:
On a peu réfléchi ſerait plus juſte que
l'on est peu réfléchi. Un autre défaut dont
ilfaut que l'auteur ſe garantiſſe, c'eſt d'accumuler
de ſuite un trop grand nombre
de vers qui ne font que de la profe commune
, comme , par exemple , tout ce
commencement de la fable troiſième.
Mon Dieu , que les Badauts
Me ſemblent de grands ſots !
Pour eux tout eſt ſpectacle.
Le moindre charlatan , par ſes groſſiers propos ,
Ses tours platement fins & les mauvais bons
mots ,
Leur fait crier miracle.
Pendant une débacle
Je paſſais fur un pont.
Auprès du parapet je vois groſſir la foule.
Comme à Paris on fait ce que les autres font ,
Pour voir ce qu'on voit là j'approche & je me
coule ,
Puis je poufle & je preſſe. A force de poufler
J'eus une bonne place ,
Etje vis à mon aiſe arriver & pafler
De grands morceaux de glace
Que les eaux entraînaient , &c.
Rien de tout cela ne reſſemble à des
vers . On ſe permet de direla vérité à l'auteur
, parce qu'on fait qu'il la voulait , &
NOVEMBRE. 1773 . 115
l'on deſire de l'entendre , lorſqu'on a tout
ce qu'il fautpour en profiter .
M. l'Abbé le Monnier n'ignore pas
qu'il eſt très-aiſe de ſe faire louer , mais
ildoit prétendre à ſe faire lire , ce qui eſt
beaucoup plus difficile. Il ne donne ſes
premières fables que comme un eſſai ; il
demande l'avis des gens de lettres . On n'a
pas dû le lui cacher. En abrégeant beaucoup
ſa narration , qui , en général , est trop
verbeuſe , en travaillant davantage ſes
vers qui font trop proſaïques , il donnera
ſans doute des productions eſtimables
dans un genre qui a des rapports avec ſa
tournure d'eſprit , & dans lequel c'eſt
beaucoup d'être quelque choſe après la
Fontaine..
Dictionnaire pour l'intelligence des auzeurs
claſſiques , Grecs & Latins , tant
Sacrés que profanes , contenant la géographie
, l'hiſtoire , la Fable & les
antiquités , dédié à monſeigneur le
duc de Choiſeul , par M. Sabbathier ,
profeſſeur au collège de Châlons-fur-
Marne , & fecrétaire perpéruel de l'académie
de la même ville . Tome
XV , in- 8°. A Paris , chez Delalain ,
libraire , rue de la comédie Françaiſe.
116 MERCURE DE FRANCE.
Ce nouveau volume comprend les deux
tiers de la lettre E. M. Sabbathier , par
l'étendue qu'il a donnée à fon dictionnaire
, n'en a pas ſeulement fait un répertoire
utile , mais encore une bibliothèque
inſtructive . L'article des Egyptiens que
nous offre ce quinzième volume , eſt afſez
détaillé pour donner une connoiffance
fatisfaiſante de l'hiſtoire de ce peuple.
M. Sabbathier porte particulièrement
fon attention fur tout ce qui peut intéreſſer
l'éducation des jeunesgens . Il y a
même ici un article ſur l'éducation , où il
eſt traité de ſes principuux objets. Quoique
l'auteur ne ſe ſoit permis que quelques
réflexions générales , ces réflexions
cependant pourront mettre fur la voie
la plupart des inſtituteurs . M. Sabbathier
conſeille , avec raiſon , comme une pratique
utile , après que l'on a appris aux
jeunes gens les différentes fortes de gouvernemens
, de leur faire lire les gazettes
, avec des cartes de géopraphie &
des dictionnaires , qui expliquent certains
mots que ſouvent le maître même
n'entend pas. Cette pratique eſt d'abord
défagréable aux jeunes gens , parce
qu'ils ne ſont pas encore au fait de rien ,
& que ce qu'ils liſent ne trouve pas à
NOVEMBRE. . 1773 . 117
ſe lier dans leur eſprit avec des idées
acquiſes ; mais peu à peu cette lecture
les intéreſle , fur- tout lorſque leur petite
vanité en eſt flattée , par les louanges
que des perſonnes avancées en âge leur
donnent à propos fur ce point. Il y a
des inſtituteurs judicieux qui font lire
aux jeunes gens , & leur expliquent l'érat
de la France & l'almanach royal , &
cette méthode eſt encore très- utile pour
leur procurer de bonne heure ces connoillances
- pratiques dont ils ne peuvent
manquer d'avoir un jour beſoin.
-
a
Recherches critiques , historiques & topographiques
fur la ville de Paris , de-
: puis les commencemens connus , julqu'à
préſent , avec le plan de chaque
quartier par le ſieur Jaillot , géographe
ordinaire du Roi , de l'académie
royale des ſciences & belleslettres
d'Angers ,
,
Quid verum.. curo & rogo , & omnis inhocfum .
Hor. lib . 1 , ep . 1 .
xij cahier , in 8°. A Paris , chez l'auteur
, rue & à côté des grands Auguftins
; & chez Lottin , aîné , imprimeurlibraire
, rue Saint-Jacques .
٤٠
4
118 MERCURE DE FRANCE.
,
Ce dernier cahier comprend le xne.
quartier , qui eſt celui de Saint- Paul
ou de la Mortellerie , borné à l'Orient
par les remparts incluſivement , depuis
la rivière juſqu'à la porte Saint-Antoine
; au Septentrion , par la rue Saint-
Antoine excluſivement ; à l'Occident
par la rue Geoffroi-l'Afnier incluſivement
; & au Midi , par les quais incluſivement
, depuis le coin de la rue
Geoffroi - l'Afnier , juſqu'à l'extrémité du
mail. On y compte vingt-quatre rues :
quatre cul-de- facs , une égliſe paroiſſiale ,
deux commuuautés d'hommes , une de
filles , trois quais , &c .
Epreuves du Sentiment par M. d'Arnaud;
3 vol . in - 12 . A Paris , chez le Jay ,
libraire , rue St Jacques , au-deſſus de
celle des Mathurins.
Cette édition , d'un format très-commode
, que l'on peut ſe procurer à peu de
frais & qui eſt imprimé avec beaucoup
de ſoin & d'exactitude ſous les yeux de
l'auteur , ſera ſans doute préférée à toutes
les éditions contrefaites que pluſieurs libraires
& ſpécialement Marc - Michel
Rey , d'Amſterdam , ſe ſont empreſſés de
répandre. Ces pirates de la Typographie,
NOVEMBRE. 1773 . 119
ſans aucun égard pour cette bonne foi
que des commerçans honnêtes gardent
toujours entre eux ſans même aucun
reſpect pour le Public qu'ils abuſent par
leur brigandage , ont toujours ſoin d'annoncer
comme de nouvelles éditions des
copies informes de premières éditions.
Comme ces copies ſont toujours faites à
la hâte , elles font rempliesde fautes typographiques
, de contre- ſens , d'abfurdités
qui ne nuiſent pas moins à l'auteur
de ces ouvrages , qu'à l'acheteur qui croit
avoir les oeuvres d'un écrivain qu'il eſtime
, & n'en a qu'une copie toute défigurée
. On peut mettre au nombre de ces
copies l'édition en trois volumes des oeuvres
de M. d'Arnaud, que Marc Michel
Rey a publiée ſous ce titre': « Euvres
>> complettes de M. d'Arnaud , nouvelle
>> édition , contenant tous ſes ouvrages ,
» & plus ample que celles qui ont paru
>juſqu'à préſent. A Amſterdam , chez
>>Marc Michel Rey, M. DCC. LXXIII ..
Non- ſeulement il manque àcette édition
furtive beaucoup d'ouvrages de M. d'Arnaud
; mais ceux qui y font raſſemblés
font totalement défigurés , ſur - tout les
pièces de théâtre. D'ailleurs comme le
typographe n'a fongé qu'à ſe procurer
129 MERCURE DE FRANCE.
promptement quelque argent de ſon larcin
, il n'a pas feulement daigné prendre
la peine de confulter les éditions nouvelles;
ce font les premières qui ont été mifes
à contribution . Pour arrêter autant
qu'il eſt en nous ces fortes de brigandages
qui deviennent funeſtes à la librairie par
les éditions informes dont on la furcharge
tous les jours , nous croyons devoir
engager le Public à s'adreſſer directement
aux libraires dont les noms & les demeures
font annoncés dans des Journaux connus
. Nous prévenons en conféquence nos
lecteurs que M. d'Arnaud vient de mettre
ſous preſſe une nouvelle édition de
ſes pièces de théâtre , de ſes poëlies &
autres ouvrages . Cette édition , qui fera
ſuite à celle in- 12. de ſes Epreuves du
Sentiment , ſe trouvera chez le Jay , cideſſus
nommé.
Ces Epreuves de Sentiment ont eu l'approbation
desgensde lettres,des moraliſtes
&des pères de famille qui ſe ſontempreflés
de les mettre entre les mains de leurs enfans.
Ils ont bien ſenti que pour leur infpirer
de bonne heure la vertu& legoût des
actions honnêtes , il valoit mieux parler à
leur imagination& à leur coeur qu'à leur ef.
prit; leur donner plutôt des exemples que
des
NOVEMBRE. 1773 . 121
des préceptes ; chercher ſur tout à exciter
en eux cette ſenſibilité que la Divinité a
donnée à l'homine pour qu'elle vînt à l'ap.
puide ſaraiſon " Le raiſonnement , nous
>>dit M. d'Arnaud dans ſon éloquente
- préface , ne ſuffit pas pour nous diſtin-
>> guer de la foule immenſe des êtres :
>>nous devons encore éprouver cette ſen-
>>ſation ſi chère & fi touchante qui nous
> approprie les imalheurs de nos ſembla-
» bles. La pitié étend nos relations : l'in-
>> humanité nousifole. Aufſi les Anciens,
» qui connoiſfoient fi profondément la
>>nature , n'ont ils pas manqué de nous
>>préſenter leurs héros faciles à s'atten-
>> drir : Achille verſe des pleurs lorſqu'on
■ lui apprend la mort de fon ami Patro-
>> cle : Enée a preſque toujours les yeux
» mouillés de larmes , ce qu'ont reproché
> à Virgile pluſieurs de nos beaux eſprits .
» Il est vrai qu'il ya une très -grande dif-
>> tance d'un bel eſprit à un homme de
> génie , & il n'appartient qu'à ce dernier.
>> de prononcer fur le méritede l'antiqui-
> té : elledoit être ſentie , &beaucoup de
» nos modernes raisonnent : Bagoas ( un
• des Eunuques favoris de Darius ) eût
»mal jugé Alexandre. Mondeſſein , con.
> tinue le même écrivain , a été de faire
F
122 MERCURE DE FRANCE.
„ réſulter l'inſtruction d'une forte d'ac-
» tion dramatique. Les hommes reſtent
> toujours enfans ; il leur faut néceſſai-
>> rement des contes ; appliquons - nous
» donc à rendre ces contes profitables à
» la vérité & aux moeurs . Dire à nos Sy-
» barites que c'eſt un crime affreux d'a-
>> bufer de l'innocence & de la crédulité
>> d'une jeune perſonne , leur paroîtra une
>> froide leçon qu'ils n'écouteront pas , ou
>> qu'ils tourneront en dériſion : mais atta-
» cher leur curioſité en faveur d'une fille
> charmante qui réunit la beauté & la
» vertu ; repréſenter Fanny , la malheu-
>> reuſe victime des artifices d'un Lord
> dénaturé par l'eſprit du monde & l'ef-
>> prit des pervers ; ramener ſous les yeux
» ce même Lord rendu à la vérité du ſen-
>> timent, & déchiré par le repentir ; prou-
>> ver enfin que l'honnêteté a ſes plaiſirs,
» bien au deſſus de ceux de la corruption
» & du libertinage ; de ſemblables ta-
>> bleaux pourront alors retirer ces gens
>> efféminés de leur indifférence léthargi-
» que , & les engager à prêter l'oreille au
» précepte animé de l'intérêt de la fic-
» tion ; par ce moyen , peut- être, l'amour
■de l'ordre & la faine morale rentre-
- ront - ils dans leurs ames , fans . qu'ils
)
1
NOVEMBRE . 1773. 123
» s'en apperçoivent. Traitons la plupart
>> des hommes comme nos amis ; la re.
> montrance tient de la ſupériorité , & fi
>>> le conſeil n'eſt inſinué avec cette heu-
» reuſe adreſſe que le ſentiment inſpire ,
>> rarement ſera - t'on diſpoſé à l'enten-
» dre. »
LETTRE de M. Luneau de Boisjermain
à M. Lacombe 、libraire.
Vous avez inféré , Monfieur , dans l'Avant
Coureur du 16 Août dernier, la note ſuivante.
*Les perſonnes de la Province pourront ſe
>>procurer par la poſte & port franc , les oeuvres
>> de M. Francklin , au prix auquel elles ſe ven-
>> dent à Paris , en s'adreſſant à M. Luneau de Bois-
>>>jermain , rue & à côté de la Comédie Françoiſe ,
>>qui ſeul a traité avec la Ferme générale des
Poſtes , pour le port franc de tous les livres im-
>> primés avec permiſſion. Elles affranchiront le
>> port de leurs lettres & de l'argent . »
Cette note eſt conçue de manière à faire croire
que M Barbeu du Bourg s'eſt repoſé ſur moi, du
débit de ſon ouvrage. Je n'y prends aucune part.
Je ne me ſuis jamais chargé du débit même des livres
que j'ai compoſés ; j'en ai toujours indiqué la
vente chez des libraires de Paris ou de la province
; jamais l'idée ne me viendra de prendre le ſoin
de vendre les livres des autres .
Ce qu'il falloit ſimplement annoncer , Mon-
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
fieur , c'est qu'ayant traité avec la Ferme générale
des Poſtes , pour le port franc des livres partout
le royaume , j'ai accordé à M. Barbeu du
Bourg, pour le tranſport des oeuvres de Frankclin,
un abonnement à-peu-près pareil à celui qu'ont
obtenu de moi MM. Watin , Mauclerc & autres
pour le tranſport des livres de leur compoſition ,
qu'ils ont fait annoncer port franc.
Les perſonnes de province peuvent bien s'adreſſer
à moi pour recevoir , par la poſte & port
franc , cet ouvrage , & tous les livres de la librairie
de Paris , au prix auquel ils ont été annoncés
; mais elles peuvent également s'adreſſer
àM. Barbeu du Bourg pour les oeuvres de M.
Francklin , & à tous autres propriétaires de chaque
ouvrage. La ſeule opération qui me concerne
, c'eſt qu'en me faiſant pafler l'argent destiné
à payer un livre , je prélève ſur la totalité du
prix ce qui doit ſervir à en payer le port , & qu'en
s'adreſſlant à M Barbeu du Bourg pour les oeuvres
de Francklin & à tous autres propriétaires
de livres , ce font eux qui me remettent la ſomme
convenue pour l'affranchir .
Vous annoncez ſouvent , dans les journaux
dont vous êtes poſlefleur , des livres d'un trèspetit
volume , dont le port ſeroit très - diſpendieux
, & encore plus coûteux par la poſte. Mon
intention a été d'en faciliter le tranſport, ſans
que l'acquéreur ait rien à débourſer que le prix
du livre qui tente la curiofité; je crois avoir
réufli .
J'eſpère , Monfieur , que vous voudrez bien
inférer dans le Mercure prochain , la lettre que
j'ai l'honneur de vous adreſſer. Il s'agit d'expliquer
une annonce de vos Journaux , qui n'eſt
NOVEMBRE. 1773. 125
point telle qu'elle auroit dû être; il s'agit d'empêcher
les particuliers de Paris de venir demander
chez moi les oeuvres de Francklın. Elles ſe
trouvent chez l'anteur , rue Copeau ; Quillau ,
libraire , rue Chriſtine , & l'Esprit , libraire , au
Palais royal.
J'ai l'honneur d'être , &c.
LUNEAU DE BOISJERMAIN.
:
LETTRE de M. Poinfiner de Sivry , à
M. Lacombe , auteur du Mercure de
France; ou Apologie de la conjecture
qui donne une même cauſe à la diſgrace
d'Agrippa Poſthume , adopté par
Auguſte , & à l'exil d'Ovide : en réponſe
à la critique que les auteurs du
Journal encyclopédique viennent de
publier , en Octobre 1773 , contre cette
même conjecture , qui a paru dans
le Mercure d'Avril , pag. 181 .
MONSIEUR ,
L'auteur de la critique de ma conjecture fur
la vraie cauſe de l'exil d'Ovide , n'appuie ſa Réfutation
, ( car c'eſt le terme qu'il ne craint pas
d'employer , ) que ſur deux ou trois raiſonnemens
captieux , dont il m'eſt facile de faire connoître
tout le faux.
En premier lieu , ce critique prétend qu'on
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE .
ſavoit avant moi qu'Ovide avoit été Avocat &
qu'il avoit exercé des emplois de judicature ; &
cependant , ajoute- t- il , perſonne encore ne
s'étoit avisé de chercher les cauſes de ſa difgrace
dans l'exercice de ces emplois. A cela je
réponds que tout le monde s'eſt accordé jufqu'ici
à dire & à répéter qu'Ovide avoit été
Avocat , mais qu'avant moi on ignoroit qu'il eût
exercé des emplois de judicature civile & criminelle.
Il n'eſt donc pas étonnant que perſonne
ne ſe ſoit avisé de chercher la cauſe de la difgrace
d'Ovide dans l'exercice d'un emploi qu'on
ignoroit qu'il eût exercé. Tous les auteurs de ſa
vie , & cela , ſans exception , avoient entendu
dans un ſens très-incomplet & très - fautif les
vers où ce Poëte nous apprend qu'il a été Magiftrat
.
Nec male commiſſa eſt nobis fortuna reorum ,
Uſque decemdecies infpicienda viris :
Resquoque privatasftatui, finecrimine ,judex,
Deque meâfaſſa estpars quoque victa fide .
On avoit juſqu'ici , par je ne ſais quelle
inadvertence , interprété cejudex dans le ſens
d'arbitre choisi volontairement par deux parties
en contestation. Ce qui avoit donné lieu à cette
erreur , c'eſt l'expreſſion de res privatas qu'on
avoit mal entendue , & dont on n'avoit point
vu l'oppoſition directe avec fortuna reorum infpicienda
qui précède : oppoſition d'où il réſulte
qu'Ovide a jugé des affaires criminelles ,
Nec malè commiſſa est nobis fortuna reorum ,
:
NOVEMBRE . 1773 . 127
& auſſi des affaires civiles ou procès entre part
ticuliers ,
Res quoque privatas ftatui ,fine crimine,judex.
Si le critique convient qu'Ovide a exercé des
emplois de judicature , & s'il n'en a rien su ni lui
ni perſonne que d'après la publication que j'ai
faite de cette découverte , eft-il raisonnable
qu'il me faſſe l'argument ſuivant : on favoit
comme vous qu'Ovide avoit été Magistrat , &
cependant cette connoiffance n'a jamais donné
lieu que chez vousſeul , à la conjecture que vous
avez proposée. Donc votre conjecture eftfans vrai-
Semblance , puiſque ſans cela d'autres s'enferoient
aviſés avant vous.
Telle eſt pourtant la nature du premier raifonnement
que le critique emploie contre moi.
On me diſpenſera très volontiers , je penſ , de
lui oppoſer ici d'autre défenſe que la foibleffe
même & le défaut de juſteſſe d'une telle objection.
Quoi qu'il en ſoit , ce cenſeur m'accorde qu'Ovide
a été Magiſtrat: il articule même qu'il a
été centumvir , & cela réſulte clairement, ſelon
lui , du paſſage formel d'Ovide .
Nec male commiſſa eſt nobis fortuna reorum ,
Uſque decem decies infpicienda viris.
Surquoi il s'étonne que j'aye inféré de ce même
paſſage qu'Ovide eût été Decemvir ; car decem
decies fignifient cent & non pas dix. Mais le cri
tique ne prend pas garde que , dans le vers en
queſtion , decies appartient à uſque , & que l'un
& l'autre appartiennent à infpicienda; tellement
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
que le ſens & la conſtruction ſeroient telles , fi
Ovide eût écrit en proſe : nec nobis male commiſſa
eſt reorum fortuna , decies usque infpicienda
decem viris. Le critique ne réfléchit pas qu'on ne
ſauroit dire decem decies vir, pour exprimer un
centumvir , non plus que bis quinque vir , pour
exprimer un decemvir , ni bis decemvir pour
exprimer un vigentivir , &c. toutes ces dénominations
étant ſtrictement abſolues , incommutables
, & fans aucun équivalentqui puifle en
repréſenter la valeur, à leur défaut : car decemdecies
viri , ( comme conſtruit le critique ) fignifieroit
bien dix fois dix hommes , ou , ce qui revient
au même , cent hommes ; mais on conçoit
qu'il y a loin d'une expreffion qui déſigne vaguement
cent hommes , à celle qui déſigne expreſſément
les centum-virs. Et fi l'on confidère
que dans le vers en queſtion , il y a encore le
mot uſque , qu'il eſt embarrafſſant de faire cadrer
avec l'interprétation du cenſeur , parce qu'on eſt
forcé de le joindre à ſon decem dicies viri , en
cette forte , decem decies usque viri ; on conviendra
qu'il n'y a nul moyen de lui accorder
qu'Ovide ait employé une circonlocution aufli
verbeuſe , auſſi incorrecte & auſſi inſuffifante ,
pour exprimer les centumvirs. Si au contraire on
interprète ce paſſage comme je fais , il ſe trouvera
qu'Ovide s'eſt exprimé en termes très-convenables
& très- latins , & qu'il n'a ufé d'aucune
circonlocution diffuſe & incorrecte ; qu'en un
mot , il a exprimé d'une façon très- claire ce qu'il
vouloit dire , ſavoir qu'il s'est toujours conduit en
rapporteurirréprochable dans les affaires criminellesd'où
dépend ie fort de l'accusé, & qui doivent être
examinéesjusqu'à dix fois , ( decies usque ) par
NOVEMBRE. 1773. 129
les decemvirs. On fait par Dion , L. 54 , que
les decemvirs étoient les Préſidens du Tribunal des
centumvirs. Ils avoient donc la premiere inſpection
des affaires qui paſſoient à ce Tribunal ; d'où
je conclus, contre la prétention du critique , qu'il
n'eſt pas indifférent à la queſtion préſente ,
qu'Ovide ait été centumvir ou decemvir. Tout le
monde avouera qu'en qualité de decemvir il a
pu donner le premier mouvement a une procé
dure qu'il étoit libre d'arrêter ou de ne pas entamer;
au lieu qu'en qualité de ſimple centumvir,
il n'eût gueres pu connoître que d'un crime déjà
divulgué parmi tous les autres membres du méme
Tribunal. Il y a donc quelque ſujet de penſer
que c'eſt par précipitation de jugement que le
critique s'eſt permis de traiter de bévue l'interprétation
très- fondée en raiſon que j'ai donnée
de l'un des plus curieux paſſages de notre
Роëre.
Venons au point le plus important: eft- ce pour
avoir informé de quelque atrocité du jeune
Agrippa qu'Ovide a encouru la diſgrace d'Au.
guſte , comme je le prétends ? On ne peut réfuter
ma prétention que de quatre manières ; 1. En
prouvant qu'Ovide n'étoitpoint Magistrat pour le
criminel: j'ai fait voir qu'il l'étoit. 2º. En prou
vant que l'époque de la disgrace d'Agrippa nese
rapporte point avec celle de la disgrace d'Ovide :
le critique lui même eſt le premier à confeffer
que ces deux époques ſe conviennent , & que
cette convenance donne un degré ſenſible de
vraiſemblance à mon ſyſteme. 3º. En prouvant
que l'exil d'Ovide appartient à telle ou telle autre
cause, & nonà celle quej'ai indiquée : le critique
convient qu'avant moi & depuis moi ,personne ,
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
fans excepter lui-même , n'a propoſé à cet égard
de conjectures raiſonnables. 4°. En prouvant que
le caractère donné par l'histoire aujeune Agrippa ,
ne permet pas de croire qu'il ait donné lieu à un
des decemvirs de Rome d'informer contre lui d'un
crime commis par lui : voici le ſeul point capital
fur lequel le critique n'eſt point d'accord avec
moi . Examinons qui des deux eſt dans l'erreur ,
& s'est fait à ſoi-même illufion .
Le critique m'oppoſe le témoignage de Tacite
qu'il prétend avoir été , parmi les hiftoriens Romains
, le plus inftruit de tous ſur le caractère des
perſonnages qui compofoient la Cour d'Augufte.
Cet écrivain , à jamais célèbre , crayonne ainſi
le caractère d'Agrippa: rudemfanè bonarum artium
& robore corporis ſtolidè ferocem : nullius tamen
flagitii compertum , c'est- à- dire , un esprit groffier
&fans lettres , un jeune homme qui faisoitftupidement
parade de la force de fon corps ; mais qui
aufurplus n'étoit convaincu d'aucun crime.
Or Tacite n'en juge ainſi que parce que la notoriété
des crimes d'Agrippa n'étoit point venue
à ſa connoiſſance ; d'autant qu'on ne lui fit jamais
de procès en forme, & que Tacite qui, ſelon
juſte Lipſe, ne mourut que ſous l'Empire d'Adrien,
étoit trop éloigné de l'époque d'Agrippa pour juger
des cauſes de fa diſgrace , autrement que
par conjecture. Ajoutons que cet hiftorien , qui
paroît s'être proposé de peindre Tibere des couleurs
les plus noires & les plus odieuſes , n'y
pouvoit mieux réuſſir qu'en lui faiſant ouvrir fon
règne par le meurtre d'un innocent; & dela le
foin qu'il prend de mettre en doute qu'Agrippa
fût coupable. Mais ſi l'on y prend garde de plus
près, on trouvera que Tacite convient expreffé
NOVEMBRE. 1773. 131
ment de la cruauté du jeune Agrippa. Car, lorfqu'il
nous dépeint Auguſte près de mourir , il repréſente
les Romains s'entretenant entre eux de
fon fucceffeur, & rejetant de leurs voeux ce
même Agrippa , à cauſe de ſon caractère cruel :
trucem Agrippam & ignominiâ accenfum , &c. Au
reſte quelle que ſoit l'autorité de Tacite , hiſtorien
très -poſtérieur au tems dont il s'agit , elle
ne fauroit en aucun cas , prévaloir ici ſur celle
des écrivains contemporains d'Agrippa même.
Or Velleius Patercule , qui eſt de ce nombre ,
puiſqu'il vivoit ſous Auguſte & ſous Tibere , approuve
le meurtre d'Agrippa , & proteſte qu'une
telle fin étoit due à la perverſité inouie du naturel
de ce jeune Prince , & à l'accroiffement journalier
des vices de fon eſprit & de ſon coeur , ne
trouvant d'autre terme que celui de fureur pour
en exprimer la dépravation. Agrippa qui jam
ante biennium , qualis effet apparere caperat ,
mirâpravitate animi atque ingenii in pracipitia
converfus , patris atque ejufdem avifui animum
alienavit fibi ; moxque , crefcentibus in dies vitiis ,
dignumfurorefuo habuit exitum. Comment donc
le critique oſe-t-il invoquer l'autorité de Patercule
contre mon hypothèſe ? Mais voici une
autre difficulté qu'il me cherche. Citons ſes
propres paroles :
« Y a- t-il ici ( s'écrie-t-il ) la moindre apparence
qu'Ovide ſoit entré pour quelque choſe
➤ dans la diſgrace d'Agrippa ? Suppoſons qu'il eût
>>>inſtruit ſon procès; Auguſte qui fit lui-même
> homologuer par un Sénatus-confulte l'exil de
>>>ſon petit- fils , pouvoit- il après cela s'en prendre
* au premier juge , ſans la plus abſurde incon-
>>féquence ? N'étoit-ce pas joindre une injustice
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
>> affreuſe à l'éclat de la justice qu'il faiſoit d'A-
>> grippa ? Etoit-ce enfin le moyen de faire ou-
>> blier fon crime ? Non , dira M. de Sivry ; mais
> c'étoit ſe venger en Souverain. Nous laiſſons
>> réfléchir ſur l'idée d'une pareille vengeance.
Le critique cherche ,je ne ſais trop pourquoi ,
à me brouiller avec les Souverains. Je n'ai dit
nulle part qu'Auguſte ſe fût vengé en Souverain ,
en puniſſant Ovide. J'ai dit en propres termés :
• il eſt probable qu'Ovide fit informer de quel-
>que grand délit dont il ne connoiſloit pas
>>>l'auteur , & que cette information juridique
>> ayant donné lieu à la découverte du coupable ,
> il ſe trouva que le criminel n'étoit autre que le
Prince Agrippa , petit- fils & fucceſſeur déſigné
>>>d'Auguste , & que l'Empereur ne put par-
>> donner à Ovide cette faute involontaire , le
> regardant comme la cauſe ( innocente àla vé
>> rité ) de l'opprobre de fa maiſon. » Voila uniquement
ce que j'ai écrit, fans me permettre à
cette occafion aucune réflexion critique contre
Auguſte , & moins encore contre l'Ordre entier
des Souverains , qui ne pourront ſans doute que
ſavoir un gré infini au critique de les défendre
avec ce zèle , même quand perfonne ne fonge a
les offenfer.
Je ſoutiens , en outre , qu'Auguſte a pu ſans
inconféquencepunir Ovide d'avoir ébruité la honte
de ſa maiſon , & cependant punir Agrippa du
crime ébruité par Ovide. Il eſt vrai qu'il ne faut
pas ſuppoſer, comme le critique , qu'Augufte
commença par faire homologuer au ſenat l'exil
de fon petit- fils , & qu'enfuite il s'aviſa de fonger
à punir Ovide; tenons-nous-en à l'ordre
naturel des circonstances du fait , tel que je l'ai
NOVEMBRE. 1773. 133
expoſé. Ovide donne par ſes informations une
certaine publicité à un délit d'Agrippa : Augufte
arrête toute procédure , punit Ovide d'avoir di
vulgué l'opprobre de ſa famille , mais ſe trouve
bientôt forcé par le ſcandale même du délit ,
d'exiler Agrippa ; enfin, les vices de celui ci
croiſſantde plus en plus , l'Empereur fait homologuer
cet exil par le ſenat; & cependant Auguſte
ne rappelle point alors Ovide , parce qu'en
le reléguant , il avoit motivé ſa ditgrace fur un
prétexte apparent , je veux dire ſur ſes poëfies
amoureuſes , qui fourniſſoient un grief toujours
ſubſiſtant. Auguſte ſe propoſant la réforme des
moeurs , ne pouvoit gueres , en effet , rappeler
d'exil celui àqui il avoit affecté d'en attribuer la
corruption.
Le critique cite un paſſage d'Ovide qu'il a tort
de m'oppoſer , puifque ce paſſage convient ,
on ne peut mieux , a mon ſyſtême; le voici .
Caufa mea cunctis nimiùm quoque nota ruine :
Indicio non eft testificanda meo.
Quid referam comicum que nefas , famulosque
nocentes?
Aſſurément , il est très- facile d'expliquer ce
dernier vers , dans mon hypothèſe. Ce comitum
nefas s'entendra de la faute qu'Ovide fit partager
aux autres décemvirs , en rapportant dans
leur comité le délit en queſtion ; & le famulos
nocentes s'expliquera tres naturellement en fuppoſant
que les domestiques d'Ovide avoient
figuré comme témoins dans cette affaire fi déli
catc.
134 MERCURE DE FRANCE .
En un mot , Monfieur , j'ai l'aſſurance de
croire que le cenfeur anonyme,loin d'avoir ruiné
mon ſyſtême , n'a fait que l'affermir davantage
par une attaque dont tout conſpire à faire voir
l'impuiſſance. Quant à moi qui n'ai eu & n'ai en.
core dans tout ceci d'autre intérêt que mon zèle
pour la recherche d'une vérité hiſtorique ,je fuis,
prêt à ſacrifier toutes mes prétentions au premier
critique qui ſe préſentera avec des conjectures
plus vraiſemblables & plus fondées en raiſon que
les miennes .
J'ai l'honneur d'être , &c.
ACADÉMIE.
Discours prononcé à la féance publique de
l'Académie royale de Chirurgie , lejeudi
22 Avril 1773 .
L'ACADÉMIE royale de chirurgie avoit
propofé , pour le prix de cette année , la
queſtion ſuivante :
Quelle eft , dans le traitement des maladies
chirurgicales , l'influence des chofes
nommées non naturelles ?.
Parmi les mémoires qui nous ont été
adreſſés en petit nombre , ſur cette matière
, il y en a dont les auteurs n'ont pas
du tout ſaiſi la queſtion: ils ſe ſont éga
NOVEMBRE. 1773 . 135
rés dans des ſpéculations métaphyfiques ,
fur les caufes premières de l'organiſation,
fur les loix du mouvement appliquées à
l'economie animale , ſur le méchaniſme
de l'électricité regardée comme le principe
qui anime & vivifie les corps , fur
la formation & la diftribution des matières
nutritives , fur l'influence réciproque
de l'ame fur le corps , & du corps fur
l'ame , & c . &c.
Des mémoires hypothétiques ſur des
objets qui ont ſi peu de trait à la propoſition
de l'Académie , ne pouvoient fixer
fon attention. Il eſt évident qu'on demandoit
que les auteurs travaillaſſent à
la perfection de la pratique de la Chirurgie
, en appliquant au traitement des maladies
chirurgicales les règles de l'hygième
, en montrant quels ſecours on pouvoit
tirer de l'adminiſtration judicieuſe
des choſes non naturelles , pour obtenir
méthodiquement la guériſon des maladies
qui font du reſſort de la Chirurgie.
Le mémoire N ° . 4. qui a pour deviſe
ce paſſage d'Hippocrate , au livre I des
Epidémies , circa morbos duo exerceto , ut
juves , aut non noceas , fait honneur à
fon auteur. Il a ſenti l'importance du
ſujet , & fon début promettoit une differtation
fatisfaiſante ſur la queſtion pro
136 MERCURE DE FRANCE .
poſée . La Chirurgie moderne ſe glorifie
>> moins , dit - il , des opérations qu'elle
> eſt indiſpenſablement obligée de faire,
» que de celles qu'elle fait éviter par un
> traitement methodique . C'eſt dans ce
> principe que l'Académie toyale de Chi-
>> rurgie a travaillé utilement à perfec-
-tionner la matière médicale externe en
> propofant ſucceſſivement pour le ſujet
> des prix qu'elle a distribués pendant
>>pluſieurs années , quelle croit la natu-
» re , la manière d'agir & l'ufage des re-
>>mèdes répercuſſifs , reſolutifs , émol-
>> liens , anodyns , fuppuratifs , déterfifs ,
> deſficatifs &cauſtiques. Par le code mé-
>>dicamentaire chirurgical que les mémoi
>> res couronnés ont produit , l'art s'eft en.
> richi de connoiffances utiles , & eft de-
>> venu plus doux & moins redoutable. »
Si la matière des médicamens trop négligée
paroiſſoit fournir un juſte ſujet de
reproche contre nos prédéceſſeurs , nous
ne voulons pas encourit celui que nos
fucceſſeurs pourroient nous faire de n'avoir
pas examine avec affez d'attention
quelle eſt l'influence des chofes non naturelles
dans le traitement des maladies
chirurgicales . Pent on entreprendre la
guériſon d'un malade ſans connoître les
fix choſes indiſpenſablement néceffaires
NOVEMBRE. 1773. 137
àla conſervation de la vie , & dont le
bon ou le mauvais uſage contribuent fi efſentiellement
à maintenir ou à détruire
l'état de ſanté , & dont la direction doit
par conféquent beaucoup ſervir à la rérablir
lorſqu'elle a été dérangée par quelque
cauſe que ce ſoit?
Ila paru à quelques perſonnes , que le
ſujet étoit trop vafte pour être traité convenablementdans
un ſeul mémoire . Elles
ne diſconviennent pas qu'une hygiène
chirurgicale bien faite ne fût un travail
utile , & qu'il manque à l'inſtruction des
élèves. Mais comment eſpérer que l'on
comprenne dansun mémoire tout ce qui
regarde l'air , les alimens & la boiffon ;
l'exercice & le repos , le ſommeil & la
veille , les excrémens évacués ou rerenus ,
les paſſions & les affections de l'ame ?
Tels font , à la vérité , les objets de
l'hygiène ; mais ce ne font pas tous les
principes de cette ſcience& les détails
qu'ils comportent , dont on demandoit
l'expoſition ; c'eſt l'application des règles
générales au traitement particulier des
maladies chirurgicales : ſous ce point de
vue , le ſujet ne paſſe point les bornes d'un
mémoire académique,& plus l'auteur qui
voudra s'en occupet ſera inſtruit , moins
138 MERCURE DE FRANCE.
il trouvera de difficulté à circonfcrire fa
matière . Une Société ſavante qui auroit
propoſé , il y a trente ans , pour le ſujet
d'un prix , de déterminer quelle est la
ftructure du coeur & ſon action ? auroit-elle
mérité le reproche d'avoir montré un
champ trop étendu , ou une carrière dont
les limites auroient paru poſées à des diſtances
trop éloignées ? Non fans doute.
Mais en remontant aux premiers principes
, en expoſant les recherches , les progrès&
les erreurs de ceux qui ont traité
cette queſtion ; en faiſant l'hiſtoire exacte
des découvertes ; en difcutant les différentes
opinions , M. Senac a pu faire de
ce ſujer un traité en deux vol . in 4° .
On pourroit de même , ſur les choſes
non naturelles , étendre la matière & faire
de très longues differtations. Ce n'eſt
pas la queſtion propoſée par l'Académie
qui donnera lieu à cette diffuſion. Par
l'énoncé même on voit que ſielle demande
une théorie , elle l'aſſujettit à être la
lumière de la pratique. La vraie théorie
ſeratoujours réduite aux ſeules conféquences
tirées des faits : c'eſt une loi que l'Académie
s'eſt preſcrite dans tous ſes ouvrages
; &, quand on connoît ſon eſprit ,
il eſt difficile de prendre le change à cet
NOVEMBRE. 1773. 139
égard. « En ſuivant les traces de la nature
» à la lumière des expériences & des ob-
>> ſervations , on arrive bientôt à des bar-
> rières que les eſprits ſolides ne fran-
>> chiffent point : au- delà de ces bornes
>> on ne peut ſaiſir que des conjectures ,
» & l'égarement eſt inevitable . »
L'hygiène peut fournir des détails infinis
. Les alimens ſeuls donneroient la matière
de pluſieurs volumes. Après tant de
traités que nous avons ſur l'air , M. l'Abbé
Richard vient d'en publier l'hiſtoire naturelle
en huit volumes. Il y a environ 60 ans
que le célèbre docteur Arbuthnot , membredu
collége royal des Médecins de Londres
, donna au Public , fur ce ſujet , un
excellent traité qui a pour titre : Effai
concernant l'influence de l'airſur le corps
humain. Pour remplir ſon objet il a parlé
en différens chapitres, des ingrédiens de
l'air ; de ſes propriétés ; de ſes qualités ;
de la nature de l'air dans les ſituations ,
les régions & les ſaiſons différentes ; des
uſages & des effets de l'air dans la reſpiration
: Ildonne des remarques fur la peſte
& les fièvres peſtilentielles , en tant que
l'air infue dans ces maladies ; il parle des
différens effets des exploſions naturelles
de l'air ſur le corps humain. Ce traité eſt
curieux & inſtructif ; mais il n'y a de re
140 MERCURE DE FRANCE.
latif à la pratique que le chapitre VI concernant
l'influence de l'air dans les maladies
& fur les conſtitutions différentes
des hommes ; les connoiſſances qu'il renferme
font reſtreintes à l'ætiologie. L'air
n'y eſt conſidéré que comme cauſe de maladies;
ce font fes mauvais &pernicieux
effets qu'on calcule ſuivant la variété des
climats&des ſaiſons. La queſtion propoſée
par l'Académie fur l'influence des
chofesnonnaturelles les conſidère ſous นัก
autre point de vue , en demandant quels
effets elles produiſent dans le traitement
des maladies chirurgicales ; cette queftion
eſt purement thérapeutique.
Ledocteur Arbuthnot ſe plaint en plaſieurs
endroits de ſon ouvrage , que le
ſujet de l'influence de l'air fur les conftitutions
& les maladiesdu corps humain,
n'a point été traité par les Médecins modernes
avec l'exactitude qu'il mérite
que les obſervations de cette eſpèce font
en très-petit nombre , & que dans cette
diſette de faits, tout ce qu'on peut faire de
mieux eſt de déduire des loix de la méchanique
, des propriétés& qualités connues
de l'air , quels doivent être les effets
naturels de ce fluide. Ses qualités chaudes
on froides, fèches ou humides produifent
des effets différens auxquels on ne peut re
NOVEMBRE. 1773 : 141
médier efficacement qu'en en combattant
la cauſe. Les Chirurgiens, dit- il , ont dans
l'exercice de leur art des occaſions plus
fréquentes d'obſerver les effets de l'air ;
les fibres doivent être plus ſouples & plus
flexibles dans un tems doux que pendant
le froid qui les contracte ; & la conſtitution
de l'air , capable de corrompre naturellement
la chair crue , doit expoſer les
plaies au danger de la mortification. C'eſt
ce qui a déterminé , dit-il , le choix des ſaifons
pour certaines opérations qu'on peut
différer; & il n'eſt pas douteux que les qualitésde
l'air ne rendent certaines maladies
plus aiſées ou plus difficiles à guérir en
différens pays. Arbuthnot avoit appris
d'un habile Chirurgien de l'Armée Britannique
en Allemagne , deux choſes remarquables
: la première , qu'après la bataille
d'Hochſtet , en 1704, les bleſlés de
l'hôpital de Norlingue furent attaqués de
tumeurs cædémateuſes , dont plufieurs
mouturent; mais qu'ayant été transférés
dans un autre air , cet accident diſparut ,
La ſeconde eſt qu'au ſiége de Lille , il y
eut une grande diſpoſition dans toutes les
plaies à devenir gangreneuſes , & princi.
palement dans celles de la tête. Il n'y a
point d'état vicié des ſolides ou des flui
142 MERCURE DE FRANCE.
des qui ne puifle être cauſé par les propriétés
& les qualités de cet élément , &
par leurs changemens & combinaiſons
différentes . L'air des hôpitaux eſt ſur tout
très - nuiſible ; M. Pringle , qui a donné un
excellent traité ſur la Médecine des Armées
, démontre clairement qu'il y a une
fièvre propre aux hôpitaux , dont lesbleſfés
ſont attaqués confécutivement par leur ſé.
jour dans ces lieux; ce qui leur eſt commun
avec les perſonnes qui les y ſoignent.
Hippocrate , dans ſon traité des Vents
dans celui de l'uſage des choſes humides ;
dans celui qui eſt intitulé , de l'air , de
l'eau & des lieux , donne des préceptes
admirables , dont on pourroit faire une
heureuſe application à la théorie & à la
pratique de la chirurgie. Il vouloit qu'on
eût égard à la conſtitution de l'air dans
les opérations chirurgicales ; il ſavoit prédire
les ſymptômes & les accidens par le
tems . Dans un été ſec, les maladies finiſſent
plutôt que dans un humide , où elles
font opiniâtres & diſpoſées aux fuppurations
. Il remarque que la chaleur & l'humidité
, lorſqu'elles ſe rencontrent enſemble
, produiſent la putréfaction .
Les livres qui traitent des choſes non
naturelles font très - multipliés depuis
NOVEMBRE . 1773. 143
quelque tems. On y répète tout ce que
les philofophes & les médecins de l'Antiquité
ont dit ſur les règles de la ſanté.
Les législateurs mêmes ſe ſont occupés de
cet objet important : Moyfe ne détermine
t'il pas les eſpèces d'animaux dont il
étoit permis aux Ifraëlites de manger , &
les parties de ceux - ci qu'on devoit regarder
comme immondes ? Mais les règles
de Pythagore , de Porphire , les préceptes
de l'école de Salerne & tous ceux qu'on
trouve dans les ouvrages modernes ont
pour but la conſervation de la ſanté ; ils
ſont donnés dans des vues de prophylacti
que ou de préſervation. Hippocrate avoit
tourné les ſiennes un peu plus du côté
pratique. Comment ceux qui ont eſſayé
de traiter la queſtion propoſée par l'Académie,
paroiſſent- ils avoir ignoré qu'André
de la Croix & Ambroise Paré ont fait
une hygiène curative , à l'occaſion des
plaies de tête ? L'examen & la comparaifon
de leur doctrine auroit donné lieu à
quelques diſcuſſions utiles au progrès de
l'Art : la méthode qu'ils ont adoptée pour
ce genre de maladies auroit pu être appliquée
à d'autres cas , & fervir de modèle
dans ceux mêmes où la diverſité des indications
exigeroit qu'on donnat d'autres
préceptes.
144 MERCURE DE FRANCE.
Ambroise Paré , au chap . XIV du 10
livre, des plaies en particulier, preſcrit le
régime convenable aux plaies & aux fractures
du crâne. Lorſque tu panſeras le
> malade , te faut avoir , dit-il , une baf-
>>finoire pleine de braiſe , ou une pelle
■ de fer , laquelle ſera tant échauffée ,
» qu'elle devienne rouge , & qu'elle ſoit
tenue au deſſus de la tête du malade à
>> unetellehauteurqu'ilen ſente la chaleur:
>> afin que par la réverbération d'icelle ,
→ l'air ambient , c'eſt à dire qui est à l'en-
> tour , ſoit corrigé. Car le froid, comme
> dit Hippocrate, eſt ennemi du cerveau,
>> des os&de tous les nerfs ,&générale-
>> ment de toute notre nature.>>
André de la Croix s'appuye auſſi ſur
l'autorité d'Hippocrate pour recommander
une chaleur fort temperée dans le
panſement des plaies de tête. Les Chirurgiens
s'abuſent & ſe trompent beaucoup,
dit-il, lorſque par des briques rougies
au feu , ou par d'autres moyens , ils
excitent une chaleur à laquelle la tête
n'eſt point habituée. C'eſt une cauſe de
fluxions , de douleurs gravatives , d'inflammation
&de pourriture. Cette obfervation
paroît fort judicieuſe. La pelle
rougie , ou le réchaud allumé, tenu avec
tantde foin ſous les rideaux du lit , rarefie
:
NOVEMBRE. 1773. 145
fie l'air , & met , pour ainſi dire , la tête
du bleſſe ſous une ventouſe. Je ſuis perſuadé
que les expanſions putrides de cerveau
, qu'on ne peut réprimer qu'avec
l'huile de rérébenthine ou le baume du
Commandeur , ſont ſouvent venues de
cet excès de chaleur que la raiſon réprouve
, & dont l'expérience n'a pas déſabuſé,
parce qu'elle a pris pour ſymptôme du
mal , l'accident qui venoit de l'uſage nuifible
& dangereux des moyens qu'elle
croyoit falutaires. André de la Croix porte
l'attention juſque ſur la poſition da lit
du malade , lequel doit être à contre jour:
il parle de la direction & du degré de la
lumière par laquelle la chambre peut être
éclairée, pour que le malade n'en ſoit pas
incommodé. C'eſt d'après les connoiffances
de l'hygiène qu'il a dicté ces préceptes
falutaires .
Les alimens dont les bleſſés peuvent
uſer ſont déterminés , par nos deux auteurs
, ſuivant l'âge &le tempérament du
malade , la ſaiſon de l'année , le tems de
la maladie , & fon état actuel , ſoit dans
la naiſſance & le progrès des ſymptômes
& accidens , foit dans le déclin . Ils n'entrent
pas dans de grands détails ; mais les
règles générales font établies d'après la
nature des alimens & les effets relatifs
G
146 MERCURE DE FRANCE.
qu'ils peuvent produire. Le choix des
ſubſtances alimentaires doit être fait de
manière qu'elles concourent à remplir les
indications curatives . Dans les maladies
où il y a de la putridité , les alimens qui
ont une vertu antiſeptique & qui empêchent
la décompoſition des humeurs font
préférables ; ceux qui ſont atténuans& incififs
conviennent dans les maladies où
la coagulation des fluides ſe manifeſte. Il
y ades ſubſtances lénitives qui entretiennent
la liberté du ventre : d'autres dont
la vertu aromatique ou aſtringente corrobore
les fibres , & ſemble raffermir les
tuyaux excrétoires : quelquefois il faut
rafraîchir ; dans d'autres cas il faut augmenter
la chaleur , & l'on obtient utilement
& fûrement , par la voie des alimens
appropriés , ce que les autres moyens
ne procureroient peut - être pas ſans leur
aide. La connoillance des tempéramens
eſt du. reſſort de l'Hygiène , & il n'eſt pas
douteux que les moyens de guérifon
ſe règlent différemment dans les conftitutions
pléthoriques , ſanguines ou pituiteuſes;
dans les ſujets qui abondent en
alkali - ſpontané, dans les perſonnes dont
le ſang eſt vicié par quelque hétérogène ;
&, dans ces cas , l'uſage des alimens&de
la boiſſon , tant dans la quantité que dans
NOVEMBRE. 17738 147
la qualité , doit être varié & déterminé
ſuivant là nature des circonstances .
Les règles diététiques qu'Hippocrate
a preſcrites font encore le guide le plus
alluré qu'on puiſſe ſuivre; mais leur application
aux cas particuliers , qui font
ſans nombre , demande de la ſagacité.
C'eſt ordinairement au commencement
des maladies , dans le tems de l'orgaſme ,
que la diète ſe borne à des boiffons délayantes
, à la ptiſane & au bouillon . Mais
le bouillon étant chargé de ſucs animaux,
eſt putrefcible & ne convient pas dansune
infinité de cas , où l'on n'a garde de l'accuſer
des accidens qu'il produit , ou de la
perſévérance des ſymptômes qui céderoient
aux autres remèdes , ſi l'uſage indifcret
des décoctions de viandes ne donnoit
de l'aliment à la maladie , au détriment
du malade qu'on prétend nourrir.
Il y a plus : on trouve des cas où la diète
la plus rigoureuſe, l'abſtinence abſolue eſt
un moyen de guériſon auquel nul autre
remède ne pourroit fuppléer : c'eſt ainſi
qu'on parvient àcicatriſer certains ulcères
aux corps dont la fibre eſt relâchée par la
furabondance des humidités qui l'abreuvent.
Hippocrate en a fait un précepte
poſitif. Corporibus humidâ carne præditis,
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
imperandafames ; fames enim corpora exficcat.
L'habitude d'uſer de certains alimens ,
quoique nuiſibles en eux- mêmes, eſt une
raiſon de ne pas les défendre ſévèrement
aux malades à qui l'indulgence à cet égard
devient néceſſaire : des exemples très finguliers
ont confirmé la doctrine d'Hippocrate
fur ce point.
Il paroîtta, au premier aſpect , bien inutile
d'établir des règles particulières concernant
l'exercice &le repos dans le traitement
des maladies chirurgicales; cependant
on peut procurer le plus grand
bien en preſcrivant l'un & l'autre à propos.
La promenade à pied ou en voiture,
l'action de chanter ou de lire à haute voix,
l'exercice du cheval, ont des utilités particulières
en différens cas. On peut même
trouver l'occaſion de faire ſervir un exercice
forcé à la guériſon de certaines maladies
: nous avons des exemples de maladies
vénériennes très compliquées qui
ont cédé à l'uſage de la décoction de
gayac, dont la boiffon, à une certaine mefure
, étoit ſuivie d'une promenade fariguante
pendant l'eſpace de deux heures ,
afin de procurer la fueur. Cet exercice
répété deux fois par jour pendant fix fo
NOVEMBRE. 1773. 149
maines , a diſſipé des exoſtoſes , & guéri
radicalement pluſieurs perſonnes qui y
ont eu recours .
On fupplée au défaut de cet exercice ,
qui feroit néceſſaire , par des frictions
douces avec des linges molets , un morceau
de flanelle ou des éponges fines . Ces
frictions ont parfaitement réuffi à Ambroife
Paré , dans le traitement du Marquis
d'Avrey , frère du Duc d'Afcot , à
qui le Roi Charles IX envoya fon premier
Chirurgien. Ce Seigneur étoit réduit
à la dernière extrémité , à la fuite
d'un coup de feu , reçu ſept mois auparavant,&
qui avoit fracturé l'os de la cuiſſe.
Dans cette cure , l'une des plus belles
qu'on ait faites en ce genre , Ambroiſe
Paré preſcrivit des frictions avec des lin
ges chauds ſur la partie , pour favorifer
l'opération des remèdes capables d'atténuer
& de réfoudre l'engorgement du
membre bleſſé ; & il en faifoit faire le
matin d'univerſelles , de tout le corps ,
« qui étoit , dit- il , grandement exténué
& amaigri par les douleurs & accidens ,
»& auffi par faute d'exercice. »
Les malades reçoivent un très - grand
foulagement en bien des cas lorſqu'on les
tire de leur lit le matin . Plus leur complexion
eſt délicate , plus ils font affoiblis
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
par la maladie; moins le ſéjour dans le lit,
hors le tems du ſommeil , leur eft profitable.
