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1772, 07, vol. 1-2
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MERCURE
23191
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
JUILLET , 1772 .
PREMIER VOLUME .
Mobilitate viget. VIRGILE.
A PARIS ,
, Chez LACOMBE , Libraire Rue
Chriſtine , près la rue Dauphine .
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
C'E'ESSTT au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriſtine , que l'on prie d'adreſſer , francs de port,
les paquets & lettres , ainſi que les livres , les eftampes
, les piéces de vers ou de proſe , la muſique
, les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître an
Public , &tout ce qui peut inftruire ou amuſer le
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GRAVURES.
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MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET , 1772 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
JEAN qui pleure & JEAN qui rit.
QUELQUEFOIS IC matin , quandj'ai mal digéré,
Mon eſprit abattu , triſtement éclairé ,
Contemple avec effroi la funeſte peinture
Des maux dont gémit la nature ;
Aux erreurs , aux tourmens , le genre humain
livré ;
Les crimes , les fléaux de cette race impure ,
Dont le Diable s'eſt emparé .
Je dis au Mont Etna: pourquoi tant de ravages ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Et ces ſourcesde feu qui ſortent de tes flancs ?
Je redemande aux mers tous ces triſtes rivages
Dilparus autrefois ſous leurs flots écumans
Et je redis aux tyrans :
Vous avez troublé le monde
Plus que la fureur de l'onde ,
Et les flammes des volcans.
Enfin lorſque j'enviſage ,
Dans ce malheureux ſéjour ,
Quel est l'horrible partage
De tout ce qui voit le jour ,
د
Et que la loi ſuprême eſt qu'on ſouffre & qu'on
meure ,
Jepleure.
Mais lorſque , fur le foir , avec des libertins ,
Et plus d'une femme agréable ,
Je mange mes perdreaux , &je bois de bons vins
Dont Monfieur Daranda vient de garnir ma table :
Quand , loin des ftippons & des ſots ,
Lagaîté , les chansons , lesgraces , les bons mots
Ornent les entremets d'un ſouper délectable ;
Quand , ſans regretter mes beaux jours .
J'applaudis aux nouveaux amours
De Cléon & de la maîtreſſe ;
Et que la charmante amitié ,
Seul noeud dont mon coeur eſt lié ,
Me fait oublier ma vieilleſſe ;
Cent plaiſirs renaiſſans réchauffent mes eſprits ;
Je ris.
:
JUILLET. 1772 . 7
Jevois , quoique de loin , les partis , les cabales ,
Qui ſoufflent , dans Paris vainement agité ,
Des inimitiés infernales ,
Et verſent leurs poiſons ſur la ſociété :
L'infâme calomnie , avec perverſité ,
Répand ſes ténébreux ſcandales.
Onme parle ſouvent duNord enſanglante;
D'un Roi ſage & clément chez lui perſécuté ,
Qui , dans ſa royale demeure ,
N'a pu trouver ſa ſûreté ;
Que ſes propres ſujets pourſuivent à toute heure ,
Jepleure.
Mais ſi mon débiteur veut bien me rembourſer ,
Si mes prés ,mes jardins , mesto és s'embellife
fent ,
Si mes vaſlaux ſe rejouiflent ,
Et ſous l'orme viennent danſer ;
Si par fois , pour me délafler ,
Je relis Arioſte ,
•
• :
Ou quelqu'autre impudent dont j'aime les écrits
Je ris.
Il le faut avouer , telle eſt la vie humaine.
Chacun a ſon lu in qui toujours le promene
Des chagrins aux amuſemens.
De cinq ſens , tout au plus , malgré moi je dé
pends ;
Aiv
8 MERCURE DE FRANCE.
L'homme eſt fait , je le ſais , d'une pâte divine ,
Nous ferons tous un jour des eſprits glorieux ;
Mais dans ce monde-ci l'homme eſt un peu machine.
La nature change à nos yeux ;
Et le plus triſte Héraclite ,
Quand ſes aflaires vont mieux ,
Redevient Démocrite.
RÉPONSE de M. de V ***,aux vers
de M. de Voltaire , qui ont pour titre ,
Jean qui pleure & Jean qui rit.
Du tems vous trompez les efforts ;
Et moi , j'en éprouve l'outrage.
Vous ſavez vous paffer de corps ,
Votre eſprit ne change point d'âge ;
Les neiges font devant vos yeux ;
Le printems eſt dans votre tête :
Tous vos vers font des fleurs de fête ,
Tous vos jours ſont des jours heureux.
D'Apollon vous tenez la caifle ,
De ce dieu vous viſez les bons;
Et, quoique vous payiez ſans ceſſe ,
Vous ne dites pas : point defonds.
Pour moi débile créature ,
La triſte main de la nature
JUILLET . 1772.
و
Étendun crêpe ſur mes jours;
Mes yeux m'étaient d'un grand ſecours,
Pour lire les fruits de vos veilles ;
Je les perds , & j'ai des oreilles
Pour entendre de ſots diſcours.
Pourſuivi par la calomnie ,
Je ne ſens plus que le poids de la vie.
Mon bonheur eſt dans le cercueil
De mon irréparable amie ;
L'Univers me paraît en deuil.
vous , rate ornement de notre académie ,
Vous nous garantiſſez ſon immortalité ;
Que les traits aigus de l'envie
N'altèrent pas votre gaîté.
Vous ne mourrez jamais ; moi , je meurs à toute
heure ;
Vous êtes Jean qui rit , & je ſuis Jean qui pleure.
Traduction de l'Ode VII . du livre IV .
d'Horace. A Torquatus .
Nos os jardins renaiſſans étalent leur parure ,
Zéphir rend à nos voeux l'ornement des forêts ,
Tout s'anime dans la nature ,
Et le ſoleil plus vifa ſéché nos guérêts.
Laterre a dépouillé cette robe éclatante
Où les dons de Cérès étoient enſfevelis ,
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
Les flots impétueux du Tibre & de l'Ofante ,
Enchaînés , rentrent dans leur lits .
Dans nos brillans vergers Cythèrée & ſa cour
Danſent au ſon de la muſerre ,
Ges doux momens ont ramené la fête ,
Des jeux , des ris & de l'amour.
Le retour du printems embellit nos climats ,
Le printems difparoît , & l'été prend ſa place ,
Auſſi rapidement l'automne arrive & pafle ,
Et laiſſe triompher la rigueur des frimats.
Tel eſt l'arrêt des deſtinées ,
Ce changement continuel ,
Des heures , des ſaiſons , du tems &des années,
Tout dit que tout finit , que rien n'eſt immortel.
Le dieu du jour au ſein des mers ,
De ſes raïons mourans éteint le foible reſte ;
Brillant , il reparoît ſous la voûte céleste ,
Et fes feux rallumés embraſent l'Univers.
Mais l'homme, étre foible & fragile ,
Dans le cercueil à peine eſt deſcendu ,
Il s'efface , il n'eſt plus qu'une cendre ſtérile ,
Jouet léger des vents , dans les airs répandu .
Tout paſſe au tour de nous , nous paflons ,&
j'ignore
Si ledeftin àcette aurore
JUILLET. 1772.
Marque le terme de mes jours ;
Oublions cette incertitude ,
Du vin , des jeux & des amours
Faiſons - nous une douce étude.
Jouis , de l'héritier trompe l'avide eſpoir ,
Du fruit de tes travaux fais un utile ulage ,
De l'homme raisonnable & ſage ,
La jouiſſance eſt le devoir.
Ah ! quand le ciſeau dela Parque ,
Sur le fil de tes jours ofera s'attacher
De l'Acheron quand le pâle Nocher
T'aura reçu dans ſa fatale barque;
O! mon cher ami , tes tréſors ,
Ta piété , ton éloquence ,
La hache , les faiſceaux , du fier tyran des mortss
Rien ne ſauroit tromper l'adroite vigilance.
Songes- y , l'heure fuit , profite des inſtans ,
Sur l'avenir obſcur ferme les yeux ; le ſage ,
Pour vivre heureux , jouit du tems
Et ne vit que pour ſon uſage.
:
Par M. Latour de la Montagne.
Avj
43 MERCURE DE FRANCE.
EPITRE AU BEAU SEXE.
UNE décente propreté
Suffit pour orner la nature ,
On éblouit par la parure ,
On plaît par la ſimplicité.
Vois ſur les bords d'une fontaine ,
Occupée à laver ſon teint ,
La jeune amante de Philène ;
C'eſt là qu'elle vient le matin
Avec ſon troupeau , ſous ce chêne ,
Souriant d'un air enfantin ,
Se mirer dans l'onde incertaine
Qu'agite le zephir badin ;
Tantôt d'une courſe légère ,
Elle va cueillir au jardin
Ces fleurs , l'ornement de la terre ,
Et dont la beauté paſlagère
Va bientôt mourir ſur ſon ſein.
Elle n'a dans ſa chevelure ,
Pour diamans que des bouquets ,
Son innocence eſt la parure
Qui releve tous ſes attraits.
Elle ignore cet art frivole
Dont nos femmes font tant de cas ,
Qui flatte leur vanité folle
En falſifiant leurs appas.
JUILLET. 1772 . 13
De ta raiſon évanouie ,
Quand écouteras-tu la voix ?
Quand mépriſeras-tu les loix
Du fier tyran de ma patrie ?
Borne à plus de ſimplicité
Et tes habits & ta toilette ,
Sexe aimable , dont la beauté
Plairoit plus, un peu moins coquette.
Par leméme.
L'HOMME qui ne s'étonne de rien .
Conte.
SURGI & DORIVAL avoient été amis
dès l'enfance , & l'étoient encore à cinquante
ans. Tous deux habitoient la campagne&
le même canton ; mais leur manière
de l'habiter étoit différente ; leur
manière de ſentir & de voir différoit encore
plus. Dorival étoit riche & toujours
inquiet : Surgi étoit pauvre & toujours
tranquille.Commentfaites- vous,demandoit
le premier à ſon voiſin , pour ne vous
plaindre jamais du fort qui vous a tant
maltraité ? C'eſt , répondoit Surgi , que je
lui fais gré de ne m'avoir pas encore traité
plus mal. Mais , reprenoit Dorival ,
14 MERCURE DE FRANCE.
vous étiez riche , & vous voilà dans l'indigence.
Voyez les habitans de ce village,
ajoutoit Surgi , ils font encore plus pauvres
que moi. Il est vrai , pourſuivit Dorival
, que la richeſſe n'eſt pas toujours
la compagne du bonheur. Je ſuis de tous
mes pareils le plus opulent & le moins
heureux. -Je le crois bien ! tout vous
réuffit. -A peine ai-je formé un projet
qu'il s'effectue ; je n'ai le tems ni d'eſpérer
ni de craindre . -Je vous plains; votre
ame doit être bien engourdie .-Vous
croyez donc l'inquiétude un aliment néceſſaire
à notre exiſtence ? -Croyez vous ,
reprit Surgi , le vent néceſſaire à un vaifſeau
qui met à la voile ? nous ſommes le
vaiſſeau; & fi rien ne nous agire nous reftons
par nous-mêmes ſans mouvement.
-Mais avouez , du moins , qu'il ne faut
pas que le vaiſſeau ſe briſe ? Ne vous faites
point illufion , & parlons ſans figure :
voilà bien des revers qui ſont venus fondre
ſur vous depuis quelque tems.
n'en ai point gardé la liſte , & j'en ai ,
fans doute , oublié pluſieurs. -Mais , par
exemple , cet orage qui anéantit vos petites
vendanges l'automne dernier ? -Je
fus très- heureux qu'il n'ait pas détruit ma
petite moiſſon deux mois plutôt. -Et ce
- Je
JUILLET. 1772 .
coup de tonnerre qui renverſa une partie
de votre maifon ? -Cette partie n'eſt
point habitée ; mon bonheur voulut que
le tonnerre tombât ſur elle , & non fur
celle que j'habitois. -Il n'y a pas trois
ſemaines qu'un renard égorgea durant la
nuit toute votre baffe cour. -J'ai bien
de l'obligation à ce renard. Le ravage
qu'il avoit fait dans ma baffe- cour fut
cauſe que j'examinai ma bergerie . Il y
avoit un trou affez grand que je fis reboucher.
Vous voyez bien que fi au lieu du
renard le loup étoit venu me vifiter la
nuit d'auparavant , c'étoit fait de tous
mes moutons . -Enfin l'hiver dernier
Firmin , votre fils , s'eſt caflé une jambe.
-Si vous ſaviez combien la chûte qu'il
fit étoit dangereuſe , vous admireriez le
bonheur qu'il eut de ne ſe les être pas
caffées toutes deux .-Mais , vous-même,
ajouta Dorival , avec impatience , vousmême
, n'êtes vous pas quelque fois tourmenté
de la goute ? Voilà , repliqua Surgi
, ce que c'eſt que d'avoir long - tems
vécu dans l'aiſance & l'oiſiveté. La goute
n'eût jamais ofé venit me trouver ſous
cette mafure . An reſte , ce n'eſt point un
malheur : un habile médecin m'a dit que
la goute préſervoit de toute autre malay
die.
16 MERCURE DE FRANCE.
Oh ! parbleu ! dit encore Dorival , je
ſuis au bout de mes objections. Il eſt inutile
de diſputer contre un homme qui prétend
que la goute n'eſt point un mal. Ils
ſe quittèrent, Dorival pour aller s'ennuier
dans fon château , & Surgi pour travailler
àfon jardin .
1
Il achevoit d'étayer un jeune arbre quand
ſon fils arriva de la prairie voiſine. Il étoit
completement mouillé , quoiqu'il ne fût
tombé aucune pluie , & paroiſloit vivement
ému. Ah ! mon père ! s'écria -t'il ,
ah ! de quel malheur je viens d'être témoin
! Quel est ce malheur, demanda Surgi
. -La fille de notre riche voiſin , l'aimable
Pauline , eſt tombée dans le plus
profond de la rivière ! -Comment ! elle
s'eſt noyée ? -Non , mon père , je l'ai fecourue.
- Vous êtes bienheureux l'un &
l'autre ! -Je m'eſtime heureux , il eſt
vtai ; mais Pauline eſt encore ſi effraiée ! ..
-Elle ſe raſſurera , & remerciera le Ciel
de t'avoir envoyé là ſi à-propos . -Elle
s'étoit haſardée , ſeule avec ſa femine de
chambre , à conduire ſur la rivière une
petite gondole : la tête a tourné à l'une &
à l'autre ; la gondole s'eſt renverſée. -Et
la femme de chambre qu'eſt- elle devenue
?-Elle s'étoit accrochée à une bran
JUILLET. 1772. 17
che d'arbre qui plonge dans la riviere.
J'ai eu le tems de la ſecourir , comme j'avois
fecouru ſa maîtretle . - mon fils ,
l'heureuſe journée pour toi ! Ah ! ſi vous
ſaviez l'intérêt que je prends à Pauline !
-Tant mieux ! tu n'en dois être que plus
fatisfait de lui avoir ſauvé la vie. -Hélas
! je l'ai conſervée pour un autre; je
l'aime ſans eſpoir. -Tu l'aimes ?-Je
n'ai pu m'en défendre , & c'eſt pour moi
un malheur de plus. -- Elle ne t'aime donc
pas ?-Je n'en fuis point encore réduit
àle croire,& li j'étois enclin à me flatter ...
C'est - à - dire , ajouta Surgi , que tu n'es
point mal avec elle ? C'eſt toujours une
confolation,& c'en est une autre bien flatteuſe
de pouvoir ſe dire : j'ai préſervé de
la mort celle que j'aime .
Dorival furvint en ce moment. Où estu
, généreux jeune homme ? s'écria- t'il ;
viens , que je t'embraſſe. Tu m'as conſervé
la vie , en me conſervant ma fille.
Mais ce n'eſt pas tout , il faut me ſuivre :
ma fille te demande , elle veut remercier
elle-même ſon libérateur. Elle me demande
, reprit Firmin avec émotion ? Eh!
oui , ſans doute , ajoura Dorival . Il feroit
bien plus extraordinaire qu'elle ne te demandât
point . Firmin ſe hâra de changer
18 MERCURE DE FRANCE.
d'habits , & ſe para de ce qu'il avoit de
mieux ; c'eût été peu de choſe ſi ſa jeu
neffe , & les agrémens de ſa perſonne n'y
euſſent ſupplée. Il joignoit aux traits les
plus réguliers , une taille avantageuſe &
régulière . On devinoit encore ſon origine
, à travers la ſimplicité de ſon extérieur
. Dorival l'emmena chez lui ſur le
champ , & Surgi , en les voyant partir ,
diſoit en lui-même : voilà un accident qui
fera utile à trois perſonnes. Pauline deviendra
plus prudente : l'ame de Dorival
aura une fois connu l'émotion , & Firmin
aura eu le bonheur de faire , en un ſeul
jour , deux actions généreuſes.
Firmin étoit fort agité lorſqu'il aborda
la belle Pauline. On aſſure qu'elle même
n'étoit pas moins émue. Elle étoit au lit,
&cette poſition ne contribuoit pas à la
rendre moins intéreſſante aux yeux de Firmin.
Voilà celui qui t'a ſauvée , dit Dorival
à ſa fille , en le lui préſentant;garde.
toi bien d'oublier un pareil ſervice . Non,
mon père , lui répondit - elle , en regardant
Firmin avec des yeux qui annonçoient
plus que de la reconnoiſſance ; non,
je vous proteſte de ne l'oublier jamais.
Pour vous , dit Dorival au jeune homme,
j'exige que vous lui faffiez compagnie
JUILLET.
1772 نو .
durant quelques momens. J'ai certaines
dépêches à expédier. Je ne tarderai pas à
vous rejoindre .
Il fortit , & les deux jeunes gens reſtèrent
quelques minutes ſans ſe parler . Je
ne ſais , dit enfin Pauline à Firmin , je ne
ſais de quelles expreſſions me ſervir pour
vous peindre ma reconnoiſſance , pour
vous dire à quel point votre action généreuſe
me touche & me pénètre. Ne me
remerciez de rien , Mademoiselle, repritil;
je ſuis trop heureux d'avoir pu vous
ſauver ; je n'aurois pas furvécu à votre
perte. Cela est- il poſſible , demanda Pauline
avec encore moins de ſurpriſe que
d'intérêt ? C'eſt une vérité qui m'échappe,
reprit Firmin ; j'aurois dû me réduire à
penſer ce que je viens de dire. - Eh !
pourquoi ? ſi l'on aime que vous le penfiez
?-J'en ferois moins malheureux ;
mais je le ferois encore beaucoup.
Firmin , lui dit- elle,en le regardant d'une
manière propre à le raffurer , croyez au
moins que l'on vous rend justice , & dès
lors ne vous croiez pas à plaindre . Ah! reprit
il , aimable Pauline , votre coeur eſt fait
pour apprécier le mien; mais votre coeur
ne diſpoſera point de votre ſort , & c'eſt
de votre fort que le mien doit dépendre.
Pardonnez , ajouta t'il impétueuſement ,
...
20 MERCURE DE FRANCE .
& en ſe précipitant à genoux auprès du lit
de Pauline ; pardonnez un diſcours qui
doit anéantir le prix du zèle que je vous
ai marqué : l'amour ne connoît point les
rafinemens de la politique. J'euſſe expoſé
, je l'avoue , mes jours pour ſauver du
même péril tout autre que vous ; mais je
n'eufle point fait voeu de périr ſi je ne la
ſauvois pas .
,
1
Certain bruit qui ſe fit entendre empêcha
Pauline de répliquer , & obligea Firmin
de reprendre ſa première attitude. Il
étoit à peine affis que Dorival rentra ſuivi
d'unjeune homme que Firmin connoifſoit
déjà pour fon rival. C'étoit unde ces
merveilleux dont la capitale eſt toujours
bien pourvue & qu'on y tolère parce
qu'il faut du ſpectacle dans les grandes
villes . Je t'annonce , dit Dorival à Pauline
, M. le Marquis de Sainville ; je viens
de lui apprendre ton accident & il en eſt
vivement pénétré... Dites pétrifié, anéanii
, reprit Sainville , en s'avançant d'unair
leſte& fautillant. Puis , s'adreſſant à Pauline
: favez - vous bien , ajouta - t'il , que
votre mort auroit réjoui bien de jolies
femmes ? Quelle folie de s'embarquer
ainſi toute ſeule ! je gage même que vous
vous expoſiez fans avoir aucun but. Le
JUILLET . 1772 . 21
5
pauvre Léandre ſe noya , mais on fait
pourquoi. Il n'y a qu'un pareil motif qui
puiffe excuſer une pareille imprudence.
1
Pauline étoit peu tentée de répondre à
ce propos ridicule. Firmin l'écoutoit avec
indignation& eut peine à ſe contenir.
Pour Dorival , il ne le trouva que plai.
fant. Il étoit déjà guéri de ſa première
émotion , & voyant ſa fille échappée à cet
accident, il en concluoit de nouveau que
ſa fortune étoit inaltérable . Que vouliez
vous , diſoit- il à Sainville ? on fait bien
qu'une fille s'ennuie. Quand on ne ſe
trouve pas bien ſur terre , on eſpère être
mieux fur l'eau. Cette inquiétude n'eſt
pas incurable , &j'eſpère que lorſque vous
ſerez l'époux de ma fille , elle aura moins
beſoinde ſe diſtraire .
Je l'eſpère bien auſſi , reprit Sainville ,
d'un air très aſſuré. D'ailleurs , il n'eſt dit
nulle part qu'un mari ſoit obligé de ſe
noyer pour ſecourir ſa femme. A propos,
j'oubliois de vous demander par qui Mademoiselle
a été ſecourue ?
Par ce brave jeune homme , répondit
Dorival en frappant ſur l'épaule de Firmin
: je n'oublierai jamais le ſervice qu'il
vientde me rendre. Ah ! vraiment ! reprit
Sainville , ces gens de la campagne na
22 MERCURE DE FRANCE.
gent comme des poiſſons . Mais nous autres,
gens de la cour nous verrions toutes
les belles qui s'ennuyent ſe noyer , ſans
pouvoir les ſecourir. Pour moi , dit Firmin
, j'ai confulté mon zèle plutôt que
mon adreſſe. Je vous en ſais gré , ajouta
Sainville,& je veux vous prendre ſous ma
protection. Je vous en remercie & vous
endiſpenſe , lui dit Firmin d'un ton allez
fier: j'attends des amis , & n'ai jamais
cherché de protecteurs .
Commentdonc ! s'écria Sainville , voilà,
je crois, de la philoſophie! il est vrai que
tout le monde s'en mêle ; mais avec de
tels ſentimens on ſe trouve réduit à vivre
de racines , ou à braconner , ſi l'on veut
vivre d'autre choſe .
J'étois né pour chaſſer ſur mes terres ,
ajouta Firmin d'un ton vif & piqué. La
fortune en me les ôtant ne m'a laiſſé que
l'honneur , & beaucoup de diſpoſitions à
repouſſer une inſulte. Sainville ne répondit
que par un ſourire dédaigneux , &
Firmin fortit en lui lançant un regard trèsexpreffif.
Il n'étoit point armé , ce qui l'obligea
de rentrer furtivement chez lui , & il en
fortit de même après s'être muni d'une
épée. La crainte de rencontrer ſon père ,
JUILLET. 1772. 23
ou peut- être Dorival , l'obligea auſſi de
prendre un chemin détourné pour ſe rendre
aux environs du château ; il ne doutoit
point que Sainville ne l'eût entendu
&qu'il ne fortit bientôt ſeul ſous quelque
prétexte.
Dans ce même inſtant Dorival entra
chez Surgi , & le trouva qui fortoit
de fon jardin. Avez- vous vu votre fils ,
luidemanda t'il avec empreſſement. Non,
répondit Surgi , ſans s'émouvoir. Je l'ai
cru avec vous : auroit - il refuſé de vous
ſuivre? j'en ſerois bien etonné. Il m'a ſuivi
: repliqua Dorival ; il étoit chez moi :
cet étourdi de Sainville lui a parlé d'un
ton qui a pu lui déplaire , & j'en crains
les fuites. J'étois venu pour l'emmener
de nouveau chez moi , & les reconcilier.
Peut- être ai-je eu tort de fortir,
C'eſt ce que nous allons voir , ajouta
Surgi. En même tems il conduiſit Dorival
dans la chambre où étoit l'épée de
Firmin. Surgi avoit l'air morne avant
d'y arriver. On entre ; Surgi regarde avec
inquiétude : l'épée ne ſe trouve pas . Oui ,
vous avez eu tort , dit - il à Dorival d'un
ton moitié chagrin , moitié ſatisfait . Allons
chercher mon fils autour de votre
château: je vois quel motif l'en a fait for
24 MERCURE DE FRANCE.
tir ſi ſubitement. Ah ! quel chagrin pour
vous & pour moi ! s'écria Dorival. Quoi ?
pour avoir ſauvé la vie à ma fille , Firmin,
le cher Firmin , ſeroit de nouveau expoſé
à périr lui-même ? j'en ſerois inconſolable
, repliqua Surgi. Eſſayons de prévenir
cette malheureuſe rencontre. En
attendant , j'ai du moins la confolationde
voir que mon fils n'eſt point né ſans courage
.
Ah ! quel homme ! diſoit Dorival en
lui-même : il trouve des ſujets de conſolation
dans tout ce qui devroit le défefpérer.
Tous deux s'avançoient avec le plus vif
empreſſement. Il y avoit proche du château
un vallon qui ſembloit propre à toute
autre choſe qu'au rendez - vous de deux
ennemis. Surgi & Dorival y jettent les
yeux preſque en même tems , & voient
Firmin & Sajaville qui s'abordent l'épée
à la main. Arrêtez ! leur crièrent- ils; mais
leurs cris n'empêchèrent point le combat
de commencer ; & lorſqu'ils arrivèrent ,
Sainville avoit déjà reçu une bleſſure aſſez
conſidérable. On ſépara les combattans ,
&tandis qu'on les haranguoit , on vitarriver
Pauline tout en déſordre. Elle même
s'évanouit en voyant ce qui venoitde
fe
JUILLET. 1772 . 25
ſe paſſer. Dorival connut encore une fois
l'émotion & l'inquiétude : il tenoit ſa
fille entre ſes bras , il verſoit des larmes.
Voilà , diſoit Surgi , une douceur que notre
ami n'avoit peut-être jamais connue.
Enfin., le ſecours de quelques eaux fpiritueuſes
rappella Pauline àla lumière. Elle
ouvrit les yeux & les tourna vers Firmin
qui avoit les ſiens uniquement fixés ſur
elle& qui éprouvoit la plus vive agitation.
Raffure-toi , ma fille , diſoit Dorival
à Pauline ; la bleſlure de Sainville ne
fera rien . Je veux le réconcilier avec ſon
ennemi , &que ſous peu de jours il foit
ton époux. Cette ſeconde promeſſe parut
moins raffurer Pauline que l'inquiéter.
Elle gardoit , cependant , le filence. Parle
donc, diſoit Dorival ? Est - ce qu'un tel
projet ne cadre pas avec les tiens ? J'exige
que tu me les détailles naturellement. -
Vous l'exigez , mon père , lui dit - elle ?
Oui , reprit- il , je te l'ordonne. Eh bien !
ajouta Pauline , je vais vous obéir ; mais
daignez ne point oublier que je vous
obéis; j'enfle recélé encore long - tems
dans mon coeur le ſecret qui m'échappe
aujourd'hui par vos ordres. Voilà , pourſuivit-
elle , en montrant Firmin , celui à
qui nous devons , moi la conſervation de .
mes jours , & vous celle de votre fille.
1. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
10
Sans lui je ne ſerois plus ,&dès lors je ne
pourrois plus être à perſonne : vous-même
n'auriez plus le pouvoir de me donner.
Ainſi mon exiſtence eſt en partie ſon propre
bien. J'oferai vous dire plus , il m'aime
, & peut être que fans cet amour fon
zèle eût été moins efficace. Voulez- vous
lui cauſer la douleur de ne m'avoir conſervée
que pour fon rival ?
Ce difcours jerta Dorival dans une extrême
ſurpriſe , & Firmin dans une extrême
inquiétude. Celui- ci n'oſoit ſe promettre
que le premier approuvât ſon
amour ; il y avoit trop dedifférence entre
leurs fortunes. Cependant , il ne crut pas
devoir ſe taire quand Pauline oſoit parler.
Oui , Monfieur , dit - il à Dorival ,
j'avoue que j'ai ofé rendre juſtice à Mademoiſelle
, &que je n'ai pu me reſtreindre
à l'apprécier froidement. Jel'aimois avant
d'avoir ſongé à me dire que je l'aimois
envain. Le coeur agit & la prudence raiſonne.
La vôtre , je le ſais , peut condamner
mon audace. Je n'ai que de la naiſſance
, & la ferme réſolution de ne point y
déroger par ma conduite. Je voudrois
qu'il me fût auſſi facile d'avoir des biens
que de l'honneur : j'aurois moins à craindre
pour le ſuccès de mes autres voeux.
JUILLET. 1772 . 27
Dorival ne répondit rien, mais il étoit
rêveur , & Pauline tomba à ſes genoux .
Sainville qui avoit paru écouter avec plus
d'attention que de chagrin , tout ce qui
venoit de ſe dire , prit à fon tour la parole.
Je fais , dit il à Dorival , que nos engagemens
réciproques pourroient contrarier
celui qu'on vous propofe. Je puis
vous mettre à votre aiſe à cet égard. Il eſt
à croire que Mademoiselle étoit fortement
prévenue , puiſque je n'ai pu la diftraire.
Voilà tout ce qu'on en dira dans le
monde. Quant à moi , je ne contrarierai
plus un choix que je ne ſoupçonnois pas .
Je ſerai même charmé de contribuer au
bonheur d'un homme de courage. Il y a
une heure , j'euſſe été moins facile à déterminer
; mais maintenant nous nous
connoiffons ; & j'eſpère , ajouta - t'il en
prenant la main de fon rival , que nous
nous eſtimerons toujours .
Firmin ne lui répondit qu'en l'embraffant
les larmes aux yeux. Dorival releva
ſa fille & la préſenta à ſon libérateur.
Après tout , lui dit- il, elle vous appartient
autant qu'à moi , puiſque vous me l'avez
confervée, & fur- tout , puiſque vous avez
ſça lui plaire. Je cherchois un nom, vous
en avez un , & je ſuis affez riche pour
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
vous mettre en état d'en titer parti ; car
un beau nom , ſans la richeſſe , eſt un beloiſeau
à qui l'on a coupé les aîles. Enſuite
ſe tournant vers Surgi & lui ferrant la
main : j'ai aujourd'hui le bonheur , ajouta
t'il , de contenter l'amour , &de payer
à l'amitié un tribut qu'elle ne réclamoit
pas ; mais qu'elle n'étoit que plus en droit
deréclamer.
En peu de jours le mariage des deux
amans s'effectua . Ils ſe trouvèrent au comble
du bonheur ; & Surgi ſe diſoit à luimême
: N'ai- je pas raiſon de croire qu'un
accident eſt preſque toujours la ſource de
bien des avantages ? J'avois perdu ma fortune
; mais j'ai goûté les douceurs de la
médiocrité , & pour varier ma ſituation ,
je me retrouve dans l'opulence. Mon fils
a connu l'adverſité preſque en naiſſant ;
mais s'il eût toujours été riche , peut-être
n'eût il jamais été qu'un fat : on ne l'eût
point formé dans les exercices champêtres
; il n'eût point ſecouru Pauline , ou
il ſe ſeroit noyé en voulant la ſecourir.
Pauline elle-même , fans cet accident , ne
feroit point à l'amant qu'elle aime , & feroit
à celui qu'elle n'aime pas . Dorival ,
qui n'avoit plus rien à faire pour lui-mê
me , n'auroit jamais rien fait pour pers
JUILLET. 1772 . 29
fonne . Enfin , le jeune Sainville eût peutêtre
été encore long tems un étourdi , ſans
l'aventure qui vient de lui apprendre à ſe
corriger. Concluons : la vie humaine refſemble
à cet arbuſte chéri du printems :
qu'on en retranche toutes les épines , l'on
n'y verra point naître de roſes.
Par M. de la Dixmerie.
LA POLICE SOUS Louis XIV.
pièce de concours pour le prix de l'Académie
Françoise , attribuée à M. de
V**.
LE grand art de régner eſt le premier des arts ;
Il ne ſe borne point aux fatigues de Mars .
11 n'eſt point renfermé dans le ſoin politique
D'abaiſſer la fierté d'un voiſin tyrannique ,
Ou d'ébranler l'Europe , ou d'y donner la loi.
Le devoir d'un Monarque eſt de regner chez ſoi ;
D'y former un état redoutable & tranquile ,
De rendre heureux ſon peuple en le rendant do
cile :
C'eſt ainſi que Louis ſout paſſer autrefois
Des tentes de Bellone aux temples de nos loix.
Il montoit ſur un thrône environné d'abymes ,
Biij
30 MERCURE DE FRANCE .
۱
Dedébris , de tombeaux , de meurtres & de crimes
,
Au milieu des flambeaux de nos divifions ;
Aux cris de la diſcorde , au bruit des factions.
Il parut , il fut fage , & l'état fut paiſible.
La diſcorde à fon joug ſoumit la tête horrible ,
Etla confufion fit filence à ſa voix .
Toutprit un nouveau cours , tout rentra dans ſes
droits .
Le magiſtrat fut juſte , & l'Egliſe fut ſainte ;
Paris vit proſpérer dans ſon heureuſe enceinte
Des citoyens ſoumis , au travail affidus ,
Qui reſpectoient les grands & ne les craignoient
plus.
La règle avec la paix ſous des abris tranquiles ,
Aux arts encouragés aſſura des aſyles.
L'orphelin fut nourri , le vagabond fixé ,
Le pauvre , oiſif & lâche , au travail fut forcé,
Etl'heureuſe induſtrie amenant l'abondance
Appella l'étranger qui méconnut la France ;
L'Etranger étonné qui , prompt à s'irriter ,
Fut jaloux de Louis , & ne peut l'imiter ;
Ainſi quand du Très-Haut la parole féconde ,
Des horreurs du cahos eût fait naitre le monde ,
Il en fixa la borne , il plaça dans leurs rangs
Ces tréſors de lumière & ces globes errans.
De l'immense Saturne il ralentit la courſe ,
Fit,dans un cercle étroit,rouler le charde l'ourſez
JUILLET. 1772 . 31
De la lune à la terre aſſura les ſecours ;
Diftingua les climats & meſura les jours.
Il dit à l'Océan , que ton orgueil s'abaifle ;
Que l'aftre de lanuit te ſouleve & t'affaifle.
Ildit aux flancs du Nord , enfantez les Autans ;
Aux caux duCiel , tombez , fertiliſez les champs ,
Et que tantôt liquide & tantôt endurcie ,
L'onde revole au Ciel en vapeurs obſcurcie.
Il dit , & tout fut fait , &dès ces premiers tems,
Toujours indeſtructible en ſes grands changemens
,
La nature entretient , à ſon maître fidelle,
D'élémens oppoſés la concorde éternelle.
Si l'on peut comparer aux chef-d'oeuvres divins
Les foibles monumens des efforts des humains ;
Sous un Roi bienfaiſant parcourons cette ville
Obéiflante , heureuſe , agiſſante , tranquille.
Quelle ame inceſſamment conduit ce vaſte corps !
Quelle inviſible main préſide à ces reſſorts !
Quel ſage a ſçu plier à nos communs ſervices
Nos beſoins , nos plaiſirs , nos vertus & nos vices ?
Pourquoi ce peuple immenſe , avec ſécurité
Vit- il ſans prévoyance & fans calamité ?
L'aſtre du jour à peine a fini ſa carrière;
De cent mille fanaux l'éclatante lumière ,
Dans ce grand labyrinthe avec ordre me luit,
Et forme un jour de fête au milieu de la nuit?
L'aurore ouvre les cieux ,le beſoin ſe reveille,
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
Il appelle àgrands cris letravail qui ſommeille...
Vertumne avec Pomone apporte au pointdujour
Les fruits prématurés hâtés par leur amour.
Ces rivages pompeux qui refferrent ces ondes
Sont couverts en tout tems des tréſors des deux
Mondes.
::
Ici l'or qu'on filoit s'étend fous le marteau;
La main de l'artiſan lui donne un prix nouveau;
La vanité des Grands ,le luxe , la molleſle
Nourriflent des petits l'infatigable adrefle ,
Je vois tous les talens, par l'eſpoir animés ,
Noblement foutenus , ſagement réprimés.
L'un de l'autre jaloux , empreſlés à ſe nuire ,
L'intérêt les fit naître , il pourroit les détruire;
Un fage les modère , & de leurs factions
Fait au bonheur public ſervir les paſſions.
Mais ce n'eſt pas aflez qu'un fage ſoit'utile ,
Le Magiſtrat François doit penſer en Edile;
Il doit lever les yeux vers ces nobles Romains
Que le Ciel fit en tout l'exemple des humains .
C'étoit peu de tracer de leurs mains triomphan-
:
tes,
DuTibre au Pont-Euxin ces routes étonnantes;
De tranſporter les flots des fleuves captivés ,
Sur cent arcs triomphaux juſqu'au Ciel élevés ;
Rome en grands monumens de tous côtés féconde
,
Donna des loix , des arts & des fêtes au monde.
L'Univers enchaîné dans un heureux loiſir ,
'1
JUILLET. 1772. 33
Admira les Romains juſqu'au ſein du plaiſir.
Paris ne céde point à l'antique Italie.
Chaque jour nous raſſemble aux temples du Génie
,
Aces palais des arts , à ces jeux enchanteurs ,
A ces combats d'eſprit qui poliffent les moeurs :
Pompe digne d'Athène où tour un peuple abonde,
Ecole des plaiſirs , des vertus & du monde.
Plus loin la preſle roule , & notre oeil étonné,
Yvoit un plomb mobile en lettres façonné
Mieux que chez les Chinois , ſur des feuilles légères
,
Tracer en un moment d'immortels caractères .
Protégez tous ces arts , ô vous , ſoutiens des
loix ,
Miniſtres confidens ou Précepteurs des Rois ,
Méritez que vos noms ſoient écrits dans l'hiſtoire
Par la main des talens , organes de la gloire.
Colbert & Richelieu , les palmes dans les mains ,
De l'immortalité vous montrent les chemins .
Regardez auprès d'eux ce vigilant génie ,
Succefleur généreux du prudent la Reynie ,
A qui Paris doit tout , & qui laiſſe aujourd'hui
Pour le bien des François deux fils dignes de lui.
Ma voix vous nommeroit , vous , dont la vigi
lance
Etend des ſoins nouveaux ſur cette ville immenfes
Si vos jours conſacrés au maintien de nos loix
Bv
i MERCURE DE FRANCE.
34
1
!
Vous laiſſoient un moment pour entendre ma
voix ;
J'oſerois , emporté par une heureuſe ivreſſe ,
De mon Roi bienfaiſant célébrer la ſageſſe ;
Mais l'éloge eſt pour lui , malgré ſou bruit flatteur
,
La ſeule vérité qui déplaiſe à fon coeur.
DIEU * .
Ce qui ne fut jamais Dieu le fait clairement ,
De ce qu'on n'entend point ſon oreille eſt inftruite.
Prince , il n'a pas beſoin qu'on le ſerve en trem.
blant;
Juge , il n'a pas beſoin que fa loi ſoit écrite.
De l'éternel burin de ſa préviſion
Il a tracé nos traits dans le ſein de nos mères.
De l'aurore au couchant cent torrens de lumières
Echappés de ſes mains éclairent l'horifon .
Il émaille de fleurs le ſein de nos campagnes ;
Il ſéme de rubis les maſles des montagnes .
D'un ſouffle il arrondit la perle au fond des mers.
Il dit , & l'homme naît : il dit , & l'Univers ,
S'élançant du cahos , applaudit à ſon maître.
*Cette pièce eſt imitée d'une traduction faite
en vers blancs par M. de Voltaire.
JUILLET.
1772. 35
Qu'il parle , & dans l'inſtant tout ce qu'il a fait
naître
Va rentrer dans le vuide & fubir le néant ;
Qu'il parle , & l'univers repaſſe en un moment
Des abîmes du rien dans les plaines de l'être.
Par M. Coftard , libraire.
L'ORAISON DOMINICALE. Ode.
Pater nofter qui es in calis.
Du haut de la voûte éternelle ,
Aſſis ſur un thrône éclatant ,
Grand Dieu , dont la main paternelle
Daigna nous tirer du néant ;
Ecoute aujourd'hui ma prière :
J'oſe du ſein de la poufière
Elever ma voix & mon coeur
Juſqu'au moteur de la nature :
Foible&débile créature,
J'oſe implorermon Créateur.
:
Sanctificetur Nomen tuum.
Daignedefcendre dans nos ames ,
Dieu vivant , Dieu confolateur ,
Verſes-ytes céleſtes flammes ,
Rends-les dignes de leur auteur.
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
Quedeta gloire , en nos cantiques ,
Nos temples , nos ſacrés portiques
Retentiſlent à chaque inſtant !
Que tout te connoifle & t'adore
Depuis les portes de l'aurore
Juſqu'aux barrières du couchant !
Adveniat Regnum tuum.
Ouvre- nous la Sion nouvelle ,
Unique but de nos ſoupirs ;
Où tu promets à tout fidèle
Des biens plus grands que ſes deſirs
Où ſans nuage , l'oeil du juſte
D'un Dieu verra le front auguſte
Lui ſourire avec majeſté ;
Oùcette félicité pure
N'aura de terme & de meſure
Que ta grace & l'éternité.
:
:
:
Fiat voluntas tua ficut in Cælo &in Terra.
Tes Elus & les chooeurs des Anges ,
Dont les concerts harmonienx
De ton nom & de tes louanges
Ajamais étonnent les Cieux ,
Eblouis au pieds de ton thrône
Du vif éclat qui t'environne
Frémiſſent pénétrés d'effroi.
Verſe en nous cette juſte craintes
JUILLET. 1772. 37
:
Rends- nous ſoumis à ta voix ſainte ,
Attentifs à ſuivre ta loi .
Panem noftrum quotidianum da nobis hodiè.
Quand pour des biens imaginaires
Nous t'adreſſons de vains ſouhaits ,
Sois ſourd à ces voeux téméraires ;
Sois l'arbitre de tes bienfaits .
C'eſt en toi , par toi que nous ſommes ;
C'eſt ta main qui ſoutient les hommes
Deſſus l'abyme du néant :
Et ſi tu ceſſois de l'étendre ,
La nature diſſoute en cendre
S'y replongeroit à l'inſtant.
Etdimitte nobis debita noſtra , ficut & nes
dimittimus debitoribus noftris .
Loin de nous écarte la foudre
Dont tu punis les attentats ;
Qui renverſe , réduit en poudre
Et les méchans & les ingrats.
Je fais qu'à peine ta juſtice
Pourroit égaler le ſupplice
Aux forfaits que l'homme a commis ;
Mais ton fils ſuſpend ta vengeance.
Pardonne au mortel qui t'offenſe ,
S'il pardonne à ſes ennemis.
1
38 MERCURE DE FRANCE .
Et ne nos inducas in tentationem , fed libera
nos à malo.
L'Ange réprouvé , Satan veille
Pour nous fruſtrer de tes bienfaits .
Tandis que le foible ſommeille ,
Il ourdit, il tend ſes filets .
Grand Dieu , qui pourra nous défendre !
Tu le peux ſeul. Daigne m'entendre!
Emouſſe les traits ſéducteurs ;
Et que ta grace protectrice
Nous détourne du précipice
Qu'il jonche de trompeuſes fleurs .
Par M. le Comte de V*** , officier
au régiment du Roi infanterie.
DIALOGUE DES MORTS.
LYCURGUE & PERICLÈS .
PERICLÈS.
RESPECTABLE Lycurgue , dans ce ſombre
empire , où je vois ceſſer toutes les
haines nationales & particulières ; où je
vois Achille & Hector s'entretenir familiairement
du grand'art de la guerre , je
ſuis très - flatté de pouvoir conférer &
JUILLET. 1772 . 39
m'inſtruire avec vous de l'art encore plus
grandde la politique.
LYCURGUE .
,
Vous vous trompez , Péryclès. Je ne
ſuis point maître en politique , telle que
vous la concevez : je n'eus jamais qu'une
politique bien fimple , que j'ai bornée à
faire régner la vertu & la justice la plus
exacte dans le gouvernement de l'Etat
comme dans les moeurs des particuliers.
Cette politique n'eſt ni difficile ni compliquée
; elle ne peut même être qualifiée
du nom d'art. Chacun la trouve gravée
dans ſon coeur ; & c'eſt la pure nature qui
nous en dicte les règles .
PÉRICLÈS .
Vos citoyens ont donc bien dégénéré ,
ou plutôt leurs lumières ſe ſont étendues
en raiſon de la dégradation de leurs
moeurs. Je ſuis ſûr que vous ne reconnoîtriez
pas vos principes dans leurs procédés.
LYCURGUE .
Je fais qu'un certain Lyſandre , qui
conduit actuellement notre République ,
&quivient d'écrafer la vôtre , a portédes
40 MERCURE DE FRANCE.
coups terribles à mes inſtituts. Le plus
pernicieux fut d'introduire dans Sparte la
monnoie d'or & d'argent , que ma tendreſſe
prévoyante en avoit voulu bannir à
jamais , comme la ſource infaillible de la
corruption , & comme le principe certain
de la décadence des états . C'eſt cependant
par cette funeſte inovation qu'il a fait
davantage admirer ſon génie , & j'oferois
affurer que vous ne partez pas delà pour
le condamner .
PÉRICLÈS.
Je vous avouerai de bonne foi que vous
voyez juſte. Je regarde cette révolution
comme amenée par la neceſſité des circonſtances.
Nous ne ſommes plus , Lycurgue
, dans cet âge heureux où vous donnâtes
vos loix. Autres tems , autres principes
. Eh ! comment vouloir que Sparte
continuât avec ſuccès une guerre terrible
contreun peuple auſſi puiſſant que celui
d'Athènes , qu'elle eût à ſa ſolde des florres&
des armées étrangerès , & qu'elle ne
les payât pas avec les feuls ſignes reconnusde
toutes les nations !
LYCURGUE.
Vous concluez conféquemment à vos
JUILLET. 1772 . 41
notions ; mais c'eſt précisément cette flotre
étrangère , ce ſont ces forces & ces armées
mercénaires qui , malgré tous les
ſuccès du moment , me fontgémir d'avan.
ce ſur la ruine prochaine de ma patrie . O
Sparte ! le tems eſt donc venu , où tes citoyens
ne font plus ton ſeul appui ; où ta
liberté &ta vertu ne ſuffiſent pas àta grandeur
! quand j'ai pris de fûres meſures
pour rendre mes concitoyens invincibles
chez eux , je n'ai pas prétendu en faire des
conquérans au-dehors. Que dis-je ! mon
amour pour eux y avoit mis des obſtacles
invincibles , & tels qu'il a fallu violer
mes loix pour leur rendre poſſibles ces
conquêtes fatales. Oui , cette ambition
ſappe par le pied tout le plan de ma légiflation
, & leur arrache à jamais les fruits
les plus précieux de mes travaux .
PÉRICLÈS .
Vous m'étonnez , Lycurgue ; j'ai même
peine à concevoir ces paradoxes. Eſt - il
poſſible qu'un peuple , en le ſuppoſant un
peuple de ſages & de héros , foit für de
maintenir inviolablement ſa liberté chez
lui , ſi quelque fois il ne pouſſe ſes ſuccès ,
pour abattre& conquérir à - propos ceux
de ſes voiſins , qui dévoilent un ſyſtème
42 MERCURE DE FRANCE .
ſaivi de le ſubjuguer lui-même ? en ſe
contentant toujours de les repouſſer , ſans
vouloir jamais profiter de ſes avantages à
un certain point , ce peuple ne riſquerat'il
pas trop manifeſtement de voir quelque
jour ſa vertu devenir la cauſe de ſa
ſervitude, ſi l'ennemi, relevé de fesdéfai .
tes avec les mêmes forces, remportoit enſuite
une victoire déciſive , victoire dont le
haſard d'une journée diſpoſe au gré de la
fortune, victoire qui permettroit de tout
ofer,& dont cet ennemi fauroit mieux tirer
parti que ſes imprudens rivaux ? je
craindrois que vos ſages ne finiſſent par
être cruellement dupes de leur modération
, & ne devinſſent enfin la proie de
ceux qu'ils auroient tantde fois épargnés.
Croyez-moi , Lycurguet j'ai quelque expérience
des affaires de mon fiécle : pour
s'affurer une paix ſtable , il n'eſt que de
pouſſer ſa victoire : enfin je croirois bien
moinsdificile & bien plus fûr de ſe rendre
maître une fois de ſes ennemis vaincus ,
que d'avoir à ſe défendre continuellement
de ſes égaux.
LYCURGUE.
Je l'avois conçu différemment , même
enportant ma vue fur tous les âges. Con
JUILLET. 1772. 43
fidérez la ſituation de Sparte : par l'état
où mes loix l'ont miſe , elle eſt certainement
la première puiſſance de Péloponèſe.
Cette partie conſidérable de la Gréce
renferme dans ſon ſein vingt Etats plus
foibles que Sparte , tous indépendans l'un
de l'autre. Le reſte de la Grèce en renferme
encore plus , qui tous ſe gouvernent
auſſi par leurs loix. Qu'un de ces Etats ,
qu'Athènes , par exemple , faſſe éclater le
projet d'aſſervir les autres , il eſt naturel
que tous les foibles ſe réuniſſent contre
l'ennemi commun. Quel que foit cetEtat
conquérant , il ne fera pas plus puiſlant
lui ſeul que notre ſeule ville : les foibles
commenceront par implorer notre protection.
En la leur accordant ſans intérêr ,
par le feul amour du bien commun , &
par haine de la tyrannie & de l'ufurpation
, nous voilà à la tête de tous contre
un ſeul. Quand nous aurons réduit ces
ambitieux (ce qui ne ſera pas difficile à
toute la Grèce réunie ſous nos drapeaux )
ſans enfreindre la loi , & fans nous rien
approprier des dépouilles des vaincus ,
nous avons de ſûrs moyens de les châtier
en les affoibliſſant. Nous leur ôterons
quelques unes de leur places , dont nous
diſpoſerons en faveur de leurs voiſins les
44 MERCURE DE FRANCE.
plus foibles. Par - là nous diviſons leur
puiſſance , & nous fondons une paix ſtable
fur leur foibleſſe , ſur la crainte qui
reſte de leur ambition , & fur l'eſtime
publique due à notre généroſité.
Ainſi nous ne craindrions plus qu'un
ennemi étranger , affez puiſſant pour attaquer
la Gréce réunie, Mais vous connoifſez
ſes forces ; & l'expérience a fait voir
que tout crainte pour elle eſt chimérique ,
au moins juſqu'à ce que l'Univers voie s'élever
une puiſſance plus formidable que
celle des Rois de Perfe .
Mais dès lors que Sparte renonce à ce
ſyſtême de modération , elle devient ſujette
aux haſards des guerres ; elle perd
ſes alliés , ou du moins les partage ; elle
peut également conquérir & être conquife.
Approuvez - vous maintenant , ô Périclès
, la ſimplicité de ma politique ?
PÉRICLÈS .
Admirable Lycurgue , jouiſſez de mon
étonnement. J'ai paflé , & peut être avec
quelque fondement , pour le plus habile
homme d'état de mon fiécle ; & ce ſiécle
ſera à jamais l'exemple de la poſtérité. Cependant
j'avoue votre ſupériorité.J'aimois
JUILLET. 1772 . 45
la vertu ; mais je ne connoiſſois pas tout
fon pouvoir. Je comprends enfin que la
juſtice & la modération font le plus ferme
appui des Etats ; & que la vraie politique
n'eſt autre choſe que la vertu même , appliquée
avec ſageſſe au bonheur des peuples.
Par M. L. C. Leclerc, à Nangis.
LA VENGEANCE DE MÉDÉE,
Cantate à mettre en muſique..
Au fondd'un antre ſombre , aſyle de l'horreur
Médée entière à ſes tranſports livrée ,
Raflembloit dans ſon coeur,
L'amour , la haine & la fureur,
Cette mère dénaturée ,
Atteſtant de ſon crime & l'enfer & le ſort ,
Leve ſur ſes deux fils le glaive de la mort.
La jalouſe rage ,
Un poignard au ſein
D'un regard ſerein
Contemplant l'orage ,
Au crime encourage
Sa trop lente main.
L'Affreuſe Mégère
Des bords ténébreux
46 MFRCURE DE FRANCE.
Vole avec ſes feux :
Sa main ſanguinaire ,
En tremblant , éclaire
Ce ſpectacle affreux.
Amante , épouſe , mère , & rivale barbare !
Quel (acrifice impie en ce jour le prépare ?
Ton bras , Médée ... O Ciel ! c'en eſt donc fait !
C'en est fait... mais qui peut ſuſpendre la tempête
?
Un inſtant la pitié t'arrête ,
Etdeta rage au moins veut retarder l'effet :
« Objets touchants ! .. mais quoi ? pour ſervir
ma rivale
>> Vous jouiriez du jour ? non , non .
>>P>ériflez , enfans de Jaſon :
>>Qu'à tout ſon ſang ma haine aujourd'hui ſoit
fatale.
>> La nature pour vous oſe en vain me parler ;
>>T>ous vos traits deJaſon me rappellent les cri
30
>>mes.
L'amour jaloux doit immoler
>>Juſqu'aux plus chères victimes.
Elle dit ; & foudain détourne ſon regard :
Sa maindéſeſpérée a levé le poignard
Que dirigera Tifiphone :
Le fer brille ; le jour pâlit ;
Médée elle-même friflone ,
Et le crime s'accomplir.
:
JUILLET. 1772. 47
Amour , dieujaloux , dieu terrible !
Ah! ſi c'eſt à ce prix qu'un coeur devient ſenſible ,
Cruel amour , vole , & fui pour jamais :
Va porter loin de nous tes funeſtes attraits .
ParM. Poinfinet de Sivry , auteur des
Muſes Grecques , de la traduction de
Pline le Naturaliſte , &c. &c.
EPITRE à une jeune Dame , fur ce
qu'elle va paffer le printems àſa campagne.
JE l'ai promis , je veux le célébrer
Ce beau vallon , ce ſéjour ſolitaire ,
Où l'amour va te préparer ,
Des guirlandes de fleurs , un trône de fougère.
Le printems vient pour le parer ;
Sur le tendre arbriſleau , je vois un verd feuillage
Se déployer , s'étendre & l'embellir ;
Au dieu des fleurs , ici tout rend hommage ,
Et la roſe qui s'ouvre invite à la cueillir.
Tu quittes ſans regret le faſte de la ville ,
Et ce flot ſémillant de vains adorateurs ;
En ſera - t'on ſurpris ! dans le plus ſimple aſyle;
Eglé fixeroit tous les coeurs,
Si je jette les yeux fur ce qui t'environne ,
48 MERCURE DE FRANCE.
:
Quel doux ſpectacle arrête mes regards !
Sur ces monts éloignés qu'une forêt couronne
Le plaifir & l'amour regnent de toutes parts .
Plus près de toi , ce dôme de feuillage
Semble fait pour l'amant heureux ,
Il ſçait cacher un léger badinage ,
Et le ſecret des tendres feux .
Je t'entendrai défiant Philomèle ,
Sous ces arbres fleuris , faire éclater ta voix !
Elle cefle ſes chants ! ... Sa rivale nouvelle
Vient- elle lui ravir l'empire de ces bois !
Jalouſe d'imiter ta grace enchantereſſe ,
Elie va s'eſſayer ſur des accords nouveaux ;
Et ſon gofier brillant , ſecondant ſon adreſſe ,
Fait amoureuſement retentir les échos .
Parcourons ces boſquets , où la fraîche roſée ,
De la terre fertiliſée ,
Fait exhaler mille odeurs dans les airs !
En déployant ſon active puiſſance ,
La ſéve ſe répand par cent caneaux divers ,
Meut , renouvelle & pare l'Univers :
La nature long-tems dans un morne filence
Sembloit attendre ta préſence ,
Belle Eglé , pour briſer le charme de ſes fers .
Les vents glacés & la trifte froidure
Ne viendront plus ravager ces beaux lieux ;
Et le zéphir agitant la verdure ,
Imprime ſur les fleurs les baiſers amoureux .
Du
Pag.48 .
Ariette.
Juillet,
1772 .
J'ambrassais l'autrenuitGli
:ce:re, Mais he-las!c'etait en dormant!
Son regard n'etait point se:vere
Et je de: vins heureux amant
Je possedais l'objet que j'aime, Sesfeux e
galaientmes transportsAh! mon bonheur se :
:rait extre. me,Sije veillaiscom:
meje dors! Sije veillois comeje dors.!
ParolesdeM.ID B.musique deMxxMousque aire noir
W
1
JUILLET. 1772 . 49
Du ſein d'un lit voluptueux
Le ſoleil entr'ouvrant ta paupière incertaine ,
Promène-t'il au loin tes regards dans la plaine !
Eh ! bien , qu'y trouves-tu ! .. des plaiſirs & des
jeux.
Tu vois ſur ce foible branchage ,
L'oiſeau ſe balancer , puis devenir heureux ,
De fon agilebec il liſſe ſon plumage
Pour plaire davantage à l'objet de ſes feux ;
Ah ! le ſommeil alors doit fuir loin de tes yeux !
Mon coeur vole après toi dans ce ſéjour tranquile.
Je vois croître déjà ces flexibles rameaux ,
Qui vont s'élever en berceaux
Pour nous couvrir de leur ombrage utile :
Simples plaiſirs ! ocalme du bonheur !
Vous êtes au-deſſus des fêtes les plus belles ;
D'un ſentiment nouveau j'éprouve la douceur ,
Et la tendre amitié me couvrant de ſes aîles
Epanche , près d'Eglé , les tréſors dans mon coeur
Par M. Lemaire.
:
I. Vol. C
50
MERCURE DE FRANCE.
L'EXPLICATION du mot de la première
énigme du volume du mois de Juin
1772 , eft Echec & mát * ; celui de la
ſeconde eſt Barbier ; celui de la troiſième
eſt OEuf. Le mot du premier logogryphe
eſt Troye , où ſe trouvent Roye , ( ville de
Champagne ) oie , Roi ; celui du ſecond
eſt Epouventail , où se trouvent pou ,
vent , ail , éventail; celui du troiſième
eft Papier , où l'on trouve Pape , Papire
(nom propre ) Priape,
ÉNIGME,
J'OCCUPE dans le Ciel une place honorable ,
Et je ſuis l'attribut d'une divinité,
Mais , hélas ! dans les mains de l'homme impie
toyable ,
En confervant mon nom , je perds ma dignité.
Dans les plus vils détails il me force à defcendre;
Il m'enchaîne au moulin , m'expoſe ſur les ports ;
Et mes flexibles bras , dès qu'il veut les étendre ,
* On appelle , comme on fait , Echec & mât
aveugle , celui qu'on fait ſans le ſavoir ou fans en
avertir. 4
JUILLET. 51 1772 .
Reçoivent les fardeaux dont il charge mon corps.
Sans égard pour ma taille , il m'exerce (ans ceſſe ;
Il me vuide , il m'emplit , il me hauſſe , il me
baifle.
-Souvent même , inſtrument de fon avidité ,
J'aide à tromper des gens dont ma préſence
Enhardit la crédulité ;
Car j'inſpire la confiance ;
Etje ſuis , en effet , dans înainte circonſtance ,
D'une ſuprême utilité.
Quand on le veut, j'établis ſans replique
De deux individus l'égalité phyſique ;
Rien ne démontre mieux que moi
Qu'à de certains égards un berger vaut un Roi.
Par M. Gelhay.
AUTRE.
AUTREFOISdeBellone ornant la tête altière ,
J'animois deux rivaux luttans dans la carrière ;
Et le dieu dont la lyre enchante les échos ,
S'arrogeant à ſon tour l'honneur de mes rameaux,
En couronnoit le front de ſa docte cohorte .
Maintenant , ô du ſort retour injurieux !
Banni des immortels , ils m'ont conduit ces dieux ,
Comus à la cuiſine & Bacchus à la porte.
ParM. Gafchignard , à Machecoul.
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
IL faut pour mon tempérament ,
Par forme de bain ſeulement ,
Une cau douce , vive & courante.
J'agis avec cet élément ,
Je me promene librement
Lorſqu'il le prête à ma mafle peſante.
Sans lui j'ai la marche traînante :
Et je languis nonchalamment
Quandje n'ai plus ſon aide bienfaiſante.
Mon eſtomac est bon; entaffez y le vin ,
Force alimens , grand néceſſaire
Tout ce qu'on veut , le diable enfin ,
Je digére tout dans mon fein ;
er
,
Etpourmon appetit ce n'eſt pas une affaire.
Mais ſi par un fâcheux deftin ,
Je bois de cette eau ſalutaire
Dontje n'aime qu'à me baigner ,
Je tombe lors en grand danger ;
L'hydropiſie eſt pour moi meurtrière ,
Vite& vîte on doit me purger
Pour éloigner ma perte entière.
Souvent par grace fingulière
J'emprunte les armes du Roi.
Uac ville eſtmon apanage ;
t
1
JUILLET. 1772. 53
Jy vais toujours en pompe, avec grand équipage,
Avec mes gens , mes chevauxx , mon convoi.
Mes amis ſont ſur mon paſſage ;
On m'attend , on me fête , on court autour de
moi ,
Tantje ſuis d'un heureux préſage.
AUTRE.
CEST bien fait , petit inconſtant ;
Tout fier de vos métamorphoſes ,
Vous étiez trop entreprenant.
Mille beautés à peine écloſes
Avoient partagé vos regards ,
Heureux , chéri de toutes parts ,
Nouveau coup - d'oeil , nouvelhommage ,
Vous en aimiez vingt à la fois ;
Et votre coeurjeune & volage ,
Penchoit pour les amours grivois.
Comment donc ? toutes ces maîtreſſes
N'ont point pour vous allez d'appas ;
Et pour épuiſer vos careſles
Tant d'objets ne ſuffiſent pas ?
Vous volez plus haut; une belle
D'une forme toute nouvelle
Vient de s'attirer votre encens ;
Elle est blanche , vive , brillante ;
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
Queſes attraits ſont ſéduifans !
Déjà cette beauté charmante
Vient de confondre tous vos ſens
De l'ardeur de ſes étincelles ;
Mais dans ce déſordre ſi beau ,
Répondez , Icare nouveau ,
Qu'avez - vous donc fait de vos aîles ?
Par M. Pasqueau fils , à Auxerre.
LOGOGRYPH Ε.
C'est moi qui terminai la vie
D'un conquérant , d'un Roi du Nord,
Célèbre par mainte folie ;
L'Furope , un Empereur m'ont pardonné lamort:
Voulez- vous partager mon être ?
Complice inhumain du ſalpêtre :
Je deviens cet oiſeau qu'alarme le heron;
Ou , fi vous l'aimez mieux , l'élément d'un Triton;
ParM. de Bouffanelle , brigadier
des armées du Rei.
JUILLET. 1772.
AUTRE.
JE me crois vieux , & je vivrai long-tems .
L'argent roule chez moi , ma table eſt bien ſervic
L'apetit y conduit convives opulens ,
Grace ſouvent à leur étourderie.
Certains jours de gala je me donne l'eſſor ;
Mon ſervice complet eſt en vaiſſelle d'or.
Tant d'éclat quelquefois rend un convive morne :
Quant à fon apetit il n'y met point de borne ;
Mais reveillé ſoudain par un morceau friand,
De ma façon triple aſſaiſonnement ;
D'un ton badin , d'une riante face ,
Du plus gourmand il provoque l'audace ,
Et lui dérobe tout,& même en le narguant.
As- tu , lecteur , la fantaiſie
D'entrevoir ma phyſionomie ?
Tranche mon chef ſur ſes cinq pieds montés,
D'une vilaine odeur tu ſeras infecté .
Par M. le Général.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Fables ou Allégories philofophiques par
M. DORAT ; volume grand in 8°. A
Paris , chez Lejay , libraire , rue Saint-
Jacques ; 1772 .
L'ÉDITION de ces fables eſt remarquable
par la beauté du papier , par la netteté de
l'impreſſion & par l'élégance des ornemens
& des gravures qui l'enrichiffent.
Il faut lire les réflexions préliminaires.
dans lesquelles l'auteur caractériſe les
différens fabuliſtes anciens & modernes ,
&fait connoître l'origine & le but de la
fable.
<<Eſope étoit eſclave & il a fait des
>> fables . Phédre étoit eſclave & il fut l'i-
>> mitateur d'Eſope. Pilpai n'en étoit pas
>> moins dans la fervitude , quoiqu'il gouvernât
ſous un Empereur une partie de
>> l'Indoſtan ; & Pilpai a renfermé dans
>> des apologues ingénieux les principes
>> les plus ſains de la morale & de la po-
» litique.
>> On voit par ce rapport fingulier enJUILLET.
1772. 57
>> tre nos premiers fabuliſtes que la fable
>> eſt née d'une eſpèce de combat entre la
→ liberté de penſer & la crainte de déplai-
>> re . Grace à ſes utiles emblêmes le génie
» élude la fougue de l'autorité , combat
>> les paſſions des Grands , ſans s'expoſer
>> à leur injustice; cache ſous la fiction
» qui amuſe , la leçon qui effarouche, &
>> reprend un empire en paroiſſant l'a-
>>bandonner. L'apologue conſidéré fous
>> cet aſpect ett un voile dont la vérité ſe
>> ſert pour apprivoiſer l'armour - propre
» & aborder la tyrannie. »
Ajoutons qu'il eſt de l'eſſence de l'apologue
de renfermer un fens moral ; on
doit faifir fans peine le rapport qui eſt
entre l'action de la fable , & l'inſtruction
dont elle est l'emblême. Le poëte manque
ſon but lorſque l'alluſion n'est pas
facile ; & l'apologue n'eſt plus qu'un con.
te infipide lorſqu'il n'en réſulte pas une
leçon utile. Combien de fabies modernes
qui font de véritables énigmes dont
il n'eſt pas toujours aiſé de deviner le
mot . C'eſt un défaut que nous ne reprocherons
point à M. Dorat .
On retrouve dans ce nouveau genrè
que ſa muſe légère & féconde vient de
traiter, les graces & la facilité qui carac-
C
58 MERCURE DE FRANCE.
tériſent fa poësie . On en jugera par les
fables fuivantes .
LES DEUX FAUCONS.
Deux Chafleurs cotoyoient les bords d'un maré
cage ,
Suivis de leurs Faucons , corſaires des étangs
: Et qui ſembloient impatiens
De reſter oififs au rivage. :
L'un des deux lâche ſon oiſeau
Sur un Canard , qui , ſauvé par la ruſe ,
Se plonge , glifle au fond de l'eau ,
Et croit avoir vaincu l'ennemi qu'il abuſe :
Mais , celui- ci , fidèle à marquer ſes détours ,
Raſe l'onde , le preſle & le pourſuit toujours.
Craignant qu'un ſeul Faucon ne puiſſe avoir la
bête ,
L'autre chaſſeur laiſſe partir le ſien ;
Et moi , fi je m'y connois bien ,
J'augure mal de la conquête .
Le premier , qui ſe croit auffi fin qu'Annibal ,
Indigné qu'un ſecond lui diſpute ſa proie ,
Agite , avec fureur , ſes aîles qu'il déploie ,
Laifle fuir le gibier & fond ſur le rival.
Tel ſert ſon Prince & fa patrie ,
Tant qu'à lui feul tout l'honneur appartient ;
Mais dès qu'un autre chef ſurvient ,
On ſonge à le détruire , &le reſte , on l'oublic,
JUILLET. 1772 . 59
L'HOMME & LE SINGE.
UnHomme avoit un ſinge , & cet homme entre
nous
Etoit un vrai calot , calor pour la figure ;
En outrant ſa laideur , l'effort de la peinture
:
Reſteroit encore au- deſlous .
De plus , il ornoit ſon viſage
Degrimaces à ſon uſage ,
Et dont il étoit l'inventeur.
:
De tous les vilains tics peignez- vous l'aſſemblage:
*Le Singe avoit tout pris ; il étoit bon acteur.
Il ſe plaçoit , en face de ſon maître ,
Puis le copioit trait pour trait ;
Et notre grimacier , loin de s'y reconnoître,
Rioit de tout ſon coeur , en voyant ſon portrait.
L'amour propre eſt incorrigible :
L'homme eſt aveugle , ou l'homme eſt ébloui ;
Le ſot de ma fable eſt riſible ;
Mais , tel s'en moquera , qui l'eſt bien plus que
lui.
L'ECHO.
Bois , qui fut le témoin de mes premiers defirs ,
Quand tu m'offris Emire à l'ombre de ce hêtre ,
Vois couler tout mon fang fur cette urne champêtre
Qui contient mon tréſor , ma vie & mes plaiſirs.
C'eſt ainſi qu'un amant regrettoit ſon amante ,
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
L'air égaré , l'oeil ſombre , un poignardàla mains
Et l'écho rediſoit , du creux d'un roc voiſin ,
Les derniers mots de ſa plainte éloquente.
Errant près de ce bois , un berger amoureux
Les entend & s'écrie : Inſenſible maîtreſſe !
Tout parle de plaiſir , d'amour & de tendrefle;
L'écho répète ici les ſoupirs d'un heureux .
Tout-à- coup des ſanglots troublent ſa rêverie :
Il accourt , quel ſpectacle ! il voit , près d'un tombeau
,
Etbaigné dans ſon ſang le pafteur le plus beau...
Le paſteur qui venoit d'exciter ſon envie.
Chaque mortel a ſes douleurs;
Ne jugeons point d'après notre délire :
C'eſt dans les ames qu'il faut lire ,
Et tous les échos ſont trompeurs.
On trouve chez Lejay , libraire , tous les ouwrages
de M. Dorat , &des exemplaires de ces fables&
de l'épître intitulée ma Philofophie , en papier
d'Hollande , pour ſervir de ſuite à la grande
édition des Baisers.
Dictionnaire pour l'intelligence des auteurs
claſſiques , Grecs & Latins , tantfacrés
que profanes , contenant la géographie,
P'hiſtoire , la fable&les antiquités; dédié
à Mgr le Duc de Choiſeul , parM.
Sabbathier , profeſſeur au collège de
Châlons-fur-Marne , & fecrétaire per
JUILLET. 1772 . 61
pétuel de l'académie de la même ville;
tome onzième , in- 8 ° . A Paris , chez
Delalain , libraire , rue de la Comédie
Françoiſe .
Ce dictionnaire que l'on peut regarder
comme une eſpèce de bibliothèque auffi
agréable qu'inſtructive, ſe continue avecle
plus grand zèle de la part de l'auteur. La
lettre Cn'eſt point encore terminée dans
ce onzième volume dont le dernier article
eſt Comius , Roi des Atrabates dans
la Grande Bretagne. Cette lettre , ainſi
que la lettre A , eſt une des plus abondantes
dans tous nos dictionnaires. L'auteur
s'eſt étendu ſur les premiers articles de cet
ouvrage parce que ces articles ſont intéreſſans&
parce qu'il doit y renvoyer ſouvent
dans le cours de ſon dictionnaire ,
ce qui abrégera les lettres qui ſuivront &
rendra ce dictionnaire beaucoup moins
volumineux que les premières lettres
ſemblent l'annoncer. Ce onzième volume
eſt précédé d'un averriflement où l'auteur
nous prévient qu'il mettraà la tête du Xe
volume la liſte des ſouſcripteurs. Il prie
ceux qui veulent ſe procurer cet ouvrage
claſſique de s'adreſſer directement au libraire
de Paris . Ils éviteront par ce moyen
d'être la dupe de ces pirates de la librairie
qui , pour jouir plus promptement de
62 MERCURE DE FRANCE.
leur larcin , contrefont les éditions de
Paris à la hate , les rempliſſent de fautes
&les défigurent.
Refutation d'un Mémoire prétendu hiftorique
& critique fur la Topographie de
Paris , dans lequel le bibliothécaire &
hiſtoriogaphe de la ville a attaqué l'hiftoire
de l'emplacement de l'ancien hôtel
de Soiffons , compoſée par M. Terraſſon
, & fa diſſertation ſur l'enceinte
de Paris faite par les ordres du Roi
Philippe- Auguſte , pour ſervir de ſuite
aux mélanges d'hiſtoire , de littérature
, & c. de M. Terraſſon . A Paris , de
l'imprimerie de Michel Lambert , rue
de la Harpe , près St Côme ; vol . in 4°.
de 112 pages.
Le mémoire hiſtorique &critique ſur la
topographie de Paris , publié depuis quelquesmois
par M. Bouquet, hiſtoriographe
&bibliothécaire de la ville de Paris,a donné
lieu à quelques objections & à quelques
obſervations critiques que ceux qui
s'occupent de ces matières d'érudition
verront avec plaiſir dans cette refutation
faite par un jurifconfulte éclairé& qui n'a
pas négligé de s'inſtruire de tout ce qui
pouvoit être relatif à cette diſcuſſion .
Nous avons rapporté dans notre volume
JUILLET. 1772. 63
du Mercure du mois de Mai dernier les
propofitions foutenues par l'hiſtoriographe
de la ville. Son adverſaire établit les
propoſitions ſuivantes à titre de refutation.
Il démontre dans ſa première propoſition
que bien loin que les anciens
évêques de Paris ayent ufurpé la justice &
droits en dépendans , fur le territoire de
St Germain - l'Auxerrois ; au contraire la
haute , moyenne & baſſe juſtice , dans l'étendue
de ce même territoire , ont toujours
appartenu juſqu'à la fin de l'année
1674 à l'évêché de Paris , qui y a même
toujours eu le fiége de ſa haute , moyenne
& balle justice , aufli - bien que le lieu
de l'exécution des jugemens qui s'y rendoient.
M. Terraſſon répond dans la ſeconde
propoſition à diverſes objections que l'auteur
du Mémoire fur la Topographie de
Paris lui a faites au ſujet d'une prétendue
cenſive de St Germain l'Auxerrois , dont
ilne rapporte pas le moindre veſtige , ſoit
du côté du droit , ſoit du côté de la poffeſſion
.
M. T. fait voir dans ſa troiſième pro--
poſition que la cenſive des évêques de Paris
fur l'emplacement de l'ancien hôtel de
Soiffons , s'eſt formée dans la terre même
64 MERCURE DE FRANCE.
de l'évêque de Paris , in terra Epiſcopi
Parifienfis. Que l'hôtel de Soiſſons ( cidevant
hôtel de Neſle & de Bohême ) n'a
jamais été acquis par nos Rois , pour eux ;
que cet hôtel n'a jamais été royal , ni domanial
, ni fief - lige incorporé ; que les
évêques & archevêques de Paris jouiſſent
de cette cenfive ſur leur propre terrein depuis
plus de 550 ans ; que nos Rois ont
pluſieurs fois reconnu la même cenſive
& que quelques - uns d'entre eux en ont
même payé les droits .
Enfin l'auteur de la refutation établit
dans ſa quatrième & dernière propoſition
que l'enceinte de Paris faite par les ordres
du Roi Philippe - Auguſte , ne conſiſta
qu'en un ſimple mur de clôture accompagné
de tourelles & de portes , ainſi que
tous les auteurs contemporains & autres
qui ont ſuivi , le diſent formellement ;
& que d'ailleurs les remparts , chemins
de rondes , baſtions & autres ouvrages de
fortifications que les officiers du domaine
ſuppoſent en avoir fait partie , font des
ouvrages de ce quon nomme la fortification
moderne , qui ont été totalement inconnus
du tems de Philippe -Auguſte , &
n'ont eu lieu dans le royaume que poſté.
rieurement au tems où l'on a commencé
à y faire uſage de la poudre à canon .
JUILLET. 1772. 65
M. Terraſſon expoſe dans cette même
refutation les vrais principes de l'union au
domaine du Roi , diſcute pluſieurs points
hiſtoriques & topographiques foutenus
par l'hiſtoriographe de la ville , releve
pluſieurs mépriſes affez ſingulières que
cet hiſtoriographe s'eſt permiſes , & affaifonne
cette diſcuſſion d'une critique éclairée
& qui aura les ſuffrages des lecteurs
érudits.
Dictionnaire minéralogique & hydrologique
de la France , contenant 1º. la defcription
des mines , foſſiles , fluors ,
cryſtaux , terres , ſables & cailloux qui
s'y trouvent ; l'art d'exploiter les mines
, la fonte& la purification des métaux
, leurs différentes préparations
chymiques , &les divers uſages pour
leſquels on peut les employer dans la
médecine , f'art vétérinaire , & les arts
& métiers . 2° . L'hiſtoire naturelle de
toutes les fontaines minéralesdu royaume
, leur analyſe chymique ; une notice
des maladies pour leſquelles elles
peuvent convenir avec quelques obfervations
pratiques ; on y a joint un Gneumon
Gallicus Pour ſervir de ſuite au
dictionnaire des plantes , arbres & ar"
MERCURE DE FRANCE .
buſtes de la France , & au dictionnaire
vétérinaire & des animaux domeſtiques
, & completter l'hiſtoire des productions
naturelles & économiques du
royaume ; dédié à Monſeigneur le
Comted'Artois , 4 vol. in 8°. de près de
ſept cens pages chacun. A Paris , chez
J. P. Coſtard , libraire , rue St Jean de
Beauvais .
Les mines , fofiles , Auots , cryſtalliſations&
les fontaines minérales ont tou.
jours été regardées comme une des parties
les plus importantes de l'hiſtoire naturelle
&économique de la France, & celle
qui demande le plus de ſoins , de dépenſes&
de recherches pour être traitée d'une
manière fatisfaiſante. Aucun naturaliſte
ne peut donc ſe flatter de fournir lui ſeul
à ce travail immenfe. Auſſi l'auteur du
dictionnaire que nous annonçons , M. Buch'oz
, médecin botaniſte Lorrain , a , dans
la vuede rendre ſon ouvrage auffi utile &
auſſi complet qu'il peut l'être , ajouté aux
différentes inſtructions que ſa conſtance
& fon zèle pour l'hiſtoire naturelle lui
ont procuré ſur les lieux , les découvertes
&les obfervations des naturaliſtes modernes
dont pluſieurs ont bien voulu lui
communiquer leurs manufcrits & lui faire
JUILLET. 1772. 67
partde leurs expériences. Il ne paroît encore
qu'une première partie de cet important
ouvrage; c'eſt celle qui concerne les
fontaines minérales. L'auteur , après nous
avoir tracé le local de ces ſources ou fon
taines , donne l'analyſe qui en a été faite
par les chymiſtes . Il indique les maladies
auxquelles chacune de ces eaux peut convenir
& dans lesquelles elle eſt contreindiquée
. On ſera également ſatisfait de
trouver à chaque article de ces fources
minérales la methode qu'il faut ſuivre
pour en faire uſage & les obſervations
pratiques & médicinales qui conſtatent
leurs bons effets .
Cette première partie du dictionnaire,
fait defirer la ſeconde qui traitera des mines
, foffiles , Auors , cryſtaux , crystalliſations
, terres , fables , cailloux , qui ſe
trouvent dans la France. Celle- ci auroit
dû paroître d'abord & être placée la première
, ſi l'empreſſement que les Naturaliſtes
ont témoigné de voir raſſemblé pour
la première fois tout ce qui concerne les
eaux minérales du royaume n'eût engagé
l'auteur à intervertir en quelque forte l'ordre
le plus ſimple &le plus naturel .
La condition de l'acquiſition actuelle
de cet ouvrage utile eſt ſimplement de
68 MERCURE DE FRANCE.
payer 9 livres en retirant le premier volume
en feuilles , au moyen de quoi l'on
recevra le troiſième gratis , & l'on ne
paiera que 9 livres , en retirant le ſecond
avec le quatrième ; de façon que l'ouvra .
ge complet ne coûtera que 18 livres aux
perſonnes qui s'empreſſeront de l'acquérir
, au lieu de 24 livres qu'il ſera vendu
àcelles qui ne ſe ſeront point conformées
à la condition ci-deſſus avant la diſtribution
du troiſième volume .
On distribue du même auteur & chez
lemême libraire une Hiſtoire naturelle des
Végétaux , conſidérée relativement aux
différens uſages qu'on en peut tirer pour
la médecine , & l'économie domeſtique ;
ouvrage utile à tous les ſeigneurs de la
campagne , curés , pères de famille &
cultivateurs ; 10 vol. in 12. reliés en 7 en
carton ; prix , 27 liv. Cet ouvrage , enrichi
de deux cens planches en taille- douce
qui repréſentent les plantes deſſinées d'après
nature , eſt une ſeconde édition du
traité hiſtorique des plantes de la Lorraine
qui a reçu un accueil favorable du Public.
L'auteur , dans cette nouvelle édition
, a indiqué les différens endroits, fort
de la France , foit des pays étrangers où
croiſſent les plantes que l'on trouve en
JUILLET . 69 1772 .
Lorraine. Il a par ce moyen généraliſé fon
traité & l'a rendu d'un uſage plus univerſel
pour tous les cultivateurs , les économes&
ceux qui s'appliquent à l'étude des
végétaux .
,
Le Laboureur devenu Gentilhomme , anecdote
de Henri IV , comédie en un
acte , en proſe , mêlée d'ariettes , avec
quelques notes hiſtoriques.
• Songez qu'une naiſſance illuftre
Des ſentimensdu coeur reçoit ſon plus beau luſtre.
Destouches , glorieux , acte I , fç. IX.
parM. Boutellier.La muſiquede M.Bor
net l'aîné, de l'académie royalede muſi.
que. A Paris , chez Merigot le jeune ,
libraire , quai des Auguſtins , près la
rue Pavée , in. 8 ° .
L'anecdote rapportée dans le Mercure
du mois de Juillet 1766 , a fourni le ſujet
de ce petit drame. L'auteur a confervé
autant qu'il lui a été poſſible les propres
paroles des principaux acteurs de la ſcène
dont l'anecdote fait unention. Il n'a pas
non plus négligé de faire uſage des paroles
citées par les hiſtoriens de Henri IV &
attribuées à ce Prince avec d'autant plus
70
MERCURE DE FRANCE .
de vraiſemblance qu'elles font les expref.
fions franches & naïves de l'ame héroïque
& du coeur vraiment paternel de ce monarque.
L'auteur s'eſt également contenté
de mettre en ſcène les faits tels qu'ils lui
ont été préſentés. Il a penſé qu'il ſuffiſoit
de nous entretenir de Henri IV pour nous
intéreſſer. Mais au lieu d'un artifan renforcé
dont il eſt parlé dans l'anecdote , la
pièce nous offre un laboureur. Ce labou
reur a un fils nommé Charles qui eſt l'amant
de Laurence fille de Maurice gentil.
homme & officier dans l'armée du Roi.
Mde Maurice , qui eſt du même avis que
fon mari , ne veut accorder ſa fille qu'à
un gentilhomme , ce qui forme le noud
de cette pièce , noeud qui ſe trouve heureuſement
dénoué par les lettres de nobleſſe
que Henri , flatté de récompenfer
une famille honnête & zélée pour fon
ſervice veut bien accorder au père de l'amante
de la fille de ſon officier. L'exemple
d'un laboureur anobli par la grace
da Prince ne peut que rendre plus eſtimable
aux yeux du cultivateur une profeſſion
qu'il a ſouvent la ſimplicité de regarder
avec dedain, parce qu'il écoute les
propos légers & inconféquens du citadin ;
mais comme le dit Robert; 1
:
JUILLET. 1772. 71
Un laboureur qui cultive la terre ,
Sert auffi -bien & fon Prince & l'Etat ,
Que le ſoldat
Qui combat ,
Et meurt à la guerre.
Un général jadis à Rome ,
( J'ignore comment il ſe nomme , )
Brave guerrier , grand homme ,
Pour défendre ſon pays
de ſes ennemis ,
Quitte ſon champ & ſa charrue ;
Rome conſternée , abattue ,
Bientôt par la valeur
Triomphe & reprend ſa ſplendeur.
Un laboureur , &c .
Il eſt dit dans l'anecdote citée plus haut
que ce Robert étoit un plaiſant , undiſeur
de gaufferies ; l'auteur du drame n'a point
aflez foutenu ce caractère qui auroit pu
jetter plus de gaîté dans la pièce. Il eſt
vrai que la jeuneſſe de Laurence , amante
de Robert , & qui étoit préſente à l'entretien
, lui interdiſoit de faire reciter à
Robert les hiſtoiresſcandaleuſes dont parle
l'anecdote ; mais l'auteur auroit pu fuppléer
à ces hiſtoires par quelques traits
critiques ſur les moeurs du tems & par des
reparties naïves , enjouées & priſes dans
72 MERCURE DE FRANCE.
le caractère même du perſonnage. La
ſcène du ſouper qui pouvoit être ſi piquante
eſt ſeulement remplie par cette
ariette que chante Laurence , & qui avec
celle que nous avons rapportée plus haur
pourra faire juger des autres ariettes répanduesdans
ce petit drame.
Qu'il eſt difficile , en aimant
De paroître indifférent
Près de l'objet qu'on aime !
Lorſqu'on voudroit , à tout moment ,
Ne s'occuper que de lui- même.
Envain on ſe promet
Pour mieux cacher ſon zèle ,
D'être tendre & muer :
Un regard infidèle ,
Un geſte peu difcret
Trahiſſent le ſecret ;
Etl'amour ſe décéle.
Qu'il est difficile , &c .
L'art d'aimer ; la fille de quinze ans , conte
; la chanson de Tirfis à Lesbie , & c .
morceaux traduits de l'italien , ſuivis
de quelques poëſies françoiſes imitées
de l'allemand, du grec& du latin. Ef.
:
fai
JUILLET. 1772 . 73
ſai de traduction auquel on ajoint une
lettre critique ſur les ballets de l'opéra.
D'un travail ſérieux veux-je me délaſſer ,
Les muſes auſſi- tôt viennent me careſſer ?
Le Philofophe marić.
brochure in- 8 ° . A Londres ; & fe trouve
à Paris , chez J. F. Baſtien , libraire ,
rue du Petit- Lyon , fauxbourg St Germain.
L'épigraphe placée à la tête de ce recueil
de traductions & de littérature , annonce
aſlez que l'auteur a eu principalement
pour objet de ſe délaſſer avec les
muſes , des occupations ſérieuſes de ſon
état. Mais ces fortes de délaſſemens ordinairement
bien accueillis par l'indulgente
amitié , ne le ſont pas toujours de
même par le Public, éclairé ſur-tout quand
il s'apperçoit que l'auteur s'eſt plus occupé
de piquer par de petites notes critiques
la malignité d'un certain nombre de lec .
teurs,que de flatter le goût ou de faire fourire
la raiſon . L'auteur , par exemple , en
nous rendant compre dans ſa préface de
Phiſtoriette de la Fille de quinze ans , extraite
d'un badinage intitulé en italien ,
I. Vol.
74 MERCURE DE FRANCE.
Cicalata academica ( bavardage académique
) ajoute que ces deux mots ſemblent
faits pour être placés à côté l'un de l'autre,
&qu'ils ne paroiſſent pas étonnés de ſe
trouver enſemble. Au reſte cette hiftoriette
a de quoi plaire. Elle nous préſente
un joli moment de ſimplicité naïve .
L'Art d'aimer où se trouvent pluſieurs
maximes de l'ars amandi d'Ovide eſt traduit
de l'italien , ainſi qu'un diſcours fur
cette queſtion : « Quels yeux font les plus
- beaux , des bleus ou des noirs ? » Cette
queſtion , digne de figurer dans un madrigal
, eſt traitée ici un peu trop ſérieuſement;
& au lieu d'y répondre , le galant
auteur de la diſſertation ſe contente de
trancher la queſtion par ces mots . « Sans
» m'arrêter à la couleur des yeux , foit
» qu'ils foient bleus , ſoit qu'ils foient
>> noirs , ceux qui tourneront vers moi les
>>regards les plus favorables auront par
>> moi la préférence .
Parmi les poëſies qui compoſent ce recueil
, il y en a quelques unes imitées de
l'allemand. Voici une épigramme tirée
d'un conte de Gellert , intitulé le Père
mourant ,
Al'aîné de deux fils ( jeune homme plein d'eſprit,)
Unmoribon léguoit tout fon bien en partage;
JUILLET. 1772 . 75
De quoi le notaire interdit ,
Diſputoit pour que l'autre eût part à l'héritage :
Mais le mourant lui dit : « Monfieur , point de
>>c>hagrin ,
>>>Ce que je fais , n'eſt pas choſe inhumaine ,
>> Du premier ſeul , hélas ! je ſuis en peine ,
>> Le ſecond eſt ſi ſot , qu'il fera ſonchemin. >>
L'auteur dit dans une note que l'événement
juſtifie tous les jours la fin de cette
épigramme ; réflexion qu'il pouvoit
laiſſer Faire au lecteur .
Le morceau le plus conſidérable de ces
mélanges eſt une lettre critique ſur notre
danſe théâtrale. Pluſieurs bons écrivains
de nos jours nous avoient déja fait voir
que nous n'avons point de danſe, que ce
que nous appellons de ce nom eſt un ſimple
exercice mécanique où l'on ſe contente
de ſuivre un chemin tracé. Ladanſe
, la véritable danſe , la danſe théâtrale
enfin eſt l'art de rendre les diverſes impreſſions
de l'ame par les mouvemens variés
du corps ; c'eſt une pantomime mefurée
qui , ainſi que la poësie & la peinture
, a ſon langage , ſes expreſſions & ſes
ſignes bien différens fans doute de ceux
que nous avons adoptés qui ne ſont bons
tout au plus qu'à imiter les mouvemens
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
d'une muſique qui le plusſouvent n'imite
rien elle- même ,
Bibliographie parisienne. A Paris , chez
Delnos , libraire , ingénieur géographe
du Roi de Danemarck , rue St Jacques
auGlobe,
De tous les ouvrages qui doivent le
jour à la preſſe ou au burin , & qui ſe vendent
à Paris , il ſemble qu'il ne peut pas
y en avoir de plus utile que celui qui, devenant
le dépôt de la littérature & des
arts dans cette capitale, indique les autres,
fait connoître le mérite de chacun ,
& enſeigne aux curieux & aux amateurs
les moyens de ſe procurer facilement &
à juſte prix ceux qu'ils peuvent defirer ,
Telle eſt la Bibliographie parisienne , dont
onpublie le quatrième volume , pour
l'année 1770 , Elleannonce les livres en
tous genres , qui ont paru à Paris dans
cette année , leur format, le nombre de
volumes , leur prix , & le nom des libraires
qui les débitent. On donne des pareilles
notices àl'égard de la géographie , de
la muſique, des eſtampes ou autres gravures;
& quand les Journaliſtes ont porté
des jugemens fur quelques - unes de ces
productions , on a ſoin de les y inférer.
JUILLET. 1772: 97
Enfin , pour ne laiſſer rien à deſirer , il y
a dans chaque volume, de même que pour
chacun de ſes objets , un paragraphe où
ſe trouve l'énoncé des édits , arrêts , décla
rations , &c . avec leurs dates.
Quelques ſouſcripteurs , impatiens de
puiſer ſans peine les connoiſſances que
renferme cet ouvrage , ont paru encore
ſouhaiter une table qui ſe diſtribuera toujours
gratis aux ſouſcripteurs ſeulement ;
mais elle fera vendue , ſéparement des
volumes , à ceux qui , par goût ou par prévention
, croiront pouvoir ſe contenter
d'une ſimple nomenclature. On ne doit
pas s'attendre néanmoins d'y avoir les titres
en entier. Comme il ſont dans la bibliographie,
on n'en donne qu'autant qu'il
en faut pour qu'on puiſſe les y chercher
&les diftinguer entre eux. Mais comme
on ſe propoſe de donner la bibliographie
parisienne à plus bas prix , tant les premiers
volumes de 1770 que ceux qui fui.
vront , le libraire prévient les ſouſcripteurs
qui n'ont point encore retiré leurs
exemplaires , de le faire au plutôt , s'ils
veulent profiter de la diminution , parce
qu'autrement ils ſe trouveroient privés
de cet avantage. Ils font auſſi priés d'apporter
leur quittance , pour être échangée
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
contre une promeſſe de leur fournir la
continuation au prix qui ſera fixée , ſans
qu'ils ſoient tenus déſormais de rien payer
d'avance , & fur une ſimple obligationde
leur part, d'acheter les volumes au fur &
àmeſure qu'ils paroîtront.
La connoiſſance de l'Astronomic rendue
aifée & mife à la portée de tout le
monde par M. l'Abbé Dicquemare ;
ſeconde édition très- augmentée par
l'auteur & enrichie de vingt - fix planches
en taille douce. A Paris , chez
Lottin le jeune , libraire , rue St Jacques.
Cet ouvrage , utile & inſtructif , écrit
avec méthode , préciſion & clarté , ne
peut être trop recommandé pour donner
aux gens du monde & à la jeuneſſe les
premiers élémens de l'aſtronomie ; mais il
faut prévenir le Public qu'il a été répandu
dans les provinces & même dans la capitale
, une impreſſion contrefaite de ce volume
, & mal adroitement calquée ſur la
première édition . Quoique celle- ci porte
également le mot Paris ſur le titre , cependant
il eſt facile de diſtinguer l'une
de l'autre ; car outre que la nouvelle qui
porte le nom de Lottin le jeune , offre auJUILLET.
1772. 79
devant du volume & avant l'introduction
une infcription dédicatoire au P. Pingré ,
& une lettre de l'auteur ; on ne peut s'y
méprendre , fur- tout au nombre des pages&
des figures qui différencient les deux
éditions. La bonne & dernière a 158 pages
de difcours , ſans compter l'introduction
& ce qui la précéde , pendant que
l'édition tronquée ne contient que 114
pages & 24 figures ſeulement .
Hiftoire des différens Peuples du Monde ,
contenant les cérémonies religieuſes
& civiles , l'origine des religions , les
moeurs & les uſages de chaque nation,
in - 8 °. 6 vol . 30 liv. brochés. A Paris,
chez Edine , libraire , rue St Jean -de-
Beauvais , à côté du collége , 1772 .
Cet ouvrage intéreſſant , que l'on peut
regarder comme une eſpèce d'hiſtoire
univerſelle , doit être utile à la jeuneſle ,
enlui donnant des notions fuffilantes fur
les différens pays de la terre qu'il importe
toujours de connoître. Il peut fervit
auſſi aux perſonnes plus avancées , en leur
préſentant en abrégé le tableau d'études
plus étendues qu'ils auroient faites. Pour
le rendre en même tems inſtructif &
Div
৪০ MERCURE DE FRANCE.
amuſant , on s'eſt attaché à ne rapporter
que ce qu'il y a de plus curieux fur chaque
nation. Les hiſtoires générales & particulieres
font les ſources où l'on a puiſé.
On a fait choix des auteurs les plus dignes
de foi , & l'on a évité toutes differtations ,
ſouvent dangereuſes & preſque toujours
ennuyeuſes& fuperflues.
Tracer hiſtoriquement tout ce quiconcerne
la Religion de chaque pays , fes
dogmes , ſes cérémonies , les changemens
qu'elle a éprouvés , les uſages ſupeſtitieux
qu'elle a fait naître , & le pouvoir qu'elle
aobtenu ſur l'eſprit des peuples ; faire
précéder ces tableaux par une idée ſuccincte
& géographique du pays dont on
parle ; s'attacher à rendre compte de la
forme du gouvernement , ſi intimement
liée avec la Religion établie ; donner enfuite
des détails intéreſſans fur les coutumes
civiles , les uſages particuliers , les
productions naturelles& le commerce de
chaque nation ; voilà le plan qu'on s'eſt
efforcé de remplir .
Les volumes ſont ornés de quatre vignettes
en taille-douce , qui repréſentent
quelquesobjets intéreſſans de chaque pays..
JUILLET. 1772 .
Hiftoire militaire des Suiſſes dans les différens
fervices de l'Europe ; compoſée
ſur des pièces & ouvrages authentiques
juſqu'en 1771. Par M. May de
Romain-mortier : ad majorem gloriam
patriæ; 2 vol. in- 12 .ABerne, chez la
Société typographique ; 1772 .
Get abregéde l'hiſtoire des Suiſſes dans
les différens ſervices de l'Europe eſt partagé
en deux volumes ; le premier , diviſé
en trois livres , contient une introduction
générale , le ſervice de France & le fervicede
la Maiſon d'Autriche ; le ſecond
renferme le ſervice d'Eſpagne , de la Maifon
de Savoye , des Papes , de Veniſe ,
d'Hollande , de Suéde , de Danemarck ,
de Ruſſie , de Brandebourg , de Saxe , de
Cologne de Bavière , de Suabe , de Naples
& de l'Ordre de Malthe ; avec une
liſte des officiers généraux.
Ces mémoires font remplisde faits curieux
placés dans un ordre chronologique,
& énoncés avec la ſimplicité convenable
à l'hiſtoire . On y trouve un grand nombre
d'anecdotes qui caractériſent la franchiſe
, le courage& l'attachementde cette
Nation toujours fidèle à fes engagemens
&àl'honneur. Cette hiſtoire eſt due aux
D
82 MERCURE DE FRANCE.
ſoins & aux recherches d'un gentilhomme
d'une des meilleures Maiſons de Berne
; il ne pouvoit travailler plus utilement
pour la gloire de ſa patrie ; ſon travail
doit non- ſeulement intéreſſer les
Suilles , mais encore les autres Peuples
dont ils font les alliés , les défenſeurs &
même les compatriotes.
L'Art du Maçon- Pifeur , par M. Goiffon
des académies des belles - lettres &
ſciences de Lyon & de Metz . A Paris ,
chez Lejay , libraire , rue St Jacques ,
in- 12 de 56 pages avec une planche.
&
Il ya long- tems que les conſtructions en
piſé ſont en uſage dans le Lyonnois&les
provinces circonvoiſines. On appelle bâtir
en piſé , faire tous les murs d'une maiſon
avec une qualité particulière de terre
que l'on rend par att dure & compacte .
Les fondations de ces fortes de bâtimens
ſe conſtruiſent en pierre à l'ordinaire ,
leurs murs s'élèvent auſſi en pierre juſqu'à
environ deux pieds au deſſus du pavé , à
l'effet de mettre le piſé à l'abri de l'humidité.
On place fur ces murs bien arafés ,
en commençant par un des angles extérieurs
du bâtiment , un encaiſſement qui
eſt compoſé de deux rangs de planches
JUILLET. 1772. 83
de 2 pieds de hauteur , fur au plus 13
pieds de longueur , leſquelles ſont ſolidement
entretenues & eſpacées d'environ
20 pouces qui eſt l'épaiſſeur que l'on donne
communément aux murs en piſé par
lebas.
A meſure que l'on jette des peletées
de terre dans cet encaiſſement , des
ouvriers la battent avec de gros pilonsde
bois pour la comprimer le plus poſſible ,
en obfervant de terminer en plan incliné
le côté de ce carreau de terre oppoſé à
l'angle du bâtiment par où l'on a commencé.
Après cela on démonte cet encaiſſement
, pour exécuter de la même
manière une autre partie de mur contigu ;
&l'on repére ſucceſſivement cette opération
dans toute l'étendue des murs de
face & de refend. Le premier rang étant
terminé , on entreprend le ſecond , en
diſpoſant l'encaiſſement de manière que
les carreaux ſupérieurs foient placés en
bonne liaiſon avec les joints montans des
inférieurs ; & l'on continue ces murs de
terre , en leur donnant un peu de talut
juſqu'au faîte du bâtiment que l'on élève
ſouvent juſqu'à deux étages , ſans qu'il y
entre aucune pierre. Approche t'on de la
hauteur d'un plancher , on établit fur les
1 Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
murs oppofés qui doivent le porter un
cours de madriers ou plate- formes pour
l'appuyer uniformement. Ce n'eſt guères.
qu'après la couverture d'une maiſon , que
l'on pratique tant dans les murs de face
que de refend , des ouvertures pour former
les portes & les croisées ; & l'on fait
ces ouvertures affez larges pour y loger
des jambages & des linteaux, foit en pierre
, foit en bois. Lorſque ces murs de terre
ont exhalé toute leur humidité , on enduitleurs
paremens extérieurs de mortier,,
de chaux & fable , pour les mettre à couvert
des injures de l'air , & afin qu'il s'y
adapte plus aifément, on les pique avec
la pointe d'un marreau. Les opérations
de cettebât ſſe ſont expliquées avec beaucoup
de clarté & de ſagacité dans l'ouvra
geque nous annonçons. La terre qu'on
emploie à fon ufage doit être naturelle ,
un peu graveleuſe & fufceptible de recevoir
allez de conſiſtance pour réſter aux
fardeaux ; & on voit des maiſons ainſi
conſtruites qui ſubſiſtent en bon état depuis
plus d'un fiécle. Quoique cette méthode
doive néceſſairement opérer la plus
grande économie & promptitude dans le
travail , nous penſons cependant qu'il fenoit
peut- être fortdifficile d'en introduire
JUILLET. 1772. 85
l'uſage ailleurs que dans les endroits où
l'on manque de pierre & où il eſt impof
fible de ſe procurer de la brique.
Au ſurplus ce n'eſt pas d'aujourd'hui
qu'on a propofé des moyens de diminuer
la grande dépenſe de la conſtruction ordinaire
des bâtimens. On fait que vers la
findu ſiécle dernier , on entrepritde faire
àParis & dans ſes environs des maiſons
moulées , &de conſtruire une maiſon abfolument
neuve avec les ſeuls matériaux
de celle que l'on étoit obligé de démolir.
Pour y parvenir , il ne s'agiſloitque de retailler
toutes les anciennes pierres pour les
employer à la conſtructiondes fondations
&des encoignures du nouveau bâtiment,
&enſuite d'exécuter tous ſes murs de face
&de refend , en employant les recoupes
de pierre , les platras , les morceaux de
ruile , de carreaux , de brique , enfin tous
les gravois que l'on envoie d'ordinaire
aux champs. On faiſoit de tout cela dans
des eſpèces d'encaiſſemens , des carreaux
d'une certaine grandeur , délayés avec du
plâtre un peu clair & dont l'intérieur étant
bien plein devoit être conféquemment
ſtable. Ces eſpèces de pierres artificielles
s'employoient en guiſe de moilons comme
des cours d'aſſiſes avec des tuilaux
86 MERCURE DE FRANCE.
fe
concaffés entre leurs joints & recouverts
d'un enduit de plâtre. M. Fremin , dans
un petit ouvrage devenu très rare , & pu .
blié au commencement de ce ſiècle , fur
les tromperies & malverſations des ouvriers
en bâtimens , parle avec le plus
grand éloge de ces conſtructions par encaiſſemens
, & comme d'une méthode
fingulièrement économique que les maçonsde
fon tems n'affectoient de tout leur
poffible de décréditer que parce qu'il n'y
avoit pas de fortune à faire pour eux en
ſervant d'un pareil procédé. Il cite entre
autres pour exemple , un hôtel conſidérable
qui fut bâti de cette manière rue de
Grenelle fauxbourg St Germain vis-à- vis
l'abbaye de Panthemont , que les ouvriers
appellèrent alors par deriſion l'Hôtel des
Plátras , nom qu'il a toujours retenu depuis
: & ce qui peut confirmer combien
cet auteur a eu raiſon d'exalter cette méthode
; c'eſt que cet hôtel ſubſiſte encore
après plus de 80 ans dans le meilleur état:
ſes murs paroiffent tout d'une pièce : aucun
n'eſt ſorti de ſon à plomb ; tous ſes
planchers font encore d'un parfait niveau;
enfin il n'y a pas une maiſon en pierre
du même tems qui ſe porte mieux, & qui
ait moins exigé de réparations juſqu'ici ..
JUILLET. 1772. 87
M. Parte nous a conſervé , danssesmémoires
fur les objets les plus importans de
l'architecture , * les détails des opérations
de cette eſpèce de bâtiſſe , à laquelle on
ne fait peut- être pas aſſez d'attention , &
dont on pourroit certainement tirer de
très-grands avantages , pour diminuer la
dépenſe d'un bâtiment en bien des occafions.
Confultation fur un Onaniſme fingulier ,
aveccomplication de pluſieurs accidens
vénériens ; enſemble un mémoire en
réponſe à la conſultation propoſée ;
ainſi que quelques reflexions nouvelles
fur les maladies vénériennes , par M.
Contencin D. R. A Paris , de l'imprimerie
de Moreau , rue Galande ; brochure
in 12 .
Heu ! mifera in manibus verfatur victima noftris .
L'auteur de cette conſultation,après nous
avoir tracé l'égarement de l'imagination
chez les jeunes gens lors du développement
de leurs facultés , expoſe les loixde
l'économie animale pour mieux nous fai-
* Cet ouvrage , vol. in-4°. avec figures , ſe
vend chez Lacombe , libraire , rue Chriſtinc .
88 MERCURE DE FRANCE.
re connoître les cauſes des maladies qui
font les fuites de la maſturbation. Ce rableau
effrayant, mais vrai eſt bien propre
à éloigner l'homme foible de ce vice folitaire,
non moins capable de ruiner le corps
que d'ôter aux facultés intellectuelles leur
force & leur énergie. L'auteur nous fait
part dans ce même écrit de ſes réflexions
fur la manière la plus ordinaire de contracter
le vice vénérien , ainſi que ſur la
méthode la plus fûre pour le combattre.
Il nous rappelle ce qui a déjà été dit contre
les empiriques , mais que l'on ne doit
point ceſſer de répéter , puiſque le vulgaire
continue d'uſer de leurs prétendus remèdesqui
, en les ſuppoſant efficaces dans
bien des cas , deviennent fouvent mortels
par l'ignorance de celui qui les adminiſtre
; ignorance qui l'empêche non-feulement
d'en faire une juſte application ,
mais encore de prévoir ou de combattre
les accidensqui peuvent contratier le cours
de lamaladie.
Moyens certains &peu coûteux de détruire
le mal vénérien ; par J. J. Gardane ,
docteur-régent de la faculté de méde
cine de Paris , médecin de Montpel-
Lier , cenſeur royal , des ſociétés roya
5
JUILLET. 1772. 89
les des ſciences de Montpellier & de
Nanci , de l'académie de Marseille ,
&c. &c.
'Æquè pauperibus prodeft , locupletibus æquè.
Horat. épiſt , lip . I.
ALondres ; & ſe trouve à Paris , chez
Didot , libraire , quai des Auguſtins ,
1772.
Ungrand avantage , ſuivant M. Aftruc,
eût été de pouvoir trouver un remède facile
&fans frais , qui foulageât à coup sûr le
peuple hors d'état de faire la dépense , &
qui pût même quelquefois le guérir. Les ſecours
que M.Gardanepréſente ontuneutilité
bien plus étendue,puiſqu'ils réuniffent
la facilité, la ſimplicité, la modicité du prix
à la certituded'une guériſon radicale.
Qu'on ne confonde pas , dit-il , ce que
j'avance avec les promeſſes trompeufes
des charlatans. J'adopte des remèdes connus
& avoués par les médecins , je n'en
fais pas un ſecret , je ne les prépare point,
je ne les vend point : d'ailleurs appliqué
par état à l'étude de toutes les maladies ,
je ne dois pas me borner au traitement
feul de la vénérienne ; & fi je m'en occupe
plus particulièrement aujourd'hui ,
9 . MERCURE DE FRANCE.
c'eſt queles voies de la guérir m'ont paru
preſque interdites au peuple indigent, qui
mérita toujours l'attention du médecin
citoyen .
* Blanche & Guifcard , tragédie par M.
Saurin de l'Académie Françoiſe , & c.
nouvelle édition revue & corrigée. A
Paris , chez la Veuve Ducheſne , rue
St Jacques , au Temple du Goût.
Nous ne ferons point l'analyſe de cette
pièce qui eft connue & qui eut du ſuccès
dans ſa nouveauté. On fait qu'elle eſt
imitée d'une tragédie anglaiſe du célèbre
Thompson qui lui-même en avait tiré le
ſujet d'un épiſode du roman de Gilblas ,
intitulé le Mariage par vengeance. Il y a
de l'intérêt dans le ſujet qui pourtant offre
des difficultés , & le double meurtre
qui forme un dénoûment néceſſaire par
la mort de Blanche & du Connétable , a
peut- être cet inconvénient que le rôle du
Connétable étant par lui - même de peu
d'effet , ſa mort n'en faurait faire beaucoup.
Tuez tant que vous voudrez un per-
* Cet article & les deuxfuivansfont de M. de
laHarpe.
JUILLET. 1772. 91
ſonnage que l'on aime , a dit quelque part
M. de Voltaire , mais ne tuez jamais un
perſonnage indifférent .
Quoi qu'il en ſoit, cet ouvrage eſt plein
debeautés vraiment tragiques. Le rôle de
Blanche fur- tout eſt ſupérieurement traité.
Il eſt très- touchant & par la ſituation
&par le ſtyle. La ſcène où elle apprend
que ſon amant n'eſt point infidèle , au
moment même où elle vient de ſe donner
à une autre , ſera dans tous les tems
une de cesſcènes vraiment théâtrales dont
l'effet eſt toujours fûr. Celle où elle conjure
ſon pèrede ne pas la forcer à l'hymen
du Connétable eſt auſſi très pathétique.
Nous nous bornerons à en citer un morceau.
• . Mes tremblantes mains embraſſent vos
genoux ,
Laiflez-moi les preſſer & les mouiller de larmes.
Près de vous la nature eſt -elle donc ſans armes ?
Sourd à ſa tendre voix , n'accablez par un coeur
Noyé dans l'amertume & briſé de douleur.
Qu'exigez- vous , ô Ciel ! votre rigueur ordonne
Que n'étant point à ſoi votre fille ſe donne ?
C'eſt me percer le ſein , c'eſt outrager Oſinont ,
Oui , ma main ſans mon coeur n'eſt pour lui qu'un
affront .
92 MERCURE DE FRANCE.
Souffrez que loin du monde à jamais retirée ,
Je traîne de mes jours la pénible durée .
Je ne dois pas ſans vous diſpoſer de ma foi ;
Vous ne devez pas plus en diſpoſer ſansmoi.
Mon père , j'ai mes droits ſi vous avez les vôtres.
Rompre à la fois mes noeuds & m'en impoſer d'aus
tres ,
C'eſt exiger de moi par-delà mon devoir .
Je dis plus ; cet effort ſurpaflemon pouvoir.
Peut- être avec le tems je le pourrai , mon père ,
Le Ciel ſait ſi mon coeur ſouffre de vous déplaite.
Accordez-moi du tems... ou bien prenez mes
jours ,
Prenez-lez , terminez leur déplorable cours.
C'eſt la mort qu'à vos pieds mondéſeſpoir im
plore.
Il eſt difficile de lire cette ſcène ſans
répandre des larmes .
Peut- être avec le tems je le pourrai , mon père.
Eſt admirable. Ces traits d'une éloquence
naturelle font le vrai ſtyle des paffions &
de la tragédie. En voici d'autres à peuprès
du même genre . Hélas ! crois- tu , dit
Blanche,
Qu'un fentiment ſi cher , né dans lafolitude ,
Par l'eſtime forme , nourri par l'habitude ,
JUILLET. 1772. 93
Sedétruiſe auſſi- tôt qu'on ceſſe d'eſtimer ?
Long- tems on aine encore en rougiſſant d'aimer.
Cette tragédiedont la lecture fait beau.
coup d'honneur à M. Saurin , fera toujours
plaisir à la repréſentation quand le
rôle de Blanche ſera bien rempli.
Rouffeau vengé ou obſervations ſut la critique
qu'en a faite M. de la Harpe ,
&c. par M. l'A . D. G. de l'Académie
des ſciences & belles- lettres de Nancy ;
V. G. de B. A Londres; & ſe trouve à
Paris , chez Delalain , rue de la Comédie
Françaiſe , & chez Lejai , rue
StJacques,
Quand feu M. l'Abbé d'Olivet , admi
rateur outré & médiocre traducteur de
Cicéron , mais ſavant grammairien & judicieux
critique , donna ſes excellentes
remarquesfur Racine , que l'ou a miſes au
nombre des bons livres claſſiques en ce
genre , l'Abbé Desfontaines , traducteur
bien plus médiocre & critique bien moins
équitable &bien moins inſtruit , affecta
de défendre un illuſtre mort d'autant plus
volontiers qu'il était plus accoutumé à
déchirer les vivans célèbres ; il donna un
94 MERCURE DE FRANCE.
Racine vengé , quoique Racine n'eût pas
reçu d'offenſe. Il répondit avec toute la
morgue du pédantiſme au ſavant académicien
qui avait écrit avec toute la referve
&la modération qui diſtinguent les véritables
gens de lettres. Il répéte ſans ceſſe
qu'il ne faut pas confondre le langage de
la proſe avec celui de la poësie , & M.
l'Abbé d'Olivet l'avait dit vingt fois dans
ſes remarques. Il nous apprend que, ſi la
critique de Racine a preſque toujours raiſon
ſur la grammaire , il ne s'enfuit pas
qu'il faille condamner avec lui les heureuſes
hardieſſes du génie &donner des
entraves au ſtyle poëtique , & le critique
de Racine ne parle jamais que de grammaire
, & approuve non - ſeulement les
libertés de la poësie , mais regrette encore
les licences qu'elle ſe permettait autre
fois & que depuis , elle a perdues par défuétude.
L'Abbé Desfontaines traite partout
ſon adverſaire comme un détracteur
de Racine , & le critique de Racine était
un de ſes plus grands admirateurs, Rien
ne fait mieux voir qu'on n'a jamais cauſe
gagnée avec les mauvais eſprits , ni avec
ceux qui , voulant parler à quelque prix
que ce ſoit , répondent toujours à ce que
vous n'avez pas dit.
JUILLET. 1772 . 95
C'eſt ainſi qu'un anonyme a imprimé
dans un Journal qu'il faut fur ma parole
ſe hâter de rayer Rouſſeau du nombre des
grands poëtes , quoique j'aie dit en propres
termes que Rouſſeau devait étre mis
aunombre de nos grands poëtes. Ce même
anonime ſe donne la peine de m'apprendre
que l'auteur de la Chartreuſe & de
Ververt eſt auſli un très bon poëte , & en
vérité j'en étais convaincu , & je l'avais
dit dans le même morceau dont il eſt queſtion
. L'anonyme qui veut être plaiſant ,
affecte une grande confuſion de s'être
trompé ſur Roufſeau , & il ne devrait être
confus que de ce qu'il a écrit. Il finit par
dire qu'il va s'enfermer dansson cabinet &
fondre en larmes. Rien n'eſt ſi gai que cette
ironie . Je ne veux pas troubler ſa douleur
qu'il croitplaiſante.Je le laiſſerire&pleurer
tout ſeul. Je l'y crois accoutumé , & je
viens au nouveau vengeur de Rouffeau.
Je conviens d'abord que celui - ci ne
veut pas être plaiſant comme l'anonyme
& qu'il eſt plus poli que l'Abbé Desfontaines;
mais il paraît ſe tromper ſur moi
autant que l'Abbé Desfontaines ſur M. ,
l'Abbé d'Oliver. Il a l'air de me prendre
pour un détracteur des anciens , & des
grands écrivains du ſiècle de Louis XIV.
96 MERCURE DE FRANCE.
J'avoue que je ne m'y ſerais pas attendu.
Mais il vouloit parler des anciens & c'eſt
toujours bien fait. Il a toujours remarqué
que Les grands écrivains ont eu les mêmes
perſonnes& pour admirateurs &pour cen .
feurs. Cela ſignifie exactement que les
mêmes perſonnes admiraient & cenfuraient
à la fois les grands écrivains. Mais
ce ſens , qui ne ſerait pas ſi abſurde, n'eſt
pas celui de l'auteur. Il a voulu dire que
les grands écrivains avaient toujours eu
les mêmes cenſeurs & les mêmes admirateurs
.
Je pardonne de tout mon coeur à M.
I'A . D. G. qui n'eſt peut- être pas trèsexercé
à écrire , & qui n'a pris la plume
que par excès de zèle pour Rouſſeau , de
n'avoir pas fu cette fois exprimer ſa penſée.
Je n'examine point le ſtyle. Je m'en
tiens au fond de la queſtion.
Il me ſemble que mon adverſaire ne
s'en eſt pas bien rendu compte. Que demande-
t'il de moi ? J'ai dit, & lui même
le rappelle aux lecteurs , que Rouffean
avait excellé parmi nous dans la poësie
lyrique , & que perſonne en ce genre nepouvoit
lui être comparé. N'est-ce pas là un affez
bel éloge ? j'ai prétendu , il eſt vrai , qu'il
n'avaitni les graces , ni l'eſprit , ni la variété
,
1
JUILLET. 1772 .
97
riété , ni la philoſophie du lyrique latin.
Il fallait me prouver le contraire. Il fallait
prouver que Rouſſeau eſt doué d'une
trempe d'eſprit auſſi heureuſe que celle
d'Horace , auſſi ſouvent relu , auffi fouvent
cité , auſſi agréable pour toutes les
claſſes de lecteurs , auſſi bonne compagnie
dans le cabinet , à la ccampagne , à
table , par- tout. M. l'A. de G. n'en dit
pas un mot.
Mais j'ai critiqué des vers de l'ode à la
Fortune & de quelques autres . Oui. M.
l'A . de G. trouve t'il Rouſſeau irrépréhenſible
? Nul écrivain ne l'est , me
dira - t'on . Sans doute. Mais pourquoi
ſuis-je entré dans ces détails critiques ?
c'eſt parce que j'ai foutenu,nonſans quelque
raiſon,que dans un ouvrage tel qu'une
ode , où l'on a le bonheur de n'avoir que
des vers à faire , où le poëte eſt franchement
& librement poëte , on ne peut pardonner
que des fautes très-légères ,&que
quand le langage eſt incorrect , ou le terme
impropre , ou la tournure profaïque ,
ou la phraſe languiſſante , l'auteur n'eſt
nullement excuſable , parce qu'il n'a rien
de mieux à faire que d'effacer toutes ces
taches qui ne détruiſent pas le mérite des
beautés , mais qui diminuent beaucoup le
plaiſfir du lecteur.
I. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
Quoi ! l'on recherchera , avec une curioſité
maligne & ſouvent injuſte ,un vers
faible ou négligé dans une tragédie de
Racine ou de M. de Voltaire , dans la
Henriade, où ſi l'on peut obſerver des négligences
, du moins ne voit on pas une
trace de mauvais goût ; & l'on pardonnera
dans une ode des vers tels que ceux- ci.
Etje verrais enfin de mesfroides allarmes
Fondre tous les glaçons.
Une ſageſle raffermie
Par de dures fatalités.
Renaître la barbarie
De ces tems d'infirmité.
• •
Etdelà naiſſent lesfeftes
De tous cesfales infectes.
•
C'eſt elle qui nous fait accroire
Quetout céde à notre pouvoir ,
Qui nourrit notre folle gloire
De l'ivreſſe d'un fauxfavoir.
•
Ces quatre rimes n'offenſent- elles pas
cruellement l'oreille dans un ouvrage où
l'harmonie eſt ſi néceſſaire & ſi eſſentielJUILLE
Τ. 1772. 99
le ? remarquez toujours que je ne prends
mes exemples que dans les meilleures
odes. J'aurais trop d'avantage , fi je
citais les mauvaiſes. Je ne veux pas non
plus rapporter ce grand nombre d'idées
communes & rebattues qui dégoûtent les
bons eſprits dans beaucoup d'endroits.
Voyez dans l'ode au Prince Eugéne .
Les ſeules conquêtes durables
Sont celles qu'on fait ſur les coeurs.
Untyran cruel & ſauvage
Dans les feux & dans le ravage
•
N'acquiert qu'un honneur criminel !
La grandeur fière & hautaine
N'attire ſouvent que leur haine
Lorſqu'elle ne fait rien pour eux;
Etque tandis qu'elle ſubiſte ,
Le parfait bonheur ne conſiſte
Qu'à rendre les hommes heureux.
Ces vérités ſont ſans doute du nombre
de celles qui font toujours bonnes à dire .
Mais alors il faut tourner la maxime en
ſentiment , & ſe rendre propre par l'expreſſion
& par le ton de la phrafe , ce qui
ſemble trop appartenir à tout le monde.
Que répond à cela le vengeur ?
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Le Vengeur répondra ce qu'il répond
toujours . Il trouve tout excellent. J'avais
cru pouvoir obſerver quelques fautes dans
l'ode à la Fortune. Il n'en voit aucune.
Cependant il dit quelque part qu'il faut
bien que Rouſſeau paie le tribut à l'humanité
, & que tout ne peut pas être également
fini. Il faut donc que je ſois bien
malheureux ou bien maladroit , puiſque
jen'ai pasrencontré un ſeul de ces paſſages
où Rouſleau paie ce tribut , du moins ſi je
m'en rapporte à ſon défenſeur.
Juſques à quand , trompeufe idole ,
D'un culte honteux & frivole
Honorerons-nous tes autels ?
Juſques à quand-honorerons-nous lui
paroiffentgracieux à l'oreille. Tant mieux
pour les oreilles de M. l'A . D. G.
La ſeuleſageſſe
Peut faire des héros parfaits.
J'avais toujours cru que la ſageſſe ne
pouvait faire que des ſages. Mais M.
J'A . D. G. veut qu'elle faſle des héros &
des héros parfaits. Je crois pourtant que
M. l'A . D. G. aurait de la peine à me citer
un exemple d'un héros parfait. Car un
JUILLET. 1772. 101
heros parfait ſerait un homme parfait , &
il n'y en a pas beaucoup. Si l'on me répond
que héros parfait ne ſignifie qu'un
véritable héros , c'eſt encore bien pis. La
ſageſſe ne fait point les véritables héros .
Quoi ! il faut donc répéter ce que tout le
monde ſait? il faut donc définir les termes
? il faut redire qu'un héros n'a jamais
ſignifié qu'un guerrier doué de qualités
extraordinaires & de talens ſupérieurs;&
qu'un héros peut très bien n'être ni un
fage, ni un homme vertueux. Aſſurément
Cefar , Alexandre , Sylla , &c. étaient
des héros & n'étaient ni ſages ni vertueux.
Le poëte a fans doute voulu
dire que la ſageſle était préférable à
l'héroïsme & que la vertu valait mieux
que des victoires. Eh bien il fallait
le dire , & fon apologiſte aurait été difpenſé
de prouver que la ſageſſe fait des
héros parfaits , & j'aurais été diſpenſé ,
moi , de prouver fort au long ce qui eſt
clair. J'en demande pardon à un certain
ordre de lecteurs; mais tel eſt l'inconvénient
de la diſpute que ſouvent il faut
avoir trop raiſon .
Voilà encore M. l'A . D. G. qui m'explique
bonnement ce que ſignifient ces vers :
Mais je veux que dans les allarmes
Réſide le folide honneur.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
1
Eft ilfi difficile d'entendre ( me dit-il )
quefuivant l'opinion vulgaire la gloire des
conquérans conſiſte àfemerpar tout la terreur
? Véritablement je m'en doutais.
Mais il fallait prouver que l'honneur qui
réſide dans les allarmes eſt une bonne
phrafe , & j'en doute encore.
Quel est donc le hérosfolide
Dont la gloire ne ſoit qu'à lui ?
C'eſt un Roi que l'équité guide
Et dont les vertus font l'appui .
Mon adverfaire trouve dans ces vers
des véritésfublimes. Paſſe pour lefublime.
Mais un Roi que l'équité guide & dont les
vertus font l'appui eſt un Roi équitable&
vertueux , & n'est pas un héros folide. Ce
n'eſt pas affez d'être fublime. Il faut ſavoir
ce qu'on veut dire.
Le défenſeur optimiſte , après avoir
prouvé que tout est bien que tout est au
mieux , m'avertit qu'en décompofant les
vers on leur fait perdre leurs agrémens .
Je le crois comme lui ; mais quand j'ai
cité les vers de Rouſſeau , je les ai cités
dans leur entier , & le lecteur a pu les juger
& voir qu'ils étaient mauvais fans
qu'on les décompoſât. D'ailleurs n'a -t'il
JUILLET. 1772. 103
pas pris le change ? il s'agit de correction ,
de clarté , de juſteſſe ; & quand on déconftruirait
, comme il le propoſe , les vers
de Racine & de nos meilleurs écrivains ,
ſans doute on les dépouillerait de leurs
graces , mais c'eſt alors qu'on verrait bien
clairement qu'ils ne péchent en rien contre
aucune des règles de la conſtruction
&du langage & que la meſure & la rime
n'ont pas fait mettre un mot de trop , ni
une expreſſion impropre. Voilà , quoiqu'en
diſe M. l'A . D. G. , l'épreuve que
ne craignent point les bons vers & à laquelle
les mauvais ne réſiſtentjamais.
L'apologiſte pour excuſer le défaut de
chaleur &d'enthouſiaſme dans l'ode à la
fortune dit que c'eſt une ode de raisonnement.
Je ne fais pas ce que c'eſt qu'une
ode de raiſonnement. Et depuis quand,
( dit- il ) nos ariftarques dont le refrein éternel
est le mot de philofophie font - ils un
crime de raiſonner ? Je ne ſuis pas un ariftarque
, & le mot de philofophie qui eſt
le refrein de beaucoup de plats théteurs
n'eſt pas le mien. Mais les gens de bon
ſens qui veulent , comme Horace , que la
raiſon ſoit la baſe de tous les bons écrits ,
blâment les mauvais raiſonnemens quelque
part qu'ils ſe trouvent , fût - ce dans
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
une ode , ſans pourtant en faire un crime.
Ils blâment par- tout , & fur- tout dans
une ode , les diſcuſſions froides , les tournutes
languiſfantes & les penſées triviales.
On peut raiſonner par - tout même dans
une ode , mais il faut que la raiſon ſoit attachante
, & élevée , digne de l'homme
inſpiré qui tient la lyre. Elle doit s'énoncer
par des tournures hardies , preſſantes,
figurées. Eſt-il queſtion de prouver que
dans les meilleures choſes l'abus eſt auſſi
funeſte que l'uſage eſt utile , le poëte s'écrie:
Vents , épurés Ics airs & ſoufflés ſans tempêtes.
Soleil , ſans nous brûler marche & luis ſur nos
têtes.
VOLT.
Voilà les mouvemens d'un poëte , &
& ce n'eſt pourtant qu'un difcours en vers.
Me direz vous qu'il n'était pas poſſible
dans une ode à la Fortune d'avoir beaucoup
de mouvemens ſemblables & de
mettre toujours la penſée en images & en
ſentiment ? le ſajet comportoit tous ces
avantages & le poëte devait s'y retrouver
par-tour.
Mais comment s'attendre que M. l'A .
D. G. ſe rende fur les endroits faibles des
JUILLET. 17726 ιος
odes ? Il ne ſe rend pas même ſur les épîtres
& les allégories. Il trouve les épîtres
de Rouſſeau pleines de chofes , de raifon ,
de goût , versifiées avec une correction , une
facilité , une énergie , une harmonie 、un
feu , &c. Voilà un éloge compler . Il cite
quelques morceaux qui , fans avoir toutes
ces qualités , font en effet ce qu'il ya de
mieux dans ces épîtres. Mais il ne tiendrait
qu'à moi de prendre dans Brébenf
quelques endroits heureux , & cependant
il eſt abſolument impoſſible de lire cinquante
vers de ſuite dans la pharſale. Je
ne ſais qui eſt le judicieux critique , cité
par M. l'A . D. G. qui prétend que des
préceptes répandus dans les épîtres de Rouffeau
, on ferait une excellente poëtique pour
joindre à celle d'Horace &de Boileau. Voi.
ci quelques- uns de ces préceptes.
Et croyez - moi , je n'en parle à travers ;
Le jeu d'échecs reſſemble aujeude vers .
Savoirla marche eſt choſe très-unie ,
Jouer le jeu , c'eſt le fruit du génie ;
Je dis le fruit du génie achevé ,
Par longue étude & travail cultivé.
Donc ſi Phoebusfes échecs vous adjuge
Pour bien juger confulteztout bon juge
Pour bienjouerhantez les bons joueurs ,
:
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
Craignez ſur-tout le poiſon des loueurs.
Acoſtez- vous de fidèles critiques , &c .
Ce n'eſt pas tout-à- fait là le ton de
Part poëtique , & je pourrais tranfcrire
mille vers encore plus mauvais que
ceux - là fi je voulais perdre du tems
& du papier. Mais j'aime mieux laiffer
M. l'A . D. G. admirer ces épitres
comme des chefs d'oeuvre de verfification
& d'énergie , & s'étonner que j'aie si mal
foutenu le paradoxe que je me fuis mis en
tête de faire adopter.
Tôt ou tard on condamne un rimeur fatyrique
Dont la moderne muſe emprunte un air gothique
,
Et dans un vers forcé que ſurcharge un vieux
mot ,
Couvre fon peu d'eſprit des phrafes de Marot.
Il faut parler français , Boileau n'eut qu'un langage.
Son eſprit était juſte , & fon ſtyle était ſage.
Sers - toi de ſes leçons , laiſſe aux eſprits inalfaits
L'art de moraliſer du ton de Rabelais.
Voilà des vers d'une raiſon ſupérieure
&d'un ſtyle excellent. M. l'A. D. G. va
me dire encore que je n'y fonge pas de
comparer de pareils vers aux vers de RoufJUILLET.
1772. 107
ſeau , & qu'apparemmentje mejoue avec
les contrevérités , comme lorſque j'ai oſé
louer des ouvrages tels que le poëme ſur
la loi naturelle & fur le déſaſtre de Lifbonne
, où ſiſouvent , dit- il , le théologien
s'égare , & où l'on cherche le poëte . J'avoue
que j'y ai cherché le poëte & que je l'y ai
trouvé. Quant au théologien , je ne m'en
mêle pas , & c'eſt pour cela que je finis.
Le Jugement de Paris , počine en quatre
chants ; par M. Imbert. in 8º avec figures
, prix 4 1. 16 f. A Amſterdam ;
& fe trouve à Paris , chez Piffot , libraire
, quai de Conti.
Malgré la décadence de la poësie , malgré
les progrès du mauvais goût encouragé
par la ligue des auteurs médiocres
qu'un même intérêt a réunis , il s'élève
de tems en tems de vrais talens qui percent
la foule & attirent les regards des
connaiſſeurs. Ce qu'on peut remarquer
c'eſt que les talens véritables ſont tous
nourris du lait de l'antiquité. Tel était
l'auteur du poëme de Narciſſe qui malheureuſement
a joint une ſi mauvaiſe fable
à un ſtyle excellent , & a brodé ſi richement
un canevas ſi pauvre & fi mal
choiſi. Tel eſt le jeune auteur qui s'eſt an-
Evj
103 MERCURE DE FRANCE.
noncé ſi avantageuſement par quelques
eſſais de traductions des métamorphoſes .
Tel eſt aujourd'hui M. Imbert qui a ſu
trouver de nouvelles richeſſes dans l'une
des mines de l'antiquité qui ſemblaient
être les plus épuisées & rajeunir un ſujet
qui paraiſlait ufé. Tous ces écrivains font
formés par l'étude desanciens , non cette
étude ſervile qui fait des pédans ſans goût
& fans génie , mais celle qui ajoute aux
dons naturels & rectifie l'eſprit ſans l'appeſantir.
On ne fera pas à M. Imbert le même
reproche qu'à M. Malfilâtre. Sa fable eſt
plus heureuſe , l'ordonnance de ſon poëme
eſt plus ſage. Ses chants ſont bien
remplis , les ornemens bien imaginés &
bien diftribués. A l'égard du ſtyle , le lecteur
éclairé en pourra juger lui même par
les morceaux que nous citerons.
Ondoit s'attendre que la poëſie defcriptive
tient beaucoup de place dans cet ouvrage
où l'action n'en peut tenir beaucoup.
Le poëte peint tout ce qu'il rencontre;
mais ſes couleurs font auſſi variées que
brillantes. Le portrait de Pâris trouve naturellement
ſa place au commencement
dupremierchant.
Parmi ſes fils ſur le Troyen rivage
JUILLET. 1772. 109
Le bon Priam , père de ſes ſujets ,
Voyait Paris , charmant , jeune & volage ,
Couler ſes jours dans le ſein de la paix ,
Les dépenſer en amoureux projets ,
Et ſe livrer aux erreurs du bel âge.
Par les talens il ornait ſa beauté ,
De Terpſicore il avait la ſoupleſſe ,
D'un pied liant gliſſait avec molleſſe,
Ou voltigeait avec légereté.
Souvent l'écho ſe plaiſait à redire
De ſes chanſons le tour harmonieux ,
Et ſous ſes doigts il animait ſa lyre
Qui ſoupirait des ſons voluptueux .
Suit une deſcription de l'été , étince
lante de poësie .
Loin des gémeaux le cancer emporté
Touchait alors au bout de ſa carrière .
L'ardent lion ſe dreſſe avec fierté ,
En rugiſſant il franchit la barrière ,
Ou frémiſlait ſon orgeuil irrité ,
Et ſecouant ſon épaiſſe crinière ,
Vient ranimer les fureurs de l'Eté.
L'Eté jaloux de ce rival d'Hercule,
De tous les feux arme la canicule ,
Guide ſa marche , & la flamme à la main
Tel qu'un géant il franchit les montagnes:
Ses pieds brûlans ont flétri les campagnes ,
Et de Çibèle il embraſe le ſein.
110 MERCURE DE FRANCE.
Pâris ſemble mépriſer l'amour & ſe livrertout
entier à la chaſſe .
Vers le Scamandre orgueilleux il s'avance.
Sur ſes habits la ſuperbe opulence
N'étalait point un faſte éblouiſſant.
Mais plus modeſte & non moins féduiſant ;
L'art avoit pris une air de négligence.
Sa chevelure en longs anneaux flottans
Sur ſon carquois tombe avec nonchalance ,
Et s'abandonne au caprice des vents.
Tel & moins beau , vers la forêt prochaine ,
Jeune Adonis tu dérigeais tes pas ,
Quand de Paphos l'aimable ſouveraine
Quitta les cieux pour voler dans tes bras.
Ce prince , hier les délices de Troye
Eſt devenu la terreur des forêts.
De l'oeil à peine il a guidé ſes traits ,
Que le trépas vole & fond ſur ſa proie .
Aſes regards rien n'échappe aujourd'hui.
Il eſt par- tout , tantôt le trait rapide
Fuit dans les airs , cherche l'oiſeau timide ,
L'atteint , le perce & retombe avec lui .
Tantôt le cerf de bruyère en bruyère ,
Mêlant toujours ſes larmes à ſon ſang ,
-Secoue cu vain la fléche meurtrière
Qu'avec la mort il porte dans le flanc.
Cependant Mercure, le caducée dans
JUILLET. 1772. 11
la main , defcend vers Paris & lui apprend
que la Diſcorde pour ſe venger de
n'avoir pas été invitée aux nôces de Thétis
, a jetté ſur la table du feſtin une pomme
où étaient écrit ces mots , à la plus
belle; que la jalouſie & les rivalités trou .
blent l'Olympe ; qu'enfin on s'eſt arrêté à
choiſir entre trois déeſſes , & que pour
avoir un jugement plus impartial , on eſt
convenu de s'en rapporter à un homme ;
que le choix eſt tombé fur lui & qu'on
n'appellera pas de ſon arrêt. Bientôt le
Zéphir qui rafraîchit la campagne annonce
l'arrivée des trois déeffles .
Mais tout-à- coup l'amant de la nature ,
Zéphir s'éveille , & des airs qu'il épure
Chaſlant bientôt l'été morne & brûlant ,
Avec ſon aîle il ſéme la verdure
Sur la forêt qu'il tapiſſe en volant.
Des arbres verds déjà l'ombre incertaine
Fond fur Paris & s'étend vers la plaine.
L'ambre plus pur exhale ſes odeurs ;
Un gazon frais couvre la terre ardente ,
Et fait jaillir une moifion de fleurs
Pour nuancer fa robe verdoyante.
Des fruits vermeils chargent le grenadier ;
Sur les buiſlons la roſe ſe balance ,
Et l'oranger fier de fon opulence ,
i
:
{
112 MERCURE DE FRAN CE.
Mêle ſon or à l'or du citronnier .
La violette ici brille dans l'herbe ,
Ales côtés ſur un arbre voifin
La vigne monte & court vaine & ſuperbe
Près du cédra ſuſpendre le raiſin.
On reconnaît dans ces détails la main
du vrai poëte qui anime & embellit tout.
la toilette des trois rivales eſt encore audeſſus
. C'eſt un morceau d'une beauté ſupérieure
, malgré quelques légères taches.
L'art eſt un dieu qu'au Ciel même on implore.
On le chérit quand on eſt ſans appas.
Quand on eſt belle , on le chérit encore.
Junon paraît , faſtueuſe beauté
Qui s'embellit d'une grace nouvelle.
Le diamant dans l'or pur incruſté
Mêle ſes feux à la pourpre immortelle .
Sa noble écharpe à réplis onduleux
Ceint la déelle & retombe avec grace.
Divin tiſlu dont la ſplendeur efface
Le coloris de cet arc lumineux ,
Qui peint la nue & les airs qu'il embraſſe.
Reine ſuperbe , elle a le front paré
D'un diadême où l'éclat d'un or pâle
Ranime un fond tendrement azuré ,
Etdans ſa main brille un ſceptre d'opâle.
ว
JUILLET. 1772. 113
Pallas ornée avec ſimplicité ,
N'eſt pas moins belle avec moins d'opulenee .
Dans ſes regards une douce fierté ,
Dans ſa parure une ſage élégance.
Balancent bien , Junon , ta majeſté.
Un voile blanc , monument de ſa gloire ,
Sert ſes attraits en marquant ſa pudeur ;
Voile charmant où d'un doigt créateur
De ſon triomphe clle traça l'hiſtoire .
L'oeil étonné voit fa lance d'airain
Frapper la terre , avec un long murmure ,
Et l'olivier quijaillit de ſon ſein
Agire encor ſa bruyante verdure.
A fon oreille on ſuſpendit en noeuds
Des boucles d'or errantes & captives ;
Etdes brillans d'un verd faible &douteux
Ceignent ſon front , façonnés en olives.
Sous ſes habits avec art négligés ,
Vénus paraît dédaigner l'artifice ;
Les fleurs , le mytte ornent l'humble édifice
De ſes cheveux en boucles partagés.
L'une des ſoeurs qui veillent auprès d'elle ,
(C'eſt Aglaé ) d'abord après le bain ,
Sous le tiflu d'une gaze infidelle
Avait caché les tréſors de ſon ſein.
Mais des odeurs l'eſſence la plus pure
Avait déjà parfumé ſes atours ,
Quand on plaça la divine ceinture ,
Qui ſert d'azyle & de trône aux amours.
114 MERCURE DE FRANCE.
Parmi les plis de ce magique ouvrage
Erre toujours un eſſain de plaiſirs ,
Les doux attraits & les ardens deſirs ,
Les ris , les jeux , le charmant badinage ,
Les voeux ſecrets , les détours innocens ,
Le feint conrroux & les agaceries ,
Piéges adroits qui ſurprennent les ſens ,
Et livrent l'ame aux douces revêries .
Nous croyons que les lecteurs feront
auffi fatisfaits que nous de l'imagination
qui règne dans ce tableau , quoiqu'on ait
pu y remarquer quelques fautes. C'eſt une
idée heureuſe& d'un goût antique d'avoir
peint ſur le voile de Minerve la naiſſance
de l'olivier ; mais il ne falloit pas parler
d'un long murmure que la toile ne peut
jamais tendre .
Pâtis , frappé d'abord de la beauté des
ttois déeſſes , déclare enfin qu'il ne peut
juger des appas que la parure cache à ſes
yeux. Ses propoſitions bleſſent l'orgueil
de Junon , la modeſtie de Pallas , &flattent
l'amour propre de Vénus. Pâris les
quitte pour leur laiſſer letems de ſe déterminer
; c'eſt la fin du premier chant.
La vanité l'emporte , &les déeſſes paraiſſent
devant leur juge dans tout l'éclat
de leur beauté. Il tombe dans un autre
JUILLET. 1772. 115
embarras. L'admiration & livreſſe fufpendent
ſon jugement ; il demande grace,
il veut qu'on lui donne le temsde revenir
à lui pour prononcer. Cependant il offre
à ſouper aux trois divinités , dans un
temple conſacré à l'Amour & qui vit élever
ſon enfance loin de la cour de Troye.
Il promet de décider le lendemain. On
ſe ſépare. Il paſſe la nuit dans l'agitation ,
l'incertitude & les défirs ; enfin il prétend
faire la conquête d'une des trois déeſſes
qu'il doit juger. Il ne ſe croit pas moins
aimable qu'Endymion , & ne les croit pas
plus ſages que Diane. Il ſe leve plein de
ce projet. Næris , l'une des jeunes eſclaves
qui le ſervent, lui conte à fon reveil
une hiſtoire galante où Diane couronne
l'amour d'un berger. Cette anecdore femble
faite pour l'encourager , & c'eft , comme
on le voit , un épiſode très - agréable
& très-bien placé. Le Troyen ſe pare &
ſe diſpoſe à paraître devantle déeſſes .
Au troiſième chant Pâris ſe rend fur un
belvedère qui doit être le théâtre de la
ſcène déciſive. Junon vient l'y trouver ,
& pour lui donner une idée de ſa puiſſan.
ce &des richeſſes dont elle peut le combler
, elle transforme le belvédère en un
palais magique.
116 MERCURE DE FRANCE.
Le diamant&la douce argentine ,
L'ardent rubis , le ſaphir orgueilleux ,
Tout ces brillans , foſſiles précieux ,
D'autres encor de céleſte origine ,
Et réſervés pour le palais des dieux ,
Artiſtement façonnés en étoiles ,
Sous cette voûte où ſe peignent les cieux,
Feraient pâlir ces aſtres radieux ,
Qui de la nuit percent les ſombres voiles.
De lames d'or le ſol eſt parqueté ;
Le pur argent s'arrondit en colonnes ,
Etdes bandeaux , des ſceptres , des couronnes,
Brillent ſans ordre épars à lon côté.
Junon lui promet toutes ces récompenſes
, ſi elle obtient le prix ; mais s'il
lui eſt refuſé, elle trace le tableau prophétique
des malheurs qui fondront fur
Troye , fur Priam &fur ſa race. Tout eft
circonstancié depuis l'enlevement d'Héléne
juſqu'à la mort de Priam . Il ſemble
que Junon tienne le livre des deſtins , &
l'on pourrait lui dire que puiſqu'elle lit
fi bien dans ce livre , elle devrait bien y
voir qu'elle n'aura pas la pomme ; mais
il ne faut pas raiſonner ſi rigoureuſement
avec l'ancienne mythologie , & le poëre
ne pouvait pas ſe refuſer ce tableau qui
JUILLE T. 1772. 117
contraſte avec les peintures tiantes dont
le reſte du poëme eſt rempli .
Pâris refuſe tous les dons de Junon , &
ne veut d'autre prix qu'elle même. Junon
indignée de ſon audace , lui déclare que
le ſeul moyen d'en obtenir le pardon ,
eſt de lui décerner la pomme. Elle le
quitte. Minerve vient & fait paraître aux
yeux de Pâris le temple des arts. Ce grand
ſpectacle qu'elle étale , ſon diſcours & fes
promeſſes , bien loin de toucher Pâris qui
était ſur le point de lui faire la même
déclaration qu'à Junon , produiſent ſur
lui un effet aſſez ſingulier.
A ce dilcours de grands mots hériſſe ,
Il croit ouir une langue étrangère ,
Et lent déjà ſon coeur vuide & glacé.
Etrange effet ! cet amour téméraire
Qu'on vit braver menace , orgueil , prière ,
Par la morale eſt ſoudain terraflé.
Il laiſſe en paix cette froide ſageſſe ;
Et le dégoût ſuccéde à ſon ardeur.
Plus de defir , plus d'aveu ; la déeſſe ,
Grace à l'ennui , garantit ſa pudeur.
La même ſincérité qui nous a dicté les
juſtes éloges que méritait M. Imbert ,
nous oblige d'obſerver combien il s'eſt
118 MERCURE DE FRANCE.
mépris en mêlant ſi mal - à-propos aux
peintures attachantes de l'antiquité le
perfiflage moderne , ſi rarement plaiſant
&preſque toujours dégoûtant & froid.
C'eſt certainement une faute grave d'avilir
un de ſes principaux perſonnages&
de rendre ridicule la déeſſe des arts & de
la ſageſſe. Pallas ne doit point tenir un
difcours de grands mots hériffé , & cela eſt
ſi vrai que le diſcours qu'elle tient dans
le poëme n'eſt rien moins que ridicule&
ne doit point inſpirer le dégoût ni l'ennui,
La déeſſe des arts ne doit point parler une
langue étrangère à Paris que l'antiquité
nous repréſente comme un homme diftingué
par des talens agréables , & compoſant
des chanſons pour les Dames
Troyennes ſur ſa lyre voluptueuſe.
Grataquefæminis
Imbelli cithará carmina divides.
HOR.
Pallas devait lui inſpirer du reſpect ,
& non pas du dégoût. L'auteur a voulu
foutenir ici le caractère qu'il donne à Paris
, dont il dit dans le premier chant :
Infecte aílé , papillon de toilette ,
Il poſlédoit la chronique du jour
JUILLET. 1772. 119
Savait à fond la mode & l'étiquette.
vif , enjoué , fertile en jolis riens ,
Jamais favant , craignant de le paraître.
Bref il était à la cour des Troyens ,
Ce qu'on appelle en France unpetit maître.
Mais c'eſt encore une faute dans M.
Imbert d'avoir donné ce caractère au héros
de ſon poëme. Pourquoi lui attribuer
des travers , lorſqu'il faut le rendre intéreſſant
? fi M. Imbert eût ſongé combien
unpetit maître qui peutamuſer unmoment
dans une comédie , eſt un mince perſonnage
dans un poëme , il eut rendu Pâris
amoureux de Vénus dès le premier chant,
au lieu d'atendre juſqu'au quatrième , &
de lui faire concevoir les projets d'un fat.
Cette idée de donner la pomme à celle
dont il ferait la conquête , & de riſquer
la même entrepriſe ſur les trois rivales a
pû paraître plaiſante à l'auteur ; mais dans
un poëme dont le ton eſt en général noble
& ſérieux , cette ſaillie comique fait une
diſparate choquante & ôte tout intérêt au
caractère de Paris. Si l'auteur ſe rend à
l'avis de tous les amateurs éclairés qui
s'intéreſſent à ſes talens & à ſes ſuccès ,
il corrigera cette partiede fon ouvrage &
fera de Pâris un homme très- voluptueux
120 MERCURE DE FRANCE.
& très - paſſionné , peu touché des grandeurs
que Junon lui propoſe , reſpectant
beaucoup la ſageſſe & les arts , mais trouvant
qu'ils ne ſuffiſent pas pour le bonheur
, & n'enviſageant ce bonheur que
dans la poſſeſſion de Vénus qu'il préfére
à la puiſſance , à la ſageſſe & aux arts.
Revenons .
Vénus tranſporte les délices de Paphos
ſous les yeux de Pâris. Il céde à l'impref.
ſion de cette douce magie. Il ſent le beſoin
du plaiſir. Il aime Vénus ; il fait l'aveude
ſon amour , & promet la pomme
àla déeſle pour prix de ſes faveurs. Vénus
l'écoute ſans colère ; mais elle ne veut
pas qu'il doive ſa victoire à l'intérêt ou à
la vanité. Plus délicate que Pâris , elle
veut d'abord qu'il prononce en juge , &
qu'il attende comme amant ce que l'amour
voudra bien lui accorder .
Le quatrième chant nous repréſente
Pâris plus épris de Vénus depuis les eſpérances
qu'il lui a données. Vénus ellemême
partage ſa paſſion. L'amour a bleſſé
ſa mère , elle porte le trait dans ſon coeur.
Ce chant nous offre des peintures charmantes
.
En viſitant les corbeilles de Flore ,
Vénus rêvait comme on rêve en aimant.
De
JUILLE T. 1772. 121
De fleur en fleur un inſtinct qu'elle ignore
Guide ſes pas vers ceux de ſon amant.
Deux coeurs épris ſe fuiraient vainement ;
Sans le ſavoir , ils ſe cherchent encore .
Va , cours , Pâris ; Vénus cueille des fleurs ;
Préviens les voeux ; compoſe une guirlande ,
Et ſans nourrir d'impuiſſantes douleurs ,
Porte à ſes pieds tes voeux & ton offrande.
Il part , il vole. Aveugle dans ſon choix ,
Il ſaiſit tout ; ſi ſa main trop hâtée
Cueille une roſe , elle en effeuille trois ,
Impatient , il ſe trouble , & trois fois
Avec la fleur la tige eſt emportée.
Seule irritant l'oeil jaloux de Pâris ,
Tu n'ıras point embellir ce qu'il aime ,
Tendre anémone où reſpire Adonis ,
Où cet amant ſe ſurvit à lui - même.
Pâris aux pieds de Vénus lai préſente
le bouquet qu'il vient de cueillir . Vénus
veut le fuir & reſte près de lui . Il jure
qu'il ſera refpectueux. Il s'affied à ſes
pieds .
L'un des oiſeaux que Vénus a nourris ,
Vient à leurs yeux étaler ſon plumage ;
Priſme vivant des couleurs de l'Iris ,
Vole au tour d'eux , bât de l'aîle & plus ſage ;
Va ſe poſer dans le ſein de Cypris.
Tout eft baisé , l'oiſeau tendre & folâtre
1. Vol.
ン
F
122 MERCURE DE FRANCE .
Erre par-tour , roucoulant , becquetant ,
Feint d'échapper , va , revient à l'inſtant ,
Et de la queue épanoüit l'albâtre.
Souvent de l'aîle il ſemble , amant jaloux ,
Couver le ſein de la belle déeſle.
Souvent l'oileau bailé ſur les genoux
De l'amant même alarme la tendretle.
Bannis l'effroi dont ton coeur eſt frappé ,
Heureux amant , ton triomphe s'apprête.
Sous ce plumage amour enveloppé ,
Ates tranſports vient livrer ta conquête.
Le dieu malin uſant d'un doux loiſir
Et plus hardi par fa métamorphoſe ,
En ſe jouant la diſpoſe au plaiſir ,
Et de ſon bec , dans ſes lévres de roſe ,
Fait circuler tous les feux du defir.
Soudain Vénus s'attendrit & foupire.
Son oeil déjà de plaiſir enivré
Cherche le prince & l'enflamme & l'attire,
Pâris ſe trouble , & fon coeur pénétré
Demeure en proie aux flammes du délire.
Des deux amans le rang eſt confondu .
Plus de barrière entre le Ciel & l'homme.
Un frais nuage autour d'eux étendu
D'un or fluide a déjà fait un dôme ;
Et cet arrêt dans l'air eſt entendu ;
Pâris triomphe & Vénus a la pomme.
L'Echo frappé répond à cette voix ;
Tous les amours invités par leur frère ,
:
JUILLET .
123 1772 .
Volent ſur l'heure & vuident ſon carquois ;
Cent traits de feu décochés à la fois
En ſe croifant traverſent l'hémisphère.
Tel quand l'hymen par nos voeux réclamé
Brûle nos Rois de ſes flammes fécondes ,
Des mains de l'art le ſalpêtre allumé ,
Se diviſant en fléches vagabondes ,
Vole & des cieux fend l'azur enflammé .
Vénus jouit; tout reſſent ſon ivreſſe.
Sous les glaçons la tremblante vieilleſſe
Retrouve encor la chaleur du printems .
Un feu précoce enhardit la jeuneſſe
Et les époux reſſemblent aux amans.
On voit que M. Imbert a dans ſon
ſtyle beaucoup d'élégance , un heureux
choix de mots , de la verve , de l'imagination
, & qu'il ne lui manque que ce
degré de maturité ,& cette fûreté de goût
que le tems ſeul peut donner & qu'il acquerra
d'autant plus aisément qu'il étudiera
le naturel des anciens & qu'il évitera
avec plus de ſoin l'affectation& le faux
bel eſprit , aujourd'hui trop à la mode.
Ce poëme eſt ſuivi de poëſies diverſes
dont pluſieurs font très agréables. Tels
ſont par exemple des contes de huit ou
dix vers , narrés avec rapidité & avec pré
ciion.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
Au pauvre Jean , prochaine baſtonnade
Etait promiſe ; il n'allait qu'à tâtons ,
Il ne rêvait , ne voyait que bâtons ;
Tous les recoins cachaient quelque embuſcade.
Bâtons un jour s'eſcrimant ſur ſa peau
Firent beau bruit ; mais Jean loin de ſe plaindre;
Ah ! bon , dit il , rajuſtant ſon manteau ;
Dieu ſoit béni ; je n'ai plus rien à craindre.
En voici un autre dont la tournure eſt
imitée d'une épigramme de Rouſſeau.
Un lavantaſſe , eſprit froid & péſant ,
Voulait un jour déprimer un poëte ;
Lors il plaiſante en fort mauvais plaiſant ,
Et rit tout ſeul des bons mots qu'il lui jette.
Eſprit ſavant , diſait cet érudit ,
C'eſt grand malheur que tu fois un ignare.
Homme ſavant , reprit l'autre , homme rare ,
C'eſt grand malheur que tu manques d'eſprit.
On trouve auſſi quelques fables . Les
deux meilleures font le Pécher &le Pay-
Jan &fon fils.
Il feroit à fouhaiter que l'auteur retranchât
de fon receuil dans une nouvelle
édition pluſieurs morceaux qui ne font
pas dignes de fon talent , une épître aux
Muſes , un dialogue entre Molière & Poinfinet,
le bouquet de l'Amitié, Thérefe Danet
JUILLET. 1772. 125
à Euphémie , &c . M. Imbert a cru ce ſujet
intereſſant & il ne l'eſt que trop. Mais il
aurait dû faire réflexion que dans la bou .
che de ces infortunés dont le malheur eſt
fi réel & fi proche de nous , un langage
poëtique qu'ils n'ont jamais pû tenir , fi
étranger à leur état & à leur fituation , eſt
abfolument fans illuſion & fans intérêt.
D'ailleurs il faut bien ſe garder de faire
dire des chofes communes aux grandes
douleurs & Théreſe Danet n'en dit guères
d'autres. La meilleure de ces pièces fugitives
eſt une epître de l'auteur à un poëme
Sansgravure.
Allez , mes vers , troupe légère ,
Doux enfans de la volupté.
Allez de ma témérité
Trouver la peine ou le ſalaire ,
La mort ou l'immortalité.
Vous murmurez ; dieux quel augure !
Mais je devine ; aſſurément
Le burin cauſe ce murmure.
Vous voudriez modeſtement
Emprunter fa riche impoſture ,
Et ſuppléer adroitement
A la beauté par la parure.
O Ciel ! quel air d'austérité !
Me direz - vous ; quoi ! ta fierté
Brave tout juſqu'à l'étiquette !
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
Mais c'eſt folie en vérité.
Voit - on une muſe ainſi faite
Soutenir avec dignité
Et le coup - d'oeil de la beauté
Et le grand jour de la toilette ?
Ah ! quelle affreuſe nudité!
S'écriera la jeune coquette.
Quoi cela parle volupté !
Vite , emportez - moi ce ſquelette ,
J'en ai tout le coeur attriſté .
Souvent pour fuir un tel outrage ,
Omes vers ! on ſe pare en vain.
Le Public pour nous eſt d'airain ,
EtLongueil & fon art divin
Hâtent ſouvent notre naufrage.
Je l'ai vu ce Public malin
Perfifler d'un air inhumain
Le graveur , l'auteur & l'ouvrage.
Eh ! moins d'apprêt , c'eſt le plus ſage:
N'allons pas mériter enfin
Son fuffrage par le burin ,
Mais le burin par ſon fuffrage.
Quand vous aurez ſu réuffir ;
Sous une parure étrangère ,
Vous pourrez vous enorgueillir .
Rien ne meſſied à qui fait plaire.
Quand on déplaît, on a beau faire ,
Et ſe parer , c'eſt s'enlaidir.
JUILLET. 1772. 127
La Théorie pratique de l'Eſcrime , pour la
pointefeule ; avec des remarques inftructives
pour l'affaut , &les moyens d'y
parvenir par gradation : dédiée à S. A.
S. Mgr le Duc de Bourbon , par le St
Batier. A Paris , de l'imprimerie de la
V. Simon & fils , rue des Mathurins ,
brochure in- 8 ° . de 75 pages .
L'eſcrime que le philoſophe Montaigne
appelloit un métier de fubtilité dérogeant
à la vraie & naïve vertu , peut être
enviſagée comme un pur exercice . L'art
de l'eſcrime conſidérée ſous ce point de
vue eſt utile , néceſſaire même au militaire
qui veut acquérir dela ſoupleſſe, de
la légereté & cette vigueur néceſſaire
pour foutenir les fatigues de la guerre.
Les leçons d'eſcrime de M. Batier ne
donneront point la pratique de cet arr ,
mais elles procureront les moyens de
l'acquérir plus facilement. L'élève qui ſe
fera rendu familières les inſtructions contenues
dans cet écrit fera plus en état de
recevoir les leçons du maître. S'il fait attention
aux exercices du corps & du poignet
qui y font démontrés , il connoîtra
ce qu'il faut pratiquer pour les rendre
ſouples , or cette ſoupleſſe eſt abſolument
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
effentielle pour la facile exécution de
P'exercice.
Campagnes de M. le Maréchal de Maillebois
en Italie , miſes en ordre par M.
le Marquis de Peſay , meſtre de camp
de Dragons , aide- maréchal général des
logis , des camps & armées du Roi ,
propoſées par ſouſcription. A Paris ,
chez Delalain , libraire , rue & à côté
de la Comédie Françoiſe .
Cet ouvrage , ſuivant le Profpectus qui
ſe publie chez le libraire ci-deſſus nommé
, formera trois volumes ; deux de ſept
à huit cens pages in -4°. chacun , & un
volume de planches. Le prix de la foufcription
fera de 96 livres , dont 60 feront
payées en ſouſcrivant , & le furplus en
retirant l'exemplaire. Cette ſouſcription
ſera fermée le premier Septembre de la
préſente année 1772. Le prix de l'ouvrage
pour ceux qui n'auront point foufcrit
ſera de 144 livres. Les quittances de
ſouſcription feront ſignées de M. Beljambe
, ingénieur géographe. Les perfonnes
de provinces & les Etrangers s'adreſſeront
à lui en ſa demeure , à Paris , rue de
la Traverse , barrière de Séves; ils font
....
JUILLET. 1772. 129
priés d'affranchir le port de leurs lettres
&de leur argent .
Le choix & la quantitè des matériaux
que le redacteur a eu à confulter , rendent
cet ouvrage militaire le plus complet &
le plus précieux qui ait encore paru . Tous
ces matériaux ont été puiſés dans les porte-
feuilles de M. leComte de Maillebois ,
fils du Maréchal. Les conſeils de ce militaire
éclairé ont ajouté un nouveau prix
aux mémoires qu'il a permis de confulter
pour la gloire de ſon père. L'ouvrage eſt
diviſé en cinq parties. La traduction de
Bonamici & les notes dans lesquelles on
refute les faits dénaturés par lui forment
la première. La ſeconde partie renferme
un journal très- détaillé des campagnes de
1745 & 1746 en Italie. Il eſt précédé &
ſuivi d'un tableau général de la guerre
de 1741. La plupart des pièces d'après
leſquelles ce journal a été formé & Bonamici
refuté , compoſentla troiſième partie
, ſous le titre de Pièces justificatives.
La quatrième partie contient un index
géographique conſidérable , relatif aux
campagnes dont on rend compte dans cet
ouvrage. On y trouvera des détails intéreffans
fur la force des places de guerre ,
fur la capacité des fleuves & de pluſieurs
xuiſſeaux , fur les époques les plus max
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
quées de leurs débordemens , fur la narure
de leurs lits & du terrein qui les avoifine
, ſur les points les plus favorables
qu'ils préſentent pour la jettée des ponts ,
& fur les points particuliers où des ponts
ont été conſtruits dans les différentes
guerres , &c . Un volume in folio de
planches gravées d'après des plans levés
fur les lieux , forme la cinquième partie
&une des plus précieuſes de l'ouvrage .
Les champs de bataille , les camps , les
matches & les ſiéges des campagnes de
de 1745 & 1746 ſe trouvent dans ce volume
avec une carte exacte de tout le
théâtre de la gueire. Il y aura à la fin de
ces mémoires une liſte complette de tous
les officiers tués ou bleſſés dans ces campagnes
. On peut voir dès à préſent chez
le libraire les épreuves des plans gravés ,
& preſque tout le premier volume imprimé.
Expériencesfur la bonification de tous les
vins , tant bons que mauvais , lors de la
fermentation , ou l'art de faire le vin, à
l'uſage de tous les vignobles du royaume
, avec les principes les plus effentiels
fur la manière de gouverner les
vins. Par M. Maupin; ſeconde édition
revue & corrigée , in- 12. A Paris, chez
JUILLET. 1772. 131
Muſier fils , libraire , quai des Auguftins.
Ce bon écrit économique eſt ſuffiſamment
connupar la première édition quien
a été publiée . La méthode de M. Maupin
pour améliorer les plus mauvais vias , en
corriger la verdeur , la dureté & tous les
défauts groffiers qui les dégradent , a reçu
l'approbation de la Faculté de médecine
de Paris , & de tous ceux qui ont repété
les expériences de l'auteur.
Plus heureux queſages ; proverbe en vers
& en trois actes , brochure in 8 °. A
Paris , chez Vente , libraire , rue &
montagne Ste Geneviève.
Qui ne risque rien n'a rien ; autre proverbe
en vers & en trois actes , à la
même adreſſe.
Un amant , dans la première pièce ,
oublie une maîtreſſe conſtante & fenfible
pour ſe livrer aux artifices d'une coquétte
décidée. Çette, coquette , ſous l'habit
d'homme , fuit les traces de ſon amant&
tente de ramener ce coeur volage à ſes
premiers ſermens. Tous les deux reaſſifſent
, après une conduite ſi peu meſurée ,
à reprendre leur premiére chaîne qui doit
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
1
fixer leur bonheur , en quoi ils ſont plus
heureux que ſages .
La ſeconde pièce nous paroît être du
même auteur. Elmire, jeune veuve , a deux
amans ; l'un eſt une eſpèce d'agréable ,
toujours plus content de lui que des autres
& qui regarde la ſincérité en amour
comme un ridicule. Il n'aſpire à la main
de la jeune veuve que pour accommoder
ſes affaires qui font un peu dérangées.
L'autre amant a des motifs plus honnêtes
, plus faits pour inſpirer du retour ;
mais il eſt livré à une jalouſie qui le rend
prompt à s'alarmer des moindres démarches
de fa maîtreſſe. Il eſt préféré cependant.
Elmire ne voit dans l'inquiétude de
cet amant qu'un amour violent& qu'une
délicateſſe exceſſive. Elle eſpère que par
fa franchiſe & par fon attention a faire
connoître ſes moindres démarches à cet
amant , elle le guérira de cette humeur
inquiète , capable de faire vivre celle
qu'il épouſe dans la contrainte& le tourment.
C'eſt ſans doute une entrepriſe bien
hafardée que de tenter de corriger un
jaloux ; mais qui ne riſque rien n'a rien.
Il y a dans le dialogue de ces deux pièces
-de la facilité , de l'agrément&un ton de
décence qui rend ces fortes de petits
JUILLET. 1772. 133
Drames très- propres aux amuſemens de
fociété.
Effais de Philofophie & de Morale , en
partie traduits librement , & en partie
imités de Plutarque , par M. L.
Caftilhon ; à Bouillon , aux dépens de
la Société Typographique ; & à Paris ,
chez Lacombe , Libraire tue Chriſtine,
grand in 8 ° . prix 4 liv. broché .
Nous avons de Plutarque des Traités
de Morale remplis de préceptes utiles ,
de maximes excellentes , de réflexions
ſages , de faits curieux qu'on ne trouve
point ailleurs , & qui parlant à l'imagination,
nous rendent plus préſens les
préceptes de la Philofophie & de la
Morale. Le grand art de Plutarque eſt de
ſe mettre à la portée de tous ſes lecteurs
, d'éloigner le ton dogmatique pour
ne laiſſer entendre que la voix de l'ami
qui conſeille , de paroître plus occupé de
fon lecteur que de lui-même , & d'apprêter
à penſer à ceux qui méditent ſes
écrits . M. Caſtilhon qui a fait une étude
particulière des OEuvres Morales de ce
Philoſophe , a cherché à nous en rendre
la lecture plus facile , plus agréable ,
plus intéreſſante même , en écartant bien
134 MERCURE DE FRANCE.
des faits arides , des réflexions prolixes,
des obſervations phyſiques reconnues aujourd'hui
fauſſes & abuſives. Le rédacteur
s'eſt même appuyé quelquefois ſur les
réflexions de nos Moraliſtes , & fur les
ſiennes propres , pour nous faire mieux
goûter ces eſſais de Philofophie & de
Morale. Le premier roule ſur les beſoins
de l'enfance , & fur l'éducation des jeunes
gens; le ſecond ſur l'art d'écouter. Suivent
des réflexions ſur les moyens de
rendre la lecture des Poëtes utiles aux
jeunes gens ; des obfervations ſur les dangers
de la curioſité , l'importunité des
babillards & les dangers du trop parler ;
un traité de l'influence de la vertu & du
vice ſur le bonheur & le malheur ; un
autre Traité de la fortune; un parallèle
des maladies de l'ame avec les infirmités
du corps ; des réflexions ſur ces queſtions :
combien il importe aux peuples que les
Sçavans , les Philoſophes ne dédaignent
pas d'entrer dans les Palais des Rois ?
Combien il importe à une Nation que le
Prince qui la gouverne foit inſtruit ?
L'être vaut- il le non être , &c . Tout ceci
eſt précédé de réflexions ſur la Philofophie
&la morale de Plutarque.
JUILLET. 1772. 135
Lettresfur laprofeſſion d'Avocat&fur les
études néceſſaires pourse rendre capables
de l'exercer. On y a joint un catalogue
raiſonné des livres utiles à un Avocat ,
&pluſieurs piéces concernant l'ordre
des Avocats. A Paris , rue St Jacques ,
chez Jean-Thomas Hériſſant , père ,
imprimeur- ordinaire du Roi , Cabinet
& Maiſon de Sa Majeſté ; 1772 ; vol .
in- 12.
Ce livre eſt utile en ce qu'il épargne
beaucoup de recherches & qu'il indique
la connoiſſance des bons livres . Il ſeroit
à ſouhaiter que chaque état eſit un guide
femblable qui enſeignât la meilleure fource
de l'inſtruction &des lumières .
Dictionnaire portatif de cuisine , d'office .
& de distillation ; contenant la manière
de préparer toutes fortes de viandes ,
de volailles , de gibiers , de poiffons ,
de légumes , de fruits , &c. la façon de
faire toutes fortes de gêlées , de pâtes ,
de paſtilles , de gâteaux , de tourtes ,
de pâtés , vermichel , macaronis , &c,
& de compoſer toutes fortes de liqueurs
, de ratafiats , de ſyrops , de glaces,
d'effences, &c. ouvrage également
136 MERCURE DE FRANCE .
utile aux chefs d'office & de cuiſine les
plus habiles , & aux cuisinières qui ne
font employées que pour des tables
bourgeoiſes. On y a joint des obſervations
médécinales qui font connoître
la propriété de chaque aliment , relati .
vement à la ſanté , &qui indiquent les
mets les plus convenables à chaque
tempérament ; nouvelle édition , revue
, très - corrigée & enrichie d'un
grand nombre d'articles refaits en entier
. A Paris , chez Lottin le jeune , libraire
, rue St Jacques , vis à- vis la tue
de la Parcheminerie ; vol . in - 8°.
1772 .
La nouvelle édition de cet ouvrage
dont le titre explique ſuffisamment l'objer
eſt recommandable par ſes augmentations
&ſes corrections .
JUILLET. 1772. 137
LETTRE de M. l'Abbé Roubaud à
M. le B. de S. fur l'Enfant qui voit les
eaux Souterraines , annoncé dans la
Gazette de France , No. 41 & 45 ,
dans la Gazette d'Agriculture , Nº . 42
& 45 , & c . A Paris ce 2 Juin 1772 .
MONSIEUR ,
Vous avez raiſon : avant de ſe tourmenter
pour expliquer le phénomène de la dent d'or , il
eſt à- propos de s'allurer de ſa réalité . Quand on
adeviné la cauſe d'un effet imaginaire , on eft
un peu honteux d'être trop ſçavant. Il y a méme
de ces merveilles qu'il eſt bon quelque fois de
ne pas approfondir : par exemple , je ne ſçais
pas ce que ſont devenus les pepins d'or des
raiſins de Hongrie , mais je crois qu'on fait bien
de s'en tenir àmanger les raiſins , ou à en boire le
vin.
Je conviens encore avec vous , Monfieur , qu'il
ne faut pas toujours croire certaines hiſtoires extraordinaires
quoiqu'en apparence bien atteſtées ;
je citerai celle des Vampires. On a raiſon de ſe
méfier de ces gens qui ont beſoin d'apprêts , de
ténèbres, de précautions , de myſtères pour opérer
ou voir des prodiges ; on peut les ſoupçonner de
préparer la gibeciere. Il y a eu des fourbes , des
charlatans , des viſionnaires , des ſots , il ſeroit
poſſible qu'il y en eût encore. Pendant que j'étois
133 MERCURE DE FRANCE.
au ſéminaire d'Alais , l'imagination vive d'un domeſtique
, âgé d'environ trente ans , lui metroit
ſous les yeux un pigeon qui le pourſuivoit nuit &
jour , en lui montrant les dents. Ce jeune homme
mepromit de me le faire voir en plein midi , je le
ſuivis , il vitle pigeon & ſes dents & le trouva
mal. Lorſqu'il eût repris ſes ſens , il parut très-perfuadé
que j'avois vu , comme lui , ſa bête , & il
me l'auroit perfuadé , ſi je l'avois voulu Il me
cita & bien des gens mecitèrent comme témoin ,
fur ſa parole.
Il ne faut pas toujours croire , non ; mais auſſi
il ne faut pas toujours ne pas croire . Quelque
commode qu'il foit de nier ce qu'on ne conçoit
pas; on eſt ſouvent obligé de reconnoître au
inoins tacitement beaucoup de choſes que l'on ne
comprendra peut- être jamais.
On a vu de certaines gens qui prétendoient
avoir vu des armées ſe battre dans les airs : oh !
il eſt certain que nos foldats ont beſoin d'avoir le
pied ſolidement appuyé , mais il n'eſt pas impoſſible
que des nuages fatient l'effet d'un miroir , &
réfléchiffent à grandes diſtances l'image d'une bataille
donnée au loin; ainſi de tant d'autres vifions
. L'incrédulité , pouſſée à un certain période,
n'est qu'une fotte croyance de ſon propre jugement
, ou plutôt une ridicule affectation de cette
fotte croyance.
Vous voulez , Monfieur , que je vous diſe ce
que je penſe du don de la nature attribué à Jean-
Jacques Parangue: le fait eſt incroyable , mais il
eſt atteſté par des témoins très-croyables ; je n'en
dirai pas davantage. M. de Fontenelle eut tort de
s'expliquer , ſur l'hiſtoire de Mlle Tetard , demanière
à laiſſer préſumer aux gens qui préſument
beaucoup , qu'il avoit donnédans le piége. Trou
JUILLET. 1772. 139
vezbon , Monfieur , que je me borne à expoſer
les raiſons de croire ce qu'on dit des regards perçans
de notre hydroſcope , en vous invitant à
combattre ces motifs de crédibilité .
Convenons d'abord que cet enfant de quatorze
ans n'eſt ni un fourbe ni un viſionnaire , ſi en
effet , dans un pays qu'il ne connoîtra pas , il vous
conduit de l'inviſible au viſible , je veux dire, d'un
lieu aride& par un chemin aride à des ſources ou
-des débouchés d'eaux découverts ; s'il ne ſetrompe
pas & s'il ne vous trompe jamais ou preſque jamais;
s'il vous indique les eaux que vous avez
cachées ſous terre pour l'éprouver ; fi , &c. C'eſt
ce qu'atteſtent , dans la Gazette de France & dans
la gazette d'agriculture , M. de la Tour , ingénieur
, M. Menuret , médecin , M. Bolliod de
Brogieux , Mde Gartier : ils citent tous une infinité
de témoins , ils parlent de différens faits tous
publics , & je ſuis en état d'offrir beaucoup d'autres
témoignages pour peu qu'on le defire.
Convenons encore que ſur un pareil objet ,
Jean Jacques Parangue , enfant fort ſimple , à ce
qu'on affure , ne sçauroit avoir le talent de faſciner
les yeux d'une foule innombrable de ſpectateurs
même des plus éclairés & des plus incrédules
, de façon qu'il ne s'en trouvât pas un ſeulqui
reclamât contre le témoignage des autres. Je ſçais
que le peuple a ſouvent vu ſur tout dans l'Orient
& qu'il y voit peut être encore des magiciens
foulever les eaux , exciter des orages , diſpoſer de
la foudre ; mais la race de ces hommes -la s'eſt
perdue en Europe.
Il faudra donc que les gens de Marseille , de
Montélimart , de Valence , du Vivarais , &c. fe
foient concertés avec le petit coquin de Parangue,
140 MERCURE DE FRANCE.
pour nous en faire accroire , à nous bonnes gens
de la vule de Paris . En tout cas , ils ne feront pas
fortune à ce métier là; leur part du gâteau ſera
petite. Parangue ne gagne qu'un écu par jour , &
ce fontces metlieurs la qui le lui donnent. Peutêtre
ne ſe propoſent-ils ſérieuſement que de rire
un peu à nos dépens ; mais oui , ils auront le
plaifir de nous traiter de dupes & la gloire d'être
reconnus impoſteurs. Il est vrai pourtant qu'ils
écrivent à leurs amis , à leurs voiſins , à des perſonnes
qui peuvent auſſi tôt voir & qui voient
en effet parelles mêmes. J'avoue que ſi les gens
de ces pays la , prêtres, militaires , ſçavans, hommes
, femmes , peuple , ont la malice de s'entendre
à cinquante licues les uns des autres pour me
tromper fur des objets de cette nature , ils me
tromperont peut être encore quelque fois .
Et ce M. Menuret qui a l'air d'être un homme
de beaucoup de mérite & qui va ſe cafler la tête
pour raiſonner fur un phénomène qu'il croit imaginaire
, qu'en dites-vous, Monteur ? On m'a promis
ſes reflexions , j'aurai l'honneur de vous les
communiquer.
Il y a plus d'un Pariſſen qui traite cette relation
deconte, par la raiſon que nous n'avions pas entendu
parler dans cette ville de Jean Jacques Parangue
, avant qu'on nous en eût parlé. Je conviens
qu'on doit tout ſavoir ici , &, que la Provence,
leDauphiné , le Languedoc ont eu grand
tort d'être inſtruits de ce que Paris ignoroit; mais
enfin ce n'eſt qu'un tort. Il y a peut- être beaucoup
de gens de Paris qui n'ont pas encore entendu
dire qu'il y avoit actuellement en France , une
fille qui parle& chante très-bien ſans langue ;
elle parcourt depuis quelques années les grandes
villes du royaume; l'année dernière elle étoit à
JUILLET. 1772. 141
Rouen. Parangue n'étoit prophéte que dans fon
pays ; & c'eſt ſur ſa renommée qu'on l'a appellé
à Viviers , à Montélimart , à Valence , à Niſmes ,
à Toulouſe , &c . Oui , il a fallu près de neuf ans
pour que la réputation vînt juſqu'à nous , car il
ſe rappelle que dès l'âge de cinq ans , il voyoit les
eaux ſous terre ; il eſt vrai qu'alors il les voyoit
de façon à les confondre avec celles qui font à la
furface , & qu'il a eu beſoin de tems & de réflexions
pour rectifier ſon jugement & diftinguer
les eaux fouterreines d'avec les eaux furnageantes.
Sur ce point-là nous n'avons que fon témoignage
& celui de ſon frère ; l'objet eſt aſlez indifférent
pour que nous les en croyions ſur leur parole
, ſi nous ajoutons foi à la ſuite de l'hiſtoire .
Parangue voit donc les eaux qui ſont cachées
comme celles qui font apparentes ; il les voit d'une
viſion intuitive , car c'eſt réellement voir, comme
l'obſerve M. Menuret , que d'éprouver par l'exiftence
des eaux intérieures dans l'organe de la vue
la même ſenſation que celle qu'on éprouve par
la préſence des eaux extérieures. Il n'eſt donc
point ſimplement averti de l'existence de l'eau cachée
par l'impreſſion des vapeurs. Il les voit fous
terre , à l'endroit où elles font , puiſqu'il en indique
à peu près la profondeur & le volume ; les
vapeurs ne lui donneroient certainement pas ces
lumières, il en reſſentiroit d'ailleurs vraiſembla le
ment l'impreſſion à travers les planches , & toutefois
il ne voit plus rien lorſque ce gente de corps
eſt interpoſé entre la vue & l'eau . Cependant ſi
l'on veut que ce ne ſoit là qu'un ornement de l'hiſ
toire , j'y confentirai volontiers .
A propos de vapeurs , on a vu , il n'y a pas
longtems , en France , un Religieux qui éprou
142 MERCURE DE FRANCE.
voit des convulfions violentes lorſqu'il prenoita
la main un verre plein d'eau; malgré cela , il en
buvoit comme tout le monde , ſans accident. Ce
phénomène - là n'eſt pas fans doute auſſi ſurprenent
que le premier , il l'eſt pourtant , ce me ſemble.
Revenons à Parangue. Je ne vous diffimulerai
pas , Monfieur , qu'un célèbre membre de notre
Académie des Sciences , rapporte , à ce qu'on m'a
dit , qu'étant à Marseille , il avoit entendu parler
de cetenfant , & que dans ce rems-là un particulier
fit creuſer à une très grande profondeur ſans
trouver de l'eau dans un endroit où l'hydroſcope
avoit indiqué une fource. Si la choſe eſt telle, la
vue de Parangue n'eſt ou n'étoit pas alors infailible
: nos yeux nous trompent auſſi quelque fois
fur les objets de leur reffort . Un fait iſolé ne détruiroit
pas des expériences mille&mille foisré
pétées avec le même ſuccès.
Sçavez vous à préſent , Monfieur , ce qu'il faut
croire ? Vous voudriez voir encore ; & moi aufſi,
je voudrois voir. Avez-vous entendu parler , ily
aquelques années , d'un payſan de je ne fais quel
canton, qui prétendoit avoir ces mots , Sit Nomen
Domini benedictum , naturellement imprimés
autour de ſes prunelles ? Tout ſon canton les liſoit
dans ſes yeux : il offrit de venir à Paris fatisfaire
la curioſité du Public; on lui manda de partir ,
il n'en fit rien . Vraiſemblablement dans l'intervalle
, l'infcription s'étoit effacée par quelque accident.
Il feroit facile de mettre Parangue à la
même épreuve , ſi l'on ne veut en croire que foimême;
il va par-tout où on l'appelle. Ceux qui
atteſtent le fait ne le croyoient pas avant de l'avoir
vu; ils ont vu & ils ont cru.
J'ai l'honneur d'être , &c.
JUILLET. 1772 . 143
MONSIEUR ,
En lifant , à la page 219 du Mercure de
ce mois , l'article de Jean Jacques Parangue ,
je me ſuis rappellé que l'Auteur des variétés hiftoriques
, physiques & littéraires , Par. 1752 Tom.
2. pag. 473 , rapporte quelques faits ſemblables,
dont je vais avoir l'honneur de vous rendre
compte.
Il y avoit , dit-il , à Lisbonne , en 1730 , une
femme appellée Madame Pedegache , dont le
mari étoit François de nation , qui avoit de vrais
yeux de Lynx. Elle découvroit l'eau dans la terre
juſqu'à la profondeur de 30 & 40 brafles . Elle
difoiz les différentes couleurs de la terre , depuis
ſa ſurface juſqu'à l'eau qu'elle avoit trouvée , en
matquant fur la terre les différens endroits où
l'on devoit creuſer : ici , difoit elle , vous trouveiez
une veined'eau à telle profondeur , d'une telle
grofleur; là vous en trouverez une autre plus
petite ; auprès de celle là il y en a une plus groſſe
que les autres. Au reſte elle ne voyoit ce qui étoit
caché dans la terre que par les vapeurs qui en
fortoient , qui lui faiforent diftinguer les qualités
de terre , de pierre , de fable , &c. juſque dans
l'endroit poſitif où se trouvoit l'eau ; mais où
il n'y avoit point d'eau , elle ne voyoit rien .
Cequi n'eſt pas moins ſurprenant , c'eſt qu'elle
voyoitdans le corps humain lorſqu'il étoit ànud,
car la vue ne pénétroit pas à travers les habits.
Elle diftinguoit parfaitement le coeur , l'eſtomac ,
les abcès s'il y en avoit , la bile trop abondante ,
&autres infirmités qu'il pouvoit y avoir : elle
voyoit le lang circuler, la digeftion ſe faire , le
144 MERCURE DE FRANCE.
chyle ſe former , & enfin toutes les différentes
parties qui compoſent & qui entretiennent la
machine , & leurs diverſes opérations : elle voyoit
à ſept mois de groſleſſe , ſi une femme étoit enceinte
d'un garçon ou d'une fille , ce qui lui eſt
arrivé à elle-même , outre d'autres expériences
qu'elle a faites pour fatisfaire quelques curieux ,
& entr'autres une femme enceinte de deux jumeaux.
En un mot elle voyoit dans le corps , comme
on voit dans une bouteille .
Au reſte , continue notre auteur , cette forme
Portugaiſe n'eſt pas l'unique perſonne qui ait été
pourvue du rare avantage d'une vue ſi pénétrante .
On a vu à
vers, un prisonnier dont la vue
étoit ſi perçante & fi vive , qu'il découvroit ſans
aucun ſecours d'inſtrument & avec facilité tout
ce qui étoit caché & couvert , ſous quelque forte
d'étoffes ou habits que ce fût , à l'exception ſeulement
des étoffes teintes en rouge.
Ce fait ſi ſingulier eſt atteſté par le célébre M
Huygens , dans une lettre qu'il écrivit de la
Haye , le 26 Novembre 1646 , au P. Merſenne ,
fon intime ami . Cette lettre eſt la huitième du
troiſième volume des originaux des lettres qui ont
été écrites de toute l'europe , à ce ſavant Religieux
, fur une infinité de matières , de ſciences
curieuſes , & c . On les trouve toutes dans la Bibliothéque
du Couvent des Minimes de la place
royale de Paris.
Je ſuis&c.
Obfervations.
Voilàbiendes témoignages & des raiſons pout
engager d'ajouter foi au prodige de la viſion de
JeanJUILLET
. 1772. 145
Jean- Jacques Parangue. Cependant doit on croire
encore que la nature ait changé ſes loix éternelles
en faveur de cet enfant ; qu'elle ait rendu tranfparent
pour lui ſeul un cops opaque ; que les
eaux , fost par leurs maſſes , ſoit par leurs vapeurs
, lui deviennent viſibles , lorſque la pierre ,
le roc & des couches profondes de terre les dérobentà
tous les yeux ? On rapporte quelques
faits , on nomme beaucoup de témoins , mais on
ne cite pas une ſeule expérience bien faite pour
s'aſſurer de la réalité du prodige. Il y a une maniere
de procéder dans les ſciences qui doit être
préciſe , nette & fans incertitude ; c'eſt l'épreuve à
laquelle il faut ſoumettre le doute. L'enfant eft
peut- être de bonne foi ; il croit voir en effet ce
qu'il ne voit pas ; comme Paſcal croyoit toujours
appercevoir un précipice à ſes côtés , & comme
un autre homme ſe croyoit de verre & n'oſoit toucher
àun corps durde peur de ſe caller ; mais ces
viſions font d'une imagination malade. Lorſque
Parangue ayant fon chapeau baiſte ſur les yeux ,
regardant la terre , quand le ſoleil eſt ſur l'horiſon
, sécrie je vois de l'eau ; on creuſe, & on
trouve de l'eau , ſoit parce que le haſard le favorile
, ou parce qu'il y a de l'eau à peu près partout
àplus ou moins de profondeur. Mais faites venir
cet enfant; demandez lui s'il voit l'eau à travers
la pierre ; il répondra qu'oui ; eh bien le fait eſt
ailéà vérifier par un procédé fort ſimple. Placez
un certain nombre de vaſes dont deux ou trois
ſeulement remplis d'eau à des diſtances éloignées
fous unepierrede taille , & qu'il trace deſſus cette
pierre les endroits où il voit de l'eau ; s'il déſigne
juſte , & pluſieurs fois de ſuite la place de cha un
de ces vales remplis d'eau , alors je croirai au
nouveau prodige ; mais j'en douterai juſqu'à ce :
1. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
qu'un homme éclairé & exercé ait fait cette
oxpérience ou une autre pareille .
Credatjudæus Apella
LAE.
ACADÉMIES.
I.
Bordeaux.
L'ACADÉMIE Royale des belles- lettres,
ſciences & arts de Bordeaux , fit l'ouverture
publique de ſes ſéances le 13 Janvier
dernier.
M. Lafconbes , faiſant les fonctions de
directeur , lut un diſcours fur la marche &
leprogrès desféiences chez les anciens & les
modernes .
A cette lecture ſuccéda celle que fit M.
l'abbé Baurein , d'un mémoire contenant
des Recherches ſur un mur ancien dont il a
découvert quelques reſtes dans le village
de Sarcignan , à une lieue de Bordeaux ,
& qu'il prouva avoir été bâti par les farraſins
, lors de l'irruption qu'ils firent dans
l'Aquitaine au huitiéme fiécle .
La ſéance fut terminée par la ſuite du
JUILLET. 1772. 147
Mémoire de M. de Borda ,fur les planta
tions des bois de chêne , dont on n'avoit
pu lire qu'une partie à l'aſſemblée publi .
que du 25 Août dernier.
Programme.
Un Ciroyen , ami zèlé de l'humanité,
a fait remettre & configner entre les
mains de l'Académie une fomme de
douze cens livres , pour ſervir de Prix ,
au jugement de cette compagnie , au
meilleur mémoire qui indiqueroit , quels
feroient les meilleurs moyens pour préferver
les Négres qu'on transporte de l' Afrique
dans les Colonies , des maladies fréquentes&
fiſouvent funeftes , qu'ils éprouvent
dans ce trajet
L'Academie s'empreſſe de propoſer ce
ſujet intéreſſant ; & pour qu'il puiſſe être
traité d'une manière qui répondé aux vues
qai en ont inſpiré l'idée , elle demande :
I. Que les Auteurs décriventavec ſoin
tous les différents ſymptômes de ces maladies
, qu'ils en établiſſent la nature &
les caractères , qu'ils en diſcutent les caufes
; & que leurs principes & leurs lyftêmes
foient fondés ſur des faits bien obfervés
, & fuffisamment certifiés .
II . Que les moyens qu'ils propoſeront
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
pour prévenir ou guérir ces maladies ,
foient expofés, avec préciſion ; qu'ils
foient , autant qu'il fera poſſible , fimples
, faciles & économiques ; & que
leur efficacité ſoit confirmée par des expériences
, appuyées de routes les atteftations
convenables .
En outre , les auteurs ne devront point
ſe borner à chercher des remèdes , uniquement
déduits des principes & des expériences
de la médecine curative ; ils,
examinerontde plus.
1 °. Quelle feroit , dans la diſpoſition
intérieure des vaiſſeaux qui font la traite
la diſtribution la plus avantageuſe pour la
confervation des Noirs .
2°. Quels feroient les ſoins & le régime
les plus propres à les maintenir en
fanté.
3 °. Quel réglement feroit néceſſaire
pour qu'on n'employat fur ces vaiffeaux
quedes chirurgiens intelligens & expéri
mentés dans leur art.....
On n'entend point déterminer préci
fément par l'ordre de ces queſtions , celui
qu'on devra obſerver dans les Mémoires
qu'on demande : on a feulement cru devoir
les preſenter pour fixer les objets quiont
paru exiger une attention particulière.
:
JUILLET. 1772. 449
Lacertitude dansles faits , la netteté &
la clarté dans les détails feront fur-tout ef.
ſentielles dans ces Mémoires , les auteurs
font priés de ne ſepermettre aucune né
gligence à cet égard.
Quel qu'empreſſement que dut avoir
l'académie pour voir éclaircir une queftion
auffi importante ,elle a ſenti qu'elle
ne peut l'être que par des expériences &
des recherches néceſſairement longues &
difficiles . Cette conſidération l'a déterminée
à fixer la diſtribution de ce prix au
moisdeJanvier 1778 ; mais elledemande
que les Mémoires lui ſoient envoyés
avant le premier Janvier 1777 ; cette
Compagnie ayant voulu ſe réſerver un
an pour l'examen , afin de ſe décider
avec plus de connoiffance , fur le mérite
reſpectif des ouvrages qui feront deſtinés
au concours. Elle prie cependant les
teurs qui n'auront pas beſoin de tout le
délai qu'elle accorde , de lui faire remettre
leurs pièces le plutôt qu'ils pourront.
au-
Les paquets feront affranchis de port ,
& adreſſés à M. de Lamontaigne , fils ,
confeiller au parlement , &fecrétaire perpé.
tuel de l'Académie .
Les mémoires pourront être écrits en
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
françois ou en latin ; & les auteurs au
ront d'ailleurs l'attention de ſe conformer
exactement aux règles preſcrites dans les
Sociétes académiques .
Le Citoyen généreux qui a conſacré
à ce prix , la ſomme qu'il a fait remettre,
ſouhaiteroit , comme un moyen propre
à remplir avec encore plus de fuccès les
vues de bien public qui l'ont déterminé ,
que tous les Armateurs généralement ,
qui font le commerce de la Traite, vouluffent
bien engager , foit les capitaines ,
foit les chirurgiens des navires qu'ils
emploieront à ce commerce , à tenir des
journaux où fuſſent ſoigneuſement décrites
toutes les maladies dont leurs eſclaves
pourront être attaqués dans le trajet , &
qui préſentaſſent tous les détails convenables
des ſymptômes de ces maladies ;
de leurs progrès & de leur iſſue ; des remèdes
qu'on auroit employés pour les
traiter ; du régime qu'on auroit fait obferver
à ces malheureux; de la qualité
même des vivres qu'on leur auroit donnés
; il ſouhaiteroit qu'ils vouluſſent
auſſi faire dreſſer , pendant tout le cours
de la navigation , des tables exactes
de la température de l'air , ſoit à l'extérieur
, foit dans l'entrepont ; & faire te
JUILLET. 1772. 151
nir des notes de tout ce qui auroit páru
influer ſur la ſanté de leurs Négres .
On fent que toutes ces obſervations ,
qui pourroient être communiquées aux
Sçavans par la voie des Journaux littéraires
, augmenteroient le recueil des faits
&la maffe des connoiſſances néceſſaires
pour l'éclairciſſement du ſujet propoſé.
L'Armateur qui écoutant la voix du ſentiment
honorable qui inſpire ces ſouhaits ,
prendroit des meſures aſſurées pour que
tous les objets en fuſſent exactement remplis
, feroit , ſans doute , un homme qui
mériteroit de partager la reconnoiſſance
de l'humanité .
11.
Prix de l'Acadèmie Royale de Chirurgie.
M. Houſter , ancien directeur de l'académie
royale de chirurgie , & chargé de
l'inſpection des écoles , a fondé à perpétuité
quatre médailles d'or , de 100 liv.
chacune , pour être diſtribuées annuellement
à quatre étudians , qui , parmi les
vingt- quatre , nombre fixé par les lettrespatentes
du mois de Mai 1768 , pour con .
courir , auront le plus profité des exerci
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
ces & des inſtructions de l'école pratique
, établiſſement utile & patriotique ,
relativement à une étude qui a pour objet
la ſanté des citoyens. Ces médailles
ont été adjugées cette année à la rentrée
des écoles , la première , au ſieur Jean-
FrançoisGuelbert Rouſtagneuc, des Arcz ,
diocèſe de Fréjus ; la ſeconde , au ſieur
Charles- François Colerte de Champſeru ,
de Dreux , diocèſe de Chartres ; la troifiéme
, au ſieur Henri Lemaire , de Saint-
Omer en Artois ; la quatrième a été tirée
au fort entre les ſieurs Jean-JacquesCoindre
, de Lyon, Raimond Gignac , de
Marton , diocèſe d'Angoulême ; & Barthelemi
Gignoux , de Douzac , diocèſe
de Condom : le fort a favorisé le ſieur
Gignoux , & il a obtenu la quatrième médailled'or.
On a accordé les quatre acceffit , qui
conſiſtent en quatte médailles d'argent ,
pareillement fondées parM. Houſter , aux
ſieurs Pietre Verdier , d'Ax en Saloche ,
Jean-Baptiste Robert Gauchez , de Verfailles
; Jean-Baptiste-Nicolas Couppeau ,
de Saint-Quentin , diocèſe de Noyon ;
Pierre Marc Gisles , de Courdon , diocèſe
de Cahors ; & l'on a jugé que d'autres
élèves devoient auſſi participer à l'honneur
de la même récompenſe. Les élèves
UILLET. 1772. 153
font, les ſieurs Julien Teſſier , de Refting,
diocèſe d'Angers ; Jean Meujot , de
Portet , diocèſe de Leſcar ; Jean Baptiste
Geſlin , de Pontorſon , diocèſe d'Avranches;
Jean Beynac , de S. Cyprien , diocèſe
de Sarlat; Barthelemi Duclos , de Sadoleins
, diocèſe d'Auſch ; Jean- Baptiste
Rebuffat , de Brian , diocèſe d'Aix ; Dominique
Daſtes , de Corneillan , diocèſe
d'Auſch ; Sylvain Foffiat , de Maiſon-
Fine , diocèſe de Limoges; Nicolas Charles
Dupleffis , d'Effigni-le Grand , diocè .
ſe de Noyon; & François- Ignace Vaiffiere
, dePleaux , diocèſe de Clermont.
SPECTACLES.
OPERA
L'ACADÉMIE Royale de Muſique continue
avec ſuccès les repréſentationsd'Aline
, Reine de Golconde. Le ſpectacle de
cet opéra eſt pompeux & varié. Les ballets
ſont pittoreſques, & ingéniens ; la
muſique est d'un chant agréable & facile;
les principaux rôles font avantageux pour
la voix. M. Durand eſt applaudi dans le
rôle de S. Phar; Mademoiselle Rofalie
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
joue avec intelligence& chante avec ſem
timent le rôle d'Aline , qu'ils repréſentent
en l'absence de M. & Madame l'Arrivée.
L'ariette de la fin du troiſiéme acte ,
dont l'exécution eſt brillante & difficile,
eſt bien rendue par Mademoiselle Beaumeſnil.
Il y a dans tous les ſujets de ce
ſpectacle une émulationde talens qui intéreſſe
les ſpectateurs , & qui affure leurs
plaifirs.
COMÉDIE FRANÇOISE.
Le public a beaucoup applandi à la réſolution
que les Comédiens François ont
priſe de ne jouer les piéces de Molière
que le ſeul jour conſacré à honorer fon
génie , en reuniffant leurs efforts& leurs
talens principaux pour rendre , le mieux
qu'il eſt poſſible , les chef-d'oeuvres du
pere&du modèle de la bonne comédie.
Voici ce qu'ils annoncent.
>>Le fortdes meilleurs ouvrages du théâ
tre françois eſt d'être beaucoup lus & fouvent
repréſentés. Molière méritoit plus
que tout autre cet honneur dangereux ,
qui , en fatisfaiſant un petit nombre de
connoiffeurs ,raſfaſioit ,en quelque forte,
JUILLET. 1772. 15s
le public des chef d'oeuvres de ce grand
homme : le peu de monde qui aſſiſtoit aux
repréſentations de ſes pièces , a ſemblé
avertir Meſſieurs les premiers Gentilshommes
de la Chambre , de l'eſpèce de
diſcrétion que les Comédiens François
devoient mettre à les donner. C'eſt d'après
cette longue épreuve qu'il a été fait
un répertoire , par lequel le public fera
inſtruit des ſeuls jours où l'on donnera du
Molière : par ce répertoire , il pourra juger
que chacun de ces fublimes ouvrages
ne fera donné tout au plus que deux ou
trois fois par an , & à jour nommé . Une
autre cauſe de l'eſpèce de diſcrédit où
étoient tombées les repréſentations de ces
pièces , étoit l'abandon fait par les acteurs
en chef de pluſieurs rôles , qui , quoique
peu conſidérables , peut- être , n'en méritent
pas moins les foins & le zèle des
acteurs les plus diſtingués par leurs talens.
En conféquence de ce nouvel arrangement
, il n'en fera point parmi eux qui
ne ſe faſſe un devoir flatteur de remplir
un rôle , quelque médiocre qu'il foit ,
dans des repréſentations choiſies pour honorer
le premier de leurs auteurs : tous
les rôles feront joués par les acteurs en
chef; & le public tranſporté de l'ouvra
ge , versa du moins qu'ils n'ont rien né
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
gligé pour en rendre la repréſentation
digne de lui & de l'homme immortel
qu'ils ont à tranſmettre à la poſtérité .
Répertoire des Pièces de Molière pour la
Comédie Françoise.
Jeudi 2 Juillet , l'Étourdi & la Comteſſe
d'Eſcarbagnas.
Jeudi 16 , le Dépit amoureux , & le
Mariage forcé .
Jeudi 30 , l'École des Femmes , & le
Sicilien.
Jeudi 13 Août , l'École des Maris , &
les Fourberies de Scapin .
4 Jeudi 27 , le Miſantrope , & le Médecin
malgré lui .
Jeudi 10 Septembre , Tartuffe , & une
petite piéce.
Jeudi 24 , l'Avare , & les Précieuſes
Ridicules .
Lacune pour levoyage de Fontainebleau .
Jeudi 26 Novembre , les Femmes Savantes&
une petite piéce.
Jeudi 10 Décembre , Amphitrion , &
George-Dandin .
Jeudi 24 , veille de Noël , clôture.
Nota. Ce répertoire qui commencera
au premier Juillet 1772 ,& qui finira au
1
JUILLET. 1772, 197
premier Janvier 1773 , ſera renouvellé &
publié tous les ſix mois.
Le Mercredi 27 Mai , Mademoiſelle
Saintval , foeur de l'actrice de ce nom , a
débuté ſur le théâtre de la Comédie Françoiſe
par le rôle d'Alzire , qu'elle a joué
une autre fois ; elle a continue ſon début
dans le rôle d'Inès de Castro , qu'elle a
repréſenté trois fois; dans celui de Zaïre
une fois ; dans Iphigénie en Tauride
deux fois ; & dans Iphigénie en Aulide
deux fois . Cette actrice , âgée d'environ
18 ans , eſt d'une figure agréable ; elle a
le don précieux de peindre dans ſes traits ,
dans ſes regards , dans ſes geſtes , dans ſes
accens , la paffion&le ſentiment . Sa voix
eſt intéreſſante , ſon maintien noble , fon
jeu animé & expreſſif. Elle a beaucoup
d'intelligence pour la ſcène. Elle donne
d'autant plus d'eſpérance de ſon talent ,
qu'elle n'imite point ; & que , ſuivant le
conſeil d'une actrice célèbre qui l'a vu
jouer avec admiration , elle n'a beſoin
que de ſe conſulter elle-même , d'écouter
des avis , mais de ne prendre jamais de
leçons , &de céder à ſa ſenſibilité.
1
I158 MERCURE DE FRANCE.
Vers à Mademoiselle Saintval.
TENDRE Saintyal , enfant que chérit la nature ,
Vois nous à tes genoux brûler un grain d'encens ,
L'Amour , ce Dieu chéri , le doit à ta figure ,
Le puiſſant Dieu des vers le doit à tes talens ;
De ton printemps à peine on voit briller l'aurore ,
Des Goffin , des Clairon , héritiere en naiſſant ,
Tu règnes ſur la ſcène où tu ne fais qu'éclore ,
Et marches ſans appui ſur ſon parquet gliflant.
Tu fais peindre l'amour avec de nouveaux charmes
Tu ſais d'Inès , d'Alzire , augmenter les beautés ,
L'intérêt ſéduisant préſide à tes côtés ,
Et la brigue à tes pieds briſe ſes fières armes.
COMÉDIE ITALIENNE.
M. Caillot , dont le jeu eſt ſi vrai & fi
intéreſſant , a repris ſes rôles dans l'Amou
reux de quinze ans , dans Tom Jones , &
dans d'autres pièces , pour ſuppléer à M.
Nainville , qui eſt indiſpoſé.
Le 20 Juin , on a joué le Poirier , de
feu Vadé , opéra comique en un acte ,
mêlé de vaudevilles & d'ariettes nouvelles
.
JUILLET. 1772. 159
e Cet opéra comique a été remis au théâ
tre avec quelques légers changemens , par
M. Anſeaume. Il a fait généralement
plaifir . On aime à y retrouver la gaîté de
l'ancien vaudeville unie au charme de
la muſique moderne ; les rôles font remplis
heureuſement & rendus avec franchife
, par M. M. Laruerte , Trial & Julien
, & par Meſdames Trial & Beaupré.
La nouvelle muſique eſt de M. de S.
Amand , qui a ſu ſe prêter au tongénéral
de l'ouvrage , & lui donner des graces
fimples & naïves.
ARTS.
GÉOGRAPHIE.
Nouvelle Méthode de Géographie , ou cartes
-1
C
àjouer propres à apprendre la Géographie,
dédiées à S. A. S. Monſeigneur
le Prince de Bourbon-Conti , comte
de la Marche , par M. de Laiſtre , Ingénieur
du Roi , & de S. A. S. Monfeigneur
le Prince de Conti. AParis ,
chez Jombert , fils aîné , libraire , rue
Dauphine.
En fait d'inſtructions , toutes lesMéthodes
qui parlent aux yeux & fixent l'ar
160 MERCURE DE FRANCE .
tention des jeunes gens ſans la fatiguer ,
doivent être préférées. M. de Laiſtre a
penſé en conféquence , que ſa nouvelle
Méthode pour enſeigner la Géographie ,
pourroit être de quelque utilité à la jeunefle.
Il feroit aſſez difficile d'expliquer
cetteméthode ſans la préſence des objets ,
nous nous contenterons donc d'en tracer
une légère idée . Il y a quatre couleurs particulières
qui diſtinguent les cartes de ce
nouveau jeu , le rouge, le jaune , le verd
&le bleu ,& chaque couleur est compofée
de treize cartes , comme dans les jeux
de cartes ordinaires. Le roi & la dame
font figurés par des têtes couronnées , &
le valet eſt repréſenté par une tête couverte
d'un chapeau ou d'un bonnet , fuivant
l'uſage des différens pays. Au-deſſous
de ces eſpèces de buſtes eſt un cartouche
inſtructif ſur la Chorographie du Royaume
ou de la Province. On y lit en tête
les noms des principales villes & ceux
des rivières qui les arroſent. Au bas on y
voit certaines particularités hiſtoriques ,
les plus intéreſſantes. Le cartouche du Roi
offre , avec la ville capitale , les bornes
du royaume ou de la province. La divifion
de ce royaume ou de cette province
eſt marquée dans le cartouche de la dame.
Celui du valet contient les noms des prin
JUILLET. 1772.
161
cipales rivières. La carte qui figure l'as
porte au centre le blaſon des armes du
royaume ou de la province. Au-deſſus &
au-deſſous on lit une courte notice fur
la fertilité & le principal commerce du
pays . A l'égard des autres cartes , comme
les dix , neuf, huit , ſept , fix , cinq ,
quatre & deux , elles ſont déſignées par
un nombre de points relatifs à leur
valeur. Ces points ſont figurés en villes
& bourgs , comme dans les cartes
géographiques , & enluminées de couleurs
diſtinctives. Ces villes ou bourgs
font ceux du royaume ou de la province
dont il s'agit , avec leurs noms , leurs rivières
qui y paſſent , leur latitude & leur
diſtance de la capitale.On en trouve 54 ,
nombre égal à celui des points des baffes
cartes , ce qui préſente un certain détail
géographique qui peut ſuffire à la jeuneſſe.
Les gravures ſont exécutées avec
netteté& préciſion . On peut jouer avec
ces cartes toutes fortes de jeux auffi facilement
qu'avec les cartes ordinaires.
Mais l'auteur , pour parvenir plus directement
au but qu'il s'eſt propoſé , celuide
familiariſer par cet exercice les jeunes
gens avec la géographie , a combiné un
jeu & l'a particulièrement adapté à ces
nouvelles cartes. Il en donne les régles &
162 MERCURE DE FRANCE.
l'explication dans un imprimé qui ſe diftribue
à l'adreſſe ci-deſſus , avec les cartes
que nous venons d'annoncer .
GRAVURES.
I.
La Scène du Tableau Magique de Zémire
&Azor, deſſinée par M. Touzé , gravée
par M. Voyez le jeune.
CETTE ſcène intereſſante eſt rendue avec
autant de vérité que d'agrément ; elle a le
double mérite de repréſenter le tableau
charmant d'un pere avec ſes deux filles ,
qui déplorent le deſtin & l'absence de Zémire
; & de donner les portraits de M.
Caillot , de M. Clairval , de Madame
Laruette , de Madame Trial , & de Mademoiſelle
Beaupré , acteurs & actrices ,
dont les talens ſont ſi chers au public.
Cette eſtampe qui eſt beaucoup avancée
, ſera terminée & publiée au commen.
cement d'Octobre prochain. Ceux qui
voudront en retenir de bonnes épreuves ,
pourront ſouſcrire & ſe faire inſcrire en
confignant 6 liv. entre les mains de M.
JUILLET. 1772. 163
Touzé , aux Quinze -Vingts , même maifon
que le bureau dela location. On tirera
très- peu d'eſtampes au-delà du nombredes
ſouſcripteurs..
I I.
Galerie Françoise , ou Portraits des Hom
mes & Femmes célèbres qui ont paru en
France , gravés en taille-douce par les
meilleurs artiſtes , ſous la conduite de
M. Cochin , chevalier de l'ordre du
Roi , garde des deſſins du cabinet de
Sa Majesté , ſecrétaire perpétuel de l'académie
royale de peinture & de
ſculpture , avec un abrégé de leur vie ,
parune ſociétéde gens de lettres. A Paris
, chez Hériſſant le fils , libraire , rue
des Foflés de M. le Prince , vis-à - vis
le petit hôtel de Condé.
Le ſieur Hériſſant , dans la vue de rendre
cette galerie plus digne des regards
des amateurs & des gens de lettres qui
veulent bien l'honorer de leurs fuffrages ,
a redoublé ſes ſoins pour la perfection de
cet ouvrage , que l'on peut regarder , en
quelque forte , comme les faſtes de la nation.
S'il ſe trouve des portraits plus foibles
que les autres, c'eſt que les originaux
d'après leſquels ils font gravés he font
ン
164 MERCURE DE FRANCE.
(
pas tous également bien peints. Les éloges
qui accompagnent ces portraits font principalement
deſtinés à rappeler les traits
les plus propres à donner une idée juſte
& préciſe du caractère , des moeurs & du
génie particulier des grands hommes repréfentés
dans ce recueil .
Le libraire ci deſſus nommé prévient le
public, par un avertiſſement, que les occupations
de M. Reſtout ne lui permettant
plus de continuer ſes ſoins pour la partie
des gravures , M. Cochin a bien voulu ſe
charger de diriger à ſa place les artiſtes.
Le Geur Hériſſant croit auſſi devoir avertir
le public qu'il reſte peu de ſoufcriptions
à remplir . Comme cet ouvrage peut
avoir une certaine étendue , pour en faciliter
l'acquiſition , il l'a fixé à un prix trèsmodique
; il le donne par abonnement ,
&cet abonnement eſt à raiſon de 6 liv.
le cahier. On paye 36 livres , & l'on reçoit
ſucceſſivement pour cette ſomme fix
cahiers , à meſure qu'ils paroiſſent; de fix
cahiers en fix cahiers on donnera 36 liv.
Chaque cahier eft compoſé de cinq belles
eſtampes , & de 40 à 50 pages in-folio ,
d'une impreſſion très nette , fur de beau
papier. On y varie les ſujets; mais comme
les éloges ſont détachés les uns des
autres , il ſera facile de ranger par la fuire
JUILLET. 1772. 165
tous les grands hommes dans l'ordre que
l'on aimera le mieux , foit chronologiquement
, foit en ſuivant les claſſes ditférentes.
Il paroît ſept numéros de cet
ouvrage. Nous avons annoncé les fix premiers
à meſure qu'ils ont été publiés. Le
ſeptiéme qui vient de paroître , & qui forme
le premier numéro du ſecond volume
, renferme les portraits & les éloges
du Maréchal d'Eſtrés , du Préſident Henault
, de M.M. de Mairan , de Moncrif
& l'abbé Chappe.
Les cahiers ſe délivrent brochés propre
prement , & francs de port pour Paris.
Les familles, qui auront produit des
gens illuſtres ,dont lenom ineritera d'être
tranfmis à la poſtérité , ou les perſonnes
qui auront vécu dans leur intimité , & qui
s'intéreſſent à leur gloire , font priées d'adrefler
francs de port , au ſieur Hériſfant ,
les Mémoires ſur leur vie , & de conimuniquer
leur portrait.
Zod
III .
Portrait du Président de Thou , peint par
Ferdinand , & gravé par de Marcenay,
à Paris , chez l'auteur , rue d'Anjou
Dauphine , la dernière porte cochère
1
166 MERCURE DE FRANCE .
à gauche , & chez M. Wille , graveur
du Roi , quai des Auguſtins.
Ce portrait que Morin , artiſte mort
en 1650 , a gravé en grand & dans une
forme ovale , a été exécuté par M. de
Marcenay , dans un format beaucoup plus
petit , & dans le genre de gravure qu'il a
adopté , & qui a été accueilli des amateurs.
Ce dernier portrait fera ſuite à ceux
des hommes illuſtres que cet artiſte a publiés
dans le même format. Il en a été
tiré des épreuves ſur de grand papier , en
faveur de ceux qui ont l'hiſtoire in-4º du
Préſident de Thou , & feroient flattés
d'avoir le portrait de ce célèbre hiſtorien
à la tête de fon ouvrage.
I V.
1
LaDamede charité, étude peinte parJean-
Bapriſte Greuze , peintre du Roi , &
gravée par Maffard. A Paris , chez le
graveur , rue S. Hyacinthe , place S.
Michel.
Certe agréable étude gravée d'une taille
très- fine & très-ferrée , nous offre le
caractère de tête intéreſſant de la dame
de charité que M. Greuze doit placer dans
le tableau qu'il prépare ſur le même ſus
JUILLET. 1772. 167
jet. La compoſition entière de ce tableau
eſt légérement gravée au trait au bas de
cette étude.
Suite de gravures dans la manière des def.
fins , lavées à l'encre de la Chine.
Un amateur des arts ayant fait en Italie
un ſéjour aſſez long pour y pouvoir réunir
une collection de ce que ce pays renfer.
me de plus intéreſſant en tableaux Italiens
&fragmens antiques , qu'il y a fait deffiner
par les meilleurs artiſtes , ſe plaît à
les graver lui -même.
Il lui falloit , pour entreprendre une
ſuite auſſi nombreuſe , une manière de
graver plus expéditive que la gravure à
l'eau- forte dont on ſe ſert ordinairement,
Il a eu recours pour cela à un genre qui
imite les deſſins lavés à l'encre de laChine
, qui lui a été communiquée par M. de
Lafoſſe , graveur , & qui , fans être le procédé
de M. le Prince , peintre du Roi ,
ſemble en approcher au moins par la rapidité
de l'exécution. Le commencement
de cette collection intéreſſante contenant
la ſuite de Rome , eſt de ſoixante planches
; prix 24 liv .
On pourra s'en procurer des exemplaires
chez Baſan , rue & hôtel Serpente ; &
168 MERCURE DE FRANCE .
Chereau , marchand d'eſtampes , rue S.
Jacques , à Paris.
La mémoire de M. de Monmartel eſt
trop chère à ceux qui l'ont connu , & il a
joui , tant qu'il a vécu , d'une eſtime trop
générale parmi les étrangers & dans la
patrie , pour que nous ne nous faſſions pas
un plaifir d'annoncer au public que l'on
vient de graver le portrait de ce refpectable
citoyen. La gravure eſt de Cathelin ,
d'après le deſſin de M. Cochin fils .
Une perſonne qui étoit attachée à M.
de Monmartel , & qui a joul juſqu'à la
mort de fa confiance , nous a envoyé les
quatre vers ſuivans , pour mettre au bas
de l'eſtampe .
Les traits qu'avec plaiſir , chacun ici contemple
Offrent ceux d'un vrai citoyen :
Cher à ſon Roi qu'il ſervit bien ,
François , il vous invite à ſuivre ſon exemple.
MUSIQUE.
1.
:
SECOND Livre de Sonates pour le clave.
cin & le fortépiano avec accompagnement
JUILLET. 1772. 169
ment de violon ad libitum , dédié à Madame
la Ducheſſe d'Aiguillon , compofé
par M. Lafceux ; prix 6 liv. A Paris , chez
l'Auteur , rue S. Victor , au- deſſus du Séminaire
de S. Nicolas du Chardonner ;
&aux adreſſes ordinaires. On connoît le
mérite de cet excellent compoſiteur , &
fon goûtde la bonne muſique moins faite
pour ſurprendre par les difficultés que
pour plaire par l'agrément du chant.
On trouve aux mêmes adreſſes le recueil
de Mai du Journal des pièces d'orgues
qui ſe continuent avec le même ſuccès
, le prix eſt de 2 1. 8 f. chaque Magnificat
& 3 1. chaque Meſſe. On foufcrit
pour une année du Journal moyennant
24 liv. par an pour Paris , & 36 liv . pour
la Province franc de port.
I I.
Sei Devertimenti per la harpa ſola o
accompagnata d'a flauto traverſo , violine
ebaſlo , miſſi in ordine da Franceſco Pe
trini , Opéra 4º ; prix 7 liv. 4 (.
Deuxième Recueil d'Ariettes & pièces
pour la harpe , dédiées à Madame la
Ducheſſe de Liancourt , par M. Patouart
fils ; prix 7 liv. 4 fols .
Deuxième Recueil d'Ariettes avec ac
I. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
compagnement de harpe , par M. Suin ;
prix 7 liv. 4 ſols.
L'Abeille lyrique , ou Recueil périodique
de petits airs arrangés pour la harpe
&le piano-forté , par M. l'Abbé Boilly ,
Maître de harpe. On ſouſcrit pour ce
Recueil , dont il paroît un cahier tous les
mois , chez Coufineau , Luthier & Marchandde
Muſique , rue des Poulies , pour
la ſomme de 24 liv, par an , & pour la
Province 30 liv. franc de port par la
poſte.
Les OEuvres annoncées ci - deſſus ſe
trouvent à la même adreſſe , & aux adrefſes
ordinaires.
III.
VIII Livre d'Amusemens du Parnasse ,
contenant des Ariettes Italiennes , Romances
avec des variations & des Marches
accommodées pour le Clavecin , par
M. Corrette; prix 4 1. Les Marches font
unbel effet fur les grands jeux de l'Orgue,
AParis , aux adreſſes ordinaires de Muſique,
I V.
Sei Quartetti Notturni , per due violini
, violetta , è baſſo , Op. terza dal Signor
Fraentzel, primo violino di Sua Al
JUILLET. 1772. 169
teſſa Sereniffima Electorale Palatina ; prix
7 liv. 4 f. A Paris , au Bureau d'Abonnement
de Muſique , Cour de l'ancien
Grand-Cerf , rue S. Denis & des Deux-
Portes S. Sauveur ; & aux adreſſes ordinaires
de Muſique . A Lyon , chez Caf
taud , place de la Comédie.
V.
Six Quatuor concertant pour deux
violons , alto & baſſe , par Bach , OEuv.
8 ; prix 9 liv.
Six Duo pour violon , par Kammel ,
OEuv. 7 ; prix 7 liv. 4 f. A Paris , chez
Sieber , Editeur de Muſique , rue S. Honoré,
à l'Hôtel d'Aligre , près la Croix:
du Trahoir ; & à Lyon , chez Caſtaud.
OBSERVATIONS fur les Mausolées du
Maréchal de Saxe & du Maréchal de
Turenne; par M. de la Lande , de
l'Académie des Sciences.
PLus l'on admire àParis le monument ſuperbe
que le Roi fait élever au Maréchal de Saxe , plus
onade regret de le voir deſtiné à une province
éloignée.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
La capitale eſt le centre du goût , celui des arts;
del'éducation , de l'émulation , de la gloire. C'eſt
donc à Paris que devroit reſter le chef - d'oeuvre
des arts , l'objet le plus frappant d'émulation
pour la Nobleſſe Françoiſe , & le monument le
plus glorieux pour un héros. C'étoit à Rome que
les conquérans de l'Aſie & de l'Afrique demandoient
les honneurs du triomphe; qui de ces conquérans
eût voulu ſe borner à des trophées qu'on
lui eût érigés dans la Ligurie ou dans la Pouille ?
C'eſt à Paris que fleuriftent nos écoles de ſculpture
& de deſlein , & où l'on a cherché de tout
tems à raſſembler les modèles propres à former de
grands artiſtes : c'eſt à Paris que les Anglois , les
Hollandois , les Italiens , les Eſpagnols , les Habirans
du nouveau Monde , viennent admirer les
prodiges de nos arts , ſe former le goût & comparer
l'Ecole Françoiſe à celle des Italiens & des
Flamands : qui d'entre eux a jamais longé qu'il
faudroit aller à Strasbourg pour avoir une idée de
ceque l'on peut faire en France de plus magnifique
&de plus grand. Cependant nous n'avons point
encore en Francede monument comparable à celui
dumaréchal de Saxe pour la grandeur de lacompo.
fition. La fierté des idées , l'expreſſion, la poësie, la
beauté de l'exécution ; les mauſolées de Jules II,
d'AlexandreVII & de l'aul III a Rome, ceux même
des Médicis à Florence , s'ils font recherchés pour
la beauté de la ſculpture , ne donnent pas cette
ſurpriſe , cette idée de grandeur & de majesté ,
cette douce émotion , cet attendriſſement , cette
ardeur de la gloire & du bien public , dont on ſe
ſent frappé à la vue d'un monumenr tel que celui
dont il s'agit.
La fondation de l'Ecole royale militaire a tant
derapportdans ſes principes &dans ſon objet
JUILLET. 1772. 173
avec l'érection de ce monument , que le Public
s'eſt accoutumé pour ainſi dire à les réunir. La
gloire des héros eſt ſans doute le premier objet
qui doit frapper nos élèves : peut- on concevoir
un objet plus propre à le leur imprimer; ſe flatteroit-
on que les difcours & les livres puſlent faire
ſur la jeuneſſe une impreſſion comparable à celle
d'un ſpectacle continuel auffi éloquent que ſuperbe.
L'Académie Françoiſe a établi depuis quelques
années l'uſage de célébrer par des difcours les
hommes illuftres de la France. Pour y joindre
l'uſage de leur élèver des monumens , il falloit
peut- être une circonstance ſemblable à celle qui a
décidé le mauſolée du M. de S.: ſi l'uſage s'en
établit, on aura lieu de s'applaudir de cette eſpèce
d'embarras que donne le héros proteftant , puifqu'on
n'a ſongé à placer fon maufolée à Strasbourg
que par l'impoſſibilité de le placer dans
nos Eglifes. Il me ſemble voir à l'Ecole royale
militaire un vaſte portique ſemblable à ceux de
l'ancienne Rome , & qu'on appelleroit Portique
des Héros , au fond de l'édifice on verroit le
mauſolée du maréchal de Saxe ; & la jeuneſle accoutumant
ſes yeux à de ſemblables trophées ,
viendroit apprendre à defirer , à mériter peut- être
un jour une pareille place. C'eſt à la vue d'une
ſtatue d'Alexandre que Céſar , enflammé par l'amour
de la glone , partit pour la conquête de
l'Elpagne & des Gaules.
Les monumens & les tombeaux des grands
hommes n'étoient point autrefois dans des temples
, mais fur de grandes routes , ſur les places
publiques , fur des arcs de triomphe. Dans la
fune l'orgueil humain a perté juſques dans les
Eglifes , en élevant , pour ainſi dire , contre les
Huj
174 MERCURE DE FRANCE.
autels de la Divinité les dépôts de la miſére humaine
; mais on a compris enſuite l'eſpèce d'abfurdité
qu'il y avoit dans cet uſage , & l'on trouve
des monumens modernes érigés à la gloire des
grands hommes dans l'arſenal de Veniſe , dans le
palais Ducal à Gêne , dans l'hôtel - de - ville de
Padoue & ailleurs .
L'Ordre du Mérite a été établi en France pour
accorder les distinctions militaires avec les différences
de religion : mais la reprobation légale
de la religion lathérienne en France devroit être
un motifſuffiſant tant qu'elle ſubſiſtera , pour ne
pas choiſir une Egliſe à Strasbourg , précisément
parce qu'elle eſt àmoitié luthérienne. Ce ſeroit
l'acte le plus authentique d'approbation , de confirmation
, d'autorisation pour la religion luthérienne
que de placer par ordre du Roi notre plus
beau monument dans la ſeule Egliſe du royaume
où l'exercice des pratiques luthériennes ſoit toleré.
:
Une pompeuſe épitaphe peut annoncer à Strasbourg
le tombeau du héros & indiquer le monument
qui exiſteroit ailleurs : ces fortes de Cénotaphes
ou tombeaux vides ſont communs en Italie;
leur objet eſt de conſacrer la mémoire des
hommes illuftres , & cet objet n'exige plus la
préſence des débris de leur humanité. Enfin cc
monument, qui fait honneur à la France , doit-il
être placé de préférence ſur la frontiere où il ſeroit
le plus expoſé aux événemens des guerres &
des traités; en le plaçant à Paris l'on épargneroit
les frais d'un énorme tranſport , le dangerd'altérer
un ſi bel ouvrage & le tems perdu , loin de
Paris, par un de nos plus habiles artiſtes. M. Pigale
deſiroit que cette propoſizion fût écoutée;
elle me ſemble de nature à ne pouvoir être com
JUILLET. 1772. 175
battue que par la jalouſie ou le préjugé ; enfin
elle tend au bien, c'eſt le ſeul motifqui pouvoit
me porter à la faire .
,
au
Maisen ſuppoſant que ce projet éprouvât des
difficultés , il existe un autre monument qui
pourroit remplir encore avec avantage l'objet que
je viens de propoſer : il s'agit d'un mauſolée exécuté
à la gloire du Maréchal de Turenne
commencement de ce fiécle par les artiſtes de Rome
les plus habiles , aux frais du Cardinal de
Bouillon. Il étoit deſtiné à être mis dans l'égliſe
de l'Abbaye de Clugny où le père du maréchal
eſt enterré ; mais la diſgrace du cardinal de Bouillon
, arrivée en 1710 , empêcha qu'il ne lui fût
permis d'achever l'exécution de fon projet , & ce
mauſolée est reſté dans les caifles où il avoit été
embalé pour le tranſport de Rome à Clugny. Ce
fut lecardinal de la Rochefoucault , abbé de Clugny
, mort en 1757, qui , ſur la réputation de cet
ouvrage , obtint la permiffion de lever les ſcellés
qui étoient ſur les caiſſes , afin qu'on pût avoir
du moins une idée de la beauté du monument :
tous les artiſtes qui l'ont viſité l'ont jugé de la
plusbelle exécution.
Ce mauſolée est compoſé de cinq grandes piè-
Ccs.
La première eſt la ſtatue du Vicomte en habit
deguerre.
La ſeconde eſt celle de la Princefle de Bouillon
fon épouſe. Ces deux figures ont 8 pieds de proportion
, & font chacune d'un feul bloc de marbre
avec les acceſſoires .
La troiſième eſt un génie , qui , d'une main ,
tient un livre ouvert & de l'autre indique au
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE .
1
héros , un paflagede l'écriture écrit en lettresd'or.
Ce génie eſt du même bloc que la Princefle.
La quatrième eſt un autre génie , qui , d'une
main , tient l'oriflame ou étendart du généraliſme,
&de l'autre ſon coeur enchaſlé dans une boëte
d'or , en forme de coeur. Le coeur de M. de Turenne
eſt véritablement dans une boëte d'or en
forme de coeur , conſervée dans le tréſor de la
facriftie de l'Abbaye ; enforte que celui que tient
le génie n'en est que la figure en cuivre doré.
Quant à la diſpoſition & aux attitudes des
figures , le héros eſt aſſis ſur un trophée d'armes
tenant de la main droite ſon bâton de commandement
, le viſage tourné du côté de la Princefle
de Bouillon ſon épouſe , qui eſt à ſa gauche ; il
a la main gauche ſur la poitrine , le bras un peu
élevé , dans la poſture d'un homme qui prie avec
attendriflement & qui par le regard qu'il jette fur
l'Evangile, annonce fon reſpect pour la religion
&l'écriture fainte. Il a la jambe droite preſque
érendue, ſa gauche au contraire eft , pour ainfi
dire , repliée ſous ſa cuifle , enforte que le genouil
forme un angle très - aigu Cette figure
occupes pieds de hauteur ſur 6 de largeur. Les
vêtemens font à la romaine , le tout d'un ſeul
bloc , du plus beau marbre de Carrare , tranfparent
comme la porcelaine , ce que les Italiens
appellent Marmofaligno. La ſtatue de la Princeſſe
de Bouillon , eſt aſſiſe , il ne paroît que ſon pied
droit , chauſlé d'un ſoulier carré : Elle a ſous ſes
pieds uncouſſin de velours , garni de franges &
de glands , à ſa gauche eſt un génie nud , ayant
fur les pieds un livre fermé ; ce génie a environ
3 pieds &demi de hauteur , & tient ouvert l'Evangile
qu'il préſente à la Princeſſe , où ces mots
JUILLET. 1772. 177
fontécrits en lettres d'or Accepto pane, gratias
egit&fregit & dedit dicens: hoc eft corpusmeum
quod pro vobis datur, hoc facite in. &c. La Princefle
appuie la main gauche ſur le même Evangile
, & de la main droite , elle indique ce paffage
à fon mari qui eſt à ſa droite , en le regardant
avec tendrefle,
La quatrième pièce a cinq pieds de hauteur ,
elle eſt portée par un nuage dont elle eft cependant
entiérement détachée , à l'exception du pied
gauche qui est enfoncé dans la nuée. Ce génie eſt
un peu panché ſur le devant.
La cinquiéme pièce eſt un bas- relief de la
hauteur de deux pieds & demi ſur une longueur
de cinq pieds. On y voit le Vicomte de Turenne
à cheval , qui commande I armée dans la bataille
desDunes. Il y a des figures dans toutes les attitudes
, & il en eft qui font ſaillie de 6 pouces.
On voit dans ce bas - relief des hommes & des
chevaux dans toutes fortes de poſitions,des morts
&des mourans , qui ſemblent combattre encore .
On y remarque un cheval abbatu de devant ; le
cavalier , en partie ſous le cheval , & ayant encore
na pied ſur la croupe .
Ce bas- relief , ainſi que les quatre autres pièces,
eſt d'un ſeul bloc de marbre ſtatuaire . On remarque
encore pluſieurs grandes pièces du même
marbre qui ne font point aflez viſibles pour les
d'écrire. Il paroît qu'elles étoient deſtinées à ſervir
de focle ou de ſupport aux figures. On y diftingue
auſſi des chapitaux corinthiens de marbre. Il y a
deux griffons à aîles déployées , enchaînés enfemble
à deux conſoles & couronnés , portant environ
trois pieds de haut , deux autres conſoles de trois
pieds de long; deux trophées d'armes de cing
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
pieds , un autre de quatre , le tout en bronze
doré.
On conſerve dans la bibliothéque de Clugny,
un ouvrage qui a pour titreHiſtoire généalogique
-de la maison d'Auvergne , justifiée par Chartes ,
titres, histoires anciennes & autres preuves authentiquesparM.
Baluze, àParis chez Dezailler,
1708. A la page 455 de ce volume , l'Auteuren
parlant d'un Duc & d'une Duchefle de Bouillon ,
dit que leurs corps furent d'abord enterrés dans
l'Egliſe de l'Abbaye de Saint Faurin , à Evreux ,
&leurs coeurs dans celle des Capucins de la même
ville; mais que depuis ces corps ont ététransférés
àlAbbaye de Clugny, dans le beau mausolée que
M. le Cardinal de Bouillon y a fait faire pourfa
famille. On voit à la fin de ce volume , par un
procès verbal daté du 15 Juillet 1695 , qu'il exifte
6exemplaires collationnés du même livre , dont
un fut mis entre les mains de M. le Duc de Bouillon
, pour être gardé avec les originaux dans le
tréſor du château de Turenne , un autre entre
les mains de M. Nicolas de Bragelangne , Comte
&Doyen de Saint Julien de Brionde , pour être
déposé dans les archives de ladite Egliſe ; un
autredans le tréſor de l'Abbaye de Clugny , un
autre dans les archives de l'Abbaye de S. Germain
des Prés .
Tous ceux qui ont vu ce monument ſe ſont
plaint de l'abandon & de l'oubli où on l'avoit
laiflé & ont défiré de le voir élevé du moins
dans l'Egliſe de l'Abbaye de Clugny. Mais puifque
les Religieux de cette Abbaye , paroiflent
avoir renoncé à ce tréſor , ils le verront ſans
peine tourner au profit de l'état , & la maiſon de
Bouillon à qui il doit être cenſé appartenir , ne
pourroit qu'être flattéede le voir dans la Chapelle
JUILLET. 1772. 17日
de l'école militaire , ou ſous la coupole des invalides
, ſervir à l'émulation de la jeune nobleſſe ,
&à la gloire d'un héros qui a ſi bien mérité de
lui ſervird'exemple; les fraisdu tranſport & du
placement ſont trop peu conſidérables pour devoir
éloigner l'exécution d'un projet auſſi utile & aufli
juſte.
ANECDOTES.
I.
Après s'être fait un nom &s'être acquis
un rang dans la littérature & parmi
nos poëtes les plus eſtimés , Madame du
Bocage , à l'exemple des anciens ſages de
la Grèce , alla étudier les moeurs des Nations
étrangères. A fon arrivée à Rome ,
elle fut conduite à la nombreuſe académie
des Arcades , dont elle étoit membre.
La Ducheſſe d'Eſtrée, âgée de 16 ans,
lui adreſſa un compliment ſi inge
nieux qu'il mérite d'être cité. « Mde
>>du Bocage diſoit au Cardinal des Ur-
> ſins , père de la Ducheſſe , que ſa fille
» étoit la déeſſe de Rome. » Non , Madame,
répondit la Princeſſe , les Romains
prenoient leurs dieux chezles étrangers.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
I I.
Le Duc d'Epernon avoit eu de vifs démêlés
avec le Maréchal d'Aumont : &
Henri III craignoit que fon retour ne les
renouvellât. Le Maréchal s'appercevant
de certe délicateſſe du Roi , l'alla trouver
&fut le premier à lui conſeiller de recevoir
le Duc. J'oublie , dit it , tour reffen.
timent,jusqu'à ce que V. M. ait triomphé
de ſes ennemis ; après cela, fi le Duc le
trouve bon , nous vuiderons notre querelle.
Epernon , inftruit de cette démarche par
le Roi lui même , ſe préſenta chez le Maréchal
, fit excuſe du paflé , demanda fon
amitié& lui offrit la ſienne . « Allez , lui
dit le vieux guerrier avec ſa franchiſe
ordinaire , " je ne veux de vous d'autres
>> fatisfactions que celles que vous me
>donnez aujourd'hui , de vous voir ſi
> ſoumis aux ordres de votre maître.
>> Vous m'offrez vos ſervices ; je vous
offre auſſi les miens. Allons , continua .
> t'il en l'embraſfant , courage , combat-
> tons de tout notre coeur pour la gloire
du meilleur de tous les maîtres , pour
>le falut de la patrie , dont les méchans
> ont juré la ruine ? Quand nous aurons
> rendu la paix àla France , nous diſpute;
JUILLET. 1772. 181
rons à qui ſe ſurpaſſera en générofité.
III.
Le fils d'un Grand d'Eſpagne avoit
commis un crime capital . Le Roi Philippe
V ayant fait venir le pere du jeune
homme , lui ordonna de prononcer luimême
la Sentence de fon fils. Le vieillard
fans héſiter , quoique plein de douleur
, dit qu'il méritoit la mort. Vous le
jugez en Roi , dit le Monarque , & moi
je le juge en pere. Je le condamne aux
arrets pour un an; & s'il apprend à réprimer
déſormais les premières ſaillies de
ſes paffions , j'aurai autant de joie de vous
l'avoir rendu que vous auriez eu de chagrin
de le perdre.
I V.
4
Le Comte de Mare étoit à la querre
avec le Grand Condé , il fut batru dans
une action , ſur cela on dit , Mare vidit
&fugit.
V.
Un Moine faiſant l'inventaire d'une
Bibliothèque , & rencontrant un livre
hébreu, mit ſur le Regiſtre. Item , un
1,
182 MERCURE DE FRANCE.
livre en langue étrangère , dont le com
mencement eſt à la fin .
1
TRAIT de Tendreſſe filiale.
Dans l'embraſement du Véſuve, Pline
le jeune étoit à Miſcène avec ſa famille.
Tous les habitans cherchoient leur ſalut
dans la fuite ; mais redoutant peu pour
lui-même le danger qui l'environne,Pline
eſt prêt à tout entreprendre pour ſauver
les jours d'une mère qui lui eſt plus
chère que la vie. Elle le conjure en vain
de fair d'un lieu où ſa perte eſt aſſurée ;
elle lui repréſente que ſon grand âge &
ſes infirmités ne lui permettent pas de le
ſuivre , & que le moindre retardement
les expoſe à périr tous deux ; ſes prières
font inutiles , & Pline préfère de moutir
avec ſa mère , plutôt que de l'abandonner
dans un péril auſſi preſſant ; il l'entraîne
malgré elle , & la force de ſe prêterà
ſon empreſſement ; elle céde à la tendrefſede
ſonfils, en ſe reprochant de retarder
ſa fuite. Déjà la cendre tombe ſur eux;
les vapeurs &la fumée dont l'air eſt obf
curci , font du jour la nuit la plus ſom
JUILLET. 1772. 183
bre : enſevelis dans les ténèbres , ils n'ont
pour guider leurs pas tremblans , que la
lueur du feu qui les menace , & des flammes
qui les environnent. On n'entend
que des gémiſſemens & des cris , que
l'obſcurité rend encore plus effrayans.
Mais cet horrible ſpectacle ne fauroit
ébranler la conſtance de Pline , ni l'obliger
à pourvoir à ſa ſûreté , tant que fa
mère est en danger. Il la conſole , il la foutient,
il la porte dans ſes bras; ſatendreſſe
excite fon courage , & le rend capable
des plus grands éfforts. Le Ciel récompenſa
une action ſi louable : il conſerva à
Pline une mère plus précieuſe pour lui ,
que la vie qu'il tenoit d'elle,&à la mère
un fils fi digne d'être aimée , & de ſervir
demodèle.
AVIS.
I.
Concernant les personnes noyées qui pa
roiſſfent mortes , & qui , ne l'étant pas
peuvent recevoir des fecours pour étre
rappelées à la vie.
Meficurs les Prévôt des Marchands , & Echevins
de la Ville de Paris , inſtruits des ſuccès
184 MERCURE DE FRANCE.
multipliés qu'ont eu différens moyens pratiqués
pour ſecourir les Perſonnes noyées que l'on a
retirées de l'eau , s'empreſſent de les indiquer à
leurs Concitoyens. Renouvellant , en tant que
de beſom , un premier Avis qu'ils avoient donnéà
ce ſujet en 1740, imprimé & diſtribué de
nouveau en 1759 , & récemment en 1769 .
Ils ſe contenteront aujourd'hui d'annoncer la
*conduite qu'on doit tenir , & les ſecours qu'on
peut employer en pareil cas.
Dès qu'une Perſonne noyée aura été retirée de
l'eau , il faut fur le champ , ſi ſon état annonce
qu'elle a beſoin d'un ſecours preſſant , lui donner
, même dans le Bateau dans lequel elle aura
été placée , ou ſur le bord de la Rivière , fi le
tems le permet , ceux qu'on pourra lui procurer
dans l'inſtant , & qu'on indiquera ci- après.
Pendant qu'on fera occupé à les lui adminiftrer,
quelqu'un ſe détachera pour aller avertir
au Corps - de - Garde le plus prochain , où l'on
trouvera toujours une Boîte , dans laquelle ſeront
réunies les chofes les plus néceſſaires.
On tranſportera enfuite , s'il eſt poſſible , la
Perſonne retirée de l'eau , ou dans le Corps-de-
Garde le plus prochain , ou dans l'endroit le plus
commode qu'on pourra ſe procurer , chez les parculiers
qui voudront bien s'en charger.
Le Sergent de chaque Corps-de-Garde ſera
obligé , à la première requifition , de faire porter
par unde ſes Soldats la Boîte qu'il aura en
dépôt, &de l'accompagner pour veiller à l'adminiſtration
des ſecours.
Lorſque , par leur efficacité, le Noyé aura été
zappelé àla vie , il ſera transféré chez lui , s'il
JUILLET. 1772. 185
a un domicile , & qu'on puiſſe en avoir connoif
fance , finon à l'Hôtel- Dieu .
Le Sergent , ou Soldat , ſera tenu de faire ſon
rapport qui contienne les noms , qualités & demeure
de la Perſonne retirée de l'eau , qui annonce
fi elle a été rappelée à la vie , & en quel
état elle s'eſt trouvée lorſquelle a été transférée
chez elle ou à l'Hôtel - Dieu.
Ce même Procès- verbal contiendra les noms
de celui qui aura averti le premier au Corps- de-
Garde , & de tous ceux qui auront concouru à la
retirer de l'eau , & à lui procurer les ſecours convenables,
Le Sergent ſera tenu de remettre , dans les
vingt-quatre heures , ledit rapport au Procureur
du Roi & de la Ville .
Détail des Secours , & de l'ordre dans lesquels ils
doivent être donnés.
Il faut fur le champ , dans le Bateau même , a
la Perſonne noyée y a été placée après qu'elle
aura été retirée de l'eau & que ſon état ſemble
exiger un ſecours preſſant , ou ſur le bord de la
Rivière , ſi la chaleur de la ſaiſon le permet , ou
dans le Corps-de-Garde , ou autre endroit proche
& commode , s'il eſt poſſible d'en trouver :
1. La déshabiller , la bien eſſuyer avec de la
Flanelle ou des Linges , & la tenir très - chaudement
, en l'enveloppant ſoit avec des Couvertures
, ſoit avec desVêtemens & ce qu'on pourra
ſe procurer ; ou la mettant devant un feu modéré
, ou dans un lit bien chaud , s'il eſt poſſible .
2º Onlui ſouffiera enſuite par le moyen d'une
186 MERCURE DE FRANCE .
Canule , de l'air chaud dans la bouche , en lui
ferrant les deux narines .
3º On lui introduira de la fumée de Tabac
dans le fondement , par le moyen d'une Machine
fumigatoire , qu'on trouvera dans tous les Corps.
de-Garde.
Si la perſonne retirée de l'eau paroiſſoit exigerun
preſſant ſecours , & qu'on ne fût pas à
portée d'avoir ſur le champ la Canule & la Machine
fumigatoire , on pourra , pour le moment
ſuppléer à la Canule pour introduire l'air par
labouche dans les poumons , en ſe ſervant d'un
Soufflet ou d'une Gaine de Couteau tronquée par
le petit bout.
On pourra également ſuppléer à la Machine
fumigatoire , en ſe ſervant de deux Pipes , dont
le tuyau de l'une ſera introduit avec précaution
dans le fondementde la Perſonne retirée de l'eau,
lesdeux fourneaux appuyés l'un ſur l'autre , &
quelqu'un ſoufflant la fumée du Tabac par le
tuyau de la ſeconde Pipe.
On peut auſſi employer avec ſuccès les Lavements
de Tabac & de Savon .
4° On ne négligera pas d'agiter le Corps de la
Perſonne en différens ſens ; en obfervant de ne
la pas laiſſer long- tems ſur le dos.
On réiterera ces premiers ſecours le plus ſouvent
qu'il ſera poſſible & fans violence.
5º On lui chatouillera le dedans du nez & de
la gorge , avec la barbe d'une plume ; on lui ſoufflera
dans le nez du Tabac ou de la Poudre ſternutatoire
, on lui préſentera ſous le né de l'efprit
volatil de Sel ammoniac.
6º On la frottera même un peu rudement par
tout le Corps , fur-tout le dos,les reins , la tête
JUILLET. 1772. 187
& les tempes , avec des Linges ou de la Flanelle
trempés dansde l'Eau-de-Vie camphrée , animée
avec l'eſprit de Sel ammoniac.
7° La Saignée , à la jugulaire fur- tout , peut
auſſi être très-utile, ſi on trouve promptement
un Homme de l'art , qui jugera ſi elle doit être
employée.
Si la perſonne retirée de l'eau donne quelques
ſignes de vie , & qu'on s'apperçoive que la refpiration
& la déglutition commence à ſe rétablir
, on lui donnera d'abord , peu à peu , unc
petite cuillerée d'eau tiéde .
Si elle paſſe , on lui donnera , ou quelques
grains d'émétique , ou , de demi-heure en demiheure
, une petite cuillerée d'Eau- de-Vie camphrée
, animée de Sel ammoniac , dont on trou
vera toujours des Bouteilles avec la Machine
fumigatoire , & autre ſecours dans le Corps-de-
Garde.
Onmettra en uſage tous les ſecours ci-deſſus
indiqués pour toutes les Perſonnes noyées , fans
avoir égard au tems qu'a duré leur fubmerfion ,
àmoins qu'il n'y eût des ſignes de mort certains
& évidens ; le viſage pourpre ou livide , la poitrine
élévée , & autres ſymptômes de la même
eſpèce , ne devant point empêcher de tenter les
ſecours indiqués .
On avertit au ſurplus, qu'il faut les employer
ſans relâche , & avec la plus grande perſévérance,
parce que ce n'eſt ſouvent qu'après les avoir
continués pendant trois ou quatre heures , &
même plus , qu'on a la ſatisfaction d'en voir le
ſuccès ſe développer par dégrés .
Pour exciter , s'il étoit néceflaire , à procurer
ces différens ſecours aux Noyés ;
188 MERCURE DE FRANCE.
Il ſera payé à l'avenir , à compter du jour de
la publication des Préſentes , pour chaque Perſonne
, qui étant noyée , aura été retirée de l'eau
& rappellée à la vie .
Sçavoir , à quiconque avertira le premier , au
Corps-de-Garde des Ports & Quais le plus prochain
, qu'il y a un Noyé , & indiquera le lieu où
il eſt , la ſomme de fix livres , ci 6
Aceux qui auront retiré de l'eau la Perſonne
noyée , auront aidé à l'adminiftration des ſecours
indiqués , le ſomine de vingt-quatre livres
ci 24
Au Sergent & aux Soldats du Corps - de-Garde
qui auront reçu l'avis d'une Perſonne noyée , ſe
feront tranſportés dans l'endroit où elle aura été
dépoſée , après avoir été retirée de l'eau , auront
veillé& coopéré à l'adminiſtration des ſecours ,
&du tout auront fait & remis leurProcès- verbal;
dix-huit livres , dont le tiers pour le Sergent ,
& les deux autres tiers à partager également
entre les quatre Soldats , ci 18
Tous les frais , extraordinaires & particuliers ,
qu'on ſeroit obligé de faire , feront de plus rembourſés
, lorſqu'ils auront été jugés néceſſaires,
& qu'ils auront été certifiés par Perſonnes connues
& non interreſſées .
Dans le cas où , malgré tous les ſecours &
moyens poſſibles , la Perſonne noyée ne pourroit
être rappellée à la vie , alors les récompenfes cideſſus
fixées ſeront réduites à moitié.
Le payement de ces différentes récompenſes
ne pourra être fait par le Préposé à la Recette
duDomaine de la Ville , que d'après les ordres
duBureau de la Ville , huitaine après le jour de
la remiſeduRapport; afin que ,pendant ce tems,
JUILLET. 1772. 189
le Procureur du Roi & de la Ville puiſſe s'informer
des faits & circonstances qu'il contiendra.
I 1 .
Pension.
M. Audet , Maître- ès-Arts en l'univerſité de
Paris , ci- devant Profeſſeur des belles lettres , au
Collége de Châlons fur Marne , & membre de
l'Académie de cette ville , a ſuccédé depuis peu
à celui qui tenoit la penſion à Pantin , banlieue
de Paris. Animé du déſir de prouver ſon zèle, pour
l'éducation de la jeuneſſe , & de mériter de plus en
plusl'eſtime& la confiance du public,il s'eſt fait un
devoir de raſſembler les maîtres les plus inſtruits ,
foit pour la langue Latine , la Géographie , l'Hiftoire
& la partie des études , ſoit pour former les
enfans à la lecture , à l'écriture & aux nombres .
L'ordre , la difcipline , les loix de la modeſtie &
de la propreté , enfin tout ce qui entre dans le
plan d'une bonne éducation , eſt exactement obſervé
dans cette école. La maison eſt ſituée dans
unendroit riant , ſalubre & favorable , & le prix
de la penſion eſt déterminé par l'eſpère déducation
que l'on veut donner aux jeunesgens .
Il tera procuré aux Penſionnaires qui le défireront
, un maître en fait d'armes , & un maître de
danſe.
Il faut s'adreſſer ſur le lieu , à M. Auder , luid
même , & à Paris , à M. Marye , Procureur au
Châteler , rue ſaint André des Arts .
III.
Pastilles dOrgeat, de Limonade , &c.
Rien de plus commode que d'avoir à la cam
190 MERCURE DE FRANCE.
pagne & en voyage de quoi ſe procurer une
boiffon fraiche & falutaire : c'eſt ce que le ſieur
Ravoité , rue des Lombards , au fidele Berger ,
offre au Public .
Il a perfectionné & débité avec ſuccès des
Paſtilles pour faire de l'orgeat , de la limonade ,
& auffi pour faire des bavaroiſes à l'eau & au
lait; une paſtille ſuffit pour une caraffe ou pour
un grand verre d'orgeat & de limonade. Elles
s'écralent & fondent facilement dans l'eau . On
peut les tranſporter dans les voyages de long
cours , ainſi que d'excellent firop de vinaigre
rafraichiſlant .
Il fabrique auſſi le véritable chocolat homogene,
ſtomachique & pectoral.
Cechocolat eſt un aliment de facile digeftion ,
capable de produire un fang de la meilleure
qualité. On peut le prendre de deux manières ,
ſoit en bonbons pour être fondu dans la bouche,
ou en tablettes pour être fondu dans l'eau , comme
on faitde tous les chocolats. Chaque tablette fait
une taſſe.
On y trouve également une confiture d'orange
de malthe , à demi ſucre & apéritive.
I V.
Manière de prévenir & guérir les maladies
des Gencives& des Dents , par M. Leroy
de la Faudignere , demeurant rue Saint
Honoré, vis-à- vis celle de l'Arbre-sec ,
au grand Balcon , à Paris .
Une Méthode ſimple , qui prévient les maladics
qui affectent les dents, qui, en les entretenant
JUILLET. 1772. 191
dans le meilleur état , fortifie les gencives & les
alvéoles , qui guérit les maladies dont ces diffé
rentes parties peuvent être attaquées , ſemble mériter
une protection particuliere du Chef de la
médecine , & l'accueil du Public.
Telle est la méthode de M. Leroy de la Faudignere
, qui , au moyen d'un Elixir , guérit tous
les maux dont les dents , les gencives & les alvéo
les des dents peuvent être attaquées , & prévient
le retour de ces mêmes maux , en confervant la
bouche dans un état de fraicheur & de proprété,
qui eſt le principe de la ſanté des parties qui la
meublent & l'embelliſent .
L'Elixir de M. Leroy diſſout le tartre qui corrode
les dents , détruit la ſertiſſure des gencives ,
par- là donne jour aux humeurs de vicier les
alvéoles & les dents à leurs racines. Il eſt déterfif ,
il nettoie toutes les parties des impuretés qui s'y
peuvent rencontrer; il déterge les petits ulcères
qui s'y forment&les cicatriſent: il eft incarnatif&
procure la régénération des gencives; & fortifie
leur ſertiſſure : enfin , il eſt aromatique & préſerve
les dents non affectées de la carie , détruit
la catie commencée dans les autres , & en empêche
le progrès ; il réſiſte aux impreſſions du
mauvais air , & rend l'haleine douce & agréable ,
lorſque la mauvaiſe odeur ne vient pas du vice
de l'eſtomac.
A cet Elixir il joint un Opiat d'un goût agréable
, dont l'une des principales propriétés eit de
blanchir les dents , bien nettoyées du tartre &&
des autres vices qui les affectent , & qui réunit
auſſi pluſieurs des propriétés de l'Elixir ci-deſſus.
M. Leroy de la Faudiguere donne un imprimé
où il détaille les bons effets de ces ſpécifiques ,
avec la manière de s'en ſervir ; il rapporte auli
192 MERCURE DE FRANCE.
un grand nombre de certificats non ſuſpects de
perſonnes de tous états , de princes & de gens
de qualité , qui ſe font un plaifir de rendre un
témoignage authentique à labonté de ſon Elixir
&de ſon Opiat.
M. Leroi continue avec ſuccès de vendrefon
Spécifique approuve auſſi pour la guérison des
maux de tête.
Le prix des bouteilles de l'Elixir eſt de fix liv.
& celui de l'Opiat , actuellement dans des boëtes
d'étain pour le conferver toujours frais , est de
3 liv.
Il fait une remiſe konnête , dès que la partie
excéde 600 liv. à ceux qui en envoient à l'Etranger
, ou qui en font proviſion pour les voyages
de long cours , afin de préſerver & guérir les
Marins des affections ſcorbutiques auxquels ils
ſontſiſujets.
Les Perſonnes qui écriront à M. Leroy , relativement
à ce ſujet , ſont priées d'affranchir les
lettres , ſans quoi elles reſteront ſans réponſe.
V.
Le Trésor de la Bouche.
Le ſieur Pierre Bocquillon, Marchand Gantier-
Parfumeur rue S. Antoine à la Providence , vis-àvis
la rue des Ballets à Paris , continue de débiter
par permiflion de M. le Lieutenant - Général de
Police , avec l'approbation de MM. de la Facultéde
Médecine de Paris , une liqueur que l'on
peutnommer le véritable tréſor de la bouche,dont
ilpoflédeſeul le ſecret. Cette liqueur ayant été
miſe en uſage dans toutes les Provinces & dans
Paris , est approuvée par quantité de certificats
authentiques
JUILLET. 1772. 193
authentiques qu'il a entre ſes mains; cette liqueur
a la vertu de guérir les maux de dents de telle
forte qu'ils foient , ôte toutes les corruptions qui
furviennent dans la bouche , raffermit les genci
ves , rend l'haleine douce & agréable Le prix des
bouteilles eſt de 10 liv, 5 liv . 3 liv. 24 f. Le Public
obſervera que pluſieurs perſonnes ont fait
des recherches ſans pouvoir trouver la compofition
: la ſeule & véritable ne ſe fait & ſe vend
que chez le ſieur Bocquillon qui en eſt l'auteur ,
il a la précaution de mettre ſur le cachet des bouteilles
& fur les étiquettes ſon nomde baptême &
de famille , ainſi que ſur les imprimés qui font
Agnés & paraphésde la main; il a ſon rableau fur
ſaporte afin que l'on ne puifle point ſe tromper
deboutique.
Il vend auſſi la véritable cau de Cologne à
30 l. labouteille.
VI.
L'ancienne & feule Manufacture d'encre
connue en France depuis près de 200
ansſous le nom de la petite Vertu , cidevant
rue des Arcis, est actuellement
établie rue du Mouton , vis à vis le S.-
Esprit , place de Grève , à Paris.
Le Sr Guror , Négociant , tenant cette Manufacture
, y compoſe &débite toutes fortes d'encres
liquides noires , indélébiles & incorruptibles ,
ſans dépôts , fleurs , ni champignons ; de l'encre
en poudre &de toutes couleurs,de l'encre liquide
I. Vol. 1
194 MERCURE DE FRANCE.
pour les plans & deſſins ; il tient auſſi des encres
de Chine en tablettes .
L'on débite toutes ces encres en tonneaux ,
barils & bouteils de toutes grandeurs ; les encres
de couleurs & ſympathiques , ſe débitent en bouteilles
de verre blanc , depuis 10 f. juſqu'à 6 liv.
ſuivant leurs qualités , couleurs & grandeurs des
bouteils ; l'encre en poudre eſt en paquets de
livre , demie- livre & quarteron ; la manière de
la convertir en liquide eſt prompte & facile : le
cachet de l'Auteur & le prix font imprimés ſur
chaque paquet ; elle ſe vend 4 liv. la livre ,
avec laquelle on fait 4 pintes d'encre meſure de
Paris.
Ces encres ſe débitent dans les différens Bureaux
de Paris, qui ont été annoncés; dans toutes
les principales Villes du Royaume & pays étrangers
, en bouteilles & paquets cachetés & étiquetés.
Les perſonnes qui voudront tenir un Bureau
de diſtribution de ces encres , ou en tirer pour les
Ifles ou pays étrangers , pourront écrire audit
Sr Guyot qui leur enverra les prix , deſquels ils
auront lieu d'être fatisfaits , & les conventions
qu'il tient avec tous ſes correſpondans.
La Manufacture d'encre du StGuyot eſt la ſeule
où l'on fabrique l'encre indélébile. Cette qualité
eſſentielle à l'encre pour la conſervation des archives
, titres & actes publics , a conſervé à cette
Manufacture la réputation dont elle jouit depuis
très- long-tems.
Le Sr Guyot fabrique auſſi toutes fortes de çire
d'Eſpagne & de Hollande,
t
:
JUILLET. 1772 . 195
VII .
Nouvelle cire propre à noircir lesfouliers ,
les bottes & tout autre ouvrage de cuir &
de maroquin.
Cette cire ne tache ni les mains , ni les bas ,
&eſt ſans odeur , elle entretient le cuir mou &
flexible , & donne un beau noir que l'on peut
rendre à ſon gré mat ou luiſant. La découverte
en a paru ſi heureuſe que S. M. Brit, en a récompenſé
l'inventeur par un privilége excluſif. Cette
cire ne ſe vend que 12 fols la tablette qui fait
une chopine de cire liquide. A Paris , chez le
Brun , Marchand Epicier , rue Dauphine , aux
Armes d'Angleterre , Magaſin de Provence & de
Montpellier , Hôtel de Moüy , ſeul chargé par
l'Auteur du débit de cette cire .
DE GRENOBLE.
Le Régiment de Toul du Corps Royal de l'Artillerie
, fit le 3 Mai dernier , la cérémonie de
réception de ſes vétérans : ils étoient au nombre
de 24 , de 33 reconnus , les 9 reſtans ſe trouvant
détachés en Corſe & à la Guadeloupe , où on
leur a adreſlé leurs plaques & leurs brevets.
Le Régiment ayant été mis en bataille ſur la
placeGrenette, les vétérans ſont arrivés au bruit
du canon , & d'une muſique guerriere analogue à
la cérémonie. Ils ont formé un rang au centre ,
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
i
& en avant du Régiment , où on avoit placé les
drapeaux ; il étoit naturel que l'Artillerie ſe fit
entendre en faveur de ces braves militaires , qui
en on fait en tant d'occaſions , un fi bon uſage
contre les ennemis de l'Etat.
Après la lecture de l'Ordonnance du Roi , qui
établit les avantages , & les prerogatives attachés
à la vétérance , le Sieur Montbeillard , l'un des
chefs de brigade du Régiment , fit le difcours
ſuivant.
CC Les vertus guerrieres , futent dans tous les
22 temps , & chez toutes les nations , l'objet de
>> la vénération publique. En effet Meſſieurs , les
>> talens , les arts , les ſciences , s'acquièrent &
>> ſe perfectionnent par l'éducation , mais la
>> valeur , le courage , ſont des dons de la nature.
On s'efforceroit envain de les faire naître & de
les développer dans des ames froides & étroi-
>> tes , elles étoufferoient plutôt les germes qu'el-
>> les ne les féconderoient .
>> Vous êtes donc nés braves , Meffieurs , vos
>> actions l'ont prouvé , & votre conduite fou.
>> tenue , a mis le ſceau à votre réputation. Qu'il
> me feroit doux de rappeller ici les occaſions
>> où vous avez donné des preuves ſi éclatantes
>> de votre bravoure , de votre attachement à
>>>votre patric , de votre zèle pour le ſervice , &
> la gloire du meilleur des Rois ! Mais ces détails
כ ſeroient trop longs , c'eſt à l'hiſtoire à confi-
>> gner vos actions dans ſes faftes : c'eſt aux
>> généraux François de tous les ordres , de tous
>> les corps , à publier ce qu'a fait l'Artillerie en-
>> tre vos mains, & ce qu'elle eft capable de faire.
>> C'eſt , nous oſons le dire , aux ennemis de la
>> France , à convenir de la ſupériorité què l'Artillerie
de Louis eut ſur la leur.
i
JUILLET. 1772. 197
>>> Nous aimons à nous flatter de vous avoir
>> montré le chemin de la gloire , de vous avoir
* accompagné dans celui de l'honneur , nous
>>>avons partagé vos peines , & vos travaux ,
>> nous vous connoiſſions , mais ce n'étoit pas
>> allez & il manquoit à notre ſatisfaction ,
>> de vous voir partager avec nous , une décora-
>> tion militaire , ſeule recompenſe digne d'un
>> guerrier qui vous attirat , & fixat ſur vous , les
>>>regards de la nation , que vous avez ſi bien
ſervie.
ככ
לכ
ככ
ככ
בכ
ככ
ככ
2
Ce jour heureux eſt arrivé , un miniſtre qui
réunit toutes les qualités militaires , tous les
>> talens , tous les dons , toutes les vues , qui
peuvent donner un nouvel éclat au règne de
LOUIS XV , vous fait obtenir aujourd'hui
de Sa Majesté , une récompenſe audi brillante
que juſte de vos ſervices. Souvenez - vous , en
> voyant ces épéesqui vous ont été placées ſur vo-
>> tre coeur, que vous êtes dépoſitaires des armes les
plus redoutables que le Roi pût confier àvotre
valeur ; rappellez- vous en voyant vos dra-
>> peaux , qu'ils furent chargés de Fleurs de Lys ,
>> pour perpétuer la mémoire d'une action hé-
>> roïque de vos Prédéceſſeurs : rappellez- vous la
>> quantité debatailles aux ſuccès deſquelles l'Ar-
>> tillerie a ſi puiſſamment contribué : rappellez-
>> vous combien de boullevards ſe ſont écroulés
>>>ſous ſes coups ; rappellez-vous enfin toutes les
בכ
ככ actions où le Corps Royal , s'eſt acquis une
>> gloire immortelle: quels coeurs à ce ſouvenir
>> ne ſeroient pas émus , agités , tranſportés ?
>> Vous formez aujourd'hui de nouveaux liens,
>> vous contractez de nouveaux engagemens ,
>> en recevant de nouveaux honneurs & de nou-
>> velles marques de distinction. Ces marques
I iij
198 MERCURE DE FRANCE .
- honorables , de la fatisfaction , de la bienfai-
ככ fance&de la bonté du Roi que vous ſervez ,
>> exigent de vous , de nouvelles preuves de
>> zêle , de nouveaux travaux , une nouvelle
>>>ardeur ; venez donc renouveller le ferment de
>> lui être fidèles , ainſi qu'à la patrie , & à l'hon-
> neur d'un Corps qui fait votre gloire , comme
>> vous contribuez à maintenir la réputation:
-ces fermens ne vous coûteront rien , puiſque
- l'honneur même lesgrava au fond de vos ames,
» & qu'ils ne font que l'expreſſion des ſentimens
> qui vous ont animés juſqu'à ce jour. Venez
>> done recevoir le prix de vos vertus & de vos
>> ſervices , & vous , braves camarades , qui
>> brûlez du déſir de jouir des mêmes avantages ,
>> & d'être aſſociés aux mêmes honneurs , calmez
>> votre ardeur impatiente ; le temps viendra ;
>> méritez par votre conduite & vos ſervices ,
>> mais fouvenez-vous que la plus petite tache
>> vous en exclûroit : la route eſt tracée , ſuivez-
20 la. 2
Lediscours achevé , il y a eu de grandes acclamations
par l'afluence des auditeurs , de vive le
Roi, repetés pluſieurs fois , & les vétérans ont
prêté ſerment ſur leurs drapeaux. On voyoit
briller dans les yeux de ces braves ſoldats , la
joie la plus vive , la fatisfaction la plus complete,
de l'honneur qu'ils recevoient , &le défir le plus
ardent de trouver de nouvelles occaſions de ſignaler
leur courage & leur zéle pour le fervice de
Sa Majeſté. Tous les autres ſoldats de ce Régiment
, montroient affez par leur contenance , &
leur joie , l'impatience qu'ils avoient de jouir des
mêmes honneurs .
Le Marquisde Puſignieux , Lieutenant général
des Armées du Roi , Commandant en DauJUILLET.
1772. 199
phiné, pendant l'abſence du Comte de Tonnerre,
a reçu le plus ancien des vétérans , & lui a attaché
la plaque. Le Sieur de Clinchamp , Colonel Brigadier
des Armées du Roi , commandant l'Artillerie
, & le Sieur de Malaviller , Colonel du Régiment
de Toul , auſſi Brigadier des Armées du
Roi , ont reçu les autres au bruit du canon & des
fanfares .
La réception finie , le Régiment a défilé devant
le Marquis & la Marquise de Puſignieux , Meldames
les Marquiſes de Montferra & de Montauban ,
la Tour dupin , ( nièces de M. le marquis de Monteynard,
(Meldames deClinchamp , de Malaviller
&grand nombre d'autres Dames , qui ont bien
voulu honorer & embellir cette Fête de leur
préſence , le Marquis de Marcicu , Gouverneur
de la Citadelle , également , & tous les Officiers
de la place&de la garniſon .
Après la Meſle qui a été célébrée dans l'Egliſe
des Jacobins , avec beaucoup de pompe & une
muſique militaire , convenable à la cérémonie ,
& où les vétérans occupoient une place qu'on
avoit marquée pour eux ; on s'eſt rendu dans une
grande falle , où le Sieur de Clinchamp , commandant
l'Artillerie , a donné un diné , aufli
élégant , qu'abondant. Il avoit fait préparer à cet
effet , une table de 80 couverts , où les vétérans
ſe ſont placés , entremêlés des Officiers de l'Etatmajor
de la place , &de preſque tous ceux du
Corps Royal. Les ſervices ſe ſont ſuccédés à ce
répas , avec autant d'ordre que de bon goût ; la
gaité animoit tous les convives , & fur-tout les
vétérans ; mais ils ont été tranſportés de plaiſir ,
en voyant arriver pendant le diné , les mêmes
Dames qui avoient bien voulu aſſiſter le matin à la
cérémonie de leur réception. Meſdames de Pufi-
Liv
200 MERCURE DE FRANCE.
1
gnieux , de Montferra & de Montauban , leut
ont porté la ſanté du Roi , & leur ont fait l'honneur
de boire à la leur: on peut bien juger que
ces braves guerriers ne ſont pas demeurés en reſte .
La Danſe a ſuccédé au diné , & cette Fête militaire
αέτε terminée par ungrand ſoupé que leMarquis
dePuſignieux , a donné à nombre d'Officiersdela
garnifon.
DISCOURS prononcépar M. le Curé de
Neufchâtel , en Bray , à la bénédiction
des Drapeaux du Régimentde Pont-Audemer
, en présence de M. le Comte de
Céli Colonel , le 21 Mai 1772 .
Meffieurs; les voici donc ces ſignes auguſtes
qui doivent vous conduire au chemin de l'honneur!
Des bras deſtinés à porter la terreur dans
les rangs ennemis , implorent aujourd'hui dans
le ſanctuaire de paix la force du très-haut ; &
convaincus qu'il n'appartient qu'au Dieu des
armées de couronner la valeur , vous venez aux
pieds des autels mériter vos ſuccès.
Dignes ſoutiens de l'Etat qui vous vit naître ,
c'eſt àvous à juſtifier le choix du Prince qui vous
honore. Soyez toujours les plus fermes reinparts
de ſon trône.
Et vous , endurcis dès vos plus tendres ans aux
plus pénibles travaux , vous préludiez , fans le
ſavoir , au jour de gloire où vous fûtes enrôlés
ſous de nouveaux étendarts. Un ſage Miniftre a
penſéqu'une terre mille fois arrotée de vos ſueurs,
devoit vous être chère ; & que les meilleurs défen
JUILLET. 201
1772 .
ſeurs de la Nation ſont ceux qui la nourriſſent
Semblables , en cela , aux enfans d'Ifraël , le glaive
dans une main , vous menacerez les ennemis de
la Patrie, tandis que de l'autre vous y raménerez
l'abondance .
La voix du Souverain s'eſt fait entendre : auffitôt
, vous quittez vos paiſibles retraites : juſqu'alors
, laborieux cultivateurs , vous étiez d'utiles ,
mais obſcurs citoyens , déſormais le devoir , le
ſentiment, de grands exemples , vont voustransformer
en des guerriers intrépides. Puiſſiez- vous
toujours être chrétiens !
Ces réflexions, ſouvent le tumulte des armées
les étouffe. Le Monarque eſt ſervi avec une ſcupuleuſe
fidélité; & celui qui décide à ton gré ,
du fortdes Rois & de leurs Empires , eſt matheureuſement
oublié.Quelquefois une licence effrénée
répand un ſouffle impur ſur des moeurs juſqu'alors,
fans tache ; & des coeurs , où règnoient la candeur
& l'innocence , profeſſent ouvertement l'impiété :
comme ſi , pour avoir été fidèle à Céſar , on pouvoit
ſe diſpenſer de l'être à ſon Dieu.
Voulez - vous être ſoldats ſans foiblefles a
Soyez chrétiens ſans reproches ; la vraie valeur &
la religion , ſont deux vertus inféparables. Celui
qui combat pour ſon Prince , ſous l'oeil de ſon
Dieu , eſt comme invincible ; plus de dangers qui
l'effrayent , plus de frayeur qui l'emporte.
Nous avons vû , iln'y a pas encore quatre luftres
, au ſein de la capitale de cette province ,
l'élitedes troupes de la Nation tirée preſque toute
de ces corps que vous remplacez avec plus de
distinction , édifier les anges , même dans vos
Temples; & peu de tems après , à la tête de nos
armées, faire trembler nos ennemis. Triſte viciffitudedeschoſes
humaines ! Ils ne ſont plus .....
202 MERCURE DE FRANCE.
1
Jugez de la trempe de ces hommes par le chefqui
vous commande. Si nous ſommes forcés d'avouer
, que les belles qualités qui brillent en
lui avec tant d'éclat , font les prérogatives de ſa
naillance , au moins nous ne diſſimulerons pas
que de grands exemples étoient bien propres à les
développer.
Grenadiers! Voulez-vous des modèles plus à
votre portée ? Jettez les yeux ſur vos amis , vos
parens , vos fères peut- être rappelez- vous la
triſtejournée de Minden ; la victoire avoit abandonné
vos légions ; les reſtes précieux d'un corps
détruitpar le canon , ſoutiennent ſeuls les efforts
des ennemis; ils diſputent pied à pied le terrein ;
leurs rangs ss''éécclairciſſent ſans abbattre leur courage;
& ils ne penſent à la retraite que lorſqu'ils
n'ont plus à craindre pour les débris de notre
armée.
Voilà, chers compatriotes, des exemples récens.
Voilà des événemens qui ſe ſont paflés preſque
ſous vos yeux ; voilà des exemples que je vous
propoſerois , fi vous ne faviez pas qu'un Normand
eft fait pour être lui-même un modèle.
Songez ſouvent au titre glorieux qui vous décore.
Rappelez-vous fans ceſle, que la fortune , l'état ,
la vie même des citoyens , font autant de dépôts
ſacrés qui vous ſont confiés ; ſoldats de la Province
, votre ſang doit ſe conſerver & ne ſe
répandre que pour elle. Si jamais , ce qu'à Dieu
ne plaiſe , vous oſez le verſer ſans ſon aveu ,
ſachez que c'eſt un vol que vous lui faites. La
valeur a ſes règles : ſans elles , ce n'eſt plus
qu'une aveugle férocité. Marchez fur les traces de
vos chefs. Detout tems notre Nobleſſe fut en pofſeſſionde
donner des exemples de bravoure , &
pos foldats de les imiter.
JUILLET. 1772. 203
Grand Dieu ! Couvrez de vos aîles cette précieuſe
portion de l'état ; l'amour de la Patrie ſoutiendra
leurs travaux , préparez leur une couronne
immortelle.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Copenhague , le 4 Juin 1772 .
LE Lieutenant- Colonel de Heſſelsberg eſt parti
pour ſe mettre à la tête du bataillon de Milice de
Sleswic , dont le commandement lui a été confié..
On n'a encore rien appris du ſort des trois priſonniers
d'Etat qui reſtent à juger ; la Commiſſion
établie à ce ſujet a été aſſemblée ce matin . On doit
faire de grands changemens dans le nombre & la
police des troupes du Roi. Le Maréchal Comte
de Saint-Germain , qui jouiſſoit d'une penſion de
8000 écus , a obtenu ,dit-on , unegratification de
70 , 000 écus , une fois payée , pour lui tenir lieu
de ſa penſion , avec permiffion de ſe retirer & de
s'établir où bon lui ſemblera .
:
De Hambourg , les Juin 1772 .
On vient d'apprendre que la Reine Caroline-
Mathilde de Danemarck eſt heureuſement arrivée
à Stade , ce matin ; Elle y a été reçue avec les
mêmes honneurs qu'on auroit pu rendre à la Reine
d'Angleterre.
De Francfort , le 1 * Juin 1772 .
Les opérations de la Viſite de la Chambre Impériale
ſont ſuspendues , depuis quelque tems ,
paruneconteſtation ſurvenue entre le ſieur Falke ,
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Subdélégué de Bremen , & la Commiſſion Principale.
Le Commiſſaire Impérial & le Subdélégué
Directorial ont rompu les conférences & ſe ſont
retirés en cette Ville , en attendant que le différend
, qui a fait diſloudre l'aſſemblée , ſoit terminé.
Il eſt queſtion d'augmenter le nombre des Affeffeurs
de ce Tribunal ſuprême , qui eſt aujourd'hui
moindre de deux tiers que celui que les lois & le
Traité de Westphalie ont établi , & qui , dans
l'état où il eſt , ne peut ſuffire à la quantité d'affaires
qu'on porte à ſa connoiflance.
DeBerlin , le 9 Juin 1772.
Les troupes qui formoient le camp établi à
Marienwerder ont été paflées en revue , le 6 & le 8
de ce mois , par Sa Maj ſté qu'on attend a Potsdam
le 11. Le Prince de Pruſſe a dû quitter le Roi , le
8 , pour aller faire une tournée de huit ou dix
jours en Pruffe . C'eſt la premiere fois que ce Prince
voyage dans cette Province où il eſt attendu avec
empreſſement.
Suivant les nouvelles des frontieres de la Siléfie
Autrichienne , la Généralité a reçu ordre de la
cour de Vienne de lui livrer les forterefles de Bobreck
, Tinieck & Landskron , occupées par les
Conféd rés & de ſe retirer en Hongrie ou en
Moravie. Le ſieur Zaremba , Maréchal Général
de la Confédération , eſt actuellement à Warsovie
où il dott inceſſamment être présenté au Roi. Le
fieur Pulawski offre , dit- on , d'abandonner également
la Confédération & pluſieurs autres chefs
ont pris le même parti .
De Vienne, le 6Juin 1772 .
Suivant les nouvelles de la frontiere , les troupes
Autrichiennes ſont actuellement établies dans
JUILLET. 1772. 205
pluſieurs places de la Pologne. Il doit partir inceflammentd'ici
cinq Ingénieurs pour aller tracer
les limires des nouvelles poſleſſions que la cour de
Vienne va obtenir dans ce Royaume , où elle réclame
pluſieurs territoires qui dépendoient autrefoisde
la Hongrie.
De la Haye , le 9 Juin 1772 .
Les lettres queles correſpondances de commerce
multiplient dans ces Provinces , prouvent une vérité
qu'on ne ſçauroit trop publier. Cette vérité
eſt que les diſettes reffenties en divers endroits
viennent moins de la ſtérilité de la terre ou de la
multitudedes consommateurs , dans quelqu'année
que ce ſoit , que du défaut de concert entre les
Nations policées , pour la circulation des produits
de l'Agriculture. Les alarmes conçues , les années
dernieres , ont engagé les Hollandois & d'autres
peuples navigateurs à fouiller , pour ainſi dire ,
tous les coins de l'Europe où il pourroit encore
refter des grains . Il s'en est trouvé , ſoit dans les
Provinces qui peuvent atteindre les ports de la
mer Baltique , ſoit dans d'autres contrées plus
feptentrionales , une ſi grande quantité , que le
prix en eſt baiflé par-tout.
De Londres, le 10 Juin 1772 .
Le fameux procès entre l'AldermanTownshend
&le ſieur Hunt , Collecteur de la taxe des terres ,
a été jugé , le 9 de ce mois , par le Tribunal du
Banc du Roi. On ſe rappelle que cet Alderman
avoit refuſé de payer la taxe des terres , enqualité
d'Electeur du Comté de Middlesex, fon Avocat
fit valoir tous les titres : il prétendit que ce
Comté n'étoit pas légalement repréſenté par le
206 MERCURE DE FRANCE .
colonel Luttrell & offrit de prouver que le ſieur
Wilkes en étoit le ſeul Repréſentant légal. L'Avocar
du ſieur Hunt oppoſa différentes raiſons aux
moyens du ſieur Townshend ; enfin la queſtion
fut portée au Juré , en la forme ordinaire , & la
déciſion fut en faveur du ſieur Hunt ; ainſi le ſieur
Townshend a perdu ſa cauſe , & la légalité de
l'expulfion du ſieurWilkes , ainſi que l'élection de
fon compétiteur , ſe trouve encore confirmée par
lejugement du premier Tribunal de la Nation.
D'Alicante , le 30 Mai 1772 .
On prétend qu'on va faire une refonte générale
des monnoies & qu'on ne frappera plus à l'avenir
quedes pièces d'or & d'argent au cordon & dans
des proportions égales , de valeurs relatives à
chacune d'elles . Cette uniformité , en prévenant
les abus qui ſe commettent ſur les eſpèces brutes
venantdes Indes , aura l'avantage de facilicer la
circulation ; elle ſimplifiera les comptes , en écar.
tant l'embarras & la confuſion'que la différence
des poids reſpectifs occaſionne dans le commerce.
De Cadix , le 29 Mai 1772.
Il eſt arrivé , ce matin , un courier extraordinaire
expédié par les Etats Généraux au Conſul
deHollande réſidant ici , pour lui annoncer que la
trève entre l'Empereur de Maroc & leurs Hautes-
Puiſſances devant expirer , le 27 du mois prochain ,
cinq frégates de guerre qu'on arme en Hollande
pour protéger le commerce de la République , leront
rendues ſur les côtesdu Prince Barbareſque ,
avant l'expiration de ce terme.
De Palme , dans l'IsleMayorque , le 10 Mai
1772 .
On écrit de Mahon qu'il y eſt arrivé un navire
JUILLET . 1772 . 207
de l'eſcadrede l'amiral Spiritow , chargé de munitions
de guerre qui feront confignées dans les
magaſin de cette place. Le capitaine a annoncé
comme certaine la ſignature des Préliminaires de
paix entre la Ruſſie & la Porte ; il croit que toute
l'eſcadre de l'amiral Spiritow viendra ici pour te
radouber.
De Génes , le 8 Juin 1772 .
Le Doge actuel , de concert avec les Nobles
Nicolas Cambiaſo , ſon frere , & Jean- Baptiste ,
Charles-Ignace & Michel-Ange Cambiafo , ſes
couſins , vient d'offrir de faire conſtruire , à les
frais , un grand chemin qui s'étendra depuis cette
capitale juſqu'à Campo Marone. Le but de cetse
entrepriſe eſt de favorifer , au moyen d'une libre
communication , le commerce de Gênes avec la
Lombardie. Pour rendre cette route d'une plus
grande utilité , Sa Sérénité ſe propoſe de faire élever
pluſieurs ponts ſur le torrent appellé laPolcevera
, de leborder de quais & de faire conſtruire
auſſi un pont ſur la riviere de Lemno , près Gravi .
LesColleges ont accepté ces offres généreuſes , &
ils ont déclaré le chemin propoſé , opus publicum.
Ils ont donné à la famille Cambiaſo les pouvoirs
néceſſaires pour la facilité de l'exécution. Enfin
dans la vue de perpétuer la mémoire de cet acte
patriotique du Doge , ils ont arrêté de lui ériger
une ſtatue de marbre , qui ſera placée dans la ſalle
duGrand Confeil.
De Rome , le 3 Juin 1772 .
Il y a maintenant ici une jeune Allemande ,
d'une taille giganteſque , qui vient d'abjurer le
Lutheraniſme & qui a embraſlé la Religion Catholique.
Elle eſt âgée de dix-neuf ans.
Sa Sainteté , voulant faire jouir les étrangers
203 MERCURE DE FRANCE.
de la vue de ſon nouveau Museum , a ordonné
à l'abbé Viſconti & au fieur Sibille , qui en font
les Surintendans , de mettre promptement ce cabinet
en état d'être expoſé aux yeux du public .
NOMINATION S.
Sa Majesté a nommé la Comtefle de Bourdeilles
Dame pour accompagner Madame , à la place
de Feue la Vicomteile de Bourdeilles. Elle a eu
l'honneur de faire ſes remercimens au Roi , à
qui elle a été préſentée en cette qualité , par
Madame , le 21 Mai .
L'Abbé de Veri ayant donné , avec l'agrément
du Roi , ſa démiſſion dela place d'Auditeur de Rote,
Sa Majesté y a nommé l'Abbé de Baïanne , Vicaire
Général de l'Evêché de Coutances .
Le Marquis de Loménie , Mestre de-Camp de
Cavalerie vient d'être nommé Enſeigne des
Gardes du Corps de Sa Majeſte , Compagnie de
Beauvau , ſur la retraite du ſieur de Durat.
Le Roi a nommé à l'Evêché de Marianna &
Accia , en Corſe , le ſieur Stephanini , Evêque de
Sagone.
PRÉSENTATIONS ,
Le 26 Mai , le Comte de Souza , Ambaſladeur
de Portugal , eut une audience particulière du
Roi à qui il remit ſes lettres de créance. Il fut
conduit à cette audience , ainſi qu'a celle de la
Famille Royale , par le ſieur la Live de la Briche,
Introducteur des Ambaſladeurs .
Le 28 Mai , la Comtefle de Bourſonne a été
préſentée au Roi , ainſi qu'a la Famille Royale ,
parla Comteſſe de Ligny.
Le Baron de Goltz , Miniſtre plénipotentiaire
du Roi de Pruſſe , qui étoit allé paner quelque
JUILLET. و 1772. 20
tems à Berlin , eſt arrivé dans les derniers jours
de Mai; il a été préſenté à Sa Majesté le 2 Juin.
L'Abbé de Baïanne , nommé Auditeur de Rote
à la place de l'Abbé de Veri , a eu l'honneur dans
les premiers jours de Juin , de faire les remercimens
au Roi , à qui il a été préſenté par le Duc
d'Aiguillon , Ministre & Sécretaire d'Etat, ayant
ledépartement des affaires Etrangeres .
LaMarquiſe de Pracomtal a eu l'honneur d'être
préſentée le 7 Juin au Roi & à la Famille Royale,
par la Comtefle de Pracomial.
Le Baron de Witorff, Miniſtre Plenipotentiaire
du Landgrave de Heſle- Caffel , eut le 9 Juin une
audience particulière du Roi dont il prit congé.
Il fut conduit à cette audience , ainſi qu'a celle
de la Famille Royale , par le Sieur la Live de la
Briche.
Le 14 Juin , l'Aſſemblée Générale du Clergé
de France ſe rendit ici , & eut du Roi une audience
à laquelle elle fut conduite par le Marquis de
Dreux , Grand - Maître des cérémonies. Le Duc
de la Vrilliere , Miniſtre & Sécretaire d'Etat ,
chargé des affaires du Clergé , préſenta à Sa Majeſté
les Députés des Provinces du premier &
ſecond ordre ; l'Archevêque de Toulouſe porta la
parole: enfuite l'Aflemblée fut conduite à l'audience
de Monſeigneur le Dauphin , & de Madame
la Dauphine.
MARIAGES.
Le Roi , ainſi que la Famille Royale , ont figné
e22Ma ile contrat de mariage du ſieur deCaſſini,
de l'Académie Royale des Sciences ,& Gouverneur
de l'Obſervatoire en ſurvivance avec Demoiſelle
de Pimodan .
د
Le Roi & la Famille Royale ont ſigné le 28 Mai
210 MERCURE DE FRANCE.
lecontrat de Mariage du Comte d'Aunay,Cornette
de la premiere Compagnie des Mouſquetaires de
la Garde ordinaire du Roi avec Demoiselle de
Puiſegur.
Le Duc de Mortemart a épousé le 11 Juin ,
Demoiselle de Harcourt de Lillebonne , dans la
Paroifle de Harcourt , en Baſſe - Normandie
l'Evêque de Bayeux a donné la Bénédiction Nuptiale.
Marie-Anne de Montholon , veuve de Joſeph
deNagu , Marquis deVarennes , capitaine- colonel
des Cent - Suifles de la garde de la Reine ſeconde
Douairiere d'Eſpagne , eſt morte à Paris le 1 Juin,
dans la quatre- vingt- deuxième année de ſon âge.
Le 2 Juin , Alexandre Comte de la More-Baracè
, Chevalier de l'ordre royal & militaire de S.
Louis , Capitaine des Vaiſſeaux du Roi , a épousé
Marie-Melanie d'Eſcajeul , fille de Jean Marie
Marquis d'Eſcajeul , Chevalier de l'ordre royal
&& militaire de S. Louis , ancien Capitaine de
Dragons au régiment de la Reine. La BénédictionNuptiale
leur a été donnée dans la Chapelle
du Château de la Motte près Saumure en Anjou.
Le Comte de la Motte-Baracé eſt d'une des
Familles des plus nobles de l'Anjou & des plus
anciennes ; Guillaume de la Motte l'un de ſes
auteurs eſt qualifié Chevalier dès l'an 1244 , dans
l'obituaire du Monastère de la Primaudière , ordre
de Grammont , dans cette Province d'Anjou : les
preuves faites à Malthe tant pour celui qui donne
lieu à cet article, quepour ſon frere,dit le Chevalier
de Bournan , auſſi dans la Marine , ainſi que
l'hiſtoire manuſctite de Chinon , par M. de la
Sauvagere, qui eſt prête a être publiée, ſont entrés
dans toutes les recherches généalogiques par titres
autentiques des alliances de cette Branche , établie
depuis environ 46 ans , dans les environs de Chi
JUILLET. 1772. ΣΙΙ
non enTourainne , ou Philippe - Claude - René
Comte de la Motte - Baracé Pere , mort le 22
Juillet 1768 , Chevalier de l'ordre royal & militaire
de S. Louis , & Lieutenant - Colonel de
Cavalerie an Régiment de Crufſol , herita par
ſucceſſion collatérale du Château de Coudray-
Montpenfier , l'un des plus conſidérables de ce
canton, qui a appartenu autrefois à Louis I,du nom
Comte d'Anjou , Roi de Sicile. Quant à la mère
du Comte de la Motte- Baracé , elle fe nomme
Catherine - Modeſte de Guillot de la Bardouilliere
, d'une famille noble d'Anjou.
Mademoiselle d'Eſcajeul , a pour mère Jeanne-
Jacquine Victoire- Sophie- Melanie de la Foucherie
d'une famille noble d'Anjou ,& elle a pour
ayeul paternel M. d'Eſcajeul , Lieutenant-Général
des Armées du Roi , cordon rouge , Lieutenant
des Gardes-du-corps , mort à Fontainebleau en
1755, d'une nobleſſe ancienne, originaire du baillage
de Caen , c'est-à- dire où elle floriſſoit dès
l'an 1256. Le père de la demoiſelle d'Eſcajeul est
lepremier qui ſe ſoit établi en Anjou.
NAISSANCE S.
On mande de Poitiers que la femme du nommé
Berthouint , boulanger de la Ville de S. Maixent,
vient d'accousher pour la vingt- ſeptième fois.
Elle n'a que quarante ans.
On a appris de Naples que la Reine des deux
Siciles y est heureuſement accouchée d'une Princefle
, le 6 de Juin.
MORTS.
Alexandre de Pont , Chevalier de l'ordre royal
&militaire de S. Louis , ancien commandant du
212 MERCURE DE FRANCE.
bataillon de S. Maixent , eſt mort en ſon château
en Poitou , âgé de ſoixante- ſeize ans.
Maurice-Alexandre François Comte de Billy ,
colonel d'infanterie , chevalier de l'ordre royal &
militaire de S. Louis , eſt mort à Paris , dans la
quatre- vingt- cinquième année de ſon âge.
Charles-Nicolas de Monliard , Comte de Rumont
, ancien capitaine au régiment royal carabinier
, chevalier de l'Ordre royal & militaire de
S. Louis , eſt mort à Nemours , dans la quatrevingt-
deuxième année de ſon âge. Il avoit été
premier page de Louis XIV, & il a eu l'honneur
de fervir Sa Majesté en la même qualité .
L'Abbé de la Bletterie , Penſionnaire de l'académie
royale des inſcriptions & belles - lettres ,
profefleur d'éloquence au college royal , eſt mort
à Paris le 1 Juin . dans la ſoixante - dix- ſeptiéme
année de ſon âge .
Alexis Symmaque Mazochi , chanoine de l'égliſe
métropolitaine de Naples , aſſocié libre
étranger de l'académie royale des inſcriptions &
belles lettres , eſt mort à Naples , le 12 Septembre
1771 , dans la quatre- vingt ſeptième année
de ſon âge.
Marie-Jeanne Bouté , veuve d'Antoine Tabar,
eſt morte àSt Omer , dans la cent deuxieme année
de ſon âge
Le Comte d'Albon , Prince d'Yvetor , Marquis
de S. Marcel , grand croix de l'Ordre de S. Lazare,
vient de mourir à Roanne , dans la quatre- vingtcinquiéme
année de ſon âge.
Le 2 Mai , ileſt mort au village de Dlauhy , dan s
la Moravic , une femme âgée de cent dix- huit
ans. Elle avoit été mariée fix fois , & avoit eu
de chacun de ſes maris quatre enfans qui vivent
tous.
Anne-Charlotte de Crufſol , Duchefle Douai
JUILLET.
1772 . 213
rière d'Aiguillon , eſt morte à Ruel , le 15 Juin ,
à l'âge de foixante- douze ans , & elle a été inhumée
le lendemain dans l'Egliſe de la Sorbonne.
Le Vicomte de S. Martin , commandant du
château de Pau , Alcade d'Arberoue , en Navarre,
eſt mort dans ſes terres en Béarn , le 31 Mai ,
âgé de quatre-vingt-dix- sept ans.
Frère N. d'Argens , brigadier des armées du
Roi , chevalier commandeur de l'Ordre de Malthe
, ancien Lieutenant colonel du régiment
Royal- Vandeaux , commandant des ville , châ
teau & citadelle de Breft, y eſt mort le 30 Mai.
11 n'étoit que chevalier profés , & c'eſt la veille
de la mort qu'il a été pourvu d'une Cominanderie.
Marie- Anne Sicaud , eſt morte à Chartres , le
31 Mai , agée de cent- trois ans .
Marie Matcarf , eſt morte près de Bacwork ,
dans la Province de Northuniberland , âgée de
cent-huit ans .
On aprend par une lettre de Petersbourg , que
le ſieur Chretien Warger , hollandois de nation ,
vient d'y mourir dans la cent - troifiéme année de
ſon âge.
François-Alexandre de Creſtot , Baron de Creftot
, ancien Ecuyer de main du Roi , ett mort le
II Juin , en ſon château de St Aubin , dans la
quatre vingt ſeptième année de ſon âge .
On mande de St Petersbourg que François-
Antoine- Maximilien de Collot , Baron de Cloſel,
ci devant colonel au ſervice du Roi de Danemarck,
& qui étoit paflé à celui de l'Impératrice de
Rushe , eſt mort vers la fin du mois de Février
dernier , à l'armée de Crimée , âgé de quarante
ans.
214 MERCURE DE FRANCE.
a
LOTERIES.
Le cent trente - ſeptiéme tirage de la Loterie de
l'Hôtel de- Ville s'eſt fait le 25 Mai, en la manière
accoutumée. Le lot de cinquante mille livres eſt
échu au numéro 96677 ; celui de vingt mil liv.
au numéro 87961 , & les deux de dix mille aux
numéros 82509 & 91667.
Le tirage de la loterie de l'ecole royale militaire
s'eſt fait les de ce mois. Les numéros ſortis de la
roue de fortune , font 21 , 62 , 79 , 44 , 19. Le
prochain tirage ſe fera le 6 Juillet.
Correction.
Dans le compte qui a été rendu dans le Mercure du
premier Avtil , de la réception de M. Eſtienne , à la
maîtriſe de Maître en fait d'Armes , au Colifée le 11 Mai
dernier :
On a dit mal-à propos que M. de la Salle , Maître en
Fait d'Arines des Mouſquetaires Noirs , avoit été touché
dans l'aſſaut ; ce qui n'eſt point , puiſqu'il n'a point recommencé
l'aſſaut ; ce qu'il auroit été obligé de faire
ſuivant les Statuts , i les deux bottes qu'il a données
n'euflent pas été regardées comme franches. M. de la Salle
a en conféquence obtenu le premier prix , & c'eſt le ſeptiè
mequ'il remporte.
TABLE.
PIECES IECES FUGITIVES en vers&enproſe,page
Jean qui pleure & Jean qui rit , ibid.
Réponſe de M. V*** aux vers de M. de Voltaire qui ont
pour titre Jean qui pleure , &c. 8
Traduction de l'ode 7e du Liv . 4º d'Horace à Torquatus , 9
Epître au beau ſexe , 12
L'homme qui ne s'étonne de ricn , Conte , 13
La Police ſous LOUIS XIV. 29
JUILLET. 1772. 215
Dieu ,
L'Oraiſon Dominicale , Ode.
Dialogue des Morts , entre Licurgue & Périclès ,
La Vengeancede Médée , Cantate ,
Epître à une jeune Dame ,
Explication des énigmes & des logogryphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRIPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
34
35
38
45
47
50
ibid.
54
56
Fables ou Allégories philoſophiques, par M. Dorat , ibid.
Réfutation d'un Mémoire ſur laTopographie de Paris , par
M. Terraflon , 62
Dictionnaire Minéralogique de la France , 65
Le Laboureur devenu Gentilhomme , 69
L'Art d'Aimer ; la Fille de 15 ans , Conte. 72
Bibliographie Parifienne , 76
La connoiſlance de l'Aſtronomie , par M. l'Abbé Dicquemare
, 78
Hiſtoire des différens peuples du monde , 79
Hiſtoire Militaire des Suiſſes , &c . par M. May , 81
L'Art du Mâçon Piſeur , 32
Conſultation ſur unOnaniſme fingulier, par M. Contencin ,
D. R. 87
Moyens certains & peu coûteux de détruire le mal vénérien,
par J. J. Gardanne, 88
Blanche & Guiſcard , Tragédie. १०
Rouſſeau vengé , 93
Le Jugement de Pâris , Poëme. 107
La Théorie pratique de l'Eſcrime , pour la pointe feule ,
avec des Remarques ſinſtructives pour l'aſſaut , 227
Campagnes de M. le Maréchal de MAILLEBOIS , en Italie,
par M. le Marquis de Péſay , 128
Expériences ſur la bonification de tous les vins par M.
Maupin , 130
Plus Heureux que Sage , Froverbe 131
Qui ne riſque rien , n'a rien , autre Proverbe , ibid.
Eſſais de Philoſophie & de Morale par M. L. Caſtilhon ,
133
Lettre ſur la profeſſion d'Avocat & ſur les études néceſſaires
&c.
138
Dictionnaire portatif de cuiſine , &c . ibid.
Lettre de M. l'Abbé Roubaud ſur l'Enfant Hydroſcope, 137
:
Autre Lettre relative à ce ſujet , 143
Obfervations , 144
Académie de Bordeaux , 146
216 MERCURE DE FRANCE.
Académie Royale de Chirurgie, 151
SPECTACLES . Opéra , 153
Comédie françoiſe , 154
Répertoire des liéces de Molière pour la Comédie Françoife,
156
Vers à Mile Saintval , 158
Comédie italienne , ibid.
ARTS , Géographie , 159
NouvelleMéthode de Géographie, ouCartes à jouer , par
M. Delaiftre , bid.
Gravures , 162
Muſique , 168
Obſervations ſur les Maufolées du Maréchal de Saxe & du
Maréchalde Turenne , par M. de la Lande , 171
ACADEMIES, 179
Trait de tendrefle filiale , 182
Avis, 183
DeGrenoble , réception des Vétérans , 195
Difcours prononcé lors de la bénédiction des Drapeaux du
Régimentde Pont-Audemer , 103
Nouvelles politiques , 283
Nominations , 20
Préſentations, ibid.
Mariages , 209
Naiflances, 210
Morts , ibid.
Loteries , 214
J
APPROBATION.
At lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le premiervol.
du Mercurede Juillet 1772 , & je n'y ai rien trouvé qui
m'ait paru devoir en empêcher l'impreſſion .
AParis , ce 26 Juin 1772 .
LOUVEL.
De l'Imp . de M. LAMBERT , rue de la Harpe .
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROL
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
JUILLET, 1772 .
SECOND VOLUME .
Mobilitate viget. VIRGILE.
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ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auſſi de marquer le prix des livres
, eſtampes & piéces de muſique.
tes
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à ſa perfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront même un titre de
préférence pour obtenir des récompenſes ſur le
produit du Mercure.
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que l'on paiera d'avance pour ſeize volumes rendus
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GRAVURES.
Sept Estampes de St Gregoire , d'après Vanloo
, 24 1.
Etd'autres Estampes d'après différens Maîtres.
MERCURE
DE FRANCE .
JUILLET , 1772 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
SUITE de l'Eté. Chantfecond du Poëme
des Saiſons ; imitation libre de Thompson.
Le Bain .
LE Midi règne & ſa puiſſance active
Soumet la terre à ſon ſceptre d'airain :
Pour favourer les délices du bain ,
Les villageois , aſſemblés ſur la rive ,
S'élancent nuds dans le fleuve voiſin .
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
La vague au loin mugit& les entraîne ;
Mais bientôt céde & fuit leurs mouvemens :
L'onde bouillonne & les flors écumans
Ne laiſſent voir que leurs treffles d'ébene.
Se dérobant ſous l'ombre d'un bosquet ,
Lieux retirés , ſolitude paiſible ,
Pour une amante à les feux inſenſible
Lejeune Hylas ſoupitoit en ſecret.
Là , compoſant une tendre élégie ,
Qu'il deſtinoit à l'ingrate Sylvie ,
Il eſſayoit à Méchir ſa rigueur .
Que ton deſtin eſt bien digne d'envic!
Heureux Hylas ! tu touche à ton bonheur :
Vois s'avancer cette beauté touchante
Vers ce boſquet, témoin de ton ardeur.
Dans le criſtal d'une onde tranſparente
Elle s'apprête à braver la chaleur.
Que fait Hylas en voyant ſon amante !
Son trouble éclate & ſe peint dans ſes yeux :
Plein de respect , il veut prendre la fuite ;
L'amour l'arrête; il balance , il héfite ,
Se cache enfin & tremble d'être heureux .
Coeurs vertueux , & vous , cenſeurs ſévères
Qu'auriez-vous fait ? Sylvie en rougiflant
S'avance , obſerve &de ſes mains légères
Détache alors ſon léger vêtement.
Le blond Pâris , quand la jeune déefle
1
JUILLET . 1772 . 7
AuMont Ida découvrit à ſes yeux
De ſon beau corps les contours gracieux ,
Futmoins ému : plein d'une douce ivreſſe ,
Hylas ſoupire & forme encor des voeux .
Combien ſur lui Sylvie a d'avantage !
Son embarras , l'éclat de la pudeur ,
Son oeil craintif tourné vers le bocage ,
Tout porte enfin le deſir dans ſon coeur.
Telle qu'un faon , que le bruit intimide ,
Sans le ſçavoir livrée à ſon Hylas ,
Elle s'élance , & ſous l'onde limpide
Sa beauté ſemble acquérir des appas.
Que fait Hylas ? l'ivreſlede ſa flâme
A ſes deſirs le laiſſoit emporter ;
Mais la vertu bientôt rentre en ſon ame ,
Et le reſpect le force d'arrêter :
De ſon amante il veut ravir l'eſtime ;
Et dans l'eſpoir de la toucher un jour ,
Un tel larcin lui paroiſſant un crime ,
(S'il eſt pourtant des crimes en amour ! )
Il ſe détourne , il fuit ? mais ſur l'arene
En s'échappant il lui jette ces mots :
<<Baigne - toi , charmante inhumaine :
>>Hylas reſpecte ton repos ;
>> Raſſure-toi : fur ce myſtère
>>>L'amour ſeul a jetté les yeux :
>> Je vais , errant près de ces lieux ,
>>>Garder ta ſource ſolitaire
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
→ De l'entrepriſe téméraire
>De tout mortel audacieux.
>> Je fuis ; mais il me faut , bergère ,
>>>Pardonner un inſtant heureux ! >>
A cet aſpect Sylvie eſt alarmée :
Elle s'élance , elle prend cet écrit ;
Mais elle y voit une main bien aimée ,
Et ſa frayeur bientôt s'évanouit .
Touchée alors , une émotion tendre
Vient par degrés s'emparer de ſon coeur :
Contre ce trait il ne peut ſe défendre ;
Tant de vertu déſarme ſa rigueur.
Approche , Hilas ! ſur l'écorce d'un hêtre ,
Dont s'embellit cet aſyle champêtre ,
Ces mots gravés atteſtent ton bonheur.
« Si le fort , paſſant ton attente ,
* A ſecondé tes amours ;
>> Sois difcret ; penſe à ton amante :
>> Tu ne fuiras pas toujours. >>
Par M. Willemain d'Abancourt .
T
JUILLET. 1772 .
و
MADRIGAL .
A LA majesté d'une Reine
Vousjoignez les traits de Cypris :
Avec tant d'appas , belle Hélene ,
Que vous devez rencontrer de Pâris !
Par le même.
RÉPONSE DE CIRUS .
ONN demandoit un jour au vaillant Artamene
Ce qu'il vouloit pour ſon repas :
Du pain , répondit-il , ne me fuffit-il pas ?
Je compte le manger au bordd'une fontaine.
Par le même.
LE BERGER , LE CHIEN & LE Loup .
GROS
Fable imitée de l'allemand .
ROS Pierre un jour perdit tout ſon troupeau
Que dévora la clavelée:
Un loup ( de ce malheur ſon ame étoit troublée )
Pour le complimenter , s'en fut droit au hameau.
Av
IO MERCURE DE FRANCE.
<<Grand merci , dit le pâtre en ſa douleur amère ;
>>V>ous êtes le ſeul aujourd'hui
>> Qu'ait touché ma misère...
>> Bon ! repartit le chien : fiez-vous donc à lui !
Courez fus ; il vous cache une haine inflexible :
>>>Le coeur du méchant eſt ſenſible ,
>>Quand il fouffre du mald'autrui.>>
: Parlemême.
VERS pour mettre au bas du Portrait de
Mgrle Ducde Penthièvre , donnépar
Son Alteffe Séréniſſime à Madame la
Marquisede Crequy.
Lapiété douce & fincère
Préſide à toutes les vertus;
Il oppoſe au flatteur une oreille ſévère
Et ſon coeur ſe fouvient de l'ami qui n'eſt plus .
J'en garde , hélas ! moi-même une preuve bien
chère ,
Sespleurs avec les miens ont étéconfondus. *
ParM. Saurin.
* A l'occafion de la mort de M. le Bailli de
Froullay , ambafladeur de Malte , & que S. A.S.
a honoré de ſes bontés &de ſon amitié juſqu'à
fondernier loupir.
JUILLET. Π 1772.
LE MUR MITOYEN.
Conte.
Les fortunes mal acquiſes durent peu.
C'eſt l'effroi du dépoſitaire ou du régiffeur
infidèles , & le vieux D..... étoit
ſouvent pourſuivi par cette idée .
Les gains prodigieux , illicites &
prompts qu'il avoit faits ſans riſques dans
les malheurs publics , ſe repréſentoient à
ſa penſée malgré lui , &dans le ſein même
de ſes plaiſirs; ils troubloient ſa jouiffance
qu'il égaïoit cependant par un faſte
infſenſé , ridicule , infolent aux yeux de
ceux qui ſe rappelloient le néant de fon
exiſtence civile & celui de ſon ame. C'é .
toit pour eux un ſpectacle aſſez bouffon ,
de le voir avec une figure grimacière &
plate , trancher du petit protecteur des
arts & des talens qui s'aviliſfoient en fe
réuniſſant chez lui .
D..... avoit vu plus d'une fois la fatale
indigence retrouver dans les fils les
victimes qu'elle avoit perdues par l'avide
induſtrie de quelques pères , & pour parer
ce coup aux deux enfans qu'un maria
Avj
12 MFRCURE DE FRANCE.
ge tardif & honteux lui avoit donnés , il
les avoit fait inſtruire beaucoup plus à
conferver qu'à acquérir : parce que grace
à la fortune qu'il leur laiſſeroit , ils ne devoient
avoir beſoin que du premier talent.
La R.... fon cadet montroit peu de
penchant à l'économie malgré les leçons
que le pédant auquel il avoit été confié ,
étoit chargé de lui en faire; mais Dub....
plus âgé que fon frère avoit eu plus de
docilité fur cet article de ſon éducation ,
&le collége dans lequel il étoit penfionnaire
n'avoit point encore vu d'exemple
de petite villenie & de léſine auſſi franche
que celle de ce fils aîné de D....
Toujours empreſſé de venir à la maiſon
paternelle , il en rapportoit toujours quelque
choſe qui pût tenter ſes camarades &
lui procurer l'occaſiond'attirer àluileur petit
pécule. De tout ce qu'il recevoit , ainſi
que ſon frère qu'il dépouilloit ſans que
ce dernier s'en apperçût , il avoit toujours
fait un petit commerce fi utile , qu'en for.
tant de ſa penſion , il étoit déja propriétaire
d'une ſomme affez conſidérable pour fon
âge. On pouvoit dire de lui qu'il avoit
inventé l'ufure ; car il l'avoit pratiquée
fans principes & fans exemples.
JUILLET. 1772 . 13
D.... inſtruit du caractere de cet aîné
n'y trouva qu'un démenti certain pour le
proverbe redoutable de la fortune de Barada
; ( 1 ) & il s'applaudit d'avoir un fils
qui ne lui laiſſoit plus de craintes relatives
àla conſervationde ſes biens .
Cette heureuſe confiance étoit ce qu'il
voyoit de plus efſſentiel à acquérir , parce
que tourmenté depuis quelque tems par
ſa confcience qu'un paſteur honnête homme
avoit un peu agitée dans un moment
où il y avoit eu à craindre pour ſa vie , il
avoit imaginé de remettre à ſes fils une
fortune fur laquelle ils n'auroient rien à
ſe reprocher , puiſqu'ils ne l'auroient pas
acquiſe eux-mêmes , & dont il auroit perdu
par ce moyen le droit de diſpoſer.
Une retraite dans laquelle il paſſeroit
tranquilement le reſte de ſes jours , au
moyen d'un penſion que ſes deux fils s'engageroient
à lui payer , lui parut un plan
de conduite admirable pour ne pas retomber
dans le triſte cas des reſtitutions ou
(1) Favori d'un moment. Il avoit ſuccédé dans
l'eſprit du Cardinal de Richelieu à la faveur de
Chalais , & le Prince St Simon occupa bientôt ſa
place. Sa prompte diſgrace donna licu au proverbe.
14 MERCURE DE FRANCE.
:
des fortes aumônes auxquelles il s'étoit
preſque vu forcé dans la maladie dont heureuſement
il étoit revenu.
Enchanté de ce projet , il commença
par acheter l'hotel qui touchoit au fien
pour y loger ſéparement ſes deux fils ,
parce qu'il prévit que la différencede leurs
caracteres exigoit cette précaution.
Prêt à ſe dépouiller de ſa fortune , il
réfléchit encore que ſon fils aîné Dub .....
mille fois plus économe que ſon frère ,
méritoit par-là qu'il lui fit une part plus
conſidérable , afin d'aſſurer d'autant mieux
le payementde la penſion à laquelle il fe
réduiſoit.
Il appella donc un jour ſes deux fils
avecun notaire , par- devant lequel il leur
fit la ceſſion abfolue de tout ce qu'il pofſédoit,&
dont il n'abandonnoit cependant
qu'untiers à ſon cadet, chargé par là de la
troiſième partie du revenu qu'il ſe reſervoir.
Cet acte ligné & paflé en bonne forme
n'annonçoit au publicde la part de D....
qu'un amour tendre pour ſes fils , une
ſageſle-& un détachement bien vertueux
&bien rare. La haine qu'il avoit longtemsméritée
ſe changea bientôt en refJUILLET.
1772. 15
pect , tant le Public qui raiſonne de tout,
ſans pénétrer les motifs ni les cauſes , eſt
inſenſé dans ſa manière de juger.
Quoiqu'il en ſoit,D.... établit ſes fils
dans ſes deux maiſons qui fe touchoient
&dont il cheriffſoit la proximité , parce
que la R... auroit plus ſouvent ſous ſes
yeux l'utile tableau de l'économie de ſon
frère.
Après leur avoir fait à tous deux lesplus
grandes leçons de cette vertu confervatrice
, il ſe retira , comme il le diſoit , en
fûreté de confcience , dans un village où
il avoit loué une maiſon agréable & où il
alla jouir de fa nouvelle réputation peu
méritée du meilleur des pères&du citoyen
le plus déſintéreſſe. r .
La R... ne ſe vit pas plutôt poffeffeur
de la partie des effets que ſon père lui
avoit tranfmis , qu'il les mit en vente ,
parce qu'il ſe rendit juſtice , & qu'il ſentit
qu'il n'avoit aucuns des talens propres
àrégir des biens fonds .
Un particulier qui , comme D.... arrivoitde
rien à la fortune, les acheta, dans
J'eſpérance où il étoit que le goût de la
diſſipation du vendeur lui fourniroit plus
d'une occaſion de ſe libérer en détail &
16 MERCURE DE FRANCE.
conféquemment avec plus de facilité. Ce
qui arriva en effet parce que la R... portant
tous les jours ſa dépenſe au-delà de
fon revenu , entamoit fourdement fon
principal par petites parcelles , & qu'enfin
il ſe vit remboursé ſans qu'il s'en fût apperçu
.
Dub.... avoit éprouvé comme fon
frère une répugnance à garder les terres
qui compoſoient fon lot , mais les
raiſons de ce dégoût étoient bien différentes
de celles de la R... Le produit net
de ces terres étoit trop au-deſſous du revenu
que pouvoit lui rendre ſon argent plus
utilement placé , & cette ſpeculation économique
l'avoit décidé à les vendre argent
comptant pour ſe mettre en état de
fatisfaire au goût qu'il avoit d'obliger les
jeunes gens de famille & les citoyens em.
barraflés qui paient toujours ſi cher les
ſervices qu'on leur rend..
Tranchons le mot , le germe des premiers
talens de D.... s'étoit fortifié , il
devint en peu de tems un des ufuriers les
plus intelligens de la ville , & fe confola
de quelques pertes légères qu'on effuie
dans ce métier par les gains multipliés
qu'ony fait auſſi . Son tréſor s'augmentoit
d'autant plus qu'à peine faiſoit- il chez lui
JUILLET. 1772. 17
t
la dépenſe du ſimple néceſſaire , parce
qu'il étoit fort exact à groſſir ſoir & matin
le nombre des parafites de ſon frère
dont il étoit en tout le plus parfait contrafte
. Un avare eſt le crimede la fortune ,
&jamais cette divinité bizare n'avoit eu
de plus grands reproches à ſe faire.
Le peu de ſoins que la R... avoit mis
dans ſes affaires & le faſte immodéré dans
lequel il vivoit, n'étoient guère moins déraiſonnable
; mais il étoit l'inſtrument du
deſtin & il avançoit chaque jour l'inſtant
que ſon père avoit fi fort redouté & qu'il
avoit cru ſi vainement éviter .
Celui qui s'embarque , dit Ménandre,
proportionne ſes proviſions au nombre de
jours que doit durer ſa navigation ; mais
le prodigue ne voit point l'avenir , il eſt
tout au préſent & ne refuſe rien à l'inépuiſable
voracité de ſes ſens. La R... détruiſoit
done ſa fortune en inſenſé à qui
l'appétit ſans bornes de jouir en fait ignorer
l'art , & D.... commençoit à s'étonner
que ſon frère eût encore de quoi fournir
à ſes folles dépenſes , lorſqu'on le vit
tout- à coup l'augmenter , ſans qu'on pût
pénétrer les reſſources qu'il s'étoit procurées.
Ce qu'il imagina de plus vraiſembla
19 MERCURE DE FRANCE .
ble , c'eſt que cette confiance aveugle que
les fourniffeurs de toute eſpèce prennent
aux gens auxquels ils ont vu faire une
grande dépenſe , étoit le ſeul fond fur lequel
le cours continué des prodigalités de
fon frère étoit établi ; & cette perfuaſion
ne le détourna pas de perſiſter à vivre
à ſes dépens ; tant il avoit la confcience
digne de celle de ſon père .
Dans ces circonstances le parvenu Géraße
qui avoit été jadis le premier commis
& le caiffier du parvenu D.... fe
préſenta pour donner indéterminément ſa
fille unique à l'un des fières. C'étoit de
ſon côté une manière de reſtitution qu'il
avoit imaginée , parce que malgré tous
fes efforts pour oublier les commencemens
de ſa fortune , il ſe rappelloit ſans
celle quelques-unes des infidélités majeures
qu'il avoit commiſes dans ſa geſtion ,
&qui avoient été la ſource des grands
biens dont il jouiſſoit.
La jeune perſonne à qui d'abord on
avoit paru laiſſer le choix entre les deux
frères , avoit penché pour le faſtueux la
R... , parce qu'il y a peu de qualités qui
frappent autant les yeux d'une femme
que la magnificence; mais la crainte &
les bruits de fa ruine prochaine firent reJUILLET.
1772 . 19
prendre à fon père le droit de la diriger
en cette occafion , & la malheureuſe L....
ſe vit menacée d'être bientôt la femme
de D.... qu'elle déreſtoir.
Ses craintes s'augmentèrent lorſqu'elle
fat que ſon père, encore avide& fur- tout
enchanté de l'économie de l'aîné des frères
, venoit de ſe mettre en ſociété avec
lui , & qu'il avoit fait porter dans ſa maifon
toute fa fortune qu'il avoit miſe en
argent par ſes conſeils.
!
Les follicitations de ſon père devinrent
en effet plus preſſantes ; cependant comme
elle en étoit aimée , elle eut l'art de
gagner du tems en cachant avec ſoin &
la répugnance qu'elle avoit pour Dub ... ,
&le goût qu'elle fentoit pour ſon frère .
De ſon côté la R... qui du premier
moment avoit intéreſſé , employoit tous
les moyens poſſibles pour ſe conſerver le
coeur de L... qu'il avoit armée dès qu'il
l'avoit vue , & pour laquelle il avoit rompn
un de ces engagemens vils & ruineux
qui ne font plus rougir, mais qui auroient
couvert de honte un homme honnête de
l'autre ſfiécle. Rien n'eſt difficile aux prodigues
qui ne prennent pas même la vertu
pour un obſtacle , & tout ce qui entouroit
L... étoit à ſes ordres.
20 MERCURE DE FRANCE.
Une mauvaiſe éducation , de plus mauvais
exemples encore de la part du père
de L... n'avoient pas ſolidement armé
fon coeur contre les traits de la ſéduction,
L'avare lui-même contribuoit à faciliter
à fon frère les moyens de devenir heureux
, en menant fans ceſſe chez lui la
jeune perſonne qu'il auroir dû plutôt en
écarter ; mais il eût fallu ſans cela lui pro.
curer des amuſemens , & la généralité de
la R... couroit au- devant & l'en difpenfoit
tous les jours. La confiance de D....
étoit fans bornes , il prenoit ſon frère
pour unedupe d'amuſer à grands frais une
perſonne qui ne lui étoit pas deſtinée.
Tout ce qu'on avoit pu cacher aux yeux
de notre Harpagon & du père de L... qui
tous deux étoient peu clairvoyans , l'avoit
été allez heureuſement; mais les intrigues
amoureuſes ont quelque fois des inconvéniens
difficiles à dérober à la vue des
gens les plus aifés à tromper , & L... , la
foible & tendre L... alloit bientôt ſe
trouver dans ce cas- là . Elle fit quelques
tentatives auprès de ſon père pour le déterminer
à lui donner la R... pour époux ;
mais l'indignation qu'elle excita toutes
les fois qu'elle en fit la propoſition , la
força de recourir à un autre expédient .
JUILLET. 1772 . 21
La R... qui commençoit à réfléchir
que la ſource où il puiſoit les tréſors
qu'il prodiguoit , pourroit à la fin ſe tarir
, propoſoit depuis quelque tems à L...
de paſſer avec lui dans le pays étranger ,
& la jeune amante dans la ſituation critique
où l'avoit miſe ſa tendreſſe n'avoit
point de réponſes valables à oppofer à
cette invitation : enforte que ſans que
perſonne s'en doutât , tous deux un beau
matindiſparurent & allèrent ſe marier
enHollande par la routede Calais qu'ils
avoient affecté de prendre pour donner à
leur marche plus d'incertitude.
La fuite des deux amans fit du bruit
dans la famille , & D.... en apprit la
nouvelle dans ſa retraite où quelques infirmités
le retenoient au lit depuis quelque
tems. Les inquiétudes qu'il conçut fur
le tiers de ſa penfion qui ne lui ſeroit plus
payé , le firent accourir chez fon fils aîné
qui ne ſoupçonnoit rien de ſiniſtre pour
lui mêmedans cette avanture .
De toutes les paſſions des avares il ne
lui enmanquoitmalheureuſementqu'une,
c'étoit celle d'aller ſouvent contempler
fon tréfor . Par un rafinement contraire il
ne s'étoit impoſé de ne le voir qu'au bout
de quelques années,afin de jouir délicieu
22 MERCURE DE FRANCE.
ſement du ſpectacle d'un accroiſſement
capable d'étonner ſa propre imagination
dans ce genre.
D... arrivé chez ſon fils lui demanda
compte de ſa ſituation. Soyez tranquile à
mon égard , lui dit du B... avec complaiſance
, je vais dans l'inſtant même
ébloüir vos yeux , je vais vous faire voir
ce que j'ai fait de vos maiſons , de vos papiers
& de vos terres plus ruineuſes qu'utiles.
En même tems il entraîne ſon père
dans un caveau bien ſcellé & bien armé
de verroux , il entre , en ſe frottant les
mains , en s'élargiſſant la bouche par un
rire intérieur &doux , il détache une pierre
mobile & montre du doigt à D... une
ouverture pratiquée dans le mur , où toute
fa fortune & celle deG.... étoient , difoir-
il , en or , à l'abri des envieux , des
voleurs & des malheurs du tems.
D.... y paſſe la main avec empreſſement
, il enfonce le bras autant qu'il le
peut & ne rencontre rien, Mon fils ! mon
fils , s'écrie- til , je ne trouve qu'un vuide
affreux ... Du B ... auffi-tôt y précipite
ſon bras lui - même , & jette un cri plus
aigu que celui de ſon père. Tous les deux
conſternés , ſe regardent en frémiſſant.
JUILLET. 1772 . 23
La lumière tombe des mains de l'avare&
s'éteint. L'efftoi dont ils ſont ſaiſis en redouble
, les mains élevées devant eux ils
ſemblent craindre l'un & l'autre de ſe ren .
contrer & de ſe prendre à la gorge ; enfin
tous les deux font des cris épouvantables
& appellent un domestique. On fait venir
un maçonqui bientôt , à l'aide de ſes
inftrumens, fait tomber la partie du mur
qui devoit renfermer la fortune des deux
aſſociés ; mais la chute de ce mur ne découvre
qu'une brêche pratiquée du côté
oppofé & par laquelle s'étoient écoulés
les flots de ce métal ſi précieux aux deux
ufuriers.
L'horrible & longue diſſipation , ainſi
que la fuite de la R... à qui l'autre caveau
appartenoit , donnèrent bientôt la
clé de cette énigme affreuſe , & rien ne
fut égal à la ſombre fureur dupère & du
fils qui ſe voyoient entierement ruinés ,
puiſque les dettes qu'avoit laiſſées la R...
&quelques engagemens qu'avoit contractés
Dub... devoient abſorber le prix des
deuxmaiſons qui ſembloient leur refter.
D.... , affoibli par l'âge& les incommodités
qu'il venoit d'eſſuyer , ne put furvivre
àce défaſtre,& mourut en ſe rappellant
le terrible anathème prononcécontre
24 MERCURE DE FRANCE.
les fortunes trop rapides. Pour Dub ....
il ſe fit juſtice, il expira du ſupplice qu'auroit
pu lui attirer moins volontairement
l'hiſtoite de ſes ufures.
G.... déſeſpéré courut après ſa tille
qu'il ſuppoſoit en Angleterre , tandis que
la R... toujours inſenſé , toujours prodigue
, achevoit tranquillement de diſſiper
tout ce qu'il avoit emporté, en paſſant avec
L... à Rotterdam où bientôt ils ſe virent
condamnés au fort que méritoit leur
mauvaiſe conduite.
..
Réduit à la miſére dans laquelle il étoit
né , le triſte G. ne découvrit ſa coupable
fille que long- tems après & dans un
état qui avoit été la reſſource de ſon mari
&d'elle. Tous deux étoient attachés à un
charlatan qui , pour de très- légers appointemens
, leur faiſoit jouer d'inſipides parades
ſur ſes treteaux, avant d'y débiter ſes
remèdes .
Tel fut le fort de cette double famille
qui n'avoit joui qu'un moment des biens
que ni les loix , ni le bon ordre de la ſociété
, ni la juſtice , ni des travaux utiles
ne leur avoient procurés. L... cependant
eut pitié de ſon père & lui obtint dans la
troupe du charlatan une ſurvivance de
Caffandre. G... dans ce brillant emploi
végéta
JUILLET . 25 1772 .
végéta le reſte de ſes jours que la Providence
n'avoit rendus auſſi malheureux que
pour effrayer tant de gens qui lui reſſemblent.
Par M. Bret.
ODE tirée du Pfeaume cxxxvi .
Super flumina Babilonis , &c.
Sur les bords de l'Euphrate, abreuves de fon
onde,
Nourris du pain de la douleur ,
Enchaines , ſans ſecours , oubliés du Seigneur ,
Rebut des Nations & l'opprobre du monde ;
Sion ! au ſouvenir de tes ſolemnités ,
Dans nos yeux preſqu'éteints vers la terre arrê
τές ,
Nos larmes s'ouvrent un paſſage ;
Nos inſtrumens ſacrés l'ame de nos concerts ,
Suſpendus aux roſeaux qui couvrent ce rivage ,
Ne font plus retentir les airs.
Iſraël , redis- nous tes ſublimes cantiques ,
S'écrioit l'inſolent vainqueur !
Des beaux jours de Sion retrace la ſplendeur ,
Dans les chants conſacrés à ſes fêtes publiques ;
Du Dieu de Sinaï conte nous les exploits ,
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
Elève juſqu'à lui les accents de ta voix ,
Porte vers les voûtes brillantes ,
Ces hymnes , qu'aux combats de ſes guerriers
ſuivi ,
Juda chantoit au ſon des trompettes bruïantes
Et des timbales de Lévi.
Non , ne l'eſpère pas; les ſublimes merveilles
Du Dicu protecteur d'Iſraël ,
Ni les chants conſacrés à ſon culte éternel ,
Tyran , ne ſontpoint faits pour charmer tes oreil
les.
Prête , prête filence aux accents des enfers ,
De l'Ange de la mort , dans leurs flancs entrou
verts ,
Entends- tu les clameurs funèbres ?
Prêt d'exercer ſur toi ſon barbare pouvoir ,
Son effrayante voix chante dans les ténèbres ,
Ta ruine & ton déſeſpoir.
Cité de l'Eternel , brillante de ſa gloire ,
Séjour d'abondance & de paix ,
Sion! ſi tu n'es pas l'objet de mes ſouhaits ,
Și jamais de mon coeur je bannis ta mémoire :
Que du Ciel vainement implorant le ſecours ,
Ma force m'abandonne au printems de mes jours;
Que mon luth réduit au filence
Rébelle à mes efforts ſe briſe ſous mes doigts
Etque de mes ſanglots preſſant la violence ,
La douleur étouffe ma voix.
JUILLET. 1772. 27
Rappelle- toi , Seigneur , ce jour épouventable ,
Où de notre ſang aflouvis ,
Et la flame à la main , nos cruels ennemis
Ont oſé pénétrer dans ton Temple adorable.
Détruiſons , diſoient-ils , juſques aux fondemens
Ces murs où Jéhovah reſpire leur encens ;
Que les colonnes embraſées
Croulent ſur ſon autel ; que ſon culte aboli ,
Sous les débris fumans des voûtes écraſécs
Soit à jamais enſeveli.
C'eſt ainſi qu'ils joignoient le blaſphême à l'ou
trage
Dans leur ſacrilège courroux :
Préviens leurs attentats , venge- toi , venge nous
Fais briller dans les airs le glaive du carnage ,
Arme contreleurs jours les puiſſances des Cieux ,
Tonne , entrouvre la nue ,& fait fondre ſur eux
Le tourbillon de ta colère :
Que leurs corps palpitans déchirés par lambeaux,
Sous les pas de la mort foulés dans la pouſſière ,
Soient la pâture des corbeaux.
Et toi , fille de fang , cruelle Babylone ,
Tremble ſous tes lambris dorés :
L'arrêt eſt prononcé , ſous tes pas égarés
L'Enfer ouvre l'abyme ; & la mort t'environne.
Puiſles - tu , pour le prix des maux que tu nou
fais,
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Du faîte audacieux de tes vaſtes palais
Embraſés des feux du tonnerre ,
Voir pour comble d'horreur au dernier de tes
jours ,
Detes enfans proſcrits , écrasés ſur la pierre ,
Le ſang rejaillir ſur tes tours .
Par M. D. B. Capitaine de grénadiers
au régiment de Tourraine.
LES DEUX MONTRES , Fable.
TOUTE orgueilleuſe de ſon ſort
Une Montre où brilloit l'émail enrichi d'or
A celle d'un valet dit un jour ces paroles :
➤ Admire ce contour garai de diamans ,
>>Vois ma forme élégante & ces deſſins char
>> mans ,
>>>A peine auprès de moi vaux-tu quelques obo
>>les !
L'autre lui répondit : je ne ſuis que d'argent ,
J'appartiens à celui qu'on voit ſervir ton maître ;
Mais , comme toi , je marquerai l'inſtant
Qui doit les rendre égaux en détruiſant leur être.
Par M. le Clerc de la Motte , capitaine
au régiment d'Orléans Infanterie.
JUILLET. 1772 . 29
Fi
LE LOUP & LE SANGLIER.
Fable.
TEL fait métier de ſatirique ,
Qui n'entend pas qu'on lui réplique.
Certain Loup gris , mauvais plaiſant ;
De ces fots beaux eſprits , qui toujours médilant
Perſifie l'un , drape ſur l'autre ,
Cherchant un jour en bon apôtre
Quelque badaut pour s'égaïer ,
Rencontra juſtement ſon voiſin Sanglier.
Eh! bon jour , lui dit- il , d'une voix goguenarde,
Comment va la ſanté ? mais ! fais-tu camarade
...
Que ces défenſes-là terendent fingulier ,
Tu parois toujours rire ?
C'eſt vrai , dit celui-ci , ſurtout lorſque j'admire
La ſoupleſſe de tes reins .
Mes reins ! qu'en veux- tu dire ?
En me formant ainſi mon père eut ſes deſſeins.
Je fuis leſte , regarde un peu cette gambade ,
Sont- ce là ſauts de marcaſſins ?
Oui , mais retourne-toi , là... point de gaſconnade...
Tu vois donc bien , Monfieur le ricanneur,
Que chacun d'entre nous a droit de repréſaille.
Biij
30
MERCURE DE FRANCE ..
Qui diable penſeroit , reprit notre ſauteur ,
Qu'avec cet air hideux cet animal vous raille ?
Quoi ! dit le ſanglier , tu prends donc de l'humeur
?
Ah ! je vois bien qu'une leçon
Te ſera néceſſaire ,
Voici comme on répond
A gens de ton caractère.
ces mots notre loup zeſte ne fait qu'un bond.
Par M. A. C ***.
INVOCATION à la Fontaine.
ESPRIT ſimple & fublime , aimable la Fontaine
Rends - nous ces vers charmans , ces tours ingénieux
,
Viens badiner encor ſur les bords de la Seine ,
Viens jouer avec nous pour nous inſtruire mieux.
C'eſt envain qu'on t'oppoſe une froide Syrène , *
* J'avoue cependant que dans le nombre de
fables qui a paru depuis la Fontaine , il y en a
beaucoup qui font pleines de graces , d'eſprit &
de finefle , mais convenons - en de bonne foi , je
me mets du nombre , on les lit avec plaiſir , les
retient-on avec autant de facilité ? Ont- elles ce
naturel , ce mouvement dramatique qui rend
Molière ſi ſupérieur à toute la richeſſe des détails,
JUILLET. 1772. 31
La fable de nos jours n'a plus cette gaîté ,
Ce charme ſéducteur de la naïveté.
Martin Baudet y parle en grave philoſophe ,
Et d'un ton doctoral le renard l'apostrophe.
C'eſt un amas confus de mots alambiqués ,
De plantes , de înétaux froidement appliqués.
Le tonnerre en grondant y lance l'épigramme ,
Et l'eſprit s'y tortille en un vrai philigramine.
Le conte dans nos moeurs a pris un tour nouveau
,
Et ſa muſe eftfrontée égaïant le tableau
Détaille ſans pudeur un quolibet obſcène.
Mais je t'invoque envain , notre perte eſt certaine
,
Oui , la Parque inflexible en creuſant ton tombeau
,
Nous fit dire en pleurant , adieu donc la Fone
taine
,
Nous ne boirons plus de ton cau.
les graces du ſtyle & cet eſprit brillant de la co
médie de nos jours ? car , l'action , ainſi que ſur
la ſcène eſt l'ame & le vrai caractère de la fable ,
la naïveté & la ſimplicité du dialogue en rend la
morale plus agréable & plus utile.
Par le même.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
TRADUCTION de l'Ode VIIIe. duſecond
livre d'Horace .
BARINE fi chaque parjure
Te coûtoit quelques agrémens ;
Si de l'ivoire de tes dents
La blancheur paroiſſoit moins pure ,
Si tes yeux étoient moins brillans ,
Je croirois tes diſcours ; mais de nouveaux fermens
Ont àpeine enchaîné ta tête criminelle ,
Que plus éclatante & plus belle
Onte voit ſur tes pas entraîner mille amans.
Et pourquoi ſeroit- on fincère ?
Il vaut mieux inſulter les morts dans leurs tom-
4
beaux ,
Tromper les cendres d'une mère ,
Prendre à témoins la nuit , le Ciel & ſes flambeaux
,
Se jouer des dieux même &braver leurs carreaux:
Vénus , Vénus en rit , & la troupe indulgente
JUILLET. 1772 . 33
Des nymphes qui forment ſa cour
En badine , tandis que le cruel amour
Aiguiſe en ſouriant ſur ſa meule ſanglante
La pointe étincelante
Des traits dont tout mortel ſent l'atteinte à fon
tour.
Des roles de l'adoleſcence
Le tems vient pour toi ſeule embellir nos enfans ,
Et d'eſclaves nouveaux accroître ta puiſſance.
Jurant de s'affranchir , hélas ! les vétérans
Traînent toujours leur chaine , affligés, mais conftans.
Quelle mère peut ſans alarmes
Entendre prononcer ton nom ?
L'économe vieillard à l'aſpect de tes charmes
Craint pour ſon jeune fils leur funeſte poiſon.
Al'approche des nuits l'épouſe malheureuſe ,
Trop tendre pour ofer compter ſur ſes appas ,
Tremble, en baignant de pleurs ſa couche douloureuſe
,
Que ton haleine dangereuſe
N'ait arreté l'époux qui voloit dans ſes bras.
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
DIALOGUE DES MORTS.
MARC- ANTOINE , CYTHERIS .
MARC - ANTOINE , à part.
QUELLE eſt cette femme qui ſe promène
ſeule dans cette ſombre allée ? approchons
.
CYTHERIS.
1
Parquelle raiſon cet homme fixe t'il
ſes regards fur moi ? Fuïons- le. Si c'étoit
un de mes anciens adorateurs , il riroit de
la laideur de mon viſage. Epargnons cet
opprobre à mon ergueil.
MARC- ANTOINE , abordant Cytheris.
Ne craignez rien , modeſte inconnue.
Je ne viens point inſulter à la vertu .
CYTHERIS , le reconnoissant.
Laiſſez - moi rêver à mes infortunes ;
votre vue les redouble.
MARC - ANTOINE.
Ah ! peuvent - elles ſe comparer aux
JUILLET. 1772 . 35
miennes ? Apprenez - les & plaignez- moi.
L'amour est l'auteur de mes maux.
CYTHERIS.
Quels reproches n'as- tu point àte faire,
trop indulgente Cytheris ?
MARC - ANTOINE .
Madame , par pitié , n'outragez point
l'adorable Cytheris , je l'ai tant aimée
que le fleuve Lethé n'a pu m'en ôter le
ſouvenir.
СУТНERIS.
Vous prenez un grand intérêt à ſa
gloire.
MARC - ANTOINE .
Je vous quitte pour la chercher : ma
Cytheris ! je la reconnoîtrai facilement
parmi les beautés qui habitent les enfers
; elle en eſt ſans doute la Reine ; le
ſceptreeft dû à ſes attraits.
CYTHERIS.
L'inſenſible mort a moiſſonné les rofes
&les lysde fon tein.
MARC - ANTOINE.
Quoi ! les Dieux auroient créé un fi
parfait ouvrages pour le détruire !
!
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
CYTHERIS.
Jugez-en par votre erreur. L'avez- vous
reconnue ? votre Cytheris ! eh ! bien , la
voici.
MARC - AΝΤOΙΝΕ ,
Mes yeux ne me trompent ils point?
CYTHERIS.
Toutes les illuſions ſont diſſipées au
ſéjour des ombres ; les ſonges des plaiſirs
diſparoiffent , & la vérité des peines les
remplace ? Marc-Antoine , vous paroiſlez
furpris d'entendre moraliſer une comédiennequi
démentoit par ſes déréglemens
les ſages maximes qu'elle débitoit ſur le
théâtre.
1
MARC - ANTOINE.
Que ne m'avez-vous toujours parlé
auſſi ſolidement ! mais au contraire vous
avez tout employé pour m'entraîner dans
l'abyme des vices .
CYTHERIS .
Les hommes ſont donc injuſtes même
après la mort. Ils rejettent leurs crimes
fur un foible ſexe qui ſe rend involontai
JUILLET . 37 1772 .
rement à leur ſéduction. On commence
par flatter notre vanité , & l'on finit par
empoiſonner notre coeur.
MARC - ANTOINE .
Eh ! que ſont devenues ces pierreries
dont j'avois chargé vos cheveux ?
CYTHERIS.
Elles font partie du domaine de Caron.
MARC - ANTOINE .
L'infolent nautonnier!
CYTHERIS.
Ne vous einportez point contre lui; la
dépouilledes morts luiappartient ; chacun
nes'enrichit que pour le fermier inexorable
de Pluton.
MARC - ANTOINE .
Il ne vous aura pas paffée gratis ; car
vous m'avez affez coûté .
CYTHERIS.
Il falloit toujours que votre bien lui
revînt. Qu'importe que je lui en aie donnée
une partie ? Ne vous a- t il pas enlevé
l'autre ?
38 MERCURE DE FRANCE.
MARC - ANTOINE.
Beaux raiſonnemens ! mes héritiers
n'en ſont pas plus fatisfaits.
CYTHERIS.
Ils doivent l'être. Ce ne ſont pas les
richeſſes qui font le bonheur des hommes.
Ledeſir & les moyens de les acquérir flattent
davantage que la jouiſſance.
MARC - ANTOINE .
Vous n'étiez pas ſi philoſophe autrefois.
CYTHERIS.
Il faut bien que je le fois à préſent.
MARC - ANTOINE.
Mes héritiers irontà pied , tandis que
je vous ai promenée ſi ſouvent dans ma
litière .
CYTHERIS .
L'exercice eſt bon pour la ſanté.
MARE - ANTOINE.
Tréve à vos plaiſanteries. Ne perdez
point , je vous prie , le reſpect dû à un
homme de mon rang.
JUILLET. 1772. 39
CYTHERIS , riant.
Ah ! ah ! le trait eſt original. A un
homme de monrang ! ignorez-vous qu'ici
toutes les conditions ſoient égales ? Où
font , s'il vous plaît , les marques de votre
distinction ? Allez , nous ſommes au
même niveau. Je ſuis privée de mes fatales
richeſſes , &vous perdez vos chimeriques
honneurs.
MARC - ANTOINE.
Eſt- ce un rôle encore que vous jouez ?
CYTHERIS.
Voilà bien un diſcours de courtiſan .
Vous avez été ſi accoutumé à feindre que
vous penſez qu'on peut encore , en ces
lieux , diffimuler fa penfée. Ma franchiſe
devroit bien vous garantir de ce ſoupçon.
Eh ! une actrice vous parleroit- elle ſi ſincèrement
, ſi elle pouvoit tant foit peu
vous en impoſer ?
MARC - ANTOINE .
Je-ne dois donc vous en avoir aucune
obligation , & ce n'eſt pas votre faute fi
yous ne me trompez point.
40 MERCURE DE FRANCE.
CYTHERIS.
Non aflurément. Le devoir de mon
état în'y engageroit; maisje ne ſuis plus
comédienne , vous n'êtes plus guerrier.
Une autre femme porte à préſent mon
maſque , eſt couronnée de mes myrthes :
Un autre homme a le front ceint de votre
caſque & de vos lauriers. Ainſi oubliez
vos victoires. Pour moi je ne veux plus
penſer à mes conquêtes. Le parti le plus
ſage qui me reſte à prendre eſt de me
conſoler avec mes compagnes ; elles font
ici en bon nombre , je choiſirai pour ma
confidente celle dontles aventures reſſembleront
aux miennes. Adieu ! je vous
quitte.
MARC - ANTOINE .
Cruelle, vous m'abandonnez , ah ! j'en
mourrai.
CYTHERIS.
Quel excès de folie ! pour le coup je
fuis convaincue que ce langage doucereux
eſt toujours faux parmi vous , Meffieurs.
L'uſage ſeul vous guide en amour , & l'habitude
de mentir vient de vous arracher
ces mots déplacés : je vais mourir. DitesJUILLET
. 1772 . 41
moi donc un peu comment vous vous y
prendrez à préſent pour mourir. Je ne
veux pas être plus long-tems témoin de
vos extravagances .
MARC - AΝΤOΙΝΕ .
Que vais-je devenir ?
СУТНЕRIS,
Vous ne manquerez pas d'occupation
fi vous voulez vous entretenirde vos fottiſes.
Vous trouverez des fous diftingués
qui feront charmés d'entendre le recit de
tous les petits tours que je vous ai joués.
Rendez-vous au quartier des ſeigneurs
ruinés par les actrices , c'eſt un des plus
étendus des enfers. Appercevez-vous un
bois habité par des hommes tous nuds ?
C'eſt juſtement là. Ne diroit- on pas que
ce ſont des ſauvages ? les dieux les ont
condamnés à ce ſupplice pour avoit trop
aimé la ſomptuofité. Je m'étonne que
vous tardiez tant à vous y rendre , courez
y vîte : ſi Minos venoit...
MARC - ANTOINE , enſe retirant.
Des remords continuels !
42
MERCURE DE FRANCE.
CYTHERI S.
Ne perdez point le tems en réflexions...
Son malheur me divertit. Les idoles des
vivans ſont le mépris des morts . Malheureux
de la terre , la félicité des enfers vous
eſt réſervée ; votre règne eſt plus für&
plus conſtant.
Par M. J. Μ. Α.
L'EXPLICATION du mot de la première
énigme du premier volume du mois de
Juillet 1772 , eſt la Balance ; celui de
la ſeconde eſt Laurier; celui de la troiſième
eſt le Coche d'eau ; celui de la quatrième
eſt Papillon. Le mot du premier
logogryphe eſt Fauconneau , où ſe trouve
eau ; celui du ſecond eſt Breland , où ſe
trouve reland.
ÉNIGME.
J'EXISTERAI long-tems toujours vrai , toujours
pur;
Me poſſéder n'eſt pas faveur aiſée ;
Pour me montrer plus beau , je fus long - tems
obfcur ;
JUILLET. 1772 . 43
Abien jouir de moi la bourſe eſt épuisée.
Plus je ſuis grand , plus je ſuis curieux ,
En éclat , en beauté , mon eſpèce eſt unique;
De loin , comme de près je frappetous les yeux ,
Lorſqu'on m'a dépouillé de ma robe ruſtique.
Dans la ſociété toujours vu de bon oeil ,
D'un beau lien je ſuis ſouvent legage,
De la vertu par fois l'écueil :
Quel bizarre afſemblage
Par M. le Général.
AUTRE.
Du frère le plus blond , je ſuis la brune ſoeur ,
Couple qui n'eſt uni que par l'anthipathic ;
Je ne puis le ſouffrir , & moi je lui fais peur ;
S'ilmedonne la mort , il perd par moi la vie.
Par le même.
L
AUTRE.
Le corps le plus léger qui ſoit dans la nature ,
Afſlurément c'eſt moi.
Et qui rendra raiſon de ma figure ,
Lecteur , ce ſera toi;
44
MERCURE DE FRANCE.
Car à la ville , à la campagne ,
Tu ne fais pas un pas que je ne t'accompagne ,
Et je parois ce que tu veux.
Quanddans ton lit , le ſoir , bien clos& bien tranquille
,
Tu veux que ſur tes yeux le pavôt ſe diſtille ,
Je te fais mes adieux ;
Mais je reviens bientôt avec mes ſoeurs , unie ,
Chaſſant l'éclat , aſſurer un repos
Qui , s'il devient exempt de l'infomnie ,
Eſt le remède à tous les maux.
A ton lever je me préſente ;
Souvent tu n'en vois rien ,
Et je n'en ſuis pas moins conſtante ;
Tel eſt enfin notre intime lien ,
Si tu péris , je tombe ,
Et je m'enferme avec toi dans la tombe.
Par Mlle Victoire de l'Orme.
AUTRE.
QUOIQUE enfans du plaifir ,la guerre eſt notre
état ;
On nous diviſe en quatre claſſes ;
Mais malgré la valeur qu'on nous donne au combat,
Et quoiqu'à l'ennemi nous préſentions nos faces,
JUILLET. 1772 . 45
Après la victoire on nous bat.
Du caprice qui nous gouverne
Nous dépendons abſolument ;
Point de grade fixé dans tout le régiment ,
Tantôt on s'y voit chef, & tantôt ſubalterne.
Il peut arriver que nos loix
N'expoſent pas d'abord tout le corps militaire.
Dans ce combat pour l'ordinaire
Nos chefs commandent à nos rois .
Un ennemi fubtil , dans cette même guerre ,
Saiſit par fois ces chefs pour s'en faire un appui ;
Parmi ſa troupe il les inferre ;
Ils font forcés alors de combattre pour lui.
L'amour caractériſe une certaine bande ,
On la voit couverte de fleurs ;
S'il arrive qu'elle commande
Elle ſubjugue tous les coeurs.
Par M. Liégeois.
LOGOGRYPΗ Ε.
Mon but eſt d'être intéreſlant ,
Et l'immortalité fut toujours ma manie ;
Mais quoique dans mon ſein je renferme la vie,
Quelquefois je meurs en naiſſant.
Par le même.
46 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
SAANnSs mettre ton eſprit beaucoup àà la torture;
Lecteur , veux tu ſavoir mon nom ?
Je ſers quelquefois de boiſlon ,
Et plus ſouvent de ſépulture.
Par M. Houllier de St Remi.
AUTRE.
LECETCTEEUURR ,, aux ſoins de la nature
Je dus toujours ma premiere beauté ,
Et ce fut la ſimplicité
Qui forma d'abord ma parure ;
Mais j'aurois beaucoup moins d'appas ,
Si , pour embellir ma ſtructure ,
L'art avec ſoin n'effaçoit pas
Les traits irréguliers qui choquent ma figure.
Plus ou moins de façon décide de mon prix ;
Je brille par devant en plus d'une manière ;
Mais lorſqu'on ne me voit , hélas ! que par derrière,
JUILLET. 1772. 47
Je ſuis un objet de mépris.
De deux ſexes égaux je tiens mon exiſtence ;
En deux égales parts on peut me diviſer ;
Mais ſans pouvoir décompoſer
Nimoi ni ces deux parts qui forment mon eſſence.
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
Le Ventriloque ou l'Engaſtrymithe ; par
M. D. la Chapelle , cenſeur royal à
Paris , de l'Académie de Lyon , de
celle de Rouen , & de la ſocieté royale
de Londres ; 2 patties in - 12. Prix ,
3 liv. les deux parties brochées. A Paris
, chez la V. Duchefne , rue Saint-
Jacques..
CE Traité très - curieux par les recherches
& les obſervations de l'auteur contient
plus d'inſtructions que le titre ne
ſemble d'abord annoncer ; mais nous
nous renfermerons dans ce qui a le plus
de rapport au premier objet de cet écrir.
La dénomination de Ventriloque , comme
l'obſerve l'auteur , eſt toute latine fi
on en ſupprime la terminaiſon françoiſe :
ventriloquus , ventriloque , homme qui
48 MERCURE DE FRANCE.
parle du ventre , ou ventris - loquela , pa .
role du ventre . La ſeconde dénomination
d'engaſtrimythe eſt toute grecque :en dans,
gasther ventre , & muthos parole ; c'est-àdire
parole dans le ventre. Les premiers
ventriloques ou engaſtrimythes ont été
ainſi nommés parce qu'ils paroiffoient
faire fortir leurs paroles du fond de leur
ventre & non de la bouche comme à
l'ordinaire. Mais les plus ſimples notions
de la phyſique ſont ſuffiſantes pour nous
convaincre que le ventre n'ayant aucun
des organes de la parole,on ne peut abſolument
en tirer des ſons articulés. Si l'on
fuit les obſervations de M. de la Chapelle,
on ſe convaincra que l'art du ventriloque
eſt dû à un jeu particulier des mufcles
du pharynx ou du gofier ; jeu que
tout homme , organiſé à l'ordinaire
pourra acquérir par un exercice conſtant&
foutenu , joint à une volonté opiniâtre
&biendéterminée d'y plier ces organes.
Mais puiſque les fons des ventriloques
s'articulent particulièrement dans l'arrière-
bouche , pourquoi n'y rapporte - ton
pas la voix , comme on le fait ordinaireiment
à la bouche antérieure ? cela vient,
ajoute l'auteur de ce traité , de nos jugemens
d'habitude. Il n'y a que l'expérience
JUILLET. 1772. 49
cequi nous apprenne à juger, par les yeux,
de la diſtance des objets ; nous apprenons
de même à en juger par les fons. Toutes
les fois que l'air ſera modifié de près ,
comme il l'eſt ,pour produire les fons que
l'expérience nous a appris venir de loin ,
nous en rapporterons le bruit à la même
diſtance , & dans la même direction ;
quand ils ne partiroient qu'à deux pouces
de nos oreilles ; c'eſt là un principe d'expérience
& d'obſervation . Or , c'eſt précifément
ce que produit l'eſpèce de ventriloques
dont on recherche ici la caufe.
Mais pour s'en convaincre il faut abſolument
en faire l'obſervation par foi- même
&avec attention. Quant à ceux qui ne
peuvent ou ne veulent pas ſe mettre à
portée de voir&d'entendre ces perſonnes
extraordinaires , qu'ils ſe repréſentent
, s'ils peuvent , les aîles d'un oiſeau,
dont les battemens feroient articuler l'air,
ils pourront ſe faire quelque idée du
timbre de leur voix. Quoique bien prononcé,&
très - intelligible elle ſe rapproche
beaucoup de la voix baſſe , elle eſt
grêle , peu nourrie , prolongée& comme
expirante : voilà bien les caractères d'une
voix foible qui vient de loin ; on doit
donc lui attribuer cette qualité , juſqu'à
II. Vol. C
fo. MERCURE DE FRANCE.
ceque l'expérience ait appris à corriger
ce jugement. C'eſt effectivement ce qui
eſt arrivé à notre obſervateur. A la troiſième
expérience l'illuſion a diſparu ; &
quoiqu'il jugeât très - bien de l'effet que
cela produiſoit ſur les oreilles , pour lefquelles
ce timbre étoit nouveau , il rapportoit
directement à la bouche du ventriloque
qu'il obſervoit ,des paroles que
d'autres s'imaginoient venir du haut d'un
arbre , du milieud'un champ , du fein de
la terre ou de l'air , à trente ou quarante
toiſes de diſtance. Ce dernier effer, c'eſtà-
dire , celui de faire venir la voix d'où
le ventriloque veut, eſt le plus furprenant
, & peut- être le plus aiſé de tous à
expliquer. On fait que la voix exerce ſa
plusgrande force , ſuivant la direction de
l'axe des lignes vocales : or , ſuppoſons
que la plus grande amplitude , ou la plus.
grande portéed'une pareille voix ſoit jugée
de quarante toifes ; le ventriloque en parlant
, efcamote un peu ſa phyſionomie ,
il a ſoin , fans affectation , de tourner ſon
viſage& de diriger la voix du côté d'où il
veut qu'elle paroiſſe venir. Si c'eſt du côté
de la terre , elle paroîtra donc venir de
fon fond , à quarante toiſes de ſa ſurface.
S'il la dirige vers le ciel , ce ſera à quaJUILLET
.
1772. 51
rante toiſes de haut , d'où l'on s'imaginera
qu'elle vient ; & ainſi à volonté , en
ſuivant toutes les directions quelconques.
Il n'eſt pas beſoin d'ajouter que le preſtige
augmentera d'intenſité &de merveilleux,
au milieu d'une forêt de haute futaie
parmi les rochers , dans les montagnes &
les vallons.
,
L'auteur rapporte à ce ſujet pluſieurs
ſcènes auxquelles l'art du ventriloque
qu'il a obſervé à Saint- Germain en Laye
(M. St Gille, marchand épicier dans cette
ville ) a donné lieu. M. St Gille ſe promenoit
un jour dans la forêt de Saint-
Germain avec un vieux militaire , qui
marchoit toujours tête levée , & avec de
grands écarts de poitrine. Il ne parloit &
il ne falloit jamais parler avec lui que de
batailles , de marches , de garniſons , de
combats finguliers , &c. Pour réprimer
un peu cette fureur afſommante de parler
toujours de ſon métier , M. St Gille s'aviſa
de lui ſervir un plat du ſien. Arri
vés à une endroit de la forêt aſſez découvert
, le militaire crut entendre qu'on
lui crioit du haut d'un arbre : On ne fait
pas toujours se servir de l'épée que l'on
porte. Qui eſt cet impertinent ? apparemment
, dit M. StGille, quelque pâtre qui
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
déniche des oiſeaux : paffons notre che
main. C'eſt un drôle ,reprit le militaire
en branlant la tête , avec un viſage dur &
refrogné. Approche , repartit la voix qui
deſcendoit le long de l'arbre , tu aspeur?
Oh ! pour cela , non , dit le militaire ,
enfonçant fon chapeau ſur ſa tête & ſe
diſpoſant à l'attaque . Qu'allez- vous faire,
ditM.St Gille en le retenant? on ſe moquera
de vous. La bonne contenance n'est
pas toujoursfigne de courage , continua la
voix, toujours endeſcendant. Ce n'eſt pas
là un pâtre , M. Saint-Gille ? je le ferai
bientôt repentir de ſes impertinences.
Témoin Hector fuyant devant Achille ,
cria la voix du bas de l'arbre. Alors le
militaire , tirant ſon épée , vint l'enfoncer
àbras raccourci , dans un buiffon qui
étoit au pied. Il en fortitun lapin , qui ſe
mit à courit à toutes jambes. Voilà Hector
, lui cria M. Saint-Gilles avec ſa voix
ordinaire , & vous êtes Achille. Cette
plaifanterie défarma&confondit le militaire.
Il demanda à M. Saint- Gille ceque
tout cela ſignifioit. Deux choſes , lui ditil
, la première qu'avant de former une
attaque , il faut bien ſavoir à qui l'on a
affaire; la ſeconde , que vous venez de
faire là une action de Dom Guichotte ,
JUILLET. 1772 . 53
M. Saint - Gille lui avoua enſuite qu'il
avoit deux voix qui faisoient de lui comme
deux perſonnes ; une à l'ordinaire avec
laquelle il lui parloit actuellement , &
une autre qui l'éloignoit de lui - même à
une grande diſtance , & dont il s'étoit
ſervi dans toute la ſcène dont ils venoient
d'être les acteurs l'un & l'autre. Il
lui fit remarquer en même tems que cette
voix fortoit de lui même , malgré la grande
diſtance d'où elle paroiſſoit venir . Le
militaire s'en rappella le timbre & convint
que c'étoit une illuſion où il eût toujours
demeuré ſans la bonne foi de M.
Saint-Gille.
Les autres ſcênes qui ſuivent prouvent
également qu'il eſt aſſez ordinaire lorfque
l'on n'est pas prévenu de ſe laiſſer
furprendre par l'art du ventriloque . Le
Baron de Mengen , ventriloque de la première
claſſe , actuellement vivantà Vienne
en Autriche où il fait ſa réſidence , a
penſé faire tourner bien des têtes avec le
talent qu'il a de varier & de multiplier
en quelque forte ſa voix. Ce Baron qui
ſervoit en qualité de lieutenant - colonel
ſous les ordres du feu prince de Deux
Ponts , général au ſervice de la Reine de
Hongrie , voulut un jour amufer ce Prin-
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
on
ce par une ſcène que fon art pour contrefaire
toutes fortes de voix lui avoit fait
imaginer. Il tira de ſa poche une petite
figure ou eſpèce de poupée avec laquelle
il ſe mit à converſer aſſez vivement àpeu-
près en ces termes : Mademoiselle , il
me revient de vous des nouvelles très-peu
Satisfaisantes . -Monfieur , la calomnie eſt
aiſée. Ne vous écartez pas du droit chemin
; je vousy ferois rentrer par des voies
désagréables. - Monfieur, il eſt aisé d'y rentrer
quand on n'en fort pas. Vous êtes
- une petite coquette , vous agacez les hommes
tant que vous pouvez. -Monfieur ,
quand on a un grain de beauté ,
eſt expoſée à l'envie &à la persécution.
Vousfaites la petite raisonneuse ?-Monſieur
, il n'eſt pas toujours permis d'attaquer
, il l'eft toujours de ſe défendre.
Taiſez - vous. Sur ces mots il l'enferme
dans ſa poche. Alors la poupée s'agite&
murmure : voilà comme les hommes font
faits , continue - t'elle , parce qu'ils font
les plus forts , ils s'imaginent qu'autorité
eſt justice. Un officier Irlandois qui ſe
trouvoit là , ſe perfuada ſi bien que la
poupée étoit un animal , dreſſé à ce manége
par le Baron de Mengen , qu'il ſe
jetta bruſquement fur la poche où elle
JUILLET. 1772 . 55
étoit pour endécouvrir la vérité. Alors ia
-petite figure ſe ſentant preſſée outre mefure
, ſe mit à crier au ſecours , comme
ſi on l'eût étouffée ; & elle ne ceſſa ſes
cris effrayans , qu'au moment qu'on eut
lâché priſe . Alors , pour convaincre l'officier
qu'il avoit bien donné dans le paneau
, M. le Baron de Mengen lui laiſſa
tirer de ſa poche une petite figure revêtued'un
manteau , ſous lequel il n'y avoit
que du bois. Tous les yeux des ſpectateurs
étoient fixés ſur le viſage de M. le
Baron de Mengen; néanmoins ils n'apperçurent
aucun mouvement pendant les
réponſes de la poupée , & la voix bien
articulée paroiſſoit uniquement procéder
de la petite figure. Ce qui ajoutoit fingu
lièrement au merveilleux de la choſe ,
c'eſt que la réponſe , ſuivant le témoignage
de ces Meſſieurs , heurtoit , ou du
moins ſembloit heurter quelque fois la
queſtion ou le reproche : comme il arrive
dans les conteſtations animées , où la réponſe
commence , quand l'objection dure
encore.
M. de la Chapelle , pour rendre fon
traité non moins curieux qu'utile & propreà
détruire l'empire de l'erreur & de la
ſuperſtition , a porté un coup-d'oeil phi-
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
A
loſophique ſur l'art des ventriloques. Il
fait voir par des exemples tirés de l'hifroire
ancienne que la fauſſe politique
s'imaginant que l'on ne peut gouverner
les hommes qu'en les trompant , a eu fouvent
à ſes gages des hommes qui s'annon.
çoient pour parler du ventre . Ces prétendus
ventriloques vouloient perfuader aux
aſſiſtans que quelque génie ſupérieur
avoit pris fiége dans leurs corps & que
delà il prononçoit des oracles. Quand ces
fourbes vinrent enſuite à perfectionner
leur talent , en faiſant croire que leurs
paroles venoient de pluſieurs centaines
de toiſes , dans toutes les directions poffibles
, quoique l'on fût à côté d'eux , on
n'oſa plus douter que ce ne fût Dieu
même , qui parloit du ſein de l'air , du
creux de la terre , du fond des abîmes ,
&c.
M. de la Chapelle , dans ce même écrit
ſemé de notes , d'obſervations , de traits
hiſtoriques qui diſtraient quelquefois le
lecteur de l'objet principal , mais qui
l'occupent toujours utilement s'eſt appliqué
à rectifier pluſieurs autres erreurs de
nos ſens . Ce traité doit donc être mis
entre les mains de tous les jeunes gens, &
ilsn'en auront pas peu profité s'ils recon.
:
JUILLET.
1772. 57
noiſſent avec l'auteur qu'en général plus
un effet produit par l'homme , paroît audeſſus
de la puiſſance humaine , plus on
peut prononcer avec ſureté , ou que cela
n'eſt pas , ou que la cauſe en eſt plate ou
puérile .
LETTRE de l'Auteur du Ventriloque
ou engastrimythe.
MONSIEUR ,
23 Juin 1772 .
Je vous ſupplie de faire inférer le plutôt poffible
,dans le Mercure de France , les cinq ou fix
lignes que j'ai l'honneur de vous adreffer , pour
réparer une faute d'omiffion que j'ai faite dans le
Ventriloque ou engaſtrimythe. J'ai oublié d'avertir
que le rapport de MM. les Commiſſaires de
l'Académie des Sciences ne regarde que les faits
dont ils ont été témoins , ainſi que l'explication
de leurs cauſes , contenus dans le mémoire à la
ſuite duquel ce rapport eſt imprimé , & non l'ouvrage
entier quin'a point été loumis à leur jugement.
J'ai l'honneur d'être , &c .
LA CHAPELLE.
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
Conférences fur les mystères , par le Père
Joſeph . Romain Joly , natif de Saint-
Claude , Capucin.; 3 vol. in 12. A Paris
, chez Claude Hériſſant , rue Neuve
Nôtre Dame .
Il y a long- tems que l'on ſe plaint de
cette multitude de queſtions inutiles &
interminables dont les ſcholaſtiques
avoient inondé la théologie,& du jargon
barbare que la logique d'Ariftote mal entendue
y avoit introduit : le grand jour
de la littérature qui a brille en Europe
depuis plus d'un ſiècle , n'a pu encore les
reformer ; parce que les théologiens ordinairement
peu lettres ou eſclaves de
leurs préjugés s'y ſont refuſés. S'ils remontoient
aux premiers ſiècles de l'Egliſe
, avant le règne des barbares , où le bon
goût ſe ſoutenoit encore , quels modèles
ne trouveroient- ils pas dans les Sts Pères!
La ſcholaſtique , il eſt vrai , a mis beaucoup
d'ordre dans la Doctrine chrétienne
& un développement merveilleux ;
c'eſt ce qu'il faudroit conferver; & rejetter
ces diſputes minutieuſes qui ont fait naî
tre des partis dans une religion invariable
&uniforme dans ſa créance. L'acharnement
des ſectes différentes & l'envie déJUILLET.
1772 . 59
meſurée de ſe défendre & d'abaiſſer un
adverſaire , a pouffé quelques théologiens
hors des limites & donné naiſſance à plufieurs
héréſies .
Ces conférences ſur les Myſtères ſont
faites par un homme inſtruit qui a toujours
eu pour la méthode ſcholaftique
une répugnance inſurmontable . Il s'eſt
borné à l'égard de la théologie dogmatique
aux choſes qui concernent la foi. La
poſitive lui a fourni des objets dont la difcuffion
eſt du reſſortde la littérature.
Nous avons annoncé dans le tems les
conférences du même auteur ſur la morale
chrétienne : elles n'ont pas la fécherelle
qui eſt ſi ordinaire aux ouvrages de cette
eſpèce ; & toutes les citations ont été puiſées
dans les ſources. C'eſt une précaution...
que les plus célèbres théologiens n'ont
point priſe généralement ; ils s'en font
rapportés à des collections , à des vérifications
ſouvent peu exactes , & à des livres
dont les citations ne ſont pas tou-
Jours fûres .
Dans ce nouveau cours de conférences,
on remarque la même précaution à l'égard
des autorités & la même préciſion dans
la doctrine. Enfin dans un ſiècle où l'on
enſeigne aux François en la langue qui
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
leur eſt propre , toutes les connoiſſances
humaines , on lui ſçaura gré de leur apprendre
la ſcience de Dieu qu'aucun
Chrétien ne doit ignorer. Les eccléfiaftiques
& les religieux qui ayant quitté le
collége depuis pluſieurs années ont perdu
l'uſage de l'idiome &du ſtyle de l'école ,
trouveront ici une explication facile des
objets de la foi & folidement établie .
L'auteur a pris pour guide le ſymbole
des Apôtres , & il en difcute tous les articles
avec plus ou moins d'étendue , traitant
brièvement les controverſes , pour
donner plus de place aux circonſtances de
la vie de Jeſus - Chriſt. Les théologiens
avoient abandonné cette matière importante
aux interprêtes de l'Evangile ; mais
l'auteur des conférences a cru qu'elle méritoit
toute fon attention . Voici fon
plan.
Il explique dansun premier tome l'exiftence
de Dieu & fes attributs , puis l'unité
de Dieu & la trinité des Perſonnes ;
enfuite les Anges , la création du monde ,
l'homme , la parole de Dieu adreffée aux
hommes , l'incarnation du Verbe & la
naiſſance du Meffie.
Le ſecond tome contient les conférences
ſuivantes : la manifeſtation du Verbe
JUILLET. 1772 . GL
A
incarné , Jeſus ſoumis à la loi , le baptême
de Jeſus - Chriſt , ſa prédication , ſes miracles
, les perfécutions qu'il a ſouffertes,
la Céne , la Paſſion de Notre Seigneur ,
ſa Mort & ſa Sépulture , la Réſurrection,
l'Aſcenſion .
Les conférences du troiſième tome ſont
ſur le St Eſprit , la Mère de Dieu , l'Egliſe
, la Hiérarchie ecclékaſtique , la Communion
des Saints , les Sacremens , la
Grace, les fins de l'homme.
Il y a au commencement du dernier
tome une lettre curieuſe ſur le livre des
trois Impoſteurs dont pluſieurs ſçavans
avoient conteſté l'exiſtence , & entr'autres
M. de la Monnoie ; mais il n'appuie
ſon ſentiment que d'une preuve négative
d'où l'on ne peut rien conclure. M. Arpe
a refuté M. de la Monnoie , il en appelle
à l'expérience , & dit qu'il a le livre entre
les mains. Ce livre eſt dans la bibliothèque
de M. le D. de la V.; & c'eſt de là
qu'on a tiré la copie dont on donne ici
une analyſe critique.
Cet ouvrage que l'on attribue à un pro.
teſtant nommé Nicolas Barnaud de Creſt,
ne ſuppoſe en ſon auteur aucune forte
d'érudition ; c'eſt un amas confus d'argumens
ſcholaftiques , du caractère des ob62
MERCURE DE FRANCE.
jections que les écoliers propoſent dans
leurs thèſes. « Il faudroit , dit M. de la
>> Monnoie , que ce fût un gros volume
>> pour répondre à ſon titre. En effet , il
n'y a pas répondu ; c'eſt une ſimple comparaiſon
de Moiſe & de Mahomet où Jefus-
Chriſt eft rarement & foiblement attaqué.
Ce livre a été imprimé ſans nom de
lieu en 1598 ; in- 8°. dequarante ſix pages
de vingt- ſept lignes chacune.
Traduction d'anciens ouvrages latins relatifs
à l'agriculture & à la médecine vétérinaire
, avec des notes . Par M. Saboureux
de la Bonnetrie , écuyer , avocat
au parlement & docteur agrégé de la
faculté des droits en l'Univerſité de
Paris ; tomes troiſième & quatrième
in- 8°. contenant l'économie rurale de
Columelle. A Paris , chez Didot le
jeune , quai des Auguſtins .
Les premiers volumes de ces traductions
que nous avons annoncées précédemment
nous offrent l'économie rurale
deCaton & celle de Varron . La première
eſt écrite fans aucun ordre & d'une manière
fort féche & fort aride . La ſeconde .
quoique d'un ſtyle beaucoup plus pur ,
plus élégant , n'empêche cependant pas
JUILLET. 1772. 63
qu'on ne life avec la plus grande ſatisfaction
l'économie rurale de Columelle
dont M. Saboureux de la Bonnetrie nous
donne aujourd'hui une bonne traduction .
Cet écrit économique peut être regardé
comme le monument de l'antiquité le
plus complet fur cette matière , & le plus
agréable à lire . Columelle non moins curieux
de plaire que d'inſtruire choiſit fes
expreffions , varie ſes formules & emprunte
de la nature même des objets qu'il
décrit les images les plus propres à nous
les repréſenter. Son ouvrage étoit pour
cette raiſon très difficile à bien traduire .
M Saboureux de la Bonnetrie a vaincu
une partie des difficultés. Il a accompagné
cette traduction de notes inſtructives &
dedeux tables alphabétiques . La première
contient la valeur actuelle des poids, mefures
& monnoies dont il eſt parlé dans
l'économie rurale. La ſeconde table donne
une courte notice ſur les villes & pays
&nous inftruitde leurs noms modernes.
Mémoires hiftoriques , politiques & militai.
res fur la Ruffie , contenant les principales
révolutions de cet Empire , & les
guerres des Rufles contre les Turcs &
les Tartares ; avec un ſupplément qui
64 MERCURE DE FRANCE .
donne une idée du militaire , de la marine
, du commerce , &c. de ce vaſte
Empire ; par le Général de Manſtein ;
nouvelle édition , augmentée de plans
& de cartes , avec la vie de l'auteur ;
2 vol . in 8° . A Paris , chez J. P. Coftard
, libraire , rue St Jean- de- Beauvais
; à Lyon , chez Jean- Marie Bruyſet
, imprimeur- libraire.
Ces mémoires qui commencent à la
mort de Catherine I , & finiſſent vers les
premières années du règne d'Elifabeth en
1744, nous remettent devant les yeux une
ſuite d'événemens qui nous étoient déjà
connus. Mais le Général de Manſtein qui
a ſervi dans le militaire de Ruſſie , & a
été employé dans le cabinet , a pu ajouter
à ces événemens des particularités ignorées
, des intrigues de cabinet & quelques
anecdotes ſur les favoris. Ce général n'a
point négligé en écrivant l'hiſtoire des
révolutions du thrône de Ruſſie & des
guerresde cet Empire contre lesTurcs,de
décrire les moeurs de pluſieurs peuples qui
ſervoient dans ſes armées. Les Coſaques
Saporogéens ont fur-tout attiré ſon attention.
Ces Coſaques habitent les Ifles de Boriſthène
ou Nieper,& une petite contréede
laCrimée, au-delàdesCataractes . C'eſt un
JUILLET. 1772. 69
affemblage de toutes fortes de Nations.
Leur général ou chef de leur république
eft appellé Kofchowoy-Attaman Ils l'éliſent
entre eux , & lui prêtent pour autant
de tems qu'il leur plaît , une obéiffance
aveugle. Mais auſſi-tôt qu'ils ne
fontplus contens de lui , ils le démettent
de ſa charge ſans autre cérémonie & en
éliſent un autre. Il n'eſt permis à aucun
des Coſaques Saporogiens d'être marié
dans les confins de leur territoire. Si quel
qu'un l'eſt , il faut que ſa femme demeuredans
undes pays voiſins , où il va la
trouverde tems en tems ,& il faut même
qu'il faſſe cette entrevue à l'inſçu des anciens.
Chacun quitte la ſociété quand elle
ne lui plaît plus. Un autre vient ſe faire
infcrire ſansautre formalité que de déclarer
qu'il veut ſe conformer àleurs uſages
&ſe ſoumettre à leurs lois. C'eſt pourquoi
ils ne ſçauroient jamais déterminer
précisément leurs forces. Ils font diviſés
enpluſieurs chambrées , & tout ceux qui
ſe trouvent préſens dans leur capitale
ſont obligés de dîner & de ſouper dans
les réfectoires publics. Ils ne ſouffrent pas
même les femmes chez un étranger qui
en emmeneroit chez eux. En 1728 , pendant
que les Ruſſes faifoient la guerre
(
66 MERCURE DE FRANCE.
contre les Turcs , les Saropogiens avoient
reçu garniſon de troupes reglées dans leur
capitale , qui n'eſt autre choſe qu'un village
retranché nommé Sz. Le lieutenant-
colonelGlebow qui y commandoit
fit venir ſon épouſe. Elle n'y fut pas plutôt
que tous les Coſaques s'étant attroupés
, entourèrent ſa maiſon , & prétendirent
qu'on leur livrât les femmes qui s'y
trouvoient , pour en avoir chacun ſa part.
M. de Glebow eut bien de la peine à les
appaiſer , & n'en vint à bout qu'en leur
donnant quelques tonneaux de brandevin.
Il fut cependant obligé de renvoyer
ſon épouſe ſur l'heure même crainte d'une
nouvelle émeute. Leur manière de punir
eſt auſſi fingulière que leur manière de
vivre. Toute cette république n'eſt compoſée
que de voleurs &de vagabonds qui
ſe nourriffent de rapine en tems de paix
comme en tems de guerre ; mais ſi quelqu'un
s'aviſe de voler la moindre choſe à
fon camarade , il eſt liéàun poteau placé
dans la grande place de la ville. On met
à côté de lui un flacon, un pain & pluſieurs
gros bâtons. Chaque paſſant eſt en
droit de lui donner autant de coups qu'il
veut. Il peut après cela rafraichir ce pauvre
miſérablede quelques goutes de bran
JUILLET. 1772. 67
devin & de quelques morceaux de pain.
Il reſte attaché à ce poteau nuit & jour ,
ſelon le bon plaiſir de ſes juges , & fouvent
cinq fois vingt- quatre heures . S'il
eſt aſſez heureux pour ne point expirer
ſous les coups , il eſt de nouveau reçu dans
la ſociété.
Ces mémoires quoiqu'originairement
écrits en françois ont d'abord été publiés
en anglois. Il s'en eſt auſſi fait une édition
allemande& une édition françoiſe à Léipfig
conforme à l'original. Le dernier éditeur
a ajouté à ces mémoires des notes
utiles & un précis de la vie de l'auteur
mort en 1757. L'éditeur de Paris a profité
de ces notes & de ce précis , & a de
plus enrichi ſon édition de plans & de
cartes topographiques qui ſe trouvent
dans l'édition allemande & que l'on peut
regarder comme un commentaire néceffaire
à pluſieurs faits rapportés dans ces
mémoires. Ces faits intéreſſeront par euxmêmes
& par la rélation qu'ils peuvent
avoir avec ce qui ſe paſle aujourd'hui
ſous nos yeux. Mais les lecteurs françois
feront obligés de pardonner quelques vices
d'élocution à un étranger qui a écrit
dans leur langue ; ils préféreront fans
doute l'éloquence ſimple &naturelle d'un
1
68 MERCURE DE FRANCE .
militaire qui narre avec ingénuité les faits
tels qu'il les a vus , à toutes les recherches
d'un hiſtorien érudit ſouvent plusoccupé
de lui même que de ſes lecteurs.
Théorie des Etresſenſibles , ou cours com
plet de phyſique ſpéculative , expérimentale
, ſyſtematique & géométrique,
miſe à la portée de tout le monde: avec
une table alphabétique des matières ,
qui fait de tout cet ouvrage un vrai
dictionnairede phyſique ; par M. l'Abbé
Para du Phanjas. Cet ouvrage eſt
actuellement envente en4 vol . in 8°.
rel . 28 liv . A Paris , chez Ch. Antoine
Jombert , père , libraire du Roi pour
l'artillerie& le génie , à l'Image Notre.
Dame; 1772 , avec approbation&pri
vilége.
La Physique est la ſcience des corps ,
c'est- à -dire , de toutes les ſubſtances ſenfibles
qui compoſent l'Univers ; & la
ſcience des corps n'eſt autre choſe que la
ſcience de la matière & du mouvement.
Dans un ſiécle où le goût de la phyſique
eſt devenu le goût général &dominantde
l'Europe éclairée & polie ; où cette portion
même de l'humanité , qui ne ſembloit
formée que pour faire l'aménité &
JUILLET. 1772 . 69
les charmes de la ſociété , a oſé montrer
qu'elle étoit auſſi née pour approfondir &
dévoiler les fublimes myſtères de la nature
; il n'eſt plus permis qu'à un reſte ſuranné
d'eſprit miſérablement gothiques ,
dedédaigner une ſcience qui fait l'ornement&
les délicesde tout ce qui ſe pique
d'avoir de la culture & des lumières .
Quelle fatisfaction pour un esprit élevé&
pénétrant , d'être , pour ainſi dire , le confident
de la nature ; de voir les événemens
phyſiques ,dans leurs cauſes & dans
leurs principes ; de connoître & de ſaiſir
le reffort ſecret des brillans phénomènes
qu'il obſerve , tantôt dans le Ciel , où la
marche harmonieuſe des aftres règle &
varie les ſaiſons; tantôt dans l'athmofphère
, où la ſcène changeante des météores
excite alternativement & l'admiration
& la terreur ; tantôt ſur la terre , où
tout ſe meut , & fe forme , & fe conferve&
ſe détruit , par un méchaniſme éga
lement admirable & intéreſſant ! Quelle
confolation pour un esprit religieux &
chrétien , de ne pouvoir repoſer ſes regards
ſur aucune partie de la nature ,
fans y découvrir viſiblement ſon Dieu;
ſans y fentir ſon adorable préſence
qui conſerve & perpétue ſon ouvrage ;
70 MERCURE DE FRANCE.
1
qui donne & l'ordre & le branle à toutes
choſes ; qui s'annonce par-tout par des
traits éclatans de ſageſſe , de puiſſance , de
bienfaiſance , dignes d'étonner & de toucher
une ame bien née , de remplir fon
coeur de reconnoiſſance , en frappant d'admiration
fon eſprit !
On a employé , dans cette théorie des
Etres ſenſibles ou dans ce cours complet
de phyſique , la méthode qui a paru la
plus fimple , la plus lumineuſe , la plus
propre à conduire l'eſprit humain dans la
recherche de la vérité. Cette méthode
conſiſte à donner d'abord des définitions
nettes & lumineuſes , qui mettent au fait
de la queſtion préſente; à préſenter enſuite
l'enchaînement de principes & de
raiſons plauſibles , qui établiſſent une vérité
générale ou particulière ; à réfuter
enfin efficacement les difficultés ſolides ,
qui pourroient rendre ſuſpecte ou douteuſe
la vérité établie & démontrée . On
verra , par cet ouvrage , que cette méthode
, en réglant la marche & en concentrant
la lumière de l'Eſprit humain
pourroit ne point nuire à l'énergie , aux
élans , à la richeſſe du Génie , de ce don
fublime de la nature &de la raiſon , qui
doit être à la fois & l'interprète & le pein-
,
JUILLET. 1772 . 71
1
1
tre de l'une & de l'autre ; &que c'eſt peutêtre
l'unique méthode,qui doive être ad
miſe dans un ouvrage deſtiné à porter une
vraie lumière , une lumière ſimple & éclatante
, ſur l'immenſe théâtre de la nature
entiere. Si cette méthode paroît ancienne
pourle fond des choſes , la manière dont
on la met en oeuvre en fait une méthode
réellement nouvelle & unique , dont il eſt
facile de faifir le caractère diftinctif , &
d'apprécier le mérite ſcientifique.
Ces quatre volumes ſur la phyſique ſeront
ſuivis d'un volume de mathématiques
qui ſe vendra ou conjointement avec
l'ouvrage fur la phyſique , ou ſéparément
fans cet ouvrage. Il aura ſa préface à part,
&il ſera intitulé : Principes du Calcul &
de la Géométrie ; ou Cours complet de Mathématiques
élémentaires , miſes à la portée
de tout le monde : avec une table alphabéque
des matières , qui en fait un vrai
Dictionnaire de Mathématiques.
Phrofine &Mélidore , poëme en 4 chants.
AMeſſine ; & ſe trouve à Paris , chez
Lejay , libraire , au grand Corneille
rue St Jacques.
Muſe plaintive , ô toi qui fais répandre
Ces pleurs touchans , délices d'un coeur tendre ,
,
72 MERCURE DE FRANCE.
Des vrais amans toi qui peins le malheur ,
Donne à ma voix l'accent de la douleur.
Quela pitié , les regrets , les alarmes ,
Où l'intérêt fait trouver tant de charmes ,
Enfoupirant accompagnent tes pas-
Toi qui chantais Léandre & fon trépas ,
Sur ce rivage où l'amour pleure encore;
Chante avec moi Phrofine & Mélidore.
Après cette invocation qui ouvre le
poëme , l'auteur établit le lieu de la ſcène.
Près des écueils de Caribde &de Scylle ,
Paraît Meſſine aux rives de Sicile.
Là cent palais ſouverains de ces mers ,
Le pied dans l'onde ont le front dans les airs.
Son port fuperbe , abri de la fortune ,
Sauve Plutus des fureurs de Neptune.
Tout l'or de l'Inde éclate ſur ſes bords ;
Mais c'eſt en vain que l'Aſie & ſes ports
Comblent ſon ſein de richeſſes nouvelles ;
Ses vrais tréſors étaient deux coeurs fidèles .
Mélidore eſt un jeune homme aimable
, à qui ſes vertus tiennent lieu de naiffance.
Phroſine de l'illuſtre famille des
Fuventius , eſt la merveille de ſon ſexe .
Que l'art fécond forme les plus beaux traits ,
Qu'il embelliſſe , exagère , imagine ,
Il rend Vénus , & ne rend pas Phrofine.
Phrofine
JUILLET. 1772 . 73
Phroſine & Mélidore ſe virent & s'aimèrent.
De leurs regards partit un double éclair ,
Pareil à ceux qui ſe croiſent dans l'air.
Ils s'étoient rencontrés dans une fête
que l'on donnoit ſur le port..
Phroſine y vint , Mélidore y courut.
Pour eux la fête auſſi -tôt diſparut.
Phroſine avoit deux frères ; Aymar ,
homme ambitieux & plein de l'orgueil
des grands noms ; & Jule , malheureux
d'avoir une ſoeur ſi aimable,& dévoré d'un
amour inceſtueux .
C'eſt un regard auſſi pur que le jour ,
Qui donna l'être au plus impur amour ;
Tel le poiſon dont Circé fait uſage ,
Naît du ſoleil , honteux de ſon ouvrage.
Aymar , l'aîné des deux frères , chargé
de choiſir un époux à Phroſine , ne conſulta
que le rang & la naiſſance , & Phrofine
allait être ſacrifiée , quand un nouveau
malheur vint ſe joindre au danger
qui la menaçait. Jule , au moment de
voir ſa ſoeur lui échapper pour toujours
devoile ſon fatal fecret, :
II. Vol. D
74
MERCURE DE FRANCE .
६
esMa foeur , dit- il , tu vas frémir ſans doute.
>> Plains -toi , rougis , friflonne , mais écoute.
ဘ : •
>>Pourquoi leCiel , en te créant ſi belle ,
>>>S'il m'a connu , m'a-t'il mis près de toi ?
>>D>et'adorer il m'impoſa la loi.
→ Rappelle ici le berceau de notre âge ,
•
>>Nos premiers goûts , nos jeux , notre langage ,
>>>Cette union , ces faveurs , ces plaiſirs ,
>> Que permet l'âge à d'innocens deſirs .
>> Jeune , imprudent , ſans remords , fans alarmes
,
>>Je m'enivrais du poiſon de tes charmes.
Mon coeur enfin te parla ſans détour.
>>> La voix du ſang fut celle de l'amour.
>>>J'en vis le crime & ne pus m'en défendre.
>>> Phroſine ! ah ! Dieu ! tu frémis de m'entendre...
>>> Demeure , attends... J'expire , ſi tu fuis.
> J'ai fi long- tems dévoré mes ennuis !
>>Maiston hymen aujourd'hui m'aſlaſſine.
>>> Un autre , ô Ciel ! dans les bras de Phrofine !
>>U>nautre!. &moi , déchiré nuit & jour ,
J'aurai ſans toi mon crime & mon amour ?
> Pardonne ou frappe , indulgente ou ſévère ,
Parle& choiſis d'un époux ou d'un frère.
Si je te perds ,je ſuis mort , &ta main ,
En ſe donnant , me percera le ſein. >>
Phroſine repouſſe avec horreur le cri
JUILLET. 1772. 75
minel amour de ſon frère. Mais elle le
Taffure ſur l'hymen dont il eſt effrayé , &
qu'elle est réſolue de ne pas accepter. Elle
le conjure de vivre.
Bientôt des plaintes plus touchantes
ſe font entendre à ſon coeur; ce ſont celles
de l'amoureux Mélidore. Phroſine
fidèle à fon amant réſiſte aux inſtances ,
aux perſécutions de ſon frère Aymar.
Mélidore , favoriſé des biensde la fortune
imagine que s'il peut les augmenter encore,
il tentera peut- être l'ambition des
Faventius. Il vole au delà des mers pour
chercher les tréſors du commerce.
Ligués pour lui Mars , Eole , Neptune ,
Accéléraient le cours de ſa fortune.
Par leur objet rendus plus précieux ,
Sesbiens ſacrés intéreſlaient les dieux..
Il revient plus riche &plus épris que
jamais. Mais ſon eſpérance eſt encore
trompée. Aymar eſt inflexible. Alors
Phroſine ſe réſout à fuir avec ſon amant.
Elle lui indique un rendez-vous ſous les
murs des jardins de ſa maiſon qui touchent
à la mer. Mélidore s'y rend au clair
de la lune. Aymar l'y rencontre. Inſtruit
de la paſſion de Mélidore , il lui ſuppoſe
مه Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
fans peine un deſſein. Il met l'épée à la
main , & fond fur lui. Mais bientôt dangereuſement
bleſſé il tombe aux pieds de
Mélidore. Jule paraît en ce moment , &
joignant au deſirde venger ſon frère les
reflentimens d'un rival , il eſt bientôt aux
mains , quand Phroſine accourt au bruit ,
ſe jette entre les deux combattans & les
ſépare. C'eſt alors qu'il faut que Mélidore
s'éloigne d'elle. Jule la ramene auprès
d'Aymar dont les bleſſures n'étaient pas
mortelles. Mélidore déſeſpéré brûle ſes
vaiſſeaux , laiſſe croire que lui-même eſt
enfeveli ſous leurs débris tandis qu'il ſe
dérobe par une fuite ſecrette & va cacher
ſadeſtinée . C'eſt la fin du It chant.
Dans une ifle voiſine un folitaire s'étoit
creuſé une retraite entre des rochers.
C'eſt là que Mélidore aborda dans une
barque. Il conte ſes malheurs au vieil hermite
qui le conſole & l'invite à partager
ſademeure. Il y conſent. Il vit dans la ſolitude
, mais il n'y retrouve pas la tranquillité
.
Ah! qui pourrait effacer dans unjour
La profondeur des traces de l'amour ?
C'eſt le torrentqui ſillonnant la plaine
Atout empreint du ſable qui l'entraîne.
Les prés rougis , les guérêts dépouillés
JUILLET. 1772 . 77
Marquent les lieux que ſon cours a fouillés .
Mais un printems ſuffit à la nature
Pour réparer l'émail & la verdure.
La vie entière à peine reproduit
La paix du coeur qu'un ſeul inſtant détruit.
Le folitaire meurt , & laiſſe Melidore
ſeul poffeffeur de ſon hermitage . Cependant
Phroſine avait appris d'un pêcheur
la route qu'avait tenue ſon amant. Elle
brûlait de le rejoindre. Un fonge affermit
encore ſes réſolutions .
1.
Des régions qu'habitent les menſonges ;
Etait parti le plus heureux des ſonges .
Non , ce vieillard par des hiboux traîné ,
Ceint de pavots, de crêpe environné ;
Mais un enfant fans voile & fans nuage ,
Tout rayonnant de l'éclat du bel âge ,
Au doux ſourire , au teint frais & vermeil ;
Il répandait les roſes du ſommeil.
Le mouvement de ſon aîle divine
Rafraîchit l'air que reſpirait Phrofine.
Sa douce haleine embauma ce ſéjour ;
Ce bel enfant , ce ſonge était l'amour,
L'amour lui prédit qu'elle ſera Néréide.
Il lui montre l'iſſe où eſt ſon amant.
Phroſine encouragée par ce préſage , s'ef.
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
faie à nager ſous les yeux d'Aly ſa compagne
.
Soudain le ſable échappe fous ſes pas .
Son corps s'étend, balancé ſur ſes bras.
Ses pieds de l'onde atteignent la ſurface.
Un fol eſpoir animait fon audace.
Aly tremblait ; Phroſine s'égarant
Nageait encor ; mais fon coeur expirant
Trop faible hélas ! la rappelle au rivage.
«Aly , dit- elle , as-tu vû quel préſage !
>> L'amour ſans doute écoute mes defirs .
* 11 ſoumet l'onde & commande aux zéphirs.
J'irai plus loin. Elle dit &s'élance ,
Bat , fend la mer , nâge à plus de diſtance,
Revient , retourne & jouant ſur les caux ,
S'exerce encore à des périls nouveaux.
Ce que l'amour inſpire à cette amante ,
La jeune Aly par amitié le tente.
Un voile tombe', un autre eſt détaché ,
Sous chacun d'eux un amour eft caché.
Mais ces attraits , mais leur grace divine
Rendent hommage aux graces dePhrofine.
Ses lys fur-tout triomphent en blancheur ,
Et Vénus même envierait ſa fraîcheur.
Alydans l'onde où Phroſine l'attire ,
Etend un pied , poufle un cri , ſe retire ,
Rentre , chancelle , avance , & chaque pas
Enſevelit quelqu'un de ſes appas.
:
JUILLET. 1772 . 79
Elle oſe enfin ſuivre la Néréide
Qui ſur les eaux ſe ſoutient&la guide.
Phrofine , Aly , s'exerçaient tour-a-tour.
Telles on voit au ſommet d'une tour.
Prendre leur vol deux jeunes hirondelles ,
Et l'annoncer par un battement d'aîles.
L'une en tremblant s'eſſaye à voltiger ;
L'autre plus prompte affronte le danger ,
Déſigne un terme au vol qu'elle médite
Part , vole , fuit ; la compagne l'imite ,
La ſuit , l'atteint , & toutes deux au pair ,
Vont meſurer les campagnesde l'air.
,
Ce morceau termine le ſecond chant.
Au commencement du troiſième , le
poëte ſe plaint qu'on a trop captivé les
talens & les occupations d'un ſexe qui ,
comme le nôtre , pourroit prétendre à
tour. Il cite les Muſes qui préſident aux
arts , Diane , à la chaſſe , Pallas , aux combats,
&c. l'hiſtoire aurait pû le ſervirencore
mieux que la fable . Mais l'homme,
dit-il , a ufurpé tous les droits des femmes&
trompé leurs deſtinées .
Telle une ſource & brillante & féconde
Naît dans l'eſpoir de parcourir le monde,
Roule ſes flots , & d'un cours qu'elle étend
Promène au loin le tribut éclatant.
Div
ㅏ
MERCURE DE FRANCE.
Mais l'art trompeur l'arrêtant ſur la rive ,
Par cent canaux l'enchaîne & la captive.
Ainfi borné , ſon cours infructueux
N'embellit plus qu'un jardin faſtueux.
Dans leurs priſons ſes ondes étrangères
N'arroſent plus que des fleurs paſſagères .
Rompez la digue , un fleuve naît alors ,
S'étend , circule , enrichit tous les bords ;
Répand l'eſpoir , la vie & la fortune ,
Et va groſſir l'empire de Neptune.
Le courage de Phroſine ſert de nouvelle
preuve aux idées du poëte . Rien n'a
pû ébranler ſa conſtance. Son frère Jule
eſt parvenu à rompre le mariage qu'Aymar
avait projetté. Il feint d'être guéri de
fon amour , & ſe prépare à la faire tomber
dans le piége. Phroſine trop aifément
raſſurée ſe promenoit ſouvent ſur la mer ,
ſeule avec ſon frère Jule , & un rameur
qui conduiſoit la barque. C'eſt dans un
de ces momens que Jule oſe menacer ſa
ſoeur des dernières violences , ſi elle réſiſte
à ſa paſſion criminelle. Phroſine épouvantée
veut au moins le faire rougir , en
lui montrant un témoin de ſon forfait ,
ce matelot qui tenait la rame. Le forcené
Jule veut le poignarder ; Phroſine l'arrête
, & ſe jette dans les flots. Jule s'élance
JUILLET. 1772. 81
après elle. Le matelot veut porter ſes ſe
cours à Phroſine . Elle lui conſeille de les
réſerver pour fon maître. Elle nâge avec
intrpidité & aborde au rivage , où le rameur
a bien de la peine à ramener l'infortuné
Jule.
Sûre déſormais de ce qu'elle peut faire,
Phrofine ne veut plus différer l'exécution
de ſes projets. Elle feint qu'elle doit
s'aquitter d'un voeu au Rocher de l'Her..
mite. C'eſt ainſi qu'on nommoit dans le
pays la retraite où était caché Mélido e.
Aymar ne peut s'oppoſer à cette pieuſe
démarche. Mais il ordonne qu'on ait toujours
les yeux fur elle. Phrofine part ,
aborde , reconnaît la plage & les endroits
les plus acceſſibles. Elle monte au rocher,
couverte d'un voile , & laiſſant fa ſu te a
quelquesdiſtances. Elle ſe proſterne auc
pieds de Mélidore , baiſe ſon vêtement ,
fufpend un tableau dans ſa cellule & laifle
un bouquet de fleurs. Elle ſe retire ſans
être reconnue. Mélidore apperçoit un
billet parmi les fleurs. Il l'ouvre & lir.
«C'eſt ta Phroſine , ô mon cher Mélidøre ,
Qui t'a revû , qui veut te voir encore.
>>>En vain la mer s'oppoſe à mon effort ;
O mon amant , je changerai ton fort.
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
•Pour nous rejoindre & nous vengerdu crime ,
L'art & l'amour m'ont foumis cet abîme :
« Je franchirai cet obſtacle odieux .
>> Demain quand l'ombre aura voilé les cieux ,
>>>Sur le ſommet de ton rocher aride
>> Fais voir au loin un flambeau qui me guide.
J'en ai connu les entours & l'abord ;
>>Veille ſans crainte , attends-moi ſur le bord;
Et tu verras ſur la rive écumante
>>S>eule à la nage aborder ton amante.
>> L'eſpoir , l'amour , ſon aſtre & les zéphirs
>>Me conduiront au port de mes plaifirs .
On peut ſe repréſenter la ſituation de
Mélidore , en lifant cette lettre .
>> C'étoit Phrofine ! elle a fui ; la cruelle !
>>>Il dit & tombe en diſant : c'était elle .
Il jetre les yeux fur le tableau. Une
femme luttait contre les vagues , & l'amour
faifait briller un flambeau ſur un
rocher. Il conçoit le projet de fa courageuſe
amante. Il tremble du péril où elle
s'expoſe. Ilfrémit & il eſpère. Le jour
finit. Phroline arrive au bord de la mer
vers un endroit retiré où elle avoit coutume
de venir ſe baigner. Le flambeau
paraît. Elle ſe dépouille de ſes vêtemens.
Une réflexion l'arrête un moment. En
JUILLET. 1772. 83
quel état paraîtra - t'elle aux yeux d'un
homme?
Il ſera nuit. Cet homme eſt ſon amant.
Partez , Phrofine , on peut tout en aimant.
Vénus ainſi parut au ſein de l'onde.
Applanis- toi , vague altière & profonde.
Regnez , zéphirs ; vents , ſoyez retenus ;
Confpirez tous pour cette autre Vénus.
Le dernier chant commence ainſi .
Sije tenais les pinceaux d'Auſonie ,
Livré ſans peine aux écarts du génie ,
Je me plairais , Mythologue abondant ,
Afoulever l'empire du Trident.
Mille Tritons ſuivant mon héroîne ,
La chanteraient ſur leur conque divine ,
La Néréïde en gémirait tout bas
Et ſous les flots cacherait ſes appas .
Des objets affez intéreſſans pour ſe pafſer
de cet artifice occupent le chantre de
Phroſine , c'eſt ſur elle , ſur ſon amant
qu'il arrête nos yeux .
De fon rocher l'amoureux Mélidore
N'entend , ne voit , n'entrevoit rien encore.
Il marche , écoute , appelle à tout moment ,
De ſon fanal excite l'aliment ,
Monte au rocher , redeſcend au rivage ,
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
1
Bénit le calme & conjure l'orage.
Il voit enfin naître un fillon léger ;
Un bruit s'élève , aux vagues étranger.
L'objet paraît ſur un flot qui bouillonne.
Il meurt de joie , & de crainte il friſſonne.
D'un flot à l'autre il meſure la mer ,
Son oeil avide a le feu d'un éclair.
Tout ſon ſang brûle & tout ſon coeur palpite.
L'objet approche , & lui ſe précipite ,
L'atteint , l'enleve au fatal élement ;
Ah! quel fardeau pour les bras d'un amant !
Phroſine eſt évanouie de faibleſſe &
d'épuiſement. Mélidure la rappelle à la
vie. Il ne peut concevoir qu'elle ait tant
riſqué pour lui . Elle lui répond :
« J'aime , j'ai tout ofé.
Tu vois , l'amour ma rendu tout ailé . วอ
Elle lui apprend qu'elle a ſu triompher
de la tyrannie d'Aymar & de la rage de
Jule. Elle vient s'unir à lui ſous les auſpices
de l'amour.
« Le Ciel nous voit , il entend nos fermens.
>> La loi d'hymen c'eſt la foi des amans . >>
Et telle fut la foi qu'ils ſe promirent ;
Pour l'affurer leurs deux bouches s'unirent.
L'amour couvrit leur antre ténébreux ,
JUILLET. 1772 . 85
Et l'Univers s'anéantit pour eux.
Né du haſard ou d'un fatal augure ,
Un bruit ſoudain fit trembler la nature.
L'onde en fureur battit les fondemens
Du roc affreux , palais de nos amans.
Un coup de foudre en abattit la cine ,
Qui s'engloutit au centre de l'abîme ,
Avec un bruit qui cent fois redoubla ,
Pareil au bruit des monſtres de Scylla .
Les vents , les flots , la tempête & la foudre
Auraient alors réduit le monde en poudre ,
Le couple heureux de ſa chûte accablé ,
En eût péri ſans en être troublé.
Comme enchanté dans leur grotte profonde
Leur nouvel être habite un nouveau monde ,
Et tous leurs ſens en un feul confondus
Semblent s'unir pour s'aimer encor plus.
L'aube déjà perçant les voiles ſombres ,
Chaſſait du Ciel la tempête & les ombres ;
Et l'horiſon dans un vague lointain
Etait rougi des vapeurs du matin ;
Quand l'oeil ouvert , Phroſine la première
Voit ce rayon d'importune lumière ,
Se plaint du jour qui nait ſi promptement ,
Mais lui fait grace en voyant ſon amant.
Phroſine retourne auſſi heureuſement
qu'elle étoit venue. Mais le poëte obferve
que le chemin lui parut plus long. Sa
$6 MERCURE DE FRANCE.
fidelle Aly qui avoit tremblé pour elle la
reçoit dans ſes bras avec tranſport.
Tout lui fut dit , le coeur n'oublia rien.
L'amour heureux conte toujours ſi bien !
L'amour heureux veut auſſi toujours l'être.
Ces vers font charmans & la tranfition
en eſt excellente. C'eſt une vraie beauté
de ſtyle . Phroſine recommence ſouvent
ſes voyages . Cependant Jule a recours à
une magicienne pour en obtenir un filtre
qui rende Phroſine ſenſible à ſon amour.
Elle conjure , appelle ſes démons .
Trois fois ſa bouche a repéré leurs noms .
Trois fois baillé , ſon ſceptre redoutable
D'un trait magique a fillonné le ſable.
L'Erébe eſt ſourd , un filence profond
Trompe ſon art , l'étonne & la confond.
Unjour plus pur ſe fait voir , & la terre
Loin de s'ouvrir ſous ſes pas ſe reſſerre .
«Quel ſigne affreux ! dit- elle ; on te trahit.
>>>A ton rival l'enfer meine obéit.
>> Phrofine eſt tendre & l'amant qui t'adore
>>>En eſt aimé. »
Jule s'obſtine à douter. Il croyoit Phroſine
inſenſible . La magicienne lui remet
un miroir où la vérité terrible ſe montre
JUILLET. 1772 . 87
à ſes yeux. Il y voit Phroſine portée fur
les vagues & reçue par ſon amant. Tranfporté
de rage il court révéler tout à fon
frére Aymar. Ces deux monftres s'unifſent
pour la perte de leur malheureuſe
foeur. Ils montent vers le ſoir ſur une
barque par un tems nebuleux , & vont
vers le lieudu rendez vous ordinaire , faire
briller le ſignal perfide .
Phroſine aux traits de ſa fauſſe lumière
Rentre ſoudain dans l'humide carrière.
O malheureuſe ! on vas -tu ? vois ton fort.
Fuis ce rayon ; c'eſt l'aſtre de la mort.
J'appelle en vain ; je la vois qui s'engage
Loin du rocher qu'obſcurcit un nuage.
L'eſquif s'éloigne en l'égarant toujours .
La mer l'étonne. Un fi pénible cours
L'appéſantit ; elle fent un abîme ;
Mais elle voit ce feu qui la ranime.
Elle s'épuiſe en efforts toujours vains ;
Et ſans pitié deux frères inhumains ,
Pour voir ſa mort reculent devant elle.
Jule un moment flotte , héſite, chancelle ,
Saifit la rame & veut la ſecourir.
Non , dit Aymar , le monſtre doit périr;
C'eſt à l'abîme à couvrir cet outrage.
Jule attendri veut adoucir la rage ,
Combat , avance , il s'efforce un inftant
1
88 MERCURE DE FRANCE.
Dela ſauver. Phroſine s'agitant
Levait la tête , & prononçait encore
« Où ſuis - je ? où vais - je ? ô mon cher Mélidore ,
Jule attentif au nom de ſon rival ,
Frémit , s'arrête , engloutit le fanal ,
Recule encore ,&dans la nuit profonde
Livre Phroſine aux abîmes de l'onde .
Que n'eſt- il vrai ce pouvoir enchanteur
Par qui jadis le Ciel réparateur
En déité transformait une belle !
Phrofine hélas ! tu ſerais immortelle ,
Et tu périsfans grâce & ſans retour !
Plus malheureux ô toi qui vois le jour !
Qui t'apprendra cette horrible nouvelle ?
Il tient en vain dans cette nuit cruelle
Ses yeux ouverts , ces fanaux allumés ;
Il a perdu les voeux qu'il a formés.
L'ifle d'Amour n'a pas vu la deéſſe.
Mille ſoupçons alarment ſa tendreſſe.
Il va s'en plaindre au fatal élément.
Il en approche. O frayeur d'un amant !
Ma main friſſonne à tracer cette image.
Il voit flotter un corps près du rivage.
L'effroi , l'amour précipitent ſes pas
Vers ce jouet de l'onde & du trépas .
Quel coup de foudre! 6 Ciel ! c'eſt ſon amante,
Qu'à ſes pieds roule une vague écumante.
C'eſt-elle... Il tombe , immobile , éperdu,
: JUILLET. 1772. 89
Sur cet objet dans le ſable étendu.
C'eſt elle ! ...
Il reſte attaché àce déplorable objet ,
il l'embraſſe ; il le tranſporte au ſommet
de fon rocher & ſe laiſſe tomber avec lui
dans la mer.
Obſervations fur la phyſique , fur l'histoire
naturelle &fur les arts & métiers , par
M. l'Abbé Rozier. On ſouſcrit à Paris,
pour cet ouvrage , chez l'auteur , place
de l'Eſtrapade, maiſon Didier ; chez Le
Jay , libraire , rue St Jacques , & dans
les provinces , chez les principaux libraires
des grandes villes. Le prix de
la ſouſcription eſt de 30 liv. pour Paris&
de 36 liv. pour la province, franc
de port. Il paroît tous les mois un vo-
: lume enrichi de gravures en tailledouce.
L'auteur ſe propoſe dans ce recueil rai
fonnéde faire connoître les mémoires lus
dans les différentes académies de l'Europe,
quand ils font relatifs aux objets annoncés
dans le titre , &chaque mémoire
eſt terminé par un examen critique. Ces
obſervations ſont précieuſes en leur gen
१०
MERCURE DE FRANCE.
re , le ſtyle de l'auteur eſt précis, ſa criti
que judicieuſe & favante.
Chaque volume comprend , outre les
mémoires , l'analyſe complette de deux
ou trois livres nouveaux ſeulement , dans
laquelle on voit , le plan de l'ouvrage analyſe
, ſes beautés , ſes défauts & le mérite
des découvertes annoncées par l'auteur. Si
on veut avoir idée de ces analyſes , on
peutlire , entr'autres , celle du traité de la
cristalographie , celle des élémens de minéralogie
docimaſtique , &c.
On jugera par l'énoncé ſeulement des
titres des quatre derniers volumes , de
l'utilité de ce recueil .
Phyfique.
Difcours ſur la race des brebis à laine
fine , prononcé par M. Alstroemer devant
l'académie de Stockolm , traduit du Suédois
, ouvrage rempli de vues nouvelles
& de recherches hiſtoriques & inſtructives.
Mémoire fur la meilleure manière de
faire &de gouverner les vins de Provence
, foit pour l'uſage , ſoit pour leur faire
paſſer les mers , couronné par l'académie
de Marseille. Le phyſicien, le chymifte
JUILLET. 1772 .
و
&l'oenologiſte ont réuni leurs connoiffances
pour compoſer les inftructions qui
y foutpréſentées .
Diflertation fur la cauſe de l'attraction
des corps par M. Hiotzeberg , profeffeur
de philofophie à Upfal . Elle eſt digne de
fon auteur.
Differtation ſur la couleur de l'air , par
M. Eberhard , profeſſeur royal de Pruſße ,
curieuſe par la multiplicité & la variété
des expériences qu'il propoſe.
Mélanges de phyſique & de médecine
de M. le Roi de l'académie de Montpellier.
Le nom de l'auteur annonce le mérite
de l'ouvrage. On lira avec plaifir le
précis des eaux minérales. -
Principes de phyſique par le P. Bertier
de l'Oratoire.
Lettre de M. le Comte de Lauraguais
à M. d'Alembert , relativement aux voyages
de M. Bancks , contenant des découvertes
de la dernière importance pour la
navigation , pour l'hiſtoire naturelle &
des éclairciflemens fur lifle de Taiti .
Differtation fur la viteſſe da ſon par
M. Lambert de l'académie de Berlin .
C'eſt le phyſicien obfervateur éclairé
qui difcute les anciennes opinions à ce
ſujet& qui y en ajoute de nouvelles .
1
92
MERCURE DE FRANCE.
Rapport de MM. du Hamel & du Tillet,
ſur le traité météorologique , préſenté
à l'académie royale des Sciences par le
Père Cotte de l'Oratoire. L'ouvrage eſt
actuellement ſous preſſe ; ce rapport peut
ſervir de modèle .
Nouvelles expériences ſur la putréfaction
des humeurs animales , par M. Gaber
de l'académie de Turin . Elles font
intéreſlantes , bien vues & concluantes.
Hiſtoire littéraire de l'académie de
Dijon pour l'année 1771. Il ſeroit à fouhaiter
que chaque Académie fit imprimer
ſes mémoires , ou du moins qu'elle publiât
chaque année le catalogue des ſujets
fur leſquels leurs membres ſe ſont occupés.
Ce feroit enrichir le Public en lui
découvrant les ſources nouvelles où il
pourroit puifer.
Règne minéral.
Mémoire de M. Macquer ; deſcription
du nouveaubaromètre de Ramſden. L'auteur
en propoſe quelques nouveaux affez
ingénieux fur la différente diſſolubilité
des fels neutres dans l'eſprit de vin , envoyé
par l'auteur à l'académie de Turin.
Il répond parfaitement au mérite de l'académicien
& à la réputation de l'acadé
mie à laquelle il eſt deſtiné.
JUILLET. 1772 . 93
Analyſe de l'introduction à l'étude des
corps naturels , tirés du règne minéral par
M. Bucquet ; ouvrage en trois volumes.
L'auteur l'a composé pour les étudians
qui ſuivent ſes cours ; les naturaliſtes inftruits
les liront avec plaifir .
Analyſe des élémens de minéralogie
docimaſtique par M. Sage : élémens linguliers
dans leurs principes & diſcutés
avec la plus grande ſagacité dans cette
analyſe.
Procès-verbal des expériences faites fur
pluſieurs diamans &pierres précieuſes par,
Mrs Darcet & Rouelle. L'auteur y a réuni
le détail de celles qui avoient autre fois
éré faites à Vienne & à Florence.
Analyſe de la terre végétative d'Etaples
, par M. Rigaud. M. d'Eſpaler vend
quatre fols la livre de cette terre préparée
pour l'engrais des terres. M. Rigaud
apprend à la compoſer &démontre qu'elle
eſt trop payée à 12 deniers la livre. M.
l'Abbé Rozier ajoute des réflexions ſur
la maniere dont les engrais peuvent fertilifer
les terres .
Règne végétal.
Lettre de M. Ellis fur une nouvelle efpèce
d'anis étoilé de la Floride , très dif
94
MERCURE DE FRANCE .
férente de celle de Chine dont on n'avoit
pas encore aucune deſcription exacte .
Obſervations ſur les fauſſes roſes des
faules,avec des notes capables de détruire
les erreurs enfantées par l'amour du merveilleux.
Règne animal.
Memoires ſur les charanſons & les
moyens de les détruire , couronnés par la
ſociété d'agriculture de Limoges. L'auteur
a réduit ces trois mémoires en un ſeul
&a renfermé dans un mème ouvrage les
découvertes des trois auteurs couronnés .
Deſcription de pluſieurs eſpèces d'oiſeaux
& d'inſectes dont les ornitologiſtes
n'avoient pas encore parlé. Lepetit Paon
des Roses de Cayenne , il approche du
genre des raſles ; le ſecond eſt du genre
des cailles , il a été envoyé de la Guyanne.
Les infectes font la Lepture de Cayenne ,
le Capricorne de Cayenne à antennes velues
; le Capricone de Cayenne à antennes
épineuſes , le Capricorne rouillé de
Cayenne. Ces oiſeaux & infectes ſont
très biendeſſinés & gravés .
Arts & métiers.
Deſcription des forges catalanes; elles
ſont plus expéditives&plus économiques
JUILLET.
1772 . 95
que les fourneaux ordinaires. Le même
feu fert à griller la mine , à la faire fondre&
à la forger.
Defcription d'une machine nouvelle
pour vanner , nétoyer & rafraîchir les
grains. Elle est très-commode& peudifpendieuſe.
L'art du Maçon piſeur , ou manière de
conſtruire des maiſons en terre . Les Romains
apportèrent cet art dans les Gaules,
& il s'y eſt perpétué. La majeure partie
des maiſons du Lyonnois & du Dauphiné
font enpifé. Elles font plus économiques
&durent beaucoup plus que les maiſons
bâties avec du plâtre .
Préparation des chataignes pour les dépouiller
de leur peau intérieure ſuivant la
méthode établie en Limofin .
Procédé pour tirer la foie blanche à
l'imitation de celle de Nanquin.
Conſtruction des poêles à la manière
des Rufles & des Suédois.
Hiſtoire des Ecoles gratuites de peinture
, ſculpture , architecture & géométrie-
pratique, établies dans pluſieurs villes
du royaume. Ce morceau eſt curieux
& prouve bien que les établiſſemens les
plus utiles font ceux dont les commencemens
font les plus languiſſans & ceux qui
éprouvent les plus grands obſtacles.
1-
96 MERCURE DE FRANCE.
Chaque volume renferme des nouvelles
littéraires , ou quelques faits ſinguliers
relatifs à l'hiſtoire naturelle , & un petit
catalogue des livres nouveaux en ce genre
, publiés chez l'étranger.
L'accueil que cet ouvrage reçoit du
Public & fur-tout de l'étranger , doit encourager
l'auteur à ſuivre cette carrière
pénible à la vérité , mais fatisfaiſante &
glorieuſe pour lui. Il doit être aſſuré, s'il la
continue , de voir ſon recueil tenir une
place diftinguée dans la bibliothèque du
phyſicien , du chymiſte , du méchanicien;
en un mot , dans celle de tout amateur de
l'hiſtoire naturelle . Il auroit été à ſouhaiter
pour le progrès de la ſcience que cette
collection eût été commencée il y a vingt
ans elle ſeroit aujourd'hui bien précieuſe.
Leçons de Muſique vocale propres à l'éducation
de la Jeuneſſe , par l'auteur du
Manuelde Morale. AParis, chez Edme,
libraire , rue St Jean- de-Beauvais. Le
Menu , marchand de muſique , rue du
Roule , & aux adreſſes ordinaires de
muſique .
Il y a long-tems qu'on deſiroit un recueil
de muſique dont les paroles toujours
1
fages
JUILLET. 1772 . 97
ſages & honnêtes ne changeaflent point
en un plaiſir dangereux le plaiſir innocent.
de la mélodie. Les leçons de muſique
vocale que nous anononçons rempliflent
parfaitement cette vue. Ce ne ſont point
des cantiques : ce ſont tantôt des peintures
agréables de différens objets de la nature
, tantôt d'utiles moralités ornées des
graces de la poësie & de la muſique. Le
chant en eſt naturel , aifé & de goût. La
plupart des morceaux font tirés de divertiflemens
exécutés à Paris avec ſuccès dans
des concerts particuliers. On peut mettre
ce recueil entre les mains des jeunes perſonnes
qui apprennent la muſique vocale :
il eſt utile en particulier pour les communautés
où l'on élève des penſionnaires .
Nous en allons citer quelques morceaux
pour donner une idée de l'ouvrage quant
aux paroles.
Portrait d'un Petit Maître , tracé par
Diogène.
Etre brillant ,
Sémillant ,
Pétillant ,
Sautillant ;
S'occuper éternellement
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
De la figure ,
De ſa parure ,
De la voiture ;
Se mettre ſérieuſement
A la torture ,
Pour ſe donner contre nature
Certainjargon ,
Certaine façon ,
Certain ton d'enfantillage ,
De papillonage ,
De perfiflage ,
Qu'on appelle le bon ton ;
Faire l'amateur ,
Le connoiſleur ,
Le protecteur :
N'avoir qu'un caquet
De perroquet ;
Et cependant
D'un ton pédant ,
D'un air fuffisant ,
Décider ſouverainement ;
Tout mépriſer ;
Sur tout gloſer ,
Badiner ,
Ricaner ,
Frédonner ,
Turlupiner ,
Déraiſonner ,
Poliffonner ;
JUILLET. 1772.
و و
Ne ſonger dans la vie
Qu'à végéter ;
Mettre toute ſon induſtrie
Aſe flatter ,
Sedorlotter ,
Se délicater ;
Voila des gens de votre eſpèce
En quoi conſiſte la ſageſle.
Des mortels le plus généreux ,
Des mortels eſt le plus heureux :
Sans le ſecours de la reconnoiſſance ,
Ses bienfaits ont toujours le ſuccès qu'il prétend:
Il trouve dans ſon coeur toute fa recompenfe ,
Et jouit le premier du bonheur qu'il répand.
ROMANCE,
Ce Narcifle que tu vois
Fut un berger autre fois.
Epris d'un amour extrême
Dont l'objet étoit lui-même ,
Il languiſſoit ,
Il périfſoit :
Les dieux touchés de ſa douleur
Le changèrent en cette fleur.
Jeune Fatime,
Crains à ton tour
D'être la victime
D'ua folamour.
E ij
TOO MERCURE DE FRANCE.
Sans ceſſe tu te mires ,
Sans ceſſe tu t'admires :
Le ſort fatal de ce jeune berger
Doit t'inſtruire & te corriger.
L'Art de faire & d'employer le vernis , ou
l'Art du Verniſſeur , auquel on a joint
ceux du Peintte& du Doreur ? par le Sr
Watin , peintre , doreur , verniſſeur ,
&marchand de couleurs & de vernis .
Artem experientia fecit.
vol . in 8 ° . Prix , 3 liv. 12 f. broché.A
Paris , chez Quillau , imprimeur- libraire
, rue du Fouare,& l'auteur , carré
de la porte St Martin , au magaſin des
couleurs & vernis .
Ce Traité eſt diviſé en deux parties.
L'auteur nous fait connoître dans la première
ce que c'eſt que le vernis en général.
Il nous entretient de ſes qualités&
de ſes propriétés ; il nous indique les matières
& les liqueurs qui le compoſent ,
le choix qu'il en faut faire , la façon de
les préparer &de les mêlanger. Ces inftructions
ſont ſuivies de pluſieurs réflexions
fur les moyens de perfectionner
les vernis. La ſeconde partie nous enſeiJUILLE
Τ. 1772. ΙΟΙ
-
gne l'art d'employer les vernis , de les polir
&de les luftrer ſur des objets nus tels
que bois de chêne , papiers , inſtrumens,
éventails , bois de toilette , étuis , découpures
, boucles de deuil , fers , balcons ,
&c. Comme on applique auſſi le vernis
ſur des peintures &des dorures , & que
l'art du peintre & doreur eſt lié avec celui
du verniſſeur , l'auteur nous donne les
procédés des peintres d'impreſſions &des
doreurs. On peut ſuivre avec d'autant
plusde confiance les inſtructions contenues
dans ce nouveau traité ſur les vernis
qu'elles ont été dictées par un homme du
métier qui n'avance rien qu'il n'ait éprouvé
lui - même. L'auteur , dans ce même
traité releve les erreurs de ceux qui ont
écrit avant lui ſur les vernis. Trente ans
d'expérience ſemblent lui avoir acquis le
droit d'en uſer ainſi & pour la perfection
de l'art & même pour l'avantage des artiſtes
& des amateurs qu'il eſt bon de
mettre en garde contre cette multitude de
recettes recueillies par des compilateurs
ignorans. Ces recettes qu'on nous donne
quelque fois ſous le titre defecrets parce
qu'on les a puiſés dans des ouvrages ou
bliés , ne fervent le plus ſouvent qu'à expoſer
ceux quis'en ſervent à des épreuves
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
inutiles , diſpendieuſes & capables de rallentir
les talens & l'émulation ,
De l'Art de la Comédie , ou détail raifonné
des diverſes parties de la Comédie
& de ſes différens genres ; fuivi
d'un traité de l'imitation où l'on compare
à leurs originaux les imitations de
Molière & celles des Modernes . Le tout
appuyé d'exemples tirés des meilleurs
comiques de toutes les Nations; terminé
par l'expoſition des cauſes de la
décadence du théâtre ,& des moyens de
le faire refleurir ; par M. de Cailhava ;
4 vol . in sº . A Paris , chez Didot aîné,
libraire & imprimeur , rue Pavée près
du quai des Auguſtins , à la Bible
d'or.
De toutes les parties de la littérature
la plus intéreſſante & la plus philofophique
, eſt celle qui concerne l'art de la comédie,
parce que c'eſt celle qui exige une
connoiſſance plus particulière de l'homme.
Les jeunes gens qui ſe ſont ſenti
quelque talent pour cet art ont cherché à
étudier ſes règles dans les ouvrages des
plus célèbres auteurs dramatiques. Cette
étude eſt ſans doute utile & même néceffaire
, mais fuffit elle toujours ? N'eſt-il
JUILLET. 1772. 103
pas à craindre qu'elle ne donne qu'un goût
de comparaiſon & ne fafle que des copiftes
, ou que les jeunes gens ne prennent les
fautes des dramatiques qu'ils liſent, pour
des autorités qui excuſent leur foibleſſe ?
Il eſt doncnéceſſaire que ceux qui veulent
obtenir quelque ſuccès dans cette carrière
difficile remontent à la fource , à la nature
même , & qu'ils comparent les règles
obſervées par les plus célèbres dramatiques
avec celles preſcrites par la raiſon
&le bon goût. Cette comparaiſon leur
fera facile, s'ils joignent leurs reflexions à
celles que les maîtres de l'art ont faites &
que M. de Cailhavas'eſt appliqué à raſſemblerdans
ce traité partagé en trois livres.
Il eſt queſtion dans le premier, du choix
d'un ſujet. L'auteur raiſonne fur ce qui
conftitue les bons & mauvais ſujets , &
diſcute les diverſes parties du drame comique
juſqu'au dénouement incluſivement.
LesAnciens ont confondu le noeud avec
ce que nous appellons action ; ces deux
objets font ici bien diftingués. L'action
eſt ce qui ſe paſſe depuis l'expoſitionjufqu'au
dénouement ; mais le noeud eſt ce
qui lie les refforts de cette action. Le
noeud eſt lui même plus ou moins ferré
E iv
104 MERCURE DE FRANCE,
par les incidens qui rallentiſſent ou préci
pitent l'action , en rapprochant ou en
éloignant la catastrophe qui doit tout dénouer.
Il faut que l'action parle à l'ame
plus par le ſecours des ſituations & des
yeux que par celui des oreilles . Malheur à
l'action qui n'eſt point frappante par ellemême
& qui a beſoin d'être foutenue par
un diſcours Aeuri . Un homme curieux de
voir l'effet que produiroient fur un payfan
nos ſpectacles , y conduifit un de ſes
fermiers , un jour qu'on repréſentoit une
tragédie de Racine. Après la repréſentation
on demanda au payfan s'il s'étoit
bien amuſé : A merveille , dit il , j'ai vu
de beaux Meſſieurs , de belles Dames ,
tous bien parés , bien enjolivés. On lui demanda
enfuite s'il avoit trouvé beau ce
qui s'étoit paffé fur le théâtre : alors il
s'écria qu'ils s'étoit bien gardé de regarder
trop ſouvent de ce côté-là : Il y avoit
là , dit il , des gens qui s'entretenoient de
leur affaires , & je ſçais qu'il n'eſt pas
honnête de prêter l'oreille aux difcours
de perſonnes qui ſe parlent. Les partiſans
outrés de Racine ont rapporté cette anecdote
pour prouver la vérité de ſa diction;
mais , comme l'obſerve M. de Cailhava ,
le payſan auroit été moins poli , il auroit
JUILLET. 1772. 1ος
malgré lui fait attention au diſcours des
acteurs , s'ils euſſent été animés par une
action chaude , ſi leur ſituation ne leur
eût pas donné le ton d'une converſation
ordinaire .
Dans les diſcuſſions qu'entraînent nécellairement
l'expofition , l'action , le
noeud , les incidens , le dialogue , les ſcènes
, les monologues , les actes , les entreactes
, la gradation d'intérêt , les reconnoiſſances
, les Aparté , les ſurpriſes , le
dénouement & les autres parties qui conftituent
le drame comique ; l'auteur a -
toujours foin d'appuyer ſes raiſonnemens
ſur des exemples pris chez les meilleurs
auteurs. Ces exemples choiſis avec goût
diſtraient le lecteur de la monotonie du
ſtyle didactique , fixent ſes idées & lui
rendent la leçon plus frappante . Comme
ces exemples d'ailleurs font empruntés
des auteurs comiques anciens & modernes
, François & Etrangers ; l'ouvrage de
M. de Cailhava peut encore ſervir à nous
donner une idée des théâtres de toutes les
Nations , de tous les âges , & par conféquentune
eſquiſſe de leurs moeurs.
L'auteur nous entretient dans la fecondepartie
de fon traité, des différens genres
de la comédie. Juſqu'ici on n'en a
Ev
106 MFRCURE DE FRANCE.
guères diftingué que trois : le genre d'intrigue
, le genre à caractère & celui qui
tientde l'un & de l'autre , connu ſous le
nom de genre mixte. Ces genres font ici
divifés en pluſieurs autres ; & cette fubdiviſion
eſt très - bonne pour étendre les
idées du lecteur , lui dévoiler les fineſſes
de l'art & lui apprendre les détours d'un
labyrinthe compliqué où les grands maî
tres ſe font quelquefois égarés . Les exem
ples font dans ce ſecond livre ainſi que
dans le premier tirés des théâtres de tous
les âges &de toutes les Nations. Il ya un
chapitre particulier où l'auteur parle du
double but que-doit ſe propoſer un auteur
comique , faire rire & corriger les hommes.
Ridendo caftigat mores : elle corige
les moeurs en riant; c'eſt la véritable deviſe
de la comédie. Les triſtes ſoupirans
de Thalie ont beau s'écrier que le rire eſt
devenu bourgeois , la Muſe reconnoît
leur impuiſſance à travers le faux fuyant;
leur férieux de qualité ne lui en impofe
point; elle rejette leur hommage ennuyeux.
Le Comte de Tonnerre, fi connu
par fon bon goût& par fon intrigue avec
laChammelé,aſliſtoit à la repréſentation
d'une pièce qui portoitle titre de comédie
& rioit d'un trait qui n'étoit rien
JUILLET. 1772. 107
moins que plaiſant : " De quoi ris-tu
>> donc , lui demanda avec ſurpriſe un de
>> ſes amis ? Je fais bien ce que je fais, lai
> répondit le Comte ; je veux abſolument
rire à la comédie , & je prévois que ſi
>> je ne ſaiſis pas cette occafion , je n'en
>> trouverai plus. » Le Comte de Tonner.
re malgré toute fa bonne intention ,
n'auroit-il pas été attrapé plus d'une fois
s'il eût aſſiſté à la plupart de nos comédies
modernes ?
,
La troiſième & derniére partie de ce
traité eſt conſacrée à l'art de l'Imitation.
L'auteur enſeigne comment on peut imiter
fans être plagiaire ; il développe toutes
les imitations de Moliere&nous fait
voir que ce père de la comédie n'eſt jamais
plus grand que lorſqu'il eſt imitateur.
Mais afin de nous convaincre de
plus en plus de la difficulté qu'il y a à
s'approprier les idées des autres,& à les revêtir
de couleurs convenables à ſon ſujet,
il compare Moliere imitateur à Moliere
imité & décompoſe les imitations de ſes
fucceffeurs en rapprochant toujours les
copies des originaux. Par ce moyen le
lecteur jugera lui-même de la différence
prodigieufe, qui peut se trouver entre
deux imitateurs. Il pourra encore ſe con-
Evj
ios MERCURE DE FRANCE.
リ
vaincre par- là que les ſucceſſeurs les plus
célèbres de Moliere font ceux qui ont
imité davantage leurs prédéceſſeurs. Le
caractère du Bourru bienfaisant, comédie
de M. Goldoni , eſt ici comparé à celui
de Freeport , perſonnage de l'Ecoſſoiſe ,
comédie de M. de Voltaire. Le caractère
de l'original mis en ſcène par M. Goldoni
eſt ſans doute ſuſceptible d'être renforcé
par de nouveaux traits ; & M. de
Cailhava en rapporte pluſieurs qui ſe
font pallés fous ſes yeux précisément pendant
les premières repréſentations de cette
comédie . Une Dame venoit d'acheter
deux ou trois pièces d'étoffes ; ſa niéce
entre , fait l'éloge des étoffes , trouve furtout
l'une des pièces charmantes. La tante
s'apperçoit bien que ſa niéce en a fantaifie
; elle a elle-même la plus grande envie
de lui en faire préſent; elle enrage
qu'on ne la lui demande point ; tout àcoup
elle s'écrie : " Voilà qui eſt bien
» déſagréable ! je veux faire préſent d'une
>> robe à Mademoiselle , la pièce que
>>j'aime eft précisément celle qui lui plaît
>> le plus : ne faudra-t'il pas que je m'en
>> prive ? Eh bien ! tenez , la voilà ; je
>> crois en effet qu'elle vous ſiera . Voilà
>>comme ſont toutes les nieces ; elles
JUILLET. 1772. 109
>> font enchantées quand elles dépouillent
>>une tante. » La Demoiselle qui connoiffoit
l'humeur de ſa parente , la remercia
en riant.
Damis va ſe promener à ſa maiſon de
campagne ; fon nouveau jardinier s'empreſſe
à faire travailler toute ſa famille
devant lui : Damis apperçoit un pauvre
diable tout contrefait , boſſu devant &
derrière , ſe traînant à peine ſur deux
jambes torſes : « Qu'eſt - ce que c'eſt que
>> cela , s'écrie auſſi- tôt notre homme fort
>> en colère ? Cela peut-il travailler? Com-
>>>ment , morbleu , eſt ce ainſi que l'on
>> me trompe ? On me dit qu'on a deux
>> enfans , & l'on compte celui- là qui ne
>> vaut pas le quart d'un ! voilà un plai-
>> fant jardinier ! je ne veux plus le voir ;
>> il n'eſt bon qu'à ſervir d'épouvantail :
» pourquoi ne pas lui donner un autre
>> métier ? Eh ! Monfieur , répond le père
>> la larme à l'oeil , il ne peut faire que
celui- là , ou celui de cordonnier ; mais
>>il en coûte tant pour faire l'apprentiſ-
>> ſage & pour paſſer maître ! -Eh bien !
» que fait cela , continue Damis ? voilà
>>bien de quoi pleurer. Allons , cherchez
>>lui une place , & je paierai ; je ne veux
>> pas d'un jardinier tourné comme un Z. >>
Ladernière fois , rapporte encore l'au110
MERCURE DE FRANCE.
teur , qu'on donna le Feftin dePierre aux
Italiens , Mde Baccelli , actrice , qui a
l'art de varier continuellement toutes les
ſcènes jouées à l'impromptu , & fur - tout
de leur donner un caractère , en fit une
qui n'auroit pas déparé le dénouement da
Bourrubienfaisant. Mde Baccelli eſt dans
cette pièce une riche fermière : fa fille &
le valetde la ferme s'aiment ſecrétement;
mais l'humeur de la mère les effarouche;
ils n'ofent pas lui déclarer leur tendreſſe.
Elle les ſurprend dans le tems qu'ils ſe
peignent tous les chagrins d'un amour
traverſé ; elle jette feu & flamme contre
eux ; elle eſt furieuſe , elle les accablede
reproches ; ils ſe croient perdus . Voyez ,
>> ajoute - telle , cette grande imbécille
» qui depuis quelque tems maigrit à vue
» d'oeil ! Voyez ce bénet ! je ne m'étonne
>>plus ſi depuis fix mois il a perdu fa belle
>> humeur; il ne chante plus. Je n'avois
>>qu'à ne pas les ſurprendre , ils auroient
>> dépéri de jour en jour , & j'en aurois
> été la cauſe ſans le ſavoir. Approche ,
>> grande fotte : je ſuis donc une mère
> bien cruelle ! viens ici , benet. Sur quoi
» as tu pu t'imaginer que je n'avois pas
>> un coeur compâtiſſant ? Allons vite , la
* main Pun & l'autre. Dépêchez - vous
>>donc. Voulez- yous mel facher ? là , je
JUILLET. 111 1772 .
>> vous marie, foyez heureux & ayez meil.
• leure opinion de mon coeur une autre
» fois , bêtes que vous êtes .
L'auteur , en rapportant ces différens
traits , donne une exellente leçon aux
élèves de l'art dramatique ; il leur fait
ſentir combien il eſt utile pour un auteur
comique d'être à l'affût des traits qui
échappent aux divers caractères répandus
dans la ſociété , de les recueillir avec un
foin extrême , de les mettre chacun dans
leur caſe pour les en retirer au beſoin . Il les
exhorte enfin à imiter ces peintres qui
font des études de toutes les figures pittoreſques
qu'ils rencontrent pour les placer
enfuite dans leurs tableaux . Heureux l'ob .
ſervateur philofophe qui est amené par
les circonstances dans les lieux & dans
les inſtans les plus favorables pour prendre
la nature fur le fait,& faire une ample
moiſſon . Le fort contribue quelque fois
autant au grand mérite d'une pièce que le
génie de l'auteur. La comédie des Femmes
Sçavantes feroit moins parfaite , fi le hafard
n'avoit pas conduit Boileau à l'hôtel
de Luxembourg , lorſque Cotin & Menage
y firent la ſcène de Triflotin & de
Vadius ; & la pièce de M. Goldoni ſeroit
peut être encore meilleure , fi avant
de la mettre au grand jour il eût ob
112 MERCURE DE FRANCE.
ſervé lui même les traits de caractère
rapportés plus haut.
Ledernier chapitre de ce bon ouvrage
eſt uniquement deſtiné à nous faire voir
la décadence du théâtre , & les moyens
de le faire refleurir. Thalie & Melpomène
languiffent : pourquoi ? parce que
mille abus ſe ſont gliffés à la comédie ,
répondra - t'on ; parce que les ouvrages
dans le mauvais genre y ſont ſeuls en crédit;
parce que la cabale , la protection y
tiennent lieu de mérite . Tout cela précipite
en effet la décadence & la chûte du
théâtre ; mais rien de tout cela n'en eſt la
cauſe primitive : la voici . C'eſt le privilége
accordé à une ſeule troupe ſur les
choſes les plus libres , les plus franches ,
les plus répectées chez toutes les Nations,
c'eſt-à dire le plaiſir du Public , les talens
& le génie. Une troupe munie d'un privilége
excluſif peut malheureuſement dire
àla France entière : " Nous ne voulons
> vous donner dans le courant de cette
>> année , qu'une ou deux nouveautés , en-
>> core ferez- vous forcés de les prendre
>> dans le genre qu'il nous plaira d'adop-
>>ter. Si vous voulez rire , nous préten-
> dons que vous pleuriez ; defirez - vous
> pleurer? nous vous forcerons à rire.N'est-
> il pas en notre pouvoir de jouer ce que
JUILLET. 1772. 113
>> nous voulons , de recevoir les mauvai-
>> ſes pièces , de condamner à l'oubli les
>> bonnes , de favorifer les auteurs médio-
> cres , de dégoûter ceux qui pourroient
>>foutenir la ſcène ? » Une troupe qui
jouit d'un privilége excluſif , peut enchaîner
le génie , lui arracher ſes aîles&
lui dire : « Il n'eſt plus queſtion de pren-
>> dre l'effor , & de t'éléver à ton gré dans
>>>les nues : il faut te modéler à notre tail-
>> le , à nos geſtes. Sois notre eſclave. Si
>> tu gliſſes dans le ſanctuaire des arts ,
>> que ce ſoit ſous nos auſpices ; où , loin
>> de nous , loin du théâtre , ton audace
>> infructueuſe. » Un privilége excluſif
n'eſt pas moins préjudiciable à l'art du
comédien qu'à celui du poëte . Suppofons
une troupe dont tous les acteurs foient
autant de Rofcius. Chacun d'eux eſt parfait
dans ſon genre. Il ne le ſera pas longtems.
Pourquoi cela ? parce que n'ayant
pas de concurrent , il ſe refroidira bientót
; fon ambition fera d'avoir un double,
afin de ſe faire deſirer , & de l'avoir mau.
vais pour mieux reſſortir. Il trouvera le
ſecret d'écraſer tout débutant qui pourroit
l'alarmer , & de foutenir tout Pigmée qui
ſervira à le faire paroître plusgrand. Qu'arrive-
t'il ? le Pigmée reſte, accoutume peu114
MERCURE DE FRANCE.
à-peu le Public à ſes défauts,agence quelques
roles à ſa taille , à ſa voix , à ſa poitrine
, à ſon tempérament , à ſes petites
manières , devient acteur en chef , rend
à ceux qui veulent le doubler ce qu'on a
fait à fon début : ſes ſucceſſeurs l'imitent;
leurs doubles eſſuient les mêmes traitemens
, & les rendent, De cette façon une
troupe excellente ne peut que devenir
manvaiſe; & le Public qui perd de vue
tout objet de comparaiſon eſt complice
ſans s'en appercevoir. Le moyen le plus
facile , le plus prompt & même le ſeul
propre à rétablir la gloire du théâtre feroit
donc de permettre à une ſeconde troupe
Françoiſe de s'etablir dans la capitale. Si
l'on pouvoit douter de l'efficacité de ce
moyen, il fuffiroit de parcourir l'hiſtoire
que l'on nous donne ici de toutes les piè .
ces depuis l'inſtant où elles font offertes
aux comédiens juſqu'après leur repréſentation
. Ce détail qu'il faut voir dans l'ouvrage
même eſt la meilleure réponſe que
l'on puiſſe faire à ceux qui ne ſentiroient
point tout le tort qu'une troupe privilégiée
fait aux progrès de la comédie & de
la tragédie. Pluſieurs partiſans des priviléges
exclufifs pourront s'écrier qu'il faut
protéger le théâtre de laNation , lui con
JUILLET. 1772. 11I5
ſerver ſes droits , le faire jouir d'une magnificence
, d'une ſupériorité,d'une pompe
impoſante. Mais qu'entendent- ils par
Je théâtre de la Nation , patlent - ils de
vingt comédiens qui , malgréleurs grands
talens , ſe ſuccédent&fe font oublier mutuellement
? ou bien le Tartufe , Cinna ,
Phédre, le Joueur, Rhadamiste , le Glorieux,
Mahomet, la Métromanie , &c . Tous ces
ouvrages immortels , tous ces monumens
éternels du génie françois , quoique joués
pardifférentes troupes , ne compoſent-ils
pas bien plus éſſentiellement le vrai théâtre
de la Nation , même torſqu'ils font
repréſentés dans les pays les plus lointains?
mais , ajoutera t'on , ſi vous admettez
deux troupes , celle que nous avons gagnera
moins . C'eſt encore une erreur. A
Paris une ſeconde Troupe Françoiſe ne
fauroit faire aucun tort aux comédiens.
Au contraire , tirez -les de leur léthargie ,
piquez leur émulation , vous verrez leur
réputation & leur fortune s'accroître. Le
Peuple François prodigue l'or & les applaudiſfemens
à qui fait lui procurer des
plaiſirs variés ; témoin l'empreſſement
avec lequel , las de voir toujours les mêmes
pièces & les mêmes acteurs fur nos
grands théâtres , il court entendre criailler
à l'Ambigu- comique , & voir des fauts
1.16 MERCURE DE FRANCE.
périlleux chez Nicolet. Sachez l'amuſer ,
il vous donnera la préférence , & le goût
triomphera fans peine de la futilité la
plus deshonorante pour la Nation .
Enfin s'il eſt vrai qu'un empire ſoit
plus ou moins illuſtre à meſure qu'il produit
moins d'hommes de génie , d'hommes
immortels , pourquoi ne pas admettre
le ſeul moyen qui peut nous rapprocher
de ces tems fameux où les Corneille,
les Moliere , les Racine, s'immortalifoient
chacun fur un théâtre différent ? Quelle
perte pour la gloire du Théâtre François,
ſi ce ſiécle n'eût eu qu'une ſeule troupe!
l'un de ces génies que nous venons de
nommer l'auroit occupée ; les autres ſe
feroient découragés ,& la France eût perdu
ces chef d'oeuvres qui lui feront à jamais
le plus grand honneur. Qui nous
aſſurera même que les Scuderi , les Montfleuri
, les Scarron , les Demarets , les
Bourfault , & peut- être les Pradon , déja
poſſeſſeurs d'un théâtre unique , n'en auroient
pas interdit l'entrée aux trois
grands hommes qui les ont ſi bien écrafés?
Toutes ces réflexions ſont celles d'un
amateur zélé pour la gloire du Théâtre
François . Elles terminent heureuſement
un traité qui contient les recherches les
JUILLET. 1772. 117
plus utiles aux progrès de l'art dramatique
, traité que l'on peut conſidérer en
quelque forte comme un cours de comédie
où l'auteur , quí a lui- même battu avec
ſuccès la route qu'il trace , aide de ſes
conſeils , de ſon expérience & des exeinples
des grands maîtres les premiers efforts
de ceux qui veulent manier le pinceau
du poëte comique & broyer ſes couleurs.
Effai fur Pindare , contenant une Traduction
de quelques Odes de ce Poëte
avec une analyſe raiſonnée & des
notes hiſtoriques , poëtiques & grammaticales
, le tout précédé d'un Difcours
ſur Pindare, ſur la vraie maniere
de le traduire ; par M. Vauvilliers ,
Lecteur & Profeſſeur Royal pour la
Langue Grecque , &c. A Paris chez
Paul-Denis Brocas , Libraire , rue St
Jacques. *
Il ſemble que le nom & les titres de
l'auteur doivent ſervir de recommandation
à cet Ouvrage. Qui peut mieux entendre
& doit mieux traduire Pindare ,
qu'un homme occupé par état de l'étude
*Article de M. de la Harpe.
MERCURE DE FRANCE.
de la Langue Grecque ? Cependant pref.
que tous les Hellénistes , tous les ama.
teurs de l'antiquité font beaucoup de reproches
à M. Vauvilliers. Ils prétendent
qu'il a fi fort altéré le texte en le para.
phrafant , que Pindare n'y eſt plus recon.
noiffable; que le traducteur en voulant
trop s'écarter de ceux qui l'ont précédé ,
s'eſt ſouvent écarté du ſens , que le plan
purement conjectural qu'il veut à toute
force donner fur chaque Ode , & par
lequel il prétend en expliquer toutes les
parties , eſt au moins très incertain &
quelquefois abſolument chimérique.
Nous ne pouvons pas entrer dans un
détail affez grand pour discuter ces différens
reproches , parce qu'en matière d'érudition
toute diſcuſſion eſt néceſſairement
un peu longue , & faite pour un
trop petit nombre de lecteurs. Mais nous
ne diffimulerons pas que l'avis des Sçavans
dont nous venons de parler , ne nous
paraît pas fans fondement , & que probablement
M. Vauvilliers aurait beaucoup
à craindre d'un examen détaillé ;
&quequoique fon ouvrage ſuppoſe beaucoup
de connoiſſances & de mérite , cependant
la prétention d'expliquer tour ,
de contredire les explications reçues , &
de décider où il fallait douter, l'a cerJUILLET.
1772. 119
tainement égaré , comme elle égarera
tous les traducteurs qui ſuivront le même
principe. Bornons nous à prendre pour
exemple le commencement de la première
Pithique .
« Viens ſeconder mes tranſports , ô
>> toi qui fais les plaiſirs d'Apollon & les
» délices des Muſes , Lyre d'or , tu com-
» mandes ; la volupté s'empreſſe de naî-
>> tre au milieu des danſes que tu conduis.
Tu fais entendre le ſon de tes cordes
> ébranlées ; les chantres divins obéiſſent
>> au ſignal que tu donnes ; fille de tes
>> préludes charmans , la mélodie vient ,
>> pour nous enchanter, s'aſſeoir au milieu
>> d'un choeur nombreux gouverné par tes
accords. Ces traits éternels dont la
>> foudre arme les fureurs du maître des
» Dieux , reconnoiffent l'empire de tes
>> fons victorieux. Au milieu de leurs
>> feux éteints , le ſuperbe Roi des airs ,
» l'Aigle de Jupiter s'endort ſur ſon
>>> fceptre. Envain les aîles rapides du
>> prince des oiſeaux s'abaiſſent à tes côtés
» pour le défendre de tes attaques , les
>> nuages que tu appelles ſont venus à tes
>> fons s'aflembler ſur ſes yeux obſcurcis .
» Sa tête appeſantie fuccombe aux pavots
» qui la courbent . Un voile délicieux s'eſt
>> étendu ſur ſes paupieres. Le ſommeil a
:
1
120 MERCURE DE FRANCE.
!
> pénétré tous ſes ſens ; & dans cette lan-
>> gueur profonde où tu te plonges , fon
» dos énervé par la volupté s'abaille en-
>> core ou s'élève , au gré de la mesure que
» tu lui preſcris.
Certainement cette traduction eſt trop
longue de la moitié . La paraphraſe n'eſt
néceſſaire que lorſqu'une verſion exacte
ne rendrait pas toutes les beautés de l'original.
Mais ici tout ce que le traducteur
ajoute affaiblit Pindare au lieu de l'embellir
, parce que la prolixité nuit toujours
à la force. C'eſt d'ailleurs un mauvais
ſyſtême que de traduire, en ſtyle nombreux
& périodique , la diction ferrée ,
énergique & audacieuſe du Lyrique Grec,
c'eſt lui ôter ſon principal caractère . Il ne
faut pas traduire une Ode de Pindare
comme on traduirait un chant de l'Iliade.
C'eſt le goût qui enſeigne à diſtinguer
ces nuances. Pourquoi commencer par
ces mots vagues qui ne font point dans
le Grec , viens feconder mes transports ?
Le poëte nomine d'abord l'objet auquel
il s'adreſſe ; χρυσεα φόρμιγξ Αππόλλωνος , &c.
Lyre d'or , tréſor d'Apollon & des Mufes
. Cela eſt bien plus rapide que toi qui
fais les plaisirs d'Apollon & les délices des
Muses. Que ſignifie cette vaine diſtinction
entre les plaisirs & les délices ? Et
combien
JUILLET. 1772. 121
combien une traduction littérale était
préférable à cette faible paraphraſe ! Tu
commandes , la volupté s'empreſſe de naître
, &c. Pindare ne parle point de volupté
qui s'empreffe de naître. Il y a dans
le Grec : τᾶς ἀχούει μὲν βάσις , ἀγλαΐας ἀρχὰ.
Mot à mot , l'harmonie , commencement
de la pompe ou de l'appareil , t'écoute. Ce
qu'on pouvait traduire ainſi : tu préſides
à l'harmonie , ſouveraine de nos Fêtes.
M. Vauvilliers prétend qu'ἀγλαΐα ſignifie
volupté , & qu'il l'a prouvé dans ſa lettre
fur Horace. L'auteur de cet article n'a
pointlû la lettre ſurHorace,& c'eſt aux ſça,
vans à décider ſi ἀγλαΐα fignifie la même
choſe qu'ndary Maisquand cela ſerait vrai,
la volupté qui s'empreſſe de nature , ferait
encore une très-mauvaiſe phraſe; parce
que dans cette tournure la volupté eſt
évidemment perſonnifiée avant qu'elle
foit née. On peut bien dire que les fleurs
s'empreſſent d'éclore , parce que leur germe
exiſte avant leur développement.
Mais donner un ſentiment à la volupté,
avant qu'elle exiſte , c'eſt abuſer des figures.
Ces traits éternels dont lafoudre arme
les fureurs du maître des Dieux reconnaisſent
l'empire de tes font victorieux. Dans
le texte , αἰχματὰν κεραυνὸν σβεννύεις ἀενάου πυρός.
II. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE .
Ce ne ferait rien d'avoir rendu une ligne
de Grec par trois lignes Françaiſes , fi les
trois lignes embelliſſaient l'original , mais
l'original dit littéralement : Tu éteins les
feux éternels de la foudre. Quel Lecteur
ne préférera pas cette verſion préciſe &
littérale à la longue phrafe du Traducteur
? Une faute bien plus grave , c'eſt
d'avoir donné desfureurs au maître des
Dieux , à celui qui ébranle l'Olimpe d'un
mouvement de ſes ſourcils , à celui ,
comme a dit M. de Voltaire :
Qui frappant les Titans & tonnant ſur leurs
têtes ,
D'un front majestueux dirigeait les tempêtes.
Voilà comme les grands Poëtes ont parlé
de Jupiter , & c'eſt une étrange mépriſe
dans un homme familiariſé avec les Anciens
, d'avoir fait commettre à Pindare
une faute dont il eſt ſi éloigné. Voilà où
conduit la manie de paraphrafer & d'accumuler
des mots .
Voici une faute bien plus grande encore.
En vain les aîles rapides du Prince
des oiſeaux s'abaiſſent àses côtés pour le
défendre de tes attaques. Sans prétendre
être auſſi ſavant dans le Grec que M.
JUILLET. 1772. 123
Vauvilliers qui l'a étudié toute la vie , on
peut aſſurer en connoiſſance de cauſe ,
que c'eſt là un contre-ſens très-évident ,
provenant toujours , non pas de l'ignorance
du Traducteur , ( car le texte eft
de la plus grande clarté & il n'y a nulle
difficulté dans les termes ,) mais du deſſein
marqué d'ajouter au fens de l'original
, & de ſubſtituer à l'eſprit de Pindare
l'eſprit du Traducteur. Il eſt toujours
queſtionde peindre le pouvoir de la Lyre.
Il y a dans le Grec. Εΰδει Λ' ἀνὰ σκάπλῳ Διὸς
αἰετὸς , ὠκεῖαν πτέρυγ᾽ ἀμφοτέρωθεν χαλάξαις.
littéralement. L'aigle de Jupiter s'endort
Jurfonfceptre , fes alles rapides abaiffées
des deux côtés . Cette image eſt belle &
vraie. Ce mouvement des aîles qui s'abaiffent
eſt un effet naturel qu'on peur
obſerver dans tous les oiſeaux au moment
où ils s'endorment. Comment est-il
venu dans la tête de M. Vauvilliers d'attribuer
ce mouvement au defir de repousfer
les attaques de la Lyre ? Quel rapport
de ce mouvement à l'impreſſion de l'harmonie
? Comment l'aigle eſt-il mieux
défendu contre les fons , en abaillant ſes
aîles , qu'en ne les abaiſſant pas ? Enfin
pourquoi préférer un ſens ſi détourné & fi
biſare à celui qui ſe préſente naturelle
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
ment & qui n'eſt ſuſceptible d'aucunes
difficultés ? il eſt vrai que M. Vauvilliers
en trouve , mais font elles fondées ? Ce
n'est pas , dit- il , un grand mérite d'endormir
, c'eſt ſouvent l'effet de l'ennui.
Oui , ſans doute ; mais comment n'a- t - il
pas ſenti que la plus grande victoire qu'on
puiſſe remporter ſur l'aigle de Jupiter ,
c'eſt d'endormir ceminiſtre de la foudre ,
que l'on ſuppoſe veiller toujours pour les
vengeances célestes ? Autre raiſon de M.
Vauvilliers. Le Poëte ne dit pas qu'il dort
&que fes aîles s'abaiſſent , ce qui pourrait
être regardé comme une ſuite du sommeil ,
mais au contraire qu'il dort après avoir
abaiſſé ses ailes. Quelle diſtinction frivole!
Qui ne voit que le ſommeil & les
aîles qui s'abaiſſent ſont des effets ſimultanés
, malgré le prétérit χαλάξας , qui ne
marque pas plus une ſéparation de temps
que s'il y avoit en Latin reclinatis alis ?
M. Vauvilliers fait auſſi bienque perſonne
que les Grecs & les Latins mettent communément
des participes paſſés dans un
ſens préſent , uniquement parce qu'ils
ont plus de grace & d'élégance. Dernière
raiſon de M. Vauvilliers tout auſſi faible
que les autres. Le Poëte , dit- il , ajoute
ſes alles rapides.... c'est donc pourſe défen
JUILLET. 1772. 125
dre. Carfi c'est leſommeil qui abaiſſe ſes
aîles , le mouvement doit être lent. Point
du tout. La rapidité eſt ici attribuée aux
aîles de l'aigle , comme une qualité générale
, & cette épithète eſt très - bien placće,
parce que plus ſes aîles ſont rapides ,
plus l'effet du ſommeil qui les abaiſſe
eſtmarqué.
Enfin nous remarquerons encore dans
ce léger examen des erreurs de M. Vauvilliers
, qu'il a grand tort de vouloir
que l'aigle en s'endormant batte la mefure
avec ſon dos ; ſon dos , dit le Traducteur
, énervé par la volupté , s'abaiſſe
encore , ou s'élève au gré de la mesure que
tu lui preſcris. Cette idée biſarre n'eſt
point dans le Grec . καταχόμενος n'a jamais
fignifié réglé, mesuré, ni rien d'approchant
; maisfubjugué , dominé , afſfervi.
Voilà bien des erreurs palpables en
peu de lignes. Toutes, on ne ſaurait
trop le répéter , naiſſent de la même ſour.
ce , de la trop grande confiance de M.
Vauvilliers qui veut preſque toujours
voir dans Pindare ce que perſonne n'y
voit. Il fait trop bien le Grec pour n'avoir
pas entendu le texte. Mais peu fatisfait
de l'entendre , il a voulu le refaire.
Il s'élève contre les traductions littérales,
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
& il aurait raiſon s'il ne condamnait que
cet afſferviſſement ridicule qui enchaîne
un Traducteur pufillanime au point de
l'empêcher d'eclaircir ce qui ferait obfcur ,
& de rendre avec d'heureux équivalens
ce qui autrement ſerait perdu pour
le lecteur. Cette ſervitude dont il faut
fur tout ſe garder en vers , malgré l'avis
de quelques pédans , n'eſt pas même tolérable
en profe. Mais il y a un autre excès;
c'eſt celui de dénaturer gratuitement ſon
original : Virtus eft medium vitiorum . M.
Vauvilliers craignant que Pindare ne fût
trop fec, l'a voulu renfßer de grands mots .
Il fallait le donner tel qu'il eſt. Perſonne
ne le lui aurait reproché. Il y a chez quelques
Anciens des choſes ſi éloignées de
nos moeurs & de nos idées qu'elles ne
peuvent être embellies pour nous. Il faut
les expoſer dans leur nudité , ſans ſe rendre
garant de leur mérite , & croire que
les bons efprits , les vrais juges ne feront
pas un crime à un Moderne de n'avoir
pas rendu Pindare très - intéreſſant pour
nous dans une traduction en proſe où il
doit néceſſairement perdre ſes deux plus
grands mérites , le rythme & le ſtyle.
Telle était fur Pindare l'opinion de
Boileau qui aimait& connaiſſait les An
JUILLET. 1772. 127
ciens autantque perſonne aumonde. Mais
M. Vauvilliers déplore amèrement fur cet
article l'erreur & l'injustice de l'Ariſtarque
Français , qui par malheur , dit-il, a entraî
né preſque tous les gens de lettres. Idolâtre
de l'auteur qu'il traduit , autant qu'aucun
traducteur des derniers ſiècles , il ne
veut pas convenir qu'une partie de ſon
mérite puiſſe être abſolument perdue pour
nous qui ne pouvons ſaiſir l'apropos , le
but , l'intention de cent endroits de ſes
ouvrages. Il prétend que c'eſt notre faute
ſi nous ne trouvons pas dans chaque ode
un plan admirable , il s'efforce de nous le
faire connaître , &l'on pourra dire de lui
qu'apparemment il a eu des révélations
fur Pindare , & des converſations nocturnes
avec ce poëte , comme on diſait que
Mde Dacier en avait avec Homère .
La clef qu'il donne de la première pithique
eſt une lyre d'or qu'il prétend
qu'Hiéron avait promiſe à Pindare , &
cette promeſſe lui paraît démontrée. Il
faudrait au moins donner ces idées pour
ce qu'elles font , c'eſt à dire , pour des
conjectures , & n'y pas attacher un grand
prix .
Ce qui nous a paru le plus eſtimable dans
cet effſai ſur Pindare , ce font quelques
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
morceaux du diſcours préliminaire. Tel
eſt celui ci ſur la poësie. « La nature en-
>> tiere eſt ſous les mains du poëte pour
» lui fournir des ſecours , & fi la terre ne
>> lui préſente point des armes victorieu-
>> ſes , il faut qu'il enfante des prodiges
» & des miracles ; qu'il cherche & qu'il
>>>trouve au ciel ou dans les enfers tous
>>>les preſtiges dont il a beſoin pour
>>éblouir , émouvoir , étonner , épouvan-
>> ter , ſéduire. L'ode ſur tout plus que
>>tous les autres gentes de poësie noble ſe
>> propoſant une carrière plus courte doit
>> auſſi la fournir avec plus de chaleur &
» de vîteſſe. Tous les poëmes héroïques
>> doivent marcher à pas de géant , il faut
que l'ode vole. Sa trace doit être inſenſi-
>> ble. Elle ne s'appuye que pour s'élancer.
>>C'eſt entre le ciel& la terre que ſa rou
>> te eſt marquée par les muſes. Toute
» chûte eſt impardonnable , & s'il ne lui
>>eſt pas poſſible de ſe ſoutenir conftam-
» ment à la mème hauteur , il faut que ſa
>> defcente ſoit pareille au vol d'un oiſeau
» qui s'abaiſſe un inſtant pour reprendre
>> auſſi - tôt un élan plus rapide & plus
» élevé. »
Ce morceau ſuffirait pour donner une
bonne idée du talent de M. Vauvilliers
JUILLET. 1772. 129
&du goût qu'il a rapporté de la lecture
des Anciens. Mais qu'il ſe défie de la ſuperſtition
qui peut gâter les meilleures
croyances , & qu'il ſe ſouvienne du triolet
de la Monnoye , bon grec, s'il en fut ,
&même poëte grec , & qui pourtant plaiſantait
quelque fois ſur ſes anciens confrères
. Voici le triolet qui n'eſt pas un des
plus mauvais qu'on ait faits.
Pindare était homme d'eſprit ;
En faut- il d'autres témoignages !
Profonddans tout ce qu'il écrit ,
Pindare était homme d'eſprit.
Aqui jamais rien n'y comprit ,
Il ſut bien vendre ſes ouvrages.
Pindare était homme d'eſprit ;
En faut-il d'autres témoignages ?
Tableaux d'un Poëte , Poëfies d'un Peintre.
A Pittoreſcofolis ; & ſe trouve à
Paris , chez Cellot, rue Dauphine ; vol .
In- 8°. avec des gravures. Prix , 36 fols .
Des morceaux imités de Séneque , le
philoſophe , & que l'auteur appelle des
études d'après l'antique; de petites pièces
de vers qui nous rappellent des épigram
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
mes ou des anecdotes connues compoſent
ce recueil de poëſies. Le poëte peintre ou
le peintre poëte s'eſt égayé quelque fois
à charger fon coloris pour donner une forte
de relief à ſes bambochades. En voici
une intulée le Protecteur culbuté. Le trait
qui en fait le ſujet eſt emprunté de la vie
d'Holbein , peintre Suiſſe, connu principalement
parfa danſe des Morts , qu'il a
peinte à Bâle ſa patrie &gravée en bois.
D'une coupole , à la force infinie ,
Holbein le Suifle arabesquoit les bords ,
Aux protecteurs , dont il fait la manie ,
Du lieu voûté fermant tous les abords ;
Lorsqu'apparoît , d'une arrogance altière ,
Dur aflaillant qui força la barrière
Quenotre peintre oppoſe à leurs efforts ,
Juſqu'à ſon ciel , le plus fou des milords ;
Le fier Balois , qui fit danſer les morts ,
Le fait danſer d'une vive manière
De l'échafaud lance mon patatras ,
Comme Michel fit le haut Satanas.
Mal relevé de ſa chûte céleſte ,
Huit jours après , le milord peu modeſte ,
Echarpe au dos , le mufle encor meurtri ,
Plaindre s'en fut au Huitieme Henri ,
Qui par Holbein , du combat par avance
Gaiment inſtruit , en main prit ſa défenſe,
JUILLET. 1772. 131
Lava du Job & la tête & les trous :
Un homme docte eſt au- deſſus de tous ,
M'entendez- vous , lord , auteur du litige ?
Tout mon crédit ne peut enter chez nous
Un peintre rare ; & je peux , ſans prodige ,
Faire en un jour cent nobles comme vous.
LETTRE de M. de V.. à M. de la H.
Vous n'êtes pas , Monfieur , le ſeul à
qui l'on ait attribué les vers d'autrui . Il
y a eu de tous tems des pères putatifs
d'enfans qu'ils n'avaient pas faits.
M. d'Hannetaire , homme de lettres
& de mérite , retiré depuis long- tems à
Bruxelles , ſe plaint à moi par ſa lettre
du 6 Juin , qu'on ait imprimé ſous mon
nom une épître en vers qu'il revendique.
Elle commence ainſi ,
En vain en quittant ton ſéjour ,
Cher ami , j'abjurai la rime.
La même ardeur encor m'anime
Et ſemble augmenter chaque jour.
Il eſt juſte que je lui rende ſon bien
dont il doit être jaloux. Je ne puis choiſir
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
de dépôt plus convenable que celui du
Mercure,pour y conſigner ma déclaration
autentique , que je n'ai nulle part à cette
pièce ingénieuſe ; qu'on m'a fait trop
d'honneur , &que je n'ai jamais vu ni cet
ouvrage ni M. de M.. auquel il eſt adreſſé;
ni le recueil où il eſt imprimé. Je ne veux
point être plagiaire,comme on le dit dans
l'Année littéraire. C'eſt ainſi que je reſtiruai
fidèlement dans les Journaux des
vers d'un tendre amant pour une belle
actrice de Marſeille. Je proteſtai avec
candeur que je n'avais jamais eu les faveurs
de cette heroïne . Voilà comme à
la longue la vérité triomphe de tout. Il y
acinquante ans que les libraires ceignent
tous les jours ma tête de lauriers qui ne
m'appartiennent point. Je les reſtitue à
leurs propriétaires dès que j'en ſuis informé.
Il eſt vrai que ces grands honneurs que
les libraires & les curieux nous font quelque
fois à vous & à moi , ont leurs petits
inconveniens. Il n'y a pas long-tems qu'un
homme qui prend le titre d'avocat , &
qui divertit le barreau , eut la bonté de
faire mon teſtament & de l'imprimer.
Pluſieurs perſonnes dans nos provinces &
dans les pays étrangers , crurent en effe,
JUILLET. 1772. 133
que cette belle pièce étoit de moi. Mais
comme je me fuis toujours déclaré contre
les testamens attribués aux Cardinaux de
Richelieu , de Mazarin & Albéroni, contre
ceux qui ont couru ſous les noms des
Miniftres d'Etat Louvois & Colbert , &
du Maréchal de Belliſle , il eſt bien juſte
que je m'éleve auffi contre le mien, quoique
je fois fort loin d'être miniſtre. Je
reſtitue donc à M. M**** , avocat en
parlement , mes dernières volontés qui
ne font qu'à lui ; & je le ſupplie au moins
de vouloir bien regarder cette déclaration
comme mon codicile .
En attendant que je le faſſe mon exécuteur
teftamentaire , je dois , pendant
que je fuis encore en vie , certifier que
des volumes entiers de lettres imprimées
ſous mon nom , où il n'y a pas le ſens
commun, ne font pourtant pasde moi .
Je ſaiſis cette occafion pour apprendre
à cinq ou fix lecteurs qui ne s'en foucient
guères , que l'article Meſſie imprimé dans
le grand dictionnaire encyclopédique , &
dans pluſieurs autres recueils n'eſt pas
mon ouvrage ; mais celui de M. Polier
de Bottens , qui jouit d'une dignité eccléſiaſtique
dans une ville célèbre , & dont
la piété , la ſcience & l'éloquence font
134 MERCURE DE FRANCE.
affez connues. On m'a envoyé depuis peu
fon manufcrit qui eſt tout entier de ſa
main.
Il eſt bon d'obſerver que lorſqu'on
croioit cet ouvrage d'un laïque , pluſieurs
confrères de l'auteur le condamnèrent
avec emportement. Mais quand ils ſçurent
qu'il était d'un homme de leur robe,
ils l'admirèrent. C'eſt ainſi qu'on juge
affez ſouvent , & on ne ſe corrigera pas.
Comme les vieillards aiment à conter ,
& même à répéter , je vous ramentevrai
qu'unjour les beaux eſprits duroyaume ,&
c'étaient le Prince de Vandôme , le Chev.
de Bouillon , l'Abbé de Chaulieu , l'Abbé
de Buſſi , qui avoit plus d'eſprit que ſon
père , & pluſieurs élèves de Bachaumont,
de Chapelle & de la célèbre Ninon , diſaient
à ſouper tout le mal poſſible de la
Motte-houdart. Les fables de la Motte venaient
de paraître. On les traitait avec le
plus grand mépris , on affurait qu'il lui
était impoſſible d'approcher des plus médiocres
fables de la Fontaine. Je leur parlai
d'une nouvelle édition de ce même
la Fontaine , & de pluſieurs fables de cet
auteur qu'on avait retrouvées. Je leur en
récitai une ; ils furent en extaſe ; ils ſe
récriaient. Jamais la Motte n'aura ce ſtyJUILLET.
1772. 135
le, diſaient - ils , quelle fineſſe & quelle
grace ! on reconnaît la Fontaine à chaque
mot. La fable était de la Motte .
Paffe encor , lorſqu'on ne ſe trompe
que ſur de telles fables. Mais lorſque le
préjugé , l'envie , la cabale imputent à des
citoyens des ouvrages dangereux , lorfque
la calomnie vole de bouche en bouche
aux oreilles des puiſſans du ſiècle ,
lorſque la perſécution eſt le fruit de cette
calomnie , alors que faut- il faire ? cultiver
ſon jardin comme Candide.
ACADÉMIES.
I.
Académie des Sciences & Belles- Lettres
de Béfiers. 1
SELON les ſtatuts de cette Académie ,
elle devoit tenir ſon aſſemblée publique
le premier jeudi d'après la St Martin de
l'année dernière ; mais pour des raiſons
particulières ici , on la renvoya au 10
Janvier 1772. M. de Bouſſanelle , brigadier
des armées du Roi , en fit l'ouverture
en qualité de directeur , par un dif136
MERCURE DE FRANCE.
cours ſur la danſe , ſur l'art de la ſaltation
& fur celui des pantomimes .
Ce ſujet , quoique traité fort au long
par M. Burette dans les mémoires de l'Académie
royale des Inſcriptions & Belles-
Lettres , n'a pas laiſſé , étant enviſagé ſous
des points de vue différens , d'offrir une
ample matière au diſcours qu'on vient
d'annoncer .
Après avoir obſervé que l'art de la faltation
& celui des pantomimes ne font
que l'art même de la danſe que des peuples
effeminés & corrompus ont défiguré
&dénaturé, M. de Bouſſanelle ajoute que
la danſe eſt ordinairement une expreſſion
de joie ſoumiſe à toute eſpèce d'harmonie
, même à celle de la voix. La nature ,
dit- il , nous pouſſe à exprimer par des
geſtes extérieurs du corps , les différentes
agitations que produiſent dans l'ame les
ſons variés de la muſique.
f
Il remarque que cet exercice innocent
dans ſon origine& conſacré àdes actes
de religion , s'eſt conſervé dans ſon entière
pureté chez des nations barbares ,
qui n'ont aucune connoiſſance de nos
moeurs ; & il rapporte les noms des différentes
eſpèces de danſes des Indiens &
particulièrement des Hottentots.
JUILLET. 1772. 137
La muſique vocale de ces derniers
conſiſte , dit- il , dans la monofyllabe ho,
& dans un petit cercle de notes ſur lefquelles
roule l'air de deux ou trois chanſons
barbares qu'ils accompagnent de
leur inſtrument de muſique appellé le
gongom .
M. de Bouffanelle paſſa enſuite à l'art
de la faltation & à celui des pantomimes
qu'il appelle la ſcience des geftes naturels
ou inventés , l'expreſſion la plus forte
& la plus vive des paffions les plus viles ,
le tableau fidèle des vices les plus honteux
, le recit muet des folies des hommes.
Ces arts , dit- il , nâquirent à Rome,
ſelon Zozime & Suidas , ſous l'empire
d'Auguſte , ou du moins y furent portés à
la plus haute perfection ; car , comme il
le remarque fort bien , long- tems auparavant
Numa avoit inſtitué une danſe pour
les prêtres de Mars appellés Saliens , &
dans les ſiécles bien plus reculés Caſtor &
Pollux avoient enſeigné l'art de la faltation
aux Cariens ; Neoptoleme fils d'Achille
avoit enſeigné une danſe armée à
ceux de Créte , & Minerve elle même
avoit danſé de joie après la défaite des
Titans .
Il cite Lucien , qui compte l'art de la
138 MERCURE DE FRANCE.
danſe dégradée , parmi les cauſes de la
corruption des moeurs & des malheurs de
l'Empire Romain. A cet auteur il joint
Scipion & Cicéron qui déclamèrent vivement
contre les écoles publiques tenues
par des comédiens , où l'on envoyoit les
jeunes gens de l'un& de l'autre ſexe pour
apprendre l'art d'accompagner la récitation
des vers par les mouvemens du
corps.
Les Romains , ajoute- t'il , pouſſoient
fi loin la folie de la danſe , qu'indépendamment
des écoles pour cette danſe efféminée
, il y en avoit encore à Rome
pour apprendre àſervir à table & à couper
les viandes en danſant , ainſi que nous
l'apprenons d'Horace & de Juvenal .
Il n'oublie pas les danſes qui accompagnoient
anciennement les premiers hommages
qu'on rendoit aux Souverains , les
preſtations de ferment , les inaugurations,
les inveſtitures , non plus que les danſes
de la veille de St Jean , ni enfin celles
dont il a été lui-même témoin pendantles
fêtes lurhériennes de Hamelen célèbres
en Allemagne ; & fi dans bien des
cas il loue l'uſage de cet exercice originairement
innocent , il ne manque point
dans pluſieurs endroits de fon diſcours
JUILLET. 1772. 139
de blâmer hautement l'abus qu'on en faifoit
autrefois , & que malheureuſement
on en fait encore dans un grand nombre
d'occaſions.
Ce diſcours fini , & après que le ſecrétaire
eût annoncé un mémoirede M. Maillol
, l'un des aſſociés , & pluſieurs écrits
qui lui avoient été envoyés par M. Réguillet
, avocat au parlement & membre
de pluſieurs académies ; MM. Baſſet & de
Manſe lurent , l'un l'éloge de M. de la
Sabliere , lieutenant-colonel de cavalerie,
& l'autre celui de M. de Bauffet de Roquefort
, évêque & ſeigneur de Béſiers .
M. Audibert donna enſuite un précis
très- ſuccinct de l'ouvrage de M. Beguillet
fur le bled ergoté , & s'étendit un peu
plus fur la nielle & le charbon qui infectent
quelque fois nos grains. La nielle ,
dit il , réduit en une pouſſiére noire les
fleurs des grains ſans toucher au reſte de
la plante. C'eſt une eſpèce d'ulcère qui
commence aux fupports des fleurs peu de
tems après que l'épi eſt formé : on reconnoît
les épis malades à l'enflure de ces
ſupports , & on y découvre une tache
noire ; delà le vice paſſe aux autres parties
de l'épi & les ronge juſqu'à ce qu'on n'y
apperçoive plus que de balles noires que
140 MERCURE DE FRANCE.
le vent ou la pluye enlève , & alors il ne
reſte ſur la plante que l'axe de l'épi.
M. Aymen * a prétendu que c'étoit
l'effet d'un vice de la ſémence , & les expériences
qu'il a faites à ce ſujet paroifſent
déciſives : il en réſulte que toutes
les ſémences fur leſquelles il avoit découvert
à la loupe des taches de moiſiſſure ,
avoient produit des épis niellés , & que
la moiſiſſure des ſémences eſt par conféquent
la cauſe ou l'une des cauſes de la
nielle.
Cette maladie &le charbon dépendent
de la même cauſe. Les grains charbonnés
font renflés , on y voit des points noirs
dans la partie inférieure des capſules. Ces
points s'agrandiffent,&toute la ſubſtance
du grain ſe change en une pouſſière
noire.
On doit donc tacher de préſerver les
ſémences de la moiſiſſure qu'elles contractent
dans les gerbiers & dans les greniers.
Elles ſe moiſiſſent auſſi quelquefois
dans la terre après avoir été ſemées ;
& on a remarqué qu'il y a toujours beaucoup
de nielle & de charbon après des
Sçav. étrang. tom. 3 .
JUILLET. 1772. 14
ſemailles tardives , des hivers pluvieux
&dans des terres maigres .
On conçoit que dans ces cas les ſemences
ne ſe moiſiſſent que parce qu'elles ne
végétent pas allez tốt ; & l'on peut auffi
regarder cette inertie comme la première
cauſe de la grande quantité de charbon
que nous trouvons dans les grains de la
dernière récolte. Les terres ayant été enſemencées
dans un tems de ſéchereſſe qui
duroit depuis pluſieurs mois & qui dura
encore deux mois après , une partie des
ſemences n'avoit levé qu'au mois de Décembre.
C'eſt une bonne méthode pour ſauver
les grains du danger de la moiſiſſure , de
laiſſer parfaitement mûrir ceux qu'on deftine
à être ſemés , de ne les couper quand
ils font mûrs que deux heures après le
lever du ſoleil , de les porter tout de ſuite
à l'aire , où on les fait battre le même
jour , & de les mettre le ſoir dans une
eau de chaux qu'on a eu ſoin de tenir prêre.
Après les y avoir laiffés vingt- quatre
heures , & en avoir rejetté les grains qui
furnagent , on fait ſécher exactement les
bonsgrains ,& on les conſerve en un lieu
bien ſec. Ce ſont encore des moyens
d'empêcher que les ſémences ne ſe moi
142 MERCURE DE FRANCE.
fiffent en terre , de préparer ſoigneuſement
les guérets , d'employer, oùil le faut,
le ſecours du fumier , de ſemer dans le
premier mois de l'automne , de ne rien
omettre en un mot de ce qui peut favorifer
la végétation & hâter ſes progrès .
M. Bertholon , Prêtre de la Congrégation
de la Miſſion qui , depuis quelque
tems travaille à l'hiſtoire naturelle du
diocèſe de Beſiers , termina la ſéance par
unmémoire ſur quelques pétrifications
&curiofités naturelles des environs de
Befiers. Il a découvert par ſes recherches
pluſieurs objets intéreſſans ,tels que des
échinotypolithes , des gloſſopètres , des
ſtrombites , des buccinites , des cochlites
, des camites , des ſellénites & autres
conchites qu'il montra depuis peu fur les
lieux mêmes à un célèbre naturaliſte
(M. Guettard. ) Près des murs de cette
ville eſt encore un grand & triple banc
d'huitres pétrifiées dont la plupart font
avec leurs deux valves , de la plus grande
beauté , & de la plus belle confervation.
Nous mépriſons pour ainſi dire ce que
nous avons ſous nos pas , diſoit notre
académicien , &de divers côtés de juſtes
eſtimateurs des beautés de la nature me
demandent de ces beaux oſtracites dont
JUILLET. 1772. 143
nous ſommes de froids poſſeſſeurs. Il
parla encore de pluſieurs aſtéries , des
cornesd'Ammon &des Belemnites qu'on
trouve ſur diverſes montagnes qu'il a
parcourues. Après quelques réflexions fur
les cauſes phyſiques des pétrifications , il
expoſa les divers ſentimens des naturaliſtes
, difcuta leurs raiſons , & adopra
ceux qui paroiſſoient les plus probables ;
par exemple , ſur les belemnites, celui de
L'illustre M. Claret de la Tourrette , ſecrétaire
perpétuel de l'académie de Lyon
&excellent naturaliſte .... Ces diverſes
pétrifications répandues dans notre province
en bancs & amas conſidérables ,
prouvent , ſelon notre académicien , que
cette contrée fut jadis le ſéjour des eaux ,
que nous rampons ſur ce ſable où des
monſtres marins ſe jouoient autrefois ,
que les terres ont été mers , & que les
continens furent fubmergés par les flots
de l'Océan .
144 MERCURE DE FRANCE.
I I.
La Rochelle.
L'Académie Royale de la Rochelle
tint fon Aſſemblée publique le 13 Mai
dernier : M. l'Abbé Gervand , Profeffeur
de Rhétorique au College Royal en fit
l'ouverture par un Diſcoursfur les causes
de la décadence de l'Eloquence. M. Delaire
, Négociant , Chancelier de l'Académie
, lut enfuite un Difcours fur les
qualités morales &fociales du Négociant.
Ce Diſcours fut ſuivi d'obſervationsfur
le défaut de costume dans la Comédie relativement
à nos usages & à nos loix , par
M. de la Coste , Avocat. M. Girard de
Villars , Avocat du Roi , prononça enfuite
l'Eloge de M. de Réaumur , Affocié
de l'Académie. M. Raoult lut après , un
Diſcours ſur ce ſujet : combien le moindre
objet de Commerce met de bras en mouvement,
par M. de Mautaudouin , Négociant
à Nantes , Aſſocié. M. de Longchamps
, Alſocié , fit lecture d'une traduction
libre du Banquet de Plutarque :
la Séance fut terminée par une Ode fur
les Arts, par M. de Fontanes , Aſſocié.
SPECTACLES .
JUILLET. 1772. 145
SPECTACLE S.
OPÉRA.
L'ACADÉMIE Royale de Muſique a don
né le Vendredi 10 Juillet, la premiere
repréſentation de la repriſe du premier
Acte des Fêtes de l'Himen , ſuivi de l'acte
d'Eglé , Pastorale ; à quoi elle doit ajouter
, en place du Prologue des Fêtes de
l'Himen , qui a été retiré, celui des Indes
Galantes.
Cahuſac a fait les paroles ,& Rameau
la muſique de l'acte d'Ofiris. Ce Roi à
la tête d'une Nation policée , entreprend
d'étendre l'empire des arts & des talens ,
dont il eſt l'ami & le protecteur ; & de
triompher par leurs charmes des peuples
les plus groſſiers . Ortheſie , reine d'Amazones
ſauvages veut en vain lui oppoſer
la force des armes ; Ofiris lui dit :
Je guide un peuple généreux
Qui , ſans la redouter , fuit l'horreur de la guerres
Il met tout ſon bonheur à faire des heureux-
Son art cher aux humains , orne , enrichit la
terre .
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
Il la rend par ſes ſoins la rivale des cieux ,
Partagez avec nous ſes bienfaits précieux.
Une troupe d'Amazonnes ſauvages
conduite par Myrrine , vient fondre avec
fureur fur Osiris & ſa ſuite. Orthéſie
arrête ces rebelles , & les fait défarmer.
Enfin cette Reine ſe ſoumet volontairerement
au pouvoir de l'amour.
M. Muguet a rempli en l'absence de
M. le Gros qui eſt indiſpoſé , le rôle
d'Ofiris ; Mlle Duplant a repréſenté Orthéſie
, & Mile Duranci Myrrine . On a
applaudi leur chant & leur jeu.
Le Balet ingénieuſement deſſiné de
cet acte eſt de la compoſition de M.
Gardel . Mlle Aſſelin,danſeuſe brillante ,
y reçoit beaucoup d'applaudiſſemens . On
a revu avec tranſport Mile Heinel , qui
eſt revenue comblée des éloges de Londres
où elle a danſé pendant pluſieurs
mois. Cette danſeuſe d'une figure charmante
, d'une taille ſvelte , de la proportion
la plus heureuſe , n'a point ſon égale
dans le genre majestueux , noble & impo .
ſant qu'elle exécute. Elle ſemble encore
avoir fait des progrès & avoir acquis plus
JUILLET. 1772. 147
de ſureté , de force & en même temps
plus de moelleux dans ſa danſe.
Le Poëme d'Eglé eſt de M. Laujon ,
Secrétaire des Commandemens de S. A.
S. Monſeigneur le Duc de Bourbon .
La muſique eſt de M. de la Garde ,
Maître de Muſique des Enfans de France ,
& Surintendant de celle de Mgr le Comte
de Provence
Les Acteurs font :
APOLLON , ſous l'habit d'un Berger &
ſous le nom de Miſis . M. Larrivée.
ÆGLÉ , Bergere . Mde Larrivée.
LA FORTUNE. Mlle Rosalie ou Mile
Beaumesnil.
UNE BERGERE. Mile Dupuy.
Le ſujet de cet acte eſt ſimple , ingénieux
& intéreſſant. Une Bergère reçoit
des leçons de chant d'Apollon , ſous le
nom de Miſis ; elle ne peut ſe défendre
de l'aimer , n'oſe l'avouer , & laiſſe enfin
trahir le ſecret de ſon coeur , en répétant
la leçon que lui donne fon Berger. La
Fortune fait un contraſte dans cette Paftorale
& amène du ſpectacle. Elle veut
envain féduire le Berger , & ne pouvant
Gij
143 MERCURE DE FRANCE.
en triompher , elle tente de lui enlever
le coeur d'Eglé ; mais l'éclat de ſes tréfors
ne peut corrompre ces amans.
Une muſique douce & naïve , répond
parfaitement aux paroles. Le chant en eſt
expreffif, agréable & facile. On retiendra,
on chantera toujours avec plaiſir ces airs
connus.
ÆGLÉ.
Ah ! que ma voix me devient chère
Depuis que mon berger ſe plaît à la former !
Amour , rends mes accens dignes de le charmer !
C'eſt peu , c'eſt trop peu de lui plaire ,
Ne pourrai-je point l'enflammer ?
Lorsque Miſis , dans ce bocage ,
Vint prêter à mes chants un charine plus flatteur
,
Amour , c'étoit le plus doux eſclavage
Que tu préparois à mon coeur .
MISIS , à la Fortune.
Eglé tient tous ſes biens des mains de la nature;
Sa richeffe , c'eſt la beauté :
L'art ne releve point l'éclat de ſa parure ;
JUILLET. 1772. 149
Des fleurs font l'ornement de ſa fimplicité,
Et ſon coeur qui jamais ne connut l'impoſture,
Que rien encor n'a pu charmer ,
Eſt le prix que l'amour aſſure
Au berger trop heureux qui pourra l'enflammer.
MISIS , feul.
Paiſibles bois , vergers délicieux ,
J'abandonne pour vous le ſéjour du tonnerre;
J'ai laiflé mon rang dans les cieux ,
Tous mes plaiſirs ſont ſur la terre.
Aglé me croit berger , que mon coeur eft flatté!
Monrang eſt un ſecret qu'il faut queje lui cèle ,
Même après ma félicité.
Comme berger je goûterai près d'elle
Les plaiſirs de l'amour & de l'égalité ;
Et ſi je me ſouviens de ma divinité ,
Ce ſera pour brûler d'une ardeur éternelle.
i
Les rôles d'Æglé & de Miſis , ne peuvent
être mieux joués , ni chantés avec
plus de goût & de ſenſibilité , que par
M. & Mde Larrivée : on eſt ſurtout
enchanté de la ſcène où Æglé répète la
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
leçon que Miſis lui donne de chant &
d'amour , & qui a été ſi bien ſentie & rendue
fi heureuſement par le Muſicien .
Mlle Rofalie a obtenu des fuffrages
bien mérités dans le perſonnage de la
Fortune , comme dans tous ſes rôles ,
par la beauté de ſa voix , par l'expreffion
de ſon chant , & par la fineſſe de ſonjeu .
Mlle Beaumefnil y eſt auffi très- accueil
lie.
Le Baller de cet acte , de la compolition
de M. Veſtris ; eſt d'un deſſin élégant
, d'une coupe heureuſe & agréablement
variée . M. Veftris le meilleur
modèle de la danſe noble , & M. Gardel
ſon digne émule , y font admirés & fêtés
par le public.
M. Dauberval & Mile Allard communiquent
à toute l'aſſemblée , la gaîté&
le plaiſir qui volent ſous leurs pas . Il eſt
à remarquer que dans ce ballet , ſans avoir
recours à la Pantomime , ils ont ſu tirer
du caractère même de leur danſe des pas
nouveaux & habilement contraſtés .
Mais il n'appartient qu'à une exécution
auſſi brillante que celle de ces danſeurs ,
১
JUILLET. 1772. 151
de produire des effets auſſi vifs & aufli
piquants .
Mlle Guimard qui a la danſe des graces
, a été très - applaudie ; ainſi que
Mile Dervieux qui réunit tout ce qu'il
faut pour plaire ; & M. Simonin qui
ajoute tous les jours aux charmes de
fon talent.
COMÉDIE FRANÇOISE.
MLLE Saintval , feur de l'Actrice de
ce nom dont nous avons annoncé le début
brillant dans la Tragédie &le don
précieux & naturel qu'elle a d'émouvoir
& d'attendrir , a été tout à coup arrêtée
au milieu de ſes ſuccès , par une maladie
très- dangereuſe ; mais le ſujet des alarmes
eſt cellé, & l'on eſpère qu'elle pourra
b'entôt reparoître dans la carrière où elle
s'eſt montrée avec tant d'avantages ; &
répondre à la juſte impatience des ſpec .
tateurs ſenſibles qui s'empreſſent de venir
partager ſes paſſions & fes douleurs .
C'eſt l'indiſpoſition de M. Bonneval ,
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
l'un des principaux acteurs dans la Comédie
, qui a obligé les Comédiens Fran.
çois de différer les repréſentations des
pièces de Molière , dont ils ont promis
de ne point laiſſer doubler les rôles.
COMÉDIE ITALIENNE.
M. D'ARCIS qui a joué avec ſuccès dans
laComédie , &dans les pièces de chant ,
ſur différens Théâtres des principales
Villes de la Province , a paru , en paſſant
à Paris , ſur la ſcène de la Comédie Italienne
, dans pluſieurs Drames ; & a obtenu
un nouveau titre de recommandation
pour ſes rôles qu'il s'empreſſe d'aller
reprendre , fatisfait d'avoir obtenu en
quelque forte les honneurs de la Capitale.
On doit d'autant plus s'intéreſſer à cet
acteur , qu'il conſacre toute ſa fortune &
ſon travail à l'éducation du jeune Muſicien
qu'on a entendu avec étonnement
fur l'Orgue & fur le Clavecin , au Con.
cert Spirituel ; c'eſt cet enfantqui a com
poſé la muſique d'une pièce exécutée à la
Comédie Italienne; & ce qui fait le plus
JUILLET. 1772. 153
fon éloge , il donne aſſez d'eſpérance de
ſes talens , pour que le célèbre M. Grétri
veuille bien l'avouer pour ſon élève , &
lui montrer le génie de la muſique .
On prépare pluſieurs Nouveautés à ce
Théâtre .
LETTRE * à un jeune Elève des Académies
d'architecture , de peinture & de
Sculpture , fur l'Optique des dimenſions,
Science exacte , ou fimplement fur la
Perspective naturelle & fur fon imitation.
IL ya long-tems , Monfieur , que je vous aurois
communiqué ce que je vous ai promis ſur l'optique
, ſi je n'eufle ſenti la néceſſité d'y ajouter les
ſentimens de pluſieurs auteurs célèbres , & ceux
dequelques artiſtes , ſoit architectes , ſoit peintres
qui ont écrit fur la perſpective linéaire en particulier
, depuis Guido- Ubaldy en 1600 juſque &
compris 1771 .
Ce motifm'a obligé de parcourir leurs ouvrages.
Je n'y ai rien trouvé de ſemblable aux deux
Perspectives dont je vous ai parlé , leſquelles doivent
naturellement précéder la Perspective linéaire&
la Perspective aërienne.
* De M. Roy .
G
154 MERCURE DE FRANCE.
Vous vous êtes exercé ſur la perſpective linéaire
, par un goût décidé , & pour votre amusement,
dès le tems qu'on vous enſeignoit les premiers
élémens du deſſin. Vous ſaviez précédemment
les quatre premières règles d'arithmétique & la
règle de proportion ; c'étoit affez pour vous faciliter
la pratique de ce que vous avez vu depuis
dans une brochure intitulée , Effai fur la Perfpective
pratique par le moyen du calcul (1 ) . Mais
avez - vous obfervé qu'aucun des auteurs qui,julqu'à
préſent , ont écrit ſur l'optique , & en particulier
fur la perspective linéaire , n'a enſeigné
qu'il exiſtoit une perspective naturelle ? c'eſt une
ſcience qu'on doit , ce ſemble , diviſer en deux
parties principales , l'une que je nommerai perf.
pective oculaire , parce qu'elle est peinte au fond
de l'oeil ſur la rétine , ſous des dimenſions la plûpart
infiniment petites , leſquelles malgré cela
nous procurent la ſenſation viſuelle des objets :
l'autre que j'appellerai perspective apparente , parce
qu'elle nous paroît formée par ce ſpectacle
varié à l'infini , que la nature nous préſente à chaque
pas , ſous des dimenſious infiniment grandes ,
étant comparées à celles des images de la perfpective
oculaire ; deſquelles la nouvelle conſtruction
d'une petite chambre obſcure , que je nommerai
rapporteur oculaire , pourra donner une
légère idée.
:
Cela poſé , il eſt évident que la perſpective li-
(1) Mercure de France , Mars 1758 , pag. 154 .
Lettre fur la perſpective linéaire du docteur Brook
Taylor, &hiſtoire des mathématiques par M.
Montucla , tom. I , add. pag. xxxiv .
JUILLET. 1772. 155
néaire & la perspective aëtienne font enſemble
l'imitation de la perspective oculaire en grand , &
l'imitation de la perspective apparente en petit.
Vous remarquerez , s'il vous plaît en paſlant ,
1º. Que ces quatre perſpectives ſont inſéparables,
&qu'il fuffit d'ouvrir les yeux pour en avoir la
preuve , dans tous les lieux qui ne ſont pas entièrement
privés de lumière. 28. Que la perſpective
linéaire commence toujours précisément où
finit la perspective apparente ſur le terrein : ce
qui est très important pour les décorations théâtrales
, relativement au racordement des derniers
chaſſis découpés ou non découpés , avec la ferme
ou toile du fond. 3. Enfin , qu'il n'y a que le calcul
arithmétique approprié à chacune , & quelques
nombres entiers invariables ( 1 ) qui puiffent
fatisfaire pleinement à leur égard.
Ne vous effraïez point ſur la théorie & la pratique
de ces deux nouvelles branches d'optique :
elles ne vous fatigueront pas beaucoup plus que
vous ont fatigué celles de leur imitation , qui ne
vous ont coûté que quelques heures d'étude pour
en connoître les principes & les opérations .
Je ſuis perſuadé que les méthodes quej'ai imaginées
ſur ce ſujet pourront ouvrir une nouvelle
route ſur l'optique , en y ajoutant quelques nouveaux
principes que je crois certains . Je me fonde
(1) Il s'agit de quatre nombres entiers quiexpriment
chacun la longueur d'une diagonale ,
dont l'une eſt celle du quarré , ſon côté fût- il infiniment
grand ou petit. On jugera le degré de
l'approximation.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
ſur ce que M. d'Alembert a écrit que dans cette
ſcience , tout , ( 1 ) ou presque tout ,y est encore à
faire ; que les principes quiyfont le plus généralement
reçus font ou faux , ou au moins très - incertains.
(2) De même j'imagine qu'elles ſupplééront
peut - être à une petite partie de ce grand
nombre d'expériences &de combinaiſons néceſſaires
pour découvrir d'une manière fúre & invaria--
ble, les loix de la vision. (3 ) J'eſpère auffi que
ces méthodes auront quelque part à cette préférence
accordée aux traités de perſpective des cé
lèbres docteurs S'Graveſande & Taylor , (4) d'au
tant plus que le premier conclut , page 114, qu'il
est très mal aisé pour ne pas dire impoſſible pour
les peintresdefaireun deſſinentierfelon les règles
qu'il a preſcrites , &c. A l'égard du docteur
Taylor ( fans doute d'après ſon aveu , page XLV
de ſon introduction , & ſelon ſes problêmes ) M.
le comteAlgarotti , nous dit que fa méthodefait
plus d'honneur au mathématicien qu'elle n'est
utile à l'artiste . (5)
Enfin j'eſpère encore que la méthode que je propoſe
ne ſuccombera pas entièrement à cejugement
rigoureux de M. l'Abbé de la Caille. Nous avons ,
(1 ) Elémens de philoſophie , pag. 253 .
(2) Opuſcules mathématiques, tome I , préface
&page 298 .
(3 ) Encyclopédie , au mot Optique , pag. 518 .
(4) M. Montucla , hiſtoire des mathématiques,
page 636 , tome I.
(5).Eſſai ſur la peinture , traduit de l'italien par
M, Pingeron , page 47. A
JUILLET. 137 1772 .
dit cet académicien profeſſeur ,fur cette partiede
l'optique un bien plus grand nombre de livres que
furtoutes les autres ; mais aucun quejeſache n'en
renferme les principes d'une manière affezgénérale.
Onne trouve communémentque des pratiques
vagues , obscurément énoncées , fans ordre &fans
démonstration . ( 1 )
Il faut remarquer que ce ſavant , après avoir
propoſé divers moyens ( déjà connus ) pour pratiquer
la perfpective linéaire , rafiemble , pages
139 à 148 , diverſes échelles ( auſſi connues ) &
en communique une conſtruite par le moyen du
calcul des décimales . Celle- ci ſemble d'abord fuivre
de très-près le calcul que j'ai publié dix ans
avant lui , mais il convient cependant que ſon
calcul nepeutfervir que pour les grands tableaux
en quoi il diffère de beaucoup du mien : il y en a
diverſes preuves dans la pratique.
Son jugement , ſans doute trop général , eſt
bien capable de perfuader aux artiſtes que M.
Dufreſnoy peut avoir eu des raiſons équivalentes
aux fiennes , pour avancer dans ſon poëme
que la perspective ne peut être appellée une règle
certaine , ( 2) & par- là autoriſer , ſans l'avoir
prévu , la négligence de quelques-uns , à l'égard
de l'étude de cette ſcience , en leur fourniſlant un
prétexte pour s'excuſer ſur les défauts que l'on
(1) Leçons élémentaires d'optique , édition de
1766 , à la fin de l'avertiſlement.
(2) L'Art de Peinture, traduit en françois par
M. Depiles , page 20, No. 115.
158 MERCURE DE FRANCE.
remarque dans leurs ouvrages , ( 1 ) ſelon les connoiffeurs
.
Cependant il eſt bien décidé par de bons auteurs
& par d'habiles artiſtes , que la perspective
est très- néceſſaire à la peinture ; ( 2 ) qu'elle donne
de grandes ouvertures pour bâtir , ( 3 ) ainſi que
pour con oître par un ſeul deſſin l'effet quefera un
bâtiment quandilſera élevé (4 ) ; enfin ,que les règles
de l'optique font indispensables ( 5 ) &que les élémens
de l'optique font ceux de l'architecture . (6)
(1 ) Mémoire de littérature , tome xx 111 , page
330. Remarque de M. le comte de Caylus .
Nouveaux principes de perſpective linéaire du
docteur Brook Taylor , traduit de l'anglois , page
xlvij .
M. S'graveſande , eſlai de perſpective , édition
de 1711 , pages 3 & 4.
Traité de perſpective à l'uſage des artiſtes , par
E. Seb . Jeaurat , préface .
La perſpective propre des peintres , &c . par
André Pozo , préface.
(2) Abrégé de la vie des peintres , par Depile ,
page 49 .
(3 ) Cours d'architecture de Daviler , p . xxxiij .
(4) Traité d'architecture par Sebaſtien Leclerc,
page 7.
(5 ) Architecture françoiſe , tome I , p.203 .
(6 Dictionnaire d'architure de Daviler , p . xx .
**Vies des Architectes anciens & modernes par
M. Pingeron , tome I , page lvj .
JUILLET. 1772. 159
Tout cela ne peut regarder que la perspective
linéaire , puiſque c'eſt elle ſeule qui a été connue
juſqu'à préſent. Mais il eſt certain que la perfpective
apparente y ajoutera beaucoup . 1º. En
procurant le moyen de rendre aux façades des édifices
ce qu'elles paroiſſent perdre à raiſon de leur
éloignement quelconque du point donné. 29. En,
indiquant la convexité ou le galbe néceflaire à
un dôme , relativement à la hauteur quelconque
& à la diftance donnée. 3". Elle procurera par
furcroit une règle pour donner des proportions
convenables à un ordre ſolitaire avec foubaflement
; même à trois ordres élevés l'un ſur l'autre
( 1 ) dans l'intérieur de la tour d'un dôme d'une
hauteur quelconque ou ailleurs , lorſque le point
de diſtance donné ne peut être reculé ; enforte
cependant que ces ordres , foit en maçonnerie, ſoit
en peinture puiffent paroître bien proportionnés
entre eux , ainſi que les autres parties de la décoration
, foit architecture , bas- reliefs ou peintures
qui peuvent ſe rencontrer dans les entrecolonnemens
, & même leur proportionner les croiſées &
les vitraux : méthode nouvelle que j'appellerai
Hiſtoire univerſelle , traitée relativement aux
arts de peindre & de ſculpter , par M. Dandré
Bardon , &c. tome I , page 106 .
De l'utilité de joindre à l'étude de l'architecture,
&c. par J. F. Blondel , pages 9 & 26 .
( 1 ) J'ai imaginé un entablement & deux chapiteaux
, dont l'un pourra paffer pour françois.
C'eſt un effet d'optique;l'entablementy eſt aufli
approprié.
160 MERCURE DE FRANCE.
deformation artificielle pour la diſtinguer de celle
qui lui eſt oppolée queje nommerai déformation
naturelle parce qu'elle conſiſte dans le raccourcifſement
apparent des plans &des objets .
Il ne faut pas confondre ici cette déformation
artificielle avec ce que l'on a nommé la perspective
curieuse ( 1 ) ou anamorphose, ( 2) que l'on a défini
l'art defaire paroîtreſous des proportions ordi.
naires des objets repréſentés ſous des formes monftrueuses
, & quelque fois toutes différentes de ce
qu'elles paroiſſent d'un pointdonné. ( 3 )
Cet art a été conſidéré comme inutile (4) & M.
Montucla nous dit que l'art des déformations eft
peu important , que l'expérience montre qu'ily a
un peu à rabattre des merveilles que promet la
théorie. ( 5 )
Il n'en eſt pas de înême de la déformation artificielle
quej'ai imaginée : elle donnera exactement
ces mêmes effets, ſur des ſurfaces planes , par le
moyen de deux tables calculées pour la commodité
des artiſtes .
(1 ) La perſpective curieuſe , par le Père Niceron
, minime.
(2) Gaſpard Schott , jéſuite , dans ſa magic
univerſelle , première partie.
(3 ) Encyclopédie , au mot anamorphose.
Traité de la Perſpective pratique , par Courtonne
, architecte , page 25.
(4) M. l'Abbé Derdier , traité de perſpective ,
page 8 , Nº. 6.
(5) Hiſtoire des mathématiques ,tome I , page
637.
JUILLET. 1772. 161
Les induſtrieux pourront auſſi s'en ſervir pour
varier d'une manière fingulière des ornemens des
parterres dans les jardins de propreté , & diſpoſer
une allée d'arbres de façon à lui conſerver l'apparence
d'être parallèle dans toute ſa longueur. (1 )
Pareillement pour repréſenter au-delà de ſon extrémitéla
plus éloignée de l'oeil un morceau d'architecture
, ou autre objet en grand , par l'emploi
des ſables&des terres de différentes couleurs ,des
arbrifleaux , des gazons , des pièces d'eau , &c.
pourvu que le terrein quelconque ſoit aſſez ſpacicux.
Ilyaplus: elle ſervira encore àproportionner
les ſtatues pédestres , deſtinées à être élevées ſur
des colonnes coloſſales , telles que la fameuſe colonne
de Londres ou de hauteur quelconque ; &
àdéterminer les proportions progreſſives des basreliefs
ſculptés ſur le fût des colonnes hiſtoriques,
comme on voit ſur les colonnes Trajanne & Antonine
à Rome.
Enfin lesquatre Perſpectives concourront pour
les décorarions théâtrales , à procurer l'illuſion la
plus parfaite poſſible , tant à l'égard des objets
animés qu'à celui de ceux qui ſont inanimés ; &
pour repréſenter des ſcènes placées d'abord ſur le
devant du théâtre, & enfuite paroiſſant ſe conti-
(1) Dictionnaire d'architecture civile & hydraulique
de Daviler , au mot Allée. Ce problême
y eſt conſidéré comme inſoluble.
M. d'Alembert , Opufcules mathématiques ,
pages 285 & ſuivantes , propoſe pluſieurs expériences&
réfoud le problême , page 288 .
162 MERCURE DE FRANCE .
nuer juſqu'à trois ou quatre cent toiſes , même
juſqu'à mille; tel qu'un triomphe , une bataille ,
un combat naval , une fête publique , & autres
ſujets qui exigent l'apparence d'une grande étendue
de terrein. Bref elles ſerviront à repréſenter
fur les fermes ou telles qui ſervent de fond , des
vues de trois ou quatre mille toiſes d'enfoncement
perſpectif , ainſi que le ſoleil ou la lune fi
la ſcène l'exige : le tout d'accord par les dimenſions
& les tons de couleurs , avecles objets placés
près de l'avant - ſcène , & avec les derniers
chaſſis découpés , où doit finir la perspective apparente&
commencer la perspective linéaire.
C'eſt ainſi que le talent de chaque artiſte pourra
être ſecondé par les regles de l'optique,leſquelles
déterminent exactement les dimenſions & les dégradations
relatives à chaque fortede perſpective,
quels que foient les ſujets propoſés. Pour en tracer
une idée générale , je donnerai la defcriptiond'un
fujet compoſé de pluſieurs objets aflez
confidérables par eux-même : ils ſont ſuppoſés vus
enſemble à diverſes diſtances , ſur un terrein de
plus de 4000 toiſes d'étendue directe & par con-
Téquent former par leurs images dans l'oeil du
ſpectateur un tableau oculaire , ſous des dimenſions
infiniment petites.
Compofuion d'un Tableau oculaire , ou
images supposées peintes au fond de
l'oeilfur la rétine.
Pour obſerver quelque ordre & éviter toute
confufion , je ſuppoſe que l'oeil du ſpectateur parcourt
un terrein de plus de quatre mille toiſes
JUILLET. 1772 . 163
d'étendue directe , diviſé en fix principaux ſites ( 1)
renfermés dans un triangle iſocelle duquel la baſe
foit égale à cette étendue , & que l'oeil ſoit placé
au fommet de ce triangle ,de telle forte qu'il ſoit
à trois pieds au deſſus du terrein.
Premier Site.
Je ſuppoſe que celui- ci ſoit de deux toiſes d'étendue
directe , & qu'il ſoit occupé 1 °. par un
gros canon démonté vu obliquement par la culaſſe
, celle- ci aïant vingt- deux pouces de diamètre,
2º. Par un grouppe de quatre figures.
Deuxième Site.
Ici le ſpectateur voit obliquement , & par la
proue un vaiſſeau du premier rang. Cette proue
eſt ſuppoſée à ſoixante quatre toiſes de l'oeil . Ce
vaiſſeau eſt ſuppoſé de cent quarante- quatre pieds
de longueur de l'érrave à l'étambord , fur trentefix
pieds de largeur, & cent quatre-vingt- quatre
pieds pour la hauteur du grand mât , compris
ceux qquuii eenn dépendent , en comptant du niveau
de l'eau juſque & compris le bâton du pavillon.
Enfin je ſuppoſe encore que ce mât foit placé à
foixante- dix - sept toiſes de l'oeil , & que la pouppe
foit à quatre- vingt- ſept toiſes, que le riveau de
la mer , ſuppoſée tranquille , ſoit à fix toiſes trois
pieds au- deſſous du plan de l'horifon .
(1) Site eſt un terme de peinture qui ſignifie
plan ſur lequel les figures & les autres principaux
objets font ſitués. :
164 MERCURE DE FRANCE.
Troisième Site.
Il eſt formé par une plage découverte de deux
toiſes d'hauteur, laquelle eſt occupée par un corps
de deux mille cinq cent hommes , formant un
bataillon quarré de cinquante toiſes. La première
lignede front eſt ſuppoſée placée ſur une perpendiculaire
à l'axe optique , éloignée à deux cent
cinquante-fix toiſes de l'oeil ,& la dernière àtrois
cent fix toiſes.
Quatrième Site.
Ungros rocher de vingt-cinq toiſes d'hauteur
perpendiculaire , à compter du niveau de la mer ,
forme ce ſite. Sur ſon ſommet eſt conſtruite une
tour de dix toiſes d'hauteur. L'axe de la tour eſt
ſuppoſé avoir ſon plan ſur une ligne horisontale
éloignée à cinq cent douze toiſes de l'oeil , & perpendiculaire
à l'axe optique.
Cinquième Site.
Celui- ci eſt formé par une montagne de cent
toiſes d'hauteur perpendiculaire : Sur ſon ſommet
eſt bâti un moulin-à-vent de huit toiſes d'élévation
, chaque aîle ayant fix pieds de largeur. Cette
montagne eſt éloignée à quatre mille toiſes de
l'oeil . (1)
(1) M. de la Hire a obfervé que l'on voit l'aîle
d'un moulin - à- vent à 4000 toiſes de diſtance ,
&c. Mémoire de mathématique & de phyſique ,
page 237.
JUILLET. 1772. 165
Sixième Site.
Enfin pour celui - ci , je ſuppoſe que ces fites
ſoient éclairés par la préſence du ſoleil , & que
cet aftre foit dans le prolongement de la ſécante
d'un angle de vingt degrés , que la tangente de
cet angle ſoit connue en toiſe , ainſi que la raïon
parallèle au plan de l'horiſon ; la diſtance du ſoleil
à la terre étant de 78463128000 toiles de
Roi , & le diamètre de ſon diſque étant de
653859400 toiſes. ( 1 )
Je ſuppoſe encore que le ſpectateur placé au
fommetde l'angle de vingt degrés, ſe trouve dans
le moment d'une eclipſe annulaire , le ſoleil &
la lune étant apogée. L'axe optique paſſant par
les centres de leurs diſques ; on trouvera l'image
du ſoleil , celle de la lune & celle de l'anneau lumineux.
Voilà , je crois , le plus grand & le dernier effet
deperspektive naturelle & oculaire , dont on puiffe
rendre compte , fi ce n'est qu'on veuille opérer fur
les étoiles fixes , mais leurs volumes & leurs diftances
à la terre ne ſont pas aflez connues .
Vous obſerverez , Monfieur , que ſi on paffe les
dimenſions quelconques trouvées , pour les images
peintes dans l'oeil , en premières espèces immédiates
plus hautes , on aura un deſſin ou tableau
plus grand; mais plus généralement en les multipliantpar
un même nombre quelconque , on aura
des dimenſions plus grandes felon le beſoin.
(1 ) Dictionnaire univerſél de Mathém. & de
phyl. par M. Savérien , au mot Lumière,
166 MERCURE DE FRANCE.
Il y a plus : par le moyen des règles de laPerfpective
oculaire , on trouvera auſſi le lieu & les
dimenſions des projections des objets repréſentés
dans les miroirs plans , les originaux étant éloignés
à des diſtances quelconques devant le miroir.
On pourra auſſi trouver la grandeur des
images que les télescopes procurent ; & enfin pratiquer
auffi la perſpective linéaire avec la dernière
exactitude.
Al'égard de la Perspective apparente , ſeconde
branche de la perspective naturelle , outre fon application
à l'architecture , à la ſculpture & à la
peinture; enfin aux déformations naturelles & artificielles
; on trouvera encorepar ſon moyen les
proportions couvenables aux ſtatues pédeſtres &
équeſtres ſelon l'étendue des places royales , & la
hauteur des bâtimens qui en formeent l'enceinte.
Au ſurplus par la perspective apparente on aura
auſſi la ſenſation viſuelle des objets placés à des
diſtances quelconques connues , ainſi que la ſenſation
viſuelle que l'ame recevroit des objets ſuppofés
dans chaque ſite du tableau oculaire s'ils
exiſtoient réeliement ſur le terrein : enfin celle de
ces mêmes objets vus dans les miroirs plans, & par
les télescopes.
Cette perſpective procurera les dimenſions convenables
aux objets , ſoit animés ou inanimés ,
pour les repréſentations théâtrales & pour les •
chafſisdécoupés; enfin pour les plans perſpectifs
repréſentant, ſur le théâtre, un terrein horizontal
d'une étendue quelconque; le tout relativementà
des apparences de diſtance quelconque.
Da Perspective linéaire déterminera particuliè
rement , & avec les plus grands détails ſelon le
beſoin, les projections de ces mêmes ſites & de ces
JUILLET. 1772. 167
mêmes objets , ſur un plan vertical interpoſé à
une diſtance quelconque de l'oeil , & fuffisamment
grand à proportion de ſon éloignement de celuici
; par conféquent fur chaque ferme ou toile qui
fert de fond à la ſcène théâtrale ſelon la néceflité,
ainſi que ſur les tableaux de chevalet ou autres
de grandeur quelconque; enfin priſe inverſement
elle ſervira pour les plafonds & les coupoles. Au
furplus elle fixera la grandeur des ombres ſelon
l'heure du jour & la latitude des lieux , fi la compoſition
l'exige.
Cette perſpective ſera terminée par une table
calculée ſelon les progreſſions géométriques doubles
croiſantes & fous doubles décroiſantes , drefſée
à l'uſage des artiſtes , pour des tableaux de
diverſes grandeurs , depuis un pouce quarré julqu'à
deux toiſes , Thoriſon éloigné du bord inférieur
du tableau depuis une ligne juſqu'à neuf
pieds.
Elle prouvera en même tems que ſur le tableau
de grandeur quelconque , la réunion des projections
, de toutes parallèles entre elles & à l'axe optique
, à un même point de l'horiſon n'eſt pas
exacte à la rigueur.
Enfin la Perspective aërienne , ſeconde branche
de l'imitation de la perſpective naturelle ,
étant en quelque forte ſoumiſe aux loix exactes
de la géométrie , elle doit fixer les teintes& demiteintes
(1 ) par la dégradation géométrique des
plus fortes ombres &des plus vives lumières , à
(1 ) M Bouguer , Eſſai d'optique ſur la dégrada
tionde la lumière. Préface.
168 MERCURE DE FRANCE .
commencer rigoureuſementdès labaſedu tableau,
d'où ſuit celle du clair obscur relativement aux
diſtances quelconques , foit pour les décorations
théâtrales , ſoit pour les tableaux de chevalet ou
autresdegrandeur quelconque ; du moins autant
que les couleurs matérielles que l'on emploie peuvent
le permettre , & felon ce que peut indiquer
une espèce d'échelle mobile que j'ai imaginée pour
ceteffet.
Voilà , Monfieur, en quoi conſiſtent les quatre
perſpectives dont je vous ai parlé. Il eſt évident
queles deux premières doivent naturellement précéder
les deux autres ,& que les quatre font intéparables&
forment ce que j'appelle l'Optique des
dimenſions.
De même il eſt clair que dans tous les cas où
les méthodes ordinaires ſeront en défaut , la perf.
pective linéaire pratiquée par le moyen du calcul
arithmétique que je propoſe , y ſuppléera ; mais
pour détruire toute incertitude dans l'esprit des
artiſtes, il convient que le tout ſoit préalablement
foumis aux lumières de MM. de l'Académie royale
des Sciences , & enſuite que l'ordre , la clarté&
le ſtyle en ſoient corrigés par un amateur lettré ,
zélé pour les ſciences& les arts ,&à qui cette matière
ſoit familière.
J'ai l'honneur d'être , &c.
LETTRE
JUILLET. 1772. 169
LETTRE fur le prétendu Hydroscope ,
écrite à M.... par M. de la Lande ,
de l'Académie des Sciences .
L'Académie a reçu , Monfieur , votre lettre du
5 Juin ; quoiqu'elle n'ait pas voulu prendre connoiflance
des faits qui y ſont contenus , elle a
defiré qu'un des Membres de la Compagnie ſe
chargeât de vous faire réponſe& de vous remercier
de votre attention. Mais ce que j'aurai l'honneur
de vous dire ſur le fond de la queſtion n'eſt
pas le réſultat d'une délibération formelle de l'académie
, c'eſt celui des différentes converſations
occaſionnées par la lecture de votre lettre & de
divers articles de la gazette de France.
Il eſt ſurprenant, Monfieur, qu'une perſonne
qui a des lumières & de l'esprit , ait pu donner
dars le piége qu'un petit charlatan a tendu à votre
bonne foi ; votre candeur n'a pu réſiſter au ré
moignage & à l'aſſurance de pluſieurs perſonnes
dignes de foi , & vous avez fait prêter à la perfuafion
qu'ils vous avoient inspirée les faits même
dont vous avez été témoin ; vous n'étiez pas auſſi
accoutumé que nous le ſommes ici à voir des
preuves de l'étrange crédulité & même de la ſtupidité
du peuple; &vous avez penſé qu'une choſe
atteſtée par beaucoup de perſonnes , devoit être
vraie , ſans examiner ſi la fourberie , le préjugé,
l'amour du merveilleux , n'étoient pas des fources
ordinaires de prodiges atteſtés dans tous les
tems & dans tous les pays , mais que jamais les
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
phyſiciens ne croient quand ils choquent les idées
nettes que nous avons des forces de la nature.
Nous voyons par une expérience éternelle que
par-tout où il y a un frippon &des imbéciles il y
a toujours de ces prodiges . On ne s'en étonne
point ; mais quand on a étudié les hommes,qu'on
connoît la crédulité des uns & la dispofition
qu'ont tant d'autres à en abuſer , quand on a vu
mille preuves d'impoſture & d'ignorance de leur
part , on n'a pas même la complaiſance de fufpendre
fon jugement; on les plaint , & s'ils perfiftent
on les mépriſe: je ne doute pas , Monfieur,
que vous ne faffiez bientôt commenous.
2
On vous a dit que ce petit Parangue avoit indiqué
pluſieurs ſources cachées ; mais vous favez
aflez qu'il y a de l'eau presque par tout , & que la
couche d'argile qui environne la terre à une cer
caineprofondeur retient l'eau,àquelque endroitque
l'on fouille pour lui donner iſſue ou à un puits ou
une ſource , & je n'ai guère vu que l'on creusât
dans les plaines & les vallons ſans trouver de
l'eau. Les gens qui vont dans les villages faire
tourner la baguette , choififlent ordinairement
ſans rien dire , l'endroit le plus commode pour le
ſervice de la maiſon , ils y font leur opération
merveilleuſe & jamais ils ne manquent de réuffir.
Ils pourroient dire qu'ils voient l'eau , & presque
par-tout on les croiroit ; ils auroient bien plus de
voix à citer en témoignage que votre nouvel hy.
droscope , mais ils ne font pas fi effrontés que lui.
Vous verrez fur cette nape d'eau fousterreine un
détail aflez remarquable dans mon voyage d'Italie
, tome 1 , pag. 556 , à l'occaſion de Modène ,
où elle eſt plus copieule & à une moindre profondeur
qu'on ne la trouve communément. Vous paJUILLET.
1772 . 171
1
roiflez entraîné ſurtout par cette conſidération
qu'il a indiqué le cours & la direction des ſources
&des courans ; mais 1 °. quand la pente du terrein
détermine le cours de l'eau , on ne peut pas
s'y tromper. 2º . Si c'eſt en plat pays, la direction
dans laquelle on fait une tranchée eſt toujours
celle que l'eau prend , & l'on peut la conduire au
nord ou au midi: votre prophéte aura toujours
raifon .
L'hiſtoire des vaſes pleins d'eau qu'on avoit
cachés & qu'il a découverts eſt une circonstance
ajoutée par la renommée pour augmenter le merveilleux.
Nous ſavons par expérience que cela
arrive tous les jours , à moins que l'enfant n'ait
été inſtruit d'avance comme le Devin du village ;
au reſte , ſa manière énigmatique de répondre
dans cette circonſtance ménageoit un fubterfuge ,
& il a pu rencontrer juſte par kafard.
Avez - vous pû ſoupçonner , Monfieur , que la
lumière paſsât au travers de la terre , & qu'elle
fût réfléchie par l'eau ? avez- vous pû imaginer
qu'un fluide moins fubtil que la lumière pût frapper
les yeux de cet enfant , & qu'il fallût admettre
pour cet individu de nouvelles loix dans la nature
? Avant de hafarder de tels paradoxes ne
faut-il pas avoir épuisé les autres explications , &
celle de la crédulité du peuple n'eſt - elle pas la
plus naturelle , la plus incontestable d'après l'expérience
de tous les fiécles.
Nos hiſtoires font pleines de faits audi fingu
liers , aufli publics , auſſi atteſtés , mais que perfonne
ne croit plus , auſſi tôt que la fermentation
& le goût du merveilleux ont fait place au bon
fens . Dans ce genre là tout le monde est peuple
excepté les phyſiciens , accoutumés à étudier le
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
phénomènes de la nature , à les vérifier , à les
comprendre , à les expliquer, à les léparer du merveilleux
.
M. l'abbé de St Ruf fait faire à votre hydroscope
une opération de géométrie naturelle pour
connoître les profondeurs des ſources ; cela m'a
fait voir combien un homme de mérite, ſéduit par
beaucoup de témoignages , ſait mettre d'esprit
pour appuyer le merveilleux : cette opération eſt
certainement bien au- deſſus de la capacité de ce
villageois . >
Un académicien de Paris qui avoit beaucoup
entendu parler du prétendu hydroscope à Toulon,
ſe rendit l'année dernière à une baſtide où l'on
avoit mandé cet enfant : il y vint , mais ayant ap.
pris dans les baſle - cours qu'un homme inſtruit
alloit l'examiner il diſparut auſſi-tôt , & on ne le
revit plus ; on y a crculé ſur ſa parole , mais inutilement
.
Un Magiſtrat diſtingué qui étoit hier à l'Académie
lorsqu'on fit la lecture de votre lettre, propoſa
de faire venir cet enfant , nous l'avons prie
de n'en rien faire , ce ſeroit accréditer des bruits
ridicules & leur donner un air d'importance qu'ils
ne méritent pas : on ſauroit dans tous les villages
qu'on le fait venir à Paris , & l'on n'y apprendroit
peut-être jamais qu'il y a été démasqué & mépritécomme
un fot & un impoſteur.
Il y a dans une de nos dernières gazettes , une
réponſe de cet enfant , qui s'étoit trompé dans un
endroit où il y avoit de l'eau très - près de lui ; cette
réponſe le décèle ſuffilamment & montre qu'il est
aflez rulé pour vouloir ſe tirer d'embarras au
moins par des reparties ; & qu'il a pu , comme tant
d'autres charlatans , en impofer pourun temsàla
JUILLET. 1772 . 173
ſtupidité du vulgaire , toujours porté à croire des
choſes extraordinaires précilément parce qu'elles
font incroyables. Nous avons eu l'année dernière
à Paris les Diables de Louvet ; cette année le
Guériſleur de la rue des Moineaux , &de tems en
tems il y a des gens qui eſſayent de tirer parte de
cette dispofition du peuple.
Vous verrez , Monfieur , dans le dictionnaire
de Bayle , aux mots Abaris & Zahuris , des fingularités
de même espèce que celle de l'hydroscope
, qui annoncent que dans tous les fiécles il y
eu des fourbes &des ignorans encore plus que
dans le nôtre .
a
Onm'appottedans l'inſtant même une lettre du
20 Juin 1772 , imprimée en 14 pages , & approuvée
, où vous verrez d'autres faits ſemblables &
d'autres raiſonnemens qui décélent l'impoſture &
la maladreſſe de votre hydroscope.
Pardonnez-moi , Monfieur , la liberté avec laquelle
je viens de m'expliquer; j'ai eru que vous
aimeriez mieux ſçavoir ce que nous penſons ici
fur cet objet que de recevoir des complimens ; je
n'aurois pas pris la peine d'écrire auffi longuement
à une perſonne qui mériteroit moins ma
conſidération & mes égards , & je vous prie de
regarder ma ſincérité comme une preuve du cas
que je fais de votre eſtime & de votre jugement.
J'ai l'honneur d'être , &c.
;
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
ARTS.
GRAVURES.
I.
FÊTES de Rheims lors de l'inauguration
de la Statue du Roi.
LES ſuperbes Fêtes que la Ville de
Rheims donna au ſujet de l'Inaugutation
de la Statue du Roi , ayant intéreſſé la
Nation par le ſentiment que lui inſpire
un Monarque chéri , fit naître le defir
d'en fixer la mémoire. Ce même defir
détermina le ſieur Varin d'en exécuter
les gravures ſous l'approbation & la protection
de M. Rouillé d'Orfeuil , Intendant
de la province & de Meſſieurs les
Magiſtrats de ladite ville. Enfin parvenus
à l'entière exécution de ces Fêtes , ils
les annoncent fous quatre vues différentes.
La première offre la cérémonie inaugurable
fur la place royale ; la deuxiéme
le feu d'artifice tiré ſur la vaſte place de
la Couture ; la troiſiéme l'ouverture du
bal dans la ſalle conſtruite dans les promenades
publiques ; & la quatrième
lesdanſes du peuple , & la diſtribution du
JUILLET. 1772. 175
pain , vin & viande. Ces quatre eſtampes
dont la belle compoſition eſt due au
génie & aux talens de Meſſieurs Moreau
deflinateur des menus plaiſirs du Roi , &
Blarencberghe , deſſinateur & peintre du
bureau de la guerre , intéreſſeront par des
monumens reguliers & des ſites pittoreſques:
on y trouve de l'effet & un travail
précieux. Ces eſtampes font fuite
avec celle des monumens & des vues de
la place de Reims , gravées ſur les deſſins
& ſous la conduite de M. Cochin , par
Meffieurs Moitte & Choffard .
Les fieurs Varin donneront dans quelque
temps pour collection totale , les
portes & fontaines ( dont la deſcription
eſt annoncée dans le volume des monumens
, & des vues de la place de Reims )
d'après les tableaux d'Artiſtes célébres.
Ces quatre eftampes , papier grand aigle,
font du prix de vingt-quatre livres , & fe
vendront à Paris , chez Meſſieurs Balan
& Poignaut , rue Serpente , à l'hôtel de
Serpente , & chez Latré , rue S. Jacques ,
près la rue du plâtre , à la ville de Bordeaux.
On trouvera aux mêmes adreſſes la
même fontaine ( furnommée d'Ormefſon
) gravée d'après les tableaux de M.
Lallement , par l'Auteur des fêtes , & les
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
grand plan , monumens & vues de la ville
de Reims .
1 1.
Costume des anciens peuples , par M. d'André
Bardon , profeſſeur de l'académie
royale de peinture & de ſculpture ,
troiſième cahier. A Paris , chez Jombert
, pere & fils , & Cellot , rue Dauphine.
Ce nouveau cahier qui eſt ainſi que les
précédens , compoſé de douze planches
gravées avec ſoin , nous donne la ſuite
des uſages religieux des Grecs &des Romains.
Pluſieurs Autels deſſinés d'après
les monumens anciens , des Trépieds , des
vaſes pour l'eau luſtrale & les libations
& les momens ſucceſſifs d'un Sacrifice ,
font ici tracés devant nos yeux. Les explications
qui y ſont jointes, intéreſſeront
ceux qui s'adonnent à l'étude de l'hiftoire
: les deſſinateurs & les peintres d'hiſ.
toire ; particulièrement ceux qui veulent
mettre dans la ſcène de leur tableau, de la
vérité & de l'exactitude.
JUILLET. 1772. 177
III.
Portrait de M. Gretry , deſſiné & gravé
par Moreau le jeune. A Paris , chez
l'Auteur , Cour du Palais , Hôtel de la
Tréſorerie .
Ce portrait vu de profil eſt renfermé
dans un médaillon. Il eſt gravé d'une
pointe légere & fpirituelle. On lit au bas
ce vers d'Horace , dont l'application à la
muſique pittorefque & dramatique deM.
Gretry , est très- heureuſe .
Irritat , mulcet , falfis terroribus implet ,
ut magus. • •
HOR. Epift . 1 lib. 11 .
:
MUSIQUE.
I.
Recueil lyrique d'airs choiſis des meilleurs
, Muficiens Italiens avec des paroles
Françoises , & la bafſſe chiffrée , ſecond
recueil ; prix 3 liv. broché en carton. A
Paris , chez Didot aîné , Libraire &
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
Imprimeur , rue Pavée , près du quai
des Auguſtins , à la Bible d'or.
0N a raſſemblé dans ce nouveau recueil
une ſuite d'airs Italiens qui font les délices
des concerts & des ſociétés . Des paroles
Françoiſes ont été ſubſtituées aux
paroles Italiennes afin de mettre ces airs
à la portée de ceux qui n'ont aucune connoiſſance
de la langue Italienne. Tous ces
airs ont leur baſſe chiffrée , & pluſieurs
ont une partie d'accompagnement. La
partie du chant a été miſe ſur la clef de
g , re , fol , comme la plus connue & la
plus commode pour ceux qui jouent des
inſtruments , & qui au défaut de la voix
voudroient exécuter ces airs. Les paroles
ont été compoſées par un Poëte muficien
qui a toujours eu attention de confulter
la profodie pour que la meſure des vers
répondît à celle de la muſique. Ce recueil
ne peut donc manquer d'être accueilli
des Virtuoſes &de tous ceux qui , quoique
Français , ont du goût pour la bonne
muſique.
JUILLET. 1772. 179
I I.
Trois Quatuor & trois Trio , dédiés à
Madame Victoire de France , par M. de
Mignaux , ordinaire de la muſique du
Roi ; prix 7 liv. 4 fols. A Paris , chez
Fleury , Luthier , rue des Boucheries ,
Fauxbourg S. Germain , & aux adreſſes
ordinaires de muſique. A Lyon , chez
Caſtaud , place de la Comédie ; à Verfailles
, chez l'Auteur , au Pavillon royal ,
avenue de S. Cloud .
GÉOGRAPHIE.
LEVoyageur curieux , ou vues des routes
de France. Route de Compiegne , dédiée
à fon Aitefle Mgr le prince de Marfan ,
Chevalier des ordres du Roi , Lieutenantgénéral
de ſes Armées , prix 3 liv . 9 petites
feuilles bien gravées. A Paris , chez
Lattré , graveur ordinaire de Mgr le Dauphin
, rue S. Jacques , vis-à-vis la rue de
la Parcheminerie , à la ville de Bordeaux,
avec privilége du Roi.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
SYNONIMES FRANÇOIS .
Par M. l'Abbé Roubau.
Fécondité , Fertilité.
La fécondité & la fertilité s'expliquent
par l'abondance des productions : mais la
fécondité rappelle particulièrement la faculté
de produire, & la fertilité le devéloppement
énergique de cette faculté ; la
première remonte au principe , la ſeconde
s'arrête à l'effet. L'une engendre & l'autre
rapporte.
L'induſtrie des anciens Egyptiens enrichit
leur empire de fertiles moiſſons par
la diſtribution régulière des eauxfécondes
duNil ; tandis que la barbarie des Négres
a toujours trompé lafertilité des terresfé.
condées par le limon du Sénégal aſſujetti
par les mêmes cauſes aux mêmes débordemens
que le Nil , s'il n'eſt pas forti de
la même ſource.
Dans le figuré , un ſujet eſt fécond ,
lorſqu'il contient le germe d'une foule de
vérités , la fértilité s'annoncera par le développement
de ces germes.
Tite- Live dit que la Gaule étoitfertile
enhommes & en denrées; & Pline, qu'il
JUILLET. 1772. 181
n'y avoit point de terre plus féconde en
métaux que l'Italie : la fertilité exprimeroit-
elle mieux la production extérieure ,
& la fécondité la production intérieure ?
On féconde ce qui par foi même ne
produiroit pas : on fertiliſe ce qui abandonné
à foi ne produiroit pas abondamment.
Le ſoleil féconde la nature ; la culture
fertiliſe la terre .
Les poiſlons males fécondent les oeufs
des fémelles en répandant leur liqueur fur
le fray qu'elles vuident. La pouſſière ſéminale
du datier mâle va féconder les
Aeurs du datier fémelle . Dans les Iſles de
l'Archipel , les fruits des figuiers domeſtiques
font , en un ſens ,fécondés par la piqûure
des moucherons renfermés dans les
fruits des figuiers ſauvages. Le principe
de la fécondité n'existe pas dans l'ergot ,
car ce grain n'a point de germe ,& il n'eft ,
àproprement parler , qu'une galle formée
par la piquûre d'un inſecte.
Lafertilité des terres s'entretient& s'accroît
des dépouilles des trois genres. Pour
fertiliser les terres , les Inſulaires de Ceylan
employent particulièrement la chaux
d'écailles d'huitres ; les Itlandois ſeptentrionnaux
les coquillages de mer; les Chinois
, les vuidanges des foſſes; les habi
182 MERCURE DE FRANCE .
tans de la Brie , les décombres des vieux
bâtimens ; les Vénitiens , les balayures
des maiſons; les Anglois occidentaux, le
fable de mer ; les Boulenois , les plumes
d'oiſeau ; les Toſcans , les habitans de
Dunstable , &c. les vieuxchiffons ; les habitans
des côtes maritimes de divers états
le goëmon ou varrech , lorſqu'ils en ont
le libre uſage , &c.
Les femmes de l'Orient ceſſent bientôt
d'être fécondes , parce qu'elles le font de
de trop bonne heure. Les pays où la faulx
du deſpotiſme coupe les moiſſons , cefſent
bientôt d'être fertiles.
Les fermiers épuiſent la fécondité de
la terre dans les pays où les baux font
trop courts , comme dans le pays d'Hanovre
& autres lieux de l'Allemagne où
les baux ne durent que trois ans. La fertilitéde
quelques cantons de l'Amérique
n'a pas répondu aux voeux des planteurs ,
lorſqu'ils ont voulu les forcer à porter des
cerifiers , des pruniers & autres arbres à
noyaux.
Laftérilité eſt plutôt l'oppoſé de la féconditéque
de la fertilité ; car un mauvais
terrein , quoiqu'il ne foit pas fertile, n'eſt
pas abfolumentſtérile , il n'est qu'infertile.
Il y aura peut- être cette différence entre
JUILLET. 1772. 183.
Stérile & infécond , que le premier fignifiera
proprement ce qui ne peut pas être
fécondé, & le ſecond , ce qui ne l'eſt pas.
Les mots fécondité , fertilité , ſtérilité ,
font les mots latinsfæcunditas , fertilitas ,
fterilitas. Nous retrouvons des termes
analogues dans la langue grecque. στορειν
carere , marque la privation , le défaut ,
l'inefficacité (ftérilité.) φερω, fero ,je porte
, exprime la production , le fruit (fertilité.)
Nous préſumons que les mots facundare
, foecunditas , foecundus , ont une
racine commune avec abundare , exundare
, redundare , composés d'undare , indices
de l'abondance ; & que le foec eſt le
même que φαικος , efficax , vividus , & c.
(le verbe fac , facere) qui marque l'efficacité
, la faculté vivifiante , le principe
de l'abondance .
Dans le figure , la fécondité emporte ,
ce ſemble , une idée de grandeur que nous
n'attachons pas ordinairement à lafertilité.
L'eſprit eſt fertile en expédiens ; il retient
les rênes du gouvernement dans les
mains de Mazarin , malgré les cabales ,
les barricades , les arrêts , les chanſons ,
les feux follets de la fronde. Le génie eſt
fécond en reſſources; il applanit àAnni
184 MERCURE DE FRANCE.
bal , preſque ſeul contre tous , la mer ,
l'Eſpagne , les Pyrénées , les Gaules , les
Alpes , & l'Italie juſqu'aux portes de Rome
ou du moins à Capoue .
On dira la fécondité d'un auteur , lotfque
de la profondeur de ſon génie &de
ſa ſcience , cet auteur tirera ſans ceſſe de
nouvelles maſſes d'idées & d'inſtructions
auſſi ſolides que variées. On dira lafertilité
d'un écrivain , lorſqu'avec le don de
croire à ſes premières penſées & de commander
à ſa plume , cet écrivain affectera
faſtueuse & vaine abondance
qui n'eſt pas incompatible avec laſtérilité.
cette
Un âge , un pays eſt fécond en grands
hommes; ce pays eſt celui de l'honnête
liberté , * cet âge ſera celui d'un grand
Prince. Il y a des peuples &des tems fertiles
en inventions; ces tems ſont amenés,
ces peuples ſe forment, lorſque les atteliers
de l'induſtrie excitée par les circonftances&
par les encouragemens communiquent
d'un côté avec les cabinets des
Sçavans & de l'autre avec les palais des
Princes .
* Quelle que ſoit la forme duGouvernement ,
monarchique ou républicaine.
JUILLET. 1772. 185
Les loix tyranniques font fécondes en
grands crimes , parce qu'elles en créent ,
qu'elles en commettent , qu'elles les con.
fondent , & qu'elles irritent : auſſi les
moeurs font - elles atroces par- tout où le
font les loix ; voyez le Japon. L'intérêt
particulier eſt très-fertile en moyens d'éluder
les prohibitions , car l'appas du gain
l'attire vers les paſſages que l'inſpection
la plus ſévère laiſſe néceſſairement ouverts
: auffi la contrebande eſt - elle une
des principales branches du commerce de
l'Europe ; voyez l'Angleterre .
L'erreur la plus chère aux paſſions eſt
l'erreur la plus fertile en déguiſemens ,
c'eſt le Protée de la fable. Une grande vé.
rité eſt une vérité éclatante & féconde en
vérités ; c'eſt un globe de lumière.
NOTICES fur la vie & les ouvrages de
Pergolese , par M. Boyer.
C'E'ESSTT le fort des hommes qui ont inventé ou
perfectionné les arts d'être en général mal connus.
Efope & Homère ne ſont pas les ſeuls illuftres
perſonnages de qui l'antiquité ne raconte que
des fables. Dans tous les tems lesGrecs ſe ſont plû
àjetter du merveilleux ſur toutes les actions des
186 MERCURE DE FRANCE.
hommes célèbres qui ajoutoient à leurs connoifſances
, ou qui leur procuroient de nouveaux
plaiſirs . Nous ne ſommes pas mieux inſtruits ſur
la vie de la plupart des artiſtes qui , quoique plus
modernes , & pour ne s'être occupés que des arts
agréables n'ont pas moins de droit à notre reconnoiflance.
Pergolèſe eſt de ce nombre. Dans les
jours conſacrés à l'exécution de ſon chef- d'oeuvre
on ne parle encore que de la jaloufie de tes riveaux
, de fa mort prématurée qui en fut la ſuite ;
d'un prétendu meurtre commis a Rome , dont il
n'avoit pas beſoin pour s'élever à ce degré d'expreſſion
qui caractériſe ſon Stabat Mater , commeMichel
Ange n'avoit que faire de crucifier un
hommepour rendre avec la plus grande vérité un
Chriſt expirant dans les tourmens.
Telle eſt notre vénération pour ces génies extraordinaires
que nous ne voulons pas qu'ils aient
vécus , qu'ils foient morts comme le commun des
hommes. Nous ſommes bien éloignés de croire
qu'ils ſe ſont ſervis des mêmes moyens qu'un ariſte
ordinaire emploie; & tandis que la ſeule différence
qu'il y a entre eux & celui-ci ne vientque
de la vivacité de la flamme dont ils ont été animés
, nous leur prêtons gratuitement des ſecours
dont ils ont fû ſe paſler pour compofer les ouvrages
que nous ne ceflons d'admirer.
Les auteurs du nouveau Dictionnaire historique
ont écrit , & les papiers publics ont répété
ſans doute d'après eux , que Pergolèſe étoit mort
en 1733 comme il finiffoit le dernier couplet du
Stabat Mater , on a mis à la tête de ce motet imprimé
à Paris , qu'il étoit né à Pergola ; trompés
ſansdoute fur la reflemblance des noms. On lui
JUILLET. 1772 . 187
donne le titre de maître de Lorette où il n'a été
de ſa vie. Je vais tacher de rectifier toutes ces
erreurs en répandant un peu plus de jour ſur la
vie de cet artiſte célèbre. J'ai été dans les lieux
où il a été élevé , dans ceux qui ont été le théâ
tre de ſa gloire. J'ai connu pluſieurs perſonnes
qui ont vécu avec lui , & M. Duni fi connu parmi
nous par tant d'ouvrages agréables , M. Vernet
que la nature avoit formé pour devenir auſſi
grand muſicien qu'il eſt grand peintre , ont bien
voulu ajouter à mes recherches. Tous les deux
ont connu Pergolèfe ; ainſi on peut ajouter foi à
tout ce que j'ai recuilli ſur ſon compte.
Gio. Baptifta Pergolèſe nâquit en 1704 à Caforia,
petite ville à huit à dix milles de Naples.
Il fut reçu dès ſa plus tendre enfance au Confervatoire
de cette dernière ville , appellé Dei poveri
di Giefu Chrifto , qui depuis a été fupprimé.
Gaëtano Greco étoit alors à la tête de cette fameuſe
école. Ce grand maître di contrapunto ,
dont les Italiens ne parlent encore qu'avec éloge,
pritun ſoin particulier de ſonjeune élève , & lui
apprit de bonne heure tous les ſecrets de fon art.
Pergolèse, guidé par un tel inſtituteur , entra dans
le ſanctuaire de l'harmonie à un âge ou à peine
peut- on marcher d'un pás aſſuré dans les avenues
qui conduisent à ſon temple. Il n'avoit que 14
ans qu'il s'étoit déjà diftingué dans les écoles par
différens morceaux de compofition , où le goût
& la mélodie étant facrifiés à toutes les recherches
ſavantes du contrepoint , ou du moins gêné
par les règles rigoureuſes que ce genre exige ,
Pergolèſe n'avoit pas pû annoncer ce qu'il deviendroit
un jour . Mais à peine fut- il forti du Conſervatoire
qu'il changea totalement ſa manière.
188 MERCURE DE FRANCE .
Les ouvrages de Vinci , du Saſſone qu'alors il
entendit & qu'il étudia , opérèrent ce changement;
& en entrant dans la carrrriièèrree quecesgrands
maîtres venoient d'ouvrir , il ſe montra digne de
la parcourir avec eux.
Cependant ſes compatriotes ne rendirent pas à
ſes premiers eſſais toute la juſtice qu'ils méritoient
, & fon premier opéra joué au théâtre de
Fiorintini n'eut preſque aucun ſuccès. On le contenta
d'applaudir à quelques ariettes .
Le Prince de Stigliano , premier écuyer du Roi
deNaples , jugea mieux que les contemporains
des talens de Pergolèſe ; il le prit ſous ſa protection
, & depuis 1730 juſqu'en 1734 , il lui procurades
ouvrages pour le Teatro novo. Tous les
opéra que Pergolèle compoſa pendant ces trois
ou quatre années étoient la plupart en langage
napolitain ; il en faut excepter deux ou trois ,
fur- tout la Serva padrona qu'il fit auſſi dans ce
tems-là pour le théâtre de St Bartolomeo .
Ce n'étoit pas aſſez pour le génie de Pergolèſe
de n'avoir que des ſujets communs à traiter , &
de ne s'exercer que dans un dialecte naïf, il eſt
vrai , mais grofier. Il ſaiſit avec empreſſement
l'occaſion de ſe faire connoître à Rome par un
ouvrage d'une toute autre importance , & il compoſa
l'Olympiade en 1735 pour le théâtre de
Tordinone. M Duni , l'auteur du Peintre amoureux
, des Chaſſeurs & la Laitière , &c. qu'on ne
ſoupçonneroit pas à la fraîcheur de fon coloris ,
& aux agrémens de ſon ſtyle d'avoir été un virtuoſe
dès ce tems - là , avoit déjà beaucoup de
réputation , & il fut chargé de compoſer le ſecond
opéra du même théâtre intitulé ilNerone.
Les Romains , par une injustice qu'on peut repreJUILLET.
1772. 189
cher à d'autres peuples , méconnurent les beautés
dont l'ouvrage de Pergolèſe étoit rempli , & l'Olympiade
tomba. M. Duni , en ne me cachant
point que le Nerone avoit eu un grand ſuccès ,
ce que je ſavois déjà , m'a répété pluſieurs fois
qu'il fut frenetico contro il publico di Roma ( ce
ſont ſes expreſſions ) lorſqu'il vit l'accueil que
l'on faiſoit à ſon compatriote. Il ſe mit à la tête
de tous les Maestri di Capella de Rome , qui
avoient été frappés des beautés de l'Olympiade
pour tâcher de la relever. Il renforça ſon parti
par tous les artiſtes qui , à la connoiſlance du
beau , joignoient un goût décidé pour la muſique
(& M. Vernet étoit du nombre. ) Mais tous
les efforts de ces virtuoſes furent inutiles : le tems
n'étoir pas encore venu où ce même ouvrage de
voit faire la plus grande ſenſation. :
• Pergolèſe retourna à Naples , avec la fatisfaction
, il est vrai , d'avoir vu ſon ouvrage applaudi
par les gens de goût , & les maîtres de l'art qui ,
dans tous les pays forment le plus petit nombre ,
mais profondément bleflé de l'indifférence du
Public pour ce même ouvrage. A peine étoit- il de
retour dans ſa patrie que le Duc de Mataloni, Seigneur
Napolitain le chargea de compoſer la
melle & les vepres pour la fête d'un Saint qu'il
devoit faire célébrer à Rome avec la plus grande
magnificence. Quoique Pergolèſe n'eût que trop
àſe plaindre de cette ville , il ne balança pas un
inſtantàſe rendre aux deſirs du Duc; & c'est pour
cette fête qu'il compota la Meſe , le Dixit & le
Laudate que nous avons de lui. Ils furent entendus
dans l'égliſe de St Lorenzo in Lucina avec un
applaudiſſement général : & fi quelque choſe peut
conſoler unhomme de génie lorſqu'il a vu ſes
190 MERCURE DE FRANCE.
plus belles productions mépriſées , ou reçues avec
froideur , il ne faut pas douter que Pergolèſe ne
vît avec plaifir le ſuccès qu'alors ſes ouvrages ob.
tinrent dans Rome.
Cependant ſa ſanté dépériſſoit de jour en jour.
Il y avoit quatre ou cinq ans qu'on s'étoit apperçu
par un crachement de ſang preſque continuel
qu'il ne fourniroit pas toute la courſe , &
qu'il ſeroit enlevé à la fleur de fon âge. On ne
s'étoit pas trompé. Sa maladie ne fit qu'empirer
depuis fon dernier voyage à Rome. Le Prince de
Stigliano qui n'avoit ceflé de le protéger & de
Paimer , lui confeilla de prendre une petite maifon
alla torre del Greco. Ce lieu eſt ſitué au bord
de la mer à quatre milles de Naples , & preſque
au pié du Véſuve. L'opinion publique veut que
les perſonnes qui , comme Pergolèſe ſont attaquées
de la phtifie , guériflent plutôt dans cet
endroit , ou file mal est incurable , la mort les
en délivre plus vite. Ce fut là qu'il compoſa la
cantate d'Orphée & d' Euridice & le Stabat Mater.
Il alloit de tems en tems à Naples , & dans ces
courſes il faiſoit exécuter ce qu'il avoit compofé
àla campagne. Le dernier ouvrage qu'il mit en
muſique fut le Salve Regina , & il mourut peu de
tems après au commencement de l'année 1737 .
Apeine la nouvelle de fa mort fur- elle répandue ,
à peine ſes dernières productions furent- elles forties
de Naples que toute l'Italie voulut avoir ou
entendre juſqu'a ſes ouvragestes plus médiocres.
Ses opéra bouffons furent joués, les motets, exé
eutés dans toutes les Eglifes , & ce qu'on n'a jamais
fait pour aucun muficien , Rome voulut re
voir l'Olympiade. Cet opéra fut remis avec'la plus
grande magnificence , & plus on avoit montré
JUILLET. و . 1772
d'indifférence pour cet ouvrage il y avoit deux
ans , plus on s'empreſsa alors d'en admirer les
beautés.
On voit par cet expoſé fidèle qu'il eſt faux que
Pergolèſe ait éré empoisonné. Jamais ſes ſuccès
au theatre n'avoient été aflez brillans pour engager
les rivaux à ſe délivrer d'un pareil concurrent ;
&on a vu qu'au moment où la réputation le répandit
dans toute l'Italie , que dans le tems qu'il
compoſa ſes meilleurs ouvrages , les ſeuls qui
euflent pu exciter l'envie , il étoit alors pour ainſi
dire aux portes du trépas.
M. Duni , qui lui étoit attaché autant par amitié
que par admiration pour les talens , étonné
de la froideur avec laquelle l'Olympiade avoit
été reçue dans ſa nouvauté, s'exhaloit en invectives
contre le Public de Rome. Pergolèſe , avec ſa mo
deſtie ordinaire , lui répondit qu'il avoit éprouvé
pluſieurs fois de pareilles diſgraces , & qu'excepté
quelques petits ouvrages ; ( il vouloit fans doute
parlerde les opéra bouffons) tous les autres avoient
été reçus avec indifférence quoiqu'ils fuflent infiniment
ſupérieurs aux bagatelles qui lui avoient.
fait quelque réputation. Anfi le fort de cet habile
artiſte reſſemble à celui d'Homère , de Milton
, de Racine . Ces grands hommes font morts
avec la douleur de voir leurs chef - d'oeuvres
ignorés ou mépriſés..Tous les peuples de tous les
fiécles & de tous les lieux ont toujours été injuftes
envers ceux qui étoient ſeuls capables de les conduire
à la connoiſlance du vrat beau ,
On a cru long-tems en France que Pergolèfe
étoit le plus grand muficien que l'Italie eût produit.
Bien des gens penſent encore de même.
192 MERCURE DE FRANCE .
Cette erreur nous étoit pardonnable lorſque nous
ne connoiſſions de l'Ecole de Naples que le Stabat
Mater & la Serva padrona. Mais depuis que
les opéra de Vinci , de Jomeili , de Galuppi , de
Haffe qui , quoiqu'étranger , eſt réclamé par l'Italie
; depuis que les motets du noble Marcello ,
deLeo,deDurante ont franchi les Alpes, il ne nous
eſt plus permis d'affigner la première place à l'élè
ve deGaetano Greco
,
Les Italiens conviennent unanimement que per..
ſonne ne l'a furpaflé dans l'Expreſſion muſicale.
Ils trouvent même bien peu de morceaux dans
les ouvrages des maîtres que je viens de nommer
qui, à cet égard, puiſſent lui être oppoſés. Mais ils
lui reprochent les repitizioni un ſtyle par fois
trop coupé ; le chant principal un peu trop fubordonné
aux parties les plus baſſes , ce qui l'a
engagé quelquefois à faire briller celles-ci audépendsde
cette unité de mélodie que les compoſiteurs
recommandent tant. Enfin ſa manière leur
paroît en général maninconica (mélancholique )
ce qui venoit peut- être de ſa complexion ; & fon
faire ſouvent un peusec, défaut qu'il tenoit ſans
doute de ſon maitre. Tout cela n'empêche pas
qu'ils ne le regardent comme un très-grandmaitre
, & d'un commun accord ils l'ont appellé le
Dominiquain de la muſique ; mais c'eſt nous apprendrequ'iln'en
eſt ni leRaphaël ni le Titien.
LETTRE
JUILLET. 1772. 193
LETTRE de M. Darcet , docteur régent
de lafaculté de Médecine de Paris , au
fujet du remède végétal antivénérien du
Sr Agironi.
On trouve dans la Gazette d'Utrecht N° XXI,
du Vendredi 13 Mars 1772 , une annonce du
réméde antivénérien du fieur Agironi , dans
laquelle l'Auteur de ce réméde fait mention d'un
Certificat que j'ai donné , où j'atteſte que je n'ai
point trouvé de Mercure dans ſon Sirop. Voici le
fait.
Un de mes confrères me ſollicita au mois de
Décembre dernier , de voir ſi dans le ſirop végétal
antivénérien d'Agironi , il n'y avoit pas du
Mercure ; il me dit qu'il avoit beſoin de le
ſavoir , pour tranquillifer un de ſes amis malade
à Rouen , qui n'ayant pas été guéri par les autres
méthodes , étoit rebuté du Mercure , & vouloit
ufer de celui- ci , pourvu qu'il n'en contînt pas.
Je m'engageai même àlapreſſante follicitation
demon confrère , d'envoyer chercher moi- même
deux onces de ce ſirop , & je n'y trouvai pas
en effet de mercure en conféquence: je donnai
àmon confrère le certificat qu'il me demanda ,
pour l'envoyer à ſon ami. Mais voici l'uſage
qu'on fit de mon certificat , on le joignit à deux
autres , on les fit contrôler tous les trois à Paris,
le 18 Décembre , c'est-à- dire , deux jours après
leur fignature: ils ont été approuvés le 26 du
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
même mois & imprimés tout de ſuite . ( 1 ) Tout
ceci eft confirmé & bien développé dans la lettre
d'un certain Chevalier trois étoiles , qui eſt inférée
à la fuite de la ſeconde édition du livre du
fieur Agironi , & à la tête des certificats , dans
laquelle il ſe donne lui même pour l'Auteur de
cette infidélité. Il eſt clair que c'eſt une intrigue
pleine de dol & de ſupercherie. Je proteſte hautement
contre mon certificat . 1º Parce qu'ayant
été donné uniquement pour tranquilliſer la tête
d'un malade , & à la réquisition de ſon Médécin;
il étoit fait pour mourir dans le fecret. 2º Qu'il
a été imprimé ſans mon aveu , contre ma volonté
& à mon inſcu. 3º Que par le fait ce certificat
ne fignifie rien ; parce que rien ne peut conftater
que le firop que j'ai envoyé chercher chez
Agironi , & dans lequel je n'ai pas trouvé de
mercure , foit en effet fon véritable réméde
antivénérien. J'en ſuis d'autant moins sûr , que
c'étoit un piége qui étoit tendu , & qu'il eſt plus
que vraiſemblable qu'Agironi étoit à la tête de
cette intrigue. 4º Et ceci eft capital , que cette
légère analyſe n'a été faite que ſur deux onces
de firop: c'en pouvoit être affez pour tranquillifer
la tête d'un malade ; mais non pour faire une
analyſe authentique , oftenſible , démontrée , &
telle que je fais bien qu'on doit la faire quand
on a pour objet de lui attacher le ſceau de la
publicité , en un mot de mettre un réméde à
l'abri de la critique , & lui mériter la juſte confiancedu
public.
( 1) On m'a dit depuis que cette impreſſion
n'eſt que du mois de Février.
JUILLET. 1772 . 195
Voilà ce qui c'eſt paſſé dans la plus exacte
vérité , en conféquence je proteſte & figne ma
proteſtation.
D'ARCET , Docteur Régent , & ancien Profefſeur
de Pharmacie de la Faculté de médecine de
Paris.
A Paris , le 20 Avril 1772 .
Nota. L'original eſt ſigné de M. le Doyen de
la Faculté de Médécine , du Cenſeur & de M. le
Lieutenant général de Police .
ANECDOTES.
I.
PARMI les priſonniers qu'on fit àla
bataille de Lepante , le 3 Octobre 1571 ,
un des plus qualifiés d'entr'eux étoit Mahomet
Bacha de Negrepont , homme
dont l'eſprit n'avoit rien de groſſier , ni
de barbare , & qui ſavoit parfaitement
les coûtumes & les manières des Européens.
Colonne , Général des Troupes
papales , viſitant les priſonniers faits dans
cette fameuſe journée , commanda aux
Officiers & aux Soldats , de les traiter avec
douceur , & ſe tournant enſuite vers Ma-
:
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
homet , apprenez de nous , lui dit- il, d
pratiquer l'humanité, vous autres qui exercez
tant de barbarie contre les Chrétiens,
Mahomet lui répliqua , " Votre Seigneurie
nous pardonnera s'il lui plaît notre
>> ignorance , nous n'avions juſqu'ici fu
>>faire que des priſonniers , & n'avions
>> point encore été comme tels à l'école des
>> Chrétiens .
I I.
Emeric Gobier de Banault , étantAmbaſſadeur
en Eſpagne , aſſiſta un jour à une
comédie , où l'on repréſentoit la bataille
de Pavie , & voyant un acteur eſpagnol,
terraſſer celui qui repréſentoit François I.
lui mettre le pied ſur la gorge & l'obliger
à lui demander quartier dans les termes
les plus outrageans , il fauta fur le
théâtre , & en préſence de tout le monde ,
il paſſa ſon épée au travers du corps de
cet acteur,
ΙΙΙ.
Le Maréchal de Baſſompiere , paſſant
au Louvre par la ſalle des Gardes , rencontra
mademoiselle d'Entragues ſa maîtrelle
, qui avoit long - temps plaidé
JUILLET. 1772. 197
contre lui , au Parlement de Rouen , prea
tendant être ſa femme. Comme il la
faluoit , elle lui dit , M. vous devriez
bien me rendre les honneurs de Maréchal.
Eh ! Mademoiselle , répondit- il , pourquoi
prenez-vous un nom de guerre ? offenſée
de la réponſe , elle lui reprocha qu'il
étoit leplus fothomme de la Cour. Cette
Demoiſelle étoit propre ſoeur d'Henriette
deBalzac , Maîtreſſe d'Henri IV, appelée
la Marquiſe de Verneuil. Elle avoit une
promeſſe du Maréchal de Baſſompiere ,
& en avoit même un fils qui eſt mort
Evêque de Xaintes : elle s'appelloit Marie
de Balzac.
I V.
Au fiége de Bomel en 1599 , il arriva
un cas fingulier & peut- être unique en
ſon eſpèce. Deux freres qui ne s'étoient
jamais vus & qui s'étoient toujours cherchés
ſans pouvoir apprendre des nouvelles
l'un de l'autre , ſe rencontrerent par hafard
à ce ſiége , où ils ſervoient en deux
compagnies différentes. L'aîné qui s'appeloit
Hermando Diaz , ayant ouï nommer
l'autre par le nom d'Encillo , qui étoit
le ſurnomde leur mere , que celui-ci avoit
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
pris par affection ( choſe aſſez commune
en Eſpagne) l'interrogea fur pluſieurs autres
particularités domeſtiques , & reconnut
à la conformité de ſes réponſes que
c'étoit le frere qu'il cherchoit depuis
fi long-temps , furquoi venant tous deux
à s'embraſfer étroitement , un boulet de
canon leur emporte la tête , ſans ſéparer
Jeurs corps qui tombent accolés enſemble.
Ainſi mouturent ces deux freres à l'heure
la plus agréable de leur vie .
AVIS.
I.
Fumoir contre les Taupes , Mulots , &c.
:
CET Inſtrument métallique & portatif , eſt
conſtruit de façon à contenir du feu , & à fournir
un courant de fumée , qui à l'aide de tuyaux
qui s'y adaptent à la longueur néceſſaire aux
circonstances , étouffe dans le fond de leurs
trous les familles entières de toute cette vermine
terreftre , ennemie de la culture ; il peut même
s'employer avec avantage , contre les chenilles
qui viennent d'éclore.
On garnit le foyer de chiffons de toute eſpèce,
impreigné de mauvaiſes huilles , & vieille graiffe
mélée de fouffre de poix-raiſine, &d'autres odeurs
:
JUILLET. 1772. 199
graffes & fuffo quantes : un ſimple briquet ſert
à allumer ſur les lieux ces matières; le feu du
piſton acheve l'opération.
Il n'eſt pas de Cultivateur qui n'ait éprouvé
les ravages que cauſent ces animaux deſtructeurs
&qui n'ait plus d'une fois refléchi aux moyens
de s'en délivrer. On peut annoncer la réuffite
de cette machine comme ſûre , aucuns de ces
animaux ne pouvant reſiſter à ſon effet , & on
peut le regarder comme le plus efficace de tous
les moyens , dont ait fait juſqu'à préſent uſage.
:
Il ſe vend chez M. Diodet , rue S. Honoré ,
à la Roſe , vis à- vis l'Oratoire . Le prix en eft
fixé à 72 liv.
I I.
Ventes d'Immeubles.
:
On avertit le public qu'il s'imprime à Paris ,
chaque mois , un extrait des contrats des biens
vendus & fentences d'adjudication faites , qui
eſt expoſé pendant deux mois dans le tableau ,
placé dans l'auditoire du Châtelet de Paris , en
exécution de l'Edit du mois de Juin 1771 .
L
Cet ouvrage eſt utile & même néceſſaire pour
ſervir d'avertiſſement à tous ceux qui ont des
hypothéques , & autres droits ſur les immeubles
vendus , & empêcher que par le défaut d'une
oppofition au ſceau , ils ne foient expoſés à
perdre irrévocablement leurs droits.
On ſouſcrit à Paris , chez M. Deſprez , fécrétaire
du Roi , & greffier des criées du Châ-
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
telet , rue S. Merry. Le prix de la ſouſcription
eſt de quinze liv. par an.
111.
:
Eau du ſieur Trottier de Bois-Semé , appliéable
extérieurement , & fans qu'il ſoit beſoin
de régime ni préparation pour la guériſon
prompte & radicale de la Goutte , des Rhumes ,
Rhumatiſmes , Rhumatiſmes goutteux , Sciatiques
, douleurs , Fluxions , &c. par la diffolution
des humeurs , & par l'évacuation qu'elle
leurprocure , foit par la tranſpiration infenfible,
ſoit par les crachemens & par les urines.
L'uſage de cette Eau ne confiſte qu'à en imbiber
des linges , & à ſe les appliquer ſur les
parties affligées , le foir , au moment de ſe coucher.
On ne fera point chauffer ni l'eau , ni les
linges ; mais on ſe tiendra bien chaudement dans
fon lit juſqu'au lendemain matin.
こ
Le prix de chaque bouteille eſt de fix livres ,
frane de port. Pour en éviter la contrefaction ,
le ſieur Trottier de Bois - Semé mettra fur les
bouteilles l'inſcription ci-deſſus écrite de ſa
main , accompagnée de fon paraphe & de fon
cachet. Elle ſe tranſportera , tant qu'on voudra,
fans rien perdre de fa qualité.
Le ſieur Trottier de Bois - Semé demeure rue
Guénégaud , vis- à- vis,le nouvel Hôtel des Monnoies
, à Paris.
On le trouvera juſqu'à deux heures après
midi.
Nota. Le ſieur Trottier de Bois- Semé trai-
1
JUILLET. 1772 . 201
tera gratès les pauvres , chez lui , tous les Samedis
, depuis depuis ſept juſqu'a huit heures du
matin.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Constantinople , le 4 Mai 1772 .
TANDIS qu'on s'occupe de l'ouverture du congrès
, on n'a point discontinué ici de faire des
préparatifs pour recouvrer la Crimée : on a déjà
fait partir pour la Mer Noire quinze ou vingt
gros chebecs & plus de foixante galiotes. Le Capitan
Pacha ( amiral ) de la Mer Noire , a pris ,
aujourd'hui , congé de Sa Hautefle , dans une audience
publique qu'il a eue, ſuivant l'uſage , à Yali
Kiosk (le Pavillon de la Marine ) & il n'attend
qu'un vent favorable pour mettre à la voile avec
quatre vaiſleaux de cinquante canons & une vingtaine
de galiotes qui compoſent , avec les bâtimens
déjà partis , la flotte qu'il aura ſous ſes ordres.
On vit , il y a quelque tems , entre Varna
(Odeſſus ) & l'embouchure du canal de la Mer
Noire ( le Boſphore ) une flotille Rule qui donna
de l'inquiétude à la Porte ; mais elle diſparut ſans
avoir rien entrepris.
De Petersbourg, le 21 Mai 1772.
Le Sieur Guldenſtedt , membre de l'Académie
dePetersbourg & l'un des ſçavans que l'Impératrice
fait voyager dans les provinces ſituées aux
extrémités de ſon Empire &dans les pays étran
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
gers , a écrit de Géorgie une lettre dont voici la
fubſtance : Nous ſommes actuellement dans le
>>>Carduel , auprès du fleuve Kur ( autrefois Cy-
>>>rus . ) Tefflis , capitale de la Géorgie , eſt ſituée
>> fur ce fleuve. Je comptey paffer l'hiver , qui eſt
>> ici de courte durée. Tout y eſt encore en pleine
>>>verdure ; les feuilles des arbres ne font que
>> commencer un peu à ſe faner , & elles renaiſſent
>>> vers la fin de l'année. Les Géogiens ſont d'un
>> caractère ſi timide qu'ils redoutent , non ſeule-
>>>ment les dangers de la guerre & de la navigation,
mais même les maladies les plus ordinai-
>> res à l'homme. Ils ont , par cette raiſon , une
>> grande vénération pour les médecins , qui font
>> fort ignorans chez eux , & heureuſement fort
>> rares; auffi n'ai -je pas tardé à recevoir , de leur
> part, les plus grandes marques de conſidération ,
>> lorſqu'ilsm'ont vu employer en leur faveur , les
>>>connoiſlances que j'ai dans un art qui leur eſt ſi
>> cher . Je ne reçois point d'argent ; mais , en re-
>>> compenſe , ils procurent des vivres à ma ſuite
»qui conſiſte en trente- deux perſonnes ; ils m'of-
>>frent de plus , à chaque cure que je fais ,un beau
> cheval ou une jolie esclave. J'accepte ordinaire-
>> ment le cheval qui peut m'être utile dans mes
>> courſes, &je refuſe l'esclave qui ne feroit que
m'embarrafer, ود
11
De Warsovie , le 16 Juin 1772 .
Les troupes Autrichiennes ſont entrées à Przemiflie.
Le terrein qu'elles occupent renferme
douze petites villes & deux cens quatre - vingt
villages.
i
JUILLET. 1772. 203
De Dantrick , le 13 Juin 1772 .
W
On mande de Pologne que les troupes Autrichiennes
ſe ſont déjà avancées juſques vers Léopol
, dans le Palatinat de Ruffie. Les Rufles leur
fourniſſent des vivres ; mais elles délogent partout
les Confédérés .
La caſſation du Tribunal de Wilna cauſe , diton
, une grande fermentation à Warlovie. L'ambaſladeur
de Ruſſie prétend ne s'être porté à cette
démarche extraordinaire , que parce que le préſident
& les députés du Tribunal avoient été choisis -
par les intrigues de la Cour de Warſovie & de la
Famille Czartoriski. Quoi qu'il en ſoit , il ſemble
qu'on ait formé quelque nouveau projet en Lithuanie
; car les troupes de la République qui ſe
trouvent dans ce Grand Duché , ainſi que les Rufſes
, marchent également à Grodno &y transportent
leurs magaſins .
Des Frontières de la Pruſſe , le 18 Juin 1772 .
Les troupes Prufſiennes , qui avoient formé le
camp de Marienwerder , ſont retournées dans
leurs anciens quartiers , à l'exception de huit cens
hommes qui ſont reſtés dans cette ville & de cinq
cens qui ont été envoyés à Bromberg. Un bataillon
entier eſt entré à Graudentz ; fix cens hommes
, avec fix pièces de canon , ont pris poſte dans
les fauxbourgs d'Elbing ; la ville eſt toujours
gardée par dix -huit cens hommes de l'armée de
Ia Couronne de Pologne ; enfin on dit qu'un corps
de mille hommes , détaché pour la Warmie, doit
y avoir occupé les petites villes de Heilsberg &
de Frauenberg. Le général de Stutterheim , gou-
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
verneur de la Prufle Royale , eſt retourné à Ko
nigsberg . On a planté des poteaux aux armes de
Prufle le long de la Nottez jusqu'à Naklo , & de
ce lieu, en ſuivant, en droite ligne , la direction
du canal projetté , jusqu'à la Viſtule.
On dit qu'il doit ſe former en Lithuanie une
Confédération générale , pour appaiſer les troubles
de la Republique.
Dela Haye, le 20 Juin 1772.
On vient d'apprendre que la fuspenfion d'armes
entre les Rufles & les Turcs a été arrêtée &
publiée , le 7 du mois dernier , à Giurgewo. Le
Congrès ſe tiendra dans la ville de Bucharest,
Les nouvelles des frontières de la Siléfie portent
que la petite Fortereffe de Landscron vient d'être
livrée aux troupes Autrichiennes qui occuperont
également celles de Tyniec & de Bobreck ,
les ſeules dont les Confédérés foient en poffeffion.
,
De Copenhague, le 15 Juin 1772.
Le fort des trois derniers priſonniers d'Etat eft
enfin décidé. Le Conſeiller de Justice Struenſée a
eu la permiffion de retourner àLignitz , dans la
Siléſie Pruſſienne , où il occupoit précédemment
une place de profefleur de mathématiques. On lui
a fait figner une déclaration , par laquelle il s'engage
à ne jamais rien faire au préjudice de Sa
Majesté Danoiſe. On ne lui a donné ni penfion ,
ni gratification ; mais il a eu la permiffion d'emporter
avec lui ſon argent & fes effets. Le lieutenant-
général de Gaehler a obtenu une penfion de
mille écus , dont la moitié eſt reverfible à fon
JUILLET. 1772. 205
2
!
F
épouſe ; ils ont l'un & l'autre la permiſſion de demeurer
dans les Etats de Sa Majesté , à l'exception
des provinces de Zélande , de Fionie & de Slefwick.
Le colonel Falkenschiold eſt le ſeul , contre
lequel la Commiffion ait cru devoir févir.
Cetofficier , qui ſe diſtingua au dernier fiége &à
la priſe de Bender , a été privé de la place de chambellan
, ainſi que de ſon régiment , & condamné
àune priſon perpétuelle dans le château deMunckolm
, en Norwege. Ces trois perſonnes ne doi
vent ſortir de priſon que pour ſe rendre à leurs
deſtinations .
Pluſieurs compagnies de matelots arrêtèrent ,
la veille de la Pentecôte , le carrofle du Roi qui
revenoit de Charlottenlund , & préſentèrent à Sa
Majesté une requête , dans laquelle ils portoient
des plaintes ſur quelques arrangemens pris par
l'ancien miniſtère. Le Roi promit , dans le moment
, de leur faire rendre justice ; mais , quatre
jours après , un conſeiller privé & trois autres
commiflaires ſe rendirent au Vieux Holm : ils
aſſemblèrent les compagnies, leur firent de vifs
reproches ſur la conduite indécente & puniflable
qu'elles avoient tenue , & leur déclarèrent que , fi
aucun matelot oſoit , à l'avenir , ſe rendre coupabled'un
pareil attentat, il ſeroit condamné à la
calle ſéche & aux galères perpétuelles .
Le Comte de Saint - Germain s'eſt embarqué,
ces jours derniers , avec l'agrément de la Cour ,
pour Bordeaux , où il compte fixer fon ſéjour.
D'Alger , le 23 Mai 1772 .
Le Contre - Amiral Hooglant , commandant
l'escadre Danoiſe de la Méditerranée & miniſtre
206 MERCURE DE FRANCE.
plénipotentiaire pour conclure la paix avec la Régence
d'Alger , arriva dans cette rade , le 7 de ce
mois , avec le vaiſſeau de guerre le Groenland ,
de cinquante- quatre canons&de cinq cens hommes
d'équipage , & la frégate le Chriſtianſoé , de
trente canons& de deux cens quatre-vingt hommes.
Il avoit au mât d'Artimon ſon pavillon de
contre- amiral , & à celui de miſaine , un pavillon
blanc , pour annoncer qu'il venoit parlementer.
On entama une négociation qui dura jusqu'au
18 ; enfin on convint des différens articles , & la
paix fut conclue. La place ſalua de vingt - un
coups de canon le pavillon Danois , qui rendit le
même ſalut Deux jours après , le contre-amiral
Hooglant fut ſalué de la même manière en mettant
pied à terre & ſe rendit à l'audience du Dey.
Le premier traité du Danemarck avec la Régence
d'Alger a été renouvellé , & l'on n'y a fait aucun
changement.
De Bastia , le 20 Juin 1772 .
On vient de détacher de la Colonie établie auprès
de Baſtia un certain nombre de familles qu'on
aenvoyées ſur le territoire appellé Chiavari, ſitué
au golfe d'Ajaccio. Le ſol de ce terrein , qui appartient
au Roi , eſt ſusceptible d'une excellente
culture Il étoit ci -devant occupé par une famille
Gênoiſe qui fut obligée de l'abandonner pendant
les troubles. Il s'y trouve encore des habitations
aſſez bien conſervées , & que les nouveaux Colons
ſont occupés à réparer.
:
JUILLET. 1772 . 207
De Vienne , le 20 Juin 1772 .
Gerard Baron Van Swieten , commandeur de
l'Ordre Royal de St Etienne , premier médecin de
Leurs Majestés Impériales & Royale , préſident
de la Faculté de médecine , membre de l'Académie
royale des ſciences de Paris & de pluſieurs
autres académies , eſt mort , le 18 de ce mois, au
château de Schonbrun , dans la ſoixante-treizième
année de ſon âge. Il étoit connu dans toute
l'Europe , par pluſieurs ouvragesde médecine trèseſtimés
, & principalement par ſes Commentaires
fur Boerhave , dont le cinquième & dernier volume
a éte imprimé peu de jours avant la mort.
L'Impératrice - Reine , pour honorer la mémoire
de ce ſçavant médecin , a ordonné que ſon corps
fût transporté en cette ville & qu'il fût inhumé
au couvent des Auguſtins dans une chapelle particulière
, où repoſent les cendres des héros & des
perſonnes les plus célèbres qui ont illuſtré l'Autriche&
leur fiécle.
La fortereſſe de Tynieck s'eſt défendue avec
une opiniâtreté incroyable ; les attaques continuelles
des Rufles n'avoient pu engager la garniſon
à capituler. Une lettre écrite de Bilitz , en
date du 12 de ce mois , annonce un fait qui prouve
le courage & la fermeté de cette petite troupe.
Les officiers qui la commandent , voyant l'impoſſibilité
de tenir long-tems & voulant prévenir
le fort qui menaçoit la garniſon , s'étoient déterminés
à ſe rendre. Les ſoldats , informés qu'on
ſe dispoſoit à traiter avec l'ennemi , marchèrent
au quartier du commandant & s'aflurèrent de ſa
perſonne & des autres officiers ; ils choiſirent en
208 MERCURE DE FRANCE.
ſuite un d'entr'eux pour les commander & s'en.
gagèrent par ferment à périr plutôt que de ſe ſou.
mettre aux Ruſſes. Ils ſe ſont défendus avec une
bravoure étonnante dans la triſte ſituation où ils
ſe trouvoient. Les maiſons qui étoient dans le
fort avoient été réduites en cendres par les enne.
mis , & ces braves gens n'avoient d'autre retraite
que les ouvrages de la fortification. Le général
Autrichien d'Alton , qui commande les troupes
Autrichiennes en Pologne , voulant épargner le
ſang , a employé ſa médiation pour engager la
garniſon à recevoir une capitulation , au moment
où les Rufſes ſe dispoſoient à livrer un aflaut général
, & il a obtenu , pour cette partie de Confédérés,
des conditions honorables. La place vient
enconféquencede ſe rendre.
Les troupes Autrichiennes ſe ſont préſentées
devant Bobreck , & cette fortereſſe leur a été remiſe
ſur le champ.
De Londres , le 28 Juin 1772 .
Le jugement prononcé en faveur du Négre qui
refuſoitde ſuivre ſon maître en Amérique , a fait
une grande ſenſation parmi ceux de ſon espèce.
Un grand nombre d'entr'eux s'étoit rendu , le 22,
à l'audience de la cour du Banc du Roi pour y
entendre plaider la cauſe de leur camarade : auffitôt
que l'affaire eût été décidée , ils s'avancèrent
tous devant les Juges qu'ils ſaluèrent reſpectueufement
& s'embraſlèrent enſuite pour le féliciter
mutuellement de ce qu'ils rentroient dans les
droits communs à l'espèce humaine. La plupart
de ceux qui le trouvent à Londres &dans les environs
, au nombre de quatorze cens , ont ouvert
une fouscription en faveur de celui qui a défendu
JUILLET. 1772. 209
1
leur cauſe commune avec tant de courage &de
fermeté. Ils ont célébré cet événement par un
grand feſtin où ils ont bu , à pluſieurs repriſes , à
Ja ſanté du Lord Mansfield: ce repas a été ſuivi
d'unbal compolé de Négres & de Négrefles .
Le 19 de ce mois , l'aſſemblée des Directeurs
de la Compagnie des Indes ayant égard à l'embarras
où ſe trouvoit le commerce par une ſuite
de diverſes faillites confidérables , prit la réſolus
tion de reculer de trois ſemaines le payement des
marchandiſes qui avoit été fixé à cejour. L'intérêt
des propriétaires de ces fonds l'a déterminée
en même tems à faire ſur le champ l'ouverture de
ſes livres qui ,dans le cours ordinaire des choles,
ſeroient reſtés fermés jusqu'au 16 Juiller.
:
:
De Paris , le 6 Juillet 1772 .
Le Roi ayant accordé au Chapitre de Notre-
Dame de Melun , dont Sa Majesté eſt Pation ,
Collateur & Chef Immédiat , commé Abbé dudit
Chapitre , la jouiſſance , pendant dix années , d'une
Prébende qui yest actuellement vacante , pour en
appliquer les fruits aux besoins de certe Eglife ;
leChapitre , pénétré de reconnoiſſance pour ce
bienfait , a arrêté , par acte capitulaire, de célébrer
tous les ans, le premier Juillet , une Mefle
folemnelle pour demander au Ciel da conferva
tion des jours précieux de fon auguſte Chef &
Bienfaiteur. Sa Majesté a bien voulu agréer cette
marque publique de la reconnoiſſance de ſonChapitre
de Melun , &la Meſſe a été célébrée le premier
de cemois.
210 MERCURE DE FRANCE.
NOMINATIONS.
Sa Majesté vient d'accorder les entrées de ſa
chambre au comte de Tonnerre.
Le Roi a accordé l'Evêché de Châlons-fur- Saône
, à l'Evêque de St Pol de Léon ; l'Evéché de St
Pol de Léon à l'Abbé de la Marche , vicaire général
de Tréguier ; l'abbaye de St Hilaire , Ordre
de St Benoît , diocèſe de Carcaſione , à l'Abbé de
Combettes , vicaire - général du diocèſe d'Alby ;
l'abbaye régulière de St Aubert de Cambray ,
Ordre de St Augustin , à Dom Yſebrant de Lendonecq
, religieux de cette abbaye.
Le Roi ayant jugé à propos d'ériger la Corſe
engouvernement général & militaire , Sa Majefté
ena pourvu le Marquis de Monteynard , ſecrétaire
d'état au département de la guerre. Les Etats
de Corſe aſſemblés avoient demandé cette grace
àSa Majesté par leur délibération du 5 Mai dernier.
Le Roi a nommé à la lieutenance de Roi des
ville, citadelle & château de Brest , vacante par
la mort du commandeur d'Argens , le ſieur de Behague
, brigadier de ſes armées , qui a eu l'honneur
de faire , à cette occaſion , ſes remercîmens à
Sa Majesté & à la Famille Royale.
:
Le Roi a donné l'Evêché de Leictoure à l'Abbé
de Cugnac , vicaire- général de Bayeux ; celuide
Quimper-Corentin à l'abbé de Flamarens , vicaire-
général deChartres ; l'abbaye de St Pierre , Ordre
de St Benoît , diocèſe & ville de Lyon , à la
JUILLET. 1772. 211
Dame de Monteynard , nommée abbeſſe de Beaurepaire.
Le 4 de Juillet , l'Evêque de Riez a prêté ferment
entre les mains du Roi.
:
PRESENTATIONS .
Le 3 Juillet , la Vicomteſſe de Néel de Sainte
Marie a eu l'honneur d'être préſentée à Sa Majesté,
ainſi qu'à la Famille Royale , par la Marquiſe de
Clermont d'Amboiſe.
Le Sieur de Freſne , fils du Sr d'Agueſſeau , conſeiller
d'état , prévôt & maître des cérémonies de
l'Ordre du St Eſprit , & le Sieur de Brou , petirfils
du Sieur de Brou , garde des ſceaux de France,
ont eu , ce même jour , l'honneur d'être préſentés
auRoi .
MARRIIAAGES.
1
Le Roi & la Famille Royale ſignèrent , le 3 Juillet,
le contrat de mariage du Marquis de Vaugirauld
, officier au régiment des Gardes-Françoiſes,
avec Demoiſelle Denis de Senneville.
NAISSANCES .
La Marquiſe de Laval vient d'accoucher d'un
garçon.
MORTS. 1
Martha de Wenport eſt morte , à Londres , âgée
de cent deux ans .
212 MERCURE DE FRANCE.
Marie-François de la Madeleine Ragny , Marquis
de Ragny , ancien capitaine de cavalerie au
régiment Royal-Piemont, eſt morten ſon château
d'Epiry en Bourgogne , le 9 Juin .
Jean Merot dit Labranche , foldat , eſt mort à
l'Hôtel royal des Invalides , le 20 Juin , âgé de
cent huit ans : il étoit entré dans l'hôtel le 10
Août 1714. Il avoit été bleflé deux fois ; ſçavoir,
àla ſurpriſe de Cremone , en 1702 , & au fiége
deFribourg , en 1713. Il a confervé fa mémoire,
ſa raiſon& la gaîté jusqu'au dernier moment de
lavie.
Imbert Durbel , journalier dans la paroille de
Monloiſon , à trois lieues de Valence en Dauphiné
, y eſt mort , le 2 de Juin , à l'âge de cent huit
ans.
Alexandre-Charles Comte de Chaumont , maréchal
des camps & armées du Roi , commandeur
de l'Ordre royal & militaire de St Louis, ci- devant
capitaine de grenadiers au régiment des Gardes-
-Françoiles , eſt mortà Paris , le 24 Juin , dans la
quatre-vingt- troiſième année de ſon âge.
:
La Dame Keith eſt morte à Newnham , dans
leComté de Gloceſter , le 21 Juin , à l'âge de
cent trente trois ans. Elle n'a perdu l'uſage de
ſes ſens qu'environ quinze jours avant la mort;
elle laiſſe trois filles vivantes , dont la plus jeune
eſt âgée de cent trois ans.
Marguerite Longuel , veuve de Charles Pilau ,
menuifier , née au village de Boullogne- la grace,
près Montdidier en Picardie, diocèse d'Amiens ,
i
!
JUILLET. 1772. 213-
eſt morte dans le même village , dans la cente
uméme année de ſon âge.
Marie- Louiſe-Albertine-Amélie , née Princeſſe
de Croy & du Saint Empire , épouſe de Pierre-
Gaſpard- MarieGrimod,comte d'Orsay , eſt morte
à Paris , dans le mois de Juin , dans la vingt- cinquiéme
année de ſon âge.
Pierre Chapelle de Jumilhac de Cubiac , Evêque
de Leictoure , eſt mort ici , vers la fin du mois
dernier , dans la cinquante - huitième année de
fonage.
LOTERIES.
Le cent trente-huitième tirage de la Loterie de
l'hôtel - de - ville s'est fait , le 26 Juin , en la
maniere accoutumée. Le lot de cinquante mille
livres eſt échu au No. 2633. Celui de vingt mille
livres au No. 11404 , & les deux de dix mille aux
numéros 1713 & 6681 .
Le tiragede la loterie de l'école royale militaire
s'est fait le 6 Juillet . Les numéros ſortis de la roue
de fortune font , 3 , 30 , 37 , 27,75 . Le prochain
tirage le fera lesAoût
214 MERCURE DE FRANCE.
!
P
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en proſe , page s
Suite de l'Eté , chant II du počne des Saifons
, imitation libre de Thompson , ibid.
Madrigal , 9
Réponſe de Cirus , ibid.
Le Berger , le Chien & le Loup , fable imitée
de l'allemand , ibid.
Vers à mettre au bas du portrait de M. le Duc
de Penthièvre ,
Le Mur mitoyen , Conte .
Ode tirée du pleaume 136 ,
Les deux Montres , fable ,
Le Loup & le Sanglier , fable ,
Invocation à la Fontaine
10
II
25
28
29
, 30
Traduction de l'Ode VIII . du ſecond livre
d'Horace , 32
Dialogue des Morts. 34
Explication des Enigmes & Logogryphes , 42
ENIGMES ,
ibid.
LOGOGRYPHES , 41
NOUVELLES LITTÉRAIRES , 47
Le Ventriloque ou l'Engaſtrimythe , par M.
la Chapelle , ibid.
Lettre de l'auteur du Ventriloque ou engaſtrimythe
, 57
JUILLET. 1772. 215
Conférences ſur les Myſtères , par le Père
Joly ,
Traductions d'anciens ouvrages latins relatifs
à l'agriculture & à la médecine vétérinaire
, aves des notes , par M. de la Bonnetrie
, &c .
58
62
Mémoire hiſtorique , politique & militaire
fur la Ruſſie par le général de Manſthein , 63
Théorie des Etres ſenſibles par M. l'Abbé
Para ,
Phroſine & Mélidore , poëme en 4 chants ,
Obſervations ſur la phyſique , ſur l'hiſtoire
naturelle , & c. par M. l'Abbé Roziers ,
Leçons de muſique vocale propre à l'éducarion
de la Jeuneſſe , par l'auteur du Manuel de
morale ,
68
71
89
96
L'Art de faire & d'employer le vernis , 100
De l'Art de la Comédie par M. Cailhava , 102
Eilai ſur Pindare , 117
Tableaux d'un Poëte , Poëfies d'un Peintre , 129
Lettre de M. de Voltaire à M. de laH.
131
ACADÉMIES , 135
SPECTACLES , Opéra , 145
Comédie françoiſe , ISI
Comédie italienne , 152
Lettre à un jeune Elève des Académies d'ar-
-chitecture ,
153
Lettre ſur le prétendu Hydroſcope , par M.
216 MERCURE DE FRANCE.
de la Lande , de l'Académie des Sciences , 169
ARTS , Gravure ,
Muſique ,
Géographie ,
Synonimes françois ,
lèle par M. Boyer ,
Notices fur la vie & les ouvrages de Pergo-
Lettre de M. Darcet , docteur - régent de la
Faculté de médecine de Paris ,
Anecdotes ,
AVIS ,
Nouvelles politiques ,
Nominations ,
Préſentations ,
Mariages ,
Naiflances ,
Morts ,
Loteries,
174
177
179
180
185
193
195
198
201
210
211
ibid.
ibid.
ibid.
213
APPROBATIO Ν.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le
fecond vol. du Mercure du mois de Juillet 1772 ,
&je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoit en
empêcher l'impreffion .
AParis , le 14 Juillet 1772.
LOUVEL.
De l'Himp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe.
23191
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
JUILLET , 1772 .
PREMIER VOLUME .
Mobilitate viget. VIRGILE.
A PARIS ,
, Chez LACOMBE , Libraire Rue
Chriſtine , près la rue Dauphine .
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
C'E'ESSTT au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriſtine , que l'on prie d'adreſſer , francs de port,
les paquets & lettres , ainſi que les livres , les eftampes
, les piéces de vers ou de proſe , la muſique
, les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître an
Public , &tout ce qui peut inftruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eſtampes & piéces de muſique.
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres& de ceux qui les
cultivent , ils ſont invités à concourir à ſa perfection
; on recevra avec reconnoiſſance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront même un titre de
préférence pour obtenir des récompenſes ſur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eft de 24 liv !
que l'on paiera d'avance pour ſeize volumes rendus
francs de port .
L'abonnement pour la province eſt de 32 livres
pareillement pour ſeize volumes rendus francs de
port par la poſte.
On s'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eſt de 36 fols pour
ceux quin'ont pas louſcrit,au lieu de 30 fols pour
ceux qui font abonnés .
On fupplie Meffieurs les Abonnés d'envoyer
d'avance le prix de leur abonnement franc de port
par la poſte , ou autrement , au Sieur LACOMBE,
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les Journaux fuivans.
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par an à Paris.
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de chaque ſemaine , & qui donne la notice
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GAZETTE POLITIQUE des DEUX- PONTS , dont il
paroît deux feuilles par ſemaine ; on ſouſcrit
àPARIS , au bureau général des gazettes étrangeres
, rue de la Juſſienne.
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En Province , 12 liv.
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vers du Plutus , d'Aristophane , d'Anacréon
, Sapho, Moschus , &c. in-8 °. br. 1 1. 16 f.
Les Nuits Parifiennes , 2 parties in - 8 °.
nouv . édition , broch . 3 liv.
Les Odes pythiques de Pindare , traduites
par M. Chabanon , avec le texte grec ,
in-8°. broche , sliv.
Le Philofopheſérieux , hist. comique , br. 1 1. 4 f.
DuLuxe , broché ,
Traité fur l'Equitation & Traité de la
cavalerie de Xenophon , traduit par M.
du Patyde Clam , in- 8 °, broch.
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11.10 1.
Monumens érigés en France à la gloire de
Louis XV, &c. in -fol. avec planches ,
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Mémoires fur les objets les plus importans de
l'Architecture , in-4°. avec figures, rel. en
carton , 121.
Dictionnaire portatif de commerce , 1770 ,
4 vol. in- 8 °. gr. format rel . 201.
Les Caractere's modernes , 2 vol. br. 31.
Maximes deguerre du C. de Kevenhuller , 11. 106.
GRAVURES.
Sept Estampes de St Gregoire , d'après Vanloo
, 24 1.
Etd'autres Estampes d'après différens Matures.
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET , 1772 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
JEAN qui pleure & JEAN qui rit.
QUELQUEFOIS IC matin , quandj'ai mal digéré,
Mon eſprit abattu , triſtement éclairé ,
Contemple avec effroi la funeſte peinture
Des maux dont gémit la nature ;
Aux erreurs , aux tourmens , le genre humain
livré ;
Les crimes , les fléaux de cette race impure ,
Dont le Diable s'eſt emparé .
Je dis au Mont Etna: pourquoi tant de ravages ,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Et ces ſourcesde feu qui ſortent de tes flancs ?
Je redemande aux mers tous ces triſtes rivages
Dilparus autrefois ſous leurs flots écumans
Et je redis aux tyrans :
Vous avez troublé le monde
Plus que la fureur de l'onde ,
Et les flammes des volcans.
Enfin lorſque j'enviſage ,
Dans ce malheureux ſéjour ,
Quel est l'horrible partage
De tout ce qui voit le jour ,
د
Et que la loi ſuprême eſt qu'on ſouffre & qu'on
meure ,
Jepleure.
Mais lorſque , fur le foir , avec des libertins ,
Et plus d'une femme agréable ,
Je mange mes perdreaux , &je bois de bons vins
Dont Monfieur Daranda vient de garnir ma table :
Quand , loin des ftippons & des ſots ,
Lagaîté , les chansons , lesgraces , les bons mots
Ornent les entremets d'un ſouper délectable ;
Quand , ſans regretter mes beaux jours .
J'applaudis aux nouveaux amours
De Cléon & de la maîtreſſe ;
Et que la charmante amitié ,
Seul noeud dont mon coeur eſt lié ,
Me fait oublier ma vieilleſſe ;
Cent plaiſirs renaiſſans réchauffent mes eſprits ;
Je ris.
:
JUILLET. 1772 . 7
Jevois , quoique de loin , les partis , les cabales ,
Qui ſoufflent , dans Paris vainement agité ,
Des inimitiés infernales ,
Et verſent leurs poiſons ſur la ſociété :
L'infâme calomnie , avec perverſité ,
Répand ſes ténébreux ſcandales.
Onme parle ſouvent duNord enſanglante;
D'un Roi ſage & clément chez lui perſécuté ,
Qui , dans ſa royale demeure ,
N'a pu trouver ſa ſûreté ;
Que ſes propres ſujets pourſuivent à toute heure ,
Jepleure.
Mais ſi mon débiteur veut bien me rembourſer ,
Si mes prés ,mes jardins , mesto és s'embellife
fent ,
Si mes vaſlaux ſe rejouiflent ,
Et ſous l'orme viennent danſer ;
Si par fois , pour me délafler ,
Je relis Arioſte ,
•
• :
Ou quelqu'autre impudent dont j'aime les écrits
Je ris.
Il le faut avouer , telle eſt la vie humaine.
Chacun a ſon lu in qui toujours le promene
Des chagrins aux amuſemens.
De cinq ſens , tout au plus , malgré moi je dé
pends ;
Aiv
8 MERCURE DE FRANCE.
L'homme eſt fait , je le ſais , d'une pâte divine ,
Nous ferons tous un jour des eſprits glorieux ;
Mais dans ce monde-ci l'homme eſt un peu machine.
La nature change à nos yeux ;
Et le plus triſte Héraclite ,
Quand ſes aflaires vont mieux ,
Redevient Démocrite.
RÉPONSE de M. de V ***,aux vers
de M. de Voltaire , qui ont pour titre ,
Jean qui pleure & Jean qui rit.
Du tems vous trompez les efforts ;
Et moi , j'en éprouve l'outrage.
Vous ſavez vous paffer de corps ,
Votre eſprit ne change point d'âge ;
Les neiges font devant vos yeux ;
Le printems eſt dans votre tête :
Tous vos vers font des fleurs de fête ,
Tous vos jours ſont des jours heureux.
D'Apollon vous tenez la caifle ,
De ce dieu vous viſez les bons;
Et, quoique vous payiez ſans ceſſe ,
Vous ne dites pas : point defonds.
Pour moi débile créature ,
La triſte main de la nature
JUILLET . 1772.
و
Étendun crêpe ſur mes jours;
Mes yeux m'étaient d'un grand ſecours,
Pour lire les fruits de vos veilles ;
Je les perds , & j'ai des oreilles
Pour entendre de ſots diſcours.
Pourſuivi par la calomnie ,
Je ne ſens plus que le poids de la vie.
Mon bonheur eſt dans le cercueil
De mon irréparable amie ;
L'Univers me paraît en deuil.
vous , rate ornement de notre académie ,
Vous nous garantiſſez ſon immortalité ;
Que les traits aigus de l'envie
N'altèrent pas votre gaîté.
Vous ne mourrez jamais ; moi , je meurs à toute
heure ;
Vous êtes Jean qui rit , & je ſuis Jean qui pleure.
Traduction de l'Ode VII . du livre IV .
d'Horace. A Torquatus .
Nos os jardins renaiſſans étalent leur parure ,
Zéphir rend à nos voeux l'ornement des forêts ,
Tout s'anime dans la nature ,
Et le ſoleil plus vifa ſéché nos guérêts.
Laterre a dépouillé cette robe éclatante
Où les dons de Cérès étoient enſfevelis ,
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
Les flots impétueux du Tibre & de l'Ofante ,
Enchaînés , rentrent dans leur lits .
Dans nos brillans vergers Cythèrée & ſa cour
Danſent au ſon de la muſerre ,
Ges doux momens ont ramené la fête ,
Des jeux , des ris & de l'amour.
Le retour du printems embellit nos climats ,
Le printems difparoît , & l'été prend ſa place ,
Auſſi rapidement l'automne arrive & pafle ,
Et laiſſe triompher la rigueur des frimats.
Tel eſt l'arrêt des deſtinées ,
Ce changement continuel ,
Des heures , des ſaiſons , du tems &des années,
Tout dit que tout finit , que rien n'eſt immortel.
Le dieu du jour au ſein des mers ,
De ſes raïons mourans éteint le foible reſte ;
Brillant , il reparoît ſous la voûte céleste ,
Et fes feux rallumés embraſent l'Univers.
Mais l'homme, étre foible & fragile ,
Dans le cercueil à peine eſt deſcendu ,
Il s'efface , il n'eſt plus qu'une cendre ſtérile ,
Jouet léger des vents , dans les airs répandu .
Tout paſſe au tour de nous , nous paflons ,&
j'ignore
Si ledeftin àcette aurore
JUILLET. 1772.
Marque le terme de mes jours ;
Oublions cette incertitude ,
Du vin , des jeux & des amours
Faiſons - nous une douce étude.
Jouis , de l'héritier trompe l'avide eſpoir ,
Du fruit de tes travaux fais un utile ulage ,
De l'homme raisonnable & ſage ,
La jouiſſance eſt le devoir.
Ah ! quand le ciſeau dela Parque ,
Sur le fil de tes jours ofera s'attacher
De l'Acheron quand le pâle Nocher
T'aura reçu dans ſa fatale barque;
O! mon cher ami , tes tréſors ,
Ta piété , ton éloquence ,
La hache , les faiſceaux , du fier tyran des mortss
Rien ne ſauroit tromper l'adroite vigilance.
Songes- y , l'heure fuit , profite des inſtans ,
Sur l'avenir obſcur ferme les yeux ; le ſage ,
Pour vivre heureux , jouit du tems
Et ne vit que pour ſon uſage.
:
Par M. Latour de la Montagne.
Avj
43 MERCURE DE FRANCE.
EPITRE AU BEAU SEXE.
UNE décente propreté
Suffit pour orner la nature ,
On éblouit par la parure ,
On plaît par la ſimplicité.
Vois ſur les bords d'une fontaine ,
Occupée à laver ſon teint ,
La jeune amante de Philène ;
C'eſt là qu'elle vient le matin
Avec ſon troupeau , ſous ce chêne ,
Souriant d'un air enfantin ,
Se mirer dans l'onde incertaine
Qu'agite le zephir badin ;
Tantôt d'une courſe légère ,
Elle va cueillir au jardin
Ces fleurs , l'ornement de la terre ,
Et dont la beauté paſlagère
Va bientôt mourir ſur ſon ſein.
Elle n'a dans ſa chevelure ,
Pour diamans que des bouquets ,
Son innocence eſt la parure
Qui releve tous ſes attraits.
Elle ignore cet art frivole
Dont nos femmes font tant de cas ,
Qui flatte leur vanité folle
En falſifiant leurs appas.
JUILLET. 1772 . 13
De ta raiſon évanouie ,
Quand écouteras-tu la voix ?
Quand mépriſeras-tu les loix
Du fier tyran de ma patrie ?
Borne à plus de ſimplicité
Et tes habits & ta toilette ,
Sexe aimable , dont la beauté
Plairoit plus, un peu moins coquette.
Par leméme.
L'HOMME qui ne s'étonne de rien .
Conte.
SURGI & DORIVAL avoient été amis
dès l'enfance , & l'étoient encore à cinquante
ans. Tous deux habitoient la campagne&
le même canton ; mais leur manière
de l'habiter étoit différente ; leur
manière de ſentir & de voir différoit encore
plus. Dorival étoit riche & toujours
inquiet : Surgi étoit pauvre & toujours
tranquille.Commentfaites- vous,demandoit
le premier à ſon voiſin , pour ne vous
plaindre jamais du fort qui vous a tant
maltraité ? C'eſt , répondoit Surgi , que je
lui fais gré de ne m'avoir pas encore traité
plus mal. Mais , reprenoit Dorival ,
14 MERCURE DE FRANCE.
vous étiez riche , & vous voilà dans l'indigence.
Voyez les habitans de ce village,
ajoutoit Surgi , ils font encore plus pauvres
que moi. Il est vrai , pourſuivit Dorival
, que la richeſſe n'eſt pas toujours
la compagne du bonheur. Je ſuis de tous
mes pareils le plus opulent & le moins
heureux. -Je le crois bien ! tout vous
réuffit. -A peine ai-je formé un projet
qu'il s'effectue ; je n'ai le tems ni d'eſpérer
ni de craindre . -Je vous plains; votre
ame doit être bien engourdie .-Vous
croyez donc l'inquiétude un aliment néceſſaire
à notre exiſtence ? -Croyez vous ,
reprit Surgi , le vent néceſſaire à un vaifſeau
qui met à la voile ? nous ſommes le
vaiſſeau; & fi rien ne nous agire nous reftons
par nous-mêmes ſans mouvement.
-Mais avouez , du moins , qu'il ne faut
pas que le vaiſſeau ſe briſe ? Ne vous faites
point illufion , & parlons ſans figure :
voilà bien des revers qui ſont venus fondre
ſur vous depuis quelque tems.
n'en ai point gardé la liſte , & j'en ai ,
fans doute , oublié pluſieurs. -Mais , par
exemple , cet orage qui anéantit vos petites
vendanges l'automne dernier ? -Je
fus très- heureux qu'il n'ait pas détruit ma
petite moiſſon deux mois plutôt. -Et ce
- Je
JUILLET. 1772 .
coup de tonnerre qui renverſa une partie
de votre maifon ? -Cette partie n'eſt
point habitée ; mon bonheur voulut que
le tonnerre tombât ſur elle , & non fur
celle que j'habitois. -Il n'y a pas trois
ſemaines qu'un renard égorgea durant la
nuit toute votre baffe cour. -J'ai bien
de l'obligation à ce renard. Le ravage
qu'il avoit fait dans ma baffe- cour fut
cauſe que j'examinai ma bergerie . Il y
avoit un trou affez grand que je fis reboucher.
Vous voyez bien que fi au lieu du
renard le loup étoit venu me vifiter la
nuit d'auparavant , c'étoit fait de tous
mes moutons . -Enfin l'hiver dernier
Firmin , votre fils , s'eſt caflé une jambe.
-Si vous ſaviez combien la chûte qu'il
fit étoit dangereuſe , vous admireriez le
bonheur qu'il eut de ne ſe les être pas
caffées toutes deux .-Mais , vous-même,
ajouta Dorival , avec impatience , vousmême
, n'êtes vous pas quelque fois tourmenté
de la goute ? Voilà , repliqua Surgi
, ce que c'eſt que d'avoir long - tems
vécu dans l'aiſance & l'oiſiveté. La goute
n'eût jamais ofé venit me trouver ſous
cette mafure . An reſte , ce n'eſt point un
malheur : un habile médecin m'a dit que
la goute préſervoit de toute autre malay
die.
16 MERCURE DE FRANCE.
Oh ! parbleu ! dit encore Dorival , je
ſuis au bout de mes objections. Il eſt inutile
de diſputer contre un homme qui prétend
que la goute n'eſt point un mal. Ils
ſe quittèrent, Dorival pour aller s'ennuier
dans fon château , & Surgi pour travailler
àfon jardin .
1
Il achevoit d'étayer un jeune arbre quand
ſon fils arriva de la prairie voiſine. Il étoit
completement mouillé , quoiqu'il ne fût
tombé aucune pluie , & paroiſloit vivement
ému. Ah ! mon père ! s'écria -t'il ,
ah ! de quel malheur je viens d'être témoin
! Quel est ce malheur, demanda Surgi
. -La fille de notre riche voiſin , l'aimable
Pauline , eſt tombée dans le plus
profond de la rivière ! -Comment ! elle
s'eſt noyée ? -Non , mon père , je l'ai fecourue.
- Vous êtes bienheureux l'un &
l'autre ! -Je m'eſtime heureux , il eſt
vtai ; mais Pauline eſt encore ſi effraiée ! ..
-Elle ſe raſſurera , & remerciera le Ciel
de t'avoir envoyé là ſi à-propos . -Elle
s'étoit haſardée , ſeule avec ſa femine de
chambre , à conduire ſur la rivière une
petite gondole : la tête a tourné à l'une &
à l'autre ; la gondole s'eſt renverſée. -Et
la femme de chambre qu'eſt- elle devenue
?-Elle s'étoit accrochée à une bran
JUILLET. 1772. 17
che d'arbre qui plonge dans la riviere.
J'ai eu le tems de la ſecourir , comme j'avois
fecouru ſa maîtretle . - mon fils ,
l'heureuſe journée pour toi ! Ah ! ſi vous
ſaviez l'intérêt que je prends à Pauline !
-Tant mieux ! tu n'en dois être que plus
fatisfait de lui avoir ſauvé la vie. -Hélas
! je l'ai conſervée pour un autre; je
l'aime ſans eſpoir. -Tu l'aimes ?-Je
n'ai pu m'en défendre , & c'eſt pour moi
un malheur de plus. -- Elle ne t'aime donc
pas ?-Je n'en fuis point encore réduit
àle croire,& li j'étois enclin à me flatter ...
C'est - à - dire , ajouta Surgi , que tu n'es
point mal avec elle ? C'eſt toujours une
confolation,& c'en est une autre bien flatteuſe
de pouvoir ſe dire : j'ai préſervé de
la mort celle que j'aime .
Dorival furvint en ce moment. Où estu
, généreux jeune homme ? s'écria- t'il ;
viens , que je t'embraſſe. Tu m'as conſervé
la vie , en me conſervant ma fille.
Mais ce n'eſt pas tout , il faut me ſuivre :
ma fille te demande , elle veut remercier
elle-même ſon libérateur. Elle me demande
, reprit Firmin avec émotion ? Eh!
oui , ſans doute , ajoura Dorival . Il feroit
bien plus extraordinaire qu'elle ne te demandât
point . Firmin ſe hâra de changer
18 MERCURE DE FRANCE.
d'habits , & ſe para de ce qu'il avoit de
mieux ; c'eût été peu de choſe ſi ſa jeu
neffe , & les agrémens de ſa perſonne n'y
euſſent ſupplée. Il joignoit aux traits les
plus réguliers , une taille avantageuſe &
régulière . On devinoit encore ſon origine
, à travers la ſimplicité de ſon extérieur
. Dorival l'emmena chez lui ſur le
champ , & Surgi , en les voyant partir ,
diſoit en lui-même : voilà un accident qui
fera utile à trois perſonnes. Pauline deviendra
plus prudente : l'ame de Dorival
aura une fois connu l'émotion , & Firmin
aura eu le bonheur de faire , en un ſeul
jour , deux actions généreuſes.
Firmin étoit fort agité lorſqu'il aborda
la belle Pauline. On aſſure qu'elle même
n'étoit pas moins émue. Elle étoit au lit,
&cette poſition ne contribuoit pas à la
rendre moins intéreſſante aux yeux de Firmin.
Voilà celui qui t'a ſauvée , dit Dorival
à ſa fille , en le lui préſentant;garde.
toi bien d'oublier un pareil ſervice . Non,
mon père , lui répondit - elle , en regardant
Firmin avec des yeux qui annonçoient
plus que de la reconnoiſſance ; non,
je vous proteſte de ne l'oublier jamais.
Pour vous , dit Dorival au jeune homme,
j'exige que vous lui faffiez compagnie
JUILLET.
1772 نو .
durant quelques momens. J'ai certaines
dépêches à expédier. Je ne tarderai pas à
vous rejoindre .
Il fortit , & les deux jeunes gens reſtèrent
quelques minutes ſans ſe parler . Je
ne ſais , dit enfin Pauline à Firmin , je ne
ſais de quelles expreſſions me ſervir pour
vous peindre ma reconnoiſſance , pour
vous dire à quel point votre action généreuſe
me touche & me pénètre. Ne me
remerciez de rien , Mademoiselle, repritil;
je ſuis trop heureux d'avoir pu vous
ſauver ; je n'aurois pas furvécu à votre
perte. Cela est- il poſſible , demanda Pauline
avec encore moins de ſurpriſe que
d'intérêt ? C'eſt une vérité qui m'échappe,
reprit Firmin ; j'aurois dû me réduire à
penſer ce que je viens de dire. - Eh !
pourquoi ? ſi l'on aime que vous le penfiez
?-J'en ferois moins malheureux ;
mais je le ferois encore beaucoup.
Firmin , lui dit- elle,en le regardant d'une
manière propre à le raffurer , croyez au
moins que l'on vous rend justice , & dès
lors ne vous croiez pas à plaindre . Ah! reprit
il , aimable Pauline , votre coeur eſt fait
pour apprécier le mien; mais votre coeur
ne diſpoſera point de votre ſort , & c'eſt
de votre fort que le mien doit dépendre.
Pardonnez , ajouta t'il impétueuſement ,
...
20 MERCURE DE FRANCE .
& en ſe précipitant à genoux auprès du lit
de Pauline ; pardonnez un diſcours qui
doit anéantir le prix du zèle que je vous
ai marqué : l'amour ne connoît point les
rafinemens de la politique. J'euſſe expoſé
, je l'avoue , mes jours pour ſauver du
même péril tout autre que vous ; mais je
n'eufle point fait voeu de périr ſi je ne la
ſauvois pas .
,
1
Certain bruit qui ſe fit entendre empêcha
Pauline de répliquer , & obligea Firmin
de reprendre ſa première attitude. Il
étoit à peine affis que Dorival rentra ſuivi
d'unjeune homme que Firmin connoifſoit
déjà pour fon rival. C'étoit unde ces
merveilleux dont la capitale eſt toujours
bien pourvue & qu'on y tolère parce
qu'il faut du ſpectacle dans les grandes
villes . Je t'annonce , dit Dorival à Pauline
, M. le Marquis de Sainville ; je viens
de lui apprendre ton accident & il en eſt
vivement pénétré... Dites pétrifié, anéanii
, reprit Sainville , en s'avançant d'unair
leſte& fautillant. Puis , s'adreſſant à Pauline
: favez - vous bien , ajouta - t'il , que
votre mort auroit réjoui bien de jolies
femmes ? Quelle folie de s'embarquer
ainſi toute ſeule ! je gage même que vous
vous expoſiez fans avoir aucun but. Le
JUILLET . 1772 . 21
5
pauvre Léandre ſe noya , mais on fait
pourquoi. Il n'y a qu'un pareil motif qui
puiffe excuſer une pareille imprudence.
1
Pauline étoit peu tentée de répondre à
ce propos ridicule. Firmin l'écoutoit avec
indignation& eut peine à ſe contenir.
Pour Dorival , il ne le trouva que plai.
fant. Il étoit déjà guéri de ſa première
émotion , & voyant ſa fille échappée à cet
accident, il en concluoit de nouveau que
ſa fortune étoit inaltérable . Que vouliez
vous , diſoit- il à Sainville ? on fait bien
qu'une fille s'ennuie. Quand on ne ſe
trouve pas bien ſur terre , on eſpère être
mieux fur l'eau. Cette inquiétude n'eſt
pas incurable , &j'eſpère que lorſque vous
ſerez l'époux de ma fille , elle aura moins
beſoinde ſe diſtraire .
Je l'eſpère bien auſſi , reprit Sainville ,
d'un air très aſſuré. D'ailleurs , il n'eſt dit
nulle part qu'un mari ſoit obligé de ſe
noyer pour ſecourir ſa femme. A propos,
j'oubliois de vous demander par qui Mademoiselle
a été ſecourue ?
Par ce brave jeune homme , répondit
Dorival en frappant ſur l'épaule de Firmin
: je n'oublierai jamais le ſervice qu'il
vientde me rendre. Ah ! vraiment ! reprit
Sainville , ces gens de la campagne na
22 MERCURE DE FRANCE.
gent comme des poiſſons . Mais nous autres,
gens de la cour nous verrions toutes
les belles qui s'ennuyent ſe noyer , ſans
pouvoir les ſecourir. Pour moi , dit Firmin
, j'ai confulté mon zèle plutôt que
mon adreſſe. Je vous en ſais gré , ajouta
Sainville,& je veux vous prendre ſous ma
protection. Je vous en remercie & vous
endiſpenſe , lui dit Firmin d'un ton allez
fier: j'attends des amis , & n'ai jamais
cherché de protecteurs .
Commentdonc ! s'écria Sainville , voilà,
je crois, de la philoſophie! il est vrai que
tout le monde s'en mêle ; mais avec de
tels ſentimens on ſe trouve réduit à vivre
de racines , ou à braconner , ſi l'on veut
vivre d'autre choſe .
J'étois né pour chaſſer ſur mes terres ,
ajouta Firmin d'un ton vif & piqué. La
fortune en me les ôtant ne m'a laiſſé que
l'honneur , & beaucoup de diſpoſitions à
repouſſer une inſulte. Sainville ne répondit
que par un ſourire dédaigneux , &
Firmin fortit en lui lançant un regard trèsexpreffif.
Il n'étoit point armé , ce qui l'obligea
de rentrer furtivement chez lui , & il en
fortit de même après s'être muni d'une
épée. La crainte de rencontrer ſon père ,
JUILLET. 1772. 23
ou peut- être Dorival , l'obligea auſſi de
prendre un chemin détourné pour ſe rendre
aux environs du château ; il ne doutoit
point que Sainville ne l'eût entendu
&qu'il ne fortit bientôt ſeul ſous quelque
prétexte.
Dans ce même inſtant Dorival entra
chez Surgi , & le trouva qui fortoit
de fon jardin. Avez- vous vu votre fils ,
luidemanda t'il avec empreſſement. Non,
répondit Surgi , ſans s'émouvoir. Je l'ai
cru avec vous : auroit - il refuſé de vous
ſuivre? j'en ſerois bien etonné. Il m'a ſuivi
: repliqua Dorival ; il étoit chez moi :
cet étourdi de Sainville lui a parlé d'un
ton qui a pu lui déplaire , & j'en crains
les fuites. J'étois venu pour l'emmener
de nouveau chez moi , & les reconcilier.
Peut- être ai-je eu tort de fortir,
C'eſt ce que nous allons voir , ajouta
Surgi. En même tems il conduiſit Dorival
dans la chambre où étoit l'épée de
Firmin. Surgi avoit l'air morne avant
d'y arriver. On entre ; Surgi regarde avec
inquiétude : l'épée ne ſe trouve pas . Oui ,
vous avez eu tort , dit - il à Dorival d'un
ton moitié chagrin , moitié ſatisfait . Allons
chercher mon fils autour de votre
château: je vois quel motif l'en a fait for
24 MERCURE DE FRANCE.
tir ſi ſubitement. Ah ! quel chagrin pour
vous & pour moi ! s'écria Dorival. Quoi ?
pour avoir ſauvé la vie à ma fille , Firmin,
le cher Firmin , ſeroit de nouveau expoſé
à périr lui-même ? j'en ſerois inconſolable
, repliqua Surgi. Eſſayons de prévenir
cette malheureuſe rencontre. En
attendant , j'ai du moins la confolationde
voir que mon fils n'eſt point né ſans courage
.
Ah ! quel homme ! diſoit Dorival en
lui-même : il trouve des ſujets de conſolation
dans tout ce qui devroit le défefpérer.
Tous deux s'avançoient avec le plus vif
empreſſement. Il y avoit proche du château
un vallon qui ſembloit propre à toute
autre choſe qu'au rendez - vous de deux
ennemis. Surgi & Dorival y jettent les
yeux preſque en même tems , & voient
Firmin & Sajaville qui s'abordent l'épée
à la main. Arrêtez ! leur crièrent- ils; mais
leurs cris n'empêchèrent point le combat
de commencer ; & lorſqu'ils arrivèrent ,
Sainville avoit déjà reçu une bleſſure aſſez
conſidérable. On ſépara les combattans ,
&tandis qu'on les haranguoit , on vitarriver
Pauline tout en déſordre. Elle même
s'évanouit en voyant ce qui venoitde
fe
JUILLET. 1772 . 25
ſe paſſer. Dorival connut encore une fois
l'émotion & l'inquiétude : il tenoit ſa
fille entre ſes bras , il verſoit des larmes.
Voilà , diſoit Surgi , une douceur que notre
ami n'avoit peut-être jamais connue.
Enfin., le ſecours de quelques eaux fpiritueuſes
rappella Pauline àla lumière. Elle
ouvrit les yeux & les tourna vers Firmin
qui avoit les ſiens uniquement fixés ſur
elle& qui éprouvoit la plus vive agitation.
Raffure-toi , ma fille , diſoit Dorival
à Pauline ; la bleſlure de Sainville ne
fera rien . Je veux le réconcilier avec ſon
ennemi , &que ſous peu de jours il foit
ton époux. Cette ſeconde promeſſe parut
moins raffurer Pauline que l'inquiéter.
Elle gardoit , cependant , le filence. Parle
donc, diſoit Dorival ? Est - ce qu'un tel
projet ne cadre pas avec les tiens ? J'exige
que tu me les détailles naturellement. -
Vous l'exigez , mon père , lui dit - elle ?
Oui , reprit- il , je te l'ordonne. Eh bien !
ajouta Pauline , je vais vous obéir ; mais
daignez ne point oublier que je vous
obéis; j'enfle recélé encore long - tems
dans mon coeur le ſecret qui m'échappe
aujourd'hui par vos ordres. Voilà , pourſuivit-
elle , en montrant Firmin , celui à
qui nous devons , moi la conſervation de .
mes jours , & vous celle de votre fille.
1. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
10
Sans lui je ne ſerois plus ,&dès lors je ne
pourrois plus être à perſonne : vous-même
n'auriez plus le pouvoir de me donner.
Ainſi mon exiſtence eſt en partie ſon propre
bien. J'oferai vous dire plus , il m'aime
, & peut être que fans cet amour fon
zèle eût été moins efficace. Voulez- vous
lui cauſer la douleur de ne m'avoir conſervée
que pour fon rival ?
Ce difcours jerta Dorival dans une extrême
ſurpriſe , & Firmin dans une extrême
inquiétude. Celui- ci n'oſoit ſe promettre
que le premier approuvât ſon
amour ; il y avoit trop dedifférence entre
leurs fortunes. Cependant , il ne crut pas
devoir ſe taire quand Pauline oſoit parler.
Oui , Monfieur , dit - il à Dorival ,
j'avoue que j'ai ofé rendre juſtice à Mademoiſelle
, &que je n'ai pu me reſtreindre
à l'apprécier froidement. Jel'aimois avant
d'avoir ſongé à me dire que je l'aimois
envain. Le coeur agit & la prudence raiſonne.
La vôtre , je le ſais , peut condamner
mon audace. Je n'ai que de la naiſſance
, & la ferme réſolution de ne point y
déroger par ma conduite. Je voudrois
qu'il me fût auſſi facile d'avoir des biens
que de l'honneur : j'aurois moins à craindre
pour le ſuccès de mes autres voeux.
JUILLET. 1772 . 27
Dorival ne répondit rien, mais il étoit
rêveur , & Pauline tomba à ſes genoux .
Sainville qui avoit paru écouter avec plus
d'attention que de chagrin , tout ce qui
venoit de ſe dire , prit à fon tour la parole.
Je fais , dit il à Dorival , que nos engagemens
réciproques pourroient contrarier
celui qu'on vous propofe. Je puis
vous mettre à votre aiſe à cet égard. Il eſt
à croire que Mademoiselle étoit fortement
prévenue , puiſque je n'ai pu la diftraire.
Voilà tout ce qu'on en dira dans le
monde. Quant à moi , je ne contrarierai
plus un choix que je ne ſoupçonnois pas .
Je ſerai même charmé de contribuer au
bonheur d'un homme de courage. Il y a
une heure , j'euſſe été moins facile à déterminer
; mais maintenant nous nous
connoiffons ; & j'eſpère , ajouta - t'il en
prenant la main de fon rival , que nous
nous eſtimerons toujours .
Firmin ne lui répondit qu'en l'embraffant
les larmes aux yeux. Dorival releva
ſa fille & la préſenta à ſon libérateur.
Après tout , lui dit- il, elle vous appartient
autant qu'à moi , puiſque vous me l'avez
confervée, & fur- tout , puiſque vous avez
ſça lui plaire. Je cherchois un nom, vous
en avez un , & je ſuis affez riche pour
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
vous mettre en état d'en titer parti ; car
un beau nom , ſans la richeſſe , eſt un beloiſeau
à qui l'on a coupé les aîles. Enſuite
ſe tournant vers Surgi & lui ferrant la
main : j'ai aujourd'hui le bonheur , ajouta
t'il , de contenter l'amour , &de payer
à l'amitié un tribut qu'elle ne réclamoit
pas ; mais qu'elle n'étoit que plus en droit
deréclamer.
En peu de jours le mariage des deux
amans s'effectua . Ils ſe trouvèrent au comble
du bonheur ; & Surgi ſe diſoit à luimême
: N'ai- je pas raiſon de croire qu'un
accident eſt preſque toujours la ſource de
bien des avantages ? J'avois perdu ma fortune
; mais j'ai goûté les douceurs de la
médiocrité , & pour varier ma ſituation ,
je me retrouve dans l'opulence. Mon fils
a connu l'adverſité preſque en naiſſant ;
mais s'il eût toujours été riche , peut-être
n'eût il jamais été qu'un fat : on ne l'eût
point formé dans les exercices champêtres
; il n'eût point ſecouru Pauline , ou
il ſe ſeroit noyé en voulant la ſecourir.
Pauline elle-même , fans cet accident , ne
feroit point à l'amant qu'elle aime , & feroit
à celui qu'elle n'aime pas . Dorival ,
qui n'avoit plus rien à faire pour lui-mê
me , n'auroit jamais rien fait pour pers
JUILLET. 1772 . 29
fonne . Enfin , le jeune Sainville eût peutêtre
été encore long tems un étourdi , ſans
l'aventure qui vient de lui apprendre à ſe
corriger. Concluons : la vie humaine refſemble
à cet arbuſte chéri du printems :
qu'on en retranche toutes les épines , l'on
n'y verra point naître de roſes.
Par M. de la Dixmerie.
LA POLICE SOUS Louis XIV.
pièce de concours pour le prix de l'Académie
Françoise , attribuée à M. de
V**.
LE grand art de régner eſt le premier des arts ;
Il ne ſe borne point aux fatigues de Mars .
11 n'eſt point renfermé dans le ſoin politique
D'abaiſſer la fierté d'un voiſin tyrannique ,
Ou d'ébranler l'Europe , ou d'y donner la loi.
Le devoir d'un Monarque eſt de regner chez ſoi ;
D'y former un état redoutable & tranquile ,
De rendre heureux ſon peuple en le rendant do
cile :
C'eſt ainſi que Louis ſout paſſer autrefois
Des tentes de Bellone aux temples de nos loix.
Il montoit ſur un thrône environné d'abymes ,
Biij
30 MERCURE DE FRANCE .
۱
Dedébris , de tombeaux , de meurtres & de crimes
,
Au milieu des flambeaux de nos divifions ;
Aux cris de la diſcorde , au bruit des factions.
Il parut , il fut fage , & l'état fut paiſible.
La diſcorde à fon joug ſoumit la tête horrible ,
Etla confufion fit filence à ſa voix .
Toutprit un nouveau cours , tout rentra dans ſes
droits .
Le magiſtrat fut juſte , & l'Egliſe fut ſainte ;
Paris vit proſpérer dans ſon heureuſe enceinte
Des citoyens ſoumis , au travail affidus ,
Qui reſpectoient les grands & ne les craignoient
plus.
La règle avec la paix ſous des abris tranquiles ,
Aux arts encouragés aſſura des aſyles.
L'orphelin fut nourri , le vagabond fixé ,
Le pauvre , oiſif & lâche , au travail fut forcé,
Etl'heureuſe induſtrie amenant l'abondance
Appella l'étranger qui méconnut la France ;
L'Etranger étonné qui , prompt à s'irriter ,
Fut jaloux de Louis , & ne peut l'imiter ;
Ainſi quand du Très-Haut la parole féconde ,
Des horreurs du cahos eût fait naitre le monde ,
Il en fixa la borne , il plaça dans leurs rangs
Ces tréſors de lumière & ces globes errans.
De l'immense Saturne il ralentit la courſe ,
Fit,dans un cercle étroit,rouler le charde l'ourſez
JUILLET. 1772 . 31
De la lune à la terre aſſura les ſecours ;
Diftingua les climats & meſura les jours.
Il dit à l'Océan , que ton orgueil s'abaifle ;
Que l'aftre de lanuit te ſouleve & t'affaifle.
Ildit aux flancs du Nord , enfantez les Autans ;
Aux caux duCiel , tombez , fertiliſez les champs ,
Et que tantôt liquide & tantôt endurcie ,
L'onde revole au Ciel en vapeurs obſcurcie.
Il dit , & tout fut fait , &dès ces premiers tems,
Toujours indeſtructible en ſes grands changemens
,
La nature entretient , à ſon maître fidelle,
D'élémens oppoſés la concorde éternelle.
Si l'on peut comparer aux chef-d'oeuvres divins
Les foibles monumens des efforts des humains ;
Sous un Roi bienfaiſant parcourons cette ville
Obéiflante , heureuſe , agiſſante , tranquille.
Quelle ame inceſſamment conduit ce vaſte corps !
Quelle inviſible main préſide à ces reſſorts !
Quel ſage a ſçu plier à nos communs ſervices
Nos beſoins , nos plaiſirs , nos vertus & nos vices ?
Pourquoi ce peuple immenſe , avec ſécurité
Vit- il ſans prévoyance & fans calamité ?
L'aſtre du jour à peine a fini ſa carrière;
De cent mille fanaux l'éclatante lumière ,
Dans ce grand labyrinthe avec ordre me luit,
Et forme un jour de fête au milieu de la nuit?
L'aurore ouvre les cieux ,le beſoin ſe reveille,
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
Il appelle àgrands cris letravail qui ſommeille...
Vertumne avec Pomone apporte au pointdujour
Les fruits prématurés hâtés par leur amour.
Ces rivages pompeux qui refferrent ces ondes
Sont couverts en tout tems des tréſors des deux
Mondes.
::
Ici l'or qu'on filoit s'étend fous le marteau;
La main de l'artiſan lui donne un prix nouveau;
La vanité des Grands ,le luxe , la molleſle
Nourriflent des petits l'infatigable adrefle ,
Je vois tous les talens, par l'eſpoir animés ,
Noblement foutenus , ſagement réprimés.
L'un de l'autre jaloux , empreſlés à ſe nuire ,
L'intérêt les fit naître , il pourroit les détruire;
Un fage les modère , & de leurs factions
Fait au bonheur public ſervir les paſſions.
Mais ce n'eſt pas aflez qu'un fage ſoit'utile ,
Le Magiſtrat François doit penſer en Edile;
Il doit lever les yeux vers ces nobles Romains
Que le Ciel fit en tout l'exemple des humains .
C'étoit peu de tracer de leurs mains triomphan-
:
tes,
DuTibre au Pont-Euxin ces routes étonnantes;
De tranſporter les flots des fleuves captivés ,
Sur cent arcs triomphaux juſqu'au Ciel élevés ;
Rome en grands monumens de tous côtés féconde
,
Donna des loix , des arts & des fêtes au monde.
L'Univers enchaîné dans un heureux loiſir ,
'1
JUILLET. 1772. 33
Admira les Romains juſqu'au ſein du plaiſir.
Paris ne céde point à l'antique Italie.
Chaque jour nous raſſemble aux temples du Génie
,
Aces palais des arts , à ces jeux enchanteurs ,
A ces combats d'eſprit qui poliffent les moeurs :
Pompe digne d'Athène où tour un peuple abonde,
Ecole des plaiſirs , des vertus & du monde.
Plus loin la preſle roule , & notre oeil étonné,
Yvoit un plomb mobile en lettres façonné
Mieux que chez les Chinois , ſur des feuilles légères
,
Tracer en un moment d'immortels caractères .
Protégez tous ces arts , ô vous , ſoutiens des
loix ,
Miniſtres confidens ou Précepteurs des Rois ,
Méritez que vos noms ſoient écrits dans l'hiſtoire
Par la main des talens , organes de la gloire.
Colbert & Richelieu , les palmes dans les mains ,
De l'immortalité vous montrent les chemins .
Regardez auprès d'eux ce vigilant génie ,
Succefleur généreux du prudent la Reynie ,
A qui Paris doit tout , & qui laiſſe aujourd'hui
Pour le bien des François deux fils dignes de lui.
Ma voix vous nommeroit , vous , dont la vigi
lance
Etend des ſoins nouveaux ſur cette ville immenfes
Si vos jours conſacrés au maintien de nos loix
Bv
i MERCURE DE FRANCE.
34
1
!
Vous laiſſoient un moment pour entendre ma
voix ;
J'oſerois , emporté par une heureuſe ivreſſe ,
De mon Roi bienfaiſant célébrer la ſageſſe ;
Mais l'éloge eſt pour lui , malgré ſou bruit flatteur
,
La ſeule vérité qui déplaiſe à fon coeur.
DIEU * .
Ce qui ne fut jamais Dieu le fait clairement ,
De ce qu'on n'entend point ſon oreille eſt inftruite.
Prince , il n'a pas beſoin qu'on le ſerve en trem.
blant;
Juge , il n'a pas beſoin que fa loi ſoit écrite.
De l'éternel burin de ſa préviſion
Il a tracé nos traits dans le ſein de nos mères.
De l'aurore au couchant cent torrens de lumières
Echappés de ſes mains éclairent l'horifon .
Il émaille de fleurs le ſein de nos campagnes ;
Il ſéme de rubis les maſles des montagnes .
D'un ſouffle il arrondit la perle au fond des mers.
Il dit , & l'homme naît : il dit , & l'Univers ,
S'élançant du cahos , applaudit à ſon maître.
*Cette pièce eſt imitée d'une traduction faite
en vers blancs par M. de Voltaire.
JUILLET.
1772. 35
Qu'il parle , & dans l'inſtant tout ce qu'il a fait
naître
Va rentrer dans le vuide & fubir le néant ;
Qu'il parle , & l'univers repaſſe en un moment
Des abîmes du rien dans les plaines de l'être.
Par M. Coftard , libraire.
L'ORAISON DOMINICALE. Ode.
Pater nofter qui es in calis.
Du haut de la voûte éternelle ,
Aſſis ſur un thrône éclatant ,
Grand Dieu , dont la main paternelle
Daigna nous tirer du néant ;
Ecoute aujourd'hui ma prière :
J'oſe du ſein de la poufière
Elever ma voix & mon coeur
Juſqu'au moteur de la nature :
Foible&débile créature,
J'oſe implorermon Créateur.
:
Sanctificetur Nomen tuum.
Daignedefcendre dans nos ames ,
Dieu vivant , Dieu confolateur ,
Verſes-ytes céleſtes flammes ,
Rends-les dignes de leur auteur.
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
Quedeta gloire , en nos cantiques ,
Nos temples , nos ſacrés portiques
Retentiſlent à chaque inſtant !
Que tout te connoifle & t'adore
Depuis les portes de l'aurore
Juſqu'aux barrières du couchant !
Adveniat Regnum tuum.
Ouvre- nous la Sion nouvelle ,
Unique but de nos ſoupirs ;
Où tu promets à tout fidèle
Des biens plus grands que ſes deſirs
Où ſans nuage , l'oeil du juſte
D'un Dieu verra le front auguſte
Lui ſourire avec majeſté ;
Oùcette félicité pure
N'aura de terme & de meſure
Que ta grace & l'éternité.
:
:
:
Fiat voluntas tua ficut in Cælo &in Terra.
Tes Elus & les chooeurs des Anges ,
Dont les concerts harmonienx
De ton nom & de tes louanges
Ajamais étonnent les Cieux ,
Eblouis au pieds de ton thrône
Du vif éclat qui t'environne
Frémiſſent pénétrés d'effroi.
Verſe en nous cette juſte craintes
JUILLET. 1772. 37
:
Rends- nous ſoumis à ta voix ſainte ,
Attentifs à ſuivre ta loi .
Panem noftrum quotidianum da nobis hodiè.
Quand pour des biens imaginaires
Nous t'adreſſons de vains ſouhaits ,
Sois ſourd à ces voeux téméraires ;
Sois l'arbitre de tes bienfaits .
C'eſt en toi , par toi que nous ſommes ;
C'eſt ta main qui ſoutient les hommes
Deſſus l'abyme du néant :
Et ſi tu ceſſois de l'étendre ,
La nature diſſoute en cendre
S'y replongeroit à l'inſtant.
Etdimitte nobis debita noſtra , ficut & nes
dimittimus debitoribus noftris .
Loin de nous écarte la foudre
Dont tu punis les attentats ;
Qui renverſe , réduit en poudre
Et les méchans & les ingrats.
Je fais qu'à peine ta juſtice
Pourroit égaler le ſupplice
Aux forfaits que l'homme a commis ;
Mais ton fils ſuſpend ta vengeance.
Pardonne au mortel qui t'offenſe ,
S'il pardonne à ſes ennemis.
1
38 MERCURE DE FRANCE .
Et ne nos inducas in tentationem , fed libera
nos à malo.
L'Ange réprouvé , Satan veille
Pour nous fruſtrer de tes bienfaits .
Tandis que le foible ſommeille ,
Il ourdit, il tend ſes filets .
Grand Dieu , qui pourra nous défendre !
Tu le peux ſeul. Daigne m'entendre!
Emouſſe les traits ſéducteurs ;
Et que ta grace protectrice
Nous détourne du précipice
Qu'il jonche de trompeuſes fleurs .
Par M. le Comte de V*** , officier
au régiment du Roi infanterie.
DIALOGUE DES MORTS.
LYCURGUE & PERICLÈS .
PERICLÈS.
RESPECTABLE Lycurgue , dans ce ſombre
empire , où je vois ceſſer toutes les
haines nationales & particulières ; où je
vois Achille & Hector s'entretenir familiairement
du grand'art de la guerre , je
ſuis très - flatté de pouvoir conférer &
JUILLET. 1772 . 39
m'inſtruire avec vous de l'art encore plus
grandde la politique.
LYCURGUE .
,
Vous vous trompez , Péryclès. Je ne
ſuis point maître en politique , telle que
vous la concevez : je n'eus jamais qu'une
politique bien fimple , que j'ai bornée à
faire régner la vertu & la justice la plus
exacte dans le gouvernement de l'Etat
comme dans les moeurs des particuliers.
Cette politique n'eſt ni difficile ni compliquée
; elle ne peut même être qualifiée
du nom d'art. Chacun la trouve gravée
dans ſon coeur ; & c'eſt la pure nature qui
nous en dicte les règles .
PÉRICLÈS .
Vos citoyens ont donc bien dégénéré ,
ou plutôt leurs lumières ſe ſont étendues
en raiſon de la dégradation de leurs
moeurs. Je ſuis ſûr que vous ne reconnoîtriez
pas vos principes dans leurs procédés.
LYCURGUE .
Je fais qu'un certain Lyſandre , qui
conduit actuellement notre République ,
&quivient d'écrafer la vôtre , a portédes
40 MERCURE DE FRANCE.
coups terribles à mes inſtituts. Le plus
pernicieux fut d'introduire dans Sparte la
monnoie d'or & d'argent , que ma tendreſſe
prévoyante en avoit voulu bannir à
jamais , comme la ſource infaillible de la
corruption , & comme le principe certain
de la décadence des états . C'eſt cependant
par cette funeſte inovation qu'il a fait
davantage admirer ſon génie , & j'oferois
affurer que vous ne partez pas delà pour
le condamner .
PÉRICLÈS.
Je vous avouerai de bonne foi que vous
voyez juſte. Je regarde cette révolution
comme amenée par la neceſſité des circonſtances.
Nous ne ſommes plus , Lycurgue
, dans cet âge heureux où vous donnâtes
vos loix. Autres tems , autres principes
. Eh ! comment vouloir que Sparte
continuât avec ſuccès une guerre terrible
contreun peuple auſſi puiſſant que celui
d'Athènes , qu'elle eût à ſa ſolde des florres&
des armées étrangerès , & qu'elle ne
les payât pas avec les feuls ſignes reconnusde
toutes les nations !
LYCURGUE.
Vous concluez conféquemment à vos
JUILLET. 1772 . 41
notions ; mais c'eſt précisément cette flotre
étrangère , ce ſont ces forces & ces armées
mercénaires qui , malgré tous les
ſuccès du moment , me fontgémir d'avan.
ce ſur la ruine prochaine de ma patrie . O
Sparte ! le tems eſt donc venu , où tes citoyens
ne font plus ton ſeul appui ; où ta
liberté &ta vertu ne ſuffiſent pas àta grandeur
! quand j'ai pris de fûres meſures
pour rendre mes concitoyens invincibles
chez eux , je n'ai pas prétendu en faire des
conquérans au-dehors. Que dis-je ! mon
amour pour eux y avoit mis des obſtacles
invincibles , & tels qu'il a fallu violer
mes loix pour leur rendre poſſibles ces
conquêtes fatales. Oui , cette ambition
ſappe par le pied tout le plan de ma légiflation
, & leur arrache à jamais les fruits
les plus précieux de mes travaux .
PÉRICLÈS .
Vous m'étonnez , Lycurgue ; j'ai même
peine à concevoir ces paradoxes. Eſt - il
poſſible qu'un peuple , en le ſuppoſant un
peuple de ſages & de héros , foit für de
maintenir inviolablement ſa liberté chez
lui , ſi quelque fois il ne pouſſe ſes ſuccès ,
pour abattre& conquérir à - propos ceux
de ſes voiſins , qui dévoilent un ſyſtème
42 MERCURE DE FRANCE .
ſaivi de le ſubjuguer lui-même ? en ſe
contentant toujours de les repouſſer , ſans
vouloir jamais profiter de ſes avantages à
un certain point , ce peuple ne riſquerat'il
pas trop manifeſtement de voir quelque
jour ſa vertu devenir la cauſe de ſa
ſervitude, ſi l'ennemi, relevé de fesdéfai .
tes avec les mêmes forces, remportoit enſuite
une victoire déciſive , victoire dont le
haſard d'une journée diſpoſe au gré de la
fortune, victoire qui permettroit de tout
ofer,& dont cet ennemi fauroit mieux tirer
parti que ſes imprudens rivaux ? je
craindrois que vos ſages ne finiſſent par
être cruellement dupes de leur modération
, & ne devinſſent enfin la proie de
ceux qu'ils auroient tantde fois épargnés.
Croyez-moi , Lycurguet j'ai quelque expérience
des affaires de mon fiécle : pour
s'affurer une paix ſtable , il n'eſt que de
pouſſer ſa victoire : enfin je croirois bien
moinsdificile & bien plus fûr de ſe rendre
maître une fois de ſes ennemis vaincus ,
que d'avoir à ſe défendre continuellement
de ſes égaux.
LYCURGUE.
Je l'avois conçu différemment , même
enportant ma vue fur tous les âges. Con
JUILLET. 1772. 43
fidérez la ſituation de Sparte : par l'état
où mes loix l'ont miſe , elle eſt certainement
la première puiſſance de Péloponèſe.
Cette partie conſidérable de la Gréce
renferme dans ſon ſein vingt Etats plus
foibles que Sparte , tous indépendans l'un
de l'autre. Le reſte de la Grèce en renferme
encore plus , qui tous ſe gouvernent
auſſi par leurs loix. Qu'un de ces Etats ,
qu'Athènes , par exemple , faſſe éclater le
projet d'aſſervir les autres , il eſt naturel
que tous les foibles ſe réuniſſent contre
l'ennemi commun. Quel que foit cetEtat
conquérant , il ne fera pas plus puiſlant
lui ſeul que notre ſeule ville : les foibles
commenceront par implorer notre protection.
En la leur accordant ſans intérêr ,
par le feul amour du bien commun , &
par haine de la tyrannie & de l'ufurpation
, nous voilà à la tête de tous contre
un ſeul. Quand nous aurons réduit ces
ambitieux (ce qui ne ſera pas difficile à
toute la Grèce réunie ſous nos drapeaux )
ſans enfreindre la loi , & fans nous rien
approprier des dépouilles des vaincus ,
nous avons de ſûrs moyens de les châtier
en les affoibliſſant. Nous leur ôterons
quelques unes de leur places , dont nous
diſpoſerons en faveur de leurs voiſins les
44 MERCURE DE FRANCE.
plus foibles. Par - là nous diviſons leur
puiſſance , & nous fondons une paix ſtable
fur leur foibleſſe , ſur la crainte qui
reſte de leur ambition , & fur l'eſtime
publique due à notre généroſité.
Ainſi nous ne craindrions plus qu'un
ennemi étranger , affez puiſſant pour attaquer
la Gréce réunie, Mais vous connoifſez
ſes forces ; & l'expérience a fait voir
que tout crainte pour elle eſt chimérique ,
au moins juſqu'à ce que l'Univers voie s'élever
une puiſſance plus formidable que
celle des Rois de Perfe .
Mais dès lors que Sparte renonce à ce
ſyſtême de modération , elle devient ſujette
aux haſards des guerres ; elle perd
ſes alliés , ou du moins les partage ; elle
peut également conquérir & être conquife.
Approuvez - vous maintenant , ô Périclès
, la ſimplicité de ma politique ?
PÉRICLÈS .
Admirable Lycurgue , jouiſſez de mon
étonnement. J'ai paflé , & peut être avec
quelque fondement , pour le plus habile
homme d'état de mon fiécle ; & ce ſiécle
ſera à jamais l'exemple de la poſtérité. Cependant
j'avoue votre ſupériorité.J'aimois
JUILLET. 1772 . 45
la vertu ; mais je ne connoiſſois pas tout
fon pouvoir. Je comprends enfin que la
juſtice & la modération font le plus ferme
appui des Etats ; & que la vraie politique
n'eſt autre choſe que la vertu même , appliquée
avec ſageſſe au bonheur des peuples.
Par M. L. C. Leclerc, à Nangis.
LA VENGEANCE DE MÉDÉE,
Cantate à mettre en muſique..
Au fondd'un antre ſombre , aſyle de l'horreur
Médée entière à ſes tranſports livrée ,
Raflembloit dans ſon coeur,
L'amour , la haine & la fureur,
Cette mère dénaturée ,
Atteſtant de ſon crime & l'enfer & le ſort ,
Leve ſur ſes deux fils le glaive de la mort.
La jalouſe rage ,
Un poignard au ſein
D'un regard ſerein
Contemplant l'orage ,
Au crime encourage
Sa trop lente main.
L'Affreuſe Mégère
Des bords ténébreux
46 MFRCURE DE FRANCE.
Vole avec ſes feux :
Sa main ſanguinaire ,
En tremblant , éclaire
Ce ſpectacle affreux.
Amante , épouſe , mère , & rivale barbare !
Quel (acrifice impie en ce jour le prépare ?
Ton bras , Médée ... O Ciel ! c'en eſt donc fait !
C'en est fait... mais qui peut ſuſpendre la tempête
?
Un inſtant la pitié t'arrête ,
Etdeta rage au moins veut retarder l'effet :
« Objets touchants ! .. mais quoi ? pour ſervir
ma rivale
>> Vous jouiriez du jour ? non , non .
>>P>ériflez , enfans de Jaſon :
>>Qu'à tout ſon ſang ma haine aujourd'hui ſoit
fatale.
>> La nature pour vous oſe en vain me parler ;
>>T>ous vos traits deJaſon me rappellent les cri
30
>>mes.
L'amour jaloux doit immoler
>>Juſqu'aux plus chères victimes.
Elle dit ; & foudain détourne ſon regard :
Sa maindéſeſpérée a levé le poignard
Que dirigera Tifiphone :
Le fer brille ; le jour pâlit ;
Médée elle-même friflone ,
Et le crime s'accomplir.
:
JUILLET. 1772. 47
Amour , dieujaloux , dieu terrible !
Ah! ſi c'eſt à ce prix qu'un coeur devient ſenſible ,
Cruel amour , vole , & fui pour jamais :
Va porter loin de nous tes funeſtes attraits .
ParM. Poinfinet de Sivry , auteur des
Muſes Grecques , de la traduction de
Pline le Naturaliſte , &c. &c.
EPITRE à une jeune Dame , fur ce
qu'elle va paffer le printems àſa campagne.
JE l'ai promis , je veux le célébrer
Ce beau vallon , ce ſéjour ſolitaire ,
Où l'amour va te préparer ,
Des guirlandes de fleurs , un trône de fougère.
Le printems vient pour le parer ;
Sur le tendre arbriſleau , je vois un verd feuillage
Se déployer , s'étendre & l'embellir ;
Au dieu des fleurs , ici tout rend hommage ,
Et la roſe qui s'ouvre invite à la cueillir.
Tu quittes ſans regret le faſte de la ville ,
Et ce flot ſémillant de vains adorateurs ;
En ſera - t'on ſurpris ! dans le plus ſimple aſyle;
Eglé fixeroit tous les coeurs,
Si je jette les yeux fur ce qui t'environne ,
48 MERCURE DE FRANCE.
:
Quel doux ſpectacle arrête mes regards !
Sur ces monts éloignés qu'une forêt couronne
Le plaifir & l'amour regnent de toutes parts .
Plus près de toi , ce dôme de feuillage
Semble fait pour l'amant heureux ,
Il ſçait cacher un léger badinage ,
Et le ſecret des tendres feux .
Je t'entendrai défiant Philomèle ,
Sous ces arbres fleuris , faire éclater ta voix !
Elle cefle ſes chants ! ... Sa rivale nouvelle
Vient- elle lui ravir l'empire de ces bois !
Jalouſe d'imiter ta grace enchantereſſe ,
Elie va s'eſſayer ſur des accords nouveaux ;
Et ſon gofier brillant , ſecondant ſon adreſſe ,
Fait amoureuſement retentir les échos .
Parcourons ces boſquets , où la fraîche roſée ,
De la terre fertiliſée ,
Fait exhaler mille odeurs dans les airs !
En déployant ſon active puiſſance ,
La ſéve ſe répand par cent caneaux divers ,
Meut , renouvelle & pare l'Univers :
La nature long-tems dans un morne filence
Sembloit attendre ta préſence ,
Belle Eglé , pour briſer le charme de ſes fers .
Les vents glacés & la trifte froidure
Ne viendront plus ravager ces beaux lieux ;
Et le zéphir agitant la verdure ,
Imprime ſur les fleurs les baiſers amoureux .
Du
Pag.48 .
Ariette.
Juillet,
1772 .
J'ambrassais l'autrenuitGli
:ce:re, Mais he-las!c'etait en dormant!
Son regard n'etait point se:vere
Et je de: vins heureux amant
Je possedais l'objet que j'aime, Sesfeux e
galaientmes transportsAh! mon bonheur se :
:rait extre. me,Sije veillaiscom:
meje dors! Sije veillois comeje dors.!
ParolesdeM.ID B.musique deMxxMousque aire noir
W
1
JUILLET. 1772 . 49
Du ſein d'un lit voluptueux
Le ſoleil entr'ouvrant ta paupière incertaine ,
Promène-t'il au loin tes regards dans la plaine !
Eh ! bien , qu'y trouves-tu ! .. des plaiſirs & des
jeux.
Tu vois ſur ce foible branchage ,
L'oiſeau ſe balancer , puis devenir heureux ,
De fon agilebec il liſſe ſon plumage
Pour plaire davantage à l'objet de ſes feux ;
Ah ! le ſommeil alors doit fuir loin de tes yeux !
Mon coeur vole après toi dans ce ſéjour tranquile.
Je vois croître déjà ces flexibles rameaux ,
Qui vont s'élever en berceaux
Pour nous couvrir de leur ombrage utile :
Simples plaiſirs ! ocalme du bonheur !
Vous êtes au-deſſus des fêtes les plus belles ;
D'un ſentiment nouveau j'éprouve la douceur ,
Et la tendre amitié me couvrant de ſes aîles
Epanche , près d'Eglé , les tréſors dans mon coeur
Par M. Lemaire.
:
I. Vol. C
50
MERCURE DE FRANCE.
L'EXPLICATION du mot de la première
énigme du volume du mois de Juin
1772 , eft Echec & mát * ; celui de la
ſeconde eſt Barbier ; celui de la troiſième
eſt OEuf. Le mot du premier logogryphe
eſt Troye , où ſe trouvent Roye , ( ville de
Champagne ) oie , Roi ; celui du ſecond
eſt Epouventail , où se trouvent pou ,
vent , ail , éventail; celui du troiſième
eft Papier , où l'on trouve Pape , Papire
(nom propre ) Priape,
ÉNIGME,
J'OCCUPE dans le Ciel une place honorable ,
Et je ſuis l'attribut d'une divinité,
Mais , hélas ! dans les mains de l'homme impie
toyable ,
En confervant mon nom , je perds ma dignité.
Dans les plus vils détails il me force à defcendre;
Il m'enchaîne au moulin , m'expoſe ſur les ports ;
Et mes flexibles bras , dès qu'il veut les étendre ,
* On appelle , comme on fait , Echec & mât
aveugle , celui qu'on fait ſans le ſavoir ou fans en
avertir. 4
JUILLET. 51 1772 .
Reçoivent les fardeaux dont il charge mon corps.
Sans égard pour ma taille , il m'exerce (ans ceſſe ;
Il me vuide , il m'emplit , il me hauſſe , il me
baifle.
-Souvent même , inſtrument de fon avidité ,
J'aide à tromper des gens dont ma préſence
Enhardit la crédulité ;
Car j'inſpire la confiance ;
Etje ſuis , en effet , dans înainte circonſtance ,
D'une ſuprême utilité.
Quand on le veut, j'établis ſans replique
De deux individus l'égalité phyſique ;
Rien ne démontre mieux que moi
Qu'à de certains égards un berger vaut un Roi.
Par M. Gelhay.
AUTRE.
AUTREFOISdeBellone ornant la tête altière ,
J'animois deux rivaux luttans dans la carrière ;
Et le dieu dont la lyre enchante les échos ,
S'arrogeant à ſon tour l'honneur de mes rameaux,
En couronnoit le front de ſa docte cohorte .
Maintenant , ô du ſort retour injurieux !
Banni des immortels , ils m'ont conduit ces dieux ,
Comus à la cuiſine & Bacchus à la porte.
ParM. Gafchignard , à Machecoul.
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
IL faut pour mon tempérament ,
Par forme de bain ſeulement ,
Une cau douce , vive & courante.
J'agis avec cet élément ,
Je me promene librement
Lorſqu'il le prête à ma mafle peſante.
Sans lui j'ai la marche traînante :
Et je languis nonchalamment
Quandje n'ai plus ſon aide bienfaiſante.
Mon eſtomac est bon; entaffez y le vin ,
Force alimens , grand néceſſaire
Tout ce qu'on veut , le diable enfin ,
Je digére tout dans mon fein ;
er
,
Etpourmon appetit ce n'eſt pas une affaire.
Mais ſi par un fâcheux deftin ,
Je bois de cette eau ſalutaire
Dontje n'aime qu'à me baigner ,
Je tombe lors en grand danger ;
L'hydropiſie eſt pour moi meurtrière ,
Vite& vîte on doit me purger
Pour éloigner ma perte entière.
Souvent par grace fingulière
J'emprunte les armes du Roi.
Uac ville eſtmon apanage ;
t
1
JUILLET. 1772. 53
Jy vais toujours en pompe, avec grand équipage,
Avec mes gens , mes chevauxx , mon convoi.
Mes amis ſont ſur mon paſſage ;
On m'attend , on me fête , on court autour de
moi ,
Tantje ſuis d'un heureux préſage.
AUTRE.
CEST bien fait , petit inconſtant ;
Tout fier de vos métamorphoſes ,
Vous étiez trop entreprenant.
Mille beautés à peine écloſes
Avoient partagé vos regards ,
Heureux , chéri de toutes parts ,
Nouveau coup - d'oeil , nouvelhommage ,
Vous en aimiez vingt à la fois ;
Et votre coeurjeune & volage ,
Penchoit pour les amours grivois.
Comment donc ? toutes ces maîtreſſes
N'ont point pour vous allez d'appas ;
Et pour épuiſer vos careſles
Tant d'objets ne ſuffiſent pas ?
Vous volez plus haut; une belle
D'une forme toute nouvelle
Vient de s'attirer votre encens ;
Elle est blanche , vive , brillante ;
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
Queſes attraits ſont ſéduifans !
Déjà cette beauté charmante
Vient de confondre tous vos ſens
De l'ardeur de ſes étincelles ;
Mais dans ce déſordre ſi beau ,
Répondez , Icare nouveau ,
Qu'avez - vous donc fait de vos aîles ?
Par M. Pasqueau fils , à Auxerre.
LOGOGRYPH Ε.
C'est moi qui terminai la vie
D'un conquérant , d'un Roi du Nord,
Célèbre par mainte folie ;
L'Furope , un Empereur m'ont pardonné lamort:
Voulez- vous partager mon être ?
Complice inhumain du ſalpêtre :
Je deviens cet oiſeau qu'alarme le heron;
Ou , fi vous l'aimez mieux , l'élément d'un Triton;
ParM. de Bouffanelle , brigadier
des armées du Rei.
JUILLET. 1772.
AUTRE.
JE me crois vieux , & je vivrai long-tems .
L'argent roule chez moi , ma table eſt bien ſervic
L'apetit y conduit convives opulens ,
Grace ſouvent à leur étourderie.
Certains jours de gala je me donne l'eſſor ;
Mon ſervice complet eſt en vaiſſelle d'or.
Tant d'éclat quelquefois rend un convive morne :
Quant à fon apetit il n'y met point de borne ;
Mais reveillé ſoudain par un morceau friand,
De ma façon triple aſſaiſonnement ;
D'un ton badin , d'une riante face ,
Du plus gourmand il provoque l'audace ,
Et lui dérobe tout,& même en le narguant.
As- tu , lecteur , la fantaiſie
D'entrevoir ma phyſionomie ?
Tranche mon chef ſur ſes cinq pieds montés,
D'une vilaine odeur tu ſeras infecté .
Par M. le Général.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Fables ou Allégories philofophiques par
M. DORAT ; volume grand in 8°. A
Paris , chez Lejay , libraire , rue Saint-
Jacques ; 1772 .
L'ÉDITION de ces fables eſt remarquable
par la beauté du papier , par la netteté de
l'impreſſion & par l'élégance des ornemens
& des gravures qui l'enrichiffent.
Il faut lire les réflexions préliminaires.
dans lesquelles l'auteur caractériſe les
différens fabuliſtes anciens & modernes ,
&fait connoître l'origine & le but de la
fable.
<<Eſope étoit eſclave & il a fait des
>> fables . Phédre étoit eſclave & il fut l'i-
>> mitateur d'Eſope. Pilpai n'en étoit pas
>> moins dans la fervitude , quoiqu'il gouvernât
ſous un Empereur une partie de
>> l'Indoſtan ; & Pilpai a renfermé dans
>> des apologues ingénieux les principes
>> les plus ſains de la morale & de la po-
» litique.
>> On voit par ce rapport fingulier enJUILLET.
1772. 57
>> tre nos premiers fabuliſtes que la fable
>> eſt née d'une eſpèce de combat entre la
→ liberté de penſer & la crainte de déplai-
>> re . Grace à ſes utiles emblêmes le génie
» élude la fougue de l'autorité , combat
>> les paſſions des Grands , ſans s'expoſer
>> à leur injustice; cache ſous la fiction
» qui amuſe , la leçon qui effarouche, &
>> reprend un empire en paroiſſant l'a-
>>bandonner. L'apologue conſidéré fous
>> cet aſpect ett un voile dont la vérité ſe
>> ſert pour apprivoiſer l'armour - propre
» & aborder la tyrannie. »
Ajoutons qu'il eſt de l'eſſence de l'apologue
de renfermer un fens moral ; on
doit faifir fans peine le rapport qui eſt
entre l'action de la fable , & l'inſtruction
dont elle est l'emblême. Le poëte manque
ſon but lorſque l'alluſion n'est pas
facile ; & l'apologue n'eſt plus qu'un con.
te infipide lorſqu'il n'en réſulte pas une
leçon utile. Combien de fabies modernes
qui font de véritables énigmes dont
il n'eſt pas toujours aiſé de deviner le
mot . C'eſt un défaut que nous ne reprocherons
point à M. Dorat .
On retrouve dans ce nouveau genrè
que ſa muſe légère & féconde vient de
traiter, les graces & la facilité qui carac-
C
58 MERCURE DE FRANCE.
tériſent fa poësie . On en jugera par les
fables fuivantes .
LES DEUX FAUCONS.
Deux Chafleurs cotoyoient les bords d'un maré
cage ,
Suivis de leurs Faucons , corſaires des étangs
: Et qui ſembloient impatiens
De reſter oififs au rivage. :
L'un des deux lâche ſon oiſeau
Sur un Canard , qui , ſauvé par la ruſe ,
Se plonge , glifle au fond de l'eau ,
Et croit avoir vaincu l'ennemi qu'il abuſe :
Mais , celui- ci , fidèle à marquer ſes détours ,
Raſe l'onde , le preſle & le pourſuit toujours.
Craignant qu'un ſeul Faucon ne puiſſe avoir la
bête ,
L'autre chaſſeur laiſſe partir le ſien ;
Et moi , fi je m'y connois bien ,
J'augure mal de la conquête .
Le premier , qui ſe croit auffi fin qu'Annibal ,
Indigné qu'un ſecond lui diſpute ſa proie ,
Agite , avec fureur , ſes aîles qu'il déploie ,
Laifle fuir le gibier & fond ſur le rival.
Tel ſert ſon Prince & fa patrie ,
Tant qu'à lui feul tout l'honneur appartient ;
Mais dès qu'un autre chef ſurvient ,
On ſonge à le détruire , &le reſte , on l'oublic,
JUILLET. 1772 . 59
L'HOMME & LE SINGE.
UnHomme avoit un ſinge , & cet homme entre
nous
Etoit un vrai calot , calor pour la figure ;
En outrant ſa laideur , l'effort de la peinture
:
Reſteroit encore au- deſlous .
De plus , il ornoit ſon viſage
Degrimaces à ſon uſage ,
Et dont il étoit l'inventeur.
:
De tous les vilains tics peignez- vous l'aſſemblage:
*Le Singe avoit tout pris ; il étoit bon acteur.
Il ſe plaçoit , en face de ſon maître ,
Puis le copioit trait pour trait ;
Et notre grimacier , loin de s'y reconnoître,
Rioit de tout ſon coeur , en voyant ſon portrait.
L'amour propre eſt incorrigible :
L'homme eſt aveugle , ou l'homme eſt ébloui ;
Le ſot de ma fable eſt riſible ;
Mais , tel s'en moquera , qui l'eſt bien plus que
lui.
L'ECHO.
Bois , qui fut le témoin de mes premiers defirs ,
Quand tu m'offris Emire à l'ombre de ce hêtre ,
Vois couler tout mon fang fur cette urne champêtre
Qui contient mon tréſor , ma vie & mes plaiſirs.
C'eſt ainſi qu'un amant regrettoit ſon amante ,
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
L'air égaré , l'oeil ſombre , un poignardàla mains
Et l'écho rediſoit , du creux d'un roc voiſin ,
Les derniers mots de ſa plainte éloquente.
Errant près de ce bois , un berger amoureux
Les entend & s'écrie : Inſenſible maîtreſſe !
Tout parle de plaiſir , d'amour & de tendrefle;
L'écho répète ici les ſoupirs d'un heureux .
Tout-à- coup des ſanglots troublent ſa rêverie :
Il accourt , quel ſpectacle ! il voit , près d'un tombeau
,
Etbaigné dans ſon ſang le pafteur le plus beau...
Le paſteur qui venoit d'exciter ſon envie.
Chaque mortel a ſes douleurs;
Ne jugeons point d'après notre délire :
C'eſt dans les ames qu'il faut lire ,
Et tous les échos ſont trompeurs.
On trouve chez Lejay , libraire , tous les ouwrages
de M. Dorat , &des exemplaires de ces fables&
de l'épître intitulée ma Philofophie , en papier
d'Hollande , pour ſervir de ſuite à la grande
édition des Baisers.
Dictionnaire pour l'intelligence des auteurs
claſſiques , Grecs & Latins , tantfacrés
que profanes , contenant la géographie,
P'hiſtoire , la fable&les antiquités; dédié
à Mgr le Duc de Choiſeul , parM.
Sabbathier , profeſſeur au collège de
Châlons-fur-Marne , & fecrétaire per
JUILLET. 1772 . 61
pétuel de l'académie de la même ville;
tome onzième , in- 8 ° . A Paris , chez
Delalain , libraire , rue de la Comédie
Françoiſe .
Ce dictionnaire que l'on peut regarder
comme une eſpèce de bibliothèque auffi
agréable qu'inſtructive, ſe continue avecle
plus grand zèle de la part de l'auteur. La
lettre Cn'eſt point encore terminée dans
ce onzième volume dont le dernier article
eſt Comius , Roi des Atrabates dans
la Grande Bretagne. Cette lettre , ainſi
que la lettre A , eſt une des plus abondantes
dans tous nos dictionnaires. L'auteur
s'eſt étendu ſur les premiers articles de cet
ouvrage parce que ces articles ſont intéreſſans&
parce qu'il doit y renvoyer ſouvent
dans le cours de ſon dictionnaire ,
ce qui abrégera les lettres qui ſuivront &
rendra ce dictionnaire beaucoup moins
volumineux que les premières lettres
ſemblent l'annoncer. Ce onzième volume
eſt précédé d'un averriflement où l'auteur
nous prévient qu'il mettraà la tête du Xe
volume la liſte des ſouſcripteurs. Il prie
ceux qui veulent ſe procurer cet ouvrage
claſſique de s'adreſſer directement au libraire
de Paris . Ils éviteront par ce moyen
d'être la dupe de ces pirates de la librairie
qui , pour jouir plus promptement de
62 MERCURE DE FRANCE.
leur larcin , contrefont les éditions de
Paris à la hate , les rempliſſent de fautes
&les défigurent.
Refutation d'un Mémoire prétendu hiftorique
& critique fur la Topographie de
Paris , dans lequel le bibliothécaire &
hiſtoriogaphe de la ville a attaqué l'hiftoire
de l'emplacement de l'ancien hôtel
de Soiffons , compoſée par M. Terraſſon
, & fa diſſertation ſur l'enceinte
de Paris faite par les ordres du Roi
Philippe- Auguſte , pour ſervir de ſuite
aux mélanges d'hiſtoire , de littérature
, & c. de M. Terraſſon . A Paris , de
l'imprimerie de Michel Lambert , rue
de la Harpe , près St Côme ; vol . in 4°.
de 112 pages.
Le mémoire hiſtorique &critique ſur la
topographie de Paris , publié depuis quelquesmois
par M. Bouquet, hiſtoriographe
&bibliothécaire de la ville de Paris,a donné
lieu à quelques objections & à quelques
obſervations critiques que ceux qui
s'occupent de ces matières d'érudition
verront avec plaiſir dans cette refutation
faite par un jurifconfulte éclairé& qui n'a
pas négligé de s'inſtruire de tout ce qui
pouvoit être relatif à cette diſcuſſion .
Nous avons rapporté dans notre volume
JUILLET. 1772. 63
du Mercure du mois de Mai dernier les
propofitions foutenues par l'hiſtoriographe
de la ville. Son adverſaire établit les
propoſitions ſuivantes à titre de refutation.
Il démontre dans ſa première propoſition
que bien loin que les anciens
évêques de Paris ayent ufurpé la justice &
droits en dépendans , fur le territoire de
St Germain - l'Auxerrois ; au contraire la
haute , moyenne & baſſe juſtice , dans l'étendue
de ce même territoire , ont toujours
appartenu juſqu'à la fin de l'année
1674 à l'évêché de Paris , qui y a même
toujours eu le fiége de ſa haute , moyenne
& balle justice , aufli - bien que le lieu
de l'exécution des jugemens qui s'y rendoient.
M. Terraſſon répond dans la ſeconde
propoſition à diverſes objections que l'auteur
du Mémoire fur la Topographie de
Paris lui a faites au ſujet d'une prétendue
cenſive de St Germain l'Auxerrois , dont
ilne rapporte pas le moindre veſtige , ſoit
du côté du droit , ſoit du côté de la poffeſſion
.
M. T. fait voir dans ſa troiſième pro--
poſition que la cenſive des évêques de Paris
fur l'emplacement de l'ancien hôtel de
Soiffons , s'eſt formée dans la terre même
64 MERCURE DE FRANCE.
de l'évêque de Paris , in terra Epiſcopi
Parifienfis. Que l'hôtel de Soiſſons ( cidevant
hôtel de Neſle & de Bohême ) n'a
jamais été acquis par nos Rois , pour eux ;
que cet hôtel n'a jamais été royal , ni domanial
, ni fief - lige incorporé ; que les
évêques & archevêques de Paris jouiſſent
de cette cenfive ſur leur propre terrein depuis
plus de 550 ans ; que nos Rois ont
pluſieurs fois reconnu la même cenſive
& que quelques - uns d'entre eux en ont
même payé les droits .
Enfin l'auteur de la refutation établit
dans ſa quatrième & dernière propoſition
que l'enceinte de Paris faite par les ordres
du Roi Philippe - Auguſte , ne conſiſta
qu'en un ſimple mur de clôture accompagné
de tourelles & de portes , ainſi que
tous les auteurs contemporains & autres
qui ont ſuivi , le diſent formellement ;
& que d'ailleurs les remparts , chemins
de rondes , baſtions & autres ouvrages de
fortifications que les officiers du domaine
ſuppoſent en avoir fait partie , font des
ouvrages de ce quon nomme la fortification
moderne , qui ont été totalement inconnus
du tems de Philippe -Auguſte , &
n'ont eu lieu dans le royaume que poſté.
rieurement au tems où l'on a commencé
à y faire uſage de la poudre à canon .
JUILLET. 1772. 65
M. Terraſſon expoſe dans cette même
refutation les vrais principes de l'union au
domaine du Roi , diſcute pluſieurs points
hiſtoriques & topographiques foutenus
par l'hiſtoriographe de la ville , releve
pluſieurs mépriſes affez ſingulières que
cet hiſtoriographe s'eſt permiſes , & affaifonne
cette diſcuſſion d'une critique éclairée
& qui aura les ſuffrages des lecteurs
érudits.
Dictionnaire minéralogique & hydrologique
de la France , contenant 1º. la defcription
des mines , foſſiles , fluors ,
cryſtaux , terres , ſables & cailloux qui
s'y trouvent ; l'art d'exploiter les mines
, la fonte& la purification des métaux
, leurs différentes préparations
chymiques , &les divers uſages pour
leſquels on peut les employer dans la
médecine , f'art vétérinaire , & les arts
& métiers . 2° . L'hiſtoire naturelle de
toutes les fontaines minéralesdu royaume
, leur analyſe chymique ; une notice
des maladies pour leſquelles elles
peuvent convenir avec quelques obfervations
pratiques ; on y a joint un Gneumon
Gallicus Pour ſervir de ſuite au
dictionnaire des plantes , arbres & ar"
MERCURE DE FRANCE .
buſtes de la France , & au dictionnaire
vétérinaire & des animaux domeſtiques
, & completter l'hiſtoire des productions
naturelles & économiques du
royaume ; dédié à Monſeigneur le
Comted'Artois , 4 vol. in 8°. de près de
ſept cens pages chacun. A Paris , chez
J. P. Coſtard , libraire , rue St Jean de
Beauvais .
Les mines , fofiles , Auots , cryſtalliſations&
les fontaines minérales ont tou.
jours été regardées comme une des parties
les plus importantes de l'hiſtoire naturelle
&économique de la France, & celle
qui demande le plus de ſoins , de dépenſes&
de recherches pour être traitée d'une
manière fatisfaiſante. Aucun naturaliſte
ne peut donc ſe flatter de fournir lui ſeul
à ce travail immenfe. Auſſi l'auteur du
dictionnaire que nous annonçons , M. Buch'oz
, médecin botaniſte Lorrain , a , dans
la vuede rendre ſon ouvrage auffi utile &
auſſi complet qu'il peut l'être , ajouté aux
différentes inſtructions que ſa conſtance
& fon zèle pour l'hiſtoire naturelle lui
ont procuré ſur les lieux , les découvertes
&les obfervations des naturaliſtes modernes
dont pluſieurs ont bien voulu lui
communiquer leurs manufcrits & lui faire
JUILLET. 1772. 67
partde leurs expériences. Il ne paroît encore
qu'une première partie de cet important
ouvrage; c'eſt celle qui concerne les
fontaines minérales. L'auteur , après nous
avoir tracé le local de ces ſources ou fon
taines , donne l'analyſe qui en a été faite
par les chymiſtes . Il indique les maladies
auxquelles chacune de ces eaux peut convenir
& dans lesquelles elle eſt contreindiquée
. On ſera également ſatisfait de
trouver à chaque article de ces fources
minérales la methode qu'il faut ſuivre
pour en faire uſage & les obſervations
pratiques & médicinales qui conſtatent
leurs bons effets .
Cette première partie du dictionnaire,
fait defirer la ſeconde qui traitera des mines
, foffiles , Auors , cryſtaux , crystalliſations
, terres , fables , cailloux , qui ſe
trouvent dans la France. Celle- ci auroit
dû paroître d'abord & être placée la première
, ſi l'empreſſement que les Naturaliſtes
ont témoigné de voir raſſemblé pour
la première fois tout ce qui concerne les
eaux minérales du royaume n'eût engagé
l'auteur à intervertir en quelque forte l'ordre
le plus ſimple &le plus naturel .
La condition de l'acquiſition actuelle
de cet ouvrage utile eſt ſimplement de
68 MERCURE DE FRANCE.
payer 9 livres en retirant le premier volume
en feuilles , au moyen de quoi l'on
recevra le troiſième gratis , & l'on ne
paiera que 9 livres , en retirant le ſecond
avec le quatrième ; de façon que l'ouvra .
ge complet ne coûtera que 18 livres aux
perſonnes qui s'empreſſeront de l'acquérir
, au lieu de 24 livres qu'il ſera vendu
àcelles qui ne ſe ſeront point conformées
à la condition ci-deſſus avant la diſtribution
du troiſième volume .
On distribue du même auteur & chez
lemême libraire une Hiſtoire naturelle des
Végétaux , conſidérée relativement aux
différens uſages qu'on en peut tirer pour
la médecine , & l'économie domeſtique ;
ouvrage utile à tous les ſeigneurs de la
campagne , curés , pères de famille &
cultivateurs ; 10 vol. in 12. reliés en 7 en
carton ; prix , 27 liv. Cet ouvrage , enrichi
de deux cens planches en taille- douce
qui repréſentent les plantes deſſinées d'après
nature , eſt une ſeconde édition du
traité hiſtorique des plantes de la Lorraine
qui a reçu un accueil favorable du Public.
L'auteur , dans cette nouvelle édition
, a indiqué les différens endroits, fort
de la France , foit des pays étrangers où
croiſſent les plantes que l'on trouve en
JUILLET . 69 1772 .
Lorraine. Il a par ce moyen généraliſé fon
traité & l'a rendu d'un uſage plus univerſel
pour tous les cultivateurs , les économes&
ceux qui s'appliquent à l'étude des
végétaux .
,
Le Laboureur devenu Gentilhomme , anecdote
de Henri IV , comédie en un
acte , en proſe , mêlée d'ariettes , avec
quelques notes hiſtoriques.
• Songez qu'une naiſſance illuftre
Des ſentimensdu coeur reçoit ſon plus beau luſtre.
Destouches , glorieux , acte I , fç. IX.
parM. Boutellier.La muſiquede M.Bor
net l'aîné, de l'académie royalede muſi.
que. A Paris , chez Merigot le jeune ,
libraire , quai des Auguſtins , près la
rue Pavée , in. 8 ° .
L'anecdote rapportée dans le Mercure
du mois de Juillet 1766 , a fourni le ſujet
de ce petit drame. L'auteur a confervé
autant qu'il lui a été poſſible les propres
paroles des principaux acteurs de la ſcène
dont l'anecdote fait unention. Il n'a pas
non plus négligé de faire uſage des paroles
citées par les hiſtoriens de Henri IV &
attribuées à ce Prince avec d'autant plus
70
MERCURE DE FRANCE .
de vraiſemblance qu'elles font les expref.
fions franches & naïves de l'ame héroïque
& du coeur vraiment paternel de ce monarque.
L'auteur s'eſt également contenté
de mettre en ſcène les faits tels qu'ils lui
ont été préſentés. Il a penſé qu'il ſuffiſoit
de nous entretenir de Henri IV pour nous
intéreſſer. Mais au lieu d'un artifan renforcé
dont il eſt parlé dans l'anecdote , la
pièce nous offre un laboureur. Ce labou
reur a un fils nommé Charles qui eſt l'amant
de Laurence fille de Maurice gentil.
homme & officier dans l'armée du Roi.
Mde Maurice , qui eſt du même avis que
fon mari , ne veut accorder ſa fille qu'à
un gentilhomme , ce qui forme le noud
de cette pièce , noeud qui ſe trouve heureuſement
dénoué par les lettres de nobleſſe
que Henri , flatté de récompenfer
une famille honnête & zélée pour fon
ſervice veut bien accorder au père de l'amante
de la fille de ſon officier. L'exemple
d'un laboureur anobli par la grace
da Prince ne peut que rendre plus eſtimable
aux yeux du cultivateur une profeſſion
qu'il a ſouvent la ſimplicité de regarder
avec dedain, parce qu'il écoute les
propos légers & inconféquens du citadin ;
mais comme le dit Robert; 1
:
JUILLET. 1772. 71
Un laboureur qui cultive la terre ,
Sert auffi -bien & fon Prince & l'Etat ,
Que le ſoldat
Qui combat ,
Et meurt à la guerre.
Un général jadis à Rome ,
( J'ignore comment il ſe nomme , )
Brave guerrier , grand homme ,
Pour défendre ſon pays
de ſes ennemis ,
Quitte ſon champ & ſa charrue ;
Rome conſternée , abattue ,
Bientôt par la valeur
Triomphe & reprend ſa ſplendeur.
Un laboureur , &c .
Il eſt dit dans l'anecdote citée plus haut
que ce Robert étoit un plaiſant , undiſeur
de gaufferies ; l'auteur du drame n'a point
aflez foutenu ce caractère qui auroit pu
jetter plus de gaîté dans la pièce. Il eſt
vrai que la jeuneſſe de Laurence , amante
de Robert , & qui étoit préſente à l'entretien
, lui interdiſoit de faire reciter à
Robert les hiſtoiresſcandaleuſes dont parle
l'anecdote ; mais l'auteur auroit pu fuppléer
à ces hiſtoires par quelques traits
critiques ſur les moeurs du tems & par des
reparties naïves , enjouées & priſes dans
72 MERCURE DE FRANCE.
le caractère même du perſonnage. La
ſcène du ſouper qui pouvoit être ſi piquante
eſt ſeulement remplie par cette
ariette que chante Laurence , & qui avec
celle que nous avons rapportée plus haur
pourra faire juger des autres ariettes répanduesdans
ce petit drame.
Qu'il eſt difficile , en aimant
De paroître indifférent
Près de l'objet qu'on aime !
Lorſqu'on voudroit , à tout moment ,
Ne s'occuper que de lui- même.
Envain on ſe promet
Pour mieux cacher ſon zèle ,
D'être tendre & muer :
Un regard infidèle ,
Un geſte peu difcret
Trahiſſent le ſecret ;
Etl'amour ſe décéle.
Qu'il est difficile , &c .
L'art d'aimer ; la fille de quinze ans , conte
; la chanson de Tirfis à Lesbie , & c .
morceaux traduits de l'italien , ſuivis
de quelques poëſies françoiſes imitées
de l'allemand, du grec& du latin. Ef.
:
fai
JUILLET. 1772 . 73
ſai de traduction auquel on ajoint une
lettre critique ſur les ballets de l'opéra.
D'un travail ſérieux veux-je me délaſſer ,
Les muſes auſſi- tôt viennent me careſſer ?
Le Philofophe marić.
brochure in- 8 ° . A Londres ; & fe trouve
à Paris , chez J. F. Baſtien , libraire ,
rue du Petit- Lyon , fauxbourg St Germain.
L'épigraphe placée à la tête de ce recueil
de traductions & de littérature , annonce
aſlez que l'auteur a eu principalement
pour objet de ſe délaſſer avec les
muſes , des occupations ſérieuſes de ſon
état. Mais ces fortes de délaſſemens ordinairement
bien accueillis par l'indulgente
amitié , ne le ſont pas toujours de
même par le Public, éclairé ſur-tout quand
il s'apperçoit que l'auteur s'eſt plus occupé
de piquer par de petites notes critiques
la malignité d'un certain nombre de lec .
teurs,que de flatter le goût ou de faire fourire
la raiſon . L'auteur , par exemple , en
nous rendant compre dans ſa préface de
Phiſtoriette de la Fille de quinze ans , extraite
d'un badinage intitulé en italien ,
I. Vol.
74 MERCURE DE FRANCE.
Cicalata academica ( bavardage académique
) ajoute que ces deux mots ſemblent
faits pour être placés à côté l'un de l'autre,
&qu'ils ne paroiſſent pas étonnés de ſe
trouver enſemble. Au reſte cette hiftoriette
a de quoi plaire. Elle nous préſente
un joli moment de ſimplicité naïve .
L'Art d'aimer où se trouvent pluſieurs
maximes de l'ars amandi d'Ovide eſt traduit
de l'italien , ainſi qu'un diſcours fur
cette queſtion : « Quels yeux font les plus
- beaux , des bleus ou des noirs ? » Cette
queſtion , digne de figurer dans un madrigal
, eſt traitée ici un peu trop ſérieuſement;
& au lieu d'y répondre , le galant
auteur de la diſſertation ſe contente de
trancher la queſtion par ces mots . « Sans
» m'arrêter à la couleur des yeux , foit
» qu'ils foient bleus , ſoit qu'ils foient
>> noirs , ceux qui tourneront vers moi les
>>regards les plus favorables auront par
>> moi la préférence .
Parmi les poëſies qui compoſent ce recueil
, il y en a quelques unes imitées de
l'allemand. Voici une épigramme tirée
d'un conte de Gellert , intitulé le Père
mourant ,
Al'aîné de deux fils ( jeune homme plein d'eſprit,)
Unmoribon léguoit tout fon bien en partage;
JUILLET. 1772 . 75
De quoi le notaire interdit ,
Diſputoit pour que l'autre eût part à l'héritage :
Mais le mourant lui dit : « Monfieur , point de
>>c>hagrin ,
>>>Ce que je fais , n'eſt pas choſe inhumaine ,
>> Du premier ſeul , hélas ! je ſuis en peine ,
>> Le ſecond eſt ſi ſot , qu'il fera ſonchemin. >>
L'auteur dit dans une note que l'événement
juſtifie tous les jours la fin de cette
épigramme ; réflexion qu'il pouvoit
laiſſer Faire au lecteur .
Le morceau le plus conſidérable de ces
mélanges eſt une lettre critique ſur notre
danſe théâtrale. Pluſieurs bons écrivains
de nos jours nous avoient déja fait voir
que nous n'avons point de danſe, que ce
que nous appellons de ce nom eſt un ſimple
exercice mécanique où l'on ſe contente
de ſuivre un chemin tracé. Ladanſe
, la véritable danſe , la danſe théâtrale
enfin eſt l'art de rendre les diverſes impreſſions
de l'ame par les mouvemens variés
du corps ; c'eſt une pantomime mefurée
qui , ainſi que la poësie & la peinture
, a ſon langage , ſes expreſſions & ſes
ſignes bien différens fans doute de ceux
que nous avons adoptés qui ne ſont bons
tout au plus qu'à imiter les mouvemens
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
d'une muſique qui le plusſouvent n'imite
rien elle- même ,
Bibliographie parisienne. A Paris , chez
Delnos , libraire , ingénieur géographe
du Roi de Danemarck , rue St Jacques
auGlobe,
De tous les ouvrages qui doivent le
jour à la preſſe ou au burin , & qui ſe vendent
à Paris , il ſemble qu'il ne peut pas
y en avoir de plus utile que celui qui, devenant
le dépôt de la littérature & des
arts dans cette capitale, indique les autres,
fait connoître le mérite de chacun ,
& enſeigne aux curieux & aux amateurs
les moyens de ſe procurer facilement &
à juſte prix ceux qu'ils peuvent defirer ,
Telle eſt la Bibliographie parisienne , dont
onpublie le quatrième volume , pour
l'année 1770 , Elleannonce les livres en
tous genres , qui ont paru à Paris dans
cette année , leur format, le nombre de
volumes , leur prix , & le nom des libraires
qui les débitent. On donne des pareilles
notices àl'égard de la géographie , de
la muſique, des eſtampes ou autres gravures;
& quand les Journaliſtes ont porté
des jugemens fur quelques - unes de ces
productions , on a ſoin de les y inférer.
JUILLET. 1772: 97
Enfin , pour ne laiſſer rien à deſirer , il y
a dans chaque volume, de même que pour
chacun de ſes objets , un paragraphe où
ſe trouve l'énoncé des édits , arrêts , décla
rations , &c . avec leurs dates.
Quelques ſouſcripteurs , impatiens de
puiſer ſans peine les connoiſſances que
renferme cet ouvrage , ont paru encore
ſouhaiter une table qui ſe diſtribuera toujours
gratis aux ſouſcripteurs ſeulement ;
mais elle fera vendue , ſéparement des
volumes , à ceux qui , par goût ou par prévention
, croiront pouvoir ſe contenter
d'une ſimple nomenclature. On ne doit
pas s'attendre néanmoins d'y avoir les titres
en entier. Comme il ſont dans la bibliographie,
on n'en donne qu'autant qu'il
en faut pour qu'on puiſſe les y chercher
&les diftinguer entre eux. Mais comme
on ſe propoſe de donner la bibliographie
parisienne à plus bas prix , tant les premiers
volumes de 1770 que ceux qui fui.
vront , le libraire prévient les ſouſcripteurs
qui n'ont point encore retiré leurs
exemplaires , de le faire au plutôt , s'ils
veulent profiter de la diminution , parce
qu'autrement ils ſe trouveroient privés
de cet avantage. Ils font auſſi priés d'apporter
leur quittance , pour être échangée
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
contre une promeſſe de leur fournir la
continuation au prix qui ſera fixée , ſans
qu'ils ſoient tenus déſormais de rien payer
d'avance , & fur une ſimple obligationde
leur part, d'acheter les volumes au fur &
àmeſure qu'ils paroîtront.
La connoiſſance de l'Astronomic rendue
aifée & mife à la portée de tout le
monde par M. l'Abbé Dicquemare ;
ſeconde édition très- augmentée par
l'auteur & enrichie de vingt - fix planches
en taille douce. A Paris , chez
Lottin le jeune , libraire , rue St Jacques.
Cet ouvrage , utile & inſtructif , écrit
avec méthode , préciſion & clarté , ne
peut être trop recommandé pour donner
aux gens du monde & à la jeuneſſe les
premiers élémens de l'aſtronomie ; mais il
faut prévenir le Public qu'il a été répandu
dans les provinces & même dans la capitale
, une impreſſion contrefaite de ce volume
, & mal adroitement calquée ſur la
première édition . Quoique celle- ci porte
également le mot Paris ſur le titre , cependant
il eſt facile de diſtinguer l'une
de l'autre ; car outre que la nouvelle qui
porte le nom de Lottin le jeune , offre auJUILLET.
1772. 79
devant du volume & avant l'introduction
une infcription dédicatoire au P. Pingré ,
& une lettre de l'auteur ; on ne peut s'y
méprendre , fur- tout au nombre des pages&
des figures qui différencient les deux
éditions. La bonne & dernière a 158 pages
de difcours , ſans compter l'introduction
& ce qui la précéde , pendant que
l'édition tronquée ne contient que 114
pages & 24 figures ſeulement .
Hiftoire des différens Peuples du Monde ,
contenant les cérémonies religieuſes
& civiles , l'origine des religions , les
moeurs & les uſages de chaque nation,
in - 8 °. 6 vol . 30 liv. brochés. A Paris,
chez Edine , libraire , rue St Jean -de-
Beauvais , à côté du collége , 1772 .
Cet ouvrage intéreſſant , que l'on peut
regarder comme une eſpèce d'hiſtoire
univerſelle , doit être utile à la jeuneſle ,
enlui donnant des notions fuffilantes fur
les différens pays de la terre qu'il importe
toujours de connoître. Il peut fervit
auſſi aux perſonnes plus avancées , en leur
préſentant en abrégé le tableau d'études
plus étendues qu'ils auroient faites. Pour
le rendre en même tems inſtructif &
Div
৪০ MERCURE DE FRANCE.
amuſant , on s'eſt attaché à ne rapporter
que ce qu'il y a de plus curieux fur chaque
nation. Les hiſtoires générales & particulieres
font les ſources où l'on a puiſé.
On a fait choix des auteurs les plus dignes
de foi , & l'on a évité toutes differtations ,
ſouvent dangereuſes & preſque toujours
ennuyeuſes& fuperflues.
Tracer hiſtoriquement tout ce quiconcerne
la Religion de chaque pays , fes
dogmes , ſes cérémonies , les changemens
qu'elle a éprouvés , les uſages ſupeſtitieux
qu'elle a fait naître , & le pouvoir qu'elle
aobtenu ſur l'eſprit des peuples ; faire
précéder ces tableaux par une idée ſuccincte
& géographique du pays dont on
parle ; s'attacher à rendre compte de la
forme du gouvernement , ſi intimement
liée avec la Religion établie ; donner enfuite
des détails intéreſſans fur les coutumes
civiles , les uſages particuliers , les
productions naturelles& le commerce de
chaque nation ; voilà le plan qu'on s'eſt
efforcé de remplir .
Les volumes ſont ornés de quatre vignettes
en taille-douce , qui repréſentent
quelquesobjets intéreſſans de chaque pays..
JUILLET. 1772 .
Hiftoire militaire des Suiſſes dans les différens
fervices de l'Europe ; compoſée
ſur des pièces & ouvrages authentiques
juſqu'en 1771. Par M. May de
Romain-mortier : ad majorem gloriam
patriæ; 2 vol. in- 12 .ABerne, chez la
Société typographique ; 1772 .
Get abregéde l'hiſtoire des Suiſſes dans
les différens ſervices de l'Europe eſt partagé
en deux volumes ; le premier , diviſé
en trois livres , contient une introduction
générale , le ſervice de France & le fervicede
la Maiſon d'Autriche ; le ſecond
renferme le ſervice d'Eſpagne , de la Maifon
de Savoye , des Papes , de Veniſe ,
d'Hollande , de Suéde , de Danemarck ,
de Ruſſie , de Brandebourg , de Saxe , de
Cologne de Bavière , de Suabe , de Naples
& de l'Ordre de Malthe ; avec une
liſte des officiers généraux.
Ces mémoires font remplisde faits curieux
placés dans un ordre chronologique,
& énoncés avec la ſimplicité convenable
à l'hiſtoire . On y trouve un grand nombre
d'anecdotes qui caractériſent la franchiſe
, le courage& l'attachementde cette
Nation toujours fidèle à fes engagemens
&àl'honneur. Cette hiſtoire eſt due aux
D
82 MERCURE DE FRANCE.
ſoins & aux recherches d'un gentilhomme
d'une des meilleures Maiſons de Berne
; il ne pouvoit travailler plus utilement
pour la gloire de ſa patrie ; ſon travail
doit non- ſeulement intéreſſer les
Suilles , mais encore les autres Peuples
dont ils font les alliés , les défenſeurs &
même les compatriotes.
L'Art du Maçon- Pifeur , par M. Goiffon
des académies des belles - lettres &
ſciences de Lyon & de Metz . A Paris ,
chez Lejay , libraire , rue St Jacques ,
in- 12 de 56 pages avec une planche.
&
Il ya long- tems que les conſtructions en
piſé ſont en uſage dans le Lyonnois&les
provinces circonvoiſines. On appelle bâtir
en piſé , faire tous les murs d'une maiſon
avec une qualité particulière de terre
que l'on rend par att dure & compacte .
Les fondations de ces fortes de bâtimens
ſe conſtruiſent en pierre à l'ordinaire ,
leurs murs s'élèvent auſſi en pierre juſqu'à
environ deux pieds au deſſus du pavé , à
l'effet de mettre le piſé à l'abri de l'humidité.
On place fur ces murs bien arafés ,
en commençant par un des angles extérieurs
du bâtiment , un encaiſſement qui
eſt compoſé de deux rangs de planches
JUILLET. 1772. 83
de 2 pieds de hauteur , fur au plus 13
pieds de longueur , leſquelles ſont ſolidement
entretenues & eſpacées d'environ
20 pouces qui eſt l'épaiſſeur que l'on donne
communément aux murs en piſé par
lebas.
A meſure que l'on jette des peletées
de terre dans cet encaiſſement , des
ouvriers la battent avec de gros pilonsde
bois pour la comprimer le plus poſſible ,
en obfervant de terminer en plan incliné
le côté de ce carreau de terre oppoſé à
l'angle du bâtiment par où l'on a commencé.
Après cela on démonte cet encaiſſement
, pour exécuter de la même
manière une autre partie de mur contigu ;
&l'on repére ſucceſſivement cette opération
dans toute l'étendue des murs de
face & de refend. Le premier rang étant
terminé , on entreprend le ſecond , en
diſpoſant l'encaiſſement de manière que
les carreaux ſupérieurs foient placés en
bonne liaiſon avec les joints montans des
inférieurs ; & l'on continue ces murs de
terre , en leur donnant un peu de talut
juſqu'au faîte du bâtiment que l'on élève
ſouvent juſqu'à deux étages , ſans qu'il y
entre aucune pierre. Approche t'on de la
hauteur d'un plancher , on établit fur les
1 Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
murs oppofés qui doivent le porter un
cours de madriers ou plate- formes pour
l'appuyer uniformement. Ce n'eſt guères.
qu'après la couverture d'une maiſon , que
l'on pratique tant dans les murs de face
que de refend , des ouvertures pour former
les portes & les croisées ; & l'on fait
ces ouvertures affez larges pour y loger
des jambages & des linteaux, foit en pierre
, foit en bois. Lorſque ces murs de terre
ont exhalé toute leur humidité , on enduitleurs
paremens extérieurs de mortier,,
de chaux & fable , pour les mettre à couvert
des injures de l'air , & afin qu'il s'y
adapte plus aifément, on les pique avec
la pointe d'un marreau. Les opérations
de cettebât ſſe ſont expliquées avec beaucoup
de clarté & de ſagacité dans l'ouvra
geque nous annonçons. La terre qu'on
emploie à fon ufage doit être naturelle ,
un peu graveleuſe & fufceptible de recevoir
allez de conſiſtance pour réſter aux
fardeaux ; & on voit des maiſons ainſi
conſtruites qui ſubſiſtent en bon état depuis
plus d'un fiécle. Quoique cette méthode
doive néceſſairement opérer la plus
grande économie & promptitude dans le
travail , nous penſons cependant qu'il fenoit
peut- être fortdifficile d'en introduire
JUILLET. 1772. 85
l'uſage ailleurs que dans les endroits où
l'on manque de pierre & où il eſt impof
fible de ſe procurer de la brique.
Au ſurplus ce n'eſt pas d'aujourd'hui
qu'on a propofé des moyens de diminuer
la grande dépenſe de la conſtruction ordinaire
des bâtimens. On fait que vers la
findu ſiécle dernier , on entrepritde faire
àParis & dans ſes environs des maiſons
moulées , &de conſtruire une maiſon abfolument
neuve avec les ſeuls matériaux
de celle que l'on étoit obligé de démolir.
Pour y parvenir , il ne s'agiſloitque de retailler
toutes les anciennes pierres pour les
employer à la conſtructiondes fondations
&des encoignures du nouveau bâtiment,
&enſuite d'exécuter tous ſes murs de face
&de refend , en employant les recoupes
de pierre , les platras , les morceaux de
ruile , de carreaux , de brique , enfin tous
les gravois que l'on envoie d'ordinaire
aux champs. On faiſoit de tout cela dans
des eſpèces d'encaiſſemens , des carreaux
d'une certaine grandeur , délayés avec du
plâtre un peu clair & dont l'intérieur étant
bien plein devoit être conféquemment
ſtable. Ces eſpèces de pierres artificielles
s'employoient en guiſe de moilons comme
des cours d'aſſiſes avec des tuilaux
86 MERCURE DE FRANCE.
fe
concaffés entre leurs joints & recouverts
d'un enduit de plâtre. M. Fremin , dans
un petit ouvrage devenu très rare , & pu .
blié au commencement de ce ſiècle , fur
les tromperies & malverſations des ouvriers
en bâtimens , parle avec le plus
grand éloge de ces conſtructions par encaiſſemens
, & comme d'une méthode
fingulièrement économique que les maçonsde
fon tems n'affectoient de tout leur
poffible de décréditer que parce qu'il n'y
avoit pas de fortune à faire pour eux en
ſervant d'un pareil procédé. Il cite entre
autres pour exemple , un hôtel conſidérable
qui fut bâti de cette manière rue de
Grenelle fauxbourg St Germain vis-à- vis
l'abbaye de Panthemont , que les ouvriers
appellèrent alors par deriſion l'Hôtel des
Plátras , nom qu'il a toujours retenu depuis
: & ce qui peut confirmer combien
cet auteur a eu raiſon d'exalter cette méthode
; c'eſt que cet hôtel ſubſiſte encore
après plus de 80 ans dans le meilleur état:
ſes murs paroiffent tout d'une pièce : aucun
n'eſt ſorti de ſon à plomb ; tous ſes
planchers font encore d'un parfait niveau;
enfin il n'y a pas une maiſon en pierre
du même tems qui ſe porte mieux, & qui
ait moins exigé de réparations juſqu'ici ..
JUILLET. 1772. 87
M. Parte nous a conſervé , danssesmémoires
fur les objets les plus importans de
l'architecture , * les détails des opérations
de cette eſpèce de bâtiſſe , à laquelle on
ne fait peut- être pas aſſez d'attention , &
dont on pourroit certainement tirer de
très-grands avantages , pour diminuer la
dépenſe d'un bâtiment en bien des occafions.
Confultation fur un Onaniſme fingulier ,
aveccomplication de pluſieurs accidens
vénériens ; enſemble un mémoire en
réponſe à la conſultation propoſée ;
ainſi que quelques reflexions nouvelles
fur les maladies vénériennes , par M.
Contencin D. R. A Paris , de l'imprimerie
de Moreau , rue Galande ; brochure
in 12 .
Heu ! mifera in manibus verfatur victima noftris .
L'auteur de cette conſultation,après nous
avoir tracé l'égarement de l'imagination
chez les jeunes gens lors du développement
de leurs facultés , expoſe les loixde
l'économie animale pour mieux nous fai-
* Cet ouvrage , vol. in-4°. avec figures , ſe
vend chez Lacombe , libraire , rue Chriſtinc .
88 MERCURE DE FRANCE.
re connoître les cauſes des maladies qui
font les fuites de la maſturbation. Ce rableau
effrayant, mais vrai eſt bien propre
à éloigner l'homme foible de ce vice folitaire,
non moins capable de ruiner le corps
que d'ôter aux facultés intellectuelles leur
force & leur énergie. L'auteur nous fait
part dans ce même écrit de ſes réflexions
fur la manière la plus ordinaire de contracter
le vice vénérien , ainſi que ſur la
méthode la plus fûre pour le combattre.
Il nous rappelle ce qui a déjà été dit contre
les empiriques , mais que l'on ne doit
point ceſſer de répéter , puiſque le vulgaire
continue d'uſer de leurs prétendus remèdesqui
, en les ſuppoſant efficaces dans
bien des cas , deviennent fouvent mortels
par l'ignorance de celui qui les adminiſtre
; ignorance qui l'empêche non-feulement
d'en faire une juſte application ,
mais encore de prévoir ou de combattre
les accidensqui peuvent contratier le cours
de lamaladie.
Moyens certains &peu coûteux de détruire
le mal vénérien ; par J. J. Gardane ,
docteur-régent de la faculté de méde
cine de Paris , médecin de Montpel-
Lier , cenſeur royal , des ſociétés roya
5
JUILLET. 1772. 89
les des ſciences de Montpellier & de
Nanci , de l'académie de Marseille ,
&c. &c.
'Æquè pauperibus prodeft , locupletibus æquè.
Horat. épiſt , lip . I.
ALondres ; & ſe trouve à Paris , chez
Didot , libraire , quai des Auguſtins ,
1772.
Ungrand avantage , ſuivant M. Aftruc,
eût été de pouvoir trouver un remède facile
&fans frais , qui foulageât à coup sûr le
peuple hors d'état de faire la dépense , &
qui pût même quelquefois le guérir. Les ſecours
que M.Gardanepréſente ontuneutilité
bien plus étendue,puiſqu'ils réuniffent
la facilité, la ſimplicité, la modicité du prix
à la certituded'une guériſon radicale.
Qu'on ne confonde pas , dit-il , ce que
j'avance avec les promeſſes trompeufes
des charlatans. J'adopte des remèdes connus
& avoués par les médecins , je n'en
fais pas un ſecret , je ne les prépare point,
je ne les vend point : d'ailleurs appliqué
par état à l'étude de toutes les maladies ,
je ne dois pas me borner au traitement
feul de la vénérienne ; & fi je m'en occupe
plus particulièrement aujourd'hui ,
9 . MERCURE DE FRANCE.
c'eſt queles voies de la guérir m'ont paru
preſque interdites au peuple indigent, qui
mérita toujours l'attention du médecin
citoyen .
* Blanche & Guifcard , tragédie par M.
Saurin de l'Académie Françoiſe , & c.
nouvelle édition revue & corrigée. A
Paris , chez la Veuve Ducheſne , rue
St Jacques , au Temple du Goût.
Nous ne ferons point l'analyſe de cette
pièce qui eft connue & qui eut du ſuccès
dans ſa nouveauté. On fait qu'elle eſt
imitée d'une tragédie anglaiſe du célèbre
Thompson qui lui-même en avait tiré le
ſujet d'un épiſode du roman de Gilblas ,
intitulé le Mariage par vengeance. Il y a
de l'intérêt dans le ſujet qui pourtant offre
des difficultés , & le double meurtre
qui forme un dénoûment néceſſaire par
la mort de Blanche & du Connétable , a
peut- être cet inconvénient que le rôle du
Connétable étant par lui - même de peu
d'effet , ſa mort n'en faurait faire beaucoup.
Tuez tant que vous voudrez un per-
* Cet article & les deuxfuivansfont de M. de
laHarpe.
JUILLET. 1772. 91
ſonnage que l'on aime , a dit quelque part
M. de Voltaire , mais ne tuez jamais un
perſonnage indifférent .
Quoi qu'il en ſoit, cet ouvrage eſt plein
debeautés vraiment tragiques. Le rôle de
Blanche fur- tout eſt ſupérieurement traité.
Il eſt très- touchant & par la ſituation
&par le ſtyle. La ſcène où elle apprend
que ſon amant n'eſt point infidèle , au
moment même où elle vient de ſe donner
à une autre , ſera dans tous les tems
une de cesſcènes vraiment théâtrales dont
l'effet eſt toujours fûr. Celle où elle conjure
ſon pèrede ne pas la forcer à l'hymen
du Connétable eſt auſſi très pathétique.
Nous nous bornerons à en citer un morceau.
• . Mes tremblantes mains embraſſent vos
genoux ,
Laiflez-moi les preſſer & les mouiller de larmes.
Près de vous la nature eſt -elle donc ſans armes ?
Sourd à ſa tendre voix , n'accablez par un coeur
Noyé dans l'amertume & briſé de douleur.
Qu'exigez- vous , ô Ciel ! votre rigueur ordonne
Que n'étant point à ſoi votre fille ſe donne ?
C'eſt me percer le ſein , c'eſt outrager Oſinont ,
Oui , ma main ſans mon coeur n'eſt pour lui qu'un
affront .
92 MERCURE DE FRANCE.
Souffrez que loin du monde à jamais retirée ,
Je traîne de mes jours la pénible durée .
Je ne dois pas ſans vous diſpoſer de ma foi ;
Vous ne devez pas plus en diſpoſer ſansmoi.
Mon père , j'ai mes droits ſi vous avez les vôtres.
Rompre à la fois mes noeuds & m'en impoſer d'aus
tres ,
C'eſt exiger de moi par-delà mon devoir .
Je dis plus ; cet effort ſurpaflemon pouvoir.
Peut- être avec le tems je le pourrai , mon père ,
Le Ciel ſait ſi mon coeur ſouffre de vous déplaite.
Accordez-moi du tems... ou bien prenez mes
jours ,
Prenez-lez , terminez leur déplorable cours.
C'eſt la mort qu'à vos pieds mondéſeſpoir im
plore.
Il eſt difficile de lire cette ſcène ſans
répandre des larmes .
Peut- être avec le tems je le pourrai , mon père.
Eſt admirable. Ces traits d'une éloquence
naturelle font le vrai ſtyle des paffions &
de la tragédie. En voici d'autres à peuprès
du même genre . Hélas ! crois- tu , dit
Blanche,
Qu'un fentiment ſi cher , né dans lafolitude ,
Par l'eſtime forme , nourri par l'habitude ,
JUILLET. 1772. 93
Sedétruiſe auſſi- tôt qu'on ceſſe d'eſtimer ?
Long- tems on aine encore en rougiſſant d'aimer.
Cette tragédiedont la lecture fait beau.
coup d'honneur à M. Saurin , fera toujours
plaisir à la repréſentation quand le
rôle de Blanche ſera bien rempli.
Rouffeau vengé ou obſervations ſut la critique
qu'en a faite M. de la Harpe ,
&c. par M. l'A . D. G. de l'Académie
des ſciences & belles- lettres de Nancy ;
V. G. de B. A Londres; & ſe trouve à
Paris , chez Delalain , rue de la Comédie
Françaiſe , & chez Lejai , rue
StJacques,
Quand feu M. l'Abbé d'Olivet , admi
rateur outré & médiocre traducteur de
Cicéron , mais ſavant grammairien & judicieux
critique , donna ſes excellentes
remarquesfur Racine , que l'ou a miſes au
nombre des bons livres claſſiques en ce
genre , l'Abbé Desfontaines , traducteur
bien plus médiocre & critique bien moins
équitable &bien moins inſtruit , affecta
de défendre un illuſtre mort d'autant plus
volontiers qu'il était plus accoutumé à
déchirer les vivans célèbres ; il donna un
94 MERCURE DE FRANCE.
Racine vengé , quoique Racine n'eût pas
reçu d'offenſe. Il répondit avec toute la
morgue du pédantiſme au ſavant académicien
qui avait écrit avec toute la referve
&la modération qui diſtinguent les véritables
gens de lettres. Il répéte ſans ceſſe
qu'il ne faut pas confondre le langage de
la proſe avec celui de la poësie , & M.
l'Abbé d'Olivet l'avait dit vingt fois dans
ſes remarques. Il nous apprend que, ſi la
critique de Racine a preſque toujours raiſon
ſur la grammaire , il ne s'enfuit pas
qu'il faille condamner avec lui les heureuſes
hardieſſes du génie &donner des
entraves au ſtyle poëtique , & le critique
de Racine ne parle jamais que de grammaire
, & approuve non - ſeulement les
libertés de la poësie , mais regrette encore
les licences qu'elle ſe permettait autre
fois & que depuis , elle a perdues par défuétude.
L'Abbé Desfontaines traite partout
ſon adverſaire comme un détracteur
de Racine , & le critique de Racine était
un de ſes plus grands admirateurs, Rien
ne fait mieux voir qu'on n'a jamais cauſe
gagnée avec les mauvais eſprits , ni avec
ceux qui , voulant parler à quelque prix
que ce ſoit , répondent toujours à ce que
vous n'avez pas dit.
JUILLET. 1772 . 95
C'eſt ainſi qu'un anonyme a imprimé
dans un Journal qu'il faut fur ma parole
ſe hâter de rayer Rouſſeau du nombre des
grands poëtes , quoique j'aie dit en propres
termes que Rouſſeau devait étre mis
aunombre de nos grands poëtes. Ce même
anonime ſe donne la peine de m'apprendre
que l'auteur de la Chartreuſe & de
Ververt eſt auſli un très bon poëte , & en
vérité j'en étais convaincu , & je l'avais
dit dans le même morceau dont il eſt queſtion
. L'anonyme qui veut être plaiſant ,
affecte une grande confuſion de s'être
trompé ſur Roufſeau , & il ne devrait être
confus que de ce qu'il a écrit. Il finit par
dire qu'il va s'enfermer dansson cabinet &
fondre en larmes. Rien n'eſt ſi gai que cette
ironie . Je ne veux pas troubler ſa douleur
qu'il croitplaiſante.Je le laiſſerire&pleurer
tout ſeul. Je l'y crois accoutumé , & je
viens au nouveau vengeur de Rouffeau.
Je conviens d'abord que celui - ci ne
veut pas être plaiſant comme l'anonyme
& qu'il eſt plus poli que l'Abbé Desfontaines;
mais il paraît ſe tromper ſur moi
autant que l'Abbé Desfontaines ſur M. ,
l'Abbé d'Oliver. Il a l'air de me prendre
pour un détracteur des anciens , & des
grands écrivains du ſiècle de Louis XIV.
96 MERCURE DE FRANCE.
J'avoue que je ne m'y ſerais pas attendu.
Mais il vouloit parler des anciens & c'eſt
toujours bien fait. Il a toujours remarqué
que Les grands écrivains ont eu les mêmes
perſonnes& pour admirateurs &pour cen .
feurs. Cela ſignifie exactement que les
mêmes perſonnes admiraient & cenfuraient
à la fois les grands écrivains. Mais
ce ſens , qui ne ſerait pas ſi abſurde, n'eſt
pas celui de l'auteur. Il a voulu dire que
les grands écrivains avaient toujours eu
les mêmes cenſeurs & les mêmes admirateurs
.
Je pardonne de tout mon coeur à M.
I'A . D. G. qui n'eſt peut- être pas trèsexercé
à écrire , & qui n'a pris la plume
que par excès de zèle pour Rouſſeau , de
n'avoir pas fu cette fois exprimer ſa penſée.
Je n'examine point le ſtyle. Je m'en
tiens au fond de la queſtion.
Il me ſemble que mon adverſaire ne
s'en eſt pas bien rendu compte. Que demande-
t'il de moi ? J'ai dit, & lui même
le rappelle aux lecteurs , que Rouffean
avait excellé parmi nous dans la poësie
lyrique , & que perſonne en ce genre nepouvoit
lui être comparé. N'est-ce pas là un affez
bel éloge ? j'ai prétendu , il eſt vrai , qu'il
n'avaitni les graces , ni l'eſprit , ni la variété
,
1
JUILLET. 1772 .
97
riété , ni la philoſophie du lyrique latin.
Il fallait me prouver le contraire. Il fallait
prouver que Rouſſeau eſt doué d'une
trempe d'eſprit auſſi heureuſe que celle
d'Horace , auſſi ſouvent relu , auffi fouvent
cité , auſſi agréable pour toutes les
claſſes de lecteurs , auſſi bonne compagnie
dans le cabinet , à la ccampagne , à
table , par- tout. M. l'A. de G. n'en dit
pas un mot.
Mais j'ai critiqué des vers de l'ode à la
Fortune & de quelques autres . Oui. M.
l'A . de G. trouve t'il Rouſſeau irrépréhenſible
? Nul écrivain ne l'est , me
dira - t'on . Sans doute. Mais pourquoi
ſuis-je entré dans ces détails critiques ?
c'eſt parce que j'ai foutenu,nonſans quelque
raiſon,que dans un ouvrage tel qu'une
ode , où l'on a le bonheur de n'avoir que
des vers à faire , où le poëte eſt franchement
& librement poëte , on ne peut pardonner
que des fautes très-légères ,&que
quand le langage eſt incorrect , ou le terme
impropre , ou la tournure profaïque ,
ou la phraſe languiſſante , l'auteur n'eſt
nullement excuſable , parce qu'il n'a rien
de mieux à faire que d'effacer toutes ces
taches qui ne détruiſent pas le mérite des
beautés , mais qui diminuent beaucoup le
plaiſfir du lecteur.
I. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
Quoi ! l'on recherchera , avec une curioſité
maligne & ſouvent injuſte ,un vers
faible ou négligé dans une tragédie de
Racine ou de M. de Voltaire , dans la
Henriade, où ſi l'on peut obſerver des négligences
, du moins ne voit on pas une
trace de mauvais goût ; & l'on pardonnera
dans une ode des vers tels que ceux- ci.
Etje verrais enfin de mesfroides allarmes
Fondre tous les glaçons.
Une ſageſle raffermie
Par de dures fatalités.
Renaître la barbarie
De ces tems d'infirmité.
• •
Etdelà naiſſent lesfeftes
De tous cesfales infectes.
•
C'eſt elle qui nous fait accroire
Quetout céde à notre pouvoir ,
Qui nourrit notre folle gloire
De l'ivreſſe d'un fauxfavoir.
•
Ces quatre rimes n'offenſent- elles pas
cruellement l'oreille dans un ouvrage où
l'harmonie eſt ſi néceſſaire & ſi eſſentielJUILLE
Τ. 1772. 99
le ? remarquez toujours que je ne prends
mes exemples que dans les meilleures
odes. J'aurais trop d'avantage , fi je
citais les mauvaiſes. Je ne veux pas non
plus rapporter ce grand nombre d'idées
communes & rebattues qui dégoûtent les
bons eſprits dans beaucoup d'endroits.
Voyez dans l'ode au Prince Eugéne .
Les ſeules conquêtes durables
Sont celles qu'on fait ſur les coeurs.
Untyran cruel & ſauvage
Dans les feux & dans le ravage
•
N'acquiert qu'un honneur criminel !
La grandeur fière & hautaine
N'attire ſouvent que leur haine
Lorſqu'elle ne fait rien pour eux;
Etque tandis qu'elle ſubiſte ,
Le parfait bonheur ne conſiſte
Qu'à rendre les hommes heureux.
Ces vérités ſont ſans doute du nombre
de celles qui font toujours bonnes à dire .
Mais alors il faut tourner la maxime en
ſentiment , & ſe rendre propre par l'expreſſion
& par le ton de la phrafe , ce qui
ſemble trop appartenir à tout le monde.
Que répond à cela le vengeur ?
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Le Vengeur répondra ce qu'il répond
toujours . Il trouve tout excellent. J'avais
cru pouvoir obſerver quelques fautes dans
l'ode à la Fortune. Il n'en voit aucune.
Cependant il dit quelque part qu'il faut
bien que Rouſſeau paie le tribut à l'humanité
, & que tout ne peut pas être également
fini. Il faut donc que je ſois bien
malheureux ou bien maladroit , puiſque
jen'ai pasrencontré un ſeul de ces paſſages
où Rouſleau paie ce tribut , du moins ſi je
m'en rapporte à ſon défenſeur.
Juſques à quand , trompeufe idole ,
D'un culte honteux & frivole
Honorerons-nous tes autels ?
Juſques à quand-honorerons-nous lui
paroiffentgracieux à l'oreille. Tant mieux
pour les oreilles de M. l'A . D. G.
La ſeuleſageſſe
Peut faire des héros parfaits.
J'avais toujours cru que la ſageſſe ne
pouvait faire que des ſages. Mais M.
J'A . D. G. veut qu'elle faſle des héros &
des héros parfaits. Je crois pourtant que
M. l'A . D. G. aurait de la peine à me citer
un exemple d'un héros parfait. Car un
JUILLET. 1772. 101
heros parfait ſerait un homme parfait , &
il n'y en a pas beaucoup. Si l'on me répond
que héros parfait ne ſignifie qu'un
véritable héros , c'eſt encore bien pis. La
ſageſſe ne fait point les véritables héros .
Quoi ! il faut donc répéter ce que tout le
monde ſait? il faut donc définir les termes
? il faut redire qu'un héros n'a jamais
ſignifié qu'un guerrier doué de qualités
extraordinaires & de talens ſupérieurs;&
qu'un héros peut très bien n'être ni un
fage, ni un homme vertueux. Aſſurément
Cefar , Alexandre , Sylla , &c. étaient
des héros & n'étaient ni ſages ni vertueux.
Le poëte a fans doute voulu
dire que la ſageſle était préférable à
l'héroïsme & que la vertu valait mieux
que des victoires. Eh bien il fallait
le dire , & fon apologiſte aurait été difpenſé
de prouver que la ſageſſe fait des
héros parfaits , & j'aurais été diſpenſé ,
moi , de prouver fort au long ce qui eſt
clair. J'en demande pardon à un certain
ordre de lecteurs; mais tel eſt l'inconvénient
de la diſpute que ſouvent il faut
avoir trop raiſon .
Voilà encore M. l'A . D. G. qui m'explique
bonnement ce que ſignifient ces vers :
Mais je veux que dans les allarmes
Réſide le folide honneur.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
1
Eft ilfi difficile d'entendre ( me dit-il )
quefuivant l'opinion vulgaire la gloire des
conquérans conſiſte àfemerpar tout la terreur
? Véritablement je m'en doutais.
Mais il fallait prouver que l'honneur qui
réſide dans les allarmes eſt une bonne
phrafe , & j'en doute encore.
Quel est donc le hérosfolide
Dont la gloire ne ſoit qu'à lui ?
C'eſt un Roi que l'équité guide
Et dont les vertus font l'appui .
Mon adverfaire trouve dans ces vers
des véritésfublimes. Paſſe pour lefublime.
Mais un Roi que l'équité guide & dont les
vertus font l'appui eſt un Roi équitable&
vertueux , & n'est pas un héros folide. Ce
n'eſt pas affez d'être fublime. Il faut ſavoir
ce qu'on veut dire.
Le défenſeur optimiſte , après avoir
prouvé que tout est bien que tout est au
mieux , m'avertit qu'en décompofant les
vers on leur fait perdre leurs agrémens .
Je le crois comme lui ; mais quand j'ai
cité les vers de Rouſſeau , je les ai cités
dans leur entier , & le lecteur a pu les juger
& voir qu'ils étaient mauvais fans
qu'on les décompoſât. D'ailleurs n'a -t'il
JUILLET. 1772. 103
pas pris le change ? il s'agit de correction ,
de clarté , de juſteſſe ; & quand on déconftruirait
, comme il le propoſe , les vers
de Racine & de nos meilleurs écrivains ,
ſans doute on les dépouillerait de leurs
graces , mais c'eſt alors qu'on verrait bien
clairement qu'ils ne péchent en rien contre
aucune des règles de la conſtruction
&du langage & que la meſure & la rime
n'ont pas fait mettre un mot de trop , ni
une expreſſion impropre. Voilà , quoiqu'en
diſe M. l'A . D. G. , l'épreuve que
ne craignent point les bons vers & à laquelle
les mauvais ne réſiſtentjamais.
L'apologiſte pour excuſer le défaut de
chaleur &d'enthouſiaſme dans l'ode à la
fortune dit que c'eſt une ode de raisonnement.
Je ne fais pas ce que c'eſt qu'une
ode de raiſonnement. Et depuis quand,
( dit- il ) nos ariftarques dont le refrein éternel
est le mot de philofophie font - ils un
crime de raiſonner ? Je ne ſuis pas un ariftarque
, & le mot de philofophie qui eſt
le refrein de beaucoup de plats théteurs
n'eſt pas le mien. Mais les gens de bon
ſens qui veulent , comme Horace , que la
raiſon ſoit la baſe de tous les bons écrits ,
blâment les mauvais raiſonnemens quelque
part qu'ils ſe trouvent , fût - ce dans
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
une ode , ſans pourtant en faire un crime.
Ils blâment par- tout , & fur- tout dans
une ode , les diſcuſſions froides , les tournutes
languiſfantes & les penſées triviales.
On peut raiſonner par - tout même dans
une ode , mais il faut que la raiſon ſoit attachante
, & élevée , digne de l'homme
inſpiré qui tient la lyre. Elle doit s'énoncer
par des tournures hardies , preſſantes,
figurées. Eſt-il queſtion de prouver que
dans les meilleures choſes l'abus eſt auſſi
funeſte que l'uſage eſt utile , le poëte s'écrie:
Vents , épurés Ics airs & ſoufflés ſans tempêtes.
Soleil , ſans nous brûler marche & luis ſur nos
têtes.
VOLT.
Voilà les mouvemens d'un poëte , &
& ce n'eſt pourtant qu'un difcours en vers.
Me direz vous qu'il n'était pas poſſible
dans une ode à la Fortune d'avoir beaucoup
de mouvemens ſemblables & de
mettre toujours la penſée en images & en
ſentiment ? le ſajet comportoit tous ces
avantages & le poëte devait s'y retrouver
par-tour.
Mais comment s'attendre que M. l'A .
D. G. ſe rende fur les endroits faibles des
JUILLET. 17726 ιος
odes ? Il ne ſe rend pas même ſur les épîtres
& les allégories. Il trouve les épîtres
de Rouſſeau pleines de chofes , de raifon ,
de goût , versifiées avec une correction , une
facilité , une énergie , une harmonie 、un
feu , &c. Voilà un éloge compler . Il cite
quelques morceaux qui , fans avoir toutes
ces qualités , font en effet ce qu'il ya de
mieux dans ces épîtres. Mais il ne tiendrait
qu'à moi de prendre dans Brébenf
quelques endroits heureux , & cependant
il eſt abſolument impoſſible de lire cinquante
vers de ſuite dans la pharſale. Je
ne ſais qui eſt le judicieux critique , cité
par M. l'A . D. G. qui prétend que des
préceptes répandus dans les épîtres de Rouffeau
, on ferait une excellente poëtique pour
joindre à celle d'Horace &de Boileau. Voi.
ci quelques- uns de ces préceptes.
Et croyez - moi , je n'en parle à travers ;
Le jeu d'échecs reſſemble aujeude vers .
Savoirla marche eſt choſe très-unie ,
Jouer le jeu , c'eſt le fruit du génie ;
Je dis le fruit du génie achevé ,
Par longue étude & travail cultivé.
Donc ſi Phoebusfes échecs vous adjuge
Pour bien juger confulteztout bon juge
Pour bienjouerhantez les bons joueurs ,
:
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
Craignez ſur-tout le poiſon des loueurs.
Acoſtez- vous de fidèles critiques , &c .
Ce n'eſt pas tout-à- fait là le ton de
Part poëtique , & je pourrais tranfcrire
mille vers encore plus mauvais que
ceux - là fi je voulais perdre du tems
& du papier. Mais j'aime mieux laiffer
M. l'A . D. G. admirer ces épitres
comme des chefs d'oeuvre de verfification
& d'énergie , & s'étonner que j'aie si mal
foutenu le paradoxe que je me fuis mis en
tête de faire adopter.
Tôt ou tard on condamne un rimeur fatyrique
Dont la moderne muſe emprunte un air gothique
,
Et dans un vers forcé que ſurcharge un vieux
mot ,
Couvre fon peu d'eſprit des phrafes de Marot.
Il faut parler français , Boileau n'eut qu'un langage.
Son eſprit était juſte , & fon ſtyle était ſage.
Sers - toi de ſes leçons , laiſſe aux eſprits inalfaits
L'art de moraliſer du ton de Rabelais.
Voilà des vers d'une raiſon ſupérieure
&d'un ſtyle excellent. M. l'A. D. G. va
me dire encore que je n'y fonge pas de
comparer de pareils vers aux vers de RoufJUILLET.
1772. 107
ſeau , & qu'apparemmentje mejoue avec
les contrevérités , comme lorſque j'ai oſé
louer des ouvrages tels que le poëme ſur
la loi naturelle & fur le déſaſtre de Lifbonne
, où ſiſouvent , dit- il , le théologien
s'égare , & où l'on cherche le poëte . J'avoue
que j'y ai cherché le poëte & que je l'y ai
trouvé. Quant au théologien , je ne m'en
mêle pas , & c'eſt pour cela que je finis.
Le Jugement de Paris , počine en quatre
chants ; par M. Imbert. in 8º avec figures
, prix 4 1. 16 f. A Amſterdam ;
& fe trouve à Paris , chez Piffot , libraire
, quai de Conti.
Malgré la décadence de la poësie , malgré
les progrès du mauvais goût encouragé
par la ligue des auteurs médiocres
qu'un même intérêt a réunis , il s'élève
de tems en tems de vrais talens qui percent
la foule & attirent les regards des
connaiſſeurs. Ce qu'on peut remarquer
c'eſt que les talens véritables ſont tous
nourris du lait de l'antiquité. Tel était
l'auteur du poëme de Narciſſe qui malheureuſement
a joint une ſi mauvaiſe fable
à un ſtyle excellent , & a brodé ſi richement
un canevas ſi pauvre & fi mal
choiſi. Tel eſt le jeune auteur qui s'eſt an-
Evj
103 MERCURE DE FRANCE.
noncé ſi avantageuſement par quelques
eſſais de traductions des métamorphoſes .
Tel eſt aujourd'hui M. Imbert qui a ſu
trouver de nouvelles richeſſes dans l'une
des mines de l'antiquité qui ſemblaient
être les plus épuisées & rajeunir un ſujet
qui paraiſlait ufé. Tous ces écrivains font
formés par l'étude desanciens , non cette
étude ſervile qui fait des pédans ſans goût
& fans génie , mais celle qui ajoute aux
dons naturels & rectifie l'eſprit ſans l'appeſantir.
On ne fera pas à M. Imbert le même
reproche qu'à M. Malfilâtre. Sa fable eſt
plus heureuſe , l'ordonnance de ſon poëme
eſt plus ſage. Ses chants ſont bien
remplis , les ornemens bien imaginés &
bien diftribués. A l'égard du ſtyle , le lecteur
éclairé en pourra juger lui même par
les morceaux que nous citerons.
Ondoit s'attendre que la poëſie defcriptive
tient beaucoup de place dans cet ouvrage
où l'action n'en peut tenir beaucoup.
Le poëte peint tout ce qu'il rencontre;
mais ſes couleurs font auſſi variées que
brillantes. Le portrait de Pâris trouve naturellement
ſa place au commencement
dupremierchant.
Parmi ſes fils ſur le Troyen rivage
JUILLET. 1772. 109
Le bon Priam , père de ſes ſujets ,
Voyait Paris , charmant , jeune & volage ,
Couler ſes jours dans le ſein de la paix ,
Les dépenſer en amoureux projets ,
Et ſe livrer aux erreurs du bel âge.
Par les talens il ornait ſa beauté ,
De Terpſicore il avait la ſoupleſſe ,
D'un pied liant gliſſait avec molleſſe,
Ou voltigeait avec légereté.
Souvent l'écho ſe plaiſait à redire
De ſes chanſons le tour harmonieux ,
Et ſous ſes doigts il animait ſa lyre
Qui ſoupirait des ſons voluptueux .
Suit une deſcription de l'été , étince
lante de poësie .
Loin des gémeaux le cancer emporté
Touchait alors au bout de ſa carrière .
L'ardent lion ſe dreſſe avec fierté ,
En rugiſſant il franchit la barrière ,
Ou frémiſlait ſon orgeuil irrité ,
Et ſecouant ſon épaiſſe crinière ,
Vient ranimer les fureurs de l'Eté.
L'Eté jaloux de ce rival d'Hercule,
De tous les feux arme la canicule ,
Guide ſa marche , & la flamme à la main
Tel qu'un géant il franchit les montagnes:
Ses pieds brûlans ont flétri les campagnes ,
Et de Çibèle il embraſe le ſein.
110 MERCURE DE FRANCE.
Pâris ſemble mépriſer l'amour & ſe livrertout
entier à la chaſſe .
Vers le Scamandre orgueilleux il s'avance.
Sur ſes habits la ſuperbe opulence
N'étalait point un faſte éblouiſſant.
Mais plus modeſte & non moins féduiſant ;
L'art avoit pris une air de négligence.
Sa chevelure en longs anneaux flottans
Sur ſon carquois tombe avec nonchalance ,
Et s'abandonne au caprice des vents.
Tel & moins beau , vers la forêt prochaine ,
Jeune Adonis tu dérigeais tes pas ,
Quand de Paphos l'aimable ſouveraine
Quitta les cieux pour voler dans tes bras.
Ce prince , hier les délices de Troye
Eſt devenu la terreur des forêts.
De l'oeil à peine il a guidé ſes traits ,
Que le trépas vole & fond ſur ſa proie .
Aſes regards rien n'échappe aujourd'hui.
Il eſt par- tout , tantôt le trait rapide
Fuit dans les airs , cherche l'oiſeau timide ,
L'atteint , le perce & retombe avec lui .
Tantôt le cerf de bruyère en bruyère ,
Mêlant toujours ſes larmes à ſon ſang ,
-Secoue cu vain la fléche meurtrière
Qu'avec la mort il porte dans le flanc.
Cependant Mercure, le caducée dans
JUILLET. 1772. 11
la main , defcend vers Paris & lui apprend
que la Diſcorde pour ſe venger de
n'avoir pas été invitée aux nôces de Thétis
, a jetté ſur la table du feſtin une pomme
où étaient écrit ces mots , à la plus
belle; que la jalouſie & les rivalités trou .
blent l'Olympe ; qu'enfin on s'eſt arrêté à
choiſir entre trois déeſſes , & que pour
avoir un jugement plus impartial , on eſt
convenu de s'en rapporter à un homme ;
que le choix eſt tombé fur lui & qu'on
n'appellera pas de ſon arrêt. Bientôt le
Zéphir qui rafraîchit la campagne annonce
l'arrivée des trois déeffles .
Mais tout-à- coup l'amant de la nature ,
Zéphir s'éveille , & des airs qu'il épure
Chaſlant bientôt l'été morne & brûlant ,
Avec ſon aîle il ſéme la verdure
Sur la forêt qu'il tapiſſe en volant.
Des arbres verds déjà l'ombre incertaine
Fond fur Paris & s'étend vers la plaine.
L'ambre plus pur exhale ſes odeurs ;
Un gazon frais couvre la terre ardente ,
Et fait jaillir une moifion de fleurs
Pour nuancer fa robe verdoyante.
Des fruits vermeils chargent le grenadier ;
Sur les buiſlons la roſe ſe balance ,
Et l'oranger fier de fon opulence ,
i
:
{
112 MERCURE DE FRAN CE.
Mêle ſon or à l'or du citronnier .
La violette ici brille dans l'herbe ,
Ales côtés ſur un arbre voifin
La vigne monte & court vaine & ſuperbe
Près du cédra ſuſpendre le raiſin.
On reconnaît dans ces détails la main
du vrai poëte qui anime & embellit tout.
la toilette des trois rivales eſt encore audeſſus
. C'eſt un morceau d'une beauté ſupérieure
, malgré quelques légères taches.
L'art eſt un dieu qu'au Ciel même on implore.
On le chérit quand on eſt ſans appas.
Quand on eſt belle , on le chérit encore.
Junon paraît , faſtueuſe beauté
Qui s'embellit d'une grace nouvelle.
Le diamant dans l'or pur incruſté
Mêle ſes feux à la pourpre immortelle .
Sa noble écharpe à réplis onduleux
Ceint la déelle & retombe avec grace.
Divin tiſlu dont la ſplendeur efface
Le coloris de cet arc lumineux ,
Qui peint la nue & les airs qu'il embraſſe.
Reine ſuperbe , elle a le front paré
D'un diadême où l'éclat d'un or pâle
Ranime un fond tendrement azuré ,
Etdans ſa main brille un ſceptre d'opâle.
ว
JUILLET. 1772. 113
Pallas ornée avec ſimplicité ,
N'eſt pas moins belle avec moins d'opulenee .
Dans ſes regards une douce fierté ,
Dans ſa parure une ſage élégance.
Balancent bien , Junon , ta majeſté.
Un voile blanc , monument de ſa gloire ,
Sert ſes attraits en marquant ſa pudeur ;
Voile charmant où d'un doigt créateur
De ſon triomphe clle traça l'hiſtoire .
L'oeil étonné voit fa lance d'airain
Frapper la terre , avec un long murmure ,
Et l'olivier quijaillit de ſon ſein
Agire encor ſa bruyante verdure.
A fon oreille on ſuſpendit en noeuds
Des boucles d'or errantes & captives ;
Etdes brillans d'un verd faible &douteux
Ceignent ſon front , façonnés en olives.
Sous ſes habits avec art négligés ,
Vénus paraît dédaigner l'artifice ;
Les fleurs , le mytte ornent l'humble édifice
De ſes cheveux en boucles partagés.
L'une des ſoeurs qui veillent auprès d'elle ,
(C'eſt Aglaé ) d'abord après le bain ,
Sous le tiflu d'une gaze infidelle
Avait caché les tréſors de ſon ſein.
Mais des odeurs l'eſſence la plus pure
Avait déjà parfumé ſes atours ,
Quand on plaça la divine ceinture ,
Qui ſert d'azyle & de trône aux amours.
114 MERCURE DE FRANCE.
Parmi les plis de ce magique ouvrage
Erre toujours un eſſain de plaiſirs ,
Les doux attraits & les ardens deſirs ,
Les ris , les jeux , le charmant badinage ,
Les voeux ſecrets , les détours innocens ,
Le feint conrroux & les agaceries ,
Piéges adroits qui ſurprennent les ſens ,
Et livrent l'ame aux douces revêries .
Nous croyons que les lecteurs feront
auffi fatisfaits que nous de l'imagination
qui règne dans ce tableau , quoiqu'on ait
pu y remarquer quelques fautes. C'eſt une
idée heureuſe& d'un goût antique d'avoir
peint ſur le voile de Minerve la naiſſance
de l'olivier ; mais il ne falloit pas parler
d'un long murmure que la toile ne peut
jamais tendre .
Pâtis , frappé d'abord de la beauté des
ttois déeſſes , déclare enfin qu'il ne peut
juger des appas que la parure cache à ſes
yeux. Ses propoſitions bleſſent l'orgueil
de Junon , la modeſtie de Pallas , &flattent
l'amour propre de Vénus. Pâris les
quitte pour leur laiſſer letems de ſe déterminer
; c'eſt la fin du premier chant.
La vanité l'emporte , &les déeſſes paraiſſent
devant leur juge dans tout l'éclat
de leur beauté. Il tombe dans un autre
JUILLET. 1772. 115
embarras. L'admiration & livreſſe fufpendent
ſon jugement ; il demande grace,
il veut qu'on lui donne le temsde revenir
à lui pour prononcer. Cependant il offre
à ſouper aux trois divinités , dans un
temple conſacré à l'Amour & qui vit élever
ſon enfance loin de la cour de Troye.
Il promet de décider le lendemain. On
ſe ſépare. Il paſſe la nuit dans l'agitation ,
l'incertitude & les défirs ; enfin il prétend
faire la conquête d'une des trois déeſſes
qu'il doit juger. Il ne ſe croit pas moins
aimable qu'Endymion , & ne les croit pas
plus ſages que Diane. Il ſe leve plein de
ce projet. Næris , l'une des jeunes eſclaves
qui le ſervent, lui conte à fon reveil
une hiſtoire galante où Diane couronne
l'amour d'un berger. Cette anecdore femble
faite pour l'encourager , & c'eft , comme
on le voit , un épiſode très - agréable
& très-bien placé. Le Troyen ſe pare &
ſe diſpoſe à paraître devantle déeſſes .
Au troiſième chant Pâris ſe rend fur un
belvedère qui doit être le théâtre de la
ſcène déciſive. Junon vient l'y trouver ,
& pour lui donner une idée de ſa puiſſan.
ce &des richeſſes dont elle peut le combler
, elle transforme le belvédère en un
palais magique.
116 MERCURE DE FRANCE.
Le diamant&la douce argentine ,
L'ardent rubis , le ſaphir orgueilleux ,
Tout ces brillans , foſſiles précieux ,
D'autres encor de céleſte origine ,
Et réſervés pour le palais des dieux ,
Artiſtement façonnés en étoiles ,
Sous cette voûte où ſe peignent les cieux,
Feraient pâlir ces aſtres radieux ,
Qui de la nuit percent les ſombres voiles.
De lames d'or le ſol eſt parqueté ;
Le pur argent s'arrondit en colonnes ,
Etdes bandeaux , des ſceptres , des couronnes,
Brillent ſans ordre épars à lon côté.
Junon lui promet toutes ces récompenſes
, ſi elle obtient le prix ; mais s'il
lui eſt refuſé, elle trace le tableau prophétique
des malheurs qui fondront fur
Troye , fur Priam &fur ſa race. Tout eft
circonstancié depuis l'enlevement d'Héléne
juſqu'à la mort de Priam . Il ſemble
que Junon tienne le livre des deſtins , &
l'on pourrait lui dire que puiſqu'elle lit
fi bien dans ce livre , elle devrait bien y
voir qu'elle n'aura pas la pomme ; mais
il ne faut pas raiſonner ſi rigoureuſement
avec l'ancienne mythologie , & le poëre
ne pouvait pas ſe refuſer ce tableau qui
JUILLE T. 1772. 117
contraſte avec les peintures tiantes dont
le reſte du poëme eſt rempli .
Pâris refuſe tous les dons de Junon , &
ne veut d'autre prix qu'elle même. Junon
indignée de ſon audace , lui déclare que
le ſeul moyen d'en obtenir le pardon ,
eſt de lui décerner la pomme. Elle le
quitte. Minerve vient & fait paraître aux
yeux de Pâris le temple des arts. Ce grand
ſpectacle qu'elle étale , ſon diſcours & fes
promeſſes , bien loin de toucher Pâris qui
était ſur le point de lui faire la même
déclaration qu'à Junon , produiſent ſur
lui un effet aſſez ſingulier.
A ce dilcours de grands mots hériſſe ,
Il croit ouir une langue étrangère ,
Et lent déjà ſon coeur vuide & glacé.
Etrange effet ! cet amour téméraire
Qu'on vit braver menace , orgueil , prière ,
Par la morale eſt ſoudain terraflé.
Il laiſſe en paix cette froide ſageſſe ;
Et le dégoût ſuccéde à ſon ardeur.
Plus de defir , plus d'aveu ; la déeſſe ,
Grace à l'ennui , garantit ſa pudeur.
La même ſincérité qui nous a dicté les
juſtes éloges que méritait M. Imbert ,
nous oblige d'obſerver combien il s'eſt
118 MERCURE DE FRANCE.
mépris en mêlant ſi mal - à-propos aux
peintures attachantes de l'antiquité le
perfiflage moderne , ſi rarement plaiſant
&preſque toujours dégoûtant & froid.
C'eſt certainement une faute grave d'avilir
un de ſes principaux perſonnages&
de rendre ridicule la déeſſe des arts & de
la ſageſſe. Pallas ne doit point tenir un
difcours de grands mots hériffé , & cela eſt
ſi vrai que le diſcours qu'elle tient dans
le poëme n'eſt rien moins que ridicule&
ne doit point inſpirer le dégoût ni l'ennui,
La déeſſe des arts ne doit point parler une
langue étrangère à Paris que l'antiquité
nous repréſente comme un homme diftingué
par des talens agréables , & compoſant
des chanſons pour les Dames
Troyennes ſur ſa lyre voluptueuſe.
Grataquefæminis
Imbelli cithará carmina divides.
HOR.
Pallas devait lui inſpirer du reſpect ,
& non pas du dégoût. L'auteur a voulu
foutenir ici le caractère qu'il donne à Paris
, dont il dit dans le premier chant :
Infecte aílé , papillon de toilette ,
Il poſlédoit la chronique du jour
JUILLET. 1772. 119
Savait à fond la mode & l'étiquette.
vif , enjoué , fertile en jolis riens ,
Jamais favant , craignant de le paraître.
Bref il était à la cour des Troyens ,
Ce qu'on appelle en France unpetit maître.
Mais c'eſt encore une faute dans M.
Imbert d'avoir donné ce caractère au héros
de ſon poëme. Pourquoi lui attribuer
des travers , lorſqu'il faut le rendre intéreſſant
? fi M. Imbert eût ſongé combien
unpetit maître qui peutamuſer unmoment
dans une comédie , eſt un mince perſonnage
dans un poëme , il eut rendu Pâris
amoureux de Vénus dès le premier chant,
au lieu d'atendre juſqu'au quatrième , &
de lui faire concevoir les projets d'un fat.
Cette idée de donner la pomme à celle
dont il ferait la conquête , & de riſquer
la même entrepriſe ſur les trois rivales a
pû paraître plaiſante à l'auteur ; mais dans
un poëme dont le ton eſt en général noble
& ſérieux , cette ſaillie comique fait une
diſparate choquante & ôte tout intérêt au
caractère de Paris. Si l'auteur ſe rend à
l'avis de tous les amateurs éclairés qui
s'intéreſſent à ſes talens & à ſes ſuccès ,
il corrigera cette partiede fon ouvrage &
fera de Pâris un homme très- voluptueux
120 MERCURE DE FRANCE.
& très - paſſionné , peu touché des grandeurs
que Junon lui propoſe , reſpectant
beaucoup la ſageſſe & les arts , mais trouvant
qu'ils ne ſuffiſent pas pour le bonheur
, & n'enviſageant ce bonheur que
dans la poſſeſſion de Vénus qu'il préfére
à la puiſſance , à la ſageſſe & aux arts.
Revenons .
Vénus tranſporte les délices de Paphos
ſous les yeux de Pâris. Il céde à l'impref.
ſion de cette douce magie. Il ſent le beſoin
du plaiſir. Il aime Vénus ; il fait l'aveude
ſon amour , & promet la pomme
àla déeſle pour prix de ſes faveurs. Vénus
l'écoute ſans colère ; mais elle ne veut
pas qu'il doive ſa victoire à l'intérêt ou à
la vanité. Plus délicate que Pâris , elle
veut d'abord qu'il prononce en juge , &
qu'il attende comme amant ce que l'amour
voudra bien lui accorder .
Le quatrième chant nous repréſente
Pâris plus épris de Vénus depuis les eſpérances
qu'il lui a données. Vénus ellemême
partage ſa paſſion. L'amour a bleſſé
ſa mère , elle porte le trait dans ſon coeur.
Ce chant nous offre des peintures charmantes
.
En viſitant les corbeilles de Flore ,
Vénus rêvait comme on rêve en aimant.
De
JUILLE T. 1772. 121
De fleur en fleur un inſtinct qu'elle ignore
Guide ſes pas vers ceux de ſon amant.
Deux coeurs épris ſe fuiraient vainement ;
Sans le ſavoir , ils ſe cherchent encore .
Va , cours , Pâris ; Vénus cueille des fleurs ;
Préviens les voeux ; compoſe une guirlande ,
Et ſans nourrir d'impuiſſantes douleurs ,
Porte à ſes pieds tes voeux & ton offrande.
Il part , il vole. Aveugle dans ſon choix ,
Il ſaiſit tout ; ſi ſa main trop hâtée
Cueille une roſe , elle en effeuille trois ,
Impatient , il ſe trouble , & trois fois
Avec la fleur la tige eſt emportée.
Seule irritant l'oeil jaloux de Pâris ,
Tu n'ıras point embellir ce qu'il aime ,
Tendre anémone où reſpire Adonis ,
Où cet amant ſe ſurvit à lui - même.
Pâris aux pieds de Vénus lai préſente
le bouquet qu'il vient de cueillir . Vénus
veut le fuir & reſte près de lui . Il jure
qu'il ſera refpectueux. Il s'affied à ſes
pieds .
L'un des oiſeaux que Vénus a nourris ,
Vient à leurs yeux étaler ſon plumage ;
Priſme vivant des couleurs de l'Iris ,
Vole au tour d'eux , bât de l'aîle & plus ſage ;
Va ſe poſer dans le ſein de Cypris.
Tout eft baisé , l'oiſeau tendre & folâtre
1. Vol.
ン
F
122 MERCURE DE FRANCE .
Erre par-tour , roucoulant , becquetant ,
Feint d'échapper , va , revient à l'inſtant ,
Et de la queue épanoüit l'albâtre.
Souvent de l'aîle il ſemble , amant jaloux ,
Couver le ſein de la belle déeſle.
Souvent l'oileau bailé ſur les genoux
De l'amant même alarme la tendretle.
Bannis l'effroi dont ton coeur eſt frappé ,
Heureux amant , ton triomphe s'apprête.
Sous ce plumage amour enveloppé ,
Ates tranſports vient livrer ta conquête.
Le dieu malin uſant d'un doux loiſir
Et plus hardi par fa métamorphoſe ,
En ſe jouant la diſpoſe au plaiſir ,
Et de ſon bec , dans ſes lévres de roſe ,
Fait circuler tous les feux du defir.
Soudain Vénus s'attendrit & foupire.
Son oeil déjà de plaiſir enivré
Cherche le prince & l'enflamme & l'attire,
Pâris ſe trouble , & fon coeur pénétré
Demeure en proie aux flammes du délire.
Des deux amans le rang eſt confondu .
Plus de barrière entre le Ciel & l'homme.
Un frais nuage autour d'eux étendu
D'un or fluide a déjà fait un dôme ;
Et cet arrêt dans l'air eſt entendu ;
Pâris triomphe & Vénus a la pomme.
L'Echo frappé répond à cette voix ;
Tous les amours invités par leur frère ,
:
JUILLET .
123 1772 .
Volent ſur l'heure & vuident ſon carquois ;
Cent traits de feu décochés à la fois
En ſe croifant traverſent l'hémisphère.
Tel quand l'hymen par nos voeux réclamé
Brûle nos Rois de ſes flammes fécondes ,
Des mains de l'art le ſalpêtre allumé ,
Se diviſant en fléches vagabondes ,
Vole & des cieux fend l'azur enflammé .
Vénus jouit; tout reſſent ſon ivreſſe.
Sous les glaçons la tremblante vieilleſſe
Retrouve encor la chaleur du printems .
Un feu précoce enhardit la jeuneſſe
Et les époux reſſemblent aux amans.
On voit que M. Imbert a dans ſon
ſtyle beaucoup d'élégance , un heureux
choix de mots , de la verve , de l'imagination
, & qu'il ne lui manque que ce
degré de maturité ,& cette fûreté de goût
que le tems ſeul peut donner & qu'il acquerra
d'autant plus aisément qu'il étudiera
le naturel des anciens & qu'il évitera
avec plus de ſoin l'affectation& le faux
bel eſprit , aujourd'hui trop à la mode.
Ce poëme eſt ſuivi de poëſies diverſes
dont pluſieurs font très agréables. Tels
ſont par exemple des contes de huit ou
dix vers , narrés avec rapidité & avec pré
ciion.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
Au pauvre Jean , prochaine baſtonnade
Etait promiſe ; il n'allait qu'à tâtons ,
Il ne rêvait , ne voyait que bâtons ;
Tous les recoins cachaient quelque embuſcade.
Bâtons un jour s'eſcrimant ſur ſa peau
Firent beau bruit ; mais Jean loin de ſe plaindre;
Ah ! bon , dit il , rajuſtant ſon manteau ;
Dieu ſoit béni ; je n'ai plus rien à craindre.
En voici un autre dont la tournure eſt
imitée d'une épigramme de Rouſſeau.
Un lavantaſſe , eſprit froid & péſant ,
Voulait un jour déprimer un poëte ;
Lors il plaiſante en fort mauvais plaiſant ,
Et rit tout ſeul des bons mots qu'il lui jette.
Eſprit ſavant , diſait cet érudit ,
C'eſt grand malheur que tu fois un ignare.
Homme ſavant , reprit l'autre , homme rare ,
C'eſt grand malheur que tu manques d'eſprit.
On trouve auſſi quelques fables . Les
deux meilleures font le Pécher &le Pay-
Jan &fon fils.
Il feroit à fouhaiter que l'auteur retranchât
de fon receuil dans une nouvelle
édition pluſieurs morceaux qui ne font
pas dignes de fon talent , une épître aux
Muſes , un dialogue entre Molière & Poinfinet,
le bouquet de l'Amitié, Thérefe Danet
JUILLET. 1772. 125
à Euphémie , &c . M. Imbert a cru ce ſujet
intereſſant & il ne l'eſt que trop. Mais il
aurait dû faire réflexion que dans la bou .
che de ces infortunés dont le malheur eſt
fi réel & fi proche de nous , un langage
poëtique qu'ils n'ont jamais pû tenir , fi
étranger à leur état & à leur fituation , eſt
abfolument fans illuſion & fans intérêt.
D'ailleurs il faut bien ſe garder de faire
dire des chofes communes aux grandes
douleurs & Théreſe Danet n'en dit guères
d'autres. La meilleure de ces pièces fugitives
eſt une epître de l'auteur à un poëme
Sansgravure.
Allez , mes vers , troupe légère ,
Doux enfans de la volupté.
Allez de ma témérité
Trouver la peine ou le ſalaire ,
La mort ou l'immortalité.
Vous murmurez ; dieux quel augure !
Mais je devine ; aſſurément
Le burin cauſe ce murmure.
Vous voudriez modeſtement
Emprunter fa riche impoſture ,
Et ſuppléer adroitement
A la beauté par la parure.
O Ciel ! quel air d'austérité !
Me direz - vous ; quoi ! ta fierté
Brave tout juſqu'à l'étiquette !
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
Mais c'eſt folie en vérité.
Voit - on une muſe ainſi faite
Soutenir avec dignité
Et le coup - d'oeil de la beauté
Et le grand jour de la toilette ?
Ah ! quelle affreuſe nudité!
S'écriera la jeune coquette.
Quoi cela parle volupté !
Vite , emportez - moi ce ſquelette ,
J'en ai tout le coeur attriſté .
Souvent pour fuir un tel outrage ,
Omes vers ! on ſe pare en vain.
Le Public pour nous eſt d'airain ,
EtLongueil & fon art divin
Hâtent ſouvent notre naufrage.
Je l'ai vu ce Public malin
Perfifler d'un air inhumain
Le graveur , l'auteur & l'ouvrage.
Eh ! moins d'apprêt , c'eſt le plus ſage:
N'allons pas mériter enfin
Son fuffrage par le burin ,
Mais le burin par ſon fuffrage.
Quand vous aurez ſu réuffir ;
Sous une parure étrangère ,
Vous pourrez vous enorgueillir .
Rien ne meſſied à qui fait plaire.
Quand on déplaît, on a beau faire ,
Et ſe parer , c'eſt s'enlaidir.
JUILLET. 1772. 127
La Théorie pratique de l'Eſcrime , pour la
pointefeule ; avec des remarques inftructives
pour l'affaut , &les moyens d'y
parvenir par gradation : dédiée à S. A.
S. Mgr le Duc de Bourbon , par le St
Batier. A Paris , de l'imprimerie de la
V. Simon & fils , rue des Mathurins ,
brochure in- 8 ° . de 75 pages .
L'eſcrime que le philoſophe Montaigne
appelloit un métier de fubtilité dérogeant
à la vraie & naïve vertu , peut être
enviſagée comme un pur exercice . L'art
de l'eſcrime conſidérée ſous ce point de
vue eſt utile , néceſſaire même au militaire
qui veut acquérir dela ſoupleſſe, de
la légereté & cette vigueur néceſſaire
pour foutenir les fatigues de la guerre.
Les leçons d'eſcrime de M. Batier ne
donneront point la pratique de cet arr ,
mais elles procureront les moyens de
l'acquérir plus facilement. L'élève qui ſe
fera rendu familières les inſtructions contenues
dans cet écrit fera plus en état de
recevoir les leçons du maître. S'il fait attention
aux exercices du corps & du poignet
qui y font démontrés , il connoîtra
ce qu'il faut pratiquer pour les rendre
ſouples , or cette ſoupleſſe eſt abſolument
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
effentielle pour la facile exécution de
P'exercice.
Campagnes de M. le Maréchal de Maillebois
en Italie , miſes en ordre par M.
le Marquis de Peſay , meſtre de camp
de Dragons , aide- maréchal général des
logis , des camps & armées du Roi ,
propoſées par ſouſcription. A Paris ,
chez Delalain , libraire , rue & à côté
de la Comédie Françoiſe .
Cet ouvrage , ſuivant le Profpectus qui
ſe publie chez le libraire ci-deſſus nommé
, formera trois volumes ; deux de ſept
à huit cens pages in -4°. chacun , & un
volume de planches. Le prix de la foufcription
fera de 96 livres , dont 60 feront
payées en ſouſcrivant , & le furplus en
retirant l'exemplaire. Cette ſouſcription
ſera fermée le premier Septembre de la
préſente année 1772. Le prix de l'ouvrage
pour ceux qui n'auront point foufcrit
ſera de 144 livres. Les quittances de
ſouſcription feront ſignées de M. Beljambe
, ingénieur géographe. Les perfonnes
de provinces & les Etrangers s'adreſſeront
à lui en ſa demeure , à Paris , rue de
la Traverse , barrière de Séves; ils font
....
JUILLET. 1772. 129
priés d'affranchir le port de leurs lettres
&de leur argent .
Le choix & la quantitè des matériaux
que le redacteur a eu à confulter , rendent
cet ouvrage militaire le plus complet &
le plus précieux qui ait encore paru . Tous
ces matériaux ont été puiſés dans les porte-
feuilles de M. leComte de Maillebois ,
fils du Maréchal. Les conſeils de ce militaire
éclairé ont ajouté un nouveau prix
aux mémoires qu'il a permis de confulter
pour la gloire de ſon père. L'ouvrage eſt
diviſé en cinq parties. La traduction de
Bonamici & les notes dans lesquelles on
refute les faits dénaturés par lui forment
la première. La ſeconde partie renferme
un journal très- détaillé des campagnes de
1745 & 1746 en Italie. Il eſt précédé &
ſuivi d'un tableau général de la guerre
de 1741. La plupart des pièces d'après
leſquelles ce journal a été formé & Bonamici
refuté , compoſentla troiſième partie
, ſous le titre de Pièces justificatives.
La quatrième partie contient un index
géographique conſidérable , relatif aux
campagnes dont on rend compte dans cet
ouvrage. On y trouvera des détails intéreffans
fur la force des places de guerre ,
fur la capacité des fleuves & de pluſieurs
xuiſſeaux , fur les époques les plus max
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
quées de leurs débordemens , fur la narure
de leurs lits & du terrein qui les avoifine
, ſur les points les plus favorables
qu'ils préſentent pour la jettée des ponts ,
& fur les points particuliers où des ponts
ont été conſtruits dans les différentes
guerres , &c . Un volume in folio de
planches gravées d'après des plans levés
fur les lieux , forme la cinquième partie
&une des plus précieuſes de l'ouvrage .
Les champs de bataille , les camps , les
matches & les ſiéges des campagnes de
de 1745 & 1746 ſe trouvent dans ce volume
avec une carte exacte de tout le
théâtre de la gueire. Il y aura à la fin de
ces mémoires une liſte complette de tous
les officiers tués ou bleſſés dans ces campagnes
. On peut voir dès à préſent chez
le libraire les épreuves des plans gravés ,
& preſque tout le premier volume imprimé.
Expériencesfur la bonification de tous les
vins , tant bons que mauvais , lors de la
fermentation , ou l'art de faire le vin, à
l'uſage de tous les vignobles du royaume
, avec les principes les plus effentiels
fur la manière de gouverner les
vins. Par M. Maupin; ſeconde édition
revue & corrigée , in- 12. A Paris, chez
JUILLET. 1772. 131
Muſier fils , libraire , quai des Auguftins.
Ce bon écrit économique eſt ſuffiſamment
connupar la première édition quien
a été publiée . La méthode de M. Maupin
pour améliorer les plus mauvais vias , en
corriger la verdeur , la dureté & tous les
défauts groffiers qui les dégradent , a reçu
l'approbation de la Faculté de médecine
de Paris , & de tous ceux qui ont repété
les expériences de l'auteur.
Plus heureux queſages ; proverbe en vers
& en trois actes , brochure in 8 °. A
Paris , chez Vente , libraire , rue &
montagne Ste Geneviève.
Qui ne risque rien n'a rien ; autre proverbe
en vers & en trois actes , à la
même adreſſe.
Un amant , dans la première pièce ,
oublie une maîtreſſe conſtante & fenfible
pour ſe livrer aux artifices d'une coquétte
décidée. Çette, coquette , ſous l'habit
d'homme , fuit les traces de ſon amant&
tente de ramener ce coeur volage à ſes
premiers ſermens. Tous les deux reaſſifſent
, après une conduite ſi peu meſurée ,
à reprendre leur premiére chaîne qui doit
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
1
fixer leur bonheur , en quoi ils ſont plus
heureux que ſages .
La ſeconde pièce nous paroît être du
même auteur. Elmire, jeune veuve , a deux
amans ; l'un eſt une eſpèce d'agréable ,
toujours plus content de lui que des autres
& qui regarde la ſincérité en amour
comme un ridicule. Il n'aſpire à la main
de la jeune veuve que pour accommoder
ſes affaires qui font un peu dérangées.
L'autre amant a des motifs plus honnêtes
, plus faits pour inſpirer du retour ;
mais il eſt livré à une jalouſie qui le rend
prompt à s'alarmer des moindres démarches
de fa maîtreſſe. Il eſt préféré cependant.
Elmire ne voit dans l'inquiétude de
cet amant qu'un amour violent& qu'une
délicateſſe exceſſive. Elle eſpère que par
fa franchiſe & par fon attention a faire
connoître ſes moindres démarches à cet
amant , elle le guérira de cette humeur
inquiète , capable de faire vivre celle
qu'il épouſe dans la contrainte& le tourment.
C'eſt ſans doute une entrepriſe bien
hafardée que de tenter de corriger un
jaloux ; mais qui ne riſque rien n'a rien.
Il y a dans le dialogue de ces deux pièces
-de la facilité , de l'agrément&un ton de
décence qui rend ces fortes de petits
JUILLET. 1772. 133
Drames très- propres aux amuſemens de
fociété.
Effais de Philofophie & de Morale , en
partie traduits librement , & en partie
imités de Plutarque , par M. L.
Caftilhon ; à Bouillon , aux dépens de
la Société Typographique ; & à Paris ,
chez Lacombe , Libraire tue Chriſtine,
grand in 8 ° . prix 4 liv. broché .
Nous avons de Plutarque des Traités
de Morale remplis de préceptes utiles ,
de maximes excellentes , de réflexions
ſages , de faits curieux qu'on ne trouve
point ailleurs , & qui parlant à l'imagination,
nous rendent plus préſens les
préceptes de la Philofophie & de la
Morale. Le grand art de Plutarque eſt de
ſe mettre à la portée de tous ſes lecteurs
, d'éloigner le ton dogmatique pour
ne laiſſer entendre que la voix de l'ami
qui conſeille , de paroître plus occupé de
fon lecteur que de lui-même , & d'apprêter
à penſer à ceux qui méditent ſes
écrits . M. Caſtilhon qui a fait une étude
particulière des OEuvres Morales de ce
Philoſophe , a cherché à nous en rendre
la lecture plus facile , plus agréable ,
plus intéreſſante même , en écartant bien
134 MERCURE DE FRANCE.
des faits arides , des réflexions prolixes,
des obſervations phyſiques reconnues aujourd'hui
fauſſes & abuſives. Le rédacteur
s'eſt même appuyé quelquefois ſur les
réflexions de nos Moraliſtes , & fur les
ſiennes propres , pour nous faire mieux
goûter ces eſſais de Philofophie & de
Morale. Le premier roule ſur les beſoins
de l'enfance , & fur l'éducation des jeunes
gens; le ſecond ſur l'art d'écouter. Suivent
des réflexions ſur les moyens de
rendre la lecture des Poëtes utiles aux
jeunes gens ; des obfervations ſur les dangers
de la curioſité , l'importunité des
babillards & les dangers du trop parler ;
un traité de l'influence de la vertu & du
vice ſur le bonheur & le malheur ; un
autre Traité de la fortune; un parallèle
des maladies de l'ame avec les infirmités
du corps ; des réflexions ſur ces queſtions :
combien il importe aux peuples que les
Sçavans , les Philoſophes ne dédaignent
pas d'entrer dans les Palais des Rois ?
Combien il importe à une Nation que le
Prince qui la gouverne foit inſtruit ?
L'être vaut- il le non être , &c . Tout ceci
eſt précédé de réflexions ſur la Philofophie
&la morale de Plutarque.
JUILLET. 1772. 135
Lettresfur laprofeſſion d'Avocat&fur les
études néceſſaires pourse rendre capables
de l'exercer. On y a joint un catalogue
raiſonné des livres utiles à un Avocat ,
&pluſieurs piéces concernant l'ordre
des Avocats. A Paris , rue St Jacques ,
chez Jean-Thomas Hériſſant , père ,
imprimeur- ordinaire du Roi , Cabinet
& Maiſon de Sa Majeſté ; 1772 ; vol .
in- 12.
Ce livre eſt utile en ce qu'il épargne
beaucoup de recherches & qu'il indique
la connoiſſance des bons livres . Il ſeroit
à ſouhaiter que chaque état eſit un guide
femblable qui enſeignât la meilleure fource
de l'inſtruction &des lumières .
Dictionnaire portatif de cuisine , d'office .
& de distillation ; contenant la manière
de préparer toutes fortes de viandes ,
de volailles , de gibiers , de poiffons ,
de légumes , de fruits , &c. la façon de
faire toutes fortes de gêlées , de pâtes ,
de paſtilles , de gâteaux , de tourtes ,
de pâtés , vermichel , macaronis , &c,
& de compoſer toutes fortes de liqueurs
, de ratafiats , de ſyrops , de glaces,
d'effences, &c. ouvrage également
136 MERCURE DE FRANCE .
utile aux chefs d'office & de cuiſine les
plus habiles , & aux cuisinières qui ne
font employées que pour des tables
bourgeoiſes. On y a joint des obſervations
médécinales qui font connoître
la propriété de chaque aliment , relati .
vement à la ſanté , &qui indiquent les
mets les plus convenables à chaque
tempérament ; nouvelle édition , revue
, très - corrigée & enrichie d'un
grand nombre d'articles refaits en entier
. A Paris , chez Lottin le jeune , libraire
, rue St Jacques , vis à- vis la tue
de la Parcheminerie ; vol . in - 8°.
1772 .
La nouvelle édition de cet ouvrage
dont le titre explique ſuffisamment l'objer
eſt recommandable par ſes augmentations
&ſes corrections .
JUILLET. 1772. 137
LETTRE de M. l'Abbé Roubaud à
M. le B. de S. fur l'Enfant qui voit les
eaux Souterraines , annoncé dans la
Gazette de France , No. 41 & 45 ,
dans la Gazette d'Agriculture , Nº . 42
& 45 , & c . A Paris ce 2 Juin 1772 .
MONSIEUR ,
Vous avez raiſon : avant de ſe tourmenter
pour expliquer le phénomène de la dent d'or , il
eſt à- propos de s'allurer de ſa réalité . Quand on
adeviné la cauſe d'un effet imaginaire , on eft
un peu honteux d'être trop ſçavant. Il y a méme
de ces merveilles qu'il eſt bon quelque fois de
ne pas approfondir : par exemple , je ne ſçais
pas ce que ſont devenus les pepins d'or des
raiſins de Hongrie , mais je crois qu'on fait bien
de s'en tenir àmanger les raiſins , ou à en boire le
vin.
Je conviens encore avec vous , Monfieur , qu'il
ne faut pas toujours croire certaines hiſtoires extraordinaires
quoiqu'en apparence bien atteſtées ;
je citerai celle des Vampires. On a raiſon de ſe
méfier de ces gens qui ont beſoin d'apprêts , de
ténèbres, de précautions , de myſtères pour opérer
ou voir des prodiges ; on peut les ſoupçonner de
préparer la gibeciere. Il y a eu des fourbes , des
charlatans , des viſionnaires , des ſots , il ſeroit
poſſible qu'il y en eût encore. Pendant que j'étois
133 MERCURE DE FRANCE.
au ſéminaire d'Alais , l'imagination vive d'un domeſtique
, âgé d'environ trente ans , lui metroit
ſous les yeux un pigeon qui le pourſuivoit nuit &
jour , en lui montrant les dents. Ce jeune homme
mepromit de me le faire voir en plein midi , je le
ſuivis , il vitle pigeon & ſes dents & le trouva
mal. Lorſqu'il eût repris ſes ſens , il parut très-perfuadé
que j'avois vu , comme lui , ſa bête , & il
me l'auroit perfuadé , ſi je l'avois voulu Il me
cita & bien des gens mecitèrent comme témoin ,
fur ſa parole.
Il ne faut pas toujours croire , non ; mais auſſi
il ne faut pas toujours ne pas croire . Quelque
commode qu'il foit de nier ce qu'on ne conçoit
pas; on eſt ſouvent obligé de reconnoître au
inoins tacitement beaucoup de choſes que l'on ne
comprendra peut- être jamais.
On a vu de certaines gens qui prétendoient
avoir vu des armées ſe battre dans les airs : oh !
il eſt certain que nos foldats ont beſoin d'avoir le
pied ſolidement appuyé , mais il n'eſt pas impoſſible
que des nuages fatient l'effet d'un miroir , &
réfléchiffent à grandes diſtances l'image d'une bataille
donnée au loin; ainſi de tant d'autres vifions
. L'incrédulité , pouſſée à un certain période,
n'est qu'une fotte croyance de ſon propre jugement
, ou plutôt une ridicule affectation de cette
fotte croyance.
Vous voulez , Monfieur , que je vous diſe ce
que je penſe du don de la nature attribué à Jean-
Jacques Parangue: le fait eſt incroyable , mais il
eſt atteſté par des témoins très-croyables ; je n'en
dirai pas davantage. M. de Fontenelle eut tort de
s'expliquer , ſur l'hiſtoire de Mlle Tetard , demanière
à laiſſer préſumer aux gens qui préſument
beaucoup , qu'il avoit donnédans le piége. Trou
JUILLET. 1772. 139
vezbon , Monfieur , que je me borne à expoſer
les raiſons de croire ce qu'on dit des regards perçans
de notre hydroſcope , en vous invitant à
combattre ces motifs de crédibilité .
Convenons d'abord que cet enfant de quatorze
ans n'eſt ni un fourbe ni un viſionnaire , ſi en
effet , dans un pays qu'il ne connoîtra pas , il vous
conduit de l'inviſible au viſible , je veux dire, d'un
lieu aride& par un chemin aride à des ſources ou
-des débouchés d'eaux découverts ; s'il ne ſetrompe
pas & s'il ne vous trompe jamais ou preſque jamais;
s'il vous indique les eaux que vous avez
cachées ſous terre pour l'éprouver ; fi , &c. C'eſt
ce qu'atteſtent , dans la Gazette de France & dans
la gazette d'agriculture , M. de la Tour , ingénieur
, M. Menuret , médecin , M. Bolliod de
Brogieux , Mde Gartier : ils citent tous une infinité
de témoins , ils parlent de différens faits tous
publics , & je ſuis en état d'offrir beaucoup d'autres
témoignages pour peu qu'on le defire.
Convenons encore que ſur un pareil objet ,
Jean Jacques Parangue , enfant fort ſimple , à ce
qu'on affure , ne sçauroit avoir le talent de faſciner
les yeux d'une foule innombrable de ſpectateurs
même des plus éclairés & des plus incrédules
, de façon qu'il ne s'en trouvât pas un ſeulqui
reclamât contre le témoignage des autres. Je ſçais
que le peuple a ſouvent vu ſur tout dans l'Orient
& qu'il y voit peut être encore des magiciens
foulever les eaux , exciter des orages , diſpoſer de
la foudre ; mais la race de ces hommes -la s'eſt
perdue en Europe.
Il faudra donc que les gens de Marseille , de
Montélimart , de Valence , du Vivarais , &c. fe
foient concertés avec le petit coquin de Parangue,
140 MERCURE DE FRANCE.
pour nous en faire accroire , à nous bonnes gens
de la vule de Paris . En tout cas , ils ne feront pas
fortune à ce métier là; leur part du gâteau ſera
petite. Parangue ne gagne qu'un écu par jour , &
ce fontces metlieurs la qui le lui donnent. Peutêtre
ne ſe propoſent-ils ſérieuſement que de rire
un peu à nos dépens ; mais oui , ils auront le
plaifir de nous traiter de dupes & la gloire d'être
reconnus impoſteurs. Il est vrai pourtant qu'ils
écrivent à leurs amis , à leurs voiſins , à des perſonnes
qui peuvent auſſi tôt voir & qui voient
en effet parelles mêmes. J'avoue que ſi les gens
de ces pays la , prêtres, militaires , ſçavans, hommes
, femmes , peuple , ont la malice de s'entendre
à cinquante licues les uns des autres pour me
tromper fur des objets de cette nature , ils me
tromperont peut être encore quelque fois .
Et ce M. Menuret qui a l'air d'être un homme
de beaucoup de mérite & qui va ſe cafler la tête
pour raiſonner fur un phénomène qu'il croit imaginaire
, qu'en dites-vous, Monteur ? On m'a promis
ſes reflexions , j'aurai l'honneur de vous les
communiquer.
Il y a plus d'un Pariſſen qui traite cette relation
deconte, par la raiſon que nous n'avions pas entendu
parler dans cette ville de Jean Jacques Parangue
, avant qu'on nous en eût parlé. Je conviens
qu'on doit tout ſavoir ici , &, que la Provence,
leDauphiné , le Languedoc ont eu grand
tort d'être inſtruits de ce que Paris ignoroit; mais
enfin ce n'eſt qu'un tort. Il y a peut- être beaucoup
de gens de Paris qui n'ont pas encore entendu
dire qu'il y avoit actuellement en France , une
fille qui parle& chante très-bien ſans langue ;
elle parcourt depuis quelques années les grandes
villes du royaume; l'année dernière elle étoit à
JUILLET. 1772. 141
Rouen. Parangue n'étoit prophéte que dans fon
pays ; & c'eſt ſur ſa renommée qu'on l'a appellé
à Viviers , à Montélimart , à Valence , à Niſmes ,
à Toulouſe , &c . Oui , il a fallu près de neuf ans
pour que la réputation vînt juſqu'à nous , car il
ſe rappelle que dès l'âge de cinq ans , il voyoit les
eaux ſous terre ; il eſt vrai qu'alors il les voyoit
de façon à les confondre avec celles qui font à la
furface , & qu'il a eu beſoin de tems & de réflexions
pour rectifier ſon jugement & diftinguer
les eaux fouterreines d'avec les eaux furnageantes.
Sur ce point-là nous n'avons que fon témoignage
& celui de ſon frère ; l'objet eſt aſlez indifférent
pour que nous les en croyions ſur leur parole
, ſi nous ajoutons foi à la ſuite de l'hiſtoire .
Parangue voit donc les eaux qui ſont cachées
comme celles qui font apparentes ; il les voit d'une
viſion intuitive , car c'eſt réellement voir, comme
l'obſerve M. Menuret , que d'éprouver par l'exiftence
des eaux intérieures dans l'organe de la vue
la même ſenſation que celle qu'on éprouve par
la préſence des eaux extérieures. Il n'eſt donc
point ſimplement averti de l'existence de l'eau cachée
par l'impreſſion des vapeurs. Il les voit fous
terre , à l'endroit où elles font , puiſqu'il en indique
à peu près la profondeur & le volume ; les
vapeurs ne lui donneroient certainement pas ces
lumières, il en reſſentiroit d'ailleurs vraiſembla le
ment l'impreſſion à travers les planches , & toutefois
il ne voit plus rien lorſque ce gente de corps
eſt interpoſé entre la vue & l'eau . Cependant ſi
l'on veut que ce ne ſoit là qu'un ornement de l'hiſ
toire , j'y confentirai volontiers .
A propos de vapeurs , on a vu , il n'y a pas
longtems , en France , un Religieux qui éprou
142 MERCURE DE FRANCE.
voit des convulfions violentes lorſqu'il prenoita
la main un verre plein d'eau; malgré cela , il en
buvoit comme tout le monde , ſans accident. Ce
phénomène - là n'eſt pas fans doute auſſi ſurprenent
que le premier , il l'eſt pourtant , ce me ſemble.
Revenons à Parangue. Je ne vous diffimulerai
pas , Monfieur , qu'un célèbre membre de notre
Académie des Sciences , rapporte , à ce qu'on m'a
dit , qu'étant à Marseille , il avoit entendu parler
de cetenfant , & que dans ce rems-là un particulier
fit creuſer à une très grande profondeur ſans
trouver de l'eau dans un endroit où l'hydroſcope
avoit indiqué une fource. Si la choſe eſt telle, la
vue de Parangue n'eſt ou n'étoit pas alors infailible
: nos yeux nous trompent auſſi quelque fois
fur les objets de leur reffort . Un fait iſolé ne détruiroit
pas des expériences mille&mille foisré
pétées avec le même ſuccès.
Sçavez vous à préſent , Monfieur , ce qu'il faut
croire ? Vous voudriez voir encore ; & moi aufſi,
je voudrois voir. Avez-vous entendu parler , ily
aquelques années , d'un payſan de je ne fais quel
canton, qui prétendoit avoir ces mots , Sit Nomen
Domini benedictum , naturellement imprimés
autour de ſes prunelles ? Tout ſon canton les liſoit
dans ſes yeux : il offrit de venir à Paris fatisfaire
la curioſité du Public; on lui manda de partir ,
il n'en fit rien . Vraiſemblablement dans l'intervalle
, l'infcription s'étoit effacée par quelque accident.
Il feroit facile de mettre Parangue à la
même épreuve , ſi l'on ne veut en croire que foimême;
il va par-tout où on l'appelle. Ceux qui
atteſtent le fait ne le croyoient pas avant de l'avoir
vu; ils ont vu & ils ont cru.
J'ai l'honneur d'être , &c.
JUILLET. 1772 . 143
MONSIEUR ,
En lifant , à la page 219 du Mercure de
ce mois , l'article de Jean Jacques Parangue ,
je me ſuis rappellé que l'Auteur des variétés hiftoriques
, physiques & littéraires , Par. 1752 Tom.
2. pag. 473 , rapporte quelques faits ſemblables,
dont je vais avoir l'honneur de vous rendre
compte.
Il y avoit , dit-il , à Lisbonne , en 1730 , une
femme appellée Madame Pedegache , dont le
mari étoit François de nation , qui avoit de vrais
yeux de Lynx. Elle découvroit l'eau dans la terre
juſqu'à la profondeur de 30 & 40 brafles . Elle
difoiz les différentes couleurs de la terre , depuis
ſa ſurface juſqu'à l'eau qu'elle avoit trouvée , en
matquant fur la terre les différens endroits où
l'on devoit creuſer : ici , difoit elle , vous trouveiez
une veined'eau à telle profondeur , d'une telle
grofleur; là vous en trouverez une autre plus
petite ; auprès de celle là il y en a une plus groſſe
que les autres. Au reſte elle ne voyoit ce qui étoit
caché dans la terre que par les vapeurs qui en
fortoient , qui lui faiforent diftinguer les qualités
de terre , de pierre , de fable , &c. juſque dans
l'endroit poſitif où se trouvoit l'eau ; mais où
il n'y avoit point d'eau , elle ne voyoit rien .
Cequi n'eſt pas moins ſurprenant , c'eſt qu'elle
voyoitdans le corps humain lorſqu'il étoit ànud,
car la vue ne pénétroit pas à travers les habits.
Elle diftinguoit parfaitement le coeur , l'eſtomac ,
les abcès s'il y en avoit , la bile trop abondante ,
&autres infirmités qu'il pouvoit y avoir : elle
voyoit le lang circuler, la digeftion ſe faire , le
144 MERCURE DE FRANCE.
chyle ſe former , & enfin toutes les différentes
parties qui compoſent & qui entretiennent la
machine , & leurs diverſes opérations : elle voyoit
à ſept mois de groſleſſe , ſi une femme étoit enceinte
d'un garçon ou d'une fille , ce qui lui eſt
arrivé à elle-même , outre d'autres expériences
qu'elle a faites pour fatisfaire quelques curieux ,
& entr'autres une femme enceinte de deux jumeaux.
En un mot elle voyoit dans le corps , comme
on voit dans une bouteille .
Au reſte , continue notre auteur , cette forme
Portugaiſe n'eſt pas l'unique perſonne qui ait été
pourvue du rare avantage d'une vue ſi pénétrante .
On a vu à
vers, un prisonnier dont la vue
étoit ſi perçante & fi vive , qu'il découvroit ſans
aucun ſecours d'inſtrument & avec facilité tout
ce qui étoit caché & couvert , ſous quelque forte
d'étoffes ou habits que ce fût , à l'exception ſeulement
des étoffes teintes en rouge.
Ce fait ſi ſingulier eſt atteſté par le célébre M
Huygens , dans une lettre qu'il écrivit de la
Haye , le 26 Novembre 1646 , au P. Merſenne ,
fon intime ami . Cette lettre eſt la huitième du
troiſième volume des originaux des lettres qui ont
été écrites de toute l'europe , à ce ſavant Religieux
, fur une infinité de matières , de ſciences
curieuſes , & c . On les trouve toutes dans la Bibliothéque
du Couvent des Minimes de la place
royale de Paris.
Je ſuis&c.
Obfervations.
Voilàbiendes témoignages & des raiſons pout
engager d'ajouter foi au prodige de la viſion de
JeanJUILLET
. 1772. 145
Jean- Jacques Parangue. Cependant doit on croire
encore que la nature ait changé ſes loix éternelles
en faveur de cet enfant ; qu'elle ait rendu tranfparent
pour lui ſeul un cops opaque ; que les
eaux , fost par leurs maſſes , ſoit par leurs vapeurs
, lui deviennent viſibles , lorſque la pierre ,
le roc & des couches profondes de terre les dérobentà
tous les yeux ? On rapporte quelques
faits , on nomme beaucoup de témoins , mais on
ne cite pas une ſeule expérience bien faite pour
s'aſſurer de la réalité du prodige. Il y a une maniere
de procéder dans les ſciences qui doit être
préciſe , nette & fans incertitude ; c'eſt l'épreuve à
laquelle il faut ſoumettre le doute. L'enfant eft
peut- être de bonne foi ; il croit voir en effet ce
qu'il ne voit pas ; comme Paſcal croyoit toujours
appercevoir un précipice à ſes côtés , & comme
un autre homme ſe croyoit de verre & n'oſoit toucher
àun corps durde peur de ſe caller ; mais ces
viſions font d'une imagination malade. Lorſque
Parangue ayant fon chapeau baiſte ſur les yeux ,
regardant la terre , quand le ſoleil eſt ſur l'horiſon
, sécrie je vois de l'eau ; on creuſe, & on
trouve de l'eau , ſoit parce que le haſard le favorile
, ou parce qu'il y a de l'eau à peu près partout
àplus ou moins de profondeur. Mais faites venir
cet enfant; demandez lui s'il voit l'eau à travers
la pierre ; il répondra qu'oui ; eh bien le fait eſt
ailéà vérifier par un procédé fort ſimple. Placez
un certain nombre de vaſes dont deux ou trois
ſeulement remplis d'eau à des diſtances éloignées
fous unepierrede taille , & qu'il trace deſſus cette
pierre les endroits où il voit de l'eau ; s'il déſigne
juſte , & pluſieurs fois de ſuite la place de cha un
de ces vales remplis d'eau , alors je croirai au
nouveau prodige ; mais j'en douterai juſqu'à ce :
1. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
qu'un homme éclairé & exercé ait fait cette
oxpérience ou une autre pareille .
Credatjudæus Apella
LAE.
ACADÉMIES.
I.
Bordeaux.
L'ACADÉMIE Royale des belles- lettres,
ſciences & arts de Bordeaux , fit l'ouverture
publique de ſes ſéances le 13 Janvier
dernier.
M. Lafconbes , faiſant les fonctions de
directeur , lut un diſcours fur la marche &
leprogrès desféiences chez les anciens & les
modernes .
A cette lecture ſuccéda celle que fit M.
l'abbé Baurein , d'un mémoire contenant
des Recherches ſur un mur ancien dont il a
découvert quelques reſtes dans le village
de Sarcignan , à une lieue de Bordeaux ,
& qu'il prouva avoir été bâti par les farraſins
, lors de l'irruption qu'ils firent dans
l'Aquitaine au huitiéme fiécle .
La ſéance fut terminée par la ſuite du
JUILLET. 1772. 147
Mémoire de M. de Borda ,fur les planta
tions des bois de chêne , dont on n'avoit
pu lire qu'une partie à l'aſſemblée publi .
que du 25 Août dernier.
Programme.
Un Ciroyen , ami zèlé de l'humanité,
a fait remettre & configner entre les
mains de l'Académie une fomme de
douze cens livres , pour ſervir de Prix ,
au jugement de cette compagnie , au
meilleur mémoire qui indiqueroit , quels
feroient les meilleurs moyens pour préferver
les Négres qu'on transporte de l' Afrique
dans les Colonies , des maladies fréquentes&
fiſouvent funeftes , qu'ils éprouvent
dans ce trajet
L'Academie s'empreſſe de propoſer ce
ſujet intéreſſant ; & pour qu'il puiſſe être
traité d'une manière qui répondé aux vues
qai en ont inſpiré l'idée , elle demande :
I. Que les Auteurs décriventavec ſoin
tous les différents ſymptômes de ces maladies
, qu'ils en établiſſent la nature &
les caractères , qu'ils en diſcutent les caufes
; & que leurs principes & leurs lyftêmes
foient fondés ſur des faits bien obfervés
, & fuffisamment certifiés .
II . Que les moyens qu'ils propoſeront
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
pour prévenir ou guérir ces maladies ,
foient expofés, avec préciſion ; qu'ils
foient , autant qu'il fera poſſible , fimples
, faciles & économiques ; & que
leur efficacité ſoit confirmée par des expériences
, appuyées de routes les atteftations
convenables .
En outre , les auteurs ne devront point
ſe borner à chercher des remèdes , uniquement
déduits des principes & des expériences
de la médecine curative ; ils,
examinerontde plus.
1 °. Quelle feroit , dans la diſpoſition
intérieure des vaiſſeaux qui font la traite
la diſtribution la plus avantageuſe pour la
confervation des Noirs .
2°. Quels feroient les ſoins & le régime
les plus propres à les maintenir en
fanté.
3 °. Quel réglement feroit néceſſaire
pour qu'on n'employat fur ces vaiffeaux
quedes chirurgiens intelligens & expéri
mentés dans leur art.....
On n'entend point déterminer préci
fément par l'ordre de ces queſtions , celui
qu'on devra obſerver dans les Mémoires
qu'on demande : on a feulement cru devoir
les preſenter pour fixer les objets quiont
paru exiger une attention particulière.
:
JUILLET. 1772. 449
Lacertitude dansles faits , la netteté &
la clarté dans les détails feront fur-tout ef.
ſentielles dans ces Mémoires , les auteurs
font priés de ne ſepermettre aucune né
gligence à cet égard.
Quel qu'empreſſement que dut avoir
l'académie pour voir éclaircir une queftion
auffi importante ,elle a ſenti qu'elle
ne peut l'être que par des expériences &
des recherches néceſſairement longues &
difficiles . Cette conſidération l'a déterminée
à fixer la diſtribution de ce prix au
moisdeJanvier 1778 ; mais elledemande
que les Mémoires lui ſoient envoyés
avant le premier Janvier 1777 ; cette
Compagnie ayant voulu ſe réſerver un
an pour l'examen , afin de ſe décider
avec plus de connoiffance , fur le mérite
reſpectif des ouvrages qui feront deſtinés
au concours. Elle prie cependant les
teurs qui n'auront pas beſoin de tout le
délai qu'elle accorde , de lui faire remettre
leurs pièces le plutôt qu'ils pourront.
au-
Les paquets feront affranchis de port ,
& adreſſés à M. de Lamontaigne , fils ,
confeiller au parlement , &fecrétaire perpé.
tuel de l'Académie .
Les mémoires pourront être écrits en
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
françois ou en latin ; & les auteurs au
ront d'ailleurs l'attention de ſe conformer
exactement aux règles preſcrites dans les
Sociétes académiques .
Le Citoyen généreux qui a conſacré
à ce prix , la ſomme qu'il a fait remettre,
ſouhaiteroit , comme un moyen propre
à remplir avec encore plus de fuccès les
vues de bien public qui l'ont déterminé ,
que tous les Armateurs généralement ,
qui font le commerce de la Traite, vouluffent
bien engager , foit les capitaines ,
foit les chirurgiens des navires qu'ils
emploieront à ce commerce , à tenir des
journaux où fuſſent ſoigneuſement décrites
toutes les maladies dont leurs eſclaves
pourront être attaqués dans le trajet , &
qui préſentaſſent tous les détails convenables
des ſymptômes de ces maladies ;
de leurs progrès & de leur iſſue ; des remèdes
qu'on auroit employés pour les
traiter ; du régime qu'on auroit fait obferver
à ces malheureux; de la qualité
même des vivres qu'on leur auroit donnés
; il ſouhaiteroit qu'ils vouluſſent
auſſi faire dreſſer , pendant tout le cours
de la navigation , des tables exactes
de la température de l'air , ſoit à l'extérieur
, foit dans l'entrepont ; & faire te
JUILLET. 1772. 151
nir des notes de tout ce qui auroit páru
influer ſur la ſanté de leurs Négres .
On fent que toutes ces obſervations ,
qui pourroient être communiquées aux
Sçavans par la voie des Journaux littéraires
, augmenteroient le recueil des faits
&la maffe des connoiſſances néceſſaires
pour l'éclairciſſement du ſujet propoſé.
L'Armateur qui écoutant la voix du ſentiment
honorable qui inſpire ces ſouhaits ,
prendroit des meſures aſſurées pour que
tous les objets en fuſſent exactement remplis
, feroit , ſans doute , un homme qui
mériteroit de partager la reconnoiſſance
de l'humanité .
11.
Prix de l'Acadèmie Royale de Chirurgie.
M. Houſter , ancien directeur de l'académie
royale de chirurgie , & chargé de
l'inſpection des écoles , a fondé à perpétuité
quatre médailles d'or , de 100 liv.
chacune , pour être diſtribuées annuellement
à quatre étudians , qui , parmi les
vingt- quatre , nombre fixé par les lettrespatentes
du mois de Mai 1768 , pour con .
courir , auront le plus profité des exerci
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
ces & des inſtructions de l'école pratique
, établiſſement utile & patriotique ,
relativement à une étude qui a pour objet
la ſanté des citoyens. Ces médailles
ont été adjugées cette année à la rentrée
des écoles , la première , au ſieur Jean-
FrançoisGuelbert Rouſtagneuc, des Arcz ,
diocèſe de Fréjus ; la ſeconde , au ſieur
Charles- François Colerte de Champſeru ,
de Dreux , diocèſe de Chartres ; la troifiéme
, au ſieur Henri Lemaire , de Saint-
Omer en Artois ; la quatrième a été tirée
au fort entre les ſieurs Jean-JacquesCoindre
, de Lyon, Raimond Gignac , de
Marton , diocèſe d'Angoulême ; & Barthelemi
Gignoux , de Douzac , diocèſe
de Condom : le fort a favorisé le ſieur
Gignoux , & il a obtenu la quatrième médailled'or.
On a accordé les quatre acceffit , qui
conſiſtent en quatte médailles d'argent ,
pareillement fondées parM. Houſter , aux
ſieurs Pietre Verdier , d'Ax en Saloche ,
Jean-Baptiste Robert Gauchez , de Verfailles
; Jean-Baptiste-Nicolas Couppeau ,
de Saint-Quentin , diocèſe de Noyon ;
Pierre Marc Gisles , de Courdon , diocèſe
de Cahors ; & l'on a jugé que d'autres
élèves devoient auſſi participer à l'honneur
de la même récompenſe. Les élèves
UILLET. 1772. 153
font, les ſieurs Julien Teſſier , de Refting,
diocèſe d'Angers ; Jean Meujot , de
Portet , diocèſe de Leſcar ; Jean Baptiste
Geſlin , de Pontorſon , diocèſe d'Avranches;
Jean Beynac , de S. Cyprien , diocèſe
de Sarlat; Barthelemi Duclos , de Sadoleins
, diocèſe d'Auſch ; Jean- Baptiste
Rebuffat , de Brian , diocèſe d'Aix ; Dominique
Daſtes , de Corneillan , diocèſe
d'Auſch ; Sylvain Foffiat , de Maiſon-
Fine , diocèſe de Limoges; Nicolas Charles
Dupleffis , d'Effigni-le Grand , diocè .
ſe de Noyon; & François- Ignace Vaiffiere
, dePleaux , diocèſe de Clermont.
SPECTACLES.
OPERA
L'ACADÉMIE Royale de Muſique continue
avec ſuccès les repréſentationsd'Aline
, Reine de Golconde. Le ſpectacle de
cet opéra eſt pompeux & varié. Les ballets
ſont pittoreſques, & ingéniens ; la
muſique est d'un chant agréable & facile;
les principaux rôles font avantageux pour
la voix. M. Durand eſt applaudi dans le
rôle de S. Phar; Mademoiselle Rofalie
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
joue avec intelligence& chante avec ſem
timent le rôle d'Aline , qu'ils repréſentent
en l'absence de M. & Madame l'Arrivée.
L'ariette de la fin du troiſiéme acte ,
dont l'exécution eſt brillante & difficile,
eſt bien rendue par Mademoiselle Beaumeſnil.
Il y a dans tous les ſujets de ce
ſpectacle une émulationde talens qui intéreſſe
les ſpectateurs , & qui affure leurs
plaifirs.
COMÉDIE FRANÇOISE.
Le public a beaucoup applandi à la réſolution
que les Comédiens François ont
priſe de ne jouer les piéces de Molière
que le ſeul jour conſacré à honorer fon
génie , en reuniffant leurs efforts& leurs
talens principaux pour rendre , le mieux
qu'il eſt poſſible , les chef-d'oeuvres du
pere&du modèle de la bonne comédie.
Voici ce qu'ils annoncent.
>>Le fortdes meilleurs ouvrages du théâ
tre françois eſt d'être beaucoup lus & fouvent
repréſentés. Molière méritoit plus
que tout autre cet honneur dangereux ,
qui , en fatisfaiſant un petit nombre de
connoiffeurs ,raſfaſioit ,en quelque forte,
JUILLET. 1772. 15s
le public des chef d'oeuvres de ce grand
homme : le peu de monde qui aſſiſtoit aux
repréſentations de ſes pièces , a ſemblé
avertir Meſſieurs les premiers Gentilshommes
de la Chambre , de l'eſpèce de
diſcrétion que les Comédiens François
devoient mettre à les donner. C'eſt d'après
cette longue épreuve qu'il a été fait
un répertoire , par lequel le public fera
inſtruit des ſeuls jours où l'on donnera du
Molière : par ce répertoire , il pourra juger
que chacun de ces fublimes ouvrages
ne fera donné tout au plus que deux ou
trois fois par an , & à jour nommé . Une
autre cauſe de l'eſpèce de diſcrédit où
étoient tombées les repréſentations de ces
pièces , étoit l'abandon fait par les acteurs
en chef de pluſieurs rôles , qui , quoique
peu conſidérables , peut- être , n'en méritent
pas moins les foins & le zèle des
acteurs les plus diſtingués par leurs talens.
En conféquence de ce nouvel arrangement
, il n'en fera point parmi eux qui
ne ſe faſſe un devoir flatteur de remplir
un rôle , quelque médiocre qu'il foit ,
dans des repréſentations choiſies pour honorer
le premier de leurs auteurs : tous
les rôles feront joués par les acteurs en
chef; & le public tranſporté de l'ouvra
ge , versa du moins qu'ils n'ont rien né
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
gligé pour en rendre la repréſentation
digne de lui & de l'homme immortel
qu'ils ont à tranſmettre à la poſtérité .
Répertoire des Pièces de Molière pour la
Comédie Françoise.
Jeudi 2 Juillet , l'Étourdi & la Comteſſe
d'Eſcarbagnas.
Jeudi 16 , le Dépit amoureux , & le
Mariage forcé .
Jeudi 30 , l'École des Femmes , & le
Sicilien.
Jeudi 13 Août , l'École des Maris , &
les Fourberies de Scapin .
4 Jeudi 27 , le Miſantrope , & le Médecin
malgré lui .
Jeudi 10 Septembre , Tartuffe , & une
petite piéce.
Jeudi 24 , l'Avare , & les Précieuſes
Ridicules .
Lacune pour levoyage de Fontainebleau .
Jeudi 26 Novembre , les Femmes Savantes&
une petite piéce.
Jeudi 10 Décembre , Amphitrion , &
George-Dandin .
Jeudi 24 , veille de Noël , clôture.
Nota. Ce répertoire qui commencera
au premier Juillet 1772 ,& qui finira au
1
JUILLET. 1772, 197
premier Janvier 1773 , ſera renouvellé &
publié tous les ſix mois.
Le Mercredi 27 Mai , Mademoiſelle
Saintval , foeur de l'actrice de ce nom , a
débuté ſur le théâtre de la Comédie Françoiſe
par le rôle d'Alzire , qu'elle a joué
une autre fois ; elle a continue ſon début
dans le rôle d'Inès de Castro , qu'elle a
repréſenté trois fois; dans celui de Zaïre
une fois ; dans Iphigénie en Tauride
deux fois ; & dans Iphigénie en Aulide
deux fois . Cette actrice , âgée d'environ
18 ans , eſt d'une figure agréable ; elle a
le don précieux de peindre dans ſes traits ,
dans ſes regards , dans ſes geſtes , dans ſes
accens , la paffion&le ſentiment . Sa voix
eſt intéreſſante , ſon maintien noble , fon
jeu animé & expreſſif. Elle a beaucoup
d'intelligence pour la ſcène. Elle donne
d'autant plus d'eſpérance de ſon talent ,
qu'elle n'imite point ; & que , ſuivant le
conſeil d'une actrice célèbre qui l'a vu
jouer avec admiration , elle n'a beſoin
que de ſe conſulter elle-même , d'écouter
des avis , mais de ne prendre jamais de
leçons , &de céder à ſa ſenſibilité.
1
I158 MERCURE DE FRANCE.
Vers à Mademoiselle Saintval.
TENDRE Saintyal , enfant que chérit la nature ,
Vois nous à tes genoux brûler un grain d'encens ,
L'Amour , ce Dieu chéri , le doit à ta figure ,
Le puiſſant Dieu des vers le doit à tes talens ;
De ton printemps à peine on voit briller l'aurore ,
Des Goffin , des Clairon , héritiere en naiſſant ,
Tu règnes ſur la ſcène où tu ne fais qu'éclore ,
Et marches ſans appui ſur ſon parquet gliflant.
Tu fais peindre l'amour avec de nouveaux charmes
Tu ſais d'Inès , d'Alzire , augmenter les beautés ,
L'intérêt ſéduisant préſide à tes côtés ,
Et la brigue à tes pieds briſe ſes fières armes.
COMÉDIE ITALIENNE.
M. Caillot , dont le jeu eſt ſi vrai & fi
intéreſſant , a repris ſes rôles dans l'Amou
reux de quinze ans , dans Tom Jones , &
dans d'autres pièces , pour ſuppléer à M.
Nainville , qui eſt indiſpoſé.
Le 20 Juin , on a joué le Poirier , de
feu Vadé , opéra comique en un acte ,
mêlé de vaudevilles & d'ariettes nouvelles
.
JUILLET. 1772. 159
e Cet opéra comique a été remis au théâ
tre avec quelques légers changemens , par
M. Anſeaume. Il a fait généralement
plaifir . On aime à y retrouver la gaîté de
l'ancien vaudeville unie au charme de
la muſique moderne ; les rôles font remplis
heureuſement & rendus avec franchife
, par M. M. Laruerte , Trial & Julien
, & par Meſdames Trial & Beaupré.
La nouvelle muſique eſt de M. de S.
Amand , qui a ſu ſe prêter au tongénéral
de l'ouvrage , & lui donner des graces
fimples & naïves.
ARTS.
GÉOGRAPHIE.
Nouvelle Méthode de Géographie , ou cartes
-1
C
àjouer propres à apprendre la Géographie,
dédiées à S. A. S. Monſeigneur
le Prince de Bourbon-Conti , comte
de la Marche , par M. de Laiſtre , Ingénieur
du Roi , & de S. A. S. Monfeigneur
le Prince de Conti. AParis ,
chez Jombert , fils aîné , libraire , rue
Dauphine.
En fait d'inſtructions , toutes lesMéthodes
qui parlent aux yeux & fixent l'ar
160 MERCURE DE FRANCE .
tention des jeunes gens ſans la fatiguer ,
doivent être préférées. M. de Laiſtre a
penſé en conféquence , que ſa nouvelle
Méthode pour enſeigner la Géographie ,
pourroit être de quelque utilité à la jeunefle.
Il feroit aſſez difficile d'expliquer
cetteméthode ſans la préſence des objets ,
nous nous contenterons donc d'en tracer
une légère idée . Il y a quatre couleurs particulières
qui diſtinguent les cartes de ce
nouveau jeu , le rouge, le jaune , le verd
&le bleu ,& chaque couleur est compofée
de treize cartes , comme dans les jeux
de cartes ordinaires. Le roi & la dame
font figurés par des têtes couronnées , &
le valet eſt repréſenté par une tête couverte
d'un chapeau ou d'un bonnet , fuivant
l'uſage des différens pays. Au-deſſous
de ces eſpèces de buſtes eſt un cartouche
inſtructif ſur la Chorographie du Royaume
ou de la Province. On y lit en tête
les noms des principales villes & ceux
des rivières qui les arroſent. Au bas on y
voit certaines particularités hiſtoriques ,
les plus intéreſſantes. Le cartouche du Roi
offre , avec la ville capitale , les bornes
du royaume ou de la province. La divifion
de ce royaume ou de cette province
eſt marquée dans le cartouche de la dame.
Celui du valet contient les noms des prin
JUILLET. 1772.
161
cipales rivières. La carte qui figure l'as
porte au centre le blaſon des armes du
royaume ou de la province. Au-deſſus &
au-deſſous on lit une courte notice fur
la fertilité & le principal commerce du
pays . A l'égard des autres cartes , comme
les dix , neuf, huit , ſept , fix , cinq ,
quatre & deux , elles ſont déſignées par
un nombre de points relatifs à leur
valeur. Ces points ſont figurés en villes
& bourgs , comme dans les cartes
géographiques , & enluminées de couleurs
diſtinctives. Ces villes ou bourgs
font ceux du royaume ou de la province
dont il s'agit , avec leurs noms , leurs rivières
qui y paſſent , leur latitude & leur
diſtance de la capitale.On en trouve 54 ,
nombre égal à celui des points des baffes
cartes , ce qui préſente un certain détail
géographique qui peut ſuffire à la jeuneſſe.
Les gravures ſont exécutées avec
netteté& préciſion . On peut jouer avec
ces cartes toutes fortes de jeux auffi facilement
qu'avec les cartes ordinaires.
Mais l'auteur , pour parvenir plus directement
au but qu'il s'eſt propoſé , celuide
familiariſer par cet exercice les jeunes
gens avec la géographie , a combiné un
jeu & l'a particulièrement adapté à ces
nouvelles cartes. Il en donne les régles &
162 MERCURE DE FRANCE.
l'explication dans un imprimé qui ſe diftribue
à l'adreſſe ci-deſſus , avec les cartes
que nous venons d'annoncer .
GRAVURES.
I.
La Scène du Tableau Magique de Zémire
&Azor, deſſinée par M. Touzé , gravée
par M. Voyez le jeune.
CETTE ſcène intereſſante eſt rendue avec
autant de vérité que d'agrément ; elle a le
double mérite de repréſenter le tableau
charmant d'un pere avec ſes deux filles ,
qui déplorent le deſtin & l'absence de Zémire
; & de donner les portraits de M.
Caillot , de M. Clairval , de Madame
Laruette , de Madame Trial , & de Mademoiſelle
Beaupré , acteurs & actrices ,
dont les talens ſont ſi chers au public.
Cette eſtampe qui eſt beaucoup avancée
, ſera terminée & publiée au commen.
cement d'Octobre prochain. Ceux qui
voudront en retenir de bonnes épreuves ,
pourront ſouſcrire & ſe faire inſcrire en
confignant 6 liv. entre les mains de M.
JUILLET. 1772. 163
Touzé , aux Quinze -Vingts , même maifon
que le bureau dela location. On tirera
très- peu d'eſtampes au-delà du nombredes
ſouſcripteurs..
I I.
Galerie Françoise , ou Portraits des Hom
mes & Femmes célèbres qui ont paru en
France , gravés en taille-douce par les
meilleurs artiſtes , ſous la conduite de
M. Cochin , chevalier de l'ordre du
Roi , garde des deſſins du cabinet de
Sa Majesté , ſecrétaire perpétuel de l'académie
royale de peinture & de
ſculpture , avec un abrégé de leur vie ,
parune ſociétéde gens de lettres. A Paris
, chez Hériſſant le fils , libraire , rue
des Foflés de M. le Prince , vis-à - vis
le petit hôtel de Condé.
Le ſieur Hériſſant , dans la vue de rendre
cette galerie plus digne des regards
des amateurs & des gens de lettres qui
veulent bien l'honorer de leurs fuffrages ,
a redoublé ſes ſoins pour la perfection de
cet ouvrage , que l'on peut regarder , en
quelque forte , comme les faſtes de la nation.
S'il ſe trouve des portraits plus foibles
que les autres, c'eſt que les originaux
d'après leſquels ils font gravés he font
ン
164 MERCURE DE FRANCE.
(
pas tous également bien peints. Les éloges
qui accompagnent ces portraits font principalement
deſtinés à rappeler les traits
les plus propres à donner une idée juſte
& préciſe du caractère , des moeurs & du
génie particulier des grands hommes repréfentés
dans ce recueil .
Le libraire ci deſſus nommé prévient le
public, par un avertiſſement, que les occupations
de M. Reſtout ne lui permettant
plus de continuer ſes ſoins pour la partie
des gravures , M. Cochin a bien voulu ſe
charger de diriger à ſa place les artiſtes.
Le Geur Hériſſant croit auſſi devoir avertir
le public qu'il reſte peu de ſoufcriptions
à remplir . Comme cet ouvrage peut
avoir une certaine étendue , pour en faciliter
l'acquiſition , il l'a fixé à un prix trèsmodique
; il le donne par abonnement ,
&cet abonnement eſt à raiſon de 6 liv.
le cahier. On paye 36 livres , & l'on reçoit
ſucceſſivement pour cette ſomme fix
cahiers , à meſure qu'ils paroiſſent; de fix
cahiers en fix cahiers on donnera 36 liv.
Chaque cahier eft compoſé de cinq belles
eſtampes , & de 40 à 50 pages in-folio ,
d'une impreſſion très nette , fur de beau
papier. On y varie les ſujets; mais comme
les éloges ſont détachés les uns des
autres , il ſera facile de ranger par la fuire
JUILLET. 1772. 165
tous les grands hommes dans l'ordre que
l'on aimera le mieux , foit chronologiquement
, foit en ſuivant les claſſes ditférentes.
Il paroît ſept numéros de cet
ouvrage. Nous avons annoncé les fix premiers
à meſure qu'ils ont été publiés. Le
ſeptiéme qui vient de paroître , & qui forme
le premier numéro du ſecond volume
, renferme les portraits & les éloges
du Maréchal d'Eſtrés , du Préſident Henault
, de M.M. de Mairan , de Moncrif
& l'abbé Chappe.
Les cahiers ſe délivrent brochés propre
prement , & francs de port pour Paris.
Les familles, qui auront produit des
gens illuſtres ,dont lenom ineritera d'être
tranfmis à la poſtérité , ou les perſonnes
qui auront vécu dans leur intimité , & qui
s'intéreſſent à leur gloire , font priées d'adrefler
francs de port , au ſieur Hériſfant ,
les Mémoires ſur leur vie , & de conimuniquer
leur portrait.
Zod
III .
Portrait du Président de Thou , peint par
Ferdinand , & gravé par de Marcenay,
à Paris , chez l'auteur , rue d'Anjou
Dauphine , la dernière porte cochère
1
166 MERCURE DE FRANCE .
à gauche , & chez M. Wille , graveur
du Roi , quai des Auguſtins.
Ce portrait que Morin , artiſte mort
en 1650 , a gravé en grand & dans une
forme ovale , a été exécuté par M. de
Marcenay , dans un format beaucoup plus
petit , & dans le genre de gravure qu'il a
adopté , & qui a été accueilli des amateurs.
Ce dernier portrait fera ſuite à ceux
des hommes illuſtres que cet artiſte a publiés
dans le même format. Il en a été
tiré des épreuves ſur de grand papier , en
faveur de ceux qui ont l'hiſtoire in-4º du
Préſident de Thou , & feroient flattés
d'avoir le portrait de ce célèbre hiſtorien
à la tête de fon ouvrage.
I V.
1
LaDamede charité, étude peinte parJean-
Bapriſte Greuze , peintre du Roi , &
gravée par Maffard. A Paris , chez le
graveur , rue S. Hyacinthe , place S.
Michel.
Certe agréable étude gravée d'une taille
très- fine & très-ferrée , nous offre le
caractère de tête intéreſſant de la dame
de charité que M. Greuze doit placer dans
le tableau qu'il prépare ſur le même ſus
JUILLET. 1772. 167
jet. La compoſition entière de ce tableau
eſt légérement gravée au trait au bas de
cette étude.
Suite de gravures dans la manière des def.
fins , lavées à l'encre de la Chine.
Un amateur des arts ayant fait en Italie
un ſéjour aſſez long pour y pouvoir réunir
une collection de ce que ce pays renfer.
me de plus intéreſſant en tableaux Italiens
&fragmens antiques , qu'il y a fait deffiner
par les meilleurs artiſtes , ſe plaît à
les graver lui -même.
Il lui falloit , pour entreprendre une
ſuite auſſi nombreuſe , une manière de
graver plus expéditive que la gravure à
l'eau- forte dont on ſe ſert ordinairement,
Il a eu recours pour cela à un genre qui
imite les deſſins lavés à l'encre de laChine
, qui lui a été communiquée par M. de
Lafoſſe , graveur , & qui , fans être le procédé
de M. le Prince , peintre du Roi ,
ſemble en approcher au moins par la rapidité
de l'exécution. Le commencement
de cette collection intéreſſante contenant
la ſuite de Rome , eſt de ſoixante planches
; prix 24 liv .
On pourra s'en procurer des exemplaires
chez Baſan , rue & hôtel Serpente ; &
168 MERCURE DE FRANCE .
Chereau , marchand d'eſtampes , rue S.
Jacques , à Paris.
La mémoire de M. de Monmartel eſt
trop chère à ceux qui l'ont connu , & il a
joui , tant qu'il a vécu , d'une eſtime trop
générale parmi les étrangers & dans la
patrie , pour que nous ne nous faſſions pas
un plaifir d'annoncer au public que l'on
vient de graver le portrait de ce refpectable
citoyen. La gravure eſt de Cathelin ,
d'après le deſſin de M. Cochin fils .
Une perſonne qui étoit attachée à M.
de Monmartel , & qui a joul juſqu'à la
mort de fa confiance , nous a envoyé les
quatre vers ſuivans , pour mettre au bas
de l'eſtampe .
Les traits qu'avec plaiſir , chacun ici contemple
Offrent ceux d'un vrai citoyen :
Cher à ſon Roi qu'il ſervit bien ,
François , il vous invite à ſuivre ſon exemple.
MUSIQUE.
1.
:
SECOND Livre de Sonates pour le clave.
cin & le fortépiano avec accompagnement
JUILLET. 1772. 169
ment de violon ad libitum , dédié à Madame
la Ducheſſe d'Aiguillon , compofé
par M. Lafceux ; prix 6 liv. A Paris , chez
l'Auteur , rue S. Victor , au- deſſus du Séminaire
de S. Nicolas du Chardonner ;
&aux adreſſes ordinaires. On connoît le
mérite de cet excellent compoſiteur , &
fon goûtde la bonne muſique moins faite
pour ſurprendre par les difficultés que
pour plaire par l'agrément du chant.
On trouve aux mêmes adreſſes le recueil
de Mai du Journal des pièces d'orgues
qui ſe continuent avec le même ſuccès
, le prix eſt de 2 1. 8 f. chaque Magnificat
& 3 1. chaque Meſſe. On foufcrit
pour une année du Journal moyennant
24 liv. par an pour Paris , & 36 liv . pour
la Province franc de port.
I I.
Sei Devertimenti per la harpa ſola o
accompagnata d'a flauto traverſo , violine
ebaſlo , miſſi in ordine da Franceſco Pe
trini , Opéra 4º ; prix 7 liv. 4 (.
Deuxième Recueil d'Ariettes & pièces
pour la harpe , dédiées à Madame la
Ducheſſe de Liancourt , par M. Patouart
fils ; prix 7 liv. 4 fols .
Deuxième Recueil d'Ariettes avec ac
I. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
compagnement de harpe , par M. Suin ;
prix 7 liv. 4 ſols.
L'Abeille lyrique , ou Recueil périodique
de petits airs arrangés pour la harpe
&le piano-forté , par M. l'Abbé Boilly ,
Maître de harpe. On ſouſcrit pour ce
Recueil , dont il paroît un cahier tous les
mois , chez Coufineau , Luthier & Marchandde
Muſique , rue des Poulies , pour
la ſomme de 24 liv, par an , & pour la
Province 30 liv. franc de port par la
poſte.
Les OEuvres annoncées ci - deſſus ſe
trouvent à la même adreſſe , & aux adrefſes
ordinaires.
III.
VIII Livre d'Amusemens du Parnasse ,
contenant des Ariettes Italiennes , Romances
avec des variations & des Marches
accommodées pour le Clavecin , par
M. Corrette; prix 4 1. Les Marches font
unbel effet fur les grands jeux de l'Orgue,
AParis , aux adreſſes ordinaires de Muſique,
I V.
Sei Quartetti Notturni , per due violini
, violetta , è baſſo , Op. terza dal Signor
Fraentzel, primo violino di Sua Al
JUILLET. 1772. 169
teſſa Sereniffima Electorale Palatina ; prix
7 liv. 4 f. A Paris , au Bureau d'Abonnement
de Muſique , Cour de l'ancien
Grand-Cerf , rue S. Denis & des Deux-
Portes S. Sauveur ; & aux adreſſes ordinaires
de Muſique . A Lyon , chez Caf
taud , place de la Comédie.
V.
Six Quatuor concertant pour deux
violons , alto & baſſe , par Bach , OEuv.
8 ; prix 9 liv.
Six Duo pour violon , par Kammel ,
OEuv. 7 ; prix 7 liv. 4 f. A Paris , chez
Sieber , Editeur de Muſique , rue S. Honoré,
à l'Hôtel d'Aligre , près la Croix:
du Trahoir ; & à Lyon , chez Caſtaud.
OBSERVATIONS fur les Mausolées du
Maréchal de Saxe & du Maréchal de
Turenne; par M. de la Lande , de
l'Académie des Sciences.
PLus l'on admire àParis le monument ſuperbe
que le Roi fait élever au Maréchal de Saxe , plus
onade regret de le voir deſtiné à une province
éloignée.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
La capitale eſt le centre du goût , celui des arts;
del'éducation , de l'émulation , de la gloire. C'eſt
donc à Paris que devroit reſter le chef - d'oeuvre
des arts , l'objet le plus frappant d'émulation
pour la Nobleſſe Françoiſe , & le monument le
plus glorieux pour un héros. C'étoit à Rome que
les conquérans de l'Aſie & de l'Afrique demandoient
les honneurs du triomphe; qui de ces conquérans
eût voulu ſe borner à des trophées qu'on
lui eût érigés dans la Ligurie ou dans la Pouille ?
C'eſt à Paris que fleuriftent nos écoles de ſculpture
& de deſlein , & où l'on a cherché de tout
tems à raſſembler les modèles propres à former de
grands artiſtes : c'eſt à Paris que les Anglois , les
Hollandois , les Italiens , les Eſpagnols , les Habirans
du nouveau Monde , viennent admirer les
prodiges de nos arts , ſe former le goût & comparer
l'Ecole Françoiſe à celle des Italiens & des
Flamands : qui d'entre eux a jamais longé qu'il
faudroit aller à Strasbourg pour avoir une idée de
ceque l'on peut faire en France de plus magnifique
&de plus grand. Cependant nous n'avons point
encore en Francede monument comparable à celui
dumaréchal de Saxe pour la grandeur de lacompo.
fition. La fierté des idées , l'expreſſion, la poësie, la
beauté de l'exécution ; les mauſolées de Jules II,
d'AlexandreVII & de l'aul III a Rome, ceux même
des Médicis à Florence , s'ils font recherchés pour
la beauté de la ſculpture , ne donnent pas cette
ſurpriſe , cette idée de grandeur & de majesté ,
cette douce émotion , cet attendriſſement , cette
ardeur de la gloire & du bien public , dont on ſe
ſent frappé à la vue d'un monumenr tel que celui
dont il s'agit.
La fondation de l'Ecole royale militaire a tant
derapportdans ſes principes &dans ſon objet
JUILLET. 1772. 173
avec l'érection de ce monument , que le Public
s'eſt accoutumé pour ainſi dire à les réunir. La
gloire des héros eſt ſans doute le premier objet
qui doit frapper nos élèves : peut- on concevoir
un objet plus propre à le leur imprimer; ſe flatteroit-
on que les difcours & les livres puſlent faire
ſur la jeuneſſe une impreſſion comparable à celle
d'un ſpectacle continuel auffi éloquent que ſuperbe.
L'Académie Françoiſe a établi depuis quelques
années l'uſage de célébrer par des difcours les
hommes illuftres de la France. Pour y joindre
l'uſage de leur élèver des monumens , il falloit
peut- être une circonstance ſemblable à celle qui a
décidé le mauſolée du M. de S.: ſi l'uſage s'en
établit, on aura lieu de s'applaudir de cette eſpèce
d'embarras que donne le héros proteftant , puifqu'on
n'a ſongé à placer fon maufolée à Strasbourg
que par l'impoſſibilité de le placer dans
nos Eglifes. Il me ſemble voir à l'Ecole royale
militaire un vaſte portique ſemblable à ceux de
l'ancienne Rome , & qu'on appelleroit Portique
des Héros , au fond de l'édifice on verroit le
mauſolée du maréchal de Saxe ; & la jeuneſle accoutumant
ſes yeux à de ſemblables trophées ,
viendroit apprendre à defirer , à mériter peut- être
un jour une pareille place. C'eſt à la vue d'une
ſtatue d'Alexandre que Céſar , enflammé par l'amour
de la glone , partit pour la conquête de
l'Elpagne & des Gaules.
Les monumens & les tombeaux des grands
hommes n'étoient point autrefois dans des temples
, mais fur de grandes routes , ſur les places
publiques , fur des arcs de triomphe. Dans la
fune l'orgueil humain a perté juſques dans les
Eglifes , en élevant , pour ainſi dire , contre les
Huj
174 MERCURE DE FRANCE.
autels de la Divinité les dépôts de la miſére humaine
; mais on a compris enſuite l'eſpèce d'abfurdité
qu'il y avoit dans cet uſage , & l'on trouve
des monumens modernes érigés à la gloire des
grands hommes dans l'arſenal de Veniſe , dans le
palais Ducal à Gêne , dans l'hôtel - de - ville de
Padoue & ailleurs .
L'Ordre du Mérite a été établi en France pour
accorder les distinctions militaires avec les différences
de religion : mais la reprobation légale
de la religion lathérienne en France devroit être
un motifſuffiſant tant qu'elle ſubſiſtera , pour ne
pas choiſir une Egliſe à Strasbourg , précisément
parce qu'elle eſt àmoitié luthérienne. Ce ſeroit
l'acte le plus authentique d'approbation , de confirmation
, d'autorisation pour la religion luthérienne
que de placer par ordre du Roi notre plus
beau monument dans la ſeule Egliſe du royaume
où l'exercice des pratiques luthériennes ſoit toleré.
:
Une pompeuſe épitaphe peut annoncer à Strasbourg
le tombeau du héros & indiquer le monument
qui exiſteroit ailleurs : ces fortes de Cénotaphes
ou tombeaux vides ſont communs en Italie;
leur objet eſt de conſacrer la mémoire des
hommes illuftres , & cet objet n'exige plus la
préſence des débris de leur humanité. Enfin cc
monument, qui fait honneur à la France , doit-il
être placé de préférence ſur la frontiere où il ſeroit
le plus expoſé aux événemens des guerres &
des traités; en le plaçant à Paris l'on épargneroit
les frais d'un énorme tranſport , le dangerd'altérer
un ſi bel ouvrage & le tems perdu , loin de
Paris, par un de nos plus habiles artiſtes. M. Pigale
deſiroit que cette propoſizion fût écoutée;
elle me ſemble de nature à ne pouvoir être com
JUILLET. 1772. 175
battue que par la jalouſie ou le préjugé ; enfin
elle tend au bien, c'eſt le ſeul motifqui pouvoit
me porter à la faire .
,
au
Maisen ſuppoſant que ce projet éprouvât des
difficultés , il existe un autre monument qui
pourroit remplir encore avec avantage l'objet que
je viens de propoſer : il s'agit d'un mauſolée exécuté
à la gloire du Maréchal de Turenne
commencement de ce fiécle par les artiſtes de Rome
les plus habiles , aux frais du Cardinal de
Bouillon. Il étoit deſtiné à être mis dans l'égliſe
de l'Abbaye de Clugny où le père du maréchal
eſt enterré ; mais la diſgrace du cardinal de Bouillon
, arrivée en 1710 , empêcha qu'il ne lui fût
permis d'achever l'exécution de fon projet , & ce
mauſolée est reſté dans les caifles où il avoit été
embalé pour le tranſport de Rome à Clugny. Ce
fut lecardinal de la Rochefoucault , abbé de Clugny
, mort en 1757, qui , ſur la réputation de cet
ouvrage , obtint la permiffion de lever les ſcellés
qui étoient ſur les caiſſes , afin qu'on pût avoir
du moins une idée de la beauté du monument :
tous les artiſtes qui l'ont viſité l'ont jugé de la
plusbelle exécution.
Ce mauſolée est compoſé de cinq grandes piè-
Ccs.
La première eſt la ſtatue du Vicomte en habit
deguerre.
La ſeconde eſt celle de la Princefle de Bouillon
fon épouſe. Ces deux figures ont 8 pieds de proportion
, & font chacune d'un feul bloc de marbre
avec les acceſſoires .
La troiſième eſt un génie , qui , d'une main ,
tient un livre ouvert & de l'autre indique au
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE .
1
héros , un paflagede l'écriture écrit en lettresd'or.
Ce génie eſt du même bloc que la Princefle.
La quatrième eſt un autre génie , qui , d'une
main , tient l'oriflame ou étendart du généraliſme,
&de l'autre ſon coeur enchaſlé dans une boëte
d'or , en forme de coeur. Le coeur de M. de Turenne
eſt véritablement dans une boëte d'or en
forme de coeur , conſervée dans le tréſor de la
facriftie de l'Abbaye ; enforte que celui que tient
le génie n'en est que la figure en cuivre doré.
Quant à la diſpoſition & aux attitudes des
figures , le héros eſt aſſis ſur un trophée d'armes
tenant de la main droite ſon bâton de commandement
, le viſage tourné du côté de la Princefle
de Bouillon ſon épouſe , qui eſt à ſa gauche ; il
a la main gauche ſur la poitrine , le bras un peu
élevé , dans la poſture d'un homme qui prie avec
attendriflement & qui par le regard qu'il jette fur
l'Evangile, annonce fon reſpect pour la religion
&l'écriture fainte. Il a la jambe droite preſque
érendue, ſa gauche au contraire eft , pour ainfi
dire , repliée ſous ſa cuifle , enforte que le genouil
forme un angle très - aigu Cette figure
occupes pieds de hauteur ſur 6 de largeur. Les
vêtemens font à la romaine , le tout d'un ſeul
bloc , du plus beau marbre de Carrare , tranfparent
comme la porcelaine , ce que les Italiens
appellent Marmofaligno. La ſtatue de la Princeſſe
de Bouillon , eſt aſſiſe , il ne paroît que ſon pied
droit , chauſlé d'un ſoulier carré : Elle a ſous ſes
pieds uncouſſin de velours , garni de franges &
de glands , à ſa gauche eſt un génie nud , ayant
fur les pieds un livre fermé ; ce génie a environ
3 pieds &demi de hauteur , & tient ouvert l'Evangile
qu'il préſente à la Princeſſe , où ces mots
JUILLET. 1772. 177
fontécrits en lettres d'or Accepto pane, gratias
egit&fregit & dedit dicens: hoc eft corpusmeum
quod pro vobis datur, hoc facite in. &c. La Princefle
appuie la main gauche ſur le même Evangile
, & de la main droite , elle indique ce paffage
à fon mari qui eſt à ſa droite , en le regardant
avec tendrefle,
La quatrième pièce a cinq pieds de hauteur ,
elle eſt portée par un nuage dont elle eft cependant
entiérement détachée , à l'exception du pied
gauche qui est enfoncé dans la nuée. Ce génie eſt
un peu panché ſur le devant.
La cinquiéme pièce eſt un bas- relief de la
hauteur de deux pieds & demi ſur une longueur
de cinq pieds. On y voit le Vicomte de Turenne
à cheval , qui commande I armée dans la bataille
desDunes. Il y a des figures dans toutes les attitudes
, & il en eft qui font ſaillie de 6 pouces.
On voit dans ce bas - relief des hommes & des
chevaux dans toutes fortes de poſitions,des morts
&des mourans , qui ſemblent combattre encore .
On y remarque un cheval abbatu de devant ; le
cavalier , en partie ſous le cheval , & ayant encore
na pied ſur la croupe .
Ce bas- relief , ainſi que les quatre autres pièces,
eſt d'un ſeul bloc de marbre ſtatuaire . On remarque
encore pluſieurs grandes pièces du même
marbre qui ne font point aflez viſibles pour les
d'écrire. Il paroît qu'elles étoient deſtinées à ſervir
de focle ou de ſupport aux figures. On y diftingue
auſſi des chapitaux corinthiens de marbre. Il y a
deux griffons à aîles déployées , enchaînés enfemble
à deux conſoles & couronnés , portant environ
trois pieds de haut , deux autres conſoles de trois
pieds de long; deux trophées d'armes de cing
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
pieds , un autre de quatre , le tout en bronze
doré.
On conſerve dans la bibliothéque de Clugny,
un ouvrage qui a pour titreHiſtoire généalogique
-de la maison d'Auvergne , justifiée par Chartes ,
titres, histoires anciennes & autres preuves authentiquesparM.
Baluze, àParis chez Dezailler,
1708. A la page 455 de ce volume , l'Auteuren
parlant d'un Duc & d'une Duchefle de Bouillon ,
dit que leurs corps furent d'abord enterrés dans
l'Egliſe de l'Abbaye de Saint Faurin , à Evreux ,
&leurs coeurs dans celle des Capucins de la même
ville; mais que depuis ces corps ont ététransférés
àlAbbaye de Clugny, dans le beau mausolée que
M. le Cardinal de Bouillon y a fait faire pourfa
famille. On voit à la fin de ce volume , par un
procès verbal daté du 15 Juillet 1695 , qu'il exifte
6exemplaires collationnés du même livre , dont
un fut mis entre les mains de M. le Duc de Bouillon
, pour être gardé avec les originaux dans le
tréſor du château de Turenne , un autre entre
les mains de M. Nicolas de Bragelangne , Comte
&Doyen de Saint Julien de Brionde , pour être
déposé dans les archives de ladite Egliſe ; un
autredans le tréſor de l'Abbaye de Clugny , un
autre dans les archives de l'Abbaye de S. Germain
des Prés .
Tous ceux qui ont vu ce monument ſe ſont
plaint de l'abandon & de l'oubli où on l'avoit
laiflé & ont défiré de le voir élevé du moins
dans l'Egliſe de l'Abbaye de Clugny. Mais puifque
les Religieux de cette Abbaye , paroiflent
avoir renoncé à ce tréſor , ils le verront ſans
peine tourner au profit de l'état , & la maiſon de
Bouillon à qui il doit être cenſé appartenir , ne
pourroit qu'être flattéede le voir dans la Chapelle
JUILLET. 1772. 17日
de l'école militaire , ou ſous la coupole des invalides
, ſervir à l'émulation de la jeune nobleſſe ,
&à la gloire d'un héros qui a ſi bien mérité de
lui ſervird'exemple; les fraisdu tranſport & du
placement ſont trop peu conſidérables pour devoir
éloigner l'exécution d'un projet auſſi utile & aufli
juſte.
ANECDOTES.
I.
Après s'être fait un nom &s'être acquis
un rang dans la littérature & parmi
nos poëtes les plus eſtimés , Madame du
Bocage , à l'exemple des anciens ſages de
la Grèce , alla étudier les moeurs des Nations
étrangères. A fon arrivée à Rome ,
elle fut conduite à la nombreuſe académie
des Arcades , dont elle étoit membre.
La Ducheſſe d'Eſtrée, âgée de 16 ans,
lui adreſſa un compliment ſi inge
nieux qu'il mérite d'être cité. « Mde
>>du Bocage diſoit au Cardinal des Ur-
> ſins , père de la Ducheſſe , que ſa fille
» étoit la déeſſe de Rome. » Non , Madame,
répondit la Princeſſe , les Romains
prenoient leurs dieux chezles étrangers.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
I I.
Le Duc d'Epernon avoit eu de vifs démêlés
avec le Maréchal d'Aumont : &
Henri III craignoit que fon retour ne les
renouvellât. Le Maréchal s'appercevant
de certe délicateſſe du Roi , l'alla trouver
&fut le premier à lui conſeiller de recevoir
le Duc. J'oublie , dit it , tour reffen.
timent,jusqu'à ce que V. M. ait triomphé
de ſes ennemis ; après cela, fi le Duc le
trouve bon , nous vuiderons notre querelle.
Epernon , inftruit de cette démarche par
le Roi lui même , ſe préſenta chez le Maréchal
, fit excuſe du paflé , demanda fon
amitié& lui offrit la ſienne . « Allez , lui
dit le vieux guerrier avec ſa franchiſe
ordinaire , " je ne veux de vous d'autres
>> fatisfactions que celles que vous me
>donnez aujourd'hui , de vous voir ſi
> ſoumis aux ordres de votre maître.
>> Vous m'offrez vos ſervices ; je vous
offre auſſi les miens. Allons , continua .
> t'il en l'embraſfant , courage , combat-
> tons de tout notre coeur pour la gloire
du meilleur de tous les maîtres , pour
>le falut de la patrie , dont les méchans
> ont juré la ruine ? Quand nous aurons
> rendu la paix àla France , nous diſpute;
JUILLET. 1772. 181
rons à qui ſe ſurpaſſera en générofité.
III.
Le fils d'un Grand d'Eſpagne avoit
commis un crime capital . Le Roi Philippe
V ayant fait venir le pere du jeune
homme , lui ordonna de prononcer luimême
la Sentence de fon fils. Le vieillard
fans héſiter , quoique plein de douleur
, dit qu'il méritoit la mort. Vous le
jugez en Roi , dit le Monarque , & moi
je le juge en pere. Je le condamne aux
arrets pour un an; & s'il apprend à réprimer
déſormais les premières ſaillies de
ſes paffions , j'aurai autant de joie de vous
l'avoir rendu que vous auriez eu de chagrin
de le perdre.
I V.
4
Le Comte de Mare étoit à la querre
avec le Grand Condé , il fut batru dans
une action , ſur cela on dit , Mare vidit
&fugit.
V.
Un Moine faiſant l'inventaire d'une
Bibliothèque , & rencontrant un livre
hébreu, mit ſur le Regiſtre. Item , un
1,
182 MERCURE DE FRANCE.
livre en langue étrangère , dont le com
mencement eſt à la fin .
1
TRAIT de Tendreſſe filiale.
Dans l'embraſement du Véſuve, Pline
le jeune étoit à Miſcène avec ſa famille.
Tous les habitans cherchoient leur ſalut
dans la fuite ; mais redoutant peu pour
lui-même le danger qui l'environne,Pline
eſt prêt à tout entreprendre pour ſauver
les jours d'une mère qui lui eſt plus
chère que la vie. Elle le conjure en vain
de fair d'un lieu où ſa perte eſt aſſurée ;
elle lui repréſente que ſon grand âge &
ſes infirmités ne lui permettent pas de le
ſuivre , & que le moindre retardement
les expoſe à périr tous deux ; ſes prières
font inutiles , & Pline préfère de moutir
avec ſa mère , plutôt que de l'abandonner
dans un péril auſſi preſſant ; il l'entraîne
malgré elle , & la force de ſe prêterà
ſon empreſſement ; elle céde à la tendrefſede
ſonfils, en ſe reprochant de retarder
ſa fuite. Déjà la cendre tombe ſur eux;
les vapeurs &la fumée dont l'air eſt obf
curci , font du jour la nuit la plus ſom
JUILLET. 1772. 183
bre : enſevelis dans les ténèbres , ils n'ont
pour guider leurs pas tremblans , que la
lueur du feu qui les menace , & des flammes
qui les environnent. On n'entend
que des gémiſſemens & des cris , que
l'obſcurité rend encore plus effrayans.
Mais cet horrible ſpectacle ne fauroit
ébranler la conſtance de Pline , ni l'obliger
à pourvoir à ſa ſûreté , tant que fa
mère est en danger. Il la conſole , il la foutient,
il la porte dans ſes bras; ſatendreſſe
excite fon courage , & le rend capable
des plus grands éfforts. Le Ciel récompenſa
une action ſi louable : il conſerva à
Pline une mère plus précieuſe pour lui ,
que la vie qu'il tenoit d'elle,&à la mère
un fils fi digne d'être aimée , & de ſervir
demodèle.
AVIS.
I.
Concernant les personnes noyées qui pa
roiſſfent mortes , & qui , ne l'étant pas
peuvent recevoir des fecours pour étre
rappelées à la vie.
Meficurs les Prévôt des Marchands , & Echevins
de la Ville de Paris , inſtruits des ſuccès
184 MERCURE DE FRANCE.
multipliés qu'ont eu différens moyens pratiqués
pour ſecourir les Perſonnes noyées que l'on a
retirées de l'eau , s'empreſſent de les indiquer à
leurs Concitoyens. Renouvellant , en tant que
de beſom , un premier Avis qu'ils avoient donnéà
ce ſujet en 1740, imprimé & diſtribué de
nouveau en 1759 , & récemment en 1769 .
Ils ſe contenteront aujourd'hui d'annoncer la
*conduite qu'on doit tenir , & les ſecours qu'on
peut employer en pareil cas.
Dès qu'une Perſonne noyée aura été retirée de
l'eau , il faut fur le champ , ſi ſon état annonce
qu'elle a beſoin d'un ſecours preſſant , lui donner
, même dans le Bateau dans lequel elle aura
été placée , ou ſur le bord de la Rivière , fi le
tems le permet , ceux qu'on pourra lui procurer
dans l'inſtant , & qu'on indiquera ci- après.
Pendant qu'on fera occupé à les lui adminiftrer,
quelqu'un ſe détachera pour aller avertir
au Corps - de - Garde le plus prochain , où l'on
trouvera toujours une Boîte , dans laquelle ſeront
réunies les chofes les plus néceſſaires.
On tranſportera enfuite , s'il eſt poſſible , la
Perſonne retirée de l'eau , ou dans le Corps-de-
Garde le plus prochain , ou dans l'endroit le plus
commode qu'on pourra ſe procurer , chez les parculiers
qui voudront bien s'en charger.
Le Sergent de chaque Corps-de-Garde ſera
obligé , à la première requifition , de faire porter
par unde ſes Soldats la Boîte qu'il aura en
dépôt, &de l'accompagner pour veiller à l'adminiſtration
des ſecours.
Lorſque , par leur efficacité, le Noyé aura été
zappelé àla vie , il ſera transféré chez lui , s'il
JUILLET. 1772. 185
a un domicile , & qu'on puiſſe en avoir connoif
fance , finon à l'Hôtel- Dieu .
Le Sergent , ou Soldat , ſera tenu de faire ſon
rapport qui contienne les noms , qualités & demeure
de la Perſonne retirée de l'eau , qui annonce
fi elle a été rappelée à la vie , & en quel
état elle s'eſt trouvée lorſquelle a été transférée
chez elle ou à l'Hôtel - Dieu.
Ce même Procès- verbal contiendra les noms
de celui qui aura averti le premier au Corps- de-
Garde , & de tous ceux qui auront concouru à la
retirer de l'eau , & à lui procurer les ſecours convenables,
Le Sergent ſera tenu de remettre , dans les
vingt-quatre heures , ledit rapport au Procureur
du Roi & de la Ville .
Détail des Secours , & de l'ordre dans lesquels ils
doivent être donnés.
Il faut fur le champ , dans le Bateau même , a
la Perſonne noyée y a été placée après qu'elle
aura été retirée de l'eau & que ſon état ſemble
exiger un ſecours preſſant , ou ſur le bord de la
Rivière , ſi la chaleur de la ſaiſon le permet , ou
dans le Corps-de-Garde , ou autre endroit proche
& commode , s'il eſt poſſible d'en trouver :
1. La déshabiller , la bien eſſuyer avec de la
Flanelle ou des Linges , & la tenir très - chaudement
, en l'enveloppant ſoit avec des Couvertures
, ſoit avec desVêtemens & ce qu'on pourra
ſe procurer ; ou la mettant devant un feu modéré
, ou dans un lit bien chaud , s'il eſt poſſible .
2º Onlui ſouffiera enſuite par le moyen d'une
186 MERCURE DE FRANCE .
Canule , de l'air chaud dans la bouche , en lui
ferrant les deux narines .
3º On lui introduira de la fumée de Tabac
dans le fondement , par le moyen d'une Machine
fumigatoire , qu'on trouvera dans tous les Corps.
de-Garde.
Si la perſonne retirée de l'eau paroiſſoit exigerun
preſſant ſecours , & qu'on ne fût pas à
portée d'avoir ſur le champ la Canule & la Machine
fumigatoire , on pourra , pour le moment
ſuppléer à la Canule pour introduire l'air par
labouche dans les poumons , en ſe ſervant d'un
Soufflet ou d'une Gaine de Couteau tronquée par
le petit bout.
On pourra également ſuppléer à la Machine
fumigatoire , en ſe ſervant de deux Pipes , dont
le tuyau de l'une ſera introduit avec précaution
dans le fondementde la Perſonne retirée de l'eau,
lesdeux fourneaux appuyés l'un ſur l'autre , &
quelqu'un ſoufflant la fumée du Tabac par le
tuyau de la ſeconde Pipe.
On peut auſſi employer avec ſuccès les Lavements
de Tabac & de Savon .
4° On ne négligera pas d'agiter le Corps de la
Perſonne en différens ſens ; en obfervant de ne
la pas laiſſer long- tems ſur le dos.
On réiterera ces premiers ſecours le plus ſouvent
qu'il ſera poſſible & fans violence.
5º On lui chatouillera le dedans du nez & de
la gorge , avec la barbe d'une plume ; on lui ſoufflera
dans le nez du Tabac ou de la Poudre ſternutatoire
, on lui préſentera ſous le né de l'efprit
volatil de Sel ammoniac.
6º On la frottera même un peu rudement par
tout le Corps , fur-tout le dos,les reins , la tête
JUILLET. 1772. 187
& les tempes , avec des Linges ou de la Flanelle
trempés dansde l'Eau-de-Vie camphrée , animée
avec l'eſprit de Sel ammoniac.
7° La Saignée , à la jugulaire fur- tout , peut
auſſi être très-utile, ſi on trouve promptement
un Homme de l'art , qui jugera ſi elle doit être
employée.
Si la perſonne retirée de l'eau donne quelques
ſignes de vie , & qu'on s'apperçoive que la refpiration
& la déglutition commence à ſe rétablir
, on lui donnera d'abord , peu à peu , unc
petite cuillerée d'eau tiéde .
Si elle paſſe , on lui donnera , ou quelques
grains d'émétique , ou , de demi-heure en demiheure
, une petite cuillerée d'Eau- de-Vie camphrée
, animée de Sel ammoniac , dont on trou
vera toujours des Bouteilles avec la Machine
fumigatoire , & autre ſecours dans le Corps-de-
Garde.
Onmettra en uſage tous les ſecours ci-deſſus
indiqués pour toutes les Perſonnes noyées , fans
avoir égard au tems qu'a duré leur fubmerfion ,
àmoins qu'il n'y eût des ſignes de mort certains
& évidens ; le viſage pourpre ou livide , la poitrine
élévée , & autres ſymptômes de la même
eſpèce , ne devant point empêcher de tenter les
ſecours indiqués .
On avertit au ſurplus, qu'il faut les employer
ſans relâche , & avec la plus grande perſévérance,
parce que ce n'eſt ſouvent qu'après les avoir
continués pendant trois ou quatre heures , &
même plus , qu'on a la ſatisfaction d'en voir le
ſuccès ſe développer par dégrés .
Pour exciter , s'il étoit néceflaire , à procurer
ces différens ſecours aux Noyés ;
188 MERCURE DE FRANCE.
Il ſera payé à l'avenir , à compter du jour de
la publication des Préſentes , pour chaque Perſonne
, qui étant noyée , aura été retirée de l'eau
& rappellée à la vie .
Sçavoir , à quiconque avertira le premier , au
Corps-de-Garde des Ports & Quais le plus prochain
, qu'il y a un Noyé , & indiquera le lieu où
il eſt , la ſomme de fix livres , ci 6
Aceux qui auront retiré de l'eau la Perſonne
noyée , auront aidé à l'adminiftration des ſecours
indiqués , le ſomine de vingt-quatre livres
ci 24
Au Sergent & aux Soldats du Corps - de-Garde
qui auront reçu l'avis d'une Perſonne noyée , ſe
feront tranſportés dans l'endroit où elle aura été
dépoſée , après avoir été retirée de l'eau , auront
veillé& coopéré à l'adminiſtration des ſecours ,
&du tout auront fait & remis leurProcès- verbal;
dix-huit livres , dont le tiers pour le Sergent ,
& les deux autres tiers à partager également
entre les quatre Soldats , ci 18
Tous les frais , extraordinaires & particuliers ,
qu'on ſeroit obligé de faire , feront de plus rembourſés
, lorſqu'ils auront été jugés néceſſaires,
& qu'ils auront été certifiés par Perſonnes connues
& non interreſſées .
Dans le cas où , malgré tous les ſecours &
moyens poſſibles , la Perſonne noyée ne pourroit
être rappellée à la vie , alors les récompenfes cideſſus
fixées ſeront réduites à moitié.
Le payement de ces différentes récompenſes
ne pourra être fait par le Préposé à la Recette
duDomaine de la Ville , que d'après les ordres
duBureau de la Ville , huitaine après le jour de
la remiſeduRapport; afin que ,pendant ce tems,
JUILLET. 1772. 189
le Procureur du Roi & de la Ville puiſſe s'informer
des faits & circonstances qu'il contiendra.
I 1 .
Pension.
M. Audet , Maître- ès-Arts en l'univerſité de
Paris , ci- devant Profeſſeur des belles lettres , au
Collége de Châlons fur Marne , & membre de
l'Académie de cette ville , a ſuccédé depuis peu
à celui qui tenoit la penſion à Pantin , banlieue
de Paris. Animé du déſir de prouver ſon zèle, pour
l'éducation de la jeuneſſe , & de mériter de plus en
plusl'eſtime& la confiance du public,il s'eſt fait un
devoir de raſſembler les maîtres les plus inſtruits ,
foit pour la langue Latine , la Géographie , l'Hiftoire
& la partie des études , ſoit pour former les
enfans à la lecture , à l'écriture & aux nombres .
L'ordre , la difcipline , les loix de la modeſtie &
de la propreté , enfin tout ce qui entre dans le
plan d'une bonne éducation , eſt exactement obſervé
dans cette école. La maison eſt ſituée dans
unendroit riant , ſalubre & favorable , & le prix
de la penſion eſt déterminé par l'eſpère déducation
que l'on veut donner aux jeunesgens .
Il tera procuré aux Penſionnaires qui le défireront
, un maître en fait d'armes , & un maître de
danſe.
Il faut s'adreſſer ſur le lieu , à M. Auder , luid
même , & à Paris , à M. Marye , Procureur au
Châteler , rue ſaint André des Arts .
III.
Pastilles dOrgeat, de Limonade , &c.
Rien de plus commode que d'avoir à la cam
190 MERCURE DE FRANCE.
pagne & en voyage de quoi ſe procurer une
boiffon fraiche & falutaire : c'eſt ce que le ſieur
Ravoité , rue des Lombards , au fidele Berger ,
offre au Public .
Il a perfectionné & débité avec ſuccès des
Paſtilles pour faire de l'orgeat , de la limonade ,
& auffi pour faire des bavaroiſes à l'eau & au
lait; une paſtille ſuffit pour une caraffe ou pour
un grand verre d'orgeat & de limonade. Elles
s'écralent & fondent facilement dans l'eau . On
peut les tranſporter dans les voyages de long
cours , ainſi que d'excellent firop de vinaigre
rafraichiſlant .
Il fabrique auſſi le véritable chocolat homogene,
ſtomachique & pectoral.
Cechocolat eſt un aliment de facile digeftion ,
capable de produire un fang de la meilleure
qualité. On peut le prendre de deux manières ,
ſoit en bonbons pour être fondu dans la bouche,
ou en tablettes pour être fondu dans l'eau , comme
on faitde tous les chocolats. Chaque tablette fait
une taſſe.
On y trouve également une confiture d'orange
de malthe , à demi ſucre & apéritive.
I V.
Manière de prévenir & guérir les maladies
des Gencives& des Dents , par M. Leroy
de la Faudignere , demeurant rue Saint
Honoré, vis-à- vis celle de l'Arbre-sec ,
au grand Balcon , à Paris .
Une Méthode ſimple , qui prévient les maladics
qui affectent les dents, qui, en les entretenant
JUILLET. 1772. 191
dans le meilleur état , fortifie les gencives & les
alvéoles , qui guérit les maladies dont ces diffé
rentes parties peuvent être attaquées , ſemble mériter
une protection particuliere du Chef de la
médecine , & l'accueil du Public.
Telle est la méthode de M. Leroy de la Faudignere
, qui , au moyen d'un Elixir , guérit tous
les maux dont les dents , les gencives & les alvéo
les des dents peuvent être attaquées , & prévient
le retour de ces mêmes maux , en confervant la
bouche dans un état de fraicheur & de proprété,
qui eſt le principe de la ſanté des parties qui la
meublent & l'embelliſent .
L'Elixir de M. Leroy diſſout le tartre qui corrode
les dents , détruit la ſertiſſure des gencives ,
par- là donne jour aux humeurs de vicier les
alvéoles & les dents à leurs racines. Il eſt déterfif ,
il nettoie toutes les parties des impuretés qui s'y
peuvent rencontrer; il déterge les petits ulcères
qui s'y forment&les cicatriſent: il eft incarnatif&
procure la régénération des gencives; & fortifie
leur ſertiſſure : enfin , il eſt aromatique & préſerve
les dents non affectées de la carie , détruit
la catie commencée dans les autres , & en empêche
le progrès ; il réſiſte aux impreſſions du
mauvais air , & rend l'haleine douce & agréable ,
lorſque la mauvaiſe odeur ne vient pas du vice
de l'eſtomac.
A cet Elixir il joint un Opiat d'un goût agréable
, dont l'une des principales propriétés eit de
blanchir les dents , bien nettoyées du tartre &&
des autres vices qui les affectent , & qui réunit
auſſi pluſieurs des propriétés de l'Elixir ci-deſſus.
M. Leroy de la Faudiguere donne un imprimé
où il détaille les bons effets de ces ſpécifiques ,
avec la manière de s'en ſervir ; il rapporte auli
192 MERCURE DE FRANCE.
un grand nombre de certificats non ſuſpects de
perſonnes de tous états , de princes & de gens
de qualité , qui ſe font un plaifir de rendre un
témoignage authentique à labonté de ſon Elixir
&de ſon Opiat.
M. Leroi continue avec ſuccès de vendrefon
Spécifique approuve auſſi pour la guérison des
maux de tête.
Le prix des bouteilles de l'Elixir eſt de fix liv.
& celui de l'Opiat , actuellement dans des boëtes
d'étain pour le conferver toujours frais , est de
3 liv.
Il fait une remiſe konnête , dès que la partie
excéde 600 liv. à ceux qui en envoient à l'Etranger
, ou qui en font proviſion pour les voyages
de long cours , afin de préſerver & guérir les
Marins des affections ſcorbutiques auxquels ils
ſontſiſujets.
Les Perſonnes qui écriront à M. Leroy , relativement
à ce ſujet , ſont priées d'affranchir les
lettres , ſans quoi elles reſteront ſans réponſe.
V.
Le Trésor de la Bouche.
Le ſieur Pierre Bocquillon, Marchand Gantier-
Parfumeur rue S. Antoine à la Providence , vis-àvis
la rue des Ballets à Paris , continue de débiter
par permiflion de M. le Lieutenant - Général de
Police , avec l'approbation de MM. de la Facultéde
Médecine de Paris , une liqueur que l'on
peutnommer le véritable tréſor de la bouche,dont
ilpoflédeſeul le ſecret. Cette liqueur ayant été
miſe en uſage dans toutes les Provinces & dans
Paris , est approuvée par quantité de certificats
authentiques
JUILLET. 1772. 193
authentiques qu'il a entre ſes mains; cette liqueur
a la vertu de guérir les maux de dents de telle
forte qu'ils foient , ôte toutes les corruptions qui
furviennent dans la bouche , raffermit les genci
ves , rend l'haleine douce & agréable Le prix des
bouteilles eſt de 10 liv, 5 liv . 3 liv. 24 f. Le Public
obſervera que pluſieurs perſonnes ont fait
des recherches ſans pouvoir trouver la compofition
: la ſeule & véritable ne ſe fait & ſe vend
que chez le ſieur Bocquillon qui en eſt l'auteur ,
il a la précaution de mettre ſur le cachet des bouteilles
& fur les étiquettes ſon nomde baptême &
de famille , ainſi que ſur les imprimés qui font
Agnés & paraphésde la main; il a ſon rableau fur
ſaporte afin que l'on ne puifle point ſe tromper
deboutique.
Il vend auſſi la véritable cau de Cologne à
30 l. labouteille.
VI.
L'ancienne & feule Manufacture d'encre
connue en France depuis près de 200
ansſous le nom de la petite Vertu , cidevant
rue des Arcis, est actuellement
établie rue du Mouton , vis à vis le S.-
Esprit , place de Grève , à Paris.
Le Sr Guror , Négociant , tenant cette Manufacture
, y compoſe &débite toutes fortes d'encres
liquides noires , indélébiles & incorruptibles ,
ſans dépôts , fleurs , ni champignons ; de l'encre
en poudre &de toutes couleurs,de l'encre liquide
I. Vol. 1
194 MERCURE DE FRANCE.
pour les plans & deſſins ; il tient auſſi des encres
de Chine en tablettes .
L'on débite toutes ces encres en tonneaux ,
barils & bouteils de toutes grandeurs ; les encres
de couleurs & ſympathiques , ſe débitent en bouteilles
de verre blanc , depuis 10 f. juſqu'à 6 liv.
ſuivant leurs qualités , couleurs & grandeurs des
bouteils ; l'encre en poudre eſt en paquets de
livre , demie- livre & quarteron ; la manière de
la convertir en liquide eſt prompte & facile : le
cachet de l'Auteur & le prix font imprimés ſur
chaque paquet ; elle ſe vend 4 liv. la livre ,
avec laquelle on fait 4 pintes d'encre meſure de
Paris.
Ces encres ſe débitent dans les différens Bureaux
de Paris, qui ont été annoncés; dans toutes
les principales Villes du Royaume & pays étrangers
, en bouteilles & paquets cachetés & étiquetés.
Les perſonnes qui voudront tenir un Bureau
de diſtribution de ces encres , ou en tirer pour les
Ifles ou pays étrangers , pourront écrire audit
Sr Guyot qui leur enverra les prix , deſquels ils
auront lieu d'être fatisfaits , & les conventions
qu'il tient avec tous ſes correſpondans.
La Manufacture d'encre du StGuyot eſt la ſeule
où l'on fabrique l'encre indélébile. Cette qualité
eſſentielle à l'encre pour la conſervation des archives
, titres & actes publics , a conſervé à cette
Manufacture la réputation dont elle jouit depuis
très- long-tems.
Le Sr Guyot fabrique auſſi toutes fortes de çire
d'Eſpagne & de Hollande,
t
:
JUILLET. 1772 . 195
VII .
Nouvelle cire propre à noircir lesfouliers ,
les bottes & tout autre ouvrage de cuir &
de maroquin.
Cette cire ne tache ni les mains , ni les bas ,
&eſt ſans odeur , elle entretient le cuir mou &
flexible , & donne un beau noir que l'on peut
rendre à ſon gré mat ou luiſant. La découverte
en a paru ſi heureuſe que S. M. Brit, en a récompenſé
l'inventeur par un privilége excluſif. Cette
cire ne ſe vend que 12 fols la tablette qui fait
une chopine de cire liquide. A Paris , chez le
Brun , Marchand Epicier , rue Dauphine , aux
Armes d'Angleterre , Magaſin de Provence & de
Montpellier , Hôtel de Moüy , ſeul chargé par
l'Auteur du débit de cette cire .
DE GRENOBLE.
Le Régiment de Toul du Corps Royal de l'Artillerie
, fit le 3 Mai dernier , la cérémonie de
réception de ſes vétérans : ils étoient au nombre
de 24 , de 33 reconnus , les 9 reſtans ſe trouvant
détachés en Corſe & à la Guadeloupe , où on
leur a adreſlé leurs plaques & leurs brevets.
Le Régiment ayant été mis en bataille ſur la
placeGrenette, les vétérans ſont arrivés au bruit
du canon , & d'une muſique guerriere analogue à
la cérémonie. Ils ont formé un rang au centre ,
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
i
& en avant du Régiment , où on avoit placé les
drapeaux ; il étoit naturel que l'Artillerie ſe fit
entendre en faveur de ces braves militaires , qui
en on fait en tant d'occaſions , un fi bon uſage
contre les ennemis de l'Etat.
Après la lecture de l'Ordonnance du Roi , qui
établit les avantages , & les prerogatives attachés
à la vétérance , le Sieur Montbeillard , l'un des
chefs de brigade du Régiment , fit le difcours
ſuivant.
CC Les vertus guerrieres , futent dans tous les
22 temps , & chez toutes les nations , l'objet de
>> la vénération publique. En effet Meſſieurs , les
>> talens , les arts , les ſciences , s'acquièrent &
>> ſe perfectionnent par l'éducation , mais la
>> valeur , le courage , ſont des dons de la nature.
On s'efforceroit envain de les faire naître & de
les développer dans des ames froides & étroi-
>> tes , elles étoufferoient plutôt les germes qu'el-
>> les ne les féconderoient .
>> Vous êtes donc nés braves , Meffieurs , vos
>> actions l'ont prouvé , & votre conduite fou.
>> tenue , a mis le ſceau à votre réputation. Qu'il
> me feroit doux de rappeller ici les occaſions
>> où vous avez donné des preuves ſi éclatantes
>> de votre bravoure , de votre attachement à
>>>votre patric , de votre zèle pour le ſervice , &
> la gloire du meilleur des Rois ! Mais ces détails
כ ſeroient trop longs , c'eſt à l'hiſtoire à confi-
>> gner vos actions dans ſes faftes : c'eſt aux
>> généraux François de tous les ordres , de tous
>> les corps , à publier ce qu'a fait l'Artillerie en-
>> tre vos mains, & ce qu'elle eft capable de faire.
>> C'eſt , nous oſons le dire , aux ennemis de la
>> France , à convenir de la ſupériorité què l'Artillerie
de Louis eut ſur la leur.
i
JUILLET. 1772. 197
>>> Nous aimons à nous flatter de vous avoir
>> montré le chemin de la gloire , de vous avoir
* accompagné dans celui de l'honneur , nous
>>>avons partagé vos peines , & vos travaux ,
>> nous vous connoiſſions , mais ce n'étoit pas
>> allez & il manquoit à notre ſatisfaction ,
>> de vous voir partager avec nous , une décora-
>> tion militaire , ſeule recompenſe digne d'un
>> guerrier qui vous attirat , & fixat ſur vous , les
>>>regards de la nation , que vous avez ſi bien
ſervie.
ככ
לכ
ככ
ככ
בכ
ככ
ככ
2
Ce jour heureux eſt arrivé , un miniſtre qui
réunit toutes les qualités militaires , tous les
>> talens , tous les dons , toutes les vues , qui
peuvent donner un nouvel éclat au règne de
LOUIS XV , vous fait obtenir aujourd'hui
de Sa Majesté , une récompenſe audi brillante
que juſte de vos ſervices. Souvenez - vous , en
> voyant ces épéesqui vous ont été placées ſur vo-
>> tre coeur, que vous êtes dépoſitaires des armes les
plus redoutables que le Roi pût confier àvotre
valeur ; rappellez- vous en voyant vos dra-
>> peaux , qu'ils furent chargés de Fleurs de Lys ,
>> pour perpétuer la mémoire d'une action hé-
>> roïque de vos Prédéceſſeurs : rappellez- vous la
>> quantité debatailles aux ſuccès deſquelles l'Ar-
>> tillerie a ſi puiſſamment contribué : rappellez-
>> vous combien de boullevards ſe ſont écroulés
>>>ſous ſes coups ; rappellez-vous enfin toutes les
בכ
ככ actions où le Corps Royal , s'eſt acquis une
>> gloire immortelle: quels coeurs à ce ſouvenir
>> ne ſeroient pas émus , agités , tranſportés ?
>> Vous formez aujourd'hui de nouveaux liens,
>> vous contractez de nouveaux engagemens ,
>> en recevant de nouveaux honneurs & de nou-
>> velles marques de distinction. Ces marques
I iij
198 MERCURE DE FRANCE .
- honorables , de la fatisfaction , de la bienfai-
ככ fance&de la bonté du Roi que vous ſervez ,
>> exigent de vous , de nouvelles preuves de
>> zêle , de nouveaux travaux , une nouvelle
>>>ardeur ; venez donc renouveller le ferment de
>> lui être fidèles , ainſi qu'à la patrie , & à l'hon-
> neur d'un Corps qui fait votre gloire , comme
>> vous contribuez à maintenir la réputation:
-ces fermens ne vous coûteront rien , puiſque
- l'honneur même lesgrava au fond de vos ames,
» & qu'ils ne font que l'expreſſion des ſentimens
> qui vous ont animés juſqu'à ce jour. Venez
>> done recevoir le prix de vos vertus & de vos
>> ſervices , & vous , braves camarades , qui
>> brûlez du déſir de jouir des mêmes avantages ,
>> & d'être aſſociés aux mêmes honneurs , calmez
>> votre ardeur impatiente ; le temps viendra ;
>> méritez par votre conduite & vos ſervices ,
>> mais fouvenez-vous que la plus petite tache
>> vous en exclûroit : la route eſt tracée , ſuivez-
20 la. 2
Lediscours achevé , il y a eu de grandes acclamations
par l'afluence des auditeurs , de vive le
Roi, repetés pluſieurs fois , & les vétérans ont
prêté ſerment ſur leurs drapeaux. On voyoit
briller dans les yeux de ces braves ſoldats , la
joie la plus vive , la fatisfaction la plus complete,
de l'honneur qu'ils recevoient , &le défir le plus
ardent de trouver de nouvelles occaſions de ſignaler
leur courage & leur zéle pour le fervice de
Sa Majeſté. Tous les autres ſoldats de ce Régiment
, montroient affez par leur contenance , &
leur joie , l'impatience qu'ils avoient de jouir des
mêmes honneurs .
Le Marquisde Puſignieux , Lieutenant général
des Armées du Roi , Commandant en DauJUILLET.
1772. 199
phiné, pendant l'abſence du Comte de Tonnerre,
a reçu le plus ancien des vétérans , & lui a attaché
la plaque. Le Sieur de Clinchamp , Colonel Brigadier
des Armées du Roi , commandant l'Artillerie
, & le Sieur de Malaviller , Colonel du Régiment
de Toul , auſſi Brigadier des Armées du
Roi , ont reçu les autres au bruit du canon & des
fanfares .
La réception finie , le Régiment a défilé devant
le Marquis & la Marquise de Puſignieux , Meldames
les Marquiſes de Montferra & de Montauban ,
la Tour dupin , ( nièces de M. le marquis de Monteynard,
(Meldames deClinchamp , de Malaviller
&grand nombre d'autres Dames , qui ont bien
voulu honorer & embellir cette Fête de leur
préſence , le Marquis de Marcicu , Gouverneur
de la Citadelle , également , & tous les Officiers
de la place&de la garniſon .
Après la Meſle qui a été célébrée dans l'Egliſe
des Jacobins , avec beaucoup de pompe & une
muſique militaire , convenable à la cérémonie ,
& où les vétérans occupoient une place qu'on
avoit marquée pour eux ; on s'eſt rendu dans une
grande falle , où le Sieur de Clinchamp , commandant
l'Artillerie , a donné un diné , aufli
élégant , qu'abondant. Il avoit fait préparer à cet
effet , une table de 80 couverts , où les vétérans
ſe ſont placés , entremêlés des Officiers de l'Etatmajor
de la place , &de preſque tous ceux du
Corps Royal. Les ſervices ſe ſont ſuccédés à ce
répas , avec autant d'ordre que de bon goût ; la
gaité animoit tous les convives , & fur-tout les
vétérans ; mais ils ont été tranſportés de plaiſir ,
en voyant arriver pendant le diné , les mêmes
Dames qui avoient bien voulu aſſiſter le matin à la
cérémonie de leur réception. Meſdames de Pufi-
Liv
200 MERCURE DE FRANCE.
1
gnieux , de Montferra & de Montauban , leut
ont porté la ſanté du Roi , & leur ont fait l'honneur
de boire à la leur: on peut bien juger que
ces braves guerriers ne ſont pas demeurés en reſte .
La Danſe a ſuccédé au diné , & cette Fête militaire
αέτε terminée par ungrand ſoupé que leMarquis
dePuſignieux , a donné à nombre d'Officiersdela
garnifon.
DISCOURS prononcépar M. le Curé de
Neufchâtel , en Bray , à la bénédiction
des Drapeaux du Régimentde Pont-Audemer
, en présence de M. le Comte de
Céli Colonel , le 21 Mai 1772 .
Meffieurs; les voici donc ces ſignes auguſtes
qui doivent vous conduire au chemin de l'honneur!
Des bras deſtinés à porter la terreur dans
les rangs ennemis , implorent aujourd'hui dans
le ſanctuaire de paix la force du très-haut ; &
convaincus qu'il n'appartient qu'au Dieu des
armées de couronner la valeur , vous venez aux
pieds des autels mériter vos ſuccès.
Dignes ſoutiens de l'Etat qui vous vit naître ,
c'eſt àvous à juſtifier le choix du Prince qui vous
honore. Soyez toujours les plus fermes reinparts
de ſon trône.
Et vous , endurcis dès vos plus tendres ans aux
plus pénibles travaux , vous préludiez , fans le
ſavoir , au jour de gloire où vous fûtes enrôlés
ſous de nouveaux étendarts. Un ſage Miniftre a
penſéqu'une terre mille fois arrotée de vos ſueurs,
devoit vous être chère ; & que les meilleurs défen
JUILLET. 201
1772 .
ſeurs de la Nation ſont ceux qui la nourriſſent
Semblables , en cela , aux enfans d'Ifraël , le glaive
dans une main , vous menacerez les ennemis de
la Patrie, tandis que de l'autre vous y raménerez
l'abondance .
La voix du Souverain s'eſt fait entendre : auffitôt
, vous quittez vos paiſibles retraites : juſqu'alors
, laborieux cultivateurs , vous étiez d'utiles ,
mais obſcurs citoyens , déſormais le devoir , le
ſentiment, de grands exemples , vont voustransformer
en des guerriers intrépides. Puiſſiez- vous
toujours être chrétiens !
Ces réflexions, ſouvent le tumulte des armées
les étouffe. Le Monarque eſt ſervi avec une ſcupuleuſe
fidélité; & celui qui décide à ton gré ,
du fortdes Rois & de leurs Empires , eſt matheureuſement
oublié.Quelquefois une licence effrénée
répand un ſouffle impur ſur des moeurs juſqu'alors,
fans tache ; & des coeurs , où règnoient la candeur
& l'innocence , profeſſent ouvertement l'impiété :
comme ſi , pour avoir été fidèle à Céſar , on pouvoit
ſe diſpenſer de l'être à ſon Dieu.
Voulez - vous être ſoldats ſans foiblefles a
Soyez chrétiens ſans reproches ; la vraie valeur &
la religion , ſont deux vertus inféparables. Celui
qui combat pour ſon Prince , ſous l'oeil de ſon
Dieu , eſt comme invincible ; plus de dangers qui
l'effrayent , plus de frayeur qui l'emporte.
Nous avons vû , iln'y a pas encore quatre luftres
, au ſein de la capitale de cette province ,
l'élitedes troupes de la Nation tirée preſque toute
de ces corps que vous remplacez avec plus de
distinction , édifier les anges , même dans vos
Temples; & peu de tems après , à la tête de nos
armées, faire trembler nos ennemis. Triſte viciffitudedeschoſes
humaines ! Ils ne ſont plus .....
202 MERCURE DE FRANCE.
1
Jugez de la trempe de ces hommes par le chefqui
vous commande. Si nous ſommes forcés d'avouer
, que les belles qualités qui brillent en
lui avec tant d'éclat , font les prérogatives de ſa
naillance , au moins nous ne diſſimulerons pas
que de grands exemples étoient bien propres à les
développer.
Grenadiers! Voulez-vous des modèles plus à
votre portée ? Jettez les yeux ſur vos amis , vos
parens , vos fères peut- être rappelez- vous la
triſtejournée de Minden ; la victoire avoit abandonné
vos légions ; les reſtes précieux d'un corps
détruitpar le canon , ſoutiennent ſeuls les efforts
des ennemis; ils diſputent pied à pied le terrein ;
leurs rangs ss''éécclairciſſent ſans abbattre leur courage;
& ils ne penſent à la retraite que lorſqu'ils
n'ont plus à craindre pour les débris de notre
armée.
Voilà, chers compatriotes, des exemples récens.
Voilà des événemens qui ſe ſont paflés preſque
ſous vos yeux ; voilà des exemples que je vous
propoſerois , fi vous ne faviez pas qu'un Normand
eft fait pour être lui-même un modèle.
Songez ſouvent au titre glorieux qui vous décore.
Rappelez-vous fans ceſle, que la fortune , l'état ,
la vie même des citoyens , font autant de dépôts
ſacrés qui vous ſont confiés ; ſoldats de la Province
, votre ſang doit ſe conſerver & ne ſe
répandre que pour elle. Si jamais , ce qu'à Dieu
ne plaiſe , vous oſez le verſer ſans ſon aveu ,
ſachez que c'eſt un vol que vous lui faites. La
valeur a ſes règles : ſans elles , ce n'eſt plus
qu'une aveugle férocité. Marchez fur les traces de
vos chefs. Detout tems notre Nobleſſe fut en pofſeſſionde
donner des exemples de bravoure , &
pos foldats de les imiter.
JUILLET. 1772. 203
Grand Dieu ! Couvrez de vos aîles cette précieuſe
portion de l'état ; l'amour de la Patrie ſoutiendra
leurs travaux , préparez leur une couronne
immortelle.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Copenhague , le 4 Juin 1772 .
LE Lieutenant- Colonel de Heſſelsberg eſt parti
pour ſe mettre à la tête du bataillon de Milice de
Sleswic , dont le commandement lui a été confié..
On n'a encore rien appris du ſort des trois priſonniers
d'Etat qui reſtent à juger ; la Commiſſion
établie à ce ſujet a été aſſemblée ce matin . On doit
faire de grands changemens dans le nombre & la
police des troupes du Roi. Le Maréchal Comte
de Saint-Germain , qui jouiſſoit d'une penſion de
8000 écus , a obtenu ,dit-on , unegratification de
70 , 000 écus , une fois payée , pour lui tenir lieu
de ſa penſion , avec permiffion de ſe retirer & de
s'établir où bon lui ſemblera .
:
De Hambourg , les Juin 1772 .
On vient d'apprendre que la Reine Caroline-
Mathilde de Danemarck eſt heureuſement arrivée
à Stade , ce matin ; Elle y a été reçue avec les
mêmes honneurs qu'on auroit pu rendre à la Reine
d'Angleterre.
De Francfort , le 1 * Juin 1772 .
Les opérations de la Viſite de la Chambre Impériale
ſont ſuspendues , depuis quelque tems ,
paruneconteſtation ſurvenue entre le ſieur Falke ,
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Subdélégué de Bremen , & la Commiſſion Principale.
Le Commiſſaire Impérial & le Subdélégué
Directorial ont rompu les conférences & ſe ſont
retirés en cette Ville , en attendant que le différend
, qui a fait diſloudre l'aſſemblée , ſoit terminé.
Il eſt queſtion d'augmenter le nombre des Affeffeurs
de ce Tribunal ſuprême , qui eſt aujourd'hui
moindre de deux tiers que celui que les lois & le
Traité de Westphalie ont établi , & qui , dans
l'état où il eſt , ne peut ſuffire à la quantité d'affaires
qu'on porte à ſa connoiflance.
DeBerlin , le 9 Juin 1772.
Les troupes qui formoient le camp établi à
Marienwerder ont été paflées en revue , le 6 & le 8
de ce mois , par Sa Maj ſté qu'on attend a Potsdam
le 11. Le Prince de Pruſſe a dû quitter le Roi , le
8 , pour aller faire une tournée de huit ou dix
jours en Pruffe . C'eſt la premiere fois que ce Prince
voyage dans cette Province où il eſt attendu avec
empreſſement.
Suivant les nouvelles des frontieres de la Siléfie
Autrichienne , la Généralité a reçu ordre de la
cour de Vienne de lui livrer les forterefles de Bobreck
, Tinieck & Landskron , occupées par les
Conféd rés & de ſe retirer en Hongrie ou en
Moravie. Le ſieur Zaremba , Maréchal Général
de la Confédération , eſt actuellement à Warsovie
où il dott inceſſamment être présenté au Roi. Le
fieur Pulawski offre , dit- on , d'abandonner également
la Confédération & pluſieurs autres chefs
ont pris le même parti .
De Vienne, le 6Juin 1772 .
Suivant les nouvelles de la frontiere , les troupes
Autrichiennes ſont actuellement établies dans
JUILLET. 1772. 205
pluſieurs places de la Pologne. Il doit partir inceflammentd'ici
cinq Ingénieurs pour aller tracer
les limires des nouvelles poſleſſions que la cour de
Vienne va obtenir dans ce Royaume , où elle réclame
pluſieurs territoires qui dépendoient autrefoisde
la Hongrie.
De la Haye , le 9 Juin 1772 .
Les lettres queles correſpondances de commerce
multiplient dans ces Provinces , prouvent une vérité
qu'on ne ſçauroit trop publier. Cette vérité
eſt que les diſettes reffenties en divers endroits
viennent moins de la ſtérilité de la terre ou de la
multitudedes consommateurs , dans quelqu'année
que ce ſoit , que du défaut de concert entre les
Nations policées , pour la circulation des produits
de l'Agriculture. Les alarmes conçues , les années
dernieres , ont engagé les Hollandois & d'autres
peuples navigateurs à fouiller , pour ainſi dire ,
tous les coins de l'Europe où il pourroit encore
refter des grains . Il s'en est trouvé , ſoit dans les
Provinces qui peuvent atteindre les ports de la
mer Baltique , ſoit dans d'autres contrées plus
feptentrionales , une ſi grande quantité , que le
prix en eſt baiflé par-tout.
De Londres, le 10 Juin 1772 .
Le fameux procès entre l'AldermanTownshend
&le ſieur Hunt , Collecteur de la taxe des terres ,
a été jugé , le 9 de ce mois , par le Tribunal du
Banc du Roi. On ſe rappelle que cet Alderman
avoit refuſé de payer la taxe des terres , enqualité
d'Electeur du Comté de Middlesex, fon Avocat
fit valoir tous les titres : il prétendit que ce
Comté n'étoit pas légalement repréſenté par le
206 MERCURE DE FRANCE .
colonel Luttrell & offrit de prouver que le ſieur
Wilkes en étoit le ſeul Repréſentant légal. L'Avocar
du ſieur Hunt oppoſa différentes raiſons aux
moyens du ſieur Townshend ; enfin la queſtion
fut portée au Juré , en la forme ordinaire , & la
déciſion fut en faveur du ſieur Hunt ; ainſi le ſieur
Townshend a perdu ſa cauſe , & la légalité de
l'expulfion du ſieurWilkes , ainſi que l'élection de
fon compétiteur , ſe trouve encore confirmée par
lejugement du premier Tribunal de la Nation.
D'Alicante , le 30 Mai 1772 .
On prétend qu'on va faire une refonte générale
des monnoies & qu'on ne frappera plus à l'avenir
quedes pièces d'or & d'argent au cordon & dans
des proportions égales , de valeurs relatives à
chacune d'elles . Cette uniformité , en prévenant
les abus qui ſe commettent ſur les eſpèces brutes
venantdes Indes , aura l'avantage de facilicer la
circulation ; elle ſimplifiera les comptes , en écar.
tant l'embarras & la confuſion'que la différence
des poids reſpectifs occaſionne dans le commerce.
De Cadix , le 29 Mai 1772.
Il eſt arrivé , ce matin , un courier extraordinaire
expédié par les Etats Généraux au Conſul
deHollande réſidant ici , pour lui annoncer que la
trève entre l'Empereur de Maroc & leurs Hautes-
Puiſſances devant expirer , le 27 du mois prochain ,
cinq frégates de guerre qu'on arme en Hollande
pour protéger le commerce de la République , leront
rendues ſur les côtesdu Prince Barbareſque ,
avant l'expiration de ce terme.
De Palme , dans l'IsleMayorque , le 10 Mai
1772 .
On écrit de Mahon qu'il y eſt arrivé un navire
JUILLET . 1772 . 207
de l'eſcadrede l'amiral Spiritow , chargé de munitions
de guerre qui feront confignées dans les
magaſin de cette place. Le capitaine a annoncé
comme certaine la ſignature des Préliminaires de
paix entre la Ruſſie & la Porte ; il croit que toute
l'eſcadre de l'amiral Spiritow viendra ici pour te
radouber.
De Génes , le 8 Juin 1772 .
Le Doge actuel , de concert avec les Nobles
Nicolas Cambiaſo , ſon frere , & Jean- Baptiste ,
Charles-Ignace & Michel-Ange Cambiafo , ſes
couſins , vient d'offrir de faire conſtruire , à les
frais , un grand chemin qui s'étendra depuis cette
capitale juſqu'à Campo Marone. Le but de cetse
entrepriſe eſt de favorifer , au moyen d'une libre
communication , le commerce de Gênes avec la
Lombardie. Pour rendre cette route d'une plus
grande utilité , Sa Sérénité ſe propoſe de faire élever
pluſieurs ponts ſur le torrent appellé laPolcevera
, de leborder de quais & de faire conſtruire
auſſi un pont ſur la riviere de Lemno , près Gravi .
LesColleges ont accepté ces offres généreuſes , &
ils ont déclaré le chemin propoſé , opus publicum.
Ils ont donné à la famille Cambiaſo les pouvoirs
néceſſaires pour la facilité de l'exécution. Enfin
dans la vue de perpétuer la mémoire de cet acte
patriotique du Doge , ils ont arrêté de lui ériger
une ſtatue de marbre , qui ſera placée dans la ſalle
duGrand Confeil.
De Rome , le 3 Juin 1772 .
Il y a maintenant ici une jeune Allemande ,
d'une taille giganteſque , qui vient d'abjurer le
Lutheraniſme & qui a embraſlé la Religion Catholique.
Elle eſt âgée de dix-neuf ans.
Sa Sainteté , voulant faire jouir les étrangers
203 MERCURE DE FRANCE.
de la vue de ſon nouveau Museum , a ordonné
à l'abbé Viſconti & au fieur Sibille , qui en font
les Surintendans , de mettre promptement ce cabinet
en état d'être expoſé aux yeux du public .
NOMINATION S.
Sa Majesté a nommé la Comtefle de Bourdeilles
Dame pour accompagner Madame , à la place
de Feue la Vicomteile de Bourdeilles. Elle a eu
l'honneur de faire ſes remercimens au Roi , à
qui elle a été préſentée en cette qualité , par
Madame , le 21 Mai .
L'Abbé de Veri ayant donné , avec l'agrément
du Roi , ſa démiſſion dela place d'Auditeur de Rote,
Sa Majesté y a nommé l'Abbé de Baïanne , Vicaire
Général de l'Evêché de Coutances .
Le Marquis de Loménie , Mestre de-Camp de
Cavalerie vient d'être nommé Enſeigne des
Gardes du Corps de Sa Majeſte , Compagnie de
Beauvau , ſur la retraite du ſieur de Durat.
Le Roi a nommé à l'Evêché de Marianna &
Accia , en Corſe , le ſieur Stephanini , Evêque de
Sagone.
PRÉSENTATIONS ,
Le 26 Mai , le Comte de Souza , Ambaſladeur
de Portugal , eut une audience particulière du
Roi à qui il remit ſes lettres de créance. Il fut
conduit à cette audience , ainſi qu'a celle de la
Famille Royale , par le ſieur la Live de la Briche,
Introducteur des Ambaſladeurs .
Le 28 Mai , la Comtefle de Bourſonne a été
préſentée au Roi , ainſi qu'a la Famille Royale ,
parla Comteſſe de Ligny.
Le Baron de Goltz , Miniſtre plénipotentiaire
du Roi de Pruſſe , qui étoit allé paner quelque
JUILLET. و 1772. 20
tems à Berlin , eſt arrivé dans les derniers jours
de Mai; il a été préſenté à Sa Majesté le 2 Juin.
L'Abbé de Baïanne , nommé Auditeur de Rote
à la place de l'Abbé de Veri , a eu l'honneur dans
les premiers jours de Juin , de faire les remercimens
au Roi , à qui il a été préſenté par le Duc
d'Aiguillon , Ministre & Sécretaire d'Etat, ayant
ledépartement des affaires Etrangeres .
LaMarquiſe de Pracomtal a eu l'honneur d'être
préſentée le 7 Juin au Roi & à la Famille Royale,
par la Comtefle de Pracomial.
Le Baron de Witorff, Miniſtre Plenipotentiaire
du Landgrave de Heſle- Caffel , eut le 9 Juin une
audience particulière du Roi dont il prit congé.
Il fut conduit à cette audience , ainſi qu'a celle
de la Famille Royale , par le Sieur la Live de la
Briche.
Le 14 Juin , l'Aſſemblée Générale du Clergé
de France ſe rendit ici , & eut du Roi une audience
à laquelle elle fut conduite par le Marquis de
Dreux , Grand - Maître des cérémonies. Le Duc
de la Vrilliere , Miniſtre & Sécretaire d'Etat ,
chargé des affaires du Clergé , préſenta à Sa Majeſté
les Députés des Provinces du premier &
ſecond ordre ; l'Archevêque de Toulouſe porta la
parole: enfuite l'Aflemblée fut conduite à l'audience
de Monſeigneur le Dauphin , & de Madame
la Dauphine.
MARIAGES.
Le Roi , ainſi que la Famille Royale , ont figné
e22Ma ile contrat de mariage du ſieur deCaſſini,
de l'Académie Royale des Sciences ,& Gouverneur
de l'Obſervatoire en ſurvivance avec Demoiſelle
de Pimodan .
د
Le Roi & la Famille Royale ont ſigné le 28 Mai
210 MERCURE DE FRANCE.
lecontrat de Mariage du Comte d'Aunay,Cornette
de la premiere Compagnie des Mouſquetaires de
la Garde ordinaire du Roi avec Demoiselle de
Puiſegur.
Le Duc de Mortemart a épousé le 11 Juin ,
Demoiselle de Harcourt de Lillebonne , dans la
Paroifle de Harcourt , en Baſſe - Normandie
l'Evêque de Bayeux a donné la Bénédiction Nuptiale.
Marie-Anne de Montholon , veuve de Joſeph
deNagu , Marquis deVarennes , capitaine- colonel
des Cent - Suifles de la garde de la Reine ſeconde
Douairiere d'Eſpagne , eſt morte à Paris le 1 Juin,
dans la quatre- vingt- deuxième année de ſon âge.
Le 2 Juin , Alexandre Comte de la More-Baracè
, Chevalier de l'ordre royal & militaire de S.
Louis , Capitaine des Vaiſſeaux du Roi , a épousé
Marie-Melanie d'Eſcajeul , fille de Jean Marie
Marquis d'Eſcajeul , Chevalier de l'ordre royal
&& militaire de S. Louis , ancien Capitaine de
Dragons au régiment de la Reine. La BénédictionNuptiale
leur a été donnée dans la Chapelle
du Château de la Motte près Saumure en Anjou.
Le Comte de la Motte-Baracé eſt d'une des
Familles des plus nobles de l'Anjou & des plus
anciennes ; Guillaume de la Motte l'un de ſes
auteurs eſt qualifié Chevalier dès l'an 1244 , dans
l'obituaire du Monastère de la Primaudière , ordre
de Grammont , dans cette Province d'Anjou : les
preuves faites à Malthe tant pour celui qui donne
lieu à cet article, quepour ſon frere,dit le Chevalier
de Bournan , auſſi dans la Marine , ainſi que
l'hiſtoire manuſctite de Chinon , par M. de la
Sauvagere, qui eſt prête a être publiée, ſont entrés
dans toutes les recherches généalogiques par titres
autentiques des alliances de cette Branche , établie
depuis environ 46 ans , dans les environs de Chi
JUILLET. 1772. ΣΙΙ
non enTourainne , ou Philippe - Claude - René
Comte de la Motte - Baracé Pere , mort le 22
Juillet 1768 , Chevalier de l'ordre royal & militaire
de S. Louis , & Lieutenant - Colonel de
Cavalerie an Régiment de Crufſol , herita par
ſucceſſion collatérale du Château de Coudray-
Montpenfier , l'un des plus conſidérables de ce
canton, qui a appartenu autrefois à Louis I,du nom
Comte d'Anjou , Roi de Sicile. Quant à la mère
du Comte de la Motte- Baracé , elle fe nomme
Catherine - Modeſte de Guillot de la Bardouilliere
, d'une famille noble d'Anjou.
Mademoiselle d'Eſcajeul , a pour mère Jeanne-
Jacquine Victoire- Sophie- Melanie de la Foucherie
d'une famille noble d'Anjou ,& elle a pour
ayeul paternel M. d'Eſcajeul , Lieutenant-Général
des Armées du Roi , cordon rouge , Lieutenant
des Gardes-du-corps , mort à Fontainebleau en
1755, d'une nobleſſe ancienne, originaire du baillage
de Caen , c'est-à- dire où elle floriſſoit dès
l'an 1256. Le père de la demoiſelle d'Eſcajeul est
lepremier qui ſe ſoit établi en Anjou.
NAISSANCE S.
On mande de Poitiers que la femme du nommé
Berthouint , boulanger de la Ville de S. Maixent,
vient d'accousher pour la vingt- ſeptième fois.
Elle n'a que quarante ans.
On a appris de Naples que la Reine des deux
Siciles y est heureuſement accouchée d'une Princefle
, le 6 de Juin.
MORTS.
Alexandre de Pont , Chevalier de l'ordre royal
&militaire de S. Louis , ancien commandant du
212 MERCURE DE FRANCE.
bataillon de S. Maixent , eſt mort en ſon château
en Poitou , âgé de ſoixante- ſeize ans.
Maurice-Alexandre François Comte de Billy ,
colonel d'infanterie , chevalier de l'ordre royal &
militaire de S. Louis , eſt mort à Paris , dans la
quatre- vingt- cinquième année de ſon âge.
Charles-Nicolas de Monliard , Comte de Rumont
, ancien capitaine au régiment royal carabinier
, chevalier de l'Ordre royal & militaire de
S. Louis , eſt mort à Nemours , dans la quatrevingt-
deuxième année de ſon âge. Il avoit été
premier page de Louis XIV, & il a eu l'honneur
de fervir Sa Majesté en la même qualité .
L'Abbé de la Bletterie , Penſionnaire de l'académie
royale des inſcriptions & belles - lettres ,
profefleur d'éloquence au college royal , eſt mort
à Paris le 1 Juin . dans la ſoixante - dix- ſeptiéme
année de ſon âge .
Alexis Symmaque Mazochi , chanoine de l'égliſe
métropolitaine de Naples , aſſocié libre
étranger de l'académie royale des inſcriptions &
belles lettres , eſt mort à Naples , le 12 Septembre
1771 , dans la quatre- vingt ſeptième année
de ſon âge.
Marie-Jeanne Bouté , veuve d'Antoine Tabar,
eſt morte àSt Omer , dans la cent deuxieme année
de ſon âge
Le Comte d'Albon , Prince d'Yvetor , Marquis
de S. Marcel , grand croix de l'Ordre de S. Lazare,
vient de mourir à Roanne , dans la quatre- vingtcinquiéme
année de ſon âge.
Le 2 Mai , ileſt mort au village de Dlauhy , dan s
la Moravic , une femme âgée de cent dix- huit
ans. Elle avoit été mariée fix fois , & avoit eu
de chacun de ſes maris quatre enfans qui vivent
tous.
Anne-Charlotte de Crufſol , Duchefle Douai
JUILLET.
1772 . 213
rière d'Aiguillon , eſt morte à Ruel , le 15 Juin ,
à l'âge de foixante- douze ans , & elle a été inhumée
le lendemain dans l'Egliſe de la Sorbonne.
Le Vicomte de S. Martin , commandant du
château de Pau , Alcade d'Arberoue , en Navarre,
eſt mort dans ſes terres en Béarn , le 31 Mai ,
âgé de quatre-vingt-dix- sept ans.
Frère N. d'Argens , brigadier des armées du
Roi , chevalier commandeur de l'Ordre de Malthe
, ancien Lieutenant colonel du régiment
Royal- Vandeaux , commandant des ville , châ
teau & citadelle de Breft, y eſt mort le 30 Mai.
11 n'étoit que chevalier profés , & c'eſt la veille
de la mort qu'il a été pourvu d'une Cominanderie.
Marie- Anne Sicaud , eſt morte à Chartres , le
31 Mai , agée de cent- trois ans .
Marie Matcarf , eſt morte près de Bacwork ,
dans la Province de Northuniberland , âgée de
cent-huit ans .
On aprend par une lettre de Petersbourg , que
le ſieur Chretien Warger , hollandois de nation ,
vient d'y mourir dans la cent - troifiéme année de
ſon âge.
François-Alexandre de Creſtot , Baron de Creftot
, ancien Ecuyer de main du Roi , ett mort le
II Juin , en ſon château de St Aubin , dans la
quatre vingt ſeptième année de ſon âge .
On mande de St Petersbourg que François-
Antoine- Maximilien de Collot , Baron de Cloſel,
ci devant colonel au ſervice du Roi de Danemarck,
& qui étoit paflé à celui de l'Impératrice de
Rushe , eſt mort vers la fin du mois de Février
dernier , à l'armée de Crimée , âgé de quarante
ans.
214 MERCURE DE FRANCE.
a
LOTERIES.
Le cent trente - ſeptiéme tirage de la Loterie de
l'Hôtel de- Ville s'eſt fait le 25 Mai, en la manière
accoutumée. Le lot de cinquante mille livres eſt
échu au numéro 96677 ; celui de vingt mil liv.
au numéro 87961 , & les deux de dix mille aux
numéros 82509 & 91667.
Le tirage de la loterie de l'ecole royale militaire
s'eſt fait les de ce mois. Les numéros ſortis de la
roue de fortune , font 21 , 62 , 79 , 44 , 19. Le
prochain tirage ſe fera le 6 Juillet.
Correction.
Dans le compte qui a été rendu dans le Mercure du
premier Avtil , de la réception de M. Eſtienne , à la
maîtriſe de Maître en fait d'Armes , au Colifée le 11 Mai
dernier :
On a dit mal-à propos que M. de la Salle , Maître en
Fait d'Arines des Mouſquetaires Noirs , avoit été touché
dans l'aſſaut ; ce qui n'eſt point , puiſqu'il n'a point recommencé
l'aſſaut ; ce qu'il auroit été obligé de faire
ſuivant les Statuts , i les deux bottes qu'il a données
n'euflent pas été regardées comme franches. M. de la Salle
a en conféquence obtenu le premier prix , & c'eſt le ſeptiè
mequ'il remporte.
TABLE.
PIECES IECES FUGITIVES en vers&enproſe,page
Jean qui pleure & Jean qui rit , ibid.
Réponſe de M. V*** aux vers de M. de Voltaire qui ont
pour titre Jean qui pleure , &c. 8
Traduction de l'ode 7e du Liv . 4º d'Horace à Torquatus , 9
Epître au beau ſexe , 12
L'homme qui ne s'étonne de ricn , Conte , 13
La Police ſous LOUIS XIV. 29
JUILLET. 1772. 215
Dieu ,
L'Oraiſon Dominicale , Ode.
Dialogue des Morts , entre Licurgue & Périclès ,
La Vengeancede Médée , Cantate ,
Epître à une jeune Dame ,
Explication des énigmes & des logogryphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRIPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
34
35
38
45
47
50
ibid.
54
56
Fables ou Allégories philoſophiques, par M. Dorat , ibid.
Réfutation d'un Mémoire ſur laTopographie de Paris , par
M. Terraflon , 62
Dictionnaire Minéralogique de la France , 65
Le Laboureur devenu Gentilhomme , 69
L'Art d'Aimer ; la Fille de 15 ans , Conte. 72
Bibliographie Parifienne , 76
La connoiſlance de l'Aſtronomie , par M. l'Abbé Dicquemare
, 78
Hiſtoire des différens peuples du monde , 79
Hiſtoire Militaire des Suiſſes , &c . par M. May , 81
L'Art du Mâçon Piſeur , 32
Conſultation ſur unOnaniſme fingulier, par M. Contencin ,
D. R. 87
Moyens certains & peu coûteux de détruire le mal vénérien,
par J. J. Gardanne, 88
Blanche & Guiſcard , Tragédie. १०
Rouſſeau vengé , 93
Le Jugement de Pâris , Poëme. 107
La Théorie pratique de l'Eſcrime , pour la pointe feule ,
avec des Remarques ſinſtructives pour l'aſſaut , 227
Campagnes de M. le Maréchal de MAILLEBOIS , en Italie,
par M. le Marquis de Péſay , 128
Expériences ſur la bonification de tous les vins par M.
Maupin , 130
Plus Heureux que Sage , Froverbe 131
Qui ne riſque rien , n'a rien , autre Proverbe , ibid.
Eſſais de Philoſophie & de Morale par M. L. Caſtilhon ,
133
Lettre ſur la profeſſion d'Avocat & ſur les études néceſſaires
&c.
138
Dictionnaire portatif de cuiſine , &c . ibid.
Lettre de M. l'Abbé Roubaud ſur l'Enfant Hydroſcope, 137
:
Autre Lettre relative à ce ſujet , 143
Obfervations , 144
Académie de Bordeaux , 146
216 MERCURE DE FRANCE.
Académie Royale de Chirurgie, 151
SPECTACLES . Opéra , 153
Comédie françoiſe , 154
Répertoire des liéces de Molière pour la Comédie Françoife,
156
Vers à Mile Saintval , 158
Comédie italienne , ibid.
ARTS , Géographie , 159
NouvelleMéthode de Géographie, ouCartes à jouer , par
M. Delaiftre , bid.
Gravures , 162
Muſique , 168
Obſervations ſur les Maufolées du Maréchal de Saxe & du
Maréchalde Turenne , par M. de la Lande , 171
ACADEMIES, 179
Trait de tendrefle filiale , 182
Avis, 183
DeGrenoble , réception des Vétérans , 195
Difcours prononcé lors de la bénédiction des Drapeaux du
Régimentde Pont-Audemer , 103
Nouvelles politiques , 283
Nominations , 20
Préſentations, ibid.
Mariages , 209
Naiflances, 210
Morts , ibid.
Loteries , 214
J
APPROBATION.
At lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le premiervol.
du Mercurede Juillet 1772 , & je n'y ai rien trouvé qui
m'ait paru devoir en empêcher l'impreſſion .
AParis , ce 26 Juin 1772 .
LOUVEL.
De l'Imp . de M. LAMBERT , rue de la Harpe .
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROL
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
JUILLET, 1772 .
SECOND VOLUME .
Mobilitate viget. VIRGILE.
:
A PARIS ,
د
Chez LACOMBE , Libraire Rue
Chriſtine , près la rue Dauphine .
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
L
C'EESSTT au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriftine , que l'on prie d'adreſſer , francs de port,
les paquets & lettres , ainſi que les livres , les eftampes
, les piéces de vers ou de proſe , la muſique,
les annonces , avis , obſervations , anecdoévénemens
finguliers , remarques fur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auſſi de marquer le prix des livres
, eſtampes & piéces de muſique.
tes
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à ſa perfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront même un titre de
préférence pour obtenir des récompenſes ſur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eſt de 24 liv!
que l'on paiera d'avance pour ſeize volumes rendus
francs de port.
L'abonnement pour la province eſt de 32 livres
pareillement pour ſeize volumes rendus francs de
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On s'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eſt de 36 ſols pour
ceux quin'ont pas ſouſcrit,au lieu de 30 fols pour
ceux qui ſont abonnés.
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paroît deux feuilles par ſemaine; on ſouſcrit
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MERCURE
DE FRANCE .
JUILLET , 1772 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
SUITE de l'Eté. Chantfecond du Poëme
des Saiſons ; imitation libre de Thompson.
Le Bain .
LE Midi règne & ſa puiſſance active
Soumet la terre à ſon ſceptre d'airain :
Pour favourer les délices du bain ,
Les villageois , aſſemblés ſur la rive ,
S'élancent nuds dans le fleuve voiſin .
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
La vague au loin mugit& les entraîne ;
Mais bientôt céde & fuit leurs mouvemens :
L'onde bouillonne & les flors écumans
Ne laiſſent voir que leurs treffles d'ébene.
Se dérobant ſous l'ombre d'un bosquet ,
Lieux retirés , ſolitude paiſible ,
Pour une amante à les feux inſenſible
Lejeune Hylas ſoupitoit en ſecret.
Là , compoſant une tendre élégie ,
Qu'il deſtinoit à l'ingrate Sylvie ,
Il eſſayoit à Méchir ſa rigueur .
Que ton deſtin eſt bien digne d'envic!
Heureux Hylas ! tu touche à ton bonheur :
Vois s'avancer cette beauté touchante
Vers ce boſquet, témoin de ton ardeur.
Dans le criſtal d'une onde tranſparente
Elle s'apprête à braver la chaleur.
Que fait Hylas en voyant ſon amante !
Son trouble éclate & ſe peint dans ſes yeux :
Plein de respect , il veut prendre la fuite ;
L'amour l'arrête; il balance , il héfite ,
Se cache enfin & tremble d'être heureux .
Coeurs vertueux , & vous , cenſeurs ſévères
Qu'auriez-vous fait ? Sylvie en rougiflant
S'avance , obſerve &de ſes mains légères
Détache alors ſon léger vêtement.
Le blond Pâris , quand la jeune déefle
1
JUILLET . 1772 . 7
AuMont Ida découvrit à ſes yeux
De ſon beau corps les contours gracieux ,
Futmoins ému : plein d'une douce ivreſſe ,
Hylas ſoupire & forme encor des voeux .
Combien ſur lui Sylvie a d'avantage !
Son embarras , l'éclat de la pudeur ,
Son oeil craintif tourné vers le bocage ,
Tout porte enfin le deſir dans ſon coeur.
Telle qu'un faon , que le bruit intimide ,
Sans le ſçavoir livrée à ſon Hylas ,
Elle s'élance , & ſous l'onde limpide
Sa beauté ſemble acquérir des appas.
Que fait Hylas ? l'ivreſlede ſa flâme
A ſes deſirs le laiſſoit emporter ;
Mais la vertu bientôt rentre en ſon ame ,
Et le reſpect le force d'arrêter :
De ſon amante il veut ravir l'eſtime ;
Et dans l'eſpoir de la toucher un jour ,
Un tel larcin lui paroiſſant un crime ,
(S'il eſt pourtant des crimes en amour ! )
Il ſe détourne , il fuit ? mais ſur l'arene
En s'échappant il lui jette ces mots :
<<Baigne - toi , charmante inhumaine :
>>Hylas reſpecte ton repos ;
>> Raſſure-toi : fur ce myſtère
>>>L'amour ſeul a jetté les yeux :
>> Je vais , errant près de ces lieux ,
>>>Garder ta ſource ſolitaire
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
→ De l'entrepriſe téméraire
>De tout mortel audacieux.
>> Je fuis ; mais il me faut , bergère ,
>>>Pardonner un inſtant heureux ! >>
A cet aſpect Sylvie eſt alarmée :
Elle s'élance , elle prend cet écrit ;
Mais elle y voit une main bien aimée ,
Et ſa frayeur bientôt s'évanouit .
Touchée alors , une émotion tendre
Vient par degrés s'emparer de ſon coeur :
Contre ce trait il ne peut ſe défendre ;
Tant de vertu déſarme ſa rigueur.
Approche , Hilas ! ſur l'écorce d'un hêtre ,
Dont s'embellit cet aſyle champêtre ,
Ces mots gravés atteſtent ton bonheur.
« Si le fort , paſſant ton attente ,
* A ſecondé tes amours ;
>> Sois difcret ; penſe à ton amante :
>> Tu ne fuiras pas toujours. >>
Par M. Willemain d'Abancourt .
T
JUILLET. 1772 .
و
MADRIGAL .
A LA majesté d'une Reine
Vousjoignez les traits de Cypris :
Avec tant d'appas , belle Hélene ,
Que vous devez rencontrer de Pâris !
Par le même.
RÉPONSE DE CIRUS .
ONN demandoit un jour au vaillant Artamene
Ce qu'il vouloit pour ſon repas :
Du pain , répondit-il , ne me fuffit-il pas ?
Je compte le manger au bordd'une fontaine.
Par le même.
LE BERGER , LE CHIEN & LE Loup .
GROS
Fable imitée de l'allemand .
ROS Pierre un jour perdit tout ſon troupeau
Que dévora la clavelée:
Un loup ( de ce malheur ſon ame étoit troublée )
Pour le complimenter , s'en fut droit au hameau.
Av
IO MERCURE DE FRANCE.
<<Grand merci , dit le pâtre en ſa douleur amère ;
>>V>ous êtes le ſeul aujourd'hui
>> Qu'ait touché ma misère...
>> Bon ! repartit le chien : fiez-vous donc à lui !
Courez fus ; il vous cache une haine inflexible :
>>>Le coeur du méchant eſt ſenſible ,
>>Quand il fouffre du mald'autrui.>>
: Parlemême.
VERS pour mettre au bas du Portrait de
Mgrle Ducde Penthièvre , donnépar
Son Alteffe Séréniſſime à Madame la
Marquisede Crequy.
Lapiété douce & fincère
Préſide à toutes les vertus;
Il oppoſe au flatteur une oreille ſévère
Et ſon coeur ſe fouvient de l'ami qui n'eſt plus .
J'en garde , hélas ! moi-même une preuve bien
chère ,
Sespleurs avec les miens ont étéconfondus. *
ParM. Saurin.
* A l'occafion de la mort de M. le Bailli de
Froullay , ambafladeur de Malte , & que S. A.S.
a honoré de ſes bontés &de ſon amitié juſqu'à
fondernier loupir.
JUILLET. Π 1772.
LE MUR MITOYEN.
Conte.
Les fortunes mal acquiſes durent peu.
C'eſt l'effroi du dépoſitaire ou du régiffeur
infidèles , & le vieux D..... étoit
ſouvent pourſuivi par cette idée .
Les gains prodigieux , illicites &
prompts qu'il avoit faits ſans riſques dans
les malheurs publics , ſe repréſentoient à
ſa penſée malgré lui , &dans le ſein même
de ſes plaiſirs; ils troubloient ſa jouiffance
qu'il égaïoit cependant par un faſte
infſenſé , ridicule , infolent aux yeux de
ceux qui ſe rappelloient le néant de fon
exiſtence civile & celui de ſon ame. C'é .
toit pour eux un ſpectacle aſſez bouffon ,
de le voir avec une figure grimacière &
plate , trancher du petit protecteur des
arts & des talens qui s'aviliſfoient en fe
réuniſſant chez lui .
D..... avoit vu plus d'une fois la fatale
indigence retrouver dans les fils les
victimes qu'elle avoit perdues par l'avide
induſtrie de quelques pères , & pour parer
ce coup aux deux enfans qu'un maria
Avj
12 MFRCURE DE FRANCE.
ge tardif & honteux lui avoit donnés , il
les avoit fait inſtruire beaucoup plus à
conferver qu'à acquérir : parce que grace
à la fortune qu'il leur laiſſeroit , ils ne devoient
avoir beſoin que du premier talent.
La R.... fon cadet montroit peu de
penchant à l'économie malgré les leçons
que le pédant auquel il avoit été confié ,
étoit chargé de lui en faire; mais Dub....
plus âgé que fon frère avoit eu plus de
docilité fur cet article de ſon éducation ,
&le collége dans lequel il étoit penfionnaire
n'avoit point encore vu d'exemple
de petite villenie & de léſine auſſi franche
que celle de ce fils aîné de D....
Toujours empreſſé de venir à la maiſon
paternelle , il en rapportoit toujours quelque
choſe qui pût tenter ſes camarades &
lui procurer l'occaſiond'attirer àluileur petit
pécule. De tout ce qu'il recevoit , ainſi
que ſon frère qu'il dépouilloit ſans que
ce dernier s'en apperçût , il avoit toujours
fait un petit commerce fi utile , qu'en for.
tant de ſa penſion , il étoit déja propriétaire
d'une ſomme affez conſidérable pour fon
âge. On pouvoit dire de lui qu'il avoit
inventé l'ufure ; car il l'avoit pratiquée
fans principes & fans exemples.
JUILLET. 1772 . 13
D.... inſtruit du caractere de cet aîné
n'y trouva qu'un démenti certain pour le
proverbe redoutable de la fortune de Barada
; ( 1 ) & il s'applaudit d'avoir un fils
qui ne lui laiſſoit plus de craintes relatives
àla conſervationde ſes biens .
Cette heureuſe confiance étoit ce qu'il
voyoit de plus efſſentiel à acquérir , parce
que tourmenté depuis quelque tems par
ſa confcience qu'un paſteur honnête homme
avoit un peu agitée dans un moment
où il y avoit eu à craindre pour ſa vie , il
avoit imaginé de remettre à ſes fils une
fortune fur laquelle ils n'auroient rien à
ſe reprocher , puiſqu'ils ne l'auroient pas
acquiſe eux-mêmes , & dont il auroit perdu
par ce moyen le droit de diſpoſer.
Une retraite dans laquelle il paſſeroit
tranquilement le reſte de ſes jours , au
moyen d'un penſion que ſes deux fils s'engageroient
à lui payer , lui parut un plan
de conduite admirable pour ne pas retomber
dans le triſte cas des reſtitutions ou
(1) Favori d'un moment. Il avoit ſuccédé dans
l'eſprit du Cardinal de Richelieu à la faveur de
Chalais , & le Prince St Simon occupa bientôt ſa
place. Sa prompte diſgrace donna licu au proverbe.
14 MERCURE DE FRANCE.
:
des fortes aumônes auxquelles il s'étoit
preſque vu forcé dans la maladie dont heureuſement
il étoit revenu.
Enchanté de ce projet , il commença
par acheter l'hotel qui touchoit au fien
pour y loger ſéparement ſes deux fils ,
parce qu'il prévit que la différencede leurs
caracteres exigoit cette précaution.
Prêt à ſe dépouiller de ſa fortune , il
réfléchit encore que ſon fils aîné Dub .....
mille fois plus économe que ſon frère ,
méritoit par-là qu'il lui fit une part plus
conſidérable , afin d'aſſurer d'autant mieux
le payementde la penſion à laquelle il fe
réduiſoit.
Il appella donc un jour ſes deux fils
avecun notaire , par- devant lequel il leur
fit la ceſſion abfolue de tout ce qu'il pofſédoit,&
dont il n'abandonnoit cependant
qu'untiers à ſon cadet, chargé par là de la
troiſième partie du revenu qu'il ſe reſervoir.
Cet acte ligné & paflé en bonne forme
n'annonçoit au publicde la part de D....
qu'un amour tendre pour ſes fils , une
ſageſle-& un détachement bien vertueux
&bien rare. La haine qu'il avoit longtemsméritée
ſe changea bientôt en refJUILLET.
1772. 15
pect , tant le Public qui raiſonne de tout,
ſans pénétrer les motifs ni les cauſes , eſt
inſenſé dans ſa manière de juger.
Quoiqu'il en ſoit,D.... établit ſes fils
dans ſes deux maiſons qui fe touchoient
&dont il cheriffſoit la proximité , parce
que la R... auroit plus ſouvent ſous ſes
yeux l'utile tableau de l'économie de ſon
frère.
Après leur avoir fait à tous deux lesplus
grandes leçons de cette vertu confervatrice
, il ſe retira , comme il le diſoit , en
fûreté de confcience , dans un village où
il avoit loué une maiſon agréable & où il
alla jouir de fa nouvelle réputation peu
méritée du meilleur des pères&du citoyen
le plus déſintéreſſe. r .
La R... ne ſe vit pas plutôt poffeffeur
de la partie des effets que ſon père lui
avoit tranfmis , qu'il les mit en vente ,
parce qu'il ſe rendit juſtice , & qu'il ſentit
qu'il n'avoit aucuns des talens propres
àrégir des biens fonds .
Un particulier qui , comme D.... arrivoitde
rien à la fortune, les acheta, dans
J'eſpérance où il étoit que le goût de la
diſſipation du vendeur lui fourniroit plus
d'une occaſion de ſe libérer en détail &
16 MERCURE DE FRANCE.
conféquemment avec plus de facilité. Ce
qui arriva en effet parce que la R... portant
tous les jours ſa dépenſe au-delà de
fon revenu , entamoit fourdement fon
principal par petites parcelles , & qu'enfin
il ſe vit remboursé ſans qu'il s'en fût apperçu
.
Dub.... avoit éprouvé comme fon
frère une répugnance à garder les terres
qui compoſoient fon lot , mais les
raiſons de ce dégoût étoient bien différentes
de celles de la R... Le produit net
de ces terres étoit trop au-deſſous du revenu
que pouvoit lui rendre ſon argent plus
utilement placé , & cette ſpeculation économique
l'avoit décidé à les vendre argent
comptant pour ſe mettre en état de
fatisfaire au goût qu'il avoit d'obliger les
jeunes gens de famille & les citoyens em.
barraflés qui paient toujours ſi cher les
ſervices qu'on leur rend..
Tranchons le mot , le germe des premiers
talens de D.... s'étoit fortifié , il
devint en peu de tems un des ufuriers les
plus intelligens de la ville , & fe confola
de quelques pertes légères qu'on effuie
dans ce métier par les gains multipliés
qu'ony fait auſſi . Son tréſor s'augmentoit
d'autant plus qu'à peine faiſoit- il chez lui
JUILLET. 1772. 17
t
la dépenſe du ſimple néceſſaire , parce
qu'il étoit fort exact à groſſir ſoir & matin
le nombre des parafites de ſon frère
dont il étoit en tout le plus parfait contrafte
. Un avare eſt le crimede la fortune ,
&jamais cette divinité bizare n'avoit eu
de plus grands reproches à ſe faire.
Le peu de ſoins que la R... avoit mis
dans ſes affaires & le faſte immodéré dans
lequel il vivoit, n'étoient guère moins déraiſonnable
; mais il étoit l'inſtrument du
deſtin & il avançoit chaque jour l'inſtant
que ſon père avoit fi fort redouté & qu'il
avoit cru ſi vainement éviter .
Celui qui s'embarque , dit Ménandre,
proportionne ſes proviſions au nombre de
jours que doit durer ſa navigation ; mais
le prodigue ne voit point l'avenir , il eſt
tout au préſent & ne refuſe rien à l'inépuiſable
voracité de ſes ſens. La R... détruiſoit
done ſa fortune en inſenſé à qui
l'appétit ſans bornes de jouir en fait ignorer
l'art , & D.... commençoit à s'étonner
que ſon frère eût encore de quoi fournir
à ſes folles dépenſes , lorſqu'on le vit
tout- à coup l'augmenter , ſans qu'on pût
pénétrer les reſſources qu'il s'étoit procurées.
Ce qu'il imagina de plus vraiſembla
19 MERCURE DE FRANCE .
ble , c'eſt que cette confiance aveugle que
les fourniffeurs de toute eſpèce prennent
aux gens auxquels ils ont vu faire une
grande dépenſe , étoit le ſeul fond fur lequel
le cours continué des prodigalités de
fon frère étoit établi ; & cette perfuaſion
ne le détourna pas de perſiſter à vivre
à ſes dépens ; tant il avoit la confcience
digne de celle de ſon père .
Dans ces circonstances le parvenu Géraße
qui avoit été jadis le premier commis
& le caiffier du parvenu D.... fe
préſenta pour donner indéterminément ſa
fille unique à l'un des fières. C'étoit de
ſon côté une manière de reſtitution qu'il
avoit imaginée , parce que malgré tous
fes efforts pour oublier les commencemens
de ſa fortune , il ſe rappelloit ſans
celle quelques-unes des infidélités majeures
qu'il avoit commiſes dans ſa geſtion ,
&qui avoient été la ſource des grands
biens dont il jouiſſoit.
La jeune perſonne à qui d'abord on
avoit paru laiſſer le choix entre les deux
frères , avoit penché pour le faſtueux la
R... , parce qu'il y a peu de qualités qui
frappent autant les yeux d'une femme
que la magnificence; mais la crainte &
les bruits de fa ruine prochaine firent reJUILLET.
1772 . 19
prendre à fon père le droit de la diriger
en cette occafion , & la malheureuſe L....
ſe vit menacée d'être bientôt la femme
de D.... qu'elle déreſtoir.
Ses craintes s'augmentèrent lorſqu'elle
fat que ſon père, encore avide& fur- tout
enchanté de l'économie de l'aîné des frères
, venoit de ſe mettre en ſociété avec
lui , & qu'il avoit fait porter dans ſa maifon
toute fa fortune qu'il avoit miſe en
argent par ſes conſeils.
!
Les follicitations de ſon père devinrent
en effet plus preſſantes ; cependant comme
elle en étoit aimée , elle eut l'art de
gagner du tems en cachant avec ſoin &
la répugnance qu'elle avoit pour Dub ... ,
&le goût qu'elle fentoit pour ſon frère .
De ſon côté la R... qui du premier
moment avoit intéreſſé , employoit tous
les moyens poſſibles pour ſe conſerver le
coeur de L... qu'il avoit armée dès qu'il
l'avoit vue , & pour laquelle il avoit rompn
un de ces engagemens vils & ruineux
qui ne font plus rougir, mais qui auroient
couvert de honte un homme honnête de
l'autre ſfiécle. Rien n'eſt difficile aux prodigues
qui ne prennent pas même la vertu
pour un obſtacle , & tout ce qui entouroit
L... étoit à ſes ordres.
20 MERCURE DE FRANCE.
Une mauvaiſe éducation , de plus mauvais
exemples encore de la part du père
de L... n'avoient pas ſolidement armé
fon coeur contre les traits de la ſéduction,
L'avare lui-même contribuoit à faciliter
à fon frère les moyens de devenir heureux
, en menant fans ceſſe chez lui la
jeune perſonne qu'il auroir dû plutôt en
écarter ; mais il eût fallu ſans cela lui pro.
curer des amuſemens , & la généralité de
la R... couroit au- devant & l'en difpenfoit
tous les jours. La confiance de D....
étoit fans bornes , il prenoit ſon frère
pour unedupe d'amuſer à grands frais une
perſonne qui ne lui étoit pas deſtinée.
Tout ce qu'on avoit pu cacher aux yeux
de notre Harpagon & du père de L... qui
tous deux étoient peu clairvoyans , l'avoit
été allez heureuſement; mais les intrigues
amoureuſes ont quelque fois des inconvéniens
difficiles à dérober à la vue des
gens les plus aifés à tromper , & L... , la
foible & tendre L... alloit bientôt ſe
trouver dans ce cas- là . Elle fit quelques
tentatives auprès de ſon père pour le déterminer
à lui donner la R... pour époux ;
mais l'indignation qu'elle excita toutes
les fois qu'elle en fit la propoſition , la
força de recourir à un autre expédient .
JUILLET. 1772 . 21
La R... qui commençoit à réfléchir
que la ſource où il puiſoit les tréſors
qu'il prodiguoit , pourroit à la fin ſe tarir
, propoſoit depuis quelque tems à L...
de paſſer avec lui dans le pays étranger ,
& la jeune amante dans la ſituation critique
où l'avoit miſe ſa tendreſſe n'avoit
point de réponſes valables à oppofer à
cette invitation : enforte que ſans que
perſonne s'en doutât , tous deux un beau
matindiſparurent & allèrent ſe marier
enHollande par la routede Calais qu'ils
avoient affecté de prendre pour donner à
leur marche plus d'incertitude.
La fuite des deux amans fit du bruit
dans la famille , & D.... en apprit la
nouvelle dans ſa retraite où quelques infirmités
le retenoient au lit depuis quelque
tems. Les inquiétudes qu'il conçut fur
le tiers de ſa penfion qui ne lui ſeroit plus
payé , le firent accourir chez fon fils aîné
qui ne ſoupçonnoit rien de ſiniſtre pour
lui mêmedans cette avanture .
De toutes les paſſions des avares il ne
lui enmanquoitmalheureuſementqu'une,
c'étoit celle d'aller ſouvent contempler
fon tréfor . Par un rafinement contraire il
ne s'étoit impoſé de ne le voir qu'au bout
de quelques années,afin de jouir délicieu
22 MERCURE DE FRANCE.
ſement du ſpectacle d'un accroiſſement
capable d'étonner ſa propre imagination
dans ce genre.
D... arrivé chez ſon fils lui demanda
compte de ſa ſituation. Soyez tranquile à
mon égard , lui dit du B... avec complaiſance
, je vais dans l'inſtant même
ébloüir vos yeux , je vais vous faire voir
ce que j'ai fait de vos maiſons , de vos papiers
& de vos terres plus ruineuſes qu'utiles.
En même tems il entraîne ſon père
dans un caveau bien ſcellé & bien armé
de verroux , il entre , en ſe frottant les
mains , en s'élargiſſant la bouche par un
rire intérieur &doux , il détache une pierre
mobile & montre du doigt à D... une
ouverture pratiquée dans le mur , où toute
fa fortune & celle deG.... étoient , difoir-
il , en or , à l'abri des envieux , des
voleurs & des malheurs du tems.
D.... y paſſe la main avec empreſſement
, il enfonce le bras autant qu'il le
peut & ne rencontre rien, Mon fils ! mon
fils , s'écrie- til , je ne trouve qu'un vuide
affreux ... Du B ... auffi-tôt y précipite
ſon bras lui - même , & jette un cri plus
aigu que celui de ſon père. Tous les deux
conſternés , ſe regardent en frémiſſant.
JUILLET. 1772 . 23
La lumière tombe des mains de l'avare&
s'éteint. L'efftoi dont ils ſont ſaiſis en redouble
, les mains élevées devant eux ils
ſemblent craindre l'un & l'autre de ſe ren .
contrer & de ſe prendre à la gorge ; enfin
tous les deux font des cris épouvantables
& appellent un domestique. On fait venir
un maçonqui bientôt , à l'aide de ſes
inftrumens, fait tomber la partie du mur
qui devoit renfermer la fortune des deux
aſſociés ; mais la chute de ce mur ne découvre
qu'une brêche pratiquée du côté
oppofé & par laquelle s'étoient écoulés
les flots de ce métal ſi précieux aux deux
ufuriers.
L'horrible & longue diſſipation , ainſi
que la fuite de la R... à qui l'autre caveau
appartenoit , donnèrent bientôt la
clé de cette énigme affreuſe , & rien ne
fut égal à la ſombre fureur dupère & du
fils qui ſe voyoient entierement ruinés ,
puiſque les dettes qu'avoit laiſſées la R...
&quelques engagemens qu'avoit contractés
Dub... devoient abſorber le prix des
deuxmaiſons qui ſembloient leur refter.
D.... , affoibli par l'âge& les incommodités
qu'il venoit d'eſſuyer , ne put furvivre
àce défaſtre,& mourut en ſe rappellant
le terrible anathème prononcécontre
24 MERCURE DE FRANCE.
les fortunes trop rapides. Pour Dub ....
il ſe fit juſtice, il expira du ſupplice qu'auroit
pu lui attirer moins volontairement
l'hiſtoite de ſes ufures.
G.... déſeſpéré courut après ſa tille
qu'il ſuppoſoit en Angleterre , tandis que
la R... toujours inſenſé , toujours prodigue
, achevoit tranquillement de diſſiper
tout ce qu'il avoit emporté, en paſſant avec
L... à Rotterdam où bientôt ils ſe virent
condamnés au fort que méritoit leur
mauvaiſe conduite.
..
Réduit à la miſére dans laquelle il étoit
né , le triſte G. ne découvrit ſa coupable
fille que long- tems après & dans un
état qui avoit été la reſſource de ſon mari
&d'elle. Tous deux étoient attachés à un
charlatan qui , pour de très- légers appointemens
, leur faiſoit jouer d'inſipides parades
ſur ſes treteaux, avant d'y débiter ſes
remèdes .
Tel fut le fort de cette double famille
qui n'avoit joui qu'un moment des biens
que ni les loix , ni le bon ordre de la ſociété
, ni la juſtice , ni des travaux utiles
ne leur avoient procurés. L... cependant
eut pitié de ſon père & lui obtint dans la
troupe du charlatan une ſurvivance de
Caffandre. G... dans ce brillant emploi
végéta
JUILLET . 25 1772 .
végéta le reſte de ſes jours que la Providence
n'avoit rendus auſſi malheureux que
pour effrayer tant de gens qui lui reſſemblent.
Par M. Bret.
ODE tirée du Pfeaume cxxxvi .
Super flumina Babilonis , &c.
Sur les bords de l'Euphrate, abreuves de fon
onde,
Nourris du pain de la douleur ,
Enchaines , ſans ſecours , oubliés du Seigneur ,
Rebut des Nations & l'opprobre du monde ;
Sion ! au ſouvenir de tes ſolemnités ,
Dans nos yeux preſqu'éteints vers la terre arrê
τές ,
Nos larmes s'ouvrent un paſſage ;
Nos inſtrumens ſacrés l'ame de nos concerts ,
Suſpendus aux roſeaux qui couvrent ce rivage ,
Ne font plus retentir les airs.
Iſraël , redis- nous tes ſublimes cantiques ,
S'écrioit l'inſolent vainqueur !
Des beaux jours de Sion retrace la ſplendeur ,
Dans les chants conſacrés à ſes fêtes publiques ;
Du Dieu de Sinaï conte nous les exploits ,
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
Elève juſqu'à lui les accents de ta voix ,
Porte vers les voûtes brillantes ,
Ces hymnes , qu'aux combats de ſes guerriers
ſuivi ,
Juda chantoit au ſon des trompettes bruïantes
Et des timbales de Lévi.
Non , ne l'eſpère pas; les ſublimes merveilles
Du Dicu protecteur d'Iſraël ,
Ni les chants conſacrés à ſon culte éternel ,
Tyran , ne ſontpoint faits pour charmer tes oreil
les.
Prête , prête filence aux accents des enfers ,
De l'Ange de la mort , dans leurs flancs entrou
verts ,
Entends- tu les clameurs funèbres ?
Prêt d'exercer ſur toi ſon barbare pouvoir ,
Son effrayante voix chante dans les ténèbres ,
Ta ruine & ton déſeſpoir.
Cité de l'Eternel , brillante de ſa gloire ,
Séjour d'abondance & de paix ,
Sion! ſi tu n'es pas l'objet de mes ſouhaits ,
Și jamais de mon coeur je bannis ta mémoire :
Que du Ciel vainement implorant le ſecours ,
Ma force m'abandonne au printems de mes jours;
Que mon luth réduit au filence
Rébelle à mes efforts ſe briſe ſous mes doigts
Etque de mes ſanglots preſſant la violence ,
La douleur étouffe ma voix.
JUILLET. 1772. 27
Rappelle- toi , Seigneur , ce jour épouventable ,
Où de notre ſang aflouvis ,
Et la flame à la main , nos cruels ennemis
Ont oſé pénétrer dans ton Temple adorable.
Détruiſons , diſoient-ils , juſques aux fondemens
Ces murs où Jéhovah reſpire leur encens ;
Que les colonnes embraſées
Croulent ſur ſon autel ; que ſon culte aboli ,
Sous les débris fumans des voûtes écraſécs
Soit à jamais enſeveli.
C'eſt ainſi qu'ils joignoient le blaſphême à l'ou
trage
Dans leur ſacrilège courroux :
Préviens leurs attentats , venge- toi , venge nous
Fais briller dans les airs le glaive du carnage ,
Arme contreleurs jours les puiſſances des Cieux ,
Tonne , entrouvre la nue ,& fait fondre ſur eux
Le tourbillon de ta colère :
Que leurs corps palpitans déchirés par lambeaux,
Sous les pas de la mort foulés dans la pouſſière ,
Soient la pâture des corbeaux.
Et toi , fille de fang , cruelle Babylone ,
Tremble ſous tes lambris dorés :
L'arrêt eſt prononcé , ſous tes pas égarés
L'Enfer ouvre l'abyme ; & la mort t'environne.
Puiſles - tu , pour le prix des maux que tu nou
fais,
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Du faîte audacieux de tes vaſtes palais
Embraſés des feux du tonnerre ,
Voir pour comble d'horreur au dernier de tes
jours ,
Detes enfans proſcrits , écrasés ſur la pierre ,
Le ſang rejaillir ſur tes tours .
Par M. D. B. Capitaine de grénadiers
au régiment de Tourraine.
LES DEUX MONTRES , Fable.
TOUTE orgueilleuſe de ſon ſort
Une Montre où brilloit l'émail enrichi d'or
A celle d'un valet dit un jour ces paroles :
➤ Admire ce contour garai de diamans ,
>>Vois ma forme élégante & ces deſſins char
>> mans ,
>>>A peine auprès de moi vaux-tu quelques obo
>>les !
L'autre lui répondit : je ne ſuis que d'argent ,
J'appartiens à celui qu'on voit ſervir ton maître ;
Mais , comme toi , je marquerai l'inſtant
Qui doit les rendre égaux en détruiſant leur être.
Par M. le Clerc de la Motte , capitaine
au régiment d'Orléans Infanterie.
JUILLET. 1772 . 29
Fi
LE LOUP & LE SANGLIER.
Fable.
TEL fait métier de ſatirique ,
Qui n'entend pas qu'on lui réplique.
Certain Loup gris , mauvais plaiſant ;
De ces fots beaux eſprits , qui toujours médilant
Perſifie l'un , drape ſur l'autre ,
Cherchant un jour en bon apôtre
Quelque badaut pour s'égaïer ,
Rencontra juſtement ſon voiſin Sanglier.
Eh! bon jour , lui dit- il , d'une voix goguenarde,
Comment va la ſanté ? mais ! fais-tu camarade
...
Que ces défenſes-là terendent fingulier ,
Tu parois toujours rire ?
C'eſt vrai , dit celui-ci , ſurtout lorſque j'admire
La ſoupleſſe de tes reins .
Mes reins ! qu'en veux- tu dire ?
En me formant ainſi mon père eut ſes deſſeins.
Je fuis leſte , regarde un peu cette gambade ,
Sont- ce là ſauts de marcaſſins ?
Oui , mais retourne-toi , là... point de gaſconnade...
Tu vois donc bien , Monfieur le ricanneur,
Que chacun d'entre nous a droit de repréſaille.
Biij
30
MERCURE DE FRANCE ..
Qui diable penſeroit , reprit notre ſauteur ,
Qu'avec cet air hideux cet animal vous raille ?
Quoi ! dit le ſanglier , tu prends donc de l'humeur
?
Ah ! je vois bien qu'une leçon
Te ſera néceſſaire ,
Voici comme on répond
A gens de ton caractère.
ces mots notre loup zeſte ne fait qu'un bond.
Par M. A. C ***.
INVOCATION à la Fontaine.
ESPRIT ſimple & fublime , aimable la Fontaine
Rends - nous ces vers charmans , ces tours ingénieux
,
Viens badiner encor ſur les bords de la Seine ,
Viens jouer avec nous pour nous inſtruire mieux.
C'eſt envain qu'on t'oppoſe une froide Syrène , *
* J'avoue cependant que dans le nombre de
fables qui a paru depuis la Fontaine , il y en a
beaucoup qui font pleines de graces , d'eſprit &
de finefle , mais convenons - en de bonne foi , je
me mets du nombre , on les lit avec plaiſir , les
retient-on avec autant de facilité ? Ont- elles ce
naturel , ce mouvement dramatique qui rend
Molière ſi ſupérieur à toute la richeſſe des détails,
JUILLET. 1772. 31
La fable de nos jours n'a plus cette gaîté ,
Ce charme ſéducteur de la naïveté.
Martin Baudet y parle en grave philoſophe ,
Et d'un ton doctoral le renard l'apostrophe.
C'eſt un amas confus de mots alambiqués ,
De plantes , de înétaux froidement appliqués.
Le tonnerre en grondant y lance l'épigramme ,
Et l'eſprit s'y tortille en un vrai philigramine.
Le conte dans nos moeurs a pris un tour nouveau
,
Et ſa muſe eftfrontée égaïant le tableau
Détaille ſans pudeur un quolibet obſcène.
Mais je t'invoque envain , notre perte eſt certaine
,
Oui , la Parque inflexible en creuſant ton tombeau
,
Nous fit dire en pleurant , adieu donc la Fone
taine
,
Nous ne boirons plus de ton cau.
les graces du ſtyle & cet eſprit brillant de la co
médie de nos jours ? car , l'action , ainſi que ſur
la ſcène eſt l'ame & le vrai caractère de la fable ,
la naïveté & la ſimplicité du dialogue en rend la
morale plus agréable & plus utile.
Par le même.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
TRADUCTION de l'Ode VIIIe. duſecond
livre d'Horace .
BARINE fi chaque parjure
Te coûtoit quelques agrémens ;
Si de l'ivoire de tes dents
La blancheur paroiſſoit moins pure ,
Si tes yeux étoient moins brillans ,
Je croirois tes diſcours ; mais de nouveaux fermens
Ont àpeine enchaîné ta tête criminelle ,
Que plus éclatante & plus belle
Onte voit ſur tes pas entraîner mille amans.
Et pourquoi ſeroit- on fincère ?
Il vaut mieux inſulter les morts dans leurs tom-
4
beaux ,
Tromper les cendres d'une mère ,
Prendre à témoins la nuit , le Ciel & ſes flambeaux
,
Se jouer des dieux même &braver leurs carreaux:
Vénus , Vénus en rit , & la troupe indulgente
JUILLET. 1772 . 33
Des nymphes qui forment ſa cour
En badine , tandis que le cruel amour
Aiguiſe en ſouriant ſur ſa meule ſanglante
La pointe étincelante
Des traits dont tout mortel ſent l'atteinte à fon
tour.
Des roles de l'adoleſcence
Le tems vient pour toi ſeule embellir nos enfans ,
Et d'eſclaves nouveaux accroître ta puiſſance.
Jurant de s'affranchir , hélas ! les vétérans
Traînent toujours leur chaine , affligés, mais conftans.
Quelle mère peut ſans alarmes
Entendre prononcer ton nom ?
L'économe vieillard à l'aſpect de tes charmes
Craint pour ſon jeune fils leur funeſte poiſon.
Al'approche des nuits l'épouſe malheureuſe ,
Trop tendre pour ofer compter ſur ſes appas ,
Tremble, en baignant de pleurs ſa couche douloureuſe
,
Que ton haleine dangereuſe
N'ait arreté l'époux qui voloit dans ſes bras.
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
DIALOGUE DES MORTS.
MARC- ANTOINE , CYTHERIS .
MARC - ANTOINE , à part.
QUELLE eſt cette femme qui ſe promène
ſeule dans cette ſombre allée ? approchons
.
CYTHERIS.
1
Parquelle raiſon cet homme fixe t'il
ſes regards fur moi ? Fuïons- le. Si c'étoit
un de mes anciens adorateurs , il riroit de
la laideur de mon viſage. Epargnons cet
opprobre à mon ergueil.
MARC- ANTOINE , abordant Cytheris.
Ne craignez rien , modeſte inconnue.
Je ne viens point inſulter à la vertu .
CYTHERIS , le reconnoissant.
Laiſſez - moi rêver à mes infortunes ;
votre vue les redouble.
MARC - ANTOINE.
Ah ! peuvent - elles ſe comparer aux
JUILLET. 1772 . 35
miennes ? Apprenez - les & plaignez- moi.
L'amour est l'auteur de mes maux.
CYTHERIS.
Quels reproches n'as- tu point àte faire,
trop indulgente Cytheris ?
MARC - ANTOINE .
Madame , par pitié , n'outragez point
l'adorable Cytheris , je l'ai tant aimée
que le fleuve Lethé n'a pu m'en ôter le
ſouvenir.
СУТНERIS.
Vous prenez un grand intérêt à ſa
gloire.
MARC - ANTOINE .
Je vous quitte pour la chercher : ma
Cytheris ! je la reconnoîtrai facilement
parmi les beautés qui habitent les enfers
; elle en eſt ſans doute la Reine ; le
ſceptreeft dû à ſes attraits.
CYTHERIS.
L'inſenſible mort a moiſſonné les rofes
&les lysde fon tein.
MARC - ANTOINE.
Quoi ! les Dieux auroient créé un fi
parfait ouvrages pour le détruire !
!
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
CYTHERIS.
Jugez-en par votre erreur. L'avez- vous
reconnue ? votre Cytheris ! eh ! bien , la
voici.
MARC - AΝΤOΙΝΕ ,
Mes yeux ne me trompent ils point?
CYTHERIS.
Toutes les illuſions ſont diſſipées au
ſéjour des ombres ; les ſonges des plaiſirs
diſparoiffent , & la vérité des peines les
remplace ? Marc-Antoine , vous paroiſlez
furpris d'entendre moraliſer une comédiennequi
démentoit par ſes déréglemens
les ſages maximes qu'elle débitoit ſur le
théâtre.
1
MARC - ANTOINE.
Que ne m'avez-vous toujours parlé
auſſi ſolidement ! mais au contraire vous
avez tout employé pour m'entraîner dans
l'abyme des vices .
CYTHERIS .
Les hommes ſont donc injuſtes même
après la mort. Ils rejettent leurs crimes
fur un foible ſexe qui ſe rend involontai
JUILLET . 37 1772 .
rement à leur ſéduction. On commence
par flatter notre vanité , & l'on finit par
empoiſonner notre coeur.
MARC - ANTOINE .
Eh ! que ſont devenues ces pierreries
dont j'avois chargé vos cheveux ?
CYTHERIS.
Elles font partie du domaine de Caron.
MARC - ANTOINE .
L'infolent nautonnier!
CYTHERIS.
Ne vous einportez point contre lui; la
dépouilledes morts luiappartient ; chacun
nes'enrichit que pour le fermier inexorable
de Pluton.
MARC - ANTOINE .
Il ne vous aura pas paffée gratis ; car
vous m'avez affez coûté .
CYTHERIS.
Il falloit toujours que votre bien lui
revînt. Qu'importe que je lui en aie donnée
une partie ? Ne vous a- t il pas enlevé
l'autre ?
38 MERCURE DE FRANCE.
MARC - ANTOINE.
Beaux raiſonnemens ! mes héritiers
n'en ſont pas plus fatisfaits.
CYTHERIS.
Ils doivent l'être. Ce ne ſont pas les
richeſſes qui font le bonheur des hommes.
Ledeſir & les moyens de les acquérir flattent
davantage que la jouiſſance.
MARC - ANTOINE .
Vous n'étiez pas ſi philoſophe autrefois.
CYTHERIS.
Il faut bien que je le fois à préſent.
MARC - ANTOINE.
Mes héritiers irontà pied , tandis que
je vous ai promenée ſi ſouvent dans ma
litière .
CYTHERIS .
L'exercice eſt bon pour la ſanté.
MARE - ANTOINE.
Tréve à vos plaiſanteries. Ne perdez
point , je vous prie , le reſpect dû à un
homme de mon rang.
JUILLET. 1772. 39
CYTHERIS , riant.
Ah ! ah ! le trait eſt original. A un
homme de monrang ! ignorez-vous qu'ici
toutes les conditions ſoient égales ? Où
font , s'il vous plaît , les marques de votre
distinction ? Allez , nous ſommes au
même niveau. Je ſuis privée de mes fatales
richeſſes , &vous perdez vos chimeriques
honneurs.
MARC - ANTOINE.
Eſt- ce un rôle encore que vous jouez ?
CYTHERIS.
Voilà bien un diſcours de courtiſan .
Vous avez été ſi accoutumé à feindre que
vous penſez qu'on peut encore , en ces
lieux , diffimuler fa penfée. Ma franchiſe
devroit bien vous garantir de ce ſoupçon.
Eh ! une actrice vous parleroit- elle ſi ſincèrement
, ſi elle pouvoit tant foit peu
vous en impoſer ?
MARC - ANTOINE .
Je-ne dois donc vous en avoir aucune
obligation , & ce n'eſt pas votre faute fi
yous ne me trompez point.
40 MERCURE DE FRANCE.
CYTHERIS.
Non aflurément. Le devoir de mon
état în'y engageroit; maisje ne ſuis plus
comédienne , vous n'êtes plus guerrier.
Une autre femme porte à préſent mon
maſque , eſt couronnée de mes myrthes :
Un autre homme a le front ceint de votre
caſque & de vos lauriers. Ainſi oubliez
vos victoires. Pour moi je ne veux plus
penſer à mes conquêtes. Le parti le plus
ſage qui me reſte à prendre eſt de me
conſoler avec mes compagnes ; elles font
ici en bon nombre , je choiſirai pour ma
confidente celle dontles aventures reſſembleront
aux miennes. Adieu ! je vous
quitte.
MARC - ANTOINE .
Cruelle, vous m'abandonnez , ah ! j'en
mourrai.
CYTHERIS.
Quel excès de folie ! pour le coup je
fuis convaincue que ce langage doucereux
eſt toujours faux parmi vous , Meffieurs.
L'uſage ſeul vous guide en amour , & l'habitude
de mentir vient de vous arracher
ces mots déplacés : je vais mourir. DitesJUILLET
. 1772 . 41
moi donc un peu comment vous vous y
prendrez à préſent pour mourir. Je ne
veux pas être plus long-tems témoin de
vos extravagances .
MARC - AΝΤOΙΝΕ .
Que vais-je devenir ?
СУТНЕRIS,
Vous ne manquerez pas d'occupation
fi vous voulez vous entretenirde vos fottiſes.
Vous trouverez des fous diftingués
qui feront charmés d'entendre le recit de
tous les petits tours que je vous ai joués.
Rendez-vous au quartier des ſeigneurs
ruinés par les actrices , c'eſt un des plus
étendus des enfers. Appercevez-vous un
bois habité par des hommes tous nuds ?
C'eſt juſtement là. Ne diroit- on pas que
ce ſont des ſauvages ? les dieux les ont
condamnés à ce ſupplice pour avoit trop
aimé la ſomptuofité. Je m'étonne que
vous tardiez tant à vous y rendre , courez
y vîte : ſi Minos venoit...
MARC - ANTOINE , enſe retirant.
Des remords continuels !
42
MERCURE DE FRANCE.
CYTHERI S.
Ne perdez point le tems en réflexions...
Son malheur me divertit. Les idoles des
vivans ſont le mépris des morts . Malheureux
de la terre , la félicité des enfers vous
eſt réſervée ; votre règne eſt plus für&
plus conſtant.
Par M. J. Μ. Α.
L'EXPLICATION du mot de la première
énigme du premier volume du mois de
Juillet 1772 , eſt la Balance ; celui de
la ſeconde eſt Laurier; celui de la troiſième
eſt le Coche d'eau ; celui de la quatrième
eſt Papillon. Le mot du premier
logogryphe eſt Fauconneau , où ſe trouve
eau ; celui du ſecond eſt Breland , où ſe
trouve reland.
ÉNIGME.
J'EXISTERAI long-tems toujours vrai , toujours
pur;
Me poſſéder n'eſt pas faveur aiſée ;
Pour me montrer plus beau , je fus long - tems
obfcur ;
JUILLET. 1772 . 43
Abien jouir de moi la bourſe eſt épuisée.
Plus je ſuis grand , plus je ſuis curieux ,
En éclat , en beauté , mon eſpèce eſt unique;
De loin , comme de près je frappetous les yeux ,
Lorſqu'on m'a dépouillé de ma robe ruſtique.
Dans la ſociété toujours vu de bon oeil ,
D'un beau lien je ſuis ſouvent legage,
De la vertu par fois l'écueil :
Quel bizarre afſemblage
Par M. le Général.
AUTRE.
Du frère le plus blond , je ſuis la brune ſoeur ,
Couple qui n'eſt uni que par l'anthipathic ;
Je ne puis le ſouffrir , & moi je lui fais peur ;
S'ilmedonne la mort , il perd par moi la vie.
Par le même.
L
AUTRE.
Le corps le plus léger qui ſoit dans la nature ,
Afſlurément c'eſt moi.
Et qui rendra raiſon de ma figure ,
Lecteur , ce ſera toi;
44
MERCURE DE FRANCE.
Car à la ville , à la campagne ,
Tu ne fais pas un pas que je ne t'accompagne ,
Et je parois ce que tu veux.
Quanddans ton lit , le ſoir , bien clos& bien tranquille
,
Tu veux que ſur tes yeux le pavôt ſe diſtille ,
Je te fais mes adieux ;
Mais je reviens bientôt avec mes ſoeurs , unie ,
Chaſſant l'éclat , aſſurer un repos
Qui , s'il devient exempt de l'infomnie ,
Eſt le remède à tous les maux.
A ton lever je me préſente ;
Souvent tu n'en vois rien ,
Et je n'en ſuis pas moins conſtante ;
Tel eſt enfin notre intime lien ,
Si tu péris , je tombe ,
Et je m'enferme avec toi dans la tombe.
Par Mlle Victoire de l'Orme.
AUTRE.
QUOIQUE enfans du plaifir ,la guerre eſt notre
état ;
On nous diviſe en quatre claſſes ;
Mais malgré la valeur qu'on nous donne au combat,
Et quoiqu'à l'ennemi nous préſentions nos faces,
JUILLET. 1772 . 45
Après la victoire on nous bat.
Du caprice qui nous gouverne
Nous dépendons abſolument ;
Point de grade fixé dans tout le régiment ,
Tantôt on s'y voit chef, & tantôt ſubalterne.
Il peut arriver que nos loix
N'expoſent pas d'abord tout le corps militaire.
Dans ce combat pour l'ordinaire
Nos chefs commandent à nos rois .
Un ennemi fubtil , dans cette même guerre ,
Saiſit par fois ces chefs pour s'en faire un appui ;
Parmi ſa troupe il les inferre ;
Ils font forcés alors de combattre pour lui.
L'amour caractériſe une certaine bande ,
On la voit couverte de fleurs ;
S'il arrive qu'elle commande
Elle ſubjugue tous les coeurs.
Par M. Liégeois.
LOGOGRYPΗ Ε.
Mon but eſt d'être intéreſlant ,
Et l'immortalité fut toujours ma manie ;
Mais quoique dans mon ſein je renferme la vie,
Quelquefois je meurs en naiſſant.
Par le même.
46 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
SAANnSs mettre ton eſprit beaucoup àà la torture;
Lecteur , veux tu ſavoir mon nom ?
Je ſers quelquefois de boiſlon ,
Et plus ſouvent de ſépulture.
Par M. Houllier de St Remi.
AUTRE.
LECETCTEEUURR ,, aux ſoins de la nature
Je dus toujours ma premiere beauté ,
Et ce fut la ſimplicité
Qui forma d'abord ma parure ;
Mais j'aurois beaucoup moins d'appas ,
Si , pour embellir ma ſtructure ,
L'art avec ſoin n'effaçoit pas
Les traits irréguliers qui choquent ma figure.
Plus ou moins de façon décide de mon prix ;
Je brille par devant en plus d'une manière ;
Mais lorſqu'on ne me voit , hélas ! que par derrière,
JUILLET. 1772. 47
Je ſuis un objet de mépris.
De deux ſexes égaux je tiens mon exiſtence ;
En deux égales parts on peut me diviſer ;
Mais ſans pouvoir décompoſer
Nimoi ni ces deux parts qui forment mon eſſence.
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
Le Ventriloque ou l'Engaſtrymithe ; par
M. D. la Chapelle , cenſeur royal à
Paris , de l'Académie de Lyon , de
celle de Rouen , & de la ſocieté royale
de Londres ; 2 patties in - 12. Prix ,
3 liv. les deux parties brochées. A Paris
, chez la V. Duchefne , rue Saint-
Jacques..
CE Traité très - curieux par les recherches
& les obſervations de l'auteur contient
plus d'inſtructions que le titre ne
ſemble d'abord annoncer ; mais nous
nous renfermerons dans ce qui a le plus
de rapport au premier objet de cet écrir.
La dénomination de Ventriloque , comme
l'obſerve l'auteur , eſt toute latine fi
on en ſupprime la terminaiſon françoiſe :
ventriloquus , ventriloque , homme qui
48 MERCURE DE FRANCE.
parle du ventre , ou ventris - loquela , pa .
role du ventre . La ſeconde dénomination
d'engaſtrimythe eſt toute grecque :en dans,
gasther ventre , & muthos parole ; c'est-àdire
parole dans le ventre. Les premiers
ventriloques ou engaſtrimythes ont été
ainſi nommés parce qu'ils paroiffoient
faire fortir leurs paroles du fond de leur
ventre & non de la bouche comme à
l'ordinaire. Mais les plus ſimples notions
de la phyſique ſont ſuffiſantes pour nous
convaincre que le ventre n'ayant aucun
des organes de la parole,on ne peut abſolument
en tirer des ſons articulés. Si l'on
fuit les obſervations de M. de la Chapelle,
on ſe convaincra que l'art du ventriloque
eſt dû à un jeu particulier des mufcles
du pharynx ou du gofier ; jeu que
tout homme , organiſé à l'ordinaire
pourra acquérir par un exercice conſtant&
foutenu , joint à une volonté opiniâtre
&biendéterminée d'y plier ces organes.
Mais puiſque les fons des ventriloques
s'articulent particulièrement dans l'arrière-
bouche , pourquoi n'y rapporte - ton
pas la voix , comme on le fait ordinaireiment
à la bouche antérieure ? cela vient,
ajoute l'auteur de ce traité , de nos jugemens
d'habitude. Il n'y a que l'expérience
JUILLET. 1772. 49
cequi nous apprenne à juger, par les yeux,
de la diſtance des objets ; nous apprenons
de même à en juger par les fons. Toutes
les fois que l'air ſera modifié de près ,
comme il l'eſt ,pour produire les fons que
l'expérience nous a appris venir de loin ,
nous en rapporterons le bruit à la même
diſtance , & dans la même direction ;
quand ils ne partiroient qu'à deux pouces
de nos oreilles ; c'eſt là un principe d'expérience
& d'obſervation . Or , c'eſt précifément
ce que produit l'eſpèce de ventriloques
dont on recherche ici la caufe.
Mais pour s'en convaincre il faut abſolument
en faire l'obſervation par foi- même
&avec attention. Quant à ceux qui ne
peuvent ou ne veulent pas ſe mettre à
portée de voir&d'entendre ces perſonnes
extraordinaires , qu'ils ſe repréſentent
, s'ils peuvent , les aîles d'un oiſeau,
dont les battemens feroient articuler l'air,
ils pourront ſe faire quelque idée du
timbre de leur voix. Quoique bien prononcé,&
très - intelligible elle ſe rapproche
beaucoup de la voix baſſe , elle eſt
grêle , peu nourrie , prolongée& comme
expirante : voilà bien les caractères d'une
voix foible qui vient de loin ; on doit
donc lui attribuer cette qualité , juſqu'à
II. Vol. C
fo. MERCURE DE FRANCE.
ceque l'expérience ait appris à corriger
ce jugement. C'eſt effectivement ce qui
eſt arrivé à notre obſervateur. A la troiſième
expérience l'illuſion a diſparu ; &
quoiqu'il jugeât très - bien de l'effet que
cela produiſoit ſur les oreilles , pour lefquelles
ce timbre étoit nouveau , il rapportoit
directement à la bouche du ventriloque
qu'il obſervoit ,des paroles que
d'autres s'imaginoient venir du haut d'un
arbre , du milieud'un champ , du fein de
la terre ou de l'air , à trente ou quarante
toiſes de diſtance. Ce dernier effer, c'eſtà-
dire , celui de faire venir la voix d'où
le ventriloque veut, eſt le plus furprenant
, & peut- être le plus aiſé de tous à
expliquer. On fait que la voix exerce ſa
plusgrande force , ſuivant la direction de
l'axe des lignes vocales : or , ſuppoſons
que la plus grande amplitude , ou la plus.
grande portéed'une pareille voix ſoit jugée
de quarante toifes ; le ventriloque en parlant
, efcamote un peu ſa phyſionomie ,
il a ſoin , fans affectation , de tourner ſon
viſage& de diriger la voix du côté d'où il
veut qu'elle paroiſſe venir. Si c'eſt du côté
de la terre , elle paroîtra donc venir de
fon fond , à quarante toiſes de ſa ſurface.
S'il la dirige vers le ciel , ce ſera à quaJUILLET
.
1772. 51
rante toiſes de haut , d'où l'on s'imaginera
qu'elle vient ; & ainſi à volonté , en
ſuivant toutes les directions quelconques.
Il n'eſt pas beſoin d'ajouter que le preſtige
augmentera d'intenſité &de merveilleux,
au milieu d'une forêt de haute futaie
parmi les rochers , dans les montagnes &
les vallons.
,
L'auteur rapporte à ce ſujet pluſieurs
ſcènes auxquelles l'art du ventriloque
qu'il a obſervé à Saint- Germain en Laye
(M. St Gille, marchand épicier dans cette
ville ) a donné lieu. M. St Gille ſe promenoit
un jour dans la forêt de Saint-
Germain avec un vieux militaire , qui
marchoit toujours tête levée , & avec de
grands écarts de poitrine. Il ne parloit &
il ne falloit jamais parler avec lui que de
batailles , de marches , de garniſons , de
combats finguliers , &c. Pour réprimer
un peu cette fureur afſommante de parler
toujours de ſon métier , M. St Gille s'aviſa
de lui ſervir un plat du ſien. Arri
vés à une endroit de la forêt aſſez découvert
, le militaire crut entendre qu'on
lui crioit du haut d'un arbre : On ne fait
pas toujours se servir de l'épée que l'on
porte. Qui eſt cet impertinent ? apparemment
, dit M. StGille, quelque pâtre qui
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
déniche des oiſeaux : paffons notre che
main. C'eſt un drôle ,reprit le militaire
en branlant la tête , avec un viſage dur &
refrogné. Approche , repartit la voix qui
deſcendoit le long de l'arbre , tu aspeur?
Oh ! pour cela , non , dit le militaire ,
enfonçant fon chapeau ſur ſa tête & ſe
diſpoſant à l'attaque . Qu'allez- vous faire,
ditM.St Gille en le retenant? on ſe moquera
de vous. La bonne contenance n'est
pas toujoursfigne de courage , continua la
voix, toujours endeſcendant. Ce n'eſt pas
là un pâtre , M. Saint-Gille ? je le ferai
bientôt repentir de ſes impertinences.
Témoin Hector fuyant devant Achille ,
cria la voix du bas de l'arbre. Alors le
militaire , tirant ſon épée , vint l'enfoncer
àbras raccourci , dans un buiffon qui
étoit au pied. Il en fortitun lapin , qui ſe
mit à courit à toutes jambes. Voilà Hector
, lui cria M. Saint-Gilles avec ſa voix
ordinaire , & vous êtes Achille. Cette
plaifanterie défarma&confondit le militaire.
Il demanda à M. Saint- Gille ceque
tout cela ſignifioit. Deux choſes , lui ditil
, la première qu'avant de former une
attaque , il faut bien ſavoir à qui l'on a
affaire; la ſeconde , que vous venez de
faire là une action de Dom Guichotte ,
JUILLET. 1772 . 53
M. Saint - Gille lui avoua enſuite qu'il
avoit deux voix qui faisoient de lui comme
deux perſonnes ; une à l'ordinaire avec
laquelle il lui parloit actuellement , &
une autre qui l'éloignoit de lui - même à
une grande diſtance , & dont il s'étoit
ſervi dans toute la ſcène dont ils venoient
d'être les acteurs l'un & l'autre. Il
lui fit remarquer en même tems que cette
voix fortoit de lui même , malgré la grande
diſtance d'où elle paroiſſoit venir . Le
militaire s'en rappella le timbre & convint
que c'étoit une illuſion où il eût toujours
demeuré ſans la bonne foi de M.
Saint-Gille.
Les autres ſcênes qui ſuivent prouvent
également qu'il eſt aſſez ordinaire lorfque
l'on n'est pas prévenu de ſe laiſſer
furprendre par l'art du ventriloque . Le
Baron de Mengen , ventriloque de la première
claſſe , actuellement vivantà Vienne
en Autriche où il fait ſa réſidence , a
penſé faire tourner bien des têtes avec le
talent qu'il a de varier & de multiplier
en quelque forte ſa voix. Ce Baron qui
ſervoit en qualité de lieutenant - colonel
ſous les ordres du feu prince de Deux
Ponts , général au ſervice de la Reine de
Hongrie , voulut un jour amufer ce Prin-
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
on
ce par une ſcène que fon art pour contrefaire
toutes fortes de voix lui avoit fait
imaginer. Il tira de ſa poche une petite
figure ou eſpèce de poupée avec laquelle
il ſe mit à converſer aſſez vivement àpeu-
près en ces termes : Mademoiselle , il
me revient de vous des nouvelles très-peu
Satisfaisantes . -Monfieur , la calomnie eſt
aiſée. Ne vous écartez pas du droit chemin
; je vousy ferois rentrer par des voies
désagréables. - Monfieur, il eſt aisé d'y rentrer
quand on n'en fort pas. Vous êtes
- une petite coquette , vous agacez les hommes
tant que vous pouvez. -Monfieur ,
quand on a un grain de beauté ,
eſt expoſée à l'envie &à la persécution.
Vousfaites la petite raisonneuse ?-Monſieur
, il n'eſt pas toujours permis d'attaquer
, il l'eft toujours de ſe défendre.
Taiſez - vous. Sur ces mots il l'enferme
dans ſa poche. Alors la poupée s'agite&
murmure : voilà comme les hommes font
faits , continue - t'elle , parce qu'ils font
les plus forts , ils s'imaginent qu'autorité
eſt justice. Un officier Irlandois qui ſe
trouvoit là , ſe perfuada ſi bien que la
poupée étoit un animal , dreſſé à ce manége
par le Baron de Mengen , qu'il ſe
jetta bruſquement fur la poche où elle
JUILLET. 1772 . 55
étoit pour endécouvrir la vérité. Alors ia
-petite figure ſe ſentant preſſée outre mefure
, ſe mit à crier au ſecours , comme
ſi on l'eût étouffée ; & elle ne ceſſa ſes
cris effrayans , qu'au moment qu'on eut
lâché priſe . Alors , pour convaincre l'officier
qu'il avoit bien donné dans le paneau
, M. le Baron de Mengen lui laiſſa
tirer de ſa poche une petite figure revêtued'un
manteau , ſous lequel il n'y avoit
que du bois. Tous les yeux des ſpectateurs
étoient fixés ſur le viſage de M. le
Baron de Mengen; néanmoins ils n'apperçurent
aucun mouvement pendant les
réponſes de la poupée , & la voix bien
articulée paroiſſoit uniquement procéder
de la petite figure. Ce qui ajoutoit fingu
lièrement au merveilleux de la choſe ,
c'eſt que la réponſe , ſuivant le témoignage
de ces Meſſieurs , heurtoit , ou du
moins ſembloit heurter quelque fois la
queſtion ou le reproche : comme il arrive
dans les conteſtations animées , où la réponſe
commence , quand l'objection dure
encore.
M. de la Chapelle , pour rendre fon
traité non moins curieux qu'utile & propreà
détruire l'empire de l'erreur & de la
ſuperſtition , a porté un coup-d'oeil phi-
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
A
loſophique ſur l'art des ventriloques. Il
fait voir par des exemples tirés de l'hifroire
ancienne que la fauſſe politique
s'imaginant que l'on ne peut gouverner
les hommes qu'en les trompant , a eu fouvent
à ſes gages des hommes qui s'annon.
çoient pour parler du ventre . Ces prétendus
ventriloques vouloient perfuader aux
aſſiſtans que quelque génie ſupérieur
avoit pris fiége dans leurs corps & que
delà il prononçoit des oracles. Quand ces
fourbes vinrent enſuite à perfectionner
leur talent , en faiſant croire que leurs
paroles venoient de pluſieurs centaines
de toiſes , dans toutes les directions poffibles
, quoique l'on fût à côté d'eux , on
n'oſa plus douter que ce ne fût Dieu
même , qui parloit du ſein de l'air , du
creux de la terre , du fond des abîmes ,
&c.
M. de la Chapelle , dans ce même écrit
ſemé de notes , d'obſervations , de traits
hiſtoriques qui diſtraient quelquefois le
lecteur de l'objet principal , mais qui
l'occupent toujours utilement s'eſt appliqué
à rectifier pluſieurs autres erreurs de
nos ſens . Ce traité doit donc être mis
entre les mains de tous les jeunes gens, &
ilsn'en auront pas peu profité s'ils recon.
:
JUILLET.
1772. 57
noiſſent avec l'auteur qu'en général plus
un effet produit par l'homme , paroît audeſſus
de la puiſſance humaine , plus on
peut prononcer avec ſureté , ou que cela
n'eſt pas , ou que la cauſe en eſt plate ou
puérile .
LETTRE de l'Auteur du Ventriloque
ou engastrimythe.
MONSIEUR ,
23 Juin 1772 .
Je vous ſupplie de faire inférer le plutôt poffible
,dans le Mercure de France , les cinq ou fix
lignes que j'ai l'honneur de vous adreffer , pour
réparer une faute d'omiffion que j'ai faite dans le
Ventriloque ou engaſtrimythe. J'ai oublié d'avertir
que le rapport de MM. les Commiſſaires de
l'Académie des Sciences ne regarde que les faits
dont ils ont été témoins , ainſi que l'explication
de leurs cauſes , contenus dans le mémoire à la
ſuite duquel ce rapport eſt imprimé , & non l'ouvrage
entier quin'a point été loumis à leur jugement.
J'ai l'honneur d'être , &c .
LA CHAPELLE.
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
Conférences fur les mystères , par le Père
Joſeph . Romain Joly , natif de Saint-
Claude , Capucin.; 3 vol. in 12. A Paris
, chez Claude Hériſſant , rue Neuve
Nôtre Dame .
Il y a long- tems que l'on ſe plaint de
cette multitude de queſtions inutiles &
interminables dont les ſcholaſtiques
avoient inondé la théologie,& du jargon
barbare que la logique d'Ariftote mal entendue
y avoit introduit : le grand jour
de la littérature qui a brille en Europe
depuis plus d'un ſiècle , n'a pu encore les
reformer ; parce que les théologiens ordinairement
peu lettres ou eſclaves de
leurs préjugés s'y ſont refuſés. S'ils remontoient
aux premiers ſiècles de l'Egliſe
, avant le règne des barbares , où le bon
goût ſe ſoutenoit encore , quels modèles
ne trouveroient- ils pas dans les Sts Pères!
La ſcholaſtique , il eſt vrai , a mis beaucoup
d'ordre dans la Doctrine chrétienne
& un développement merveilleux ;
c'eſt ce qu'il faudroit conferver; & rejetter
ces diſputes minutieuſes qui ont fait naî
tre des partis dans une religion invariable
&uniforme dans ſa créance. L'acharnement
des ſectes différentes & l'envie déJUILLET.
1772 . 59
meſurée de ſe défendre & d'abaiſſer un
adverſaire , a pouffé quelques théologiens
hors des limites & donné naiſſance à plufieurs
héréſies .
Ces conférences ſur les Myſtères ſont
faites par un homme inſtruit qui a toujours
eu pour la méthode ſcholaftique
une répugnance inſurmontable . Il s'eſt
borné à l'égard de la théologie dogmatique
aux choſes qui concernent la foi. La
poſitive lui a fourni des objets dont la difcuffion
eſt du reſſortde la littérature.
Nous avons annoncé dans le tems les
conférences du même auteur ſur la morale
chrétienne : elles n'ont pas la fécherelle
qui eſt ſi ordinaire aux ouvrages de cette
eſpèce ; & toutes les citations ont été puiſées
dans les ſources. C'eſt une précaution...
que les plus célèbres théologiens n'ont
point priſe généralement ; ils s'en font
rapportés à des collections , à des vérifications
ſouvent peu exactes , & à des livres
dont les citations ne ſont pas tou-
Jours fûres .
Dans ce nouveau cours de conférences,
on remarque la même précaution à l'égard
des autorités & la même préciſion dans
la doctrine. Enfin dans un ſiècle où l'on
enſeigne aux François en la langue qui
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
leur eſt propre , toutes les connoiſſances
humaines , on lui ſçaura gré de leur apprendre
la ſcience de Dieu qu'aucun
Chrétien ne doit ignorer. Les eccléfiaftiques
& les religieux qui ayant quitté le
collége depuis pluſieurs années ont perdu
l'uſage de l'idiome &du ſtyle de l'école ,
trouveront ici une explication facile des
objets de la foi & folidement établie .
L'auteur a pris pour guide le ſymbole
des Apôtres , & il en difcute tous les articles
avec plus ou moins d'étendue , traitant
brièvement les controverſes , pour
donner plus de place aux circonſtances de
la vie de Jeſus - Chriſt. Les théologiens
avoient abandonné cette matière importante
aux interprêtes de l'Evangile ; mais
l'auteur des conférences a cru qu'elle méritoit
toute fon attention . Voici fon
plan.
Il explique dansun premier tome l'exiftence
de Dieu & fes attributs , puis l'unité
de Dieu & la trinité des Perſonnes ;
enfuite les Anges , la création du monde ,
l'homme , la parole de Dieu adreffée aux
hommes , l'incarnation du Verbe & la
naiſſance du Meffie.
Le ſecond tome contient les conférences
ſuivantes : la manifeſtation du Verbe
JUILLET. 1772 . GL
A
incarné , Jeſus ſoumis à la loi , le baptême
de Jeſus - Chriſt , ſa prédication , ſes miracles
, les perfécutions qu'il a ſouffertes,
la Céne , la Paſſion de Notre Seigneur ,
ſa Mort & ſa Sépulture , la Réſurrection,
l'Aſcenſion .
Les conférences du troiſième tome ſont
ſur le St Eſprit , la Mère de Dieu , l'Egliſe
, la Hiérarchie ecclékaſtique , la Communion
des Saints , les Sacremens , la
Grace, les fins de l'homme.
Il y a au commencement du dernier
tome une lettre curieuſe ſur le livre des
trois Impoſteurs dont pluſieurs ſçavans
avoient conteſté l'exiſtence , & entr'autres
M. de la Monnoie ; mais il n'appuie
ſon ſentiment que d'une preuve négative
d'où l'on ne peut rien conclure. M. Arpe
a refuté M. de la Monnoie , il en appelle
à l'expérience , & dit qu'il a le livre entre
les mains. Ce livre eſt dans la bibliothèque
de M. le D. de la V.; & c'eſt de là
qu'on a tiré la copie dont on donne ici
une analyſe critique.
Cet ouvrage que l'on attribue à un pro.
teſtant nommé Nicolas Barnaud de Creſt,
ne ſuppoſe en ſon auteur aucune forte
d'érudition ; c'eſt un amas confus d'argumens
ſcholaftiques , du caractère des ob62
MERCURE DE FRANCE.
jections que les écoliers propoſent dans
leurs thèſes. « Il faudroit , dit M. de la
>> Monnoie , que ce fût un gros volume
>> pour répondre à ſon titre. En effet , il
n'y a pas répondu ; c'eſt une ſimple comparaiſon
de Moiſe & de Mahomet où Jefus-
Chriſt eft rarement & foiblement attaqué.
Ce livre a été imprimé ſans nom de
lieu en 1598 ; in- 8°. dequarante ſix pages
de vingt- ſept lignes chacune.
Traduction d'anciens ouvrages latins relatifs
à l'agriculture & à la médecine vétérinaire
, avec des notes . Par M. Saboureux
de la Bonnetrie , écuyer , avocat
au parlement & docteur agrégé de la
faculté des droits en l'Univerſité de
Paris ; tomes troiſième & quatrième
in- 8°. contenant l'économie rurale de
Columelle. A Paris , chez Didot le
jeune , quai des Auguſtins .
Les premiers volumes de ces traductions
que nous avons annoncées précédemment
nous offrent l'économie rurale
deCaton & celle de Varron . La première
eſt écrite fans aucun ordre & d'une manière
fort féche & fort aride . La ſeconde .
quoique d'un ſtyle beaucoup plus pur ,
plus élégant , n'empêche cependant pas
JUILLET. 1772. 63
qu'on ne life avec la plus grande ſatisfaction
l'économie rurale de Columelle
dont M. Saboureux de la Bonnetrie nous
donne aujourd'hui une bonne traduction .
Cet écrit économique peut être regardé
comme le monument de l'antiquité le
plus complet fur cette matière , & le plus
agréable à lire . Columelle non moins curieux
de plaire que d'inſtruire choiſit fes
expreffions , varie ſes formules & emprunte
de la nature même des objets qu'il
décrit les images les plus propres à nous
les repréſenter. Son ouvrage étoit pour
cette raiſon très difficile à bien traduire .
M Saboureux de la Bonnetrie a vaincu
une partie des difficultés. Il a accompagné
cette traduction de notes inſtructives &
dedeux tables alphabétiques . La première
contient la valeur actuelle des poids, mefures
& monnoies dont il eſt parlé dans
l'économie rurale. La ſeconde table donne
une courte notice ſur les villes & pays
&nous inftruitde leurs noms modernes.
Mémoires hiftoriques , politiques & militai.
res fur la Ruffie , contenant les principales
révolutions de cet Empire , & les
guerres des Rufles contre les Turcs &
les Tartares ; avec un ſupplément qui
64 MERCURE DE FRANCE .
donne une idée du militaire , de la marine
, du commerce , &c. de ce vaſte
Empire ; par le Général de Manſtein ;
nouvelle édition , augmentée de plans
& de cartes , avec la vie de l'auteur ;
2 vol . in 8° . A Paris , chez J. P. Coftard
, libraire , rue St Jean- de- Beauvais
; à Lyon , chez Jean- Marie Bruyſet
, imprimeur- libraire.
Ces mémoires qui commencent à la
mort de Catherine I , & finiſſent vers les
premières années du règne d'Elifabeth en
1744, nous remettent devant les yeux une
ſuite d'événemens qui nous étoient déjà
connus. Mais le Général de Manſtein qui
a ſervi dans le militaire de Ruſſie , & a
été employé dans le cabinet , a pu ajouter
à ces événemens des particularités ignorées
, des intrigues de cabinet & quelques
anecdotes ſur les favoris. Ce général n'a
point négligé en écrivant l'hiſtoire des
révolutions du thrône de Ruſſie & des
guerresde cet Empire contre lesTurcs,de
décrire les moeurs de pluſieurs peuples qui
ſervoient dans ſes armées. Les Coſaques
Saporogéens ont fur-tout attiré ſon attention.
Ces Coſaques habitent les Ifles de Boriſthène
ou Nieper,& une petite contréede
laCrimée, au-delàdesCataractes . C'eſt un
JUILLET. 1772. 69
affemblage de toutes fortes de Nations.
Leur général ou chef de leur république
eft appellé Kofchowoy-Attaman Ils l'éliſent
entre eux , & lui prêtent pour autant
de tems qu'il leur plaît , une obéiffance
aveugle. Mais auſſi-tôt qu'ils ne
fontplus contens de lui , ils le démettent
de ſa charge ſans autre cérémonie & en
éliſent un autre. Il n'eſt permis à aucun
des Coſaques Saporogiens d'être marié
dans les confins de leur territoire. Si quel
qu'un l'eſt , il faut que ſa femme demeuredans
undes pays voiſins , où il va la
trouverde tems en tems ,& il faut même
qu'il faſſe cette entrevue à l'inſçu des anciens.
Chacun quitte la ſociété quand elle
ne lui plaît plus. Un autre vient ſe faire
infcrire ſansautre formalité que de déclarer
qu'il veut ſe conformer àleurs uſages
&ſe ſoumettre à leurs lois. C'eſt pourquoi
ils ne ſçauroient jamais déterminer
précisément leurs forces. Ils font diviſés
enpluſieurs chambrées , & tout ceux qui
ſe trouvent préſens dans leur capitale
ſont obligés de dîner & de ſouper dans
les réfectoires publics. Ils ne ſouffrent pas
même les femmes chez un étranger qui
en emmeneroit chez eux. En 1728 , pendant
que les Ruſſes faifoient la guerre
(
66 MERCURE DE FRANCE.
contre les Turcs , les Saropogiens avoient
reçu garniſon de troupes reglées dans leur
capitale , qui n'eſt autre choſe qu'un village
retranché nommé Sz. Le lieutenant-
colonelGlebow qui y commandoit
fit venir ſon épouſe. Elle n'y fut pas plutôt
que tous les Coſaques s'étant attroupés
, entourèrent ſa maiſon , & prétendirent
qu'on leur livrât les femmes qui s'y
trouvoient , pour en avoir chacun ſa part.
M. de Glebow eut bien de la peine à les
appaiſer , & n'en vint à bout qu'en leur
donnant quelques tonneaux de brandevin.
Il fut cependant obligé de renvoyer
ſon épouſe ſur l'heure même crainte d'une
nouvelle émeute. Leur manière de punir
eſt auſſi fingulière que leur manière de
vivre. Toute cette république n'eſt compoſée
que de voleurs &de vagabonds qui
ſe nourriffent de rapine en tems de paix
comme en tems de guerre ; mais ſi quelqu'un
s'aviſe de voler la moindre choſe à
fon camarade , il eſt liéàun poteau placé
dans la grande place de la ville. On met
à côté de lui un flacon, un pain & pluſieurs
gros bâtons. Chaque paſſant eſt en
droit de lui donner autant de coups qu'il
veut. Il peut après cela rafraichir ce pauvre
miſérablede quelques goutes de bran
JUILLET. 1772. 67
devin & de quelques morceaux de pain.
Il reſte attaché à ce poteau nuit & jour ,
ſelon le bon plaiſir de ſes juges , & fouvent
cinq fois vingt- quatre heures . S'il
eſt aſſez heureux pour ne point expirer
ſous les coups , il eſt de nouveau reçu dans
la ſociété.
Ces mémoires quoiqu'originairement
écrits en françois ont d'abord été publiés
en anglois. Il s'en eſt auſſi fait une édition
allemande& une édition françoiſe à Léipfig
conforme à l'original. Le dernier éditeur
a ajouté à ces mémoires des notes
utiles & un précis de la vie de l'auteur
mort en 1757. L'éditeur de Paris a profité
de ces notes & de ce précis , & a de
plus enrichi ſon édition de plans & de
cartes topographiques qui ſe trouvent
dans l'édition allemande & que l'on peut
regarder comme un commentaire néceffaire
à pluſieurs faits rapportés dans ces
mémoires. Ces faits intéreſſeront par euxmêmes
& par la rélation qu'ils peuvent
avoir avec ce qui ſe paſle aujourd'hui
ſous nos yeux. Mais les lecteurs françois
feront obligés de pardonner quelques vices
d'élocution à un étranger qui a écrit
dans leur langue ; ils préféreront fans
doute l'éloquence ſimple &naturelle d'un
1
68 MERCURE DE FRANCE .
militaire qui narre avec ingénuité les faits
tels qu'il les a vus , à toutes les recherches
d'un hiſtorien érudit ſouvent plusoccupé
de lui même que de ſes lecteurs.
Théorie des Etresſenſibles , ou cours com
plet de phyſique ſpéculative , expérimentale
, ſyſtematique & géométrique,
miſe à la portée de tout le monde: avec
une table alphabétique des matières ,
qui fait de tout cet ouvrage un vrai
dictionnairede phyſique ; par M. l'Abbé
Para du Phanjas. Cet ouvrage eſt
actuellement envente en4 vol . in 8°.
rel . 28 liv . A Paris , chez Ch. Antoine
Jombert , père , libraire du Roi pour
l'artillerie& le génie , à l'Image Notre.
Dame; 1772 , avec approbation&pri
vilége.
La Physique est la ſcience des corps ,
c'est- à -dire , de toutes les ſubſtances ſenfibles
qui compoſent l'Univers ; & la
ſcience des corps n'eſt autre choſe que la
ſcience de la matière & du mouvement.
Dans un ſiécle où le goût de la phyſique
eſt devenu le goût général &dominantde
l'Europe éclairée & polie ; où cette portion
même de l'humanité , qui ne ſembloit
formée que pour faire l'aménité &
JUILLET. 1772 . 69
les charmes de la ſociété , a oſé montrer
qu'elle étoit auſſi née pour approfondir &
dévoiler les fublimes myſtères de la nature
; il n'eſt plus permis qu'à un reſte ſuranné
d'eſprit miſérablement gothiques ,
dedédaigner une ſcience qui fait l'ornement&
les délicesde tout ce qui ſe pique
d'avoir de la culture & des lumières .
Quelle fatisfaction pour un esprit élevé&
pénétrant , d'être , pour ainſi dire , le confident
de la nature ; de voir les événemens
phyſiques ,dans leurs cauſes & dans
leurs principes ; de connoître & de ſaiſir
le reffort ſecret des brillans phénomènes
qu'il obſerve , tantôt dans le Ciel , où la
marche harmonieuſe des aftres règle &
varie les ſaiſons; tantôt dans l'athmofphère
, où la ſcène changeante des météores
excite alternativement & l'admiration
& la terreur ; tantôt ſur la terre , où
tout ſe meut , & fe forme , & fe conferve&
ſe détruit , par un méchaniſme éga
lement admirable & intéreſſant ! Quelle
confolation pour un esprit religieux &
chrétien , de ne pouvoir repoſer ſes regards
ſur aucune partie de la nature ,
fans y découvrir viſiblement ſon Dieu;
ſans y fentir ſon adorable préſence
qui conſerve & perpétue ſon ouvrage ;
70 MERCURE DE FRANCE.
1
qui donne & l'ordre & le branle à toutes
choſes ; qui s'annonce par-tout par des
traits éclatans de ſageſſe , de puiſſance , de
bienfaiſance , dignes d'étonner & de toucher
une ame bien née , de remplir fon
coeur de reconnoiſſance , en frappant d'admiration
fon eſprit !
On a employé , dans cette théorie des
Etres ſenſibles ou dans ce cours complet
de phyſique , la méthode qui a paru la
plus fimple , la plus lumineuſe , la plus
propre à conduire l'eſprit humain dans la
recherche de la vérité. Cette méthode
conſiſte à donner d'abord des définitions
nettes & lumineuſes , qui mettent au fait
de la queſtion préſente; à préſenter enſuite
l'enchaînement de principes & de
raiſons plauſibles , qui établiſſent une vérité
générale ou particulière ; à réfuter
enfin efficacement les difficultés ſolides ,
qui pourroient rendre ſuſpecte ou douteuſe
la vérité établie & démontrée . On
verra , par cet ouvrage , que cette méthode
, en réglant la marche & en concentrant
la lumière de l'Eſprit humain
pourroit ne point nuire à l'énergie , aux
élans , à la richeſſe du Génie , de ce don
fublime de la nature &de la raiſon , qui
doit être à la fois & l'interprète & le pein-
,
JUILLET. 1772 . 71
1
1
tre de l'une & de l'autre ; &que c'eſt peutêtre
l'unique méthode,qui doive être ad
miſe dans un ouvrage deſtiné à porter une
vraie lumière , une lumière ſimple & éclatante
, ſur l'immenſe théâtre de la nature
entiere. Si cette méthode paroît ancienne
pourle fond des choſes , la manière dont
on la met en oeuvre en fait une méthode
réellement nouvelle & unique , dont il eſt
facile de faifir le caractère diftinctif , &
d'apprécier le mérite ſcientifique.
Ces quatre volumes ſur la phyſique ſeront
ſuivis d'un volume de mathématiques
qui ſe vendra ou conjointement avec
l'ouvrage fur la phyſique , ou ſéparément
fans cet ouvrage. Il aura ſa préface à part,
&il ſera intitulé : Principes du Calcul &
de la Géométrie ; ou Cours complet de Mathématiques
élémentaires , miſes à la portée
de tout le monde : avec une table alphabéque
des matières , qui en fait un vrai
Dictionnaire de Mathématiques.
Phrofine &Mélidore , poëme en 4 chants.
AMeſſine ; & ſe trouve à Paris , chez
Lejay , libraire , au grand Corneille
rue St Jacques.
Muſe plaintive , ô toi qui fais répandre
Ces pleurs touchans , délices d'un coeur tendre ,
,
72 MERCURE DE FRANCE.
Des vrais amans toi qui peins le malheur ,
Donne à ma voix l'accent de la douleur.
Quela pitié , les regrets , les alarmes ,
Où l'intérêt fait trouver tant de charmes ,
Enfoupirant accompagnent tes pas-
Toi qui chantais Léandre & fon trépas ,
Sur ce rivage où l'amour pleure encore;
Chante avec moi Phrofine & Mélidore.
Après cette invocation qui ouvre le
poëme , l'auteur établit le lieu de la ſcène.
Près des écueils de Caribde &de Scylle ,
Paraît Meſſine aux rives de Sicile.
Là cent palais ſouverains de ces mers ,
Le pied dans l'onde ont le front dans les airs.
Son port fuperbe , abri de la fortune ,
Sauve Plutus des fureurs de Neptune.
Tout l'or de l'Inde éclate ſur ſes bords ;
Mais c'eſt en vain que l'Aſie & ſes ports
Comblent ſon ſein de richeſſes nouvelles ;
Ses vrais tréſors étaient deux coeurs fidèles .
Mélidore eſt un jeune homme aimable
, à qui ſes vertus tiennent lieu de naiffance.
Phroſine de l'illuſtre famille des
Fuventius , eſt la merveille de ſon ſexe .
Que l'art fécond forme les plus beaux traits ,
Qu'il embelliſſe , exagère , imagine ,
Il rend Vénus , & ne rend pas Phrofine.
Phrofine
JUILLET. 1772 . 73
Phroſine & Mélidore ſe virent & s'aimèrent.
De leurs regards partit un double éclair ,
Pareil à ceux qui ſe croiſent dans l'air.
Ils s'étoient rencontrés dans une fête
que l'on donnoit ſur le port..
Phroſine y vint , Mélidore y courut.
Pour eux la fête auſſi -tôt diſparut.
Phroſine avoit deux frères ; Aymar ,
homme ambitieux & plein de l'orgueil
des grands noms ; & Jule , malheureux
d'avoir une ſoeur ſi aimable,& dévoré d'un
amour inceſtueux .
C'eſt un regard auſſi pur que le jour ,
Qui donna l'être au plus impur amour ;
Tel le poiſon dont Circé fait uſage ,
Naît du ſoleil , honteux de ſon ouvrage.
Aymar , l'aîné des deux frères , chargé
de choiſir un époux à Phroſine , ne conſulta
que le rang & la naiſſance , & Phrofine
allait être ſacrifiée , quand un nouveau
malheur vint ſe joindre au danger
qui la menaçait. Jule , au moment de
voir ſa ſoeur lui échapper pour toujours
devoile ſon fatal fecret, :
II. Vol. D
74
MERCURE DE FRANCE .
६
esMa foeur , dit- il , tu vas frémir ſans doute.
>> Plains -toi , rougis , friflonne , mais écoute.
ဘ : •
>>Pourquoi leCiel , en te créant ſi belle ,
>>>S'il m'a connu , m'a-t'il mis près de toi ?
>>D>et'adorer il m'impoſa la loi.
→ Rappelle ici le berceau de notre âge ,
•
>>Nos premiers goûts , nos jeux , notre langage ,
>>>Cette union , ces faveurs , ces plaiſirs ,
>> Que permet l'âge à d'innocens deſirs .
>> Jeune , imprudent , ſans remords , fans alarmes
,
>>Je m'enivrais du poiſon de tes charmes.
Mon coeur enfin te parla ſans détour.
>>> La voix du ſang fut celle de l'amour.
>>>J'en vis le crime & ne pus m'en défendre.
>>> Phroſine ! ah ! Dieu ! tu frémis de m'entendre...
>>> Demeure , attends... J'expire , ſi tu fuis.
> J'ai fi long- tems dévoré mes ennuis !
>>Maiston hymen aujourd'hui m'aſlaſſine.
>>> Un autre , ô Ciel ! dans les bras de Phrofine !
>>U>nautre!. &moi , déchiré nuit & jour ,
J'aurai ſans toi mon crime & mon amour ?
> Pardonne ou frappe , indulgente ou ſévère ,
Parle& choiſis d'un époux ou d'un frère.
Si je te perds ,je ſuis mort , &ta main ,
En ſe donnant , me percera le ſein. >>
Phroſine repouſſe avec horreur le cri
JUILLET. 1772. 75
minel amour de ſon frère. Mais elle le
Taffure ſur l'hymen dont il eſt effrayé , &
qu'elle est réſolue de ne pas accepter. Elle
le conjure de vivre.
Bientôt des plaintes plus touchantes
ſe font entendre à ſon coeur; ce ſont celles
de l'amoureux Mélidore. Phroſine
fidèle à fon amant réſiſte aux inſtances ,
aux perſécutions de ſon frère Aymar.
Mélidore , favoriſé des biensde la fortune
imagine que s'il peut les augmenter encore,
il tentera peut- être l'ambition des
Faventius. Il vole au delà des mers pour
chercher les tréſors du commerce.
Ligués pour lui Mars , Eole , Neptune ,
Accéléraient le cours de ſa fortune.
Par leur objet rendus plus précieux ,
Sesbiens ſacrés intéreſlaient les dieux..
Il revient plus riche &plus épris que
jamais. Mais ſon eſpérance eſt encore
trompée. Aymar eſt inflexible. Alors
Phroſine ſe réſout à fuir avec ſon amant.
Elle lui indique un rendez-vous ſous les
murs des jardins de ſa maiſon qui touchent
à la mer. Mélidore s'y rend au clair
de la lune. Aymar l'y rencontre. Inſtruit
de la paſſion de Mélidore , il lui ſuppoſe
مه Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
fans peine un deſſein. Il met l'épée à la
main , & fond fur lui. Mais bientôt dangereuſement
bleſſé il tombe aux pieds de
Mélidore. Jule paraît en ce moment , &
joignant au deſirde venger ſon frère les
reflentimens d'un rival , il eſt bientôt aux
mains , quand Phroſine accourt au bruit ,
ſe jette entre les deux combattans & les
ſépare. C'eſt alors qu'il faut que Mélidore
s'éloigne d'elle. Jule la ramene auprès
d'Aymar dont les bleſſures n'étaient pas
mortelles. Mélidore déſeſpéré brûle ſes
vaiſſeaux , laiſſe croire que lui-même eſt
enfeveli ſous leurs débris tandis qu'il ſe
dérobe par une fuite ſecrette & va cacher
ſadeſtinée . C'eſt la fin du It chant.
Dans une ifle voiſine un folitaire s'étoit
creuſé une retraite entre des rochers.
C'eſt là que Mélidore aborda dans une
barque. Il conte ſes malheurs au vieil hermite
qui le conſole & l'invite à partager
ſademeure. Il y conſent. Il vit dans la ſolitude
, mais il n'y retrouve pas la tranquillité
.
Ah! qui pourrait effacer dans unjour
La profondeur des traces de l'amour ?
C'eſt le torrentqui ſillonnant la plaine
Atout empreint du ſable qui l'entraîne.
Les prés rougis , les guérêts dépouillés
JUILLET. 1772 . 77
Marquent les lieux que ſon cours a fouillés .
Mais un printems ſuffit à la nature
Pour réparer l'émail & la verdure.
La vie entière à peine reproduit
La paix du coeur qu'un ſeul inſtant détruit.
Le folitaire meurt , & laiſſe Melidore
ſeul poffeffeur de ſon hermitage . Cependant
Phroſine avait appris d'un pêcheur
la route qu'avait tenue ſon amant. Elle
brûlait de le rejoindre. Un fonge affermit
encore ſes réſolutions .
1.
Des régions qu'habitent les menſonges ;
Etait parti le plus heureux des ſonges .
Non , ce vieillard par des hiboux traîné ,
Ceint de pavots, de crêpe environné ;
Mais un enfant fans voile & fans nuage ,
Tout rayonnant de l'éclat du bel âge ,
Au doux ſourire , au teint frais & vermeil ;
Il répandait les roſes du ſommeil.
Le mouvement de ſon aîle divine
Rafraîchit l'air que reſpirait Phrofine.
Sa douce haleine embauma ce ſéjour ;
Ce bel enfant , ce ſonge était l'amour,
L'amour lui prédit qu'elle ſera Néréide.
Il lui montre l'iſſe où eſt ſon amant.
Phroſine encouragée par ce préſage , s'ef.
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
faie à nager ſous les yeux d'Aly ſa compagne
.
Soudain le ſable échappe fous ſes pas .
Son corps s'étend, balancé ſur ſes bras.
Ses pieds de l'onde atteignent la ſurface.
Un fol eſpoir animait fon audace.
Aly tremblait ; Phroſine s'égarant
Nageait encor ; mais fon coeur expirant
Trop faible hélas ! la rappelle au rivage.
«Aly , dit- elle , as-tu vû quel préſage !
>> L'amour ſans doute écoute mes defirs .
* 11 ſoumet l'onde & commande aux zéphirs.
J'irai plus loin. Elle dit &s'élance ,
Bat , fend la mer , nâge à plus de diſtance,
Revient , retourne & jouant ſur les caux ,
S'exerce encore à des périls nouveaux.
Ce que l'amour inſpire à cette amante ,
La jeune Aly par amitié le tente.
Un voile tombe', un autre eſt détaché ,
Sous chacun d'eux un amour eft caché.
Mais ces attraits , mais leur grace divine
Rendent hommage aux graces dePhrofine.
Ses lys fur-tout triomphent en blancheur ,
Et Vénus même envierait ſa fraîcheur.
Alydans l'onde où Phroſine l'attire ,
Etend un pied , poufle un cri , ſe retire ,
Rentre , chancelle , avance , & chaque pas
Enſevelit quelqu'un de ſes appas.
:
JUILLET. 1772 . 79
Elle oſe enfin ſuivre la Néréide
Qui ſur les eaux ſe ſoutient&la guide.
Phrofine , Aly , s'exerçaient tour-a-tour.
Telles on voit au ſommet d'une tour.
Prendre leur vol deux jeunes hirondelles ,
Et l'annoncer par un battement d'aîles.
L'une en tremblant s'eſſaye à voltiger ;
L'autre plus prompte affronte le danger ,
Déſigne un terme au vol qu'elle médite
Part , vole , fuit ; la compagne l'imite ,
La ſuit , l'atteint , & toutes deux au pair ,
Vont meſurer les campagnesde l'air.
,
Ce morceau termine le ſecond chant.
Au commencement du troiſième , le
poëte ſe plaint qu'on a trop captivé les
talens & les occupations d'un ſexe qui ,
comme le nôtre , pourroit prétendre à
tour. Il cite les Muſes qui préſident aux
arts , Diane , à la chaſſe , Pallas , aux combats,
&c. l'hiſtoire aurait pû le ſervirencore
mieux que la fable . Mais l'homme,
dit-il , a ufurpé tous les droits des femmes&
trompé leurs deſtinées .
Telle une ſource & brillante & féconde
Naît dans l'eſpoir de parcourir le monde,
Roule ſes flots , & d'un cours qu'elle étend
Promène au loin le tribut éclatant.
Div
ㅏ
MERCURE DE FRANCE.
Mais l'art trompeur l'arrêtant ſur la rive ,
Par cent canaux l'enchaîne & la captive.
Ainfi borné , ſon cours infructueux
N'embellit plus qu'un jardin faſtueux.
Dans leurs priſons ſes ondes étrangères
N'arroſent plus que des fleurs paſſagères .
Rompez la digue , un fleuve naît alors ,
S'étend , circule , enrichit tous les bords ;
Répand l'eſpoir , la vie & la fortune ,
Et va groſſir l'empire de Neptune.
Le courage de Phroſine ſert de nouvelle
preuve aux idées du poëte . Rien n'a
pû ébranler ſa conſtance. Son frère Jule
eſt parvenu à rompre le mariage qu'Aymar
avait projetté. Il feint d'être guéri de
fon amour , & ſe prépare à la faire tomber
dans le piége. Phroſine trop aifément
raſſurée ſe promenoit ſouvent ſur la mer ,
ſeule avec ſon frère Jule , & un rameur
qui conduiſoit la barque. C'eſt dans un
de ces momens que Jule oſe menacer ſa
ſoeur des dernières violences , ſi elle réſiſte
à ſa paſſion criminelle. Phroſine épouvantée
veut au moins le faire rougir , en
lui montrant un témoin de ſon forfait ,
ce matelot qui tenait la rame. Le forcené
Jule veut le poignarder ; Phroſine l'arrête
, & ſe jette dans les flots. Jule s'élance
JUILLET. 1772. 81
après elle. Le matelot veut porter ſes ſe
cours à Phroſine . Elle lui conſeille de les
réſerver pour fon maître. Elle nâge avec
intrpidité & aborde au rivage , où le rameur
a bien de la peine à ramener l'infortuné
Jule.
Sûre déſormais de ce qu'elle peut faire,
Phrofine ne veut plus différer l'exécution
de ſes projets. Elle feint qu'elle doit
s'aquitter d'un voeu au Rocher de l'Her..
mite. C'eſt ainſi qu'on nommoit dans le
pays la retraite où était caché Mélido e.
Aymar ne peut s'oppoſer à cette pieuſe
démarche. Mais il ordonne qu'on ait toujours
les yeux fur elle. Phrofine part ,
aborde , reconnaît la plage & les endroits
les plus acceſſibles. Elle monte au rocher,
couverte d'un voile , & laiſſant fa ſu te a
quelquesdiſtances. Elle ſe proſterne auc
pieds de Mélidore , baiſe ſon vêtement ,
fufpend un tableau dans ſa cellule & laifle
un bouquet de fleurs. Elle ſe retire ſans
être reconnue. Mélidore apperçoit un
billet parmi les fleurs. Il l'ouvre & lir.
«C'eſt ta Phroſine , ô mon cher Mélidøre ,
Qui t'a revû , qui veut te voir encore.
>>>En vain la mer s'oppoſe à mon effort ;
O mon amant , je changerai ton fort.
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
•Pour nous rejoindre & nous vengerdu crime ,
L'art & l'amour m'ont foumis cet abîme :
« Je franchirai cet obſtacle odieux .
>> Demain quand l'ombre aura voilé les cieux ,
>>>Sur le ſommet de ton rocher aride
>> Fais voir au loin un flambeau qui me guide.
J'en ai connu les entours & l'abord ;
>>Veille ſans crainte , attends-moi ſur le bord;
Et tu verras ſur la rive écumante
>>S>eule à la nage aborder ton amante.
>> L'eſpoir , l'amour , ſon aſtre & les zéphirs
>>Me conduiront au port de mes plaifirs .
On peut ſe repréſenter la ſituation de
Mélidore , en lifant cette lettre .
>> C'étoit Phrofine ! elle a fui ; la cruelle !
>>>Il dit & tombe en diſant : c'était elle .
Il jetre les yeux fur le tableau. Une
femme luttait contre les vagues , & l'amour
faifait briller un flambeau ſur un
rocher. Il conçoit le projet de fa courageuſe
amante. Il tremble du péril où elle
s'expoſe. Ilfrémit & il eſpère. Le jour
finit. Phroline arrive au bord de la mer
vers un endroit retiré où elle avoit coutume
de venir ſe baigner. Le flambeau
paraît. Elle ſe dépouille de ſes vêtemens.
Une réflexion l'arrête un moment. En
JUILLET. 1772. 83
quel état paraîtra - t'elle aux yeux d'un
homme?
Il ſera nuit. Cet homme eſt ſon amant.
Partez , Phrofine , on peut tout en aimant.
Vénus ainſi parut au ſein de l'onde.
Applanis- toi , vague altière & profonde.
Regnez , zéphirs ; vents , ſoyez retenus ;
Confpirez tous pour cette autre Vénus.
Le dernier chant commence ainſi .
Sije tenais les pinceaux d'Auſonie ,
Livré ſans peine aux écarts du génie ,
Je me plairais , Mythologue abondant ,
Afoulever l'empire du Trident.
Mille Tritons ſuivant mon héroîne ,
La chanteraient ſur leur conque divine ,
La Néréïde en gémirait tout bas
Et ſous les flots cacherait ſes appas .
Des objets affez intéreſſans pour ſe pafſer
de cet artifice occupent le chantre de
Phroſine , c'eſt ſur elle , ſur ſon amant
qu'il arrête nos yeux .
De fon rocher l'amoureux Mélidore
N'entend , ne voit , n'entrevoit rien encore.
Il marche , écoute , appelle à tout moment ,
De ſon fanal excite l'aliment ,
Monte au rocher , redeſcend au rivage ,
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
1
Bénit le calme & conjure l'orage.
Il voit enfin naître un fillon léger ;
Un bruit s'élève , aux vagues étranger.
L'objet paraît ſur un flot qui bouillonne.
Il meurt de joie , & de crainte il friſſonne.
D'un flot à l'autre il meſure la mer ,
Son oeil avide a le feu d'un éclair.
Tout ſon ſang brûle & tout ſon coeur palpite.
L'objet approche , & lui ſe précipite ,
L'atteint , l'enleve au fatal élement ;
Ah! quel fardeau pour les bras d'un amant !
Phroſine eſt évanouie de faibleſſe &
d'épuiſement. Mélidure la rappelle à la
vie. Il ne peut concevoir qu'elle ait tant
riſqué pour lui . Elle lui répond :
« J'aime , j'ai tout ofé.
Tu vois , l'amour ma rendu tout ailé . วอ
Elle lui apprend qu'elle a ſu triompher
de la tyrannie d'Aymar & de la rage de
Jule. Elle vient s'unir à lui ſous les auſpices
de l'amour.
« Le Ciel nous voit , il entend nos fermens.
>> La loi d'hymen c'eſt la foi des amans . >>
Et telle fut la foi qu'ils ſe promirent ;
Pour l'affurer leurs deux bouches s'unirent.
L'amour couvrit leur antre ténébreux ,
JUILLET. 1772 . 85
Et l'Univers s'anéantit pour eux.
Né du haſard ou d'un fatal augure ,
Un bruit ſoudain fit trembler la nature.
L'onde en fureur battit les fondemens
Du roc affreux , palais de nos amans.
Un coup de foudre en abattit la cine ,
Qui s'engloutit au centre de l'abîme ,
Avec un bruit qui cent fois redoubla ,
Pareil au bruit des monſtres de Scylla .
Les vents , les flots , la tempête & la foudre
Auraient alors réduit le monde en poudre ,
Le couple heureux de ſa chûte accablé ,
En eût péri ſans en être troublé.
Comme enchanté dans leur grotte profonde
Leur nouvel être habite un nouveau monde ,
Et tous leurs ſens en un feul confondus
Semblent s'unir pour s'aimer encor plus.
L'aube déjà perçant les voiles ſombres ,
Chaſſait du Ciel la tempête & les ombres ;
Et l'horiſon dans un vague lointain
Etait rougi des vapeurs du matin ;
Quand l'oeil ouvert , Phroſine la première
Voit ce rayon d'importune lumière ,
Se plaint du jour qui nait ſi promptement ,
Mais lui fait grace en voyant ſon amant.
Phroſine retourne auſſi heureuſement
qu'elle étoit venue. Mais le poëte obferve
que le chemin lui parut plus long. Sa
$6 MERCURE DE FRANCE.
fidelle Aly qui avoit tremblé pour elle la
reçoit dans ſes bras avec tranſport.
Tout lui fut dit , le coeur n'oublia rien.
L'amour heureux conte toujours ſi bien !
L'amour heureux veut auſſi toujours l'être.
Ces vers font charmans & la tranfition
en eſt excellente. C'eſt une vraie beauté
de ſtyle . Phroſine recommence ſouvent
ſes voyages . Cependant Jule a recours à
une magicienne pour en obtenir un filtre
qui rende Phroſine ſenſible à ſon amour.
Elle conjure , appelle ſes démons .
Trois fois ſa bouche a repéré leurs noms .
Trois fois baillé , ſon ſceptre redoutable
D'un trait magique a fillonné le ſable.
L'Erébe eſt ſourd , un filence profond
Trompe ſon art , l'étonne & la confond.
Unjour plus pur ſe fait voir , & la terre
Loin de s'ouvrir ſous ſes pas ſe reſſerre .
«Quel ſigne affreux ! dit- elle ; on te trahit.
>>>A ton rival l'enfer meine obéit.
>> Phrofine eſt tendre & l'amant qui t'adore
>>>En eſt aimé. »
Jule s'obſtine à douter. Il croyoit Phroſine
inſenſible . La magicienne lui remet
un miroir où la vérité terrible ſe montre
JUILLET. 1772 . 87
à ſes yeux. Il y voit Phroſine portée fur
les vagues & reçue par ſon amant. Tranfporté
de rage il court révéler tout à fon
frére Aymar. Ces deux monftres s'unifſent
pour la perte de leur malheureuſe
foeur. Ils montent vers le ſoir ſur une
barque par un tems nebuleux , & vont
vers le lieudu rendez vous ordinaire , faire
briller le ſignal perfide .
Phroſine aux traits de ſa fauſſe lumière
Rentre ſoudain dans l'humide carrière.
O malheureuſe ! on vas -tu ? vois ton fort.
Fuis ce rayon ; c'eſt l'aſtre de la mort.
J'appelle en vain ; je la vois qui s'engage
Loin du rocher qu'obſcurcit un nuage.
L'eſquif s'éloigne en l'égarant toujours .
La mer l'étonne. Un fi pénible cours
L'appéſantit ; elle fent un abîme ;
Mais elle voit ce feu qui la ranime.
Elle s'épuiſe en efforts toujours vains ;
Et ſans pitié deux frères inhumains ,
Pour voir ſa mort reculent devant elle.
Jule un moment flotte , héſite, chancelle ,
Saifit la rame & veut la ſecourir.
Non , dit Aymar , le monſtre doit périr;
C'eſt à l'abîme à couvrir cet outrage.
Jule attendri veut adoucir la rage ,
Combat , avance , il s'efforce un inftant
1
88 MERCURE DE FRANCE.
Dela ſauver. Phroſine s'agitant
Levait la tête , & prononçait encore
« Où ſuis - je ? où vais - je ? ô mon cher Mélidore ,
Jule attentif au nom de ſon rival ,
Frémit , s'arrête , engloutit le fanal ,
Recule encore ,&dans la nuit profonde
Livre Phroſine aux abîmes de l'onde .
Que n'eſt- il vrai ce pouvoir enchanteur
Par qui jadis le Ciel réparateur
En déité transformait une belle !
Phrofine hélas ! tu ſerais immortelle ,
Et tu périsfans grâce & ſans retour !
Plus malheureux ô toi qui vois le jour !
Qui t'apprendra cette horrible nouvelle ?
Il tient en vain dans cette nuit cruelle
Ses yeux ouverts , ces fanaux allumés ;
Il a perdu les voeux qu'il a formés.
L'ifle d'Amour n'a pas vu la deéſſe.
Mille ſoupçons alarment ſa tendreſſe.
Il va s'en plaindre au fatal élément.
Il en approche. O frayeur d'un amant !
Ma main friſſonne à tracer cette image.
Il voit flotter un corps près du rivage.
L'effroi , l'amour précipitent ſes pas
Vers ce jouet de l'onde & du trépas .
Quel coup de foudre! 6 Ciel ! c'eſt ſon amante,
Qu'à ſes pieds roule une vague écumante.
C'eſt-elle... Il tombe , immobile , éperdu,
: JUILLET. 1772. 89
Sur cet objet dans le ſable étendu.
C'eſt elle ! ...
Il reſte attaché àce déplorable objet ,
il l'embraſſe ; il le tranſporte au ſommet
de fon rocher & ſe laiſſe tomber avec lui
dans la mer.
Obſervations fur la phyſique , fur l'histoire
naturelle &fur les arts & métiers , par
M. l'Abbé Rozier. On ſouſcrit à Paris,
pour cet ouvrage , chez l'auteur , place
de l'Eſtrapade, maiſon Didier ; chez Le
Jay , libraire , rue St Jacques , & dans
les provinces , chez les principaux libraires
des grandes villes. Le prix de
la ſouſcription eſt de 30 liv. pour Paris&
de 36 liv. pour la province, franc
de port. Il paroît tous les mois un vo-
: lume enrichi de gravures en tailledouce.
L'auteur ſe propoſe dans ce recueil rai
fonnéde faire connoître les mémoires lus
dans les différentes académies de l'Europe,
quand ils font relatifs aux objets annoncés
dans le titre , &chaque mémoire
eſt terminé par un examen critique. Ces
obſervations ſont précieuſes en leur gen
१०
MERCURE DE FRANCE.
re , le ſtyle de l'auteur eſt précis, ſa criti
que judicieuſe & favante.
Chaque volume comprend , outre les
mémoires , l'analyſe complette de deux
ou trois livres nouveaux ſeulement , dans
laquelle on voit , le plan de l'ouvrage analyſe
, ſes beautés , ſes défauts & le mérite
des découvertes annoncées par l'auteur. Si
on veut avoir idée de ces analyſes , on
peutlire , entr'autres , celle du traité de la
cristalographie , celle des élémens de minéralogie
docimaſtique , &c.
On jugera par l'énoncé ſeulement des
titres des quatre derniers volumes , de
l'utilité de ce recueil .
Phyfique.
Difcours ſur la race des brebis à laine
fine , prononcé par M. Alstroemer devant
l'académie de Stockolm , traduit du Suédois
, ouvrage rempli de vues nouvelles
& de recherches hiſtoriques & inſtructives.
Mémoire fur la meilleure manière de
faire &de gouverner les vins de Provence
, foit pour l'uſage , ſoit pour leur faire
paſſer les mers , couronné par l'académie
de Marseille. Le phyſicien, le chymifte
JUILLET. 1772 .
و
&l'oenologiſte ont réuni leurs connoiffances
pour compoſer les inftructions qui
y foutpréſentées .
Diflertation fur la cauſe de l'attraction
des corps par M. Hiotzeberg , profeffeur
de philofophie à Upfal . Elle eſt digne de
fon auteur.
Differtation ſur la couleur de l'air , par
M. Eberhard , profeſſeur royal de Pruſße ,
curieuſe par la multiplicité & la variété
des expériences qu'il propoſe.
Mélanges de phyſique & de médecine
de M. le Roi de l'académie de Montpellier.
Le nom de l'auteur annonce le mérite
de l'ouvrage. On lira avec plaifir le
précis des eaux minérales. -
Principes de phyſique par le P. Bertier
de l'Oratoire.
Lettre de M. le Comte de Lauraguais
à M. d'Alembert , relativement aux voyages
de M. Bancks , contenant des découvertes
de la dernière importance pour la
navigation , pour l'hiſtoire naturelle &
des éclairciflemens fur lifle de Taiti .
Differtation fur la viteſſe da ſon par
M. Lambert de l'académie de Berlin .
C'eſt le phyſicien obfervateur éclairé
qui difcute les anciennes opinions à ce
ſujet& qui y en ajoute de nouvelles .
1
92
MERCURE DE FRANCE.
Rapport de MM. du Hamel & du Tillet,
ſur le traité météorologique , préſenté
à l'académie royale des Sciences par le
Père Cotte de l'Oratoire. L'ouvrage eſt
actuellement ſous preſſe ; ce rapport peut
ſervir de modèle .
Nouvelles expériences ſur la putréfaction
des humeurs animales , par M. Gaber
de l'académie de Turin . Elles font
intéreſlantes , bien vues & concluantes.
Hiſtoire littéraire de l'académie de
Dijon pour l'année 1771. Il ſeroit à fouhaiter
que chaque Académie fit imprimer
ſes mémoires , ou du moins qu'elle publiât
chaque année le catalogue des ſujets
fur leſquels leurs membres ſe ſont occupés.
Ce feroit enrichir le Public en lui
découvrant les ſources nouvelles où il
pourroit puifer.
Règne minéral.
Mémoire de M. Macquer ; deſcription
du nouveaubaromètre de Ramſden. L'auteur
en propoſe quelques nouveaux affez
ingénieux fur la différente diſſolubilité
des fels neutres dans l'eſprit de vin , envoyé
par l'auteur à l'académie de Turin.
Il répond parfaitement au mérite de l'académicien
& à la réputation de l'acadé
mie à laquelle il eſt deſtiné.
JUILLET. 1772 . 93
Analyſe de l'introduction à l'étude des
corps naturels , tirés du règne minéral par
M. Bucquet ; ouvrage en trois volumes.
L'auteur l'a composé pour les étudians
qui ſuivent ſes cours ; les naturaliſtes inftruits
les liront avec plaifir .
Analyſe des élémens de minéralogie
docimaſtique par M. Sage : élémens linguliers
dans leurs principes & diſcutés
avec la plus grande ſagacité dans cette
analyſe.
Procès-verbal des expériences faites fur
pluſieurs diamans &pierres précieuſes par,
Mrs Darcet & Rouelle. L'auteur y a réuni
le détail de celles qui avoient autre fois
éré faites à Vienne & à Florence.
Analyſe de la terre végétative d'Etaples
, par M. Rigaud. M. d'Eſpaler vend
quatre fols la livre de cette terre préparée
pour l'engrais des terres. M. Rigaud
apprend à la compoſer &démontre qu'elle
eſt trop payée à 12 deniers la livre. M.
l'Abbé Rozier ajoute des réflexions ſur
la maniere dont les engrais peuvent fertilifer
les terres .
Règne végétal.
Lettre de M. Ellis fur une nouvelle efpèce
d'anis étoilé de la Floride , très dif
94
MERCURE DE FRANCE .
férente de celle de Chine dont on n'avoit
pas encore aucune deſcription exacte .
Obſervations ſur les fauſſes roſes des
faules,avec des notes capables de détruire
les erreurs enfantées par l'amour du merveilleux.
Règne animal.
Memoires ſur les charanſons & les
moyens de les détruire , couronnés par la
ſociété d'agriculture de Limoges. L'auteur
a réduit ces trois mémoires en un ſeul
&a renfermé dans un mème ouvrage les
découvertes des trois auteurs couronnés .
Deſcription de pluſieurs eſpèces d'oiſeaux
& d'inſectes dont les ornitologiſtes
n'avoient pas encore parlé. Lepetit Paon
des Roses de Cayenne , il approche du
genre des raſles ; le ſecond eſt du genre
des cailles , il a été envoyé de la Guyanne.
Les infectes font la Lepture de Cayenne ,
le Capricorne de Cayenne à antennes velues
; le Capricone de Cayenne à antennes
épineuſes , le Capricorne rouillé de
Cayenne. Ces oiſeaux & infectes ſont
très biendeſſinés & gravés .
Arts & métiers.
Deſcription des forges catalanes; elles
ſont plus expéditives&plus économiques
JUILLET.
1772 . 95
que les fourneaux ordinaires. Le même
feu fert à griller la mine , à la faire fondre&
à la forger.
Defcription d'une machine nouvelle
pour vanner , nétoyer & rafraîchir les
grains. Elle est très-commode& peudifpendieuſe.
L'art du Maçon piſeur , ou manière de
conſtruire des maiſons en terre . Les Romains
apportèrent cet art dans les Gaules,
& il s'y eſt perpétué. La majeure partie
des maiſons du Lyonnois & du Dauphiné
font enpifé. Elles font plus économiques
&durent beaucoup plus que les maiſons
bâties avec du plâtre .
Préparation des chataignes pour les dépouiller
de leur peau intérieure ſuivant la
méthode établie en Limofin .
Procédé pour tirer la foie blanche à
l'imitation de celle de Nanquin.
Conſtruction des poêles à la manière
des Rufles & des Suédois.
Hiſtoire des Ecoles gratuites de peinture
, ſculpture , architecture & géométrie-
pratique, établies dans pluſieurs villes
du royaume. Ce morceau eſt curieux
& prouve bien que les établiſſemens les
plus utiles font ceux dont les commencemens
font les plus languiſſans & ceux qui
éprouvent les plus grands obſtacles.
1-
96 MERCURE DE FRANCE.
Chaque volume renferme des nouvelles
littéraires , ou quelques faits ſinguliers
relatifs à l'hiſtoire naturelle , & un petit
catalogue des livres nouveaux en ce genre
, publiés chez l'étranger.
L'accueil que cet ouvrage reçoit du
Public & fur-tout de l'étranger , doit encourager
l'auteur à ſuivre cette carrière
pénible à la vérité , mais fatisfaiſante &
glorieuſe pour lui. Il doit être aſſuré, s'il la
continue , de voir ſon recueil tenir une
place diftinguée dans la bibliothèque du
phyſicien , du chymiſte , du méchanicien;
en un mot , dans celle de tout amateur de
l'hiſtoire naturelle . Il auroit été à ſouhaiter
pour le progrès de la ſcience que cette
collection eût été commencée il y a vingt
ans elle ſeroit aujourd'hui bien précieuſe.
Leçons de Muſique vocale propres à l'éducation
de la Jeuneſſe , par l'auteur du
Manuelde Morale. AParis, chez Edme,
libraire , rue St Jean- de-Beauvais. Le
Menu , marchand de muſique , rue du
Roule , & aux adreſſes ordinaires de
muſique .
Il y a long-tems qu'on deſiroit un recueil
de muſique dont les paroles toujours
1
fages
JUILLET. 1772 . 97
ſages & honnêtes ne changeaflent point
en un plaiſir dangereux le plaiſir innocent.
de la mélodie. Les leçons de muſique
vocale que nous anononçons rempliflent
parfaitement cette vue. Ce ne ſont point
des cantiques : ce ſont tantôt des peintures
agréables de différens objets de la nature
, tantôt d'utiles moralités ornées des
graces de la poësie & de la muſique. Le
chant en eſt naturel , aifé & de goût. La
plupart des morceaux font tirés de divertiflemens
exécutés à Paris avec ſuccès dans
des concerts particuliers. On peut mettre
ce recueil entre les mains des jeunes perſonnes
qui apprennent la muſique vocale :
il eſt utile en particulier pour les communautés
où l'on élève des penſionnaires .
Nous en allons citer quelques morceaux
pour donner une idée de l'ouvrage quant
aux paroles.
Portrait d'un Petit Maître , tracé par
Diogène.
Etre brillant ,
Sémillant ,
Pétillant ,
Sautillant ;
S'occuper éternellement
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
De la figure ,
De ſa parure ,
De la voiture ;
Se mettre ſérieuſement
A la torture ,
Pour ſe donner contre nature
Certainjargon ,
Certaine façon ,
Certain ton d'enfantillage ,
De papillonage ,
De perfiflage ,
Qu'on appelle le bon ton ;
Faire l'amateur ,
Le connoiſleur ,
Le protecteur :
N'avoir qu'un caquet
De perroquet ;
Et cependant
D'un ton pédant ,
D'un air fuffisant ,
Décider ſouverainement ;
Tout mépriſer ;
Sur tout gloſer ,
Badiner ,
Ricaner ,
Frédonner ,
Turlupiner ,
Déraiſonner ,
Poliffonner ;
JUILLET. 1772.
و و
Ne ſonger dans la vie
Qu'à végéter ;
Mettre toute ſon induſtrie
Aſe flatter ,
Sedorlotter ,
Se délicater ;
Voila des gens de votre eſpèce
En quoi conſiſte la ſageſle.
Des mortels le plus généreux ,
Des mortels eſt le plus heureux :
Sans le ſecours de la reconnoiſſance ,
Ses bienfaits ont toujours le ſuccès qu'il prétend:
Il trouve dans ſon coeur toute fa recompenfe ,
Et jouit le premier du bonheur qu'il répand.
ROMANCE,
Ce Narcifle que tu vois
Fut un berger autre fois.
Epris d'un amour extrême
Dont l'objet étoit lui-même ,
Il languiſſoit ,
Il périfſoit :
Les dieux touchés de ſa douleur
Le changèrent en cette fleur.
Jeune Fatime,
Crains à ton tour
D'être la victime
D'ua folamour.
E ij
TOO MERCURE DE FRANCE.
Sans ceſſe tu te mires ,
Sans ceſſe tu t'admires :
Le ſort fatal de ce jeune berger
Doit t'inſtruire & te corriger.
L'Art de faire & d'employer le vernis , ou
l'Art du Verniſſeur , auquel on a joint
ceux du Peintte& du Doreur ? par le Sr
Watin , peintre , doreur , verniſſeur ,
&marchand de couleurs & de vernis .
Artem experientia fecit.
vol . in 8 ° . Prix , 3 liv. 12 f. broché.A
Paris , chez Quillau , imprimeur- libraire
, rue du Fouare,& l'auteur , carré
de la porte St Martin , au magaſin des
couleurs & vernis .
Ce Traité eſt diviſé en deux parties.
L'auteur nous fait connoître dans la première
ce que c'eſt que le vernis en général.
Il nous entretient de ſes qualités&
de ſes propriétés ; il nous indique les matières
& les liqueurs qui le compoſent ,
le choix qu'il en faut faire , la façon de
les préparer &de les mêlanger. Ces inftructions
ſont ſuivies de pluſieurs réflexions
fur les moyens de perfectionner
les vernis. La ſeconde partie nous enſeiJUILLE
Τ. 1772. ΙΟΙ
-
gne l'art d'employer les vernis , de les polir
&de les luftrer ſur des objets nus tels
que bois de chêne , papiers , inſtrumens,
éventails , bois de toilette , étuis , découpures
, boucles de deuil , fers , balcons ,
&c. Comme on applique auſſi le vernis
ſur des peintures &des dorures , & que
l'art du peintre & doreur eſt lié avec celui
du verniſſeur , l'auteur nous donne les
procédés des peintres d'impreſſions &des
doreurs. On peut ſuivre avec d'autant
plusde confiance les inſtructions contenues
dans ce nouveau traité ſur les vernis
qu'elles ont été dictées par un homme du
métier qui n'avance rien qu'il n'ait éprouvé
lui - même. L'auteur , dans ce même
traité releve les erreurs de ceux qui ont
écrit avant lui ſur les vernis. Trente ans
d'expérience ſemblent lui avoir acquis le
droit d'en uſer ainſi & pour la perfection
de l'art & même pour l'avantage des artiſtes
& des amateurs qu'il eſt bon de
mettre en garde contre cette multitude de
recettes recueillies par des compilateurs
ignorans. Ces recettes qu'on nous donne
quelque fois ſous le titre defecrets parce
qu'on les a puiſés dans des ouvrages ou
bliés , ne fervent le plus ſouvent qu'à expoſer
ceux quis'en ſervent à des épreuves
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
inutiles , diſpendieuſes & capables de rallentir
les talens & l'émulation ,
De l'Art de la Comédie , ou détail raifonné
des diverſes parties de la Comédie
& de ſes différens genres ; fuivi
d'un traité de l'imitation où l'on compare
à leurs originaux les imitations de
Molière & celles des Modernes . Le tout
appuyé d'exemples tirés des meilleurs
comiques de toutes les Nations; terminé
par l'expoſition des cauſes de la
décadence du théâtre ,& des moyens de
le faire refleurir ; par M. de Cailhava ;
4 vol . in sº . A Paris , chez Didot aîné,
libraire & imprimeur , rue Pavée près
du quai des Auguſtins , à la Bible
d'or.
De toutes les parties de la littérature
la plus intéreſſante & la plus philofophique
, eſt celle qui concerne l'art de la comédie,
parce que c'eſt celle qui exige une
connoiſſance plus particulière de l'homme.
Les jeunes gens qui ſe ſont ſenti
quelque talent pour cet art ont cherché à
étudier ſes règles dans les ouvrages des
plus célèbres auteurs dramatiques. Cette
étude eſt ſans doute utile & même néceffaire
, mais fuffit elle toujours ? N'eſt-il
JUILLET. 1772. 103
pas à craindre qu'elle ne donne qu'un goût
de comparaiſon & ne fafle que des copiftes
, ou que les jeunes gens ne prennent les
fautes des dramatiques qu'ils liſent, pour
des autorités qui excuſent leur foibleſſe ?
Il eſt doncnéceſſaire que ceux qui veulent
obtenir quelque ſuccès dans cette carrière
difficile remontent à la fource , à la nature
même , & qu'ils comparent les règles
obſervées par les plus célèbres dramatiques
avec celles preſcrites par la raiſon
&le bon goût. Cette comparaiſon leur
fera facile, s'ils joignent leurs reflexions à
celles que les maîtres de l'art ont faites &
que M. de Cailhavas'eſt appliqué à raſſemblerdans
ce traité partagé en trois livres.
Il eſt queſtion dans le premier, du choix
d'un ſujet. L'auteur raiſonne fur ce qui
conftitue les bons & mauvais ſujets , &
diſcute les diverſes parties du drame comique
juſqu'au dénouement incluſivement.
LesAnciens ont confondu le noeud avec
ce que nous appellons action ; ces deux
objets font ici bien diftingués. L'action
eſt ce qui ſe paſſe depuis l'expoſitionjufqu'au
dénouement ; mais le noeud eſt ce
qui lie les refforts de cette action. Le
noeud eſt lui même plus ou moins ferré
E iv
104 MERCURE DE FRANCE,
par les incidens qui rallentiſſent ou préci
pitent l'action , en rapprochant ou en
éloignant la catastrophe qui doit tout dénouer.
Il faut que l'action parle à l'ame
plus par le ſecours des ſituations & des
yeux que par celui des oreilles . Malheur à
l'action qui n'eſt point frappante par ellemême
& qui a beſoin d'être foutenue par
un diſcours Aeuri . Un homme curieux de
voir l'effet que produiroient fur un payfan
nos ſpectacles , y conduifit un de ſes
fermiers , un jour qu'on repréſentoit une
tragédie de Racine. Après la repréſentation
on demanda au payfan s'il s'étoit
bien amuſé : A merveille , dit il , j'ai vu
de beaux Meſſieurs , de belles Dames ,
tous bien parés , bien enjolivés. On lui demanda
enfuite s'il avoit trouvé beau ce
qui s'étoit paffé fur le théâtre : alors il
s'écria qu'ils s'étoit bien gardé de regarder
trop ſouvent de ce côté-là : Il y avoit
là , dit il , des gens qui s'entretenoient de
leur affaires , & je ſçais qu'il n'eſt pas
honnête de prêter l'oreille aux difcours
de perſonnes qui ſe parlent. Les partiſans
outrés de Racine ont rapporté cette anecdote
pour prouver la vérité de ſa diction;
mais , comme l'obſerve M. de Cailhava ,
le payſan auroit été moins poli , il auroit
JUILLET. 1772. 1ος
malgré lui fait attention au diſcours des
acteurs , s'ils euſſent été animés par une
action chaude , ſi leur ſituation ne leur
eût pas donné le ton d'une converſation
ordinaire .
Dans les diſcuſſions qu'entraînent nécellairement
l'expofition , l'action , le
noeud , les incidens , le dialogue , les ſcènes
, les monologues , les actes , les entreactes
, la gradation d'intérêt , les reconnoiſſances
, les Aparté , les ſurpriſes , le
dénouement & les autres parties qui conftituent
le drame comique ; l'auteur a -
toujours foin d'appuyer ſes raiſonnemens
ſur des exemples pris chez les meilleurs
auteurs. Ces exemples choiſis avec goût
diſtraient le lecteur de la monotonie du
ſtyle didactique , fixent ſes idées & lui
rendent la leçon plus frappante . Comme
ces exemples d'ailleurs font empruntés
des auteurs comiques anciens & modernes
, François & Etrangers ; l'ouvrage de
M. de Cailhava peut encore ſervir à nous
donner une idée des théâtres de toutes les
Nations , de tous les âges , & par conféquentune
eſquiſſe de leurs moeurs.
L'auteur nous entretient dans la fecondepartie
de fon traité, des différens genres
de la comédie. Juſqu'ici on n'en a
Ev
106 MFRCURE DE FRANCE.
guères diftingué que trois : le genre d'intrigue
, le genre à caractère & celui qui
tientde l'un & de l'autre , connu ſous le
nom de genre mixte. Ces genres font ici
divifés en pluſieurs autres ; & cette fubdiviſion
eſt très - bonne pour étendre les
idées du lecteur , lui dévoiler les fineſſes
de l'art & lui apprendre les détours d'un
labyrinthe compliqué où les grands maî
tres ſe font quelquefois égarés . Les exem
ples font dans ce ſecond livre ainſi que
dans le premier tirés des théâtres de tous
les âges &de toutes les Nations. Il ya un
chapitre particulier où l'auteur parle du
double but que-doit ſe propoſer un auteur
comique , faire rire & corriger les hommes.
Ridendo caftigat mores : elle corige
les moeurs en riant; c'eſt la véritable deviſe
de la comédie. Les triſtes ſoupirans
de Thalie ont beau s'écrier que le rire eſt
devenu bourgeois , la Muſe reconnoît
leur impuiſſance à travers le faux fuyant;
leur férieux de qualité ne lui en impofe
point; elle rejette leur hommage ennuyeux.
Le Comte de Tonnerre, fi connu
par fon bon goût& par fon intrigue avec
laChammelé,aſliſtoit à la repréſentation
d'une pièce qui portoitle titre de comédie
& rioit d'un trait qui n'étoit rien
JUILLET. 1772. 107
moins que plaiſant : " De quoi ris-tu
>> donc , lui demanda avec ſurpriſe un de
>> ſes amis ? Je fais bien ce que je fais, lai
> répondit le Comte ; je veux abſolument
rire à la comédie , & je prévois que ſi
>> je ne ſaiſis pas cette occafion , je n'en
>> trouverai plus. » Le Comte de Tonner.
re malgré toute fa bonne intention ,
n'auroit-il pas été attrapé plus d'une fois
s'il eût aſſiſté à la plupart de nos comédies
modernes ?
,
La troiſième & derniére partie de ce
traité eſt conſacrée à l'art de l'Imitation.
L'auteur enſeigne comment on peut imiter
fans être plagiaire ; il développe toutes
les imitations de Moliere&nous fait
voir que ce père de la comédie n'eſt jamais
plus grand que lorſqu'il eſt imitateur.
Mais afin de nous convaincre de
plus en plus de la difficulté qu'il y a à
s'approprier les idées des autres,& à les revêtir
de couleurs convenables à ſon ſujet,
il compare Moliere imitateur à Moliere
imité & décompoſe les imitations de ſes
fucceffeurs en rapprochant toujours les
copies des originaux. Par ce moyen le
lecteur jugera lui-même de la différence
prodigieufe, qui peut se trouver entre
deux imitateurs. Il pourra encore ſe con-
Evj
ios MERCURE DE FRANCE.
リ
vaincre par- là que les ſucceſſeurs les plus
célèbres de Moliere font ceux qui ont
imité davantage leurs prédéceſſeurs. Le
caractère du Bourru bienfaisant, comédie
de M. Goldoni , eſt ici comparé à celui
de Freeport , perſonnage de l'Ecoſſoiſe ,
comédie de M. de Voltaire. Le caractère
de l'original mis en ſcène par M. Goldoni
eſt ſans doute ſuſceptible d'être renforcé
par de nouveaux traits ; & M. de
Cailhava en rapporte pluſieurs qui ſe
font pallés fous ſes yeux précisément pendant
les premières repréſentations de cette
comédie . Une Dame venoit d'acheter
deux ou trois pièces d'étoffes ; ſa niéce
entre , fait l'éloge des étoffes , trouve furtout
l'une des pièces charmantes. La tante
s'apperçoit bien que ſa niéce en a fantaifie
; elle a elle-même la plus grande envie
de lui en faire préſent; elle enrage
qu'on ne la lui demande point ; tout àcoup
elle s'écrie : " Voilà qui eſt bien
» déſagréable ! je veux faire préſent d'une
>> robe à Mademoiselle , la pièce que
>>j'aime eft précisément celle qui lui plaît
>> le plus : ne faudra-t'il pas que je m'en
>> prive ? Eh bien ! tenez , la voilà ; je
>> crois en effet qu'elle vous ſiera . Voilà
>>comme ſont toutes les nieces ; elles
JUILLET. 1772. 109
>> font enchantées quand elles dépouillent
>>une tante. » La Demoiselle qui connoiffoit
l'humeur de ſa parente , la remercia
en riant.
Damis va ſe promener à ſa maiſon de
campagne ; fon nouveau jardinier s'empreſſe
à faire travailler toute ſa famille
devant lui : Damis apperçoit un pauvre
diable tout contrefait , boſſu devant &
derrière , ſe traînant à peine ſur deux
jambes torſes : « Qu'eſt - ce que c'eſt que
>> cela , s'écrie auſſi- tôt notre homme fort
>> en colère ? Cela peut-il travailler? Com-
>>>ment , morbleu , eſt ce ainſi que l'on
>> me trompe ? On me dit qu'on a deux
>> enfans , & l'on compte celui- là qui ne
>> vaut pas le quart d'un ! voilà un plai-
>> fant jardinier ! je ne veux plus le voir ;
>> il n'eſt bon qu'à ſervir d'épouvantail :
» pourquoi ne pas lui donner un autre
>> métier ? Eh ! Monfieur , répond le père
>> la larme à l'oeil , il ne peut faire que
celui- là , ou celui de cordonnier ; mais
>>il en coûte tant pour faire l'apprentiſ-
>> ſage & pour paſſer maître ! -Eh bien !
» que fait cela , continue Damis ? voilà
>>bien de quoi pleurer. Allons , cherchez
>>lui une place , & je paierai ; je ne veux
>> pas d'un jardinier tourné comme un Z. >>
Ladernière fois , rapporte encore l'au110
MERCURE DE FRANCE.
teur , qu'on donna le Feftin dePierre aux
Italiens , Mde Baccelli , actrice , qui a
l'art de varier continuellement toutes les
ſcènes jouées à l'impromptu , & fur - tout
de leur donner un caractère , en fit une
qui n'auroit pas déparé le dénouement da
Bourrubienfaisant. Mde Baccelli eſt dans
cette pièce une riche fermière : fa fille &
le valetde la ferme s'aiment ſecrétement;
mais l'humeur de la mère les effarouche;
ils n'ofent pas lui déclarer leur tendreſſe.
Elle les ſurprend dans le tems qu'ils ſe
peignent tous les chagrins d'un amour
traverſé ; elle jette feu & flamme contre
eux ; elle eſt furieuſe , elle les accablede
reproches ; ils ſe croient perdus . Voyez ,
>> ajoute - telle , cette grande imbécille
» qui depuis quelque tems maigrit à vue
» d'oeil ! Voyez ce bénet ! je ne m'étonne
>>plus ſi depuis fix mois il a perdu fa belle
>> humeur; il ne chante plus. Je n'avois
>>qu'à ne pas les ſurprendre , ils auroient
>> dépéri de jour en jour , & j'en aurois
> été la cauſe ſans le ſavoir. Approche ,
>> grande fotte : je ſuis donc une mère
> bien cruelle ! viens ici , benet. Sur quoi
» as tu pu t'imaginer que je n'avois pas
>> un coeur compâtiſſant ? Allons vite , la
* main Pun & l'autre. Dépêchez - vous
>>donc. Voulez- yous mel facher ? là , je
JUILLET. 111 1772 .
>> vous marie, foyez heureux & ayez meil.
• leure opinion de mon coeur une autre
» fois , bêtes que vous êtes .
L'auteur , en rapportant ces différens
traits , donne une exellente leçon aux
élèves de l'art dramatique ; il leur fait
ſentir combien il eſt utile pour un auteur
comique d'être à l'affût des traits qui
échappent aux divers caractères répandus
dans la ſociété , de les recueillir avec un
foin extrême , de les mettre chacun dans
leur caſe pour les en retirer au beſoin . Il les
exhorte enfin à imiter ces peintres qui
font des études de toutes les figures pittoreſques
qu'ils rencontrent pour les placer
enfuite dans leurs tableaux . Heureux l'ob .
ſervateur philofophe qui est amené par
les circonstances dans les lieux & dans
les inſtans les plus favorables pour prendre
la nature fur le fait,& faire une ample
moiſſon . Le fort contribue quelque fois
autant au grand mérite d'une pièce que le
génie de l'auteur. La comédie des Femmes
Sçavantes feroit moins parfaite , fi le hafard
n'avoit pas conduit Boileau à l'hôtel
de Luxembourg , lorſque Cotin & Menage
y firent la ſcène de Triflotin & de
Vadius ; & la pièce de M. Goldoni ſeroit
peut être encore meilleure , fi avant
de la mettre au grand jour il eût ob
112 MERCURE DE FRANCE.
ſervé lui même les traits de caractère
rapportés plus haut.
Ledernier chapitre de ce bon ouvrage
eſt uniquement deſtiné à nous faire voir
la décadence du théâtre , & les moyens
de le faire refleurir. Thalie & Melpomène
languiffent : pourquoi ? parce que
mille abus ſe ſont gliffés à la comédie ,
répondra - t'on ; parce que les ouvrages
dans le mauvais genre y ſont ſeuls en crédit;
parce que la cabale , la protection y
tiennent lieu de mérite . Tout cela précipite
en effet la décadence & la chûte du
théâtre ; mais rien de tout cela n'en eſt la
cauſe primitive : la voici . C'eſt le privilége
accordé à une ſeule troupe ſur les
choſes les plus libres , les plus franches ,
les plus répectées chez toutes les Nations,
c'eſt-à dire le plaiſir du Public , les talens
& le génie. Une troupe munie d'un privilége
excluſif peut malheureuſement dire
àla France entière : " Nous ne voulons
> vous donner dans le courant de cette
>> année , qu'une ou deux nouveautés , en-
>> core ferez- vous forcés de les prendre
>> dans le genre qu'il nous plaira d'adop-
>>ter. Si vous voulez rire , nous préten-
> dons que vous pleuriez ; defirez - vous
> pleurer? nous vous forcerons à rire.N'est-
> il pas en notre pouvoir de jouer ce que
JUILLET. 1772. 113
>> nous voulons , de recevoir les mauvai-
>> ſes pièces , de condamner à l'oubli les
>> bonnes , de favorifer les auteurs médio-
> cres , de dégoûter ceux qui pourroient
>>foutenir la ſcène ? » Une troupe qui
jouit d'un privilége excluſif , peut enchaîner
le génie , lui arracher ſes aîles&
lui dire : « Il n'eſt plus queſtion de pren-
>> dre l'effor , & de t'éléver à ton gré dans
>>>les nues : il faut te modéler à notre tail-
>> le , à nos geſtes. Sois notre eſclave. Si
>> tu gliſſes dans le ſanctuaire des arts ,
>> que ce ſoit ſous nos auſpices ; où , loin
>> de nous , loin du théâtre , ton audace
>> infructueuſe. » Un privilége excluſif
n'eſt pas moins préjudiciable à l'art du
comédien qu'à celui du poëte . Suppofons
une troupe dont tous les acteurs foient
autant de Rofcius. Chacun d'eux eſt parfait
dans ſon genre. Il ne le ſera pas longtems.
Pourquoi cela ? parce que n'ayant
pas de concurrent , il ſe refroidira bientót
; fon ambition fera d'avoir un double,
afin de ſe faire deſirer , & de l'avoir mau.
vais pour mieux reſſortir. Il trouvera le
ſecret d'écraſer tout débutant qui pourroit
l'alarmer , & de foutenir tout Pigmée qui
ſervira à le faire paroître plusgrand. Qu'arrive-
t'il ? le Pigmée reſte, accoutume peu114
MERCURE DE FRANCE.
à-peu le Public à ſes défauts,agence quelques
roles à ſa taille , à ſa voix , à ſa poitrine
, à ſon tempérament , à ſes petites
manières , devient acteur en chef , rend
à ceux qui veulent le doubler ce qu'on a
fait à fon début : ſes ſucceſſeurs l'imitent;
leurs doubles eſſuient les mêmes traitemens
, & les rendent, De cette façon une
troupe excellente ne peut que devenir
manvaiſe; & le Public qui perd de vue
tout objet de comparaiſon eſt complice
ſans s'en appercevoir. Le moyen le plus
facile , le plus prompt & même le ſeul
propre à rétablir la gloire du théâtre feroit
donc de permettre à une ſeconde troupe
Françoiſe de s'etablir dans la capitale. Si
l'on pouvoit douter de l'efficacité de ce
moyen, il fuffiroit de parcourir l'hiſtoire
que l'on nous donne ici de toutes les piè .
ces depuis l'inſtant où elles font offertes
aux comédiens juſqu'après leur repréſentation
. Ce détail qu'il faut voir dans l'ouvrage
même eſt la meilleure réponſe que
l'on puiſſe faire à ceux qui ne ſentiroient
point tout le tort qu'une troupe privilégiée
fait aux progrès de la comédie & de
la tragédie. Pluſieurs partiſans des priviléges
exclufifs pourront s'écrier qu'il faut
protéger le théâtre de laNation , lui con
JUILLET. 1772. 11I5
ſerver ſes droits , le faire jouir d'une magnificence
, d'une ſupériorité,d'une pompe
impoſante. Mais qu'entendent- ils par
Je théâtre de la Nation , patlent - ils de
vingt comédiens qui , malgréleurs grands
talens , ſe ſuccédent&fe font oublier mutuellement
? ou bien le Tartufe , Cinna ,
Phédre, le Joueur, Rhadamiste , le Glorieux,
Mahomet, la Métromanie , &c . Tous ces
ouvrages immortels , tous ces monumens
éternels du génie françois , quoique joués
pardifférentes troupes , ne compoſent-ils
pas bien plus éſſentiellement le vrai théâtre
de la Nation , même torſqu'ils font
repréſentés dans les pays les plus lointains?
mais , ajoutera t'on , ſi vous admettez
deux troupes , celle que nous avons gagnera
moins . C'eſt encore une erreur. A
Paris une ſeconde Troupe Françoiſe ne
fauroit faire aucun tort aux comédiens.
Au contraire , tirez -les de leur léthargie ,
piquez leur émulation , vous verrez leur
réputation & leur fortune s'accroître. Le
Peuple François prodigue l'or & les applaudiſfemens
à qui fait lui procurer des
plaiſirs variés ; témoin l'empreſſement
avec lequel , las de voir toujours les mêmes
pièces & les mêmes acteurs fur nos
grands théâtres , il court entendre criailler
à l'Ambigu- comique , & voir des fauts
1.16 MERCURE DE FRANCE.
périlleux chez Nicolet. Sachez l'amuſer ,
il vous donnera la préférence , & le goût
triomphera fans peine de la futilité la
plus deshonorante pour la Nation .
Enfin s'il eſt vrai qu'un empire ſoit
plus ou moins illuſtre à meſure qu'il produit
moins d'hommes de génie , d'hommes
immortels , pourquoi ne pas admettre
le ſeul moyen qui peut nous rapprocher
de ces tems fameux où les Corneille,
les Moliere , les Racine, s'immortalifoient
chacun fur un théâtre différent ? Quelle
perte pour la gloire du Théâtre François,
ſi ce ſiécle n'eût eu qu'une ſeule troupe!
l'un de ces génies que nous venons de
nommer l'auroit occupée ; les autres ſe
feroient découragés ,& la France eût perdu
ces chef d'oeuvres qui lui feront à jamais
le plus grand honneur. Qui nous
aſſurera même que les Scuderi , les Montfleuri
, les Scarron , les Demarets , les
Bourfault , & peut- être les Pradon , déja
poſſeſſeurs d'un théâtre unique , n'en auroient
pas interdit l'entrée aux trois
grands hommes qui les ont ſi bien écrafés?
Toutes ces réflexions ſont celles d'un
amateur zélé pour la gloire du Théâtre
François . Elles terminent heureuſement
un traité qui contient les recherches les
JUILLET. 1772. 117
plus utiles aux progrès de l'art dramatique
, traité que l'on peut conſidérer en
quelque forte comme un cours de comédie
où l'auteur , quí a lui- même battu avec
ſuccès la route qu'il trace , aide de ſes
conſeils , de ſon expérience & des exeinples
des grands maîtres les premiers efforts
de ceux qui veulent manier le pinceau
du poëte comique & broyer ſes couleurs.
Effai fur Pindare , contenant une Traduction
de quelques Odes de ce Poëte
avec une analyſe raiſonnée & des
notes hiſtoriques , poëtiques & grammaticales
, le tout précédé d'un Difcours
ſur Pindare, ſur la vraie maniere
de le traduire ; par M. Vauvilliers ,
Lecteur & Profeſſeur Royal pour la
Langue Grecque , &c. A Paris chez
Paul-Denis Brocas , Libraire , rue St
Jacques. *
Il ſemble que le nom & les titres de
l'auteur doivent ſervir de recommandation
à cet Ouvrage. Qui peut mieux entendre
& doit mieux traduire Pindare ,
qu'un homme occupé par état de l'étude
*Article de M. de la Harpe.
MERCURE DE FRANCE.
de la Langue Grecque ? Cependant pref.
que tous les Hellénistes , tous les ama.
teurs de l'antiquité font beaucoup de reproches
à M. Vauvilliers. Ils prétendent
qu'il a fi fort altéré le texte en le para.
phrafant , que Pindare n'y eſt plus recon.
noiffable; que le traducteur en voulant
trop s'écarter de ceux qui l'ont précédé ,
s'eſt ſouvent écarté du ſens , que le plan
purement conjectural qu'il veut à toute
force donner fur chaque Ode , & par
lequel il prétend en expliquer toutes les
parties , eſt au moins très incertain &
quelquefois abſolument chimérique.
Nous ne pouvons pas entrer dans un
détail affez grand pour discuter ces différens
reproches , parce qu'en matière d'érudition
toute diſcuſſion eſt néceſſairement
un peu longue , & faite pour un
trop petit nombre de lecteurs. Mais nous
ne diffimulerons pas que l'avis des Sçavans
dont nous venons de parler , ne nous
paraît pas fans fondement , & que probablement
M. Vauvilliers aurait beaucoup
à craindre d'un examen détaillé ;
&quequoique fon ouvrage ſuppoſe beaucoup
de connoiſſances & de mérite , cependant
la prétention d'expliquer tour ,
de contredire les explications reçues , &
de décider où il fallait douter, l'a cerJUILLET.
1772. 119
tainement égaré , comme elle égarera
tous les traducteurs qui ſuivront le même
principe. Bornons nous à prendre pour
exemple le commencement de la première
Pithique .
« Viens ſeconder mes tranſports , ô
>> toi qui fais les plaiſirs d'Apollon & les
» délices des Muſes , Lyre d'or , tu com-
» mandes ; la volupté s'empreſſe de naî-
>> tre au milieu des danſes que tu conduis.
Tu fais entendre le ſon de tes cordes
> ébranlées ; les chantres divins obéiſſent
>> au ſignal que tu donnes ; fille de tes
>> préludes charmans , la mélodie vient ,
>> pour nous enchanter, s'aſſeoir au milieu
>> d'un choeur nombreux gouverné par tes
accords. Ces traits éternels dont la
>> foudre arme les fureurs du maître des
» Dieux , reconnoiffent l'empire de tes
>> fons victorieux. Au milieu de leurs
>> feux éteints , le ſuperbe Roi des airs ,
» l'Aigle de Jupiter s'endort ſur ſon
>>> fceptre. Envain les aîles rapides du
>> prince des oiſeaux s'abaiſſent à tes côtés
» pour le défendre de tes attaques , les
>> nuages que tu appelles ſont venus à tes
>> fons s'aflembler ſur ſes yeux obſcurcis .
» Sa tête appeſantie fuccombe aux pavots
» qui la courbent . Un voile délicieux s'eſt
>> étendu ſur ſes paupieres. Le ſommeil a
:
1
120 MERCURE DE FRANCE.
!
> pénétré tous ſes ſens ; & dans cette lan-
>> gueur profonde où tu te plonges , fon
» dos énervé par la volupté s'abaille en-
>> core ou s'élève , au gré de la mesure que
» tu lui preſcris.
Certainement cette traduction eſt trop
longue de la moitié . La paraphraſe n'eſt
néceſſaire que lorſqu'une verſion exacte
ne rendrait pas toutes les beautés de l'original.
Mais ici tout ce que le traducteur
ajoute affaiblit Pindare au lieu de l'embellir
, parce que la prolixité nuit toujours
à la force. C'eſt d'ailleurs un mauvais
ſyſtême que de traduire, en ſtyle nombreux
& périodique , la diction ferrée ,
énergique & audacieuſe du Lyrique Grec,
c'eſt lui ôter ſon principal caractère . Il ne
faut pas traduire une Ode de Pindare
comme on traduirait un chant de l'Iliade.
C'eſt le goût qui enſeigne à diſtinguer
ces nuances. Pourquoi commencer par
ces mots vagues qui ne font point dans
le Grec , viens feconder mes transports ?
Le poëte nomine d'abord l'objet auquel
il s'adreſſe ; χρυσεα φόρμιγξ Αππόλλωνος , &c.
Lyre d'or , tréſor d'Apollon & des Mufes
. Cela eſt bien plus rapide que toi qui
fais les plaisirs d'Apollon & les délices des
Muses. Que ſignifie cette vaine diſtinction
entre les plaisirs & les délices ? Et
combien
JUILLET. 1772. 121
combien une traduction littérale était
préférable à cette faible paraphraſe ! Tu
commandes , la volupté s'empreſſe de naître
, &c. Pindare ne parle point de volupté
qui s'empreffe de naître. Il y a dans
le Grec : τᾶς ἀχούει μὲν βάσις , ἀγλαΐας ἀρχὰ.
Mot à mot , l'harmonie , commencement
de la pompe ou de l'appareil , t'écoute. Ce
qu'on pouvait traduire ainſi : tu préſides
à l'harmonie , ſouveraine de nos Fêtes.
M. Vauvilliers prétend qu'ἀγλαΐα ſignifie
volupté , & qu'il l'a prouvé dans ſa lettre
fur Horace. L'auteur de cet article n'a
pointlû la lettre ſurHorace,& c'eſt aux ſça,
vans à décider ſi ἀγλαΐα fignifie la même
choſe qu'ndary Maisquand cela ſerait vrai,
la volupté qui s'empreſſe de nature , ferait
encore une très-mauvaiſe phraſe; parce
que dans cette tournure la volupté eſt
évidemment perſonnifiée avant qu'elle
foit née. On peut bien dire que les fleurs
s'empreſſent d'éclore , parce que leur germe
exiſte avant leur développement.
Mais donner un ſentiment à la volupté,
avant qu'elle exiſte , c'eſt abuſer des figures.
Ces traits éternels dont lafoudre arme
les fureurs du maître des Dieux reconnaisſent
l'empire de tes font victorieux. Dans
le texte , αἰχματὰν κεραυνὸν σβεννύεις ἀενάου πυρός.
II. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE .
Ce ne ferait rien d'avoir rendu une ligne
de Grec par trois lignes Françaiſes , fi les
trois lignes embelliſſaient l'original , mais
l'original dit littéralement : Tu éteins les
feux éternels de la foudre. Quel Lecteur
ne préférera pas cette verſion préciſe &
littérale à la longue phrafe du Traducteur
? Une faute bien plus grave , c'eſt
d'avoir donné desfureurs au maître des
Dieux , à celui qui ébranle l'Olimpe d'un
mouvement de ſes ſourcils , à celui ,
comme a dit M. de Voltaire :
Qui frappant les Titans & tonnant ſur leurs
têtes ,
D'un front majestueux dirigeait les tempêtes.
Voilà comme les grands Poëtes ont parlé
de Jupiter , & c'eſt une étrange mépriſe
dans un homme familiariſé avec les Anciens
, d'avoir fait commettre à Pindare
une faute dont il eſt ſi éloigné. Voilà où
conduit la manie de paraphrafer & d'accumuler
des mots .
Voici une faute bien plus grande encore.
En vain les aîles rapides du Prince
des oiſeaux s'abaiſſent àses côtés pour le
défendre de tes attaques. Sans prétendre
être auſſi ſavant dans le Grec que M.
JUILLET. 1772. 123
Vauvilliers qui l'a étudié toute la vie , on
peut aſſurer en connoiſſance de cauſe ,
que c'eſt là un contre-ſens très-évident ,
provenant toujours , non pas de l'ignorance
du Traducteur , ( car le texte eft
de la plus grande clarté & il n'y a nulle
difficulté dans les termes ,) mais du deſſein
marqué d'ajouter au fens de l'original
, & de ſubſtituer à l'eſprit de Pindare
l'eſprit du Traducteur. Il eſt toujours
queſtionde peindre le pouvoir de la Lyre.
Il y a dans le Grec. Εΰδει Λ' ἀνὰ σκάπλῳ Διὸς
αἰετὸς , ὠκεῖαν πτέρυγ᾽ ἀμφοτέρωθεν χαλάξαις.
littéralement. L'aigle de Jupiter s'endort
Jurfonfceptre , fes alles rapides abaiffées
des deux côtés . Cette image eſt belle &
vraie. Ce mouvement des aîles qui s'abaiffent
eſt un effet naturel qu'on peur
obſerver dans tous les oiſeaux au moment
où ils s'endorment. Comment est-il
venu dans la tête de M. Vauvilliers d'attribuer
ce mouvement au defir de repousfer
les attaques de la Lyre ? Quel rapport
de ce mouvement à l'impreſſion de l'harmonie
? Comment l'aigle eſt-il mieux
défendu contre les fons , en abaillant ſes
aîles , qu'en ne les abaiſſant pas ? Enfin
pourquoi préférer un ſens ſi détourné & fi
biſare à celui qui ſe préſente naturelle
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
ment & qui n'eſt ſuſceptible d'aucunes
difficultés ? il eſt vrai que M. Vauvilliers
en trouve , mais font elles fondées ? Ce
n'est pas , dit- il , un grand mérite d'endormir
, c'eſt ſouvent l'effet de l'ennui.
Oui , ſans doute ; mais comment n'a- t - il
pas ſenti que la plus grande victoire qu'on
puiſſe remporter ſur l'aigle de Jupiter ,
c'eſt d'endormir ceminiſtre de la foudre ,
que l'on ſuppoſe veiller toujours pour les
vengeances célestes ? Autre raiſon de M.
Vauvilliers. Le Poëte ne dit pas qu'il dort
&que fes aîles s'abaiſſent , ce qui pourrait
être regardé comme une ſuite du sommeil ,
mais au contraire qu'il dort après avoir
abaiſſé ses ailes. Quelle diſtinction frivole!
Qui ne voit que le ſommeil & les
aîles qui s'abaiſſent ſont des effets ſimultanés
, malgré le prétérit χαλάξας , qui ne
marque pas plus une ſéparation de temps
que s'il y avoit en Latin reclinatis alis ?
M. Vauvilliers fait auſſi bienque perſonne
que les Grecs & les Latins mettent communément
des participes paſſés dans un
ſens préſent , uniquement parce qu'ils
ont plus de grace & d'élégance. Dernière
raiſon de M. Vauvilliers tout auſſi faible
que les autres. Le Poëte , dit- il , ajoute
ſes alles rapides.... c'est donc pourſe défen
JUILLET. 1772. 125
dre. Carfi c'est leſommeil qui abaiſſe ſes
aîles , le mouvement doit être lent. Point
du tout. La rapidité eſt ici attribuée aux
aîles de l'aigle , comme une qualité générale
, & cette épithète eſt très - bien placće,
parce que plus ſes aîles ſont rapides ,
plus l'effet du ſommeil qui les abaiſſe
eſtmarqué.
Enfin nous remarquerons encore dans
ce léger examen des erreurs de M. Vauvilliers
, qu'il a grand tort de vouloir
que l'aigle en s'endormant batte la mefure
avec ſon dos ; ſon dos , dit le Traducteur
, énervé par la volupté , s'abaiſſe
encore , ou s'élève au gré de la mesure que
tu lui preſcris. Cette idée biſarre n'eſt
point dans le Grec . καταχόμενος n'a jamais
fignifié réglé, mesuré, ni rien d'approchant
; maisfubjugué , dominé , afſfervi.
Voilà bien des erreurs palpables en
peu de lignes. Toutes, on ne ſaurait
trop le répéter , naiſſent de la même ſour.
ce , de la trop grande confiance de M.
Vauvilliers qui veut preſque toujours
voir dans Pindare ce que perſonne n'y
voit. Il fait trop bien le Grec pour n'avoir
pas entendu le texte. Mais peu fatisfait
de l'entendre , il a voulu le refaire.
Il s'élève contre les traductions littérales,
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
& il aurait raiſon s'il ne condamnait que
cet afſferviſſement ridicule qui enchaîne
un Traducteur pufillanime au point de
l'empêcher d'eclaircir ce qui ferait obfcur ,
& de rendre avec d'heureux équivalens
ce qui autrement ſerait perdu pour
le lecteur. Cette ſervitude dont il faut
fur tout ſe garder en vers , malgré l'avis
de quelques pédans , n'eſt pas même tolérable
en profe. Mais il y a un autre excès;
c'eſt celui de dénaturer gratuitement ſon
original : Virtus eft medium vitiorum . M.
Vauvilliers craignant que Pindare ne fût
trop fec, l'a voulu renfßer de grands mots .
Il fallait le donner tel qu'il eſt. Perſonne
ne le lui aurait reproché. Il y a chez quelques
Anciens des choſes ſi éloignées de
nos moeurs & de nos idées qu'elles ne
peuvent être embellies pour nous. Il faut
les expoſer dans leur nudité , ſans ſe rendre
garant de leur mérite , & croire que
les bons efprits , les vrais juges ne feront
pas un crime à un Moderne de n'avoir
pas rendu Pindare très - intéreſſant pour
nous dans une traduction en proſe où il
doit néceſſairement perdre ſes deux plus
grands mérites , le rythme & le ſtyle.
Telle était fur Pindare l'opinion de
Boileau qui aimait& connaiſſait les An
JUILLET. 1772. 127
ciens autantque perſonne aumonde. Mais
M. Vauvilliers déplore amèrement fur cet
article l'erreur & l'injustice de l'Ariſtarque
Français , qui par malheur , dit-il, a entraî
né preſque tous les gens de lettres. Idolâtre
de l'auteur qu'il traduit , autant qu'aucun
traducteur des derniers ſiècles , il ne
veut pas convenir qu'une partie de ſon
mérite puiſſe être abſolument perdue pour
nous qui ne pouvons ſaiſir l'apropos , le
but , l'intention de cent endroits de ſes
ouvrages. Il prétend que c'eſt notre faute
ſi nous ne trouvons pas dans chaque ode
un plan admirable , il s'efforce de nous le
faire connaître , &l'on pourra dire de lui
qu'apparemment il a eu des révélations
fur Pindare , & des converſations nocturnes
avec ce poëte , comme on diſait que
Mde Dacier en avait avec Homère .
La clef qu'il donne de la première pithique
eſt une lyre d'or qu'il prétend
qu'Hiéron avait promiſe à Pindare , &
cette promeſſe lui paraît démontrée. Il
faudrait au moins donner ces idées pour
ce qu'elles font , c'eſt à dire , pour des
conjectures , & n'y pas attacher un grand
prix .
Ce qui nous a paru le plus eſtimable dans
cet effſai ſur Pindare , ce font quelques
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
morceaux du diſcours préliminaire. Tel
eſt celui ci ſur la poësie. « La nature en-
>> tiere eſt ſous les mains du poëte pour
» lui fournir des ſecours , & fi la terre ne
>> lui préſente point des armes victorieu-
>> ſes , il faut qu'il enfante des prodiges
» & des miracles ; qu'il cherche & qu'il
>>>trouve au ciel ou dans les enfers tous
>>>les preſtiges dont il a beſoin pour
>>éblouir , émouvoir , étonner , épouvan-
>> ter , ſéduire. L'ode ſur tout plus que
>>tous les autres gentes de poësie noble ſe
>> propoſant une carrière plus courte doit
>> auſſi la fournir avec plus de chaleur &
» de vîteſſe. Tous les poëmes héroïques
>> doivent marcher à pas de géant , il faut
que l'ode vole. Sa trace doit être inſenſi-
>> ble. Elle ne s'appuye que pour s'élancer.
>>C'eſt entre le ciel& la terre que ſa rou
>> te eſt marquée par les muſes. Toute
» chûte eſt impardonnable , & s'il ne lui
>>eſt pas poſſible de ſe ſoutenir conftam-
» ment à la mème hauteur , il faut que ſa
>> defcente ſoit pareille au vol d'un oiſeau
» qui s'abaiſſe un inſtant pour reprendre
>> auſſi - tôt un élan plus rapide & plus
» élevé. »
Ce morceau ſuffirait pour donner une
bonne idée du talent de M. Vauvilliers
JUILLET. 1772. 129
&du goût qu'il a rapporté de la lecture
des Anciens. Mais qu'il ſe défie de la ſuperſtition
qui peut gâter les meilleures
croyances , & qu'il ſe ſouvienne du triolet
de la Monnoye , bon grec, s'il en fut ,
&même poëte grec , & qui pourtant plaiſantait
quelque fois ſur ſes anciens confrères
. Voici le triolet qui n'eſt pas un des
plus mauvais qu'on ait faits.
Pindare était homme d'eſprit ;
En faut- il d'autres témoignages !
Profonddans tout ce qu'il écrit ,
Pindare était homme d'eſprit.
Aqui jamais rien n'y comprit ,
Il ſut bien vendre ſes ouvrages.
Pindare était homme d'eſprit ;
En faut-il d'autres témoignages ?
Tableaux d'un Poëte , Poëfies d'un Peintre.
A Pittoreſcofolis ; & ſe trouve à
Paris , chez Cellot, rue Dauphine ; vol .
In- 8°. avec des gravures. Prix , 36 fols .
Des morceaux imités de Séneque , le
philoſophe , & que l'auteur appelle des
études d'après l'antique; de petites pièces
de vers qui nous rappellent des épigram
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
mes ou des anecdotes connues compoſent
ce recueil de poëſies. Le poëte peintre ou
le peintre poëte s'eſt égayé quelque fois
à charger fon coloris pour donner une forte
de relief à ſes bambochades. En voici
une intulée le Protecteur culbuté. Le trait
qui en fait le ſujet eſt emprunté de la vie
d'Holbein , peintre Suiſſe, connu principalement
parfa danſe des Morts , qu'il a
peinte à Bâle ſa patrie &gravée en bois.
D'une coupole , à la force infinie ,
Holbein le Suifle arabesquoit les bords ,
Aux protecteurs , dont il fait la manie ,
Du lieu voûté fermant tous les abords ;
Lorsqu'apparoît , d'une arrogance altière ,
Dur aflaillant qui força la barrière
Quenotre peintre oppoſe à leurs efforts ,
Juſqu'à ſon ciel , le plus fou des milords ;
Le fier Balois , qui fit danſer les morts ,
Le fait danſer d'une vive manière
De l'échafaud lance mon patatras ,
Comme Michel fit le haut Satanas.
Mal relevé de ſa chûte céleſte ,
Huit jours après , le milord peu modeſte ,
Echarpe au dos , le mufle encor meurtri ,
Plaindre s'en fut au Huitieme Henri ,
Qui par Holbein , du combat par avance
Gaiment inſtruit , en main prit ſa défenſe,
JUILLET. 1772. 131
Lava du Job & la tête & les trous :
Un homme docte eſt au- deſſus de tous ,
M'entendez- vous , lord , auteur du litige ?
Tout mon crédit ne peut enter chez nous
Un peintre rare ; & je peux , ſans prodige ,
Faire en un jour cent nobles comme vous.
LETTRE de M. de V.. à M. de la H.
Vous n'êtes pas , Monfieur , le ſeul à
qui l'on ait attribué les vers d'autrui . Il
y a eu de tous tems des pères putatifs
d'enfans qu'ils n'avaient pas faits.
M. d'Hannetaire , homme de lettres
& de mérite , retiré depuis long- tems à
Bruxelles , ſe plaint à moi par ſa lettre
du 6 Juin , qu'on ait imprimé ſous mon
nom une épître en vers qu'il revendique.
Elle commence ainſi ,
En vain en quittant ton ſéjour ,
Cher ami , j'abjurai la rime.
La même ardeur encor m'anime
Et ſemble augmenter chaque jour.
Il eſt juſte que je lui rende ſon bien
dont il doit être jaloux. Je ne puis choiſir
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
de dépôt plus convenable que celui du
Mercure,pour y conſigner ma déclaration
autentique , que je n'ai nulle part à cette
pièce ingénieuſe ; qu'on m'a fait trop
d'honneur , &que je n'ai jamais vu ni cet
ouvrage ni M. de M.. auquel il eſt adreſſé;
ni le recueil où il eſt imprimé. Je ne veux
point être plagiaire,comme on le dit dans
l'Année littéraire. C'eſt ainſi que je reſtiruai
fidèlement dans les Journaux des
vers d'un tendre amant pour une belle
actrice de Marſeille. Je proteſtai avec
candeur que je n'avais jamais eu les faveurs
de cette heroïne . Voilà comme à
la longue la vérité triomphe de tout. Il y
acinquante ans que les libraires ceignent
tous les jours ma tête de lauriers qui ne
m'appartiennent point. Je les reſtitue à
leurs propriétaires dès que j'en ſuis informé.
Il eſt vrai que ces grands honneurs que
les libraires & les curieux nous font quelque
fois à vous & à moi , ont leurs petits
inconveniens. Il n'y a pas long-tems qu'un
homme qui prend le titre d'avocat , &
qui divertit le barreau , eut la bonté de
faire mon teſtament & de l'imprimer.
Pluſieurs perſonnes dans nos provinces &
dans les pays étrangers , crurent en effe,
JUILLET. 1772. 133
que cette belle pièce étoit de moi. Mais
comme je me fuis toujours déclaré contre
les testamens attribués aux Cardinaux de
Richelieu , de Mazarin & Albéroni, contre
ceux qui ont couru ſous les noms des
Miniftres d'Etat Louvois & Colbert , &
du Maréchal de Belliſle , il eſt bien juſte
que je m'éleve auffi contre le mien, quoique
je fois fort loin d'être miniſtre. Je
reſtitue donc à M. M**** , avocat en
parlement , mes dernières volontés qui
ne font qu'à lui ; & je le ſupplie au moins
de vouloir bien regarder cette déclaration
comme mon codicile .
En attendant que je le faſſe mon exécuteur
teftamentaire , je dois , pendant
que je fuis encore en vie , certifier que
des volumes entiers de lettres imprimées
ſous mon nom , où il n'y a pas le ſens
commun, ne font pourtant pasde moi .
Je ſaiſis cette occafion pour apprendre
à cinq ou fix lecteurs qui ne s'en foucient
guères , que l'article Meſſie imprimé dans
le grand dictionnaire encyclopédique , &
dans pluſieurs autres recueils n'eſt pas
mon ouvrage ; mais celui de M. Polier
de Bottens , qui jouit d'une dignité eccléſiaſtique
dans une ville célèbre , & dont
la piété , la ſcience & l'éloquence font
134 MERCURE DE FRANCE.
affez connues. On m'a envoyé depuis peu
fon manufcrit qui eſt tout entier de ſa
main.
Il eſt bon d'obſerver que lorſqu'on
croioit cet ouvrage d'un laïque , pluſieurs
confrères de l'auteur le condamnèrent
avec emportement. Mais quand ils ſçurent
qu'il était d'un homme de leur robe,
ils l'admirèrent. C'eſt ainſi qu'on juge
affez ſouvent , & on ne ſe corrigera pas.
Comme les vieillards aiment à conter ,
& même à répéter , je vous ramentevrai
qu'unjour les beaux eſprits duroyaume ,&
c'étaient le Prince de Vandôme , le Chev.
de Bouillon , l'Abbé de Chaulieu , l'Abbé
de Buſſi , qui avoit plus d'eſprit que ſon
père , & pluſieurs élèves de Bachaumont,
de Chapelle & de la célèbre Ninon , diſaient
à ſouper tout le mal poſſible de la
Motte-houdart. Les fables de la Motte venaient
de paraître. On les traitait avec le
plus grand mépris , on affurait qu'il lui
était impoſſible d'approcher des plus médiocres
fables de la Fontaine. Je leur parlai
d'une nouvelle édition de ce même
la Fontaine , & de pluſieurs fables de cet
auteur qu'on avait retrouvées. Je leur en
récitai une ; ils furent en extaſe ; ils ſe
récriaient. Jamais la Motte n'aura ce ſtyJUILLET.
1772. 135
le, diſaient - ils , quelle fineſſe & quelle
grace ! on reconnaît la Fontaine à chaque
mot. La fable était de la Motte .
Paffe encor , lorſqu'on ne ſe trompe
que ſur de telles fables. Mais lorſque le
préjugé , l'envie , la cabale imputent à des
citoyens des ouvrages dangereux , lorfque
la calomnie vole de bouche en bouche
aux oreilles des puiſſans du ſiècle ,
lorſque la perſécution eſt le fruit de cette
calomnie , alors que faut- il faire ? cultiver
ſon jardin comme Candide.
ACADÉMIES.
I.
Académie des Sciences & Belles- Lettres
de Béfiers. 1
SELON les ſtatuts de cette Académie ,
elle devoit tenir ſon aſſemblée publique
le premier jeudi d'après la St Martin de
l'année dernière ; mais pour des raiſons
particulières ici , on la renvoya au 10
Janvier 1772. M. de Bouſſanelle , brigadier
des armées du Roi , en fit l'ouverture
en qualité de directeur , par un dif136
MERCURE DE FRANCE.
cours ſur la danſe , ſur l'art de la ſaltation
& fur celui des pantomimes .
Ce ſujet , quoique traité fort au long
par M. Burette dans les mémoires de l'Académie
royale des Inſcriptions & Belles-
Lettres , n'a pas laiſſé , étant enviſagé ſous
des points de vue différens , d'offrir une
ample matière au diſcours qu'on vient
d'annoncer .
Après avoir obſervé que l'art de la faltation
& celui des pantomimes ne font
que l'art même de la danſe que des peuples
effeminés & corrompus ont défiguré
&dénaturé, M. de Bouſſanelle ajoute que
la danſe eſt ordinairement une expreſſion
de joie ſoumiſe à toute eſpèce d'harmonie
, même à celle de la voix. La nature ,
dit- il , nous pouſſe à exprimer par des
geſtes extérieurs du corps , les différentes
agitations que produiſent dans l'ame les
ſons variés de la muſique.
f
Il remarque que cet exercice innocent
dans ſon origine& conſacré àdes actes
de religion , s'eſt conſervé dans ſon entière
pureté chez des nations barbares ,
qui n'ont aucune connoiſſance de nos
moeurs ; & il rapporte les noms des différentes
eſpèces de danſes des Indiens &
particulièrement des Hottentots.
JUILLET. 1772. 137
La muſique vocale de ces derniers
conſiſte , dit- il , dans la monofyllabe ho,
& dans un petit cercle de notes ſur lefquelles
roule l'air de deux ou trois chanſons
barbares qu'ils accompagnent de
leur inſtrument de muſique appellé le
gongom .
M. de Bouffanelle paſſa enſuite à l'art
de la faltation & à celui des pantomimes
qu'il appelle la ſcience des geftes naturels
ou inventés , l'expreſſion la plus forte
& la plus vive des paffions les plus viles ,
le tableau fidèle des vices les plus honteux
, le recit muet des folies des hommes.
Ces arts , dit- il , nâquirent à Rome,
ſelon Zozime & Suidas , ſous l'empire
d'Auguſte , ou du moins y furent portés à
la plus haute perfection ; car , comme il
le remarque fort bien , long- tems auparavant
Numa avoit inſtitué une danſe pour
les prêtres de Mars appellés Saliens , &
dans les ſiécles bien plus reculés Caſtor &
Pollux avoient enſeigné l'art de la faltation
aux Cariens ; Neoptoleme fils d'Achille
avoit enſeigné une danſe armée à
ceux de Créte , & Minerve elle même
avoit danſé de joie après la défaite des
Titans .
Il cite Lucien , qui compte l'art de la
138 MERCURE DE FRANCE.
danſe dégradée , parmi les cauſes de la
corruption des moeurs & des malheurs de
l'Empire Romain. A cet auteur il joint
Scipion & Cicéron qui déclamèrent vivement
contre les écoles publiques tenues
par des comédiens , où l'on envoyoit les
jeunes gens de l'un& de l'autre ſexe pour
apprendre l'art d'accompagner la récitation
des vers par les mouvemens du
corps.
Les Romains , ajoute- t'il , pouſſoient
fi loin la folie de la danſe , qu'indépendamment
des écoles pour cette danſe efféminée
, il y en avoit encore à Rome
pour apprendre àſervir à table & à couper
les viandes en danſant , ainſi que nous
l'apprenons d'Horace & de Juvenal .
Il n'oublie pas les danſes qui accompagnoient
anciennement les premiers hommages
qu'on rendoit aux Souverains , les
preſtations de ferment , les inaugurations,
les inveſtitures , non plus que les danſes
de la veille de St Jean , ni enfin celles
dont il a été lui-même témoin pendantles
fêtes lurhériennes de Hamelen célèbres
en Allemagne ; & fi dans bien des
cas il loue l'uſage de cet exercice originairement
innocent , il ne manque point
dans pluſieurs endroits de fon diſcours
JUILLET. 1772. 139
de blâmer hautement l'abus qu'on en faifoit
autrefois , & que malheureuſement
on en fait encore dans un grand nombre
d'occaſions.
Ce diſcours fini , & après que le ſecrétaire
eût annoncé un mémoirede M. Maillol
, l'un des aſſociés , & pluſieurs écrits
qui lui avoient été envoyés par M. Réguillet
, avocat au parlement & membre
de pluſieurs académies ; MM. Baſſet & de
Manſe lurent , l'un l'éloge de M. de la
Sabliere , lieutenant-colonel de cavalerie,
& l'autre celui de M. de Bauffet de Roquefort
, évêque & ſeigneur de Béſiers .
M. Audibert donna enſuite un précis
très- ſuccinct de l'ouvrage de M. Beguillet
fur le bled ergoté , & s'étendit un peu
plus fur la nielle & le charbon qui infectent
quelque fois nos grains. La nielle ,
dit il , réduit en une pouſſiére noire les
fleurs des grains ſans toucher au reſte de
la plante. C'eſt une eſpèce d'ulcère qui
commence aux fupports des fleurs peu de
tems après que l'épi eſt formé : on reconnoît
les épis malades à l'enflure de ces
ſupports , & on y découvre une tache
noire ; delà le vice paſſe aux autres parties
de l'épi & les ronge juſqu'à ce qu'on n'y
apperçoive plus que de balles noires que
140 MERCURE DE FRANCE.
le vent ou la pluye enlève , & alors il ne
reſte ſur la plante que l'axe de l'épi.
M. Aymen * a prétendu que c'étoit
l'effet d'un vice de la ſémence , & les expériences
qu'il a faites à ce ſujet paroifſent
déciſives : il en réſulte que toutes
les ſémences fur leſquelles il avoit découvert
à la loupe des taches de moiſiſſure ,
avoient produit des épis niellés , & que
la moiſiſſure des ſémences eſt par conféquent
la cauſe ou l'une des cauſes de la
nielle.
Cette maladie &le charbon dépendent
de la même cauſe. Les grains charbonnés
font renflés , on y voit des points noirs
dans la partie inférieure des capſules. Ces
points s'agrandiffent,&toute la ſubſtance
du grain ſe change en une pouſſière
noire.
On doit donc tacher de préſerver les
ſémences de la moiſiſſure qu'elles contractent
dans les gerbiers & dans les greniers.
Elles ſe moiſiſſent auſſi quelquefois
dans la terre après avoir été ſemées ;
& on a remarqué qu'il y a toujours beaucoup
de nielle & de charbon après des
Sçav. étrang. tom. 3 .
JUILLET. 1772. 14
ſemailles tardives , des hivers pluvieux
&dans des terres maigres .
On conçoit que dans ces cas les ſemences
ne ſe moiſiſſent que parce qu'elles ne
végétent pas allez tốt ; & l'on peut auffi
regarder cette inertie comme la première
cauſe de la grande quantité de charbon
que nous trouvons dans les grains de la
dernière récolte. Les terres ayant été enſemencées
dans un tems de ſéchereſſe qui
duroit depuis pluſieurs mois & qui dura
encore deux mois après , une partie des
ſemences n'avoit levé qu'au mois de Décembre.
C'eſt une bonne méthode pour ſauver
les grains du danger de la moiſiſſure , de
laiſſer parfaitement mûrir ceux qu'on deftine
à être ſemés , de ne les couper quand
ils font mûrs que deux heures après le
lever du ſoleil , de les porter tout de ſuite
à l'aire , où on les fait battre le même
jour , & de les mettre le ſoir dans une
eau de chaux qu'on a eu ſoin de tenir prêre.
Après les y avoir laiffés vingt- quatre
heures , & en avoir rejetté les grains qui
furnagent , on fait ſécher exactement les
bonsgrains ,& on les conſerve en un lieu
bien ſec. Ce ſont encore des moyens
d'empêcher que les ſémences ne ſe moi
142 MERCURE DE FRANCE.
fiffent en terre , de préparer ſoigneuſement
les guérets , d'employer, oùil le faut,
le ſecours du fumier , de ſemer dans le
premier mois de l'automne , de ne rien
omettre en un mot de ce qui peut favorifer
la végétation & hâter ſes progrès .
M. Bertholon , Prêtre de la Congrégation
de la Miſſion qui , depuis quelque
tems travaille à l'hiſtoire naturelle du
diocèſe de Beſiers , termina la ſéance par
unmémoire ſur quelques pétrifications
&curiofités naturelles des environs de
Befiers. Il a découvert par ſes recherches
pluſieurs objets intéreſſans ,tels que des
échinotypolithes , des gloſſopètres , des
ſtrombites , des buccinites , des cochlites
, des camites , des ſellénites & autres
conchites qu'il montra depuis peu fur les
lieux mêmes à un célèbre naturaliſte
(M. Guettard. ) Près des murs de cette
ville eſt encore un grand & triple banc
d'huitres pétrifiées dont la plupart font
avec leurs deux valves , de la plus grande
beauté , & de la plus belle confervation.
Nous mépriſons pour ainſi dire ce que
nous avons ſous nos pas , diſoit notre
académicien , &de divers côtés de juſtes
eſtimateurs des beautés de la nature me
demandent de ces beaux oſtracites dont
JUILLET. 1772. 143
nous ſommes de froids poſſeſſeurs. Il
parla encore de pluſieurs aſtéries , des
cornesd'Ammon &des Belemnites qu'on
trouve ſur diverſes montagnes qu'il a
parcourues. Après quelques réflexions fur
les cauſes phyſiques des pétrifications , il
expoſa les divers ſentimens des naturaliſtes
, difcuta leurs raiſons , & adopra
ceux qui paroiſſoient les plus probables ;
par exemple , ſur les belemnites, celui de
L'illustre M. Claret de la Tourrette , ſecrétaire
perpétuel de l'académie de Lyon
&excellent naturaliſte .... Ces diverſes
pétrifications répandues dans notre province
en bancs & amas conſidérables ,
prouvent , ſelon notre académicien , que
cette contrée fut jadis le ſéjour des eaux ,
que nous rampons ſur ce ſable où des
monſtres marins ſe jouoient autrefois ,
que les terres ont été mers , & que les
continens furent fubmergés par les flots
de l'Océan .
144 MERCURE DE FRANCE.
I I.
La Rochelle.
L'Académie Royale de la Rochelle
tint fon Aſſemblée publique le 13 Mai
dernier : M. l'Abbé Gervand , Profeffeur
de Rhétorique au College Royal en fit
l'ouverture par un Diſcoursfur les causes
de la décadence de l'Eloquence. M. Delaire
, Négociant , Chancelier de l'Académie
, lut enfuite un Difcours fur les
qualités morales &fociales du Négociant.
Ce Diſcours fut ſuivi d'obſervationsfur
le défaut de costume dans la Comédie relativement
à nos usages & à nos loix , par
M. de la Coste , Avocat. M. Girard de
Villars , Avocat du Roi , prononça enfuite
l'Eloge de M. de Réaumur , Affocié
de l'Académie. M. Raoult lut après , un
Diſcours ſur ce ſujet : combien le moindre
objet de Commerce met de bras en mouvement,
par M. de Mautaudouin , Négociant
à Nantes , Aſſocié. M. de Longchamps
, Alſocié , fit lecture d'une traduction
libre du Banquet de Plutarque :
la Séance fut terminée par une Ode fur
les Arts, par M. de Fontanes , Aſſocié.
SPECTACLES .
JUILLET. 1772. 145
SPECTACLE S.
OPÉRA.
L'ACADÉMIE Royale de Muſique a don
né le Vendredi 10 Juillet, la premiere
repréſentation de la repriſe du premier
Acte des Fêtes de l'Himen , ſuivi de l'acte
d'Eglé , Pastorale ; à quoi elle doit ajouter
, en place du Prologue des Fêtes de
l'Himen , qui a été retiré, celui des Indes
Galantes.
Cahuſac a fait les paroles ,& Rameau
la muſique de l'acte d'Ofiris. Ce Roi à
la tête d'une Nation policée , entreprend
d'étendre l'empire des arts & des talens ,
dont il eſt l'ami & le protecteur ; & de
triompher par leurs charmes des peuples
les plus groſſiers . Ortheſie , reine d'Amazones
ſauvages veut en vain lui oppoſer
la force des armes ; Ofiris lui dit :
Je guide un peuple généreux
Qui , ſans la redouter , fuit l'horreur de la guerres
Il met tout ſon bonheur à faire des heureux-
Son art cher aux humains , orne , enrichit la
terre .
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
Il la rend par ſes ſoins la rivale des cieux ,
Partagez avec nous ſes bienfaits précieux.
Une troupe d'Amazonnes ſauvages
conduite par Myrrine , vient fondre avec
fureur fur Osiris & ſa ſuite. Orthéſie
arrête ces rebelles , & les fait défarmer.
Enfin cette Reine ſe ſoumet volontairerement
au pouvoir de l'amour.
M. Muguet a rempli en l'absence de
M. le Gros qui eſt indiſpoſé , le rôle
d'Ofiris ; Mlle Duplant a repréſenté Orthéſie
, & Mile Duranci Myrrine . On a
applaudi leur chant & leur jeu.
Le Balet ingénieuſement deſſiné de
cet acte eſt de la compoſition de M.
Gardel . Mlle Aſſelin,danſeuſe brillante ,
y reçoit beaucoup d'applaudiſſemens . On
a revu avec tranſport Mile Heinel , qui
eſt revenue comblée des éloges de Londres
où elle a danſé pendant pluſieurs
mois. Cette danſeuſe d'une figure charmante
, d'une taille ſvelte , de la proportion
la plus heureuſe , n'a point ſon égale
dans le genre majestueux , noble & impo .
ſant qu'elle exécute. Elle ſemble encore
avoir fait des progrès & avoir acquis plus
JUILLET. 1772. 147
de ſureté , de force & en même temps
plus de moelleux dans ſa danſe.
Le Poëme d'Eglé eſt de M. Laujon ,
Secrétaire des Commandemens de S. A.
S. Monſeigneur le Duc de Bourbon .
La muſique eſt de M. de la Garde ,
Maître de Muſique des Enfans de France ,
& Surintendant de celle de Mgr le Comte
de Provence
Les Acteurs font :
APOLLON , ſous l'habit d'un Berger &
ſous le nom de Miſis . M. Larrivée.
ÆGLÉ , Bergere . Mde Larrivée.
LA FORTUNE. Mlle Rosalie ou Mile
Beaumesnil.
UNE BERGERE. Mile Dupuy.
Le ſujet de cet acte eſt ſimple , ingénieux
& intéreſſant. Une Bergère reçoit
des leçons de chant d'Apollon , ſous le
nom de Miſis ; elle ne peut ſe défendre
de l'aimer , n'oſe l'avouer , & laiſſe enfin
trahir le ſecret de ſon coeur , en répétant
la leçon que lui donne fon Berger. La
Fortune fait un contraſte dans cette Paftorale
& amène du ſpectacle. Elle veut
envain féduire le Berger , & ne pouvant
Gij
143 MERCURE DE FRANCE.
en triompher , elle tente de lui enlever
le coeur d'Eglé ; mais l'éclat de ſes tréfors
ne peut corrompre ces amans.
Une muſique douce & naïve , répond
parfaitement aux paroles. Le chant en eſt
expreffif, agréable & facile. On retiendra,
on chantera toujours avec plaiſir ces airs
connus.
ÆGLÉ.
Ah ! que ma voix me devient chère
Depuis que mon berger ſe plaît à la former !
Amour , rends mes accens dignes de le charmer !
C'eſt peu , c'eſt trop peu de lui plaire ,
Ne pourrai-je point l'enflammer ?
Lorsque Miſis , dans ce bocage ,
Vint prêter à mes chants un charine plus flatteur
,
Amour , c'étoit le plus doux eſclavage
Que tu préparois à mon coeur .
MISIS , à la Fortune.
Eglé tient tous ſes biens des mains de la nature;
Sa richeffe , c'eſt la beauté :
L'art ne releve point l'éclat de ſa parure ;
JUILLET. 1772. 149
Des fleurs font l'ornement de ſa fimplicité,
Et ſon coeur qui jamais ne connut l'impoſture,
Que rien encor n'a pu charmer ,
Eſt le prix que l'amour aſſure
Au berger trop heureux qui pourra l'enflammer.
MISIS , feul.
Paiſibles bois , vergers délicieux ,
J'abandonne pour vous le ſéjour du tonnerre;
J'ai laiflé mon rang dans les cieux ,
Tous mes plaiſirs ſont ſur la terre.
Aglé me croit berger , que mon coeur eft flatté!
Monrang eſt un ſecret qu'il faut queje lui cèle ,
Même après ma félicité.
Comme berger je goûterai près d'elle
Les plaiſirs de l'amour & de l'égalité ;
Et ſi je me ſouviens de ma divinité ,
Ce ſera pour brûler d'une ardeur éternelle.
i
Les rôles d'Æglé & de Miſis , ne peuvent
être mieux joués , ni chantés avec
plus de goût & de ſenſibilité , que par
M. & Mde Larrivée : on eſt ſurtout
enchanté de la ſcène où Æglé répète la
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
leçon que Miſis lui donne de chant &
d'amour , & qui a été ſi bien ſentie & rendue
fi heureuſement par le Muſicien .
Mlle Rofalie a obtenu des fuffrages
bien mérités dans le perſonnage de la
Fortune , comme dans tous ſes rôles ,
par la beauté de ſa voix , par l'expreffion
de ſon chant , & par la fineſſe de ſonjeu .
Mlle Beaumefnil y eſt auffi très- accueil
lie.
Le Baller de cet acte , de la compolition
de M. Veſtris ; eſt d'un deſſin élégant
, d'une coupe heureuſe & agréablement
variée . M. Veftris le meilleur
modèle de la danſe noble , & M. Gardel
ſon digne émule , y font admirés & fêtés
par le public.
M. Dauberval & Mile Allard communiquent
à toute l'aſſemblée , la gaîté&
le plaiſir qui volent ſous leurs pas . Il eſt
à remarquer que dans ce ballet , ſans avoir
recours à la Pantomime , ils ont ſu tirer
du caractère même de leur danſe des pas
nouveaux & habilement contraſtés .
Mais il n'appartient qu'à une exécution
auſſi brillante que celle de ces danſeurs ,
১
JUILLET. 1772. 151
de produire des effets auſſi vifs & aufli
piquants .
Mlle Guimard qui a la danſe des graces
, a été très - applaudie ; ainſi que
Mile Dervieux qui réunit tout ce qu'il
faut pour plaire ; & M. Simonin qui
ajoute tous les jours aux charmes de
fon talent.
COMÉDIE FRANÇOISE.
MLLE Saintval , feur de l'Actrice de
ce nom dont nous avons annoncé le début
brillant dans la Tragédie &le don
précieux & naturel qu'elle a d'émouvoir
& d'attendrir , a été tout à coup arrêtée
au milieu de ſes ſuccès , par une maladie
très- dangereuſe ; mais le ſujet des alarmes
eſt cellé, & l'on eſpère qu'elle pourra
b'entôt reparoître dans la carrière où elle
s'eſt montrée avec tant d'avantages ; &
répondre à la juſte impatience des ſpec .
tateurs ſenſibles qui s'empreſſent de venir
partager ſes paſſions & fes douleurs .
C'eſt l'indiſpoſition de M. Bonneval ,
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
l'un des principaux acteurs dans la Comédie
, qui a obligé les Comédiens Fran.
çois de différer les repréſentations des
pièces de Molière , dont ils ont promis
de ne point laiſſer doubler les rôles.
COMÉDIE ITALIENNE.
M. D'ARCIS qui a joué avec ſuccès dans
laComédie , &dans les pièces de chant ,
ſur différens Théâtres des principales
Villes de la Province , a paru , en paſſant
à Paris , ſur la ſcène de la Comédie Italienne
, dans pluſieurs Drames ; & a obtenu
un nouveau titre de recommandation
pour ſes rôles qu'il s'empreſſe d'aller
reprendre , fatisfait d'avoir obtenu en
quelque forte les honneurs de la Capitale.
On doit d'autant plus s'intéreſſer à cet
acteur , qu'il conſacre toute ſa fortune &
ſon travail à l'éducation du jeune Muſicien
qu'on a entendu avec étonnement
fur l'Orgue & fur le Clavecin , au Con.
cert Spirituel ; c'eſt cet enfantqui a com
poſé la muſique d'une pièce exécutée à la
Comédie Italienne; & ce qui fait le plus
JUILLET. 1772. 153
fon éloge , il donne aſſez d'eſpérance de
ſes talens , pour que le célèbre M. Grétri
veuille bien l'avouer pour ſon élève , &
lui montrer le génie de la muſique .
On prépare pluſieurs Nouveautés à ce
Théâtre .
LETTRE * à un jeune Elève des Académies
d'architecture , de peinture & de
Sculpture , fur l'Optique des dimenſions,
Science exacte , ou fimplement fur la
Perspective naturelle & fur fon imitation.
IL ya long-tems , Monfieur , que je vous aurois
communiqué ce que je vous ai promis ſur l'optique
, ſi je n'eufle ſenti la néceſſité d'y ajouter les
ſentimens de pluſieurs auteurs célèbres , & ceux
dequelques artiſtes , ſoit architectes , ſoit peintres
qui ont écrit fur la perſpective linéaire en particulier
, depuis Guido- Ubaldy en 1600 juſque &
compris 1771 .
Ce motifm'a obligé de parcourir leurs ouvrages.
Je n'y ai rien trouvé de ſemblable aux deux
Perspectives dont je vous ai parlé , leſquelles doivent
naturellement précéder la Perspective linéaire&
la Perspective aërienne.
* De M. Roy .
G
154 MERCURE DE FRANCE.
Vous vous êtes exercé ſur la perſpective linéaire
, par un goût décidé , & pour votre amusement,
dès le tems qu'on vous enſeignoit les premiers
élémens du deſſin. Vous ſaviez précédemment
les quatre premières règles d'arithmétique & la
règle de proportion ; c'étoit affez pour vous faciliter
la pratique de ce que vous avez vu depuis
dans une brochure intitulée , Effai fur la Perfpective
pratique par le moyen du calcul (1 ) . Mais
avez - vous obfervé qu'aucun des auteurs qui,julqu'à
préſent , ont écrit ſur l'optique , & en particulier
fur la perspective linéaire , n'a enſeigné
qu'il exiſtoit une perspective naturelle ? c'eſt une
ſcience qu'on doit , ce ſemble , diviſer en deux
parties principales , l'une que je nommerai perf.
pective oculaire , parce qu'elle est peinte au fond
de l'oeil ſur la rétine , ſous des dimenſions la plûpart
infiniment petites , leſquelles malgré cela
nous procurent la ſenſation viſuelle des objets :
l'autre que j'appellerai perspective apparente , parce
qu'elle nous paroît formée par ce ſpectacle
varié à l'infini , que la nature nous préſente à chaque
pas , ſous des dimenſious infiniment grandes ,
étant comparées à celles des images de la perfpective
oculaire ; deſquelles la nouvelle conſtruction
d'une petite chambre obſcure , que je nommerai
rapporteur oculaire , pourra donner une
légère idée.
:
Cela poſé , il eſt évident que la perſpective li-
(1) Mercure de France , Mars 1758 , pag. 154 .
Lettre fur la perſpective linéaire du docteur Brook
Taylor, &hiſtoire des mathématiques par M.
Montucla , tom. I , add. pag. xxxiv .
JUILLET. 1772. 155
néaire & la perspective aëtienne font enſemble
l'imitation de la perspective oculaire en grand , &
l'imitation de la perspective apparente en petit.
Vous remarquerez , s'il vous plaît en paſlant ,
1º. Que ces quatre perſpectives ſont inſéparables,
&qu'il fuffit d'ouvrir les yeux pour en avoir la
preuve , dans tous les lieux qui ne ſont pas entièrement
privés de lumière. 28. Que la perſpective
linéaire commence toujours précisément où
finit la perspective apparente ſur le terrein : ce
qui est très important pour les décorations théâtrales
, relativement au racordement des derniers
chaſſis découpés ou non découpés , avec la ferme
ou toile du fond. 3. Enfin , qu'il n'y a que le calcul
arithmétique approprié à chacune , & quelques
nombres entiers invariables ( 1 ) qui puiffent
fatisfaire pleinement à leur égard.
Ne vous effraïez point ſur la théorie & la pratique
de ces deux nouvelles branches d'optique :
elles ne vous fatigueront pas beaucoup plus que
vous ont fatigué celles de leur imitation , qui ne
vous ont coûté que quelques heures d'étude pour
en connoître les principes & les opérations .
Je ſuis perſuadé que les méthodes quej'ai imaginées
ſur ce ſujet pourront ouvrir une nouvelle
route ſur l'optique , en y ajoutant quelques nouveaux
principes que je crois certains . Je me fonde
(1) Il s'agit de quatre nombres entiers quiexpriment
chacun la longueur d'une diagonale ,
dont l'une eſt celle du quarré , ſon côté fût- il infiniment
grand ou petit. On jugera le degré de
l'approximation.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
ſur ce que M. d'Alembert a écrit que dans cette
ſcience , tout , ( 1 ) ou presque tout ,y est encore à
faire ; que les principes quiyfont le plus généralement
reçus font ou faux , ou au moins très - incertains.
(2) De même j'imagine qu'elles ſupplééront
peut - être à une petite partie de ce grand
nombre d'expériences &de combinaiſons néceſſaires
pour découvrir d'une manière fúre & invaria--
ble, les loix de la vision. (3 ) J'eſpère auffi que
ces méthodes auront quelque part à cette préférence
accordée aux traités de perſpective des cé
lèbres docteurs S'Graveſande & Taylor , (4) d'au
tant plus que le premier conclut , page 114, qu'il
est très mal aisé pour ne pas dire impoſſible pour
les peintresdefaireun deſſinentierfelon les règles
qu'il a preſcrites , &c. A l'égard du docteur
Taylor ( fans doute d'après ſon aveu , page XLV
de ſon introduction , & ſelon ſes problêmes ) M.
le comteAlgarotti , nous dit que fa méthodefait
plus d'honneur au mathématicien qu'elle n'est
utile à l'artiste . (5)
Enfin j'eſpère encore que la méthode que je propoſe
ne ſuccombera pas entièrement à cejugement
rigoureux de M. l'Abbé de la Caille. Nous avons ,
(1 ) Elémens de philoſophie , pag. 253 .
(2) Opuſcules mathématiques, tome I , préface
&page 298 .
(3 ) Encyclopédie , au mot Optique , pag. 518 .
(4) M. Montucla , hiſtoire des mathématiques,
page 636 , tome I.
(5).Eſſai ſur la peinture , traduit de l'italien par
M, Pingeron , page 47. A
JUILLET. 137 1772 .
dit cet académicien profeſſeur ,fur cette partiede
l'optique un bien plus grand nombre de livres que
furtoutes les autres ; mais aucun quejeſache n'en
renferme les principes d'une manière affezgénérale.
Onne trouve communémentque des pratiques
vagues , obscurément énoncées , fans ordre &fans
démonstration . ( 1 )
Il faut remarquer que ce ſavant , après avoir
propoſé divers moyens ( déjà connus ) pour pratiquer
la perfpective linéaire , rafiemble , pages
139 à 148 , diverſes échelles ( auſſi connues ) &
en communique une conſtruite par le moyen du
calcul des décimales . Celle- ci ſemble d'abord fuivre
de très-près le calcul que j'ai publié dix ans
avant lui , mais il convient cependant que ſon
calcul nepeutfervir que pour les grands tableaux
en quoi il diffère de beaucoup du mien : il y en a
diverſes preuves dans la pratique.
Son jugement , ſans doute trop général , eſt
bien capable de perfuader aux artiſtes que M.
Dufreſnoy peut avoir eu des raiſons équivalentes
aux fiennes , pour avancer dans ſon poëme
que la perspective ne peut être appellée une règle
certaine , ( 2) & par- là autoriſer , ſans l'avoir
prévu , la négligence de quelques-uns , à l'égard
de l'étude de cette ſcience , en leur fourniſlant un
prétexte pour s'excuſer ſur les défauts que l'on
(1) Leçons élémentaires d'optique , édition de
1766 , à la fin de l'avertiſlement.
(2) L'Art de Peinture, traduit en françois par
M. Depiles , page 20, No. 115.
158 MERCURE DE FRANCE.
remarque dans leurs ouvrages , ( 1 ) ſelon les connoiffeurs
.
Cependant il eſt bien décidé par de bons auteurs
& par d'habiles artiſtes , que la perspective
est très- néceſſaire à la peinture ; ( 2 ) qu'elle donne
de grandes ouvertures pour bâtir , ( 3 ) ainſi que
pour con oître par un ſeul deſſin l'effet quefera un
bâtiment quandilſera élevé (4 ) ; enfin ,que les règles
de l'optique font indispensables ( 5 ) &que les élémens
de l'optique font ceux de l'architecture . (6)
(1 ) Mémoire de littérature , tome xx 111 , page
330. Remarque de M. le comte de Caylus .
Nouveaux principes de perſpective linéaire du
docteur Brook Taylor , traduit de l'anglois , page
xlvij .
M. S'graveſande , eſlai de perſpective , édition
de 1711 , pages 3 & 4.
Traité de perſpective à l'uſage des artiſtes , par
E. Seb . Jeaurat , préface .
La perſpective propre des peintres , &c . par
André Pozo , préface.
(2) Abrégé de la vie des peintres , par Depile ,
page 49 .
(3 ) Cours d'architecture de Daviler , p . xxxiij .
(4) Traité d'architecture par Sebaſtien Leclerc,
page 7.
(5 ) Architecture françoiſe , tome I , p.203 .
(6 Dictionnaire d'architure de Daviler , p . xx .
**Vies des Architectes anciens & modernes par
M. Pingeron , tome I , page lvj .
JUILLET. 1772. 159
Tout cela ne peut regarder que la perspective
linéaire , puiſque c'eſt elle ſeule qui a été connue
juſqu'à préſent. Mais il eſt certain que la perfpective
apparente y ajoutera beaucoup . 1º. En
procurant le moyen de rendre aux façades des édifices
ce qu'elles paroiſſent perdre à raiſon de leur
éloignement quelconque du point donné. 29. En,
indiquant la convexité ou le galbe néceflaire à
un dôme , relativement à la hauteur quelconque
& à la diftance donnée. 3". Elle procurera par
furcroit une règle pour donner des proportions
convenables à un ordre ſolitaire avec foubaflement
; même à trois ordres élevés l'un ſur l'autre
( 1 ) dans l'intérieur de la tour d'un dôme d'une
hauteur quelconque ou ailleurs , lorſque le point
de diſtance donné ne peut être reculé ; enforte
cependant que ces ordres , foit en maçonnerie, ſoit
en peinture puiffent paroître bien proportionnés
entre eux , ainſi que les autres parties de la décoration
, foit architecture , bas- reliefs ou peintures
qui peuvent ſe rencontrer dans les entrecolonnemens
, & même leur proportionner les croiſées &
les vitraux : méthode nouvelle que j'appellerai
Hiſtoire univerſelle , traitée relativement aux
arts de peindre & de ſculpter , par M. Dandré
Bardon , &c. tome I , page 106 .
De l'utilité de joindre à l'étude de l'architecture,
&c. par J. F. Blondel , pages 9 & 26 .
( 1 ) J'ai imaginé un entablement & deux chapiteaux
, dont l'un pourra paffer pour françois.
C'eſt un effet d'optique;l'entablementy eſt aufli
approprié.
160 MERCURE DE FRANCE.
deformation artificielle pour la diſtinguer de celle
qui lui eſt oppolée queje nommerai déformation
naturelle parce qu'elle conſiſte dans le raccourcifſement
apparent des plans &des objets .
Il ne faut pas confondre ici cette déformation
artificielle avec ce que l'on a nommé la perspective
curieuse ( 1 ) ou anamorphose, ( 2) que l'on a défini
l'art defaire paroîtreſous des proportions ordi.
naires des objets repréſentés ſous des formes monftrueuses
, & quelque fois toutes différentes de ce
qu'elles paroiſſent d'un pointdonné. ( 3 )
Cet art a été conſidéré comme inutile (4) & M.
Montucla nous dit que l'art des déformations eft
peu important , que l'expérience montre qu'ily a
un peu à rabattre des merveilles que promet la
théorie. ( 5 )
Il n'en eſt pas de înême de la déformation artificielle
quej'ai imaginée : elle donnera exactement
ces mêmes effets, ſur des ſurfaces planes , par le
moyen de deux tables calculées pour la commodité
des artiſtes .
(1 ) La perſpective curieuſe , par le Père Niceron
, minime.
(2) Gaſpard Schott , jéſuite , dans ſa magic
univerſelle , première partie.
(3 ) Encyclopédie , au mot anamorphose.
Traité de la Perſpective pratique , par Courtonne
, architecte , page 25.
(4) M. l'Abbé Derdier , traité de perſpective ,
page 8 , Nº. 6.
(5) Hiſtoire des mathématiques ,tome I , page
637.
JUILLET. 1772. 161
Les induſtrieux pourront auſſi s'en ſervir pour
varier d'une manière fingulière des ornemens des
parterres dans les jardins de propreté , & diſpoſer
une allée d'arbres de façon à lui conſerver l'apparence
d'être parallèle dans toute ſa longueur. (1 )
Pareillement pour repréſenter au-delà de ſon extrémitéla
plus éloignée de l'oeil un morceau d'architecture
, ou autre objet en grand , par l'emploi
des ſables&des terres de différentes couleurs ,des
arbrifleaux , des gazons , des pièces d'eau , &c.
pourvu que le terrein quelconque ſoit aſſez ſpacicux.
Ilyaplus: elle ſervira encore àproportionner
les ſtatues pédestres , deſtinées à être élevées ſur
des colonnes coloſſales , telles que la fameuſe colonne
de Londres ou de hauteur quelconque ; &
àdéterminer les proportions progreſſives des basreliefs
ſculptés ſur le fût des colonnes hiſtoriques,
comme on voit ſur les colonnes Trajanne & Antonine
à Rome.
Enfin lesquatre Perſpectives concourront pour
les décorarions théâtrales , à procurer l'illuſion la
plus parfaite poſſible , tant à l'égard des objets
animés qu'à celui de ceux qui ſont inanimés ; &
pour repréſenter des ſcènes placées d'abord ſur le
devant du théâtre, & enfuite paroiſſant ſe conti-
(1) Dictionnaire d'architecture civile & hydraulique
de Daviler , au mot Allée. Ce problême
y eſt conſidéré comme inſoluble.
M. d'Alembert , Opufcules mathématiques ,
pages 285 & ſuivantes , propoſe pluſieurs expériences&
réfoud le problême , page 288 .
162 MERCURE DE FRANCE .
nuer juſqu'à trois ou quatre cent toiſes , même
juſqu'à mille; tel qu'un triomphe , une bataille ,
un combat naval , une fête publique , & autres
ſujets qui exigent l'apparence d'une grande étendue
de terrein. Bref elles ſerviront à repréſenter
fur les fermes ou telles qui ſervent de fond , des
vues de trois ou quatre mille toiſes d'enfoncement
perſpectif , ainſi que le ſoleil ou la lune fi
la ſcène l'exige : le tout d'accord par les dimenſions
& les tons de couleurs , avecles objets placés
près de l'avant - ſcène , & avec les derniers
chaſſis découpés , où doit finir la perspective apparente&
commencer la perspective linéaire.
C'eſt ainſi que le talent de chaque artiſte pourra
être ſecondé par les regles de l'optique,leſquelles
déterminent exactement les dimenſions & les dégradations
relatives à chaque fortede perſpective,
quels que foient les ſujets propoſés. Pour en tracer
une idée générale , je donnerai la defcriptiond'un
fujet compoſé de pluſieurs objets aflez
confidérables par eux-même : ils ſont ſuppoſés vus
enſemble à diverſes diſtances , ſur un terrein de
plus de 4000 toiſes d'étendue directe & par con-
Téquent former par leurs images dans l'oeil du
ſpectateur un tableau oculaire , ſous des dimenſions
infiniment petites.
Compofuion d'un Tableau oculaire , ou
images supposées peintes au fond de
l'oeilfur la rétine.
Pour obſerver quelque ordre & éviter toute
confufion , je ſuppoſe que l'oeil du ſpectateur parcourt
un terrein de plus de quatre mille toiſes
JUILLET. 1772 . 163
d'étendue directe , diviſé en fix principaux ſites ( 1)
renfermés dans un triangle iſocelle duquel la baſe
foit égale à cette étendue , & que l'oeil ſoit placé
au fommet de ce triangle ,de telle forte qu'il ſoit
à trois pieds au deſſus du terrein.
Premier Site.
Je ſuppoſe que celui- ci ſoit de deux toiſes d'étendue
directe , & qu'il ſoit occupé 1 °. par un
gros canon démonté vu obliquement par la culaſſe
, celle- ci aïant vingt- deux pouces de diamètre,
2º. Par un grouppe de quatre figures.
Deuxième Site.
Ici le ſpectateur voit obliquement , & par la
proue un vaiſſeau du premier rang. Cette proue
eſt ſuppoſée à ſoixante quatre toiſes de l'oeil . Ce
vaiſſeau eſt ſuppoſé de cent quarante- quatre pieds
de longueur de l'érrave à l'étambord , fur trentefix
pieds de largeur, & cent quatre-vingt- quatre
pieds pour la hauteur du grand mât , compris
ceux qquuii eenn dépendent , en comptant du niveau
de l'eau juſque & compris le bâton du pavillon.
Enfin je ſuppoſe encore que ce mât foit placé à
foixante- dix - sept toiſes de l'oeil , & que la pouppe
foit à quatre- vingt- ſept toiſes, que le riveau de
la mer , ſuppoſée tranquille , ſoit à fix toiſes trois
pieds au- deſſous du plan de l'horifon .
(1) Site eſt un terme de peinture qui ſignifie
plan ſur lequel les figures & les autres principaux
objets font ſitués. :
164 MERCURE DE FRANCE.
Troisième Site.
Il eſt formé par une plage découverte de deux
toiſes d'hauteur, laquelle eſt occupée par un corps
de deux mille cinq cent hommes , formant un
bataillon quarré de cinquante toiſes. La première
lignede front eſt ſuppoſée placée ſur une perpendiculaire
à l'axe optique , éloignée à deux cent
cinquante-fix toiſes de l'oeil ,& la dernière àtrois
cent fix toiſes.
Quatrième Site.
Ungros rocher de vingt-cinq toiſes d'hauteur
perpendiculaire , à compter du niveau de la mer ,
forme ce ſite. Sur ſon ſommet eſt conſtruite une
tour de dix toiſes d'hauteur. L'axe de la tour eſt
ſuppoſé avoir ſon plan ſur une ligne horisontale
éloignée à cinq cent douze toiſes de l'oeil , & perpendiculaire
à l'axe optique.
Cinquième Site.
Celui- ci eſt formé par une montagne de cent
toiſes d'hauteur perpendiculaire : Sur ſon ſommet
eſt bâti un moulin-à-vent de huit toiſes d'élévation
, chaque aîle ayant fix pieds de largeur. Cette
montagne eſt éloignée à quatre mille toiſes de
l'oeil . (1)
(1) M. de la Hire a obfervé que l'on voit l'aîle
d'un moulin - à- vent à 4000 toiſes de diſtance ,
&c. Mémoire de mathématique & de phyſique ,
page 237.
JUILLET. 1772. 165
Sixième Site.
Enfin pour celui - ci , je ſuppoſe que ces fites
ſoient éclairés par la préſence du ſoleil , & que
cet aftre foit dans le prolongement de la ſécante
d'un angle de vingt degrés , que la tangente de
cet angle ſoit connue en toiſe , ainſi que la raïon
parallèle au plan de l'horiſon ; la diſtance du ſoleil
à la terre étant de 78463128000 toiles de
Roi , & le diamètre de ſon diſque étant de
653859400 toiſes. ( 1 )
Je ſuppoſe encore que le ſpectateur placé au
fommetde l'angle de vingt degrés, ſe trouve dans
le moment d'une eclipſe annulaire , le ſoleil &
la lune étant apogée. L'axe optique paſſant par
les centres de leurs diſques ; on trouvera l'image
du ſoleil , celle de la lune & celle de l'anneau lumineux.
Voilà , je crois , le plus grand & le dernier effet
deperspektive naturelle & oculaire , dont on puiffe
rendre compte , fi ce n'est qu'on veuille opérer fur
les étoiles fixes , mais leurs volumes & leurs diftances
à la terre ne ſont pas aflez connues .
Vous obſerverez , Monfieur , que ſi on paffe les
dimenſions quelconques trouvées , pour les images
peintes dans l'oeil , en premières espèces immédiates
plus hautes , on aura un deſſin ou tableau
plus grand; mais plus généralement en les multipliantpar
un même nombre quelconque , on aura
des dimenſions plus grandes felon le beſoin.
(1 ) Dictionnaire univerſél de Mathém. & de
phyl. par M. Savérien , au mot Lumière,
166 MERCURE DE FRANCE.
Il y a plus : par le moyen des règles de laPerfpective
oculaire , on trouvera auſſi le lieu & les
dimenſions des projections des objets repréſentés
dans les miroirs plans , les originaux étant éloignés
à des diſtances quelconques devant le miroir.
On pourra auſſi trouver la grandeur des
images que les télescopes procurent ; & enfin pratiquer
auffi la perſpective linéaire avec la dernière
exactitude.
Al'égard de la Perspective apparente , ſeconde
branche de la perspective naturelle , outre fon application
à l'architecture , à la ſculpture & à la
peinture; enfin aux déformations naturelles & artificielles
; on trouvera encorepar ſon moyen les
proportions couvenables aux ſtatues pédeſtres &
équeſtres ſelon l'étendue des places royales , & la
hauteur des bâtimens qui en formeent l'enceinte.
Au ſurplus par la perspective apparente on aura
auſſi la ſenſation viſuelle des objets placés à des
diſtances quelconques connues , ainſi que la ſenſation
viſuelle que l'ame recevroit des objets ſuppofés
dans chaque ſite du tableau oculaire s'ils
exiſtoient réeliement ſur le terrein : enfin celle de
ces mêmes objets vus dans les miroirs plans, & par
les télescopes.
Cette perſpective procurera les dimenſions convenables
aux objets , ſoit animés ou inanimés ,
pour les repréſentations théâtrales & pour les •
chafſisdécoupés; enfin pour les plans perſpectifs
repréſentant, ſur le théâtre, un terrein horizontal
d'une étendue quelconque; le tout relativementà
des apparences de diſtance quelconque.
Da Perspective linéaire déterminera particuliè
rement , & avec les plus grands détails ſelon le
beſoin, les projections de ces mêmes ſites & de ces
JUILLET. 1772. 167
mêmes objets , ſur un plan vertical interpoſé à
une diſtance quelconque de l'oeil , & fuffisamment
grand à proportion de ſon éloignement de celuici
; par conféquent fur chaque ferme ou toile qui
fert de fond à la ſcène théâtrale ſelon la néceflité,
ainſi que ſur les tableaux de chevalet ou autres
de grandeur quelconque; enfin priſe inverſement
elle ſervira pour les plafonds & les coupoles. Au
furplus elle fixera la grandeur des ombres ſelon
l'heure du jour & la latitude des lieux , fi la compoſition
l'exige.
Cette perſpective ſera terminée par une table
calculée ſelon les progreſſions géométriques doubles
croiſantes & fous doubles décroiſantes , drefſée
à l'uſage des artiſtes , pour des tableaux de
diverſes grandeurs , depuis un pouce quarré julqu'à
deux toiſes , Thoriſon éloigné du bord inférieur
du tableau depuis une ligne juſqu'à neuf
pieds.
Elle prouvera en même tems que ſur le tableau
de grandeur quelconque , la réunion des projections
, de toutes parallèles entre elles & à l'axe optique
, à un même point de l'horiſon n'eſt pas
exacte à la rigueur.
Enfin la Perspective aërienne , ſeconde branche
de l'imitation de la perſpective naturelle ,
étant en quelque forte ſoumiſe aux loix exactes
de la géométrie , elle doit fixer les teintes& demiteintes
(1 ) par la dégradation géométrique des
plus fortes ombres &des plus vives lumières , à
(1 ) M Bouguer , Eſſai d'optique ſur la dégrada
tionde la lumière. Préface.
168 MERCURE DE FRANCE .
commencer rigoureuſementdès labaſedu tableau,
d'où ſuit celle du clair obscur relativement aux
diſtances quelconques , foit pour les décorations
théâtrales , ſoit pour les tableaux de chevalet ou
autresdegrandeur quelconque ; du moins autant
que les couleurs matérielles que l'on emploie peuvent
le permettre , & felon ce que peut indiquer
une espèce d'échelle mobile que j'ai imaginée pour
ceteffet.
Voilà , Monfieur, en quoi conſiſtent les quatre
perſpectives dont je vous ai parlé. Il eſt évident
queles deux premières doivent naturellement précéder
les deux autres ,& que les quatre font intéparables&
forment ce que j'appelle l'Optique des
dimenſions.
De même il eſt clair que dans tous les cas où
les méthodes ordinaires ſeront en défaut , la perf.
pective linéaire pratiquée par le moyen du calcul
arithmétique que je propoſe , y ſuppléera ; mais
pour détruire toute incertitude dans l'esprit des
artiſtes, il convient que le tout ſoit préalablement
foumis aux lumières de MM. de l'Académie royale
des Sciences , & enſuite que l'ordre , la clarté&
le ſtyle en ſoient corrigés par un amateur lettré ,
zélé pour les ſciences& les arts ,&à qui cette matière
ſoit familière.
J'ai l'honneur d'être , &c.
LETTRE
JUILLET. 1772. 169
LETTRE fur le prétendu Hydroscope ,
écrite à M.... par M. de la Lande ,
de l'Académie des Sciences .
L'Académie a reçu , Monfieur , votre lettre du
5 Juin ; quoiqu'elle n'ait pas voulu prendre connoiflance
des faits qui y ſont contenus , elle a
defiré qu'un des Membres de la Compagnie ſe
chargeât de vous faire réponſe& de vous remercier
de votre attention. Mais ce que j'aurai l'honneur
de vous dire ſur le fond de la queſtion n'eſt
pas le réſultat d'une délibération formelle de l'académie
, c'eſt celui des différentes converſations
occaſionnées par la lecture de votre lettre & de
divers articles de la gazette de France.
Il eſt ſurprenant, Monfieur, qu'une perſonne
qui a des lumières & de l'esprit , ait pu donner
dars le piége qu'un petit charlatan a tendu à votre
bonne foi ; votre candeur n'a pu réſiſter au ré
moignage & à l'aſſurance de pluſieurs perſonnes
dignes de foi , & vous avez fait prêter à la perfuafion
qu'ils vous avoient inspirée les faits même
dont vous avez été témoin ; vous n'étiez pas auſſi
accoutumé que nous le ſommes ici à voir des
preuves de l'étrange crédulité & même de la ſtupidité
du peuple; &vous avez penſé qu'une choſe
atteſtée par beaucoup de perſonnes , devoit être
vraie , ſans examiner ſi la fourberie , le préjugé,
l'amour du merveilleux , n'étoient pas des fources
ordinaires de prodiges atteſtés dans tous les
tems & dans tous les pays , mais que jamais les
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
phyſiciens ne croient quand ils choquent les idées
nettes que nous avons des forces de la nature.
Nous voyons par une expérience éternelle que
par-tout où il y a un frippon &des imbéciles il y
a toujours de ces prodiges . On ne s'en étonne
point ; mais quand on a étudié les hommes,qu'on
connoît la crédulité des uns & la dispofition
qu'ont tant d'autres à en abuſer , quand on a vu
mille preuves d'impoſture & d'ignorance de leur
part , on n'a pas même la complaiſance de fufpendre
fon jugement; on les plaint , & s'ils perfiftent
on les mépriſe: je ne doute pas , Monfieur,
que vous ne faffiez bientôt commenous.
2
On vous a dit que ce petit Parangue avoit indiqué
pluſieurs ſources cachées ; mais vous favez
aflez qu'il y a de l'eau presque par tout , & que la
couche d'argile qui environne la terre à une cer
caineprofondeur retient l'eau,àquelque endroitque
l'on fouille pour lui donner iſſue ou à un puits ou
une ſource , & je n'ai guère vu que l'on creusât
dans les plaines & les vallons ſans trouver de
l'eau. Les gens qui vont dans les villages faire
tourner la baguette , choififlent ordinairement
ſans rien dire , l'endroit le plus commode pour le
ſervice de la maiſon , ils y font leur opération
merveilleuſe & jamais ils ne manquent de réuffir.
Ils pourroient dire qu'ils voient l'eau , & presque
par-tout on les croiroit ; ils auroient bien plus de
voix à citer en témoignage que votre nouvel hy.
droscope , mais ils ne font pas fi effrontés que lui.
Vous verrez fur cette nape d'eau fousterreine un
détail aflez remarquable dans mon voyage d'Italie
, tome 1 , pag. 556 , à l'occaſion de Modène ,
où elle eſt plus copieule & à une moindre profondeur
qu'on ne la trouve communément. Vous paJUILLET.
1772 . 171
1
roiflez entraîné ſurtout par cette conſidération
qu'il a indiqué le cours & la direction des ſources
&des courans ; mais 1 °. quand la pente du terrein
détermine le cours de l'eau , on ne peut pas
s'y tromper. 2º . Si c'eſt en plat pays, la direction
dans laquelle on fait une tranchée eſt toujours
celle que l'eau prend , & l'on peut la conduire au
nord ou au midi: votre prophéte aura toujours
raifon .
L'hiſtoire des vaſes pleins d'eau qu'on avoit
cachés & qu'il a découverts eſt une circonstance
ajoutée par la renommée pour augmenter le merveilleux.
Nous ſavons par expérience que cela
arrive tous les jours , à moins que l'enfant n'ait
été inſtruit d'avance comme le Devin du village ;
au reſte , ſa manière énigmatique de répondre
dans cette circonſtance ménageoit un fubterfuge ,
& il a pu rencontrer juſte par kafard.
Avez - vous pû ſoupçonner , Monfieur , que la
lumière paſsât au travers de la terre , & qu'elle
fût réfléchie par l'eau ? avez- vous pû imaginer
qu'un fluide moins fubtil que la lumière pût frapper
les yeux de cet enfant , & qu'il fallût admettre
pour cet individu de nouvelles loix dans la nature
? Avant de hafarder de tels paradoxes ne
faut-il pas avoir épuisé les autres explications , &
celle de la crédulité du peuple n'eſt - elle pas la
plus naturelle , la plus incontestable d'après l'expérience
de tous les fiécles.
Nos hiſtoires font pleines de faits audi fingu
liers , aufli publics , auſſi atteſtés , mais que perfonne
ne croit plus , auſſi tôt que la fermentation
& le goût du merveilleux ont fait place au bon
fens . Dans ce genre là tout le monde est peuple
excepté les phyſiciens , accoutumés à étudier le
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
phénomènes de la nature , à les vérifier , à les
comprendre , à les expliquer, à les léparer du merveilleux
.
M. l'abbé de St Ruf fait faire à votre hydroscope
une opération de géométrie naturelle pour
connoître les profondeurs des ſources ; cela m'a
fait voir combien un homme de mérite, ſéduit par
beaucoup de témoignages , ſait mettre d'esprit
pour appuyer le merveilleux : cette opération eſt
certainement bien au- deſſus de la capacité de ce
villageois . >
Un académicien de Paris qui avoit beaucoup
entendu parler du prétendu hydroscope à Toulon,
ſe rendit l'année dernière à une baſtide où l'on
avoit mandé cet enfant : il y vint , mais ayant ap.
pris dans les baſle - cours qu'un homme inſtruit
alloit l'examiner il diſparut auſſi-tôt , & on ne le
revit plus ; on y a crculé ſur ſa parole , mais inutilement
.
Un Magiſtrat diſtingué qui étoit hier à l'Académie
lorsqu'on fit la lecture de votre lettre, propoſa
de faire venir cet enfant , nous l'avons prie
de n'en rien faire , ce ſeroit accréditer des bruits
ridicules & leur donner un air d'importance qu'ils
ne méritent pas : on ſauroit dans tous les villages
qu'on le fait venir à Paris , & l'on n'y apprendroit
peut-être jamais qu'il y a été démasqué & mépritécomme
un fot & un impoſteur.
Il y a dans une de nos dernières gazettes , une
réponſe de cet enfant , qui s'étoit trompé dans un
endroit où il y avoit de l'eau très - près de lui ; cette
réponſe le décèle ſuffilamment & montre qu'il est
aflez rulé pour vouloir ſe tirer d'embarras au
moins par des reparties ; & qu'il a pu , comme tant
d'autres charlatans , en impofer pourun temsàla
JUILLET. 1772 . 173
ſtupidité du vulgaire , toujours porté à croire des
choſes extraordinaires précilément parce qu'elles
font incroyables. Nous avons eu l'année dernière
à Paris les Diables de Louvet ; cette année le
Guériſleur de la rue des Moineaux , &de tems en
tems il y a des gens qui eſſayent de tirer parte de
cette dispofition du peuple.
Vous verrez , Monfieur , dans le dictionnaire
de Bayle , aux mots Abaris & Zahuris , des fingularités
de même espèce que celle de l'hydroscope
, qui annoncent que dans tous les fiécles il y
eu des fourbes &des ignorans encore plus que
dans le nôtre .
a
Onm'appottedans l'inſtant même une lettre du
20 Juin 1772 , imprimée en 14 pages , & approuvée
, où vous verrez d'autres faits ſemblables &
d'autres raiſonnemens qui décélent l'impoſture &
la maladreſſe de votre hydroscope.
Pardonnez-moi , Monfieur , la liberté avec laquelle
je viens de m'expliquer; j'ai eru que vous
aimeriez mieux ſçavoir ce que nous penſons ici
fur cet objet que de recevoir des complimens ; je
n'aurois pas pris la peine d'écrire auffi longuement
à une perſonne qui mériteroit moins ma
conſidération & mes égards , & je vous prie de
regarder ma ſincérité comme une preuve du cas
que je fais de votre eſtime & de votre jugement.
J'ai l'honneur d'être , &c.
;
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
ARTS.
GRAVURES.
I.
FÊTES de Rheims lors de l'inauguration
de la Statue du Roi.
LES ſuperbes Fêtes que la Ville de
Rheims donna au ſujet de l'Inaugutation
de la Statue du Roi , ayant intéreſſé la
Nation par le ſentiment que lui inſpire
un Monarque chéri , fit naître le defir
d'en fixer la mémoire. Ce même defir
détermina le ſieur Varin d'en exécuter
les gravures ſous l'approbation & la protection
de M. Rouillé d'Orfeuil , Intendant
de la province & de Meſſieurs les
Magiſtrats de ladite ville. Enfin parvenus
à l'entière exécution de ces Fêtes , ils
les annoncent fous quatre vues différentes.
La première offre la cérémonie inaugurable
fur la place royale ; la deuxiéme
le feu d'artifice tiré ſur la vaſte place de
la Couture ; la troiſiéme l'ouverture du
bal dans la ſalle conſtruite dans les promenades
publiques ; & la quatrième
lesdanſes du peuple , & la diſtribution du
JUILLET. 1772. 175
pain , vin & viande. Ces quatre eſtampes
dont la belle compoſition eſt due au
génie & aux talens de Meſſieurs Moreau
deflinateur des menus plaiſirs du Roi , &
Blarencberghe , deſſinateur & peintre du
bureau de la guerre , intéreſſeront par des
monumens reguliers & des ſites pittoreſques:
on y trouve de l'effet & un travail
précieux. Ces eſtampes font fuite
avec celle des monumens & des vues de
la place de Reims , gravées ſur les deſſins
& ſous la conduite de M. Cochin , par
Meffieurs Moitte & Choffard .
Les fieurs Varin donneront dans quelque
temps pour collection totale , les
portes & fontaines ( dont la deſcription
eſt annoncée dans le volume des monumens
, & des vues de la place de Reims )
d'après les tableaux d'Artiſtes célébres.
Ces quatre eftampes , papier grand aigle,
font du prix de vingt-quatre livres , & fe
vendront à Paris , chez Meſſieurs Balan
& Poignaut , rue Serpente , à l'hôtel de
Serpente , & chez Latré , rue S. Jacques ,
près la rue du plâtre , à la ville de Bordeaux.
On trouvera aux mêmes adreſſes la
même fontaine ( furnommée d'Ormefſon
) gravée d'après les tableaux de M.
Lallement , par l'Auteur des fêtes , & les
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
grand plan , monumens & vues de la ville
de Reims .
1 1.
Costume des anciens peuples , par M. d'André
Bardon , profeſſeur de l'académie
royale de peinture & de ſculpture ,
troiſième cahier. A Paris , chez Jombert
, pere & fils , & Cellot , rue Dauphine.
Ce nouveau cahier qui eſt ainſi que les
précédens , compoſé de douze planches
gravées avec ſoin , nous donne la ſuite
des uſages religieux des Grecs &des Romains.
Pluſieurs Autels deſſinés d'après
les monumens anciens , des Trépieds , des
vaſes pour l'eau luſtrale & les libations
& les momens ſucceſſifs d'un Sacrifice ,
font ici tracés devant nos yeux. Les explications
qui y ſont jointes, intéreſſeront
ceux qui s'adonnent à l'étude de l'hiftoire
: les deſſinateurs & les peintres d'hiſ.
toire ; particulièrement ceux qui veulent
mettre dans la ſcène de leur tableau, de la
vérité & de l'exactitude.
JUILLET. 1772. 177
III.
Portrait de M. Gretry , deſſiné & gravé
par Moreau le jeune. A Paris , chez
l'Auteur , Cour du Palais , Hôtel de la
Tréſorerie .
Ce portrait vu de profil eſt renfermé
dans un médaillon. Il eſt gravé d'une
pointe légere & fpirituelle. On lit au bas
ce vers d'Horace , dont l'application à la
muſique pittorefque & dramatique deM.
Gretry , est très- heureuſe .
Irritat , mulcet , falfis terroribus implet ,
ut magus. • •
HOR. Epift . 1 lib. 11 .
:
MUSIQUE.
I.
Recueil lyrique d'airs choiſis des meilleurs
, Muficiens Italiens avec des paroles
Françoises , & la bafſſe chiffrée , ſecond
recueil ; prix 3 liv. broché en carton. A
Paris , chez Didot aîné , Libraire &
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
Imprimeur , rue Pavée , près du quai
des Auguſtins , à la Bible d'or.
0N a raſſemblé dans ce nouveau recueil
une ſuite d'airs Italiens qui font les délices
des concerts & des ſociétés . Des paroles
Françoiſes ont été ſubſtituées aux
paroles Italiennes afin de mettre ces airs
à la portée de ceux qui n'ont aucune connoiſſance
de la langue Italienne. Tous ces
airs ont leur baſſe chiffrée , & pluſieurs
ont une partie d'accompagnement. La
partie du chant a été miſe ſur la clef de
g , re , fol , comme la plus connue & la
plus commode pour ceux qui jouent des
inſtruments , & qui au défaut de la voix
voudroient exécuter ces airs. Les paroles
ont été compoſées par un Poëte muficien
qui a toujours eu attention de confulter
la profodie pour que la meſure des vers
répondît à celle de la muſique. Ce recueil
ne peut donc manquer d'être accueilli
des Virtuoſes &de tous ceux qui , quoique
Français , ont du goût pour la bonne
muſique.
JUILLET. 1772. 179
I I.
Trois Quatuor & trois Trio , dédiés à
Madame Victoire de France , par M. de
Mignaux , ordinaire de la muſique du
Roi ; prix 7 liv. 4 fols. A Paris , chez
Fleury , Luthier , rue des Boucheries ,
Fauxbourg S. Germain , & aux adreſſes
ordinaires de muſique. A Lyon , chez
Caſtaud , place de la Comédie ; à Verfailles
, chez l'Auteur , au Pavillon royal ,
avenue de S. Cloud .
GÉOGRAPHIE.
LEVoyageur curieux , ou vues des routes
de France. Route de Compiegne , dédiée
à fon Aitefle Mgr le prince de Marfan ,
Chevalier des ordres du Roi , Lieutenantgénéral
de ſes Armées , prix 3 liv . 9 petites
feuilles bien gravées. A Paris , chez
Lattré , graveur ordinaire de Mgr le Dauphin
, rue S. Jacques , vis-à-vis la rue de
la Parcheminerie , à la ville de Bordeaux,
avec privilége du Roi.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
SYNONIMES FRANÇOIS .
Par M. l'Abbé Roubau.
Fécondité , Fertilité.
La fécondité & la fertilité s'expliquent
par l'abondance des productions : mais la
fécondité rappelle particulièrement la faculté
de produire, & la fertilité le devéloppement
énergique de cette faculté ; la
première remonte au principe , la ſeconde
s'arrête à l'effet. L'une engendre & l'autre
rapporte.
L'induſtrie des anciens Egyptiens enrichit
leur empire de fertiles moiſſons par
la diſtribution régulière des eauxfécondes
duNil ; tandis que la barbarie des Négres
a toujours trompé lafertilité des terresfé.
condées par le limon du Sénégal aſſujetti
par les mêmes cauſes aux mêmes débordemens
que le Nil , s'il n'eſt pas forti de
la même ſource.
Dans le figuré , un ſujet eſt fécond ,
lorſqu'il contient le germe d'une foule de
vérités , la fértilité s'annoncera par le développement
de ces germes.
Tite- Live dit que la Gaule étoitfertile
enhommes & en denrées; & Pline, qu'il
JUILLET. 1772. 181
n'y avoit point de terre plus féconde en
métaux que l'Italie : la fertilité exprimeroit-
elle mieux la production extérieure ,
& la fécondité la production intérieure ?
On féconde ce qui par foi même ne
produiroit pas : on fertiliſe ce qui abandonné
à foi ne produiroit pas abondamment.
Le ſoleil féconde la nature ; la culture
fertiliſe la terre .
Les poiſlons males fécondent les oeufs
des fémelles en répandant leur liqueur fur
le fray qu'elles vuident. La pouſſière ſéminale
du datier mâle va féconder les
Aeurs du datier fémelle . Dans les Iſles de
l'Archipel , les fruits des figuiers domeſtiques
font , en un ſens ,fécondés par la piqûure
des moucherons renfermés dans les
fruits des figuiers ſauvages. Le principe
de la fécondité n'existe pas dans l'ergot ,
car ce grain n'a point de germe ,& il n'eft ,
àproprement parler , qu'une galle formée
par la piquûre d'un inſecte.
Lafertilité des terres s'entretient& s'accroît
des dépouilles des trois genres. Pour
fertiliser les terres , les Inſulaires de Ceylan
employent particulièrement la chaux
d'écailles d'huitres ; les Itlandois ſeptentrionnaux
les coquillages de mer; les Chinois
, les vuidanges des foſſes; les habi
182 MERCURE DE FRANCE .
tans de la Brie , les décombres des vieux
bâtimens ; les Vénitiens , les balayures
des maiſons; les Anglois occidentaux, le
fable de mer ; les Boulenois , les plumes
d'oiſeau ; les Toſcans , les habitans de
Dunstable , &c. les vieuxchiffons ; les habitans
des côtes maritimes de divers états
le goëmon ou varrech , lorſqu'ils en ont
le libre uſage , &c.
Les femmes de l'Orient ceſſent bientôt
d'être fécondes , parce qu'elles le font de
de trop bonne heure. Les pays où la faulx
du deſpotiſme coupe les moiſſons , cefſent
bientôt d'être fertiles.
Les fermiers épuiſent la fécondité de
la terre dans les pays où les baux font
trop courts , comme dans le pays d'Hanovre
& autres lieux de l'Allemagne où
les baux ne durent que trois ans. La fertilitéde
quelques cantons de l'Amérique
n'a pas répondu aux voeux des planteurs ,
lorſqu'ils ont voulu les forcer à porter des
cerifiers , des pruniers & autres arbres à
noyaux.
Laftérilité eſt plutôt l'oppoſé de la féconditéque
de la fertilité ; car un mauvais
terrein , quoiqu'il ne foit pas fertile, n'eſt
pas abfolumentſtérile , il n'est qu'infertile.
Il y aura peut- être cette différence entre
JUILLET. 1772. 183.
Stérile & infécond , que le premier fignifiera
proprement ce qui ne peut pas être
fécondé, & le ſecond , ce qui ne l'eſt pas.
Les mots fécondité , fertilité , ſtérilité ,
font les mots latinsfæcunditas , fertilitas ,
fterilitas. Nous retrouvons des termes
analogues dans la langue grecque. στορειν
carere , marque la privation , le défaut ,
l'inefficacité (ftérilité.) φερω, fero ,je porte
, exprime la production , le fruit (fertilité.)
Nous préſumons que les mots facundare
, foecunditas , foecundus , ont une
racine commune avec abundare , exundare
, redundare , composés d'undare , indices
de l'abondance ; & que le foec eſt le
même que φαικος , efficax , vividus , & c.
(le verbe fac , facere) qui marque l'efficacité
, la faculté vivifiante , le principe
de l'abondance .
Dans le figure , la fécondité emporte ,
ce ſemble , une idée de grandeur que nous
n'attachons pas ordinairement à lafertilité.
L'eſprit eſt fertile en expédiens ; il retient
les rênes du gouvernement dans les
mains de Mazarin , malgré les cabales ,
les barricades , les arrêts , les chanſons ,
les feux follets de la fronde. Le génie eſt
fécond en reſſources; il applanit àAnni
184 MERCURE DE FRANCE.
bal , preſque ſeul contre tous , la mer ,
l'Eſpagne , les Pyrénées , les Gaules , les
Alpes , & l'Italie juſqu'aux portes de Rome
ou du moins à Capoue .
On dira la fécondité d'un auteur , lotfque
de la profondeur de ſon génie &de
ſa ſcience , cet auteur tirera ſans ceſſe de
nouvelles maſſes d'idées & d'inſtructions
auſſi ſolides que variées. On dira lafertilité
d'un écrivain , lorſqu'avec le don de
croire à ſes premières penſées & de commander
à ſa plume , cet écrivain affectera
faſtueuse & vaine abondance
qui n'eſt pas incompatible avec laſtérilité.
cette
Un âge , un pays eſt fécond en grands
hommes; ce pays eſt celui de l'honnête
liberté , * cet âge ſera celui d'un grand
Prince. Il y a des peuples &des tems fertiles
en inventions; ces tems ſont amenés,
ces peuples ſe forment, lorſque les atteliers
de l'induſtrie excitée par les circonftances&
par les encouragemens communiquent
d'un côté avec les cabinets des
Sçavans & de l'autre avec les palais des
Princes .
* Quelle que ſoit la forme duGouvernement ,
monarchique ou républicaine.
JUILLET. 1772. 185
Les loix tyranniques font fécondes en
grands crimes , parce qu'elles en créent ,
qu'elles en commettent , qu'elles les con.
fondent , & qu'elles irritent : auſſi les
moeurs font - elles atroces par- tout où le
font les loix ; voyez le Japon. L'intérêt
particulier eſt très-fertile en moyens d'éluder
les prohibitions , car l'appas du gain
l'attire vers les paſſages que l'inſpection
la plus ſévère laiſſe néceſſairement ouverts
: auffi la contrebande eſt - elle une
des principales branches du commerce de
l'Europe ; voyez l'Angleterre .
L'erreur la plus chère aux paſſions eſt
l'erreur la plus fertile en déguiſemens ,
c'eſt le Protée de la fable. Une grande vé.
rité eſt une vérité éclatante & féconde en
vérités ; c'eſt un globe de lumière.
NOTICES fur la vie & les ouvrages de
Pergolese , par M. Boyer.
C'E'ESSTT le fort des hommes qui ont inventé ou
perfectionné les arts d'être en général mal connus.
Efope & Homère ne ſont pas les ſeuls illuftres
perſonnages de qui l'antiquité ne raconte que
des fables. Dans tous les tems lesGrecs ſe ſont plû
àjetter du merveilleux ſur toutes les actions des
186 MERCURE DE FRANCE.
hommes célèbres qui ajoutoient à leurs connoifſances
, ou qui leur procuroient de nouveaux
plaiſirs . Nous ne ſommes pas mieux inſtruits ſur
la vie de la plupart des artiſtes qui , quoique plus
modernes , & pour ne s'être occupés que des arts
agréables n'ont pas moins de droit à notre reconnoiflance.
Pergolèſe eſt de ce nombre. Dans les
jours conſacrés à l'exécution de ſon chef- d'oeuvre
on ne parle encore que de la jaloufie de tes riveaux
, de fa mort prématurée qui en fut la ſuite ;
d'un prétendu meurtre commis a Rome , dont il
n'avoit pas beſoin pour s'élever à ce degré d'expreſſion
qui caractériſe ſon Stabat Mater , commeMichel
Ange n'avoit que faire de crucifier un
hommepour rendre avec la plus grande vérité un
Chriſt expirant dans les tourmens.
Telle eſt notre vénération pour ces génies extraordinaires
que nous ne voulons pas qu'ils aient
vécus , qu'ils foient morts comme le commun des
hommes. Nous ſommes bien éloignés de croire
qu'ils ſe ſont ſervis des mêmes moyens qu'un ariſte
ordinaire emploie; & tandis que la ſeule différence
qu'il y a entre eux & celui-ci ne vientque
de la vivacité de la flamme dont ils ont été animés
, nous leur prêtons gratuitement des ſecours
dont ils ont fû ſe paſler pour compofer les ouvrages
que nous ne ceflons d'admirer.
Les auteurs du nouveau Dictionnaire historique
ont écrit , & les papiers publics ont répété
ſans doute d'après eux , que Pergolèſe étoit mort
en 1733 comme il finiffoit le dernier couplet du
Stabat Mater , on a mis à la tête de ce motet imprimé
à Paris , qu'il étoit né à Pergola ; trompés
ſansdoute fur la reflemblance des noms. On lui
JUILLET. 1772 . 187
donne le titre de maître de Lorette où il n'a été
de ſa vie. Je vais tacher de rectifier toutes ces
erreurs en répandant un peu plus de jour ſur la
vie de cet artiſte célèbre. J'ai été dans les lieux
où il a été élevé , dans ceux qui ont été le théâ
tre de ſa gloire. J'ai connu pluſieurs perſonnes
qui ont vécu avec lui , & M. Duni fi connu parmi
nous par tant d'ouvrages agréables , M. Vernet
que la nature avoit formé pour devenir auſſi
grand muſicien qu'il eſt grand peintre , ont bien
voulu ajouter à mes recherches. Tous les deux
ont connu Pergolèfe ; ainſi on peut ajouter foi à
tout ce que j'ai recuilli ſur ſon compte.
Gio. Baptifta Pergolèſe nâquit en 1704 à Caforia,
petite ville à huit à dix milles de Naples.
Il fut reçu dès ſa plus tendre enfance au Confervatoire
de cette dernière ville , appellé Dei poveri
di Giefu Chrifto , qui depuis a été fupprimé.
Gaëtano Greco étoit alors à la tête de cette fameuſe
école. Ce grand maître di contrapunto ,
dont les Italiens ne parlent encore qu'avec éloge,
pritun ſoin particulier de ſonjeune élève , & lui
apprit de bonne heure tous les ſecrets de fon art.
Pergolèse, guidé par un tel inſtituteur , entra dans
le ſanctuaire de l'harmonie à un âge ou à peine
peut- on marcher d'un pás aſſuré dans les avenues
qui conduisent à ſon temple. Il n'avoit que 14
ans qu'il s'étoit déjà diftingué dans les écoles par
différens morceaux de compofition , où le goût
& la mélodie étant facrifiés à toutes les recherches
ſavantes du contrepoint , ou du moins gêné
par les règles rigoureuſes que ce genre exige ,
Pergolèſe n'avoit pas pû annoncer ce qu'il deviendroit
un jour . Mais à peine fut- il forti du Conſervatoire
qu'il changea totalement ſa manière.
188 MERCURE DE FRANCE .
Les ouvrages de Vinci , du Saſſone qu'alors il
entendit & qu'il étudia , opérèrent ce changement;
& en entrant dans la carrrriièèrree quecesgrands
maîtres venoient d'ouvrir , il ſe montra digne de
la parcourir avec eux.
Cependant ſes compatriotes ne rendirent pas à
ſes premiers eſſais toute la juſtice qu'ils méritoient
, & fon premier opéra joué au théâtre de
Fiorintini n'eut preſque aucun ſuccès. On le contenta
d'applaudir à quelques ariettes .
Le Prince de Stigliano , premier écuyer du Roi
deNaples , jugea mieux que les contemporains
des talens de Pergolèſe ; il le prit ſous ſa protection
, & depuis 1730 juſqu'en 1734 , il lui procurades
ouvrages pour le Teatro novo. Tous les
opéra que Pergolèle compoſa pendant ces trois
ou quatre années étoient la plupart en langage
napolitain ; il en faut excepter deux ou trois ,
fur- tout la Serva padrona qu'il fit auſſi dans ce
tems-là pour le théâtre de St Bartolomeo .
Ce n'étoit pas aſſez pour le génie de Pergolèſe
de n'avoir que des ſujets communs à traiter , &
de ne s'exercer que dans un dialecte naïf, il eſt
vrai , mais grofier. Il ſaiſit avec empreſſement
l'occaſion de ſe faire connoître à Rome par un
ouvrage d'une toute autre importance , & il compoſa
l'Olympiade en 1735 pour le théâtre de
Tordinone. M Duni , l'auteur du Peintre amoureux
, des Chaſſeurs & la Laitière , &c. qu'on ne
ſoupçonneroit pas à la fraîcheur de fon coloris ,
& aux agrémens de ſon ſtyle d'avoir été un virtuoſe
dès ce tems - là , avoit déjà beaucoup de
réputation , & il fut chargé de compoſer le ſecond
opéra du même théâtre intitulé ilNerone.
Les Romains , par une injustice qu'on peut repreJUILLET.
1772. 189
cher à d'autres peuples , méconnurent les beautés
dont l'ouvrage de Pergolèſe étoit rempli , & l'Olympiade
tomba. M. Duni , en ne me cachant
point que le Nerone avoit eu un grand ſuccès ,
ce que je ſavois déjà , m'a répété pluſieurs fois
qu'il fut frenetico contro il publico di Roma ( ce
ſont ſes expreſſions ) lorſqu'il vit l'accueil que
l'on faiſoit à ſon compatriote. Il ſe mit à la tête
de tous les Maestri di Capella de Rome , qui
avoient été frappés des beautés de l'Olympiade
pour tâcher de la relever. Il renforça ſon parti
par tous les artiſtes qui , à la connoiſlance du
beau , joignoient un goût décidé pour la muſique
(& M. Vernet étoit du nombre. ) Mais tous
les efforts de ces virtuoſes furent inutiles : le tems
n'étoir pas encore venu où ce même ouvrage de
voit faire la plus grande ſenſation. :
• Pergolèſe retourna à Naples , avec la fatisfaction
, il est vrai , d'avoir vu ſon ouvrage applaudi
par les gens de goût , & les maîtres de l'art qui ,
dans tous les pays forment le plus petit nombre ,
mais profondément bleflé de l'indifférence du
Public pour ce même ouvrage. A peine étoit- il de
retour dans ſa patrie que le Duc de Mataloni, Seigneur
Napolitain le chargea de compoſer la
melle & les vepres pour la fête d'un Saint qu'il
devoit faire célébrer à Rome avec la plus grande
magnificence. Quoique Pergolèſe n'eût que trop
àſe plaindre de cette ville , il ne balança pas un
inſtantàſe rendre aux deſirs du Duc; & c'est pour
cette fête qu'il compota la Meſe , le Dixit & le
Laudate que nous avons de lui. Ils furent entendus
dans l'égliſe de St Lorenzo in Lucina avec un
applaudiſſement général : & fi quelque choſe peut
conſoler unhomme de génie lorſqu'il a vu ſes
190 MERCURE DE FRANCE.
plus belles productions mépriſées , ou reçues avec
froideur , il ne faut pas douter que Pergolèſe ne
vît avec plaifir le ſuccès qu'alors ſes ouvrages ob.
tinrent dans Rome.
Cependant ſa ſanté dépériſſoit de jour en jour.
Il y avoit quatre ou cinq ans qu'on s'étoit apperçu
par un crachement de ſang preſque continuel
qu'il ne fourniroit pas toute la courſe , &
qu'il ſeroit enlevé à la fleur de fon âge. On ne
s'étoit pas trompé. Sa maladie ne fit qu'empirer
depuis fon dernier voyage à Rome. Le Prince de
Stigliano qui n'avoit ceflé de le protéger & de
Paimer , lui confeilla de prendre une petite maifon
alla torre del Greco. Ce lieu eſt ſitué au bord
de la mer à quatre milles de Naples , & preſque
au pié du Véſuve. L'opinion publique veut que
les perſonnes qui , comme Pergolèſe ſont attaquées
de la phtifie , guériflent plutôt dans cet
endroit , ou file mal est incurable , la mort les
en délivre plus vite. Ce fut là qu'il compoſa la
cantate d'Orphée & d' Euridice & le Stabat Mater.
Il alloit de tems en tems à Naples , & dans ces
courſes il faiſoit exécuter ce qu'il avoit compofé
àla campagne. Le dernier ouvrage qu'il mit en
muſique fut le Salve Regina , & il mourut peu de
tems après au commencement de l'année 1737 .
Apeine la nouvelle de fa mort fur- elle répandue ,
à peine ſes dernières productions furent- elles forties
de Naples que toute l'Italie voulut avoir ou
entendre juſqu'a ſes ouvragestes plus médiocres.
Ses opéra bouffons furent joués, les motets, exé
eutés dans toutes les Eglifes , & ce qu'on n'a jamais
fait pour aucun muficien , Rome voulut re
voir l'Olympiade. Cet opéra fut remis avec'la plus
grande magnificence , & plus on avoit montré
JUILLET. و . 1772
d'indifférence pour cet ouvrage il y avoit deux
ans , plus on s'empreſsa alors d'en admirer les
beautés.
On voit par cet expoſé fidèle qu'il eſt faux que
Pergolèſe ait éré empoisonné. Jamais ſes ſuccès
au theatre n'avoient été aflez brillans pour engager
les rivaux à ſe délivrer d'un pareil concurrent ;
&on a vu qu'au moment où la réputation le répandit
dans toute l'Italie , que dans le tems qu'il
compoſa ſes meilleurs ouvrages , les ſeuls qui
euflent pu exciter l'envie , il étoit alors pour ainſi
dire aux portes du trépas.
M. Duni , qui lui étoit attaché autant par amitié
que par admiration pour les talens , étonné
de la froideur avec laquelle l'Olympiade avoit
été reçue dans ſa nouvauté, s'exhaloit en invectives
contre le Public de Rome. Pergolèſe , avec ſa mo
deſtie ordinaire , lui répondit qu'il avoit éprouvé
pluſieurs fois de pareilles diſgraces , & qu'excepté
quelques petits ouvrages ; ( il vouloit fans doute
parlerde les opéra bouffons) tous les autres avoient
été reçus avec indifférence quoiqu'ils fuflent infiniment
ſupérieurs aux bagatelles qui lui avoient.
fait quelque réputation. Anfi le fort de cet habile
artiſte reſſemble à celui d'Homère , de Milton
, de Racine . Ces grands hommes font morts
avec la douleur de voir leurs chef - d'oeuvres
ignorés ou mépriſés..Tous les peuples de tous les
fiécles & de tous les lieux ont toujours été injuftes
envers ceux qui étoient ſeuls capables de les conduire
à la connoiſlance du vrat beau ,
On a cru long-tems en France que Pergolèfe
étoit le plus grand muficien que l'Italie eût produit.
Bien des gens penſent encore de même.
192 MERCURE DE FRANCE .
Cette erreur nous étoit pardonnable lorſque nous
ne connoiſſions de l'Ecole de Naples que le Stabat
Mater & la Serva padrona. Mais depuis que
les opéra de Vinci , de Jomeili , de Galuppi , de
Haffe qui , quoiqu'étranger , eſt réclamé par l'Italie
; depuis que les motets du noble Marcello ,
deLeo,deDurante ont franchi les Alpes, il ne nous
eſt plus permis d'affigner la première place à l'élè
ve deGaetano Greco
,
Les Italiens conviennent unanimement que per..
ſonne ne l'a furpaflé dans l'Expreſſion muſicale.
Ils trouvent même bien peu de morceaux dans
les ouvrages des maîtres que je viens de nommer
qui, à cet égard, puiſſent lui être oppoſés. Mais ils
lui reprochent les repitizioni un ſtyle par fois
trop coupé ; le chant principal un peu trop fubordonné
aux parties les plus baſſes , ce qui l'a
engagé quelquefois à faire briller celles-ci audépendsde
cette unité de mélodie que les compoſiteurs
recommandent tant. Enfin ſa manière leur
paroît en général maninconica (mélancholique )
ce qui venoit peut- être de ſa complexion ; & fon
faire ſouvent un peusec, défaut qu'il tenoit ſans
doute de ſon maitre. Tout cela n'empêche pas
qu'ils ne le regardent comme un très-grandmaitre
, & d'un commun accord ils l'ont appellé le
Dominiquain de la muſique ; mais c'eſt nous apprendrequ'iln'en
eſt ni leRaphaël ni le Titien.
LETTRE
JUILLET. 1772. 193
LETTRE de M. Darcet , docteur régent
de lafaculté de Médecine de Paris , au
fujet du remède végétal antivénérien du
Sr Agironi.
On trouve dans la Gazette d'Utrecht N° XXI,
du Vendredi 13 Mars 1772 , une annonce du
réméde antivénérien du fieur Agironi , dans
laquelle l'Auteur de ce réméde fait mention d'un
Certificat que j'ai donné , où j'atteſte que je n'ai
point trouvé de Mercure dans ſon Sirop. Voici le
fait.
Un de mes confrères me ſollicita au mois de
Décembre dernier , de voir ſi dans le ſirop végétal
antivénérien d'Agironi , il n'y avoit pas du
Mercure ; il me dit qu'il avoit beſoin de le
ſavoir , pour tranquillifer un de ſes amis malade
à Rouen , qui n'ayant pas été guéri par les autres
méthodes , étoit rebuté du Mercure , & vouloit
ufer de celui- ci , pourvu qu'il n'en contînt pas.
Je m'engageai même àlapreſſante follicitation
demon confrère , d'envoyer chercher moi- même
deux onces de ce ſirop , & je n'y trouvai pas
en effet de mercure en conféquence: je donnai
àmon confrère le certificat qu'il me demanda ,
pour l'envoyer à ſon ami. Mais voici l'uſage
qu'on fit de mon certificat , on le joignit à deux
autres , on les fit contrôler tous les trois à Paris,
le 18 Décembre , c'est-à- dire , deux jours après
leur fignature: ils ont été approuvés le 26 du
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
même mois & imprimés tout de ſuite . ( 1 ) Tout
ceci eft confirmé & bien développé dans la lettre
d'un certain Chevalier trois étoiles , qui eſt inférée
à la fuite de la ſeconde édition du livre du
fieur Agironi , & à la tête des certificats , dans
laquelle il ſe donne lui même pour l'Auteur de
cette infidélité. Il eſt clair que c'eſt une intrigue
pleine de dol & de ſupercherie. Je proteſte hautement
contre mon certificat . 1º Parce qu'ayant
été donné uniquement pour tranquilliſer la tête
d'un malade , & à la réquisition de ſon Médécin;
il étoit fait pour mourir dans le fecret. 2º Qu'il
a été imprimé ſans mon aveu , contre ma volonté
& à mon inſcu. 3º Que par le fait ce certificat
ne fignifie rien ; parce que rien ne peut conftater
que le firop que j'ai envoyé chercher chez
Agironi , & dans lequel je n'ai pas trouvé de
mercure , foit en effet fon véritable réméde
antivénérien. J'en ſuis d'autant moins sûr , que
c'étoit un piége qui étoit tendu , & qu'il eſt plus
que vraiſemblable qu'Agironi étoit à la tête de
cette intrigue. 4º Et ceci eft capital , que cette
légère analyſe n'a été faite que ſur deux onces
de firop: c'en pouvoit être affez pour tranquillifer
la tête d'un malade ; mais non pour faire une
analyſe authentique , oftenſible , démontrée , &
telle que je fais bien qu'on doit la faire quand
on a pour objet de lui attacher le ſceau de la
publicité , en un mot de mettre un réméde à
l'abri de la critique , & lui mériter la juſte confiancedu
public.
( 1) On m'a dit depuis que cette impreſſion
n'eſt que du mois de Février.
JUILLET. 1772 . 195
Voilà ce qui c'eſt paſſé dans la plus exacte
vérité , en conféquence je proteſte & figne ma
proteſtation.
D'ARCET , Docteur Régent , & ancien Profefſeur
de Pharmacie de la Faculté de médecine de
Paris.
A Paris , le 20 Avril 1772 .
Nota. L'original eſt ſigné de M. le Doyen de
la Faculté de Médécine , du Cenſeur & de M. le
Lieutenant général de Police .
ANECDOTES.
I.
PARMI les priſonniers qu'on fit àla
bataille de Lepante , le 3 Octobre 1571 ,
un des plus qualifiés d'entr'eux étoit Mahomet
Bacha de Negrepont , homme
dont l'eſprit n'avoit rien de groſſier , ni
de barbare , & qui ſavoit parfaitement
les coûtumes & les manières des Européens.
Colonne , Général des Troupes
papales , viſitant les priſonniers faits dans
cette fameuſe journée , commanda aux
Officiers & aux Soldats , de les traiter avec
douceur , & ſe tournant enſuite vers Ma-
:
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
homet , apprenez de nous , lui dit- il, d
pratiquer l'humanité, vous autres qui exercez
tant de barbarie contre les Chrétiens,
Mahomet lui répliqua , " Votre Seigneurie
nous pardonnera s'il lui plaît notre
>> ignorance , nous n'avions juſqu'ici fu
>>faire que des priſonniers , & n'avions
>> point encore été comme tels à l'école des
>> Chrétiens .
I I.
Emeric Gobier de Banault , étantAmbaſſadeur
en Eſpagne , aſſiſta un jour à une
comédie , où l'on repréſentoit la bataille
de Pavie , & voyant un acteur eſpagnol,
terraſſer celui qui repréſentoit François I.
lui mettre le pied ſur la gorge & l'obliger
à lui demander quartier dans les termes
les plus outrageans , il fauta fur le
théâtre , & en préſence de tout le monde ,
il paſſa ſon épée au travers du corps de
cet acteur,
ΙΙΙ.
Le Maréchal de Baſſompiere , paſſant
au Louvre par la ſalle des Gardes , rencontra
mademoiselle d'Entragues ſa maîtrelle
, qui avoit long - temps plaidé
JUILLET. 1772. 197
contre lui , au Parlement de Rouen , prea
tendant être ſa femme. Comme il la
faluoit , elle lui dit , M. vous devriez
bien me rendre les honneurs de Maréchal.
Eh ! Mademoiselle , répondit- il , pourquoi
prenez-vous un nom de guerre ? offenſée
de la réponſe , elle lui reprocha qu'il
étoit leplus fothomme de la Cour. Cette
Demoiſelle étoit propre ſoeur d'Henriette
deBalzac , Maîtreſſe d'Henri IV, appelée
la Marquiſe de Verneuil. Elle avoit une
promeſſe du Maréchal de Baſſompiere ,
& en avoit même un fils qui eſt mort
Evêque de Xaintes : elle s'appelloit Marie
de Balzac.
I V.
Au fiége de Bomel en 1599 , il arriva
un cas fingulier & peut- être unique en
ſon eſpèce. Deux freres qui ne s'étoient
jamais vus & qui s'étoient toujours cherchés
ſans pouvoir apprendre des nouvelles
l'un de l'autre , ſe rencontrerent par hafard
à ce ſiége , où ils ſervoient en deux
compagnies différentes. L'aîné qui s'appeloit
Hermando Diaz , ayant ouï nommer
l'autre par le nom d'Encillo , qui étoit
le ſurnomde leur mere , que celui-ci avoit
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
pris par affection ( choſe aſſez commune
en Eſpagne) l'interrogea fur pluſieurs autres
particularités domeſtiques , & reconnut
à la conformité de ſes réponſes que
c'étoit le frere qu'il cherchoit depuis
fi long-temps , furquoi venant tous deux
à s'embraſfer étroitement , un boulet de
canon leur emporte la tête , ſans ſéparer
Jeurs corps qui tombent accolés enſemble.
Ainſi mouturent ces deux freres à l'heure
la plus agréable de leur vie .
AVIS.
I.
Fumoir contre les Taupes , Mulots , &c.
:
CET Inſtrument métallique & portatif , eſt
conſtruit de façon à contenir du feu , & à fournir
un courant de fumée , qui à l'aide de tuyaux
qui s'y adaptent à la longueur néceſſaire aux
circonstances , étouffe dans le fond de leurs
trous les familles entières de toute cette vermine
terreftre , ennemie de la culture ; il peut même
s'employer avec avantage , contre les chenilles
qui viennent d'éclore.
On garnit le foyer de chiffons de toute eſpèce,
impreigné de mauvaiſes huilles , & vieille graiffe
mélée de fouffre de poix-raiſine, &d'autres odeurs
:
JUILLET. 1772. 199
graffes & fuffo quantes : un ſimple briquet ſert
à allumer ſur les lieux ces matières; le feu du
piſton acheve l'opération.
Il n'eſt pas de Cultivateur qui n'ait éprouvé
les ravages que cauſent ces animaux deſtructeurs
&qui n'ait plus d'une fois refléchi aux moyens
de s'en délivrer. On peut annoncer la réuffite
de cette machine comme ſûre , aucuns de ces
animaux ne pouvant reſiſter à ſon effet , & on
peut le regarder comme le plus efficace de tous
les moyens , dont ait fait juſqu'à préſent uſage.
:
Il ſe vend chez M. Diodet , rue S. Honoré ,
à la Roſe , vis à- vis l'Oratoire . Le prix en eft
fixé à 72 liv.
I I.
Ventes d'Immeubles.
:
On avertit le public qu'il s'imprime à Paris ,
chaque mois , un extrait des contrats des biens
vendus & fentences d'adjudication faites , qui
eſt expoſé pendant deux mois dans le tableau ,
placé dans l'auditoire du Châtelet de Paris , en
exécution de l'Edit du mois de Juin 1771 .
L
Cet ouvrage eſt utile & même néceſſaire pour
ſervir d'avertiſſement à tous ceux qui ont des
hypothéques , & autres droits ſur les immeubles
vendus , & empêcher que par le défaut d'une
oppofition au ſceau , ils ne foient expoſés à
perdre irrévocablement leurs droits.
On ſouſcrit à Paris , chez M. Deſprez , fécrétaire
du Roi , & greffier des criées du Châ-
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
telet , rue S. Merry. Le prix de la ſouſcription
eſt de quinze liv. par an.
111.
:
Eau du ſieur Trottier de Bois-Semé , appliéable
extérieurement , & fans qu'il ſoit beſoin
de régime ni préparation pour la guériſon
prompte & radicale de la Goutte , des Rhumes ,
Rhumatiſmes , Rhumatiſmes goutteux , Sciatiques
, douleurs , Fluxions , &c. par la diffolution
des humeurs , & par l'évacuation qu'elle
leurprocure , foit par la tranſpiration infenfible,
ſoit par les crachemens & par les urines.
L'uſage de cette Eau ne confiſte qu'à en imbiber
des linges , & à ſe les appliquer ſur les
parties affligées , le foir , au moment de ſe coucher.
On ne fera point chauffer ni l'eau , ni les
linges ; mais on ſe tiendra bien chaudement dans
fon lit juſqu'au lendemain matin.
こ
Le prix de chaque bouteille eſt de fix livres ,
frane de port. Pour en éviter la contrefaction ,
le ſieur Trottier de Bois - Semé mettra fur les
bouteilles l'inſcription ci-deſſus écrite de ſa
main , accompagnée de fon paraphe & de fon
cachet. Elle ſe tranſportera , tant qu'on voudra,
fans rien perdre de fa qualité.
Le ſieur Trottier de Bois - Semé demeure rue
Guénégaud , vis- à- vis,le nouvel Hôtel des Monnoies
, à Paris.
On le trouvera juſqu'à deux heures après
midi.
Nota. Le ſieur Trottier de Bois- Semé trai-
1
JUILLET. 1772 . 201
tera gratès les pauvres , chez lui , tous les Samedis
, depuis depuis ſept juſqu'a huit heures du
matin.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Constantinople , le 4 Mai 1772 .
TANDIS qu'on s'occupe de l'ouverture du congrès
, on n'a point discontinué ici de faire des
préparatifs pour recouvrer la Crimée : on a déjà
fait partir pour la Mer Noire quinze ou vingt
gros chebecs & plus de foixante galiotes. Le Capitan
Pacha ( amiral ) de la Mer Noire , a pris ,
aujourd'hui , congé de Sa Hautefle , dans une audience
publique qu'il a eue, ſuivant l'uſage , à Yali
Kiosk (le Pavillon de la Marine ) & il n'attend
qu'un vent favorable pour mettre à la voile avec
quatre vaiſleaux de cinquante canons & une vingtaine
de galiotes qui compoſent , avec les bâtimens
déjà partis , la flotte qu'il aura ſous ſes ordres.
On vit , il y a quelque tems , entre Varna
(Odeſſus ) & l'embouchure du canal de la Mer
Noire ( le Boſphore ) une flotille Rule qui donna
de l'inquiétude à la Porte ; mais elle diſparut ſans
avoir rien entrepris.
De Petersbourg, le 21 Mai 1772.
Le Sieur Guldenſtedt , membre de l'Académie
dePetersbourg & l'un des ſçavans que l'Impératrice
fait voyager dans les provinces ſituées aux
extrémités de ſon Empire &dans les pays étran
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
gers , a écrit de Géorgie une lettre dont voici la
fubſtance : Nous ſommes actuellement dans le
>>>Carduel , auprès du fleuve Kur ( autrefois Cy-
>>>rus . ) Tefflis , capitale de la Géorgie , eſt ſituée
>> fur ce fleuve. Je comptey paffer l'hiver , qui eſt
>> ici de courte durée. Tout y eſt encore en pleine
>>>verdure ; les feuilles des arbres ne font que
>> commencer un peu à ſe faner , & elles renaiſſent
>>> vers la fin de l'année. Les Géogiens ſont d'un
>> caractère ſi timide qu'ils redoutent , non ſeule-
>>>ment les dangers de la guerre & de la navigation,
mais même les maladies les plus ordinai-
>> res à l'homme. Ils ont , par cette raiſon , une
>> grande vénération pour les médecins , qui font
>> fort ignorans chez eux , & heureuſement fort
>> rares; auffi n'ai -je pas tardé à recevoir , de leur
> part, les plus grandes marques de conſidération ,
>> lorſqu'ilsm'ont vu employer en leur faveur , les
>>>connoiſlances que j'ai dans un art qui leur eſt ſi
>> cher . Je ne reçois point d'argent ; mais , en re-
>>> compenſe , ils procurent des vivres à ma ſuite
»qui conſiſte en trente- deux perſonnes ; ils m'of-
>>frent de plus , à chaque cure que je fais ,un beau
> cheval ou une jolie esclave. J'accepte ordinaire-
>> ment le cheval qui peut m'être utile dans mes
>> courſes, &je refuſe l'esclave qui ne feroit que
m'embarrafer, ود
11
De Warsovie , le 16 Juin 1772 .
Les troupes Autrichiennes ſont entrées à Przemiflie.
Le terrein qu'elles occupent renferme
douze petites villes & deux cens quatre - vingt
villages.
i
JUILLET. 1772. 203
De Dantrick , le 13 Juin 1772 .
W
On mande de Pologne que les troupes Autrichiennes
ſe ſont déjà avancées juſques vers Léopol
, dans le Palatinat de Ruffie. Les Rufles leur
fourniſſent des vivres ; mais elles délogent partout
les Confédérés .
La caſſation du Tribunal de Wilna cauſe , diton
, une grande fermentation à Warlovie. L'ambaſladeur
de Ruſſie prétend ne s'être porté à cette
démarche extraordinaire , que parce que le préſident
& les députés du Tribunal avoient été choisis -
par les intrigues de la Cour de Warſovie & de la
Famille Czartoriski. Quoi qu'il en ſoit , il ſemble
qu'on ait formé quelque nouveau projet en Lithuanie
; car les troupes de la République qui ſe
trouvent dans ce Grand Duché , ainſi que les Rufſes
, marchent également à Grodno &y transportent
leurs magaſins .
Des Frontières de la Pruſſe , le 18 Juin 1772 .
Les troupes Prufſiennes , qui avoient formé le
camp de Marienwerder , ſont retournées dans
leurs anciens quartiers , à l'exception de huit cens
hommes qui ſont reſtés dans cette ville & de cinq
cens qui ont été envoyés à Bromberg. Un bataillon
entier eſt entré à Graudentz ; fix cens hommes
, avec fix pièces de canon , ont pris poſte dans
les fauxbourgs d'Elbing ; la ville eſt toujours
gardée par dix -huit cens hommes de l'armée de
Ia Couronne de Pologne ; enfin on dit qu'un corps
de mille hommes , détaché pour la Warmie, doit
y avoir occupé les petites villes de Heilsberg &
de Frauenberg. Le général de Stutterheim , gou-
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
verneur de la Prufle Royale , eſt retourné à Ko
nigsberg . On a planté des poteaux aux armes de
Prufle le long de la Nottez jusqu'à Naklo , & de
ce lieu, en ſuivant, en droite ligne , la direction
du canal projetté , jusqu'à la Viſtule.
On dit qu'il doit ſe former en Lithuanie une
Confédération générale , pour appaiſer les troubles
de la Republique.
Dela Haye, le 20 Juin 1772.
On vient d'apprendre que la fuspenfion d'armes
entre les Rufles & les Turcs a été arrêtée &
publiée , le 7 du mois dernier , à Giurgewo. Le
Congrès ſe tiendra dans la ville de Bucharest,
Les nouvelles des frontières de la Siléfie portent
que la petite Fortereffe de Landscron vient d'être
livrée aux troupes Autrichiennes qui occuperont
également celles de Tyniec & de Bobreck ,
les ſeules dont les Confédérés foient en poffeffion.
,
De Copenhague, le 15 Juin 1772.
Le fort des trois derniers priſonniers d'Etat eft
enfin décidé. Le Conſeiller de Justice Struenſée a
eu la permiffion de retourner àLignitz , dans la
Siléſie Pruſſienne , où il occupoit précédemment
une place de profefleur de mathématiques. On lui
a fait figner une déclaration , par laquelle il s'engage
à ne jamais rien faire au préjudice de Sa
Majesté Danoiſe. On ne lui a donné ni penfion ,
ni gratification ; mais il a eu la permiffion d'emporter
avec lui ſon argent & fes effets. Le lieutenant-
général de Gaehler a obtenu une penfion de
mille écus , dont la moitié eſt reverfible à fon
JUILLET. 1772. 205
2
!
F
épouſe ; ils ont l'un & l'autre la permiſſion de demeurer
dans les Etats de Sa Majesté , à l'exception
des provinces de Zélande , de Fionie & de Slefwick.
Le colonel Falkenschiold eſt le ſeul , contre
lequel la Commiffion ait cru devoir févir.
Cetofficier , qui ſe diſtingua au dernier fiége &à
la priſe de Bender , a été privé de la place de chambellan
, ainſi que de ſon régiment , & condamné
àune priſon perpétuelle dans le château deMunckolm
, en Norwege. Ces trois perſonnes ne doi
vent ſortir de priſon que pour ſe rendre à leurs
deſtinations .
Pluſieurs compagnies de matelots arrêtèrent ,
la veille de la Pentecôte , le carrofle du Roi qui
revenoit de Charlottenlund , & préſentèrent à Sa
Majesté une requête , dans laquelle ils portoient
des plaintes ſur quelques arrangemens pris par
l'ancien miniſtère. Le Roi promit , dans le moment
, de leur faire rendre justice ; mais , quatre
jours après , un conſeiller privé & trois autres
commiflaires ſe rendirent au Vieux Holm : ils
aſſemblèrent les compagnies, leur firent de vifs
reproches ſur la conduite indécente & puniflable
qu'elles avoient tenue , & leur déclarèrent que , fi
aucun matelot oſoit , à l'avenir , ſe rendre coupabled'un
pareil attentat, il ſeroit condamné à la
calle ſéche & aux galères perpétuelles .
Le Comte de Saint - Germain s'eſt embarqué,
ces jours derniers , avec l'agrément de la Cour ,
pour Bordeaux , où il compte fixer fon ſéjour.
D'Alger , le 23 Mai 1772 .
Le Contre - Amiral Hooglant , commandant
l'escadre Danoiſe de la Méditerranée & miniſtre
206 MERCURE DE FRANCE.
plénipotentiaire pour conclure la paix avec la Régence
d'Alger , arriva dans cette rade , le 7 de ce
mois , avec le vaiſſeau de guerre le Groenland ,
de cinquante- quatre canons&de cinq cens hommes
d'équipage , & la frégate le Chriſtianſoé , de
trente canons& de deux cens quatre-vingt hommes.
Il avoit au mât d'Artimon ſon pavillon de
contre- amiral , & à celui de miſaine , un pavillon
blanc , pour annoncer qu'il venoit parlementer.
On entama une négociation qui dura jusqu'au
18 ; enfin on convint des différens articles , & la
paix fut conclue. La place ſalua de vingt - un
coups de canon le pavillon Danois , qui rendit le
même ſalut Deux jours après , le contre-amiral
Hooglant fut ſalué de la même manière en mettant
pied à terre & ſe rendit à l'audience du Dey.
Le premier traité du Danemarck avec la Régence
d'Alger a été renouvellé , & l'on n'y a fait aucun
changement.
De Bastia , le 20 Juin 1772 .
On vient de détacher de la Colonie établie auprès
de Baſtia un certain nombre de familles qu'on
aenvoyées ſur le territoire appellé Chiavari, ſitué
au golfe d'Ajaccio. Le ſol de ce terrein , qui appartient
au Roi , eſt ſusceptible d'une excellente
culture Il étoit ci -devant occupé par une famille
Gênoiſe qui fut obligée de l'abandonner pendant
les troubles. Il s'y trouve encore des habitations
aſſez bien conſervées , & que les nouveaux Colons
ſont occupés à réparer.
:
JUILLET. 1772 . 207
De Vienne , le 20 Juin 1772 .
Gerard Baron Van Swieten , commandeur de
l'Ordre Royal de St Etienne , premier médecin de
Leurs Majestés Impériales & Royale , préſident
de la Faculté de médecine , membre de l'Académie
royale des ſciences de Paris & de pluſieurs
autres académies , eſt mort , le 18 de ce mois, au
château de Schonbrun , dans la ſoixante-treizième
année de ſon âge. Il étoit connu dans toute
l'Europe , par pluſieurs ouvragesde médecine trèseſtimés
, & principalement par ſes Commentaires
fur Boerhave , dont le cinquième & dernier volume
a éte imprimé peu de jours avant la mort.
L'Impératrice - Reine , pour honorer la mémoire
de ce ſçavant médecin , a ordonné que ſon corps
fût transporté en cette ville & qu'il fût inhumé
au couvent des Auguſtins dans une chapelle particulière
, où repoſent les cendres des héros & des
perſonnes les plus célèbres qui ont illuſtré l'Autriche&
leur fiécle.
La fortereſſe de Tynieck s'eſt défendue avec
une opiniâtreté incroyable ; les attaques continuelles
des Rufles n'avoient pu engager la garniſon
à capituler. Une lettre écrite de Bilitz , en
date du 12 de ce mois , annonce un fait qui prouve
le courage & la fermeté de cette petite troupe.
Les officiers qui la commandent , voyant l'impoſſibilité
de tenir long-tems & voulant prévenir
le fort qui menaçoit la garniſon , s'étoient déterminés
à ſe rendre. Les ſoldats , informés qu'on
ſe dispoſoit à traiter avec l'ennemi , marchèrent
au quartier du commandant & s'aflurèrent de ſa
perſonne & des autres officiers ; ils choiſirent en
208 MERCURE DE FRANCE.
ſuite un d'entr'eux pour les commander & s'en.
gagèrent par ferment à périr plutôt que de ſe ſou.
mettre aux Ruſſes. Ils ſe ſont défendus avec une
bravoure étonnante dans la triſte ſituation où ils
ſe trouvoient. Les maiſons qui étoient dans le
fort avoient été réduites en cendres par les enne.
mis , & ces braves gens n'avoient d'autre retraite
que les ouvrages de la fortification. Le général
Autrichien d'Alton , qui commande les troupes
Autrichiennes en Pologne , voulant épargner le
ſang , a employé ſa médiation pour engager la
garniſon à recevoir une capitulation , au moment
où les Rufſes ſe dispoſoient à livrer un aflaut général
, & il a obtenu , pour cette partie de Confédérés,
des conditions honorables. La place vient
enconféquencede ſe rendre.
Les troupes Autrichiennes ſe ſont préſentées
devant Bobreck , & cette fortereſſe leur a été remiſe
ſur le champ.
De Londres , le 28 Juin 1772 .
Le jugement prononcé en faveur du Négre qui
refuſoitde ſuivre ſon maître en Amérique , a fait
une grande ſenſation parmi ceux de ſon espèce.
Un grand nombre d'entr'eux s'étoit rendu , le 22,
à l'audience de la cour du Banc du Roi pour y
entendre plaider la cauſe de leur camarade : auffitôt
que l'affaire eût été décidée , ils s'avancèrent
tous devant les Juges qu'ils ſaluèrent reſpectueufement
& s'embraſlèrent enſuite pour le féliciter
mutuellement de ce qu'ils rentroient dans les
droits communs à l'espèce humaine. La plupart
de ceux qui le trouvent à Londres &dans les environs
, au nombre de quatorze cens , ont ouvert
une fouscription en faveur de celui qui a défendu
JUILLET. 1772. 209
1
leur cauſe commune avec tant de courage &de
fermeté. Ils ont célébré cet événement par un
grand feſtin où ils ont bu , à pluſieurs repriſes , à
Ja ſanté du Lord Mansfield: ce repas a été ſuivi
d'unbal compolé de Négres & de Négrefles .
Le 19 de ce mois , l'aſſemblée des Directeurs
de la Compagnie des Indes ayant égard à l'embarras
où ſe trouvoit le commerce par une ſuite
de diverſes faillites confidérables , prit la réſolus
tion de reculer de trois ſemaines le payement des
marchandiſes qui avoit été fixé à cejour. L'intérêt
des propriétaires de ces fonds l'a déterminée
en même tems à faire ſur le champ l'ouverture de
ſes livres qui ,dans le cours ordinaire des choles,
ſeroient reſtés fermés jusqu'au 16 Juiller.
:
:
De Paris , le 6 Juillet 1772 .
Le Roi ayant accordé au Chapitre de Notre-
Dame de Melun , dont Sa Majesté eſt Pation ,
Collateur & Chef Immédiat , commé Abbé dudit
Chapitre , la jouiſſance , pendant dix années , d'une
Prébende qui yest actuellement vacante , pour en
appliquer les fruits aux besoins de certe Eglife ;
leChapitre , pénétré de reconnoiſſance pour ce
bienfait , a arrêté , par acte capitulaire, de célébrer
tous les ans, le premier Juillet , une Mefle
folemnelle pour demander au Ciel da conferva
tion des jours précieux de fon auguſte Chef &
Bienfaiteur. Sa Majesté a bien voulu agréer cette
marque publique de la reconnoiſſance de ſonChapitre
de Melun , &la Meſſe a été célébrée le premier
de cemois.
210 MERCURE DE FRANCE.
NOMINATIONS.
Sa Majesté vient d'accorder les entrées de ſa
chambre au comte de Tonnerre.
Le Roi a accordé l'Evêché de Châlons-fur- Saône
, à l'Evêque de St Pol de Léon ; l'Evéché de St
Pol de Léon à l'Abbé de la Marche , vicaire général
de Tréguier ; l'abbaye de St Hilaire , Ordre
de St Benoît , diocèſe de Carcaſione , à l'Abbé de
Combettes , vicaire - général du diocèſe d'Alby ;
l'abbaye régulière de St Aubert de Cambray ,
Ordre de St Augustin , à Dom Yſebrant de Lendonecq
, religieux de cette abbaye.
Le Roi ayant jugé à propos d'ériger la Corſe
engouvernement général & militaire , Sa Majefté
ena pourvu le Marquis de Monteynard , ſecrétaire
d'état au département de la guerre. Les Etats
de Corſe aſſemblés avoient demandé cette grace
àSa Majesté par leur délibération du 5 Mai dernier.
Le Roi a nommé à la lieutenance de Roi des
ville, citadelle & château de Brest , vacante par
la mort du commandeur d'Argens , le ſieur de Behague
, brigadier de ſes armées , qui a eu l'honneur
de faire , à cette occaſion , ſes remercîmens à
Sa Majesté & à la Famille Royale.
:
Le Roi a donné l'Evêché de Leictoure à l'Abbé
de Cugnac , vicaire- général de Bayeux ; celuide
Quimper-Corentin à l'abbé de Flamarens , vicaire-
général deChartres ; l'abbaye de St Pierre , Ordre
de St Benoît , diocèſe & ville de Lyon , à la
JUILLET. 1772. 211
Dame de Monteynard , nommée abbeſſe de Beaurepaire.
Le 4 de Juillet , l'Evêque de Riez a prêté ferment
entre les mains du Roi.
:
PRESENTATIONS .
Le 3 Juillet , la Vicomteſſe de Néel de Sainte
Marie a eu l'honneur d'être préſentée à Sa Majesté,
ainſi qu'à la Famille Royale , par la Marquiſe de
Clermont d'Amboiſe.
Le Sieur de Freſne , fils du Sr d'Agueſſeau , conſeiller
d'état , prévôt & maître des cérémonies de
l'Ordre du St Eſprit , & le Sieur de Brou , petirfils
du Sieur de Brou , garde des ſceaux de France,
ont eu , ce même jour , l'honneur d'être préſentés
auRoi .
MARRIIAAGES.
1
Le Roi & la Famille Royale ſignèrent , le 3 Juillet,
le contrat de mariage du Marquis de Vaugirauld
, officier au régiment des Gardes-Françoiſes,
avec Demoiſelle Denis de Senneville.
NAISSANCES .
La Marquiſe de Laval vient d'accoucher d'un
garçon.
MORTS. 1
Martha de Wenport eſt morte , à Londres , âgée
de cent deux ans .
212 MERCURE DE FRANCE.
Marie-François de la Madeleine Ragny , Marquis
de Ragny , ancien capitaine de cavalerie au
régiment Royal-Piemont, eſt morten ſon château
d'Epiry en Bourgogne , le 9 Juin .
Jean Merot dit Labranche , foldat , eſt mort à
l'Hôtel royal des Invalides , le 20 Juin , âgé de
cent huit ans : il étoit entré dans l'hôtel le 10
Août 1714. Il avoit été bleflé deux fois ; ſçavoir,
àla ſurpriſe de Cremone , en 1702 , & au fiége
deFribourg , en 1713. Il a confervé fa mémoire,
ſa raiſon& la gaîté jusqu'au dernier moment de
lavie.
Imbert Durbel , journalier dans la paroille de
Monloiſon , à trois lieues de Valence en Dauphiné
, y eſt mort , le 2 de Juin , à l'âge de cent huit
ans.
Alexandre-Charles Comte de Chaumont , maréchal
des camps & armées du Roi , commandeur
de l'Ordre royal & militaire de St Louis, ci- devant
capitaine de grenadiers au régiment des Gardes-
-Françoiles , eſt mortà Paris , le 24 Juin , dans la
quatre-vingt- troiſième année de ſon âge.
:
La Dame Keith eſt morte à Newnham , dans
leComté de Gloceſter , le 21 Juin , à l'âge de
cent trente trois ans. Elle n'a perdu l'uſage de
ſes ſens qu'environ quinze jours avant la mort;
elle laiſſe trois filles vivantes , dont la plus jeune
eſt âgée de cent trois ans.
Marguerite Longuel , veuve de Charles Pilau ,
menuifier , née au village de Boullogne- la grace,
près Montdidier en Picardie, diocèse d'Amiens ,
i
!
JUILLET. 1772. 213-
eſt morte dans le même village , dans la cente
uméme année de ſon âge.
Marie- Louiſe-Albertine-Amélie , née Princeſſe
de Croy & du Saint Empire , épouſe de Pierre-
Gaſpard- MarieGrimod,comte d'Orsay , eſt morte
à Paris , dans le mois de Juin , dans la vingt- cinquiéme
année de ſon âge.
Pierre Chapelle de Jumilhac de Cubiac , Evêque
de Leictoure , eſt mort ici , vers la fin du mois
dernier , dans la cinquante - huitième année de
fonage.
LOTERIES.
Le cent trente-huitième tirage de la Loterie de
l'hôtel - de - ville s'est fait , le 26 Juin , en la
maniere accoutumée. Le lot de cinquante mille
livres eſt échu au No. 2633. Celui de vingt mille
livres au No. 11404 , & les deux de dix mille aux
numéros 1713 & 6681 .
Le tiragede la loterie de l'école royale militaire
s'est fait le 6 Juillet . Les numéros ſortis de la roue
de fortune font , 3 , 30 , 37 , 27,75 . Le prochain
tirage le fera lesAoût
214 MERCURE DE FRANCE.
!
P
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en proſe , page s
Suite de l'Eté , chant II du počne des Saifons
, imitation libre de Thompson , ibid.
Madrigal , 9
Réponſe de Cirus , ibid.
Le Berger , le Chien & le Loup , fable imitée
de l'allemand , ibid.
Vers à mettre au bas du portrait de M. le Duc
de Penthièvre ,
Le Mur mitoyen , Conte .
Ode tirée du pleaume 136 ,
Les deux Montres , fable ,
Le Loup & le Sanglier , fable ,
Invocation à la Fontaine
10
II
25
28
29
, 30
Traduction de l'Ode VIII . du ſecond livre
d'Horace , 32
Dialogue des Morts. 34
Explication des Enigmes & Logogryphes , 42
ENIGMES ,
ibid.
LOGOGRYPHES , 41
NOUVELLES LITTÉRAIRES , 47
Le Ventriloque ou l'Engaſtrimythe , par M.
la Chapelle , ibid.
Lettre de l'auteur du Ventriloque ou engaſtrimythe
, 57
JUILLET. 1772. 215
Conférences ſur les Myſtères , par le Père
Joly ,
Traductions d'anciens ouvrages latins relatifs
à l'agriculture & à la médecine vétérinaire
, aves des notes , par M. de la Bonnetrie
, &c .
58
62
Mémoire hiſtorique , politique & militaire
fur la Ruſſie par le général de Manſthein , 63
Théorie des Etres ſenſibles par M. l'Abbé
Para ,
Phroſine & Mélidore , poëme en 4 chants ,
Obſervations ſur la phyſique , ſur l'hiſtoire
naturelle , & c. par M. l'Abbé Roziers ,
Leçons de muſique vocale propre à l'éducarion
de la Jeuneſſe , par l'auteur du Manuel de
morale ,
68
71
89
96
L'Art de faire & d'employer le vernis , 100
De l'Art de la Comédie par M. Cailhava , 102
Eilai ſur Pindare , 117
Tableaux d'un Poëte , Poëfies d'un Peintre , 129
Lettre de M. de Voltaire à M. de laH.
131
ACADÉMIES , 135
SPECTACLES , Opéra , 145
Comédie françoiſe , ISI
Comédie italienne , 152
Lettre à un jeune Elève des Académies d'ar-
-chitecture ,
153
Lettre ſur le prétendu Hydroſcope , par M.
216 MERCURE DE FRANCE.
de la Lande , de l'Académie des Sciences , 169
ARTS , Gravure ,
Muſique ,
Géographie ,
Synonimes françois ,
lèle par M. Boyer ,
Notices fur la vie & les ouvrages de Pergo-
Lettre de M. Darcet , docteur - régent de la
Faculté de médecine de Paris ,
Anecdotes ,
AVIS ,
Nouvelles politiques ,
Nominations ,
Préſentations ,
Mariages ,
Naiflances ,
Morts ,
Loteries,
174
177
179
180
185
193
195
198
201
210
211
ibid.
ibid.
ibid.
213
APPROBATIO Ν.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le
fecond vol. du Mercure du mois de Juillet 1772 ,
&je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoit en
empêcher l'impreffion .
AParis , le 14 Juillet 1772.
LOUVEL.
De l'Himp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères