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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES:
AOUST , 2773.
Mobilitate viget . VIRGILE
DO
GRATE
E
DI
PALAIS
ROYAL A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire ,
Chriſtine , près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilège du Roi.
ASTOR
LIBRARY
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Lettres d'Elle & de Lui , in 8 ° . b.
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Les Mufes Grecques , in- 8 ° . br.
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Les Nuits Parifiennes , 2 parties in - 8 ° .
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Les Odes pythiques de Pindare , in - 8 ° .
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3 liv.
s liv. Le Philofopheférieux , hift. comique , br. 1 1 , 4 f.
Du Luxe , broché ,
>
12 f.
Traité fur l'Equitation , in-8°. br. 4 1. 10 f.
Monumens érigés en France à la gloire de
Louis XV, &c. in fol. avec planches ,
rel. en carton ,
-
241.
Mémoires fur les objets les plus importans de
l'Architecture , in 4° . avec figures, rel . en
carton ,
Les Caractères modernes , 2 vol . br.
12 1.
3.1
.
Max mes de guerre du C. de Kevenhuller , 11. ro (.
Hiftoire naturelle du Thé , avec fig . br. 11, 16 f.
MERCURE
DE FRANCE.
A
OUST , 1773 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
RÉPONSE de M. de la Harpe aux vers
de M. L. C. de ** , inférés dans le
Mercure de Juillet.
Vous avez , fur un noble ton ,
Chanté l'aftre de notre Europe .
Et jufqu'à mon humble horizon
Vous baillez votre télescope.
Vous êtes comme Salomon ,
Vous allez du cèdre à l'hyfope.
*
* M. de Voltaire , à qui le même auteur avait
adreflé une épître.
A iij
MERCURE DE FRANCE.
Ainfi le peintre des héros ,
Apelle , au vainqueur de l'Afie,
Confacrait fes premiers travaux ,
Et deffinait de fantaiſie
Un page à la mine étourdie
Qu'immortalifoient fes pinceaux.
Quand Pierre vint dans cet Empire
Du fond de vos climats glacés ,
A peine en faviez- vous aflez
Pour nous connoître & pour nous lire,
Et déjà vous, nous furpaflez.
Chantez . Vous êtes à la fource
Des grands exploits , du grand talent.
La Gloire au plus haut de ſa courſe
Roule fon char étincelant
Au tour des fept aftres de l'Ourfe.
Vous voyez l'Ottoman cruel
Trembler devant votre Génie ,
Le pavillon de la Ruffic
Commande aux mers de l'Archipel .
L'Amour qu'à Bizance on enchaîne
Sous le plus lugubre attirail ,
Croyant fa vengeance prochaine ,
Entend le canon d'une Reine
Tonner fous les murs du Sérail .
Célébrez tout ce que vous faites ;
Chantez la gloire & vos grandeurs.
Avec les lyres des neuf Soeurs
Mars peut accorder fes trompettes ;
A O UST. 1773. . 7
Et ces exploits des Souverains ,
Qui troublent un peu les humains
Font les héros & les poëtes.
Pour moi , fi je lavais toucher
Le luth de Tibulle & d'Horace ,
Si , comme l'Albane ou Boucher ,
J'étais né pour peindre une Grace ,
De ces artistes excellens ,
Si , par une faveur divine ,
Je réuniflais les talens ,
Je vous peindrais notre Dauphine.
Je voudrais chanter dignement
Ces traits , cet éclat de jeuneſſe ,
Cet air de nymphe ou de déefle
Ce port & ce maintien charmant ,
Ce front où la candeur tracée
S'unit à l'aimable enjoûment ,
Ces yeux où brille également
La finefle de la penſéè
Et la douceur du fentiment.
Je peindrais la publique ivreffe ,
Et ces cris , ces tranfports fi doux
Au tour de l'augufte Princefle ,
Et les larmes de fon époux ,
Larmes de joie & de tendrefle ,
Larmes qui du bonheur de tous
Sont la plus touchante promefle ;
Et, fivous pouviez comme nous
Voir ce fpectacle d'alégrefle ,
Quoique le fort ait fait pour vous
Sur le Danube & dans la Gréce ,
Vous pourriez être encor jaloux.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
HIC
ENEIDOs , lib . II.
Ic ubi disjectas moles , avulfaque faxis
Saxa vides, mixtoque undantem pulvere fumum ,
Neptunus muros , magnoque emota Tridenti
Fundamenta quatit , totamque à fedibus urbem
Eruit. Hic Juno Scaas fæviffima portas
Prima tenet , fociumque furens à navibus agmen ,
Ferro accincta , vocat.
Jam fummas arces Tritonia , refpice , Pallas
Infedit , nimbo effulgens & Gorgone fævâ.
Ipfe Pater Danaïs animos virefque fecundas
Sufficit : ipfe Deos in Dardana fufcitat arma .
Eripe , nate , fugam , finem que impone labori.
Nufquam abero , & tutum patrio te limine fiftam.
Dixerat , & fpiffis noctis fe condidit umbris."
Apparent diræ facies , inimicaque Troja
Numina magna Diêm ,
Tùm verò omne mihi vifum confidere in ignes.
Ilium , & ex ino verti Neptunia Troja.
Ac veluti fummis antiquam in montibus ornum
Cum ferro accifam , crebrifque bipennibus inftant
Eruere agricolæ certatim ; illa ufque minatur ,
Et tremefacta comam , concuffo vertice , nutat :
Vulneribus donec paulatim evieta , fupremum
Congemuit , traxitque jugis avulfa ruinam .
A O UST . 1773 .
Suite du fecond Livre de L'ENÉIDE.
O
Par M. D. L. C.
u tu vois ces rochers l'un fur l'autre entaflés ,
La pouffière & les feux juſqu'aux cieux élancés ;
Le trident de Neptune ébranle les murailles.
Là , Junon , des Troyens hâtant les funérailles ,
De la porte de Scée appelant l'ennemi ,
Preffe le bataillon que la flotte a voi.
Pallas , du haut des forts , aux Grecs fervant de
guide ;
Tu la vois fur la nue , où brille fon Egide.
Jupiter en ce jour & les dieux réunis
Se déclarent pour eux ; éloigne - toi , mon fils .
Ceft affez : fois docile à la voix d'une mère ,
Je conduirai tes pas au palais de ton père ;
Je défendrai tes jours : après ces mots , Vénus
Se replongea dans l'ombre , & je ne la vis plus .
Mais j'apperçus dans l'air mille fpectres horri
bles ,
Et la foule des Dieux aux Troyens fi terribles.
Des tourbillons de flamme en ces affreux momens
Dévorent d'Ilion juſques aux fondemens.
Ainfi du haut des monts on voit un chêne antique
Qu'ébranle àcoups preflés mainte hache ruſtique,
Cédant à tant d'efforts , aidé des aquilons ,
Rouler avec fracas dans les fombres vallons.
A v
ΤΟ MERCURE
DE FRANCE
,
Defcendo , ac , ducente Deâ , flammam inter &
hoftes
Expedior : dant tela locum , flammæque recedunt.
Aft ubi jam patriæ perventum ad limina fedis ,
Antiquafque domos , genitor , quem tollere in
altos
Optabam primum montes , primùmque petebam ,
Abnegat excisâ vitam producere Trojâ ,
Exiliumque pati . Vos ô quibus integer ævi
Sanguis , ait , folidæque fuo ftant robore vires ,
Vos agitate fugam .
Me fi coelicolæ voluiflent ducere vitam ,
Has mihi fervaflent fedes : fatis una fuperque
Vidimus excidia , & captæ fuperavimus urbi.
Sic , ô fic pofitum affati difcedite corpus.
Ipfe manu mortem inveniam : miſerebitur hoftis ,
Exuviafque petet : facilis jactura fepulchri eſt.
Jampridem invifus Divis & inutilis annos
Demoror : ex quo me Divûm pater atque hominum
rex
Fulminis afflavit ventis , & contigit igni.
Talia perftabat memorans , fixufque manebat.
Nos contrà effufi lacrymis , conjuxque Creüfa ,
Afcaniufque , omniſque domus , ne vertere fecum
Cuneta pater , fatoque urgenti incumbere vellet.
Abnegat, inceptoque & fedibus hæret in ifdem.
A O UST. II
1773.
Mais,graces à Vénus , au milieu du carnage
Les flammes & les traits me livrent un paffage.
Au palais de mon père à peine parvenu ,
J'allois le transporter dans un lieu peu connu.
Anchiſe obſtinément refufe de me ſuivre ,
Jure qu'à Troye en cendre il ne veut point furvivre.
Moi, fuir, dit- il ! ô vous dont l'âge eſt dans fa fleur,
Fuyez , vous dont le fang entretient la vigueur.
Si le Ciel eût voulu me conſerver la vie ,
Il eût de tant de maux prélervé ma patrie .
Hélas ! dans mon printems déjà mes yeux ont vu
Succomber Ilion : Anchile a trop vécu.
Allez, & laiflez - moi mourir dans les ténèbres ,
Qu'importent les tombeaux & les pompes funèbres
?
Recevez mes adieux ; pour terminer mes jours
Je faurai de mon bras emprunter le fecours :
Et peut-être qu'un Grec , devenant mon complice,
Avide ou généreux, me rendra ce ſervice .
De la foudre touché par le maître des dieux ,
Dès long- tems je leur fuis un objet odieux .
Envain , baignés de pleurs , nous conjurons mon
père ,
Moi , les miens profternés , & mon fils & fa mère ,
D'avoir pitié de lui , d'avoir pitié de nous ;
De nee pas tous nous perdre : il nous réfifte à tous.
Il s'obtine à refter , il dédaigne nos larmes.
A vj
I 2 MERCURE DE FRANCE.
Rursus in arma feror , mortemque miferrimus
opro.
Nam quod confilium , aut quæ jam fortuna dabarur
?
Mene efferre pedem , genitor , te poffe relicto
Sperafti ; tantumque nefas patrio excidit ore ?
Si nihil ex tantâ Superis placet urbe relinqui ,
Et fedet hoc animo , perituræque addere Troja
Teque tuofque juvat : patet iſti janua letho.
Jamque aderit multo Priami de fanguine Pyrrhus
,
Natum ante ora patris , patrem qui obtruncat ad
alma
aras.
Hoc erat ,
igues ,
parens , quod me , per tela
, per
Eripis ut mediis hoftem in penetralibus , utque
Alcaniumque patremque meum , juxtàque Crei-
{am ,
Alterum in alterius mactatos fanguine cernam ?
Arma , viri , ferte arma : vocat lux ultima victos.
Reddite me Danais , finite inftaurata revifam
Prælia : numquam omnes hodie ioriemur inulti.
Hic ferro accingor rursus : clypeoque finiftram
Infertabam aptans , meque extra tecta ferebam .
Ecce autem complexa pedes in limine conjux
Hærebat , parvumque patri tendebat Jülumn .
Si periturus abis , & nes rape in omnia tecum :
Sin aliquam expertus fumptis fpem ponis in armis
,
A O UST. 1773 . 13
De nouveau je m'élance au milieu des alarmes.
Je vais chercher la mort . Pouvez -vous m'ordonner
,
Mon père , en ce moment de vous abandonner ?
Voulez- vous ajouter au défaſtre de Troye
Et redoubler les maux que le Ciel nous envoie ?
Pyrrhus , bourreau d'un fils dans les bras paternels
,
Qui du fang de tous deux , inonda les autels ,
Va paroître en ces lieux & remplir votre attente .
O ma mère ! ô Vénus ! ta main toute puiffante
M'a donc fauvé du fer & des feux ennemis ,
Pour voir périr mon père , & ma femme & mon
fils.
Je les verrai baignés dans le fang l'un de l'autre.
Mon père... Au nom des dieux quel deffein eft le
vôtre ?
Vous ne m'écoutez point , vous ne me verrez plus:
Le trépas où je cours eft l'espoir des vaincus.
Mourons ; mais en mourant fignalons ma vengeance.
A ces mots je reprends mon épée & ma lance ,
Je fortois ; quel obftacle arrête encor mes pas ?
Creüle eft à mes pieds & mon fils dans fes bras .
«Si tu cours à la mort nous te fuivrons , dit elle :
»La plus promte pour nous fera la moins cruelle.
"
Mais plutôt , fi l'efpoir nous eft encor permis ,
14 MERCURE DE FRANCE.
Hanc primum tutare domum : cui parvus Iülus ,
Cui pater , & conjux , quondam tua dicta , relinquor
?
Talia vociferans , gemitu tectum omne replebat ,
Cum fubitum dictuque oritur mirabile monf
trum ;
Namque manus inter maftorumque ora parentum
,
Ecce levis fummo de vertice vifus lüli
Fundere lumen apex , tactuque innoxia molli
Lambere flamma comas , & circum tempora
pafci.
Nos pavidi trepidare metu ; crinemque flagrantem
Excutere , & fanctos reftinguere fontibus ignes.
At pater Anchifes oculos ad fidera lætus
Extulit , & coelo palmas cum voce tetendit.
Jupiter omnipotens , precibus fi flecteris ullis ,
Afpice nos , hoc tantum : & , fi pietate meremur ,
Da deinde auxilium pater , atque hæc omina
firma..
Vix ea fatus erat fenior , fubitoque fragore
Intonuit lævum , & de coelo lapfa per umbras
Stella facem ducens multâ cum luce cucurrit.
Illam , fumma fuper labentem culmina tecti ,
Cernimus Ideâ claram fe condere fylvâ ,
Signantemque vias : tum longo limite fulcus
Dat lucem , & latè circum loca fulphure fumant
Hic verò victus genitor fe tollit ad auras :
Affaturque Deos, & fanctum fidus adorat :
A O UST. 1773 . IS
»Défends dans tes foyers ton époule & ton fils ,
Et n'abandonne pas celle qui te fut chère. »
Je me fens déchiré : tandis que je diffère
Que l'écho retentit de fanglots & de cris ,
Un prodige nouveau s'offre à nos yeux furpris.
De la tête d'Afcagne une flamme légère.
Se lève , & , répandant une douce lumière ,
Voltige fur fon front , effleure les cheveux ;
Nous redoutons l'effet de ces célestes feux :
On court : chacun de nous s'emprefle à les éteindre.
Anchife nous arrête. « Amis , ceffez de craindre ,
Dit-il , puis élevant & les mains & les yeux ,
Il profère ces mots : « Puiflant maître des dieux ,
» Si vous êtes fenfible aux maux d'un miférable ,
" Daignez jeter fur nous un regard favorable ;
» Et fi nos voeux font purs & nos coeurs vertueux,
» Confirmez ce prélage en exauçant nos voeux.»
A peine il achevoit cette ardente prière
Qu'à fa gauche on entend un éclat de tonnerre :
Un aftre flamboyant tombe , & nous le voyons
Sur le faîte du toît épandre fes rayons .
Il laiffe dans les airs une trace brillante ,
Qui dans les bois d'Ida , fe plonge étincelante .
Vaincu par ce prodige , Anchife buvre les yeux :
Il adore l'étoile , il invoque les Cieux ;
16 MERCURE DE FRANCE .
Jam jam nulla mora eft , fequor , & quâ ducitis ,'
adfum.
Dii patrii , fervate domum , fervate nepotem .
Veftrum hoc augurium , veftroque in numine.
Troja eft.
Cedo equidem , nec , nate , tibi comes ire recufo.
Dixerat ille , & jam per moenia clarior ignis
Auditur , propiufque æftus incendia volvunt.
Ergò age , care pater , cervici imponere noftræ :
Ipfe fubibo humeris : nec me labor iſte gravabit.
Quo res cumque cadent , unum & commune periclum
;
Una falus ambobus erit , mihi parvus Iülus
Sit comes , & longè fervet veftigia conjux :
Vos famuli , quæ dicam , animis advertite veftris.
Eft urbe egreffis tumulus , templumque vetuftum
Defertæ Cereris : juxtàque antiqua cupreffus ,
Religione patrum multos fervata per annos.
Hanc ex diverfo fedem veniemus in unam.
Tu , genitor , cape lacra manu , patriofque Penates
.
Me , bello è tanto digreffum & cæde recenti
Attrectare nefas : donec me flumine vivo
Abluero.
Hæc fatus , latos humeros fubjectaque colla
Vefte fuper , fulvique infternor pelle leonis ,
Succedoque oneri : dextræ le parvus Iülus ,
Implicuit , fequiturque patrem non paffibus
æquis.
A O UST. 17 1773 .
Dieux puiffans , confervez ce qui refte de Troye ;
Mon fils , mon petit- fils : mon coeur s'ouvre à la
joie .
L'augure vient de vous ; je l'accepte , ô mon fils ,
Je ne réſiſte plus & par- tout je te fuis .
Il dit ; au même inſtant la flamme nous affiége ,
Nos murs font embraſés ; mon père , m'écriai - je ,
Ofez fur mon épaule échapper au danger ,
Un père pour un fils eft un fardeau léger..
Notre fort eft commun , mon péril eft le vôtre ;
Le falut d'un de nous fera celui de l'autre .
Approchez- vous , Afcagne , & ne me quittez pas.
Votre mère , mon fils , fuivra de loin nos pas.
Prêtez- moi , mes amis , une oreille attentive
Par des fentiers divers ren lons- nous fur la rive.
Là , parmi les débris du temple de Cérès ,
Près du tronc refpecté d'un antique cyprès ,
J'attends le ralliement de ma troupe chérie ,
Mon père , chargez -vous des dieux de la patrie ;
Mes mains teintes de fang n'oferoient y toucher ,
Je dois merendre pur avant d'en approcher.
Un peau de lion à mon col fufpendue
Auffi- tôt pour Anchife eft mollement tendue.
Précipitant fes pas , mon fils dans le chemin
Marchoit à mes côtés , me tenant par la main.
18 MERCURE DE FRANCE .
Ponè fubit conjux . Ferimur per opaca locorum :
Et
me , quem
dudum
non
ulla
injecta
movebant
Tela , neque adverlo glomerati ex agmine Graii ,
Nunc omnes terrent auræ , fonus excitat omnis
Sufpenfum , & pariter comitique onerique timentem
.
Jamque propinquabam portis , omnemque videbar
Evafifle viam , fubitò cum creber ad aures
Vifus adeffe pedum fonitus ; genitorque per umbram
Profpiciens : nate , exclamat , fuge , nate : propinquant
:
Ardentes clypeos atque æra micantia cerno.
Hic mihi nefcio quod trepido male numen amicum
Confufam eripuit mentem : namque avia curfu
Dum fequor , & notâ excedo regione viarum ,
Heu ! mifero conjux fato ne erepta Creüfa
Subftitit, erravit ne viâ , feu lafla refedit ,
Incertum nec poft oculis eft reddita noftris .
Nec priùs amiflam refpexi , animumque reflexi ,
Quàm tumulum antique Cereris , fedemque facratam
Venimus , hic demùm , collectis omnibus , una
Defuit , & comites natumque virumque fefellit.
Quem non incufavi amens hominumque Deorumque
?
Aut quid in eversâ vidi crudelius urbe ?
A O UST. 1773. 19
Creüle nous ſuivoit à travers les décombres ,
Nous cherchions les détours & les lieux les plus
fombres.
Moi , que rien n'effrayoit , je tremble au moindre
bruit
Pour celui que je porte & celui qui me fuit.
Nous étions raffurés , nous approchions des portes
,
Quand un fourd cliquetis d'armes de toutes fortes
Se fait entendre au loin : fuyez , fuyez , mon fils ,
Dit Anchiſe éperdu : voilà nos ennemis.
Ils approchent: déjà je vois briller leurs armes ,
Un Génie ennemi redouble mes alarmes :
Je m'égare en voulant m'écarter du chemin.
Est-ce un dieu malfaifant ou la loi du deftin ? ..
Ma tendre épouse , hélas ! diſparoît à ma vue ;
Et depuis ce moment elle eft pour moi perdue.
En nous raffemblant tous au temple de Cérès ,
Elle feule nous manque & cauſe nos regrets.
Les hommes & les dieux , que tour -à-tour j'accule,
Ont comblé tous mes maux en m'enlevant Creüfe ;
20 MERCURE DE FRANCE.
Alcanium , Anchifenque patrem , Teucrolque
Penares
Commendo fociis , & curvâ valle recondo.
Ipfe urbem repeto , & cingor fulgentibus armis.
Stat cafus renovare omnes , omnemque reverti
Per Trojam , & rursus caput objectare periclis.
Principio muros , obfcuraque limina portæ ,
Quà greffum extuleram , repeto : & veſtigia retrò
Obfervata fequor per noctem , & lumine luftro.
Horror ubique animos , fimul ipfa filentia rerrent.
Indè domum , fi fortè pedem , fi fortè tuliffet ,
: Me refero irruerant Danai , & tectum omne te◄
nebant.
Illicèt ignis edax fumma ad faftigia vento
Volvitur , exuperant flammæ, furit æftur ad auras.
Procedo ad Priami fedes , arcemque revifo.
Et jam porticibus vacuis , Junonis alylo ,
Cuftodes lecti Phoenix & dirus Ulyffles
Prædam affervabant : huc undique Troïa gaza
Incenfis erepta adytis , menfæque Deorum ,
Craterefque auro folidi , captivaque veftis
Congeritur : pueri & pavidæ longo ordine matres
Stant circum.`
AOUST. 1773. 21
Je pars , je recommande à mes triftes amis
Les dieux de la patrie , & mon père & mon fils .
Je retourne dans Troye , en reprenant mes armies ,
Dans des périls nouveaux je trouverai des char
mes.
Je fais tous nos détours dans une fombre hor
reur ,
Le filence & la nuit infpirent la terreur.
Peut être à ma demeure eft-elle retournée.
J'y vole : elle est en feu , de Grecs environnée.
La flamme eft par les vents roulée en tourbillons ,
Et femble fur les toîts fe creufer des fillons.
Je cours jufqu'au palais , & de la citadelle
Aux portiques déferts de Junon la cruelle ,
Ulyffe avec Phoenix y gardoient le butin ;
Vafes & trépiés d'or , immenfe magaſin ,
Aux autels arraché par le foldat avide ,
De femmes & d'enfans une troupe timide
Sont rangés à l'entour & deftinés aux fers
22 MERCURE DE FRANCE.
Aulus quinetiam voces jactare per umbram ,
Implevi clamore vias , maſtuſque Creüſam
Nequicquam ingeminans , iterùmque iterùmque
vocavi .
Quærenti , & tectis urbis fine fine furenti ,
Infelix fimulacrum atque ipfius umbra Creüfe
Vifa mihi ante oculos , & notâ major imago .
Obftupui , fteteruntque come , & vox faucibus.
hæfit.
Tum fic affari , & curas his demere dictis :
Quid tantùm infano juvat indulgere dolori ,
O dulcis conjux ! non hæc fine numine Divûm
Eveniunt : nec te hinc comitem afportare Creüſam
Fas , haud ille finit fuperi regnator Olympi.
Longa tibi exilia , & vaftum maris æquor arandum
.
Ad terram Hefperiam venies , ubi Lydius , arva
Inter opima virum , leni fuit agmine Tybris.
Illic res lætæ , regnumque , & regia conjux
Parta tibi : lacrymas dilecte pelle Creülæ.
Non ego Myrinidonum fedes Dolopumve fuperbas
Afpiciam , aut Graiis fervitum matribus ibo ,
Dardanis , & Divæ Veneris purus ;
A O UST. 1773.
23
Mes lamentables cris fe perdent dans les airs .
J'appelle mille fois une époufe chérie.
Son nom retentifloit : tandis que je m'écrie ,
Portant par-tout mes pas , égaré , furieux ,
Un spectre coloffal fe préfente à mes yeux.
C'eft l'ombre de Creüfe : effrayé, je m'arrête ,
Et d'horreur mes cheveux fe dretlent fur ma tête.
L'ombre me dit ces mots ; « Calmez votre dou-
» leur ,
» Chez époux , de nos maux le Ciel même eft l'au
> teur.
» Hélas ! l'unique voeu de la tendre Creüle
ל כ
Fut de fuivre vos pas ; Jupiter s'y refuſe.
Quand vous aurez long- tems erré de mers en
» mers ,
» Le bonheur vous attend : après tant de revers
» Vous verrez l'Helpérie, & fur les bords du Tibre
»Vous ferez fondateur & Roi d'un peuple libre :
» La fille d'un grand Roi vous donnera la main .
» Oubliez donc Creüife & fon triſte deſtin .
» Ne craignez point pour moi , qu'efclave dans la
» Grèce
» J'aille ramper aux pieds d'une fière maîtreſſe ,
Femme du grand Enée & fille de Vénus.
24
MERCURE DE FRANCE.
Sed me magna Deûm genitrix bis detinet oris.
Jamque vale , & nati ferva communis amorem .
Hæc ubi dicta dedit , lacrymantem & multa vo
lentem
Dicere , deferuit , tenuefque receffit in auras .
Ter conatus ibi collo dare brachia circum :
Ter fruftrà comprenfa manus effugit imago ,
Par levibus ventis , volucrique fimillima fomno.
Sic demum focios , conſumptâ nocte , reviſo.
Atque hic ingentem comitum affluxiffe novorum
Invenio admirans numerum , matrefque virol,
que ,
Collectam exilio pubem , miferabile vulgus .
Undique convenere , animis opibufque parati ,
In quafcumque velim pelago deducere terras.
Jamque jugis fummæ furgebat Lucifer Idæ ,
Ducebatque diem : Danaïque obfeffa tenebant
Limina portarum : nec (pes opis ulla dabatur.
Ceffi , & fublato montem genitore petivi ,
33 Par
A O UST. 1773. 25
Par Cybèle en ces lieux mes pas ſont retenus.
» Adieu : fouvenez - vous de notre cher Afcagne.»
Trois fois je tends les bras à ma tendre compagne
,
Trois fois elle m'échappe ; & les tendres adieux
Sont troublés par les pleurs qui coulent de mes
yeux.
Son ombre difparoît & dans la nuit fe plonge ,
Telle qu'un vent léger ou la vapeur d'un'fonge.
L'aurore paroifloit , je me rejoins aux miens :
Leur nombre étoit accrû d'un concours de
Troyens :
Hommes , enfans , vieillards , de tout fexe & tout
âge ,
Surchargés des débris de leur trifte naufrage.
Ils font prêts à me fuivre & m'offrent leur ſe
cours .
L'étoile du matin renouvellant ſon cours ,
Sur la cime d'Ida commençoit à paroîtie :
De la ville & des forts le vainqueur étoit maître :
Plus d'efpoir ; vers le mont précipitant mes pas ,
J'en atteins le fommet , mon père dans mes bras .
Fin dufecond livre de l'Enéïde.
B
26 MERCURE DE FRANCE .
EPIGRAMME .
Par le même.
POOUURR me diftraire ou pour me délaſſer,
Je lis Virgile & j'ole le traduire ;
Ainfi je puis m'exercer & m'inftruire
En m'épargnant la peine de penfer.
Mais c'eft lutter , dit- on , contre de Lille.
Quelle chaleur ! quelle verve ! quel ftyle !
Les vers latins par lui font éclipfés.
Ah ! c'en eft trop , & vous le rabaiffez.
Il eft moins beau , s'il l'eft plus que Virgile :
Refte à favoir fi je le fuis aflez .
LA DISSIMULATION PUNIE.
MISS HOVE & Mifs Sophie furent élévées
enſemble dans la même penfion , à
quelques milles de Londres . Leur âge
étoit à peu-près égal, & leurs qualités perfonnelles
l'étoient encore davantage ;
mais quoique leur famille fût du même
rang, Mifs Hove étant fille unique , avoit
de plus que fon amie l'efpérance d'une
fortune très-conſidérable.
A O UST. 1773 27
Lorfqu'elles furent rentrées dans la maifon
paternelle , Mifs Hove fut demandée
en mariage par le capitaine Fréeman , qui
fervoit dans les Gardes , & avoit quelque
bien de patrimoine. Mais ce parti ne paroiffant
pas affez avantageux , les parens
prièrent le jeune homme de mettre fin à
fes vifites , & la Demoiſelle de ne point
y penfer davantage . Cet ordre fi aifé à
donner eft fouvent dur à recevoir. Fréeman
étoit aimable : Mifs Hove étoit fenfible
, & fon coeur s'ouvroit à l'amour. II
fallut effacer cette première impreffion ;
le combat fut pénible , mais enfin elle
remporta fur elle - même cette trifte victoire.
Cependant, pour aider Mifs Hove
dans fes réfolutions , on jugea qu'il étoit
néceffaire de lui faire paffer quelques mois
à la campagne . On l'envoya chez fa tante
Milédy Meadows , qui s'étoit retirée dans
fes terres avec fa fille à plus de vingt- qua
tre milles de la capitale. Elle refta depuis
le mois d'Avril jufqu'au mois d'Août
dans cette folitude , fans autre occupation
que fon ennui . Un foir elle fut fort étonnée
de voir arriver fon père avec le fieur
James Forreft , jeune gentilhomme qui
venoit d'hériter du titre de Baron & d'une
fortune immenſe . Sir James étoit d'un
heureux caractère & d'une figure préve
Bij
28 MERCURE DE FRANCE,
nante. Mifs s'ennuyoit : cette nouvelle
compagnie lui plut. Sa vanité avoit un
objet , & quelquefois ce fentiment tient
lieu d'amour. Enfin par foumiffion pour
fon père , par égard pour fes amis , par
complaifance pour fon amant , Mifs confentit
à quitter le trifte état de fille pour
devenir femme & Milédy. Les deux jeu
nes époux demeurèrent à la campagne juf
qu'au mois d'Octobre , & la quittèrent
pour retourner à Londres. Il preffèrent
avec tant d'inftance leur tante , qu'elle
confentit à les accompagner , & la jeune
Mifs Meadows, qui connoiffoit les plaifirs
de la campagne pendant l'été , ne fut
pas fâchée de connoître ceux de la ville
pendant l'hiver,
Lorfque le capitaine Fréeman eut appris
que Mifs Hove étoit mariée , il fit fes
propofitions à Mifs Sophie avec laquelle
il avoit fait connoiffance lorfqu'il faifoit
la cour à fon amie, & peu de tems après il
l'époufa .
L'amitié des deux jeunes Milédy parut
s'accroître encore avec la liberté que leur
nouvel état leurdonnoit. Elles partageoient
tous leurs plaifirs & fe voyoient familièrement
fans les formalités ordinaires de
la parure & de l'étiquette, Cependant James
Forrêts & Milédy Fréeman firent fé
A O UST. 1773 .
26
parément quelques réflexions chagrines
fur ces fréquentes entrevues : ils fongèrent
que cette familiarité rapprochoit
deux amans que la force feule avoit féparés
; & quoiqu'ils fuffent toujours témoins
de leurs vifites , James devint infenfiblement
jaloux de fon époufe , & Mde Fréeman
jaloufe de fon mari.
Il arriva qu'au mois de Mai fuivant ,
James Forret fut obligé de fe rendre à dix
milles de Londres pour être préfent à l'élection
d'un membre du parlement de fon
Comté. Comme il ne devoit revenir que
le lendemain , Milédy prit des porteurs
& fe rendit chez Milédy Fréeman . La
compagnie fe retira de bonne- heure. Le
capitaine étoit de gatde. Les deux maris
étoient abfens, & les deux femmes restées
feules, foupèrent & jouèrent enfemble au
piquet. La converfation & le jeu les conduifirent
infenfiblement jufqu'à trois heu
res du matin . Milédy Forreſt vouloit rerourner
chez elle , mais Mde Fréeman
peut- être pour cacher un defir contraire ,
la preffa de refter jufqu'à ce que le capitaine
fût de retour. Il revint à cinq heu-
& auffi-tôt Milédy envoya chercher
des porteurs ; il étoit difficile d'en trouver
, & en effet l'on ne trouva qu'un ca-
›
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
roffe de louage que l'on fit approcher . Le
Capitaine lui offrit poliment de l'accompagner
chez elle , ce qu'elle refufa avec
quelque émotion . Il eft probable qu'elle
regardoit toujours le capitaine avec moins
d'indifférence qu'elle n'auroit fouhaité , ce
qui lui faifoit encore mieux fentir tout ce
que cetre offre avoit d'embarraffant :mais
quoique fa raifon fût affez forte , comme
elle ne pouvoit la donner , il infiſta &
elle fut obligée de céder. Le capitaine , par
cette complaifance indifcrette, avoit tout
à la fois gêné Milédy Forreft , & déplu à
fon époule , qui cependant ne pouvoit s'y
oppofer fans impoliteffe . Au contraire ,
pour diffimuler fon petit chagrin, elle affecta
de fe joindre aux inftances de fon
mari , & crut même fe venger de lui , en
difant d'un air d'indifférence qu'elle alloit
fe coucher fur le champ , & qu'il ne
la réveillât point à fon retour . Elle ajouta
en étendant les bras avec une efpèce d'engourdiffement
: je dormirai dans cinq mi
nutes .
Milédy Forrest & le capitaine allèrent
de Haymarket au quarré de Grofvenow .
Il étoit près de fix heures lorfqu'ils montèrent
en voiture. L'aurore promettoit le
plus beau jour . Ce dernier combat de poA
O UST. 1773 :
litefle avoit tout- à - fait chaffé le fommeil,
& Milédy en regardant le Ciel , dit , fans y
penfer , qu'elle iroit plus volontiers fe
promener au Parc que coucher chez elle,
Le capitaine témoigna avec beaucoup
d'empreffement le même fentiment , &
propofa à Milédy de la conduire au Parc
St James. Elle fentit fon indifcrétion &
vit bien qu'il étoit auffi imprudent d'aller
feule avec lui à la promenade, qu'il l'avoir
été de s'expofer à être vue en tête à - tête
dans une voiture publique. Pour fe débarraffer
de cette feconde difficulté , elle
fe détermina à aller chez fon père dans
Bond Strect pour prendre avec elle fa
coufine Meadows, qui fe levoit volontiers
de bonne-heure . Mais elle la trouva indifpofée
d'un rhume,& lorfqu'elle lui eut
fait part de fon deffein , fa coufine la pria
de renoncer à fa promenade & de retourner
tout fimplement chez elle , dès qu'elle
auroit déjeûné. Non , répliqua Milédy Forreft
: je fuis décidée à m'aller promener;
mais comme il faut que je me débarraffe
du Capitaine qui m'attend à votre porte,
je vais lui faire dire que je refte avec vous,
Auffi- tôt on fit defcendre un laquais pour
dire au capitaine Fréeman que Mifs Méadows
étoit indifpofée , & avoit engagé
Lady Forreſt à déjeûner.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE:
Le Capitaine defcendit de fa voiture ,
& la renvoya ; mais piqué de l'indifférence
affectée de fa femme, & fentant ce flux
d'efprits qui nous ranime & cette fraîcheur
rivale du fommeil qui nous rend le
matin ce que nous avons perdu par l'infomnie
, il réfolut de jouir de cette belle
matinée , & fut feul fe promener au Parc .
Lady Forrest ne douta point qu'il ne fût
immédiatement rentré chez lui ; elle voulut
auffi fatisfaire fa première idée de promenade
, & tout en fe félicitant d'être délivrée
de la compagnie du Capitaine , elle
le fuivit à St James.
Elle n'avoit pas fait cent pas lorfqu'elle
apperçut le Sr Fréeman . Dès le moment
qu'elle le vit , toutes les circonstances de
fa conduite fe rapprochèrent dans fon efprit.
Comment le Capitaine pouvoit - il
ne pas lire dans ces fauffes défaites , dans
ces petits détours , dans ces prétextes affectés,
le fentiment qui les avoit produits,
& quel avantage ne pouvoit- il pas en retirer
? D'ailleurs Milédy ne fe trouvoit- elle
pas précisément dans la même fituation
qu'elle croyoit avoir tant de raifons d'éviter
? Cependant un mot pouvoit tout réparer
la prudence devoit faire parler la
vérité ; mais la fierté naturelle & la politeffe
, fruit de l'éducation , lui confeillèAOUST.
1773 33
tent de diffimuler fon trouble & fervirent
de voile à fa confufion . Elle ne voulut
point laiffer foupçonner à Fréeman qu'elle
eûr eu le deffein d'aller au Parc lorfqu'elle
l'avoit congédié à la porte de fon
père , & affectant le calme d'un héros qui
fourit au milieu des fouffrances , elle lui
dit qu'elle étoit charmée de le revoir ;
qu'elle avoit changé deux ou trois fois de
réfolution , & ne donna pour toute excufe
que la légèreté de fon efprit , attribut ordinaire
de fon fexe . Ce difcours ne lui
laiffoit plus la liberté de fe retirer , & ils
fe promenèrent enfemble jufqu'à huit ou
neuf heures. Mais le teins changea toutà-
coup: un vent du midi raffembla les
nuages difperfés , & la pluie tomba avec
violence. Ils étoient près de Spring- Gardens
on fit avancer une chaife . Le Capitaine
y renferma Milédy , & prit congé
d'elle.
Cependant le Baronet James Forreft ,
qui devoit paffer la nuit hors de la ville ,
changea de réfolution & revint coucher à
Londres le jour même qu'il en étoit parti.
Il apprit chez lui que fa femme paffoir
la foirée chez le capitaine Fréeman , & il
fut intérieurement fâché qu'elle eût fair
sette vifite en fon abfence. La magie de
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
la jalousie lui groffit l'importance d'une
chofe fort fimple en elle -même. Mais la
réflexion condamna ce premier mouvement
, puifqu'il avoit pour garant de fon
honneur les fentimens de fa femme , &
fur-tout la préſence de la femme du Capitaine.
Pendant que la jaloufie combattoit
avec la raiſon, fes foupçons augmentoient
avec la nuit . Il fe coucha pour veiller. Il
doutoit fi l'abſence de ſa femme étoit l'ef.
fet du hafard ou de fa volonté : il frémiffoit
au moindre bruit , prêtoit l'oreille
avec avidité aux moindres mouvemens ,
& fon efprit s'égaroit dans une multitude
de fuppofitions extravagantes. Il fe leva
dès la pointe du jour, après avoir délibéré
long- tems s'il devoit attendre fon épouſe.
L'impatience de fa curiofité l'emporta ; à
huit heures il fe détermina à aller chez le
capitaine Fréeman , & dit à fes gens qu'il
alloit au café voisin.
R
James Forrest n'étoit pas le feul dans
cette pénible fituation ; Mde Fréeman
dont l'indifférence affectée , & le befoin
de fommeil fuppofé avoit décidé le Capitaine
à ne point retourner chez lui , fouf
froit, pendant fon abfence , tous les tourmens
d'une inquiétude inexprimable : elle
n'avoit affurément ni l'intention de fe cou
A O UST. 1773 35
cher, ni l'envie de dormir; elle fe promenoit
dans fon appartement , & fon efprit
en fufpens , tourmentoit fon coeur jaloux,
lorfqu'on lui annonça l'époux de fon ami.
James Forrest vit auffi- tôt fur fon vifage
fa douleur & fes larmes. Sa tendreffe fut
plus alarmée que fa jaloufie , &il crut
qu'il étoit arrivé quelque accident funefte
à fon époufe ; mais il apprit qu'elle & le
capitaine étoient fortis depuis cinq heures
du matin , & qu'il n'étoit point encore de
retour. Mde Fréeman apprit de fon côté
que Milédy Forreft n'etoit point encore
rentrée chez elle . Tous leurs foupçons réciproques
furent confirmés par ces détails ,
& la jaloufie de Mde Freeman , quoiqu'elle
s'efforçât de la cacher pour prévenir
un duel , ne fervit qu'à augmenter
celle du Baron. Il réfolut donc d'attendre
le capitaine le plus décemment qu'il feroit
poffible , & jamais peut- être deux perfonnes
ne furent plus embarraffées en la
préfence l'une de l'autre . Quand le déjeû
ner fut fervi , le docteur Taltle vint faire
la vifite du matin , & on le fit entrer au
grand regret de Madame & du Baron . Le
Docteur étoit un de ces hommes qui ne
font que jafeurs & que l'on croit plaifans ;
il fit fentir à Mde Fréeman que fon efprit
B vi
36
MERCURE
DE
FRANCE
. n'étoit pas libre , & il s'efforça de l'amu
fer ; mais fa dépenfe d'efprit fut inutile : il
lui dit enfin d'un ton ironique & d'impor
tance , qu'il pouvoit lui apprendre
une
nouvelle qui la rendroit férieufe pour de
bonnes raifons . Le Capitaine , continuat'il
, vient de cacher une femme dans une
chaife , à la porte d'un baigneur
, proche
Spring Gardens. Il s'apperçut fur le champ
que ces paroles produifoient
une émotion
violente , & pour corriger fa maladreffe ,
il ajouta qu'elle ne devoit pas être jaloufe,
& que la perfonne dont il parloit ,
étoit , autant qu'il en avoit pu juger , par
les apparences , de la première diftinction.
Cette particularité
acheva de confirmer
le foupçon qu'il vouloit éloigner : il vit
bien qu'il n'étoit pas en fibonne compagnie
qu'à l'ordinaire , & il fe retira. Mais il
rencontra à la porte le Capitaine qui le fit
rentrer . Sa préfence , quoique fans conféquence,
impofa quelque retenue au Baron.
Il prit l'air le plus calme qu'il lui fut poffible
, & demanda à Sir Fréeman , avec un
ton badin , ce qu'il avoit fait de fon époufe
; le Capitaine héfita , & lui dit qu'il l'avoit
laiflée le matin chez fon père , & que
s'étant fait un devoir de l'attendre pour la
conduire chez elle , elle lui avoit fait dire
A O UST. 1773. 3.7
·
que fa coufineMeadows étoit indifpofée,
& l'avoit engagée à déjeûner. Le Capitaine
, qui ignoroit les rapports du Docteur
, crut devoir cacher la vérité à fa
femme , & à Sir James , & l'envelopper
fous ce menfonge indirect. Il fuppofoit ,
il est vrai , que Sir James iroit immédiatement
chez fon beau père , & apprendroit
que fa femme n'y étoit point restée ;
mais comme il ne s'enfuivoit pas qu'ils
euffent été enſemble , il lui laiffoit la li
berté de donner le prétexte qu'elle jugeroit
à propos , s'imaginant bien qu'elle
auroit les mêmes raifons que lui pour diffimuler
, & que fi elle difoit la vérité.
comme iln'avoit rien dit de contraire , il
ſe juſtifieroit par quelque plaifanterie qui
ferviroit de voile à fa difcrétion . Sir James
, content de cette explication , quitta
Monfieur & Mde. Fréeman , & fut fuivi
par le Docteur,
Les deux époux demeurèrent feuls , &
il fallut bientôt fatisfaire la jaloufe curiofité
de Mde Eréeman.fur certe femme
que l'on avoit vue entrer dans une chaife.
Lorfque le Capitaine apprit que Sir Jamesavoit
été témoin de la converfation du:
Docteur , il craignit pour Milédy Forrest
les fuites. d'un éclairciffement , & fur- tont
38 MERCURE
DE FRANCE .
que cette jeune femme n'augmentât les
foupçons de fon mari , en cachant une
conduite dont il ne pouvoit pas manquer
de s'inftruire au plutôt. Il fe condamna
lui- même ; & pour mieux tranquilifer fa
femme & obtenir fon fecours , il avoua
tout ce qui s'étoit paffé , & lui fit part de
toutes fes craintes . Il la preffa de fe rendre
chez Lady Mifs Meadows , afin de
concerter enſemble les moyens d'inftruire
Lady Forreft , & de l'avertir d'être fincère.
Le Capitaine paroiffoit trop affecté
pour n'être pas de bonne foi. La jaloufie
de fon époufe fe changea en inquiétude
pour fon mari , & en compaffion pour fon
amie ; elle fe hâta d'aller chez Mifs Méadows
, & apprit que Sir James avoit interrogé
les domestiques , & qu'on lui avoit
répondu que fa femme étoit venue de
bonne heure avec le Capitaine , mais
qu'elle étoit fortie quelques inftans après
lui. Elle raconta à Mifs Méadows ce que
fon mati lui avoit appris ; & , dans le cas
où Sir James ne feroit pas rentré immédiatement
chez lui , elle écrivit le biller
fuivant.
"Ma chère Milédi Forreft , Sir James a
des foupçons que la vérité feule peut
» détruire , & dont mon indiferétion eft
A O UST. 1773. 39
» la cauſe. Si je n'avois pris le foin injuſte
» de cacher à mon mari l'impatience
» avec laquelle j'allois l'attendre , vous
» vous feriez débarraffée de lui , fuivant
» votre premier projet que j'apprends par
» Mifs Méadows. Sir James eft venu
» chez moi à Haymarket , & eft allé delà
» chez votre père où je vous écris . Il fçair
» que vous y êtes reftée peu de tems , & a
» des raifons pour croire que le Capitaine
» vous a donné la main pour monter en
» chaife quelques heures après , à Spring-
» Gardens. J'espère , ma chère Lady , que
» cette lettre vous fera remife affez tôt
» pour vous prévenir de ne rien diffimu-
» ler. Il feroit plus agréable pour vous
que Sir James n'eût rien fu , & ne fût
» pas en droit de foupçonner fon épouse ;
» mais actuellement il faut qu'il fache
» tout , ou vous ne pouvez vous juftifier.
» Pardonnez la franchife avec laquelle je
vous écris , & croyez-moi la plus affec-
» tionnée de vos amies ,
»
» SOPHIE FREEMAN.
» PS. J'ai donné ordre au porteur de
dire qu'il venoit de chez Mde Fashion
votre marchande de modes . »
On remit cette lettre à un commiffionmaire
avec ordre de dire qu'il venoit de
40 MERCURE
DE FRANCE.
chez cette Dame Fashion . On craignoit
que Sir james n'eût la curiofité de la lire ,
fi elle tomboit par hafard entre fes mains,
& de queftionner fa femme fans lui faire
part du contenu .
Sir James, convaincu par la réponſe de
fon beau père que fon époufe avoit paffé
la matinée avec le Capitaine , retourne directement
à fa maifon . Milédy étoit arrivée
avant lui , & n'étoit pas encore remife
du trouble & de la crainte qui l'avoit
faiffe , quand elle apprit que Sir James
étoit revenu la veille au foir. La plus légère
indifcrétion dans l'ordre moral ne
demeure jamais impunie Lady Forrest vit
avec effroi toutes les conféquences de la
fienne , & cet effroi fur fon premier châtiment.
On lui dit que fon mari étoit au
café ; mais il ne tarda pas à revenir ; elle
l'entendit frapper , & le coup paffa jufqu'à
fon coeur. Tout fon corps en frémit . Sic
James la regarda avec l'oeil de la colère ,
& n'attribua fa terreur qu'au fentiment de
fon crime. Il devint pâle de rage , & d'autant
plus furieux qu'il vouloit le paroître
moins : il lui demanda d'un ton auffi froid
qu'effrayant , où & comment elle avoit
paffé la nuit. Elle répondit qu'elle étoit
seftée chez Mde Fréeman jufqu'au retour
A O UST. 1773 . 47
du Capitaine , qui étoit de garde , qu'il
avoit infifté pour la reconduire chez elle,
mais qu'elle s'étoit fait defcendre chez
fon père , où il l'avoit laiffée le matin. A
ces mots le courage l'abandonnna , & fa
langue demeura glacée dans fa bouche Ce
filence fubit dépofoit contr'elle , & drfoit
plus de chofes qu'elle ne vouloit en taire.
Sir James infifta . « En quittant votre père,
» êtes - vous venue directement chez
» vous ? » Cette queftion & le ton dont
il la fit augmenta la confufion de Milédy.
Perfuadée que fon mari n'avoit été qu'au
café , elle ofa répondre : « Oui , Mon-
» feur , j'ai quitté Mifs Méadows à huit
heures , & j'étois de retour ici quelques
inftans avant vous ; mais la vérité a toujours
un air & un langage fimples comme
elle , & le menfonge foit avec la hardieffe
pénible qu'on lui prête , foit avec la timi
dité naturelle qui le fuit , a toujours des
caractères honteux qui le trahiffent . Sre
James les reconnut , & ne douta plus de
fon malheur & de fa honte . Ce récit s'ac
cordoit avec celui du capitaine Fréeman.
L'un avoit caché la vérité que l'autre nioit.
Il conclut qu'ils étoient d'intelligence , &
fe détermina à venger fon outrage ; il la
quitta brufquement , prit fon épée , &
fortit.
42 MERCURE DE FRANCE .
Il rencontra à la porte le meffager que
Mde Fréeman avoit envoyé à Milédy , &
lui demanda ce qu'il venoit faire dans fa
maifon. Celui- ci montra la lettre, & dit,
comme on lui avoit ordonné , qu'il venoit
de chez la Dame Fashion. Sir James
prit le billet , murmura quelques expreffions
de colère & de mépris , & le mit dans
La poche.
Le Capitaine n'étoit point chez lui. Sir
James l'invita par un billet à fe rendre au
café voiſin , & lui recommanda de prendre
fon épée.
Cependant Milédy Forreſt appréhendant
que fon époux ne découvrit fa fauffeté ,
écrivit deux mots au Capitaine , & le conjura
comme homme d'honneur de ne
point avouer à Sir James, ni à qui que ce
fût , qu'il l'eût vue après l'avoir quittée
chez fon père ; elle pria auffi par écrit fa
coufine Méadows de dire à Sir James
qu'elle n'étoit fortie de chez elle qu'à huit
heures paffées.
Ce dernier billet arriva chez Mifs Méadows
auffi tôt après le retour du meſſager
qui rapporta le fort de la lettre dont
on l'avoit chargé . Mde Fréeman venoit
de partir pour inftruire le Capitaine , avant
qu'il revit Sir James ; mais le Capitaine
A O UST. 1773 . 43
de retour chez lui , avoit reçu tout à-lafois
, le billet de Sir James , & celui de
Milédy fon époufe. Il fe rend immédiatement
au café , & monte à l'appartement
où il étoit attendu. James Forreſt reçut
fon falut fans lui rendre , & ferma fur le
champ la porte. Sa jaloufie étoit mêlée de
cette indignation & de ce mépris que
l'orgueil jette toujours fur un inférieur
qui l'outrage. Il demanda avec hauteur
au Capitaine s'il n'avoit point vu fa femme
après l'avoir laiffée chez fon père.
Fréeman irrité lui répondit , fur le même
ton , qu'après ce qu'il lui avoit dit le matin
, nul homme n'avoit le droit de fuppofer
qu'il eût vu Milédy ; qu'infinuer le
contraire , c'étoit le charger d'une fauffeté,
& qu'il n'y connoiffoit qu'une réponse ,
que tout gentilhomme devoit connoître.
Sir James ne laifla plus de frein à fa fureur.
Fourbe exécrable ! s'écria - t'il avec
imprécation , toi qui m'ôtes l'honneur ,
arrache- moi donc auffi la vie. Quoique
le Capitaine eût le deffein d'être modéré
avec fon ami , & de le réconcilier avec
fa femme , il fut auffi furieux qu'il avoit
droit de l'être ; il tira fon épée , & , après
quelques bottes portées des deux côtés
avec une égale furie, il reçoit dans la poi44
MERCURE
DE FRANCE .
trine le fer de fon am!, chancelle & tombe
à la renverſe.
Le bruit avoit attiré beaucoup de monde
à la porte de leur appartement , & elle
fut forcée dans le moment que le Capitaine
reçut le coup mortel . On artêta Sir James
, & on fit venir un chirurgien . Le
Capitaine fentit la mort approcher. C'eft
alors que l'homme connoît fon devoir &
perd fes préjugés. Quelles que fuffent fes
idées fur le point d'honneur , il crut que
fila franchife eût été criminelle quelques
inftans auparavant , la diffimulation le
feroit encore plus à cette heure , & que fon
meurtrier avoit des droits fur une vérité
qu'il devoit cacher à fon ami . Il fit paroître
le defir de lui parler en particulier , &
auffi tôt les affiftans fe retirèrent & fe contentèrent
de faire la garde à la porte . Fréeman
fit figne à fon ami de s'approcher ,
& lui dit que quoique l'orgueil ou la
crainte euffent pu conduire Milédy à la
diffimulation qui l'avoit trahie , elle étoit
innocente du crime qu'on lui fuppofoit le
deffein de cacher. Alors il lui fit un court
récit de ce qui étoit arrivé. Il finit par lui
ferrer tendrement la main , & le preffa de
s'échapper par la fenêtre , & de conferver
un ami à fa veuve & à fon fils , û l'afflic
tion de fa mère lui permettoit de recevoir
A O UST. 1773. 49
le jour. Sir James céda à fes motifs & à
fes prières , & fe fauva comme le Capitaine
lui avoit confeillé. Dans fon chemin
de Douvres il lut la lettre que le commiffionnaire
lui avoit remife à la porte ,
il la renferma dans le billet fuivant , qu'il
adreffa à fon épouse,
Ma chère Hove , je fuis le plus infor
tuné des homines ; mais trop heureux
» encore de n'avoir point à vous repro-
» cher d'en être la caufe. Plût au Ciel que
je ne fuffe point plus coupable que vous;
» nous fommes les martyrs de la diffimu-
» lation : c'est elle qui à déterminé mon
» ami à paffer avec vous des momens dont
» il pouvoit jouir dans les bras de fon
» époufe , qui avoit elle même trahi fes
» defirs . Trop affurée du fuccès de votre
» détour , vous avez hafardé d'aller au
» Parc , où vous avez rencontré celui que
» vous vouliez éviter. La diffimulation
» du Capitaine que j'ai découverte , a ac-
» crû mes foupçons que la vôtre à confir-
» més. Mais votre faufferé eft le fruit de
» la mienne . La vôtre a été fans effet , la
mienne feule a eu le malheur de rée flir,
» J'ai dit en partant que je n'allois qu'au
café , afin que vous ne puffiez foupçon
» ner que j'étois trop inftruit pour être
» trompé ; & vous l'avez cru, Un meng
46 MERCURE DE FRANCE.
fonge mis dans la bouche d'un valet
» m'a empêché de lire un billet qui m'au-
» roit détrompé , & le Capitaine , trop
» fidèle à fa première feinte , a rendu ſa
» femme veuve & fon ami fugitif. C'eſt
ainsi que la mauvaiſe foi , quelque fuc-
» cès qu'elle puiffe avoir d'abord , ne conn
30
duit jamais qu'à l'infortune . O ma chère
» Hove ! fijamais le fort nous réunit ....
» Hélas ! feroit- il donc impoffible de nous
» revoir encore & d'être heureux? Mais fi
jamais je puis embraffer mon épouſe
» prenons la réfolution d'être fincère . Être
» fincère, c'eſt être fage , innocent & tranquille.
Nous hafardons de commettre
» des fautes , que la honte ou la crainte
préviendroit , fi nous n'avions pas l'ef-
» pérance de les cacher par un menfonge.
» Mais dans le labyrinthe de la fauffeté
» les hommes rencontrent les maux qu'ils
» veulent éviter. Le fentier feul de la vé-
» rité eft le chemin fûr qui conduit au
» bonheur. Adieu ... Je fuis ; .. ma main
» tremble , .. je ne puis rien figner ....
Que je dois me hair ! ... Que je me
hais ! ... adieu . ... adieu ... »
Quelques femaines après avoit reçu
cette lettre , la malheureuſe Milédi apprit
que fon mari avoit fait naufrage en paffant
en France.
A OUST. 1773 . 47
SUITE & fin de l'Eté. Chant fecond du
Poëme des Saifons ; imitation libre de
Thompson.
V
Nuit d'Eté.
ERS l'horifon l'aftre du jour s'abaifle ,
Et s'élargit en approchant des flots :
Donnant relâche à fes bouillans chevaux ,
Si l'on en croit les chantres de la Grèce ,
Au fein des mers il goûte un doux repos.
De fes rayons la fplendeur qui s'affaille ,
Tempère alors la chaleur de fes feux :
Il jette encore un regard lumineux
Et difparoît fous la mer qui le prefle.
Ainfi le jour s'échappe pour jamais !
Vérité trifte à la fois & fublime !
Retour fatal qui fait pâlir le crime ,
Mais qui du fage augmente encor la paix !
De plus en plus les ombres s'épaififfent ,
La nuit enfin vient s'emparer des airs :
Tout fe confond ; les objets s'obfcurciflent
Et l'horizon eft fillonné d'éclairs .
Un vent plus frais ranime la campagne ;
Son fouffle doux fait ondoyer les champs :
Dans le boccage on n'entend plus de chants ;
48 MERCURE
DE FRANCE
.
Le Ramier feul pleure encor fa
" compagne
Que l'oifeleur lui ravit au printems.
En ramenant le troupeau de fon père ,
Le jeune Alain rencontre la bergère ,
Vole auprès d'elle & lui peint fon tourment.
Le calme règne ; on voit le ver luifant
Sur les gazons , que fa prélence éclaire ,
Rouler fans bruit fon corps étincelant
Vénus annonce à l'amant ſolitaire
L'inftant chéri qui comble ſes deſirs ,
Inftant heureux , où le fombre myſtère
Conduit l'amour & préfide aux plaifirs !
Quels vaftes champs ! que de clartés tremblantes
De leur éclat ornent le firmament !
Ces feux légers , ces lumières errantes
De toute part fuyent en ferpentant.
Dans le milieu de la voûte céleſte ,
Vers le foleil précipitant ſon cours ,
L'oeil enflammé , la comète funefte
Annonce aux Grands le terme de leurs jours ;
Mais au deflus de la crainte fervile
Qui fait pâlir le vulgaire ignorant ,
Le fage obferve avec un front tranquille
Le cours réglé d'un Aftre bienfaifant .
Eloge de la Philofophie.
Fille du Ciel , chafte Philofophie.
Que ton éloge embellifle mes chants !
Source
A OUST 49 1773 .
Source de biens , doux charme de la vie,
Ta voix fublime enfante le génie ,
Et ton éclat féconde les talens.
C'eft fous tes loix que l'ame encouragée
Tente avec fruit un eflor généreux ;
C'est avec toi que , des fers dégagée ,
Elle s'élève & plane dans les Cieux.
C'est par tes foins , que d'une aîle rapide
De la fcience elle atteint la hauteur ;
C'eſt à l'abri de ta puiffante égide,
Que la vertu la conduit au bonheur.
Tu développe à l'oeil contemplateur ,
L'ordre infini , les loix de la nature :
Du vil atome à l'Ette créateur ,
De l'Univers tu traces la ftructure ,
Et tu remplis de fon fublime Auteur.
- Embellis- tu l'augufte poësie ,
Elle s'élève & plait en s'élevant :
A l'éloquence unjiant l'harmonie,
Elle s'anime & peint le fentiment.
2510
Que deviendroit fans toi l'homme ignorant ?
Privé des biens queta préfence octroie ,
Na , fans appui , tel qu'un (auvage errant ,
Dans les forêts il chercheroit la proie.
Des doux liens de la fociété
Il n'eût jamais favouré les délices :
Timide enfant, de frayeurs tourmenté ,
C
14
15.0
MERCURE DE FRANCE.
Toujours penché fur d'affreux précipices ,
Sans vivre un jour il auroit végété.
Sur les chagrins qui confument fa vie
Ta main foigneule a répandu des fleurs :
Quand tu parus , chafte Philofophie ,
Le monde entier éprouva tes faveurs .
Loin d'en rester à cette étroite ſphère ,
Tu fçais foumettre à tes calculs hardis?
Les champs des airs , efpaces infinis
Que le foleil empreint de fa lumière ,
Et , dominant fur la Nature entière ,
Tufixes l'oeil fur ces mondes roulans ,
Sur le foyer de ces váltes volcans
Dont tu décris l'inégale carrière.
Ta voix commande à l'auftère raiſon
Qui , pénétrant les vérités abftraites ,:
Se les foumet : l'imagination
Te prête auffi les ailes indifcrettes .
Mais arrêtons : à notre entendement
L'Eternel mit des bornes immuables :
Les vérités ne font plus pénétrables ,
Et c'eft à nous d'adorer en tremblant.
Faibles humains , c'eft affez de connoître
Que notre effor doit être limité :
Le voile épais qui s'étend fur notre être
Eft le fecret de la Divinité.
A
bet
Par M. Willemain d'Ablancourt.
I
I
A O UST . 1773 .
SI
VERS pour un PORTRAIT.
SENSIBLE, ENSIBLE , généreux , rempli de bienfaisance ,
B ***. par fa candeur digne du fiècle d'or ,
Joint tout le feu d'Achille au fang froid de Neftor ;
Le plaifir d'obliger fait feul fa récompenfe.
De tout infortuné fublime protecteur ,
Il n'eft point de mortel , ni meilleur , ni plus fage :
Il réunit enfin , par un rare affemblage ,
Les charmes de l'efprit & la bonté du coeur.
Par le même.
J'AI
MADRIGAL.
' AI long- tems cherché le bonheur ;
Mais , hélas ! je perdis ma peine ,
Je n'embraflai qu'une ombre vaine ;
Je fus le jouet de l'erreur.
Las d'une recherche inutile ,
J'y renonçais ... Zélis m'ouvrit fou coeur;
Je le trouvai dans cet afyle.
Par le même..
Cij
52
MERCURE
DE
FRANCE
.
L'OFE & LE LOU P.
Fable imités de l'allemand.
ON ofe nous taxer de manquer de courage ,
Difait une Oie au milieu d'un étang :
On n'ignore pas cependant
Qu'un monument *
Par nos cris autrefois fut fauvé du pillage.
Oui , l'Oie eft intrépide en dépit des jaloux,
D'être avides de fang on nous accufe , nous !
Difait defon côté le Loup au bord de l'onde.
Une Louve , on le fait , allaita Romulus :
Voilà pourtant comme le monde
Effrontément dégrade les vertus !
Un Milan s'annonce à l'Aurore ,
Et l'Oic au même inſtant de s'enfoncer fous l'eau :
Le Loup apperçoit un Agneau ;
Il s'en faifit & le dévore,
L'orgueil eft à vanter les faits
D'une activité furprenante :
Méfiez-vous de quiconque fe vantę ;
Le mérite cft modefte & ne parle jamais .
* Le Capitole,
Par le même.
A O UST . 1773 . 53
DIALOGUE
Entre MARIE D'ANGLETERRE &
MARIE MIGNOT.
MARIE D'ANGLETERRE.
L'AMOUR me fit defcendre du
Reine à celui de fimple Comtelle .
rang de
MARIE MIGNO T.
L'amour me fit monter du rang de fimple
Bianchiffeufe à celui de Reine .
M.
D'ANGLETERRE.
Voilà une belle fortune.
M. MIGNO T.
Je la dus à un accident qui m'humilia
encore plus que tous ces honneurs ne me
flattèrent.
M.
D'ANGLETERRE,
Je vous demande ma part de l'anecdote
; elle promet d'être piquante.
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
M. MIGNO T.
Elle me coûte encore à rapporter. J'habitois
le village , & venois d'être fiancée
à un villageois qui bornoit tous mes
goûts , & toute mon ambition . Je danfois
avec lui , & c'étoit pour lui feul que
je m'efforçois de bien danfer . Une indifcrétion
de la Nature * dérangea tous les
projets de l'amour . Elle fit rire toute l'affemblée
, excepté mon futur & moi . Il
prit même fi tragiquement la chofe , que
dès ce moment il protefta qu'il ne m'épouferoit
jamais . Jugez de ma défolation.
Un magiftrat , qui n'étoit là que
pour s'amufer , fut d'autant plus touché
de mes larmes que j'avois de beaux
yeux . I elfaya de me confoler ; il
porta même la compaffion fi loin qu'il
s'offrit de réparer la perte que je venois.
de faire , c'est- à - dire de remplacer celui
qui m'abandonnoit . Toute fimple que
j'étois alors , cette tournure de confolation
me parut éloquente. J'époufai le magiftrat
qui , bientôt après , me laiffa veuve
& riche. Un Maréchal de France voulur
remplacer le Magiftrat. J'époufai le Maréchal
de France, qui ne tarda pas lui même
* Un vent.
A O UST. 1773
à me laiffer veuve & plus riche encore
qu'auparavant. Enfin un Roi qui avoit
quitté le thrône pour fe confiner dans un
cloître , me vit & voulut remplacer le
Maréchal de France. J'époufai le Monarque
, & je devins encore veuve ; mais attendu
ma dignité , je réfolus de ne plus
époufer perfonne.
M. D'ANGLETERRE.
C'est- à dire qu'il falloit un Empereur
pour vous conduite au quatrième noeud
conjugal.
M. MIG NOT.
" Non : ma deſtinée étoit remplie , ainfi
que la prédiction qui me fut faite à l'âge
de dix ans.
M.
D'ANGLETERR´E.
Quoi ? encore des prédictions dans votre
fiècle !
Il
M.
MIGNO T.
y en eut , & il y en aura dans tous
les tems. Quoiqu'il en foit , on me prédit
que j'épouferois un Religieux , un Cardinal
& un Roi .
Civ
36 MERCURE
DE FRANCE
.
M.
D'ANGLETERRE.
Voilà une prophétie un peu bizarre .
M. MIG NOT .
Je la regardai long tems comme telle
& j'en plaifantois un jour avec Cafimir.
N'en riez pas , me -dit- il , cette prédiction
eft accomplie . Je fus Religieux & Cardinal,
avant que d'ètre Roi , & me voilà
votre époux . J'espère qu'après mɔi vous
ne chercherez point à étendre le fens de
l'oracle.
M.
D'ANGLETERRE.
Vos vues ne ceffoient pas de s'élever.
L'amour fut reftceindre les miennes . J'étois
née fille & foeur de Roi , &je devins
l'époufe d'un grand Roi . Il étoit jufte
bienfaifant , il fut furnommé le père de
fon Peuple ; mais il étoit vieux , & j'étois
jeune . Mon coeur s'étoit donné avant
qu'on me donnât à Louis XII . Un fimple
Gentilhomme avoit captivé ce coeur fait
pour captiver des Rois . Je refpectai mon
rang & mon époux , tant que la deſtinée´
m'enchaîna à l'un & à l'autre. Mais auflitôt
qu'elle m'eut enlevé Louis XII , j'abdiquai
le rang que je tenois de lui , j'épou
A O UST. 1773 . 57
fai mon amant , & j'éprouvai que fi l'amour
habite quelquefois fur le thrône ,
il fe plait encore mieux loin de la foule
qui l'environne & dans l'ombre du myſę
tère & de la folitude.
M. MIG NOT.
C'est ce que j'ai vérifié trop tard :
M. D'ANGLETERRE.
Comment votre coeur fe trouva- t'il de
vos nouvelles dignités ?
M. MIG NOT.
Il connut quelque tems l'ivreffe des
grandeurs ; mais au village il avoit connu
celle de l'amour.
M.
D'ANGLETERRE.
L'échange ne lui fut point favorable.
Il est difficile à la fortune d'enchaîner
long tems un coeur . Un defir fatisfait eft
bientôt fuivi de quelque autre , qui fair
bientôt lui- même place à d'autres voeux
plus récens. Les amis de la fortune font
des ingrats qu'elle ne retient qu'à force de
bienfaits , & qui ne la croient jamais
quitte envers eux . L'amour a moins de
peine à nous fatisfaire. Tous fes dons nous
Су
58 MERCURE DE FRANCE.
femblent précieux , & tant qu'il nous
les accorde , il eft rare que d'autres foins
lui difputent notre ame .
M. MIGNOT.
Il est plus rare encore que notre ame
connoiffe bien ce qu'elle ambitionne
& fache à propos s'arrêter dans fes vues.
La fortune me fervit d'abord au-delà de
toutes mes efpérances . Le premier pas
qu'elle fit en ma faveur auroit pu la difpenfer
d'en faire d'autres. Moi même j'au
rois dû borner là mon ambition . Je n'en
fis rien . Ce premier pas fait , ne me parut
qu'un degré franchi pour m'élever
plus haut. Le fecond pas ne parut encore
mes yeux qu'un nouveau degré . Le
troisième ne m'offroit qu'un titre illu
foire. Cependant , je préferai cette illufion
à tout ce que ma fortune avoit eû jufqu'alors
de réel .
M. D'ANGLETERRE .
Etrange effet de la prévention ! il falloit
que votre efprit fût trompé pour que
votre coeur fût fatisfait . Apprenez moi
quels moyens vous employâres pour captiver
tant de coeurs différens ? vous étiez
belle , fans doute ?
A O UST. 1773. :59
M. MIG NOT.
Je paffois pour l'être ; mais d'autres
femmes qui l'étoient davantage n'ont
peut- être jamais fubjugué perfonne .
M.
D'ANGLETERRE.
Vous eûtes apparemment ce que la beauté
ne donne pas toujours : les graces .
M. MIG NOT.
J'eus d'abord celles qu'on n'acquiert
qu'au village , & dont il faut ſe défaire à
la ville . Je ne répondrois pas qu'il n'y eût
alors quelque chofe d'affez gauche dans
mon maintien . Peut - être même ne m'en
fuis - je pas trop bien corrigée par la fuite.
Maisj'avois fixé l'attention ;j'étois devenue
un objet de curiofité . On découvroit dans
ma deftinée quelque chofe de bizarre qui
me rendoit encore plus intéreffante . Une
jolie femme a de grands avantages quand
elle excite en même tems la curiofité des
yeux & celle de l'efprit .
M.
D'ANGLETERRE .
C'est un rôle bien difficile que de fatisfaire
l'un & l'autre. Mais vos fuccès
-prouvent que ce rôle ne vous fut point
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
étranger. Une feule choſe m'embaraſſe.
Qu'euffez vous fait dans votre premier
état , fi la fortune vous y eût laiffée ?
M. MIGN Q.T.
Je n'en fais rien . Peut - être cet état eûtil
été pour moi un préfervatif contre l'ambition.
Le coeur ne defire que ce qu'il connoît
, ou tout au plus ce qu'il foupçonne.
La fortune m'avoit placée ti bas, qu'elle me
réduifità ne voir que ce qui m'environnoit.
Les objets placés au delfus de moi ne
pouvoient frapper mes regards , ni mes regards
s'élever jufqu'à eux . J'habirois le
vallon ftérile fans examiner fi le haut de la
montagne étoit plus fertile & plus habi-
~ table .
M. D'ANGLETERRE.
L'amour m'apprit de bonne heure à regarder
au- deffous du rang où la fortune .
m'avoit élevée . L'amour eft le feul contrepoids
de l'ambition . Il rapproche ceux que
le préjugé fépare ; ceux même que l'inzérêt
s'efforce de défunir. Il aime à fe jouer
de toutes les autres paffions , à déranger
tous les projets qu'on a formés fans lui.
Ce qu'il défaprouve nous coûre & des regrets
& de puillans efforts ; & fi la raiAOUST.
1773. 61
fon l'emporte , il lui fait toujours trop
acheter fa victoire .
M. MIG NOT.
Eft il bien vrai qu'il ne vous laiſſa aucuns
regrets quand vous revintes à lui ?
M. D'ANGLETERRE.
Notre coeur eft un labyrinthe ; nous
nous perdons nous mêmes dans fes détours.
J'avois renoncé avec joie au titre
de Reine. Celui d'époufe de mon amant
combloit tous mes veux . L'illufion dura
même quelque tems . Je me faifois nommer
la Reine Duchelle , pour perpétuer le
fouvenir du facrifice que j'avois fait à l'amour.
Je me rappellai affez tard que
j'avois fait un facrifice , Mais , l'avoueraije
! il vint un tems où je me le rappellai.
Ce n'étoit point des regrets ; mais c'étoient
des fouvenits. La tendreffe de mon époux
me flattoit plus que tous les hommages
d'une Cour nombreufe , mais je fentois
que ces hommages pourroient auffi me
fatter En un mot , la fin de notre union
fur moins heureufe que n'en avoit été
le début. En époufant Gerçon j'aurois
prefque regretté qu'il fût Roi ; dix ans
après l'avoir époufé , je regretois qu'ilne
fût que Gerçon .
6.2 MERCURE DE FRANCE.
M.
MIGNO T.
On l'a déjà dit bien des fois ; notre
coeur n'eft point fait pour un bonheur foutenu.
Ce qui le fatisfait dans un tems , le
contrarie dans un autre. Il s'occupe toujours
plus volontiers de ce qu'il n'a plus
que de ce qu'il a . Ce qu'il poffede , le laffe
à la fin , & ce qu'il a quitté volontairement
, dégénère pour lui en privation.
M.
D'ANGLETERRE.
Nous fommes fur la terre des êtres vaga
bonds , toujours incertains de la route que
nous devons fuivre. Le coeur & l'efprit
font nos guides ; mais ces guides s'accordent
rarement. Tous deux veulent nous
conduire par des chemins oppofés ; &
quelque route que nous prenions , nous
finiffons toujours par croire que la meilleure
étoit celle que nous n'avons pas
prife.
Par M. de la Dixmerie.
A O UST. 1773 : 63
A Mademoiſelle ** , plus jeune que
l'Auteur , de trois jours.
TROIS jours plutôt , trois jours plus tard ,
Apoint nommé, nous euffions pris naiſſance ,
Et du même aftre , ainfi , par un heureux hafard ,
L'un & l'autre de nous eût fenti l'influence .
Dès lors mêmes rapports dans nos goûts , nos
befoins ,
Dans notre esprit , dans notre caractère :
En naiſlant avec vous , j'aurois eu l'art de plaire.
Ah ! que n'ai- je trois jours de moins !
Mais devroit- on priſer cet avantage ,
Puifque, fans l'art d'aimer , il devient fuperflus ?
Pour moi , quand je naquis , jeune Iris , je reçus
Un coeur fenfible , un fincère langage ,
•
Ils pouvoient être auffi votre partage ;
Que n'avez - vous trois jours de plus !
La nature ainfi peu traitable
Nous donna des lots différens :
Je fais aimer , vous , vous êtes aimable ;
Lequel eftimez - vous le plus de ces préfens ?
Mais fans chercher à les mettre en balance,
Je crois , Iris , qu'il vaudroit mieux
Etre enſemble d'intelligence ,
Pour partager des dons fi précieux ;
Car après tout , lorfque j'y penfe ,
64 MERCURE DE FRANCE.
Trois jours ne devroient pas , hélas ! entre nous
deux ,
}
Apporter tant de différence.
A mon efprit donnez cet agrément ,
Ces traits heureux , cette délicatefle
Qui du vôtre font l'ornement.
Enfeignez-moi l'art de plaite fans cefle ;
Et quand d'un fi beau changement
J'aurai recueilli l'avantage ;
Pour me prouver bien mieux la valeur du préſent,
Songez à chérir votre ouvrage.
L'ELEPHANT & LES ANES.
Fable.
UNN Eléphant paifſoit le long d'une prairie ;
Trois Anes étrangers , fans redouter les coups ,
Broutoient auprès de lui l'herbe tendre & fleurie :
L'Eléphant , qui toujours fut généreux & doux ,
Souffroit , fans dire mot , leur fotțe compagnie ,
Lorfque nos trois Bauders , pouflés apparemment
Par une ridicule & baſſe jalouſic ,
Le mordirent tous trois ; mais fi malignement
Que l'Eléphant , outré de ce trait téméraire ,
Vous étend fur le pré le trio mal content ;
Et les Anes foudain , de fe plaindre & de braire :
Ole cruel , ô le méchant !
Ronde de Lucile
Août!
2773.
Chantons deux poux Que sous ses
loix , l'amour assemble ; Chantons deux E.
poux Qu'iljoint de sès noeuds les plus
Fin ,
doux Autour deux il nous semble Dan
ser sous deux jeunes ormeaux Qui s'ele
vent ensemble Pour unir leurs rameaux .
A O UST. 1773 . ES
Comme il nous eftropie , & comme en fa colère
Le barbare traite les gens !
Un Cheval , témoin de l'affaire ,
Etonné de leurs cris , & de leur peu de fens ,
Leur fit ce beau fermon qui , vu leur caractère ,
Comme l'on penfe bien , ne leur fervit de guère:
◇ Bauders , à petite & lourde judiciaire !
Vous avez infulté le Roi des Eléphans ,
Et vous vous étonnez , après vos coups mordans,
Que fa trompe vous morigine !
Tailez- vous , croyez - moi , troupe inepte & mutine
,
Et ne faites pas voir , par vos cris impuiffans ,
Qu'Anes vous fûres d'origine ,
Et qu'Anes vous ferez jufqu'à la fin des tems.
Par M. Siméon Valette
L'EXPLICATION du mot de la première
énigme du fecond volume du Mercure
du mois de Juillet 1773 , eft Lanterne ;
celui de la feconde eft Alliance , ou anneau
de mariage ; celui de la troiſième
eft la Bouteille ; celui de la quarrième eft
le Rideau du lit. Le mot du premier logogryphe
eft Avoine ; celui du fecond eſt
Marie , où fe trouvent St Remy , mer ,
rime , aire , raie , mie , rame , mari , ami ,
66 MERCURE DE FRANCE.
arme , air , & ame ; celui du troiſième eſt
Problême , où l'on trouve orbe , Pô , or ,
robe , ombre , merle , Boëme , Mérope , lèpre
, péle , orme , pôle , Rome , rôle, mère,
mer, More , bole , blême , moële , pré , poë.
le , pore, perle , père , poême.
ENIGM E.
DES Cafans du Dieu de la Thrace
Jamais je n'aimai les combats ;
On me trouve pourtant quelquefois fur lear
trace ,
Mais je ne les fuis point quand ils vont au trépas.
Ma foeur eft beaucoup plus guerrière :
Au beau milieu des efcadrons
On la voit , d'une mine fière ,
Affronter moufquets & canons.
Moins brave qu'elle , plaire eft mon unique gloire;
C'est là tout mon emploi :
Je goûte les plaifirs d'une douce victoire ,
Dès qu'on fait choix de moi .
Pour obtenir la préférence ,
Je fuis tantôt un Saint & tantôt un Soldat ;
Affez ſouvent un Prince adoré dans la France ;
#
Un Sultan , un poiffon , ce que mène un forçat,
En tous lieux ma forme varie ;
A O UST. 67
1773
Mais, quel que foit mon changement divers ,
Je fuis toujours une étoile chéric
De celui qui rima ces vers .
A Loifonnière près Carrouges en Normandie ;
par un zéléfectateur du D... de la V...
AUTRE.
CHER lecteur , je fuis un être
Difficile à définir ;
Un inftant me voit mourir ,
Comme un inftant me voit naître.
Je n'ai ni figure ni corps ;
On fait pourtant par où me prendre.
Ami lecteur , je ne pourrois te rendre
Mes traits divers fans d'affez grands efforts.
Je fuis fouvent charmant & tendre ;
Quelquefois , perfide & cruel ,
J'ai grand foin de cacher mon fiel
Sous une trompeufe apparence...
Rarement je vais feul : on nous met deux à deux ,
Ou même , felon l'occurrence ,
En plus grand nombre encore. Il eſt des gens
heureux >
Qui , fans aucune peine , en ont en abondance ,
Et nous cueillent fans nous compter...
Mais voilà trop longue harangue :
68 MERCURE DE FRANCE.
A mon babil , lecteur , je t'entends marmoter
Qu'au moins je fuis pourvu de langue.
AUTRE.
LORSQUE les champs ont perdu leur parure ,
Et que l'hiver , ramenant les frimats ,
Par la rigueur attrifte la Nature ,
On peut , à mes côtés , trouver quelques appas ;
Alors au tour de moi tout le monde s'emprefle ,
On ne fe lafle point de me complimenter ;
Chacun me flatte , inc careffe ,
Et l'on fe plaint quand il faut me quitter :
A tous ces doux propos on ine voit infenfible ,
Ils ne peuvent fur moi faire d'impreffion ,
Et , confervant toujours un maintien fort paifible
,
Je reçois tout cela fans nulle émotion :
Mais hélas ! le printems ranime la nature ,
On m'ôte de l'endroit où j'étois fi fêté.
Eh pourquoi donc , ingrats , me faire cette injure
?
Ne vous fouvient- il plus de mon utilité ?
`Par M. B. M.
'A O UST. 1773 . 69
AUTR E.
Je pense que fans vanité , E
Je puis me vanter de conftance';
Mon cher lecteur , dès ton enfance
Un feul inftant je ne t'ai point quitté ,
Et jufqu'à ton heure dernière ,
Auprès de toi chacun pourra me voir.
Si tu veux me connoître , ami , prends ta lumière;
Mais tu l'éteins , adieu , bon foir.
Par le même.
LOGO GRYPH E.
J'INSPIRE la gaïté , je produis l'abondance
En différens pays :
L'Espagne , l'Italie & la fertile France ,
Sont les heureux climats que fur- tout j'enrichis ;
Car en Flandre , en Hollande , ainfi qu'en Angleterre
,
On ne me connoît guère.
Lecteur ? fi ce début fuffit pour me nommer ,
Ce n'eft pas encor tout : il faut me difféquer.
Parmi divers objets , qu'à ton intelligence
J'offrirai tour-à- tour , cherche de préférence ,
70 MERCURE DE FRANCE.
Et reconnois d'abord ce féjour de bonheur
Habité par Adam docile au Créateur ;
Celle qui partageant la défobéiſſance ,
Eprouva , comme lui , la célefte vengeance ;
Une Sainte connue ; un Eſprit bienheureux ;
Le premier mot latin d'un compliment pieux .
Combine de nouveau mes pieds & ma ſtructure ,
Je puis paroître , encor , fous plus d'une figure :
Dérange , ôte & raffemble , à ton gré : tu verras
Trois villes , deux en France & l'autre aux Pays-
Bas.
Une fille de Mars que le chagrin entraîne
Sur un bûcher ardent . Le courfier de Silène ,
Un préfent de l'hiver , d'une extrême blancheur ;
Qui garantit la terre & nuit au voyageur.
Ce qui de la beauté flétrit les traits fublimes.
D'un espace de tems les deux noms fynonimes.
Vois , mais fuis , fi tu peux certain objet hideux ,
Appanage fatal d'un deftin malheureux .
Cherche enfin un outil d'affez fréquent uſage ,
Dont une fille s'arme en prenant fon ouvrage.
Tu l'as trouvé , lecteur ; puiffes- tu , pour ta peine,
Avoir d'un vin exquis ta cave toujours pleine !
Par M. Baroche , abonné au Mercure.
A O UST. 1773. 71
AUTRE.
JE fuis , mon cher lecteur , le meilleur & le pire.
Le fage feul , dit- on , me tient fous fon empire ,
L'imprudent ne fçait pas l'art de me gouverner ,
Le beau fexe fur-tout , encor moins me gêner.
Des mouvemens de l'ame interprète ordinaire ,
A la fociété je fuis fort néceffaire.
Combine mes fix pieds , tu verras aifément
Ce qui pendant la nuit t'éclaire fort fouvent ,
Un meſſager de Dieu ; la plus ftupide bête ,
D'un homme fans efprit ordinaire épithète ;
Un royaume fameux ; l'ennemi des oifeaux ;
D'un crafleux aigrefin l'ignoble maladie ;
Ce qui peut défigner le tems de notre vie ,
Que la fable a marqué par différens métaux.
Eh bien ! mon cher lecteur , t'en faut - il davan
tage ?
: Ecoute donc je t'offre encore un élément ;
Ce qui peut te fauver d'un malheureux naufrage ;
Les épis délaillés que cherche l'indigent ;
Ce qui par l'union fait un cercle d'années ;
Et fur le même plan deux lignes inclinées ;
J'ai tout dit , c'eſt à toi de me bien combiner
Situ v tu veux, cher lecteur , bientôt me deviner.
Par Mde Series , Tunisienne , réfidante
à Trans , en Provence,
72 MERCURE DE FRANCE .
AUTRE.
Six pieds , ami lecteur , compofent ma ftrueture
,
Mon
genre eft féminin
& telle eft ma nature ,
Que quoique
par moi-même
incapable
d'agir ,
Je règle ton devoir
, ainfi que ton plaifir.
Tu n'es point un ingrat
; car de bijoux
chargée
De toi - même
je luis très - fouvent
confultée
.
Que ta femme
voudroit
avoir un pareil
fort !
Mais quoi ! j'en ai trop dit, & déjà fans effort
Tu m'as nommé
peut - être & chante
ta victoire
;
Ce n'eft pas en un mot , il faut dans ta mémoire
Chercher
ce que dans lui renferme
encor mon fein.
Il préfente
d'abord
ce que le genre humain
Cherche
à fe procurer
, une fameule
ville
En illultres
guerriers
autrefois
fi fertile
,
A quoi nous tendons
tous , un endroit
élevé ,
Ce métal
précieux
par nous fi recherché
;
Dans une république
une place inurile
,
Un ancien
patria
che aux loi de Dieu docile
Et fauvé
pour cela de la fureur
des eaux
Qui d'entières
cités ne firent que tombeaux
;
Ce qui tout en naiffant
s'expole
à la critique
,
Un arbre , un homme
noir , deix termes
de mafique
,
A
76
Ce
A O UST. 1773. 73
Ce qu'à préfent tu cherche , & , pour tout termi
ner',
Ce fluide élément qu'on voit nous entourer.
Par M. Saute-Montagne , Mineur du
Corps Royal de l'Artillerie.
A UTR E.
CINQ pieds forment mon tout ; & quelquefois
ce tout
Se trouve dans ta poche. Ami lecteur,devine ;
Mais il faut calculer pour en venir à bout.
Qui de cinq en ôre un , refte quatre : combine,
Fais mieux pour me trouver , entre dans ta cuifine...
Par M... à Senlis.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Fables nouvelles par M. l'Abbé Aubert ,
divifées en huit livres , accompagnées
de notes , & c. quatrième édition confidérablement
augmentée . A Paris ,
chez Moutard , libraire de Madame
D
74 MERCURE DE FRANCE.
la Dauphine , rue du Hurepoix , à Sp
Ambroife.
DANS la foule des nouvelles fables
que
l'on voit éclore de tous les côtés , M,
l'Abbé Aubert a cru le moment favorable
pour donner aux fiennes une nouvelle
vie , & pour reparaître avec tous les honpeurs
d'une quatrième édition . Ce titre
même femblerait fait pour preferire le
jugement qu'on en doit porter , fi le nom,
bre des éditions avait toujours été une
preuve du mérite des ouvrages . Mais
ceux qui fe fouviennent d'avoir eu entre
les mains , lorfqu'ils étaient au collége ,
la fixième édition des fables de Richer
dont aujourd'hui qui que ce foit ne fait un
vers , comprendront fans peine comment
un recueil de fables mauvaiſes ou médiocres
peut être réimprimé plufieurs
fois. On met affez volontiers entre les
mains des enfans ces fortes de livres qui
contiennent toujours une bonne morale ,
& qui ayant pour cet âge le mérite d'une
hiftoriette , femblent coûter moins d'efforts
à fa mémoire . En général , tous les
livres qui peuvent fervir à l'éducation
font plus réimprimés que d'autres. On
en peut citer un exemple bien frappant,
A O UST. 1773. 75
11 y a eu plus de vingt éditions du Traité
du vrai Mérite , & c'eft lans contredit une
des plus infipides productions qui ayent
jamais exercé la preffe. Mais il y a eu un
tems où il n'y avoit point d'enfant , furrout
en province , à qui l'on ne donnât ce
livre avec la Bible.
D'ailleurs M. l'abbé Aubert a été loué
d'abord par de prétendus juges , dont les
louanges ont été depuis appréciées ce
qu'elles valaient ; mais qui alors en impofaient
encore à une partie du Public.
Perfonne n'avait réclamé contre ces éloges
, parce que la médiocrité n'alarme
perfonne. Mais il vient un tems où les
connoiffeurs élèvent la voix , où l'indulgence
eft paffée , & la vérité parle .
C'est ce qui eft arrivé à M. l'abbé Aubert
. On a vu tant de fois , dans fon Journal
, que la Fontaine n'avait rien inventé,
mais que M. l'abbé Aubert avait inventé
cent cinquante fables , qu'à la fin l'on a
voulu voir comment M. l'abbé Aubert
inventait , & les judicieux auteurs du
Journal des Savans ont fort bien remarqué
que les fables de M. l'abbé Aubert
roulaient prefque toutes fur le même
fond. On peut ajouter que la plupart
n'ont aucun fens ; ce qui , comme on
Dij
76 , MERCURE DE FRANCE .
fçait , eft un petit défaut en tout genre
d'écrire ; mais fur tout dans l'apologue ,
qui doit toujours contenir une leçon . Il
eft facile de faire voir , par des exemples
, que l'on n'avance rien légèrement.
Dans la feconde de fes fables , M.
l'abbé Aubert veut montrer que c'eft
l'habit qui diftingue les hommes dans ce
fiècle. Il introduit fur la fcène un perroquet
& une pie dans la même maifon.
Le perroquet attire tous les yeux & tous
les foins , & la pie eft rebutée ; elle s'en
plaint. Elle croit ne céder en rien au perroquet
; elle parle comme lui ; pourquoi
done eft il préféré ? Eft- ce à cauſe de ſon
plumage ?
Mon habit eft moins beau , mais qu'est - ce que
cela ?
Comment ! Margot ; c'eft tout dans ce fiècle bi
zarre .
Un fripon eft un homme rare
Quand il eft diftingué par - là .
Paffons fur l'expreffion d'homme rare ,
que l'auteur a mis là pour la rime , lorfque
la raifon demandait ;
Un fripon eft un honnête homme.
Mais indépendamment de cette faute ;
A O UST. 1773. 77 .
voilà une fable très - mal imaginée . Le
perroquet parle beaucoup mieux que la
pie , eft beaucoup moins méchant , beaucoup
moins voleur , & infiniment plus
beau . Il falloit fuppofer un oiſeau qui
n'eût de mérite que le plumage , & lui
oppoſer toutes les autres qualités qui lui
auraient manqué , & la fable aurait eu
du fens. Eft ce la peine d'inventer ainfi ?
Fable V. On veut forcer un renard
mendiant à payer des droits au roi des
renards , & le roi des renards l'en exempte.
L'auteur en conclut qu'il faut que
les rois foient bienfaifans. On ne perçoit
nulle part aucun droit fur les mendians ;
ainfi l'application tombe à faux , & la
morale eft une vérité fi générale & même
fi vague , que ce n'était pas la peine d'en
faire une fable. Il faut des leçons plus
particulières.
Dans la fable fuivante , un billet de
mariage difpute contre un billet d'enterrement.
Frivole jeu d'efprit , & qui ne
contient que des épigrammes rebattues.
Dans la feptième , un berger contemple
un rocher énorme , & fe demande à quoi
cela eft bon . La foudre tombe deffus , &
il s'applaudit de tenir moins de place
qu'un rocher , & d'être plus utile. Mais
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
la foudre tombe tout auffi fouvent fur les.
arbres , & les arbres font très utiles . On
pourrait d'ailleurs contefter fur l'inutilité
des rochers. Le fabulifte conclut que la
foudre menace les grandeurs . Cela n'eft
pas neuf , & il y a dans tout cela peu
d'invention.
་
Fable X. Une poule couve les oeufs
d'une canne , & les élève comme elle au-,
rait élevé les pouffins ; mais la première
fois que les cannetons trouvent de l'eau
bourbeufe , ils fe plongest dedans , malgré
les remontrances de la poule . Le fabu
lifte conclut que l'éducation ne peut rien
contre le naturel. Mais lifez la fouris.
métamorphofée dans la Fontaine , c'eft
précisément la même chofe , & ce n'eft
pas là inventer. Il faut , pour que l'apologue
foit neuf, qu'il renferme une leçon
qu'un autre apologue n'ait pas donné , ou
du moins qu'il la rende beaucoup plus
frappante. On peut conclure qu'il ne faut
jamais répéter la Fontaine , parce qu'il
eft difficile , même à M. l'abbé Aubert ,
de dire mieux que lui.
Fable VIII. C'eft une araignée dont les
groffes mouches emportent la toile , &
qui mange les petites . Cette fable ne peut
pas être au nombre des cent cinquante que
A O UST. 1773 . 79
l'auteur a inventées . On fait qu'elle eft du
Scythe Anacharfis. On en peut dire autant
des fourmillières , qui refufent de ſe
fecourir. C'eft un trait de l'hiftoire des
Troglodytes , dans les Lettres Perfanes
que l'auteur n'a fait que tranfporter dest
hommes aux fourmis . Autant de retranché
fur le génie inventeur de M. l'abbé Aubert.
Quant au conte d'Hylas & Zénéide ,
que l'auteur intitule , conte moral , & qui ,
s'il n'eft pas moral , eft au moins fort
long , il eft impoffible de deviner ce qu'il
fignifie , & l'on peut croire que M. l'abbé
Aubert l'a inventé.
On connoît ces vers de M. de Vol .
taire .
Un Dieu qui prit pitié de la nature humaine
Mit auprès du plaifir le travail & la peine
La crainte l'éveilla , l'eſpoir guida fes pas :
Ce cortège aujourd'hui l'accompagne ici- bas
M. l'abbé Aubert fuppofe qu'Efope
fait une fable fur un pareil fujet , & qu'il
a mis le plaifir & la peine aux deux bouts
d'une chaîne . Je ne fais pas fi Elope aurait
imaginé cette chaîne ; mais j'aime mieux
l'imagination de M. de Voltaire dans les
quatre vers que je viens de citer .
On connoît encore la fable de la mon
Div
10 MERCURE DE FRANCE.
tagne en travail , qui enfante une fouris .
M. l'abbé Aubert a voulu refaire cette
fable , & il a mis une poule au lieu d'une
montagne. Cette poule fait des cris épou
vantables.
Les gens croyaient qu'il allait naître d'elle
Un Eléphant, ou pour le moins un Boeuf.
Dame Poule pondit un oeuf.
Il faut convenir que voilà une invention
bien heureuſe . M. l'abbé Aubert ne
s'eft pas fouvenu qu'on n'eft point du tout
étonné qu'une poule crie en pondant , ni
fur- tout qu'elle ponde un auf : au lieu
qu'on eft un peu furpris qu'une montagne
enfante une fouris ; ce qui produit une
chûte comique , qui eft le fens de la fable.
Ne valait il pas mieux laiffer cette fable
comme elle eft dans Phedre , que d'y mêler
une pareille invention ?
Et la fable des deux moineaux en querelle,
qui expofent leurs différends devant
un chat , qui les gruge , a- t'elle été difficile
à inventer , après celle du lapin & de
la belette , qui plaident devant Rominagrobis
? Cette fable , l'une des plus chatmantes
de la Fontaine , n'a pas pu échapper
à l'efprit d'invention de M. l'abbé
Aubert.
1
A O UST . 1773
Et le bouton qui reproche à la rofe
d'écouter les fleurettes du papillon & de
zéphir ; tandis que la rofe lui reproche la
même coquetterie avec l'abeille & le frélon
; différe- t- il beaucoup de l'écreviffe
enfeignant à fa fille à marcher droit ?
M. l'abbé Aubert fe fouvient , comme
on le voit , des idées de la Fontaine. Il
fe fouvient auffi de fes tournures. Voyons
s'il a meilleure grace à les imiter.
A ces mots l'animal pervers ,
C'est le Serpent que je veux dire ,
Et non l'homme , & c.
M. l'abbé Aubert a voulu s'approprier
ce trait de la Fontaine , & voici comment.
Un Chien avait la table & le lit d'un Poëte .
De dire s'il failait de fomptueux repas ,
A parler franchement , je ne le penſe pas.
Je garde le filence auffi fur la couchette.
De lits de plume & de mêts délicats
Auteurs & chiens , dit - on , font rarement
plette.
L'animal cependant , ( je veux parler du Chien. )
&c.
Voilà comme M. l'abbé Aubert imite
les fineffes de la Fontaine. Ce rapproche
· Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
ment des auteurs & des chiens , à propos
de lits de plume , n'eft- il pas d'un excellent
goût?
Autre imitation ..
Qui figuré-je à votre avis
Par ce Rat fi peu fecourable ?
Un Moine ? Non. Mais un Dervis .
Je fuppofe qu'un Moine eft toujours charitable.
LAFONT.
Ce récit peint les Gens de loi ,
J'entends ceux du Japon , du Turc ou des Chinois
.
Je n'ai garde vraiment de m'attaquer aux nôtres.
Au moins cette dernière imitation
n'eſt pas ridicule. Mais il faut convenir
qu'il n'y a pas un grand mérite à fe parer
ainfi d'ornemens étrangers.
Quant au ftyle , on trouvera que celui
de M. l'Abbé Aubert eft en général affez
correct. Mais il manque de cette facilité ,
l'un des premiers agrémens de la fable.
Il eft fec & maniéré. Il tombe même fouvent
dans le mauvais goût , fur - tout
quand il veut être poëte. Il dira d'un Papillon.
A peine a- t'il fini : fa triſte jérémie.
A O UST. 17731 83
On dit bien jérémiade pour lamenta.
tion . Mais une jérémie eſt au moins fort
bizarre.
Un homme , qui doué d'un heureux caractère ,
Deftiné par les Dieux à les peindre à la terre, &c.
Comme il s'agit d'un Roi & non pas
d'un peintre & d'un fculpteur , le mot néceffaire
était représenter. On dit bien que
l'homme vertueux repréfente les Dieux fur
la terre, mais non pas qu'il peint les Dieux
à la terre , c'est ce qu'on dirait d'Apelle
ou de Phidias.
L'Aurore pour Titon fignalait fes ardeurs ,
Malgré les triftes fruits de fa métamorphofe ,
Et dans un char doré , traîné par les Zéphirs ,
Sur nos feux fatisfaits vengeant fes vains defirs,
Précipitait un tems dont le plaifir difpale ;
Ou pour dire en français la chofe ,
Le jour venait de naître , &c.
L'auteur a bien raifon de finir par l'ex
pliquer en français ; car rien n'eft moins
français que le galimathias qui précède .
Sur nos feux fatisfaits vengeant fes vains defirs,
Eft fur- tout incompréhensible. Voici
des vers encore plus mauvais.
Divj
84 MERCURE DE FRANCE:
Les principes qu'en nous la Providence a mis ,
Niés par maint auteur à cet homme ſemblable ,
Comme en un centre réunis ,
Dans un récit clair & concis ,
Mêlés d'une adroite critique ,
Réveillant fes fens engourdis ,
Font fur lui l'effet du cauftique.
M. l'Abbé Aubert , qui prend aſſez volontiers
les meilleurs traits de nos bons
auteurs , ne met pas beaucoup d'art dans
fes larcins . Si M. Greffet fait dire au Méchant.
Les fots font ici -bas pour nos menus plaifirs.
M. l'Abbé Aubert ne manque pas de
dire .
De tout tems le Ciel fit les fots
Pour les menus plaifirs du fage.
Il n'y a que le Sage qui appartienne ici
à M. l'Abbé Aubert, & ce mot gâte tout .
Il est très faux que les fots foient ici - bas
pour les menus plaifirs du fage. Ils y font
le plus fouvent pour le tourmenter ou
tout au moins pour l'ennuyer. Ce qui eſt
très plaifant dans la bouche d'un méchant
qui cherche des victimes , eft très mal appliqué
au fage qui eft fouvent victime lui
même.
A O UST. 8.9 1773 .
Si M. Racine le fils a traduit ce vers de
Virgile :
'Ingentes animo's angufto in pettore verfant.
Et dans de faibles corps s'allume un grand con
rage.
M. l'Abbé Aubert dit en parlant d'une
poule :
Son amour était grand bien qu'en un petit coeur,
Si M. de Voltaire a dit :
Il eft grand , il eft beau de faire des ingrats.
M. l'Abbé Aubert eft affez heureux
pour changer ainfi ce vers :
Il est beau , croyez- moi , de faire des ingrats.
Mais ce qu'il n'a pris à perfonne , ce
font certains vers philofophiques dont le
fens eft apparemment très- profond ; caril
eft difficile de le pénétrer.
La vertu n'eft qu'un nom , mais l'orgueil eft an
être.
J'avoue que je ne comprends pas comment
l'orgueil eft un être , & comment
la vertu n'en eft pas un . Cette anthitèſe eſt
bien extraordinaire.
86 MERCURE DE FRANCE.
On ne devinerait jamais comment l'au
teur définit peëtiquement un tambour.
L'inftrument qui règle le courage
On fait combien la Fontaine excellait
dans fes prologues . Ce n'eft pas la partie
Brillante de M. PAbbé Aubert.
On pourrait extraire du recueil de M.
l'Abbé Aubert une demi - douzaine de fables
affez agréables , telles que Fanfan &
Colas , la Poule & les Pouffins , le Miroir
, & c. Elles font cependant inférieures
aux bonnes fables de la Mothe & de M.
Boifard. Jen excepte un petit apologue
philofophique qui eft excellent. C'eſt le
livre de la raison.
Lorsque le Ciel , prodigue en fes préfens ,
Combla de biens tant d'êtres différens ,
Ouvrages merveilleux de fon pouvoir fuprême ,
De Jupiter , homine reçut , dit- on ,
Un livre écrit par Minerve elle - même ,
Ayant pour titre la raiſon .
Ce livre ouvert aux yeux de tous les âges
Les devait tous conduire à la vertu.
Mais d'aucun d'eux il ne fut entendu ,
Quoiqu'il contînt les leçons les plus fages .
A O UST.
87
1773 .
L'enfance y vit des mots & rien de plus.
La jeuneffe beaucoup d'abus ;
L'âge fuivant des regrets fuperflus ,
Et la vieillefle en déchira les pages.
Il n'y a perfonne qui ne voulût avoir
fait cetre fable. Mais il n'y en a pas deux
de ce genre
.
Eloge de la Poëfie , difcours qui a remporté
le prix des Belles Lettres , au
jugement de MM. de la Société royale
des Sciences & Belles- Lettres de Nancy
; en l'année 1773 ; par M. Gregoire ..
Omne tulit punctum , qui mifcuit utile dulci .
HOR. art poër.
brochure in - 8 °. A Nancy , chez les
Freres Le Sure, Libraires , rue S. Dizier.
Un éloge de la Poësie , fembloit ne
devoir êrre dicté qu'en vers. On pourra,
néanmoins lire avec intêret ce nouveau
difcours rempli d'un fentiment vif pour
le premier des arts imitateurs , pour cet
art qui agrandit la Sphère étroite de
nos idées par la création de mondes nou88
MERCURE DE FRANCE.
veaux , & qui ajoute aux charmes de
l'éloquence la mefure & l'harmonie fi
propres à fixer une oreille heureuſement
organifée. L'orateur s'eft affranchi de
l'ordre didactique, & on le lui pardonnera
aifément . Peut - on parler de la Poëfie fans
éprouver l'enthoufiafme des Poëtes ? Cet
enthouſiaſme échauffe quelquefois le lecteur
; quelquefois auffi il le fatigue
parce que l'orateur ne lui offre pas toujours
les images les plus propres à peindre
les différentes efpèces de Poëfie fabulaire
, dramatique , épique , lyrique
didactique. L'oratear s'eft écarté quelquefois
de fon fujet , & n'a pas affez infifté
fur l'utilité de la Poëfie dramatique
pour réformer les moeurs , corriger les
abus , infpirer l'amour des chofes honnêtes,
& faire naître les vertus fociales
& patriotiques ; objet cependant d'autant
plus important à traiter que la plupart
de nos tragédies , celles mêmes qui font
le plus remplies de maximes de morale
n'ont point un but moral bien diftinct &
ne paroiffent avoir été écrites que pour
amufer des gens oififs Cet objet méritoit
encore d'autant plus d'être difcuté ici
avec un certain d'étail , que l'orateur s'eft
A O UST. 1773.
"
propofé fpecialement d'envifager la Poëfie
fous fon point de vue d'utilité . « Que
» la Poëfie foit agréable & charmante ,
tout le monde en convient . Qu'elle
» foit utile, tout le monde n'en convient
» pas. Plufieurs écrivains fe font appliqués
à difcuter cette question , peu
» l'ont approfondie. Les uns, admirateurs
» outrés d'un art qu'ils cultivoient , ont
» fubftitué pour le défendre , l'amertume
» de leur zèle à la force du raifonnement ;
» les autres , cenfeurs faftidieux d'un art
qu'ils ne connoiffoient pas , l'on peint
d'après leur imagination prévenue . Tant
» il eft vrai que rarement l'efprit humain
» fait garder l'équilibre de la raifon.Juge
impartial , je tâcherai de marcher entre
» ces deux excès . J'effayerai de réconcilier
avec la Poëfie , ceux qui lui conteſtent
» fon utilité. Heureux , fi je puis réunir
» les avantages de cet art enchanteur , &
» prouver utilement & agréablement qu'il
joint l'utile à l'agréable » On peut
néanmoins confidérer quelquefois les
Mufes comme de jeunes Filles qui ayant
la gaîté de leur âge , fe prêtent volontiers
à un aimable badinage. Les Poëfies légères
cependant ne doivent être pour elles
»
"
98 MERCURE
DE FRANCE
que des délaffemens. La principale , &
la plus noble de leurs fonctions , eft d'enfeignet
aux hommes leurs devoirs . Comme
leur but eft de plaire & de plaire , en
remuant les paffions , elles ne doivent
jamais exciter en nous , que celles qui
peuvent contribuer au bonheur de la
fociété telles que l'horreur du crime ,
la compaffion pour les malheureux , l'amour
de la patrie , &c . Un Poëte qui
fe rend l'apologifte du vice , commet une
forte de profanation & dégrade , autant
qu'il eft en lui , le plus fublime des arts .
Traité de Chymie , par M. de Lorme
gentilhomme ordinaire de Sa Majeſté,
chevalier de l'ordre royale & militaire
de Saint Louis . vol . in 8o. prix
S
liv, broché & 6 liv. relié. A Paris ,
chez la Veuve Dachefne , Libraire
rue Saint Jacques ; Piffot , Quai de
Conti ; Durand neveu , rue Galande ,
& Efprit au Palais Royal .
L'introduction de ce traité qui eft très
étendue , facilitera l'intelligence des pro
cédés. L'auteur dans cette introduction ,
AOUST. 1773 . 91
donne des notions exactes des fubftances
des trois règnes. Il commence par la
définition de la Chymie , & trace une
idée générale de la compofition des corps,
qui eft fuivie d'un vocabulaire ou d'une
explication des termes ufités en Chymie.
Il parle des différens dégres de feu ,"
des luts , des affinités , aux quelles fuccèdent
la table de ces mêmes affinités , &
celle des caracthères chymiques . L'auteur
traite enfuite des élémens , ou principes
des corps , des corps , des pierres , des
fubftances falines. Il donne leurs combimaiſons
mutuelles. Ii paffe aux métaux , à
leurs mines. Il expofe le jeu des fubſtances
falines avec les fubftances terreftres
ou métalliques. Il exquiffe ce qui concerne
le règne végétal & animal , la teinture
confidérée comme art , le laboratoire .
les vaiſleaux & uftenfiles de Chymie.
L'ouvrage eft terminé par le développement
des procédés , pour les quels
l'auteur fuit le même ordre que celui de
l'introduction .
Ce traité ne contient rien de neuf '
l'auteur l'a compofé d'après les écrits de
Meffieurs Lemery , Macquer , Baumé ,
Lewis , Gellert , & c. il s'eft approprié les
expériences & les obfervations de ces
92 MERCURE
DE FRANCE
.
habiles Chymiftes , les a réunis dans une
efpace borné , & a par ce moyen applani
les difficultés , les recherches & les lectures
multipliées à la jeuneffe & aux gens du
monde qui veulent prendre connoiffance
de la Chymie. Cet abrégé élémentaire
eft clair , méthodique & précis . On le
diftinguera de ces compiliations ordinaires
où le rédacteur le plus fouvent étranger
à la fçience dont il parle , a raffemblé
fans choix & fans difcernement tout ce
qui s'eft préfenté fous fa main.
Nous remercions l'auteur eſtimable de
ce traité, de la leçon qu'il a bien voulu
donner au commencement de cet ouvrage,
à ceux qui feroient encore tentés de fuivre
la lumière trompeufe de l'Alchymie. Cette
leçon doit d'autant mieux les rendre
attentifs , qu'elle leur eft donnée par un
ami de la vérité qui penſe avec raifon
qu'il eft d'un galant homme qui a été
furpris dans un piége , & a eu le bonheur
d'en échapper , d'éclairer l'humanité &
de garantir l'enthouſiafme , des appas dangereux
qui accréditent & foutiennent'impofture.
C'est d'après l'expérience , c'eſt
après avoir embraffé les promeffes de
l'Alchymie avec beaucoup de vivacité
que M. de L. avertit les amateurs de
A O UST. 1773 93
»
l'Alchimie que cette pretendue fçience
n'eft qu'un amas d'erreurs & de fubtilités
. L'ignorance & la cupidité , con-
» tinue - t- il , font la reffource des prétendus
adeptes. Cette claffe fingulière de
fripons a été , eft , & fera la caufe de
» la ruine de ceux qu'elle pourra féduire
» ou éblouir par fes fauffes promefles.
J'ai vu beaucoup de ces fourbes dont
» j'ai été la dupe , & je n'en ai pas vu
» un feul capable d'operer cette féduction
» par la fupériorité de fes connoiffances ,
» tous font gauches & mal adroits : ce-
"
pendant , enveloppés du myftère , ou ,
» pour mieux dire , de l'ombre de leur
»fecret imaginaire , ils mènent loin la
» crédulité furprife. Leur langage ordi-
» naire eft de fuppofer des talens réels
» pour la tranfmutation , ou pour le grand
» elixir , la connoiffance de l'alka eſt univerfelle
, découvertes rares , précieuſes ,
» que leur pofition ne leur permet pas de
» fuivre. Ils annoncent avec impudence
des phénomènes qui fe font paffés fous
» leurs yeux , tous fignes réels da grand
» oeuvre accompli , qu'ils ont manqué ,
13
"
foit par l'explofion des vaiffeaux , foit par
» la négligence de ceux à qui ils avoient
» été forcés de le confier pour la conduite
94 MERCURE DE FRANCE .
"
» de l'opération . Tel eft le jargon de
l'impofture. Tous promettent la certitude
du procédé qu'ils ont touchés de
près ; & les yeux fafcinés , je ne dis
» pas des perfonnes bruttes , mais des
» gens du monde inftruits , éclairés lorf-
» qu'ils font obfedés par ces miférables , &
fubjugués par l'efpoir , n'apperçoivent
» pas que fur cette matière un point qui
fépare du fuccès eft plus confidérable ,
plus étendu que ne pourroient l'être
» mille diamêrres de l'efpace immenfe
qui féparent de notre globe l'etoile fixe
» la plus éloignée de nous . »
"
»
"
"
Tous les adeptes , gens ordinairement
fort peu inftruits , ont foin de fe renfermer
dans un filence mystérieux . S'il en
eft qui aient quelque lecture , s'ils s'engagent
dans quelques differtations phyfiques
ou chymiques , ils ne manquent point ,
lorfqu'on veut les ramener aux grands
principes de la chymie , de vous dire que
leur méthode eft celle de la nature , qu'ils
ont oublié tout procédé chymique , qu'ils
rejettent toute marche relative à cette
ſcience , comme impuiflante & faite
pour écarter de la route que l'on doit
fuivre . L'auteur prévient donc ceux qui
font enchaînés par les fophiftications
AOUST. 1773.
95
de ces trompeurs adroits , qu'un adepte, s'il
en exifte, eft& doit être un honnête homine,
qu'il n'a befoin de perfonne , que plus
heureux , plus riche que tous les rois de
la terre réunis , il fe fuffit à lui - même . Il
prévient en même tems , que tout homme
qui demande un grand appareil de laboratoire
, de l'or , des dépenfes fans
fin , eft un fourbe , un impofteur ; que
toutes les matières minérales tirées du
fein de la terre , dénaturées par la fufion ,
la diffolution dans les acides , ou altérées
par quelques combinaiſons , ne peuvent
fournir ce principe primitif, ce germe
précieux dont ils promettent l'extraction ,
foit pour la tranfmutation , foit pour la
médecine univerfelle ; enfin que fi ce
fecret exifte , il doit s'opérer par une mar
che fimple , fans frais & fans dépense ;
conféquemment, qu'excepté l'achat modique
de quelques inftrumens de vil prix ,
ceux qui ont la fureur de la fcience hermétique
doivent l'abandonner , chaffer &
faire punir même les prétendus adeptes ,
files dépenfes excèdent , dans le courant
d'une année , trois ou quatre louis.
Difcours , lus en préfence de M. de
Sartine , Confeiller d'Etat, Lieutenant96
MERCURE DE FRANCE ,
t
Général de Police , & de M. le Procureur
du Roi du Châtelet , à la féanance
d'ouverture de l'Académie Royale
d'Ecriture , le 17 Novembre 1772 .
in- 40 . A Paris , de l'imprimerie , de
Le Breton , rue de la Harpe.
Cette Académie dans la vue de mériter
de plus en plus la protection du Prince
& l'accueil du Public , ne ceffe de faire
des réformes utiles dans les arts & les
fciences qu'elle profeffe. Elle nous fait
part dans le volume que nous venons
d'annoncer de fes obfervations inftructives
fur l'art d'écrire , & fur celui de la
vérification d'écritures , fur l'arithmétique
& la grammaire françoife. Ces
Difcours ont été prononcés par MM .
Paillaffon fecrétaire ; Vallain profeffeur
d'écriture ; Taxis de Blaireau profeſſeur
de calculs ; d'Autrepe profeffeur de vérification
; Collier profeffeur de grammaire
françoiſe ; & Poirier directeur.
Lettres du Baron d'Olban , brochure
in- 12 de 148 pages . A Paris , chez
Merlin , Libraire , rue de la Harpe.
Ce Roman , qui ne fort point de la
claffe ordinaire de ces fortes d'écrits
nous
AOUST. 3773. 97
nous préfente dans le baron d'Olban un
amant qui a conçu pour Julie Theville
un amour fondé fur le rapport des fentimens.
Cet amour eft traversé par les
intrigues d'une dame de Fligny , qui
s'étoit laiffé furprendre par une folle
paffion pour le Baron . On nous peint
dans le perfonnage de cette femme les
erreurs & même le ridicule d'un attachement
que les gens du monde appellent
amour , mais qui n'eft qu'une faillie des
fens . Cet amour défordonné ne defirant
que lajouiffance des fens, eftpeu délicat fur
le choix des moyens pourparvenir a les fins.
Illivre l'homme à la haine,à la jalousie , à la
vengeance, & à tous les vices . Mais le vérirable
amour , qui ne peut fe paffer de la
poffeffion du coeur , cherche à mériter
cette poffeffion par un attachement refpectueux
, & des vertus.
La Pharfale , poëme par M. le Chevalier
Laurès ; volume in 8 ° . A Paris , chez
Ruault , libraire , rue de la Harpe .
Nous avions déjà une traduction ou
uneimitation de la Pharfale par Brebeuf;
mais ce poëte femble s'être batru les
flancs pour enchérir encore fur les hyperboles
violentes & les penfées gigantefques
E
98 MERCURE DE FRANCE .
de fon auteur. M. le C , L. eft entré dans
la même carrière . Mais éclairé par le Alambeau
du goût , il s'eft permis de retoucher
un poëme dont lesbeautés font quelquefois
déparées par des défectuofités. Il a
faifi les traits les plus piquans de l'original
& en a écarté le défaut
l'on reque
proche communément à Lucain , de fe
montrer trop fouvent à la place de fes acteurs
, & de ne favoir pas modérer la fureur
poëtique qui l'anime. Lucain d'ailleurs
trop voifin des événemens qu'ils décrivoir
, n'a ofé s'écarter de l'hiſtoire & a
rendu par là fon poëme fec & aride . M.
le Ch . L. a corrigé ce défaut en mêlant
des fictions au récit à mesure que le fujer
a paru l'exiger. Il a de plus tracé une
image rapide des nouvelles expéditions
de Céfar juſqu'à la mort qui eft indiquée;
il a rendu compte de fes perfonnages &
a par ce moyen complété un poëme que
le poëte latin , mort à la fleur de fon âge
n'a point eu le tems de terminer. Cette
traduction ou plutôt cette imitation de la
Pharfale eft précédée d'une préface où le
lecteur pourra prendre l'idée la plus vraie
que l'on puiffe fe former deLucain. C'eſt un
poëte qui apprécie un autre poëte , & qui
na tracé le caractère diftinctif du chan-
'
AOUST. 1773 99 .
tre de la Pharfale , qu'après avoir effayé
de le faire revivre dans notre langue.
>
Parmi les deſcriptions variées qu'offre
ce poëme, il en eft plufieurs fur lefquelles
le poëte François à répandu tout l'intérêt
du drame. Celle , par exemple , qui nous
repréſente la vertueufe Cornelie , épouſe
de Pompée , retirée à Lefbos & y attendant
le fort de la journée de Pharfale , a
droit de toucher le coeur fenfible du lecteur.
Le poëte a , dans cette defcription
fait fuccéder rapidement les images
pour mieux nous peindre l'ennui & les
agitations d'une époufe inquiéte fur le
fort de fon époux. Et quel époux ! le
grand Pompée , le défenfeur de la cauſe
publique. Ce général dont la victoire
avoit couronné les entreprifes pendant
trente- quatre ans , qui avoit dompté tant
de nations , qui avoit navigé fur les mers
avec cinqcens voiles , fe voit réduit après
la bataille de Pharfale à fe fauver dans un
efquif avec quelques efclaves.
L'éclat le plus brillant que la fortune donne ,
Devient le défefpoir de ceux qu'elle abandonne ;
Ils tombent , ces lauriers qui couronnoient leur
front ,
Et le revers y grave un éternel affront :
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
1
Tel eft le fort des Grands ; dans leur chûte fatale
,
De la gloire à la honte il n'eft point d'intervalle .
Pompée a trop joui d'un nom fitôt fameux :
Plus il fut élevé , plus il eſt malheureux .
A travers les forêts , dans l'ombre ténébreuſe ,'
Il dérobe au vainqueur fa trace tortueufe ;
Il voudroit fe cacher aux yeux de l'Univers ;
Pour être méconnu , fes traits lui font trop chers.
L'infortuné parvient aux bords où le Penée
Couroit ensevelir dans la mer étonnée
L'opprobre de les flots fouillés du fang romain.
Là , celui qui de l'onde eft encor fouverain ,
Dont les flottes , voguant fous l'oeil de la Fore
tune ,
Impriment le reſpect aux plaines de Neptune,
Eft réduit à faifir l'afyle chancelant
D'une barque que guide un nautonnier tremblant.
Sur la route tardive un vaifleau le préſente ,
Il
y monte : tout fert fa courſe impatiente ;
Et fon coeur qui devance & les vents & les flots ,
Pour joindre Cornelie eft déjà dans Lesbos.
Les horreurs de Pharfale y pénètrent ton ame ,
Idole d'un héros que fa douleur réclame !
Tu les vois , & tes cris les marquent , tous ces
coups
Qui frappent les Romains , peut -être ton époux..,
A O UST.
101
1773 .
Donte affreux ! long tourment
core ?
durera-t'il en
Du fommet d'un rocher au lever de l'aurore ,
Ton oeil va fur les mers , fous un jour incertain ,
Saifir le premier mât naiflant dans le lointain .
Sa lenteur te défole , il te femble immobile ;
Que l'onde eft pareffeufe , & que l'air eft tramquille
!
Il vient , il s'agrandit , & quand il entre au port ,
Ton eftroi , d'un époux n'ofe fonder le fort .
Tu les regretteras , ces alarmes cruelles ;
L'eſpoir les balançoit , il va fuir avec elles.
Redoute ce vaiffeau que t'apportent les vents :
II t'émeut ... Tu ne fais.. gémis , il en eft tems ;
Pleure , c'est ton époux , qui des champs d'Ema
thie
Fugitif, pour recours n'a plus que Cornélie.
Il aborde : troublée , elle approche ... ô douleur !
Sur le front du héros elle a lu fon malheur.
Quel objet pour l'amour ! tout fouillé de poulfière
,
Pâle , fuyant du Ciel l'importune lumière ,
Il incline fa tête , & de fes cheveux blancs
Voile & fauve fes yeux de témoins accablans .
Cette époule... Elle céde au tourment qui la
tue ;
Un nuage funèbre enveloppé fa vue ;
Saifi d'un froid mortel , tout fon être a frémi ;
Son corps chancelle , tombe & refte anéanti.
E iij
101 MERCURE DE FRANCE .
Pompée accourt , fon coeur n'eft plus qu'à la tene
dreffe ;
Sa pitié dans fon fein la recueille , la preffe ;
Du feu de les loupirs , dans fes embraflemens ,
Il cherche à pénétrer , à rappeler fes lens ;
Ns s'émeuvent aux traits de cette flamme agile :
Le feu célefte , ainfi fit treffaillir l'argile.
>
Pompée avec tranfport voit briller fous les yeux
Le flambeau renaiffant de jours fi précieux ;
Et quand , dans fes canaux coulant avec la vie,
Le fang a ranimé le front de Cornelie :
« Quoi ! ce coeur , lui dit -il , oubliant ſa vertu ,
» Au premier coup du fort dégénète abattu ?
Ja Fille des Scipions , par un effort fuprême,
»Qu'il s'élève plutôt au deffus de lui- même !
Pour illuftrer les mains , votre fexe n'a pas
» La balance des loix , ni le fer des combats ;
»Selon que fon courage y céde ou les furmonte ,
Les malheurs d'un époux font la gloire ou fa
>> honte ;
»Et quand je fuis vaincu , confolant ma douleur,
» Ne m'en aimez que plus : voilà votre grandeur.
Préférez vos périls , compagne de ma fuite ,
» A la foule des Rois qui marchoient à ma luite.
»Vous êtes tout pour moi, le coeur de votre épouz
»Doit être la patrie & l'Univers pour vous.
»Je rougis de vos pleurs , ceflez donc d'en répan-
» dre ;
Cet excès de douleur honoreroit ma cendre ;
A O UST. 1773 . 103
Il outrage l'amour , quand je vous fuis rendu :
Que vous fait ma difgrace , & qu'avez vous
»perdu
Ma fortune a péri , mais je vous fuis fidèle.
Pourquoi tant de regrets ! n'auriez - vous aimé
» qu'elle ?
33
Tu me connois trop bien , tu ne le penfes pas
Répond la tendre époule , ...
Ce tableau de la fuite de Pompée &
de la douleur de Cornelie commence le
huitième chant du poëme qui en a dix .
Nous l'avons cité par ce qu'on y trouve
plufieurs de ces expreffions qui peignent
l'objet à l'imagination , échauffent le fentiment
, caractérisent le poëte colorifte &
annoncent un écrivain qui s'eft bien pénétré
de fon fujet.
Les Mours du Jour , ou hiftoire de Sir
William Hartington , écrite du vivant
de Richardfon , éditeur de Pamela
Clariffe & Grandifon ; revue & retouchée
par lui fur le manufcrit de l'auteur.
Traduction de l'Anglois. Quatre
parties in 12. A Paris , chez le Jay , li
braire , rue St Jacques.
Toute femme qui ne s'offenfe pas des
premières libertés d'un homme eſt déjà
E iv
194 MERCURÉ DE FRANCE.
perdue. C'est parce que de jeunes perfonnes
ont perdu de vue cette leçon de mo-
Talé de Richardfon , qu'elles font tombées
dans l'opprobre , & ont ajouté le remords
à leur infortune . Mifs Randall , dont on
nous décrit la conduite dans ce roman ,
nous confirme l'importance de la leçon
du célèbre moralifte Anglois. Cette jeune
perfonne naturellement confiante & jugeant
d'après fon propre coeur de la fincérité
des proteftations d'amour de Sir William
Harrington , recevoit avec joie les
affurances d'attachement que lui donnoit
će Lord. Elle nous avoue elle même que
loin de faire ceffer les affiduités de cet
amant comme elle l'auroit dû tandis que
fa paffion naillante pouvoit encore être
furmontée , elle cherchoit au contraire à
les faciliter jufqu'à ce qu'enfin fon fatalamour
eut totalement affaibli fa raifon &
fon jugement . Elle manquoit de courage
pour repouffer comme le devoir l'exigeoit
, le perfide , quand il étoit trop entreprenant.
Elle craignoit d'offenfer un
homme , qu'aveuglée par l'efpoir qu'il lui
avoit donné , elle regardoit comine devant
être un jour fon époux . D'heureuſes
circonftances ont empêché William Harrington
de confommer la ruine de celle
qui faifoit l'objet de fa paffion . Mais fi ce
A O UST. 1773. 105
Gentilhomme , rappelé à la vertu par fes
propres réflexions , & par les exhortations
des Laidi Harrington fes foeurs , a réparé
fa faute par le repentir & par un mariage
que la vertu prefcrivoit , toutes les jeunes
perfonnes qui s'expofent au même
danger que Mifs Randall peuvent - elles
raifonnablement efpérer d'échapper également
à l'artifice & à l'ignominie?
Ce roman eft dans la forme épiftolaire ,
& les lettres étant écrites par des perfonnes
de caractères différens , elles préfentent
des maximes & divers traits de conduite
, mais qui ne peignent pas plus les
moeurs d'aujourd'hui que celles d'un autre
fiècle. On y voit les intrigues & les petites
rufes que les libertins employent ordinairement
fatisfaire ce qu'ils appour
pellent leurs plaifirs . On a auffi la confo
lation d'y admirer des exemples de fageffe,
& d'y trouver des leçons de morale
pratique. C'est une moraliſte bien eftimable
que Mifs Conftance Harrington ; & la
leçon qu'elle donne à fa foeur très- portée
la coquetterie , ne fera pas inutile aux
jeunes perfonnes . « Vous dites , lui écrit-
" elle , que vous ne doutez nullement
» que le Lotd C. ne fût à vous fi vous le
» Youliez. Ah ! ma foeur , je fuis à cet
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
»
"
·
» égard d'un avis bien différent du vôtre,
» & cependant je crois qu'il vous aime
beaucoup. Mais , Julie , c'eft un hom
me d'efprit , & pareilles gens ne fe
» laiffent pas mener . Ils peuvent bien d'a
bord fe laiffer captiver un peu , & s'a
» mufer de ces vertiges, de ces airs de
» coquette ; mais c'eft dans la claffe des
» femmes prudentes & difcrettes , qu'ils
» vont fe choisir une époufe : quelque
» adonnés qu'ils foient à la galanterie , ils
» choififfent rarement pour époufe une
» femme galante ; or telle eft la coquet-
» te. Ils obfervent tous , & avec juſtice
que les habirudes font très difficiles à
» détruire , qu'elles font une feconde na-
» ture; & en effet , comment un homme
» peut- il compter fur l'attachement d'une
femme qui n'a eu en tête , pendant
plufieurs années , que fes habits , fa
» toilette , & qui met fon unique étude ,
tout fon art , à s'emparer du coeur de
» tout homme qui fe trouve fur fon che-
» min ? Peut- il croire , avec la moindre
» apparence de fondement , que pour al
» ler gravement àà ll''aauutteell ,, elle puiffe
changer d'humeur & de caractère
comme elle change de nom ? N'eft - il
pas au contraire beaucoup mieux fondé
»
39
"
»
A O UST . 1773. 107
» à craindre que lorfqu'elle fera fa fem-
» me , cerre paflion de fe faire admirer ,
» ne foit toujours la même? & s'il en eft
"
réellement ainfi , quel horrible état !
» combien il doit être défolant pour lui
» de voir que cette femme de qui il at-
» tendoit fon plus grand bonheur , méprife
cette folide joie qu'auroit pro-
» duite une fincère affection ; qu'elle
> emploie tout fon temsà tendre fes filets,
» pour enlever les coeurs d'un tas de viles
» créatures , à qui elle autoit dû fermer
» pour toujours le fien ? »
On nous prévient dans un avertiffement
que l'auteur de ce roman étoit ami intime
de Richardfon ; que celui - ci , peu avant fa
mort, corrigea cet écrit & y fit des changemens
confidérables. On ajoute que ces
corrections ont été foigneufement confer
vées dans l'édition qu'on donne au Public.
Si en lifant ces lettres on ne fe fent pas
ému par un intérêt auffi foutenu , auffi
touchant que celui qui eft répandu dans
les romans de Richardfon , on y trouvera
du moins cette même attention à rendre
le vice odieux , ce même foin à inſpirer
le goût des chofes honnêtes.
402
Anecdotes Espagnoles & Portugaises , depuis
l'origine de la Nation juſqu'à nos
E
vj
108 MERCURE DE FRANCE.
jours. 2 vol. in - 8 ° . petit format . A
Paris , chez Vincent , imprimeur- libraire
, rue des Mathurins , hôtel de
Cluny.
Ces Anecdotes font fuite aux Anecdotes
Françoifes , Angloifes, Germaniques,
Italiennes & aux autres hiftoires publiées
fous cette forme chez le même libraire.
Les Anecdotes Espagnoles vont jufqu'en
Pannée 1759 que mourut Ferdinand VI ;
& leş Anecdotes Portugaifes jufqu'en
1750. JeanVmourut cette année à l'âge de
61 ans. Il s'étoit acquis l'amour & l'eftime
de fes fujets par fa bienfaifance & fon attachement
aux loix & à la juftice . Une
Dame qu'il aimoit beaucoup , crut pouvoir
lui demander une grace extraordinaire
: ce n'eft point à moi qu'il faut
vous adreffer , répondit il , mais au Roi
qui demeure au Terreiro do Paco . »
C'est la place du palais . Ce Prince donnoit
trois fois par femaine des audiences
pub'iques à fes fujets , le famedi à la nobleffe
, & les deux autres jours à tous ceux
qui fe préfentcient . Il étoit permis à chaque
particulier d'arprocher du thrône ,
de remettre fon placet au Souverain , &
de l'entretenir de fes affaires . Le Monarque
, affis fous un dais , s'appuyoit conAOUST.
1773 . 109
tre une table fur laquelle étoit une corbeille
remplie de pièces d'or , dont il gratifioit
ceux qui fe trouvoient dans le befoin.
Quand il avoit à donner des ordres
qui demandoient une prompte exécution ,
il en chargeoit un des Grands du royaume
, qu'il faifoit appeler . Ces audiences
jettoient l'épouvante parmi tous ceux
dont la conduire étoit repréhensible . Les
miniftres mêmes n'étoient pas exempts
de crainte , & le Roi n'ignoroit rien de
ce qui fe pafloit dans fes états , parce que
chacun avoit la liberté de l'en informer.
La Nobleffe avoit l'honneur de lui parler
de bout & les autres à genoux. Il n'y a
aucune espèce de fiéges dans les appartemens
du Roi & perfonne ne peut s'y
affeoir , pas même le fecrétaire d'état
qui eft obligé d'écrire à genoux . L'audience
commençoit par les hommes , &
finiffoit par les femmes. Celles- ci prenoient
des espèces de mantes ou de domino
, qui empêchoient qu'on ne les reconnut
. On fait que les Dames Portugaifes
fortent rarement de chez elles , au
point qu'il eft paffé en proverbe que les
femmes ne vont à leur paroifle que trois
fois en leur vie , pour y être baptifées
mariées & enterrées . Afin de leur ôter
›
# 10 MERCURE DE FRANCE.
tout prétexte de fortir , prefque toutes les
mailons ont des chapelles où l'on fait
dire la Meffe.
Sous le règne de ce Prince , en 1748 ,
an Anglois ennuyé d'entendre affurer que
Liſbonne contenoit cinq cens mille habitans
, ofa parier une fomme très confidérable
qu'il n'y en avoit pas trois cens
mille. Après un dénombrement exact on
n'en compra pas plus de deux cens quatrevingt
mille , en y comprenant même les
étrangers.
Jean V avoit embelli cette capitale de
plufieurs monumens , mais qui ont été
détraits par le tremblement de terre du
premier de Novembre 1755. Il n'existe
plus de ces monumens que la précieuſe col
lection de tableaux , de ftatues , de livres
& de manuferits dont il avoit enrichi fa
bibliothèque.
Supplément aux loix & Conflitations de
Sa Majefté le Roi de Sardaigne. in 12 .
A Paris , chez Lejay , libraire , rue Si
Jacques , au-deffus de celle des Ma
thurins.
L'empreffement avec lequel a été reçu
le recueil des loix & des conftitutions du
Roi de Sardaigne , imprimé en France en
A O UST. 1773 .
1771 , a engagé l'éditeur à donner un
fupplément à ce recueil. Ce fupplément
contient le dernier édit de ce Monarque
concernant l'affranchiffement des devoirs
féodaux en Savoye . Tous ceux qui s'intéreffent
aux droits refpectifs des citoyens ,
applaudiront à cette nouvelle légiflation ,
& fauront gré à l'éditeur de la leur faire
connoître. Un autre motif l'a déterminé
à cette publication , c'eft celui de mettre
fous les yeux de fes concitoyens qui font
éloignés de leur patrie , le dernier tribut.
d'amour
que ce Roi patriote leur a laiffé
avant de finir la glorieuſe carrière.
La Comète , conte en l'air . Brochure in- 8 °.
On en trouve des exemplaires à Paris
chez Valleyre l'ainé , rue de la vieille
Bouclerie à l'arbre de Jeffé , & chez
les libraires qui diftribuent les nouveautés.
C'est une plaifanterie agréable & légere
qu'une circonftance toute récente a
fait naître. L'auteur femble n'avoir transféré
la fcène dans la capitale Chinoife
que pour peindre la nôtre avec plus de
liberté. On attend une Comète qui doit
rout bouleverfer fur notre globe & peutêtre
l'anéantir. Cette perfpective donne
lieu à bien des regrets , à bien des re112
MERCURE DE FRANCE.
mords , à des réformes , à des reftitutions
au moins projetées.
» Ce feroit pourtant dommage que ce
» pauvre Orang- ti fût noyé , brûlé , ou
étouffé , difoit fa femme Adella ! nous
» fommes très- bons amis depuis que nous
» ne nous aimons plus ; & maintenant que
» nous vivons féparés , je ferois au défefpoir
de le perdre.
»
"
" En vérité ! difoit Orang- ti , Adella
» eft bien la femme qu'il me faut , puis
» qu'elle daigne prefque oublier qu'elle
>> eft ma femme. Ce feroit dommage
» qu'une Comète vînt brifer une chaîne
» fi commode & fi légère !
33
» Rien n'eft plus mauffade ! s'écriait
» un petit Maître Chinois : j'ai entamé
depuis deux jours une affaire avec Al-
» zamé , & c'eſt tout au plus fi cette mau-
» dité Comète nous laiffe le tems de con-.
» clure.
• "
Quant à moi , difoit un jeune Man-
» darin d'armes ruiné par le jeu , les che-
» vaux & les coulifles , je trouve que j'ai
affez bien calculé , & que la Comète
» cadre au mieux avec mes arrangemens .
Que maudite foit cette Comète !.
» ajoutoit certain perfonnage , grand
» amateur de nouveaux édifices. J'ai ven-
30
» du toutes mes terres pour me conftruire
A OUST. 1773 113
"
» une demeure digne de moi : l'édifice eft
» à peine achevé, & voilà qu'une Comète
» vient le détruire ! autant vaut le céder
» à mon Architecte à qui je dois tous fes
» honoraires . Lui même d'ailleurs
» femble avoir prévu le peu de durée
» de notre monde , vu le peu de folidité
qu'il a donné à ma maifon . Il paroît
» que depuis quelque tems prefque tout
» nos Architectes font perfuadés que la
» fin du monde eft prochaine .
Viennent enfuite les réformes , les
reftitutions nouveau fujet de détails
variés , piquants , & que l'auteur a
faifis & rendus de la manière la plus
faillante. Il ne s'appéfantit Tur rien ; mais
nul travers à la mode ne lui échappe.
Il s'eft auffi permis de faire juftice de
quelques perfonnages à qui une correction
moins légere eft bien due , & depuis
long-tems.Voici comment fe termine cette
brochure qu'il étoit difficile de terminer.
« La prédiction ne s'éffectua point.
Chacun garda ce qu'il avoit ; & tout
» alla comme auparavant , foit dans l'or
» dre phyfique , foit dans l'ordre moral .
» On pilla , on barbouilla , on médit, on
"
-99
cabala , on déraifonna , comme on l'a
» toujours fait, comme on fe propoſe bien
» de le faire encore. Il n'eft pas auffi fûr
114 MERCURE DE FRANCE.
qu'une Comète choquera un jour la ter-
» re qu'il l'eft que l'efprit humain cho-
» quera tous les jours la raifon . Nous
» n'avons que des probabilités fur les pre.
» mier point ; nous avons une foule de
preuves fur l'autre .
"
Mais , à tout prendre , notre mon-
» de , tel qu'il eft , vaut encore mieux
» qu'un monde mondé , calciné , ou vitrifié
. Attendons fans impatience la ré-
» folution finale.
-
Debure Père , libraire , quai de Conti
à Paris , & la Veuve Rouzeau Montaut ,
imprimeur libraire à Orléans , aflociés
pour la nouvelle édition des ouvrages de
M. Pothier , confeiller au préfidial d'Orléans
, donnent avis à MM. les Soufcripteurs
qu'ils diftribuent actuellement les
tomes I & II de cette édition , annoncés
dans le Profpectus.
Les mêmes libraires continueront à re
cevoir des foufcriptions pour le dernier
ouvrage jufqu'au mois d'Août inclufivement,
en payant la fomme de 36 liv.
pour le premier paiement , & celle de
6 liv . en retirant les tomes III & IV , qui
paroîtront au mois de Décembre avec le
portrait de l'auteur .
A O UST. 1773. 115
Les deux éloges de M. Pothier , rapportés
dans ces deux volumes , font auffi
imprimés de format in- 12 . Prix , 1 l . 4 f.
brochés en carton, pour être joints , fi l'on
veut , aux oeuvres de M. Pothier , 18 vol .
in 12 .
La réputation de M. Pothier ; l'accueil
favorable que le Public a fait à fes ouvra
ges , & leur grand débit nous difpenfent
d'en donner ici l'éloge . Ainfi nous nous
contenterons d'indiquer ceux dont il s'agit
dans cette nouvelle édition.
Ces ouvrages font tous ceux que M.
Porhier à donnés au Public , touchant la
Jurifprudence Françoife : ce qui regarde ,
1. les obligations en général. 2°. Toutes
les différentes espèces de Contrats qui
peuvent avoir lieu parmi les hommes.
3. Le traité du Domaine ou Droit de
Propriété , & celui de la poffeffion , qui
renferme auffi les différentes efpèces de
Prefcriptions pour acquérir . M. Pothier fe
propofoit de joindre à ces traités ceux
des autres droits réels , tels que ceux des
feigneuries féodales & cenfuelles , des
droits de fervitudes perfonnelles & prédiales
, des droits d'hipothèque , & c.;
après quoi , il comptoit donner des traités
fur les donations entre vifs , fur les tef
samens , fur les fucceffions & fur les au116
MERCURE DE FRANCE.
tres titres de la Couture. Sa mort nous a
privés de tous ces différens ouvrages ;
mais on peut y fuppléer par le moyen des .
introductions que M. Pothier à mifes à la
ière de chacun des titres de la nouvelle
édition qu'il a donnée en 1740 , de la
Coutume d'Orléans . Ces introductions
qui font extrêmement utiles , peuvent
tenir lieu de traités complets fur les matières
qui font l'objet de chacun des titres
de cette Coutume . Ainfi , en joignant cet
ouvrage de M. Pothier fur la Coutume
d'Orléans , à fes autres traités qui font
ici propofés par foufcription on peut
être affuré , qu'à la réferve de ce qui concerne
notre droit public & l'ordre judiciaire
, on aura un corps aflez complet de
Jurifprudence civile Françoife.
>
Conditions de la Soufcription.
Ceux qui fouferiront pour le préfent
ouvrage , payeront , fçavoir : en foufcrivant
,
En tetirant au mois de Juin 1773
les tomes I & II.
Et en retirant au commencement
du mois de Décembre de la même
année les tomes III & IV ,
24 liv.
12
6
Total , .. • • 42 liv.
A O UST. 1773. 117
Ceux qui n'auront point foufcrit
, payerent l'ouvrage en feuilles
,
52
Il ne fera tiré que très - peu d'exemplaires
au - delà des foufcriptions ; & les libraires
continueront toujours à vendre
féparément tous les mêmes traités de l'édition
in 12. , la fomme de 3 liv. le volume
relié , ainfi qu'ils ont fait juſqu'à
préfent.
L'ouvrage fera imprimé de même format
, même caractère & même papier
que le Profpectus.
On foufcrira pour le préfent ouvrage
à Paris , chez Debure père , libraire , quai
des Auguftins ; & à Orléans , chez la veuve
Rouzeau-Montaut , imprimeur du Roi
& de l'Univerfité.
Les foufcriptions feront ouvertes jufqu'au
premier Avril 1773 inclufivement ;
après lequel tems , on ne délivrera plus de
foufcriptions.
Les mêmes libraires avertiffent le Public
, qu'ils viennent de mettre en vente
une nouvelle édition de la Coutume d'Orleans
, de M. Pothier , revue , corrigée &
augmentée , en un volume in-4° . de plus
de 900 pages , du prix de 15 liv. relié,
118 MERCURE DE FRANCE.
Hiftoire abrégée de tous les Empires ,
Royaumes & Républiques , connus depuis
la création du monde , jufqu'à J. C.
On en donnera tout à la fois une double
édition , pour la commodité du Public ,
l'une en 20 tableaux ou cartes , d'environ
trois pieds de long fur deux & demi de
large ; l'autre en 40 cartes d'égale longueur
, & de moitié de largeur des premières.
-
Ces cartes , tant grandes que petites ,
préfentent fous un feul coup d'oeil tous
les événemens d'un même tems . Elles
font divifées en autant de colonnes qu'il
y a d'empires , Royaumes & républiques,
connus dans chaque partie de tems qui s'y
trouvent traitées ; à l'exception toutefois
de ceux fur lefquels il y a peu de choſes à
dire , qui font portés aux pieds des colonnes
des états marquants.
Les différens faits y font rapportés avec
leurs dates , chacun dans la colonne de
l'Empire , Royaume ou République où il
s'eft paffé , & indiqué feulement par un
renvoi dans les colonnes des états qui y
ont contribué ou participé . Par exemple ,
dans le trente - cinquième fiècle du monde
, la bataille de Tymbrée , gagnée par
Cyrus , fondateur de l'Empire Perfan , eft
A O UST. 1773.
119
feulement annoncée , ainfi que la prife de
Sardes & la deftruction du Royaume de
Lydie , dans la colonne de l'Empire des
Perfes ; d'où on renvoie pour les détails ,
à la colonne de ce Royaume.
Il n'y a point un feul trait d'hiftoire ,
tant foit peu important , qui foit négligé
dans cet ouvrage , où l'auteur s'eft appliqué
à mettre autant de précision que
d'exactitude . Les détails y font fuffifants
fans fuperfluité , & ferrés fans omiffion ,
ainfi que le Public en jugera lui - même
fur les premières cartes qui paroîtront.
Au moyen de la diftribution par colon.
nes & des renvois , l'auteur a été difpenfé
des répétitions qu'il eft impoffible d'éviter
dans une hiſtoire univerfelle , faite fur un
tout autre plan .
Le tableau donnera une idée de l'ordre
qu'on a fuivi dans toute la diftribution
dudit ouvrage.
Ces cartes feront données aux foufcrip
teurs , à raifon de trois livres dix fois les
grandes, attendu les frais du colage , & les
petites de trente cinq fols chacune.
Elles fe vendront aux particuliers, cinq
livres les grandes , & cinquante fols les
petites.
Il en paroîtra par an douze grandes &
yingt- quatre petites ; les premières à com
120 MERCURE DE FRANCE.
mencer du mois de Juin , les fecondes ,
au commencement de Juillet , & ainfi de
fuite de mois en mois.
Les perfonnes qui les defireront en format
particulier , par exemple in - 4 ° . , in-
8.,in -12. , in 16 , in- 24. , même in-
48. , auront la bonté d'en écrire à l'auteur
, qui les leur fera parvenir , ou brochées
, ou reliées .
Ces cartes pourront fe réduire dans tous
les formats ci- deffus dits , au moyen du
double filet qui féparera chaque colonne
, qu'on aura foin de difpofer pour cet
effet ; & au moyen encore de la divifion
par quart fur la hauteur , divifion qui fera
obfervée dans tout le cours de l'ouvrage.
On ne demande d'avance aux foufcripteurs
pour aider aux frais confidérables de
cet ouvrage , que 14 liv.
¿
On renouvellera conféquemment la
foufcription tous les quatre mois . La pre
mière fera ouverte dès que le Profpectus
paroîtra , & fermée pour Paris à la fin de
Mai prochain ; pour les provinces , à la
fin de Juillet. La feconde fera ouverte
tant pour la province que pour Paris , au
premier Septembre , & fermée au quinze
Octobre .
>
Les perfonnes qui n'auront pas foufcriç
A O UST. 1773. 121
à tems, ne jouiront pas des remifes ci
deffus dites ; & paieront pour chaque
carte comme les Particuliers.
On fouferira à Paris , chez le fieur Carpentier
, maître de géographie & d'hiſtoire
, auteur de ces cartes , rue du Four St
Euſtache , au numéro 89 ;
Et chez Jorry , fils , imprimeur-libraire,
rue de la Huchette , près du petit Châtelet .
Les Soufcripteurs , tant à Paris qu'en
Province , auront foin de fe faite délivrer
quittance imprimée & fignée de l'auteur.
Chaque carte grande & petite fera
fignée & paraphée par l'auteur au bas du
recto en blanc ; & celles qui pourroient
fe débiter non fignées , feroient de contrefaction
.
Si le tableau préfenté , ne fuffit pas
pour donner une idée jufte de l'ouvra
ge , le Sieur Carpentier fe fera un devoir
de montrer les cartes manufcrites
à ceux qui voudront prendre la peine de
paffer chez lui les lundi , mardi , jeudi &
vendredi matin.
Quoiqu'on ne promette par an que 12
grandes cartes & 24 petites , ce qui fera
vingt mois pour avoir la collection de
toutes les cartes & l'ouvrage entier ; le Sr
Carpentier s'oblige envers le Public , fi
F
122 MERCURE DE FRANCE .
les fonds ne lui manquent pas , de lui
fournir cette collection en quinze mois.
Il fe propofe de donner fur le même
plan , l'Hiftoire de tous les Empires ,
Royaumes & Républiques , connus depuis
Jefus Chrift jufqu'à ce jour.
Le Geur Carpentier prie les perfonnes
qui voudront lui faire l'honneur de lui
écrire , relativement à fon ouvrage , d'af
franchir leurs lettres ; fans cela elles refteroient
à la pofte , ou fans réponſe ..
La première carte qui paroîtra , contien
dra le trente- cinquième fiècle du monde.
Ce fiècle eft le feul de toute cette première
partie de l'Hiftoire univerfelle , où
les faits ne foient ni trop , ni trop peu
multipliés pour pouvoir fe préfenter fur
une feule des grandes cartes que nous annonçons
, & fur deux des petites . C'eſt
conféquemment auffi celui qui peut donper
au Public une idée précife de tout
l'ouvrage , & y fervir de nouveau Profpectus.
La feconde carte commencera de
la Création du Monde. Nous nous prefferons
d'arriver aux fiècles intéreffans ; toure
fois fans rien omettre de ce que les livres
faints nous apprennent des autres.
Le fieur Carpentier continue fes cours
A O UST.
1231
1773.
publics de Géographie & d'Histoire , de
Langue Françoife , & de Style épiftolaire ,
les lundi , mardi , jeudi & vendredi depuis
fept heures du matin jufqu'à midi .
Il fe difpofe encore à mettre inceffamment
fous preffe , en douze tableaux , format
moitié du grand colombier , une
methode pour apprendre la langue latine
fans maître ; & en moins de 18 mois. Il
donnera auffi chaque mois un de ces tableaux.
Les perfonnes , tant de Paris que
des Provinces , qui defireront fe les procurer
, font priées de lui en écrire. Une
fois fûr d'une partie de fes frais , il ne
perdra point un inftant pour donner au
Public cette nouvelle marque de fon zèle .
Tableau , tarif& arrondiſſement de la Sénéchauffée
de Bellai , reffortiffant au
Parlement de Paris pour les régales ,
droits des Pairs , parties du Domaine ,
appels principaux comme d'abus , & c .
au Confeil Supérieur de Poitiers pour
les affaires civiles ordinaires & criminelles
; à celui de Clermont pour les
cas eccléfiaftiques & les tailles , Par M.
Mailleboy de la Mothe , confeiller du
Roi , fon avocat au fiége royal de Bel-
"
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
lai . A Paris , chez Des Ventes de la
Doué , libraire , rue St Jacques .
Ce tableau ou indice de la Sénéchauffée
de Bellai contient une notice hiftorique
de cette Sénéchauffée , un réglement.
fait pour le falaire des Huiffiers , & ua
arrondiffement de la Sénéchauffée , afin
de diftinguer dans les endroits communs
avec les Siéges voifins , ce qui en dépend
ou n'en fait pas partię.
•
Deſcription methodique d'une Collection
de matériaux , du Cabinet de M. D..
R. D. L. Ouvrage où l'on donne de
nouvelles idées fur la formation &.
la décompofition des mines , avec un
court expofé des fentimens des miné
raliftes les plus connus fur la nature
de chaque efpèce de minéralifeur qui
s'y rencontre , & la quantité de métal
qu'elle produit. Par M. Romé de
l'ifle , de l'Académie Electorale des
Sciences uriles de Mayence ; vol in 8 ,
A Paris , chez Didot jeune , Libraire,
Quai des Auguftins , près le pont S.
Michel ; Knapen , Libraire - Impris
meur , au bas de la place du Ponts S
Michel.
A O UST. 1773. 125
On trouve chez le même Libraire , des
exemplaires en papier d'Hollande
in-4° , prix 12 liv .
L'Auteur , en faisant cette defcription
méthodique d'une collection particulière
, a eu deffein de donner une minéralogie
complette. 1 s'eft moins attaché
au nombre qu'au choix des minéraux
de ceux principalement qui étoient
les plus propres à répandre du jour
dans la formation des mines en géné
ral , & fur celle de quelques espèces
dont le rapport immédiat avec d'autres
efpèces qui les accompagnent d'ordi
naire , avoit à peine été remarqué.
9 fa
La plupart des minéralogiftes ont bien
expofé les caractères diftinctifs de cha
que eſpèce de mine , d'après la figure
extérieure fon tiffu , fa dureté ,
pefanteur , fa couleur , & fur-tout d'après
les réſultats plus ou moins exacts que
l'analyfe chymique leur avoit fournis ;
mais on n'avoit pas affez expliqué l'intime
liaifon que certaines efpèces ont
entre elles . C'eft le mérite principal
de cet ouvrage , de diftinguer, autant qu'il
eft poffible , les mines primitives ou d'ancienne
formation , de celles qui portent
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
avec elles les traces d'une origine plus
récente . On rencontre , par exemple ,
les terres métalliques fous divers états
qu'il ne faut pas confondre. Elles font
ou pures ou mêlangées ; elles font combinées
ou non , avec le principe inflammable
; elles font à l'état de chaux , ou
minéralisées par le fouffre ou par l'arfenic,
ou par l'un & l'autre à la fois.
M. R. D. L. donne des preuves nombreufes
de la décompofition de certaines
mines & de leur régénération fous une
forme, & des qualités fouvent très différentes
de celles qu'elles avoient aupara
vant. Ilindique quelques uns des moyens
dont la nature fe fert pour opérer ces
transformations dans les mines ; mais
loin de penfer qu'ils foient les feuls , il
eft perfuadé qu'il en exifte beaucoup
d'autres , qu'à l'aide de l'obfervation
& de l'expérience , on parviendra peutêtre
à découvrir un jour . Il fait les diffé
rentes espèces de chacun des minéraux
qu'il décrit ; il donne leur définition en
François , en Allemand , en Latin , tiré
des meilleurs Auteurs ; il décrit chaque
morceau , & y ajoute fes obfervations
qui font d'un favant Naturalifte éclairé
par les connoiffances de la Phyfique &
de la Chymie.
A O UST. 1773 127
Poëfie del fignor Abbate Pietro Metafta.
fio , Poëta è Bibliotecario Cefareo
Poëfies de M. l'Abbé Métaftafe , Poëte
& Bibliothécaire impérial; 6 volumes
in- 12 , prix 18 liv . en blanc. A Paris ,
chez Durand , Libraire , rue Galande .
Cette nouvelle édition faite avec beaucoup
de foin & d'exactitude , peut fervir
de fuite à la collection des Auteurs
Italiens donnés par Prault ; & quoiqu'en
petit format in- 12 & en fix volumes
elle eft plus complette que celle même
en dix volumes in - 8o . de 1785. On trouve
chez le même Libraire , le dixième volume
in 80. qui fe vend féparément , &
par fupplément à l'ancienne édition.
Les Poëfies de M. l'Abbé Méraftafe
font les délices , non-feulement de fes
compatriotes , mais encore des étrangers
qui connoiffent la Langue Italienne .
Ce Poëte a excelié dans tous les genres.
Il a peint avec délicateffe les jeux
des amours & des graces ; il a rendu avec
énergie l'impétuofité des paffions ; il fe
montre toujours maître de fon fujet . Aucun
Poëte n'a fait des vers en quelque forte plus
lyriques , & qui fe prêtent davantage
aux formes & au langage de la Mufi-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE .
que. Auffi prefque toutes fes Tragédies
& fes Poemes ont ils été choisis plufieurs
fois par les plus grands Maîtres
de l'Italie , pour exercer leurs talents ,
& faire briller leur génie. Quoique ces
Tragédies aient été toutes destinées pour
la musique , plufieurs pourroient être
jouées fans le charine de cet art fecondaire
, & faire un grand effet par le
mouvement des grandes paffions , tels que
le Démétrius , le Thémiftocle , le Titus ,
le Régulus , &c.,
L'eftimable Éditeur , M. Conti , a enrichi
cette nouvelle édition de notes
courtes , mais effentielles ; & il a eu
l'agrément de voir fon travail approuvé
par deux lettres de félicitation de M.
I'Abbé Métaftafe . Nous ne pouvons mieux
faire connoître la richelle de cette collection
, qu'en rapportant les titres des
tragédies , & des autres ouvrages contenus
dans chaque volume .
Tome I. Artaxerce , Adrien , Démétrius
, Olympias , Hypfipile , Aëtius , Tra
gédies ; le Songe de Scipion .
Tome II . Didon abandonnée , la clémence
de Titus , Siroës , Caton à Uti .
que , Démophoon , Alexandre dans les
Indes , Tragédies ; la naiffance de Jupiter
A O UST. 1773.
129
Tome III. Achille à Scyros , Cyrus
reconnu , Thémiftocle , Zénobie , Hypermueftre
, Antigone , Sémiramis , Tragédies
.
Tome IV. L'Ifle déferte , le Roi pafteur
, le Héros Chinois , Artilius Régulus
, Nitétis , Hercule entre les chemins
de la vertu & du vice , ( Alcide al Bivio
) , le Triomphe de Clélie , Romulus
& Erfilie , Parthenope , Roger , on
la reconnoiffance héroïque , la mort de
Caton.
→
Tome V. Les Chinois , le Véritable
Hommage , l'Amour prifonnier , le Cyclope
, l'Afyle d'amour , La Paix entre la
vertu & la valeur , le Temple de l'Éternité
, la querelle des Dieux , les Graces
vengées , le Palladium confervé
le Parnaffe accufé & défendu , Aftrée appaifée
, le Songe , Egérie , le Parnaffe en
confufion , Galatée , Endimion , les jardins
des Helpérides , Angélique , les Voeux
Publics , le Bonheur Public , trois Epithalames
; le Chemin de la gloire.
Tome VI. Joas , Roi de Juda ; Béthulie
délivrée , Ste Hélene au Calvaire ,
Jofeph reconnu , la mort d'Abel , la Paffion
de Jefus Chrift. Ode fur la naiffance
de Notre Seigneur pour la fête de Noël.
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
Ifaac , figure du Rédempteur ; Juftin
Tragédie compofée par l'Auteur à l'âge
de 14 ans. Vingt - deux Sonners , cinq
chanfons , dix fept Cantates , le feftin
des Dieux , l'Origine des Loix , l'Enlevement
d'Europe , Lettre de M. l'Abbé
Métaftafio à l'Editeur , Table des Airs .
Tarifs nouveaux & univerfels , où l'on
trouve à l'infini les compres faits pour
Je partage des Sociétés , tel nombre
d'affociés qu'ils foient , & telle fomme
que ce foit à partager ; & pour toutes
les autres parties de partage ,
à tant la
chofe combien une , ainfi qu'un autre.
Pour le marc la livre , où tous les
compres font faits depuis 10 liv. jufqu'à
1000000 livres ; & à l'infini par
explication , par Fleuri , maître de
penfion à Fifmes ; première édition.
A Reims , chez Pierre - Nicolas- Ant,
Piérard , imprimeur libraire , Parvis
Nôtre Dame ; 1773. in 4º.
Cet ouvrage préfente une fuite de calcals
faits qui doivent fans doute abréger
beaucoup le travail de ceux qui font obligés
d'en faire ufage..
A O UST. 1773 131
Élémens d'Hiftoire générale , feconde partie
, Hiftoire moderne ; par M. l'Abbé
Millot , des Académies de Lyon &
de Nancy , cinq volumes in- douze , à
Paris , chez Prault , Imprimeur , Quai
de Gêvres .
On trouve auffi des Exemplaires de
l'Hiftoire moderne , ainfi que de
l'Hiftoire ancienne , & des autres
ouvrages de l'Auteur , chez Durand ,
neveu , Libraire , rue Galande.
Ces élémens de l'Hiftoire font faits ,
non pour des enfans encore incapables
de réflexions fuivies , mais pour la jeu
neffe déjà inftruire par les premières
études , & pour les perfonnes du monde
qui veulent ou acquérir les principales
notions hiftoriques , ou fe les retracer
avec fruit , fans une trop longue étude.
Le titre d'élémens n'eft point fufceptible
ici du fens rigoureux qu'on y attache
en d'autres genres. L'Auteur a
voulu tracer le grand tableau des chofes
humaines , & ne préfenter que ce qu'il
falloit abfolument de détails pour fixer
l'attention fur les faits les plus import
tans à retenir : il a raifonué fur l'hiftoire'
pour en tirer des idées juftes & des com '
F vj
123 MERCURE DE FRANCE .
:
féquences pratiques fur tout ce qui inté
reffe la fociété il s'eft principalement
attaché à rapprocher les objets analogues ,
à marquer l'enchaînement des caufes &
des effets , à obferver le principe des
diverfes révolutions , à fuivre la marche
de l'intelligence humaine , enfin à diftribuer
les matières dans certaines bornes
où elles puiflent être apperçues diftinctement.
Ce plan eft rempli avec beaucoup
d'élégance & de précifion , par M.
l'Abbé Millot , & fon ouvrage fe fait
lite avec autant d'intérêt que de curiofité .
Voici comme il termine cette hiftoire
moderne .
En contemplant les nations Afiatiques ,
la plupart très - malheureufes au centre
des bienfaits de la nature ; en les voyant
peu avancées dans la carrière du génie ,
quoique leurs progrès fuffent prodigieux
en comparaifon des nôtres , fi l'on remonte
au- delà du feizième ſiècle ; en
examinant fur tout le fort des Indiens ,
à qui la terre offre , prefque fans travail ,
les fruits les plus délicieux , & dont le
pays eft prefque défert , fous le fleau da
defpotifme ; en confidérant à quel point.
tout dégénère fous le plus beau ciel , &
comment la valeur même des Tartares
AO UST. 1773. 133
Y devient moleffe & inertie , on connoît
toute l'influence du climat , combinée
avec celle des caufes morales ; on fe
félicite d'avoir une patrie où les vrais
biens de l'humanité font plus folides &
en plus grand nombre , puifqu'ils font
le fruit tardif de la raifon , du travail , de
cette induftrie créatrice qu'excite le befoin
, que la liberté anime , & qui fait
triompher l'homme de tous les obftacles
de la nature , ou plutôt qui foumer
én quelque forte à fes loix la nature
entière.
Malheureufement le choc des paffions ,
des erreurs & des abus , traverſe encore
à beaucoup d'égards les effets d'une lumière
bienfaifante . Sans doute la fociété
humaine & politique n'eft point capable
d'un certain degré de perfection : les
vices y feront toujours éclore des ronces
; l'intérêt particulier y fera toujours
en guerre fourde avec l'intérêt général,
Mais qu'un Gouvernement éclairé &
ferme entreprenne de réformer , finow
tous les abus , ( chofe impoffible ) , du
moins tous ceux que la prudence permet
de profcrire ; qu'il fonde la prof
périté publique fur des loix fimples ,
impartiales , maintenues avec autant de
vigueur que d'humanité ; qu'il encourage,
134 MERCURE DE FRANCE.
& les travaux qui nourriffent les peuples,
& ceux qui les éclairent utilement ; qu'il
falle paffer aux moeurs & aux talens
refpectables la confidération ufurpée par
l'infolente fortune ; que l'éducation furtout
forme des citoyens pour les divers
états que l'on doit remplie , au lieu
d'ufer la jeuneffe dans une étude ſtérile
de mors , au lieu de lui infpirer le dégoût
des bonnes chofes , en les forçant
de dévorer l'ennai d'un inutile travail :
ofons le prédire avec confiance , un tel
changement , s'il arrive jamais , produira
des miracles de félicité & de
gloire dans la partie de l'Europe où il
fera exécuté .
C'est l'erreur , prefque toujours une
erreur abfurde , qui a enfanté les mauvais
principes , les mauvaifes inftitutions ,
les mauvaiſes loix , les mauvais fystêmes
d'où font nés la plupart des maux de
la fociété civile ; l'hiftoire le démontre
par une infinité d'exemples ; l'hiftoire
devroit donc apprendre aux Rois &
aux hommes d'Etat à corriger les défauts
du Gouvernement , & à pofer les vrais
fondemens du bien public ; elle doit
apprendre aux Miniftres de la religion
à la rendre de plus en plus refpectable ,
en l'appliquant au bonheur du citoyen ,
AOUST. 1773. 135
par la culture de la vérité & des
moeurs ; elle doit apprendre aux particuliers
que nul bien n'exifte fans quel
que mêlange de mal ; que la perfection
eft une chimère ; qu'il faut favoir fupporter
ce qu'il eft impoffible de changer ;
que la modération fait également la
fageffe & le bonheur ; enfin que pour
vivre heureux avec les hommes , il faut
pouvoir vivre content avec foi même ,
avantage précieux attaché à la raifon &
à la vertu.
La génération ou expofition des phénomènes
relatifs à cette fonction naturelle ,
de leur méchanifme , de leurs caufes
en partie , & des effets immédiats qui
en réfuftent , traduite de la Phyfiologie
de M. de Haller , augmentée de quel
ques notes & d'une differtation fur
F'origine des eaux de l'Amnios , 2 vol.
grand in- 8° . à Paris chez Des Ventes
de la Doué , Libraire , rue S. Jacques ,
vis- à- vis le College de Louis le Grand
Les favans connoiffent le mérite de
la Phyfiologie de M. de Haller tout
volumineux qu'eft ce grand ouvrage
on ne peut lui reprocher ni redondance
ni redites , & le lecteur y admira même
136 MERCURE DE FRANCE.
dans les moindres détails , les grandes
vues de fon Auteur & l'immenfité de
fes connoiffances .
"
Quoique la partie de fa Phyfiologie
qui concerne la génération , en foit
prefque le terme , elle eft traitée avec
autant de foin & de vérité que d'érudition.
Le méchanifme de la reproduction
des êtres animés , eft un mystère
impénétrable à l'oeil du Phyficien ; cependant
elle eft le réfultat d'un nombre
de caufes de détail qui ne nous font
pas entièrement cachées ; elle donne lieu
auffi à beaucoup de phénomènes qui
font foumis à nos fens : mais nous
nous n'avions avant M. de Haller ,
fur ces objets , que des obfervations
éparfes & fans ordre ; la plupart étoient
Contradictoires , tontes manquoienr de
précifion , & beaucoup d'entr'elles étoient
totalement fauffes ; il en étoit de même
des raisonnemens qu'on avoit faits d'après
ces obfervations. Puifque les chofes
étoient mal vues , il étoit impoffible
que les conféquences qu'on en tiroit
fuffent conformes à la vérité. Notre Au
teur infatigable dans fes travaux , a pourfuivi
la nature dans fes derniers retranchemens
; il a fait & répété à l'infini des obfervations
fur des cadavres , fár des emA
O UST. 1773 , 137
bryons , fur des fétus , fur des animaux
vivans , fur des oeufs à l'incubation , & c.
enfin il eſt parvenu à répandre autant
de clarté & de certitude qu'il étoit poffible
, dans une matière auffi obſcure
que l'eft la génération . Sans entrer dans
le détail de la manière dont elle eft
traitée , on peut dire qu'il eût été impoffible
de le faire d'une manière plus
fatisfaifante ; & nous ajouterons que les
détails en font curieux & intéreſfans .
M. le Bas , Cenfeur Royal , célèbre
Maître en Chirurgie & Auteur de pluhieurs
bons ouvrages , juge que le Traducteur
a rendu les idées de l'Auteur
avec juſtelle & précifion , & que l'ouvrage
de M. de Haller a rencontré dans
cette traduction ce qui lui étoit néceffaire
pour être à la portée de fes lecteurs
; que les notes ajoutées par le Tra
ducteur décèlent l'homme inftruit dans
cette matière , & font d'un grand fecours
pour l'intelligence du texte Le traducteur
donne auffi la folution d'un problême important
& difficile fur l'accouchement.
Vocabulaire Technique , ou Dictionnaire
raifonné de tous les termes ufités dans
les Arts & Métiers , tome cinquième ,
fervant de fuite au Dictionnaire des
138 MERCURE DE FRANCE.
·
Arts & Métiers ; par M. l'Abbé
Jaubert , de l'Académie des Sciences
de Bordeaux . On pourra encore foufcrire
pour cet ouvrage jufqu'au premier
Octobre prochain , en payant
les cinq volumes en feuille 20 livres.
•
Le Vocabulaire Technique ou le
Dictionnaire des termes employés dans
les Arts & Mériers , doit d'autant plus
intereffer les artiftes & les amateurs ,
que cette momenclature manque abfo
lument dans notre langue , & qu'elle
doit contribuer à l'enrichir.
Si depuis un fiècle les arts libéraux
& les fciences ont enrichi la langue
françoife de plufieurs mots nouveaux ,
quelle richelle ne peut on pas encore
tirer des arts méchaniques , où la prodigieufe
quantité de machines & d'ontils
nouveaux , donne fans ceffe le befoin
d'expreffions nouvelles ?
Ce Vocabulaire eft fuivi d'une table
hiftorique , dans laquelle on trouve les
noms des inventeurs des arts , de ceux
qui s'y font diftingués en les perfectionnant
, des Auteurs qui en ont traité ,
& tout ce qu'il y a d'hiftorique , relativement
à l'origine , aux progrès de ces
A O UST. 139 1773.
mêmes arts , & aux différentes matières
qu'on y emploie.
Hiftoire de l'inoculation de la petite vérole ,
ou Recueil de Mémoires , Lettres
Extraits & autres écrits fur la petite
vérole artificielle ; par M. de la Condamine
, de l'Académie Françoiſe &
de l'Académie Royale des fciences .
Qui novus hic noftris fucceffit fedibus hofpes &
Quem fefe ore ferens ?
VIRG.
feconde partie , in - 12 . A Amfterdam ,
par la Société Typographique ; & à Pa..
ris , Hôtel de Thou , rue des Poitevins,
1773 , in- 12 .
On a raffemblé dans cet ouvrage ce
que M. de la Condamine a publié . fur
la petite vérole artificielle , non feulement
les difcours qu'il a lus dans les
féances publiques de l'Académie Royale
des Sciences , mais encore tout ce qui
eft difperfé dans un grand nombre de
recueils on y a joint auff beaucoup de
pièces qui n'avoient pas encore vu le
jour. L'Auteur a toujours eu foin de
citer les garants de tous les faits qu'il
avance , &de mettre fes lecteurs à portée
140 MERCURE DE FRANCE.
2
de s'inftruire à fond fur la matière qu'il
traite , en indiquant les ouvrages les plus
eftimés en ce genre. Cette hiftoire fi
intéreffante pour l'humanité , répand le
plus grand jour fur les bienfaits de l'inoculation
, par l'enſemble des faits , des
objections , des réponſes , de l'adoption
de cette méthode par toutes les nations
policées , & de fes fuccès conftans
& démontrés.
Traité de la nouvelle méthode d'inoculer
la petite vérole ; par M. Vieuffeux ,
D. M.
Le vrai peur quelquefois n'être pas vraiſemblable.
BOIL. art, počt.
A Genêve, chez Emmanuel Duvillard,
1773 , in- 8° .
On confidère dans cet ouvrage l'âge
le plus convenable à l'inoculation , ainfi
que les faifons , les tempéramens , la
préparation , l'inoculation , les effets de
l'opération , le traitement & les avantages
de la nouvelle méthode . On répond
aux objections faites contre cette prati
que ; on donne le détail de quelquesunes
des premières inoculations faites
A O UST. 1773 : 141
Genève ; on fait l'application de la
nouvelle méthode au traitement de la
petite vérole naturelle , & l'on en examine
les fuites.
L'Amour à Tempé , Paftorale érotique
en deux actes & en profe ; par Madame
C. à Paris , chez la Veuve
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques ;
Durand, neveu , rue Galande ; Delalain ,
rue de la Comédie,
L'Amour fe félicite d'être à Tempé ;
il prend les habits qui lui ont été confacrés
par un berger ; & fous ce dégui
fement , il confulte les coeurs de fes ſujets,
Moris croit en vain que fes richeffes fuffi
fent pour le faire aimer de Pholoć: le jeune
Hyacinthe lui eft préféré. Maris déve
loppe le caractère d'un homme dur , avare
& jaloux, Hyacinthe & Pholoé plaifent:
par leur innocence & leur ingénaité :
leur rendreffe fait leur bonheur & leur :
richeffe ; ils s'amufent à de petits jeux
auxquels l'Amour paroît aui s'intéreffer.
La cabane d'Yphianaffe , mère de Pholoé ,
elt embrâfée , & Maris leur offre fa
maiſon , à condition qu'il époufera
Pholoé. La Bergère gémit de cet accident
cruel, & plus encore d'être féparée હૈ
142 MERCURE DE FRANCE.
de fon amant , qui doit , fuivant l'Oracle ,
recevoir une Nymphe de la main d'un
Dieu . Mais le fidèle Hyacinthe veut
toujours être à Pholoé. Lamon , père
d'Hyacinthe , offre la cabane lorfqu'on
vient encore annoncer qu'elle est écroulée .
Maris renonce alors à Photoé , craignant
d'avoir trop d'infortunés à fecourir . Enfin
l'amour fe fait connoître ; il couronne
les voeux des deux Bergers ; il les comble
de biens & affure leur bonheur ; il maudit
le riche & dur Maris ; il lui dit : « Le
» dégoût volerá fur ta tête , tu maudiras
» tes richelles , & ton exemple redoutable
épouvantera Tempé , tant que l'amour
» fera la plus chère des paflions de fes
habitans ; car j'en jure par le Styx ,
» c'est ainsi que je traiterai déformais
" tous les riches fans humanité. »
ลง
li eft difficile de foutenir l'attention avec
une poftorale , fans le fecours du chant &
des danfes ; l'action en eft toujours trop
fimple pour être dramatique , & le lan-,
gage & les moeurs nous font trop étrangers
intéreffer. L'Ydile & l'Eglogue font pour
pareillement des genres abandonnés , parce
qu'ils n'ont que les mêmes images &
les mêmes comparaifons à nous offrir, &
que tout a cté dit.
A O UST. 1773. 143
Hiftoire des Philofophes anciens , & celle
des Philofophes modernes ; par M.
Savérien ; avec leurs portraits .
Bleuet , Libraire fur le Pont S. Michel ,
& Guillaume fils , auffi Libraire fur la
place dudit Pont , préviennent le Public
qu'ils ont acquis l'Hiftoire des Philofophes
anciens ; par M. Savérien , s volumes
in- 12 , & celle des Philofophes modernes ,
par le même Auteur , & volumes in- 4°.
& 8 volumes in- 12 , avec leurs portraits .
Comme les premiers volumes de ces
deux différens ouvrages ont été imprimés
plufieurs fois pendant les quinze années
qu'on a mis à les exécuter , & qu'il ne
refte qu'un certain nombre d'exemplaires
des derniers volumes , les fufdits Libraires
ne s'engagent à en donner des
féparés , pour compléter ceux qui ont
le commencement , que jufqu'au premier
Janvier 1774.
Telle est l'annonce des Libraires que
nous venons de nommer, & qui ont acquis
l'Hiftoire générale desPhilofophes anciens
& modernes , dans laquelle ils ont ajouté
que pour donner à l'in- 4° . un degré de
mérite qu'il n'avoit pas , ils ont fair
graver de nouveaux cartouches , ceux dont
144 MERCURE DE FRANCE.
on s'étoit fervi jufqu'à préfent faifant
un très mauvais effet ; & on trouve en- *
core dans cette annonce les noms des
Philofophes anciens & modernes qui
compofent les treize volumes de l'Hif
toire générale des Philofophes. Dans
notre Mercure d'Ayril , fecond volume ,
nous avons fait connoître ceux qui rempliffent
les & volumes de l'Hiftoire des
Philofophes modernes , en annonçant
la publication du huitième & dernier
volume de cette hiftoire . Nous nous
bornerons donc ici à tranfcrire les noms
des Philofophes anciens , pour mettre
le Public à portée de connoître toute
cette compofition.
Philofophes antiens .
Tome I. Lycurgue , Solon , Chilon ,
Pittacus , Bias , Cleobule , Efope , Anacharfis
, Epimenide , Pherecyde.
Tome II. Xenophane , Zenon d'Elée ,
Héraclite , Démocrite , Protagoras , Socrate
, Euclide de Megare , Platon ,
Ariftippe , Xenocrate.
TomelII . Antifthene, Diogene , Cratès,
Zenon , Chryfippe , Epicure, Theophrafte,
Accéfilas , Pyrrhon , Carneade.
Tome
A O UST. 1773. 145
Tome IV. Seneque , Epictete , Ap
lonius de Thyane , Marc Aurele , Con-"
fucius , Thales , Pythagore , Anaxagore ,
Leucippe , Pytheas.
Tome. V. Ariftote , Archimede ,
Hypparque , Pline , Ptolomée , Albertle
grand , Roger Bacon , Arnaud de
Villeneuve .
Phædri Fabulæ. L. Annæi Senecæ ac Publii
Syri Sententiæ. Aurelia , fumpt.
Couret de Villeneuve Jun . Bibliop
. 1773 .
Cette petite édition , en très-petit'
format & très - petits caractères , eft à
limitation de celle du Louvre , & pirfaitement
exécutée : elle fe vend ,
reliée en maroquin , 6 liv.; & fe trouve
à Paris chez Saillant & Nyon , Libraires ,'
rue S. Jean de Beauvais .
1
On trouve Hôtel de Thou , rue des
Poitevins , un ouvrage nouveau , intitulé
: Hortus Romanus , juxta fyftema
Tournefortianum ; curâ & ftudio Georgit
Bonelli , publico Medicina Profeffore ,
cuni - 100 . Tabulis in cere incifis , &
coloribus depictis , à Liberato Sabbati ,
G
146 MERCURE DE FRANCE.
Chirurgie Profeffore , & horti cuftode .
In Roma 1772 , in fol. cartâ maximâ .
Avis fur la contrefaction de la collection
de Jurifprudence par feu Me Denifart.
E
Il eft de l'intérêt du Public d'être averti
qu'on a contrefait la collection de jurifprudence
par feu Me . Dénifart , & que
cette contrefaction eft incomplette &
remplie de fautes effentielles .
Elle est défectueule en ce que depuis
l'édition de 1771 , qui eft la dernière &
la feule véritable , il a été imprimé un
carton , & les fautes corrigées par ce carton
fe trouvent confervées dans la con
trefaction . De plus , cette contrefaction.
imprimée à la hâte comme tous les ouvrages
de cette nature , où la feule avidité du
gain , la crainte d'être faifi & puni fuivant
la rigueur des ordonnances , empêchent
de donner le foin & l'attention
convenables , eft remplie d'une infinité de
fautes d'impreffion ; notamment dans les
dates où l'on trouve tantôt 1735 pour
1753 , 1748 pour 1758 , & c. &c . & c.
En forte qu'on feroit expoſé à citer faux
autant de fois que l'occafion de citer fe
préfenteroit.
AOUST. 1773 . 147
La hardieffe & la fraude du contrefac
teur ont été jufqu'au point d'annoncer
cette édition comme étant la huitième ,
revue , & confidérablement augmentée
& fe vendant chez la Veuve Defaint ,
Paris 1773 , lorfqu'il eft notoire qu'il n'y
a pas d'autre édition actuelle que la ſeptième
, donnée au Public en 1771 , avec
le privilégeà la fin du quatrième volume,
privilége omis prudemment dans la contrefaction
: obfervons encore qu'il s'y
trouve plus de 400 pages de moins que
dans la véritable édition de 1771 , ce qui
provient de la fineſſe du caractère imprimé
très- blanc , & par là , très- fatigant
pour les yeux des défauts i marqués
doivent bien fuffire pour faire rejeter
cette contrefaction . Le feul intérêt du
Public , iudépendamment de l'équité naturelle
, le portera fans doute à préférer
l'édition originale qui eft la feptième
fous la date de 1771. Elle ne peut fe
trouver que chez la Veuve Defaint , libraire
, à Paris, rue du Foin St Jacques ,
attendu qu'elle en a feule &le fonds & le
privilege , ainfi que celui des actes de
Notoriété du Châtelet de Paris , donnés
par le même auteur , & réimprimés avec
augmentations en 1769.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE .
ACADÉMIE.
Séance publique de l'Académie royale de
Nifmes , tenue dans la falle de l'hotelde
ville , le mardi 8 Juin 1773 .
M. l'Evêque de Nimes , protecteur de
l'Académie, a ouvert la féance par un
difcours fur l'ufage que les gens de lettres,
& principalement , les Académiciens
doivent faire de leurs talens , & les
écueils qu'ils doivent éviter.
M. de Verot , Confeiller au Confeil
Supérieur , Directeur de l'Académie
après avoir exhorté les Académiciens
remplir les devoirs que ce titre leur impofe
, a fait l'éloge hiftorique de feu
M. Léon Ménard , de l'Académie de
Nîmes , & de celle des infcriptions &
belles lettres de Paris.
M. Teiffier de Marguerittes , ci-devant
Affocié libre , nommé depuis peu Aca
démicien à la place de feu M. de Lafcel
fon parent , a fait un remerciement à
ce fujet ; après lequel il a lu l'éloge hiftorique
de fon prédéceffeur , & celui de
A O UST. 1773. 149
M. Novi de Caveirac fon oncle , Doyen
du Confeil Supérieur , que l'Acadéínie
a perdu depuis quelques mois , pendant
qu'il en étoit Directeur . M. de Marguerittes
a terminé fon éloge en lui appliquant
ces deux vers d'Horace fur la mort
de Quinctilius :
€
Multis ille bonis flebilis occidit ,
Nulli flebilior quàm mihi.
M. Baragnon , Avocat , a lu une élégi
fur la mort de fon fils , & fur celle de
fon ami.
M. l'Abbé Paulian a fait part à la
Compagnie d'en Mémoire fur les comètes
, dans lequel , après avoir expolé
& rétuté le fentiment d'Ariftote & celu
de Descartes fur cette matière , il a rapporté
divers argumens tendans à prouver
que les comères font de véritables planettes
, dont le cours eft fi bien réglé ,
que leur apparition ne doit donner aucune
alarme aux habitans de la terre
& qu'elles ne fçauroient avoir aucune
influence fur notre globe , non plus que
ce qu'on appelle leur queue , leur barbe ,
leur chevelure.
j M. Vincent , Négociant , Chancelier
de l'Académie , a la une Fable allégo-
G iij
150 MERCURE DE FRANCE:
rique , intitulée , l'Induftrie & la Force ,
dont le but est de montrer que les productions
de la terre , telles que la nature
les fait naître , même avec le fecours de
l'agriculture , ne font point fuffifantes à
l'homme , & que c'est l'induftrie qui lui
procure les jouilfances qui rendent fa vie
heureufe dans la fociété.
Après la lecture ces divers ouvrages ,
M. Seguier , Secrétaire perpétuel , a annoncé
le fujet d'un prix pour l'année 1774 ,
par la lecture du programme ci joint : il y
a ajouté quelques confidérations fur les
avantages qui réfulteroient pour la Ville
de Nîmes , des fontaines qu'on pourroit
diftribuer dans les différens quartiers , &
a rendu au généreux anonyme qui a fait
les fonds du prix , le tribut d'éloges dû
à fon zèle & à fon patriotifme.
Enfin M. de Verot , Directeur , a
terminé la féance par quelques réflexions
fut le fujer propofé par l'Académie.
Programme de l'Académie Royale de
Nifmes.
Prix proposé pour l'année 1774.
Un Citoyen a fait remettre à l'Aca .
démie 300 liv .; il les a deſtinées à l'AuA
O UST. 1773 .
teur qui , au jugement de l'Académie ,
aura le mieux traité un fujet , non de
pur agrément , ni d'une utilité trop gérale
, mais d'une utilité propre à la Ville
de Nifmes.
Pour remplir les vues de ce zélé Ciroyen
, l'Académie donnera une médaille
d'or de la valeur de 300 livres , ou la
même fomme en argent , à celui qui
indiquera ,
Le moyen le plus fimple & le moins
difpendieux d'avoir des fontaines dans
différens quartiers de la Ville de Nifmes.
Les Auteurs enverront , franche de
port , une copie lifible de leur ouvrage ,
à M. Seguier , Secrétaire perpétuel de
l'Académie.
Ils écriront fur cette copie une fentence
; ils y joindront un billet cacheté ,
qui contiendra leur nom , leur qualité ,
leur demeure , & für lequel la même
fentence fera répétée . Ce biller ne fera
point ouvert i l'ouvrage n'eft point
couronné.
Les ouvrages envoyés après le 31 Mars
1774 , ne feront point reçus .
Les Membres de l'Académie , fes
Affociés , & les Auteurs qui fe feront
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
fait connoître , ne feront pas adinis au
concours.
Le prix fera adjugé , & l'ouvrage qui
laura mérité fera lu à la féance publique
du 7 Juin 1774.
SPECTACLES.
OPÉRA.
L'Académie royale de Mufique a donné
le vendredi 16 Juillet , la première repréfentation
des Fragmens héroïques ; Ballet
compofé de l'acte d'Ovide & Julie,,
de celui du Feu ( des Elémens ) & de
l'acte des Sauvages.
Le Poëme de l'acte d'Ovide & Julie
eft de Fuzelier ; la Mafique eft de M. de
Cardonne.
Les acteurs font Julie fille d'Augufte ,
repréfentée par Mde . Larrivée.
Albineconfidente de Julie , Mile: Beaumefnil.
Ovide , M. le Gros,
Julie ne peut cacher l'amour qu'elle.
reffent pour Ovide ;
Et comment oublier l'objet de mon amour?
1
A O UST. 153 1773.
trop chère.
Non , non , ma flamme m'eſt
Ovide eft fait pour charmer : .:
Nous tenons de lui l'art d'aimer ;
Il fait encor mieux l'art de plaire.
en
Ovide ne peut auffi difſimuler la `paſfion
qu'il a pour Julie . Il cède aux vives
inftances de cette Princeffe
avouant qu'elle eft la charmante Corine
qu'il célèbre dans fes Vers . Mais
Julie lui dit :
1 T
Contraignez les tranfports que vous faites pa
roître ,
༤ n
Cachez toujours Corine à tous les yeux ,
Je prétends feule la connoître.
Cet acte finit par des jeux dont Ovida
eft l'ordonnateur. Le Ballet eft agréa
ble , & de la compofition de M. d'Auberval.
Le chant eft parfaitement rendu par
Mlle. Larrivée , & M. le Gros.
La Mufique fait honneur à M. de Car
donne ; mais le Poëme a parú froid &
fans intérêt ; on fe difpofe à le remplacer
par celui de Coronis , du Ballet des
Amours des Dieux .
L'acte du Feu eft tiré du Ballet des Elé
ComAlting i
154 MERCURE DE FRANCE .
mens dont les paroles font de Roi , &
la Mufique de Destouches .
Les Acteurs font Emilie , Mlle Duplant
Valère ,.
TAmour ,
. M. Larrivée.
Mlle la Guerre .
Emilie Prêtreffe de Vefta , doit bientôt
fecevoir les loix de l'Hymen ; elle
veille pour la dernière fois à la confervation
du feu facré.
EMILI E.
OVefta , terrible déeffe !
Tu veux qu'un crépas honteux
Soit la peine de la Prêtrefle
Qui laifle éteindre tes feux.
Aux Prêtreffes.
Que vos feins affidus préviennent fa vengeance ;
Que vos fidèles coeurs attirent les bienfaits .
Un noeud mystérieux enchaîne pour jamais
Ses honneurs & notre puiffance.
Valère , amant d'Emilie , entraîné par
fon impatience , s'introduit dans le Temple
de Vefta. Emilie eft effrayée de fon
imprudence , Valère lui répond.
Quel afyle févère .
Et interdit à l'Amour?
AO UST. 1773 . 155
Dans quel temple ce Dieu ne fe fait - il pas jour à
Il eſt le fouverain des Dieux qu'on y révère.
Le feu facré s'éteint par la négligence
d'Emilie le Temple retentit de cris
d'alarme , & de vengeance .
Mais l'Amour vient fecourir les amans .
Mon flambeau fur l'autel fait revivre la flamme.
Les maux que fait l'Amour , il fait les réparer ;
Vivez , belle Emilie , & raflurez votre ame ,
C'est votre hymen que je viens éclairer.
La mufique de cet acte a été en grande
partie refaite & arrangée par M. Berton
, l'un des Directeurs ; & il eft facile
de diftinguer fon travail au charme
de fa mélodie , & par les grands traits
d'une harmonie tantôt douce & moelleufe
, tantôt fière & impofante . Aufi
cet acte n'a jamais eu un fuccès aufli
brillant qu'à cette reptife . I eft fupérieurement
joué & chanté par Mlle Duplant
, & par M. Larrivée .
Le Ballet eft de la compofition de
M. Veftris qui lui - même y danfe , &
y reçoit beaucoup d'applaudiffemens ainfi
que Mlle Guimard,
Le Poëme de l'acte des Sauvages eft
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
C
de Fuzelier , la Mufique eft de Rameau.
M. Tirot y joue le rôle de Damon
Officier François .
M. Gelin , Dom Alvar , Officier Ef
¿pagnol.
t
Mlle Rofalie , Zima , fille d'un Chef
d'une nation fauvage.
M. Durand , Adario , amant de Zima.
L'Amant Amériquain ne peut voir
fans inquiétude les deux étrangers épris
de l'objet de fes voeux.
ve
Rivaux de mes exploits , rivaux de mes amours ,
Hélas ! dois je toujours
Vous céder la victoire ?
Ne paroiflez- vous dans nos bois
Que pour triompher à la fois
De ma tendrelle & de ma gloire ?
12
I apperçoit les deux officiers , & le
cache pour les obferver .
Alvar , Efpagnol , prétend mériter le
coeur de Zima , par fa conftance tyrannique
; Damon , François , fait au conraire
l'éloge de l'inconftance.
L'inconftance ne doit bleffer's
V
Que les attraits qu'elle abandonne.
Mon ; le fils de Vénus ne peut pas s'offenler
AOUS T. 1773 . 157
Lorfque nous recevons tous les traits qu'il nous
donne.
- Un coeur qui change chaque jour,
Chaque jour fait pour lui des conquêtes nouvelles
.
Les fidèles amans font la gloire des belles ;
Mais les amans légers font celle de l'Amour.
Zima fe déclare pour Adario fon amant,
en difant à l'Espagnol :
Vous aimez trop
Au François .
Et vous , vous n'aimez
pas affez .
La mufique de cet acte pleine de force,
d'harmonie & de caractère , fera tou
jours le plaifir des Amateurs. Le Ballet
de la compofition de M. Gardel á paru
très agréable. Il y danfe plufieurs entrées
qui ont réuni tous les fuffrages . M.
d'Auberval & Mlle Alard exécutent un
pás de deux d'une excellente Pantomime
, & de l'exécution la plus brillante.
• 1
158 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE ITALIENNE.
4
LEs Comédiens Italiens ont donné
lundi 19 Juillet , la première repréfentation
de la reprife d'Acajou , Opéracomique
en trois actes en profe , mêlé
de Vaudevilles. Le conte d'Acajou
de M. Duclos a fourni le fujet de cet
Opéra-comique , & M. Favart en a fait
un ouvrage excellent , où il y a beau
coup de comique , de fcènes charmantes
, & de bonnes plaifanteries. Ce drame
eut fur le théâtre de l'Opéra- comique un
fuccès prodigieux , & mériteroit d'en
avoir un pareil à cette reprife , par la
manière dont il eft joué & chanté par
Mde Trial dans le rôle de Zirphile
, par Mde Billioni › dans le rôle
dAcajou . M. la Ruette rend très - comi
quement le médecin Spadaffin . M. Trial ,
le . Poëte géomètre , & M. Suin , l'Avo
cat médecin . Le Génie Podagrambo , &
la Fée Arpagine font joués par Mrs.
Nainville & Thomaſſin . Il ſeroit à defirer
que l'on reprit aina quelques- uns de ces
anciens Opéra comiques ; ils doivent
plaire au François avec d'autant plus
-
A O UST. 1773. 159
de raifon qu'il eft le père de ce genre ,
& du Vaudeville gai & malin qui fait
l'ame de ce spectacle .
A M. FAVART , furfon Acajou , remis
au Théâtre.
AIR: Ilfaut quand on aime une fois.
La fel de tes heureux couplets ,
Les graces de ton ftyle ,
Favart , feront vivre à jamais
Le joyeux vaudeville :
Pour garant , crois- en le fuccès
D'Acajou , de Zirphile.
Qu'à ce fuccès elle eût pris part !
Celle à tout peindre habile ,、
Chez qui les fineffes de l'art
Etoient un don facile.
Quel charme ajoutoit ta Favart
Au traits du vaudeville.
Par M. Guerin de Frémicourt..
160 MERCURE DE FRANCE.
A Madame TRIAL , jouant le rôle de
Zirphile.
AIR : Ah! le bel oifeau , Maman.
QUE
UE ne rajeuniroient pas
Tes talens , belle Zirphile ,
Que ne rajeuniroient pas.
Tes accens & tes appas ?
Charmer les goûts délicats ,
En tout genre t'eft facile ;
Avec gloire fur tes paso
Marche encor le vaudeville .
Que ne rajeuniroient pas , &c.
Par le même.
A Madame BILLIONI , jouant le rôle
V
d'Acajou.
AIR: Sans le favoir.
OTRE talent , votre art ſe plic ,
A tous les plaifirs de Thalie :
Tendre Acajou , j'aime à vous voir
Beau garçon, & Nymphe jolie ,
Tour- à-tour , charmer notre efpoir ;
Et donner douce jaloufic
Sáns le favoir.
A OUST 1773. 161
ARCHITECTURE.
Differtation fur les diftributions des Anciens
, comparées avec celles des Modernes
, & fur leur manière d'employer
les colonnes. Par M. Peyre , Architecte
du Roi & de fon Académie d'Architecture.
QUOIQUE l'Architecture n'ait pas pris naiſſance
en Italie , & que les Romains n'ayent été que les
imitateurs des Grecs & des Egyptiens , ils ont tellement
furpaflé ces autres peuples , que c'eſt à juſte
titre que toutes les Nations cherchent à découvrir
fous le peu de ruines qui nous reftent de leurs fameux
monumens , quels étoient leurs principes.
Sous le règne d'Augufte , l'architecture étoit
parvenue au plus haut degré de fa gloire ; mais
comme s'il y avoir un point de perfection qu'il
n'eft pas poffible de patler , elle dégénéra depuis
ce tems jufqu'au renversement total de l'Empire.
11 fe pafla enfuite plufieurs fiècles où elle fut
tout-à fait ignorée : ce ne fut que fous celui de
- Côme de Médicis & de Léon X , que les Bramanté ,
les Péruzzi , les Jangallo , les Michel Ange , les
Vignolle firent des recherches fur les monumens
des Anciens , tâchèrent de les imiter, & remplirent
Rome de bâtimens qui ont depuis fervi de modèles
aux autres Nations . Depuis ce tems tous les
Peuples de l'Europe envoyèrent des Artiftes à Ra162
MERCURE DE FRANCE.
me , pour y étudier l'architecture ; mais comme
il cft bien plus facile d'étudier d'après des monumens
entiers , que de faire des recherches pénibles
dans des ruines , on fe contenta d'étudier les
modèles des nouveaux maîtres , & à peine regardoit-
on les reftes fublimes de l'antiquité .
C'est ce qui a été caufe que nous fommes parvenus
très -lentement à faire des progrès en France
dans l'architecture. Quoique nous ayons eu d'ha
biles Architectes depuis le règne de Henri II , ce
n'eft que dans le fiècle de Louis XIV que l'on a
ofé faire des colonnades ; encore at - on accouplé
les colonnes ; ce qui eft tout à fait contraire aux
principes de la belle architecture des Anciens.
Palladio étoit fans contredit de tous les Architectes
modernes celui qui connoifloit le meux leurs
principes ; auffi voyons- nous que tous les bâtimens
qu'il a exécutés dans l'Etat Vénitien font
dans un bon ftyle & font le plus grand plaifir
même à ceux qui n'ont aucune connoillance de
l'architecture .
Nous commençons à reconnoître que les monumens
des Anciens étoient d'un ftyle bien plus
grand & plus impolant que tout ce que l'on a fait
depuis eux. Ce n'eft pas , je crois , faure d'avoir eu
des hommes de génie , mais la grande quantité de
bâtimens que les Romains ont faits , les fommes
immenfes qu'ils avoient à dépenser , l'esprit de
grandeur qui regnoit alors , les honneurs que
l'on accordoit aux grands talens , toutes ces cho-
Les étoient faites pour élever l'ame & pour enga
ger les hommes à le futpafler eux mêmes. Si nous
n'avons pas les mêmes reflorts qu'eux , cherchons
au moins à profiter de leurs découvertes , pour
donner à nos bâtimens , quoique moins confidébles
, cet air de nobleffe qu'ils favoient imprimer
A O UST. 1773. 163
même aux plus petites choſes ; c'eſt ce que nous
commençons à faire. Nous voyons s'élever de nos
jours les Eglifes de Ste Géneviève & de la Madelaine
en colonnes iſolées : il ne falloit pas des Artiftes
moins célèbres que ceux qui font chargés de
ves deux monumens , pour franchir ce pas.
Jufqu'à préfent nous nous femmes perfuadés
que les Anciens ne connoiſloient , dans les difpoitions
intérieures de leurs Palais , que des pièces
très - grandes , mais qu'ils ignoroient ce que nous
appelons diftribution commode : il eft vrai qu'en
général nous ne trouvons dans les ruines de leurs
Palais que des pièces fort vaſtes , mais nous ne
faifons pas réflexion que les parties de détail` ,
ayant été conftruites beaucoup plus légèrement
que les grandes parties , ont été bien plus faciles à
détruire, & que la chûte même des entablemens &
voûtes des grandes pièces qui les environnoient ou
les furmontoient, devoit les écrafer néceflairement.
Il en refte cependant quelques parties affez bien
confervées dans les ruines de la ville Adrienne ,
& j'en levai les plans en 1755 avec MM . Moreau
& de Wailly. Nous trouvâmes des diftributions
dans le goût de celles que nous faifons actuellement
, de petites pièces avec alcoves en brique ,
des dégagemens , des corridors , des places de baignoires.
Il reftoit encore les marques des endroits
par où pafloient les tuyaux . Il y avoit auffi
quelques parties d'arabefques. Nous reconnûmes
parfaitement que ces diftributions étoient du même
tems que les fabriques qui les environnoient :
nous en trouvâmes plufieurs dans ce genre & toutes
variées.
Ce n'étoit fûrement pas par hafard que les
Anciens avoient fait ces diftributions : ils avoient
164 MERCURE DE FRANCE.
·
donc l'ufage de les employer dans leurs palais ;
mais quoiqu'il n'en refte que très peu de veſtiges,
il en fubfifte affez pour prouver qu'ils avoient
des connoiflances très - étendues dans cette partie
de l'Architecture.
X
L'on trouve encore fur la voie Appia plufieurs
ruines des mailons de campagne des Romains ,
' où l'on reconnoît auffique les diftributions étoient
tout- à fait ingénieufes.
Mais quand on ne trouveroit plus rien qui indiquât
que les Anciens connoilloient cette partie,
pourroit- on fe perfuader que dans le tems où le
luxe & la mollelle étoient portés au dernier degré
dans Rome , cù l'on ne négligoit rien de ce qui
pouvoit flatter la vanité & la fenfualité , où l'on
cherchoit à épuifer tous les détails de commodité
pour les objets publics , tels que les fpectacles , les
bains , les aqueducs ; dans ce tems où les plus
célèbres Artiftes fleurifloient dans cette capitale
du monde , peut- on , dis je , s'imaginer que les
Romains n'ayent pas connu la partie de la diftribution
, qui eft fans contredit la plus néceffaire
pour les agrémens de la vie ? Croyons plutôt qu'ils
étoient bien plus favans que nous , puifqu'ils
joignoient toutes ces commodités à la plus fuperbe
difpofition.
Ce que tous les auteurs rapportent de la fompruofité
de Lucullus doit donner une idée é: onnante
de la magnificence des Romains . Il avoit
une bibliothèque immenfe , une collection de
tableaux & de fcalpture très - confidérable . Les
richefles qu'il avoit rapportées de fes conquêtes
en Afie rempliffoient un grand nombre d'appartemens
fomptueux ; les ameublemens étoient magnifiques
: comment croire que ces mêmes appartemens
n'étoient pas commodes ?
A O UST. 1773. 165
Les Romains n'avoient dans leur palais qu'un
feul étage élevé fur des teriafles qui fervoient
de bafes & d'empattemens à ces monumens ; fous
ces terraffes étoient pratiqués des falles fraîches ,
des corps - de - gardes & des galleries de communication
avec tous les alentours du palais . Il
exifte encore beaucoup de ces pièces & galleries
aux Thermes de Titus & à ceux de Caracalla : le
fameux grouppe de Laocoon a été trouvé dans
une de ces pièces aux Thermes de Titus ; la niche
où il étoit placé exiftoit encore lorsque j'étois
à Rome. Indépendamment de ce que ces ter
raffes donnoient de la dignité aux bâtimens qui
étoient élevés au- deffus , elles les rendoient fains,
Toutes les principales pièces de ces palais , qui
étoient en grande quantité , étoient très - vaftes ,
très élevées & éclairées par les voûtes. Elles
étoient de formes très-variées & de la plus grande
magnificence , décorées de grands & de petirs
ordres . On y employoit les marbres les plus pré
cieux , les bronzes & quelquefois l'or & l'argent ,
On yemployoit auffi beaucoup de fculptures . Les
fragmens que l'on en trouve fur les ruines du
palais des Empereurs , des entablemens entiers
dont les frifes & corniches font ornées , des chapitaux
, des bafes , des pieds d'eftaux & autres
ornemens nous prouvent à quel point ils recher
choient jufqu'aux moindres détails : ces reftes
font fi précieux que tous les artistes qui vont à
Rome s'empreflent de les deffiner . Plufieurs ama
reurs les ont même fait mouler. Les maffifs des
murs étoient en brique & revêtus de marbre ; les
voûtes étoient auffi de brique , le plus fouvent
en voûtes d'arêtes ou pleins ceintres , ornées de
caiflons faits en ftuck. Les rofettes étoient quel
quefois de bronze , ainfi que les ornemens des
moulures des caillons,
-
166 MERCURE DE FRANCE.
Les appartemens d'habitation & de commodités
étoient liés à ces vaftes pièces , comme nous
l'avons vu à la ville Adrienne , ce qui étoit d'autant
plus facile , que ces vaftes pièces étant éclairées
feulement par les voûtes elles n'empêchoient
par les petites de leur être adoflées ; &
celles-ci avoient des vues fur les jardins , places
& campagnes qui les environnoient . Il y avoit
au-deflus de ces appartemens d'habitation différens
étages ; c'étoit vraiſemblablement
dans ces
parties qu'étoient pratiqués les logemens des perfonnes
qui étoient obligées de fe tenir près de
l'Empereur , tels que font aujourd'hui en France
les logemens des premiers valets-de-chambre. Ils
y pratiquoient auffi des cabinets particuliers , des
appartemens de bains , des bibliothèques , & enfin
toutes les chofes poffibles de fervice & d'agrément.
Il y avoit donc beaucoup d'appartemens
qui avoient pour point de réunion ces fuperbes
pièces dont nous venons de parler L'on trouve
à la ville Adrienne plufieurs cours qui étoient décorées
de colonnes environnées de bâtimens immenfes
. On ne découvre ni au palais des Empereurs
, ni à la ville Adrienne aucune mafle de
grands efcaliers intérieurs , & felon toute apparence
, il n'y en avoit que de petits , tels que l'on
en trouve encore aux Thermes de Caracalla & à
ceux de Dioclétien . Ces petits eſcaliers montoient
fur les voûtes & aux pièces de fervice. Les grands
auroient été inutiles , puifque tous les appartemens
principaux étoient au rez-de - chauffée.
Il n'en étoit pas de même des efcaliers extérieurs
; les terraffes qui fervoient de baſe à leurs
palais devoient donner matière à faire des rampes
douces & des efcaliers de la plus grande ma
A O
UST. 167 1773.
gnificence , tels que celui qui defcendoit du palais.
des Empereurs au grand Cirque .
Pendane mon féjour à Rome , les restes de ces
fameux bâtimens me firent tant de fenfation ,
que je fis tous mes efforts pour imiter le de
genre
ces fuperbes difpofitions , dans plufieurs projets ,
& entr'autres dans un palais pour un Souverain ,
& dans un autre pour les aris & les fciences . *.
J'ai raſſemblé , autant qu'il m'a été poffible , ce
que j'ai admiré pour le genre & pour la variété
daus les reftes des Thermes , dans ceux de la ville
Adrienne & du palais des Empereurs , & j'ai reconnu
la poffibilité de joindre à la magnificence
& à la noblefle des plus belles difpofitions , les
diftributions les plus commodes & les plus va.
riécs.
Les Romains étoient fi perfuadés de l'effet &
de la beauté des grandes pièces éclairées par les
voûtes , que non - feulement ils les
pratiquoient
dans les palais de leurs Empereurs & dans les
monumens publics , mais auffi dans les mailons
des particuliers , & on y voyoir toujours quelques
falles principales dans ce genre.
Des ruines entaflées les unes fur les autres , des
pièces dont on ne peut reconnoître les véritables
formes , qu'en recherchant très exactement le peu
qui en rette , & rafflemblant toutes les parties ,
dont on ne peut reconnoître les hauteurs que par
quelque naiflance de voûtes qui à peine: font in-
* Ces projets le trouvent dans l'OEuvre d'Architecture
de M. Peyre , qui fe vend chez MM .
Jombert , père , rue Dauphine , & Prault , quai
de Gêvres.
168 MERCURE DE FRANCE.
diquées , ne donnent qu'une idée bien imparfaite
de toutes ces difpofitions , à ceux qui ne le font
pas une étude particulière de les découvrir . De
plus la manière dont on a difpofé tous les palais
de l'Europe depuis que les Modernes ont repris
l'architecture des Anciens , eft fi différente de la
leur, qu'il n'eft pas étonnant que l'on ait regardé
les defcriptions qui en ont été faites comme chimériques
, & que l'on n'ait jamais tenté de les
imiter dans cette partie.
Nous avons cru peut - être auffi que cette ma
gnificence ne pouvoit convenir qu'aux Empereurs
Romains qui étoient les maîtres de la terre ; mais
confidérons que ce n'étoit pas le feul palais des
Empereurs qui étoit dans genres que tous les
bâtimens publics , les Thermes qui étoient au
nombre de quatre - vingt, les maiſons de plaisance
& même les bâtimens particuliers étoient conf
truits fur les mêmes principes & dans le même
ftyle : du moins nous aurions pu imiter quelque
fais le grand genre des Anciens & l'employer dans
les palais des Souverains ; mais nous ne l'avons
pas ofé. Les Romains traitoient les maisons des
particuliers en grand ; nous traitons en petit celles
des Princes.
Quelle différence y a-t'il en Europe entre les
palais des Rois & les maifons des particuliers ?
Ils font plus vaftes ; les pièces y font plus grandes
, & il y a plus de richefles : ils ne différent
qu'en cela ; d'ailleurs ils ont plufieurs étages com
me les maifons bourgeoiles : Verfailles , le Louvre
, le Luxembourg en ont trois & quatre ; dans
nos palais le logement du Souverain eft quelque
fois au rez -de- chauflée , quelquefois au premier,
& les perfonnes qui y viennent pour la première
fois
AOUST. 1773. 169
fois font obligées de demander où eft l'appartement
du Prince.
Ne feroit-il pas infiniment plus noble que ces
palais n'euffent qu'un étage élevé , comme l'étoient
ceux des Romains , fur des terraffes pour
les rendre fains , qu'on pratiquât fous ces terrafles
des objets de cominodité & des communications,
& que toutes les principales pièces du palais qui
doivent être publiques , telles que les falles des
Gardes , veftibules , galleries , falle du confeil
pièce du trône , falle à manger , falle de bals
fuffent dans le ftyle de celles des Anciens , éclairées
par les voûtes ? Les cabinets de tableaux &
de fculpture font toujours fort bien éclairés d'en
haut ; c'eft même le meilleur moyen pour leur
donner tout l'effet néceſſaire.
Dans les pièces publiques , où il y a toujours
beaucoup de monde & où l'on n'a pas befoin
d'être diffipé par les objets extérieurs , les jours
venant d'en haut font beaucoup plus agréables
& éclairent également par- tout ; la lumière en eft
bien plus douce ; on en peut juger par l'Eglife des
Chantres à Rome , qui étoit autrefois la principale
pièce des Thermes de Dioclétien. La grande
falle du Palais à Paris peut aufli donner une idée
de cet effet. Ces difpofitions ne feroient elles pas
infiniment plus magnifiques que celles que nous
pratiquons ? L'on pourroit employer dans la décoration
de ces appartemens tout ce que l'architecture
a de plus noble ; au lieu que les pièces
bafles que nous faifons ne peuvent être décorées
que de très - petites architectures , & le plus fouvent
en menuiferie. A ces grandes pièces commu.
niqueroient des appartemens d'habitation qui
feroient fufceptibles des diftributions les plus
H
170 MERCURE DE FRANCE.
commodes & les plus agréables , & qui auroient
vue fur les jardins qui environneroient ces monumens.
Ces difpofitions feroient plus convenables à la
Cour de France qu'à toute autre , le Public ayant
accès par-tour. La gallerie de Verſailles , quoique
fort grande , eft fouvent trop petite pour la
quantité de monde qui s'y raflemble ; les antichambres
du Roi font infiniment trop petites :
lorfque l'on a fait les banquets des mariages de
Mgr le Dauphin & de Mgr le Comte de Provence
, on a été obligé de les faire dans la falle de
l'opéra. Il n'y a pas une pièce fuffifante pour le
grand couvert. Comment pourra - t'on faire des
pièces très- vaftes & proportionnées , tant que
l'on ne cherchera pas à imiter les palais des Anciens
? Celui que Julien fit bâtir à Paris , & dont
il exifte encore quelques veftiges , rue de la Harpe
, étoit difpofé dans ce genre. Il en reſte actuellement
trop peu de chofe pour pouvoir juger
de fon enfemble. L'ancien aqueduc d'Arcueil
avoit été conſtruit pour y amener des eaux , &
croire que rien ne manquoit pour la comon
peut
modité.
pour
Les découvertes importantes que nous avons
faites dans l'appareil de la coupe des pierres , les
pendentifs , les voulures , les voûtes de toutes
efpèces , cette fcience nous donneroit de grandes
facilités faire des chofes encore plus furprenantes
que celles que les Romains faifoient
mais nous ne parviendrons à changer les difpoficions
de nos palais que peu à peu , & par une
longue fuite de tems ; nous ne faifons que com.
à fortir de la forme des jeux de paume
que l'on donnoit à nos falles de théâtres , & ce
mencer
·
;
A O UST . 1773. 171
n'a pas été fans difficultés que M. Gabriël à Ver-
Tailles & M. Moreau Y font parvenus ; c'eſt une
chofe fingulière que notre attachement à nos
ufages ! I règne chez nous une forte d'amourpropre
qui nous fait croire qu'il n'eft pas poſſible
d'aller au-delà de nos connoiflances actuelles :
tout ce qui paroît nouveau révolte ; & il y a toujours
une foule de demi- favans prêts à lancer
leur venin fur les hommes de génie qui ont le
courage de fortir de la route ordinaire.
Le premier Temple qui s'élève en France digne
de nous donner une grande idée des Temples des
'Anciens , où l'on a profcrit ces pilliers lourds &
maffifs & ces arcades , feul moyen connu jufqu'à
préfent pour conftruire nos Eglifes , n'eft - il pas
en butte aux critiques les plus amères & les plus
déraisonnables ? Elles ont été pouffées jufqu'au
point de donner des craintes au Ministère. Il ne
falloit pas moins qu'une réputation auffi géné
ralement établie que celle de fon auteur , pour
qu'il fût continué : & le périftile du Louvre n'at'il
pas effuyé les oppofitions les plus fortes des
demi-favans de fon tems ?
Quoiqu'il nous refte encore bien du chemin à
faire pour atteindre à la perfection où étoient
parvenus les Anciens dans quelques parties de
l'Architecture , les Modernes ont cependant élevé
plufieurs monumens dignes des Romains ; à
Paris , la porte St Denis , la décoration de la cour
du Louvre ; à Rome , le dôme de St Pierre & la
place ; à Londres , le dôme de St Paul ; le moyen
de porter les dômes fur des pendentifs eft une
découverte dont les Modernes ont feuls la gloire.
Si plufieurs des Architectes qui ont conſtruit
un grand nombre d'Eglifes en Europe euffene
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
connu la grande & belle architecture des Anciens
; fi , au lieu de faire une quantité de petits.
reflauts & de mouvemens ; fi , au lieu de mettre
des ordres les uns fur les autres , d'accoupler les
colonnes , de ployer des pilaftres , de mettre de
petits frontons , des attiques , ils cuflent connu
l'art d'employer des ordres d'architecture cololfale
, de faire de ces lignes de colonnes que les
Anciens employoient avec tant d'art , de ces beaux
avant-corps de fix , huit & dix colonnes que l'on
voyoit à leurs temples , & de ces beaux porches ;
s'ils euflent enfin connu les principes des Anciens,
pour emplover les colonnes , plufieurs de ces monumens
auroient furpaflé tout ce que les Romains
ont fait de plus magnifique.
Il eft étonnant que depuis plus d'un fiècle que
nous employons en France des colonnes cololales
, nous n'ayons en général qu'une idée trèsimparfaite
de la façon dont les Romains les employoient.
Quand nous ne faifions que de petits
ordres d'architecture , nous étions obligés d'éloigner
beaucoup les colonnes pour donner des paffages
commodes ; nous nous fommes fait de cer
ulage une eſpèce de principe dont nous avons
une peine infinie à nous écarter ; enfin l'on n'a
accouplé des colonnes du périftile du Louvre, que
parce que l'on enfeignoit qu'une feule n'étoit pas
Iuffifante pour porter les grandes platte - bandes.
que l'on y a employées . Il eût été , je crois , plus
facile de les ferrer davantage ; l'on n'auroit eu
que la même quantité de colonnes , & le double
d'entrecolonnement. L'architecture en auroit pa
ru bien plus grande & plus noble , les colonnes
plus mâles ,& la conftruction en eût été beaucoup
plus folide.
A O UST. 1773. 173
Du tems que les Romains avoient le plus épuré,
l'architecture à Rome , ils ne donnoient communé→
ment à leurs entrecolonnemens corinthiens qu'une
fois & demie le diamêtre de la colonne ; ils
avoient reconnu cette proportion pour la plus
belle , puifque les colonnes qui avoient fept à
huit pieds de diamêtre , & celles qui n'en avoient
que quatre , trois & deux , étoient toutes dans
cette même proportion , & lorfqu'ils donnoient
plus d'un diamêtre & demi à leurs entrecolonnemens
, ils faifoient les colonnes plus cour
tes..
Le Temple de Mars le Vengeur , bâti par Augufte
, étoit entouré de colonnes ; le porche étoit
de huit colonnes , & elles étoient diftantes d'un
peu moins d'un diamètre & demi , excepté l'entrecolonnement
du milicu qui avoit près de deux
diamêtres .
Celui de Nerva Trajan n'avoit qu'un porche
de fix colonnes diftantes d'un diamêtre & demiş
l'entrecolonnement du milieu en avoit deux .
Celui d'Antonin & de Fauftine étoit auffi de fix
colonnes , les entrecolonnemens avoient un diamêtre
& demi.
Le Temple de Jupiter , qu'on nomme le fron
tifpice de Néron , à Monte Cavalle , avoit un
porche de douze colonnes de front , diftantes d'un
diamêtre & demi ; celui du milieu en avoit deux .
Le Temple de Veſta eft rond & entouré de vingr
colonnes ; elles n'y font diftantes que d'un diamêtic
& demi .
Le Temple de Mars étoit entouré de colonnes.
Le porche en avoit fix de front : elles étoient
diftantes d'un diamêtre & demi & un fixieme ;
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
celles du milieu l'étoient d'un diamêtre & demi
trois quarts ou environ.
Le Temple de Jupiter Tonnant , bâti par Augufte
, avoit un porche de huit colonnes diftantes
d'un diamêtre & demi ; l'entrecolonnement du
milieu en avoit un peu moins de deux .
Le Portique de la Rotonde , bâti par Agrippa ,
a huit colonnes de front ; elles font diftantes
d'environ deux diamêtres ; l'entrecolonnement du
milieu n'a pas tout- à - fait un quart de diamêtre
de plus. Les colonnes ont 19 modules 16 parties
. *
Le Temple de Jupiter Stator étoit ifolé ; le
porche étoit de huit colonnes , diftantes d'un diamêtre
& demi & un douzième ; l'entrecolonnement
du milieu étoit d'environ un diamêtre trois
quarts.
Le Portique de Septimias eft de quatre colonnes
& deux pitaftres quarrés aux deux extrémités,
diftantes d'un diamêtre trois quarts ; les hauteurs
des colonnes ne font que de dix - huit modules ,
hait parties deux tiers .
Le Temple de la Fortune Virile à Rome , a un
porche de quatre colonnes d'Ordre Ionique , dif
tantes de deux diamêtres & un huitième . Elles ont
deux pieds onze pouces , & de hauteur dix - fept
modules douze parties & demie.
Le Temple de Caftor & Pollux à Naples avoit
fix colonnes à fon porche ; les entrecolonnemens
ont plus d'un diamêtre & demi , & moins 'un
diamêtre deux tiers .
Le module eft divifé en trente parties.
AOUST. 1773 1773 179
Le Temple que l'on nomme la Maiſon quarrée
à Nime , a un porche de fix colonnes , diftantes
d'un diamêtre & demi , excepté le milicu qui a un
peu moins de deux diamêtres.
Le Temple de la Sybille à Tivoli eſt rond & entouré
de dix- huit colonnes , diftantes de moins
de deux diamêtres ; elles ont deux pieds quatre
pouces , & & n'ont de hauteur que dix- huit moe
dules vingt-une parties.
Le Temple de la Concorde eft d'Ordre Ionique;
le Perche eft de fix colonnes , diftantes d'un diamêtre
trois quarts ; l'entrecolonnement du milieu
après de deux diamêtres. Les colonnes on: de
hauteur dix -neuf modules trois parties. Les chat
pitaux de ce Temple font à quatre faces avec
volute fur les angles . On attribue fauflement l'invention
de ce chapiteau à Michel-Ange , puifque
celui- ci exifte encore à ce Temple près le Capitole
à Rome.
Le Temple de Neptune étoit entouré de colonnes;
le porche en avoit huit de front . Les entrecolonnemens
n'avoient qu'un diamêtre un tiers ,
celui du milieu avoit un diamêtre & demi .
Vitruve , au chapitre II de fon troiſième livre,
explique les cinq pièces de bâtimens , qui font:
le Picnoftile , lorique les colonnes ne font diftantes
que d'un diamêtre & demi ; le Siſtile , lorfqu'elles
le font de deux ; le Diaftile , lorfqu'elles
font de trois ; l'Araoftile de quatre , & l'Eufti.
le , de deux & un quart , qui , felon lui , eft le
plus bel efpacement ; mais il dit dans le même
chapitre: « Les colonnes de l'Aræoſtile doivent
avoir leur grofleur de la huitième partie de
leur hauteur ; pour le Diaftile , il faut divifer
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
en » la hauteur de la colonne en huit parties ,
donner une partie à la groffeur de la colonne ;
à l'égard du Siftile , la hauteur de fa colonne
doit être divifée en neuf & pour en donner
une à la groffeur. Tout de même au Picnoftile ,
il faut divifer la hauteur en dix parties , &
faire que la grofleur de la colonne en foit une
partie . Les colonnes de l'Eftile doivent être divifées
en huit parties & demie, comme au Diaf
tile , afin que la tige ait par le bas la grofleur
d'une partie , faifant l'entrecolonnement large à
proportion de cette partie. »
Ce qui s'accorde parfaitement avec les exemples
que je viens de citer ; tous les Temples dont
j'ai parlé , excepté celui de la Concorde & celui
de la Fortune Virile , étant d'ordre corinthien . Il
dic enfuite :
A proportion que l'on fait les entrecolonnemens
larges, il faut aufli groffir les colonnes ,
d'autant que, fi dans un Aræoftile le diamêtre
des colonnes n'étoit que la neuvième ou dixième
partie de leur hauteur , elles paroîtroient
»trop menues & trop déliées , parce que l'air qui
eft dans le large efpace des entrecolonnemens
» diminue ou dérobe à la vue une partie de la
groffeur de la tige de la colonne ; au contraire
fi dans le Picnoftile on faifoit la colonne groſſe
de la huitième partie de la hauteur , les entrecolonnemens
étroits feroient paroître les colonnes
qui font près à près fi enflées , que cela
» auroit mauvaife grace ; par cette raison , il faut
»avoir beaucoup d'égard à la proportion qui eft
propre à chaque manière . Car il est encore be-
»foin de groffir les colonnes des coins d'une cinquantième
partie de leur diamètre ; parce qu'il
AOUST. 1773 . 77
39
femble que l'air & le grand jour auquel elles
font plus expolées que celles du milieu , les
mange & les rend plus petites : du moins elles
paroiflent telles aux yeux , & il faut que l'art
»remédie auffi à l'erreur de la vue. »
29
ود
L'on pourroit donc établir pour principe d'après
ce que nous venons de citer , qu'il faut donner
aux entrecolonnemens corinthiens un diamè
tre & demi , aux ioniques de deux diamêtres à
deux & un quart , & aux doriques de deux diamêtres
& demi à trois .
Nous avons à Paris deux exemples où l'on a
obſervé , à peu de chofe près , les mêmes principes
que je viens de citer . Le premier eft le périltile
d'ordre dorique du grand portail de St Sulpice
, bâti par Servandoni : les colonnes ont cinq
pieds un pouce & demi de diamêtre , & les entre
colonnemens ont quatorze pieds fix pouces , ce
qui fait plus de deux diamêtres , ce que les Anciens
appeloient Diaftile. Vitruve dir que la colonne
du Diaftile doit être divifée en huit parties
& demie pour en donner une à fa groffeur , c'eſt
à peu- près la proportion des colonnes de ce pé-.
riftile : auffi produit- il le plus grand effet. Si les
autres parties de ce portail répondoient à la beauté
de ce périftile , ce feroit un des plus beaux monumens
qui exiftent.
Le deuxième exemple eft le portail de l'Aflomption
, rue St Honoré ; ce porche eft dans les
proportions générales de beaucoup de ceux des
Temples des Anciens. Il eft de fix colonnes de
front d'ordre.cotinthien & de deux en retour :
elles ont deux pieds fept pouces de diamêtre , &
les entrecolonnemens trois pieds deux pouces
neuf lignes , ce qui ne fait qu'un diamêtre un
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
quart ; l'entrecolonnemt du milieu a huit pieds
fept pouces ou trois diamêtres un tiers : il eft trop
large & les autres trop étroits. S'il n'avoit que
deux diamêtres à deux diamêtres & demi , & les
quatre autres un diamêtre & demi , il feroit picnoftile
& tout- à- fait conforme aux principes des
Anciens , puifque le colonnes ont dix diamêtres
de hauteur. L'on peut juger par ces deux monumens
de l'effet de grandeur que produifent les
colonnes ferrées.
Si nous voulions remonter aux Temples Grecs,
nous trouverions que les plus recommandables
avoient les colonnes encore plus ferrées que ceux
des Romains , ainfi que le prouve la defcription
que M. le Roi en fait dans fon ouvrage de la
Grèce.
Il eft certain que lorfque les colonnes font
fort diftantes les unes des autres , elles paroiflent
maigres : les entablemens , fi légers qu'ils foient ,
paroiflent les trop charger. Au contraire lorqu'elles
font ferrées , elles paroiflent plus mâles & les
entablemens légers . Les plafonds quarrés que
l'on pratique entre les colonnes acquièrent une
belle proportion , & fe lient parfaitement avec
la richefle des chapiteaux . Il n'y a perfonne qui
ayant vu la Maifon quartée de Nilme , qui eft
le monument ancien le mieux conſervé , ne convienne
qu'elle a une nobleſſe & une majeſté qui
ne fe rencontrent dans aucun des bâtimens modernes
. Je fuis perfuadé que s'il étoit poffible d'en
écarter les colonnes peu - à - peu , qu'à meſure
qu'elles s'éloigueroient , elles perdroient de leur
beauté & le bâtiment de fon ftyle , & qu'enfin il
deviendroit d'une mauvaiſe proportion.
On donne pour raifon des grandes diſtances
A O UST. 179 1773 :
que nous mettons aux colonnes , que les entreco
fonnemens étant étroits , il feroit difficile de fair
pafler commodément les proceſſions & cérémo
nies qui fe pratiquent dans nos Eglifes ; mais les
Anciens n'avoient -ils pas auffi des cérémonies
dans leurs Temples ? C'eft même ce qui les enga
geoit à faire fouvent l'entrecolonnement du mie
lidu plus grand que les autres ; ce qui ne détrui
foir pas
le ftyle général de l'architecture , & fervoit
même à indiquer le milieu du bâtiment ; de
plus le mur du Temple étant licé , & la porte
étant beaucoup plus large que les entrecolonnemens
, le peuple pafloit indifféremment par tous
les entrecolonnemens , & fe réunifloit à la porte.
La conſtruction des colonnades , fuivant les
principes des Anciens , feroit bien plus analogue
à notre climat & aux matériaux que nous avons
que celleSque l'on a pratiquée jufqu'à préfent. II
eft certain que les colonnes étant plus ferrées
multiplient les points d'appui , & évitent les
pouflées de ces grandes plates -bandes , que l'on
ne peut conftruire fûrement qu'avec beaucoup de
difficulté , & en le fervant de quantité de fer.
Les bâtimens des Romains n'étoient pas tous
immenfes ils avoient des Temples fort petits ;
mais pourquoi avoient - ils tous cet air de no
bleffe que nous y reconnoiflons ? Pourquoi les
bâtimens modernes ne nous font- ils pas la même
fenfation L'Eglife de St Pierre de Rome , qui eft
plus confidérable que les plus grands Temples des
Auciens, paroît beaucoup plus petite qu'elle n'eft ;
& ce n'eft qu'après l'avoir vue bien des fois , &
avoir fait des comparaifons de grandeur connue
avec les parties de détails de ce Temple, que l'on
reconnoît fon immenfité....
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Cependant le grand art de l'Architecture doit
être de chercher à faire paroître les monumens
qu'il élève , plus confidérables qu'ils ne le font
réellement. Ce n'eft que par les belles proportions
des mafles avec les détails , les beaux entrecolonnemens
& la proportion des entablemens, que l'on
y peut parvenir.
Je crois que nous faifons communément les
entablemens trop forts ; la plupart de ceux des
Anciens n'avoient que le cinquième de la hauteur
de la colonne , & quelquefois moins.
Que l'on me pardonne mon amour pour les
Anciens peut - être me mene- t'il trop loin , &
m'empêche- t'il de rendre toute la juſtice qui eft
due à quantité de belles chofes que les Modernes
ont faites ; mais ce feroit me manquer à moimême
que de trahir ma façon de penfer ; ne vaudroit-
il pas mieux , ne pas mettre au jour mon
fentiment que de le défigurer?
ARTS.
GRAVURES.
I...
La Fille confufe , eftampe d'environ douze
pouces de haut , fur quatorze de large
, gravée à l'eau - forte , par Ingouf
Paîné , & terminée au burin par fon
frère , d'après le tableau de Jean - B
Greuze , peintre, du Roi. A Paris
AOUST. 1773. 181
chez le père ; & Volez , marchands
d'eftampes , rue St Jacques à la vieille
porte ; prix , 4 livres.
UNE bonne mère furprend ſa fille qui
a fon mouchoir dérangé , & paroît plus
occupée d'elle- même que d'une terrine
de lait qui eft fur le fourneau. Le lait
bout & fe répand ; ce qui occafionne les
réprimandes de la mère , & la confufion
de la fille qui , les yeux baiffés & la tête
penchée , cherche à fe couvrir le vifage
d'une de fes mains . Cette fcène , d'une
vérité naïve , a été gravée avec foin par
un artiste qui s'eft déjà fait connoître par
plufieurs morceaux au burin , d'après M.
Greuze.
1 I.
Il a été annoncé dans le Mercure du
mois de Mai de l'année dernière , une
collection de gravures en lavis , faites par
un amateur , d'après les Tableaux des
plus intéreffans des Palais & des Eglifes
d'Italie , dont la première fuite conrenant
la ville de Rome en foixante
planches , fe vend chez les feurs Bezon
& Chereau , Marchands d'Estampes,
L'on trouvera chez les mêmes mar182
MERCURE DE FRANCE .
chands cette année , la fuite des plus
beaux tableaux de la ville de Bologne.
Tous les amateurs des arts , & les gens
de goût qui ont fait le voyage d'Italie ,
fe rappelleront que c'eft dans cette ville
que font confervés les principaux ou
vrages des Carraches , Guevein , l'Albane
, le Guide , &c. L'on compte pouvoir
donner l'année prochaine , les pein-
Tures les plus remarquables de la ville
de Naples , & facceffivement chaque
année , avec des villes de l'Italie . Cette
collection très- confidérable faire pref
qu'en entier fur les deffins de M. Fra
gonard , Peintre du Roi , peut inté
reffer infiniment les amateurs des arts ,
& fur tout ceux qui ont voyagé en Italie.
I I I.
Tom Jones gravé par Ingouf , d'après
le deffin de Wille le fils ; le fujer eft
Tom Jones , difant dans l'acte 1 , Scène
de la Pièce.
D'un cerfdix cors j'ai connoiffance ;
On l'attaque au fort , on le lance , &e.
Cette gravure a 17 pouces de hau
& 14 environ de largeur. teur
AOUST. 1773. 183
I V.
M. Demarcenay vient de mettre au
jour le portrait du Prince Eugène , d'après
le modèle en cire fait par le célèbre
Kopeski , que M. de Krufft , Confeiller
aulique de L. M. Im . & R. au
département des affaires étrangères , lui
à envoyé de Vienne en Autriche.
Cet ouvrage eft le quarante - deuxième
de l'oeuvre de l'Auteur , & le deuxième
de la fuite d'hommes illuftres , ayant
déjà fait paroître Henri IV. Sully , Charles
V , dit le Sage , Charles VII , dit le
Victorieux , la Pucelle d'Orléans , le Chevalier
Bayard , le Chancelier de l'Ho
pital , le Préſident de Thou , le Vicomte
de Turenne , & le Maréchal de Saxe .
Il vient en mêine tems de mettre au
jour deux Paysages fous les numéros 43
& 44 , avec deux tétes de caractère , dont
l'une d'homme , fous le numéro 45 , repréfente
l'Effroy , & l'autre de femme
fous le numéro 46 , l'Etonnement
On trouve ces différents ouvrages chez
l'Auteur , dans le nouveau logement qu'il
occupe rue du Four S. Germain , la Portecochère
en face de la rue des Cifeaux.
184 MERCURE DE FRANCE
Et chez M. Wille , Graveur du Roi ,
Quai des Auguftins.
V.
Galerie univerfelle , contenant les Portraits
de perfonnes célèbres , de tout
pays , actuellement vivantes ; gravés
en couleurs par MM. Gautier Dagoty
père, & fils aîné ; avec des notices hitoriques
relatives à chaque Portrait ; par
une Société de Gens de Lettres . Oa
vrage propofé par foufcription.
Les Portraits offerts au Public font des
eftampes gravées & imprimées en couleurs
, repréfentant les perfonnes les plus
célèbres , actuellement vivantes , d'après
les tableaux des meilleursMaîtres . On fait
combien cet art doit à M. Gautier Dagoty
père , inventeur de la théorie fur laquelle
il eft fondé , & combien il l'a rendu
utile dans plufieurs objets intéreffants.
M. Gautier Dagoty fon fils aîné , qui
a formé le projet de la préfente collection
, l'a affocié dans fon travail , ainſi
que les Gens de Lettres qui l'aideront dans
le choix , dans l'exécution & dans tous
les détails de cetre entrepriſe.
AOUST. 1773. 185
Projet de la Soufcription .
On donne actuellement à ceux qui
foufcrivent , les deux cahiers de cet ouvra
ge qui paroiffent comme l'effai de l'entreprife
, au prix de la foufcription . Le premier
cahier eft compofé de quatre Portraits
& de leurs notices hiftoriques.
Ces quatre Portraits colorés & trèsreflemblans
, font :
Le Portrait de Louis XV ,
Le Portrait du Roi de Pruffe,
Le Portrait de Mgr le Chancelier ,
Le Portrait de M. de Voltaire.
La notice de Louis XV , par M. Gautier
d'Agoty , fils aîné
-du Roi de Pruffe , par M. ***
-de Mgr le Chancelier , par M. Linguet.
-de M. de Voltaire , par M. de la Harpe.
On a choifi pour cet ouvrage le format
in-fol. , & la partie typographique y eft
traitée avec tout le foin poffible.
On diftribue auffi le fecond cahier
compofé de quatre autres Portraits colo
rés & très - reflemblans , qui font :
Le Portrait de l'Impératrice- Reine Ma
rie - Thérefe , tiré des appartemens de Madame
la Dauphine.
Le Portrait du Roi de Sardaigne.
186 MERCURE DE FRANCE.
Le Portrait de M. le Duc de la Vrilliere.
Le Portrait de M. d'Alembert."
La notice de l'impératrice - Reine , par
M. de la Beaumelle.
-du Roi de Sardaigne , par le même Auteur.
-de M. le Duc de la Vrilliere , par M.
Marmontel.
qua-
-de M. d'Alembert , par M. de la Harpe.
On donne tous les deux mois , quatre
Portraits & leurs notices hiftoriques . Chaque
cahier fera toujours compofé de
tre Potraits , & coûtera aux foufcripteurs
12 liv. laquelle fomme il payeront en le
recevant fans faire aucune avance. Ils
figneront feulement les engagemens , &
fouferiront pour une année ou pour toote
la collection , en donnant leur nom &
leur adreffe.
,
On foufcrit chez Pierre, imprimeur , rue
St Jacques ; chez Ruault, libraire , rue de
la Harpe , & au bureau royal de la corref
pondance , & foufcrivant on recevra un
billet d'affurance numéroté, fans lequel
on ne feroit pas regardé comme foufcrip
teur.
Après la foufcription les quatre Portraits
fe vendront 18 liv.
A O UST. 1773. 187
MUSIQUE.
Méthode de Guittarre par Mufique
& tablature , avec différents exercices fur
le pincer de cet inftrument , dans lef
quels fe trouvent les folies d'Espagne ,
fuivies d'une fuite d'Airs & Menuets
ajuftés pour un violon & une Guittarre ,
& d'une autre fuite d'airs à chanter
avec accompagnement de Guittarre , par
Mr B. D. C. dédié à Mlle fa foeur
mis au jour par M. Bailleux . Prix 7 1.
4 f. à Paris , chez l'Éditeur , Marchand
de mufique ordinaire de la Chambre &
menus plaifirs du Roi , rue S. Honoré
à la Règle d'or. A Lyon , Bordeaux ,
Touloufe & Lille , chez les Marchands
de mufique.
Cours d'Education , ou Plan d'inſtruction'
grammaticale , économique & gymnaftique
, rédigé dans l'ordre du déve
loppement des facultés naturelles &
des befoins ; & qui fera fuivi dans la
Maifon d'Education de M. Verdier ,
188 MERCURE DE FRANCE.
Confeiller Médecin ordinaire du Feu
Roi de Pologne , Avocat en la Cour
du Parlement de Paris , &c. & de M.
Fortier , ancien Profeffeur de philofophie
, Ingénieur-Géographe , &c.
M. VERDIER , dont nous avons annoncé
plufieurs fois les projets & les travaux , avoit éré
retardé dans leur exécution , par un voyage &
des affaires de famille . Il vient enfin de les com
mencer avec M. Fortier , qui par les grandes:
connoillances & fon expérience confommée , eft
très - capable d'en aflurer les fuccès . Ces deux Sa-.
vans fe font établis à Paris même , dans une vafte
& belle maifon , fituée en bon air & dans le lieu
le plus propre à faire concourir à leurs travaux
les favans Maîtres de l'Univerfité de cette ville..
Le premier s'y occupera (pécialement de l'éducation
phyfique & médicinale , & le fecond de l'éducation
morale & littéraire.
Bien des perfonnes ayant demandé à M. Verdier
des détails fur l'inftruction que les Elèves
recevroient dans fa maiſon , il a cru devoir l'annoncer
à tout le monde , par un fecond profpectus
, qui eft en même tems le plan d'un grand
ouvrage qu'il fe propofe de donner comme lupplément
au cours d'éducation de Vanière.
Ce nouveau programme eft moins un profpectus
qu'une differtation académique , qui préfente
des vues grandes & nouvelles , fur le renouvellement
& la perfection des études . L'auteur commence
par démontrer que dans fon premier plan
l'Univerfité de Paris avoit compris en fix années
, l'enſeignement de la grammaire , de la
AOUST. 1773. 189
logique , de la rhétorique , de la métaphyfique &
de la morale , des mathématiques , de la phyfique.
& de la médecine économique . Dans ces premiers
tems l'enfeignement de la langue latine borné à
l'interprétation d'une grammaire , à la lecture
des auteurs & à l'ufage , faifoit la portion la plus
légère des études ; mais dans le 14 & le 15 ° fiècles
, la décadence des lettres ayant rendu le latin
plus barbare & d'un ufage moins étendu , on fe
crut obligé de furcharger l'efprit d'une infinité
de piéceptes & de commentaires , la plûpart inu❤
tiles. Alors l'acceffoire devint le principal. Six à
fept ans furent deftinés à l'enfeignement de cette
langue ; & il ne refta que très - peu de tems pour
l'étude des autres arts libéraux & de la philofophie
scholaltique. M. Verdier indique enfuite les
efforts qu'un grand nombre de grammairiens
philofophes ont faits jufqu'à Vaniere pour rame
ner la grammaire latine à la fimplicité pumitive
& pour renouveller l'ancien cours d'éducation ,
Il prouve , par des exemples frappaus , qu'un an
ou un an & demi d'exercice fuffit à un enfant de
cinq à fix anspour entendre & parler le latin commne
la langue maternelle ; que les adolefcens peuvent
ailément faire deux claffes par an ; & qu'enfin
il ne faut pas à un adulte plus d'un an d'étude
pour qu'il contracte l'habitude de parler purement
, correctement & avec aifance le latin scholaftique.
Mais c'eft moins pour abréger le cours
des humanités , que pour le remplir de toutes les
connoillances néceffaires à l'homme citoyen , &
pour en faire une introduction générale à l'érude
de toutes les profeffions (cientifiques , que l'auteur
a travaillé à faciliter & perfectionner l'étude
du latin ,
190 MERCURE DE FRANCE.
*
Pendant que quelques écrivains s'attachent à
déprimer l'ufage d'une langue qu'on a regardée
dans tous les teus comme néceflaire à un homme
bien élevé , Monfieur Verdier s'eft étudié a développer
plus qu'on n'avoit fait encore , fa complication
, fon étendue & fon ulage. Il la confidère
comme une langue morte & vivante en même-
tems ; comme la langue primitive du genre
bumain , la tige de toutes les langues , une langue
commune aux Nations favantes . « Son vocabulaire
& la grammaire préfentent , obfervet'il
, une analyfe de la philofophie & de l'hiftoire
univerfelle ; les fondemens de toute espèce
ɔɔ d'érudition , les monumens les plus certains des
origines , des progrès & des révolutions du
genre humain. Son enfeignement méthodique
Do & perfectionné peut devenir le moyen le plus
propre à perfectionner & a abréger les études ,
» l'introduction la plus complette aux fciences
naturelles , économiques , civiles & facrées . En
un mot , ajoute - t'il , on en peut faire une efpèce
d'encyclopédie scholaftique , peut être la
plus courte & la plus facile qu'il foit poffible
> d'imaginer. »
Co
23
29
Pour développer cette grande idée , M. Verdier
obferve que le premier fond de la langue latine
confifte dans les mots de la langue primitive ;
que ce langage fimple & groffier s'enrichit des
monumens de l'hiftoire , des fciences & des arts
que les Phéniciens répandirent dans tout l'Univers
; qu'il devint une langue régulière foumife
aux loix que nous lui connoiflons aujourd'hui ,
lorfque Romulus & fes fuccefleurs réunirent en
un corps , les petits peuples du Latium ; qu'il fe
perfectionna dans les derniers fiècles de la Répu
A O UST. 1773 . 191
blique Romaine , par le commerce de ſes écrivains
avec ceux de la Grèce ; qu'après les conquêtes
de Jules Céfar il reçur un grand nombre
de mots celtiques , des Gaulois & des Germains ;
qu'il fit l'acquisition d'un fond encore bien plus
précieux , lorfque les livres hébreux ont été traduits
littéralement dans cette langue ; que dans
le moyen âge , le latin devenu barbare , forma
une dialecte nouvelle fous le nom de roman , &
qu'enfin depuis deux fiècles il s'eft renouvellé &
enrichi dans l'Eglife & dans les Ecoles. Delà huit
efpèces de dialectes dans cette langue ; & en indiquant
l'ufage de chacune dans nos moeurs & nos
ufages , M. Verdier propofe de les faire enfeigner
Léparément.
Les antiquaires avoient bien remarqué que
tous les mots de la langue latine peuvent le réfoudre
en un petit nombre de mots fimples, & que
leur décompofition eft le feul moyen d'apprendre
le vocabulaire latin ; mais on n'avoit point obfervé
, comme M. Verdier , que les notions que
repréfentent ces mots font elles - mêmes les élémens
ou les germes d'autres notions uniformes
plus compofées , qui pafloient des pères , des inftituteurs
& des écrivains dans l'efprit de leurs
enfans , de leurs élèves & de leurs lecteurs : on
n avoit point dit que les mots primitifs , les définitions
que préfentent les mots compofés & les
defcriptions grammaticales que forme leur réunion
, font liés entre eux par des rapports conftans
, & qu'ils forment un tout de même nature
que les fyftêmes des Naturaliftes. Le premier
enfin il annonce le hardi projet de reconſtruire
par la fynthèse , le grand édifice de la langue latine
, dont les antiquaires ont décompolé les matériaux
par l'analyſe.
192 MERCURE
DE FRANCE
.
Pour étudier les langues par cette méthode , il eft befoin d'idées & de notions : l'auteur doit les
préfenter à fes élèves , dans un traité élémentaire
de philofophie économique , ou plutôt de logique
univerfelle , qui en offrant à l'efprit les con
noillances néceffaires , l'exerce à leur ufage . Pour
le rapprocher davantage du plan des colléges , il
fera correfpondre les divifions de fon lyftême
littétaire à la diftribution actuelle des claf
les.
Des feuilles élémentaires
contiendront
la phi lofophie qu'on peut enfeigner aux enfans dans
la huitième & feptième claffe. Le françois & le
latin y doivent paroître dans leur plus grande
régularité & leur plus parfaite correfpondance
pour développer cet efprit géométrique dont la
nature donne le germe à tous les hoinmes. On y trouvera les élemens de la prononciation
, de lâ lecture & de l'écriture ; les différences & variations
générales des mots , des liftes de mots &
de phrafes qui entrent dans le langage des enfans
; des dialogues qui contiennent les connoilfances
élémentaires ; des formules au moyen
quelles on doit travailler à développer les fens ,
en exerçant organes par
l'ouie par le monocorde , la vue par le prifme , le
goût & Podorat par un ordre chymique d'odeurs
& de faveurs ; la vue & le tact par les opérations
fenfibles de l'arithmétique
, de la géométrie & de
la méchanique. Pour faire fentir en quelque forte
la fcience , l'auteur yeut qu'on n'opère en ces
arts par
des fignes , qu'après avoir fait condoître
leurs objets , & après avoir épuilé l'induſtrie &
fes forces des inftrumens de la nature.
les leurs
agens :
def
Par ex.
Lorfque les fonctions de l'enfance auront été
fuffisamment
AOUST. 1773. · · 193
fuffifamment développées par l'ulage de ces feuilles
, M. Verdier le propofe de préfenter aux adolefcens
le fyftême analytique de la littérature latine
& françoife , & de la philofophie économique
, pour leur être expliqué de latin en françois
& de françois en latin. Il confacre à ceux de la
fixième clafle une analyle du latin originaire , du
latin hébraïque , du latin-phénicien & du latin
grec , dans un abrégé de l'hiftoire fainte , de celle
des Phéniciens & de celle des Grecs , avec des
principes d'arithmétique & de géométrie.
Aux étudians de la cinquième clafle , il deftine
des analyfes du latin romain , du latin - celtique ,
du latin du moyen âge , du latin ſcolaſtique &
des origines de la langue françoife, dans un abrégé
des fables & de l'hiftoire des Peuples de l'Europe
, avec des élémens d'hiſtoire naturelle & artificielle,
La quatrième & la troisième claffes feront deftinées
à l'enfeignement de la poëfie & de l'élégance
latine & françoife fur les deux volumes de
Vanière , avec des élémens de phyfique expérimentale
& des principes de morale.
En préfentant aux élèves les productions de la
nature & de l'art , l'auteur fe propofe d'exercer
chacun de leurs fens aux obfervations & aux expériences
qui leur font propres ; & à définir les
objets qui leur feront préfentés, à les divifer , à les
décrire , à les démontrer & à les diftribuer fuivant
les méthodes des naturaliftes , des phyficiens
& des chymiftes ; & ce n'eft qu'après que leur
entendement fera fuffifamment garni d'idées , de
mots , de définitions & de defcriptions , qu'il veur
qu'on les exerce fur les compofitions grammati
cales. Ce travail fera principalement l'objet
I
194 MERCURE DE FRANCE.
?
des étudians dans la feconde claffe , qui fera une
préparation à l'éloquence fur les auteurs même,
Ils doivent en outre y recevoir des principes de
jurifprudence & de métaphyſique ,
Enfin , quand l'efprit des élèves aura acquis de
l'étendue & de l'activité par toutes ces opérations
, l'auteur doit les occuper de la ſcience même
de l'économie & de Lart oratoire. Il doit leur faire
l'application des connoiflances précédentes , au
gouvernement d'une maiſon , à la régie des biens
& même à la culture des terres. Ce fera l'objet de
Ja première clafle .
Voilà fans doute une carrière bien vaſte : mais
quand on voit que l'auteur doit y foutenir lans
ceffe fes élèves par des traductions , qui préfenteront
toutes ces connoiffances élémentaires dans
les deux langues ; par les converfations de leurs
maîtres & collégues qui s'entretiendront avec eux
dans ces deux mêmes langues ; par des vocabulaires
toujours expofés fur les murailles , par des
tables analytiques qui leur préfenteront les caractères
de chaque objet qu'ils doivent analyfer,
définir & décrite , on ne peut douter qu'ils ne
marchent à grands pas dans cette carrière , &
n'arrivent en effet au but qui leur eft indiqué,
dans le tems confacré à l'éducation.
Pendant que par ces deux branches de l'éduca→
tion littéraire , M. Verdier inftruira l'ame à commander
aux organes , il exercera ceux - ci à lui
obéir par une troisième , qui contiendra des élémens
de gymnaftique. Il y décrita d'abord un
exercice naturel , qui indiquera les attitudes &
les mouvemens dont l'anatomie nous apprend
que chacun des organes eft fufceptible . Il le fera
Tuivre d'un recueil de procédés les plus propres à
A O UST.
195
1773
la fanté & à la liberté des fonctions naturelles
& civiles que fourniflent les beaux arts ; C. à
a. , l'écriture , fe deffin & la mufique inftrumentale
, les jeux de palet , de la balle , de l'arc ,
du volant , de la paume & du billard ; le faut &
la courfe , le gefte & la daute ; l'efcrime & l'exercice
militaire.
Pour réunir toutes les parties de ce plan d'inftruction
d'un côté avec les befoins & les facultés
de l'homme , & de l'autre avec les objets capables
de les remplir , M Verdier doit faire entrer dans
foo plan d'inftruction des élémens de la fcience
de l'homme & de la terre. Il doit lui même enfeigner
la première de ces deux (ciences à fes élè
ves dans tout le cours de leur éducation , ppour
fuivre & hâter leurs progrès , pour connoître les
fruits qu'ils retirent des leçons & des exercices de
tous leurs maîtres, pour les confirmer , les cor◄
tiger & les aflortir.
M. Verdier fint fon Profpe&us en indiquant
les fources où il eft occupé depuis vingt ans à
puifer , pour remplir ce grand projet . Nous ne
pouvons mieux l'apprécier qu'en rapportant les
paroles de M. Lourdet , profieur au Collége
royal , qui a centuré & approuvé ſon ouvrage.
APPROBATION.
J
J'ai lu , par ordre de Mgr le Chancelier , un
manufcrit intitulé , Cours d'Education , &c.
par M. Verdier , &c. Dans le plan d'inftruction
que l'auteur le propofe d'exécuter envers les
élèves qui lui feront confiés , j'ai admiré le réfultat
des plus profondes lumières , qu'une lonque
étude de fon objet & une expérience conlommée
lui ont acquifes . Le Public y verra
I ij
196, MERCURE DE FRANCE
fans doute avec reconnoiffance le zèle vraiment
patriotique , qui dévoue à l'éducation pénible
» de la jeunefle & à la cure des maladies des premiers
âges , les veilles de ce Citoyen éclairé
après les avoir fi long- tems confacrées à la recherche
des moyens qui doivent affurer fes fuc
cès : & je crois que ce Profpectus , qui n'eft pas
moins l'abrégé des qualités de fon coeur que
le Compendium de fes connoiflances , fera favo
rablement accueilli de tous ceux à qui le bied
de l'humanité eſt cher & précieux . Donné à Pa
ris , ce , &c. LOURDET , Profefleur R. »
Ce Profpectus le diftribue gratuitement chez
MM, Verdier & Fortier, Quai St Bernard , la
feconde porte cochère en - deçà la rue de Seinc.
ANECDOTES.
"
21
I.
LE Prieur de St Martin des Champs ,
par un zèle de dévotion commun dans
le vieux tems , voulut paffer à la Terre
Sainte ; il fut pris par les Sarrazins : on
le dit nort. Le Roi Louis XI. donna
fon Prieuré à un jeune Moine qu'il
affectionnoit . Au bout de deux ans le
vieux Prieur échappé des mains des
Barbares , reparut ,
& voulut rentrer
dans fon bénéfice : grandes conteftations
"
A O UST. 1773 . 197
pour lesquelles ce dernier préfentoit tous
les jours des placets au Roi . Louis , ne
voulant pas deftituer fon jeune Prieur ,
ne favoit comment faire : il prit le che
¡min le plus court ; il dit au Prévôt :
Triftan , « Défais moi de ce Prieur de
» St Martin , » Triſtan , fidèle & finiftre
exécuteur des ordres de fon Maître , fe
rend le foir à l'Abbaye , demande le
Prieur , s'en faifit , le fait confeffer , le
met dans un fac , une pierre au col , &
le jette à l'eau , puis vient dire à Sa
-Majefté Sire , cent diables ne le
» fortiroient pas de fon étui , Le
lendemain le vieux Prieur reparut
avec fon placet : le Roi furpris , vit la
méprife de Triftan , qui , faute d'explication
, avoit fait paffer le pas au
jeune Prieur à la place du vieux , à qui
Louis XI . , débarraſſé du conflit , rendit
le bénéfice.
I I.
»
Un Ambaffadeur d'Efpagne qui accom.
pagnoit Henri IV. dans une cérémonie
publique , fut fort choqué de voir le Roi
preffé dans la foule , & lui en marqua
fon étonnement . M. l'Ambaffadeur ,
lui dit Henri IV. , fi vous voyiez
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
» comme ils me ferrent un jour de ba
» taille , c'eſt bien autre choſe. »
#
I I I.
L'Abbé Hubert difoit d'an boffu qui
n'avoit point d'efprit : « Cet homme là
» n'eft pas boffa , il n'eſt que contrefait.
LETTRE de M. Babelin , Chirurgien
oculifte , fur la Lagophtalmie .
Je fus appelé le 15 Octobre 1772 , pour trai
ter la nièce de M. le C. ** Négociant , demeurant
rue du Fauxbourg S. Honoré . Je trou
vai cette Demoiselle attaqiée de Lagophtalmie ,
qui fignifie ceil de lièvre . La paupière lupé
rieure de l'oeil droit renversée , raccourcie , &
collée contre le finus maxillaire , étoit encore
reployée , & formoit la pointe d'un chapeau.
L'eil fe trouvoit totalement découvert. La paupière
intérieurement étoit enduite d'one callofité
dure comme du bois . Cet excroiffance avoit
été cauterifée anciennement avec des cauftiques
violens. Le tarfe étoit fi raccourci , qu'il ne
paroiffoit guère poffible de le rétablir dans; fon
état naturel. Toutes ces difficultés ne me rebutèrent
point ; je jugeai que je ne pourtois
parvenir à la guérifon de cette mala lie , qu'en
enlevant la callofité qui renverfoit la paupière.
Mais fa dureté & fon adhérence à la paupière
ne me permettoient pas de commencer par l'extirpation.
Il falloit råmollir & éloigner l'excroifA
O UST. 17735 199
fance de la paupière , afin d'opérer sûrements ,
Les émolliens remplirent parfaitement mes vues.
Au bout de quelques jours , j'apperçus un ramolliffement
aflez grand. Cela me détermina à
couper avec les cifeaux un lambeau de l'excroif
fance dens le milieu de la paupière. Il furying.
une bonne fuppuration , & j'obtins un peu de
relâchement dans la paupière. Quelques tems
après je coupai , du côté du grand angle , un
fecond lambeau , & enfin continuant ces opérations
, jufqu'a cinq fois , je parvins à relâcher
fi confidérablement la paupière , que je conçus
l'efpérance de compléter la Cure. J'y fuis enfin
parvenu dans l'efpace de trois mois. Pendant
cet efpace de tems , la malade n'a été faignée ,
qu'une fois , & du bras. Elle étoit âgée de douze
ans lorfque je l'entrepris . Sa figure étoit fi hideufe
, qu'elle effrayoit tous ceux qui la voyoient.
Elle eft devenue depuis fa guérifon , d'une fi
gute fort aimable . J'obferverai ici que les operations
faites dans l'intérieur de la paupière
font peu fouffrir les malades , & qu'elles n'en
traînent aucun accident , quand elles font faites
par les mains d'un Maître qui a beaucoup pratiqué.
En faisant part au Public de la méthode qui
m'a fi bien réuffi pour guérir cette eſpèce de Lagopthalmie,
je n'entends pas enfeigner une chofe
nouvelle , mais feulement remettre dans la bonne
voie ceux qui fe feroient laiffés entraîner
par l'opinion de plufieurs Anciens , & mêine
de quelques Modernes qui penfent que la Lagopthalmie
n'eft pas curable par l'opération.
On ne fçauroit trop répandre des faits pareils
à celui que je viens d'expofer. Non-feulement.
Liv
200 MERCURE DE FRANCE .
F'Art en fecevra de nouvelles lumières , mais
encore ceux qui fe deſtinent au traitement des maladies
des yeux , y trouveront des exemples
qui les autoriferont à ne pas abandonner inhumainement
des malades qui auroient porté
toute leur vie l'empreinte d'une erreur funefte.
Cette guérifon a été opérée fur les yeux de
MM . Miffa & Defcemet , Docteurs Régents de
la faculté de Médecine de Paris , & de M. de
la Roche , Maître en Chirurgie , Chirurgien de
la maiſon qui avoit examiné la maladie avant
que j'euffe été mandé . M. Babelin recevra les
pauvres gratis , les vendredis & famedis , depuis
huit heures du matin jufqu'à midi. Il demeure
rue Champ -Fleury , la premiere Porte
cochère en entrant par la rue S. Honoré à
droite.
AVIS .
I.
PENSION de l'Univerfité tenue à Paris , rue
Border, au collège de Boncourt , montagne Ste
Géneviève ; par M. le Roux , maître ès-arts &
auteur du Journal d'Education , dédié au Roi.
Il y a une gallerie de communication entre ce
college & celui de Navarre , enforte que les Ecos
liers ne font point obligés de traverser les rues.
I I.
Le Sr de Longpré , maître de mathématiques
travaillant à mériter les fuffrages du Public , a
A O UST. 1773. 201
l'honneur de lui annoncer que fur quatorze jeunes
gens qu'il a préfentés à l'examen du Génie
Militaire , il en a eu trois de reçus.
Entrée de MADAME , à Paris.
LeE mercredi 14 de Juillet , Madame , accom
pagnée de la Comtefle de Merfan , gouvernante
des Enfans de France , de fes Dames & des Dames
qui avoient été invitées , vint entendre la
Mefle dans l'Eglife métropolitaine de Paris . Elle
fat faluée , à fon arrivée & à fon départ , par le
canon de la Baftille , par celui de l'Hôtel Royal
des Invalides , & par celui de la Ville. Elle trou
va , à la porte de la Conférence , le Corps- de-
Ville qui lui rendit fes refpe&ts & qui lui fut pré
fenté par le Maréchal Duc de Briffac , Gouver
neur de Paris , & par le fieur de la Michaudiere
-Confeiller d'état & Prevôt des Marchands , qui
eut l'honneur de la complimenter. Le fieur de
Sartine , Confeiller d'Etat & Lieutenant- Général
de Police , s'étoit rendu dans le même lieu. En
arrivant à Notre Dame , cette Princelle trouva
un détachement des Gardes- Françoifes & Suifles
fous les armes. L'Archevêque de Paris , revêtu
de fes habits pontificaux & à la tête des Chanoines
reçut Madame à la porte de l'Eglife & la
complimenta. Elle entendit la Meffe à la Chapelle
de la Vierge & alla faire ' enfuite fa prière à l'Eglife
de Ste Geneviève , où l'Abbé , accompagné
des Chanoines Réguliers de cette Abbaye , eut
l'honneur de la recevoir & de lui adreffer un difcours.
Elle dina , le même jour , au palais des
Tuileries avec Madame Elifabeth , qui s'y croit
1 v
102 MERCURE DE FRANCE.
rendue de Verfailles , accompagnée de la Princelle
de Rohan Guémené , Gouvernante des , enfaus
de France , en furvivance ; ces Princefles fe.
promenèrent , l'après - midi , dans le jardin , &
remontèrent enfuite en carrolle pour retourner à
Verſailles. Le jardin du palais des Tuileries , anfi
que toutes les rues par lefquelles Madame a paflé,
étoit rempli d'une foule de Peuple qui faifoit écla
ter la joie de voir cette Princefle 3 .
Le 25 du même mois, Madame, & Madame Elifabeth
, accompagnées de la Comtefte de Marfan,
Gouvernante des Enfans de France , de la Princeffe
de Rohan Guémené , Gouvernante en furvivance
, & des Dames de leur fuite , vinrent fe
promener fur les boulevards de cette capitale.
Les habirans , aftirés par le plaifir de voir ces Prin
cefles , firent éclarer leur joie par des battemens
de mains continuels , & répondirent par les cris
redoublés de Vive le Roi aux marques de fenfibilité
que ces deux Princefles leur donnèrent.
En revenant de Ste Genevieve , MADAME fit -
arrêter fon camole devant le College de Louisle-
Grand , ou M. l'Abbé Coger , Recteur de l'Univerfité
, eut l'honneur de foi adreſſer un com
pliment conçu en ces termés. 1
MADAME ,
$
F
9 .
Nos coeurs fe livrent à de nouveaux tranf
sports de plaifir , de tendrefle & d'admiration.
Les graces nobles & rouchantes qui vous ac
»compagnent ; ce caractère de bienfaifance & de
a douceur qui vous eft, naturel , ces reparties in
genieufes qui détèlent la délicatefle de Notre ..
nefprit ; l'élévation de votre ame cultivée par
des mains habiles à former les enfans des Rois
A O UST. 201 17736 .
tant de belles qualités dont la France s'applau
»dit , & que plus d'un peuple doit nous envier ;
voilà l'objet de nos refpects , & le motif de notre
alégrefle.
» Auffi , Madame , nos fêtes ſe ſuccèdent , notre
enchautement continue , nos voeux fe confondent.
C'eft Louis que nous voyons dans
fon augufte Famille notre amour pour ce Moarque
fe peint dans les hommages que nous
rendons à des têtes qui lui font chères ; fa tendrefle
en eft également flattée , & fon aff,ction
» augmente à l'égard d'un Peuple qui , pár lon
»zèle & fon dévouement pour les Souverains
»doit fervir de modèle à l'Univers...
Toujours attentive à perpétuer ces bons prin-
»cipes , l'Univerfité de Paris , Madame , follicite
pour elle & pour les Elèves vos bontés & votre
»bienveillance . »
Impromptu à MADAME , Soeur de
Mgr le Dauphin.
Di quatre Rois Bourbons , deux font furnome
més Grands :
>
Un autre de fon Peuple obtient le nom de Jufte :
Celui de Bien -Aimé , titre encor plus augufte ,
Mon Roi feul le partage avec tous les enfans .
I vj
202 MERCURE DE FRANCE.
Chanfon faite en l'honneur de MADAME,
Soeur de Monfeigneur le Dauphin , le
jour defon entrée dans Paris.
AIR : Lifon dormoit dans un bocage..
QUELLE Nimphe, quelle Princeffe
S'offre en ce jour à tous les yeux !
Le Parifien qu'elle intérede
Vole à fa fuite tout joyeux ; -
Quelle eft donc cette Souveraine
Qui par-tout comme ici plaira ?
Devinez- la , regardez-la ,
N'a-t'elle pas un port de Reine ?
Regardez- la , devinez - là ;
C'eft Madame : vous Y voilà.
Quel François pourroit s'y méprendre
A fon air doux & gracieux ?
A moins qu'il ne voulût la prendre
Pour quelque habitante des Cieux ?
Mais fon coeur aux Bourbons fidèle
En tous lieux la reconnoîtra
Et lui dira, & lui dirą
Qu'elle mérite tout fon zèles
Et lui dira , & lui dira
Qu'elle eft digne de fon Papa.
Par M. M**.
AOUST. 1773. 203
Déclaration d'amour à Mile P ** , fille
charmante égée de 18 ans.
་་
AIR: J'aime une ingrate Beauté à
Iz voulois fans foupirer
Pafler ma tendre jeuneſle ,
Sans aimer , fans adorer
Nulle Iris , nulle décffe.
Un Dieu malicieux
S'oppose à mon fyftême ,
Il vous offre à mes yeux ,
Il veut que je vous aime.
Pour réfifter à fes traits ,
Mon coeur en vain fe dégage ,
Il me peint tous vos attraits
En me tenant ce langage :
Tu feras déformais
Soumis à mon empire ;
Pour Sylvie à jamais ,
Je veux que tu foupire.
Mon coeur fenfible à ſa voiz ,
Et redoutant fa colère ,
Pour le ranger lous vos loir
Quitte ma morale auftère.
Il veut faire ferment
De vous aimer lans cefte ,
Pourvû qu'un - feul moment
Ce même Dieu vous bleſſe. 10 1
Par le même.
I
206 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Conftantinople , le 19 Juin 1773 .
ONNa répandu ici le bruit que les Turcs
ont remporté un avantage fur les Ruffes dans la
Mer de Żabache. On dit que l'Efcadre composée
de deux vaiffeaux , de trois frégates de Ragufe ,
de deux chebecs , de quatre bâtimens de tranſport
& de huit galères , a pourfuivi & rencontré, le
16 de ce mois , à la vue de Caffa , une Flotte
Ruffe ; que le combat s'étant engagé , la victoire
a été long-tems incertaine ; qu'enfin un vaiffeau
ruffe de cinquante canons , a pris feu , ce qui a
jeté le défordre parmi les autres bâtimens , dont
plufieurs ont été pris par les Turcs qui fe font
enfuite rendus maîtres d'Azow ; mais cette nouvelle
mérite confirmation . "
Du Bas- Danube , le premier Juillet 1773.
Les nouvelles de la Crimée ne font point fa-
'vorables aux Ruffes . Le foulévement des Tartares
'eft plus confidérable qu'on ne le croyoit. On
craint que , fi Dewlet Gueray hâre fon expédition
, le Prince Dolgorouki n'arrive trop tard
pour y rétablir le bon ordre. L'Efca tre Ruffe ,
dans la mer noire , aux ordres de l'Amiral Senawin
, eft compofée , à ce que l'on dit , de
deux frégates de quarante canons qui croiſent.
àl'embouchure du Dou , de fix fcoupes de vingtfix
canons , de trente faïques , & d'une vingtaine
de demi-galeres Turques prifes à Ibrailow.
De Tunis , le 20 Juin 3773.
Les Corfaires du Bey , armés & réunis à
AOUST. 1773 . 207
.
Porte- Farine , attendent des ordres pour mettre
à la voile. Trois fregates , un chebec & une.
demi -galere compofent cet armement , auquel
on a travaillé avec la plus grande activité. On
affure ici que ce fecours a été demandé par le
Grand- Seigneur, & qu'il doit renforcer l'Eſcadre
qu'il fait équiper.
De Leipfick , le 15 Mai 1773.
On vient de publier à Hambour le fragment,
du IX . Livre de Tite Live , nouvellement découvert
à Rome par le fieur Bruns , il traite
de la guerre, de Sertorius : le manufcrit d'où il
eft tiré eft un Codex refcriptus , dans lequel on
a effacé le texte de l'Hiftorien Romain pour
y tranfcrire quelque Livie apocryphe : l'écriture
étoit en lettres capitales ; le fieur Bruns n'en a
déchiffré qu'une partie. Il eft remarquable que
ce Manufcrit fe foit trouvé dans l'ancienne
Bibliothèque Palatine , que le Duc Maximilien
de Baviere donna au Pape après la prife de
Heidelberg , en 1623 .
De Warfovie, le 19 Juin 1773 .
Les Miniftres des Cours alliées tiennent
entr'eux de fréquentes conférences. On affure.
que l'on procédera à de nouveaux démembre- ,
mens SSii ll''oonn en croit les bruits publics , les
Autrichiens fe rendront maîtres de tout ce qui
confine a la Siléfie & aux montagnes de la Hongrie
, jufqu'à Kaminieck , qui fera compris dans
le partage. Cracovie occafionne quelques difficultés
, parce qu'ils veulent l'échanger contre
Lemberg. Le cordon , Pruffien commencera à
Czentochow, & s'étendra jufqu'aux frontieres
de la Pruffe , ce qui , enleveroit la moitié de la
Grande - Pologne. On ajoute que la Cour de
208 MERCURE DE FRANCE .
Berlin veut le défifter de fes prétentions fur la
Mazovie , pourvu qu'on lui cède en échange la
Samogitic , une des Provinces les plus fertiles
du Royaume , & defire qu'on fixe les droits
qu'elle veut faire valoir fur la Courlande. On
dit également que ce Duché fera obligé de livrer
tous les ans à la Chambre de la Tréforetié de
la République , une fomme de 300,000 dahlers ,
payables , moitié par le Duc , & moitié par les
Provinces.
De Copenhague , le 29 Juin 1773.
On dit que l'Efcadre qui croife dans la Mer
Baltique , entre les Ifles de Bornholm & de
Zélande , a reçu ordre de continuer les évolu
tions pendant quatre ou cinq femaines.
1
De Vienne , le 7 Juillet 1773..
De quarante-deux bataillons de campagne
qui fe trouvent répartis , tant en Bohêine , qu'en
Moravie , vingt-fix viennent de recevoir l'ordre
de porter leurs Compagnies à cent cinquante
hommes , au lieu de cent quinze dont elles
font compofées en tems de paix. On croit que
ces bataillons font deftinés à paffer en Pologne
pour y remplacer ceux qui ont perdu beaucoup
de monde par la défertion. 27.200
IL.
粤
Ꭵ
*
2030%
De Londres, les Juillet 1773.
Des lettres de Charles Town , dans la Caroline
Méridionale , annoncent que la guerre qui
s'étoit élevée il y a plufieurs années entre les
Indiens Crecks & Cherokecs , & dont le feu '
fembloit éteint , s'eft rallumée depuis quelques
mois avec la plus grande activité ; que les
Crecks , dans un de leurs derniers combats.
ont eu dix - neuf hommes de tués parmi lesquels
fe trouve Halsbred Mokon , un de leurs piinA
O UST. 1773. 209
cipaux chefs , que le jeune Turin , un aurre
de leurs Chefs , a eu le bonheur de fe fauver
& de regagner fon pays , où il a porté la nouvelle
de la défaite de fon parti .
7
I
De Londres, le 9 Juillet 1773.
:
Les émigrations des Ecoffois & des Irlandois
pour l'Amérique Septentrionale , font fi multipliées
que le Gouvernement en a conçu de juftes
alarmes elles font occafionnées par la décadence
des fabriques de toile , & la réfolution
que plufieurs Seigneurs ont prise de hauffer
confidérablement le loyer de leurs fermes ,
maiſons , & c.
De Cadix , le 11 Juin 1773 .
On mande de Salé que l'Empereur de Ma
roc a donné ordre d'armer fur cette côte trois
frégates & trois chebecs , & que cette Efcadre
fera commandée par le vieux Reys Tarbi
Miftori. On ajoute que ce Reys doit aller en
Hollande revêtu des titres d'Amiral & d'Ambaffadeur;
mais on ignore le vrai moțif de
cette miffion.
De Rome , le 30 Juin 1773 .
Des lettres de Malthe portent que deux barques
de la Religion , armées en courfe , fe font
emparées le mois dernier de deux navires marchands
Turcs , dont on évalue la cargaifon
environ, cent mille écus romains .
On écrit de Civita- Vecchia que deux Gafiores
Barbarefques ayant paru fur les cotes
de Tofcane , les deux galeres de Sa Sainteté
étoient forties de ce Port pour aller leur donner
la challe .
L'Abbé Viſconti a acheté pour le Saint Pere
210 MERCURE DE FRANCE.
un bufte d'Antifthene , dont le nom eft écrit
en Grec fur la poitrine . Ce monument qui fera
placé dans le Mufaum Clémentin , donne une
idée certaine de la figure de ce Philofophe , fur
laquelle les fentimens avoient été partagés juf
qu'à ce jour , & corrigera l'erreur de quelques
Sçavans qui attribuoient à Carnéade les traits
qui diftinguent Antifthene.
De Paris , le 23 Juillet 1773:
L'Académie Royale des Infcriptions & Belles
Lettres , dans fon " affemblée du 2 de ce mois ;
élut pour Affocié Libre Etranger , à la place
vacante par la mort du Lord Cheſterfield , le
fieur Bartoli , Vénitien , Antiquaire du Roi de
Sardaigne , des Académies de Bologne , de
Manheim , & c..
"
NOMINATION S.
I
Le Roi ayant jugé à propos de réunis au Contrôle
général de les finances la charge de Direc
teur & Ordonnateur - général de fes bâtimens , le
Marquis de Marigny a fupplié Sa Majefté dè
vouloir bien agréér la démillion . Sa Majesté voulant
donner , en même tems , au Marquis de
Marigny une marque de la fatisfaction qu'elle a
cue de fes longs fervices dans cette charge , lui a
accordé pour la vie un brevet d'Adjoint à la charge
de Directeur & Ordonnateur - général de fes
bâtimens , ainfi que la continuation de la jouiffance
des hôtels & logemens dans fes Maifons
royales , & généralement de toutes les prérogatives
dont il jouifloit étant titulaire . Sa Majesté
Jui a également accordé les grandes Entrées.
A O UST. • 1773. 211
MARIAGES.
Le Roi & la Famille Royale fignèrent , le 18
Juillet , le contrat de mariage du Vicomte du
Barry avec Demoifelle de Tournon.
·
MORTS.
Daniel Henri Lemaitre , ancien Confeiller
honoraire de la Grand'Chambre , eft décédé le 7
Avril dernier , dans la foixante - dix - huitière année
de fon âge ; il étoit flu de la branche aînée
de cette Maifon , que l'on vit dans tous les tems
puiter dans fon attachement à la Couronne , la
force de la fidélité la plus conftante au milieu
même des révolutions des tems , & qui tire fon
origine d'un Prevôr de Paris avant l'an 1300.
Cette Maiſon eft alliée à plufieurs qui ont produit
des Chevaliers des Ordres , Préfidens des
Compres , An balladeurs , Prevots de Paris , Pro.
cureurs- Généraux , Premiers Préfidens , Prélats ,
Gardes des Sceaux , Maréchaux & Chanceliers de
France , Miniftres & Secrétaires d'Etat , Ducs &
Pairs , Cardinaux & Souverains . Cette Maiſon a
puifé les alliances dans les mêmes fources que les
Maifons de Courtenay , de Noailles , de Brehan,
de Biflac , de Maupeou , de Richelieu , de la
Vrillière , de la Grange- d'Arquien , de Fou gogne
, Melun , Rohan , Angoulême , Anjou , Vendôme
& Bretagne . Cette Fan ille a produir pendant
22 1ègnes, cinq Abbefles , deux Chanoinells,
ane Supérieure de St Cyr , des Evêques- Comman
deurs de l'Ordre de Malthe , des Capitaines de
vaifleaux , -Colonels , Gouverneurs de places
Commandans les bans & arrières - bans un
212 MERCURE DE FRANCE.
Lieutenant Général d'artillerie , des Confeillers
d'Etat , dix- neuf Confeillers du Parlement , trois
Avocats-Géneraux , trois Préfidens à Mortier &
an Premier Préfident. Blanchard , Mezeray , le
Père la Baune , & une infinité d'autres auteurs ,
nous apprennent que cette Mailon , s'eft diftinguée
dans tous les Etats , & que nos Souverains.
T'ont toujours confidérée , & qu'ils ont même pour
elle créé des places & des récompenſes , notamnment
celle de feptième Préfident à Mortier , en
faveur de Jean Lemaitre , qui fit rendre le célè
bre arrêt pour le maintien de la Loi Salique lors
de la réduction de Paris , & qu'Henri IV appeloit
fon bon Président.
La Princefle Frédéric - Chriſtine - Amélie- Guillelmine
, fille du Prince de Prufle , mourut , le 14,
Juin , à Potsdam , âgée d'environ dix mois. >
On écrit de Gallendorf que la Princefle- Louiſe,
Duchefle de Saxe, de Juliers , de Cleves & de Berg,
& veuve du Duc Jean - Auguſte de Saxe - Gotha ,
y eft morte , le 28 Mai , dans la quarante - fep
tième année de fon âge.
Pierre Comte de Vogué- Dourdan , brigadier
des armées du Roi , meſtre de camp de cavalerie
du régiment de fon nom , chevalier de l'Ordre
royal & militaire de St Louis , & chevalier ho
horaire de l'Ordre de Malte, eft mort , le 16 Juin,
à Annonay en Vivarais , dans la foixante- quinżième
année de fon âge.
Diane Camille d'Albon , époufe du Comte de
Vichy , maréchal des camps & armées du Roi ,
eft morte , le 3 Juillet , en fon château de Champrond
, en Charolois , à l'âge de cinquante- neuf
ans .
Thomas O -Kennely , brigadier des armées du
PAO UST. 1773 .
213
Roi, eft mort , le 6 Juillet , à Saint- Germain - en-
Laye , dans la foixante- quatrième année de fon
âge.
Le fieur Charles Macfindley vient de mourir à
Tipperary en Irlande , âgé de cent quarante - trois .
ans. Il avoit été capitaine fous le règne de Charles
I , avoit enfuite fuivi Cromwell en Irlande ,
& s'étoit retiré du ſervice depuis ce tems- là.
Sauveur François Morand , Chevalier de l'Ordre
du Roi , fecrétaire de cet Ordre , cenfeur
toyal , infpecteur des hôpitaux militaires , de l'académie
royale des fciences , de la fociété royale
de Londres , des académies de Rouen , Pétersbourg
, Stockolm , Bologne , Florence , Cortone
Porto & Harlem ; chirurgien major de l'Hôtel
Royal des Invalides depuis l'année 1722 , eft
mort ici dans la foixante - dix - feptième année de
fon âge. Le fieur Sabatier exerçoit , en furvivance
, la place de chirurgien - major de cet Hôtel
depuis 1761.
Marie-Elifabeth de Clermont de Lodève , veuve
de Gabriel- Marc - Antoine Comte de Touloufe.
Lautrec , meftre de camp de Carabiniers eft
morte le 10 Juillet , à Caftres , dans la quatrevingt
, feptième année de fon âge.
LOTERIES.
-
›
Le cent cinquante unième tirage de la Loterie
de l'hôtel de ville s'eft fait , le 25 Juillet , en la
manière accoutumée . Le lot de cinquante mille
livres eft échu au No. 70334. Celui de vingt mille
livres au N°. 64377 , & les deux de dix mille ,
aux numéros 61201 , & 75730.
18
214 MERCURE
DE FRANCE
.
•
ERRATA du fecond volume de Juillet.
PAGE
AGE 17 , vers 23 , Que peut un feul vengeur!
Lifez, Que peut un tel vengeur.
PIECES
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en proſe , page s
Réponse de M. de la Harpe aux vers de M.
L. C. de *** ?
Suite du fecond livie de l'Enéide par M. D.
L. C.
Epigramme ,
La Diffimulation
punie , Suite & fin de l'Eté , imitation libre de
ibid.
9
Thompſon ,
Vers pour un Portrait ,
Madrigal ,.
L'Oie & le Loup , fable,
26
.ibid.
47
SI
ibid.
152
53
63
64
65
66
69
73
ibid.
87
Dialogue entre Marie d'Angleterre
& Marie
Mignot ,
A Mademoiſelle
**
L'Eléphant & les Anes , fable ,
Explication des Enigmes & Logogryphes
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Fables nouvelles par M. l'Abbé Aubert ,
Eloges de la Poëfic ,
AOUS T. 1773. 215
90 Traité de Chymie par M. de Lorme ,
Difcours lû à la féance de l'Acad. R. d'Ecriture, 95
Lettres du Baron d'Olban , 96
La Pharfale , poëme par M. le Chev. Laurès , 97
Les Moeurs du Jour ,
Anecdotes Elpagnoles & Portugailes ,
La Comète , conte en l'air,
Hiftoire abrégée de tous les Empires ,
Tableau de la Sénéchauffée de Bellai ,
Description d'une collection de Minéraux ,
Poëfie de M. l'Abbé Métaftafe ,
Tarifs nouveaux & univerfels , & c.
Elémens d'Histoire générale , par M. l'Abbé
103
107
III
118
#
123
124
127
130
Millor ,
La Génération ,
Vocabulaire des arts & métiers ,
Hiftoire de l'inoculation ,
135
137
139
Traité de la nouvelle méthode d'inoculer , 149
L'Amour à Tempé ,
147
Hiftoire des Philofophes anciens , 143
Phadri fabula , 145
Avis fur la contrefaction de la collection de
Juriſprudence , 146
ACADÉMIE ,
148
SPECTACLES , Opéra , 152
Comédie Italienne 158
A -M . Favart , 159
A Madame Trial , ibid.
A Madame Billioni . 160
116 MERCURE DE FRANCE,
Architecture , 161
ARTS , Gravures 1,80
Mufique ,
187
Cours d'Education ,
188
Anecdotes , 196
Lettre fur la Lagophtalmie , 198
AVIS , 200
Entrée de MADAME à Paris ,
201
Impromptu ,
202
Déclaration d'amour à Mile P... , 203
Nouvelles politiques ,
206
Nominations , 210
Mariages ,
211
Morts ,
Loteries ,
ibid.
213
APPROBATION. "
J'ai lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le
& volume du Mercure du mois d'Août 1773 .
je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreffion .
A Paris , le 31 Juillet 1773 .
LOUVEL.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe.
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES;
SEPTEMBRE , 1773.
Mobilitate viget.
VIRGILE.
Reugne
A
PARIS ,
, Rue
Chez
LACOMBE , Libraire
Chriftine , près la rue Dauphine.
Avec
Approbation & Privilége du Roi,
AVERTISSEMENT.
C'EST an Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriftine , que l'on prie d'adrefler , francs de port,
les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eltampes
, les piéces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , obfervations , anecdotes
événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniquès , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public ; & tour ce qui peut inftruire ou amufer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des li-
Vies , eftampes & pièces de mufique.
>
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à fa perfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux
utiles au Journal , deviendront mêine un titre de
référence pour obtenir des récompenſes fur le
prodait du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eft de 24 liv.
que l'on paiera d'avance pour leize volumes rendus
francs de port.
L'abonnement pour la province eft de 32 livres
pareillement pour feize volumes rendus francs de
port par la pofte.
On s'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols pour
ceux qui n'ont pas foufcrit, au lieu de 30 fols pour
ceux qui font abonnés.
}
On fupplie Meffieurs les Abonnés d'envoyer
d'avance le prix de leur abonnement franc de port
par la pofte , ou autrement , au Sieur LACOMBE,
libraire, àà PPaarriiss ,, rue Chriftine.
On trouve auffi chez le même Libraire
les Journaux fuivans.
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nouart ; de 14 vol . par an , à Paris , 9 liv . 16f.
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A ij
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Fables orientales , par M. Bret , 3 vol. in-
8°. brochés , 3 liv.
'La Henriade de M. de Voltaire , en vers latins
&françois , 1772 , in- 8°. br. 2 l. 10L
Traité du Rakitis , on l'art de redreſſer les
enfans contrefaits , in - 8 °. br. avec fig. 41.
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Le Phafma ou l'Apparition , hiftoire grecque
, in- 8°. br.
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Les Nuits Parifiennes , 2 parties in - 8 °.
nouv . édition , broch.
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Monumens érigés en France à la gloire de
Louis XV, &c. in - fol. avec planches ,
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Mémoires fur les objets les plus importans de
l'Architecture, in - 4°. avec figures, rel . en
carton ,
Les Caractères modernes , 2 vol. br.
Maximes deguerre du C. de Kevenhuller ,
Hiftoire naturelle du Thé , avec fig. br.
241.
121.
3 1.
&
1 1. 10 f.
11, 16
છે
MERCURE
DE FRANCE.
SEPTEMBRE , 1773 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
Sur les trois Graces , peintes en émail
par M. Paquier , de l'Académie royale
de peinture.
LEMA
'EMAIL qu'ont animé tes pinceaux ingénus,
Pâquier , dans un bosquet de rofes
Sous nos yeux fraîchement éclofes ,
Offre les trois Beautés , compagnes de Vénus.
Lorfque mon oeil errant , à loifir examine
Les contours arrondis de tant de charmes nus ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Mon efprit curieux devine
Une foule d'appas à ma vue inconnus.
Qui dois- je préférer ! .. cette taille élégante ,
Ces beaux cheveux chatains , cette bouche chat
mante
Enflamment à la fois , & mon coeur & mes lens. ¿
Mais que cette Brune eft piquante !
Sa gaîté , fon fourire & me plaît & m'enchante ;
J'ai puifé dans les yeux le plaifir que je lens.
J'admire , en foupirant , cette Blonde touchante
Dont la chevelure eft flottante.
Que j'aime ces yeux bleus , tendres & languiffans!
Entre ces trois Beautés hésiterai -je encore ?
Chacune a ſes attraits : que tout mortel l'adore ;
Mais celle qui brille au milieu
Doit faire le bonheur d'un dieu .]
A Mademoiselle de B *** , qui m'avoit
demandé un exemplaire de mon Epitre
à M. de Buffon , fur l'Hiftoire naturelle.
J'AIME l'Histoire naturelle.
La Nature à nos yeux fait briller tant d'objets ;
Elle eft fi vafte , elle eft fi belle
Que ma inule ravie en a faifi des traits ,
Et les a préfentés d'une façon nouvelle.
SEPTEMBRE. 1775. 7
Daignez fourire à mes effais .
Vous trouverez , Mademoiselle ,.
Qu'il manque l'ame à mes portraits.
Quand la Nature a des fecrets ,
C'eft Buffon feul qui les révèle.
Je tombe aux pieds de mon modèle :
'ne font qu'un jeu d'eſprit s
Je n'ai donné dans mon écrit
Mes vers
Que le tableau de ma chapelle.
Mais qu'il aurà d'heureux deſtins'!
L'honneur de cette bagatelle
Eft de paroître dans vos mains.
Par M. Felix Nogaret , des Académies
d'Angers & de Marſeille.
CANTATE BACHI QUE.
JUPITER dir un jour , je veux punír l'audace
Des fiers humains qui m'ont bravé .
Sors de ton lit , Mer ; inonde l'efpace ›
Des lieux où contre moi j'ai vu leur front levé.
La Mer, foumife à la parole ,
Franchit fes bords de tous côtés.
Les vents , déchaînés par Eole ,
Renverfent les murs des cités .
A iv
MERCURE DE FRANCE.
Le malheureux que la vengeance im mole
Périt fous fon toît écroulé .
Le chaume roule amoncelé
Sur les débris d'un temple ; il en fouille l'idole ,
Le chaos eft renouvelé .
L'enfant , faifi d'effroi dans le fein de fa mère,
La preffe en gémiflant : elle le défefpère ;
Pour ce fils innocent elle invoque les cieux. ,
L'onde , fur fes vagues émues ,
Les porte enſemble juſqu'aux nues
Comme pour attendrir les dieux.
Suis je , dit Jupiter , l'auteur de ce ravage !
Ah ! c'en eft trop : fufpendez votre rage,
Vents furieux ; ne troublez plus les airs.
*
Retourne Mer à ton rivage ;
Les humains me font encor chers.
Depuis ce jour mémorable
Les mortels font plus heureux.
Jupiter eft plus traitable ,
Plus tendre & plus généreux.
C'est en père qu'il nous juge.
Et s'il a donné le vin ,
C'est pour que ce jus divin
Fafle oublier le déluge .
Par le même.
SEPTEMBRE . 1773 .
VERS à l'Auteur anonyme de l'Epître
inférée au premier volume du Mercure
de Juillet dernier , intitulée , le Teſtament
de ma Raifon .
TANDIS ANDIS qu'impunément plus d'un rimeur vulgaire
Joignent leurs noms obfcurs à d'informes eflais ,
Aux vers même qu'ils n'ont pas faits
Ou qu'ils n'auroient jamais dû faire ;
Pourquoi , digne fils d'Apollon ,
Pourquoi , trop modeſte Anonyme
Content de ravir notre eſtime ,
Laifle-tu defirer ton nom ?
Ton épître n'eft pas une redite fade ;
C'eſt le triomphe du talent :
·
On voit que ta raiſon n'étoit pas bien malade
Lorfqu'elle fit fon teftament.
Que ton oncle vive ou qu'il meure ,
N'eft- on heureux qu'en héritant ?
Tu ne badinerois pas tant
S'il avoit vu fa dernière heure.
Je ne crois pas à tes vaiſſeaux ;
Tu n'as rien pèrdu fur les ondes ;
Mais ton fage enjoûment , tes magiques pin-
ссаих ,
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
sont un bien préférable aux tréfors des deux
mondes.
Par M. de la Louptière.
ODE D'HORACE A SON ESCLAVE,
38. liv. 4. 。་ , - ,, :: ; , :
Perficos odi, puer , apparatus , &c.
Tu fais bien que dans ma maiſon
Jamais le fafte n'en impofe ;
Je fais peu de cas de la rofe
Qui croît dans l'arrière- faifon,
Je hais ce luxe afiatique
Des guirlandes & des feftons ;
Que le myrte moins magnifique
Serve à couronner nos deux fronts.
Quand fous cette vigne champêtre
Tu me fers les dons de Bachus
Le rameau chéri de Vénus
Peut orner l'Esclave & le Maître,
Par M. L. R.
SEPTEMBRE. 1773 .
C
{ {La Vertueuse INGRATITUDE.
Conte,
NERVILIER , privé dès le bas âge de fon
père & de fa mère qui lui avoient laiffé
une fortune proportionnée à fa naiffance,
fut élevé chez un oncle qui , en qualité de
tuteur , le fit venir chez lui. Avare , for
& plein d'humeur , cet oncle lui rendit
fes premières années peu fupportables ;
mais de plus grands maux l'attendoient à
cet âge où la liberté de difpofer de foimême
devient fi précieufe. Hélas ! ' de
quoi fe plaint lajeuneffe qui n'aime point
encore ? elle n'a point d'idée des fupplices
de l'ame; elle ignore que la fenfibilité
eft quelquefois le don le plus cruel
que nous ait fait la Nature.
"
Nervilier foupira de bonne heure , &
fut écouté.Jeux cruels & barbares du fort,
vous allez empoifonner une fituation fi
délicieufe ! A peine avoit - il feize ans :
J'avare & dur Granger étoit bien éloigné
de vouloir le marier , c'eût été confentir
à une émancipation qui lui arracheroit
Ja régie des biens de fon pupille, & il s'y
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
étoit fi bien accoutumé, que la fortune
de fon neveu lui paroifoit la fienne , &
qu'il devoit être tout auffi difficile pour
lui de s'en détacher. On lui parla du goût
de fon neveu pour Hortenfe ; il fulmina ,
& s'oppofa d'autant plus à l'union de Nervilier
avec fa jeune & charmante voifine ,
qu'il étoit fecrètement l'ennemi des parens
de la future.
Cependant une circonftance particulière
ne laifoit point de tems à nos tendres
amans . Une des tantes d'Hortenfe
venoit de laiffer à fa nièce un legs affez
confidérable , fous la condition expreffe
qu'elle feroit mariée dans l'année .
Beaucoup de gens fe préfentoient
Hortenfe eût volontiers facrifié l'hoirie
pour attendre que Nervilier fût fon maître
en devenant majeur ; mais elle dépendoit
d'un père qui comptoit autrement
qu'elle , & qui moins défintéreffé ,
vouloit que le legs fût acquis à fa fille.
Telle étoit la pofition cruelle où fe
trouvoit Nervilier. Déjà le père d'Hortenfe
panchoit pour un des amans du legs
de fa fille ; déjà tout fe difpofoit au facrifice
de la jeune perfonne , lorfqu'une
parente de la victime , & en même tems
l'amie de Nervilier , pour laquelle la vue
SEPTEMBRE. 1773. 13
des malheureux étoit infoutenable , vint
à leur fecours.
Cette parente étoit une jeune veuve
appelée Mde Dubourg , auprès de qui
Nervilier alloit fouvent faire éclater fon
défefpoir. Le tems fatal avançoit ; le confentement
d'un avate peut toujours s'acheter
, mais c'est lorfque l'offre qu'on
peut lui faire ne doit pas le priver d'une
autre jouiffance ; & l'avarice a tous ces
calculs- là devant elle ; on ne put donc
amener le dur Granger à ce qu'on vouloit
, quoique la fomme que lui fit offrir
la veuve,l'eût d'abord tenté.
Mde Dubourg avoit pris à coeur le
bonheur de fa parente & celui de fon
jeune ami ; elle ne fe rebuta point. Obliger
étoit pour elle ce qu'étoit pour Granger
l'ouverture de fon coffre-fort , c'eftà-
dire le premier & le plus vif des plaifirs
.
匪
Unir les deux amans par un hymen
qu'on tiendroit caché quelque tems au
tuteur du jeune homme , c'étoit une chofe
faifable : toute autre qu'elle le feroit
vainement , & feroit fort mal venu à en
faire la propofition au père d'Hortenfe ;
mais elle a d'affez gros fonds placés fur
la charge de ce père , peut fe radoucir il
14 MERCURE DE FRANCE.
à la demande du remboursement. Voilà
déjà pour la veuve deux grands obftacles
levés ; il en reste un troisième , & c'eſt le
plus confidérable.
Comment faire confentit Nerban , légataire
univerfel de la tante d'Hortenfe ,
à lui délivrer le legs fur un mariage dont
on ferait un mystère , & qui par conté →
quent ne feroit pas un titre fuffifant ?
Mde Dubourg frémit de ce qu'elle imagina
à cet égard. Ce Nerban avoit effayé
de la faire renoncer aux douceurs du veu
wage ; il avoir été écondait , il en étoit
bien digne ; mais Hortenfe !.. Mais Ner
vilier ! .. La veuve s'attendrit, laiffe couler
quelques larmes & conclut que le
bonheur de fes amis vaut le facrifice du
.fien.
1
... Elle favoit où trouver Netban offenfé
des dégoûts qu'elle lui avoit marqués ';
elle y vole , & fans aucune affectation
thafarde de lui faire quelque politeffe.
Nerban ne tient point à un coup d'oeil
moins indifférent que ceux qu'il avoit
attirés jufqu'alors. La veuve généreufe a
bientôt apperçu qu'elle n'a rien perda de
fon pouvoir fur fon coeuri: Vous me boudez
long- tems , lui dit- elle ! & voilà de
courroux de Nerban vaincu. 1 revoir
SEPTEMBRE. 1773. IS
Mde Dubourg chez elle ; on lui dit ce
qu'on exigeroit de lui pour la délivrance
du legs ; il conſent à tout , & cet obſtacle
difparoît encore.
Le père d'Hortenfe au premier mot de
la propofition , refufa , comme on l'avoit
prévu ; mais la crainte du rembour ſement
& la promeffe du legs l'attendrirent ; il
capitula bientôt , & fe rendit.
On prit donc les mefures les plus con.
venables pour cacher à Granger le mariage
de fon neveu . Celui de Mde Dubourg
avec Nerban fervit à cacher l'autre. On
alla célébrer les deux hymens à la campagne
, & Nervilier fe vit le plus heureux
des amans , contre toute forte d'apparence ;
car il étoit difficile d'efpérer qu'on trouvât
quelqu'un qui fe chargeât , comme Mde
Dubourg , de faire évanouir le triple obftacle
qui s'oppofoit à fa félicité , & de la
part du tuteur & de la part du père d'Hortenfe
, & de celle du légataire univerfel .
Mde Dubourg croyoit favoir à peuprès
ce qu'il devoit lui en coûter , par le
facrifice qu'elle venoit de confommer. A
travers les foins que prennent les hommes
pour cacher leurs défauts tant qu'ils
cherchent à plaire , elle avoit entrevu une
partie de ceux de Nerban ; mais la cir16
MERCURE DE FRANCE.
conftance fi flatteufe pour fa belle ame de
faire à la fois deux heureux , avoit triomphé
de fa pénétration & de fa répugnance.
La beauté du facrifice qu'elle avoit fait
à l'amitié ne tarda pas à paroître , & elle
acquit la trifte expérience qu'en croyant
deviner les défauts de quelqu'un , on en
apperçoit au plus la moitié.
-
A peine fix mois étoient ils paffés
Nerban ne fe contraignit plus , & laiffa
tomber le mafque ; il découvrit à la malheureufe
victime plus de baffeffe & de
dureté qu'elle ne lui en avoit fuppofé , &
Nervilier trouva plus d'une fois la bienfaitrice
dans les larmes.
Ce tableau cruel troubla le bonheur
qu'il tenoit de cette infortunée ; mais le
fort devoit bientôt égaler fes peines à
celles de fon amie. Des couches funeftes
lui enlevèrent en un jour & la malheureuſe
Hortenfe & le fils qu'elle devoit lui
donner.
de
C'eft aux ames fenfibles & tendres à fe
peindre les douleurs de Nervilier . Privé
de la plus chère , de la plus aimable ,
la plus vertueufe compagne , il ne lui
furvécut malgré lui que pour être témoin
des malheurs de fa bienfaifante amie ,
qui de venoit chaque jour plus à plaindre
avec Nerban.
SEPTEMBRE. 1773. 17
Leur confolation unique étoit de confondre
fouvent leurs larmes . O vertueufe
& trop noble amie , je fuis donc l'auteur
de vos maux , s'écrioit- il ! & moi , reprenoit
en gémiffant Mde de Nerban , n'aije
pas fait votre malheur ainsi que le
mien? La bienfaifance eft donc quelquefois
cruelle ? Ames dures & féroces , venez
vous affermir dans votre inhumanité
par mon trifte exemple ! & Nervilier
noyé de pleurs , étouffé de fanglots
tomboit dans fes bras , & tous deux
s'encourageoient dans les accès de leur
défefpoir à fortir d'une vie qui ne leur
préfenteroit plus que des amertumes &
des fupplices. Un jour même , plus pénétrés
de leurs peines , ils s'étoient armés
réciproquement; déjà ils s'inftruifoient des
moyens de fe frapper au même inftant ,
lorfque le cri de la confcience que nous
donne la Nature , & que perfectionne la
Religion , fit faire un cri à Mde Nerban :
Arrêtez , Nervilier , arrêtez , dit - elle :
fouffrir eft le partage des hommes ; la
foif du fang eft l'inftinct des tigres.
Nervilier, à ces mots, laiffe tomber fa
main armée. Il écoute la même voix qui
s'élève dans ſon ſein , & qui le fait rougir
de fa fureur infenſée . Eh ! bien , dit- il
16 MERCURE DE FRANCE.
conftance fi Alatteufe pour fa belle ame de
faire à la fois deux heureux , avoit triomphé
de fa pénétration & de fa répugnance.
La beauté du facrifice qu'elle avoit fait
à l'amitié ne tarda pas à paroître , & elle
acquit la trifte expérience qu'en croyant
deviner les défauts de quelqu'un , on en
apperçoit au plus la moitié.
-
A peine fix mois étoient ils paffés ,
Nerban ne fe contraignit plus , & laiffa
tomber le mafque ; il découvrit à la malheureufe
victime plus de baffeffe & de
dureté qu'elle ne lui en avoit fuppofé , &
Nervilier trouva plus d'une fois la bienfaitrice
dans les larmes.
Ce tableau cruel troubla le bonheur
qu'il tenoit de cette infortunée ; mais le
fort devoit bientôt égaler fes peines à
celles de fon amie . Des couches funeftes
lui enlevèrent en un jour & la malheureufe
Hortenfe & le fils qu'elle devoit lui
donner.
C'eft aux ames fenfibles & tendres à fe
peindre les douleurs de Nervilier . Privé
de la plus chère , de la plus aimable , de
la plus vertueufe compagne , il ne lui
furvécut malgré lui que pour être témoin
des malheurs de fa bienfaifante amie ,
qui devenoit chaque jour plus à plaindre
avec Nerban.
SEPTEMBRE. 1773. 17
Leur confolation unique étoit de confondre
ſouvent leurs larmes. O vertueuſe
& trop noble amie , je fuis donc l'auteur
de vos maux , s'écrioit -il ! & moi , reprenoit
en gémiffant Mde de Nerban , n'aije
pas fait votre malheur ainfi que le
mien? La bienfaifance eft donc quelquefois
cruelle ? Ames dures & féroces , venez
vous affermir dans votre inhumanité
par mon trifte exemple ! & Nervilier
noyé de pleurs , étouffé de fanglots
tomboit dans fes bras , & tous deux
s'encourageoient dans les accès de leur
défefpoir à fortir d'une vie qui ne leur
préfenteroit plus que des amertumes &
des fupplices. Un jour même , plus pénétrés
de leurs peines , ils s'étoient armés
réciproquement ;déjà ils s'inftruifoient des
moyens de fe frapper au même inftant ,
lorfque le cri de la confcience que nous
donne la Nature , & que perfectionne la
Religion , fit faire un cri à Mde Nerban :
Arrêtez , Nervilier , arrêtez , dit - elle :
fouffrir eft le partage des hommes ; la
foif du fang eft l'inftinct des tigres.
Nervilier, à ces mots , laiffe tomber fa
main armée . Il écoute la même voix qui
s'élève dans fon fein , & qui le fait rougir
de fa fureur infenfée. Eh ! bien , dit- il ,
18 MERCURE DE FRANCE.
ame pure & fublime ! apprenons donc à
vivre dans les pleurs , répandons - en fans
ceffe , moi fur la perte irréparable que
j'ai faite , vous fur l'abus cruel que faic
un tyran du plus faint des pouvoirs . A
peine il finiffoit qu'il apperçoit Nerban ,
l'oeil égaré & furieux , lever le bras fur fa
femme ; il s'élance à ce monftre qui lui
voyant à la main une arme dont il ne.
fongeoit plus à fe fervir , crie au fecours,
appelle fes gens , & les prend à témoins
de ce qu'ils trouvent Nervilier armé contre
lui.
Dès le jour même un procès- criminel
fe commence contre Nervilier, à la pourfuite
de Nerban , qui redoutoit depuis la
mort d'Hortenfe qu'il ne devint l'amant
de fa femme , & qui par cette raifon - là ,
cherchoit à l'éloigner de fa maifon . Tout
étoit contre l'époux infortuné d'Hortenfe.
Dix témoins dépofoient l'avoir vu armé,
parlant avec chaleur à Nerban ; c'en fut
affez pour être menacé d'un décret qu'il
crut devoir éviter par la fuite. 1.
Ce qui marque affez l'intention de fon
ennemi , c'eft qu'il difcontinua fes pourfuites
dès qu'il le fut parti , fauf à les reprendre
dès qu'il viendroit à paroître ,
Mais fa femme , indignée de fon injufSEPTEMBRE.
1773. 19
tice atroce , difparut un matin en lui laiffant
un avis qu'elle alloit fe retirer chez
les Urfulines de la ville , d'où il feroit
inutile de vouloir la tirer.
Nerban , dont la conduite déréglée ne
le mettoit pas en droit de fe plaindre de
la fuite de fa femme , voulut toujours
avoir l'air d'en être affligé & de fonger à
la réclamer. Cette adreffe devoit lui fervir
à la ruiner , parce qu'il préfumoit avec
raifon qu'elle aimeroit toujours mieux
s'engager pour lui que de rentrer dans fa
maiſon.
Mde Nerban , en fe retirant dans l'afyle
facré dont elle avoit fait choix
ignoroit encore qu'elle étoit dans un état
qui ne lui permettroit pas d'y refter . Dès
qu'elle en fut convaincue , elle s'occupa à
profiter de la vive amitié qu'elle avoit
infpirée à la Supérieure , & celle - ci fe
prêta volontiers à la laiffer fortir des murs
du couvent pour quelques mois , pendant
lefquels on répandit le bruit d'une maladie
qui la retenoit dans fon appartement.
Devenue mère d'une fille qu'elle confia
à des mains fûres & à des gens qui lui
étoient entièrement dévoués , elle revint
dans fa retraite fans que fon mari eût la
moindre connoiffance de ce qui s'étoit
28 MERCURE DE FRANCE .
paffé. La haine qu'elle avoit conçue pour
ce tyran domestique , le lui faifoit paroî
tre indigne du bonheur d'être père ; c'étoit
fous le fimple nom de Rofalie que
fa fille devoit être élevée , & fon projet
étoit qu'elle ne connût jamais un père qui
ne pourroit que la rendre malheureuſe.
Cependant toutes les fois que lés débauches
& l'inconduite de Nerban , qui
avoit déjà diffipé fa propre fortune , le
mettoient dans la néceffité de recourir à
celle de fa femme , il affectoit de la vou.
loir ramener chez lui ; & foutenu par les
loix dont il fe faifoit un titre frauduleux ,
il ne s'en départoit qu'en obtenant d'elle
qu'elle engageât fes biens pour alimenter
fes défordres.
Ils devinrent heureufement d'un fcandale
& d'un éclat qui mirent Mde Nerban
dans le cas d'obtenir de la Juftice une féparation
qui lui conferva ce qui lui reftoit
, & qui fuffifoit à peine pour payer
fa penfion & celle de fa fille. Un plus
grand bonheur arriva plufieurs années
après à l'un & à l'autre. Nerban, impliqué
dans une affaire où fa probité étoit compromife
, mourut dans les prifons avant
qu'un arrêt ne fît partager fon déshonneur
à fa fille.
SEPTEMBRE. 1773. 21
Inftruite qu'il lui étoit libre de reparoître
dans le monde & de prendre fa fille
auprès d'elle , Mde Netban fortit de fon
couvent , recueillit le peu de fortune qui
lui reftoit , & ne pouvant accoutumer
ceux qui la connoiffoient à lui donner un
autre nom que celui de fon mari , elle
vint fe fixer à Paris , où il lui fut libre de
quitter un nom qui l'indignoit en lui rap
pelant tous les malheurs. Celui de Poligny
la fit connoître au peu de gens qu'elle
vit dans cette grande ville-
Ce qu'elle avoit confervé de fa fortune
ne fuffifant pas aux befoins de la mère &
de la fille , elles y joignirent les foibles
reffources du travail. Déjà Rofalie touchoit
à fa dix-feptième année fans que
Mde de Poligny , qui pleuroit fouvent
fur fes anciens malheurs & fur ceux de
Nervilier , eût entendu parler de ce dernier:
il habitoit cependant alors à Verſail.
les ; mais elle étoit fi éloignée de fẹ montrer
dans ces lieux , qu'il étoit impof
fible que le hafard le lui fît rencontrer.
Nervilier , en fuyant fa patrie comme
nous l'avons dit , voulut s'éloigner le plus
qu'il pourroit des lieux où il avoit vu périr
Hortenfe. Arrivé à un port de mer ,
où quelques vaiffeaux de guerre mettoient
22 MERCURE DE FRANCE.
à la voile , il s'y étoit fait recevoir comme
fimple foldat .
Cete petite flotte étoit chargée d'une
expédition périlleuse qui ne donna que
plus d'ardeur à Nervilier d'en partager les
dangers. Ses malheurs lui faifoient déteſter
la vie , & ce motif , autant que fa
bravoure naturelle,lui fit faire des actions
fi brillantes que l'officier qui commandoit
l'efcadre , ne put fe diffimuler qu'il
devoit fon fuccès à l'intrépide valeur du
jeune homme qu'il avoit embarqué au
moment de fon départ de Breft.
Il en écrivit à la Cour lorfqu'il le put ;
¿& la justice qu'il avoit rendue à fon foldat
procura à Nervilier un poſte plus honsnête
& plus utile , dans lequel il paſſa
plufieurs années avant de revenir en France.
Préfenté au Miniftre par le même Officier
qui s'étoit fait un devoir de l'avancement
d'un homme dont il avoit fait
fon ami , Nervilier , propre à toutes les
affaires , occupa bientôt une place de confiance
auprès de ce Miniftre , qui n'avoit
jamais manqué l'occaſion de s'attacher un
homme de mérite.
Cet homme d'état n'eut jamais qu'à fe
féliciter du choix qu'il avoit fait. Il fe vit
SEPTEMBRE . 1773. 23
toujours éclairé , & jamais trompé . Nervilier
pouvoit devenir riche , & n'acquit
qu'une aifance honnête , parce que les
travaux le furent toujours . Au- deffus de
touté eſpèce de féduction , il alloit donner
une preuve de fon équité & de fon
défintéreffement bien cruelle pour l'infor
tunée Mde de Poligny .
L'aimable Rofalie étoit recherchée par
un homme qui follicitoit vivement une
place dont il s'étoit rendu peu digne dans
la colonie qu'il habitoit , & dont il vouloit
faire exclure un citoyen vertueux qui
l'occupoit.
En cas de fuccès il offroit fa main à la
fille de Mde 'de Poligny , qui fe feróit
laiffée conduite en Amérique ; mais fa
fortune , dévoréé par le luxe que viennent
étaler quelques créoles dans la capitale
, ne lui permettoit pas , difoit il , de
fonger à l'hymen , fi fes prétentions fur la
place dont on a parlé étoient rejetées .
Madame de Poligny & fa fille avoient
donc un grand intérêt au fuccès de Vervin
( c'est le nom du Créole ) elles ignoroient
toute l'injuftice de fa demande ;
& ne voyoient dans cette affaire que l'efpérance
d'un établiffement qui les ar22
MERCURE DE FRANCE.
à la voile , il s'y étoit fait recevoir comme
fimple foldat.
Cete petite flotte étoit chargée d'une
expédition périlleufe qui ne donna que
plus d'ardeur à Nervilier d'en partager les
dangers . Ses malheurs lui faifoient détefter
la vie , & ce motif , autant que fa
bravoure naturelle, lui fit faire des actions
fi brillantes que l'officier qui commandoit
l'efcadre , ne put fe diffimuler qu'il
devoit ſon ſuccès à l'intrépide valeur du
jeune homme qu'il avoit embarqué au
moment de fon départ de Breft.
Il en écrivit à la Cour lorfqu'il le put ;
& la justice qu'il avoit rendue à fon foldat
procura à Nervilier un pofte plus honnête
& plus utile , dans lequel il paffa
plufieurs années avant de revenir en France.
Préfenté au Miniftre par le même Officier
qui s'étoit fait un devoir de l'avancement
d'un homme dont il avoit fait
-fon ami , Nervilier , propre à toutes les
affaires , occupa bientôt une place de confiance
auprès de ce Miniftre , qui n'avoit
jamais manqué l'occafion de s'attacher un
homme de mérite.
Cet homme d'état n'eut jamais qu'à fe
féliciter du choix qu'il avoit fait. Il fe vit
SEPTEMBRE. 1773. 23
toujours éclairé , & jamais trompé. Nervilier
pouvoit devenir riche , & n'acquit
qu'une aifance honnête , parce que fes
travaux le furent toujours . Au - deffus de
toute espèce de féduction , il alloit donner
une preuve de fon équité & de fon
défintéreffement bien cruelle pour l'infor
tunée Mde de Poligny.
L'aimable Rofalie étoit recherchée par
un homme qui follicitoit vivement une
place dont il s'étoit rendu peu digne dans
la colonie qu'il habitoit , & dont il vouloit
faire exclure un citoyen vertueux qui
l'occupoit.
En cas de fuccès il offroit fa main à la
fille de Mde 'de Poligny , qui fe feróit
laiffée conduite en Amérique ; mais fa
fortune , dévoréé par le luxe que viennent
étaler quelques créoles dans la capitale
, ne lui permettoit pas , difoit- il , de
fonger à l'hymnen , fi fes prétentions fur la
place dont on a parlé étoient rejetées . ::
Madame de Poligny & fa fille avoient
donc un grand intérêt au fuccès de Vervin
( c'eft le nom du Créole ) elles igneroient
toute l'injuftice de fa demande ;
& ne voyoient dans cette affaire que l'efpérance
d'un établiſſement qui les ar24
MERCURE DE FRANCE.
racheroient à la misère ; car la vie qu'elles
menoient à Paris en étoit bien voiline.
La décifion du Miniftre approchoit , &
Vervin , qui fecrètement avoit tâché fans
fruit de corrompre le chef des bureaux
imagina qu'en lui préfentant la belle Rofalie,
il tourneroit ſon eſprit en ſa faveur.
Il fupplia donc plus d'une fois Mde de
Poligny de venir à Verfailles avec fa
fille. Vaincue par fes follicitations preffantes
, & craignant d'avoir à fe reprocher
dans la fuite de n'avoir pas fait pour l'établiſſement
de Rofalie tout ce qui auroit
dépendu d'elle , cette mère tendre confentit
à la propofition de Vervin.
Déjà le Créole préfentoit à Nervilier la
charmante Rofalie , dont la fortune , à ce
qu'il difoit,devoit dépendre du pofte qu'il
follicitoit , lorfque Mde de Poligny qui
d'abord par modeftie s'étoit un peu tenue
à l'écart , jetant les yeux fur la perfonne
à qui fa fille étoit préſentée , fit involontairement
un cri , & tomba évanouie fur
un fiége qui étoit auprès d'elle.
Nervilier court le premier au fecours
de cette femme qu'il envifage & qu'il
reconnoit pour fon ancienne bienfaitrice.
Jufte Ciel , s'écrie - t'il à fon tour ; que
vois - je ? Est - ce vous Mde Nerban? Ce
пот
SEPTEMBRE. 1773. 25
nom la rappelle à la vie ; elle ouvre les
yeux fur fon ami . C'eft Nervilier , ditelle
; c'eft lui - même.
Alors il fupplie tout le monde , &
Vervin lui - même de fe retirer & de le
laiffer un moment avec les femmes qu'on
venoit de lui préfenter . On refpecte fon
fecret ; on s'éloigne , & Nervilier tombe
aux genoux de fa vertueufe amie . C'eft
donc vous que je revois , dit-il , vous que
j'ai fait chercher inutilement dans notre
province ; vous , dont je fais la malheureufe
hiftoire jufqu'à votre fuite ; vous
dont je foupçonne les befoins ; vous dont
j'ai caufé toutes les infortunes... & vous
avez une fille... & c'est pour elle ... O
dieux !
Il fe tut alors ; & s'adreflant à Rofalie
éplorée , Mademoifelle , lui dit - il , ouvrez
- moi votre coeur. Vous êtes aimée
de Vervin fans doute ; mais quel eft le
degré de fentiment qu'il vous infpire ! ..
Monfieur , répondit la jeune perfonne ,
je n'ai pu me défendre d'un mouvement
de reconnoiffance pour les efpérances
qu'il me donne de tirer maman de l'érat
d'indigence dont elle est bien près ... De
la reconnoiffance , dit Nervilier , de la
reconnoiffance ! Ah ! Rofalie , ne trom-
B
24 MERCURE DE FRANCE.
·
racheroient à la misère ; car la vie qu'elles
menoient à Paris en étoit bien voiline.
La décifion du Miniftre approchoit , &
Vervin , qui fecrèrement avoit tâché fans
fruit de corrompre le chef des bureaux
imagina qu'en lui préfentant la belle Rofalie,
il tourneroit ſon eſprit en ſa faveur.
Il fupplia donc plus d'une fois Mde de
Poligny de venir à Verfailles avec fa
fille. Vaincue par fes follicitations preffantes
, & craignant d'avoir à fe reprocher
dans la fuite de n'avoir pas fait pour l'établiffement
de Rofalie tout ce qui auroit
dépendu d'elle , cette mère tendre confentit
à la propofition de Vervin.
Déjà le Créole préfentoit à Nervilier la
charmante Rofalie , dont la fortune , à ce
qu'il difoit,devoit dépendre du poſte qu'il
follicitoit , lorfque Mde de Poligny qui
d'abord par modeftie s'étoit un peu tenue
à l'écart , jetant les yeux fur la perfonne
à qui fa fille étoit préfentée , fit involontairement
un cri , & tomba évanouie fur
un fiége qui étoit auprès d'elle.
Nervilier court le premier au fecours
de cette femme qu'il envifage & qu'il
reconnoit pour fon ancienne bienfaitrice.
Jufte Ciel , s'écrie - t'il à fon tour ; que
vois - je ? Est - ce vous Mde Nerban? Ce
nom
SEPTEMBRE . 1773. 25
nom la rappelle à la vie ; elle ouvre les
yeux fur fon ami . C'eft Nervilier , ditelle
; c'eft lui - même.
Alors il fupplie tout le monde , &
Vervin lui - même de fe retirer & de le
laiffer un moment avec les femmes qu'on
venoit de lui préfenter . On refpecte fon
fecret ; on s'éloigne , & Nervilier tombe.
aux genoux de fa vertueufe amie . C'eft
donc vous que je revois , dit-il , vous que
j'ai fait chercher inutilement dans notre
province ; vous , dont je fais la malheureufe
biftoire jufqu'à votre fuite ; vous
dont je foupçonne les befoins ; vous dont
j'ai caufé toutes les infortunes... & vous
avez une fille... & c'est pour elle... O
dieux !
Il fe tur alors ; & s'adreflant à Rofalie
éplorée , Mademoiſelle , lui dit - il , ouvrez
- moi votre coeur. Vous êtes aimée
de Vervin fans doute ; mais quel eft le
degré de fentiment qu'il vous infpire ! ..
Monfieur , répondit la jeune perfonne ,
je n'ai pu me défendre d'un mouvement
de reconnoiffance pour les efpérances
qu'il me donne de tirer maman de l'érat
d'indigence dont elle est bien près... De
la reconnoiffance , dit Nervilier , de la
reconnoiffance ! Ah ! Rofalie , ne trom-
B
26
MERCURE
DE FRANCE
.
pez pas l'ami de votre mère . Elle ne vous
trompe point, répondit Mde de Poligny qui
avoit repris fes fens ; non , ma fille n'éprouve
que ce fentiment.
Je puis donc vous avouer , ô ma vertueufe
amie , la fituation étonnante où je
me trouve , dit Nervilier en ferrant tendrement
les mains de la mère de Rofalie.
Vous venez me folliciter en faveur de
Vervin ; c'eft l'établiffement de votre fille
que vous me demandez . Je vous dois
tout , je ne l'ai point oublié , & je ne ſerai
qu'un ingrat. Vervin demande une
chofe injufte , il ne peut l'obtenir . Je vais
lui fignifier le refus du Miniftre , figné
depuis deux jours. Il eft important qu'il
fache que fon affaire étoit terminée avant
qu'il vous eût conduites ici ; permettez
que je le faffe entrer.
Il parut en effet , & Nervilier lui com .
muniqua l'écrit fatal qu'il étoit bien loin
de redouter depuis qu'il avoit été témoin
de la reconnoiffance de Mde de Poligny
avec celui qui pouvoit tout dans fon affaire.
Accablé de la décifion dont on lui
faifoit part eh bien , Mademoiſelle , ditil
à Rofalie , il faut renoncer à tout ; je
pars , & ne vous verrai plus . En effet , il
fortit, & laiffa Mde de Poligny & fa fille
SEPTEMBRE. 1773 . 27
dans le cabinet de Nervilier que cet événement
pénétroit de douleur ,
Ah ! Rofalie , s'écria- t'il , que je fuis
coupable , fi vous aimez ! Vous ne l'êtes
point fi vous avez fait juftice , dit Mde
de Poligny , & puis vous ignoriez quel
intérêt nous prenions à lui . L'euflé- je ſû ,
reprit- il , je n'aurois point trahi la confiance
dont on m'honore. Le Ciel me
deftinoit à l'ingratitude , il falloit que je
refufaffe tout à une perfonne qui a tout
fait pour moi ; mais , ajouta- t'il , permettez-
moi de réparer l'infolent procédé de
Vervin qui vous laiffe indécemment ici.
Madame , dit il à la mère de Rofalie ,
que cet aimable enfant foit déformais la
nôtre. Je fais tout ce que vous avez ſouffert
avec Nerban . Je fus la cauſe de tous
yos maux ; c'eſt à moi de vous les faire
oublier . O mon amie ; je fuis libre , devenez
mon époufe , & je trouverai ici des
moyens d'établir Rofalie plus heureufement...
Vous balancez ! .. Vous aimez
votre fille , & c'eſt en fon nom que je
vous demande une union qui fera fon
bonheur & le mien . Je fens , dit Mde de
Poligny , toute la générofité de votre offre .
Oui Nervilier , je fuis à vous , difpoſez à
jamais du coeur de votre ancienne amie.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
O ma fille ajouta- t'elle en embraffant
Rofalie , je te donne le plus honnête , le
plus vertueux des pères.
L'hymen fut bientôt célébré & bientôt
fuivi de celui de Rofalie ; une ingratitude
apparente la fauva du malheur d'être unie
à un homme bien moins digne d'elle que
celui dont Nervilier fit. choix pour être
fon époux.
Par M. Bret.
LES DEUX YEUX.
Apologue à Mlle Olimpe , M ***
JUUPPIITTEERR aux mortels fit préfent de deux yeux !
L'un voit tous les objets fous des traits agréa
bles ,
Et l'autre, leur prêtant des couleurs effroyables ,"
Les voit tous fous un jour affreux.
Les paffions à leur gré les dirigent ,
Et tour à tour, felon qu'elles l'exigent ,
Quand l'un veille , l'autre eft fermé.
C'eſt donc en vain que l'homme eft alarmé
Des contradictions dont la nature abonde ;
Les corriger c'eft fol eſpoir ;
Fuffiez- vous Phoenix en ce monde,
Chacun a deux yeux pour vous voir..
SEPTEMBRE . 1773 . 29
Si cette règle eft infidelle ,
Ce n'eft qu'en faveur de mes yeux ,
Puifqu'en te trouvant auffi belle ,
Olimpe , ils s'accordent tous deux.
Par M. L ***.
A M. Aufrêne , qui vient de jouer la !!
comédie à Genève.
PARAR ton goût créateur Melpomène renaît ,
Athène à des rivaux , la Nature s'expliqué.
Le fublime eft le vrai ; l'Art admire , & fe taitt
La Grèce t'auroit ceint du laurier olympique.
De tes hardis talens le critique étonné
Près Corneille embelli te deftine une place :
H dédaigne , à la fin , l'appareil deffiné
D'Hiftrions à maintien qui pleurent avec grâce.
Qu'ils cherchent au miroir la force de ton fens ,
L'éclair de ton regard , ta juftefle nourrie
Ta chaleur fans apprêt , tes filences parlans ..
Ta gloire eft à toi ſeul ainſi que ton génie.
Chaque vers dans ta bouche eft forti de ton
coeur ;
Du goût de tous les arts guide & réformateur ,
Le fimple fait le beau ; voilà ta règle unique .
Acteur , peintre & poëte , orateur des vertus
:
B iij
30 MERCURE DE FRANCE .
Que l'honnête homme eft grand fous ton pinceau
tragique !
Il ne t'a tien manqué , qu'un Public de Titus.
Pardonne ce prélude à ma lyre pelante ,
Les talens t'offriront un hommage plus beau ;
Sans doute qu'en créant , fous leur touche favante
,
L'oeuvre de la palette on celle du cifeau
Ils laifleront aux tems ton image vivante,
Pour honorer leur fiècle & braver le tombeau.
Par M. Mallet , de Genève , profeſſeur
honoraire de l'Acad. de Caffel
A Madame la Comteffe de .....
LAIRE & toucher , c'eft l'emploi de votre
âge ;
J'y parviendrai , donnez -moi vos talens.
Quand la beauté fait l'objet de nos chants ,
C'eft à l'Amour à préfenter l'hommage.
Vous riez avec lui comme feroit un lage ,
Vous , philofophe de vingt ans ;
Si le Ciel de Paphos eft couvert de nuages ,
Il est ferein pour vous , qui bravez les orages ;
Platon en main , vous fouriez aux vents ,
Qui , du coeur des amans foulevent les tempêtes
:
SEPTEMBRE. 1773. 31
Quand je vous vois & yous entends ,
Je dis , c'eft Flore ou Jean-Jacque en cornettes .
Ah ! d'un autre bandeau vos yeux feront couverts.
A des foux creux laiflez la rêverie ,
Le compas pour la lyre & Platon pour les vers.
Volupté fans mélancolie ,
Inftans d'aimable folie ,
Donner & prendre des fers ,
Sentiment fans philofophie ,
Voilà les dieux d'une femme jolie
Et le culte de l'Univers.
Par le même.
A Mademoiſelle V***** d'A.... , qui
a joué en fociété le rôle de la Marquife
de Clainville , dans la Gageure imprévue.
DES rofes du talent ta carrière eſt ſemée 3
Moillonne -les ; tu dois les embellir ;
Si de ton goût la flamme eſt allumée ,
C'eſt à ton coeur à la nourrir ,
;
Ates premiers effais de commencer ta gloire ,
A nos tributs d'honorer tes efforts :
Clairon te laiffe les trélors ,
L'Efprit les dons , & l'Amour ſa victoire.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
Jeune Thalie ! eh bien : tous ces attraits divers
Et les grâces de ta finefle ,
Ton fourire enchanteur digne de meilleurs vers ,
Ton dépit éloquent , ta naïve jeuneſſe ,
Et ton regard de dix-huit ans ,
Et la pudeur de tes accens ,
Tous ces rayons de ta brillante aurore ,
Que mes foinsfortunés peut- être ont réunis ,
Que je t'envie & que j'adore ,
Sont à mon coeur d'un moindre prix
Qu'un foupir de ton innocence
Payant les tons que je t'appris ,
Et qu'un bailer pour récompenfe.
Par le même.
DIALOGUE
Entre JEANNE D'ARK & *
JEANNE LAISNÉ.
JEANNE D'AR K.
Vous êtes donc cette généreuſe Jeanne
Laifné qui avez marché fur mes traces ,
* Jeanne Lailné , & non pas Jeanne Hachette,
comme le difent la plupart des hiftoriens , repoula
, à la tête d'une troupe de femmes , une
armée de Bourguignons qui , en 1472 , affiégeoient
la ville de Beauvais .
SEPTEMBRE. 1773 33
repouffé les coups du téméraire Charles ,
Duc de Bourgogne , défendu votre patrie
& fauvé la France ! Détaillez - moi ce beau
trait de votre vie . Quoiqu'au féjour des
morts , j'aime à entendre parler de fiéges
& de victoires. Nous emportons au délà
même du tombeau le goût qui nous dominoit
fur la terre.
JEANNE LAISNÉ .
, per-
Oui , c'eſt moi qui fauvai ma patrie
nos époux fatigués de la longeur du fiége ,
ou effrayés peut- être d'une opiniâtreté
qu'ils défefpéroient de vaincre
doient courage ; une large brêche préparoit
aux Bourguignons un paffage qu'on ne
pouvoit plus leur difputer long - tems .
Beauvais étoit alors ville frontière , & fa
priſe devenoit fatale à l'Empire François.
Pleine de cette idée , & ne penfant ni àļa
foibleffe de mon fexe , ni au nombre de
nos ennemis , je crus que le Ciel me
réfervoit la gloire de venger le nom François.
J'apellai donc toures mes concitoyennes
au fecours de leur patrie. Je
fus faire paffer dans leurs coeurs l'ardeur
qui tranfportoit le mien . Nous volâmes à
la brêche. L'ennemi nous reçut avec un
ris moqueur. ( Quelle apparence en effet
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
qu'une poignée de femmes ofât attaquer
une armée formidable ? ) mais bientôt
il apprit à nous craindre . Nous nous élançâmes
fur lui , & nous enfonçâmes
fes bataillons ; il prit la fuite en frémiffant
de rage & de défefpoir , & le Duc
deBourgogne qui fe vantoit de porter dans
fes canons les clefs de toutes les villes
de France , n'y trouva point celles de
ma patrie . Mais vous , ombre illuſtre ,
quel motif vous porte à m'interroger de
la forte ? Seriez- vous une de ces héroïnes
qui ont honoré notre fexe ?
JEANNE D'AR K.
Oui , brave Laifné ; vous voyez la pucelle
d'Orléans. Vous êtes inftruite de mes
actions ; ma fin tragique vous eft connue.
Votre Evêque fut mon juge. * Ce fut lui
qui me condamna au feu pour avoir combartu
& défait les Anglois. Que penfa - t'on
chez vous du mauvais tour qu'il me joua ?
J. L. AIS NÉ.
On vit avec horreur que ce prélat
avoit trahi fa patrie . Lorfque je quittai
* Cauchon , Evêque de Beauvais , avoit embraflé
le parti des Anglois. Ce fut lui qui condainna
Jeanne d'Ark à être brûlée.
SEPTEMBRE. 1773. 33
·
la terre pour venir habiter ces lieux , fa
mémoire y étoit encore en exécration . Le
traître il règnoit dans une ville qui fut
toujours fidelle à fes Rois ; falloit- il que fa
voix inhumaine envoyât au fupplice celle
qui depuis long- tems étoit l'appui du trône
? Mais confolez vous , immortelle
Jeanne d'Ark : les François révèrent votre
nom. Toutes les bouches publient vos
louanges. On élève jufqu'au Cieux votre
valeur intrépide . Le François eft reconnoiffant
, & il oublie rarement ceux qui
ont bien mérité de la patrie .
J. D'AR K.
Je le fais j'ai pourtant appris qu'on
avoit jeté des doutes fur les merveilles
de ma vie. Qu'ils font déraisonnables !
je m'annonçai comme envoyée pour faire
lever le fiége d'Orléans & faire facrer
Charles VII à Rheims : N'ai- je point
rempli ma miffion ? il est toujours des
efprits incrédules . Le jour de la vérité
la plus pure ne fauroit les éclairer . Ils ne
s'étudient qu'à répandre fur tout ce qui
les environne les nuages de leur incrédu
lité. Les citoyens vertueux au contraire
ne verront dans nos démarches qu'un
amour impétueux pour l'affermiffement
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
du trône , & un enthousiasme divin pour la
gloire de ma Nation . Hélas ! que ne me
fuis- je renfermée dans les deux points de
ma miffion ! Je voulus chaffer pour tou
jours l'Anglois de nos frontières & le forcer
à reconnoître notre fupériorité françoife
; du moins je voulois mourir les armes
à la main. Mais , quelle différence
du genre de mort que je cherchois, à celui
que j'éprouvai ! Un bûcher n'eft pas le lit
d'honneur pour les coeurs guerriers . C'eft
fur le champ de bataille , c'eft au milieu
d'une forêt de lances que les héros brû
lent de rencontrer la mort. C'eſt là peutêtre
que vous l'avez trouvée ?
J. LAIS NÉ.
La mort me reſpecta ; elle ſembla fuir,
lors même que je l'appellai à grands
cris: j'eus le bonheur de furvivre à ma victoire
& de voir ma patrie à l'abri des fers
dont on la menaçoit.
J. D'ARC K.
Que j'envie votre fort , illuftre Beauvaifine
! je n'ai pû jouir comme vous ,
de ma gloire , ni du fuccès des mes travaux.
Apprenez moi quelle récompenſe
on vous accorda pour avoir fauvé votre
patrie.
SEPTEMBRE. 1773. 37
J. LAIS NÉ..
Je ne cherchois dans mes travaux que
la gloire de bien faire. Je n'ai point à me
plaindre des récompenfes dont on m'honora
moi & mes compatriotes. Le Monarque
qui regnoit alors fur la France les
étendit jufques fur la postérité . Il acccorda
des exemptions honorables à ma famille ,
& à mes concitoyennes le glorieux privilé
ge de précéder , tous les ans , leurs époux
dans une cérémonie publique deſtinée à
perpétuer le fouvenir de notre bravoure
& à rapeler aux Beauvaifines ce qu'elles
doivent être. Avouez que cette diftinction
eft honorable pour notre fexe.
J. D'AR K.
Mais un peu mortifiante pour les
époux Croyez - vous que notre
exemple fera fuivi par beaucoup de femmes
?
•
J. LAIS NÉ .
Il peut l'être &,j'ofe même eſpérer qu'il
le fera.Les Françoifes font guerrieres dans
l'occafion. Elles font fenfibles à la gloire,
& vous favez fi fon aiguillon eft puiffant!
Il en eft plus d'une dans ces lieux for38
MERCURE DE FRANCE.
tunés , qui , comme vous , ont bravé les
feux des combats. J'ai rencontré près
d'ici , il y a quelques jours , une de ces
braves Bourguignones qui forcèrent l'Empereur
& Charles de Lorraine à lever le
fiége de St. Jean de Laone leur patrie .
Je vois fouvent errer ici plufieurs de
celles qui s'unirent fous mes étendards
pour repoufler l'ennemi . Elles font venues
long-tems après moi & m'ont affuré
que leurs compatriotes fe montreroient
toujours dignes d'elles & de mon courage .
J. D' A K C.
Vous m'obligerez de me les faire connoître
. J'aime toutes les héroïnes. Les
hommes apprendront peut - être qu'ils
n'ont feuls la valeur en partage.
pas
J. LAIS NÉ.
Et que plus ils nous rabaiffent , plus
nous femblons nous élever , quand l'occafion
nous en eft offerre. Mes concitoyennes
ont étonné leurs maris par l'ardeur
avec laquelle, elles fe défendirent
. Pas une ne palît à la vue du feu
ennemi . Elles volèrent par tout fut mes
pas au devant de la mort , & ce qui vous
étonnera peut- être , il n'y en eut aucune
SEPTEMBRE. 1773. 39
.
qui me difputa le droit de commander.
Vous euffiez dit que je donnois des ordres
à une troupe de foldats foumis ,
refpectueux & attentifs au moindre fignal.
J. D'AR K.
·
C'est un avantage que je n'eus point.
Je commandois à des hommes qui fembloient
rougir d'obéir à une femme.
Leur confcience les accufoit peut être
de faibleffe & de timidité. Ce reproche
fecret choque un peu l'amour propre.
Ils traverfèrent quelquefois mes deffeins,
animèrent contre moi les ferpens de l'envie
; & qui ne fait le tort qu'ils me
firent dans l'efprit du peuple ? mais mon
intripidité fut les forcer au filence . C'eft
ainfi qu'one vaine gloire & un faux point
d'honneur manquent fouvent de tenverfer
les plus heureufes entrepriſes.
J. LAIS NÉ.
Vos plaintes font juftes , mais je les
crois inutiles. Jamais les hommes ne facrifieront
leur amour- propre à l'intérêt
public. Après tout , nous devons être fatisfaites
de la réputation dont nous jouiffons
. On parle encore de nous fur la terre.
Un nouvel hôte arrivé depuis quelques
40 MERCURE DE FRANCE .
années fur ces bords , m'a dit qu'on avoit
effayé de me mettre fur le théâtre * , mais
que mon panégyrifte eft faible. Au reftet
l'hiftoire ne taira jamais nos actions . Elle
vous affignera toujours la première place
parmi les femmes guerrières ; je réclame
la feconde .
Adieu , ombre illuftre : puiffions nous,
à préfent que nous nous connoiffons ,
nous entretenir plus fouvent!
* Dans le tems de la tragédie du Siége de Calais
, Monfieur *** en fit une intitulée Ï Laifné,
ou le Siége de Beauvais. Elle ne fut point repréfentée.
Cette pièce éphemère commence ainſi :
Par mon ordre en ces lieux je vous ai raſſemblés.
Par M. L. de Beauvais.
CHANSON SUR LES VIEUX ,
Par M. l'Abbé de l'Attaignant .
AIR Lifon dormoit.
Connoiffez- vous dame Gertrude ?
C'est une femme à fentimens
Qui n'eft ni coquette ni prude
Et qui penfe folidement :
SEPTEMBRE. 1773 .
41
On ne voit point chez cette belle
Des jeunes gens avantageux ;
Ce font des vieux ,
Ce font des vieux ,
Qu'elle aime à recevoir chez elle ;
Ce font des vieux ,
Ce font des vieux ,
Qu'avec raifon elle aime mieux.
Les petits- maîtres font volages ,
On ne sçauroit compter fur eux ;
Les barbons font prudens & fages,
Et méritent mieux d'être heureux :
Un jeune trompe fa maîtreffe ,
Et ceux qui la traitent le mieux ,
Ce font les vieux , bis.
Ils ont plus de délicatefle ,
Ce font les vieux , bis.
Ils font beaucoup moins dangereux.
Le jeune va courir fans ceffe ,
Il voltige de fleurs en fleurs ;
Le vieux s'en tient à la maîtreffe
Et lent le prix de ſes faveurs :
Le jeune le croit un Narciffe ;
Que rien n'eft plus beau fous les cieux.
Ce font les vieux , bis.
Qui favent le rendre juſtice ,
Ce font les vieux , bis.
Q craignent qu'on ne trouve mieux.
42 MERCURE DE FRANCE.
Le jeune toujours dans l'ivrefle
Ne fuit que fon tempéraments
Le vieux joüit avec finefle,
Avec goût & difcernement.
On eft flatté de la tendreffe
De ceux qui s'y connoiffent mieux ; .
Ce font les vieux , bis.
Leur choix toujours plein de juſteſſe ,
Ce font les vieux , bis.
Aux dames eft plus glorieux.
Le jeune affez louvent s'expofe
A des regrets , à des douleurs 3
Il cueille une brillante rofe
Sans voir l'épine fous les Reurs.
L'amour s'en plaignit à ſa mère
Un jour , dit- on , la larme aux yeux.
Quand on eft vieux , bis.
On refléchit , on confidère ,
Quand on eft vieux , bis.
On eft moins vif & plus foigneux
Si l'on n'eft pas fi bien fervi
Par un vieux que par un cadet ,
Du moins on en eft mieux chéri ,
Et fon hommage eft plus difcret.
Sans abufer de fa victoire
Il eft doux & refpectueux.
Prenez un vieux , bis.
SEPTEMBRE. 1773. 43
Il confervera votre gloire 3
Prenez un vieux , bis.
Vous vous en trouverez bien mieux.
PARODIE. Les Jeunes- Gens vengés.
Sur le même Air.
Connoiffez- vous la jeune Hortenfe ?
C'eſt un objet plein d'agrément ,
Qui fut toujours à la conftance
Allier le difcernement }
Elle aimeà recevoir chez elle
Desjeunes gens vifs & joyeux ;
Mais pour des vieux , bis.
On n'en voit point chez cette belle
Mais pour des vieux , bis.
Ils lui femblent trop ennuyeux
Des jeunes gens les plus volages
La beauté peur fixer les coeurs ;
Si le tems rend les vieux plus fages
C'eft en éteignant leurs ardeurs :
Un jeune chérit fa bergère
S'il eft l'objet de tous les voeux ;
Mais pour un vieux , bis.
Il eft plaifant quand il veut plaire ;
Mais pour un vieux , bis .
On rit de fon air langoureux :
44
MERCURE
DE FRANCE .
Le jeune peut jouir fans ceſſe :
Sa vie eft un tiflu de fleurs ;
Le vieux de la t à ſa maîtreffe
Même en achetant les faveurs ;
Le jeune , fans être un Narcifle ,
Séduit & plaît à deux beaux yeux.
On quitte un vieux , bis.
Avant qu'il fe rende juftice.
On quitte un vieux , bis.
Auffitôt que l'on trouve mieux.
Le vieux , bercé par la molefle ,
Rappelle fon tempérament ;
Le jeune au gré de fa maîtrefle
Sait ufer d'un tendre moment .
On eft flatté de la tendreſſe
De ceux qui la prouvent le mieux
Sont-ce les vieux ? bis.
Toujours trompés par leur faiblefle ,
Sont- ce les vieux ? bis.
Ils fatiguent fans être heureux.
44
Près d'un tendron , pour peu qu'il ofe ,
Le vieux n'a droit qu'à la rigueur :
Quand il veut ceuillir une roſe ;
Il lui fait perdre la fraîcheur ;
L'Amour s'en plaignit à fa mère
.
Un jour , dit- on , la larme aux yeux.
Quand on eft vieux , bis.
SEPTEMBRE. 1773 .
45
On devroit déferter Cythère ,
Quand on eft vieux , bis.
On fait fuir les ris & les jeux,
❤ Sur fa Beauté très mal fervie
Un barbon garde le fecret :
Quand on craint la plaifanterie ,
Qu'il eft aisé d'être difcret !
Au bon goût c'eft faire une injure
Que d'abandonner pour un vieux ,
Jeune amoureux , bis.
Qui fort des mains de la Nature ,
Jeune amoureux , bis.
Dont la force égale les feux,
ENVO I.
Si la fontaine de Jouvence
Couloit encor pour l'Attaignant ,
Ce nouveau Chaulieu de la France
S'exprimeroit bien autrement :
Près des fiens où l'efprit pétille
Ces vers ci paroitront mal faits ;
Ils font plus vrais , bis .
Qu'on le demande à chaque fille ;
Ils font plus vrais , bis.
Les vieux , ne nous vaudront jamais,
46 MERCURE
DE FRANCE.
QUATRAIN IMPROMPTU ,
écrit fur un figuier près la Fontaine de
Vauclufe, à cinq lieues d'Avignon.
PETRARQUE , dans ces lieux , a célébré ſa Laure;
Le myrthe du plaifir couronnoit fes fonnets :
Puifle , divin Amour , la beauté que j'adore
Payer du même prix ce quatrain que j'y fais !
C
Par M. L. D. B.
HYMNES DE CALLIMAQUE ,
imités du Grec.
1
" Loin d'ici , profane vulgaire ,
»Apollon m'infpire & m'éclaire ,
" C'eft lui , je le vois , je le fens ;
»Mon coeur céde à la violence ;
» Mortels , respectez la préſence
» Pêtez l'oreille à mes accens.»
J. B. ROUSSEAU.
A APOLLO N.
LA ftatue d'Apollon s'agite , le temple
frémit , fes portes éternelles s'ébranlent
SEPTEMBRE . 1773 . 47
:
fur leurs gonds facrés. Fuyez , profanes ,
fuyez ; éloignez- vous de ces lieux redoutables
. Mais vous , l'efpoir de ma patrie,
accourez , brillante jeuneffe; préparez vos
danfes & vos concerts . Apollon va paroître
les chants mélodieux du cigne
l'annoncent à l'Univers. Déjà fes pieds
touchent la terre ; il s'avance ; comme le
laurier du Dieu femble tout à coup fe
réjouir à fon afpect ! Chantez tous la
gloire d'Apollon , ô vous qui voulez un
jour célébrer des noces heureufes , vous
qui voulez faire admirer à l'envie une
tête blanchie par l'âge , & refpectée par
le tems , & vous enfin qui defirez d'éta
blir votre bonheur fur des fondemens
durables.
•
Apollon ne manifefte pas fa gloire à
tous les hommes ; c'eft par des vertus
qu'on doit mériter fes regards . Qu'il eſt
grand , le mortel dont les yeux ont vu le
Dieu du jour ! Qu'il eft vil , celui à qui
ce Dieu interdit fa préfence ! Nous te
verrons tous , ô Apollon , & tes regards
divins vont nous élever jufqu'à toi !
Enfans , pincez vos luths , & que chacun
accompagne ma voix. Er vous qui
m'écoutez , Peuple , faites Glence. La
Mer calme fes flots mutinés ; elle ſe tast
48 MERCURE DE FRANCE.
devant le poëte qui célèbre dans les vers
la lyre enchantereffe , ou les traits formidables
d'Apollon . Apollon , Apollon ,
s'écrie t'il mille fois dans la fureur qui
le tranfporte ! & Thétis , oubliant fes
malheurs , celle de pleurer Achille que
les Dieux lui ont ravi ; & Niobé , fenfible
encore fous le marbre qui la retient captive
, la trifte Niobé interrompt fes ſoupirs
& fufpend fes douleurs .
Chantons Apollon ; que les voûtes
retentiffent de ce nom divin. Apollon
m'infpire ; il m'entraîne , & je me rendrois
coupable en fermant mon ame à
l'infpiration des Dieux ! Pourrois - je donc
réfifter aux Dieux fans défobéir à mon
Roi qui les adore ? & ne fais je pas que
défobéir à mon Roi , c'eſt réſiſter à Apollon
lui même qui chérit ce Prince religieux
?
Que de biens , que d'honneurs récompenferont
notre zèle , fi nos voix montent
jufqu'à lui ! Apollon eft affis à la
droite de Jupiter ; qui oferoit mettre
obftacle à fes bontés peur nous ? ... Mais
bornerons-nous à un feul jour les louanges
de ce Dieu ! Eſpérons - nous d'épuifer
jamais une auffi abondante moiffon ? Et
parmi vous , en eft - il un feul qui , s'il
defcend
SEPTEMBRE. 1773 . 49
defcend dans fon coeur , n'y découvre
auffi -tôt un fonds inépuifable d'éloges
pour le Dieu que nous chantons ?
Vous laillez-vous toucher à l'éclat des
richeffes ? tout eft or dans Apollon . Comme
fon écharpe eft brillante , fes habits
refplendiflans ! Sa lyre , fon carquois, fon
arc , fa chauffure même , tout éblouit nos
foibles yeux ! Cherchez - vous en lui un modèle
de valeur ? rappelez- vous cette victoireétonnante
qu'il remporta, fi jeune encore
, fur le fameux Python ! Etes vous
foumis à l'empire de la Beauté ? Apollon
eft le plus beau des immortels. Quel
teint quels traits ! quel éclat ! Vénus
même a moins de fraîcheur. Apollon
fera toujours jeune ; jamais fon menton
divin ne fera ombragé du plus léger duvet.
Quel parfum fe répand dans ces
lieux ? Quelle eft cette liqueur odorante
qui s'échappe des cheveux du Dieu?
Heureufes les villes , trop heureuſes les
campagnes , où il fe plaît à répandre
quelque goutte de cette précieufe liqueur !
Tout ce qu'elle a touché devient immortel
!
Eres-vous épris de l'amour des talens ?
eh bien ! nommez en un qu'Apollon ne
poffède ! N'est- ce pas lui qui nous a en
C
1
50 MERCURE
DE FRANCE:
lui
feigné l'art de lancer les flèches , & jamais
un dard a- t'il atteint fon but qu'il
n'en ait dirigé l'effor ? N'eft - ce pas
qui nous a enfeigné le langage des dieux,
& jamais avons nous fait un vers heureux
, qu'Apollon ne nous l'ait infpiré ?
N'eft ce pas lui qui apprit à Efculape
cet art fi avantageux à l'humanité ; l'art
de guérir les maladies , & de repouffer
la mort ? N'eft pas enfin à fa prudence
que Jupiter a confié le fecret de l'avenir ?
& que deviendrions nous , miférables
mortels , fi fes oracles venoient à fe taire?
Interrogeons ces bergers : « Quelle eft
» la divinité que vous adorez ? Apollon
» nous répondronr ils. Apollon fut Palteur.
Le fleuve Amphrife l'a vu , con-
» duifant fur fes rives fleuries , les nombreux
troupeaux d'Admète. Grâces ,
grâces lui foient rendues , nous ajouteront
ils. L'ardente canicule avoit defféché
» nos prairies , nos chèvres étoient ftériles
, nos Brebis languiffantes . Apollon à
" jeté fur nous un regard de bienveil
» lance , & voilà qu'une douce rofée
» a fait reverdir nos paturages ; nos chè-
» vres font pleines , nos geniffes regor-
» gent de lait , & chaque brebis voit bon-
» dir autour d'elle deux tendres agneaux
» qu'elle allaite. »
SEPTEMBRE. 1773 .
Le culte d'Apollon n'eſt pas moins
établi dans les cités qu'au village. Ce dieu
fe plait à en voir élever de nouvelles
& fouvent les mains divines en ont jeté
les premiers fondemens . L'autel & le
temple de Délos font des jeux de fon enfance.
Diane gardoit avec complaifance
chaque têtedesvictimes infortunées quelle
immoloit à fes plaifirs . Apollon découvre
ce dépôt & le ravit à fa foeur . Il n'avoit
pas encore atteint fon quatrième
printems ! cependant il détache avec foin
de ces têtes les cornes qui en font la parure
; il les affemble , les unit , & de ce
tiffu merveilleux fort bientôt cet autel célèbre
où il rend encore aujourd'hui fes
oracles ; au tour de cet autel d'autres cornes
décrivent un circuit fpacieux ; &
voilà le premier jet de la conftruction d'un
temple , dont vous admirez tous le def
fin élégant & les juftes proportions ,
fans avoir jufqu'ici reconnu l'architecte .
Et ce beau Ciel fous lequel nous vivons
& ces riches campagnes , ces plaines fertiles
au milieu defquelles Battus a fondé
Cyrène , les auroit - il pû découvrir
file dieu n'eût conduit fes pas ? Déjà le
foleil avoit fourni deux fois fa carrière
depuis que nos ayeux avoient abandonné
Cij
52
MERCURE DE FRANCE:
33
leur ingrate patrie . Déjà épuifés par une
courfe infructueufe , ils commençoient
à douter de la parole d'Apollon . « Où eſt-
» elle , s'écrioient ils, cette terre promife
» à nos recherches? Où la trouverons- nous
» cette Lybie , dont les oracles nous ont
» affuré la poffeffion ? O Battus ! que deviendra
cette glorieufe fucceffion de
» Rois qui doit fortir de ton fang ! Apol
» lon nous auroit - il trompés ? "
Et ils retomboient dans un fombre défefpoir.
" Non, non , difent- ils un moment
» après ; la parole des dieux eft facrée ,
leurs fermens infaillibles . Marchons...
Un corbeau paroît dans ce déferraride!
» il plane fur nos têtes ! il s'abat au milieu
» de nous ! heureux augure ! ah ! fans dou-
» te , c'eft Apollon qui nous l'envoie »
Ils le fuivent en filence , & découvrent
bientôt cette terre defirée où ils doivent
s'établir.
...
O notre bienfaiteur ! fi tu es adoré à
Delphes fous le nom d'Apollon Delphien,
fi les habitans de Claros t'appellent Clarien
, Cyrène eft ma patrie ; permetsmoi
de t'invoquer fous un nom qui m'eft
fi cher. O Cyrénéen ! ton culte étoit connu
à Sparte long- tems avant qu'un fils
d'Edipe t'apportât à Thérès , Notre père
1
SEPTEMBRE. 1773. 53
Battus t'a transporté à Cyrène . Jette les
yeux fur ce temple fuperbe que fa reconnoiffance
à élevé en ton honneur. Daigne
honorer par ta préfence ces fêtes lolemnelles
que tous les ans nous célébrons
en mémoire de tes bienfaits ; & puifle le
fang de tant de victimes qui coule inceffamment
fur res autels , attirer fur nous
ta protection & tes bontés !
O Cyrénéen ! nous chargeons tes autels
de fleurs que nous donne le Printems,
Dès qu'une douce rofée fait éclore le
Narciffe , dès que la rofe nouvelle s'ouvre
aux baifers du Zéphyre , nous en formons
des guirlandes pour orner ta tête augule :
l'hiver , nous couronnons ta ftatpe de fa
fran ; mais que font ces hommages ftéri
les auprès de ce que nous te devons ! &
que ce feu qui brûle fans ceffe devant toi,
ce feu que nos foins empêchent de jamais
s'éteindre , eft une bien foible image de
l'amour qui conſume nos coeurs !
Dans tous les tems Apollon a reçu nos
hommages avec complaifance , & dès
l'origine de nos fêtes , les danfes guer
rières de nos bons ayeux avoient fu toucher
fon coeur. Un jour qu'ils célébroient
ces fêres avec leurs tranfports accoutymés
, Apollon , fixé par
l'Amour auprès
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
fi
de la belle Cyrène , lui fit remarquer
avec quelle ivreffe on chantoit fes bienfaits.
La Nymphe fenfible eft émue , &
tombant à fes genoux : « Si j'ai quitté
» mon père pour vous fuivre ; fi les faveurs
que je vous ai prodiguées m'ont
acquis quelque droit fur votre coeur ;
» l'affection que vous me témoignez eſt
» fincère , ô Apollon ! accordez à ce peuple
qui vous adore , toutes les grâces
» qui font en votre pouvoir. Je vous en
» conjure par cette fource pure , témoin
» de nos amours , par ce mont déformais
fameux , d'où mon foible bras
"
"
"
3
"9
guidé par l'amant qui fait ma gloire
» vient d'abattre le monftre hideux qui
» défoloit les troupeaux d'Eurypile.
» Relevez -vous , Nymphe adorable
répond tendrement Apollon : ce peuple
, pour qui vous vous intéreſſez fi
» vivement , m'eft cher. C'est moi qui
l'ai amené dans ces contrées , & cette
» fontaine , où , pour la première fois ,
» mes yeux ont eu le bonheur de vous
voir , fera le terme de fa courfe . Battus
» eft fon chef. C'est là , c'eft fur les bords
» fortunés de cette fource falutaire , qu'il
» doit conftruire une ville qui deviendra
» un jour la capitale d'un vafte empire ;
n
SEPTEMBRE . 1773 : 55
» & pour n'oublier jamais que vous m'a-
» vez recommandé fes intérêts , je don-
» nerai à cette heureufe cité le nom de la
» belle Cyrène. »
O Cyrénéen ! vois avec quelle ardeur,
avec quelle affiduité , nous aimons à te
fervir ! quel climat , quel Dieu a des temples
auffi fuperbes ! O Apollon ! où ferois.
tu mieux honoré que parmi nous ? N'avons
nous pas religieufement confervé
jufqu'à nos jours ce cantique vénérable ,
le plus ancien qu'on ait compofé à ta gloi
re : ce cantique chanté avec tant de joie
par les habitans de Delphes , quand tu tis
l'effai terrible de tes fièches d'or? Frappe,
frappe , o mon fils ! leve - toi , ô mon libérateur
! Latone conduifoit à Delphes fes
deux gémeaux chéris. Elle portoit fur fes
bras la jeune Diane , encore enveloppée
de langes. Apollon , débarraffé de ces premiers
liens de l'enfance , marchoit à fes
côtés. Un monftre affreux s'avance à fa
rencontre... C'étoit Python . Latone eſt
faifie d'effroi ; elle s'arrête , & cache précipitamment
dans fon fein le vifage de
la jeune déeffe . Alors appercevant l'arc &
le carquois, ( préfens fortunés de Jupiter)
qui pendoient négligemment fur les épau
les d'Apollon : Frappe , frappe , 6 mon
ô
Civ
56 MERCURE DE FRANCE:
fils , s'écrie t'elle ; lève toi , ó mon libérateur.
Apollon prend dans fes foibles
mains cet arc qu'il peut à peine foutenir :
cependant , ô merveille incroyable ! la
flèche part , & le flanc du monftre eft atteint.
La douleur le force à reculer , fes pieds
énormes chancèlent , & voilà qu'an fecond
trait plus rapide encore que le premier
, l'étend aufli- tôt fans vie aux pieds.
de la tendre Latone . Témoin de ce prodige
, le peuple répète avec tranſport :
Frappe , frappe , ó mon fils ! heureufe la
mère qui vient d'enfanter fon Sauveur !
L'Envie furprend un jour Apollon , &
lui dit mystérieufement à l'oreille : « Je
» ne puis eftimer un auteur dont les ou-
» vrages tronqués peuvent fe chanter en-
» tre deux foleils : mon poëte eft celui
» dont le vafte génie a produit autant de
» vers que la mer contient de gouttes
» d'eau. » Apollon repouffe dédaigneufement
l'Envie. « L'Euphrate , lui dit-il ,
» eft le plus grand fleuve de l'Affyrie ;
» mais avez - vous examiné combien il
» roule parmi les eaux de bourbe , de
fange & d'ordure ! & croyez vous ,
» quand les Prêtres de Cérès ont befoin
d'eau pour les facrifices , qu'ils aillent
» la puifer dans l'Euphrate ? Non . Ils
" P
SEPTEMBRE . 1773 . 57
préfèrent pour cet ufage facré l'eau de
quelque ruiffeau inconnu , dont la four-
» ce claire & limpide n'eft fouillée d'aucune
impureté . »
O Apollon ! fois nous favorable ! exauce
nos voeux ! mais que l'envieux foit à
jamais confondu .
сс
NB. «Callimaque faifit l'occafion de cet hym
»ne à Apollon , pour répondre à ceux qui lui reprochoient
d'être incapable de produire un ou
vrage de longue haleine . On fait qu'il penfoit
»à- peu- près comme Lafontaine.
99
» Les longs ouvrages me font peur ;
Loin d'épuifer une matière ,
On n'en doit prendre que la fleur.
FAB . liv. 5.
» & on a retenu cette fentence de notre poëte :
»qu'un grand livre eft fouvent un grand mal, »
Par M. Poullain de Fleins.
LA DEFIANCE PUNIE.
JADIS
Fable.
ADIS l'Amour & l'Hymenée
Goûtoient, dans l'union, des plaifirs dignes d'eux ;
Par cette amitié fortunée
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
Ils montroient aux humains le grand art d'être
heureux.
Rien ne troubloit une paix fi profonde ;
Tous deux d'un pouvoir mutuel
Gouvernoient fagement le monde ,
Et pour les adorer il n'étoit qu'un autel.
Vers cet inftant où le (oleil ,
Pour aller chez Thétis femble oublier la terre ,
Le petit Dieu qui préfide à Cythère ,
Auprès de fon ami fe livroit au fommeil.
Qu'aux yeux de l'Hymenée il paroifloit aimable
!
L'inftant étoit avantageux ,
Morphée à l'embellir eft toujours favorable ;
Mais fur un fi beau corps.... quel contretems
,fâcheux !
L'Hymenée apperçoit des aîles ;
Il pâlit à ce trifte aſpect ,
Son ami lui devient fufpect.
Il croit déjà fentir , dans fes craintes mortelles ,
L'Amour, pour s'envoler , s'arracher de fon fein
Enfin il prend la torche ardente....
Les ailes qui troubloient fon ame défiante
Alloient être bientôt détruites de fa main.
L'Amour s'éveille... ah ! quelle peine extrême;
De trouver criminel un objet que l'on aime !
Pour lui la défiance étoit un mot nouveau ;
Il fuit plein de colère un ami fi perfide ,
SEPTEMBRE. 1773. 59
Et le vent , excité par fon aîle rapide ,
Du fenfible Hymenée éteignit le flambeau.
Lorfque la défiance une fois nous infpire ,
Elle est au vrai bonheur un obftacle fatal ,
Et d'elle on peut juſtement dire
Que le remède eft pire que le mal.
Par M. Defperoux fils , de la Rochelle.
t
FABLE ORIENTALE,
UN
N Sage , en fortant du bain ,
Un jour trouva fous la main
Certain petit morceau de terre
Echappé du coin d'un parterre ;
Charmé de fon parfum fubtil ,
Es- tu de l'ambre , lui dit- il ? ..
Oh ! non , je ſuis fort peu de chofe ;
Mais j'ai paffé des jours avec la role.
Ainfi près d'un Trajan l'on devient un Titus ,
Vivez avec Caton , vous aurez ſes vertus.
Par Mile Coffon de la Creſſonnière:
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
VERS à une Dame qui a fait préſent à
l'Auteur d'un noeud d'épée , fans ſe faire
connoître.
DOIS-JE à l'amour ou bien à l'amitié ,
Ce noeud tiflu par la main d'une belle ?
A de fi doux panchans mon ame peu rebelle ,
Seroit bientôt avec eux de moitié ;
Mon coeur fut toujours prêt à témoigner fon zèle
Pour l'amour ou pour l'amitié.
Mais il fe trouve en cette affaire
Un aflez fâcheux embarras ;
Du nom de la Beauté l'on me fait un myſtère ,
Et le fort jaloux ne veut pas
Que je connoiffe la bergère ,
Qui , trop difcrette & trop févère ,
En m'enchaînant , me voile fes appas.
Puifque l'on s'obſtine à ſe taire ,
Je n'irai pas , Dom Quichotte nouveau,
Courir fans cefle après une chimère ,
Ni me tourmenter le cerveau.
Voyons un peu .... pour me tirer de peine ,
Et mettre là deffus mon efprit en repos ,
Si j'allois faire une neuvaine
Au dieu qu'on révère à Paphos ?
Qui ; c'est bien dit ; dès ce ſoir je commence ;
SEPTEMBRE. 1773 .
61
Et vais tout préparer pour me mettre en chemin ;
Je forcerai l'Amour à rompre le filence ,
Et je pourrai connoître enfin
L'objet de ma reconnoillance.
ENVO I.
Belle inconnue , agréez mon hommage ;
Mon coeur , fenfible à votre fouvenir ,
Reçoit ce préfent comme un gage
D'une amitié qui doit à jamais nous unir ;
Mais , pour couronner votre ouvrage ,
Daignez , exauçant tous mes voeux ,
Diffiper enfin le nuage
Qui depuis trop long - tems , vous dérobe à mes
yeux.
Par M. de B.
L'EXPLICATION du mot de la première
énigme du Mercure du mois d'Août
1773 , eft Enfeigne d'un cabaret ; celui
de la feconde eft le Baifer ; celui de la
troifième eft le Poële ; celui de la quatrième
est l'Ombre Le mot du premier logogryphe
eft Vendange , où fe trouvent
Eden , Eve , Ste Anne , Ange , ave, Agde,
Agen , Gand , Evadné , áne , nége , age ,
année , gêné , dé à coudre ; celui du
an
62 MERCURE DE FRANCE.
fecond eft Langue , où le trouvent lune ,
Ange , ane , Gaule , glu , gale , age , eau ,
nage , glane , an , angle ; celui du troifième
eft Montre , où l'on trouve renom ,
Rome , mort , mont , or , trône , Noé , tome
, orme, more , note , re , mot , Mer ;
celui du quatrième eft Liard , où le trouve
lard.:
ENIGM E.
NOTRE exiftence eft due à la néceffité :
Heureux celui qui n'a que faire
De notre ministère ,
Et nous laille en tranquilité !
La folâtre jeuneffe
Se rit de nous dans les chansons ,
Et fitôt que nous paroifions
Nous faifons fuir une maîtrefle.
Mais enfin à celui qui de nous s'eft berné ,
Autant lui peut en pendre au né.
Par M.... de Paris,
Pag.62
Septembre
Paroles de M. Sim .
Musique deM. Chatig..
1773 .
On doit changer; S'en -ga =
-ger n'est
pas sa =ge , Ilfaut
saisir Les e-clairs du plaisir ;
Cest a l'amant In - constant et
vo -la -ge Que le Dieu des a ::
mours Pro - met d'heureux jours .
SEPTEMBRE . 1773 . 63
AUTR E.
PETITE
cheminée ,
Souvent mal ramonée ,
Ayant trois pieds pour mon foutien ;
Voilà mon compofé ; j'agis ou mal ou bien ,
Selon la main réglant mon miniſtère
Et fuivant la dextérité ;
Si bien qu'en un inftant j'éclaircis la lumière
Ou je donne l'obſcurité.
Par le même.
A UTR E.
JE fuis commun à la ville , au village ; Ε
Dans le dernier , je fuis d'un grand ufage ,
On y fait cas de mes talens ..
Voici quel eft mon miniſtère :
Mon maître , à reculons , me promène à pas lents
Dans tous les lieux où je fuis néceflaire ;
Mais négligé , je ne faurois mieux faire ,
Pour me venger , que lui montrer les dents.
Par M. Blaizot , abonné au Mercure , an
Cabinet littéraire , à Versailles,
64 MERCURE DE FRANCE .
Jz
AUTRE.
E ne fais point , lecteur , l'amulement du fage ,
Je n'aime que le bruit , les cris & le tapage ;
On m'évite avec foin fi l'on me voit venir ;
L'un cherche à me donner , l'autre à ſe garantir.
Qui veut rire avec moi doit me rendre légère ,
Autrement je pourrois faire mettre en colère.
Mon frère , beaucoup plus férieux ,
N'eſt bien reçu que dans l'Eglife ;
Ailleurs on lui fait mine grife ,
Il a cinq membres , j'en ai deux.
Par M. Hubert , rue d'Orléans au Marais.
LOGO GRYPHE.
De peur de vous épouvanter E
Je ne veux point à votre vue ,
Tel que je fuis me préfenter,
Vous auriez l'ame trop émue.
Par mon art , je vais , cher lecteur ,
Sous diverfes métamorphofes ,
Me cacher en votre faveur.
Vous me verrez tour - à - tour femme , auteur ,
Poiflon , légume , fruit , ville , .. bien d'autres
choſes.
SEPTEMBRE . 1773 . 6:5
Çà , commençons : j'ai fix pieds bien comptés
Dont la combinaiſon vous offre cinq cités ,
Une dans l'Inde , une en Espagne ,
Deux en France , une en Allemagne.
Plus un amufement fujet à caution ,
Un frère de David ; un mont de la Troade ,
Bien célèbre dans l'Iliade ;
Ce qui fait voguer l'Alcion ;
Ce dont on a befoin dans mainte occafion ;
Un nom commun en Angleterre ;
Un grain à l'homme néceſſaire ;
Ce dont le munit le foldat
Lorfqu'il le prépare au combat ;
Le héros de ces grands génies ,
Vulgaitement nommés impies ;
En même tems l'Ambaſſadeur
D'un Etat aristocratique ,
Un Cafuifte , grand directeur ,
Dont le nom cft un terme de pratique ;
Un autre que dans fon lutrin ,
D'un feul trait plaifant & malin ,
A fu peindre le fatyrique;
Une des filles de Laban ;
D'Abubekre & d'Omar le rival redoutable ;
Un dépôt , un poiflon femblable à Féperlan ;
Une humeur qui fouvent rend l'homme infociable
;
Le nom d'un frère en fon couvent ;
Ce que patut toujours un minois grimaçant ;
66 MERCURE DE FRANCE.
Un légume abhorré d'Horace ;
Un animal qui vit de gland ;
Un prophète qui n'eft pas grand ;
Le premier des humains mort fans laiffer de race;
Un afyle fur mer , un fruit de même nom ;
Oh ! pour le coup vous me tenez ... Mais non .
Par M. Huet , P. C. de la D. des F. à Orléans.
AUTRE. --
OBJET des voeux ardens de deux ambitieux
Qui le difputent ma conquête ,
Tranſportez ma queue à ma tête ,
D'un léger changement , effet prodigieux !
Pour eux je ne fuis plus qu'un objer odieux.
Par Mlle Manabon , de Clermont ,
en Auvergne.
AUTR E.
Je fuis de bois ou de métal ; E
Tout change fous moi de nature :
Je fuis d'affez longue ftructure .
Quand je fuis en repos mes affaires vont mal .
Souvent je fers le luxe & la délicateſle ,
SEPTEMBRE . 1773 .
67
Souvent je fais la guerre aux maux de toute efpèce
,
Sous l'apparence de prifon ,
Je loge dans une maiſon
D'airain ou de marbre , n'importe ,
Sans toît , ni fenêtre , ni porte.
Lecteur , fi tu ne peux encore me connoître ,
Tourne & retourne quinze fois
Les cinq pieds qui forment mon être.
D'abord tu trouveras du bois ,
Un pronom , une négative ;
Un foldat néceflaire , à la marche tardive ;
Une plante effentielle , & deux fleuves fameux ,
Une particule trompeufe ;
Une métamorphofe affreuſe ;
Un animal majeſtueux ;
Ce que tu dois être pour plaire ;
Ce que les Rois feuls peuvent faire ;
Ce qui dépareroit le menton de Phylis ;
Ce qui fait quelquefois grimacer tes habits ,
Le contraire de près . T'en faut -il davantage ?
Non , & déjà tu me comprends ,
Et fi ton domicile eft dans mon voifinage ,
Au moment que tu lis peut- être tu m'entends.
Par M. Pourtales , Capitaine.
68 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
Avec cinq pieds j'inſpire la terreur :
VEC
Sans le premier , je mets l'homme en fureur ;
Et fi vous diviſez mon tout en deux parties ,
La première eft l'objet du defir des mortels ,
Et la feconde eſt de nos ennemies ,
Celle dont les effets nous font les plus cruels.
Par unjeune homme de douze ans.
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
Chriftophe Colomb , ou l'Amérique découverte
, poëme.
Magna quidem , ſacris quæ dat præcepta libellis
Victrix fortunæ fapientia...
Juv. lat. XIII.
2 parties in-8°. avec des gravures . A
Paris , chez Moutard , libraire , quai
des Auguſtins.
La découverte du nouveau Monde
de ces événemens que la Mufe
eſt un
SEPTEMBRE . 1773. 69
de l'Epopée fe plaira plus d'une fois à célébrer.
Le nouveau poëte annonce dans
fa préface , qu'il ignoroit , avant qu'il
eût fini fon poëme , qu'une Mufe Françoife
eût chanté l'expédition de Colomb.
Il n'y a effectivement entre la Colombiade
& le nouveau poëme épique d'autre reffemblance
que d'avoir agrandi en quelque
forte le motif qui détermina Colomb
à fe hafarder au milieu des mers inconnues
, en lui donnant pour objet de fon
entreprise de porter la foi dans le Nouveau
Monde. Le poëte adreffe fon invocation
à la Mufe de l'Epopée , & pour
mieux nous préparer aux grands événemens
qu'il va célébrer , remonte au mo❤
ment de la création . Il introduit l'Eternel
levant le rideau qui cache l'avenir . Lotfque
les tems font arrivés , un des Miniftres
du Tout Puiffant eft chargé d'ouvrit
A l'Ancien Monde le chemin du nouveau.
L'Ange , pour remplir cet ordre ,
prend la forme d'un vieux marin , & fe
tranfporte dans une des Ifles Canaries ,
où Colomb , retiré fous un réduit ignoré,
gagnoit fa vie à compofer des inftrumens
de marine .
Unfoir le promenant fur le bord du rivage ,
Sans relâche excité par fon bouillant courage ,
70 MERCURE DE FRANCE.
Il méditoit en foi les moyens peu connus
D'expliquer à fon gré le flux & le reflux :
Il en cherchoit la caufe , & ne pouvoit comprendre
Ce mouvement réglé que nul ne doit entendre ;
Il rêvoit à loifir : quand tout à coup s'offrit
Un objet de pitié dont l'état le furprit.
C'étoit un malheureux étendu fur le fable ,
Qui réclamoit de loin fon fecours charitable :
Auffi tôt accourant avec unanſport ,
Il fut le rappeler des portes de la mort.
Dès que le moribond enfi'ouvrit la paupière ,
Grand Dieu , s'écria- t'il , je revois la lumière !
Daignez fous ce climat vous montrer mon foutien
; ....
Jouet infortuné du plus trifte naufrage ,
Hélas ! j'ai tout perdu par un cruel orage ;
Etranger en ces lieux , que vais je devenir ?
Banniflez , dit Colomb , cet affreux fouvenir.
Tout pauvre que je fuis , j'ai du moins l'avantage
De vous pouvoir aider ; venez que je partage
Le peu que m'ont laiflé de fougueux ennemis :
Vos malheurs & les miens doivent nous rendre
amis.
Jufte Ciel ! pourfuivit le vieillard vénérable ;
Eh ! quoi , tant de vertu peut être milérable !
Ah! que n'ai - je mes biens ! j'eufle facrifié.
Généreux inconnu ... j'en fuis aflez payé ,
Interrompit Colomb , en vous étant utile ;.
SEPTEMBRE. 1773 . 75
Ce n'eft qu'un fentiment naturel & facile :
Il naît dans tous les coeurs , de la compaffion.
Ne m'en ayez ainfi nulle obligation .
Levez - vous , & marchons vers mon humble demeure
:
Venez , elle eft à vous ; difpofez -en fur l'heure .
Je n'ai pas tout perdu , dit le fage étranger ;
Il m'eft encor refté de quoi vous foulager ,
Et peut être... Partons. Je faurai vous inftruire
De fecrets importans deſtinés à produire
Plus de biens & d'honneurs que vous n'en defie
rez :
Vos malheurs à la fin vont être réparés ;
Et je bénis le Ciel de vouloir bien permettre ,
Qu'en de fi dignes mains je puifle les tranfmettre !
Cet étranger eft le Miniftre du Très-
Haut qui inftruit Colomb de l'exiftence
de l'Amérique & l'encourage à y porter
les lumières de la foi . Sathan , comme
on le penfe bien , cherche à traverſer
le fuccès de cette navigation . Il affemble
fon confeil ; & les Efprits infernaux ne
pouvant s'oppofer à l'entreprife de Colomb,
travaillent du moins à la retarder ,
en faifant naître des difficultés que les
différentes cours de l'Europe oppofent aux
demandes du navigateur Génois .
Milton a également employé dans fon
72 MERCURE DE FRANCE.
poëme les Anges & les diables , mais fon
fujet eft unique , & il paroît bien difficile
d'affortir avec fuccès le même merveilleux
à d'autres poëmes. La fiction néanmoins
d'un Ange qui prend la figure d'un
vieux marin expirant fur le rivage , a pa
avolt été fuggérée au poëte d'après un fait
rapporté dans la vie de Colomb . Cet homme
avoit , par la célébrité de fon entreprife
, excité l'envie de plufieurs naviga
teurs contemporains. Ceux - ci ne pouvant
lui ôter la gloire de fa découverte , chercherent
à la diminuet en publiant qu'il la
devoit à un vieux pilote accueilli chez lui
après un naufrage , & qui y mourut . Cette
hiftoriette eut dans fon tems quelque
crédit par la difpofition où font la plû-
-part des hommes de faifir le premier prétexte
pour s'exempter du tribut d'eftime &
de reconnoiffance , qu'ils doivent à leurs
femblables.
La Diſcorde joue auffi un grand rôle
dans ce poëme. Cette divinité infernale
n'ayant puempêcher que laCour d'Efpagne
fît équiper une flotte pour l'expédition
de Colomb, s'efforce de fouffler le trouble
& l'effroi parmi ceux qui s'étoient embarqués
avec ce navigateur décoré du titre
d'Amiral.L'Enfer pour mieux feconder les
efforts
SEPTEMBRE . 1773. 73
efforts de la Difcorde , fufcite un fantôme
femblable à celui qui s'offrit aux Portugais
fous la conduite de Vafco de Gama
lorfqu'ils voulurent doubler le Cap des
Tourmentes.
Pour mieux intimider tous ces (éditieux ,
Et confommer plutôt leurs deffeins factieux ,
Le colofle agitant la barbe étincelante
Couvrit les flots & l'air d'une flamme étouffante ;
C'étoit l'eau qui tomboit de les cheveux épars.
L'effroi qu'il répandit vola de toutes parts .
Ses terribles agens , infames fatellites ,
Implacables bourreaux des vengeances prédites ,
Pour redoubler l'horreur excitèrent les airs ,
Déchaînèrent les vents , foulevèrent les mers.
Il ne s'étoit point vu de pareille tempête ,
Les cheveux hériflés en drefloient à la tête.
Mais l'Eternel qui veille fur Colomb
fait ceffer ces preftiges. Tout rentre dans
le néant, & le calme renaît . Colomb aborde
à l'une des Lucayes ; mais les murmures
de fes gens qui n'y trouvent point
les vivres & l'or qu'ils cherchoient, l'obligent
de quitter promptement cette ifle .
La flotte les conduit à Saint-Domingue.
L'équipage pouffe des cris de joie à la
vue de cette terre fortunée, & y féjourne .
D
74
MERCURE DE FRANCE.
C'est même dans cette ifle que s'accompliffent
les deffeins de Dieu fur Colomb.
Il obtient le don des langues & s'en fert
pour expliquer au Cacique , le chef des
Infulaires , les mystères de notre Religion
. Notre héros miffionnaire le convertit
à la foi. Il profite de la circonftance
d'une éclipfe de lune qui devoit arriver
le foir même , & s'en fert comme
d'un prodige que le Ciel permettoit pour
manifefter fa volonté aux Infulaires . Son
autorité s'accroît en conféquence fur ce
Peuple ignorant ; mais il ne fait ufage de
cette autorité que pour lui faire goûter la
morale pure de l'Evangile, Les Indiens
interrogent l'Amiral fur le pays qui lui
a donné naiffance , ce qui donne lieu
au poëte de placer dans fon poëme une
defcription de l'ancien continent & de
paffer en revue les différens royaumes de
J'Europe . Tous ces détails rempliffent
plufieurs chants , L'amiral qui difcours
toujours plus qu'il n'agit , employe auffi
fon éloquence pour engager les naturels
du pays à contracter alliance avec lui.
La conduite de fes gens ne prévient pas
les Infulaires en faveur de cette alliance .
Le héros lui-même ne peut fe défendre
des feux de l'amour ; mais, toujours maî
SEPTEMBRE . 1773. 75
tre de fes paffions , il ne perd point de
vue l'objet de les travaux. Après l'avoir
rempli il s'embarque pour retourner en
Europe. L'Enfer , pour nous fervir de
l'expreffion de l'auteur , joue alors de fon
refte. Il excite un ouragan furieux , &
empêche les matelots de manoeuvrer, en
faifant fermenter dans leurs veines le
venin vénérien qu'ils avoient contracté
en Amérique. Colomb , au milieu de ce
danger , plein de confiance dans la protection
du Très - Haut , demeure ferme &
tranquile . L'orage fe diffipe . Une ifle déferte
fe préfente à l'Amiral. Des courants
d'eau l'y conduifent. Il defcend à
terre , parcourt l'ifle, & apperçoit fous un
berceau de fleurs un grouppe de déeſſes .
Sur l'une il vit briller les dons de la jeuneffe ;
Son teint frais & vermeil éclatoit fans rudeffe ,
Une gaze légère , attachée avec foin ,
La lui fit croire nue en la voyant de loin .
Elle avoit à la main une ſuperbe glace ,
Où tout le reproduit & jamais ne s'efface.
La feconde brilloit par tant de majeſté ,
Que juſques àſon nom , tout en eft reſpecté ;
Femme d'un certain âge , & d'un voile couverte ,
Son vifage annonçoit , foit quelque grande perte,
Soit un revers ſenſible à ſon coeur affligé ;
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
On voyoit que fon corps en étoit négligé :
Modefte en les habits , modefte en fon langage ,
Tout paroifloit en elle auffi fimple que fage :
Un livre couvert d'or ſe montroit fous fon bras ,
Et lui faifoit fouvent prononcer des hélas !
Ses yeux fixés fur lui l'envifageoient fans ceffe :
Il ſembloit arracher , pofféder fa tendrefle.
L'autre , d'un air févère , un bandeau fur les
yeux ,
Détournoit , confondoit les regards curieux ;
On lifoit aisément fur fon vifage auſtère ,
Que l'innocence même a de quoi lui déplaire ,
Et qu'il faut être pur comme fon chaſte ſein ,
Pour lui faire avouer qu'on eft & droit & fain.
Son bras levoit à peine une énorme balance .
Ces trois déeffes étoient la Vérité
la Religion & la Juftice . La première préfente
fon miroir à Colomb , & lui fait
voir toutes les découvertes que feront en
Amérique les voyageurs des différentes
Nations qui fuivront fes traces. Cette
glace , après avoir retracé devant l'Amiral
d'autres tableaux inſtructifs , s'obſcurcit
, & Colomb n'y vit plus rien . Il gagne
fes vaiffeaux , & après avoir effuyé
encore plufieurs dangers , fe rend en Efpagne
, où Ferdinand & Ifabelle , pour
l'honorer d'une manière particulière , le
font affeoir auprès d'eux fur le trône.
SEPTEMBRE . 17738 77
Ce poëme a 24 chants . Il fe reffent de
l'ennui que l'auteur avoue lui avoir tenu
lieu d'Apollon . La folitude de Saint Domingue
, où le poëte a été obligé de paſfer
vingt- huit ans , eft fans doute peu pro
pre à échauffer le génie , à éclairer le goût,
& à donner au ftyle , de la force , de l'élégance
& de la précifion. Mais dans la
folitude , ainsi qu'au milieu des dangers ,
on apprend à mieux connoître tout le
prix d'une religion qui nous confole dans
nos peines , anime les bonnes actions
que nous faifons en fecret, & nous donne
par l'efpérance d'une vie heureufe , du courage
& de la fermeté pour fupporter nos
calamités préfentes . Le poëte , qui étoit
rempli de ces vérités , a cherché à nous les
infpirer dans plufieurs endroits de fon
poëme .
Dictionnaire pour l'intelligence des Auteurs
claffiques , Grecs & Latins , tant
facrés que profanes , contenant la géographie
, l'hiftoire , la fable & les antiquités.
Dédié à Mgr le Duc de Choifeul
, par M. Sabbathier , profeffeur au
collége de Châlons -fur-Marne , & fecrétaire
de l'Académie de la même
même ville . Tome XVI . in - 8°. A
D iij
78 MERCURE
DE FRANCE
.
Paris , chez Delalain , libraire , rue de
la Comédie Françoife.
Ce dernier volume termine la lettre
D, & préfente , ainfi que les précédens ,
des articles fatisfaifans & très-bien remplis.
Ce dictionnaire néceffaire pour l'intelligence
des auteurs claffiques , peut être
auffi regardé comme une bibliothèque
hiftorique non moins curieufe qu'utile .
Tous les grands hommes de l'antiquité ,
les capitaines , les hiftoriens , les poëtes
les orateurs , les philofophes paffent ici
en revue. L'article de Diogène le Cynique
n'eft pas un des moins curieux de ce
volume. Ce philofophe qui s'étoit élevé
au deffus de tous les événemens & avoit
mis fous fes pieds toutes les faveurs , méprifoit
également les louanges & les fatyres
de fes concitoyens. C'étoit , dit Montagne
dans fon ftyle énergique , une efpèce
de ladrerie fpirituelle qui a un air
de fanté que la philofophie ne méprife
pas. On n'a pas omis de citer dans ce
dictionnaire la réponse que Diogène fit à
Alexandre lorfque ce Prince , environné
d'une Cour brillante , vint voir le Philofophe
couché alors au foleil . Alexandre ,
qui lui vouloit du bien , lui demanda ce
SEPTEMBRE. 1773. 79
qu'il pouvoit faire en fa faveur . Te
retirer de devant monfoleil. Cette réponſe
indigna les courtifans , mais frappa le
Monarque, qui , fe retournant vers les favoris
, leur dit : Si je n'étois Alexandre , je
voudrois être Diogène. « Ce mot , ajoutė
» l'hiftorien , cache un fens profond , &
» découvre parfaitement le fond du coeur
humain. Alexandre fent qu'il eft fait
» pour tout avoir ; voilà ſa deſtinée , & en
» quoi il met fon bonheur. Mais , s'il ne
pouvoit parvenir à ce but , il fent aufi
» que pour être heureux , il faudroit étu-
» dier à fe paffer de tout . En un mot zout
» ou rien , c'eft Alexandre & Diogènė. »
Cette explication des paroles d'Alexandre
ne fera peut - être pas adoptée de tous les
lecteurs . Plufieurs fe contenteront d'y
trouver une fimple expreffion de caractère.
L'orgueil formoit le fond de celui
d'Alexandre . Ce Prince faifoit connoître
affez clairement , par le difcours qui lui
eft attribué , que fi fon courage & fa puiffance
ne pouvoient fubjuguer la fortune
il voudroit s'en tendre indépendant ,
l'exemple du Philofophe Cynique .
Les articles Dioclétien , Dion , Diodore
, Domitien font très étendus & nè
laiffent rien à defirer . L'auteur a recueilli
Div
Bo MERCURE DE FRANCE .
à l'article Dieu les preuves métaphyfi
ques , hiftoriques & phyfiques de l'exiftence
de Dieu. C'eft une de ces premières
vérités qui s'emparent avec force de
tout efprit qui penfe & qui réfléchir.
L'homme , même le plus groffier & le
plus ftupide , ne peut méconnoître aiſément
cette vérité. Elle lui entre en quelque
forte par tous les fens . Il la trouve
en lui & hors de lui . 1 ° . Parce qu'il fent
bien qu'il n'eft pas l'auteur de lui- même ;
que pour comprendre comment il exifte ,
il faut de néceffité recourir à une main
fouveraine qui l'ait tiré du néant. 2 ° .
Hors de lui , dans l'Univers qui reffemble
à un champ de tableau où l'ouvrier parfait
s'eft peint lui- même dans fon oeuvre ,
autant qu'elle pouvoit en être l'image ; il
ne fauroit ouvrir les yeux qu'il ne décou
vre par- tout autour de lui , les traces d'une
Intelligence puiffante & fans bornes . Ce
feroit donc faire injure aux hommes que
de chercher à leur prouver une vérité auffi
évidente , fi le vice , ennemi de tout ce
qui peut le troubler , ne s'étoit efforcé d'y
répandre des nuages .
Zenothémis , anecdote marfeilloife , par
M. d'Arnaud. in - 8 °. avec figures, A
SEPTEMBRE . 1773. 81
Paris , chez le Jay , rue St Jacques , audeffus
de celle des Mathurins.
Lorfque Marſeille confervoit encore
fous la protection des Céfars la fage conftitution
qui avoit fondé fa République ,
on pouvoit compter au nombre des citoyens
les plus refpectables que la naiffance
& le favoir plaçoient à la tête du
gouvernement , Ménéctate & Zénothémis
; le premier déjà avancé en âge , jouiffoit
d'une réputation folidement établie
pour fon intégrité autant que pour fes
lumières dans la Jurifprudence . Une fille
unique devoit hériter de fa confidération
& de fes richeffes : mais le vertueux Sénateur
mettoit bien au - deffus des préfens
de la fortune l'eftime de fes concitoyens
& la fienne propre ; il favoit apprécier
cette récompenfe , la feule qui nous faisfaffe
pleinement , & que fi peu
de gens
en place connoiflent & font jaloux de
mériter. La rendre amitié de Zénothémis
ajoutoit le dernier degré à fon bonheur.
Ce jeune homme joignoit aux grâces de
la figure & à la dignité de l'extérieur une
ame fublime & enflammée de l'amour
des arts & des vertus . Sorti à peine de
l'enfance , il s'étoit attaché fortement à
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
Ménécrate. Ce panchant s'étoit accrû avec
les années , & la difproportion de leur âge
n'avoit point nui aux douceurs de cette
liaiſon independante des fens qui rapproche,
unit les coeurs, & qui les porte à
fe communiquer leurs goûts , leurs affections
, leurs intérêts mutuels . Zénothémis
évitoit toutes les occafions qui pouvoient
l'éloigner de fon ami. Des affaires indifpenfables
cependant l'ayant appelé à Nifme
, il fallut prendre congé de fon ami ,
qui ,en lui renouvellant les affurancesd'une
amitié inviolable , le preffa de hâter fon
retour. Pendant cette abfence le fils d'un
Matfeillois diftingué eft foupçonné d'un
meur.'re commis pendant la nuit. L'inf
truction de l'affaire eft confiée à Ménécrate.
L'accufé n'étoit que trop coupable ,
fi l'on confitoit fur tout la févérité des
loix de Martille ; le vrai s'étoit montré
dans tout fon jour ; la fatale fentence alloit
être prononcée ; le père & la mère du
jeune homme accorent , tombent au genoux
du magiftrat , les arrofent de pleurs :
" Hélas ! s'écrie le père infortuné , en dé-
·
couvrant fa tête chauve , & fe profter-
» nant plus profondément , bienfaifant
» Ménécrate , daignez être homme avant
» que d'être l'organe de la juftice. Vous
SEPTEMBRE . 1773. 83
voyez couché dans la pouffière un mal-
» heureux vieillard qui n'a plus qu'un
» jour à voir la clarté du foleil ; il efpé-
» roit revivre dans un fils unique , & ce
» fils va lui être enlevé ! & par quels
coups ! ce n'eſt pas affez qu'il perde la
vie : fon châtiment fera perpétué par
une mémoire flétrie qui s'étendra fur
toute fa famille , qui me pourfuivra
jufques dans la tombe . Ménécrate
» vous êtes père : oui , mon fils eft criminel
, je ne vous le cache pas ; oui , il a
» mérité toute votre rigueur , du moins
nos loix l'ont ainfi décidé. Quoique je
paffe l'excufer en vous donnant des
» preuves que fon adverfaire l'a infulté
» vivement , & a fuccombé fous un pre-
» mier mouvement de vengeance , la
>
mort de mon malheureux fils ranimera-
» t'elle celui dont il a percé le flanc ?
Contemplez une déplorable mère qui
» n'a point la force de s'exprimer. Cette
» douleur qui fe tait vous peint l'horreur
"
de fa fituation . Ame généreufe , ordon-
» nez le trépas de tous trois , s'il faut
» qu'on arrache de notre fein cet enfant .
Si vous aviez à juger votre fille , la
» condamneriez - vous ? Pourriez - vous
» laiffer tomber le glaive des loix fur fa
D vj
84 MERCURE DE FRANCE .
"
"
» tête ? Ayez compaffion de ma vieilleffe :
c'est l'humanité qui pleure à vos ge-
» noux , qui vous adreffe fa prière , fes
» cris ; Ménécrate , c'eft mon dernier foupir
qui vous intercède .» En effet le vieil
lard expiroit aux pieds de Ménécrate . Le
juge attendri le relève avec bonté , ainfi
que fa femme ; la nature fe fait entendre
à fon coeur ; la voix de l'équité eft moins
forte : l'auftère magiftrat enfiu n'eft plus
qu'un homme fenfible , qu'un père remué
par le fpectacle le plus déchirant. Il céde
à ce mouvement dont s'applaudit l'hu-
· manité , & que
l'on craint d'appeler une
foibleffe : il immole fon devoir pour n'obéir
qu'à la pitié : le criminel eft déclaré
innocent. Ménécrate étoit trop eftimé &
-trop heureux pour ne pas exciter l'envie.
Ses ennemis fe réuniffent à la famille du
mort. On demande la révifion du procès .
On propofe des informations . Le meurtrier
, malgré le rapport favorable d'un
des premiers Sénateurs , eft déclaré coupable
: il fubit le supplice deftiné aux homicides.
L'efprit de parti n'en refte point
à cet acte de juftice : il s'acharne à la perte
du juge trop humain , exagère fa faute
comme un crime capital qui bleffe les
loix & l'équité. Ménécrate , cité devant
SEPTEMBRE. 1773. 85
le Sénat affemblé , comparoit & ne diffimule
point qu'un fentiment de compaffion
l'a furpris & s'eft rendu le maître de
fen coeur . Il convient de toute l'étendue
d'une erreur fufceptible peut -être de pardon
, fi la fenfibilité eft écoutée ; il avoue
qu'il a mérité d'être repris par fa Compagnie
; il finit par implorer fon indulgence.
Mais on n'écoute que l'inflexibilité
des loix . Ménécrare eft dépouillé de fes
dignités . La confifcation de fes biens fuit
une peine fi cruelle. Zénothémis , informé
de l'horrible catastrophe que vient
d'effuyer fon ami , accourt , vole dans fes
bras & les arrofe de ces larmes délicieufes
que fait naître la fenfibilité . Zénothémis
fe rend au Sénat ; il veut élever la voix.
en faveur de fon ami. On lui répond que
l'équité défend de revenir fur le jugement ,
& que la condamnation de Ménécrate a
été prononcée par les loix . « Vous parlez
toujours de loix , dit Zénothémis ! eh !
» parlez d'humanité ; examinez la faute
» de votre collégue ; c'eft un excès de
compaffion , qui , s'il fait rort à fon in-
» tégrité , honore fon coeur ; il s'en remet
» à votre clémence . » Les repréfentations
de Zénothémis , fes efforts , fes prières
font inutiles , & il eft obligé de céder à la
"
28
86 MERCURE DE FRANCE
multitude qui prétend avoir jugé légale
ment. « L'envie eft plus animée que jamais
contre vous , dit - il à Ménécrate.
» Votre condamnation eft irrévocable :
» mais mon amitié fe roidit & s'augmen
» te avec votre infortune : venez, daignez
» me fuivre. Ménécrate accompagne
Zénothémis qui le conduit à fam aifon.
Le vieillard ne peut s'empêcher de foupirer
, en confidérant cette demeure & les
richeffes qu'elle renferme. Cette image
lui rappelle fa première fituation ; il veut
fe retirer. « Nous ne nous quitterons plus,
» lui dit le jeune homme en le retenant
» avec tranfport , & en le ferrant dans fes
bras ; vous voyez votre afyle , votre
" fortune ; du moins nous partagerons
l'un & l'autre. Que me propofez- vous,
interrompt Ménécrate ? je fens tout le
» le prix de cette offre ; mais votre deffein
» ne feroit pas d'ajouter à mes peines ?→
Qa'entends - je ? -Mon ami , les bienfaits,
quelle que foit la main qui les difpenfe
, traînent toujours l'humiliation
après eux ; notre exiſtence perd de fa
» dignité quand nous la devons au ſecours
d'autrui . L'amitié.... eft
» moins pure dès l'inftant que la recon-
» noiffance vient mêler fon tribut à des
"
"
"
»
"
39
――
SEPTEMBRE. 1773 . 87
8
"9
» fentimens libres ; je veux vous aimer
» fans intérêt. Quoi ! l'indigence...
» Penfez vous que je n'aie pas appris à la
»fupporter ? Tous les hommes naiffent
indigens : la richeffe leur eft une fitua-
» tion étrangère . L'adverfité n'eft point
» le malheur véritable ; confervez - moi
cet honneur qu'on veut m'enlever ; impofez
filence à la calomnie : voilà les
» maux auxquels le courage le plus ferme
» a de la peine à réfifter . Encore une fois ,
» que m'importent des biens , des palais?
» Jeune homme , je n'ai befoin que de
» mourir ; c'eſt un cercueil qu'il me faut;
» c'eſt l'unique préfent qu'il me foit permisd'accepter
de votre amitié généreuse ;
je vous le redis : tout autre me bleffe-
» roit... Je n'afpire qu'à marier ma fille ,
» & je fuivrai après ce que m'ordonnent
» mon coeur & ma deftinée. » Cydipe ,
c'eft le nom de la fille du malheureux fé.
nateur , avoit été demandée depuis longtems
en mariage par Myfias pour fon fils
Eudimaque . Mais ce Myfias reffembloit au
commun des hommes .Lorfqu'il eut appris
l'infortune de Ménécrate , il ne s'occupa
qu'à chercher des prétextes pour retirer fa
parole. Cette froideur de Myfias mit le
comble aux chagrins de Ménécrate . « Le
»
:: MERCURE DE FRANCE.
» malheur ne m'a que trop éclairé , di-
❤ foit- il à ſon cher Zénothémis dans l'ef-
» fufion de fon coeur : Myfias n'eft plus
» mon ami ; ma fille ne fera point
l'époufe d'Eudimaque ; je ne verrai
» point former ces noeuds , la feule eſpé-
» rance , l'unique confolation qui puffent
» m'attacher à la vie ; je mourrai ; & qui
«
"
"
eft-ce qui reftera à ma fille ? mon infor-
» tune , le fouvenir de ce qu'elle a été , le
» tableau effrayant de ce qu'elle fera ;
» mon nom , ma race s'éteindront avec
Cydipe. Mon ami , l'homme demande
» des fucceffeurs , & l'on ne s'accoutume
point à l'idée affligeante qu'on ne revi-
» vra point dans une poftérité qui ſemble
» tromper la mort & perpétuer notre
» existence ; Ménécrate fera détruit tout
» entier. Et qui aujourd'hui voudroit
» être l'époux de ma fille ? Tout me
» trahit , m'abandonne ... Peut-être fui-
» vrez -vous l'exemple de Myfias ... Ah !
» pardonnez , mon cher Zénothémis ,
pardonnez . Voilà où conduit la difgra-
» ce ! on offenfe l'ami le plus cher. »
Ménécrate , en achevant ces mots , étoit
tombé dans le fein du jeune homme &
pleuroit amèrement . Mon père , lui dit
Zénothémis comme revenu d'une pro
SEPTEMBRE. 1773. 89
"
"
» fonde rêverie , calmez cette douleur
» qui m'accable ; vos larmes portent la
» inort dans mon ame. Oui , l'adverfité
nous rend foupçonneux , défians , injuftes
; Myfias vous aura paru différent
» de ce qu'il peut être ; vous me difiez
qu'il vous aimeit : le coeur change -t'il
fi de tems » en peu ? Je vous quitte pour
» vous rejoindre bientôt . Ménécrate
» le comble du malheur , eft de perdre
» l'efpérance .» Zénothémis , impatient
d'exécuter fon deffein , fe rend chez Myfas.
Mais que peuvent les fentimens
d'honneur fur une ame foible & pufilla
nime ? Zénothémis le quitte brufquement
& va retrouver Ménécrate qu'il
embrafle avec tranfport. « Mon refpec-
» table ami , oublions la terre , les hom-
"
mes ; efforçons- nous de nous fuffire à
» nous mèmes . Que Zénothémis veus
» tienne lieu de tout . »
Le vertueux jeune homme reçoit une
nouvelle bleffure dans la perfonne de fon
ami. Il apprend qu'Eudimaque , pour
s'excufer de manquer à fa parole , répand
des bruits injurieux à celle qui lui avoit
été promiſe. Ah ! fi Zénothémis eût été
libre , avec quel empreffement n'auroit - il
pas cherché à remplacer Eudymaque !
90 MERCURE DE FRANCE.
avec quelle fatisfaction n'auroit - il pas
calmé l'inquiétude de fon ami fur le fort
de fa fille ! mais il avoit donné ſa foi à
Agathée , niéce du fénateur Hermogène.
Leur mariage avoit été préparé , en quel .
que forte , dès le moment même de leur
naiffance. Les deux familles s'étoient engagées
réciproquement à cette union qui
devoit refferrer leur intimité. La jeune
perfonne méritoit tous les voeux de Zénothémis
, qui reflentoit le pouvoir de
fes charmes , & en effet c'étoit la vertu
même fous les traits de la beauté . Zénothémis
, quelle que fût fon ardeur, aimoit
peut être encore moins qu'il n'étoit aimé.
Agathée s'attachoit tous les jours
davantage à fon amant. Les rares quali
tés de Zénothémis , fon ame fenfible &
fublime fortifioient cet amour dont cette
femme , l'honneur de fon fexe , s'applaudiffoit
; elle n'héfitoit point à faire l'aveu
de fa paffion ; un fentiment noble & pur
ne connoît pas ces déguifemens que le
vice a imaginés & qu'il a décorés du ton
impofant de bienféances . Agathée voyoit
d'un oeil fatisfait s'approcher le terme
prefcrit pour fon hymen ; loin de s'offen.
fer des larmes que Zénothémis donnoit
au fort de Ménécrate , elle le pleuroic
SEPTEMBRE. 1773. 91
avec lui. Elle partageoit même le défefpoir
de fon ainant ; elle l'entendoit fouvent
répéter : « L'infortuné Ménécrate n'a
» donc plus de confolation à attendre fur
» la terre ! les flambeaux de l'hymen ne
» s'allumeront jamais pour Cydipe ! fa
>> malheureufe deftinée eft décidée ! une
» honte éternelle fera imprimée fur fes
» jours , fur ceux d'un miférable vieil-
» lard qui meurt dans l'affurance que tout
"
a rejeté fa fille , & qu'elle ne tardera
» pas à le fuivre au tombeau. Encore , s'il
» avoit un gendre dont il pût , fans rougir
, accepter les fecours généreux , qui
» le fecourir à fes derniers momens , qui
»fermât fes yeux éteints dans les larmes,
qui le flattât de l'efpoir que fon nom
» fe perpétueroit ! Mais Ménécrate ne
» voit fous fes pas qu'un vafte tombeau
» qui l'engloutit , lui & fes efpérances .
Perſpective plus cruelle que la mort !
» c'est toute l'horreur du néant qu'il envifage
! & l'indigence fe joint à dos re-
» vers fi accablans ! il refufe ... Ce feroit
» moi qu'il auroit fervi ! ah ! les bienfaits
» de l'amitié n'humilient point ils ne
» font que refferrer les noeuds. Ménécra-
» te... Sa fille ... Quel fort effrayant ! »
y avoit déjà long - tems qu'Agathće
"
11.
:
92 MERCURE
DE FRANCE.
écoutoit ce difcours avec un air de réflexion
qui décèle une ame profondé
ment occupée ; le défordre de fes fens fe
peint fur fon front ; des pleurs , qu'elle
s'efforce de repouffer , la trahiffent &
viennent en abondance fur les bords de fa
paupière ; elle regardoit Zénothémis par
intervalle , & de fombres accens lui
échappoient. Zénothémis alarmé , interroge
Agathée , la preffe de lui apprendre
d'où naît ce trouble fubit. « Zénothémis ,
» il n'eft pas encore tems de parler ....
» Je conçois un deffein ..... vous le
» faurez .. Quelques jours s'écoulèrent
depuis cette fcène : il étoit aifé d'appercevoir
que l'ame d'Agathée étoit déchirée
par de violens combats . « Enfin , dit elle
» un jour à Zénothémis , vous ferez fa-
» tisfait : il faut que vous ameniez ici
Ménécrate , fa fille , & quelques- uns
de vos meilleurs amis ; mon oncle ,
» à ma follicitation , les prie d'affifter
» à un feftin qu'il prépare en l'honneur
» des Dieux domestiques : fans doute les
» Conviés ne fe refuferont point à l'in-
» vitation ». En prononçant ces mots ,
elle regarde Zénothémis qui promet de
fuivre fes volontés. Le jour est arrivé.
L'afpect de Cydipe avoit produit chez
"
SEPTEMBRE. 1773. 93
Agathée une émotion qu'elle parvient à
Vurmonter. On entre dans la falle du
feftin : tout y préfentoit les apprêts d'une
fête fomptueufe. L'affemblée cède aux
mouvemens d'une gaieté décente : Hermogene
, fa nièce , & Zénothémis étoient
feuls plongés dans une rêverie dont on
cherchoit vainement à deviner la cauſe.
La fin du repas approchoit : Zénothémis ,
qui , durant tout le feftin , avoit parlé
peu à Agathée & à Hermogene , &
avoit donné des marques d'une agitation
extraordinaire , quitte brufquement la
table comme égaré & hors de lui - même ,
fe précipite dans une chambre voiſine :
le Maître de la maifon & fa nièce fe
hâtent de l'y fuivre : les Convives reftent
interdits ; ils fe demandent le fujer de
cette abfence inattendue : la ſurpriſe de
Ménécrate & de Cydipe eft encore plus
grande. Agathée rentre avec fon oncle
& Zénothémis ; celui ci paroiffoit
accablé ; la jeune perfonne avoit les
yeux chargés de larmes ; elle affecte
de reprendre un air ferein . Hermogene
ordonne qu'on apporte une coupe defti
née aux libations facrées : les Efclaves
obéiffent. A peine la coupe a tt--elle paru,
Zénothémis ne peut retenir un gefte qui
94 MERCURE
DE FRANCE
.
décèle fon trouble ; Agathée lui parle
encore à voix baffe ; des impreffions de
curiofité font fur tous les vifages. La
nièce d'Hermogene fait un figne à Zénothémis
, comme fi elle le pretfoit d'exé
cuter la volonté ; elle fe faifit elle même
de la coupe , la remet dans les mains
de fon amant , qui fe leve , porte la
coupe au Ciel , & profère , d'une voix
entrecoupée , ces paroles qu'Agathée qui
étoit près de lui , fembloit lui dicter :
Je prends à témoin cette affemblée
"
99
39
❤
» & j'en jure fur cette coupe par les Dieux
» que je prie en ce moment de m'en-
» tendre je choifis pour mon épouse
Cydipe , la fille de Ménécrate. Ma
» fille , s'écrie le Vieillard ! Zénothémis
» me donneroit ſa main , dit à ſon tour
Cydipe ! Oui , vous ferez ſa femme ,
reprit Agathée , & moi ..... » Elle
n'acheve pas , & tombe évanouie : on
vole à fon fecours ; cette héroïne fort
du fein même du trépas pour devenir
une créature au- deffus de l'eſpèce humaine
, qui va déployer toute la grandeur
de fon ame. « Non , dit Ménécrate
» en courant vers elle , fille fublime , je
» ne reçois point les fermens de Zénothémis
; je ne fouffrirai pas qu'il vous
SEPTEMBRE. 1773. 95
» foit parjure ; c'ett vous qui devez être
fon époufe ; il a donné fa parole , il
» vous aime , il vous eft cher ; ma fille
» & moi ne ſommes pas faits pour un
» femblable facrifice : marchez à l'Autel
» & nous à la mort. Vous ferez le père
» de Zénothémis , répond Agathée en
» s'armant de courage ; je veux préfider
» à ces liens..... je le veux : ce que
23
+99
"
je viens d'éprouver eft un refte de
» foibleffe dont je triompherai . Sans
» doute j'attachois tout mon bonheur à
me voir la femme de Zénothémis ;
j'adore la vertu , c'eft dire , combien
j'adorerois l'époux que le Ciel & ma
» famille m'auroient deftiné ; oui , je
» l'aimois , & j'ofe en convenir en fa
préfence , en préſence de mon parent
» & de cette affemblée . Mais quel plaifir
» je goûte à m'immoler pour cette même
» vertu qui m'eft fi chère ! Ménécrate ,
je fais mon devoir , je remplis les
obligations d'une ame fenfible. Zéno-
» thémis eft votre ami ; la calomnie
» cherchoit à flétrir la réputation de
Cydipe ; tout l'opprimoit ; après l'in-
» jure que lui ont faite Myfias & fon
fils , elle n'avoit plus d'hymenée à efpérer
; il n'y avoit que Zénothémis
"
"
96 MERCURE
DE FRANCE
.
feul qui pût lui offrir fa main
» & il la lui préfente de mon aveu ; je
» foufcris à cette union ; j'en hâte le
moment ..... Ne regardez point mon
» trouble , mes larmes.... elles s'arrê
» teront..... Cydipe fera mon amie.
"
Cydipe , faifie d'admiration & de reconnoiffance
, étoit profternée aux pieds
d'Agathée . Le Lecteur applaudira à ce
tribut d'admiration ; il regardera ce tableau
comme le plus bel éloge que l'on
puiffe faire de l'amitié & de la vertu .
Cette nouvelle commence le troisième
volume des Épreuves du Sentiment ; elle
eft précédée d'un extrait de l'Hiſtoire de
Marſeille : cet extrait donne des inftructions
utiles fur les moeurs anciennes des
Marfeillois ; il nous familiarife avec le
coftume employé dans cette nouvelle ,
qui a l'intérêt & l'action du Drame , &
dont nous n'avons cité que les mor.
ceaux les plus propres à en faire connoître
l'objet & la marche.
Le Chemin du Ciel , ou la vie du Chrétien,
fanctifié par la prière , par M. l'Abbé
Hefpelle , Docteur de Sorbonne , &
Curé de Dunkerque . A Paris , chez
Berton , rue S. Victor , & Hériffant
rue
SEPTEMBRE. 1773 . 27
rue Notre- Dame , 1773 , in- 12.672
pages.
Ce Livre n'eft pas de ces ouvrages
purement afcetiques , uniquement deftinés
à ceux qui fe vouent au cloître ,
c'eft un livre de prières choißes qui peuvent
être , utiles à tous ceux qui s'occupent
de leur falut : elles font propres
à fanctifier toutes les actions du Chrétien.
*
6
M. l'Abbé Hefpelle a fait un choix ,
( ainfi qu'il le déclare dans , fa préface ) ,
des prières les plus affectueules , répandues
dans différens ouvrages de ce genre;
mais fon travail quoiqu'utile , eût ôté
peu confidérable s'il fe fût botné à ce
choix ; il en a ajouré un très - grand nom
bre de fa compofition , il les a adaptées
aux différens befoins de l'homme fur
la terre : toutes ces prières annoncent un
homme inftruit de fes devoirs qui s'oc
cupe utilement du falut du prochain.
1 Cet ouvrage eft dédié aux Dames
1.Carmélices de Saint Denis . M. l'Abbé
• Het pelle a eu le talent de louer l'augufte
ai Princeffe , qui par fa retraite au Carmel
91adonne l'exemple du plus parfait facrifice
; faus bleffer, fa modeftie, il la pro-
E
98 MERCURE
DE FRANCE
.
pofe pour modèle à tous ceux qui defirent
fincèrement leur falut dans l'état où
la providence les a placés ; le triomphe,
» dit il, de Madame Louife fur le monde,
» fait la gloire de l'Eglife . Sa foi conftante
& la profeffion publique qu'elle en a » faite
*
par fa retraite raffermit celle de
nos concitoyens , c'eft un exemple qui
fait plus d'impreffion que tous les dif-
» cours. Sa mortification confond tous
les prétextes pris de, la foibleffe du
tempérament pour ſe ſouftraire à l'abſtinence
& au jeûne .
"
Suit une préface où l'Auteur prouve en
peu de mots, combien la prière eft néceffaire
; le début eft dans le ton dogmatique,
« Il existe un être fuprême , un
etre infiniment puiffant , ... qui gou-
» verne tout par fa providence , qui ré-
» compenfe la vertu , & punit le crime;
» que nous devons adorer , craindre ,
» aimer & prier. La prière eft le premier
devoir de l'homme ; fon origine , fa
» nature , fes befoins , tout l'avertit qu'il
faut prier. Dieu veut bien nous donner
» les fecours néceffaires , mais il exige
» que nous les lui demandions . Depuis
» le péché de notre premier père , notre
» vie n'eft qu'un tilu de peines & de
SEPTEMBRE. 1773. 99
n
•
chagrins , c'est un combat continuel . ".
Rien de plus touchant , de plus confolant
pour un pécheur que les prières de
la meffe , de la confeffion , & celle pour
la vifite du Saint Sacrement . C'eft ainfi
qu'il fait parler le pécheur qui vient
d'examiner fa confcience . Seigneur, ma
» mémoire fe perd , mon efprit fe con-
» fond dans l'abîme immenfe de mes
iniquités ; je me reconnois in finiment
plus coupable que je ne l'avois penſé :
» le nombre de mes crimes furpaffe celui
» de mes cheveux ; la penſée de votre
juftice me fait frémir. Eh bien ! mon
» Dieu , je me foumets à l'arrêt de votre
» vengeance , je fuis fous vos coups : frap-
» pez , puniffez - moi ; mais vous ne vou-
» lez pas me perdre : il vous fera bien
""
95
19
plus glorieux de manifefter votre mi-
»féricorde en me pardonnant, que de figna-
» ler votre juſtice par ma perte ; écoutez
» le Sang de J. C. qui réclame en ma
» faveur , glorifiez votre Fils en lui ac-
» cordant le pardon qu'il vous demande
cet endroit rappelle le
" pour moi.
Sonnet de des Barreaux : Tonne , Frappe ;
il est tems , &c.
12
Chacun des principaux articles de cet
ouvrage est précédé d'une espèce de pré-
E ij
100 MERCURE DE FRANCE .
C
cis ou d'argument fait avec beaucoup de
jufteffe. Ceux qui précédent la meffe ,
la confeffion , la communion , le baptême
, .... font remplis d'onction.
M. l'Abbé Hefpelle a joint à ces
prières , l'office de l'après midi , & de
tous les Dimanches & Fêtes de l'année
en latin & en françois . Il ne s'eft pas borné
là: il a inféré des prières diverfes pour toutes
les vertus : elles font fuivies des plus
belles hymnes de Santeuil & de Coffin ,
qui en prouvent la néceffité ; on y trouve
auffi des pratiques de dévotion pour
tous les jours de la femaine , des pensées
chrétiennes pour chaque jour du mois ,
des méditations fur les voeux du baptême
, des réflexions fur la mort , & des
prières pour les agonifans.
On lira fur tout avec fruit les paraphrafes
fur le pater & fur quelques
Pleaumes , qui font defirer celles que
cet auteur doit donner inceffamment au
Public fur tous les Pleaumes de David .
Ce fecond ouvrage fera fuivi d'un trqihème
, intitulé la véritable religion démontrée
contre les athées , les déiftes , &
contre tous les fectaires , 2 vol. in- 12.
SEPTEMBRE . 1773. 101
Théâtre de M. Poinfinet de Sivry , dè la
Société Royale des Sciences & Belles-
Lettres de Lorraine ; contenant la Tra- "
gédie de Brifeis , troifième édition ; la
Tragédie d'Ajax & la Comédie d'Aglaë,
feconde édition ; & trois Comédies du
même Auteur. A Londres , & fe trouve
à Paris , chez Lacombe , Libraire , vue
Chrifline , 1773.
L'édition du Théâtre & des Poéfies
diverfes de M. Pointinet de Sivry , im
primée chez Barbou en 1763 , s'étant
trouvée épuifée , on donna aux Deux-
Ponts une nouvelle édition des Poéfies
diverfes , fous le nom de Mufes Grecques ,
en 1771 ; contenant une troisième édition
, revue , corrigée & augmentée de
la traduction en vers François d'Anacréon
, Sapho , Mofchus , Bion , & autres
Poëtes Grecs , qui fe trouve à Paris chez
Lacombe . C'eft auffi chez le même Libraire
que fe trouve la nouvelle édition,
du théâtre du même Auteur, de laquelle
nous avons à rendre compte . La première
Pièce eft celle de Brifeïs . Nous nous contenterons
de rappeler au Lecteur que
cette Tragédie , repréfentée en 1759 ,
fut applaudie avec tranfport ; & que le
E iij
702 MERCURE DE FRANCE.
fuccès de cette Pièce , ( qui au furplus
n'a pas eu tout fon cours , puifque les
repréſentations en furent interrompues
par l'accident arrivé à M. le Kain ) , a
été pleinement juſtifié par la lecture ,
cet écueil de la plupart des réuffites théâ-
Irales. Il Y a fans doute peu d'Amateurs
qui ne fe rappellent le grand effet que
firent dans les rôles d'Achille & de
Priam , MM . Lekain & Brizard . Mile
Gauffin remplit le rôle de Brifeïs , &
elle y fut applaudie ; mais on peut dire
qu'il n'étoit nullement propre pour elle .
Ce perfonnage exige un Sujet qui joigne
à une belle figure un organe impofant ,
un jeu noble , & qui raffemble enfin
tout ce qui caractériſe la fierté & l'héroïfme
des fentimens . Si ce rôle , qui
ne put être qu'imparfaitement rendu par
Mlle Gauffin , fit cependant beaucoup de
fenfation, quelle magie n'y jetteroit point
cette jeune Actrice , aujourd'hui le charme
& l'honneur de la Scène tragique , qui
réunit au plus haut point de perfection
tout ce qui convient à ce rôle , & à qui
jamais peut être perfonnage ne convint
mieux que celui - ci ? M. Lekain , qui s'in
téreffe vivement à la Tragédie de Brifeïs,
par l'eftime qu'il en fait , en a fouvent
SEPTEMBRE. 1773 . 103
l'on
follicité la reprife , & l'a fait mettre ,
en différens tems , fur le répertoire . Ainfi
peut raifonnablement compter qu'on
ne tardera point à la voir reprefenter.
Nous ne nous arrêterons point à donner
l'analyse de cette Pièce dont le fujet eft
généralement connu , étant , pour ainfi
dire , le même que celui de l'Iliade
c'est- à- dire , la Colère d'Achille . Parmi
les morceaux les plus frappans , nous
citerons ces deux - ci :
ACTE III. fcène VI.
A CHILL E.
Quoi ! tout jufqu'à Patrocle eft - il donc contre
moi ?
N'étoit-ce pas affez , Brifeïs , de vos charmes ?
Ah ! cefiez dans mon coeur de vous chercher des
-armes.
Qu'exigez-vous d'Achille , & que prétendez -vous ?
Eft-ce à vous de vouloir appaiſer mon courroux ?
Eh ! pour qui de vingt Rois ai je cherché la haine?
Loin de ces bords enfin quel intérêt m'entraîne ?
.Faut- il donc que les Grecs vous deviennent plus
chers ,
Quand je veux vous venger de leurs indignes
fers ?
Cellez en leur faveur une plainte inutile ;
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
Montrez- vous déformais la compagné d'Achille
D'un rival que j'abhorre , & qui m'oſa trahir ,
Ne vous reflouvenez que pour le mieux haïr .
Je vous offre ma main. D'un pompeux hymenée ,
Je veux fur mes vaifleaux confacrer la journée ;
Et du crime d'Atride atteftant tous les Dieux ,
Vous couronner , Madame , & partir à les yeux.
BRISE 1S. "
Partez , mais loin de moi . Courez en Theffalic
Oublier les lauriers qui croiflent en Phrygie.
Briféis aujourd'hui ne prétend point s'unir
A vos deftins , Seigneur , afin de les tenir.
Reprenez tous les dons que vous voulez me faire.
Penfiez- vous qu'à ce prix un trône pût meplaire ?,
Que m'importe ce fceptre , & mille autres encor
J'aimois Achille feul & le vainqueur d'Hector.
Fuilque vous renoncez à cette gloire infigne ,
Sans doute qu'en effet vous n'en êtes plus digne.
Allez loin des périls honteufement régner ;
Mais ne me preffez plus de vous accompagner.
Ne me contraignez pas de partager fans ceffe
L'affront de votre fuite & de votre foiblefle .
Non. Je ne vous fuivrois que pour vous repro
cher
La honte & le repos que vous allez chercher.
Partez ; abandonnez Briféis & la gloire ;
Retournez à Laryfle , & perdez ma mémoire.
Ulyfle & Diomède , Ajax & Mérion
SEPTEMBRE . 1773. 105.
S'illuftreront fans vous fous les murs d'Ilion.
A CHILLE ,
Patrocle? où fommes - nous ? que venons - nous
d'entendre ?
Ah ! de vous adorer qui pourroit le défendre ?
Par quel charme nouveau , je me fens attirer !
il faut vous admirer. de vous chérir ; peu
C'eft
Mais c'est dans le recit de la bataille
des Grecs & des Troyens que l'auteur
s'eft vraiment montré počte.
ACTE V , fcène 111.
BRISÉS.
Ahille furieux
Couroit à la vengeance au fortir de ces lieux.
Les éclairs font moins prompts , la foudre eft
moins foudaine.
Déjà de la Troade il a vu fuir la plaine.
Il fe préfente aux bords à jamais révérés ,
Où le Xante immortel roule fes flots facrés .
Hector au même inftant paroît fur l'autre rive.
Achille en frémiflant , voit fa rage captive ;
Et redoublant fa haine à l'afpect du Héros,
Terrible , & tout armé , fe plonge dans les flots .
De cette audace altière Hector même s'étonne.
Achille difparoît ; l'onde écume & bouillonne.
EV
105 MERCURE DE FRANCE.
Bientôt il fe remontre , & paroît à nos yeur
Tel qu'on peint les Titans armés contre les Dieux.
Tous ces Dieux conjurés pour venger leur rivage ,
D'accord avec les flots combattoient fon paflage.
Achille loin de lui par l'orage entraîné ,
Repoufle , mais envain , le torrent mutiné.
Un choc nouveau le preffe ; il chancelle , ilfuccombe
;
Il rappelle la force , il réfifte , il retombe .
Il voit encor brifer les efforts fuperflus ;
Un bruit même s'élève : Achille ne vit plus !
Mais tandis qu'à l'envi les défenfeurs de Troye
Se livrent aux trantports d'une indiſcrette joie ;
O furprise ! ô prodige ! Achille audacieux
Surmonte la tempête , & le fleuve & les Dieux.
Ce n'eft plus un mortel échappé du naufrage ,
C'eft Achille vainqueur qui s'élance au rivage.
PRIAM.
Ciel! & mon fils ?
BRISE s.
Hector , en ce moment fatal ,
Avec moins de fureur , montre un courage égal.
L'un par l'autre excités , ces rivaux intrépides .
Mefurent fièrement leurs glaives homicides.
Une même valeur ſemble guider leurs bras .
Tous deux cherchent la gloire , & courent au trépas.
SEPTEMBRE . 1773. 107
La Victoire héfitoit ; la Déefle inhumaine
Alloit enfin pencher fa balance incertaine ;
Mais un Dieu plus propice en ordonne autrement ,
Et le Sort qui fait tout , change l'événement.
Ut trait part de nos rangs. Son atteinte émouflée
Par le calque d'Achille eſt au loin repouflée.
Les airs font auffi - tôt couverts de mille dards .
Les Grecs fur les Troyens fondent de toutes parts:
Jamais Mars dans les coeurs ne mit plus de furie ;
Mes yeux ont vu combattre , & l'Europe & l'Afic .
Neptune arme pour Troye , & Junon pour Argos ,
Tout ce que la Nature a produit de Héros.
La faite à la terreur ne permet plus d'aſyle ;
Tout Troyen eft Hector , & tout Grec eft Achille.
Achille & fon rival dans la foule perdus ,
S'appellent à grand cris , & ne fe trouvent plus.
Sans doute un Dieu plus fort les trouble & les
égare. 1
Béni foit à jamais le Ciel qui les fépare ;
Et qui ne permet pas à la Parque en courroux
D'étendre fur Hector fes homicides coups !
La Tragédie de Brifeis elt fuivie de
celle d'Ajax , repréfentée en 1762 , &
dont le fujet eft pareillement trop connu.
pour que nous nous arrêtions à en donner
le plan. On convient généralement
qu'elle est très bien écrite ; que la richelle
du fujer y eft foutenue par une poésie
1
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
mâle & noble ; qu'elle eft remplie de
fituations théâtrales . Les fureurs d'Ajax
au dernier acte , font un des plus beaux
endroits de la pièce.
ACTE V, fcène dernière,
AJAX .
Ils partent !.. penfent- ils fe fouftraire à ma rage?
Viens , fuis - moi , cher Arcas ; courons vers le ri
vage ;
Montons fur mes vaiſſeaux .
ARCA S.
Quoi donc ignorez - vous
Que les feux dévorans les ont embraſés tous ?
Un feul qui des Troyens porte l'efpoir funefte ,
Eft échappé ; la flamme a confumé lè refte.
Mais un mal plus preflant me ramene à vos yeux :
Excité par Ulyffe , Atride furieux
Prétend venger fur vous la flotte & la défaite,
Il faut , n'en doutez point , fonger à la retraite.
Je crains même , je crains que mes foins fuperflus
N'aient trop tard... Mais , Seigneur , vous ne
m'entendez plus !
Quelle noire fureur tout- à -coup vous tranfporte ! -
Aht reprenez vos fens ; rejoignez votre escorte.
1
SEPTEMBRE . 1773. 109
AJAX.
Où fuis je ? ... fous mes pas je vois les fombres
bords .
Qui m'a conduit vivant dans l'empire de morts !
Une fecrette horreur de mon ame s'empare.
Dieux ! où m'entraînez - vous ? ... je fens que je
m'égate !
En ces inftans affreux pourquoi t'offrir à moi ?
A ta perte certaine , ami , dérobe - toi.
Mon aveugle transport re prendroit pour victime:
-Fuis , malheureux Arças ! épargne- moi ce crime.
Quelle Divinité , quel funefte démon ,
Me fouffle cette rage & trouble ma raiſon ?
C'eft toi , fille du Dieu qui lance le tonnerre ;
C'est toi dont le courroux me déclare la guerre.
Tombe'; de ma vengeance effrayons les mortels :
Vois détruire ton culte & brifer tes autels.
Ni l'Olympe irrité , ni Jupiter lui même ,
Ne fauroient te fauverde ma fureur extrême.
a
Ilbrife la flatue de Minerve. Le tonnerre tombe.
Quels déluges de feux s'offrent à mes regards !
Quel'effroyable bruit gronde de toutes parts !
Tonnez , Dieux impuiffans , pour me réduire en
poudre.
"
Armez l'Enfer encore au défaut de la foudre.
J'échappe à tous vos traits , je brave vos efforts ;
Er je faurai fans vous deſcendre chez les morts.
Ilfe précipite furfon épée,
110 MERCURE DE FRANCE .
La fenfation non conteftée que cette
Tragédie a faite à la lecture , ne permet
pas de douter que le peu de fuccès
qu'elle eut à la première repréfentation
, n'ait été l'effet d'une caballe
dont l'injustice s'étoit déjà manifoftée
à la Comédie de Pigmalion donnée
aux François en 1760. Cette Comédie
eft dans le genre érotique , &
remplie de fituations intéreffantes qui .
l'ont maintenue fur divers théâtres de
fociété. Elle a été repréfentée à Marfeille
: l'Auteur l'a donnée à l'impreffion
fous le titre d'Aglaë. Le dialogue en
eft à la fois ingénieux & naturel ; con.
duite avec art , elle eft encore écrite
avec délicateffe & pureté : le dénouement
forme un tableau des plus agréabies &
des plus intéreffans.
Depuis la Tragédie d'Ajax , l'Auteur
n'a plus préfenté aucune Pièce à lire aux
Comédiens : ainfi les trois Comédies qui
fuivent ; favoir , le Valet intriguant , le
Tems & la Folie , & le Maître de Guittare
, quoique très- fufceptibles d'être repréfentées
, n'ont encore paru fur aucun
théâtre.
Le Valet intriguant eft , comme fon
titre l'annonce , une Comédie d'intrigue ,
SEPTEMBRE. 1773- IIF
cette intrigue fe noue & fe dénoue avec
beaucoup d'art ; on y trouve un grand
nombre de fituations comiques ; le fujet ,
en peu de mots , eft celui- ci : Paſquin ,
pour faire époufer Angélique à Valere ,
s'avife de lui confeiller de fe faire pafler
pour le neveu de fon rival ; la fupercherie
eft reconnue ; & au moment où
Valere fe regarde comme perdu , fans
reffource , il fe trouve que fon rival eft
effectivement fon oncle . L'effet trèscomique
d'une telle intrigue , fe fait
aifément fentir .
Le Tems & la Folie eft une Comédie
en un acte , en profe mêlée de quelques
vers , où tous les perfonnages fant allé
goriques. On fait que ces fortes d'interlocuteurs
font pour
l'ordinaire apprêtés
, froids & d'une morale on d'une
fatyre férieufe . Ici rien de tel : tous les
perfonnages ont & confervent l'empreinte
de la gaieté du titre de la Pièce.
Les Dieux trouvent le tems trop long ,
les mortels le trouvent trop court. Pour
remédier à ces deux inconvéniens , la
Folie époufe Saturne , le Dieu du Tems ,
& elle propofe de marier l'Ennui avec
la Raifon , & de les envoyer tous deux
fur la terre pour forcer les mortels à ne
plus trouver le tems trop court . Il y
112 MERCURE DE FRANCE.
dans cette Pièce beaucoup de gaieté &
de faillies ; le ton en eft léger , vrai &
agréable. La Comédie finit par ces
couplets :
COUPLET S.
A l'Ennui livrons la Raifon ;
Qu'au plutôt on les congédie.
Répétons tous à l'uniflon :
Vive le Tems & la Folie !
Moquons nous du qu'en dira - t'on;
La joie eft l'ame de la vie.
Le feul délire eft de faiſon .
Vive le Tems & la Folie !
AUX SPECTATEURS.
O vous qu'endort le grave ton
De la moderne comédie ;
Agréez pour contrepoiſon
Quelques grains de notre folie.
Le théâtre de M. de Sivry eft terminé
par le Maître de Guittare , Comédie lyrique
en un acte. Voici l'avant- propos
que l'Auteur a mis à la tête de cette
Pièce « Le fond du fujet & de l'intérêt
de ce petit Drame eft emprunté
» du joli acte d'Eglé , de M. Laujon :
» on avoue lui être redevable auf de
*
SEPTEMBRE. 1773. 113
plufieurs penfées . Mais au lieu que
» chez lui la scène eft prefqu'entièrement
» occupée par des Dieux & par des perfonnages
allégoriques ; choix d'ailleurs
très convenable au théâtre de l'Opéra ;
ici tous tous les perfonnages font vrai
» femblables & peuvent réellement exif-
» ter , ce qui , peut être , ajoute encore
» à l'intérêt de ce fujet ingénieux . Une
» autre diftinction à faire c'eft que l'acte
d'Eglé eft purement une paftorale héroïque
, & que le Maître de Guittare.
" eft à la fois une Paftorale & une
» Comédie » .
"
La lecture du Théâtre de M. Poin finet
de Sivry , comparée à celle de fen Traité
des caufes du Rire , de fes Origines
Uriennes , de fes Mufes Grecques & de
fa Traduction de Pline , fait juger qu'il
n'eft point de forte d'étude qu'il n'ait
tentée , raifonnée , approfondie ; & que
fes talens foutenus de cette riche variété
de connoiffances , l'appellent , pour ainfi
dire , à tous les genres.
Tobie , Poëme en quatre chants , dédié à
N. S. P. le Pape Clément XIV . par
M. le Clerc , vol. in- 12 . petit format.
A Paris , chez le Jay , Libraire , rue
Saint Jacques.
114 MERCURE DE FRANCE .
Le tableau pathétique de la mort da
jufte que préfente le Poëme de Geffner ,
a échaufé la verve de M. le Clerc. Cet
écrivain eftimable s'eft appliqué a nous
peindre d'après l'Ecriture Sainte , la vie
active du jufte. Le jeune Tobie nous
eft ici repréfenté comme un adorareur
du Dieu d'Ifraël , qui , dès la plus tendre
jeuneſe, ouvrit fon ame aux tréfors
de la piété ; un citoyen , qui , dans les
horreurs de la captivité , confacra les
débris de fa fortune à foulager fes frères
gémiffants ; un fils tendre & foumis ,
l'unique confolation d'un père & d'une
mère auffi malheureux que refpectables ;
un époux dont le coeur né fenfible.
ne brûla que des chaftes feux de l'hymen
; un ami enfin , que fon goût épuré
pour la vertu rendit digne de l'approche
de ces Intelligences qui environnent
le Trône du Très - Haut.
L'écrivain toujours fidèle à la vérité du
texte facré , s'eft permis néanmoins
d'embellir fon récit de tous les ornemens
qui pouvoient lui appartenir . Il s'eft
bien pénétré des fentimens de fes perfonnages
, de ceux même que la nature
infpire dans telle & telle fituation , &
s'eft enfuite livré aux peintures que fon
imagination lui fuggeroit. Tobie , nous,
SEPTEMBRE. 1773. 115
dit l'écriture , fut obligé de s'abfenter
de la maifon paternelle par ordre de
fon père. Un Ange , fous la figure d'un
voyageur ,, lui fervit de guide . Les adieux
de cet enfant chéri , forment un des
morceaux les plus touchans de ce Poëme ,
par le tableau qu'ils nous offrent des
tendres inquiétudes de la mère de Tobie .
tout étoit préparé pour le départ qui
devoit fe faire le lendemain. « L'heure
» du fommeil arrive . Il vient , doux &
tranquille , avec ce charme qui n'eſt
» accordé qu'aux coeurs exempts de re-
» mords ; il vient répandre avec pro-
» fufion , fur le père & fur le fils fes
» pavots rafraichillants . Mais le coeur
» d'une mère refifte à ce charme puif-
» fant , & s'en crée un plus précieux de fa
» tendre émotion . Inquiête , agitée , elle
"
fe dérobe avec précaution de fa cou-
» che déjà tiéde , elle fufpend fes pas
» dans l'ombre , elle étend fes mains
craintives , & d'une haleine palpitante ,
» rallumant une lampe à peine éteinte ,
» elle en modère l'éclat trop vif , en
» l'environnant du pan de fa robe ; elle
approche doucement du lit où repoſe
celui qu'elle aime ; èlle fe raffafie en-
» core une fois du plaifir de le contempler
; fon coeur fe gonfle de foupirs
"
29
23
116 MERCURE DE FRANCE.
33
99
» qu'elle étouffe , & fa bouche , après
» avoir erré fur les joues de fon fils
» fe cole fur fa main , mais en modé-
» rant le feu de fes baifers , pour jouir
plus long- tems de fon fommeil . Elle
» porte l'attention jufqu'à écarter de fon
vifage ces infectes volants , enfants
>> importuns de la chaleur , dont la
piqûre pourroit le blefler , dont le
» bourdonnement du moins pourroit
» troubler le calme dont il jouit. C'eft
» dans ces exercices d'un coeur brûlant
» d'amour que la futprit l'autore renaif
fante. Cette aurore , quoiqu'environnée
de flammes pures & étincelantes ,
» ne lui offrit point ce fpectacle accou-
» tumé qui réjouiffoit fes regards . Hélas !
» c'est que cette même aurore lui annonçoit
le jour & le moment du fa-
» crifice . ».
99
93
Comme la marche de ce Poëme eft
fuffifamment indiquée par le texte même
de l'Ecriture Sainte que l'écrivain a
fuivi , nous nous contenterons de citer
un autre morceau de ce Poëme , tiré du
quatrième chant . C'est le moment où
le jeune Tobie après avoir , par le confeil
de l'ange , époufé Sara fille de Raguel
, fe met en route avec fa femme
pour s'en retourner. Montée fur un Cha.
SEPTEMBRE. 1773. 1'7
meau , ayant à fes côté l'Ange & fon
époux , Sara fuivoit tritement & en
filence la route qui l'éloignoit de plus
en plus de fes chers parens . Quelquefois
elle reportoit fes regards fur le féjour
où elle les laifloit . Tobie alors lui ferrant
la main , la forçoit à détourner les
yeux fur les fiens , & rétabliffoit ainfi le
calme en fon ame. Enfin Sara le fixant .
avec l'expreffion énergique du fentiment :
» cher époux , dit- elle , toi ſeul me
» tiens lieu de tout ; ta patrie fera la
» mienne , tes parents feront les miens ;
» mon époux fera dans tous les tems
» mon protecteur & mon ami. Mon
» coeur foumis à fes loix , trouvera fon
» bonheur & fa gloire dans l'obéiffance ,
» dans la fidélité , dans l'amour. Cher
» Tobie , prends pitié de ma foibleffe
» & pardonne à ce coeur tout à toi , des
foupirs qui pourroient encore s'échapper
vers les lieux où je laifle ce que
» toi feul as pu me faire abandonner . »
Tobie alors , verfant les plus douces
larmes : Que parle- tu d'obéiffance &
» de foumiffion , chere ame de mon ame ?
» Ah ! la plus parfaite égalité naît de
» l'amour inutuel . Partage en tout une
autotité , dont un amour égal au tien ,
m'empêchera toujours d'abufer. Eh ?
118 MERCURE
DE FRANCE.
»
» n'es tu pas ma compagne , mon amie ,
" ma confolatrice ? N'eft- ce pas toi que
» le Ciel m'accorde , pour verfer fur
» mes jours la félicité qu'il y daignera
répandre ? Egaux en tout par la rại-
» fon & par la tendrefle , foyons - le
» toujours auffi dans ce gouvernement
» domeſtique , dont tes complaifances
» & les miennes écarteront toute idée
» de fupériorité . Ah ! fans cet heureux
équilibre , comment aimerois tu celui
» dont tu craindrois l'empire ? Comment
» contraindrois je les volontés taifon-
» nables de celle que j'aimerois ? » A
ces mots il lui tendit la main , & elle
l'approcha de fa bouche avec un nouveau
degré de tendreffe,
"
La diction de ce Poëme a ce caractère
de nobleffe & de fimplicité , que l'on
a droit d'exiger dans un écrit deſtiné
à célébrer les louanges d'un Juſte
l'Ecriture Sainte nous propoſe pour
que
modèle.
Avis à mes Concitoyens
, ou Eſſai ſur la
Fièvre miliaire , fuivi de plufieurs obfervations
intéreflantes
fur la même
maladie . Par M. Gaftelier , medecin à
Montargis ; vol. in- 12 . A Paris , chez
Gogué , libraire , quai des Auguſtins .
SEPTEMBRE. 1773. 119
a
La fièvre miliaire , ainfi appelée des
puftules ou véhicules qui s'élèvent principalement
fur les parties fupérieures du
corps , & qui reflemblent en quelque
forte à des grains de millet , a été l'objet
des recherches de plufieurs favans médecins.
Mais leurs travaux ont laillé encore
bien des incertitudes fur la nature , le caractère
& les fymptômes de cette fièvre ,
& la méthode curative qu'elle exige . M.
Gaftelier , qui dans la ville qu'il habite
eu fouvent occafion d'obferver cette fièvre,
a cru , pour le bien de l'humanité ,
devoir publier le recueil de fes obfervations
. Il a mis en pratique le confeil que
le docteur Sauvages donnoit à fes élèves ,
Un médecin clinique , difoit-il , qui veut
faire fon devoir , doit du moins , dans les
premières années de fa pratique , décrire
pour fon ufage les maladies particulières
qu'il obferve , & les rapporter à leurs
gentes & à leurs efpèces. Pour réuffir , il
doit chercher dans les auteurs , l'histoire
de la maladie qu'il traite , examiner fes
caractères , & comparer ce qu'ils en difent
avec la defcription ; ce qui eft difficile
vu que de dix maladies qu'on obferve
à peine en trouve - t'on une que les auteurs
ayent bien décrite. Il faut donc fuppléer à
120 MERCURE DE FRANCE.
ce défaut par un douveau travail , & tirer
d'un grand nombre d'obfervations
individuelies
de la même eſpèce , le caractère
qui convient à l'efpece .
"
Cet habile médecin , toujours occupé
des devoirs de fon état ,ſe plaignoit encore
de ce que la plupart des médecins négligeoient
de faire part de leurs obfervations
à leurs collégues . « Si ceux qui s'attachent
» à obferver les maladies , ajoutoit- il
» vouloient , à l'exemple des Botanistes ,
» fe communiquer mutuellement leurs
» lumières , je ne doute pas que là nofologie
ne parvint en peu de tems , au
» même degré de perfection que la bo-
" tanique. "
"
Le médecin qui faifoit ces plaintes
verroit fans doute avec fatisfaction l'effai
de M. Gaftelier fur la fièvre miliaire . Cet
écrit eft divifé en huit chapitres . L'auteur
, dans le premier chapitre , fait la
defcription des différens phénomenes de
la fièvre miliaire , depuis fon invaſion
jufqu'à fa terminaifon , tels qu'il les a obfervés
chez les différens malades qu'il a
traités .
Dans le fecond chapitre , il diftingue
favoir la
deux efpèces de fièvre miliaire ,
bénigne & la maligne. Il néglige les autres
diftinctions
SEPTEMBRE. 1773. 121
diftinctions qui feroient fans nombre fi
on vouloit avoir égard à la variété des
fymptômes qui fe manifeftent chez les
différens individus .
Dans le troisième , il parle des cauſes
de la fièvre miliaire , de fa nature & de
fon effence ; & il décrit à cette occafion
le local de Montargis , qui influe beaucoup
fur l'exiftence de cette maladie.
Le quatrième & le cinquième chapitre :
font employés à établir le diagnoſtic &
le prognoftic
Dans le fixième il expofe la méthode
curative , & donne le tableau des médica- ,
mens fimples & compofés qu'il a été obligé
de varier à raifon de la diverfité des
fymptômes.
Dans le feptième , il propofe quelques
moyens pour prévenir la maladie qui défole
habituellement la ville de Montargis ,
ou au moins la modérer & la rendre plus
rare & moins meurtrière.
Le huitième chapitre renferme plufieurs
obfervations intéreffantes fur cette
épidémie.
L'ouvrage eft terminé par un corollaire
dans lequel M. Gaftelier réfume tout ce
que la plupart des auteurs & lui , ont dit &
obfervé tant fur la marche des fymptô-
F
112 MERCURE DE FRANCE.
mes de la fièvre miliaire , que fur les
moyens curatifs mis en ufage , afin de
mettre le lecteur à portée de faifir d'un
coup d'oeil tout l'enfemble, & de juger par
cé moyen de la conformité ainfi que de
la différence de ce qui à été publié fur cette
maladie.
Cet écrit, rempli de très - bonnes obſervations
,ne peut être que très-utile aux praticiens.
L'auteur l'auroit rendu d'une utilité
plus générale s'il en eut écarté plufieurs
expreffions obfcures pour ceux qui n'ont
point fait leur étude de la médecine , &
s'il fe fur aftreint à indiquer les remèdes
en françois & dans les termes les plus ufités
. La demande que nous formons ici
eft d'autant mieux fondée que l'auteur
adreffe fon effai aux habitans de Montargis
& des campagnes voilines , qui vraifemblement
ne connoîtront rien aux formules
latines & chargées d'abréviations ,
employées dans cet écrit,
Euvres de Molière , avec des remarques
grammaticales , des avertiffemens
& des obfervations fur chaque pièce.
par M. Bret , 6 vol . in- 8º très - belle
édition ornée de gravures , & du por
trait de Molière. A Paris , chez le
SEPTEMBRE. 1773 123
Clerc , Libraire , Quai des Auguftins
& chez les Libraires áffociés , 1773 °
Les honneurs du commentaire font
dûs aux hommes de génie qui ont éclai
ré leur fiècle. Molière vient enfin d'avoir
auffi cet avantage , & M. Bret qui a
long - tems étudié les tableaux de ce
grand Maître , les a accompagnés de
notes & de remarques utiles & intéreffantes
: il développe dans un difcours
préliminaire les rares qualités de cet ,
écrivain célèbre , le père & le modèle
de la bonne Comédie.
» Peintre exact & fûr , du coeur de .
» l'homme , Molière ne peut vieillir à
» cet égard , ce ne font point des finef-
» fes qu'il a apperçues , ce font des
» traits caractéristiques qu'il a appro-
» fondis , c'eſt à la nature , dont fa
main habile a écarté le voile , auquel
» s'arrêtent les vues foibles & peu per-
» çantes.
» Auffi philofophe , auffi fidèle fcru-
» tateur que Montaigne , Molière , du
» côté du ridicule , de la fottife , -du
» mauvais goût , & de tous les abus de
» la taifon & de l'efprit , a vû l'homme
civilifé tel qu'il eft , & tel qu'il fera
Fij
124MERCUREDE۴۲FRANCE.
» toujouts ellentiellement , fes portraits
ne different de nous aujourd'hui que
par des nuances légères , & qui regar
dent plus la fuperficie que le fond des
» chofes, ..
Mais cette fuperficie légère , rend
Molière chaque jour plus étranger parmi
nous , par les détails de modes & d'a
juftemens ; & c'est comme on l'obferve
une contradiction pen foutenable dans
la repréfentation de quelques pièces de
cet auteur , d'y voir les perfonnages ridicules
, y conferver la vieille manière
de s'habiller , tandis qu'aucun des autres
acteurs n'y fuit cer3 ancien fage. !
Avec quelques changemens convenus
dans le dialogue de ces Comédies con
feroit difparoître ce contrefens & leur
effet moral ne pourroit qu'y gagner..
Harpagon , veru comme un de nos avares
feroit plus d'impreffion fur nous. Son
pourpoint , fes aiguillettes , & fon vieux
haut - de- chauffe , nous empêchent de te
trouver fous les traits lavate de notre
quartier : lui- même le méconnoît à la
faveur des différences extérieures qu'il voit
entre Harpagon & lui , & il ſe, difa
penfe de fougir, singu
"
On retrouve dans cette édition le
SEPTEMBRE . 1773. 125
•
précis hiftorique de la vie de Molière ,
par M. de Voltaire , & un fuplement
où l'on s'eft livré à la recherche de
quelques détails pour fatisfaite la curio
fité des lecteurs avides de tout ce
qui regarde la mémoire de Molière.
1
Toutes les Coqiédies font précédées
d'avertiffemens , & fuivies d'obfervations
' où l'éditeur expofe les anecdotes ,
les mutations , les beautés & les défauts
de ces pièces. 11 eft incroyable
de voir combien il y eût de critiques ,
de fatyres , d'intrigues , de libelles , &
de partis accrédités pour traverfer les
fuccès des différentes , Comédies de
Molière. L'envie , le faux goût , l'igno .
rance étoient fous les armes toutes les
Fois que le Pecte comique devoit proquire
un drame nouveau . On pourroit
dire d'après l'hiftoire de ces cri
ces critiqués
que leur foule & , leurs efforts font
dans tous les temps les preuves les
moins équivoques de la bonte d'un
ouvrage & du mérite d'un écrivain .
}
On fait que la cabale redoutable qu'épouvantoit
l'approche du Tartuffe , fit
forger une libelle infame dont elle effaya
de faire paffer Molière pour l'auteur
; ce trait qui lui étoit perfonnel
Fiij
126 MERCURE DE FRANGE.
ainfi que plufieurs autres , eft une preuve
fans réplique , que dans le portrait du
Milantrope il n'avoit affecté perfonne
en particulier. Molière cût fait une fatyre,
fi tous les traits de fon perfonnage
euffent reffemblé à quelque individu
mais en généralifant ce caractère il le
rendoit digne de la Comédie qui n'afpire
point à la licence du libelle ; & il
révéloit à fes fuccefleurs le fecret de
fon arr pour corriger les hommes fans
les offenfer.
Euvres de M. Franklin , Docteur ès Loix,
Membre de l'Académie Royale des
Sciences de Paris , de Londres , de
Gottingue, &c. , traduites de l'Anglois
fur la quatrième édition ; par M. Barbeu
Dubourg, avec des additions nouvelles
& des figures en tailles douces , 2 vol.
in 4. , prix 14 liv. brochés , franc
de port , tant à Paris qu'en Province.
A Paris , chez l'Auteur , rue de la
Bucherie , aux Ecoles de Médecine ;
chez Quillau & Lacombe , Libraires ,
rae Chriftine ; & Lefprit , Libraire de
Mgr. le Duc de Chartres , au Palais
Royal.
M. Franklin , toujours occupé d'une
SEPTEMBRE. 1773. 127
<
multitude d'affaires graves , tant publiques
que particulières , n'a jamais
fait de la Phyfique que fon dédélaffement
; mais fans compoſer aucun
traité en forme , fon génie s'eft exercé
fucceffivement for quantité de fujets di
vers ; & à mesure que l'occafion s'en
eft préfentée , il a fait part de fès découvertes
à fes amis dans des lettres familières
, où il leur propofe du ton le
plus modefte les idées les plus lumineufes.
Ces divers morceaux ont été recueillis
& publiés à Londres. M. Dubourg en
donne la traduction avec plufieurs morceaux
nouveaux fournis par M. Franklin .
Il a accompagné ces lettres de réflexions ,
& leur a donné un ordre qu'elles n'ont
pas dans l'édition Angloife.
Il a préfenté féparément tout ce qui
a rapport à l'électricité , & il a arrangé
le refte enfuite par ordre de matières ,
& , autant qu'il a été poffible , dans l'ordre
des dates. On a placé à la fin de
chaque tôme les figures relatives aux objets
qui y font traités .
4
Il étoit réfervé à M. Franklin d'analyfer
la bouteille électrique , de déduire
de cette analyſe une infinité de conféquences
auffi brillantes qu'inatendues ,
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
de les enchaîner les unes aux autres ,
& d'amener dans cette merveilleufe
chaîne l'électricité célefte avec l'électricité
terreftre , au point qu'il femble enfin
avoir mis celle- là à notre portée comme
celle-ci , & prefqu'entièrement à notre
difpofition .
M. Franklin a donné auffi beaucoup
d'obfervations fur les météores , fur la
construction & les avantages des chauffoirs
de Penfylvanie , fur la population ,
fur l'inoculation , for la lumière de l'eau
de la mer , fur plufieurs objets de poli.
tique & d'économie , fur le froid produit
par l'évaporation , fur l'ufage des cheminées
, fur la mufique , fur la propagation
du fon , fur les ondulations fingulières ,
fur l'art de nager , fur les quarés magiques
, & fur beaucoup d'autres matières ,
foit curieufes , foit intéreffantes .
Recherches critiques , hiftoriques & topographiquesfur
la Ville de Paris , depuis
fes commençeinens connus jufqu'à préfent
, avec le plan de chaque quartier;
par le Sr Jaillot , géographe ordinaire
du Roi , de l'Académie royale dés
Sciences & belles lettres d'Angers .
Quid verum ... curo & rogo , & omnis in hoc fum.
HORAT.
SEPTEMBRE . 1773 129
vol in- 8 ° . dixième quartier . St Martin-
des-Champs . A Paris , chez l'auteur,
quai & à côté des Grands Auguftins , &
chez Lottin aîné , imprimeur - libraire ,
rue St Jacques .
Ces recherches critiques continuent
de fe diftribuer par cahiers féparés . Le
cahier que nous venons d'annoncer préfente
un plan très- étendu du quartier St
Martin-des-Champs borné à l'orient par
les rues Barre - du - bec , de Ste - Avoie & du
Temple exclufivement ; au feptentrion
par l'extrémité des fauxbourgs St Denis &
St Martin exclufivement à l'occident ,
par la rue St Martin , & par la grande rue
du Fauxbourg du même nom inclufivement
; & au midi par la rue de la Verrerie
inclufivement , depuis le coin de St
Martin jufqu'au coin de la rue Barre dubec.
On y compte cinquante rues , douze
cul-de facs , trois églifes paroiffiales , dont
úne collégiale , trois communautés d'hommes
, deux couvents de filles , deux hôpitaux
, & c.
Les notes critiques & hiftoriques de
l'auteur annoncent le même efprit de recherches
& de difcuffion ; & on ne peut
fe difpenfer de les confulter, fi l'on veur
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
fe procurer des connoiflances certaines
fur l'hiftoire & la topographie de Paris.
Abrégé de l'Hiftoire de la Milice Françoiſe
du P. Daniel: on y a ajouté un précis
de fon état actuel . Ouvrage curieux &
inftructif pour les Militaires , avec
figures en taille-douce ; 2 vol . in- 12.
A Paris , chez Pancoukcke , hôtel de
Thou , rue des Poitevins , quartier St
André- des- Arts.
•
L'hiftoire ou le tableau des changemens
faits dans la Milice Françoife depuis
l'établiffement de la Monarchie dans les
Gaules jufqu'à la fin du règne de Louis
XIV , peut être regardé par les recherches
qu'il contient comme l'ouvrage le plus
intéreflant du P. Daniel. Mais cet ouvrage
forme, deux gros volumes in - 4º .
nullement propres à entrer dans la bibliothèque
portative d'un officier. Cette hif
toire , d'ailleurs écrite d'un ftyle prolixe ,
eft remplie d'actes anciens , de chattres ,
de morceaux de nos chroniques en vieux
langage , capables de rebuter le lecteur le
plus patient. Un abrégé de cet ouvrage
dépouillé de toutes les citations & de
tous les détails qui en rendent la lecture
fatiguante ne peut donc qu'être très bien
SEPTEMBRE. 17734 1341
accueilli. Le rédacteur , dans la vue de
mettre un ordre clair dans cet écrit , l'a
divifé en fix articles principaux . Le premier
préfente au lecteur la manière dont
les armées fe font formées en divers tems ,
& les différentes efpèces de troupes dont
elles étoient compofées. Le fecond ,
les diverſes manières dont on rangeoit
ces troupes & dont elles combattoient.
Le troisième , l'attaque & la défenfe des
places. Le quatrième , l'hiftoire de toute's
les charges & grades militaires . Le cinquième
, les différentes efpèces d'armes
défenfives & offenfives dont on s'eft fervi
en divers tems. Le fixièmè , quantité d'ufages
remarquables dans la guerre qui
ont été obfervés & qui s'obfervent encore
aujourd'hui : le tout jufqu'à l'année 1721 ,
tems auquel le P. Daniel donna fon ouvrage.
Mais le rédacteur , pour rendre cet
ouvrage plus complet , a ajouté à ſon abrégé
un précis des changemens arrivés dans
les différentes parties de la Milice Françoife
, ainfi que de fón état actuel pour
tous les corps qui la compofent.
Traité des Léfions de la Téte par contrecoup
, avec des expériences propres à
en éclairer la doctrine ; Par M. Méhée
F vj
22 MERCURE DE FRANCE.
•
*
de la Touche , maître - ès- arts , & en
chirurgie , ancien chirurgien- major
dans les armées du Roi , & chirurgien
en chef de différens hôpitaux françois .
vol. in- 12 . Prix , br. 2 liv. A Meaux ,
chez Courtois ; & à Paris , chez Didot
le jeune.
Ce traité , fruit d'un travail affidu , eft
très- propre à donner de nouvelles lumières
fur les contre-coups . On entend par
contre-coup une léfion produite par un
coup dans une autre partie que celle qui
a été frappée. Cette matière , une des plus
importantes & des plus difficiles de la
chirurgie , a eté le fujer d'un des prix
de l'Académie royale de Chirurgie. Le
difcours couronné n'a point encore été
publié. M. Méhée de la Touche , en
faifant imprimer fes recherches fur le
même objet , répond aux intentions de
l'Académie qui font d'éclaircir un point
de doctrine auffi obfcur que l'eft celui
des léfions par contre coup. L'obfervation
& l'expérience forment la baſe du
nouveau traité dans lequel les gens de
l'art pourront puifer des connoiffances
pratiques de la plus grande utilité.
SEPTEMBRE . 1773 133
Articles de l'Encyclopédie , concernant la
grammaire , par ordre alphabétique
traduits en italien avec le françois à
côté , à l'ufage des étrangers , & c. par
M. Palomba , profeffeur des langues
italienne & efpagnole : ouvrage propofé
par foufcription fans aucun paiement
d'avance , mais feulement à me.
fure que les volumes paroîtront.
M. Palomba , bien connu par un abrégé
de la grammaire italienne , dans la vue
de faciliter aux Etrangers & même aux
Nationaux l'étude de cette langue & de
toutes les langues en général , fe propoſe
de réunir dans environ 10 vol . in - 8 °.
des traductions exactes & fidèles des articles
de la grammaire publiés par le favant
du Marfais , & par d'autres grammai
riens dans le recueil de l'encyclopédie.
Ces articles feront traduits en italien avec
le texte françois à côté . M. Palomba a fait
imprimer un Profpectus où il expofe l'or.
dre que M. du Marfais a mis dans fa manière
d'envisager la grammaire.
La foufcription eft ouverte depuis le
fept du mois de Juin dernier , à Paris ,
chez Tilliard , libraire , quai des Auguftins
; de Lalain , rue de la Comédie Franz
134 MERCURE DE FRANCE.
çoiſe ; Coſtard , rue St Jean de Beauvais;
Ruault , rue de la Harpe , & chez l'auteur
au coin de la grande rue Taranne , près
la fontaine , maiſon des Pères de la Charité.
Cette foaſcription fera fermée le 15
Décembre prochain. Les foufcripteurs
paieront chaque volume , caractère de
cicero , en blanc , 4 liv . 10 f. & ceux qui
n'auront pas foufcrit 6 liv. Les foufcripteurs
font priés , en s'alfurant un exemplaire
, d'affranchir les lettres & de donner
leurs noms & leurs demeures. Le
premier volume fera délivré dans le cou
sant de Janvier 1774. Les autres livraifons
fe feront toujours par deux volumes
de quatré mois en quatre mois.
Livre des Réflexions Chrétiennes , contenant
quelques offices del Eglife à l'ufage
de Rome & de Paris . vol . in- 12.
petit format. A Auxerre , chez Fournier;
& à Paris , chez Aumont , dans la place
du collège Mazarin , à Ste Monique .
Ce livre renferme des Prières , un examen
de confcience fur les Commandemens
de Dieu & de l'Eglife , un modèle
de confeffion générale , un difcours abrégé
fur le fcandale , des réflexions fur la
SEPTEMBRE. 1773 ! 35
Foi , l'emploi du tems , les quatre fins de
l'Homme , & c. Le pieux auteur defire
bien ardemment que ces réflexions foient
pour tous les Chrétiens comme des fléches
aigues & des charbons ardens qui ,
jetés dans le fein de leur efprit & de leur
coeur , les échauffent & les brûlent pour
les faire arriver , par les pratiques auftères
de la pénitence , à la gloire éternelle .
Traité des Couleurs & Vernis , par M.
Mauclerc , marchand épicier . vol . in-
-8 °. Prix 3 liv. 12 f. broché . A Paris ,
chez Ruault , libraire , rue de la Harpe
; & chez l'auteur , rue Quincampoix.
La plus grande partie de ce traité contient
une réfutation du livre intitulé.
l'Art de faire & d'employer les Vernis ,
par le Sr. Watin. M. Mauclerc reproche
à l'auteur des erreurs & des inutilités ,
reproches qui méritent d'autant plus d'attention
qu'ils viennent de la part d'un
homme qui a lui - même fait beaucoup de
recherches fur les vernis , les huiles & les
couleurs , & a travaillé à les dépouiller des
odeurs , descraffes & de toutes les matières
hétérogènes qui peuvent être nuifibles dans
l'emploi que les Artiftes en font, Les Offi .
136 MERCURE DE FRANCE.
ciers de l'Académie de St Luc & communauté
des Peintres ont même fur cet
objet donné un témoignage public d'approbation
à M. Mauclerc. Ce marchand
continue de vendre des couleurs , des huiles
& des vernis préparés fuivant fa nouvelle
méthode.
Nouveaux Elémens d'Architecture , dédiés
à M. le Lieutenant Général de Police,
par le Sr Panferon , profeffeur d'Architecture
, ancien profeffeur de deffein
à l'Ecole royale iniliraire ; feconde
partie , in-4°. A Paris , chez l'auteur ,
cul-de fac Ste Marine , & chez Defnos
, libraire , rue St Jacques .
2
L'auteur a traité dans la première partie
de ces élémens des cinq ordres d'Architecture
. Il parle dans la feconde de la
Sculpture rélativement à l'Architecture.
Il expofe d'abord l'origine de la Sculpture
& de la Peinture . Il trace l'hiftoire de
leurs progrès & de leurs différentes révolutions
, & entre enfuite dans quelquesdétails
fur les ornemens qui peuvent
s'appliquer fur les moulures. Ces détails
font dictés avec précision ; mais ils font
fuffifans pour donner la connoiffance des
ornemens qui font ici tepréſentés par des
SEPTEMBRE . 1773. 137
planches gravées . Plufieurs de ces planches
contiennent auffi des modèles de
chapiteaux , & divers croquis de trophées
, figures , bas - reliefs pour faciliter
aux jeunes Architectes la compofition de
différens projets fans avoir recours aux
oeuvres de le Pautre & de le Clerc qui ont
excellé dans cette partie .
Nouvelle Bibliothèque de Campagne , ou
choix d'épifodes intéreffans & curieux
, tirés des meilleurs romans tant
anciens que modernes ; Fomes feptième
& huitième in- 1 z . A Paris , chez
le Jay , rue St Jacques au - deflus de
celle des Mathurins .
Ces épifodes forment autant d'hiftorietes
détachées qui étant extraites de différens
écrits , offrent néceflairement beaucoup
de variété , foit pour les faits , foit
-pour la diction . Comme l'éditeur a foin
de citer les fources où il a puifé , on peut
y avoir recours & le procurer fi l'on veut
une connoiffance plus particulière de l'écrivain
original .
Grammaire Anglo - Irlandoife , in- 4°. ou
Systême complet de la langue Hiberno .
Celtique , contenant les parties du
138 MERCURE DE FRANCE:
difcours , la fyntaxe , la profodie , un
ample vocabulaire , & des phraſes familières
, imprimé en caractère vulgaire.
On y a joint des extraits d'anciens
poëmes en caractère irlandois , avec la
traduction , en Anglois , par colonnes.
Huit planches gravées pour l'explication
de l'Ogham des Druides , & des
contractions à l'ufage des copiftes Ir
landois , anciens ou modernes. A la
tête fe trouve une préface très étendue
deftinée à faire voir combien la connoiffance
de la langue Irlandoife ou
Hiberno - Celtique , doit être utile aux
historiens , aux antiquaires , & généralement
à tous les favans & gens de lettres
; l'affinité qui fe rencontre entre
l'Irlandois , la Langue Prifque & celle
des Ofciens, & de plus, avec la langue
que parlent aujourd'hui les Algonquins,
Peuples de l'Amérique feptentrionale ;
des remarques critiques fur l'origina
lité de la langue Erfe du poëme de Temora
, & l'hiftoire de l'Expédition Milefienne
d'Espagne en Irlande , prouvée
par l'hiftoire des antiquités de Brigantia
, du Père Hieronimo Contadore
par Charles Valencey , écuyer , auteur
de l'Effaifur l'Antiquité de la langue
SEPTEMBRE. 1773. 139
Irlandoife, A Dublin , imprimé pour
Ald. G. Faulbner , MM. Erving &
Moncrief.
Manière d'enluminer l'Eftampe pofee fur
toile. Par ce moyen l'on apprend foi
feul à peindre l'eftampe & la poſer fur
toile , à faire méconnoître la gravure :
il n'eft pas befoin d'avoir jamais eu
aucuns principes ni de peinture , ni
même de deffin . Par M. L. B. D. S. J.
Prix , io fols. A Londres ; & fe trouve
à Paris , chez d'Houry , feul imprimeur
libraire de Mgr le Duc d'Orléans
, rue de la Vieille Bouclerie , au
St Efprit & au Soleil d'or , 1773 ; in-
8 °. d'environ 16 pages .
·
On décrit d'abord ce qui doit compofer
la boîte da Peintre ; on donne la
compofition du vernis propre au travail
de l'enluminure ; on enfeigne la façon
d'apprêter l'eftampe & de mettre les couleurs
, de pofer le chaffis , & de faire les
carnations & les différentes nuances . Ces
procédés font faciles , c'eft une manière
de multiplier les tableaux quia fon utilité
& fon
agrément.
140 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE de M. de V. à Madame la
C. D. B.
MADAME ,
M. de la B. m'a dit que vous lui aviez
ordonné de m'embraffer des deux côtés
de votre part.
Quoi ! deux baifers fur la fin de ma vie !
Quel pafleport vous daignez m'envoyer.
Deux ! c'eft trop d'un , adorable Egérie,
Je ferois mort de plaifir au premier.
Il m'a montré votre portrait ; ne vous
fachez pas , Madame , & j'ai pris la liberté
de lui rendre les deux baifers.
Vous ne pouvez empêcher cet hommage ,
Foible tribut de quiconque a des yeux.
C'eſt aux mortels d'adorer votre image ;
L'original étoit fait pour les dieux.
J'ai entendu plufieurs morceaux de la
Pandore de M. de la B. Ils m'ont paru
bien dignes de vorre protection , la faveur
donnée aux véritables beaux arts eft
la feule chofe qui puiffe augmenter l'éclat
dont vous brillez.
SEPTEMBRE. 1773. 14
Daignez agréer , Madaine , le profond
refpect d'un vieux folitaire dont le coeur
n'a prefque plus d'autre fentiment que
celui de la reconnoiflance .
ACADÉMIE.
CHERBOURG .
à
IL s'eft formé le 14 Janvier 1755 ,
Cherbourg , ville maritime du diocèfe de
Coutance une fociété littéraire qui s'occupe
de l'hiftoire civile & naturelle , des
mathématiques , de l'hydrographic , de
l'agriculture , & de l'étude des loix de la:
marines Ses affemblées fe tiennent depuis :
18 ans les jeudis de chaque femaine ; elle
porte pour devife religion & honneur.
Elle eft connue fous le nom de Société ,
Académique de Cherbourg..
Sur le compte rendu au roi , de l'état .
actuel de cette compagnie , par M. Bertin ,
fecrétaire d'état , ayant le département de
la province de Normandie , Sa Majeſté
a tien voulu permettre à cette fociété
littéraire de tenir chaque année deux .
féances publiques , fuivant la dépêche
ད་
142 MERCURE DE FRANCE.
de ce miniftre , datée le 9 Mars 1773 .
Ainfi elle jouira des mêmes avantages
que les académies d'Arras , d'Auxerre
, de Châlons- fur - Marne , de Clermont
, de Senlis , & des autres villes
qui font ainfi autorifées du gouvernement.
I I.
Sujets propofés par l'Académie royale des
Sciences , Infcriptions & Belles- Lettres
de Toulouse , pour les prix des années
1768 , 1769 & 1770 .
L'Académie avoit propofé pour fujet
du prix double de 176 , de déterminer
l'origine & le caractère des Tectofages ,
l'étendue & l'état de la partie de la Celtique
qu'ils occupèrent juſqu'à l'entrée
des Romains dans leur pays , les excurfions
qu'ils firent avant cette époque. Le
difcours qui a pour devife : Ut potero explicabo
; nic tamen , ut Pythius Apollo ,
certa ut fint & fixa quæ dixeró : fed ue
Homunculus ... probabilia conjecturâ ſe-`
quens Cic. Tufc. Quæft l. 1 , c. 9 , a été
couronné. M. Beniac , le fils aîné , en eft
l'auteur. L'Académie a eu le regret de
ne pas admettre au concours un ouvrage
dont la devife étoit ; Mundum tradidie
SEPTEMBRE . 1773. 143
difputationi corum. Ecclefiaft . cap. 3 , v.
11 , parce qu'il n'avoit pas été remis dans
le tems prefcrit par le programe.
Plufieurs parties de l'hiftoire des Volcés
Tectofages ayant été déjà traitées avec
fuccès dans les ouvrages qui ont été cou
ronnés en 1759 , 1761 & cette année
1767 , l'Académie , dont l'objet eſt de
rendre cette hiftoire complette , propoſe
pour le fujet du prix de 1770 , de déterminer
, 1. les révolutions qu'éprouvèrent
les Teclofages , la forme que prit leur gouvernement
, & l'état de leurs pays fous la
domination fucceffive des Romains & des
Vifigoths. 2°. Leurs loix & leur caractère
fous la puiffance des Romains.
I
On fut informé l'année dernière , que
le prix de 1769 , feroit quadruple , & que
l'Académie propofoit pour fujet , les
moyens de reconnoure les contre coups
dans le corps humain , & d'en prévenir les
fuites.
Quant au prix de 1768 , on fut informé,
il y a deux ans que l'Académie pro
pofoit pour fujet , de déterminer les loix
du retardement qu'éprouvent les fluides ›
dans les conduites de toute eſpèce.
Le Prix que l'Académie diftribue eſt
de la valeur de soo liv. Il est dû aux li
144 MERCURE DE FRANCE.
béralités de la ville de Touloufe , qui le
fonda en 1745 , pour contribuer toujours
de plus en plus au progrès des fciences &
des lettres .
Les favans font invités à travailler fur
les fujets propofés . Les membres de l'Académie
font exclus de prétendre au prix ,
à la réferve des Affociés étrangers.
Ceux qui compoferont font priés d'écrire
en françois ou en latin , & de remettre
une copie de leurs ouvrages qui
foit bien lisible , fur tout quand il y
aura des calculs algébriques.
Les auteurs écriront au bas de leurs
ouvrages une fentence on devife ; mais
ils pourront néanmoins y joindre un billet
féparé & cacheté , qui contienne la
même fentence ou devile avec leur
nom , leurs qualités & leur adreffe ; l'Académie
exige même qu'ils prennent
cette précaution , lorfqu'ils adrefferont
leurs écrits au fecrétaire. Ce billet ne fera
point ouvert , fi la pièce n'a remporté le
prix.
Ceux qui travailleront pour le prix
pourront adreffer leurs ouvrages à M. l'Abbé
de Rey , Sécretaire perpétuel de l'Académie
, ou les lui faire remettre par quelque
perfonne domiciliée à Touloufe.
Dans
SEPTEMBRE. 1773. 145
Dans ce dernier cas , il en donnera fon
récépiffé , fur lequel fera écrite la fentence
de l'ouvrage , avec fon numéro , felon
l'ordre dans lequel il aura été reçu .
Les paquets adreffés au fecrétaire
doivent être affranchis du port .
Les ouvrages ne feront reçus que jufqu'au
dernier jour de Janvier des années
pour le prix defquelles ils auront été com •
pofés .
L'Académie proclamera dans fon affem.
blée publique du 25 du mois d'Août de
chaque année , la pièce qu'on aura couronnée.
Si l'ouvrage qui aura remporté le prix,
a été envoyé au fecrétaire à droiture , le
Tréforier de l'Académie ne délivrera.
le prix qu'à l'auteur même qui fe fera connoître
, ou au porteur d'une procuration
de fa part.
S'il y a un récépiffé du fecrétaire , le
prix fera délivré à celui qui le repréfentera
.
L'Académie, qui ne prefetit aucun fykême
, déclare auffi qu'elle n'entend point
adopter les principes des ouvrages qu'elle
couronnera.
G
146 MERCURE DE FRANCE.
I I.
Eclairciffemens à joindre à l'ouvrage intitulé
Monumentorum-Galaticorum Synopfis.....
Liburni 1772 .
Ce recueil des monumens de Galatie
doit être regardé comme une fuite d'un
difcours couronné en 1767 par l'Acadé
mie des belles- lettres de Touloufe ( comme
on voit par le programme ci joint )
& dont le fujet étoit de
Déterminer l'origine & le caractère des
Tectofages , l'étendue & l'état de la partie
de la Celtique qu'ils occupèrent jusqu'à
L'entrée des Romains dans leur pays , &
les excurfions qu'ils firent avant cette épo
que.
En traitant cette queftion , l'auteur
avoit fait l'hiftoire des Colonies des Tectofages
, & notamment de celle qu'ils fon.
dèrent en Galatie , depuis fon établiffe .
ment jufqu'à l'entrée des Romains dans
cette partie de l'Afie- Mineure. C'eft précifément
à cette époque que commence
l'abrégé historique qui précède l'expofition
des monumens de Galatie , & il fe
termine à la réduction de ce pays en province
Romaine. Les perfonnes qui renSEPTEMBRE.
1773. 147
dront compte de cet ouvrage font priées
de lire l'épître qui eft à la rête & qui peut
tenir lieu de préface.
SPECTACLES.
OPÉRA.
L'ACADEMIE Royale de Muſique continue
la repréſentation
des fragmens héroïques
; mais elle a fubftitué à l'acte
d'Ovide &Julie celui d'Apollon & Coronis ,
du ballet des amours des Dieux , paroles
de Fuzelier , muſique de Mouret . Apollon
rappelé par Jupiter qui l'avoit banni des
cieux , quitte à regret l'air & la terre où la
belle Coronis doit couronner fes voeux.
On le croit à peine remonté dans l'Olympe
que la Bergère lui eft infidelle &
s'empreffe de reprendre fa première
chaîne . Apollon , jaloux & furieux contre
les deux amans , lance d'une main fûre
un trait vengeur , & les punit tous les
deux à la fois . Les plaintes des Bergers
& la vue de ces amans facrifiés à la colère
, excitent fes regrets & fon défefpoir.
Le rôle d'Apollon chanté avec beau
coup de goût , & joué avec action par
Gij
148 MERCURE DE FRANCE .
M. le Gros , a été généralement applaudi .
Celui de Coronis eft parfaitement rendu
par Mile Rofalie . Le deffin du ballet
a paru agréable & bien exécuté .
DÉBUT.
M. Legier qui avoit débuté en 1771
dans le rôle d'Ixion , a reparu avec fuccès
dans le rôlé de Valere de l'acte du Feu ,
& dans celui de Dom Alvar , de l'acte
des fauvages. Cet Acteur a une magnifique
baffe-taille , & donne une grande
efpérance de fon talent : il a une taille
avantageufe au théâtre; fa voix eft pleine,
fonore & d'un timbre agréable ; fes cadences
font franches & fa prononciation eſt
nette. L'habitude de la fcène le rendra un
acteur très effentiel à ce fpectacle,
E
COMÉDIE FRANÇOISE.
Le Samedi 31 Juillet , les Comédiens
François ont donné la prémière repréfentation
de Regulus , Tragédie nouvelle
en trois actes , & de la feinte par amour,
Comédie nouvelle en trois actes & en
vers . Ces deux Drames font beaucoup
d'honneur à M. Dorat , qui , le même
SEPTEMBRE . 1773 . 149
jour & fur le même théâtre , a réuni les
deux lauriers de la Tragédie & de la comédie.
Nous ne pouvons donner qu'une
légere efquiffe de ces pièces qui ne font
pas imprimées , & feulement telle que
nous l'avons pu faifir à la repréfentation .
La vertueufe Marcie , époufe de Regulus
, ne ceffe de folliciter auprès du
Conful la liberté du Général Romain
fait prifonnier par les Carthaginois
elle eft bien fecondée dans fes voeux
impatiens pour le retour de ce grand
homme , par Servilius , Tribun du Peuple
, qui lui doit l'exemple de fes vertus
& les confeils de fon amitié. Manlius ,
l'ami de Regulus , mais plus encore
l'ami de la Patrie , defire que ce Général
revienne , mais fans nuire à fa gloire
& à celle des Romains . Il entend fans
s'émouvoir les plaintes de la tendre
Marcie & les reproches du zélé Manlius ;
alors on annonce Regulus qui vient à
Rome accompagné d'Hamilcar , Ambaſfadeur
Carthaginois. Le Peuple s'empreffe
d'aller à la rencontre , & Marcie
tranfportée de joie , veut paroître la première
aux regards de fon époux . Regulus
arrive , mais avec le fentiment profond
de fes malheurs & de ceux des Romains .
G iij
Iso MERCURE DE FRANCE.
Le Senat eft affemblé dans le Temple
de Bellone hors les murs de Rome
où elle recevoit les Ambaffadeurs étran
gers , en tems de guerre. Le Conful invite
Regulus à prendre fa place dans le
Senat ; mais prifonnier des Carthaginois ,
il refufe cet honneur . L'Ambaffadeur
déclare que Carthage offre de rendre Regulus
& les autres prifonniers Romains ,
en échange des prifonniers Carthaginois.
Regulus combat cette propofition comme
contraire aux intérêts de Rome . Le Con
ful & le Sénat le laiffent lui même l'arbi
tre de fon fort. En vain Marcie , le Tribun
& les amis de ce Général font tous
leurs efforts pour l'engager à confentir à
l'échange des prifonniers Carthaginois &
& des jeunes Officiers , l'élite & l'efpérance
de Carthage , avec les prifonniers
Romains & leur Général . Regulus leur
oppofe la plus forte réfiftance ; il fait
que la prifon & la mort même l'attendent,
s'il retourne à Carthage ; mais il eſt
prêt de fe facrifier pour la patrie , plutôt
que de fouffrir que lui- même & les Romains
qui ont porté des fers , recouvrent
la liberté. Un foldat Carthaginois qui fervoit
Regulus dans fa prifon , & qui l'a
fuivi à Rome , vient déclarer à Marcie
>
SEPTEMBRE. 1773. 151
que par un fublime filence , Regulus lui
cache les tourmens horribles que les Carthaginois
lui préparent , s'il revient fans
avoir obtenu l'échange des prifonniers.
Marcie veut récompenfer ce généreux
Carthaginois , qui ne demande , pour
prix de fon fecret , que fon eftime & la
confervation de Regulus . Cependant elle
emploie tous les moyens pour fléchir le
fanatifme patriotique du Général Romain.
Le Tribun & fes amis foulèvent le
Peuple contre le deffein funefte de Regulus
; le Conful fert le projet de fon
ami ; il fait ordonner que l'échange ne
fera pas accepté . Regulus apprend avec
joie le décret du Sénat qui l'a jugé affez
grand pour l'immoler à l'intérêt de la
République . Marcie ayant épuifé tous les
moyens d'arrêter fon époux , lui préſente
fon fils qui le conjure de ne pas aller à
Carthage. Regulus , folliciré par tous les
objets de fa tendreffe , ne peut leur refufer
des regrets & des larmes . Son courage
fe rallume en laiffant dans fon fils
un vengeur de fa honte & de fa mort, en
efpérant que fes mânes animeront encore
les Romains à la vengeance , & guideront
les légions à la victoire . Marcie ofe
accufer le Conful , qui n'oppofe à fes re-
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
proches que le fentiment de fon amitié
& fes intentions. Regulus au contraire
le regarde comme fon ami & le foutien
de fa gloire ; il lui recommande fon
fils , &, malgré la foule des Romains qui
s'opposent à fon paffage , il s'élance dans
le vaiffeau qui doit le reporter à Carthage.
On a applaudi beaucoup de vers & de
traits heureux qui peignent avec énergie
la grande ame d'un Romain tout devoué
à l'intérêt de la patrie. On auroit defiré
que l'Ambaffadeur eût agi davantage , &
qu'il eût employé lui - même les motifs
du foldat Carthaginois pour faire confentir
le Sénat à l'échange des prifonniers.
C'eft auffi , dit - on , ce que M. Dorat fe
propofe de faire. On a remarqué & applaudi
l'art avec lequel M. Dorat a fait
paffer dans notre langue plufieurs beautés
du Regulus italien de Métaftafe .
Cette tragédie annonce que le peintre
des Grâces peut deffiner avec non moins
de fuccès les traits mâles de l'héroïfme &
de la fierté romaine.
Les rôles de cette tragédie ont été parfaitement
joués par Mde Veftris & par
MM. Brifard , Molé , Monvel , Dauberval
& Pontheuil.
SEPTEMBRE . 1773. 153
1
La Feinte par Amour , comédie en
trois actes en vers , a plus de fuccès encore
que la tragédie.
Méliffe , jeune veuve , demeurant chez
un vieux oncle fort riche , homme à projets
, défefpère ſes amans par fa coquetterie
& fa légéreté. Damis , un de fes plas
affidus conrtifans , connoiffant fes caprices
, cache fon amour fous les dehors
d'une indifférence refpectueufe ; mais il
fe dédommage de cet état de contrainte
en prodiguant fes careffes au portrait de
fa maîtreffe qu'il a fait peindre en fectet.
Méliffe , outrée de l'indifférence de Damis
, lui écrit d'interrompre fes affiduités
auprès d'elle. Marton , qui favorife Floricourt
font rival , porte ce billet à Damis
; il cache fon dépit en recevant fon
congé ; il récompenfe même Marton de
fon meffage , comme d'une faveur. La
maligne fuivante le félicite d'être fi tranquille
& fi généreux , & de payer une difgrace
comme une bonne nouvelle. Mais
Damis tire de ce billet un bon augure , &
le regarde comme le dépit d'un ceeur fenfible.
Il fe promet beaucoup de fuccès de fa
feinte , & la continue . Floricourt , jeune
étourdi , lui annonce avec beaucoup de
de gaîté , l'embarras de les affaires , & le
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
projet qu'il a de faire payer à l'Hymen les
dettes de l'Amour. Il avoue qu'il fonge
à Méliffe , & qu'il a déjà le confentement
de Lifimon fon oncle , dont il a gagné la
confiance , en flattant fa manie , & promettant
de le produire à la Cour , & d'appuyer
fes projets . Damis lui dit : « Tu
veux donc époufer ? » Un peu , lui répond
Floricourt. Cependant Damis , qui a pareillement
accès auprès de cet oncle dont
il a l'eftime , lui repréſente combien ſa
nièce fe fait tort en recevant chez elle
tant de jeunes étourdis remarquables par
leurs travers , par leurs ridicules & leurs
vices ,
Petits Sultans honnis même dans leur férail.
Il lui dit que Meliffe auroit befoin d'un
ami prudent ; & l'oncle le choifit auffi- tôt
pour être cet ami , & lui fait l'offre de
la main de Méliffe. Damis paroît ne vouloir
pas l'accepter , prétextant d'autres engagemens.
L'oncle infifte , & veut gronder
fa nièce , l'accufant d'avoir fans doute
donné du chagrin à Damis. Méliffe inquiéte
du biller que Marton lui avoit fait
écrire , & de l'effet qu'il a produir , plus
offenſée encore lorfque fon oncle lui affure
que Damis a refufé l'offre de fa main,
SEPTEMBRE . 1773 . ISS
pas
veut le voir & s'expliquer avec lui . Elle
l'attend lorfque Floricourt , avec fa légéreté
ordinaire , lui fait des reproches fur la fo
litude qu'elle garde depuis quelques jours,
lui donne des louanges , & ne s'oublie
lui - même ; déclare fes arrangemens , arrête
fon mariage avec elle , & fe met à
fes pieds. Damis vient ; & furpris , il veut
fortir. Meliffe le rappelle , & lui demande
s'il feroit jaloux . Damis fe défend de
ce fentiment . Méliffe attaque alors fon
indifférence , & lui parle d'un certain
portrait , dont on dit qu'il fait fes délices
; l'amant avoue que c'est l'unique objec
de fa tendreffe ; il fait l'éloge des qualités
du coeur & de l'efprit de fa maîtreffe . Elle
s'étonne pourtant de la froideur de cette
Beauté qui ne prend aucune inquiétude
de fes affiduités auprès d'elle. Ilfaut done ,
dit- elle , que cette femme ait cinquante
ans ? Non : elle n'en a pas même vingt
reprend paisiblement Damis. Meliſſe demande
à voir ce portrait . Il paroît céder
à fes inftances . Floricourt furvient & veur
auffi voir cette charmante perfonne qui a
toute fa paffion ; mais Damis refufe de la
faire voir à Floricourt , parce que , dit- il ,
autant vaudroit en répandre des copies que
de lui montrer fon tableau . Il fort pour
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
laiffer fatisfaire la curiofité de Melifle . Damis
céde enfin à fon impatience ; le portrait
pale dans les mains . Elle eft bien étonnée
de fe - reconnoître ; elle regarde Damis
qui demeureimmobile & en filence . Comme
elle l'interroge , c'eft le portrait , ditil
, qui eft chargé de tout ; je ne me mêle de
rien. Enfin elle ajoute : puifqu'il a été chargé
de votre demande , qu'il le foit donc aufi
de ma réponse ; & le lui, rend . Alors Damis
laiffe éclater toute la vivacité de fa
paffion , & lui dit :
J'ai feint quelques inftans pour ne feindre jamais.
L'oncle & Floricourt viennent pour
conclure l'hymen qui paroiffoit arrêté ;
mais Damis aux genoux de Meliſſe
leur défigne affez l'époux qu'elle choifit ,
& tout deux y applaudiffent.
>
Cette comédie eft charmante , écrite
avec beaucoup de facilité , vivement dialoguée
, pleine de traits ingénieux , & de
vers faillans que l'on aime à retenir &
à citer. Elle a le plus grand fuccès .
On ne peut mettre plus de fineffe , d'élégance
, & de naturel que Mlle Doligni ,
dans le rôle de Meliffe. Celui de Damis
eft joué avec un art prodigieux , & avec
autant de vérité que de délicateffe , par
SEPTEMBRE . 1773. 157
M. Molé. Mlle Fanier a joué avec gaîté
& vivacité le rôle de Marton . Floricourt
par M. de Montvel , Lifimon par M.
Feulhie , le valet par M. Auger ont été
rendus auffi avec beaucoup d'intelligence
& de talent.
COMEDIE ITALIENNE .
LES comédiens italiens continuent
avec un fuccès marqué , les repréfentations
d'Acajou , opéra - comique . Mefdames
Trial & Billioni y jouent avec
beaucoup d'intelligence , & rajeuniffent
le vaudeville par le charme de leur chant
& de leur goût. On efpère que l'empreffement
du Public , pour cet ancien genre ,
invitera les comédiens à donner plus
fouvent de ces drames trop négligés . M.
Anfaulme eft principalement invité à faire
renaître la gaîté des opéra comiques ,
qui ne ceffera de plaire & d'amufer .
158 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE de M. SAVERIEN à M. Lacombe
, contenant l'hiſtoire des opinions.
des plus célèbres Philofophes , fur lafin
du monde.
Oui , Monfieur , dans tous les tems les hommes
ont été curieux de connoître le commencement &
la fin du monde Ses premiers habitans croyoient
que la terre ne pouvoit conferver toujours la forme
qu'elle avoit reçue , & qu'après un certain
nombre de révolutions , elle redeviendroit chaos.
Les Egyptiens craignoient les tems des folftices ,
parce qu'ils s'imaginoient que la Terre rifquoit
d'être embrafée lorfque le Soleil ( ou la Terre )
eft dans le figne de l'Ecrevifle , & qu'elle pouvoit
être inondée quand il eft dans le figne du Capricorne
.
·
Plutarque nous apprend dans la vie de Sylla,
qu'au commencement des brouilleries qui furvinrent
entre Marius & Sylla , un jour que le Ciel
étoit fort clair & très ferein , on entendit dans
l'air un bruit terrible & femblable au fon
d'une trompette aiguë : ce qui alarma tout le
monde. On confulta là- deffus les hommes les
plus éclairés de ce tems - là ; c'étoient les Prêtres
de l'Etrurie , & ils répondirent que cela fignifioit
un remuement général qui fe faifoit dans la
nature. Ils ajouterent que la Terre éprouveroit
huit grandes révolutions avant que de le déboiter
; mais que le nombre de ces cataſtrophes étant
rempli , la grande année arriveroit , c'est- à-dire
que tout feroit conſommé ,
SEPTEMBRE. 1773. 159
C'étoit le fentiment de Platon. Ce philofophe
afluroit que la Terre éprouve fans ceffe des changemens
& des dégradations , & qu'à la fin elle
deviendra chaos . Comme il n'affignoit point de
terme à cette révolution , on chercha à la deviner
, en obfervant avec foin toutes les dégradations
qu'éprouvoit ce globe , & ces obfervations
donnoient fouvent beaucoup d'inquiétude. Les
hommes , prompts à fe gêner & à prendre l'alar
me , fuivant la jufte remarque de l'auteur de
I'Hiftoire critique de la philofophie , (tome 1. ).
ont toujours appréhendé la fin ou la diflolution
du monde lorfque les faifons fe font dérangées ;
mais ce fut fur-tout à la naiflance du Chriftianif
me que cette crainte redoubla.
St Pierre ayant dit que ce fera dans le bruit
d'une borrible tempête qu'éclatera le dernier embrafement
du monde il n'arrivoit rien , foit
dans le payfique , foit dans le moral , qu'on ne
fe regardât à la veille de périr . En vain St Paul
voulut railurer ces ames pufillanimes. Les moindres
orages , le moindre tremblement de terre
fembloient confpirer à leur perte . Enfin , le moyen
le plus efficace pour les tranquillifer , fut de convenir
que la fin du monde auroit lieu comme St
Pierre l'avoit dit ; mais que cela n'arriveroit que
500 ans après la naiflance de Jefus Chrift.
On ne penfa donc plus à cela ; feulement les
doctes s'en occupèrent. Hipparque , en obfervant
les étoiles , crut s'appercevoir que leur longitude
augmentoit tous les jours ; qu'elles avoient un
mouvement parallèle à l'écliptique , & qu'il viendroit
un tems où elles fe réuniroient , ce qui cauferoit
infailliblement une terrible catastrophe.
Ptolomée vérifia cette conjecture , & trouva qu'el
les avançoient d'un degré en cent ans.
160 MERCURE DE FRANCE.
Depuis Ptolomée on a déterminé ce mouvement
avec plus d'exactitude : on fait aujourd'hui
qu'il eft d'un degré en 72 ans ; par conséquent
les étoiles feront le tour du Firmament , par leur
mouvement propre , dans l'espace de 25920 années.
Or, quelques philofophes, & nommément l'illuftre
Defcartes , eftiment qu'après ce tems , les
corps du monde fe trouvant tous dans la même
fituation dans laquelle ils étoient au commencement
de cette période , ils rentreront dans le même
état où ils étoient avant la formation du
monde. Ainfi en fixant le commencement de cette
période à la création du monde , où , felon Defcartes
, la Terre étoit enflammée , c'eft -à - dire
étoit une étoile , ces philofophes croient trèsprobable
que la Terre s'enflammera de nouveau
& que le Monde périra par le feu.
Voilà un beau raifonnement & une conféquence
bien déduite ; il eft fâcheux fans doute que le
principe foit faux : je veux dire que les étoiles
ne changent pas plus en longitude qu'en latitu
de. Leur mouvement au tour de l'écliptique n'eft
qu'apparent , & cette apparence provient d'un
mouvement de l'axe de la Terre , qui en confervant
fon inclinaifon de 66 degrés 31 minutes,
au plan de l'écliptique , fait une révolution en
fens rétrograde , de forte que cet axe ſe tourne
fucceffivement de tous les côtés , & que fes extrémités
décrivent au tour des pôles de l'écliptique
des cercles d'Occident en Orient . Cette révolution
s'acheve dans l'efpace de près de vingtfix
mille ans , & c'eft ce qu'on appelle la Grande
Année.
La Terre paroiffant immobile à fes habitans ,
SEPTEMBRE. 1773. 161
nous rapportons ce mouvement aux étoiles. Pendant
que les pôles du Monde fe meuvent en fens
rétrograde au tour des pôles de l'écliptique , &
paflent fucceffivement par les étoiles éloignées de
ces pôles de 23 degrés 29 minutes , ces étoiles
paroiffent s'approcher fucceffivement des pôles
du Monde , le mouvoir en fens direct & décrire
des cercles que les pôles du Monde décrivent réellement
au tour des pôles de l'écliptique. Les autres
étoiles paroiffent auffi tranfportées , puifqu'elles
gardent toutes entre elles la même fitua
tion .
Il faut donc s'infcrire en faux fur la conjecture
de Defcartes. La catastrophe dont il nous
menaçoit n'eft plus qu'une illufion ; & quoiqu'elle
ne dût arriver que dans environ vingt
mille ans , il est toujours confolant d'être aſſuré
qu'elle n'aura pas lieu ; mais en voici une qui
paroît , & plus prochaine & plus probable : c'eſt
celle que pourroit produire une comète en traverfant
l'orbite de la terre.
Les Romains regardoient les comètes comme
les avant-coureurs des grands événemens
& il n'y a pas long- tems qu'on étoit perfuadé
qu'elles étoient des fignes extraordinaires
de la colère du Ciel. C'eſt ce qu'on objecta à
Jacques Bernoulli lorfqu'il foutint que les comètes
étoient des aftres réglés. Ce favant étoit
trop fage pour méprifer cette objection ; il favoit
combien il étoit dangereux de manquer
de ménagement pour une opinion populaire ; il
falloit donc concilier la vérité avec le préjugé.
Dans cette vue , Bernoulli dit que la comète ,
qui eft éternelle , n'eft pas un figne , mais que
fa chevelure ou fa queue , lefquelles font accidentelles
, pouvoient en être un.
162 MERCURE DE FRANCE .
•
On fut content de cette réponſe ; mais un
prédicateur Anglois ne le fut pas de cette fuperftition
. M. Neuman , c'eft le nom de cet
Anglois , monta en chaire pour la combattre ,
& les fermons curent tout le ſuccès qu'il pouvoit
s'en promettre.
On paroiffoit tranquille & on commençoit à
croire que les comètes n'avoient aucun rapport
avec les événemens de ce monde , lorfque le
célèbre Wifthon vint troubler ce calme apparent.
Ce favant Anglois rendit une comète
refponfable de toutes les grandes révolutions qui
font arrivées au globe terreftre. Elle cauſa le
déluge en s'approchant de la terre , & changea
totalement , & fon mouvement & fa conftitution
. Avant cette catastrophe la figure de la
terre étoit fphérique , & fon orbite étoit un
cercle ; l'année folaire & l'année lunaire avoient
chacune 360 jours , & l'année commençoit à
l'équinoxe d'automne . L'air qu'on y refpiroit
étoit fi pur & fi falutaire , que les hommes vivoient
juſqu'à 900 ans ; mais le globe terreſtre
en traverfant la queue aqueufe de la comète
qui caufa le déluge , ſe chargea des exhalaiſons
pernicieufes qu'elle contenoit , & ces exhalaifons
ont infecté pour toujours l'air de notre atmofphère.
C'eft , felon Wifthon , la comète qu'on vit en
1680 & 1681 , qui produifit ce ravage , & voici
pourquoi on eftime la période de cette comète
de 575 ans . Or , en remontant de fa dernière
période & en comptant fept périodes , on
a 4028 ans ce qui tombe dans l'année du
déluge.
Voilà la comète qui s'eft le plus approchée
SEPTEMBRE
. 1773. 163
de la terre , & cependant fuivant les calculs
même de Wifthon , elle en étoit à 3000 lieues :
c'eft , felon le fyftême de ce philofophe , fa queue feule qui a fait tout le mal. Mais on a
prouvé qu'une queue de trois mille lieues ne
pouvoit produire l'effet qu'on lui attribue ; &
quand même la comète & la terre pafferoient
extrêmement
près l'une de l'autre, la viteffe refpective
qui feroit très grande dans ce cas ci , & le peu de féjour que feroit la terre dans la
partie bafle & très - mince de l'atmoſphere
de
la comète, la garantiroit de l'inondation .
Et puis eft- il bien prouvé qu'il a paru une
comète dans le tems du déluge , & la période de
575 ans de la comète de 1680 , eft- elle réelle !
Ce n'est point par le calcul qu'on a déterminé
cette période : on ne l'a connue que par eftimation
& en remarquant que tous les 575 ans
il a paru une comète qui avoit tous les caractères
de celle de 1680 .
Lorfque M. Haller a prédit le retour de celle
qui a paru à la fin de 1758 , c'eſt bien moins
far l'efti- fur fon calcul qu'il s'eft fondé . que
mation qu'il avoit faite de la longueur de la période
de cette comète ; ou , fi l'on veut , c'eſt
fon eftimation qui a guidé fon calcul , quelque
favant qu'il foit ; il avoit découvert que les comètes
de 1456 , 1531 , 1607 & 1682 , n'étoient
qu'une comète dont la période eft de 575
ans .
Pour calculer exactement la route d'une comète
& déterminer fon retour , il faut connoître
la courbe qu'elle décrit . Newton affure bien
qu'elle eft une fection conique ; mais il ignore
quelle forte de fection conique.
164 MERCURE DE FRANCE .
Plufieurs Aftronomes foutiennent que c'eft
une parabole , & M. Sgravezande croit que c'eft
une ellipfe très- excentrique. La question n'eft
point décidée.
M. Struiks , auteur d'un ouvrage très - ſavant ,
intitulé introduction à la connoiſſance univerfelle ,
penfe que ce n'eft qu'après fix cens ans d'obfervations
des périodes de toutes les comètes qui
font visibles avec des télescopes , qu'on pourra
prédire leur retour ? C'eft alors , dit-il , qu'on
fera en état de reconnoître , moyennant les
comètes précédentes , fi dans le tems de trois
mille ans chaque période fubit un changement ,
fi les comètes s'approchent du foleil dans chaque
révolution , & plufieurs autres particularités que
nous ignorons jufqu'à préfent.
Ce n'eft qu'après ce travail qu'on pourra, à la
premiere apparition d'une comète , découvrir fa
période par une feule ou tout au plus par deux
obfervations de fon lieu en longitude & en lati
tude (a ) . Au refte Wifthon ne pense pas que jamais
aucune comète caufe encore quelque dommage à
la terre , vu le changement de route de ce dernier
globe , & il eft porté à croire comme ſon illuftre
compatriote Woodward , que la terre périra par
le feu. Sa deftruction fera précédée , fi on
l'en croit , de tremblemens épouvantables , de
tonnerres terribles & de météores effrayans .
En effet , pourquoi chercher fi loin la caufe
(a) On peut voir dans le Dictionnaire univerfel
de Mathématique & de Phyfique un modèle ou un
exemple de cette opération aftronomique. Art.
Comète.
SEPTEMBRE. 1773. 165
de notre ruine ? Le péril eft fi près de nous ! Depuis
le déluge , notre globe a fubi deux grandes
révolutions par deux tremblemens univerfels ,
& il y a lieu de préfumer qu'il fera bouleverfé
par un troifiéme tremblement , ou plutôt
par une conflagration générale de tout le globe.
Ce font- là des fujets de crainte bien pardonnables.
Au lieu de regarder en l'air pour favoir
ce que nous deviendrons , il feroit bien plus fage
de chercher fous nos pieds. On pourroit appliquer
aux Philofophes à ce fujet & avec plus
de raifon encore, cette leçon que fait l'inimitable
Lafontaine à un aftrologue qui fe laiffa cheoir
dans un puits.
Pauvres bêtes ,
Tandis qu'à peine à vos pieds pouvez voir ,
Penfez -vous lire au-deffus de vos têtes ?
Il est vrai qu'il eft difficile de connoître les
fymptômes de la maladie de la terre , qui peut
lui donner la mort. Il eft des philofophes qui fe
croient bien fondés à foutenir que ce globe fe
defféche tous les jours , qu'il tombe en étyfie ,
tellement que les eaux de la mer qui diminurent
fenfiblement , s'évaporeront à la fin , &
alors le feu central fe fera jour à travers les
fentes de la terre , & l'embrafera.
Si l'on en croit d'autres philofophes , la terrè
mourra de froid. Le feu central , difent- ils ,
fouffre de jour en jour une diminution confidérable
, & un tems viendra où nous ferons obligés
d'abandonner nos climats & de nous retirer tous
dans la zone torride encore y périrons nous
166 MERCURE DE FRANCE.
un jour ; car le froid faifant des progrès continuels
par la diminution du feu central , la
terre restera enfin fans chaleur , fans mouvement
& fans vie.
Enfin pour épuifer apparemment tous les
moyens qu'on peut employer afin de connoître
la fin du monde , deux fameux géomètres font
venus au fecours des aftronomes , des phyficiens
& des naturaliſtes.
Le premier s'appelle Michel Stifels. C'étoit à
la fois un habile algébrifte & un grand fou. Il
étoit encore miniftre proteftant. Cet homme
chercha pendant toute la vie dans l'algèbre un
nombre qui lui découvrît la fin du monde ; &
lorfqu'il étoit perfuadé qu'il avoit fait cette découverte
, il ne manquoit pas de monter en chaire
pour l'annoncer au peuple. La grande autorité
qu'il s'étoit acquife fur les efprits par fa capacité
& par l'aufttérité de fa vie , le firent écouter.
Enfin après avoir préparé fes auditeurs à croire en
lui , il annonça que le monde devoit finir à la fin
de l'année.
Les payfans , avant que de penfer à mourir ,
fangèrent à vivre : ils mangèrent gaîment leur
bien & prirent fi bien leurs mefures que le jour
marqué pour la fin du monde , ils fe trouvèrent
abfolument fans pain. Alors Stifels monta en
chaire pour exhorter ces pauvres gens à fe préparer
à recevoir Dieu qui alloit defcendre , difoit-
il , pour juger les hommes ; mais Dieu ne
parut point . Indigné d'avoir été trompé , le
peuple arracha Stifels de fa chaire , & après
l'avoir maltraité de coups , le mena garotté à
Wittemberg, où il cût mal paffé fon tems , G
SEPTEMBRE. 1773. 167
Luther , dont il avoit été diſciple , ne fût venu à
fon fecours.
Le fecond géomètre qui a cherché la fin du
monde étoit incomparablement plus fage & plus
favant que Stifels : c'eft M. Craige , ficonnu par
fon ouvrage intitulé : philofophia chriftiana principia
mathematica. Fondé fur ce paflage de l'écriture
que le monde finira quand la foi fera
éteinte , il cherche la diminution de la validité
que le tems peut apporter à un témoignage ; &
voici comment : fuppofons qu'une tradition orale
fe tranfmette d'âge eu âge , & que chaque âge ſoit
de 20 années , il eft certain que cette tradition
tranfmife ainfi de vive voix perd à chaque âge :
on évalue cette perte à chaque âge à de fa certitude
: ainfi au bout de 240 ans elle n'en aura
plus que la moitié , & en 480 elle n'aura plus
du tout aucun degré de certitude morale quel
qu'il foit.
I 2
2
par-
C'est à peu près ainfi que M. Craige trouve
par un calcul fort délié que 3150 ans après la
naiffance de J. C. il n'y aura plus de probabilité
que le fils de Dieu foit venu au monde , &
conféquent le monde finira; mais quelque jufte
que puiffe paroître cette conféquence , jamais perfonne
de la clartédes mathématiques & de la fainte
obfcurité de la foi , ne pourra faire un alliage.
C'eft une remarque fort judicieufe de l'auteur de
l'effaifur l'analyse desjeux de hafard, ( M. de
Montmort. )
168 MERCURE DE FRANCE.
ARTS.
GRAVURES.
I.
La fécondité & les fabois , deux estampes
en pendant d'environ 18 pouces de
haut , fur 14 de large , gravées d'après
les tableaux de François Boucher , par
R. Gaillard . A Paris , chez l'auteur
que Saint Jacques , au deffus des Jacobins.
Cesdeux s deux eftampes
offrent
deux jolis fujets
de paſtoral
. Dans la première
, intitulée
la fécondité
, on voit une jeune bergere
, ayant auprès
d'elle une poule qui
couve
fes oeufs. Elle tient dans fa main
un de ces oeufs qu'un petit amour , qu'elle
porte fur fes genoux
, a briſé avec ſa Aèche,
& d'où fort un poulet . La feconde
paftorale
nous repréfente
une bergere
qui fait
manger
des cerifes
à fon berger, On remarque
fur le devant
de l'eftampe
des
fabots , une calbaffe
& autres acceffoires
.
Lal gravure
de ces deux eftampes
fait hon .
neur à l'artiste
.
II.
SEPTEMBRE. 1773. 169
I L
Le Pâtre amoureux , eftampe d'environ
20 pouces de large , fur 18 de haut ,
gravée fous la direction du fieur Duret ,
graveur de S. M. Danoife , d'après le
tableau de Berghen . A Paris , chez Duret
, rue du Fouarre .
Un bouvier que l'on apperçoit fur le
côté droit de l'eftampe , au milieu de fon
troupeau , paroît épier deux jeunes paſrourelles
. Six vers placés au bas de l'eftampe
renferment une leçon pour ces bér .
gères . Cette gravure nous rappelle bien
agréablement un des plus beaux tableaux
de Berghen.
I I I.
>
La Nymphe Erigone , eftampe de 9 pouces
de haut , fur 8 de large , gravée
d'après le tableau de N. R. Jollain ,
peintre du Roi , par J. C. Muller
Penfionnaire de fon A. S. M. V. Charles
, Duc Regrant de Wirtemberg &
Feck , & c. A Paris , chez Bafan , rue
Serpente , & Chereau , rue S. Jacques ,
prix 1 liv. 10.
5
Erigone eft vue à mi- corps , & la têt
H
170 MERCURE DE FRANCE,
panchée fous une treille. Elle approche
de fa bouche la grappe de raifin que le
Dieu Bacchus a choifie pour fe métamor
phofer & furprendre la Nymphe . Cette
figure eft gravée en demi teinte , & néan .
moins d'un ton brillant qui produit un
bon effet,
I V.
PORTRAIT de Boerhaave , deffiné &
gravé par Noël Pruneau. A Paris chez
I'Auteur rue de la Harpe , au Collége
de Narbonne , & aux adreffes ordinaires.
Prix liv. 4 f. Į
Ce portrait , que l'on pourra être cu
rieux de mettre à la tête des ouvrages de
ce célèbre médecin , mort en 1738 , eft
ici va de profil. H eft du même format
que celui de Gerard Van- Swieten , grav
vé en 1771 par le même artifte ,
V.
La juftice divine , Eftampe allégorique ;
hauteur fept pouces & demi ; largeur
fix pouces .
Cette allégorie eft énigmatique , la
compofition négligée , & le deffin de
la plus grande foibleffe . La gravure paz
SEPTEMBRE . 1773. 171
roît être d'un jeune élève qui ne fait pas
encore manier le burin.
V I.
La juftice humaine , autre Eftampe ,
qui femble faite pour fervir de pendant
& de réponse à la gravure précédente . Un
deffin correct , une compofition pittorefque
& d'une exécution agréable
annonce du moins de l'efprit & du talent
; il eft facile de faifir ce que l'ar
tifte a voulu faire entendre.
VII.
La fraîche Matinée . L'Orphée ruftique ;
deux paysages en pendant d'environ 7
pouces & demi de hauteur , & 9 &
demi de largeur.
Ces payfages font agréables, & bien gra
vés d'après les tableaux de M. Cafanova ,
peintre du Roi , par M. Gaudefroy ; ils
font chacun du prix de 24 f. A Paris ,
chez Godefroy , rue des Francs Bour.
geois St Michel , vis- à - vis la rue de Vau
girard.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
TOPOGRAPHIE.
Etatpréfent de la Ville de Lyon , par le St
Moithey , ingénieur - géographe du
Roi, profeffeur de mathématiques des
Pages de LL. AA. SS. les Princes de
Conti & de la Mirche. A Paris , chez
l'auteur , rue la Harpe , la porre cochè
re à côté d'un parfumeur , vis- à- vis la
Sorbonne .
Ce nouveau plan de la ville de Lyon eſt
exécuté avec beaucoup de foin & de netteté,
Il est affujetti aux nouveaux accroiffemens
& projets qu'on exécute actuellement à
la partie méridionale de cette ville . Ces
projets font de l'invention de M. Perrache
, l'un des Quarante de l'Académie
royale des Sciences de Lyon. Ce plan lavé
& blifonné fe vend 6 liv. à l'adreffe cideffus
; les projets lavés avec les deux
rivières , 1 liv. 10 f.; le plan en blanc ,
1 liv. 4fols.
SEPTEMBRE. 1773. 173
Méthode
MUSIQUE.
I.
4
pour apprendre en peu de tems à
jouer de l'inftrument appelé Cytre , ou
Guittarre allemande , deuxième partie.
CETTE deuxième partie contient une
differtation intéreffante pour les amateurs
du Cytre & les Luthiers , facteurs de cet
inftrument , dans laquelle les uns & les
autres trouveront tout ce qui eft relatif à
fa conftruction , la fixation de fon diapazon
, & ce qu'il eft effentiel d'obferver
pour qu'il le trouve jufte de ton , qu'il
puiffe s'accorder avec la voix , & être ac
compagné par le clavecin , la flûte , le
violon ou tout aurre inftrument , fans
qu'aucun de ces accompagnateurs foir
obligé d'avoir recours à la tranfpofition .
On y àjoin: diverfes petites pièces faciles
pour le Cytre , comme ouverture , mar
che , menuets , allemande , contredanfes
& autres ; plufieurs ariettes choifies dans
Lucile , les Chaffeurs , & la Laitière , dans
Annette & Lubin ; dans la Cinquantaine ;
1
H iij
174 MERCURE DE FRANCE .
Tom Jones , & autres bonnes pièces, avec
des accompagnemens d'une exécution aifée.
Le tout est terminé par une Sonnate
pour le Cytre avec accompagnement de
violon . On y trouve auffi un catalogue
des ouvrages de l'auteur , & les noms des
plus hábiles maîtres en ce genre. Cette
méthode eft dédiée à M. Enguehard , contrôleur
Général des Pultes de France ,
Seigneur haut -jufticier des Fiefs de Gaudete
, & de la Maillarde , fis à Chenevières-
fur - Marne , par M. l'Abbé Carpentier,
chanoine & garde des archives du
chapitre royal de St Louis du Louvre ,
amateur ; prix 8 liv . A Paris , chez l'auteur
, rue & cloître St Thomas du Louvre
; & aux adreffes ordinaires de mufique.
I I.
Troisième & dernière partie de la Mithode
, pour apprendre à jouer de la
Mandoline fans Maître , contenant la
manière facile de s'accompagner foimême
en chantant , & de broder les
paffages d'un air.
De plus le cinquième Recueil de
petits airs de la Comédie Italienne ,
avec l'accompagnement de Mandoline ;
SEPTEMBRE. 1773 175
& d'autres airs à deux Mandolines avec.
des variations , dédié à M. de Tarade ,
Lieutenant de vaiffeau de Roi , par le
Sr Pietro Denis ; prix 6 liv . A Paris ,
chez l'Auteur , chez M. Garnier , Baffon
de l'Opéra , rue S. Honoré , maifon de
l'Apothicaire , à côté de la Croix- du-
Trahoir; & aux adreffes ordinaires.
I I L
Le Printems , Ariette à voix feule
& fymphonie , dédié à M. le Baron
de la Richerie , & compofé par M.
Joubert , Organifte de l'Abbaye Royale
de S. Aubin d'Angers ; prix 2 liv. 8.
fols avec les parties féparées. A Paris ,
chez Moria vis - à - vis la Comédie
Françoife , au Café de M. Bigarne ; &
à Angers , chez l'Aureur , rue haute S.
Martin ; & aux adreffes ordinaires.
I V.
La nouvelle méthode de Mufique ,
connue fous le nom de folféges Italiens
, fera donnée pendant tout le cours
de cette année 1773 feulement au prix
de 12 liv. , au lieu de 24 que cette
méthode fe vendait ci -devant . A Paris
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
chez Coutineau , Luthier & Marchand
de Mufique , rue des Poulies.
Le même Luthier vient de recevoir
d'Angleterre un certain nombre de Piano
forte très bien conditionnés.
V.
Le retour de Thémire , Arriette nouvelle
, avec accompagnement de deux
violons , hautbois & batfon feul , alto
& baffe continue , cors adlibitum , dédiée
à Madame la Comtefle de Liflebone
, par M. Feray . A Paris , au Bureau
d'Abonnement de Mufique , cour
de l'ancien Grand- Cerf , rues S. Denis ,
& des Deux- Portes S. Sauveur ; & aux
adreffes ordinaires de Mufique. A Lyon ,
chez Caftaud , place de la Comédie.
Horloge de l'Ecole royale militaire , par
Lepaute , horloger du Roi.
CETTE Horloge eft horizontale ; elle
marque fur quatre cadrans , dont deux
font à minutes , le temps vrai , & fonne
les heures , les quarts & les avant- quarts ;
la cage eft compofée de fix barres de
SEPTEMBRE . 1773. 177
cuivre parfaitement forgées & rabotées
d'épaiffeur. Pour avoir plus de propreté
& de folidité , on y a rapporté des épautemens
ornés de moulures , affemblés en
reinures pour éviter le jeu ; elle eft montée
avec de forts écroux dont les vis font
faites au tour.
Toutes les pièces de cette Horloge
peuvent fe démonter féparément les unes
des autres : les roues font montées à vis
fur leurs arbres , de même que les lanternes
; chaque lanterne a des fufeaux
d'acier d'Angleterre , trempé dur, parfaitement
égaux , ajuftés carrément dans
une entaille particulière faite à l'outil ,
afin qu'on puiffe les changer de côté , ou
les repolir au tour , à l'effet de quoi il y
a deux points de centre marqués fur chaque
bafe de fufeaux .
Chaque lanterne a fon chaffis fait exprès
pour fa roue , qui eft à fix pans &
qu'on a étampée fur les arbres afin qu'elle
s'ôte fans jamais prendre de jeu ; on a
auffi ajusté à chaque bout des lanternes ,
des recouvremens . Ce font des pièces de
cuivre qui rentrent fur les fufeaux & les
tiennent chacun avec trois vis , au moyen
defquelles on pourra , quand on voudra ,
changer de place les fufeaux , ou en met-
H v
178 MERCURE DE FRANCE.
tre d'autres ; précautions qui affurent la
durée de l'ouvrage , par la facilité de les
réparer de retourner chaque pièce.
Pour arrêter les lanternes fur leurs ar
bres & conferver la groffeur apparente ,
l'uniformité & la propreté des axes , on
y a rapporté des virolles d'acier de même
groffeur , retenues par des goupilles qui
pallent au travers. Toutes les affiettes
contre lefquelles font appuyées les roues ,
font de la même pièce que l'arbre , en
forre que l'on ne craint rien du côté de la
folidité , & les roues peuvent fe démonter
quand on le voudra .
Pour conferver le mouvement à l'horlorge
pendant qu'on la remonte , on a
pratiqué dans l'intérieur du cylindre du
mouvement , un méchanifme compofé
de deux pignons & une roue , de manière
qu'on peut remonter vîte ou lentement ,
fans rien changer à l'exactitude du mouvement.
La manivelle pour remonter a
un encliquetage , de forte que fi on venoit
à tourner en fens contraire , on n'éprouveroit
aucune réfiftance .
Sur l'arbre de la première roue du
mouvement on a ajuſté un cadran à frottement
, pour régler l'horloge & la mettre
à l'heure ; il fert auffi comme de clef
SEPTEMBRE. 1773 179
la grande roue du mouvement , pour
la tenir droite fur fon plan. Ce cadran a
60 denis avec un cliquet qui rentre dans
chacune des dents , pour empêcher que
les grands cadrans ne restent en arrière
& ne changent de pofition par rapport à la
fonnerie. Ce cadran porte la petite roue
de renvoi , où font les chevilles pour
lever les détentes , laquelle conduit les
quatre cadrans , par le moyen
d'une petite
tringle qui y vient répondre ; il y a
fur cette tringle deux roues de renvoi ,
dont l'une engreine dans les quatre roues
de départs. On a ajusté des virolles cylindriques
fur les tringles , qui donnent la
facilité de former les engrenages , d'y
donner plus ou moins de jeu & d'accorder
les cadrans avec l'horloge .
Les pivots de cette pièce roulent dans
des trous qui font dans des bouchons
mobiles & de matière dure ; ceux - ci font
retenus avec des vis qui appuient dans
un cône au milieu du bouchon : ces vis
font taraudées dans les barres & dans les
taffeaux qui portent les détentes & bafcules
, ainfi il n'y a qu'à détourner les vis
pour faire fortir les bouchons , & l'on pour
ra en tout temps reboucher tous les trous
fans crainte de changer les engrenages ,
puifque les bouchons font parfaitement
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
ronds & ont une place déterminée qu'il
eft impoffible de changer quand on changeroit
les bouchons.
Toutes les détentes & les bafcules
font d'acier, rapportées carrément fur les
arbres & retenues avec des écroux d'acier,
qui font de même grofleur & ajuſtés ſur
la même clef. On a mis un rouleau de
matière dure fur chacune des chevilles
qui levent les marteaux , pour en adoucir
les frottemens . Ces chevilles font des vis
d'acier avec des portées , afin qu'on puiffe
mettre facilement d'autres rouleaux quand
l'ufare l'exigera .
L'échappement eft ajusté carrément fur
fon arbre , qui a une affiette fixe , d'un
côté, & une goute à vis de l'autre , pour
pouvoir l'y fixer folidement. La fourchette
eft brifée pour qu'on puiffe mettre
l'horloge dans fon échappement. Il y a
auffi un contre- écrou pour fixer la partie
mobile de la fourchette , quand elle eſt
bien droite , & pour empêcher le jeu .
Le pendule eft fufpendu au milieu de
la cage par une forte confelle ou cocq ,
qui porte auffi l'échappement. Vis-à- vis
eft un montant qui porte l'autre pivot &
qui fert auffi à porter la roue annuelle .
Au fommet de la confelle eft ajusté un
levier dont un des bouts porte le pendule,
SEPTEMBRE . 1773. 181
& l'autre extrémité appuie dans l'intérieur
du champ de la roue annuelle ,
taillée fur l'équation du temps , de façon
qu'elle alonge ou racourciffe le pendule
felon qu'il eft néceffaire pour faire fuivre
le temps vrai à l'horlorge ; par ce moyen
elle fera d'accord avec les méridiennes
& les cadrans folaires , fans exiger aucun
calcul.
On a fait conduire la roue annuelle
par le chapron des heures afin de ne pas
charger le mouvement. On a ajusté des
rouleaux pour adoucir les frottemens des
leviers , qui font avancer l'étoile qui
conduit la roue annuelle .
Les volans font brifés pour faire fonner
l'horloge plus vite ou plus lentement
à volonté. On y a mis des refforts ronds
que l'on fait appuyer plus ou moins , felon
qu'il eft néceffaire . Il y a un délai
pour la fonnerie des heures , afin qu'elle
ne fonne pas trop tôt après les quarts ,
que l'intervalle foit fixé. Il y auffi à cette
horloge un marreau pour fonner l'avantquart
, qui fait fon effet au délai cinq
minutes avant les heures ou avant les
quarts .
&
Les poulies même qui fervent à renvoyer
les cordons & à mouffler les poids ,
font de cuivre , croiſées & ajuftées fur des
182 MERCURE DE FRANCE.
chapes qui fe démontent ; leurs pivots
roulent dans des bouchons de matière
dure , pour en diminuer les frottemens.
Enfin l'on n'a rien négligé pour la pro
preté & pour la belle exécution de cer
ouvrage.
Extrait du Procès- verbal d'appréciation
de ladite Horloge.
Nous fouffignés Dom Bedos , Prêtre ,
Religieux de l'Abbaye Saint Denis en
France , & Ferdinand Berthoud , Horlo
ger méchanicien du Roi & de la Marine ,
de la Société Royale de Londres ; en
vertu de l'invitation & de la commiffion
exprelle qui nous a été donnée Par le
Confeil de l'Ecole Royale Militaire , &
Lepaute , Horloger du Roi , pour examiner
l'horloge dudit Hôtel , nous avons
trouvé cette pièce de la plus grande beauté
& de la plus élégante exécution ; nous
avons confidéré le fyftême de l'ouvrage ,.
vifité toutes les pièces , chacune en par
ticulier ; elles font très folidement &
très - proprement conftruites felon les
principes de la ftatique & de la méchanique
, & c. Après avoir vu foigneufement
ladite pièce , nous penfons que
SEPTEMBRE. 1773. 183
l'Auteur eft digne de l'eftime du Public,
pour avoir fait la plus belle horloge
qu'on ait encore vue , tant pour le génie
que pour la belle exécution ; laquelle n'a
pu être conftruite qu'à grands frais ; ce
qui étant bien pefé nous eftimons que
le fieur Lepaute mérite pour fon paiement
la fomme de vingt- cinq mille liv .
en foi de quoi nous avons dreffé le préfent
Procès - verbal . A Paris , le 27 Juillet
1773. Signé,
Dom BEDOS ; FERD. BERTHOUDS
COURS D'ACCOUCHEMENT.
JEAN BAPTISTE GAUCHEZ , Maître - ès-
Arts , en l'Univerfité de Paris , Maître en
Chirugie à Verfailles , fera , conformément
à l'article 25 des Statuts de la Compagnie
, un Cours Public & Gratuit fur
l'Art des Accouchemens , en faveur des
Elèves en Chirurgie & des Elèves Sages-
Femmes ; dans lequel M. Marrigues ,.
Lieutenant de M. le premier Chirurgien ,
& c. Chirurgien - Juré aux Rapports au
Bailliage Royal de cette Ville , traiterat
toutes les matières qui font relatives à
La Chirurgie Légale.
184 MERCURE DE FRANCE.
Il commencera le 31 Août 1773 ›
trois heures précifes après midi , & continuera
les Mardi , Jeudi & Samedi à la
même heure .
En la Chambre de Jurifdiction de la
Compagnie de MM. les Maitres en Chirur
gie , rue de la Charité , à Verfaiiles .
FÊTE donnée par Madame la Comteffe de
Marfan , à MADAME de France , le
15 Août , jour de fa fête , dans lejardin
de Montreuil près Verſailles .
Le jardin étoit orné de beaucoup d'illuminations
, & repréfentoit une guinguette.
On y voyoit par- tout des tables
couvertes , & prêtes à fervir. La fête commença
par un bouquet magique , haut
d'environ fept pieds , qui fut préſenté à
MADAME . On vit ce bouquet s'avancer
de lui-même vers cette Princeffe . On entendit
plufieurs airs très - agréables & analogues
à la circonstance , après quoi , les
Dames de la fuite de MADAME ayant atraché
les fleurs attachées au bouquet magique
, lui en firent hommage en les jesant
à fes pieds , & danferent au tour du
SEPTEMBRE . 1773. 185
bouquet. Ce bouquet s'ouvrit . M. Richer
, habillé en Amour , & Mlle Colette
Cifolelli chantèrent le duo dont
nous allons rapporter les paroles , qui font
de M. Guichard.
Chantons l'aimable Flore :
A peine de fes jours
On voit briller l'aurore ,
Que fur les pas des Ris & des Amours
Les Talens s'empreflent d'éclore ,
Et les Vertus d'en illuftrer le cours.
L'efprit anime les attraits ;
L'accent de fa voix nous enflamme ;
La Candeur deffina fes traits ,
La Bonté règne dans fon ame.
Ce duo , dont la mufique agréable &
pleine d'expreffion eft de M. Cifolelli ,
excellent compofiteur , fut chanté fupérieurement.
M. Richer s'y diftingua avec
le goût qui lui eft ordinaire , & Mile Colette
Cifolelli , fille de l'auteur de la mufique
, âgée de neuf ans , enchanta tous
les auditeurs par une voix tiès agréable &
par fon goût bien extraordinaire dans un
enfant de cet âge. Cette jeune muficienne
chanta encore plufieurs airs italiens , où
elle fut applaudie avec tranfport , ainh
que dans le duo ; Mefdames de France
186 MERCURE DE FRANCE.
་
lui témoignèrent de la manière la plus
flatteufe la fatisfaction qu'elles avoient de
fes talens .
On paffa enfuite dans une autre partie
du jardin , où l'on joua un proverbe à la
louange de Madame la Comteffe de Marfan
. La fête fut terminée par un fouper
très fplendide fervi aux tables qu'on
avoit dreffées dans le jardin .
-
E
USAGES ANCIENS.
Le Mouton de Bapaume.
Le fief de Bapaume , dans la paroiffe
d'Ouvrouer- les - champs , près la Vrillière
fur Loire , eft fujet à un droit original envers
le Doyen du chapitre de St Pierre-
Empont d'Orléans.
Tous les ans , la veille de l'Afcenfion
le fermier de ce domaine fe trouve devant
la porte de l'Egife de St Pierre Empont à
l'heure de vêpres pendant Magnificat
avec un mouton gras de l'année vêtu de ſa
laine , ayant les cornes dorées fur ces
cornes il y a deux écuffons des armes de
St Pierre , & il porte à fon col une bourfe
SEPTEMBRE. 1773. 187
*
dans laquelle est une ceinture de bergère
de la valeur de cinq fols parifis. Le Doyen ,
après avoir appelé trois fois Bapaume ,
vient enfuite le recevoir en cérémonie , &
la fait conftater par un procès- verbal .
Le jour de St Etienne , premier Martyr,
ce même Doyen perçoit plus utilement
une rente foncière de deux mines de froment
, une mine d'avoine , meſure de Jargeau
, 6 deniers & 2 chapons .
L'origne de ce droit eft vraisemblablement
à caufe d'une ancienne Mairie de la
paroiffe d'Ouvrouer ; ces Mairies fieffées
étoient fujettes aux Eglifes dans l'Orléanois
, à raifon d'une part qu'ils percevoient
dans les droits de la Care : ce
n'eft point un hommage qui eft rendu ;
c'eft une offrande payée au Patron de St
Pierre d'Ouvrouer , par l'avoué de cette
Eglife .
* Efpèce de tiflu de laine brute , avec lequel
les bergères font des ceintures pour attacher leurs
quenouilles , des jarretières , & c.
SWE
188 MERCURE DE FRANCE.
ANECDOTES.
1 .
LE DESERTEUR.
Lettre à Madame L. M. D. P. *
UNE petite
aventure , comme il nous
en arrive trente dans l'année , vous attire
une petite importunité de ma part. Ce
matin on fait entrer chez moi un jeune
homme de bonne mine , très- fimplement
vêtu. Une femme d'environ dix - huit
ans , & qui fembloit accablée de laffitude
, s'appuyoit fur lui d'un bras & portoit
un enfant fur l'autre. C'elt elle qui
vous porte cette lettre. Faites- la entrer ,
& dites-moi fi elle n'eft pas intéreffante .
Nous fommes François , me dit le jeune
homme ; nous voudrions retourner dans
notre patrie ; mais ce n'eft que par la
protection.... Il ne put achever , tant
fon embarras devint grand. Je vais vous
dire notre hiftoire , me dit la jeune femme
les yeux baiffés , en rougiffant un peu &
avec de petites grâces qui me prévinrent
d'avance que leur faute étoit de la natu-
*Cette lettre eft un modèle de narration.
SEPTEMBRE. 1773. 189
re de celles que je fais trop porté peutêtre
à excufer. Voyons , Madame , ſi je
vous rendrai le défordre aimable de fa
narration . Il y a deux ans . Il n'en
» avoit que vingt alors , & l'on est bien
jeune à vingt ans... Il étoit foldat ; il
» avoit eu la permiffion de venir paffer
و ر
32
...
fix mois chez nous , à caufe d'une blef-
» fure. Il venoit travailler , comme garçon
menuifier , dans la boutique de
» mon père. Il étoit très habile , & mon
père difoit toujours : Je prendrois ce
» garçon là pour mon gendre , fije n'étois
» pas firiche. Enfin , j'entendois tout le
» monde en dire du bien , & puis les
» foirs nous chantions enſemble ; pen-
» dant que je filois , il nous contoit auffi
» la prife du Port-Mahon & la guerre
» contre les Hanovriens. Il y a été bleffé
» trois fois.. Je voyois bien qu'il avoit
» de l'amitié pour moi , & j'en pris pour
» lui .... Monfeigneur , vous faurez ...
Il faut tout dire à Monfeigneur , n'eft-
» ce pas , mon ami ... Monfeigneur , il
» nous arriva un accident ... Imaginezvous
, Madame , un regard jeté ſur l'enfant
, & dans ce regard tout ce qu'il y a
de plus comique & de plus touchant à la
fois , & vous faurez la valeur de cet accident.
Je craignois tant mon père ! je
199 MERCURE DE FRANCE.
"
"
forçai mon ami à fuir. Il ne vouloit
» pas ; & moi même , par réflexion , je
» ne voulois pas non plus en faire un Dé-
» ferteur. Je m'enfuis toute feule , en lui
écrivant que j'allois mourir. Je voyageai
long tems ; & un foir , comme j'allois
toucher la frontière , il me joignit ;
» je tremblois de joie & de frayeur . Enfin
» nous fortîmes heureufement du pays . IL
» fut le premier à chercher un Prêtre ;
» nous fommes actuellement mariés , &
» voici notre enfant... Nous avons juf-
» qu'aujourd'hui vécu de notre travail.
» Nous avons vûbien des pays ; mais qu'ils
" font différens de la France ! Que nous
» ferions heureux fi nous pouvions y ren-
» trer... Mais il faut obtenir du Roi la
grâce de mon mari ... Et de ton père
» la tienne , interrompit le jeune Défer-
» teur. D'où êtes - vous ? .. Monfei-
» gneur elle eft fille d'un ménuifier de
» M. , & mon père eſt un des jardiniers
» de Madame L *** . » Voilà un nouveau
motif de m'intéreffer à eux ; fur le champ
j'écris , j'écris , mais je n'ai foi qu'en vous ,
Madame. Faites la paix de cette jolie enfant
avec fon père. Et moi , j'espère qu'en
faveur des trois bleffures , je ferai celle
de fon mari avec le Roi . Et comment
voyagez - vous , mes ams ? Monfein
-
SEPTEMBRE. 1773. 191
≫gneur , il porte notre enfant fur fon
» bras. Monteigneur , elle va à pied.
33Quoi fi délicate & fi loin ? -Ab ! fi
» vous faviez ce qu'elle a déjà fouffert ! ,,
» Et lui donc ? vous ne fauriez vous imaginer
! ... Je ne fuis pas riche , meș
enfans , cependant je vous ferai cheminer
plus commɔdément. Où attendezvous
votre grâce ? En Suille , Monfei-
» gneur , parce que mon régiment eft
près delà, En Saiffe ! allez loger dans
le vieux château de W..
"
"
chez
mes bons & anciens parens. Dites - leur
que vous m'avez vu .... Vous pouvez
imaginer que j'étois extrêmement ému ;
fans enfantillage cependant , & j'en étois
tout fier ; mais ce couple intéreffant étoit
tout attendri. Ce font deux belles ames ,
dans cette claffe , je vous proteſte . On
me prit les mains , on me les preffa,
« Monfieur , que de bontés ! nous don-
» nerions notre vie pour vous . » Rien
mes amis , rien.. Alors , par je ne fais quel
hafard , l'enfant me careffa avec les petites
mains. Je fuis vieux , mais fenfible
comme à quinze ans . Auffi tôt la digue
fe rompit . Je fus contraint de leur tour
ner brufquement le dos , en leur balbytiant
de s'en aller ; & ils m'auront pris
pour un infenfé , ou , s'ils ont vu mon
192 MERCURE DE FRANCE.
trouble , pour un enfant ; car , en vérité
, toutes ces puérilités ne font pas d'un
homme.
I I.
Un Payfan ayant tué d'un coup de hallebarde
le chien de fon voilin , qui le
vouloit mordre , fut cité devant le Juge
qui lui demanda pourquoi il avoit tué
ce chien ; le payfan lui ayant répondu
que c'étoit en le défendant , le Juge lui
repartit : tu devois tourner le manche de
ta hallebarde . Je l'aurois fait , tépliqua
» le Payfan , s'il eût voulu me mordre de
queue & non pas des dents . >> la
I I I.
Il n'appartient qu'à un Prince habile
d'avoir un Miniftre habile , d'en tirer
vanité , & de reconnoître le befoin qu'il
en a . « Buvons , difoit Philippe de
" Macédoine faifant la débauche avec
» fes amis , parmi fes plus grandes affaires
; buvons : il fuffit qu'Antipater
» ne boive pas. » Voilà un des plus
glorieux témoignages que jamais Souvreain
ait portés en faveur d'un Particulier
.
IV.
SEPTEMBRE. 1773 . 193
I I I.
<< M. de Turenne difoit , en parlant
» des Généraux auxquels il avoit affaire ,
qu'un fot l'embarraiffoit quelque fois
plus qu'un habile homme. »
"
I V.
-
Monfieur de ** , Grand Prévôt
avoit le nez fort long & les narines fort
ouvertes. Il étoit très grand. M. d'Argenfon
difoit : «Quand je lui parle de
près , j'ai toujours peur qu'il ne me
» renifle. »
"
V.
" Un Gafcon difoit au Miniftre de la
» Guerre , vous me donneriez la majorité
du Paradis que je n'en voudrois pas . »
»
EDITS , ARRÊTS , &C.
I.
ETTRFS- Patentes du Roi , par lefquelles Sa
Majefté approuve , confirme & autorife un
Bref du Souverain Pontife , portant « qu'il lui
paroît néceffaire que les Archevêques & Evê-
I
194 MERCURE DE FRANCE
35
» ques vifitent ou faffent vifiter , chacun dans
» fon diocèfe , les Monaftères de ces Religieux ,
qu'ils ufent de tous les moyens d'y rétablir
» une réforme falutaire & durable , & qu'ils pro-
» pofent , où la réforme ne pourroit avoir lieu ,
» ce qu'ils croiront être le plus utile , foit par
» rapport aux Religieux de ces Monaftères , foit
par rapport à leurs biens & revenus » . Veut
qu'il ait lieu felon fa forme & teneur , pourvû
qu'il ne renferme rien de contraire aux conftitutions
canoniques , aux Priviléges , franchiſes &
libertés de l'Eglife Gallicane & aux Ordonnances
du Royaume ; enjoint aux Archevêques & Evêques
, dans les diocèfes desquels font fitués les
Monaftères de l'Ordre des Céleftins , de les vifiter
ou faire faire vifiter inceffamment, pour y établir
la réforme , conformément à la régle de ces
Religieux & aux mitigations approuvées par le
Saint Siége ; de propofer , où la réforme ne pourroit
- être établie , le parti qu'ils jugeront être le
plus convenable , tant à l'égard des Religieux ,
qu'à l'égard de leurs maifons ; & de repréſenter
les procès -verbaux de vifites , réglemens , ordonnances
& avis à ce fujet, pour être communiqués
au Souverain Pontife.
I I.
Edit du Roi qui ordonne qu'à l'avenir le Duché
d'Anjou , les Comtés du Maine & du Perche
& le Thimerais feront diftraits des recettes générales
des domaines & bois , des généralités de
Tours , d'Alençon & de Paris ; crée & érige , en
même tems , en titre d'office , deux receveurs &
deux contrôleurs généraux des domaines & bois
SEPTEMBRE . 1773 .
ISS
dans l'étendue de l'appanage de Monfeigneur le
Comte de Provence , pour y jouir des honneurs ,
rang , féance , prérogatives & Priviléges dont
jouiffent ailleurs les receveurs généraux.
I I I.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , qui ordonne
que les Notaires & tabellions de la Principauté
de Dombe , feront déformais , comme les autres
Notaires du Royaume , affujettis aux vifites des
Procureurs , commis & prépofés de l'adjudicataire
des fermes générales , & tenus de leur communiquer,
pour la partie des domaines , les minutes
de tous les actes dont ils feront dépofitaires ,
& c,
I V.
Arrêt du Confeil d'Etat qui porte que les 2 fols
pour livre , établis par les Déclarations des 3
Février 1760 & 21 Novembre 1763 , ainfi que
les 6 nouveaux fols pour liv. impofés par l'Edit
du mois de Novembre 1771 , feront & continueront
d'être perçus à Vitry le François , en fus
du nouvel octroi ou tarif en communication de
taille de cette Ville.
V.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi qui porte que
Sa Majesté étant informée que les propriétaires
des offices municipaux fupprimés , indépendamment
du contrat qui leur a été paffé , font reftés
dépofitaires du jugement de liquidation de leurs
offices & de leurs anciennes provifions & quittan.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
ces de finance fur lefquelles on n'a fait aucune
mention de décharge ni de converfion des liquidations
en contrats , & voulant empêcher qu'ils
ne le prévalent de ces provifions , & éviter les
doubles emplois auxquels le défaut de remiſe &
décharge des quittances de finance , pourroit
donner lieu , ordonne que les contrats paffés
far ces liquidations , feront remboursés , à compter
du 1'de Janvier de cette année , en quittances
de finance , produifant intérêt.
V I.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , qui fixe le
prix pour lequel on recevra aux hôtels des Monnoies
les nouvelles piftoles d'Eſpagne aubalancier,
aux armes & à l'effigie , ainfi que les nouvelles
piaftres à l'effigie , de la fabrication commencée
en 1772 , lefquelles fe font trouvées , par les effais
que fa Majefté en a fait faire , à des titres
inférieurs à ceux précédemment reconnnus dans
les piaftres & piftoles d'Efpagne , & fixe en même
temps les titres pour lefquels les Directeurs des
Monnoies en compteront à fa Majeſté.
VII.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , qui ordonne
que l'Arrêt du 15 Septembre 1771 , & le tarif y
annexé , feront exécutés felon leur forme & teneur
; & fixe en conféquence , le prix aux changes
des monnoies , tant des anciennes pièces de
4 fols , que celle de 6 , 12 , 24 fol . 3 1. 6 francs ,
de la fabrication actuelle , lefquelles feront effacées,
SEPTEMBRE. 1773. 197
VIII.
Déclaration du Roi , par laquelle fa Majefté
ordonne que les Articles XVII & XIX , concernant
les faux fauniers feront exécutés , & les interprétant,
en tant que de befoin, veut que dans le
cas où les faux fauniersfe feront évadés, ils puiffent
être arrêtés & conftitués prifonniers fur une fimple
permiffion du Juge , à la requête de l'adjudicataire
des fermes , dans laquelle ils feront nomniés
, ou du moins fuffifamment défignés ; que
cette permiffion s'étende même hors des lieux
foumis à la jurifdiction du Juge qui l'aura accordée
, fans qu'il foit befoin de commiffion, vifa
ni pareatis.
1 Χ.
Lettres-Patentes du Roi , par lefquelles fa Majefté
, en interprétant la difpofition de l'article
XIV des Lettres- Patentes du 2 Avril 1772 , au
fujet de la régie des cuirs , ordonne que les Juges
ne pourront choifir pour experts , à l'effet de
procéder à la vérification des marteaux & empreintes
faifis , que des graveurs établis dans les
Villes où il y a des hôtels ou jurifdictions des
Monnoies , & exerçant principalement & habituellement
la profeſſion de la gravure fur métaux.
X.
Lettres- Patentes du Roi, qui ordonnent que les
offices de Maire , Lieutenant de Maire , Echevin ,
Afseffeurs, Tréforiers, Receveur & autres Officiers
établis à Dieppe , en exécution de l'Edit de No-
1 iij
198 MERCURE DE FRANCE .
·
vembre 1771 , feront réunis & incorporés à la
Ville & Communauté , à la charge de faire pourvoir
un homme fous le nom duquel feront payés
les droits cafuels dont - ils font redevables ; que
la Ville fera fubrogée à l'acquifition de ces offices
, en rembourfant aux Maire & conforts qui
en feront pourvus par Lettres Patentes du
22 Mai 1772 , tous leurs frais & loyaux coûts ;
qu'elle demeurera par cette réunion , autorisée
à élire & nommer les Officiers municipaux qui
jouiront de tous les droits , fonctions , rang ,
féance , priviléges & prérogatives accordés par
l'Edit de Novembre 1771 ; mais que ces Oficiers
ne pourront exercer leuis fonctions fans l'agrément
de fa Majesté.
X I.
Lettres- Patentes du Roi , par lefquelles fa Majefté
ordonne que la compagnie du grand Prévôt
des Monnoies de France jouira des Priviléges ,
droits & exemptions accordés par les Edits , Déclarations
& Lettres Patentes du Roi , dont les
articles feront exécutés en ce qui n'eſt point
contraire à ces nouvelles Lettres - Patentes ; que
les offices qui compofent cette Compagnie cefferont
d'être à la nomination du grand - Prévôt ;
feront foumis à l'évaluation , centiéme denier &
cafualité au profit de fa Majefté , fuivant les difpofitions
de l'Edit de Février 1771 .
X I I.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi, qui ordonne que
les fonds de la chaire de fyriaque duCollégeRoyal,
SEPTEMBRE. 1773. 199
à la mort des titulaires , ou dès à préfent , s'ils y confentent
, foient appliqués à l'établiffement d'une
chaire de méchanique ; ceux de la chaire de Philofophie
Grecque & Latine à l'établiffement
d'une chaire de Littérature Françoife ; que la feconde
chaire d'Arabe foit convertie en une chaire
de Turc & de Perfan ; l'une des deux chaires de
Médecine pratique , en chaire d'hiſtoire naturelle
& l'une des deux chaires de droit canon , en
chaire de droit de la nature & des gens , de forte
qu'après ces changemens , il y ait dans le Collége
Royal , outre l'Infpecteur chargé de veiller
à la difcipline , un Profeffeur d'hébreu & de
fyriaque, un d'arabe , un de Turc & de Perfan ,
deux de grec , dont l'un expliquera les écrits
des anciens Philofophes , un d'éloquence latine
, un de Foéfie , un de Littérature Françoife
, un de Géométrie , un d'aftronomie , un
de Méchanique , un de Phyfique expérimentale
, un d'hiftoire naturelle , un de chimie , un
d'Anatomie , un de Médecine - pratique , un de
droit canon , un de droit de la nature & des gens,
& un d'hiftoire .
A
XIII.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , qui ordonne
que les enfans & defcendans des ennoblis depuis
1715 , lefquels fe trouvoient , à la publication
de l'Edit, pourvus de charges & offices donnant
la nobleffe au premier degré ou graduelle , foient
exempts de payer le droit de confirmation établi
par cet Edit , de la maniere que fa Majeſté en a
affranchi les enfans & descendans des ennoblis
depuis 1715 , qui fervoient , fors de l'Edit , dans
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
fes atmées de terre & de mer , conformément à
l'article X.
XIV .
Arrêt de la Cour des Monnoies , qui enjoint
aux exempts & archers de la Prévôté générale
des Monnoies , de mettre à exécution les Jugemens
des Officiers des Monnoies & de leur
prêter main forte.
AVIS.
I.
JOURNAL HISTORIQUE ET POLITIQUE
des principaux événemens des
différentes Cours de l'Europe.
C'EST actuellement chez LACOMBE , Libraire
, rue Chriftine , à Paris , que MM. les
Soutcripteurs font piiés de s'adrefler pour le
Journal Hiftorique & Politique.
Ce Journal a commencé le 10 Octobre 1772 .
Il raflemble & fixe , en quelque forte , les événemens
principaux de l'Hiftoire Univerfelle
Françoile & Etrangère.
On peut confulter ce Journal & le conferver
même en corps d'Hiftoire , comme le réſultat
non - feulement des Gazettes , mais encore de tous
les Papiers publics . Il eft , par fa diftribution , la
Gazette générale la plus complette , & , dans fon
enfemble , il offre les Mémoires les plus détaillés
SEPTEMBRE . 1773 . 201
du tems préfent ; & il aura de plus l'avantage de
donner fouvent des notices nouvelles fur des Mémoires
particuliers & intéreflans.
Ce Journal eft compofé de 36 cahiers par an ,
chacun de 60 pages , & paroît , très- exactement ,
trois fois par mois , c'eft - à - dire les 10 , 20 & 30
du mois ; il n'y en a point de ce genre qui loit
diftribué dans des tems plus courts , pour répandre
les nouvelles & fatisfaire la curiofité.
On eft libre de foufcrire en tout tems , à telle
époque que l'on veut.
Le prix de la foufcription , pour une année
entière, de ce Journal , rendu franc de port par
la pofte , foit à Paris , foit en Province , eft de
18 liv.
le
MM. les foufcripteurs font priés d'affranchir
port de leurs lettres & de l'argent , & de donner
leurs noms & leur adrefle exacte , d'une écriture
lifible.
I I.
Lettre de M. de Lalouette à M. Babelin.
Je fuis bien étonné Monfieur , que l'on ait pû
vous attribuer l'état de cécité dans lequel je fuis.
Au mois de Septembre dernier je ne diftinguois
aucun objet , & ma vue s'affoiblit infenfiblement ,
deforte qu'au mois de Septembre je ne vis plus
la lumière ; alors des étourdiffemens , des maux
de tête & de la fièvre , me déterminerent à être
faigné trois fois du pied ; ma tête fut foulagée ,
je revis pendant quelques jours la lumière fans
pouvoir diftinguer les objets ; peu de jours après
je me retrouvai dans le même état d'aveugle-
1 v
202 MERCURE DE FRANCE .
粤
ment. Comme les journaux faifoient mention
de gouttes fereines guéries par les faignées ; que
cette doctrine ne répugnoit point du tout à
mon expérience ; que d'ailleurs j'avois encore
des étourdiffemens confidérables , & que je fentois
le befoin d'être encore faigné , je vous fis
prier de me venir voir. Je fus faigné trois fois
de la gorge mes étourdiffemens fe diffipèrent ,
mais je ne revis pas la lumière. Ce ne font donc
pas les faignées qui m'ont rendu aveugle ; je
l'étois auparavant
, & malheureusement je le
fuis encore.
J'ai l'honneur d'être très -parfaitement , & c.
Ce 18 Août 1773-
DE LALOUETTE .
N. B. Des perfonnes mal intentionnées ayant
fait courir le bruit que M. Babelin avoit fait
perdre la vue au Sr de Lalouette , voilà une lettre
qui juftifie la conduite du fieur Babelin .
III.
On trouvera dès cette Automne un affortiment
complet d'arbres & arbustes étrangers
utiles & agréables , de la meilleure qualité , & à
jufte prix , parfaitement élevés , & fur - tout une
belle collection d'arbres &arbuftes qui ne perdent
pas leurs feuilles . S'adreffer à M. Braye , rue des
Péchereffes à Metz Ceux qui defireront avoir
un catalogue fe le procureront en en demandant
un par une lettre franche de port. On
trouvera chez la mêine perfonne d'excellens arbres
fruitiers.
SEPTEMBRE. 1773. 203
I V.
Le fieur Jean - Baptifte Duboft , diftillateur &
Parfumeur , Enclos S. Martin , vis -à -vis le nouveau
paffage de la boucherie , connu depuis longtems
par fon Effence de beauté , a perfectionné
cette compofition au point que MM. les maîtres
Perruquiers , Barbiers , Etuviftes de la Ville &
Fauxbourgs de Paris , ont délivré le certificat
à l'auteur, qui en conféquence , a obtenu la
permiffion de Monfeigneur le Lieutenant- Général
de Police & de la Commiffion Royale , pour
la diftribution de cette Effence de Beauté , reconnue
par fes qualités fupérieures à tout ce
qui a paru jufqu'à préfent , tant pour la barbe ,
que pour la peau ; en conféquence il eft autotorifé
à la fabriquer & à la débiter à Paris & dans
l'étendue du Royaume.
Cette effence , qui fe vend auffi chez le Suiſſe
de la Bourfe , rue Vivienne à Paris , & au bureau
des Perruquiers , rue St Germain , ne forme aucun
dépôt , procure un tranchant doux aux rafoirs ,
adoucit la peau , & tient le teint frais : les Dames
s'en fervent au lieu de pâte pour fe laver. Pour
éviter les contrefactions , le Sr Duboft appofera
fon cachet fur chaque bouteille , & fa fignature.
Maniere de s'en fervir.
Verfez quatre gouttes de ladite effence dans
une cuillerée d'eau; battez-la avec un pinceau ,
& favonez - vous ensuite .
Prix des bouteilles depuis 1 liv. 4 f. jufqu'à
1 2 liv.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE:
V.
Nouveau Vernis qui donne de l'éclat aux
tableauxfans les altérer.
M. Julliac , peintre & doreur , entrepreneur
des bâtimens du Roi , rue Bourtibourg , a découvert
un vernis à détrempe qui donne de l'éclat
au tableau , fans altérer les couleurs , ni
même les glacis , qui en retire tout l'embue &
le met en état de paffer à la postérité avec la
fraîcheur des teintes & du coloris , de même que
file tableau fortoit de deflous le pinceau. On
fait le tort que les vernis ordinaires font aux
tableaux en les faifant gercer , & en s'y adhérant
fi fortement qu'il faut enfuite des matières
fortes & pénétrantes pour les détacher de la couleur
qu'ils endommagent néceffairement , furtout
les glacis .
L'avantage du nouveau vernis eft de pouvoir
être enlevé avec une éponge & de l'eau fimple
au bout d'un grand nombre d'années , comme s'il
venoit d'être employé dans le moment. Ce vernis
nettoie fans endommager les tableaux les
plus anciens & les plus fales ; il prend même
jufques fur le vernis de Veniſe.
Plufieurs de MM . de l'Académie royale de
Peinture en font ufage avec fuccès. Leurs tableaux
fur lefquels on l'a employé en font un für
témoignage.
Le Public pourra juger de l'effet de ce vernis
employé fur les tableaux indiqués ei - après , cxpofés
au fallon.
SEPTEMBRE. 1773. 205
SAVOIR ;
Quatre Tableaux de M. Vernet , appartenans
à Mde la Comtefle du Barry , fous le N°. 39 ;
& un autre , du même auteur , fous le N°. 41.
Deux Tableaux de Mlle Valayer , fous les
Nos 139 & 140.
Et le Tableau de réception de M. Chardin ,
repréfentant des fruits , peint depuis 41 ans :
nouvellement nettoyé & revernis.
On prévient qu'il faut que ce foit le Sieur Julliac
qui emploie lui - même fon vernis . On peut
s'adreſſer à lui à l'adrefle ci - deflus indiquée.
NOUVELLES POLITIQUES .
De Conftantinople , le 3 Juillet 1773 .
Le Prince Repnin qui a été fait prifonnier à
l'affaire de Giurgewo , eft arrivé ici , il y a trois
jours , accompagné , par ordre du Grand Seigneur
, de fon propre chirurgien . Il a été guéri
en route des coups de feu qu'il avoit reçus. On a
logé ce Prince au quartier des Sept - Tours , dans
une maiſon meublée exprès pour lui .
Un détachement de huit cens Albanois paſſa ,
ces jours derniers, par cette capitale , pour fe rendre
à Varna , & un autre corps de la même Nation
eft destiné à refter en garnifon dans les forterefles
nouvellement conftruites à l'entrée de la
Mer Noire en Europe & en Afie. Toutes les batteries
font achevées , & on va les garnir de ca
nons.
206 MERCURE DE FRANCE.
De Warfovie , le 30 Juillet 1772 .
Le Maréchal Comte de Romanzow , après
avoir fait une tentative inutile fur Siliftrie , avec
toute fon armée au delà du Danube s'eft vu
contraint de repafler ce fleuve , & il eft rentré
dans le camp qu'il occupoit auparavant. Les Turcs
out repris tous leurs poftes , & le Grand Vifir n'eft
point forti de fa pofition . Il n'avoit fait marcher
contre les Rules que des corps détachés de la
grande armée.
De Vienne , le 28 Juillet 1773 .
Le Général Loudon partit, la ſemaine dernière,
pour aller rejoindre l'Empereur à Cafchau , en
Hongrie , & pour l'accompagner en Pologne. Il
a eu , avant fon départ , plufieurs conférences
avec l'Impératrice Reine qui lui a fait remettre
30 , 000 ducats ( environ 315 , oco liv. ) pour
les diftribuer , de fa part , dans les nouvelles poffeffions
. L'Empereur a fait de grandes largeffes en
Tranfylvanie , & a promis aux Peuples de faire
cefler les abus dont ils fe font plaints .
On célébra , lundi , à Luxembourg , la fête de
l'Archiduchelle Marie- Anne.
·Depuis que les Ruffes ont été forcés de s'éloigner
de Siliftrie , on n'a reçu aucune nouvelle intéreffante
des deux armées . On fait feulement
que celle du Général Romanzow étoit campée , le
13 Juillet , à Gala Braila , & qu'à la même époque
le Grand Vifir n'avoit encore rien changé à fa
pofition.
SEPTEMBRE. 1773. 207
De Stockolm , le 27 Juillet 1773 .
Le Roi vient d'augmenter les peines portées par
les loix contre les Avocats qui engagent les plai
deurs à entreprendre des procès injuftes & ruineux.
Ceux qui violeront , par cette conduite
criminelle , les devoirs de leur profeffion honorable
, feront punis corporellement. Ils ne recevoient
auparavant que des réprimandes.
De Coppenhague , le 20 Juillet 1773 .
Une Efcadre Ruffle compofée de cinq vaiffeaux
de foixante fix canons chacun , d'une frégate de
trente , & commandée par le Contre- Amiral Bafballe
, mouille actuellement dans la Baye de
Kioger , à trois milles de cette ville . On prétend
qu'une autre elcadre de la même Nation , également
compofée de cinq vaifleaux de ligne & de
trois fenauts , croife dans les environs de l'ifle
de Gothland.
D'Amfterdam , les Août 1773 .
On commence à reflentir ici les effets du difcrédit
où cette place eft tombée par les faillites
arrivées au commencement de cette année . Les
Négocians étrangers partagent la crainte de ceux
d'Amfterdam. Toutes les opérations du commerce
languiflent , & cette elpèce d'inaction ruine
tous les ouvriers . Depuis quinze jours on fe plaignoit
de vols faits dans la nuit. On a doublé en
conféquence les gardes ordinaires , & diftribué
dans différens quartiers de la ville , des patrouil
les bourgeoifes. Ces précautions ont raflaré les
habitans.
208 MERCURE DE FRANCE.
De Pétersbourg , le premier Juillet 1773 .
Le Gouvernement a envoyé au Général Conmandant
à Aftracan & au Gouverneur de Terki ,
dans la Circaffie Rufle , l'ordre de lever dix mille
Tartares. Ces nouvelles troupes féront réparties
dans divers régimens qui doivent aller renforcer
l'armée du Maréchal Romanzow , en Moldavie .
On a publié ici un manifefte en réponſe à celui
que la Porte avoit répandu , relativement aux né.
gociations de paix & à l'indépendance de laCrimée.
De Ratisbonne , le 18 Juillet 1773.
La Diete doit s'occuper inceflamment d'un pro
jet de réglement pour le Tribunal de Wetzlar ;
& malgrél'oppofition que plufieurs Cours avoient
montrée , il paroît que l'on commencera , avant
les vacances , à donner les fuffrages pour reprendre
les délibérations après la rentrée.
L'Impératrie de Ruffie , non contente d'encourager
les fciences & les arts dans fon empire ,
protége encore , d'une manière particulière , les
Littérateurs , même dans les pays qui ne lui font
pas foumis. Sa Majeſté Impériale vient d'en donner
une nouvelle preuve. S'étant fait rendre compte
du mérite & de l'utilité des ouvrages du fieur
Scheffer , Paſteur Luthérien de cette ville , connu
par fes expériences fur l'hiftoire naturelle , Elle
lui a fait préfent de 1000 roubles ( environ 5301
liv. ) , gtatification également honorable à ce
Lavant & à fon augufte bienfaitrice.
De Deux-Ponts , le 20 Juillet 1773.
Un courier dépêché de Pétersbourg & arrivé ,
SEPTEMBRE. 1773. 200
ees jours derniers , à Pirmafentz , réfidence actuelle
du Langrave de Hefle - Darmſtadt , a apporté
à ce Prince la nouvelle que le choix du
Grand-Duc de Ruffie étoit tombé fur la Princefle
Wilhelmine , fa feconde fille , & que le mariage
feroit célébré inceflamment.
De Malte , le 14 Juin 1773 .
Une des galiotes corfaires qui croifoit fur les
côtes de Baibarie , fous le pavillon Napolitain ,
amena , avant - hier , en ce port, une fandale char
gée de fel & de quelques jarres d'huile . Ce bâtiment
étoit armé de cinq Maures qui fe font défendus
avec tant de courage qu'il y en a eu trois
de tués & un de blefié. Le corfaire n'a pas perdu
un feul homme.
De Cadix , le 16 Juillet 1773 .
La Cour d'Espagne ayant appris que l'Empereur
de Maroc fe difpofoit à entreprendre le fiége
de Ceuta , vient d'y envoyer le Sr Sherloc , maréchal
de camp , avec le premier ingénieur , de
cette ville.
De Londres , le 26 Juillet 1773 .
à ce
L'acte paflé dans la dernière féance du Parle
ment , relativement aux espèces d'or , a occafionné
un dérangement fi confidérable dans le
commerce & des altercations fi vives parmi le
Peuple , qu'on s'attend à en voir fufpendre l'exé
cution. On tint confeil , vendredi dernier ,
fujet. On obferve d'ailleurs qu'à la faveur de
cette confufion , on a tranfporté chez l'étranger
une quantité confidérable de cette monnoie d'or ,
ce qui favorife la contrebande & acheve de ruiner
le commerce.
210 MERCURE DE FRANCË .
Le bruit s'étoit répandu que le Nabab de Be
nares , dans le Bengale , s'étant joint aux Marates
, avoit taillé en pièces un corps d'environ
deux mille Anglois , fans compter les Cipayes ;
que le Mogol & les Nababs avoient réfolu , entr'eux
, d'abandonner aux Marattes la moitié des
revenus de ce vafte empire , de rendre leurs intérêts
communs , & de nous chaſſer de nos nouvelles
pofleffions ; mais les dernières lettres arrivées
du Bengale annoncent au contraire que le
Mogol ayant levé une armée contre les Maractes
, pour s'affranchir du joug fous lequel ils le
tiennent , depuis qu'ils l'ont placé fur le trône , a
été totalement défait , & que les Marattes, après
l'avoir fait prifonnier , ont pillé la ville de Delhi .
Un particulier de Colcheſter obfervant , il y a
plufieurs jours , que certains arbres fruitiers de
fon jardin ne réuliloient pas auffi bien que les
aurres , fit creufer à quelque profondeur au pied
de ces arbres. Il s'attendont trouver un lit de
gravier ou un autre corps dur qui empêchoit les
racines de s'enfoncer librement. dans la terre ;
mais on découvrit , après avoir fouillé pendant
quelque tems , une chauffée romaine conftruite
en brique , fous laquelle étoit une couche de froment.
Ce grain étoit pur , fans aucun mêlange
de terre , auffi noir que s'il avoit été brûlé & ertièrement
femblable à celui qu'on a trouvé enleveli
fous les ruines d'Herculanum .
De Paris , le 15 Août 1773.
Les établiflemens formés par les Prévôt des
Marchands & Echevins de la Ville de Paris , en
faveur des noyés , ont eu tant de fuccès qu'on
s'eft empreffé d'en faire de femblables dans les
SEPTEMBRE . 1773. 211
provinces. Les Maire , Echevins & Officiers Municipaux
de la Ville de Tours , fecondés par l'Intendant
de la Généralité , ont établi différens
dépôts où l'on adminiftrera les remèdes néceffaires
. Pour détruire, en même tems , les préjugés
du Peuple , qui par crainte d'être inquiété , refuſe
de toucher aux perfonnes tombées dans l'eau , ils
ont affigné différentes récompenfes à ceux qui
viendront à leur fecours & même aux chirurgiens
, quoique les gens de l'art n'aient befoin
d'aucune promefle de cette nature pour être excités
à exercer leur zèle & leur humanité.
NOMINATION S.
Le Roi a accordé les Entrées de fa Chambre au
Marquis de Choifeul , Menin de Monfeigneur le
Dauphin .
Le Sieur le Preftre de Châteaugiron , Préfident
du Parlement , ayant demandé au Roi la permiffion
de fe démettre de, la charge de Surintendant
de la Maifon de Madame la Dauphine , Sa
Majefté a nommé à cette place le ficus de Giac ,
Maître des Requêtes.
Le 8 Août , l'Abbé Terray , Contrôleur- général
des Finances , prêta ferment entre les mains du
Roi , pour la charge de Directeur & Ordonnateur
général des bâtimens de Sa Majeſté.
PRESENTATIONS .
Le Comte de Broglie , chevalier des Ordres du
Roi & lieutenant général de fes armées , nommé
commiflaire plénipotentiaire pour aller recevoir ,
fur la frontière , Madame la future Contelle
d'Artois , a cu l'honneur de faire les remercimens
à fa Majefté à qui il a été préfenté par le Duc d'Ai212
MERCURE DE FRANCE.
guillon , miniftre & fecrétaire d'état , ayant le département
des affaires étrangères .
Le premier Acût , la Vicomtefle du Barry eut
l'honneur d'être préſentée au Roi & àla Famille
Royale par la Comtefle du Barry .
Le 5 Août , le Comte de la Marmora , ambaſfadeur
de Sardaigne , eut une audience particulière
du Roi à qui il remit fes lettres de recréance
& prit congé de Sa Majefté . Le Comte de Viri ,
fuccédant au Comte de la Marmora dans l'am .
"baflade de France , eut immédiatement après ,
audience du Roi. Ces deux Ambatladeurs furent
conduits à cette audience , & à celle de la Famille
Royale , par le fieur Tolozan , introducteur des
"Amballadeurs.
Le 8 Août , le Marquis de Noailles , ambaffadeur
du Roi auprès des Provinces Unies , prit
congé de Sa Majefté & de la Famille Royale. Il
eut l'honneur d'être préfenté au Roi par le Duc
d'Aiguillon , miniftre & fecrétaire d'état , ayant
le département des affaires étrangères .
Le 12 Août , le Comte de Guines , ambafladeur
du Koi auprès de Sa Majefté Britannique , arriva
à Compiegne , & fut préfenté au Roi par le Duc
d'Aiguillon , miniftre & fecrétaire d'état , ayant
le département des affaires étrangères.
NAISSANCE.
>
Des lettres de Brondberg , dans le Diftri &
d'Aalbourg en Danemarck , portent qu'une
femme vient d'y accoucher de quatre garçons ,
deux morts, & deux qui n'ont vécu qu'un jour.
SEPTEMBRE. 1773. 213
M OR T S.
Le nommé Martin Montaldo eft mort à Gènes,
dans la cent dixième année de fon âge . Il étoit
né fur la paroifle de Morta , en Polcevera.
Julien d'Aboville , Lieutenant- général des armées
du Roi , ancien infpecteur de l'artillerie, eft
mort , le 23 Mai dernier , à la Fère , dans la quatre
vingt - fixième année de fon âge. Il s'étoit
trouvé à plus de cinquante fiéges.
·
Jean-Jofeph de Mellet de Fargues , chevalier
de l'Ordre de St Jean de Jérusalem , commandeur
d'Olloy , bailli & maréchal de fon Ordre , eft
mort , le 22 Juillet , au château de Fargues , en
Auvergne , dans la foixante - feptième année de
fon âge.
Catherine Richard , veuve de Guy Allard ,
avocat , eft mort à Grenoble , dans la cent quatrième
année de fon âge .
N. de Poireflon , Marquis de Chamarande , eſt
mort à la terre de Chamarande , près de Chaumont
en Baffigny , dans la quatre-vingt- huitième
année de fon âge.
Thomas Garbut eft mort à Hurtford , dans la
province d'Yorck , à l'âge de cent un ans . Il a confervé
l'ufage de tous les fens juſqu'au dernier
moment de fa vie.
LOTERIES.
Le tirage de la loterie de l'Ecole royale militaire
s'eft fait le 5 Août. Les numéros fortis de la roue
de fortune , font 74 , 7 , 41 , 22 , 19. Le prochain
tirage le fera le 6 Septembre.
214. MERCURE DE FRANCE.
NB. On a oublié d'indiquer le nom de M de
la Harpe au bas du premier article des Nouvelles
Littéraires du dernier Mercure.
TABLE.
PIECES FUGITIVES en vers & en profe , page s
Sur les trois Grâces , peintes en émail ,
Epître en vers , à Mademoiſelle de B ***
Cantate bachique ,
Vers à l'Auteur du Teftament de ma Raifon ,
Ode d'Horace à ſon Eſclave ,
La vertueufe Ingratitude , conte ,
Les deux yeux , apologue ,
A M. Aufrêne ,
A Madame la Comtefle de V...,
A Mademoiſelle V ** ** d'A………. ,
ibid.
6
7
୨
10 .
II
28
29
30
31
Dialogue entre Jeanne d'Ark & Jeanne Laifné, 32
Chanfon fur les Vieux , 40
Parodie. Les jeunes Gens vengés , 43
Fable orientale ,
Quatrain impromptu ,
Hymne de Callimaque à Apollon ,
La Défiance punie , fable ,
Vers à une Dame ,
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
ENIGMES ,
46
ibid.
57 1
59
60
61
62
SEPTEMBRE. 1773 . 215
1
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Chriftophe Colomb , poëme ,
Dictionnaire pour l'intelligence des Auteurs
claffiques , & c.
Le Chemin du Ciel , ou la Vie du Chrétien ,
Théâtre de M. Poinfinet de Sivry
Tobie , poëme en quatre chants ,
Eflai fur la Fièvre Miliaire ,
>
OEuvres de Molière , avec des remarques
grammaticales , & c.
Euvres de M. Franklin ,
Recherches fur la Ville de Paris ,
Abrégé de l'hiſtoire de la Milice Françoile du
P. Daniel ,
64
68
ibid.
77
96
ICI
I113
118
122
126
128
1
130.
Traité des Léfions de la tête par contre - coup , 131
Articles de l'Encyclopédie , concernant la
grammaire ,
Livre des Réflexions chrétiennes ,
Traité des Couleurs & Vernis ,
Nouveaux Elémens d'Architecture ,
Nouvelle Bibliothèque de campagne ,
Grammaire Anglo Irlandoife ,
Manière d'enluminer l'eftampe pofée fur
toile ,
Lettre de M. de V. à Madame la C. D. B. ,
ACADÉMIES ,
133
134
135
136
137
ibid.
139
140
141
142 Scts proposés par l'Acad . de Toulouſe ,
Eclairciffemens à joindre à l'ouvrage intitul
Monumentorum Galaticorum Synop fis , 146
"
216 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLES , Opéra ,
147
Comédie Françoile, 148
Comédie Italienne 157
Lettre de M. Saverien , fur la fin du monde , 158
ARTS , Gravures ,
168
Etat préfent de la Ville de Lyon , 172
Mufique , 173
Horloge de l'Ecole royale militaire , 176
Cours d'accouchement ,
183
Fête donnée par Mde la Comtefle de Marfan
à Madame de France,
Anecdotes ,
184
Uſages anciens , Le Mouton de Bapaume , 187
188
Edits , Arrêts , 193
Avis , Journal hiftorique & politique ,
Lettre de M. de Lalouette à M. Babelin ,
Nouveau vernis qui donne de l'éclat aux
tableaux fans les altérer ,
200
201
204
Nouvelles politiques ,
Nominations ,
Préfentations ,
205
211
ibid.
Naiffance ,
Morts ,
212
213
Loteries,
ibida
'AI
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le
volume du Mercure du mois de Septembre 1773 ,
& je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreflion .
A Paris , le 30 Août 1773.
LOUVEL.
N.
M
De l'Imp. de M. Lambert , rue de la Harpe,
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
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Chriftine , que l'on prie d'adrefler , francs de port,
les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eftampes
, les piéces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , obfervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inftruire ou amufer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eftampes & pièces de mufique.
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à fa perfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux
utiles au Journal , deviendront mêine un titre de
préférence pour obtenir des récompenſes ſur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eft de 24 liv,
que l'on paiera d'avance pour ſeize volumes rendus
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61 .
1 l. 16 f.- Lettres du Roi de Pruffe , in 18. br.
Eloge de Racine avec des notes , par M. de
la Harpe , in 8 °. br .
Réponse d'Horace en vers ,
11. 10 (.
Fables orientales , par M. Bret , 3 vol . in-
12 1,
3 liv.
8 °. brochés ,
La Henriade de M. de Voltaire , en vers la
tins &françois , 1772 , in- 8 ° . br. 2 1. 10 l
Traité du Rakitis , ou l'art de redreffer les
enfans contrefaits , in 8 °. br. avec fig. 41 .
Lettres d'Elle & de Lui , in 8 ° . b.
Le Phafma ou l'Apparition , hiftoire grecque
, in- 8°. br.
Les Mufes Grecques , in- 8 ° . br.
11.46.
I l. ref.
11. 16 f.
Les Nuits Parifiennes , 2 parties in - 8 ° .
nouv . édition , broch.
Les Odes pythiques de Pindare , in - 8 ° .
broché,
3 liv.
s liv. Le Philofopheférieux , hift. comique , br. 1 1 , 4 f.
Du Luxe , broché ,
>
12 f.
Traité fur l'Equitation , in-8°. br. 4 1. 10 f.
Monumens érigés en France à la gloire de
Louis XV, &c. in fol. avec planches ,
rel. en carton ,
-
241.
Mémoires fur les objets les plus importans de
l'Architecture , in 4° . avec figures, rel . en
carton ,
Les Caractères modernes , 2 vol . br.
12 1.
3.1
.
Max mes de guerre du C. de Kevenhuller , 11. ro (.
Hiftoire naturelle du Thé , avec fig . br. 11, 16 f.
MERCURE
DE FRANCE.
A
OUST , 1773 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
RÉPONSE de M. de la Harpe aux vers
de M. L. C. de ** , inférés dans le
Mercure de Juillet.
Vous avez , fur un noble ton ,
Chanté l'aftre de notre Europe .
Et jufqu'à mon humble horizon
Vous baillez votre télescope.
Vous êtes comme Salomon ,
Vous allez du cèdre à l'hyfope.
*
* M. de Voltaire , à qui le même auteur avait
adreflé une épître.
A iij
MERCURE DE FRANCE.
Ainfi le peintre des héros ,
Apelle , au vainqueur de l'Afie,
Confacrait fes premiers travaux ,
Et deffinait de fantaiſie
Un page à la mine étourdie
Qu'immortalifoient fes pinceaux.
Quand Pierre vint dans cet Empire
Du fond de vos climats glacés ,
A peine en faviez- vous aflez
Pour nous connoître & pour nous lire,
Et déjà vous, nous furpaflez.
Chantez . Vous êtes à la fource
Des grands exploits , du grand talent.
La Gloire au plus haut de ſa courſe
Roule fon char étincelant
Au tour des fept aftres de l'Ourfe.
Vous voyez l'Ottoman cruel
Trembler devant votre Génie ,
Le pavillon de la Ruffic
Commande aux mers de l'Archipel .
L'Amour qu'à Bizance on enchaîne
Sous le plus lugubre attirail ,
Croyant fa vengeance prochaine ,
Entend le canon d'une Reine
Tonner fous les murs du Sérail .
Célébrez tout ce que vous faites ;
Chantez la gloire & vos grandeurs.
Avec les lyres des neuf Soeurs
Mars peut accorder fes trompettes ;
A O UST. 1773. . 7
Et ces exploits des Souverains ,
Qui troublent un peu les humains
Font les héros & les poëtes.
Pour moi , fi je lavais toucher
Le luth de Tibulle & d'Horace ,
Si , comme l'Albane ou Boucher ,
J'étais né pour peindre une Grace ,
De ces artistes excellens ,
Si , par une faveur divine ,
Je réuniflais les talens ,
Je vous peindrais notre Dauphine.
Je voudrais chanter dignement
Ces traits , cet éclat de jeuneſſe ,
Cet air de nymphe ou de déefle
Ce port & ce maintien charmant ,
Ce front où la candeur tracée
S'unit à l'aimable enjoûment ,
Ces yeux où brille également
La finefle de la penſéè
Et la douceur du fentiment.
Je peindrais la publique ivreffe ,
Et ces cris , ces tranfports fi doux
Au tour de l'augufte Princefle ,
Et les larmes de fon époux ,
Larmes de joie & de tendrefle ,
Larmes qui du bonheur de tous
Sont la plus touchante promefle ;
Et, fivous pouviez comme nous
Voir ce fpectacle d'alégrefle ,
Quoique le fort ait fait pour vous
Sur le Danube & dans la Gréce ,
Vous pourriez être encor jaloux.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
HIC
ENEIDOs , lib . II.
Ic ubi disjectas moles , avulfaque faxis
Saxa vides, mixtoque undantem pulvere fumum ,
Neptunus muros , magnoque emota Tridenti
Fundamenta quatit , totamque à fedibus urbem
Eruit. Hic Juno Scaas fæviffima portas
Prima tenet , fociumque furens à navibus agmen ,
Ferro accincta , vocat.
Jam fummas arces Tritonia , refpice , Pallas
Infedit , nimbo effulgens & Gorgone fævâ.
Ipfe Pater Danaïs animos virefque fecundas
Sufficit : ipfe Deos in Dardana fufcitat arma .
Eripe , nate , fugam , finem que impone labori.
Nufquam abero , & tutum patrio te limine fiftam.
Dixerat , & fpiffis noctis fe condidit umbris."
Apparent diræ facies , inimicaque Troja
Numina magna Diêm ,
Tùm verò omne mihi vifum confidere in ignes.
Ilium , & ex ino verti Neptunia Troja.
Ac veluti fummis antiquam in montibus ornum
Cum ferro accifam , crebrifque bipennibus inftant
Eruere agricolæ certatim ; illa ufque minatur ,
Et tremefacta comam , concuffo vertice , nutat :
Vulneribus donec paulatim evieta , fupremum
Congemuit , traxitque jugis avulfa ruinam .
A O UST . 1773 .
Suite du fecond Livre de L'ENÉIDE.
O
Par M. D. L. C.
u tu vois ces rochers l'un fur l'autre entaflés ,
La pouffière & les feux juſqu'aux cieux élancés ;
Le trident de Neptune ébranle les murailles.
Là , Junon , des Troyens hâtant les funérailles ,
De la porte de Scée appelant l'ennemi ,
Preffe le bataillon que la flotte a voi.
Pallas , du haut des forts , aux Grecs fervant de
guide ;
Tu la vois fur la nue , où brille fon Egide.
Jupiter en ce jour & les dieux réunis
Se déclarent pour eux ; éloigne - toi , mon fils .
Ceft affez : fois docile à la voix d'une mère ,
Je conduirai tes pas au palais de ton père ;
Je défendrai tes jours : après ces mots , Vénus
Se replongea dans l'ombre , & je ne la vis plus .
Mais j'apperçus dans l'air mille fpectres horri
bles ,
Et la foule des Dieux aux Troyens fi terribles.
Des tourbillons de flamme en ces affreux momens
Dévorent d'Ilion juſques aux fondemens.
Ainfi du haut des monts on voit un chêne antique
Qu'ébranle àcoups preflés mainte hache ruſtique,
Cédant à tant d'efforts , aidé des aquilons ,
Rouler avec fracas dans les fombres vallons.
A v
ΤΟ MERCURE
DE FRANCE
,
Defcendo , ac , ducente Deâ , flammam inter &
hoftes
Expedior : dant tela locum , flammæque recedunt.
Aft ubi jam patriæ perventum ad limina fedis ,
Antiquafque domos , genitor , quem tollere in
altos
Optabam primum montes , primùmque petebam ,
Abnegat excisâ vitam producere Trojâ ,
Exiliumque pati . Vos ô quibus integer ævi
Sanguis , ait , folidæque fuo ftant robore vires ,
Vos agitate fugam .
Me fi coelicolæ voluiflent ducere vitam ,
Has mihi fervaflent fedes : fatis una fuperque
Vidimus excidia , & captæ fuperavimus urbi.
Sic , ô fic pofitum affati difcedite corpus.
Ipfe manu mortem inveniam : miſerebitur hoftis ,
Exuviafque petet : facilis jactura fepulchri eſt.
Jampridem invifus Divis & inutilis annos
Demoror : ex quo me Divûm pater atque hominum
rex
Fulminis afflavit ventis , & contigit igni.
Talia perftabat memorans , fixufque manebat.
Nos contrà effufi lacrymis , conjuxque Creüfa ,
Afcaniufque , omniſque domus , ne vertere fecum
Cuneta pater , fatoque urgenti incumbere vellet.
Abnegat, inceptoque & fedibus hæret in ifdem.
A O UST. II
1773.
Mais,graces à Vénus , au milieu du carnage
Les flammes & les traits me livrent un paffage.
Au palais de mon père à peine parvenu ,
J'allois le transporter dans un lieu peu connu.
Anchiſe obſtinément refufe de me ſuivre ,
Jure qu'à Troye en cendre il ne veut point furvivre.
Moi, fuir, dit- il ! ô vous dont l'âge eſt dans fa fleur,
Fuyez , vous dont le fang entretient la vigueur.
Si le Ciel eût voulu me conſerver la vie ,
Il eût de tant de maux prélervé ma patrie .
Hélas ! dans mon printems déjà mes yeux ont vu
Succomber Ilion : Anchile a trop vécu.
Allez, & laiflez - moi mourir dans les ténèbres ,
Qu'importent les tombeaux & les pompes funèbres
?
Recevez mes adieux ; pour terminer mes jours
Je faurai de mon bras emprunter le fecours :
Et peut-être qu'un Grec , devenant mon complice,
Avide ou généreux, me rendra ce ſervice .
De la foudre touché par le maître des dieux ,
Dès long- tems je leur fuis un objet odieux .
Envain , baignés de pleurs , nous conjurons mon
père ,
Moi , les miens profternés , & mon fils & fa mère ,
D'avoir pitié de lui , d'avoir pitié de nous ;
De nee pas tous nous perdre : il nous réfifte à tous.
Il s'obtine à refter , il dédaigne nos larmes.
A vj
I 2 MERCURE DE FRANCE.
Rursus in arma feror , mortemque miferrimus
opro.
Nam quod confilium , aut quæ jam fortuna dabarur
?
Mene efferre pedem , genitor , te poffe relicto
Sperafti ; tantumque nefas patrio excidit ore ?
Si nihil ex tantâ Superis placet urbe relinqui ,
Et fedet hoc animo , perituræque addere Troja
Teque tuofque juvat : patet iſti janua letho.
Jamque aderit multo Priami de fanguine Pyrrhus
,
Natum ante ora patris , patrem qui obtruncat ad
alma
aras.
Hoc erat ,
igues ,
parens , quod me , per tela
, per
Eripis ut mediis hoftem in penetralibus , utque
Alcaniumque patremque meum , juxtàque Crei-
{am ,
Alterum in alterius mactatos fanguine cernam ?
Arma , viri , ferte arma : vocat lux ultima victos.
Reddite me Danais , finite inftaurata revifam
Prælia : numquam omnes hodie ioriemur inulti.
Hic ferro accingor rursus : clypeoque finiftram
Infertabam aptans , meque extra tecta ferebam .
Ecce autem complexa pedes in limine conjux
Hærebat , parvumque patri tendebat Jülumn .
Si periturus abis , & nes rape in omnia tecum :
Sin aliquam expertus fumptis fpem ponis in armis
,
A O UST. 1773 . 13
De nouveau je m'élance au milieu des alarmes.
Je vais chercher la mort . Pouvez -vous m'ordonner
,
Mon père , en ce moment de vous abandonner ?
Voulez- vous ajouter au défaſtre de Troye
Et redoubler les maux que le Ciel nous envoie ?
Pyrrhus , bourreau d'un fils dans les bras paternels
,
Qui du fang de tous deux , inonda les autels ,
Va paroître en ces lieux & remplir votre attente .
O ma mère ! ô Vénus ! ta main toute puiffante
M'a donc fauvé du fer & des feux ennemis ,
Pour voir périr mon père , & ma femme & mon
fils.
Je les verrai baignés dans le fang l'un de l'autre.
Mon père... Au nom des dieux quel deffein eft le
vôtre ?
Vous ne m'écoutez point , vous ne me verrez plus:
Le trépas où je cours eft l'espoir des vaincus.
Mourons ; mais en mourant fignalons ma vengeance.
A ces mots je reprends mon épée & ma lance ,
Je fortois ; quel obftacle arrête encor mes pas ?
Creüle eft à mes pieds & mon fils dans fes bras .
«Si tu cours à la mort nous te fuivrons , dit elle :
»La plus promte pour nous fera la moins cruelle.
"
Mais plutôt , fi l'efpoir nous eft encor permis ,
14 MERCURE DE FRANCE.
Hanc primum tutare domum : cui parvus Iülus ,
Cui pater , & conjux , quondam tua dicta , relinquor
?
Talia vociferans , gemitu tectum omne replebat ,
Cum fubitum dictuque oritur mirabile monf
trum ;
Namque manus inter maftorumque ora parentum
,
Ecce levis fummo de vertice vifus lüli
Fundere lumen apex , tactuque innoxia molli
Lambere flamma comas , & circum tempora
pafci.
Nos pavidi trepidare metu ; crinemque flagrantem
Excutere , & fanctos reftinguere fontibus ignes.
At pater Anchifes oculos ad fidera lætus
Extulit , & coelo palmas cum voce tetendit.
Jupiter omnipotens , precibus fi flecteris ullis ,
Afpice nos , hoc tantum : & , fi pietate meremur ,
Da deinde auxilium pater , atque hæc omina
firma..
Vix ea fatus erat fenior , fubitoque fragore
Intonuit lævum , & de coelo lapfa per umbras
Stella facem ducens multâ cum luce cucurrit.
Illam , fumma fuper labentem culmina tecti ,
Cernimus Ideâ claram fe condere fylvâ ,
Signantemque vias : tum longo limite fulcus
Dat lucem , & latè circum loca fulphure fumant
Hic verò victus genitor fe tollit ad auras :
Affaturque Deos, & fanctum fidus adorat :
A O UST. 1773 . IS
»Défends dans tes foyers ton époule & ton fils ,
Et n'abandonne pas celle qui te fut chère. »
Je me fens déchiré : tandis que je diffère
Que l'écho retentit de fanglots & de cris ,
Un prodige nouveau s'offre à nos yeux furpris.
De la tête d'Afcagne une flamme légère.
Se lève , & , répandant une douce lumière ,
Voltige fur fon front , effleure les cheveux ;
Nous redoutons l'effet de ces célestes feux :
On court : chacun de nous s'emprefle à les éteindre.
Anchife nous arrête. « Amis , ceffez de craindre ,
Dit-il , puis élevant & les mains & les yeux ,
Il profère ces mots : « Puiflant maître des dieux ,
» Si vous êtes fenfible aux maux d'un miférable ,
" Daignez jeter fur nous un regard favorable ;
» Et fi nos voeux font purs & nos coeurs vertueux,
» Confirmez ce prélage en exauçant nos voeux.»
A peine il achevoit cette ardente prière
Qu'à fa gauche on entend un éclat de tonnerre :
Un aftre flamboyant tombe , & nous le voyons
Sur le faîte du toît épandre fes rayons .
Il laiffe dans les airs une trace brillante ,
Qui dans les bois d'Ida , fe plonge étincelante .
Vaincu par ce prodige , Anchife buvre les yeux :
Il adore l'étoile , il invoque les Cieux ;
16 MERCURE DE FRANCE .
Jam jam nulla mora eft , fequor , & quâ ducitis ,'
adfum.
Dii patrii , fervate domum , fervate nepotem .
Veftrum hoc augurium , veftroque in numine.
Troja eft.
Cedo equidem , nec , nate , tibi comes ire recufo.
Dixerat ille , & jam per moenia clarior ignis
Auditur , propiufque æftus incendia volvunt.
Ergò age , care pater , cervici imponere noftræ :
Ipfe fubibo humeris : nec me labor iſte gravabit.
Quo res cumque cadent , unum & commune periclum
;
Una falus ambobus erit , mihi parvus Iülus
Sit comes , & longè fervet veftigia conjux :
Vos famuli , quæ dicam , animis advertite veftris.
Eft urbe egreffis tumulus , templumque vetuftum
Defertæ Cereris : juxtàque antiqua cupreffus ,
Religione patrum multos fervata per annos.
Hanc ex diverfo fedem veniemus in unam.
Tu , genitor , cape lacra manu , patriofque Penates
.
Me , bello è tanto digreffum & cæde recenti
Attrectare nefas : donec me flumine vivo
Abluero.
Hæc fatus , latos humeros fubjectaque colla
Vefte fuper , fulvique infternor pelle leonis ,
Succedoque oneri : dextræ le parvus Iülus ,
Implicuit , fequiturque patrem non paffibus
æquis.
A O UST. 17 1773 .
Dieux puiffans , confervez ce qui refte de Troye ;
Mon fils , mon petit- fils : mon coeur s'ouvre à la
joie .
L'augure vient de vous ; je l'accepte , ô mon fils ,
Je ne réſiſte plus & par- tout je te fuis .
Il dit ; au même inſtant la flamme nous affiége ,
Nos murs font embraſés ; mon père , m'écriai - je ,
Ofez fur mon épaule échapper au danger ,
Un père pour un fils eft un fardeau léger..
Notre fort eft commun , mon péril eft le vôtre ;
Le falut d'un de nous fera celui de l'autre .
Approchez- vous , Afcagne , & ne me quittez pas.
Votre mère , mon fils , fuivra de loin nos pas.
Prêtez- moi , mes amis , une oreille attentive
Par des fentiers divers ren lons- nous fur la rive.
Là , parmi les débris du temple de Cérès ,
Près du tronc refpecté d'un antique cyprès ,
J'attends le ralliement de ma troupe chérie ,
Mon père , chargez -vous des dieux de la patrie ;
Mes mains teintes de fang n'oferoient y toucher ,
Je dois merendre pur avant d'en approcher.
Un peau de lion à mon col fufpendue
Auffi- tôt pour Anchife eft mollement tendue.
Précipitant fes pas , mon fils dans le chemin
Marchoit à mes côtés , me tenant par la main.
18 MERCURE DE FRANCE .
Ponè fubit conjux . Ferimur per opaca locorum :
Et
me , quem
dudum
non
ulla
injecta
movebant
Tela , neque adverlo glomerati ex agmine Graii ,
Nunc omnes terrent auræ , fonus excitat omnis
Sufpenfum , & pariter comitique onerique timentem
.
Jamque propinquabam portis , omnemque videbar
Evafifle viam , fubitò cum creber ad aures
Vifus adeffe pedum fonitus ; genitorque per umbram
Profpiciens : nate , exclamat , fuge , nate : propinquant
:
Ardentes clypeos atque æra micantia cerno.
Hic mihi nefcio quod trepido male numen amicum
Confufam eripuit mentem : namque avia curfu
Dum fequor , & notâ excedo regione viarum ,
Heu ! mifero conjux fato ne erepta Creüfa
Subftitit, erravit ne viâ , feu lafla refedit ,
Incertum nec poft oculis eft reddita noftris .
Nec priùs amiflam refpexi , animumque reflexi ,
Quàm tumulum antique Cereris , fedemque facratam
Venimus , hic demùm , collectis omnibus , una
Defuit , & comites natumque virumque fefellit.
Quem non incufavi amens hominumque Deorumque
?
Aut quid in eversâ vidi crudelius urbe ?
A O UST. 1773. 19
Creüle nous ſuivoit à travers les décombres ,
Nous cherchions les détours & les lieux les plus
fombres.
Moi , que rien n'effrayoit , je tremble au moindre
bruit
Pour celui que je porte & celui qui me fuit.
Nous étions raffurés , nous approchions des portes
,
Quand un fourd cliquetis d'armes de toutes fortes
Se fait entendre au loin : fuyez , fuyez , mon fils ,
Dit Anchiſe éperdu : voilà nos ennemis.
Ils approchent: déjà je vois briller leurs armes ,
Un Génie ennemi redouble mes alarmes :
Je m'égare en voulant m'écarter du chemin.
Est-ce un dieu malfaifant ou la loi du deftin ? ..
Ma tendre épouse , hélas ! diſparoît à ma vue ;
Et depuis ce moment elle eft pour moi perdue.
En nous raffemblant tous au temple de Cérès ,
Elle feule nous manque & cauſe nos regrets.
Les hommes & les dieux , que tour -à-tour j'accule,
Ont comblé tous mes maux en m'enlevant Creüfe ;
20 MERCURE DE FRANCE.
Alcanium , Anchifenque patrem , Teucrolque
Penares
Commendo fociis , & curvâ valle recondo.
Ipfe urbem repeto , & cingor fulgentibus armis.
Stat cafus renovare omnes , omnemque reverti
Per Trojam , & rursus caput objectare periclis.
Principio muros , obfcuraque limina portæ ,
Quà greffum extuleram , repeto : & veſtigia retrò
Obfervata fequor per noctem , & lumine luftro.
Horror ubique animos , fimul ipfa filentia rerrent.
Indè domum , fi fortè pedem , fi fortè tuliffet ,
: Me refero irruerant Danai , & tectum omne te◄
nebant.
Illicèt ignis edax fumma ad faftigia vento
Volvitur , exuperant flammæ, furit æftur ad auras.
Procedo ad Priami fedes , arcemque revifo.
Et jam porticibus vacuis , Junonis alylo ,
Cuftodes lecti Phoenix & dirus Ulyffles
Prædam affervabant : huc undique Troïa gaza
Incenfis erepta adytis , menfæque Deorum ,
Craterefque auro folidi , captivaque veftis
Congeritur : pueri & pavidæ longo ordine matres
Stant circum.`
AOUST. 1773. 21
Je pars , je recommande à mes triftes amis
Les dieux de la patrie , & mon père & mon fils .
Je retourne dans Troye , en reprenant mes armies ,
Dans des périls nouveaux je trouverai des char
mes.
Je fais tous nos détours dans une fombre hor
reur ,
Le filence & la nuit infpirent la terreur.
Peut être à ma demeure eft-elle retournée.
J'y vole : elle est en feu , de Grecs environnée.
La flamme eft par les vents roulée en tourbillons ,
Et femble fur les toîts fe creufer des fillons.
Je cours jufqu'au palais , & de la citadelle
Aux portiques déferts de Junon la cruelle ,
Ulyffe avec Phoenix y gardoient le butin ;
Vafes & trépiés d'or , immenfe magaſin ,
Aux autels arraché par le foldat avide ,
De femmes & d'enfans une troupe timide
Sont rangés à l'entour & deftinés aux fers
22 MERCURE DE FRANCE.
Aulus quinetiam voces jactare per umbram ,
Implevi clamore vias , maſtuſque Creüſam
Nequicquam ingeminans , iterùmque iterùmque
vocavi .
Quærenti , & tectis urbis fine fine furenti ,
Infelix fimulacrum atque ipfius umbra Creüfe
Vifa mihi ante oculos , & notâ major imago .
Obftupui , fteteruntque come , & vox faucibus.
hæfit.
Tum fic affari , & curas his demere dictis :
Quid tantùm infano juvat indulgere dolori ,
O dulcis conjux ! non hæc fine numine Divûm
Eveniunt : nec te hinc comitem afportare Creüſam
Fas , haud ille finit fuperi regnator Olympi.
Longa tibi exilia , & vaftum maris æquor arandum
.
Ad terram Hefperiam venies , ubi Lydius , arva
Inter opima virum , leni fuit agmine Tybris.
Illic res lætæ , regnumque , & regia conjux
Parta tibi : lacrymas dilecte pelle Creülæ.
Non ego Myrinidonum fedes Dolopumve fuperbas
Afpiciam , aut Graiis fervitum matribus ibo ,
Dardanis , & Divæ Veneris purus ;
A O UST. 1773.
23
Mes lamentables cris fe perdent dans les airs .
J'appelle mille fois une époufe chérie.
Son nom retentifloit : tandis que je m'écrie ,
Portant par-tout mes pas , égaré , furieux ,
Un spectre coloffal fe préfente à mes yeux.
C'eft l'ombre de Creüfe : effrayé, je m'arrête ,
Et d'horreur mes cheveux fe dretlent fur ma tête.
L'ombre me dit ces mots ; « Calmez votre dou-
» leur ,
» Chez époux , de nos maux le Ciel même eft l'au
> teur.
» Hélas ! l'unique voeu de la tendre Creüle
ל כ
Fut de fuivre vos pas ; Jupiter s'y refuſe.
Quand vous aurez long- tems erré de mers en
» mers ,
» Le bonheur vous attend : après tant de revers
» Vous verrez l'Helpérie, & fur les bords du Tibre
»Vous ferez fondateur & Roi d'un peuple libre :
» La fille d'un grand Roi vous donnera la main .
» Oubliez donc Creüife & fon triſte deſtin .
» Ne craignez point pour moi , qu'efclave dans la
» Grèce
» J'aille ramper aux pieds d'une fière maîtreſſe ,
Femme du grand Enée & fille de Vénus.
24
MERCURE DE FRANCE.
Sed me magna Deûm genitrix bis detinet oris.
Jamque vale , & nati ferva communis amorem .
Hæc ubi dicta dedit , lacrymantem & multa vo
lentem
Dicere , deferuit , tenuefque receffit in auras .
Ter conatus ibi collo dare brachia circum :
Ter fruftrà comprenfa manus effugit imago ,
Par levibus ventis , volucrique fimillima fomno.
Sic demum focios , conſumptâ nocte , reviſo.
Atque hic ingentem comitum affluxiffe novorum
Invenio admirans numerum , matrefque virol,
que ,
Collectam exilio pubem , miferabile vulgus .
Undique convenere , animis opibufque parati ,
In quafcumque velim pelago deducere terras.
Jamque jugis fummæ furgebat Lucifer Idæ ,
Ducebatque diem : Danaïque obfeffa tenebant
Limina portarum : nec (pes opis ulla dabatur.
Ceffi , & fublato montem genitore petivi ,
33 Par
A O UST. 1773. 25
Par Cybèle en ces lieux mes pas ſont retenus.
» Adieu : fouvenez - vous de notre cher Afcagne.»
Trois fois je tends les bras à ma tendre compagne
,
Trois fois elle m'échappe ; & les tendres adieux
Sont troublés par les pleurs qui coulent de mes
yeux.
Son ombre difparoît & dans la nuit fe plonge ,
Telle qu'un vent léger ou la vapeur d'un'fonge.
L'aurore paroifloit , je me rejoins aux miens :
Leur nombre étoit accrû d'un concours de
Troyens :
Hommes , enfans , vieillards , de tout fexe & tout
âge ,
Surchargés des débris de leur trifte naufrage.
Ils font prêts à me fuivre & m'offrent leur ſe
cours .
L'étoile du matin renouvellant ſon cours ,
Sur la cime d'Ida commençoit à paroîtie :
De la ville & des forts le vainqueur étoit maître :
Plus d'efpoir ; vers le mont précipitant mes pas ,
J'en atteins le fommet , mon père dans mes bras .
Fin dufecond livre de l'Enéïde.
B
26 MERCURE DE FRANCE .
EPIGRAMME .
Par le même.
POOUURR me diftraire ou pour me délaſſer,
Je lis Virgile & j'ole le traduire ;
Ainfi je puis m'exercer & m'inftruire
En m'épargnant la peine de penfer.
Mais c'eft lutter , dit- on , contre de Lille.
Quelle chaleur ! quelle verve ! quel ftyle !
Les vers latins par lui font éclipfés.
Ah ! c'en eft trop , & vous le rabaiffez.
Il eft moins beau , s'il l'eft plus que Virgile :
Refte à favoir fi je le fuis aflez .
LA DISSIMULATION PUNIE.
MISS HOVE & Mifs Sophie furent élévées
enſemble dans la même penfion , à
quelques milles de Londres . Leur âge
étoit à peu-près égal, & leurs qualités perfonnelles
l'étoient encore davantage ;
mais quoique leur famille fût du même
rang, Mifs Hove étant fille unique , avoit
de plus que fon amie l'efpérance d'une
fortune très-conſidérable.
A O UST. 1773 27
Lorfqu'elles furent rentrées dans la maifon
paternelle , Mifs Hove fut demandée
en mariage par le capitaine Fréeman , qui
fervoit dans les Gardes , & avoit quelque
bien de patrimoine. Mais ce parti ne paroiffant
pas affez avantageux , les parens
prièrent le jeune homme de mettre fin à
fes vifites , & la Demoiſelle de ne point
y penfer davantage . Cet ordre fi aifé à
donner eft fouvent dur à recevoir. Fréeman
étoit aimable : Mifs Hove étoit fenfible
, & fon coeur s'ouvroit à l'amour. II
fallut effacer cette première impreffion ;
le combat fut pénible , mais enfin elle
remporta fur elle - même cette trifte victoire.
Cependant, pour aider Mifs Hove
dans fes réfolutions , on jugea qu'il étoit
néceffaire de lui faire paffer quelques mois
à la campagne . On l'envoya chez fa tante
Milédy Meadows , qui s'étoit retirée dans
fes terres avec fa fille à plus de vingt- qua
tre milles de la capitale. Elle refta depuis
le mois d'Avril jufqu'au mois d'Août
dans cette folitude , fans autre occupation
que fon ennui . Un foir elle fut fort étonnée
de voir arriver fon père avec le fieur
James Forreft , jeune gentilhomme qui
venoit d'hériter du titre de Baron & d'une
fortune immenſe . Sir James étoit d'un
heureux caractère & d'une figure préve
Bij
28 MERCURE DE FRANCE,
nante. Mifs s'ennuyoit : cette nouvelle
compagnie lui plut. Sa vanité avoit un
objet , & quelquefois ce fentiment tient
lieu d'amour. Enfin par foumiffion pour
fon père , par égard pour fes amis , par
complaifance pour fon amant , Mifs confentit
à quitter le trifte état de fille pour
devenir femme & Milédy. Les deux jeu
nes époux demeurèrent à la campagne juf
qu'au mois d'Octobre , & la quittèrent
pour retourner à Londres. Il preffèrent
avec tant d'inftance leur tante , qu'elle
confentit à les accompagner , & la jeune
Mifs Meadows, qui connoiffoit les plaifirs
de la campagne pendant l'été , ne fut
pas fâchée de connoître ceux de la ville
pendant l'hiver,
Lorfque le capitaine Fréeman eut appris
que Mifs Hove étoit mariée , il fit fes
propofitions à Mifs Sophie avec laquelle
il avoit fait connoiffance lorfqu'il faifoit
la cour à fon amie, & peu de tems après il
l'époufa .
L'amitié des deux jeunes Milédy parut
s'accroître encore avec la liberté que leur
nouvel état leurdonnoit. Elles partageoient
tous leurs plaifirs & fe voyoient familièrement
fans les formalités ordinaires de
la parure & de l'étiquette, Cependant James
Forrêts & Milédy Fréeman firent fé
A O UST. 1773 .
26
parément quelques réflexions chagrines
fur ces fréquentes entrevues : ils fongèrent
que cette familiarité rapprochoit
deux amans que la force feule avoit féparés
; & quoiqu'ils fuffent toujours témoins
de leurs vifites , James devint infenfiblement
jaloux de fon époufe , & Mde Fréeman
jaloufe de fon mari.
Il arriva qu'au mois de Mai fuivant ,
James Forret fut obligé de fe rendre à dix
milles de Londres pour être préfent à l'élection
d'un membre du parlement de fon
Comté. Comme il ne devoit revenir que
le lendemain , Milédy prit des porteurs
& fe rendit chez Milédy Fréeman . La
compagnie fe retira de bonne- heure. Le
capitaine étoit de gatde. Les deux maris
étoient abfens, & les deux femmes restées
feules, foupèrent & jouèrent enfemble au
piquet. La converfation & le jeu les conduifirent
infenfiblement jufqu'à trois heu
res du matin . Milédy Forreſt vouloit rerourner
chez elle , mais Mde Fréeman
peut- être pour cacher un defir contraire ,
la preffa de refter jufqu'à ce que le capitaine
fût de retour. Il revint à cinq heu-
& auffi-tôt Milédy envoya chercher
des porteurs ; il étoit difficile d'en trouver
, & en effet l'on ne trouva qu'un ca-
›
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
roffe de louage que l'on fit approcher . Le
Capitaine lui offrit poliment de l'accompagner
chez elle , ce qu'elle refufa avec
quelque émotion . Il eft probable qu'elle
regardoit toujours le capitaine avec moins
d'indifférence qu'elle n'auroit fouhaité , ce
qui lui faifoit encore mieux fentir tout ce
que cetre offre avoit d'embarraffant :mais
quoique fa raifon fût affez forte , comme
elle ne pouvoit la donner , il infiſta &
elle fut obligée de céder. Le capitaine , par
cette complaifance indifcrette, avoit tout
à la fois gêné Milédy Forreft , & déplu à
fon époule , qui cependant ne pouvoit s'y
oppofer fans impoliteffe . Au contraire ,
pour diffimuler fon petit chagrin, elle affecta
de fe joindre aux inftances de fon
mari , & crut même fe venger de lui , en
difant d'un air d'indifférence qu'elle alloit
fe coucher fur le champ , & qu'il ne
la réveillât point à fon retour . Elle ajouta
en étendant les bras avec une efpèce d'engourdiffement
: je dormirai dans cinq mi
nutes .
Milédy Forrest & le capitaine allèrent
de Haymarket au quarré de Grofvenow .
Il étoit près de fix heures lorfqu'ils montèrent
en voiture. L'aurore promettoit le
plus beau jour . Ce dernier combat de poA
O UST. 1773 :
litefle avoit tout- à - fait chaffé le fommeil,
& Milédy en regardant le Ciel , dit , fans y
penfer , qu'elle iroit plus volontiers fe
promener au Parc que coucher chez elle,
Le capitaine témoigna avec beaucoup
d'empreffement le même fentiment , &
propofa à Milédy de la conduire au Parc
St James. Elle fentit fon indifcrétion &
vit bien qu'il étoit auffi imprudent d'aller
feule avec lui à la promenade, qu'il l'avoir
été de s'expofer à être vue en tête à - tête
dans une voiture publique. Pour fe débarraffer
de cette feconde difficulté , elle
fe détermina à aller chez fon père dans
Bond Strect pour prendre avec elle fa
coufine Meadows, qui fe levoit volontiers
de bonne-heure . Mais elle la trouva indifpofée
d'un rhume,& lorfqu'elle lui eut
fait part de fon deffein , fa coufine la pria
de renoncer à fa promenade & de retourner
tout fimplement chez elle , dès qu'elle
auroit déjeûné. Non , répliqua Milédy Forreft
: je fuis décidée à m'aller promener;
mais comme il faut que je me débarraffe
du Capitaine qui m'attend à votre porte,
je vais lui faire dire que je refte avec vous,
Auffi- tôt on fit defcendre un laquais pour
dire au capitaine Fréeman que Mifs Méadows
étoit indifpofée , & avoit engagé
Lady Forreſt à déjeûner.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE:
Le Capitaine defcendit de fa voiture ,
& la renvoya ; mais piqué de l'indifférence
affectée de fa femme, & fentant ce flux
d'efprits qui nous ranime & cette fraîcheur
rivale du fommeil qui nous rend le
matin ce que nous avons perdu par l'infomnie
, il réfolut de jouir de cette belle
matinée , & fut feul fe promener au Parc .
Lady Forrest ne douta point qu'il ne fût
immédiatement rentré chez lui ; elle voulut
auffi fatisfaire fa première idée de promenade
, & tout en fe félicitant d'être délivrée
de la compagnie du Capitaine , elle
le fuivit à St James.
Elle n'avoit pas fait cent pas lorfqu'elle
apperçut le Sr Fréeman . Dès le moment
qu'elle le vit , toutes les circonstances de
fa conduite fe rapprochèrent dans fon efprit.
Comment le Capitaine pouvoit - il
ne pas lire dans ces fauffes défaites , dans
ces petits détours , dans ces prétextes affectés,
le fentiment qui les avoit produits,
& quel avantage ne pouvoit- il pas en retirer
? D'ailleurs Milédy ne fe trouvoit- elle
pas précisément dans la même fituation
qu'elle croyoit avoir tant de raifons d'éviter
? Cependant un mot pouvoit tout réparer
la prudence devoit faire parler la
vérité ; mais la fierté naturelle & la politeffe
, fruit de l'éducation , lui confeillèAOUST.
1773 33
tent de diffimuler fon trouble & fervirent
de voile à fa confufion . Elle ne voulut
point laiffer foupçonner à Fréeman qu'elle
eûr eu le deffein d'aller au Parc lorfqu'elle
l'avoit congédié à la porte de fon
père , & affectant le calme d'un héros qui
fourit au milieu des fouffrances , elle lui
dit qu'elle étoit charmée de le revoir ;
qu'elle avoit changé deux ou trois fois de
réfolution , & ne donna pour toute excufe
que la légèreté de fon efprit , attribut ordinaire
de fon fexe . Ce difcours ne lui
laiffoit plus la liberté de fe retirer , & ils
fe promenèrent enfemble jufqu'à huit ou
neuf heures. Mais le teins changea toutà-
coup: un vent du midi raffembla les
nuages difperfés , & la pluie tomba avec
violence. Ils étoient près de Spring- Gardens
on fit avancer une chaife . Le Capitaine
y renferma Milédy , & prit congé
d'elle.
Cependant le Baronet James Forreft ,
qui devoit paffer la nuit hors de la ville ,
changea de réfolution & revint coucher à
Londres le jour même qu'il en étoit parti.
Il apprit chez lui que fa femme paffoir
la foirée chez le capitaine Fréeman , & il
fut intérieurement fâché qu'elle eût fair
sette vifite en fon abfence. La magie de
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
la jalousie lui groffit l'importance d'une
chofe fort fimple en elle -même. Mais la
réflexion condamna ce premier mouvement
, puifqu'il avoit pour garant de fon
honneur les fentimens de fa femme , &
fur-tout la préſence de la femme du Capitaine.
Pendant que la jaloufie combattoit
avec la raiſon, fes foupçons augmentoient
avec la nuit . Il fe coucha pour veiller. Il
doutoit fi l'abſence de ſa femme étoit l'ef.
fet du hafard ou de fa volonté : il frémiffoit
au moindre bruit , prêtoit l'oreille
avec avidité aux moindres mouvemens ,
& fon efprit s'égaroit dans une multitude
de fuppofitions extravagantes. Il fe leva
dès la pointe du jour, après avoir délibéré
long- tems s'il devoit attendre fon épouſe.
L'impatience de fa curiofité l'emporta ; à
huit heures il fe détermina à aller chez le
capitaine Fréeman , & dit à fes gens qu'il
alloit au café voisin.
R
James Forrest n'étoit pas le feul dans
cette pénible fituation ; Mde Fréeman
dont l'indifférence affectée , & le befoin
de fommeil fuppofé avoit décidé le Capitaine
à ne point retourner chez lui , fouf
froit, pendant fon abfence , tous les tourmens
d'une inquiétude inexprimable : elle
n'avoit affurément ni l'intention de fe cou
A O UST. 1773 35
cher, ni l'envie de dormir; elle fe promenoit
dans fon appartement , & fon efprit
en fufpens , tourmentoit fon coeur jaloux,
lorfqu'on lui annonça l'époux de fon ami.
James Forrest vit auffi- tôt fur fon vifage
fa douleur & fes larmes. Sa tendreffe fut
plus alarmée que fa jaloufie , &il crut
qu'il étoit arrivé quelque accident funefte
à fon époufe ; mais il apprit qu'elle & le
capitaine étoient fortis depuis cinq heures
du matin , & qu'il n'étoit point encore de
retour. Mde Fréeman apprit de fon côté
que Milédy Forreft n'etoit point encore
rentrée chez elle . Tous leurs foupçons réciproques
furent confirmés par ces détails ,
& la jaloufie de Mde Freeman , quoiqu'elle
s'efforçât de la cacher pour prévenir
un duel , ne fervit qu'à augmenter
celle du Baron. Il réfolut donc d'attendre
le capitaine le plus décemment qu'il feroit
poffible , & jamais peut- être deux perfonnes
ne furent plus embarraffées en la
préfence l'une de l'autre . Quand le déjeû
ner fut fervi , le docteur Taltle vint faire
la vifite du matin , & on le fit entrer au
grand regret de Madame & du Baron . Le
Docteur étoit un de ces hommes qui ne
font que jafeurs & que l'on croit plaifans ;
il fit fentir à Mde Fréeman que fon efprit
B vi
36
MERCURE
DE
FRANCE
. n'étoit pas libre , & il s'efforça de l'amu
fer ; mais fa dépenfe d'efprit fut inutile : il
lui dit enfin d'un ton ironique & d'impor
tance , qu'il pouvoit lui apprendre
une
nouvelle qui la rendroit férieufe pour de
bonnes raifons . Le Capitaine , continuat'il
, vient de cacher une femme dans une
chaife , à la porte d'un baigneur
, proche
Spring Gardens. Il s'apperçut fur le champ
que ces paroles produifoient
une émotion
violente , & pour corriger fa maladreffe ,
il ajouta qu'elle ne devoit pas être jaloufe,
& que la perfonne dont il parloit ,
étoit , autant qu'il en avoit pu juger , par
les apparences , de la première diftinction.
Cette particularité
acheva de confirmer
le foupçon qu'il vouloit éloigner : il vit
bien qu'il n'étoit pas en fibonne compagnie
qu'à l'ordinaire , & il fe retira. Mais il
rencontra à la porte le Capitaine qui le fit
rentrer . Sa préfence , quoique fans conféquence,
impofa quelque retenue au Baron.
Il prit l'air le plus calme qu'il lui fut poffible
, & demanda à Sir Fréeman , avec un
ton badin , ce qu'il avoit fait de fon époufe
; le Capitaine héfita , & lui dit qu'il l'avoit
laiflée le matin chez fon père , & que
s'étant fait un devoir de l'attendre pour la
conduire chez elle , elle lui avoit fait dire
A O UST. 1773. 3.7
·
que fa coufineMeadows étoit indifpofée,
& l'avoit engagée à déjeûner. Le Capitaine
, qui ignoroit les rapports du Docteur
, crut devoir cacher la vérité à fa
femme , & à Sir James , & l'envelopper
fous ce menfonge indirect. Il fuppofoit ,
il est vrai , que Sir James iroit immédiatement
chez fon beau père , & apprendroit
que fa femme n'y étoit point restée ;
mais comme il ne s'enfuivoit pas qu'ils
euffent été enſemble , il lui laiffoit la li
berté de donner le prétexte qu'elle jugeroit
à propos , s'imaginant bien qu'elle
auroit les mêmes raifons que lui pour diffimuler
, & que fi elle difoit la vérité.
comme iln'avoit rien dit de contraire , il
ſe juſtifieroit par quelque plaifanterie qui
ferviroit de voile à fa difcrétion . Sir James
, content de cette explication , quitta
Monfieur & Mde. Fréeman , & fut fuivi
par le Docteur,
Les deux époux demeurèrent feuls , &
il fallut bientôt fatisfaire la jaloufe curiofité
de Mde Eréeman.fur certe femme
que l'on avoit vue entrer dans une chaife.
Lorfque le Capitaine apprit que Sir Jamesavoit
été témoin de la converfation du:
Docteur , il craignit pour Milédy Forrest
les fuites. d'un éclairciffement , & fur- tont
38 MERCURE
DE FRANCE .
que cette jeune femme n'augmentât les
foupçons de fon mari , en cachant une
conduite dont il ne pouvoit pas manquer
de s'inftruire au plutôt. Il fe condamna
lui- même ; & pour mieux tranquilifer fa
femme & obtenir fon fecours , il avoua
tout ce qui s'étoit paffé , & lui fit part de
toutes fes craintes . Il la preffa de fe rendre
chez Lady Mifs Meadows , afin de
concerter enſemble les moyens d'inftruire
Lady Forreft , & de l'avertir d'être fincère.
Le Capitaine paroiffoit trop affecté
pour n'être pas de bonne foi. La jaloufie
de fon époufe fe changea en inquiétude
pour fon mari , & en compaffion pour fon
amie ; elle fe hâta d'aller chez Mifs Méadows
, & apprit que Sir James avoit interrogé
les domestiques , & qu'on lui avoit
répondu que fa femme étoit venue de
bonne heure avec le Capitaine , mais
qu'elle étoit fortie quelques inftans après
lui. Elle raconta à Mifs Méadows ce que
fon mati lui avoit appris ; & , dans le cas
où Sir James ne feroit pas rentré immédiatement
chez lui , elle écrivit le biller
fuivant.
"Ma chère Milédi Forreft , Sir James a
des foupçons que la vérité feule peut
» détruire , & dont mon indiferétion eft
A O UST. 1773. 39
» la cauſe. Si je n'avois pris le foin injuſte
» de cacher à mon mari l'impatience
» avec laquelle j'allois l'attendre , vous
» vous feriez débarraffée de lui , fuivant
» votre premier projet que j'apprends par
» Mifs Méadows. Sir James eft venu
» chez moi à Haymarket , & eft allé delà
» chez votre père où je vous écris . Il fçair
» que vous y êtes reftée peu de tems , & a
» des raifons pour croire que le Capitaine
» vous a donné la main pour monter en
» chaife quelques heures après , à Spring-
» Gardens. J'espère , ma chère Lady , que
» cette lettre vous fera remife affez tôt
» pour vous prévenir de ne rien diffimu-
» ler. Il feroit plus agréable pour vous
que Sir James n'eût rien fu , & ne fût
» pas en droit de foupçonner fon épouse ;
» mais actuellement il faut qu'il fache
» tout , ou vous ne pouvez vous juftifier.
» Pardonnez la franchife avec laquelle je
vous écris , & croyez-moi la plus affec-
» tionnée de vos amies ,
»
» SOPHIE FREEMAN.
» PS. J'ai donné ordre au porteur de
dire qu'il venoit de chez Mde Fashion
votre marchande de modes . »
On remit cette lettre à un commiffionmaire
avec ordre de dire qu'il venoit de
40 MERCURE
DE FRANCE.
chez cette Dame Fashion . On craignoit
que Sir james n'eût la curiofité de la lire ,
fi elle tomboit par hafard entre fes mains,
& de queftionner fa femme fans lui faire
part du contenu .
Sir James, convaincu par la réponſe de
fon beau père que fon époufe avoit paffé
la matinée avec le Capitaine , retourne directement
à fa maifon . Milédy étoit arrivée
avant lui , & n'étoit pas encore remife
du trouble & de la crainte qui l'avoit
faiffe , quand elle apprit que Sir James
étoit revenu la veille au foir. La plus légère
indifcrétion dans l'ordre moral ne
demeure jamais impunie Lady Forrest vit
avec effroi toutes les conféquences de la
fienne , & cet effroi fur fon premier châtiment.
On lui dit que fon mari étoit au
café ; mais il ne tarda pas à revenir ; elle
l'entendit frapper , & le coup paffa jufqu'à
fon coeur. Tout fon corps en frémit . Sic
James la regarda avec l'oeil de la colère ,
& n'attribua fa terreur qu'au fentiment de
fon crime. Il devint pâle de rage , & d'autant
plus furieux qu'il vouloit le paroître
moins : il lui demanda d'un ton auffi froid
qu'effrayant , où & comment elle avoit
paffé la nuit. Elle répondit qu'elle étoit
seftée chez Mde Fréeman jufqu'au retour
A O UST. 1773 . 47
du Capitaine , qui étoit de garde , qu'il
avoit infifté pour la reconduire chez elle,
mais qu'elle s'étoit fait defcendre chez
fon père , où il l'avoit laiffée le matin. A
ces mots le courage l'abandonnna , & fa
langue demeura glacée dans fa bouche Ce
filence fubit dépofoit contr'elle , & drfoit
plus de chofes qu'elle ne vouloit en taire.
Sir James infifta . « En quittant votre père,
» êtes - vous venue directement chez
» vous ? » Cette queftion & le ton dont
il la fit augmenta la confufion de Milédy.
Perfuadée que fon mari n'avoit été qu'au
café , elle ofa répondre : « Oui , Mon-
» feur , j'ai quitté Mifs Méadows à huit
heures , & j'étois de retour ici quelques
inftans avant vous ; mais la vérité a toujours
un air & un langage fimples comme
elle , & le menfonge foit avec la hardieffe
pénible qu'on lui prête , foit avec la timi
dité naturelle qui le fuit , a toujours des
caractères honteux qui le trahiffent . Sre
James les reconnut , & ne douta plus de
fon malheur & de fa honte . Ce récit s'ac
cordoit avec celui du capitaine Fréeman.
L'un avoit caché la vérité que l'autre nioit.
Il conclut qu'ils étoient d'intelligence , &
fe détermina à venger fon outrage ; il la
quitta brufquement , prit fon épée , &
fortit.
42 MERCURE DE FRANCE .
Il rencontra à la porte le meffager que
Mde Fréeman avoit envoyé à Milédy , &
lui demanda ce qu'il venoit faire dans fa
maifon. Celui- ci montra la lettre, & dit,
comme on lui avoit ordonné , qu'il venoit
de chez la Dame Fashion. Sir James
prit le billet , murmura quelques expreffions
de colère & de mépris , & le mit dans
La poche.
Le Capitaine n'étoit point chez lui. Sir
James l'invita par un billet à fe rendre au
café voiſin , & lui recommanda de prendre
fon épée.
Cependant Milédy Forreſt appréhendant
que fon époux ne découvrit fa fauffeté ,
écrivit deux mots au Capitaine , & le conjura
comme homme d'honneur de ne
point avouer à Sir James, ni à qui que ce
fût , qu'il l'eût vue après l'avoir quittée
chez fon père ; elle pria auffi par écrit fa
coufine Méadows de dire à Sir James
qu'elle n'étoit fortie de chez elle qu'à huit
heures paffées.
Ce dernier billet arriva chez Mifs Méadows
auffi tôt après le retour du meſſager
qui rapporta le fort de la lettre dont
on l'avoit chargé . Mde Fréeman venoit
de partir pour inftruire le Capitaine , avant
qu'il revit Sir James ; mais le Capitaine
A O UST. 1773 . 43
de retour chez lui , avoit reçu tout à-lafois
, le billet de Sir James , & celui de
Milédy fon époufe. Il fe rend immédiatement
au café , & monte à l'appartement
où il étoit attendu. James Forreſt reçut
fon falut fans lui rendre , & ferma fur le
champ la porte. Sa jaloufie étoit mêlée de
cette indignation & de ce mépris que
l'orgueil jette toujours fur un inférieur
qui l'outrage. Il demanda avec hauteur
au Capitaine s'il n'avoit point vu fa femme
après l'avoir laiffée chez fon père.
Fréeman irrité lui répondit , fur le même
ton , qu'après ce qu'il lui avoit dit le matin
, nul homme n'avoit le droit de fuppofer
qu'il eût vu Milédy ; qu'infinuer le
contraire , c'étoit le charger d'une fauffeté,
& qu'il n'y connoiffoit qu'une réponse ,
que tout gentilhomme devoit connoître.
Sir James ne laifla plus de frein à fa fureur.
Fourbe exécrable ! s'écria - t'il avec
imprécation , toi qui m'ôtes l'honneur ,
arrache- moi donc auffi la vie. Quoique
le Capitaine eût le deffein d'être modéré
avec fon ami , & de le réconcilier avec
fa femme , il fut auffi furieux qu'il avoit
droit de l'être ; il tira fon épée , & , après
quelques bottes portées des deux côtés
avec une égale furie, il reçoit dans la poi44
MERCURE
DE FRANCE .
trine le fer de fon am!, chancelle & tombe
à la renverſe.
Le bruit avoit attiré beaucoup de monde
à la porte de leur appartement , & elle
fut forcée dans le moment que le Capitaine
reçut le coup mortel . On artêta Sir James
, & on fit venir un chirurgien . Le
Capitaine fentit la mort approcher. C'eft
alors que l'homme connoît fon devoir &
perd fes préjugés. Quelles que fuffent fes
idées fur le point d'honneur , il crut que
fila franchife eût été criminelle quelques
inftans auparavant , la diffimulation le
feroit encore plus à cette heure , & que fon
meurtrier avoit des droits fur une vérité
qu'il devoit cacher à fon ami . Il fit paroître
le defir de lui parler en particulier , &
auffi tôt les affiftans fe retirèrent & fe contentèrent
de faire la garde à la porte . Fréeman
fit figne à fon ami de s'approcher ,
& lui dit que quoique l'orgueil ou la
crainte euffent pu conduire Milédy à la
diffimulation qui l'avoit trahie , elle étoit
innocente du crime qu'on lui fuppofoit le
deffein de cacher. Alors il lui fit un court
récit de ce qui étoit arrivé. Il finit par lui
ferrer tendrement la main , & le preffa de
s'échapper par la fenêtre , & de conferver
un ami à fa veuve & à fon fils , û l'afflic
tion de fa mère lui permettoit de recevoir
A O UST. 1773. 49
le jour. Sir James céda à fes motifs & à
fes prières , & fe fauva comme le Capitaine
lui avoit confeillé. Dans fon chemin
de Douvres il lut la lettre que le commiffionnaire
lui avoit remife à la porte ,
il la renferma dans le billet fuivant , qu'il
adreffa à fon épouse,
Ma chère Hove , je fuis le plus infor
tuné des homines ; mais trop heureux
» encore de n'avoir point à vous repro-
» cher d'en être la caufe. Plût au Ciel que
je ne fuffe point plus coupable que vous;
» nous fommes les martyrs de la diffimu-
» lation : c'est elle qui à déterminé mon
» ami à paffer avec vous des momens dont
» il pouvoit jouir dans les bras de fon
» époufe , qui avoit elle même trahi fes
» defirs . Trop affurée du fuccès de votre
» détour , vous avez hafardé d'aller au
» Parc , où vous avez rencontré celui que
» vous vouliez éviter. La diffimulation
» du Capitaine que j'ai découverte , a ac-
» crû mes foupçons que la vôtre à confir-
» més. Mais votre faufferé eft le fruit de
» la mienne . La vôtre a été fans effet , la
mienne feule a eu le malheur de rée flir,
» J'ai dit en partant que je n'allois qu'au
café , afin que vous ne puffiez foupçon
» ner que j'étois trop inftruit pour être
» trompé ; & vous l'avez cru, Un meng
46 MERCURE DE FRANCE.
fonge mis dans la bouche d'un valet
» m'a empêché de lire un billet qui m'au-
» roit détrompé , & le Capitaine , trop
» fidèle à fa première feinte , a rendu ſa
» femme veuve & fon ami fugitif. C'eſt
ainsi que la mauvaiſe foi , quelque fuc-
» cès qu'elle puiffe avoir d'abord , ne conn
30
duit jamais qu'à l'infortune . O ma chère
» Hove ! fijamais le fort nous réunit ....
» Hélas ! feroit- il donc impoffible de nous
» revoir encore & d'être heureux? Mais fi
jamais je puis embraffer mon épouſe
» prenons la réfolution d'être fincère . Être
» fincère, c'eſt être fage , innocent & tranquille.
Nous hafardons de commettre
» des fautes , que la honte ou la crainte
préviendroit , fi nous n'avions pas l'ef-
» pérance de les cacher par un menfonge.
» Mais dans le labyrinthe de la fauffeté
» les hommes rencontrent les maux qu'ils
» veulent éviter. Le fentier feul de la vé-
» rité eft le chemin fûr qui conduit au
» bonheur. Adieu ... Je fuis ; .. ma main
» tremble , .. je ne puis rien figner ....
Que je dois me hair ! ... Que je me
hais ! ... adieu . ... adieu ... »
Quelques femaines après avoit reçu
cette lettre , la malheureuſe Milédi apprit
que fon mari avoit fait naufrage en paffant
en France.
A OUST. 1773 . 47
SUITE & fin de l'Eté. Chant fecond du
Poëme des Saifons ; imitation libre de
Thompson.
V
Nuit d'Eté.
ERS l'horifon l'aftre du jour s'abaifle ,
Et s'élargit en approchant des flots :
Donnant relâche à fes bouillans chevaux ,
Si l'on en croit les chantres de la Grèce ,
Au fein des mers il goûte un doux repos.
De fes rayons la fplendeur qui s'affaille ,
Tempère alors la chaleur de fes feux :
Il jette encore un regard lumineux
Et difparoît fous la mer qui le prefle.
Ainfi le jour s'échappe pour jamais !
Vérité trifte à la fois & fublime !
Retour fatal qui fait pâlir le crime ,
Mais qui du fage augmente encor la paix !
De plus en plus les ombres s'épaififfent ,
La nuit enfin vient s'emparer des airs :
Tout fe confond ; les objets s'obfcurciflent
Et l'horizon eft fillonné d'éclairs .
Un vent plus frais ranime la campagne ;
Son fouffle doux fait ondoyer les champs :
Dans le boccage on n'entend plus de chants ;
48 MERCURE
DE FRANCE
.
Le Ramier feul pleure encor fa
" compagne
Que l'oifeleur lui ravit au printems.
En ramenant le troupeau de fon père ,
Le jeune Alain rencontre la bergère ,
Vole auprès d'elle & lui peint fon tourment.
Le calme règne ; on voit le ver luifant
Sur les gazons , que fa prélence éclaire ,
Rouler fans bruit fon corps étincelant
Vénus annonce à l'amant ſolitaire
L'inftant chéri qui comble ſes deſirs ,
Inftant heureux , où le fombre myſtère
Conduit l'amour & préfide aux plaifirs !
Quels vaftes champs ! que de clartés tremblantes
De leur éclat ornent le firmament !
Ces feux légers , ces lumières errantes
De toute part fuyent en ferpentant.
Dans le milieu de la voûte céleſte ,
Vers le foleil précipitant ſon cours ,
L'oeil enflammé , la comète funefte
Annonce aux Grands le terme de leurs jours ;
Mais au deflus de la crainte fervile
Qui fait pâlir le vulgaire ignorant ,
Le fage obferve avec un front tranquille
Le cours réglé d'un Aftre bienfaifant .
Eloge de la Philofophie.
Fille du Ciel , chafte Philofophie.
Que ton éloge embellifle mes chants !
Source
A OUST 49 1773 .
Source de biens , doux charme de la vie,
Ta voix fublime enfante le génie ,
Et ton éclat féconde les talens.
C'eft fous tes loix que l'ame encouragée
Tente avec fruit un eflor généreux ;
C'est avec toi que , des fers dégagée ,
Elle s'élève & plane dans les Cieux.
C'est par tes foins , que d'une aîle rapide
De la fcience elle atteint la hauteur ;
C'eſt à l'abri de ta puiffante égide,
Que la vertu la conduit au bonheur.
Tu développe à l'oeil contemplateur ,
L'ordre infini , les loix de la nature :
Du vil atome à l'Ette créateur ,
De l'Univers tu traces la ftructure ,
Et tu remplis de fon fublime Auteur.
- Embellis- tu l'augufte poësie ,
Elle s'élève & plait en s'élevant :
A l'éloquence unjiant l'harmonie,
Elle s'anime & peint le fentiment.
2510
Que deviendroit fans toi l'homme ignorant ?
Privé des biens queta préfence octroie ,
Na , fans appui , tel qu'un (auvage errant ,
Dans les forêts il chercheroit la proie.
Des doux liens de la fociété
Il n'eût jamais favouré les délices :
Timide enfant, de frayeurs tourmenté ,
C
14
15.0
MERCURE DE FRANCE.
Toujours penché fur d'affreux précipices ,
Sans vivre un jour il auroit végété.
Sur les chagrins qui confument fa vie
Ta main foigneule a répandu des fleurs :
Quand tu parus , chafte Philofophie ,
Le monde entier éprouva tes faveurs .
Loin d'en rester à cette étroite ſphère ,
Tu fçais foumettre à tes calculs hardis?
Les champs des airs , efpaces infinis
Que le foleil empreint de fa lumière ,
Et , dominant fur la Nature entière ,
Tufixes l'oeil fur ces mondes roulans ,
Sur le foyer de ces váltes volcans
Dont tu décris l'inégale carrière.
Ta voix commande à l'auftère raiſon
Qui , pénétrant les vérités abftraites ,:
Se les foumet : l'imagination
Te prête auffi les ailes indifcrettes .
Mais arrêtons : à notre entendement
L'Eternel mit des bornes immuables :
Les vérités ne font plus pénétrables ,
Et c'eft à nous d'adorer en tremblant.
Faibles humains , c'eft affez de connoître
Que notre effor doit être limité :
Le voile épais qui s'étend fur notre être
Eft le fecret de la Divinité.
A
bet
Par M. Willemain d'Ablancourt.
I
I
A O UST . 1773 .
SI
VERS pour un PORTRAIT.
SENSIBLE, ENSIBLE , généreux , rempli de bienfaisance ,
B ***. par fa candeur digne du fiècle d'or ,
Joint tout le feu d'Achille au fang froid de Neftor ;
Le plaifir d'obliger fait feul fa récompenfe.
De tout infortuné fublime protecteur ,
Il n'eft point de mortel , ni meilleur , ni plus fage :
Il réunit enfin , par un rare affemblage ,
Les charmes de l'efprit & la bonté du coeur.
Par le même.
J'AI
MADRIGAL.
' AI long- tems cherché le bonheur ;
Mais , hélas ! je perdis ma peine ,
Je n'embraflai qu'une ombre vaine ;
Je fus le jouet de l'erreur.
Las d'une recherche inutile ,
J'y renonçais ... Zélis m'ouvrit fou coeur;
Je le trouvai dans cet afyle.
Par le même..
Cij
52
MERCURE
DE
FRANCE
.
L'OFE & LE LOU P.
Fable imités de l'allemand.
ON ofe nous taxer de manquer de courage ,
Difait une Oie au milieu d'un étang :
On n'ignore pas cependant
Qu'un monument *
Par nos cris autrefois fut fauvé du pillage.
Oui , l'Oie eft intrépide en dépit des jaloux,
D'être avides de fang on nous accufe , nous !
Difait defon côté le Loup au bord de l'onde.
Une Louve , on le fait , allaita Romulus :
Voilà pourtant comme le monde
Effrontément dégrade les vertus !
Un Milan s'annonce à l'Aurore ,
Et l'Oic au même inſtant de s'enfoncer fous l'eau :
Le Loup apperçoit un Agneau ;
Il s'en faifit & le dévore,
L'orgueil eft à vanter les faits
D'une activité furprenante :
Méfiez-vous de quiconque fe vantę ;
Le mérite cft modefte & ne parle jamais .
* Le Capitole,
Par le même.
A O UST . 1773 . 53
DIALOGUE
Entre MARIE D'ANGLETERRE &
MARIE MIGNOT.
MARIE D'ANGLETERRE.
L'AMOUR me fit defcendre du
Reine à celui de fimple Comtelle .
rang de
MARIE MIGNO T.
L'amour me fit monter du rang de fimple
Bianchiffeufe à celui de Reine .
M.
D'ANGLETERRE.
Voilà une belle fortune.
M. MIGNO T.
Je la dus à un accident qui m'humilia
encore plus que tous ces honneurs ne me
flattèrent.
M.
D'ANGLETERRE,
Je vous demande ma part de l'anecdote
; elle promet d'être piquante.
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
M. MIGNO T.
Elle me coûte encore à rapporter. J'habitois
le village , & venois d'être fiancée
à un villageois qui bornoit tous mes
goûts , & toute mon ambition . Je danfois
avec lui , & c'étoit pour lui feul que
je m'efforçois de bien danfer . Une indifcrétion
de la Nature * dérangea tous les
projets de l'amour . Elle fit rire toute l'affemblée
, excepté mon futur & moi . Il
prit même fi tragiquement la chofe , que
dès ce moment il protefta qu'il ne m'épouferoit
jamais . Jugez de ma défolation.
Un magiftrat , qui n'étoit là que
pour s'amufer , fut d'autant plus touché
de mes larmes que j'avois de beaux
yeux . I elfaya de me confoler ; il
porta même la compaffion fi loin qu'il
s'offrit de réparer la perte que je venois.
de faire , c'est- à - dire de remplacer celui
qui m'abandonnoit . Toute fimple que
j'étois alors , cette tournure de confolation
me parut éloquente. J'époufai le magiftrat
qui , bientôt après , me laiffa veuve
& riche. Un Maréchal de France voulur
remplacer le Magiftrat. J'époufai le Maréchal
de France, qui ne tarda pas lui même
* Un vent.
A O UST. 1773
à me laiffer veuve & plus riche encore
qu'auparavant. Enfin un Roi qui avoit
quitté le thrône pour fe confiner dans un
cloître , me vit & voulut remplacer le
Maréchal de France. J'époufai le Monarque
, & je devins encore veuve ; mais attendu
ma dignité , je réfolus de ne plus
époufer perfonne.
M. D'ANGLETERRE.
C'est- à dire qu'il falloit un Empereur
pour vous conduite au quatrième noeud
conjugal.
M. MIG NOT.
" Non : ma deſtinée étoit remplie , ainfi
que la prédiction qui me fut faite à l'âge
de dix ans.
M.
D'ANGLETERR´E.
Quoi ? encore des prédictions dans votre
fiècle !
Il
M.
MIGNO T.
y en eut , & il y en aura dans tous
les tems. Quoiqu'il en foit , on me prédit
que j'épouferois un Religieux , un Cardinal
& un Roi .
Civ
36 MERCURE
DE FRANCE
.
M.
D'ANGLETERRE.
Voilà une prophétie un peu bizarre .
M. MIG NOT .
Je la regardai long tems comme telle
& j'en plaifantois un jour avec Cafimir.
N'en riez pas , me -dit- il , cette prédiction
eft accomplie . Je fus Religieux & Cardinal,
avant que d'ètre Roi , & me voilà
votre époux . J'espère qu'après mɔi vous
ne chercherez point à étendre le fens de
l'oracle.
M.
D'ANGLETERRE.
Vos vues ne ceffoient pas de s'élever.
L'amour fut reftceindre les miennes . J'étois
née fille & foeur de Roi , &je devins
l'époufe d'un grand Roi . Il étoit jufte
bienfaifant , il fut furnommé le père de
fon Peuple ; mais il étoit vieux , & j'étois
jeune . Mon coeur s'étoit donné avant
qu'on me donnât à Louis XII . Un fimple
Gentilhomme avoit captivé ce coeur fait
pour captiver des Rois . Je refpectai mon
rang & mon époux , tant que la deſtinée´
m'enchaîna à l'un & à l'autre. Mais auflitôt
qu'elle m'eut enlevé Louis XII , j'abdiquai
le rang que je tenois de lui , j'épou
A O UST. 1773 . 57
fai mon amant , & j'éprouvai que fi l'amour
habite quelquefois fur le thrône ,
il fe plait encore mieux loin de la foule
qui l'environne & dans l'ombre du myſę
tère & de la folitude.
M. MIG NOT.
C'est ce que j'ai vérifié trop tard :
M. D'ANGLETERRE.
Comment votre coeur fe trouva- t'il de
vos nouvelles dignités ?
M. MIG NOT.
Il connut quelque tems l'ivreffe des
grandeurs ; mais au village il avoit connu
celle de l'amour.
M.
D'ANGLETERRE.
L'échange ne lui fut point favorable.
Il est difficile à la fortune d'enchaîner
long tems un coeur . Un defir fatisfait eft
bientôt fuivi de quelque autre , qui fair
bientôt lui- même place à d'autres voeux
plus récens. Les amis de la fortune font
des ingrats qu'elle ne retient qu'à force de
bienfaits , & qui ne la croient jamais
quitte envers eux . L'amour a moins de
peine à nous fatisfaire. Tous fes dons nous
Су
58 MERCURE DE FRANCE.
femblent précieux , & tant qu'il nous
les accorde , il eft rare que d'autres foins
lui difputent notre ame .
M. MIGNOT.
Il est plus rare encore que notre ame
connoiffe bien ce qu'elle ambitionne
& fache à propos s'arrêter dans fes vues.
La fortune me fervit d'abord au-delà de
toutes mes efpérances . Le premier pas
qu'elle fit en ma faveur auroit pu la difpenfer
d'en faire d'autres. Moi même j'au
rois dû borner là mon ambition . Je n'en
fis rien . Ce premier pas fait , ne me parut
qu'un degré franchi pour m'élever
plus haut. Le fecond pas ne parut encore
mes yeux qu'un nouveau degré . Le
troisième ne m'offroit qu'un titre illu
foire. Cependant , je préferai cette illufion
à tout ce que ma fortune avoit eû jufqu'alors
de réel .
M. D'ANGLETERRE .
Etrange effet de la prévention ! il falloit
que votre efprit fût trompé pour que
votre coeur fût fatisfait . Apprenez moi
quels moyens vous employâres pour captiver
tant de coeurs différens ? vous étiez
belle , fans doute ?
A O UST. 1773. :59
M. MIG NOT.
Je paffois pour l'être ; mais d'autres
femmes qui l'étoient davantage n'ont
peut- être jamais fubjugué perfonne .
M.
D'ANGLETERRE.
Vous eûtes apparemment ce que la beauté
ne donne pas toujours : les graces .
M. MIG NOT.
J'eus d'abord celles qu'on n'acquiert
qu'au village , & dont il faut ſe défaire à
la ville . Je ne répondrois pas qu'il n'y eût
alors quelque chofe d'affez gauche dans
mon maintien . Peut - être même ne m'en
fuis - je pas trop bien corrigée par la fuite.
Maisj'avois fixé l'attention ;j'étois devenue
un objet de curiofité . On découvroit dans
ma deftinée quelque chofe de bizarre qui
me rendoit encore plus intéreffante . Une
jolie femme a de grands avantages quand
elle excite en même tems la curiofité des
yeux & celle de l'efprit .
M.
D'ANGLETERRE .
C'est un rôle bien difficile que de fatisfaire
l'un & l'autre. Mais vos fuccès
-prouvent que ce rôle ne vous fut point
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
étranger. Une feule choſe m'embaraſſe.
Qu'euffez vous fait dans votre premier
état , fi la fortune vous y eût laiffée ?
M. MIGN Q.T.
Je n'en fais rien . Peut - être cet état eûtil
été pour moi un préfervatif contre l'ambition.
Le coeur ne defire que ce qu'il connoît
, ou tout au plus ce qu'il foupçonne.
La fortune m'avoit placée ti bas, qu'elle me
réduifità ne voir que ce qui m'environnoit.
Les objets placés au delfus de moi ne
pouvoient frapper mes regards , ni mes regards
s'élever jufqu'à eux . J'habirois le
vallon ftérile fans examiner fi le haut de la
montagne étoit plus fertile & plus habi-
~ table .
M. D'ANGLETERRE.
L'amour m'apprit de bonne heure à regarder
au- deffous du rang où la fortune .
m'avoit élevée . L'amour eft le feul contrepoids
de l'ambition . Il rapproche ceux que
le préjugé fépare ; ceux même que l'inzérêt
s'efforce de défunir. Il aime à fe jouer
de toutes les autres paffions , à déranger
tous les projets qu'on a formés fans lui.
Ce qu'il défaprouve nous coûre & des regrets
& de puillans efforts ; & fi la raiAOUST.
1773. 61
fon l'emporte , il lui fait toujours trop
acheter fa victoire .
M. MIG NOT.
Eft il bien vrai qu'il ne vous laiſſa aucuns
regrets quand vous revintes à lui ?
M. D'ANGLETERRE.
Notre coeur eft un labyrinthe ; nous
nous perdons nous mêmes dans fes détours.
J'avois renoncé avec joie au titre
de Reine. Celui d'époufe de mon amant
combloit tous mes veux . L'illufion dura
même quelque tems . Je me faifois nommer
la Reine Duchelle , pour perpétuer le
fouvenir du facrifice que j'avois fait à l'amour.
Je me rappellai affez tard que
j'avois fait un facrifice , Mais , l'avoueraije
! il vint un tems où je me le rappellai.
Ce n'étoit point des regrets ; mais c'étoient
des fouvenits. La tendreffe de mon époux
me flattoit plus que tous les hommages
d'une Cour nombreufe , mais je fentois
que ces hommages pourroient auffi me
fatter En un mot , la fin de notre union
fur moins heureufe que n'en avoit été
le début. En époufant Gerçon j'aurois
prefque regretté qu'il fût Roi ; dix ans
après l'avoir époufé , je regretois qu'ilne
fût que Gerçon .
6.2 MERCURE DE FRANCE.
M.
MIGNO T.
On l'a déjà dit bien des fois ; notre
coeur n'eft point fait pour un bonheur foutenu.
Ce qui le fatisfait dans un tems , le
contrarie dans un autre. Il s'occupe toujours
plus volontiers de ce qu'il n'a plus
que de ce qu'il a . Ce qu'il poffede , le laffe
à la fin , & ce qu'il a quitté volontairement
, dégénère pour lui en privation.
M.
D'ANGLETERRE.
Nous fommes fur la terre des êtres vaga
bonds , toujours incertains de la route que
nous devons fuivre. Le coeur & l'efprit
font nos guides ; mais ces guides s'accordent
rarement. Tous deux veulent nous
conduire par des chemins oppofés ; &
quelque route que nous prenions , nous
finiffons toujours par croire que la meilleure
étoit celle que nous n'avons pas
prife.
Par M. de la Dixmerie.
A O UST. 1773 : 63
A Mademoiſelle ** , plus jeune que
l'Auteur , de trois jours.
TROIS jours plutôt , trois jours plus tard ,
Apoint nommé, nous euffions pris naiſſance ,
Et du même aftre , ainfi , par un heureux hafard ,
L'un & l'autre de nous eût fenti l'influence .
Dès lors mêmes rapports dans nos goûts , nos
befoins ,
Dans notre esprit , dans notre caractère :
En naiſlant avec vous , j'aurois eu l'art de plaire.
Ah ! que n'ai- je trois jours de moins !
Mais devroit- on priſer cet avantage ,
Puifque, fans l'art d'aimer , il devient fuperflus ?
Pour moi , quand je naquis , jeune Iris , je reçus
Un coeur fenfible , un fincère langage ,
•
Ils pouvoient être auffi votre partage ;
Que n'avez - vous trois jours de plus !
La nature ainfi peu traitable
Nous donna des lots différens :
Je fais aimer , vous , vous êtes aimable ;
Lequel eftimez - vous le plus de ces préfens ?
Mais fans chercher à les mettre en balance,
Je crois , Iris , qu'il vaudroit mieux
Etre enſemble d'intelligence ,
Pour partager des dons fi précieux ;
Car après tout , lorfque j'y penfe ,
64 MERCURE DE FRANCE.
Trois jours ne devroient pas , hélas ! entre nous
deux ,
}
Apporter tant de différence.
A mon efprit donnez cet agrément ,
Ces traits heureux , cette délicatefle
Qui du vôtre font l'ornement.
Enfeignez-moi l'art de plaite fans cefle ;
Et quand d'un fi beau changement
J'aurai recueilli l'avantage ;
Pour me prouver bien mieux la valeur du préſent,
Songez à chérir votre ouvrage.
L'ELEPHANT & LES ANES.
Fable.
UNN Eléphant paifſoit le long d'une prairie ;
Trois Anes étrangers , fans redouter les coups ,
Broutoient auprès de lui l'herbe tendre & fleurie :
L'Eléphant , qui toujours fut généreux & doux ,
Souffroit , fans dire mot , leur fotțe compagnie ,
Lorfque nos trois Bauders , pouflés apparemment
Par une ridicule & baſſe jalouſic ,
Le mordirent tous trois ; mais fi malignement
Que l'Eléphant , outré de ce trait téméraire ,
Vous étend fur le pré le trio mal content ;
Et les Anes foudain , de fe plaindre & de braire :
Ole cruel , ô le méchant !
Ronde de Lucile
Août!
2773.
Chantons deux poux Que sous ses
loix , l'amour assemble ; Chantons deux E.
poux Qu'iljoint de sès noeuds les plus
Fin ,
doux Autour deux il nous semble Dan
ser sous deux jeunes ormeaux Qui s'ele
vent ensemble Pour unir leurs rameaux .
A O UST. 1773 . ES
Comme il nous eftropie , & comme en fa colère
Le barbare traite les gens !
Un Cheval , témoin de l'affaire ,
Etonné de leurs cris , & de leur peu de fens ,
Leur fit ce beau fermon qui , vu leur caractère ,
Comme l'on penfe bien , ne leur fervit de guère:
◇ Bauders , à petite & lourde judiciaire !
Vous avez infulté le Roi des Eléphans ,
Et vous vous étonnez , après vos coups mordans,
Que fa trompe vous morigine !
Tailez- vous , croyez - moi , troupe inepte & mutine
,
Et ne faites pas voir , par vos cris impuiffans ,
Qu'Anes vous fûres d'origine ,
Et qu'Anes vous ferez jufqu'à la fin des tems.
Par M. Siméon Valette
L'EXPLICATION du mot de la première
énigme du fecond volume du Mercure
du mois de Juillet 1773 , eft Lanterne ;
celui de la feconde eft Alliance , ou anneau
de mariage ; celui de la troiſième
eft la Bouteille ; celui de la quarrième eft
le Rideau du lit. Le mot du premier logogryphe
eft Avoine ; celui du fecond eſt
Marie , où fe trouvent St Remy , mer ,
rime , aire , raie , mie , rame , mari , ami ,
66 MERCURE DE FRANCE.
arme , air , & ame ; celui du troiſième eſt
Problême , où l'on trouve orbe , Pô , or ,
robe , ombre , merle , Boëme , Mérope , lèpre
, péle , orme , pôle , Rome , rôle, mère,
mer, More , bole , blême , moële , pré , poë.
le , pore, perle , père , poême.
ENIGM E.
DES Cafans du Dieu de la Thrace
Jamais je n'aimai les combats ;
On me trouve pourtant quelquefois fur lear
trace ,
Mais je ne les fuis point quand ils vont au trépas.
Ma foeur eft beaucoup plus guerrière :
Au beau milieu des efcadrons
On la voit , d'une mine fière ,
Affronter moufquets & canons.
Moins brave qu'elle , plaire eft mon unique gloire;
C'est là tout mon emploi :
Je goûte les plaifirs d'une douce victoire ,
Dès qu'on fait choix de moi .
Pour obtenir la préférence ,
Je fuis tantôt un Saint & tantôt un Soldat ;
Affez ſouvent un Prince adoré dans la France ;
#
Un Sultan , un poiffon , ce que mène un forçat,
En tous lieux ma forme varie ;
A O UST. 67
1773
Mais, quel que foit mon changement divers ,
Je fuis toujours une étoile chéric
De celui qui rima ces vers .
A Loifonnière près Carrouges en Normandie ;
par un zéléfectateur du D... de la V...
AUTRE.
CHER lecteur , je fuis un être
Difficile à définir ;
Un inftant me voit mourir ,
Comme un inftant me voit naître.
Je n'ai ni figure ni corps ;
On fait pourtant par où me prendre.
Ami lecteur , je ne pourrois te rendre
Mes traits divers fans d'affez grands efforts.
Je fuis fouvent charmant & tendre ;
Quelquefois , perfide & cruel ,
J'ai grand foin de cacher mon fiel
Sous une trompeufe apparence...
Rarement je vais feul : on nous met deux à deux ,
Ou même , felon l'occurrence ,
En plus grand nombre encore. Il eſt des gens
heureux >
Qui , fans aucune peine , en ont en abondance ,
Et nous cueillent fans nous compter...
Mais voilà trop longue harangue :
68 MERCURE DE FRANCE.
A mon babil , lecteur , je t'entends marmoter
Qu'au moins je fuis pourvu de langue.
AUTRE.
LORSQUE les champs ont perdu leur parure ,
Et que l'hiver , ramenant les frimats ,
Par la rigueur attrifte la Nature ,
On peut , à mes côtés , trouver quelques appas ;
Alors au tour de moi tout le monde s'emprefle ,
On ne fe lafle point de me complimenter ;
Chacun me flatte , inc careffe ,
Et l'on fe plaint quand il faut me quitter :
A tous ces doux propos on ine voit infenfible ,
Ils ne peuvent fur moi faire d'impreffion ,
Et , confervant toujours un maintien fort paifible
,
Je reçois tout cela fans nulle émotion :
Mais hélas ! le printems ranime la nature ,
On m'ôte de l'endroit où j'étois fi fêté.
Eh pourquoi donc , ingrats , me faire cette injure
?
Ne vous fouvient- il plus de mon utilité ?
`Par M. B. M.
'A O UST. 1773 . 69
AUTR E.
Je pense que fans vanité , E
Je puis me vanter de conftance';
Mon cher lecteur , dès ton enfance
Un feul inftant je ne t'ai point quitté ,
Et jufqu'à ton heure dernière ,
Auprès de toi chacun pourra me voir.
Si tu veux me connoître , ami , prends ta lumière;
Mais tu l'éteins , adieu , bon foir.
Par le même.
LOGO GRYPH E.
J'INSPIRE la gaïté , je produis l'abondance
En différens pays :
L'Espagne , l'Italie & la fertile France ,
Sont les heureux climats que fur- tout j'enrichis ;
Car en Flandre , en Hollande , ainfi qu'en Angleterre
,
On ne me connoît guère.
Lecteur ? fi ce début fuffit pour me nommer ,
Ce n'eft pas encor tout : il faut me difféquer.
Parmi divers objets , qu'à ton intelligence
J'offrirai tour-à- tour , cherche de préférence ,
70 MERCURE DE FRANCE.
Et reconnois d'abord ce féjour de bonheur
Habité par Adam docile au Créateur ;
Celle qui partageant la défobéiſſance ,
Eprouva , comme lui , la célefte vengeance ;
Une Sainte connue ; un Eſprit bienheureux ;
Le premier mot latin d'un compliment pieux .
Combine de nouveau mes pieds & ma ſtructure ,
Je puis paroître , encor , fous plus d'une figure :
Dérange , ôte & raffemble , à ton gré : tu verras
Trois villes , deux en France & l'autre aux Pays-
Bas.
Une fille de Mars que le chagrin entraîne
Sur un bûcher ardent . Le courfier de Silène ,
Un préfent de l'hiver , d'une extrême blancheur ;
Qui garantit la terre & nuit au voyageur.
Ce qui de la beauté flétrit les traits fublimes.
D'un espace de tems les deux noms fynonimes.
Vois , mais fuis , fi tu peux certain objet hideux ,
Appanage fatal d'un deftin malheureux .
Cherche enfin un outil d'affez fréquent uſage ,
Dont une fille s'arme en prenant fon ouvrage.
Tu l'as trouvé , lecteur ; puiffes- tu , pour ta peine,
Avoir d'un vin exquis ta cave toujours pleine !
Par M. Baroche , abonné au Mercure.
A O UST. 1773. 71
AUTRE.
JE fuis , mon cher lecteur , le meilleur & le pire.
Le fage feul , dit- on , me tient fous fon empire ,
L'imprudent ne fçait pas l'art de me gouverner ,
Le beau fexe fur-tout , encor moins me gêner.
Des mouvemens de l'ame interprète ordinaire ,
A la fociété je fuis fort néceffaire.
Combine mes fix pieds , tu verras aifément
Ce qui pendant la nuit t'éclaire fort fouvent ,
Un meſſager de Dieu ; la plus ftupide bête ,
D'un homme fans efprit ordinaire épithète ;
Un royaume fameux ; l'ennemi des oifeaux ;
D'un crafleux aigrefin l'ignoble maladie ;
Ce qui peut défigner le tems de notre vie ,
Que la fable a marqué par différens métaux.
Eh bien ! mon cher lecteur , t'en faut - il davan
tage ?
: Ecoute donc je t'offre encore un élément ;
Ce qui peut te fauver d'un malheureux naufrage ;
Les épis délaillés que cherche l'indigent ;
Ce qui par l'union fait un cercle d'années ;
Et fur le même plan deux lignes inclinées ;
J'ai tout dit , c'eſt à toi de me bien combiner
Situ v tu veux, cher lecteur , bientôt me deviner.
Par Mde Series , Tunisienne , réfidante
à Trans , en Provence,
72 MERCURE DE FRANCE .
AUTRE.
Six pieds , ami lecteur , compofent ma ftrueture
,
Mon
genre eft féminin
& telle eft ma nature ,
Que quoique
par moi-même
incapable
d'agir ,
Je règle ton devoir
, ainfi que ton plaifir.
Tu n'es point un ingrat
; car de bijoux
chargée
De toi - même
je luis très - fouvent
confultée
.
Que ta femme
voudroit
avoir un pareil
fort !
Mais quoi ! j'en ai trop dit, & déjà fans effort
Tu m'as nommé
peut - être & chante
ta victoire
;
Ce n'eft pas en un mot , il faut dans ta mémoire
Chercher
ce que dans lui renferme
encor mon fein.
Il préfente
d'abord
ce que le genre humain
Cherche
à fe procurer
, une fameule
ville
En illultres
guerriers
autrefois
fi fertile
,
A quoi nous tendons
tous , un endroit
élevé ,
Ce métal
précieux
par nous fi recherché
;
Dans une république
une place inurile
,
Un ancien
patria
che aux loi de Dieu docile
Et fauvé
pour cela de la fureur
des eaux
Qui d'entières
cités ne firent que tombeaux
;
Ce qui tout en naiffant
s'expole
à la critique
,
Un arbre , un homme
noir , deix termes
de mafique
,
A
76
Ce
A O UST. 1773. 73
Ce qu'à préfent tu cherche , & , pour tout termi
ner',
Ce fluide élément qu'on voit nous entourer.
Par M. Saute-Montagne , Mineur du
Corps Royal de l'Artillerie.
A UTR E.
CINQ pieds forment mon tout ; & quelquefois
ce tout
Se trouve dans ta poche. Ami lecteur,devine ;
Mais il faut calculer pour en venir à bout.
Qui de cinq en ôre un , refte quatre : combine,
Fais mieux pour me trouver , entre dans ta cuifine...
Par M... à Senlis.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Fables nouvelles par M. l'Abbé Aubert ,
divifées en huit livres , accompagnées
de notes , & c. quatrième édition confidérablement
augmentée . A Paris ,
chez Moutard , libraire de Madame
D
74 MERCURE DE FRANCE.
la Dauphine , rue du Hurepoix , à Sp
Ambroife.
DANS la foule des nouvelles fables
que
l'on voit éclore de tous les côtés , M,
l'Abbé Aubert a cru le moment favorable
pour donner aux fiennes une nouvelle
vie , & pour reparaître avec tous les honpeurs
d'une quatrième édition . Ce titre
même femblerait fait pour preferire le
jugement qu'on en doit porter , fi le nom,
bre des éditions avait toujours été une
preuve du mérite des ouvrages . Mais
ceux qui fe fouviennent d'avoir eu entre
les mains , lorfqu'ils étaient au collége ,
la fixième édition des fables de Richer
dont aujourd'hui qui que ce foit ne fait un
vers , comprendront fans peine comment
un recueil de fables mauvaiſes ou médiocres
peut être réimprimé plufieurs
fois. On met affez volontiers entre les
mains des enfans ces fortes de livres qui
contiennent toujours une bonne morale ,
& qui ayant pour cet âge le mérite d'une
hiftoriette , femblent coûter moins d'efforts
à fa mémoire . En général , tous les
livres qui peuvent fervir à l'éducation
font plus réimprimés que d'autres. On
en peut citer un exemple bien frappant,
A O UST. 1773. 75
11 y a eu plus de vingt éditions du Traité
du vrai Mérite , & c'eft lans contredit une
des plus infipides productions qui ayent
jamais exercé la preffe. Mais il y a eu un
tems où il n'y avoit point d'enfant , furrout
en province , à qui l'on ne donnât ce
livre avec la Bible.
D'ailleurs M. l'abbé Aubert a été loué
d'abord par de prétendus juges , dont les
louanges ont été depuis appréciées ce
qu'elles valaient ; mais qui alors en impofaient
encore à une partie du Public.
Perfonne n'avait réclamé contre ces éloges
, parce que la médiocrité n'alarme
perfonne. Mais il vient un tems où les
connoiffeurs élèvent la voix , où l'indulgence
eft paffée , & la vérité parle .
C'est ce qui eft arrivé à M. l'abbé Aubert
. On a vu tant de fois , dans fon Journal
, que la Fontaine n'avait rien inventé,
mais que M. l'abbé Aubert avait inventé
cent cinquante fables , qu'à la fin l'on a
voulu voir comment M. l'abbé Aubert
inventait , & les judicieux auteurs du
Journal des Savans ont fort bien remarqué
que les fables de M. l'abbé Aubert
roulaient prefque toutes fur le même
fond. On peut ajouter que la plupart
n'ont aucun fens ; ce qui , comme on
Dij
76 , MERCURE DE FRANCE .
fçait , eft un petit défaut en tout genre
d'écrire ; mais fur tout dans l'apologue ,
qui doit toujours contenir une leçon . Il
eft facile de faire voir , par des exemples
, que l'on n'avance rien légèrement.
Dans la feconde de fes fables , M.
l'abbé Aubert veut montrer que c'eft
l'habit qui diftingue les hommes dans ce
fiècle. Il introduit fur la fcène un perroquet
& une pie dans la même maifon.
Le perroquet attire tous les yeux & tous
les foins , & la pie eft rebutée ; elle s'en
plaint. Elle croit ne céder en rien au perroquet
; elle parle comme lui ; pourquoi
done eft il préféré ? Eft- ce à cauſe de ſon
plumage ?
Mon habit eft moins beau , mais qu'est - ce que
cela ?
Comment ! Margot ; c'eft tout dans ce fiècle bi
zarre .
Un fripon eft un homme rare
Quand il eft diftingué par - là .
Paffons fur l'expreffion d'homme rare ,
que l'auteur a mis là pour la rime , lorfque
la raifon demandait ;
Un fripon eft un honnête homme.
Mais indépendamment de cette faute ;
A O UST. 1773. 77 .
voilà une fable très - mal imaginée . Le
perroquet parle beaucoup mieux que la
pie , eft beaucoup moins méchant , beaucoup
moins voleur , & infiniment plus
beau . Il falloit fuppofer un oiſeau qui
n'eût de mérite que le plumage , & lui
oppoſer toutes les autres qualités qui lui
auraient manqué , & la fable aurait eu
du fens. Eft ce la peine d'inventer ainfi ?
Fable V. On veut forcer un renard
mendiant à payer des droits au roi des
renards , & le roi des renards l'en exempte.
L'auteur en conclut qu'il faut que
les rois foient bienfaifans. On ne perçoit
nulle part aucun droit fur les mendians ;
ainfi l'application tombe à faux , & la
morale eft une vérité fi générale & même
fi vague , que ce n'était pas la peine d'en
faire une fable. Il faut des leçons plus
particulières.
Dans la fable fuivante , un billet de
mariage difpute contre un billet d'enterrement.
Frivole jeu d'efprit , & qui ne
contient que des épigrammes rebattues.
Dans la feptième , un berger contemple
un rocher énorme , & fe demande à quoi
cela eft bon . La foudre tombe deffus , &
il s'applaudit de tenir moins de place
qu'un rocher , & d'être plus utile. Mais
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
la foudre tombe tout auffi fouvent fur les.
arbres , & les arbres font très utiles . On
pourrait d'ailleurs contefter fur l'inutilité
des rochers. Le fabulifte conclut que la
foudre menace les grandeurs . Cela n'eft
pas neuf , & il y a dans tout cela peu
d'invention.
་
Fable X. Une poule couve les oeufs
d'une canne , & les élève comme elle au-,
rait élevé les pouffins ; mais la première
fois que les cannetons trouvent de l'eau
bourbeufe , ils fe plongest dedans , malgré
les remontrances de la poule . Le fabu
lifte conclut que l'éducation ne peut rien
contre le naturel. Mais lifez la fouris.
métamorphofée dans la Fontaine , c'eft
précisément la même chofe , & ce n'eft
pas là inventer. Il faut , pour que l'apologue
foit neuf, qu'il renferme une leçon
qu'un autre apologue n'ait pas donné , ou
du moins qu'il la rende beaucoup plus
frappante. On peut conclure qu'il ne faut
jamais répéter la Fontaine , parce qu'il
eft difficile , même à M. l'abbé Aubert ,
de dire mieux que lui.
Fable VIII. C'eft une araignée dont les
groffes mouches emportent la toile , &
qui mange les petites . Cette fable ne peut
pas être au nombre des cent cinquante que
A O UST. 1773 . 79
l'auteur a inventées . On fait qu'elle eft du
Scythe Anacharfis. On en peut dire autant
des fourmillières , qui refufent de ſe
fecourir. C'eft un trait de l'hiftoire des
Troglodytes , dans les Lettres Perfanes
que l'auteur n'a fait que tranfporter dest
hommes aux fourmis . Autant de retranché
fur le génie inventeur de M. l'abbé Aubert.
Quant au conte d'Hylas & Zénéide ,
que l'auteur intitule , conte moral , & qui ,
s'il n'eft pas moral , eft au moins fort
long , il eft impoffible de deviner ce qu'il
fignifie , & l'on peut croire que M. l'abbé
Aubert l'a inventé.
On connoît ces vers de M. de Vol .
taire .
Un Dieu qui prit pitié de la nature humaine
Mit auprès du plaifir le travail & la peine
La crainte l'éveilla , l'eſpoir guida fes pas :
Ce cortège aujourd'hui l'accompagne ici- bas
M. l'abbé Aubert fuppofe qu'Efope
fait une fable fur un pareil fujet , & qu'il
a mis le plaifir & la peine aux deux bouts
d'une chaîne . Je ne fais pas fi Elope aurait
imaginé cette chaîne ; mais j'aime mieux
l'imagination de M. de Voltaire dans les
quatre vers que je viens de citer .
On connoît encore la fable de la mon
Div
10 MERCURE DE FRANCE.
tagne en travail , qui enfante une fouris .
M. l'abbé Aubert a voulu refaire cette
fable , & il a mis une poule au lieu d'une
montagne. Cette poule fait des cris épou
vantables.
Les gens croyaient qu'il allait naître d'elle
Un Eléphant, ou pour le moins un Boeuf.
Dame Poule pondit un oeuf.
Il faut convenir que voilà une invention
bien heureuſe . M. l'abbé Aubert ne
s'eft pas fouvenu qu'on n'eft point du tout
étonné qu'une poule crie en pondant , ni
fur- tout qu'elle ponde un auf : au lieu
qu'on eft un peu furpris qu'une montagne
enfante une fouris ; ce qui produit une
chûte comique , qui eft le fens de la fable.
Ne valait il pas mieux laiffer cette fable
comme elle eft dans Phedre , que d'y mêler
une pareille invention ?
Et la fable des deux moineaux en querelle,
qui expofent leurs différends devant
un chat , qui les gruge , a- t'elle été difficile
à inventer , après celle du lapin & de
la belette , qui plaident devant Rominagrobis
? Cette fable , l'une des plus chatmantes
de la Fontaine , n'a pas pu échapper
à l'efprit d'invention de M. l'abbé
Aubert.
1
A O UST . 1773
Et le bouton qui reproche à la rofe
d'écouter les fleurettes du papillon & de
zéphir ; tandis que la rofe lui reproche la
même coquetterie avec l'abeille & le frélon
; différe- t- il beaucoup de l'écreviffe
enfeignant à fa fille à marcher droit ?
M. l'abbé Aubert fe fouvient , comme
on le voit , des idées de la Fontaine. Il
fe fouvient auffi de fes tournures. Voyons
s'il a meilleure grace à les imiter.
A ces mots l'animal pervers ,
C'est le Serpent que je veux dire ,
Et non l'homme , & c.
M. l'abbé Aubert a voulu s'approprier
ce trait de la Fontaine , & voici comment.
Un Chien avait la table & le lit d'un Poëte .
De dire s'il failait de fomptueux repas ,
A parler franchement , je ne le penſe pas.
Je garde le filence auffi fur la couchette.
De lits de plume & de mêts délicats
Auteurs & chiens , dit - on , font rarement
plette.
L'animal cependant , ( je veux parler du Chien. )
&c.
Voilà comme M. l'abbé Aubert imite
les fineffes de la Fontaine. Ce rapproche
· Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
ment des auteurs & des chiens , à propos
de lits de plume , n'eft- il pas d'un excellent
goût?
Autre imitation ..
Qui figuré-je à votre avis
Par ce Rat fi peu fecourable ?
Un Moine ? Non. Mais un Dervis .
Je fuppofe qu'un Moine eft toujours charitable.
LAFONT.
Ce récit peint les Gens de loi ,
J'entends ceux du Japon , du Turc ou des Chinois
.
Je n'ai garde vraiment de m'attaquer aux nôtres.
Au moins cette dernière imitation
n'eſt pas ridicule. Mais il faut convenir
qu'il n'y a pas un grand mérite à fe parer
ainfi d'ornemens étrangers.
Quant au ftyle , on trouvera que celui
de M. l'Abbé Aubert eft en général affez
correct. Mais il manque de cette facilité ,
l'un des premiers agrémens de la fable.
Il eft fec & maniéré. Il tombe même fouvent
dans le mauvais goût , fur - tout
quand il veut être poëte. Il dira d'un Papillon.
A peine a- t'il fini : fa triſte jérémie.
A O UST. 17731 83
On dit bien jérémiade pour lamenta.
tion . Mais une jérémie eſt au moins fort
bizarre.
Un homme , qui doué d'un heureux caractère ,
Deftiné par les Dieux à les peindre à la terre, &c.
Comme il s'agit d'un Roi & non pas
d'un peintre & d'un fculpteur , le mot néceffaire
était représenter. On dit bien que
l'homme vertueux repréfente les Dieux fur
la terre, mais non pas qu'il peint les Dieux
à la terre , c'est ce qu'on dirait d'Apelle
ou de Phidias.
L'Aurore pour Titon fignalait fes ardeurs ,
Malgré les triftes fruits de fa métamorphofe ,
Et dans un char doré , traîné par les Zéphirs ,
Sur nos feux fatisfaits vengeant fes vains defirs,
Précipitait un tems dont le plaifir difpale ;
Ou pour dire en français la chofe ,
Le jour venait de naître , &c.
L'auteur a bien raifon de finir par l'ex
pliquer en français ; car rien n'eft moins
français que le galimathias qui précède .
Sur nos feux fatisfaits vengeant fes vains defirs,
Eft fur- tout incompréhensible. Voici
des vers encore plus mauvais.
Divj
84 MERCURE DE FRANCE:
Les principes qu'en nous la Providence a mis ,
Niés par maint auteur à cet homme ſemblable ,
Comme en un centre réunis ,
Dans un récit clair & concis ,
Mêlés d'une adroite critique ,
Réveillant fes fens engourdis ,
Font fur lui l'effet du cauftique.
M. l'Abbé Aubert , qui prend aſſez volontiers
les meilleurs traits de nos bons
auteurs , ne met pas beaucoup d'art dans
fes larcins . Si M. Greffet fait dire au Méchant.
Les fots font ici -bas pour nos menus plaifirs.
M. l'Abbé Aubert ne manque pas de
dire .
De tout tems le Ciel fit les fots
Pour les menus plaifirs du fage.
Il n'y a que le Sage qui appartienne ici
à M. l'Abbé Aubert, & ce mot gâte tout .
Il est très faux que les fots foient ici - bas
pour les menus plaifirs du fage. Ils y font
le plus fouvent pour le tourmenter ou
tout au moins pour l'ennuyer. Ce qui eſt
très plaifant dans la bouche d'un méchant
qui cherche des victimes , eft très mal appliqué
au fage qui eft fouvent victime lui
même.
A O UST. 8.9 1773 .
Si M. Racine le fils a traduit ce vers de
Virgile :
'Ingentes animo's angufto in pettore verfant.
Et dans de faibles corps s'allume un grand con
rage.
M. l'Abbé Aubert dit en parlant d'une
poule :
Son amour était grand bien qu'en un petit coeur,
Si M. de Voltaire a dit :
Il eft grand , il eft beau de faire des ingrats.
M. l'Abbé Aubert eft affez heureux
pour changer ainfi ce vers :
Il est beau , croyez- moi , de faire des ingrats.
Mais ce qu'il n'a pris à perfonne , ce
font certains vers philofophiques dont le
fens eft apparemment très- profond ; caril
eft difficile de le pénétrer.
La vertu n'eft qu'un nom , mais l'orgueil eft an
être.
J'avoue que je ne comprends pas comment
l'orgueil eft un être , & comment
la vertu n'en eft pas un . Cette anthitèſe eſt
bien extraordinaire.
86 MERCURE DE FRANCE.
On ne devinerait jamais comment l'au
teur définit peëtiquement un tambour.
L'inftrument qui règle le courage
On fait combien la Fontaine excellait
dans fes prologues . Ce n'eft pas la partie
Brillante de M. PAbbé Aubert.
On pourrait extraire du recueil de M.
l'Abbé Aubert une demi - douzaine de fables
affez agréables , telles que Fanfan &
Colas , la Poule & les Pouffins , le Miroir
, & c. Elles font cependant inférieures
aux bonnes fables de la Mothe & de M.
Boifard. Jen excepte un petit apologue
philofophique qui eft excellent. C'eſt le
livre de la raison.
Lorsque le Ciel , prodigue en fes préfens ,
Combla de biens tant d'êtres différens ,
Ouvrages merveilleux de fon pouvoir fuprême ,
De Jupiter , homine reçut , dit- on ,
Un livre écrit par Minerve elle - même ,
Ayant pour titre la raiſon .
Ce livre ouvert aux yeux de tous les âges
Les devait tous conduire à la vertu.
Mais d'aucun d'eux il ne fut entendu ,
Quoiqu'il contînt les leçons les plus fages .
A O UST.
87
1773 .
L'enfance y vit des mots & rien de plus.
La jeuneffe beaucoup d'abus ;
L'âge fuivant des regrets fuperflus ,
Et la vieillefle en déchira les pages.
Il n'y a perfonne qui ne voulût avoir
fait cetre fable. Mais il n'y en a pas deux
de ce genre
.
Eloge de la Poëfie , difcours qui a remporté
le prix des Belles Lettres , au
jugement de MM. de la Société royale
des Sciences & Belles- Lettres de Nancy
; en l'année 1773 ; par M. Gregoire ..
Omne tulit punctum , qui mifcuit utile dulci .
HOR. art poër.
brochure in - 8 °. A Nancy , chez les
Freres Le Sure, Libraires , rue S. Dizier.
Un éloge de la Poësie , fembloit ne
devoir êrre dicté qu'en vers. On pourra,
néanmoins lire avec intêret ce nouveau
difcours rempli d'un fentiment vif pour
le premier des arts imitateurs , pour cet
art qui agrandit la Sphère étroite de
nos idées par la création de mondes nou88
MERCURE DE FRANCE.
veaux , & qui ajoute aux charmes de
l'éloquence la mefure & l'harmonie fi
propres à fixer une oreille heureuſement
organifée. L'orateur s'eft affranchi de
l'ordre didactique, & on le lui pardonnera
aifément . Peut - on parler de la Poëfie fans
éprouver l'enthoufiafme des Poëtes ? Cet
enthouſiaſme échauffe quelquefois le lecteur
; quelquefois auffi il le fatigue
parce que l'orateur ne lui offre pas toujours
les images les plus propres à peindre
les différentes efpèces de Poëfie fabulaire
, dramatique , épique , lyrique
didactique. L'oratear s'eft écarté quelquefois
de fon fujet , & n'a pas affez infifté
fur l'utilité de la Poëfie dramatique
pour réformer les moeurs , corriger les
abus , infpirer l'amour des chofes honnêtes,
& faire naître les vertus fociales
& patriotiques ; objet cependant d'autant
plus important à traiter que la plupart
de nos tragédies , celles mêmes qui font
le plus remplies de maximes de morale
n'ont point un but moral bien diftinct &
ne paroiffent avoir été écrites que pour
amufer des gens oififs Cet objet méritoit
encore d'autant plus d'être difcuté ici
avec un certain d'étail , que l'orateur s'eft
A O UST. 1773.
"
propofé fpecialement d'envifager la Poëfie
fous fon point de vue d'utilité . « Que
» la Poëfie foit agréable & charmante ,
tout le monde en convient . Qu'elle
» foit utile, tout le monde n'en convient
» pas. Plufieurs écrivains fe font appliqués
à difcuter cette question , peu
» l'ont approfondie. Les uns, admirateurs
» outrés d'un art qu'ils cultivoient , ont
» fubftitué pour le défendre , l'amertume
» de leur zèle à la force du raifonnement ;
» les autres , cenfeurs faftidieux d'un art
qu'ils ne connoiffoient pas , l'on peint
d'après leur imagination prévenue . Tant
» il eft vrai que rarement l'efprit humain
» fait garder l'équilibre de la raifon.Juge
impartial , je tâcherai de marcher entre
» ces deux excès . J'effayerai de réconcilier
avec la Poëfie , ceux qui lui conteſtent
» fon utilité. Heureux , fi je puis réunir
» les avantages de cet art enchanteur , &
» prouver utilement & agréablement qu'il
joint l'utile à l'agréable » On peut
néanmoins confidérer quelquefois les
Mufes comme de jeunes Filles qui ayant
la gaîté de leur âge , fe prêtent volontiers
à un aimable badinage. Les Poëfies légères
cependant ne doivent être pour elles
»
"
98 MERCURE
DE FRANCE
que des délaffemens. La principale , &
la plus noble de leurs fonctions , eft d'enfeignet
aux hommes leurs devoirs . Comme
leur but eft de plaire & de plaire , en
remuant les paffions , elles ne doivent
jamais exciter en nous , que celles qui
peuvent contribuer au bonheur de la
fociété telles que l'horreur du crime ,
la compaffion pour les malheureux , l'amour
de la patrie , &c . Un Poëte qui
fe rend l'apologifte du vice , commet une
forte de profanation & dégrade , autant
qu'il eft en lui , le plus fublime des arts .
Traité de Chymie , par M. de Lorme
gentilhomme ordinaire de Sa Majeſté,
chevalier de l'ordre royale & militaire
de Saint Louis . vol . in 8o. prix
S
liv, broché & 6 liv. relié. A Paris ,
chez la Veuve Dachefne , Libraire
rue Saint Jacques ; Piffot , Quai de
Conti ; Durand neveu , rue Galande ,
& Efprit au Palais Royal .
L'introduction de ce traité qui eft très
étendue , facilitera l'intelligence des pro
cédés. L'auteur dans cette introduction ,
AOUST. 1773 . 91
donne des notions exactes des fubftances
des trois règnes. Il commence par la
définition de la Chymie , & trace une
idée générale de la compofition des corps,
qui eft fuivie d'un vocabulaire ou d'une
explication des termes ufités en Chymie.
Il parle des différens dégres de feu ,"
des luts , des affinités , aux quelles fuccèdent
la table de ces mêmes affinités , &
celle des caracthères chymiques . L'auteur
traite enfuite des élémens , ou principes
des corps , des corps , des pierres , des
fubftances falines. Il donne leurs combimaiſons
mutuelles. Ii paffe aux métaux , à
leurs mines. Il expofe le jeu des fubſtances
falines avec les fubftances terreftres
ou métalliques. Il exquiffe ce qui concerne
le règne végétal & animal , la teinture
confidérée comme art , le laboratoire .
les vaiſleaux & uftenfiles de Chymie.
L'ouvrage eft terminé par le développement
des procédés , pour les quels
l'auteur fuit le même ordre que celui de
l'introduction .
Ce traité ne contient rien de neuf '
l'auteur l'a compofé d'après les écrits de
Meffieurs Lemery , Macquer , Baumé ,
Lewis , Gellert , & c. il s'eft approprié les
expériences & les obfervations de ces
92 MERCURE
DE FRANCE
.
habiles Chymiftes , les a réunis dans une
efpace borné , & a par ce moyen applani
les difficultés , les recherches & les lectures
multipliées à la jeuneffe & aux gens du
monde qui veulent prendre connoiffance
de la Chymie. Cet abrégé élémentaire
eft clair , méthodique & précis . On le
diftinguera de ces compiliations ordinaires
où le rédacteur le plus fouvent étranger
à la fçience dont il parle , a raffemblé
fans choix & fans difcernement tout ce
qui s'eft préfenté fous fa main.
Nous remercions l'auteur eſtimable de
ce traité, de la leçon qu'il a bien voulu
donner au commencement de cet ouvrage,
à ceux qui feroient encore tentés de fuivre
la lumière trompeufe de l'Alchymie. Cette
leçon doit d'autant mieux les rendre
attentifs , qu'elle leur eft donnée par un
ami de la vérité qui penſe avec raifon
qu'il eft d'un galant homme qui a été
furpris dans un piége , & a eu le bonheur
d'en échapper , d'éclairer l'humanité &
de garantir l'enthouſiafme , des appas dangereux
qui accréditent & foutiennent'impofture.
C'est d'après l'expérience , c'eſt
après avoir embraffé les promeffes de
l'Alchymie avec beaucoup de vivacité
que M. de L. avertit les amateurs de
A O UST. 1773 93
»
l'Alchimie que cette pretendue fçience
n'eft qu'un amas d'erreurs & de fubtilités
. L'ignorance & la cupidité , con-
» tinue - t- il , font la reffource des prétendus
adeptes. Cette claffe fingulière de
fripons a été , eft , & fera la caufe de
» la ruine de ceux qu'elle pourra féduire
» ou éblouir par fes fauffes promefles.
J'ai vu beaucoup de ces fourbes dont
» j'ai été la dupe , & je n'en ai pas vu
» un feul capable d'operer cette féduction
» par la fupériorité de fes connoiffances ,
» tous font gauches & mal adroits : ce-
"
pendant , enveloppés du myftère , ou ,
» pour mieux dire , de l'ombre de leur
»fecret imaginaire , ils mènent loin la
» crédulité furprife. Leur langage ordi-
» naire eft de fuppofer des talens réels
» pour la tranfmutation , ou pour le grand
» elixir , la connoiffance de l'alka eſt univerfelle
, découvertes rares , précieuſes ,
» que leur pofition ne leur permet pas de
» fuivre. Ils annoncent avec impudence
des phénomènes qui fe font paffés fous
» leurs yeux , tous fignes réels da grand
» oeuvre accompli , qu'ils ont manqué ,
13
"
foit par l'explofion des vaiffeaux , foit par
» la négligence de ceux à qui ils avoient
» été forcés de le confier pour la conduite
94 MERCURE DE FRANCE .
"
» de l'opération . Tel eft le jargon de
l'impofture. Tous promettent la certitude
du procédé qu'ils ont touchés de
près ; & les yeux fafcinés , je ne dis
» pas des perfonnes bruttes , mais des
» gens du monde inftruits , éclairés lorf-
» qu'ils font obfedés par ces miférables , &
fubjugués par l'efpoir , n'apperçoivent
» pas que fur cette matière un point qui
fépare du fuccès eft plus confidérable ,
plus étendu que ne pourroient l'être
» mille diamêrres de l'efpace immenfe
qui féparent de notre globe l'etoile fixe
» la plus éloignée de nous . »
"
»
"
"
Tous les adeptes , gens ordinairement
fort peu inftruits , ont foin de fe renfermer
dans un filence mystérieux . S'il en
eft qui aient quelque lecture , s'ils s'engagent
dans quelques differtations phyfiques
ou chymiques , ils ne manquent point ,
lorfqu'on veut les ramener aux grands
principes de la chymie , de vous dire que
leur méthode eft celle de la nature , qu'ils
ont oublié tout procédé chymique , qu'ils
rejettent toute marche relative à cette
ſcience , comme impuiflante & faite
pour écarter de la route que l'on doit
fuivre . L'auteur prévient donc ceux qui
font enchaînés par les fophiftications
AOUST. 1773.
95
de ces trompeurs adroits , qu'un adepte, s'il
en exifte, eft& doit être un honnête homine,
qu'il n'a befoin de perfonne , que plus
heureux , plus riche que tous les rois de
la terre réunis , il fe fuffit à lui - même . Il
prévient en même tems , que tout homme
qui demande un grand appareil de laboratoire
, de l'or , des dépenfes fans
fin , eft un fourbe , un impofteur ; que
toutes les matières minérales tirées du
fein de la terre , dénaturées par la fufion ,
la diffolution dans les acides , ou altérées
par quelques combinaiſons , ne peuvent
fournir ce principe primitif, ce germe
précieux dont ils promettent l'extraction ,
foit pour la tranfmutation , foit pour la
médecine univerfelle ; enfin que fi ce
fecret exifte , il doit s'opérer par une mar
che fimple , fans frais & fans dépense ;
conféquemment, qu'excepté l'achat modique
de quelques inftrumens de vil prix ,
ceux qui ont la fureur de la fcience hermétique
doivent l'abandonner , chaffer &
faire punir même les prétendus adeptes ,
files dépenfes excèdent , dans le courant
d'une année , trois ou quatre louis.
Difcours , lus en préfence de M. de
Sartine , Confeiller d'Etat, Lieutenant96
MERCURE DE FRANCE ,
t
Général de Police , & de M. le Procureur
du Roi du Châtelet , à la féanance
d'ouverture de l'Académie Royale
d'Ecriture , le 17 Novembre 1772 .
in- 40 . A Paris , de l'imprimerie , de
Le Breton , rue de la Harpe.
Cette Académie dans la vue de mériter
de plus en plus la protection du Prince
& l'accueil du Public , ne ceffe de faire
des réformes utiles dans les arts & les
fciences qu'elle profeffe. Elle nous fait
part dans le volume que nous venons
d'annoncer de fes obfervations inftructives
fur l'art d'écrire , & fur celui de la
vérification d'écritures , fur l'arithmétique
& la grammaire françoife. Ces
Difcours ont été prononcés par MM .
Paillaffon fecrétaire ; Vallain profeffeur
d'écriture ; Taxis de Blaireau profeſſeur
de calculs ; d'Autrepe profeffeur de vérification
; Collier profeffeur de grammaire
françoiſe ; & Poirier directeur.
Lettres du Baron d'Olban , brochure
in- 12 de 148 pages . A Paris , chez
Merlin , Libraire , rue de la Harpe.
Ce Roman , qui ne fort point de la
claffe ordinaire de ces fortes d'écrits
nous
AOUST. 3773. 97
nous préfente dans le baron d'Olban un
amant qui a conçu pour Julie Theville
un amour fondé fur le rapport des fentimens.
Cet amour eft traversé par les
intrigues d'une dame de Fligny , qui
s'étoit laiffé furprendre par une folle
paffion pour le Baron . On nous peint
dans le perfonnage de cette femme les
erreurs & même le ridicule d'un attachement
que les gens du monde appellent
amour , mais qui n'eft qu'une faillie des
fens . Cet amour défordonné ne defirant
que lajouiffance des fens, eftpeu délicat fur
le choix des moyens pourparvenir a les fins.
Illivre l'homme à la haine,à la jalousie , à la
vengeance, & à tous les vices . Mais le vérirable
amour , qui ne peut fe paffer de la
poffeffion du coeur , cherche à mériter
cette poffeffion par un attachement refpectueux
, & des vertus.
La Pharfale , poëme par M. le Chevalier
Laurès ; volume in 8 ° . A Paris , chez
Ruault , libraire , rue de la Harpe .
Nous avions déjà une traduction ou
uneimitation de la Pharfale par Brebeuf;
mais ce poëte femble s'être batru les
flancs pour enchérir encore fur les hyperboles
violentes & les penfées gigantefques
E
98 MERCURE DE FRANCE .
de fon auteur. M. le C , L. eft entré dans
la même carrière . Mais éclairé par le Alambeau
du goût , il s'eft permis de retoucher
un poëme dont lesbeautés font quelquefois
déparées par des défectuofités. Il a
faifi les traits les plus piquans de l'original
& en a écarté le défaut
l'on reque
proche communément à Lucain , de fe
montrer trop fouvent à la place de fes acteurs
, & de ne favoir pas modérer la fureur
poëtique qui l'anime. Lucain d'ailleurs
trop voifin des événemens qu'ils décrivoir
, n'a ofé s'écarter de l'hiſtoire & a
rendu par là fon poëme fec & aride . M.
le Ch . L. a corrigé ce défaut en mêlant
des fictions au récit à mesure que le fujer
a paru l'exiger. Il a de plus tracé une
image rapide des nouvelles expéditions
de Céfar juſqu'à la mort qui eft indiquée;
il a rendu compte de fes perfonnages &
a par ce moyen complété un poëme que
le poëte latin , mort à la fleur de fon âge
n'a point eu le tems de terminer. Cette
traduction ou plutôt cette imitation de la
Pharfale eft précédée d'une préface où le
lecteur pourra prendre l'idée la plus vraie
que l'on puiffe fe former deLucain. C'eſt un
poëte qui apprécie un autre poëte , & qui
na tracé le caractère diftinctif du chan-
'
AOUST. 1773 99 .
tre de la Pharfale , qu'après avoir effayé
de le faire revivre dans notre langue.
>
Parmi les deſcriptions variées qu'offre
ce poëme, il en eft plufieurs fur lefquelles
le poëte François à répandu tout l'intérêt
du drame. Celle , par exemple , qui nous
repréſente la vertueufe Cornelie , épouſe
de Pompée , retirée à Lefbos & y attendant
le fort de la journée de Pharfale , a
droit de toucher le coeur fenfible du lecteur.
Le poëte a , dans cette defcription
fait fuccéder rapidement les images
pour mieux nous peindre l'ennui & les
agitations d'une époufe inquiéte fur le
fort de fon époux. Et quel époux ! le
grand Pompée , le défenfeur de la cauſe
publique. Ce général dont la victoire
avoit couronné les entreprifes pendant
trente- quatre ans , qui avoit dompté tant
de nations , qui avoit navigé fur les mers
avec cinqcens voiles , fe voit réduit après
la bataille de Pharfale à fe fauver dans un
efquif avec quelques efclaves.
L'éclat le plus brillant que la fortune donne ,
Devient le défefpoir de ceux qu'elle abandonne ;
Ils tombent , ces lauriers qui couronnoient leur
front ,
Et le revers y grave un éternel affront :
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
1
Tel eft le fort des Grands ; dans leur chûte fatale
,
De la gloire à la honte il n'eft point d'intervalle .
Pompée a trop joui d'un nom fitôt fameux :
Plus il fut élevé , plus il eſt malheureux .
A travers les forêts , dans l'ombre ténébreuſe ,'
Il dérobe au vainqueur fa trace tortueufe ;
Il voudroit fe cacher aux yeux de l'Univers ;
Pour être méconnu , fes traits lui font trop chers.
L'infortuné parvient aux bords où le Penée
Couroit ensevelir dans la mer étonnée
L'opprobre de les flots fouillés du fang romain.
Là , celui qui de l'onde eft encor fouverain ,
Dont les flottes , voguant fous l'oeil de la Fore
tune ,
Impriment le reſpect aux plaines de Neptune,
Eft réduit à faifir l'afyle chancelant
D'une barque que guide un nautonnier tremblant.
Sur la route tardive un vaifleau le préſente ,
Il
y monte : tout fert fa courſe impatiente ;
Et fon coeur qui devance & les vents & les flots ,
Pour joindre Cornelie eft déjà dans Lesbos.
Les horreurs de Pharfale y pénètrent ton ame ,
Idole d'un héros que fa douleur réclame !
Tu les vois , & tes cris les marquent , tous ces
coups
Qui frappent les Romains , peut -être ton époux..,
A O UST.
101
1773 .
Donte affreux ! long tourment
core ?
durera-t'il en
Du fommet d'un rocher au lever de l'aurore ,
Ton oeil va fur les mers , fous un jour incertain ,
Saifir le premier mât naiflant dans le lointain .
Sa lenteur te défole , il te femble immobile ;
Que l'onde eft pareffeufe , & que l'air eft tramquille
!
Il vient , il s'agrandit , & quand il entre au port ,
Ton eftroi , d'un époux n'ofe fonder le fort .
Tu les regretteras , ces alarmes cruelles ;
L'eſpoir les balançoit , il va fuir avec elles.
Redoute ce vaiffeau que t'apportent les vents :
II t'émeut ... Tu ne fais.. gémis , il en eft tems ;
Pleure , c'est ton époux , qui des champs d'Ema
thie
Fugitif, pour recours n'a plus que Cornélie.
Il aborde : troublée , elle approche ... ô douleur !
Sur le front du héros elle a lu fon malheur.
Quel objet pour l'amour ! tout fouillé de poulfière
,
Pâle , fuyant du Ciel l'importune lumière ,
Il incline fa tête , & de fes cheveux blancs
Voile & fauve fes yeux de témoins accablans .
Cette époule... Elle céde au tourment qui la
tue ;
Un nuage funèbre enveloppé fa vue ;
Saifi d'un froid mortel , tout fon être a frémi ;
Son corps chancelle , tombe & refte anéanti.
E iij
101 MERCURE DE FRANCE .
Pompée accourt , fon coeur n'eft plus qu'à la tene
dreffe ;
Sa pitié dans fon fein la recueille , la preffe ;
Du feu de les loupirs , dans fes embraflemens ,
Il cherche à pénétrer , à rappeler fes lens ;
Ns s'émeuvent aux traits de cette flamme agile :
Le feu célefte , ainfi fit treffaillir l'argile.
>
Pompée avec tranfport voit briller fous les yeux
Le flambeau renaiffant de jours fi précieux ;
Et quand , dans fes canaux coulant avec la vie,
Le fang a ranimé le front de Cornelie :
« Quoi ! ce coeur , lui dit -il , oubliant ſa vertu ,
» Au premier coup du fort dégénète abattu ?
Ja Fille des Scipions , par un effort fuprême,
»Qu'il s'élève plutôt au deffus de lui- même !
Pour illuftrer les mains , votre fexe n'a pas
» La balance des loix , ni le fer des combats ;
»Selon que fon courage y céde ou les furmonte ,
Les malheurs d'un époux font la gloire ou fa
>> honte ;
»Et quand je fuis vaincu , confolant ma douleur,
» Ne m'en aimez que plus : voilà votre grandeur.
Préférez vos périls , compagne de ma fuite ,
» A la foule des Rois qui marchoient à ma luite.
»Vous êtes tout pour moi, le coeur de votre épouz
»Doit être la patrie & l'Univers pour vous.
»Je rougis de vos pleurs , ceflez donc d'en répan-
» dre ;
Cet excès de douleur honoreroit ma cendre ;
A O UST. 1773 . 103
Il outrage l'amour , quand je vous fuis rendu :
Que vous fait ma difgrace , & qu'avez vous
»perdu
Ma fortune a péri , mais je vous fuis fidèle.
Pourquoi tant de regrets ! n'auriez - vous aimé
» qu'elle ?
33
Tu me connois trop bien , tu ne le penfes pas
Répond la tendre époule , ...
Ce tableau de la fuite de Pompée &
de la douleur de Cornelie commence le
huitième chant du poëme qui en a dix .
Nous l'avons cité par ce qu'on y trouve
plufieurs de ces expreffions qui peignent
l'objet à l'imagination , échauffent le fentiment
, caractérisent le poëte colorifte &
annoncent un écrivain qui s'eft bien pénétré
de fon fujet.
Les Mours du Jour , ou hiftoire de Sir
William Hartington , écrite du vivant
de Richardfon , éditeur de Pamela
Clariffe & Grandifon ; revue & retouchée
par lui fur le manufcrit de l'auteur.
Traduction de l'Anglois. Quatre
parties in 12. A Paris , chez le Jay , li
braire , rue St Jacques.
Toute femme qui ne s'offenfe pas des
premières libertés d'un homme eſt déjà
E iv
194 MERCURÉ DE FRANCE.
perdue. C'est parce que de jeunes perfonnes
ont perdu de vue cette leçon de mo-
Talé de Richardfon , qu'elles font tombées
dans l'opprobre , & ont ajouté le remords
à leur infortune . Mifs Randall , dont on
nous décrit la conduite dans ce roman ,
nous confirme l'importance de la leçon
du célèbre moralifte Anglois. Cette jeune
perfonne naturellement confiante & jugeant
d'après fon propre coeur de la fincérité
des proteftations d'amour de Sir William
Harrington , recevoit avec joie les
affurances d'attachement que lui donnoit
će Lord. Elle nous avoue elle même que
loin de faire ceffer les affiduités de cet
amant comme elle l'auroit dû tandis que
fa paffion naillante pouvoit encore être
furmontée , elle cherchoit au contraire à
les faciliter jufqu'à ce qu'enfin fon fatalamour
eut totalement affaibli fa raifon &
fon jugement . Elle manquoit de courage
pour repouffer comme le devoir l'exigeoit
, le perfide , quand il étoit trop entreprenant.
Elle craignoit d'offenfer un
homme , qu'aveuglée par l'efpoir qu'il lui
avoit donné , elle regardoit comine devant
être un jour fon époux . D'heureuſes
circonftances ont empêché William Harrington
de confommer la ruine de celle
qui faifoit l'objet de fa paffion . Mais fi ce
A O UST. 1773. 105
Gentilhomme , rappelé à la vertu par fes
propres réflexions , & par les exhortations
des Laidi Harrington fes foeurs , a réparé
fa faute par le repentir & par un mariage
que la vertu prefcrivoit , toutes les jeunes
perfonnes qui s'expofent au même
danger que Mifs Randall peuvent - elles
raifonnablement efpérer d'échapper également
à l'artifice & à l'ignominie?
Ce roman eft dans la forme épiftolaire ,
& les lettres étant écrites par des perfonnes
de caractères différens , elles préfentent
des maximes & divers traits de conduite
, mais qui ne peignent pas plus les
moeurs d'aujourd'hui que celles d'un autre
fiècle. On y voit les intrigues & les petites
rufes que les libertins employent ordinairement
fatisfaire ce qu'ils appour
pellent leurs plaifirs . On a auffi la confo
lation d'y admirer des exemples de fageffe,
& d'y trouver des leçons de morale
pratique. C'est une moraliſte bien eftimable
que Mifs Conftance Harrington ; & la
leçon qu'elle donne à fa foeur très- portée
la coquetterie , ne fera pas inutile aux
jeunes perfonnes . « Vous dites , lui écrit-
" elle , que vous ne doutez nullement
» que le Lotd C. ne fût à vous fi vous le
» Youliez. Ah ! ma foeur , je fuis à cet
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
»
"
·
» égard d'un avis bien différent du vôtre,
» & cependant je crois qu'il vous aime
beaucoup. Mais , Julie , c'eft un hom
me d'efprit , & pareilles gens ne fe
» laiffent pas mener . Ils peuvent bien d'a
bord fe laiffer captiver un peu , & s'a
» mufer de ces vertiges, de ces airs de
» coquette ; mais c'eft dans la claffe des
» femmes prudentes & difcrettes , qu'ils
» vont fe choisir une époufe : quelque
» adonnés qu'ils foient à la galanterie , ils
» choififfent rarement pour époufe une
» femme galante ; or telle eft la coquet-
» te. Ils obfervent tous , & avec juſtice
que les habirudes font très difficiles à
» détruire , qu'elles font une feconde na-
» ture; & en effet , comment un homme
» peut- il compter fur l'attachement d'une
femme qui n'a eu en tête , pendant
plufieurs années , que fes habits , fa
» toilette , & qui met fon unique étude ,
tout fon art , à s'emparer du coeur de
» tout homme qui fe trouve fur fon che-
» min ? Peut- il croire , avec la moindre
» apparence de fondement , que pour al
» ler gravement àà ll''aauutteell ,, elle puiffe
changer d'humeur & de caractère
comme elle change de nom ? N'eft - il
pas au contraire beaucoup mieux fondé
»
39
"
»
A O UST . 1773. 107
» à craindre que lorfqu'elle fera fa fem-
» me , cerre paflion de fe faire admirer ,
» ne foit toujours la même? & s'il en eft
"
réellement ainfi , quel horrible état !
» combien il doit être défolant pour lui
» de voir que cette femme de qui il at-
» tendoit fon plus grand bonheur , méprife
cette folide joie qu'auroit pro-
» duite une fincère affection ; qu'elle
> emploie tout fon temsà tendre fes filets,
» pour enlever les coeurs d'un tas de viles
» créatures , à qui elle autoit dû fermer
» pour toujours le fien ? »
On nous prévient dans un avertiffement
que l'auteur de ce roman étoit ami intime
de Richardfon ; que celui - ci , peu avant fa
mort, corrigea cet écrit & y fit des changemens
confidérables. On ajoute que ces
corrections ont été foigneufement confer
vées dans l'édition qu'on donne au Public.
Si en lifant ces lettres on ne fe fent pas
ému par un intérêt auffi foutenu , auffi
touchant que celui qui eft répandu dans
les romans de Richardfon , on y trouvera
du moins cette même attention à rendre
le vice odieux , ce même foin à inſpirer
le goût des chofes honnêtes.
402
Anecdotes Espagnoles & Portugaises , depuis
l'origine de la Nation juſqu'à nos
E
vj
108 MERCURE DE FRANCE.
jours. 2 vol. in - 8 ° . petit format . A
Paris , chez Vincent , imprimeur- libraire
, rue des Mathurins , hôtel de
Cluny.
Ces Anecdotes font fuite aux Anecdotes
Françoifes , Angloifes, Germaniques,
Italiennes & aux autres hiftoires publiées
fous cette forme chez le même libraire.
Les Anecdotes Espagnoles vont jufqu'en
Pannée 1759 que mourut Ferdinand VI ;
& leş Anecdotes Portugaifes jufqu'en
1750. JeanVmourut cette année à l'âge de
61 ans. Il s'étoit acquis l'amour & l'eftime
de fes fujets par fa bienfaifance & fon attachement
aux loix & à la juftice . Une
Dame qu'il aimoit beaucoup , crut pouvoir
lui demander une grace extraordinaire
: ce n'eft point à moi qu'il faut
vous adreffer , répondit il , mais au Roi
qui demeure au Terreiro do Paco . »
C'est la place du palais . Ce Prince donnoit
trois fois par femaine des audiences
pub'iques à fes fujets , le famedi à la nobleffe
, & les deux autres jours à tous ceux
qui fe préfentcient . Il étoit permis à chaque
particulier d'arprocher du thrône ,
de remettre fon placet au Souverain , &
de l'entretenir de fes affaires . Le Monarque
, affis fous un dais , s'appuyoit conAOUST.
1773 . 109
tre une table fur laquelle étoit une corbeille
remplie de pièces d'or , dont il gratifioit
ceux qui fe trouvoient dans le befoin.
Quand il avoit à donner des ordres
qui demandoient une prompte exécution ,
il en chargeoit un des Grands du royaume
, qu'il faifoit appeler . Ces audiences
jettoient l'épouvante parmi tous ceux
dont la conduire étoit repréhensible . Les
miniftres mêmes n'étoient pas exempts
de crainte , & le Roi n'ignoroit rien de
ce qui fe pafloit dans fes états , parce que
chacun avoit la liberté de l'en informer.
La Nobleffe avoit l'honneur de lui parler
de bout & les autres à genoux. Il n'y a
aucune espèce de fiéges dans les appartemens
du Roi & perfonne ne peut s'y
affeoir , pas même le fecrétaire d'état
qui eft obligé d'écrire à genoux . L'audience
commençoit par les hommes , &
finiffoit par les femmes. Celles- ci prenoient
des espèces de mantes ou de domino
, qui empêchoient qu'on ne les reconnut
. On fait que les Dames Portugaifes
fortent rarement de chez elles , au
point qu'il eft paffé en proverbe que les
femmes ne vont à leur paroifle que trois
fois en leur vie , pour y être baptifées
mariées & enterrées . Afin de leur ôter
›
# 10 MERCURE DE FRANCE.
tout prétexte de fortir , prefque toutes les
mailons ont des chapelles où l'on fait
dire la Meffe.
Sous le règne de ce Prince , en 1748 ,
an Anglois ennuyé d'entendre affurer que
Liſbonne contenoit cinq cens mille habitans
, ofa parier une fomme très confidérable
qu'il n'y en avoit pas trois cens
mille. Après un dénombrement exact on
n'en compra pas plus de deux cens quatrevingt
mille , en y comprenant même les
étrangers.
Jean V avoit embelli cette capitale de
plufieurs monumens , mais qui ont été
détraits par le tremblement de terre du
premier de Novembre 1755. Il n'existe
plus de ces monumens que la précieuſe col
lection de tableaux , de ftatues , de livres
& de manuferits dont il avoit enrichi fa
bibliothèque.
Supplément aux loix & Conflitations de
Sa Majefté le Roi de Sardaigne. in 12 .
A Paris , chez Lejay , libraire , rue Si
Jacques , au-deffus de celle des Ma
thurins.
L'empreffement avec lequel a été reçu
le recueil des loix & des conftitutions du
Roi de Sardaigne , imprimé en France en
A O UST. 1773 .
1771 , a engagé l'éditeur à donner un
fupplément à ce recueil. Ce fupplément
contient le dernier édit de ce Monarque
concernant l'affranchiffement des devoirs
féodaux en Savoye . Tous ceux qui s'intéreffent
aux droits refpectifs des citoyens ,
applaudiront à cette nouvelle légiflation ,
& fauront gré à l'éditeur de la leur faire
connoître. Un autre motif l'a déterminé
à cette publication , c'eft celui de mettre
fous les yeux de fes concitoyens qui font
éloignés de leur patrie , le dernier tribut.
d'amour
que ce Roi patriote leur a laiffé
avant de finir la glorieuſe carrière.
La Comète , conte en l'air . Brochure in- 8 °.
On en trouve des exemplaires à Paris
chez Valleyre l'ainé , rue de la vieille
Bouclerie à l'arbre de Jeffé , & chez
les libraires qui diftribuent les nouveautés.
C'est une plaifanterie agréable & légere
qu'une circonftance toute récente a
fait naître. L'auteur femble n'avoir transféré
la fcène dans la capitale Chinoife
que pour peindre la nôtre avec plus de
liberté. On attend une Comète qui doit
rout bouleverfer fur notre globe & peutêtre
l'anéantir. Cette perfpective donne
lieu à bien des regrets , à bien des re112
MERCURE DE FRANCE.
mords , à des réformes , à des reftitutions
au moins projetées.
» Ce feroit pourtant dommage que ce
» pauvre Orang- ti fût noyé , brûlé , ou
étouffé , difoit fa femme Adella ! nous
» fommes très- bons amis depuis que nous
» ne nous aimons plus ; & maintenant que
» nous vivons féparés , je ferois au défefpoir
de le perdre.
»
"
" En vérité ! difoit Orang- ti , Adella
» eft bien la femme qu'il me faut , puis
» qu'elle daigne prefque oublier qu'elle
>> eft ma femme. Ce feroit dommage
» qu'une Comète vînt brifer une chaîne
» fi commode & fi légère !
33
» Rien n'eft plus mauffade ! s'écriait
» un petit Maître Chinois : j'ai entamé
depuis deux jours une affaire avec Al-
» zamé , & c'eſt tout au plus fi cette mau-
» dité Comète nous laiffe le tems de con-.
» clure.
• "
Quant à moi , difoit un jeune Man-
» darin d'armes ruiné par le jeu , les che-
» vaux & les coulifles , je trouve que j'ai
affez bien calculé , & que la Comète
» cadre au mieux avec mes arrangemens .
Que maudite foit cette Comète !.
» ajoutoit certain perfonnage , grand
» amateur de nouveaux édifices. J'ai ven-
30
» du toutes mes terres pour me conftruire
A OUST. 1773 113
"
» une demeure digne de moi : l'édifice eft
» à peine achevé, & voilà qu'une Comète
» vient le détruire ! autant vaut le céder
» à mon Architecte à qui je dois tous fes
» honoraires . Lui même d'ailleurs
» femble avoir prévu le peu de durée
» de notre monde , vu le peu de folidité
qu'il a donné à ma maifon . Il paroît
» que depuis quelque tems prefque tout
» nos Architectes font perfuadés que la
» fin du monde eft prochaine .
Viennent enfuite les réformes , les
reftitutions nouveau fujet de détails
variés , piquants , & que l'auteur a
faifis & rendus de la manière la plus
faillante. Il ne s'appéfantit Tur rien ; mais
nul travers à la mode ne lui échappe.
Il s'eft auffi permis de faire juftice de
quelques perfonnages à qui une correction
moins légere eft bien due , & depuis
long-tems.Voici comment fe termine cette
brochure qu'il étoit difficile de terminer.
« La prédiction ne s'éffectua point.
Chacun garda ce qu'il avoit ; & tout
» alla comme auparavant , foit dans l'or
» dre phyfique , foit dans l'ordre moral .
» On pilla , on barbouilla , on médit, on
"
-99
cabala , on déraifonna , comme on l'a
» toujours fait, comme on fe propoſe bien
» de le faire encore. Il n'eft pas auffi fûr
114 MERCURE DE FRANCE.
qu'une Comète choquera un jour la ter-
» re qu'il l'eft que l'efprit humain cho-
» quera tous les jours la raifon . Nous
» n'avons que des probabilités fur les pre.
» mier point ; nous avons une foule de
preuves fur l'autre .
"
Mais , à tout prendre , notre mon-
» de , tel qu'il eft , vaut encore mieux
» qu'un monde mondé , calciné , ou vitrifié
. Attendons fans impatience la ré-
» folution finale.
-
Debure Père , libraire , quai de Conti
à Paris , & la Veuve Rouzeau Montaut ,
imprimeur libraire à Orléans , aflociés
pour la nouvelle édition des ouvrages de
M. Pothier , confeiller au préfidial d'Orléans
, donnent avis à MM. les Soufcripteurs
qu'ils diftribuent actuellement les
tomes I & II de cette édition , annoncés
dans le Profpectus.
Les mêmes libraires continueront à re
cevoir des foufcriptions pour le dernier
ouvrage jufqu'au mois d'Août inclufivement,
en payant la fomme de 36 liv.
pour le premier paiement , & celle de
6 liv . en retirant les tomes III & IV , qui
paroîtront au mois de Décembre avec le
portrait de l'auteur .
A O UST. 1773. 115
Les deux éloges de M. Pothier , rapportés
dans ces deux volumes , font auffi
imprimés de format in- 12 . Prix , 1 l . 4 f.
brochés en carton, pour être joints , fi l'on
veut , aux oeuvres de M. Pothier , 18 vol .
in 12 .
La réputation de M. Pothier ; l'accueil
favorable que le Public a fait à fes ouvra
ges , & leur grand débit nous difpenfent
d'en donner ici l'éloge . Ainfi nous nous
contenterons d'indiquer ceux dont il s'agit
dans cette nouvelle édition.
Ces ouvrages font tous ceux que M.
Porhier à donnés au Public , touchant la
Jurifprudence Françoife : ce qui regarde ,
1. les obligations en général. 2°. Toutes
les différentes espèces de Contrats qui
peuvent avoir lieu parmi les hommes.
3. Le traité du Domaine ou Droit de
Propriété , & celui de la poffeffion , qui
renferme auffi les différentes efpèces de
Prefcriptions pour acquérir . M. Pothier fe
propofoit de joindre à ces traités ceux
des autres droits réels , tels que ceux des
feigneuries féodales & cenfuelles , des
droits de fervitudes perfonnelles & prédiales
, des droits d'hipothèque , & c.;
après quoi , il comptoit donner des traités
fur les donations entre vifs , fur les tef
samens , fur les fucceffions & fur les au116
MERCURE DE FRANCE.
tres titres de la Couture. Sa mort nous a
privés de tous ces différens ouvrages ;
mais on peut y fuppléer par le moyen des .
introductions que M. Pothier à mifes à la
ière de chacun des titres de la nouvelle
édition qu'il a donnée en 1740 , de la
Coutume d'Orléans . Ces introductions
qui font extrêmement utiles , peuvent
tenir lieu de traités complets fur les matières
qui font l'objet de chacun des titres
de cette Coutume . Ainfi , en joignant cet
ouvrage de M. Pothier fur la Coutume
d'Orléans , à fes autres traités qui font
ici propofés par foufcription on peut
être affuré , qu'à la réferve de ce qui concerne
notre droit public & l'ordre judiciaire
, on aura un corps aflez complet de
Jurifprudence civile Françoife.
>
Conditions de la Soufcription.
Ceux qui fouferiront pour le préfent
ouvrage , payeront , fçavoir : en foufcrivant
,
En tetirant au mois de Juin 1773
les tomes I & II.
Et en retirant au commencement
du mois de Décembre de la même
année les tomes III & IV ,
24 liv.
12
6
Total , .. • • 42 liv.
A O UST. 1773. 117
Ceux qui n'auront point foufcrit
, payerent l'ouvrage en feuilles
,
52
Il ne fera tiré que très - peu d'exemplaires
au - delà des foufcriptions ; & les libraires
continueront toujours à vendre
féparément tous les mêmes traités de l'édition
in 12. , la fomme de 3 liv. le volume
relié , ainfi qu'ils ont fait juſqu'à
préfent.
L'ouvrage fera imprimé de même format
, même caractère & même papier
que le Profpectus.
On foufcrira pour le préfent ouvrage
à Paris , chez Debure père , libraire , quai
des Auguftins ; & à Orléans , chez la veuve
Rouzeau-Montaut , imprimeur du Roi
& de l'Univerfité.
Les foufcriptions feront ouvertes jufqu'au
premier Avril 1773 inclufivement ;
après lequel tems , on ne délivrera plus de
foufcriptions.
Les mêmes libraires avertiffent le Public
, qu'ils viennent de mettre en vente
une nouvelle édition de la Coutume d'Orleans
, de M. Pothier , revue , corrigée &
augmentée , en un volume in-4° . de plus
de 900 pages , du prix de 15 liv. relié,
118 MERCURE DE FRANCE.
Hiftoire abrégée de tous les Empires ,
Royaumes & Républiques , connus depuis
la création du monde , jufqu'à J. C.
On en donnera tout à la fois une double
édition , pour la commodité du Public ,
l'une en 20 tableaux ou cartes , d'environ
trois pieds de long fur deux & demi de
large ; l'autre en 40 cartes d'égale longueur
, & de moitié de largeur des premières.
-
Ces cartes , tant grandes que petites ,
préfentent fous un feul coup d'oeil tous
les événemens d'un même tems . Elles
font divifées en autant de colonnes qu'il
y a d'empires , Royaumes & républiques,
connus dans chaque partie de tems qui s'y
trouvent traitées ; à l'exception toutefois
de ceux fur lefquels il y a peu de choſes à
dire , qui font portés aux pieds des colonnes
des états marquants.
Les différens faits y font rapportés avec
leurs dates , chacun dans la colonne de
l'Empire , Royaume ou République où il
s'eft paffé , & indiqué feulement par un
renvoi dans les colonnes des états qui y
ont contribué ou participé . Par exemple ,
dans le trente - cinquième fiècle du monde
, la bataille de Tymbrée , gagnée par
Cyrus , fondateur de l'Empire Perfan , eft
A O UST. 1773.
119
feulement annoncée , ainfi que la prife de
Sardes & la deftruction du Royaume de
Lydie , dans la colonne de l'Empire des
Perfes ; d'où on renvoie pour les détails ,
à la colonne de ce Royaume.
Il n'y a point un feul trait d'hiftoire ,
tant foit peu important , qui foit négligé
dans cet ouvrage , où l'auteur s'eft appliqué
à mettre autant de précision que
d'exactitude . Les détails y font fuffifants
fans fuperfluité , & ferrés fans omiffion ,
ainfi que le Public en jugera lui - même
fur les premières cartes qui paroîtront.
Au moyen de la diftribution par colon.
nes & des renvois , l'auteur a été difpenfé
des répétitions qu'il eft impoffible d'éviter
dans une hiſtoire univerfelle , faite fur un
tout autre plan .
Le tableau donnera une idée de l'ordre
qu'on a fuivi dans toute la diftribution
dudit ouvrage.
Ces cartes feront données aux foufcrip
teurs , à raifon de trois livres dix fois les
grandes, attendu les frais du colage , & les
petites de trente cinq fols chacune.
Elles fe vendront aux particuliers, cinq
livres les grandes , & cinquante fols les
petites.
Il en paroîtra par an douze grandes &
yingt- quatre petites ; les premières à com
120 MERCURE DE FRANCE.
mencer du mois de Juin , les fecondes ,
au commencement de Juillet , & ainfi de
fuite de mois en mois.
Les perfonnes qui les defireront en format
particulier , par exemple in - 4 ° . , in-
8.,in -12. , in 16 , in- 24. , même in-
48. , auront la bonté d'en écrire à l'auteur
, qui les leur fera parvenir , ou brochées
, ou reliées .
Ces cartes pourront fe réduire dans tous
les formats ci- deffus dits , au moyen du
double filet qui féparera chaque colonne
, qu'on aura foin de difpofer pour cet
effet ; & au moyen encore de la divifion
par quart fur la hauteur , divifion qui fera
obfervée dans tout le cours de l'ouvrage.
On ne demande d'avance aux foufcripteurs
pour aider aux frais confidérables de
cet ouvrage , que 14 liv.
¿
On renouvellera conféquemment la
foufcription tous les quatre mois . La pre
mière fera ouverte dès que le Profpectus
paroîtra , & fermée pour Paris à la fin de
Mai prochain ; pour les provinces , à la
fin de Juillet. La feconde fera ouverte
tant pour la province que pour Paris , au
premier Septembre , & fermée au quinze
Octobre .
>
Les perfonnes qui n'auront pas foufcriç
A O UST. 1773. 121
à tems, ne jouiront pas des remifes ci
deffus dites ; & paieront pour chaque
carte comme les Particuliers.
On fouferira à Paris , chez le fieur Carpentier
, maître de géographie & d'hiſtoire
, auteur de ces cartes , rue du Four St
Euſtache , au numéro 89 ;
Et chez Jorry , fils , imprimeur-libraire,
rue de la Huchette , près du petit Châtelet .
Les Soufcripteurs , tant à Paris qu'en
Province , auront foin de fe faite délivrer
quittance imprimée & fignée de l'auteur.
Chaque carte grande & petite fera
fignée & paraphée par l'auteur au bas du
recto en blanc ; & celles qui pourroient
fe débiter non fignées , feroient de contrefaction
.
Si le tableau préfenté , ne fuffit pas
pour donner une idée jufte de l'ouvra
ge , le Sieur Carpentier fe fera un devoir
de montrer les cartes manufcrites
à ceux qui voudront prendre la peine de
paffer chez lui les lundi , mardi , jeudi &
vendredi matin.
Quoiqu'on ne promette par an que 12
grandes cartes & 24 petites , ce qui fera
vingt mois pour avoir la collection de
toutes les cartes & l'ouvrage entier ; le Sr
Carpentier s'oblige envers le Public , fi
F
122 MERCURE DE FRANCE .
les fonds ne lui manquent pas , de lui
fournir cette collection en quinze mois.
Il fe propofe de donner fur le même
plan , l'Hiftoire de tous les Empires ,
Royaumes & Républiques , connus depuis
Jefus Chrift jufqu'à ce jour.
Le Geur Carpentier prie les perfonnes
qui voudront lui faire l'honneur de lui
écrire , relativement à fon ouvrage , d'af
franchir leurs lettres ; fans cela elles refteroient
à la pofte , ou fans réponſe ..
La première carte qui paroîtra , contien
dra le trente- cinquième fiècle du monde.
Ce fiècle eft le feul de toute cette première
partie de l'Hiftoire univerfelle , où
les faits ne foient ni trop , ni trop peu
multipliés pour pouvoir fe préfenter fur
une feule des grandes cartes que nous annonçons
, & fur deux des petites . C'eſt
conféquemment auffi celui qui peut donper
au Public une idée précife de tout
l'ouvrage , & y fervir de nouveau Profpectus.
La feconde carte commencera de
la Création du Monde. Nous nous prefferons
d'arriver aux fiècles intéreffans ; toure
fois fans rien omettre de ce que les livres
faints nous apprennent des autres.
Le fieur Carpentier continue fes cours
A O UST.
1231
1773.
publics de Géographie & d'Histoire , de
Langue Françoife , & de Style épiftolaire ,
les lundi , mardi , jeudi & vendredi depuis
fept heures du matin jufqu'à midi .
Il fe difpofe encore à mettre inceffamment
fous preffe , en douze tableaux , format
moitié du grand colombier , une
methode pour apprendre la langue latine
fans maître ; & en moins de 18 mois. Il
donnera auffi chaque mois un de ces tableaux.
Les perfonnes , tant de Paris que
des Provinces , qui defireront fe les procurer
, font priées de lui en écrire. Une
fois fûr d'une partie de fes frais , il ne
perdra point un inftant pour donner au
Public cette nouvelle marque de fon zèle .
Tableau , tarif& arrondiſſement de la Sénéchauffée
de Bellai , reffortiffant au
Parlement de Paris pour les régales ,
droits des Pairs , parties du Domaine ,
appels principaux comme d'abus , & c .
au Confeil Supérieur de Poitiers pour
les affaires civiles ordinaires & criminelles
; à celui de Clermont pour les
cas eccléfiaftiques & les tailles , Par M.
Mailleboy de la Mothe , confeiller du
Roi , fon avocat au fiége royal de Bel-
"
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
lai . A Paris , chez Des Ventes de la
Doué , libraire , rue St Jacques .
Ce tableau ou indice de la Sénéchauffée
de Bellai contient une notice hiftorique
de cette Sénéchauffée , un réglement.
fait pour le falaire des Huiffiers , & ua
arrondiffement de la Sénéchauffée , afin
de diftinguer dans les endroits communs
avec les Siéges voifins , ce qui en dépend
ou n'en fait pas partię.
•
Deſcription methodique d'une Collection
de matériaux , du Cabinet de M. D..
R. D. L. Ouvrage où l'on donne de
nouvelles idées fur la formation &.
la décompofition des mines , avec un
court expofé des fentimens des miné
raliftes les plus connus fur la nature
de chaque efpèce de minéralifeur qui
s'y rencontre , & la quantité de métal
qu'elle produit. Par M. Romé de
l'ifle , de l'Académie Electorale des
Sciences uriles de Mayence ; vol in 8 ,
A Paris , chez Didot jeune , Libraire,
Quai des Auguftins , près le pont S.
Michel ; Knapen , Libraire - Impris
meur , au bas de la place du Ponts S
Michel.
A O UST. 1773. 125
On trouve chez le même Libraire , des
exemplaires en papier d'Hollande
in-4° , prix 12 liv .
L'Auteur , en faisant cette defcription
méthodique d'une collection particulière
, a eu deffein de donner une minéralogie
complette. 1 s'eft moins attaché
au nombre qu'au choix des minéraux
de ceux principalement qui étoient
les plus propres à répandre du jour
dans la formation des mines en géné
ral , & fur celle de quelques espèces
dont le rapport immédiat avec d'autres
efpèces qui les accompagnent d'ordi
naire , avoit à peine été remarqué.
9 fa
La plupart des minéralogiftes ont bien
expofé les caractères diftinctifs de cha
que eſpèce de mine , d'après la figure
extérieure fon tiffu , fa dureté ,
pefanteur , fa couleur , & fur-tout d'après
les réſultats plus ou moins exacts que
l'analyfe chymique leur avoit fournis ;
mais on n'avoit pas affez expliqué l'intime
liaifon que certaines efpèces ont
entre elles . C'eft le mérite principal
de cet ouvrage , de diftinguer, autant qu'il
eft poffible , les mines primitives ou d'ancienne
formation , de celles qui portent
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
avec elles les traces d'une origine plus
récente . On rencontre , par exemple ,
les terres métalliques fous divers états
qu'il ne faut pas confondre. Elles font
ou pures ou mêlangées ; elles font combinées
ou non , avec le principe inflammable
; elles font à l'état de chaux , ou
minéralisées par le fouffre ou par l'arfenic,
ou par l'un & l'autre à la fois.
M. R. D. L. donne des preuves nombreufes
de la décompofition de certaines
mines & de leur régénération fous une
forme, & des qualités fouvent très différentes
de celles qu'elles avoient aupara
vant. Ilindique quelques uns des moyens
dont la nature fe fert pour opérer ces
transformations dans les mines ; mais
loin de penfer qu'ils foient les feuls , il
eft perfuadé qu'il en exifte beaucoup
d'autres , qu'à l'aide de l'obfervation
& de l'expérience , on parviendra peutêtre
à découvrir un jour . Il fait les diffé
rentes espèces de chacun des minéraux
qu'il décrit ; il donne leur définition en
François , en Allemand , en Latin , tiré
des meilleurs Auteurs ; il décrit chaque
morceau , & y ajoute fes obfervations
qui font d'un favant Naturalifte éclairé
par les connoiffances de la Phyfique &
de la Chymie.
A O UST. 1773 127
Poëfie del fignor Abbate Pietro Metafta.
fio , Poëta è Bibliotecario Cefareo
Poëfies de M. l'Abbé Métaftafe , Poëte
& Bibliothécaire impérial; 6 volumes
in- 12 , prix 18 liv . en blanc. A Paris ,
chez Durand , Libraire , rue Galande .
Cette nouvelle édition faite avec beaucoup
de foin & d'exactitude , peut fervir
de fuite à la collection des Auteurs
Italiens donnés par Prault ; & quoiqu'en
petit format in- 12 & en fix volumes
elle eft plus complette que celle même
en dix volumes in - 8o . de 1785. On trouve
chez le même Libraire , le dixième volume
in 80. qui fe vend féparément , &
par fupplément à l'ancienne édition.
Les Poëfies de M. l'Abbé Méraftafe
font les délices , non-feulement de fes
compatriotes , mais encore des étrangers
qui connoiffent la Langue Italienne .
Ce Poëte a excelié dans tous les genres.
Il a peint avec délicateffe les jeux
des amours & des graces ; il a rendu avec
énergie l'impétuofité des paffions ; il fe
montre toujours maître de fon fujet . Aucun
Poëte n'a fait des vers en quelque forte plus
lyriques , & qui fe prêtent davantage
aux formes & au langage de la Mufi-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE .
que. Auffi prefque toutes fes Tragédies
& fes Poemes ont ils été choisis plufieurs
fois par les plus grands Maîtres
de l'Italie , pour exercer leurs talents ,
& faire briller leur génie. Quoique ces
Tragédies aient été toutes destinées pour
la musique , plufieurs pourroient être
jouées fans le charine de cet art fecondaire
, & faire un grand effet par le
mouvement des grandes paffions , tels que
le Démétrius , le Thémiftocle , le Titus ,
le Régulus , &c.,
L'eftimable Éditeur , M. Conti , a enrichi
cette nouvelle édition de notes
courtes , mais effentielles ; & il a eu
l'agrément de voir fon travail approuvé
par deux lettres de félicitation de M.
I'Abbé Métaftafe . Nous ne pouvons mieux
faire connoître la richelle de cette collection
, qu'en rapportant les titres des
tragédies , & des autres ouvrages contenus
dans chaque volume .
Tome I. Artaxerce , Adrien , Démétrius
, Olympias , Hypfipile , Aëtius , Tra
gédies ; le Songe de Scipion .
Tome II . Didon abandonnée , la clémence
de Titus , Siroës , Caton à Uti .
que , Démophoon , Alexandre dans les
Indes , Tragédies ; la naiffance de Jupiter
A O UST. 1773.
129
Tome III. Achille à Scyros , Cyrus
reconnu , Thémiftocle , Zénobie , Hypermueftre
, Antigone , Sémiramis , Tragédies
.
Tome IV. L'Ifle déferte , le Roi pafteur
, le Héros Chinois , Artilius Régulus
, Nitétis , Hercule entre les chemins
de la vertu & du vice , ( Alcide al Bivio
) , le Triomphe de Clélie , Romulus
& Erfilie , Parthenope , Roger , on
la reconnoiffance héroïque , la mort de
Caton.
→
Tome V. Les Chinois , le Véritable
Hommage , l'Amour prifonnier , le Cyclope
, l'Afyle d'amour , La Paix entre la
vertu & la valeur , le Temple de l'Éternité
, la querelle des Dieux , les Graces
vengées , le Palladium confervé
le Parnaffe accufé & défendu , Aftrée appaifée
, le Songe , Egérie , le Parnaffe en
confufion , Galatée , Endimion , les jardins
des Helpérides , Angélique , les Voeux
Publics , le Bonheur Public , trois Epithalames
; le Chemin de la gloire.
Tome VI. Joas , Roi de Juda ; Béthulie
délivrée , Ste Hélene au Calvaire ,
Jofeph reconnu , la mort d'Abel , la Paffion
de Jefus Chrift. Ode fur la naiffance
de Notre Seigneur pour la fête de Noël.
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
Ifaac , figure du Rédempteur ; Juftin
Tragédie compofée par l'Auteur à l'âge
de 14 ans. Vingt - deux Sonners , cinq
chanfons , dix fept Cantates , le feftin
des Dieux , l'Origine des Loix , l'Enlevement
d'Europe , Lettre de M. l'Abbé
Métaftafio à l'Editeur , Table des Airs .
Tarifs nouveaux & univerfels , où l'on
trouve à l'infini les compres faits pour
Je partage des Sociétés , tel nombre
d'affociés qu'ils foient , & telle fomme
que ce foit à partager ; & pour toutes
les autres parties de partage ,
à tant la
chofe combien une , ainfi qu'un autre.
Pour le marc la livre , où tous les
compres font faits depuis 10 liv. jufqu'à
1000000 livres ; & à l'infini par
explication , par Fleuri , maître de
penfion à Fifmes ; première édition.
A Reims , chez Pierre - Nicolas- Ant,
Piérard , imprimeur libraire , Parvis
Nôtre Dame ; 1773. in 4º.
Cet ouvrage préfente une fuite de calcals
faits qui doivent fans doute abréger
beaucoup le travail de ceux qui font obligés
d'en faire ufage..
A O UST. 1773 131
Élémens d'Hiftoire générale , feconde partie
, Hiftoire moderne ; par M. l'Abbé
Millot , des Académies de Lyon &
de Nancy , cinq volumes in- douze , à
Paris , chez Prault , Imprimeur , Quai
de Gêvres .
On trouve auffi des Exemplaires de
l'Hiftoire moderne , ainfi que de
l'Hiftoire ancienne , & des autres
ouvrages de l'Auteur , chez Durand ,
neveu , Libraire , rue Galande.
Ces élémens de l'Hiftoire font faits ,
non pour des enfans encore incapables
de réflexions fuivies , mais pour la jeu
neffe déjà inftruire par les premières
études , & pour les perfonnes du monde
qui veulent ou acquérir les principales
notions hiftoriques , ou fe les retracer
avec fruit , fans une trop longue étude.
Le titre d'élémens n'eft point fufceptible
ici du fens rigoureux qu'on y attache
en d'autres genres. L'Auteur a
voulu tracer le grand tableau des chofes
humaines , & ne préfenter que ce qu'il
falloit abfolument de détails pour fixer
l'attention fur les faits les plus import
tans à retenir : il a raifonué fur l'hiftoire'
pour en tirer des idées juftes & des com '
F vj
123 MERCURE DE FRANCE .
:
féquences pratiques fur tout ce qui inté
reffe la fociété il s'eft principalement
attaché à rapprocher les objets analogues ,
à marquer l'enchaînement des caufes &
des effets , à obferver le principe des
diverfes révolutions , à fuivre la marche
de l'intelligence humaine , enfin à diftribuer
les matières dans certaines bornes
où elles puiflent être apperçues diftinctement.
Ce plan eft rempli avec beaucoup
d'élégance & de précifion , par M.
l'Abbé Millot , & fon ouvrage fe fait
lite avec autant d'intérêt que de curiofité .
Voici comme il termine cette hiftoire
moderne .
En contemplant les nations Afiatiques ,
la plupart très - malheureufes au centre
des bienfaits de la nature ; en les voyant
peu avancées dans la carrière du génie ,
quoique leurs progrès fuffent prodigieux
en comparaifon des nôtres , fi l'on remonte
au- delà du feizième ſiècle ; en
examinant fur tout le fort des Indiens ,
à qui la terre offre , prefque fans travail ,
les fruits les plus délicieux , & dont le
pays eft prefque défert , fous le fleau da
defpotifme ; en confidérant à quel point.
tout dégénère fous le plus beau ciel , &
comment la valeur même des Tartares
AO UST. 1773. 133
Y devient moleffe & inertie , on connoît
toute l'influence du climat , combinée
avec celle des caufes morales ; on fe
félicite d'avoir une patrie où les vrais
biens de l'humanité font plus folides &
en plus grand nombre , puifqu'ils font
le fruit tardif de la raifon , du travail , de
cette induftrie créatrice qu'excite le befoin
, que la liberté anime , & qui fait
triompher l'homme de tous les obftacles
de la nature , ou plutôt qui foumer
én quelque forte à fes loix la nature
entière.
Malheureufement le choc des paffions ,
des erreurs & des abus , traverſe encore
à beaucoup d'égards les effets d'une lumière
bienfaifante . Sans doute la fociété
humaine & politique n'eft point capable
d'un certain degré de perfection : les
vices y feront toujours éclore des ronces
; l'intérêt particulier y fera toujours
en guerre fourde avec l'intérêt général,
Mais qu'un Gouvernement éclairé &
ferme entreprenne de réformer , finow
tous les abus , ( chofe impoffible ) , du
moins tous ceux que la prudence permet
de profcrire ; qu'il fonde la prof
périté publique fur des loix fimples ,
impartiales , maintenues avec autant de
vigueur que d'humanité ; qu'il encourage,
134 MERCURE DE FRANCE.
& les travaux qui nourriffent les peuples,
& ceux qui les éclairent utilement ; qu'il
falle paffer aux moeurs & aux talens
refpectables la confidération ufurpée par
l'infolente fortune ; que l'éducation furtout
forme des citoyens pour les divers
états que l'on doit remplie , au lieu
d'ufer la jeuneffe dans une étude ſtérile
de mors , au lieu de lui infpirer le dégoût
des bonnes chofes , en les forçant
de dévorer l'ennai d'un inutile travail :
ofons le prédire avec confiance , un tel
changement , s'il arrive jamais , produira
des miracles de félicité & de
gloire dans la partie de l'Europe où il
fera exécuté .
C'est l'erreur , prefque toujours une
erreur abfurde , qui a enfanté les mauvais
principes , les mauvaifes inftitutions ,
les mauvaiſes loix , les mauvais fystêmes
d'où font nés la plupart des maux de
la fociété civile ; l'hiftoire le démontre
par une infinité d'exemples ; l'hiftoire
devroit donc apprendre aux Rois &
aux hommes d'Etat à corriger les défauts
du Gouvernement , & à pofer les vrais
fondemens du bien public ; elle doit
apprendre aux Miniftres de la religion
à la rendre de plus en plus refpectable ,
en l'appliquant au bonheur du citoyen ,
AOUST. 1773. 135
par la culture de la vérité & des
moeurs ; elle doit apprendre aux particuliers
que nul bien n'exifte fans quel
que mêlange de mal ; que la perfection
eft une chimère ; qu'il faut favoir fupporter
ce qu'il eft impoffible de changer ;
que la modération fait également la
fageffe & le bonheur ; enfin que pour
vivre heureux avec les hommes , il faut
pouvoir vivre content avec foi même ,
avantage précieux attaché à la raifon &
à la vertu.
La génération ou expofition des phénomènes
relatifs à cette fonction naturelle ,
de leur méchanifme , de leurs caufes
en partie , & des effets immédiats qui
en réfuftent , traduite de la Phyfiologie
de M. de Haller , augmentée de quel
ques notes & d'une differtation fur
F'origine des eaux de l'Amnios , 2 vol.
grand in- 8° . à Paris chez Des Ventes
de la Doué , Libraire , rue S. Jacques ,
vis- à- vis le College de Louis le Grand
Les favans connoiffent le mérite de
la Phyfiologie de M. de Haller tout
volumineux qu'eft ce grand ouvrage
on ne peut lui reprocher ni redondance
ni redites , & le lecteur y admira même
136 MERCURE DE FRANCE.
dans les moindres détails , les grandes
vues de fon Auteur & l'immenfité de
fes connoiffances .
"
Quoique la partie de fa Phyfiologie
qui concerne la génération , en foit
prefque le terme , elle eft traitée avec
autant de foin & de vérité que d'érudition.
Le méchanifme de la reproduction
des êtres animés , eft un mystère
impénétrable à l'oeil du Phyficien ; cependant
elle eft le réfultat d'un nombre
de caufes de détail qui ne nous font
pas entièrement cachées ; elle donne lieu
auffi à beaucoup de phénomènes qui
font foumis à nos fens : mais nous
nous n'avions avant M. de Haller ,
fur ces objets , que des obfervations
éparfes & fans ordre ; la plupart étoient
Contradictoires , tontes manquoienr de
précifion , & beaucoup d'entr'elles étoient
totalement fauffes ; il en étoit de même
des raisonnemens qu'on avoit faits d'après
ces obfervations. Puifque les chofes
étoient mal vues , il étoit impoffible
que les conféquences qu'on en tiroit
fuffent conformes à la vérité. Notre Au
teur infatigable dans fes travaux , a pourfuivi
la nature dans fes derniers retranchemens
; il a fait & répété à l'infini des obfervations
fur des cadavres , fár des emA
O UST. 1773 , 137
bryons , fur des fétus , fur des animaux
vivans , fur des oeufs à l'incubation , & c.
enfin il eſt parvenu à répandre autant
de clarté & de certitude qu'il étoit poffible
, dans une matière auffi obſcure
que l'eft la génération . Sans entrer dans
le détail de la manière dont elle eft
traitée , on peut dire qu'il eût été impoffible
de le faire d'une manière plus
fatisfaifante ; & nous ajouterons que les
détails en font curieux & intéreſfans .
M. le Bas , Cenfeur Royal , célèbre
Maître en Chirurgie & Auteur de pluhieurs
bons ouvrages , juge que le Traducteur
a rendu les idées de l'Auteur
avec juſtelle & précifion , & que l'ouvrage
de M. de Haller a rencontré dans
cette traduction ce qui lui étoit néceffaire
pour être à la portée de fes lecteurs
; que les notes ajoutées par le Tra
ducteur décèlent l'homme inftruit dans
cette matière , & font d'un grand fecours
pour l'intelligence du texte Le traducteur
donne auffi la folution d'un problême important
& difficile fur l'accouchement.
Vocabulaire Technique , ou Dictionnaire
raifonné de tous les termes ufités dans
les Arts & Métiers , tome cinquième ,
fervant de fuite au Dictionnaire des
138 MERCURE DE FRANCE.
·
Arts & Métiers ; par M. l'Abbé
Jaubert , de l'Académie des Sciences
de Bordeaux . On pourra encore foufcrire
pour cet ouvrage jufqu'au premier
Octobre prochain , en payant
les cinq volumes en feuille 20 livres.
•
Le Vocabulaire Technique ou le
Dictionnaire des termes employés dans
les Arts & Mériers , doit d'autant plus
intereffer les artiftes & les amateurs ,
que cette momenclature manque abfo
lument dans notre langue , & qu'elle
doit contribuer à l'enrichir.
Si depuis un fiècle les arts libéraux
& les fciences ont enrichi la langue
françoife de plufieurs mots nouveaux ,
quelle richelle ne peut on pas encore
tirer des arts méchaniques , où la prodigieufe
quantité de machines & d'ontils
nouveaux , donne fans ceffe le befoin
d'expreffions nouvelles ?
Ce Vocabulaire eft fuivi d'une table
hiftorique , dans laquelle on trouve les
noms des inventeurs des arts , de ceux
qui s'y font diftingués en les perfectionnant
, des Auteurs qui en ont traité ,
& tout ce qu'il y a d'hiftorique , relativement
à l'origine , aux progrès de ces
A O UST. 139 1773.
mêmes arts , & aux différentes matières
qu'on y emploie.
Hiftoire de l'inoculation de la petite vérole ,
ou Recueil de Mémoires , Lettres
Extraits & autres écrits fur la petite
vérole artificielle ; par M. de la Condamine
, de l'Académie Françoiſe &
de l'Académie Royale des fciences .
Qui novus hic noftris fucceffit fedibus hofpes &
Quem fefe ore ferens ?
VIRG.
feconde partie , in - 12 . A Amfterdam ,
par la Société Typographique ; & à Pa..
ris , Hôtel de Thou , rue des Poitevins,
1773 , in- 12 .
On a raffemblé dans cet ouvrage ce
que M. de la Condamine a publié . fur
la petite vérole artificielle , non feulement
les difcours qu'il a lus dans les
féances publiques de l'Académie Royale
des Sciences , mais encore tout ce qui
eft difperfé dans un grand nombre de
recueils on y a joint auff beaucoup de
pièces qui n'avoient pas encore vu le
jour. L'Auteur a toujours eu foin de
citer les garants de tous les faits qu'il
avance , &de mettre fes lecteurs à portée
140 MERCURE DE FRANCE.
2
de s'inftruire à fond fur la matière qu'il
traite , en indiquant les ouvrages les plus
eftimés en ce genre. Cette hiftoire fi
intéreffante pour l'humanité , répand le
plus grand jour fur les bienfaits de l'inoculation
, par l'enſemble des faits , des
objections , des réponſes , de l'adoption
de cette méthode par toutes les nations
policées , & de fes fuccès conftans
& démontrés.
Traité de la nouvelle méthode d'inoculer
la petite vérole ; par M. Vieuffeux ,
D. M.
Le vrai peur quelquefois n'être pas vraiſemblable.
BOIL. art, počt.
A Genêve, chez Emmanuel Duvillard,
1773 , in- 8° .
On confidère dans cet ouvrage l'âge
le plus convenable à l'inoculation , ainfi
que les faifons , les tempéramens , la
préparation , l'inoculation , les effets de
l'opération , le traitement & les avantages
de la nouvelle méthode . On répond
aux objections faites contre cette prati
que ; on donne le détail de quelquesunes
des premières inoculations faites
A O UST. 1773 : 141
Genève ; on fait l'application de la
nouvelle méthode au traitement de la
petite vérole naturelle , & l'on en examine
les fuites.
L'Amour à Tempé , Paftorale érotique
en deux actes & en profe ; par Madame
C. à Paris , chez la Veuve
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques ;
Durand, neveu , rue Galande ; Delalain ,
rue de la Comédie,
L'Amour fe félicite d'être à Tempé ;
il prend les habits qui lui ont été confacrés
par un berger ; & fous ce dégui
fement , il confulte les coeurs de fes ſujets,
Moris croit en vain que fes richeffes fuffi
fent pour le faire aimer de Pholoć: le jeune
Hyacinthe lui eft préféré. Maris déve
loppe le caractère d'un homme dur , avare
& jaloux, Hyacinthe & Pholoé plaifent:
par leur innocence & leur ingénaité :
leur rendreffe fait leur bonheur & leur :
richeffe ; ils s'amufent à de petits jeux
auxquels l'Amour paroît aui s'intéreffer.
La cabane d'Yphianaffe , mère de Pholoé ,
elt embrâfée , & Maris leur offre fa
maiſon , à condition qu'il époufera
Pholoé. La Bergère gémit de cet accident
cruel, & plus encore d'être féparée હૈ
142 MERCURE DE FRANCE.
de fon amant , qui doit , fuivant l'Oracle ,
recevoir une Nymphe de la main d'un
Dieu . Mais le fidèle Hyacinthe veut
toujours être à Pholoé. Lamon , père
d'Hyacinthe , offre la cabane lorfqu'on
vient encore annoncer qu'elle est écroulée .
Maris renonce alors à Photoé , craignant
d'avoir trop d'infortunés à fecourir . Enfin
l'amour fe fait connoître ; il couronne
les voeux des deux Bergers ; il les comble
de biens & affure leur bonheur ; il maudit
le riche & dur Maris ; il lui dit : « Le
» dégoût volerá fur ta tête , tu maudiras
» tes richelles , & ton exemple redoutable
épouvantera Tempé , tant que l'amour
» fera la plus chère des paflions de fes
habitans ; car j'en jure par le Styx ,
» c'est ainsi que je traiterai déformais
" tous les riches fans humanité. »
ลง
li eft difficile de foutenir l'attention avec
une poftorale , fans le fecours du chant &
des danfes ; l'action en eft toujours trop
fimple pour être dramatique , & le lan-,
gage & les moeurs nous font trop étrangers
intéreffer. L'Ydile & l'Eglogue font pour
pareillement des genres abandonnés , parce
qu'ils n'ont que les mêmes images &
les mêmes comparaifons à nous offrir, &
que tout a cté dit.
A O UST. 1773. 143
Hiftoire des Philofophes anciens , & celle
des Philofophes modernes ; par M.
Savérien ; avec leurs portraits .
Bleuet , Libraire fur le Pont S. Michel ,
& Guillaume fils , auffi Libraire fur la
place dudit Pont , préviennent le Public
qu'ils ont acquis l'Hiftoire des Philofophes
anciens ; par M. Savérien , s volumes
in- 12 , & celle des Philofophes modernes ,
par le même Auteur , & volumes in- 4°.
& 8 volumes in- 12 , avec leurs portraits .
Comme les premiers volumes de ces
deux différens ouvrages ont été imprimés
plufieurs fois pendant les quinze années
qu'on a mis à les exécuter , & qu'il ne
refte qu'un certain nombre d'exemplaires
des derniers volumes , les fufdits Libraires
ne s'engagent à en donner des
féparés , pour compléter ceux qui ont
le commencement , que jufqu'au premier
Janvier 1774.
Telle est l'annonce des Libraires que
nous venons de nommer, & qui ont acquis
l'Hiftoire générale desPhilofophes anciens
& modernes , dans laquelle ils ont ajouté
que pour donner à l'in- 4° . un degré de
mérite qu'il n'avoit pas , ils ont fair
graver de nouveaux cartouches , ceux dont
144 MERCURE DE FRANCE.
on s'étoit fervi jufqu'à préfent faifant
un très mauvais effet ; & on trouve en- *
core dans cette annonce les noms des
Philofophes anciens & modernes qui
compofent les treize volumes de l'Hif
toire générale des Philofophes. Dans
notre Mercure d'Ayril , fecond volume ,
nous avons fait connoître ceux qui rempliffent
les & volumes de l'Hiftoire des
Philofophes modernes , en annonçant
la publication du huitième & dernier
volume de cette hiftoire . Nous nous
bornerons donc ici à tranfcrire les noms
des Philofophes anciens , pour mettre
le Public à portée de connoître toute
cette compofition.
Philofophes antiens .
Tome I. Lycurgue , Solon , Chilon ,
Pittacus , Bias , Cleobule , Efope , Anacharfis
, Epimenide , Pherecyde.
Tome II. Xenophane , Zenon d'Elée ,
Héraclite , Démocrite , Protagoras , Socrate
, Euclide de Megare , Platon ,
Ariftippe , Xenocrate.
TomelII . Antifthene, Diogene , Cratès,
Zenon , Chryfippe , Epicure, Theophrafte,
Accéfilas , Pyrrhon , Carneade.
Tome
A O UST. 1773. 145
Tome IV. Seneque , Epictete , Ap
lonius de Thyane , Marc Aurele , Con-"
fucius , Thales , Pythagore , Anaxagore ,
Leucippe , Pytheas.
Tome. V. Ariftote , Archimede ,
Hypparque , Pline , Ptolomée , Albertle
grand , Roger Bacon , Arnaud de
Villeneuve .
Phædri Fabulæ. L. Annæi Senecæ ac Publii
Syri Sententiæ. Aurelia , fumpt.
Couret de Villeneuve Jun . Bibliop
. 1773 .
Cette petite édition , en très-petit'
format & très - petits caractères , eft à
limitation de celle du Louvre , & pirfaitement
exécutée : elle fe vend ,
reliée en maroquin , 6 liv.; & fe trouve
à Paris chez Saillant & Nyon , Libraires ,'
rue S. Jean de Beauvais .
1
On trouve Hôtel de Thou , rue des
Poitevins , un ouvrage nouveau , intitulé
: Hortus Romanus , juxta fyftema
Tournefortianum ; curâ & ftudio Georgit
Bonelli , publico Medicina Profeffore ,
cuni - 100 . Tabulis in cere incifis , &
coloribus depictis , à Liberato Sabbati ,
G
146 MERCURE DE FRANCE.
Chirurgie Profeffore , & horti cuftode .
In Roma 1772 , in fol. cartâ maximâ .
Avis fur la contrefaction de la collection
de Jurifprudence par feu Me Denifart.
E
Il eft de l'intérêt du Public d'être averti
qu'on a contrefait la collection de jurifprudence
par feu Me . Dénifart , & que
cette contrefaction eft incomplette &
remplie de fautes effentielles .
Elle est défectueule en ce que depuis
l'édition de 1771 , qui eft la dernière &
la feule véritable , il a été imprimé un
carton , & les fautes corrigées par ce carton
fe trouvent confervées dans la con
trefaction . De plus , cette contrefaction.
imprimée à la hâte comme tous les ouvrages
de cette nature , où la feule avidité du
gain , la crainte d'être faifi & puni fuivant
la rigueur des ordonnances , empêchent
de donner le foin & l'attention
convenables , eft remplie d'une infinité de
fautes d'impreffion ; notamment dans les
dates où l'on trouve tantôt 1735 pour
1753 , 1748 pour 1758 , & c. &c . & c.
En forte qu'on feroit expoſé à citer faux
autant de fois que l'occafion de citer fe
préfenteroit.
AOUST. 1773 . 147
La hardieffe & la fraude du contrefac
teur ont été jufqu'au point d'annoncer
cette édition comme étant la huitième ,
revue , & confidérablement augmentée
& fe vendant chez la Veuve Defaint ,
Paris 1773 , lorfqu'il eft notoire qu'il n'y
a pas d'autre édition actuelle que la ſeptième
, donnée au Public en 1771 , avec
le privilégeà la fin du quatrième volume,
privilége omis prudemment dans la contrefaction
: obfervons encore qu'il s'y
trouve plus de 400 pages de moins que
dans la véritable édition de 1771 , ce qui
provient de la fineſſe du caractère imprimé
très- blanc , & par là , très- fatigant
pour les yeux des défauts i marqués
doivent bien fuffire pour faire rejeter
cette contrefaction . Le feul intérêt du
Public , iudépendamment de l'équité naturelle
, le portera fans doute à préférer
l'édition originale qui eft la feptième
fous la date de 1771. Elle ne peut fe
trouver que chez la Veuve Defaint , libraire
, à Paris, rue du Foin St Jacques ,
attendu qu'elle en a feule &le fonds & le
privilege , ainfi que celui des actes de
Notoriété du Châtelet de Paris , donnés
par le même auteur , & réimprimés avec
augmentations en 1769.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE .
ACADÉMIE.
Séance publique de l'Académie royale de
Nifmes , tenue dans la falle de l'hotelde
ville , le mardi 8 Juin 1773 .
M. l'Evêque de Nimes , protecteur de
l'Académie, a ouvert la féance par un
difcours fur l'ufage que les gens de lettres,
& principalement , les Académiciens
doivent faire de leurs talens , & les
écueils qu'ils doivent éviter.
M. de Verot , Confeiller au Confeil
Supérieur , Directeur de l'Académie
après avoir exhorté les Académiciens
remplir les devoirs que ce titre leur impofe
, a fait l'éloge hiftorique de feu
M. Léon Ménard , de l'Académie de
Nîmes , & de celle des infcriptions &
belles lettres de Paris.
M. Teiffier de Marguerittes , ci-devant
Affocié libre , nommé depuis peu Aca
démicien à la place de feu M. de Lafcel
fon parent , a fait un remerciement à
ce fujet ; après lequel il a lu l'éloge hiftorique
de fon prédéceffeur , & celui de
A O UST. 1773. 149
M. Novi de Caveirac fon oncle , Doyen
du Confeil Supérieur , que l'Acadéínie
a perdu depuis quelques mois , pendant
qu'il en étoit Directeur . M. de Marguerittes
a terminé fon éloge en lui appliquant
ces deux vers d'Horace fur la mort
de Quinctilius :
€
Multis ille bonis flebilis occidit ,
Nulli flebilior quàm mihi.
M. Baragnon , Avocat , a lu une élégi
fur la mort de fon fils , & fur celle de
fon ami.
M. l'Abbé Paulian a fait part à la
Compagnie d'en Mémoire fur les comètes
, dans lequel , après avoir expolé
& rétuté le fentiment d'Ariftote & celu
de Descartes fur cette matière , il a rapporté
divers argumens tendans à prouver
que les comères font de véritables planettes
, dont le cours eft fi bien réglé ,
que leur apparition ne doit donner aucune
alarme aux habitans de la terre
& qu'elles ne fçauroient avoir aucune
influence fur notre globe , non plus que
ce qu'on appelle leur queue , leur barbe ,
leur chevelure.
j M. Vincent , Négociant , Chancelier
de l'Académie , a la une Fable allégo-
G iij
150 MERCURE DE FRANCE:
rique , intitulée , l'Induftrie & la Force ,
dont le but est de montrer que les productions
de la terre , telles que la nature
les fait naître , même avec le fecours de
l'agriculture , ne font point fuffifantes à
l'homme , & que c'est l'induftrie qui lui
procure les jouilfances qui rendent fa vie
heureufe dans la fociété.
Après la lecture ces divers ouvrages ,
M. Seguier , Secrétaire perpétuel , a annoncé
le fujet d'un prix pour l'année 1774 ,
par la lecture du programme ci joint : il y
a ajouté quelques confidérations fur les
avantages qui réfulteroient pour la Ville
de Nîmes , des fontaines qu'on pourroit
diftribuer dans les différens quartiers , &
a rendu au généreux anonyme qui a fait
les fonds du prix , le tribut d'éloges dû
à fon zèle & à fon patriotifme.
Enfin M. de Verot , Directeur , a
terminé la féance par quelques réflexions
fut le fujer propofé par l'Académie.
Programme de l'Académie Royale de
Nifmes.
Prix proposé pour l'année 1774.
Un Citoyen a fait remettre à l'Aca .
démie 300 liv .; il les a deſtinées à l'AuA
O UST. 1773 .
teur qui , au jugement de l'Académie ,
aura le mieux traité un fujet , non de
pur agrément , ni d'une utilité trop gérale
, mais d'une utilité propre à la Ville
de Nifmes.
Pour remplir les vues de ce zélé Ciroyen
, l'Académie donnera une médaille
d'or de la valeur de 300 livres , ou la
même fomme en argent , à celui qui
indiquera ,
Le moyen le plus fimple & le moins
difpendieux d'avoir des fontaines dans
différens quartiers de la Ville de Nifmes.
Les Auteurs enverront , franche de
port , une copie lifible de leur ouvrage ,
à M. Seguier , Secrétaire perpétuel de
l'Académie.
Ils écriront fur cette copie une fentence
; ils y joindront un billet cacheté ,
qui contiendra leur nom , leur qualité ,
leur demeure , & für lequel la même
fentence fera répétée . Ce biller ne fera
point ouvert i l'ouvrage n'eft point
couronné.
Les ouvrages envoyés après le 31 Mars
1774 , ne feront point reçus .
Les Membres de l'Académie , fes
Affociés , & les Auteurs qui fe feront
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
fait connoître , ne feront pas adinis au
concours.
Le prix fera adjugé , & l'ouvrage qui
laura mérité fera lu à la féance publique
du 7 Juin 1774.
SPECTACLES.
OPÉRA.
L'Académie royale de Mufique a donné
le vendredi 16 Juillet , la première repréfentation
des Fragmens héroïques ; Ballet
compofé de l'acte d'Ovide & Julie,,
de celui du Feu ( des Elémens ) & de
l'acte des Sauvages.
Le Poëme de l'acte d'Ovide & Julie
eft de Fuzelier ; la Mafique eft de M. de
Cardonne.
Les acteurs font Julie fille d'Augufte ,
repréfentée par Mde . Larrivée.
Albineconfidente de Julie , Mile: Beaumefnil.
Ovide , M. le Gros,
Julie ne peut cacher l'amour qu'elle.
reffent pour Ovide ;
Et comment oublier l'objet de mon amour?
1
A O UST. 153 1773.
trop chère.
Non , non , ma flamme m'eſt
Ovide eft fait pour charmer : .:
Nous tenons de lui l'art d'aimer ;
Il fait encor mieux l'art de plaire.
en
Ovide ne peut auffi difſimuler la `paſfion
qu'il a pour Julie . Il cède aux vives
inftances de cette Princeffe
avouant qu'elle eft la charmante Corine
qu'il célèbre dans fes Vers . Mais
Julie lui dit :
1 T
Contraignez les tranfports que vous faites pa
roître ,
༤ n
Cachez toujours Corine à tous les yeux ,
Je prétends feule la connoître.
Cet acte finit par des jeux dont Ovida
eft l'ordonnateur. Le Ballet eft agréa
ble , & de la compofition de M. d'Auberval.
Le chant eft parfaitement rendu par
Mlle. Larrivée , & M. le Gros.
La Mufique fait honneur à M. de Car
donne ; mais le Poëme a parú froid &
fans intérêt ; on fe difpofe à le remplacer
par celui de Coronis , du Ballet des
Amours des Dieux .
L'acte du Feu eft tiré du Ballet des Elé
ComAlting i
154 MERCURE DE FRANCE .
mens dont les paroles font de Roi , &
la Mufique de Destouches .
Les Acteurs font Emilie , Mlle Duplant
Valère ,.
TAmour ,
. M. Larrivée.
Mlle la Guerre .
Emilie Prêtreffe de Vefta , doit bientôt
fecevoir les loix de l'Hymen ; elle
veille pour la dernière fois à la confervation
du feu facré.
EMILI E.
OVefta , terrible déeffe !
Tu veux qu'un crépas honteux
Soit la peine de la Prêtrefle
Qui laifle éteindre tes feux.
Aux Prêtreffes.
Que vos feins affidus préviennent fa vengeance ;
Que vos fidèles coeurs attirent les bienfaits .
Un noeud mystérieux enchaîne pour jamais
Ses honneurs & notre puiffance.
Valère , amant d'Emilie , entraîné par
fon impatience , s'introduit dans le Temple
de Vefta. Emilie eft effrayée de fon
imprudence , Valère lui répond.
Quel afyle févère .
Et interdit à l'Amour?
AO UST. 1773 . 155
Dans quel temple ce Dieu ne fe fait - il pas jour à
Il eſt le fouverain des Dieux qu'on y révère.
Le feu facré s'éteint par la négligence
d'Emilie le Temple retentit de cris
d'alarme , & de vengeance .
Mais l'Amour vient fecourir les amans .
Mon flambeau fur l'autel fait revivre la flamme.
Les maux que fait l'Amour , il fait les réparer ;
Vivez , belle Emilie , & raflurez votre ame ,
C'est votre hymen que je viens éclairer.
La mufique de cet acte a été en grande
partie refaite & arrangée par M. Berton
, l'un des Directeurs ; & il eft facile
de diftinguer fon travail au charme
de fa mélodie , & par les grands traits
d'une harmonie tantôt douce & moelleufe
, tantôt fière & impofante . Aufi
cet acte n'a jamais eu un fuccès aufli
brillant qu'à cette reptife . I eft fupérieurement
joué & chanté par Mlle Duplant
, & par M. Larrivée .
Le Ballet eft de la compofition de
M. Veftris qui lui - même y danfe , &
y reçoit beaucoup d'applaudiffemens ainfi
que Mlle Guimard,
Le Poëme de l'acte des Sauvages eft
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
C
de Fuzelier , la Mufique eft de Rameau.
M. Tirot y joue le rôle de Damon
Officier François .
M. Gelin , Dom Alvar , Officier Ef
¿pagnol.
t
Mlle Rofalie , Zima , fille d'un Chef
d'une nation fauvage.
M. Durand , Adario , amant de Zima.
L'Amant Amériquain ne peut voir
fans inquiétude les deux étrangers épris
de l'objet de fes voeux.
ve
Rivaux de mes exploits , rivaux de mes amours ,
Hélas ! dois je toujours
Vous céder la victoire ?
Ne paroiflez- vous dans nos bois
Que pour triompher à la fois
De ma tendrelle & de ma gloire ?
12
I apperçoit les deux officiers , & le
cache pour les obferver .
Alvar , Efpagnol , prétend mériter le
coeur de Zima , par fa conftance tyrannique
; Damon , François , fait au conraire
l'éloge de l'inconftance.
L'inconftance ne doit bleffer's
V
Que les attraits qu'elle abandonne.
Mon ; le fils de Vénus ne peut pas s'offenler
AOUS T. 1773 . 157
Lorfque nous recevons tous les traits qu'il nous
donne.
- Un coeur qui change chaque jour,
Chaque jour fait pour lui des conquêtes nouvelles
.
Les fidèles amans font la gloire des belles ;
Mais les amans légers font celle de l'Amour.
Zima fe déclare pour Adario fon amant,
en difant à l'Espagnol :
Vous aimez trop
Au François .
Et vous , vous n'aimez
pas affez .
La mufique de cet acte pleine de force,
d'harmonie & de caractère , fera tou
jours le plaifir des Amateurs. Le Ballet
de la compofition de M. Gardel á paru
très agréable. Il y danfe plufieurs entrées
qui ont réuni tous les fuffrages . M.
d'Auberval & Mlle Alard exécutent un
pás de deux d'une excellente Pantomime
, & de l'exécution la plus brillante.
• 1
158 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE ITALIENNE.
4
LEs Comédiens Italiens ont donné
lundi 19 Juillet , la première repréfentation
de la reprife d'Acajou , Opéracomique
en trois actes en profe , mêlé
de Vaudevilles. Le conte d'Acajou
de M. Duclos a fourni le fujet de cet
Opéra-comique , & M. Favart en a fait
un ouvrage excellent , où il y a beau
coup de comique , de fcènes charmantes
, & de bonnes plaifanteries. Ce drame
eut fur le théâtre de l'Opéra- comique un
fuccès prodigieux , & mériteroit d'en
avoir un pareil à cette reprife , par la
manière dont il eft joué & chanté par
Mde Trial dans le rôle de Zirphile
, par Mde Billioni › dans le rôle
dAcajou . M. la Ruette rend très - comi
quement le médecin Spadaffin . M. Trial ,
le . Poëte géomètre , & M. Suin , l'Avo
cat médecin . Le Génie Podagrambo , &
la Fée Arpagine font joués par Mrs.
Nainville & Thomaſſin . Il ſeroit à defirer
que l'on reprit aina quelques- uns de ces
anciens Opéra comiques ; ils doivent
plaire au François avec d'autant plus
-
A O UST. 1773. 159
de raifon qu'il eft le père de ce genre ,
& du Vaudeville gai & malin qui fait
l'ame de ce spectacle .
A M. FAVART , furfon Acajou , remis
au Théâtre.
AIR: Ilfaut quand on aime une fois.
La fel de tes heureux couplets ,
Les graces de ton ftyle ,
Favart , feront vivre à jamais
Le joyeux vaudeville :
Pour garant , crois- en le fuccès
D'Acajou , de Zirphile.
Qu'à ce fuccès elle eût pris part !
Celle à tout peindre habile ,、
Chez qui les fineffes de l'art
Etoient un don facile.
Quel charme ajoutoit ta Favart
Au traits du vaudeville.
Par M. Guerin de Frémicourt..
160 MERCURE DE FRANCE.
A Madame TRIAL , jouant le rôle de
Zirphile.
AIR : Ah! le bel oifeau , Maman.
QUE
UE ne rajeuniroient pas
Tes talens , belle Zirphile ,
Que ne rajeuniroient pas.
Tes accens & tes appas ?
Charmer les goûts délicats ,
En tout genre t'eft facile ;
Avec gloire fur tes paso
Marche encor le vaudeville .
Que ne rajeuniroient pas , &c.
Par le même.
A Madame BILLIONI , jouant le rôle
V
d'Acajou.
AIR: Sans le favoir.
OTRE talent , votre art ſe plic ,
A tous les plaifirs de Thalie :
Tendre Acajou , j'aime à vous voir
Beau garçon, & Nymphe jolie ,
Tour- à-tour , charmer notre efpoir ;
Et donner douce jaloufic
Sáns le favoir.
A OUST 1773. 161
ARCHITECTURE.
Differtation fur les diftributions des Anciens
, comparées avec celles des Modernes
, & fur leur manière d'employer
les colonnes. Par M. Peyre , Architecte
du Roi & de fon Académie d'Architecture.
QUOIQUE l'Architecture n'ait pas pris naiſſance
en Italie , & que les Romains n'ayent été que les
imitateurs des Grecs & des Egyptiens , ils ont tellement
furpaflé ces autres peuples , que c'eſt à juſte
titre que toutes les Nations cherchent à découvrir
fous le peu de ruines qui nous reftent de leurs fameux
monumens , quels étoient leurs principes.
Sous le règne d'Augufte , l'architecture étoit
parvenue au plus haut degré de fa gloire ; mais
comme s'il y avoir un point de perfection qu'il
n'eft pas poffible de patler , elle dégénéra depuis
ce tems jufqu'au renversement total de l'Empire.
11 fe pafla enfuite plufieurs fiècles où elle fut
tout-à fait ignorée : ce ne fut que fous celui de
- Côme de Médicis & de Léon X , que les Bramanté ,
les Péruzzi , les Jangallo , les Michel Ange , les
Vignolle firent des recherches fur les monumens
des Anciens , tâchèrent de les imiter, & remplirent
Rome de bâtimens qui ont depuis fervi de modèles
aux autres Nations . Depuis ce tems tous les
Peuples de l'Europe envoyèrent des Artiftes à Ra162
MERCURE DE FRANCE.
me , pour y étudier l'architecture ; mais comme
il cft bien plus facile d'étudier d'après des monumens
entiers , que de faire des recherches pénibles
dans des ruines , on fe contenta d'étudier les
modèles des nouveaux maîtres , & à peine regardoit-
on les reftes fublimes de l'antiquité .
C'est ce qui a été caufe que nous fommes parvenus
très -lentement à faire des progrès en France
dans l'architecture. Quoique nous ayons eu d'ha
biles Architectes depuis le règne de Henri II , ce
n'eft que dans le fiècle de Louis XIV que l'on a
ofé faire des colonnades ; encore at - on accouplé
les colonnes ; ce qui eft tout à fait contraire aux
principes de la belle architecture des Anciens.
Palladio étoit fans contredit de tous les Architectes
modernes celui qui connoifloit le meux leurs
principes ; auffi voyons- nous que tous les bâtimens
qu'il a exécutés dans l'Etat Vénitien font
dans un bon ftyle & font le plus grand plaifir
même à ceux qui n'ont aucune connoillance de
l'architecture .
Nous commençons à reconnoître que les monumens
des Anciens étoient d'un ftyle bien plus
grand & plus impolant que tout ce que l'on a fait
depuis eux. Ce n'eft pas , je crois , faure d'avoir eu
des hommes de génie , mais la grande quantité de
bâtimens que les Romains ont faits , les fommes
immenfes qu'ils avoient à dépenser , l'esprit de
grandeur qui regnoit alors , les honneurs que
l'on accordoit aux grands talens , toutes ces cho-
Les étoient faites pour élever l'ame & pour enga
ger les hommes à le futpafler eux mêmes. Si nous
n'avons pas les mêmes reflorts qu'eux , cherchons
au moins à profiter de leurs découvertes , pour
donner à nos bâtimens , quoique moins confidébles
, cet air de nobleffe qu'ils favoient imprimer
A O UST. 1773. 163
même aux plus petites choſes ; c'eſt ce que nous
commençons à faire. Nous voyons s'élever de nos
jours les Eglifes de Ste Géneviève & de la Madelaine
en colonnes iſolées : il ne falloit pas des Artiftes
moins célèbres que ceux qui font chargés de
ves deux monumens , pour franchir ce pas.
Jufqu'à préfent nous nous femmes perfuadés
que les Anciens ne connoiſloient , dans les difpoitions
intérieures de leurs Palais , que des pièces
très - grandes , mais qu'ils ignoroient ce que nous
appelons diftribution commode : il eft vrai qu'en
général nous ne trouvons dans les ruines de leurs
Palais que des pièces fort vaſtes , mais nous ne
faifons pas réflexion que les parties de détail` ,
ayant été conftruites beaucoup plus légèrement
que les grandes parties , ont été bien plus faciles à
détruire, & que la chûte même des entablemens &
voûtes des grandes pièces qui les environnoient ou
les furmontoient, devoit les écrafer néceflairement.
Il en refte cependant quelques parties affez bien
confervées dans les ruines de la ville Adrienne ,
& j'en levai les plans en 1755 avec MM . Moreau
& de Wailly. Nous trouvâmes des diftributions
dans le goût de celles que nous faifons actuellement
, de petites pièces avec alcoves en brique ,
des dégagemens , des corridors , des places de baignoires.
Il reftoit encore les marques des endroits
par où pafloient les tuyaux . Il y avoit auffi
quelques parties d'arabefques. Nous reconnûmes
parfaitement que ces diftributions étoient du même
tems que les fabriques qui les environnoient :
nous en trouvâmes plufieurs dans ce genre & toutes
variées.
Ce n'étoit fûrement pas par hafard que les
Anciens avoient fait ces diftributions : ils avoient
164 MERCURE DE FRANCE.
·
donc l'ufage de les employer dans leurs palais ;
mais quoiqu'il n'en refte que très peu de veſtiges,
il en fubfifte affez pour prouver qu'ils avoient
des connoiflances très - étendues dans cette partie
de l'Architecture.
X
L'on trouve encore fur la voie Appia plufieurs
ruines des mailons de campagne des Romains ,
' où l'on reconnoît auffique les diftributions étoient
tout- à fait ingénieufes.
Mais quand on ne trouveroit plus rien qui indiquât
que les Anciens connoilloient cette partie,
pourroit- on fe perfuader que dans le tems où le
luxe & la mollelle étoient portés au dernier degré
dans Rome , cù l'on ne négligoit rien de ce qui
pouvoit flatter la vanité & la fenfualité , où l'on
cherchoit à épuifer tous les détails de commodité
pour les objets publics , tels que les fpectacles , les
bains , les aqueducs ; dans ce tems où les plus
célèbres Artiftes fleurifloient dans cette capitale
du monde , peut- on , dis je , s'imaginer que les
Romains n'ayent pas connu la partie de la diftribution
, qui eft fans contredit la plus néceffaire
pour les agrémens de la vie ? Croyons plutôt qu'ils
étoient bien plus favans que nous , puifqu'ils
joignoient toutes ces commodités à la plus fuperbe
difpofition.
Ce que tous les auteurs rapportent de la fompruofité
de Lucullus doit donner une idée é: onnante
de la magnificence des Romains . Il avoit
une bibliothèque immenfe , une collection de
tableaux & de fcalpture très - confidérable . Les
richefles qu'il avoit rapportées de fes conquêtes
en Afie rempliffoient un grand nombre d'appartemens
fomptueux ; les ameublemens étoient magnifiques
: comment croire que ces mêmes appartemens
n'étoient pas commodes ?
A O UST. 1773. 165
Les Romains n'avoient dans leur palais qu'un
feul étage élevé fur des teriafles qui fervoient
de bafes & d'empattemens à ces monumens ; fous
ces terraffes étoient pratiqués des falles fraîches ,
des corps - de - gardes & des galleries de communication
avec tous les alentours du palais . Il
exifte encore beaucoup de ces pièces & galleries
aux Thermes de Titus & à ceux de Caracalla : le
fameux grouppe de Laocoon a été trouvé dans
une de ces pièces aux Thermes de Titus ; la niche
où il étoit placé exiftoit encore lorsque j'étois
à Rome. Indépendamment de ce que ces ter
raffes donnoient de la dignité aux bâtimens qui
étoient élevés au- deffus , elles les rendoient fains,
Toutes les principales pièces de ces palais , qui
étoient en grande quantité , étoient très - vaftes ,
très élevées & éclairées par les voûtes. Elles
étoient de formes très-variées & de la plus grande
magnificence , décorées de grands & de petirs
ordres . On y employoit les marbres les plus pré
cieux , les bronzes & quelquefois l'or & l'argent ,
On yemployoit auffi beaucoup de fculptures . Les
fragmens que l'on en trouve fur les ruines du
palais des Empereurs , des entablemens entiers
dont les frifes & corniches font ornées , des chapitaux
, des bafes , des pieds d'eftaux & autres
ornemens nous prouvent à quel point ils recher
choient jufqu'aux moindres détails : ces reftes
font fi précieux que tous les artistes qui vont à
Rome s'empreflent de les deffiner . Plufieurs ama
reurs les ont même fait mouler. Les maffifs des
murs étoient en brique & revêtus de marbre ; les
voûtes étoient auffi de brique , le plus fouvent
en voûtes d'arêtes ou pleins ceintres , ornées de
caiflons faits en ftuck. Les rofettes étoient quel
quefois de bronze , ainfi que les ornemens des
moulures des caillons,
-
166 MERCURE DE FRANCE.
Les appartemens d'habitation & de commodités
étoient liés à ces vaftes pièces , comme nous
l'avons vu à la ville Adrienne , ce qui étoit d'autant
plus facile , que ces vaftes pièces étant éclairées
feulement par les voûtes elles n'empêchoient
par les petites de leur être adoflées ; &
celles-ci avoient des vues fur les jardins , places
& campagnes qui les environnoient . Il y avoit
au-deflus de ces appartemens d'habitation différens
étages ; c'étoit vraiſemblablement
dans ces
parties qu'étoient pratiqués les logemens des perfonnes
qui étoient obligées de fe tenir près de
l'Empereur , tels que font aujourd'hui en France
les logemens des premiers valets-de-chambre. Ils
y pratiquoient auffi des cabinets particuliers , des
appartemens de bains , des bibliothèques , & enfin
toutes les chofes poffibles de fervice & d'agrément.
Il y avoit donc beaucoup d'appartemens
qui avoient pour point de réunion ces fuperbes
pièces dont nous venons de parler L'on trouve
à la ville Adrienne plufieurs cours qui étoient décorées
de colonnes environnées de bâtimens immenfes
. On ne découvre ni au palais des Empereurs
, ni à la ville Adrienne aucune mafle de
grands efcaliers intérieurs , & felon toute apparence
, il n'y en avoit que de petits , tels que l'on
en trouve encore aux Thermes de Caracalla & à
ceux de Dioclétien . Ces petits eſcaliers montoient
fur les voûtes & aux pièces de fervice. Les grands
auroient été inutiles , puifque tous les appartemens
principaux étoient au rez-de - chauffée.
Il n'en étoit pas de même des efcaliers extérieurs
; les terraffes qui fervoient de baſe à leurs
palais devoient donner matière à faire des rampes
douces & des efcaliers de la plus grande ma
A O
UST. 167 1773.
gnificence , tels que celui qui defcendoit du palais.
des Empereurs au grand Cirque .
Pendane mon féjour à Rome , les restes de ces
fameux bâtimens me firent tant de fenfation ,
que je fis tous mes efforts pour imiter le de
genre
ces fuperbes difpofitions , dans plufieurs projets ,
& entr'autres dans un palais pour un Souverain ,
& dans un autre pour les aris & les fciences . *.
J'ai raſſemblé , autant qu'il m'a été poffible , ce
que j'ai admiré pour le genre & pour la variété
daus les reftes des Thermes , dans ceux de la ville
Adrienne & du palais des Empereurs , & j'ai reconnu
la poffibilité de joindre à la magnificence
& à la noblefle des plus belles difpofitions , les
diftributions les plus commodes & les plus va.
riécs.
Les Romains étoient fi perfuadés de l'effet &
de la beauté des grandes pièces éclairées par les
voûtes , que non - feulement ils les
pratiquoient
dans les palais de leurs Empereurs & dans les
monumens publics , mais auffi dans les mailons
des particuliers , & on y voyoir toujours quelques
falles principales dans ce genre.
Des ruines entaflées les unes fur les autres , des
pièces dont on ne peut reconnoître les véritables
formes , qu'en recherchant très exactement le peu
qui en rette , & rafflemblant toutes les parties ,
dont on ne peut reconnoître les hauteurs que par
quelque naiflance de voûtes qui à peine: font in-
* Ces projets le trouvent dans l'OEuvre d'Architecture
de M. Peyre , qui fe vend chez MM .
Jombert , père , rue Dauphine , & Prault , quai
de Gêvres.
168 MERCURE DE FRANCE.
diquées , ne donnent qu'une idée bien imparfaite
de toutes ces difpofitions , à ceux qui ne le font
pas une étude particulière de les découvrir . De
plus la manière dont on a difpofé tous les palais
de l'Europe depuis que les Modernes ont repris
l'architecture des Anciens , eft fi différente de la
leur, qu'il n'eft pas étonnant que l'on ait regardé
les defcriptions qui en ont été faites comme chimériques
, & que l'on n'ait jamais tenté de les
imiter dans cette partie.
Nous avons cru peut - être auffi que cette ma
gnificence ne pouvoit convenir qu'aux Empereurs
Romains qui étoient les maîtres de la terre ; mais
confidérons que ce n'étoit pas le feul palais des
Empereurs qui étoit dans genres que tous les
bâtimens publics , les Thermes qui étoient au
nombre de quatre - vingt, les maiſons de plaisance
& même les bâtimens particuliers étoient conf
truits fur les mêmes principes & dans le même
ftyle : du moins nous aurions pu imiter quelque
fais le grand genre des Anciens & l'employer dans
les palais des Souverains ; mais nous ne l'avons
pas ofé. Les Romains traitoient les maisons des
particuliers en grand ; nous traitons en petit celles
des Princes.
Quelle différence y a-t'il en Europe entre les
palais des Rois & les maifons des particuliers ?
Ils font plus vaftes ; les pièces y font plus grandes
, & il y a plus de richefles : ils ne différent
qu'en cela ; d'ailleurs ils ont plufieurs étages com
me les maifons bourgeoiles : Verfailles , le Louvre
, le Luxembourg en ont trois & quatre ; dans
nos palais le logement du Souverain eft quelque
fois au rez -de- chauflée , quelquefois au premier,
& les perfonnes qui y viennent pour la première
fois
AOUST. 1773. 169
fois font obligées de demander où eft l'appartement
du Prince.
Ne feroit-il pas infiniment plus noble que ces
palais n'euffent qu'un étage élevé , comme l'étoient
ceux des Romains , fur des terraffes pour
les rendre fains , qu'on pratiquât fous ces terrafles
des objets de cominodité & des communications,
& que toutes les principales pièces du palais qui
doivent être publiques , telles que les falles des
Gardes , veftibules , galleries , falle du confeil
pièce du trône , falle à manger , falle de bals
fuffent dans le ftyle de celles des Anciens , éclairées
par les voûtes ? Les cabinets de tableaux &
de fculpture font toujours fort bien éclairés d'en
haut ; c'eft même le meilleur moyen pour leur
donner tout l'effet néceſſaire.
Dans les pièces publiques , où il y a toujours
beaucoup de monde & où l'on n'a pas befoin
d'être diffipé par les objets extérieurs , les jours
venant d'en haut font beaucoup plus agréables
& éclairent également par- tout ; la lumière en eft
bien plus douce ; on en peut juger par l'Eglife des
Chantres à Rome , qui étoit autrefois la principale
pièce des Thermes de Dioclétien. La grande
falle du Palais à Paris peut aufli donner une idée
de cet effet. Ces difpofitions ne feroient elles pas
infiniment plus magnifiques que celles que nous
pratiquons ? L'on pourroit employer dans la décoration
de ces appartemens tout ce que l'architecture
a de plus noble ; au lieu que les pièces
bafles que nous faifons ne peuvent être décorées
que de très - petites architectures , & le plus fouvent
en menuiferie. A ces grandes pièces commu.
niqueroient des appartemens d'habitation qui
feroient fufceptibles des diftributions les plus
H
170 MERCURE DE FRANCE.
commodes & les plus agréables , & qui auroient
vue fur les jardins qui environneroient ces monumens.
Ces difpofitions feroient plus convenables à la
Cour de France qu'à toute autre , le Public ayant
accès par-tour. La gallerie de Verſailles , quoique
fort grande , eft fouvent trop petite pour la
quantité de monde qui s'y raflemble ; les antichambres
du Roi font infiniment trop petites :
lorfque l'on a fait les banquets des mariages de
Mgr le Dauphin & de Mgr le Comte de Provence
, on a été obligé de les faire dans la falle de
l'opéra. Il n'y a pas une pièce fuffifante pour le
grand couvert. Comment pourra - t'on faire des
pièces très- vaftes & proportionnées , tant que
l'on ne cherchera pas à imiter les palais des Anciens
? Celui que Julien fit bâtir à Paris , & dont
il exifte encore quelques veftiges , rue de la Harpe
, étoit difpofé dans ce genre. Il en reſte actuellement
trop peu de chofe pour pouvoir juger
de fon enfemble. L'ancien aqueduc d'Arcueil
avoit été conſtruit pour y amener des eaux , &
croire que rien ne manquoit pour la comon
peut
modité.
pour
Les découvertes importantes que nous avons
faites dans l'appareil de la coupe des pierres , les
pendentifs , les voulures , les voûtes de toutes
efpèces , cette fcience nous donneroit de grandes
facilités faire des chofes encore plus furprenantes
que celles que les Romains faifoient
mais nous ne parviendrons à changer les difpoficions
de nos palais que peu à peu , & par une
longue fuite de tems ; nous ne faifons que com.
à fortir de la forme des jeux de paume
que l'on donnoit à nos falles de théâtres , & ce
mencer
·
;
A O UST . 1773. 171
n'a pas été fans difficultés que M. Gabriël à Ver-
Tailles & M. Moreau Y font parvenus ; c'eſt une
chofe fingulière que notre attachement à nos
ufages ! I règne chez nous une forte d'amourpropre
qui nous fait croire qu'il n'eft pas poſſible
d'aller au-delà de nos connoiflances actuelles :
tout ce qui paroît nouveau révolte ; & il y a toujours
une foule de demi- favans prêts à lancer
leur venin fur les hommes de génie qui ont le
courage de fortir de la route ordinaire.
Le premier Temple qui s'élève en France digne
de nous donner une grande idée des Temples des
'Anciens , où l'on a profcrit ces pilliers lourds &
maffifs & ces arcades , feul moyen connu jufqu'à
préfent pour conftruire nos Eglifes , n'eft - il pas
en butte aux critiques les plus amères & les plus
déraisonnables ? Elles ont été pouffées jufqu'au
point de donner des craintes au Ministère. Il ne
falloit pas moins qu'une réputation auffi géné
ralement établie que celle de fon auteur , pour
qu'il fût continué : & le périftile du Louvre n'at'il
pas effuyé les oppofitions les plus fortes des
demi-favans de fon tems ?
Quoiqu'il nous refte encore bien du chemin à
faire pour atteindre à la perfection où étoient
parvenus les Anciens dans quelques parties de
l'Architecture , les Modernes ont cependant élevé
plufieurs monumens dignes des Romains ; à
Paris , la porte St Denis , la décoration de la cour
du Louvre ; à Rome , le dôme de St Pierre & la
place ; à Londres , le dôme de St Paul ; le moyen
de porter les dômes fur des pendentifs eft une
découverte dont les Modernes ont feuls la gloire.
Si plufieurs des Architectes qui ont conſtruit
un grand nombre d'Eglifes en Europe euffene
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
connu la grande & belle architecture des Anciens
; fi , au lieu de faire une quantité de petits.
reflauts & de mouvemens ; fi , au lieu de mettre
des ordres les uns fur les autres , d'accoupler les
colonnes , de ployer des pilaftres , de mettre de
petits frontons , des attiques , ils cuflent connu
l'art d'employer des ordres d'architecture cololfale
, de faire de ces lignes de colonnes que les
Anciens employoient avec tant d'art , de ces beaux
avant-corps de fix , huit & dix colonnes que l'on
voyoit à leurs temples , & de ces beaux porches ;
s'ils euflent enfin connu les principes des Anciens,
pour emplover les colonnes , plufieurs de ces monumens
auroient furpaflé tout ce que les Romains
ont fait de plus magnifique.
Il eft étonnant que depuis plus d'un fiècle que
nous employons en France des colonnes cololales
, nous n'ayons en général qu'une idée trèsimparfaite
de la façon dont les Romains les employoient.
Quand nous ne faifions que de petits
ordres d'architecture , nous étions obligés d'éloigner
beaucoup les colonnes pour donner des paffages
commodes ; nous nous fommes fait de cer
ulage une eſpèce de principe dont nous avons
une peine infinie à nous écarter ; enfin l'on n'a
accouplé des colonnes du périftile du Louvre, que
parce que l'on enfeignoit qu'une feule n'étoit pas
Iuffifante pour porter les grandes platte - bandes.
que l'on y a employées . Il eût été , je crois , plus
facile de les ferrer davantage ; l'on n'auroit eu
que la même quantité de colonnes , & le double
d'entrecolonnement. L'architecture en auroit pa
ru bien plus grande & plus noble , les colonnes
plus mâles ,& la conftruction en eût été beaucoup
plus folide.
A O UST. 1773. 173
Du tems que les Romains avoient le plus épuré,
l'architecture à Rome , ils ne donnoient communé→
ment à leurs entrecolonnemens corinthiens qu'une
fois & demie le diamêtre de la colonne ; ils
avoient reconnu cette proportion pour la plus
belle , puifque les colonnes qui avoient fept à
huit pieds de diamêtre , & celles qui n'en avoient
que quatre , trois & deux , étoient toutes dans
cette même proportion , & lorfqu'ils donnoient
plus d'un diamêtre & demi à leurs entrecolonnemens
, ils faifoient les colonnes plus cour
tes..
Le Temple de Mars le Vengeur , bâti par Augufte
, étoit entouré de colonnes ; le porche étoit
de huit colonnes , & elles étoient diftantes d'un
peu moins d'un diamètre & demi , excepté l'entrecolonnement
du milicu qui avoit près de deux
diamêtres .
Celui de Nerva Trajan n'avoit qu'un porche
de fix colonnes diftantes d'un diamêtre & demiş
l'entrecolonnement du milieu en avoit deux .
Celui d'Antonin & de Fauftine étoit auffi de fix
colonnes , les entrecolonnemens avoient un diamêtre
& demi.
Le Temple de Jupiter , qu'on nomme le fron
tifpice de Néron , à Monte Cavalle , avoit un
porche de douze colonnes de front , diftantes d'un
diamêtre & demi ; celui du milieu en avoit deux .
Le Temple de Veſta eft rond & entouré de vingr
colonnes ; elles n'y font diftantes que d'un diamêtic
& demi .
Le Temple de Mars étoit entouré de colonnes.
Le porche en avoit fix de front : elles étoient
diftantes d'un diamêtre & demi & un fixieme ;
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
celles du milieu l'étoient d'un diamêtre & demi
trois quarts ou environ.
Le Temple de Jupiter Tonnant , bâti par Augufte
, avoit un porche de huit colonnes diftantes
d'un diamêtre & demi ; l'entrecolonnement du
milieu en avoit un peu moins de deux .
Le Portique de la Rotonde , bâti par Agrippa ,
a huit colonnes de front ; elles font diftantes
d'environ deux diamêtres ; l'entrecolonnement du
milieu n'a pas tout- à - fait un quart de diamêtre
de plus. Les colonnes ont 19 modules 16 parties
. *
Le Temple de Jupiter Stator étoit ifolé ; le
porche étoit de huit colonnes , diftantes d'un diamêtre
& demi & un douzième ; l'entrecolonnement
du milieu étoit d'environ un diamêtre trois
quarts.
Le Portique de Septimias eft de quatre colonnes
& deux pitaftres quarrés aux deux extrémités,
diftantes d'un diamêtre trois quarts ; les hauteurs
des colonnes ne font que de dix - huit modules ,
hait parties deux tiers .
Le Temple de la Fortune Virile à Rome , a un
porche de quatre colonnes d'Ordre Ionique , dif
tantes de deux diamêtres & un huitième . Elles ont
deux pieds onze pouces , & de hauteur dix - fept
modules douze parties & demie.
Le Temple de Caftor & Pollux à Naples avoit
fix colonnes à fon porche ; les entrecolonnemens
ont plus d'un diamêtre & demi , & moins 'un
diamêtre deux tiers .
Le module eft divifé en trente parties.
AOUST. 1773 1773 179
Le Temple que l'on nomme la Maiſon quarrée
à Nime , a un porche de fix colonnes , diftantes
d'un diamêtre & demi , excepté le milicu qui a un
peu moins de deux diamêtres.
Le Temple de la Sybille à Tivoli eſt rond & entouré
de dix- huit colonnes , diftantes de moins
de deux diamêtres ; elles ont deux pieds quatre
pouces , & & n'ont de hauteur que dix- huit moe
dules vingt-une parties.
Le Temple de la Concorde eft d'Ordre Ionique;
le Perche eft de fix colonnes , diftantes d'un diamêtre
trois quarts ; l'entrecolonnement du milieu
après de deux diamêtres. Les colonnes on: de
hauteur dix -neuf modules trois parties. Les chat
pitaux de ce Temple font à quatre faces avec
volute fur les angles . On attribue fauflement l'invention
de ce chapiteau à Michel-Ange , puifque
celui- ci exifte encore à ce Temple près le Capitole
à Rome.
Le Temple de Neptune étoit entouré de colonnes;
le porche en avoit huit de front . Les entrecolonnemens
n'avoient qu'un diamêtre un tiers ,
celui du milieu avoit un diamêtre & demi .
Vitruve , au chapitre II de fon troiſième livre,
explique les cinq pièces de bâtimens , qui font:
le Picnoftile , lorique les colonnes ne font diftantes
que d'un diamêtre & demi ; le Siſtile , lorfqu'elles
le font de deux ; le Diaftile , lorfqu'elles
font de trois ; l'Araoftile de quatre , & l'Eufti.
le , de deux & un quart , qui , felon lui , eft le
plus bel efpacement ; mais il dit dans le même
chapitre: « Les colonnes de l'Aræoſtile doivent
avoir leur grofleur de la huitième partie de
leur hauteur ; pour le Diaftile , il faut divifer
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
en » la hauteur de la colonne en huit parties ,
donner une partie à la groffeur de la colonne ;
à l'égard du Siftile , la hauteur de fa colonne
doit être divifée en neuf & pour en donner
une à la groffeur. Tout de même au Picnoftile ,
il faut divifer la hauteur en dix parties , &
faire que la grofleur de la colonne en foit une
partie . Les colonnes de l'Eftile doivent être divifées
en huit parties & demie, comme au Diaf
tile , afin que la tige ait par le bas la grofleur
d'une partie , faifant l'entrecolonnement large à
proportion de cette partie. »
Ce qui s'accorde parfaitement avec les exemples
que je viens de citer ; tous les Temples dont
j'ai parlé , excepté celui de la Concorde & celui
de la Fortune Virile , étant d'ordre corinthien . Il
dic enfuite :
A proportion que l'on fait les entrecolonnemens
larges, il faut aufli groffir les colonnes ,
d'autant que, fi dans un Aræoftile le diamêtre
des colonnes n'étoit que la neuvième ou dixième
partie de leur hauteur , elles paroîtroient
»trop menues & trop déliées , parce que l'air qui
eft dans le large efpace des entrecolonnemens
» diminue ou dérobe à la vue une partie de la
groffeur de la tige de la colonne ; au contraire
fi dans le Picnoftile on faifoit la colonne groſſe
de la huitième partie de la hauteur , les entrecolonnemens
étroits feroient paroître les colonnes
qui font près à près fi enflées , que cela
» auroit mauvaife grace ; par cette raison , il faut
»avoir beaucoup d'égard à la proportion qui eft
propre à chaque manière . Car il est encore be-
»foin de groffir les colonnes des coins d'une cinquantième
partie de leur diamètre ; parce qu'il
AOUST. 1773 . 77
39
femble que l'air & le grand jour auquel elles
font plus expolées que celles du milieu , les
mange & les rend plus petites : du moins elles
paroiflent telles aux yeux , & il faut que l'art
»remédie auffi à l'erreur de la vue. »
29
ود
L'on pourroit donc établir pour principe d'après
ce que nous venons de citer , qu'il faut donner
aux entrecolonnemens corinthiens un diamè
tre & demi , aux ioniques de deux diamêtres à
deux & un quart , & aux doriques de deux diamêtres
& demi à trois .
Nous avons à Paris deux exemples où l'on a
obſervé , à peu de chofe près , les mêmes principes
que je viens de citer . Le premier eft le périltile
d'ordre dorique du grand portail de St Sulpice
, bâti par Servandoni : les colonnes ont cinq
pieds un pouce & demi de diamêtre , & les entre
colonnemens ont quatorze pieds fix pouces , ce
qui fait plus de deux diamêtres , ce que les Anciens
appeloient Diaftile. Vitruve dir que la colonne
du Diaftile doit être divifée en huit parties
& demie pour en donner une à fa groffeur , c'eſt
à peu- près la proportion des colonnes de ce pé-.
riftile : auffi produit- il le plus grand effet. Si les
autres parties de ce portail répondoient à la beauté
de ce périftile , ce feroit un des plus beaux monumens
qui exiftent.
Le deuxième exemple eft le portail de l'Aflomption
, rue St Honoré ; ce porche eft dans les
proportions générales de beaucoup de ceux des
Temples des Anciens. Il eft de fix colonnes de
front d'ordre.cotinthien & de deux en retour :
elles ont deux pieds fept pouces de diamêtre , &
les entrecolonnemens trois pieds deux pouces
neuf lignes , ce qui ne fait qu'un diamêtre un
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
quart ; l'entrecolonnemt du milieu a huit pieds
fept pouces ou trois diamêtres un tiers : il eft trop
large & les autres trop étroits. S'il n'avoit que
deux diamêtres à deux diamêtres & demi , & les
quatre autres un diamêtre & demi , il feroit picnoftile
& tout- à- fait conforme aux principes des
Anciens , puifque le colonnes ont dix diamêtres
de hauteur. L'on peut juger par ces deux monumens
de l'effet de grandeur que produifent les
colonnes ferrées.
Si nous voulions remonter aux Temples Grecs,
nous trouverions que les plus recommandables
avoient les colonnes encore plus ferrées que ceux
des Romains , ainfi que le prouve la defcription
que M. le Roi en fait dans fon ouvrage de la
Grèce.
Il eft certain que lorfque les colonnes font
fort diftantes les unes des autres , elles paroiflent
maigres : les entablemens , fi légers qu'ils foient ,
paroiflent les trop charger. Au contraire lorqu'elles
font ferrées , elles paroiflent plus mâles & les
entablemens légers . Les plafonds quarrés que
l'on pratique entre les colonnes acquièrent une
belle proportion , & fe lient parfaitement avec
la richefle des chapiteaux . Il n'y a perfonne qui
ayant vu la Maifon quartée de Nilme , qui eft
le monument ancien le mieux conſervé , ne convienne
qu'elle a une nobleſſe & une majeſté qui
ne fe rencontrent dans aucun des bâtimens modernes
. Je fuis perfuadé que s'il étoit poffible d'en
écarter les colonnes peu - à - peu , qu'à meſure
qu'elles s'éloigueroient , elles perdroient de leur
beauté & le bâtiment de fon ftyle , & qu'enfin il
deviendroit d'une mauvaiſe proportion.
On donne pour raifon des grandes diſtances
A O UST. 179 1773 :
que nous mettons aux colonnes , que les entreco
fonnemens étant étroits , il feroit difficile de fair
pafler commodément les proceſſions & cérémo
nies qui fe pratiquent dans nos Eglifes ; mais les
Anciens n'avoient -ils pas auffi des cérémonies
dans leurs Temples ? C'eft même ce qui les enga
geoit à faire fouvent l'entrecolonnement du mie
lidu plus grand que les autres ; ce qui ne détrui
foir pas
le ftyle général de l'architecture , & fervoit
même à indiquer le milieu du bâtiment ; de
plus le mur du Temple étant licé , & la porte
étant beaucoup plus large que les entrecolonnemens
, le peuple pafloit indifféremment par tous
les entrecolonnemens , & fe réunifloit à la porte.
La conſtruction des colonnades , fuivant les
principes des Anciens , feroit bien plus analogue
à notre climat & aux matériaux que nous avons
que celleSque l'on a pratiquée jufqu'à préfent. II
eft certain que les colonnes étant plus ferrées
multiplient les points d'appui , & évitent les
pouflées de ces grandes plates -bandes , que l'on
ne peut conftruire fûrement qu'avec beaucoup de
difficulté , & en le fervant de quantité de fer.
Les bâtimens des Romains n'étoient pas tous
immenfes ils avoient des Temples fort petits ;
mais pourquoi avoient - ils tous cet air de no
bleffe que nous y reconnoiflons ? Pourquoi les
bâtimens modernes ne nous font- ils pas la même
fenfation L'Eglife de St Pierre de Rome , qui eft
plus confidérable que les plus grands Temples des
Auciens, paroît beaucoup plus petite qu'elle n'eft ;
& ce n'eft qu'après l'avoir vue bien des fois , &
avoir fait des comparaifons de grandeur connue
avec les parties de détails de ce Temple, que l'on
reconnoît fon immenfité....
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Cependant le grand art de l'Architecture doit
être de chercher à faire paroître les monumens
qu'il élève , plus confidérables qu'ils ne le font
réellement. Ce n'eft que par les belles proportions
des mafles avec les détails , les beaux entrecolonnemens
& la proportion des entablemens, que l'on
y peut parvenir.
Je crois que nous faifons communément les
entablemens trop forts ; la plupart de ceux des
Anciens n'avoient que le cinquième de la hauteur
de la colonne , & quelquefois moins.
Que l'on me pardonne mon amour pour les
Anciens peut - être me mene- t'il trop loin , &
m'empêche- t'il de rendre toute la juſtice qui eft
due à quantité de belles chofes que les Modernes
ont faites ; mais ce feroit me manquer à moimême
que de trahir ma façon de penfer ; ne vaudroit-
il pas mieux , ne pas mettre au jour mon
fentiment que de le défigurer?
ARTS.
GRAVURES.
I...
La Fille confufe , eftampe d'environ douze
pouces de haut , fur quatorze de large
, gravée à l'eau - forte , par Ingouf
Paîné , & terminée au burin par fon
frère , d'après le tableau de Jean - B
Greuze , peintre, du Roi. A Paris
AOUST. 1773. 181
chez le père ; & Volez , marchands
d'eftampes , rue St Jacques à la vieille
porte ; prix , 4 livres.
UNE bonne mère furprend ſa fille qui
a fon mouchoir dérangé , & paroît plus
occupée d'elle- même que d'une terrine
de lait qui eft fur le fourneau. Le lait
bout & fe répand ; ce qui occafionne les
réprimandes de la mère , & la confufion
de la fille qui , les yeux baiffés & la tête
penchée , cherche à fe couvrir le vifage
d'une de fes mains . Cette fcène , d'une
vérité naïve , a été gravée avec foin par
un artiste qui s'eft déjà fait connoître par
plufieurs morceaux au burin , d'après M.
Greuze.
1 I.
Il a été annoncé dans le Mercure du
mois de Mai de l'année dernière , une
collection de gravures en lavis , faites par
un amateur , d'après les Tableaux des
plus intéreffans des Palais & des Eglifes
d'Italie , dont la première fuite conrenant
la ville de Rome en foixante
planches , fe vend chez les feurs Bezon
& Chereau , Marchands d'Estampes,
L'on trouvera chez les mêmes mar182
MERCURE DE FRANCE .
chands cette année , la fuite des plus
beaux tableaux de la ville de Bologne.
Tous les amateurs des arts , & les gens
de goût qui ont fait le voyage d'Italie ,
fe rappelleront que c'eft dans cette ville
que font confervés les principaux ou
vrages des Carraches , Guevein , l'Albane
, le Guide , &c. L'on compte pouvoir
donner l'année prochaine , les pein-
Tures les plus remarquables de la ville
de Naples , & facceffivement chaque
année , avec des villes de l'Italie . Cette
collection très- confidérable faire pref
qu'en entier fur les deffins de M. Fra
gonard , Peintre du Roi , peut inté
reffer infiniment les amateurs des arts ,
& fur tout ceux qui ont voyagé en Italie.
I I I.
Tom Jones gravé par Ingouf , d'après
le deffin de Wille le fils ; le fujer eft
Tom Jones , difant dans l'acte 1 , Scène
de la Pièce.
D'un cerfdix cors j'ai connoiffance ;
On l'attaque au fort , on le lance , &e.
Cette gravure a 17 pouces de hau
& 14 environ de largeur. teur
AOUST. 1773. 183
I V.
M. Demarcenay vient de mettre au
jour le portrait du Prince Eugène , d'après
le modèle en cire fait par le célèbre
Kopeski , que M. de Krufft , Confeiller
aulique de L. M. Im . & R. au
département des affaires étrangères , lui
à envoyé de Vienne en Autriche.
Cet ouvrage eft le quarante - deuxième
de l'oeuvre de l'Auteur , & le deuxième
de la fuite d'hommes illuftres , ayant
déjà fait paroître Henri IV. Sully , Charles
V , dit le Sage , Charles VII , dit le
Victorieux , la Pucelle d'Orléans , le Chevalier
Bayard , le Chancelier de l'Ho
pital , le Préſident de Thou , le Vicomte
de Turenne , & le Maréchal de Saxe .
Il vient en mêine tems de mettre au
jour deux Paysages fous les numéros 43
& 44 , avec deux tétes de caractère , dont
l'une d'homme , fous le numéro 45 , repréfente
l'Effroy , & l'autre de femme
fous le numéro 46 , l'Etonnement
On trouve ces différents ouvrages chez
l'Auteur , dans le nouveau logement qu'il
occupe rue du Four S. Germain , la Portecochère
en face de la rue des Cifeaux.
184 MERCURE DE FRANCE
Et chez M. Wille , Graveur du Roi ,
Quai des Auguftins.
V.
Galerie univerfelle , contenant les Portraits
de perfonnes célèbres , de tout
pays , actuellement vivantes ; gravés
en couleurs par MM. Gautier Dagoty
père, & fils aîné ; avec des notices hitoriques
relatives à chaque Portrait ; par
une Société de Gens de Lettres . Oa
vrage propofé par foufcription.
Les Portraits offerts au Public font des
eftampes gravées & imprimées en couleurs
, repréfentant les perfonnes les plus
célèbres , actuellement vivantes , d'après
les tableaux des meilleursMaîtres . On fait
combien cet art doit à M. Gautier Dagoty
père , inventeur de la théorie fur laquelle
il eft fondé , & combien il l'a rendu
utile dans plufieurs objets intéreffants.
M. Gautier Dagoty fon fils aîné , qui
a formé le projet de la préfente collection
, l'a affocié dans fon travail , ainſi
que les Gens de Lettres qui l'aideront dans
le choix , dans l'exécution & dans tous
les détails de cetre entrepriſe.
AOUST. 1773. 185
Projet de la Soufcription .
On donne actuellement à ceux qui
foufcrivent , les deux cahiers de cet ouvra
ge qui paroiffent comme l'effai de l'entreprife
, au prix de la foufcription . Le premier
cahier eft compofé de quatre Portraits
& de leurs notices hiftoriques.
Ces quatre Portraits colorés & trèsreflemblans
, font :
Le Portrait de Louis XV ,
Le Portrait du Roi de Pruffe,
Le Portrait de Mgr le Chancelier ,
Le Portrait de M. de Voltaire.
La notice de Louis XV , par M. Gautier
d'Agoty , fils aîné
-du Roi de Pruffe , par M. ***
-de Mgr le Chancelier , par M. Linguet.
-de M. de Voltaire , par M. de la Harpe.
On a choifi pour cet ouvrage le format
in-fol. , & la partie typographique y eft
traitée avec tout le foin poffible.
On diftribue auffi le fecond cahier
compofé de quatre autres Portraits colo
rés & très - reflemblans , qui font :
Le Portrait de l'Impératrice- Reine Ma
rie - Thérefe , tiré des appartemens de Madame
la Dauphine.
Le Portrait du Roi de Sardaigne.
186 MERCURE DE FRANCE.
Le Portrait de M. le Duc de la Vrilliere.
Le Portrait de M. d'Alembert."
La notice de l'impératrice - Reine , par
M. de la Beaumelle.
-du Roi de Sardaigne , par le même Auteur.
-de M. le Duc de la Vrilliere , par M.
Marmontel.
qua-
-de M. d'Alembert , par M. de la Harpe.
On donne tous les deux mois , quatre
Portraits & leurs notices hiftoriques . Chaque
cahier fera toujours compofé de
tre Potraits , & coûtera aux foufcripteurs
12 liv. laquelle fomme il payeront en le
recevant fans faire aucune avance. Ils
figneront feulement les engagemens , &
fouferiront pour une année ou pour toote
la collection , en donnant leur nom &
leur adreffe.
,
On foufcrit chez Pierre, imprimeur , rue
St Jacques ; chez Ruault, libraire , rue de
la Harpe , & au bureau royal de la corref
pondance , & foufcrivant on recevra un
billet d'affurance numéroté, fans lequel
on ne feroit pas regardé comme foufcrip
teur.
Après la foufcription les quatre Portraits
fe vendront 18 liv.
A O UST. 1773. 187
MUSIQUE.
Méthode de Guittarre par Mufique
& tablature , avec différents exercices fur
le pincer de cet inftrument , dans lef
quels fe trouvent les folies d'Espagne ,
fuivies d'une fuite d'Airs & Menuets
ajuftés pour un violon & une Guittarre ,
& d'une autre fuite d'airs à chanter
avec accompagnement de Guittarre , par
Mr B. D. C. dédié à Mlle fa foeur
mis au jour par M. Bailleux . Prix 7 1.
4 f. à Paris , chez l'Éditeur , Marchand
de mufique ordinaire de la Chambre &
menus plaifirs du Roi , rue S. Honoré
à la Règle d'or. A Lyon , Bordeaux ,
Touloufe & Lille , chez les Marchands
de mufique.
Cours d'Education , ou Plan d'inſtruction'
grammaticale , économique & gymnaftique
, rédigé dans l'ordre du déve
loppement des facultés naturelles &
des befoins ; & qui fera fuivi dans la
Maifon d'Education de M. Verdier ,
188 MERCURE DE FRANCE.
Confeiller Médecin ordinaire du Feu
Roi de Pologne , Avocat en la Cour
du Parlement de Paris , &c. & de M.
Fortier , ancien Profeffeur de philofophie
, Ingénieur-Géographe , &c.
M. VERDIER , dont nous avons annoncé
plufieurs fois les projets & les travaux , avoit éré
retardé dans leur exécution , par un voyage &
des affaires de famille . Il vient enfin de les com
mencer avec M. Fortier , qui par les grandes:
connoillances & fon expérience confommée , eft
très - capable d'en aflurer les fuccès . Ces deux Sa-.
vans fe font établis à Paris même , dans une vafte
& belle maifon , fituée en bon air & dans le lieu
le plus propre à faire concourir à leurs travaux
les favans Maîtres de l'Univerfité de cette ville..
Le premier s'y occupera (pécialement de l'éducation
phyfique & médicinale , & le fecond de l'éducation
morale & littéraire.
Bien des perfonnes ayant demandé à M. Verdier
des détails fur l'inftruction que les Elèves
recevroient dans fa maiſon , il a cru devoir l'annoncer
à tout le monde , par un fecond profpectus
, qui eft en même tems le plan d'un grand
ouvrage qu'il fe propofe de donner comme lupplément
au cours d'éducation de Vanière.
Ce nouveau programme eft moins un profpectus
qu'une differtation académique , qui préfente
des vues grandes & nouvelles , fur le renouvellement
& la perfection des études . L'auteur commence
par démontrer que dans fon premier plan
l'Univerfité de Paris avoit compris en fix années
, l'enſeignement de la grammaire , de la
AOUST. 1773. 189
logique , de la rhétorique , de la métaphyfique &
de la morale , des mathématiques , de la phyfique.
& de la médecine économique . Dans ces premiers
tems l'enfeignement de la langue latine borné à
l'interprétation d'une grammaire , à la lecture
des auteurs & à l'ufage , faifoit la portion la plus
légère des études ; mais dans le 14 & le 15 ° fiècles
, la décadence des lettres ayant rendu le latin
plus barbare & d'un ufage moins étendu , on fe
crut obligé de furcharger l'efprit d'une infinité
de piéceptes & de commentaires , la plûpart inu❤
tiles. Alors l'acceffoire devint le principal. Six à
fept ans furent deftinés à l'enfeignement de cette
langue ; & il ne refta que très - peu de tems pour
l'étude des autres arts libéraux & de la philofophie
scholaltique. M. Verdier indique enfuite les
efforts qu'un grand nombre de grammairiens
philofophes ont faits jufqu'à Vaniere pour rame
ner la grammaire latine à la fimplicité pumitive
& pour renouveller l'ancien cours d'éducation ,
Il prouve , par des exemples frappaus , qu'un an
ou un an & demi d'exercice fuffit à un enfant de
cinq à fix anspour entendre & parler le latin commne
la langue maternelle ; que les adolefcens peuvent
ailément faire deux claffes par an ; & qu'enfin
il ne faut pas à un adulte plus d'un an d'étude
pour qu'il contracte l'habitude de parler purement
, correctement & avec aifance le latin scholaftique.
Mais c'eft moins pour abréger le cours
des humanités , que pour le remplir de toutes les
connoillances néceffaires à l'homme citoyen , &
pour en faire une introduction générale à l'érude
de toutes les profeffions (cientifiques , que l'auteur
a travaillé à faciliter & perfectionner l'étude
du latin ,
190 MERCURE DE FRANCE.
*
Pendant que quelques écrivains s'attachent à
déprimer l'ufage d'une langue qu'on a regardée
dans tous les teus comme néceflaire à un homme
bien élevé , Monfieur Verdier s'eft étudié a développer
plus qu'on n'avoit fait encore , fa complication
, fon étendue & fon ulage. Il la confidère
comme une langue morte & vivante en même-
tems ; comme la langue primitive du genre
bumain , la tige de toutes les langues , une langue
commune aux Nations favantes . « Son vocabulaire
& la grammaire préfentent , obfervet'il
, une analyfe de la philofophie & de l'hiftoire
univerfelle ; les fondemens de toute espèce
ɔɔ d'érudition , les monumens les plus certains des
origines , des progrès & des révolutions du
genre humain. Son enfeignement méthodique
Do & perfectionné peut devenir le moyen le plus
propre à perfectionner & a abréger les études ,
» l'introduction la plus complette aux fciences
naturelles , économiques , civiles & facrées . En
un mot , ajoute - t'il , on en peut faire une efpèce
d'encyclopédie scholaftique , peut être la
plus courte & la plus facile qu'il foit poffible
> d'imaginer. »
Co
23
29
Pour développer cette grande idée , M. Verdier
obferve que le premier fond de la langue latine
confifte dans les mots de la langue primitive ;
que ce langage fimple & groffier s'enrichit des
monumens de l'hiftoire , des fciences & des arts
que les Phéniciens répandirent dans tout l'Univers
; qu'il devint une langue régulière foumife
aux loix que nous lui connoiflons aujourd'hui ,
lorfque Romulus & fes fuccefleurs réunirent en
un corps , les petits peuples du Latium ; qu'il fe
perfectionna dans les derniers fiècles de la Répu
A O UST. 1773 . 191
blique Romaine , par le commerce de ſes écrivains
avec ceux de la Grèce ; qu'après les conquêtes
de Jules Céfar il reçur un grand nombre
de mots celtiques , des Gaulois & des Germains ;
qu'il fit l'acquisition d'un fond encore bien plus
précieux , lorfque les livres hébreux ont été traduits
littéralement dans cette langue ; que dans
le moyen âge , le latin devenu barbare , forma
une dialecte nouvelle fous le nom de roman , &
qu'enfin depuis deux fiècles il s'eft renouvellé &
enrichi dans l'Eglife & dans les Ecoles. Delà huit
efpèces de dialectes dans cette langue ; & en indiquant
l'ufage de chacune dans nos moeurs & nos
ufages , M. Verdier propofe de les faire enfeigner
Léparément.
Les antiquaires avoient bien remarqué que
tous les mots de la langue latine peuvent le réfoudre
en un petit nombre de mots fimples, & que
leur décompofition eft le feul moyen d'apprendre
le vocabulaire latin ; mais on n'avoit point obfervé
, comme M. Verdier , que les notions que
repréfentent ces mots font elles - mêmes les élémens
ou les germes d'autres notions uniformes
plus compofées , qui pafloient des pères , des inftituteurs
& des écrivains dans l'efprit de leurs
enfans , de leurs élèves & de leurs lecteurs : on
n avoit point dit que les mots primitifs , les définitions
que préfentent les mots compofés & les
defcriptions grammaticales que forme leur réunion
, font liés entre eux par des rapports conftans
, & qu'ils forment un tout de même nature
que les fyftêmes des Naturaliftes. Le premier
enfin il annonce le hardi projet de reconſtruire
par la fynthèse , le grand édifice de la langue latine
, dont les antiquaires ont décompolé les matériaux
par l'analyſe.
192 MERCURE
DE FRANCE
.
Pour étudier les langues par cette méthode , il eft befoin d'idées & de notions : l'auteur doit les
préfenter à fes élèves , dans un traité élémentaire
de philofophie économique , ou plutôt de logique
univerfelle , qui en offrant à l'efprit les con
noillances néceffaires , l'exerce à leur ufage . Pour
le rapprocher davantage du plan des colléges , il
fera correfpondre les divifions de fon lyftême
littétaire à la diftribution actuelle des claf
les.
Des feuilles élémentaires
contiendront
la phi lofophie qu'on peut enfeigner aux enfans dans
la huitième & feptième claffe. Le françois & le
latin y doivent paroître dans leur plus grande
régularité & leur plus parfaite correfpondance
pour développer cet efprit géométrique dont la
nature donne le germe à tous les hoinmes. On y trouvera les élemens de la prononciation
, de lâ lecture & de l'écriture ; les différences & variations
générales des mots , des liftes de mots &
de phrafes qui entrent dans le langage des enfans
; des dialogues qui contiennent les connoilfances
élémentaires ; des formules au moyen
quelles on doit travailler à développer les fens ,
en exerçant organes par
l'ouie par le monocorde , la vue par le prifme , le
goût & Podorat par un ordre chymique d'odeurs
& de faveurs ; la vue & le tact par les opérations
fenfibles de l'arithmétique
, de la géométrie & de
la méchanique. Pour faire fentir en quelque forte
la fcience , l'auteur yeut qu'on n'opère en ces
arts par
des fignes , qu'après avoir fait condoître
leurs objets , & après avoir épuilé l'induſtrie &
fes forces des inftrumens de la nature.
les leurs
agens :
def
Par ex.
Lorfque les fonctions de l'enfance auront été
fuffisamment
AOUST. 1773. · · 193
fuffifamment développées par l'ulage de ces feuilles
, M. Verdier le propofe de préfenter aux adolefcens
le fyftême analytique de la littérature latine
& françoife , & de la philofophie économique
, pour leur être expliqué de latin en françois
& de françois en latin. Il confacre à ceux de la
fixième clafle une analyle du latin originaire , du
latin hébraïque , du latin-phénicien & du latin
grec , dans un abrégé de l'hiftoire fainte , de celle
des Phéniciens & de celle des Grecs , avec des
principes d'arithmétique & de géométrie.
Aux étudians de la cinquième clafle , il deftine
des analyfes du latin romain , du latin - celtique ,
du latin du moyen âge , du latin ſcolaſtique &
des origines de la langue françoife, dans un abrégé
des fables & de l'hiftoire des Peuples de l'Europe
, avec des élémens d'hiſtoire naturelle & artificielle,
La quatrième & la troisième claffes feront deftinées
à l'enfeignement de la poëfie & de l'élégance
latine & françoife fur les deux volumes de
Vanière , avec des élémens de phyfique expérimentale
& des principes de morale.
En préfentant aux élèves les productions de la
nature & de l'art , l'auteur fe propofe d'exercer
chacun de leurs fens aux obfervations & aux expériences
qui leur font propres ; & à définir les
objets qui leur feront préfentés, à les divifer , à les
décrire , à les démontrer & à les diftribuer fuivant
les méthodes des naturaliftes , des phyficiens
& des chymiftes ; & ce n'eft qu'après que leur
entendement fera fuffifamment garni d'idées , de
mots , de définitions & de defcriptions , qu'il veur
qu'on les exerce fur les compofitions grammati
cales. Ce travail fera principalement l'objet
I
194 MERCURE DE FRANCE.
?
des étudians dans la feconde claffe , qui fera une
préparation à l'éloquence fur les auteurs même,
Ils doivent en outre y recevoir des principes de
jurifprudence & de métaphyſique ,
Enfin , quand l'efprit des élèves aura acquis de
l'étendue & de l'activité par toutes ces opérations
, l'auteur doit les occuper de la ſcience même
de l'économie & de Lart oratoire. Il doit leur faire
l'application des connoiflances précédentes , au
gouvernement d'une maiſon , à la régie des biens
& même à la culture des terres. Ce fera l'objet de
Ja première clafle .
Voilà fans doute une carrière bien vaſte : mais
quand on voit que l'auteur doit y foutenir lans
ceffe fes élèves par des traductions , qui préfenteront
toutes ces connoiffances élémentaires dans
les deux langues ; par les converfations de leurs
maîtres & collégues qui s'entretiendront avec eux
dans ces deux mêmes langues ; par des vocabulaires
toujours expofés fur les murailles , par des
tables analytiques qui leur préfenteront les caractères
de chaque objet qu'ils doivent analyfer,
définir & décrite , on ne peut douter qu'ils ne
marchent à grands pas dans cette carrière , &
n'arrivent en effet au but qui leur eft indiqué,
dans le tems confacré à l'éducation.
Pendant que par ces deux branches de l'éduca→
tion littéraire , M. Verdier inftruira l'ame à commander
aux organes , il exercera ceux - ci à lui
obéir par une troisième , qui contiendra des élémens
de gymnaftique. Il y décrita d'abord un
exercice naturel , qui indiquera les attitudes &
les mouvemens dont l'anatomie nous apprend
que chacun des organes eft fufceptible . Il le fera
Tuivre d'un recueil de procédés les plus propres à
A O UST.
195
1773
la fanté & à la liberté des fonctions naturelles
& civiles que fourniflent les beaux arts ; C. à
a. , l'écriture , fe deffin & la mufique inftrumentale
, les jeux de palet , de la balle , de l'arc ,
du volant , de la paume & du billard ; le faut &
la courfe , le gefte & la daute ; l'efcrime & l'exercice
militaire.
Pour réunir toutes les parties de ce plan d'inftruction
d'un côté avec les befoins & les facultés
de l'homme , & de l'autre avec les objets capables
de les remplir , M Verdier doit faire entrer dans
foo plan d'inftruction des élémens de la fcience
de l'homme & de la terre. Il doit lui même enfeigner
la première de ces deux (ciences à fes élè
ves dans tout le cours de leur éducation , ppour
fuivre & hâter leurs progrès , pour connoître les
fruits qu'ils retirent des leçons & des exercices de
tous leurs maîtres, pour les confirmer , les cor◄
tiger & les aflortir.
M. Verdier fint fon Profpe&us en indiquant
les fources où il eft occupé depuis vingt ans à
puifer , pour remplir ce grand projet . Nous ne
pouvons mieux l'apprécier qu'en rapportant les
paroles de M. Lourdet , profieur au Collége
royal , qui a centuré & approuvé ſon ouvrage.
APPROBATION.
J
J'ai lu , par ordre de Mgr le Chancelier , un
manufcrit intitulé , Cours d'Education , &c.
par M. Verdier , &c. Dans le plan d'inftruction
que l'auteur le propofe d'exécuter envers les
élèves qui lui feront confiés , j'ai admiré le réfultat
des plus profondes lumières , qu'une lonque
étude de fon objet & une expérience conlommée
lui ont acquifes . Le Public y verra
I ij
196, MERCURE DE FRANCE
fans doute avec reconnoiffance le zèle vraiment
patriotique , qui dévoue à l'éducation pénible
» de la jeunefle & à la cure des maladies des premiers
âges , les veilles de ce Citoyen éclairé
après les avoir fi long- tems confacrées à la recherche
des moyens qui doivent affurer fes fuc
cès : & je crois que ce Profpectus , qui n'eft pas
moins l'abrégé des qualités de fon coeur que
le Compendium de fes connoiflances , fera favo
rablement accueilli de tous ceux à qui le bied
de l'humanité eſt cher & précieux . Donné à Pa
ris , ce , &c. LOURDET , Profefleur R. »
Ce Profpectus le diftribue gratuitement chez
MM, Verdier & Fortier, Quai St Bernard , la
feconde porte cochère en - deçà la rue de Seinc.
ANECDOTES.
"
21
I.
LE Prieur de St Martin des Champs ,
par un zèle de dévotion commun dans
le vieux tems , voulut paffer à la Terre
Sainte ; il fut pris par les Sarrazins : on
le dit nort. Le Roi Louis XI. donna
fon Prieuré à un jeune Moine qu'il
affectionnoit . Au bout de deux ans le
vieux Prieur échappé des mains des
Barbares , reparut ,
& voulut rentrer
dans fon bénéfice : grandes conteftations
"
A O UST. 1773 . 197
pour lesquelles ce dernier préfentoit tous
les jours des placets au Roi . Louis , ne
voulant pas deftituer fon jeune Prieur ,
ne favoit comment faire : il prit le che
¡min le plus court ; il dit au Prévôt :
Triftan , « Défais moi de ce Prieur de
» St Martin , » Triſtan , fidèle & finiftre
exécuteur des ordres de fon Maître , fe
rend le foir à l'Abbaye , demande le
Prieur , s'en faifit , le fait confeffer , le
met dans un fac , une pierre au col , &
le jette à l'eau , puis vient dire à Sa
-Majefté Sire , cent diables ne le
» fortiroient pas de fon étui , Le
lendemain le vieux Prieur reparut
avec fon placet : le Roi furpris , vit la
méprife de Triftan , qui , faute d'explication
, avoit fait paffer le pas au
jeune Prieur à la place du vieux , à qui
Louis XI . , débarraſſé du conflit , rendit
le bénéfice.
I I.
»
Un Ambaffadeur d'Efpagne qui accom.
pagnoit Henri IV. dans une cérémonie
publique , fut fort choqué de voir le Roi
preffé dans la foule , & lui en marqua
fon étonnement . M. l'Ambaffadeur ,
lui dit Henri IV. , fi vous voyiez
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
» comme ils me ferrent un jour de ba
» taille , c'eſt bien autre choſe. »
#
I I I.
L'Abbé Hubert difoit d'an boffu qui
n'avoit point d'efprit : « Cet homme là
» n'eft pas boffa , il n'eſt que contrefait.
LETTRE de M. Babelin , Chirurgien
oculifte , fur la Lagophtalmie .
Je fus appelé le 15 Octobre 1772 , pour trai
ter la nièce de M. le C. ** Négociant , demeurant
rue du Fauxbourg S. Honoré . Je trou
vai cette Demoiselle attaqiée de Lagophtalmie ,
qui fignifie ceil de lièvre . La paupière lupé
rieure de l'oeil droit renversée , raccourcie , &
collée contre le finus maxillaire , étoit encore
reployée , & formoit la pointe d'un chapeau.
L'eil fe trouvoit totalement découvert. La paupière
intérieurement étoit enduite d'one callofité
dure comme du bois . Cet excroiffance avoit
été cauterifée anciennement avec des cauftiques
violens. Le tarfe étoit fi raccourci , qu'il ne
paroiffoit guère poffible de le rétablir dans; fon
état naturel. Toutes ces difficultés ne me rebutèrent
point ; je jugeai que je ne pourtois
parvenir à la guérifon de cette mala lie , qu'en
enlevant la callofité qui renverfoit la paupière.
Mais fa dureté & fon adhérence à la paupière
ne me permettoient pas de commencer par l'extirpation.
Il falloit råmollir & éloigner l'excroifA
O UST. 17735 199
fance de la paupière , afin d'opérer sûrements ,
Les émolliens remplirent parfaitement mes vues.
Au bout de quelques jours , j'apperçus un ramolliffement
aflez grand. Cela me détermina à
couper avec les cifeaux un lambeau de l'excroif
fance dens le milieu de la paupière. Il furying.
une bonne fuppuration , & j'obtins un peu de
relâchement dans la paupière. Quelques tems
après je coupai , du côté du grand angle , un
fecond lambeau , & enfin continuant ces opérations
, jufqu'a cinq fois , je parvins à relâcher
fi confidérablement la paupière , que je conçus
l'efpérance de compléter la Cure. J'y fuis enfin
parvenu dans l'efpace de trois mois. Pendant
cet efpace de tems , la malade n'a été faignée ,
qu'une fois , & du bras. Elle étoit âgée de douze
ans lorfque je l'entrepris . Sa figure étoit fi hideufe
, qu'elle effrayoit tous ceux qui la voyoient.
Elle eft devenue depuis fa guérifon , d'une fi
gute fort aimable . J'obferverai ici que les operations
faites dans l'intérieur de la paupière
font peu fouffrir les malades , & qu'elles n'en
traînent aucun accident , quand elles font faites
par les mains d'un Maître qui a beaucoup pratiqué.
En faisant part au Public de la méthode qui
m'a fi bien réuffi pour guérir cette eſpèce de Lagopthalmie,
je n'entends pas enfeigner une chofe
nouvelle , mais feulement remettre dans la bonne
voie ceux qui fe feroient laiffés entraîner
par l'opinion de plufieurs Anciens , & mêine
de quelques Modernes qui penfent que la Lagopthalmie
n'eft pas curable par l'opération.
On ne fçauroit trop répandre des faits pareils
à celui que je viens d'expofer. Non-feulement.
Liv
200 MERCURE DE FRANCE .
F'Art en fecevra de nouvelles lumières , mais
encore ceux qui fe deſtinent au traitement des maladies
des yeux , y trouveront des exemples
qui les autoriferont à ne pas abandonner inhumainement
des malades qui auroient porté
toute leur vie l'empreinte d'une erreur funefte.
Cette guérifon a été opérée fur les yeux de
MM . Miffa & Defcemet , Docteurs Régents de
la faculté de Médecine de Paris , & de M. de
la Roche , Maître en Chirurgie , Chirurgien de
la maiſon qui avoit examiné la maladie avant
que j'euffe été mandé . M. Babelin recevra les
pauvres gratis , les vendredis & famedis , depuis
huit heures du matin jufqu'à midi. Il demeure
rue Champ -Fleury , la premiere Porte
cochère en entrant par la rue S. Honoré à
droite.
AVIS .
I.
PENSION de l'Univerfité tenue à Paris , rue
Border, au collège de Boncourt , montagne Ste
Géneviève ; par M. le Roux , maître ès-arts &
auteur du Journal d'Education , dédié au Roi.
Il y a une gallerie de communication entre ce
college & celui de Navarre , enforte que les Ecos
liers ne font point obligés de traverser les rues.
I I.
Le Sr de Longpré , maître de mathématiques
travaillant à mériter les fuffrages du Public , a
A O UST. 1773. 201
l'honneur de lui annoncer que fur quatorze jeunes
gens qu'il a préfentés à l'examen du Génie
Militaire , il en a eu trois de reçus.
Entrée de MADAME , à Paris.
LeE mercredi 14 de Juillet , Madame , accom
pagnée de la Comtefle de Merfan , gouvernante
des Enfans de France , de fes Dames & des Dames
qui avoient été invitées , vint entendre la
Mefle dans l'Eglife métropolitaine de Paris . Elle
fat faluée , à fon arrivée & à fon départ , par le
canon de la Baftille , par celui de l'Hôtel Royal
des Invalides , & par celui de la Ville. Elle trou
va , à la porte de la Conférence , le Corps- de-
Ville qui lui rendit fes refpe&ts & qui lui fut pré
fenté par le Maréchal Duc de Briffac , Gouver
neur de Paris , & par le fieur de la Michaudiere
-Confeiller d'état & Prevôt des Marchands , qui
eut l'honneur de la complimenter. Le fieur de
Sartine , Confeiller d'Etat & Lieutenant- Général
de Police , s'étoit rendu dans le même lieu. En
arrivant à Notre Dame , cette Princelle trouva
un détachement des Gardes- Françoifes & Suifles
fous les armes. L'Archevêque de Paris , revêtu
de fes habits pontificaux & à la tête des Chanoines
reçut Madame à la porte de l'Eglife & la
complimenta. Elle entendit la Meffe à la Chapelle
de la Vierge & alla faire ' enfuite fa prière à l'Eglife
de Ste Geneviève , où l'Abbé , accompagné
des Chanoines Réguliers de cette Abbaye , eut
l'honneur de la recevoir & de lui adreffer un difcours.
Elle dina , le même jour , au palais des
Tuileries avec Madame Elifabeth , qui s'y croit
1 v
102 MERCURE DE FRANCE.
rendue de Verfailles , accompagnée de la Princelle
de Rohan Guémené , Gouvernante des , enfaus
de France , en furvivance ; ces Princefles fe.
promenèrent , l'après - midi , dans le jardin , &
remontèrent enfuite en carrolle pour retourner à
Verſailles. Le jardin du palais des Tuileries , anfi
que toutes les rues par lefquelles Madame a paflé,
étoit rempli d'une foule de Peuple qui faifoit écla
ter la joie de voir cette Princefle 3 .
Le 25 du même mois, Madame, & Madame Elifabeth
, accompagnées de la Comtefte de Marfan,
Gouvernante des Enfans de France , de la Princeffe
de Rohan Guémené , Gouvernante en furvivance
, & des Dames de leur fuite , vinrent fe
promener fur les boulevards de cette capitale.
Les habirans , aftirés par le plaifir de voir ces Prin
cefles , firent éclarer leur joie par des battemens
de mains continuels , & répondirent par les cris
redoublés de Vive le Roi aux marques de fenfibilité
que ces deux Princefles leur donnèrent.
En revenant de Ste Genevieve , MADAME fit -
arrêter fon camole devant le College de Louisle-
Grand , ou M. l'Abbé Coger , Recteur de l'Univerfité
, eut l'honneur de foi adreſſer un com
pliment conçu en ces termés. 1
MADAME ,
$
F
9 .
Nos coeurs fe livrent à de nouveaux tranf
sports de plaifir , de tendrefle & d'admiration.
Les graces nobles & rouchantes qui vous ac
»compagnent ; ce caractère de bienfaifance & de
a douceur qui vous eft, naturel , ces reparties in
genieufes qui détèlent la délicatefle de Notre ..
nefprit ; l'élévation de votre ame cultivée par
des mains habiles à former les enfans des Rois
A O UST. 201 17736 .
tant de belles qualités dont la France s'applau
»dit , & que plus d'un peuple doit nous envier ;
voilà l'objet de nos refpects , & le motif de notre
alégrefle.
» Auffi , Madame , nos fêtes ſe ſuccèdent , notre
enchautement continue , nos voeux fe confondent.
C'eft Louis que nous voyons dans
fon augufte Famille notre amour pour ce Moarque
fe peint dans les hommages que nous
rendons à des têtes qui lui font chères ; fa tendrefle
en eft également flattée , & fon aff,ction
» augmente à l'égard d'un Peuple qui , pár lon
»zèle & fon dévouement pour les Souverains
»doit fervir de modèle à l'Univers...
Toujours attentive à perpétuer ces bons prin-
»cipes , l'Univerfité de Paris , Madame , follicite
pour elle & pour les Elèves vos bontés & votre
»bienveillance . »
Impromptu à MADAME , Soeur de
Mgr le Dauphin.
Di quatre Rois Bourbons , deux font furnome
més Grands :
>
Un autre de fon Peuple obtient le nom de Jufte :
Celui de Bien -Aimé , titre encor plus augufte ,
Mon Roi feul le partage avec tous les enfans .
I vj
202 MERCURE DE FRANCE.
Chanfon faite en l'honneur de MADAME,
Soeur de Monfeigneur le Dauphin , le
jour defon entrée dans Paris.
AIR : Lifon dormoit dans un bocage..
QUELLE Nimphe, quelle Princeffe
S'offre en ce jour à tous les yeux !
Le Parifien qu'elle intérede
Vole à fa fuite tout joyeux ; -
Quelle eft donc cette Souveraine
Qui par-tout comme ici plaira ?
Devinez- la , regardez-la ,
N'a-t'elle pas un port de Reine ?
Regardez- la , devinez - là ;
C'eft Madame : vous Y voilà.
Quel François pourroit s'y méprendre
A fon air doux & gracieux ?
A moins qu'il ne voulût la prendre
Pour quelque habitante des Cieux ?
Mais fon coeur aux Bourbons fidèle
En tous lieux la reconnoîtra
Et lui dira, & lui dirą
Qu'elle mérite tout fon zèles
Et lui dira , & lui dira
Qu'elle eft digne de fon Papa.
Par M. M**.
AOUST. 1773. 203
Déclaration d'amour à Mile P ** , fille
charmante égée de 18 ans.
་་
AIR: J'aime une ingrate Beauté à
Iz voulois fans foupirer
Pafler ma tendre jeuneſle ,
Sans aimer , fans adorer
Nulle Iris , nulle décffe.
Un Dieu malicieux
S'oppose à mon fyftême ,
Il vous offre à mes yeux ,
Il veut que je vous aime.
Pour réfifter à fes traits ,
Mon coeur en vain fe dégage ,
Il me peint tous vos attraits
En me tenant ce langage :
Tu feras déformais
Soumis à mon empire ;
Pour Sylvie à jamais ,
Je veux que tu foupire.
Mon coeur fenfible à ſa voiz ,
Et redoutant fa colère ,
Pour le ranger lous vos loir
Quitte ma morale auftère.
Il veut faire ferment
De vous aimer lans cefte ,
Pourvû qu'un - feul moment
Ce même Dieu vous bleſſe. 10 1
Par le même.
I
206 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Conftantinople , le 19 Juin 1773 .
ONNa répandu ici le bruit que les Turcs
ont remporté un avantage fur les Ruffes dans la
Mer de Żabache. On dit que l'Efcadre composée
de deux vaiffeaux , de trois frégates de Ragufe ,
de deux chebecs , de quatre bâtimens de tranſport
& de huit galères , a pourfuivi & rencontré, le
16 de ce mois , à la vue de Caffa , une Flotte
Ruffe ; que le combat s'étant engagé , la victoire
a été long-tems incertaine ; qu'enfin un vaiffeau
ruffe de cinquante canons , a pris feu , ce qui a
jeté le défordre parmi les autres bâtimens , dont
plufieurs ont été pris par les Turcs qui fe font
enfuite rendus maîtres d'Azow ; mais cette nouvelle
mérite confirmation . "
Du Bas- Danube , le premier Juillet 1773.
Les nouvelles de la Crimée ne font point fa-
'vorables aux Ruffes . Le foulévement des Tartares
'eft plus confidérable qu'on ne le croyoit. On
craint que , fi Dewlet Gueray hâre fon expédition
, le Prince Dolgorouki n'arrive trop tard
pour y rétablir le bon ordre. L'Efca tre Ruffe ,
dans la mer noire , aux ordres de l'Amiral Senawin
, eft compofée , à ce que l'on dit , de
deux frégates de quarante canons qui croiſent.
àl'embouchure du Dou , de fix fcoupes de vingtfix
canons , de trente faïques , & d'une vingtaine
de demi-galeres Turques prifes à Ibrailow.
De Tunis , le 20 Juin 3773.
Les Corfaires du Bey , armés & réunis à
AOUST. 1773 . 207
.
Porte- Farine , attendent des ordres pour mettre
à la voile. Trois fregates , un chebec & une.
demi -galere compofent cet armement , auquel
on a travaillé avec la plus grande activité. On
affure ici que ce fecours a été demandé par le
Grand- Seigneur, & qu'il doit renforcer l'Eſcadre
qu'il fait équiper.
De Leipfick , le 15 Mai 1773.
On vient de publier à Hambour le fragment,
du IX . Livre de Tite Live , nouvellement découvert
à Rome par le fieur Bruns , il traite
de la guerre, de Sertorius : le manufcrit d'où il
eft tiré eft un Codex refcriptus , dans lequel on
a effacé le texte de l'Hiftorien Romain pour
y tranfcrire quelque Livie apocryphe : l'écriture
étoit en lettres capitales ; le fieur Bruns n'en a
déchiffré qu'une partie. Il eft remarquable que
ce Manufcrit fe foit trouvé dans l'ancienne
Bibliothèque Palatine , que le Duc Maximilien
de Baviere donna au Pape après la prife de
Heidelberg , en 1623 .
De Warfovie, le 19 Juin 1773 .
Les Miniftres des Cours alliées tiennent
entr'eux de fréquentes conférences. On affure.
que l'on procédera à de nouveaux démembre- ,
mens SSii ll''oonn en croit les bruits publics , les
Autrichiens fe rendront maîtres de tout ce qui
confine a la Siléfie & aux montagnes de la Hongrie
, jufqu'à Kaminieck , qui fera compris dans
le partage. Cracovie occafionne quelques difficultés
, parce qu'ils veulent l'échanger contre
Lemberg. Le cordon , Pruffien commencera à
Czentochow, & s'étendra jufqu'aux frontieres
de la Pruffe , ce qui , enleveroit la moitié de la
Grande - Pologne. On ajoute que la Cour de
208 MERCURE DE FRANCE .
Berlin veut le défifter de fes prétentions fur la
Mazovie , pourvu qu'on lui cède en échange la
Samogitic , une des Provinces les plus fertiles
du Royaume , & defire qu'on fixe les droits
qu'elle veut faire valoir fur la Courlande. On
dit également que ce Duché fera obligé de livrer
tous les ans à la Chambre de la Tréforetié de
la République , une fomme de 300,000 dahlers ,
payables , moitié par le Duc , & moitié par les
Provinces.
De Copenhague , le 29 Juin 1773.
On dit que l'Efcadre qui croife dans la Mer
Baltique , entre les Ifles de Bornholm & de
Zélande , a reçu ordre de continuer les évolu
tions pendant quatre ou cinq femaines.
1
De Vienne , le 7 Juillet 1773..
De quarante-deux bataillons de campagne
qui fe trouvent répartis , tant en Bohêine , qu'en
Moravie , vingt-fix viennent de recevoir l'ordre
de porter leurs Compagnies à cent cinquante
hommes , au lieu de cent quinze dont elles
font compofées en tems de paix. On croit que
ces bataillons font deftinés à paffer en Pologne
pour y remplacer ceux qui ont perdu beaucoup
de monde par la défertion. 27.200
IL.
粤
Ꭵ
*
2030%
De Londres, les Juillet 1773.
Des lettres de Charles Town , dans la Caroline
Méridionale , annoncent que la guerre qui
s'étoit élevée il y a plufieurs années entre les
Indiens Crecks & Cherokecs , & dont le feu '
fembloit éteint , s'eft rallumée depuis quelques
mois avec la plus grande activité ; que les
Crecks , dans un de leurs derniers combats.
ont eu dix - neuf hommes de tués parmi lesquels
fe trouve Halsbred Mokon , un de leurs piinA
O UST. 1773. 209
cipaux chefs , que le jeune Turin , un aurre
de leurs Chefs , a eu le bonheur de fe fauver
& de regagner fon pays , où il a porté la nouvelle
de la défaite de fon parti .
7
I
De Londres, le 9 Juillet 1773.
:
Les émigrations des Ecoffois & des Irlandois
pour l'Amérique Septentrionale , font fi multipliées
que le Gouvernement en a conçu de juftes
alarmes elles font occafionnées par la décadence
des fabriques de toile , & la réfolution
que plufieurs Seigneurs ont prise de hauffer
confidérablement le loyer de leurs fermes ,
maiſons , & c.
De Cadix , le 11 Juin 1773 .
On mande de Salé que l'Empereur de Ma
roc a donné ordre d'armer fur cette côte trois
frégates & trois chebecs , & que cette Efcadre
fera commandée par le vieux Reys Tarbi
Miftori. On ajoute que ce Reys doit aller en
Hollande revêtu des titres d'Amiral & d'Ambaffadeur;
mais on ignore le vrai moțif de
cette miffion.
De Rome , le 30 Juin 1773 .
Des lettres de Malthe portent que deux barques
de la Religion , armées en courfe , fe font
emparées le mois dernier de deux navires marchands
Turcs , dont on évalue la cargaifon
environ, cent mille écus romains .
On écrit de Civita- Vecchia que deux Gafiores
Barbarefques ayant paru fur les cotes
de Tofcane , les deux galeres de Sa Sainteté
étoient forties de ce Port pour aller leur donner
la challe .
L'Abbé Viſconti a acheté pour le Saint Pere
210 MERCURE DE FRANCE.
un bufte d'Antifthene , dont le nom eft écrit
en Grec fur la poitrine . Ce monument qui fera
placé dans le Mufaum Clémentin , donne une
idée certaine de la figure de ce Philofophe , fur
laquelle les fentimens avoient été partagés juf
qu'à ce jour , & corrigera l'erreur de quelques
Sçavans qui attribuoient à Carnéade les traits
qui diftinguent Antifthene.
De Paris , le 23 Juillet 1773:
L'Académie Royale des Infcriptions & Belles
Lettres , dans fon " affemblée du 2 de ce mois ;
élut pour Affocié Libre Etranger , à la place
vacante par la mort du Lord Cheſterfield , le
fieur Bartoli , Vénitien , Antiquaire du Roi de
Sardaigne , des Académies de Bologne , de
Manheim , & c..
"
NOMINATION S.
I
Le Roi ayant jugé à propos de réunis au Contrôle
général de les finances la charge de Direc
teur & Ordonnateur - général de fes bâtimens , le
Marquis de Marigny a fupplié Sa Majefté dè
vouloir bien agréér la démillion . Sa Majesté voulant
donner , en même tems , au Marquis de
Marigny une marque de la fatisfaction qu'elle a
cue de fes longs fervices dans cette charge , lui a
accordé pour la vie un brevet d'Adjoint à la charge
de Directeur & Ordonnateur - général de fes
bâtimens , ainfi que la continuation de la jouiffance
des hôtels & logemens dans fes Maifons
royales , & généralement de toutes les prérogatives
dont il jouifloit étant titulaire . Sa Majesté
Jui a également accordé les grandes Entrées.
A O UST. • 1773. 211
MARIAGES.
Le Roi & la Famille Royale fignèrent , le 18
Juillet , le contrat de mariage du Vicomte du
Barry avec Demoifelle de Tournon.
·
MORTS.
Daniel Henri Lemaitre , ancien Confeiller
honoraire de la Grand'Chambre , eft décédé le 7
Avril dernier , dans la foixante - dix - huitière année
de fon âge ; il étoit flu de la branche aînée
de cette Maifon , que l'on vit dans tous les tems
puiter dans fon attachement à la Couronne , la
force de la fidélité la plus conftante au milieu
même des révolutions des tems , & qui tire fon
origine d'un Prevôr de Paris avant l'an 1300.
Cette Maiſon eft alliée à plufieurs qui ont produit
des Chevaliers des Ordres , Préfidens des
Compres , An balladeurs , Prevots de Paris , Pro.
cureurs- Généraux , Premiers Préfidens , Prélats ,
Gardes des Sceaux , Maréchaux & Chanceliers de
France , Miniftres & Secrétaires d'Etat , Ducs &
Pairs , Cardinaux & Souverains . Cette Maiſon a
puifé les alliances dans les mêmes fources que les
Maifons de Courtenay , de Noailles , de Brehan,
de Biflac , de Maupeou , de Richelieu , de la
Vrillière , de la Grange- d'Arquien , de Fou gogne
, Melun , Rohan , Angoulême , Anjou , Vendôme
& Bretagne . Cette Fan ille a produir pendant
22 1ègnes, cinq Abbefles , deux Chanoinells,
ane Supérieure de St Cyr , des Evêques- Comman
deurs de l'Ordre de Malthe , des Capitaines de
vaifleaux , -Colonels , Gouverneurs de places
Commandans les bans & arrières - bans un
212 MERCURE DE FRANCE.
Lieutenant Général d'artillerie , des Confeillers
d'Etat , dix- neuf Confeillers du Parlement , trois
Avocats-Géneraux , trois Préfidens à Mortier &
an Premier Préfident. Blanchard , Mezeray , le
Père la Baune , & une infinité d'autres auteurs ,
nous apprennent que cette Mailon , s'eft diftinguée
dans tous les Etats , & que nos Souverains.
T'ont toujours confidérée , & qu'ils ont même pour
elle créé des places & des récompenſes , notamnment
celle de feptième Préfident à Mortier , en
faveur de Jean Lemaitre , qui fit rendre le célè
bre arrêt pour le maintien de la Loi Salique lors
de la réduction de Paris , & qu'Henri IV appeloit
fon bon Président.
La Princefle Frédéric - Chriſtine - Amélie- Guillelmine
, fille du Prince de Prufle , mourut , le 14,
Juin , à Potsdam , âgée d'environ dix mois. >
On écrit de Gallendorf que la Princefle- Louiſe,
Duchefle de Saxe, de Juliers , de Cleves & de Berg,
& veuve du Duc Jean - Auguſte de Saxe - Gotha ,
y eft morte , le 28 Mai , dans la quarante - fep
tième année de fon âge.
Pierre Comte de Vogué- Dourdan , brigadier
des armées du Roi , meſtre de camp de cavalerie
du régiment de fon nom , chevalier de l'Ordre
royal & militaire de St Louis , & chevalier ho
horaire de l'Ordre de Malte, eft mort , le 16 Juin,
à Annonay en Vivarais , dans la foixante- quinżième
année de fon âge.
Diane Camille d'Albon , époufe du Comte de
Vichy , maréchal des camps & armées du Roi ,
eft morte , le 3 Juillet , en fon château de Champrond
, en Charolois , à l'âge de cinquante- neuf
ans .
Thomas O -Kennely , brigadier des armées du
PAO UST. 1773 .
213
Roi, eft mort , le 6 Juillet , à Saint- Germain - en-
Laye , dans la foixante- quatrième année de fon
âge.
Le fieur Charles Macfindley vient de mourir à
Tipperary en Irlande , âgé de cent quarante - trois .
ans. Il avoit été capitaine fous le règne de Charles
I , avoit enfuite fuivi Cromwell en Irlande ,
& s'étoit retiré du ſervice depuis ce tems- là.
Sauveur François Morand , Chevalier de l'Ordre
du Roi , fecrétaire de cet Ordre , cenfeur
toyal , infpecteur des hôpitaux militaires , de l'académie
royale des fciences , de la fociété royale
de Londres , des académies de Rouen , Pétersbourg
, Stockolm , Bologne , Florence , Cortone
Porto & Harlem ; chirurgien major de l'Hôtel
Royal des Invalides depuis l'année 1722 , eft
mort ici dans la foixante - dix - feptième année de
fon âge. Le fieur Sabatier exerçoit , en furvivance
, la place de chirurgien - major de cet Hôtel
depuis 1761.
Marie-Elifabeth de Clermont de Lodève , veuve
de Gabriel- Marc - Antoine Comte de Touloufe.
Lautrec , meftre de camp de Carabiniers eft
morte le 10 Juillet , à Caftres , dans la quatrevingt
, feptième année de fon âge.
LOTERIES.
-
›
Le cent cinquante unième tirage de la Loterie
de l'hôtel de ville s'eft fait , le 25 Juillet , en la
manière accoutumée . Le lot de cinquante mille
livres eft échu au No. 70334. Celui de vingt mille
livres au N°. 64377 , & les deux de dix mille ,
aux numéros 61201 , & 75730.
18
214 MERCURE
DE FRANCE
.
•
ERRATA du fecond volume de Juillet.
PAGE
AGE 17 , vers 23 , Que peut un feul vengeur!
Lifez, Que peut un tel vengeur.
PIECES
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en proſe , page s
Réponse de M. de la Harpe aux vers de M.
L. C. de *** ?
Suite du fecond livie de l'Enéide par M. D.
L. C.
Epigramme ,
La Diffimulation
punie , Suite & fin de l'Eté , imitation libre de
ibid.
9
Thompſon ,
Vers pour un Portrait ,
Madrigal ,.
L'Oie & le Loup , fable,
26
.ibid.
47
SI
ibid.
152
53
63
64
65
66
69
73
ibid.
87
Dialogue entre Marie d'Angleterre
& Marie
Mignot ,
A Mademoiſelle
**
L'Eléphant & les Anes , fable ,
Explication des Enigmes & Logogryphes
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Fables nouvelles par M. l'Abbé Aubert ,
Eloges de la Poëfic ,
AOUS T. 1773. 215
90 Traité de Chymie par M. de Lorme ,
Difcours lû à la féance de l'Acad. R. d'Ecriture, 95
Lettres du Baron d'Olban , 96
La Pharfale , poëme par M. le Chev. Laurès , 97
Les Moeurs du Jour ,
Anecdotes Elpagnoles & Portugailes ,
La Comète , conte en l'air,
Hiftoire abrégée de tous les Empires ,
Tableau de la Sénéchauffée de Bellai ,
Description d'une collection de Minéraux ,
Poëfie de M. l'Abbé Métaftafe ,
Tarifs nouveaux & univerfels , & c.
Elémens d'Histoire générale , par M. l'Abbé
103
107
III
118
#
123
124
127
130
Millor ,
La Génération ,
Vocabulaire des arts & métiers ,
Hiftoire de l'inoculation ,
135
137
139
Traité de la nouvelle méthode d'inoculer , 149
L'Amour à Tempé ,
147
Hiftoire des Philofophes anciens , 143
Phadri fabula , 145
Avis fur la contrefaction de la collection de
Juriſprudence , 146
ACADÉMIE ,
148
SPECTACLES , Opéra , 152
Comédie Italienne 158
A -M . Favart , 159
A Madame Trial , ibid.
A Madame Billioni . 160
116 MERCURE DE FRANCE,
Architecture , 161
ARTS , Gravures 1,80
Mufique ,
187
Cours d'Education ,
188
Anecdotes , 196
Lettre fur la Lagophtalmie , 198
AVIS , 200
Entrée de MADAME à Paris ,
201
Impromptu ,
202
Déclaration d'amour à Mile P... , 203
Nouvelles politiques ,
206
Nominations , 210
Mariages ,
211
Morts ,
Loteries ,
ibid.
213
APPROBATION. "
J'ai lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le
& volume du Mercure du mois d'Août 1773 .
je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreffion .
A Paris , le 31 Juillet 1773 .
LOUVEL.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe.
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES;
SEPTEMBRE , 1773.
Mobilitate viget.
VIRGILE.
Reugne
A
PARIS ,
, Rue
Chez
LACOMBE , Libraire
Chriftine , près la rue Dauphine.
Avec
Approbation & Privilége du Roi,
AVERTISSEMENT.
C'EST an Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriftine , que l'on prie d'adrefler , francs de port,
les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eltampes
, les piéces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , obfervations , anecdotes
événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniquès , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public ; & tour ce qui peut inftruire ou amufer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des li-
Vies , eftampes & pièces de mufique.
>
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à fa perfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux
utiles au Journal , deviendront mêine un titre de
référence pour obtenir des récompenſes fur le
prodait du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eft de 24 liv.
que l'on paiera d'avance pour leize volumes rendus
francs de port.
L'abonnement pour la province eft de 32 livres
pareillement pour feize volumes rendus francs de
port par la pofte.
On s'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols pour
ceux qui n'ont pas foufcrit, au lieu de 30 fols pour
ceux qui font abonnés.
}
On fupplie Meffieurs les Abonnés d'envoyer
d'avance le prix de leur abonnement franc de port
par la pofte , ou autrement , au Sieur LACOMBE,
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On trouve auffi chez le même Libraire
les Journaux fuivans.
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36 cahiers par an , 18 liv.
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orné de gravures , br. 2 1. 10 f.
Annales de la Bienfaisance , 3 vol . in- 8 °.
brochés , 61.
1 1. 16 f. 'Lettres du Roi de Pruffe , in- 18. br.
Eloge de Racine avec des notes , par M. de
la Harpe , in - 8° . br.
Réponse d'Horace en vers ,
I 1. 10 f.
121.
Fables orientales , par M. Bret , 3 vol. in-
8°. brochés , 3 liv.
'La Henriade de M. de Voltaire , en vers latins
&françois , 1772 , in- 8°. br. 2 l. 10L
Traité du Rakitis , on l'art de redreſſer les
enfans contrefaits , in - 8 °. br. avec fig. 41.
'Lettres d'Elle & de Lui , in- 8 ° . b.
Le Phafma ou l'Apparition , hiftoire grecque
, in- 8°. br.
Les Mufes Grecques , in-8°. br.
11.4f.
I l. 10 f.
11. 16f
Les Nuits Parifiennes , 2 parties in - 8 °.
nouv . édition , broch.
3 liv.
in - 8° .
broché,
s liv:
Les Odes pythiques de Pindare ,
Le Philofopheférieux , hift. comique , br. 1 1. 4 f.
Du Luxe , broché ,
Traité fur l'Equitation , in-8°. br.
12 f.
I l. 10 f.
Monumens érigés en France à la gloire de
Louis XV, &c. in - fol. avec planches ,
rel, en carton ,
Mémoires fur les objets les plus importans de
l'Architecture, in - 4°. avec figures, rel . en
carton ,
Les Caractères modernes , 2 vol. br.
Maximes deguerre du C. de Kevenhuller ,
Hiftoire naturelle du Thé , avec fig. br.
241.
121.
3 1.
&
1 1. 10 f.
11, 16
છે
MERCURE
DE FRANCE.
SEPTEMBRE , 1773 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
Sur les trois Graces , peintes en émail
par M. Paquier , de l'Académie royale
de peinture.
LEMA
'EMAIL qu'ont animé tes pinceaux ingénus,
Pâquier , dans un bosquet de rofes
Sous nos yeux fraîchement éclofes ,
Offre les trois Beautés , compagnes de Vénus.
Lorfque mon oeil errant , à loifir examine
Les contours arrondis de tant de charmes nus ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Mon efprit curieux devine
Une foule d'appas à ma vue inconnus.
Qui dois- je préférer ! .. cette taille élégante ,
Ces beaux cheveux chatains , cette bouche chat
mante
Enflamment à la fois , & mon coeur & mes lens. ¿
Mais que cette Brune eft piquante !
Sa gaîté , fon fourire & me plaît & m'enchante ;
J'ai puifé dans les yeux le plaifir que je lens.
J'admire , en foupirant , cette Blonde touchante
Dont la chevelure eft flottante.
Que j'aime ces yeux bleus , tendres & languiffans!
Entre ces trois Beautés hésiterai -je encore ?
Chacune a ſes attraits : que tout mortel l'adore ;
Mais celle qui brille au milieu
Doit faire le bonheur d'un dieu .]
A Mademoiselle de B *** , qui m'avoit
demandé un exemplaire de mon Epitre
à M. de Buffon , fur l'Hiftoire naturelle.
J'AIME l'Histoire naturelle.
La Nature à nos yeux fait briller tant d'objets ;
Elle eft fi vafte , elle eft fi belle
Que ma inule ravie en a faifi des traits ,
Et les a préfentés d'une façon nouvelle.
SEPTEMBRE. 1775. 7
Daignez fourire à mes effais .
Vous trouverez , Mademoiselle ,.
Qu'il manque l'ame à mes portraits.
Quand la Nature a des fecrets ,
C'eft Buffon feul qui les révèle.
Je tombe aux pieds de mon modèle :
'ne font qu'un jeu d'eſprit s
Je n'ai donné dans mon écrit
Mes vers
Que le tableau de ma chapelle.
Mais qu'il aurà d'heureux deſtins'!
L'honneur de cette bagatelle
Eft de paroître dans vos mains.
Par M. Felix Nogaret , des Académies
d'Angers & de Marſeille.
CANTATE BACHI QUE.
JUPITER dir un jour , je veux punír l'audace
Des fiers humains qui m'ont bravé .
Sors de ton lit , Mer ; inonde l'efpace ›
Des lieux où contre moi j'ai vu leur front levé.
La Mer, foumife à la parole ,
Franchit fes bords de tous côtés.
Les vents , déchaînés par Eole ,
Renverfent les murs des cités .
A iv
MERCURE DE FRANCE.
Le malheureux que la vengeance im mole
Périt fous fon toît écroulé .
Le chaume roule amoncelé
Sur les débris d'un temple ; il en fouille l'idole ,
Le chaos eft renouvelé .
L'enfant , faifi d'effroi dans le fein de fa mère,
La preffe en gémiflant : elle le défefpère ;
Pour ce fils innocent elle invoque les cieux. ,
L'onde , fur fes vagues émues ,
Les porte enſemble juſqu'aux nues
Comme pour attendrir les dieux.
Suis je , dit Jupiter , l'auteur de ce ravage !
Ah ! c'en eft trop : fufpendez votre rage,
Vents furieux ; ne troublez plus les airs.
*
Retourne Mer à ton rivage ;
Les humains me font encor chers.
Depuis ce jour mémorable
Les mortels font plus heureux.
Jupiter eft plus traitable ,
Plus tendre & plus généreux.
C'est en père qu'il nous juge.
Et s'il a donné le vin ,
C'est pour que ce jus divin
Fafle oublier le déluge .
Par le même.
SEPTEMBRE . 1773 .
VERS à l'Auteur anonyme de l'Epître
inférée au premier volume du Mercure
de Juillet dernier , intitulée , le Teſtament
de ma Raifon .
TANDIS ANDIS qu'impunément plus d'un rimeur vulgaire
Joignent leurs noms obfcurs à d'informes eflais ,
Aux vers même qu'ils n'ont pas faits
Ou qu'ils n'auroient jamais dû faire ;
Pourquoi , digne fils d'Apollon ,
Pourquoi , trop modeſte Anonyme
Content de ravir notre eſtime ,
Laifle-tu defirer ton nom ?
Ton épître n'eft pas une redite fade ;
C'eſt le triomphe du talent :
·
On voit que ta raiſon n'étoit pas bien malade
Lorfqu'elle fit fon teftament.
Que ton oncle vive ou qu'il meure ,
N'eft- on heureux qu'en héritant ?
Tu ne badinerois pas tant
S'il avoit vu fa dernière heure.
Je ne crois pas à tes vaiſſeaux ;
Tu n'as rien pèrdu fur les ondes ;
Mais ton fage enjoûment , tes magiques pin-
ссаих ,
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
sont un bien préférable aux tréfors des deux
mondes.
Par M. de la Louptière.
ODE D'HORACE A SON ESCLAVE,
38. liv. 4. 。་ , - ,, :: ; , :
Perficos odi, puer , apparatus , &c.
Tu fais bien que dans ma maiſon
Jamais le fafte n'en impofe ;
Je fais peu de cas de la rofe
Qui croît dans l'arrière- faifon,
Je hais ce luxe afiatique
Des guirlandes & des feftons ;
Que le myrte moins magnifique
Serve à couronner nos deux fronts.
Quand fous cette vigne champêtre
Tu me fers les dons de Bachus
Le rameau chéri de Vénus
Peut orner l'Esclave & le Maître,
Par M. L. R.
SEPTEMBRE. 1773 .
C
{ {La Vertueuse INGRATITUDE.
Conte,
NERVILIER , privé dès le bas âge de fon
père & de fa mère qui lui avoient laiffé
une fortune proportionnée à fa naiffance,
fut élevé chez un oncle qui , en qualité de
tuteur , le fit venir chez lui. Avare , for
& plein d'humeur , cet oncle lui rendit
fes premières années peu fupportables ;
mais de plus grands maux l'attendoient à
cet âge où la liberté de difpofer de foimême
devient fi précieufe. Hélas ! ' de
quoi fe plaint lajeuneffe qui n'aime point
encore ? elle n'a point d'idée des fupplices
de l'ame; elle ignore que la fenfibilité
eft quelquefois le don le plus cruel
que nous ait fait la Nature.
"
Nervilier foupira de bonne heure , &
fut écouté.Jeux cruels & barbares du fort,
vous allez empoifonner une fituation fi
délicieufe ! A peine avoit - il feize ans :
J'avare & dur Granger étoit bien éloigné
de vouloir le marier , c'eût été confentir
à une émancipation qui lui arracheroit
Ja régie des biens de fon pupille, & il s'y
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
étoit fi bien accoutumé, que la fortune
de fon neveu lui paroifoit la fienne , &
qu'il devoit être tout auffi difficile pour
lui de s'en détacher. On lui parla du goût
de fon neveu pour Hortenfe ; il fulmina ,
& s'oppofa d'autant plus à l'union de Nervilier
avec fa jeune & charmante voifine ,
qu'il étoit fecrètement l'ennemi des parens
de la future.
Cependant une circonftance particulière
ne laifoit point de tems à nos tendres
amans . Une des tantes d'Hortenfe
venoit de laiffer à fa nièce un legs affez
confidérable , fous la condition expreffe
qu'elle feroit mariée dans l'année .
Beaucoup de gens fe préfentoient
Hortenfe eût volontiers facrifié l'hoirie
pour attendre que Nervilier fût fon maître
en devenant majeur ; mais elle dépendoit
d'un père qui comptoit autrement
qu'elle , & qui moins défintéreffé ,
vouloit que le legs fût acquis à fa fille.
Telle étoit la pofition cruelle où fe
trouvoit Nervilier. Déjà le père d'Hortenfe
panchoit pour un des amans du legs
de fa fille ; déjà tout fe difpofoit au facrifice
de la jeune perfonne , lorfqu'une
parente de la victime , & en même tems
l'amie de Nervilier , pour laquelle la vue
SEPTEMBRE. 1773. 13
des malheureux étoit infoutenable , vint
à leur fecours.
Cette parente étoit une jeune veuve
appelée Mde Dubourg , auprès de qui
Nervilier alloit fouvent faire éclater fon
défefpoir. Le tems fatal avançoit ; le confentement
d'un avate peut toujours s'acheter
, mais c'est lorfque l'offre qu'on
peut lui faire ne doit pas le priver d'une
autre jouiffance ; & l'avarice a tous ces
calculs- là devant elle ; on ne put donc
amener le dur Granger à ce qu'on vouloit
, quoique la fomme que lui fit offrir
la veuve,l'eût d'abord tenté.
Mde Dubourg avoit pris à coeur le
bonheur de fa parente & celui de fon
jeune ami ; elle ne fe rebuta point. Obliger
étoit pour elle ce qu'étoit pour Granger
l'ouverture de fon coffre-fort , c'eftà-
dire le premier & le plus vif des plaifirs
.
匪
Unir les deux amans par un hymen
qu'on tiendroit caché quelque tems au
tuteur du jeune homme , c'étoit une chofe
faifable : toute autre qu'elle le feroit
vainement , & feroit fort mal venu à en
faire la propofition au père d'Hortenfe ;
mais elle a d'affez gros fonds placés fur
la charge de ce père , peut fe radoucir il
14 MERCURE DE FRANCE.
à la demande du remboursement. Voilà
déjà pour la veuve deux grands obftacles
levés ; il en reste un troisième , & c'eſt le
plus confidérable.
Comment faire confentit Nerban , légataire
univerfel de la tante d'Hortenfe ,
à lui délivrer le legs fur un mariage dont
on ferait un mystère , & qui par conté →
quent ne feroit pas un titre fuffifant ?
Mde Dubourg frémit de ce qu'elle imagina
à cet égard. Ce Nerban avoit effayé
de la faire renoncer aux douceurs du veu
wage ; il avoir été écondait , il en étoit
bien digne ; mais Hortenfe !.. Mais Ner
vilier ! .. La veuve s'attendrit, laiffe couler
quelques larmes & conclut que le
bonheur de fes amis vaut le facrifice du
.fien.
1
... Elle favoit où trouver Netban offenfé
des dégoûts qu'elle lui avoit marqués ';
elle y vole , & fans aucune affectation
thafarde de lui faire quelque politeffe.
Nerban ne tient point à un coup d'oeil
moins indifférent que ceux qu'il avoit
attirés jufqu'alors. La veuve généreufe a
bientôt apperçu qu'elle n'a rien perda de
fon pouvoir fur fon coeuri: Vous me boudez
long- tems , lui dit- elle ! & voilà de
courroux de Nerban vaincu. 1 revoir
SEPTEMBRE. 1773. IS
Mde Dubourg chez elle ; on lui dit ce
qu'on exigeroit de lui pour la délivrance
du legs ; il conſent à tout , & cet obſtacle
difparoît encore.
Le père d'Hortenfe au premier mot de
la propofition , refufa , comme on l'avoit
prévu ; mais la crainte du rembour ſement
& la promeffe du legs l'attendrirent ; il
capitula bientôt , & fe rendit.
On prit donc les mefures les plus con.
venables pour cacher à Granger le mariage
de fon neveu . Celui de Mde Dubourg
avec Nerban fervit à cacher l'autre. On
alla célébrer les deux hymens à la campagne
, & Nervilier fe vit le plus heureux
des amans , contre toute forte d'apparence ;
car il étoit difficile d'efpérer qu'on trouvât
quelqu'un qui fe chargeât , comme Mde
Dubourg , de faire évanouir le triple obftacle
qui s'oppofoit à fa félicité , & de la
part du tuteur & de la part du père d'Hortenfe
, & de celle du légataire univerfel .
Mde Dubourg croyoit favoir à peuprès
ce qu'il devoit lui en coûter , par le
facrifice qu'elle venoit de confommer. A
travers les foins que prennent les hommes
pour cacher leurs défauts tant qu'ils
cherchent à plaire , elle avoit entrevu une
partie de ceux de Nerban ; mais la cir16
MERCURE DE FRANCE.
conftance fi flatteufe pour fa belle ame de
faire à la fois deux heureux , avoit triomphé
de fa pénétration & de fa répugnance.
La beauté du facrifice qu'elle avoit fait
à l'amitié ne tarda pas à paroître , & elle
acquit la trifte expérience qu'en croyant
deviner les défauts de quelqu'un , on en
apperçoit au plus la moitié.
-
A peine fix mois étoient ils paffés
Nerban ne fe contraignit plus , & laiffa
tomber le mafque ; il découvrit à la malheureufe
victime plus de baffeffe & de
dureté qu'elle ne lui en avoit fuppofé , &
Nervilier trouva plus d'une fois la bienfaitrice
dans les larmes.
Ce tableau cruel troubla le bonheur
qu'il tenoit de cette infortunée ; mais le
fort devoit bientôt égaler fes peines à
celles de fon amie. Des couches funeftes
lui enlevèrent en un jour & la malheureuſe
Hortenfe & le fils qu'elle devoit lui
donner.
de
C'eft aux ames fenfibles & tendres à fe
peindre les douleurs de Nervilier . Privé
de la plus chère , de la plus aimable ,
la plus vertueufe compagne , il ne lui
furvécut malgré lui que pour être témoin
des malheurs de fa bienfaifante amie ,
qui de venoit chaque jour plus à plaindre
avec Nerban.
SEPTEMBRE. 1773. 17
Leur confolation unique étoit de confondre
fouvent leurs larmes . O vertueufe
& trop noble amie , je fuis donc l'auteur
de vos maux , s'écrioit- il ! & moi , reprenoit
en gémiffant Mde de Nerban , n'aije
pas fait votre malheur ainsi que le
mien? La bienfaifance eft donc quelquefois
cruelle ? Ames dures & féroces , venez
vous affermir dans votre inhumanité
par mon trifte exemple ! & Nervilier
noyé de pleurs , étouffé de fanglots
tomboit dans fes bras , & tous deux
s'encourageoient dans les accès de leur
défefpoir à fortir d'une vie qui ne leur
préfenteroit plus que des amertumes &
des fupplices. Un jour même , plus pénétrés
de leurs peines , ils s'étoient armés
réciproquement; déjà ils s'inftruifoient des
moyens de fe frapper au même inftant ,
lorfque le cri de la confcience que nous
donne la Nature , & que perfectionne la
Religion , fit faire un cri à Mde Nerban :
Arrêtez , Nervilier , arrêtez , dit - elle :
fouffrir eft le partage des hommes ; la
foif du fang eft l'inftinct des tigres.
Nervilier, à ces mots, laiffe tomber fa
main armée. Il écoute la même voix qui
s'élève dans ſon ſein , & qui le fait rougir
de fa fureur infenſée . Eh ! bien , dit- il
16 MERCURE DE FRANCE.
conftance fi Alatteufe pour fa belle ame de
faire à la fois deux heureux , avoit triomphé
de fa pénétration & de fa répugnance.
La beauté du facrifice qu'elle avoit fait
à l'amitié ne tarda pas à paroître , & elle
acquit la trifte expérience qu'en croyant
deviner les défauts de quelqu'un , on en
apperçoit au plus la moitié.
-
A peine fix mois étoient ils paffés ,
Nerban ne fe contraignit plus , & laiffa
tomber le mafque ; il découvrit à la malheureufe
victime plus de baffeffe & de
dureté qu'elle ne lui en avoit fuppofé , &
Nervilier trouva plus d'une fois la bienfaitrice
dans les larmes.
Ce tableau cruel troubla le bonheur
qu'il tenoit de cette infortunée ; mais le
fort devoit bientôt égaler fes peines à
celles de fon amie . Des couches funeftes
lui enlevèrent en un jour & la malheureufe
Hortenfe & le fils qu'elle devoit lui
donner.
C'eft aux ames fenfibles & tendres à fe
peindre les douleurs de Nervilier . Privé
de la plus chère , de la plus aimable , de
la plus vertueufe compagne , il ne lui
furvécut malgré lui que pour être témoin
des malheurs de fa bienfaifante amie ,
qui devenoit chaque jour plus à plaindre
avec Nerban.
SEPTEMBRE. 1773. 17
Leur confolation unique étoit de confondre
ſouvent leurs larmes. O vertueuſe
& trop noble amie , je fuis donc l'auteur
de vos maux , s'écrioit -il ! & moi , reprenoit
en gémiffant Mde de Nerban , n'aije
pas fait votre malheur ainfi que le
mien? La bienfaifance eft donc quelquefois
cruelle ? Ames dures & féroces , venez
vous affermir dans votre inhumanité
par mon trifte exemple ! & Nervilier
noyé de pleurs , étouffé de fanglots
tomboit dans fes bras , & tous deux
s'encourageoient dans les accès de leur
défefpoir à fortir d'une vie qui ne leur
préfenteroit plus que des amertumes &
des fupplices. Un jour même , plus pénétrés
de leurs peines , ils s'étoient armés
réciproquement ;déjà ils s'inftruifoient des
moyens de fe frapper au même inftant ,
lorfque le cri de la confcience que nous
donne la Nature , & que perfectionne la
Religion , fit faire un cri à Mde Nerban :
Arrêtez , Nervilier , arrêtez , dit - elle :
fouffrir eft le partage des hommes ; la
foif du fang eft l'inftinct des tigres.
Nervilier, à ces mots , laiffe tomber fa
main armée . Il écoute la même voix qui
s'élève dans fon fein , & qui le fait rougir
de fa fureur infenfée. Eh ! bien , dit- il ,
18 MERCURE DE FRANCE.
ame pure & fublime ! apprenons donc à
vivre dans les pleurs , répandons - en fans
ceffe , moi fur la perte irréparable que
j'ai faite , vous fur l'abus cruel que faic
un tyran du plus faint des pouvoirs . A
peine il finiffoit qu'il apperçoit Nerban ,
l'oeil égaré & furieux , lever le bras fur fa
femme ; il s'élance à ce monftre qui lui
voyant à la main une arme dont il ne.
fongeoit plus à fe fervir , crie au fecours,
appelle fes gens , & les prend à témoins
de ce qu'ils trouvent Nervilier armé contre
lui.
Dès le jour même un procès- criminel
fe commence contre Nervilier, à la pourfuite
de Nerban , qui redoutoit depuis la
mort d'Hortenfe qu'il ne devint l'amant
de fa femme , & qui par cette raifon - là ,
cherchoit à l'éloigner de fa maifon . Tout
étoit contre l'époux infortuné d'Hortenfe.
Dix témoins dépofoient l'avoir vu armé,
parlant avec chaleur à Nerban ; c'en fut
affez pour être menacé d'un décret qu'il
crut devoir éviter par la fuite. 1.
Ce qui marque affez l'intention de fon
ennemi , c'eft qu'il difcontinua fes pourfuites
dès qu'il le fut parti , fauf à les reprendre
dès qu'il viendroit à paroître ,
Mais fa femme , indignée de fon injufSEPTEMBRE.
1773. 19
tice atroce , difparut un matin en lui laiffant
un avis qu'elle alloit fe retirer chez
les Urfulines de la ville , d'où il feroit
inutile de vouloir la tirer.
Nerban , dont la conduite déréglée ne
le mettoit pas en droit de fe plaindre de
la fuite de fa femme , voulut toujours
avoir l'air d'en être affligé & de fonger à
la réclamer. Cette adreffe devoit lui fervir
à la ruiner , parce qu'il préfumoit avec
raifon qu'elle aimeroit toujours mieux
s'engager pour lui que de rentrer dans fa
maiſon.
Mde Nerban , en fe retirant dans l'afyle
facré dont elle avoit fait choix
ignoroit encore qu'elle étoit dans un état
qui ne lui permettroit pas d'y refter . Dès
qu'elle en fut convaincue , elle s'occupa à
profiter de la vive amitié qu'elle avoit
infpirée à la Supérieure , & celle - ci fe
prêta volontiers à la laiffer fortir des murs
du couvent pour quelques mois , pendant
lefquels on répandit le bruit d'une maladie
qui la retenoit dans fon appartement.
Devenue mère d'une fille qu'elle confia
à des mains fûres & à des gens qui lui
étoient entièrement dévoués , elle revint
dans fa retraite fans que fon mari eût la
moindre connoiffance de ce qui s'étoit
28 MERCURE DE FRANCE .
paffé. La haine qu'elle avoit conçue pour
ce tyran domestique , le lui faifoit paroî
tre indigne du bonheur d'être père ; c'étoit
fous le fimple nom de Rofalie que
fa fille devoit être élevée , & fon projet
étoit qu'elle ne connût jamais un père qui
ne pourroit que la rendre malheureuſe.
Cependant toutes les fois que lés débauches
& l'inconduite de Nerban , qui
avoit déjà diffipé fa propre fortune , le
mettoient dans la néceffité de recourir à
celle de fa femme , il affectoit de la vou.
loir ramener chez lui ; & foutenu par les
loix dont il fe faifoit un titre frauduleux ,
il ne s'en départoit qu'en obtenant d'elle
qu'elle engageât fes biens pour alimenter
fes défordres.
Ils devinrent heureufement d'un fcandale
& d'un éclat qui mirent Mde Nerban
dans le cas d'obtenir de la Juftice une féparation
qui lui conferva ce qui lui reftoit
, & qui fuffifoit à peine pour payer
fa penfion & celle de fa fille. Un plus
grand bonheur arriva plufieurs années
après à l'un & à l'autre. Nerban, impliqué
dans une affaire où fa probité étoit compromife
, mourut dans les prifons avant
qu'un arrêt ne fît partager fon déshonneur
à fa fille.
SEPTEMBRE. 1773. 21
Inftruite qu'il lui étoit libre de reparoître
dans le monde & de prendre fa fille
auprès d'elle , Mde Netban fortit de fon
couvent , recueillit le peu de fortune qui
lui reftoit , & ne pouvant accoutumer
ceux qui la connoiffoient à lui donner un
autre nom que celui de fon mari , elle
vint fe fixer à Paris , où il lui fut libre de
quitter un nom qui l'indignoit en lui rap
pelant tous les malheurs. Celui de Poligny
la fit connoître au peu de gens qu'elle
vit dans cette grande ville-
Ce qu'elle avoit confervé de fa fortune
ne fuffifant pas aux befoins de la mère &
de la fille , elles y joignirent les foibles
reffources du travail. Déjà Rofalie touchoit
à fa dix-feptième année fans que
Mde de Poligny , qui pleuroit fouvent
fur fes anciens malheurs & fur ceux de
Nervilier , eût entendu parler de ce dernier:
il habitoit cependant alors à Verſail.
les ; mais elle étoit fi éloignée de fẹ montrer
dans ces lieux , qu'il étoit impof
fible que le hafard le lui fît rencontrer.
Nervilier , en fuyant fa patrie comme
nous l'avons dit , voulut s'éloigner le plus
qu'il pourroit des lieux où il avoit vu périr
Hortenfe. Arrivé à un port de mer ,
où quelques vaiffeaux de guerre mettoient
22 MERCURE DE FRANCE.
à la voile , il s'y étoit fait recevoir comme
fimple foldat .
Cete petite flotte étoit chargée d'une
expédition périlleuse qui ne donna que
plus d'ardeur à Nervilier d'en partager les
dangers. Ses malheurs lui faifoient déteſter
la vie , & ce motif , autant que fa
bravoure naturelle,lui fit faire des actions
fi brillantes que l'officier qui commandoit
l'efcadre , ne put fe diffimuler qu'il
devoit fon fuccès à l'intrépide valeur du
jeune homme qu'il avoit embarqué au
moment de fon départ de Breft.
Il en écrivit à la Cour lorfqu'il le put ;
¿& la justice qu'il avoit rendue à fon foldat
procura à Nervilier un poſte plus honsnête
& plus utile , dans lequel il paſſa
plufieurs années avant de revenir en France.
Préfenté au Miniftre par le même Officier
qui s'étoit fait un devoir de l'avancement
d'un homme dont il avoit fait
fon ami , Nervilier , propre à toutes les
affaires , occupa bientôt une place de confiance
auprès de ce Miniftre , qui n'avoit
jamais manqué l'occaſion de s'attacher un
homme de mérite.
Cet homme d'état n'eut jamais qu'à fe
féliciter du choix qu'il avoit fait. Il fe vit
SEPTEMBRE . 1773. 23
toujours éclairé , & jamais trompé . Nervilier
pouvoit devenir riche , & n'acquit
qu'une aifance honnête , parce que les
travaux le furent toujours . Au- deffus de
touté eſpèce de féduction , il alloit donner
une preuve de fon équité & de fon
défintéreffement bien cruelle pour l'infor
tunée Mde de Poligny .
L'aimable Rofalie étoit recherchée par
un homme qui follicitoit vivement une
place dont il s'étoit rendu peu digne dans
la colonie qu'il habitoit , & dont il vouloit
faire exclure un citoyen vertueux qui
l'occupoit.
En cas de fuccès il offroit fa main à la
fille de Mde 'de Poligny , qui fe feróit
laiffée conduite en Amérique ; mais fa
fortune , dévoréé par le luxe que viennent
étaler quelques créoles dans la capitale
, ne lui permettoit pas , difoit il , de
fonger à l'hymen , fi fes prétentions fur la
place dont on a parlé étoient rejetées .
Madame de Poligny & fa fille avoient
donc un grand intérêt au fuccès de Vervin
( c'est le nom du Créole ) elles ignoroient
toute l'injuftice de fa demande ;
& ne voyoient dans cette affaire que l'efpérance
d'un établiffement qui les ar22
MERCURE DE FRANCE.
à la voile , il s'y étoit fait recevoir comme
fimple foldat.
Cete petite flotte étoit chargée d'une
expédition périlleufe qui ne donna que
plus d'ardeur à Nervilier d'en partager les
dangers . Ses malheurs lui faifoient détefter
la vie , & ce motif , autant que fa
bravoure naturelle, lui fit faire des actions
fi brillantes que l'officier qui commandoit
l'efcadre , ne put fe diffimuler qu'il
devoit ſon ſuccès à l'intrépide valeur du
jeune homme qu'il avoit embarqué au
moment de fon départ de Breft.
Il en écrivit à la Cour lorfqu'il le put ;
& la justice qu'il avoit rendue à fon foldat
procura à Nervilier un pofte plus honnête
& plus utile , dans lequel il paffa
plufieurs années avant de revenir en France.
Préfenté au Miniftre par le même Officier
qui s'étoit fait un devoir de l'avancement
d'un homme dont il avoit fait
-fon ami , Nervilier , propre à toutes les
affaires , occupa bientôt une place de confiance
auprès de ce Miniftre , qui n'avoit
jamais manqué l'occafion de s'attacher un
homme de mérite.
Cet homme d'état n'eut jamais qu'à fe
féliciter du choix qu'il avoit fait. Il fe vit
SEPTEMBRE. 1773. 23
toujours éclairé , & jamais trompé. Nervilier
pouvoit devenir riche , & n'acquit
qu'une aifance honnête , parce que fes
travaux le furent toujours . Au - deffus de
toute espèce de féduction , il alloit donner
une preuve de fon équité & de fon
défintéreffement bien cruelle pour l'infor
tunée Mde de Poligny.
L'aimable Rofalie étoit recherchée par
un homme qui follicitoit vivement une
place dont il s'étoit rendu peu digne dans
la colonie qu'il habitoit , & dont il vouloit
faire exclure un citoyen vertueux qui
l'occupoit.
En cas de fuccès il offroit fa main à la
fille de Mde 'de Poligny , qui fe feróit
laiffée conduite en Amérique ; mais fa
fortune , dévoréé par le luxe que viennent
étaler quelques créoles dans la capitale
, ne lui permettoit pas , difoit- il , de
fonger à l'hymnen , fi fes prétentions fur la
place dont on a parlé étoient rejetées . ::
Madame de Poligny & fa fille avoient
donc un grand intérêt au fuccès de Vervin
( c'eft le nom du Créole ) elles igneroient
toute l'injuftice de fa demande ;
& ne voyoient dans cette affaire que l'efpérance
d'un établiſſement qui les ar24
MERCURE DE FRANCE.
racheroient à la misère ; car la vie qu'elles
menoient à Paris en étoit bien voiline.
La décifion du Miniftre approchoit , &
Vervin , qui fecrètement avoit tâché fans
fruit de corrompre le chef des bureaux
imagina qu'en lui préfentant la belle Rofalie,
il tourneroit ſon eſprit en ſa faveur.
Il fupplia donc plus d'une fois Mde de
Poligny de venir à Verfailles avec fa
fille. Vaincue par fes follicitations preffantes
, & craignant d'avoir à fe reprocher
dans la fuite de n'avoir pas fait pour l'établiſſement
de Rofalie tout ce qui auroit
dépendu d'elle , cette mère tendre confentit
à la propofition de Vervin.
Déjà le Créole préfentoit à Nervilier la
charmante Rofalie , dont la fortune , à ce
qu'il difoit,devoit dépendre du pofte qu'il
follicitoit , lorfque Mde de Poligny qui
d'abord par modeftie s'étoit un peu tenue
à l'écart , jetant les yeux fur la perfonne
à qui fa fille étoit préſentée , fit involontairement
un cri , & tomba évanouie fur
un fiége qui étoit auprès d'elle.
Nervilier court le premier au fecours
de cette femme qu'il envifage & qu'il
reconnoit pour fon ancienne bienfaitrice.
Jufte Ciel , s'écrie - t'il à fon tour ; que
vois - je ? Est - ce vous Mde Nerban? Ce
пот
SEPTEMBRE. 1773. 25
nom la rappelle à la vie ; elle ouvre les
yeux fur fon ami . C'eft Nervilier , ditelle
; c'eft lui - même.
Alors il fupplie tout le monde , &
Vervin lui - même de fe retirer & de le
laiffer un moment avec les femmes qu'on
venoit de lui préfenter . On refpecte fon
fecret ; on s'éloigne , & Nervilier tombe
aux genoux de fa vertueufe amie . C'eft
donc vous que je revois , dit-il , vous que
j'ai fait chercher inutilement dans notre
province ; vous , dont je fais la malheureufe
hiftoire jufqu'à votre fuite ; vous
dont je foupçonne les befoins ; vous dont
j'ai caufé toutes les infortunes... & vous
avez une fille... & c'est pour elle ... O
dieux !
Il fe tut alors ; & s'adreflant à Rofalie
éplorée , Mademoifelle , lui dit - il , ouvrez
- moi votre coeur. Vous êtes aimée
de Vervin fans doute ; mais quel eft le
degré de fentiment qu'il vous infpire ! ..
Monfieur , répondit la jeune perfonne ,
je n'ai pu me défendre d'un mouvement
de reconnoiffance pour les efpérances
qu'il me donne de tirer maman de l'érat
d'indigence dont elle est bien près ... De
la reconnoiffance , dit Nervilier , de la
reconnoiffance ! Ah ! Rofalie , ne trom-
B
24 MERCURE DE FRANCE.
·
racheroient à la misère ; car la vie qu'elles
menoient à Paris en étoit bien voiline.
La décifion du Miniftre approchoit , &
Vervin , qui fecrèrement avoit tâché fans
fruit de corrompre le chef des bureaux
imagina qu'en lui préfentant la belle Rofalie,
il tourneroit ſon eſprit en ſa faveur.
Il fupplia donc plus d'une fois Mde de
Poligny de venir à Verfailles avec fa
fille. Vaincue par fes follicitations preffantes
, & craignant d'avoir à fe reprocher
dans la fuite de n'avoir pas fait pour l'établiffement
de Rofalie tout ce qui auroit
dépendu d'elle , cette mère tendre confentit
à la propofition de Vervin.
Déjà le Créole préfentoit à Nervilier la
charmante Rofalie , dont la fortune , à ce
qu'il difoit,devoit dépendre du poſte qu'il
follicitoit , lorfque Mde de Poligny qui
d'abord par modeftie s'étoit un peu tenue
à l'écart , jetant les yeux fur la perfonne
à qui fa fille étoit préfentée , fit involontairement
un cri , & tomba évanouie fur
un fiége qui étoit auprès d'elle.
Nervilier court le premier au fecours
de cette femme qu'il envifage & qu'il
reconnoit pour fon ancienne bienfaitrice.
Jufte Ciel , s'écrie - t'il à fon tour ; que
vois - je ? Est - ce vous Mde Nerban? Ce
nom
SEPTEMBRE . 1773. 25
nom la rappelle à la vie ; elle ouvre les
yeux fur fon ami . C'eft Nervilier , ditelle
; c'eft lui - même.
Alors il fupplie tout le monde , &
Vervin lui - même de fe retirer & de le
laiffer un moment avec les femmes qu'on
venoit de lui préfenter . On refpecte fon
fecret ; on s'éloigne , & Nervilier tombe.
aux genoux de fa vertueufe amie . C'eft
donc vous que je revois , dit-il , vous que
j'ai fait chercher inutilement dans notre
province ; vous , dont je fais la malheureufe
biftoire jufqu'à votre fuite ; vous
dont je foupçonne les befoins ; vous dont
j'ai caufé toutes les infortunes... & vous
avez une fille... & c'est pour elle... O
dieux !
Il fe tur alors ; & s'adreflant à Rofalie
éplorée , Mademoiſelle , lui dit - il , ouvrez
- moi votre coeur. Vous êtes aimée
de Vervin fans doute ; mais quel eft le
degré de fentiment qu'il vous infpire ! ..
Monfieur , répondit la jeune perfonne ,
je n'ai pu me défendre d'un mouvement
de reconnoiffance pour les efpérances
qu'il me donne de tirer maman de l'érat
d'indigence dont elle est bien près... De
la reconnoiffance , dit Nervilier , de la
reconnoiffance ! Ah ! Rofalie , ne trom-
B
26
MERCURE
DE FRANCE
.
pez pas l'ami de votre mère . Elle ne vous
trompe point, répondit Mde de Poligny qui
avoit repris fes fens ; non , ma fille n'éprouve
que ce fentiment.
Je puis donc vous avouer , ô ma vertueufe
amie , la fituation étonnante où je
me trouve , dit Nervilier en ferrant tendrement
les mains de la mère de Rofalie.
Vous venez me folliciter en faveur de
Vervin ; c'eft l'établiffement de votre fille
que vous me demandez . Je vous dois
tout , je ne l'ai point oublié , & je ne ſerai
qu'un ingrat. Vervin demande une
chofe injufte , il ne peut l'obtenir . Je vais
lui fignifier le refus du Miniftre , figné
depuis deux jours. Il eft important qu'il
fache que fon affaire étoit terminée avant
qu'il vous eût conduites ici ; permettez
que je le faffe entrer.
Il parut en effet , & Nervilier lui com .
muniqua l'écrit fatal qu'il étoit bien loin
de redouter depuis qu'il avoit été témoin
de la reconnoiffance de Mde de Poligny
avec celui qui pouvoit tout dans fon affaire.
Accablé de la décifion dont on lui
faifoit part eh bien , Mademoiſelle , ditil
à Rofalie , il faut renoncer à tout ; je
pars , & ne vous verrai plus . En effet , il
fortit, & laiffa Mde de Poligny & fa fille
SEPTEMBRE. 1773 . 27
dans le cabinet de Nervilier que cet événement
pénétroit de douleur ,
Ah ! Rofalie , s'écria- t'il , que je fuis
coupable , fi vous aimez ! Vous ne l'êtes
point fi vous avez fait juftice , dit Mde
de Poligny , & puis vous ignoriez quel
intérêt nous prenions à lui . L'euflé- je ſû ,
reprit- il , je n'aurois point trahi la confiance
dont on m'honore. Le Ciel me
deftinoit à l'ingratitude , il falloit que je
refufaffe tout à une perfonne qui a tout
fait pour moi ; mais , ajouta- t'il , permettez-
moi de réparer l'infolent procédé de
Vervin qui vous laiffe indécemment ici.
Madame , dit il à la mère de Rofalie ,
que cet aimable enfant foit déformais la
nôtre. Je fais tout ce que vous avez ſouffert
avec Nerban . Je fus la cauſe de tous
yos maux ; c'eſt à moi de vous les faire
oublier . O mon amie ; je fuis libre , devenez
mon époufe , & je trouverai ici des
moyens d'établir Rofalie plus heureufement...
Vous balancez ! .. Vous aimez
votre fille , & c'eſt en fon nom que je
vous demande une union qui fera fon
bonheur & le mien . Je fens , dit Mde de
Poligny , toute la générofité de votre offre .
Oui Nervilier , je fuis à vous , difpoſez à
jamais du coeur de votre ancienne amie.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
O ma fille ajouta- t'elle en embraffant
Rofalie , je te donne le plus honnête , le
plus vertueux des pères.
L'hymen fut bientôt célébré & bientôt
fuivi de celui de Rofalie ; une ingratitude
apparente la fauva du malheur d'être unie
à un homme bien moins digne d'elle que
celui dont Nervilier fit. choix pour être
fon époux.
Par M. Bret.
LES DEUX YEUX.
Apologue à Mlle Olimpe , M ***
JUUPPIITTEERR aux mortels fit préfent de deux yeux !
L'un voit tous les objets fous des traits agréa
bles ,
Et l'autre, leur prêtant des couleurs effroyables ,"
Les voit tous fous un jour affreux.
Les paffions à leur gré les dirigent ,
Et tour à tour, felon qu'elles l'exigent ,
Quand l'un veille , l'autre eft fermé.
C'eſt donc en vain que l'homme eft alarmé
Des contradictions dont la nature abonde ;
Les corriger c'eft fol eſpoir ;
Fuffiez- vous Phoenix en ce monde,
Chacun a deux yeux pour vous voir..
SEPTEMBRE . 1773 . 29
Si cette règle eft infidelle ,
Ce n'eft qu'en faveur de mes yeux ,
Puifqu'en te trouvant auffi belle ,
Olimpe , ils s'accordent tous deux.
Par M. L ***.
A M. Aufrêne , qui vient de jouer la !!
comédie à Genève.
PARAR ton goût créateur Melpomène renaît ,
Athène à des rivaux , la Nature s'expliqué.
Le fublime eft le vrai ; l'Art admire , & fe taitt
La Grèce t'auroit ceint du laurier olympique.
De tes hardis talens le critique étonné
Près Corneille embelli te deftine une place :
H dédaigne , à la fin , l'appareil deffiné
D'Hiftrions à maintien qui pleurent avec grâce.
Qu'ils cherchent au miroir la force de ton fens ,
L'éclair de ton regard , ta juftefle nourrie
Ta chaleur fans apprêt , tes filences parlans ..
Ta gloire eft à toi ſeul ainſi que ton génie.
Chaque vers dans ta bouche eft forti de ton
coeur ;
Du goût de tous les arts guide & réformateur ,
Le fimple fait le beau ; voilà ta règle unique .
Acteur , peintre & poëte , orateur des vertus
:
B iij
30 MERCURE DE FRANCE .
Que l'honnête homme eft grand fous ton pinceau
tragique !
Il ne t'a tien manqué , qu'un Public de Titus.
Pardonne ce prélude à ma lyre pelante ,
Les talens t'offriront un hommage plus beau ;
Sans doute qu'en créant , fous leur touche favante
,
L'oeuvre de la palette on celle du cifeau
Ils laifleront aux tems ton image vivante,
Pour honorer leur fiècle & braver le tombeau.
Par M. Mallet , de Genève , profeſſeur
honoraire de l'Acad. de Caffel
A Madame la Comteffe de .....
LAIRE & toucher , c'eft l'emploi de votre
âge ;
J'y parviendrai , donnez -moi vos talens.
Quand la beauté fait l'objet de nos chants ,
C'eft à l'Amour à préfenter l'hommage.
Vous riez avec lui comme feroit un lage ,
Vous , philofophe de vingt ans ;
Si le Ciel de Paphos eft couvert de nuages ,
Il est ferein pour vous , qui bravez les orages ;
Platon en main , vous fouriez aux vents ,
Qui , du coeur des amans foulevent les tempêtes
:
SEPTEMBRE. 1773. 31
Quand je vous vois & yous entends ,
Je dis , c'eft Flore ou Jean-Jacque en cornettes .
Ah ! d'un autre bandeau vos yeux feront couverts.
A des foux creux laiflez la rêverie ,
Le compas pour la lyre & Platon pour les vers.
Volupté fans mélancolie ,
Inftans d'aimable folie ,
Donner & prendre des fers ,
Sentiment fans philofophie ,
Voilà les dieux d'une femme jolie
Et le culte de l'Univers.
Par le même.
A Mademoiſelle V***** d'A.... , qui
a joué en fociété le rôle de la Marquife
de Clainville , dans la Gageure imprévue.
DES rofes du talent ta carrière eſt ſemée 3
Moillonne -les ; tu dois les embellir ;
Si de ton goût la flamme eſt allumée ,
C'eſt à ton coeur à la nourrir ,
;
Ates premiers effais de commencer ta gloire ,
A nos tributs d'honorer tes efforts :
Clairon te laiffe les trélors ,
L'Efprit les dons , & l'Amour ſa victoire.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
Jeune Thalie ! eh bien : tous ces attraits divers
Et les grâces de ta finefle ,
Ton fourire enchanteur digne de meilleurs vers ,
Ton dépit éloquent , ta naïve jeuneſſe ,
Et ton regard de dix-huit ans ,
Et la pudeur de tes accens ,
Tous ces rayons de ta brillante aurore ,
Que mes foinsfortunés peut- être ont réunis ,
Que je t'envie & que j'adore ,
Sont à mon coeur d'un moindre prix
Qu'un foupir de ton innocence
Payant les tons que je t'appris ,
Et qu'un bailer pour récompenfe.
Par le même.
DIALOGUE
Entre JEANNE D'ARK & *
JEANNE LAISNÉ.
JEANNE D'AR K.
Vous êtes donc cette généreuſe Jeanne
Laifné qui avez marché fur mes traces ,
* Jeanne Lailné , & non pas Jeanne Hachette,
comme le difent la plupart des hiftoriens , repoula
, à la tête d'une troupe de femmes , une
armée de Bourguignons qui , en 1472 , affiégeoient
la ville de Beauvais .
SEPTEMBRE. 1773 33
repouffé les coups du téméraire Charles ,
Duc de Bourgogne , défendu votre patrie
& fauvé la France ! Détaillez - moi ce beau
trait de votre vie . Quoiqu'au féjour des
morts , j'aime à entendre parler de fiéges
& de victoires. Nous emportons au délà
même du tombeau le goût qui nous dominoit
fur la terre.
JEANNE LAISNÉ .
, per-
Oui , c'eſt moi qui fauvai ma patrie
nos époux fatigués de la longeur du fiége ,
ou effrayés peut- être d'une opiniâtreté
qu'ils défefpéroient de vaincre
doient courage ; une large brêche préparoit
aux Bourguignons un paffage qu'on ne
pouvoit plus leur difputer long - tems .
Beauvais étoit alors ville frontière , & fa
priſe devenoit fatale à l'Empire François.
Pleine de cette idée , & ne penfant ni àļa
foibleffe de mon fexe , ni au nombre de
nos ennemis , je crus que le Ciel me
réfervoit la gloire de venger le nom François.
J'apellai donc toures mes concitoyennes
au fecours de leur patrie. Je
fus faire paffer dans leurs coeurs l'ardeur
qui tranfportoit le mien . Nous volâmes à
la brêche. L'ennemi nous reçut avec un
ris moqueur. ( Quelle apparence en effet
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
qu'une poignée de femmes ofât attaquer
une armée formidable ? ) mais bientôt
il apprit à nous craindre . Nous nous élançâmes
fur lui , & nous enfonçâmes
fes bataillons ; il prit la fuite en frémiffant
de rage & de défefpoir , & le Duc
deBourgogne qui fe vantoit de porter dans
fes canons les clefs de toutes les villes
de France , n'y trouva point celles de
ma patrie . Mais vous , ombre illuſtre ,
quel motif vous porte à m'interroger de
la forte ? Seriez- vous une de ces héroïnes
qui ont honoré notre fexe ?
JEANNE D'AR K.
Oui , brave Laifné ; vous voyez la pucelle
d'Orléans. Vous êtes inftruite de mes
actions ; ma fin tragique vous eft connue.
Votre Evêque fut mon juge. * Ce fut lui
qui me condamna au feu pour avoir combartu
& défait les Anglois. Que penfa - t'on
chez vous du mauvais tour qu'il me joua ?
J. L. AIS NÉ.
On vit avec horreur que ce prélat
avoit trahi fa patrie . Lorfque je quittai
* Cauchon , Evêque de Beauvais , avoit embraflé
le parti des Anglois. Ce fut lui qui condainna
Jeanne d'Ark à être brûlée.
SEPTEMBRE. 1773. 33
·
la terre pour venir habiter ces lieux , fa
mémoire y étoit encore en exécration . Le
traître il règnoit dans une ville qui fut
toujours fidelle à fes Rois ; falloit- il que fa
voix inhumaine envoyât au fupplice celle
qui depuis long- tems étoit l'appui du trône
? Mais confolez vous , immortelle
Jeanne d'Ark : les François révèrent votre
nom. Toutes les bouches publient vos
louanges. On élève jufqu'au Cieux votre
valeur intrépide . Le François eft reconnoiffant
, & il oublie rarement ceux qui
ont bien mérité de la patrie .
J. D'AR K.
Je le fais j'ai pourtant appris qu'on
avoit jeté des doutes fur les merveilles
de ma vie. Qu'ils font déraisonnables !
je m'annonçai comme envoyée pour faire
lever le fiége d'Orléans & faire facrer
Charles VII à Rheims : N'ai- je point
rempli ma miffion ? il est toujours des
efprits incrédules . Le jour de la vérité
la plus pure ne fauroit les éclairer . Ils ne
s'étudient qu'à répandre fur tout ce qui
les environne les nuages de leur incrédu
lité. Les citoyens vertueux au contraire
ne verront dans nos démarches qu'un
amour impétueux pour l'affermiffement
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
du trône , & un enthousiasme divin pour la
gloire de ma Nation . Hélas ! que ne me
fuis- je renfermée dans les deux points de
ma miffion ! Je voulus chaffer pour tou
jours l'Anglois de nos frontières & le forcer
à reconnoître notre fupériorité françoife
; du moins je voulois mourir les armes
à la main. Mais , quelle différence
du genre de mort que je cherchois, à celui
que j'éprouvai ! Un bûcher n'eft pas le lit
d'honneur pour les coeurs guerriers . C'eft
fur le champ de bataille , c'eft au milieu
d'une forêt de lances que les héros brû
lent de rencontrer la mort. C'eſt là peutêtre
que vous l'avez trouvée ?
J. LAIS NÉ.
La mort me reſpecta ; elle ſembla fuir,
lors même que je l'appellai à grands
cris: j'eus le bonheur de furvivre à ma victoire
& de voir ma patrie à l'abri des fers
dont on la menaçoit.
J. D'ARC K.
Que j'envie votre fort , illuftre Beauvaifine
! je n'ai pû jouir comme vous ,
de ma gloire , ni du fuccès des mes travaux.
Apprenez moi quelle récompenſe
on vous accorda pour avoir fauvé votre
patrie.
SEPTEMBRE. 1773. 37
J. LAIS NÉ..
Je ne cherchois dans mes travaux que
la gloire de bien faire. Je n'ai point à me
plaindre des récompenfes dont on m'honora
moi & mes compatriotes. Le Monarque
qui regnoit alors fur la France les
étendit jufques fur la postérité . Il acccorda
des exemptions honorables à ma famille ,
& à mes concitoyennes le glorieux privilé
ge de précéder , tous les ans , leurs époux
dans une cérémonie publique deſtinée à
perpétuer le fouvenir de notre bravoure
& à rapeler aux Beauvaifines ce qu'elles
doivent être. Avouez que cette diftinction
eft honorable pour notre fexe.
J. D'AR K.
Mais un peu mortifiante pour les
époux Croyez - vous que notre
exemple fera fuivi par beaucoup de femmes
?
•
J. LAIS NÉ .
Il peut l'être &,j'ofe même eſpérer qu'il
le fera.Les Françoifes font guerrieres dans
l'occafion. Elles font fenfibles à la gloire,
& vous favez fi fon aiguillon eft puiffant!
Il en eft plus d'une dans ces lieux for38
MERCURE DE FRANCE.
tunés , qui , comme vous , ont bravé les
feux des combats. J'ai rencontré près
d'ici , il y a quelques jours , une de ces
braves Bourguignones qui forcèrent l'Empereur
& Charles de Lorraine à lever le
fiége de St. Jean de Laone leur patrie .
Je vois fouvent errer ici plufieurs de
celles qui s'unirent fous mes étendards
pour repoufler l'ennemi . Elles font venues
long-tems après moi & m'ont affuré
que leurs compatriotes fe montreroient
toujours dignes d'elles & de mon courage .
J. D' A K C.
Vous m'obligerez de me les faire connoître
. J'aime toutes les héroïnes. Les
hommes apprendront peut - être qu'ils
n'ont feuls la valeur en partage.
pas
J. LAIS NÉ.
Et que plus ils nous rabaiffent , plus
nous femblons nous élever , quand l'occafion
nous en eft offerre. Mes concitoyennes
ont étonné leurs maris par l'ardeur
avec laquelle, elles fe défendirent
. Pas une ne palît à la vue du feu
ennemi . Elles volèrent par tout fut mes
pas au devant de la mort , & ce qui vous
étonnera peut- être , il n'y en eut aucune
SEPTEMBRE. 1773. 39
.
qui me difputa le droit de commander.
Vous euffiez dit que je donnois des ordres
à une troupe de foldats foumis ,
refpectueux & attentifs au moindre fignal.
J. D'AR K.
·
C'est un avantage que je n'eus point.
Je commandois à des hommes qui fembloient
rougir d'obéir à une femme.
Leur confcience les accufoit peut être
de faibleffe & de timidité. Ce reproche
fecret choque un peu l'amour propre.
Ils traverfèrent quelquefois mes deffeins,
animèrent contre moi les ferpens de l'envie
; & qui ne fait le tort qu'ils me
firent dans l'efprit du peuple ? mais mon
intripidité fut les forcer au filence . C'eft
ainfi qu'one vaine gloire & un faux point
d'honneur manquent fouvent de tenverfer
les plus heureufes entrepriſes.
J. LAIS NÉ.
Vos plaintes font juftes , mais je les
crois inutiles. Jamais les hommes ne facrifieront
leur amour- propre à l'intérêt
public. Après tout , nous devons être fatisfaites
de la réputation dont nous jouiffons
. On parle encore de nous fur la terre.
Un nouvel hôte arrivé depuis quelques
40 MERCURE DE FRANCE .
années fur ces bords , m'a dit qu'on avoit
effayé de me mettre fur le théâtre * , mais
que mon panégyrifte eft faible. Au reftet
l'hiftoire ne taira jamais nos actions . Elle
vous affignera toujours la première place
parmi les femmes guerrières ; je réclame
la feconde .
Adieu , ombre illuftre : puiffions nous,
à préfent que nous nous connoiffons ,
nous entretenir plus fouvent!
* Dans le tems de la tragédie du Siége de Calais
, Monfieur *** en fit une intitulée Ï Laifné,
ou le Siége de Beauvais. Elle ne fut point repréfentée.
Cette pièce éphemère commence ainſi :
Par mon ordre en ces lieux je vous ai raſſemblés.
Par M. L. de Beauvais.
CHANSON SUR LES VIEUX ,
Par M. l'Abbé de l'Attaignant .
AIR Lifon dormoit.
Connoiffez- vous dame Gertrude ?
C'est une femme à fentimens
Qui n'eft ni coquette ni prude
Et qui penfe folidement :
SEPTEMBRE. 1773 .
41
On ne voit point chez cette belle
Des jeunes gens avantageux ;
Ce font des vieux ,
Ce font des vieux ,
Qu'elle aime à recevoir chez elle ;
Ce font des vieux ,
Ce font des vieux ,
Qu'avec raifon elle aime mieux.
Les petits- maîtres font volages ,
On ne sçauroit compter fur eux ;
Les barbons font prudens & fages,
Et méritent mieux d'être heureux :
Un jeune trompe fa maîtreffe ,
Et ceux qui la traitent le mieux ,
Ce font les vieux , bis.
Ils ont plus de délicatefle ,
Ce font les vieux , bis.
Ils font beaucoup moins dangereux.
Le jeune va courir fans ceffe ,
Il voltige de fleurs en fleurs ;
Le vieux s'en tient à la maîtreffe
Et lent le prix de ſes faveurs :
Le jeune le croit un Narciffe ;
Que rien n'eft plus beau fous les cieux.
Ce font les vieux , bis.
Qui favent le rendre juſtice ,
Ce font les vieux , bis.
Q craignent qu'on ne trouve mieux.
42 MERCURE DE FRANCE.
Le jeune toujours dans l'ivrefle
Ne fuit que fon tempéraments
Le vieux joüit avec finefle,
Avec goût & difcernement.
On eft flatté de la tendreffe
De ceux qui s'y connoiffent mieux ; .
Ce font les vieux , bis.
Leur choix toujours plein de juſteſſe ,
Ce font les vieux , bis.
Aux dames eft plus glorieux.
Le jeune affez louvent s'expofe
A des regrets , à des douleurs 3
Il cueille une brillante rofe
Sans voir l'épine fous les Reurs.
L'amour s'en plaignit à ſa mère
Un jour , dit- on , la larme aux yeux.
Quand on eft vieux , bis.
On refléchit , on confidère ,
Quand on eft vieux , bis.
On eft moins vif & plus foigneux
Si l'on n'eft pas fi bien fervi
Par un vieux que par un cadet ,
Du moins on en eft mieux chéri ,
Et fon hommage eft plus difcret.
Sans abufer de fa victoire
Il eft doux & refpectueux.
Prenez un vieux , bis.
SEPTEMBRE. 1773. 43
Il confervera votre gloire 3
Prenez un vieux , bis.
Vous vous en trouverez bien mieux.
PARODIE. Les Jeunes- Gens vengés.
Sur le même Air.
Connoiffez- vous la jeune Hortenfe ?
C'eſt un objet plein d'agrément ,
Qui fut toujours à la conftance
Allier le difcernement }
Elle aimeà recevoir chez elle
Desjeunes gens vifs & joyeux ;
Mais pour des vieux , bis.
On n'en voit point chez cette belle
Mais pour des vieux , bis.
Ils lui femblent trop ennuyeux
Des jeunes gens les plus volages
La beauté peur fixer les coeurs ;
Si le tems rend les vieux plus fages
C'eft en éteignant leurs ardeurs :
Un jeune chérit fa bergère
S'il eft l'objet de tous les voeux ;
Mais pour un vieux , bis.
Il eft plaifant quand il veut plaire ;
Mais pour un vieux , bis .
On rit de fon air langoureux :
44
MERCURE
DE FRANCE .
Le jeune peut jouir fans ceſſe :
Sa vie eft un tiflu de fleurs ;
Le vieux de la t à ſa maîtreffe
Même en achetant les faveurs ;
Le jeune , fans être un Narcifle ,
Séduit & plaît à deux beaux yeux.
On quitte un vieux , bis.
Avant qu'il fe rende juftice.
On quitte un vieux , bis.
Auffitôt que l'on trouve mieux.
Le vieux , bercé par la molefle ,
Rappelle fon tempérament ;
Le jeune au gré de fa maîtrefle
Sait ufer d'un tendre moment .
On eft flatté de la tendreſſe
De ceux qui la prouvent le mieux
Sont-ce les vieux ? bis.
Toujours trompés par leur faiblefle ,
Sont- ce les vieux ? bis.
Ils fatiguent fans être heureux.
44
Près d'un tendron , pour peu qu'il ofe ,
Le vieux n'a droit qu'à la rigueur :
Quand il veut ceuillir une roſe ;
Il lui fait perdre la fraîcheur ;
L'Amour s'en plaignit à fa mère
.
Un jour , dit- on , la larme aux yeux.
Quand on eft vieux , bis.
SEPTEMBRE. 1773 .
45
On devroit déferter Cythère ,
Quand on eft vieux , bis.
On fait fuir les ris & les jeux,
❤ Sur fa Beauté très mal fervie
Un barbon garde le fecret :
Quand on craint la plaifanterie ,
Qu'il eft aisé d'être difcret !
Au bon goût c'eft faire une injure
Que d'abandonner pour un vieux ,
Jeune amoureux , bis.
Qui fort des mains de la Nature ,
Jeune amoureux , bis.
Dont la force égale les feux,
ENVO I.
Si la fontaine de Jouvence
Couloit encor pour l'Attaignant ,
Ce nouveau Chaulieu de la France
S'exprimeroit bien autrement :
Près des fiens où l'efprit pétille
Ces vers ci paroitront mal faits ;
Ils font plus vrais , bis .
Qu'on le demande à chaque fille ;
Ils font plus vrais , bis.
Les vieux , ne nous vaudront jamais,
46 MERCURE
DE FRANCE.
QUATRAIN IMPROMPTU ,
écrit fur un figuier près la Fontaine de
Vauclufe, à cinq lieues d'Avignon.
PETRARQUE , dans ces lieux , a célébré ſa Laure;
Le myrthe du plaifir couronnoit fes fonnets :
Puifle , divin Amour , la beauté que j'adore
Payer du même prix ce quatrain que j'y fais !
C
Par M. L. D. B.
HYMNES DE CALLIMAQUE ,
imités du Grec.
1
" Loin d'ici , profane vulgaire ,
»Apollon m'infpire & m'éclaire ,
" C'eft lui , je le vois , je le fens ;
»Mon coeur céde à la violence ;
» Mortels , respectez la préſence
» Pêtez l'oreille à mes accens.»
J. B. ROUSSEAU.
A APOLLO N.
LA ftatue d'Apollon s'agite , le temple
frémit , fes portes éternelles s'ébranlent
SEPTEMBRE . 1773 . 47
:
fur leurs gonds facrés. Fuyez , profanes ,
fuyez ; éloignez- vous de ces lieux redoutables
. Mais vous , l'efpoir de ma patrie,
accourez , brillante jeuneffe; préparez vos
danfes & vos concerts . Apollon va paroître
les chants mélodieux du cigne
l'annoncent à l'Univers. Déjà fes pieds
touchent la terre ; il s'avance ; comme le
laurier du Dieu femble tout à coup fe
réjouir à fon afpect ! Chantez tous la
gloire d'Apollon , ô vous qui voulez un
jour célébrer des noces heureufes , vous
qui voulez faire admirer à l'envie une
tête blanchie par l'âge , & refpectée par
le tems , & vous enfin qui defirez d'éta
blir votre bonheur fur des fondemens
durables.
•
Apollon ne manifefte pas fa gloire à
tous les hommes ; c'eft par des vertus
qu'on doit mériter fes regards . Qu'il eſt
grand , le mortel dont les yeux ont vu le
Dieu du jour ! Qu'il eft vil , celui à qui
ce Dieu interdit fa préfence ! Nous te
verrons tous , ô Apollon , & tes regards
divins vont nous élever jufqu'à toi !
Enfans , pincez vos luths , & que chacun
accompagne ma voix. Er vous qui
m'écoutez , Peuple , faites Glence. La
Mer calme fes flots mutinés ; elle ſe tast
48 MERCURE DE FRANCE.
devant le poëte qui célèbre dans les vers
la lyre enchantereffe , ou les traits formidables
d'Apollon . Apollon , Apollon ,
s'écrie t'il mille fois dans la fureur qui
le tranfporte ! & Thétis , oubliant fes
malheurs , celle de pleurer Achille que
les Dieux lui ont ravi ; & Niobé , fenfible
encore fous le marbre qui la retient captive
, la trifte Niobé interrompt fes ſoupirs
& fufpend fes douleurs .
Chantons Apollon ; que les voûtes
retentiffent de ce nom divin. Apollon
m'infpire ; il m'entraîne , & je me rendrois
coupable en fermant mon ame à
l'infpiration des Dieux ! Pourrois - je donc
réfifter aux Dieux fans défobéir à mon
Roi qui les adore ? & ne fais je pas que
défobéir à mon Roi , c'eſt réſiſter à Apollon
lui même qui chérit ce Prince religieux
?
Que de biens , que d'honneurs récompenferont
notre zèle , fi nos voix montent
jufqu'à lui ! Apollon eft affis à la
droite de Jupiter ; qui oferoit mettre
obftacle à fes bontés peur nous ? ... Mais
bornerons-nous à un feul jour les louanges
de ce Dieu ! Eſpérons - nous d'épuifer
jamais une auffi abondante moiffon ? Et
parmi vous , en eft - il un feul qui , s'il
defcend
SEPTEMBRE. 1773 . 49
defcend dans fon coeur , n'y découvre
auffi -tôt un fonds inépuifable d'éloges
pour le Dieu que nous chantons ?
Vous laillez-vous toucher à l'éclat des
richeffes ? tout eft or dans Apollon . Comme
fon écharpe eft brillante , fes habits
refplendiflans ! Sa lyre , fon carquois, fon
arc , fa chauffure même , tout éblouit nos
foibles yeux ! Cherchez - vous en lui un modèle
de valeur ? rappelez- vous cette victoireétonnante
qu'il remporta, fi jeune encore
, fur le fameux Python ! Etes vous
foumis à l'empire de la Beauté ? Apollon
eft le plus beau des immortels. Quel
teint quels traits ! quel éclat ! Vénus
même a moins de fraîcheur. Apollon
fera toujours jeune ; jamais fon menton
divin ne fera ombragé du plus léger duvet.
Quel parfum fe répand dans ces
lieux ? Quelle eft cette liqueur odorante
qui s'échappe des cheveux du Dieu?
Heureufes les villes , trop heureuſes les
campagnes , où il fe plaît à répandre
quelque goutte de cette précieufe liqueur !
Tout ce qu'elle a touché devient immortel
!
Eres-vous épris de l'amour des talens ?
eh bien ! nommez en un qu'Apollon ne
poffède ! N'est- ce pas lui qui nous a en
C
1
50 MERCURE
DE FRANCE:
lui
feigné l'art de lancer les flèches , & jamais
un dard a- t'il atteint fon but qu'il
n'en ait dirigé l'effor ? N'eft - ce pas
qui nous a enfeigné le langage des dieux,
& jamais avons nous fait un vers heureux
, qu'Apollon ne nous l'ait infpiré ?
N'eft ce pas lui qui apprit à Efculape
cet art fi avantageux à l'humanité ; l'art
de guérir les maladies , & de repouffer
la mort ? N'eft pas enfin à fa prudence
que Jupiter a confié le fecret de l'avenir ?
& que deviendrions nous , miférables
mortels , fi fes oracles venoient à fe taire?
Interrogeons ces bergers : « Quelle eft
» la divinité que vous adorez ? Apollon
» nous répondronr ils. Apollon fut Palteur.
Le fleuve Amphrife l'a vu , con-
» duifant fur fes rives fleuries , les nombreux
troupeaux d'Admète. Grâces ,
grâces lui foient rendues , nous ajouteront
ils. L'ardente canicule avoit defféché
» nos prairies , nos chèvres étoient ftériles
, nos Brebis languiffantes . Apollon à
" jeté fur nous un regard de bienveil
» lance , & voilà qu'une douce rofée
» a fait reverdir nos paturages ; nos chè-
» vres font pleines , nos geniffes regor-
» gent de lait , & chaque brebis voit bon-
» dir autour d'elle deux tendres agneaux
» qu'elle allaite. »
SEPTEMBRE. 1773 .
Le culte d'Apollon n'eſt pas moins
établi dans les cités qu'au village. Ce dieu
fe plait à en voir élever de nouvelles
& fouvent les mains divines en ont jeté
les premiers fondemens . L'autel & le
temple de Délos font des jeux de fon enfance.
Diane gardoit avec complaifance
chaque têtedesvictimes infortunées quelle
immoloit à fes plaifirs . Apollon découvre
ce dépôt & le ravit à fa foeur . Il n'avoit
pas encore atteint fon quatrième
printems ! cependant il détache avec foin
de ces têtes les cornes qui en font la parure
; il les affemble , les unit , & de ce
tiffu merveilleux fort bientôt cet autel célèbre
où il rend encore aujourd'hui fes
oracles ; au tour de cet autel d'autres cornes
décrivent un circuit fpacieux ; &
voilà le premier jet de la conftruction d'un
temple , dont vous admirez tous le def
fin élégant & les juftes proportions ,
fans avoir jufqu'ici reconnu l'architecte .
Et ce beau Ciel fous lequel nous vivons
& ces riches campagnes , ces plaines fertiles
au milieu defquelles Battus a fondé
Cyrène , les auroit - il pû découvrir
file dieu n'eût conduit fes pas ? Déjà le
foleil avoit fourni deux fois fa carrière
depuis que nos ayeux avoient abandonné
Cij
52
MERCURE DE FRANCE:
33
leur ingrate patrie . Déjà épuifés par une
courfe infructueufe , ils commençoient
à douter de la parole d'Apollon . « Où eſt-
» elle , s'écrioient ils, cette terre promife
» à nos recherches? Où la trouverons- nous
» cette Lybie , dont les oracles nous ont
» affuré la poffeffion ? O Battus ! que deviendra
cette glorieufe fucceffion de
» Rois qui doit fortir de ton fang ! Apol
» lon nous auroit - il trompés ? "
Et ils retomboient dans un fombre défefpoir.
" Non, non , difent- ils un moment
» après ; la parole des dieux eft facrée ,
leurs fermens infaillibles . Marchons...
Un corbeau paroît dans ce déferraride!
» il plane fur nos têtes ! il s'abat au milieu
» de nous ! heureux augure ! ah ! fans dou-
» te , c'eft Apollon qui nous l'envoie »
Ils le fuivent en filence , & découvrent
bientôt cette terre defirée où ils doivent
s'établir.
...
O notre bienfaiteur ! fi tu es adoré à
Delphes fous le nom d'Apollon Delphien,
fi les habitans de Claros t'appellent Clarien
, Cyrène eft ma patrie ; permetsmoi
de t'invoquer fous un nom qui m'eft
fi cher. O Cyrénéen ! ton culte étoit connu
à Sparte long- tems avant qu'un fils
d'Edipe t'apportât à Thérès , Notre père
1
SEPTEMBRE. 1773. 53
Battus t'a transporté à Cyrène . Jette les
yeux fur ce temple fuperbe que fa reconnoiffance
à élevé en ton honneur. Daigne
honorer par ta préfence ces fêtes lolemnelles
que tous les ans nous célébrons
en mémoire de tes bienfaits ; & puifle le
fang de tant de victimes qui coule inceffamment
fur res autels , attirer fur nous
ta protection & tes bontés !
O Cyrénéen ! nous chargeons tes autels
de fleurs que nous donne le Printems,
Dès qu'une douce rofée fait éclore le
Narciffe , dès que la rofe nouvelle s'ouvre
aux baifers du Zéphyre , nous en formons
des guirlandes pour orner ta tête augule :
l'hiver , nous couronnons ta ftatpe de fa
fran ; mais que font ces hommages ftéri
les auprès de ce que nous te devons ! &
que ce feu qui brûle fans ceffe devant toi,
ce feu que nos foins empêchent de jamais
s'éteindre , eft une bien foible image de
l'amour qui conſume nos coeurs !
Dans tous les tems Apollon a reçu nos
hommages avec complaifance , & dès
l'origine de nos fêtes , les danfes guer
rières de nos bons ayeux avoient fu toucher
fon coeur. Un jour qu'ils célébroient
ces fêres avec leurs tranfports accoutymés
, Apollon , fixé par
l'Amour auprès
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
fi
de la belle Cyrène , lui fit remarquer
avec quelle ivreffe on chantoit fes bienfaits.
La Nymphe fenfible eft émue , &
tombant à fes genoux : « Si j'ai quitté
» mon père pour vous fuivre ; fi les faveurs
que je vous ai prodiguées m'ont
acquis quelque droit fur votre coeur ;
» l'affection que vous me témoignez eſt
» fincère , ô Apollon ! accordez à ce peuple
qui vous adore , toutes les grâces
» qui font en votre pouvoir. Je vous en
» conjure par cette fource pure , témoin
» de nos amours , par ce mont déformais
fameux , d'où mon foible bras
"
"
"
3
"9
guidé par l'amant qui fait ma gloire
» vient d'abattre le monftre hideux qui
» défoloit les troupeaux d'Eurypile.
» Relevez -vous , Nymphe adorable
répond tendrement Apollon : ce peuple
, pour qui vous vous intéreſſez fi
» vivement , m'eft cher. C'est moi qui
l'ai amené dans ces contrées , & cette
» fontaine , où , pour la première fois ,
» mes yeux ont eu le bonheur de vous
voir , fera le terme de fa courfe . Battus
» eft fon chef. C'est là , c'eft fur les bords
» fortunés de cette fource falutaire , qu'il
» doit conftruire une ville qui deviendra
» un jour la capitale d'un vafte empire ;
n
SEPTEMBRE . 1773 : 55
» & pour n'oublier jamais que vous m'a-
» vez recommandé fes intérêts , je don-
» nerai à cette heureufe cité le nom de la
» belle Cyrène. »
O Cyrénéen ! vois avec quelle ardeur,
avec quelle affiduité , nous aimons à te
fervir ! quel climat , quel Dieu a des temples
auffi fuperbes ! O Apollon ! où ferois.
tu mieux honoré que parmi nous ? N'avons
nous pas religieufement confervé
jufqu'à nos jours ce cantique vénérable ,
le plus ancien qu'on ait compofé à ta gloi
re : ce cantique chanté avec tant de joie
par les habitans de Delphes , quand tu tis
l'effai terrible de tes fièches d'or? Frappe,
frappe , o mon fils ! leve - toi , ô mon libérateur
! Latone conduifoit à Delphes fes
deux gémeaux chéris. Elle portoit fur fes
bras la jeune Diane , encore enveloppée
de langes. Apollon , débarraffé de ces premiers
liens de l'enfance , marchoit à fes
côtés. Un monftre affreux s'avance à fa
rencontre... C'étoit Python . Latone eſt
faifie d'effroi ; elle s'arrête , & cache précipitamment
dans fon fein le vifage de
la jeune déeffe . Alors appercevant l'arc &
le carquois, ( préfens fortunés de Jupiter)
qui pendoient négligemment fur les épau
les d'Apollon : Frappe , frappe , 6 mon
ô
Civ
56 MERCURE DE FRANCE:
fils , s'écrie t'elle ; lève toi , ó mon libérateur.
Apollon prend dans fes foibles
mains cet arc qu'il peut à peine foutenir :
cependant , ô merveille incroyable ! la
flèche part , & le flanc du monftre eft atteint.
La douleur le force à reculer , fes pieds
énormes chancèlent , & voilà qu'an fecond
trait plus rapide encore que le premier
, l'étend aufli- tôt fans vie aux pieds.
de la tendre Latone . Témoin de ce prodige
, le peuple répète avec tranſport :
Frappe , frappe , ó mon fils ! heureufe la
mère qui vient d'enfanter fon Sauveur !
L'Envie furprend un jour Apollon , &
lui dit mystérieufement à l'oreille : « Je
» ne puis eftimer un auteur dont les ou-
» vrages tronqués peuvent fe chanter en-
» tre deux foleils : mon poëte eft celui
» dont le vafte génie a produit autant de
» vers que la mer contient de gouttes
» d'eau. » Apollon repouffe dédaigneufement
l'Envie. « L'Euphrate , lui dit-il ,
» eft le plus grand fleuve de l'Affyrie ;
» mais avez - vous examiné combien il
» roule parmi les eaux de bourbe , de
fange & d'ordure ! & croyez vous ,
» quand les Prêtres de Cérès ont befoin
d'eau pour les facrifices , qu'ils aillent
» la puifer dans l'Euphrate ? Non . Ils
" P
SEPTEMBRE . 1773 . 57
préfèrent pour cet ufage facré l'eau de
quelque ruiffeau inconnu , dont la four-
» ce claire & limpide n'eft fouillée d'aucune
impureté . »
O Apollon ! fois nous favorable ! exauce
nos voeux ! mais que l'envieux foit à
jamais confondu .
сс
NB. «Callimaque faifit l'occafion de cet hym
»ne à Apollon , pour répondre à ceux qui lui reprochoient
d'être incapable de produire un ou
vrage de longue haleine . On fait qu'il penfoit
»à- peu- près comme Lafontaine.
99
» Les longs ouvrages me font peur ;
Loin d'épuifer une matière ,
On n'en doit prendre que la fleur.
FAB . liv. 5.
» & on a retenu cette fentence de notre poëte :
»qu'un grand livre eft fouvent un grand mal, »
Par M. Poullain de Fleins.
LA DEFIANCE PUNIE.
JADIS
Fable.
ADIS l'Amour & l'Hymenée
Goûtoient, dans l'union, des plaifirs dignes d'eux ;
Par cette amitié fortunée
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
Ils montroient aux humains le grand art d'être
heureux.
Rien ne troubloit une paix fi profonde ;
Tous deux d'un pouvoir mutuel
Gouvernoient fagement le monde ,
Et pour les adorer il n'étoit qu'un autel.
Vers cet inftant où le (oleil ,
Pour aller chez Thétis femble oublier la terre ,
Le petit Dieu qui préfide à Cythère ,
Auprès de fon ami fe livroit au fommeil.
Qu'aux yeux de l'Hymenée il paroifloit aimable
!
L'inftant étoit avantageux ,
Morphée à l'embellir eft toujours favorable ;
Mais fur un fi beau corps.... quel contretems
,fâcheux !
L'Hymenée apperçoit des aîles ;
Il pâlit à ce trifte aſpect ,
Son ami lui devient fufpect.
Il croit déjà fentir , dans fes craintes mortelles ,
L'Amour, pour s'envoler , s'arracher de fon fein
Enfin il prend la torche ardente....
Les ailes qui troubloient fon ame défiante
Alloient être bientôt détruites de fa main.
L'Amour s'éveille... ah ! quelle peine extrême;
De trouver criminel un objet que l'on aime !
Pour lui la défiance étoit un mot nouveau ;
Il fuit plein de colère un ami fi perfide ,
SEPTEMBRE. 1773. 59
Et le vent , excité par fon aîle rapide ,
Du fenfible Hymenée éteignit le flambeau.
Lorfque la défiance une fois nous infpire ,
Elle est au vrai bonheur un obftacle fatal ,
Et d'elle on peut juſtement dire
Que le remède eft pire que le mal.
Par M. Defperoux fils , de la Rochelle.
t
FABLE ORIENTALE,
UN
N Sage , en fortant du bain ,
Un jour trouva fous la main
Certain petit morceau de terre
Echappé du coin d'un parterre ;
Charmé de fon parfum fubtil ,
Es- tu de l'ambre , lui dit- il ? ..
Oh ! non , je ſuis fort peu de chofe ;
Mais j'ai paffé des jours avec la role.
Ainfi près d'un Trajan l'on devient un Titus ,
Vivez avec Caton , vous aurez ſes vertus.
Par Mile Coffon de la Creſſonnière:
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
VERS à une Dame qui a fait préſent à
l'Auteur d'un noeud d'épée , fans ſe faire
connoître.
DOIS-JE à l'amour ou bien à l'amitié ,
Ce noeud tiflu par la main d'une belle ?
A de fi doux panchans mon ame peu rebelle ,
Seroit bientôt avec eux de moitié ;
Mon coeur fut toujours prêt à témoigner fon zèle
Pour l'amour ou pour l'amitié.
Mais il fe trouve en cette affaire
Un aflez fâcheux embarras ;
Du nom de la Beauté l'on me fait un myſtère ,
Et le fort jaloux ne veut pas
Que je connoiffe la bergère ,
Qui , trop difcrette & trop févère ,
En m'enchaînant , me voile fes appas.
Puifque l'on s'obſtine à ſe taire ,
Je n'irai pas , Dom Quichotte nouveau,
Courir fans cefle après une chimère ,
Ni me tourmenter le cerveau.
Voyons un peu .... pour me tirer de peine ,
Et mettre là deffus mon efprit en repos ,
Si j'allois faire une neuvaine
Au dieu qu'on révère à Paphos ?
Qui ; c'est bien dit ; dès ce ſoir je commence ;
SEPTEMBRE. 1773 .
61
Et vais tout préparer pour me mettre en chemin ;
Je forcerai l'Amour à rompre le filence ,
Et je pourrai connoître enfin
L'objet de ma reconnoillance.
ENVO I.
Belle inconnue , agréez mon hommage ;
Mon coeur , fenfible à votre fouvenir ,
Reçoit ce préfent comme un gage
D'une amitié qui doit à jamais nous unir ;
Mais , pour couronner votre ouvrage ,
Daignez , exauçant tous mes voeux ,
Diffiper enfin le nuage
Qui depuis trop long - tems , vous dérobe à mes
yeux.
Par M. de B.
L'EXPLICATION du mot de la première
énigme du Mercure du mois d'Août
1773 , eft Enfeigne d'un cabaret ; celui
de la feconde eft le Baifer ; celui de la
troifième eft le Poële ; celui de la quatrième
est l'Ombre Le mot du premier logogryphe
eft Vendange , où fe trouvent
Eden , Eve , Ste Anne , Ange , ave, Agde,
Agen , Gand , Evadné , áne , nége , age ,
année , gêné , dé à coudre ; celui du
an
62 MERCURE DE FRANCE.
fecond eft Langue , où le trouvent lune ,
Ange , ane , Gaule , glu , gale , age , eau ,
nage , glane , an , angle ; celui du troifième
eft Montre , où l'on trouve renom ,
Rome , mort , mont , or , trône , Noé , tome
, orme, more , note , re , mot , Mer ;
celui du quatrième eft Liard , où le trouve
lard.:
ENIGM E.
NOTRE exiftence eft due à la néceffité :
Heureux celui qui n'a que faire
De notre ministère ,
Et nous laille en tranquilité !
La folâtre jeuneffe
Se rit de nous dans les chansons ,
Et fitôt que nous paroifions
Nous faifons fuir une maîtrefle.
Mais enfin à celui qui de nous s'eft berné ,
Autant lui peut en pendre au né.
Par M.... de Paris,
Pag.62
Septembre
Paroles de M. Sim .
Musique deM. Chatig..
1773 .
On doit changer; S'en -ga =
-ger n'est
pas sa =ge , Ilfaut
saisir Les e-clairs du plaisir ;
Cest a l'amant In - constant et
vo -la -ge Que le Dieu des a ::
mours Pro - met d'heureux jours .
SEPTEMBRE . 1773 . 63
AUTR E.
PETITE
cheminée ,
Souvent mal ramonée ,
Ayant trois pieds pour mon foutien ;
Voilà mon compofé ; j'agis ou mal ou bien ,
Selon la main réglant mon miniſtère
Et fuivant la dextérité ;
Si bien qu'en un inftant j'éclaircis la lumière
Ou je donne l'obſcurité.
Par le même.
A UTR E.
JE fuis commun à la ville , au village ; Ε
Dans le dernier , je fuis d'un grand ufage ,
On y fait cas de mes talens ..
Voici quel eft mon miniſtère :
Mon maître , à reculons , me promène à pas lents
Dans tous les lieux où je fuis néceflaire ;
Mais négligé , je ne faurois mieux faire ,
Pour me venger , que lui montrer les dents.
Par M. Blaizot , abonné au Mercure , an
Cabinet littéraire , à Versailles,
64 MERCURE DE FRANCE .
Jz
AUTRE.
E ne fais point , lecteur , l'amulement du fage ,
Je n'aime que le bruit , les cris & le tapage ;
On m'évite avec foin fi l'on me voit venir ;
L'un cherche à me donner , l'autre à ſe garantir.
Qui veut rire avec moi doit me rendre légère ,
Autrement je pourrois faire mettre en colère.
Mon frère , beaucoup plus férieux ,
N'eſt bien reçu que dans l'Eglife ;
Ailleurs on lui fait mine grife ,
Il a cinq membres , j'en ai deux.
Par M. Hubert , rue d'Orléans au Marais.
LOGO GRYPHE.
De peur de vous épouvanter E
Je ne veux point à votre vue ,
Tel que je fuis me préfenter,
Vous auriez l'ame trop émue.
Par mon art , je vais , cher lecteur ,
Sous diverfes métamorphofes ,
Me cacher en votre faveur.
Vous me verrez tour - à - tour femme , auteur ,
Poiflon , légume , fruit , ville , .. bien d'autres
choſes.
SEPTEMBRE . 1773 . 6:5
Çà , commençons : j'ai fix pieds bien comptés
Dont la combinaiſon vous offre cinq cités ,
Une dans l'Inde , une en Espagne ,
Deux en France , une en Allemagne.
Plus un amufement fujet à caution ,
Un frère de David ; un mont de la Troade ,
Bien célèbre dans l'Iliade ;
Ce qui fait voguer l'Alcion ;
Ce dont on a befoin dans mainte occafion ;
Un nom commun en Angleterre ;
Un grain à l'homme néceſſaire ;
Ce dont le munit le foldat
Lorfqu'il le prépare au combat ;
Le héros de ces grands génies ,
Vulgaitement nommés impies ;
En même tems l'Ambaſſadeur
D'un Etat aristocratique ,
Un Cafuifte , grand directeur ,
Dont le nom cft un terme de pratique ;
Un autre que dans fon lutrin ,
D'un feul trait plaifant & malin ,
A fu peindre le fatyrique;
Une des filles de Laban ;
D'Abubekre & d'Omar le rival redoutable ;
Un dépôt , un poiflon femblable à Féperlan ;
Une humeur qui fouvent rend l'homme infociable
;
Le nom d'un frère en fon couvent ;
Ce que patut toujours un minois grimaçant ;
66 MERCURE DE FRANCE.
Un légume abhorré d'Horace ;
Un animal qui vit de gland ;
Un prophète qui n'eft pas grand ;
Le premier des humains mort fans laiffer de race;
Un afyle fur mer , un fruit de même nom ;
Oh ! pour le coup vous me tenez ... Mais non .
Par M. Huet , P. C. de la D. des F. à Orléans.
AUTRE. --
OBJET des voeux ardens de deux ambitieux
Qui le difputent ma conquête ,
Tranſportez ma queue à ma tête ,
D'un léger changement , effet prodigieux !
Pour eux je ne fuis plus qu'un objer odieux.
Par Mlle Manabon , de Clermont ,
en Auvergne.
AUTR E.
Je fuis de bois ou de métal ; E
Tout change fous moi de nature :
Je fuis d'affez longue ftructure .
Quand je fuis en repos mes affaires vont mal .
Souvent je fers le luxe & la délicateſle ,
SEPTEMBRE . 1773 .
67
Souvent je fais la guerre aux maux de toute efpèce
,
Sous l'apparence de prifon ,
Je loge dans une maiſon
D'airain ou de marbre , n'importe ,
Sans toît , ni fenêtre , ni porte.
Lecteur , fi tu ne peux encore me connoître ,
Tourne & retourne quinze fois
Les cinq pieds qui forment mon être.
D'abord tu trouveras du bois ,
Un pronom , une négative ;
Un foldat néceflaire , à la marche tardive ;
Une plante effentielle , & deux fleuves fameux ,
Une particule trompeufe ;
Une métamorphofe affreuſe ;
Un animal majeſtueux ;
Ce que tu dois être pour plaire ;
Ce que les Rois feuls peuvent faire ;
Ce qui dépareroit le menton de Phylis ;
Ce qui fait quelquefois grimacer tes habits ,
Le contraire de près . T'en faut -il davantage ?
Non , & déjà tu me comprends ,
Et fi ton domicile eft dans mon voifinage ,
Au moment que tu lis peut- être tu m'entends.
Par M. Pourtales , Capitaine.
68 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
Avec cinq pieds j'inſpire la terreur :
VEC
Sans le premier , je mets l'homme en fureur ;
Et fi vous diviſez mon tout en deux parties ,
La première eft l'objet du defir des mortels ,
Et la feconde eſt de nos ennemies ,
Celle dont les effets nous font les plus cruels.
Par unjeune homme de douze ans.
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
Chriftophe Colomb , ou l'Amérique découverte
, poëme.
Magna quidem , ſacris quæ dat præcepta libellis
Victrix fortunæ fapientia...
Juv. lat. XIII.
2 parties in-8°. avec des gravures . A
Paris , chez Moutard , libraire , quai
des Auguſtins.
La découverte du nouveau Monde
de ces événemens que la Mufe
eſt un
SEPTEMBRE . 1773. 69
de l'Epopée fe plaira plus d'une fois à célébrer.
Le nouveau poëte annonce dans
fa préface , qu'il ignoroit , avant qu'il
eût fini fon poëme , qu'une Mufe Françoife
eût chanté l'expédition de Colomb.
Il n'y a effectivement entre la Colombiade
& le nouveau poëme épique d'autre reffemblance
que d'avoir agrandi en quelque
forte le motif qui détermina Colomb
à fe hafarder au milieu des mers inconnues
, en lui donnant pour objet de fon
entreprise de porter la foi dans le Nouveau
Monde. Le poëte adreffe fon invocation
à la Mufe de l'Epopée , & pour
mieux nous préparer aux grands événemens
qu'il va célébrer , remonte au mo❤
ment de la création . Il introduit l'Eternel
levant le rideau qui cache l'avenir . Lotfque
les tems font arrivés , un des Miniftres
du Tout Puiffant eft chargé d'ouvrit
A l'Ancien Monde le chemin du nouveau.
L'Ange , pour remplir cet ordre ,
prend la forme d'un vieux marin , & fe
tranfporte dans une des Ifles Canaries ,
où Colomb , retiré fous un réduit ignoré,
gagnoit fa vie à compofer des inftrumens
de marine .
Unfoir le promenant fur le bord du rivage ,
Sans relâche excité par fon bouillant courage ,
70 MERCURE DE FRANCE.
Il méditoit en foi les moyens peu connus
D'expliquer à fon gré le flux & le reflux :
Il en cherchoit la caufe , & ne pouvoit comprendre
Ce mouvement réglé que nul ne doit entendre ;
Il rêvoit à loifir : quand tout à coup s'offrit
Un objet de pitié dont l'état le furprit.
C'étoit un malheureux étendu fur le fable ,
Qui réclamoit de loin fon fecours charitable :
Auffi tôt accourant avec unanſport ,
Il fut le rappeler des portes de la mort.
Dès que le moribond enfi'ouvrit la paupière ,
Grand Dieu , s'écria- t'il , je revois la lumière !
Daignez fous ce climat vous montrer mon foutien
; ....
Jouet infortuné du plus trifte naufrage ,
Hélas ! j'ai tout perdu par un cruel orage ;
Etranger en ces lieux , que vais je devenir ?
Banniflez , dit Colomb , cet affreux fouvenir.
Tout pauvre que je fuis , j'ai du moins l'avantage
De vous pouvoir aider ; venez que je partage
Le peu que m'ont laiflé de fougueux ennemis :
Vos malheurs & les miens doivent nous rendre
amis.
Jufte Ciel ! pourfuivit le vieillard vénérable ;
Eh ! quoi , tant de vertu peut être milérable !
Ah! que n'ai - je mes biens ! j'eufle facrifié.
Généreux inconnu ... j'en fuis aflez payé ,
Interrompit Colomb , en vous étant utile ;.
SEPTEMBRE. 1773 . 75
Ce n'eft qu'un fentiment naturel & facile :
Il naît dans tous les coeurs , de la compaffion.
Ne m'en ayez ainfi nulle obligation .
Levez - vous , & marchons vers mon humble demeure
:
Venez , elle eft à vous ; difpofez -en fur l'heure .
Je n'ai pas tout perdu , dit le fage étranger ;
Il m'eft encor refté de quoi vous foulager ,
Et peut être... Partons. Je faurai vous inftruire
De fecrets importans deſtinés à produire
Plus de biens & d'honneurs que vous n'en defie
rez :
Vos malheurs à la fin vont être réparés ;
Et je bénis le Ciel de vouloir bien permettre ,
Qu'en de fi dignes mains je puifle les tranfmettre !
Cet étranger eft le Miniftre du Très-
Haut qui inftruit Colomb de l'exiftence
de l'Amérique & l'encourage à y porter
les lumières de la foi . Sathan , comme
on le penfe bien , cherche à traverſer
le fuccès de cette navigation . Il affemble
fon confeil ; & les Efprits infernaux ne
pouvant s'oppofer à l'entreprife de Colomb,
travaillent du moins à la retarder ,
en faifant naître des difficultés que les
différentes cours de l'Europe oppofent aux
demandes du navigateur Génois .
Milton a également employé dans fon
72 MERCURE DE FRANCE.
poëme les Anges & les diables , mais fon
fujet eft unique , & il paroît bien difficile
d'affortir avec fuccès le même merveilleux
à d'autres poëmes. La fiction néanmoins
d'un Ange qui prend la figure d'un
vieux marin expirant fur le rivage , a pa
avolt été fuggérée au poëte d'après un fait
rapporté dans la vie de Colomb . Cet homme
avoit , par la célébrité de fon entreprife
, excité l'envie de plufieurs naviga
teurs contemporains. Ceux - ci ne pouvant
lui ôter la gloire de fa découverte , chercherent
à la diminuet en publiant qu'il la
devoit à un vieux pilote accueilli chez lui
après un naufrage , & qui y mourut . Cette
hiftoriette eut dans fon tems quelque
crédit par la difpofition où font la plû-
-part des hommes de faifir le premier prétexte
pour s'exempter du tribut d'eftime &
de reconnoiffance , qu'ils doivent à leurs
femblables.
La Diſcorde joue auffi un grand rôle
dans ce poëme. Cette divinité infernale
n'ayant puempêcher que laCour d'Efpagne
fît équiper une flotte pour l'expédition
de Colomb, s'efforce de fouffler le trouble
& l'effroi parmi ceux qui s'étoient embarqués
avec ce navigateur décoré du titre
d'Amiral.L'Enfer pour mieux feconder les
efforts
SEPTEMBRE . 1773. 73
efforts de la Difcorde , fufcite un fantôme
femblable à celui qui s'offrit aux Portugais
fous la conduite de Vafco de Gama
lorfqu'ils voulurent doubler le Cap des
Tourmentes.
Pour mieux intimider tous ces (éditieux ,
Et confommer plutôt leurs deffeins factieux ,
Le colofle agitant la barbe étincelante
Couvrit les flots & l'air d'une flamme étouffante ;
C'étoit l'eau qui tomboit de les cheveux épars.
L'effroi qu'il répandit vola de toutes parts .
Ses terribles agens , infames fatellites ,
Implacables bourreaux des vengeances prédites ,
Pour redoubler l'horreur excitèrent les airs ,
Déchaînèrent les vents , foulevèrent les mers.
Il ne s'étoit point vu de pareille tempête ,
Les cheveux hériflés en drefloient à la tête.
Mais l'Eternel qui veille fur Colomb
fait ceffer ces preftiges. Tout rentre dans
le néant, & le calme renaît . Colomb aborde
à l'une des Lucayes ; mais les murmures
de fes gens qui n'y trouvent point
les vivres & l'or qu'ils cherchoient, l'obligent
de quitter promptement cette ifle .
La flotte les conduit à Saint-Domingue.
L'équipage pouffe des cris de joie à la
vue de cette terre fortunée, & y féjourne .
D
74
MERCURE DE FRANCE.
C'est même dans cette ifle que s'accompliffent
les deffeins de Dieu fur Colomb.
Il obtient le don des langues & s'en fert
pour expliquer au Cacique , le chef des
Infulaires , les mystères de notre Religion
. Notre héros miffionnaire le convertit
à la foi. Il profite de la circonftance
d'une éclipfe de lune qui devoit arriver
le foir même , & s'en fert comme
d'un prodige que le Ciel permettoit pour
manifefter fa volonté aux Infulaires . Son
autorité s'accroît en conféquence fur ce
Peuple ignorant ; mais il ne fait ufage de
cette autorité que pour lui faire goûter la
morale pure de l'Evangile, Les Indiens
interrogent l'Amiral fur le pays qui lui
a donné naiffance , ce qui donne lieu
au poëte de placer dans fon poëme une
defcription de l'ancien continent & de
paffer en revue les différens royaumes de
J'Europe . Tous ces détails rempliffent
plufieurs chants , L'amiral qui difcours
toujours plus qu'il n'agit , employe auffi
fon éloquence pour engager les naturels
du pays à contracter alliance avec lui.
La conduite de fes gens ne prévient pas
les Infulaires en faveur de cette alliance .
Le héros lui-même ne peut fe défendre
des feux de l'amour ; mais, toujours maî
SEPTEMBRE . 1773. 75
tre de fes paffions , il ne perd point de
vue l'objet de les travaux. Après l'avoir
rempli il s'embarque pour retourner en
Europe. L'Enfer , pour nous fervir de
l'expreffion de l'auteur , joue alors de fon
refte. Il excite un ouragan furieux , &
empêche les matelots de manoeuvrer, en
faifant fermenter dans leurs veines le
venin vénérien qu'ils avoient contracté
en Amérique. Colomb , au milieu de ce
danger , plein de confiance dans la protection
du Très - Haut , demeure ferme &
tranquile . L'orage fe diffipe . Une ifle déferte
fe préfente à l'Amiral. Des courants
d'eau l'y conduifent. Il defcend à
terre , parcourt l'ifle, & apperçoit fous un
berceau de fleurs un grouppe de déeſſes .
Sur l'une il vit briller les dons de la jeuneffe ;
Son teint frais & vermeil éclatoit fans rudeffe ,
Une gaze légère , attachée avec foin ,
La lui fit croire nue en la voyant de loin .
Elle avoit à la main une ſuperbe glace ,
Où tout le reproduit & jamais ne s'efface.
La feconde brilloit par tant de majeſté ,
Que juſques àſon nom , tout en eft reſpecté ;
Femme d'un certain âge , & d'un voile couverte ,
Son vifage annonçoit , foit quelque grande perte,
Soit un revers ſenſible à ſon coeur affligé ;
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
On voyoit que fon corps en étoit négligé :
Modefte en les habits , modefte en fon langage ,
Tout paroifloit en elle auffi fimple que fage :
Un livre couvert d'or ſe montroit fous fon bras ,
Et lui faifoit fouvent prononcer des hélas !
Ses yeux fixés fur lui l'envifageoient fans ceffe :
Il ſembloit arracher , pofféder fa tendrefle.
L'autre , d'un air févère , un bandeau fur les
yeux ,
Détournoit , confondoit les regards curieux ;
On lifoit aisément fur fon vifage auſtère ,
Que l'innocence même a de quoi lui déplaire ,
Et qu'il faut être pur comme fon chaſte ſein ,
Pour lui faire avouer qu'on eft & droit & fain.
Son bras levoit à peine une énorme balance .
Ces trois déeffes étoient la Vérité
la Religion & la Juftice . La première préfente
fon miroir à Colomb , & lui fait
voir toutes les découvertes que feront en
Amérique les voyageurs des différentes
Nations qui fuivront fes traces. Cette
glace , après avoir retracé devant l'Amiral
d'autres tableaux inſtructifs , s'obſcurcit
, & Colomb n'y vit plus rien . Il gagne
fes vaiffeaux , & après avoir effuyé
encore plufieurs dangers , fe rend en Efpagne
, où Ferdinand & Ifabelle , pour
l'honorer d'une manière particulière , le
font affeoir auprès d'eux fur le trône.
SEPTEMBRE . 17738 77
Ce poëme a 24 chants . Il fe reffent de
l'ennui que l'auteur avoue lui avoir tenu
lieu d'Apollon . La folitude de Saint Domingue
, où le poëte a été obligé de paſfer
vingt- huit ans , eft fans doute peu pro
pre à échauffer le génie , à éclairer le goût,
& à donner au ftyle , de la force , de l'élégance
& de la précifion. Mais dans la
folitude , ainsi qu'au milieu des dangers ,
on apprend à mieux connoître tout le
prix d'une religion qui nous confole dans
nos peines , anime les bonnes actions
que nous faifons en fecret, & nous donne
par l'efpérance d'une vie heureufe , du courage
& de la fermeté pour fupporter nos
calamités préfentes . Le poëte , qui étoit
rempli de ces vérités , a cherché à nous les
infpirer dans plufieurs endroits de fon
poëme .
Dictionnaire pour l'intelligence des Auteurs
claffiques , Grecs & Latins , tant
facrés que profanes , contenant la géographie
, l'hiftoire , la fable & les antiquités.
Dédié à Mgr le Duc de Choifeul
, par M. Sabbathier , profeffeur au
collége de Châlons -fur-Marne , & fecrétaire
de l'Académie de la même
même ville . Tome XVI . in - 8°. A
D iij
78 MERCURE
DE FRANCE
.
Paris , chez Delalain , libraire , rue de
la Comédie Françoife.
Ce dernier volume termine la lettre
D, & préfente , ainfi que les précédens ,
des articles fatisfaifans & très-bien remplis.
Ce dictionnaire néceffaire pour l'intelligence
des auteurs claffiques , peut être
auffi regardé comme une bibliothèque
hiftorique non moins curieufe qu'utile .
Tous les grands hommes de l'antiquité ,
les capitaines , les hiftoriens , les poëtes
les orateurs , les philofophes paffent ici
en revue. L'article de Diogène le Cynique
n'eft pas un des moins curieux de ce
volume. Ce philofophe qui s'étoit élevé
au deffus de tous les événemens & avoit
mis fous fes pieds toutes les faveurs , méprifoit
également les louanges & les fatyres
de fes concitoyens. C'étoit , dit Montagne
dans fon ftyle énergique , une efpèce
de ladrerie fpirituelle qui a un air
de fanté que la philofophie ne méprife
pas. On n'a pas omis de citer dans ce
dictionnaire la réponse que Diogène fit à
Alexandre lorfque ce Prince , environné
d'une Cour brillante , vint voir le Philofophe
couché alors au foleil . Alexandre ,
qui lui vouloit du bien , lui demanda ce
SEPTEMBRE. 1773. 79
qu'il pouvoit faire en fa faveur . Te
retirer de devant monfoleil. Cette réponſe
indigna les courtifans , mais frappa le
Monarque, qui , fe retournant vers les favoris
, leur dit : Si je n'étois Alexandre , je
voudrois être Diogène. « Ce mot , ajoutė
» l'hiftorien , cache un fens profond , &
» découvre parfaitement le fond du coeur
humain. Alexandre fent qu'il eft fait
» pour tout avoir ; voilà ſa deſtinée , & en
» quoi il met fon bonheur. Mais , s'il ne
pouvoit parvenir à ce but , il fent aufi
» que pour être heureux , il faudroit étu-
» dier à fe paffer de tout . En un mot zout
» ou rien , c'eft Alexandre & Diogènė. »
Cette explication des paroles d'Alexandre
ne fera peut - être pas adoptée de tous les
lecteurs . Plufieurs fe contenteront d'y
trouver une fimple expreffion de caractère.
L'orgueil formoit le fond de celui
d'Alexandre . Ce Prince faifoit connoître
affez clairement , par le difcours qui lui
eft attribué , que fi fon courage & fa puiffance
ne pouvoient fubjuguer la fortune
il voudroit s'en tendre indépendant ,
l'exemple du Philofophe Cynique .
Les articles Dioclétien , Dion , Diodore
, Domitien font très étendus & nè
laiffent rien à defirer . L'auteur a recueilli
Div
Bo MERCURE DE FRANCE .
à l'article Dieu les preuves métaphyfi
ques , hiftoriques & phyfiques de l'exiftence
de Dieu. C'eft une de ces premières
vérités qui s'emparent avec force de
tout efprit qui penfe & qui réfléchir.
L'homme , même le plus groffier & le
plus ftupide , ne peut méconnoître aiſément
cette vérité. Elle lui entre en quelque
forte par tous les fens . Il la trouve
en lui & hors de lui . 1 ° . Parce qu'il fent
bien qu'il n'eft pas l'auteur de lui- même ;
que pour comprendre comment il exifte ,
il faut de néceffité recourir à une main
fouveraine qui l'ait tiré du néant. 2 ° .
Hors de lui , dans l'Univers qui reffemble
à un champ de tableau où l'ouvrier parfait
s'eft peint lui- même dans fon oeuvre ,
autant qu'elle pouvoit en être l'image ; il
ne fauroit ouvrir les yeux qu'il ne décou
vre par- tout autour de lui , les traces d'une
Intelligence puiffante & fans bornes . Ce
feroit donc faire injure aux hommes que
de chercher à leur prouver une vérité auffi
évidente , fi le vice , ennemi de tout ce
qui peut le troubler , ne s'étoit efforcé d'y
répandre des nuages .
Zenothémis , anecdote marfeilloife , par
M. d'Arnaud. in - 8 °. avec figures, A
SEPTEMBRE . 1773. 81
Paris , chez le Jay , rue St Jacques , audeffus
de celle des Mathurins.
Lorfque Marſeille confervoit encore
fous la protection des Céfars la fage conftitution
qui avoit fondé fa République ,
on pouvoit compter au nombre des citoyens
les plus refpectables que la naiffance
& le favoir plaçoient à la tête du
gouvernement , Ménéctate & Zénothémis
; le premier déjà avancé en âge , jouiffoit
d'une réputation folidement établie
pour fon intégrité autant que pour fes
lumières dans la Jurifprudence . Une fille
unique devoit hériter de fa confidération
& de fes richeffes : mais le vertueux Sénateur
mettoit bien au - deffus des préfens
de la fortune l'eftime de fes concitoyens
& la fienne propre ; il favoit apprécier
cette récompenfe , la feule qui nous faisfaffe
pleinement , & que fi peu
de gens
en place connoiflent & font jaloux de
mériter. La rendre amitié de Zénothémis
ajoutoit le dernier degré à fon bonheur.
Ce jeune homme joignoit aux grâces de
la figure & à la dignité de l'extérieur une
ame fublime & enflammée de l'amour
des arts & des vertus . Sorti à peine de
l'enfance , il s'étoit attaché fortement à
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
Ménécrate. Ce panchant s'étoit accrû avec
les années , & la difproportion de leur âge
n'avoit point nui aux douceurs de cette
liaiſon independante des fens qui rapproche,
unit les coeurs, & qui les porte à
fe communiquer leurs goûts , leurs affections
, leurs intérêts mutuels . Zénothémis
évitoit toutes les occafions qui pouvoient
l'éloigner de fon ami. Des affaires indifpenfables
cependant l'ayant appelé à Nifme
, il fallut prendre congé de fon ami ,
qui ,en lui renouvellant les affurancesd'une
amitié inviolable , le preffa de hâter fon
retour. Pendant cette abfence le fils d'un
Matfeillois diftingué eft foupçonné d'un
meur.'re commis pendant la nuit. L'inf
truction de l'affaire eft confiée à Ménécrate.
L'accufé n'étoit que trop coupable ,
fi l'on confitoit fur tout la févérité des
loix de Martille ; le vrai s'étoit montré
dans tout fon jour ; la fatale fentence alloit
être prononcée ; le père & la mère du
jeune homme accorent , tombent au genoux
du magiftrat , les arrofent de pleurs :
" Hélas ! s'écrie le père infortuné , en dé-
·
couvrant fa tête chauve , & fe profter-
» nant plus profondément , bienfaifant
» Ménécrate , daignez être homme avant
» que d'être l'organe de la juftice. Vous
SEPTEMBRE . 1773. 83
voyez couché dans la pouffière un mal-
» heureux vieillard qui n'a plus qu'un
» jour à voir la clarté du foleil ; il efpé-
» roit revivre dans un fils unique , & ce
» fils va lui être enlevé ! & par quels
coups ! ce n'eſt pas affez qu'il perde la
vie : fon châtiment fera perpétué par
une mémoire flétrie qui s'étendra fur
toute fa famille , qui me pourfuivra
jufques dans la tombe . Ménécrate
» vous êtes père : oui , mon fils eft criminel
, je ne vous le cache pas ; oui , il a
» mérité toute votre rigueur , du moins
nos loix l'ont ainfi décidé. Quoique je
paffe l'excufer en vous donnant des
» preuves que fon adverfaire l'a infulté
» vivement , & a fuccombé fous un pre-
» mier mouvement de vengeance , la
>
mort de mon malheureux fils ranimera-
» t'elle celui dont il a percé le flanc ?
Contemplez une déplorable mère qui
» n'a point la force de s'exprimer. Cette
» douleur qui fe tait vous peint l'horreur
"
de fa fituation . Ame généreufe , ordon-
» nez le trépas de tous trois , s'il faut
» qu'on arrache de notre fein cet enfant .
Si vous aviez à juger votre fille , la
» condamneriez - vous ? Pourriez - vous
» laiffer tomber le glaive des loix fur fa
D vj
84 MERCURE DE FRANCE .
"
"
» tête ? Ayez compaffion de ma vieilleffe :
c'est l'humanité qui pleure à vos ge-
» noux , qui vous adreffe fa prière , fes
» cris ; Ménécrate , c'eft mon dernier foupir
qui vous intercède .» En effet le vieil
lard expiroit aux pieds de Ménécrate . Le
juge attendri le relève avec bonté , ainfi
que fa femme ; la nature fe fait entendre
à fon coeur ; la voix de l'équité eft moins
forte : l'auftère magiftrat enfiu n'eft plus
qu'un homme fenfible , qu'un père remué
par le fpectacle le plus déchirant. Il céde
à ce mouvement dont s'applaudit l'hu-
· manité , & que
l'on craint d'appeler une
foibleffe : il immole fon devoir pour n'obéir
qu'à la pitié : le criminel eft déclaré
innocent. Ménécrate étoit trop eftimé &
-trop heureux pour ne pas exciter l'envie.
Ses ennemis fe réuniffent à la famille du
mort. On demande la révifion du procès .
On propofe des informations . Le meurtrier
, malgré le rapport favorable d'un
des premiers Sénateurs , eft déclaré coupable
: il fubit le supplice deftiné aux homicides.
L'efprit de parti n'en refte point
à cet acte de juftice : il s'acharne à la perte
du juge trop humain , exagère fa faute
comme un crime capital qui bleffe les
loix & l'équité. Ménécrate , cité devant
SEPTEMBRE. 1773. 85
le Sénat affemblé , comparoit & ne diffimule
point qu'un fentiment de compaffion
l'a furpris & s'eft rendu le maître de
fen coeur . Il convient de toute l'étendue
d'une erreur fufceptible peut -être de pardon
, fi la fenfibilité eft écoutée ; il avoue
qu'il a mérité d'être repris par fa Compagnie
; il finit par implorer fon indulgence.
Mais on n'écoute que l'inflexibilité
des loix . Ménécrare eft dépouillé de fes
dignités . La confifcation de fes biens fuit
une peine fi cruelle. Zénothémis , informé
de l'horrible catastrophe que vient
d'effuyer fon ami , accourt , vole dans fes
bras & les arrofe de ces larmes délicieufes
que fait naître la fenfibilité . Zénothémis
fe rend au Sénat ; il veut élever la voix.
en faveur de fon ami. On lui répond que
l'équité défend de revenir fur le jugement ,
& que la condamnation de Ménécrate a
été prononcée par les loix . « Vous parlez
toujours de loix , dit Zénothémis ! eh !
» parlez d'humanité ; examinez la faute
» de votre collégue ; c'eft un excès de
compaffion , qui , s'il fait rort à fon in-
» tégrité , honore fon coeur ; il s'en remet
» à votre clémence . » Les repréfentations
de Zénothémis , fes efforts , fes prières
font inutiles , & il eft obligé de céder à la
"
28
86 MERCURE DE FRANCE
multitude qui prétend avoir jugé légale
ment. « L'envie eft plus animée que jamais
contre vous , dit - il à Ménécrate.
» Votre condamnation eft irrévocable :
» mais mon amitié fe roidit & s'augmen
» te avec votre infortune : venez, daignez
» me fuivre. Ménécrate accompagne
Zénothémis qui le conduit à fam aifon.
Le vieillard ne peut s'empêcher de foupirer
, en confidérant cette demeure & les
richeffes qu'elle renferme. Cette image
lui rappelle fa première fituation ; il veut
fe retirer. « Nous ne nous quitterons plus,
» lui dit le jeune homme en le retenant
» avec tranfport , & en le ferrant dans fes
bras ; vous voyez votre afyle , votre
" fortune ; du moins nous partagerons
l'un & l'autre. Que me propofez- vous,
interrompt Ménécrate ? je fens tout le
» le prix de cette offre ; mais votre deffein
» ne feroit pas d'ajouter à mes peines ?→
Qa'entends - je ? -Mon ami , les bienfaits,
quelle que foit la main qui les difpenfe
, traînent toujours l'humiliation
après eux ; notre exiſtence perd de fa
» dignité quand nous la devons au ſecours
d'autrui . L'amitié.... eft
» moins pure dès l'inftant que la recon-
» noiffance vient mêler fon tribut à des
"
"
"
»
"
39
――
SEPTEMBRE. 1773 . 87
8
"9
» fentimens libres ; je veux vous aimer
» fans intérêt. Quoi ! l'indigence...
» Penfez vous que je n'aie pas appris à la
»fupporter ? Tous les hommes naiffent
indigens : la richeffe leur eft une fitua-
» tion étrangère . L'adverfité n'eft point
» le malheur véritable ; confervez - moi
cet honneur qu'on veut m'enlever ; impofez
filence à la calomnie : voilà les
» maux auxquels le courage le plus ferme
» a de la peine à réfifter . Encore une fois ,
» que m'importent des biens , des palais?
» Jeune homme , je n'ai befoin que de
» mourir ; c'eſt un cercueil qu'il me faut;
» c'eſt l'unique préfent qu'il me foit permisd'accepter
de votre amitié généreuse ;
je vous le redis : tout autre me bleffe-
» roit... Je n'afpire qu'à marier ma fille ,
» & je fuivrai après ce que m'ordonnent
» mon coeur & ma deftinée. » Cydipe ,
c'eft le nom de la fille du malheureux fé.
nateur , avoit été demandée depuis longtems
en mariage par Myfias pour fon fils
Eudimaque . Mais ce Myfias reffembloit au
commun des hommes .Lorfqu'il eut appris
l'infortune de Ménécrate , il ne s'occupa
qu'à chercher des prétextes pour retirer fa
parole. Cette froideur de Myfias mit le
comble aux chagrins de Ménécrate . « Le
»
:: MERCURE DE FRANCE.
» malheur ne m'a que trop éclairé , di-
❤ foit- il à ſon cher Zénothémis dans l'ef-
» fufion de fon coeur : Myfias n'eft plus
» mon ami ; ma fille ne fera point
l'époufe d'Eudimaque ; je ne verrai
» point former ces noeuds , la feule eſpé-
» rance , l'unique confolation qui puffent
» m'attacher à la vie ; je mourrai ; & qui
«
"
"
eft-ce qui reftera à ma fille ? mon infor-
» tune , le fouvenir de ce qu'elle a été , le
» tableau effrayant de ce qu'elle fera ;
» mon nom , ma race s'éteindront avec
Cydipe. Mon ami , l'homme demande
» des fucceffeurs , & l'on ne s'accoutume
point à l'idée affligeante qu'on ne revi-
» vra point dans une poftérité qui ſemble
» tromper la mort & perpétuer notre
» existence ; Ménécrate fera détruit tout
» entier. Et qui aujourd'hui voudroit
» être l'époux de ma fille ? Tout me
» trahit , m'abandonne ... Peut-être fui-
» vrez -vous l'exemple de Myfias ... Ah !
» pardonnez , mon cher Zénothémis ,
pardonnez . Voilà où conduit la difgra-
» ce ! on offenfe l'ami le plus cher. »
Ménécrate , en achevant ces mots , étoit
tombé dans le fein du jeune homme &
pleuroit amèrement . Mon père , lui dit
Zénothémis comme revenu d'une pro
SEPTEMBRE. 1773. 89
"
"
» fonde rêverie , calmez cette douleur
» qui m'accable ; vos larmes portent la
» inort dans mon ame. Oui , l'adverfité
nous rend foupçonneux , défians , injuftes
; Myfias vous aura paru différent
» de ce qu'il peut être ; vous me difiez
qu'il vous aimeit : le coeur change -t'il
fi de tems » en peu ? Je vous quitte pour
» vous rejoindre bientôt . Ménécrate
» le comble du malheur , eft de perdre
» l'efpérance .» Zénothémis , impatient
d'exécuter fon deffein , fe rend chez Myfas.
Mais que peuvent les fentimens
d'honneur fur une ame foible & pufilla
nime ? Zénothémis le quitte brufquement
& va retrouver Ménécrate qu'il
embrafle avec tranfport. « Mon refpec-
» table ami , oublions la terre , les hom-
"
mes ; efforçons- nous de nous fuffire à
» nous mèmes . Que Zénothémis veus
» tienne lieu de tout . »
Le vertueux jeune homme reçoit une
nouvelle bleffure dans la perfonne de fon
ami. Il apprend qu'Eudimaque , pour
s'excufer de manquer à fa parole , répand
des bruits injurieux à celle qui lui avoit
été promiſe. Ah ! fi Zénothémis eût été
libre , avec quel empreffement n'auroit - il
pas cherché à remplacer Eudymaque !
90 MERCURE DE FRANCE.
avec quelle fatisfaction n'auroit - il pas
calmé l'inquiétude de fon ami fur le fort
de fa fille ! mais il avoit donné ſa foi à
Agathée , niéce du fénateur Hermogène.
Leur mariage avoit été préparé , en quel .
que forte , dès le moment même de leur
naiffance. Les deux familles s'étoient engagées
réciproquement à cette union qui
devoit refferrer leur intimité. La jeune
perfonne méritoit tous les voeux de Zénothémis
, qui reflentoit le pouvoir de
fes charmes , & en effet c'étoit la vertu
même fous les traits de la beauté . Zénothémis
, quelle que fût fon ardeur, aimoit
peut être encore moins qu'il n'étoit aimé.
Agathée s'attachoit tous les jours
davantage à fon amant. Les rares quali
tés de Zénothémis , fon ame fenfible &
fublime fortifioient cet amour dont cette
femme , l'honneur de fon fexe , s'applaudiffoit
; elle n'héfitoit point à faire l'aveu
de fa paffion ; un fentiment noble & pur
ne connoît pas ces déguifemens que le
vice a imaginés & qu'il a décorés du ton
impofant de bienféances . Agathée voyoit
d'un oeil fatisfait s'approcher le terme
prefcrit pour fon hymen ; loin de s'offen.
fer des larmes que Zénothémis donnoit
au fort de Ménécrate , elle le pleuroic
SEPTEMBRE. 1773. 91
avec lui. Elle partageoit même le défefpoir
de fon ainant ; elle l'entendoit fouvent
répéter : « L'infortuné Ménécrate n'a
» donc plus de confolation à attendre fur
» la terre ! les flambeaux de l'hymen ne
» s'allumeront jamais pour Cydipe ! fa
>> malheureufe deftinée eft décidée ! une
» honte éternelle fera imprimée fur fes
» jours , fur ceux d'un miférable vieil-
» lard qui meurt dans l'affurance que tout
"
a rejeté fa fille , & qu'elle ne tardera
» pas à le fuivre au tombeau. Encore , s'il
» avoit un gendre dont il pût , fans rougir
, accepter les fecours généreux , qui
» le fecourir à fes derniers momens , qui
»fermât fes yeux éteints dans les larmes,
qui le flattât de l'efpoir que fon nom
» fe perpétueroit ! Mais Ménécrate ne
» voit fous fes pas qu'un vafte tombeau
» qui l'engloutit , lui & fes efpérances .
Perſpective plus cruelle que la mort !
» c'est toute l'horreur du néant qu'il envifage
! & l'indigence fe joint à dos re-
» vers fi accablans ! il refufe ... Ce feroit
» moi qu'il auroit fervi ! ah ! les bienfaits
» de l'amitié n'humilient point ils ne
» font que refferrer les noeuds. Ménécra-
» te... Sa fille ... Quel fort effrayant ! »
y avoit déjà long - tems qu'Agathće
"
11.
:
92 MERCURE
DE FRANCE.
écoutoit ce difcours avec un air de réflexion
qui décèle une ame profondé
ment occupée ; le défordre de fes fens fe
peint fur fon front ; des pleurs , qu'elle
s'efforce de repouffer , la trahiffent &
viennent en abondance fur les bords de fa
paupière ; elle regardoit Zénothémis par
intervalle , & de fombres accens lui
échappoient. Zénothémis alarmé , interroge
Agathée , la preffe de lui apprendre
d'où naît ce trouble fubit. « Zénothémis ,
» il n'eft pas encore tems de parler ....
» Je conçois un deffein ..... vous le
» faurez .. Quelques jours s'écoulèrent
depuis cette fcène : il étoit aifé d'appercevoir
que l'ame d'Agathée étoit déchirée
par de violens combats . « Enfin , dit elle
» un jour à Zénothémis , vous ferez fa-
» tisfait : il faut que vous ameniez ici
Ménécrate , fa fille , & quelques- uns
de vos meilleurs amis ; mon oncle ,
» à ma follicitation , les prie d'affifter
» à un feftin qu'il prépare en l'honneur
» des Dieux domestiques : fans doute les
» Conviés ne fe refuferont point à l'in-
» vitation ». En prononçant ces mots ,
elle regarde Zénothémis qui promet de
fuivre fes volontés. Le jour est arrivé.
L'afpect de Cydipe avoit produit chez
"
SEPTEMBRE. 1773. 93
Agathée une émotion qu'elle parvient à
Vurmonter. On entre dans la falle du
feftin : tout y préfentoit les apprêts d'une
fête fomptueufe. L'affemblée cède aux
mouvemens d'une gaieté décente : Hermogene
, fa nièce , & Zénothémis étoient
feuls plongés dans une rêverie dont on
cherchoit vainement à deviner la cauſe.
La fin du repas approchoit : Zénothémis ,
qui , durant tout le feftin , avoit parlé
peu à Agathée & à Hermogene , &
avoit donné des marques d'une agitation
extraordinaire , quitte brufquement la
table comme égaré & hors de lui - même ,
fe précipite dans une chambre voiſine :
le Maître de la maifon & fa nièce fe
hâtent de l'y fuivre : les Convives reftent
interdits ; ils fe demandent le fujer de
cette abfence inattendue : la ſurpriſe de
Ménécrate & de Cydipe eft encore plus
grande. Agathée rentre avec fon oncle
& Zénothémis ; celui ci paroiffoit
accablé ; la jeune perfonne avoit les
yeux chargés de larmes ; elle affecte
de reprendre un air ferein . Hermogene
ordonne qu'on apporte une coupe defti
née aux libations facrées : les Efclaves
obéiffent. A peine la coupe a tt--elle paru,
Zénothémis ne peut retenir un gefte qui
94 MERCURE
DE FRANCE
.
décèle fon trouble ; Agathée lui parle
encore à voix baffe ; des impreffions de
curiofité font fur tous les vifages. La
nièce d'Hermogene fait un figne à Zénothémis
, comme fi elle le pretfoit d'exé
cuter la volonté ; elle fe faifit elle même
de la coupe , la remet dans les mains
de fon amant , qui fe leve , porte la
coupe au Ciel , & profère , d'une voix
entrecoupée , ces paroles qu'Agathée qui
étoit près de lui , fembloit lui dicter :
Je prends à témoin cette affemblée
"
99
39
❤
» & j'en jure fur cette coupe par les Dieux
» que je prie en ce moment de m'en-
» tendre je choifis pour mon épouse
Cydipe , la fille de Ménécrate. Ma
» fille , s'écrie le Vieillard ! Zénothémis
» me donneroit ſa main , dit à ſon tour
Cydipe ! Oui , vous ferez ſa femme ,
reprit Agathée , & moi ..... » Elle
n'acheve pas , & tombe évanouie : on
vole à fon fecours ; cette héroïne fort
du fein même du trépas pour devenir
une créature au- deffus de l'eſpèce humaine
, qui va déployer toute la grandeur
de fon ame. « Non , dit Ménécrate
» en courant vers elle , fille fublime , je
» ne reçois point les fermens de Zénothémis
; je ne fouffrirai pas qu'il vous
SEPTEMBRE. 1773. 95
» foit parjure ; c'ett vous qui devez être
fon époufe ; il a donné fa parole , il
» vous aime , il vous eft cher ; ma fille
» & moi ne ſommes pas faits pour un
» femblable facrifice : marchez à l'Autel
» & nous à la mort. Vous ferez le père
» de Zénothémis , répond Agathée en
» s'armant de courage ; je veux préfider
» à ces liens..... je le veux : ce que
23
+99
"
je viens d'éprouver eft un refte de
» foibleffe dont je triompherai . Sans
» doute j'attachois tout mon bonheur à
me voir la femme de Zénothémis ;
j'adore la vertu , c'eft dire , combien
j'adorerois l'époux que le Ciel & ma
» famille m'auroient deftiné ; oui , je
» l'aimois , & j'ofe en convenir en fa
préfence , en préſence de mon parent
» & de cette affemblée . Mais quel plaifir
» je goûte à m'immoler pour cette même
» vertu qui m'eft fi chère ! Ménécrate ,
je fais mon devoir , je remplis les
obligations d'une ame fenfible. Zéno-
» thémis eft votre ami ; la calomnie
» cherchoit à flétrir la réputation de
Cydipe ; tout l'opprimoit ; après l'in-
» jure que lui ont faite Myfias & fon
fils , elle n'avoit plus d'hymenée à efpérer
; il n'y avoit que Zénothémis
"
"
96 MERCURE
DE FRANCE
.
feul qui pût lui offrir fa main
» & il la lui préfente de mon aveu ; je
» foufcris à cette union ; j'en hâte le
moment ..... Ne regardez point mon
» trouble , mes larmes.... elles s'arrê
» teront..... Cydipe fera mon amie.
"
Cydipe , faifie d'admiration & de reconnoiffance
, étoit profternée aux pieds
d'Agathée . Le Lecteur applaudira à ce
tribut d'admiration ; il regardera ce tableau
comme le plus bel éloge que l'on
puiffe faire de l'amitié & de la vertu .
Cette nouvelle commence le troisième
volume des Épreuves du Sentiment ; elle
eft précédée d'un extrait de l'Hiſtoire de
Marſeille : cet extrait donne des inftructions
utiles fur les moeurs anciennes des
Marfeillois ; il nous familiarife avec le
coftume employé dans cette nouvelle ,
qui a l'intérêt & l'action du Drame , &
dont nous n'avons cité que les mor.
ceaux les plus propres à en faire connoître
l'objet & la marche.
Le Chemin du Ciel , ou la vie du Chrétien,
fanctifié par la prière , par M. l'Abbé
Hefpelle , Docteur de Sorbonne , &
Curé de Dunkerque . A Paris , chez
Berton , rue S. Victor , & Hériffant
rue
SEPTEMBRE. 1773 . 27
rue Notre- Dame , 1773 , in- 12.672
pages.
Ce Livre n'eft pas de ces ouvrages
purement afcetiques , uniquement deftinés
à ceux qui fe vouent au cloître ,
c'eft un livre de prières choißes qui peuvent
être , utiles à tous ceux qui s'occupent
de leur falut : elles font propres
à fanctifier toutes les actions du Chrétien.
*
6
M. l'Abbé Hefpelle a fait un choix ,
( ainfi qu'il le déclare dans , fa préface ) ,
des prières les plus affectueules , répandues
dans différens ouvrages de ce genre;
mais fon travail quoiqu'utile , eût ôté
peu confidérable s'il fe fût botné à ce
choix ; il en a ajouré un très - grand nom
bre de fa compofition , il les a adaptées
aux différens befoins de l'homme fur
la terre : toutes ces prières annoncent un
homme inftruit de fes devoirs qui s'oc
cupe utilement du falut du prochain.
1 Cet ouvrage eft dédié aux Dames
1.Carmélices de Saint Denis . M. l'Abbé
• Het pelle a eu le talent de louer l'augufte
ai Princeffe , qui par fa retraite au Carmel
91adonne l'exemple du plus parfait facrifice
; faus bleffer, fa modeftie, il la pro-
E
98 MERCURE
DE FRANCE
.
pofe pour modèle à tous ceux qui defirent
fincèrement leur falut dans l'état où
la providence les a placés ; le triomphe,
» dit il, de Madame Louife fur le monde,
» fait la gloire de l'Eglife . Sa foi conftante
& la profeffion publique qu'elle en a » faite
*
par fa retraite raffermit celle de
nos concitoyens , c'eft un exemple qui
fait plus d'impreffion que tous les dif-
» cours. Sa mortification confond tous
les prétextes pris de, la foibleffe du
tempérament pour ſe ſouftraire à l'abſtinence
& au jeûne .
"
Suit une préface où l'Auteur prouve en
peu de mots, combien la prière eft néceffaire
; le début eft dans le ton dogmatique,
« Il existe un être fuprême , un
etre infiniment puiffant , ... qui gou-
» verne tout par fa providence , qui ré-
» compenfe la vertu , & punit le crime;
» que nous devons adorer , craindre ,
» aimer & prier. La prière eft le premier
devoir de l'homme ; fon origine , fa
» nature , fes befoins , tout l'avertit qu'il
faut prier. Dieu veut bien nous donner
» les fecours néceffaires , mais il exige
» que nous les lui demandions . Depuis
» le péché de notre premier père , notre
» vie n'eft qu'un tilu de peines & de
SEPTEMBRE. 1773. 99
n
•
chagrins , c'est un combat continuel . ".
Rien de plus touchant , de plus confolant
pour un pécheur que les prières de
la meffe , de la confeffion , & celle pour
la vifite du Saint Sacrement . C'eft ainfi
qu'il fait parler le pécheur qui vient
d'examiner fa confcience . Seigneur, ma
» mémoire fe perd , mon efprit fe con-
» fond dans l'abîme immenfe de mes
iniquités ; je me reconnois in finiment
plus coupable que je ne l'avois penſé :
» le nombre de mes crimes furpaffe celui
» de mes cheveux ; la penſée de votre
juftice me fait frémir. Eh bien ! mon
» Dieu , je me foumets à l'arrêt de votre
» vengeance , je fuis fous vos coups : frap-
» pez , puniffez - moi ; mais vous ne vou-
» lez pas me perdre : il vous fera bien
""
95
19
plus glorieux de manifefter votre mi-
»féricorde en me pardonnant, que de figna-
» ler votre juſtice par ma perte ; écoutez
» le Sang de J. C. qui réclame en ma
» faveur , glorifiez votre Fils en lui ac-
» cordant le pardon qu'il vous demande
cet endroit rappelle le
" pour moi.
Sonnet de des Barreaux : Tonne , Frappe ;
il est tems , &c.
12
Chacun des principaux articles de cet
ouvrage est précédé d'une espèce de pré-
E ij
100 MERCURE DE FRANCE .
C
cis ou d'argument fait avec beaucoup de
jufteffe. Ceux qui précédent la meffe ,
la confeffion , la communion , le baptême
, .... font remplis d'onction.
M. l'Abbé Hefpelle a joint à ces
prières , l'office de l'après midi , & de
tous les Dimanches & Fêtes de l'année
en latin & en françois . Il ne s'eft pas borné
là: il a inféré des prières diverfes pour toutes
les vertus : elles font fuivies des plus
belles hymnes de Santeuil & de Coffin ,
qui en prouvent la néceffité ; on y trouve
auffi des pratiques de dévotion pour
tous les jours de la femaine , des pensées
chrétiennes pour chaque jour du mois ,
des méditations fur les voeux du baptême
, des réflexions fur la mort , & des
prières pour les agonifans.
On lira fur tout avec fruit les paraphrafes
fur le pater & fur quelques
Pleaumes , qui font defirer celles que
cet auteur doit donner inceffamment au
Public fur tous les Pleaumes de David .
Ce fecond ouvrage fera fuivi d'un trqihème
, intitulé la véritable religion démontrée
contre les athées , les déiftes , &
contre tous les fectaires , 2 vol. in- 12.
SEPTEMBRE . 1773. 101
Théâtre de M. Poinfinet de Sivry , dè la
Société Royale des Sciences & Belles-
Lettres de Lorraine ; contenant la Tra- "
gédie de Brifeis , troifième édition ; la
Tragédie d'Ajax & la Comédie d'Aglaë,
feconde édition ; & trois Comédies du
même Auteur. A Londres , & fe trouve
à Paris , chez Lacombe , Libraire , vue
Chrifline , 1773.
L'édition du Théâtre & des Poéfies
diverfes de M. Pointinet de Sivry , im
primée chez Barbou en 1763 , s'étant
trouvée épuifée , on donna aux Deux-
Ponts une nouvelle édition des Poéfies
diverfes , fous le nom de Mufes Grecques ,
en 1771 ; contenant une troisième édition
, revue , corrigée & augmentée de
la traduction en vers François d'Anacréon
, Sapho , Mofchus , Bion , & autres
Poëtes Grecs , qui fe trouve à Paris chez
Lacombe . C'eft auffi chez le même Libraire
que fe trouve la nouvelle édition,
du théâtre du même Auteur, de laquelle
nous avons à rendre compte . La première
Pièce eft celle de Brifeïs . Nous nous contenterons
de rappeler au Lecteur que
cette Tragédie , repréfentée en 1759 ,
fut applaudie avec tranfport ; & que le
E iij
702 MERCURE DE FRANCE.
fuccès de cette Pièce , ( qui au furplus
n'a pas eu tout fon cours , puifque les
repréſentations en furent interrompues
par l'accident arrivé à M. le Kain ) , a
été pleinement juſtifié par la lecture ,
cet écueil de la plupart des réuffites théâ-
Irales. Il Y a fans doute peu d'Amateurs
qui ne fe rappellent le grand effet que
firent dans les rôles d'Achille & de
Priam , MM . Lekain & Brizard . Mile
Gauffin remplit le rôle de Brifeïs , &
elle y fut applaudie ; mais on peut dire
qu'il n'étoit nullement propre pour elle .
Ce perfonnage exige un Sujet qui joigne
à une belle figure un organe impofant ,
un jeu noble , & qui raffemble enfin
tout ce qui caractériſe la fierté & l'héroïfme
des fentimens . Si ce rôle , qui
ne put être qu'imparfaitement rendu par
Mlle Gauffin , fit cependant beaucoup de
fenfation, quelle magie n'y jetteroit point
cette jeune Actrice , aujourd'hui le charme
& l'honneur de la Scène tragique , qui
réunit au plus haut point de perfection
tout ce qui convient à ce rôle , & à qui
jamais peut être perfonnage ne convint
mieux que celui - ci ? M. Lekain , qui s'in
téreffe vivement à la Tragédie de Brifeïs,
par l'eftime qu'il en fait , en a fouvent
SEPTEMBRE. 1773 . 103
l'on
follicité la reprife , & l'a fait mettre ,
en différens tems , fur le répertoire . Ainfi
peut raifonnablement compter qu'on
ne tardera point à la voir reprefenter.
Nous ne nous arrêterons point à donner
l'analyse de cette Pièce dont le fujet eft
généralement connu , étant , pour ainfi
dire , le même que celui de l'Iliade
c'est- à- dire , la Colère d'Achille . Parmi
les morceaux les plus frappans , nous
citerons ces deux - ci :
ACTE III. fcène VI.
A CHILL E.
Quoi ! tout jufqu'à Patrocle eft - il donc contre
moi ?
N'étoit-ce pas affez , Brifeïs , de vos charmes ?
Ah ! cefiez dans mon coeur de vous chercher des
-armes.
Qu'exigez-vous d'Achille , & que prétendez -vous ?
Eft-ce à vous de vouloir appaiſer mon courroux ?
Eh ! pour qui de vingt Rois ai je cherché la haine?
Loin de ces bords enfin quel intérêt m'entraîne ?
.Faut- il donc que les Grecs vous deviennent plus
chers ,
Quand je veux vous venger de leurs indignes
fers ?
Cellez en leur faveur une plainte inutile ;
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
Montrez- vous déformais la compagné d'Achille
D'un rival que j'abhorre , & qui m'oſa trahir ,
Ne vous reflouvenez que pour le mieux haïr .
Je vous offre ma main. D'un pompeux hymenée ,
Je veux fur mes vaifleaux confacrer la journée ;
Et du crime d'Atride atteftant tous les Dieux ,
Vous couronner , Madame , & partir à les yeux.
BRISE 1S. "
Partez , mais loin de moi . Courez en Theffalic
Oublier les lauriers qui croiflent en Phrygie.
Briféis aujourd'hui ne prétend point s'unir
A vos deftins , Seigneur , afin de les tenir.
Reprenez tous les dons que vous voulez me faire.
Penfiez- vous qu'à ce prix un trône pût meplaire ?,
Que m'importe ce fceptre , & mille autres encor
J'aimois Achille feul & le vainqueur d'Hector.
Fuilque vous renoncez à cette gloire infigne ,
Sans doute qu'en effet vous n'en êtes plus digne.
Allez loin des périls honteufement régner ;
Mais ne me preffez plus de vous accompagner.
Ne me contraignez pas de partager fans ceffe
L'affront de votre fuite & de votre foiblefle .
Non. Je ne vous fuivrois que pour vous repro
cher
La honte & le repos que vous allez chercher.
Partez ; abandonnez Briféis & la gloire ;
Retournez à Laryfle , & perdez ma mémoire.
Ulyfle & Diomède , Ajax & Mérion
SEPTEMBRE . 1773. 105.
S'illuftreront fans vous fous les murs d'Ilion.
A CHILLE ,
Patrocle? où fommes - nous ? que venons - nous
d'entendre ?
Ah ! de vous adorer qui pourroit le défendre ?
Par quel charme nouveau , je me fens attirer !
il faut vous admirer. de vous chérir ; peu
C'eft
Mais c'est dans le recit de la bataille
des Grecs & des Troyens que l'auteur
s'eft vraiment montré počte.
ACTE V , fcène 111.
BRISÉS.
Ahille furieux
Couroit à la vengeance au fortir de ces lieux.
Les éclairs font moins prompts , la foudre eft
moins foudaine.
Déjà de la Troade il a vu fuir la plaine.
Il fe préfente aux bords à jamais révérés ,
Où le Xante immortel roule fes flots facrés .
Hector au même inftant paroît fur l'autre rive.
Achille en frémiflant , voit fa rage captive ;
Et redoublant fa haine à l'afpect du Héros,
Terrible , & tout armé , fe plonge dans les flots .
De cette audace altière Hector même s'étonne.
Achille difparoît ; l'onde écume & bouillonne.
EV
105 MERCURE DE FRANCE.
Bientôt il fe remontre , & paroît à nos yeur
Tel qu'on peint les Titans armés contre les Dieux.
Tous ces Dieux conjurés pour venger leur rivage ,
D'accord avec les flots combattoient fon paflage.
Achille loin de lui par l'orage entraîné ,
Repoufle , mais envain , le torrent mutiné.
Un choc nouveau le preffe ; il chancelle , ilfuccombe
;
Il rappelle la force , il réfifte , il retombe .
Il voit encor brifer les efforts fuperflus ;
Un bruit même s'élève : Achille ne vit plus !
Mais tandis qu'à l'envi les défenfeurs de Troye
Se livrent aux trantports d'une indiſcrette joie ;
O furprise ! ô prodige ! Achille audacieux
Surmonte la tempête , & le fleuve & les Dieux.
Ce n'eft plus un mortel échappé du naufrage ,
C'eft Achille vainqueur qui s'élance au rivage.
PRIAM.
Ciel! & mon fils ?
BRISE s.
Hector , en ce moment fatal ,
Avec moins de fureur , montre un courage égal.
L'un par l'autre excités , ces rivaux intrépides .
Mefurent fièrement leurs glaives homicides.
Une même valeur ſemble guider leurs bras .
Tous deux cherchent la gloire , & courent au trépas.
SEPTEMBRE . 1773. 107
La Victoire héfitoit ; la Déefle inhumaine
Alloit enfin pencher fa balance incertaine ;
Mais un Dieu plus propice en ordonne autrement ,
Et le Sort qui fait tout , change l'événement.
Ut trait part de nos rangs. Son atteinte émouflée
Par le calque d'Achille eſt au loin repouflée.
Les airs font auffi - tôt couverts de mille dards .
Les Grecs fur les Troyens fondent de toutes parts:
Jamais Mars dans les coeurs ne mit plus de furie ;
Mes yeux ont vu combattre , & l'Europe & l'Afic .
Neptune arme pour Troye , & Junon pour Argos ,
Tout ce que la Nature a produit de Héros.
La faite à la terreur ne permet plus d'aſyle ;
Tout Troyen eft Hector , & tout Grec eft Achille.
Achille & fon rival dans la foule perdus ,
S'appellent à grand cris , & ne fe trouvent plus.
Sans doute un Dieu plus fort les trouble & les
égare. 1
Béni foit à jamais le Ciel qui les fépare ;
Et qui ne permet pas à la Parque en courroux
D'étendre fur Hector fes homicides coups !
La Tragédie de Brifeis elt fuivie de
celle d'Ajax , repréfentée en 1762 , &
dont le fujet eft pareillement trop connu.
pour que nous nous arrêtions à en donner
le plan. On convient généralement
qu'elle est très bien écrite ; que la richelle
du fujer y eft foutenue par une poésie
1
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
mâle & noble ; qu'elle eft remplie de
fituations théâtrales . Les fureurs d'Ajax
au dernier acte , font un des plus beaux
endroits de la pièce.
ACTE V, fcène dernière,
AJAX .
Ils partent !.. penfent- ils fe fouftraire à ma rage?
Viens , fuis - moi , cher Arcas ; courons vers le ri
vage ;
Montons fur mes vaiſſeaux .
ARCA S.
Quoi donc ignorez - vous
Que les feux dévorans les ont embraſés tous ?
Un feul qui des Troyens porte l'efpoir funefte ,
Eft échappé ; la flamme a confumé lè refte.
Mais un mal plus preflant me ramene à vos yeux :
Excité par Ulyffe , Atride furieux
Prétend venger fur vous la flotte & la défaite,
Il faut , n'en doutez point , fonger à la retraite.
Je crains même , je crains que mes foins fuperflus
N'aient trop tard... Mais , Seigneur , vous ne
m'entendez plus !
Quelle noire fureur tout- à -coup vous tranfporte ! -
Aht reprenez vos fens ; rejoignez votre escorte.
1
SEPTEMBRE . 1773. 109
AJAX.
Où fuis je ? ... fous mes pas je vois les fombres
bords .
Qui m'a conduit vivant dans l'empire de morts !
Une fecrette horreur de mon ame s'empare.
Dieux ! où m'entraînez - vous ? ... je fens que je
m'égate !
En ces inftans affreux pourquoi t'offrir à moi ?
A ta perte certaine , ami , dérobe - toi.
Mon aveugle transport re prendroit pour victime:
-Fuis , malheureux Arças ! épargne- moi ce crime.
Quelle Divinité , quel funefte démon ,
Me fouffle cette rage & trouble ma raiſon ?
C'eft toi , fille du Dieu qui lance le tonnerre ;
C'est toi dont le courroux me déclare la guerre.
Tombe'; de ma vengeance effrayons les mortels :
Vois détruire ton culte & brifer tes autels.
Ni l'Olympe irrité , ni Jupiter lui même ,
Ne fauroient te fauverde ma fureur extrême.
a
Ilbrife la flatue de Minerve. Le tonnerre tombe.
Quels déluges de feux s'offrent à mes regards !
Quel'effroyable bruit gronde de toutes parts !
Tonnez , Dieux impuiffans , pour me réduire en
poudre.
"
Armez l'Enfer encore au défaut de la foudre.
J'échappe à tous vos traits , je brave vos efforts ;
Er je faurai fans vous deſcendre chez les morts.
Ilfe précipite furfon épée,
110 MERCURE DE FRANCE .
La fenfation non conteftée que cette
Tragédie a faite à la lecture , ne permet
pas de douter que le peu de fuccès
qu'elle eut à la première repréfentation
, n'ait été l'effet d'une caballe
dont l'injustice s'étoit déjà manifoftée
à la Comédie de Pigmalion donnée
aux François en 1760. Cette Comédie
eft dans le genre érotique , &
remplie de fituations intéreffantes qui .
l'ont maintenue fur divers théâtres de
fociété. Elle a été repréfentée à Marfeille
: l'Auteur l'a donnée à l'impreffion
fous le titre d'Aglaë. Le dialogue en
eft à la fois ingénieux & naturel ; con.
duite avec art , elle eft encore écrite
avec délicateffe & pureté : le dénouement
forme un tableau des plus agréabies &
des plus intéreffans.
Depuis la Tragédie d'Ajax , l'Auteur
n'a plus préfenté aucune Pièce à lire aux
Comédiens : ainfi les trois Comédies qui
fuivent ; favoir , le Valet intriguant , le
Tems & la Folie , & le Maître de Guittare
, quoique très- fufceptibles d'être repréfentées
, n'ont encore paru fur aucun
théâtre.
Le Valet intriguant eft , comme fon
titre l'annonce , une Comédie d'intrigue ,
SEPTEMBRE. 1773- IIF
cette intrigue fe noue & fe dénoue avec
beaucoup d'art ; on y trouve un grand
nombre de fituations comiques ; le fujet ,
en peu de mots , eft celui- ci : Paſquin ,
pour faire époufer Angélique à Valere ,
s'avife de lui confeiller de fe faire pafler
pour le neveu de fon rival ; la fupercherie
eft reconnue ; & au moment où
Valere fe regarde comme perdu , fans
reffource , il fe trouve que fon rival eft
effectivement fon oncle . L'effet trèscomique
d'une telle intrigue , fe fait
aifément fentir .
Le Tems & la Folie eft une Comédie
en un acte , en profe mêlée de quelques
vers , où tous les perfonnages fant allé
goriques. On fait que ces fortes d'interlocuteurs
font pour
l'ordinaire apprêtés
, froids & d'une morale on d'une
fatyre férieufe . Ici rien de tel : tous les
perfonnages ont & confervent l'empreinte
de la gaieté du titre de la Pièce.
Les Dieux trouvent le tems trop long ,
les mortels le trouvent trop court. Pour
remédier à ces deux inconvéniens , la
Folie époufe Saturne , le Dieu du Tems ,
& elle propofe de marier l'Ennui avec
la Raifon , & de les envoyer tous deux
fur la terre pour forcer les mortels à ne
plus trouver le tems trop court . Il y
112 MERCURE DE FRANCE.
dans cette Pièce beaucoup de gaieté &
de faillies ; le ton en eft léger , vrai &
agréable. La Comédie finit par ces
couplets :
COUPLET S.
A l'Ennui livrons la Raifon ;
Qu'au plutôt on les congédie.
Répétons tous à l'uniflon :
Vive le Tems & la Folie !
Moquons nous du qu'en dira - t'on;
La joie eft l'ame de la vie.
Le feul délire eft de faiſon .
Vive le Tems & la Folie !
AUX SPECTATEURS.
O vous qu'endort le grave ton
De la moderne comédie ;
Agréez pour contrepoiſon
Quelques grains de notre folie.
Le théâtre de M. de Sivry eft terminé
par le Maître de Guittare , Comédie lyrique
en un acte. Voici l'avant- propos
que l'Auteur a mis à la tête de cette
Pièce « Le fond du fujet & de l'intérêt
de ce petit Drame eft emprunté
» du joli acte d'Eglé , de M. Laujon :
» on avoue lui être redevable auf de
*
SEPTEMBRE. 1773. 113
plufieurs penfées . Mais au lieu que
» chez lui la scène eft prefqu'entièrement
» occupée par des Dieux & par des perfonnages
allégoriques ; choix d'ailleurs
très convenable au théâtre de l'Opéra ;
ici tous tous les perfonnages font vrai
» femblables & peuvent réellement exif-
» ter , ce qui , peut être , ajoute encore
» à l'intérêt de ce fujet ingénieux . Une
» autre diftinction à faire c'eft que l'acte
d'Eglé eft purement une paftorale héroïque
, & que le Maître de Guittare.
" eft à la fois une Paftorale & une
» Comédie » .
"
La lecture du Théâtre de M. Poin finet
de Sivry , comparée à celle de fen Traité
des caufes du Rire , de fes Origines
Uriennes , de fes Mufes Grecques & de
fa Traduction de Pline , fait juger qu'il
n'eft point de forte d'étude qu'il n'ait
tentée , raifonnée , approfondie ; & que
fes talens foutenus de cette riche variété
de connoiffances , l'appellent , pour ainfi
dire , à tous les genres.
Tobie , Poëme en quatre chants , dédié à
N. S. P. le Pape Clément XIV . par
M. le Clerc , vol. in- 12 . petit format.
A Paris , chez le Jay , Libraire , rue
Saint Jacques.
114 MERCURE DE FRANCE .
Le tableau pathétique de la mort da
jufte que préfente le Poëme de Geffner ,
a échaufé la verve de M. le Clerc. Cet
écrivain eftimable s'eft appliqué a nous
peindre d'après l'Ecriture Sainte , la vie
active du jufte. Le jeune Tobie nous
eft ici repréfenté comme un adorareur
du Dieu d'Ifraël , qui , dès la plus tendre
jeuneſe, ouvrit fon ame aux tréfors
de la piété ; un citoyen , qui , dans les
horreurs de la captivité , confacra les
débris de fa fortune à foulager fes frères
gémiffants ; un fils tendre & foumis ,
l'unique confolation d'un père & d'une
mère auffi malheureux que refpectables ;
un époux dont le coeur né fenfible.
ne brûla que des chaftes feux de l'hymen
; un ami enfin , que fon goût épuré
pour la vertu rendit digne de l'approche
de ces Intelligences qui environnent
le Trône du Très - Haut.
L'écrivain toujours fidèle à la vérité du
texte facré , s'eft permis néanmoins
d'embellir fon récit de tous les ornemens
qui pouvoient lui appartenir . Il s'eft
bien pénétré des fentimens de fes perfonnages
, de ceux même que la nature
infpire dans telle & telle fituation , &
s'eft enfuite livré aux peintures que fon
imagination lui fuggeroit. Tobie , nous,
SEPTEMBRE. 1773. 115
dit l'écriture , fut obligé de s'abfenter
de la maifon paternelle par ordre de
fon père. Un Ange , fous la figure d'un
voyageur ,, lui fervit de guide . Les adieux
de cet enfant chéri , forment un des
morceaux les plus touchans de ce Poëme ,
par le tableau qu'ils nous offrent des
tendres inquiétudes de la mère de Tobie .
tout étoit préparé pour le départ qui
devoit fe faire le lendemain. « L'heure
» du fommeil arrive . Il vient , doux &
tranquille , avec ce charme qui n'eſt
» accordé qu'aux coeurs exempts de re-
» mords ; il vient répandre avec pro-
» fufion , fur le père & fur le fils fes
» pavots rafraichillants . Mais le coeur
» d'une mère refifte à ce charme puif-
» fant , & s'en crée un plus précieux de fa
» tendre émotion . Inquiête , agitée , elle
"
fe dérobe avec précaution de fa cou-
» che déjà tiéde , elle fufpend fes pas
» dans l'ombre , elle étend fes mains
craintives , & d'une haleine palpitante ,
» rallumant une lampe à peine éteinte ,
» elle en modère l'éclat trop vif , en
» l'environnant du pan de fa robe ; elle
approche doucement du lit où repoſe
celui qu'elle aime ; èlle fe raffafie en-
» core une fois du plaifir de le contempler
; fon coeur fe gonfle de foupirs
"
29
23
116 MERCURE DE FRANCE.
33
99
» qu'elle étouffe , & fa bouche , après
» avoir erré fur les joues de fon fils
» fe cole fur fa main , mais en modé-
» rant le feu de fes baifers , pour jouir
plus long- tems de fon fommeil . Elle
» porte l'attention jufqu'à écarter de fon
vifage ces infectes volants , enfants
>> importuns de la chaleur , dont la
piqûre pourroit le blefler , dont le
» bourdonnement du moins pourroit
» troubler le calme dont il jouit. C'eft
» dans ces exercices d'un coeur brûlant
» d'amour que la futprit l'autore renaif
fante. Cette aurore , quoiqu'environnée
de flammes pures & étincelantes ,
» ne lui offrit point ce fpectacle accou-
» tumé qui réjouiffoit fes regards . Hélas !
» c'est que cette même aurore lui annonçoit
le jour & le moment du fa-
» crifice . ».
99
93
Comme la marche de ce Poëme eft
fuffifamment indiquée par le texte même
de l'Ecriture Sainte que l'écrivain a
fuivi , nous nous contenterons de citer
un autre morceau de ce Poëme , tiré du
quatrième chant . C'est le moment où
le jeune Tobie après avoir , par le confeil
de l'ange , époufé Sara fille de Raguel
, fe met en route avec fa femme
pour s'en retourner. Montée fur un Cha.
SEPTEMBRE. 1773. 1'7
meau , ayant à fes côté l'Ange & fon
époux , Sara fuivoit tritement & en
filence la route qui l'éloignoit de plus
en plus de fes chers parens . Quelquefois
elle reportoit fes regards fur le féjour
où elle les laifloit . Tobie alors lui ferrant
la main , la forçoit à détourner les
yeux fur les fiens , & rétabliffoit ainfi le
calme en fon ame. Enfin Sara le fixant .
avec l'expreffion énergique du fentiment :
» cher époux , dit- elle , toi ſeul me
» tiens lieu de tout ; ta patrie fera la
» mienne , tes parents feront les miens ;
» mon époux fera dans tous les tems
» mon protecteur & mon ami. Mon
» coeur foumis à fes loix , trouvera fon
» bonheur & fa gloire dans l'obéiffance ,
» dans la fidélité , dans l'amour. Cher
» Tobie , prends pitié de ma foibleffe
» & pardonne à ce coeur tout à toi , des
foupirs qui pourroient encore s'échapper
vers les lieux où je laifle ce que
» toi feul as pu me faire abandonner . »
Tobie alors , verfant les plus douces
larmes : Que parle- tu d'obéiffance &
» de foumiffion , chere ame de mon ame ?
» Ah ! la plus parfaite égalité naît de
» l'amour inutuel . Partage en tout une
autotité , dont un amour égal au tien ,
m'empêchera toujours d'abufer. Eh ?
118 MERCURE
DE FRANCE.
»
» n'es tu pas ma compagne , mon amie ,
" ma confolatrice ? N'eft- ce pas toi que
» le Ciel m'accorde , pour verfer fur
» mes jours la félicité qu'il y daignera
répandre ? Egaux en tout par la rại-
» fon & par la tendrefle , foyons - le
» toujours auffi dans ce gouvernement
» domeſtique , dont tes complaifances
» & les miennes écarteront toute idée
» de fupériorité . Ah ! fans cet heureux
équilibre , comment aimerois tu celui
» dont tu craindrois l'empire ? Comment
» contraindrois je les volontés taifon-
» nables de celle que j'aimerois ? » A
ces mots il lui tendit la main , & elle
l'approcha de fa bouche avec un nouveau
degré de tendreffe,
"
La diction de ce Poëme a ce caractère
de nobleffe & de fimplicité , que l'on
a droit d'exiger dans un écrit deſtiné
à célébrer les louanges d'un Juſte
l'Ecriture Sainte nous propoſe pour
que
modèle.
Avis à mes Concitoyens
, ou Eſſai ſur la
Fièvre miliaire , fuivi de plufieurs obfervations
intéreflantes
fur la même
maladie . Par M. Gaftelier , medecin à
Montargis ; vol. in- 12 . A Paris , chez
Gogué , libraire , quai des Auguſtins .
SEPTEMBRE. 1773. 119
a
La fièvre miliaire , ainfi appelée des
puftules ou véhicules qui s'élèvent principalement
fur les parties fupérieures du
corps , & qui reflemblent en quelque
forte à des grains de millet , a été l'objet
des recherches de plufieurs favans médecins.
Mais leurs travaux ont laillé encore
bien des incertitudes fur la nature , le caractère
& les fymptômes de cette fièvre ,
& la méthode curative qu'elle exige . M.
Gaftelier , qui dans la ville qu'il habite
eu fouvent occafion d'obferver cette fièvre,
a cru , pour le bien de l'humanité ,
devoir publier le recueil de fes obfervations
. Il a mis en pratique le confeil que
le docteur Sauvages donnoit à fes élèves ,
Un médecin clinique , difoit-il , qui veut
faire fon devoir , doit du moins , dans les
premières années de fa pratique , décrire
pour fon ufage les maladies particulières
qu'il obferve , & les rapporter à leurs
gentes & à leurs efpèces. Pour réuffir , il
doit chercher dans les auteurs , l'histoire
de la maladie qu'il traite , examiner fes
caractères , & comparer ce qu'ils en difent
avec la defcription ; ce qui eft difficile
vu que de dix maladies qu'on obferve
à peine en trouve - t'on une que les auteurs
ayent bien décrite. Il faut donc fuppléer à
120 MERCURE DE FRANCE.
ce défaut par un douveau travail , & tirer
d'un grand nombre d'obfervations
individuelies
de la même eſpèce , le caractère
qui convient à l'efpece .
"
Cet habile médecin , toujours occupé
des devoirs de fon état ,ſe plaignoit encore
de ce que la plupart des médecins négligeoient
de faire part de leurs obfervations
à leurs collégues . « Si ceux qui s'attachent
» à obferver les maladies , ajoutoit- il
» vouloient , à l'exemple des Botanistes ,
» fe communiquer mutuellement leurs
» lumières , je ne doute pas que là nofologie
ne parvint en peu de tems , au
» même degré de perfection que la bo-
" tanique. "
"
Le médecin qui faifoit ces plaintes
verroit fans doute avec fatisfaction l'effai
de M. Gaftelier fur la fièvre miliaire . Cet
écrit eft divifé en huit chapitres . L'auteur
, dans le premier chapitre , fait la
defcription des différens phénomenes de
la fièvre miliaire , depuis fon invaſion
jufqu'à fa terminaifon , tels qu'il les a obfervés
chez les différens malades qu'il a
traités .
Dans le fecond chapitre , il diftingue
favoir la
deux efpèces de fièvre miliaire ,
bénigne & la maligne. Il néglige les autres
diftinctions
SEPTEMBRE. 1773. 121
diftinctions qui feroient fans nombre fi
on vouloit avoir égard à la variété des
fymptômes qui fe manifeftent chez les
différens individus .
Dans le troisième , il parle des cauſes
de la fièvre miliaire , de fa nature & de
fon effence ; & il décrit à cette occafion
le local de Montargis , qui influe beaucoup
fur l'exiftence de cette maladie.
Le quatrième & le cinquième chapitre :
font employés à établir le diagnoſtic &
le prognoftic
Dans le fixième il expofe la méthode
curative , & donne le tableau des médica- ,
mens fimples & compofés qu'il a été obligé
de varier à raifon de la diverfité des
fymptômes.
Dans le feptième , il propofe quelques
moyens pour prévenir la maladie qui défole
habituellement la ville de Montargis ,
ou au moins la modérer & la rendre plus
rare & moins meurtrière.
Le huitième chapitre renferme plufieurs
obfervations intéreffantes fur cette
épidémie.
L'ouvrage eft terminé par un corollaire
dans lequel M. Gaftelier réfume tout ce
que la plupart des auteurs & lui , ont dit &
obfervé tant fur la marche des fymptô-
F
112 MERCURE DE FRANCE.
mes de la fièvre miliaire , que fur les
moyens curatifs mis en ufage , afin de
mettre le lecteur à portée de faifir d'un
coup d'oeil tout l'enfemble, & de juger par
cé moyen de la conformité ainfi que de
la différence de ce qui à été publié fur cette
maladie.
Cet écrit, rempli de très - bonnes obſervations
,ne peut être que très-utile aux praticiens.
L'auteur l'auroit rendu d'une utilité
plus générale s'il en eut écarté plufieurs
expreffions obfcures pour ceux qui n'ont
point fait leur étude de la médecine , &
s'il fe fur aftreint à indiquer les remèdes
en françois & dans les termes les plus ufités
. La demande que nous formons ici
eft d'autant mieux fondée que l'auteur
adreffe fon effai aux habitans de Montargis
& des campagnes voilines , qui vraifemblement
ne connoîtront rien aux formules
latines & chargées d'abréviations ,
employées dans cet écrit,
Euvres de Molière , avec des remarques
grammaticales , des avertiffemens
& des obfervations fur chaque pièce.
par M. Bret , 6 vol . in- 8º très - belle
édition ornée de gravures , & du por
trait de Molière. A Paris , chez le
SEPTEMBRE. 1773 123
Clerc , Libraire , Quai des Auguftins
& chez les Libraires áffociés , 1773 °
Les honneurs du commentaire font
dûs aux hommes de génie qui ont éclai
ré leur fiècle. Molière vient enfin d'avoir
auffi cet avantage , & M. Bret qui a
long - tems étudié les tableaux de ce
grand Maître , les a accompagnés de
notes & de remarques utiles & intéreffantes
: il développe dans un difcours
préliminaire les rares qualités de cet ,
écrivain célèbre , le père & le modèle
de la bonne Comédie.
» Peintre exact & fûr , du coeur de .
» l'homme , Molière ne peut vieillir à
» cet égard , ce ne font point des finef-
» fes qu'il a apperçues , ce font des
» traits caractéristiques qu'il a appro-
» fondis , c'eſt à la nature , dont fa
main habile a écarté le voile , auquel
» s'arrêtent les vues foibles & peu per-
» çantes.
» Auffi philofophe , auffi fidèle fcru-
» tateur que Montaigne , Molière , du
» côté du ridicule , de la fottife , -du
» mauvais goût , & de tous les abus de
» la taifon & de l'efprit , a vû l'homme
civilifé tel qu'il eft , & tel qu'il fera
Fij
124MERCUREDE۴۲FRANCE.
» toujouts ellentiellement , fes portraits
ne different de nous aujourd'hui que
par des nuances légères , & qui regar
dent plus la fuperficie que le fond des
» chofes, ..
Mais cette fuperficie légère , rend
Molière chaque jour plus étranger parmi
nous , par les détails de modes & d'a
juftemens ; & c'est comme on l'obferve
une contradiction pen foutenable dans
la repréfentation de quelques pièces de
cet auteur , d'y voir les perfonnages ridicules
, y conferver la vieille manière
de s'habiller , tandis qu'aucun des autres
acteurs n'y fuit cer3 ancien fage. !
Avec quelques changemens convenus
dans le dialogue de ces Comédies con
feroit difparoître ce contrefens & leur
effet moral ne pourroit qu'y gagner..
Harpagon , veru comme un de nos avares
feroit plus d'impreffion fur nous. Son
pourpoint , fes aiguillettes , & fon vieux
haut - de- chauffe , nous empêchent de te
trouver fous les traits lavate de notre
quartier : lui- même le méconnoît à la
faveur des différences extérieures qu'il voit
entre Harpagon & lui , & il ſe, difa
penfe de fougir, singu
"
On retrouve dans cette édition le
SEPTEMBRE . 1773. 125
•
précis hiftorique de la vie de Molière ,
par M. de Voltaire , & un fuplement
où l'on s'eft livré à la recherche de
quelques détails pour fatisfaite la curio
fité des lecteurs avides de tout ce
qui regarde la mémoire de Molière.
1
Toutes les Coqiédies font précédées
d'avertiffemens , & fuivies d'obfervations
' où l'éditeur expofe les anecdotes ,
les mutations , les beautés & les défauts
de ces pièces. 11 eft incroyable
de voir combien il y eût de critiques ,
de fatyres , d'intrigues , de libelles , &
de partis accrédités pour traverfer les
fuccès des différentes , Comédies de
Molière. L'envie , le faux goût , l'igno .
rance étoient fous les armes toutes les
Fois que le Pecte comique devoit proquire
un drame nouveau . On pourroit
dire d'après l'hiftoire de ces cri
ces critiqués
que leur foule & , leurs efforts font
dans tous les temps les preuves les
moins équivoques de la bonte d'un
ouvrage & du mérite d'un écrivain .
}
On fait que la cabale redoutable qu'épouvantoit
l'approche du Tartuffe , fit
forger une libelle infame dont elle effaya
de faire paffer Molière pour l'auteur
; ce trait qui lui étoit perfonnel
Fiij
126 MERCURE DE FRANGE.
ainfi que plufieurs autres , eft une preuve
fans réplique , que dans le portrait du
Milantrope il n'avoit affecté perfonne
en particulier. Molière cût fait une fatyre,
fi tous les traits de fon perfonnage
euffent reffemblé à quelque individu
mais en généralifant ce caractère il le
rendoit digne de la Comédie qui n'afpire
point à la licence du libelle ; & il
révéloit à fes fuccefleurs le fecret de
fon arr pour corriger les hommes fans
les offenfer.
Euvres de M. Franklin , Docteur ès Loix,
Membre de l'Académie Royale des
Sciences de Paris , de Londres , de
Gottingue, &c. , traduites de l'Anglois
fur la quatrième édition ; par M. Barbeu
Dubourg, avec des additions nouvelles
& des figures en tailles douces , 2 vol.
in 4. , prix 14 liv. brochés , franc
de port , tant à Paris qu'en Province.
A Paris , chez l'Auteur , rue de la
Bucherie , aux Ecoles de Médecine ;
chez Quillau & Lacombe , Libraires ,
rae Chriftine ; & Lefprit , Libraire de
Mgr. le Duc de Chartres , au Palais
Royal.
M. Franklin , toujours occupé d'une
SEPTEMBRE. 1773. 127
<
multitude d'affaires graves , tant publiques
que particulières , n'a jamais
fait de la Phyfique que fon dédélaffement
; mais fans compoſer aucun
traité en forme , fon génie s'eft exercé
fucceffivement for quantité de fujets di
vers ; & à mesure que l'occafion s'en
eft préfentée , il a fait part de fès découvertes
à fes amis dans des lettres familières
, où il leur propofe du ton le
plus modefte les idées les plus lumineufes.
Ces divers morceaux ont été recueillis
& publiés à Londres. M. Dubourg en
donne la traduction avec plufieurs morceaux
nouveaux fournis par M. Franklin .
Il a accompagné ces lettres de réflexions ,
& leur a donné un ordre qu'elles n'ont
pas dans l'édition Angloife.
Il a préfenté féparément tout ce qui
a rapport à l'électricité , & il a arrangé
le refte enfuite par ordre de matières ,
& , autant qu'il a été poffible , dans l'ordre
des dates. On a placé à la fin de
chaque tôme les figures relatives aux objets
qui y font traités .
4
Il étoit réfervé à M. Franklin d'analyfer
la bouteille électrique , de déduire
de cette analyſe une infinité de conféquences
auffi brillantes qu'inatendues ,
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
de les enchaîner les unes aux autres ,
& d'amener dans cette merveilleufe
chaîne l'électricité célefte avec l'électricité
terreftre , au point qu'il femble enfin
avoir mis celle- là à notre portée comme
celle-ci , & prefqu'entièrement à notre
difpofition .
M. Franklin a donné auffi beaucoup
d'obfervations fur les météores , fur la
construction & les avantages des chauffoirs
de Penfylvanie , fur la population ,
fur l'inoculation , for la lumière de l'eau
de la mer , fur plufieurs objets de poli.
tique & d'économie , fur le froid produit
par l'évaporation , fur l'ufage des cheminées
, fur la mufique , fur la propagation
du fon , fur les ondulations fingulières ,
fur l'art de nager , fur les quarés magiques
, & fur beaucoup d'autres matières ,
foit curieufes , foit intéreffantes .
Recherches critiques , hiftoriques & topographiquesfur
la Ville de Paris , depuis
fes commençeinens connus jufqu'à préfent
, avec le plan de chaque quartier;
par le Sr Jaillot , géographe ordinaire
du Roi , de l'Académie royale dés
Sciences & belles lettres d'Angers .
Quid verum ... curo & rogo , & omnis in hoc fum.
HORAT.
SEPTEMBRE . 1773 129
vol in- 8 ° . dixième quartier . St Martin-
des-Champs . A Paris , chez l'auteur,
quai & à côté des Grands Auguftins , &
chez Lottin aîné , imprimeur - libraire ,
rue St Jacques .
Ces recherches critiques continuent
de fe diftribuer par cahiers féparés . Le
cahier que nous venons d'annoncer préfente
un plan très- étendu du quartier St
Martin-des-Champs borné à l'orient par
les rues Barre - du - bec , de Ste - Avoie & du
Temple exclufivement ; au feptentrion
par l'extrémité des fauxbourgs St Denis &
St Martin exclufivement à l'occident ,
par la rue St Martin , & par la grande rue
du Fauxbourg du même nom inclufivement
; & au midi par la rue de la Verrerie
inclufivement , depuis le coin de St
Martin jufqu'au coin de la rue Barre dubec.
On y compte cinquante rues , douze
cul-de facs , trois églifes paroiffiales , dont
úne collégiale , trois communautés d'hommes
, deux couvents de filles , deux hôpitaux
, & c.
Les notes critiques & hiftoriques de
l'auteur annoncent le même efprit de recherches
& de difcuffion ; & on ne peut
fe difpenfer de les confulter, fi l'on veur
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
fe procurer des connoiflances certaines
fur l'hiftoire & la topographie de Paris.
Abrégé de l'Hiftoire de la Milice Françoiſe
du P. Daniel: on y a ajouté un précis
de fon état actuel . Ouvrage curieux &
inftructif pour les Militaires , avec
figures en taille-douce ; 2 vol . in- 12.
A Paris , chez Pancoukcke , hôtel de
Thou , rue des Poitevins , quartier St
André- des- Arts.
•
L'hiftoire ou le tableau des changemens
faits dans la Milice Françoife depuis
l'établiffement de la Monarchie dans les
Gaules jufqu'à la fin du règne de Louis
XIV , peut être regardé par les recherches
qu'il contient comme l'ouvrage le plus
intéreflant du P. Daniel. Mais cet ouvrage
forme, deux gros volumes in - 4º .
nullement propres à entrer dans la bibliothèque
portative d'un officier. Cette hif
toire , d'ailleurs écrite d'un ftyle prolixe ,
eft remplie d'actes anciens , de chattres ,
de morceaux de nos chroniques en vieux
langage , capables de rebuter le lecteur le
plus patient. Un abrégé de cet ouvrage
dépouillé de toutes les citations & de
tous les détails qui en rendent la lecture
fatiguante ne peut donc qu'être très bien
SEPTEMBRE. 17734 1341
accueilli. Le rédacteur , dans la vue de
mettre un ordre clair dans cet écrit , l'a
divifé en fix articles principaux . Le premier
préfente au lecteur la manière dont
les armées fe font formées en divers tems ,
& les différentes efpèces de troupes dont
elles étoient compofées. Le fecond ,
les diverſes manières dont on rangeoit
ces troupes & dont elles combattoient.
Le troisième , l'attaque & la défenfe des
places. Le quatrième , l'hiftoire de toute's
les charges & grades militaires . Le cinquième
, les différentes efpèces d'armes
défenfives & offenfives dont on s'eft fervi
en divers tems. Le fixièmè , quantité d'ufages
remarquables dans la guerre qui
ont été obfervés & qui s'obfervent encore
aujourd'hui : le tout jufqu'à l'année 1721 ,
tems auquel le P. Daniel donna fon ouvrage.
Mais le rédacteur , pour rendre cet
ouvrage plus complet , a ajouté à ſon abrégé
un précis des changemens arrivés dans
les différentes parties de la Milice Françoife
, ainfi que de fón état actuel pour
tous les corps qui la compofent.
Traité des Léfions de la Téte par contrecoup
, avec des expériences propres à
en éclairer la doctrine ; Par M. Méhée
F vj
22 MERCURE DE FRANCE.
•
*
de la Touche , maître - ès- arts , & en
chirurgie , ancien chirurgien- major
dans les armées du Roi , & chirurgien
en chef de différens hôpitaux françois .
vol. in- 12 . Prix , br. 2 liv. A Meaux ,
chez Courtois ; & à Paris , chez Didot
le jeune.
Ce traité , fruit d'un travail affidu , eft
très- propre à donner de nouvelles lumières
fur les contre-coups . On entend par
contre-coup une léfion produite par un
coup dans une autre partie que celle qui
a été frappée. Cette matière , une des plus
importantes & des plus difficiles de la
chirurgie , a eté le fujer d'un des prix
de l'Académie royale de Chirurgie. Le
difcours couronné n'a point encore été
publié. M. Méhée de la Touche , en
faifant imprimer fes recherches fur le
même objet , répond aux intentions de
l'Académie qui font d'éclaircir un point
de doctrine auffi obfcur que l'eft celui
des léfions par contre coup. L'obfervation
& l'expérience forment la baſe du
nouveau traité dans lequel les gens de
l'art pourront puifer des connoiffances
pratiques de la plus grande utilité.
SEPTEMBRE . 1773 133
Articles de l'Encyclopédie , concernant la
grammaire , par ordre alphabétique
traduits en italien avec le françois à
côté , à l'ufage des étrangers , & c. par
M. Palomba , profeffeur des langues
italienne & efpagnole : ouvrage propofé
par foufcription fans aucun paiement
d'avance , mais feulement à me.
fure que les volumes paroîtront.
M. Palomba , bien connu par un abrégé
de la grammaire italienne , dans la vue
de faciliter aux Etrangers & même aux
Nationaux l'étude de cette langue & de
toutes les langues en général , fe propoſe
de réunir dans environ 10 vol . in - 8 °.
des traductions exactes & fidèles des articles
de la grammaire publiés par le favant
du Marfais , & par d'autres grammai
riens dans le recueil de l'encyclopédie.
Ces articles feront traduits en italien avec
le texte françois à côté . M. Palomba a fait
imprimer un Profpectus où il expofe l'or.
dre que M. du Marfais a mis dans fa manière
d'envisager la grammaire.
La foufcription eft ouverte depuis le
fept du mois de Juin dernier , à Paris ,
chez Tilliard , libraire , quai des Auguftins
; de Lalain , rue de la Comédie Franz
134 MERCURE DE FRANCE.
çoiſe ; Coſtard , rue St Jean de Beauvais;
Ruault , rue de la Harpe , & chez l'auteur
au coin de la grande rue Taranne , près
la fontaine , maiſon des Pères de la Charité.
Cette foaſcription fera fermée le 15
Décembre prochain. Les foufcripteurs
paieront chaque volume , caractère de
cicero , en blanc , 4 liv . 10 f. & ceux qui
n'auront pas foufcrit 6 liv. Les foufcripteurs
font priés , en s'alfurant un exemplaire
, d'affranchir les lettres & de donner
leurs noms & leurs demeures. Le
premier volume fera délivré dans le cou
sant de Janvier 1774. Les autres livraifons
fe feront toujours par deux volumes
de quatré mois en quatre mois.
Livre des Réflexions Chrétiennes , contenant
quelques offices del Eglife à l'ufage
de Rome & de Paris . vol . in- 12.
petit format. A Auxerre , chez Fournier;
& à Paris , chez Aumont , dans la place
du collège Mazarin , à Ste Monique .
Ce livre renferme des Prières , un examen
de confcience fur les Commandemens
de Dieu & de l'Eglife , un modèle
de confeffion générale , un difcours abrégé
fur le fcandale , des réflexions fur la
SEPTEMBRE. 1773 ! 35
Foi , l'emploi du tems , les quatre fins de
l'Homme , & c. Le pieux auteur defire
bien ardemment que ces réflexions foient
pour tous les Chrétiens comme des fléches
aigues & des charbons ardens qui ,
jetés dans le fein de leur efprit & de leur
coeur , les échauffent & les brûlent pour
les faire arriver , par les pratiques auftères
de la pénitence , à la gloire éternelle .
Traité des Couleurs & Vernis , par M.
Mauclerc , marchand épicier . vol . in-
-8 °. Prix 3 liv. 12 f. broché . A Paris ,
chez Ruault , libraire , rue de la Harpe
; & chez l'auteur , rue Quincampoix.
La plus grande partie de ce traité contient
une réfutation du livre intitulé.
l'Art de faire & d'employer les Vernis ,
par le Sr. Watin. M. Mauclerc reproche
à l'auteur des erreurs & des inutilités ,
reproches qui méritent d'autant plus d'attention
qu'ils viennent de la part d'un
homme qui a lui - même fait beaucoup de
recherches fur les vernis , les huiles & les
couleurs , & a travaillé à les dépouiller des
odeurs , descraffes & de toutes les matières
hétérogènes qui peuvent être nuifibles dans
l'emploi que les Artiftes en font, Les Offi .
136 MERCURE DE FRANCE.
ciers de l'Académie de St Luc & communauté
des Peintres ont même fur cet
objet donné un témoignage public d'approbation
à M. Mauclerc. Ce marchand
continue de vendre des couleurs , des huiles
& des vernis préparés fuivant fa nouvelle
méthode.
Nouveaux Elémens d'Architecture , dédiés
à M. le Lieutenant Général de Police,
par le Sr Panferon , profeffeur d'Architecture
, ancien profeffeur de deffein
à l'Ecole royale iniliraire ; feconde
partie , in-4°. A Paris , chez l'auteur ,
cul-de fac Ste Marine , & chez Defnos
, libraire , rue St Jacques .
2
L'auteur a traité dans la première partie
de ces élémens des cinq ordres d'Architecture
. Il parle dans la feconde de la
Sculpture rélativement à l'Architecture.
Il expofe d'abord l'origine de la Sculpture
& de la Peinture . Il trace l'hiftoire de
leurs progrès & de leurs différentes révolutions
, & entre enfuite dans quelquesdétails
fur les ornemens qui peuvent
s'appliquer fur les moulures. Ces détails
font dictés avec précision ; mais ils font
fuffifans pour donner la connoiffance des
ornemens qui font ici tepréſentés par des
SEPTEMBRE . 1773. 137
planches gravées . Plufieurs de ces planches
contiennent auffi des modèles de
chapiteaux , & divers croquis de trophées
, figures , bas - reliefs pour faciliter
aux jeunes Architectes la compofition de
différens projets fans avoir recours aux
oeuvres de le Pautre & de le Clerc qui ont
excellé dans cette partie .
Nouvelle Bibliothèque de Campagne , ou
choix d'épifodes intéreffans & curieux
, tirés des meilleurs romans tant
anciens que modernes ; Fomes feptième
& huitième in- 1 z . A Paris , chez
le Jay , rue St Jacques au - deflus de
celle des Mathurins .
Ces épifodes forment autant d'hiftorietes
détachées qui étant extraites de différens
écrits , offrent néceflairement beaucoup
de variété , foit pour les faits , foit
-pour la diction . Comme l'éditeur a foin
de citer les fources où il a puifé , on peut
y avoir recours & le procurer fi l'on veut
une connoiffance plus particulière de l'écrivain
original .
Grammaire Anglo - Irlandoife , in- 4°. ou
Systême complet de la langue Hiberno .
Celtique , contenant les parties du
138 MERCURE DE FRANCE:
difcours , la fyntaxe , la profodie , un
ample vocabulaire , & des phraſes familières
, imprimé en caractère vulgaire.
On y a joint des extraits d'anciens
poëmes en caractère irlandois , avec la
traduction , en Anglois , par colonnes.
Huit planches gravées pour l'explication
de l'Ogham des Druides , & des
contractions à l'ufage des copiftes Ir
landois , anciens ou modernes. A la
tête fe trouve une préface très étendue
deftinée à faire voir combien la connoiffance
de la langue Irlandoife ou
Hiberno - Celtique , doit être utile aux
historiens , aux antiquaires , & généralement
à tous les favans & gens de lettres
; l'affinité qui fe rencontre entre
l'Irlandois , la Langue Prifque & celle
des Ofciens, & de plus, avec la langue
que parlent aujourd'hui les Algonquins,
Peuples de l'Amérique feptentrionale ;
des remarques critiques fur l'origina
lité de la langue Erfe du poëme de Temora
, & l'hiftoire de l'Expédition Milefienne
d'Espagne en Irlande , prouvée
par l'hiftoire des antiquités de Brigantia
, du Père Hieronimo Contadore
par Charles Valencey , écuyer , auteur
de l'Effaifur l'Antiquité de la langue
SEPTEMBRE. 1773. 139
Irlandoife, A Dublin , imprimé pour
Ald. G. Faulbner , MM. Erving &
Moncrief.
Manière d'enluminer l'Eftampe pofee fur
toile. Par ce moyen l'on apprend foi
feul à peindre l'eftampe & la poſer fur
toile , à faire méconnoître la gravure :
il n'eft pas befoin d'avoir jamais eu
aucuns principes ni de peinture , ni
même de deffin . Par M. L. B. D. S. J.
Prix , io fols. A Londres ; & fe trouve
à Paris , chez d'Houry , feul imprimeur
libraire de Mgr le Duc d'Orléans
, rue de la Vieille Bouclerie , au
St Efprit & au Soleil d'or , 1773 ; in-
8 °. d'environ 16 pages .
·
On décrit d'abord ce qui doit compofer
la boîte da Peintre ; on donne la
compofition du vernis propre au travail
de l'enluminure ; on enfeigne la façon
d'apprêter l'eftampe & de mettre les couleurs
, de pofer le chaffis , & de faire les
carnations & les différentes nuances . Ces
procédés font faciles , c'eft une manière
de multiplier les tableaux quia fon utilité
& fon
agrément.
140 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE de M. de V. à Madame la
C. D. B.
MADAME ,
M. de la B. m'a dit que vous lui aviez
ordonné de m'embraffer des deux côtés
de votre part.
Quoi ! deux baifers fur la fin de ma vie !
Quel pafleport vous daignez m'envoyer.
Deux ! c'eft trop d'un , adorable Egérie,
Je ferois mort de plaifir au premier.
Il m'a montré votre portrait ; ne vous
fachez pas , Madame , & j'ai pris la liberté
de lui rendre les deux baifers.
Vous ne pouvez empêcher cet hommage ,
Foible tribut de quiconque a des yeux.
C'eſt aux mortels d'adorer votre image ;
L'original étoit fait pour les dieux.
J'ai entendu plufieurs morceaux de la
Pandore de M. de la B. Ils m'ont paru
bien dignes de vorre protection , la faveur
donnée aux véritables beaux arts eft
la feule chofe qui puiffe augmenter l'éclat
dont vous brillez.
SEPTEMBRE. 1773. 14
Daignez agréer , Madaine , le profond
refpect d'un vieux folitaire dont le coeur
n'a prefque plus d'autre fentiment que
celui de la reconnoiflance .
ACADÉMIE.
CHERBOURG .
à
IL s'eft formé le 14 Janvier 1755 ,
Cherbourg , ville maritime du diocèfe de
Coutance une fociété littéraire qui s'occupe
de l'hiftoire civile & naturelle , des
mathématiques , de l'hydrographic , de
l'agriculture , & de l'étude des loix de la:
marines Ses affemblées fe tiennent depuis :
18 ans les jeudis de chaque femaine ; elle
porte pour devife religion & honneur.
Elle eft connue fous le nom de Société ,
Académique de Cherbourg..
Sur le compte rendu au roi , de l'état .
actuel de cette compagnie , par M. Bertin ,
fecrétaire d'état , ayant le département de
la province de Normandie , Sa Majeſté
a tien voulu permettre à cette fociété
littéraire de tenir chaque année deux .
féances publiques , fuivant la dépêche
ད་
142 MERCURE DE FRANCE.
de ce miniftre , datée le 9 Mars 1773 .
Ainfi elle jouira des mêmes avantages
que les académies d'Arras , d'Auxerre
, de Châlons- fur - Marne , de Clermont
, de Senlis , & des autres villes
qui font ainfi autorifées du gouvernement.
I I.
Sujets propofés par l'Académie royale des
Sciences , Infcriptions & Belles- Lettres
de Toulouse , pour les prix des années
1768 , 1769 & 1770 .
L'Académie avoit propofé pour fujet
du prix double de 176 , de déterminer
l'origine & le caractère des Tectofages ,
l'étendue & l'état de la partie de la Celtique
qu'ils occupèrent juſqu'à l'entrée
des Romains dans leur pays , les excurfions
qu'ils firent avant cette époque. Le
difcours qui a pour devife : Ut potero explicabo
; nic tamen , ut Pythius Apollo ,
certa ut fint & fixa quæ dixeró : fed ue
Homunculus ... probabilia conjecturâ ſe-`
quens Cic. Tufc. Quæft l. 1 , c. 9 , a été
couronné. M. Beniac , le fils aîné , en eft
l'auteur. L'Académie a eu le regret de
ne pas admettre au concours un ouvrage
dont la devife étoit ; Mundum tradidie
SEPTEMBRE . 1773. 143
difputationi corum. Ecclefiaft . cap. 3 , v.
11 , parce qu'il n'avoit pas été remis dans
le tems prefcrit par le programe.
Plufieurs parties de l'hiftoire des Volcés
Tectofages ayant été déjà traitées avec
fuccès dans les ouvrages qui ont été cou
ronnés en 1759 , 1761 & cette année
1767 , l'Académie , dont l'objet eſt de
rendre cette hiftoire complette , propoſe
pour le fujet du prix de 1770 , de déterminer
, 1. les révolutions qu'éprouvèrent
les Teclofages , la forme que prit leur gouvernement
, & l'état de leurs pays fous la
domination fucceffive des Romains & des
Vifigoths. 2°. Leurs loix & leur caractère
fous la puiffance des Romains.
I
On fut informé l'année dernière , que
le prix de 1769 , feroit quadruple , & que
l'Académie propofoit pour fujet , les
moyens de reconnoure les contre coups
dans le corps humain , & d'en prévenir les
fuites.
Quant au prix de 1768 , on fut informé,
il y a deux ans que l'Académie pro
pofoit pour fujet , de déterminer les loix
du retardement qu'éprouvent les fluides ›
dans les conduites de toute eſpèce.
Le Prix que l'Académie diftribue eſt
de la valeur de soo liv. Il est dû aux li
144 MERCURE DE FRANCE.
béralités de la ville de Touloufe , qui le
fonda en 1745 , pour contribuer toujours
de plus en plus au progrès des fciences &
des lettres .
Les favans font invités à travailler fur
les fujets propofés . Les membres de l'Académie
font exclus de prétendre au prix ,
à la réferve des Affociés étrangers.
Ceux qui compoferont font priés d'écrire
en françois ou en latin , & de remettre
une copie de leurs ouvrages qui
foit bien lisible , fur tout quand il y
aura des calculs algébriques.
Les auteurs écriront au bas de leurs
ouvrages une fentence on devife ; mais
ils pourront néanmoins y joindre un billet
féparé & cacheté , qui contienne la
même fentence ou devile avec leur
nom , leurs qualités & leur adreffe ; l'Académie
exige même qu'ils prennent
cette précaution , lorfqu'ils adrefferont
leurs écrits au fecrétaire. Ce billet ne fera
point ouvert , fi la pièce n'a remporté le
prix.
Ceux qui travailleront pour le prix
pourront adreffer leurs ouvrages à M. l'Abbé
de Rey , Sécretaire perpétuel de l'Académie
, ou les lui faire remettre par quelque
perfonne domiciliée à Touloufe.
Dans
SEPTEMBRE. 1773. 145
Dans ce dernier cas , il en donnera fon
récépiffé , fur lequel fera écrite la fentence
de l'ouvrage , avec fon numéro , felon
l'ordre dans lequel il aura été reçu .
Les paquets adreffés au fecrétaire
doivent être affranchis du port .
Les ouvrages ne feront reçus que jufqu'au
dernier jour de Janvier des années
pour le prix defquelles ils auront été com •
pofés .
L'Académie proclamera dans fon affem.
blée publique du 25 du mois d'Août de
chaque année , la pièce qu'on aura couronnée.
Si l'ouvrage qui aura remporté le prix,
a été envoyé au fecrétaire à droiture , le
Tréforier de l'Académie ne délivrera.
le prix qu'à l'auteur même qui fe fera connoître
, ou au porteur d'une procuration
de fa part.
S'il y a un récépiffé du fecrétaire , le
prix fera délivré à celui qui le repréfentera
.
L'Académie, qui ne prefetit aucun fykême
, déclare auffi qu'elle n'entend point
adopter les principes des ouvrages qu'elle
couronnera.
G
146 MERCURE DE FRANCE.
I I.
Eclairciffemens à joindre à l'ouvrage intitulé
Monumentorum-Galaticorum Synopfis.....
Liburni 1772 .
Ce recueil des monumens de Galatie
doit être regardé comme une fuite d'un
difcours couronné en 1767 par l'Acadé
mie des belles- lettres de Touloufe ( comme
on voit par le programme ci joint )
& dont le fujet étoit de
Déterminer l'origine & le caractère des
Tectofages , l'étendue & l'état de la partie
de la Celtique qu'ils occupèrent jusqu'à
L'entrée des Romains dans leur pays , &
les excurfions qu'ils firent avant cette épo
que.
En traitant cette queftion , l'auteur
avoit fait l'hiftoire des Colonies des Tectofages
, & notamment de celle qu'ils fon.
dèrent en Galatie , depuis fon établiffe .
ment jufqu'à l'entrée des Romains dans
cette partie de l'Afie- Mineure. C'eft précifément
à cette époque que commence
l'abrégé historique qui précède l'expofition
des monumens de Galatie , & il fe
termine à la réduction de ce pays en province
Romaine. Les perfonnes qui renSEPTEMBRE.
1773. 147
dront compte de cet ouvrage font priées
de lire l'épître qui eft à la rête & qui peut
tenir lieu de préface.
SPECTACLES.
OPÉRA.
L'ACADEMIE Royale de Muſique continue
la repréſentation
des fragmens héroïques
; mais elle a fubftitué à l'acte
d'Ovide &Julie celui d'Apollon & Coronis ,
du ballet des amours des Dieux , paroles
de Fuzelier , muſique de Mouret . Apollon
rappelé par Jupiter qui l'avoit banni des
cieux , quitte à regret l'air & la terre où la
belle Coronis doit couronner fes voeux.
On le croit à peine remonté dans l'Olympe
que la Bergère lui eft infidelle &
s'empreffe de reprendre fa première
chaîne . Apollon , jaloux & furieux contre
les deux amans , lance d'une main fûre
un trait vengeur , & les punit tous les
deux à la fois . Les plaintes des Bergers
& la vue de ces amans facrifiés à la colère
, excitent fes regrets & fon défefpoir.
Le rôle d'Apollon chanté avec beau
coup de goût , & joué avec action par
Gij
148 MERCURE DE FRANCE .
M. le Gros , a été généralement applaudi .
Celui de Coronis eft parfaitement rendu
par Mile Rofalie . Le deffin du ballet
a paru agréable & bien exécuté .
DÉBUT.
M. Legier qui avoit débuté en 1771
dans le rôle d'Ixion , a reparu avec fuccès
dans le rôlé de Valere de l'acte du Feu ,
& dans celui de Dom Alvar , de l'acte
des fauvages. Cet Acteur a une magnifique
baffe-taille , & donne une grande
efpérance de fon talent : il a une taille
avantageufe au théâtre; fa voix eft pleine,
fonore & d'un timbre agréable ; fes cadences
font franches & fa prononciation eſt
nette. L'habitude de la fcène le rendra un
acteur très effentiel à ce fpectacle,
E
COMÉDIE FRANÇOISE.
Le Samedi 31 Juillet , les Comédiens
François ont donné la prémière repréfentation
de Regulus , Tragédie nouvelle
en trois actes , & de la feinte par amour,
Comédie nouvelle en trois actes & en
vers . Ces deux Drames font beaucoup
d'honneur à M. Dorat , qui , le même
SEPTEMBRE . 1773 . 149
jour & fur le même théâtre , a réuni les
deux lauriers de la Tragédie & de la comédie.
Nous ne pouvons donner qu'une
légere efquiffe de ces pièces qui ne font
pas imprimées , & feulement telle que
nous l'avons pu faifir à la repréfentation .
La vertueufe Marcie , époufe de Regulus
, ne ceffe de folliciter auprès du
Conful la liberté du Général Romain
fait prifonnier par les Carthaginois
elle eft bien fecondée dans fes voeux
impatiens pour le retour de ce grand
homme , par Servilius , Tribun du Peuple
, qui lui doit l'exemple de fes vertus
& les confeils de fon amitié. Manlius ,
l'ami de Regulus , mais plus encore
l'ami de la Patrie , defire que ce Général
revienne , mais fans nuire à fa gloire
& à celle des Romains . Il entend fans
s'émouvoir les plaintes de la tendre
Marcie & les reproches du zélé Manlius ;
alors on annonce Regulus qui vient à
Rome accompagné d'Hamilcar , Ambaſfadeur
Carthaginois. Le Peuple s'empreffe
d'aller à la rencontre , & Marcie
tranfportée de joie , veut paroître la première
aux regards de fon époux . Regulus
arrive , mais avec le fentiment profond
de fes malheurs & de ceux des Romains .
G iij
Iso MERCURE DE FRANCE.
Le Senat eft affemblé dans le Temple
de Bellone hors les murs de Rome
où elle recevoit les Ambaffadeurs étran
gers , en tems de guerre. Le Conful invite
Regulus à prendre fa place dans le
Senat ; mais prifonnier des Carthaginois ,
il refufe cet honneur . L'Ambaffadeur
déclare que Carthage offre de rendre Regulus
& les autres prifonniers Romains ,
en échange des prifonniers Carthaginois.
Regulus combat cette propofition comme
contraire aux intérêts de Rome . Le Con
ful & le Sénat le laiffent lui même l'arbi
tre de fon fort. En vain Marcie , le Tribun
& les amis de ce Général font tous
leurs efforts pour l'engager à confentir à
l'échange des prifonniers Carthaginois &
& des jeunes Officiers , l'élite & l'efpérance
de Carthage , avec les prifonniers
Romains & leur Général . Regulus leur
oppofe la plus forte réfiftance ; il fait
que la prifon & la mort même l'attendent,
s'il retourne à Carthage ; mais il eſt
prêt de fe facrifier pour la patrie , plutôt
que de fouffrir que lui- même & les Romains
qui ont porté des fers , recouvrent
la liberté. Un foldat Carthaginois qui fervoit
Regulus dans fa prifon , & qui l'a
fuivi à Rome , vient déclarer à Marcie
>
SEPTEMBRE. 1773. 151
que par un fublime filence , Regulus lui
cache les tourmens horribles que les Carthaginois
lui préparent , s'il revient fans
avoir obtenu l'échange des prifonniers.
Marcie veut récompenfer ce généreux
Carthaginois , qui ne demande , pour
prix de fon fecret , que fon eftime & la
confervation de Regulus . Cependant elle
emploie tous les moyens pour fléchir le
fanatifme patriotique du Général Romain.
Le Tribun & fes amis foulèvent le
Peuple contre le deffein funefte de Regulus
; le Conful fert le projet de fon
ami ; il fait ordonner que l'échange ne
fera pas accepté . Regulus apprend avec
joie le décret du Sénat qui l'a jugé affez
grand pour l'immoler à l'intérêt de la
République . Marcie ayant épuifé tous les
moyens d'arrêter fon époux , lui préſente
fon fils qui le conjure de ne pas aller à
Carthage. Regulus , folliciré par tous les
objets de fa tendreffe , ne peut leur refufer
des regrets & des larmes . Son courage
fe rallume en laiffant dans fon fils
un vengeur de fa honte & de fa mort, en
efpérant que fes mânes animeront encore
les Romains à la vengeance , & guideront
les légions à la victoire . Marcie ofe
accufer le Conful , qui n'oppofe à fes re-
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
proches que le fentiment de fon amitié
& fes intentions. Regulus au contraire
le regarde comme fon ami & le foutien
de fa gloire ; il lui recommande fon
fils , &, malgré la foule des Romains qui
s'opposent à fon paffage , il s'élance dans
le vaiffeau qui doit le reporter à Carthage.
On a applaudi beaucoup de vers & de
traits heureux qui peignent avec énergie
la grande ame d'un Romain tout devoué
à l'intérêt de la patrie. On auroit defiré
que l'Ambaffadeur eût agi davantage , &
qu'il eût employé lui - même les motifs
du foldat Carthaginois pour faire confentir
le Sénat à l'échange des prifonniers.
C'eft auffi , dit - on , ce que M. Dorat fe
propofe de faire. On a remarqué & applaudi
l'art avec lequel M. Dorat a fait
paffer dans notre langue plufieurs beautés
du Regulus italien de Métaftafe .
Cette tragédie annonce que le peintre
des Grâces peut deffiner avec non moins
de fuccès les traits mâles de l'héroïfme &
de la fierté romaine.
Les rôles de cette tragédie ont été parfaitement
joués par Mde Veftris & par
MM. Brifard , Molé , Monvel , Dauberval
& Pontheuil.
SEPTEMBRE . 1773. 153
1
La Feinte par Amour , comédie en
trois actes en vers , a plus de fuccès encore
que la tragédie.
Méliffe , jeune veuve , demeurant chez
un vieux oncle fort riche , homme à projets
, défefpère ſes amans par fa coquetterie
& fa légéreté. Damis , un de fes plas
affidus conrtifans , connoiffant fes caprices
, cache fon amour fous les dehors
d'une indifférence refpectueufe ; mais il
fe dédommage de cet état de contrainte
en prodiguant fes careffes au portrait de
fa maîtreffe qu'il a fait peindre en fectet.
Méliffe , outrée de l'indifférence de Damis
, lui écrit d'interrompre fes affiduités
auprès d'elle. Marton , qui favorife Floricourt
font rival , porte ce billet à Damis
; il cache fon dépit en recevant fon
congé ; il récompenfe même Marton de
fon meffage , comme d'une faveur. La
maligne fuivante le félicite d'être fi tranquille
& fi généreux , & de payer une difgrace
comme une bonne nouvelle. Mais
Damis tire de ce billet un bon augure , &
le regarde comme le dépit d'un ceeur fenfible.
Il fe promet beaucoup de fuccès de fa
feinte , & la continue . Floricourt , jeune
étourdi , lui annonce avec beaucoup de
de gaîté , l'embarras de les affaires , & le
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
projet qu'il a de faire payer à l'Hymen les
dettes de l'Amour. Il avoue qu'il fonge
à Méliffe , & qu'il a déjà le confentement
de Lifimon fon oncle , dont il a gagné la
confiance , en flattant fa manie , & promettant
de le produire à la Cour , & d'appuyer
fes projets . Damis lui dit : « Tu
veux donc époufer ? » Un peu , lui répond
Floricourt. Cependant Damis , qui a pareillement
accès auprès de cet oncle dont
il a l'eftime , lui repréſente combien ſa
nièce fe fait tort en recevant chez elle
tant de jeunes étourdis remarquables par
leurs travers , par leurs ridicules & leurs
vices ,
Petits Sultans honnis même dans leur férail.
Il lui dit que Meliffe auroit befoin d'un
ami prudent ; & l'oncle le choifit auffi- tôt
pour être cet ami , & lui fait l'offre de
la main de Méliffe. Damis paroît ne vouloir
pas l'accepter , prétextant d'autres engagemens.
L'oncle infifte , & veut gronder
fa nièce , l'accufant d'avoir fans doute
donné du chagrin à Damis. Méliffe inquiéte
du biller que Marton lui avoit fait
écrire , & de l'effet qu'il a produir , plus
offenſée encore lorfque fon oncle lui affure
que Damis a refufé l'offre de fa main,
SEPTEMBRE . 1773 . ISS
pas
veut le voir & s'expliquer avec lui . Elle
l'attend lorfque Floricourt , avec fa légéreté
ordinaire , lui fait des reproches fur la fo
litude qu'elle garde depuis quelques jours,
lui donne des louanges , & ne s'oublie
lui - même ; déclare fes arrangemens , arrête
fon mariage avec elle , & fe met à
fes pieds. Damis vient ; & furpris , il veut
fortir. Meliffe le rappelle , & lui demande
s'il feroit jaloux . Damis fe défend de
ce fentiment . Méliffe attaque alors fon
indifférence , & lui parle d'un certain
portrait , dont on dit qu'il fait fes délices
; l'amant avoue que c'est l'unique objec
de fa tendreffe ; il fait l'éloge des qualités
du coeur & de l'efprit de fa maîtreffe . Elle
s'étonne pourtant de la froideur de cette
Beauté qui ne prend aucune inquiétude
de fes affiduités auprès d'elle. Ilfaut done ,
dit- elle , que cette femme ait cinquante
ans ? Non : elle n'en a pas même vingt
reprend paisiblement Damis. Meliſſe demande
à voir ce portrait . Il paroît céder
à fes inftances . Floricourt furvient & veur
auffi voir cette charmante perfonne qui a
toute fa paffion ; mais Damis refufe de la
faire voir à Floricourt , parce que , dit- il ,
autant vaudroit en répandre des copies que
de lui montrer fon tableau . Il fort pour
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
laiffer fatisfaire la curiofité de Melifle . Damis
céde enfin à fon impatience ; le portrait
pale dans les mains . Elle eft bien étonnée
de fe - reconnoître ; elle regarde Damis
qui demeureimmobile & en filence . Comme
elle l'interroge , c'eft le portrait , ditil
, qui eft chargé de tout ; je ne me mêle de
rien. Enfin elle ajoute : puifqu'il a été chargé
de votre demande , qu'il le foit donc aufi
de ma réponse ; & le lui, rend . Alors Damis
laiffe éclater toute la vivacité de fa
paffion , & lui dit :
J'ai feint quelques inftans pour ne feindre jamais.
L'oncle & Floricourt viennent pour
conclure l'hymen qui paroiffoit arrêté ;
mais Damis aux genoux de Meliſſe
leur défigne affez l'époux qu'elle choifit ,
& tout deux y applaudiffent.
>
Cette comédie eft charmante , écrite
avec beaucoup de facilité , vivement dialoguée
, pleine de traits ingénieux , & de
vers faillans que l'on aime à retenir &
à citer. Elle a le plus grand fuccès .
On ne peut mettre plus de fineffe , d'élégance
, & de naturel que Mlle Doligni ,
dans le rôle de Meliffe. Celui de Damis
eft joué avec un art prodigieux , & avec
autant de vérité que de délicateffe , par
SEPTEMBRE . 1773. 157
M. Molé. Mlle Fanier a joué avec gaîté
& vivacité le rôle de Marton . Floricourt
par M. de Montvel , Lifimon par M.
Feulhie , le valet par M. Auger ont été
rendus auffi avec beaucoup d'intelligence
& de talent.
COMEDIE ITALIENNE .
LES comédiens italiens continuent
avec un fuccès marqué , les repréfentations
d'Acajou , opéra - comique . Mefdames
Trial & Billioni y jouent avec
beaucoup d'intelligence , & rajeuniffent
le vaudeville par le charme de leur chant
& de leur goût. On efpère que l'empreffement
du Public , pour cet ancien genre ,
invitera les comédiens à donner plus
fouvent de ces drames trop négligés . M.
Anfaulme eft principalement invité à faire
renaître la gaîté des opéra comiques ,
qui ne ceffera de plaire & d'amufer .
158 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE de M. SAVERIEN à M. Lacombe
, contenant l'hiſtoire des opinions.
des plus célèbres Philofophes , fur lafin
du monde.
Oui , Monfieur , dans tous les tems les hommes
ont été curieux de connoître le commencement &
la fin du monde Ses premiers habitans croyoient
que la terre ne pouvoit conferver toujours la forme
qu'elle avoit reçue , & qu'après un certain
nombre de révolutions , elle redeviendroit chaos.
Les Egyptiens craignoient les tems des folftices ,
parce qu'ils s'imaginoient que la Terre rifquoit
d'être embrafée lorfque le Soleil ( ou la Terre )
eft dans le figne de l'Ecrevifle , & qu'elle pouvoit
être inondée quand il eft dans le figne du Capricorne
.
·
Plutarque nous apprend dans la vie de Sylla,
qu'au commencement des brouilleries qui furvinrent
entre Marius & Sylla , un jour que le Ciel
étoit fort clair & très ferein , on entendit dans
l'air un bruit terrible & femblable au fon
d'une trompette aiguë : ce qui alarma tout le
monde. On confulta là- deffus les hommes les
plus éclairés de ce tems - là ; c'étoient les Prêtres
de l'Etrurie , & ils répondirent que cela fignifioit
un remuement général qui fe faifoit dans la
nature. Ils ajouterent que la Terre éprouveroit
huit grandes révolutions avant que de le déboiter
; mais que le nombre de ces cataſtrophes étant
rempli , la grande année arriveroit , c'est- à-dire
que tout feroit conſommé ,
SEPTEMBRE. 1773. 159
C'étoit le fentiment de Platon. Ce philofophe
afluroit que la Terre éprouve fans ceffe des changemens
& des dégradations , & qu'à la fin elle
deviendra chaos . Comme il n'affignoit point de
terme à cette révolution , on chercha à la deviner
, en obfervant avec foin toutes les dégradations
qu'éprouvoit ce globe , & ces obfervations
donnoient fouvent beaucoup d'inquiétude. Les
hommes , prompts à fe gêner & à prendre l'alar
me , fuivant la jufte remarque de l'auteur de
I'Hiftoire critique de la philofophie , (tome 1. ).
ont toujours appréhendé la fin ou la diflolution
du monde lorfque les faifons fe font dérangées ;
mais ce fut fur-tout à la naiflance du Chriftianif
me que cette crainte redoubla.
St Pierre ayant dit que ce fera dans le bruit
d'une borrible tempête qu'éclatera le dernier embrafement
du monde il n'arrivoit rien , foit
dans le payfique , foit dans le moral , qu'on ne
fe regardât à la veille de périr . En vain St Paul
voulut railurer ces ames pufillanimes. Les moindres
orages , le moindre tremblement de terre
fembloient confpirer à leur perte . Enfin , le moyen
le plus efficace pour les tranquillifer , fut de convenir
que la fin du monde auroit lieu comme St
Pierre l'avoit dit ; mais que cela n'arriveroit que
500 ans après la naiflance de Jefus Chrift.
On ne penfa donc plus à cela ; feulement les
doctes s'en occupèrent. Hipparque , en obfervant
les étoiles , crut s'appercevoir que leur longitude
augmentoit tous les jours ; qu'elles avoient un
mouvement parallèle à l'écliptique , & qu'il viendroit
un tems où elles fe réuniroient , ce qui cauferoit
infailliblement une terrible catastrophe.
Ptolomée vérifia cette conjecture , & trouva qu'el
les avançoient d'un degré en cent ans.
160 MERCURE DE FRANCE.
Depuis Ptolomée on a déterminé ce mouvement
avec plus d'exactitude : on fait aujourd'hui
qu'il eft d'un degré en 72 ans ; par conséquent
les étoiles feront le tour du Firmament , par leur
mouvement propre , dans l'espace de 25920 années.
Or, quelques philofophes, & nommément l'illuftre
Defcartes , eftiment qu'après ce tems , les
corps du monde fe trouvant tous dans la même
fituation dans laquelle ils étoient au commencement
de cette période , ils rentreront dans le même
état où ils étoient avant la formation du
monde. Ainfi en fixant le commencement de cette
période à la création du monde , où , felon Defcartes
, la Terre étoit enflammée , c'eft -à - dire
étoit une étoile , ces philofophes croient trèsprobable
que la Terre s'enflammera de nouveau
& que le Monde périra par le feu.
Voilà un beau raifonnement & une conféquence
bien déduite ; il eft fâcheux fans doute que le
principe foit faux : je veux dire que les étoiles
ne changent pas plus en longitude qu'en latitu
de. Leur mouvement au tour de l'écliptique n'eft
qu'apparent , & cette apparence provient d'un
mouvement de l'axe de la Terre , qui en confervant
fon inclinaifon de 66 degrés 31 minutes,
au plan de l'écliptique , fait une révolution en
fens rétrograde , de forte que cet axe ſe tourne
fucceffivement de tous les côtés , & que fes extrémités
décrivent au tour des pôles de l'écliptique
des cercles d'Occident en Orient . Cette révolution
s'acheve dans l'efpace de près de vingtfix
mille ans , & c'eft ce qu'on appelle la Grande
Année.
La Terre paroiffant immobile à fes habitans ,
SEPTEMBRE. 1773. 161
nous rapportons ce mouvement aux étoiles. Pendant
que les pôles du Monde fe meuvent en fens
rétrograde au tour des pôles de l'écliptique , &
paflent fucceffivement par les étoiles éloignées de
ces pôles de 23 degrés 29 minutes , ces étoiles
paroiffent s'approcher fucceffivement des pôles
du Monde , le mouvoir en fens direct & décrire
des cercles que les pôles du Monde décrivent réellement
au tour des pôles de l'écliptique. Les autres
étoiles paroiffent auffi tranfportées , puifqu'elles
gardent toutes entre elles la même fitua
tion .
Il faut donc s'infcrire en faux fur la conjecture
de Defcartes. La catastrophe dont il nous
menaçoit n'eft plus qu'une illufion ; & quoiqu'elle
ne dût arriver que dans environ vingt
mille ans , il est toujours confolant d'être aſſuré
qu'elle n'aura pas lieu ; mais en voici une qui
paroît , & plus prochaine & plus probable : c'eſt
celle que pourroit produire une comète en traverfant
l'orbite de la terre.
Les Romains regardoient les comètes comme
les avant-coureurs des grands événemens
& il n'y a pas long- tems qu'on étoit perfuadé
qu'elles étoient des fignes extraordinaires
de la colère du Ciel. C'eſt ce qu'on objecta à
Jacques Bernoulli lorfqu'il foutint que les comètes
étoient des aftres réglés. Ce favant étoit
trop fage pour méprifer cette objection ; il favoit
combien il étoit dangereux de manquer
de ménagement pour une opinion populaire ; il
falloit donc concilier la vérité avec le préjugé.
Dans cette vue , Bernoulli dit que la comète ,
qui eft éternelle , n'eft pas un figne , mais que
fa chevelure ou fa queue , lefquelles font accidentelles
, pouvoient en être un.
162 MERCURE DE FRANCE .
•
On fut content de cette réponſe ; mais un
prédicateur Anglois ne le fut pas de cette fuperftition
. M. Neuman , c'eft le nom de cet
Anglois , monta en chaire pour la combattre ,
& les fermons curent tout le ſuccès qu'il pouvoit
s'en promettre.
On paroiffoit tranquille & on commençoit à
croire que les comètes n'avoient aucun rapport
avec les événemens de ce monde , lorfque le
célèbre Wifthon vint troubler ce calme apparent.
Ce favant Anglois rendit une comète
refponfable de toutes les grandes révolutions qui
font arrivées au globe terreftre. Elle cauſa le
déluge en s'approchant de la terre , & changea
totalement , & fon mouvement & fa conftitution
. Avant cette catastrophe la figure de la
terre étoit fphérique , & fon orbite étoit un
cercle ; l'année folaire & l'année lunaire avoient
chacune 360 jours , & l'année commençoit à
l'équinoxe d'automne . L'air qu'on y refpiroit
étoit fi pur & fi falutaire , que les hommes vivoient
juſqu'à 900 ans ; mais le globe terreſtre
en traverfant la queue aqueufe de la comète
qui caufa le déluge , ſe chargea des exhalaiſons
pernicieufes qu'elle contenoit , & ces exhalaifons
ont infecté pour toujours l'air de notre atmofphère.
C'eft , felon Wifthon , la comète qu'on vit en
1680 & 1681 , qui produifit ce ravage , & voici
pourquoi on eftime la période de cette comète
de 575 ans . Or , en remontant de fa dernière
période & en comptant fept périodes , on
a 4028 ans ce qui tombe dans l'année du
déluge.
Voilà la comète qui s'eft le plus approchée
SEPTEMBRE
. 1773. 163
de la terre , & cependant fuivant les calculs
même de Wifthon , elle en étoit à 3000 lieues :
c'eft , felon le fyftême de ce philofophe , fa queue feule qui a fait tout le mal. Mais on a
prouvé qu'une queue de trois mille lieues ne
pouvoit produire l'effet qu'on lui attribue ; &
quand même la comète & la terre pafferoient
extrêmement
près l'une de l'autre, la viteffe refpective
qui feroit très grande dans ce cas ci , & le peu de féjour que feroit la terre dans la
partie bafle & très - mince de l'atmoſphere
de
la comète, la garantiroit de l'inondation .
Et puis eft- il bien prouvé qu'il a paru une
comète dans le tems du déluge , & la période de
575 ans de la comète de 1680 , eft- elle réelle !
Ce n'est point par le calcul qu'on a déterminé
cette période : on ne l'a connue que par eftimation
& en remarquant que tous les 575 ans
il a paru une comète qui avoit tous les caractères
de celle de 1680 .
Lorfque M. Haller a prédit le retour de celle
qui a paru à la fin de 1758 , c'eſt bien moins
far l'efti- fur fon calcul qu'il s'eft fondé . que
mation qu'il avoit faite de la longueur de la période
de cette comète ; ou , fi l'on veut , c'eſt
fon eftimation qui a guidé fon calcul , quelque
favant qu'il foit ; il avoit découvert que les comètes
de 1456 , 1531 , 1607 & 1682 , n'étoient
qu'une comète dont la période eft de 575
ans .
Pour calculer exactement la route d'une comète
& déterminer fon retour , il faut connoître
la courbe qu'elle décrit . Newton affure bien
qu'elle eft une fection conique ; mais il ignore
quelle forte de fection conique.
164 MERCURE DE FRANCE .
Plufieurs Aftronomes foutiennent que c'eft
une parabole , & M. Sgravezande croit que c'eft
une ellipfe très- excentrique. La question n'eft
point décidée.
M. Struiks , auteur d'un ouvrage très - ſavant ,
intitulé introduction à la connoiſſance univerfelle ,
penfe que ce n'eft qu'après fix cens ans d'obfervations
des périodes de toutes les comètes qui
font visibles avec des télescopes , qu'on pourra
prédire leur retour ? C'eft alors , dit-il , qu'on
fera en état de reconnoître , moyennant les
comètes précédentes , fi dans le tems de trois
mille ans chaque période fubit un changement ,
fi les comètes s'approchent du foleil dans chaque
révolution , & plufieurs autres particularités que
nous ignorons jufqu'à préfent.
Ce n'eft qu'après ce travail qu'on pourra, à la
premiere apparition d'une comète , découvrir fa
période par une feule ou tout au plus par deux
obfervations de fon lieu en longitude & en lati
tude (a ) . Au refte Wifthon ne pense pas que jamais
aucune comète caufe encore quelque dommage à
la terre , vu le changement de route de ce dernier
globe , & il eft porté à croire comme ſon illuftre
compatriote Woodward , que la terre périra par
le feu. Sa deftruction fera précédée , fi on
l'en croit , de tremblemens épouvantables , de
tonnerres terribles & de météores effrayans .
En effet , pourquoi chercher fi loin la caufe
(a) On peut voir dans le Dictionnaire univerfel
de Mathématique & de Phyfique un modèle ou un
exemple de cette opération aftronomique. Art.
Comète.
SEPTEMBRE. 1773. 165
de notre ruine ? Le péril eft fi près de nous ! Depuis
le déluge , notre globe a fubi deux grandes
révolutions par deux tremblemens univerfels ,
& il y a lieu de préfumer qu'il fera bouleverfé
par un troifiéme tremblement , ou plutôt
par une conflagration générale de tout le globe.
Ce font- là des fujets de crainte bien pardonnables.
Au lieu de regarder en l'air pour favoir
ce que nous deviendrons , il feroit bien plus fage
de chercher fous nos pieds. On pourroit appliquer
aux Philofophes à ce fujet & avec plus
de raifon encore, cette leçon que fait l'inimitable
Lafontaine à un aftrologue qui fe laiffa cheoir
dans un puits.
Pauvres bêtes ,
Tandis qu'à peine à vos pieds pouvez voir ,
Penfez -vous lire au-deffus de vos têtes ?
Il est vrai qu'il eft difficile de connoître les
fymptômes de la maladie de la terre , qui peut
lui donner la mort. Il eft des philofophes qui fe
croient bien fondés à foutenir que ce globe fe
defféche tous les jours , qu'il tombe en étyfie ,
tellement que les eaux de la mer qui diminurent
fenfiblement , s'évaporeront à la fin , &
alors le feu central fe fera jour à travers les
fentes de la terre , & l'embrafera.
Si l'on en croit d'autres philofophes , la terrè
mourra de froid. Le feu central , difent- ils ,
fouffre de jour en jour une diminution confidérable
, & un tems viendra où nous ferons obligés
d'abandonner nos climats & de nous retirer tous
dans la zone torride encore y périrons nous
166 MERCURE DE FRANCE.
un jour ; car le froid faifant des progrès continuels
par la diminution du feu central , la
terre restera enfin fans chaleur , fans mouvement
& fans vie.
Enfin pour épuifer apparemment tous les
moyens qu'on peut employer afin de connoître
la fin du monde , deux fameux géomètres font
venus au fecours des aftronomes , des phyficiens
& des naturaliſtes.
Le premier s'appelle Michel Stifels. C'étoit à
la fois un habile algébrifte & un grand fou. Il
étoit encore miniftre proteftant. Cet homme
chercha pendant toute la vie dans l'algèbre un
nombre qui lui découvrît la fin du monde ; &
lorfqu'il étoit perfuadé qu'il avoit fait cette découverte
, il ne manquoit pas de monter en chaire
pour l'annoncer au peuple. La grande autorité
qu'il s'étoit acquife fur les efprits par fa capacité
& par l'aufttérité de fa vie , le firent écouter.
Enfin après avoir préparé fes auditeurs à croire en
lui , il annonça que le monde devoit finir à la fin
de l'année.
Les payfans , avant que de penfer à mourir ,
fangèrent à vivre : ils mangèrent gaîment leur
bien & prirent fi bien leurs mefures que le jour
marqué pour la fin du monde , ils fe trouvèrent
abfolument fans pain. Alors Stifels monta en
chaire pour exhorter ces pauvres gens à fe préparer
à recevoir Dieu qui alloit defcendre , difoit-
il , pour juger les hommes ; mais Dieu ne
parut point . Indigné d'avoir été trompé , le
peuple arracha Stifels de fa chaire , & après
l'avoir maltraité de coups , le mena garotté à
Wittemberg, où il cût mal paffé fon tems , G
SEPTEMBRE. 1773. 167
Luther , dont il avoit été diſciple , ne fût venu à
fon fecours.
Le fecond géomètre qui a cherché la fin du
monde étoit incomparablement plus fage & plus
favant que Stifels : c'eft M. Craige , ficonnu par
fon ouvrage intitulé : philofophia chriftiana principia
mathematica. Fondé fur ce paflage de l'écriture
que le monde finira quand la foi fera
éteinte , il cherche la diminution de la validité
que le tems peut apporter à un témoignage ; &
voici comment : fuppofons qu'une tradition orale
fe tranfmette d'âge eu âge , & que chaque âge ſoit
de 20 années , il eft certain que cette tradition
tranfmife ainfi de vive voix perd à chaque âge :
on évalue cette perte à chaque âge à de fa certitude
: ainfi au bout de 240 ans elle n'en aura
plus que la moitié , & en 480 elle n'aura plus
du tout aucun degré de certitude morale quel
qu'il foit.
I 2
2
par-
C'est à peu près ainfi que M. Craige trouve
par un calcul fort délié que 3150 ans après la
naiffance de J. C. il n'y aura plus de probabilité
que le fils de Dieu foit venu au monde , &
conféquent le monde finira; mais quelque jufte
que puiffe paroître cette conféquence , jamais perfonne
de la clartédes mathématiques & de la fainte
obfcurité de la foi , ne pourra faire un alliage.
C'eft une remarque fort judicieufe de l'auteur de
l'effaifur l'analyse desjeux de hafard, ( M. de
Montmort. )
168 MERCURE DE FRANCE.
ARTS.
GRAVURES.
I.
La fécondité & les fabois , deux estampes
en pendant d'environ 18 pouces de
haut , fur 14 de large , gravées d'après
les tableaux de François Boucher , par
R. Gaillard . A Paris , chez l'auteur
que Saint Jacques , au deffus des Jacobins.
Cesdeux s deux eftampes
offrent
deux jolis fujets
de paſtoral
. Dans la première
, intitulée
la fécondité
, on voit une jeune bergere
, ayant auprès
d'elle une poule qui
couve
fes oeufs. Elle tient dans fa main
un de ces oeufs qu'un petit amour , qu'elle
porte fur fes genoux
, a briſé avec ſa Aèche,
& d'où fort un poulet . La feconde
paftorale
nous repréfente
une bergere
qui fait
manger
des cerifes
à fon berger, On remarque
fur le devant
de l'eftampe
des
fabots , une calbaffe
& autres acceffoires
.
Lal gravure
de ces deux eftampes
fait hon .
neur à l'artiste
.
II.
SEPTEMBRE. 1773. 169
I L
Le Pâtre amoureux , eftampe d'environ
20 pouces de large , fur 18 de haut ,
gravée fous la direction du fieur Duret ,
graveur de S. M. Danoife , d'après le
tableau de Berghen . A Paris , chez Duret
, rue du Fouarre .
Un bouvier que l'on apperçoit fur le
côté droit de l'eftampe , au milieu de fon
troupeau , paroît épier deux jeunes paſrourelles
. Six vers placés au bas de l'eftampe
renferment une leçon pour ces bér .
gères . Cette gravure nous rappelle bien
agréablement un des plus beaux tableaux
de Berghen.
I I I.
>
La Nymphe Erigone , eftampe de 9 pouces
de haut , fur 8 de large , gravée
d'après le tableau de N. R. Jollain ,
peintre du Roi , par J. C. Muller
Penfionnaire de fon A. S. M. V. Charles
, Duc Regrant de Wirtemberg &
Feck , & c. A Paris , chez Bafan , rue
Serpente , & Chereau , rue S. Jacques ,
prix 1 liv. 10.
5
Erigone eft vue à mi- corps , & la têt
H
170 MERCURE DE FRANCE,
panchée fous une treille. Elle approche
de fa bouche la grappe de raifin que le
Dieu Bacchus a choifie pour fe métamor
phofer & furprendre la Nymphe . Cette
figure eft gravée en demi teinte , & néan .
moins d'un ton brillant qui produit un
bon effet,
I V.
PORTRAIT de Boerhaave , deffiné &
gravé par Noël Pruneau. A Paris chez
I'Auteur rue de la Harpe , au Collége
de Narbonne , & aux adreffes ordinaires.
Prix liv. 4 f. Į
Ce portrait , que l'on pourra être cu
rieux de mettre à la tête des ouvrages de
ce célèbre médecin , mort en 1738 , eft
ici va de profil. H eft du même format
que celui de Gerard Van- Swieten , grav
vé en 1771 par le même artifte ,
V.
La juftice divine , Eftampe allégorique ;
hauteur fept pouces & demi ; largeur
fix pouces .
Cette allégorie eft énigmatique , la
compofition négligée , & le deffin de
la plus grande foibleffe . La gravure paz
SEPTEMBRE . 1773. 171
roît être d'un jeune élève qui ne fait pas
encore manier le burin.
V I.
La juftice humaine , autre Eftampe ,
qui femble faite pour fervir de pendant
& de réponse à la gravure précédente . Un
deffin correct , une compofition pittorefque
& d'une exécution agréable
annonce du moins de l'efprit & du talent
; il eft facile de faifir ce que l'ar
tifte a voulu faire entendre.
VII.
La fraîche Matinée . L'Orphée ruftique ;
deux paysages en pendant d'environ 7
pouces & demi de hauteur , & 9 &
demi de largeur.
Ces payfages font agréables, & bien gra
vés d'après les tableaux de M. Cafanova ,
peintre du Roi , par M. Gaudefroy ; ils
font chacun du prix de 24 f. A Paris ,
chez Godefroy , rue des Francs Bour.
geois St Michel , vis- à - vis la rue de Vau
girard.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
TOPOGRAPHIE.
Etatpréfent de la Ville de Lyon , par le St
Moithey , ingénieur - géographe du
Roi, profeffeur de mathématiques des
Pages de LL. AA. SS. les Princes de
Conti & de la Mirche. A Paris , chez
l'auteur , rue la Harpe , la porre cochè
re à côté d'un parfumeur , vis- à- vis la
Sorbonne .
Ce nouveau plan de la ville de Lyon eſt
exécuté avec beaucoup de foin & de netteté,
Il est affujetti aux nouveaux accroiffemens
& projets qu'on exécute actuellement à
la partie méridionale de cette ville . Ces
projets font de l'invention de M. Perrache
, l'un des Quarante de l'Académie
royale des Sciences de Lyon. Ce plan lavé
& blifonné fe vend 6 liv. à l'adreffe cideffus
; les projets lavés avec les deux
rivières , 1 liv. 10 f.; le plan en blanc ,
1 liv. 4fols.
SEPTEMBRE. 1773. 173
Méthode
MUSIQUE.
I.
4
pour apprendre en peu de tems à
jouer de l'inftrument appelé Cytre , ou
Guittarre allemande , deuxième partie.
CETTE deuxième partie contient une
differtation intéreffante pour les amateurs
du Cytre & les Luthiers , facteurs de cet
inftrument , dans laquelle les uns & les
autres trouveront tout ce qui eft relatif à
fa conftruction , la fixation de fon diapazon
, & ce qu'il eft effentiel d'obferver
pour qu'il le trouve jufte de ton , qu'il
puiffe s'accorder avec la voix , & être ac
compagné par le clavecin , la flûte , le
violon ou tout aurre inftrument , fans
qu'aucun de ces accompagnateurs foir
obligé d'avoir recours à la tranfpofition .
On y àjoin: diverfes petites pièces faciles
pour le Cytre , comme ouverture , mar
che , menuets , allemande , contredanfes
& autres ; plufieurs ariettes choifies dans
Lucile , les Chaffeurs , & la Laitière , dans
Annette & Lubin ; dans la Cinquantaine ;
1
H iij
174 MERCURE DE FRANCE .
Tom Jones , & autres bonnes pièces, avec
des accompagnemens d'une exécution aifée.
Le tout est terminé par une Sonnate
pour le Cytre avec accompagnement de
violon . On y trouve auffi un catalogue
des ouvrages de l'auteur , & les noms des
plus hábiles maîtres en ce genre. Cette
méthode eft dédiée à M. Enguehard , contrôleur
Général des Pultes de France ,
Seigneur haut -jufticier des Fiefs de Gaudete
, & de la Maillarde , fis à Chenevières-
fur - Marne , par M. l'Abbé Carpentier,
chanoine & garde des archives du
chapitre royal de St Louis du Louvre ,
amateur ; prix 8 liv . A Paris , chez l'auteur
, rue & cloître St Thomas du Louvre
; & aux adreffes ordinaires de mufique.
I I.
Troisième & dernière partie de la Mithode
, pour apprendre à jouer de la
Mandoline fans Maître , contenant la
manière facile de s'accompagner foimême
en chantant , & de broder les
paffages d'un air.
De plus le cinquième Recueil de
petits airs de la Comédie Italienne ,
avec l'accompagnement de Mandoline ;
SEPTEMBRE. 1773 175
& d'autres airs à deux Mandolines avec.
des variations , dédié à M. de Tarade ,
Lieutenant de vaiffeau de Roi , par le
Sr Pietro Denis ; prix 6 liv . A Paris ,
chez l'Auteur , chez M. Garnier , Baffon
de l'Opéra , rue S. Honoré , maifon de
l'Apothicaire , à côté de la Croix- du-
Trahoir; & aux adreffes ordinaires.
I I L
Le Printems , Ariette à voix feule
& fymphonie , dédié à M. le Baron
de la Richerie , & compofé par M.
Joubert , Organifte de l'Abbaye Royale
de S. Aubin d'Angers ; prix 2 liv. 8.
fols avec les parties féparées. A Paris ,
chez Moria vis - à - vis la Comédie
Françoife , au Café de M. Bigarne ; &
à Angers , chez l'Aureur , rue haute S.
Martin ; & aux adreffes ordinaires.
I V.
La nouvelle méthode de Mufique ,
connue fous le nom de folféges Italiens
, fera donnée pendant tout le cours
de cette année 1773 feulement au prix
de 12 liv. , au lieu de 24 que cette
méthode fe vendait ci -devant . A Paris
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
chez Coutineau , Luthier & Marchand
de Mufique , rue des Poulies.
Le même Luthier vient de recevoir
d'Angleterre un certain nombre de Piano
forte très bien conditionnés.
V.
Le retour de Thémire , Arriette nouvelle
, avec accompagnement de deux
violons , hautbois & batfon feul , alto
& baffe continue , cors adlibitum , dédiée
à Madame la Comtefle de Liflebone
, par M. Feray . A Paris , au Bureau
d'Abonnement de Mufique , cour
de l'ancien Grand- Cerf , rues S. Denis ,
& des Deux- Portes S. Sauveur ; & aux
adreffes ordinaires de Mufique. A Lyon ,
chez Caftaud , place de la Comédie.
Horloge de l'Ecole royale militaire , par
Lepaute , horloger du Roi.
CETTE Horloge eft horizontale ; elle
marque fur quatre cadrans , dont deux
font à minutes , le temps vrai , & fonne
les heures , les quarts & les avant- quarts ;
la cage eft compofée de fix barres de
SEPTEMBRE . 1773. 177
cuivre parfaitement forgées & rabotées
d'épaiffeur. Pour avoir plus de propreté
& de folidité , on y a rapporté des épautemens
ornés de moulures , affemblés en
reinures pour éviter le jeu ; elle eft montée
avec de forts écroux dont les vis font
faites au tour.
Toutes les pièces de cette Horloge
peuvent fe démonter féparément les unes
des autres : les roues font montées à vis
fur leurs arbres , de même que les lanternes
; chaque lanterne a des fufeaux
d'acier d'Angleterre , trempé dur, parfaitement
égaux , ajuftés carrément dans
une entaille particulière faite à l'outil ,
afin qu'on puiffe les changer de côté , ou
les repolir au tour , à l'effet de quoi il y
a deux points de centre marqués fur chaque
bafe de fufeaux .
Chaque lanterne a fon chaffis fait exprès
pour fa roue , qui eft à fix pans &
qu'on a étampée fur les arbres afin qu'elle
s'ôte fans jamais prendre de jeu ; on a
auffi ajusté à chaque bout des lanternes ,
des recouvremens . Ce font des pièces de
cuivre qui rentrent fur les fufeaux & les
tiennent chacun avec trois vis , au moyen
defquelles on pourra , quand on voudra ,
changer de place les fufeaux , ou en met-
H v
178 MERCURE DE FRANCE.
tre d'autres ; précautions qui affurent la
durée de l'ouvrage , par la facilité de les
réparer de retourner chaque pièce.
Pour arrêter les lanternes fur leurs ar
bres & conferver la groffeur apparente ,
l'uniformité & la propreté des axes , on
y a rapporté des virolles d'acier de même
groffeur , retenues par des goupilles qui
pallent au travers. Toutes les affiettes
contre lefquelles font appuyées les roues ,
font de la même pièce que l'arbre , en
forre que l'on ne craint rien du côté de la
folidité , & les roues peuvent fe démonter
quand on le voudra .
Pour conferver le mouvement à l'horlorge
pendant qu'on la remonte , on a
pratiqué dans l'intérieur du cylindre du
mouvement , un méchanifme compofé
de deux pignons & une roue , de manière
qu'on peut remonter vîte ou lentement ,
fans rien changer à l'exactitude du mouvement.
La manivelle pour remonter a
un encliquetage , de forte que fi on venoit
à tourner en fens contraire , on n'éprouveroit
aucune réfiftance .
Sur l'arbre de la première roue du
mouvement on a ajuſté un cadran à frottement
, pour régler l'horloge & la mettre
à l'heure ; il fert auffi comme de clef
SEPTEMBRE. 1773 179
la grande roue du mouvement , pour
la tenir droite fur fon plan. Ce cadran a
60 denis avec un cliquet qui rentre dans
chacune des dents , pour empêcher que
les grands cadrans ne restent en arrière
& ne changent de pofition par rapport à la
fonnerie. Ce cadran porte la petite roue
de renvoi , où font les chevilles pour
lever les détentes , laquelle conduit les
quatre cadrans , par le moyen
d'une petite
tringle qui y vient répondre ; il y a
fur cette tringle deux roues de renvoi ,
dont l'une engreine dans les quatre roues
de départs. On a ajusté des virolles cylindriques
fur les tringles , qui donnent la
facilité de former les engrenages , d'y
donner plus ou moins de jeu & d'accorder
les cadrans avec l'horloge .
Les pivots de cette pièce roulent dans
des trous qui font dans des bouchons
mobiles & de matière dure ; ceux - ci font
retenus avec des vis qui appuient dans
un cône au milieu du bouchon : ces vis
font taraudées dans les barres & dans les
taffeaux qui portent les détentes & bafcules
, ainfi il n'y a qu'à détourner les vis
pour faire fortir les bouchons , & l'on pour
ra en tout temps reboucher tous les trous
fans crainte de changer les engrenages ,
puifque les bouchons font parfaitement
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
ronds & ont une place déterminée qu'il
eft impoffible de changer quand on changeroit
les bouchons.
Toutes les détentes & les bafcules
font d'acier, rapportées carrément fur les
arbres & retenues avec des écroux d'acier,
qui font de même grofleur & ajuſtés ſur
la même clef. On a mis un rouleau de
matière dure fur chacune des chevilles
qui levent les marteaux , pour en adoucir
les frottemens . Ces chevilles font des vis
d'acier avec des portées , afin qu'on puiffe
mettre facilement d'autres rouleaux quand
l'ufare l'exigera .
L'échappement eft ajusté carrément fur
fon arbre , qui a une affiette fixe , d'un
côté, & une goute à vis de l'autre , pour
pouvoir l'y fixer folidement. La fourchette
eft brifée pour qu'on puiffe mettre
l'horloge dans fon échappement. Il y a
auffi un contre- écrou pour fixer la partie
mobile de la fourchette , quand elle eſt
bien droite , & pour empêcher le jeu .
Le pendule eft fufpendu au milieu de
la cage par une forte confelle ou cocq ,
qui porte auffi l'échappement. Vis-à- vis
eft un montant qui porte l'autre pivot &
qui fert auffi à porter la roue annuelle .
Au fommet de la confelle eft ajusté un
levier dont un des bouts porte le pendule,
SEPTEMBRE . 1773. 181
& l'autre extrémité appuie dans l'intérieur
du champ de la roue annuelle ,
taillée fur l'équation du temps , de façon
qu'elle alonge ou racourciffe le pendule
felon qu'il eft néceffaire pour faire fuivre
le temps vrai à l'horlorge ; par ce moyen
elle fera d'accord avec les méridiennes
& les cadrans folaires , fans exiger aucun
calcul.
On a fait conduire la roue annuelle
par le chapron des heures afin de ne pas
charger le mouvement. On a ajusté des
rouleaux pour adoucir les frottemens des
leviers , qui font avancer l'étoile qui
conduit la roue annuelle .
Les volans font brifés pour faire fonner
l'horloge plus vite ou plus lentement
à volonté. On y a mis des refforts ronds
que l'on fait appuyer plus ou moins , felon
qu'il eft néceffaire . Il y a un délai
pour la fonnerie des heures , afin qu'elle
ne fonne pas trop tôt après les quarts ,
que l'intervalle foit fixé. Il y auffi à cette
horloge un marreau pour fonner l'avantquart
, qui fait fon effet au délai cinq
minutes avant les heures ou avant les
quarts .
&
Les poulies même qui fervent à renvoyer
les cordons & à mouffler les poids ,
font de cuivre , croiſées & ajuftées fur des
182 MERCURE DE FRANCE.
chapes qui fe démontent ; leurs pivots
roulent dans des bouchons de matière
dure , pour en diminuer les frottemens.
Enfin l'on n'a rien négligé pour la pro
preté & pour la belle exécution de cer
ouvrage.
Extrait du Procès- verbal d'appréciation
de ladite Horloge.
Nous fouffignés Dom Bedos , Prêtre ,
Religieux de l'Abbaye Saint Denis en
France , & Ferdinand Berthoud , Horlo
ger méchanicien du Roi & de la Marine ,
de la Société Royale de Londres ; en
vertu de l'invitation & de la commiffion
exprelle qui nous a été donnée Par le
Confeil de l'Ecole Royale Militaire , &
Lepaute , Horloger du Roi , pour examiner
l'horloge dudit Hôtel , nous avons
trouvé cette pièce de la plus grande beauté
& de la plus élégante exécution ; nous
avons confidéré le fyftême de l'ouvrage ,.
vifité toutes les pièces , chacune en par
ticulier ; elles font très folidement &
très - proprement conftruites felon les
principes de la ftatique & de la méchanique
, & c. Après avoir vu foigneufement
ladite pièce , nous penfons que
SEPTEMBRE. 1773. 183
l'Auteur eft digne de l'eftime du Public,
pour avoir fait la plus belle horloge
qu'on ait encore vue , tant pour le génie
que pour la belle exécution ; laquelle n'a
pu être conftruite qu'à grands frais ; ce
qui étant bien pefé nous eftimons que
le fieur Lepaute mérite pour fon paiement
la fomme de vingt- cinq mille liv .
en foi de quoi nous avons dreffé le préfent
Procès - verbal . A Paris , le 27 Juillet
1773. Signé,
Dom BEDOS ; FERD. BERTHOUDS
COURS D'ACCOUCHEMENT.
JEAN BAPTISTE GAUCHEZ , Maître - ès-
Arts , en l'Univerfité de Paris , Maître en
Chirugie à Verfailles , fera , conformément
à l'article 25 des Statuts de la Compagnie
, un Cours Public & Gratuit fur
l'Art des Accouchemens , en faveur des
Elèves en Chirurgie & des Elèves Sages-
Femmes ; dans lequel M. Marrigues ,.
Lieutenant de M. le premier Chirurgien ,
& c. Chirurgien - Juré aux Rapports au
Bailliage Royal de cette Ville , traiterat
toutes les matières qui font relatives à
La Chirurgie Légale.
184 MERCURE DE FRANCE.
Il commencera le 31 Août 1773 ›
trois heures précifes après midi , & continuera
les Mardi , Jeudi & Samedi à la
même heure .
En la Chambre de Jurifdiction de la
Compagnie de MM. les Maitres en Chirur
gie , rue de la Charité , à Verfaiiles .
FÊTE donnée par Madame la Comteffe de
Marfan , à MADAME de France , le
15 Août , jour de fa fête , dans lejardin
de Montreuil près Verſailles .
Le jardin étoit orné de beaucoup d'illuminations
, & repréfentoit une guinguette.
On y voyoit par- tout des tables
couvertes , & prêtes à fervir. La fête commença
par un bouquet magique , haut
d'environ fept pieds , qui fut préſenté à
MADAME . On vit ce bouquet s'avancer
de lui-même vers cette Princeffe . On entendit
plufieurs airs très - agréables & analogues
à la circonstance , après quoi , les
Dames de la fuite de MADAME ayant atraché
les fleurs attachées au bouquet magique
, lui en firent hommage en les jesant
à fes pieds , & danferent au tour du
SEPTEMBRE . 1773. 185
bouquet. Ce bouquet s'ouvrit . M. Richer
, habillé en Amour , & Mlle Colette
Cifolelli chantèrent le duo dont
nous allons rapporter les paroles , qui font
de M. Guichard.
Chantons l'aimable Flore :
A peine de fes jours
On voit briller l'aurore ,
Que fur les pas des Ris & des Amours
Les Talens s'empreflent d'éclore ,
Et les Vertus d'en illuftrer le cours.
L'efprit anime les attraits ;
L'accent de fa voix nous enflamme ;
La Candeur deffina fes traits ,
La Bonté règne dans fon ame.
Ce duo , dont la mufique agréable &
pleine d'expreffion eft de M. Cifolelli ,
excellent compofiteur , fut chanté fupérieurement.
M. Richer s'y diftingua avec
le goût qui lui eft ordinaire , & Mile Colette
Cifolelli , fille de l'auteur de la mufique
, âgée de neuf ans , enchanta tous
les auditeurs par une voix tiès agréable &
par fon goût bien extraordinaire dans un
enfant de cet âge. Cette jeune muficienne
chanta encore plufieurs airs italiens , où
elle fut applaudie avec tranfport , ainh
que dans le duo ; Mefdames de France
186 MERCURE DE FRANCE.
་
lui témoignèrent de la manière la plus
flatteufe la fatisfaction qu'elles avoient de
fes talens .
On paffa enfuite dans une autre partie
du jardin , où l'on joua un proverbe à la
louange de Madame la Comteffe de Marfan
. La fête fut terminée par un fouper
très fplendide fervi aux tables qu'on
avoit dreffées dans le jardin .
-
E
USAGES ANCIENS.
Le Mouton de Bapaume.
Le fief de Bapaume , dans la paroiffe
d'Ouvrouer- les - champs , près la Vrillière
fur Loire , eft fujet à un droit original envers
le Doyen du chapitre de St Pierre-
Empont d'Orléans.
Tous les ans , la veille de l'Afcenfion
le fermier de ce domaine fe trouve devant
la porte de l'Egife de St Pierre Empont à
l'heure de vêpres pendant Magnificat
avec un mouton gras de l'année vêtu de ſa
laine , ayant les cornes dorées fur ces
cornes il y a deux écuffons des armes de
St Pierre , & il porte à fon col une bourfe
SEPTEMBRE. 1773. 187
*
dans laquelle est une ceinture de bergère
de la valeur de cinq fols parifis. Le Doyen ,
après avoir appelé trois fois Bapaume ,
vient enfuite le recevoir en cérémonie , &
la fait conftater par un procès- verbal .
Le jour de St Etienne , premier Martyr,
ce même Doyen perçoit plus utilement
une rente foncière de deux mines de froment
, une mine d'avoine , meſure de Jargeau
, 6 deniers & 2 chapons .
L'origne de ce droit eft vraisemblablement
à caufe d'une ancienne Mairie de la
paroiffe d'Ouvrouer ; ces Mairies fieffées
étoient fujettes aux Eglifes dans l'Orléanois
, à raifon d'une part qu'ils percevoient
dans les droits de la Care : ce
n'eft point un hommage qui eft rendu ;
c'eft une offrande payée au Patron de St
Pierre d'Ouvrouer , par l'avoué de cette
Eglife .
* Efpèce de tiflu de laine brute , avec lequel
les bergères font des ceintures pour attacher leurs
quenouilles , des jarretières , & c.
SWE
188 MERCURE DE FRANCE.
ANECDOTES.
1 .
LE DESERTEUR.
Lettre à Madame L. M. D. P. *
UNE petite
aventure , comme il nous
en arrive trente dans l'année , vous attire
une petite importunité de ma part. Ce
matin on fait entrer chez moi un jeune
homme de bonne mine , très- fimplement
vêtu. Une femme d'environ dix - huit
ans , & qui fembloit accablée de laffitude
, s'appuyoit fur lui d'un bras & portoit
un enfant fur l'autre. C'elt elle qui
vous porte cette lettre. Faites- la entrer ,
& dites-moi fi elle n'eft pas intéreffante .
Nous fommes François , me dit le jeune
homme ; nous voudrions retourner dans
notre patrie ; mais ce n'eft que par la
protection.... Il ne put achever , tant
fon embarras devint grand. Je vais vous
dire notre hiftoire , me dit la jeune femme
les yeux baiffés , en rougiffant un peu &
avec de petites grâces qui me prévinrent
d'avance que leur faute étoit de la natu-
*Cette lettre eft un modèle de narration.
SEPTEMBRE. 1773. 189
re de celles que je fais trop porté peutêtre
à excufer. Voyons , Madame , ſi je
vous rendrai le défordre aimable de fa
narration . Il y a deux ans . Il n'en
» avoit que vingt alors , & l'on est bien
jeune à vingt ans... Il étoit foldat ; il
» avoit eu la permiffion de venir paffer
و ر
32
...
fix mois chez nous , à caufe d'une blef-
» fure. Il venoit travailler , comme garçon
menuifier , dans la boutique de
» mon père. Il étoit très habile , & mon
père difoit toujours : Je prendrois ce
» garçon là pour mon gendre , fije n'étois
» pas firiche. Enfin , j'entendois tout le
» monde en dire du bien , & puis les
» foirs nous chantions enſemble ; pen-
» dant que je filois , il nous contoit auffi
» la prife du Port-Mahon & la guerre
» contre les Hanovriens. Il y a été bleffé
» trois fois.. Je voyois bien qu'il avoit
» de l'amitié pour moi , & j'en pris pour
» lui .... Monfeigneur , vous faurez ...
Il faut tout dire à Monfeigneur , n'eft-
» ce pas , mon ami ... Monfeigneur , il
» nous arriva un accident ... Imaginezvous
, Madame , un regard jeté ſur l'enfant
, & dans ce regard tout ce qu'il y a
de plus comique & de plus touchant à la
fois , & vous faurez la valeur de cet accident.
Je craignois tant mon père ! je
199 MERCURE DE FRANCE.
"
"
forçai mon ami à fuir. Il ne vouloit
» pas ; & moi même , par réflexion , je
» ne voulois pas non plus en faire un Dé-
» ferteur. Je m'enfuis toute feule , en lui
écrivant que j'allois mourir. Je voyageai
long tems ; & un foir , comme j'allois
toucher la frontière , il me joignit ;
» je tremblois de joie & de frayeur . Enfin
» nous fortîmes heureufement du pays . IL
» fut le premier à chercher un Prêtre ;
» nous fommes actuellement mariés , &
» voici notre enfant... Nous avons juf-
» qu'aujourd'hui vécu de notre travail.
» Nous avons vûbien des pays ; mais qu'ils
" font différens de la France ! Que nous
» ferions heureux fi nous pouvions y ren-
» trer... Mais il faut obtenir du Roi la
grâce de mon mari ... Et de ton père
» la tienne , interrompit le jeune Défer-
» teur. D'où êtes - vous ? .. Monfei-
» gneur elle eft fille d'un ménuifier de
» M. , & mon père eſt un des jardiniers
» de Madame L *** . » Voilà un nouveau
motif de m'intéreffer à eux ; fur le champ
j'écris , j'écris , mais je n'ai foi qu'en vous ,
Madame. Faites la paix de cette jolie enfant
avec fon père. Et moi , j'espère qu'en
faveur des trois bleffures , je ferai celle
de fon mari avec le Roi . Et comment
voyagez - vous , mes ams ? Monfein
-
SEPTEMBRE. 1773. 191
≫gneur , il porte notre enfant fur fon
» bras. Monteigneur , elle va à pied.
33Quoi fi délicate & fi loin ? -Ab ! fi
» vous faviez ce qu'elle a déjà fouffert ! ,,
» Et lui donc ? vous ne fauriez vous imaginer
! ... Je ne fuis pas riche , meș
enfans , cependant je vous ferai cheminer
plus commɔdément. Où attendezvous
votre grâce ? En Suille , Monfei-
» gneur , parce que mon régiment eft
près delà, En Saiffe ! allez loger dans
le vieux château de W..
"
"
chez
mes bons & anciens parens. Dites - leur
que vous m'avez vu .... Vous pouvez
imaginer que j'étois extrêmement ému ;
fans enfantillage cependant , & j'en étois
tout fier ; mais ce couple intéreffant étoit
tout attendri. Ce font deux belles ames ,
dans cette claffe , je vous proteſte . On
me prit les mains , on me les preffa,
« Monfieur , que de bontés ! nous don-
» nerions notre vie pour vous . » Rien
mes amis , rien.. Alors , par je ne fais quel
hafard , l'enfant me careffa avec les petites
mains. Je fuis vieux , mais fenfible
comme à quinze ans . Auffi tôt la digue
fe rompit . Je fus contraint de leur tour
ner brufquement le dos , en leur balbytiant
de s'en aller ; & ils m'auront pris
pour un infenfé , ou , s'ils ont vu mon
192 MERCURE DE FRANCE.
trouble , pour un enfant ; car , en vérité
, toutes ces puérilités ne font pas d'un
homme.
I I.
Un Payfan ayant tué d'un coup de hallebarde
le chien de fon voilin , qui le
vouloit mordre , fut cité devant le Juge
qui lui demanda pourquoi il avoit tué
ce chien ; le payfan lui ayant répondu
que c'étoit en le défendant , le Juge lui
repartit : tu devois tourner le manche de
ta hallebarde . Je l'aurois fait , tépliqua
» le Payfan , s'il eût voulu me mordre de
queue & non pas des dents . >> la
I I I.
Il n'appartient qu'à un Prince habile
d'avoir un Miniftre habile , d'en tirer
vanité , & de reconnoître le befoin qu'il
en a . « Buvons , difoit Philippe de
" Macédoine faifant la débauche avec
» fes amis , parmi fes plus grandes affaires
; buvons : il fuffit qu'Antipater
» ne boive pas. » Voilà un des plus
glorieux témoignages que jamais Souvreain
ait portés en faveur d'un Particulier
.
IV.
SEPTEMBRE. 1773 . 193
I I I.
<< M. de Turenne difoit , en parlant
» des Généraux auxquels il avoit affaire ,
qu'un fot l'embarraiffoit quelque fois
plus qu'un habile homme. »
"
I V.
-
Monfieur de ** , Grand Prévôt
avoit le nez fort long & les narines fort
ouvertes. Il étoit très grand. M. d'Argenfon
difoit : «Quand je lui parle de
près , j'ai toujours peur qu'il ne me
» renifle. »
"
V.
" Un Gafcon difoit au Miniftre de la
» Guerre , vous me donneriez la majorité
du Paradis que je n'en voudrois pas . »
»
EDITS , ARRÊTS , &C.
I.
ETTRFS- Patentes du Roi , par lefquelles Sa
Majefté approuve , confirme & autorife un
Bref du Souverain Pontife , portant « qu'il lui
paroît néceffaire que les Archevêques & Evê-
I
194 MERCURE DE FRANCE
35
» ques vifitent ou faffent vifiter , chacun dans
» fon diocèfe , les Monaftères de ces Religieux ,
qu'ils ufent de tous les moyens d'y rétablir
» une réforme falutaire & durable , & qu'ils pro-
» pofent , où la réforme ne pourroit avoir lieu ,
» ce qu'ils croiront être le plus utile , foit par
» rapport aux Religieux de ces Monaftères , foit
par rapport à leurs biens & revenus » . Veut
qu'il ait lieu felon fa forme & teneur , pourvû
qu'il ne renferme rien de contraire aux conftitutions
canoniques , aux Priviléges , franchiſes &
libertés de l'Eglife Gallicane & aux Ordonnances
du Royaume ; enjoint aux Archevêques & Evêques
, dans les diocèfes desquels font fitués les
Monaftères de l'Ordre des Céleftins , de les vifiter
ou faire faire vifiter inceffamment, pour y établir
la réforme , conformément à la régle de ces
Religieux & aux mitigations approuvées par le
Saint Siége ; de propofer , où la réforme ne pourroit
- être établie , le parti qu'ils jugeront être le
plus convenable , tant à l'égard des Religieux ,
qu'à l'égard de leurs maifons ; & de repréſenter
les procès -verbaux de vifites , réglemens , ordonnances
& avis à ce fujet, pour être communiqués
au Souverain Pontife.
I I.
Edit du Roi qui ordonne qu'à l'avenir le Duché
d'Anjou , les Comtés du Maine & du Perche
& le Thimerais feront diftraits des recettes générales
des domaines & bois , des généralités de
Tours , d'Alençon & de Paris ; crée & érige , en
même tems , en titre d'office , deux receveurs &
deux contrôleurs généraux des domaines & bois
SEPTEMBRE . 1773 .
ISS
dans l'étendue de l'appanage de Monfeigneur le
Comte de Provence , pour y jouir des honneurs ,
rang , féance , prérogatives & Priviléges dont
jouiffent ailleurs les receveurs généraux.
I I I.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , qui ordonne
que les Notaires & tabellions de la Principauté
de Dombe , feront déformais , comme les autres
Notaires du Royaume , affujettis aux vifites des
Procureurs , commis & prépofés de l'adjudicataire
des fermes générales , & tenus de leur communiquer,
pour la partie des domaines , les minutes
de tous les actes dont ils feront dépofitaires ,
& c,
I V.
Arrêt du Confeil d'Etat qui porte que les 2 fols
pour livre , établis par les Déclarations des 3
Février 1760 & 21 Novembre 1763 , ainfi que
les 6 nouveaux fols pour liv. impofés par l'Edit
du mois de Novembre 1771 , feront & continueront
d'être perçus à Vitry le François , en fus
du nouvel octroi ou tarif en communication de
taille de cette Ville.
V.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi qui porte que
Sa Majesté étant informée que les propriétaires
des offices municipaux fupprimés , indépendamment
du contrat qui leur a été paffé , font reftés
dépofitaires du jugement de liquidation de leurs
offices & de leurs anciennes provifions & quittan.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
ces de finance fur lefquelles on n'a fait aucune
mention de décharge ni de converfion des liquidations
en contrats , & voulant empêcher qu'ils
ne le prévalent de ces provifions , & éviter les
doubles emplois auxquels le défaut de remiſe &
décharge des quittances de finance , pourroit
donner lieu , ordonne que les contrats paffés
far ces liquidations , feront remboursés , à compter
du 1'de Janvier de cette année , en quittances
de finance , produifant intérêt.
V I.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , qui fixe le
prix pour lequel on recevra aux hôtels des Monnoies
les nouvelles piftoles d'Eſpagne aubalancier,
aux armes & à l'effigie , ainfi que les nouvelles
piaftres à l'effigie , de la fabrication commencée
en 1772 , lefquelles fe font trouvées , par les effais
que fa Majefté en a fait faire , à des titres
inférieurs à ceux précédemment reconnnus dans
les piaftres & piftoles d'Efpagne , & fixe en même
temps les titres pour lefquels les Directeurs des
Monnoies en compteront à fa Majeſté.
VII.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , qui ordonne
que l'Arrêt du 15 Septembre 1771 , & le tarif y
annexé , feront exécutés felon leur forme & teneur
; & fixe en conféquence , le prix aux changes
des monnoies , tant des anciennes pièces de
4 fols , que celle de 6 , 12 , 24 fol . 3 1. 6 francs ,
de la fabrication actuelle , lefquelles feront effacées,
SEPTEMBRE. 1773. 197
VIII.
Déclaration du Roi , par laquelle fa Majefté
ordonne que les Articles XVII & XIX , concernant
les faux fauniers feront exécutés , & les interprétant,
en tant que de befoin, veut que dans le
cas où les faux fauniersfe feront évadés, ils puiffent
être arrêtés & conftitués prifonniers fur une fimple
permiffion du Juge , à la requête de l'adjudicataire
des fermes , dans laquelle ils feront nomniés
, ou du moins fuffifamment défignés ; que
cette permiffion s'étende même hors des lieux
foumis à la jurifdiction du Juge qui l'aura accordée
, fans qu'il foit befoin de commiffion, vifa
ni pareatis.
1 Χ.
Lettres-Patentes du Roi , par lefquelles fa Majefté
, en interprétant la difpofition de l'article
XIV des Lettres- Patentes du 2 Avril 1772 , au
fujet de la régie des cuirs , ordonne que les Juges
ne pourront choifir pour experts , à l'effet de
procéder à la vérification des marteaux & empreintes
faifis , que des graveurs établis dans les
Villes où il y a des hôtels ou jurifdictions des
Monnoies , & exerçant principalement & habituellement
la profeſſion de la gravure fur métaux.
X.
Lettres- Patentes du Roi, qui ordonnent que les
offices de Maire , Lieutenant de Maire , Echevin ,
Afseffeurs, Tréforiers, Receveur & autres Officiers
établis à Dieppe , en exécution de l'Edit de No-
1 iij
198 MERCURE DE FRANCE .
·
vembre 1771 , feront réunis & incorporés à la
Ville & Communauté , à la charge de faire pourvoir
un homme fous le nom duquel feront payés
les droits cafuels dont - ils font redevables ; que
la Ville fera fubrogée à l'acquifition de ces offices
, en rembourfant aux Maire & conforts qui
en feront pourvus par Lettres Patentes du
22 Mai 1772 , tous leurs frais & loyaux coûts ;
qu'elle demeurera par cette réunion , autorisée
à élire & nommer les Officiers municipaux qui
jouiront de tous les droits , fonctions , rang ,
féance , priviléges & prérogatives accordés par
l'Edit de Novembre 1771 ; mais que ces Oficiers
ne pourront exercer leuis fonctions fans l'agrément
de fa Majesté.
X I.
Lettres- Patentes du Roi , par lefquelles fa Majefté
ordonne que la compagnie du grand Prévôt
des Monnoies de France jouira des Priviléges ,
droits & exemptions accordés par les Edits , Déclarations
& Lettres Patentes du Roi , dont les
articles feront exécutés en ce qui n'eſt point
contraire à ces nouvelles Lettres - Patentes ; que
les offices qui compofent cette Compagnie cefferont
d'être à la nomination du grand - Prévôt ;
feront foumis à l'évaluation , centiéme denier &
cafualité au profit de fa Majefté , fuivant les difpofitions
de l'Edit de Février 1771 .
X I I.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi, qui ordonne que
les fonds de la chaire de fyriaque duCollégeRoyal,
SEPTEMBRE. 1773. 199
à la mort des titulaires , ou dès à préfent , s'ils y confentent
, foient appliqués à l'établiffement d'une
chaire de méchanique ; ceux de la chaire de Philofophie
Grecque & Latine à l'établiffement
d'une chaire de Littérature Françoife ; que la feconde
chaire d'Arabe foit convertie en une chaire
de Turc & de Perfan ; l'une des deux chaires de
Médecine pratique , en chaire d'hiſtoire naturelle
& l'une des deux chaires de droit canon , en
chaire de droit de la nature & des gens , de forte
qu'après ces changemens , il y ait dans le Collége
Royal , outre l'Infpecteur chargé de veiller
à la difcipline , un Profeffeur d'hébreu & de
fyriaque, un d'arabe , un de Turc & de Perfan ,
deux de grec , dont l'un expliquera les écrits
des anciens Philofophes , un d'éloquence latine
, un de Foéfie , un de Littérature Françoife
, un de Géométrie , un d'aftronomie , un
de Méchanique , un de Phyfique expérimentale
, un d'hiftoire naturelle , un de chimie , un
d'Anatomie , un de Médecine - pratique , un de
droit canon , un de droit de la nature & des gens,
& un d'hiftoire .
A
XIII.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , qui ordonne
que les enfans & defcendans des ennoblis depuis
1715 , lefquels fe trouvoient , à la publication
de l'Edit, pourvus de charges & offices donnant
la nobleffe au premier degré ou graduelle , foient
exempts de payer le droit de confirmation établi
par cet Edit , de la maniere que fa Majeſté en a
affranchi les enfans & descendans des ennoblis
depuis 1715 , qui fervoient , fors de l'Edit , dans
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
fes atmées de terre & de mer , conformément à
l'article X.
XIV .
Arrêt de la Cour des Monnoies , qui enjoint
aux exempts & archers de la Prévôté générale
des Monnoies , de mettre à exécution les Jugemens
des Officiers des Monnoies & de leur
prêter main forte.
AVIS.
I.
JOURNAL HISTORIQUE ET POLITIQUE
des principaux événemens des
différentes Cours de l'Europe.
C'EST actuellement chez LACOMBE , Libraire
, rue Chriftine , à Paris , que MM. les
Soutcripteurs font piiés de s'adrefler pour le
Journal Hiftorique & Politique.
Ce Journal a commencé le 10 Octobre 1772 .
Il raflemble & fixe , en quelque forte , les événemens
principaux de l'Hiftoire Univerfelle
Françoile & Etrangère.
On peut confulter ce Journal & le conferver
même en corps d'Hiftoire , comme le réſultat
non - feulement des Gazettes , mais encore de tous
les Papiers publics . Il eft , par fa diftribution , la
Gazette générale la plus complette , & , dans fon
enfemble , il offre les Mémoires les plus détaillés
SEPTEMBRE . 1773 . 201
du tems préfent ; & il aura de plus l'avantage de
donner fouvent des notices nouvelles fur des Mémoires
particuliers & intéreflans.
Ce Journal eft compofé de 36 cahiers par an ,
chacun de 60 pages , & paroît , très- exactement ,
trois fois par mois , c'eft - à - dire les 10 , 20 & 30
du mois ; il n'y en a point de ce genre qui loit
diftribué dans des tems plus courts , pour répandre
les nouvelles & fatisfaire la curiofité.
On eft libre de foufcrire en tout tems , à telle
époque que l'on veut.
Le prix de la foufcription , pour une année
entière, de ce Journal , rendu franc de port par
la pofte , foit à Paris , foit en Province , eft de
18 liv.
le
MM. les foufcripteurs font priés d'affranchir
port de leurs lettres & de l'argent , & de donner
leurs noms & leur adrefle exacte , d'une écriture
lifible.
I I.
Lettre de M. de Lalouette à M. Babelin.
Je fuis bien étonné Monfieur , que l'on ait pû
vous attribuer l'état de cécité dans lequel je fuis.
Au mois de Septembre dernier je ne diftinguois
aucun objet , & ma vue s'affoiblit infenfiblement ,
deforte qu'au mois de Septembre je ne vis plus
la lumière ; alors des étourdiffemens , des maux
de tête & de la fièvre , me déterminerent à être
faigné trois fois du pied ; ma tête fut foulagée ,
je revis pendant quelques jours la lumière fans
pouvoir diftinguer les objets ; peu de jours après
je me retrouvai dans le même état d'aveugle-
1 v
202 MERCURE DE FRANCE .
粤
ment. Comme les journaux faifoient mention
de gouttes fereines guéries par les faignées ; que
cette doctrine ne répugnoit point du tout à
mon expérience ; que d'ailleurs j'avois encore
des étourdiffemens confidérables , & que je fentois
le befoin d'être encore faigné , je vous fis
prier de me venir voir. Je fus faigné trois fois
de la gorge mes étourdiffemens fe diffipèrent ,
mais je ne revis pas la lumière. Ce ne font donc
pas les faignées qui m'ont rendu aveugle ; je
l'étois auparavant
, & malheureusement je le
fuis encore.
J'ai l'honneur d'être très -parfaitement , & c.
Ce 18 Août 1773-
DE LALOUETTE .
N. B. Des perfonnes mal intentionnées ayant
fait courir le bruit que M. Babelin avoit fait
perdre la vue au Sr de Lalouette , voilà une lettre
qui juftifie la conduite du fieur Babelin .
III.
On trouvera dès cette Automne un affortiment
complet d'arbres & arbustes étrangers
utiles & agréables , de la meilleure qualité , & à
jufte prix , parfaitement élevés , & fur - tout une
belle collection d'arbres &arbuftes qui ne perdent
pas leurs feuilles . S'adreffer à M. Braye , rue des
Péchereffes à Metz Ceux qui defireront avoir
un catalogue fe le procureront en en demandant
un par une lettre franche de port. On
trouvera chez la mêine perfonne d'excellens arbres
fruitiers.
SEPTEMBRE. 1773. 203
I V.
Le fieur Jean - Baptifte Duboft , diftillateur &
Parfumeur , Enclos S. Martin , vis -à -vis le nouveau
paffage de la boucherie , connu depuis longtems
par fon Effence de beauté , a perfectionné
cette compofition au point que MM. les maîtres
Perruquiers , Barbiers , Etuviftes de la Ville &
Fauxbourgs de Paris , ont délivré le certificat
à l'auteur, qui en conféquence , a obtenu la
permiffion de Monfeigneur le Lieutenant- Général
de Police & de la Commiffion Royale , pour
la diftribution de cette Effence de Beauté , reconnue
par fes qualités fupérieures à tout ce
qui a paru jufqu'à préfent , tant pour la barbe ,
que pour la peau ; en conféquence il eft autotorifé
à la fabriquer & à la débiter à Paris & dans
l'étendue du Royaume.
Cette effence , qui fe vend auffi chez le Suiſſe
de la Bourfe , rue Vivienne à Paris , & au bureau
des Perruquiers , rue St Germain , ne forme aucun
dépôt , procure un tranchant doux aux rafoirs ,
adoucit la peau , & tient le teint frais : les Dames
s'en fervent au lieu de pâte pour fe laver. Pour
éviter les contrefactions , le Sr Duboft appofera
fon cachet fur chaque bouteille , & fa fignature.
Maniere de s'en fervir.
Verfez quatre gouttes de ladite effence dans
une cuillerée d'eau; battez-la avec un pinceau ,
& favonez - vous ensuite .
Prix des bouteilles depuis 1 liv. 4 f. jufqu'à
1 2 liv.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE:
V.
Nouveau Vernis qui donne de l'éclat aux
tableauxfans les altérer.
M. Julliac , peintre & doreur , entrepreneur
des bâtimens du Roi , rue Bourtibourg , a découvert
un vernis à détrempe qui donne de l'éclat
au tableau , fans altérer les couleurs , ni
même les glacis , qui en retire tout l'embue &
le met en état de paffer à la postérité avec la
fraîcheur des teintes & du coloris , de même que
file tableau fortoit de deflous le pinceau. On
fait le tort que les vernis ordinaires font aux
tableaux en les faifant gercer , & en s'y adhérant
fi fortement qu'il faut enfuite des matières
fortes & pénétrantes pour les détacher de la couleur
qu'ils endommagent néceffairement , furtout
les glacis .
L'avantage du nouveau vernis eft de pouvoir
être enlevé avec une éponge & de l'eau fimple
au bout d'un grand nombre d'années , comme s'il
venoit d'être employé dans le moment. Ce vernis
nettoie fans endommager les tableaux les
plus anciens & les plus fales ; il prend même
jufques fur le vernis de Veniſe.
Plufieurs de MM . de l'Académie royale de
Peinture en font ufage avec fuccès. Leurs tableaux
fur lefquels on l'a employé en font un für
témoignage.
Le Public pourra juger de l'effet de ce vernis
employé fur les tableaux indiqués ei - après , cxpofés
au fallon.
SEPTEMBRE. 1773. 205
SAVOIR ;
Quatre Tableaux de M. Vernet , appartenans
à Mde la Comtefle du Barry , fous le N°. 39 ;
& un autre , du même auteur , fous le N°. 41.
Deux Tableaux de Mlle Valayer , fous les
Nos 139 & 140.
Et le Tableau de réception de M. Chardin ,
repréfentant des fruits , peint depuis 41 ans :
nouvellement nettoyé & revernis.
On prévient qu'il faut que ce foit le Sieur Julliac
qui emploie lui - même fon vernis . On peut
s'adreſſer à lui à l'adrefle ci - deflus indiquée.
NOUVELLES POLITIQUES .
De Conftantinople , le 3 Juillet 1773 .
Le Prince Repnin qui a été fait prifonnier à
l'affaire de Giurgewo , eft arrivé ici , il y a trois
jours , accompagné , par ordre du Grand Seigneur
, de fon propre chirurgien . Il a été guéri
en route des coups de feu qu'il avoit reçus. On a
logé ce Prince au quartier des Sept - Tours , dans
une maiſon meublée exprès pour lui .
Un détachement de huit cens Albanois paſſa ,
ces jours derniers, par cette capitale , pour fe rendre
à Varna , & un autre corps de la même Nation
eft destiné à refter en garnifon dans les forterefles
nouvellement conftruites à l'entrée de la
Mer Noire en Europe & en Afie. Toutes les batteries
font achevées , & on va les garnir de ca
nons.
206 MERCURE DE FRANCE.
De Warfovie , le 30 Juillet 1772 .
Le Maréchal Comte de Romanzow , après
avoir fait une tentative inutile fur Siliftrie , avec
toute fon armée au delà du Danube s'eft vu
contraint de repafler ce fleuve , & il eft rentré
dans le camp qu'il occupoit auparavant. Les Turcs
out repris tous leurs poftes , & le Grand Vifir n'eft
point forti de fa pofition . Il n'avoit fait marcher
contre les Rules que des corps détachés de la
grande armée.
De Vienne , le 28 Juillet 1773 .
Le Général Loudon partit, la ſemaine dernière,
pour aller rejoindre l'Empereur à Cafchau , en
Hongrie , & pour l'accompagner en Pologne. Il
a eu , avant fon départ , plufieurs conférences
avec l'Impératrice Reine qui lui a fait remettre
30 , 000 ducats ( environ 315 , oco liv. ) pour
les diftribuer , de fa part , dans les nouvelles poffeffions
. L'Empereur a fait de grandes largeffes en
Tranfylvanie , & a promis aux Peuples de faire
cefler les abus dont ils fe font plaints .
On célébra , lundi , à Luxembourg , la fête de
l'Archiduchelle Marie- Anne.
·Depuis que les Ruffes ont été forcés de s'éloigner
de Siliftrie , on n'a reçu aucune nouvelle intéreffante
des deux armées . On fait feulement
que celle du Général Romanzow étoit campée , le
13 Juillet , à Gala Braila , & qu'à la même époque
le Grand Vifir n'avoit encore rien changé à fa
pofition.
SEPTEMBRE. 1773. 207
De Stockolm , le 27 Juillet 1773 .
Le Roi vient d'augmenter les peines portées par
les loix contre les Avocats qui engagent les plai
deurs à entreprendre des procès injuftes & ruineux.
Ceux qui violeront , par cette conduite
criminelle , les devoirs de leur profeffion honorable
, feront punis corporellement. Ils ne recevoient
auparavant que des réprimandes.
De Coppenhague , le 20 Juillet 1773 .
Une Efcadre Ruffle compofée de cinq vaiffeaux
de foixante fix canons chacun , d'une frégate de
trente , & commandée par le Contre- Amiral Bafballe
, mouille actuellement dans la Baye de
Kioger , à trois milles de cette ville . On prétend
qu'une autre elcadre de la même Nation , également
compofée de cinq vaifleaux de ligne & de
trois fenauts , croife dans les environs de l'ifle
de Gothland.
D'Amfterdam , les Août 1773 .
On commence à reflentir ici les effets du difcrédit
où cette place eft tombée par les faillites
arrivées au commencement de cette année . Les
Négocians étrangers partagent la crainte de ceux
d'Amfterdam. Toutes les opérations du commerce
languiflent , & cette elpèce d'inaction ruine
tous les ouvriers . Depuis quinze jours on fe plaignoit
de vols faits dans la nuit. On a doublé en
conféquence les gardes ordinaires , & diftribué
dans différens quartiers de la ville , des patrouil
les bourgeoifes. Ces précautions ont raflaré les
habitans.
208 MERCURE DE FRANCE.
De Pétersbourg , le premier Juillet 1773 .
Le Gouvernement a envoyé au Général Conmandant
à Aftracan & au Gouverneur de Terki ,
dans la Circaffie Rufle , l'ordre de lever dix mille
Tartares. Ces nouvelles troupes féront réparties
dans divers régimens qui doivent aller renforcer
l'armée du Maréchal Romanzow , en Moldavie .
On a publié ici un manifefte en réponſe à celui
que la Porte avoit répandu , relativement aux né.
gociations de paix & à l'indépendance de laCrimée.
De Ratisbonne , le 18 Juillet 1773.
La Diete doit s'occuper inceflamment d'un pro
jet de réglement pour le Tribunal de Wetzlar ;
& malgrél'oppofition que plufieurs Cours avoient
montrée , il paroît que l'on commencera , avant
les vacances , à donner les fuffrages pour reprendre
les délibérations après la rentrée.
L'Impératrie de Ruffie , non contente d'encourager
les fciences & les arts dans fon empire ,
protége encore , d'une manière particulière , les
Littérateurs , même dans les pays qui ne lui font
pas foumis. Sa Majeſté Impériale vient d'en donner
une nouvelle preuve. S'étant fait rendre compte
du mérite & de l'utilité des ouvrages du fieur
Scheffer , Paſteur Luthérien de cette ville , connu
par fes expériences fur l'hiftoire naturelle , Elle
lui a fait préfent de 1000 roubles ( environ 5301
liv. ) , gtatification également honorable à ce
Lavant & à fon augufte bienfaitrice.
De Deux-Ponts , le 20 Juillet 1773.
Un courier dépêché de Pétersbourg & arrivé ,
SEPTEMBRE. 1773. 200
ees jours derniers , à Pirmafentz , réfidence actuelle
du Langrave de Hefle - Darmſtadt , a apporté
à ce Prince la nouvelle que le choix du
Grand-Duc de Ruffie étoit tombé fur la Princefle
Wilhelmine , fa feconde fille , & que le mariage
feroit célébré inceflamment.
De Malte , le 14 Juin 1773 .
Une des galiotes corfaires qui croifoit fur les
côtes de Baibarie , fous le pavillon Napolitain ,
amena , avant - hier , en ce port, une fandale char
gée de fel & de quelques jarres d'huile . Ce bâtiment
étoit armé de cinq Maures qui fe font défendus
avec tant de courage qu'il y en a eu trois
de tués & un de blefié. Le corfaire n'a pas perdu
un feul homme.
De Cadix , le 16 Juillet 1773 .
La Cour d'Espagne ayant appris que l'Empereur
de Maroc fe difpofoit à entreprendre le fiége
de Ceuta , vient d'y envoyer le Sr Sherloc , maréchal
de camp , avec le premier ingénieur , de
cette ville.
De Londres , le 26 Juillet 1773 .
à ce
L'acte paflé dans la dernière féance du Parle
ment , relativement aux espèces d'or , a occafionné
un dérangement fi confidérable dans le
commerce & des altercations fi vives parmi le
Peuple , qu'on s'attend à en voir fufpendre l'exé
cution. On tint confeil , vendredi dernier ,
fujet. On obferve d'ailleurs qu'à la faveur de
cette confufion , on a tranfporté chez l'étranger
une quantité confidérable de cette monnoie d'or ,
ce qui favorife la contrebande & acheve de ruiner
le commerce.
210 MERCURE DE FRANCË .
Le bruit s'étoit répandu que le Nabab de Be
nares , dans le Bengale , s'étant joint aux Marates
, avoit taillé en pièces un corps d'environ
deux mille Anglois , fans compter les Cipayes ;
que le Mogol & les Nababs avoient réfolu , entr'eux
, d'abandonner aux Marattes la moitié des
revenus de ce vafte empire , de rendre leurs intérêts
communs , & de nous chaſſer de nos nouvelles
pofleffions ; mais les dernières lettres arrivées
du Bengale annoncent au contraire que le
Mogol ayant levé une armée contre les Maractes
, pour s'affranchir du joug fous lequel ils le
tiennent , depuis qu'ils l'ont placé fur le trône , a
été totalement défait , & que les Marattes, après
l'avoir fait prifonnier , ont pillé la ville de Delhi .
Un particulier de Colcheſter obfervant , il y a
plufieurs jours , que certains arbres fruitiers de
fon jardin ne réuliloient pas auffi bien que les
aurres , fit creufer à quelque profondeur au pied
de ces arbres. Il s'attendont trouver un lit de
gravier ou un autre corps dur qui empêchoit les
racines de s'enfoncer librement. dans la terre ;
mais on découvrit , après avoir fouillé pendant
quelque tems , une chauffée romaine conftruite
en brique , fous laquelle étoit une couche de froment.
Ce grain étoit pur , fans aucun mêlange
de terre , auffi noir que s'il avoit été brûlé & ertièrement
femblable à celui qu'on a trouvé enleveli
fous les ruines d'Herculanum .
De Paris , le 15 Août 1773.
Les établiflemens formés par les Prévôt des
Marchands & Echevins de la Ville de Paris , en
faveur des noyés , ont eu tant de fuccès qu'on
s'eft empreffé d'en faire de femblables dans les
SEPTEMBRE . 1773. 211
provinces. Les Maire , Echevins & Officiers Municipaux
de la Ville de Tours , fecondés par l'Intendant
de la Généralité , ont établi différens
dépôts où l'on adminiftrera les remèdes néceffaires
. Pour détruire, en même tems , les préjugés
du Peuple , qui par crainte d'être inquiété , refuſe
de toucher aux perfonnes tombées dans l'eau , ils
ont affigné différentes récompenfes à ceux qui
viendront à leur fecours & même aux chirurgiens
, quoique les gens de l'art n'aient befoin
d'aucune promefle de cette nature pour être excités
à exercer leur zèle & leur humanité.
NOMINATION S.
Le Roi a accordé les Entrées de fa Chambre au
Marquis de Choifeul , Menin de Monfeigneur le
Dauphin .
Le Sieur le Preftre de Châteaugiron , Préfident
du Parlement , ayant demandé au Roi la permiffion
de fe démettre de, la charge de Surintendant
de la Maifon de Madame la Dauphine , Sa
Majefté a nommé à cette place le ficus de Giac ,
Maître des Requêtes.
Le 8 Août , l'Abbé Terray , Contrôleur- général
des Finances , prêta ferment entre les mains du
Roi , pour la charge de Directeur & Ordonnateur
général des bâtimens de Sa Majeſté.
PRESENTATIONS .
Le Comte de Broglie , chevalier des Ordres du
Roi & lieutenant général de fes armées , nommé
commiflaire plénipotentiaire pour aller recevoir ,
fur la frontière , Madame la future Contelle
d'Artois , a cu l'honneur de faire les remercimens
à fa Majefté à qui il a été préfenté par le Duc d'Ai212
MERCURE DE FRANCE.
guillon , miniftre & fecrétaire d'état , ayant le département
des affaires étrangères .
Le premier Acût , la Vicomtefle du Barry eut
l'honneur d'être préſentée au Roi & àla Famille
Royale par la Comtefle du Barry .
Le 5 Août , le Comte de la Marmora , ambaſfadeur
de Sardaigne , eut une audience particulière
du Roi à qui il remit fes lettres de recréance
& prit congé de Sa Majefté . Le Comte de Viri ,
fuccédant au Comte de la Marmora dans l'am .
"baflade de France , eut immédiatement après ,
audience du Roi. Ces deux Ambatladeurs furent
conduits à cette audience , & à celle de la Famille
Royale , par le fieur Tolozan , introducteur des
"Amballadeurs.
Le 8 Août , le Marquis de Noailles , ambaffadeur
du Roi auprès des Provinces Unies , prit
congé de Sa Majefté & de la Famille Royale. Il
eut l'honneur d'être préfenté au Roi par le Duc
d'Aiguillon , miniftre & fecrétaire d'état , ayant
le département des affaires étrangères .
Le 12 Août , le Comte de Guines , ambafladeur
du Koi auprès de Sa Majefté Britannique , arriva
à Compiegne , & fut préfenté au Roi par le Duc
d'Aiguillon , miniftre & fecrétaire d'état , ayant
le département des affaires étrangères.
NAISSANCE.
>
Des lettres de Brondberg , dans le Diftri &
d'Aalbourg en Danemarck , portent qu'une
femme vient d'y accoucher de quatre garçons ,
deux morts, & deux qui n'ont vécu qu'un jour.
SEPTEMBRE. 1773. 213
M OR T S.
Le nommé Martin Montaldo eft mort à Gènes,
dans la cent dixième année de fon âge . Il étoit
né fur la paroifle de Morta , en Polcevera.
Julien d'Aboville , Lieutenant- général des armées
du Roi , ancien infpecteur de l'artillerie, eft
mort , le 23 Mai dernier , à la Fère , dans la quatre
vingt - fixième année de fon âge. Il s'étoit
trouvé à plus de cinquante fiéges.
·
Jean-Jofeph de Mellet de Fargues , chevalier
de l'Ordre de St Jean de Jérusalem , commandeur
d'Olloy , bailli & maréchal de fon Ordre , eft
mort , le 22 Juillet , au château de Fargues , en
Auvergne , dans la foixante - feptième année de
fon âge.
Catherine Richard , veuve de Guy Allard ,
avocat , eft mort à Grenoble , dans la cent quatrième
année de fon âge .
N. de Poireflon , Marquis de Chamarande , eſt
mort à la terre de Chamarande , près de Chaumont
en Baffigny , dans la quatre-vingt- huitième
année de fon âge.
Thomas Garbut eft mort à Hurtford , dans la
province d'Yorck , à l'âge de cent un ans . Il a confervé
l'ufage de tous les fens juſqu'au dernier
moment de fa vie.
LOTERIES.
Le tirage de la loterie de l'Ecole royale militaire
s'eft fait le 5 Août. Les numéros fortis de la roue
de fortune , font 74 , 7 , 41 , 22 , 19. Le prochain
tirage le fera le 6 Septembre.
214. MERCURE DE FRANCE.
NB. On a oublié d'indiquer le nom de M de
la Harpe au bas du premier article des Nouvelles
Littéraires du dernier Mercure.
TABLE.
PIECES FUGITIVES en vers & en profe , page s
Sur les trois Grâces , peintes en émail ,
Epître en vers , à Mademoiſelle de B ***
Cantate bachique ,
Vers à l'Auteur du Teftament de ma Raifon ,
Ode d'Horace à ſon Eſclave ,
La vertueufe Ingratitude , conte ,
Les deux yeux , apologue ,
A M. Aufrêne ,
A Madame la Comtefle de V...,
A Mademoiſelle V ** ** d'A………. ,
ibid.
6
7
୨
10 .
II
28
29
30
31
Dialogue entre Jeanne d'Ark & Jeanne Laifné, 32
Chanfon fur les Vieux , 40
Parodie. Les jeunes Gens vengés , 43
Fable orientale ,
Quatrain impromptu ,
Hymne de Callimaque à Apollon ,
La Défiance punie , fable ,
Vers à une Dame ,
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
ENIGMES ,
46
ibid.
57 1
59
60
61
62
SEPTEMBRE. 1773 . 215
1
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Chriftophe Colomb , poëme ,
Dictionnaire pour l'intelligence des Auteurs
claffiques , & c.
Le Chemin du Ciel , ou la Vie du Chrétien ,
Théâtre de M. Poinfinet de Sivry
Tobie , poëme en quatre chants ,
Eflai fur la Fièvre Miliaire ,
>
OEuvres de Molière , avec des remarques
grammaticales , & c.
Euvres de M. Franklin ,
Recherches fur la Ville de Paris ,
Abrégé de l'hiſtoire de la Milice Françoile du
P. Daniel ,
64
68
ibid.
77
96
ICI
I113
118
122
126
128
1
130.
Traité des Léfions de la tête par contre - coup , 131
Articles de l'Encyclopédie , concernant la
grammaire ,
Livre des Réflexions chrétiennes ,
Traité des Couleurs & Vernis ,
Nouveaux Elémens d'Architecture ,
Nouvelle Bibliothèque de campagne ,
Grammaire Anglo Irlandoife ,
Manière d'enluminer l'eftampe pofée fur
toile ,
Lettre de M. de V. à Madame la C. D. B. ,
ACADÉMIES ,
133
134
135
136
137
ibid.
139
140
141
142 Scts proposés par l'Acad . de Toulouſe ,
Eclairciffemens à joindre à l'ouvrage intitul
Monumentorum Galaticorum Synop fis , 146
"
216 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLES , Opéra ,
147
Comédie Françoile, 148
Comédie Italienne 157
Lettre de M. Saverien , fur la fin du monde , 158
ARTS , Gravures ,
168
Etat préfent de la Ville de Lyon , 172
Mufique , 173
Horloge de l'Ecole royale militaire , 176
Cours d'accouchement ,
183
Fête donnée par Mde la Comtefle de Marfan
à Madame de France,
Anecdotes ,
184
Uſages anciens , Le Mouton de Bapaume , 187
188
Edits , Arrêts , 193
Avis , Journal hiftorique & politique ,
Lettre de M. de Lalouette à M. Babelin ,
Nouveau vernis qui donne de l'éclat aux
tableaux fans les altérer ,
200
201
204
Nouvelles politiques ,
Nominations ,
Préfentations ,
205
211
ibid.
Naiffance ,
Morts ,
212
213
Loteries,
ibida
'AI
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le
volume du Mercure du mois de Septembre 1773 ,
& je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en
empêcher l'impreflion .
A Paris , le 30 Août 1773.
LOUVEL.
N.
M
De l'Imp. de M. Lambert , rue de la Harpe,
Qualité de la reconnaissance optique de caractères