Le repos énerve les ſolides & fait
ſtagner les humeurs ; les forces , l'action
vitale , ſi néceſſaire à la guérifon , ne peuvent
ſe rétablir par l'inaction . Le renouvellementde
l'air de la chambre où l'on
a dormi feroit d'un foible ſecours , fi on
laiſſoit le corps entre les draps & fous les
couvertures imprégnées de l'humidité de
la fueur & de la tranſpiration. Les in-
Auences douces de l'air du matin donnent
du reffort aux fibres , & préparent aux
grandes évacuations , leſquelles font plus
promptes &plus faciles quand le corps a
changé de lieu & s'eſt procuré une atmofphère
nouvelle.
re
,
Ce changement , que nous regardons
comme une eſpèce d'exercice ſalutaire
n'exclut pas le plus grand repos de la patt
deschofes extérieures . Ambroife Paré
marque, à l'occaſion des plaiés de tête,qu'il
faut mettre le bleffé en un lieu de repos &
horsdu bruit, autant qu'il eſt poſſible; comme
loin des cloches & de l'habitation des
ouvriers dont le métier eſt bruyant , tels
que les maréchaux , les tonneliers , &c.
&les garantir du bruit des charrettes. Le
bruit augmente la douleur , la fièvre &
autres accidens. Je ne ſouviens , c'eſt le
1
NOVEMBRE . 1773. 151
pèrede la chirurgie françoiſe qui parle ,
je me ſouviens , qu'étant au château de
>> Heſdin , à l'heure qu'on faiſoitla bat-
>> terie , le bruit & retentiſſement de l'ar-
> tillerie cauſoit aux malades une éxtrême
>> douleur , & principalement à ceux qui
>> étoient bleſſés à la tête ; car ils diſoient
» qu'il leur ſembloit qu'autant de coups
>> de canon qu'on tiroit , qu'on leur don-
>>>noit autant de coups de bâtons ſur leurs
>> plaies : elles rendoient quelquefois du
>> fang : la douleur , la fièvre & autres ac-
>> cidens étoient , par telle véhémence ,
>> grandement augmentés,& la mort accé-
» lerée . »
:
Le fruit d'une direction raiſonnée &
relative au beſoin de chaque individu
touchant le ſommeil & la veille , ne peut
pas plus être un ſujet de doute , que ce
qui vient d'être dit ſur le mouvement &
le repos . Quels détails inſtructifs ne devroit
- on pas expoſer ſur les évacuations
de différens genres à procurer ou à réprimer
ſuivant la nature & la différence des
maladies , relativement à l'âge , au ſexe ,
au climat & à la ſaiſon; dans les maladies
chirurgicales , auſſi bien que dans celles
qui font du reſſort de la médecine interne
.
Enfin les affections & les paſſions de
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
l'ame influent fi fort ſur la ſanté & ſur la
maladie , qu'on ne peut trop y avoir égard.
« Le Chirurgien , dit encore Ambroiſe
>> Paré , ne doit mépriſer les affections
>> de l'ame , pour ce qu'elles cauſentgrands
> mouvemens & mutations au corps , à
>> cauſe qu'elles dilatent ou compriment
>> le coeur , & en ce faiſant les eſprits ſe
>> réſolvent ou aftreignent & fuffoquent.
>>Ces paffions font joie , amour , eſpé
>> rance , ire , triſteſſe , crainte & autres ,
> toutes leſquelles doivent être corrigées
>> par leurs contraires. >>
On voit , par cet expoſe ſommaire , la
néceſſité & l'utilité d'une hygiène chirurgicale.
Les auteurs qui ont travaillé fur
cette matière n'ayant pas fatisfait l'Académie
, elle propoſe de nouveau , pour le
prix de l'année 1775 , la même queſtion
avec promeſſe d'un prix double , ſavoir ;
Quelle est , dans le traitement des maladies
chirurgicales , l'influence des chofes
nommées non-naturelles?
L'Académie a accordé le prix d'émulation
à M. Bajon , chirurgien à Cayenne ,
auteur d'un bon mémoire fur la méthode
de traiter les plaies , dans les pays chauds.
Les cinq petites médailles ont été méritées
par
M. Aubray , maître- es-arts & en chi
NOVEMBRE. 1773. 153
rurgie , & membre de l'académie des
belles- lettres à Caën .
M. Raymondon , ancien chirurgienmajor
des vaiſſeaux du Roi & du régiment
de Bourbon cavalerie , maître en
chirurgie à Caftres .
M. Didelot , maître- ès- arts & en chirurgie
, à Bruyères en Lorraine .
M. Pietſch , démonstrateur d'anatomie
& correſpondant de l'Académie à Huningue
, & docteur en médecine .
M. Meſtivier , maître- ès arts & en chirurgie
à Bordeaux.
Signé, Louis , Secrétaire perpétuelde
l'Académie royale de Chirurgie.
SPECTACLES.
OPERA.
L'ACADÉMIE royale de Muſique continue
apec ſuccès les repréſentations de
l'Union de l'Amour & des Arts , ballet
héroïque en trois entrées , compoſé des
actes de Bathile & Chloé, de Theodore &
de la Cour d'Amour.
Mile Rofalie joue , en l'absence de
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
Mile Duplant , le rôle de Théodore. Son
jeu noble , intéreſlant & plein d'exprefſions
; fa voix brillante; fon chant agréable&
animé lui concilient les fuffrages
de tous les ſpectateurs . M. Durant eſt
auſſi applaudi dans le rôle de Théophile
qu'il remplit en l'absence de M. l'Arrivée.
On voit avec le plus grand plaiſir que
Mde l'Arrivée & M. le Gros quittent
rarement les rôles qu'ils jouent & chantentavectantde
ſupériorité &d'agrément
dans le premier &dans le troiſième
acte.
1
COMÉDIE FRANÇOISE.
La continuation des repréſentations
de la tragédie d'Orphanis , par M. Blin
de St Mor, a été remiſe après le voyage
de Fontainebleau.
DEBUT.
4
Mlle St Gervais , qui n'avoit encore
paru que fur quelques théâtres particuliers
, a débuté , le 13 Octobre , dans le
rôle d'Alzire ; & le 20,dans le rôle d'Hy.
NOVEMBRE. 1773. 155
permenestre. Cette jeune actrice a été fort
applaudie.
Une figure aimable & théâtrale , beaucoup
d'intelligence &de ſenſibilité , un
jeu noble , intéreſſant & expreffif, de la
précifion dans ſes geſtes , de la juſteſſe
dans ſes tons , un organe agréable , mais
foible ; tous ces avantages ont fait accueillir
fon talent , & doivent l'encou
rager.
Elève de M. Belcourt , comédien du
Roi , elle a d'excellens principes ; & lotfque
l'habitude de la ſcène , le travail &
l'exercice auront fortifié ſa voix , & donné
plus de développement à ſes moyens ,
elle ſera un ſujet très- eſſentiel à ce theâtre.
L'HYMEN , L'AMOUR & LE PLAISIR.
Fable allégorique , inférée dans leMédecin
par occafion , comédie de Boiffy ,
repréſentée à Fontainebleau , devant Sa
Majesté , le 14 Octobre 1773 .
(ACTE IV . , ſcène IV . )
TROIS fois lesAcurs fraîches éclotes
Avaient couronné le Printems ,
Gvj
I156 MERCURE DE FRANCE.
Flore trois fois avait ſemé de roſes
Nos jardins enrichis de ſes tréſors charmans .
Depuis que du ſéjour où l'on vit d'ambroiſie ,
Un beau matin , & fans en avertir ,
L'Hymen , l'Amour & le Plaiſir
S'étaient enfuis de compagnie.
On conçoit ailément que la céleſte Cour
Etait dans des peines cruelles :
Ce n'était pas l'Hymen qu'on pleurait , mais l'Amour
,
Le Plaiſir , & l'Amour ſi cher aux immortelles.
Momus & la Folie ont perdu leur gaieté ;
Hébé s'endort en préſentant la coupe
▲ Jupin qui maudit ſon immortalité :
Et l'Ennui communique à la divine Troupe
Ces triſtes baillemens , fruits de l'oiſiveté.
« Il faut, dit Jupiter , réparer ce dommage ;
Pour ton propre intérêt , quitte les Cieux , va
>>pars ,
>>>Iris; &dans ces lieux ramène les fuyards. >>
Au ſéjour de nos Rois , ſur un léger nuage ,
Iris defcend , cachée aux profanes regards.
Mais à peine elle arrive.... « Eh ! les voilà ,dit.
>>>elle !>>>
Voilà nos petits vagabonds !
C'était eux en effet , qui par ſauts & par bonds
Se jouaient , folâtraient fur l'herbette nouvelle.
«Que faites-vous ici , Meſſieurs les étourdis 2
> Jupiter contre vous eſt dans une colère! ....
NOVEMBRE. 1773. 157
C'eſt toi , brillante Iris , répond l'Amour fur
pris ?
Bon jour , aimable Meſſagère.
Tu viens donc nous chercher... ? Nous sommes
bien ici ;
Nous y reſtons .... Mais le Dieu du tonnerre ! ..
Bagatelle ; à préſent l'Olympe eſt ſur laterre;
Qu'il y vienne habiter auffi.
Sous les aulpices d'un bon Père ,
Dont le ſang eſt celui des Dieux ,
Quatre jeunes Epoux , Famille auguſte &chère,
Chaque jour croiffent à nos yeux ,
Pour le bien de la France entière,
Nous voilà fixés avec eux.
Tixés! réprend Iris ; toi , l'Amour ! bon ! tu railles!
...
Non, je ne raille point; &, dans vingt ans , je
veux
Qu'onvienne encor me chercher àVerſailles.
Mais , continue Iris , le fait eſt fabuleux ;
J'ai peine à revenir de ma ſurpriſe extrême.
A la Cour , quatre Epoux enchaînés par toi
même !
Quoi ! deux Mariages heureux !
Bon ! dit l'Amour , je t'attends au troiſième.
ParM. Montvet, Comédien Français,
Penfionnaire du Roi
158 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE ITALIENNE.
LES
ES Comédiens Italiens ont remis après
le voyage de Fontainebleau les repréſentations
du Stratagême découvert. Ils doivent
donner auſſi inceſſamment la Roſière
de Salency , comédie nouvelle en quatre
actes , en vers , dont la muſique eſt de
M. Gretry.
ARTS.
GRAVURE.
I.
:
PORTRAITS en médaillons de Colbert &
de J. Bénigne Boffuet , tous deux gravés
avec beaucoup de ſoin & de talent ,
par M. Savart , & ſe trouvent chez lui ,
à la barrière de Fontarabie , & chez les
marchands d'eſtampes. Ils font ſuite des
portraits des grands hommes , gravés par
M.M.Fiquet &Savart. Ces médaillons font
ornées des attributs qui caractériſent leur
génie.
NOVEMBRE. 1773. 159
II .
!
- M. Lebas , graveur du Roi rue de
la Harpe , à Paris , vient de mettre au
jour les estampes ſuivantes :
:
Un payfage , d'après Pinaker , no . 17 ,
du cabinet de M. le Duc
de Praflin ; prix. •
Un payfage , d'après Ruiſ.
dal , no. 18 , du même
cabinet. •
2 livres .
2 liv.
)
Le point du jour , du cabiner
de M. le duc de
Coffé.
:
:
• 2 liv.
Une ſeptième fête Flamande
, du même cabinet. • I 10 fols.
Deux paysages , d'après
Vernet ; prix chaque. I 10
Deux autres Vernet ; prix
chaque I
Le chaffeur Hollandais ,
d'après Metlu , gravé par
David; prix . . I 10
Le taureau , d'après Potter ,
du cabinetdu prince d'Orange;
prix. . • I 10
: Toutes ces eſtampes ajoutent à la richeffe
de l'oeuvre de M. Lebas ,dont les
160 MERCURE DE FRANCE.
talens , le génie & l'intelligence font
très-diftingués.
Le portrait de Sa Majesté l'Impératrice
de Ruffie , gravé par le ſieur David
, connu ſi avantageuſement par la
force & les grâces de ſon burin , ſemble
ajouter à la vérité que mademoiſelle
Rameau a miſe dans ſon tableau.
Sa Majesté Impériale en a agréé la dédicace
; prix ... 3 liv . •
Le ſieur David eſt toujours occupé à
terminer le marché aux herbes d'Amfterdam
d'après Metſu.
III .
Costume des anciens peuples , par M.
d'André Bardon , profeſſeur de l'académie
royale de peinture & de
ſculpture , treizième cahier in-4°. A
Paris , rue Dauphine , chez R. Antoine
Jombert , père , Louis Cellot ,
imprimeur , & Jombert , fils aîné .
}
Ce nouveau cahier , compofé , ainſi
que les précédens , de douze planches
avec des explications , nous entretient
des uſages militaires des Grecs & des
Romains. On y voit des modèles de
catapultes , baliſtes , corbeaux , chars armés
de faulx , tours roulantes , & d'au
NOVEMBRE. 1773 . 161
tres machines de guerre , dont les Anciens
ſe ſervoient pour l'attaque & la
défenſe des places.
I V.
Huitſujets de paftorale , gravés dans la
manière du deſſin , au crayon noir ,
d'après Boucher. A Paris , chez Bonnet
, graveur , rue Saint- Jacques , au
coin de celle du Plâtre ; & à Lille ,
chez Agnès.
Ces ſujets de paſtorale font traités
avec toute la grâce que François Boucher
, mort premier peintre du Roi ,
ſavoit répandre dans toutes fortes de
compoſitions. Ces eſtampes ont environ
10 pouces de haut fur 8 de large ; prix ,
Is ſols chaque eftampe .
V.
Iconologie historique & généalogique des
Rois de France & des autres fouve-
¡ains de l'Europe , avec leurs portraits
gravés d'après les deſſins de M. Foffier
, deſſinateur de l'académie royale
des ſciences. A Paris , chez Deſnos ,
libraire , rue Saint-Jacques.
Cette iconologie , dont les planches
1
162 MERCURE DE FRANCE.
ſont d'un petit format in 12 , pourra être
utile à la jeuneſſe , pour lui rappeler ,
ſoit en eſtampes , foit par des notes
placées à la ſuite de ces eſtampes , la
naiſlance des ſouverains , leur avenement
au trône , & les principaux faits
de chaque règne . La première partie , en
30 planches , contenant la première race
de nos Rois , depuis Pharamond juſqu'à
Childeric III , paroît actuellement ; prix ,
9 liv. pour ceux qui ſe feront inſcrire ; on
n'exige aucune avance pour cette infcription
, dont l'objet eſt d'aſſurer les premières
épreuves aux ſouſcripteurs par
ordre d'enregiſtrement.
La ſeconde & la troiſième partie de
cette iconologie , comprenant la feconde&
la troifiène race de nos Rois , ſeront
publiées ſucceſſivement.
Le ſieur Deſnos a ſéparé pluſieurs fuites
d'eſtampes , du récit qui les accompagnent
, en faveur de ceux qui voudroient
inférer ces eſtampes dans différentes
hiſtoires de France , ou en former
une ſuite chronologique. Chaque
ſuite ſe vendra en feuilles , grand papier
, 9 liv . Sous la forme d'almanach ,
relié en veau , 8 liv. Relié en maroquin
, ſous cette même forme , 9 liv.
NOVEMBRE. 1773 . 163
GÉOGRAPHIE .
Tableaux géographiquės .
LE Sieur Rohard a formé des tableaux
géographiques qui ont mérité l'approbation
des perſonnes éclairées.
Voici en quoi ces tableaux conſiſtent.
1º. Le tableau de l'Ancien Monde , de.
puis le partage qui fut fait entre les enfans
de Noé , juſqu'à la décadence del Empire
Romain . Ce tableau contient toutes
les diviſions & fubdiviſions convenables
au ſujet , & eſt fait de manière à ſaiſir
l'imagination , s'inculquer dans la mémoire
, alimenter l'eſprit& inſpirer à la
jeuneſſe legoût, ſi rare, de l'ordre&de la
diftribution. Il remplit une feuille de
Chapeler.
2º. Le tableau des royaumes célèbres
avant J. C. en huit colonnes , avec remarques
; ouvrage analogue au précédent,
& très -utile pour l'intelligence de
l'Histoire ancienne ; en une demi- feuille
deChapelet.
3 ° . Quatre tableaux, c'eſt- à-dire , un tableau
de chacune des quatre parties du
164 MERCURE DE FRANCE.
Monde , dans l'état actuel , en neuf colonnes
, avec remarques. Tous ces tableaux
ne laiſſent rienà deſirer : ceux de
l'Europe , de l'Aſie & de l'Afrique , ſont
de pareille grandeur que le précédent ;
mais celui de l'Amérique , attendu ſa
grande étendue , eſt ſur une feuille entière
de Chapelet.
Non- ſeulement ces tableaux facilitent
la prompre inſtruction de la jeuneſſe ;
mais ils feront encore utiles aux perfonnes
qui cherchent un délaſſement agréable&
utile.
Il paroît fix cartes , dont le prix eſt de
12 liv . A Paris , chez le Sr Rohard , rue
St Martin , vis-à - vis la rue de Montmorency
, dans la maiſon dubureau des Evantailliſtes
.
On travaille à la gravure des ſubdivifions.
MUSIQUE.
I.
Trois fonates pour le clavecin ou le forte
piano , avec accompagnement de flûte
ou violon & baſſe , compofées par
G. Mathielli , oeuvre premier ; prix ,
NOVEMBRE. 1773. 165
4 liv. 4 f. A Paris , chez M. Taillart
, l'aîné , rue de la Monnoie , la
première porte cochère à gauche , en
deſcendant du Pont Neuf, maiſon de
M. Fabre ; & aux adrefles ordinaires
de muſique.
CES fonates , d'une exécution facile &
d'un chant agréable & bien dialogué ,
plairont aux amateurs de la muſique inftrumentale
, & feront connoître avantageuſement
les talens de M. Mathielli ,
élève du célebre Waghenfail.
11.
Seconde partie du traité de compofition
muſicale , par le célèbre Fux.
On peut , en étudiant avec attention ,
parvenir à bien compoſer en très peu
de tems . Ce traité fut entrepris par ordre
& aux dépens de l'Empereur pour
les élèves de muſique en Allemagne .
Depuis , il a été adopté par M. Caffro ,
maître de muſique du Roi & de la Reine
de Naples & du confervatoire royal : il
l'a traduit en Italien ,& c'eſt aujourd'hui
le ſeul livre élémentaire de compofition
que l'on mette entre les mains des élè
166 MERCURE DE FRANCE.
ves de ce confervatoire ; c'eſt ce même
traité , traduit en Français par le ſieur
Pietre Denis , qui eſt préſenté au public.
A Paris , chez l'auteur , rue Saint-
Honoré , demeurant chez M Diodet
marchand bijoutier , vis- à - vis l'Oratoire ;
& chez M. Garnier , baſſon de l'opéra ,
même rue , demeurant chez.M. Cader ,
apothicaire , & aux adreſſes ordinaires ;
prix , 7 liv . 4 fols .
Etrennes utiles & agréables.
Le Sieur Lattré , graveur ordinaire de
Monſeigneur le Dauphin , de Monfei
gneur le Duc d'Orléans , & de la Ville,
rue S. Jacques , vis-à-vis la rue de la
Parcheminerie , renouvelle au Public
l'annonce de fix beaux écrans de la partie
de chaffe d'Henry IV , deſſinés par
M. Gravelot , & exécutés par nos meilleurs
artiſtes ; fur le revers font les
extraits de la pièce ; prix 3 liv. pièce ,
prix ordinaire.
Comme il n'a fini cet ouvrage que
trop avant en ſaiſon , l'hiver dernier ,
beaucoup de perſonnes l'ont ignoré :
d'ailleurs la mémoire de ce grand Roi
,
NOVEMBRE. 1773. 167
eſt ſi chère à tous les François , que le
Sieur Lattré croit plaire à la nation , en
lui rappelant le ſouvenir de ce Prince.
Ces fix morceaux ſont auſſi ſous verres,
en bordures dorées , montées comine des
deſſins. Les fix • 27 1.
On les a auſſi tous réunis dans un
ornement fait exprès , par M. Choffard,
avec une bordure dorée. 21 1. •
Six beaux écrans de ſujets Chinois ,
& fix de ſujets François , deſſinés par
F. Boucher , & très proprement graves ,
à 40 f. pièce , & à 1 liv. 10 f.
Pluſieurs fuites ſur des ſujets hiſtoriques
& allégoriques , propres a inſtruire
en s'amusant, à 12 f. pièce .
Douze écrans géographiques & élémentaires
, avec la méthode ſur le revers,
à 1 liv. 4 f. pièce.
Six écrans fur l'Hiſtoire de France ,
avec l'abrégé hiſtorique ſur le revers ,
à 2 liv. 10 f. pièce.
Six écrans ornés des plus belles fables
de M. l'Abbé Aubert , avec la fable
fur le revers , à 2 liv. pièce .
Six écrans moraux , d'après le traité
du vrai mérite , très propres à inſpirer
l'amour du bien & l'horreur du vice ,
à 1 liv. 4 f. 1
168 MERCURE DE FRANCE.
1
D'autres en fleurs , payſages , &c. &c.
&c. à 12 f. pièce.
4
On donnera au quinze Décembre
prochain la dixième ſuite de l'iconologie
, par M. Cochin , ainſi que les
explications , au prix ordinaire. Le
goût du Public pour cet ouvrage ,
ayant encouragé le Sieur Lattré à le
continuer , il n'a rien à en dire. Il eſt
connu pour réunir l'utile & l'agréable.
Prix ordinaires .
Pluſieurs petits volumes d'étrennes géographiques
pour la poche, très-commodes
&généralement tout cequ'on peut deſirer
en géographie.
On trouve toujours chez lui l'atlas
moderne ſuivant la géographie moderne
de M. l'Abbé Nicole de la Croix.
Cours de Mathématiques & de Deffin.
Le Sieur Panferon tient actuellement
fon Bureau rue Boutbrie , près Saint
Severin , maiſon de M. Wyl peintre en
portrait , où il enſeigne le deſſin & les
mathématiques . Il démontre les principes
de l'architecture d'après de bou's deffins
originaux & des modèles en bois correctement
exécutés : ce qui facilite fingulièrement
1
NOVEMBRE. 1773. 169
gulièrement l'intelligence des ombres &
des reflets; il prend 12 liv. par mois
en hiver , & dans les autres mois de
l'année , to liv .
Ceux qui deſireront apprendre l'arithmétique
, la géométrie & le deſſin , tous
les foirs pendant l'hiver depuis huit
heures juſqu'à dix heures , ne payeront
que 2 liv. par mois.
Le Sieur Panferon fera des arrangemens
convenables avec les perſonnes qui
voudront avoir des leçons particulières .
Son Bureau ſera ouvert les Fêtes &
les Dimanches depuis huit heures du
matin juſqu'à cinq heures du foir , pour
les ouvriers en bâtiment qui voudront
apprendreles ſciences & arts ci-deſſusindiqués
; ils ne payeront que 2 liv. par mois.
Ondonnera dans le même Bureau des
leçons ſur le trait, pour la coupe des pierres&
pour la menuiſerie.
Tous les Dimanches on fera gratuitement
des leçons de mathématique & d'architecture:
la leçon de mathématique com.
mencera à neuf heures du matin , &
finira à dix heures. Celle d'architecture
àdix heures trois quart , & finira à
onze heures trois quart.
Ces cours commenceront le premier
Dimanche après la Saint Martin.
H
I
170 MERCURE DE FRANCE.
Pian d'Education Nationale & Militaire.
DEPUIS plus de trente années , le Sieur
२
Bruneteau n'aceſſé de conſacrer ſes ſoins
& fon zèle à l'Education de la jeune Nobleffe.
Après pluſieurs éducations particulières
, il s'eſt mis à la tête d'une maiſon ,
qu'il dirige depuis environ quatorze ans
&dans laquelle il a élevé & continue d'élever
un petitnombre d'enfans de la première
condition. On ne peut douter qu'a
près un ſi long exercice , il n'ait acquis
l'art aufli important que difficile , de former
le coeur & l'eſprit des jeunesgens , &
de donnerà la jeune Nobleſſe des principes
qui ne peuvent convenir qu'à cette
claſſede citoyens .
En faiſant une étude profonde de fon
état,le Sr Bruneteau s'eſt appliqué à découvrir
les inconvéniens qui réſultent de la
forme d'éducation rreecçue ,&ſa longue expérience
lui a appris qu'il eſt poſſible d'y
remédier , du moins en grande partiet
Pour démontrer les avantages qu'un
inſtituteur zélé peut ttiirrerde ſes peines&
foins , le Sr Bruneteau a cru devoir faire
NOVEMBRE. 1773. 171
part au Public de ſon plan , deſtiné ſingulièrement
à la jeune Nobleſſe ; il y a même
ajouté quelques réflexions ſur l'éducation.
Il eſpère que l'idée ſuccincte qu'il
donne de ſes principes fera voir , par le
détail des objets qu'il embraſſe , le fruit
qu'on en doit attendre.
Ceplan eſt diviſé en trois âges , &
chaque âge en différentes claffes. Les enfans
, depuis l'âge de cinq à fix ans juſqu'à
huit , forment la première diviſion , ceux
de huit à douze forment la feconde , &
ceux de douze à ſeize compoſent la troifième.
Les enfans du premier âge apprennent
les prières , le Catéchiſme à la lettre , à
lire , à écrire , l'orthographe, les premiers
élémens des langues latine , françoiſe&
allemande. Pendant ces premières années,
on les exerce fur beaucoup de mots latins
&allemands , pour lesdiſpoſer àces deux
langues.
On donne aux enfans du ſecond âge la
continuation des inſtructions ſur la Religion
, & de l'étude élémentaire des langues
, en faiſant uſage principalement de
la traduction; les premiers élémensd'hiftoire
, de géographie , de calcul , de géométrie
; le deſſin , à douze ans .
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
Les jeunes gens du troiſième âge ſuivent
des cours d'hiſtoire , de géographie ,
de calcul & de géométrie , de fortification
, & de littérature françoiſe.
Il y a quatre exercices publics par an ;
Tepremier fur les langues latine , françoi .
ſe & Allemande ; le ſecond ſur l'hiſtoire
& la géographie , le troiſième ſur lagéométrie&
la fortification; &le quatrième
fur les armes , le maniement du fufil , les
évolutions militaires & la danſe . On fais
enfuite ladiſtribution des prix .
L'étude de l'hiſtoire de la Nature &
des Arts paroiſſant tout à-fait propre à
donner de l'élévation à l'ame, on tâche
d'en faire naître le goût aux enfans. M.
de Buffon , informé des vues du Sieur
Bruneteau , a bien voulu s'y prêter , &
lui a envoyé , il y a quelques années ,un
nombre conſidérable d'objets concernant
P'hiſtoire naturelle , dont il a forméun perit
cabinet très agréable & encore plus utile
, dans lequel ſe trouvent auſſi les principauxſyſtemes
de fortification en relief&de
la plusbelle exécution.On n'a rien épargné
pour ſe procurer des inſtrumens de
phyſique&de mathématique. Il y a une
bibliothèque allez conſidérable & trèsbien
compofée , où les Elèves vont paſſer
quelques heures les jours de congé.
NOVEMBRE. 1773. 173
La nourriture ne ſçauroit être trop ſaine.
On a de grandes attentions ſur la propreté
en général , principalement fur celle
du corps , qui contribue beaucoup à la
ſanté. Les Elèves ſont en uniforme.
Cen'eſt point ici un objet de ſimple
ſpéculation , dont le ſuccès pourroit-être
équivoque ; il y a plus de quatorze ans
que cet établiſſement ſe ſoutient , à la fatisfaction
des perfonnes reſpectables qui
ontdaigné honorer leSt Bruneteau de leur
confiance , & les exercices particuliers
qu'il fait faire à fes élèves à la première réquiſition
de MM. leurs parens, conſtatent
les progrès dans chacune des parties d'éducation
énoncées dans ce Profpectus.
Quant aux conditions le St Brunetean ſe
charge toujours d'entretenirles élèves qui
lui ſont confiés, &de leur donner les maîtres
pour toutes les parties énoncées dans
ceProfpectus, ſe reſervantde traiter pour
le prix , avec les Parens.
Le Sr Bruneteau , loin de quitter ſon
état ainſi que l'ont publié des gens mal intentionnés
, avertit le Public qu'il vientde
Jouer une maiſon dans un bon air , trèsagréable
& très - commode ; elle eſt ſituée
rue St Sebaſtien ; le Sr Bruneteau eſpère
donner au Public de nouvelles preuvesde
fon zèle.
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
こ
Avis de M. l'Abbé Jacquin , aux Archichitectes
, aux Entrepreneurs de bâtimens
& aux Propriétaires qui ſe propoſent
de faire bâtir , ſur la manière
de procurer aux appartemens l'air le
plus falubre .
CONSULTA pluſieurs fois depuis quelque tems ,
fur la falubrité de l'ait des appartemens , je
prends le parti de donner dans le Mercure de
France , de la manière la plus ſimple & la plus
claire qu'il me ſera poffible , quelques règles
eſſentielles , dont il ne faut pas s'écarter dans la
conſtruction ou la réparation des bâtimens , pour
pouvoir communiquer aux appartemens un air
nouveau & pur , fi néceſſaire à la ſanté.
C'eſt une vérité fondée fur une expérience invariable
, que l'air des appartemens devient mal
fain & contagieux , 1º. Lorſqu'il est trop longtems
fans mouvement ; 20. Lorſqu'il eſt émouflé
par unetrop grande chaleur; 3 °. Lorſqu'il eft chargede
vapeurs humides ou d'exhalaiſons putrides.
Il n'eſt pas moins conſtant que l'air le plus
mal fain s'élève continuellement au haut des appartemens
, où il établit ſon fiége , & d'où il répand
fes malignes influences .
,
D'après ces principes inconteſtables établis &
démontrés dans le ſecond chapitre de mon traité
de la Santé, il réſulte que pour procurer aux appartemens
un air ſain, il ſuffit de les ouvrir de
façon que l'on puifle aifément y renouveler cet
aliment fi effentiel pour entretenir le ſouffle de
notre vie. Pour y parvenir,
NOVEMBRE. 1773. 175
1. Il faut donner aux croisées la plus grande
élévation poſſible: pour cet effet on doit avoir
foin que les plates bandes ou ſommets du ceintre
des croiſées ne ſoient éloignés du plancher que
de l'épaiſſeur de la corniche , afin que l'air extérieur
puifle balayer facilement celui qui , s'éle
vant vers leplafond , y entretient un foyer de
corruption& de contagion. Telles ſont les croiſées
de l'hôtel de Madame la Comteffe de Mar
taintville , conſtruit , rue de l'Ofeille , fur les def
fins de M. Touvenot : les plate-bandes des croiſées
ne ſont deſcendues que d'environ 6 pouces
du plafond. Cet architecte a ſuivi la même méthode
pour l'ouverture des croifées de la grande
maiſon qu'il vient de bâtir , rue de la Monnoie,
pour MM. Sauvages...
A cette règle on doit néceſſairement joindre
celle de donner aux appartemens une élévation
convenable ; celle des falles à manger , des falons
de compagnie & des chambres à coucher ,
doit être de 12 a 15 pieds. Rien de plus mal fain
que les entreſols : le peu d'air qu'ils peuvent conteniry
perd promptement ſon teffort par l'action
de la reſpiration , & ſe trouve bientôt chargé de
corpufcules putrides exhalés par la voie de la
tranſpiration; ce qui forme un athmoſphère empeſté
, dans laquelle végètent avec peine ceux qui
ont le malheur d'habiter ces cages meſquines.
20. Dans les grands appartemens , commega-
Heries , falles à manger & ſalons de grands hôtels,
falles d'hôpitaux , &c. il faut avoir foin de
placer les croifčes vis-à-vis les unes des autres :
c'eſt le ſeul moyen d'y pouvoir entretenir plus
facilement &plus promptement cette libre circulation
del'air fi effentielle à la ſanté .
، 3. Quand on eſt obligé , par l'élévation &
Η iv
176 MERCURE DE FRANCE.
pour la décoration de certains grands appartemens
de parade, tels qu'il doit s'en trouver dans
les palais des Rois & des Princes , dans les bôsels-
de- ville , &c. de faire des vouſſures au-deſſus
des corniches , il ne faut pas manquer d'y pratiquer
des oeils-de-boeuf diſpoſés de façon à pouvoir
s'ouvrir & ſe fermer à volonté , afinde laiffer
de tems en tems un air nouveau propre à
chaſſer les vapeurs & les exhalaiſons malignes
qui s'y amaflent continuellement.
4°. Les dômes , ſi majestueux dans les vaſtes
édifices , ne ſeroient que des réceptacles de cor.
ruption , fi on oublioit d'en faire ouvrir le ſommet
pardes lucarnes habilement diſtribuées. Un
Architecte intelligent masquera agréablement
ces fortes d'ouvertures , & en tirera même parti
pour l'ornement.
5°. Il faut fupprimer totalement les chaſſis à
couliffes : comme ils ne peuvveenntt s'ouvrir que
dans la partie la plus baſſe , il eſt impoſſible que
l'air du dehors puifle chaffer , & par conféquent
purifier celui qui , chargé de vapeurs humides &
d'exhalaiſons putrides, s'eſt élleevvéé veerrss le plafond,
doù il répandra dans tout l'appartement ſes in
fluences malignes , en ſe mêlant avec l'air d'enbas
auffi-tôt qu'on aura fermé les fenêtres.
; Je fais que dans les maisons dont les murailles
àpans de bois ont peu d'épaiffeur , les chaſſis à
deux vantoux ſcroient incommodes, fur-tout dans
les petits cabinets & dans les petits boudoirs fi
multipliés de nos jours: où placer la toilette, la
chiffonniere & le ſopha de Madame ? Où loger
le petit ſecrétaire & la grande ottomane deMon
ſieur? Pour ne pas alarmer nos agréables de toutes
eſpèces , accordons leur des chaſſis à couliffes,
àcondition cependant qu'ils ne s'ouvriront pas
2
け
NOVEMBRE. 17730 177
)
de bas en haut, mais de côté & dans toute la
hauteur de la croiſée: pour cet effet on polera au
haut& au bas de la croiſée une tringle de deux
rainures ,dans leſquelles les chaſſis pourront ſe
croifer l'un fur l'autre , & laiſſer , quand on le
jugera à propos , paſſer l'air du dehors par la
moitié de la croisée , & dans toute ſa hauteur.
Bien entendu ſans doute que l'on bornera cette
nouvelle invention , que l'envie d'être plus généralement
utile vient de me faire imaginer , aux
feules petites pièces , comme petits cabinets , petits
boudoirs , petites garde-robes , &c.
6°. Il faut mettre aux croisées des chaſſis à
deux vantoux , même dans les maiſons dont les
murailles font à pans de bois , fur-tout à celles
des grands appartemens , commes falles à manger
, ſalons de compagnie & chambres à coucher.
Si l'on ſe trouve forcé, par la hauteur confidérable
des croiſées , de mettre des impoſtes audeſſus
des chafſis à vantoux , il faut avoir foir
qu'on puiſſe les ouvrir à volonté : parce moyen
on jouira de l'avantage infiniment précieux de
pouvoir renouveler promptement & facilement
l'air de ces fortes d'appartemens , même en kiver ,
-fans être incommode ſenſiblement par un trop
grand froid; car en n'ouvrant feulement que les
impoſtes une ou deux fois le jour, on balayera en
cinq à fix minutes , ſur tout dans les appartemens
dont les croisées ſe trouvent vis - à- vis les unes
des autres, l'air corrompu & malfaiſant élevé vers
le plafond , fans , pour ainfi dire, que l'aſſemblée
s'en apperçoive.
Voilà les règles les plus eſſentielles à fuivre
dans la conſtruction des croiſées & des chaſſis ,
pour procurer aux appartemens un air nouveaw
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
& falubre. J'invite les artiſtes & les propriétaftes
de maiſons à bâtir , à me propoſer leurs difficultés
: ils me trouveront toujours diſpoſé à leur
communiquer mes foibles obſervations ſur
tout ce qui peut intéreſler la ſanté , ce bien fi précieux
, & en même tems ſi fragile.
AVIS du même ſur la conſtruction des
nouveaux bâtimens de l'Hôtel-Dieu de
Paris.
L'Abbé Jacquin prie MM. les Adminiſtrateurs
de l'Hôtel-Dieu de Paris , & fur -tout l'Architecte
dont ils feront choix , de vouloir bien , avant
d'arrêter leur plan , conſulter la méthode qu'il
indique , page 80 & ſuivantes de la quatrième
édition de ſon traité de la Santé, pour la conftruction
des ſalles des hôpitaux , afin de pouvoir
en renouveler facilement & promptement l'air. Si
ces Meſſieurs croient pouvoir tirer quelqu'utilité
de ſes foibles connoiſſances , il les leur communiquera
avec ce plaifir que tout citoyen goûte en
concourant au foulagement de l'humanité ſouffrante.
RÉPONSE de M. le Comte de Schowalow,
Chambellan de l'Impératrice de Ruffie ,
aux vers de M. de la Harpe , inférés
dans le Mercure d'Août .
TOUJOURS l'aimable Modeſtic
Fut la compagne des Talens;
i
NOVEMBRE. 1773. 179
Plus votre Muſe s'humilie ,
Plus à travers la courtoiſie
On remarque ſes agrémens .
De votre lyre enchantereſſe
Peut- on ne pas chérir les ſons ?
Favori du Dieu du Permeſle ,
Vous étalez votre richeſle
En préludant ſur tous les tons ;
Et j'ai vu ſur votre jeuneſle
LaGloire étendre ſes rayons.
Né ſous un aftre favorable ,
Rempliflez vos brillans deſtins ,
Vengez la Raiſon qu'on accable ,
Prêchez d'exemple aux Ecrivains ;
QueMelpomene vous ſoit chère ,
Paſſez du Portique à Cythère ,
Variez vos heureux travaux ;
On admire les grands poëtes ,
On admire les chanſonnettes
Du vieillard badin de Téos.
L'eſprit s'élève & ſe ranime
Par des chants mâles & nerveux ,
Il ſe délafle du ſublime :
Par quelques riens ingénieux.
Soyez ſemblable à votre maître : *
Tour-à-tour on le voit paraître
Tendre , impoſant & gracieux .
* M. de Voltaire.
Hvi
180 MERCURE DE FRANCE.
C
Hélas ! un excellent artiſte
Eft bien préférable à ces Grands
Dont un Roi peut groſſir la liſte ,
Sans ajouter à leurs talens .
On ne faurait faire un Virgile ,
Mais rien ne paraît plus facile
Que de créer cent chambellans.
Sans doute aux bords de l'Hipocrène
Je voudrais paſſer mes beaux jours ;
Je voudrais , un peu loin des Cours ,
Entrer dans l'immortelle arène
Où préfident ces chaſtes Soeurs
Ala voix flatteuſe & touchante,
Qui fur nos pas ſement des fleurs
Et dont un coup-d'oeil nous enchante.
Alors ſi le Dieu de Délos
Daignait fourire à mon Génie ,
Flus aſſuré de mes pinceaux ,
Je rendrais avec énergie
Une ſcène que dans Paphos
L'Amour à haute voix publie ;
Moment pour les Ruſſes ſi doux
Qu'ils ne parlent plus de conquêtes ,
Moment qui fait tourner nos têtes ,
Et nous défend d'être jaloux
De vos plaiſirs &de vos fêtes.
Et vous verriez que dans le Nord
( Qu'on taxe d'un peu de rudefle )
Le fentiment prend ſon eflor:
7
1
NOVEMBRE. 1773. 8
QueleGrandDuc & fa Princefle
Produiſent ces heureux tranſports,
Et font maître cette tendrefle
Et cet abandon de l'ivrefle
Et tous ces cris de l'alegreſſe
Qui retentiffent ſur vos bords.
Je ſerais au rang des poëtes ,
Vous aimeriez mon luth touchant ;
Enfin , vous auriez le pendant
Duportrait* charmant que vous faites.
VERS pour mettre au bas du portrait de
Madame C..... , parM.B.....
L'AMOUR la fit pour tout charmer ,
Et l'Hymen s'eſt emparé d'elle ;
Jaloux de ſa conquête , il a ſu l'enfiammer.
Gémis , Amour , d'une chaîne ſi belle;
Mais cefle de la réclamer.
LETTRE de Mr de Voltaire, fur la définition&
l'analogie du mot Idiotiſme, à
M. le Jeune de la Croix.
AFerney , 1773-
Un vieux malade de quatre - vingts ans a retrouvé
dans ſes papiers une lettre du 12 Mai ,
Le portraitde Madame la Dauphine.
182 MERCURE DE FRANCE .
dont M. le Jeune de la Croix l'a honoré. Il y
parledu mot Idiotisme. Puiſqu'Idiot ſignifiait autrefois
Solitaire , le Vieillard avoue qu'il eſt un
grand Idiot , & comme les organes de l'ame s'affaibliſſent
avec ceux du corps , il avoue encore
qu'il eſt Idiot dans le ſens qu'on attache aujourd'hui
à ce terme. Il penſe qu'Idiotisme eſt l'état
d'un Idiot comme le Pédantiſme eſt l'état d'un
Pédant , le Janſéniſme l'état d'un Janſéniſte , le
Fanatiſme celui d'un Fanatique ; comme le Puriſme
eſt le défaut d'un Puriſte; comme le Népotiſme
étoit autrefois l'habitude des Neveux de
gouverner Rome ; comme le Neutonianiſme eſt
la vérité qui a écrasé les fables du Cartéſianiſme.
Le Vieillard n'a pas le fatuiſme d'avoir raiſon :
il s'en faut beaucoup ; mais, comme il a embrallé
depuis long-tems le tolérantiſme , il eſpère qu'en
faveur de l'analogiſme , M. de la Croix voudra
bien , malgré ſon atticiſme,permettre à un homme
qui eſt depuis vingt ans en Suifle un ſoléciſme
ou un barbariſme.
L
Multa renascentur quæ jam cecidere , cadentque
Quæ nunc funt in honore vocabula , ſi volet ufus ,
Quem penes arbitrium est, & jus & norma loquendi.
Comme eſtime eſt ce qui eſt dû à un homme
eſtimable , le Vieillard aſſure M. D. L. C. de fa
reſpectueuſe eſtime.
PROJET UTILE. Voeu d'un Citoyen.
La grande Galerie du Louvre n'eſt
occupée que par le dépôt des plans en
NOVEMBRE. 1773 . 183
ےی
relief de toutes les Villes Frontières du
,
Royaume. Il ſe paſſe quelquefois des
années entières ſans que les Princes ou
quelques Ambaſſadeurs jouiſſent d'un
ſpectacle réſervé pour eux ſeuls , & qui
devient inutile au reſte de la nation.
La vraie place de ce dépôt ſeroit l'Ecole
Militaire , où il ſerviroit à l'inftruction
des jeunes élèves , qui , ſans
fortir de l'enceinte de cet. Hôtel
pourroient ſe tranſporter, pour ainſi dire,
dans toutes les Places fortifiées qu'ils ſeront
peut être un jour dans le cas de
défendre ; & l'examen qu'ils en feroient
ſous les yeux de leurs inſtituteurs leur
feroit autant , & peut être plus utile
qu'un voyage réel à ces mêmes Places ,
qui ne pourroient être que très diſpendieux.
L'uſage & l'inſpection journalière
qu'on feroit de ces mêmes plans , mettroit
auſſi beaucoup plus à portée de
veiller à leur reſtauration & à l'entretien
qu'ils exigent.
D'un autre côté , cette vaſte galerie ,
débarraffée de cet atirail immenfe , &
qui n'eſt preſque d'aucun uſage , pourroit
être ornée , tant des tableaux du
Roi , & des chef-d'oeuvres de peinture
des plus grands maîtres , qui font ren
184 MERCURE DE FRANCE .
fermés dans des magaſins peu fréquen
tés , que des ſtatues entaſſées pêle-mêle
dans la ſalle humide & obfcure , dite
falle des antiques : tréſor enfoui , & de
la vue duquel le Public eſt privé. Quanrité
de meubles précieux oubliés dans
les gardes meubles du Roi, vaſes d'albâtre
, de jaſpe , de porphire , tables de
marbres rares & de pierres dures de
rapport , guéridons , candelabres, torchères
, cabinets , & autres ouvrages de
l'art enrichis de ſculpture & de dorure ,
ferviroient également de décoration à
ceste galerie , & à la meubler ſuperbement.
Elle deviendroit le rendezvous
des connoiffeurs , des amateurs ,
& des curieux; il y auroit place pour
les ſtatues & les buſtes des Rois , Princes
, Généraux , & autres grands hommes
de la nation , auxquels le Roi décerneroit
cet honneur. Cette galerie
pourroit être nommée la galerie des
arts. Son étendue la rendroit également
propre à une promenade : ce feroit les
Tuileries d'hyver. Les artiſtes , les antiquaires
, les étrangers , les citoyens
de tous les ordres s'y rendroient en
foule , fur- tout dans la ſaiſon où les
autres promenades ne font pas acceffi
NOVEMBRE. 1773. 185
bles. Quelques embraſures de croiſées
fourniroient une eſpace ſuffiſant pour
y préparer du thẻ , du café , du chocolat ,
des rafraîchiſſemens , & pour placer des
poëles , des tables où l'on pourroit lire
les gazettes , les papiers publics , les
journaux , où l'on trouveroit des trictracs
& des échiquiers qui offriroient un
amuſement honnête aux gens oiſifs ;
le tout sous les yeux de la Police.
Il n'y a rien de ſemblable en Europe ,
& il feroit difficile aux autres Souve
rains d'imiter un pareil exemple.
La dépenſe néceſſaire pour tranſporter
les plans , & les placer convenablement
à l'Ecole Militaire , eft ce ſemble
le plus grand , & peut être le ſeul obf.
tacle à l'exécution de ce projet. Cette
difficulté ſeroit bien-tot levée ſi ſur le
prix de la démolition projetée des Palais
inhabités , & de la vente des maiſons
appartenant à Sa Majeſté , on prélevoit
la ſomme néceſfaire pour la conſtruc
tion d'une nouvelle galerie , qui feroir
certainement le plus bel ornement de
l'Ecole Militaire.
Ceprojet a été préſenté, & reçu favo
rablement.
186 MERCURE DE FRANCE .
USAGES ANCIENS.
Le Maire de Villeau.
T
:
VILLEAU eſt une terre de l'Abbaye de
Marmoutier , ſituée dans le Diocèſe de
Chartres . L'Abbé y tenoit le fiége de la
jaſtice; ſous lui il y avoit une Mairie fieffée
& héréditaire ; le Maire avoit le
droit de viſiter , de marquer , d'ajuster
& de meſurer les meſures à grains ,
celles des boiffons & les aunes des
marchands , à la foire de Villeau : il
prenoit la dixme pafcale fur les Particuliers
, une peinte de vin fur chaque
poinçon vendu dans le lieu ; il percevoit
les gands des ventes fur les héritages
de la cenfive de l'Abbé & des Religieux
de Marmoutier , à Villeau , à Biffeau
, &c. & ces derniers en avoient
les lods &-ventes .
: Quand on recevoir un Maire, il
prêtoit ferment devant le juge de Vil.
leau , qui lui donnoit le droit de requerir
les ſujets de M. l'Abbé , & de
faire les exploits de fon office. Un certain
Jamet Bourdon ayant vendu cette
NOVEMBRE. 1773. 187
1
Mairie à un Giles Mauclerc , écuyer du
Sr de la Barie , il fut inſtalé le onze
Décembre 1494 , & ce qu'il y a de
figulier , c'eſt que ce nouveau dignitaire
donna en bail de ferme au Chapelain
de la Cure , les droits de la Mairie , dans
l'Egliſe de Villeau , conſiſtant dans la
faculté de prendre douze deniers fur
les offrandes des Fêtes de la Touſſaint ,
de Noël , de Pâque , de la Pentecôte ,
& de la Nativité de S Jean- Baptiste ,
enſemble,un dîner leſdits jours , payé
par Meſſieurs de Marmoutier & le Curé
primitif , avec les honneurs , profits &
revenus en dépendans , moyennant dix
livres tournois , & une paire de chapons.
Les Maires de Villages , dit Loiſeau,
enpluſieurs pays , notamment en Beauce,
font tenus à certains jours de porter la
verge , & fervir de bedeaux & d'appariteurs
aux Proceſſions des Eglifes dont
ils relèvent ordinairement , & non pas
des ſeigneurs temporels .
Ils ont pluſieurs menus droits en leur
village , comme de mener les mariés au
Moutier , & à cauſe de ce , ont un
droit , qui eſt un plat du feſtin des
noces , la première pinte de vin qui ſe
(
188 MERCURE DE FRANCE.
débite au Village , un jambon de
chaque porc qui s'y tue , & pluſieurs
autres menues coutumes , que les gens
de bien qui ont ces mairies ont à bon
droit laiffe abolir. Des off. hered. L. z.
Ch. 2.
LETTRE de M. l'Abbé Jacquin à
M. Lacombe.
ACTES DE BIENFAISANCE.
I.
M. vous faites un trop bon uſage
dans votre journal des traits de bienfaiſance
que l'on vous communique ,
pour ne pas m'empreſſer de vous en
envoyer un bien précieux à la Nation
Françoiſe , & digne de l'admiration de
toutes celles qui connoiſſent les refpectables
ſentimens de l'humanité.
Madame la Dauphine ſe promenant
hier , après ſon dîner , un peu au de- là
de la croix de Souvré, où étoit le rendezvous
de la chaſſe , entendit dans une
vigne , près du village d'Achère , ſitué
àdeux lieues de Fontainebleau , les cris
perçans d'une femmme & d'un petit
NOVEMBRE. 1773. 189
,
garçon qui ſe déſeſpéroient : auſſi - tor
cette Princeſſe fait arrêter ſa voiture ,
faute franchit la vigne , & vole au
ſecours de la femme à qui la douleur
avoit fait perdre la connoiſſance : elle
lui fait reſpirer des eaux ſpiritueuſes ; & ,
la voyant revenir à elle - même , elle
implore pour la conſoler tout ce que
le ſentiment peut inſpirer à une ame
tendre : elle lui prend les mains & la
careſſe , mêlant ſes pleurs avec celles de
cette infortunée. Elle apprend qu'un
cerf forcé par les chiens avoit ſauté
par deſſus la muraille d'un petit jardin ,
où travailloit ſon mari ; qu'il lui avoit
enfoncé ſon bois dans le bas ventre ,
& que ce malheureux venoit d'expirer.
Ace récit cruel , Madame la Dauphine
tui donna tout ce qu'elle avoit dans
ſa bourſe , & redoubla les tendres expreſſions
de ſa ſenſibilité. Monſeigneur
le Dauphin , Monſeigneur le Comte &
Madame la Comteſle de Provence arrivent
, & , pénétrés des mêmes fentimens
, répandent leur bourſe dans le
ſeinde cette infortunée. Alors Madame
la Dauphine faiſant approcher ſon carroſſe
y fit monter la mere , ſon fils ,
deux femmes qui ſe trouvoient préfentes,
190 MERCURE DE FRANCE.
& le nommé d'Arras , valet-de-pied ,
avec ordre de reconduire cette pauvre
femme chez elle , & de venir lui rendre
compte de l'état du mari , qui reſpiroit
encore , ſuivant le rapport qui venoit
d'en être fait à la Princeſſe . Pendant
que Madame la Dauphine attendoit ,
en fondant en larmes , cette réponſe , le
Roi paroît : partageant la douleur de
fon Auguſte Famille , il s'écrie : quel
malheur ! Comment rendre à cette femme
Son mari , & à cet enfant fon père ?
Ah! Papa , reprend la Princeſſe , en
les tirant de la misère nous pouvons
du moins diminuer la cruauté de leur
fort.
,
Je n'accompagnerai d'aucune réflexion
ce récit fimple & fidèle: que pourroient-
elles ajouter à une ſcene auſſi
attendriſſante ? Je vous dirai ſeulement
que le pauvre malheureux n'eſt pas
mort ; que les Chirurgiens ont quelqu'eſpérance
de lui ſauver la vie , &
que Sa Majesté a envoyé ce matin dire
à la femme qu'elle ne ſoit point inquiète
de ſon fort , parce qu'Elle aura
ſoin d'elle , & de ſa famille,
Je ſuis , Monfieur , &c,
4
:
NOVEMBRE. 17730 19
:
Lettre de M. Meſſance , Receveur des
Tailles à S. E. en F. à M. L*** ....
MONSIEUR ,
;
:
La publicité des traits de bienfaifance
, eſt peutêtre le moyen le plus certain
de les multiplier. Sous ce point de
vue , taire ceux que l'on connoît , c'eſt
faire un vol à l'humanité ; & , pour ne
pas mmee rendre coupable de ce crime ,
je vais vous faire part d'une anecdote
qui l'intéreſſe , & qui peut trouver place
parmi les traits de bienfaiſance. Vous y
verrez , d'un côté , un homme aſſez fou
pour croire qu'il ſera agréable à l'Etre
fuprême , en rompant , dans la force
de l'âge , les liens du ſang & de la ſociété
, pour embraſſer un genre de vie
où l'on ne peut être utile à perſonne ,
& où l'on eſt à charge à tout le monde ;
de l'autre , une pauvre femme bienfaiſante
accorder l'hoſpitalité à cet homme
, faire naître en lui le ſentiment de
la reconnoiſſance , & par-là le rappeler
à lui-même , & le faire ſouvenir ,
après de longues années , qu'il a une
famille & de la fortune . O vertu ! que
ta puiſſance eſt grande ? Tu te montres ;
192 MERCURE DE FRANCE.
le faux zèle fuit , & il avoit réſiſté à
tous les maux qui ſuivent l'extrême misère.
Voici le fait.
Un homme riche & d'une famille
noble de Franche-Comté , à l'âge de
30 ans , fit le voeu indiſcret de mendier
toute la vie , & il l'a exécuté pen.
dant 40 années. Sa courſe vagabonde le
conduiſit dans la ville de S. Etienne-en-
Forêt. Là , accablé de misère , de vermine
& d'ulcères , il ſe préſenta à la
porte de l'Hôtel- Dieu ; mais il étoit
étranger & n'avoit pas la fièvre ; deux
motifs d'excluſion. Dans cet état , il fut
accueilli par un compagnon d'infor.
tune , qui lui dit : ami , ne vous chagrinezpas
; je vais vous mener dans un
lieu où vous trouverez de la charité , &
il le conduifit chez la veuve Berthon ,
tuillière de profeſſion. Cette femme
bienfaiſante le nettoya , panſa ſes plaies ,
&le mit dans un lit propre. Tous les
jours que cet homme a paflés chez elle ,
elle lui prodigua les mêmes ſoins. L'ame
de ce vieillard en fut pénétrée ; &, dans
un de ces momens où le coeur s'ouvre
&ſe dilate , il lui dit : ma chère Bershon
, vous nesavez pas à qui vousfaites
l'aumône ; vous venez de me réveiller d'un
long
NOVEMBRE. 1773. 193
long sommeil , procurez-moi quelqu'un à
qui je puiſſe dicter une lettre. La famille
s'adreſſa au gardien des Capucins , pour
s'affurer ſi l'homme en queſtion étoit
bien celui qu'elle avoit cherché inutilement
pendant tant d'années. Sa Révérence
fit à merveille la commiſſion ; l'homme
fut reconnu. Deux jours après , monté
fur un ane , & accompagné de ſa chère
Berthon , il fut faire une viſite au Capucin.
Ce Père crut devoir lui obſerver
qu'ayant mangé le pain des vrais pauvres
, il étoit , en confcience , oblige à de
grandes aumônes. Il convint du fait , mais
il ajoûta :je ne m'attendois point , mon
Révérend Père , à vous voir blamer un
voeu que vous avez fait vous même. Peu
de tems après il arriva des domeſtiques ,
de l'argent & des chevaux. On offrit à
la Berthon une ſomme allez confidérable
; elle la refuſa , en difant : Monfieur,
fi j'ai été affez heureuse pour vous être
utile, ne détruisez pas ma fatisfaction en
me payani ; mes bras me fuffisent pour
vivre : c'est d'en haut que j'attends ma
récompense. Le bon homme partit de la
maiſon de ſa chère Berthon , pénétré de
reconnoillance & de reſpect pour cette
femme bienfaiſante .
1
1
194 MERCURE DE FRANCE.
ANECDOTES.
I.
Au paſſage du Rhin, le maréchal de
Vivonne * montoit un cheval blanc
qu'il appeloit Jean. Ce cheval paſſa des
premiers ; & , comme le fleuve étoit un
peu rapide , le maréchal adreſſa ces paroles
à ſon cheval : « Jean Leblanc , ne
> ſouffre pas qu'un général des galères
>> foit noyé dans l'eau douce » .
ΙΙ.
A Meſſine , où commandoit le maréchal
de Vivonne , un officier vint le
réveiller pour lui dire quelque choſe ,
&commença ainſi : « Monſeigneur , je
» vous demande pardon ſi je viens vous
» réveiller ; & moi , lui repartit le maréchal
en ſe tournant du côté de la
ruelle , je vous demande pardon ſi je
» me rendors » .
"
III.
Le jour qu'on mena la Reine Anne
de Boulen dans la tour de Londres ,
* On rétablit ici cette anecdote comme elle
doit être.
NOVEMBRE. 17736 19
pour y avoir la tête tranchée , elle appela
un des gentilshommes de la chambre
,& lui tint ce langage : " Recomman-
» dez moi au Roi , & dites- lui qu'il s'eſt
>> montré grandement conſtant en l'a-
>> vancement de ma fortune , où il a pro-
> cédé par degrés ; car de ſimple demoi-
>> ſelle il m'a fait marquiſe , & de mar-
» quife , Reine ; de manière que main-
>> tenant , qu'il n'y a point de qualité plus
» éminente au monde que cette dernière ,
>> il veut que je fois martyre ».
A Son Alteſſe Séréniſſime Monseigneur
le Duc DE VALOIS.
MONSEIGNEUR ,
Je ne crois pas que perſonne ait encore
imaginé d'adreſſer directement à
un prince qui vient de naître , des voeux
pour ſa proſpérité. Comment pourrais-je
m'en diſpenſer , moi qui n'attendais que
le moment , Monſeigneur , de votre illuſtre
naiſſance , pour faire éclater ma joie
fur cet heureux événement , dont je ne
doutais pas , le regardant comme une
répompenſe qui étoit due à fon Atefle
I ij
I196 MERCURE DE FRANCE .
Sérénißime Madame votre mère , de tout
ce qu'elle a fait & fait tous les jours pour
le ſoulagement des malheureux ? Je n'ai
eu , Monſeigneur , qu'une occaſion de
faire ma très-humble révérence , en préſentant
une garde de cinquante canonniers
que je commandois , à cette illuſtre &
digne princeſſe , lorſqu'elle a paru à
Dieppe , où tout ce qui y reſpiroit a
été enchanté de la voir , & trop tôt privé
d'un tel bonheur : ce qui me ſemble n'être
pas ſuffifant pour que j'oſe prendre
la liberté de lui adreſſer , à elle-même ,
la fatisfaction que m'a procuré la nouvelle
de ſon heureux accouchement. Si
j'avois eu l'honneur d'en être plus connu ,
j'oſe aſlurer que j'aurois fait tous les efforts
imaginables , pour que l'on eût pu
démêler ma voix dans les cris de joie
que le Public a dû faire entendre , fur
un événement auſſi intéreſſant pour la
France.
Ceci part d'un coeur pénétré du plus
profond reſpect pour votre Alteſſe Séréniſſime,
Monseigneur,&pour vos illuftres
père & mère ; ſentimens que je conferverai
juſqu'à mon dernier ſoupir.
: ParM. Clerval de Paſſy , lieut. colonel
attaché à l'Hôtel royal des Invalides,
NOVEMBRE. 1773. 197
AMonseigneur le Duc de Valois , âgé de
troissemaines , Souſcripteur du Mercure
de France , ce 27 Octobre 1773 .
ILLUSTRE Enfant , oüi ta naiſlance
Annonce la faveur des Dieux :
Du couple dont tu fis les voeux ,
Elle vient combler l'eſpérance.
Quelle plus noble jouiſlance ,
Epoux ſi digne d'être heureux,
D'unir ce rameau précieux
Aux Lys , à cette tige immenſe
Que l'on voit, du ſein de la France ,
Féconde en rejetons divers ,
S'étendre avec magnificence
Sur les trênes de l'Univers !
Les Graces de fleurs couronnées ,
Jeune Valois , Aftre naiſſant ,
Près de ton berceau , folâtrant ,
Tiennent le fil de tes années ;
Er t'aſſurent le cours brillant
Des plus heureuſes deſtinées.
Minerve , Mercure & les Arts ,
Les Dieux du Goût & du Génie ,
Les Talens , la douce Harmonic
Viennent s'offrir à tes regards.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Ils te retraceront l'hiſtoire
Des demi- Dieux de ta Maiſon.
Ah ! combien les hauts faits , la gloire
Des Philippes & des Bourbon
Te feront chérir leur mémoire !
Tes ayeux , ton père , ton Roi ,
Ceshéros par leur bienfaiſance ,
Que de modèles devant toi !
Quelles leçons pour ton enfance !
Mais qui verſera dans ton coeur
Plus de vertus , plus de tendrefle ,
Plusde ſentimens , plus d'honneur
Que cette adorable Déefle
Aqui tu dois lejour , qui te doit le bonheur!
Lacombe , lib . , auteur du Mercure.
Cours d'Histoire naturelle & de Chimie.
M
BUCQUET , docteur régent de la Faculté
de Médecine de Paris , commencera
ce cours le lundi 8 Novembre à midi trèsprécis
, il continuera les lundi , mercredi
& vendredi de chaque ſemaine , à la même
heure , dans le laboratoire de M. de la
Planche , Me. apothicaire , rue de la Monnoie.
NOVEMBRE. 1773. 199
On touve chez Mde la Vs. Hériſſant ,
imprimeur du Cabinet du Roi,rue St Jacq.
près celle de la Parcheminerie , Introduction
à l'étude des Corps tirés du règne minéral
, & Introd. à l'étude des Corps naturels
tirés du règne végétal, ouvrages néceffaires
pour ſuivre ce cours .
Cours d'Anatomie.
M. Bucquer ,docteur , &c. commencerale
lundi 4Nov. à midi précis ; il con .
tinuera les mardi , jeudi & famedi de chaque
ſemaine , à la même heure , daus fon
amphithéâtre , rue Baſſe des Urſins , au
coindecelle deGlatigni , en la Ciré.
Les perſonnes qui voudront diféquer
pourront s'adreſſer à M. Regnault, à l'am
phithéâtre.
AVIS.
I.
Aux armes de Liège , quai de Conti enface
du Pont-neuf; l'entrée estpar la petite
rue de Nevers.
NOUVEAU magaſin & dépôt dechauſlures pour
hommes & bottes de cuir de Liége. On y trouvera
de ſouliers & eſcarpins en veau à trois liv.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
10 1.; les talons couverts , s ſols de plus; lesdoubles
coutures , 3 liv . 15 1. , talon couvert , ff. de
plus; les eſcarpins chèvre , 4 liv.; les fouliers
veau- ciré , 3 liv . 10 ſ. Ceux à deux ſemelles pour
les ouvriers & gens de travail , 4 liv. ; fouliers à
l'épreuve de l'eau , vrai cuir de Liège , sliv. 5 f.
ceux à couture angloiſe , pour la chaſſe & mauvais
tems , & à l'épreuve de l'eau , 6 liv . ff.; &
ceux cirés à l'angloiſe , 6 liv. 10 fols ; fouliers
bronzés gris & noir pour deuil & pour la campa.
gne , 4 liv. 10 f. chaque ; avec leurs eſcarpins en
chèvre , 7 liv. to f.; bamboches en maroquin ,
3 liv. ; ſabots gris fourés & non fourés , fabots
buf fourés & non fourés , bottes de cochers
, 12 liv.; botte collante , Is liv. ; à couture
angloiſe , 16 liv.; bottes à la Broglio cirées à l'angloiſe
, 18 liv .; bottes demi fortes ou d'officier ,
21 liv.; bottes angloiſes &demi-angloiles , 30&
36 liv. On y trouve auſſi des ſouliers pour les
jeunes gens depuis l'âge de fix ans & au- deflus ;
gands pour hommes de dain & vrais anglois ;
bourſes à cheveux ; fouets ordinaires & anglois ,
épron d'acier , épron couvert en argent , anglois,
&autres merceries. On y fournit les Troupes &
leş Armateurs. Véritables culottes angloiſes en
peau de dain de toute beauté.
I I.
Pommade qui guérit radicalement les Hémorrhoïdes
internes & externes en peu de jours, ſans
qu'il y ait rien à craindre du retour de cette maladie
ni accidens pour la vie, en les guériflant.
•Prouvé par nombre de certificats authentiques
que l'auteur a entre ſes mains , & par un nombre
infini de perſonnes dignes de foi de tout âge &
NOVEMBRE. 1773. 201
de tout ſexe , guéries radicalement depuis plufieurs
années , &c. par l'uſage qu'elles ont fait de
cette pommade, inventée&compoſée par le ſieur
C. Levallois, pour ſa propre guériſonà lui-même,
au mois de Mai 1763 .
Cette pommade fait ſon opération avec une
douceur& une diligence ſurprenantes , en ôtant
d'abord les douleurs dès ſes premières applications.
Elle eſt diviſée en deux ſortes , pour agir
enſemble de concert ; l'une eſt préparée en ſuppofitoires
pour être inanuée & amollir les Hémorrhoides
internes par une douce tranſpiration ;
l'autre eſt applicative ſur les externes pour fondre
&diffoudre avec la même douceur les grofſeurs
externes , & recevoir au- dehors la tranfpiration
qui ſe fait intérieurement.
L'on diftribue cette pommade avec approbation
& permiffion , chez l'auteur , vieille rue du
Temple, la porte cochère à côté du Parfumeur ,,
prèsla rue de la Perle ; ou, à ſon défaut , chez M.
de Loche , limonadier attenant.
Le prix des doubles boîtes , pour les hémorrhoïdes
anciennes , eft de 6 liv.
Et pour celles qui font nouvellement parues
les deux demi boîtes ſont de 3 liv.
Les perſonnes de province qui defirent ſe prosurer
de cette pommande , ſont priées d'affranzhu
leurs lettres .
ΙΙΙ.
Effence virginale.
Germain Catinée , marchand parfumeur
difſtilateur à Paris , ci - devant dans le Temple,
Lw
202 MERCURE DE FRANCE.
actuellement dans l'enclos du prieuré St Martindes-
Champs , à la gille du marché où eſt ſon
tableau , &dans le château de Versailles , au bas
de l'eſcalier des Princes , déja connu par ſon Effence
virginale , a porté cette compofition àun
degré ſupérieur. Les valetsde- chambres-barbiers
du Roi l'ont décidée préférable à tout ce qui eſt
connu à l'uſage de la barbe; ils l'ont nommée
Savonnette de la Cour. Non-ſeulement elleprocure
un tranchant doux aux raſoirs , ne ſéche
point comme font les eſſences de ſavon , mais
encore elle adoucit la peau.
Pour s'en ſervir utilement , verſez- en plein un
dez dans une cuillerée d'eau , trempez-y un pinceau
avec lequel vous ſavonnerez.
Il y a des bouteilles depuis I liv. 10 fols jufqu'à
6 liv. Il y aura auſſi des eſſais de 12 f. avec
leſquels on peut au moins favonner foixante barbes;
ſept à huit gouttes ſufiſent pour en faire
une.
I V.
Le fieur Rouflel coupe lesCors , les guérit avec
un peu d'onguent , & coupe les ongles des pieds.
Il a une pommade pour les hémorrhoïdes , les
foulage & les guérit.
Il aune autre pommade pour guérir les brûlure
, approuvée par M. le Doyen & Préſident de
la Commiſſion Royale de Médecine.
Pour guérir les cors .
On les coupe un peu, &onmetun emplâtre un
peu plus large que le mal , que l'on enveloppe avec
une bandelette , &, au bout de huit jours , on
NOVEMBRE. 1773. 203
peut lever cepremier appareil , & remettre un autre
emplâtre pour autant de tems.
Le prix des boîtes , à douze mouches , eſt de
3 liv.
Celui des boîtes à fix mouches , eſt de 1 1. 10 f.
Pour les Hémorrhoides.
Onprendgros comme une noiſette de la pommade
que l'on met ſur un petit linge , & que l'on
poſe ſur le mal , on ſe trouve foulagé & guéri en
peude tems.
Il ya des pots à 3 liv. & à 1 l . 4 f.
Pour la Brûlure .
On prend de la pommade dans une bouteille
avec une plume que l'on met ſur la bbrrûlure , &
une feuille de papier brouillard que l'on metdeſſus,
&une bande par deſlus .
Le prix des bouteilles eſt de 3 liv. & de 1 l. 4 (.
Le ſieur Rouflel , demeurant à Paris , rue Jeande
l'Epîne , chez l'Epicier en gros , la porte cochère
à côté du Taillandier , deuxième appartement
fur le derrière, près de la Giêve, donneencore
avis au Public qu'il débite, avec permiffion , des bagues
, dont la propriété eſt de guérir de la goutte.
On portoit autrefois cette bague au doigt annulaire
; la grande expérience a fait voir qu'on peut
la porter à la main droite , comme à la main gauche
; au petit doigt , comme au doigt annulaire ,
& que c'eſt du côté où l'on a le plus de mal , que
l'ondoit porter ladite bague: qu'elleguérit les perfonnes
qui ont la goutte aux mains & aux pieds ,
&en peude tems celles qui en font moyennement
attaquées.Quant à celles qui en font fort affli
gées, elles doivent la porter avant ou après l'at
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
taquede la goutte,& pour lors elle ne revient
plus. En la portant toujours au doigt , elle préſerved'apoplexie&
de paralyfie.
Le prix des bagues , montées en or , eſt de 3:6
liv. & celles enargent , de 24
Onle trouve tous les jours , excepté les fêtes &
Dimanches. On prie les perſonnes d'affranchir
leurs lettres..
NOUVELLES POLITIQUES.
De Constantinople , le 7 Septembre 1773 .
LESEs nouvelles de l'armée du Grand Vifir continuent
à être favorables. Ce général s'eſt avancé
vers le Danube , & nos troupes ſe maintiennent
toujours fur la rive gauche de ce fleuve ,
dans la Valachie ci devant Autrichienne . Les
détachemens Rufles qui étoient venus infultet
le poſte de Rokavah , ont été repouffés par
les troupes accourues au ſecours , & ont fait , à
sette occafion , une perte conſidérable..
De Vienne , le 6 Octobre 1773 .
On a embarqué 18 , coo fufils pour Peft. La
plus grande partie de ces armes eſt deſtinée pour
JaGalicie , où elles feront réparties aux différens
bataillons qui peuvent en avoir beſoin. Le reſte
fera déposé dans l'arcenal qu'on prépare à Léopol.
On doit auſſi établir inceflamment dans cette
ville une Commiſſion d'Economie ; ce ſont des
maiſons où l'on travaille à tous les objets qui
concernent: l'équipement des troupes. On n'y
{
NOVEMBRE. 1773. 205
emploie que des ſoldats tirés de divers régimens
& auxquels on accorde quelques kreutzers de
haute paie. Au moyen de cet arrangement , on
eft parvenu à habiller , à très peu de frais , l'armée
Autrichienne..
De: Warfovie,le 18 Septembre 1773 .
Quoique le bref d'extinction des Jéſuites no
foit pas encore promulgué , on prend cependant
des éclairciflemens ſur les biens qu'ils poſsèdent
dans le royaume. On les évalue à quatre - vinge
millions de florins. Le collége ſeul qu'ils ont à
Poſnanie , jouit de 120 , oco écus de revenu. La
diſpoſition de ces richeſles occafionnera peut- être
de nouveaux démêlés ; car pluſieurs familles qui
ont fait des fondations en faveur de ces Religieux,
veulent les revendiquer. On voudroit ,
d'un autre côté , employer ces biens aux beſoins.
de l'Etat ; mais le Bref du Pape fixe leur deſtination
à des établiſſemens pieux , & l'on ne fait fi
la République s'arrogera le droit d'en diſpoſere
comme elle le jugera à propos.
Les Diffidens ont publié un manifeſte , dans lequel
ils accuſent les Confédérés de Bar d'être la
cauſede leur malheur. Des abus qui pourroient
réſulter du port-d'armes dans ces temps de troubles
, ont engagé le Grand Maréchal à citer toutes
les perſonnes qui portent l'épée , pour déclarer
àquel titre ils uſent de ce droit. Cette recherche
a produit un bon effet. On ne voit plus tant
d'hommes armés dans les rues .
De Dantrick , le 28 Septembre 1773 .
On écrit de Dantzick que le Magiſtrat a remis
au Comte Golowkin une réponſe fort détailléeà
206 MERCURE DE FRANCE.
l'Ultimatum du ſieur Reichard , Commiſſaire de
Sa Majefté Prufſicane. Dans cet acte , la Ville
peruſte purement & fimplement dans les anciennes
offres qu'elle avoit faites de racheter , par
une ſomme d'argent une fois payée , les prétentions
que le Roi de Prufle a formées ſur le Port ,
&de renouveler , s'il étoit néceflaite , le bail
emphytéorique des terreins contigus au canal &
qui appartiennent à l'Abbaye d'Oliva , ſous la
Louveraineté de Sa Majesté Pruffienne .
Des lettres de Kiovie , du 6 de ce mois , portent
qu'on fait de grands préparatifs de défenſe
dans ce gouvernement & dans celui de Beigorod;
qu'on a envoyé des troupes fur le Bog ,dans les
lignes de la Nouvelle Servie, & que le régimentde
gorod , qui étoit en garaiſon à Krementschak ,
fur le Dnieper , a reçu ordre de détacher cinq cens
hommes pour occuper des lignes conftruites en
Lavant de cette place. On ajoute qu'on voit défiler
de l'intérieur de la Ruffie des troupes vers Baturin
, ancienne capitale de l'Ukraine Rufle , &
qu'elles doivent y attendre les ordres ultérieurs .
Ily a des perſonnes qui prétendent que ces arrangemens
font relatifs aux nouvelles arrivées de la
Crimée.
De la Haye, le 5 Septembre 1773 .
La Société établie à Fleſſingue en Zélande , propoſe
pour le prix qu'elle doit diftribuer , une
question auffi utile qu'intéreſſante , favoir ; Dans
quellefource peut- on puifer pour compléter l'Hiftoirede
la Patrie , les parties de celle du Pays-
Bas en général & de la Zélande en particulier ,
qu'on n'a point encore traitées ? & quelles font
ces parties qui auroient échappé au zèle & aux
recherches des Sçavans ?
NOVEMBRE. 17736 207
Le ſieur Redelykheid a obtenu des Etats de
Hollande une récompente conſidérable pour avoir
inventé une machine ſervant à décombrer les rivières
& les canaux qui ſont les routes les plus
intéreſſantes pour un pays devenu , par la fituation
& par ſa conſtitution , l'entrepôt général du
commerce de toutes les Nations .
De Rome , le 30 Septembre 1773 .
Le ſieur Jean Bianchi , médecin ſecret honoraire
du Pape , a fait préſent à Sa Sainteté de deux
médailles conſulaires d'or , qui paflent pour être
aflez rares. L'une repréſente la tête de Brutus
dans une couronne de laurier avec cette légende :
Brutus Imp . On voit ſur le revers le trophée
d'une victoire navale , & ces mots : Cafca longus.
L'autre offre la figure de la Victoire aîlée , & cette
légende: C. Numonius Vaala ; au revers , on voit
un foldat armé d'un bouclier & d'une lance , &
dans l'action d'attaquer des retranchemens.
De Naples , le 28 Septembre 1773 .
On écrit de Palerme que , le 21 de ce mois il y
eut , dans cette ville , une émeute populaire ; que
Ie Vice-Roi fut obligé de partir ſur le champ pour
Meffine ; que l'Archevêque vint à bout d'appaiſer
la fédition , & que le Prince de Palagonico & le
fils du Prince de Butera s'étoient joints , dans cette
occafion , au Prélat. On attend de nouveaux détails
ſur cet événement.
De Londres , le 5 Octobre 1773 .
Le Lord Townshend , Grand- Maître de l'Artiflerie
, & ci-devant Lord- Lieutenant d'Irlande , ſe
rendit , vers la fin du mois dernier , à Edimbourg
208 MERCURE DE FRANCE.
où il viſita le fort & toutes les munitions du châ
teau. Il ſe propoſe de parcourir l'Ecofle pour cr
examiner toutes les ferterefies.
On écrit de la Baye de Honduras que les Négres
yont excité une révolte ſa conſidérable qu'on
aété forcé d'envoyer un exprès à la Jamaïque
pour demander du ſecours. Dans l'intervalle , les
opérations du commerce ſont entièrementſuſpendues,
& l'on préfume que les affaires ne pourront
yreprendre leur cours qu'après que les rebelles
auront été ſoumis .
Lesdérails certains qu'on a reçus nouvellement
du voyage du Capitaine Phipps , portent que la
plus haute latitude où ſont parvenues les bombardes
envoyées au Pole ſeptentrional , n'a pas
été de 81 deg. 29 min. , comme les papiers publics
l'ont annoncé , mais de 80 deg. 30 min. ;
ceCapitaine a d'ailleurs tout lieu de croire qu'aucun
voyageur n'a approché plus près du Pole ſeptentrional
dans cette mer , puiſqu'il a trouvé dans
la même latitude une lignede glace qui doit couvrir
au - delà toute la mer de la Région Polaire.
Pendant quinze jours entiers , les gens de l'équipage
ont été entièrement environnés de glaces&
commençoient à craindre qu'il ne fallût abandonner
leur navire. Ils ſe diſpoſoient déjà à tirer leurs.
bateaux à travers les glaces , & àdiriger leur route
vers Spitzbergen , lorſqu'ils parvinrent heureuſement
à ſe frayer un autre paflage , & s'avancèrent
vers le ſud- ouest. Cedanger n'eſt pas le
ſeul auquel ait été expoſé levaifleaudu SrPhipps
pendant le voyage. Dès qu'il ſe fut ſéparé de ee-
Lui du capitaine Tutwich , il fut aflailli par une
violente tempête dans la Mer d'Allemagne , &
quoiqu'on eût jeté à l'eau quatre de ſes canons
NOVEMBRE . 1773. 209
il fut néanmoins ſur le point d'être ſubmergé. On
affure que le Gouvernement eſt décidé à ne plus
équiper de navire pour une expédition vers le
Nord.
De Fontainebleau , le 24 Octobre 1773 .
Le 12 de ce mois , Madame & Madame Elifa
beth , accompagnées de la Comteſſe de Marfan ,
Gouvernante des Enfans de france , vinrent voir
la bibliothèque du Roi. Après avoir parcouru les
falles des imprimés &des manuscrits , elles paſsèrent
dans le cabinet des médailles & dans celui des
eſtampes. Le ſieur Bignon , bibliothécaire de Sa
Majesté , eat l'honneur de les recevoir & de leur
montrer ce que ce riche & vaſte dépôt contient de
plus précieux dans tous les genres.
De Paris , le 18 Octobre 1773-
Le ſieur Meffier , Aftronome de la Marine , a
découvert , de l'Obſervatoire de la Marine , le 13
de ce mois , vers les cinq heures du matin , une
nouvelle comète: elle paroifloit entre les conftellations
du Lion & du Sextant , au deſlous de
l'étoile Regulus : on la voyoit foiblement avec
une lunette ordinaire de deux pieds ; le crépufcule
qui régnoit alors , diminueit ſes apparences :
le lendemain 14 , à la même heure , elle paroiffoitplus
claire , le noyau plus vif , & environné
de nébulofité. Le 15 , à quatre heures 17 min . 12
fec. du matin , elle avoit d'aſcenſon droite 154
degrés , 55 min. 44 ſec. &de déclinaiſon boréale
8 degrés , 21 min. 20 ſec. Son mouvement ſuit
l'ordre des ſignes en s'approchant de l'écliptique :
en vingt- quatre heures elle ne parcourt que 41.
210 MERCURE DE FRANCE.
minutes de degré en aſcenſion droite & 24 min, en
déclinaiſon .
On a appris par les dernières lettres arrivées de
l'Ifle de France , qu'il y avoit eu , dans la nuit du
,au 10 Avul de cette année , un ouragan dont
l'effet s'eſt étendu juſqu'à l'iſte de Bourbon , mais
avec moins de violence que dans la première de
ces Ifies , où tous les bâtimens qui étoient dans
le port , ont éré jetésà la côte. La plupart de ces
navires ont été heureuſement relevés . Les envois
conſidérables faits , l'année dernière , de vivres&
d'effets de manne dont une grande partie eſt arrivée
peu de tems après cette tempête , auront
procuté à la Colonie les premiers ſecours dont
elle avoit beſoin dans une circonstance d'autant
plus trifte que cet ouragan eſt le troiſième qu'elle
aeſluyé dans l'eſpace de treize mois .
La cathédrale de Chartres , un des monumens
les plus magnifiques de la France par ſon étendue,
par la beauté de ſon architecture gothique & par
ſes clochers , étoit dénuée dans l'intérieur de toute
eſpèce de décoration. Le Chapitre , aidé des bontés
du Roi &de la générosité de ſon Evêque , réſolut
, il y a quelques années , d'orner le ſanctuaire.
Il choiſit , pour cet effet , les plus grands maîtres
de l'art. Le ſieur Bridan , membre de l'Acad.
royale de peinture &de ſculpture de Paris , a été
chargé d'exécuter le principal morceau: c'eſt le
myſtère de l'Aflomption de la Sainte Vierge. Ce
groupe en marbre ſtatuaire , compoſé de qua tre
figures de huit à neufpieds , environné de têtes de
Chérubins , a été mis en place & a paru réunir tous
les fuffrages. Le Chapitre en a été ſi ſatisfait qu'indépendamment
du prix convenu avec lui , il a
accordé à cet artiſte , d'une voix unanime, dans
NOVEMBRE. 1773. 211
un Chapitre général , une penſion viagère de 1000
livres , dont la moitié eſt reverſible ſur la tête de ſa
femme.
NOMINATIONS .
Le Roi a accordé l'Abbaye du Puy d'Orbe , Ordre
de St Benoît , diocèſe de Langres , à la Dame
de Tilly , Religieuſe de l'Abbaye de Montmartre,
&le Prieuré de Saint- Louis , diocèle & ville de
Rouen , à la Dame de Barbançon , Religieuſe de
l'abbaye des Chaſes .
PRESENTATIONS .
Le 22 Octobre ,le Marquis de Brancas , Grand
d'Eſpagne de la premièreClafle , chevalier des Ordres
du Roi , lieutenant - général de ſes armées ,
commiſſaire plénipotentiaire de Sa Majesté pour
aller recevoir , au Pont de Beauvoiſio , Madaine la
future Comtefle d'Artois , prit congé du Roi , à
qui il fut préſenté par le Duc d'Aiguillon , minitre
& fecrétaire d'état , ayant le département des
affaires étrangères .
NAISSANCES .
La femme du nommé Gueret , charon , demeurant
à Mitry , diocèſe de Meaux , à cinq lieues de
Paris , eſt accouchée de trois garçons qui ſe portent
bien , ainſi que la mère ; & Catherine Batifſon
, femme de Léonard Samie, journalier , paroufle
de St Damnolet de Limoges , âgée de trentedeux
ans , eſt accouchée de deux garçons & d'une
fille , le 15 de ce mois. Ils jouiffent d'une bonne
ſanté , & font nourris tous les trois par leur mère.
212 MERCURE DE FRANCE.
MORTS.
Le nommé Hitchoock eſt mort dernièrement à
Ashborn en Angleterre , dans la cent dix -huitième
année de fon âge.,
Elifabeth Beaux , veuve du ſieur Gros , bourgeois
, eſt morte dans la paroiſſe de Vabres , à
Fâge de cent quatre ans ; elle n'avoit aucune des
incommodités attachées à la vieillefle .
Marie-Magdeleine- Louiſe la Mamie deClairac
, veuve de Jean George de Caulet , Marquis
de Gramont , lieutenant - général des armées du
Roi , lieutenant des Gardes-du -Corps de Sa Majeſté
&gouverneur des villes & citadelles deMezieres
& de Charleville , eſt morte à Paris .
Catherine Charpentier , femme de Jean Breuees,
habitant du village de Moivron , baillage
de Metz , y est morte , le 26 Septembre , âgée de
cent deux ans .
Jeanne- Sophie- Elifabeth - Louiſe Armande- Septimanie
du Pleſſis de Richelieu , fille de Louis-
François Armand du Pleſſis , Duc de Richelieu &
de Fronfac , Pair & Maréchal de France , & d'Elifabeth-
Sophie de Lorraine , épouse de Caſimir
Comte d'Egmont- Pignatelli , Grand d'Elpagne ,
chevalier de la Toiſon d'or , lieutenant - général
des armées du Roi , eſt morte , le 14 Octobre , au
château de Braine , en Picardie , dans la trentetroiſième
année de lon âge.
Pierre- Joſeph - Laurent , Chevalier de l'Ordre
du Roi , directeur - général des canaux de FlanNOVEMBRE.
1773 . 213
Ares & de Picardie , eſt mort à Paris , dans la cinquante
neuvième année de ſon âge.
Antoine Arnal , voiturier , habitant de la paroifle
de St Jean- d'Alcapiés , diocèſe de Vabres ,
mourut , le 21 Septembre , dans la cent fixième
année de ſon âge. Il étoit fourd , & n'avoit aucune
autre infirmité dans ſon extrême vieillefle.
Le 14 du même mois , il alloit à pied à la meſle
de ſa paroifle , lorſqu'un violent coup de vent
déracina plus de deux mille arbres dans le canton,
le renverſa ſur un mur d'appui , d'où il tomba
dans un terrein profond de quelques toiſes . Cette
chûte occaſionna ſa mort. Le Sicur de Gourgues ,
Intendant de Montauban , l'avoit déchargé , depuispluſieurs
années , de toute impoſition .
Louis Comte de la Mark , lieutenant - général
des armées du Roi , colonel d'un régiment d'infanterie
de fon nom , eſt mort au château de Fléville
, près de Nancy , le 6 Octobre .
Jean-Jamard , ancien Curé de Fontainebleau
& de Versailles , eſt mort dans cette dernière
ville , à l'âge de quatre-vingt-neuf ans . Il étoit
aveugle depuis quatorze ans ; mais il n'avoit aucune
des infirmités de la vieilleſſe , & a toujours
exercé les fonctions du ſaint Ministère juſqu'au
dernier moment de la vie.
Marie Charlotte de Gourcy , veuve de Claude-
François Marquis de Rouſtaing de Viray , Dame
de la Croix étoilée , eſt morte au château de Buthegnémont
, près de Nancy , le 13 de ce mois .
Susanne-Caroline de Baſchi d'Aubaïs , épouſe
de François des Comtes de Baſchi , dit le Marquis
•de Baſchi , eft morte ici , le 20 de ce mois , dans
aving- fixième année de ſon âge.
214 MERCURE DE FRANCE.
LOTERIES.
Le cent cinquante - quatrième tirage de la Loterie
de l'hôtel-de- vilte s'eſt fait , le 25 du mois
d'Octobre , en la manière accoutumée . Le lot de
cinquante mille liv. eſt échu au No. 28339. Celui
de vingt mille livres au N° . 38723 , & les deux de
dixmille , aux numéros 33139 & 33837 .
TABLE.
PIECES FUGITIVES en vers & en
Epître à l'Amour ,
L'Amant abſent , dialogue anacreontique ,
Le Roffignol & l'Alouette , fable ,
Vers à Mde de la Poupelinière ,
-A M. Terray ,
proſe, pages
ibid.
7
9
IO
ibid.
-Aux Dames qui ont aſſiſté à la ſéance des
Jeux Horaux ,
Epitaphe de M. Morand ,
Almet , ou l'Emploi de la Kicheſſe ,
Epître à ma première Maîtrefle ,
Hommage à M. de V ** ,
11
12
ibid.
21
23
Efiai de traduction de quelques ſonnets de
Pétrarque , 25
Romance à Mademoiſelle *** , 31
Envoi ,
ibid.
Hiftoire naturelle , 33
ADoris , 40
Prière d'un pauvre Diable , à l'occaſion du
fecret de l'air fixe , 41
A M. C. ,
ibid.
NOVEMBRE. 1773. 215
Explication des Enigmes & Logogryphes , 70
ENIGMES , 71
LOGOGRYPHES , 74
NOUVELLES LITTÉRAIRES , 79
Le Voyageur François ibid. ,
Nouveaux éclairciſſemens fur la vie de Guillaume
Poſtel , 71
Dictionnaire des voyages , 78
Les Soirées de Paphos ,
Fables , Contes & Epîtres ,
Recherches critiques , hift. & topogr. ſur la
86
96
Ville de Paris , 116
Epreuves du Senriment , 118
Lettre de M. Luneau de boisjermain à M. Lacombe
, 123
Lettre de M. Poinfinet de Sivry , ſur l'exil
d'Ovide , 125
ACADÉMIES , Dilcours prononcé à la féance
publique de l'Acad. royale de Chirurgie , 134
SPECTACLES , Opéra , 153
Comédie Françoiſe , 154
L'Hymen , l'Amour & le Plaifir , fable allég. 155
Comédie Italienne ,
ARTS , Gravures , ibid.
Coſtume des anciens Peuples ; 160
Huit ſujets de paſtorale, 161
Iconologie hiſtorique & généalogique , ibid.
Tableaux hiftoriques , 163.
Trois Sonates , ibid,
Seconde partie du Traité de Compoſition
muſicale ,
Etrennes utiles & agréables ,
Cours de mathématiques &de deſſin ,
Plan d'Education nation. & militaire ,
Avis de M. l'Abbé Jacquin aux Archi-
165
166
168
170
tectes , 174
216 MERCURE DE FRANCE.
-Du même , ſur la conſtruction des nouv.
bâtimens de l'Hôtel-Dieu de Paris ,
Réponſe de M. le Comte de Schowalow ,
aux vers de M. de la Harpe ,
Vers pour mettre au bas du portrait de
Madame C.... ,
Lettre de M. de Voltaire , ſur le mot Idiotisme
,
Projet utile. Voeu d'un Citoyen ,
Le Maire de Villeau ( Usage ancien ) ,
Lettre de M. l'Abbé Jacquin , ( Acte debienfailance
,
Autre acte de bienfaiſance ,
Anecdotes ,
Lettre à Mgr le Duc de Valois ,
Vers au même par Lacombe , libr.
Cours d'hiſtoire naturelle & de chimie ,
-D'Anatomie,
AVIS ,
Nouvelles politiques ,
Nominations ,
Préſentations , Naiſſances ,
Morts , Loteries ,
173
ibid
181
ibid.
182
186
188
191
194
195
197
198
199
ibid.
204
211
ibid.
212-214
APPROBATIΟ Ν.
J'AAII lu par ordre de Mgr le Chancelier , le
volume du Mercure du mois de Novembre 1773 ,
&je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreffion .
A Paris , le 31 Octobre 1773 .
De l'Imp. de M. LAMBERT, rue de la Harpe.
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES:
NOVEMBRE , 1773 .
Mobilitate viget. VIRGILE .
Peugne
A PARIS ,
, Chez LACOMBE , Libraire
Chriſtine , près la rue Dauphine.
Rue
AvecApprobation & Privilège du Roi.
AVERTISSEMENT.
C'EST au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriſtine , que l'on prie d'adreſſer , francs de port,
les paquets & lettres , ainſi que les livres , les eftampes
, les piéces de vers ou de proſe , la muſique,
les annonces , avis , obſervations , anecdoévénemens
finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auſſi de marquer le prix des livres
, eſtampes & pièces de muſique.
tes
,
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres& de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à ſa perfection
; on recevra avec reconnoiſſance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront mêine un titre de
préférence pour obtenir des récompenſes ſur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eſt de 24 liv.
que l'on paiera d'avance pour ſeize volumes rendus
francs de port.
L'abonnement pour la province eſt de 32 livres
pareillement pour ſeize volumes rendus francs de
port par la poſte.
Ons'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eſt de 36 fols pour
ceux quin'ont pas ſouſcrit,au lieu de 30 fols pour
ceux qui font abonnés.
On ſupplie Meffieurs les Abonnés d'envoyer
d'avance le prixde leur abonnement franc de port
parla poſte , ou autrement , au Sieur LACOMBE,
Libraire , àParis, rue Christine.
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la Harpe , in- 8 °. br
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11. 10f.
121.
8°. brochés , 3liv.
tins & françois , 1772 , in -8 ° . br. 21.101.
La Henriade de M. de Voltaire , en vers la-
Traité du Rakitis , ou l'art de redreſſer les
enfans contrefaits, in 8°. br. avec fig. 41.
Lettres d'Elle & de Lui , in 8 ° . b .
Le Phasma ou l'Apparition, hiſtoire grecque
, in-8 °. br.
LesMuſes Grecques , in-8 °. br.
Les Odes pythiques de Pindare
11.4.
Σ
11. 10 f.
11.166.
in - 8 °.
: sliv.
Le Philoſopheſérieux , hist. comique , br. 1.1.4
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Louis XV, &c. in - fol. avec planches ,
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l'Architecture , in-4°. avec figures, rel. en
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Les Caractères modernes, 2 vol. br.
121.
31.
Maximes deguerre du C. de Kevenhuller , 1 1. 10 f.
Hiftoire naturelle duThé, avec fig.br. 11. 166
MERCURE
DE FRANCE.
NOVEMBRE , 1773 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EPITRE A L'AMOUR.
ENFANTgâté, dont les fredaines
S'embelliflent dejour en jour ,
Petit vaurien , frippon d'amour ,
Je ſuis quitte enfin de tes peines !
Je ne veux plus de tes fadeurs ;
En vain tu m'offriras tes charmes ,
Je rejetterai tes faveurs :
Je braverai juſqu'à tes larmes ,
Et je rirai de tes fureurs.
Aiij
6 MERCURE DE FRANCE.
Tonne à ces mots , fais grand tapage ,
Tu nem'épouvanteras pas :
Je prétends fuir tout embarras
Et je renonce à l'esclavage.
Aflez long- tems comme un forçat
Tu m'as tenu ſous ta puiſſance :
Je chantois ma froide conſtance ,
Et mon air imbécille & plat
Me ſembloit un air d'importance.
Le triſte rôle quand j'y penſe !
Je le jouois aves éclat : 1
Quandj'étois aux genoux d'Hortenſe,
Je ne voyois que ſes appas ;
On me fiffloit à toute outrance ,
Et je ne le ſoupçonnois pas.
J'étois dupe de matendiefles
C'eſt un uſage apparemment.
Quoi qu'il en ſoit ,j'étois amant;
Et j'étois amant ſans fineſſe.
M'éloignois-je de ma maîtrefle ,
Je fuyois tout amusement.
J'épiois , plein d'emprellement,
Un ſeul regardde la traîtreſle .
Que je n'obtenois pas ſouvent.
Toujours faiſant le piedde grue ,
J'étois l'eſclave des momens ,
Et je ſoupirois bien long -tems
Avant d'avoir une entrevue.
:
1
i
NOVEMBRE. 1773 .. 7
L'obtenois - je , l'ame éperdue
Je balbutiais mon ardeur ;
Mais Hortenfe , loin d'être émue ,
S'armoit encor plus de rigueur.
Pour avoir ſa moindre faveur ,
Il falloit des ſoins , du myſtère...
Et plus je cherchois à lui plaire ,
Moins je pénétrois dans ſon coeur :
Enfin je mourais de langueur
Aux pieds d'une Beauté ſévère
Qui s'amuſait de ma candeur.
Je me ſuis guéri par bonheur ,
Et je reſpire , loindes chaînes
D'un impitoyable vainqueur :
Amour , je ſuis ton ferviteur;
Me voilà quitte de tes peines !
ParM. Willemain d'Abancourt.
L'AMANT ABSENT.
Dialogue anacreontique.
LA FORTUNE , L'AMAN T.
L'AMANT.
VIENS- TU , bizarre Fortune ,
M'offrir un eſpoir trompeur ?
Aiy
MERCURE DE FRANCE.
LA FORTUNE .
J'ai pitié de ta douleur ;
Et ( la grâce eſt peu commune ,
Je veux faire ton bonheur.
A tes pieds vois mes largeſles ;
Choifis : veux- tu des honneurs ?
L'AMANT.
Le chagrin ſuit les grandeurs.
LA FORTUNE .
Des biens ?
L'AMANT.
Je fuis les richeſſes .
LA FORTUNE .
Le refus eft généreux :
Quoi ? rien ne te fait envie !
Que manque t'il àtes voeux ?
L'AMANT.
Conduis-moi près de mamie.
Parle même.
NOVEMBRE 1773.
و
LE ROSSIGNOL & L'ALLOUETTE ,
Fable imitée de l'allemand.
AuU retour du printems Philomèle chantoit ,
Et les oiſeaux s'arrêtoient pour l'entendre :
Sa voix mélodieuſe & tendre
Formoit l'accord le plus parfait.
Quel chant délicieux ! s'écria l'Allouette;
Encore s'il duroit toujours ,
Comme celui de la Fauvette;
Mais vous chantez trop peu dejours.
Il est vrai , reprit Philomèle ,
Je chante peu ſouvent , mais c'eſt pour chanter
mieux.
Ecci s'adreſſe à vous , chantres harmonieux ,
Qui du génie avez une étincelle ;
Compoſez moins , compofez mieux.
Par le même.
(
:
Av
18 MERCURE DE FRANCE.
VERS à Madame de la Poupelinière , à
Toulouse , au mois de Juin dernier.
EnN revoyant votre pays
Yous comblez ſon orgueil , fans en être plus
fière;
Un nom , des traits , des goûts exquis ,
Ont fixé la Poupelinière ;
Ce brillant favori des Arts &de Plutus
Laiſſe à votre grand coeur des regrets ſuperflus ;
Tout promet à vos yeux de nouvelles conquêtes :
Toulouſe peut dans ce moment
Egaler de Paſly les plus ſuperbes fêtes ;
Elle en poſléde l'ornement.
Par M. de la Louptière.
A M. TERRAY , Intendant de
Montauban.
Disvos plus jeunes ans vous voilà , Dieu
merci,
Ungrave Préfet du Querci ;
D'un Nom cher à l'Etat vous foutenez la gloire ,
Comme lui vous vivrezanTemple de Mémoire.
YA
NOVEMBRE. 1773. 11
Déjà tous les Montalbanois ,
Voyant vos vertus ingénues
Et la ſageſſe de vos vues ,
Volent au- devant de vos loix.
Pour faire le bonheur d'une province entière
Vous quittez Paris & la Cour.
Les Dieux doivent un fils à qui ſe montre père:
Ce gage fortuné vous attend au retour.
Par le même.
VERS aux Dames qui ont aſſiſté à la
féance des Jeux Floraux , les Mai
dernier.
C'EST 'est peude voir les fleurs que vous préſente
Iſaure ,
C'eſt trop peu d'y toucher ; il faut vous en ſaiſir :
Pour un ſexe vainqueur elle les fit eclore,
Tout vous invite à les cueillir ;
Votre tact y produit une impreſſion vive ,
Ofez de Montégut dérober le ſecret ;
Chacunede ces fleurs eſt une ſenſitive ,
Qui , ſous vos doigts mignons ſe reſſerre à regret.
Par le même.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE .
EPITAPHE DE M. MORAND.
Cr gît un citoyen utile à fa patrie
Par ſes écrits & ſes travaux ;
Qui fut chirurgien d'hôpitaux,
Et qui n'a bleſlé que l'Envie.
Par le même
:
ALMET ou l'Emploi de la Richeſſe.
Conte oriental.
I E Dervis Almet , qui gardoit la lampe
facrée dans le ſépulcre du prophète , s'étoit
levé dès la pointe dujour pour faire à
la porre du temple ſes prières accoutumées.
En relevant de la pouſſière ſon front
tourne vers l'Orient , il vir devant lui un
homme revêtu d'une robe éclatante , &
fuivi d'une multitude d'eſclaves . Cet
homme te regardoit avec l'air d'une douloureuſe
complaiſance , & ſembloit à la
fois defirer de lui parler & craindre de.
l'offenſer.
Le Dervis , après un court filence ,
s'approcha de lui,& le ſaluant avec la di
NOVEMBRE . 1773. 13
gnitécalme de l'indépendance qui regarde
l'humilité , il lui demanda ce qu'il defisoit.
Almet , dit l'Etranger , tu vois un
homme que la main de la proſpérité a
accablé de malheurs. Je poſſede tout ce
que j'ai cru néceſſaire à ma félicité ; cependant
je ne ſuis point heureux , & je
ne m'aveugle point par l'eſpoir de le devenir.
Je regrette la courſe du tems parce
qu'il s'échappe en gliſſant , & emporte
avec lui la jouiſſance. Mais , comme je
n'attends de l'avenir que les vanités du
paflé , je ne ſouhaite point qu'il arrive .
Je tremble cependant qu'il ne me ſoit
enlevé , & mon coeur frémit quand il anticipe
le moment où l'éternité, ſemblable
à la mer fur le paſſage d'un vaiſſeau , fermera
le vuide de ma vie , & ne laiffera
de mon existence que des traces moins
durables que les fillons des flors quiferéuniffent.
Si les tréſors de ta ſageſſe renferment
quelque précepte qui conduiſe au
bonheur , daigne faire briller à mes yeux
la lumière confolante de la vérité . Voilà
ce qui m'amene devant toi , voilà ce que
je n'oſois te révéler , dans la crainte d'être
encore trompédans mes efpérances , com
me je l'ai toujours été.
Almet écoutoit avec étonnement
14 MERCURE DE FRANCE.
regardoit avec compaffion cet être infortuné
, dont l'ame ne s'ouvroit qu'au ſentiment
de la douleur. Mais bientôt ſon
viſage reprit ſa ſérénité accoutumée :
Étranger , lui dit- il , je vais te communiquer
la connoiſſance que j'ai reçue du prophète.
J'étois aſſis un ſoir ſur le portique du
temple , & mon oeil ſe promenoit ſur la
multitude qui m'environnoit. L'inquiétude
, la fatigue & les maux exprimoient
fur tous les viſages des caractères différens.
Mon ame éprouva toutes les ſenſa
tions dont je voyois les images. Malheureux
mortels , m'écriai je , que vous propoſez
vous ? ſi vous fatiguez vos jours
pour diſtribuer le bonheur , quel eſt donc
le mortel qui doit jouir de vos travaux ?
Les toiles de l'Egypte , les ſoiesde la Perſe
donnent- elles autant de plaifir à ceux
qu'elles couvrent , que de peine à ceux
qui les fabriquent , ou à ces eſclaves infortunés
qui conduiſent les chameaux qui
les portent. Ceux qui éblouiffent par l'éclat
de leurs diamans héréditaires , gagnent-
ils en proportion ce que perd cé
malheureux qui les cherche dans la mine,
qui vit exclu des bontés communes de la
Nature, qui ne connoît pas même la dou-
-
NOVEMBRE. 1773 .
ce viciffitude du jour &de la nuit , &
dont la vie n'est qu'une douloureuſe alternative
de travail& de douleur. Si l'habitude
de la jouiſlance dégoûte ceux qui
poffèdent , ſans rendre inſenſibles ceux
qui donnent , & fi la valeur de l'existence
ades rapports fi différens , la vie de l'homme
n'eſt- elle pas véritablement un fonge?
&peut- on ne pas accuſer de partialité la
main qui diſtribue le bonheur & l'infortune
? Je m'égarois dans ces penſées , &
mon eſprit échauffoit mon coeur , quand
tout- à-coup, par une influence céleste , les
rues & le peuple de la Mecque diſparurent
; je me trouvai aſſis ſur le penchant
d'une montagne : j'apperçus à ma droite
unAnge ,& je reconnus Azora , le miniftre
des reproches. Saifi d'effroi , je baiſſai
les yeux vers la terre , & j'allois le prier
d'éloigner de moi les maux dont j'étois
menacé; mais il m'ordonna de garder le
filence. Almet , me dit- il , tu as conſacré
ta vieà la méditation pour délivrer l'ignorance
des replis de l'erreur , &détourner
la préſomption des précipices qui
l'environnent ; mais tu as lu dans le livre
de la Nature ſans le comprendre : il eſt
encore ouvert devant toi ; regarde, confi
dère , & fois ſage. 3
16 MERCURE DE FRANCE.
Je regardai , & je vis un clos auſlibeau
que les jardins du Paradis , mais d'une
petite étendue ; un grand chemin le traverſoit
par le milieu , & aboutiſſoit à un
déſert ſauvage enveloppé d'une obſcurité
impénétrable. Le chemin étoit ombragé
d'arbres couverts de boutons&de fruits,
les oiſeaux voltigeoient ſous le feuillage,
&formoient un concert mélodieux: l'herbe
étoit couverte de fleurs qui parfumoient
les airs , & le doux zéphir nuançoit
par ſon ſoufle l'émail éclatant de leurs
couleurs. D'un côté l'on entendoit le
murmure paiſible d'un ruifſeau qui promenoit
lentement ſur un ſable d'or fon
eau vive & tranſpatente. De l'autre l'on
voyoit des boſquets, des grottes, des fontaines
&des caſcades qui diverfifioient
la ſcène par leur agréable variété , fans
pouvoir cependant détober aux yeux le
déſert qui les ſuivoit. 1
Tandisque je confidérois ce ſéjour enchanté
avec le tranſportde l'étonnement
& du plaifir , j'apperçus un homme qui
fuivoit le chemin frayé d'un air penfif,
&d'un pas mal affure. Son oeil fixoit la
terre , & ſes bras croiſés embraffoient fa
poitrine. Il s'arrêtoit quelquefois comme
s'il eût été ſaiſi d'une frayeur ſubite. Son
:
NOVEMBRE. 17730 17
viſage peignoit l'inquiétude & la terreur;
il regardoit autour de lui en ſoupirant ,
jetoit les yeux ſur le déſert , & parutdefirer
de ne pas avancer plus loin . Mais il
étoit pouflé malgré lui par une force puiffante&
inviſible. Une ſombre mélancolie
enveloppoit ſon exiſtence. Il laiſſa une
ſeconde fois tomber ſes regards ſur la
terre , & continua triſtement ſa courſe.
J'étois étonné de ce ſpectacle,& me tournant
vers Azora , j'allois lui demander ce
qui pouvoit rendre malheureux un homme
environné de tous les objets capables
de flatter tous ſes ſens. Mais il prévint
ma demande & me dit:Le livre de la Nature
eſt devant toi ; lis & fois ſage. Je
regardai ,& je vis entre deux collines une
vallée ſtérile & deſſéchée. Les prés étoient
fans fleurs & l'herbe ſans verdure. L'ombre
rafraîchitfante ne deſcendoit point des
montagnes. Le foleildans ſon zenith
lançoit des rayons de feu & avoit pompé
les eaux des ſources qui n'offroient plus
qu'un ſable altéré ; mais cette vallée étoit
terminée par une plaine riante & fertile ,
ombragée par des taillis épais,& couverte
de ſuperbes édifices. Amon ſecond coupd'oeil
je découvris un homme nud & fort
maigre ; mais ſa phyſionomie étoit gaie ,
,
18 MERCURE DE FRANCE.
& ſa démarche active. Il tenoit les yeux
fixés ſur la plaine qui étoit devant lui ,
&ſembloit vouloir courir , mais il étoit
tetenu comme le premier avoit été pouffé
par une influence ſecrette. Quelquefois
j'appercevois les ſignes d'une douleur fubite
; quelquefois il s'arrêtoit comme ſi
ſes pieds étoient bleſſés par les épines ſemées
ſur ſon chemin ; mais il reprenoit
bientôt ſa première vivacité , & alloit en
avant fans avoir l'air de ſe repentir ni de
ſeplaindre.
Je me retournai une ſeconde fois vers
l'Ange , impatient de connoître la ſource
ſecrette d'un contentement ſi apparent &
d'une ſituation ſi différente de celle qu'on
auroit dû attendre ; mais il me prévint
encore , & medit : Almet , ſouviens-toi
que ce monde n'eſt que la route de l'au
tre , &que le bonheur n'eſt qu'à la fin du
ſentier. Les périodes de ton exiſtence ſont
l'eſpérance & la crainte. Le malheureux
que tu as vu languir dans le jardin eft
prive de la jouiſſance parce qu'il eſt privé
de l'eſpoir & perpétuellement tourmenté
par la crainte de perdre des biens dont il
ne peut jouir. Il n'entend plus les chants
des oiſeaux , parce qu'il les a trop entendus;
le parfum & l'éclat des fleurs ſere
NOVEMBRE . 1773. 19
nouvellent ſi ſouvent qu'il n'en ſent plus
l'odeur , & n'en connoît plus la beauté.
Le doux murmure de ce ruiſſeau ne Aatte
plus fon oreille inſenſible , & ſesyeux,qui
n'oſent plus ſe lever ſur aucun de ces
objets, craignent de rencontrer le déſert
qui les environne. Mais celui qui marche
avec peine dans la vallée eſt heureux ,
parce que l'eſpérance le précède. Qu'importe
en effet que l'homme qui voyage,
fur la terre foule à ſes pieds des épines ou
des fleurs , s'il conſidère les régions dont
il s'approche à chaque inſtant , & où la
peine & le plaifir, toujours relatifs icibas
, perdent leur diſtinction imaginaire?
Ecoute : un feul chemin eſt également
ouvert à tous les hommes; c'eſt celui de
la vertu. Tous peuventy prétendre , tous
peuvent l'acquérir. Avec elte ſeule on
peut être heureux ; fans elle on est toujours
infortuné. Almet , ſouviens- toi de
ce que tu as vu , & que mes paroles foient
écritesdans ton coeur en caractères ineffaçables;
alors tu pourras conduire ceux
qui s'égarent en cherchant le bonheur, &
juſtifierdevant les hommes la conduite de
l'Eternel. La voix d'Azora fappoit encore
mon oreille , quand tout- à- coup les objets
que je voyois diſparurent à mes yeux , &
20 MERCURE DE FRANCE.
jemetrouvai affis ſous le portiquedu temple.
Le ſoleil étoit couché,&la multitude
étoit retirée pour ſe délaſſer par le repos
de la nuit, & ſe préparer aux fatigues du
jour. La nuit bienfaiſante rafraîchit mes
ſens agités , & mon eſprit , délivré de ſes
doutes, fut bientôt calme comme elle.
Telle eſt , mon fils, la viſion que le prophète
m'a accordée pour ton avantage
ainſi que pour le mien. Tu as cherché
la félicité dans les choſes temporelles , &
tu as été trompé. Que cette leçon ne ſoit
point perdue pour toi comme le ſceaude
Mahomet dans le puits d'avis. Que tes
troupeaux couvrent celui qui eſt nud ,
que ta table nourriſſe celui qui a faim .
Délivre le pauvre de l'oppreſſion du riche
; que res actions parlent ſeules ; c'eſt
à elles à faire l'éloge de ton coeur. Alors
tu te réjouiras dans l'eſpérance,& tu regarderas
la fin de ta vie comme le commencement
& le ſceau d'une éternelle
félicité.
Almet , que cet entretien avoit enflammé
d'un zèle divin , retourna au temple
, &l'étranger s'en alla en paix .
NOVEMBRE. 1773. 21
د
EPITRE à ma première Mattreſſfe ,
furfon mariage.
AIMABLE & jeuneenchantereffe,
(
1.
:
Otoi que je connus trop tard ,
Toi, qui ſans apprêt & fans art ,
Dans mon ame portes l'ivreſſe ;
C'en estdonc fait : ton coeur , ta foi ,
Tesgrâces , tréſors de ton âge ,
Qui c'embelliflent davantage of
Tout ton être n'eſt plus àtoi !
Tu n'es donc plus cette bergère !
Dont les appas frais & piquans,
Dont la gaîté folle & légère
Auroient charmé tous mes inſtans ?
Un devoir cruel & ſévère
Fait taire mes ſens attendris;
T'adorer , chercher à te plaire
Ne font plus des plaiſirs permis.
Au matin brillant de la vie ,
Nousn'avions pas encor vingt ans ,
Une charmante ſympathie
Alloit confondre nos penchans ;
Dans le temple de l'Innocence ,
AFAmour tendre & généreux ,
Nos coeurs , unis par la conſtance,
T
:
:
22 MERCURE DE FRANCE.
Auroient ſacrifié tous deux.
Du théâtre de l'Impoſture
Et du tourbillon des Erreurs
Je t'apportois une ame pure
Et des ſentimens & des moeurs,
٢٢
De nos élégantes coquettes
Leperfiflage ſéducteur 33
Ade frivoles étiquettes
N'avoit point lié mon bonheur : г
Toi ſeule , de mon existence :
Me fis connoître tout le prix ;
Tes yeux , ta taille , ton fouris ,
Tout devint pour moi jouiflance.
Nous danions , fi tu t'en souviens ,
Quand ; par d'inviſibles liens ,
L'Amour m'enchaîna fur tes traces .
Mes bras , enlaflés dans les tiens ,
Crurent ſerrer une des Grâces .
L'intéreſſante Volupté
De tes pas marquoit la cadence ;
De ta taille la molle aiſance
S'offroit à mon oeil enchanté ;
Des ſens , qui peut dompter l'empire ?
Dans mon ame tu fis paſſer
Leur rapide & brûlant délire ;
Malheur à qui t'a vu danſer !
Ce tems , qui n'eſt plus qu'un vain ſonge ,
Flatte encor mon coeur agité ,
NOVEMBRE. 1773 . 43
En dépit de la vérité
J'aime à me nourrir du menſonge;
Souvenir cher & précieux
Conſole mes douleurs cruelles ;
O toi , qui ſemblois à nos yeux
Un ange au milieu des mortelles ,
Tu trompes donc ainſi nos voeux ?
L'hymen , de ſes droits orgucilleux ,
T'arrache à mille amans fidèles
Pour ne faire qu'un ſeul heureux ...
Si l'époux que le fort te donne
Brûle pour toi de mon ardeur ,
Il eſt digne d'avoir ton coeur ,
Et , malgré moi , je lui pardonne.
Par M. Doigny du Ponceau.
HOMMAGE à M. de V** , bienfaiteur
d'un Gentilhomme malheureux.
:
Je fais mépriſer l'arrogance
D'un Grand qui n'eſt que faſtueux ;
Mais j'adore la bienfaiſance
Par qui l'homme reflemble aux dieux .
Toi qui répands dans le filence
Les tréſors d'un coeur généreux ,
Qui ſais ennoblir l'opulence ,
En foulageant les malheureux ,
14 MERCURE DE FRANCE.
V** , mortel fublime & rare
Dans ces délicieux momens ,
Que ta belle ame ſe prépare
Des plaiſirs nobles & touchans !
Spectacle pour moi plein de charmes !
Le triomphe du ſentiment ,
C'eſt quand je vois couler tes larmes
Sur un reſpectable indigent
Qui , levant la tête affoiblie
Par les angoiſles du trépas ,
Retrouve , en tombant dans tes bras ,
L'amitié , l'honneur & la vie.
Auguſte & douce Humanité ,
Déeſſe , appui de nos misères ,
De ceux qu'échauffe ta bonté.
Tu fais un peule heureux de frères.
Des Calas l'ardent protecteur ,
Grâces à ton aimable empire ,
A de plus grands droits ſur mon coeur
Que l'auteur d'Edipe & d'Alzire.
OV ** , puiflent tes vertus
Long- tems honorer ma patrie !
De mon ame émue & ravic
Les hommages t'étoient bien dûs.
D'un bonheur pur , inaltérable ,
Puiſle-tu goûter les attraits !
Que dis-je , lorſque tes bienfaits
Vont au- devant du miſérable ;
Lorſque ton oeil eſt humecté
:
Des
NOVEMBRE. 1773 . 25
Des pleurs qu'on doit à l'indigence ,
Quel bonheur n'as - tu pas goûté ?
Ton coeur devient ta récompenfe.
Par le même.
ESSAI de traduction de quelquesfonnets
de Pétrarque.
PARLER de Pétrarque, c'eſt rappeler aux
ames ſenſibles un nom qui leur doit être
cher. Son amour pour Laure l'a rendu
auffi célèbre que les ouvrages que cette
paſſion a produits , & ſes ſonnets lui ont
acquis une réputation qui doit durer autant
que la langue dans laquelle ils font
écrits. Tous les amans ſavent ſes vers , &
toutes les femmes les retiennent. Je fais
qu'on lui reproche une monotonie fatiguante,
des jeux de mots déplacés , les
mêmes penſées repréſentées ſouvent fous
pluſieurs formes. Quelques- uns de ces reproches
font aſſez bien fondés. Mais auſſi
quelle ſource inépuiſable de ſenſibilité
doit avoir une ame qui s'épanche continuellement
ſans ſe déſſécher jamais , qui
après avoir parlé long-tems de ce qu'elle
B
26 MERCURE DE FRANCE.
aime , en reparle encore avec la même
effuſion , &dont les tendres douleurs augmentent
lesdeſirs & multiplient les jouiffances
! Son coeur & fon efprit fontprefque
toujours d'intelligence pour produire
àla fois le ſentiment& l'expreffion qui lui
conviennent. Si quelquefois il s'abandonne
à des éloges exagérés où la pation
l'emporte fur le goût , l'on reconnoît un
homme qui ne vit que par fon amour;
qui tantôt permet à fon imagination bru
lante des tranſports impétueux ; tantôt
recueille toute la ſenſibilité de fon ame
pourjouir , au ſein d'une douce mélancolie
,du bonheur de ſe croire aimé. Il eſt
difficile de ne point pardonner àune imagination
exaltée qui peint avec des couleurs
vives ce qui l'a frappée vivement ,
& je ne crois pas que l'on aimât Pétrarque
plus parfait &moins fenfible,
Ses ouvrages firent une révolution dans
lalangue italienne , & le tems où il écrivit
fut l'époque d'un changement heureux
dans les lettres . L'homme qui feroit acuellement
des vers françois dans le ſtyle
de Maret , feroit regardé commeun barbare
, & le poëte qui écriroit en italien
comme Pétrarque,feroit comme lui l'honneur
de ſon ſiècle ; je conviens qu'il eft
NOVEMBRE. 1773 . 27
difficile de lire de fuite une quantité prodigieuſe
de vers dont le ſujer eſt toujours
le même; que la raiſon defire des penſées
qui l'occupent lorſque le coeur ne ſe place
point entre deux amans occupés d'euxmêmes.
Mais l'on ne doit regarder les
fonnets de Pétrarque que comme une
belle galerie de tableaux. L'oeil ſe fatigueroit
s'il les parcouroit tous ſans diſtraction.
C'eſt un vaſte payſage dont tous les
points de vue font diviſés en autant de
cadres différens. Tous les tableaux de
Berghen font charmans , &tous offrent la
nature ſaiſie par le même génie,& variée
ſeulement dans ſes images .
La traduction fuivante *, malgré la diftance
qui la ſépare de l'original , peut donner
auxperſonnes quine ſavent point l'italien
, une idée du génie de Pétrarque. Je
n'ai point cru devoit m'aſſervir à rendre
un fonnet françois pour un fonnet italien.
La difficulté ſeroit trop grande , &
j'aurois été certain de faire un très- mauvaisouvrage.
Le plus granddéfaut queje trouve dans
*Si cet oſſai ne déplaît point au Public, l'on
poutta en donner de ſuite quelques autres more
ceaux.
Bij
MERCURE DE FRANCE.
ceux de Pétrarque , c'eſt qu'ils n'ont prefque
jamais de chûte heureuſe. L'oreille
&l'eſprit attendent toujours à la fin d'un
ſonnet, comme à la fin d'une épigramme,
un mot , une idée ſaillante que ce genre
d'ouvrage ſemble exiger.Si vous les trompez
tous deux , vous ne faites plus d'effet :
c'eſt une flèche lancée mollement qui
vient tomber près du but fans y toucher .
L'on a cru devoir ſe permettre quelques
tranſpoſitions pour conduire une idée plus
piquante juſqu'aux derniers vers , ou pour
ajouter le mot, qui fouvent manque ſeul à
la penſée du poëte. Dans la crainte d'être
troparide , on a donné plus d'étendue aux
imagesque la contrainte étroite d'un fonnet
ne permettoit pas de développer. Pétrarque
dit mot en mot , je ſuis devenu
amoureux l'an treize cens vingt- ſept, le ſix
du mois d'Avril, à une heure après midi.
Il n'eſt pas poſſiblede rendre cette fimplicité
naïve d'un homme pour qui cette
époque eſt celle de ſa vie , & qui auroit
peut- être mal dit s'il eût parlé plus poëtiquement.
Paraphrafer ce petit détail chronologique
avec des vers travaillés , vous
ſeriez peut-être ridicule , & certainement
froid & enflé. En voici la preuve.
Treize ſiècles complets , cinq luſtres & deux ans
C
NOVEMBRE. 1773 . 29
Etoient déjà rentrés dans l'abîme des tems
Au mois où Phoebus ouvre & féconde la terre ;
Pour la fixième fois il doroit l'hémisphère ,
Et déjà le cadran , par l'aiguille obſcurci ,
Annonçoit que d'une heure il pafſoit ſon midi ,
Alors que , & c .
Lorſque je fis ces vers , il y a pluſieurs
années , je crusavoir vaincu mon original
& avoir furmonté une grande difficulté.
Mais je n'ai point tardé à reconnoître que
j'avois fait parler Pétrarque non pas comme
un amant , mais comme un hiſtorien
emphatique qui cherche à faire fonner
des mots.
Se voi poteſte per turbati ſegni ,
Per chinar gli occhi , o per piegar la teſta
O per effer più d'altra al fuggir preſta
Torcendo'l vilo à preghi oneſti e degni ,
Uſcir giammai , ovver per altri ingegni ,
Del petto , ove dal primo Lauro inneſta
Amor più rami , io direi ben , che queſta
Fofle giuſta , cagione à voſtri sdegni :
Che gentil pianta in arido terreno
Par , che ſi diſconvenga , è però lieta
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Naturalmente quindi ſi diſparte.
Ma Poi voſtro deſtino a voi pur vieta
L'effer altrove , provvedete almeno
Di non ſtar ſempre in odiofa parte.
S1 , par ce dédain affecté ,
Ces regards de mépris , cet air plein de fierté ,
Si toujours pour me fuir attentive & légère ,
Toujours vous dérobant à ma tendre prière ,
Si par quelques ſecours vous pouviez fuirjamais .
De ce coeur où l'Amour a gravé vos attraits ,
L'orgueil feroit plus juſte étant moins inutile.
La jeune role avec plaiſir
Doit quitter le jardin ſtérile
Qu'elle dédaigne d'embellir;
Mais de votre deſtin quoique peu fatisfaite ,
Puiſqu'il vous a ſoumiſe à n'en jamais fortir ,
Tâchez d'aimer votre retraite .
Par M. L. H.
NOVEMBRE. 1773 . 31
ROMANCE à Mademoiselle
*
Au bord charmant d'une onde vive & pure
Clycère un jour diſoit en ſoupitant ?
Quels ſont les maux que depuis peu j'endure?
Hélas ! mon coeur ſoupire à chaque inſtant.
De mes troupeauxje détourne ma vue ;
Ils ne ſont plus l'objet de mes amours:
Une langueur qui ne m'eſt pas connue
Vient de troubler le repos de mes jours.
Je vois danſer dans ces riantsbocages
Tous nos bergers au ſon du chalumeau.
Je n'aime plus leurs tendres badinages ;
Mais à mes yeux Lycas eſt le plus beau.
Je voudrois bien que ſa tendre muſette
Vînt ſe mêler à mes triſtes accens ....
Jeune berger ! de mon ame inquiète
Tu pourrois ſeul diſſiper les tourmens.
A fes defirs l'Amour fut favorable .
Un traitpartit dans le corur de Lycas ;
Il l'enfamma du feu le plus durable
Pour un objet qu'il ne connoiſſoit pas .
*
1
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
Dans le bocage il apperçoit Glycère:
Son coeur y voit l'objet qui l'a charmé.
L'amour le guide, & fon flambeau l'éclaire;
Bientôt il court ; mais il eſt alarmé. ....
Glycère attend un pur &tendre hommage ,
Et Lycas craint de paroître à ſes yeux ;
Il fait un pas vers ce charmant bocage....
Heureux berger ! Glycère en a fait deux.
Lycas ſe livre au plus tendre délire :
De ſa bergère il a vu les appas ;
Il tremble encore... il héſite... il ſoupire....
L'Amour l'emporte , il vole dans ſes bras.
Alors l'Amour , les couvrant de ſon aîle ,
Montre aux amans le temple des Plaiſirs ,
Et les ſermens de leur flamme éternelle
Sont confondus dans leurs tendres ſoupirs.
ENVOI.
Jeune Daphné , reçois mon tendre hommage ,
De ces amans garde le ſouvenir.
Cherche comme eux , au printems de ton âge ,
Le vrai bonheur dans ton premier ſoupir.
Par M. G *** , de Limoux en
Languedoc.
:
NOVEMBRE. 1773. 33
HISTOIRE NATURELLE .
Du croisement des Espèces .
Si l'homme rempliſſoit bien ſon auguſte
fonction de coopérateur de la Nature ,s'il
faifoit le bonheur de ſon eſpèce & de
toutes les autres ( il le doit , car il le peut)
la terre preſque entière ſeroit un magnifique
jardin , un parc immenfe où les
plantes & les animaux utiles à l'homme
ſe multiplieroient à l'infini , & les autres
ſeroient relégués en petit nombre & conſervés
comme objets de curioſité dans des
lieux d'où ils ne pourroient fortir. ( 1 )
En même tems que l'on enfermeroit
quelques animaux féroces pour qu'il reſtât
des individus de leurs eſpèces à la deftruction
deſquels on employeroit partout
ailleurs la force & l'induſtrie , on
pourroit peu à peu corriger le naturel
dans ces individus enfermés. ( 2) Les ex-
(1 ) La Nature doit produire ſans cefle& puiſer
toutes les combinaiſons poſſibles ; c'eſt à l'homme
à trier ſes productions , & à les mettre à la
place qu'il leur deſtine .
(2) Quand je dis enfermés , c'eſt dans des lieux
By
:
34 MERCURE DE FRANCE.
périences qui ont été faites là-deſſus jufqu'ici
l'ont été avec trop peu de foins &
de précautions. La Nature ne ſe détermine
à changer ſa marche qu'autant qu'on
la conduit par une gradation infenſible ,
avec beaucoup de douceur,& j'oſe ajouter
de reſpect.
Il faut pluſieurs générations pour changer
l'eftomac & l'inſtinct d'un animal ;
car ces deux choſes là font intimement
liées. M. de Bomare , qui s'eſt acquis une
fi juſte réputation pat ſes connoiſſances en
hiſtoire naturelle , avoit élevé un petit
loup qu'il faifoit coucher dans fon lit. Une
nuit qu'il dormoit d'un ſommeil un peu
agité , il rêva que fon loup le mordoit à
une jambe &lui ſuçoit le fang. Il s'éveilla
& s'apperçut que ce rêve n'étoit pas
produit par le hafard , mais par le ſentiment
même de la douleur. Il tua fon loup :
-
vaſtes &clos , dans des parcs où ils puiſſentàpeine
s'appercevoir qu'une clôture les retient; car en
toute eſpèce , à commencer par la nôtre , l'eſclavage
ne faitque des ſujets vils & laches ; &le
chevalmême , le plus ſuperbe &le plus noble des
animaux , feroit tout à fait abâtardi ſi l'on ne
relevoitde tems en tems ſon eſpèce par de beaux
étalons , & en lui laiſtant paſſer ſa première jeuneſſe
en liberté dans les enclos des haras ou dans
degrandes prairies .
NOVEMBRE. 1773 . 35
enil
eut raiſon. Ce n'est pas à un loop qu'on
vient d'apprivoiſer qu'il faut avoir confiance
, mais à ſes arrières-petits- fils :
core faut- il avoir peu-à- peu rendu leur
race preſque frugivore,& s'être aſſuré pas
pluſieurs expériences , qu'elle l'eſt réelle-,
mentdevenue.
J'aurois beaucoup d'autres choses à dire
fur la manière de graduer l'éducation des
animaux dont on veut changes le naturel ;
mais je ferai là-deſſus des expériences qui
vaudront mieux que des raiſonnemens .
Paſſons au croifement des eſpèces & à la
manière de multiplier dans un climat ,
fans les altérer , celles qui viennent d'un
climat tout différent .
Le hafard & l'amour forment dans les
déſerts de l'Arabie des croiſemens d'efpèces
, & par conféquent des monſtres
qu'il feroit fort agréable d'obſerver& de
perpétuer. Mais comment les ſuivre dans
ces fables brûlans ? Il fuffit de les avoir
entrevus ,&de ſavoir, comme on le fair,
qu'ils font poſſibles. Elayons - les dans
nos climats paiſibles ; mais voyons auparavant
quel est dans ce phénomène le
procédé de la Nature.
Abondance , paix & liberté : voilà ce
qui produit les croiſemens d'eſpèces.On
B vj
36 MERCURE DE FRANCE!
pourra dire qu'il y a peu d'abondance
dans les déſerts , & qu'il n'y a que guerres
& malheurs où il y a ſtérilité. Je conviens
de ce fait , il n'eſt que trop évident ; mais
il y a dans les déſerts même des momens
d'abondance , & par conséquentde paix ;
&l'amour ſaiſit ces momens- là.
Pluſieursanimaux cherchent une fource;
ils s'y rencontrent ; ils boivent . Les
plus foibles , les plus timides ſe hâtent de
boire , & s'éloignent. Un lion qui avoit
faim vient de dévorer un chameau. Il eſt
raſſafié : il n'eſt plus féroce . Un autre be-
- ſoin preſqu'aufli vif, mais bien plus doux,
le preſſe : il aime. Il nerugit plus ; il foupire
; il cherche avec inquiétude une
lionne, & n'en voit point; il rencontre
la femelle d'un chameau ; il l'attaque , &
ce n'eſt avec rien moins que la fureur de
la voracité. Elle s'en apperçoit ; ( on ne
ſe trompe pas là- deſſus ) : elle cède en
tremblant à fon fier vainqueur. Il la careffe,
la raffure , lui promet ſa protection .
Ce ne ſera jamais elle qui aſſouvira ſa
faim . Elle deviendra mère d'un animal
mixte qui tiendra du chameau & du lion .
L'abondance & la paix d'un moment ont
formé cette union paſſagère ; la Liberté y
amis le ſceau. Ni le lion ni fa compagne
NOVEMBRE . 1773 . 37 :
n'étoient point là dans une petite enceinte
gémiſſans ſous l'empire tyrannique
de l'homme , expoſés à ſes importuns
regards.
Voulez - vous croifer les eſpèces les
moins faites pour multiplier enſemble ?
Tenez les dans des lieux vaſtes & tranquilles.
Obſervez - les fans bruit par de
petites ouvertures , de manière qu'ils ne
puiſſent pas s'en douter. N'eſſayez l'union
entre un male & une femelle d'eſpèce
différente qu'après les avoir tenus quelque
tems ſéparés , mais de manière qu'ils
puiſſent ſe voir& ſe deſirer. N'approchez
de ces animaux que dans les momens où
vous leur aporterez de la nourriture , &
que ce ſoit à des heures un peu réglées.
Ils voient toujours avec plaifir leurs bienfaiteurs
. Careſſez-les alors , mais en laiffant
une grille de fer entre eux & vous ,
du moins pendant les premières générations.
Accoutumez - les à voir des hommes
& des femmes pendant qu'ils mangent
, afin qu'il prennent l'habitude de
nous aimer.
Rarement les Monſtres phyſiques en
gendrent ( quoique l'on artribue cette
propriété aux Mulets . ) * Ainti les ex
*On n'eſt pas bien d'accord là- deflus. Voyez
38 MERCURE DE FRANCE.
périences que je viensde propoſer fur le
croiſementdeseſpèces ne font , en général
, que curieuſes; celles que je vais
propoſer ſur la méthode de naturalifer
des eſpèces étrangères , peuvent devenir
utiles.
Abondance , paix & liberté font également
les vrais moyens &de croifer les
eſpèces & de multiplier dans un climat ,
les individus qui viennent d'un climat
différent; bien entendu qu'il faut dans
l'une&dans l'autre expériences , donner
à ces animaux , du moins pendant les
premières générations , des abris où on
leur procure une température d'air à peuprès
ſemblable à celle de leur patrie.
Il faudroit ne conſerver que quatre individus
, deux mâles &deux femelles de
chaque portée ou de chaque couvée , &
les laiffer produire enſemble quand la
Nature leur en inſpireroit le defir. On
auroit par ce moyen preſque chaque année
une génération nouvelle excepté
dans les très - grands animaux dont l'accroiſſement
ſe fait avec lenteur , & qui
font long- tems à atteindre la puberté.
Cours d'Hift. Nat,vol. 1, p. 455 , à Paris, chez
Defaint.
NOVEMBRE. 1773 . 39
Je crois qu'en ſuivant les procédés que
je viens d'indiquer , & quelques autres
que l'uſage apprendra aux perſonnes qui
s'appliqueront à cette partie très -intéreſſante
de l'hiſtoire naturelle , il ſera poffible
de multiplier chez nous des autruches
, des aigles , des perroquets , des
ſinges &d'autres animaux bien plus utiles
, des zèbres ou ânesrayésdu Cap , des
lamas ou moutons rouges du Perrou ,
&c.
Nous avons déjà fait depuis long-tems
la conquête du dindon , de la pintade,
du faiſan ; pourquoin'en tenterions-nous
pas de nouvelles ? Mais il faudroit que
ces animaux fuffent libres , tenus proprement
, jamais importunés , qu'ils fuffent
auſſi heureux que font à plaindre ceux que
nous tenons dans des prifons infectes
ceux que l'on montre dans les foires ,
&c.
Si quelqu'un vouloit avoir de plus
grands détails ſur ces expériences , fur la
manière très- peu difpendieuſe de former
des enceintes ou parcs , &c. je me ferai
un plaifir de lui communiquer mon plan
qu'on vient de deſſiner,& tout ce qui me
paroîtra pouvoir aſſurer le ſuccès de l'en
trepriſe. 1
40 MERCURE DE FRANCE.
On s'adreſſera à M. Lacombe , libraire,
auteur du Mercure de France , qui veut
bien ſe charger de m'en avertir.
:
ADORIS.
MAIS pourquoi donc être jolie ?
Pourquoi ces yeux où la pudeur
A la tendreſle eſt réunie ?
Pourquoi cet organe enchanteur
Dont l'ame ſe ſent attendrie ?
Pourquoi donc ce bras fait au tour ?
Ce ſein arrondi par l'amour ?
Pourquoi? ..... pourquoi m'avoir ſcu plaire ?
Voyons , que vous avois - je fait ?
Depuis près d'un an , ſolitaire ,
J'étois tranquile , farisfait.
Avec un Horace , un Voltaire ,
Un Ovide , ou bien un Greſſet ,
Maudiſſant l'Amour & fes peines ,
Je me diſois : ſoyons heureux ,
Le plaiſir de porter des chaînes
Eſt un plaifir trop dangeureux.
Hélas! ... inutile chimère ! .....
Vaines reflources de l'eſprit ! ...
Ce que raiſon m'avoit fait faire ,
Unde vos regards l'a détruit.
Par M. Levrierde Champrion. :
NOVEMBRE. 1773 . 41
PRIÈRE d'un pauvre Diable , à l'occaſion
du secret de l'air fixe.
QUIUI que tu fois , Docteur , Diable , ou Chi
miſte
Qui fixes l'air , pour être bien payé ;
Je crois pieuſement que ton ſecret exiſte ;
Mais hélas ! ne peut-il être mieux employé ?
Contre les coups du ſort fais-nous donc l'amitié
De découvrir quelque reflource .
Fixe - moi ſeulement mille écus dans ma bourſe ,
Et je t'en promets la moitié.
A M. C.
DIEU bénifle Monfieur C.....
Avec les lettres éternelles !
Quel goût ! quel feu ! quel enjouement!
Dieu bénifle Monfieur C.....
Quelque jour on dira pourtant
D'un autre ton ſur ces querelles ,
Dieu bénifle Monfieur C.
Avec ſes lettres éternelles !
42 MERCURE DE FRANCE.
L'EXPLICATION du mot de la
première
énigme du Mercure du ſecond volume
du mois d'Octobre 1773 , eſt la Montre
ou Pendule ; celui de la ſeconde eſt la
Canne; celui de la troiſième est le Baifer;
celui de la quatrième eſt un Epic de
froment. Lemot du premier logogrypheeft
Arithmétique, où se trouvent mur, have,ut,
ré, mi, ariette, tiare , mitre , meute , ham,
ame , mare , huée , amer , Ruth, mère, taie,
hure , quai , ami, Remi , tête , rat , mari,
rue , été , air , eau , Amérique , Attique ,
armée , hue , uri , Maur, étau, hier, Itaque ,
atre , raquette , rime, ire , hare , quarte
mer , ah , ahi , étui , mie , muette , Urie
Ruth , mérite , Marie , Marthe , hutte, mát,
tique , mite , rame , art, hum , shume , arme
, marque , muet , rate , theatre , thême ,
terme , Maure , étique , métairie , métier ,
quête , huitre , quart , quatre , hermite,rit ,
muer , aimer , hair , humer , quéter , être; le
mot du ſecond eſt Mercure , dans lequel
on trouve mer , cure, mère; celui du troiſième
eſt Avoine.
,
NOVEMBRE. 1773 . 43
ÉNIGME.
J'ACCOMPAGNE la foudre & fais trembler la
terre:
Portant par tout la mort , on me voit à la guerre;
A ce début , lecteur , je ne dois pas te plaire.
Ecoute juſqu'au bout ; par un deſtin contraire
Souvent on me recherche , on me fête en tous
lieux;
Près de moi je raſſemble & les ris & les jeux.
Par M. d'Elbeuf.
AUTRE.
CHAUVE au- dehors & velue au- dedans ,
Courant fans pieds , volant ſans aîles ,
Par les coups les plus violens
Je reprends des forces nouvelles.
AUTRE.
ROBE de toutes les ſaiſons ,
Contre tout accident je ſuis un fût aſyles .
44 MERCURE DE FRANCE.
Je ſers aux champs comme à la ville ,
Dans les palais , dans les ſimples maiſons :
En liqueur on me voit à table
De plus d'un peuple amuſer le loiſir ;
Mais, quand on me vêtit , hélas ! lecteur aimable ,
On peut bien dire adieu plaiſir .
Par M. l'Abbé Gueullette , chapelain
de l'Eglise de St Quentin.
J
AUTRE.
E viens préſenter en ces lieux
Une choſe toute célefte ;
C'eſt pour l'homme un bien précieux ,
Mais un bien quelquefois funeſte.
Perſonne n'ignore mon nom ,
Et tous prétendent me connaître.
Coquette , libertin , bégueule & petit-maître
Veulent m'avoir , & c'eſt le ten.
Mais fuyant ce peuple bizarre
Enqui tout me ſemble affecté ,
Pour l'heureuſe ſimplicité
Modeſtement je me déclare.
Placée ici pour le bonheur
De tous les êtres qui reſpirent ,
Mon devoir eſt ſur-tout , lecteur ,
NOVEMBRE . 1773 . 45
De conſoler ceux qui ſoupirent.
Je fais m'affliger avec eux :
Tendre , douce & compatiſſante ,
Ils ſe trouvent moins malheureux
Alors que je leur tends une main careſſante
De l'amour & de l'amitié
Je fais moi ſeule tous les charmes
Si j'y cauſe quelques alarmes
Leurs feux en croiffent de moitié ,
Et fi j'y fais verſer des larmes ,
Qu'elles n'excitent point dans ton coeur la pitić ,
C'eſt un de mes bienfaits. La timide Sophie ,
Qui me cache avec ſoin aux yeux de ſon amant ,
Par ſes pleurs quelquefois découvre un ſentiment
Dont le berger me remercie.
Je pourrois par différens traits
Me montrer avec évidence ;
Mais , voilant mes autres attraits ,
Jeme laiſſe chercher à ton intelligence.
Pour te deſſiner mon tableau
Je voudrois une main divine ,
Ou du moins l'élégant pinceau
De l'inimitable Racine.
C'eſt lui qui lepremier ſut mettre ſous les yeux
Cette métaphyſique eſſence.
J'habitois dans ſon coeur , ce fut un don des cieux.
Le charme de ſes vers prouvoit mon exiſtence.
46 MERCURE DE FRANCE.
Aujourd'hui l'on me voit en toi ,
Toname , Elifabeth , * eſt mon plus cher alyle;
Ton ame , des vertus la demeure tranquille,
Si je n'y faifois pas la loi ;
Mais ma puiflance trop active
Vient toujours troubler ton repos.
Je fais &tes biens & tes maux ,
Je te gouverne & te captive.
Lecteur , qui la connois, ce traitt'en dit aſſez
Pour que tu me trouves fans peine.
Je ne veux point , pas de nouveaux eflais ,
Mettre ton eſprit à la gene
Par Mlle Fanny , de Tours.
AUTRE.
Rien n'eſt fi bon , fi précieux ,
Si commun , ſi pernicieux ,
Si volontaire & fi docile ,
Si paiſible & fi furieux
Que ce que j'offre au lecteur curieux.
Demande- t'on le domicile
Decet être capricieux ?
Il eſt aux champs, à la cour , à la ville ,
Au ſein des mers , au haut des cieux ;
* Elifabeth , Mde la Ducheſſe d'En.....
र
NOVEMBRE. 1773. 47
Etdans les temples ſomptueux ,
Etdans le folitaire aſyle
De l'artiſan laborieux.
Admirez ce préſent utile :
Sans lui point de terrein fertile ;
Point de jardins délicieux ,
Point de fruits ... Mais fuyez ce fléau dange
reux; !
Car bientôt la rage incivile
Va tout ravager à vos yeux.
Par le Solitaire d'Escote,
LOGOGRYPHE.
Ma préſence afflige , humilie
;
Rois, bergers , humains , animaux.
Foibles , forts , barbons , jouvenceaux ,
Sous moi touts'incline , tout plie.
Fais deux parts de mon corps ; à la ville accueil
lie ,
Lapremière eſt du ſexe aimée à la folic.
Jadıs la Laideur l'inventa ;
En ſoupirant la Beauté l'adopta ,
Et la Mode l'accrédita ,
1
-MERCURE DE FRANCE.
La ſeconde eft utile à tout ſexe , à tout âge ,
Et ſe trouve preſque en tous lieux ;
Au lieu de la première on l'emploie au village ,
Et la Beauté ne s'en trouve que mieux.
Par lemême.
0
AUTRE.
Que l'on change avec le tems !
Jadis je tenois en ſuſpens
Le Sénat & l'Aréopage :
Aujourd'hui les plus ignorans,
Ofent rire de mon uſage.
Mais peut- être riront- ils moins ,
Quand ils auront pu me connoître:
Silène trouve en moi l'objet de tous ſes ſoins ;
Le Parafite , ſon bien- être ;
Le Jardinier , un inſtrument ;
L'Abbé de Cour , un bénéfice ;
LeDefir , ſon contentement ;
Le Porteur , le Cocher , un cri de leur office ;
L'avide Finance , un impôt ;
L'Homme , ainſi que la Brute , un mal preſque
incurable ;
Climène, ce qui vient trop tôt; :
Lee
-
Romance àMadhe
LaMusiqueestdeM.Albaneze.
Amoroso andantino.
Novembre,
1773 .
Au bord charmant d'un Onde
vive etpure Glycereunjour disoiten
sou :pi: rant Quels sont les maux que
de puis peuj'en du .......re
Helas'mon coeur soupire a chaqu' ins:
tant: Quels sont les maux que .
depuis peuj'endu....... re He:lasmon
coeur soupire à chaqu'instant.
NOVEMBRE. 1773. 49
Les modernes Cotins , un cheval intraitable ;
LeGéographe , une île au parage d'Aunis ;
Le Prince , ce qui fait briller ſon équipage ;
LesDragons , lesHuſlards , un lieu pour le fouri
rage :
Mais j'en dis trop ; je metrahis.
ParM. L. M... de F *** , fur les bords
de l'Aute , en Baffe-Normandie.
AUTRE.
C'EST moi qui repeuple l'Eglife.
J'enferme le mont où Moyfe ,
De la bouche de Dieu , reçut ſes ſaintes lois ;
Un terme de reſpect , en parlant à nos Rois ;
Un royaume dans l'Inde ; un fleuve en Franconie ,
د
Et la quatrième partie
Du plus petitde tous nos mois ;
Des Rois la logique & le juge ;
Ce qu'à quinze ans attend Cloris ;
Une ville en Artois ſur la rive du Lis .
Conſidère ma tête ; elle a vu le déluge ;
Regarde, & reconnois le fougueux éléments
Des pauvres forçats le tourment ;
Ce qui de notre poëfie
Fait le principal agrément ;
Salue à qui tu dois la vie ;
C
SO MERCURE DE FRANCE.
Vois ici ce qu'en vain l'on cherche en fon malheur;
L'animal que Boileau préféroit au docteur ;
Le chef d'une cité ; trois notes de muſique;
Cequi peut rendre frénétique ;
L'auguſte compagne des Rois ;
Un animal léger chez le pelant Suédois ;
Une ville dans la Gascogne ; 1
Un ruiſſeau dont la ſource eſt près le Mont-Jura;
Un Evêché jadis en Catalogne ;
Un autre au Maine , & catera.
Par M. *** , à Falaise.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Le Voyageur François , ou la connoiſſance
de l'ancien & du nouveau Monde ,
mis au jour par M. l'Abbé de la Porte.
Tomes XVII & XVIII in 12. A Paris,
chez L. Cellot , imprimeur - libraire ,
rue Dauphine.
Le Voyageur François eſt actuellement
en Angleterre ; & les relations qu'il nous
endonne rempliſſent les deux volumes
qui viennentde paroître. Ce Voyageur ,
après avoir rappelé tes principaux faits de
l'hiſtoire britannique à ſon lecteur, entre
L
NOVEMBRE. 1773 .
dans tous les détails qui peuvent intéreſſer
ſa curioſité ſur le gouvernement , la
police , le commerce , la navigation , les
finances , la littérature , les moeurs , coutumes
& uſages des Anglois. Son ail ob .
ſervateur ne s'eſt laiſſe prévenir par aucune
haine nationale, ni par cette antipathie
que les deux peuples ſemblent avoir
l'un pour l'autre. Aux yeux d'un François,
l'Angleterre eſt le ſéjour de la fingularité
,de la fierté & de la jalouſie ; aux
yeux d'un Anglois , la France eſt celui de
la frivolité , de l'inconſtance & des modes
; aux yeux du philoſophe , la France
&l'Angleterre font, commetous les lieux
du monde , le pays des vertus , du méri
te, des ſottiſes &des vices. Notre Voyageur
, après avoit examiné particulièrement
l'origine de cette antipathie , fait
voir qu'elle entre pour quelque choſe
dans la politique du gouvernement. Les
Anglois cherchent même à faire germer
cette haine juſques dans le coeur des enfans.
Pendant la dernière guerre on parloit
dans une maiſon de Londres , du
projet qu'avoient les François de faire
une defcente en Angleterre ; un petit
garçon de neuf ans écoutoit avec beaucoup
d'attention ce que l'on diſoit , & puis tout
Cij
52 MERCURE DE FRANCE,
d'un coup ſe levant de fa chaiſe , s'approche
de fon père , & lui dit : « Si les Fran-
>> çois viennent ici , ameneront - ils des
>> enfans avec eux ? Pourquoi cette quef-
>> tion , répondit le père ? C'eſt , répliqua
>> l'enfant en ferrant les poings , que je
>> me battrai de bon coeur avec ces petits
» garçons. Toute l'aſſemblée fut enchantée
, embraſſa l'enfant & loua ſa courageuſe
réſolution. Les crocheteurs , les
matelots , les porteurs de chaiſe & tous
les journaliers répandus dans les rues de
Londres, font ceux qui mettent le moins
de bornes à cet excès d'animoſité . Cette
populace brutale ne prononce même jamais
un nom François ſans y ajouter les
épithètes les plus odieuſes. C'eſt cette
populace qu'il faut enviſager , ſi l'on veut
juger de la phyſionomie particulière du
peuple Anglois , & en général de celle
de tout autre peuple ; car l'éducation
répand ſur les caractères un vernis de po-
Jiteſſe qui en efface les principales nuances
.
Pour être affailli des journaliers de
Londres , il n'eſt pas néceſſaire de lier
converſation avec eux ; il ſuffit de paffer
à leur portée. Charles II , qui prenoit
plaisir à ſe familiariſer avec eux , leur di.
NOVEMBRE. 1773 .
1
foit des injures&s'en faifoit dire ; & c'eſt
ce qui rend ſa mémoire encore ſi chère
au petit peuple . Ce Prince étoit noir de
viſage ; & il venoit de mettre ſur les cheminées
un impôt dont tout le monde
murmuroit. Ayant provoqué quelques
bateliers fur la Tamiſe , ceux-ci ripoftèrent;
le Roi répliqua & crut avoir vaincu
fes adverſaires , lorſqu'un d'eux le déconcerta
en l'appelant Ramoneur de cheminées.
Charles décontenancé , refta court ,
ne fut que rire ; & cette victoire , qui fit
grand plaiſir aux bateliers , les confola de
l'impôt. Répondre à cette canaille , c'eſt
fouvent lier partie pour ſe meſurer à
coups de poings. La police de Londres
laiffe un champ libre à ces fortes de comm
bats très - fréquens parmi le peuple , &
quelquefois entre les honnêtes gens , qui ,
par forme de récréation, veulent battre ou
être battus. Les athlètes quittent leurs
habits , ſouvent même la chemiſe pour
ne pas les falir ni les déchirer , & en même-
tems pour avoir les bras plus libres &
agir avec plus de vigueur. Le Comte de
Saxe , depuis Maréchal de France , ne dédaigna
pas de meſurer ſes forces avec un
boueur de Londres , dans ce genre d'efcrime.
Il laiſſa venir ſon homme , le prit
C iij
54 MERCURE DE FRANCE .
par le chignon , & le jeta dans ſon tombereau
rempli de boue liquide. Le peuple
attroupé , témoin & charmé de ſa victoire,
le porta glorieuſement juſqu'à ſon hôtel .
Le goût pour les combats à coups de
poings tient tellement au caractère de
cetteNation , que dans les penſions& les
écoles , les enfans de la première Nobleſſe
ſe font de fréquens défis , & ſe batrent
ſuivant toutes les règles de l'art. Un
Chevalier Baronet étoit un ſi grand partiſan
de cette ſcience , qu'il avoit fait un
livre fur cette partie de la gymnaſtique
angloiſe , & l'enſeignoit même gratuitement
à ſes voiſins . Un Lord s'entretenant
avec lui ſur cette matière, il le ſaiſit
à l'improviſte , & le jera par deſſus ſa têre.
Celui ci un peu froiffé de ſa chûte , fe
releva en colère . « Milord , lui dit le
> Baronet d'un ton grave, il faut que j'aie
» bien de l'amitié pour vous ; car vous
>>êtes le ſeul à qui j'ai montré ce tour-
» là . Aureſte , cette manière de ſe battre
eſt très-ancienne enAngleterre. Dans
la fameuſe entrevue de François I. avec
Henri VIII , à Boulogne , ce dernier prit
un jour le Roi de France au collet& lui
propoſa de lutter. Le défi accepté , Henri
donna deux crocs en jambe à ſon adverNOVEMBRE.
1773 . 55
faire; mais François I les eſquiva & renverſa
le Monarque Anglois.
Notre voyageur cite pluſieurs traits
finguliers & funeſtes de cette maladie
cruelle qui porte un homme à s'oter la
vie. Ces traits ne paroiſſent peut - être
plus communs parmi les Anglois que
chez toute aurre Nation , que parce qu'on
a ſoin de les recueillir dans les papiers
publics. Notre Voyageur rapporte,d'après
ces mêmes papiers, cette anecdotequi peut
ſervir de leçon à ceux qui regardent la
funeſte réſolution de fortir de la vie comme
un acte de courage. Un pauvre homme
ayant été ramaſſer du bois mortdans
la forêt de Hydepark, vit un Gentilhomme
bien mis , ayant l'épée à ſon côté &
une cocarde à fon chapeau , qui ſe promenoit
d'un air trifte & rêveur. Ce pauvrehomme,
croyant que c'étoit un officier
qui venoit là pour ſe battre en duel , ſe
cachederrière un rocher. Le Gentilhomme
s'approcha de cet endroit , ouvrit un
papier qu'il lut avec un air fort ému , &
qu'il déchira. Il tira enfuite un piſtolet
de ſa poche , regarda l'amorce &battit
la pierre avec une clef. Après avoir jeté
fon chapeau à terre , il appuya le piſtolet
fur fon front; l'amorce prit; le coup ne
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
partit point. L'homme qui s'étoit caché,
s'élança ſur l'officier , & lui arracha fon
piſtolet; mais celui - ci mit l'épée à la
main, & voulut en percer fon libérateur,
qui lui dit tranquilement : « Frappez ; je
>> crains auſſi peu la mort que vous ; mais
>> j'ai plus de courage. Il y a plus de vingt
« ans que je vis dans les peines & dans
» l'indigence ; & j'ai laiſſé àDieu le ſoin
>> de mettre fin à mes maux, >>> Le Gentilhomme
, touché de cette réponſe,reſta
un moment immobile , répandit un tor
rent de larmes , embraſſa cet honnête
vieillard , lui fit accepter ſa bourſe, & fe
retira perfuadéque cet infortunéétoit plus
courageux que lui& plus raisonnable.
Chaque Nation ſe forme une idée par
ticulière de la beauté des femmes. Une
peau fine & très - blanche , des couleurs
tendres & légères , de la fraîcheur dans le
teint, un embonpoint ſeulement de ſanté,
un viſage plus ovale que rond , un nez un
pau alongé , mais d'une belle forme ,aſſez
comme l'antique , des yeux grands,moins
vifs que touchans , plus intéreſſans que
fpirituels , une bouche gracieuſe ſans fourire
, d'un tour même un peu boudeur ,
qui lui donne à la fois de la dignité &
un air voluptueux , des cheveux propres ,
V
NOVEMBRE . 1773 . $7
mais fans poudre , une taille avantageuſe
&droite , le cou long& dégagé , les
épaules quarrées & un peu plates , la gorge
ſaillante , des mains preſque toujours
un peu maigres : voilà ce qu'on trouve
de beau dans les Angloiſes .On peut dire,
en général , qu'elles ont peu de phyſionomie
; & preſque toutes ont paru à notre
voyageur avoir la même coupe de
viſage. Les Angloiſes n'ont pas encore
appris des Françoiſes l'art de déguifer la
nature au point de la rendre méconnoiffable
par le fard & le vermillon. Adifion
leur reprochoit d'avoir emprunté de nos
Dames la coutume de s'habiller en homme.
Il eſt vrai que dans la belle faifon
elles renoncent aux parures de leur ſexe ,
&ne confervent de leur vêtement naturel
que ce qu'elles croient ne pouvoir
abandonner ſans renoncer à la modeſtie.
L'habit d'homme leur paroît plus commode
pour la campagne &moins embarraffant.
Elles ſavent d'ailleurs que pour
peu qu'une femme ſoit bien faite , elle a,
fous cet habillement , quelque chofe de
piquant qu'elles ne veulent pas négliger .
L'eſprit de liberté qui règne en Angle.
terre doit contribuer à montrer les carac
tères plus à découvert. Pluſieurs traits
Cr
::
58 MERCURE DE FRANCE.
cependant que l'on a cités comme origi
naux , n'ont dû paroître tels que par la
manière ſeule dont ils ont été préſentés.
Un habitant de Londres , qui n'avoit
point d'enfans , donna aux pauvres tout
fon bien par ſon teftament; &cette action
, qui, quoique très - louable en ellemême
, n'avoit cependant rien de bien
rare , fut célébrée pendant pluſieurs mois
dans tous les papiers publics,uniquement
à cauſe de cette tournute fingulière :
« J'inſtitue pour mes héritiers , ceux qui
>>ont faim , ceux qui ont foif, ceux qui
>> font nuds , &c. »
Notre Voyageur s'eſt principalement
arrêté à nous faire connoître les moeurs ,
les uſages , & le génie particulier de la
Nation qui fait l'objet de ſon voyage.
Comme cet écrivain n'a point négligé de
confulter les écrits les plus inſtructifs fur
le commerce des Anglois , ſur les ſciences&
les arts qu'ils cultivent avec le plus
de ſuccès, ſur les loix& la forme de leur
gouvernement , ces deux nouveaux volumes
pourronttenir lieu de pluſieurs ouvrages
compoſés ſur ces différens objets .
Ils préſentent , ainſi que les volumes précédens
, un cours d'inſtructions , de.connoiſſances
& d'amuſemens très - utile à la
jeuneſſe.
NOVEMBRE. 1773 . 59
OEuvres de Molière , avec des remarques
grammaticales , des avertiſſemens & des
obfervations fur chaque pièce , par M.
Bret ; 6 vol. in 8°. avec figures, broch .
en carton ; prix , 54 liv. A Paris , chez
leClerc , quai des Auguſtins , & chez
les libraires aflociés .
Nous n'avons donné juſqu'ici qu'une
fimple notice de cet ouvrage intéreſfant
pour la littérature , & qui nous paroît
réunir les fuffrages des gens de goût . Nous
comptions y revenir avec un plus grand
détail ; mais la difficulté de faire un enſemblede
mille traits épars dans une production
du genre de celle de M. Brer ,
nous détermine à prendre le parti de donner
une idée de ſon travail , par l'examen
de celui qu'il a fait fur le Tartuffe& far
le Malade imaginaire ſeulement , en prévenant
nos lecteurs que dans preſque toutes
les autres pièces , & fur - tout dans
celles qui font le plus grand honneur à
Molière , nout trouverions également de
quoi faire un extrait qui piqueroit lour
curioſité.
Les trois premiers actes de la comédie
ineſtimable du Tartuffe,ditM. B. avoient
paru à la fixième journée des plaiſirs de
I'lleenchantée,en1664.
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
L'auteur pufillanime de la deſcription
de cette fête , vendu au parti qui redoutoit
la publicité de cette pièce , écrivit
que Louis XIV eut de la peine à fouffrir
dans cette Comédie , trop de reffemblance
du vice & de la vertu , & qu'il la défendit
par cette raiſon. Louis , dit le
Commentateur , ne fit point cette injure
aux vrais dévots . Tartuffe, plein du defir
criminel de ſéduire la femme de fon
bienfaiteur , ne put pas ſe confondre un
moment dans l'eſprit de ce Prince , avec
un homme de bien ; mais le manége ,
les criailleriesdes impoſteurs qui s'étoient
reconnus , arrachèrent cette défenſe que
Louis XIV dut ſe reprocher plus d'une
fois.
Un torrent de libelles ſe déchaîna
contre Molière. On écrivit que les deux
auguſtes Reines de ce tems étoient a
la tête de ſes ennemis : fait démenti par
la repréſentation des trois mêmes actes ,
trois mois après à Villers- corterets , en
préſence des deux mêmes Princeſſes.
Une nouvelle penſion accordée à
Molière , prouve encore mieux que fes
Maîtres ne groſſiſſoient pas la foule de
fes perfécuteurs.
Trois ans après , Louis XIV, dans la
confiance que le tems avoit dû calmer
1
NOVEMBRE . 1773 . 61
le faint effroi de 1664 , donna à Molière
une permiffion verbale de faire re
préſenter fa Comédie : on fait ce qui
en arriva ; mais ce qu'on ne trouve point
par- tout , c'eſt que Louis avoit en la
circonfpection d'exiger qu'elle ne parûr
point fous le titre de Tartuffe qui avoit
été le ſignal des premières fureurs ; que
l'acteur qui joueroit le perſonnage de l'impoſteur
eût un habit chargé de dentelles,
& l'epée au côté comme un laïque. Es
a ce propos M. B... demande pourquoi
les Comédiens ont préféré depuis,
de montrer Tartuffe ſous une décoration
qui le rapproche trop d'une application
qui avoit été ſi ſagement évitée , & qui
contredit même le plan de Molière
puiſque en le préſentant comme un homme
qui devoit époufer la fille d'Orgon ,
cette idée exclut toute idée d'un étap
incompatible avec ce mariage .. Hobſerve
qu'on fait le même contreſensdans
les Femmes ſcavantes en donnant à
Triffotin la décoration d'un abbé.
Le Commentateur obſerve que M.
Gigli , dans fa traduction de cette pièce
fous le titre de D. Pilone overo il Bacchetone
falfo en 1711 , avoit dit expref-,
fément qu'il ne falloit pas croire que,
le perſonnage du faux dévot für de
62 MERCURE DE FRANCE.
l'état eccléſiaſtique. Non deverfi credere
che in foggito fia perfona ecclefiaftica.
Le déchaînement contre Molière ne
devint que plus fort après l'Arrêt du
Parlement : on le traitadeſcélérat , d'athée
à brûler ; on compoſa des écrits fé
ditieux dont on chercha à le faire paffer
pour Auteur , & les chaires de Paris retentirent
de ſa diffamation .
M. B... a trouvé les raiſons ſur lefquelles
s'appuyoit le parti redoutable
des hypocrites , dans les jugemens du
peſant Baillet. Molière , dit- il , avoit eu
la présomption de croire que Dieu vouloit
bien fefervir de lui pour corriger un
vice répandu par toute l'Eglise , & dont
la réformation n'est peut - être pas même
réservée à des conciles entiers , &c. hac
ferid quemquam dixifſſe , ſumma hominum
contemptio est , dit le Commentateur
d'après Pline.
M. B ... tire à cette occafion ur
morceau du Sermon du ſeptième Dimanche
d'après Pâques , du célèbre Bour
daloue , dans lequel on voit que ce ſublime
orateur proſcrivoit une pièce qu'il
n'avoit pas vue , mais fans doute fur
des mémoires que lui avoit fournis une
cabale qui faifoit ſervir ſes talens à
NOVEMBRE. 1773 . 63
défendre publiquement une charlatanerie
qu'il n'avoit pas.
Une lettre , qui parut quinze jours
après l'unique répréſentation de l'Impoſteur,
fut ſa ſeule apologie. Bien des
raiſons conduiſent à croire que , malgré
les éloges qu'on y donne à Molière , cette
lettre eſt de lui , & l'on eſt fâché de
ne pas la voir dans cette nouvelle
édition.
: Le GrandCondé fait lui ſeul tête à
l'otage , & fait jouer pluſieurs fois la
pièce à Chantilly. Enfin en 1669 , Louis
XIV ſe laffe d'être également obfédé &
par les ennemis , & par les amis de
Molière; it donne ordre de la jouer
fous fon ancien nom de Tartuffe .
Trois mois du plus grand ſuccès attirent
à Molière de nouveaux ennemis
auffi incommodes , mais moins redoutables
que les premiers. On l'accable
d'injures groſſières & plates fur d'autres
théâtres que le ſien. Ce tableau des perfécutions
littéraires qu'éprouva Molière ,
eſt intéreſſant pour l'hiſtoire des ſottiſes
humaines.
M. B... s'attache enſuite à juſtifier
par les raiſons les plus convaincantes
&toujours puiſées dans le véritable art
de la Comédie , le dénouement duTar
64 MERCURE DE FRANCE.
tuffe toujours trop légèrement critiqué.
Il défend auſſi la fameuſe ſcène cinquième
du quatrième acte , peu ménagée
dans une de nos poëtiques modernes ;
mais nous obferverons que l'orſqu'il s'eſt
vu dans la néceſſité de repouſſer les
attaques de quelques - uns de ſes contemporains
, ce qui lui eſt arrivé plus
d'une fois dans ſon édition , il a ſu
joindre au courage que demandoit la
défenſe de Molière , l'honnêteté que ſe
doivent mutuellement les gens de lettres
. Il s'eſt rappelé ſans doutel'utile exemple
de ces deux Romains dontladiwerſité
des opinions ne bleſſoit point
Famitié . Cùm aliud M. Catoni , aliud
L. Lentulo videretur , nulla inter eos concertatio
umquam fuit. Cicero. Tufcul.
lib . 3 .
Ce dont M. B... par oft avec raifon
ſe ſavoir plus de gré dans ſon travail
fur le Tartuffe , c'eſt d'avoir le premier
détruit une opinion répandue par tout ,
qu'une farce intitulée il doctor Bacchetone,
pat Buonvicin Gioanelli , étoit l'original
de la pièce de Molière , & qu'il y avoit
cent ans que cene pièce ſe jouoit en
Italie , lorſque le Tartuffe parut. Or
il prouve que la dramaturgie de Leo Allatius
,augmentée de notre tems par
1
NOVEMBRE. 1773 . 65
Cerdoni & Apoftolozeno , ne fait pas
même mention de cette farce , & qu'au
contraire on y trouve à l'article du Buonvicin
Gioanelli , plufieurs pièces de fa facon
compoſées long- tems après la mort
de Molière , dont il imita encore le
Malade imaginaire ſous le titre d'ammalato
imaginario ſotto la cura del doctor
purgon. Il faut voir dans l'avertuf
fement de M. B... tout le détail cu
rieux de cette juſtification .
M. B... avoit un plus grand ennemi
du Tartuffe à repouffer ; c'étoit le célèbre
la Bruyere , qui , dans ſon chap. de
la Mode , avoit fait la plus vive cenſure
de cette Comédie. Le Commentateur
prouve que la critique artificieuſe &
jalouſede la Bruyere ne démontre qu'une
choſe ; c'eſt que, propre à faire un excellent
livre de morale , il ne fût parvenu
qu'à faire un drame triſte & froid .
Une anecdote inconnue fur M. Piron
à l'occaſion du Tartuffe , termine l'avertiſſement
de M. B... qui , dans le
cahier de fes obſervations ſur la même
pièce , a répandu pluſieurs autres faits
curieux , & des remarques utiles à l'art
de la Comédie , aujourd'hui ſi éloigné
de ſes premiers & de fes vrais principes.
66 MERCURE DE FRANCE.
Nous paſſerons au Malade imaginaire
dont nous avons promis d'eſquiſſer audi
le Commentaire , en nous reſſerrant le
plus qu'il nous fera poſſible.
Les conquêtes de Louis XIV en Hollande
, dit M. B... où ce Prince avoit
pris trente- fix Villes preſque toutes fortifiées
, excitoient tous les talens , animoient
tous les arts à célèbrer leur auguſte
protecteur ; & c'eſt à ce fentiment
que nous devons le prologue qui
précède le Malade imaginaire.
Il étoit conſacré à la louange de Louis
le Grand; mais il n'en étoit pas meilleur
, parce que ce n'étoit pas le genre
de Molière , & qu'il fut toujours médiocre
dans le lyrique : mais en donnant
un nouveau chef d'oeuvre comique , il
faifoit bien plus pour la gloire du règne
de ce Monarque , que s'il l'eût loué avec
plus d'art & de délicateſſe.
Les excurſions qu'il avoit faites jufquelà
fur les Médecins , n'étoient rien en
comparaiſon du combat qu'il parut livrer
ici au Corps entier. M. Perrault parla de
cette dernière attaque, comme ſi ſa plume
avoit été guidée par l'humeur d'un Médecin
ſubalterne. Molière , à la vérité ,
ſemble paffer le but , mais dans l'art
NOVEMBRE. 17730 67
de Thalie fur-tout , il faut ſouvent le
paffer pour l'atteindre.
Dailleurs quoique Molière dans cette
pièce ait paru confondre l'art même avec
les Praticiens , il eſt aiſé de voir par les
portraits qu'il a deſſinés , qu'ils ne devoient
point alarmer les gens honnêtes
de cette profeſſion. La pédante ſtupidité
de Meſſieurs Diafoirus père & fils , la
demande de M. Purgon ne font pas
faites dir M. B ... pour bleſſer des gens
qui ne peuvent leur reſſembler. Il y a un
art de la Médecine a dit M. de Vol.
taire , mais dans tout art il y a des
Virgiles & des Mævius. Les portraits de
Vadius & de Triſſotin, ne rendirent pas
les gens de lettres ridicules , & la cen
fure qu'on feroit aujourd'hui de l'écri
vaillerie de notre tems , n'atteindroient
ni Buffon , ni Voltaire , ni d'Alembert ,
ni beaucoup d'autres.
Si Montaigne avoit fourni à Molière
des traits contre la Médecine , il avoit
pu lui inſpirer même le caractère du
Malade imaginaire : j'en ai vu , dit ce
philofophe aimable, que liſoit Molière ,
comme Ménandre liſoit Platon : j'en ai
vu prendre la chèvre de ce qu'on leur
trouvoit le visage frais , & le pouls pose ,
68 MERCURE DE FRANCE.
contraindre leur ris , parce qu'il trahiſſoit
leur guérison , & hair la santé de ce
qu'elle n'étoit pas regretable.
M. B... n'oublie pas de comparer
à cette pièce le Malade imaginaire de
Dufreſny. C'est le bel-eſprit aux priſes
avec le génie , dit- il , & c'eſt a cet
auteur, ( qu'apparamment M.B... eſt bien
éloigné de ne pas eſtimer auſſi , ) que
commence dit - il , le déclin de l'art
comique. Pour le précipiter , il ne devoit
manquer à fes imitateurs que le
degré de fineſſe & d'eſprit qu'il avoit ,
& cela n'est arrivé que trop aifément
& trop fréquemment.Mais le Commentateur
obſerve qu'un objet plus important
encore qu'avoit Molière dans le dernier
de ſes ouvrages , étoit de tracer à nos
yeux le portrait d'une marâtre avare ,
intéreſſée & cruelle. Ce portrait deffiné
de main de maître , dit-il , n'est qu'un
acceſſoire du ſujet principal ..... c'eſt
ici qu'il faut apprendre à ne pas détruire
l'unité de ſon ouvrage en doublant
avec art fon utilité par les effets différens
qu'on lui fait produire.... Térence avoit
préſenté une belle- mère , mais honnête ,
douce , & raiſonnable , & le comique
réſulte moins d'un exemple à ſuivre , que
NOVEMBRE. هو . 1773
de celui qu'on propoſe à fuir. De- là
vient le peu de ſuccès de tant d'inftruc .
tions purement morales , que l'on diviſe
par ſcènes , au lieu de les donner
par chapitres dans un ouvrage d'un autre
genre,
M. B... obſerve auſſi que les édidions
antérieures à celle 1682 , que
ſuivent nos auteurs , & à laquelle l'édition
in 4º s'eſt conformée , ent entreelles
de grandes différences dont il fait
remarquer quelques- unes , où une moins
étrangère , ſe laiſſe aisément appercevoir.
C'eſt ce qui a fait ſouhaiter à un
journaliſte qui vient de rendre compte
de l'édition de M. B... , qu'on réimprimật
par ſupplément le texte ancien , &
⚫ qu'on y ajoutât la lettre ſur le Tartuffe
qu'on ſoupçonne être de Molière .
Il ne pouvoit pas ſe faire en s'occupant
de cette dernière Comédie de Mo.
lière , que M. B... ne ſe rappelât point
quelle fut l'époque de ſa mort. A cette
occafion il peint les hommages centenaires
qu'on a rendus dans cette année à
ce grand homme.... fi M. de Saint-
Foy , dit il , réimprime ſes ingénieux
eflais fur Paris , il ne s'écriera plus ou
est la statue de Molière ? Elle eſt décernée
dans un moment de tranſport &
70
MERCURE DE FRANCE.
d'amour , par un acte public qui la
rend digne de ce grand homme. Ce qui
tombe fur l'engagement que prirent nos
acteurs , d'élever un monument au fondateur
de leur art .
Les obſervations de l'éditeur ſur cette
pièce, ont, comme toutes les autres, letriple
mérite d'être utiles à la ſcience des
moeurs , à celle de la langue , & à l'att
de la Comédie , dont l'auteur , dans ſon
diſcours préliminaire & dans beaucoup
d'autres endroits , s'eſt toujours fait un
devoir de faifir les principes par la
pratique qu'en a fait Molière.
Nous terminerons cet extrait par un
poft-ſcriptum qui eſt à la fin des obfervations
de M. B... , ſur le Malade
imaginaire.
Poft-Scriptum.
>>Chargés du Commentaire du plus
>>>grand auteur comique qui ait exifté
>>dans tous les temps , nous avons eu
>>pour objet de le rendre utile au vé-
→→ ritable art de la Comédie , à nos jeu-
>> nes artiſtes , & aux étrangers auffi
>>> idolâtres de cet auteur que nous mê-
» mes , parce qu'il n'y a que le talent
» qui ſoit national ; & que le génie eſt
NOVEMBRE. 1773 . 71
» commun à tous les lieux où l'on penſe .
»Heureux ſi nos efforts ont répondu à
>> nos intentions !
ود
» Nous nous rappelons que dans le
> cours de nos remarques nous avons
été forcés de défendre Molière contre
>>des opinions modernes qui nous ont
>>paru hafardées. Si le zèle dont nous
» étions remplis pour notre auteur nous
» avoit portés au de-là des égards dont
» les gens de lettres devroient rougir de
» s'écarter les uns envers les autres ,
» nous en déſavouerions la chaleur :
>> mais nous croyons nous être tenus
» à cet égard dans les bornes d'une
»défenſe permiſe , & qui entroit dans
>>les obligations que nous avoit fait
>> contracter notre qualité de Commen
tateur. »
Nouveaux éclairciſſemensfur la vie & les
ouvrages de Guillaume Postel; par le
Père Des Billons , de la Compagnie de
Jeſus; vol. in. 12. A Liége , chez Tutot
, imprimeur - libraire ; & à Paris ,
chez la Ve. Babuty , libraire , rue de
laHuchette.
Guillaume Poſtel , profeſſeur des mathématiques
& des langues au collége
72 MERCURE DE FRANCE.
,
royal de Paris , naquit de parens pauvres
&obfcurs , le 25 Mars 1510 à Dolerie
village proche Barenton en Normandie.
11 ajouta lui-même à fon nom celui de
Dolerienfis dans le titre de ſa ſeconde
production , imprimée in-4°. à Paris en
1538. Tous les auteurs contemporains ,
qui parlent de ſon âge , comme l'obſerve
le P. Des Billons , le font naître dans le
ſiècle précédent: mais le témoignage de
fon testament , qui ſe trouve écrit de ſa
propre main dans la bibliothèque du Roi,
réfute celui de ces auteurs ; & c'eſt le ſeal
que le P. D. a cru digne d'être ſuivi. Il ne
répète point le récit qu'on a déjà fait tant
de fois des aventures de Guillaume Pofzel
&de ſes malheurs qui traversèrent fon
amour pour les ſciences , ſans pouvoir le
ralentir. Il ne parle point de ceux de ſes
ouvrages qui n'ont rien de curieux , ou
dont divers écrivains ont donné des notions
ſuffifantes. Les obſervations du P.
D. n'ont pour objet que des choſes peu
connues , ou mal éclaircies. On ne doit
donc pas s'attendre à trouver ici une hiftoire
liée & méthodique de ia vie & des
ouvrages de Poſtel , mais ſeulement quelques
remarques détachées.
Poſtel avoit beaucoup de vivacité &
une
NOVEMBRE. 1773 . 73
une mémoire prodigieuſe. Il connoiffoit
parfaitement les langues orientales , une
partie des langues mortes , & preſque
toutes les langues vivantes. On pourroit
dire de lui qu'il étoit le plus ſavant, mais
non le mieuxfavant defonfiècle. La lecture
des écrits des Rabbins & des livres
orientaux lui avoit fi fort échauffé l'imagination
, qu'il étoit parvenu à prendre
ſes rêves pour des viſions. Il s'étoit mis
dans la tête que le règne évangélique de
Jeſus-Chriſt , établi par les Apôtres , ne
pouvoitplus ni ſe ſoutenir parmi lesChrétiens
, ni ſe propager parmi les Infidèles
que par les lumières de la raiſon. li fe crut
deſtiné pour l'exécution de ce grand ouvrage
: c'eſt pour y diſpoſer les efprits ,
qu'il fit ſes quatre livres de la Concorde
de l'Univers , de orbis Terra Concordia.
Acette idée qui le regardoit perſonnellement,
il en joignit une autre qui confiftoit
dans la deſtination d'un Roi de France
à la monarchie univerſelle. Il falloit
lui préparer les voies par la conquête des
ceoeurs ,& la conviction des eſprits , afin
qu'il n'y eût plus dans le monde qu'une
ſeule croyance , & que Jeſus - Chrift y
régnât par un ſeul Roi , une ſeule loi &
une feule foi. Poſtel, pour en impoſer aux
D
74
MERCURE DE FRANCE.
ſimples , & donner quelque poids à fon
ſyſtème par l'apparence d'une économie
divine&d'une conduite ſurnaturelle , s'étoit
aſſocié une Vénitienne , connue sous
le nomde la mère Jeanne , de laquelle il
raconte bien des merveilles dans un ouvrage
intitulé : Revelationes Matris Mun.
di , fivè Evæ nova; les Révélations de
la Mère du Monde ou de l'Eve nouvelle.
Poſtel nous dit dans une de ſes lettres
«que cette Eve nouvelle étoit âgée de
>> cinquante ans lorſqu'il eut le bonheur
>> de la connoître : que la plénitude de la
» ſubſtance de Jeſus - Chriſt habite en
>>elle , ainſi que la ſubſtance de la Divi-
>nité habite en Jeſus - Chriſt ; que le
> Myſtère de l'éternité , c'eſt à direde la
>> reſtitution parfaite , doit être confom-
» mé en elle : que tout le monde à Ve-
>> niſe ſe moque de lui , mais qu'il s'en
» conſole , parce qu'il fait bien ce qu'il a
» vu & entendu. Il nous apprend , dans
>>une autre lettre,que cette fille , après ſa
>> mort , lui tint la promeſſe qu'elle lui
» avoit faite, de l'aſſiſter quand elle feroit
>>auCiel : qu'elle vint en effet lé trouver à
>> Paris;&que ce fut alors qu'elle lui com-
> muniqua ſa ſubſtance , qu'elle l'établit
» dans tous les droits de premier né de la
NOVEMBRE. 173. 75
>> régénération ;qu'elle lui fit comprendre
» par la lumière de la raiſon tous les
>> myſtères de la Religion chrétienne , &
>>le chargea de les faire comprendre à
> tous les habitans de la terre , en leur
> communiquant cette même lumière..
Parmi les écrits dont Poſtel ſurchargea
le monde littéraire , les Bibliomanes recherchentprincipalement
ceux où il traite
de ce qui regarde ſa Mère Jeanne. Le
premier qu'il donna far ce ſujet, eſt intitulé
: les très - merveilleuses victoires des
femmes du nouveau Monde ( c'eſt à dire
du Monde renouvelé ) & comment elles
doivent à tout le monde par raiſon commander,
& même à ceux qui auront la monarchie
du Monde vieil. A la fin eft ajoutée
la doctrine du Siècle doré , ou de l'é
vangélique règne de Jesus , Roi des Rois.
Paris , Jean Ruelle , 1553. in- 16. petites
lettres. 51 feuillets pour le premier traité,
&16 pour le ſecond. Un exemplaire de
cette édition , relié en maroquin rouge ,
fut acheté 220 liv. en 1767 , à la vente
des livres de M. le D. de la V*** . Il y
en a une autre édition de la même année,
qui parut dans la même ville chez Jean
Gueullart : elle eſt du même format
mais d'un caractère plus gros , &contient
,
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
81 feuillets. L'édition de Ruelle a été
contrefaite à Paris dans ces derniers tems
ſous la même date , mais dans un format
un peu différent. Voilà trois éditions de
cet ouvrage : il n'eſt donc pas auffi tare
que bien des gens ſe l'imaginent. Cette
contrefaction ne ſe vend pas cher , quoiqu'elle
contienne toutes les extravagances
qui font rechercher les deux autres avec
tant d'empreſſement.
Poſtel dit de ſa Vergine Venetiana , que
quoique ſa béate eût cinquante ans , elle
paroiſſoit n'en avoir que quinze,parce que
les longues méditations la rajeuniſſoient,
ce qui lui arrivoit ſur - tout les jours de
communion. Ce livre de la Vergine Venetiana
n'a que 39 feuillets. Ileſt regardé
comme le plus rare & le plus cher de
tous les ouvrages de Poſtel. Le Père D.
B. ne le connoît que par l'extrait qu'en a
donné le père Niceron ,& ce n'eſt que ſur
le rapport d'autrui qu'il parle de quelques
exemplaires qui exiſtoient ou qui exiftent
encore dans la république des lettres. Il
yen avoit undans la bibliothèque royale
de Dreſde : on fait mention d'un autre
dans le catalogue d'Uffenbach , où il eſt
taxé vingt thalers. M. le Préſident de
Cotte en poffède untroiſième. Un qua
A
NOVEMBRE. 1773 . 77
trième relié avec in libro della divina ordinatione
; dovesi tratta delle cose miraculose
, lequale jono ſtato , &fino al fine
hanno da effere in Venetia , & principalmente
la causa , par laquale iddio fin qui
habbi havuto piu cura di Venetia , che di
tutto il mondo infienne ; per Gulleimo
Poftello, Padoua , 1556 , in 8 ° , de vingt.
huit feuillets , fut acheté à la vente des
livres de feu M. Gaignat , 901 liv .; & feu
M. de Boze en poſlédoit un cinquième ,
qui eft paffé dans la bibliothéque du Roi
de France , moyennant , dit-on , les oeuvres
latines de Morlinus , données en
échange. Le père D. B. nous donne en
note le titre de ces oeuvres : Hieronymi
Morlini novellæ fabulæ & comadia , Neapoli
, 1520 , in- 4º. de 110 feuillets en
tout ; livre très - mal écrit , plein de foléciſmes
, & qui n'eſt fingulier que par
les obfcénités qu'il contient. Cette miférable
production fut donnée en 1701 , à
la vente des livres du St Witt, Hollandois
, pour un florin dix fols. Elle für ven.
due 60 liv. en 1725 à la vente de Dufay :
880 , en 1754 , à celle de M. de Boze :
enfin 1121 liv . en 1769 , à celle de M.
Gaignat.
Quelques autres notices pareilles font
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
:
connoître la rareté de pluſieurs écrits ,&
le prix qu'y mettent les bibliomanes ,
toujours moins empreſſés à ſe procurer
les bons livres que les livres rares. Le P.
D. B. a auffi fait voir l'eſprit dans lequel
Poſtel a compoſé la plupart de ſes ouvrages.
On pourra ſe convaincre , en liſant
ces éclairciſſemens , que les erreurs de ce
viſionnaire étoient encore plus ridicules
que dangereuſes. Ces éclairciſſemens font
ſuivis d'un catalogue des ouvrages impri
més de Poſtel .
Dictionnaire des Voyages , contenant ce
qu'il y ade plus remarquable , de plus
utile & de mieux avéré dans les pays
où les voyageurs ont pénétré : touchant
leur fituation , leur étendue , leurs limites,
leur climat , leur territoire, leurs
productions ; leurs principales villes ,
&c. avec les moeurs & les uſages des
habitans ; leur religion , leur gouvernement
, leurs arts, leurs ſciences &&
leur commerce , &c. Tome premier &
tome ſecond in 12. A Paris , chez Coftard
fils , &compagnie , rue St Jean-de-
Beauvais.
L'utilité d'un dictionnaire où l'on peut
trouver commodément & fans recherches
NOVEMBRE. 17736 79
ce que les voyageurs nous ont appris de
plus curieux d'une Nation ou d'une contrée
concernant ſa ſituation , ſon commerce
, ſes moeurs & uſages, fera fur-tout
bien ſentie de ceux qui n'ont ni le tems ,
ni la commodité de lire les relations des
voyageurs. Ces relations font même aujourd'hui
fi fort multipliées , elles font
pour la plupart ſi diffuſes & entrent dans
tant de détails , que celui qui les auroit
raſſemblées pourroit encore trouver un
dictionnaire très - commode pour ſe rappeler
quelques traits particuliers ou piquants.
Peut- être le lecteur ſera-t'il fâché
de ne pas voir de ſuite l'hiſtoire naturelle
du pays dont on lui décrit la ſituation , le
commerce , les uſages, &c. Mais l'auteur
de ce dictonnaire a penſé que pour faciliter
les recherches , objet principal de fon
recueil , il valoit mieux placer ſous leurs
noms propres , la deſcription des arbres ,
des plantes , des animaux &des poiſſons
qui peuvent avoir quelque fingularité par
rapport ànous.
:
Les deux volumes de ce dictionnaire ,
qui viennentde paroitre, comprennent les
deux premières lettres & une partie de la
lettre C, dont le dernier mot eſt Chepeys,
monument chinois avec diverſes inſcrip
Div
So MERCURE DE FRANCE.
tions , qu'on rencontre dans les grandes
routes , vis- à-vis les temples. Ce font de
gros blocs de marbre , ſur des baſes de la
même matière , où , par le moyen d'une
mortoiſe & de quelques tenons , le bloc
eſt aisément fixé. On en voit de la hauteur
de huit pieds , larges& épais de deux .
Mais leur hauteur commune n'eſt que de
quatie ou cinq pieds , & leurs autres dimenfions
font proportionnées. Les plus
grands font élevés ſur une voûte de pierre.
Quelques-uns ſont environnésdegrandes
falles. D'autres n'ont pour enclos qu'un
petit bâtiment de brique , mais ſont couverts
d'un toit fort propre. Leur forme
feroit un quarré régulier , s'ils n'étoient
un peu arrondis vers le ſominet , & couverts
de quelques figures groteſquesd'une
autre pierre. Les habitans des villes voifines
érigent ces monumens en l'honneur
des Mandarins, lorſqu'ils ont été fatisfaits
de leur gouvernement. Ces officiers en
élèvent auſſi , pour immortaliſer quelques
honneurs extraordinaires qu'ils ont reçus
de l'Empereur , ou par d'autres motifs.
Mais lorſqu'il eſt queſtion d'une faveur
impériale , on y joint deux figures de dragons
diverſement entrelacées.
Les articles des Royaumes préſenNOVEMBRE.
1773 . 81
tant néceſſairement beaucoup de détails,
font auſſi les plus étendus de ce dictionnaire.
Benin, grand royaume d'Afrique ,
nous ett dépeint comme rempli d'érabliſſemens
qui reſpirent la douceur &
l'humanité . Le Roi , les grands & les
gouverneurs de Provinces font fubfſiſter
les pauvres dans les Villes de
leur demeure , employent à divers exercices
, ceux que leur âge & leur fanté
rendent propres au travail , & nourriffent
gratuitement les vieillards &
les malades : auſſi ne voit-on pas de
mendians dans le Pays . Mais cette humanité
ſe trouve dans le même Pays ,
en contradiction avec la plus étrange
des barbaries ; ce qui peut ſervir à prouver
combien peu les hommes font dirigés
dans leur conduite par des priacipes
philoſophiques . Il eſt d'uſage à
Benin, lorſq'une perſonne de distinction
eſt morte , de maſſacrer trente ou quarante
eſclaves. Cette boucherie eſt beaucoup
plus ſanglante à la mort des Rois . Un
Roi de Benin n'a pas plutot rendu le
dernier foupir , qu'on ouvre , près du
Palais , une très grande foffe , & fi
profonde que les ouvriers font quelquefois
en danger d'y périr , par la quantité
d'eau qui s'y amaffe. Cette eſpèce
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
:
de puits n'a de largeur que par le fond,
& l'entrée au contraire eſt aſſez étroite
pour être bouchée facilement d'unegrande
pierre. On y jette dabord le corps du
Roi ; enfuite on fait faire le même ſaut
à quantité de ſes domeſtiques de l'un
&de l'autre ſexe , qui font choiſis pour
set honneur. Après cette première exécution
, on bouche l'ouverture du puits
à la vue d'une foule de Peuple que la
curiofité retient nuit & jour dans le
même lieu . Le jour ſuivant on leve la
pierre , & quelques officiers deſtinés à
cet emploi , baiſſent la tête vers le fond
du trou pour demander à ceux qu'on y
a précipités , s'ils ont rencontré le Roi.
Au moindre cris que ces malheureux
peuvent faire entendre , on rebouche le
puits , & le lendemain on recommence
la même cérémonie , qui ſe renouvelle
encore tous les jours fuivants , juſqu'à
ce que le bruit ceffant dans la foffe ,
on ne doute plus que toutes ces victimes
ne foient mortes. Après cette
affreuſe exécution , le premier miniſtre
d'État en va rendre compte au ſucceſſeur
du Roi mort , qui fe tranſporte auffitot
fur le bord du puits , &, l'ayant fait
fermer en ſa préſence , fait apporter fur
lapietre toutes fortes de viandes &
NOVEMBRE. 1773 . 83
de liqueurs , pour traiter le Peuple. Chacun
boit & mange abondamment jufqu'à
la nuit ; enſuire cette multitude
de gens échauffés par le vin , parcourt
toutes les rues de la Ville en commettant
les derniers déſordres. Elle tue tout
ce quelle rencontre , hommes , & bêtes ,
elle leur coupe la tête , & porte le
corps au puits ſépulcral , où elle les
précipite comme une nouvelle offrande
que la nation fait à ſon Roi.
ou
Lorſque l'on examine les différentes
opinions des Peuples , fur ce qui conftitue
la beauté dans les hommes
dans les femmes , on eſt porté à croire
que cette beauté eſt une choſe purement
arbitraire , du moins pour ce qui
regarde la couleur & la forme; car l'expreſſion
des paſſions douces & la grâce
plaiſent à tout le monde. Les habitans
d'Arrakan , royaume maritine des Indes
orientales , eſtime un front large & plat ;
&, pour lui donner cette forme , ils
appliquent aux enfans , dès le moment
de leur naiſſance , une plaque de plomb
fur le front.
Les Azanaghis, nation d'Afrique , qui
habite pluſieurs endroits de la côte au
de-là du cap -blanc , font confifter la
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE .
4
:
principale beauté des femmes dans la
-groffeur & la longueur de leur mamelles.
Dans cette idée , à peine les femmes
ont elles atteint lâge de ſeize ou
dix- sept ans , qu'elles ſe ferrent les
:mamelles avec des cordes , pour les
faire deſcendre quelquefois juſqu'à leurs
genoux.
La plupart des femmes Banianes ont
le tour du viſage bien fait , & beaucoup
d'agrémens. Leurs cheveux noirs
& luftres forment une ou deux boucles
- fur le derrière du cou ; ils font attachés
: d'un noeud de ruban. Ces femmes ont
: des anneaux d'or paſſés dans le nez ou
dans les oreilles. Elles en ont aux doigts ,
aux bras , aux jambes , & aux gros
•doigts du pied. Celles du commun les
ont d'argent , de laque , d'yvoire , de
verre ou d'étain. Comme l'ufage du
betel leur noircit les dents , elles font
parvenues à ſe perfuader que c'eſt une
beauté de les avoir de cette couleur.
Les habitans de l'ifle. Célèbes ou
Macaffar , font très - curieux d'avoir les
dents peintes en verd ou en rouge. Cette
opération ne fe fait point fans douleur ;
mais l'empire de la mode n'eſt pas moins
reſpecté à Célèbes qu'en Europe."
NOVEMBRE. 1773 . 85
Certains défauts très- répandus ont
auffi contribué à altérer legoût naturel ;
& l'on voit des nations qui exigent
-qu'un bel homme ſoit gros & gras ,
qu'il ait un front large & de petits
yeux. Si l'on confultoit les habitans des
Alpes fur la beauté , ils pourroient demander
pour première condition qu'un
homine ait un goërre , parce qu'il eſt
allez ordinaire parmi eux d'avoir ce
défaut. A
On auroit defiré que l'auteur de
ce dictionnaire des voyages eût cité
les fources où il a puiſé , fur-tout lorfqu'il
nous rapporte des coutumes fingulières
, & un peu éloignées des moeurs
ordinaires . Il nous dit, par exemple , que
la principale femme du Royaume d'Ardra
porte le titre de Reine , avec l'étrange
prérogative de pouvoir vendre
les compagnes de fon fort , pour ſuppléer
à ſes befoins , lorſque leur mari
commun refofe d'y fatisfaire. Mais le
voyageur qui a rapporté cette prétendue
coutume , n'auroit- il pas pris un
fait arrivé de ſon temps , comme un
uſage établi ? On fait qu'il n'eſt que
trop ordinaire au commun des voyageurs
, la plupart commerçans , & qui
n'ont fait que paſſer dans les différentes
86 MERCURE DE FRANCE.
1
contrées , d'ériger en coutume l'exemple
peut être unique d'une action.
Les Soirées de Paphos , avec cette épigraphe
O Venus , Regina Cnidi , Paphique.
Horat. lib . od. xxv .
1
,
deux parties in- 12 . A Paris , chez
Jacques- François Quillau , Libraire
rue Chriſtine , au Magaſin Littéraire,
pour la lecture par abonnement.
Paphos retentiſſoit des louanges de la
mère des amours ; les habitans de ce
pays fortuné s'empreſſoient à l'envi d'offrir
leur reconnoiſſance & leur hommage
à une divinité bienfaiſante , qui
cauſoit tout le bonheur de leur vie ;
& la déeſſe, ſenſible au culte d'une nation
fi chere , l'autoriſoit encore par ſa
préſence enchantereſſe. Les Paphiens
éprouvoient-ils quelques diſgraces , ils
s'adreſſoient à leur ſouveraine , & ils
étoient heureux. Un berger refuſoit fa
foeur à un autre , parce que ſes troupeaux
n'étoient pas affez nombreux ;
la déeſſe ordonne qu'on ouvre les lieux
où ſont renfermés les animaux qu'on
lui facrifie ; on en tire deux cens , on
NOVEMBRE . 1773 . 87
les donne au berger malheureux ; elle
aura des ſacrifices de moins , mais elle
fera deux heureux de plus. Une Paphienne
ſe plaignoit d'avoir été trahie par
un amant : la déeſſe , loin de lui rendre
un berger parjure & mépriſable , la bleſſe
pour un amant plus digne de ſon choix ,
qui , rebuté juſqu'alors , avoit dévoré ſa
douleur , ſans fonger à être infidèle.
Souvent la déeſſe , au milieu des fêres
qui ſe célèbroient en ſon honneur , ſe
retiroit ſur le ſoir dans l'intérieur de
ſon temple , & ſe faisoit chanter fur la
lyre , les aventures des Dieux & des
Héros qui avoient le plus accrédité fon
empire. Ces aventures ſont empruntées
de la poëfie ancienne , dont l'auteur a
cherché à faire paſſer dans ſon ſtyle les
principaux ornemens. Ces ſoirées , au
nombre de quatre , nous offrent les hiftoires
de Pâris & d'Hélène , de Pyrame
& Thiſbé , d'Ariane & Theſée , de
Sapho & Phaon. Les poëtes Alcée &
Archiloque répandirent par leurs vers
fatyriques de l'amertume ſur les jours
de Sapho qui avoit dédaigné leurs hommages.
Ce n'eſt pas qu'elle fût infenſible
à l'amour : perſonne au contraire n'a
reſſenti plus vivement ſes tranſports , &
n'amieux ſcu les décrire. Elle aima le
88 MERCURE DE FRANCE .
1
jeune Phaon , mais elle ne put l'enflam
mer. En vain cette amante malheureuſe
adreffa-t- elle à Vénus cette hymne qui
nous eft parvenue , où elle demande fi
ardemment la faveur de cette déeſſes:
ſes prières ne furent point exaucées. Les
vers pallionnés qu'elle compoſafi fouvent
ſur le même ſujet , furent également
inutiles ; enfin ne pouvant contenir
le feu qui la dévoroit , elle alla
l'éteindre dans les eaux de la mer. « Il
» y avoit à Leucade un promontoit
>> du haut duquel les amans déſeſpérés
>> avoient coutume de ſe jeter , après
" la précaution ſouvent inutile de s'at-
> tacher des aîles aux épaules. Ce faut
» devoit les guérir d'un amour malheu-
>> reux ; mais la mort qu'il leur procuroit
>>étoit communément l'unique remède
>> à leurs maux. Cet acte de déſeſpoir ſe
>> faifoit avec beaucoup de pompe ; il
» étoit annoncé quelque tems auparavant
, & honoré d'un grand concours
>> de ſpectateurs. Sapho choitit ce genre
>> de mort ; car c'étoit la mort qu'elle
>> cherchoit ; elle n'avoir pas affez de
>>crédulité pours'imaginer qu'un fautgué-
>>ritoit une paſſion que la raifon ne
> pouvoit vaincre. On publia fon def-
>> fein dans la Grèce : une foule innomNOVEMBRE.
1773 . 89
*>> brable d'étrangers avoit dévancé ſon
» arrivée à Leucade. Elle parut couron-
» rée de fleurs dans l'habillement d'une
>> victime qu'on va immoler. Son teint
>> paroiſſoit plombé , ſes yeux éteints ,
>> mais elle étoit un peu foutenue par
» la folemnité de ſes derniers momens.
» On égorgea un nombre infini de vic-
>> times dont ou fit couler le fang au
>> fond du gouffre où elle alloit ſe pré-
>> cipiter. On y jeta des fleurs. On lui
>> attacha des ailes avec pluſieurs céré-
>> monies ſuperftitieuſes , on adreſſa aux
>> Dieux des prières qui ne l'étoient pas
» moins ; Sapho s'avança ſur le bord
>> du précipice , en levant au Ciel les
>> yeux & les mains. O Dieux , dit-
> elle , dont mille adulateurs me di-
> fotent la rivale , ô Vénus ! à qui j'ai
>> confacré toute ma vie, ó ſexe impérieux
à qui je ne devois chercher
» qu'à plaire , & que j'ai oſé adorer
» & toi , poëte affreux coeur pêtri de
„ fiel , dans lequel remuent les ferpens
» des Euménides, fixez tous les yeux
» für moi. Peuple ſtupide qui me con-
>> temples , foule bornée pour qui ma
>> rage n'est qu'un ſpectacle , goûte ton
>>bonheur. Jamais les flammes de l'a-
6
,
90 MERCURE DE FRANCE.
>> mour n'ont échaufféton coeur engourdi ,
» jamais de noirs tableaux n'ont effrayé
>> ton ame groſſière. Ah ! pourquoi la
mienne s'eſt elle élevée au deſſus de
> ton froid instinct ? Pourquoi ne tai -je
>> pas reflemblé ? Je vivrois encore com-
» me la plante qui végète , je m'avan-
>> cerois d'un pas égal vers la mort que
>>je ne prévoyois pas , je ne ſentirois
>> pas l'atteinte de ſa faulx , je n'aurais
>> pas frémi long-tems d'avance en la
voyant étinceler , & le déſeſpoir ne
>>m'auroit pas à la fin précipitée ſous fes
> coups. Puiffe ma mort effrayer toutes
>> celles que l'amour viendra ſéduire !
Puiffent - elles fermer leurs coeurs à
>> ſes cruelles amorces! Puiſſe mon fang
> enlever ane ſeule victime a l'amour !
>> Il ſera trop payé! En prononçant ces
» mots , elle ſe précipita du haut du
» roc , aux yeux de ce Peuple imbécile
qui auroit du ſauver , malgré
» elle, les jours précieux , au lieu d'at-
>> tendre ſa guériſon d'une chûte qui
>> devoit lui donner la mort. On fut
> étonné de voit ſes aîles inutiles; ſa tête
»& ſes membres ſe brisèrent ſur la
> pierre qui fut rougie de ſon ſang. »
Toute la Cour de Vénus plaignit la
NOVEMBRE. 1773. 91
triſte fin de Sapho , mais la déeſſe déclara
qu'elle la méritoit en partie , pour
avoir paflé les bornes de la décence qui
devoient être ſacrées , fur-tout pour fon
ſexe. Mon culte , ajoutoit Vénus , n'admet
que des coeurs naifs & purs. Elle
fit ſentir par la punition des poëtes
Alcée & Archiloque , dont il eſt fait
mention dans cette hiſtoire , le danger
d'abuſer de ſes talens. Elle commençoit
à exhorter les poëtes à concevoir
une idée aſſez élevée de la poëfie
pour ne pas la proſtituer à leurs querelles
particulières , lorſqu'elle reçut
avis qu'une nymphe venue des bords
de la Seine faifoit grand bruit dans
l'Olympe . « Cette divinité nouvelle
> étoit plus jolie que belle ; elle avoit
>> des grâces , mais c'étoient des agrémens
>de caprices; il ne falloit pas y regar-
>>der de bien près , pour s'appercevoir
>> de l'incarnat de ſes joues ; & le co-
» rail de ſes lèvres avoit un éclat étran
»ger à la nature. Pleine de vivacité ,
>> elle n'étoit pas aſſez tendre pour qu'on
>> la nommât la déeſſe de l'amour; mais
>> tous les Dieux , ſéduits par ſes char-
> mes finguliers , l'appeloient la déeſſe
>>des plaiſirs . Vénus ſe hâta de voler
>> vers l'Olympe pour en chaſſer la ſu92
MERCURE DE FRANCE.
د
pire des coeurs
رد
>> perbe ennemie qui lui diſputoit l'em-
C'est ainsi que le
termine cette fiction , où l'auteur s'eft
plu à peindre d'apres les poëtes , les
défordres que cauſe ſouvent la plus
impérieuſe des paſſions , dans un coeur
qui s'en eſt rendu l'efciave.
:
:
La Génération , ou expofition des phénomènes
relatifs à cette fonction naturelle;
de leur mécaniſme , de leurs cauſes
reſpectives , & des effets immédiats
qui en réſultent. Traduite de la phyfiologie
de M. de Haller , augmentée
dequelques notes , & d'une differtation
for l'origine des eaux de l'Amnios ; 2
vol . in 8 ° . A Paris , chez DesVentes de
la Doué, libraire , rue St Jacques , visà-
vis le collége de Louis-le-Grand.
Le docteur Haller , qui a répandu beaucoupde
lumières ſur la botanique & l'anatomie
, n'a pas moins contribué par ſes
travaux aux progrès de la phyſiologie ou
de cette partie de la médecine qui s'occupe
de l'économie animale. Les écrits de
ce ſavant médecin méritent d'autant plus
d'être conſultés que l'auteur , toujours en
garde contre l'erreur, n'a emprunté aucune
découverte de ſes prédéceſſeurs , qu'il ne
NOVEMBRE. 1773 . 23
l'ait vérifiée par l'expérience . Sa phyfiologie,
ſcience qu'il a traitée en grand , préſente
beaucoup d'obſervations neuves &
intéreſſantes. On n'y trouve aucune propoſition
théorique qui ne foir le réſultat
de faits bien conſtates , & des recherches
que l'auteur a faites dans une ſuite confidérable
de diſſections de cadavres tant
d'hommes que d'animaux. Les opinions
qu'il eſt impoſſible de vérifier par l'expérience
, ne font offertes dans cette phyſiologie
que comme des conjectures ; mais
une conjecture donnée par un homme
auſſi éclairé que le docteur Haller , peut
paroître au moins très-probable. La partie
de fa phyſiologie qui concerne la
la génération , mérite particulièrement
l'attention des gens de l'art. Le mécaniſme
de la reproduction des êtres
animés eft , comme l'obſerve le traducteur
dans un avant propos , un myſtère
impénétrable à l'oeil du phyſicien; cependant
elle est le réſultat d'un nombre de
cauſes de détail , qui ne nous font pas
entièrement.cachées ; elle donne lieu auffi
àbeaucoup de phénomènes qui ſont foumisanos
ſens . Mais nous n'avions, avant
M. Haller , fur ces objets , que des obfervations
éparſes & fans ordre; la plupart
94 MERCURE DE FRANCE.
étoient contradictoires ; toutes manquoient
de préciſion ,&beaucoupd'entre
elles étoient totalement fauſſes. Il en
étoit de même des raiſonnemens qu'on
avoit faits d'après ces obſervations : puiſque
les choſes étoient mal vues , il étoit
impoflible que les conféquences qu'on en
tiroit fuſſent conformes à la vérité. Le
docteur Haller , infatigable dans ſes travaux
, a pourſuivi la nature dans ſes derniers
retranchemens ; il a fait & répété à
P'infini des obſervations ſut des cadavres,
ſurdes embrions , ſur des fétus , ſurdes
animaux vivans , ſur des oeufs ſoumis à
l'incubation , &c. enfin il eſt parvenu à
répandre autant de clarté &de certitude
qu'il étoit poſſible, dans une matière auſſi
obfcure que l'eſt la génération .
Le traducteur a éclairci par des notes
les obſcurités qui pouvoient ſe trouver
dans le texte , quelquefois même il a
ajouté de nouvelles obſervations à celles
du phyſiologiſte Anglois. M. Haller obſerve
que dans les accouchemensdifficiles
la tête du fétus peut changer de forme
qu'elle peut être comprimée ſur les cotés
& s'alonger , & que le coronal peut chevaucher
ſur les pariétaux , ou les pariécaux
fur le coronal ; par ce moyen le
,
NOVEMBRE. 1773 . 95
diamètre de la tête , qui par ſon étendue
rendoit fon paſſage difficile , peut être
diminué ; il faut quelquefois , ajoute M.
Haller , remettre ces os en place , après
l'accouchement. Le traducteur fait à ce
ſujer dans une note , cette obſervation de
pratique que la plupart des ſages-femmes
ſemblent encore ignorer. «On étoit au-
» trefois , dit - il , dans l'uſage , quand la
• tête de l'enfant avoit été déformée pen-
>> dant le travail de l'accouchement, de la
» mouler & de la pêtrir , pour ainſi dire,
>>pour lui rendre ſa première figure; mais
>ona fenti combien ces manipulations
>> peuvent être préjudiciables à l'enfant
» & d'un autre côté on a obſervé que la
> nature ſe ſuffifſoit à elle - même pour
• réparer ces petits défordres ; c'eſt pour-
>>quoi les accoucheurs modernes dé-
>> fendent très - expreſſément d'agir ſur la
>> rête de l'enfant , ſi déformée qu'elle ait
>>été; dans l'eſpace de vingt- quatre heu-
» res , le plus ſouvent elle reprend d'elle-
» même ſa forme naturelle. »
,
Le traducteur donne à la ſuite de ſes
notes la ſolution d'un problême intéreſfant
de phyſiologie. Cette ſolation &les
notes qui accompagnent la traduction dé
cèlentun homme inſtruit de toutes les par
:
96 MERCURE DE FRANCE.
ties de la phyſiologie , & qui a ſu applanir
à ſon lecteur les difficultés que préſente
non ſeulement la langue étrangère dans
laquelle le traité eſt écrit , mais encore la
langue de la ſcience qui eſt l'objet de ce
traité.
* Fables , Contes & Epitres , par M.
l'Abbé le Monnier. A Paris , rue Dauphine
, chez Jombert , père & fils ,
& Cellot , imprimeur- libraires. :
On trouve , à l'ouverture du volume
, un diſcours ſur la fable. L'auteur
ſe demande qu'eſt ce que la fable ou
l'apologue ? Il rejette pluſieurs définitions
qu'onen a données , & paroit même
croire qu'on ne ſauroit en donner
une bonne. Pourquoi ? En définiſſant la
fable une narration allégorique & morale
, il me ſemble qu'on exprimeroit
affez bien les caractères principaux , &
les différences ſpécifiques de ce genre
de compoſition. Quand on citeroit quelques
fables de Phèdre ou de la Fontaine
, qui ne contiennent ni allégorie ,
ni morale , on ne renverſeroit pas cette
définition , parce qu'on peut répondre
*Article de M.de la Harpe.
premièrement
:
NOVEMBRE. 1773 . 97
premièrement , que ce ne font pas des
fables dans la rigueur du terme , mais
des morceaux analogues à ce genre , trèsbien
placés dans un recueil de fables .
En effet , le mot de Socrate ſur la maiſon
qu'il bâtit , n'eſt point une fable ,
mais un mot philofophique , qui contient
une inſtruction. Simonide préſervé
par les Dieux , le chat-huaut qui coupe
les pieds aux ſouris , le teſtament expliqué
par Elope , ſont du même gente.
Mais de ce qu'on les a joints àun recueil
de fables , il n'en faut pas conclure
qu'on ne peut aſſigner avec préciſion
les limites de ce genre d'écrire.
D'ailleurs il n'eſt pas néceſſaire pour
qu'une définition ſoit bonne en matière
littéraire , qu'elle ait la juſteſſe rigoureuſe
d'une définition méthaphyſique.
Il ſuffit qu'elle convienne en général
au plus grand nombre d'ouvrages du
genre dont il s'agit , & qu'elle en exprime
heureuſement les qualités effentielles
. Il y a toujours des exceptions dont
s'empare le génie , & qu'on ne ſoupçonne
pas , avant qu'il les faſſe connoître.
Mais, dans ces exceptions mêmes ,
il ſuit toujours un certain nombre de
règles générales fondées ſur la nature ;
1
E
98 MERCURE DE FRANCE.
parce qu'il n'eſt pas en lui de ne les
pas ſuivre , & qu'il n'exiſte rien , ni
dans la nature , ni dans les arts qui
l'imitent, qui n'ait ſes principes néceffaires.
Et c'eſt la réponſe à ceux qui
prétendent qu'il n'y a point de règles ,
parce qu'on a réuſſi à en violer quetques-
unes , pour en remplir éminemment
de plus eſſentielles.
M. l'Abbé le Monnier , renouvelant
les objections de la Motte contre l'obſervation
des règles , ne conçoit pas
pourquoi le genre dramatique veut expofition,
noeud & dénouement. Où a-t on
pris cette régle ? ( dit il ) . Ce n'est cerzainement
pas dans la nature. Certainement
on n'a pu la prendre autre part ,
& M. l'Abbéle Monnier n'y a pas réfléchi .
Je le défie de mettre ſur la ſcène des
perſonnages & une action, fans qu'il y
ait expoſition , noeud & dénouement ,
foit qu'il veuille faire une tragédie on
une parade. Car, certainement , les acteurs
de la ſcène françaiſe ou des treteaux des
boulevards me diront ce qu'ils font &
de quoi il s'agit ; & voilà l'expoſition .
Certainement il s'agira de quelque choſe ;
& voilà le noeud. Certainement , ce dont
il s'agiffoit aura lieu ou n'aura pas lieu;
&voilà le dénouement.
NOVEMBRE. 1773 . 99
M. l'Abbé le Monier veut donner
un exemple d'un ſpectacle , d'un drame
où il n'y auroit ni expofition ni aucune
trace de cette diſpoſition que l'on croit
néceſſaire. « Vous entendez du bruit
»dans la rue : vous mettez la tête à la
>> fenêtre. Vous voyez deux hommes qui
>> ſe querellent . La diſpute s'échauffe. Ar-
» rive une femme toute troublée ; à fon
>> trouble , à l'intérêt qu'elle prend à
> l'un des conteſtans , vous jugez qu'elle
» eſt ſa femme. Après beaucoup d'in-
" cidens que je ſupprime pour ne pas
>>faire ici le plan d'un drame , un des
>> querelleurs poignarde ſon adverſaire.
» La garde arrive , veut ſaiſir l'affaffin';
» il ſe défend. Se voyant prêt d'être
» arrêté , il ſe tue , & vous fermez votre
» fenêtre .
Je ne crois pas que cet exemple
prouve rien pour Monfieur l'Abbé le
Monier. Il faut ſuppoſer ſans doute que
la rue c'eſt le théâtre , & la fenêtre c'eſt
le parterre. Au parterre ou à ma fenêtre,
j'entendrai la querelle de ces deux hommes
,je ſaurai de quoi il eſt queſtion ;
& voilà l'expoſition. Le fonds de la
querelle & l'intérêt que je mettrai.a
ſavoir lequel des deux aura tort ou
E ij
100 MERCURE DE FRANCE .
raifon & l'emportera ſur l'autre , ou lui
cédera , fera le noeud. Les meurtres font
le dénouement . Si l'on ſuppoſe que je
n'entends pas les acteurs , c'eſt une pan.
tomime , & leurs geſtes me parleront.
Mais il y aura toujours dans une action
un commencement , un milieu & une
fin , & ce n'est pas trop la peine de
diſputer là-deſſus.
M. l'Abbé le Monnier parle auſſi du
ſtyle de la fable. On veut , dit - il ,
qu'un fabuliſte reſſemble à la Fontaine .
Non: il y a des reſſemblances qu'on
n'attrape pas . Mais , quand nous avons
vu une phyſionime charmante , nous aimons
à trouver quelque choſe qui nous la
rappelle. C'eſt un defir fort naturel qui
pourtant n'empêche pas qu'on ne goûte
beaucoup les jolis viſages qui plaiſent
d'une manière différente. Pour parler
fans figure , il eſt certain que les hommes
font portés à juger par comparaifon .
Comme il faut réfléchir beaucoup pour
ſe faire des principes qui ſoient la
règle de nos jugemens ; comme il eſt
beaucoup plus facile d'écouter ſes ſenfations
que de ſe rendre compte de ſes
idées , & qu'on eſt bien plus fûr des
unes que des autres , le commun des
NOVEMBRE. 1773. 101
hommes n'embraſſe vivement un objet
que pour rejeter tout ce qui n'y refſemble
pas. Mais les eſprits d'une meilleure
trempe ſavent dans chaque choſe
ſaiſir le degré de mérite qu'elles ont ,
& trouver le degré de plaisir qu'elles
offrent. En admirant , en adorant la
Fontaine , près duquel il ne faut rien
mettre , ils goûtent les fables ingénieuſes
& élégantes qu'on remarque dans la
Motte. Dautres écrivains de nos jours
ont produit quelques morceaux du même
genre que les amateurs ont diftingués.
Exigez- vous que j'imite le ſtyle de cet
auteur inimitable , dit M. l'Abbé le
Monier en parlant de la Fontaine? Non
répondra- t on . Oubliez que la Fontaine
a écrit; mais ſouvenez-vous que quand
* même il n'auroit pas écrit, il faudroit
toujours , pour réuſſir dans la fable ,
joindre le naturel de la diction à la
fineſſe des idées , donner à ſon ſtyle
cette forte d'élégance qui n'exclut pas
les grâces de la ſimplicité , & faire appercevoir
de temps en temps le poëte ,
fans perdre le ton de narrateur. Voilà
ce qu'on doit trouver dans tout fabuliſte
; & quiconque aura cette qualité
dont la réunion ne ſuppoſe pas encore
د
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
le charme particulier qui caractériſe la
Fontaine , ſera ſûr d'obtenir des ſuffrages
&du ſuccès.
Mais qu'arrive - til ! L'un, perfuadé
que dès qu'on écrit en vers , il ne faut
rien dire comme un autre , entalfera des
mots figurés , & épuiſera le dictionnaire
des métaphores uſées. Il fatiguera les
lecteurs. L'autre , voulant être ſimple ,
débitera des platitudes ; il dégoûtera .
In vitium ducit culpæ fuga D'ailleurs la
plupart oublieront l'etſentiel, c'eſt à- dire,
un fonds de morale attachant & vrai-
• ment inſtructif. Il faut un très-bon efprit
pour imaginer des apologues ,
& un très bon goût pour les écrire.
L'un & l'autre eſt rare. L'auteur finit
par avertir que ces fables veulent
>>être lues comme de la proſe toute
>> fimple. Il faut oublier qu'il s'y trouve
>>des rimes . On ne doit point les dé-
>> clamer ; il faut les caufer bonnement.
Pourquoi cet avertiſſement ? Perſonne
n'eſt tenté de déclamer des fables . Ilfaut
les lire comme de la profe. Pourquoi , ſi ce
font des vers ? il faut oublier qu'il s'y
trouve des rimes. Pourquoi en mettre ? Il
faut les caufer bonnement. Queſt - ce que
caufer des fables ? On eſt faché , puiſqu'il
NOVEMBRE. 1773 . 103
,
faut le dire , qu'un homme du mérite de
M. l'Abbé le Monnier affecte ce néologiſine
dont quelques législateurs modernes
ont couvert des idées fauſſes ou bizarres
. Tout ce difcours préliminaire ne
ſe ſent que trop de ce goût hétérodoxe
de ces principes erronés que l'on peut
appeler les axiomes de l'impuiſſance , &
que les vrais talens ne peuvent jamais
adopter. Dans quelque genre que ce ſoit ,
dès qu'on écrit en vers , il faut que le
poëte ſe retrouve &ſe faſſe ſentir même
en ſe cachant. Quoi ! n'est- ce donc plus un
art que cet accord heureux qui doit ſe
trouver entre la penſée &le mouvement
du vers , entre le ſentiment &le ſon ? N'y
a-t'il pas quelque mérite à varier la mefure
des vers & la chûte des rimes de
manière à produire des effets ? N'y a-t'il
pas une harmonie pour tous les genres ?
Les fables de la Fontaine en font pleines.
Il n'a point averti ſon lecteur de les caufer.
Un homme très - connu , à qui l'on
parlait d'une pièce de théâtre qu'il était
impoſſible de lire , répondit magiſtralement
: fi elle n'est pas bien écrite , elle est
bien parlée. Je ne fais trop ce qu'il voulait
dire. Mais les pièces de Molière font
bien écrites , & font affez bien parlées ,
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
puiſqu'il faut ſe ſervir des barbariſmes
qui expriment les nouveaux principes.
Si vous ne penſez pas , créez de nouveaux mots .
VOLT.
Dans cette pièce bien parlée , il n'y
avait pas une phraſe finie ; mais , en récompenfe
, il y avait une quantité prodigieuſe
de points. C'eſt apparemment là
ce qu'on appelle bien parler. Les auteurs
du ſiècle paſſé , le versificateur Boileau , le
petit bel esprit Racine finiſſaient leurs
phrafes & mettaient bonnement un point.
Mais ces gens- là ne parlaient pas bien
leurs pièces , & ſe contentaient de parler
français. Ils ne connaiſſaient pas l'interponctuation
, cette partie de génie qu'on
n'a pas affez approfondie , dit un auteur
de nosjours. Nos drames modernes ſont
chargés de points qui veulent dire : ici je
ſuis fublime , ici je ſuis profond ; redou .
blez ici votre admiration ; ici devinezmoi.
Toutes ces grandes découvertes font
de notre ſiècle , ainſi que les préfaces où
l'on dit au lecteur précisément ce qu'il
doit penſer de l'ouvrage qu'on lui pré
ſente , & même ſur quel ton il doit le
lire ou le chanter.
Au reſte j'eſpère que M. l'Abbé le
NOVEMBRE. 1773. 10.5
Monnier pardonnera cette légère excurfiondont
il n'eſt tout au plus que l'occafion
, & dont il n'eſt point l'objet , au
zèle qui doit animer tous les vrais littérateurs,&
lui tout le premier, à la défenſe
du bon goût . L'intérêt que l'on a mis à
combattre ſes principes était proportionné
à l'eſtime qu'inſpirent ſes talens , &
que ſes nouvelles fables doivent augmenter
à pluſieurs égards. Preſque toutes lui
appartiennent en propre. La morale en eft
ſaine , & la diction facile . Il y a des traits
de naturel . Pluſieurs font agréablement
narrées ; celle- ci , par exemple , intitulée
la Foire de Briquebec .
21
Le bourg de Briquebec eſt un aflez gros bourg ,
Peu diſtant de Vallogne , un peu plus de Cherbourg.
:
Dans cebourg tous les ans , à la foire Ste Anne ,
Il ſe tient une foire où filles & garçons ,
Lebouquer au côté , viennent des environs
Se louer pour un an. On y voit fur ſon âne
Artiver le Fermier, les Nobles à cheval ,
Et les Curés aufli . Chacun vient le moins mal
Qu'il peur. Tous ont deſſein de faire bonne emplette.
L'un d'un maître-valet , l'autre d'une fillette.
Il s'y rencontre encore , & ce n'eſt pas tant
mieux,
E
106 MERCURE DE FRANCE.
Nombre de freluquets faiſant les petits- maîtres ,
Comme on l'eſt au pays , en frac , en fines guêtres
De coutil blanc . Leur canne eſt un bâton noneux;
Boire , mentir , jurer , lorgner toutes les filles ,
Baifer en ricannant celles qui ſont gentilles ;
Si l'oncle ou le couſin en ſemblent mécontens ,
Les aſſommer : voilà les plus doux pafle- tems
De ces petits Meſſieurs . Avec de telles gens
Unhomme un peu ſenſé jamais ne ſe faufile.
Auſſi je leur tournai le dos ,
Et je trouvai plus à propos-
D'aller me fourer dans la file
Des Curés & des bons Fermiers.
Ilsvont de rang en rang pour chercher leur af
faire;
Combien le bouquet ? Tant. Vous me paraiſſez
chère.
Mais auſſi je ſuis forte. Etque ſavez-vous faire ?
Je fais traire une vache ; épandre les fumiers
Bêcher, faner , gerber & tout le gros ouvrage
D'une ferme. Quel âge !
J'aurai , viennent les Rois ,
Vingt ans , pas davantage.
D'autres diſarent dix - huit , ou vingt- deux , on
ving trois ,
Plus ou moins , c'eſt ſelon. Etes vous fille ſage ?
Demandez à ma tante . Elle ? ceſt un démon.
Malheur à tout pauvre garçon
:
NOVEMBRE. 1773. 107
2
Qui pour la chiffonner s'approche!
Il eſt plus für d'une taloche
Que d'un baiſer. C'eſt bon. Voyons les mains.
Tenez ,
Voyez , tâtez , examinez.
On les tâte , on les examine ,
Avec plus de ſoin que la mine.
Quelques jeunesCurés y regardaient pourtant,
Mais très -modeſtement , & ſans faire ſemblant
D'y regarder. La main eſt le point important ;
C'eſt à celui- là qu'on s'attache .
Apartmoi je me dis : il faudra que je ſache
La cauſe de ce fait qui me ſemble étonnant.
A l'un des vieux fermiers en riant je demande
Si parmi la race Normande
Le mérite eſt au bout des doigts .
A ce diſcours le villageois
D'un ton malignement fournois ,
Me répond : vous venez , comme je puis coma
prendre ,
Du bou Paris en Badaudois.
C'eſt- là qu'on eſt ſavant ! mais je vais vous apprendre
Ce qu'à Paris jamais vous ne pourriez ſavoir.
Quand je viens louer une fille ,
C'eſt afin qu'elle m'aide à bien faire valoir.
Belle , laide ou gentille ,
Avotreavis ,Monfieur , que cela me
fait-il?
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
-5
Labeauté n'eſt pas un outil
Néceflaire dans mon ménage.
Ce ſont les mains qui font l'ouvrage ;
Auſſi je regarde à la main.
Quand elle eſt dure & bien calleuſe ,
C'eſt un figne certain
Que celle qui la porte eſt bonne travailleufe.
Si jamais vous prenez ou ſervante ou garçon
Souvenez - vous de la leçon.
Grand merci , mais jamais je n'aurai domeſtique
Aucun: je me ſers ſeul. Tant mieux , c'eſt un
bonheur.
1
Avez - vous des amis ? beaucoup &je m'en pique .
Eh ! bien pour les connaître employez ma rubrique.
Quoi ! leur tâter les mains ? oh ! que non. C'eſt le
coeur
Qu'il faut examiner pour ſavoir fi la pâte
En est bonne. Fort bien. Mais dites - moi comment.
Confiez un ſecret , empruntez de l'argent.
C'eſt par ces endroits qu'on les tâte .
La morale de cette fable eſt un peudétournée
,& le récit eſt un peulong. La fable
ſuivante n'eſt pas exempte de ce dernier
défaut qui eft celui de preſque toutes
lés fables du même auteur, A
NOVEMBRE. 1773 . 109
LE FERMIER & SON CHEVAL.
Un Fermier avoit un Cheval
Qu'il nourriflast tant bien que mal.
Mais en revanche il doublait ſon ouvrage.
Au marché ſous le bât , ſous la ſelle en voyage
A la charrue , au bois , au moulin , au preſſoir
Cadet portait , tirait du matin juſqu'au foir.
Il faiſait maigre chère , il avait de la peine
Plus que ſon ſaoul le long de la ſemaine ,
Depuis l'aurore du lundi
Juſqu'à la nuit du ſamedi.
:
Mais au moins le dimanche en repos dans l'herbage
?
Oui dà ! chaque dimanche un ſaint pélerinage ›
Vous fait trotter Cadet. Trotter ? oh non. J'ai
tort. I
Il ne va que le pas . C'eſt encore affez fort ,
Quand on a fur le dos une groſſe fermière , I
Son fils Pierrot en croupe , & puis dans deux paniers
M
Deux pouparts qu'on n'a pas ſevrés ces jours derniers
,
Mais de trois & quatre ans. Le mari vient derrière.
Apied ? Trouvez-lui place. Eh ! mais , ſur la crinière
. "
Paix: ne badinez point , railleur ; n'en dites rien :
Je connais le manant; il ymonterait bien
110 MERCURE DE FRANCE.
Tant il a de pitié du pauvre roffinante!
De MonfieurSt Hubert en cheminant il chante
Le cantique , d'un ton rudement enroué.
Hu , dià , Cadet , va donc ; eſt- ce qu'on t'a cloué
Sur le pavé ? Clic , clac , on le fouette , on le pique.
Mon coeur , Jeannot eſt lourd; il emporte Angelique.
Je le vois. Ungros grès vous remet au niveau
Les paniers inégaux. Cadet d'un poids nouveau
Sent encore augmenter ſon trop peſant fardeau.
Nous n'arriverons pas. J'entends ſonner la meſſe.
On ſaccade la bride , on le claque , on le preſle.
Tant fut chargé Cadet , Cadet fut tant roſlé ,
QueCadet débarda dans un bourbenx foflé ,
Ou Lucifer n'aurait pas voulu borre ,
Fermière , enfans , paniers , bât , cheval ,juſqu'au
grès.
D'aucuns ont prétendu qu'il le fit tout exprès ,
Pour fioirde les maux la déplorable hiſtoire.
Mais chrétiennement on ne doit pas le croire;
Rarement un cheval ſe livre au déleſpoir.
Il ſupporte , & fait bien , ſa vie& la misère.
Quand on eut retiré les enfans & la mère ,
Crottés , boueux , il fallait voir ;
On voulut ſe mettre en devoir
De retirer la pauvre bête ,
Qui ne montrait plus que la tête.
On fit de vans efforts. Il enfonce toujours,
NOVEMBRE. 1773 .
Avant que le bourbier lui bouchât la parole ,
Il fait entendre ce diſcours
Afon maître qui se déſole:
Adieu ; mes malheurs vont finir.
Soyez moins dur à l'avenir.
Ne charger plus outre meſure
Cheval que vous voudrez qui dure.
Ceconſeil ne doit pas vous fâcher contre moi.
Ceque je vous dis là , je le dirais ... Tais- toi .
L'auteur s'eſt trompé en faiſant chrétien
nementde cinq fyllabes. Il n'eſt que de quatre
, comme le mot chrétien n'e que de
deux. Du reſte il y a de jolis détails dans
cettte fable.
Fermière , enfans , paniers , bât, cheval , juſqu'au
grès , &c .
Ce dernier mot eſt un trait heureux &
qui eſt bien dans le ton du genre. hu , dia
tombe un peu dansle bas. Cette forte d'imitation
eſt trop facile & n'eſt pas de bon
goûr.
L'équipage ſuait , ſoufflait , était rendu ,
dit la Fontaine. Il peint très-bien la farigue
des chevaux ſans répéter les mots
techniques du cocher. M. l'Abbé le Monnier,
en plus d'un endroitde ſes fables,ne
Z MERCURE DE FRANCE.
diftingue pas affez le familier du trivial &
prendle ton grivois pour le ton naif.
Voyez, par exemple, comme ilpeint la lune
éclipcée.
Elle a trouvé le pot au noir.
Va te cacher, qu'on ne te voye ,
Belle enſeigne de chaudronnier.
Ho ! la feminedu charbonnier ,
Combien le vendez-vous la voye ?
A
1
C'eſt là parfaitement le ſtyle du déjeûnéde
la Rapée , mais ce n'eſt pas celui de
la fable.
Tiens , commère , le grand glaçon !
Soutenez - vous , mon beau garçon.
Soutenez donc votre jeunelle..
Si tu prétends qu'il ſe redreſſe ,
f
1
2
Voiſine , de ton poing donne- lui ſans façon
Un hauflecol ſous le menton.
Net'en aviſe pas , coininère.
Vois-tu qu'il porte une rapière?
Que cela me fait- il , à moi ?
Sais - tu qu'il a ſervi le Roi ?
Pardi , je le vois à ſa mine.
:
1
r
N'était-ce pas dans la Marine ?
Certainement depuis feu Vadé'on n'a
pas mieux répété les dictons populaires.
Mais M. l'Abbé le Monhier doitconce
NOVEMBRE . 1773. 113
voir ſans peine qu'il n'y a aucun fel , aucun
agrément à rimer le jargon des halles
, & que quand on marche dans la carrière
de la Fontaine , ce n'eſt pas Vadé qu'il
faut ſe propoſer pour modèle.
Ce n'eſt pas qu'on veuille faire entendre
que toutes les fables de M. l'Abbé le
Monnier fontdans ce goût. Si cela était,
il ne faudrait pas le critiquer. En voici une
qui roule ſur un mot connu , mais dont
P'auteur a tiré une excellente morale.
Dans ſon pays Monfieur Ficquet
Eſt un affez bon Gentilhomme
Que pour la douceur on renomme.
Un de ſes vieux amis l'an paflé lui diſait :
Vos valets ne vous craignent guère.
Monfieur Ficquet , d'un ton tout - à- fait débonnaire
,
Répondit : Et moi donc eſt- ce que je les crains ?
J'ai vu blâmer cette réponſe
Par des gens qui ſe croyaient fins .
On est peu réfléchi , quand ainſi l'on prononce.
Pour moi , fi j'avais des enfans ,
Si du plus puiſſant des Sultans
Je poſſédais le vaſte empire ,
De mes enfans , de mes ſujets
Je voudrais pouvoir dire
Ce que Monfieur Ficquet diſait de ſes valets.
114 MERCURE DE FRANCE.
:
On a peu réfléchi ſerait plus juſte que
l'on est peu réfléchi. Un autre défaut dont
ilfaut que l'auteur ſe garantiſſe, c'eſt d'accumuler
de ſuite un trop grand nombre
de vers qui ne font que de la profe commune
, comme , par exemple , tout ce
commencement de la fable troiſième.
Mon Dieu , que les Badauts
Me ſemblent de grands ſots !
Pour eux tout eſt ſpectacle.
Le moindre charlatan , par ſes groſſiers propos ,
Ses tours platement fins & les mauvais bons
mots ,
Leur fait crier miracle.
Pendant une débacle
Je paſſais fur un pont.
Auprès du parapet je vois groſſir la foule.
Comme à Paris on fait ce que les autres font ,
Pour voir ce qu'on voit là j'approche & je me
coule ,
Puis je poufle & je preſſe. A force de poufler
J'eus une bonne place ,
Etje vis à mon aiſe arriver & pafler
De grands morceaux de glace
Que les eaux entraînaient , &c.
Rien de tout cela ne reſſemble à des
vers . On ſe permet de direla vérité à l'auteur
, parce qu'on fait qu'il la voulait , &
NOVEMBRE. 1773 . 115
l'on deſire de l'entendre , lorſqu'on a tout
ce qu'il fautpour en profiter .
M. l'Abbé le Monnier n'ignore pas
qu'il eſt très-aiſe de ſe faire louer , mais
ildoit prétendre à ſe faire lire , ce qui eſt
beaucoup plus difficile. Il ne donne ſes
premières fables que comme un eſſai ; il
demande l'avis des gens de lettres . On n'a
pas dû le lui cacher. En abrégeant beaucoup
ſa narration , qui , en général , est trop
verbeuſe , en travaillant davantage ſes
vers qui font trop proſaïques , il donnera
ſans doute des productions eſtimables
dans un genre qui a des rapports avec ſa
tournure d'eſprit , & dans lequel c'eſt
beaucoup d'être quelque choſe après la
Fontaine..
Dictionnaire pour l'intelligence des auzeurs
claſſiques , Grecs & Latins , tant
Sacrés que profanes , contenant la géographie
, l'hiſtoire , la Fable & les
antiquités , dédié à monſeigneur le
duc de Choiſeul , par M. Sabbathier ,
profeſſeur au collège de Châlons-fur-
Marne , & fecrétaire perpéruel de l'académie
de la même ville . Tome
XV , in- 8°. A Paris , chez Delalain ,
libraire , rue de la comédie Françaiſe.
116 MERCURE DE FRANCE.
Ce nouveau volume comprend les deux
tiers de la lettre E. M. Sabbathier , par
l'étendue qu'il a donnée à fon dictionnaire
, n'en a pas ſeulement fait un répertoire
utile , mais encore une bibliothèque
inſtructive . L'article des Egyptiens que
nous offre ce quinzième volume , eſt afſez
détaillé pour donner une connoiffance
fatisfaiſante de l'hiſtoire de ce peuple.
M. Sabbathier porte particulièrement
fon attention fur tout ce qui peut intéreſſer
l'éducation des jeunesgens . Il y a
même ici un article ſur l'éducation , où il
eſt traité de ſes principuux objets. Quoique
l'auteur ne ſe ſoit permis que quelques
réflexions générales , ces réflexions
cependant pourront mettre fur la voie
la plupart des inſtituteurs . M. Sabbathier
conſeille , avec raiſon , comme une pratique
utile , après que l'on a appris aux
jeunes gens les différentes fortes de gouvernemens
, de leur faire lire les gazettes
, avec des cartes de géopraphie &
des dictionnaires , qui expliquent certains
mots que ſouvent le maître même
n'entend pas. Cette pratique eſt d'abord
défagréable aux jeunes gens , parce
qu'ils ne ſont pas encore au fait de rien ,
& que ce qu'ils liſent ne trouve pas à
NOVEMBRE. . 1773 . 117
ſe lier dans leur eſprit avec des idées
acquiſes ; mais peu à peu cette lecture
les intéreſle , fur- tout lorſque leur petite
vanité en eſt flattée , par les louanges
que des perſonnes avancées en âge leur
donnent à propos fur ce point. Il y a
des inſtituteurs judicieux qui font lire
aux jeunes gens , & leur expliquent l'érat
de la France & l'almanach royal , &
cette méthode eſt encore très- utile pour
leur procurer de bonne heure ces connoillances
- pratiques dont ils ne peuvent
manquer d'avoir un jour beſoin.
-
a
Recherches critiques , historiques & topographiques
fur la ville de Paris , de-
: puis les commencemens connus , julqu'à
préſent , avec le plan de chaque
quartier par le ſieur Jaillot , géographe
ordinaire du Roi , de l'académie
royale des ſciences & belleslettres
d'Angers ,
,
Quid verum.. curo & rogo , & omnis inhocfum .
Hor. lib . 1 , ep . 1 .
xij cahier , in 8°. A Paris , chez l'auteur
, rue & à côté des grands Auguftins
; & chez Lottin , aîné , imprimeurlibraire
, rue Saint-Jacques .
٤٠
4
118 MERCURE DE FRANCE.
,
Ce dernier cahier comprend le xne.
quartier , qui eſt celui de Saint- Paul
ou de la Mortellerie , borné à l'Orient
par les remparts incluſivement , depuis
la rivière juſqu'à la porte Saint-Antoine
; au Septentrion , par la rue Saint-
Antoine excluſivement ; à l'Occident
par la rue Geoffroi-l'Afnier incluſivement
; & au Midi , par les quais incluſivement
, depuis le coin de la rue
Geoffroi - l'Afnier , juſqu'à l'extrémité du
mail. On y compte vingt-quatre rues :
quatre cul-de- facs , une égliſe paroiſſiale ,
deux commuuautés d'hommes , une de
filles , trois quais , &c .
Epreuves du Sentiment par M. d'Arnaud;
3 vol . in - 12 . A Paris , chez le Jay ,
libraire , rue St Jacques , au-deſſus de
celle des Mathurins.
Cette édition , d'un format très-commode
, que l'on peut ſe procurer à peu de
frais & qui eſt imprimé avec beaucoup
de ſoin & d'exactitude ſous les yeux de
l'auteur , ſera ſans doute préférée à toutes
les éditions contrefaites que pluſieurs libraires
& ſpécialement Marc - Michel
Rey , d'Amſterdam , ſe ſont empreſſés de
répandre. Ces pirates de la Typographie,
NOVEMBRE. 1773 . 119
ſans aucun égard pour cette bonne foi
que des commerçans honnêtes gardent
toujours entre eux ſans même aucun
reſpect pour le Public qu'ils abuſent par
leur brigandage , ont toujours ſoin d'annoncer
comme de nouvelles éditions des
copies informes de premières éditions.
Comme ces copies ſont toujours faites à
la hâte , elles font rempliesde fautes typographiques
, de contre- ſens , d'abfurdités
qui ne nuiſent pas moins à l'auteur
de ces ouvrages , qu'à l'acheteur qui croit
avoir les oeuvres d'un écrivain qu'il eſtime
, & n'en a qu'une copie toute défigurée
. On peut mettre au nombre de ces
copies l'édition en trois volumes des oeuvres
de M. d'Arnaud, que Marc Michel
Rey a publiée ſous ce titre': « Euvres
>> complettes de M. d'Arnaud , nouvelle
>> édition , contenant tous ſes ouvrages ,
» & plus ample que celles qui ont paru
>juſqu'à préſent. A Amſterdam , chez
>>Marc Michel Rey, M. DCC. LXXIII ..
Non- ſeulement il manque àcette édition
furtive beaucoup d'ouvrages de M. d'Arnaud
; mais ceux qui y font raſſemblés
font totalement défigurés , ſur - tout les
pièces de théâtre. D'ailleurs comme le
typographe n'a fongé qu'à ſe procurer
129 MERCURE DE FRANCE.
promptement quelque argent de ſon larcin
, il n'a pas feulement daigné prendre
la peine de confulter les éditions nouvelles;
ce font les premières qui ont été mifes
à contribution . Pour arrêter autant
qu'il eſt en nous ces fortes de brigandages
qui deviennent funeſtes à la librairie par
les éditions informes dont on la furcharge
tous les jours , nous croyons devoir
engager le Public à s'adreſſer directement
aux libraires dont les noms & les demeures
font annoncés dans des Journaux connus
. Nous prévenons en conféquence nos
lecteurs que M. d'Arnaud vient de mettre
ſous preſſe une nouvelle édition de
ſes pièces de théâtre , de ſes poëlies &
autres ouvrages . Cette édition , qui fera
ſuite à celle in- 12. de ſes Epreuves du
Sentiment , ſe trouvera chez le Jay , cideſſus
nommé.
Ces Epreuves de Sentiment ont eu l'approbation
desgensde lettres,des moraliſtes
&des pères de famille qui ſe ſontempreflés
de les mettre entre les mains de leurs enfans.
Ils ont bien ſenti que pour leur infpirer
de bonne heure la vertu& legoût des
actions honnêtes , il valoit mieux parler à
leur imagination& à leur coeur qu'à leur ef.
prit; leur donner plutôt des exemples que
des
NOVEMBRE. 1773 . 121
des préceptes ; chercher ſur tout à exciter
en eux cette ſenſibilité que la Divinité a
donnée à l'homine pour qu'elle vînt à l'ap.
puide ſaraiſon " Le raiſonnement , nous
>>dit M. d'Arnaud dans ſon éloquente
- préface , ne ſuffit pas pour nous diſtin-
>> guer de la foule immenſe des êtres :
>>nous devons encore éprouver cette ſen-
>>ſation ſi chère & fi touchante qui nous
> approprie les imalheurs de nos ſembla-
» bles. La pitié étend nos relations : l'in-
>> humanité nousifole. Aufſi les Anciens,
» qui connoiſfoient fi profondément la
>>nature , n'ont ils pas manqué de nous
>>préſenter leurs héros faciles à s'atten-
>> drir : Achille verſe des pleurs lorſqu'on
■ lui apprend la mort de fon ami Patro-
>> cle : Enée a preſque toujours les yeux
» mouillés de larmes , ce qu'ont reproché
> à Virgile pluſieurs de nos beaux eſprits .
» Il est vrai qu'il ya une très -grande dif-
>> tance d'un bel eſprit à un homme de
> génie , & il n'appartient qu'à ce dernier.
>> de prononcer fur le méritede l'antiqui-
> té : elledoit être ſentie , &beaucoup de
» nos modernes raisonnent : Bagoas ( un
• des Eunuques favoris de Darius ) eût
»mal jugé Alexandre. Mondeſſein , con.
> tinue le même écrivain , a été de faire
F
122 MERCURE DE FRANCE.
„ réſulter l'inſtruction d'une forte d'ac-
» tion dramatique. Les hommes reſtent
> toujours enfans ; il leur faut néceſſai-
>> rement des contes ; appliquons - nous
» donc à rendre ces contes profitables à
» la vérité & aux moeurs . Dire à nos Sy-
» barites que c'eſt un crime affreux d'a-
>> bufer de l'innocence & de la crédulité
>> d'une jeune perſonne , leur paroîtra une
>> froide leçon qu'ils n'écouteront pas , ou
>> qu'ils tourneront en dériſion : mais atta-
» cher leur curioſité en faveur d'une fille
> charmante qui réunit la beauté & la
» vertu ; repréſenter Fanny , la malheu-
>> reuſe victime des artifices d'un Lord
> dénaturé par l'eſprit du monde & l'ef-
>> prit des pervers ; ramener ſous les yeux
» ce même Lord rendu à la vérité du ſen-
>> timent, & déchiré par le repentir ; prou-
>> ver enfin que l'honnêteté a ſes plaiſirs,
» bien au deſſus de ceux de la corruption
» & du libertinage ; de ſemblables ta-
>> bleaux pourront alors retirer ces gens
>> efféminés de leur indifférence léthargi-
» que , & les engager à prêter l'oreille au
» précepte animé de l'intérêt de la fic-
» tion ; par ce moyen , peut- être, l'amour
■de l'ordre & la faine morale rentre-
- ront - ils dans leurs ames , fans . qu'ils
)
1
NOVEMBRE . 1773. 123
» s'en apperçoivent. Traitons la plupart
>> des hommes comme nos amis ; la re.
> montrance tient de la ſupériorité , & fi
>>> le conſeil n'eſt inſinué avec cette heu-
» reuſe adreſſe que le ſentiment inſpire ,
>> rarement ſera - t'on diſpoſé à l'enten-
» dre. »
LETTRE de M. Luneau de Boisjermain
à M. Lacombe 、libraire.
Vous avez inféré , Monfieur , dans l'Avant
Coureur du 16 Août dernier, la note ſuivante.
*Les perſonnes de la Province pourront ſe
>>procurer par la poſte & port franc , les oeuvres
>> de M. Francklin , au prix auquel elles ſe ven-
>> dent à Paris , en s'adreſſant à M. Luneau de Bois-
>>>jermain , rue & à côté de la Comédie Françoiſe ,
>>qui ſeul a traité avec la Ferme générale des
Poſtes , pour le port franc de tous les livres im-
>> primés avec permiſſion. Elles affranchiront le
>> port de leurs lettres & de l'argent . »
Cette note eſt conçue de manière à faire croire
que M Barbeu du Bourg s'eſt repoſé ſur moi, du
débit de ſon ouvrage. Je n'y prends aucune part.
Je ne me ſuis jamais chargé du débit même des livres
que j'ai compoſés ; j'en ai toujours indiqué la
vente chez des libraires de Paris ou de la province
; jamais l'idée ne me viendra de prendre le ſoin
de vendre les livres des autres .
Ce qu'il falloit ſimplement annoncer , Mon-
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
fieur , c'est qu'ayant traité avec la Ferme générale
des Poſtes , pour le port franc des livres partout
le royaume , j'ai accordé à M. Barbeu du
Bourg, pour le tranſport des oeuvres de Frankclin,
un abonnement à-peu-près pareil à celui qu'ont
obtenu de moi MM. Watin , Mauclerc & autres
pour le tranſport des livres de leur compoſition ,
qu'ils ont fait annoncer port franc.
Les perſonnes de province peuvent bien s'adreſſer
à moi pour recevoir , par la poſte & port
franc , cet ouvrage , & tous les livres de la librairie
de Paris , au prix auquel ils ont été annoncés
; mais elles peuvent également s'adreſſer
àM. Barbeu du Bourg pour les oeuvres de M.
Francklin , & à tous autres propriétaires de chaque
ouvrage. La ſeule opération qui me concerne
, c'eſt qu'en me faiſant pafler l'argent destiné
à payer un livre , je prélève ſur la totalité du
prix ce qui doit ſervir à en payer le port , & qu'en
s'adreſſlant à M Barbeu du Bourg pour les oeuvres
de Francklin & à tous autres propriétaires
de livres , ce font eux qui me remettent la ſomme
convenue pour l'affranchir .
Vous annoncez ſouvent , dans les journaux
dont vous êtes poſlefleur , des livres d'un trèspetit
volume , dont le port ſeroit très - diſpendieux
, & encore plus coûteux par la poſte. Mon
intention a été d'en faciliter le tranſport, ſans
que l'acquéreur ait rien à débourſer que le prix
du livre qui tente la curiofité; je crois avoir
réufli .
J'eſpère , Monfieur , que vous voudrez bien
inférer dans le Mercure prochain , la lettre que
j'ai l'honneur de vous adreſſer. Il s'agit d'expliquer
une annonce de vos Journaux , qui n'eſt
NOVEMBRE. 1773. 125
point telle qu'elle auroit dû être; il s'agit d'empêcher
les particuliers de Paris de venir demander
chez moi les oeuvres de Francklın. Elles ſe
trouvent chez l'anteur , rue Copeau ; Quillau ,
libraire , rue Chriſtine , & l'Esprit , libraire , au
Palais royal.
J'ai l'honneur d'être , &c.
LUNEAU DE BOISJERMAIN.
:
LETTRE de M. Poinfiner de Sivry , à
M. Lacombe , auteur du Mercure de
France; ou Apologie de la conjecture
qui donne une même cauſe à la diſgrace
d'Agrippa Poſthume , adopté par
Auguſte , & à l'exil d'Ovide : en réponſe
à la critique que les auteurs du
Journal encyclopédique viennent de
publier , en Octobre 1773 , contre cette
même conjecture , qui a paru dans
le Mercure d'Avril , pag. 181 .
MONSIEUR ,
L'auteur de la critique de ma conjecture fur
la vraie cauſe de l'exil d'Ovide , n'appuie ſa Réfutation
, ( car c'eſt le terme qu'il ne craint pas
d'employer , ) que ſur deux ou trois raiſonnemens
captieux , dont il m'eſt facile de faire connoître
tout le faux.
En premier lieu , ce critique prétend qu'on
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE .
ſavoit avant moi qu'Ovide avoit été Avocat &
qu'il avoit exercé des emplois de judicature ; &
cependant , ajoute- t- il , perſonne encore ne
s'étoit avisé de chercher les cauſes de ſa difgrace
dans l'exercice de ces emplois. A cela je
réponds que tout le monde s'eſt accordé jufqu'ici
à dire & à répéter qu'Ovide avoit été
Avocat , mais qu'avant moi on ignoroit qu'il eût
exercé des emplois de judicature civile & criminelle.
Il n'eſt donc pas étonnant que perſonne
ne ſe ſoit avisé de chercher la cauſe de la difgrace
d'Ovide dans l'exercice d'un emploi qu'on
ignoroit qu'il eût exercé. Tous les auteurs de ſa
vie , & cela , ſans exception , avoient entendu
dans un ſens très-incomplet & très - fautif les
vers où ce Poëte nous apprend qu'il a été Magiftrat
.
Nec male commiſſa eſt nobis fortuna reorum ,
Uſque decemdecies infpicienda viris :
Resquoque privatasftatui, finecrimine ,judex,
Deque meâfaſſa estpars quoque victa fide .
On avoit juſqu'ici , par je ne ſais quelle
inadvertence , interprété cejudex dans le ſens
d'arbitre choisi volontairement par deux parties
en contestation. Ce qui avoit donné lieu à cette
erreur , c'eſt l'expreſſion de res privatas qu'on
avoit mal entendue , & dont on n'avoit point
vu l'oppoſition directe avec fortuna reorum infpicienda
qui précède : oppoſition d'où il réſulte
qu'Ovide a jugé des affaires criminelles ,
Nec malè commiſſa est nobis fortuna reorum ,
:
NOVEMBRE . 1773 . 127
& auſſi des affaires civiles ou procès entre part
ticuliers ,
Res quoque privatas ftatui ,fine crimine,judex.
Si le critique convient qu'Ovide a exercé des
emplois de judicature , & s'il n'en a rien su ni lui
ni perſonne que d'après la publication que j'ai
faite de cette découverte , eft-il raisonnable
qu'il me faſſe l'argument ſuivant : on favoit
comme vous qu'Ovide avoit été Magistrat , &
cependant cette connoiffance n'a jamais donné
lieu que chez vousſeul , à la conjecture que vous
avez proposée. Donc votre conjecture eftfans vrai-
Semblance , puiſque ſans cela d'autres s'enferoient
aviſés avant vous.
Telle eſt pourtant la nature du premier raifonnement
que le critique emploie contre moi.
On me diſpenſera très volontiers , je penſ , de
lui oppoſer ici d'autre défenſe que la foibleffe
même & le défaut de juſteſſe d'une telle objection.
Quoi qu'il en ſoit , ce cenſeur m'accorde qu'Ovide
a été Magiſtrat: il articule même qu'il a
été centumvir , & cela réſulte clairement, ſelon
lui , du paſſage formel d'Ovide .
Nec male commiſſa eſt nobis fortuna reorum ,
Uſque decem decies infpicienda viris.
Surquoi il s'étonne que j'aye inféré de ce même
paſſage qu'Ovide eût été Decemvir ; car decem
decies fignifient cent & non pas dix. Mais le cri
tique ne prend pas garde que , dans le vers en
queſtion , decies appartient à uſque , & que l'un
& l'autre appartiennent à infpicienda; tellement
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
que le ſens & la conſtruction ſeroient telles , fi
Ovide eût écrit en proſe : nec nobis male commiſſa
eſt reorum fortuna , decies usque infpicienda
decem viris. Le critique ne réfléchit pas qu'on ne
ſauroit dire decem decies vir, pour exprimer un
centumvir , non plus que bis quinque vir , pour
exprimer un decemvir , ni bis decemvir pour
exprimer un vigentivir , &c. toutes ces dénominations
étant ſtrictement abſolues , incommutables
, & fans aucun équivalentqui puifle en
repréſenter la valeur, à leur défaut : car decemdecies
viri , ( comme conſtruit le critique ) fignifieroit
bien dix fois dix hommes , ou , ce qui revient
au même , cent hommes ; mais on conçoit
qu'il y a loin d'une expreffion qui déſigne vaguement
cent hommes , à celle qui déſigne expreſſément
les centum-virs. Et fi l'on confidère
que dans le vers en queſtion , il y a encore le
mot uſque , qu'il eſt embarrafſſant de faire cadrer
avec l'interprétation du cenſeur , parce qu'on eſt
forcé de le joindre à ſon decem dicies viri , en
cette forte , decem decies usque viri ; on conviendra
qu'il n'y a nul moyen de lui accorder
qu'Ovide ait employé une circonlocution aufli
verbeuſe , auſſi incorrecte & auſſi inſuffifante ,
pour exprimer les centumvirs. Si au contraire on
interprète ce paſſage comme je fais , il ſe trouvera
qu'Ovide s'eſt exprimé en termes très-convenables
& très- latins , & qu'il n'a ufé d'aucune
circonlocution diffuſe & incorrecte ; qu'en un
mot , il a exprimé d'une façon très- claire ce qu'il
vouloit dire , ſavoir qu'il s'est toujours conduit en
rapporteurirréprochable dans les affaires criminellesd'où
dépend ie fort de l'accusé, & qui doivent être
examinéesjusqu'à dix fois , ( decies usque ) par
NOVEMBRE. 1773. 129
les decemvirs. On fait par Dion , L. 54 , que
les decemvirs étoient les Préſidens du Tribunal des
centumvirs. Ils avoient donc la premiere inſpection
des affaires qui paſſoient à ce Tribunal ; d'où
je conclus, contre la prétention du critique , qu'il
n'eſt pas indifférent à la queſtion préſente ,
qu'Ovide ait été centumvir ou decemvir. Tout le
monde avouera qu'en qualité de decemvir il a
pu donner le premier mouvement a une procé
dure qu'il étoit libre d'arrêter ou de ne pas entamer;
au lieu qu'en qualité de ſimple centumvir,
il n'eût gueres pu connoître que d'un crime déjà
divulgué parmi tous les autres membres du méme
Tribunal. Il y a donc quelque ſujet de penſer
que c'eſt par précipitation de jugement que le
critique s'eſt permis de traiter de bévue l'interprétation
très- fondée en raiſon que j'ai donnée
de l'un des plus curieux paſſages de notre
Роëre.
Venons au point le plus important: eft- ce pour
avoir informé de quelque atrocité du jeune
Agrippa qu'Ovide a encouru la diſgrace d'Au.
guſte , comme je le prétends ? On ne peut réfuter
ma prétention que de quatre manières ; 1. En
prouvant qu'Ovide n'étoitpoint Magistrat pour le
criminel: j'ai fait voir qu'il l'étoit. 2º. En prou
vant que l'époque de la disgrace d'Agrippa nese
rapporte point avec celle de la disgrace d'Ovide :
le critique lui même eſt le premier à confeffer
que ces deux époques ſe conviennent , & que
cette convenance donne un degré ſenſible de
vraiſemblance à mon ſyſteme. 3º. En prouvant
que l'exil d'Ovide appartient à telle ou telle autre
cause, & nonà celle quej'ai indiquée : le critique
convient qu'avant moi & depuis moi ,personne ,
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
fans excepter lui-même , n'a propoſé à cet égard
de conjectures raiſonnables. 4°. En prouvant que
le caractère donné par l'histoire aujeune Agrippa ,
ne permet pas de croire qu'il ait donné lieu à un
des decemvirs de Rome d'informer contre lui d'un
crime commis par lui : voici le ſeul point capital
fur lequel le critique n'eſt point d'accord avec
moi . Examinons qui des deux eſt dans l'erreur ,
& s'est fait à ſoi-même illufion .
Le critique m'oppoſe le témoignage de Tacite
qu'il prétend avoir été , parmi les hiftoriens Romains
, le plus inftruit de tous ſur le caractère des
perſonnages qui compofoient la Cour d'Augufte.
Cet écrivain , à jamais célèbre , crayonne ainſi
le caractère d'Agrippa: rudemfanè bonarum artium
& robore corporis ſtolidè ferocem : nullius tamen
flagitii compertum , c'est- à- dire , un esprit groffier
&fans lettres , un jeune homme qui faisoitftupidement
parade de la force de fon corps ; mais qui
aufurplus n'étoit convaincu d'aucun crime.
Or Tacite n'en juge ainſi que parce que la notoriété
des crimes d'Agrippa n'étoit point venue
à ſa connoiſſance ; d'autant qu'on ne lui fit jamais
de procès en forme, & que Tacite qui, ſelon
juſte Lipſe, ne mourut que ſous l'Empire d'Adrien,
étoit trop éloigné de l'époque d'Agrippa pour juger
des cauſes de fa diſgrace , autrement que
par conjecture. Ajoutons que cet hiftorien , qui
paroît s'être proposé de peindre Tibere des couleurs
les plus noires & les plus odieuſes , n'y
pouvoit mieux réuſſir qu'en lui faiſant ouvrir fon
règne par le meurtre d'un innocent; & dela le
foin qu'il prend de mettre en doute qu'Agrippa
fût coupable. Mais ſi l'on y prend garde de plus
près, on trouvera que Tacite convient expreffé
NOVEMBRE. 1773. 131
ment de la cruauté du jeune Agrippa. Car, lorfqu'il
nous dépeint Auguſte près de mourir , il repréſente
les Romains s'entretenant entre eux de
fon fucceffeur, & rejetant de leurs voeux ce
même Agrippa , à cauſe de ſon caractère cruel :
trucem Agrippam & ignominiâ accenfum , &c. Au
reſte quelle que ſoit l'autorité de Tacite , hiſtorien
très -poſtérieur au tems dont il s'agit , elle
ne fauroit en aucun cas , prévaloir ici ſur celle
des écrivains contemporains d'Agrippa même.
Or Velleius Patercule , qui eſt de ce nombre ,
puiſqu'il vivoit ſous Auguſte & ſous Tibere , approuve
le meurtre d'Agrippa , & proteſte qu'une
telle fin étoit due à la perverſité inouie du naturel
de ce jeune Prince , & à l'accroiffement journalier
des vices de fon eſprit & de ſon coeur , ne
trouvant d'autre terme que celui de fureur pour
en exprimer la dépravation. Agrippa qui jam
ante biennium , qualis effet apparere caperat ,
mirâpravitate animi atque ingenii in pracipitia
converfus , patris atque ejufdem avifui animum
alienavit fibi ; moxque , crefcentibus in dies vitiis ,
dignumfurorefuo habuit exitum. Comment donc
le critique oſe-t-il invoquer l'autorité de Patercule
contre mon hypothèſe ? Mais voici une
autre difficulté qu'il me cherche. Citons ſes
propres paroles :
« Y a- t-il ici ( s'écrie-t-il ) la moindre apparence
qu'Ovide ſoit entré pour quelque choſe
➤ dans la diſgrace d'Agrippa ? Suppoſons qu'il eût
>>>inſtruit ſon procès; Auguſte qui fit lui-même
> homologuer par un Sénatus-confulte l'exil de
>>>ſon petit- fils , pouvoit- il après cela s'en prendre
* au premier juge , ſans la plus abſurde incon-
>>féquence ? N'étoit-ce pas joindre une injustice
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
>> affreuſe à l'éclat de la justice qu'il faiſoit d'A-
>> grippa ? Etoit-ce enfin le moyen de faire ou-
>> blier fon crime ? Non , dira M. de Sivry ; mais
> c'étoit ſe venger en Souverain. Nous laiſſons
>> réfléchir ſur l'idée d'une pareille vengeance.
Le critique cherche ,je ne ſais trop pourquoi ,
à me brouiller avec les Souverains. Je n'ai dit
nulle part qu'Auguſte ſe fût vengé en Souverain ,
en puniſſant Ovide. J'ai dit en propres termés :
• il eſt probable qu'Ovide fit informer de quel-
>que grand délit dont il ne connoiſloit pas
>>>l'auteur , & que cette information juridique
>> ayant donné lieu à la découverte du coupable ,
> il ſe trouva que le criminel n'étoit autre que le
Prince Agrippa , petit- fils & fucceſſeur déſigné
>>>d'Auguste , & que l'Empereur ne put par-
>> donner à Ovide cette faute involontaire , le
> regardant comme la cauſe ( innocente àla vé
>> rité ) de l'opprobre de fa maiſon. » Voila uniquement
ce que j'ai écrit, fans me permettre à
cette occafion aucune réflexion critique contre
Auguſte , & moins encore contre l'Ordre entier
des Souverains , qui ne pourront ſans doute que
ſavoir un gré infini au critique de les défendre
avec ce zèle , même quand perfonne ne fonge a
les offenfer.
Je ſoutiens , en outre , qu'Auguſte a pu ſans
inconféquencepunir Ovide d'avoir ébruité la honte
de ſa maiſon , & cependant punir Agrippa du
crime ébruité par Ovide. Il eſt vrai qu'il ne faut
pas ſuppoſer, comme le critique , qu'Augufte
commença par faire homologuer au ſenat l'exil
de fon petit- fils , & qu'enfuite il s'aviſa de fonger
à punir Ovide; tenons-nous-en à l'ordre
naturel des circonstances du fait , tel que je l'ai
NOVEMBRE. 1773. 133
expoſé. Ovide donne par ſes informations une
certaine publicité à un délit d'Agrippa : Augufte
arrête toute procédure , punit Ovide d'avoir di
vulgué l'opprobre de ſa famille , mais ſe trouve
bientôt forcé par le ſcandale même du délit ,
d'exiler Agrippa ; enfin, les vices de celui ci
croiſſantde plus en plus , l'Empereur fait homologuer
cet exil par le ſenat; & cependant Auguſte
ne rappelle point alors Ovide , parce qu'en
le reléguant , il avoit motivé ſa ditgrace fur un
prétexte apparent , je veux dire ſur ſes poëfies
amoureuſes , qui fourniſſoient un grief toujours
ſubſiſtant. Auguſte ſe propoſant la réforme des
moeurs , ne pouvoit gueres , en effet , rappeler
d'exil celui àqui il avoit affecté d'en attribuer la
corruption.
Le critique cite un paſſage d'Ovide qu'il a tort
de m'oppoſer , puifque ce paſſage convient ,
on ne peut mieux , a mon ſyſtême; le voici .
Caufa mea cunctis nimiùm quoque nota ruine :
Indicio non eft testificanda meo.
Quid referam comicum que nefas , famulosque
nocentes?
Aſſurément , il est très- facile d'expliquer ce
dernier vers , dans mon hypothèſe. Ce comitum
nefas s'entendra de la faute qu'Ovide fit partager
aux autres décemvirs , en rapportant dans
leur comité le délit en queſtion ; & le famulos
nocentes s'expliquera tres naturellement en fuppoſant
que les domestiques d'Ovide avoient
figuré comme témoins dans cette affaire fi déli
catc.
134 MERCURE DE FRANCE .
En un mot , Monfieur , j'ai l'aſſurance de
croire que le cenfeur anonyme,loin d'avoir ruiné
mon ſyſtême , n'a fait que l'affermir davantage
par une attaque dont tout conſpire à faire voir
l'impuiſſance. Quant à moi qui n'ai eu & n'ai en.
core dans tout ceci d'autre intérêt que mon zèle
pour la recherche d'une vérité hiſtorique ,je fuis,
prêt à ſacrifier toutes mes prétentions au premier
critique qui ſe préſentera avec des conjectures
plus vraiſemblables & plus fondées en raiſon que
les miennes .
J'ai l'honneur d'être , &c.
ACADÉMIE.
Discours prononcé à la féance publique de
l'Académie royale de Chirurgie , lejeudi
22 Avril 1773 .
L'ACADÉMIE royale de chirurgie avoit
propofé , pour le prix de cette année , la
queſtion ſuivante :
Quelle eft , dans le traitement des maladies
chirurgicales , l'influence des chofes
nommées non naturelles ?.
Parmi les mémoires qui nous ont été
adreſſés en petit nombre , ſur cette matière
, il y en a dont les auteurs n'ont pas
du tout ſaiſi la queſtion: ils ſe ſont éga
NOVEMBRE. 1773 . 135
rés dans des ſpéculations métaphyfiques ,
fur les caufes premières de l'organiſation,
fur les loix du mouvement appliquées à
l'economie animale , ſur le méchaniſme
de l'électricité regardée comme le principe
qui anime & vivifie les corps , fur
la formation & la diftribution des matières
nutritives , fur l'influence réciproque
de l'ame fur le corps , & du corps fur
l'ame , & c . &c.
Des mémoires hypothétiques ſur des
objets qui ont ſi peu de trait à la propoſition
de l'Académie , ne pouvoient fixer
fon attention. Il eſt évident qu'on demandoit
que les auteurs travaillaſſent à
la perfection de la pratique de la Chirurgie
, en appliquant au traitement des maladies
chirurgicales les règles de l'hygième
, en montrant quels ſecours on pouvoit
tirer de l'adminiſtration judicieuſe
des choſes non naturelles , pour obtenir
méthodiquement la guériſon des maladies
qui font du reſſort de la Chirurgie.
Le mémoire N ° . 4. qui a pour deviſe
ce paſſage d'Hippocrate , au livre I des
Epidémies , circa morbos duo exerceto , ut
juves , aut non noceas , fait honneur à
fon auteur. Il a ſenti l'importance du
ſujet , & fon début promettoit une differtation
fatisfaiſante ſur la queſtion pro
136 MERCURE DE FRANCE .
poſée . La Chirurgie moderne ſe glorifie
>> moins , dit - il , des opérations qu'elle
> eſt indiſpenſablement obligée de faire,
» que de celles qu'elle fait éviter par un
> traitement methodique . C'eſt dans ce
> principe que l'Académie toyale de Chi-
>> rurgie a travaillé utilement à perfec-
-tionner la matière médicale externe en
> propofant ſucceſſivement pour le ſujet
> des prix qu'elle a distribués pendant
>>pluſieurs années , quelle croit la natu-
» re , la manière d'agir & l'ufage des re-
>>mèdes répercuſſifs , reſolutifs , émol-
>> liens , anodyns , fuppuratifs , déterfifs ,
> deſficatifs &cauſtiques. Par le code mé-
>>dicamentaire chirurgical que les mémoi
>> res couronnés ont produit , l'art s'eft en.
> richi de connoiffances utiles , & eft de-
>> venu plus doux & moins redoutable. »
Si la matière des médicamens trop négligée
paroiſſoit fournir un juſte ſujet de
reproche contre nos prédéceſſeurs , nous
ne voulons pas encourit celui que nos
fucceſſeurs pourroient nous faire de n'avoir
pas examine avec affez d'attention
quelle eſt l'influence des chofes non naturelles
dans le traitement des maladies
chirurgicales . Pent on entreprendre la
guériſon d'un malade ſans connoître les
fix choſes indiſpenſablement néceffaires
NOVEMBRE. 1773. 137
àla conſervation de la vie , & dont le
bon ou le mauvais uſage contribuent fi efſentiellement
à maintenir ou à détruire
l'état de ſanté , & dont la direction doit
par conféquent beaucoup ſervir à la rérablir
lorſqu'elle a été dérangée par quelque
cauſe que ce ſoit?
Ila paru à quelques perſonnes , que le
ſujet étoit trop vafte pour être traité convenablementdans
un ſeul mémoire . Elles
ne diſconviennent pas qu'une hygiène
chirurgicale bien faite ne fût un travail
utile , & qu'il manque à l'inſtruction des
élèves. Mais comment eſpérer que l'on
comprenne dansun mémoire tout ce qui
regarde l'air , les alimens & la boiffon ;
l'exercice & le repos , le ſommeil & la
veille , les excrémens évacués ou rerenus ,
les paſſions & les affections de l'ame ?
Tels font , à la vérité , les objets de
l'hygiène ; mais ce ne font pas tous les
principes de cette ſcience& les détails
qu'ils comportent , dont on demandoit
l'expoſition ; c'eſt l'application des règles
générales au traitement particulier des
maladies chirurgicales : ſous ce point de
vue , le ſujet ne paſſe point les bornes d'un
mémoire académique,& plus l'auteur qui
voudra s'en occupet ſera inſtruit , moins
138 MERCURE DE FRANCE.
il trouvera de difficulté à circonfcrire fa
matière . Une Société ſavante qui auroit
propoſé , il y a trente ans , pour le ſujet
d'un prix , de déterminer quelle est la
ftructure du coeur & ſon action ? auroit-elle
mérité le reproche d'avoir montré un
champ trop étendu , ou une carrière dont
les limites auroient paru poſées à des diſtances
trop éloignées ? Non fans doute.
Mais en remontant aux premiers principes
, en expoſant les recherches , les progrès&
les erreurs de ceux qui ont traité
cette queſtion ; en faiſant l'hiſtoire exacte
des découvertes ; en difcutant les différentes
opinions , M. Senac a pu faire de
ce ſujer un traité en deux vol . in 4° .
On pourroit de même , ſur les choſes
non naturelles , étendre la matière & faire
de très longues differtations. Ce n'eſt
pas la queſtion propoſée par l'Académie
qui donnera lieu à cette diffuſion. Par
l'énoncé même on voit que ſielle demande
une théorie , elle l'aſſujettit à être la
lumière de la pratique. La vraie théorie
ſeratoujours réduite aux ſeules conféquences
tirées des faits : c'eſt une loi que l'Académie
s'eſt preſcrite dans tous ſes ouvrages
; &, quand on connoît ſon eſprit ,
il eſt difficile de prendre le change à cet
NOVEMBRE. 1773. 139
égard. « En ſuivant les traces de la nature
» à la lumière des expériences & des ob-
>> ſervations , on arrive bientôt à des bar-
> rières que les eſprits ſolides ne fran-
>> chiffent point : au- delà de ces bornes
>> on ne peut ſaiſir que des conjectures ,
» & l'égarement eſt inevitable . »
L'hygiène peut fournir des détails infinis
. Les alimens ſeuls donneroient la matière
de pluſieurs volumes. Après tant de
traités que nous avons ſur l'air , M. l'Abbé
Richard vient d'en publier l'hiſtoire naturelle
en huit volumes. Il y a environ 60 ans
que le célèbre docteur Arbuthnot , membredu
collége royal des Médecins de Londres
, donna au Public , fur ce ſujet , un
excellent traité qui a pour titre : Effai
concernant l'influence de l'airſur le corps
humain. Pour remplir ſon objet il a parlé
en différens chapitres, des ingrédiens de
l'air ; de ſes propriétés ; de ſes qualités ;
de la nature de l'air dans les ſituations ,
les régions & les ſaiſons différentes ; des
uſages & des effets de l'air dans la reſpiration
: Ildonne des remarques fur la peſte
& les fièvres peſtilentielles , en tant que
l'air infue dans ces maladies ; il parle des
différens effets des exploſions naturelles
de l'air ſur le corps humain. Ce traité eſt
curieux & inſtructif ; mais il n'y a de re
140 MERCURE DE FRANCE.
latif à la pratique que le chapitre VI concernant
l'influence de l'air dans les maladies
& fur les conſtitutions différentes
des hommes ; les connoiſſances qu'il renferme
font reſtreintes à l'ætiologie. L'air
n'y eſt conſidéré que comme cauſe de maladies;
ce font fes mauvais &pernicieux
effets qu'on calcule ſuivant la variété des
climats&des ſaiſons. La queſtion propoſée
par l'Académie fur l'influence des
chofesnonnaturelles les conſidère ſous นัก
autre point de vue , en demandant quels
effets elles produiſent dans le traitement
des maladies chirurgicales ; cette queftion
eſt purement thérapeutique.
Ledocteur Arbuthnot ſe plaint en plaſieurs
endroits de ſon ouvrage , que le
ſujet de l'influence de l'air fur les conftitutions
& les maladiesdu corps humain,
n'a point été traité par les Médecins modernes
avec l'exactitude qu'il mérite
que les obſervations de cette eſpèce font
en très-petit nombre , & que dans cette
diſette de faits, tout ce qu'on peut faire de
mieux eſt de déduire des loix de la méchanique
, des propriétés& qualités connues
de l'air , quels doivent être les effets
naturels de ce fluide. Ses qualités chaudes
on froides, fèches ou humides produifent
des effets différens auxquels on ne peut re
NOVEMBRE. 1773 : 141
médier efficacement qu'en en combattant
la cauſe. Les Chirurgiens, dit- il , ont dans
l'exercice de leur art des occaſions plus
fréquentes d'obſerver les effets de l'air ;
les fibres doivent être plus ſouples & plus
flexibles dans un tems doux que pendant
le froid qui les contracte ; & la conſtitution
de l'air , capable de corrompre naturellement
la chair crue , doit expoſer les
plaies au danger de la mortification. C'eſt
ce qui a déterminé , dit-il , le choix des ſaifons
pour certaines opérations qu'on peut
différer; & il n'eſt pas douteux que les qualitésde
l'air ne rendent certaines maladies
plus aiſées ou plus difficiles à guérir en
différens pays. Arbuthnot avoit appris
d'un habile Chirurgien de l'Armée Britannique
en Allemagne , deux choſes remarquables
: la première , qu'après la bataille
d'Hochſtet , en 1704, les bleſlés de
l'hôpital de Norlingue furent attaqués de
tumeurs cædémateuſes , dont plufieurs
mouturent; mais qu'ayant été transférés
dans un autre air , cet accident diſparut ,
La ſeconde eſt qu'au ſiége de Lille , il y
eut une grande diſpoſition dans toutes les
plaies à devenir gangreneuſes , & princi.
palement dans celles de la tête. Il n'y a
point d'état vicié des ſolides ou des flui
142 MERCURE DE FRANCE.
des qui ne puifle être cauſé par les propriétés
& les qualités de cet élément , &
par leurs changemens & combinaiſons
différentes . L'air des hôpitaux eſt ſur tout
très - nuiſible ; M. Pringle , qui a donné un
excellent traité ſur la Médecine des Armées
, démontre clairement qu'il y a une
fièvre propre aux hôpitaux , dont lesbleſfés
ſont attaqués confécutivement par leur ſé.
jour dans ces lieux; ce qui leur eſt commun
avec les perſonnes qui les y ſoignent.
Hippocrate , dans ſon traité des Vents
dans celui de l'uſage des choſes humides ;
dans celui qui eſt intitulé , de l'air , de
l'eau & des lieux , donne des préceptes
admirables , dont on pourroit faire une
heureuſe application à la théorie & à la
pratique de la chirurgie. Il vouloit qu'on
eût égard à la conſtitution de l'air dans
les opérations chirurgicales ; il ſavoit prédire
les ſymptômes & les accidens par le
tems . Dans un été ſec, les maladies finiſſent
plutôt que dans un humide , où elles
font opiniâtres & diſpoſées aux fuppurations
. Il remarque que la chaleur & l'humidité
, lorſqu'elles ſe rencontrent enſemble
, produiſent la putréfaction .
Les livres qui traitent des choſes non
naturelles font très - multipliés depuis
NOVEMBRE . 1773. 143
quelque tems. On y répète tout ce que
les philofophes & les médecins de l'Antiquité
ont dit ſur les règles de la ſanté.
Les législateurs mêmes ſe ſont occupés de
cet objet important : Moyfe ne détermine
t'il pas les eſpèces d'animaux dont il
étoit permis aux Ifraëlites de manger , &
les parties de ceux - ci qu'on devoit regarder
comme immondes ? Mais les règles
de Pythagore , de Porphire , les préceptes
de l'école de Salerne & tous ceux qu'on
trouve dans les ouvrages modernes ont
pour but la conſervation de la ſanté ; ils
ſont donnés dans des vues de prophylacti
que ou de préſervation. Hippocrate avoit
tourné les ſiennes un peu plus du côté
pratique. Comment ceux qui ont eſſayé
de traiter la queſtion propoſée par l'Académie,
paroiſſent- ils avoir ignoré qu'André
de la Croix & Ambroise Paré ont fait
une hygiène curative , à l'occaſion des
plaies de tête ? L'examen & la comparaifon
de leur doctrine auroit donné lieu à
quelques diſcuſſions utiles au progrès de
l'Art : la méthode qu'ils ont adoptée pour
ce genre de maladies auroit pu être appliquée
à d'autres cas , & fervir de modèle
dans ceux mêmes où la diverſité des indications
exigeroit qu'on donnat d'autres
préceptes.
144 MERCURE DE FRANCE.
Ambroise Paré , au chap . XIV du 10
livre, des plaies en particulier, preſcrit le
régime convenable aux plaies & aux fractures
du crâne. Lorſque tu panſeras le
> malade , te faut avoir , dit-il , une baf-
>>finoire pleine de braiſe , ou une pelle
■ de fer , laquelle ſera tant échauffée ,
» qu'elle devienne rouge , & qu'elle ſoit
tenue au deſſus de la tête du malade à
>> unetellehauteurqu'ilen ſente la chaleur:
>> afin que par la réverbération d'icelle ,
→ l'air ambient , c'eſt à dire qui est à l'en-
> tour , ſoit corrigé. Car le froid, comme
> dit Hippocrate, eſt ennemi du cerveau,
>> des os&de tous les nerfs ,&générale-
>> ment de toute notre nature.>>
André de la Croix s'appuye auſſi ſur
l'autorité d'Hippocrate pour recommander
une chaleur fort temperée dans le
panſement des plaies de tête. Les Chirurgiens
s'abuſent & ſe trompent beaucoup,
dit-il, lorſque par des briques rougies
au feu , ou par d'autres moyens , ils
excitent une chaleur à laquelle la tête
n'eſt point habituée. C'eſt une cauſe de
fluxions , de douleurs gravatives , d'inflammation
&de pourriture. Cette obfervation
paroît fort judicieuſe. La pelle
rougie , ou le réchaud allumé, tenu avec
tantde foin ſous les rideaux du lit , rarefie
:
NOVEMBRE. 1773. 145
fie l'air , & met , pour ainſi dire , la tête
du bleſſe ſous une ventouſe. Je ſuis perſuadé
que les expanſions putrides de cerveau
, qu'on ne peut réprimer qu'avec
l'huile de rérébenthine ou le baume du
Commandeur , ſont ſouvent venues de
cet excès de chaleur que la raiſon réprouve
, & dont l'expérience n'a pas déſabuſé,
parce qu'elle a pris pour ſymptôme du
mal , l'accident qui venoit de l'uſage nuifible
& dangereux des moyens qu'elle
croyoit falutaires. André de la Croix porte
l'attention juſque ſur la poſition da lit
du malade , lequel doit être à contre jour:
il parle de la direction & du degré de la
lumière par laquelle la chambre peut être
éclairée, pour que le malade n'en ſoit pas
incommodé. C'eſt d'après les connoiffances
de l'hygiène qu'il a dicté ces préceptes
falutaires .
Les alimens dont les bleſſés peuvent
uſer ſont déterminés , par nos deux auteurs
, ſuivant l'âge &le tempérament du
malade , la ſaiſon de l'année , le tems de
la maladie , & fon état actuel , ſoit dans
la naiſſance & le progrès des ſymptômes
& accidens , foit dans le déclin . Ils n'entrent
pas dans de grands détails ; mais les
règles générales font établies d'après la
nature des alimens & les effets relatifs
G
146 MERCURE DE FRANCE.
qu'ils peuvent produire. Le choix des
ſubſtances alimentaires doit être fait de
manière qu'elles concourent à remplir les
indications curatives . Dans les maladies
où il y a de la putridité , les alimens qui
ont une vertu antiſeptique & qui empêchent
la décompoſition des humeurs font
préférables ; ceux qui ſont atténuans& incififs
conviennent dans les maladies où
la coagulation des fluides ſe manifeſte. Il
y ades ſubſtances lénitives qui entretiennent
la liberté du ventre : d'autres dont
la vertu aromatique ou aſtringente corrobore
les fibres , & ſemble raffermir les
tuyaux excrétoires : quelquefois il faut
rafraîchir ; dans d'autres cas il faut augmenter
la chaleur , & l'on obtient utilement
& fûrement , par la voie des alimens
appropriés , ce que les autres moyens
ne procureroient peut - être pas ſans leur
aide. La connoillance des tempéramens
eſt du. reſſort de l'Hygiène , & il n'eſt pas
douteux que les moyens de guérifon
ſe règlent différemment dans les conftitutions
pléthoriques , ſanguines ou pituiteuſes;
dans les ſujets qui abondent en
alkali - ſpontané, dans les perſonnes dont
le ſang eſt vicié par quelque hétérogène ;
&, dans ces cas , l'uſage des alimens&de
la boiſſon , tant dans la quantité que dans
NOVEMBRE. 17738 147
la qualité , doit être varié & déterminé
ſuivant là nature des circonstances .
Les règles diététiques qu'Hippocrate
a preſcrites font encore le guide le plus
alluré qu'on puiſſe ſuivre; mais leur application
aux cas particuliers , qui font
ſans nombre , demande de la ſagacité.
C'eſt ordinairement au commencement
des maladies , dans le tems de l'orgaſme ,
que la diète ſe borne à des boiffons délayantes
, à la ptiſane & au bouillon . Mais
le bouillon étant chargé de ſucs animaux,
eſt putrefcible & ne convient pas dansune
infinité de cas , où l'on n'a garde de l'accuſer
des accidens qu'il produit , ou de la
perſévérance des ſymptômes qui céderoient
aux autres remèdes , ſi l'uſage indifcret
des décoctions de viandes ne donnoit
de l'aliment à la maladie , au détriment
du malade qu'on prétend nourrir.
Il y a plus : on trouve des cas où la diète
la plus rigoureuſe, l'abſtinence abſolue eſt
un moyen de guériſon auquel nul autre
remède ne pourroit fuppléer : c'eſt ainſi
qu'on parvient àcicatriſer certains ulcères
aux corps dont la fibre eſt relâchée par la
furabondance des humidités qui l'abreuvent.
Hippocrate en a fait un précepte
poſitif. Corporibus humidâ carne præditis,
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
imperandafames ; fames enim corpora exficcat.
L'habitude d'uſer de certains alimens ,
quoique nuiſibles en eux- mêmes, eſt une
raiſon de ne pas les défendre ſévèrement
aux malades à qui l'indulgence à cet égard
devient néceſſaire : des exemples très finguliers
ont confirmé la doctrine d'Hippocrate
fur ce point.
Il paroîtta, au premier aſpect , bien inutile
d'établir des règles particulières concernant
l'exercice &le repos dans le traitement
des maladies chirurgicales; cependant
on peut procurer le plus grand
bien en preſcrivant l'un & l'autre à propos.
La promenade à pied ou en voiture,
l'action de chanter ou de lire à haute voix,
l'exercice du cheval, ont des utilités particulières
en différens cas. On peut même
trouver l'occaſion de faire ſervir un exercice
forcé à la guériſon de certaines maladies
: nous avons des exemples de maladies
vénériennes très compliquées qui
ont cédé à l'uſage de la décoction de
gayac, dont la boiffon, à une certaine mefure
, étoit ſuivie d'une promenade fariguante
pendant l'eſpace de deux heures ,
afin de procurer la fueur. Cet exercice
répété deux fois par jour pendant fix fo
NOVEMBRE. 1773. 149
maines , a diſſipé des exoſtoſes , & guéri
radicalement pluſieurs perſonnes qui y
ont eu recours .
On fupplée au défaut de cet exercice ,
qui feroit néceſſaire , par des frictions
douces avec des linges molets , un morceau
de flanelle ou des éponges fines . Ces
frictions ont parfaitement réuffi à Ambroife
Paré , dans le traitement du Marquis
d'Avrey , frère du Duc d'Afcot , à
qui le Roi Charles IX envoya fon premier
Chirurgien. Ce Seigneur étoit réduit
à la dernière extrémité , à la fuite
d'un coup de feu , reçu ſept mois auparavant,&
qui avoit fracturé l'os de la cuiſſe.
Dans cette cure , l'une des plus belles
qu'on ait faites en ce genre , Ambroiſe
Paré preſcrivit des frictions avec des lin
ges chauds ſur la partie , pour favorifer
l'opération des remèdes capables d'atténuer
& de réfoudre l'engorgement du
membre bleſſé ; & il en faifoit faire le
matin d'univerſelles , de tout le corps ,
« qui étoit , dit- il , grandement exténué
& amaigri par les douleurs & accidens ,
»& auffi par faute d'exercice. »
Les malades reçoivent un très - grand
foulagement en bien des cas lorſqu'on les
tire de leur lit le matin . Plus leur complexion
eſt délicate , plus ils font affoiblis
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
par la maladie; moins le ſéjour dans le lit,
hors le tems du ſommeil , leur eft profitable.
Le repos énerve les ſolides & fait
ſtagner les humeurs ; les forces , l'action
vitale , ſi néceſſaire à la guérifon , ne peuvent
ſe rétablir par l'inaction . Le renouvellementde
l'air de la chambre où l'on
a dormi feroit d'un foible ſecours , fi on
laiſſoit le corps entre les draps & fous les
couvertures imprégnées de l'humidité de
la fueur & de la tranſpiration. Les in-
Auences douces de l'air du matin donnent
du reffort aux fibres , & préparent aux
grandes évacuations , leſquelles font plus
promptes &plus faciles quand le corps a
changé de lieu & s'eſt procuré une atmofphère
nouvelle.
re
,
Ce changement , que nous regardons
comme une eſpèce d'exercice ſalutaire
n'exclut pas le plus grand repos de la patt
deschofes extérieures . Ambroife Paré
marque, à l'occaſion des plaiés de tête,qu'il
faut mettre le bleffé en un lieu de repos &
horsdu bruit, autant qu'il eſt poſſible; comme
loin des cloches & de l'habitation des
ouvriers dont le métier eſt bruyant , tels
que les maréchaux , les tonneliers , &c.
&les garantir du bruit des charrettes. Le
bruit augmente la douleur , la fièvre &
autres accidens. Je ne ſouviens , c'eſt le
1
NOVEMBRE . 1773. 151
pèrede la chirurgie françoiſe qui parle ,
je me ſouviens , qu'étant au château de
>> Heſdin , à l'heure qu'on faiſoitla bat-
>> terie , le bruit & retentiſſement de l'ar-
> tillerie cauſoit aux malades une éxtrême
>> douleur , & principalement à ceux qui
>> étoient bleſſés à la tête ; car ils diſoient
» qu'il leur ſembloit qu'autant de coups
>> de canon qu'on tiroit , qu'on leur don-
>>>noit autant de coups de bâtons ſur leurs
>> plaies : elles rendoient quelquefois du
>> fang : la douleur , la fièvre & autres ac-
>> cidens étoient , par telle véhémence ,
>> grandement augmentés,& la mort accé-
» lerée . »
:
Le fruit d'une direction raiſonnée &
relative au beſoin de chaque individu
touchant le ſommeil & la veille , ne peut
pas plus être un ſujet de doute , que ce
qui vient d'être dit ſur le mouvement &
le repos . Quels détails inſtructifs ne devroit
- on pas expoſer ſur les évacuations
de différens genres à procurer ou à réprimer
ſuivant la nature & la différence des
maladies , relativement à l'âge , au ſexe ,
au climat & à la ſaiſon; dans les maladies
chirurgicales , auſſi bien que dans celles
qui font du reſſort de la médecine interne
.
Enfin les affections & les paſſions de
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
l'ame influent fi fort ſur la ſanté & ſur la
maladie , qu'on ne peut trop y avoir égard.
« Le Chirurgien , dit encore Ambroiſe
>> Paré , ne doit mépriſer les affections
>> de l'ame , pour ce qu'elles cauſentgrands
> mouvemens & mutations au corps , à
>> cauſe qu'elles dilatent ou compriment
>> le coeur , & en ce faiſant les eſprits ſe
>> réſolvent ou aftreignent & fuffoquent.
>>Ces paffions font joie , amour , eſpé
>> rance , ire , triſteſſe , crainte & autres ,
> toutes leſquelles doivent être corrigées
>> par leurs contraires. >>
On voit , par cet expoſe ſommaire , la
néceſſité & l'utilité d'une hygiène chirurgicale.
Les auteurs qui ont travaillé fur
cette matière n'ayant pas fatisfait l'Académie
, elle propoſe de nouveau , pour le
prix de l'année 1775 , la même queſtion
avec promeſſe d'un prix double , ſavoir ;
Quelle est , dans le traitement des maladies
chirurgicales , l'influence des chofes
nommées non-naturelles?
L'Académie a accordé le prix d'émulation
à M. Bajon , chirurgien à Cayenne ,
auteur d'un bon mémoire fur la méthode
de traiter les plaies , dans les pays chauds.
Les cinq petites médailles ont été méritées
par
M. Aubray , maître- es-arts & en chi
NOVEMBRE. 1773. 153
rurgie , & membre de l'académie des
belles- lettres à Caën .
M. Raymondon , ancien chirurgienmajor
des vaiſſeaux du Roi & du régiment
de Bourbon cavalerie , maître en
chirurgie à Caftres .
M. Didelot , maître- ès- arts & en chirurgie
, à Bruyères en Lorraine .
M. Pietſch , démonstrateur d'anatomie
& correſpondant de l'Académie à Huningue
, & docteur en médecine .
M. Meſtivier , maître- ès arts & en chirurgie
à Bordeaux.
Signé, Louis , Secrétaire perpétuelde
l'Académie royale de Chirurgie.
SPECTACLES.
OPERA.
L'ACADÉMIE royale de Muſique continue
apec ſuccès les repréſentations de
l'Union de l'Amour & des Arts , ballet
héroïque en trois entrées , compoſé des
actes de Bathile & Chloé, de Theodore &
de la Cour d'Amour.
Mile Rofalie joue , en l'absence de
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
Mile Duplant , le rôle de Théodore. Son
jeu noble , intéreſlant & plein d'exprefſions
; fa voix brillante; fon chant agréable&
animé lui concilient les fuffrages
de tous les ſpectateurs . M. Durant eſt
auſſi applaudi dans le rôle de Théophile
qu'il remplit en l'absence de M. l'Arrivée.
On voit avec le plus grand plaiſir que
Mde l'Arrivée & M. le Gros quittent
rarement les rôles qu'ils jouent & chantentavectantde
ſupériorité &d'agrément
dans le premier &dans le troiſième
acte.
1
COMÉDIE FRANÇOISE.
La continuation des repréſentations
de la tragédie d'Orphanis , par M. Blin
de St Mor, a été remiſe après le voyage
de Fontainebleau.
DEBUT.
4
Mlle St Gervais , qui n'avoit encore
paru que fur quelques théâtres particuliers
, a débuté , le 13 Octobre , dans le
rôle d'Alzire ; & le 20,dans le rôle d'Hy.
NOVEMBRE. 1773. 155
permenestre. Cette jeune actrice a été fort
applaudie.
Une figure aimable & théâtrale , beaucoup
d'intelligence &de ſenſibilité , un
jeu noble , intéreſſant & expreffif, de la
précifion dans ſes geſtes , de la juſteſſe
dans ſes tons , un organe agréable , mais
foible ; tous ces avantages ont fait accueillir
fon talent , & doivent l'encou
rager.
Elève de M. Belcourt , comédien du
Roi , elle a d'excellens principes ; & lotfque
l'habitude de la ſcène , le travail &
l'exercice auront fortifié ſa voix , & donné
plus de développement à ſes moyens ,
elle ſera un ſujet très- eſſentiel à ce theâtre.
L'HYMEN , L'AMOUR & LE PLAISIR.
Fable allégorique , inférée dans leMédecin
par occafion , comédie de Boiffy ,
repréſentée à Fontainebleau , devant Sa
Majesté , le 14 Octobre 1773 .
(ACTE IV . , ſcène IV . )
TROIS fois lesAcurs fraîches éclotes
Avaient couronné le Printems ,
Gvj
I156 MERCURE DE FRANCE.
Flore trois fois avait ſemé de roſes
Nos jardins enrichis de ſes tréſors charmans .
Depuis que du ſéjour où l'on vit d'ambroiſie ,
Un beau matin , & fans en avertir ,
L'Hymen , l'Amour & le Plaiſir
S'étaient enfuis de compagnie.
On conçoit ailément que la céleſte Cour
Etait dans des peines cruelles :
Ce n'était pas l'Hymen qu'on pleurait , mais l'Amour
,
Le Plaiſir , & l'Amour ſi cher aux immortelles.
Momus & la Folie ont perdu leur gaieté ;
Hébé s'endort en préſentant la coupe
▲ Jupin qui maudit ſon immortalité :
Et l'Ennui communique à la divine Troupe
Ces triſtes baillemens , fruits de l'oiſiveté.
« Il faut, dit Jupiter , réparer ce dommage ;
Pour ton propre intérêt , quitte les Cieux , va
>>pars ,
>>>Iris; &dans ces lieux ramène les fuyards. >>
Au ſéjour de nos Rois , ſur un léger nuage ,
Iris defcend , cachée aux profanes regards.
Mais à peine elle arrive.... « Eh ! les voilà ,dit.
>>>elle !>>>
Voilà nos petits vagabonds !
C'était eux en effet , qui par ſauts & par bonds
Se jouaient , folâtraient fur l'herbette nouvelle.
«Que faites-vous ici , Meſſieurs les étourdis 2
> Jupiter contre vous eſt dans une colère! ....
NOVEMBRE. 1773. 157
C'eſt toi , brillante Iris , répond l'Amour fur
pris ?
Bon jour , aimable Meſſagère.
Tu viens donc nous chercher... ? Nous sommes
bien ici ;
Nous y reſtons .... Mais le Dieu du tonnerre ! ..
Bagatelle ; à préſent l'Olympe eſt ſur laterre;
Qu'il y vienne habiter auffi.
Sous les aulpices d'un bon Père ,
Dont le ſang eſt celui des Dieux ,
Quatre jeunes Epoux , Famille auguſte &chère,
Chaque jour croiffent à nos yeux ,
Pour le bien de la France entière,
Nous voilà fixés avec eux.
Tixés! réprend Iris ; toi , l'Amour ! bon ! tu railles!
...
Non, je ne raille point; &, dans vingt ans , je
veux
Qu'onvienne encor me chercher àVerſailles.
Mais , continue Iris , le fait eſt fabuleux ;
J'ai peine à revenir de ma ſurpriſe extrême.
A la Cour , quatre Epoux enchaînés par toi
même !
Quoi ! deux Mariages heureux !
Bon ! dit l'Amour , je t'attends au troiſième.
ParM. Montvet, Comédien Français,
Penfionnaire du Roi
158 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE ITALIENNE.
LES
ES Comédiens Italiens ont remis après
le voyage de Fontainebleau les repréſentations
du Stratagême découvert. Ils doivent
donner auſſi inceſſamment la Roſière
de Salency , comédie nouvelle en quatre
actes , en vers , dont la muſique eſt de
M. Gretry.
ARTS.
GRAVURE.
I.
:
PORTRAITS en médaillons de Colbert &
de J. Bénigne Boffuet , tous deux gravés
avec beaucoup de ſoin & de talent ,
par M. Savart , & ſe trouvent chez lui ,
à la barrière de Fontarabie , & chez les
marchands d'eſtampes. Ils font ſuite des
portraits des grands hommes , gravés par
M.M.Fiquet &Savart. Ces médaillons font
ornées des attributs qui caractériſent leur
génie.
NOVEMBRE. 1773. 159
II .
!
- M. Lebas , graveur du Roi rue de
la Harpe , à Paris , vient de mettre au
jour les estampes ſuivantes :
:
Un payfage , d'après Pinaker , no . 17 ,
du cabinet de M. le Duc
de Praflin ; prix. •
Un payfage , d'après Ruiſ.
dal , no. 18 , du même
cabinet. •
2 livres .
2 liv.
)
Le point du jour , du cabiner
de M. le duc de
Coffé.
:
:
• 2 liv.
Une ſeptième fête Flamande
, du même cabinet. • I 10 fols.
Deux paysages , d'après
Vernet ; prix chaque. I 10
Deux autres Vernet ; prix
chaque I
Le chaffeur Hollandais ,
d'après Metlu , gravé par
David; prix . . I 10
Le taureau , d'après Potter ,
du cabinetdu prince d'Orange;
prix. . • I 10
: Toutes ces eſtampes ajoutent à la richeffe
de l'oeuvre de M. Lebas ,dont les
160 MERCURE DE FRANCE.
talens , le génie & l'intelligence font
très-diftingués.
Le portrait de Sa Majesté l'Impératrice
de Ruffie , gravé par le ſieur David
, connu ſi avantageuſement par la
force & les grâces de ſon burin , ſemble
ajouter à la vérité que mademoiſelle
Rameau a miſe dans ſon tableau.
Sa Majesté Impériale en a agréé la dédicace
; prix ... 3 liv . •
Le ſieur David eſt toujours occupé à
terminer le marché aux herbes d'Amfterdam
d'après Metſu.
III .
Costume des anciens peuples , par M.
d'André Bardon , profeſſeur de l'académie
royale de peinture & de
ſculpture , treizième cahier in-4°. A
Paris , rue Dauphine , chez R. Antoine
Jombert , père , Louis Cellot ,
imprimeur , & Jombert , fils aîné .
}
Ce nouveau cahier , compofé , ainſi
que les précédens , de douze planches
avec des explications , nous entretient
des uſages militaires des Grecs & des
Romains. On y voit des modèles de
catapultes , baliſtes , corbeaux , chars armés
de faulx , tours roulantes , & d'au
NOVEMBRE. 1773 . 161
tres machines de guerre , dont les Anciens
ſe ſervoient pour l'attaque & la
défenſe des places.
I V.
Huitſujets de paftorale , gravés dans la
manière du deſſin , au crayon noir ,
d'après Boucher. A Paris , chez Bonnet
, graveur , rue Saint- Jacques , au
coin de celle du Plâtre ; & à Lille ,
chez Agnès.
Ces ſujets de paſtorale font traités
avec toute la grâce que François Boucher
, mort premier peintre du Roi ,
ſavoit répandre dans toutes fortes de
compoſitions. Ces eſtampes ont environ
10 pouces de haut fur 8 de large ; prix ,
Is ſols chaque eftampe .
V.
Iconologie historique & généalogique des
Rois de France & des autres fouve-
¡ains de l'Europe , avec leurs portraits
gravés d'après les deſſins de M. Foffier
, deſſinateur de l'académie royale
des ſciences. A Paris , chez Deſnos ,
libraire , rue Saint-Jacques.
Cette iconologie , dont les planches
1
162 MERCURE DE FRANCE.
ſont d'un petit format in 12 , pourra être
utile à la jeuneſſe , pour lui rappeler ,
ſoit en eſtampes , foit par des notes
placées à la ſuite de ces eſtampes , la
naiſlance des ſouverains , leur avenement
au trône , & les principaux faits
de chaque règne . La première partie , en
30 planches , contenant la première race
de nos Rois , depuis Pharamond juſqu'à
Childeric III , paroît actuellement ; prix ,
9 liv. pour ceux qui ſe feront inſcrire ; on
n'exige aucune avance pour cette infcription
, dont l'objet eſt d'aſſurer les premières
épreuves aux ſouſcripteurs par
ordre d'enregiſtrement.
La ſeconde & la troiſième partie de
cette iconologie , comprenant la feconde&
la troifiène race de nos Rois , ſeront
publiées ſucceſſivement.
Le ſieur Deſnos a ſéparé pluſieurs fuites
d'eſtampes , du récit qui les accompagnent
, en faveur de ceux qui voudroient
inférer ces eſtampes dans différentes
hiſtoires de France , ou en former
une ſuite chronologique. Chaque
ſuite ſe vendra en feuilles , grand papier
, 9 liv . Sous la forme d'almanach ,
relié en veau , 8 liv. Relié en maroquin
, ſous cette même forme , 9 liv.
NOVEMBRE. 1773 . 163
GÉOGRAPHIE .
Tableaux géographiquės .
LE Sieur Rohard a formé des tableaux
géographiques qui ont mérité l'approbation
des perſonnes éclairées.
Voici en quoi ces tableaux conſiſtent.
1º. Le tableau de l'Ancien Monde , de.
puis le partage qui fut fait entre les enfans
de Noé , juſqu'à la décadence del Empire
Romain . Ce tableau contient toutes
les diviſions & fubdiviſions convenables
au ſujet , & eſt fait de manière à ſaiſir
l'imagination , s'inculquer dans la mémoire
, alimenter l'eſprit& inſpirer à la
jeuneſſe legoût, ſi rare, de l'ordre&de la
diftribution. Il remplit une feuille de
Chapeler.
2º. Le tableau des royaumes célèbres
avant J. C. en huit colonnes , avec remarques
; ouvrage analogue au précédent,
& très -utile pour l'intelligence de
l'Histoire ancienne ; en une demi- feuille
deChapelet.
3 ° . Quatre tableaux, c'eſt- à-dire , un tableau
de chacune des quatre parties du
164 MERCURE DE FRANCE.
Monde , dans l'état actuel , en neuf colonnes
, avec remarques. Tous ces tableaux
ne laiſſent rienà deſirer : ceux de
l'Europe , de l'Aſie & de l'Afrique , ſont
de pareille grandeur que le précédent ;
mais celui de l'Amérique , attendu ſa
grande étendue , eſt ſur une feuille entière
de Chapelet.
Non- ſeulement ces tableaux facilitent
la prompre inſtruction de la jeuneſſe ;
mais ils feront encore utiles aux perfonnes
qui cherchent un délaſſement agréable&
utile.
Il paroît fix cartes , dont le prix eſt de
12 liv . A Paris , chez le Sr Rohard , rue
St Martin , vis-à - vis la rue de Montmorency
, dans la maiſon dubureau des Evantailliſtes
.
On travaille à la gravure des ſubdivifions.
MUSIQUE.
I.
Trois fonates pour le clavecin ou le forte
piano , avec accompagnement de flûte
ou violon & baſſe , compofées par
G. Mathielli , oeuvre premier ; prix ,
NOVEMBRE. 1773. 165
4 liv. 4 f. A Paris , chez M. Taillart
, l'aîné , rue de la Monnoie , la
première porte cochère à gauche , en
deſcendant du Pont Neuf, maiſon de
M. Fabre ; & aux adrefles ordinaires
de muſique.
CES fonates , d'une exécution facile &
d'un chant agréable & bien dialogué ,
plairont aux amateurs de la muſique inftrumentale
, & feront connoître avantageuſement
les talens de M. Mathielli ,
élève du célebre Waghenfail.
11.
Seconde partie du traité de compofition
muſicale , par le célèbre Fux.
On peut , en étudiant avec attention ,
parvenir à bien compoſer en très peu
de tems . Ce traité fut entrepris par ordre
& aux dépens de l'Empereur pour
les élèves de muſique en Allemagne .
Depuis , il a été adopté par M. Caffro ,
maître de muſique du Roi & de la Reine
de Naples & du confervatoire royal : il
l'a traduit en Italien ,& c'eſt aujourd'hui
le ſeul livre élémentaire de compofition
que l'on mette entre les mains des élè
166 MERCURE DE FRANCE.
ves de ce confervatoire ; c'eſt ce même
traité , traduit en Français par le ſieur
Pietre Denis , qui eſt préſenté au public.
A Paris , chez l'auteur , rue Saint-
Honoré , demeurant chez M Diodet
marchand bijoutier , vis- à - vis l'Oratoire ;
& chez M. Garnier , baſſon de l'opéra ,
même rue , demeurant chez.M. Cader ,
apothicaire , & aux adreſſes ordinaires ;
prix , 7 liv . 4 fols .
Etrennes utiles & agréables.
Le Sieur Lattré , graveur ordinaire de
Monſeigneur le Dauphin , de Monfei
gneur le Duc d'Orléans , & de la Ville,
rue S. Jacques , vis-à-vis la rue de la
Parcheminerie , renouvelle au Public
l'annonce de fix beaux écrans de la partie
de chaffe d'Henry IV , deſſinés par
M. Gravelot , & exécutés par nos meilleurs
artiſtes ; fur le revers font les
extraits de la pièce ; prix 3 liv. pièce ,
prix ordinaire.
Comme il n'a fini cet ouvrage que
trop avant en ſaiſon , l'hiver dernier ,
beaucoup de perſonnes l'ont ignoré :
d'ailleurs la mémoire de ce grand Roi
,
NOVEMBRE. 1773. 167
eſt ſi chère à tous les François , que le
Sieur Lattré croit plaire à la nation , en
lui rappelant le ſouvenir de ce Prince.
Ces fix morceaux ſont auſſi ſous verres,
en bordures dorées , montées comine des
deſſins. Les fix • 27 1.
On les a auſſi tous réunis dans un
ornement fait exprès , par M. Choffard,
avec une bordure dorée. 21 1. •
Six beaux écrans de ſujets Chinois ,
& fix de ſujets François , deſſinés par
F. Boucher , & très proprement graves ,
à 40 f. pièce , & à 1 liv. 10 f.
Pluſieurs fuites ſur des ſujets hiſtoriques
& allégoriques , propres a inſtruire
en s'amusant, à 12 f. pièce .
Douze écrans géographiques & élémentaires
, avec la méthode ſur le revers,
à 1 liv. 4 f. pièce.
Six écrans fur l'Hiſtoire de France ,
avec l'abrégé hiſtorique ſur le revers ,
à 2 liv. 10 f. pièce.
Six écrans ornés des plus belles fables
de M. l'Abbé Aubert , avec la fable
fur le revers , à 2 liv. pièce .
Six écrans moraux , d'après le traité
du vrai mérite , très propres à inſpirer
l'amour du bien & l'horreur du vice ,
à 1 liv. 4 f. 1
168 MERCURE DE FRANCE.
1
D'autres en fleurs , payſages , &c. &c.
&c. à 12 f. pièce.
4
On donnera au quinze Décembre
prochain la dixième ſuite de l'iconologie
, par M. Cochin , ainſi que les
explications , au prix ordinaire. Le
goût du Public pour cet ouvrage ,
ayant encouragé le Sieur Lattré à le
continuer , il n'a rien à en dire. Il eſt
connu pour réunir l'utile & l'agréable.
Prix ordinaires .
Pluſieurs petits volumes d'étrennes géographiques
pour la poche, très-commodes
&généralement tout cequ'on peut deſirer
en géographie.
On trouve toujours chez lui l'atlas
moderne ſuivant la géographie moderne
de M. l'Abbé Nicole de la Croix.
Cours de Mathématiques & de Deffin.
Le Sieur Panferon tient actuellement
fon Bureau rue Boutbrie , près Saint
Severin , maiſon de M. Wyl peintre en
portrait , où il enſeigne le deſſin & les
mathématiques . Il démontre les principes
de l'architecture d'après de bou's deffins
originaux & des modèles en bois correctement
exécutés : ce qui facilite fingulièrement
1
NOVEMBRE. 1773. 169
gulièrement l'intelligence des ombres &
des reflets; il prend 12 liv. par mois
en hiver , & dans les autres mois de
l'année , to liv .
Ceux qui deſireront apprendre l'arithmétique
, la géométrie & le deſſin , tous
les foirs pendant l'hiver depuis huit
heures juſqu'à dix heures , ne payeront
que 2 liv. par mois.
Le Sieur Panferon fera des arrangemens
convenables avec les perſonnes qui
voudront avoir des leçons particulières .
Son Bureau ſera ouvert les Fêtes &
les Dimanches depuis huit heures du
matin juſqu'à cinq heures du foir , pour
les ouvriers en bâtiment qui voudront
apprendreles ſciences & arts ci-deſſusindiqués
; ils ne payeront que 2 liv. par mois.
Ondonnera dans le même Bureau des
leçons ſur le trait, pour la coupe des pierres&
pour la menuiſerie.
Tous les Dimanches on fera gratuitement
des leçons de mathématique & d'architecture:
la leçon de mathématique com.
mencera à neuf heures du matin , &
finira à dix heures. Celle d'architecture
àdix heures trois quart , & finira à
onze heures trois quart.
Ces cours commenceront le premier
Dimanche après la Saint Martin.
H
I
170 MERCURE DE FRANCE.
Pian d'Education Nationale & Militaire.
DEPUIS plus de trente années , le Sieur
२
Bruneteau n'aceſſé de conſacrer ſes ſoins
& fon zèle à l'Education de la jeune Nobleffe.
Après pluſieurs éducations particulières
, il s'eſt mis à la tête d'une maiſon ,
qu'il dirige depuis environ quatorze ans
&dans laquelle il a élevé & continue d'élever
un petitnombre d'enfans de la première
condition. On ne peut douter qu'a
près un ſi long exercice , il n'ait acquis
l'art aufli important que difficile , de former
le coeur & l'eſprit des jeunesgens , &
de donnerà la jeune Nobleſſe des principes
qui ne peuvent convenir qu'à cette
claſſede citoyens .
En faiſant une étude profonde de fon
état,le Sr Bruneteau s'eſt appliqué à découvrir
les inconvéniens qui réſultent de la
forme d'éducation rreecçue ,&ſa longue expérience
lui a appris qu'il eſt poſſible d'y
remédier , du moins en grande partiet
Pour démontrer les avantages qu'un
inſtituteur zélé peut ttiirrerde ſes peines&
foins , le Sr Bruneteau a cru devoir faire
NOVEMBRE. 1773. 171
part au Public de ſon plan , deſtiné ſingulièrement
à la jeune Nobleſſe ; il y a même
ajouté quelques réflexions ſur l'éducation.
Il eſpère que l'idée ſuccincte qu'il
donne de ſes principes fera voir , par le
détail des objets qu'il embraſſe , le fruit
qu'on en doit attendre.
Ceplan eſt diviſé en trois âges , &
chaque âge en différentes claffes. Les enfans
, depuis l'âge de cinq à fix ans juſqu'à
huit , forment la première diviſion , ceux
de huit à douze forment la feconde , &
ceux de douze à ſeize compoſent la troifième.
Les enfans du premier âge apprennent
les prières , le Catéchiſme à la lettre , à
lire , à écrire , l'orthographe, les premiers
élémens des langues latine , françoiſe&
allemande. Pendant ces premières années,
on les exerce fur beaucoup de mots latins
&allemands , pour lesdiſpoſer àces deux
langues.
On donne aux enfans du ſecond âge la
continuation des inſtructions ſur la Religion
, & de l'étude élémentaire des langues
, en faiſant uſage principalement de
la traduction; les premiers élémensd'hiftoire
, de géographie , de calcul , de géométrie
; le deſſin , à douze ans .
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
Les jeunes gens du troiſième âge ſuivent
des cours d'hiſtoire , de géographie ,
de calcul & de géométrie , de fortification
, & de littérature françoiſe.
Il y a quatre exercices publics par an ;
Tepremier fur les langues latine , françoi .
ſe & Allemande ; le ſecond ſur l'hiſtoire
& la géographie , le troiſième ſur lagéométrie&
la fortification; &le quatrième
fur les armes , le maniement du fufil , les
évolutions militaires & la danſe . On fais
enfuite ladiſtribution des prix .
L'étude de l'hiſtoire de la Nature &
des Arts paroiſſant tout à-fait propre à
donner de l'élévation à l'ame, on tâche
d'en faire naître le goût aux enfans. M.
de Buffon , informé des vues du Sieur
Bruneteau , a bien voulu s'y prêter , &
lui a envoyé , il y a quelques années ,un
nombre conſidérable d'objets concernant
P'hiſtoire naturelle , dont il a forméun perit
cabinet très agréable & encore plus utile
, dans lequel ſe trouvent auſſi les principauxſyſtemes
de fortification en relief&de
la plusbelle exécution.On n'a rien épargné
pour ſe procurer des inſtrumens de
phyſique&de mathématique. Il y a une
bibliothèque allez conſidérable & trèsbien
compofée , où les Elèves vont paſſer
quelques heures les jours de congé.
NOVEMBRE. 1773. 173
La nourriture ne ſçauroit être trop ſaine.
On a de grandes attentions ſur la propreté
en général , principalement fur celle
du corps , qui contribue beaucoup à la
ſanté. Les Elèves ſont en uniforme.
Cen'eſt point ici un objet de ſimple
ſpéculation , dont le ſuccès pourroit-être
équivoque ; il y a plus de quatorze ans
que cet établiſſement ſe ſoutient , à la fatisfaction
des perfonnes reſpectables qui
ontdaigné honorer leSt Bruneteau de leur
confiance , & les exercices particuliers
qu'il fait faire à fes élèves à la première réquiſition
de MM. leurs parens, conſtatent
les progrès dans chacune des parties d'éducation
énoncées dans ce Profpectus.
Quant aux conditions le St Brunetean ſe
charge toujours d'entretenirles élèves qui
lui ſont confiés, &de leur donner les maîtres
pour toutes les parties énoncées dans
ceProfpectus, ſe reſervantde traiter pour
le prix , avec les Parens.
Le Sr Bruneteau , loin de quitter ſon
état ainſi que l'ont publié des gens mal intentionnés
, avertit le Public qu'il vientde
Jouer une maiſon dans un bon air , trèsagréable
& très - commode ; elle eſt ſituée
rue St Sebaſtien ; le Sr Bruneteau eſpère
donner au Public de nouvelles preuvesde
fon zèle.
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
こ
Avis de M. l'Abbé Jacquin , aux Archichitectes
, aux Entrepreneurs de bâtimens
& aux Propriétaires qui ſe propoſent
de faire bâtir , ſur la manière
de procurer aux appartemens l'air le
plus falubre .
CONSULTA pluſieurs fois depuis quelque tems ,
fur la falubrité de l'ait des appartemens , je
prends le parti de donner dans le Mercure de
France , de la manière la plus ſimple & la plus
claire qu'il me ſera poffible , quelques règles
eſſentielles , dont il ne faut pas s'écarter dans la
conſtruction ou la réparation des bâtimens , pour
pouvoir communiquer aux appartemens un air
nouveau & pur , fi néceſſaire à la ſanté.
C'eſt une vérité fondée fur une expérience invariable
, que l'air des appartemens devient mal
fain & contagieux , 1º. Lorſqu'il est trop longtems
fans mouvement ; 20. Lorſqu'il eſt émouflé
par unetrop grande chaleur; 3 °. Lorſqu'il eft chargede
vapeurs humides ou d'exhalaiſons putrides.
Il n'eſt pas moins conſtant que l'air le plus
mal fain s'élève continuellement au haut des appartemens
, où il établit ſon fiége , & d'où il répand
fes malignes influences .
,
D'après ces principes inconteſtables établis &
démontrés dans le ſecond chapitre de mon traité
de la Santé, il réſulte que pour procurer aux appartemens
un air ſain, il ſuffit de les ouvrir de
façon que l'on puifle aifément y renouveler cet
aliment fi effentiel pour entretenir le ſouffle de
notre vie. Pour y parvenir,
NOVEMBRE. 1773. 175
1. Il faut donner aux croisées la plus grande
élévation poſſible: pour cet effet on doit avoir
foin que les plates bandes ou ſommets du ceintre
des croiſées ne ſoient éloignés du plancher que
de l'épaiſſeur de la corniche , afin que l'air extérieur
puifle balayer facilement celui qui , s'éle
vant vers leplafond , y entretient un foyer de
corruption& de contagion. Telles ſont les croiſées
de l'hôtel de Madame la Comteffe de Mar
taintville , conſtruit , rue de l'Ofeille , fur les def
fins de M. Touvenot : les plate-bandes des croiſées
ne ſont deſcendues que d'environ 6 pouces
du plafond. Cet architecte a ſuivi la même méthode
pour l'ouverture des croifées de la grande
maiſon qu'il vient de bâtir , rue de la Monnoie,
pour MM. Sauvages...
A cette règle on doit néceſſairement joindre
celle de donner aux appartemens une élévation
convenable ; celle des falles à manger , des falons
de compagnie & des chambres à coucher ,
doit être de 12 a 15 pieds. Rien de plus mal fain
que les entreſols : le peu d'air qu'ils peuvent conteniry
perd promptement ſon teffort par l'action
de la reſpiration , & ſe trouve bientôt chargé de
corpufcules putrides exhalés par la voie de la
tranſpiration; ce qui forme un athmoſphère empeſté
, dans laquelle végètent avec peine ceux qui
ont le malheur d'habiter ces cages meſquines.
20. Dans les grands appartemens , commega-
Heries , falles à manger & ſalons de grands hôtels,
falles d'hôpitaux , &c. il faut avoir foin de
placer les croifčes vis-à-vis les unes des autres :
c'eſt le ſeul moyen d'y pouvoir entretenir plus
facilement &plus promptement cette libre circulation
del'air fi effentielle à la ſanté .
، 3. Quand on eſt obligé , par l'élévation &
Η iv
176 MERCURE DE FRANCE.
pour la décoration de certains grands appartemens
de parade, tels qu'il doit s'en trouver dans
les palais des Rois & des Princes , dans les bôsels-
de- ville , &c. de faire des vouſſures au-deſſus
des corniches , il ne faut pas manquer d'y pratiquer
des oeils-de-boeuf diſpoſés de façon à pouvoir
s'ouvrir & ſe fermer à volonté , afinde laiffer
de tems en tems un air nouveau propre à
chaſſer les vapeurs & les exhalaiſons malignes
qui s'y amaflent continuellement.
4°. Les dômes , ſi majestueux dans les vaſtes
édifices , ne ſeroient que des réceptacles de cor.
ruption , fi on oublioit d'en faire ouvrir le ſommet
pardes lucarnes habilement diſtribuées. Un
Architecte intelligent masquera agréablement
ces fortes d'ouvertures , & en tirera même parti
pour l'ornement.
5°. Il faut fupprimer totalement les chaſſis à
couliffes : comme ils ne peuvveenntt s'ouvrir que
dans la partie la plus baſſe , il eſt impoſſible que
l'air du dehors puifle chaffer , & par conféquent
purifier celui qui , chargé de vapeurs humides &
d'exhalaiſons putrides, s'eſt élleevvéé veerrss le plafond,
doù il répandra dans tout l'appartement ſes in
fluences malignes , en ſe mêlant avec l'air d'enbas
auffi-tôt qu'on aura fermé les fenêtres.
; Je fais que dans les maisons dont les murailles
àpans de bois ont peu d'épaiffeur , les chaſſis à
deux vantoux ſcroient incommodes, fur-tout dans
les petits cabinets & dans les petits boudoirs fi
multipliés de nos jours: où placer la toilette, la
chiffonniere & le ſopha de Madame ? Où loger
le petit ſecrétaire & la grande ottomane deMon
ſieur? Pour ne pas alarmer nos agréables de toutes
eſpèces , accordons leur des chaſſis à couliffes,
àcondition cependant qu'ils ne s'ouvriront pas
2
け
NOVEMBRE. 17730 177
)
de bas en haut, mais de côté & dans toute la
hauteur de la croiſée: pour cet effet on polera au
haut& au bas de la croiſée une tringle de deux
rainures ,dans leſquelles les chaſſis pourront ſe
croifer l'un fur l'autre , & laiſſer , quand on le
jugera à propos , paſſer l'air du dehors par la
moitié de la croisée , & dans toute ſa hauteur.
Bien entendu ſans doute que l'on bornera cette
nouvelle invention , que l'envie d'être plus généralement
utile vient de me faire imaginer , aux
feules petites pièces , comme petits cabinets , petits
boudoirs , petites garde-robes , &c.
6°. Il faut mettre aux croisées des chaſſis à
deux vantoux , même dans les maiſons dont les
murailles font à pans de bois , fur-tout à celles
des grands appartemens , commes falles à manger
, ſalons de compagnie & chambres à coucher.
Si l'on ſe trouve forcé, par la hauteur confidérable
des croiſées , de mettre des impoſtes audeſſus
des chafſis à vantoux , il faut avoir foir
qu'on puiſſe les ouvrir à volonté : parce moyen
on jouira de l'avantage infiniment précieux de
pouvoir renouveler promptement & facilement
l'air de ces fortes d'appartemens , même en kiver ,
-fans être incommode ſenſiblement par un trop
grand froid; car en n'ouvrant feulement que les
impoſtes une ou deux fois le jour, on balayera en
cinq à fix minutes , ſur tout dans les appartemens
dont les croisées ſe trouvent vis - à- vis les unes
des autres, l'air corrompu & malfaiſant élevé vers
le plafond , fans , pour ainfi dire, que l'aſſemblée
s'en apperçoive.
Voilà les règles les plus eſſentielles à fuivre
dans la conſtruction des croiſées & des chaſſis ,
pour procurer aux appartemens un air nouveaw
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
& falubre. J'invite les artiſtes & les propriétaftes
de maiſons à bâtir , à me propoſer leurs difficultés
: ils me trouveront toujours diſpoſé à leur
communiquer mes foibles obſervations ſur
tout ce qui peut intéreſler la ſanté , ce bien fi précieux
, & en même tems ſi fragile.
AVIS du même ſur la conſtruction des
nouveaux bâtimens de l'Hôtel-Dieu de
Paris.
L'Abbé Jacquin prie MM. les Adminiſtrateurs
de l'Hôtel-Dieu de Paris , & fur -tout l'Architecte
dont ils feront choix , de vouloir bien , avant
d'arrêter leur plan , conſulter la méthode qu'il
indique , page 80 & ſuivantes de la quatrième
édition de ſon traité de la Santé, pour la conftruction
des ſalles des hôpitaux , afin de pouvoir
en renouveler facilement & promptement l'air. Si
ces Meſſieurs croient pouvoir tirer quelqu'utilité
de ſes foibles connoiſſances , il les leur communiquera
avec ce plaifir que tout citoyen goûte en
concourant au foulagement de l'humanité ſouffrante.
RÉPONSE de M. le Comte de Schowalow,
Chambellan de l'Impératrice de Ruffie ,
aux vers de M. de la Harpe , inférés
dans le Mercure d'Août .
TOUJOURS l'aimable Modeſtic
Fut la compagne des Talens;
i
NOVEMBRE. 1773. 179
Plus votre Muſe s'humilie ,
Plus à travers la courtoiſie
On remarque ſes agrémens .
De votre lyre enchantereſſe
Peut- on ne pas chérir les ſons ?
Favori du Dieu du Permeſle ,
Vous étalez votre richeſle
En préludant ſur tous les tons ;
Et j'ai vu ſur votre jeuneſle
LaGloire étendre ſes rayons.
Né ſous un aftre favorable ,
Rempliflez vos brillans deſtins ,
Vengez la Raiſon qu'on accable ,
Prêchez d'exemple aux Ecrivains ;
QueMelpomene vous ſoit chère ,
Paſſez du Portique à Cythère ,
Variez vos heureux travaux ;
On admire les grands poëtes ,
On admire les chanſonnettes
Du vieillard badin de Téos.
L'eſprit s'élève & ſe ranime
Par des chants mâles & nerveux ,
Il ſe délafle du ſublime :
Par quelques riens ingénieux.
Soyez ſemblable à votre maître : *
Tour-à-tour on le voit paraître
Tendre , impoſant & gracieux .
* M. de Voltaire.
Hvi
180 MERCURE DE FRANCE.
C
Hélas ! un excellent artiſte
Eft bien préférable à ces Grands
Dont un Roi peut groſſir la liſte ,
Sans ajouter à leurs talens .
On ne faurait faire un Virgile ,
Mais rien ne paraît plus facile
Que de créer cent chambellans.
Sans doute aux bords de l'Hipocrène
Je voudrais paſſer mes beaux jours ;
Je voudrais , un peu loin des Cours ,
Entrer dans l'immortelle arène
Où préfident ces chaſtes Soeurs
Ala voix flatteuſe & touchante,
Qui fur nos pas ſement des fleurs
Et dont un coup-d'oeil nous enchante.
Alors ſi le Dieu de Délos
Daignait fourire à mon Génie ,
Flus aſſuré de mes pinceaux ,
Je rendrais avec énergie
Une ſcène que dans Paphos
L'Amour à haute voix publie ;
Moment pour les Ruſſes ſi doux
Qu'ils ne parlent plus de conquêtes ,
Moment qui fait tourner nos têtes ,
Et nous défend d'être jaloux
De vos plaiſirs &de vos fêtes.
Et vous verriez que dans le Nord
( Qu'on taxe d'un peu de rudefle )
Le fentiment prend ſon eflor:
7
1
NOVEMBRE. 1773. 8
QueleGrandDuc & fa Princefle
Produiſent ces heureux tranſports,
Et font maître cette tendrefle
Et cet abandon de l'ivrefle
Et tous ces cris de l'alegreſſe
Qui retentiffent ſur vos bords.
Je ſerais au rang des poëtes ,
Vous aimeriez mon luth touchant ;
Enfin , vous auriez le pendant
Duportrait* charmant que vous faites.
VERS pour mettre au bas du portrait de
Madame C..... , parM.B.....
L'AMOUR la fit pour tout charmer ,
Et l'Hymen s'eſt emparé d'elle ;
Jaloux de ſa conquête , il a ſu l'enfiammer.
Gémis , Amour , d'une chaîne ſi belle;
Mais cefle de la réclamer.
LETTRE de Mr de Voltaire, fur la définition&
l'analogie du mot Idiotiſme, à
M. le Jeune de la Croix.
AFerney , 1773-
Un vieux malade de quatre - vingts ans a retrouvé
dans ſes papiers une lettre du 12 Mai ,
Le portraitde Madame la Dauphine.
182 MERCURE DE FRANCE .
dont M. le Jeune de la Croix l'a honoré. Il y
parledu mot Idiotisme. Puiſqu'Idiot ſignifiait autrefois
Solitaire , le Vieillard avoue qu'il eſt un
grand Idiot , & comme les organes de l'ame s'affaibliſſent
avec ceux du corps , il avoue encore
qu'il eſt Idiot dans le ſens qu'on attache aujourd'hui
à ce terme. Il penſe qu'Idiotisme eſt l'état
d'un Idiot comme le Pédantiſme eſt l'état d'un
Pédant , le Janſéniſme l'état d'un Janſéniſte , le
Fanatiſme celui d'un Fanatique ; comme le Puriſme
eſt le défaut d'un Puriſte; comme le Népotiſme
étoit autrefois l'habitude des Neveux de
gouverner Rome ; comme le Neutonianiſme eſt
la vérité qui a écrasé les fables du Cartéſianiſme.
Le Vieillard n'a pas le fatuiſme d'avoir raiſon :
il s'en faut beaucoup ; mais, comme il a embrallé
depuis long-tems le tolérantiſme , il eſpère qu'en
faveur de l'analogiſme , M. de la Croix voudra
bien , malgré ſon atticiſme,permettre à un homme
qui eſt depuis vingt ans en Suifle un ſoléciſme
ou un barbariſme.
L
Multa renascentur quæ jam cecidere , cadentque
Quæ nunc funt in honore vocabula , ſi volet ufus ,
Quem penes arbitrium est, & jus & norma loquendi.
Comme eſtime eſt ce qui eſt dû à un homme
eſtimable , le Vieillard aſſure M. D. L. C. de fa
reſpectueuſe eſtime.
PROJET UTILE. Voeu d'un Citoyen.
La grande Galerie du Louvre n'eſt
occupée que par le dépôt des plans en
NOVEMBRE. 1773 . 183
ےی
relief de toutes les Villes Frontières du
,
Royaume. Il ſe paſſe quelquefois des
années entières ſans que les Princes ou
quelques Ambaſſadeurs jouiſſent d'un
ſpectacle réſervé pour eux ſeuls , & qui
devient inutile au reſte de la nation.
La vraie place de ce dépôt ſeroit l'Ecole
Militaire , où il ſerviroit à l'inftruction
des jeunes élèves , qui , ſans
fortir de l'enceinte de cet. Hôtel
pourroient ſe tranſporter, pour ainſi dire,
dans toutes les Places fortifiées qu'ils ſeront
peut être un jour dans le cas de
défendre ; & l'examen qu'ils en feroient
ſous les yeux de leurs inſtituteurs leur
feroit autant , & peut être plus utile
qu'un voyage réel à ces mêmes Places ,
qui ne pourroient être que très diſpendieux.
L'uſage & l'inſpection journalière
qu'on feroit de ces mêmes plans , mettroit
auſſi beaucoup plus à portée de
veiller à leur reſtauration & à l'entretien
qu'ils exigent.
D'un autre côté , cette vaſte galerie ,
débarraffée de cet atirail immenfe , &
qui n'eſt preſque d'aucun uſage , pourroit
être ornée , tant des tableaux du
Roi , & des chef-d'oeuvres de peinture
des plus grands maîtres , qui font ren
184 MERCURE DE FRANCE .
fermés dans des magaſins peu fréquen
tés , que des ſtatues entaſſées pêle-mêle
dans la ſalle humide & obfcure , dite
falle des antiques : tréſor enfoui , & de
la vue duquel le Public eſt privé. Quanrité
de meubles précieux oubliés dans
les gardes meubles du Roi, vaſes d'albâtre
, de jaſpe , de porphire , tables de
marbres rares & de pierres dures de
rapport , guéridons , candelabres, torchères
, cabinets , & autres ouvrages de
l'art enrichis de ſculpture & de dorure ,
ferviroient également de décoration à
ceste galerie , & à la meubler ſuperbement.
Elle deviendroit le rendezvous
des connoiffeurs , des amateurs ,
& des curieux; il y auroit place pour
les ſtatues & les buſtes des Rois , Princes
, Généraux , & autres grands hommes
de la nation , auxquels le Roi décerneroit
cet honneur. Cette galerie
pourroit être nommée la galerie des
arts. Son étendue la rendroit également
propre à une promenade : ce feroit les
Tuileries d'hyver. Les artiſtes , les antiquaires
, les étrangers , les citoyens
de tous les ordres s'y rendroient en
foule , fur- tout dans la ſaiſon où les
autres promenades ne font pas acceffi
NOVEMBRE. 1773. 185
bles. Quelques embraſures de croiſées
fourniroient une eſpace ſuffiſant pour
y préparer du thẻ , du café , du chocolat ,
des rafraîchiſſemens , & pour placer des
poëles , des tables où l'on pourroit lire
les gazettes , les papiers publics , les
journaux , où l'on trouveroit des trictracs
& des échiquiers qui offriroient un
amuſement honnête aux gens oiſifs ;
le tout sous les yeux de la Police.
Il n'y a rien de ſemblable en Europe ,
& il feroit difficile aux autres Souve
rains d'imiter un pareil exemple.
La dépenſe néceſſaire pour tranſporter
les plans , & les placer convenablement
à l'Ecole Militaire , eft ce ſemble
le plus grand , & peut être le ſeul obf.
tacle à l'exécution de ce projet. Cette
difficulté ſeroit bien-tot levée ſi ſur le
prix de la démolition projetée des Palais
inhabités , & de la vente des maiſons
appartenant à Sa Majeſté , on prélevoit
la ſomme néceſfaire pour la conſtruc
tion d'une nouvelle galerie , qui feroir
certainement le plus bel ornement de
l'Ecole Militaire.
Ceprojet a été préſenté, & reçu favo
rablement.
186 MERCURE DE FRANCE .
USAGES ANCIENS.
Le Maire de Villeau.
T
:
VILLEAU eſt une terre de l'Abbaye de
Marmoutier , ſituée dans le Diocèſe de
Chartres . L'Abbé y tenoit le fiége de la
jaſtice; ſous lui il y avoit une Mairie fieffée
& héréditaire ; le Maire avoit le
droit de viſiter , de marquer , d'ajuster
& de meſurer les meſures à grains ,
celles des boiffons & les aunes des
marchands , à la foire de Villeau : il
prenoit la dixme pafcale fur les Particuliers
, une peinte de vin fur chaque
poinçon vendu dans le lieu ; il percevoit
les gands des ventes fur les héritages
de la cenfive de l'Abbé & des Religieux
de Marmoutier , à Villeau , à Biffeau
, &c. & ces derniers en avoient
les lods &-ventes .
: Quand on recevoir un Maire, il
prêtoit ferment devant le juge de Vil.
leau , qui lui donnoit le droit de requerir
les ſujets de M. l'Abbé , & de
faire les exploits de fon office. Un certain
Jamet Bourdon ayant vendu cette
NOVEMBRE. 1773. 187
1
Mairie à un Giles Mauclerc , écuyer du
Sr de la Barie , il fut inſtalé le onze
Décembre 1494 , & ce qu'il y a de
figulier , c'eſt que ce nouveau dignitaire
donna en bail de ferme au Chapelain
de la Cure , les droits de la Mairie , dans
l'Egliſe de Villeau , conſiſtant dans la
faculté de prendre douze deniers fur
les offrandes des Fêtes de la Touſſaint ,
de Noël , de Pâque , de la Pentecôte ,
& de la Nativité de S Jean- Baptiste ,
enſemble,un dîner leſdits jours , payé
par Meſſieurs de Marmoutier & le Curé
primitif , avec les honneurs , profits &
revenus en dépendans , moyennant dix
livres tournois , & une paire de chapons.
Les Maires de Villages , dit Loiſeau,
enpluſieurs pays , notamment en Beauce,
font tenus à certains jours de porter la
verge , & fervir de bedeaux & d'appariteurs
aux Proceſſions des Eglifes dont
ils relèvent ordinairement , & non pas
des ſeigneurs temporels .
Ils ont pluſieurs menus droits en leur
village , comme de mener les mariés au
Moutier , & à cauſe de ce , ont un
droit , qui eſt un plat du feſtin des
noces , la première pinte de vin qui ſe
(
188 MERCURE DE FRANCE.
débite au Village , un jambon de
chaque porc qui s'y tue , & pluſieurs
autres menues coutumes , que les gens
de bien qui ont ces mairies ont à bon
droit laiffe abolir. Des off. hered. L. z.
Ch. 2.
LETTRE de M. l'Abbé Jacquin à
M. Lacombe.
ACTES DE BIENFAISANCE.
I.
M. vous faites un trop bon uſage
dans votre journal des traits de bienfaiſance
que l'on vous communique ,
pour ne pas m'empreſſer de vous en
envoyer un bien précieux à la Nation
Françoiſe , & digne de l'admiration de
toutes celles qui connoiſſent les refpectables
ſentimens de l'humanité.
Madame la Dauphine ſe promenant
hier , après ſon dîner , un peu au de- là
de la croix de Souvré, où étoit le rendezvous
de la chaſſe , entendit dans une
vigne , près du village d'Achère , ſitué
àdeux lieues de Fontainebleau , les cris
perçans d'une femmme & d'un petit
NOVEMBRE. 1773. 189
,
garçon qui ſe déſeſpéroient : auſſi - tor
cette Princeſſe fait arrêter ſa voiture ,
faute franchit la vigne , & vole au
ſecours de la femme à qui la douleur
avoit fait perdre la connoiſſance : elle
lui fait reſpirer des eaux ſpiritueuſes ; & ,
la voyant revenir à elle - même , elle
implore pour la conſoler tout ce que
le ſentiment peut inſpirer à une ame
tendre : elle lui prend les mains & la
careſſe , mêlant ſes pleurs avec celles de
cette infortunée. Elle apprend qu'un
cerf forcé par les chiens avoit ſauté
par deſſus la muraille d'un petit jardin ,
où travailloit ſon mari ; qu'il lui avoit
enfoncé ſon bois dans le bas ventre ,
& que ce malheureux venoit d'expirer.
Ace récit cruel , Madame la Dauphine
tui donna tout ce qu'elle avoit dans
ſa bourſe , & redoubla les tendres expreſſions
de ſa ſenſibilité. Monſeigneur
le Dauphin , Monſeigneur le Comte &
Madame la Comteſle de Provence arrivent
, & , pénétrés des mêmes fentimens
, répandent leur bourſe dans le
ſeinde cette infortunée. Alors Madame
la Dauphine faiſant approcher ſon carroſſe
y fit monter la mere , ſon fils ,
deux femmes qui ſe trouvoient préfentes,
190 MERCURE DE FRANCE.
& le nommé d'Arras , valet-de-pied ,
avec ordre de reconduire cette pauvre
femme chez elle , & de venir lui rendre
compte de l'état du mari , qui reſpiroit
encore , ſuivant le rapport qui venoit
d'en être fait à la Princeſſe . Pendant
que Madame la Dauphine attendoit ,
en fondant en larmes , cette réponſe , le
Roi paroît : partageant la douleur de
fon Auguſte Famille , il s'écrie : quel
malheur ! Comment rendre à cette femme
Son mari , & à cet enfant fon père ?
Ah! Papa , reprend la Princeſſe , en
les tirant de la misère nous pouvons
du moins diminuer la cruauté de leur
fort.
,
Je n'accompagnerai d'aucune réflexion
ce récit fimple & fidèle: que pourroient-
elles ajouter à une ſcene auſſi
attendriſſante ? Je vous dirai ſeulement
que le pauvre malheureux n'eſt pas
mort ; que les Chirurgiens ont quelqu'eſpérance
de lui ſauver la vie , &
que Sa Majesté a envoyé ce matin dire
à la femme qu'elle ne ſoit point inquiète
de ſon fort , parce qu'Elle aura
ſoin d'elle , & de ſa famille,
Je ſuis , Monfieur , &c,
4
:
NOVEMBRE. 17730 19
:
Lettre de M. Meſſance , Receveur des
Tailles à S. E. en F. à M. L*** ....
MONSIEUR ,
;
:
La publicité des traits de bienfaifance
, eſt peutêtre le moyen le plus certain
de les multiplier. Sous ce point de
vue , taire ceux que l'on connoît , c'eſt
faire un vol à l'humanité ; & , pour ne
pas mmee rendre coupable de ce crime ,
je vais vous faire part d'une anecdote
qui l'intéreſſe , & qui peut trouver place
parmi les traits de bienfaiſance. Vous y
verrez , d'un côté , un homme aſſez fou
pour croire qu'il ſera agréable à l'Etre
fuprême , en rompant , dans la force
de l'âge , les liens du ſang & de la ſociété
, pour embraſſer un genre de vie
où l'on ne peut être utile à perſonne ,
& où l'on eſt à charge à tout le monde ;
de l'autre , une pauvre femme bienfaiſante
accorder l'hoſpitalité à cet homme
, faire naître en lui le ſentiment de
la reconnoiſſance , & par-là le rappeler
à lui-même , & le faire ſouvenir ,
après de longues années , qu'il a une
famille & de la fortune . O vertu ! que
ta puiſſance eſt grande ? Tu te montres ;
192 MERCURE DE FRANCE.
le faux zèle fuit , & il avoit réſiſté à
tous les maux qui ſuivent l'extrême misère.
Voici le fait.
Un homme riche & d'une famille
noble de Franche-Comté , à l'âge de
30 ans , fit le voeu indiſcret de mendier
toute la vie , & il l'a exécuté pen.
dant 40 années. Sa courſe vagabonde le
conduiſit dans la ville de S. Etienne-en-
Forêt. Là , accablé de misère , de vermine
& d'ulcères , il ſe préſenta à la
porte de l'Hôtel- Dieu ; mais il étoit
étranger & n'avoit pas la fièvre ; deux
motifs d'excluſion. Dans cet état , il fut
accueilli par un compagnon d'infor.
tune , qui lui dit : ami , ne vous chagrinezpas
; je vais vous mener dans un
lieu où vous trouverez de la charité , &
il le conduifit chez la veuve Berthon ,
tuillière de profeſſion. Cette femme
bienfaiſante le nettoya , panſa ſes plaies ,
&le mit dans un lit propre. Tous les
jours que cet homme a paflés chez elle ,
elle lui prodigua les mêmes ſoins. L'ame
de ce vieillard en fut pénétrée ; &, dans
un de ces momens où le coeur s'ouvre
&ſe dilate , il lui dit : ma chère Bershon
, vous nesavez pas à qui vousfaites
l'aumône ; vous venez de me réveiller d'un
long
NOVEMBRE. 1773. 193
long sommeil , procurez-moi quelqu'un à
qui je puiſſe dicter une lettre. La famille
s'adreſſa au gardien des Capucins , pour
s'affurer ſi l'homme en queſtion étoit
bien celui qu'elle avoit cherché inutilement
pendant tant d'années. Sa Révérence
fit à merveille la commiſſion ; l'homme
fut reconnu. Deux jours après , monté
fur un ane , & accompagné de ſa chère
Berthon , il fut faire une viſite au Capucin.
Ce Père crut devoir lui obſerver
qu'ayant mangé le pain des vrais pauvres
, il étoit , en confcience , oblige à de
grandes aumônes. Il convint du fait , mais
il ajoûta :je ne m'attendois point , mon
Révérend Père , à vous voir blamer un
voeu que vous avez fait vous même. Peu
de tems après il arriva des domeſtiques ,
de l'argent & des chevaux. On offrit à
la Berthon une ſomme allez confidérable
; elle la refuſa , en difant : Monfieur,
fi j'ai été affez heureuse pour vous être
utile, ne détruisez pas ma fatisfaction en
me payani ; mes bras me fuffisent pour
vivre : c'est d'en haut que j'attends ma
récompense. Le bon homme partit de la
maiſon de ſa chère Berthon , pénétré de
reconnoillance & de reſpect pour cette
femme bienfaiſante .
1
1
194 MERCURE DE FRANCE.
ANECDOTES.
I.
Au paſſage du Rhin, le maréchal de
Vivonne * montoit un cheval blanc
qu'il appeloit Jean. Ce cheval paſſa des
premiers ; & , comme le fleuve étoit un
peu rapide , le maréchal adreſſa ces paroles
à ſon cheval : « Jean Leblanc , ne
> ſouffre pas qu'un général des galères
>> foit noyé dans l'eau douce » .
ΙΙ.
A Meſſine , où commandoit le maréchal
de Vivonne , un officier vint le
réveiller pour lui dire quelque choſe ,
&commença ainſi : « Monſeigneur , je
» vous demande pardon ſi je viens vous
» réveiller ; & moi , lui repartit le maréchal
en ſe tournant du côté de la
ruelle , je vous demande pardon ſi je
» me rendors » .
"
III.
Le jour qu'on mena la Reine Anne
de Boulen dans la tour de Londres ,
* On rétablit ici cette anecdote comme elle
doit être.
NOVEMBRE. 17736 19
pour y avoir la tête tranchée , elle appela
un des gentilshommes de la chambre
,& lui tint ce langage : " Recomman-
» dez moi au Roi , & dites- lui qu'il s'eſt
>> montré grandement conſtant en l'a-
>> vancement de ma fortune , où il a pro-
> cédé par degrés ; car de ſimple demoi-
>> ſelle il m'a fait marquiſe , & de mar-
» quife , Reine ; de manière que main-
>> tenant , qu'il n'y a point de qualité plus
» éminente au monde que cette dernière ,
>> il veut que je fois martyre ».
A Son Alteſſe Séréniſſime Monseigneur
le Duc DE VALOIS.
MONSEIGNEUR ,
Je ne crois pas que perſonne ait encore
imaginé d'adreſſer directement à
un prince qui vient de naître , des voeux
pour ſa proſpérité. Comment pourrais-je
m'en diſpenſer , moi qui n'attendais que
le moment , Monſeigneur , de votre illuſtre
naiſſance , pour faire éclater ma joie
fur cet heureux événement , dont je ne
doutais pas , le regardant comme une
répompenſe qui étoit due à fon Atefle
I ij
I196 MERCURE DE FRANCE .
Sérénißime Madame votre mère , de tout
ce qu'elle a fait & fait tous les jours pour
le ſoulagement des malheureux ? Je n'ai
eu , Monſeigneur , qu'une occaſion de
faire ma très-humble révérence , en préſentant
une garde de cinquante canonniers
que je commandois , à cette illuſtre &
digne princeſſe , lorſqu'elle a paru à
Dieppe , où tout ce qui y reſpiroit a
été enchanté de la voir , & trop tôt privé
d'un tel bonheur : ce qui me ſemble n'être
pas ſuffifant pour que j'oſe prendre
la liberté de lui adreſſer , à elle-même ,
la fatisfaction que m'a procuré la nouvelle
de ſon heureux accouchement. Si
j'avois eu l'honneur d'en être plus connu ,
j'oſe aſlurer que j'aurois fait tous les efforts
imaginables , pour que l'on eût pu
démêler ma voix dans les cris de joie
que le Public a dû faire entendre , fur
un événement auſſi intéreſſant pour la
France.
Ceci part d'un coeur pénétré du plus
profond reſpect pour votre Alteſſe Séréniſſime,
Monseigneur,&pour vos illuftres
père & mère ; ſentimens que je conferverai
juſqu'à mon dernier ſoupir.
: ParM. Clerval de Paſſy , lieut. colonel
attaché à l'Hôtel royal des Invalides,
NOVEMBRE. 1773. 197
AMonseigneur le Duc de Valois , âgé de
troissemaines , Souſcripteur du Mercure
de France , ce 27 Octobre 1773 .
ILLUSTRE Enfant , oüi ta naiſlance
Annonce la faveur des Dieux :
Du couple dont tu fis les voeux ,
Elle vient combler l'eſpérance.
Quelle plus noble jouiſlance ,
Epoux ſi digne d'être heureux,
D'unir ce rameau précieux
Aux Lys , à cette tige immenſe
Que l'on voit, du ſein de la France ,
Féconde en rejetons divers ,
S'étendre avec magnificence
Sur les trênes de l'Univers !
Les Graces de fleurs couronnées ,
Jeune Valois , Aftre naiſſant ,
Près de ton berceau , folâtrant ,
Tiennent le fil de tes années ;
Er t'aſſurent le cours brillant
Des plus heureuſes deſtinées.
Minerve , Mercure & les Arts ,
Les Dieux du Goût & du Génie ,
Les Talens , la douce Harmonic
Viennent s'offrir à tes regards.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Ils te retraceront l'hiſtoire
Des demi- Dieux de ta Maiſon.
Ah ! combien les hauts faits , la gloire
Des Philippes & des Bourbon
Te feront chérir leur mémoire !
Tes ayeux , ton père , ton Roi ,
Ceshéros par leur bienfaiſance ,
Que de modèles devant toi !
Quelles leçons pour ton enfance !
Mais qui verſera dans ton coeur
Plus de vertus , plus de tendrefle ,
Plusde ſentimens , plus d'honneur
Que cette adorable Déefle
Aqui tu dois lejour , qui te doit le bonheur!
Lacombe , lib . , auteur du Mercure.
Cours d'Histoire naturelle & de Chimie.
M
BUCQUET , docteur régent de la Faculté
de Médecine de Paris , commencera
ce cours le lundi 8 Novembre à midi trèsprécis
, il continuera les lundi , mercredi
& vendredi de chaque ſemaine , à la même
heure , dans le laboratoire de M. de la
Planche , Me. apothicaire , rue de la Monnoie.
NOVEMBRE. 1773. 199
On touve chez Mde la Vs. Hériſſant ,
imprimeur du Cabinet du Roi,rue St Jacq.
près celle de la Parcheminerie , Introduction
à l'étude des Corps tirés du règne minéral
, & Introd. à l'étude des Corps naturels
tirés du règne végétal, ouvrages néceffaires
pour ſuivre ce cours .
Cours d'Anatomie.
M. Bucquer ,docteur , &c. commencerale
lundi 4Nov. à midi précis ; il con .
tinuera les mardi , jeudi & famedi de chaque
ſemaine , à la même heure , daus fon
amphithéâtre , rue Baſſe des Urſins , au
coindecelle deGlatigni , en la Ciré.
Les perſonnes qui voudront diféquer
pourront s'adreſſer à M. Regnault, à l'am
phithéâtre.
AVIS.
I.
Aux armes de Liège , quai de Conti enface
du Pont-neuf; l'entrée estpar la petite
rue de Nevers.
NOUVEAU magaſin & dépôt dechauſlures pour
hommes & bottes de cuir de Liége. On y trouvera
de ſouliers & eſcarpins en veau à trois liv.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
10 1.; les talons couverts , s ſols de plus; lesdoubles
coutures , 3 liv . 15 1. , talon couvert , ff. de
plus; les eſcarpins chèvre , 4 liv.; les fouliers
veau- ciré , 3 liv . 10 ſ. Ceux à deux ſemelles pour
les ouvriers & gens de travail , 4 liv. ; fouliers à
l'épreuve de l'eau , vrai cuir de Liège , sliv. 5 f.
ceux à couture angloiſe , pour la chaſſe & mauvais
tems , & à l'épreuve de l'eau , 6 liv . ff.; &
ceux cirés à l'angloiſe , 6 liv. 10 fols ; fouliers
bronzés gris & noir pour deuil & pour la campa.
gne , 4 liv. 10 f. chaque ; avec leurs eſcarpins en
chèvre , 7 liv. to f.; bamboches en maroquin ,
3 liv. ; ſabots gris fourés & non fourés , fabots
buf fourés & non fourés , bottes de cochers
, 12 liv.; botte collante , Is liv. ; à couture
angloiſe , 16 liv.; bottes à la Broglio cirées à l'angloiſe
, 18 liv .; bottes demi fortes ou d'officier ,
21 liv.; bottes angloiſes &demi-angloiles , 30&
36 liv. On y trouve auſſi des ſouliers pour les
jeunes gens depuis l'âge de fix ans & au- deflus ;
gands pour hommes de dain & vrais anglois ;
bourſes à cheveux ; fouets ordinaires & anglois ,
épron d'acier , épron couvert en argent , anglois,
&autres merceries. On y fournit les Troupes &
leş Armateurs. Véritables culottes angloiſes en
peau de dain de toute beauté.
I I.
Pommade qui guérit radicalement les Hémorrhoïdes
internes & externes en peu de jours, ſans
qu'il y ait rien à craindre du retour de cette maladie
ni accidens pour la vie, en les guériflant.
•Prouvé par nombre de certificats authentiques
que l'auteur a entre ſes mains , & par un nombre
infini de perſonnes dignes de foi de tout âge &
NOVEMBRE. 1773. 201
de tout ſexe , guéries radicalement depuis plufieurs
années , &c. par l'uſage qu'elles ont fait de
cette pommade, inventée&compoſée par le ſieur
C. Levallois, pour ſa propre guériſonà lui-même,
au mois de Mai 1763 .
Cette pommade fait ſon opération avec une
douceur& une diligence ſurprenantes , en ôtant
d'abord les douleurs dès ſes premières applications.
Elle eſt diviſée en deux ſortes , pour agir
enſemble de concert ; l'une eſt préparée en ſuppofitoires
pour être inanuée & amollir les Hémorrhoides
internes par une douce tranſpiration ;
l'autre eſt applicative ſur les externes pour fondre
&diffoudre avec la même douceur les grofſeurs
externes , & recevoir au- dehors la tranfpiration
qui ſe fait intérieurement.
L'on diftribue cette pommade avec approbation
& permiffion , chez l'auteur , vieille rue du
Temple, la porte cochère à côté du Parfumeur ,,
prèsla rue de la Perle ; ou, à ſon défaut , chez M.
de Loche , limonadier attenant.
Le prix des doubles boîtes , pour les hémorrhoïdes
anciennes , eft de 6 liv.
Et pour celles qui font nouvellement parues
les deux demi boîtes ſont de 3 liv.
Les perſonnes de province qui defirent ſe prosurer
de cette pommande , ſont priées d'affranzhu
leurs lettres .
ΙΙΙ.
Effence virginale.
Germain Catinée , marchand parfumeur
difſtilateur à Paris , ci - devant dans le Temple,
Lw
202 MERCURE DE FRANCE.
actuellement dans l'enclos du prieuré St Martindes-
Champs , à la gille du marché où eſt ſon
tableau , &dans le château de Versailles , au bas
de l'eſcalier des Princes , déja connu par ſon Effence
virginale , a porté cette compofition àun
degré ſupérieur. Les valetsde- chambres-barbiers
du Roi l'ont décidée préférable à tout ce qui eſt
connu à l'uſage de la barbe; ils l'ont nommée
Savonnette de la Cour. Non-ſeulement elleprocure
un tranchant doux aux raſoirs , ne ſéche
point comme font les eſſences de ſavon , mais
encore elle adoucit la peau.
Pour s'en ſervir utilement , verſez- en plein un
dez dans une cuillerée d'eau , trempez-y un pinceau
avec lequel vous ſavonnerez.
Il y a des bouteilles depuis I liv. 10 fols jufqu'à
6 liv. Il y aura auſſi des eſſais de 12 f. avec
leſquels on peut au moins favonner foixante barbes;
ſept à huit gouttes ſufiſent pour en faire
une.
I V.
Le fieur Rouflel coupe lesCors , les guérit avec
un peu d'onguent , & coupe les ongles des pieds.
Il a une pommade pour les hémorrhoïdes , les
foulage & les guérit.
Il aune autre pommade pour guérir les brûlure
, approuvée par M. le Doyen & Préſident de
la Commiſſion Royale de Médecine.
Pour guérir les cors .
On les coupe un peu, &onmetun emplâtre un
peu plus large que le mal , que l'on enveloppe avec
une bandelette , &, au bout de huit jours , on
NOVEMBRE. 1773. 203
peut lever cepremier appareil , & remettre un autre
emplâtre pour autant de tems.
Le prix des boîtes , à douze mouches , eſt de
3 liv.
Celui des boîtes à fix mouches , eſt de 1 1. 10 f.
Pour les Hémorrhoides.
Onprendgros comme une noiſette de la pommade
que l'on met ſur un petit linge , & que l'on
poſe ſur le mal , on ſe trouve foulagé & guéri en
peude tems.
Il ya des pots à 3 liv. & à 1 l . 4 f.
Pour la Brûlure .
On prend de la pommade dans une bouteille
avec une plume que l'on met ſur la bbrrûlure , &
une feuille de papier brouillard que l'on metdeſſus,
&une bande par deſlus .
Le prix des bouteilles eſt de 3 liv. & de 1 l. 4 (.
Le ſieur Rouflel , demeurant à Paris , rue Jeande
l'Epîne , chez l'Epicier en gros , la porte cochère
à côté du Taillandier , deuxième appartement
fur le derrière, près de la Giêve, donneencore
avis au Public qu'il débite, avec permiffion , des bagues
, dont la propriété eſt de guérir de la goutte.
On portoit autrefois cette bague au doigt annulaire
; la grande expérience a fait voir qu'on peut
la porter à la main droite , comme à la main gauche
; au petit doigt , comme au doigt annulaire ,
& que c'eſt du côté où l'on a le plus de mal , que
l'ondoit porter ladite bague: qu'elleguérit les perfonnes
qui ont la goutte aux mains & aux pieds ,
&en peude tems celles qui en font moyennement
attaquées.Quant à celles qui en font fort affli
gées, elles doivent la porter avant ou après l'at
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
taquede la goutte,& pour lors elle ne revient
plus. En la portant toujours au doigt , elle préſerved'apoplexie&
de paralyfie.
Le prix des bagues , montées en or , eſt de 3:6
liv. & celles enargent , de 24
Onle trouve tous les jours , excepté les fêtes &
Dimanches. On prie les perſonnes d'affranchir
leurs lettres..
NOUVELLES POLITIQUES.
De Constantinople , le 7 Septembre 1773 .
LESEs nouvelles de l'armée du Grand Vifir continuent
à être favorables. Ce général s'eſt avancé
vers le Danube , & nos troupes ſe maintiennent
toujours fur la rive gauche de ce fleuve ,
dans la Valachie ci devant Autrichienne . Les
détachemens Rufles qui étoient venus infultet
le poſte de Rokavah , ont été repouffés par
les troupes accourues au ſecours , & ont fait , à
sette occafion , une perte conſidérable..
De Vienne , le 6 Octobre 1773 .
On a embarqué 18 , coo fufils pour Peft. La
plus grande partie de ces armes eſt deſtinée pour
JaGalicie , où elles feront réparties aux différens
bataillons qui peuvent en avoir beſoin. Le reſte
fera déposé dans l'arcenal qu'on prépare à Léopol.
On doit auſſi établir inceflamment dans cette
ville une Commiſſion d'Economie ; ce ſont des
maiſons où l'on travaille à tous les objets qui
concernent: l'équipement des troupes. On n'y
{
NOVEMBRE. 1773. 205
emploie que des ſoldats tirés de divers régimens
& auxquels on accorde quelques kreutzers de
haute paie. Au moyen de cet arrangement , on
eft parvenu à habiller , à très peu de frais , l'armée
Autrichienne..
De: Warfovie,le 18 Septembre 1773 .
Quoique le bref d'extinction des Jéſuites no
foit pas encore promulgué , on prend cependant
des éclairciflemens ſur les biens qu'ils poſsèdent
dans le royaume. On les évalue à quatre - vinge
millions de florins. Le collége ſeul qu'ils ont à
Poſnanie , jouit de 120 , oco écus de revenu. La
diſpoſition de ces richeſles occafionnera peut- être
de nouveaux démêlés ; car pluſieurs familles qui
ont fait des fondations en faveur de ces Religieux,
veulent les revendiquer. On voudroit ,
d'un autre côté , employer ces biens aux beſoins.
de l'Etat ; mais le Bref du Pape fixe leur deſtination
à des établiſſemens pieux , & l'on ne fait fi
la République s'arrogera le droit d'en diſpoſere
comme elle le jugera à propos.
Les Diffidens ont publié un manifeſte , dans lequel
ils accuſent les Confédérés de Bar d'être la
cauſede leur malheur. Des abus qui pourroient
réſulter du port-d'armes dans ces temps de troubles
, ont engagé le Grand Maréchal à citer toutes
les perſonnes qui portent l'épée , pour déclarer
àquel titre ils uſent de ce droit. Cette recherche
a produit un bon effet. On ne voit plus tant
d'hommes armés dans les rues .
De Dantrick , le 28 Septembre 1773 .
On écrit de Dantzick que le Magiſtrat a remis
au Comte Golowkin une réponſe fort détailléeà
206 MERCURE DE FRANCE.
l'Ultimatum du ſieur Reichard , Commiſſaire de
Sa Majefté Prufſicane. Dans cet acte , la Ville
peruſte purement & fimplement dans les anciennes
offres qu'elle avoit faites de racheter , par
une ſomme d'argent une fois payée , les prétentions
que le Roi de Prufle a formées ſur le Port ,
&de renouveler , s'il étoit néceflaite , le bail
emphytéorique des terreins contigus au canal &
qui appartiennent à l'Abbaye d'Oliva , ſous la
Louveraineté de Sa Majesté Pruffienne .
Des lettres de Kiovie , du 6 de ce mois , portent
qu'on fait de grands préparatifs de défenſe
dans ce gouvernement & dans celui de Beigorod;
qu'on a envoyé des troupes fur le Bog ,dans les
lignes de la Nouvelle Servie, & que le régimentde
gorod , qui étoit en garaiſon à Krementschak ,
fur le Dnieper , a reçu ordre de détacher cinq cens
hommes pour occuper des lignes conftruites en
Lavant de cette place. On ajoute qu'on voit défiler
de l'intérieur de la Ruffie des troupes vers Baturin
, ancienne capitale de l'Ukraine Rufle , &
qu'elles doivent y attendre les ordres ultérieurs .
Ily a des perſonnes qui prétendent que ces arrangemens
font relatifs aux nouvelles arrivées de la
Crimée.
De la Haye, le 5 Septembre 1773 .
La Société établie à Fleſſingue en Zélande , propoſe
pour le prix qu'elle doit diftribuer , une
question auffi utile qu'intéreſſante , favoir ; Dans
quellefource peut- on puifer pour compléter l'Hiftoirede
la Patrie , les parties de celle du Pays-
Bas en général & de la Zélande en particulier ,
qu'on n'a point encore traitées ? & quelles font
ces parties qui auroient échappé au zèle & aux
recherches des Sçavans ?
NOVEMBRE. 17736 207
Le ſieur Redelykheid a obtenu des Etats de
Hollande une récompente conſidérable pour avoir
inventé une machine ſervant à décombrer les rivières
& les canaux qui ſont les routes les plus
intéreſſantes pour un pays devenu , par la fituation
& par ſa conſtitution , l'entrepôt général du
commerce de toutes les Nations .
De Rome , le 30 Septembre 1773 .
Le ſieur Jean Bianchi , médecin ſecret honoraire
du Pape , a fait préſent à Sa Sainteté de deux
médailles conſulaires d'or , qui paflent pour être
aflez rares. L'une repréſente la tête de Brutus
dans une couronne de laurier avec cette légende :
Brutus Imp . On voit ſur le revers le trophée
d'une victoire navale , & ces mots : Cafca longus.
L'autre offre la figure de la Victoire aîlée , & cette
légende: C. Numonius Vaala ; au revers , on voit
un foldat armé d'un bouclier & d'une lance , &
dans l'action d'attaquer des retranchemens.
De Naples , le 28 Septembre 1773 .
On écrit de Palerme que , le 21 de ce mois il y
eut , dans cette ville , une émeute populaire ; que
Ie Vice-Roi fut obligé de partir ſur le champ pour
Meffine ; que l'Archevêque vint à bout d'appaiſer
la fédition , & que le Prince de Palagonico & le
fils du Prince de Butera s'étoient joints , dans cette
occafion , au Prélat. On attend de nouveaux détails
ſur cet événement.
De Londres , le 5 Octobre 1773 .
Le Lord Townshend , Grand- Maître de l'Artiflerie
, & ci-devant Lord- Lieutenant d'Irlande , ſe
rendit , vers la fin du mois dernier , à Edimbourg
208 MERCURE DE FRANCE.
où il viſita le fort & toutes les munitions du châ
teau. Il ſe propoſe de parcourir l'Ecofle pour cr
examiner toutes les ferterefies.
On écrit de la Baye de Honduras que les Négres
yont excité une révolte ſa conſidérable qu'on
aété forcé d'envoyer un exprès à la Jamaïque
pour demander du ſecours. Dans l'intervalle , les
opérations du commerce ſont entièrementſuſpendues,
& l'on préfume que les affaires ne pourront
yreprendre leur cours qu'après que les rebelles
auront été ſoumis .
Lesdérails certains qu'on a reçus nouvellement
du voyage du Capitaine Phipps , portent que la
plus haute latitude où ſont parvenues les bombardes
envoyées au Pole ſeptentrional , n'a pas
été de 81 deg. 29 min. , comme les papiers publics
l'ont annoncé , mais de 80 deg. 30 min. ;
ceCapitaine a d'ailleurs tout lieu de croire qu'aucun
voyageur n'a approché plus près du Pole ſeptentrional
dans cette mer , puiſqu'il a trouvé dans
la même latitude une lignede glace qui doit couvrir
au - delà toute la mer de la Région Polaire.
Pendant quinze jours entiers , les gens de l'équipage
ont été entièrement environnés de glaces&
commençoient à craindre qu'il ne fallût abandonner
leur navire. Ils ſe diſpoſoient déjà à tirer leurs.
bateaux à travers les glaces , & àdiriger leur route
vers Spitzbergen , lorſqu'ils parvinrent heureuſement
à ſe frayer un autre paflage , & s'avancèrent
vers le ſud- ouest. Cedanger n'eſt pas le
ſeul auquel ait été expoſé levaifleaudu SrPhipps
pendant le voyage. Dès qu'il ſe fut ſéparé de ee-
Lui du capitaine Tutwich , il fut aflailli par une
violente tempête dans la Mer d'Allemagne , &
quoiqu'on eût jeté à l'eau quatre de ſes canons
NOVEMBRE . 1773. 209
il fut néanmoins ſur le point d'être ſubmergé. On
affure que le Gouvernement eſt décidé à ne plus
équiper de navire pour une expédition vers le
Nord.
De Fontainebleau , le 24 Octobre 1773 .
Le 12 de ce mois , Madame & Madame Elifa
beth , accompagnées de la Comteſſe de Marfan ,
Gouvernante des Enfans de france , vinrent voir
la bibliothèque du Roi. Après avoir parcouru les
falles des imprimés &des manuscrits , elles paſsèrent
dans le cabinet des médailles & dans celui des
eſtampes. Le ſieur Bignon , bibliothécaire de Sa
Majesté , eat l'honneur de les recevoir & de leur
montrer ce que ce riche & vaſte dépôt contient de
plus précieux dans tous les genres.
De Paris , le 18 Octobre 1773-
Le ſieur Meffier , Aftronome de la Marine , a
découvert , de l'Obſervatoire de la Marine , le 13
de ce mois , vers les cinq heures du matin , une
nouvelle comète: elle paroifloit entre les conftellations
du Lion & du Sextant , au deſlous de
l'étoile Regulus : on la voyoit foiblement avec
une lunette ordinaire de deux pieds ; le crépufcule
qui régnoit alors , diminueit ſes apparences :
le lendemain 14 , à la même heure , elle paroiffoitplus
claire , le noyau plus vif , & environné
de nébulofité. Le 15 , à quatre heures 17 min . 12
fec. du matin , elle avoit d'aſcenſon droite 154
degrés , 55 min. 44 ſec. &de déclinaiſon boréale
8 degrés , 21 min. 20 ſec. Son mouvement ſuit
l'ordre des ſignes en s'approchant de l'écliptique :
en vingt- quatre heures elle ne parcourt que 41.
210 MERCURE DE FRANCE.
minutes de degré en aſcenſion droite & 24 min, en
déclinaiſon .
On a appris par les dernières lettres arrivées de
l'Ifle de France , qu'il y avoit eu , dans la nuit du
,au 10 Avul de cette année , un ouragan dont
l'effet s'eſt étendu juſqu'à l'iſte de Bourbon , mais
avec moins de violence que dans la première de
ces Ifies , où tous les bâtimens qui étoient dans
le port , ont éré jetésà la côte. La plupart de ces
navires ont été heureuſement relevés . Les envois
conſidérables faits , l'année dernière , de vivres&
d'effets de manne dont une grande partie eſt arrivée
peu de tems après cette tempête , auront
procuté à la Colonie les premiers ſecours dont
elle avoit beſoin dans une circonstance d'autant
plus trifte que cet ouragan eſt le troiſième qu'elle
aeſluyé dans l'eſpace de treize mois .
La cathédrale de Chartres , un des monumens
les plus magnifiques de la France par ſon étendue,
par la beauté de ſon architecture gothique & par
ſes clochers , étoit dénuée dans l'intérieur de toute
eſpèce de décoration. Le Chapitre , aidé des bontés
du Roi &de la générosité de ſon Evêque , réſolut
, il y a quelques années , d'orner le ſanctuaire.
Il choiſit , pour cet effet , les plus grands maîtres
de l'art. Le ſieur Bridan , membre de l'Acad.
royale de peinture &de ſculpture de Paris , a été
chargé d'exécuter le principal morceau: c'eſt le
myſtère de l'Aflomption de la Sainte Vierge. Ce
groupe en marbre ſtatuaire , compoſé de qua tre
figures de huit à neufpieds , environné de têtes de
Chérubins , a été mis en place & a paru réunir tous
les fuffrages. Le Chapitre en a été ſi ſatisfait qu'indépendamment
du prix convenu avec lui , il a
accordé à cet artiſte , d'une voix unanime, dans
NOVEMBRE. 1773. 211
un Chapitre général , une penſion viagère de 1000
livres , dont la moitié eſt reverſible ſur la tête de ſa
femme.
NOMINATIONS .
Le Roi a accordé l'Abbaye du Puy d'Orbe , Ordre
de St Benoît , diocèſe de Langres , à la Dame
de Tilly , Religieuſe de l'Abbaye de Montmartre,
&le Prieuré de Saint- Louis , diocèle & ville de
Rouen , à la Dame de Barbançon , Religieuſe de
l'abbaye des Chaſes .
PRESENTATIONS .
Le 22 Octobre ,le Marquis de Brancas , Grand
d'Eſpagne de la premièreClafle , chevalier des Ordres
du Roi , lieutenant - général de ſes armées ,
commiſſaire plénipotentiaire de Sa Majesté pour
aller recevoir , au Pont de Beauvoiſio , Madaine la
future Comtefle d'Artois , prit congé du Roi , à
qui il fut préſenté par le Duc d'Aiguillon , minitre
& fecrétaire d'état , ayant le département des
affaires étrangères .
NAISSANCES .
La femme du nommé Gueret , charon , demeurant
à Mitry , diocèſe de Meaux , à cinq lieues de
Paris , eſt accouchée de trois garçons qui ſe portent
bien , ainſi que la mère ; & Catherine Batifſon
, femme de Léonard Samie, journalier , paroufle
de St Damnolet de Limoges , âgée de trentedeux
ans , eſt accouchée de deux garçons & d'une
fille , le 15 de ce mois. Ils jouiffent d'une bonne
ſanté , & font nourris tous les trois par leur mère.
212 MERCURE DE FRANCE.
MORTS.
Le nommé Hitchoock eſt mort dernièrement à
Ashborn en Angleterre , dans la cent dix -huitième
année de fon âge.,
Elifabeth Beaux , veuve du ſieur Gros , bourgeois
, eſt morte dans la paroiſſe de Vabres , à
Fâge de cent quatre ans ; elle n'avoit aucune des
incommodités attachées à la vieillefle .
Marie-Magdeleine- Louiſe la Mamie deClairac
, veuve de Jean George de Caulet , Marquis
de Gramont , lieutenant - général des armées du
Roi , lieutenant des Gardes-du -Corps de Sa Majeſté
&gouverneur des villes & citadelles deMezieres
& de Charleville , eſt morte à Paris .
Catherine Charpentier , femme de Jean Breuees,
habitant du village de Moivron , baillage
de Metz , y est morte , le 26 Septembre , âgée de
cent deux ans .
Jeanne- Sophie- Elifabeth - Louiſe Armande- Septimanie
du Pleſſis de Richelieu , fille de Louis-
François Armand du Pleſſis , Duc de Richelieu &
de Fronfac , Pair & Maréchal de France , & d'Elifabeth-
Sophie de Lorraine , épouse de Caſimir
Comte d'Egmont- Pignatelli , Grand d'Elpagne ,
chevalier de la Toiſon d'or , lieutenant - général
des armées du Roi , eſt morte , le 14 Octobre , au
château de Braine , en Picardie , dans la trentetroiſième
année de lon âge.
Pierre- Joſeph - Laurent , Chevalier de l'Ordre
du Roi , directeur - général des canaux de FlanNOVEMBRE.
1773 . 213
Ares & de Picardie , eſt mort à Paris , dans la cinquante
neuvième année de ſon âge.
Antoine Arnal , voiturier , habitant de la paroifle
de St Jean- d'Alcapiés , diocèſe de Vabres ,
mourut , le 21 Septembre , dans la cent fixième
année de ſon âge. Il étoit fourd , & n'avoit aucune
autre infirmité dans ſon extrême vieillefle.
Le 14 du même mois , il alloit à pied à la meſle
de ſa paroifle , lorſqu'un violent coup de vent
déracina plus de deux mille arbres dans le canton,
le renverſa ſur un mur d'appui , d'où il tomba
dans un terrein profond de quelques toiſes . Cette
chûte occaſionna ſa mort. Le Sicur de Gourgues ,
Intendant de Montauban , l'avoit déchargé , depuispluſieurs
années , de toute impoſition .
Louis Comte de la Mark , lieutenant - général
des armées du Roi , colonel d'un régiment d'infanterie
de fon nom , eſt mort au château de Fléville
, près de Nancy , le 6 Octobre .
Jean-Jamard , ancien Curé de Fontainebleau
& de Versailles , eſt mort dans cette dernière
ville , à l'âge de quatre-vingt-neuf ans . Il étoit
aveugle depuis quatorze ans ; mais il n'avoit aucune
des infirmités de la vieilleſſe , & a toujours
exercé les fonctions du ſaint Ministère juſqu'au
dernier moment de la vie.
Marie Charlotte de Gourcy , veuve de Claude-
François Marquis de Rouſtaing de Viray , Dame
de la Croix étoilée , eſt morte au château de Buthegnémont
, près de Nancy , le 13 de ce mois .
Susanne-Caroline de Baſchi d'Aubaïs , épouſe
de François des Comtes de Baſchi , dit le Marquis
•de Baſchi , eft morte ici , le 20 de ce mois , dans
aving- fixième année de ſon âge.
214 MERCURE DE FRANCE.
LOTERIES.
Le cent cinquante - quatrième tirage de la Loterie
de l'hôtel-de- vilte s'eſt fait , le 25 du mois
d'Octobre , en la manière accoutumée . Le lot de
cinquante mille liv. eſt échu au No. 28339. Celui
de vingt mille livres au N° . 38723 , & les deux de
dixmille , aux numéros 33139 & 33837 .
TABLE.
PIECES FUGITIVES en vers & en
Epître à l'Amour ,
L'Amant abſent , dialogue anacreontique ,
Le Roffignol & l'Alouette , fable ,
Vers à Mde de la Poupelinière ,
-A M. Terray ,
proſe, pages
ibid.
7
9
IO
ibid.
-Aux Dames qui ont aſſiſté à la ſéance des
Jeux Horaux ,
Epitaphe de M. Morand ,
Almet , ou l'Emploi de la Kicheſſe ,
Epître à ma première Maîtrefle ,
Hommage à M. de V ** ,
11
12
ibid.
21
23
Efiai de traduction de quelques ſonnets de
Pétrarque , 25
Romance à Mademoiſelle *** , 31
Envoi ,
ibid.
Hiftoire naturelle , 33
ADoris , 40
Prière d'un pauvre Diable , à l'occaſion du
fecret de l'air fixe , 41
A M. C. ,
ibid.
NOVEMBRE. 1773. 215
Explication des Enigmes & Logogryphes , 70
ENIGMES , 71
LOGOGRYPHES , 74
NOUVELLES LITTÉRAIRES , 79
Le Voyageur François ibid. ,
Nouveaux éclairciſſemens fur la vie de Guillaume
Poſtel , 71
Dictionnaire des voyages , 78
Les Soirées de Paphos ,
Fables , Contes & Epîtres ,
Recherches critiques , hift. & topogr. ſur la
86
96
Ville de Paris , 116
Epreuves du Senriment , 118
Lettre de M. Luneau de boisjermain à M. Lacombe
, 123
Lettre de M. Poinfinet de Sivry , ſur l'exil
d'Ovide , 125
ACADÉMIES , Dilcours prononcé à la féance
publique de l'Acad. royale de Chirurgie , 134
SPECTACLES , Opéra , 153
Comédie Françoiſe , 154
L'Hymen , l'Amour & le Plaifir , fable allég. 155
Comédie Italienne ,
ARTS , Gravures , ibid.
Coſtume des anciens Peuples ; 160
Huit ſujets de paſtorale, 161
Iconologie hiſtorique & généalogique , ibid.
Tableaux hiftoriques , 163.
Trois Sonates , ibid,
Seconde partie du Traité de Compoſition
muſicale ,
Etrennes utiles & agréables ,
Cours de mathématiques &de deſſin ,
Plan d'Education nation. & militaire ,
Avis de M. l'Abbé Jacquin aux Archi-
165
166
168
170
tectes , 174
216 MERCURE DE FRANCE.
-Du même , ſur la conſtruction des nouv.
bâtimens de l'Hôtel-Dieu de Paris ,
Réponſe de M. le Comte de Schowalow ,
aux vers de M. de la Harpe ,
Vers pour mettre au bas du portrait de
Madame C.... ,
Lettre de M. de Voltaire , ſur le mot Idiotisme
,
Projet utile. Voeu d'un Citoyen ,
Le Maire de Villeau ( Usage ancien ) ,
Lettre de M. l'Abbé Jacquin , ( Acte debienfailance
,
Autre acte de bienfaiſance ,
Anecdotes ,
Lettre à Mgr le Duc de Valois ,
Vers au même par Lacombe , libr.
Cours d'hiſtoire naturelle & de chimie ,
-D'Anatomie,
AVIS ,
Nouvelles politiques ,
Nominations ,
Préſentations , Naiſſances ,
Morts , Loteries ,
173
ibid
181
ibid.
182
186
188
191
194
195
197
198
199
ibid.
204
211
ibid.
212-214
APPROBATIΟ Ν.
J'AAII lu par ordre de Mgr le Chancelier , le
volume du Mercure du mois de Novembre 1773 ,
&je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreffion .
A Paris , le 31 Octobre 1773 .
De l'Imp. de M. LAMBERT, rue de la Harpe.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères