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1771, 07, vol. 1-2
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15.10 Mo
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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU RO Ι .
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
JUILLET , 1971 .
PREMIER VOLUME.
Mobilitate viget. VIRGILE .
DEFILOSO
A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire , Rue
Chriſtine , près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilége die R
AVERTISSEMENT.
C'EST au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
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, les piéces de vers ou de proſe , la muſique
, les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
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in- 8 °. rel ,
GRAVURES .
41 .
21.101.
sl.
7.1.
Sept Estampes de St Gregoire , d'après Vanloo
241.
Deux grands Paysages , d'après Diétrici , 121 .
Le Roi de la Féve , d'après Jordans ,
41.
fain , 11,161.
Le Jugement de Paris , d'après le TreviMERCURE
DE FRANCE.
JUILLET , 1771 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LA PREDILECTION . Ode.
Qu
:
UE ton zèle te précipite
Muſe , aux bords quebaignent les eaux
Du Phlégetón ou du Gocite , *,
Va , cours y tremper tes pinceaux ?
Le ſtyle amer eſt légitime
Contre les attentats d'un crime ,
* Fleuves des Enfers ..
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Monftre affreuxtrop peucombattu :
Mettre au grand jour l'horreurdes vices,
C'eſt éloigner des précipices ,
Et rendre l'hommage à la vertu.
Naiffons-nous donc moins raiſonnables
Que les farouches animaux ?
Envers leurs petits , équitables ;
Ils ont pour eux des foins égaux.
Humains , en uſez-vous de même ?
Onhait celui- ci , l'autre on l'aime;
Gouverné par ſa paffion ;
Une Euménide t'a fait naître ,
Quelle autre eut pu te donner l'être ,
Barbare Prédilection ?
Cefeu facréque la nature
Allumeen ſecret dans nos coeurs ,
Par toi ſe change en flamme impure,
• Couverte de noires vapeurs.
Un ſeul enfant eſt ton idole ;
Les autres , ta main les immole,
Detahaine objets innocens.
Ainſi ſous les lois des Druides , (1)
Onvitdespayens homicides ,
Brûler vifs leurs propres enfans.(2)
(1 )Prêtres des faux dieux.
(2) En l'honneur du dieu Moloch. Achas , Roi
de Juda , lui immola pluſieurs de ſes enfans.
JUILLET.
7 1771 .
Encor , fi d'une foible enfance ,
Saiſon d'ignorance&de pleurs,
Ils paffoient dans l'adolefcence ,
Ade moins ſenſibles douleurs !
Plus mûrs , s'ils avancent en âge,
C'eſt pour ſouffrir plus d'un outrage,
Injuſtement deshérités ;
Etre arrêtés dans leur carriere ,
Sans pouvoir franchir labarriere ,
Qui conduiſoit aux dignités.
L'ona vu plus d'une Medée ,
Pour mettre un fils au premier rang,
De cette Alecton poflédée
D'un ſecond fils verſer le ſang .
He! quoi ! d'unetroupe captive
S'échape au loin la voix plaintive,
Pourquoi ces clameurs & ces coups ?
Un pédant au coeur inſenſible,
Par état aux enfans terrible ,
Sur eux exerce ſon courroux.
Tels ſous les voutes infernales ,
Les gémiſlemens douloureux
Des Ixions & des Tantales,
D'un peuple entier de malheureux.
Telle la troupe infortunée
Pour le moindre écart condamnée
Afubir leplus triſte ſort.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Sous cette affreuſe tyrannie ,
Faut- il s'étonner que la vie
Leur ſoit plus dure que la mort.
Que n'ont- ils de rapides aîles
Pour voler en d'autres climats .
Pour fuir des peines ſi cruelles ,
GrandDieu ! que ne feroit- on pas !
Fruſtrés de leurs droits légitimes ,
Souvent on a vu ces victimes
Errer au bout de l'Univers ;
Outrés de douleur & de rage ,
Mourir dans un, pays ſauvage
Ou périr dans le fond des mers .
1
Qu'entends - je , & que me vient-on dire !
Pleine dudon de piété ,
Aux pieds des autels Radamire
Vadépoſer ſa liberté.
J'y vole en hâte , & fends la preſſe ;
Ciel , qu'apperçois-je ! une triſteſle ,
Qu'elle a peine à diſſimuler !
Fille d'une mere inhumaine ,
Pour ſe dérober à ſa haine ,..
Radamire oſe s'immoler .
Dans cette retraite profonde ,
Qui pour ſon coeur eſt ſans attraits ;
Combien de retours vers le monde ,
D'ennuis dévorans , de regrets !
JUILLET. 1771 و .
:
Si la durée eſt importune ,
D'une peine ou d'une infortune ,
Qu'on eſpére de voir finir ;
Quelle doit être la ſouffrance ,
De n'avoir aucune eſpérance
D'unplus favorable avenir !
Quoi ! nejamais fortir d'un cloître ,, )
Dit- elle , où tout me ſemble affreux!
Funeſtejour , qui me vitnaître ,
Pour un deſtin ſi rigoureux.
De ſes ſens ladouleur s'empare
Sa raiſon ſuccombe , s'égare ,
Sourde à la voix de fon devoir.
Bientôt ſa déplorable vie
Dépérit de mélancolie
Et finit dans ledéfefpoir..
13
Plutôt que d'expoſer vos filles
A ce tourment toujours nouveau ,
Tyrans de vos propres familles ,
Erouffez-les dès le berceau.
De ce fupplice qu'on abhorre ,
::.. Dont on ne peut parler encore ,
7
:4
9
Sans que nos cooeurs foient attendris3.
A
10 MERCURE DE FRANCE.
Il rappele l'image horrible ,
Etpeut- être est- il plus terrible
Que leTaureau de Phalaris. *
Reglons-nous fur l'Etre adorable ,
Bienfaiteur de tous les humains;
Sur l'innocent& le coupable ,
Verſant ſes dons à pleines mains.
Ceux qui tiennent de la nature
La beauté, la noble figure ,
Devroient intéreſfler lemoins :
Aceux qu'elle ſemble proſcrire ,
La vertu véritable inſpire
D'accorder les plus tendres foins.
Ne.font- ils pas aflez à plaindre ,
Privés de graces , de talens ,
Sans avoir encor lieu de craindre
L'averſion de leurs parens ?
Que le plus juſte amour répare
Les tors d'une nature avare ,
Qu'avecdouceur ils ſoient inftruits.
* Seigneur Sicilien. Il fit faire un taureau d'aisain,
dans lequel il faiſoit enfermer des hommes ,
enfuite on allumoit du feu deſſous. Il prenoit un
fingulier plaifir à entendre leurs cris, leſquelspaffant
par le gofier de ce taureau , prenoient une
forme demeuglement qui ledivertiſfloit beaucoup.
Hift. poët.
JUILLET. 1771 . 11
Le tems, inestimable maître ,
Unjour, ſur leurs aînés peut- être,
Leur fera remporter le prix.
Quel malheur eut le grandTurenne ,
Modèle parfait des héros ?
Dans l'enfance ſa langueàpeine
Pouvoit bégaïer quelques mots.
Heureux ! d'avoir un pere ſage ,
Qui vit à travers ce nuage
Deſon eſprit la profondeur.
Qu'on l'eſt laiflé dans l'ignorance;
Auroit-il été de la France
Le bouclier& le vengeur ?
Par M. de Monfieury , à Bayeux.
LE CHIEN SAUTEUR. Fable.
RIEN n'eſt ſi répandu que legoût des beaux arts,
C'eſt undélaſlement digne d'un grand génie :
Mais lorſqu'il eſt outré , ce n'eſt qu'une manie
Qui fait faire à l'eſprit de dangereux écarts.
Dès-lors qu'un homme céde
Aladémangeaiſon d'afficher le ſavoir,
Pour ſe livrer à ce goût qui l'obsède
Il quitte tout , ſon état, ſon devoir :
Etpour ſe contenter, bien ſouvent il excède
:
I
Avj
12 MERCURE DE FRANCE.
: Son bien , ſa ſanté , ſon pouvoir.
J'en cite pour exemple une vieille anecdote ,
Traduite , mot pour mot , d'un ancien manufcrit ;
Qui , contre ce défaut ſerviroit d'antidote ,
Sicontre lebon ſens la mode n'eut preſcrit.
Auxgages d'un Baron , ſeigneur à girouettes ,
Qui comptoitpour vaſſaux ſa meure & ſes chouettes
,
Vivoit un chien fameuxdans tous les environs ;
Vrai fléau des renards ainſi que des larrons,
Héros fur-tout en fait de chaffe ;
C'étoit de pere en fils le métier de ſa race.
Mais dom Brulot , ſur les pas des Céſars ,
Ne bornoit pas ſa gloire à courir les haſards :
Et parmi les héros quoiqu'il remplit ſa place ,
Il s'exerçoit encor à cultiver les arts.
Il eſt bon quelquefois de ſavoir pluſieurs rôles .
J'entends les arts que les chiens du bon ton
Ont ſoin d'apprendre en leurs écoles ;
Comme ſe tenir droit , faire cent caracoles ,
Pafler dans un cerceau , ſauter ſur le bâton.
Notabené que l'art des caprioles ,
Etoit dans ce tems-là , dit- on ,
Parmi le peuple chien laſcience à la mode.
Chez eux comme chez nous c'eſt la même mé
thode ;
C'eſt la mode ici bas qui décide de tour ,
C'eſt elle qui fixe le goût ,
JUILLET. 1771. 13
Tantôt pour les pantins , tantôt pour un pagode.
Selon qu'elle décidera ,
Coquilles & cristaux vont bientôt être en vogue;
Vous aurez foule à l'opéra ,
Demain chez Ramponeau , tel autre & cetera ...
Onen feroit long catalogue.
Adonc notre farceur s'eſcrimant de ſon mieux ,
Jouoit les plus adroits ſous jambe ,
Tant il étoit ingambe ;
C'étoit à qui pourroit voir ſes tours curieux.
Oneutpris ſonchenil pour le cirque de Rome ; >
Atant par tête il eut fait grofle ſomme.
Mais c'étoit pour l'honneur & non pour lemétal.
Etd'applaudir vous penſez comme ;
De ſemblable monnoie on eſt fort libéral.
Tant & fi bien qu'aux tours de paſle pafie ,
Notre amateur ſe livre tout entier ..
Adieu gibier , adieu la chaſſe ;
Il quitte tout pour ce nouveau métier.
Plus degarde le jour au tour des paliſlades.
Maints écoliers & maints renards ,
Tandis qu'il faiſoit ſes gambades ,
Croquoient les fruits , les poules , les canards,
Lemaître du logis ſe fâche d'importance ;
Etrille notre acteur : & par correction ,
Pour opérer prompte converfion ,
Lui fait faire diéte en rognant ſa pitance.
Maître Brulot , allant toujours ſon train ,
Deporte enporte , étoit ſans cefle endanſe ,
14 MERCURE DE FRANCE.
On lui donnoit pour récompenſe ,
Force applaudiſlemens , c'étoit tout ſon gain ;
Mais pas un os , pas un morceau de pain.
Notre Eſopus , rêveur & triſte ,
Plus décharné qu'un alchimiſte ,
Baifle pourtant l'oreille & s'ennuie à la fin
De ce rôle à crever de faim .
Le plus chetifmétier nourrit , dit- il , ſon maître ;
Mais le mien ſeul conduit à l'hôpital.
Quittons cet art maudit aux eſtomachs fatal ;
Ce n'eſt pas pour ſauter que le Ciel m'a fait naître.
Laiſſons aux chiens de Dame , aux roquets opulens,
Le ſoin de cultiver ces futiles talens.
On doit , primo pour ſon bien- être ,
Mettre ſontems& ſon art à profit;
C'eſtlegrandpoint. Qui n'a pour hipothèque
De ſa marmite & fon crédit ,
Queles beaux arts ou ſabibliothèque ,
Riſque d'aller nud pied , d'avoirgrand appetit;
Detout tems un ſavantfutun gagne-petit.
ParM. Guichellet , chanoine de Pontdevaux
enBreſſe,abonné auMercure.
JUILLET. 1771. 15
:
ROSEMOND & ZOA.
Histoire Angloise.
Vous pouvez vous rappeler ,Madame,
que dans nos converſations je vous ai
ſouvent parlé d'un homme avec qui l'amitié
la plus tendre & la plus conſtante
m'avoit lié dès l'enfance. Sa fortune ſans
être brillante étoit honnête ; mais des
malheurs fucceffifs la diſſiperent & le réduiſirent
, quelques années avant ſa mort,
àune penſion des plus modiques. Le cha
grinque lui cauſa cette triſte ſituation le
conduifit au tombeau avant d'avoir pu
établir trois enfans qu'il laiſſoit après lui.
J'étois abient de Londres quand ce malheur
arriva , & je trouvai à mon retour
ces malheureux orphelins dans une extrême
miſére , privés du ſecours de parens
auxquels le ſentiment même d'ha
manité n'avoit pu inſpirer la moindre
commifération. Je ne ſai juſqu'à quelle
extrêmité elle les eut réduits, ſi le ſouvenir
de mon ami & l'intérêt que le ſentiment
nourriffoit dans mon coeur ne m'eut dé.
terminé àm'en charger comme il n'eût
16 MERCURE DE FRANCE.
pas manqué de le faire s'il ſe fût trouvé
dans la même poſition.
Mon premier foin fut d'étudier leur
caractère pour me décider ſur l'eſpèce de
profeſſion qui pouvoit leur convenir.
L'aîné montra de l'inclination pour le
militaire , je l'y plaçai. Le ſecond , d'un
caractère froid & réfléchi , me patut propre
à courir la carriere des ſciences , je
l'envoyai à l'univerſité où il fit de grands
progrès. Je mis le troiſieme dans le commerce
pour lequel je lui avois reconnu
des talens diftingués ; & à la recommandation
d'un directeur de la compagnie
des Indes , il fut envoyé dans un de ſescomptoirs.
Naturellement doux & infinuant
, il obtint du gouverneur & des
principaux du pays l'accueil le plus favorable.
Jeune encore , on ne lui confia que
les premiers emplois du commerce , &
lorſqu'il commença à travailler pour fon
compte , tout lui réuffit au delà de fes
eſpérances. Chaque vaiſſeau m'apportoit
des nouvelles de ſes premiers ſuccès , &
en moins de fix années il fe vit en poffeſſion
de vingt mille livres ſterlings.Son
intérêt étoit de demeurer dans un pays
qui lui produiſoit de ſi grands avantages,
&j'étois fort éloigné de croire qu'il dût
JUILLET. 1771. 17
prendre un autre parti quand je reçus la
lettre ſuivante .
" Une aventure des plus extraordinai-
>> res m'oblige de retourner en Angleter-
>> re beaucoup plutôt que je ne l'avois
>>réſolu . Trouvez bon , Monfieur , que
>> je me diſpenſe de vous en faire part
>>juſqu'à mon arrivée à Londres , où je
>> brûle du deſir de vous témoigner la
>>plus vive reconnoiſſance dont une ame
>>nourrie par vos bons exemples , puiſſe
>>être ſuſceptible. ROSEMOND. » !
Cette lettre me cauſa autant de ſurpriſe
que d'impatience d'être inſtruit d'un événement
qui changeoit toutes mes idées
furfon compte.Quelque égalité que j'euſſe
mis juſque-là dans mes foins pour les enfans
de mon ami , j'avouerai que le caractere
heureux de celui ci m'avoit infpiré
un degré de ſenſibilité tel qu'iln'eut
pas été plus fort pour mes propres enfans.
Il arriva & reçut mes embraſſemens avec
des graces qu'on n'auroit pas dû fe promettre
d'un homme ſortant d'un comptoir
de marchand. Après les premieres
affurances de ſa reconnoiffance&de tendreſſe
de ma part,je le queſtionnai ſur les
motifs de fon retour , & il me répondit en
ces termes .
Amon arrivée à Bombai , j'étois trop
18 MERCURE DE FRANCE.
jeune pour me lier avec des gens d'un
certain âge , & naturellement peu enclin
à goûter les amuſemens du mien , j'employois
le loiſir que me laiſſoit le ſervice
de la compagnie à étudier la langue du
pays , & en peu de tems j'y fis aſſez de
progrès pour être en état de converfer
avec les naturels auſſi - bien que ſi j'étois
né parmi eux. J'eus lieu de m'applaudir
de cet emploi de mon tems en me mettant
au fait de la religion , des loix , des
moeurs & du caractere d'une nation avec
laquelle j'avois à vivre , conféquemment
d'y être avec plus d'agrément. Ce ne fut
pas le feul avantage que j'en tirai . L'obligation
où ſe trouvoit la compagnie de
ſe confieràun interprete Indien, le nôtre
étant mort , lui fit jetter les yeux fur moi
pour le remplacer. Je ne fus pas plutôt
pourvû de cet office , qu'elle ent lieu de
s'appercevoir des avantages qui réfultoient
de ſon choix , en aboliſſant bien
des abus & en contraignant les gens de
mauvaiſe foi à réparer leurs torts envers
les marchands. En moins de deux ans
de tems , j'ai eu le ſecret de faire retrouver
plus de 200 mille livres à la Compagnie.
C'en étoit aſſez pour m'attirer la
haine d'une nation naturellement infidèle,
dont néanmoins juſqu'à ce moment
JUILLET. 1771 . 19
je n'avois eu lieu qu'à me louer. Quelques-
uns d'eux conjurerent la perte d'un
homme qui s'oppoſoitàleur brigandage
parune conduite vraiment irréprochable..
J'avois l'habitude de me promener le
matin à cheval avant la chaleur du jour ,
&ne pouvant me méfier d'aucun mauvais
deſſein contre moi , j'étois ſouvent
ſeul& je m'éloignois à pluſieurs milles.
Un jour qu'occupé d'une lecture intéreſſante
je marchois négligemment près
d'un bois fort épais, je me vis affaillir
parcinqhommes qui , ſans me rien dire,
m'enleverent de deſſus mon cheval , me
lierent les mains & les pieds , & m'attacherent
fur un des leurs. Défarmé , ſans
défenſe je leur demandai quel étoit leur
deſſein , & comment j'avois pu m'attirer
un pareil traitement de la part de leur
maître ; car je les reconnus pour appartenir
à un Banian de ma connoiſſance, dont
je n'avois reçu juſque là que des marques
d'amitié. Tel eſt le naturel perfide de ce
peuple de chercher à vous nuire ſous les
dehors de la bienveillance , lorſqu'il y va
de leurs intérêts . Mes raviſſeurs ne ine
firent aucune réponſe ; &quand je me vis
emmener dans le plus épais du bois , je
ne doutai plus qu'ils n'en vouluſſent à ma
vie : mais leur ordre étoitde me conduire
20 MERCURE DE FRANCE.
dans la maiſon du Banian , où ils mé jet
terentdans un cachot qui ne recevoit de
jour que par une lucarne fort élevée , où
ils me laifferent lié comme jel'étois .
Il me feroit difficile de vous peindre
l'abattement dans lequel je tombai en me
voyant dans cette ſituation. Il n'eſt imaginable
que pour ceux qui ont été dans
le cas d'enviſager une mort inévitable. Je
ne perdis pas cependant tout à fait lecourage
ni l'eſpérance de furmonter mon
malheur. Mais comment me fauver, garroté
comme je l'étois ? Comment échaper
aux précautions d'un homme auffi intéreffé
à en aſſurer le ſuccès ? Au moment
où j'étois le plus occupé des moyens que
mon imagination pouvoit me ſuggérer ,
j'apperçus à ma lucarne l'ombre de quel .
qu'un & le bruit d'une voix frappa mon
oreille. Je démêlai que c'étoit celle d'une
femme. Rofemond , me dit - elle , mon
coeur eſt pénétré de honte & de douleur
de la cruauté de mon père, dont le projet
eſt de vous faire périr pour le ſervice de
ſa patrie , & le moment de ſon retour à
la ville où un de ſes gens est allél'avertir
de votre emprisonnement , eſt celui qu'il
adeſtiné à cette funeſte exécution . L'élé.
vation de ſa voix , cauſée par des ſanglots,
L'obligea de s'interrompre.
JUILLET. 1771. 21
J'avois ſouvent vu cette jeune perfonne
dans la maiſon de ſon père ; & quoiqu'elle
me parût aimable , l'envie ne m'étoit
pas venue de faire une connoiffance
plus étroite avec elle. Mais l'extrême ſentibilité
qu'elle me marqua encette occaſion
, redoubla l'opinion avantageuſe que
j'avois déjà conçue de ſes qualités eftimables
, & j'allois lui exprimer toute ma
reconnoiſſance quand elle m'interrompit;
jeme flatte , dit- elle , qu'il eſt en mon
pouvoir de vous fauver , mais nous n'avons
pas un inſtant à perdre. Avant tour,
il faut que vous vous engagiez par un
ferment folemnel à remplir trois condi
tions. Si vous y conſentez , je compte
vous conferver la vie , ſinon de périr avec
vous. Je l'affurai que j'étois prêt à lui faire
ces fermens qui lui garantiroient ma
fidélité, & que je me ſoumettois à toutes
les lois qu'il lui plairoit de m'impoſer ,
pourvu qu'elles n'intéreſſallent ni ma religion
ni mon honneur. Eh! croïez-vous ,
me dit cette charmante fille , que ſi je
vous en ſoupçonnois capable je confentiffe
à courir les riſques- inſéparables de
l'entrepriſe que j'ai méditée ? Mais, ajouta-
t elle , pour vous raſſurer, voici ce que
j'exige de vous. Premierement ſi j'ai le
22 MERCURE DE FRANCE.
bonheur de vous arracher à la barbarie de
mon père , vous ne paroîtrez plus dans
Bombai ; & fûre de n'en jamais obtenir
mon pardon , je me détermine à partager
votre fuite. Secondement , pendant le
voyage& en quelque lieu que vous fixiez
votre demeure , vous reſpecterez ma vertu
fans chercher à la corrompre ni par féduction
, ni par force. Enfin vous renoncerez
à vous venger de la perfidie de mon
père en la publiant parmi ceux de votre
nation ; au contraire vous garderez un ſecret
inviolable ſur tout ce qui s'eſt pallé.
Je me soumets d'autant plus aifément
aux deux premiers articles , lui répondisje
, qu'ils font conformes à mon caractère
&à mes principes ; mais j'avoue qu'il
m'eſt difficile d'être auſſi ſcrupuleux fur
le dernier. Je ne balance cependant pas à
garder le filence ſur la conduite atroce du
père en faveur du mérite & des obligations
qui m'attachent à ſon aimable fille,
&j'invoque le Dieu que nous adorons en
Europe de meſurer ſes bénédictions ſur
ma fidélité à remplir mes fermens. Je ſuis
fatisfaite, me dit - elle ;elle me jetta un
peu de paille allumée par la lucarne . N'en
foiez point effraié , me dit-elle , ſervezvous-
en à brûler les cordes qui vous lient
JUILLET. 1771 .
23
les mains & les pieds. Un peu d'écorchure
eſt tout ce qui en peut réſulter. J'ai de
l'eau prête à éteindre le feu , s'il gagnoit à
un certain point. Je ne vous cacherai
point que ce moyen ne me parut un peu
violent , & que la flamme , dans cette
étroite caverne ne me cauſa quelque
fraïeur; mais dans une pofition qui ne
m'offroit que le déſeſpoir , je n'avois pas
àdélibérer. Je me roulai vers l'endroit
où étoit tombé le feu , qui s'attacha nonſeulement
aux cordes qui me lioient ,
mais encore à mes habits. Dès que mes
mains furent libres , j'arrachai mon juſtau-
corps & j'étouffai la fême ſans avoir
recours à l'eau que la belle Indiene avoit
eu ſoinde répandre pour prévenir aucuns
dangers. Ce n'étoit pas le plus grand que
j'avoisà ſurmonter, & le courage fut prêt
à me manquer quand j'obſervai la hauteur
que j'avois à franchir. Mais ma bienfaiſante
Indienney avoit pourvu en attachant
àun arbreune groſſe corde avecdes noeuds
de diſtance en diſtance pour me ſervir
d'échelle , qu'elle fit parvenir juſqu'au bas
de mon cachot : ce ne fut pas fansſouffric
des douleurs incroïables que j'arrivai jufqu'à
elle ; mes mains entamées par le feu
avoient tellement enfanglanté la corde ,
24 MERCURE DE FRANCE.
que Zoa, (c'étoit ſon nom) fut au moment
de s'évanouir , tant elle fut attendrie d'un
ſpectacle auſſi digne de pitié. Mais n'étant
pas en lieu de nous exprimer mutuellement
l'agitation de nos ames , elle me fit
ſigne de la ſuivre ; ce que je fis non fans
beaucoup de peine dans le bois le plus
épais&le moins fréquenté. Là elle me
fit cacher fous une brouſſaille , en me recommandant
de m'y tapir ſans remuer
juſqu'à fon retour.
Je vous épargnerai , continua Rofemond
, les réflexions qui m'occuperent
pendantl'abfence deZoa. Mafuite miracu
leuſe m'avoitmis l'eſpritdans unteldéfordre,
que je ne penſai point aux actions de
grace que je devois à la Providence , & à
lui demander la continuation de ſes faveurs
. Je fus au moins trois heures dans
l'attitude où m'avoit laiſſé Zoa , ſans que
nulle eſpéce de bruit m'annonçât l'arrivée
d'aucune créature vivante. Enfin, un certain
mouvement dans les brouflailles me
fit hafarder de lever la tête , non fans
crainte qu'il ne fût caufé par quelque bête
ſauvage ; mais mes fraïeurs s'évanouirent
quand je vis un Négre avec un paquet
fous fon bras. Je me cachois de nouveau
quand le prétendu Négre m'appela par
mon
JUILLET.
1771. 25:
mon nom , & cette douce voix me fit reconnoître
ma chere protectrice. Rofemond
, me dit-elle , croiez vous que mon
père puiſſe me reconnoître ſous un pareil
déguiſement ? Én effet , il eût été impoffible
de retrouver ſous les traits d'un Négre
difforme ceux de la charmante Zoa.
Moi - même j'eus peine à les démêler.
Malgré les craintes que devoient lui infpirer
une auſſi périlleuſe entrepriſe , elle
ne put ſe défendre de ſourire de l'étonnement
où elle me vit; mais enfin ſe
croiant ſuffisammentdéguiſée , elle ouvrit
fon paquet , en tira des habits d'eſclave ,
puis m'ayant noirci le viſage avec une
certaine préparation , elle fit de moi un
habitant de Guinée. Alors bien sûre que
j'étois méconnoiſſable , elle me dit que
ſon père n'étoit pas encore revenu dans
ſa maiſon quand elle en étoit fortie, mais
qu'on l'attendoit à tout moment & qu'il
yavoittoute apparence que ma fuite étoit
ignorée , puiſque perſonne n'avoit approchéde
mon cachot. Cependant , ajoutat
- elle , il me paroît important que vous
vous confiiez à l'ami dont vous êtes le plus
fûr, pour qu'il nous cache juſqu'au départ
du premier vaiſſeau ; car vous devez ſentir
les riſques que vous auriez à courir, fi
I. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
vous retourniez dans votre maifon: Je
jettai les yeux ſur un homme qui , dans
toutes les occaſions , m'avoit donné des
preuves de la plus finguliere eſtime , &
dont le caractere d'ailleurs pouvoit me
répondre de la fûreté du ſecret que j'avois
à lui confier. Le chemin dangereux
& les douleurs occaſionnées par mes brûlures
n'étoient pas les moindres inconvéniens
que j'avois à vaincre pour gagner la
maiſon de mon ami . Le foible ſoutien de
mon aimable compagne n'y eut pas ſuffi,
A la Providence ne m'eut offert le cheval
que je montois,errant la bride ſur le col ;
nous le montâmes tous les deux & nous
nous rendimes à une petite diſtance de la
maiſon de mon ami , où j'allai ſeul frapper
à ſa porte. Le domeſtique , à mon afpect
, fit difficulté de recevoir un inconnu,
prétextant que fon maître étoit en affaire,
C'eſt de la part de Roſemond , lui dis je,
pour la choſe du monde la plus intéreſ
fante. Nousfumes introduits Zoa &moi,
mais on l'a fit reſter dans l'anti- chambre .
Seul avec mon ami je me découvris en le
prevenant que toute finguliere qu'étoie
mon avanture , je le fuppliois de ne pas
exiger de moi que je la lui revelaffe au
moins de quelque tems ; qu'il m'étoit de
JUILLET. 1771. 27
la plus grande conféquence de quitter
Bombay & de profiter du départ du premier
vaiſſeau; que j'attendois, pour preuve
de l'amitié qu'il m'avoit toujours témoignée,
le fervicede donner aſyle à un compagnon
d'infortune que j'avois laillédans
fon anti-chambre. Après m'avoir marqué
ſa ſurpriſe il m'aſſura que je pouvois difpoſer
de lui &de tout ce qu'il poſſédoir .
Mais , ajouta til , ſi vous êtes tombé dans
un cas repréhenſible par les loix, ma maifon
ne vous mettroit pas à l'abri de ſes
tigueurs,& vous pouvez vous ouvrir à
moi avec confiance. Je jugeai qu'il me
ſoupçonnoit d'avoir tué un homme ou de
quelque délit de cette importance ; mais
je lui juraique ni moi , ni la perſonne qui
m'accompagnoit n'étoient coupables de
rien qui pût nous expoſer au plus léger
reproche , & que c'étoit uniquement le
crime des autres qui nous forçoit à quitter
Bombay. Si le ferment qui me lie ,
cajoutai -je me permettoit de vous révéler
notre ſecret , vous feriez bientôt convaincu
, par le témoignage de mes affociés
, que votre amitié n'aura jamais à
rougir des ſervices que je vous demande,
&que je n'ai à craindre le blâme public
fur aucun objet. Après m'avoir fait des
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
-
excuſes fur l'injustice de ſes ſoupçons , il
me dit que tous les jours le plus honnête
homme pouvoit fe trouver entraîné dans
de malheureuſes affaires ſans que la probité
y fût compromife .
Vous concevrez fans peine , Monfieur,
l'effet que produifit mon abſence. Après
des recherches inutiles on ne douta plus
que je n'euſſe été affaffiné. La douce fatisfaction
de me voir regrette univerfellement
ne contribua pas peu à me faire
ſupporter mes diſgraces. Ma conduite
mystérieuſe avec un ami auſſi digne de
ma confiance , me coûtoit infiniment. La
généreuſe Zoa s'en apperçur, &inquiette
des peines qu'en reffentoit mon coeur :
Rofemond me dit elle , je ſerois fachée
que la vie que j'ai été afſfez heureuſe
de vous conſerver fût agitée par des contradictions
auffi importunes que chagrinantes.
Vous pouvez confier notre hiftoire
à votre ami , mais en engageant ſa
parole de n'en rien divulguer qui puiffe
nuire à mon père , ni le mettre à portée
de ſe venger du mal qu'il a voulu vous
faire.
,
1
La liberté d'ouvrir mon coeur fans réferve
à mon ami , me cauſa la plus fenſible
joie. Je lui fis le détail de tout ce
JUILLET. 1771. 29 .
qui m'étoit arrivé. Les procédés atroces
du père misen oppofition avec les vertus
de fa fille , partagerent fondame entre
lindignation & une fenfibilité pleine
d'eſtime. Il faitfit les mêmes fermens
qu'elle avoit exigés de moi. La vertueuſe
Zoa , par un mouvement naturel à une
belle ame ,s'efforça de rendre l'action de
fon père moins odieuſe,den diſant qu'il
n'avoitperſonnellement aucune mauvaiſe
volonté contre moi , que le zèle malen
tendu pour les intérêts de ſa nation lui
avoit fait regarder ma perte comme néceffaire;
qu'ayant heureuſement découvert
ce complot , & détestant une auffi
horrible barbarie, elle avoit cherché les
moyens de m'en inſtruire parune lettre
maisque la crainte d'attirer ſur luila haine
des Anglois , s'ils en euſſent en connoiffance
, lui avoir fait abandonner.ce
projet ; qu'enfin , ſachant que j'étois pris
&au moment de périr , elle s'étoit dérerminée
àquitter ſon père , àrenoncer à fa
fortune& àmes amis pour m'arracher au
fort déplorable dont j'étois ménacé.Mon
ami , pénétré d'admiration pour la belle
Indienne,ne ſe laſſoit pointde ferectier
fur l'héroïfme de ſa conduite.
Après toutes les perquifitions faites par
Biij
300 MERCURE DE FRANCE.
le gouverneur & ceux qui compofoient
la factorie , ma mort parut enfin conftan
te,& en conféquence mes effets furent,
confignés entre les mains des principauxi
pour être remisà mes parens en Angleterre.
Monsalmi fut un de ceux quell'on
chargea de cette commiffion. Inſtruir des
détails de ma fortune, il futen état de tocueillir
tous mes fondsoor: step out
Pendant leſtems employé à cette opération
, Zoa ne voulut point quitter fon
déguisement, & me fit conferver le mien,
Nous étions tous les deux logés chez mon
ami , chacun dans une chambre dont l'en-.
tréeétoitinterdite àtout autre qu'au maître
de la maifon, tant elle craignoit que la
moindre indifcrétion ne découvrit un
myſtere ſi important à garder pour l'honneur&
la vie de ſon père. On ſe pourvut
avec précaution des habits faits pour fon
sexe , & de tout ce qui étoit néceſſaire
pourune longuetraverſées
Ce ne fut qu'au bout de fix femaines
que mon amitraitą avec un capitainede
vailleau pour le paſſage de deux perfonnes
dont on jugeoit à propos de taire les
noms, en répondant que nulle raiſon fuf
pecte ne devoit l'empêcher de les recevoir
fur fonbord. Le jour pris pout notre
pia
JUILLET. روجا . 1771
départ nous quittames la couleur noire &
primes l'habillement anglois. Monami ,
enentrantdans la chambre de Zoa , fut
ébloui de ſa beauté , & il ne lui fallut pas
moins que la perfuafion où il étoit qu'une
enttrepriſe aufli courageuſe ne pouvoit
être que l'effet d'un ſentiment paflionné
pour s'en tenir à la ſimple admiration. II
est vrai que ſa figure n'étoit pas moins
ravitfante que fon ame eft parfaite. Sa
mère étoit Européenne , & elle ne tient
de la couleur de ſon père que ce qu'il en
faut pour en faire une brune piquante .
Ses yeux font grands & pleins de feu , les
graces ſont répandues fur ſa bouche , la
-douceur& la décence fur toute ſaperfonne.
Joſe me flatter , Monfieur , que fi
vous me permettez de vous la préſenter ,
votrejugement juſtifiera le mien.
Peut être ne verrai -je pas avec les mêmes
yeux que vous , dis - je à mon jeune
marchand : le ton ſérieux & preſque ſévère
dont je prononçai ce peu de mots, le
déconcerta au point que j'eus peine à le
raffurer pour lui faire continuer fon recit.
Dès que la nuit fut venue je m'enveloppaidans
mon manteau &Zoa dans ſes
coeffes , & accompagné de notre digne
Biy
32 MERCURE DE FRANCE.
ami , nous nous rendimes à bord du vaifſeau
qui étoit à l'ancre. Il voulut nous remettre
lui même entre les mains du capitaine
pour nous recommander à ſes
foins , &après les aſſurances de tendreſſe
de fa part&de reconnoiſſance de la nôtre,
il nous vit mettre à la voile.
Dans ce moment ſi deſiré je ne vis plus
dedanger à me montrer au capitaine,dont
j'étois fort connu. Jamais ſurpriſe ne fut
égaleà la ſienne : il me croioit , ainſi que
toute la colonie , hors de ce monde. Je
lui préſentai Zoa , & lui laiſſai croire que
ma paffion pour elle étoit l'unique motif
de mon départ.
Voilà , Monfieur , ce que j'avois à vous
apprendre fur cet objet. A l'égardde ce
qui regarde ma fortune , mon ami s'eſt
engagéà m'en envoyer le produit par le
premier vaiſſeau qui partira de Bombay.
Il faut convenir , lui dis - je , que les
circonstances dontvous venez de me faire
part tiennent du miracle; mais j'ai obſervé
que dans le cours de votre hiſtoire
vousm'avez parlé de cette belle Indienne
avec une chaleur à me faire craindre que
vous ne lui ayez pas tenu bien ſcrupuleuſement
vos promeſſes. Avouez moi la
vérité : quoique dans un âge peu fufcep
JUILLET. 17710 33
tible des impreffions de l'amour , je ne
laille pas de concevoir les mouvemens
impétueux auſquels la jeuneſſe eſt ſujette.
Je ſens combien il eſt difficile de les modérer
quand la beauté , l'amour & les occafions,
dans un auſſi long voyage , concourrent
contre les efforts de la vertu . Ah!
Monfieur , s'écria til , en ſejettant àmes
pieds, gardez vous d'écouter des ſoupçons
auffi injustes& auſſi injurieux à la vertu de
l'aimableZoa. Je l'aime , il est vrai : mon
amour est l'ouvrage de la reconnoiffance;
pouvois-je moins payer les foins qu'elle a
prisde ma vieenexpofantla fienne?J'arofé
luidéclarer ma paffion,& j'aieu lebonheur
de la lui voir approuver. Je ne lui ai rien,
caché de mes affaires : elle fait que vous
êtes mon protecteur , mon bienfaiteur&
plus qu'un père , s'il eſt poſſible , de qui
je dépends entierement. Elle m'a paruu
touchée des ſentimens que je vous ai
voués , & ne m'a point caché que s'ils.
n'avoient pas été tels ,je n'aurois jamais
dûcompter ſur les ſiens. Ce font là,Monſieur
, dans la plus exacte vérité , les termes
où nous en ſommes. Quelque chere
qu'elle me ſoit, j'y renonce fans votre
aveu. Mais fi je fuis affez malheureux
pour que vous me la refuſiez , je vous
By
34 MERCURE DE FRANCE!
priérai d'agréer que je partage ma fortune
avec la fienne. C'eſt un droit qu'elle s'eſt
juſtement acquiſe ſurma reconnoiffance ;,
&en effet , puis je moins faire pour qui a
tout fait pour moi .
Le ton de chaleur qu'il mit à ces der..
niers mots ne meprouva pas moins l'honnêteté
de fon ame que la vivacité de far
paffion'; mais je ne voulus pas lni laiffer
démêler ma façon de penfer pour me ré
ferver le droit de juger ſi une paffions
aveugle ne lui exagéroit pas les perfections
de ſa jeune Indienne. Rofemond ,,
lui dis-je , ne croiez pas que je prétende
m'être acquis d'autres droits fur vous que
ceuxde l'amitié; mais mon âge& mon ex..
périencedoiventvousrendre mesavis inté
reffans. Qu'elles qu'aient été les vues de:
Zoa en vous procurant la liberté dansune
circonstance auſſi critique , je conviens
que vous lui avez les plus grandes obligations.
Il feroit monstrueux de ne pas
dédommager une perſonne auſſi eſtimable
du ſacrifice qu'elle a fait pour la com
ſervation de vos jours ; mais avant de
vous déterminer au lien étroitdu mariage,
connoiſſez - vous bien ſa famille , &
avez - vous bien réfléchi fur le caractere
perfide de ſa. nation ? A.Dieu ne plaifer
JUILLET. 1771 . 3.5
que je lui en attribue les défauts. Il eſt
poffible qu'elle ait l'ame auffi belle que
votre amourvous repréſente ſa figure. Je
la verrai , &je vous ferai part enſuite de
mes idées ſur ſoncompte.
Perfuadé que je ne pourrois pas me défendre
des mêmes impreſſions qu'il avoit
éprouvées , il me quitta pour voler vers
l'objet de ſa tendrelle,& reparut avec elle
une demi- heure après. Au premier coupd'oeil
je vis qu'il n'avoit point outré fon
éloge. Indépendamment de la régularité
de ſes traits , je fus frappé de ſon maintien
noble & décent : mon accueil fit naître
ſa confiance , & peu de jours me fuffirent
pour développer les qualités aimables
d'un heureux caractere. Le fentiment
qui l'attachoit à mon cher Rofemond
lui fit defirer d'embraſſer ſa religion
dont il avoit pris ſoin de l'inſtruire ,
&mon premier ſoin fut de lui faire recevoir
le baptême , auquel fuccéda bientôt la
cérémonie du mariage. En uniffant deux
perſonnes que la nature ſembloit avoir
deſtinées l'une pour l'autre , je n'exigeai
d'autres conditions que celle de me regarder
comme leur père & de ne me quitter
jamais.
36 MERCURE DE FRANCE.
(
LE CURIEUX IMPERTINENT.
Nouvelle tirée de Don Quichotte.
Un homme avoit
:
N une épouſe charmante
Jeune , jolie , & faite au tour ;
Un teintde roſe , une fraîcheur piquante,
Degrands yeux bleus ou reſpiroit l'amours
Un pied mignon , une taille céleſte :
Que de préjugés ſur le reſte !
Je ſupprime un très-long détail ,
Si la belle étoit prude ou fière ,
D'humeur égale ou tracaſſiere ,
Sur le blanc& fur le corail ,
Sur les bijoux , ſur l'éventail ,
Sur la coëffure & les manieres ,
Et für ſesgraces minaudieres
Je n'inſtruirai point mon lecteur.
Qu'on ait vanté ſon caractère ,
Peu m'importe ; il ſuffit que ſon air enchanteus
Eut effacé la reine de Cythère ;
Que les Phrynés& les Laïs ,
Les Corinnes & les Philis
Moins vives &moins féduisantes ,
N'euſſent été que ſes ſuivantes.
Sur ce portrait vous croyez bien;
Que le poffefleur d'un telbien,
1
JUILLET . 1771. 37
Auſeinde laplus douce ivreſſe ,
Savouroit les plaiſirs que donne la tendreſſe;
Quel ſort étoit égal auien?
Lebonheur eſt-il fait pour l'humaine foibledet
Ami lecteur , il n'en fut rien.
Anfelme (c'eſt ainſi que mon héros s'appele )
Avoit un ami très-fidèle :
Acecherconfi lent , quand il connut l'amour,
H s'étoit ouvert fans détour.
Lothaire lage autant qu'habile ,
Par les refforts d'une prudence utile ,
De ſon ami fervit la paſſion.
Labelle par fes ſoins s'étant montre facile
Bientôt l'hymen ſcella leur union.
Lothaire étoit chéri d'Anſelme&de Camille:
Ilgoûtoit ce plaifir fidoux
D'avoir fait le bonheur de deux charmans époux.
*** Après qu'il eut conclu ce mariage ,
Cetami vertueux & lage ,
Compritque le devoir lui dictoit d'autres loix:
Trop d'affiduités, des viſites fréquentes ,
Auroient donné matiere aux langues médiſantes ;
Hvit donc ſon amimoins fouvent qu'autrefois.
Anfelme crut devoir s'en plaindre :
Son ami lui parut plus froid que circonfpect ;
Lepauvre homme étoit loin de craindre ;
Lothaire n'étoit pas ſuſpect.
Que croirai-jede votre absence
Du ſoin d'évires ma maiſont
"
:
38 MERCURE DE FRANCE.
On allégua la bienséance ,
Etl'époux fit ſemblant de goûter ſa raiſons
Unmois ſe paſſe: on eſt tranquille:
: Mes bons amis , goûter en paix
Lesjours heureux que la Parque vous file ,
Vous ferez moins gais déſorinais.
Enfin cédant au mal qui le dévore ,
Anſelme tire àpart ſon diſcret confident :
Cherami , lui dit-il , tu me crois fort content :
Camille m'aime , je l'adore ;
Je ſuis certain d'avoir ſon coeur;
Mais à quoi dois -je ce bonheur ?
Au reſpect humain , à la crainte ?
Le ſoin de ménager cet honneur fi vanté,
N'eſt que l'effetde la contrainte ;
C'eſt l'amour du devoir moins que la vanité.
Sa vertu peut n'être que feinte :
Dece ſexe on connoît l'eſprit.
4
Qu'est- ce après tout que ſa ſageſſe?
Un: voile ſéducteur ſur lequelest écrit;
Pour éprouver notre foibleſle,
La moindre occaſion ſuffit .
:
Je veux connoître à fonds le coeur de ma Lucré
ce;
Cher ami , fais-lui bien ta cour',
Dans tes yeux,tes regards exprimetatendrefle
Que tout annonce en toi le plus ardent amour.
Pour triompher de fa conftance
Diſpoſedemoncoffre fort
JUILLET. 1771 .
39
L'argent qui brille aux yeux excite un doux tranf
port;
Unebelle au métal fait peu de réſiſtance :
Tula verras céder à la tentation ;
Maisfi, contretoute apparence ,
Elle oppoſe un coeur ferme à la ſéduction ,
Je croirai , cher ami , que ma femme eſt l'unique
Que leCiel exempta de la communeloi,
Et qu'il prit ſoin exprès pour moi
De former cette ame héroïque..
A ces mots , Lothaire éclatant,
Lui répondit en plaiſantant ,
CherAnfelme , jedoute encore
Que vous m'ayez tenu ce langage imprudent.
Qui ? moi ! vous prétendez queje vous deshonore::
En vérité , le conſeil eſt fortbeau.
Pour rétablir votre cerveau
Abuſe- t-on ainſi des droits de l'amitié?-
Allez, vous me faites pitié: 1
Il vous faut un grain d'ellebore.
A quoi peut aboutir cet examen futile ?
Vous éprouvez le ſort le plus flatteur
Vous en troublerez la douceur ,
Pour avoir été trop fubtile.
Analyſer l'amour , c'eſtne pas le ſentir::
Jouit- on du bonheur qu'on veut approfondir ?
Ceprojet après tout ne ſeroit pas facile;
Je ſeraipour vousplaire un lâche ſuborneur!
Quedira le Public ? que penſera Camille
40
MERCURE DE FRANCE.
Serai-je l'artiſan de votre deshonneur ,
Et peut- être de ſon malheur ?
Qui n'eut cru que tant d'éloquence
Convertiroit Anfelme ? ayant un peu rêvé;
Cher ami , lui dit-il , tu m'as très -bien prouvé
Tadroiture & ta foi : mais ta rare prudence ,
Loin de guérir mes maux , aigrit leur violence.
Adisu , mon cher , aſſez d'autres ſans toi ,
Se chargerontde cet emploi.
Arrêtez , ami téméraire ,
S'écria bruſquement Lothaire ,
Prévoyant bien qu'en cet étrange accès
Il pourroit ſe porter à de plus grands excès.
Il étoir queſtion de feindre
Et d'amuſer cet époux indiſcret :
Car fans doute il étoit à craindre
Qu'un autre qu'il en chargeroit ,
N'abusât enfin pour fon compte
Du pouvoir qu'on lui donneroit.
Mais voudroit-il tenter Camille? quelle honte!
Séduire un objet ſicharmant!:
Et s'il ſe rendoit complaiſant ?
Un amour mépriſe ſe convertit en rage,
S'il refuſoit Anfelme? ... Ets'il y confentoit?.
En mille avis ſon eſprit ſe partage.
Son ami cruel infiſtoit.
Enfin , je céde à vos pourſuitess
Mais vous me répondrez des ſuites.
Anfelme ſe croit trop heureux ;
i
+
JUILLET. 1771 . 41
Mille pardons à l'ami généreux ,
De la peine qu'il alloit prendre.
Le pauvre Lothaire à ſon tour
Ne ſavoit trop comment déclarer ſon amour :
Un coeur novice encor ne ſçait comment s'y prendre.
Ithéſitoit , il n'oſoit pas ;
Enfin il béguaya tout bas
Quelques mots doucereux qu'on pût à peine entendre.
La belle n'en fit pas ſemblant;
Le lendemain autre fleurette :
Celle- ci parut indiſcrette :
Camille de rougir... elle ſe tut pourtant ;
C'eſt le parti leplus prudent.
Bientôt on fut plus téméraire;
Ons'exprima d'un façon plus claire :
On dit que l'on aimoit , on le dit comme il faut,
Qu'entends-je , dit-elle auffi-tôr.
Eſt- cebien vous ? ah ! vertueux Lothaire ,
Ofez- vous trahir votre ami ?
Mais Lothaire étoit perverti ;
Il avoitdroit de tout enfreindre.
L'amour s'en mêloit quelque peu :
Il fit un quatrieme aveu.
Labelle honteuſede ſe plaindre ,
En fit part à ſon cher époux :
Elle exagera fon couroux ;
42 MERCURE DE FRANCE.
H
Sidu premier tranſport l'eſprit n'eut été maître
On eut déviſagé le traître.
Anſelme , loin d'êtrejaloux ,
Comme on croitbien, n'en fit que rire .
Camille s'y perdoit ,& ne favoit que dire ,
Ni que penſer de cet air ſi ſerain :
Tant de ſang froid lui parut un outrage ;
Maiscompoſant tout-à coup ſon viſage ,
Et n'affectant qu'un froiddedain ,
Elle ſe promit biende n'être plus ſévere :
Onplaignit cepauvre Lothaire ;
On l'avoit un peu maltraité ;
Peut-être étoit- il rebuté ?
Il la tira bien-tôt de peine :
Il reparut on fut moins inhumaine:
?
On lui fitun touchant accueil :
Le dépit d'une femme étouffe fon orgueil.
Mais devoit-on compter ſur ſes paroles ?
Les hommes ſont ſi vains , ſi trompeurs ,fi fi
voles!
Il jura fes grands dieux , fit unbongros ferment.
Ah! vous me faites peur , ne jurez pas Lothaire:
On pouvoit loupçonner une flamme ordinaire ;
Mais onen croit un ſi parfait amant.
Mon cher lecteur , le reſte eſt un myftere.
Anfelme d'abord n'en ſout rien
Mais il en tenoit bel &bien.
De tout il avoit été cauſe
JUILLET 43- 1771 .
Quand il ſoutcomme alloit la chose,...
Un noir chagrin lui troubla le cerveau ,
Et le conduiſit au tombeau .
100
Ceci n'eſt pas un conte que j'inventer
Je l'ai pris deMichel Cervante.
Jetiens pour for , celui qui n'en rira
Et pour unfou celui qui le croira.
A F
:
DIALOGUE
Entre LAMOTHE & L'ABBÉ
f
TRUBLET .
LAMOTHE
Le tems , qui ſépare tout , ſe reſerve
auſſi ledroit de tout rapprocher. Je retrou
vemon ancien ami.
:
L'ABBÉ TRUBLET.
•Et votre éternel admirateur .
LAMOTHE.
Peut- être portâtes - vous cette admira...
tion trop loin. Je ne m'en apperçus pas
il eſt rare que l'encens prodigué à un auteur
qui porte à latête , fi forte qu'en foit
44 MERCURE DE FRANCE.
la doſe. Le Public , d'ailleurs , ſembloit
être votre garant. Il me prodigua les fuf
frages , comme vous les éloges. Mais ,
eny réfléchifſſant mieux , j'ai cru m'appercevoir
que vous , le Public & moi , nous
nous étions tous trois mépris ſur mon
compte..
L'AB . TRUBLET.
Je me garderai bien de le croire. Que
ſerois- je , moi - même , ſi vous n'étiez
rien ? J'épiois ſans ceſſe vos actions , ves
difcours , & même vos pensées : je fus le
commentateur de ce que vous dites comme
de ce que vous ne dites pas. Je m'attachai
à vous , pour m'élever , comme le
lierre s'attache au chêne ; mais ſi le chêne
eſt un arbre nain , le lierre ſera bien peu
de chofe.
LAMOTHE.
Je ne fus jamais un nain au Parnaffe ;
mais on eut tort de me croire un géant.
Je fus trop àla mode, & commeelle ſujet
aux révolutions. J'eus des rivaux , neilleurs
poëtes que moi , & je laiſſai encore
après moi de meilleurs proſateurs.
:
L'A B. TRUBLET.
Au moins , découvrites - vous le pre
JUILLET. 1771 . 45
mier quel eſt le vrai caractere de notre
profe......
LAMOTHE.
Il faut en excepter Paſchal. Il ſentit
que de longues phraſes ne pouvoient que
traîner dans un langage où l'inverſion
n'eſt point admiſe; qu'on n'a ſi long-tems
mal écrit en profe parmi nous , que pour
avoir plus étudié une langue étrangere
que le génie de la nôtre. J'admire la peine
que ſe donnoient nos écrivains pour
arondir de longues périodes inintelligibles.
L'A в. TRUBLET.
N'a- t- on pas un peu outré l'uſage.comtraire?
LAMOTHE.
On abuſe de tout, Il eſt preſque auſſi
difficile de ne point paffer le but que d'y
atteindre. Je le paffai rarement; mais je
ne l'atteignis pas toujours. Le ſtyle doit
être coupé & non haché. Il ſera coupé , ſi
chaque phrafe renferme une ou pluſieurs
idées rendues avec une clarté préciſe , &
ſi la ſucceſſion des idées forme la liaiſon
de chaque phrase. Il ſera haché ſi , pour
abréger la phrafe , vous mutilez la peni
46 MERCURE DE FRANCE.
-fée, & fur-tout ſi vous négligez la connexion
des idées qui précédent ou qui
ſuivent. Il ſera traînant ſi vous l'embarraſſez
de parenthèſes , d'épithètes ,, de
conjonctions & de circonlocutions. Je
compare l'homme qui écrit bien à celui
quimarche avec noblelle &ſans embarras.
Or , je veux qu'un homme marche & non
pas qu'il faute'on qu'ilſe traîne.
11
L'AbB TRUBLET.
J'ai biendu regret que vous ne m'ayez
dit ces chofes qu'après votre mort; elles
euſſent été conſignées dans mon recueil.
J
A
du
ah
СамотHE.
J'ai bien regretque vous ayez recueilli
tout ce qui m'eſt échappé. On
peut vanter les fraits du jardin de fon
ami; mais il ne faut en offrir pour effai que
les meilleurs , c'eſt le ſeul moyende donner
une idée favorable du reſte .
LAB.TRUBLET.
T
Tout de votre part me ſembloit admirable
, & j'ai voulu que chacun partageât
cette admiration.i
Je conçois que vous n'y réuſſites pas
JUILLET. 1771. 47
Vorre fuffrage n'étoit point affez ſobre
pour n'être pas ſuſpecté. Il faut mieux
connoître le Public. Toujours en garde
contre les éloges qu'on prodigue à autrui ,
toujours prêt d'approuver la fatyre qu'on
en peut faire , il accueille les farcafmes
lancés contre lui - même , plus que les
louanges qu'on daigne lui donner. 11 a
plus d'une fois reſſemblé à ces courſiers
ſauvages , qu'on effarouche quand on les
Hatte , & que la ſeule piqûure de l'épron
peut rendre dociles. :
L'AB. TRUBLE T.
J'ai vu ce courſier ſi indocile maîtriſé
pardes mains plus hardies que robuſtes.
LAMOTHE.
Je le crois. Le Public a ſes momens
d'enthousiasme. Il cede alors ſans examen,
il fuit une impulfion qui l'emporte
trop loin ; mais lorſqu'il s'en apperçoit ,
il rétrograde encore plus qu'il ne s'étoit
avancé. Malheur à tout écrivain qu'il a
trop accueilli. Il met bientôt plus d'activité
àlui arracher ſes couronnes qu'il n'en
mità les accumuler ſur ſa tête.
L'AB . TRUBLET
Hébien! puiſqu'il faut vous l'avouer ,
48 MERCURE DE FRANCE .
cette révolution vous menaçoit , & ce fut
pour la prévenir que je vous prodiguai
tant d'éloges.
LAMOTHE.
Vos éloges l'ont- ils prévenue ?
L'A в . TRUBLET .
Je n'oſe vous en répondre. J'ai , du
moins , eu la gloire de combattre pour la
vôtre , & d'imiter un brave gouverneur
qui périt fur la brêche.
LAMOTHE .
Une bonne capitulation vaut toujours
mieux . Croyez-moi , il eſt un art de louer
ſes amis , ſans lequel on ne les loue qu'a
leur détriment. C'eſt le cas où l'amitié
doit faire plus d'un ſacrifice. Elle doit ſe
relâcher ſur les défauts pour appuyer fur
les beautés. Chaque auteur d'un certain
ordre a les ſiennes. Mais ſi vous lui prêtez
celles qu'il n'a pas , on s'efforcera de méconnoître
même celles qui font à lui.
L'AB . TRUBLET .
Rien n'eſt plus injuſte , & rien n'eſt
plus vrai . Je l'ai reconnu trop tard. Je
cherchois à m'étayer de votre grand nom,
&
JUILLET. 1771 . 49
& l'on a plus d'une fois cherché à l'abattre
pour m'écrafer .
LAMOTHE .
Voilà le coeur de l'homme ; c'en eſt
encore mieux l'eſprit. Peut - être auffi
avoit- on deviné votre ſecret.
L'AB . TRUBLET.
Un tel ſecret ſe devine toujours aifément.
J'étois votre ami , & je voulois
être auteur. Mes liaiſons avec vous &
avec un autre homme célèbre , que j'ai
auffi trop loué , pouvoient me donner une
conſiſtance que ne m'euffent jamais donné
mes ſeuls écrits . Je voulois former un
triumvirat ; je n'y jouai que le rôle de
Lépide .
LAMOTHE.
Comment Fontenelle reçut-il vos éloges?
:
L'AB . TRUBLET.
Comme il recevoit la critique; ſans y
y faire beaucoup d'attention.
LAMOTHE
C'étoit un grand homme qu'ona trop
loué & trop critiqué.
I. Vol. C
50 MERCURE DE FRANCE.
L'AB . TRUBLE T.
J'ai eu la douleur d'aſſiſter au déclin de
ſa réputation.
LAMOTΗΕ.
Il eut le malheur de vivre un ſiécle ;
c'eſt un tort que le Public pardonne difficilement
à ceux qu'il a trop admirés . Il
reprend en détail ce qu'il leur avoit donné
en ſomme. C'eſt un maître impérieux
qui finit ſouvent par dépouiller ſes favoris.
Il en uſa un peu mieux avec Fontenelle
qui n'étoit pas , en effet, du nombre
decesfavoris qu'on doit dépouiller; mais
je ſoupçonne que vous l'avez trop loué
furdes choſes qu'il ne falloit pas même.
défendre,
L'AB. TRUBLE T.
Je ne connus point d'autre manierede
louer mes amis. Peut- être n'y ont- ils rien
gagné ; mais je n'y ai rien perdu. Je frappois
depuis trente ans aux portes de l'académie.
Un beau jour ces portes s'ouvrisent
&je m'y gliſſai .
LAMOTHE.
Je vous en félicite.
JUILLE Τ. 1771 . SE
L'AB. TRUBLET
Ma joie fut de courte durée. Je fus la
victime d'un vers compoſéde deux mots.
LAMOTHE.
Aquoi tiennent les réputations!
L'AB. TRUBLET.
Ce malheureux vers , qu'on trouva trop
heureux , & qui ſe replie ſur lui - même
comme un ferpent , vint flétrir mes lauriers
académiques.
LAMOTHE.
Je ſoupçonne que le mal vient de plus
loin.Un vers ſatyrique , ſi ingénieux qu'il
foit , n'a de force contre nous qu'autant
quenous ſommes foibles,de même qu'un
éloge pompeux ne couvre pas long-tems
cette foibleſſe. Il eſt trop tard de vous en
avertir , mais l'expérience adû vous l'apprendre
: un éloge outré nuit également
&à celui qui le donne , & à celui qui le
reçoit.
ParM.de la Dixmeric.
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
LE LOGOGRYPHE. Conte.
UnLogogryphe eſt une belle choſe.
D'honnêtes gens dont l'eſprit ſe repoſe
En font par fois. Maint livre en eſt groſſi.
Un procureur en voulut faire auffi.
Il prend , il tourne& retourne ſa gloſe ,
Tant & fi bien qu'il réuſſit enfin.
Donner aux mots de l'amphibologie ,
Brouiller , mêler & jouer au plus fin ,
Du procureur c'étoit bien la partie :
Et le bon fens , ſi le fait n'eſt pas lûr ,
Dit qu'un Caton de Baſle Normandie
Fut l'inventeur du Logogryphe obſcur .
Dans la vacance il n'avoit rien à faire ;
Le Logogryphe , en guile de procès ,
Lui rappeloit les fraudes , le myſtere,
Lelabyrinthe & les tours du palais.
Tel Palamede au fiége de Pergames
Dans son loiſir inventa les échecs ,
Cejeu guerrier qui , recréant les Grecs ,
Entretenoit lavigueur de leurs ames ,
Et les flattoit par leurs propres travaux
Que retraçoit l'échiquier des héros,
Et tel encor dans un ſiècle gothique ,
Tems fortuné , quoique moins héroïque;
1
6
1
JUILLET. 1771 . 53
Nos Paladins preux & bons chevaliers ,
Gens férailleurs & curieux des femmes ,
Dans leur abſence inventerent les Dames :
Et confondant le myrthe & les lauriers ,
Songeoient à vaincre en même tems qu'à plaire.
Les moindres jeux peignent le caractere ,
L'âge & le goût. Un jeune poliffon
Court à cheval monté ſur un bâton ,
Lorſque ſa ſoeur plus ſage & plus gentille
Fait au logis la mere de famille.
Mais, reprenons notre moderne Sphinx!
Enveloppé dans les jeux de ſa veine ,
Pour y connoître il falloit être Linx .
On y voyoit cependant , & fans peine ,
Que le bonhomme avoit perdu le ſens .
Il lit ſes vers à ſes clercs qui glapiſſent ,
Et comme oilons au canard applaudiſſent.
Le ſoir , gonflé de leurs encenſemens ,
Il en endort la femme& les enfans.
Le lendemain ce fut la même choſe.
Atous venans notre homme le propoſe.
Aucune fois ne ſort de ſa mailon
Qu'il n'ait d'abord le Logogryphe en poche.
Amillegens chaque jour il s'accroche.
Nul ne devine , & tous le trouvent bon .
On eſt d'avis qu'il l'envoie au Mercure.
Le vers eſt plat , la charpente en eſt dure.
Mais c'eſt beaucoup d'y trouver la raiſon .
:
Cij
54. MERCURE DE FRANCE.
Dans ce deſſein , il l'orne , il le décore ,
Il le retouche & le retouche encore.
Et les neuf ſoeurs & leur frere Apollon
Sout dans l'étude avec tout le valon .
Mais , quel malheur ! laiſſe ſur une table ,
Le Logogryphe en un tas de chiffons ,
Eſt confondu. -L'homme eft inconſolable.
Une plaideufe , avec ſes vieux brouillons ,
L'a dans ſon ſac emporté par mégarde.
Pour notre auteur jugez quelle nazarde;
Quand le defir de reciter ſes vers
Lui fait envain chercher ſon logogryphe :
S'en rappeler le ſens , les tours divers ,
Seroit pour lui le travail de Sifiphe.
Lemoindre mot qu'on y dérangeroit
D'un tout fi beau troubleroit l'harmonie ;
Notez ceci comme choſe inouie :
Dans un ſeul mot toute la gamme entroit,
De ſon côté la plaideuſe juroit ,
Se lamentoit de l'air d'une Sibille
Qui , voulant coudre une prédiction ,
Voitun feuillet qu'emporte un tourbillon.
Jugez combiendutbouillonner ſa bile ;
Quand , vifitant les piéces du procès ,
Au lieu d'un acte utile à ſon ſuccès ,
Elle en vit un du moins fort inutile.
Un Logogryphe. -Un auteur déclaré
Qui voit à plat tomber ſa tragédie ;
JUILLET. 1771. 35
Une Philis qui , ſans qu'on lamarie,
Palle trente ans ; un buveur altéré
Qui laiſſe cheoir une bouteille pleine,
N'éprouvent pas le terrible dépit
Qui de la vieille a comprimé l'halcined
Sa main crochue en cherchant le roidir,
Et de ſon front s'enflent les groſſes veines.
Mais , quel eſpoir, la raſlurant ſitôt ,
Sulpend le cours de ſes recherchesvaines ?
Du Logogryphe elle avoit eu l'aſlaut.
Elle connoît le foible deſon homme :
Il tiendra lieu d'une fort groſſe ſomme!
Sur le chiffon qui lui promet accès ,
Elle a fondé le gain de ſon procès ,
Et ne craint plus d'être congédiée .
N'y voyantpasgrand fruit pourlepatron,
Quoique d'ailleurs le procès fut très-bon ,
Le maître çlere l'avoit répudiće.
En quatre ſauts elle eſt chez ſon griffon :
De ſon retour ignorant la raiſon ,
On ne l'a pas cette fois mieux reçue.
Mais , ô pouvoir de l'amour paternel !
Tiré du ſac , cet ouvrage immortel ,
Le Logogryphe à peine eſt à la vue ,
Quede ſon ſiége ailément ſoulevé
L'auteur accourt vers ſon fils retrouvé,
Afa cliente offrant monts & merveilles.
La modeſtie en vain fait quelqu'effort :
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Un large rire exprime ſon tranſport ,
Et fait toucher ſa bouche & ſes oreilles .
Notre plaideuſe inſiſte en ce moment ,
Du procureur preſſe le coeur content.
Quoique fort laide il l'auroit embraffée:
Elle n'avoit que ſa cauſe en penſée.
Maître Lambin s'y met rapidement ,
Lui promettant de faire en deuxjournées
Ce qui d'abord exigeoit deux années :
Il prendſon ſac. _Bientôt , tout terminé ,
Il le lui rend de lauriers couronné.
Ainſi l'on voit de la plus ſimple cauſe
Un grand effer. -Revenons ſur nos pas.
Pour l'homme vain, dont on fait tant de cas,
Undogogryphe efſt - il ſi peu de choſe.
Combien de fois un mot qu'on n'entend pas ,
Afait tourner les humaines cervelles !
Un Logogryphe ! il vaut les bagatelles
Qui fontſouvent le deſtin des états.
ParM. Girard Raigne,
JUILLET. 1771 . $7
LE PETIT COTON ,
Hiſtoire qui donne à penser.
Si tout est grand chez les grands hom
mes , ſi l'hiſtoire rehauſſe juſqu'à leurs
petiteſſes doublement petites en comparaiſon
de leur grandeur , pourquoi ne
célébreroit- on pas auſſi les grandes chofes
qui ſe rencontrent quelquefois chez les
petits hommes ? Ce qui ſe trouveroit de
grand en eux auroit auſſi un double droit
àla famoſité.
Cette confidération vraiment philofophique
m'invite à donner l'hiſtoire merveilleuſe
du petit Coton Elle n'offrira
rien de petit , que fa taille ,& cette même
petiteſſe donnera encore plus de reliefà
fon éloge académique.
Le petit Coton avoit à peu près , douze
lignes de haut , en comprenant fon bonet
en pain de fucre qui pouvoit le rehauffer
d'environ trois bonnes lignes.
Cette énorme petiteſſe ne doitchoquer
perſonne ; car dans la claſſe des infiniment
petits , notre héros auroit encore
pu pafler pour un géant .
Cy
98 MERCURE DE FRANCE .
Quoique les idées ſemblent devoir
loger à l'étroit dans un petit cerveau , ce
feroit pourtantune queſtion de ſavoir , fi
elles gagnent davantage dans celui d'un
géant ? At il des idées giganteſques comme
fa taille ? ... Je ne les en crois pas
meilleures pour cela. Les idées nainesdu
petit Coton décélent au contraire une
fineſſe ſublime qui touche à la véritable
grandeur , je vais mettre le lecteur à portée
d'en juger. Petit Coton parloit peu ,
ce qui étoit la preuve d'un grand diſcernement;
une phraſe entiere auroit épuifé
fon fragile individu , & des volumes de
penſées ſembloient au contraire fortifier
foneſprit.
Dans l'eſpace d'un jour, laiſſoit - il
échaper un ſeul mot, ce mot étoit fi fublime
! fi profond ! qu'il y avoit de quoi
donner à penſer plus d'un an à nos génies
du premier ordre.
Sans prétendre à l'air de parler , encore
moins à celui de penfer , it entretenoitde
paroles&de penfées tous les êtres qui fe
vantent de ce céleste don qu'on appele
raifon.
Perſonne aſſurément ne s'en feroit douté.
L'hiſtoire des grands événemens par
les petites cauſes eſt pourtant l'hiſtoire da
petitCoton.
JUILLET. 1771 .
؟و
Ne vous déſolez point , Meſſieurs les
fameux penſeurs ; juſqu'ici vous avez prétendu
paffer pour originaux , & vous y
avez en partie réuſſi ; mais le tems qui dévoile
tout , va retirer ſon aile de deſſus
l'abîme ténébreux qui couvroit le germe
de vos productions.
Loinde vous chagriner de cette découverte
, elle ne peut que vous faire honneur
, parce qu'il y a toujours du mérite
à penſer d'après les génies; c'eſt même
dans la difette du ſiècle , le ſeul moyen
de ſe rapprocherde ces êtres privilegiés.
Quand on ne peut pas créersoi -même ,
il est beau de concouriràháter ledéveloppementdesgermes
créateurs.
Le berceau des plus rares découvertes
c'étoit le cerveau du petit Coton. Tout
ce qui l'approchoit viſoit au merveilleux ,
juſqu'à la pointe de ſon bonnet , dont on
a pris l'idée des fléches de clocher; certains
Bramines lui doivent la forme de
leurs capuchons , & pluſieurs manufactures
celles des pains defucre.
La géométrie , ſans ce bonnet , n'au
roit pas l'idée d'un cone parfait ; la pharmacie
, de la chauſſe d'Hypocrate ; la dif
tillation ,d'un entonnoir , & la chymie
d'un creuſet. L'architecte décorateur cher,
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE .
cheroit vainement l'élégance de la pyramide
& la taille de l'if majestueux. En un
mot cette emblématique coëffure étoit la
fléche électrique du feu céleste , non de
ces foudres dévorans, mais de ces flammes
animées dont Promethée vivifia ſa Pandore
& Pigmalion fa Statue . D'après un
bonnes ſi merveilleux , jugez un peu de la
tête qu'il furmontoit.
*
:
Petit Coron rêvoit très - fouvent , &
lorſqu'après pluſieurs heures de filence il
diſoit : j'ai rêvé , les ſçavans de l'académie
s'aſſembloient , & finiſfoient par ſe
ſéparer. Alors chacun couroit s'enfermer
dans fon cabinet d'étude , & après des
méditations de pluſieurs mois , quelque.
fois même de nombre d'années
voyoit éclore ces ſyſtèmes admirables tenant
preſque du prodige. D'où cesflots
de lumière font ils fortis ? une étincelle
du génie de petit Coton eſt l'Océan qui les
aproduits.
on
Entin il faudroit des volumes , & l'on
entreprenoit de raconter tous les faits &&
geftes de petit Coton; mais dans notre
fiécle on aime à deviner. Les volumes ne
fe lifentpas , & les extraits amufent , c'eſt
pourquoi nous ne donnerons pas plus d'étendue
à celui-ci.
JUILLET. 1771. GI
Or,doncje laiſſe aux lecteurs pénétrans
àdeviner le reſte .
Pluſieurs ſçavans feront fans doute cnrieux
de connoître l'horifon fortuné où
cet aftre a brillé , qu'ils ſe difputent quelques
années fur cet important objet , &
je finirai par les mettre d'accord , en nommant
la patrie du petit Coton ; j'eſpere en
même tems donner le catalogue railonné
de les pensées. O altitudo ! ô res ftupenda!
Par M. M**.
EGLOGUE . La Villageoise & le jeune
Etranger égaré à la promenade.
LE JEUNE ETRANGER.
BERGERE , qui fur ce côreau
Fais paître ce petit troupean ,
Dis- moi , ſuis - je loin de la ville ?
CATEAU.
Tu n'en es au plus qu'à deux, milles
Vois- tu ce bois de coudriers ?
Suis-en les tortueux ſentiers ,
Et prends d'abord par cette allée ;
Quand tu ſeras fort : du bois ,
Tes yeux pourront dans la vallée,
Desmaiſons découvrir les toits.
62 MERCURE DE FRANCE.
LE J. ETRANGER .
Je m'y perdrai ; voudrois-tu meconduire?
CATEAU.
Oui!teconduire au bois : que tu m'as l'air malin !
Mon bel ami , pourſuis ſeul ton chemin.
O! quelsyeux tu me fais ? qu'as-tu donc ? tu foupire.
LE J. ETRANGER.
Quel eſt tonnom ?
CATEAU .
Cateau...
LE J. ETRANGER .
Cateau viens avec moi;::
Quitte ton village.
CATEAU.
Pourquoi?
LE J. ETRANGER .
Viens , Cateau , viens goûter des plaifirs de la
ville;
Au lieu d'une chaumiere vile ,
L'Amour t'offre un palais charmant.
Viens , viensde tes attraits embellir cet aſyle,
Viens y regner ſur tonamant,
JUILLET. 1771 . 63
CATEAU.
Tudis une chaumiere vile ;
Mais, mais vois donc ſontoit paré d'un galon
verd!
Vois auprès letilleul fertile
Nousdonner au midi l'agréable couvert ;
Vois ferpenter autour cette fource d'eau vive,
Vois les riantes fleurs qui décorent ſa rive ,
Ettu nommeun ſéjour auſſi rempli d'appas ,
Une vile chaumiere! oh, tu n'y penſe pas !
LE J. ETRANGER.
Crois-moi , laille- là ta chaumiere ,
Laifle là tes moutons , Cateau , ſois plus frere ;
Reine dans mon palais , au gré de tes defirs , *
Ah ! viens voir ſur tes pas accourir les plaiſirs ;
Onte ſervira fur ta table
Les gibiers les plus fins ,les plus ſucculens mets.
CATEAU.
Je préfére à ces mets un repas agréable
De fruits dont l'appetit fait feul tous les apprêts!
LE J. ETRANGER .
Dans lepluspur criſtal tu te verras verſées
Les liqueurs du Levant & les boiſſonsglacées.
*On s'appercevra quej'ai lu l'Eglogue du chaf
ſeur Eſchile dansM.Gelsner,
64 MERCURE DE FRANCE .
CATEAU.
Je bois lorſque j'ai ſoifde l'eau de ce ruiflean ;
Ates poiſons ſubtils je préfére cette cau.
LE J. ETRANGER .
De Geliote viens entendre
La voix harmonieuſe & tendre.
CATEAU.
<
Viens entendre ſous nos berceaux
Les doux concerts de nos oiſeaux.
LE J. ETRANGER.
Pour une plus riche parure
Viens dépouiller ces vils habits ,
Viens parer tes cheveux de l'éclatant rubis ;
L'art te fiéroit bien , je te jure.
CATEAU.
4
J'aime mieux ces habits dont ton luxe murmure .
Aux plus beaux diamans je préfére les fleurs
Dont la main de Colas orne ma chevelure
Et nuance avec goût les diverſes couleurs,
:
C'eſt tout l'art que j'ajoute àla fimple nature.
:
:
:
JUILLET. 1771 . 65
LE J. ETRANGER .
Quoi ! ne luis- je donc pas de gentille figure ?
Vois , de ce vêtement, la ſuperbe beauté !
Vois , vois de mes cheveux l'élégante ſtructure !
Demonteint blond , Cateau , ton goût n'eſt point
flaté ?
CATEAU.
Mon berger eſt beau de vilage ;
Iln'a pas , comme toi ,des habits éclatans ,
Et les noirs cheveux ſont flottans ;
Mais tiens , de bonne foi , je l'aime davantage;
Adieu , j'entends ſa voix derriere ce verger !
:
LE J. ETRANGER .
Tume mépriſes donc , ô bergere cruelle ?
CATEAU.
Non , mais lorſque l'on aime on ne doit pas chan-
4
ger.
Si tu devenois mon berger ,
Voudrois- tu voir , dis- moi , ta bergere infidelle!
Par M. Ch. de M.
66 MERCURE DE FRANCE .
ELOGE de M. Anfart de Mouy , lieutenant-
généraldes armées du Roi , commandeur
de l'Ordre royal & militaire
deSt Louis , inspecteur-généraldu corps
royal de l'artillerie , & membre de l'Académie
d'Arras , mort en cette ville le
9Mars 1771 .
QUE UEL lugubre appareil vient s'offrir à mer
yeux !
Le peuple conſterné leve les mains aux cieux ;
Des guerriers , l'oeil en pleurs , & latêtebaiflée ,
Traînent, en ſoupirant , leur arme renverſée :
Couverts d'un voile épais , les tambours , les clai
rons
Répandent ſourdement de lamentables fons.
Puis-je voir , ſans gémir , l'objet qui ſe préſente f
Triſtement décoré de la croix éclatante
Où Louis attacha le prix le plus flatteur ,
Qu'illuſtre le mérite & non pas la faveur ,
Chargéde cette épée encore menaçante ,
Que croiſe le cordon du véritable honneur;
Un cercueil eſt porté dans une marche lente ,
Que précède , en flottant ,l'étendard de la mort.
Je vois briller auprès celui de la victoire.
Hélas ! c'eſt donc Mour qu'au milieu deſa gloire,
JUILLET. 1771 . 67
Nous ravit pour jamais l'impitoyable ſort.
Sondanger nous cauſa de trop juſtes alarmes.
Omes concitoyens , arrofons de nos larmes
Les lauriers immortels qui couvrent ſon tom
beau.
Le voilà ce héros qui , du dieu de la guerre,
Contre nos ennemis dirigeoit le tonnerre ,
Et par tant de talens ſe fit un nom ſi beau!
Adéfendre l'état il conſacra ſa vie :
Onhonore les dieux, en ſervant ſapatried
Favori deMinerve , il étendit les arts : *
Servir ſes envieux fut ſa ſeule vengeance :
Sa bonté magnanime égaloit ſa vaillance ;
Et tandis que ſon bras foudroyoit les remparts ,
Sa grande ame , à la fois auſſi tendre que fiere ,
De l'ennemi vaincu relevoit la chaumiere.
Dieu ! que d'infortunés béniſſent ſesbienfaits,
Qu'à ſon ſouvenir même il tint toujours ſecrets !
A peine eut- il ouvert ſa brillante carriere ,
Qu'il obtint du ſoldat le reſpect & l'amour ;
Trop tôt , malgré nos voeux , la Parque meur
triere,
Au ſeinde ſes amis marqua fon dernier jour.
Dans ce moment, terrible à l'ame la plus ſainte,
* M. deMouy a compoſéun traité ſurlesdifférer.
tes opérations de l'artillerie. Pluſieurs officiers
enontprisdes copies : la cour , après lamort,
a demandé le manuſcrit.
68 MERCURE DE FRANCE.
Où le ſeul avenir fixé notre coup- d'oeil ,.
Pour la premiere fois il a ſenti la crainte...
Mais hélas ! il n'eſt plus , & les vertus en deuil
Célèbrent ſes exploits autour de fon cercueil.
Que du Ciel aujourd'hui la double bienfaiſance-
Puille da moins aider à confoler ces lieux .
Mouy , pour les orner , y reçut la naiſſance ;
Et ſa cendre eſt pour nous un dépôt glorieux.
Vous , éleves de Mars , vous , qui pouvez encore
,
Commelui , vous former aux vertus , aux talens ,
Si vous voulez qu'un jour la France vous honore,
Hatez - vous ; ſaiſiſſez de précieux inſtans.
Que votre ame rivale imite ſa belle ame ;
Soyez grands ſans fierté , ſenſibles , valeureux ;
Que le bonheur public ſans ceſſe vous enflame.
N'être heureux que pour ſoi , c'eſt être malheureux.
Pourquide la vertu craint de ſuivre les traces ,
La nobleſſe du ſang n'eſt qu'un titre honteux.
Tout fidèle ſujet dont le coeur généreux
Méritade fon Roi des honneurs &des graces ,
JUILLET. 1771. 69
Fut- il par la fortune auſſi puiſlant qu'heureux ,
Tirat il de Céſar ſon origine illuftre ,
Il a ſervi l'Etat , voilà ſon plus beau luftre .
Par M. l'Abbé de la Borere , Principal
du Collège d'Arras.
QUATRAIN du même , gravéfur le collier
du chien de Mlle de Milly , penfionnaire
à l'abbaye de Panthemont à Paris.
Je ne promets point de largeſſe
A celui qui me trouvera ;
Qu'il me rapporte à ma maîtreſſe ,
Pour récompenſe il la verra.
A S. A. S. Mgrle Prince de Condé , qui
a fait demander le Madrigal ci deſſfus.
DIGNE héritier du grand Condé ,
Quoi , mon quatrain par toi vient d'étre demandé.
Puiſqu'il a mérité la gloire de te plaire ,
Je peux m'en applaudir , ſans être téméraire ;
Tongoût n'eſt pas moins für au temple desbeaux
arts ,
Que ton coup -d'oeil au champ de Mars.
70 MERCURE DE FRANCE.
LE PROPRIÉTAIRE & LE FERMIER.
Fable.
Vos champs font fort mal cultivés ,
maître Ambroise , diſoit un jour à fon
fermier un riche habitant de la ville qui
ſe promenoit quelquefois autour de ſes
terres pour digérer.-Cela est vrai,Monfieur
, lui répondit Ambroiſe , mais aujourd'hui
qu'on ne fait plus rien fans argent
, il en faut répandre ſur la terre , &
alors elle rapporte cent pour un. Il y a dix
ans que je travaille ici pour vous& pour
moi. Si vous m'aviez donné des ſecours
les premieres années de notre ſociété (car
nous ſommes aſſociés voyez-vous, ) j'aurois
augmenté conſidérablement nos produits.
Le Citadin vit bien que le bonhomme
raiſonnoit juſte ; mais il avoit beſoin d'argent
pour payer ſes valets , ſon ſellier , &
que ſais-je ? & il exigea de l'argent du laboureur
, à qui il auroit dû en avancer ,
c'est-à-dire qu'il tua la poule aux oeufs
d'or. 1
JUILLET. 1771 . 71
L'EXPLICATION du mot de la premiere
Enigme du Mercure du mois de Juin
1971 , eft Parole; celui de la ſeconde eſt
Danfe; celui de la troiſiéme eſt Verrouil;
celui de la quatrième eſt Bourgeon. Le
mot du premier Logogryphe eſt Tombeau,
dans lequel on trouve tombe , cau ,
baume , aube, ame, Août, Moue ; celui du
ſecond eſt Pied,dans lequel on trouve pie,
Dei; celui du troiſiéme eſt Cave , dans
lequel on trouve ave , va , ae, Eu &
eu.
ÉNIGME
Je ſuis une maiſon ſolide, mais mobile ,
Qu'un architecte fort habile
Sans charpentier , maçon , couvreur, ai ferru
rier ,
Tous les ans ſait édifier.
Comme il eſt le propriétaire,
Il la bâtit à peu de frais ;
Et pour éviter les procès
Que pourroit faire un locataire
Il a ſoinde n'avoir dedans
72 MERCURE DE FRANCE.
Qu'un lit , ſa femme & les enfans.
Me voir pendant l'été n'est pas choſe facile;
En hiver rien n'eſt plus aiſé,
Me tenir eſt choſe inutile ,
Quandle ménage eſt délogé.
Des infultes de l'air j'ai ſouvent tout à craindre ;
L'eau pénètre ſouvent le toît qui me défend ;
Je peux ſouffrir beaucoup d'un ſoleil trop ardent :
Mes hôtes cependant m'habitent ſans ſe plaindre
,
Et ne font jamais mieux. Ils bornent leurs deſirs
Aux ſeuls beſoins réels que la nature donne ;
Plus heureux mille fois que l'être qui raiſonne .
Dès qu'ils peuvent aimer , ils ont tous les plaiſirs.
ParM. Gelhay.
AUTRE.
DANS l'eſpaced'un piedj'offre plus de fenêtres
Quejamais on n'en vit au plus vaſte palais .
Cependant quand je ſuis fur certains jolis êtres,
Souvent l'oeil curieux me trouve trop épais .
J'ai des parens d'une grandeur énorme
Qui s'envont parcourant les terres & les mers
En tapinois , & qui , ſans autre forme ,
6
Arrêtent
!
:
Pag.70. Heureuse Sécurité
Par M.'la Comtesse de Vidampierre .
Amoroso.
Juillet,
2
1771.
On me dit que l'amour
+
me
+
guette, Pour me voler mon plus cher
bien; A moi qui n'ai que ma houletite
Mes tendres agneaux et mon
chien;Mais cet a-mour est un en en-fant
Et mon Colin qui me def-fend
+
Neme laissejamais seu-letite,Neme
3
;
laissejamais seu lette

JUILLET. 1771. 73
Arrêtent mille objets divers .
Lebel emploi ! j'aime mieux mon partage ,
Puiſque j'unis par un doux aſſemblage
L'agrément à l'utilité.
Lecteur , encore un mot , &puis je vais me taire.
On veut , fur- tout en moi , la régularité ;
Mais quand je ne l'ai pas , fans manquer d'équité
1
On ne peut s'en prendre à mon pere ;
Car , quoiqu'il ſoit mince & léger ,
Quoiqu'il ait comme un ver une ſoupleſſe extrê
me ,
Il ne ſçauroit ſe mouvoir par lui- même ,
Et mon être eſt l'effet d'un pouvoir étranger.
:
Par M. Nt
AUTRE.
La divinité la plus chere
Ne feroit , ne peut rien ſans moi ,
Elle auroit beau courir l'un & l'autre hémisphère ?
Sans moi rempliroit- elle un fi terrible emploi ?
Qu'euflent fait , dans l'ancienne loi ,
Les prêtres & la ſynagogue
Sans mon ſecours ; ſon divin pédagoguc
Le leur prêta d'une double façon !
Secours que le grand Salomon
I. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
Ne tarda point d'augmenter à l'extrême !
Onme vit moideux cent milliemelsda
Au Sanctuaire , ou dans maint eſcadron ;
Mon origine eſt alors , vers cet âge;
Utile aux conquérans , comme dans lesfabbats,
Je fus également d'uſage :
-1
Dans le temple&dans les combats;
Je le ſerai juſqu'à la nuit obſcure !
C'eſtmoi qui viendrai tout finir ,
Tout préparer , tout recueillir ,
Raſlembler l'Univers , réunir la nature!
Voilàmon terme ! à vous , votre avenir.
Par M. de Boufſanelle , Brigadier des armées
du Roi , ancien Capitaine au régiment du
Commiſſaire - Général de la Cavalerie.
LOGOGRYPΗ Ε.
LECETCTEEUURR ,, avec fix piedsje ſoutiens ta maiſon ;
Mes trois premiers , ſouvent , cauſent démangeailon
;
Mais ſi tu me coupe la tête ,
Je deviens la peau d'une bête ;
Et je renfermedans mon ſein
De l'huile en France; en Eſpagne du vin.
ParM. Houllier de St Remi ,
4
de Sexanne.
:
JUILLET. 1771 . 75
AUTRE.
CINQ objets différens me partagent enſemble,
Sans que de tous les cing aucun medéſaſſemble.
Tantôt , fils de la nuit , je procure aux mortels
Ce qui ſuſpend leurs maux , même les plus cruels ;
Tantôt , ſi tu le veux , je ſuis une riviere ;
L'ouvrage d'un docteur que l'égliſe révère ;
Employé chez Plutus , ce qui n'eſt rien de ſoi ,
Décuple mon avoir en s'uniſſant à moi ;
Encore un changement : l'animal qui me porte
Succombe ſous mon poids lorſque je ſuis trop
forte.
ParM. H*** , commis des finances ;
abonné au Mercure.
AUTRE.
TANTOT foigneusement je me vois renfermer,
Ici pour repeupler la terre ,
Là pour ſervir à meſurer ;
Tantôt dans les forêts levant ma tête altiere,
Je vois mes compagnons ſous la hache expirer ;
D'autre fois , tant j'aime à changer ,
Je repréſente un édifice
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Que ne fontles maçons , mais bien les charpentiers
;
Est-ce tout? ..Non , lecteur; du ſort vois le caprice
,
Monchefôté , ſoudain je me trouve à tes pieds.
Par le même.
J
AUTRE.
■ ſuis très- commode en voyage ,
Demoi l'on ſe ſert à tout âge,
A veiller je ne brille pas
Etje n'en ai queplus d'appas .
Heureux l'époux qui me pofléde , 2
Dans ce moment ſeul je lui céde ;
Sur huit pieds cependant
Je marche très- ſouvent ;
Mais , cher lecteur , de ma ſtructure ,
En faiſant na diſſection ,
Vous trouverez , je vous lejure ,
L'objet de votre ambition.
Un arbre , une cité très-belle;
Cequi renferme une maiſon ;
M
JUILLET . 1771. 77
La femme ſûrement fidelle ;
Un fruit de l'arriere ſaiſon ;
Cequ'on trouve avec adreſſe ;
Une riviere , un excrement ;
Mais c'en eſt trop enfin je ceſſe,
Car vous me tenez ſûrement.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Lettres Athéniennes exraites du portefeuille
d'Alcibiade ; 4 vol . in - 12. A
Londres , chez Pierre Elfmy, Southampton
Street; & à Paris , chez Delalain ,
libraire , rue & à côté de la Comédie
Françoiſe.
PLUSIEURS Ecrivains moraliſtes
, pour
nous donner une idée du caractère des
Athéniens , ont obſervé qu'ils avoient
beaucoup de traits de reſſemblance avec
les Parifiens. On s'en convaincra encore
davantage en lifant ces lettres. On pourra
même ſoupçonner l'ingénieux écrivain
qui les a dictées d'avoir eu principalement
en vue ce que l'on appele à Paris la
bonne compagnie. Comme ſon objet a
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
été de plaire à nos agréables petits - maîtres
, de les intéreſſer & en même - tems
de les corriger par des peintures vives &
délicates de leurs ridicules , il leur préſente
ici Alcibiade non comme un élève
de Socrates ou un général des Athéniens,
mais comme un aimable freluquet qui
fait conſiſter le ſuprême mérite à faire ſa
cour aux femmes , à s'occuper d'intrigues,
àne parler que des boufons , desdanſeurs
ou des baladins qui peuvent le divertir.
Heureux encore nos Alcibiades modernes
quand ils n'ont point perdu toute retenue
, tous principes , tout amour du bien
public , & qu'ils ne deshonorent point
leur vie par un attachement honteux pour
des courtiſannes; c'eſt le reproche que
fait Périclès à fon pupile dans cette lettre
adreſſée à Diodote : « Je ne ſçais , lui
>> écrit- il , fi tout ce que j'ai fait pour Al-
>> cibiade , depuis que la mortde ſon père
>> l'a livré à mes ſoins, apu me concilier
>> fon eftime ; mais je ne ſçaurois de mê-
» me ignorer qu'il n'en a pas en moi ,
>>plus de confiance , &je ſens avec d'au-
>> tant plus de vivacité , le peu de cas
>> qu'il paroît faire de mes conſeils , que
chaque jour il me prouve plus à quel
>>point ils lui ſeroient néceſſaires. Vous
JUILLET. 1771. 79
مر
ود
ſi
>ne ferez point ſurpris du chagrin que
>me cauſe ſa conduite , quand vous fau-
>> rez qu'il vient,avecl'éclat le plusgrand,
>de prendre Glycerie, cette courtiſane
>> fameuse qui eſt depuis peu de tems à
• Athènes ; & qu'il vit avec elle , plus
*indécemment encore qu'il ne l'a priſe .
>Je crois avoir prouvé par la douceur
avec laquelle je lui paſſe la puérile &
>>> mépriſable ambition de féduire de
>>tromper les femmes, que je n'ai jamais
>>prétendu qu'il n'amusat point ſa jeu-.
> neffe ; mais je voudrois, s'il ſe pouvoit,
>>qu'il ne la deshonorât pas ; & que, fait
>> par ſa naiſſance , pour aſpirer aux plus
>>grandes places , plus fait encore parles
>>rares talensqu'il annoncé, pour les bien
>> remplir, il ne commençât point ſa car-
> riete par donner de ſes moeurs , une
>> idée qu'un jour , peut - être , il voudra
>> vainement effacer. De notre tems ,
>>>Diodote , le ſcandale ne nous ſembloit
>> devoir rien ajouter aux plaiſirs ; & ,
> croire , ainſi qu'on le fait aujourd'hui ,
>> qu'il les augmente , me paroît le com-
>>ble de l'extravagance &de la corrup-
>> tion. On ne doit, pour quelque cauſe
>> que ce puiſſe être , manquer à ce qu'on
>> doità foi-même , & cet Alcibiade qui
Div
30 MERCURE DE FRANCE .
>>mépriſe ſi hautement cette maxime, le
repentira ,plutôt qu'il ne penſe,dene
» l'avoir pas reſpectée. Quoiqu'il en ſoit,
j'oſe vous afurer qu'on ne peut plus
» légerement immolerde ſigrandes cho
fes; & que , de plus , perſonne ne pou-
>> voit être moins digne que ceste fille ,
>>de tout ce qu'il lui facrifiea. L'impur
dence laplus ouméesune impertinence
>>fans bornes,la folie pondée juſqu'à la
>>fréneſſe , le luxe le plus infolent, pea
>>de beauté , une jeuneſſe déjà Hérνίας
» voilàà quel eſt, dans la plus exacte véri-
» té , l'objet pour lequel il ſe donne dei
> grands ridicules , & la noble conquête
» qui remplit aujourd'hui tous les voeux
>> de l'homme du monde qui , peut - être ,
» a de lui - même la plus haute opinion.
>> Ce n'eſt pas , cependant , que je le con-
>> noiffe affez peu, pour croire que, quand
il aimeroit Glycerie auffi follement
" que , fans doute , pour en indiſpoſer
>> davantage l'eſprit de ſes concitoyens ,
>> il affecte de le faire , ſa vanité & fa lé-
>> gereté naturelle lui permiſſent de s'y
>> fixer . Je n'ignore pas non plus toute la
différence qu'il y a entre un travers &
>>une paflion ; mais je n'en crois pas
>> moins avoir à craindre qu'il ne ſe ſente
JUILLET. 1771 . 81
>> tout le reſte de ſa vie , du ton qu'il aura
>> pris auprès d'elle , & qu'il n'en confer-
>>ve ce goût pour les plaiſirs faciles , que
>> j'ai toujours vu conduire à la plus hon.
>> teuſe débauche , & par conféquent , au
>> dernier mépris, tous ceux qui en étoient
>> infectés. Ne me dites pas qu'autant par
>> l'excès de ſon amour - propre , que par
>> la hauteur de ſon ame , j'ai de quoi me
>>>raffurer fur ce malheur. J'ai vu , mon
>> cher Diodore , des hommes qui pou-
>> voient avec juſtice , préſumer d'eux-
>> mêmes auffi-bien qu'il préfume de lui ,
>> perdre dans ces aviliſſantes liaiſons ,
>> toute leur dignité , & finir par être avec
>>juſtice l'opprobre de leur famille & de
>>leur patrie. Je ne vous parle pas ici de
>> l'énormité de ſes profuſions : je ne puis
>> mieux vous la peindre qu'en vous di-
» ſant , qu'elles égalent celles des Satrapes
>> mêmes ; & qu'il n'y a perſonne qui ne
>>foit bleſfé d'un luxe fi indiſcret : les
>> grands , parce qu'ils en ſont éclipſés ;
>>les petits , parce qu'ils en fentent plus
>> vivement leur miſére . Sa maiſon, rem-
>> plie des plus impudens adulateurs &
>>des plus vils parafites que notre ville
>> puiffe fournir , n'eſt plus fréquentée des
>>>honnêtes gens, foit que dans la crainte
-
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
>> pour paſſer complices de ſes déſordres,
> d'eux- mêmes ils s'en foient écartés , ou
- que trop gêné par leurs vertus , ce ſoit
>> lui qui les en ait bannis. On ne le voit
>> plus paroître qu'avec un cortége odieux
>> qui , autant par l'excès que par la natu-
>> re des éloges que les miférables qui le
>> compoſent, lui prodiguent , acheve de
>>corrompre ſa jeuneſſe , & d'éloigner de
>> lui tous ceux qui , par leurs conſeils ou
>> leur exemple pourroient oppoſer une
>> digue à tant d'imprudence & de dére-
>>glement. Quelqu'aſſuré que je fuſſe déjà
>> du peu d'empire que j'ai ſur ſon eſprit ,
»j'ai cru devoir encore lui parler , non
>> fur le ton d'un tuteur de qui , depuis
>> long- tems , il ne reconnoît plus l'auto-
>> rité , mais comme l'ami le plus fincere
>> & le plus tendre ; & l'air d'inattention,
>> d'ennui , de raillerie même dont ilm'a
> écouté , a furpaffé encore tout ce que je
>> craignois& de ſon obſtination à ſe per-
>> dre, & du peu d'égards qu'il conſerve
>> pour moi , &c . »
On s'eft beaucoup moins attaché dans
ces lettres à nous donner la vie politique
d'Alcibiade que fa vie privée. Ces lettres
pour cette raiſon , intéreſſeront le plus
grand nombre des lecteurs. Ils aimeront
JUILLET. 1771 . 83
à y retrouver la peinture de ces ridicules
que l'on a reproché aux Athéniens , &
dont nous ne ſommes pas exempts. Alcibiade
, tel qu'il eſt ici repréſenté , connoiſloit
les femmes en praticien. Un
grand uſage du monde , une imagination
enjouée , un doux penchant pour la volupté
avoient embelli cette connoiſſance.
Histoire de France depuis l'établiſſement
de la Monarchie jusqu'au regne de
Louis XIV; par M. Garnier , inſpecteurdu
collége royal , profeſſeurd'hiſtoire
& de l'académie royale des infcriptions
& belles-lettres ; tomes XXI
&XXII ; prix , 3 liv. le volume relié .
AParis , chez Saillant&Nyon , rue St
Jean- de Beauvais; & Veuve Deſſaint ,
rue du Foin St Jacques .
Ces deux volumes comprennent l'hiftoire
de Louis XII , Père du Peuple , &
ne feront par moins d'honneur que les
précédens à l'habile continuateur de cet
ouvrage intéreſlant , où l'on trouve nonſeulement
les annales de la nation , mais
encoreletableaude ſesmoeurs,de ſes loix,
de ſon goût&deſes connoiſſances . Voici
lesprincipaux traits par leſquels l'écrivain
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
caractériſe ce Roi dont il donne l'hiftoire.
"Tandis que Louis XII ſe diſpoſoit à
paffer encore une fois les Alpes ,& qu'en
attendant le retour du printems il oublioit
dans les bras d'une jeune épouſe ſon âge
&ſes longues infirmités , il fut atteint
d'une dyſſenterie qui , en peu de jours, le
conduifit an tombeau ; il expira le 1 de
Janvier 1515 , âgé de 53 ans ....
Louis ne fut point auſſi généralement
regretté que ſes qualités perſonnelles &
la douceur de fon regne ſembloient l'annoncer
: les vieux courtifans , les valets&
toute cette claſſe d'hommes accoutumés
fous les regnes précédens à trafiquer de la
faveur , à dévorer la ſubſtance du peuple,
&à s'engraiffer du fang des malheureux ,
ne pouvoient goûter un Prince qui nedonnoit
les places qu'au mérite , qui ſe regardoit
comme le vengeur des foibles:
contre l'oppreffion des puiflans , ſous le
quel on ne voyoit ni mariages forcés , ni
confiſcations au profit des délateurs , ni
diſtributions de domaines , ni augmentations
de gages. Ils regrettoient le temsde
Louis XI , « parloient inceſfainment:de
» lui, de fes faits , de ſes dits & le haut
>> louoient juſques auxCieux ; diſant qu'il
JUILLET. 1771 .
2
>> avoit été le plus ſage , le plus puiſfant ,
>> le plus libéral , le plus vaillant& le plus
>>heureux monarque qui jamais fut en
» France. >> Par la même raiſon ils dépri-
>> moient Louis XII , s'efforçant de faire
paſſer ſa vigilance & fon économie pour
une petitefle d'efprit & une avarice fordide.
Ils ne ſe donnoient pas même la
peinede cacher leurs fentimens ; " car les
>>François , obſerve Seiffel , ont toujours
>> eu licence & liberté de parler à leur vo-
>> lonté de toutes fortes de gens & même
>> de leurs Princes , non pas après leur
>> mort tant ſeulement , mais encore en
> leur vivant & en leur préſence. » Ne
pouvant l'entamer par leurs plaintes , ils
firent uſage du ridicule , arme toujours
puiſſante ſur l'efprit de la nation ; après
cette dangereuſe maladie qui avoit me
nacé les jours de Louis, & qui avoit caufé
des alarmes ſi vives , une triſteſſe ſi profonde
à tous les vrais François ; des comé
diens oferent le produire ſur la ſcène ,
pâle & défiguré , la tête enveloppée de
ferviettes , & entouré de médecins qui
confultoient entr'eux fur la nature de fon
mal. S'étant accordés à lui faire avaler
de l'or potable , le malade ſe redreffoit
fur fes pieds ,&patoiſſoit ne plus reffen
86 MERCURE DE FRANCE.
tir d'autre infirmité qu'une foif ardente.
Informé du ſuccès de cette farce , Louis
dit froidement: " J'aime beaucoup mieux
» faire rire les courtiſans de mon avarice
>>que de faire pleurer mon peuple de mes
>> profuſions. On l'exhortoit à punir des
comédiens infolens : Non , dit - il , ils
» peuvent nous apprendre des vérités
> utiles , laiſſons-les ſe divertir , pourvu
>> qu'ils reſpectent l'honneur des Da-
» mes. » Tant que Louis fut heureux , la
médiſance & l'envie garderent des mefures
ou n'exciterent que l'indignation
publique ; mais lorſque la fortune lui
tourna le dos , elles haufferent la voix &
acquirent des partiſans, Au lieu d'admirer
la généreuſe fermeté d'un Monarque
que l'adverfité ne pouvoit abattre , qué
l'exemple de ſes voiſins n'écarta jamais
du chemin de l'honneur , bien des gens
infultoient à ſa crédulité &à fon étroite
parcimonie , qui laiſſoit , difoient- ils , la
juſtice ſans chancelier , l'armée ſans connétable
; qui éteignoit l'émulation dans
le coeur des guerriers , & glaçoit tous les
courages. Ils faifoient hautement des
voeux pour le comte d'Angoulême , dont
la diffipation , la pétulance & la prodigalité
leur offroient une perſpective beanJUILLET.
1771. 87
coup plus agréable. La mort de deux fils
auxquels Anne de Bretagne avoit donné
le jour dans les dernieres années de ſa
vie , celle du Monarque enfin leur parurentd'heureuſes
nouvelles : ils fe crurent
ſoulagés d'un pefant fardeau , & ſe firent
une forte violence pour contenir leur
joie.
Cette frénéfie ne peut être reprochée à
la nation ; elle ne fut le crime que de
quelques particuliers. Lorſque les crieurs
publics annoncerent dans les rues de Paris
: Le bon Roi Louis, Père du Peuple,
>> eſt mort . » Mille accens de douleur ſe
firent entendre , des torrens de larmes
coulerent de tous les yeux . La défolation
de la capitale n'approcha point encore de
celledes provinces , & fur-tout des cam.
pagnes; car c'étoit là que Louis étoit véritablement
adoré. Lorſqu'il traverſoit
une province , les payſans abandonnant
leurs travaux , bordoient les chemins, les
couvroient de verdure , & faifoient retentir
l'air d'acclamation ; après l'avoir vu
dans un endroit ils couroient , à perte haleine,
pour le mieux contempler une ſeconde
fois : dans les villes où il ſéjournoit,
il étoit réduit , pendant plufieurs
heures , à ne pouvoir fortir de fon appartement
, tant la foule étoit grande devant
88 MERCURE DE FRANCE .
1
la maifon. Ceux qui pouvoient parvenis
à toucher ſa mule , ſa robe , ſes bottes ,
baifoient leurs mains d'auſſigrande dévo.
tion que s'ils euſſent touché quelque ſainte
relique. Ceux , au contraire , qui ne
marquoient pas le même empreſſement ,
étoient accablés par les autres de malédic.
tions : « C'eſt lui , s'écrioient-ils, qui fait
>>régner la juſtice parmi nous, qui fé-
> conde nos moiſlons , qui nous a préſer-
>> vés des pilleries des gens d'armes , &
>> qui , le premier , nous a fait goûter les
>>douceurs de la paix & de la concorde. »
En effet le changement arrivé pendant la
courte durée de ſon regne , paroîtroit incroyable
s'il n'étoit atteſté par les auteurs
contemporains .
Cet accroiſſement ſubit & prodigieux
de population , de culture , de commerce
& de richeſſes , étoit dû non - ſeulement
aux ſages réglemens dont nous avons rendu
compre au commencement de ce regne
, mais encore à l'attention du Monarque
à les faire obſerver , & au choix des
hommes à qui il en confioit l'exécution.
Il avoit continuellement ſous les yeux
deux tableaux ; l'un , de tous les offices &
bénéfices du royaume ; l'autre , de tous les
hommes diftingués par leurs talens ou par
leurs ſervices : des perſonnes de confian-
1
JUFLLET. 1771 . 89
ce, répandues dans les provinces , étoient
chargées de Pavértir de ce qui venoit à
vaquer dans ſon district; il confultoit fes
liftes , & conféroit ordinairement l'office
ou le bénéfice à celui qu'il en jugeoit le
plus digne , ſans attendre qu'on le follichât
, excluant même ,àmérite égal, ceux
qui cherchoient à s'appuyer de la protection
des miniſtres ou des grands. Telle
étoit la conduite qu'il croyoit devoir garder
dans la collation des offices ou des
bénéfices qui étoient purement à ſa nemination.
Quant aux autres , il permettoit
l'élection , à moins que le titulaire ne ſe
démît entre ſes mains : dans ce dernier
cas il ne trouvoit point mauvais que ce
lui qu'il nommoit fût rejetté par la compagnie
, fi dans l'examen qu'elle lui fai-
-foit fubir fur la doctrine & les moeurs , il
ſe trouvoit incapable ou diffamé. Quelques
recherches que j'aie faites , je n'ai
trouvé que deux exemples de vente d'offices
de judicature ſous toute la durée de
ceregne. Le premier eſt l'office de prevôt
de Paris, acheté cinq mille écus , parGabriel
d'Alegre , après la mort de Jacques
de Coligni , feigneur de Châtillon. Le
ſecond, eſt une charge de maître des requêtes
,payée de même cinq mille écus ,
parAntoine le Viſte , qui s'étoit acquitté
१० MERCURE DE FRANCE.
avec ſuccès de quelques négociations dans
les cours d'Allemagne. Louis, en les
adreſſant au parlement pour y faire entegiſtrer
leurs provifions , voulut qu'on les
diſpensât du ferment ordinaire , qu'ils
>> n'avoient ni donné ni promis argent ou
choſe équivalente à argent ; » déclarant
lui-même la ſomme qu'ils avoient donnée.
Si quelque choſe pouvoit excuſer
cette tranfgreffion , c'étoient les conjonctures
où ſe trouvoit le royaume enis13 ,
après la perte du Milanès & l'invaſion de
la Navarre. Non content d'apporter toutes
les précautions imaginables pour ne
faire que de bons choix , Louis vouloit
s'aſſurer par lui-même de la maniere dont
lajuſtice étoit rendue ; ainſi toutes les fois
qu'il ſéjournoit à Paris, il ſe rendoit familierement
au palais , monté ſur la petite
mule , ſans ſuite & fans s'être fait
annoncer ; il prenoit place parmi les juges
, écoutoit les plaidoyers & aſſiſtoit à
toutes les délibérations. Deux choſes le
déſoloient , la prolixité des avocats &
l'avide induſtrie des procureurs ; on vantoit
en ſa préſence les talens oratoires de
deux fameux légiſtes : " Oui , ſans doute,
>>répondit-il , ce ſont d'habiles gens , je
> ſuis ſeulement fâché qu'ils faffent com-
>> me les mauvais cordonniers , qui allon
JUILLET. وا . 1771
gent le cuir avec les dents. On lui
demandoit ce qui offenſoit le plus la vue;
« C'eſt , répondit - il , la rencontre d'un
>> procureur chargé de ſes ſacs. »
Tout le tems qu'il pouvoit dérober aux
affaires publiques, il le paſſoit volontiers
dans l'entretien des ſçavans ou dans l'étude
des précieux monumens de l'antiquité;
il avoit attiré en France les hommes
de lettres les plus célèbres de l'Italie ,
auxquels il payoitde fortes penſions jufqu'à
ce qu'il les eût pourvus de bénéfices
oud'emplois honorables; quelques - uns
furent chargés d'ambaſſades , d'autres refterent
attachés à la cour en qualité de
maîtres de requêtes ; enfin il parvint à en
fixer quelques = uns dans l'Univerſité de
Paris. On commença , ſous ce regne , à
enſeigner le grec dans cette école célèbre :
ony fit même des progrès allez rapides ,
puiſqu'on y expliquoit déjà les dialogues
dePlaton. Quant aux bons ouvrages de
l'antiquité , il en avoit fait la plus riche
collection que l'on connût alors en Euros
pe : outre les bibliotheques des Rois de
Naples &des Ducs de Milan , qui étoient
venues ſe fondre dans celle de Blois , il
avoit acheté le précieux cabinet de Louis
de la Gruthufe,&chargeoit ſes miniſtres
92 MERCURE DE FRANCE.
dans les cours étrangeres , de luiramaſſer
ce qu'ils découvriroient de plus rare &
de meilleur. Ce n'étoit certainement ni
par oftentation ni par caprice qu'il rafſembloit
tant de livres ; il les recherchoit
pour fon propre uſage, &les confultoit
ſouvent; il en jugeoit même ordinairement
affez bien , quoiqu'il ne les connûr
que par des traductions informes : il difoit
que les Grecs n'avoient fait que
>> des exploits médiocres ; mais qu'ils
> avoient eu un merveilleux talent pour
>> les embellir ; que les Romains avoient
>>fait de grandes choſes , & les avoient
>> dignement écrites ; que les François en
2 avoient fait d'auſſi grandes que l'un &
>> l'autre peuple , mais qu'ils avoient tou-
>> jours manqué d'écrivains : >> il voulut ,
s'il étoit poffible , effacer cette tache , en
occupant les plumes les plus célèbres à
débrouiller le cahos de nos antiquités ; il
chargea ſpécialement de ce travail Paul
Emile , illuftre Véronois , qu'il avoit attiré
en France , & Robert Gaguin, général
de Mathurins ; il choiſit , avec moins de
difcernement , Jean d'Auton , pour écrire
Thiſtoire particuliere de ſon regne ; car
quoiqu'il lui eût conféré pluſieursbénéfices,
qu'il le fît ordinairement voyage à la
JUILLET. 1771 . 93
fuite de l'armée, qu'il s'entretînt familiere.
ment aveclui ,&qu'il ordonnatàſes minif.
tres&à ſes généraux de ne lui rien céler de
tout ce qui méritoit d'être tranſmis à la
poſtérité,il fut moins heureux, à cet égard,
qu'un grand nombre de ſes prédéceſſeurs .
Auton n'eſt qu'un froid bel- eſprit , faftidieux
dans le détail des petits faits ,ſtérile
ou aveugle dans le développement
des cauſes.
Parmi les grands hommes de l'antiquité
, Louis donnoit la préférence à
Trajan , qu'il avoit pris pour ſon modèle;
& parmi les grands écrivains , à Cicéron
fur-tout dans ſes traités des devoirs de la
Vieilleſſe & de l'Amitié. Il méditoit ces
excellens ouvrages; il en recueilloit les
plus belles maximes ; il s'en nourriffoit ,
& tâchoit de les inculquer à François
d'Angoulême , ſon gendre& fon fucceffeur.
Il chériſſoit ce jeune prince comme
s'il eût été ſon fils ; il aimoit en lui une
noble candeur , une bravoure à toute
épreuve; il excuſoit un goût trop vifpour
les plaiſirs; mais il auroit voulu le guérir
d'une prodigalité ruineuſe : affligé du peu
de fruit de ſes leçons , il diſoit , en ſoupirant
: Hélas ! nous travaillons envain , ce
gros garçongátera tout.
20
94
MERCURE DE FRANCE .
Les Tableaux , ſuivis de l'hiſtoire deMlle
de Syane & du Comte de Marcy. A
Amſterdam ; & ſe trouve àParis , chez
Delalain , rue & à côté de la Comédie
Françoiſe.
Un obſervateur ſenſible & éclairé ſaiſit
en voyageant pluſieurs ſcènes champêtres
ou voluptueuſes ou pathétiques dont il
forme des ſujets de tableaux qu'il propoſe
ànos grands maîtres. Tel eſt le plan de
cet ouvrage qui contient quatorze diffé.
rens tableaux. Nous en citerons un dont
le ſujet eſt très- véritable , pour l'honneur
de l'humanité.
« L'Adige étoit débordé à la fonte des
>>neiges. Ses flots groſſis avoient emporté
» un des trois ponts qu'il traverſe dans
Vérone ; l'arche ſeule du milieu avoit 39
,
» réſiſté au torrent. Sur cette arche étoit
>> bâtie une maiſon , & dans cette maiſon
» étoit demeurée une famille entiere
» n'attendant plus que la mort. Un con-
>> cours immenſe bordoit lerivage ; mais
>> le danger devenant perſonnel pour qui-
>>conque eut tenté de porter du fecours ,
» perſonne ne s'empreſſoit d'en donner.
>>Cependant chaque vague entraîne avec
>> elle un nouveau débris. L'arche iſolée
>> ſe décompoſe . Chaque inſtant fait ſen.
JUILLET. 1771. 95
» tir à ces malheureux toutes les angoilles
>> de la mort dans leurs gradations les
>> plus multipliées. Quel peintre ne voit
>>pas ces victimes ſuſpendues au- deſſus
>>des flots qui vont les engloutir ? Là une
>> foeur baignant de larmes un frere qu'elle
>> aime ; ici un vieillard arrachant fes
>> cheveux blanchis ; & plus loin la mere
» déchirant defes ongles le ſein qui nour-
>> rit l'er.fant que ſes bras ferrent encore ?
>>Que celui qui ne voit pas tous ces ob-
>>jets ſe garde de peindre , & que celui
>>qui les voit d'un oeil ſec s'en garde en-
>> core plus.
» Au milieu du tumulte le comte de
» Spolvétini s'avance &propoſe une ſom-
>> me conſidérable à qui ofera tâcher de
>>conduire un bateau pour recevoir ces
>>infortunés . Ce n'eſt point là là belle
>> action ; c'en eſt une bonne & voilà tout.
» L'offre eſt ſans effet. La rapidité du
> fleuve , la crainte de ſe brifer contre
>> l'arche même ou de périr ſous des dé-
>> bris , glacent le courage ; l'effroi fait
>> taire l'avarice. Un laboureur paffe , la
> foule l'attire. Inſtruit du danger , de
>>l'objet& du prix , il eſt à l'eau. Les ra-
→ mes agitées par ſes bras nerveux briſent
>> les vagues ; il eſt à l'arche. Une corde
>> attachée à la triſte demeure ſemble une
96 MERCURE DE FRANCE.
>>iſfue facile à ces êtres qui alloient mou
>>rir. Tous ſe précipitent , &la pâleur de
>> la mort quitte leur viſage avant même
>> que leur falut ſoit fûr. Tous ces mal-
>>>heureux retrouvent bientôt des forces
>> pour ſecourir à leur tour leur libérateur.
» La crainte du trépas leur ouvre un che-
>> minà la vie. Le fleuve eſt vaincu , la
>> barque eſt à bord & des millions de cris
>>ſe reproduiſent juſqu'aux échos des Al-
>> pes. Alors le Comte s'avancevers l'hom.
» me généreux dont les hiſtoriens qui
>>>nous ont tranfmis ce trait auroient dû
» ſe croire obligés de moins taire le nom
>> que celui du Comte. On offre l'argent
>>à l'homme champêtre . Il le refuſe. Il
>> ne veut pas d'un ſalaire auffi fort au-
>> deſſous du danger qu'il a couru , que le
>> danger eſt au - deſſus de la joie de fon
>>ame. Il refuſe l'argent pour lui,& avant
>> de retourner à ſa cabane , le voit , à ſa
>> demande , diſtribué à la famille pauvre
>> dont il s'eſt fait père. "
Peut-être tous les peintres ne ferontils
pas de l'avis de l'auteur ſur l'idée de
repréſenter la mère déchirant ſonfein de
fes ongles , tandis qu'elle nourrit fon enfant.
Ces deux circonſtances réunies ſem.
blent un peu contradictoires dans un dé
ſeſpoir qui n'eſt fondé que ſur la crainte,
&
JUILLET. 1771 . 97
& qui doit être plus touchant qu'horrible.
L'hiſtoire de Milede Syane eſt écrite &
conçue avec beaucoup d'intérêt .
Traduction en proſe de Catulle , Tibulle &
Gallus; par l'auteur des Soirées Helvétiennes
&des tableaux. A Amſterdam;
& ſe trouve à Paris , chez Delalain
, libraire , rue & à côté de la Comédie
Françoiſe.
«Je ne connois point , ( dit l'auteur
> dans ſon diſcours préliminaire) d'autre
>> traduction de Catulle & de Tibulle que
>> celle de l'Abbé de Marolles & une ef-
» péce de roman , intitulé leurs Amours.
> La traduction de l'Abbé de Marolles
>> eſt telle que celui même qui en donne
>>une autre a le droit de la mépriſer &
> d'en dire du mal. Un M. de la Cha-
>> pelle eſt auteur du roman ; il a ramaſlé,
>> entallé , altéré pluſieurs anecdotes hif-
>> toriques , & a couſu le tout enſemble.
>>Dans ce tiſſu il fait ſucceſſivement paf-
>> fer nos deux poëtes dans des ſituations
>> propres à leur inſpirer les vers qu'ils
>> nous ont laiſſés. Il faut rendre juſtice à
» l'idée. Elle étoit agréable. Son exécu
» tion comme roman n'eſt pas même ab-
I. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
" folument dénuée d'intérêt . La traduc-
» tión ou imitation en vers des Elégies
>> de Tibulle & des petites piécesde Ca-
» tulle m'a paru moins heureuſe. »
Une des plus jolies piéces de Catulle
eſt celle- ci , que tous les amateurs favent
par coeur, Vivamus, mea Lesbia, atque amemus
, &c. Voici la traduction nouvelle.
« Vivons , faiſons l'amour, Leſbie. Moc-
>> quons nousdes rumeursde nos vieillards
> chagrins. Les ſoleils finiſſent &peuvent
> recommencer leur cours ; mais nous ,
>>quandune fois ce jour rapide nous eſt ra-
>>vi, la nuitqui lesremplace hélas! eſt éter-
>> nelle. Donne - moi mille baifers , en-
>> core cent ; mille encore; cent autres ,
>> un autre mille& puis cent; je te prie ,
>> à préſent que tant de mille baiſers font
» àmoi, ah ! brouillons- les ſi bienque lour
>> nombre , Lesbie, ſoit inconnu pour les
>> jaloux & pour nous-mêmes.>>>
L'auteur rapporte dans ſes notes trois
imitations en vers de ce madrigal voluptueux
, l'une de M. Dorat , l'autre de M.
Rigolei de Juvigni , la troiſième de Peliffon.
Comme on aime à voir des vers
rendus en vers, nous allons tranfcrire ces
noispièces. 1
JUILLET. 1771 . 99
M. DORAT.
Aimons-nous , ame de ma vie ,
Profitonsbiende l'âge des amours.
De la vieilleſſe &de l'envie
Quenous importent les diſcours ?
On voit mourir & renaître les jours ;
Mais dès que la lumiere hélas ! nous eſt ravie ,
Songesybien , c'eſt pour toujours.
Jette- toi dans mes bras ; je brûle, jet'adore.
Viens. Au deſir laiſſons-nous emporter.
Baiſons- nous mille fois &mille fois encore ,
Puis encor mille fois... pour ne nous plus quitter.
Soyons fiers , ôThaïs! du noeudqui nous raffemble
;
Mais confondons ſi bien tous nos baifers enfemble
Que les yeux des jaloux ne puiſſent les compter.
Il y auroit beaucoup à obſerver ſur cette
piece; mais on a quelque regret de
s'appéſantir ſur les fineſſes du goût&les
délicateſſesde la ſenſibilité. Il ſemble que
l'on n'aime pas à prouver ce que tout le
monde devroit ſentir. Nous remarquerons
ſeulement combien ilétoit peu convenable
de ſubſtituer le nom de Thaïs ,
qui rappele des idéesde débauche àcelui
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
de Lesbie , qui ſemble conſacré à la galanterie
& à la tendreſſe; combien ame de
ma vie est moins intéreſſant que mea Lefbia
, ó , ma Lesbie ! ( le nom de ce qu'on
aime eſt plus doux à prononcer que toutes
les métaphores poſſibles , & ſe préſente
toujours au premier vers; ) enfin
combien ce vers
Soions fiers , ô Thaïs ! du noeud qui nous rafſemble.
eſt peu analogue au caractere de la piéce
qui doit reſpirer le plus tendre abandon :
&la plus douce négligence; il n'eſt point
là queſtion d'être fier de fes noeuds , paro
les d'opéra.
M. RIGOLEY DE JUVIGNY .
Ne vivons que pour nous aimer ,
Et laiſſons murmurer la vieilleſſe ennemie.
Occupons-nous fans ceſle , ôma chere Lesbie !
Du bonheur de nous enflammer.
L'aſtre qui répand la lumiere
Finit & recommence également ſon cours,
Et quand la mort nous frappe, hélas ! c'eſt pour
toujours
Qu'ellenous ferme la paupiere:
JUILLET. 1771. 16I
Profitons du jour qui nous luit.
Donne moi cent baiſers , donne - m'en mille en
core.
Confondons-les enſemb'e , & que l'envie ignore
Le charme heureux qui nous ſéduit.
Qu'un impénétrable myſtere
Jete fur nos plaiſirsun voile officieux .
Ils doivent à l'amour leur prix délicieux ,
Que ſon flambeau ſeul les éclaire.
Dans nos tendres embraſſemens
Dérobons- nous aux yeux de tout ce qui reſpite.
Jaloux de nos baiſers , un témoin peut nous nuire
Par les plus noirs enchantemens.
Aimer , c'eſt vivre , ô ma Lesbie!
Jurons- nous que nos feux ne s'éteindrontjamais ;
Etdonnons à l'amour jaloux de ſes binfaits ,
Tous les momens de notre vie.
On voit que ces ſtances ſont plutôt une
paraphrafe qu'une imitation .
PELISSON.
Aimons-nous , aimable Lesbie,
Et laillons mutmurer l'envie
Contre notre innocent amour ;
Ces momens de vie & de joie ,
Qu'on les perde ou qu'on les emploie;
Paſſent ſans eſpoir de retour.
Eiij
102 MERCURE DE FRANCE.
Lesbois qui parent nos montagnes ,
Les près , lesjardins , les campagnes
Se renouvellent tous les ans ;
Nous n'avons pas même avantage ,
Et jamais le cours de notre âge
N'a qu'un hiver &qu'un printems.
Le ſoleil ſe couche & ſe leve ;
Sa premiere courſe s'acheve
Et bientôt une autre la fuit ;
Mais quand la fiére deſtinée
Finit notre courte journée ,
C'eſt par une éternelle nuit.
Le ſévère Péliſſon n'a voulu imiterque
la partie morale du madrigal latin;mais
quelle facilité douce & rapide ! & combien
l'uniformité du rithme s'accorde
avec l'enchaînement des idées & le carac
tère touchant de la piéce ! comme tout fe
reffent du bon fiécle !
On connoît le fameux morceau des
amours d'Ariane dans l'épithalame de
Thétis &Pélée , dontVirgile paroît avoir
emprunté quelques idées dans le quatriéme
livre de l'Enéide . Voici la traduction
des plaintes d'Ariane abandonnée. « Thé-
>> ſée perfide ! après m'avoir enlevée de
>>chez mon père , tu m'as done laiffée fur
>>ce rivage! perfide, c'eſt donc ainſi qu'au
JUILLET. 1771. 103
> trageant les dieux , tu pars après le deſ-
>>honneur de ma race &remportes chez
> toi tes trompeurs fermens ? Rien n'a
> donc pû toucher ton coeur ? Barbare ! la
* pitié étrangere à ton ame ne t'a donc
>tien dit pour moi ? Théſée , font-ce là
>> tes promefles ? Tune m'ordonnois pas
>> d'attendre un fort ſi miférable. Des no-
> ces jayeuſes , des amours fortunées ,
*voilà ce que Théſée m'avoit promis.
>>Ces fermens , les vents moins légers
»qu'eux les emportent. Ah! qu'à l'avenir.
jamais femme ne croie aux fermens
» d'un homme. Sermens des hommes ,
>>vous êtes tousd'affreux parjures. Quand
* le deſir leur parle,les cruels, qu'ils font
>>prodigues de ces fermens,de ces pro-
*meſles empoisonnées! leurs voeux font-
■ ils remplis! leurs deſirs fatisfaits !qu'ils
> ſont prodigues de trahiſons&de par-
> jures! lâche ! fans Ariane, qui t'eut fau-
* vé, quand tu tedébattois dans l'abîme
* du trépas ? Pour toi , lâche , j'ai bravé
> juſqu'aux reproches des manes irrités
*de mon frere. Devenir la proie des
> monftres féroces , la pâturedes oiſeaux
➤ voraces , mourir ſans ſépulture fur la
>>rive , Théſée , voilà donc ma récom-
* penſe? Dans quel antre es tu né? Quel-
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
>> le tigreſle t'allaita ? Quel abime t'a vo
>>mi parmi ſes écumes ? Est- ce le Syrte ou
>> Caribde ou la dévorante Scilla,qui t'ap-
>> prirent à payer d'un tel prix l'amante
>> qui ſauva tes jours ? Si ton horreur pour
>> les maximes ſanglantes de mon père te
>> rendoit la main d'Ariane moins chere ,
>> au moins ne pouvois - tu pas me con-
>> duire dans ta patrie ? là qu'il m'eut été
>> doux , Théſée , de te ſervir comme une
eſclave fidele ! Ariane eut arrofé tes
>>> pieds de l'eau pure des fontaines ; &
>> ma main ſeule eût revêtu ta couche de
>> fon tapis pourpré.
>>Inſenſée que je ſuis ! pourquoi ſuc-
>>>combant ſous mes maux , adreſſer aux
>> vents mes inutiles plaintes ? les airs
>> font fourds ; ils n'ont ni oreilles pour
>> m'entendre ni bouche pour me conſoler...
Que mon perfide eſt déjà loin !
» & pas un objet ſenſible ne s'offre à moi
>>>fur cette plage déſerte. Le ſort barbare,
>> pour m'inſulter encore , refuſe juſqu'à
>> des témoins à ma douleur. Plût aux
>>dieux que jamais les flotes d'Athènes
>>>n'euffent touché nos bords ! Plût aux
>> dieux que jamais la Crete n'eut ouvere
>> ſes ports au perfide , apportant la fan-
>> glante rançon du taureau terrible ! JuJUILLET.
1771. 109
piter, devois-tu permettre que ce vil
" étranger , célant la barbarie du coeur
> ſous des dehors ſi doux , vînt implorer
les fecours d'Ariane ! où fuirai- je ? A
> quel eſpoir m'attacher dans mon nau-
> frage ? M'enfoncerai-je dans les monts
> Idomenéens ? Hélas ! ... eſt ce de vous,
mon père , que j'attendrai du ſecours ?
* De vous que j'abandonnai pour un
>homme encore fouillé du fang de votre
> fils ? Sera ce l'amour fidele d'un épous
» qui me conſolera ,quand cet époux in-
> grat trouve les rames trop lentes pour
" me fuir ? Dans cette ifle par- tout envi-
>>ronnée de la mer , point d'iſſue pour la
>>fuite , point d'abri pour le féjour. La
>>fuite& l'eſpérance , tout m'eſt ôté; tour
- eft muet ; tout est défert , & par - tour
» l'image de la mort eſt ſeule ſous mes
> yeux. Ils ne ſe fermeront point ces
>>yeux , mon ame ne s'échappera pas de
>> mon corps affaillé , ſans que j'implore
» à ma derniere heure la juſtice du Ciel;
>> fans que j'attele la foi , l'amour , tes
>>dieux , & que je leur demande à tous
vengeance. Furies , qui châtiez les cri-
» mes , Furies , dont de tortueux ferpens
font la chevelure , Euménides , dont le
>> front peint l'orage , Eumenides , accou
:
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
rez , entendez mes plaintes , ces plait-
>> tes que,dans mon déſeſpoir , j'arrache
>>douloureuſement du plus profond de
»ma poitrine. Tu m'y forces , Théſée;
>> elles font juſtes ces plaintes; ô ! déef-
>> ſe ! ne les rendez pas vaines. Affreuſes
» déeſſes , puiffe Théfée ,puiſfe le bar-
>> bare faire ſouffrir aux ſiens&àlui mê.
> me tout ce qu'il me fait fouffrir.
Ceux qui feront une comparaiſon ſévère
du texte avec la verſion pourront
faire quelques reproches au traducteur ;
mais il faut ſavoir gré de ce travail à un
homme du monde qui peut - être a plus
confulté fon goût pourdes auteurs charmans
que la difficulté de les traduire , &
dont l'ouvrage prouve certainementdes
connoiffances , de la ſenſibilité &du talent.
MaPhilofophie; la Déclamation théâtrale;
les Baisers;mes Fantaisies ; Recueil
de Contes &de Poëmes; par M. D** ,
ancien Mouſquetaire , &c. A la Haye;
&ſe trouvent à Paris , chez Delalain ,
libraire , rue & à côté de la Comédie
Françoife.
* De ees cinq ouvrages de M.D
**
Les deux derniers artichs,& celui-ci , fontd
M.delaHarpe.
JUILLET. 1771. 107
le premier ſeul eſt nouveau; les autres
font réimprimés. Nousjetterons un coupd'oeil
rapide ſur toutes ces nouvelles éditions,
& nous finirons par dire un mot
de cette brochure que l'auteur appellefa
Philofophie.
La Déclamation théâtrale qui paroît
aujourd'hui en quatre chants n'avoit été
dans fon origine qu'un eſſai très - concis
fur la déclamation tragique. L'auteur , en
endant ſes idées & réuniſſant dans ſon
fujet la comédie , l'opéra , & cette partie
de l'opéra la plus parfaite & la plus voluptuenfe,
ladanfe , eſt parvenu à en faire
un poëme didactique dont tousleschants
publiés fucceffivement , ſe trouvent raffemblés
pour la premiere fois dans une
édition très- foignée. Cet ouvrage eſt certainement
de tous ceux que l'auteur a
compofés, celui qui lui fait le plusd'honneur,&
que les gens de lettresont diftingué.
Ony trouve des préceptes exprimés
avec préciſion & élégance ,des idées judicieuſes
ſur l'art, &qui peuvent être utiles
,des tableaux agréables & rians ,des
morceaux bien écrits endifférens genres,
&même des vers heureux . Nous allons
citer quelques endroits de ce poëme qui
juſtifieront nos éloges ,&auroriferont les
Evji
108 MERCURE DE FRANCE.
remarques que nous nous permettrons de
faire fur ce qui nous a paru trop défectueux.
L'auteur ditdans ſon avertiſſement
qu'il a corrigé fon ouvrage; mais il corrige
comme il compoſe , avec beaucoup
trop de négligence , & nous croyons que
fon poëme demande encore & mérite de
nouveaux foins.
Le changement néceſſaire qui s'eſt fait
far notrethéâtre depuis que les banquetresn'y
ſontplus,paroît très-bien rendudans
ces vers.
Le Public ne voit plus, borné dans ſes regards ,
Nos Marquis y briller ſur de triples remparts.
Ils ceffent d'embellir la cour de Pharaſmane;
Zaïre ſans témoins entretient Orofmane .
Onn'y voit plus l'ennui de nos jeunes ſeigneurs
Nonchalamment fourire à l'héroïne en pleurs.
Onne les entend plus du fond de la coulifle ,
Par leur caquet bruyant interrompre l'actrice,
Perfifier Mithridate , & fans reſpect du nom
ApoſtropherCésar & tutoyer Néron.
Le portrait des foyers n'eſt pas moins
heureuſement tracé.
Il eſt un lieu charmant & toujours fréquenté
Par ce folâtre eſſain qui pourſuit la beauté.
Là dans les jours brilans l'habitude raſſemble
JUILLET. 1771. 109
Tous les états ſurpris de ſe trouver enſemble.
Un plumet étourdi de lui - même content,
Se montre , diſparoît , revient au même inſtant
Infectant fes voiſins de l'ambre qu'il exhale ,
Legrave magiſtrat ſe rengorge & s'étale ,
Et l'heureux financier , diſpenſé des ſoupirs ,
Va toujours marchandant & payant ſes plaiſirs.
Nous citerons ces vers ſur la tragédie
de Macbet , quoiqu'un peu foibles en gé.
néral , mais parmi leſquels il y en a deux
deremarquables .
Contemplés de Macbet l'époufe criminelle ,
Sous ces murs où ſon Roifut égorgépar elle.
Cette femme s'avance aux yeux des ſpectateurs ,
Et vient en ſommeillant expierſesfureurs.
L'indexible remords dont elle eſt la victime ,
Agite ſon ſommeildes horreurs de ſon crime .
Sesbras ſont teints de ſang qu'elle détache en vain;
Sous lamain qui l'efface il reparoît ſoudain.
On ne dit point détacher du ſang ; fut
égorgépar elts est une conſtructrion dure ;
&cetre expreffion vague vient expierfes
fureurs dit mal ce que les deux vers fuivans
diſent ſupérieuremenr. Ces deux
vers que nous voutions remarquer , font
d'une tournure ferme & préciſe. Le mésite
de ces fortes de vers ou la combinat
110 MERCURE DE FRANCE.
fon des mots appartient à l'auteur , fe
rencontre à tout moment dans les bons
ouvrages , &trop rarement dans ceux de
M. D**. Cirons encore quelques morceaux
où ce mérite de l'expreffion fe fait
appercevoir de tems en tems. L'auteurdis
enparlantde l'amour qui peut ajouter au
talent;
Cen'eſtpointcet amour qui fait rougir les graces,
QuelemornePlutusenchaîne ſur ſes traces ,
Ou qu'on voit fccouant deux torches dans les
mains
Sourire audieu laſcif qui préſide auxjardinss
C'eſt ce dieudélicat qu'embellit la décence ,
Que l'aimable myſtère accompagne en filence,
Qui , ſans effaroucher lestimides defirs ,
Verſe en ſecretdes pleurs dans le ſeindes plaifirs.
Ces idées peuvent être fort communes;
mais elles font rendues avec grace , & les
vers fontbien tournés.
Le chantde la comédie offre des leçons
très-ſages.
Pour les rôles d'amant ſi l'instinct vousdécide
Servez- vous à vous- même & de juge & de guide.
Dans cet emploi brillant peu d'acteurs font par
faits.
Adorés ſurla ſeène, il leur faut des attraits,
JUILLE T. 1771 . IIT
Unabord ſéduifant, un regard vif&tendre,
Unfilence qui parle& qui ſe fafle entendre ,
Le ſon de voix touchant , le maintiengracicur,
L'artde flatter l'oreille &de charmer les yeux.
Savez-vous- ce que peut un élaquent ſourire ?
Tous ces riens de l'amour ſavez - vous bien les
dire?
Pour le repréſenter , avez-vous ſes appas?
enlaidit toujoursceux qu'il n'embellitpass

Ledernier vers eſt très heureux. Voici
d'autres vers du chant de l'opéra , où l'on
croit retrouver la maniere de Boileau , en
exceptant les deux premiers.
Pournousrendre les traits d'Adonis oud'Alcide ,
Legenrede vos voix peut vousfervirde guide.
Des fons frêles&doux ſeroient choquans& faux
Dans la bouche du dieu qui gourmande les flors.
Cesorganesfont faits pour briller dans les fêres.
C'eſt d'un ton foudroyant que l'on parle aux tem
pètes.
Quandles vents déchaînes mugiffent unefois,
Ils ne s'appaiſent point avecdes ports de voiz
EtJupiter lui -même armé de ſon tonerre ,
Se verroit dans ſagloire infulté du parterre,
S'il venoit , s'annonçant par un timbre argentin
Prononcer en fauffer les arrêts du deſtin .
Il eſt bien vraique legenre de voix ne peut
112 MERCURE DE FRANCE.
pasfervir de guide pour rendre les traits
& que l'auteur n'a pas dit ce qu'il vouloit
dire ; que ces organes , lotſqu'on n'a
parlé que defons fréles , n'eſt pas juſte ,
&c. mais les quatre derniers vers font
excellens. Plus ce que nous venons de
tranfcrire prouve en général de talent &
de facilité , plus on eſt fâché de rencontrer
une foule de vers ſans idée & fans
expreffion , des tirades vagues& découfues
, trop peu d'art dans les tranſitions ,
&dans les comparaiſons trop peu de jufteſſe
,un vernis monotone que l'on prend
pour du coloris ,& qui n'eſt que de l'enluminure
, des images rebattues , toujours
empruntées des mêmes objets , les mots
génériques de nature & d'art prodigués
dans beaucoup d'endroits où il falloit des
expreſſions directes ; & en général un ſtyle
trop dénué d'ame & de ſubſtance. Voyez,
fans aller plus loin , le début du poëme..
Peintre de la raiſon , toi , qui ſur le parnaffe
Es l'oracle du goût & le rival d'Horace ,
Dans l'art brillant des vers ta voix fut nous for
mer ;
Ma main trace aujourd'hui l'art de les déclamer..
Cet exorde n'eſt- il pas trop ſec &trop
pauvre ? Est-ce la peine de parler de Defe
JUILLET. 1771. 113
préaux pour nous dire , après cent autres,
qu'il eſt l'oracle du goût & le rival d'Horace
? Ne font - ce pas là de ces phrases
uſées qu'on fe permet lorſqu'on n'a rien
penſé ? Ne falloit- il pas quelques exprefſions
plus caractériſées ? Et cette oppoſition
de ta voix &de ma main n'eſt - elle pas un
peu meſquine ? Nous nous en rapportons
au goût du lecteur . Après cette apoſtophe
àBoileau , fuit ſans aucune liaiſon une auapoſtophe
aux actrices .
Vous , qui voulez enfin fortir de vos ténèbres ,
Et cueillir le laurier des actrices célèbres , &c.
Eſt-ce ainſi que le ſtyle doit procéder ?
&ces figures entaſſées peuvent elles ſuppléer
à l'enchaînement naturel des idées
qui doivent naître les unes des autres ?
Qu'il y a loin du talent de faire quelques
vers à l'art du ſtyle&au talentde faire un
ouvrage ?
Quand l'auteur parle de Zaïre, qui croiroit
que ce drame enchanteur , le chefd'oeuvredu
ſentiment , nelui inſpire que
ces quatre vers ?
Sans ces charmes touchans que d'abord l'oeil admire
,
Me rendrez - vous ſenſible aux douleurs de Zaïre ,
114 MERCURE DE FRANCE.
9
Qui ,d'un ans, nouveau, craignant l'austérité,
Pleure au ſeinde ſon Dieu l'amant qu'elle a quitte.
Quoi ! Zaïre eraint l'austéritéd'un culte
nouveau ! Zaïre a quittéfon amant ! C'eſt
làceque l'auteur a vu dans Zaïre ! &de
tous les écrivains modernes M. D ** eft
peut-être celui qui parle le plus fouvent
defenfibilisé, d'ame , de chaleur , deflamme
, dusentiment , de coloris brûlant , de
style brûlant , de coeur brûlant , &c. Ne
vaudroit- il pas mieux être moins brûlant,
avoir un peu defenfibilité& le faire voir
fans en riendire? Ne nous latfons point
d'obſervercombien la véritableſenſibilité,
celle qu'avoit Racine qui n'en a jamais
parlé , eſt loin de la prétendue chaleurde
quelques énergumenes qui s'échauffent à
produire des ouvrages froids.
M. D** qui , comme on le voit , n'a
pas trop bien fenti le mérite de Zaïre ,
n'apprécie pas beaucoup mieux celui de
Sémiramis & de l'acteur fublime dont
l'ames'eſt profondément pénétrée de tous
les mouvemens pathétiques qui animent
les chefs-d'oeuvre de M. de Voltaire , &
nous les rend fur la ſcène avec autant de
chaleur qu'ils ont été conçus.
JUILLET. 1771. I111
Tel l'illuſtre le Kain dans ſa fougue fublime
S'empare denotre ame & ravit notre eſtime.
Au lieu de l'épithète d'illuftre n'en falloit-
il pas une plus caractériſtique ? &
quandon a dit qu'il s'empare de notre ame,
peut-ondire qu'il ravit notre eftime ? Est- il
queſtion d'eftime , quand il s'agitdes effers
du théâtre ? Eft-ce ainſi qu'on écrit lorfqu'on
a ſenti ? Cene ſont point là des négligences;
ce ſontde ces fautes qui tuent
le ſtyle& que legoûtdéfend d'excufer.
Je crois toujours le voir échévelé , tremblant ,
Du tombeau de Ninas s'élancer tout ſanglant ,,
Poufler du déſeſpoir les cris ſourds & funds
bres,&c.
Mêmes défauts. Comment s'élance
t on en tremblant ? Et fi l'auteur a vu le
cinquieme acte de Sémiramis , s'il a vu
Ninias chanceler ſur les marches du tombeau
de Ninus , tomber éperdu fur une
colonne , une épée fanglante à la main ,
pourſuivi par les gémiſſemens de ſa victime&
ſe retournant vers le lieu d'où ils
partent, tandis que les éclairs , au milieu
de la nuit qui regne fur le théâtre , jetrentune
lueur affreuſe ſur ſon viſage &
laiffent voir dans tous ſes traits la terreus
116 MERCURE DE FRANCE.
& l'égarement , s'il a vu & ſaiſi ce ta
bleau , peut- il nous dire que Ninias s'élance
, & qu'il pouſſe les cris du déſeſpoir ,
-lorſqu'il ne crie point , qu'il ne doit point
crier, qu'il n'eſt point désespéré, qu'il n'eſt
que frappé d'une horreur involontaire ?
Où eſt la juſteſſe ? où eſt la vérité ? Toutes
ces critiques font malheureuſement trop
évidentes ,& il eſt évident auſſi que l'au-
• teur n'étant tombé dans toutes ces fautes
quepar ledéfautde réflexion, nous devons
àl'intérêt des lettres & au fien , de mettre
ſous ſes yeux ces mépriſes & ces erreurs de
goût; il y a peu de mérite à les relever; il y
en aura beaucoup à les faire diſparoître.
Quant aux comparaiſons , en voici une
tirée du chant de la comédie . L'auteur
conſeille au comédien d'aller dans la ſociété
en étudier les travers & les ridicules;
&il ajoute :
C'eſt ainſi que l'abeille aux approches du jour
Vole dans lesjardins & les prés d'alentour ,
Et difputant la roſe au jeune amant de Flore ,
Lorſqu'elle a butiné les dons qu'il fait éclore ,
Revient dans fon aſyle obfcur & parfumé ,
Dépofer le tréfor du miel qu'elle a formé.
D'abord quel rapport y a- t il entre les
ridicules de la fociété & le fuc des Beurs?
JUILLET. 1771. 117 :
entreunhomme qui obſerve & une abeille
qui voltige ? N'est- ce pas dénaturer les objets
? N'eſt ce pas d'ailleurs redire dans une
phrafe traînante & mal conſtruite ce que
l'on a dit beaucoup mieux & beaucoup
plus à-propos?
Papillon du parnaſſe & ſemblable à l'abeille
Qui , des fleurs du printems, compoſe lacorbeille
,
Jeſuis choſe légere& vais de fleur en fleur , &c,
LAFONTAINE,
Et femblable à l'abeille en nos jardins écloſe ,
Dedifférentes fleurs j'aſſemble & je compoſe
Lemiel que je produis.
ROUSSEAU.
2
Répéter ces idées & les atfoiblir , ce
n'eſt pas avoir de l'imagination , c'eſt ſe
ſervir mal de l'imagination d'autrui. On
voudroit ne pas trouver fans ceſſe dans
les vers de M. D**. ces images de l'ancienne
poëſie , qui étoient dans le ſiécle
paffé des embelliſſemens , &qui ne font
aujourd'hui que des redites évitées avec
ſoin par tous les écrivains qui ontun ſtyle
à eux . M. D** ſemble avoir voulu épuifer
toutes les manieres de parler des rofes
MERCURE DE FRANCE .
&des zéphirs. Il auroit dû ſe rappeler ces
versde M. de Voltaire.
N'offrez point àmes ſens de mollele accablés,
Tous les parfums de Flore à la fois exhalés.
Les piéces légeres quidemandentmoins
deplan &de méthode , moins de force&
de ſolidité que les ouvrages ſérieux,ſemblent
plus conformes au caractère d'eſprit
de M. D .. & dans le volume intitulé
mes Fantaisies , on en trouve de très - jolies;
mais elles font preſque toutes trop
longues & d'un goût trop inégal. Souvent
ce qui devroit avoir de la grace n'a que
de l'affectation , ce qui devroit être naturel
eſt précieux , ce qui devroit être rapide&
précis eſt vague& prolixe. La plaiſanterie
qui devroit être dans les idées
n'eſt que dans un certain jargon aujourd'hui
vieilli , & qui n'a fait fortune dans
quelques romans que parce qu'il y eſt
tourné en ridicule. Ce jargon eſtunperfiflage
de mots , & ce n'eſt pas celui des
gensd'eſprit. En voici des exemples qui
peuvent préſerver les jeunes gens de ce
mauvaistond'autantplus contagieux qu'il
eſt plus facile à prendre , &que des gens
faits pour louer tout ,hors ce qui estbon,
l'ont appelédelagaîté,
JUILLET. 1771. 119
L'auteurdit, enparlantdu manége d'une
coquette:
A cet acte d'hostilité
J'oppoſe une autre batterie.
J'encourage ta perfidie
Par un déſeípoir imité.
Bientôt mon air d'indifférence
Armel'orgueildetes appas.
Nouvelle attaque , autres combats ;
Nous déployons notre ſcience.
C'eſt àqui ſera le plus faux.
Del'art épuisant les chefs-d'auvres,
Je déconcerte tes manoeuvres .
Etcontremine tes travaux.
Ta prudence en vain ſeménage
Deschemins couverts&mêlés;
Dans les plus ſombres défilés
Je ſuis toujours ſur ton paflage.
Ces vers font incontestablement de la
très-mauvaiſe proſe ; il eſt néceſſaire de
le dire. Grace au reſpect de convention
que l'on a pour la médiocrité & le faux
goût, les étrangers croiroient qu'un pareil
baladinage eſt approuvé par cette même
nation qui a tant de modèles de vraie gaîté&
de bonne plaifanterie; ils croiroient
que le naturel de Chaulieu , la rapidité
/
A
1
:
120 MERCURE DE FRANCE.
piquante & ingénieuſe de M. de Voltaire
, la richeſſe de Greffet , les graces de
Bernard , tant de piéces charmantes de
MM. de St Lambert, Deſmahis , du C. de
B. , du chev. de B * * ont perdu leurs
droits fur nous. Peut-être doit-on ſavoir
quelque gré à un homme de lettres qui
n'a d'autre intérêt que celui de la vérité ,
qui ne mandie point les louanges & qui
mépriſeles fatyres, d'obſerver ce que tous
les connoiffeurs penſent,&ce que nul ne
démentira ; &quand la critique eſt portée
àce degré d'évidence, dire qu'il falloit la
taire , c'eſt manquer de reſpect au Public
&prétendre qu'on a dû le tromper.
Une épître à Mile D * , commence
ainfi :
i
C'en est donc fait; plusde barriere
Qui ſépare Thémire &moi.
Les ris délogent avec toi ,
Et courent tous après leur mere.
Bien faits pour les épouvanter ,
Les commisfufpectant leur bande ,
Eſpéroient en vain les traiter
Comme des ris de contrebande.
Des ris de contrebande font abſolument
dans le goût du carroffe amaranthe & de
l'ingrate
JUILLET. 1771. 121
1
l'ingrate defièvre dont Moliere s'eſt moc.
qué.
Jeune& folâtre Alexandrine ,
Je ſentois mon heure venir.
Je touchois preſque àma ruine ,
J'allois , oui , j'allois m'attendrir ,
Grace à ta friponne de mine.
J'ai pris la poſte pour te fuir.
Je me fuis abuſé ſans doute ;
Je n'en ai pas plus de repos .
Change-t on de coeurfur la route ;
Comme l'on change de chevaux ?
Changer de coeur comme de chevaux vaut
bien les ris de contrebande ; & que diroit
le Miſantrope , s'il entendoit ces ves ?
Tes yeux ſontdeux foyers ardens
Où j'ai failli brûler mes aîles ,
Et d'où partent mille étincelles
Sur le ſalpêtre de mes lens.
Toujours le même ton &le même goût.
Ce n'eſt pas là de la poëſie légere. La poëfie
légere eſt la converſation d'un homme
de beaucoup d'eſprit & de très - bonne
compagnie , qui parle avec aiſance & avec
grace , ne ſe permet pas tout & ne ſe répéte
jamais.
I. Vol.
1
122 MERCURE DE FRANCE.
Nous nous arrêterons peu fur le recueil.
de Contes. La qualité la plus néceſſaire
dans une narration , c'eſt le naturel , &
c'eſt précisément celle dont l'auteur paroît
le plus éloigné. D'ailleurs , ce font ,
preſque toujours les idées& les exprefſions
d'autrui affoiblies par celui qui les
emprunte.
S'il fait parler l'amour , il lui fait dire ;
Vois-tule tems qui moiſſonne les fleurs ?
Il t'avertit d'en fémer ſon paflage.
C'eſt la chanſon ſi connue de M. de
Moncrif;
Et ſi la vie eſt un paſſage ,
Sur ce paflage au moins ſémons des fleurs.
C'eſt une idée gracieuſe qu'il ne falloit
pas prendre .
L'invention eſt un préſent céleste.
Oh . j'en conviens ; je ſuis admirateur
De tout eſprit fertile& créateur.
Mais ce lot manque; un autre encor nous refte.
Ce lot manque. A qui ?
Eh! quel eſt- il ? c'eſt , puiſqu'ilfaut opter ,
Celui qu'avoit cebon Jean Lafontaine , &c,
Puisqu'il faut opter eſt un contreſens .
:
JUILLET. 1771: 123
Dedeux lots lorſque l'un manque& qu'il
n'en reſte qu'un, il eſt clair qu'il n'y a pas
àopter.
Original, lorſqu'il n'eſt que copie,
Sur ſes larcins il foufflafongénie.
Original& copie ne font pas fort neufs;
mais foufflerfon géniefur des lareins l'eſt
beaucoup trop.
Ma Philofophie eſt une pièce fort peu
philofophique , exceſſivement longue, où
l'auteur parle preſque toujours de lui .
L'égoïſme eſt une choſe très- délicate. II
ne faut guère parler de ſoi que très - noblement
ou très-plaiſamment. Le ſtyle en
eſt d'ailleurs beaucoup plus vicieux que
tout ce que nous venons de rapporter.
Dans la carrière polémique
L'autre élancé du premier bond
Vient ſe ruer en furibond
Contre mon coeuvre didactique.
Brûlé d'une bile cauſtique
Et d'une fièvre archicritique
CetAttila ravage tout ;
Mais c'eſt en l'honneur du bon goût
Qu'à cejoli genre il s'applique.

Voilà votre gloire abſorbée ,
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
A
Etje vois en un ſeul moment
Votre immortalité flambée.
• •
Sages , orateurs & poëtes ,
Demeurez tous les bras croiſés
Pour apprendre à vivre aux comètes , &c.
Apprendre à vivre aux comètes eſt une
choſe rare. Suit un réponse badine à de
graves obfervations. Et cette réponſe qui
eſt très - chagrine ſe borne à dire qu'on a
corrigé tout ce que l'obſervateur avoit
critiqué , ce qui n'eſt pas foudroyant pour
Fobfervateur. Il ne faut point dire qu'on
eſt badin ; il faut l'être. Il ne faut point
dire qu'on eſt gai , lorſqu'on a de l'humeur.
Il vaudroit mieux en avoir ouvertement
&de bonne foi ; car , comme a dit
Nicolas Boileau ;
Chacunpris dans ſon air eſt agréable en ſoi ,
Ce n'eſt que l'air d'autrui qui peut déplaire en
moi,
Hiſtoire de l'Empire Ottoman , depuis fon
origine juſqu'à la paix de Belgrade en
1740 ; par M. Mignot , Abbéde Sullieres
, conſeiller honoraire au grand
Conſeil ; 4 vol . in - 12, reliés , 12 liv.
JUILLET. 1771. 125
ou un vol. in-4°. relié , 15 liv . A Paris
, chez Leclerc , libraire , quai des
Auguſtins .
Cette hiſtoire de la monarchie des Ottomans
eft précédée d'un diſcours hiſto
rique ſur Mahomet & les Califes ſes ſucceffeurs
. La religion muſulmane & l'opinion
des peuples , qui regardoient ces
princes comme les vicaires de leur prétendu
prophéte , avoient réuni en leur
perſonne les droits du glaive & de l'autel.
Mais cette énorme puiſſance s'affoiblit
par la nonchalance de ceux qui en
étoient revêtus , dégénera en vains titres
& à la fin s'anéantit. Lorsque l'opinion
eut cédéà la force,les Princes Turcs ufurperent
le ſceptre qui n'avoit jamais été
ſéparé de l'Alcoran. Vers l'an 1300 de J.
C. & 700 de l'hégire , Othman ouOttoman
, l'un des émirs du dernier ſultan
d'Iconium , dont la monarchie avoit été
détruite par les Mogols , conçut le hardi
projet d'en ériger une nouvelle fur les
ruines de l'ancienne. Il ſe fit , à l'exemple
de Mahomet , général d'armée , pontife
& prophéte , pour réunir dans ſes
mains toutes les eſpèces de pouvoir. L'enthouſiaſme
& la plus ſévère diſcipline ,
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
mis à la place de l'amour , de la gloire &
de la patrie fonderent l'autorité du nouveau
monarque , & éleverent ſes ſoldats
aux actions du plus fublime courage.
Ceux qui , non - contens d'étudier des
faits hiſtoriques veulent obſerver les dif
férences que la religion , le climat , les
lieux , le gouvernement peuvent avoir
introduit parmi les hommes , liront cette
hiſtoire avec une forte d'intérêt. L'hiſtorien
, quoiqu'étranger aux langues orientales
, a ſçu ſe procurer de nouvelles lu- .
mieres fur pluſieurs objets importans de
fon hiſtoire. Il a conſulté des traductions
manuſcrites des annaliſtes Turcs les plus
recommandables . Pluſieurs autres inſtructions
lui ont été communiquées. La correſpondance
de tous les Ambaſſadeurs de
France à la Porte , qui eſt conſignée dans
le dépôt des affaires étrangeres & qu'il a
eu la permiffion de confulter , contribue
encore à donner un nouveau degré d'uti
lité&d'intérêt à cette hiſtoire. Parmi les
Ambaſſadeurs de France qui ont foutenu
avec le plus de hardieſſe & de courage
l'honneur de la nation à la Porte Ottomane
, on diſtinguera M. de Feriolles . Il
venoit d'être nommé en 1696 , ambaſſadeur
en cette cour à la place de M. de
JUILLET. 1771. 127
Châteauneuf. Arrivé à Conſtantinople il
demanda jour pour être admis à l'audience
duGrand Seigneur , & pour lui porter
ſa lettre de créance & fes préſens. Cette
cérémonie ſe fait avec plus de pompe
pour les Ambaſladeurs de France que pour
ceux des autres couronnes, à cauſe de
l'ancienne amitié qui unit la Porte &
cetteCour. Un Aga des Janiſſaires & le
corps des Chiaoux s'étant rendus au palaisde
France pour honorer la marche de
l'Ambaſſadeur ; celui ci monté ſurun fuperbe
cheval , précédé de toute ſa maiſon
richement vêtue , & du cortége que les
Turcs y avoient ajouté , ſuivi de tous les
négocians qui compoſent la Nation Françoiſeà
Conſtantinople , ſe rendit du palais
qu'il habitoit à Pera , au ferrail où il
devoit être admis à l'audience de Sa Hauteffe.
On portoit autour de lui les préfens
deſtinés au Grand Seigneur , qui confiftoient
en piéces d'horlogerie & d'orfévrerie,
en miroirs de grand prix & autres
raretés dont les Tures , qui font très magnifiques
, mais pen induſtrieux , font
beaucoup de cas. Une loi , preſque aufli
ancienne que la Monarchie Ottomane ,
défendd'admettre aucun giaur ou infidèle,
armé de quelque façon que ce puiſſe être ,
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
en préſence de Sa Hauteſſe. Les Muſulmans
-eux-mêmes n'y paroiſſent avec des armes
qu'en tems de guerre & lorſque la campa-.
gne eſt ouverte. M. de Feriolles avoit lu
dans le compte que ſon prédeceſſeur avoit
rendu de fon ambaſſade , qu'il n'avoit
point quitté ſon épée lorſqu'il avoit été
admis devant le trône duGrand Seigneur.
Le nouvel Ambaſſadeur ne douta point
que cet honneur , juſqu'alors inoui dans
l'Empire Ottoman , n'eut été accordé à la
grande conſidération que lesTurcsavoient
toujours marquée à la France ; conſidération
qui étoit augmentée de jour en jour
par le beſoin que la Porte pouvoit avoir
de cette couronne , à cauſe de ſes différends
avec la Cour de Vienne. M. de
Feriolles , réſolu de jouir des mêmes honneurs
que ſon prédéceſleur , porta à fon
audience une épée très- longue &très- reunarquable
par l'excellence du travail.
Arrivé à la ſalle du Divan , il trouva le
nouveau grand Viſir Huſſain qui le reçut
avec les honneurs accoutumés , & fit felon
l'uſage diſtribuer , en préſence de l'Amballadeur
, la paie aux Janiſſaires & aux
Boſtangis du ferrail ; puis on ſervit le
grand Viſir & M. de Feriolles à une table
où ils mangerent ſeuls;& les principaux
JUILLET. 1771. 129
de la ſuite de l'Ambaſſadeur à des tables
différentes , à chacune deſquelles des officiers
du ferrail mangerent avec eux , &
leur firent les honneurs. Le repas fini , on
apporta des cafetans , eſpéce de robes que
leGrand Seigneur & le grand Viſir donnent
toujours aux étrangers de marque
lors de leur audience , & que ceux- ci revêtent
avant que d'y paroître. Le nombre
de ces robes eſt proportionné à l'eſtime
que la Porte fait de l'Ambaſſadeur ou du
Princequ'elle reçoit.Trente cafetansfurent
diſtribués à l'ambaſſadeurde France & à 29
de ſes ſuivans ; c'étoit le plus grand nombre
qu'on eut accordé juſqu'alors . Comme
les François qui devoient entrer dans
la ſalle du trône , revêtoient ces cafetans
par-deſſus leurs habits , le chiaoux Pachi,
qui avoit averti chacun de quitter ſon
épée , s'apperçut que l'Ambaſſadeur affectoit
de garder la fienne. Il avertitune ſeconde
fois M. de Feriolles par le miniftere
du premier interprete Mauro Cordato,
qui avoit été Ambaſſadeur à Vienne.
Sur le refus que M. de Feriolles fit avec
aſſez de hauteur, Mauro Cordato l'affura
que ſa prétention étoit indifférente à la
dignité de ſon maître , & ne tendoit abfolument
qu'à tranfgreffer les loix de la
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
Porte , puiſque , de mémoire d'homme ,
perſonne n'étoit entré armé dans la ſalle
du trône en préſence du Grand Seigneur.
M. de Feriolles répondit que M. deChâteauneuf,
lors de ſon audience , n'avoit
point quitté ſon épée ; Mauro Cordato &
les anciens officiers du ſerrail nierent le
fait avec vivacité, aſſurant à leur tour que ,
loin queM. deChâteauneuf eut porté une
épée devant le Grand Seigneur , il n'en
avoit point lorſqu'il étoit forti de fon palais
ni pendant ſa marche. ( 1 ) Comme la
querelle s'échaufoit entre le chiaoux Pachi
& l'Ambaſſadeur ( car le grand Vifir
étoit entré dans la ſalle du trône ) Mauro
Cordato , qui faisoit profeſſion d'être attaché
à la France , prit l'Ambaſſadeur à
part& le conjura vivement de renoncer à
une prétention qui n'étoit pas fondée , &
qui pouvoit brouiller deux Puiſſances
amies depuis pluſieurs fiécles , lui romon-
(1 ) M. de Châteauneuf ayant écrit dans ſon
compte rendu,&ayant aſſuré depuis qu'il ne s'étoit
jamais ſéparé de ſon épée lors de ſon audience , il
eſt probable, ajoute ennote l'hiſtorien , que comme
les François portoient dans ce tems des couteaux
fort courts , M. de Châteauneuf avoit caché
une de ces armes dans les plis de ſon habit & ſous
foncafetan.
JUILLET.
1771. 131
ttant que ledevoir des Ambaſſadeurs étoit
de furmonter ou d'éluder les difficultés ,
non de les faire naître. M. de Feriolles
répondit très -haut à cette exhortation pathétique
, qu'il n'étoit point venu pour
faire naîtredesdifficultés , mais qu'il vouloit
encore moins avilir ſon caractere &
ſa nation ; que quand il ne feroit pasambaſſadeur
, il favoit qu'un gentilhomme
François ne devoit quitter ſon épée que
par ordre de ſon maître ; qu'au reſte le
compte rendu à Louis XIV par ſon prédéceffeur
étoit dans ſes inſtructions ; qu'il
avoit ordre de s'y conformer , & qu'il ne
pouvoit pas déſobéir à fon maître. Le
chiaoux Pachi , ſur qui le grand Viſir s'étoit
repoſé de tout , n'oſoit ni introduire
l'ambaſſadeur dans la falle du trône,ni lui
en interdire l'entrée. Il fit appeler legrand
Viſir pour lui apprendre ce qui ſe paſfoit.
Le Sulran étoit placé ſur ſon eſtrade depuis
plus d'une demi - heure , environné
des Pachas du banc , du Mufti , des Mollacs
, de tous les Agas du ſerrail , enfin de
toute la pompe que la Porte ne manque
pas d'étaller en pareille occafion . Le grand
Viſit exhorta M. de Feriolles à quitter fon
épée , par les mêmes raiſons que Mauro
Cordato lui avoient dites; mais il ne ga
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE .
gna pas plus que l'interprete. Comme il
étoit prêt à lui déclarer qu'il ne ſeroit
point admis à l'audience du grand Seigneur
, le Chiaoux Pachi prit le premier
miniſtre en particulier , & conféra avec
lui quelques momens , après leſquels le
grand Viſir étant rentré dans la falle du
trône , fans parler à l'Ambaſſadeur , le
Chiaoux Pachi lui dit qu'il alloit avoir
audience,& qu'il falloit ſe mettre en marche.
M. de Feriolles crut avoir obtenu
par ſa conſtance ce que les officiers de la
Porte avoient tenté de lui refufer , il ſe
plaça fierement entre les deux Cappigis
Pachis qui devoient marcher à ſes côtés
pendanttoute la cérémonie. Ceux de ſa
fuite qui devoient entrer après lui dans
la ſalle du trône , s'étant rangés par ordre,
on marcha entre deux haies de Boftangis,
de Cappigis & d'Eunuques blancs , qui
tenoient depuis la ſalle du divan juſqu'à
celle du trône . Comme on en ouvroit les
portes , M. de Feriolles voyant déjà l'eftrade
du Grand Seigneur , fentit une
main qui s'efforçoit de lui arracher fon
épée , il y porta la fienne avec vivacité ,
& reculant quelques pas : « Eſt- ce à mon
>> maître ou à moi qu'on en veut , s'écria-
>> til, & que prétend-on par cette violen.
JUILLET. 1771 13 ダ
» ce ? » Ces paroles prononcées très haut
furent entendues du Grand Seigneur qui ,
quoiqu'il ne les comprit pas , ſe douta de
ce qui ſe paſſoit. Il envoya le Capi Aga,
ou chef des Eunuques blancs , défendre
qu'on employât aucune violence. Le
grand Viſir ſuivit de près le chef des Eunuques
, il trouva M. de Feriolles déjà
retourné dans le lieu d'où il étoit parti ,
&qui lui porta des plaintes très - ameres
de l'infulte qui lui avoit été faite. Le
grand Viſit lui dit que c'étoit contre l'ordre
du Grand Seigneur& contre le ſien
qu'on avoit porté la main ſur ſa perſonne
, & qu'il devoit être aſſuré que cela
n'étoit arrivé que par mégarde , à cauſe de
la foule qui environnoit la porte & fans
aucun deffein de lui ôter ſon épée ; mais
il lui dit auſſi qu'il ne paroîtroit point
devant Mustafa qu'il ne l'eut quittée volontairement.
M. de Feriolles, pour toute
réponſe , ſe dépouille de ſon cafetan , ordonneàſa
ſuitede l'imiter,& à ſon écuyer
de faire avancer ſes chevaux. Les cafetans
furent misten piles fur des ſophas , de
peur que les Turcs n'accufaffent les officiers
de l'Ambaſſadeur de les avoir rejettées
avec mépris ; & M. de Ferielles remonta
à cheval, ſans être accompagné que
de fa maiſon & des Janniſſaires attachés
134 MERCURE DE FRANCE .
à ſa perfonne. On crut quelque temsque
cette affaire auroit des ſuites . Les Turcs
avoient ſouvent manqué au droit des gens
dans des occafions de moindre importance;
mais l'abattement dans lequel étoit
alors la Porte ne permit pas à Mustafa de
montrer le moindre reſſentiment. Les
préſens qui devoient être offerts furent
renvoyés le jour même au palais de l'Ambaffadeur
, & le grand Viſir parut oublier
cette affaire pour ne s'occuper que de différends
plus importans de la Porte avec la
Cour de Vienne.
Cette hiſtoire ottomane , dans laquelle
l'hiſtorien s'eſt attaché principalement à
mettre beaucoup d'exactitude , le premier
mérite de toute hiſtoire en général , eſt
ſuivie d'un discours ſur la nature des
finances& du gouvernement de l'Empire
Ottoman. Ce diſcours eſt extrait d'un
mémoire compofé en 1687 par M. de
Girardin, pour lors Ambaſſadeur de France
à la Porte , fur la demande qui lui en
avoit été faite par M. le Marquis de Seignelai
, fecrétaire d'état au département
de lamarine.
Entretiens d'ane Ame pénitente avec fon
Créateur , mêlés de réflexions & de
prieres relatives aux divers événemens
JUILLET. 1771. 135
de la vie , dédiés à la Reine & àMadame
Louiſe ; nouvelle édition ; 2 vol .
in- 12. A Lille , chez J. B. Henry, imprimeur-
libraire ; & à Paris , chez Durand
, neven , & de Hanſy le jeune, rue
St Jacques; Delalain , rue de la Comédie
Françoiſe , & Coftard , rue St
Jean-de-Beauvais .
Les vérités confolantes de l'Evangile ,
les maxinies les plus intéreſſantes de la
morale , & les préceptes les plus utiles de
conduite rempliſſent ces entretiens & les
rendent propres aux perſonnes de l'un &
de l'autre ſexe , à celles fur- tout qui deſirent
une lecture qui rechaufe leur piété &
éleve leur coeur à Dieu. Le pieux auteur,
nourri des écrits des plus célèbres fermonaires
, en a fait paſſer l'aimable onction
dans ſon ouvrage qui a mérité l'approbation
des Princeſſes vertueuſes & l'accueil
de tous les lecteurs amis de la religion &
delamorale.
Coutumes générales d'Artois , redigées
dans un ordre didactique & méthodi
que , pour en faciliter l'intelligence ,
l'étude & l'uſage; avec des notes & obſervations
importantes , & déciſions
récentes ; dédiées à Mgr le Comte
136 MERCURE DE FRANCE.
d'Artois , par M. Rouſſel de Bouret ,
avocat en parlement & commis au bureau
des affaires contentieuſes du contrôle
général des finances ; 2 vol . in 12 .
Prix , sliv. relié. A Arras , chez Nicolas
, imprimeur du Roi , & chez Laureau
, libraire ; à St Omer , chez Boubers
, imprimeur ; à Paris , chez Chenault
, imprimeur , rue de la Vieille
Draperie & au Palais .
Le texte des coutumes générales d'Artois
a été redigé en 1544 ; mais quelque
ſoin que l'on ait pris pour la redaction
de ces coutumes , il s'en faut de beaucoup
que les redacteurs ayent prévu toutes les
matieres& toutes les queſtions qui fe préfentent.
Les difpofitions mêmes que ces
coutumes contiennent ontbeſoin ſouvent
d'interprétation. Le texte d'ailleurs de ces
coutumes eſt écrit dans un ſtyle ſi ſuranné,
que l'onytencontre beaucoup de termes,
d'expreffions & même de tours de phrafe
qui ne s'entendent plus aujourd'hui ou
que très - difficilement. C'étoit donc un
ſervice à rendre à ceux qui font obligés
de confulter ces coutumes ou de les étudier,
foit par devoir, ſoit par état , de les
ranger dans un ordre plus clair , plus com.
mode , plus méthodique ; d'en corriger le
JUILLET. 1771. 137
ſtyle & de choiſir dans les différens commentaires
de ces coutumes les maximes
les plus fûres , & les plus propres à éclaircir
les difficultés & à décider les queftions
qui ſe préſentent ordinairement.
M. Rouffel a ajouté à ces maximes pluſieurs
déciſions récentes du barreau qu'il
a ſuivi pendant douze années en qualité
d'avocat au conſeil d'Artois . Il difcute
auffi pluſieurs queſtions & les reſoud avec
ſageſſe& clarté , ce qui rend ſon ouvrage
utile à ceux-mêmes qui ne ſont pas familiariſés
avec le langage ſouvent obſcur des
loix.
Principes contre l'incredulité , à l'occaſion
duſyſtême de la Nature ; Par M. Са-
mufet; vol . in- 12. Prix , 40 fols br.
A Paris , chez Pillot , libraire , rue St
Jacques ; & Edme , libraire , quai des
Auguſtins.
Cet ouvrage eſt une eſpéce de recueil
de penſées détachées, rangées néanmoins
par ordre de matieres. L'auteur y préſente
pluſieurs vérités bien propres à détruire le
dangereux ſyſtême du fataliſme .
Manuel de la Jeuneſſe , ou Inſtructions
familieres en dialogues , ſur les prin138
MERCURE DE FRANCE.
:
cipaux points de la Religion; ouvrage
utile aux perſonnes qui diſpoſent la
jeuneſſe à la premiere communion , &
qui peut faire fuite au Magafin des
Adolescentesde Mde le Prince deBeaumont
; 2 vol. in- 1 2. AParis, chez Fournier
, libraire , à l'entrée du quai des
Auguſtins , près le pont St Michel.
Ce Manuel contient , ſous une forme
familiere & dont les ſuccès font prouvés,
des inſtructions utiles , néceſſaires , agréables
même à la jeuneſſe qui ſe rebute aifément
de tout ce qui a l'air de gêne &
de contrainte. C'eſt même pour repandre
encore plus d'agrément dans ces inftructions
, que l'eſtimable auteur les a entremêlées
, non d'hiſtoires dont la jeuneſſe
n'eſt pas toujours capable de faire une
juſte application , mais de détails de
moeurs & de conduite , amenés à - propos
& fans affectation , dans leſquels on expoſe
ce qui ſe pratique ou plutôt ce qui
doit ſe pratiquer dans une famille chrétienne
propoſée pour modèle.
JUILLET. 1771. 139
Tableau chronologique de l'histoire de
France depuis Pharamond jusqu'à
Louis XVle Bien-Aimé , avec cette épigraphe
:
Non idem affectus , non impetus idem
Rebus ab auditis confpicuiſque venit .
par M. Viard , fils .
OVID . DE PONTE .
Epoques les plus intéreſſantes de l'hiſtoire
de France fervant d'explication au tableau
chronologique de cette histoire ;
par le même. A Paris , chez la Veuve
Deſaint , libraire , rue du Foin.; Delalain
, libraire , rue & à côté de la Comédie
Françoife , avec approbarion &
privilége du Roi , 1771 .
Ce n'eſt point à l'excellence des méthodes
dont on ſe ſert pour enſeigner les
diverſes parties de nos connoiſſances
qu'on doit attribuer le plus ou le moins
de progrès que font les jeunes gens dans
le cours de leurs études , ce ſont les difpoſitions
toutes ſeules de la nature qui
ouvrent l'ame aux leçons du maître : elles
ſeules développent l'eſprit ou le tiennent
plus ou moins reſſerré. On ne peut ce
140 MERCURE DE FRANCE.
pendant s'empêcher de convenir que plus
une méthode emploie de moyens pour
réuſſir , plus elle offre de fecours , plus
elle eſt aſſurée de ſon effet. L'ouvrage
que nous annonçons & qui eſt deſtiné à
faciliter l'étude de l'hiſtoire de France eſt
dans ce cas . L'auteur y a mis en uſage
tous les petits refforts qui peuvent excirer
la curioſité & renouveller continuellement
fes recherches inquietes dans un
tableau qui eſt gravé en taille - douce &
imprimé ſur une feuille de papier grandaigle.
M. Viard a rendu , pour ainſi dire,
l'hiſtoire parlante , parce qu'il a fait dépendre
ſes indications hiſtoriques de petites
repréſentations très-variées de figures
, de ſymboles , de caracteres hiérogliphyques
d'une intelligence tres - aifée.
Rien n'eſt plus facile que d'y diſtinguer
la ſucceſſion des Rois & la place que chacun
a pris dans la durée des tems.
Les époques les plus intéreſſantes de
l'histoire de France qui accompagnent ce
tableau & qui en dépendent néceſſairement,
font un volume in- 12 . rempli d'anecdotes
&de faits remarquables , d'inftitutions
civiles & religieuſes qui méritentle
moins d'être ignorées. Par époques,
l'auteur entenddes événemens plus frap
JUILLET. 1771. 141
pans qui ſervent , pour ainſi dire , d'appui&
de pointsde repos à la mémoire, &
d'où l'on peut compter l'éloignement des
faits qui les précédént ou qui les ſuivent.
Ce volume nous a paru avoir par- tout le
même intérêt , offrir du commencement
juſqu'à la fin un fond très- riche d'inftruction.
C'eſt une excellente acquiſition pour
la jeuneſſe à laquelle on ne doit préſenter
d'abord qu'un choix bien raiſonné d'événemens
& point du tout un corps ſuivi
d'hiſtoire . Tout l'art des tranfitions ne
•ſauve pas de l'ennui que font néceſſairement
éprouver les ouvrages d'une certaine
étendue. On s'amuſe toujours au contraire
beaucoup à voir des cadres légers où les
révolutions font peintes en raccourci .
Piéces détachées ou Recueil de jolis contes
. A Londres ; & à Paris , chez Delalain
, libraire , rue & à côté de la Co.
médie Françoiſe,
Les piéces que contient ce recueil font
au nombre de cinq , ce ſont des contes
intitulés les Oraiſons d'Hylas , l'Homme
ruiné , le Placet ,le Galant malheureux ,
l'Inconstance ; nous n'avons rien à dire
fur ces contes. Puiſque l'auteur ou l'édi
teur aſſure qu'ils font jolis , il faut l'en
142 MERCURE DE FRANCE.
:
croire ſur ſa parole & le Public en jus
gera.
Observationsfur la Phyſique , fur l'Histoire
naturelle &fur les Arts , avec des
Planches en taille- douce, dédiées à Mgr
le Comte d'Artois , par M. l'Abbé
Rozier , de l'académie royale de Villefranche
, de la ſociété impériale de
phyſique &de botanique de Florence ,
de la ſociété économique de Berne ,
des ſociétés royales d'agriculture de
Lyon , de Limoges , d'Orléans ; ancien
directeur de l'école royale de médecine
vétérinairede Lyon .
Proposées par ſouſcription .
Le Public éclairé verra avec plaifir
l'ouvrage périodique de M. l'Abbé Rozier
, dont les travaux ont toujours tendu
à l'utilité publique.
Son but eſt de faire connoître les ouvrages
de phyſique , d'hiſtoire naturelle ,
d'agriculture , de médecine , de chymie ,
des arts & métiers qui paroîtront en France;
mais il s'occupera plus particulierement
de ceux qui feront écrits en langues
étrangeres. Une correſpondancetrès- étendue
lui facilite les moyens de donner un
ouvrage , dontnous manquions,&qui eft
:
JUILLET. 1771 . 143
néceſſaire pour le progrès des ſciences ;
de forte que ce fera moins un journal
qu'un recueil intéreſſant des découvertes
en phyſique , hiſtoire naturelle , &c. qui
ſe feront dans les contrées ſçavantes de
l'Europe. Ce livre renfermera desgravures
utiles pour l'intelligence des matieres .
Il en paroîtra unvolume tous les mois.)
Le prix de la ſouſcription eſt de 30 liv .
pour Paris , & de 36 liv. pour la province,
francdeport.
On s'abonne à Paris , chez l'auteur, rue
StHonoré , maiſon de M. Guiflain , près
la rued'Orléans ; & chez Lejay , libraire
rue St Jacques .
La fauſſe Statue , comédie en un acte ;
par M. le Chevalier de Laurés. AParis
, chez Lejay , libraire , rue St Jacques
, au grand Corneille.
Cette piéce a été repréſentée à Berny ,
pour l'amusement de S. A. S. Mgr le
Comte de Clermont , Prince du Sang.
Le théâtre repréſente un boſquet des jardins
d'Idamas , où eſt une ſtatue de l'Amour.
Aglaé , fille de Timon le Miſantrope
, tenant des tablettes , lit ces vers,
Fuyons l'Amour , dans ſon empire ,
Si Zéphire
144 MERCURE DE FRANCE.
Fait éclore des fleurs ;
Bientôt l'orage
Les ravage
Et fait couler nos pleurs .
Mais que ces paroles s'accordent peu
avec les ſentimens qu'elle éprouve à la
vue d'une ſtatue de l'Amour. Elle la contemple
fans ceſſe. Zélie , ſa jeune amie ,
lui en marque ſon étonnement. « J'ai de
>>la peine , lui répond Aglaé , à concilier
>>les effets terribles qu'on lui attribue ,
» avec ces traits naïfs , cet air tendre, en.
>> gageant & cet âge qui eſt celui de l'in-
>>>nocence : il eſt vrai que ſes mains font
>> armées de fléches ; mais quel mal peu-
>> vent- elles faire lancées par des bras fi
>> foibles? :
» ZÉLIE . Voilà des ſentimens auxquels
>> je ne m'attendois pas , & qui m'annon-
>>cent que la fille de Timon commence à
» dépouiller cette haine contre les hom-
» mes qu'il a tâché de lui inſpirer , &
>> dont elle ſembloit avoir hérité.
>>AGLAÉ . Tu es bien dans l'erreur , je
>> t'aſſure : quoique je ne puitſe compren-
>> dre qu'un enfant ſoit ſi redoutable , je
>> ne m'en défie pas moins . Je me rappele
>> ſans ceſſe les recits effrayans que l'on
» m'a
JUILLET. 1771 145
m'a faitsde la perfidie des hommes ,
&je fuis bien décidée à ne jamais me
-priver du bien inestimable de la liberté.
Mais cette liberté lui ſera bientôt ravie
par lejeune Phaïs, frere de Zélie. Cec
amant, de concert avec ſa ſoeur & avec
Idamas, tuteur d'Aglaé , s'eſt déguiſé en
ſtatued'Endimion pour mieux ſurprendre
le coeur de cette jeune Athénienne dont
il n'eſt point connu. La fable nous dit que
Pigmalion parvint à animer l'ouvrage
fortide fon ciſeau& à le rendre ſenſible;
mais ici c'eſt une ſtatue , du moins aux
yeux d'Aglaé , qui donne une nouvelle
ame à cette fille de Timon & fait naître
dans ce coeur naïf & pur les premieres
étincelles de l'amour. Le nouvel Endimion
s'eſt placé ſur un pied-d'eſtal. Aglać
qui ſe promene , tenant un nid d'oiſeaux,
ne l'apperçoit point encore. « J'ai trouvé
➡ce nidde tourterelles , ſe dit-elle à elle-
» même , je vais le placer ſous les ailes
>> de l'amour : ce n'eſt point pour elles ,
>> hélas ! ce n'est que pour nous qu'il eſt à
>>craindre; il leur prodigue ſes faveurs.
>> La liberté du choix , un penchant mu-
>> tuel , une égale & conſtante tendreſſe
>> leur font ignorer les maux auxquels
I. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE .
>> nous sommes toujours expoſées. (Ap-
» percevant la Statue. ) Que vois-je ! une
> nouvelle Statue? Par quelhafard eſt-elle
>>ici ? Ce ſera Idamas qui aura voulu me
>> donnerie plaiſirde la ſurpriſe.Mais pour-
» quoi a-t il choiſi l'image d'un de ces en-
>> nemisde mon ſexe ?. Que l'art eft ingé.
>> nieux ... Mais ſansdoute que cet objet eft
>> flatté,jamais riende ſi beau ne s'eſt offert
» à ma vue ... Plus je compare cette ftatue
» avec celle de l'amour,plusje ſuis frappée
» de leur différence. Celle-là n'a qu'une
>> expreffion , encore eſt elle bien impar-
>> faite ; quel feu dans les traits de celle-
>> ci , quel ſentiment ! quelle variété ! c'eſt
>> l'incarnat , c'eſt la fraîcheur , c'eſt le
>> fouffle de la nature.. Quelle Hame
>brille dans ſes yeux ! ( Aglaé marche )
» Ses regards ſemblent me ſuivre. Quelle
...
eſt donc cette Statue ! .. Elle m'étonne ..
» Je ne ſais quel intérét... Je devrois
>> peut - être par prudence... Mais non ,
»ma crainte eſt ridicule ; je puis ſans
danger me livrer au plaifir de la voir.
» Je veux l'embellir encore de mes mains;
» Je vais cueillir des fleurs pour en orner
la belle ſtatue. >>
Pendant cet intervalle Phaïs eſt defsendude
ſon pied-d'eſtal, Aglaé revient:
1
JUILLET. 1771. 147
elle ne voit plus ſa chere ſtatue. Quelle
main jalouſe la lui a enlevée. Elle la cherche
de boſquets en boſquets. Zélie , ſa
jeune amie, feint de la chercher avec elle .
Phaïs s'eſt remis ſur le pied d'eſtal. « Ah!
» jela revois , je reſpire... s'écrie Aglaé..
» O Zélie , que tu m'es chere ! je ne m'ex-
>> poſerai plus au même malheur , je ne
>> la perdrai pas de vue... Dans quel
» étonnement elle me jette ! à chaque
> inſtant elle paroît s'embellir ; on ditoit
>> qu'elle m'entend , qu'elle veut me ré-
>> pondre ; il ſemble que la joie éclate fur
>>ſon viſage , que ſes regards s'enflament,
s'attendriffent... Avançons ; admirons
de plus près ce chef- d'oeuvre de l'art ..
» O Ciel ! quelle voix ſecrette m'arrête !
>> Je deſire & je crains d'en approcher...
» D'où naît donc cet intérêt ſi preſlant ,
>> ce trouble inconnu , ce deſir inquiet
» qui m'agite & m'alarme ? Ah! Timon,
>> vous ne me trompiez pas ; les hommes
>> doivent être bien dangereux , puiſque
>> leur image ſeule fait tant d'impreflion
>> fur mon ame... N'importe , ornons- la
>> de cette guirlande. Que ne puis-je auſſi
>> lui donner la vie ! (Elle s'avance. ) Ma
>> main tremble ; mon coeur eſt dans une
> agitation ! Malheureuſe Aglaé ,peux-tu
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
>> te diffimuler ta foibleſſe inſenſée ! C
Pigmalion , j'éprouve tes feux : tu te
> venges , Amour; mais ferois-tu inexo-
» rable. » (Apeine Aglaé a paſſé la guirlande
dans les bras de la statue , qu'elle
commence à s'animer : Aglaé recule toute
effrayée en s'écriant ) " Ah ! quel prodige!
l'amour m'auroit il entendue ! elle s'a-
>> nime; le plaifir éclate dans ſes yeux ;
>> elle metend les bras; elle marche ; elle
>>vient à moi. »
Ceci donne lieu à pluſieurs fituations
fort naïves ; mais l'on conçoit que ces
fituations , telles que M. le Chevalier de
Laurès les a repréſentées, demandent pour
produire leur effet à la ſimple lecture, que
Pon ſe prête un peu à l'illuſion , & que
l'on ſe figure ce que le jeu d'un acteur
ſenſible & intelligent peut ajouter au
modèle polé par l'auteur dramatique. Ce
pétit drame cependant plairadans le filen.
ce du cabinet , parce qu'il eſt écrit avec
pureté , avec élégance , & qu'il eſt rempli
de ces traits qui peignent un cooeur ſimple,
ingenu ,& qui n'eſt pas encore fouillé de
ce vernis d'hypocrifie que l'on contracte
dans la fociété.
JUILLET. 177171.149 149,
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
Je metrouve cité , Monfieur , je ne ſçais pourquoidans
une lettre écrite à M. Paliflot quivient
dela publier.
<<Je l'ai fait lire ( dit l'écrivain , en parlant de
>> la Dunciade ) à pluſieurs gens de lettres , àM. le
>>M>arquis de Ximenez entre autres qui n'eſt pas
>>des plus aiſés & qui en eſt enchanté. Ce terme
>> n'eſt pas trop fort,
Il importe peu au Publicde ſavoir fi laDunciade
m'enchante ou m'ennuie ; mais il m'importe
que pluſieurs écrivains que j'honore & que j'aime
fachentqueje fuis loin d'applaudir aux traits malins
dont on a voulu les percer; que je n'ai prétendu
approuver aucun des jugemens portés par
M. Paliffor , &que Boileau même me paroît inex
cuſable d'avoir déſolé des écrivains qui ne l'avoient
point offenté.
J'ai thonneur d'être , &c.
Le Marquis DE XIMENEZ,
AParis, ce 16 Juin 1771.
!
:
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
OPÉRA.
1
L'ACADÉMIE royale de mufique a donné,
le mardi 18 Juin , la premiere repréſentation
des FRAGMENS , compoſés du
Prologue de Dardanus , paroles de la
Bruere , muſique de Rameau , de l'acte
d'Alphée & Arethuse , paroles de Dancher
avec quelques changemens, muſique
de M. d'Auvergne , furintendant de la
muſique du Roi & directeur de l'académie
royale; & de la Fête de Flore , paftorale
en un acte repréſentée pour la premiere
fois devant Sa Majesté à Fontainebleau
, le 15 Novembre dernier , paroles
de M. de St Marc , muſique de M. Trial,
directeur de l'académie royale&de lamuſique
de S. A.S. Mgr le Prince de Conti .
Le Prologue de Dardanus préſente le
tableau allégorique de l'Amour , de ſes
peines& de ſes plaiſirs. Les plaiſirs font
inquiétés par la jaloufie. L'Amour &Vénus
veulent enchaîner les troubles , les
ſoupçons ; mais auſſi tôt les plaiſirs languiffent
, & l'Amour s'endort. Vénus rappele
la jalouſie&ſa ſuite comme néceſſaires
à ſon empire. Elle leur dit :
I
JUILLET. 1771. 191
Troubles cruels , ſoupçons injurieux ,
Vous , que l'orgueil nourrit , que le caprice guide,
Qui rendez & l'amant & l'amour odieux ,
Devenez une ardeur délicate &timide
Dont le reſpect épure & modère les feux :
Inſpirés par l'amour , guidés par ſa lumiere ,
N'entrez dans les coeurs amoureux
Que pour y reveiller l'empreſſement ddeeplaite:
:
10
Les rôles de Vénus & de l'Amour ont
été chantés par Mlles Duranci & Châ
teauneuf , & celui de la Jalouſie par M.
Caſſaignade. Le balet , de la compoſition
de M. d'Auberval , eſt très - ingénieuſement
lié à l'action ,& a été bien reçu du
Public. 115
L'acte d'Alphée & Aréthuſe étoit déjà
connu avantageuſement par la belle
expreſſion de la muſique. Aréthuſe ,
nymphe de Diane , a été conduite par
cette déeffe dans un palais de Neptune
pour la ſouſtraire aux pourſuites d'Alphée
, jeune chaſſeur ; mais le dieu des
mers célèbre la naiſſance de Vénus qui
vient elle même embellir la fête. Alphée
paroît ſous les auſpices de l'Amour ; Aréthuſe
veut en vain réſiſter aux charmes
de ce dieu ; Vénus la ſoumet à ſa puiſſance.
Neptune àArethuse :
I
Giv
MERCURE DE FRANCE.
Embellifiez déſormais ce léjour
Qu'Alphée , ainſi que vous , prenne rang à ma
couri
Le deſtin vous rend immortelle.
D'une gloire fibelle
Il fait part à l'amant charmé de vos attraits.
En vous faiſant vivre à jamais ,
Il veut que vous brûliez d'une flame éternelle.
1
Les deux principaux rôles , celui d'Aréthuſe
& celui d'Alphée ont été rendus&
chantés avec cette ame ſenſible , cet inté
rêt vif & cette belle expreſſion qui carac
tériſent le jeu & les talens de Mile Arnould
& de M. l'Arrivée, M. Durand ,
repréſentant Neptune , a reçu des ſpectateurs
les témoignages de ſatisfaction que
méritent la beauté de ſon organe & fa
maniere de chanter. Mile Dupuis a été
bien accueillie dans le rôle de Vénus. M.
Gardel , auteur du balet de cet acte , a mis
dans ſa compoſition la nobleſſe & les graces
convevables pour une fête de Vénus
&de Neptune. Il a coupé le divertiſſement
avec autant d'eſprit que d'agrément ,
Les entrées de cet habile danſeur ont eu
le ſuccès dû à la préciſion , à la fierté &
l'élégance de ſon exécution .
M. Simonin& Mlle Duperex ont été
;
JUILLET771153
fort applaudis dans leur pas de deux.
La Fête de Flore eſt le début de M. de
St Marc dans le genre lyrique. On verra
inceſſamment pluſieurs opéra de cet auteur
, entr'autres Adel de Ponthieux, balet
héroïque en trois actes on il rappele
& met ſous les yeux les uſages, les moeurs
&la pompe galante de l'ancienne chevalerie.
La fable de la fête de Flore eſt ſimple &
ingénieuſe . Cephise , jeune bergere coquette
, ſe plaît à donner de la jaloufie&
à troubler les plaiſirs des amans . Elle
peint fon caractere dans ces vers qui commencent
la paſtorale.
Amour , amour , prête-moi tous tes charmes ,
Lance par moi tes traits vainqueurs ,
Sans éprouver ton trouble & tes vives alarmes
Queje les porte au fond des coeurs.
Avecplusd'art l'heureuſe indifférence
Uſedes moyensde charmer :
C'eſt pourmieux ſentir ta puiſſance
Que je ne veux jamais aimer.
Cette bergere dérange les guirlandes
offertes à l'Amour ; elle unit fa guirlande
avec celle d'Hylas , amant d'Eucharis , &
celle d'Eucharis avec la guirlande de
Daphnis qu'Eucharis n'aime pas . On cé-
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
lèbre la fête de Flore. Le Choeur chante
ces vers :
Rivale de la jeune Aurore,
Fille riante du Printems ,
Reçois de nous , charmante Flore,
L'hommage pur de tes prélens.
Il n'eſt point de plus doux encens
Que les fleurs que tu fais éclore.
EUCHARIS , Prétreſſe de Flore.
Un Dieubienfaiſant
Forma la nature :
La terre , en naiſſant,
Tedût ſa parure.
L'amant de Thétis ,
Au ſortir de l'onde ,
Eclaire le monde
Et tu l'embellis.
Eucharis eſt alarmée de voir la gairlande
d'Hylas jointe à celle d'une autre
bergere. Céphiſe profite de cet inſtanc
pour la rendre volage. Elle lui dit :
De la fleur la plusbelle
Voyez le deſtin.
Chaque matin.,
Une roſe nouvelle
Pare notre ſein..
Le plaiſir , comme elle
JUILLET. 1771 155
:
:
Augrédes amours ,
Change tous les jours
De ce bien ſuprême-
Sachons- nous ſaiſir 3
201
!
Qu'importe qu'il ſoit le même ,
Si c'eſt un plaifir.
EUCHARIS.
L'amour léger & volage .
N'a que de trompeurs attraits
Pour plaire aux coeurs qu'il engage
Du bonheur il offre l'image ,
Mais ne le donne jamais.
A
1
D
Cephiſe veut engager également Hy.
las à changer. Les deux amans trompés
par les refus de Cephiſe ſe reprochent
leur inconſtance mutuelle. Mais Flore
defcend dans ſon char , diſſipe leur erreur
, & ranime leur amour. Cet acte
ſe termine par la fête à l'honneur de
Flore . M. de St. Marca le fentiment &
lefaire d'une počſie douce ,facile & proprealamuſique.
M. Trial , déja connu par
d'autres ſuccès ( 1 ) , n'a rien eu à defirer
fur la réuſſite de cette paftorale , qui a été
4
(1) Ce muſicien eftimable par ſon bon eſprit autant
que par ſes talens , vient d'être enlevé par
unemort ſubite le 24 Juin.
F111 L
MERCURE DE FRANCE.
univerſellement applaudie. Sa muſique
eft d'un ſtyle naif & qui lui est particulier.
Il joint à cet avantage ungénie chaud
&fécond,que le goût dirige d'une manière
toujours agréable. On a loué dans la partiedu
chant des airs dont les motifs font
ingénieux , & d'une modulation charmante.
On a remarqué une belle déclamation
dans le récitatif , de grands effets
d'harmonie dans les choeurs , & une
agréable variété qui fait heuqeufement
contraſter les ſcènes , & qui marie l'intérêt
de l'action avec la vivacité & la galanterie
des divertiſſemens .
Le rôle de Flore a été bien chanté
par Mile Châteauneuf. On a applaudi
Mlle Beaumefnil dans celui d'Eucharis .
Madame Larrivée qui porte à la perfection
l'art du chant , & dont l'organe eft
f brillant ; a rendu le rôle de Cephiſe
avec autant de goût que d'agrément. Le
rôle d'Hylas , berger amant d'Eucharis ,
a mérité à M. Legros des applaudiffemens
réitérés , principalement dans une
arriette accompagnée du cor-de chaffe
par M. Rodolphe , qui s'étant retiré de
l'Opéra depuis quelque temps , a bien
voulu dans cette occafion donner àM.
Trial une marque d'amitié , que le public
partageavecdélices .
JUILLET. 1771. 157
Les deux diverriſſemens de cette paf
torale ſont de la compoſition de M.
Veftris pour la partie des Bergers , & de
M.Dauberval pour celledes Patres. Soit
que le zèle & l'amitié aient ajouté à la
fupériorité de leurs talens , foit que les
airs de danſe qui ſont peut- être la partie
où M. Trial excelle , leur aient donné les
moyens de ſe ſurpaſſer , on peut dire
quedepuislong-temps on n'avu un balet
compofé & exécuté avec plus de chaleur
&de variété. Rien de ſi agréable que le
pas de deux, danſé par M. Veſtris &
Mlle Guimard au premier divertiſſement.
M. Dauberval qui depuis fix mois
n'avoit pas danſé fur ce théâtre ,a été
reçu avec des applaudiſſemens qui ne doivent
lui laiſſer aucun doute ſur le ſentimentdu
public enchanté de ſes talens. It
fuffit de dire que Miles Allard& Pellin
danfent dans ce ballet , pour leur tenir
lieu du plus grand éloge.
M. Beauvalet , jeune homme âgé de
18 ans , a débuté il y a environ deux
mois , par des airs de baſſe-taille. Il a
Porgane agréable & facile ; & l'on a remarqué
depuis, dans les rôles qui lui ont
été confiés , des progrès dans l'art du
chant ,& de l'intelligencedans le jeu de
la ſcène.
I158 MERCURE DE FRANCE.
Mlle Thetelet , danſeuſe de l'Opéra
de Londres , étant venue à Paris pour
prendre des leçons de M. Gardel , a débuté
avec beaucoup de ſuccès danslesairs
que danſoit Mlle Aſſelin dans l'acte de
la Vue.
COMÉDIE FRANÇOISE.
:
LES Comédiens François ont donné le
famedi 8 Juin , la premiere repréſentation
de la repriſe du Marchandde Smyrne
, comédie charmante en un acte , de
M. Champfort , dans laquelle M. Preville
joue avecautant de fineſſe que de vérité.
Le mercredi onze Juin , on a joué
Nicomede , tragédie de Corneille , remiſe
au théâtre. « Cette piece , dit Monſieur
de Voltaire , eſt peut - être une des .
plus fortes preuves du génie de Corneille
, & l'on ne doit pas être étonné de l'affection
qu'il avoit pour elle. Mais ce
gente de tragédie ne ſe ſoutenant point
par un ſujet pathétique , par de grands
tableaux , par les fureurs des paflions ,
l'auteur ne peut qu'exciter un ſentiment
d'admiration pour le héros de la pièce.
JUILLET. 1771. 1 و 5
L'admiration n'émeut guères l'ame , ne la
trouble point. C'eſt de tous les ſentimens
celui qui ſe refroidit le plutôt. Le caractere
de Nicoméde avec une intrigue terrible
, telle que celle de Rodogune , eût
été un chef-d'oeuvre. >>
Si quelqu'acteur pouvoit donner de
l'éclar au rôle de Nicomede , c'eſt M. le
Kain qui a fait reſſortir par ſon jeu les
traits de ce caractere , qui a donné de la
dignité au langage preſque toujours ironique
de Nicoméde , qui a mis de la chaleur
dans ſon indignation , & une forte
de nobleſle dans ſon mépris . Cet acteur
a été applaudi avec tranſport dans ce rôle
qui met le ſceau à ſa réputation .Mde Veftris
s'eſt diſtinguée dans le rôle de Laodice.
On a donné aufli des éloges à Mlle
Sainval dans le rôle d'Arſinoé. M. Da-
Hinval a repréſenté Pruſias ; M. Dauberval
, Flaminius , & M. Montvel , Attale.
COMÉDIE ITALIENNE.
;
LES Comédiens. Italiens ordinaires du
Roi ont donné fur leur théâtre le lundi
17 Juin , la première repréſentation de la
Buona Figliuola , opéra comique en troi
160 MERCURE DE FRANCE.
actes , parodie françoiſe ſur la muſique.
du célèbre Piccini .
Avant la première repréſentation de
cet opéra comique , M. Carlin qui avoit
joué ſon rôle d'Arlequin dans une pièce
Italienne , vint annoncer fuivant l'uſage.
Puis reſtant ſur le théâtre d'un air inquiet ,
& regardant autour de lui avec beaucoup
de myſtère , il fit des lazzi qui exciterent
les ris & la curioſité , & fixerent l'attention
des ſpectateurs. Enſuite s'avançant
ſur le bord de la ſcène , & s'inclinant
vers le parterre , il lui dit en grande
confidence ſon ſecret à-peu-près de cette
manière.
:
Meſſieurs ..... on va vous donner la
Buona Figliuola , ou la Bonne Enfant....
Mes camarades veulent vous perfuader
que c'eſt une pièce nouvelle... N'en croyez
rien . Je ne veux pas qu'on vous trompe.-
Je ſuis trop honnête.-Il y a dix
ans que la pièce eſt faite...- Bon ... Elle
acouru l'Italie , l'Allemagne , l'Angleteare...
Elle y a été courue qui plus eft...
Peſte ! je le crois bien... Une Bonne Enfant
eſt quelque choſe de ſi rare ! ... Vous
* vous appercevrez ſans doute qu'elle a un
airde phiſionomie avecNanine... Je fais
bien pourquoi... Elles ſont ſoeurs... Elles
ne font pas du même pere... mais.de.la
JUILLET. 1771. 161
même mere... Elles deſcendent en droite
ligne de cette Madame Pamela qui a faic
tant de bruit.
Encore un mot , Meſſieurs... (je crains
toujours d'être furpris parmes camarades)
La Buona Figliuola eſt Italienne... Vous
fui trouverez un maintien... une démar
che étrangere...Ne faites pas ſemblantde
vous en appercevoir... vous la déconcertériez.....
D'ailleurs , nous avons été
obligés de ne faire que bien peu de chan
gemens à fa marche ; exprès pour vous
ménager le plaiſir de la voir aller en ca
dence fur une muſique qui a été faite
exprès pour elle : Eh ! quelle muſique 3
Sanguidemi! Pourmoije la trouve bonne ,
ſi vous êtes de mon avis , elle fera excellente.
M. Carlin , qui met tantde fineſſe &
de naturel dans ſon jeu , ſemble s'être
furpaflépar la manière ingénieuſe&vraie
dont il a fait ce récit , qui devenoit néceffaire
pour prévenir les ſpectateurs de
la reffemblancede la Buona Figluola aveć
Nanine , & les autres pièces imitées du
roman de Pamela .
:
Cette confidence débitée avec beaucoup
de gaîté & de naïveté , fut très- applaudie
, & prépara les ſpectateurs à
162 MERCURE DE FRANCE.
écouter cet opéra comique , dont voici
le ſujet.
• Roſette jeune orpheline , abandonnée
par ſes parens , eſt élevée dans la maifon
d'une Comteſſe , fiere de ſa noblefſe.
Elle s'occupe du ſoin de cultiver des
fleurs ; Simonin , jardinier , amoureux
de Roſette , la préfére aux autres filles
du village , à Annette & àMarton , femme
- de chambre de la Comteſſe , qui
le recherchent pour mari. Roſette apprend
à Simonin qu'elle ne peut lui offrir
que l'amitié que ſes foeurs & fes parens
ent pour lui . Roſette aime en ſecret le
Marquis , neveu de la Comteſſe , qui eſt
lui-même épris de ſes appas , de ſes ſentimens&
de ſes vertus. Il n'oſe lui déclarer
ſa paſſion. Il en fait confidence à Annette,
eſpérant qu'elle en parlera bientôt à
Roſette. La Comteſſe ſurprend ſon neveu
avec la jeunejardinière . Annette , jalouſe
de ſa rivale , lui donne des ſoupçons , &
l'anime contre l'orpheline. La Comteffe
veut la renvoyer : Roſette en pleurs lui
dit:
Une fille délaillée
Sans parens , ſans protecteur ;
Eſtmaltraitée,
Eſt rejettée :
4
JUILLET. 1771. 163
Ah! c'eſt tropde rigueur .
Vous déchirez mon ame ;
Mais , Madame ,
Je m'éloignerai d'ici
Puiſque vous l'ordonnez ainſi.
La malheureuſe Roferte ,
Toute en larmes , toute inquiéte,
Pourra trouver quelqu'appui.
, Oui , Roſette ,
Le Ciel eſt le protecteur
De l'innocence & de l'honneur.
La Comtelle attendrie , prend la réſolution
ſecrette de mettre la jeune orpheline
dans un couvent. Annette & Marton
ſe félicitent de ſa diſgrace , & viennent
lui en marquer leur joie . Simonin veut la
conſoler , mais les deux rivales l'indiſpoſent
contre elle , en lui apprenant les
amours du Marquis ; ce dernier ſurvient
& la prend ſous ſa protection. Annette &
Marton parviennent encore à l'animer
contre elle , en lui diſant qu'elle vouloit
fuir avec Simonin. Roſette ne peut ſe
justifier , & ne fait que ſe plaindre du fort
affreux qui la pourfuit.
Cette ſcène eſt en chant & dialoguée.
Elle termine le premier acte .
Le Marquis ſe reproche d'avoir ajouté
164 MERCURE DE FRANCE.
foi aux diſcours de deux femmesjalouſes.
Cependant Simonin, armé d'une faucille,
a enlevé Roſette des mains de ſes raviffeurs&
la ramene. Il s'écarte un moment.
Roſette , effrayée , ſe laiſſe aller dans les
bras du Marquis qui l'emmene. Simonin
ſe déſole de ſe voir ravirſa maîtreffe ,&
veut ſe tuer. Arrive à propos Taille-fer ,
foldat Suiſſe , qui l'arrête , &lui propoſe
de venir à la guerre ,dont il lui fait cette
defcription.
L'y afoir tambour , l'y afoir trompettes;
L'y afoir guittare & clarinettes ;
L'y afoir beaucoup aſlez d'inſtrumens :
Etpuis filles beaucoup charmans ,
1
Segliſſir la nuit dans le camp.
L'ennemi l'y être loin... trinque-vin,
Payſan.
L'ennemi l'y être plus proche :
Tout bas , toutbas , on s'approche
Pour le bien frottir.
Vainqueurs ! nous l'ame contente ,
Retournir deſſous la tente
Pour trainquir
Etpourdanfir
:
}
;
1
JUILLET. 1771. 165
Lir, lir, lir, lic.
Laguerre eſt un grand plaiſir. 1
:
Taille-fer demande des nouvellesd'une
fillette qui a nom Wilhelmine , qui a été
laiſſée toute jeune à un payſan ,& Roſette
eſt cette Wilhelmine. Simonin court la
chercher. Annette &Matton , entendant
du bruit dans le ſalon , y regardent par le
trou de la ferrure ; elles apperçoivent Ro.
fette&le Marquis. Elles ſe retirent. Le
Marquis lui jute amour & reſpect. Tail-
Jefer raconte au Marquis que ſon colonel
paſſant, ily a environ quinze ans , avec ſa
femme & un enfant très- malade , eut une
diſpute avec un officier,dont il ſe vengea,
& qu'étant obligé de fuir il laiſſa ſon enfant
chez un payſan; que ſon colonel n'eſt
de retour en France que depuis peu de
jours , & qu'il cherche ſa fille de tout côté
; enfin que fon colonel eſt dans la terre
voiſine du marquis deSt Preux. Le Marquis
ſe réjouit de voir une illuſtre origine
à ſa maîtreſle. Roſette , ignorant encore
ſon bonheur , ſe laiſſe aller à ſa douleur
& au fommeil. Taillefer l'admire. Annette
& Marton croient que c'eſt un
amant ; à leurs cris Rofette, ſe reveille
effrayée. Taillefer eſſaie en vain de les
166 MERCURE DE FRANCE .
faire taire . Le Marquis ſurvient. Les deux
femmes jaloutes veulent encore lui donner
des foupçons. Roſette ſe juſtifie. Le
Marquis, inſtruit, ſe mocque d'Annette &
de Marton. Il en témoigne plus d'amour
à Roſette. Cette derniere ſcène de ce ſecond
acte eſt en chant & dialoguée.
Le colonel, pere de Roſette , ne ſe fait
pas d'abord connoître en venant voir ſa
fille , pour mieux ſe convaincre des ſentimens
que le Marquis a pour elle. Simoninpromet
d'épouſer Annette par défefpoir
, s'il ne peut obtenir Roſette. La coquette
accepte toujours , ſaufà ſe venger
quand elle ſera mariée. Taillefer fait au
Marquis l'éloge de ſon colonel , pere de
Roſette. LeMarquis ne peut plus cacher
ſa joie en voyant Roſette ; il lui fait part
de fon mariage avec la belle Wilhelmine :
Roſette , ignorant encore fon nom , laiſſe
échaper ſa douleur & fon amour devant
ſon amant qui l'en aime davantage , &
qui ne lui fait plus myſtere de ſa naiffance
& de ſa paſſion. Roſette y répondavec
tendreſſe. Le colonel reconnoît
ſa fille & l'embraſſe. Il fait le bonheur
des amans. La Comteſſe applaudit
auſſi aux inclinations de ſon neveu,depuis
que Roſette eſt fille de qualité.
JUILLET. 1771. 167
Cette comédie a été arrangée par M.
Cailhava d'Eſtandoux pour les paroles , &
par M. Baccelli , compoſiteur italien
- pour la muſique. Elle a du ſuccès &
le mieux mérité, La ſcène eſt intéreffanre;
il y a des ſituations heureuſes & d'un
bon comique. La muſique de M. Piccini
eſt ſur - tout admirable dans toutes les
formes qu'elle prend pour exprimer la
paffion & le ſentiment , pour parler le
langage du coeur, & de ſes différentes affections
, pour peindre à l'imagination&
pour ſaiſir toujours la nature dans ſes effets.
Quelle nobleſſe d'expreſſion dans la
maniere dont le muſicien rend ce trait;
Le Ciel eſt le protecteur
De l'innocence &de l'honneur,
Comme les motifs de ſon chant , pref
que toujours pris de la déclamation , font
justes , heureux , dialogués avec art &
foutenus avec économie par des accom.
pagnemens qui ajoutent à l'expreſſion , &.
la fortifient ſans la détourner ni la découper.
C'eſt un enſemble parfait où toutes
les parties ſont à leur place & jouent leur
rôle ſans jamais s'en écarter. Un tel chefd'oeuvre
rend raiſon de l'eſtime que les
168 MERCURE DE FRANCE.
ames ſenſibles de toutes les nations lui
donnent , & c'eſt un excellent modèle
pournos jeunes compoſiteurs .
Le rôlede Roſette a été ſupérieurement
joué & chanté par Madame la Ruette ,
dont l'organe eſt ſi flatteur &le ſentiment
ſi délicat. Celui du Marquis a fait honneur
à M. Julien , qui a développé ſesta.
lens pour la ſcène & qui met beaucoup
d'ame , d'adreſſe & de goût dans fon
chant. Il a d'ailleurs un organe flexible
&brillant qui ſe prête aisément aux fonpleſſes
de la muſique italienne. M. la
Ruette a mis dans le rôle du foldat Suiffe
le feu , l'expreſſion & l'intelligence qui
caractériſent ſes talens. Les autres rôles
ont été remplis avec ſuccès; ſçavoir , l'officier
Suiffe , par M. Suin ; Simonin , par
M. Nainville ; la Comteſſe , par Mile
Deſglands ; Annette , par Mlle Menard ,
&Marton , par Mde Moulinghen . *
* Cette Comédie est imprimée&sevendà Paris,
chezDidot l'ainé ,libraire & imprimeur , rue Pavée
près du quai des Auguſtins; prix , 30 fols.
L'auteury ajoint un extrait de lapièce italienne
deM. Goldoni,& les raisonsdes changemens qu'il
ACADÉMIES.
JUILLET. 1771. 169:
ACADÉMIES.
I.
Séance publique de la Société littéraire
d'Arras , tenue le 13 Avril 1771 .
CETTE léance commença par la lecture,
que fit le ſecrétaire , d'un mémoire de
M. le Marquis de Béthune Heſdigneul ,
directeur en exercice alors abſent , à qui
le Roi vient d'accorder un guidon dans la
compagnie des Gendarmes de ſa Garde.
Le mémoire dont il s'agit roule ſur l'origine
& les prérogatives de la charge de
Maréchal de France , & doit ſervir de
préface à un recueil hiſtorique de tous
ceux qui , juſqu'à préſent , ſont parvenus
à cette dignité. M. l'Abbé Breuvart , profelſeur
de rhétorique au collège d'Arras ,
chancelier de la ſociété, lut enfuite une
explication du Pſeaume VIII , Domine ,
Dominus nofter, quàm admirabile eft, &c.
ſelon les règles de la poëſie lyrique. A ce
morceau fuccéda une diſſertation de M..
Denis le jeune , avocat , dans laquelle il
prouve , contre beaucoup d'écrivains , que
Artois n'a pas été érigé en comté l'an
I. Vol. Ң
:
170 MERCURE DE FRANCE.
1195 par Philippe-Auguſte en faveur de
fon fils Louis VIII , ni l'an 1237 par St
Louis en faveur de Robert ler ſon frère,
M. l'Abbé de la Borere , principal du collége
, lut un éloge funèbre de M. Anfart
de Mouy , inſpecteur - général du corps
royal de l'Artillerie , &c. l'un des aſſociés
ordinaires. Ce diſcours fort étendu fut di.
viſé en deux parties , où l'orateur montra
que M. de Mouy réuniſſoit toutes les
connoiſſances & les belles qualités relatives
à ſon état , & qu'il poſſédoit également
toutes les vertus du vrai citoyen,
M. le Comte de Couturelle , chevalier
de St Louis , aide major - général chargé
dudétail de l'armée françoiſe à la conquête
de Minorque , chambellan de S. A,
S. Electorale Palatine , recita un poëme
fur le même ſujer. M. l'Abbé Jacquemont
termina la ſéance par la lecture d'une idyl
le en proſe , intitulée le Juſte mourant,
II.
De la Rochelle,
L'académie royale des belles-lettres de
la Rochelle tint ſon aſſemblée publique
le 17 Avril dernier,
M. Arcère , fupérieur de l'Oratoire
JUILLET. 1771. 171
ouvtit la féance par des Obfervationsfur
l'origine des ufages & réglemens du commerce
actuel.
M. Delaire , négociant , lut des Reflexions
fur l'utilité des traductions.
M. de Fontanes , afſocié , donna lecture
d'une épître en vers d'un Vieillard à un
jeunehommequi ne veut rien faire pour la
Société.
M. Raoult , avocat , lut des Obfervations
de M. de Montaudouin , aſſocié fur
les Négres des Colonies .
M. de la Coſte , avocat , lut un dialogue
entre Henri IV , Moliere &Sulli,fur
laqueſtion de ſavoir : Quels hommes doivent
être choisis pourſujet des éloges historiques.
M. Bernonde Salins termina la ſéance
par la lecture d'un Héroïde tirée des Nuits
d'Young , envoyée à l'académie par un
jeunehommede quatorze ans.
III.
Prix de l'Académie de Chirurgie.
M. Houſtet , ancien directeur de l'académie
royale de chirurgie , & chargé de
l'inſpection des écoles , a fondé à perpétuité
quatre médailles d'or de cent livres
3
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
chacune , pour être diſtribuées annuellement
à quatre étudians qui , parmi les
vingt-quatre , nombre fixé par les lettrespatentes
du mois de Mai 1768 pour concourir,
auront le plus profité des exercices
&des inſtructions de l'école - pratique ,
établiſſementutile&patriotique relativement
àune étude qui a pour objet la ſanté
des citoyens. Ces médailles ont été adjugées
cette annéeà la rentrée des écoles aux
Srs Jean- Nicolas Gigot,de Notre-Dame,
diocèſe du Mans ; Simon-Claude de Lay-
-zé, de Paris; Philippe Radel , de Paris ,
& Pierre- Jofeph Cavalier , de Gourdon ,
diocèſe de Graffe.
On a accordé les quatre acceffit , qui
confiftent en quatre médailles d'argent ,
pareillement fondées par M. Houſter ;
ſavoir , les deux premieres aux Srs Joſeph
Margaillant , d'Eyguiere , diocèſe d'Avi .
gnon; Joſeph - Etienne Andravi , de Bareme
, diocèſe de Senès ; les deux autres
ont été tirées au fort entre les Sts Lafargue
, de Miclan , diocèse d'Auch ; Jean-
Paul Martin , de Marignane , diocèſe
d'Arles ; François Renaud , d'Ouroux ,
diocèſe d'Autun ; Barthelemi Bouffez ,de
Tethieu, diocèſe d'Acqs, leſquels avoient
eu égalité de ſuffrages ,& le fort a favo
JUILLET. 1771: 173
riſé les Sts Martin , de Marignane , diocèſe
d'Arles , & François Renaud d'Ouroux
, diocèſe d'Autun.
ARTS.
GÉOGRAPHIE.
I. 4
:
Description Géographique du Golfe de
Venise & de la Morée , avec des remarques
pour la navigation , & des cartes
& plans des côtes , villes , ports
&mouillages. Par M. Bellin , ingénieur
de la Marine , cenſeur- royal ,
de l'académie de Marine , &de la ſociété
royale de Londres.AParis , chez
l'auteur , rue du Doyenné , près Saint
Louis du Louvre ; & chez Didot ,
libraire imprimeur , rue Pavée , Quai
des Auguſtins. Prix , 15 liv. 12 fols
broché.
:
CET
ET ouvrage eſt en un volume in-40 .
très-bien exécuté. Les cartes &les plans ,
au nombre de cinquante , ont preſque
tous été levés ſur les lieux en différens
tems par des officiers des vaiſſeaux du
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
-
Roi , des ingénieurs , des pilotes & des
capitaines marchands .
Commecetouvrage intéreſſebeaucoвр
la marine & les officiers des vaiſſeauxdu
Roi , M. Bellin l'a dédié à M. de Boynes ,
ſecrétaire d'Etat , ayant le département
de la Marine.
Les événemens que la guerre entre
deux puiſſansEtats occaſione dans laMorée
,& ceux qu'on peut faire naître dans
le Golfe de Véniſe , doivent faire defirer
de connoître ces parages avec quelques
détails.Ceux qu'on ena eu juſqu'ici ſont
fort imparfaits & peu fidèles , principalement
pour les côtes de la Morée. M.
Bellin rend compte de ſon travail & des
fources où il a puiſé les connoiſſances qui
étoient néceffaires. Il ajoint aux deſcriptions
géographiques , des détails hiſtoriques
fur les principaux endroits . Lorfqu'il
parle d'une pays ou d'un ville, il fait
connoître leurs révolutions les plus remarquables
qui y font arrivées , leur état
actuel , les productions du pays & le commerce.
Comme ces contrées ont été célèbres
du tems des Grecs & des Romains ,
& que leurs hiſtoriens en ont beaucoup
parlé , il a joint les noms anciens aux
noms modernes , attention quen'ont pas
toujours eue les géographes , & qui ce-
:
i
JUILLET. 1771. 175
pendant eſt de la plus grande utilité pour
ceux qui font leurs études de l'hiſtoire&
de la géographie ..
, On conçoit cependant que l'auteur
malgré ſes recherches , n'a pu donner le
même détail & la même exactitude à
toutes les parties de ſon travail , auffi
dit il avec Horace :
..... Si quid noviſti rectius iftis ,
Candidus imperfi ; fi non , his utere mecum.
و
Ep. 6 , Liv. 1 .
I I.
Y
Nouvelle Carte de l'Inde lavée , par M. de
Bourſelle Ingénieur en chef dans
l'Inde , qui contient depuis le Cap Comorin
juſqu'à Paliacate au-deſſus de
Madras , avec le Royaume de Maduré,
de Marovale , Tangaore , Maynour
de Carnate , Trichenapaly , &c. &une
partie de l'liffe Ceylan,& auſſi 18 plans
exacts des places conſidérables, appartenantes
tant aux Indiens qu'aux Européens.
Cette carte eſt de la grandeur d'aigle :
les plans qui forment une bordure autour
la rendent trés - utile & très agréable.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
On y a joint deux plus petits , dont
une eſt le plan de la ville & rade du Cap
de Bonne- Eſpérance , & l'autre contient
les Ifles de Sainte Helene , partie de
l'Afcenfion , baye de Proy , dans l'Iſſe de
Saint Jago. Ces trois cartes enſemble
font du prix de 4 liv. 4 f. , & pour ceux
qui les deſireront ſéparément , celle de
l'Inde eſt de 3 liv. & les deux autres de
18 f. chacune . A Paris , chez Croiſey ,
graveur, marchand d'eſtampes & de Géographie
, rue Dauphine , à côté de la
rue d'Anjou , hôtel de Genlis , à la Minerve
.
GRAVURE.
Jeune Fillejouant avec un chien. Eſtampe
d'environ 16 pouces de haut , ſur 12
de large , gravée par Porporati , penſionnairede
S. M. le Roi de Sardaigne,
d'après le tableau original de J. B.
Greuze , peintre du Roi , chez lequel
elle ſe diſtribue , rue Thibautodé , la
première porte cochere à droite en
entrant par l'Arche-Marion.
Les graces de l'enfance font ici repréfentées
dans leur moment de naïveté le
JUILLET. 1771 177
plus heureux : c'eſt une jeune fille , qui ,
vêtue d'une ſimple camiſole & peu curieuſe
de ſa toilette , ne paroît occupée
que de ſon cher toutou. La tête de cet
enfant eſt tournée de façon qu'elle regarde
le ſpectateur ,& reçoit naturellement
la lumière. Les amateurs ſe rappelleront
d'avoir yu au ſalon du Louvre en
1769 ce tableau qui réuniſſoit dans ſes
différentes parties tout ce que l'on peut
imaginer de plus adroit&de plus féduifant
pour les tons de couleur. Le graveur
, inſpiré ſans doute par toutes les
beautés que ce tableau repréſente , s'eſt
efforcé de faire paſſer ſur le cuivre toutes
celles qui n'étoient pas abſolument rebelles
au burin. Le ſien eſt très-fini &
très - précieux ſans être ſec.On applaudira
àl'intelligence encore avec laquelle il a
profité pour la diſtribution de ſes lumières
& l'emploi le plus heureuxdeſes travaux
, des avis de l'habile maître , fous
les yeux duquel il agravé ſa planche.
H
178 MERCURE DE FRANCE.
ARCHITECTURE.
LE Sr. Dumont, membre des Académies
de Rome , Florence & Bologne , occupé
depuis 20 ans à former des collections
de gravures , tant ſur S. Pierre de Rome ,
que fur les théâtres & falles de ſpectacles ,
vient de ſe borner à fixer ſa partie de
S. Pierre de Rome à 100 planches , &
celle des ſalles de ſpectacles à 60 , qui
n'étoit qu'à 35. Cette dernière partie renferme
tous les plus beaux théâtres de l'Enrope.
Celui d'Argentine à Rome eſt déraillé
en quatre planches , celui de Turin
en quatre. Celui de Lyon , exécuté d'aprèsles
deſſins &ſous la conduite deM.
Soufflot , eſt en huit grandes planches
juſqu'à la concurrence de 150 exemplarres.
Un plan de la nouvelle ſalle deBreſt.
Trois projets de l'auteur ſont détaillés en
douze planches. Il a joint , en outre , fix
planches de décorations en différens genzesde
ſpectacle. La collectionde S. Pierre
de Rome ſera du prixde trente liv.Celle
des théâtres pourra s'acquérir féparément,
&ſera auſſi du prix de trente liv . Les
perfonnes qui auroient déjà des parties
JUILLET. 1771. 179
de l'oeuvre de M. Dumont , pourront les
completter à raiſon de 12 f. par feuille.
Cet ouvrage ſe débite toujours chez l'auteur
, rue des Arcis , & chez M. Joullain ,
Quai de la Megiſſerie à Paris .
On trouve auſſi aux mêmes adreſſes
l'oeuvre d'architecture de M. Contant
d'Yvri , architecte du Roi , & pluſieurs
autres recueils de gravures & deſſins de
différens genres d'architecture.
MUSIQUE .
I.
Six Duo pour deux violons compofes
par M. Kammell , oeuvre Ve : prix 7 liv.
4 f. A Paris , chez Sicber , éditeur de
muſique , rue des deux Ecus , au Pigeon
Blanc. 2
On trouve chez le même & aux adrefſes
ordinaires de muſique , troiſième Divertiſſement
Militaire pour deux clarinettes
, deux cors & deux baſſes , par M.
Roeſer ; Marche du Huron & marche
des Janiſſaires avecdes variations pour le
violon , par M. Cardon , violon de la
muſique du Roi, Ariette , fij'ai perdu
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
mon amant , avec accompagnement de
deux violons & baffe.
I I.
Six Sonates pour clavecin&violon,dédiéesà
ſon excellence DonJacques Stuard,
grandd'Eſpagnede la première claſſe,gentilhomme
de la chambre de Sa Majesté
Catholique , & lieutenant - général de fes
armées , &c. &c. compofées par François
Zappa , misau jour par M. Venier. Opéra
VIe. Prix 7 liv . 4 f. On pourra exécuter
ces pièces fur le piano forte ou la
harpe. A Paris , chez M. Venier , éditeur
de pluſieurs ouvrages de muſique , à l'entrée
de la rue St. Thomas du- Louvre ,
vis-à-vis le Château d'Eau . A Lyon aux
adreſſes ordinaires. Avec privilége du
Roi .
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
MONSIEUR ,
J'ai vu dans le Mercure de Mai 1771 , unProblême
d'optique propolé par un anonyme, je crois
en avoir trouvé la ſolution , que je vous prie de
vouloir bien inférer dans le Mercureprochain.
Probléme. Atravers une vitre chargée de goue
JUILLET. 1771. 181

tes de pluie , ſi je regarde un clocher il me'paroît
>>d>ifforme , parce que ce ſont autant de petites
lentilles qui , briſant fortement les rayons éma-
>> nés du clocher pour arriver à mes yeux , doivent
>>produire cet effet.
>> Mais ce qui paroît inexplicable, c'eſt que fi
>>je regarde ce même clocher au milieu d'une pluie
>>a>bondante , je ne le trouve nullement difforme,
>>q>uoiqu'alors il y aitbeaucoup plusde raiſonsde
>> le trouver tel qu'il a paru d'abord.>>>
Solution. Dans le premier cas , les goutes étant
fixes ſur la vitre , dans la ligne menée de l'oeil au
clocher , les rayons de lumiere ſont forcés depaffer
au travers , & la réfraction qu'ils fouffrent
alors , change néceſlairement la figure de ce même
clocher. :
Mais le ſecond cas eſt abſolument différent ; de
tous les rayons qui partent du clocher pour arriver
àl'oeil, il en eſt certainement un grand nombre
qui yparviennent fans avoir rencontré une ſeule
gouted'eau , vu l'immenſe quantité des rayons de
Jumiere , leur rapidité prodigieuſe & leur ténuité
relativement aux goutes de pluie ,& ce font ces
rayons qui , arrivant à l'oeil ſans avoir fouffert
aucune altération , font voir le clocher dans ſa vésitable
figure. 2
Pour les rayons qui rencontrent dans leur chemin
des goutes de pluie , dès la premiere , leur
direction eſt changée , & ils ne parviennent point
àl'oeil , mais vont peut-être rencontrer d'autres
goutes qui les détournent encore davantage , &
font qu'étant abſolument perdus pour l'oeil du
fpectateur , ils ne peuvent apporter aucun changement
à la figure de l'objet ; mais ſeulement une
diminutionde lumiere , qui eſt effectivementtrès
182 MERCURE DE FRANCE.
ſenſible dans les objets qu'on regarde au travers
d'une forte pluie , & d'autant plus grande que la
pluie tombe avec plus d'abondance.
Par M. A. P. t. de Geneve.

ANECDOTES.
I.
Un Seigneur des environs de Pontoiſe,
à qui il étoit venu une tumeur gangreneuſe
au bras droit , envoya chercher ſon
chirurgien qui , ſentant la néceflité de
faire promptement une opération , & ne
ſachant comment s'y prendre , chercha
vainement un cadavre pour s'eſſayer. Le
tems preffoit ; le chirurgien avoit fon père
en prifon , pour dettes,qu'il comptoit
délivrer avec le prix de cette opération.
Comme il ſe déſeſpéroit , ſon frère , payſan
du même lieu , lui offre ſon bras. Il
opère,&réuſſit enſuite auprès du Seigneur
qui , apprenant cette épreuve& le motif
des deux frères , retire le père de priſon ,
& affure à lui & à ſes enfans une penfion
viagere.
JUILLET. 1771. 183
L
I I.
Newton a été long -tems combattu ou
ignoré. Il existe un livre où on le prend
pour un ouvrier. L'auteur dit en parlant
du Teleſcope de réflexion: Artifex qui
dam nomine Newton ; un certain ouvrier
appelé Newton .
III.
Après l'entrevue d'Henri , Roi de Navarre
, au Pleffis- lès-Tours, avec Henri III
qui le reçut très-bien , le Roi de Navarre
écrivit fur le champ , tranſporté de joie ,
à fon fidèle Mornai. « La glace a été rom-
>> pue , non fans nombre d'avertiſſement
>>que , ſi j'y allois , j'étois mort. J'ai paſſé
» l'eau , en me recommandant à Dieu . »
Mornai lui répondit : " Sire , vous avez
>> fait ce que vous deviez & ce que nul ne
>>>vous devoit conſeiller. »
1 V.
Le Maréchal de Biron ayant comman
-dé à un capitaine d'aller brûler une maifon;
comme celui- ci lui demandoit l'ordre
par écrit de peur d'être inquieté :
Ah! mord... repliqua-t- il , vous êtes
184 MERCURE DE FRANCE.
>>de ces gens qui craignent tous la jufti-
>> ce ? Je vous caffe;jamais vous ne me
>> ſervirez ; car tout homme de guerre
» qui craint une plume craint bien une
» épée. » Cet homme ſi abſolu étoit néanmoins
excellent maître . Son intendant
lui repréſentant qu'il avoit un trop grand
nombre de domeſtiques : " Sachez donc
>> d'eux , répondit- il, s'ils peuvent fe paf-
>> fer de moi. »
Suite des Confeils d'un Pereàfon Fils'
fur la Musique.
DelaProfodie. :
Connoillez aſſez votre langue pour ne
pas faire une brève longue , ou une longue
brève. Rien n'eſt ſi déſagréable àl'oreille
, & ne démontre plus l'ignorance
que ces fortes de fautes. Quand vous ne
ſerez pas sûr de la proſodie , n'ayez jamais
de honte de vous en inſtruire en vous
adreſſant à quelque perſonne plus ſavante
que vous. Sachez faire un canevas fur
un air de violon que vous voudrez faire
chanter. Corrigez , ou faites corriger ces
longues brèves ou ces brèves longues qui
ne fontque trop communes dans tous les
JUILLET. 1771. 185
airs parodiés. Il faut que tous ces petits
ouvrages foient faits avec tant d'art , que
même le ſpectateur habile ne puiſſe démêler
ſi l'air a été fait pour les paroles ,
ou fi les paroles ont été faites pour l'air.
De l'Articulation .
Articuler , c'eſt faire entendre diftinetement
les différentes ſyllabes qui compoſent
les mots. Cette attention eſt ſinéceſſaire
dans le chant, que ſans l'articulation,
le charmede la muſique et vocale
imparfait: leplaifir n'eſt completqu'autant
que le ſpectateur peut juger ſi le chant
exprime bien les paroles. Si l'on exige
dans le ſimple récitatifune articulation
ferme &nette; que ne doit-on pas exiger
dans un morceau méſuré & chargé
d'accompagnement ? Aplus forte raiſon
dans les duos , où quelquefois les paroles
inverſes ſe contrediſent ; dans les trios
dont les deſſeins font encore plus compliqués
; Dans les choeurs où la multitude
des fons abſorbe l'articulation : dans ce
tumulte , s'il y a un coriphée , Quel rôle
joue-t'il ? Dès qu'on ne diftingue pas ce
qu'il dit , il paroîr crier de toute ſes forces&
rien de plus. Il eſt sûr que la muſique
vocale ne fait que du bruit ſi les
186 MERCURE DE FRANCE.
:
paroles ne perçent pas au traversdes fons
de la voix ; c'eſt à l'articulation ſeule
qu'appartient le droit de les faire entendre.
J'oſe dire que cette partie ſi eſſentielle
eſt totalement négligée ; que pour
un ſujet qui articule bien , il y en a mille
autres qui noyent les paroles dans le
chant. Ce défaut provient des mauvais
principes des maîtres , qui moins inſtruits
de la langue que de la muſique , ignorent
le talent de bien articuler , & parconféquent
d'en donner les moyens . Un
compoſiteur avant l'éxécution de ſon ouvrage
, ne fauroit trop recommander aux
ſujets d'articuler chaque morceau en conſéquence
de ce qu'il eſt plus ou moins
compliqué de parties. Il eſt vrai que la
façon de compoſer contribue à rendre les
paroles diſtinctes , en ne précipitant point
les ſyllabes longues par des notes trop
vives , & en ne mettant d'accompagnemens
que la doſe qu'il faut.
JUILLET. 1771. 187
AVIS.
1.
Nouvel Etabliſſement d'Education pour
les jeunes Demoiselles.
La Dile Roux , fille majeure d'un homme recommandable
à tous égards , laquelle a reçu une
fort bonne éducation , tant pour les talens & les
moeurs que pour la religion , ſe propoſe de conſacrer
ſes veilles aux pénibles ſoins de l'éducation
des jeunes Demoiſelles de ſix à douze ans , & de le
faire aider dans cette honorable fonction , par
pluſieursde ſes ſoeurs , également inſtruites , (elles
ſont au nombre de dix en tout, ) elle attend, avant
de ſe livrer aux dépenſes qu'un pareil projet exige,
d'être aſſurée d'un certain nombre d'élèves de diftinction
.
Les perſonnes qui voudront prendre des informations
plus particulieres du plan de la Dile Roux
s'adreſſleront à elle ; on la trouvera chez M. ſon
Père , rue St Benoît , à côté de la porte de l'abbaye
St Germain , où eſt un ſellier ; elle les inſtruira fur
la dépenſe comme ſur les autres objets relatifs à
fon établiſſement.
LaDile Roux ſe propoſe , avant toute choſe ,
d'inſtruire les jeunes Demoiselles dans les principes&
les maximes de la Religion Chrétienne; elle
donnera à ſes élèves les foins les plus tendres comme
les plus affidus , pour leur inſpirer de la douseur
dans le caractere , & cette amenité bienfai
188 MERCURE DE FRANCE.
ſante qui diftingue les ames honnêtes , & les éleve
au deflusde leurrang.
On leur enſeignera toute forte de petits ouvrages
auſſi utiles qu'agréables , & analogues à leur
état.
Elle procurera les maîtres les plus habiles & les
mieux famés de Paris , pour leur enſeigner les arts
&les talens , ſuivant le goût de MM. les Parens.
Elle annonce que la table ſera bien fervie , &
nemanquera pas de ces petites douceurs qu'il ne
convient pas de faire defirer.
La maiſon de la Dile Roux ſera dans un lieu
aflez élevé pour y reſpirer un bon air ; la plus
grande propreté y regnera ,& il y aura un domeftique
auſſi bien choiſi que compoſé. Elle fera
chargée du blanchiſlage. MM. les Parens fournirontà
leurs Demoiselles un troufleau , un litcomplet
, une armoire ou commode.
La Demoiselle Roux oſe ſe flatter de méricer la
confiance des pères & mères qui voudront bien lui
remettre leurs enfans , &que ce précieux dépôt ne
fortira de ſes mains que pour faire leur fatisfaction.
La rétribution annuelle ſera de 1200 liv.; on
donnera enfuite 600 liv . pour les maîtres des arts ,
&talens; le tout payable par quartier & d'avances
ſuivantl'uſage.
Elle est autoriſée en outre par MM. les Supérieurs
, & elle est même en poſleſſionde l'eſtime de
pluſieurs perſonnes de probité & d'un haut rang ,
qui auront la bonté d'en rendre de bons témoignages.
JUILLET. 1771. 189
ΙΙΙ.
Audet, Maître ès-Arts en l'Univerſité de Paris ,
ci-devant Profeſſeur de Belles-Lettres au Collége
de Châlons - fur- Marne , & membre de l'Académie
de cette Ville , donne avis qu'il vient de ſuccéder
àcelui qui tenoit la Penſion à Pantin , près Paris ,
& qu'il s'applique à raſſembler les Maîtres les plus
inftruits , ſoit pour la Langue Latine , la Géographie
, l'Histoire , & la partie des études , foit pour
former les enfans à la lecture , à l'écriture & aux
nombres : la propreté, la diſcipline & l'ordre , tout
ce qui est néceflaire à la bonne éducation , ſera
également cultivé. Le prix de la Penſion , qui eft
ſituée en un endroit riant , falubre & favorable ,
ſera déterminé par l'eſpèce d'éducation qu'on
voudra donner aux jeunes gens. Il y a ſéparément ,
Maître en fait d'armes & Maître de danſe , pour
ceux qui le defirent.
On s'adreſſera fur le lieu , à lui- même. Et à
Paris , àM. Marye , Procureur au Châtelet , rue
S. André des-Arts.
III.
PáteRoyale.
Le Sr Arnauld , marchand parfumeur du Roi ,
rue Traverſiere , au coin de celle du Hazard , près
la fontaine de Richelieu à Paris , continue de faire
&vendre de mieux en mieux la Pâte Royale , fi
connue depuis bien des années pour blanchir &
adoucir les mains , en ôte les taches , comme rougeurs,
boutons , engelures; elle eſt d'une odeur
rès-agréable&d'une qualité à pouvoir être tranf
190 MERCURE DE FRANCE.
1
portée dans les lieux les plus éloignés ; c'eſt pour
cela que l'onlui donne le titre de Sans Egale .
Il y a des pots doubles de 8 liv. les ordinaires ,
4liv. Lorſqu'on les rapporte vuides , ceux de 8
alors fontà ſept , & de 4à 3 liv. 10 ſols.
Il vend auſſi toutes ſortes de poudres , pommades&
eaux de ſenteurs , fur-tout celle de Jouvance
très- agréable pour la peau.
Elle est très-bonne pour détruire les boutons ,
rougeurs & cuiſſons,
I V.
Paſtilles pour faire de l'orgeat , de la limonade
& des bavaroiſesſur le champ,
à l'eau ou au lait.
Rien de plus commode que d'avoir à ſa portée
lemoyen de ſe procurer une boiſſon fraîche,agréa
ble& falutaire , c'eſt ce que le Sr Ravoiſé , marchand
confiſeur , rue des Lombards , au Fidèle
Berger , offre au Public.
Il a perfectionné & débite avec ſuccès des paftilles
pour faire de l'orgeat & de la limonade , &
auſſi pour fairedes bavaroiſes à l'eau ou au lait ;
une de ces paſtilles ſuffit pour une carafe ou un
grand verre. Elles s'écraſent & fondent facilement
dans l'eau ; on peut les tranſporter & conſerver
dansdes boîtes qui ſont de trois liv . & 36 1. marquées
de l'enſeigne du Fidèle Berger.
C'eſt chez lui que l'on trouve l'excellent ſyrop
de vinaigre rafraîchiſſant,
JUILLET. 17716 19
Il a en tout tems de la gêlée d'orange de Portugal
; cette confiture eft apéritive , ainſi que des
pâtes de pomme du même endroit , en petiteboîte
de 2 liv. 8 f.
V.
Le Sr Riſſoan , marchand épicier- droguiſte &
diſtillateur , ancien élève de l'apothicairerie de
'Hôtel-Dieu de Paris , demeurant rue de Buſſi en
face de la rue Mazarine , debite avec ſuccès le ſyrop
de guimauve & capillaire à 1 s ſols ; le ſyrop
d'orgeat , 16 fols; de limon , 18 fols ; de grofeille
& de vinaigre framboiſé à 24 ſols le rouleau.
Il vend le véritable ſyrop de calbaſſe. Il tient
magaſinde toutes fortes de liqueurs depuis 24 ſols
juſqu'à 4 liv. la pinte. Il eſt connu pour le vrai dé.
lice des Dames & la crême d'ananas . Il a reçu des
liqueurs de l'iſſe de Corſe. Il vend le véritable
élixir deGarrus & l'eau de Cologne. Il fabrique le
chocolat de ſanté & à la vanille ; on en trouve
chez lui depuis 30 f. la livre juſqu'à 4 liv .
Connu depuis long- tems pour les liqueurs , il
fait venir des eaux-de-vie de toute eſpéce &de
routequalité.
Le prix actuel des eaux- de-vie eſt de
1 liv. 4 f. la bouteille d'eau-de- vie ordinaire.
1 liv . 10 f. l'eau - de- vie vieille .
7 liv. 16 f. l'eau-de- vie double nouvelle,
2liv. l'eau - de- vie vieille.
Eſprit de vin ordinaire so f. la pinte.
Eſprit de vin double , 3 liv.
11 tient de l'eſprit de lavande.
Eau vulneraire double & fimple.
Eau de meliſſe des Carmes & Eau de la Reine
Hongrie,
192 MERCURE DE FRANCE.
V I.
Le Sr Obry , marchand épicier - droguiſte , rue
Dauphine , au magaſin d'Angleterre , vis - à- vis la
botted'or , continue de debiter avec ſuccès différens
remèdes qu'il tire des chymiſtes Anglois,trèsapprouvés
de M. le Doyen de la Faculté deMédecine&
avec permiſſion de M. le Lieutenant-Généralde
Police.
SÇAVOIR ;
Le taffetas d'Angleterre noir & blanc pour les
bleſſures& brûlures , à 20 ſols la pièce.
Les emplâtres écoſſoiſes pour guérir & déraciner
toute forre de cors , à 30 fols laboîte.
Les teintures pour blanchir & guérir les dents ,
à24 f. la bouteille.
Des broſſes pour l'uſage de ces teintures , à 12 ſols
lapiéce.
L'eſſence volatile d'ambre gris pour les maux de
tête , à 40 f. le flacon .
L'élixir de Stougthon pour guérir toute forte de
fiévres& maux d'eſtomach , à 24 f. la bouteille.
L'eau de perle du Sieur Dubois pour blanchir la
peau , à40 l. labouteille.
Les tablettes d'Archebald pour le rhume à24 fols
laboîte.
Véritable eau deCologne , à 36 ſols la bouteille.
Il vend auſſi le véritable élixir de Garrus , ſi
connu pour ſes rares vertus. Les bouteilles ſont
de 3 , 6& 12 liv.
BIENFAISANCE.
JUILLET. 1771. 193
BIENFAISANCE.
A Lisbonne , le 12 Mars 1771 .
LeNavire le Comte de Nolivos , de la Rochelle,
capitaine Cadou , faiſant route pour St Domingue
, où il tranſporte de l'artillerie & des recrues
pour la légion qui porte le nomde cette iſle ,
ayant été entierement démâté le 17 Février par
une,tempête affreuſe , qui a faillià le faire périr
avec tout fon monde au nombre de plus de deux
cent perſonnes , a relâché dans ce port , où en entrant
le premier du préſent mois il a couru un
nouveau danger éminent de périr corps & bien ,
contre les Caxopos , ( 1 ) où il auroit été briſé en
mille piéces , ſans la préſence d'eſprit , le ſang
froid , le courage , la vigilance & la capacité de
M. du Montet , commandant les 156 hommes de
recrues qui étoient à bord de ce bâtiment. Cet officier
a rendu dans cette occaſion , comme dans
celledu 17 Février , les plus grands ſervices par ſa
fermeté , ſa prudence & fon activité ; tous les pafſagers
& l'équipage lui donnent ici les plusgrands
éloges , en l'appelant leur libérateur. Lorſqu'ils
furent fortis du péril , ils s'empreſſerent à l'envi
à le remercier , & tous fondoient en larmes en
l'embraſſant .
M. du Montet , ſenſible au bonheur d'avoir
ſauvé la vie à tant de monde , étoit en même- tems
(1 ) Les Caxopos ſont des rochers à- fleur-d'cau
àl'entréede la barre de Lisbonne.
I. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
accablé de douleur à la vue de la perte de trois
ſoldats qui , s'étant gliſſés derriere le navire dans
le canot avec ſept autres camarades , allerent tomber
parmi les briſans de la côte , où le canot fut
dans l'inſtant bouleverſé , &où ces trois malheureux
périrent ; ſpectacle d'autant plus effrayant ,
que,dans ce terrible inſtant , chacun s'attendoit
au même fort. Ce brave officier a ſouvent donné
des marques d'un courage & d'une intrépidité rares.
C'eſt lui qui lauva, en 1767 , une frégate du
Roi fur laquelle le feu duCiel tomba au moment
de ſon entrée le 12 Septembre , dans le port de la
Havane. Les nouvelles publiques de ce tems-là ,
enrendantcompte de ſes ſervices , lui donnerent
dejuſtes éloges auxquels il vient d'ajouter de nouveaux
titres .
•En attendant que ce bâtiment ſoit remis en état
de reprendre la mer &de ſuivre ſa deſtination ,
M. le Marquis de Clermont- d'Amboiſe , miniftre
plénipotentiaire de France à Lisbonne , a fait entrepoſer
cette troupe avec ſes officiers dans la maifon
de l'Eglife royale de St Louis , & connoiffant
lacapacité, le zèle &l'attachement de M. l'Abbé
Garnier pour le ſervice du Roi , ila chargé cet eccléſiaſtique
, qui eſt principal chapelain & aumônier
de cette Eglife & de la Nation Françoife , de
fournirtout ce qui est néceſſaire àla ſubſiſtance &
àl'entretiende cette troupe.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Petersbourg , le 14 Mai 1771.
ON reçoit toujours de Moſcou des nouvelles
favorables ; mais Sa Majesté Impériale, pour tran
JUILLET. 1771. 195
quillifer entierement les habitans de cette capitale
&les étrangers qui s'y trouvent , ne néglige aucunedes
précautions qu'Elle a priſes dès les commencemens
de la maladie qui s'étoit manifeſtéc à
Moſcou. Cette maladie étoit une fiévre maligne
épidémique, &non la peſte , comme le bruit s'en
étoit d'abord répandu.
On faitmonter à plus de deux millions de roubles
les dommages caufés à Riga par les inondations.
Il a péri trois cens perſonnes dans les fauxbourgsde
cette ville : on ignore encore lenombre
deceux qui font morts dans les campagnes.
:
De Warfovie , le 22 Mai 1771 .
On a reçu ici , le 18de ce mois, de Petersbourg,
une déclaration qui annonce les diſpoſitions les
plus defirables , de la part de l'Impératrice de Ruffie.
Cette Princefleytémoigne qu'elle eſt vivement
touchée des maux qui affligent la République , &
promet de faire encore une fois les plus grands
efforts poury rétablir la tranquillité. Sa Majest,é
Impériale propoſe buit articles , au moyen defquelson
pourra parvenir à ce but , & invite toute
la Nation Polonoiſe , en général , ày concourir,
Cettedéclaration porte auſſi que tous les officiers
généraux &tous les commandansRufles ont reçu
des ordres poſitifs , fignés de la main de l'Impératricepour
ceſſer tout acte d'hoſtilité. On ſediſpoſe
à rendre cette déclaration publique , & en conféquence
on en fait des traductions françoiſes&polonoiſes.
On dit que la Cour de Berlin enva faire
inceſlamment paroître une, relativement aumême
objet.
Suivant les relations venues de Petersbourg , le
général-major Weiſlman ayant paſſé uneſeconde
Tij
I19.6 MERCURE DE FRANCE,
fois le Danube , a battu & diſperſé , près d'Iſaccia,
un corps de fix mille Turcs , &, après cette expédition
, il eſt retourné à Ismaïlow.
De Coppenhague , le 30 Mai 1771 .
Le Roi vient de fonder une maiſon , dans laquelle
on élevera les enfans de ſoldats , que leurs
peres ne pourront pas nourrir : on les emploïera
aux travaux de la campagne juſqu'à l'âge de 25
ans,&, après ce tems, ils ſeront libres. Les ſoldats
qui pourront élever leurs enfans recevront une
augmentation de paie d'un ſchelin par jour , àcondition
que , lorſque ces enfans feront en âge de
porter les armes , ils entreront au ſervice : quant
aux filles , elles feront employées dans les fabriquesroyales,
De Naples , le 25 Mai 1771 .
L'éruption du Véſuve eſt preſqu'entierement
ceffée, &la lave n'a pas cauſé autant de dommage
qu'on avoit lieu de le craindre, d'après la direction
qu'elle avoit priſe.
De Venise , le 12 Mai 1771 .
On mande deConſtantinople que leGrandViſir
a reçu ordre de reſter tranquilledans ſon camp,&
dene faire aucune entrepriſe juſqu'à ce qu'on lui
ait envoyé de nouvelles inſtructions.
:
De Francfort , le 8 Juin 1771 .
:
dings-Bourg, ſous l'inſpection du Sr Oeders . Pour
Lebureau de commerce deCoppenhague a exécuré
le projet qu'il avoit formé d'inoculer aux
beftiaux une maladie contagieuſe qui en fait périr
un grand nombre tous les ans. Cette expérience
fut faite , l'automne dernier , avec le plus grand
ſuccès, fur cent vaches, dans la petite ifle deWor-
1
JUILLET. 1771. 197
:
2
s'aſſurer de l'efficacité de cette pratique , il a été
réſolu d'en faire de nouveaux eſſlais , cette année.
De Londres , le 11 Juin 1771 .
Le 10 , la Cour reçut du Sr Murray , ambafladeur
du Roi à la Pote , des dépêches par leſquelles
on apprend que tour y eſt dans les diſpoſitions les
plus favorables , & annonce une réconciliation
prochaine entre cet Empire & celui de Ruffie.
La Compagnie des Indes qui, en 1740 , n'avoit
que cinquante- cinq navires employés au commercede
l'Inde&de la Citine , en a actuellemen qua
tre-vingt- ſept ,de fix , ſept& huit cens tonneaux.
Certe Compagnie a auffi dans l'Inde vingt - fept
vaiſſeaux de guerre , cominandés par des capitaines
Européens & montés par des ſoldats & des ma
telots Aſiatiques.
De Turin , le 25 Avril 1771 .
Le 8 de ce mois , les fêtes ordonnées pour le
mariage de Madame Marie - Joſephe - Louiſe de
Savoie avecMgr le Comte de Provence, commencerent
par une repréſentation de la paſtorale d'Iffe,
donnée fu le théâtre de la Cour , lequel étoit illuminé
avec autant de goût que de magnificence. Le
9, ily eut opéra fans illumination. Le lendemain,
lebaronde Choiſeul , ambaſſadeur extraordinaire
de France , ſe rendit à l'hôtel du marquis d'Orméa
, gouverneur de Turin , hôtel que le Roilui
avoit deſtiné & dans lequel il devoit être fervi
pendant trois jours , par les officiers de bouche de
Sa Majeſté. A 10 h. du matin , le maréchal comte
de la Roque , chev. de l'Ordre de l'Annonciade, accompagnédu
ch. de Pioz, introducteur des ambalfadeurs,&
du ch. Caſtellamy , ſous- introducteur,
vint prendre l'ambaſladeur , dont le cortége étoit
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
brillant& nombreux ,& ſe rendit avec lui au pa
lais du Roi. A l'arrivée de l'ambaſſadeur, la garde
prit les armes,le tambour rappela & les officiers
ſaluerent. Il fut reçu , au bas de l'eſcalier , par le
comte de Roaro, premier gentilhomme de la
chambre , faiſant les fonctions de grand - maître
des cérémonies. Le comte de la Trinité , chevalier
de l'Annonciade&grand- maître de la maiſonde
Sa Majefté , le reçut dans la ſalle des gardes-ducorps
rangés en haie& ayant leurs officiers à leur
sête , & le conduifit à l'audience du Roi qui l'attendoit
fur ſon trône , affis & couvert , les Princes
de la Famille Royale debout derriere lui ,& les
grands officiers, les chevaliers de l'Ordre & les
miniſtres d'état , rangés des deux côtés . Dès que
l'ambafladeur de France entra , le Roi le ſalua du
chapeau & lui ordonna de ſe couvrir : les Princes
&les Grands ſe couvrirent auſſi. Alors l'ambafladeur
fit au Roi , au nom du Roi ſon maître , la
demandede Madame la Princefle Marie- Joſephe-
Louiſe , petite- fille de Sa Majesté , à qui il remit
fes lettresde créances & une lettre de Mgr le Comzede
Provence. Sa Majesté lui répondit dans les
termes les plus tendres & le congédia. L'ambaſſadeur
pafla enfuite àl'audience du Duc de Savoie ,
& fucceffivement à celle de Madame la Duchefle
de Savoie; il remit à Madame la Princeſſe Marie-
Jofephe-Louiſe , qui étoit auprès d'elle , une lettre
&leportraitde Mgr le Comte de Provence , &revint
à ſon hôtel. A quatre heures après-midi ,
Pambafladeur partit avec le même cortége qu'il
avoiteule matin , pour ſe rendre aux audiencesdu
Prince de Piémont &du Duc de Chablais , & remit
au Prince de Piémont une lettre de Mgr le Comte
deProvence qui le prioitde le repréſenter à la céJUILLET.
1771. 199
lébrationde ſon mariage.A fept heures, ily eut
grand appartement à la Cour.
Le 11 , l'Ambafladeur de France fut conduit,
ave le même appareilque la veille , aux audiences
des Princefles foeurs de Madame Marie-Jofephe-
Louiſe , & à celles de Mesdames deSavoie, leurs
tantes.
Le 12 , l'ambaſladeur ſe retira en fon hôtel ordinaire
, après avoir fait , au nom du Roi ſon maître,
des préfent aux différens officiers de Sa Majefté
, qui l'avoient fait ſervir.
Le13 , il donna àtoute la Nobleſle un bal paré;
le Duc de Savoie , le Prince de Piémont &leDuc
deChablais lui firent l'honneur d'y aſſiſter.
Le 14, ily eut opéra aux deux théâtres .
Le 15 , il y eut opéra & illuminations au petit
théâtre. Le Prince de Carignan donna à toute la
Nobleſſe un bal , auquel les Princes aſſiſterent.
Le16, le contrat de mariage fut ſigné , & ily
cut opéra& illumination au grand théâtre.
Le 17 , l'ambafladeur de France donna un bal
maſquéà toute la ville. Les rafraîchiſſemens de
toute eſpécey furent prodigués . Unetablede trois
cens couverts fut renouvellée pluſieurs fois dans la
nuit. Vers les onze heures , les Princes de la Famille
Royale vinrent voir cette fêre dont ils admirerent
l'éclat & la magnificence.
Le 21 , vers les cinq heures & demie du foir , le
comte de la Roque & l'introducteur des ambaſſadeurs
vinrent prendre le baron de Choiſeul pour
leconduire àla célébration du mariage. Afix heures
, le Roi & la Famille Royale ſe rendirent à la
chapelle da St Suaire. Le cardinal des Lances ,
grand aumônier du Roi , après avoir adreſlé un
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
difcours très-pathétique à Mgr le Comte de Provence
, repréſenté par le Prince de Piémont , &à
Madame la Princeſle Marie - Joſephe- Louiſe , leur
donna la Bénédiction nuptiale. Après la cérémonie
, le Roi fit préſent à l'ambaſſadeur de ſon portrait
enrichi de ſuperbes diamans.
L'ambafladeur de France avoit fait conſtruire
aux quatre coins de la place Saint-Charles, quatre
jolies maiſons chinoiſes , où des bateleurs de tou
te efpéce amuſoient le peuple. Au milieu de la
place s'élevoit un monument d'architecture repréfontant
le temple de l'Hymen. On avoit préparé
dans ce temple un feu d'artifice qui fut tiré à 8 heures
du ſoir. Immédiatement après le bouquet , le
pourtour de la place , garni d'ifs , les maiſons chinoiſes
, l'édifice du feu & la façade du palais de
Carnil furent magnifiquement illuminés , & cette
journée finit par unbal maſqué que l'ambaſladeur
donna chez lui.
Immédiatement après lacélébration du mariage
, le Sr de Ste-Croix , cap . de cavalerie , faiſant
les fonctions de ſecrétaire de l'ambaſlade de France,
partit de Turin pour en porter la nouvelle à
Verſailles.
De Lyon , le 3 Mai 1771 .
Madame la Comteſſe de Provence eſt arrivée,
le 3 de ce mois , vers les fix heures du ſoir , à un
quart de lieue de Lyon & a mis pied à terre dans
une maiſon où les caroſſes du Roi l'attendoient&
où s'étoit rendu le Sr de Fleſſelles , intendant de
cette généralité , lequel eut l'honneur de lui être
préſenté. Cette Princeſſe monta enfuite dans les
carrofles du Roi , & fe mit en marche , précédée
d'environ dix brigades de maréchauflée & de la
compagnie du Prévôt des Monnoies. Madame la
JUILLET. 1771. 201
:
Comteſſe de Provence arriva vers les ſept heures
àla porte de la ville , où le Conſulat cut l'honneur
de la complimenter ; elle fit enſuite une entrée qui
fut annoncée par pluſieurs décharges d'artillerie.
Cette Princefle traverſa la ville au milieu de quatre
mille hommes de la milice bourgeoiſe , tous
en uniforme, &dont les officiers avoient des juſteau-
corps brodés en or, d'une compagnie d'invalides
, d'une compagnie franche du régiment Lyonnois
, de celle de l'Arquebuſe & du Guet ; toutes
ces troupes bordoient la haie depuis l'entrée du
fauxbourg de la Guillotiere,du côtédu Dauphiné,
juſqu'au palais archiepifcopal , où l'archevêque
de la villeeutl'honneur de la recevoir ; le Sieur de
Fleſflelles , qui avoit précédé de quelques momens
F'arrivée de cette Princefle à l'archevêché , ſe trouvaà
la deſcente de ſon carſoſle. L'intendante & la
prévôte des marchands , qui s'étoient également
rendues au palais archiepifcopal , eurent Phonneur
de lui être nommées , ainſi que pluſieurs Dames
de la Nobleſle. Aneufheures , le Confulat fit
exécuter , avec le plus grand ſuccès , un feu d'artifice
qui avoit étédiſpoſe ſur un très bel édifice
repréſentant le temple de l'Hymen , conſtruit fur
des bateaux , ſur la riviere de Saône , en face du
palais de l'archevêque ; toutes les rues furent illuminées.
Le 4 , Madame la Comteſſe de Provence enten
dit la meſſe, pendant laquelle on exécuta pluſieurs
motets: elle reçut enſuite les Comtes de St Jean
deLyon , leconſeil ſupérieur , le bureau des finances
& l'académie des ſciences , qui eurent Phon
neur de la complimenter. Elle ſe rendit , vers les
fix heures , à la comédie , où elle vit jouer les
Fauſſes Infidélités , la Chaſſe d'Henri IV & lo
V
:
102 MERCURE DE FRANCE.
Somnambule. Au retour du ſpectacle , cette Princefletrouva
toutes les rues illuminées , ainſi que le
bâtimentde la comédie ,l'hôtel de l'intendance &
l'hôtel -de-ville.
Ler, Madame la Comteſſe de Provence ſe rendità
l'égliſe métropolitaine & fut reçue à la porte
partout lechapitre , à la tête duquel étoit l'archevêque
qui cut l'honneur de la complimenter;Elle
entendit enſuite la grand'meffe qui fut célébrée
par ce prélat. L'après - midi , vers les quatre heures
, on lui donna le ſpectacle d'une joûte & d'un
jeude bague ſur la riviere de Saône , vis à-vis de
l'archevêché àcinq heures , elle alla voir la magnifique
bibliothéque publique ; elle rentra enfuite
à l'archevêché , où l'on exécuta un concert.
Vers les neufheures, l'édifice de l'artifice conſtruit
fur les bateaux fut illuminé : dans le même moment
, il parut une flotte de petits bateaux pareillement
illuminés de petites lanternes de différentes
couleurs , & ceux qui montoient chacun de ces
bateaux , tiroient diverſes piéces d'artifice : un fuperbe
bouquer termina ce ſpectacle. Madame la
Comteſtede Provence ſoupa enſuite à fon grand
couvert , où tout le monde fut admis à la fois:
rontes les rues étoient illuminées , & on entendois
de toutes parts des cris de vive le Roi , vive Madamela
Comteffe de Provence.
Le 6 , cette Princefle entend't la mefle& partit
deLyon à onze heures : elle traverſa la ville au
milieudesmêmes troupes qu'elle avoit trouvées à
fon entréedans la ville & aux acclamations redow
bléesdupeuple.
Madame la Cointeflede Provence arriva à Roanneà
feptheures du ſoir ,au bruit de pluſieurs décharges
d'artillerie; les officiers municipaux ca
JUILLET. 1771. 203
rent l'honneur de lacomplimenter avant fonentréedans
la ville : un détachement de grenadiers
&de dragons de la Légion de Flandre la conduific
juſqu'àl'hôtel qui lui avoit été préparé ,& où elle
trouva le Sr& la Dame de Fleſſelles qui l'y avoient
précédée ; peu de momens après , elle y reçut les
officiers du bailliage & de l'élection qui eurent
T'honneur de la complimenter.On exécuta enſuite
un divertiſſement en muſique qui fut fuivi d'un
feu d'actifice &d'une illumination que le Sieur de
Fleſſelles avoit fait difpofer : toutes les rues de la
ville furent illuminées. Le 7 , Madaine la Comteſſe
de Provence entendit la meſſe &partit , vers
les onze heures ,pour ſe rendre à Moulinsen Bourbonnois.
Dès le jour où leDucde Saint-Megrin , laDame
d'Honneur & la Dame d'Atours arriverent à Lyon
pour aller au Pont de Beauvoifin recevoir Madame
la Comteſſe de Provence , &pendant le féjour
que cette Princeffe afaiten cette ville , le Sr & la
Damede Flefielles ont eu , matin&foir , une table
conſidérable ; & en ont tenu , à Roanne une pareille
, à laquelle ſe ſont trouvés les Officiers du
détachement de la Légion de Flandre & d'autres
perlonnesde conſidération.
De Moulins , le 16 Mai 1771.
Madame la Comtefle de Provence eft arrivécen
cette ville , le 7 de ce mois , vers les fept heures &
demie du foir . Elle a trouvé , ſur ſon paſſage, toutés
les rues illuminées , ainſi que trois cours plantésdedeux
rangs d'arbres , leſquels étoient éclairés
par des luftres , des pyramides & des girandoles
chargées de lampions. Les intervalles des arbres
étoient ornés de guirlandes. L'hôtel de l'in
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
tendance , oùla Princefle a logé , & qui ſe trouve
au milieu de ces trois cours , étoit auſſi illuminé.
Le Sr Depont, intendant de la province , avoit fait
préparer , en face de cet hôtel , un feu d'artifice qui
a été exécuté avec le plus grand ſuccès , par le
St de Bray , artificier du Roi , & dont Madame la
Comtefle de Provence a paru ſatisfaite. Le régiment
de la Reine , cavalerie , ayant à ſa tête le
marquis de Poyanne , commandant de la Province
, & le chevalier du Barry , colonel de ce régiment
, étoit allé au-devant de cette Princeſſe : elle
a été reque , au bas de l'eſcalier de l'intendance ,
par la Dame Depont , qui a eu l'honneur de lui
être nommée , ainſi que les perſonnes de diſtinction
de cette ville .
De Nevers , le 16 Mai 1771.
Madame la Comteſſe de Provence eſt arrivée en
cette ville , le 8 de ce mois , vers les fix heures du
foir. Elle est deſcendue à l'évêché & delà elle s'eſt
tranſportée au château du duc de Nivernois , où
Ie Sieur Depont , intendant de la province , avoit
fait diſpoſer un théâtre , ſur lequel des acteurs de
la comédie italienne de Paris ont repréſentéun
prologue , mêlé d'ariettes & analogue à la circonftance
, ainſi que deux opéra- comiques dont chacun
étoit terminé par des couplets relatifs à cette
fête. La Princeſſe , en retournant à l'évêché , a
trouvé toutes les rues illuminées ; en face du château&
au milieu de la place , il y avoit une illumination
compoſée de différentes arcades , dans
F'intervalle deſquelles on avoit placé des luftres &
des pyramides de lampions ; mais un orage en a
empêché l'effet , ainſi que celui de l'illumination
des maiſons qui bordent cette place. Le Sr & la
Dame Depont ont eu l'honneur d'accompagner
JUILLET. 1771. 205
Madame la Comteſſe de Provence à Neucas , & le
Sieur Depont , qui étoit allé au devant de la Princeſſe
àRoanne , a eu celuide prendre congé d'elle
àlaCharité.
De Versailles , le 22 Mai 1771 .
Le 20 Mai , le Roi , acompagné de la Famille
Royale , ſe rendit dans le ſallon qui avoit été préparé
pour le bal paré , ſur le théâtre de la ſalle de
ſpectacle. Cette magnifique ſalle aveit été diſpoſée
pour cet objet par les ordres du duc de Duras ,
premier gentilhomme de la chambre du Roi en
exercice , fous la conduite du Sieur Papillon de la
Ferté , intendant des menus plaiſirs de Sa Majeſté.
LaCour fut très-nombreuſe & très-brillante . Mgr
le Comte de Provence & Madame la Comtefle de
Provence ouvrirent lebal.
A l'arrivée de Madame la Comtefle de Provence
àChoiſy , le 13 , Mgr le Dauphin , Madame la
Dauphine &Mefdames firent chacun un préſent à
cette Princefle , ainſi que Migt le Comte d'Artois
Madame & Madame Elifabeth , qui s'y étoient
rendues l'après -midi pour l'y recevoir.
On donnera ici la deſcription du feu d'artifice
qui a été tiré , le 15 , à l'occaſion du mariage de
Mgr le Comte de Provence,
Ce mêmejour , le Roi , accompagné de la Famille
Royale , paſla dans ſa grande galerie , où Sa
Majesté tint appartement. Le ſignal ayant été donnépar
le Roi , à l'entrée de la nuis , le feu d'artifice
commença par un bruit de guerre qui accompagnoit
une grande quantité de fuſées d'honneur
&de bombettes lumineuſes . A la tête des deux
baffins du parterre d'eau , étoient cinq grandes
piéces pirrhyques , dont les feux variés prirent
:
206 MERCURE DE FRANCE.
fucceſſivement ſept formes différentes; elles furent
ſuivies de deux cens fufées de table &de cent bombettes
lumineules : pendant ce tems-là ondébarraſſa
les piéces exécutées pour laiſſer voir une valte
décoration de 120 pieds de face fur cinquante
pieds de hauteur , compoſée de différens feux de
couleur qui , changeant alternativement ſur un
fondde caſcades& au milieu d'un feu d'air prodigieux
, combiné pour le ſoutenir , formoient un
fpectacle agréable & nouveau. Auſſi - tôt après ,
parutun rideaude fea , detrois cens pieds de face,
qui , après avoir changé fix fois de formes , fetermina
par unemoſaïque brillante garnie de roſettes
qui ſervoient de diſques à autant de ſoleils
fixes. Ce coup de feu fimi , on vit paroître à l'inftant
neufgrandes piéces géométriques , compofées
de trois globes & quatre sphères, ainſi que de
deux girandoles , d'où partit un feu figuré ; après
pluſieurs révolutions , les trois globes s'ouvirent
&laifferent voir le portrait du Roi & ceux deMgr
le Dauphin , de Madame la Dauphine , de Mgrle
Comtede Provence & de Madame la Comteſle de
Provence , entourés de deux cercles d'étoiles fixes
brillantes , & , au centre , de grands ſoleils : à ce
fpectacle imprévu ,le peuple fit retentir l'aird'applaudiſſemens&
de cris redoublés de vive le Roi.
L'ouverture des globes fut annoncée par un grand
bruit de guerre & par des bombertes lumineules ,
couronnée par une voléede cent bombes & terminée
par une vaſte guirlande de cent toiſes de face,
qui garnit l'air & couvrit le jardin d'un artifice
immenfe. Le Roi a daigné témoigner combien
il étoit fatisfait de la brillante exécution de ce feu,
dont la réuffite fait honneur aux talens & à l'intelligence
des Srs Torré, Morel &Séguin. Malgré
lagrande quantité d'artifice ,&le ſervice contiJUILLET.
1771. 207.
1.
nuel des piéces pirrhyques qu'il a fallu deſſervir
pour faire place àcelles qui fuccédoient , il n'y a
eu ni trouble ni confufion ,& touts'eſt paflédans
le plus grand ordre , par l'effet des précautions
qui avoient été priſes. Le feu étanttiré, la terrafle
futdébarraflée en un inſtantde toure la charpente
&de la conſtruction du feu d'artifice pour faire
place à une brillante illumination. Les deſcentes
&les parterres de Latone , & ceux du nord & du
midi étoient entourés de grands portiques & de
pyramides de formes différentes , dont toutes les
parties étoient exactement deffinées par les lumières.
Le milieu des parterres étoit garni d'ifs
ifolés , placés aux angles des platebandes , & fur
lehautdesdeuxbaffins des parterres d'eau, étoient
deux ifs de fer iſolés , de cinquante pieds de hauteur
, garnis chacun de deux mille lumieres , qui
jettoientun éclat que l'oeil pouvoit à peine ſoutenir.
Aubas des deux mays , ornés de couronnes &
deguirlandesde fleurs , étoient des gradins garnis
de muficiens. Cette fête , ordonnée par le duc
deDuras,premier gentilhomme de la chambre du
Roi en exercice,a été dirigée par le Sr Papillon
de la Ferté , intendant & contrôleur - général de
l'argenterie, menus plaifirs & affaires de la chambredu
Roi , tréſorier - général de la maiſon de
Mgr le Comte de Provence , intendant & contrôleur-
généralde ſes menusplaiſirs ,de fa chambre,
écuries&garde- meuble ; conduite& exécutée par
leSieurGirault , contrôleur des menus plaiſirs du
Roi.
Les hôtels des Princes & des Seigneurs de la
Cour étoient éclairés par un nombre prodigieux
de lampions , &les différens quartiersde la ville
ont été illuminés.
208 MERCURE DE FRANCE.
PRÉSENTATIONS ..
L'Abbé de la Ville , premier Commis des Affai
res Etrangeres , & l'un des Quarante de l'Acadé
mie Françoiſe , ayant été nommé par le Roi lec
teur de Mgr le Dauphin & fecrétaire de ſon cabinet
, il a en l'honneur d'être préſenté à Sa Majesté
en cette qualité , le 25 Mai , &de lui en faire ſes
très humbles remercîmens .
Les Députés des Etats d'Artois eurent , le 25
Mai , une audience du Roi , à qui ils furent préſentés
par le Marquis de Levis , gouverneur de la
province , lieutenant- général des armées de Sa
Majesté & capitaine des gardes de Mgr le Comte
de Provence , & par le marquis de Monteynard ,
fecrétaire d'état au département de la guerre.
La Marquiſe d'Uſſon a obtenu la ſurvivancede
la place de Dame de Madame , dont eſt pourvue
laMarquiſe de Bonnac , & a eu l'honneur d'en faire
, le 26 Mai , ſes très-humbles remercimens au
Roi , à qui elle a été préſentée par Madaine.
La Marquite de Clermont - Gallerande a er
I'honneur d'être préſentée , ces jours derniers , à Sa
Majesté , ainſi qu'à la Famille Royale , par la Du
cheffe de Brancas.
NOMINATIONS.
Le Roi vient de nommer grand'croix de l'ordre
royal& militaire de St Louis le marquis de Lugeac
, lieutenant-général de ſes armées , comman
dantdes grenadiers à cheval.
Sa Majesté a nommé auſſi commandeur de l'ordre
royal & militaire de St Louis , le marquis du
Sauzay , maréchal de camp , major du régiment
desGardes-Françoiſes.
JUILLET. 1771. 209
ز
La Comteſſe de Montbarrey, Dame de Madame
Adelaïde , ayant demandé la permiſſion de ſe retirer
, le Roi a diſpoſé de cette place en faveur de
lamarquiſe de Flamarens , qui a eu l'honneur d'en
faire ſes remercîmens à Sa Majesté & à Madame
Adelaïde.
Le Roi vient de nommer miniſtre & fecrétaire
d'état au département des affaires étrangeres , le
duc d'Aiguillon , qui a eu l'honneur de faire à cette
occaſion , ſes remercîmens à Sa Majesté.
Le Roi vient de nommer intendant de ſes finances
le Sr Foullon , intendant de la guerre , ſecrétaire
- greffier & grand'croix de l'ordre royal &
militaire de St Louis.
MARIAGE.
Le 29 Mar , le Roi & la Famille Royaſe ont
ſigné le contrat de mariage du Comte deMoneft:
ol d'Albouy , capitaine de Dragons dans la Légion
Corſe , avec Dile Mallard.
NAISSANCE.
Les Juin , vers les fix heures du matin , la Reine
d'Angleterre accoucha d'un prince , en ſonpalais
, près de St James à Londres. Cet événement.
fut auſſi- tôt annoncé au peuple par une décharge
du canon de la tour. Le Roi reçut , àcette occafion
, les complimens de la Nobleſle & des Miniſtres
Etrangers , & le ſoir il y eut de grandes réjouiſſances
publiques. La Cour envoya , le même
jour , des exprès à Hanovre , à Coppenhague & à
Strelitz , poury annoncer cette heureuſe nouvelle.
La Reine& le jeune Prince ſe portent très bien.
210 MERCURE DE FRANCE.
MORT S.
L'abbé de Courtarvel de Pézé, ancien aumô
nier du Roi , abbé commendataire des abbayes
royales de Notre-Dame de Beaupré , Ordre de
Cîreaux , Diocèse de Beauvais , &de Saint- Jean
d'Angely , Ordrede St. Benoît , Diocèſe de Saintes,
eſt mort au Château de Montfort près le
Mans , âgé de quatre- vingt- onze ans& demi.
François-Gabriel de Scepeaux , vicaire-général
deLangres , abbé commendatairedeNotre-Dame
d'Hambie , Ordre de St Benoît , Diocèſe de Cou
tances , & de St Etienne de Femy , Ordre de St
Benoît , Diocèſe de Cambray , eſt mort en cette
ville le 25 d'Avril , âgé de cinquante-quatre ans.
L'abbé Deſmareſt , ancien abbé commendataire
de l'abbaye royale de Montebourg , Ordre de St
Benoît , Diocèſe de Coutances , eſt mort en cette
ville le 25 d'Avril , âgé de quatre-vingt-quatre
ans.
Elifabeth-Henriette de Beauverger de Montgon,
abbefle de l'abbaye- royale de Notre-Dame
deTuflet enAuvergne , Ordre de St Benoît , eſt
morte dans ſon abbaye le 2 d'Avril , âgée de
76 ans. Elle avoit été nommée à cette abbaye en
1734 ; elle étoit alors coadjutrice de l'abbaye de
Chazes.
Le marquis d'Orméa , chevalier de l'Ordre de
l'Annonciade , général& commandeur deTurin ,
y'eſt mort d'une attaque d'apoplexie , dans la
loixantième année de fon âge. Il étoit fils du marquis
d'Orméa , chancelier de robe & d'épée , mort
en1744.
JUILLET. 1771. 211
Marie - Marguerite Larcher , épouſe de François-
ArmandDeſmontiers , comte de Merinville,
meftre de camp de cavalerie , gouverneur de la
ville & du château de Narbonne & port de la
Nouvelle,baron des états généraux de la provincede
Languedoc , eſt morte , en cette ville , le
22Mai .
Charles-François de Riencourt , marquis d'Orival
, brigadierdes armées du Roi , ancien meſtre
de campdu régiment de la Reine , dragons , eft
mort en fon château d'Orival , le 24 Mai , dans
la quatre-vingt-fixieme année de ſon âge.
Marie Brulart de Silleri , ſoeur du feu Marquis
dePuificulx , chevalier des ordres du Roi , miniftre&
fecrétaire d'état au département des affaires
étrangeres , &c. eſt morte en cette ville , le 31
Mai ,dans la foixante-quatorzieme année de lon
âge.
Marie - Madeleine de Caſlan d'Orriac , veuve
d'Armand - Joſeph le Lievre , chevalier marquis
de laGrange& de Fourilie , baron d'Huriel,
eſtdécédée le 21 Mai 1771 , en fon hôtel rue de
Braque; & a été préſentée le 23 dudit mois à St
Nicolas-des-Champs ſa paroifle, & transférée le
même jour aux RR. PP. Feuillans de la rue Saint-
Honoré, lieu de la ſépulture de la famille le
Lievre.
•Louis de Bourbon-Condé, Comte de Clermont,
Princedu Sang , ci-devant Abbé-Commandataire
de l'abbaye royale de St Germain-des-Prez & de
celles de Marmoutier , de Bec & Chalis , ci-devant
gouverneur de la province de Champagne ,
&l'un desQuarante de l'Académie Françoiſe , eſt
mort à Paris, le 16 Juin, vers les ſept heuresda
212 MERCURE DE FRANCE.
ſoir , âgé de ſoixante-deux ans. Ce Prince , univerſellement
regretté , étoit fils de Louis III, Duć
deBourbon-Condé , Prince du Sang , grand-maître
de France & gouverneur de la province de
Bourgogne , mort le 4 Mars 1710 , & de Louife-
Françoiſe de Bourbon légitimé de France , fille du
feu Roi , morte le 16 Juin 1743. La Cour a pris le
deuil , le ſamedi 22 de Juin , pour onze jours , à
l'occaſion de la mort de ce Prince.
Le Comte de Clermont ayant defiré d'être enterré
ſans cérémonie , ſon corps fut porté , le 19
de ce mois , à Enguien , pour y être inhumé. Le
curé de Ste. Marguurite , accompagné de ſon clergé,
le rendit proceffionnellement àl'hôtel du Prince
, où se trouva l'évêque d'Arias qui devoit faire
la cérémonie. Après les prieres accoutumées , le
corps futdeſcendu de la ſalle de parade , par douze
valets- de - chambre ; les quatre coins du poële
étoient portés par quatre gentilshommes. Le cortégedu
convoi étoit compoſé de douze ſuiſſes du
régiment des Gardes , ainſi que des pages , des officiers
, des ſuiſſes &des valets- de- chambre du
Prince , tous à cheval & tenant chacun un flambeau
; dedeux cens valets de pied , de deux cens
pauvres , de cinq carroſſes drapés , attelés de fix
chevaux harnachés & caparaçonnés de noit , &
remplis par les écuyers , les gentilshommes & les
premiers officiers . Le carroſſe à huit chevaux ,
dans lequel étoit le corps du Prince entouré de les
deux aumôniers , marchoit enſuite , précédé par
un carroffe à fix chevaux , dans lequel étoit l'évêque
d'Arras , accompagné du curé & du vicaire de
Ste Marguerite, & du confefleur du Prince , &
ſuivi d'un autre carrofle à huit chevaux , dans lequel
étoitle Prince de Condé , accompagné du duc
JUILLET. 1771. 213
de Nivernois , du marquis de Chamborant , ſon
premier écuyer , &du comte de Maillé , premier
gentilhomme de ſa chambre. Lorſque le convoi
fut arrivé à Enguien , le corps fut préſenté par
l'évêque d'Arras & reçu par le ſupérieur de la maiſon
de l'Oratoire ; & il fut inhumé dans le caveau
deſtiné à la ſépulture des Princes de la branchede
Bourbon -Condé. Le même jour , après le retour
du cortége, le coeur du Comte de Clermont fut
tranſporté à l'égliſe de St Louis , rue St Antoine :
il fut préſentè par l'évêque d'Arras à l'abbé de Ste
Geneviève , accompagné de ſes religieux , en préfence
du Prince de Condé , qui étoit accompagné
du duc de Nivernois , ainſi que de ſes premiers
officiers &de ceux du Comte de Clermont ; il fut
placé dans le dépôt qui renferme les coeurs des
Princes de la Maiſon deCondé..
LOTERIES.
Le cent vingt- cinquième tirage de la Loteriede
l'hôtel-de - ville s'eſt fait , le 25 du mois de Mai ,
en la maniere accoutumée. Le lot de cinquante
mille livres eſt échu au No. 59070. Celui de vingt
mille livres au No. 56898 , & les deux dedix mille
aux numéros 46562 & 55361 .
Letiragede la loterie de l'école royale militaire
s'eſt fait les de Juin. Les numéros fortis de la
rouede fortune font , 64, 78 , 69 , 22 , 85. Leprochain
tirage ſe fera le s de Juillet.
214 MERCURE DE FRANCE.
PIECE
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers&en profe , pages
La Prédilection , ode , ibid.
Le Chien ſauteur , fable , II
Roſemond & Zoa , 15
LeCurieux impertinent , 3
Dialogue entre la Mothe & l'abbé Trublet , 43
Le Logogryphe , conte , 52
Le petit Coton , 57
Eglogue. La Villageoiſe& le jeune Etranger
,&c. 61
Eloge deM. Anfard deMouy , 66
Quatrain , 69
AS. A. S. Mgr le Prince deCondé, ibid
Le Propriétaire& le Fermier , fable , .79
Explication des Enigmes & Logogryphes , 71
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Hiſtoire de France , in- 12 . tom 21 & 12,
Les Tableaux ,
ibid.
> 74
77
83
94
JUILLET. 1771. 215
Traduction en proſe de Catulle; Tibulle &
Gallus ,
MaPhiloſophie ,
97
106
Hiſtoire de l'Empire Ottoman, in- 12.4vol. 124
Entretiens d'une Ame pénitente avec ſon
Créateur,
Coutumes générales d'Artois ,
Principes contre l'incrédulité ,
Epoques les plus intéreſſantes de l'hiſtoire de
134
135
137
France, 139
Piéces détachées , 141
Obſervations ſur la phyſique , &c. 142
La faufle Statue , 143
Lettre à l'Auteur du Mercure , 149
SPECTACLES , Opéra , 150
Comédie françoiſe , 158
Comédic italienne , 159
ACADÉMIES , 179
Arts , Géographie , 173
Gravure , 176
Architecture, 178
Muſique , 179
Lettre à l'Auteur du Mercure ,
180
216 MERCURE DE FRANCE.
Anecdotes ,
Suite des Conſeils d'un père à ſon fils ,
Avis ,
Bienfaiſance ,
Nouvelles politiques ,
Préſentations ,
Nominations ,
Mariages ,
Naiſlances ,
Morts ,
Loteries,
182
284
187
193
194
208
ibid.
209
ibid.
210
213
APPROBATION.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le
premier volume du Mercure du mois de Juillet
1771 , & je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru
devoir en empêcher l'impreſſion.
AParis , le 28 Juin 1771 .
LOUVEL.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe.


MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
JUILLET , 1971 .
SECOND VOLUME .
2 .
Mobilitate viget. VIRGILE.
Reugnei
A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire , Rue
Chriſtine , près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilège du Roi,
i
AVERTISSEMENT.
C'E'ESsTt au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriſtine , que l'on prie d'adreſſer, francs de porr,
les paquets& lettres , ainſi que les livres , les eltampes,
les piéces de vers ou de profe , la muſique,
les annonces , avis , obſervations , anecdoévénemens
finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Fublic , & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur . On prie auſſi de marquer le prix des livres,
eſtampes & piéces de muſique.
tes
,
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres& de ceux quiles
cultivent , ils font invités à concourir à ſa perfection
; on recevra avec reconnoiſſance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront même un titre de
préférence pour obtenir des récompenſes ſur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Pariseſt de 24 liv
que l'on paiera d'avance pour ſeize volumes rendus
francs de port.
L'abonnement pour la province eſt de 32 livres
pareillement pour ſeize volumes rendus francs de
port par la poſte.
On s'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eſt de 36 ſols pour
ceux quin'ont pas ſouſcrit,au lieu de 30 fols pour
ceux qui ſont abonnés. -
On ſupplie Meſſieurs les Abonnés d'envoyer
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Mémoire fur les Haras , 11.4 .
Les Caracteres modernes , 2 vol. br. 31.
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Systême du Monde, 301,
Satyres de Juvenal; par M. Duſaulx ,
in-8°, rel . 71.
GRAVURES.
SeptEstampes de St Gregoire , d'après Vanloo
241.
Deuxgrands Paysages , d'après Diétrici , 121.
LeRoi de la Féve , d'après Jordans , 41.
Le Jugement de Paris , d'après le Trevi-
fain 11.16-1
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET , 1771 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
PALÉMON , Idylle : Imitation libre de
l'allemanddeM. Geffner.
QUE la lumiere de l'aurore
Atravers ces roſiers brille agréablement !
Quels doux parfums exhale Flore !
Que du zéphir le ſoufle eſt attrayant !
Comme l'hirondelle plaintive
Fair , ſur mon toit, retentir ſes concerts !
Comme l'allouette craintive
A ij
6 MERCURE DE FRANCE .
Chante en s'élevant dans les airs !
Le retour du ſoleil rajeunit l'Univers :
Ces ombrages épais , ces tapis de verdure
Ont plus de charmes que jamais ;
Combien mes yeux ſont ſatisfaits
Encontemplant l'éclat de la nature !
Je ſemble rajeunir auſſi ,
Tant ce ſpectacle&m'anime & m'enchante:
Salutaire foutien de mon corps affoibli ,
Ce bâton va guider ma marche chancelante.
Je verrai le flambeau du jour
Dorer de ſes rayons la cime des montagnes ;
J'admirerai ces fertiles campagnes
Et ces forêts qui croiſſent à l'entour.
Quellegrandeur ! quelle magnificence !
Que ce qui m'environne eſt beau !
Quel coup - d'oeil enchanteur ! quel fublime ta
bleau !
Tout est la voix de la reconnoiffance.
Les oiſeaux dans les airs, les bergers dans les
champs
Offrent un bymne au Dieu de la nature
Etces nombreux troupeaux , épars ſurla verdure
Expriment leplaiſir par leurs mugiſſemens.
Combiende tems,grandsDieux ! combien de tems
encore
Serai-je le témoin des bienfaits éclatans
Dont vous m'avez comblé dès ma premiere aurore,
JUILLET. 1771 . 7
Et que j'éprouve auſſi dans l'hiver de mes ans.
Près de cent fois j'ai vu l'aimable Flore
Dans ces climats ramener le printems :
Et quand j'arrête l'oeil ſur la longueur du tems
Ecoulé depuis ma naiſſance ,
Quel trouble agite tous mes ſens !
Cestranſports de mon coeur , ces pleurs attendrif
fans
Que font couler la joie&la reconnoiſſance ;
Sont de foibles remercimens.
Ah! mes larmes , coulez ; coulez en abondance ;
Servezd'hommage à ces Dieux bienfaiſans,
Dont j'ai toujours obtenu l'aſſiſtance.
Lebonheur a filé la tramede mes jours :
Si par fois l'infortune en a troublé lecours,
Tel que l'orage falutaire
Qui ranime l'herbe des champs ,
Lemalheur fur montoitn'a pas refté long-tems ;
Et la tranquillité , de fonbras tutélaire ,
A repouflé ſestraits perçans.
Jamais l'affligeante pefte
N'a faitpérir mes troupeaux ;
Jamais la grêle funeſte.
N'a ravagé mes enclos.
Avec quels tranſports d'allégreflie
Je conſidérois l'avenir ,
Quandmes enfans , o tendre ſouvenir !..
Aiv
-8 MERCURE DE FRANCE.
Me rendoient dans mes bras careſſe pour careffe,
En contemplans ces rejettons naiflans ,
Objetsde ma tendreſſe extrême ,
Je veux , me diſois -je à moi -même ,
>> Je les veux préſerver de tous les accidens:
>>D>u Cielj'obtiendrai l'aſſiſtance ;
Il veillera fur leur enfance ,
Et sçaura feconder mes efforts impuiſſans.
>>De même qu'une jeune plante
:
I
:)
Qui croît & porte au loin ſes rameaux fruce
stueux , Ne
Je les vetrai s'élever ſous mes yeux ,
>>Et d'une main reconnoiſlante , ..
A
>Lorſque les ans blanchiront mes cheveux,
Ils ſoutiendront ma vieilleſſe tremblante.
Enprononçant ces mots pleins de douceut ,
Ces mots dictés par la tendrefle ,
Je les ferrais contre mon coeur
12.
Ils n'ontpoint démenti ce préſage enchanteur
Ils font l'appui de ma vieilleſſe..I
Ainſi j'ai vu cespomiers ,ces poiriers
Croîtreà l'entour dema cabanne;
Ainſi j'ai vu s'élever ce platane
Et ces humides alifiers. 2
T
La plus cruelle de mes peines,
Ce fut , ô ma compagne ; ô ma chere Myrra ,
Quand le ciſeaudes Parques inhumaines
Deton époux te ſépara
viA
JUILLET.
و
1771 .
Le printems , couronné de roſes ,
Depuis ces funeſtes inſtans ,
Adouze fois orné la tombe où tu repofes
De ſes dons odoriférens ;
Mais le jour , l'heureux jour s'avance ,
Où , près de toi couché tranquillement ,
Je jouirai dans le filence
De l'immortelle recompenfe
Que le Ciel équitable accorde à l'innocent.
Je veux que ce beaujour ſoit unjour d'allégrefle :
Je m'en vais raſſembler ſous ces ombrages frais
Tous les gages de ma tendreſſe ,
Juſqu'à mon petit- fils dont la langue s'empreſſe
A bégayer quelques fons imparfaits .
Enſuite aux immortels dont la bonté propice
A toujours béni mes travaux
Nous offrirons un ſacrifice :
L'autel ſera placé vis-à-vis ces berceaux.
Le coeur rempli d'un ſaint délire ,
J'entourerai de fleurs mes cheveux blancs;
Ma foible main prendra la lyre ,
Et j'entonnerai mille chants.
Ma famille ainſi raſſemblée ,
Après avoir rendu grace aux Dieux de nosbiens,
Parmi les plus doux entretiens
Nous mangerons la victime immolée.
ParM. Willemain d'Abancourt.
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
L'ARBRE & LA TERRE.
Fable imitée de l'allemand.
Un Chêne , fier de ſon feuillage ,
Qui s'élevoit juſques aux Cieux ,
Tint à laTerre un jour ce propos orgueilleux :
«Terre, ſur quije daigne épancher mon ombrage,
• Oferois-tu te comparer à moi ?
20
>>Non ; la honte ſeroit pour toi ,
→Etdu débatj'aurois tout l'avantage.
>>Ingrat , lui repartit la Terre avec douceur,
>>Demoi tu tires ta ſubſtance ,
Et tu me traite avec hauteur !
>>>D'où peut venir cette arrogance ?
Es-tu plus grand que moi , tu me dois ta grandeur!
>>Fi des ingrats ;le bien public exige
Qu'ils soient punis avec rigueur.
Je vais t'oter ce ſuc reftaurateur ,
Qui , dans les airs a fait croître tatige ,
•Et nous verrons après les fruits de ton labeur.>>>>
L'ingratitude eſt un vice du coeur ,
Dontrarement on fe corrige ,
Etqu'on devroit punir pour le communbonheur
۱
Par lemême.
JUILLET. 1771 . II
L'ARAIGNÉE &LE VER A SOIE.
Fable.
DANSL'attelier des Vers à Loie ,
Une Araignée , établie à l'écart ,
Unjour en attendant la proie ,
D'undes cocons voiſins vit ſortir par haſard,
Un papillon fringant , voltigeant ſur ſes toiles.
Oh ! oh ! dit - elle en raiſonnant ,
Ce phénomene ſurprenant
Abiend'autres que moi feroit voir les étoiles.
Se peut- il que ce ver en cet oeuf renfermé ,
En papillon ſoit ainſi transformé ?
Ola belle métamorphoſe !
Mais ſans vouloir en pénétrer la cauſe ,
Ne pourrois - je à mon tour faire un ſemblable
étui ?
Devenir papillon & voler comme lui ?
Sije pouvois changer & paroître auffi belle ,
Je ſuis prêteà braver & la faim & l'ennui.
Dans l'eſpoir d'embellir c'eſt une bagatelle.
Oui filons un cocon ſur ce nouveau modèle ;
Jeveux m'y renfermer , & quand ? dès aujour
d'hui .
Dieu merci pour filer j'ai de l'intelligence :
Aufſi- tôt dit , auſſi- tôt fait ,
Avj
12 MERCURE DE FRANCE .
Notre fileuſe , uſant de diligence ,
Rendit bientôt ſon ouvrage parfait .
VoilànotreAraignée , en la toile bien cloſe ,
Attendant lamétempſicoſe.
Cettebelle future , en ce triſte réduit ,
4
T
Cachée, ainſi qu'au fond d'ua puit ,
Mourut bientôtde faim malgré ſon artifice.
Le gibier s'accrochoit hors de ſon édifice.
Pafle encor pour l'ennui ; mais mais de mourir defaim
Même pour s'embellir c'eſt une triſte fin ,
Pourtant plus d'une femme a riſqué l'avanture ,
Plus d'une ainſi s'eſt miſe à la torture
Pour ſe donner taille fine & beauté.
Combiende cors- au-pied pour trop fine chauſſure?
Combien pour redreſſer les torts de la nature ,
Ont expoſé leur bien , affoibli leur ſanté?
Que ne tente-t-on point dans le defir de plaire !
J'en ſçais qui , pour ſemblable affaire ,
Oui pour blanchir leur teint s'arracheroient la
peau ,
Ou, comme l'Araignée , entreroient au tombeau.
د
ParM Guichellet, chanoine dePontdeyaux
enBreffe ,abonné au Mercure.
-1
1
;
JUILLET. 1771 . 13
INCONVENIENS DE LA SÉVÉRITĖ.
:
GERESRESEUUIILL , n'écoutant que ſon coeur ,
s'étoit livré à toute la violence d'une pafſion
condamnée par le marquis de Nemond
fon pere. Cecile, belle & vertueuſe,
avoit fait naître dans ſon ame des ſentimens
que l'abſence n'avoit pu, effacer ;
queles menaces n'avoient pu détruire ; un
lien fecret les uniſſoit; le myſtere prêtoit
des charmes à leur félicité , & la naiſſance
prochaine d'un fruit de leur hymen alloit
la combler , lorſque le fort jaloux les plongeadans
la crainte&dans l'infortune.
Le marquis apprend le mariage clandeſtin
de fon fils; la fureur le tranſporte;
il ne parle de rien moins que de
maiſon de force ; il a du crédit; il faura
ſe venger. Un domestique est témoin de
ſa rage, & court en avertir le couple malheureux.
Gerfeuil embraſſe ſon épouſe ; leurs
larmes coulent enſemble ; la crainte d'être
ſéparés donne àleur amour de nouvelles,
forces; ils croient ne s'être encore jamais
autantaimés.
Les grandes occafions ſont les épreuves
14 MERCURE DE FRANCE.
de l'ame . Cecile ſerre la main de ſon
époux : écoute , lui dit-elle , il faut fuir;
m'aime-tuaſſez pour renoncer aux biens
deton pere ; m'aime- tu affez pour ne les
jamais regretter. Oui , ma chere Cecile ,
je n'oſois, dans l'état où tu es , te propoſer
de partir ; tu le veux , j'y confens ;
je vais intéreſſer la généreuſe pitié de
quelques amis , & dans peu d'heures ,
nous braverons le cruel qui ignore la douceur
d'un attachement vertueux.
,
Gerſeuil, contre l'ordinaire trouva
des êtres ſenſibles qui , le ſachant malheureux
, lui ouvrirent leur bourſe; fa délicatefle
ne lui permit d'y prendre qu'une
fomme peu conſidérable. Il rejoint Cecile;
la nuit dérobe leur fuite ; ils gagnent
àgrandes journées l'Allemagne.
Le Marquis les ſachant enfuis s'en félicita
, tout bien conſidéré ; il étoit trèsavare
, & il calcula qu'il valoit encore
mieux gagner la penſion qu'il auroit fallu
payer pour fon fils&Cecile,que ſe venger.
La néceſſité & l'amour donnentdes forces&
de l'induſtrie. Heureux , puiſqu'ils
étoientenſemble, heureux s'ils pouvoient
yêtretoujours; ils chercherentdesmoyens
pour ſubſiſter , & ils en trouverent. Mde
JUILLET .
1.5 1771 .
Herbert , vieille Françoiſe , qui faiſoit un
petit commerce de bierre, les retira chez
elle; elle les regardoit comme ſes enfans;
ils la reſpectoient comme leur mere. L'amour
& l'amitié offroient chaque jour
mille ſcènes touchantes . Le bonheur habitoit
ce petit réduit... Richefſes ... honneurs
, valez-vous un inſtant de cette ſenfibilité
précieuſe qui anime trois êtres
vertueux unis par les ſentimens les plus
faints & refferrés par l'infortune ! Momens
délicieux que la Providence a réſervés
pour les malheureux , vous ne devriez
jamais finir !
Deux enfans (un fils & une fille) étoient
les gages de la tendreſſe de Gerfeuil& de
Cecile. On ne leur apprenoit pas ce qu'ils
étoient, mais ce qu'ils devoient être.Leur
pere , dans les momens de repos , les inftruiſoit
au bien , en leur prouvant combien
il étoit doux de le faire; par - là it
leur formoit le coeur , & il hatoit en eux
les fruits de la réflexion , dans un âge où
P'on ne recueille encore que des fleurs.
Cecile veilloit aux foins domeftiques ; à
la ſantéde ſes enfans , c'étoit ſon unique
affaire comme fon unique plaiſir ; quand
Gerſeuil étoit abſent elle careffoit ſes enfans,
en penfant àleur pere , &quand il
16 MERCURE DE FRANCE.
revenoit, elle l'embraſſoit fans oublier fa
petite famille. L'excès des paſſions tendres
agrandit nos coeurs &double leurs
fenfations ; on n'éprouve pas un inftant
de vuide quand le fentiment remplit nos
coeurs de ſon divin enthousiasme.
Ils étoient auprès du feu ; Gerfeuil , un
Rolin à la main, ouvroit à fon fils le grand
livre de l'Univers , en lui faiſant fuivre
les révolutions fucceſſives des états , les
chaînes de maux & de biens qui enveloppentla
nature humaine , il l'inſtruifoit en
l'amufant. Cecile , ſa fille ſur ſes genoux,
lui apprenoit à manier l'aiguille .. On entend
un cri dans la chambre de Madame
Herbert ; ils y courent ; elle fe débattoit
par terre ; le fang l'étouffoit ; fa figure
étoit méconnoiſlable ; on lui donna les
plus prompts fecours ; ils furent inutiles;
l'heure de la mort avoit frappé , fon voile
étoit appéſanti ſurſes yeux;Herbert n'étoit
plus.
Je paffe fous filence la douleur , les
regretsde la ſenſible famille : Ames tendres
& malheureuſes , vous connoiflez
combien les coeurs épurés au creuſet de
J'infortune font compâtiſfans ; vous voyez
d'ici couler leurs larmes , en vous rappelant
lapertede quelque ami cher , &mon
JUILLET. 1771 . 17
pinceau ne feroit qu'affoiblir ce délicieux
& cruel ſouvenir.
Mde Herbertleurlaiſſoit fon petitbien;
mais elle n'avoit pu leur laiſſer ſes connoiffances
& fon crédit. Gerfeuil , d'abord
ne vendit pas beaucoup , il finit par ne
rien vendre ; il voyoit avecdouleur toutes
ſes eſpérances s'évanouir.
La ſervante de Mde Herbert ne voulut
pas les abandonner; fans éducation , ſans
lecture, fans philofophie , Marianne étoit
droite, fimple &généreufe ; elle n'avoit
jamais réfléchi; mais elle n'avoit pas beſoin
de réflexion pour faire le bien : je
ne vous quitterai pas , leur dit - elle , où
trouverois-je de plus honnêtes gens.. Ah !
je ferai fiere de ma miſére fi je la partage
avec vous; vos enfans font en bas âge, à
peine l'aîné atteint- il onze ans , que feriez
vous; je fatisfais plus mon coeur en
penfant que je vous fuis utile , qu'en
voyant accroître ma fortune.
:
L'aveugle & légere déeſſe fuit les plaintes
de l'indigence ; elle préfère le palais
fomptueux du riche à l'humble toit de
T'honnête malheureux ; envain nos jeunes
époux tâchent - ils de la rappeler , leurs
efforts font inutiles; ils voient de près la
pauvreté&ſes humiliations.
18 MERCURE DE FRANCE.
Lesmeubles ſont vendus ,& pourcom.
ble d'infortune , Cecile tombe malade ;
il lui falloit du ſecours ; voir périr ce
qu'onaime lorſqu'on peut le ſauver, Gerſeuil
n'étoit pas capable de cette barbarie;
il prit ſur le champ ſon parti. Fier de l'action
qu'il venoit de faire , il rentre chez
lui : Marianne , dit- il à la bonne fervante
, j'exige que tu faſſe croire à ma
femme que je ſuis à la campagne pour
terminer quelques reſtes de compte.-
Quoi , Monfieur , vous l'abandonnez !
Non , Marianne , non; mais il faut la
ſauver : voici vingt écus , cours en acheter
les drogues néceſſaires. -Qui vousa
donné ? .. C'eſt à moi ſeul que je les
dois; je ſuis foldat. -Et que va-t-elle
devenir ? LeCiel, peut- être, nous donnera
des moyens... Le mal étoit preffant
, il falloit un remède prompt ; cache-
lui mon projet juſqu'à fon entier rétabliſſement
, adieu Marianne ; amenemoi
mes enfans ; adieu mes chers petits ,
adieu ..
Marianne obéit; tous les foirs en ſecret,
Gerfeuil venoit ſavoir des nouvelles
de ſon épouse ; bientôt il apprend qu'il
n'y aplus rien à craindre ; que Cecile eſt
convalefcente... Chaque jour elle demanJUILLET.
19 1771 .
doit fon époux ; chaque jour un nouveau
prétexte retardoit fon retour. Marianne
fut enfin obligée de lui avouer l'action
héroïque de Gerfeuil : le cruel , s'écrie
Cecile , en fondant en larmes ! que ne me
laiſſoit-il mourir ?Peut-il penſer que loin
de lui , la vie me ſoit précieuſe ?que vaisje
devenir!que faire ici bas !
Marianne, en ce moment , lui préſente
ſes enfans ; Cecile ſent par cette action
& par le filence éloquent de Marianne
qu'elle devoit penſer à eux ; elle les embraffe,
& regardant la digne domestique...
Leurdevoircomme le mieneſtde ſe ſacrifier
pour leur pere ; il s'eſt ſacrifié le premier
pour nous... Marianne je le veux ,
-vendez mes robes , mon linge , vendez
-tout , que je puiſſe aujourd'hui rendre
la liberté à inon mari. Marianne exécuta
les ordres de Cecile ; elle fit plus, car elle
yjoignit ſes petits effets ſans ledire àla
maîtreffe.
La fomme qui réſulta de cette vente
n'étoit pas bien conſidérable ; Cecile cependant
ſe préſente chez le capitaine de
fon époux & ſe jette à fes pieds : le bon
Allemand , touché de ſes graces &de ſes
larmes : qu'avez- vous , lui dit- il? hélas !
Monfieur , mon mari pour me procurer
20 MERCURE DE FRANCE.
?
des ſecours indiſpenſables dans ma maladie
, s'eſt engagé ; je ne puis vivre ſans
lui ; j'ai ramaflé cet argent, je vousl'apporte.-
Eh ! que vous reſte-t- il ?. rien;
maisj'aurai mon mari , avec lui j'oublie
mes maux. Sans lui que deviendrois - je
que deviendroient mes enfans? Ah ! Monfieur
, ne me refuſez pas ; je mourrois à
vos pieds... Confolez - vous , lui répond
le capitaine,voici le congé de votre époux;
jeme chargede tout , gardez votre argent.
Cecile lui témoigna fa reconnoiſſance
de la maniere la plus expreſſive. Elle vole
au régiment ; Gerſeuil frémit en ſe voyant
découvert , mais il ſe raffure lorſque fa
Cecile lui tend la main en fouriant ; il lit
le congé ; apprend la générofité du capitaine
, tous deux vont embraſfer les genoux
de leur bienfaiteur.
La petite fomme qu'il avoit refuſée ne
dura pas long- tems ; la conſommation de
cinq perſonnes eft toujours conſidérable ,
malgré leur frugalité. La miſére vintbientôt
les affaillir. Obligés de changer de
noms , de quitter leurs demeures , un grenier
eſt leur aſyle. Là , ſur la paille s'établiffent
nos cinq malheureux. Cecile ne
penſe qu'à fes enfans; elle leur fait un lit
qu'elle arroſe de ſes larmes; quel fort ,
JUILLET. 1771 . 25
quel avenir, pauvres infortunés !ODieu !
tu leur fais payer cher nos plaiſirs ... Mon
fils , tu connois déjà tous les malheurs !
apprends à connoître toute ta force. Voici
le moment d'avoir de la conſtance ; Dieu
nous éprouve , il nous aidera ſi nous avons
du courage.
Ils affectoient tous les deux une tranquillité
qu'ils n'avoient guères : furcroît
de malheur ! la bonne Marianne eſt écraſée
par un cartoffe; on l'apporte fracaffée ,
mourante , poutlant des cris aigus... Tous
fes maux paroillent adoucis lorſqu'elle
apperçoit ſes amis ; elle les embraſſe ; les
couvre de ſon ſang&de ſes larmes , expire
dans leurs bras ; ô mort , ne devroistu
pas reſpecter des êtres qui honorent fi
bien l'humanité !
Ignorée dans leur grenier , cette triſte
famille manqua bientôt de tout : la faim
ſe préſenta avec toutes ſes horreurs. Cecile
fondoit en larmes ; elle embraſloic
ſes enfans , puis elle s'éloignoit d'eux
avec effroi ... La fleur de la jeuneſſe étoit
fanée ſur leurs viſages ; la maladie , la
pâleur y avoient fixé leur domicile ; leurs
yeux étoientenfoncés , éteints , & la mort
ſembloit n'attendre qu'un inſtant pour:
fondre ſur ſa proie.
L'amour n'exiſtoit plus parmi eux; la
1
22 MERCURE DE FRANCE.
nature avoit preſque perdu ſes droits ; les
ſoupirs , les regrets avoient ſuccédé aux
tendres careſſes , aux doux tranſports ...
Les enfans repouſſoient leur mere , & la
mere ne les touchoit qu'avec terreur ;
Gerfeuil , l'oeil fixe , appuyé contre le
mur , cachant ſon viſage avec ſes mains ,
eſſayant de dérober à un de ſes ſens ce
ſpectacle affreux qui les affectoit tous ,
devoroit ſa rage& maudiſſoit ſon exiftence.
Le ſoir vient , les enfans gémiſſent &
demandent du pain... Cecile , le coeur
déchiréde leurs plaintes, les montre à fon
mari... Tu vas doncles laiſſer mourir, lui
dit-elle avec amertume; àquoi ſerventies
noires réflexions ? Est- ce ainſi que tu ſauveras
tes enfans ; la nuit étend ſon voile
fur la nature ; va émouvoir la charité des
ames ſenſibles. -Demander l'aumône ,
moi! -Dois tu rougir d'aller demander
pour tes enfans; aime tu mieux les voir
périt ?-Non , non , je mourrois avant
vous; o Dieu ! ſeconde mes efforts , tu
vois nos maux & notre réſignation .
Gerfeuil fort ; il reçoit , après bien des
humiliations , une légere pièce de monnoie
; il court en acheter un morceau de
pain ; il le porte à ſa famille éplorée . Cecile
le lui arrache des mains pour le donJUILLET.
1771 . 23
ner à ſes enfans ; la tendreſſe maternelle
la rend avate ; elle auroit voulu en refufer
à fon époux , à elle même.
Le lendemain ſes ſoins font infructueux
. Gerſeuil arrive ſans ſecours . La déſolation
, les pleurs font le ſeul accueil qu'il
reçoit; vingt fois il fut tenté de ſe tuer
pour éviter cette douloureuſe reception .
La crainte du Dieu qui le créa , fon attachement
pour ſa femme & fes enfans ,
arrêterent fon bras .
Déjà le ſecond jour étoit prêt à finir ;
Gerſeuil rebuté , ſans force , fans eſpoir ,
remonte à fon horrible galetas ; on l'entoure
, on le regarde avec des yeux avides ,
la bouche béante , les bras tendus ; on attend
l'arrêt ; ſon ſilence, fon air triſte en
apprennent affez ; les enfans pouſſent des
hurlemens & vont ſe rouler ſur le fumier
qui leur fert de lit. Les convulfions de la
rage s'emparent d'eux ; ils veulent ſe déchirer
; ſe brifer la tête; le déſeſpoir leur
fournit des imprécations horribles.. Cecile,
aigrie par tant de inaux , devient aufli
furieuſe... Malheureux , dit-elle àGerfenil
, que ne nous égorge - tu ; tu crains
de t'avilir en implorant la pitié des paffans
,&ton orgueil nous afſaſſine, monftre
indigne d'être pere.-Arrête , tu me
24 MERCURE DE FRANCE.
déchire le coeur... Chere Cecile , peuxtu
me traiter ainfi , moi- même je ſuis
épuisé. Des légumes à moitié gâtés , que
j'ai ramaflé dans la rue , m'ont foutenu
quelques momens ; à préſent mes jambes
chancelent , mes yeux ſe troublent , le
coeur me manque .. &tu as la cruautéde
m'accabler encore... Ah ! fi mon fang
peut vous nourrir , prenez - le, il va couler...
Cecile retient lebras de ſon époux,
lui ferre la main ... Tous deux s'embrafſent;
les larmes coulentde leurs yeux ;
mais un ſpectacle déchirant rend à Cecile
fa fureur. Tu pleure... lâche... vois- les ..
ils arrachent le plâtre des murailles ; ils
vont ſe dévorer eux -mêmes ; il faut finir
leurs maux , aide-moi... Dieux ! .. Cecile!.
toi ... que vas tu faire.. Mafemme
, au nom de Dieu , un inſtant.. Je te
conjure... Je me jete à tes pieds.. Il ne
me faut qu'une heure. Cecile , rappele ta
raifon.. fi dans une heureje n'apporte pas
du pain , nous mourons tous enſemble...
Appaife les en attendant.
Il ſe munit d'un mauvais piſtolet qui
étoit caché dans un coin du grenier &
fort.
Ilgagne une rue détournée , déterminé
à arrêter le premier paſſant :Un homme
âgé
:
JUILLET. 1771 .
25
âgé ſe préſente ; Gerfeuil fort de fon embuſcade
, lui demande la bourſe ou la vie.
Grace , s'écrie le paſſant : la voici.
Aces mots, Gerſeuil cache le piſtolet ,
fait un cri & tombeaux pieds du vieillard;
celui - ci troublé ne s'apperçoit que de ſa
liberté. La patrouille paſſe; on ſaiſit Gerfeuil
qui ſe cachoit le viſage avec fes
mains ; il eſt conduit chez lejuge , & renfermé
dans une ſalle baſſe. Le paſſant
monte faire ſa dépoſition .
Un des gardes avoit reconnu l'aſſaſſin ,
pour Jonhs ( c'eſt le nom que Gerfeuil
avoit pris ) Il propoſe au juge d'aller chercher
la femme & les enfans du prifonnier
, pour ſavoir s'ils font ſes complices.
On fait monter Gerfeuil pour le
confronter ; il s'obſtine à ſe cacher.
D'impitoyables ſatellites , plus cruels
que les ordres qu'ils avoient reçus , traînoient
Cecile mourante & ſes enfans hebetés
qui s'accrochoient à elle. En voyant
un pere , un époux garrotté, tous trois oublient
leur faim & pouffent un cri .. A ce
cri déchirant , Gerfeuil tourne ſes regards
fur eux & les porte enſuite vers ſon accuſateur.
Celui - ci , juſque là immobile ,
tombe dans des convulfions ; on le ſecourt...
Dieu , dit-il d'une voix foible ,
II. Vol. B
26
MERCURE DE FRANCE.
c'eſt mon fils , c'eſt ma fille , ce ſont mes
enfans ! .. Meſſieurs , reprend- il avec plus
de fureur , laiflez , laiſſez-moi que je l'interroge...
Qui t'a porté à cet attentat?as-tu
voulu fouiller tes mains du ſang de ton
pere ? Epargnez -moi cethorrible ſoupçon;
pouvois - je vous connoître , vous ſavoir
en Allemagne ! ah ! mon pere , n'ajoutez
pas aux malheurs dont vous avez furchargé
ma tête, l'horreur de croire votre
fils capable d'un pareil parricide;mon piftolet
n'étoit point chargé ; le beſoin , la
mifére m'ont obligé d'aller demander de
forcede quoi prolonger l'exiſtence de ma
malheureuſe famille : voici ma femme ,
voici mes enfans, depuis deux jours ils
n'ont rien mangé. Cecile, rappellant toutes
fes forces, adreſſa ces mots au Marquis
:
Jouis, cruel ,jouis de ce ſpectacle digne
de ton implacable avarice ; viens t'abreuver
de notre ſang; ta belle fille , tes petits
enfans vont mourir àtes yeux de faim &
de rage , & tu traîne toi même ton fils à
l'échafaud ... Tu reſteras ſeul.. & tu n'en
fouffriras pas moins. Dieu eſt juſte , il te
laiſſe la vie , & des remords ; ta confcien.
ce te ... Ah ! Cecile , s'écria Gerſeuil ,
n'outrage pas mon pere; il ſeroir indigne
JUILLET. 1771 . 27
de nous de vouloir nous venger ; nous le
ſommes par ſes regrets intérieurs ; nous
le ſommes par la pâleut qui règne ſur ſon
front, par les larmes qui baignent fon
viſage ; au nomde Dieu, mon pere , faitesdonner
quelque nourriture à ces pauvres
infortunés : Meſſieurs , de lapitié...
Ily adeux jours qu'ils ne mangent point ;
on leur fit prendre des reſtaurans , on lui
enoffrit auffi , il les refuſa , & s'adreſſant
àfon pere :
En quittant la vie , puis je eſpérer que
vous m'accorderez une grace bien chere
àmon coeur , protégez ces trois victimes
du fort ; leurs careſſes vous conſoleront
de ma perte ; vos bontés adouciront leuts
maux ... Adieu ma femme , adieu mes
pauvres petits ; ne maudiſſez pas votre
pere... embraſſez-le, embraſſez- le encore,
embraffons-noustous les trois; c'eſt laderniere
fois ... Adieu... retiréz- vous tous,
laiſſez - moi penſer à mes derniers mómens...
Tombez aux genoux de mon
pere , & dérobez lui l'affreux ſpectacle de
ma mort. Non, tu ne mourras pas , s'écrie
le Marquis ; je ſerois trop crimineh Tu
vivraspour ſentir mesbienfaits &oublier
mes cruautés ; je vole à la cour; j'intéreſſerai
par mes pleurs ; je tomberai aux genoux
de l'Empereur ; j'y expirerai , s'ille
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
faut , ou j'obtiendrai ta grace. Ah ! que ne
m'as-tu privé du jour... tu te vengeois
d'un barbare... Mais , non , à ma voix tu
as jeté tes armes ; tu es tombé à mes ger
houx , & je t'ai accuſé... Meſſieurs , attendez
le ſuccès de mon voyage , je ſuis
✓ pere , vous me répondrez de leurs jours ;
ôma fille! mes enfans , ſi déſormais je
vois couler vos larmes , ce ſeront celles de
la reconnoiſſance... Adien , je ne reſpirerai
que lorſque je tiendrai votre grace.
Il expoſa à l'Empereur l'avanture de
fon fils, d'une maniere ſi pathétique, qu'il
obtint ſur le champ le pardon qu'il demandoit;
il revint la leur porter . Lesames
ſenſibles& tendres oublient plus facilement
les maux qu'on leur a faits : ils ne
virent plus dans le Marquis qu'un pere
chéri & refpectable ; l'amitié les réunit ,
&verſa fur eux ſes plus douces faveurs.
Le vieillard pleurait en ſe reſſouvenant
dequel bonheur il avoit penſé priver ſes
vieux jours ; bientôt la mort vint finir ſa
carriere. Il fut regretté ſincerement. Les
époux retournerent en France, s'établirent
dans leurs terres où ils apprirent à leurs enfanslegrand
artd'être heureux &celuid'en
faire

Par M. le Chevalier D. G. N.
JUILLET. 1771. 29
Sous
EPITRE A ZAIDE.
ous ces rochers * qu'une éternelle main
A l'Océan mit pour ſervir de frein ,
Eſt une grotte obſcure & ſpatieuſe
Que chaque jour la vague ambitieuſe
Mouille deux fois , & deux fois laiſſe à fec.
Le plus hardi qu'étonne ſon aſpect
Pafle en tremblant ſous ces maſſes ſaillantes,
L'une ſur l'autre en ruines pendantes.
Achaque inſtant l'air qui ſoutient leur poids
Semble céder & céde quelque fois.
Un ſable pur , mêlé de coquillage ,
Eſt parſemé dans cet antre ſauvage ,
Et le varech en tapiſſe les murs.
Dans les recoins de cent détours obſcurs
Des fils d'Eole une troupe murmure ,
Et pour ſortir s'empreſſe à l'ouverture.
Juſques au fond jamais ne pénétrant ,
L'aſtre du jour la regarde en mourant.
Là, quand le flux par une loi conſtante ;
Vers Albion preſſe l'onde écumante ,
Je ſuis le cours de mes douces erreurs.
Dans cet aſyle où les anciens rêveurs
* Hautes falaiſes auprès de Dieppe .
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Voyoient Thétis ou quelque Néréide ,
J'aimerois mieux rencontrer ma Zaïde.
Quel est le charme où mon eſprit ſe perd!
Comme un beau fruit trouvé dans un déſert,
Ames regards ſoudain tu te préſente ;
Toi-même ; oui . Zaïde triomphante
Vole vers moi : me fait voir les dangers
Qu'ont , fans trembler , franchi ſes pas légers.
Le ſombre aſpect de cette folitude ,
Les eaux , ce roc pour toi n'ont rien de rude.
Nous avançons : pour te prendre en mes bras ,
Je m'applaudis quand tu fais un faux pas.
Ates accens , l'écho ſurpris s'éveille.
Achaque pas ton eſprit s'émerveille
Encontemplant les miracles divers
Queſur ſesbords la mer a découverts .
Lorſque laflés d'errer ſur le rivage ,
Nous atteignons une plus douce plage ,
Sur un rocher qui domine les flots ,
Tume convie à goûter le repos.
Nous nous taiſons : cette mer impuiſſante
Briſe à nos pieds ſa vague mugiſlante.
Foibles humains ; ainſi de vos efforts
Nous nous rions ſur ces paiſibles bords .
Ici vos traits ne peuvent nous atteindre ,
Nousvous plaignons ne pouvant plus vous crain
dre.
* Nul intérêt ne nous lie avec vous .
Vous ne pouvez qu'être bons envers nous.
JUILLET. 1771 . 31
Auſſi , pouſſés par un amour ſincere ,
Nous embraſſons l'une & l'autre hemiſphere.
Là , dépouillés de titres , des faux biens ,
Nature ſeule afſſortit nos liens ,
Simples , égaux , humains , tels que nous ſommes,
Anos regards là vous êtes des hommes ,
Hommes , hélas , plus foibles que méchans !
Nous connoiſſons vos funeſtes penchans ,
Et parmi vous , le fort qui vous entraîne
Pourroit forcer nos ames à la haine.
Nous vous aimons : nous avons ſoin de fuir.
Fuir eſt un mal moins grand que de haïr.
Cet élément théâtre des orages
Offre à nos yeux , vos travaux , vos naufrages.
Que faites-vous? Par quel démon pervers
Etes-vous donc emportés ſur ces mers !
Dieux , quels climats ſont ſouillés de vos crimes !
Que cherchez-vous à travers ces abîmes ?
Quoi ! .. le bonheur! .. Zaïde ,il eſt ici.
Celieu déſert ... & l'antre que voici...
Nousſommesdeux: que faut-il davantage
Pous être heureux ? .. Qu'unbaifer foit le gage...
Maisje me trompe : un teveil peu Aatteur
Vientm'enlever mon fonge & mon bonheur.
Qui , je ſuis feul : fur ce ſable perfide
Je cherche en vain le nom de ma Zaïde.
Enmille endroits ma main l'avoit gravé.
B1V
32
MERCURE DE FRANCE.
Ciel! à la fois tout m'eſt-il enlevé ?
En refluant le flot jaloux l'efface.
Mais dans mon coeur mon amour le retrace.
Il faut partir : avec quels ſifflemens
L'onde en courroux lutte contre les vents.
Les aquilons dans une nuit profonde
Ont confondu le ciel , la terre & l'onde .
Zaïde , dis , quel caprice ſoudain
A pu ſi- tôt changer ce jour ſerain
Et cette mer fi tranquille & fi belle?
Mais n'es-tu point inconſtante comme elle ?
L'EFFET DE LA PEUR.
Conte imité de la Femme tendre , imité de
l'allemand de Gellert.
UN contrat bien en regle& le oui prononcé
Avoient , à Licidas , engagé Célimene ;
C'étoit , depuis ce moment fortuné ,
Chez le couple charmant une brillante chaîne
De ris , de plaiſirs &de jeux.
Mais rien ne peut durer: d'un mal très - dangereux
L'époux atteint , bientôt va voir Dieu face à
face:
L'épouſe ſe déſole , & , depure grimace
Aucun n'oferoit la taxer.
JUILLET. 1771. 33
1
(Hymen n'apas encor vu dix mois s'écouler. )
«O mort , s'écrioit- elle ! ô mort ! s'il eſt poſſible ,
>> Si tu n'es pas tout- à- fait inflexible ,
>> Prends-moi plutôt & laiſſe mon mari. >>
La Mort l'entend , elle accourt à ce cri :
« Me voilà , qui m'appele ?
1
:
>>Eſt- ce vous notre épouſe ? >> Oh ! non , répon
dit-elle.
(Tant la frayeur trouble par fois l'eſprit ! )
Mais c'eſt ce moribond étendu dans ſon lit.
Par M. Lau... de Boi...
LES DEUX AMIS
Anecdote Espagnole.
ALIX & Zudima avoient été élevés
enſemble depuis l'âge de deux ans jufqu'à
celui de dix- huit. Leurs caracteres
étoient fi ſemblables qu'on les auroit pris
pour deux freres , & ce fut fans doute le
premier motifde l'amitié qu'ils conçurent
l'un pour l'autre. Ils étoient tous
deux d'une très - grande maifon , l'une Ef
pagnole , & l'autre Américaine. Leurs
peres les avoient envoyés en France à l'âge
de huit ans pour y apprendre la langue .
La facilité qu'ils avoienttoujoursmontréa
B
34 MERCURE DE FRANCE.
dans leurs études , & qui ne les démentit
point en cette occafion , la leur fit ſavoir
enmoins d'une année. Ils revinrent donc
à Madrid, y acheverent leurs exercices, &
firent enſemble deux campagnes contre
les Maures. Mais je n'entrerai dans aucun
détail à cet égard , ni fur mille petites circonſtances
qui les unirent de plus en plus,
& à tel point que dans l'armée on ne les
connoiffoit , pour ainſi dire , que ſous les
noms d'Oreſte &de Pilade.
Cependant le moment de fe ſéparer
approchoit , l'Américain devoit partir
pour la Jamaïque où ſa famille étoit &
defiroit de le connoître .
Cette idée de ſéparation étoit le premier
chagrin qu'ils euffent éprouvé de
leur vie , & leut fut extreinement ſenſible
; cependant Alix obtintde ſon perela
permiffion de conduire fon cher Zudima
juſqu'à Lifbonne , où il devoit s'embarquer.
Leurs adieux furent des plus tendres,&
ils fe firent mutuellement les plus
grandes promefles de ſe donner de leurs
nouvelles le plus ſouvent qu'il leur feroit
poffible.
Zudima fit le voyage le plus heureux ,
& trouva dans la maiſon paternelle tous
les agrémens qu'il avoit pu y deſirer , &
fur-tout une foeur nommée Aline , qu'il
JUILLE F. 1776. 35
ne connoiffoit pas , étant venu en Europe
dès ſa plus tendre enfance , & fa foeur
ayant été élevée en Amérique par une de
ſestantes, leur mere étant morte depuis
plus de dix ans.
Célime , tante d'Aline , préſenta ſa niéce
à ſon frere qui lui fit l'accueil le plus
tendre :Zudima trouva ſa ſoeur charmante;
elle ajoutoit , aux graces d'une jolie
figure , le caractere le plus deſirable dans
une femme ; Aline trouva les mêmes
agrémens dans ſon frere , & leur amitié
endevintplus prompte & plus vive .
Aline, entrant un jour dans la chambrede
fon frere , le trouva dans l'attitude
d'un homme plongé dans les réflexions
les plus profondes. Il tenoit un portrait
qu'elle ne vit pas d'abord , c'étoit celui
d'Alix, Qu'avez - vous donc , mon cher
Zudima , lui dit- elle ? Auriez - vous
quelques ſujets de vous plaindre de
moi ? Non , ma soeur , je ne dois au
contraire que m'en louer ; j'ai trouvé en
vous une douceur & une amabilité qui ne
s'eſt jamais démentie ,& qui doit faire le
bonheur de mes jours ; mais , ma chere
Aline , vous ne pouvez me faire oublier
un ami que j'ai laillé en Europe ,& dont
je ne vousai point encore parlé , c'eſt le
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
fils d'un ami de mon pere ; nous avons été
élevés enſemble ; nous ne nous étions jamais
quittés,&je ne me ſuis douté de ce
que c'eſt que privation qu'au moment où
il a fallu nous ſéparer pour ne nous revoir
peut- être jamais ; il lui montra en mêmerems
le portrait de fon cher Alix qu'il
avoit pofé à côté de lui à l'arrivée de ſa
foeur : fi votre ami , dit Aline , a d'aufli
bonnes qualités & autant de douceur de
caractere que ſa phyſionomie en annonce,
je ne fuis pas étonnée que vous le regretiez.
Cette converfation en occaſionna
beaucoup d'autres entreZudima&Aline,
&ce fut un lien de plus à l'amitié qui les
uniſſoit déjà .
Il y avoit dix - huit mois que Zudima
étoit à la Jamaïque lorſque quelques habitans
, & enfuite toute l'ifle fe révolta
contre le gouverneur Eſpagnol pour une
taxe qu'il vouloit établir ; ils poufferent
les chofes au point de fe faiſfir du gouverneur
& de le mettre en priſon : la Cour
d'Eſpagne , informée de ce défordre , envoya
des troupes pour contenir les rebelles&
les faire rentrer dans leur devoir.
Alienor , pere d'Alix , fut choisi pour
les commander , & fon tils le ſuivit avec
ungrade honorable. Le pere de Zudima,
JUILLET. 1771 . 37
qui étoit à la tête des revoltés , avoit entraîné
ſon fils dans le parti qu'il avoit embraffé
,& tous deux avoient travaillé avec
zèle à ſe mettre en état de défenſe . Alix
cependant n'avoit engagé fon pere à accepter
le commandement des troupes Efpagnoles
, & lui-même n'avoit entrepris
le voyage de l'Amérique que dans l'eſpérance
d'y revoir ſon cher Zudima ; il étoit
bien éloigné de le croire dans le parti des
rebelles .
Les Eſpagnols arrivent à la Jamaïque ;
les habitans s'oppoſent à leur deſcente
dans l'ifle, & les forcent même de ſe rembarquer
après un combat long & opiniatre.
Zudima cependant avoit donnéde
grandes preuvesde fon courage : ſon pere
étoit au moment d'être fait prisonnier &
emmené par les Eſpagnols à bord de leur
vaiſfeau ; aucun des fiens ne l'avoit ſuivi ,
entouré d'un gros de ſoldats ennemis ;
bleſſé au commencement même du combat
, le ſang qu'il perdoit lui ôtoit ſes forces
, & il alloit être obligé de ſe rendre
lorſque Zudima , qui le cherchoit depuis
long- tems , apperçoit le danger extrême
où il ſe trouvoit ; y vole; fe fait jour à
travers les ennemis ; attaque en furieux
ceux qui déjà tenoient fon pere& cher
38 MERCURE DE FRANCE.
choient à ſe l'arracher , les met, en fuite
&ledélivre.
Zudima , avant cette action , avoit
combattu contre un guerrier qui lui avoit
paru un rival digne de lui ; ilsavoient été
ſéparés dans la mêlée , & tous deux brûloient
dudeſirde ſe meſurer de nouveau .
Il vint donc rechercher celui qui l'avoit
attaqué ſi vaillamment : je viens combattre
contre vous , lui dit-il en l'abordant ;
votre valeur eſt digne de mon courage ;
j'accepte le combat ,ditle guerrier : leurs
caſques baiflés , la pouſſiere & l'action qui
les animoit les empêcherent de ſe reconnoître.
Ilss'attaquerent avec vivacité , &
furent quelque tems à n'avoir l'un fur
l'autre aucun avantage ; enfin Zudima ,
enportantun coup de fabre fur la tête de
fon adverſaire, coupe les courroiesdu cafque
qui tombe au même inſtant : on ne
peut exprimer les mouvemens dont fon
coeur fut agité à la vue de fon ami qui
avoit été renverſé de la violencedu coup ,
&lui tendoit les armes en ſe rendant fon
prifonnier. Zudima le crut bleſſé mortellement
, & fa victoire lui parut affreuſe.
Il jeta fon cafque, & fur auſſi-tôt reconnu
d'Alix. Ces deux amis reſterent quelque
tems ſans pouvoir parler; la joie ,la dou
JUILLET. 1771 . 39
leur, la crainte , la ſurpriſe avoient fufpendu
leurs fens & leur voix. O mon
ami , dit enfin Zudima ! quel étoit notre
avenglement , quelle étoit notre fureur ,
&que je déteſte ma victoire ; je ſuis cependant
heureux que les loix de la guerre
medonnentle droit d'emmener chez mon
pere un prifonnier de votre eſpéce , dont
la vie m'eſt auſſi précieuſe & fur laquelle
je ferai à portée de veiller. Alix , que la
trempe de fon caſque avoit garanti , embraſloit
fon ami , & ne pouvoit s'en déracher
; ces premiers momens donnés à la
nature , ils fe mettent en chemin & arrivent
à la nuit fermée chez le pere de Zudima.
On y étoit extrêmement en peine ſur
fon fort , & la joie fut extrême auffi- tôe
qu'on le vir paroître. Sa four fur-tout l'attendoit
avec la plus vive impatience &
dans les plus grandes alarmes. Il raconta
fon hiſtoire en peu de mots &avec modeſtie
, & leur préſenta Alix , non comme
ſon prifonnier , mais comme ſon ami ,
qu'il avoit eu le bonheur de retrouver ;
cependant on amens au pere de Zudima
pluſieurs prifonniers que l'on avoit fait
dans le combat , & fa ſurpriſe fut fans
égale de retrouver&de reconnoître , par
40 MERCURE DE FRANCE.
mi eux , Alienor , pere d'Alix. Ah ! mon
ami , lui dit-il , quel deſtin nous oppoſe
l'un à l'autre ? Alix , qui avoit reconnu la
voix de ſon pere , ſe jeta à ſon cou & augmenta
le trouble où il etoit déjà . Les
Bleſſures qu'il avoit reçues ; le ſang qu'il
avoit perdu , & la fatigue d'une auffi terrible
journée rendirent inutiles tous les
foins qu'on s'empreſſa d'avoir de lui , &
ce reſpectable vieillard mourut dans la
nuit même. Je n'entreprendrai pas de décrire
l'effet que produiſir ce malheureux
événement; la douleur dupere de Zudima
ne pouvoit être égalée que par celle
d'Alix , & la belle Aline eut une trop
malheureuſe occaſion de prouver la fenſibilité
de ſon ame en partageant les ſoins
&les confolations entre ſon pere , fon
frere& le fils de l'ami qu'ils regrettoient.
Cependant les Eſpagnols étoient revenus
en force; les premieres troupes de
débarquement avoient été ſuivies immé
diatement par de nouvelles , dont le
chet étoit chargé des ordres les plus
ſévères au cas qu'il ne trouvât pas déjà
les affaires pacifiées àſon arrivée dans
l'ifle ; il y eut donc un nouveau combat
dans lequel les Eſpagnols , ſupérieurs en
nombre aux troupes de la Colonie , défi
JUILLET. 1771 . 41
rent entierement les Rebelles , & prirent
l'ifle à diſcrétion . Le nouveau gouverneur,
dont la Cour d'Eſpagne connoiſſoit
toute l'inflexibilité , paſſa même l'eſpérancequ'on
avoit conçuede lui à cet égard,
il ſe fit remettre tous les Rebelles , & entr'autres
Zudima & fon pere ; & fans
égards pour les remontrances & les fupplicationsd'Alix,
il les fit embarquer dans
un bâtiment particulier pour les envoyer
travailler aux mines du Bréfil , enchaînés
deux à deux comme de vils eſclaves.
Tout étant enfin pacifié dans l'iffe
Alix fut obligé de retourner en Eſpagne ;
l'intérêt même de ſon cher & malheureux
Zudima l'y rappeloit ; Aline , qui n'avoit
pû lui être indifférente , eût augmenté, s'il
étoit poſſible , le defir qu'il avoit d'être
utile à fon ami .
On avoit cependant rendu compte au
Roi d'Eſpagne de la valeur d'Alix ; de la
perte qu'il avoit faite de ſon pere , & de
la prudence avec laquelle il s'étoit comporté
à la Jamaïque , où il n'avoit pas peu
contribué à faire rentrer une grande partie
de l'ifle ſous l'obéiſſance de fon légitime
ſouverain . Ce prince , qui étoit généreux,
& qui aimoit à récompenfer , manda Alix
anſſi tôt qu'il le ſcut de retour en Eſpa42
MERCURE DE FRANCE .
gne : vos vertus , lui dit-il , ont paflé les
mers avant vous ; je veux faire quelque
choſe qui vous foit agréable , que puis-je
fairepourvous ?
Sire , répondit Alix , en embraſſant les
genoux du Monarque , daignez oublier la
faute de Zudima &de ſon pere , c'eſt le
feul bien que je puiſſe deſirer dans le
monde , & fans lequel tous les autres ne
me ſont rien. Le Roi , ſurpris de la vivacité
avec laquelle Alix lui avoit fait cette
demande , lui en demanda la raiſon . Alix
lui peignit d'une façon ſi naturelle & fi
touchante l'amitié qui l'uniſſoit à Zudima
, & le cruel moment où il avoit cru
avoir donné la mort à fon ami , que ce
prince , attendri du recit d'Alix , lui accorda
lagracede ces illuſtres priſonniers.
S'embarquer , paffer à laJamaïque pour
yconfoler en peu de mots la vertueuſe
Aline& ſa tante , ſe rembarquer auſſi- tôt
pour voler au Perou, & deſcendre juſques
dans les mines profondes du Potoſi , tour
cela n'employa pour Alix que le tems indiſpenſable.
Queſe paſſoit- ildans ſon ame quand,
deſcendu juſques dans les entrailles de la
terre , à la lueur d'un ſombre flambeau ,
il ne vit quedes figures pâles& livides qui
JUILLET.
1771. 43
reſſembloient plus à des ſpectres qu'à des
hommes vivans. Envain parcouroit il les
ſombres détours de ce labyrinthe , il com
mençoit à craindre que ſon ami n'eut déjà
fuccombé à ſa douleur quand ſe ſentant
doucement preſſé dans les bras d'un homme
qu'il méconnoît d'abord , il retrouve
enfin tous les traits de ſon ami. Ces traits,
effacés par la douleur & la fatigue , l'avoient
laiſſé un moment dans le doute ;
mais leurs tranſports n'en furentque plus
vifs : bientôt ils joignirent enſemble le
pere de Zudima qui croyoit ne devoir jamais
revoir la lumiere. Tous trois arriverent
en peu de tems à la Jamaïque ; lajoie
de la vertueuſe Célime & celle de la tendre
Aline furent extrêmes , ainſi que l'avoient
été leur impatience depuis le départ
d'Alix : Zudima & ſon pere ne pouvoient
ſe laſſer de faire éclater leur reconnoiſſance
pour leur bienfaiteur qui crut
alors pouvoir demander Aline en mariage.
Son affection pour fon pere & pour
ſonfrere ; les ſoins généreux qu'elle avoit
eu pour lui pendant ſon ſéjour à la Jamaïque
avoient touché fon coeur&lui avoient
faitdeſirer cette alliance; arrivés enfin en
Eſpagne , le Roi approuva cette union ,
rendit au pere du Zudima ſa confiance ,
44 MERCURE DE FRANCE.
fon rang& ſes biens , & ces heureux amis
vécurent ainſi dans la plus parfaite intelligence
, & dans la plus grande eſtime à
la Courde Madrid où ils avoient fixé
leur ſéjour.
Par Mlle *** , âgée de quinze ans.
TRADUCTION d'une Scène de la Tragédie
de Caton d'Adiſſon .
Le Sénat est afſsemblé pour délibérer fur
leparti que l'on doit prendre à l'approche
de Céfar. Catonypréſide , lorſque Décius,
ambassadeurde César , eft introduit.
QU'UI'ILL entre , (dit Caton) leSénat lui permet
d'avancer.
DÉCIUs .
Unamide Catonne peut trop s'empreſſer...
CATON.
Seigneur , eft-ce à moi ſeul que ce diſcours s'adrefle?
DÉCIUS .
Oui , c'eſt à vos vertus que Célar s'intéreſſe ,
Ee tremblant des malheurs qui menacent vos
jours ,
JUILLET. 17718 45
Vous offre parma voix d'en conſerver le cours.
CATON.
S'il pouvoit à ſon gré diſpoſer de la vie
Detant de citoyens auxquels il l'a ravie,
J'accepterois ſans doute un ſi précieux don ;
Mais le fort de l'état eſt celui de Caton :
Célar peut me ſauver , s'il veut épargnerRome:
C'eſt l'unique bienfait auquel,aſpire un homme
Qui , perdant cet eſpoir, ne pourroit plus ſouf
frir
Ces jours infortunésqueCéſar vientm'offrir.
DÉCIUS .
:
Queparlez- vous encor de Rome &de patrie,
Lorſqu'aux loix du vainqueur elle eſt afſujet
tie?
Ne vaudroit- il pas mieux rechercher aujourd'hui
Un appui dansCésar , & peut être un ami ?
CATON.
Moi , l'ami de Céſar , lorſque Rome eſt ſoumile !
Comptez-vous au ſuccès d'une telle entrepriſe ?
DÉCIUS.
C'eſt pourtant à ce titre& ſous des noeuds fi doux
Que mes ordres portoient de traiter avec vous.
Regardez s'élever ces funeſtes tempêtes
D'où la foudre en éclat va tomber ſur vos têtes.
Tandis qu'il en eſt tems, conjurez vos malheurs.
46 MERCURE DE FRANCE.
Sut le fort de l'état épargnez-vous des pleurs.
Pour cimenter la paix que Célar vous préſente ,
Uniſſez vosdeſtins , Rome en ſera contente ;
Et nous verrons alors la foule des Romains
Admirer dans Caton le ſecond des humains .
CATON.
Je ne peux , à ce prix , conſentir à la vie .
Ceflez un vain diſcours dont mon ame eſt flétric.
DÉCIUS.
Dites-moi donc au moins ce que vous exigez.
CATON.
Qu'il chaffe ſes ſoldats de nos champs ravagés.
Qu'il brife des Romains les chaînes tyranniques.
Que, ſoumettant ſa tête aux cenſures publiques ,
Ilattende ſon ſort du Sénat réuni ;
Et dès ce moment-là je ſerai ſon ami.
Dictus.
Le monde à vos vertus...
CATON.
Je ne ſuis point capable
De pallier le crime & blanchir le coupable ;
Mais fitôt qu'au grandjour on voit fon attentat ,
Quandil eſt condamné par la voix du Sénat ;
Alors plus indulgent au devoir de ma place ,
J'irois au peuple entier folliciter ſa graec.
JUILLET. 1771. 47
DÉCIUS.
Cediſcours faſtueux qui convient au vainqueur
Peut être déplacé dans le ſein du malheur.
CATON .
C'eſt celui d'un Romain qui fuit l'ignominie,
Et brave le tyran , s'il hait la tyrannie.
DÉCIUS .
Qu'est - ce donc qu'un Romain de Céſar ennemi ?
CATON.
Il eſt de la vertu l'inébranlable appui ;
Il eſt plus que Céfar !
DÉCIU S.
De votre république
Voyez ce foible reſte enfermédans Utique,
Vous n'y retrouvez point ce capitole altier
D'où votre voix tonnoît ſur l'Univers entier,
Où le peuple , charmé de vos préceptes ſages ,
Au tribun vertueux prodiguoit les ſuffrages.
CATON.
:
C'eſt César qui nous force à chercher dans ces
murs
Contrel'oppreffion des aſylesplus fürs.
C'eſt lui qui du trépas nous ouvrit les abîmes.
Vous plaignez notre fort : nos malheurs font fes
crimes.
8 MERCURE DE FRANCE.
Mais dépouillons ici ce mortel orgueilleux
De l'éclat des ſuccès qui faſcine vos yeux .
Je vois d'aſſaffinats un énorme aſſemblage ,
Les noires cruautés , la ſacrilége rage
De vouloir captiver les Romains ſous des lois
Que Rome déteſtoit , même aux tems de nos Rois.
Mais s'il ne voit en moi , lorſqu'il m'offre ſes chaînes
,
Qu'un malheureux , courbé ſous le poids de ſes
peines ;
Qu'il ſache que Caton rougiroit d'accepter
D'être égal à César , s'il falloit l'imiter.
DÉCIUs .
Quoi , Seigneur ! eſt- ce- là la derniere réponſe
Que pour le Dictateur votre fierté prononce ;
Lui dont l'offre flatteuſe & les foins généreux...
CATON.
Ses ſoins pour moi ſont vains... mortel préſomptueux
!
Jen'attends rien de lui : cette importune vie
Sans un décret des dieux ne peut m'être ravie ;
Et jamais de mon fort quel que ſoit le haſard ,
Elle ne dépendra des bontés de Célar .
Mais s'il veut nous montrer la grandeur de fon
ame,
D'un moment de vertu ſi le retour l'enflamme ;
Qu'il ſonge à mes amis , qu'il prête ſon appui
JUILLET. 1771. 49
Ades républicains plus vertueux que lui ,
Et faſſe un noble emploi d'un droit illégitime
Qu'il n'obtint juſqu'ici que des ſuccès du crime.
DÉCIU s .
On retrouve toujours dans ce ſuperbe ton
L'inflexibilité de l'ame de Caton...
Votre vertu vous trompe ; une indiſcrette haine
Aux maux qui vous fuyoient malgré moi vous
entraîne.
J'ai tout dit , & je pars. Des efforts que j'ai faits
Quand je raconterai le malheureux ſuccès ;
Rome , ne comptant plus ſur d'impuiſſantes armes
,
A vos triſtes deſtins n'offrira que des larmes.
Par M. Guillemard.
LE TRIOMPHE DE LA MUSIQUE.
Ode de Pope.
DESCENDEZ de la voute azurée , defcendez
, chaſtes Muſes , pour célébrer ce
Lesdeux odes ſur la muſique de Pope & de Dryden
ont acquis une grande réputation même parminous.
Les Anglois oſentles mettre au-deſſus
II. Vol. C
SO MERCURE DE FRANCE.
grandjour . Reveillez , par vos divins concerts
, nos inſtrumens aſſoupis. Faites reſonnet
ma trembiante lyre , elle imitera
le ſon amoureux & touchant de la
voix. Que le luth ſoupire & rende des
accens plaintifs; que la voute de ce temple
treflaille & frémiſſe aux fons éclatans
de la trompette , & que les échos attentifs
les repétent mille fois le jour .
Tantôt l'orgue majestueuſe accorde
lentement ſes tons nombreux & pleins ;
tantôt ſes accords doux & brillans flattent.
légerement l'oreille ; mais lorſqu'ils s'animent
, qu'ils ſe fortifient & s'élevent ,
ils ébranlent la terre& les cieux....
Une muſique vive & hardie fait éclater
la joie ; des airs doux & languiſſans ſe répandent
mollement ſur la ſurface polie de
l'air , puis s'abbaiſſent , s'affoibliſſent par
degrés & ſe perdent confufément dans le
lointain.
La muſique charme l'ame & l'entretient
dans une douce & agréable ſituation.
detout ce que l'antiquité a produit de plus fublimedans
legenre lyrique. Elles étonneront peutêtre
moins dans ma traduction. Le Mercure de
France les publiaen Juillet 1762. Les corrections
&les changemens que je viens d'y faire les feront
lireavec plus de plaiſir.
JUILLET. 1771. SE
Elle ne la ſouleve pas avec trop de violence;
ellene la précipite point dans des
abîmes profonds.
Lorſque lajoie inſenſée&bruyante agite
le coeur & le ſecoue, la muſique le calme &
l'appaiſe par ſa voix douce & touchante.
Lorſque l'eſprit , dévoré par les chagrins ,
eſt entierement abſorbé dans de ſombres
penſées , la muſique le reveille & le ravit.
Elle enflamme les enfans de Bellone
par des ſons rapides & belliqueux ; mais
fur les tendres coeurs bleſfés par l'amour ,
ſa main bienfaiſante étend un baume ſalutaire
qui adoucit tous leurs tourmens.
Voyez , voyez la ſombre Mélancolie ,
remuer ſa tête inclinée& peſante . Voyez
Morphée , ouvrir ſes tremblantes paupières
& ſe lever peu à peu ſur ſon litde
roſes. Voyez la tardive Pareſſe déployer
enſoupirant ſes bras engourdis.
Voyez l'Envie ſecouer ſes ſerpens &
les lancer avec horreur .
Aux fons mélodieux d'une amoureuſe
voix , tous nos fens font enchantés. La
guerre la plus cruelle ceſſe de nous en-
Hammer,& l'aveugle fureur des diſcordes
s'appaiſe& s'éteint.
Mais lorſque le ſalut de la patrie nous
fait courir aux armes , la muſique guerrie
re embraſe tous les coeurs.
r
Cij
32 MERCURE DE FRANCE.
C'eſt alors que le chantre de la Thrace,
élevé ſur la poupe du premier navire qui
affronta la fureur des ondes , touche
ſa lyre mélodieuſe Argos voit defcendre
du mont Pélion ces vieux enfans
de la terre& couvrir le rivage. Les demidieux
volent en foule autour d'Orphée.
Aux divins accens de ſa lyre tous les
mortels ſont des héros. Ils brûlentde jouir
des charmes de la gloire. Les chefs préfentent
leurs boucliers ; ils brandiſſent
leurs épées étincelantes. Les mers , les
rochers& les cieux retentiſſent à-la- fois
de ces acclamations : Aux armes, citoyens,
aux armes , AUX ARMES .
L'amour plus puiſſant encore que la
mort même fait deſcendre Orphée dans
l'épouvantable ſéjour des ténébres que le
noir Phlégeton entoure neuffois de ſes
eaux fumantes. Quels lugubres gémiſſemens
retentiffent de toutes parts ! ce font
les ombres criminelles qui , dans leurs
tourmens éternels , pouſſent des cris de
rage & des hurlemens effroyables.
Qu'entends-je ! Orphée touche ſa lyre
d'or ; les fupplices de l'enfer ſont ſuſpendus;
les ombres accourent en filence . Le
rocher de Syfyphe eſt immobile. Ixion
ſommeille ſur ſa roue. Les noirs ſpectres
du Tartare danſent en foule autour de
JUILLET. 1771. 85
lui ; les Furies tombent ſur leur lit de
fer. Les ferpens qui couronnent leurs têtes
ſe dreſſent pour écouter ſes chants
amoureux.
Il chante; par ces ſources d'eau pure &
éternelle ; par ces zéphirs odoriférens que
careſſent tour- à- tour les tendres fleurs des
Champs Eliſées; par ces ames bienheureuſes
qui habitent les prairies dorées &
les amoureux boſquets d'amaranthe ; par
les ombres guerrieres qui font étinceller
leurs armes dans les fombres allées ; par
les jeunes amans qui font morts d'amour
&qui promenent leur plaintive langueur
ſous les berceaux de myrthe ; rappelez ,
rappelez Euridice à la vie ; enlevez l'époux,
ou rendez-lui ſa chere compagne.
Le poëte chante & l'enfer écoute ſa
priereen filence. La farouche Proferpine
s'adoucit en murmurant. Elle accorde à
regret Euridice à ſon amant; ſes chants
triomphent de la mort & de l'enfer.
Triomphe auſſi difficile que glorieux.C'eſt
en vain que le deſtin a enſeveli Euridice
dans le ténébreux empire que le Styx arroſe
neuf fois . La Muſique & l'Amour
remportent enfin la victoire ; mais le malheureux
amant jette , hélas ! trop tôt les
yeux ſur ſa chere épouſe. Elle meurt ,
A
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE .
elle meurt. Eh! comment pourrez - vous
toucher les fatales ſoeurs ! ſi l'amour n'eſt
pas un crime , tu es innocent , ô divin
Orphée.
Aux piés des montagnes ſuſpendues
ſur ſa tête , aux bords des fontaines qui
rouloient de leur cime ; dans ces lieux où
l'Hébre ferpente & ſe perd en mille détours
,Orphée, ſeul, inconnu , abandonné,
gémit& foupire ; il rappelle ſa chere ombre
qu'il a perdue. Entouré des Furies ,
déſeſpéré , il tremble. Au milieu des neiges
du mont Rhodope il brûle d'amour.
Plus prompt & plus léger que les vents ,
voyez- le franchir les déſerts. Ecoutez le
mont Hæmus retentir du bruit des Bacchantes
, & voyez le mourir. En mourant
il chante Euridice . Ce nom chéri
ranime encore fes lévres éteintes ; bois ,
flots , rochers & vallons , grottes& montagnes
répetent à la fois le nom d'Euridice.
La Muſique appaiſe & charme les douleurs
des malheureux mortels ; elle défarme&
Aéchit à la fin le cruel deſtin. La
Muſique adoucit nos peines , elle rend
même agréable le déſeſpoir & la fureur
des amans. Elle ſçait multiplier enfin
tous nos plaiſirs en les variant ; elle nous
JUILLET. 1771 . 55
fait jouir d'avance des plaiſirs céleſtes.
Tellesfurent tes ſages occupations , divine
Cécile , tu conſacras tes fons harmonieux
aux louanges du Créateur. A peine
l'orgue eut- elle fait retentir le temple de
Dieu , de tes concerts majestueux , que
toutes les puiſſances immortelles deſcendirent
avec reſpect pour les entendre. Les
ames des timides mortels s'éleverentjufqu'aux
cieux. Tes ſaints accords purifierent
le feu ſacré de ta piété. Les Anges
s'inclinerent en choeur pour les entendre.
Que les poëtes ceſſent donc de célébrer
les charmes d'Orphée ; l'éclatante , la divine
Cécile peut ſeule ravir & la terre &
les cieux. Les fons d'Orphée ont arraché
une ombre des enfers. Les chants deCé
cile enlevent les ames dans les cieux.
La Fête d'Alexandre , par Dryden .
L'invincible fils de Philipe célébroit la
glorieuſe conquête de la Perſe , & donnoit
à ſa cour une fête brillante. Elevé fur
un trône radieux , le ſuperbe monarque
reſſembloit à une divinité. Ses illuftres
compagnons, rangés autourde lui, avoient
le front couronné de roſes & de myrthes;
récompenſe digne des guerriers valeu-
Civ
6 MERCURE DE FRANCE .
reux . A fa droite étoit l'aimable Thaïs ,
plus raviffante encore que la déeſſe de
l'Orient lorſqu'elle fait éclore les Aeurs ;
elle étoit dans ſon printems & toute fiére
de ſa beauté.
Couple charmant , couple amoureux ,
vous méritez d'être toujours heureux . Les
héros ont feuls le droit de toucher la beauté.
Les héros méritent les careſſes des
belles.
Le Choeur repéte ; Couple , &c.
Timothée paroît au-deſſus de la troupe
harmonieuſe; ſes doigts légers voltigent
for ſalyre;ſesſons tendres& cadencés qui
s'élevent juſqu'aux cieux , inſpirent une
joie divine.
Il chante. Jupiter ,le maître des dieux,
abandonne le ſéjour de l'empirée. Tel eft
l'invincible pouvoir de l'amour. Il prend
la forme d'un ſerpent pour cacher l'éclat
de ſa divinité ; il s'approche de l'adorable
Olympie ; il la preſſe amoureuſement &
ſe gliſſe ſur fon ſein d'albatre ; de fes tortueux
replis , il forme autour d'elle une
ceinture bouclée , déjà le maître du monde
lui a imprimé fa vivante image.
Le peuple admire en filence ces ſublimes
accords. Déité préſente , déité propice
, s'écrie- t - il ! Les vontes du temple
JUILLET. 1771. 57
retentiſſent de ces acclamations. Le mo
narque , en extaſe , joue la Divinité. Il
ſecoue la tête & croit ébranler la voute des
cieux.
Le Choeur repéte , Le Peuple , &c .
Le chantre amoureux célèbre enfuite
les louanges de Bacchus , toujours jeune ,
toujours charmant. Cet aimable dieu arrive
en triomphe au bruit des clairons &
des trompettes. Son viſage riant & vetmeil
inſpire la joie& les plaiſirs .
Hautbois &trompettes célébrez ſagloire
. Il arrive , il arrive , Bacchus ledieude
la treille , toujours plus jeune , toujours
plus beau.
D'abord il ordonne de boire la coupe
pétillante. Les préſens du dieu de la treille
ſont des tréſors. Le ſoldat boit , s'enivre&
boit encore avec un nouveau plaifir.
Tréſor précieux , ſource délectable .
Après les travaux & les fatigues,le plaifir
de la bouteille eſt mille fois plus délicieux
encore.
Le Cheur repete ; Les préſens du dieu ,
&c.
Enivré par le concert mélodieux de ces
louanges , le fier monarque s'énorgueillit.
Dans fondélire il combat les Perfes. Trois
fois il met en déroute fes ennemis épou-
C
58 MERCURE DE FRANCE.
vantés. Trois fois il ſe plonge dans des
torrens de ſang. Timothée voit la rage du
vainqueur s'accroître. Il voit fon viſage
s'enflamer ; ſes yeux lancer des éclairs.
Tandis qu'Alexandre menace & la terre
&les cieux , le chantre change de ton . Il
dompte l'orgueil du farouche conquérant;
il eſſaie des fons plaintifs pour attendrir
l'ame du héros ; il chante le vertueux
Darius , précipité de ſon trône par un arrêt
du barbare deſtin , nageant dans fon
fang, fans fecours , ſans eſpérances, abandonné
de ſes lâches amis qu'il avoit comblés
de biens. Ce puiſſant monarque de
l'Aſie expire ſur la pouſſiere , ſans avoir
même un de ſes eſclaves pour lui fermet
lesyeux.
Aces triftes & lamentables accens , le
vainqueur du deſtin , le grand Alexandre
baiſſe les yeux ; il rappele dans ſon ame
interdite les outrages de l'aveugle fortune.
Ses ſoupirs qu'il cache le trahiffent de
tems en tems , &ſes yeux répandent des
larmes.
Le Choeur repéte; Aces triftes , &c .
Le ſouverain maître de l'harmonie ſourit
en voyant l'amour renaître dans le
ccoeur d'Alexandre. La pitié l'émeut &le
diſpoſe à la tendreſſe .
JUILLET. 1771 . 59
Timothée adoucit encore ſes accens
mélodieux , il amollit peu à peu l'ame du
héros & le ramene à la volupté.
Il chante la guerre , ſes fatigues , fes
dangers; la gloire qui l'accompagne eſt
une fumée légere; ſes flateuſes eſpérances
font vaines ; toujours renaiſſantes , jamais
fatisfaites; nouveau combat , nouveau
carnage , torrent de calamité publique.
Si l'on peut aſpirer à la conquête de
l'univers , apprens , ambitieux éfrené,que
c'eſt pour en faire le bonheur & la gloire .
La tendre & voluptueuſe Thaïs foupire à
res côtés. Jouis des biens que t'offrent les
ſecourables dieux !
Aces fublimes accens , les cieux retentiffent
d'applaudiſſemens ; l'Amour est
enfin couronné par le plaiſir , mais le dieu
de l'harmonie jouit de toute la gloire.
Le prince ſe livre à ſa bouillante ardeur;
il fixe tendrement la beauté qui l'enflame
; ſoupire, la fixe , ſoupire encore plus
tendrement.
Enivré d'amour &de vin , le conquérant
de l'Aſie , vaincu à ſon tour , tombe
aux pieds de ſa maîtreffe .
Le Choeur repéte; le prince , &c .
Timothée touche de nouveau ſa lyre
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE .
d'or; des fons tendres & languiſſans fuccédent
à des fons bruyans & rapides , ſemblables
à l'effroyable fracas du tonnerre .
Le héros éleve la tête; il eſt arraché du
fommeil de la mort. Honteux de fon
ivreſſe , il regarde fixement autour de lui.
Vengeance , vengeance , s'écrie Timothée
! déchaînez- vous , infernales Furies ;
paroillez ſerpens , filez ſans cefle , répandez
entous lieux la flamme&la rage, l'horreur
& la mort. Avancez , pâles habitans
des ténébres , avancez. Ils portent des torches
ardentes : ce font les ombres plaintives
des Grecs maſſacrés dans les combats
& privés des honneurs de la ſépulture
. Cadavres palpitans& traînés dans la
pouffière , criez vengeance , vengeance !
Tu la dois à cette vaillante troupe , farouche
conquérant. Vois , barbare , vois
comme ils fecouent leurs torches funè
bres ; ils te montrent les palais des Perſes
&les temples ſuperbes de leurs dieux en.
nemis.
Alexandre aplaudità ces lugubres cris
avec une allégreſſe éclarante. Il ſaiſit une
torche ardente pour tout réduire en cendre.
Thaïs le devance , la flamme en
main , & l'entraîne au palais de Perſepolis.
Nouvelle Héléne ; elle embraſe une
nouvelle Troye.
JUILLET. Gr
1771 .
Le Choeur repéte ; Alexandre , &c.
Avant que les pipeaux champêtres &
les cornemuſes euffent commencé d'émouvoir
l'air &de l'agiter agréablement,
lorſque l'orgue ne raiſonnoit point encore
, Timothée , avec ſa flûte & fa lyre ,
pouvoit exciter dans l'ame des mortels la
haine ou l'amour ; mais l'immortelle , la
divine Cecile inventa tous les inſtrumens
harmonieux . De cette ſource abondante
&facrée , cette aimable enthouſiaſte tira
des fons plus variés , plus doux & plus intéreſſans
. Elle ajouta aux jours folemnels
une folemnité raviffante & nouvelle . Son
divin génie créa des arts inconnus& fans
nombre . Que le dieu de l'harmonie lui
céde la couronne ou qu'il la partage avec
elle. Timothée a élevé juſqu'aux cieux un
foible mortel. Aux accords de Cecile ,
tous les choeurs des Anges ſont defcendus
fur la terre pour entendre ſes ſublimes
concerts.
Traduites par M. Lacombed'Avignon.
premiere L'EXPLICATION du mot de la
Enigme du Mercure du mois de Juillet
premier volume , 1771 , eſt Nid d'oiseau;
celui de la feconde eſt Filet; celui de la
62 MERCURE DE FRANCE.
troifiéme eſt Trompette. Le mot du premier
logogryphe eſt Poutre , où l'on trouve
pou , outre en retranchant lep ; celui du
ſecond eſt Somme , fils de la nuit , riviere
en Picardie , l'ouvrage de Saint Thomas ,
quantité numéraire , fardeau ; celui du
troifiéme eſt Etalon , cheval entier , mefure
publique , le nom de certains arbres,
des ais de charpentier , & en retranchant
l'e , reſte talon ; celui du quatrième eſt
Dormeuse , où l'on trouve or , arme , Rcme
, mur , Eve , mure , rufe , Meuse , merde.
ÉNIGME
SOUUVVEENNTT parun défaut de l'art ,
Demon emploi je ſuis fruſtrée ,
Et dans la pouſſiere ignorée
J'en fors par l'effet du hafard.
Vous à qui je ſuis attachée ,
Vous , que je fers , ſexe charmant ,
Quand je tiens la beauté cachée ,
Sous le pli de quelque ornement ,
Ah ! que mon fort eſt différent !
Néceſſaire à votre parure ,
Quelquefois je regne à mon tour ,
Sur ce trône que la nature ,
Elève au grédu tendre amour :
JUILLE Τ. 1771 . 63
Où la pudeur & le myſtere
M'impoſent de ſévères lois
Contre tout amant téméraire
Qui prétend ufurper mes droits .
Je ne ſuis pas toujours ingratte ;
Mais , malgré ſes preſſans deſirs ,
Je ſuis pour l'ame délicatte
Le ſceau ſacréde ſes plaiſirs .
Par M. P ** , à Nantes.
J'Alla
AUTRE.
'Al la peau douce mais fort noire
Je ſuis taillée aſſez biſarrement ;
Je n'ai de moi nul agrément.
Cependant le pourra- t on croire ;
Je ne ſors pas plutôt d'une ſombre priſon
Que l'on voit conſulter les yeux & la raiſon
Pour m'étaller de bonne grace ,
Tantôt je ſuis en haut , tantôt je ſuis enbas:
Enfin après plufieurs débats
Sur la roſe & les lis on me donne une place ;
Mais ſi je tombe par diſgrace ,
Ce qui m'arrive affez ſouvent ;
Autant en emporte le vent.
ParM. le Ch. de L... StJust, au Havre;
MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
RESERVÉ , grave & férieux ,
Défiant & mystérieux ,
Lecteur , il ne m'eſt pas facile
Decontenter les curieux.
Je fus jadis au rang des dieux
Qu'honora laGréce imbécile ;
Mais , plus ſages que leurs ayeux,
Les hommes ont ouvert les yeux ,
Je ne puis plus obtenir d'eux
Qu'une eſtime froide & ſtérile.
Je ſuis prudent , je ſuis diſcret ,
Et pour m'arracher un fecret
Il faudroit être bien habile ;
A la cour& parmi les grands
Je ſuis d'un néceſſaire uſage ;
Je parle un bizarre langage
Qui n'eſt connu que des amans.
Sans moi vainement dans la chaire
Un prédicateur tonneroit ,
Et ſans moi l'acteur ne pourroit
Se faire entendre du parterre.
Certains moines me ſont ſoumis
Par une loi dure & cruelle ;
Mais je ne fus jamais admis
JUILLET. 1771 . 65
Dans un monastere fémelle.
Lorſque Philis ſe met au lit ,
C'eſt avec moi qu'elle ſommeille;
Dans mes bras elle s'afloupit ,
Et quand je fuis, elle s'éveille.
Mais je me ſuis trop dévoilé ,
Et monnom n'eſt plus un myſtère ;
Lecteur , il eſt tems de me taire ,
Je n'ai jamais tant babillé.
Par M. D ***
:
AUTRE.
MONOn nom ſemble annoncer une noble origine?
Je ne ſuis toutefois qu'un meuble aſſez commun ,
Del'eſpéce de ceux dont on n'a ſouvent qu'un.
Selon l'uſage auquel on me deſtine ,
La richeſſe préſide ou la ſimplicité ,
Aux embéliſſemens dont je ſuis ſuſceptible.
L'un préfére l'uni pour ſa commodité ;
L'autre , à l'orgueil , au faſte uniquement ſenſible,
Paye à grands frais l'artiſte induſtrieux
Qui , par un heureux choix de formes élégantes ,
Dedeſſins plus nouveaux , de couleurs plus brillantes
,
Me rend meuble inutile autant que précieux.
Tantôt à vos regards j'offre ſous un feuillage
66 MERCURE DE FRANCE .
Le peuple aîlé des airs qu'appelent ſesdefirs;
Tantôt dans un étroit & riant payſage,
Des villageois danſans qui chantent leurs plaiſirs.
Au grédes amateurs je repréſente encore
Ou les dons de Pomone ou les préſens de Flore ;
Ici des chiens ardens & des cerfs aux abois ;
Làdes repas , des jeux & des concerts chinois.
C'eſt chez les ſouverains , chez les gens de finan-
Chez les Laïs à la ſolde des grands ,
Que l'on trouve encadrés avec magnificence
Ces chef- d'oeuvres du goût & de l'artdes Audrans.
Dansun aſyle obſcur où je ſuis dépourvue
Deces vains ornemens qui charment votre vue ,
Je ſers bien davantage à la félicité ;
Un deſtin plus flatteur eſt alors mon partage ;
Je me vois ſouvent chez un ſage
Le trône de l'amour &de la volupté.
ParM. Gelhay.
LOGOGRYPΗ Ε .
DEux ſyllabes font mon affaire ;
L'une offre aux yeux un animal ,
JUILLET. 1771 . 67
L'autre fait grand bien , fait grand mal ,
Quoiqu'en toutje ſois ſalutaire .
Par M... de Savigny.
AUTRE.
NEUF lettres , cher lecteur , compoſent ma
ſtructure ;
J'ai de l'art , ına façon ; l'être , de la nature ;
Mes trois premieres ſont une prépoſition ,
Que préſente aisément un peu de réflexion ;
Mes fix dernieres ſont ce que ſouvent on paſſe.
Pauvres, comme opulens, parcourent mon eſpace ;
Amontout donne-t-on quelques mots de valeur ?
Je ſuis une richeſle & conſtate un ſeigneur.
ParM.... de Savigny.
AUTRE.
Assis ſur le berceau du monde ,
Je finirai ſur ſon tombeau.
Mon empire s'étend fur la terre & ſur l'onde.
Je rends le fort de l'homme ou plus triſte ou plus
beau.
68 MERCURE DE FRANCE .
Sept pieds en tout forment mon être :
Les quatre premiers font connoître
Pour un coeur bien épris un titre précieux.
Trois de plus , lecteur , j'offre à votre impatience
Ce qui fuit & jamais ne ſe rend à vos voeux.
Vous trouverez en moi ce qu'avec la naiſſance
Vous donna le divin auteur ,
Le nom d'une choſe très-rare
Ala honte de notre coeur ,
Deux élémens , dont un fut le tombeau d'Icare ,
L'épithète d'abſynthe , un mal très-redoutable.
Ce qu'aux dépens de la raiſon
Souvent cherche un počte , une fougue indomptable
;
Ceque dans la belle ſaiſon
On entend dans les champs : ma foi ç'en eſt aflez ,
Devinez-moi bien vite ou ſinon me laiſſez .
ASedan, parun Capitaine du régiment
Dauphin,Dragon.
PARla
AUTRE.
AR la main de Thémis, pour arrêter les crimes
,
Souvent j'immole aux loix de coupables victimes.
En moi l'oeil féminin ne voit rien d'attrayant ,
Quand je brille ſurtout d'un éclat effrayant.
JUILLET. 1771. 69
Lorſque j'aide le bras d'un méchant en furic ,
Tudois trembler , lecteur , je puis t'ôter la vie :
Mais pourtant ne va pas, comme un timide oiſon
,
Te rempliſſant le coeur d'une crainte imbécile,
Palir à mon aſpect , tomber en pamoiſon :
Si tu ſais te munir de force & de raiſon ,
Loinde nuire à tes jours , je puis leur être utile,
Je puis même les conferver.
Hé bien ! àdeviner te ſemblé-je facile ?
Si tu voulois , lecteur , éviter de rêver ,
Je t'apprendrois , pour me faire connoître ,
Que fix pieds ſeulement compoſenttout mon être.
Mes membres diſloqués , moyenant certain tour ,
T'offriront dès l'abord un mal fort deshonnête ,
Qui ſe laiſſe , dit-on , voir ainſi que l'amour.
Cherche encore un noment : ſans te caſſer la tête ,
Tu trouveras ſoudain ce qu'un buveur ſenſé
Laiſſe toujours au fond d'un tonneau bas percé ;
Cequ'avec ſoin nous cache une femme coquette ;
Ce qu'eſt Colas , dans les prés , ſur l'herbette ,
Lorſque , ſans témoins importuns ,
Il rit , ſaute & folâtre auprès de ſa Colette ;
Deux articles fort courts , en françois très - com
muns ;
Unpronom perſonnel ; une note en muſique;
Le premier mot latin du ſalut angélique ;
Et d'un adulateur , toujours approbatif,
L'épithète très-véridique,
70 MERCURE DE FRANCE.
Pour être plus explicatif ,
Je te préſente encore , & c'eſt , ma foi , ſans rire,
Du verbe aller le mode impératif.
Enfin , s'il faut tout dire ,
Je porte auſſi le nom latin ...
Mais que tant de latin n'ait rien quit'effarouche ;
Pour ne rien mettre ici de louche ,
C'eſt lenom , cher lecteur , d'un être féminin
Que jadis le ſerpent fit damner par la bouche.
Par M. Jupin.
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
L'Homme moral , par M. l'Abbé de Crillon.
A Paris , chez Deſprez & la V.
Duchefne , rue St Jacques .
CET ouvrage , dédié à M. le Dauphin',
eſtune eſquiſſe ſur les vices & les vertus
qui offre des traits heureux & d'un pinceau
capable d'achever un tableau plus
grand& plus fini . L'auteur parcourt fucceffivement
toutes les affections naturelles
dans ce qu'elles ont de louable ou de
vicieux. Voici quelques penſées qui nous
ont paru juſtes& ingénieuſes. " Si la ter-
>> reur ſe répandoit dans l'ame des homJUILLET.
1771. 71
» mes , elle ſuffiroit ſeule pour les dé-
>> truire . Le Dieu redoutable d'Ifraël n'op-
>>poſoit à des nations entieres que la ter-
» reur.
» Aimable pudeur , vous ſeule prêtez
> des graces à la beauté. Séduiſante à tous
>> les yeux , le Sage en vous voyant croit
» voir la vertu ; l'homme ſenſuel la vo-
» lupte.»
:
Le portraitd'un homme bienfaiſant eſt
tracé de maniere à inſpirer le deſir de
l'imiter.
"Chéri de la femme la plus aimable ,
>> ce grand homme étoit l'objet de l'ido-
>>lâtrie de ſes enfans . Son ame tranquile
>> rejetoit les paſſions trop vives , & dans
>> ſa douce philoſophie ſon coeur ne con-
>> noiſſoit d'autre beſoin que celui de
>> communiquer ſes bienfaits ; il ſuffiſoit
» d'être malheureux pour en être connu .
>> Les vieillards ſur - tout étoient chers à
>> fon coeur ; il lui ſembloit voir en eux
>>la perſonne auguſte de ſes ancêtres . La
>>franchiſe , la gaîté raſſembloient autour
>> de lui les vrais plaiſirs , & le luxe ban-
>> ni étoit remplacé par les vertus aima-
>>bles de l'hoſpitalité. Le cri du malheu-
>> reux étoitſonſignal. Je l'ai vu au mi-
>>>lieu de ſes enfans marcher vers ſes
72 MERCURE DE FRANCE.
>>bourgades & ſes hameaux , &traverſer
> toutes les terres comme un fleuve qui
>> répand l'abondance. J'ai vu à ſon paf-
>> ſage le vigneron ſuſpendre ſes travaux ,
>> le laboureur arrêter ſa charrue , & leurs
» enfans , jetant au travers des guérets
>> tout ce qu'ils tenoient dans leurs bras ,
>> courir & embraſſer ſes pieds. La joie
» étoit peinte ſur leur viſage ; la vue at-
>> tachée ſur leur maître , ils le ſuivoient
>> des yeux , & quand ils ceſſoient de le
>> voir , ils levoient les mains au Ciel , le
>> bénitſoient & ſe remettoient au travail.
» Le jour où les occupations champêtres
>> étoient interrompues , toute la jeuneſſe
>> accouroit autour de lui au ſon des fifres
» &des tambours. Les amans lui deman-
>> doient leurs maîtreſſes , les maîtreſſes
>> leurs amans . Bientôt unis par l'hymen, il
>> jouiſſoit de leur bonheur , & préparoit
>> à ſes enfans de nouveaux ſujets , pour
>>qu'ils les rendiffent un jour encore plus
>> heureux. Voilà les traits de la bienfai-
>> ſance; je dois auſſi faire entendre ſes
>> paroles ; puiſſent - elles ſe graver dans
>> le coeur de tous les hommes ! il projete
>>d'élever un aſyle & de fixer des revenus
>> pour les infirmes & les vieillards de
>>tous ſes domaines. La grandeur & l'u-
>>tilité
JUILLET. 1771. 73
>> tilité de ſon deſlein lui font craindre la
>>>mort qu'il n'avoit jamais redoutée. Il
>> aſſemble ſes enfans ; vous êtes nés ſen-
» ſibles , leur dit- il ; le malheureux vous
>> a vu ſouvent répandre des larmes& le
» Ciel qui me comble de ſes faveurs
>> m'en a rendu témoin. Voyez ces infor-
>>tunés dont les yeux ſont fixés ſur vous
>> ſeuls. Je leur dis ſans ceſſe , repoſez-
-> vous ſur mes enfans. Ma vieilleſſe m'in-
» quiéte , mes chers fils ; promettez-moi
>> d'exécuter mon projet & votre pere
» mourra tranquille. Le ſerment fut fait,
» le monument élevé & conſacré à la
>> bienfaiſance. Chaque jour cet heureux
>>pere recevoitde ſes enfans le prix de ſes
» vertus. J'ai vu couler de ſes yeux les
» larmes les plus douces à ce trait d'une
> ſenſibilité douce & naïve du plus jeune
>> de ſes fils. Mon père , lui diſoit - il un
>> jour , allons foulager nos bonnes gens. »
Nous avons tranfcrit ce morceau,parce
qu'on ne peut pas mettre trop ſouvent ſous
lesyeuxdes hommesles leçons &les exemplesde
l'humanité.C'eſt par la mêmeraiſon
que nous rapporterons un trait hiſtorique
tirédu chapitre ſur l'amitié, d'autant plus
curieux qu'il ne ſe trouve dans aucun de
noshiſtoriens , & que l'auteur l'a tiré des
II. Vol.
74
MERCURE DE FRANCE.
manufcrits d'une famille . Dns les guer-
>> res de religion un jeune Français d'une
>> grande naiſſance commandoit un corps
> de Calviniſtes. Il marche contre des
>> troupes d'un parti contraire. Après un
» combat ſanglant les premiers ſont mis
>> en déroute. Le jeune homme , dange-
» reuſement bleſſé , eſt trouvé parmi les
>> morts . Un Eccléſiaſtique Catholique
>>qui réſidoit près du lieu où s'étoit don-
>>né le combat , le fit tranſporter chez lui
>>>avec trois officiers bleſſés du même par-
>> ti ; ils guérirent tous par ſes ſoins. Sa
-douceur & ſa vertu furent fi puillantes
>>qu'elles jetterent des doutes dans l'ame
>>des quatre Calviniſles. A peine ce jeune
homme eſt-il dans ſa convalescence
> qu'il lui dit : penſez - vous comme ces
>> hommes contre leſquels nous nous fom.
mes battus ? oui , répond cet homme
>> vertueux; ils diſent qu'ils font de vrais
>>Chrétiens, & je le ſuis. Nous le ſom-
>> mes aulli , repartit le Calviniſte ; mais
>>>ils font cruels; vous voulez notre bon-
>> heur ; avouez que vous penſez comme
>>>nous . Non , leur dit-il , vous êtes dans
l'erreur , ils font dans le crime. Vous
>> entendez mal l'eſprit de l'évangile ; ils
>n'en pratiquent pas les maximes. Ces
JUILLET. 1771. 75
>>paroles prononcées avec une douceur
>>pleine de majeſté le frappent d'étonne-
>> ment; il s'écrie avec tranſport ;je ne
*connois pas votre doctrine ; je ſuis né
>> dans la mienne. Mais avec tant de ſa-
>>geſle , l'erreur peut-elle ſe trouver de
>>votre côté ? Je cherche le vrai ; j'ai tou-
>>jours aimé la vertu. Vous me la faites
>>adorer . Il demande à s'inſtruire , & fon
» coeur ſimple & docile s'ouvre à la fois.
>> Les trois autres officiers ne ſont pas
>>convaincus. Ils doutent cependant& fe
>>retirent parmi les leurs avec admira-
>>>tion. Le jeune gentilhomme conçut
>>une ſi vive amitié pour ce nouvel apôtre
qu'il réſolut de paſſer ſes jours avec
» lui. La nouvelle de ſon abjuration&
» de ſa tendre amitié ne tarda pas à ſe ré-
>> pandre. Son parti dont il étoit la plus
✓forte eſpérance en reſſentit une vive
>>douleur. Les plus furieux d'entr'eux
>méditent une cruelle vengeance & for-
»ment la réſolution d'aller maſſacrer
>> ſous ſes yeux ſon reſpectable ami. Un
>>des trois officiers qui avoit éré guéri de
» ſes bleſſures découvre le complot; il
>> frémit & fait partir un exprès pour ap-
>> prendre à fon ancien commandant la
>> conjuration&le jour pris pour l'exécu
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.

» tion. Le jeune homine garde le filence,
>> épargne à ſon ami l'ombre même de
l'inquiétude ; il l'engage parun prétexte
>> plauſible à s'abſenter de chez lui. Le
>> jour fatal arrive. Il entre chez ſon ami,
>> ſe cache ſous ſes longs vêtemens , con-
» trefait fon maintien , ſa voix , marche
>> aux conjurés, ſe jette au milieu d'enx ,
» ſe découvre & les fait pâlir d'effroi .
>>Frappez , leur dit - il , arrachez-moi la
> vie & reſpectez les jours d'un ami qui
>> a ſauvé les miens. La vertu , portée à
>> un certain degré , a la puiſſance de faire
>> diſparoître le crime. Les conjurés ter-
» raſſes d'admiration , tombent aux genoux
de leur chef. La ſublimité de fon
ame élève la leur. Ils deſirent de contempler
l'homme qui l'a rendu ſi grand;
>>il les conduit aux pieds de ſon ami , &
»les conjurésrendenthommage à ſa vertu
>> par l'abjuration de leur erreur. »
L'auteur , qui aime à inſtruire en paraboles
, a inféré dans le chapitre du luxe
un trait affez fingulier tiré des annales de
la Chine , & par lequel nous finirons cet
extrait.
«Kia régnoit paiſiblement ſur le vaſte
empire de la Chine. Il étoit né pour
» être unhéros. Il avoit l'eſprit brillant ,
JUILLET. 1771 . 77
» l'imagination vive , des graces , de la
>> valeur , & une force fi extraordinaire
>> qu'il arrêtoit avec fes mains un char
>>traîné par des chevaux fougueux. Mais
>> l'amour exceffif des femmes & l'eſprit
» d'irreligion jeterent dans ſon ame le
>> poiſon du luxe , le rendirent inhumain
> & corrompirent ſes moeurs. Ses excès &
>>> pluſieurs actes d'impiété alienerent le
>>coeur de tous les peuples; cependant il
>> lui reſtoit encore trois bonzes fidèles &
>> zélés qui oferent lui montrer le tableau
>>de ſes défordres. Le prince aveugle &
>>cruel s'indigne &les fait mourir en ſa
>>préſence. Il devient éperdument amou-
>> reux d'une femme ambitieuſe qu'il fait
>>proclamer Reine. Elle ſe rappele que
>> pour honorer la mémoire d'une concu-
>> bine , cet empereur a dépenſé deux cent
>> millions dans un jour. Sa vanité lui
>> perfuade que ſa beauté mérite plus en-
>>core , & que toutes les richeſſes de la
>>Chine fuffiſentà peine pour l'hommage
>> que l'on doit àſes charmes. Que la vie
>>eſt courte , dit- elle à ce prince. Faut- il
>> encore que des nuits obſcures viennent
>>en abréger la durée ? Pourquoi cette
>> éternelle&fastidieuſe ſucceſſion d'obf-
>> curité & de lumiere ? Que ne ſommes
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
>> nous dans un palais où brilleroit ton-
>> jours une clarté vive qui n'auroit pas
>> beſoin d'attendre le retour de l'aurore?
>> La main des dieux a placé dans les aits
>> desglobes enflammés, mais qui s'éclip-
>> fent& nous laiſſent dans les ténébres.
» La main de mon empereur ne peut elle
>> pas placer dans ſon palais des aftres qui
>> l'éclairent &qui ne s'éteignent jamais?
>> Les feux du firmament luiront pour le
>> reſte de l'Univers . Les nôtres ne bril-
>> leront que pour vous & pour moi. Ils
>> n'auront point de viciffitudes & de-
>> viendront l'emblême de notre félicité.
> Paffons-nous des dieux , continue cette
>> folle Princeſſe. Ils font innombrables
>> dans le Ciel ; vous êtes ſeul Roi ſur la
>> terre; ces êtres impaſſibles , laiffons-
>>les adorer dans leurs temples par un
>> peuple groſſfier ; ils régnent dans l'O-
>> lympe , au milieu des aftres qui lesen-
>> vironnent; regnez ſur l'Univers au mi-
>> lieu des ſoleils que vous aurez fait naî-
>> tre. Eſt-il des bornes à votre puiſſance
> Parlez ; que votre grandeur éclate dans
>> la ſtructure de ce monde nouveau . Ecar-
>> tez de vous & la variété des faiſons &
>>les intempéries de l'air , & ces change-
> mens de forme que la matiere promene
JUILLET. 1771. 793
>>ſur tous les objets. Rendez- les fixes &
>> conftans , & plongeons nos ames dans
>>les plaiſirs & dans les délices. Trom-
>>pons le tems qui veut porter ſes outra-
>>ges juſques ſur les coeurs,& lorſque le
>> deſtin viendra couper le fil de nos jours,
>>>nos deux ames unies voleront enſem-
>>ble à l'immortalité des plaiſirs . » La ſé-
>>duction paſſeaiſémentdans les ames foi-
>>bles. L'ame du crédule Empereur prend
>> toute l'empreinte queluidonne uneRei-
>>neartificieuſe; ſonaveugletendreſſe Aat.
>> te ſon orgueil. Déjà il ſe croit un dieu
» qui va commander à la nature. Des
>>millions de bras font mis en mouve-
» ment. Un ſuperbe palais s'élève. L'or ,
>>l'afur y brillent de toutes parts. Fermé
>> de tous côtés à la lumiere dujour.Une
>> quantité innombrable de globes rem-
>> plis de matieres enflammées , ſont le
>> ſoleil & les aftres qui l'éclairent. Des
>>parfums exquis font l'air qu'on y ref-
>>pire . Une pluie légere de liqueurs odo-
>> riférentes tombe de ce nouveau ciel&
>> forme la roſée. L'Empereur & la Reine
>>entrent dans ce palais enchanté au mi-
>> lieu des danſes , des concerts , des fef-
>> tins. Ils y oublient tous deux la nature
» & l'Univers. Les richeſſes de la Chine
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
>> s'y précipitent & s'y dévorent ; mais
>>bientôt le cri d'un peuple mécontent fe
>>fait entendre.Un ennemi voifin s'arme,
» s'avance,renverſe ce monument honteux
» & s'affied ſur le trône. Tout l'empire
>> ſe range ſous ſes étendards. Le mal-
>> heureux Kia eſt abandonné ; il fuit ; it
>>erre pendant trois ans de province en
>> province. Il meurt enfin victime d'un
>> luxe infenfé , l'opprobre du trône & le
>>méprisde fes peuples. >>>
Hiſtoire des révolutions de Corſe , depuis
ſes premiers habitans juſqu'à nos jours,
par M. l'Abbé de Germanes , vicairegénéral
de Rennes. A Paris , chez Hériſſant
le fils , rue des Foſſés de M. le
Prince , vis - à - vis le petit hôtel de
Condé.
Unedeſcription géographique de l'ide
deCorſe , très - exacte & très - détaillée ,
des recherches ſur l'origine de ſes premiers
habitans , tirées des meilleurs auteurs
& des monumens les plus autenti
ques fervent d'introduction à cet ouvrage.
L'auteur parcourt les différentes ré
volutiens qu'ont éprouvées les Corſes en
changeant de maîtres ; il fait voir que les
Génois, après s'être introduits dans l'ifle
2
?
JUILLET. 1771. 81
par la ſurpriſe & la violence , en devinrent
enſuite les poſſeſſeurs légitimes en
vertu d'un accord ſolemnel garanti par la
nation. Il trace les efforts continuels que
firent les Corſes pour ſe dérober à la domination
Génoiſe devenue dure & tyrannique
; cette alternative de proſpérités &
de revers occaſionnés par l'influence plus
ou moins grande des puiſſances étrangeres
dans les affaires de Corſe , & par
l'état plus ou moins Horiſſant des forces
de la républiquede Gènes. Il peint tous les
chefs les plus fameux ; défenſeurs de la
liberté des Corſes depuis Sanpiétro juſqu'au
Roi Théodore & juſqu'à Giafféri
& les deux Paoli , Paſcal &Clément , fils
d'Hyacinthe Paoli. Paſcal Paoli eſt le
dernier des Corſes qui ait été célèbre ,
avant que l'iſſe fût ſoumiſe à la France.
Son pere Hyacinthe l'avoit défendue contre
le marquis de Maillebois , & le fils la
défendit de nos jours contre M. de Vaux
qui avoit fervi dans l'expédition de M.
de Maillebois, & qui a conquis la Corſe
comme lui , en ſuivant le même plan
d'opérations.
Nous nous bornerons à tranſcrire quelques
détails ſur les moeurs & le caractere
des Corſes , toujours plus intéreſſans que
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
:
les événemens militaires , fur- tout chez
un peuple qui fait à peine faire la guerre ,
&qui n'a pû la foutenir contre nous qu'un
moment.
« Les Corſes font naturellement ingé-
>>nieux , capables d'affaires , éloquens ,
>>doués de la pénétration la plus vive ;
>>ils lifent dans les yeux de ceux avec qui
>> ils traitent , ce qui fe paffe de plus fe-
>>cret dans le fondde leur ame. Ils par-
>> lent longuement ; mais la prolixité de
> leurs difcours qu'il faut endurer juqu'au
>> bout , ſans quoi ils fe croiroient inful-
>> tés , eſt affectée de leur part pour trom-
>> per & pour ſurprendre. Il ne faut pas
>> croire que le talent de la parole y foit
>> réſervé à ceux qui peuvent cultiver les
>> lettres ; c'eſt l'appanage de toute la na-
>>>tion; le moindre payſan , le ſimple ber-
>>ger difcute fes affaires, expofe ſesgriefs,
>>justifie fa conduite avec une facilité
>>d'élocution qui ravit& une abondance
>>d'idées qui étonne. Il n'emploie qu'une
>> rhétorique naturelle ; mais elle eſt fé-
> conde en tours d'expreffion & elle per-
>> fuade.
>>>L'idiome des Corſes eſt la langue
>> italienne un peu corrompue , far-tour
>> dans les montagnes , par le mêlange de
» quelques termes moreſques. Ils en tiJUILLET.
1771. 83.
• rentun parti merveilleux , parce qu'ils
>>lui communiquent la chaleur de leurs
>> ſentimens. Elle eſt énergique dans leurs
>> bouches &dans leurs écrits, quoiqu'elle
>>ſemble plus propre à peindre des ima-
>>ges voluptueuſes & riantes qu'à expri-
>>>mer des penſées vigoureuſes , tant il eſt
>> vrai que la force du diſcours vient
moinsdu génie des langues que du ca
>> ractere des écrivains. Les peuples que
>>le luxe n'a point amollis , & qui ont à
>>foutenir de grands intérêts , comme la
>>liberté , la patrie , la religion , s'expri
>> ment fortement parce qu'ils penſentde
>>même. Rien de plus mâle que les ma-
>> nifeſtes des confédérés de Pologne ;
>> rien de plus véhément que les oraiſons
>>des anciens Romains , ni de plus cha-
->leureux que les diſcours de Corfes. Si
» le gros de cette nation a croupi dans
>>une ignorance profonde , on doit plutôt
>>l'imputer à la conſtitution de l'état qu'à
>> la nature de leur eſprit; car les Corſes
>> ont par eux- mêmes beaucoup d'aptitu-
>> de aux ſciences & aux beaux arts. Ceux
>> que leurs talens ont mis en état de re-
>> cevoir une meilleure éducation en Ita-
>> lie , s'y ſont diſtingués par des fuccès
brillans : lesécoles de Rome en rendent
Dvj
$4 MERCURE DE FRANCE.
>> témoignage. Pluſieurs ont rempli avec
>> éclat des chaires de profeſſeurs auxuni-
>> verſités de Pife &de Padoue. Ils ont le
>>>gofit délicat&unpenchant naturel pour
>> la belle littérature ; c'eſt le jugement
>> que Dante en portoit... On cite même
>> la chanson d'un berger des montagnes
>> de Cochonée , aveugle de naiſſance ,
>> comme un morceau de génie , qui , di-
✓ fent les Corſes lettres , feroit honneur
>> aux imaginations les plus cultivées. Ils
>> ont eu anciennement des hiftoriens ,
>> dont les principaux ſontPierreCirnæus,
>> Jeande laGroffa &AntoinePhilippini .
» Le premier étoit trop prévenu en fa-
>>veur de fon pays dont il portoit lenom,
>> inexact& fans méthode ; mais fon ſtyle
>> eſt vif&plein de chaleur. Il a écrit en
>> latin ; on trouve fon ouvrage dans le
>> recueil de Muratori. Le ſecond tombe
> dans des anacroniſmes groffiers & ado-
>> pte toute forte de fables abſurdes. Mais
>> ſon imagination eſt brillante ; il a écrit
>>>en italien . Le troifiéme eſt diffus , rem-
>> plide petits faits, épris du merveilleux,
>> fans ordre& fans critique , comme tous
>>>les auteurs italiens du feiziéme fiécle.
>> Mais il intéreſte par fa candeur. C'eſt
>> le plus eſtimable des trois, le plus vrai
:
JUILLET. 1771. 85.
&celui dont on peut faire le plus d'ufage.
Il a écrit en italien....
ودNous n'avons gueres de détails fur
>> les moeurs des anciens Corſes.Séneque
>> eſt le premier qui ait entrepris de pein-
>>dre cette nation dans le diſtique ſui-
>> vant :
Prima eſt ulcifci lex , altera vivere raptu ,
Tertia mentiri , quarta negare deos .
» Se venger est la premiere loi des Corſes ,
» lafeconde , de vivre de rapines ; la troi-
>>fième , de mentir ; la quatrième , de nier
>> l'existence des Dieux. Je ne penſe pas
>que ce portrait ſoit en tout reffemblant
& fidèle. Je n'ai vu dans aucun
>> endroit de l'hiſtoire que les Corſes
>> ayent paſſé pour un peuple impie. Sé-
> neque enfermé dans une tour ſituée
» à la pointe de l'iſle , avec une commu-
>> nication probablement fort reſtrainte
>> avec les habitans , ne pouvoit pas voya-
>>ger dans l'intérieur du pays ..... On
>> ſait d'ailleurs qu'il répandoit fon hu-
>>meur mélancolique dans ſesécrits , &
>> qu'il ſacrifioit ſouvent l'exactitude à la
>>ſingularité des penſées.
>>Les Corſes menent une vie frugale
>>& fe contentent des plus ſimples pra-
>> ductions de leur païs ; ils mangent la
85 MERCURE DE FRANCE .
2.
una
>viande à moitié cuite. Il y a des pay.
>>ſans qui pendant trois mois d'hiver n'u-
>>ſent que de pain de châtaigne en quel.
>>ques endroits ou de pain d'orge en
>> d'autre païs. C'eſt une choſe extraordi-
>>naire en Corſe que d'y voir un homme
>> dans l'ivreſſe. Pourvu qu'un ménage
>>parmi les plus pauvres païfans ait en
>> ſa propriété une petite maiſon
» cazettina , fix châtaigniers , autant de
>> chévres &de brebis , il eſt content de
>> ſa deſtinée . Mais cet état d'indifférence
>> pour les biens de ce monde est caufe
>>qu'ils vivent dans une oiſiveté brutale.
>>Ils font tomber ſur leurs épouſes tout
> le détail des ſoins domeſtiques & le
>> fardeau des oeuvres de la campagne.
>>>On les voit reſter ſans rien faire à la
>> porte de leurs maiſons د ou prome.
>>ner , une pipe à la bouche , leur non-
>>chalance dans leur village , diſcourir
>> fur les nouvelles , & former quelques
>> parties de jeu ; il aiment paffionné-
>>>ment à jouer aux cartes , & ne quittent
>> cet amusement que pour aller à la
chaffe ..... Ils font robuſtes & va-
>>leureux. Trois hommes & quatre fem-
>> mes arrêtèrent huit censGénois qui
>> étoient venus exécuter une deſcente en
4.
JUILLE T. 17716 87
Balagne , dans l'ifle Rouſſe. L'un de
>> ces Corfes renfermé dans la tour qui
>>garde la plage, faisoit un feu preſque
>> continuel , aidé d'une femme qui fup.
>>pléoit au défaut d'une main dont il
>>étoit privé. Les deux autres retranchés
>> derrière un petit mur tiroient à tout
>>inſtant , parce que les trois femmes qui
>>les ſecondoient chargeoient dans les
>> intervalles ... Ils donnerent le tems aux
>>payſans répandus dans la campagne &
>>dans les villages d'alentour d'accourir.
>> Ils s'attrouperent , attaquerent les Gé-
>> nois & les acculerent dans la mer. La
► frayeur les précipita dans un petit ba-
>> teau qui ne put les contenir. Murati ,
>>qui étoit alors du parti de Gênes &qui
>> depuis eſt mort capitaine de grenadiers
>> du régiment de Royal Corfe , fut peut-
>> être le ſeul qui ſe ſauva à la nage . Qua-
>> tre cens furent faits prifonniers. On les
>> dépouilla , & les femmes qui voulurent
>>ſe venger de quelques mauvais propos
>> les fouetterent avec des orties , en leur
>>difant : vantez vous une autre fois de
> vouloir nous deshonorer....
>>>Ils voient fans frémir les horreurs
>> prochaines de la mort & l'appareil des
>>tourmens. Ils font plus. Ils ne ſe per-
[
$8 MERCURE DE FRANCE.
> mettent pas même les gémiſſemens au
> milieu des ſupplices , lorſqu'ils ont une
>>fois prononcé le mot patienza.
- La vengeance a toujours été&eſt en-
> core leur vice le plus commun& le trait
>>diſtinctif de leur caractere. Le tems qui
> affoiblit tout ne fait que fortifier leurs
» inimitiés. Elles s'étendent ordinaire-
» ment juſqu'au quatriéme degré de pa-
>>renté ; on n'excepte que les prêtres , les
> femmes & les enfans .... Ces mêmes
>>peuples qui ne reſpirentque le meurtre
>> dans leur reſſentiment ſont les plus hof-
>> pitaliers des hommes , même les bri-
>> gands de profeffion qu'on appele dans
le pays Ladropublico... Ils tiennent ſcru-
» puleuſement leur parole... Les maris
>> ſe contententde leurs épouſes &les in-
>> fidélités n'y font pasde mode. »
Terminons cet extrait par le recit d'une
action dont il n'y apoint de nation quine
s'honorât.
« Deux Grenadiers du régiment de
>> Flandres qui étoit en garniſon à Ajac
» cio , déſertérent & s'enfoncèrent dans
>> la Campagne pour y être à l'abri des
>>pourſuites. Le hazard conduiſit leur
» Colonel qui chaſſoit , fur les pas des
>> deux Grenadiers , qui l'ayantapperçu ,
JUILLET. هو . 1771
L
>> ſe jetterent dans un marais couvert d'ar-
>> buſtes. Un Berger les avoit vus & mon-
>> tra avec le doigt le lieu de leur retraite.
» Le Colonel qui ne comprenoit pas ce
> ſigne lui demanda ce qu'il vouloit. Le
>> Berger s'obſtina à garder le filence &
>> continua de lui montrer les arbuſtes du
>> doigt & des yeux. On s'approche & l'on
» déconvre les têtes des déſerteurs qui
» étoient enfoncés dans la fange juſqu'à
>> la bouche. Ces malheureux ſont con-
» duits à Ajaccio & condamnés par le
>>Confeil de guerre à paſſer par les ar-
» mes le lendemain. Le Pâtre à qui le
» Colonel avoit donné quatre louis pour
» récompenfe , ne put tenir ſecrette la
>> joie qu'il en avoit& raconta ſon avan-
>>ture. La famille du Berger en eſt inf-
>> truite & en frémit d'horreur. Tous les
» parens s'aſſemblent & décident qu'il
>> faut ôter la vie à ce monſtre qui a dés-
>> honoré ſa nation & ſa famille en re-
>> cevant le prix du ſang de deux hom-
» mes , comme l'infâme Judas l'avoit
>> reçu du ſang de Jeſus Chriſt. Ils le
>> cherchent , le ſaiſiſſent & le menent
>> ſous les murs d'Ajaccio. Ils font venir
>> un Religieux pour le confeſſet & fufil-
>>lent le coupable à la maniere des Fran-
2
१० MERCURE DE FRANCE.
» çois , en même tems qu'on fuſille les
>> deux déſerteurs. Après l'exécution, ils
>>remettent les quatre louis au Con-
>> feſſeur , & le chargent de les rendre.
>> Nous croitions , dirent-ils , fouiller nos
>>mains & nos ames que de garder cet
» argent d'iniquité. Il ne faut point qu'il
>>ſerve à perſonne de notre nation.
Jenni ou le Défintéreſſement , drame de
ſociété en deux actes & en profe ; par
M. le Chev. D. G. N. A Nancy , chez
J. B. Hyacinthe Leclerc ; & ſe trouve
à Paris , chez Valade , libraire , rue St
Jacques ; in-fol. Prix , 1 liv. 4 f.
La ſcène de cedrame ſe paſſe dans un
village près de Londres. Le lord d'Angby
qui a pris le nomde Henri & l'accoutrement
d'un ſimple payfan ,y vitretiré dans
la chanmiere d'un bon vieillard nommé
Jonhſon . Ce vieillard eſt occupé de l'édu
cation de Jenni ſa fille unique & de la
culture d'un petit champ qui fournit à
leur ſubſiſtance . En vain l'on veut arracher
le lord d'Angby de cette cabane , où
pourroit - il être plus heureux ? Il eſt auprès
de Jenni , l'objet de tous ſes defirs.
« Je veux être fûr d'être aimé , dit- il. Le
>>hafard m'a fait voit Jenni ; mon coeur
JUILLET. 1771. 91
» s'eſt enflammé pour elle. J'ai tâché de
>> m'attirer la confiance du vieillard ref-
> pectable qui lui a donné le jour ; j'y ai
>> réuſſi .. Me voici dans leur chaumiere .
>> Le lord d'Angby , riche , puiſſant , ils
>> n'auroient ofé me refuſer... Sir Henri ,
>>preſque leur égal , d'une fortune mé-
>> diocre , je me flatte de plaire ſans le
» preſtige de mes titres &de mes richef-
>> fes. Si Jenni m'écoute , fi elle n'aime
>>>en moi ... que moi , je ſuis au comble
>> de la félicité. Cetre Jenni a toute la
candeur de ſon ſexe &toute la naïveté
de ſon âge ; elle n'eſt pas inſenſible au
méritedu jeune lord. Son coeur s'intéreſſe
même pour lui ; mais elle cherche à ſe le
diffimuler parce que ſon pere lui a dit
que l'amour étoit un mal. Cependant le
vertueux Lord n'aſpire qu'au moment de
déclarer ſes ſentimens à ſon amante &
d'obtenir l'aveu des ſiens ; mais il héſite.
Son amour même le rend timide. Ce n'eſt
que dans un entretien particulier où Jenni
lui demande s'il a vu les ſpectacles de
Londres , qu'il ſe hafarde à lui faire connoître
ſa flamme. «On rit au ſpectacle ,
>> lui dit Jenni . Quelquefois , répond
milord d'Angby , & quelquefois on s'y
> attendrit.>> H lui peintalors deux amans
92 MERCURE DE FRANCE.
dans une ſituation pareille à celle qu'il
éprouve actuellement ; cette ſcène eft
d'autant plus intéreſſante que Jenni devient
elle-même , ſans qu'elle s'en doute,
actrice de la prétendue ſcène dont on lui
fait le recit. Cette ſituation d'ailleurs laifſant
beaucoupd'eſpace au jeu de l'acteur,
peut devenir très théâtrale.
Le lord d'Angby qui a vu dans les réponſes
naïves de ſa maîtreſſe toute la fincérité
de ſes ſentimens , & qui connoît
toute l'affection du vieillard pour lui peut
ſe rendre heureux. Mais ſa délicateſſe n'eſt
pas encore fatisfaite. Il a appris de Jonh.
fon lui- même , dont le vrai nom eſt Williams,
qu'il eſt un officier quetrois bleffures
& le dérangement de ſa fortune ont
obligé de ſe retirer du ſervice ; qu'une
terre conſidérable qui lui reſtoit lui a été
diſpurée par un ſeigneur de ſes voiſins ,
&que ce ſeigneur eſt parvenu par fon
crédit& par ſes intrigues à ſe l'approprier.
Cet homme puiſſant & injuſte fe
trouve être le vieux lord d'Angby , mort
ſans avoir réparé ſon injustice. Son
fils n'en eſt pas plutôt inſtrait qu'il fe
donne tous les mouvemens poſſibles pour
faire rentrer cette terre dans la poſſeſtion
de celui à qui elle appartient légitime2
JUILLET. 1771 . 93
ment. Mais il veut faire cette reſtitution
ſans que l'on puiſſe ſoupçonner qu'il en
eſt l'auteur , afin d'éprouver ſi cette augmentation
de fortune n'a point changé le
coeur de cette famille. Cette épreuve délicate
réuſſic ſuivant ſes deſirs. Le généreux
Williams aime toujours ſon cher
Henri ; mais comme les devoirs de pere
lui font encore plus ſacrés que ceux d'ami ,
il ne conſent à lui accorder Jenni qu'autant
que cette aimable fille voudra bien
l'accepter pour époux. « Dans des enga-
» gemens auſſi redoutables , auſſi ſacrés ,
>>lui dit-il , la nature ne donne à nous
> autres pères que le droit de conſeil &
>> la force de l'amitié. » Jenni laiſſe par.
let ſon coeur , & fon amant eſt heureux.
Mais dans ce moment même Sir Williams
apprend que cet amant eſt le jeune
lord d'Angby lui-même. • Ah ! Sir Hen-
» ri , Sir Henti , s'écrie le bon vieillard ,
» je ne vous croyois pas capable de me
>> tromper ... Ma fille... que vas-tu de-
> venir ? car ne vous Hattez point , votre
>> rang , votre naiſſance ne m'éblouiſſent
» pas ; reprenez votre terre , vos funeſtes
>> dons , Jenni ne peut être à vous. » Mais
des pleurs qui s'échapent en même - tems
des yeux de ce vieillard atteſtent ſa ſenſi-

94 MERCURE DE FRANCE.
" enacbilité&
font renaître l'eſpérance dans le
coeur des deux amans qui ſe jettent àſes
genoux.Williams confirme leur bonheur.
•Qui peut réſiſter à votre tendreſſe, leur
dit- il en les uniſſant , foyez à jamais
>> heureux; vous êtes dignes de l'être...
>> Ceci , dit l'auteur dans ſon avertif-
>> ſement , n'est pas une comédie , c'eſt
plutôt une hiſtoire morale , miſe
» tion pour retracer un trait arrivé en
>>>Angleterre , & pour amufer une fociété
» qui defiroit laiffer ce trait à la poſtérité.
» Ce ſujet , ajoute- t- il , n'étoit pas pro-
>> pre au théâtre. >> Nous croyons cependant
que la ſituation d'un amant vif , fenfible
&délicat qui , craignant de ne pouvoir
obtenir le coeurd'une jeune perſonne
qu'il adore en l'élevant juſqu'à lui , confent
de s'abaiſſer juſqu'à elle , prête beaucoup
à la ſcène. Cette fituation a même
déjà été miſe avec ſuccès ſur le théâtre.
Saint-Albin , dans la comédie du Père de
Famille , change de nom & prend l'habit
d'un ouvrier pour gagner la confiance de
fa chere Sophie. Comme dans le nouveau
dramecette ſituation eſt miſe ſous les yeux
du ſpectateur & qu'elle fait le fond de la
piéce , on pouvoit la rendre plus dramatique
par des détails qui ajoutaſſent au co
JUILLET. 1771 . 95
mique de caractere. L'aimable naïveté
de Jenni , la franchiſe du bon Williams ,
la délicateſle du jeune Lord , exagérées
avec art ou du moins peintes avec toute
l'énergie qu'exige le point de vue du théâtre
fuffifoient pour varier lesſcènes & les
rendre intéreſfantes.
Clariffe , drame en cinq actes& en profe;
par M. J. A. P. in 8 °. A Paris , chez
Lejay , libraire , rue St Jacques , au
grand Corneille.
Henriette , fille de M. d'Orbey , hom .
me riche & revêtu de pluſieurs charges ,
n'a pu ſe défendre de donner ſon coeur au
vertueux Vorms. Elle l'épouſe en ſecret.
D'Orbey qui ſe croit outragé par ce mariage
, ne l'apprend qu'avec indignation ;
il oublie dans ce moment qu'il eſt père ,
ordonne à ſa fille de ſortir de ſa maiſon
&l'accable de ſa malédiction . Cette femme
infortunée fuit avec fon époux ; ils
changent de noms pour mieux ſedérober
à la colere d'un pere irrité. Henriette
prend celui de Clariffe , & Vorms celui
de Sidnei . Ils ſe retirent dans le fond
d'une province ; mais il ne peuvent s'y
défendre de la miſére qu'un fils , triſte
fruit de leur mariage , leur rend encore
96 MERCURE DE FRANCE.
plus ſenſible. L'infortunéeClariffe ,deſtinée
à partager avec un frère les richeſſes
d'une maiſon opulente , eſt maintenant
reduite dans une petite chambre où l'on
voit pour tous meubles quelques chaiſes ,
deux lits de paille & un grand vaſe de
terre. Cette femme , ſeule & accablée
ſous le poids de la triſteſſe , exhale cette
complainte avant que le jour commence
à paroître. « Providence ! reçois le pre-
>> mier hommage d'une ame flétrie par la
>> douleur , ſupplée à ce qui lui manque
"
..
pour t'honorer dignement... monDieu!
» tu éteins & fais renaître la lumiere
>> fans apporter le moindre adouciſſement
» àmes maux. Tous mes maux s'écou-
>> lent dans l'amertume . Je ſuis donc
>> bien coupable ; oui je le ſuis ... Les re-
>> grets me déchirent ; .. je me ſuis plon-
» gée moi-même dans l'horreur quim'en-
» veloppe... J'ai attiré ſur moi l'indi-
>> gnation d'un pere ; ... mais ne punis
>> que moi... & mon époux & mon fils ...
» Qu'une seule victime te ſuffiſe... Mon
» Dieu! étouffe ce murmure... Mais ne
» punis que moi . (Elle va au lit de paille
defonmari. ) Il eſt déjà ſorti... Extenué
>> de fatigues , il va acheter du peu de for-
>> ces qui lui reſtent , le pain dont il nous
nourrira
JUILLET. 1771. 97
1
* nourrira aujourd'hui ... O! fortune...
(Elle va à l'autre lit où repoſeſonfils. )
> Et toi, cher enfant, fruit de cette union
>> funeſte , tu portes déjà le poids de la
• malédiction ; .. Tu es puni du crime
» de tes malheureux parens... Sommeille
> paiſiblement juſqu'à ce qu'éveillé par
» un beſoin auquel peut-être je ne pour-
>> rai fatisfaire ,tu me reproches ton exif-
> tence par tes pleurs... Je fuccombe...
» la douleur me tue... (Elle tombe fur
» une chaife. ) »
Ce monologue qui ouvre la ſcène an
nonce aſſez la ſituation triſte& pathétique
qui va s'offrir au ſpectateur pour l'attendrir
& lui faire verſer quelques larmes.
Ces larmes , & c'eſt le voeu de l'auteur de
cedrame , ne ſeront pas abſolument ſtériles
ſi elles rappelent au riche faſtueux &
au voluptueux épicurien qu'il eſt des malheureux.
On doit ſe repréſenter ici un
père d'une ſanté foible , peu accoutumé
àdes travaux , qui ne ſe refuſe à aucun,&
qui cependant ne peut encore gagner le
morceaude pain néceſſaire pour fournir à
la ſubſiſtance de ſa femme&de ſon enfant.
Cette femme , dans cette cruelle
ſituation , paroît s'oublier elle- même pour
partager ſon coeur entre ſon mari qui s'ex
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
tenue&fon enfant que la faim confume.
" Ma bonne , ma chere bonne , .. luidit
>> d'un air timide cet enfant nommé
>> Vorthi.
-» Clariffe. Eh bien ! mon ami.
>> Vorthi. Ne me grondez pas ...
>> Clariffe. Que voulez - vous ?
Vorthi. La faim me dévore , donnez-
» moi an peu de pain , je vous en prie...
» Clariffe ( avec déſeſpoir. ) Voilà ce que
>>je craignois... Te gronder , malheu-
>> reux ; ah ! que n'accables - tu plutôt de
>> reproches ta mère ...
>> Vorthi. Moi,vous faire des reproches
» à vous qui êtes ſi bonne.
» Clariffe. Du pain ... mon fils , je n'en
>> ai pas à te donner ; depuis hier matin
>> il n'en eſt pas entré ici un ſeul mor-
>> ceau... C'eſt dans ce moment , ô Ciel,
» que je ſens la douleur d'être mere :
>> celle que j'éprouvai au moment où je
>> t'enfantai n'eſt pas comparable à celle-
» ci,
>> Vorthi. ( Il pleure & sejette aux ge-
» noux desa mère. ) Je l'avois bien penfé
» que cela vous affligeroit ; pardonnezmoi
, ma bonne , ne vous chagrinez
» plus , je ſaurai m'en paſſer , je mour
JUILLET. 1771. 99
> rois plutôt que de vous coûter une ſeule
> larme.
>>Clariffe. Ah ! ſi je pouvois te raſſaſier
>> de mes pleurs; depuis long -tems , ils
>> font ma ſeule nourriture... Mon fils ,
>> ton père nous en apportera peut- être.
» Vorthi. Demandez lui cela bien dou
>> cement , je vous en prie; car s'il n'en
>> avoit pas , il ſouffriroit de ne pouvoir
>>appaiſer mon beſoin... Moi , je ne di-
>> rai rien. ».
Clariffe & Sidnei trouvent quelques
foulagemens dans leur infortune ; mais
eſt- ce parmi les gens riches ? non; leurs
regards ſe portent rarement fur ce qui
peut les troubler dans la jouiſſance de
leurs richeſſes . C'eſt une pauvre femme
voiſine de Clatiſſe , c'eſt un miniſtre de
l'Evangile , qui ont à peine le néceſſaire
&qui cependant partagent ce néceſſaire
avec cette triſte famille. Mais un nouveau
malheur ſemble la menacer ; des ordres
ont été publiés pour enfermer tous les
pauvres. Ces ordres ne regardent à la véritéque
les mendians&gens ſans aveu ;
mais l'homme injuſte &dur qui eft char
gé de ces ordres veut y comprendre les
trois infortunés. Ils vont être enlevés.
Sidnei pouvoit ſupporter le poids de l'in
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
fortune ; mais l'idée d'être bientôt ſéparé
de ſa vertueuse épouse &de fon cher fils
le jette dans une eſpéce de délire. Il voit
Safemme endormie de fatigue , s'approche
d'elle , la regarde avec tendreſſfe : « Pauvre,
>> manquant de tout , je ne murmurois
>> pas encore ; tu me reſtois , j'étois à toi..
>> Malheureuſe Henriette! voilà le prix
>> de ton amour... Tu vas être confon-
» due dans un vulgaire que couvre l'op-
>> probre ; ... tu me verras entraîné loin
>> de toi , .. & c'eſt moi qui ai caufé tou-
>> tes tes peines... Mon fils , dans un inf-
>>tant ſera ſans parens &ſans état... (Il
>> reste un moment plongé dans la rêverie
»laplusfombre , la vie m'étoit chere tant
>> que je pouvois l'employer à te confer-
>> ver la tienne ; bientôt mes ſecours te
>> feront inutiles , on va nous ſéparer...
>>Qu'ai - je donc à ménager davantage?
>> rien. ( Il tire un pistolet deſapoche.)Je
>> puis franchir la barriere qui me retient,
>>pourquoi retarder ? .. ( Il s'appuie le
» bout du piſtoletſur lefront , le coup man-
» que.) Oh ! Dieu, Dieu , pardonne moi ..
» (Iljette le pistolet loin de lui , tombe la
>>face contre terre. ) Qu'allois- je faire?
» Quel aveuglement.... Eternité ! .. je
>> me précipitois pour toujours dans ton
abîme... ( Clariſſe s'éveille. )
JUILLET. 1771.
› Clariffe. Que vois-je ? .. Vorms,mon
cher Vorms , oh ! malheureux...
» Sidnei. (Ilse releve. ) N'approche de
moi qu'avec horreur ; .. je fuis le plus
>> coupable de tous les hommes ; .. je ne
> ſuis plus digne de toi...
>>Clariffe. Traître... tu profitois de
» mon repos pour t'arracher la vie ? .. In-
" grat ! .. & ton fils ...
» Sidnei ( avec leſentimentdu remords.)
Ah ! Jennins... pourquoi m'as tu aban
>> donné un ſeut inſtant au déſeſpoir. »
Mais Jennins ( c'eſt le nom du charitable
miniſtre) n'avoit quitté cette famille
que pour implorer en ſa faveur les ſecours
de M. Blindſon ,homme riche & père de
James , chargé des ordres rigoureux du
gouvernement. On eſpère que ce vieillard
aura quelque crédit ſur ſon fils ,homme
dur & inflexible. Des difgraces ont
appris à ce vieillard à devenir compatiffant
envers les malheureux ; il cherche
dans le ſoulagement qu'il leur procure à
ſe conſoler de la perte d'une fille qu'il a
bannie de chez lui . Son imagination troublée
lui repréſente ſans ceſſe cette fille
fouffrante &dévorée par l'indigence. Son
fils qui lui reſte ſemble le punirde la du
reté dont il a accablé ſa ſoeur. Jamais la
E1i1nj
101 MERCURE DE FRANCE .
pitié n'ouvrit le coeur de ce jeune homme.
Il ſe préſente lui - même à la tête de ſes
fatellites pour faire enlever la malheureuſe
famille. Son pere s'eſt rendu dans
cette retraite pour foulager ces infortunés.
Il preffe en vain ſon fils de reſpecter l'innocence&
la vertu malheureuſe. James
ordonne durement à ſes ſatellites de faire
leur devoir. Mais dans ce moment même
le vieillard reconnoît dans l'infortunée ,
pour laquelle il ſollicite , ſa fille , ſachere
Henriette qui ſe jette à fes genoux avec
fon époux : Mes enfans , leur dit - il ,
» Dieu m'a puni plus que vous... les re-
>> grets m'ont toujours déchiré , j'ai perdu
>> la faveur dontje jouiffois à la cour ; on
>> m'a laiſſe mes biens ; mais on m'a re-
>> tiré toutes mes dignités ; je n'ai pu me
>>réfoudre à porter dans l'aviliſſement le
>> nom d'Orbey , j'ai pris celui de Blind-
>> fon , mon fils a fait de même , voilà les
» ſuites de ma faute... ( à James. ) De-
»viens ſenſible mon fils , embraſſe ton
frere , ta malheureuſe ſoeur , ce cher
* enfant ; ( avec fentiment ,) connois au
»moins une fois la pitié...» Il faut obſerver
ici que James ne pouvoit reconnoître
ſa ſoeur parce qu'elle étoit fortie
dela maiſon paternelle , lorſqu'il étoit
encore en bas âge.
JUILLET. 1771. 103
M.d'Arnaud nous avoit déjà peint avec
énergie , dans ſon hiſtoire intéreſſante
d'Anne Bell , la triſte ſituation d'une pere
qui oublie un moment ce précieux titre
pont éloigner de lui une fille dont le feul
crime eſt d'avoir eu un coeur trop ſenſible.
Il nousafait voir , ainſi que M.P.dans
cedrame, qu'une faute qui pourroit quelquefois
ſe réparer , précipite ſouvent des
infortunés dans une ſuite néceſſaire de
démarches humiliantes & condamnables .
On ne peut donc regarder comme bien
neuf le fond du drame de Clariſſe . Mais
les ſcènes touchantes qu'il préſente , ſcènes
néanmoins qui ne font pas toujours
aſſez variées & rentrent trop ſouvent dans
le ton de l'élégie , atteſtent la ſenſibilité
de l'auteur , & font également honneur d
fon coeur &à fon goût pour les chofes
honnêtes.
L'Artdeformerles Jardinsoul'Artdes Jar
dinsAnglois,traduit de l'anglois; à quoi
le traducteur a ajouté un diſcours préliminaire
fur l'origine de l'art , des notes
fur le texte , & une deſcription détailléedes
jardins de Stowe , accompagnée
duplan ; in- 8 ° . A Paris , chez Charles-
Antoine Jombert père , libraire du
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
Roi , pour l'artillerie& le génie , rue
Dauphine.
Parmi les fingularités que nous offrent
les Anglois dans tous les genres & qui
caractériſent leur génie libre & ennemi
de toutes les règles , celle dont un étran
ger amateur des arts eſt le plus agréablement
frappé , c'eſt la maniere dont ils
compofent &décorent leurs jardins. On
ne ſauroit en imaginer qui préſente plus
de grandeur & de ſimplicité , puiſqu'elle
nous charme par les ſeules beautés de la
nature , & que tout l'art conſiſte à ſavoir
les imiter ou les employer à propos . Cette
réflexion eſt celle du traducteur de cet ouvrage,
homme de goût , qui a ſouvent
éclairci ou modifié par ſes notes les obſervations
de l'auteur Anglois , Sir Thomas
Whately , ancien ſecrétaire de la
tréſorerie ſous le miniſtere de M. George
Grenville & membre actuel du parle
ment. Les remarques de M. Whately plairont
d'autant plus aux Anglois , qu'il eſt
le premier écrivain de leur nation qui ,
inſpiré par le génie des arts , ait écrit fur
la compoſitiondes jardins. Il les entretient
d'ailleurs d'objets qu'ils ont acquellement
ſous les yeux & auxquels ils ont
accordé plus d'une fois leur approbation.
JUILLET. 1771. 109
Mais ces remarques feront - elles égale
ment accueillies chez l'Etranger, en Fran--
ce ſpécialement ? C'eſt ce qu'il n'eſt pas
facile de prévoir. Le Nôtre , célèbre defſinateur
de jardins ſous LouisXIV, jouit
encore parmi nous d'une ſi haute réputation
que nos artiſtes n'oferoient s'écarter
des principes qu'il a établis. Les riches
propriétaires veulent même que leurs jardins
leur rappelent , du moins en partie ,
les jardins de Versailles , de Trianon , de
Meudon , de Sceaux , de Clagny , &c.;
ils ne s'imaginent pas que l'on peut fortir
de cette froide ſimétrie ,de cette triſte
uniformité que leNôtre avoit admis dans
lesdeſſins de ſesjardins. Les portiques de
verdure , les berceaux, lesgrotes, lesbofquets
, les treillages , les labyrinthes , des
parterres dontil vatioit les deſſins , mais
enobfervant toujoursune exacte ſimétrie,
étoient à- peu- près les ſeuls objets qu'il
employoit dans ſes compoſitions. Iln'eut
pas la hardieſſe d'enviſager un jardin
comme un ſpectacle immenfe dont les
ſcènes variées doivent faire naître dans
l'ame du ſpectateur des ſenſationsdiverſes
de plaiſir,de mélancolie , d'admira
rion , d'étonnement , de ſurpriſe , de
frayeur même. Le célèbre Dufresny
Εν
106 MERCURE DE FRANCE.
preſque contemporain de le Nôtre , génie
fingulier , moins connu par le talent qu'il
avoitde deſfiner des jardins que par ſes
comédies , annonçoit cependant plus de
génie pour cet art que le Nôtre. Ilne travailloit
avec plaiſir , & pour ainſi dire ,
àl'aiſe , que ſur un terrein inégal & irrégulier.
Il lui falloit des obſtacles à vaincre
; & quand la nature ne lui en offroit
pas , il s'en donnoit à lui- même : c'est- àdire
que d'un emplacement regulier &
d'un terrein plat , il en faiſoit un montueux,
afin , diſoit- il , de varier les objets
en les multipliant ; & pour ſe garantir des
vues voitines , il leur oppoſoit des élévations
de terre , qui formoient en mêmetems
des belvederes. Les deſſinateurs Anglois
font parvenus également, en copiant
les effets les plus pittoreſques de la nature
agreſte ou fauvage , à varier preſque
àl'infini les ſcènes de leurs jardins. M.
Whately demande dans ſon ouvrage
qu'on emploie les bâtimens , ou , pour
parler en ſtyle de peinture , les fabriques
dans la compoſition des jardins non-feulement
comme des objets d'ornement ,
mais encore comme un moyen pour donmer
de l'élévation & de l'énergie au canctère
que le deſſinateur a voulu expri
JUILLET. 1771, 107
mer. « Un temple , par exemple , ajoute
>>> à la majeſté de la ſcène la plus ſuperbe,
>> une cabane à la ſimplicité du tableau
>> le plus champêtre . La légéreté d'une
> obéliſque , la gaîté d'une rotonde ou-
> verte , le brillant d'une longue colonnade
, font moins des ornemens que
> des expreſſions de caractere. Une peti-
>> te retraite écartée , qui par elle- même
>> ne ſe fut pas attiré notre attention , de-
> vient remarquable dès qu'elle est déco-
>> rée de quelque bâtiment conſacré à la
>> folitude & à la tranquillité ; & le lieu
> le moins fréquenté nous paroît moins
>>folitaire que celui qui ſemble n'avoir
→ été habité que par un ſeul homme ou
>> par une famille retirée , & qui n'eſt re-
>> marquable que par une petite maiſon
>>écartée ou par des ruines d'une habita-
>> tion abandonnée . On emploie les mê-
>> mes moyens , mais que l'on applique
> différemment pour corriger le caractère
>> de la ſcène, animer ſa peſanteur, éclair-
>> cir ſon obſcurité, maſquer ou redreſſer
>>ce qui s'éloigne du genre dominant ,
>&pour , felon les circonstances , adou-
» cir , renforcer & balancer par des con-
> traſtes beaucoup d'autres objets de la
» même perſpective. Mais il faut éviter
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
> avec foin que les bâtimens ne choquent
>pastrop ſenſiblement le caractère géné
> ral. Ils peuvent diminuer les horreurs
>> d'un déſert ,, mais non pas au pointd'y
» répandre de la douceur : ils doivent
>> rendre les objets moins terribles , mais
>>jamaisgracieux. Avec leurs ſecours une
>>perſpective douce &unie peut devenir
>>agréable & même intéreſſante , mais
>> jamais pittorefque : & la ſérénité peut
>> fuccéder à latriſteſſe, mais non pas à la
» gaîté. Enfin dans tous ces cas , & même
>>dans beaucoup d'autres , ils-ne font que:
>> corriger & perfectionner le caractère
dominant, ſansle changer entierement;;
car s'ils produifoient ceteffet& necom
>>>ſervoient aucune analogie avec les au
» tres parties, ils perdroientpreſque tour:
>>leur prix..
>>On peut quelquefois ſuppléer au dé
faut d'étendue d'une ſcène par un effet
qui ſuppoſe beaucoup d'efforts & de
violence. Un rocher qui ſemble ſuf-
>>>p>endu par un art inviſible ,&qui menace
continuellement ſa chûte , tire
>>toute ſagrandeurde ſa ſituation ,&non
de ſés dimenſions. Un torrent nous re
mue d'une toute autre maniere qu'une
niviere tranquille d'une largeur égale.
JUILLET. 1771. 109
>>
»Un arbre qui ne feroit rien dans une
>> plaine ordinaire , devient intéreſſant
>> s'il fort avec effort du milieu d'un ro-
> cher. C'eſt dans de pareilles circonf
>> tances que l'art eſt toujours mis en oeu
>> vre avec ſuccès. Il eſt quelquefois né-
>> ceſſaire de couper pluſieurs arbres pour
>> en faire voir un ſeul qui paroît avoir
>> ſes racines dans le roc. Il eſt poſſible
>>qu'en ôtant ſeulement quelques buif-
>> fons , on offre à la vue le ſpectacle ef-
>> frayant d'un rocher , dont la baſe a été
>> creusée &détruite par quelque cauſe
extraordinaire; & fi fur ce ſommet efcarpé
il ſe trouve un peu de bonne ter-
>> re ,& quelques arbres plantes , ce ſera
>> un objet encore plus étonnant. Quant
>> aux eaux on fait qu'elles font généra-
>> lement ſuſceptibles des plus grands
>> changemens. C'eſt pourquoi il eſt util:e
>> de bien déterminer celles qui convien-
>> nent à telle ou telle perſpective, parce:
>>qu'il eſt en notre pouvoir d'augmenter
>> ou de diminuer leur étendue , d'accé-
» lérer ou de retarder leur rapidité , de
> créer ou de faire diſparoître les obſta-
>> cles qu'elles éprouvent , & toujours de
>>nuancer ou changer entierement leur
caractère , &c .
Quelques morceaux de ſculpture
110 MERCURE DE FRANCE.
>> tels que des vaſes &des termes , peu
>>> vent ſervir quelquefois à reculer en ap-
>>parence un jardin au delà de ſes limi-
» tes réelles , & à donner à une prairie un
>>air plus cultivé & plus ſoigné que ne le
>> font ordinairement les objets de la
>> campagne. On peut les employer auffi
» comme ornemens dans les pelouſes les
>> plus unies. Les peintures que notre
>> imagination ſe forme des ſcènes arca-
>> diennes , d'après la deſcription des
>>poëtes , conviennent très bien àdetel-
>>les décorations. Quelquefois une urne
>>placée dans un lieu écarté , avec une
>> inſcription à la mémoire d'une perfon-
> ne qui fréquentoit autrefois les mêmes
>> lieux & venoit ſe repoſer ſous les mê-
> mes ombrages , eſt un objet également
>>élégant & intéreſfant. L'auteur Anglois
, comme le remarque ſon traducteur,
s'eſt ſans doute rappelé ici le beau payfage
du Pouflin qui repréſente une contrée
riante de la fertile Arcadie. Cet artiſte
ingénieux , pour intéreſſer& faire refféchir
le ſpectateur , avoit toujours ſoinde
placer dans ſes payſages des figures animées
elles-mêmes par le ſentiment ou la
réflexion . Il a repréſenté dans fonbeau
payſage de l'Arcadie deux jeunes garçons
&deux jeunes filles , parées de guirlan
JUILLET. 1771 .
des de fleurs , & qui , au milieu de leurs
plus doux plaiſirs , ſe trouvent arrêtés par
un ſentiment de mélancolie à la vue du.
monument d'une jeune fille morte à la
fleur de ſon âge. La ſtatue de cette fille
eſt couchée ſur le tombeau à la maniere
des anciens. L'inſcription ſépulchrale
n'eſt que de quatre mots latins : Et in
Arcadia ego , & moi auſſi je vivois dans
la délicieuſe Arcadie.
Le même génie mélancolique qui a
dicté à Young le poëme des Nuits porte
volontiers les Anglois à caractériſer pluſieurs
ſcènesde leurs jardins par des tombeaux
ou des pyramides ſépulchrales. Les
fuperbes jardins de Stowe , dont le traducteur
nous donne une defcription trèsdétaillée&
très fatisfaiſante, nous offre au
milieu mêmedesboſquets formés pour les
amours & les plaifirs , une retraite ſombre
qui renferme une égliſe & un cimetiere.
Le ſpectateur , ſurpris , fe rappele
alors cette tête de mort que les anciens
Egyptiens faifoient préſenter ſur leur table
dans le moment que les convives
étoient le plus animés par labonne chere
&le plaifir.
: Mais on quitte bientôt cette retraite
lugubre pour ſe rendre vers le lieu le plus
#rz MERCURE DE FRANCE.
intéreſſant de ces jardins , le Temple des
illuftres Bretons ; c'eſt une ſuite à- peuprès
demi-circulaire de ſeize niches dans
chacune deſquelles a été placé le buſte
d'un Anglois cher à la nation. Une infcription
accompagne chaque buſte & fair
connoître au ſpectateur les vertus ou les
talens de l'homme célèbre dont le ciſeau
lui offre les traits. Il faut voir cette defcription
dans l'ouvrage même ; & quel
lecteur ,en la lifant , ſera aſſez inſenſible
à la gloire , aſſez étranger à la vertu pour
refuſer ſon eſtime àune nation qui met
au nombre de ſes plaiſirs les plus chers ,
celui d'honorer les grandshommes.
S'il y avoit un reproche à faire aux ar
riſtes quiontcompoſé lesjardins de Stowe
&pluſieurs de ceux dont il eſt parlé dans
cet ouvrage de M. Wately , ce ſeroit d'avoir
trop ſouvent fairuſage de la reffource
des bâtimens pour caractériſer on dif
tinguer leurs différentes ſcènes. Certe
multiplicitédepetites parties décéle l'arr,
gâteunpeu la belle nature & rapproche le
goût anglois du goût chinois qui, ſuivant
le témoignage des voyageurs, ſe plaiſent
àdécouper leurs jardins& à les orner de
pavillons, de belvederes , de machines
hydrauliques & d'une infinité de petits
JUILLET. 1771. 113

bâtimens qui n'ont ſouvent d'autre deftination
que de varier l'aſpect d'un point
de vue.
Effaifur les maladies desGens du monde,
par M. Tiffor , D. M. de la ſociété de
Londres , de l'académie méd. Ph. de
Baſle , de la foc. éc. de Berne , & de la
foc. phyſ. exp. de Roterdam ; troiſieme
édition originale fort augmentée ; in-
12. Prix 2 liv. 10 ſols relié. A Paris ,
chez P. Fr. Didot le jeune , quai des
Auguſtins. :
Cet Eſſai qui inſtruit les gensdu mon
de du phyſique des maladies & des précautions
qu'ils doivent prendre pour conſerver
leur ſanté & arriver à une vieilleſſe
douce&tranquile , a été d'autant plus accueilli
que l'habile médecin s'eſt mis à la
portéede ſes lecteurs. Il eſt devenu pour
eux un ami éclairé , véridique & qui ne
leur diſſimule pas les maux qu'ils ſe préparent
par une vie molle & effeminée.
Combien de femmes languiſſent dans les
douleurs parce qu'elles n'étoient pas aſſex
éclairées ſur les inconvéniens des pommades
pour faire paſſer quelques boutons
au viſage. L'auteur cite pluſieurs faits
bien capables de les faire réfléchir ſur les
114 MERCURE DE FRANCE.
maladies qu'elles ſe préparent ſouvent en
voulant, par des applications extérieures ,
preſque toujours nuifibles , diſſiper quelques
éruptions de la peau qui altérent leur
teint. Mais ces faits vraiſemblablement
ne corrigeront point la plupart d'entre elles.
Preſque toutes penſent comme cette
actrice dont on cite ici la réponſe . Elle
devoit jouer le rôle de Cliremneſtre ; elle
étoit à ſa toilette , &, fans s'occuper beaucoup
de l'habillement convenable à fon
rôle , elle cherchoit à relever ſes charmes
par tout ce que l'art de la coquetterie
pouvoit lui ſuggérer. Un homme judicieux
lui fit remarquer que l'obſervation
du coſtume devoit être dans ce moment
le premier principe de ſa toilette : lepremier
principe d'unefemme , Monfieur , lui
repartit- elle , c'eft de paroîtrejolie.
1
Systême du Monde , in- 12. Prix , 30 fols ,
ABouillon , aux dépens de la Société
typographique ; & à Paris , chez Lacombe
, libraire , rue Chriſtine.
Cet écrit eſt extrait des lettres cofmologiques
de M. Lambert , & l'hypotheſe
qu'il contient eſt expoſée avec une clarté
&une préciſion qui la met à la portée de
ceux-mêmes qui redoutent les épines de
lagéométrie&de l'aſtronomie. Celui qui
JUILLET. 1771. 115
a remarqué avec ſurpriſe , à l'aide du microſcope
, dans un grain de terre , dans
une goute d'eau des multitudes d'êtres
vivans dont il ne ſoupçonnoitpas même
l'exiſtence , prendra ſans doute également
intérêt à conſidérer avec l'auteur de cet
écrit ces foleils & ces mondes innombrables
ſemés dans l'immenſité de l'eſpace.
Il trouvera une différence digne d'être
remarquée entre le ſpectacle de la terre
& celui de l'Univers . « Le premier , dit
>> l'auteur , nous préſente un défordre apparent,
dont nous ne faurions nous dé-
>> mêler qu'en le liant au tout , où il ren-
>> tre dans la regle : au lieu que le ſecond
> manifeſte un ordre apparent, &un or-
>> dre très- fimple , mais qui devient com-
>>>pliqué à meſure qu'on l'approfondir.
>> Le lever & le coucher du ſoleil , le firmament
tournant autour de nous avec
>> toutes les étoiles , dans l'eſpace de 24
>>heures ; ſe peut-il rien de plus ſimple
>> ni de plus uniforme ? mais des obfer-
» vations plus exactes font diſparoître
>> cette uniformité : on voit retrograder la
>> lune; on voit les planetes nager contre
>> le courant qui les entraîne , & outre le
>> mouvement coinmun , ſuivre des mou-
>> vemens qui leur font propres. Ceci con116
MERCURE DE FRANCE.
» duit à l'nypothèſe de Copernic , qui r
>>t>ablit l'ordre dans le monde , mais un
>> ordre déjà plus compoſé. Enfin le ſo-
>> leil& les étoiles fixes commencent à ſe
> mouvoirdans des orbites : des ſyſtêmes
> entiers d'étoiles fixes , & des ſyſtêmes
> de ſyſtêmes ſe remuent : l'ordre fe com-
> plique de plus en plus , juſqu'à la plus
>> grande complication poſſible , où nous
l'avons contemplé. N'est - ce pas une
>> choſe bien merveilleuſe que dans l'ar-
>> chitecture de l'Univers le tems & l'efpace
foient par - tout ſi bien combinés ,
>> que , malgré cette infinité de roues &
>> de refforts qui tiennent les uns aux au-
>> tres , & qui font tous néceſſaires aujeu
*de la machine , l'ordre viſible conferve
>> néanmoins par-tout un air de ſimplicité
>& d'uniformité ? »
Omnia in menfura ,& numero&pondere
difpofuifti. (Sap. c . XI V. 21. ) C'eſt l'épigraphe
placée à la tête de cet écrit bien
capable de remplir le lecteur de la plus
profonde admiration pour les oeuvres du
Tout-Puiſlant,&d'inſpirer des ſentimens
d'humilité à celui qui , tranſporté ſur les
aîles de l'imagination , verra cette terre ,
où il croit être quelque choſe , confondue
au milieu d'une pouſſiere de ſoleils & de
JUILLET. 1771. 117 1
mondes répandus dans l'eſpace, Tous les
individus périſſent ou ſe diſſolvent par le
mouvement même qui a été la cauſe de
leur exiſtence. Notre terre que l'on ne
peut regarder que comme un très -petit
individu de l'Univers doit donc périr ;
elle ſe diſſoudra dans quelques myriades
de ſiécles , car le tems de la révolution
des grands corps s'accroît avec leur maſſe.
Que deviendront alors , conquérans ambitieux
, hommes ridiculement vains ,
tous ces travaux que vous avez entrepris
pour perpétuer votre nom ? Profitez donc
de cette réflexion pour jouir tranquillement
ici bas du peu de jours qui vous
font accordés , & borner vos projets à
faire votre bonheur & celui de vos ſemblables
en quoi conſiſtent la ſuprême ſageſſe&
la ſuprême vertu.
Dictionnaire vétérinaire , & des animaux
domestiques , contenant leurs moeurs ,
leurs caracteres, leurs deſcriptions anatomiques
, la maniere de les nourrir ,
de les élever & de les gouverner , les
alimens qui leur ſont propres , les maladies
auxquelles ils ſont ſujets,& leurs
propriétés , tant pour la médecine&la
nourriture de l'homine , que pour tous
118 MERCURE DE FRANCE.
les différens uſages de la ſociété civile,
auquel on a joint un Fauna Gallicus ;
par M. Buchoz , médecin du feu Roi
de Pologne , docteur aggrégé du collé
ge royal & de la faculté de médecine
deNanci,& aſſocié de pluſieurs académies
; in- 8 °. petit format. A Paris ,
chez J. P. Coſtard , libraire , rue St
Jean- de Bauvais .
Le médecin Lorrain , dont les connoiffances
font très - variées , très- étendues ,
fur les objets principalement qui ont rapport
à l'économie champêtre &domeſtique
, n'a rien négligé pour rendre ſon
nouveau dictionnaire d'une utilité générale
aux médecins , aux naturaliſtes , à
ceux enfin qui deſirent de connoître tout
le ſervice que l'on peut retirer des animaux
; mais ce dictionnaire intéreſſera
particulierement ceux qui vivent à la
campagne. Ils y trouveront bien des connoiſſances
utiles & même néceſſaires que
l'auteur a puiſées dans ſes propres obfervations&
dans les entretiens qu'il a
vent eus avec les intendans de domaines,
les laboureurs, les fermiers , les chaſſeurs,
les pêcheurs , les maréchaux , les bergers,
les pâtres , ſur ce qui étoit relatifà chaque
partie de leur adminiſtration . On doit
fouJUILLET.
1771. 119
donc diftinguer ce dictionnaire des compilations
ordinaires & faites le plus fouvent
par des écrivains étrangers aux inftructions
qu'ils ſe propoſent de raſſembler.
Il ne paroît encore que le premier volume
de ce dictionnaire qui en aura trois
de près de 700 pages chacun avec un trèsgrand
nombre de planches gravées en
taille-douce. La condition de l'acquifition
actuelle de l'ouvrage eſt de payer
10 liv. 10 fols en recevant le premier
volume en feuilles . Le troifiéme ſera délivré
gratis , & l'on ne payera que s liv .
5 fols en retirant le ſecond , actuellement
fous preſſe. L'ouvrage entier complet ne
coûtera par conféquent que 15.liv. 15 f.
aux perſonnes qui s'empreſſeront de l'acquérir.
Celles qui ne ſe ſeront par conformées
à cette condition , avant la diftribution
du ſecond volume , payeront
chaque volume 8 liv. Les reliures feront
payées ſéparément.
On distribue du même auteur & chez
le même libraire , le troifiéme & le quatriéme
volume du « dictionnaire univer-
>> ſel des plantes , arbres & arbuſtes de la
» France , contenant une deſcription rai-
>> ſonnée de tous les végétaux du royau
:
120 MERCURE DE FRANCE.
» me, conſidérés relativement à l'agricul-
> ture , au jardinage , aux arts & à la mé-
>decine des hommes & des animaux.
Ces deux volumes complettent l'ouvrage
qui est en quatre volumes,& ſe vend relié
24liv.
Philofophia ad ufumfcholarum accommo
data , &c . Philofophie à l'uſage des
écoles , par M. Seguy , prêtre du diocèſe
de Tulle , licentié de théologiede
la faculté de Paris & profeſſeur de philofophie
au college de la Marche , s
vol. in- 12 ; prix , 15 liv. reliés. AParis
, chez la V. Savoye , Des Ventes ,
Brocas , rue St Jacques ; & Barbou, rue
desMathurins.
Cecorpscompletde philoſophiequiétoit
defiréſerad'autantplus utileaceuxauxquels
il eſt deſtiné que l'eſtimable profeſſeur en
aretranché toutes les queſtions de pure
ſcholaſtique pour ſe renfermer dans celles
qui ſont d'une utilité reconnue. Combiende
tems d'ailleurs &de dégoûts ce
cours de philoſophie n'épargnera- t- il pas
à la jeuneſſe obligée ſouvent de copier
des cahiers remplis de fautes ? Le ſtyle de
J'auteur a la clarté que l'on deſire dans ces
fortes
JUILLET. 1771. 12t
fortes de matieres. Il a diviſé la partiede
la phyſique en phyſique générale & en
phyſique particuliere ,& ill'a puiſée dans
les ſources les plus pures.On peut même
la regarder comme un précis très-ſubſtantiel
de la théorie & des faits les mieux
conſtatés.
Cinquième Recueil philoſophique & littéraire
de la Société typographique de
Bouillon ; vol . in- 12. prix, 40 f. broch.
ABouillon , aux dépens de la Société
typographique ; & à Paris , chez La
combe , libraire , rue Chriſtine .
L'art de ſe taire , nous dit l'auteur d'an
Eſſaifur les besoins de l'enfance , fur les
défauts de l'éducation desjeunes gens ,&
furla meilleure méthode de nourrir les enfans
& d'inſtruire lesjeunes gens , inféré
dans ce recueil , eſt , ſans contredit , celui
qui infque le plus fur notre propre tranquillité
, & très- ſouvent auſſi ſur le bonheur
& le repos des autres. En effer, mille
exemples prouvent que le filence obſervé
à- propos eſt plus eſtimable que le plus
éloquentdiſcours. Ce fut ſansdoute dans
la vue de donner la plus haute idée de la
majeſté du ſilence que les anciens inſtituerent
les myſteres ſacrés ; cérémonies
II. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
dont le but principal fut d'accoutumer
les hommes à contenir leur langue , afin
que l'habitude où ils ſeroient de ne pas
reveler les ſecrets concernant la religion ,
leur apprêt à garder auffi les fecrets qu'on
leur auroit revelés concernant la ſociété
en général ou quelques uns des citoyens
en particulier. Eh ! qui ne fait combien
demalheurs,de déſaftres irréparables, l'intempérance
de la langue a entraînés. Dans
le nombre preſque infini de ceux qui ſe
font perdus par leur propre indifcrétion ,
on cite ici deux exemples qui devroient
effrayer tous les babillards. Un Roi d'Egypte,
Prolomée Philadelphe, ayant époufé
ſa ſoeur Arfinoé , Sotades , homme inprudent
, incapable de contenir ſa langue,
fut aſſez indiſcret pour dire au Roi luimême
: « Que fais-tu , coupable abeille ?
tu introduis ton aiguillon dans une lo-
>> ge de ta ruche , où les dieux te défen-
>> doient de l'introduire. Sotades paya
cher cette mauvaiſe plaiſanterie : Ptolomée
irrité le fit jeter dans un cachot où il
périt de miſére & d'ennui , après pluſieurs
années de la plus dure captivité ,&
ayant eu tout le tems de pleurer lui -même
pour avoir eu la fotte ambition de
faire rire les autres. Théocrite , non le
JUILLET. 1771 123
počte , mais un très - mauvais plaiſant ,
ſubit bien plus cruellement encore la juſte
punition de ſon intempérance. Alexandre
, le plus abſolu des tyrans & le plus
impérieux des hommes , ayant écrit aux
Grecs de préparer une très grande quantité
de robes de pourpre , à cauſe d'un facrifice
ſolemnel qu'il vouloit faire aux
dieux , pour les remercier de ſes victoires
furlesBarbares : " J'avois , ditTheocrite,
> ignoré juſqu'à préſent ce qu'Homere
>>veut dire lorſqu'il parle de la mort pur-
>>purée ; mais aujourd'hui , graces auRoi
>> de Macédoine , je connois bien le ſens
>> de ces expreſſions. Alexandre , informé
de cette remarque ſatyrique , en fut
très- offenſé , &diſgracia Theocrite , que
cette punition ne parvint pointà corriger;
car quelques années après s'étant hafardé
juſqu'à plaiſanter ſur Antigone& à l'inſulter
, cet excès d'impudence lui coûta la
vie ; & l'injure méritoit la rigueur de ce
châtiment . En effet Eutropion , jadis cuifinier
d'Antigone, & élevé par fon mérite
à un grade militaire , ayant été chargé par
le Roi de faire rendre compte à Théoctite
de l'adminiſtration des finances dont il
étoit chargé , Théocrite refuſa pluſieurs
fois ce qu'on lui demandoit. Eutropion
L
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
1
le preſſa d'obéir aux ordres du prince , &
de rendre ſes comptes ; Theocrite impatienté
: « Je vois bien , dit-il à Eutropion,
»que tu veux abſolument me mettre à
>> nud , me fervir tout crud ſur la table ,
» pour me faire manger par ce cyclope
>>couronné , » reproche auſſi outrageant
pour Antigone , qui avoit perdu un oeil ,
qu'il l'étoit pour Eutropion auquel il rappeloit
ſon premier état de cuiſinier. « Oui
>> Théocrite , lui dit-il , oui je te ſervirai
, mais ce ſera ſans tête; car avant
>> peu, je jure que tu payeras de ta vie
» l'outrage que tu viens de faire à ton
» maître& à moi : » Et en effet , à l'inftant
même , Eutropion alla ſe plaindre à
Antigone , qui fit trancher la tête à l'indifcret
Théocrite ,
Pythagore recommandoit à ſes diſciples
de s'abstenir des feves, & là - deſſus
on a cru qu'il regardoit cette plante commeune
eſpéce de divinité. Le ſens de ce
précepte étoit cependant bien facile àfaifir;
il conſeilloit à ſes élèves de ne pas
s'empreſſer à ſe mêler de l'adminiſtration
des affaires publiques; car on fait que
dans les délibérations du peuple les voix
ſe comptoient par des féves blanches ou
noires , fait pour les affaires les plus im
JUILLET. 1771. 125
portantes , ſoit qu'il s'agit de l'élection
des magiſtrats : N'enfermez point , diſoitil
encore , vos alimens dans un vaſe immonde
, & par - là il vouloit que l'on eut
ſoin de ne pas confier même un propos
utile à une méchante ame. En effet , la
parole eſt comme la nourriture de l'ame,
&cette nourriture ſe corrompt aifément
par la perverſité de ceux avec qui on s'en
fert. Arrivez au même terme , diſoit il ,
ne veuillez pas retournerfur vospas : c'eſtà
dire , quand vous vous ſentirez a votre
dernier jour , & que vous toucherez aux
bornes de la vie , ne vous aviliſſez point
par des regrets ſuperflus , par des defirs
ſtériles de retourner vers la jeuneſſe; mais
ſupportez conſtamment votre ſort ,&ranimez
votre courage au lieu de vous déſeſpérer.
L'eſſai d'où ces réflexions font tirées a
été imité de Plutarque par M. L. Caſtilhon
. Cet eſſai , le morceau le plus confidérable
de ce recueil , eſt d'autant plus
intéreſſant que l'auteur , à l'imitation de
ſon modèle , a ſu animer ſon recit par des
adages , des traits hiſtoriques , des exemples
mêmes qui feront toujours plus d'im
preſſion ſur l'eſprit du lecteur que des
maximes dont il ne fent pas toujours
l'application .
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
Les autres piéces inférées dans ce cinquiéme
volume font unediſſertation fur
les Volces ; un article ſur le bonheur national
, extrait dudocteur B. M.; des obſervations
critiques ſur les victoires , les
conquêtes & le regne de Seſoftris , parM.
L. Caſtilhon ; un effai ſur les avantages &
les dangers de l'imagination , traduit de
l'anglois ; des recherches & obſervations
au ſujet de la bataille livrée par Alexandre
à Porus , fur les bords de l'Hydaſpe ;
un éloge de Jean-Etienne Duranti , premier
préſident au parlementde Toulouſe;
par M. Baragnon , de la ville d'Uzès ,
avocat au parlement de Paris; un traité
de la nature de la penſée & du principe
penfant. Toutes ces différentes pièces annoncent
le goût de l'éditeur & le ſoin
qu'il prend pour rendre ce recueil une ef
pécede bibliothèque portative également
intéreſſante & pour l'homme de lettres
qui aime à s'inſtruire , & pour le lecteur
philofophe qui veut des differtations qui
foient pour lui un objet de méditation
utile.
Mémoirefur les haras , par M. le Boucher
du Croſco , de l'académie royale d'agriculture
deBretagne ; brochure in- 8 °.
JUILLET. 1771 827
de 140 pages. A Utrecht ; & ſe trouve
à Paris , chez Lacombe , libraire , rue
Chriſtine. Prix , 24 f.
Les recherches ſur la ſtructure intérieure
du cheval , & ſur ſes maladies ſe multiplient
; mais ne néglige-t on pas un peu
trop l'éducation de cet animal& les foins
de perfectionner ſa race ? L'art de l'équitation
n'eſt pas non plus auſſi cultivé qu'il
devroit l'être , & il le ſera encore moins
àmeſure que le luxe , le goût pour les arts
agréables & la molleſſe qui eſt une ſuite
de ce goût feront plus de progrès . Un
miniſtre ſe plaignoit au commencement
de ce ſiècle de ce qu'on avoit trop abandonné
en France, l'exercice du cheval , &
quelleess voitures s'étoient trop multipliées:
que diroit - il donc aujourd'hui ? Un bon
citoyen cherche dans le mémoire que
nous annonçons à remédier à ces inconvéniens.
Il propoſe les moyens les plus
efficaces pour rappeler parmi nous l'exercice
du cheval fi propre pour fortifier le
tempérament & donner à l'état des cavaliers
exercés qui puiſſent contribuer aux
ſuccès d'une bataille. Des écrivains éclairés
ont porté cet avantage juſqu'à dire que
10000 hommes inſtruits dans l'équita .
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
:
tion, en battroient 23000 &même 30000-
qui ne le ſeroient pas .
L'auteur s'applique ſur-tout à faire voir
que des haras fixes font néceſſaises dans
tout pays pour former une race parfaite
de chevaux. Ils le font principalement en
Bretagne , où il faut faire connoître l'éducarion
des chevaux dont on n'a pas la premiere
idée , & vaincre les préjugés qui
s'oppoſeront aux changemens que l'on
defire. Un ſeul haras fixe , bien dirigé ,
fuffiroit actuellement dans cette province
, dit l'auteur ; il doit être formé d'étalons
étrangers des pays chauds , ou tout
au moins de chevaux limoſins & navarrins
avec des jumens angloiſes &normandes.
Ce mémoire préſente quelques détails
fatisfaiſans ſur l'adminiſtration de
ce haras & fait voir que pour en accélérer
le ſuccès , & même pour l'aſſurer , il
faut y joindre des encouragemens . Le
ſeul vraiment utile, parce qu'il eſt à l'abri
de toute faveur & de toute prédilection ,
conſiſte dans des courſes à l'imitation de
celles d'Angleterre. Ces courſes ou cette
eſpéce de gymnaſtique , indépendamment
de l'émulation qu'elle répandroit parmi
ceux qui élèvent des chevaux , pourroit
reveiller parmi nous l'exercice du cheval,
JUILLET. 1771. 129
exercice qui eſt en Angleterre un préfervatifcontre
la conſomption & le ſpléen ,
& qui pourroit en être un en France contre
la pulmonie & la maladie appelée vapeurs.
Il y eſt déjà connu , mais on l'emploie
trop tard , & moins comme préſervatif
que comme remède. Cet exercice
eſt fait pour tout le monde. Il ne faut pas
en excepter même les femmes. On dira
peut- être que c'eſt changer le voeu de la
nature , & qu'il faut laiſſer à chaque ſexe
le goût & les plaiſirs qui lui paroiſſent
propres . Mais, ajoute l'auteur , il ya longteins
que nous ſommes toin de la nature,
&une promenade à cheval en eſt plus
près qu'une partie de Wisk ou de brelan .
On ne demande pas ici que les femmes
faffent un cours complet d'équitation, ou
qu'à l'exemple de quelques Angloiſes ,
elles courent la chaſſe tout un jour à la
tête des chiens , ſautant barrieres & fofſés
; mais il n'y a aucunes raiſons fondées
qui doivent priver les femmes d'un exercice
falutaire , dont elles ont autant befoin
que nous , puiſque leur vie eſt en
général moins active & plus ſédentaire
que la nôtre.
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
:
L'Esprit de Madame de Maintenon , avec
des notes ; par l'auteur des mémoires
du Chevalier de KILPAR ; vol . in- 12 .
petit format de 126 pag. AParis , chez
Durand , neveu , libraire , rue St Jacques
; & Delalain , libraire , rue de la
Comédie Françoiſe .
On a imprimé ſept volumes de lettres
de Mde de Maintenon . « Les connoif--
>> noiſſances qu'on peut puifer dans ce re-
>> cueil , dit M. de Voltaire , font trop
>> achetées par la quantité de lettres inu-
>> tiles qu'il renferme. C'eſt fans doute
d'après cette réflexion qu'a été conçu
l'ouvrage que nous annonçons. L'auteur
a fur- tout recueilli les traits qui peignent
le caractere d'eſprit ou l'élévation d'ame
de cette femme illuſtre qui diſoit , en
parlant d'une perfonne de ſa connoiflance
; Ellen'a de bourgeois quefa vanitéfur
Sanobleffe.
Lamagnificence , écrivoit- elle auſſi , est
lapaffion des dupes. Elle pouvoit ajouter
&de ceux qui n'ayant aucune reffource
dans eux - mêmes, veulent ſe diſtinguer
parquelque en droit.
Madame de Maintenon vouloit qu'on
parlat à un enfant de ſept ans aufſi ſenféJUILLET.
1771. 131
ment qu'à une perſonne de vingt ans.
C'est en exigeant beaucoup de leur raiſon ,
diſoit- elle , qu'on en hâte les progrès.
On est généreux quand on voit les gens
malheureux ; mais cette générosité estfipeu
véritable , qu'on ne peut plus les fouffrir
quandilsfont heureux. Madame de Main.
tenon auroit - elle trouvé cette maxime
dansſon propre coeur ? Nous ne le préſumons
point. Elle l'avoit trop généreux
pour connoître l'envie qui nous fait enviſager
d'un oeil chagrin l'homme heureux ,
comme li cet homme nous avoit dérobé
les biens dont il jouit.
L'ambitieux ſe tromperoit s'il penſoit
que Mde deMaintenon n'ayant plus rien
àdeſirer du côté de la fortune , étoit enfin
parvenue au fuprême bonheur. Que ne
» puis - je vous donner toute mon expé-
>>rience ! écrivoit - elle. Que ne puis-je
>> vous faire voir l'ennui qui devore les
>>grands , & la peine qu'ils ont à remplir
>> leursjournées ! Ne voyez-vous pas queje
meurs de triſteſſedans une fortune qu'on
>> auroit eu peine à imaginer. L'exemplede
cetteDame eſt une nouvelle preuve
que l'eſpécede fervitude qui accompagne
toujours les grands eſt un obſtacle à leur
bonheur.
2
1
1
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
Etrennes du Parnaſſe ; 3 vol. in - 12 . A
Paris , chez Fétil, libraire , rue desCordeliers.
Cet ouvrage eſt diviſé en deux parties;
la premiere contient une notice des poëtesGrecs
, & la ſeconde un choix de poéfies
légeres. L'auteur de cette collection
ſepropoſede donner ſucceſſivement chaque
année une idée rapide des poëtes Latins,
Italiens , Eſpagnols ,Anglois , Allemands,
&c. Il ne s'attache pas fimplement
aux faits hiſtoriques ; il rapporte des jugemens
ſur les poëtes , indique les morceaux
les plus frappans de leurs ouvrages ,
&fait connoître les imitations qu'on en a
faitdans notre langue .
La notice qu'il préſente cette année
offre une infinité de traits intéreſſans
qu'on ne trouve point dans la vie abregée
des poëtes Grecs de le Févre , le ſeul ouvrage
en ce genre qu'on puiſſe lire avec
plaifir. Cet illuftre pere de la Dacier
parle légerement d'une cinquantaine de
poëtes, & l'ouvrage que nous annoncons
encontient près de cent. Le plan d'ailleurs
en eſt plus étendu &les articles ſont
plus variés& plus agréables.
L'auteur commence par offrir un ta
JUILLET. 1771. 133
bleau des poëtes célèbres qui ont précédé
Homère. On distingue dans le premier
âge de la poéſie en Grèce les noms de Linus
, d'Orphée , de Thamiris , d'Amphion,
de Musée , &c. Voici comme le chantre
de la Thrace eſt annoncé : " Jamais nom
>> ne fut auſſi célèbre que celui d'Orphée .
» Il aje ne ſçai quoi de divin qui impoſe
>>&qui fait naître dans l'eſprit des idées
>>grandes& fublimes. Parle - t- on d'Or-
>>phée ? l'imagination préſente auffi - tôt
>> un pontife ſacré , un ſage législateur ,
>> un poëte divin , un chantre mélodieux .
» Les poëtes le peignent comme un mi-
>> niſtre d'Apollon , revêtu d'une robbe
» éclatante , aſſis ſur le ſommet d'une
>> colline : ſon regard doux & majestueux
>> eſt élevé vers le Ciel . Iltient dans fa
>> main une lyre d'or , qu'il pince , tantôt
» avec ſes doigts légers , tantôt avec un
» dé d'ivoire. Dans un tranſport ravif-
>> fant , il chante les dieux immortels , la
>> vertu du héros , la ſageſſe deshommes
> & l'eſpérance flateuſe de l'immortalité.
» La nature eſt touchée de ſes accords.
>>Les lions , les tigres, les panthères vien-
>> nent lécher ſes pieds & ſuſpendentleur
> fureur. Les nymphes, les ſatyres dan-
>>>fent autour de lui : les fleuves remon
>> tent vers leur ſource; les arbres font
134 MERCURE DE FRANCE.
>> émus ; les rochers attendris defcendent
>> des montagnes : & femblable au fondateur
d'Argos, * peintſi divinement par le
» ſenſible Fénélon , il ſemble fortir de ſa
>> bouche & de fon coeur un parfum ex-
> quis : l'harmonie de ſa lyre ravit les
>> hommes& les dieux.
» Quel eſt le ſein de ces vives méta-
>> phores&de ces figures hardies ? Levons
>> le voile & nous verrons qu'Orphée ,
>> homme fublime dans ces fiécles ſauva-
» ges , par la douceur de ſa voix & par fes
> accords mélodieux , captiva l'oreille
>> rude & groſſiere des premiers hommes,
>> fit couler dans leurs coeurs des ſenti-
• mens d'humanité , de paix & de con-
>> corde& les unit par les liens de la ſo-
>> ciété , &c . »
La poéſie méritadans ces premiers tems
d'être appelée le langage des Dieux , par
les grands objets auxquels elle ſe conſacroit.
« Les noms de ſage & de poëre
>>étoient alors ſynonimes. L'harmonie
>> n'avoit d'autre emploi que de tranſpor-
>> ter les hommes en faveur de la vertu
> &de la religion;la poéſie &la muſique
>> étoient le partage des ames grandes &
>>fublimes. »
*Inachus
i
JUILLET. 1771 . 135
e
Homère , Héfiode , Archiloque , Tyriée ,
Terpandre , &c. brillent dans le 2º, âge.
Le génie des Grecs ſe développe & la poé-
Ge acquiert une mâle vigueur. La vie
d'Homère paroît écrite avec ſoin . L'auteur
s'élève avec force contre ſes détracteurs
& le reconnoît avec raiſon comme
le premier & le plus grand peintre de la
nature. Il termine ces réflexions ſur ce
prince des poëtes par ce morceau dicté
par la vérité. Quel est donc cet homme
>> étonnant qui offre des modèles aux Socrate
, aux Platon , aux Ariftote , aux Sophocle
, aux Apelle , aux Pindare , aux
Alexandre , aux Virgile , aux Milion , aux
Boffuet, &c. ? Quel est donc ce génie puif-
>>ſant qui enfante tant de grands hom-
>> mes , & qui , dès le premier pas qu'il
>> fait dans la carriere , ſçait ſe couronner
>> de tous les lauriers ? Richefſſe dans l'in-
>> vention , enthouſiaſme divin , action
>> impétueuſe & véhémente , unité parfaite
, merveilleux admirable , fable uni-
>>verſelle , belle ordonnance , caracteres
>> d'une variété prodigieuſe , images for-
>> tes & abondantes , harangues pathéti-
>> ques , peintures , tantôt naïves & gra-
>> cieuſes , tantôt tendres & paſſionnées ;
>>diction pure & fage ,ornemens ſimples
136 MERCURE DE FRANCE.
» &naturels , expreſſions d'une grandeur
» & d'une magnificence achevée , élocu-
> tion ſi rapide , ſi ſerrée , ſi harmonieuſe,
>> qu'on croit entendre les clairons de
>> Mars & la trompette guerriere. C'eſt
» un aigle intrépide qui s'élève juſques
>> dans la région du tonnerre &oſe fixer
>> l'aſtre du jour. Il poſſéde tout cequi fait
>>le grand poëte. Ingenium cui fit , cui
>> mens divinior, &c. La majestueuſe Epo-
>>pée ſemble fortir de ſa tête ſublime ,
> comme Minerve ſortit toute armée de
>> la tête de Jupiter. Voyez les poëmes
> des Collathus , des Tryphiodore , des
» Apollonius , des Calaber , des Nonnus ,
>&c. Ils parlent tous le même langage ,
>> ils ſe ſervent du même inſtrument
>> qu'Homère : en tirent - ils les mêmes
>>accords ; s'emparent - ils de l'imagina-
» tion , charment- ils les oreilles , tou-
>> chent- ils le coeur , comme cet illuſtre
>> pere de la poéſie ? Non. Tout languit ,
>> tout ſe flétrit , tout meurt entre leurs
>>>mains. Rien n'anime , rien n'ément.
» Nervi deficiuntanimique. Legénie d'Ho-
>> mère nous fubjugue avec empire : il
>>>nous touche ou nous enflamme à ſon
gré. » :
Archiloque , ce poëte aſſaffin , eſt pré
JUILLET. 1771. 137
ſenté ſous des traits qui doivent rendre
odieux l'abus du génie ſatyrique. Tyrtée,
par des accens mâles& fiers , par ſes poéfies
martiales , raſſemble les ſoldats difperſés
& les conduit au combat. L'antiquité
n'en parle qu'avec admiration « Ses
> chants guerriers ſervoient à l'éducation
>> de la jeuneſſe. Avantle combat chaque
>> Spartiate alloit dans la tente des Rois
» écouter ſes leçons ſublimes,& en fortoit
>> plein d'ardeur. Voilà quelle étoit la litté-
> ratureen honneur àLacédémone!on repé-
>> toit ſans ceſſe le nom de Tyrtée. Quand
>> nous appelons la jeuneſſe au combat,
>> diſoient les bons vieillards , Tyrtée
>> ſonne la charge ; il eſt à la fois la trom-
» pette& le héros , &c. »
La poéſie lyrique & la tragédie commencent
à s'élever dès le troiſième âge.
La ſaine morale eſt ornée de fleurs de la
poéſie. Stéfichore , Alcée , Sapho , Mimnerme
, Anacréon en font le plus bel ornement.
Le ſage Phocylides y méritoit
une place diftinguée. Son coeur étoit pur,
> ſon ſtyle étoit ſage , & fon eſprit lumineux
& juſte. Il ne nous reſte de ſes
> écrits qu'un poëme qu'il compoſa pour
» l'inſtruction des Miléſiens , & qui ren-
>> ferme des leçons dictées par la ſageſſe
138 MERCURE DE FRANCE.
1
»& la vertu. Les vérités éternelles de la
> morale y ſont expoſées avec cette élo-
» quence qui leur fuffit.... Phocylides
>>affigne à chaque devoir ſon veritable
>>rang. Il adore un Dieu ſuprême; il eſt
• perſuadé de l'immortalité de l'ame ; il
>> recommande l'amour de ſes ſembla-
>>bles. Son ouvrage eſt plein de cette
>> morale active& conſolante qui devroit
>> être empreinte plus fortement dans le
>> coeur de tous les hommes,& qui s'efface
>>de jour en jour par de froids raiſonne-
> mens&de triſtes erreurs.>>
Le beau fiécle de Periclès , de Socrate,
de Platon , de Pindare , d'Eschyle , de
Sophocle , d'Euripide & d'Aristophane
forme le 4º. âge de la poéſie. Les articles
dePindare&des poëtes dramatiques font
intéreſſans par les détails. L'auteur donne
un coup- d'oeil rapide fur chaque piéce de
théâtre ,& ne ceſſe de recommander l'étude
de la belle antiquité. Sophocle furtout
lui paroît mériter l'attention des jeu.
nes gens qui entrent dans la carriere.
L'eſprit plein de ces grands modeles ,
>> le goût s'épure , l'ame s'éleve. On ſe
>> forme une idée du beau &du vrai , &
>> l'on ne peut plus fouffrir ſans un ennui
>> mortel ces miférables productions dont
JUILLET. 1771. 139
:
>> notre ſiècle eſt inonde ; ces tragédies
>> monstrueuſes , fans ordonnance , ſans
» art , fans génie , ſans vérité ; chargées
>>d'épiſodes fuperflus , de machines for-
>> cées , d'incidens mal preparés,de noeuds
» mal tiffus , de ſurpriſes ménagées ſans
ووا adreſſe , de dénouemens ſans naturel ,
>>dediſcours fans ame , de figures derhé-
>> teur , de prétentions à la philoſophie ,
>> de ſentences déplacées , d'antithèſes ri-
>> dicules , de ſentimens biſares , fades &
>> giganteſques , &c . »
Legénie commence à s'épuiſer au cinquiéme
âge & ne préſente plus d'auſſi
grands poëtes : cependant on y voit naître
la comédie nouvelle , & la poéſie paftorale
s'y perfectionne . L'auteur admire
avec raiſon le naturel &la ſimplicité de
Théocrite ; la fublimité , l'élévation & la
richeſſe des images de Callimaque ; les
graces touchantes , l'élégance & la délicareſſe
de Bion & de Mofchus; la ſageſſe ,
la pureté , la vérité des caracteres de Ménandre
, &c. &c .
Tel eſt à- peu près la marche de cet ou
vrage , qui pourra devenir par la fuite une
bibliothèque poëtique fort intéreſſante ;
fur-tout ſi l'auteur épure davantage fon
ſtyle , ne prodigue pas tant les citations ,
140 MERCURE DE FRANCE.
&veille un peu plus à la correction typographique
.
Cette collection eſt d'un jeune homme
attaché à la bibliotheque du Roi .
Hiftoire de l'Académie royale des infcriptions
& belles- lettres , &c. tom. XXXIII ,
XXXIV & xxxve. A Paris , de l'imprimerie
royale ; & chez Panckoucke ,
libraire , rue des Poitevins , à l'hôtel
de Thou.*
Le premier de ces trois nouveaux volumes
renferme la table des matieres contenues
dans les dix tomes précédens. Les
deux autres offrent la continuation de
l'hiſtoire de l'académie & des mémoires
de littérature composés par différens
membres de cette ſavante compagnie .
On trouve de plus dans le trente - quatriéme
volume les éloges de crois académiciens
, M. le Comte d'Argenſon , M.
leComte de Cailus , & M. le Beau, cader.
Les deux premiers ſont très - intéreſſans
& pleins de détails heureux. Le ſecond
fur-tout nous a paru de cette éloquence
ſage , préciſe , inſtructive , qui doit être
*Article de M. de la Harpe.
JUILLET. 1771. 141
.
celle des éloges hiſtoriques , faits pour
offrir à l'eſprit une nourriture ſolide &
non pour étaler le vain appareil des figuresoratoires.
Nouscroyons , par exemple,
qu'il n'étoit pas poſſible de donner un
meilleur réſumé des travaux de M. de
Cailus que celui- ci : « L'étude de la lit-
> térature devint ſa paſſion dominante.
> Il y confacra ſon tems & ſes biens ; il
>> renonça même aux plaiſirs pour ſe li-
» vrer tout entier à celui de faire quel-
» que découverte dans le vaſte champ de
>>l'antiquité. Mais il ſe renferma preſque
>>toujours dansla ſphère des arts. A l'aide
» de ſes lumieres , nous vimes les Egyp-
>> tiens embaumer leurs mumies,& chan-
» ger les lames du Papyrus en feuilles
» légéres propres à recevoir l'écriture.
>>Nous vimes cette nation patiente &
>>infatigable , attachée pendant des an-
>> nées entieres à des roches de granit ,
>> trancher & cerner à l'entour des blocs
>> d'unegrandeur énorme , & creuſer dans
>>une ſeule pierre des blocs de quarante
>> coudées dans toutes leurs dimenſions.
» Nous ſuivimes ſur le Nil ces maſſes
> effrayantes dans l'eſpace de deux cent
>>lieues depuis Eléphantine juſqu'à Saïs
» & à Butos , & par les efforts d'un art
1
142 MERCURE DE FRANCE .
:
:
۱
>> preſque auſſi puiſſant que la nature ,
nous les vimes ſortir de deſſus leurs
» radeaux & s'avancer ſur la terre juf-
» qu'au lieu deſtiné à leur affiette. Il fit.
» ſervir les connoiſſances que lui avoit
>>procurées la pratique du deſſin à l'éclair-
» ciſſement des paſſages où Pline le Na-
» turaliſte paroît obfcur aux lecteurs qui
» n'ont pas le même avantage. Il déve-
>> loppa dans pluſieurs mémoires ces traits
>> profonds & expreſſifs ſous leſquels cet
» auteur univerſel a peint avec une brié-
» veté énergique les talens divers des
>> peintres &des ſculpteurs diſtingués. Il
>> fit plus , il nous tranſporta , ſi j'oſe le
> dire , dans les ateliers antiques , & fit
>> travailler ſous nos yeux les artiſtes de
» laGréce. Il retrouva dans Paufanias le
> pinceau de Polignoſe & fit revivre la
» compoſition des tableaux dont ce grand
>> peintre avoit décoré le portique de
> Delphes. Il reconſtruiſit le théâtre ver-
> ſatile de Curion , & ſous la conduite de
» Pline , il nous fit voir encore cette éton-
>> nante machine , & tout le peuple Ro-
>> main tournant ſur un pivot. Rival des
>> premiers architectes de la Grèce , ſans
» autres matériaux qu'un paſſage de
"même Pline ,
ce
il ofa relever le magnifi
JUILLET. 1771. 143
» que tombeau de Mauſole , & rendre à
>> cette merveille du monde ſes propor-
>>tions& ſes ornemens .
Tel eſt le ſtyle noble , riche & animé
qui regne dans cet éloge. Voici un morceau
d'un autre ton , qui reſſembleroit à
ła maniere agréable & délicate de Fontenelle
, mais avec un goût plus für . Rien
» de ce qui étoit antique ne lui ſembloit
>> indifférent. Depuis les dieux juſqu'aux
>> reptiles , depuis les plus riches métaux
>> & les plus beaux marbres juſqu'aux fra-
>> gmens deverre &de vaſe de terre cuite,
tout trouvoit place dans ſon cabinet.
>>.L'entréede ſa maiſon annonçoitl'ancienne
Egypte ; ony étoit reçu par une belle
> ſtatue Egyptienne de cinq pieds cinq
>> pouces de proportion. L'eſcalier étoit
tapiffé de médaillons &de curioſités de
>> la Chine&de l'Amérique. Dans l'ap-
>> partement des antiques on ſe voyoit
› entouré de dieux , de prêtres , de ma-
>>> giftrats Egyptiens , Etraſques , Grecs ,
>> Romains , entre leſquels quelques figu-
>> res Gauloiſes ſembloient honteuſes de
>> ſe montrer. Lorſque l'eſpace lui man-
>> quoit , il envoyoit toute ſa colonie au
» dépôt des antiques de Sa Majesté , &
bientôt la place étoit remplie par de
144 MERCURE DE FRANCE.
C
.....
> nouveaux habitans qui s'y rendoient en
>> foule de toutes les contrées. Cette peu-
>>plade s'eſt renouvellée deux fois pen-
>> dant ſa vie ; & la troiſième collection ,
> au milieu de laquelle il a fini ſes jours,
- a été , par ſon ordre , tranſportée après
» ſa mort dans le même dépôt.
» Les antiquaires , ceux qui croyoient
» l'être , ceux qui vouloient le paroître ,
s'empreſſoient d'entrer en commerce
>>avec lui ; ils ſe flattoient d'être admis
>> au nombre des ſavans , dès qu'ils pou-
>> voient montrer une lettre de M. le
> Comte de Cailus ; c'étoit pour eux un
>> brevet d'antiquaire. >>
»
Le recitdes voyages du Comte deCailus
n'eſt pas moins piquant & moins curieux.
« Il fit le voyage d'Italie. Sa curio-
» ſité le promena ſur toutes les merveil-
» les de cette contrée où l'antiquité pré-
> ſente encore tant de membres épars&
>> toujours féconde , quoiqu'enſevelie ,
>> fort quelquefoisde fes tombeaux pour
>> enfanter des artiſtes , & par une heu-
>> reuſe imitation faire produire de nou-
>> veaux modèles. Les yeux du Comte
» n'étoient pas encore ſavans; mais ils
» s'ouvroient à la vue de tant de beautés
•&apprenoient à les connoître ... Arri - :
JUILLET. 1771. 145
> vé à Smirne , il profita d'un délai de
>>>quelques jours pour viſiter les ruines .
>> d'Ephéfe , qui n'en font éloignées que
>> d'environ une journée . Vainement s'ef-
>>força- t- on de l'en détourner , en lui re-
>>préſentant les dangers qu'il alloit cou-
>> rir. Le redoutable Caracayali ,à la tête
>> d'une troupe de brigands , s'étoit rendu
>> maître de la campagne , & portoit l'ef-
>> froi dans toute la Natolie ; mais dans le
>> Comte de Cailus , la crainte fut tou-
>> jours plus foible que le deſir. Ils'aviſa
>> d'un ſtratagême qui lui réuffit . Vêtu
>> d'une ſimple toile de voile , ne portant
>> fur lui rien qui pût tenter le plus mo-
>> deſte voleur , il ſe mit ſous la conduite
>> de deux brigands de la bande de Cara-
>> cayali , venu à Smirne ,où par crainte on
>> les ſouffroit; il fit marché avec eux ,
>> ſous la condition qu'ils ne toucheroient .
>>l'argent qu'au retour. Comme ils n'a-
>>voient d'intérêt qu'à le conſerver , ja
>> mais il n'y eut de guides plus fidèles.
>>Ils le conduiſirent avec ſon interprête
>> vers leur chef , dont il reçut l'accueil
>> le plus gracieux. Inſtruit du motif de
fonvoyage Caracayali voulut ſervir ſa
curioſité, il l'avertit qu'il y avoit dans
>>le voiſinage des ruines dignes d'être
»
II. Vol. G
:
L
146 MERCURE DE FRANCE.
>> connues ; & pour l'y tranſporter avec
>>plus de célérité , il lui fit donner deux
>>chevaux arabes , de ceux qu'on appelle
» chevaux de race , qui font eſtimés les
» meilleurs du monde , tant leur allure
>> a de vîteſſe & de douceur . Le Comte
>> ſe trouva bientôt comme par enchan-
>>tement ſur les ruines indiquées , c'é-
>> toient celles de Colophon . Il y admira
>>les reſtes d'un théâtrre dont les liéges
>> pris dans la maſſe d'une colline qui re-
>>garde la mer , joignoient autrefois au
» plaifir du ſpectacle celui de l'aſpect le
>>plus riant& le plus varié. Il retourna
>>paſſer la nuitdans le fort qui ſervoit de
>>retraite à Caracayali , & le lendemain
>> il ſe tranſporta ſur le terrein qu'occu-
>>poit anciennement la ville d'Epheſe .....
» Il paſſa le détroit des Dardanelles pour
» reconnoître ces campagnes ſi riches &
» i fleuries dans les Poëmes d'Homère .
ود Il ne s'attendoit pas à rencontrer aucun
>>veſtige de l'ancien Ilion , mais il ſe
>>promettoit bien de ſe promener ſur les
„ bords du Xante & du Simois . Ces fleu-
>>ves avoient diſparu. Les vallées du
> mont Ida abreuvées du fang de tant de
>>héros , n'étoient plus qu'un terrein dé-
>> fert & Sauvage , fourniſſant à peine
JUILLET. 1771. 147
>> quelque nourriture à des avortons de
>>chênes dont les branches rampoient fur
la terre & ſe deſſéchoient preſqu'en
>>naiſſant. »
L'auteur de l'éloge paſſe aux qualités
morales de M. le Comte de Cailus . » Ce
>>qui prouva qu'il aimoit les arts pour
» eux-mêmes , ce ſont les bienfaits ſecrets
>>par leſquels il s'empreſſoit d'encoura-
>>ger les talens qui n'étoient pas fecon-
»dés de la fortune : il alloit les cher-
>> cher juſques dans les retraites où l'indi-
>>gence les tenoit cachés ; il prévenoit
>> leurs beſoins . Il en avoit peu lui-mê-
» me ; fa libéralité faifoit tout fon luxe .
>> Quoique ſes revenus fuſſent fort au
> deſſous de ſa condition , il étoit riche
>> pour les aſſiſter , & lorſque vers la fin
>>de ſa vie ſa fortune ſe fut accrue de celle
>> du Duc de Cailus ſon oncle , il n'ajouta
» rien à ſadépenſe; il ne lui ſurvint au-
>> cun nouveau beſoin , il ſe ſubſtitua les
» arts & les lettres ; tout l'héritagetourna
>> à leur profit , il n'en fut que le légifla-
>>teur. Sa généroûté n'a été égalée que
>>par celle de pluſieurs artiſtes qui ont
» avoué ſes bienfaits . »
Ilſe ſubſtitua eſt un mot très fin ; il
l'eſt peut-être trop ; ce n'eſt pas qu'il ne
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
foit ſuffisamment expliqué par ce qui
fuit; mais il l'eut été mieux s'il avoit été
accompagné d'un mot analogue à l'idée
de fuccetlion , qui rendît la métaphore
plus claire. Nous nous permettons cette
remarque , parce que tout le diſcours eft:
d'un excellent goût ,& certainement l'un
des meilleurs que l'on ait faits depuis les
meilleurs de Fontenelle. Au rete , nous
ajouterons à ce que dit l'éloquent écrivain
fur la bienfaisance de M.deCailus, une circonſtance
que nous pouvons garantir ,&
qui fait beaucoup d'honneur au jugement
& au caractère de cet homme célèbre ;
c'eſt que parmilesjeunes littérateurs qu'il
étoit toujoursdiſpoſé à ſecourir , s'ilen remarquoit
qui euſſent pris les erreurs de
l'amour- propre pour l'inſtinct du génie ,
&qui ſe trompaſſent ſur le talent qui
leur manquoit , il cherchoit à les éclairer
, & ne leur accordoit même ſes bienfaits
qu'à condition qu'ils renonceroient
àdes prétentions vaines & dangereuſes ,
&prendroient une profeſſion plus conformeà
leurs diſpoſitions naturelles; c'étoit
une leçon donnée à ceux qui ſecretement
jaloux du talent qui s'élève , encouragent
la médiocrité ſouple & ram .
pante,& lui ouvrent les premiers la route
1
JUILLET. 1771 . 149
du mépris qui les attend , & quelquefois
de l'infortune.
Nous citerons un morceau de l'éloge
de M. d'Argenſon , qui préſente unrapprochement
très - heureux & ſaiſi avec
beaucoup d'art. >> Tandis que l'Ecole Mi-
>litaire s'élevoit , l'hôtel royal des Inva-
>> lides s'embelliffoit dans le voiſinage ,
» & prenoit de nouveaux accroiffemens.
On partageoit , on plantoit d'arbres ces
>>belles allées qui s'étendent juſqu'aux
>> bords de la Seine , où nos vieux guer-
>> riers s'entretenant des haſards de leur
>> vie & des victoires acquiſes par leurs
>>bleſſures , rappellent , felon la penſée
>> d'un illuſtre écrivain , l'image douce &
>> riante des héros d'Homere & de Vir-
>>gile errantdans l'Eliſée. Noble & pré-
>>cieuſe portion de terre qui réunit l'en-
>>>fance& la vieilleſſe de notre brave mi-
>>lice ; où la valeur d'un côté ſe prépare
>&s'évertue à fournir uneglorieuſe car-
» rière de l'autre ſe repoſe après ſa
>> courſe , & montre dans une même
>>perſpective & fon berceau & fon der-
>> nier aſyle..>
,
Les ſavantes recherches de M. de Guignes
ſur les Egyptiens & les Chinois , de
l'Abbé Mignot fur les Phéniciens , deM.
Giij
150 MERCURE DE FRANCE .
l'Abbé Foucher ſur les Grecs , de M. An-
>>quetil ſur les Parſes , ſur les Indiens &
fur Zoroastre , de M. le Beau ſur la légion
Romaine , de M. Chabanon ſur Pindare
, de M. l'Abbé Belley ſur les médailles
, &c , ont enrichi ce tréſor de
connoiſſances tiré des mines fécondes de
l'antiquité , trop négligées aujourd'hui
par des littérateurs indigens & frivoles ,
mais où le génie & le goût n'ont jamais
dédaigné de fouiller.
Discours de Cléopatre appuyéesur le tombeau
d'Antoine. Extrait de la vied'Antoine
, par Plutarque.
» Mon cher Antoine , il y a peu de
» jours que ces mains encore libres te
> fermerent les yeux ; mais aujourd'hui
> je fais ces libations ſur ton tombeau ,
>>captive& gardée à vue de peur que dans
>>ma douleur & dans mon déſeſpoir , ve
>>>nant à tourner contre moi une main
>> meurtriere , je ne flétriſſe ce corps ef-
» clave& réſervé pour décorer le triom-
>> phe de ton vainqueur. N'attendspas de
>> moi d'autres honneurs que ces effu-
> ſions funèbres ; on t'enlève ta chere
»Cléopatre ; elle te rend aujourd'hui ſes :
JUILLET. 1771. 151
C
>> derniers devoirs. Pendant que nous
* >> avons vêcu , rien n'a pu nousſéparer ;
» mais la nort va nous éloigner égale-
>> ment l'un & l'autre des lieux qui nous
>>ont vus naître. Toi romain , tu autas
>> tes cendres en Egypte , & moi mal-
>> heureuſe ! ... j'aurai les miennes en Ita-
→ lie. Ta patrie , cher epoux , n'a plus à
>> m'offrir qu'un tombeau; mais ſi tu peux
>> compter ſur la puiſſance &ſur le ſecours
» des Dieux de ton pays.(car les nôtres
>> nous ont abandonnés ) ne laiſſe point
>> ton épouſe vivante à la merci de tes
>> fiers ennemis , ne ſouffre pas qu'on
> triomphe de toi dans ſa perſonne. Ca-
>> che moi ici avectoi ; donne moi lamoi-
>> tié de ton tombeau. De tous les maux
>> dont je ſuis accablée il n'en eſt point
>> qui m'aient cauſé de chagrins plus
>> amers & plus cuiſans que ce peu de
>> temps que j'ai vêcu ſans toi . »
Extrait de la vie de Romulus par Plutarque.
Après pluſieurs combats les Romains
& les Sabins étoient encore ſur le point
d'en venir aux mains. Tout à- coup on
voit accourir de tous côtés avec des cris
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
& des hurlemens horribles les jeunes Sabines
qui avoient été enlevées. Elles s'élancent
au travers des épées nues & des
cadavres entaflés : elles ſe préſentent à
leurs maris & à leurs peres , les unes portant
leurs enfans dans leurs bras , les autres
ayant les cheveux épars & en défordre ,
& toutes enſemble s'adreſſant tantôt aux
Sabins , tantôt aux Romains,elles les appellent
par les noms les plus chers & les
plus tendres .
Na. En genéral ce préambule n'eſt pas
une traduction littérale de ce qui , dans
Plutarque,précede le diſcours des Sabines.
De quels crimes nous sommes-
>> nous rendues coupables envers vous
» quel déplaiſir vous avons nous caufé ,
>>pour mériter que vous mettiez aujour-
>> d'hui le comble aux maux affreux que
>> nous avons déja ſoufferts ? Devenues la
>>proie de la violence & de l'injustice de
>> ceux à qui nous appartenons actuelle-
» ment; dans notre malheur abandonnées,
>> oubliées de nos frères , de nos pères ,
>> de nos proches , nous avons été forcées
>> de nous unir par les noeuds les plus
>> ſaints aux objets de notre haine. Quel-
>> qu'injuſtes qu'ayent été nos raviſſeurs ,
JUILLET. 1771. 153
» s'ils ont aujourd'hui les armes à la main,
>> les droits ſacrés qu'ils ont acquis fue
>> nous exigent que nous craignions pour
>>leurs jours ; & vous ne pouvez les ſa-
>> crifier à votre reſſentiment ſans faire
» couler nos larmes. Pendant que nous
>> étions encore filles , vous n'êtes pas ve
» nus nous venger de nos raviſſeurs , &
•aujourd'hui vous venez arracher des
>> femmes à leurs maris , des meres à leurs
>> enfans ! Malheureuſes que nous fom-
>> mes ! le ſecours que vous nous apportez
>> eſt pour nous plus cruel que cet aban-
>>don , que cet oubli où vous nous avez
>>laiſſées. Voilà les témoignagnes que
>> nousavons reçusde nos ennemis. Voilà
>>les marques detendreſſe&de ſenſibilité
>> que vous nous donnez. Si nous ne ſom-
>>mes pas la cauſe qui vous a fait prendre
les armes , pouvez - vousrefuſer de les
>> mettre bas par conſidération pour celles
>> qui vous ont unis à vos ennemis par les
>>titres les plus facrés ? Alliés ,beaux- pe-
» res , ayeux de ceux que vous pourſui-
» vez , emmenez-nous avec vos gendres
» & vos petits fils : rendez nous nos pe-
» res , rendez-nous nos proches ; ne nous
>> raviflez- pas nos maris , laiſfez-nous les
» tendres gagesde leur amour ; épargnez-
ود
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
>> nous la honte d'un ſecond eſclavage ,
>> nous vous en conjurons au nom des
>> Dieux. »
Cesdeux morceaux sont traduits dePlutarque
parM. Coamier de la Genais , docteur aggregé
èsarts en l'Univerſité de Paris , au collège de
Navarre.
Obfervations Elementaires pour introduction
& fupplément à la tactique & difcipline
pruſſienne & autre ; accompagnées
de principes mathématiciens &
tacticiens , par M. de Keralio , ancien
aide de camp du maréchal , duc &
prince deBroglio , en VI parties avec
LXX planches en taille - douce. A
Francfort , Leipzic & à la Haye , aux
dépens de la compagnie . 1771 .
M. le chevalier de Keralio qui , dans
le cours de la dernière guerre , à ſervi en
qualité d'aide - major général de l'infanterie
, aux ordres de M. le maréchal de
Broglie , déſavoue l'ouvrage que nous
annoncons. On a eu lieu d'être ſurpris de
le voir publier fous ſon nom. Il eſt ſingu.
lier que des compilateurs veuillent ainſi
enimpoſer au public en attribuant une
telle compilation à un officier eſtimable.
1
JUILLET. 1771. 135
C'eſt le ſieur Van- duren , libraire à
Francfort , qui vient de publier ces obfervations
élémentaires , recueil informe
&découſu , dans lequel on a mis à contribution
pluſieurs autres ouvrages.
Le traité intitulé , Pensées ſur la tactique
par M. le marquis de Silva , qui a
paru à Paris chez Jombert en 1768 , lui
a fourni ſes principes de tactique ; mais
il a tellement défiguré ce qu'il en a pris ,
qu'il l'a rendu méconnoiſſable , il a de
même puiſe ſes obſervations ſur la tactique
ſupérieure dans les principes élémentaires
fur la tactique , ou nouvelles obfervations
fur l'art militaire , par M. B ....
Chevalier de l'ordre royal & militaire de
Saint Louis. A Paris chez Laurent Prault ,
1768. & dans les réflexions militairesfur
différens objets de guerre , par G. K. A
Francfort, & Leipfic , chez Knoch & Eflin
ger , 1762. & dans les causes du mauvais
fuccès des armées françoises éloignées de
la France en général , & particulièrement
en Allemagne : il a pris auſſi les penſées
fur la formation dufoldat à la guerre , qui
font à la fuite de ce morceau . Parmi ces
différens ouvrages mutilés , il ne rapporte
en entier que les réglemens de l'infanterie
pruffienne qui ont paru à Paris en 1756 ou
1.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
1757, les lettres du roi de Pruſſe au général
Fouquet , & les recherchesfur les principes
généraux de la tactique , Paris chez Defaint
, 1769. Le reſte de ce volume contient
des évolutions & des manimens
d'armes , où l'on donne des exercices de
1703 pour introduction à la tactique moderne
; avec l'inſtruction de M. le Maréchal
de Broglie pour le ſervice de l'armée
du Roi en 1760 , ſuivie d'un réglement
pour le ſervicedes grenadiers de France ,
morceau moins utile que propre à groſſir
le recueil qui , en outre , eſt rempli de
planches auffi mauvaiſes que le papier &
l'impretlion. Quoique le libraire aſſure
dans un avertiſſement que cetouvrage vaut
bien un vieux louis d'or ou cinq écus , &
qu'il ſemble ne le donner pour quatre écus
aux ſouſcripteurs que par grace , nous craignons
fort que cette compilation , marquée
au coin de l'ignorance la plus profondede
l'art militaire, n'ait pas ungrand
débit.
JUILLET. 1771. 157
2
Recueil complet de l'hiſtoire & des mémoires
de littérature & belles - lettres
de l'Académie royale des inſcriptions
&belles lettres , in- 12. avec le même.
nombre de figures& de planches que
dans l'édition in 4°. Propoſés par foufcription
; chez Panckoucke , libraire ,
rue des Poitevins , hôtel de Thou.
Les vingt- fix premiers volumes ont paru il y a
deux ans .
Les vingt-quatrevolumes ſuivans ſont actuellement
en vente.
Les derniers volumes paroîtront en Décembre
1771.
Les mémoires de l'Académie des Inſcriptions
font fi connus , & l'édition in -4°. en eſt ſi répandue
en France & cher l'Etranger , qu'on peut ſe
diſpenſer d'entrer dans un grand détail pour en
faire connoître le mérite & l'utilité. Ce dépôt littéraire
, l'ouvrage d'une compagnie ſavante &
d'un fiécle entier de travaux , eſt le recueil de littérature
leplus complet&le plus étendu qui exifte
en aucune langue, ſoit ſur la géographie , la chronologie
, l'histoire ancienne , l'histoire moderne;
foit pour les notices de nos anciens romans ou de
nos vieux poëtes ; fur-tout pour toutes les obſervations
& fingularités qui concernent la poëfic,
l'artdramatique , les théâtres d'Athènes & de Rome;
lamuſique&la danſe , la peinture , la ſculpture
, & tous les arts anciens. Cette riche collection
, dans le cabinet d'un homme de lettres, d'un
I158 MERCURE DE FRANCE .
amateur ou d'un curieux , eſt une bibliothèque
entiere , qui peut lui tenir lieu de pluſieurs milliers
de volumes.Elle eſt pour un homme de lettres ce
que ſont les mémoires des académies des ſciences
&lacollection académique pour un ſavant.
L'édition in- 4°. étant entierement épuiſée , on
acru rendre ſervice au public & aux gens de lettres
en acquérant tout le fonds de l'édition in- 12 .
des vingt- fix premiers volumes imprimés en Hollande.
Un ouvrage de litterature de cette importance
exigeoiitt , pour en faciliter l'acquiſition ,
qu'on lui donnât une forme plus commode , plus
portative&moins diſpendieuſe.
On a ſéparé dans l'édition in- 12. l'hiſtoire des
mémoires ,& l'on continuera de même.
La condition de la ſouſcription eſt ſimplement
depayer chaque volume en les recevant 2 liv. 10 f.
Après la ſouſcription , chaque volume ſera de 3 1..
10 ſols,prix que ces volumes ſe ſont toujours vendus.
Quatre ou cinq volumes in- 12. forment deux
volumes in- 4° . On n'a pu toujours faire quatre
volumes in- 12. de deux in-4°. parce que certains
volumes in 4º. ſont plus épais que d'autres. Il y a
*deces volumes qui ont juſqu'à cent à cent dix
feuilles .
Les deux volumes in-4° . ſe vendent 24 liv . Et
comme ils forment quatre ou cinq volumes in- 12 .
qui ſe vendent enſemble 10 liv. ou 12liv. 10 1. la
différencedu prix de cette édition in- 12 . à celle
in-4° . eſtde plus de moitié.
Ceux qui ont précédemment acheté en Hollande
les vingt- fix premiers volumes in - 12 . ſont égaJUILLET.
1771. 159
lement admis à ſouſcrire pour la ſuite : ils payeront
les volumes en les recevant 2 liv . 10 f. au lieu
de3 liv. 10f.
Pour rendre cette acquifition encore plusfacile,
on donne la liberté d'acquérir chaque livraiſon
ſéparément.
On a mis en vente au même hôtel le tom . XVI
in - 4°. de l'hiſtoire naturelle en entier de M. de
Buffon. Le même ouvrage grand & petit in fol.
avecplanches enluminées.Cetome ſeize forme le
premier de l'hiſtoire des oiſeaux .
Le même ouvrage in- 12. formant les tomes 32,
33 de l'édition del'hiſtoire naturelle en 31 vo.l,
&lestomes 14& 15 de l'édition en 13 vol .
La ſouſcription de l'hiſtoire naturelle , treize
volumes in- 12. reſtera ouverte toute cette année
1771 .
Ouvrages propofſés à une diminution de
près de moitié , jusqu'au premier Août
1771 .
Hiſtoire générale des voyages , par M. l'Abbé
Prevôt , 1 vol. in. 4°. ; le volume , en blanc , 81.
au lieu de 14 liv.
Le même ouvrage, 68 vol . in- 12 .; le vol. bl.
1 liv. 10 ſ. au lieu de 2 liv. 10 f.
Les tom. 18,19 , in-4°. & les tom. 69à 76,in- 12.
qui forment les volumes de la continuation , refterontà
l'ancien prix de la ſouſcription ; lavoir,le
vol . in-4°. bl. 12 iv. &l'in-12 . 2 liv.
160 MERCURE DE FRANCE.
Collection académique , to vol. in-4°. le vol.
8 liv. au lieu de 12 liv.
Les tomes XI , XII , XIII , qui viennent d'être
mis envente ferontde 12 liv. ancien prix.
Les reliuresfepayentſéparément.
SPECTACLES.
OPERA.
L'ACADÉMIE royale de Muſique continue
les repréſentations des Fragmens
compoſés du Prologue de Dardanus , de
l'Acte d'Alphée &Arethuse , & de la Fête
de Flore. Mile Beaumeſnil joue par intervales
en l'absence de Mile Arnould le
rôle d'Aréthuſe , qu'elle rend avec ame
& avec intelligence . M. Larſſure remplace
M. l'Arrivée dans le rôle d'Alphée.
Madame Ch *** , excellentemuficienne
, a débuté dans cet acte par un
air brillant qu'elle chante avec autant de
goût que de préciſion.Un organe flatteur,
un talent perfectionné , les graces de ſa
perſonne doivent lui promettre le plus
grand fuccès.
JUILLET. 1771. 161
COMÉDIE FRANÇOISE.
Les Comédiens François ont donné le
famedi 6 Juillet la premiere repréſentationdes
Amans ſans lesçavoir , Comédie
nouvelle en trois actes & en profe.
L'amour naît ſouvent de la douce habitude
de ſe voir ; c'eſt ce qu'ont éprouvé
le Marquis de Sainville , fils de la
Comteſſe d'Auray , & la jeune Henriette
ſa niece. Sainville avoit la légèreté & la
gaîté de ſon âge ; il imitoit ſon père le
Comte d'Aurai , & s'amuſoit avec lui des
aventures de ſociété. Rien n'altéroit fon
bonheur ; il demeuroit avec ſa coufine.
Cependant la tente d'Henriette conçoit
que le Chevalier , fils de la Préſidente de
Candeuſe , ſa voiſine & ſon amie , peut
former un établiſſement riche & honorable
pour ſa nièce qui n'a point de fortune.
Elle lui propoſe ſon projet avec une
tendreſſe&des expreſſions qui ne lui permettent
que des témoignages de fa reconnoillance.
Mais Henriette ſent une
averſion involontaire pour cette alliance ,
& Sainville l'apprenant tombe dans une
162 MERCURE DE FRANCE.
profonde rêverie ; il ne peut ſupporter
la penſée d'être ſéparé de ſa couſine , il ne
tarde pas à lui marquer ſes inquiétudes ,
&à lui déclarer ſa paffion. Henriette l'aime
en ſecret, mais elle n'oſe avouer des
ſentimens qu'elle doit au Chevalier.
Sainville ne néglige rien pour rompre
l'intelligence de ſa mere avec la Préſidente.
Il répand dans la ſociété des propos
capables de les brouiller. On attribuecesdiſcours
au Comte d'Aurai , pere
de Sainville , qui a la complaiſance de
les avouer pour excuſer ſon fils auprès de
la Comteſſe . La mère de Sainville découvre
la vérité & conçoit bientôt les motifs
qui font agir fon fils. Elle le blâme
deces moyens indignes de lui , elle lui
défend d'empêcher par ſon indifcrétion
un établiſſement ſi avantageux à ſa coufine
, & de prétendre avec peu de bien
épouſer Henriette qui n'a point de fortune.
La Comteſſe leur repréſente les
ſuites fâcheuſes d'une pareille union ,
ſouvent ſuiviede regrets. Sainville amoureux
ne ſe rend pas à ces raiſons. Sa mère
lui ordonne de renoncer à ſa paſſion , &
pour en empêcher les progrès , elle lui
preſcritde s'abſenter.
La Préſidente , grande parleuſe , mais
JUILLET. 1771. 163
très- obligeante , ne ſe fâche pas des vains
bruits ſemés contre ſa famille. Elle preſſe
ſon amie de terminer un mariage qui
doit augmenter leur union. Le Chevalier
très - indifférent ne craint ni ne deſire
cette alliance. Il ſurprend Sainville aux
genoux de Henriette , & ne doutant plus
de leur amour , il s'éloigne. La Préſidente
rend à la Comteſſe d'Aurai ſa parole ;
elle ne trouve pas mauvais que Sainville
foit préféré à fon fils puiſqu'il aime Henriette
& qu'il en eſt aimé. Ils étoient
Amans fans ie ſavoir , ils deviennent
époux .
On attribue cette Comédie à Madame
de S. C. , qui a beaucoup d'eſprit & te
talent de bien exprimer ce qu'elle penſe.
On a loué le ſtyle , qui eſt en général élégant
& facile , le dialogue qui eſt vif &
ferré. Il y a des caracteres eſquiſſés légèrement.
On a applaudi à des vérités
utiles exprimées avec préciſion. Ce drame
manque peut être par le choix de l'action
, & par cet art ſi difficile de préparer
des ſituations intéreſſantes ou comiques
, & de faire jouer toutes les parties
enſemble, enforte qu'il n'y ait aucune ſcène
, aucune expreffion qui ne concourent
au but général. Le Marquis de Sainville eft
164 MERCURE DE FRANCE:
parfaitement joué par M. Molé ; le comte
d'Aurai par M. Brizard; la Comteffed'Aurai
par Mile Dumefnil , Henriette par
Mile Doligni ; la Présidente de Candeufe
par Mad. Drouin . Le Chevalier de Candeuſe
a été bien repréſenté par M. Monvel,
Germon , valet de Sainville , par M.
Feulie , Life , femme de chambre d'Henriette
, par Mlle Fanier .
ACADÉMIES.
I.
7
Séance publique de l'Académie royaledes
Sciences & belles - lettres , tenue le 16
Avril 1771 , dans la falle de l'hôtelde
ville deBéfiers.
:
M. L'ABBÉ MILLIE , principal du col
lége royal de cette ville , a ouvert , en
qualité de directeur , la féance par un
difcours fur l'étude des ſciences & des
belles- lettres. Il a prouvé qu'elles procurent
à la ſociété les plus grands avantages :
&comme les jeunes gens ſont ſouvent
rebutés par les difficultés qu'il faut vaincre
pour réuſſir , il leur a fait voir que
JUILLET. 1771. 165
-
l'homme d'étude ſe délaſſe en travaillant,
& qu'il goûte les plaiſirs les plus purs.
" Un algébrifte , a- t il dit , qui trouve la
>> ſolution d'un problême compliqué ,
> ſent une joie inexprimable. Unphyſi-
>> cien qui prend la nature ſur le fait, eſt
>> dans le raviſſement & l'extaſe . Un lit-
>> térateur nequitte qu'avec peine un livre
>>que le génie , le bon goût & les moeurs
» ont dicté.
Dans le ſecond point il a parlé contre
ces hommes ſuperficiels qui ne font que
voltiger d'objet en objet , qui , pour favoir
un peu de tout , ſe contentent de
feuilleter des journaux & des dictionnaires
, & qui ſe croient inſtruits. « Il fe-
>> roit bien facile , a dit M. Millié , de
>> mortifier un peu leur- amour- propre. Il
>>fuffiroit de leur demander à quoi ils ſe
>>ſont ſérieuſement & conſtamment ap-
>>pliqués. Ils verroient d'uncoup - d'oeil
» qu'ils n'ont jamais rien approfondi ; &
>>puiſqu'ilsont de l'eſprit, ils concluroient
>> qu'ils ne ſavent rien..
M. Bouillet , ſecrétaire perpétuel , lut
l'éloge de M. de Mairan , né à Béſiers en
1678 , & mort à Paris le 20 Février 1771 ,
doyen de l'académie royale des ſciences,
l'un des Quarante de l'académie françoiſe
:
166 MERCURE DE FRANCE.
1
& membre de beaucoup d'autres académies
du royaume &des pays étrangers .
M. Bouillet réſuma en peu de mots ce
qu'il avoit dit à la louange de M. deMairan
ea 1769 , & qui ſe trouve imprimé
dans le Mercure de France , premier vol.
de Juillet 1769 ; & il ajouta qu'il étoit
juſte de rendre à notre fondateur , maintenant
que la inort vient de nous l'enlever
, un hommage plus étendu & plus
éclatant. Comme il ſe propoſe de faire
bientôt imprimer cet éloge à la tête du
ſecond tome des opufcules de M. de Mairan
, qu'il a recueillis , & que M. de Mai .
ran auroit fait imprimer , s'il avoit vécu
davantage , on n'en donnera pas ici l'extrait.
M. de Gleiſes de Lablanque , nouvellement
élu à l'académie , lut fon diſcours
de remercîment. Il y prouva qu'on ne
peut mieux reconnoître le vrai mérite que
dans l'homme de lettres .
« Livré , dit- il,aux douceurs d'une vie .
» tranquille , il en emploie tous les inf-
» tans à l'étude avec une avarice eſtima-
» ble. Il y puiſe dans ſa jeuneſſe cette
>> nourriture précieuſe qui élève l'ame &
> la porte à la vertu. Il y trouve de quoi
>> ſe conſoler des rides de la vieilleſſe ,
JUILLET. 1771. 167
» Dans tous les tems, dans tous les lieux ,
>> elle fait ſes plus cheres délices. Elle
>> charme même les triſtes dégoûts que
>> peut répandre ſur ſa vie la viciffitude
>> des choſes humaines . * Les lumieres
» qu'il acquiert , en éclairant ſa raiſon ,
>> perfectionnent ſon coeur & fon eſprit.
» Elles lui apprennent à connoître ſes
>> paſſions & à en triompher. Délivré de
>> leur joug , aucun obſtacle ne l'arrête
>> dans les ſentiers qui conduiſent à la
>> ſageſſe . »
>>Mais ce ne ſeroit pas aſſez pour lui
» que de les connoître , ces ſentiers , &
» de les ſuivre. Peu content de ſon pro-
>> pre bonheur , l'homme de lettres veut
>> encore ſe rendre utile à ſa patrie . Ex-
>> cellent citoyen , il lui voue ſes travaux.
» Tantôt , deſtiné à des emplois impor-
>> tans , il en remplit les fonctions avec
>> cette étendue de lumiere qu'on ne peut
>> trouver que dans lui. Tantôt , préférant
>> le repos de la vie privée , il tranſmet à
* Studia adolefcentiam alunt ; ſenectutem
oblectant ; adverfis perfugium ac ſolatium præbent;
delectant domi ; non impediunt foris ; pernoctant
nobifcum , peregrinantur , rufticantur,
Cicero proArchiâ Poëta.
168 MERCURE DE FRANCE.
>>la poſtérité de grands exemples , des
>>>leçons ſublimes qui forment le ſage &
>> lehéros.>> ود
M. de Gleiſes de Lablanque finit fon
diſcours , en exprimant à MM. les Académiciens
le bonheur & la joie de leur
patrie commune de ce que leurs travaux
augmentent ſa gloire& les feront vivre
eux-mêmes au- delà du tombeau .
M. Bouillet le fils prouva , par des raîfons
tirées de la théorie & de la pratique
de la médecine , la néceſſité des ſaignées
&des purgatifs dans le traitemunt des
maladies humorales aigues ; & il confirma
ce qu'il avoit avancé par l'expoſition
abregée qu'il fit du traité de Galien,Quos,
quibus & quando purgare oporteat , fur lequel
les ennemis de ces moyens ofent
s'appuyer.
M. de Manſe lut enſuite un mémoire
fur la conſervation des vieillards . C'eſt
aux jeunes gens qu'il adreſſe les motifs qui
doiventleurrendre précieuxlesjoursde ces
hommes reſpectables , & c'eſt à ces hommes
reſpectables qu'il indique les moyens
de prolonger une vie dont l'humanité
tire chaque jour les plus grands avantages.
Les vieillards font les peres de la ſociété
;
JUILLET. 1771. 169
ciété; ils en font les bienfaiteurs ; ils
en font les guides. Jeune homme ! voilà
lestitres de ceux qui ont long-tems vécu;
vous leur devez de l'amour , dela reconnoiſſance&
du reſpect.
M. de Manſe , dans la ſeconde partie
de ſon mémoire , dévelopant le progrès
de la vieilleſſe d'après M. de Buffon , établit
que pour la prolonger il faut commencer
de bonne heure à ne plus vivre
comme les jeunes gens. La nature , ditil,
nous indique l'inſtant où nous devons
changer de regime : nous n'avons plus à
quarante ans les appetits que nous avions
àtrente ; d'ailleurs les beſoins ne doivent
plus être les mêmes , parce que nos organes
font différemment affectés , ils ſedévelopoient
encore , ils commencent à
s'engorger à préſent. Il ſe forme en nous
un commencement de pletore ; à meſure
que nous avançons en âge le mal augmente,&
nous devons en retarder les progrès
en diminuant à proportion les alimens
le fommeil & l'application aux affaires ;
ce n'eſt point ſeulement aux vieillards
que l'auteur adreſſe ſes conſeils , mais en.
coreà ceux qui ſont ſur le pointde le devenir.
,
M. Bertholon , prêtre de la Congréga-
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
tion de la Miſſion & profeſſeur de théologie
au ſéminaire , qui avoit déjà lu dans
d'autres ſéances de l'académie ( Voyez le
Mercure de France , Second volume de Janvier
1771 , pag. 183. ) quelques mémoires
ſur le magnétiſme , où il avoit expofé
ſon nouveau ſyſtême ſur cette matiere ,
expliqua conféquemment à cette theorie
le phénomene de la direction & de la déclinaiſon
de l'aiman. Il montra , d'après
pluſieurs expériences phyſiques, comment
l'augmentation de la déclinaiſon avoit
paru être reguliere en certains endroits ,
ainſi que l'ont penſé pluſieurs ſavans, faifant
voir cependant que l'influence de
pluſieurs cauſes particulieres avoit pu
quelquefois troubler cette régularité. Il
examina l'opinion de M. Hallei fur ce
ſujet , la carte qu'il a tracée , celle qu'ont
publiée MM. Mountaine & Dodſon , & c.
&détermina auſſi la quantité préciſe de
la déclinaiſon actuelle de l'aiguille aimantée
dans Béziers , déclinaiſon qu'il
avoit trouvée après avoir tracé pour cet
effet une méridienne par des opérations
astronomiques & gnomoniques , & s'être
ſervi d'une aiguille de bouſſole plus grande
que celle de l'obſervatoire de Paris.
NotreAcadémicien expoſa rapidement
JUILLET. 1771. 171
les nombreux & brillans effets , l'éclatante
révolution qu'a produite ce ſimple phénomene
de la phyſique , la découverte de la
direction de l'aiman ; l'art de la navigation
inventé , car , qu'étoit- il avant cette
époque ? la géographie perfectionnée &
étendue , un nouveau monde découvert ,
de nouvelles routes connues , les plus fécondes
ſources du commerce ouvertes ,
le domaine des ſciences accru , &c. Ils ne
méritent donc que le dernier mépris ces
injuſtes détracteurs des ſciences , ces vils
contempteurs des arts qu'on entend quelquefois
nous demander dequel prix font
les connoiſſances qui font l'objet de nos
études , le charme de nos jours & les délicesde
notre vie .
On n'eut pas le tems de lire ce que
M. Maillot , l'un de nos aſſociés , auteur
du mémoire imprimé ſur l'inſcription
hébraïque qu'on voit à Beziers , venoit
d'écrire au ſecrétaire. Il répond d'une maniere
victorieuſe àtoutes les objections
qui lui ont été faites ſur l'explication qu'il
adonnée de cette inſcription.
Hij
# 72 MERCURE DE FRANCE.
II.
PROGRAMME.
د
L'Académie de l'Immaculée Concep
tion de la Ste Vierge , fondée à Rouen
étoit dans l'uſage d'annoncer tous les ans
les prix qui y ont été fucceſſivement fondés
dans les ſiécles précédens& en celuici.
Ils étoient au nombre de douze , comme
le portent les programmes inférés depuis
pluſieurs années dans les feuilles périodiques.
Cette moiſſon étoit rarement
recueillie en entier , ſoit que le concours
ne fût pas toujours rempli , ſoit que les
auteurs , voulant embraſſer tous les genres
de compoſition , ne faifoient qu'approcher
de chaque but au lieu de s'attacher
à en atteindre un ſeul avec plus de
force , & par conféquent plus de ſuccès.
La modicité , la forme même des ſymboles
d'argent , le laurier, le lys , la roſe...
qu'on donnoit aux vainqueurs , avoient
peut- être contribué à rallentir l'émulation,
dans ceux particulierement qui font
plus ſenſibles à l'appas de l'intérêt qu'à
l'aiguillon de l'honneur. Ces conſiderations
, ainſi que les repréſentations faites
fur ces objets à MM. les Juges de cette
JUILLET. 1771. 173
académie , les a déterminés à la réduction
de tous les prix dont ils font les diſpenſateurs
, pour en augmenter la valeur intrinsèque
. Cette réforme vient en effet
d'être conclue , pour la forme & le nombre
des prix , ſous les yeux de M. le Couteulx
, premier préſident en la chambre
des Comptes , Prince de l'académie en
1769 , & de M. de Croſne , intendant de
la généralité de Rouen , Prince pour la
préſente année 1771. La forme ſera celle
des médailles qui font en uſage dans toutes
les académies , à l'exception qu'elles
feront encore d'argent, juſqu'à ce que de
nouveaux bienfaiteurs ſe joignent à ceux
qui viennent de procurer à cette compagnie
la facilité de recouvrer ſon ancienne
Iplendeur . Ces médailles repréſenteront
l'image de l'ImmaculéeConception de la
Ste Vierge: le revers ſera rempli par une
infcription relative au prix qu'on aura
remporté . Le nombre en eſt fixé à quatre
pour chaque année : ſçavoir ,un prix pour
le diſcours françois ſur un ſujet de religion
qui fera propoſé chaque année. Deux
prix de poësie françoiſe , alternatifs entre
l'ode & l'idille , les ſtances & le poëme
héroïque. Un prix enfin pour une pièce
de poëſie latine , alternative entre l'ode
Hij
174 MERCURE DE FRANCE.
alcaïque ou faphique , & l'allégorie , anciennement
appelée épigramme.
En conféquence de cette délibération ,
MM. les Juges de cette académie propofent
pour la préſente année 1771 : 1º. Un
prix pour un difcours françois , dont le
ſujet ſera : L'utilité& les avantages d'une
Société académique conſacrée en même tems
à la Religion & aux belles- lettres. Ce difcours
doit être terminé , ſuivant l'uſage ,
par une Priere à la Ste Vierge , ſur le privilege
de ſon Immaculée Conception.
2º. Un prix pour une ode françoiſe . 3 °.
Un prix pour une idille françoiſe . 4°. Un
prix pour une ode latine. On laiſſe à la
volonté des poëtes le choix de leur ſujet
pour toutes ces pièces. L'hiſtoire ſainte ,
eccléſiaſtique , civile & naturelle , le dogme
, la morale , la diſcipline & les cérémonies
de l'Eglife , voilà leurs ſources.
La mythologie ſeule leur eſt interdite
ainſi que toute fatyre & toute perfonnalité.
Les ſujets qui auront le mérite & les
graces de la nouveauté feront toutes choſes
égales plus favorablement accueillis.
Et quels tems plus féconds en événemens
dignes d'être célébrés dans ce lycée confacré
à la gloire de la Religion & deslertres
? L'exaltation aſſez récente d'un grand
,
1
JUILLET. 1771. 175
Pontife fur le Siége de St Pierre , le facri
fice d'une illuftre Princeſſe dans les dé
ferts du Carmel , l'heureuſe union des
premieres Maiſons de l'Europe , qui affure
notre félicité , la gloire & le ſuccès
des écrivains diftingués qui conſacrent
leurs veilles à la défenſe du dépôt de la
foi : quoi de plus capable de reveiller le
zèle , d'enflammer l'imagination , d'élever
l'ame &de faire éclore les chef-d'oeuvres,
fruits du coeur & du génie , qui conduiſentd'autant
plus fûrement àl'immortalité,
qu'on en reçoit la palme de lamain
même de la Religion ?
Outre ces quatre prix , M. de Crofne ,
intendant de la généralité de Rouen ,
ayant accepté la qualité de Prince & de
protecteur de l'académie , propoſe pour
matiere du prix furnuméraire que les
Princes ont coutume de donner , l'année
de leur principauté , une pièce de poësie
françoiſe de cent vers héroïquesau moins,
ou une ode françoiſe de dix à douze ſtrophes.
Dans celle des deux piéces qu'on
choiſira , le ſujet eſt libre ; mais on doit
mettre à la fin une alluſion à l'Immaculée
Conception , ſuivant l'inſtitution de l'académie
. Cette clauſe eſt auſſi pour les
quatre prix annoncés ci- deſſus. Elle cef
Η iv
376 MERCURE DE FRANCE.
ſeroit néanmoins d'avoir lieu , ſi le fonds
de l'ouvrage étoit pris dans la vie même
de la Ste Vierge. Toutes perfonnes , excepté
les juges de l'académie , font admi.
fes à concourir. Les ouvrages ſeront envoyés
doubles & francs de port avant la
St Martin II Nov.au R. P. Prieur des Carmes
, trésorier de l'académie de l'Immaculée
Conception. Les auteurs auront ſoin d'écrire
liſiblement & correctement chacune
de ces deux copies ; le nom de l'auteur
fera mis avec une ſentence dans un billet
cacheté , & cette ſentence ſera repérée au
bas de la piéce & fur l'adreſſe du billet.
On ne pourra envoyer qu'une ſeule piéce
de chaque genre , ni ſuppoſer aucunnom .
Le recueil des piéces couronnées en 1770
paroîtra avec celui de cette année , au
commencement de 1772. On trouve une
fuite de tous les recueils précédens de
cette académie , & fur- tout des dernieres
années , chez Etienne-Vincent Machuel ,
imprimeur- libraire , rue St Lo , vis-à- vis
le palais , à Rouen , in- 1 2. brochés.
JUILLET. 1771. 177
ARTS.
ARCHITECTURE.
1.
Cours d'Architecture Civile , ou Traité de
la décoration , diſtribution & conftruction
des bâtimens , contenant les leçons
données en 1750 & les années
fuivantes , par J. F. Blondel , dans fon
Ecole des Arts , 3 volumes in - 8 ° ,
y compris les planches gravées , publié
de l'aveu de l'auteur par M. R***;
à Paris chez Defaint , Libraire , rue du
Foin S. Jacques. 1771 .
ON defiroit depuis long-temps ce cours
d'architecture où l'art eſt réduit en principes
, où l'exemple vient à l'appui du précepte,
où l'hiſtoire &le raiſonnement con
courent également pour faire connoître
ce qu'il faut imiter& ce qu'il faut éviter.
L'habile profeffeur nous enſeigne dans
la première partie de cet excellent traité ,
cequi concerne la décoration des édifices
&il donne une idée rapide de l'origine
و ک
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
des progrès , & des révolutions arrivées
dans l'Architecture , ainſi que dans les
arts du jardinage , de la ſculpture , & de
la Peinture. Dans la ſeconde partie , il
s'occupede la diſtribution, & il rapporte
ce qu'on peut dire d'intéreſſant fut les
bâtiments d'habitation,de magnificence ,
d'utilité & de fûreté. La troiſieme partie
traite des loix concernant les bâtimens ,
de l'art de faire des devis , du poids ,
&des différentes qualités des matières
propres à l'art de bâtir. Cet ouvrage formera
fix volumes in - 8° & ſera enrichi
d'environ 250 planches néceſſaires à l'intelligence
des diſcours.On publie actuellement
deux volumes de discours &un
volume deplanches pour l'intelligence de
ces deux volumes .
GÉOGRAPHIE.
Explication générale de ta Mappemonde
historique , publiée l'an 1750 en deux
feuilles , par M. J. L. Barbeau de la
Bruyere , & ſe vend à Paris avec la
mappemonde hiſtorique qui ſe trouve
avec les Cartes de Guill. Deliſle
chez M. Buache quai de l'horlogedu
JUILLET. 1771. 179
palais& chez Heriſſant libraire rue S.
Jacques.
CETTE explication s'étoit répandue depuis
long-temps en manufcrit.On a engagé
l'auteur à la laiſſer imprimer. Il y a
conſenti après l'avoir revue. Elle eft nonſeulement
utile pour l'intelligence de la
mappemonde hiſtorique , mais elle a encore
l'avantage de préſenter un tableau
rapide des peuples qui ſe ſont ſuccédés
dans la révolution des temps.
On trouve pareillement chez M. Buacheles
globes céleste & terreſtre de G. Delifle
, d'un pied de diametre, revus &
augmentés par Ph. Buache : prix 84 liv.
chacun. Hemisphères ſeptrionale & meridionale
du même , avec les nouvelles découvertes...
Turquie , Arabie & Perfe ,
nouvelle édition augmentée. Suite des
cartes&tablesde la géographie phyſique,
conſidérée par les chaînes de montagnes
& les terreins ou baffins de fleuves ; favoir
; une carte de la France ainſi diviſée ,
unecarte dubaſſin particulier de la Seine,
trois tables analytiques & relatives à ces
cartes , un tableau de la crue & de la diminution
des eaux de la Seine , depuis
1730, juſqu'en 1767 .
Hvj
MERCURE DE FRANCE.
GRAVURE.
L
Les Pécheurs Italiens & la Pêche au clair
de la lune. Deux eſtampes en pendant
de 10 pouces de haut ſur 7 de large ,
gravées par Mile Bertaud d'après les
tableaux originaux de même grandeur
de M. Verner , peintre du Roi.A Paris
, chez l'auteur , rue St Germainl'Auxerrois
, au coin du carrefour des
trois Maries , maiſon du marchand de
vin.
Ces deux nouvelles estampes , qui nous
rappelent bien agréablement deux trèsjolies
marines de M. Vernet , confirment
les talens de Mlle Bertaud. Elles ont de
la couleur &de l'effer..
IL
t
Onpublie chez Deſnos , libraire-géo
graphe , rue St Jacques , la premiere livraiſon
ou les ſoixante - douze planches
du premier volume de l'hiſtoire générale
JUILLET. 1771. 185
des plantes & inſectes de Surinam in fol.
avec les diſcours imprimés.
Cet ouvrage eſt deſtribué en trois différentes
repriſes . On donne , en retirant la
premiere , 30 liv .; pareille fomme à la
feconde qui paroîtra le 20 Octobre prochain
, & pareille ſomme à la troiſieme,
qui ne paſſera pas le mois de Décembre
de cette année. Le Sr Deſnos ſe charge
de faire enluminer moyenant 24 fols par
planche . Voyez le prospectus de cer ouvrage
imprimé dans le Mercure de Mai
1771 .
On trouve chez le même un Atlas por
tatif univerſel & historique , compofé d'après
les meilleures cartes , tant gravées
que manufcritesdes plus célèbres géographes&
ingénieurs , & généralement tour
ce qui concerne la géographie pour les
globes , ſphères & cartes.
ΙΙΙ.
Troifiéme cahier de charges à l'eau forte
par le ſieur Chevalier. A Paris , chez ,
Niquet , place Maubert , à côté de la
rue des Lavandieres.
Ce cahier eſt compoſé de fix petits
fujets , y compris le titre.
182 MERCURE DE FRANCE .
IV.
Almanach perpétuel composé de deux
cadrans placés ſur un petit catton , avec
uneexplication détaillée fur la maniere de
s'en ſervir . On peut monter cet almanach
fous verre.
CHORÉGRAPHIE.
Principes de Chorégraphie , ou l'art d'écrire
&de lire la danſe par caracteres
démonstratifs accompagné d'un paffepied&
d'une allemande à quatre , in-
8°. Prix , 3 liv . broché. A Paris , chez
Denis , rue Saint-Jacques , vis-à-vis le
collége de Louis le Grand.
L'ART du Chorégraphe n'étoit point
connu des anciens ; notre goût pour la
danſe l'a créé parmi nous . On peut comparer
cet art à celui de noter la muſique.
Le Chorégraphe trace les figures de la
danſe avec des lignes , diviſe ces lignes
par des portions égales correfpondantes
aux meſures , aux tons , aux notes de
chaque tems; donne des caracteres dif
JUILLET. 1771. 183
tinctifs à chaque mouvement, &place ces
caracteres fur chaque diviſion correfpondante
des lignes du chemin. Dans la
danſe on ſe ſert de poſitions , de pas , de
pliés , d'élevés , de ſauts , de cabrioles ,
de tombés , de gliſfés , de tournemens de
corps , de cadences , de figures, &c. L'auteur
de l'ouvrage que nous annonçons
donne les définitions de ces termes; mais
ces définitions ne font pas exprimées avec
toute la clarté & toute la préciſion deſirées.
La poſition , nous dit- on , démontre
en danſant la poſition des pieds. N'est- il
pas plus exact de dire que la poſition eft
ce qui marque les différentes ſituations
des pieds poſés à terre. Le gliffé démontre
qu'en marchant le pied gliffe ; cette définition
ne s'entend pas ou plutôt n'en eſt
pas úne. Le gliſſe eſt l'action de mouvoir
Je pied à terre ſans la quitter.
L'auteur , après avoir donné l'énumération
des mouvemens uſités dans la danſe
paſſe à la connoiſſance des caracteres qui
déſignent ces mouvemens , & donne un
paſſe-pied& une allemande écrits avec
ces différens caracteres qui font gravés
avec affez de ſoin.
Cette Chorégraphie élémentaire pour
ra être utile aux amateurs de ladanſe,à
4
1
184 MERCURE DE FRANCE.
ceux qui veulent lire ou écrire un air de
danſe comme ils liſent ou écrivent an air
demuſique.
MUSIQUE.
AIRS détachés de la Buona figliuola ,
muſique de M. Piccini , célèbre compoſiteur
Italien , arrangés par M. Baccelli ;
prix , 1 liv. 16 f. A Paris , chez Houbaut,
marchand de muſique , près de la comédie
italienne & aux adreſſes ordinaires .
On diſtribue auſſi la partition gravée
de la muſique de cet opéra comique.
Journalde pièces d'orgues , par M. Lafceux
, mois de Juillet 1771. On foufcrit
en tout tems aux adreſſes ordinaires de
muſique , & chez l'auteur , rue St Victor,
moyenant 24 liv. par an pour Paris , &
36 liv. pour la Province , franc de pore
par la poſte.
LePrintems , ariette à voix feule &
ſymphonie dédiée à M. le baron de la
Richerie ,& compoſé par M. Joubert ,
1
JUILLET. 1771. 185
organiſte de l'abbaye royale de St Aubain
d'Angers . Prix , 3 liv. 10 f. avec les parties
ſéparées. A Paris , chez M. Moria ,
vis- à vis la Comédie Françoiſe ; & à Angers
, chez l'auteur , rue Haute St Martin .
ELÉGIE premiere du livre premier de Tibule
; traduction par M. P ** , àDijon .
Divitias alius fulvo fibi congerat auro , &c .
Qu'un autre , épris de l'éclat de l'or , multiplie
ſes richeſſes , qu'il pofléde dans une vaſte
étendue , des terres bien cultivées , mais qu'il
s'attende à ſentir ſon coeur dans un trouble continuel
à l'approche de l'ennemi ; il n'entendra pas
ſans effroi le ſon bruyant de la trompette martiale
qui éloignera de lui les douceurs du ſommeil
. Pour moi , ma médiocrité me fait paſſer
une vie tranquile & pleine d'un doux loiſir. Je
ferai heureux pourvu que le feu brille toujours
dans mon foyer , ſi l'eſpérance ne m'abandonne
point , ſi toujours j'obtiens d'elle que mes greniers
foient remplis de bleds & que mon cellier
abonde en vins. Habitans de la campagne, je cultiverai
moi - même la vigne dans ſa ſaiſon ; je
ferai mon amusement de planter dans mon verger
des arbres à haute tige ; * je ne rougirai point de
*Grandia poma. 2
186 MERCURE DE FRANCE.
tenirquelque fois le manche d'une charrue & de
preffer de l'aiguillon la marche lente des taureaux;
fi je trouve une brebis ou le petit d'une
chèvreque ſa mere aura abandonné , je ne dédaignerai
pas de les rapporter au bercail. C'eſt ici que
tous les ans j'ai coutume de purifier mon berger
&de faire des libations de lait à la bienfaiſante
Palès; car je revère cette divinité , & , ſoit qu'au
milieu d'un champ elle ait la forme d'un tronc ou
bien celled'une pierre antique , je ne manque jamais
dela couronner de fleurs. Blonde Cerès , recevez
pour prémices de mes moiſlons unecouronne
d'épics que j'attacherai aux portes de votre
temple : je veux élever au milieu de mon verger
une ſtatue au dieu conſervateur des jardins , afin
quede ſa faux redoutable il écarte les oiſeaux.
Ovous les protecteurs d'un héritagejadis étendu&
fertile , aujourd'hui reſſerré dans des bornes
étroites , dieux Lares , je vous deſtine auſſi des offrandes
. Quand alors je voulois purifier mes troupeaux
, je pouvois vous immoler une génifle , à
préſent un agneau eſt une victime importante
pourun fi petit domaine ; oui ,une jeune brebis eſt
celle que je puis vous offrir. Cette ruſtique jeuneſſe
, en danſantautour , s'écriera : grands dieux!
donnez nous d'abondantes moiſions & d'heureuſes
vendanges, venez,divinités puiſſantes, foyeznous
propices , ne rejettez point les offrandes que
nous vous préſentons à cette table pauvre, & dans
des vaiſſeaux de terre. Nos anciens laboureurs
n'ont fait leurs vaſes qu'avec de l'argile. Larrons
avides , vous , auffi , loups cruels , épargnez un
bétail peu nombreux ; c'eſt dans les grandstroupeaux
qu'il vous faut chercher une prove; je n'ambitionne
pas les richeſſes de mes peres ni l'ample
1
1
JUILLET. 1771. 137
produitde leur domaine ; un honnête revenu me
Tuffit . C'eſt aſſez ſi ſous mon humble toit il m'eſt
toujours permis de me livrer aux douceurs du repos.
Ah! qu'il eſt agréable d'entendre de ſon lit
fiffler les vents &de preſſer ſa maîtreſſe tendrement
contre ſon ſein , ou quand les autans ont
ramené les frimats , de s'endormir au doux bruit
que fait la pluye ; puiſſe un tel bonheur être toujours
le mien ; ſoit riche àbon droit celui à qui il
eſt poſſible de braver les dangers d'une mer funeuſe&
d'endurer toutes les rigueurs des triftes
hyades. Satisfait de ma médiocrité , je vivraitranquile,
je ne me verrai plus forcé de m'éloigner & de
faire des voyages de long cours ; aflis ſousl'ombrage
près d'une eau fugitive , je pourrai éviter le
chaud des étés ; que tout ce qu'il y a d'or & de
pierreries s'anéantiſſe plutôt que jamais non ab-
Ience coûte des larmes à aucune de mes maîtreſles.
C'eſt à vous , Meſlala, qu'il convient de chercher
les haſards ſur mer & fur terre , afin qu'à votre
retour on voie la façade de votre palais le décorer
des dépouilles des ennemis. Une femme charmante
me retient dans ſes chaînes ; & comme fi j'en étois
le portier , je ne cefle de me tenir devant ſa maifon.
Ma chere Delie , un nom célèbre me rouche
peu , oui , que l'on me traite d'homme inutile &
fans courage , j'y conſens pourvu que je ne vous
quitte jamais pourvu qu'en votre préſence je
puifle accoupler mes boeufs & mener paître avec
vous mes troupeaux fur une colline déſerte ; puifſé-
je même n'avoir , pour goûter les douceurs du
fommeil , que la terre toute nue, mais qu'il me
foit permis de vous tenir entre mes bras.
,
Sans la poſſeſſion d'une maîtreſſe qui vous aime
autant qu'elle eſt aimée , que fert au bonheur de
188 MERCURE DE FRANCE.
repoſer ſur un lit de pourpre , quand la nuit doit
s'écouler dans les larmes & les regrets ; car pour
lors ni le duvet de la plume , ni les étoffes peintes
dont on couvre un lit , ni le murmure que fait entendre
une eau tranquile ne peuvent provoquer le
fommeil.
Cet amant qui pouvant jouir du bonheur de te
poſléder aıma mieux , inſenſé qu'il eſt ! chercher
les combats&le butin , est un homme qui a la dureté
du fer , eſt - il pardonnable , quoiqu'il voie
fuir devant lui les Ciliciens vaincus , quoiqu'il
ait placé ſes tentes ſur le terrein conquis,& qu'enfin
tout éclatant d'or & d'argent , il s'avance à la
vue du peuple,monté ſur un courſier fuperbe :Mes
voeux font bien différens ; arrivé à ma derniere
heure, puiflent encore mes yeux s'attacher fur toi ,
puiflent mes mains défaillantes preſſer les tiennes.
Delie , tu pleureras en voyant ton amant étendu
fur le bucher , tu me donneras des baifers auxquels
viendront ſe méler les plus triſtes larmes
oui , tu pleureras ; un dur acier n'entoure point
tes entrailles & tu ne portes pas un caillou dans
ton coeur ; aucun d'entre tous les jeunes gens & les
jeunes filles , aucun ne reviendront de mes obsèques
qu'iln'ait les yeux baignés de pleurs. Crains
alors d'offenſer mes mânes , épargne tes beaux
cheveux , épargne tes joues délicates. Mais aimons
tandis que l'âge nous le permet encore ,
bientôt viendra la mort enveloppée d'épaiſles ténèbres
; bientôt la vieilleſſe nous furprendra :
alors conviendra - t-il d'être amoureux , & avec
des cheveux blancs de tenir des converfationsgalantes
; parlons d'amour & de plaifir tandis qu'on
peut encore ſans tidicule,rompre des portes & faire
du tapage ; c'eſt là où je me picque d'être à la
JUILLET. 1771. 189
fois bon chef & bon foldat. Loin d'ici étendarts
&trompettes , que pour prix de vous avoir ſuivi
les ambitieux rapportent des bleſſures & des richefles;
pour moi , tranquile poflefleur du peu
que j'aurai amaſlé , je dédaignerai les riches , je
braverai l'indigence.
ANECDOTES.
I.
LE Comte de Rochester a été célèbre
pat ſon eſprit , par ſa gaîté & par ſes vices.
Un jour qu'il ſe promenoit dans le parc
avec des compagnons de fon humeur ,
il apperçut le Docteur Barrow , eccléſiaſtique
, & le plus grand mathématicien
de ſon tems , ſe promenant ſeul , & occupé
de ſes méditations ordinaires : il ſe
propoſa de l'aborder &de lui faire ou de
lui dire quelque plaifanterie ; il courut à
lui ,& lui faiſant une profonde révérence ,
il lui dit : bonjour , Docteur , je fuis votre
ferviteurjusqu'au centre de gravité. Le
Docteur qui le connoiſſoit , découvrit fon
defſſein , lui rendit ſon ſalut ſans s'émouvoir
, &lui répondit : Jeſuis le vôtrejuf
qu'aux Antipodes. Le Comte s'arrêta un
190 MERCURE DE FRANCE.
moment& enfilant de nouveaux complimens
de cette tournure , il promena de
côté & d'autre le Docteur qui ne fut pas
en reſte , & enfin lui dit qu'il étoit à lui
juſqu'au fond de l'enfer ; en ce cas , repric
le Docteur , Mylord me permettra de l'y
laiſſer. Il le quitta à ces mots & continua
ſa promenade.
II.
M. Cibber , après le ſuccès de l'opéra
des Gueux , tenta de donner une pièce
à-peu-près dans le même genre , mais il
ſe méprit malheureuſement ſur le ſujer.
Son drame annoncé avec beaucoup de
bruit , fut très- mal reçu du public ;
on le joua deux fois , & il diſparut enfuite
pour toujours. Son ouvrage étoit
préciſement l'oppoſé de celui de M. Gay:
celui ci avoit préſenté la grandeur & l'autorité
ſous le jour le plus mépriſable , &
s'étoit attaché à donner de l'agrément aux
vices les plus bas ; auſſi avoit il eu le plus
grand ſuccès ; mais quand onjoua la pièce
deCibber , il n'y eut que l'héritier de
la couronne , le Prince de Galles , qui
ofát entreprendre de protéger la vertu &
l'innocence. Comme il étoit ſeul contre
JUILLET. 1771. 191
rous , il ne fut pas aſſez fort. La première
repréſentation avoit été tellement tumultueuſe
, que perſonne ne l'avoit entendue:
le Prince de Galles ſe trouva à la
ſeconde. Cibber s'apperçut aux mouvemens
qui ſe faifoient dans le parterre ,
qu'elle ne feroit pas mieux écoutée que
la première ; il eſſaya de parer le coup, &
s'avançant ſur le bord du théâtre , il adreffa
ces mots aux ſpectateurs. « Meſſieurs ,
>> puiſque je vous vois peu diſpoſés à
>> permettre que ce drame aille plus loin,
>> je vous donne ma parole que paſſé ce
>> foir , on ne le repréſentera plus ; mais
» j'eſpère en même tems que vous dai-
>> gnerez reſpecter le Prince qui honore
>> cette repréſentationde ſa préfence , &
>> que vous voudrez bien ſuſpendre pour
» ce moment , les témoignages de mé.
>> contentement que vous m'avez donnés
>> hier , & que vous penſez que j'ai mé-
ود rités ». On garda un profond ſilence ;
la pièce fut jouée ſans être interrompue ,
& on l'applaudit même beaucoup plus
que l'auteur ne l'eſpéroit ; cependant il
n'oſa pas la tiſquer une troiſième fois ; il
la fit reparoître enſuite avec beaucoup
de changemens , ſous un autre titre , &
fans s'en faire connoître pour l'auteur :
192 MERCURE DE FRANCE.
elle eut un grand ſuccès , & on la redond
ne ſouvent ; elle eſt intitulée Damon &
Philis.
III.
1
Un matin qu'il faiſoit grand froid ,
Diogène s'en vint à la place publique,&
pour exercer ſa patience s'y tinttout nud ,
cependant comme pluſieurs perſonnes
qui s'étoient aſſemblées autour de lui ,
ne le pouvoient regarder ſans que la compaſſion
les touchât. Platon qui vint à paffer
, connoiſſant bien que ce que Diogène
en faiſoit , n'étoit que pour être vû:
fivous en avezpitié, dit-il , vous ne pouvezmieuxfaire
que de ne le point regarder.
I V.
UnCapitaine envoyé contre l'ennemi
avec ſi peu de forces , qu'elles n'étoient
pas capables d'exécuter une ſi haute entrepriſe
, s'en retourna vers fon Général
&le pria de reprendre la moitié des fol--
dats qu'il lui avoit donnés. Pourquoi
donc , lui demanda le Général ? C'eft, répondit
leCapitaine,parce qu'il vaux mieux
que peu de gens périſſent que beaucoup .
У.
JUILLET. 1771. 193
V.
Phocion voyant qu'Alexandre lui envoioit
un Gentilhomme pour lui faire un
préſent de ſa part , pourquoi demanda- til
, le Roi n'uſe t- il de libéralité qu'envers
moi ? C'eſt , répondit le Gentilhomme
, parce qu'il vous tient pour le feul
homme de bien qui ſoit dans Athènes . Si
cela eft, répliqua Phocion , il m'obligera
fort de me laiſſer vivre en cette qualité.
V I.
Quelque tems après l'avenement du
Roi Georges I. au trône de la Grande
Bretagne , il s'éleva une révolte en faveur
de la maiſon de Stuart , qui avoit
encore des amis en Angleterre & en
Ecoffe. Le gouvernement qui connoiffoit
les principaux Jacobites , fit arrêter ceux
qui pouvoient être dangereux , dans le
deſſein de les tenir en priſon juſqu'à ce
que les troubles fuſſent appaiſés ; parmi
ceux- ci on comptoit Sir Willam- Wyndham
; mais comme il avoit épousé la fille
du Duc de Sommerſet , qui étoit alors
Général de la Cavalerie , & qui jouiſſoit
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
de la plus grande faveur , on jugea qu'il
étoit honnête de prévenir ce Seigneur
des diſpoſitions de ſon gendre à ſe joindre
aux rebelles & de la néceſſité de l'ar-.
rêter pour prévenir quelque choſe de pis .
Le Duc allarmé de cet avis, écrivit à Sir
William , pour le ramener à ſon devoir ,
& lui fit fentir qu'en s'attachant aux rebelles
, il déshonoreroit ſa famille. Sir
Wyndham répondit qu'il étoit un fidèle
ſujet du Roi , & parut affligé des ſoupçons
qu'on avoit contre lui . Le Duc enchanté
le jugea innocent ; il revint à la
Cour , & offrit de répondre de ſon gendre
, diſant qu'il feroit honteux pour lui
qu'on mît en priſon un homme ſur lequel
il avoit affez d'autorité pour lui ordonner
la fidélité , ou du moins pour
l'empêcher de commettre aucun acte de
trahifon. Le Roi lui promit que ſon gendre
ne feroit point moleſté. Le ministère
cependant jugea qu'il falloit l'arrêter ; il
ſentoit que ſi l'on cédoit aux follicitations
d'un Seigneur reſpectable , dans
cette occafion , on ne pourroit refuſer la
même faveur à d'autres qui la demanderoient.
En conféquence , l'ordre qu'il
avoit donné fut exécuté , & Sir Wind.
ham fut arrêté au moment même où il ſe
JUILLET. 1771. 195
mettoit en chemin pour joindre les rebelles
; on le conduiſit à la tour de Londres.
Son beau - père qui étoit extrêmement
haut , fut piqué de ce procédé ; il alla trouver
ſur le champ le Roi , lui remit ſes emplois,
enlui diſant qu'il ne pouvoitplus fer.
virun maître qui avoit la baſſeſſe de manquer
àſaparole. LeRoi feignitdenel'avoir
pas entendu ;& il eutlabonté dedirequelque
choſe pour ſe juſtifier , mais l'orgueilleux
Duc refuſa de l'entendre , & ſe retira
fur le champ , en déchirant ſes commiſſions
qu'il avoit reçues du Roi , dont
il jetta les morceaux devant la porte du
palais; un pareil acte de mépris auroit
été puni ſévérement fous un autre gouvernement
ou fous un autre Roi. George
I. étoit trop grand pour en prendre
du reſſentiment : Laiſſons lefaire , dit- il,
le Duc veutse bannir lui mêmede la cour,
& s'emprisonner dans ſes terres ; il fera
fuffisamment puni. En effet le Duc ſe retira
à la campagne ; il ne reparut plus à la
cour ; parce qu'il y avoit des hommes audeſſus
de lui ; retiré à la campagne , enfermé
pour ainſi dire dans ſon château , il n'y
vit perſonne , parce que tout ce qui l'entouroit
étoit au-deſſous de lui .
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
AVIS.
I.
Eponges préparées par M. Sieuve de Mar.
Seille, auteur du mémoirefur les olives ,
qui a découvert le godron pour garantir
les oliviers des infectes qui piquent les
olives, & la maniere d'extraire de l'huile
de lafeule chair de cefruit.
CES Eponges font propres à conſerver l'huile
d'olive dans toute ſa limpidité , elles attirent &
retiennent les parties craffes , aqueuſes & vifqueuſes
que l'huile aequiert dans les chaleurs par
ſa fermentation.
La maniere de s'en ſervir conſiſte à les placer
dans le fond des vaſes dans leſquels on dépoſera
les huiles ; & chaque année après le tems de leur
fermentation , qui arrive toujours en été , on
aura l'attention de tranſvaſer les huiles avec précaution
dans de nouveaux vaſes : on prendra les
éponges qu'on lavera dans de l'eau tiede , & après
les avoir bien exprimées , pour leur faire dégorger
les parties craffes , aqueuſes & viſqueuſes dont
elles feront chargées , on les replacera dans le
fond de ces mêmes vaſes , dans leſquels on remettra
les huiles. Les éponges conſervent leur vertu
pendant environ deux ans , après lequel tems il
faudra les renouveller.
JUILLET. 17716 197
Ces éponges ſont de différentes groſſeurs ; les
petites n'opèrent leur effet que juſqu'à la concurrence
de cent livres d'huile , & les ſecondes juſqu'à
celle de deux cens livres.
On en trouvera à Marseille, chezl'Auteur ; &à
Paris , chez M. Maurice, maison de M. Macquer,
médecin , rue S. Sauveur , vis - à - vis le vitrier ,
fon correspondant , chargé également d'inſcrire
lesdemandes qu'on fera des huiles extraites de la
la chair des olives par M. Sieuve , & chez qui l'on
marquera la quantité de ces huiles qu'on demandera,&
lamaniere de les faire venir , ſoit en barrils
, foit en bouteilles. Le prix de ces huiles ſera
relatifà la cherté des olives , & n'excédera pas de
beaucoup le prix des huiles ordinaires.
1 1.
Graine de Garance.
Il est arrivé de la graine de Garance de
Smyrne. On en fera diftribuer gratuitement
aux cultivateurs avec une nouvelle inſtruction
fur la maniere de la cultiver , de la préparer
•pour la vente & ſur ſon produit. Ceux qui voudront
s'en procurer peuvent s'adreſſer à Paris, rue
des Capucines , chez M. Bertin , miniſtre& fecrétaire
d'état , au bureau de M. Parent , tous les
jours excepté le dimanche , depuis midi juſqu'à
deux heures. Quoique la ſaiſon ſoit avancée , on
verra par l'inſtruction , qu'on est encore à tems de
fémer cettegraine.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
III .
L'Ami des Malades , ou difcours hiſtorique
& apologétique ſur la Poudre purgative
de M. Ailhaud , depuis fon
origine juſqu'à préſent.
Ce livre ſe diſtribue gratis à l'entrepôt général
des Poudres d'Ailhaud , chez M. le Meſtre da
Rival , rue des Prêtres St Germain- l'Auxerrois .
Cet ouvrage volumineux contient tout cequ'on
peut dire & tout ce qu'on a dit pour &contre la
poudre de M. Ailhaud. Il en réſulte que ce remède
eſt ſalutaire , qu'il convient dans preſque toutes
les maladies , & qu'employé à propos il opére de
grandes guériſons.
EDITS , ARRÊTS .
I.
ILparoît un arrêt du conſeil d'état du Roi , du
15 de ce mois , qui ordonne que le droit de mutation&
le quinzieme d'amortiflement ceſſeront
d'être perçus , à compter du premier Janvier 1771 ;
&que, pour en tenir lieu, il ne ſera plus fait fonds,
dans les états du Roi , que pour les quatorze quinziemes
des rentes qui étoient aflujetties à ces deux
droits : & qu'il ne ſera demême fait fonds , à l'avenir
, pour les rentes viageres , ſur les revenus du
Roi , que pour les neufdixiemes.
JUILLET. 1771. 199
11.
Déclaration du Roi , donnée à Versailles ,le 23
de Juin , & enregiſtrée en parlement , le 26 , par
laquelle Sa Majeſté ordonne que les ſommes qui
ont été conſignées entre les mains des Buvetiers
ou autres de la grand'chambre du parlement de
Paris&des trois chambres des enquêtes ci devant
exiſtantes en ce parlement , pour ſervir au payement
des épices des arrêts qui devoient y être rendus
ſur les inſtances & procès qui y étoient pendans,
feront rendues aux parties qui les ont confignées.
III.
Il paroît auſſi quatre édits du Roi. Le premier
porte fupreſſionde quarante offices de courtiers ,
agens de change de Lyon,& création de quarante
offices de courtiers , agensde change , banque &
commerce de la même ville ; le ſecond porte ſuppreſſionde
tous les offices de jurés priſeurs , ven
deurs de biens meubles , à la réſerve de ceux de la
ville de Paris , & création de nouveaux offices avec
ſupplement de finance. Le troiſiéme porte création
de cent dix charges de perruquiers . Le quatriéme
porte ſuppreſſion , remboursement & création
d'office au bureau des finances & à la chambre du
domaine de Paris .
I V.
On vient de publier trois arrêts du conſeil d'état
du Roi : l'un , du9 Juin , ordonne le réunion
des domaines & droits domaniaux de Bretagne
ci-devant aliénés aux états de ladite province , à
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
compter du premier Juillet 1771 , & le payement
des arrérages des rentes conſtituées pour
le principal de quarante millions , prix de ladite
aliénation , par le ſieur deGagny , tréſorier de
la caiſſe des artérages ; l'autre , du 16 , ordonne
que Julien Alaterre , adjudicataire actuel du bail
généraldes fermes du Roi , à compter du premier
du préſent mois ,ſera mis en pofleſſion detous les
objets compris aux baux faits à Nicolas Beſnard
& à Pierre Henriet, leſquels objets avoient été
cédés aux gens des trois Etats de la province de
Bretagne , par les commiſſionnaires nommés par
Sa Majesté , par contrat du 18 Février 1759 ; le
troifiéme , auffi du 16 , porte réglement pour la
perception des droits ſeigneuriaux , dus à Sa Majeſté,
lors des mutations des biens aſſis dans les
mouvances & directes dépendantes de ſes domaines.
V.
Il paroît deux édits du Roi , donnés à Verſailles
aumois de Juin 1771 , & enregiſtrés en parlement
, le 2 Juillet 1771 ; l'un porte ſuppreſſion du
fiége général de l'Amirauté de Paris ; l'autre porte
réunionde la ſénéchauffée de Villefranche à celle
de Lyon .
V I.
On a publié auſſi des lettres - patentes du Roi ,
données à Verſailles , le 28 Juin 1771 , & enregiſtrées
en parlement , le premiet du préſent mois.
Ces lettres - patentes nomment le ſieur Desforges
pour être chargé de toutes les minutes , regiſtres ,
Tacs, papiers & renſeignemens des deux chambres
des requêtes du palais & du parquet d'icelles.
JUILLET. 1771. 201
Fêtes données par la ville de St Hipolite ,
le 16 Décembre 1770, pour la réception
de M. de Marquis de Comeiras, en qualité
de Gouverneur .
A la premiere nouvelle de la nomination de
M. le Marquis de Comeiras au gouvernement de
cette ville , tous ſes habitans s'empreſſerent dele
recevoir d'une maniere digne du mérite de cet illuſtre
concitoyen. Les fêtes qu'on donna à ce
ſujet furent très - brillantes , & durerent trois
jours. La milice bourgeoile partagée en trois die
viſions , l'une d'infanterie , l'autre de dragons &
l'autre de huflards , étoit ſous les armes. L'uniforme
en étoit leſte &brillant, la ſymphonie mâle
&guerriere. On avoit dreflé desarcs de triomphe,
des décorations ornées d'inſcriptions latines &
françoiſes , analogues au ſujet de la fête. Les illuminations
, les feux d'artifice & de joie furent prodigués
, ainſi que les bals & les feſtins. La belle
harangue prononcée par un citoyen de la part des
magiftrats , & le diſcours patriotique & éloquent
dunouveau gouverneur , exciterent de grands applaudiflemens
, mêlés d'exclamations non interrompues
de vive le Roi , vive Comeiras .
Le troiſiémejour ſe trouvant être l'anniverſaire
de la naiſſance de M. le Marquis de Comeiras ,
fut plus particulierement célébré. Une troupe de
jeunes filles vêtues de blanc , avec de petits chapeaux
ornésde rubans , vinrent à fon lever au lon
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
des inſtrumens lui offrir l'hommaged'un agneau
chargé de rubans & de cocardes. L'une d'entr'elles
portant la parole pour ſes compagnes , fit au
Gouverneur , en ſon patois , un petitcompliment
auſſi naïf qu'éloquent , qui fit verſer des larmes
d'attendriflement à tous ceux qui étoient préſens.
M. le Marquis de Comeiras les combla de libéralités
& de careſſes. Le reſte de la journée ſe paſla
en chants & danſes , feſtins , feux de joie & autres
démonſtrations de l'allégreſſe publique.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Constantinople , le 17 Mai 1771 .
MALGRÉ les mesures que le gouvernement a
prifes pour rétablir la tranquillité dans cette capitale
, il s'y eft commis encore beaucoup de défordres.
Il y eut , le 6 , un nouvel incendie , dont on
parvint heureuſement à arrêter les progrès , &
l'incendiaire fut pris & étranglé fur le champ. Les
perſonnes du premier rangne ſont pas à l'abri des
infultes. Dermerement le caïmacan fut attaqué par
une troupe de ſoldats qui ne le laifferent aller
qu'après qu'il leur eut donné foixante fequins. A
peuprèsdans le même tems , deux femmes furent
enlevées dans la rue , malgré les efforts que fit la
garde pour les défendre. Le Grand Seigneur, pour
réprimer ces excès d'une maniere plus efficace ,
ordonna , le 8 de ce mois , que tous les gens de
mer qui se trouvoient dans la capitale , cuſlent à
fe rendre à bord des vaiſcaux. Sa Hauteſle fit auſſi
publier dans la ville &dans les faubourgs deGaJUILLET.
1771. 203
lata & de Pera , une défenſe à tous les gens de
guerre de paroître dans les rues avec des armes ,
ſous peine d'être maſſacrés ſur le champ par la
garde. Il fut ordonné en même tems d'ouvrir les
boutiques , & permis aux Chrétiens non - ſeulement
de ſe défendre , mais encore de tuer ceux qui
les attaqueroient. On eſpére que ces dernieres mefures
du gouvernement auront plus de ſuccès que
les précédentes & en impoſeront aux mutins , déjà
intimidés par le fupplice de trente de leurs camarades
qui ont été étranglés .
De Petersbourg , le 25 Mai 1771 .
Avant hier au matin , il y eut dans cette capitale
, àWaſiley Oſtrow , un violent incendie qui
réduifit en cendres les plus belles maiſons de ce
quartier; l'après midi,il en y eut un ſecond dans un
autre quartier , où il fit auſſi beaucoup de ravage;
enfin, hier , le feu prit , aux environs de la bourſe,
dans des magaſins de chanvre qui furent prefqu'entierement
confumés. On fait monter à cinq
cens cinquante le nombre des maiſons qui ont été
détruites dans ces trois incendies , & on évalue à
plus d'un million de roubles les pertes qu'on y a
faites. Comme il paroît impoſſible que ces.incendies
multipliés ſoient un effet du haſard , on a arrêté
pluſieurs perſonnes qu'on ſoupçonne d'y avoir
eu part.
De Warsovie , le 6 Juin 1771 .
Malgré tous les efforts du régimentaire Zaremba
pour maintenir le bon ordre & la diſcipline
parmi les confédérés , il ne peut empêcher que les
poſtillons de Breſlaw ne ſoient arrêtés & pillés ;
ce qui porte un préjudice d'autant plus conſidéra
I vj
204 MERCURE DE FRANCE .
ble au commerce , que la Viſtule eſt fermée , &
qu'on ne permet à aucun bateau de paſler à Dantzick.
De Stockolm , le 7 Juin 1771.
Ona imprimé , dans les gazettes de cette ville ,
l'article ſuivant. " On avertit le public que SaMa-
>>jeſté a bien voulu fixer les lundi , mardi & mer-
>> credi de chaque ſemaine , depuis quatre juſqu'à
>> cinq heures du ſoir, d'ici au premier de Novem-
>> bre , pour donner des audiences publiques dans
>>leſquelles tous les ſujets de Sa Majesté , de quel-
>> qu'état & condition qu'ils ſoient , auront un li-
>> bre accès auprès de ſa perſonne & pourront lui
>> remettre directement leurs placers>.>>
Du 10 Juin.
Le Roi revint , le 8 de ce mois , d'Eckholmlund
en cette capitale. Le lendemain , le comte de Vergeanes
, ambaſſadeur de Sa Majesté Très - Chrétienne
en cette cour , cut une premiere audience
du Roi , à qui il préſenta ſes lettres de créance.
Aujourd'hui , Sa Majesté a admis à ſon audience le
comte de Lacy , envoyé extraordinaire du Roi
d'Elpagne.
Du 14 Juin.
Hier au matin , on publia , par ordre du Roi ,
Louverture de la diere , avec les cérémonies ordinaires.
Les quatre ordres s'aflemblerent , ce jourlà,
pour procéder à l'examen des pleins - pouvoirs
de leurs membres. Les députés de la bourgeoifie
reſterent affemblés , depuis neuf heures du matin
juſqu'à fix heures du ſoir , & ils rejetterent les
pouvoirs de treize perfonnes , parce qu'ils n'ésoient
pas dans la forme requiſe. Après quoi le
JUILLÉT. 1771. 205
Sr Sebaldt , conſeiller de la cour&bourguemaître
decette capitale , fut élu orateur de ſon ordre , à
la pluralité des voix. Il avoit déjà rempli cette
fonction à la diéte de 1765. L'ordre des payſans ,
après quelques débats au ſujet des pleins-pouvoirs,
procéda auſſi à l'élection d'un orateur , & les ſuffrages
ſe réunirent en faveur de Joſeph Hanflon ,
qui avoit auffi rempli cette fonction à la diéte de
1765. Lundi prochain , l'ordre de la nobleſſe s'occupera
de l'élection d'un maréchal .
De Coppenhague , le 22 Juin 1771 .
Sur ce qui a été repréſenté au Roi , par la Commiſſion
de Santé , que la maladie contagieuſe qui
aceflé en Pologne & en d'autres endroits , pendant
l'hiver , pourroit bien recommencer pendant
les chaleurs de l'été , Sa Majesté a ordonné que
tous les vaiſſeaux venant des ports de la Méditerranée
, deDantzick , de Prufſle , de Courlande ,
de Livonie & de Ruffie , ſeront tenus de jeter l'ancre
auprès des vaiſleaux de garde à la rade , lefquels
ne permettront à perſonne de prendre terre ,
qu'on n'ait produit un paſſeport & prouvé qu'on
ne vient d'aucun lieu ſuſpect de contagion. Comme
la maiſon de Quarantaine n'eſt pas encore
achevée , deux frégates ont été , le 15 , mouiller
à la rade , avec quatre inſpecteurs & une quantité
ſuffiſante d'eau pour l'uſage des vaiſſeaux qui y
ſeront retenus .
De Vienne, le 10 Juin 1771 .
Il vient de paroître ici un édit impérial qui ordonneaux
curés des états héréditaires de vendre ,
lans délai , tous les biens fonds attachés à leurs
bénéfices. L'argent provenant de ces ventes eft
deſtiné à former un capital dont le revenu ſera
206 MERCURE DE FRANCE.
partagé également , chaque année , entre tous les
paſteurs , dont la plupart manquoient du néceflaire
, tandis que quelques- uns avoient beaucoup
deſuperflu.
Du 15 Juin.
Les différens corps de troupes qui ſont dans la
Moravie & dans l'Autriche Supérieure , ont ordre
de reſter dans leurs quartiers . Deux régimens venus
des Pays - Bas entreront dans Prague , & un
troiſième ſera reparti dans les environs ; un batail.
lon de grenadiers eſt entré dans cette capitale , le
13 , & un autre qui y étoit venu pour ſe rendre en
Hongrie , eſt retourné à Gratz où il étoit d'abord
en garniſon. Une partie des chevaux qu'on avoit
deſtinés pour le ſervice de l'artillerie ont été renvoyés
à leurs propriétaires , avec permiffion d'en
faire l'uſage qu'ilsjugeront à propos.
De Rome , les Juin 1771 .
Le Saint Pere a acheté pour 1 500 écus romains,
le Jupiter du palais Veroſpi , & Sa Sainteté a fait
placer cette ſtatue dans le nouveau Muſeum qu'elle
forme à côté de la galerie du Vatican.
Le Saint Siége vient de recevoir la nouvelle que
lepatriarche des Neſtoriens , réſidant à Moful ,&
cinq autres évêques de la même province avoient
fait abjuration entre les mains des Peres Dominicains
miſſionnaires en Afie , & avoient déclaré en
même tems qu'ils reconnoiſſoient le Souverain
Pontife Romain pour ſeut chefde l'Egliſe Univerſelle
; ils ont écrit , à ce ſujet , au St Pere une lettre
conçue dans les termes les plus ſoumis. Cette affaire
a été remite à la Propagande , qui fera les
difpofitions néceſſaires pour recevoir la profeſſion
JUILLET. 1771. 207
de foi du patriarche , aina que des cinq évêques ,
conformément aux loix orthodoxes , & pour procéder
à la confirmation des dignités dont ils font
revêtus.
Du 19 Juin.
Le Souverain Pontife , qui ſe concilie de plus
en plus l'amour& la vénération des nations étrangeres
, reçoit , chaque jour , des témoignages de
Jeur part. Les Anglois font faire ici le bufte de Sa
Sainteté qu'ils veulent avoir chez eux ; c'eſt le Sr
Neweton , ſculpteur Anglois , qui exécute ce buſte
enmarbre,
DeTrieste , le 12 Juin 1771 .
Les avis qu'on a reçus du Levant paroiffent confirmer
la nouvelle que l'eſcadre rufſe ſe trouve
dans un mauvais état , tant par le manque d'argent
, que par la difette des vivres qu'elle éprouve.
De Gênes, le 15 Juin 1771 .
Des lettres de Conſtantinople portent qu'il eſt
arrivé aux Dardanelles trois frégates , une galere
& deux chebecs de Tunis , & que les Turcs ne
craignent rien pour ce paſſage ni pour les ines de
Lemnos & de Metelin.
De Londres, le 21 Juin 1771 .
Des dépêches reçues , le 17 , du lord Cathcart ,
ambaſladeur du Roi à Pétersbourg , portent que
le prince de Lobkowitz , ambaſladeur de Leurs
Majestés Impériale & Royale , reçoit à cette cour
l'accueil le plus diftingué ; qu'il y a apparence que
fanégociation pour la paix entre la Ruffie &la
Porte,& pour le rétabliſſement de la tranquillité
208 MERCURE DE FRANCE.
enPologne , aura tout le ſuccès qu'on en attend ;
que cependant l'impératrice a établi , dans fon
empire , une capitation qui , quoique très-modique
, produira une ſomme conſidérable & mettra
Sa Majeſté impérale en état de poufler vigoureuſement
la guerre , ſi l'accommodement , auquel
ontravaille , ne peut pas avoir lieu.
Il étoit paflé , d'Hallifax à Boſton , deux régimens;
mais ces troupes & les bâtimens qui les
avoient tranſportées à Boſton , ainſi que pluſieurs
vaiſſeaux de guerre , ont reçu , bientôt après , ordre
du général Gage , de retourner à Hallifax ;
l'expédition pour laquelle on les avoit deſtinés ne
devantplus avoir lieu, en conféquence de l'accommodement
entre l'Angleterre & l'Eſpagne .
Du 28 Juin.
LaBourgeoifie de Londres n'a pas renoncé au
deflein qu'elle avoit d'intenter un procès à l'orateurdes
Communes. Lorſqu'on fera le rapport de
la réponſe du Roi à la remontrance de la Cité , on
mettra en délibération les meſures qu'il convient
deprendre pour ſuivre cette affaire , & les miniftres
fout occupés , de leur côté , des moyens de
rompre ces meſures.
Les vaiſſeaux de guerres Ruffles ont été vus dans
la Manche , venant des mers du Levant & dirigeant
leur route vers la Mer Baltique. Cette circonſtance
, jointe à pluſieurs autres , confirme les
apparences d'une prochaine réconciliation entre la
Ruffie& la Porte. "
DeMarseille , le 28 Juin 1771.
Le capitained'un navire parti de Smyrne , le 29
dumois dernier , arapporté que ,le lendemain ,
JUILLET. 1771. 209
étant à deux lieues au ſud de l'ifle de Metelin , il
avoit rencontré trois vaiſſeaux de guerre & trois
autres bâtimens Ruſſes , l'un desquels lui avoit
envoyé ſon canot , avec ordre de ſe rendre à bord
du commandant , avec ſes papiers de mer , qui
avoient été rigoureuſement examinés ; après quoi
on lui avoit permis de continuer ſa route , en lui
remettant une lettre pour le conſul de Danemarck
en cette ville.
Les vaiſſeaux de guerre Danois le Groenland
& le Sweit , de cinquante canons chacun & d'environ
quatre cens hommes d'équipage , aux ordres
du Commandeur. Comte de Moltke , ont
mouillé dans cette rade , le 23 de ce mois , venant
de Mahon.
Le capitaine Rolland , venu de l'ifle Saint-Domingue
, a rencontré, le 16 de ce mois , entre
Majorque & Minorque , une fiégate Ruſſe dont
il s'eſt ſéparé , le 17 ; & un capitaine Hollandois
arencontré , à Carthagene , un vaiſleau de guerre
Danois & une frégate de la même nation , qui ef
cortoient quatre bâtimens de tranſport , faiſant
route à l'ouest .
Le capitaine Guerrard , venu d'Athènes , a vu,
le 31 du mois dernier , à la hauteur des iſſes de
Saint- Pierre , deux frégates Rufles faiſant route à
l'ouest ; il a amené le capitaine Ventre , dont le
bâtiment, qui étoit deſtiné pour Salonique , fut
pris , le mois de Novembre dernier , par trois bâtimens
dePirates qui le conduifirent à l'ifle Provençale.
La frégate la Pleïade a coulé bas , dans l'Archipel
, un petit chebec forban Grec , & elle en a pris
un autre que le chevalier de Glandéves a fait conduire
à Marseille .
210 MERCURE DE FRANCE.
On a appris par le capitaine Azan , venu de Salonique
, d'où il eſt parti le 18 Mai , qu'avant fon
départ , il y étoit arrivé de Smyrne un vaiſſeau
Vénitien qui avoit annoncé que le Papa Manoli
& tous les gens du bateau avec lequel il exerçoit
la piraterie avoient été pris & pendus par les
Rufſes , & que ceux- ci avoient trouvé beaucoup
d'argent dans ce bateau. Le même capitaine ajoute
qu'il a rencontré , le 30 du même mois , ſur leCap
Matapan , les capitaines Bertrand & Daumar , venantde
la même Echelle , leſquels lui ont appris
qu'ils avoient été chaflés ſur ce parage , par une
pinque&un bateau pirates que leur bonne contenance
avoit obligés de s'éloigner.
De Paris , le 8 Juillet 1771 .
Le 28 , Madame la Comtefle de Provence
ſe rendit , vers les cinq heures du ſoir , à la maiſon
royale de Saint Louis à Saint Cyr , où elle
donna le voile aux Diles de Vandrets &de Badel ,
Demoiſelles élevées dans cette maiſon. L'évêque
de Chartres , premier aumonier de Madame la
Dauphine , officia pontificalement à cette cérèmonie
, & le fermon fut prononcé par l'abbé
Durvé.
On apprend de Londres que, le premier de ce
mois , on a terminé , à la maiſon de ville , l'élection
des Sherifs de Londres & du comté de Middleſex
; que le Sieur Wilkes a eu 2315 voix; le
fieur Bull, 2149 ; le ſieur Kirkman , 1949 ; le ſieur
Plumbe , 1875 , & le ſieur Oliver , 245 ; moyennant
quoi , les ſieurs Wilkes & Bull ont été déclarés
légalement élus.
JUILLET. 1771. 211
NOMINATION S.
Le Roi vient de diſpoſer , en faveur du Comte
de la Marche , du régiment de Clermont - Prince ,
cavalerie , qui prendle nom de la Marche.
Le Roi vient de nommer commandeurs de l'ordre
royal & militaire de St Louis le Comte d'Auger
, lieutenant - général de ſes armées , ancien
lieutenant des gardes du corps de Sa Majesté , &
le Comte de la Chèze , lieutenant général des armées
, capitaine - lieutenant de la premiere compagniedes
mouſquetaires de la garde de Sa Majefté.
Le Roi a accordé le grade de chef d'eſcadre , devant
prendre rang à la premiere promotion , au
fieur de Broves , capitaine de vaiſſeau , qui a été
chargé du commandement de l'eſcadre employée ,
l'année derniere , contre la régence de Tunis. Sa
Majesté lui a en même-tems aſſuré la premiere
placede commandeur de l'Ordre royal& militaire
de St Louis qui viendra à vaquer , & Elle a auſſi
accordé différentes graces aux officiers qui y ont
été employés , ſous ſes ordres , à cette expédition.
Le Marquis de St Conteft , ayant donné ſa démiſſion
de la charge de cornette dans la ſeconde
compagnie des mouſquetaires de la garde ordinaire
du Roi , Sa Majesté a nommé , pour le remplacer
, le Comte de la Grandville , ci- devant ſouslieutenant
au régiment de ſes gardes .
Le Roi a nommé à l'évêché de Glandèves l'évêque
de Sidon ; Sa Majesté a donné l'abbaye de St
Georges de Bocherville , ordre de St Benoît , dio
212 MERCURE DE FRANCE.
cèſe de Rouen , à l'ancien évêque de Glandèves ,
qui s'eſt démis de celle de Villeneuve-les-Avignon;
celle de Ligueux , même ordre , dioceſe de Périgueux
, à la Dame de la Marthouie de Cauflade,
religieuſe de la même abbaye ; celle de St Sernin ,
même ordre , diocèſe & ville de Rhodez , à la Dame
de la Roche- Lambert , abbeſſe de St Jean du
Buis à Aurillac , & celle de St Jean du Buis , même
ordre , dioceſe de St Flour , à la Dame de Narbonne
Pelet, religieuse à Bagnols.
MARIAGES.
Sa Majesté , ainſi que la Famille Royale , ſigna
le 23 Juin,le contrat de mariage du Marquis de
Crillon , colonel à la ſuite des Grenadiers de Fran
ee , avec Dile de Vallois de Murſay ; & celui du
Comte des Eſcotais , capitaine dans le régiment
d'Efterhazi , fils du Comte de Chantilly, meſtre de
campde cavalerie , avec Dile de Plas .
MORT S.
Jacques - David Comte de Cambis , brigadier
des armées du Roi , eſt mort en cette ville,le23
Juin , âgé de 52 ans.
LeMarquisde Villeneuve , frere du feu ambalfadeur
de ce nom , lieutenant pour le Roi de la
citadelle de St Nicolas de Marſeille , eſt mort fubitement
d'une attaque d'apoplexie , le 16 Juin ,
âgéde 85 ans .
Théreſe de la Blache, fille deGabrielle de Levy,
veuve du Marquis d'Haraucourt , commandeur
JUILLET. 1771. 213
de l'ordre de Saint Maurice en Savoie, chevalier
d'honneur d'épée du ſénat de Chambéry , eſt
morte , le 16 du mois dernier , dans ſon château
de St André en Bugey , âgée de 83 ans .
"Jean - Paul de Relongue , Chevalier , Seigneur
de la Louptiere , ancien mouſquetaire du Roi
eſt mort en ſon château de la Louptiere en Champagne
, le 23 Juin , dans la quatre-vingt ſeptieme
année de lon âge. Il avoit fait ſes premieres campagnes
dans l'infanterie ſous les ordres du fameux
Duc de Vendôme.
LOTERIES.
Le cent vingt - fixième tirage de la Loterie de
l'hôtel - de - ville s'eſt fait , le 25 du mois dernier ,
en lamaniere accoutumée. Le lot de cinquante
mille livres eſt échu au No. 62532. Celui de vingt
mille livres au No. 66254 , & les deux de dix mille
aux numéros 74929 & 76922 .
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire
s'eſt fait le s de ce mois . Les numéros fortis de la
roue de fortune font , 56 , 21 , 63 , 27 , 53. Lepio
chain tirageſe fera le s d'Août.
214 MERCURE DE FRANCE.
FAUTES à corriger.
!
Dans le premier volume de Juillet, pag. 63 , par
M. de la Borere, &c . lifez, par M. le Comte de Couturelle,
chambellan de S. A. S. Electorale Palatine,
auteur de l'éloge de M. Anſart de Mouy, & des
deux madrigaux ſuivans.
Page 76 , par le même , liſez , parM. Houllier
de St Remi.
TABLE.
PIECES IECES FUGITIVES en vers & en proſe , pages
Palemon , idille , imitation de Geſſner , ibid.
L'Arbre & la Terre , fable , Ιο
L'Araignée & le Ver à ſoie , fable , II
Inconvéniens de la ſévérité , 13
Epître à Zaïde , 29
L'Effet de la peur , conte , 32
Les deux Amis , anecdote eſpagnole , 33
Traduction d'une ſcène de la tragédie de Caton
,
Le Triomple de la muſique , ode ,
La fête d'Alexandre par Dryden , ode ,
Explication des Enigmes & Logogryphes ,
ENIGMES ,
44
49
55
61
LOGOGRYPHES , 66
JUILLET. 1771. 215
NOUVELLES LITTÉRAIRES , 70
L'Homme moral , par M. l'abbé de Crillon , ibid.
Hiſtoire des révolutions de Corſe ,
Jenni ou le déſintéreſſement , drame ,
Clarifle , drame ,
L'Art des jardins anglois ,
Eſſai ſur les maladies des Gens du monde ,
Syſtême du monde ,
Dictionnaire vétérinaire ,
Philoſophia ad uſum ſcholarum autore
80
وه
95
103
113
114
117
Seguy ,
120
Cinquiéme recueil philof. & littéraire de la
Société de Bouillon , 121
126
130
132
Mémoire ſur les haras ,
L'Eſprit deMde de Maintenon ,
Etrennes du Parnafle ,
Hiſtoire de l'Académie , tom . 33,34,35 , 140
Diſcours de Cléopatre ſur le tombeau d'Antoine
,
Extrait de la vie de Romulus ,
Obſervations élémentaires ,
Recueil complet de l'hiſtoire & mémoires de
littérature ,
150
ISI
154
157
Ouvrages au rabais , 159
SPECTACLES , 160
Ορέτα , ibid.
Comédie françoiſe , 161
ACADÉMIES , 164
Séance de l'Académie des Sciences , ibid.
216 MERCURE DE FRANCE.
ARTS , Architecture , 177
Cours d'Architecture civile , ibid.
Géographie , 178
Explication générale de la Mappemonde ,
hiſtorique , ibid.
Gravure , 181
Choréographie , 182
Principe de Choréographie ,
ibu.
Muſique , I
Elégie premiere du liv. premier de Tibulle ,
Anecdotes , 189
Avis , 195
Edits , Arrêts ,
Fêtes données par la villede St Hipolite ,
Nouvelles politiques ,
Nominations ,
Mariages ,
Morts ,
Loteries ,
211
APPROBATION.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le
ſecond volume du Mercure du mois de Juillet
1771 , & je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru
devoir en empêcher l'impreſſion .
A Paris , le 13 Juillet 1771 .
LOUVEL.
De l'Imp . de M. LAMBERT , rue de la Harpe.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le