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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
FÉVRIER 1770 .
Mobilitate viget. VIRGILE.
CADE
FILOP
A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire
Chriſtine , près la rue Dauphine.
Rue
AvecApprobation & Privilège du Roi.
1
L
AVERTISSEMENT.
C'EST 'est au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriſtine , que l'on prie d'adreſler , francs de port ,
les paquets & lettres , ainſi que les livres , les eftampes
, les piéces de vers ou de proſe , la muſique,
les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , &généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auſſi de marquer le prix des livres
, eſtampes & piéces de muſique.
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
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; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
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que l'on payera d'avance pour ſeize volumes rendus
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libraire , à Paris , rue Chriſtine.
BAFCC 23.174
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les Journaux fuivans .
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L'AVANTCOUREUR , feuille qui paroît le Lundi
de chaque ſemaine , & qui donne la notice
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&méchaniques , des Spectacles , de l'Induſtrie
&de la Littérature . L'abonnement , ſoit à Paris
, foit pour la Province, port franc par la pof
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JOURNAL ECCLÉSIASTIQUE , par M. l'Abbé Dinouart
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JOURNAL ENCYCLOPÉDIQUE , à Patis& en pro-
En Province ,
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JOURNALPOLITIQUE , port franc 14liv.
A ij
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LES Economiques ; par l'ami des hommes
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Histoire d'Agathe de St Bohaire , a vol. in-
12. br. 3 1.
Le bon Fils ou les Mémoires du Comte de
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Marquis de Solanges , 4 part. in - 12 .
br. 41.161.
Considérations fur les Causes physiques &
morales de la diverſitédu génie , des moeurs
&du gouvernement des nations, in -8 °,
broché. 41.
Traitéde l'Orthographe Françoise, en forme
de dictionnaire , in- 8 °. nouvelle édition ,
rel. 71.
Nouvelle traduction desMétamorphoses d'Ovide
; par M. Fontanelle , 2 vol. in - 8 °.
br. avecfig. 101.
Parallele de la condition & desfacultésde
l'homme avec celles des animaux , in - 8 ° br. 2 1.
Premier &fecond Recueils philofophiques &
Litt. br. 21. 1066
LeTemple du Bonheur , ou recueil des plus
excellens traités ſur le bonheur , 3 vol. in-
8°. broch .
Traité de Tactique des Turcs , in- 80, br.
Traduction des Satyres de Juvenal ,
M. Duſaulx , in-89 . br.
61.
11. 10 .
par
61.
MERCURE
DE FRANCE.
FÉVRIER 1770 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
SOCRATE & ALCIBIADE,
LE vif & ſouple Alcibiade
ASocrate un jour demandoit ;
Qu'est-ce que la vertu , dont nousfaiſonsparade ,
Que nous définiflons chacun comme il nous plaît,
Qu'on ne voit que chez vous , tout au plus dans
l'hiſtoire ,
A iij
८ MERCURE DE FRANCE
Dans ces archives de lagloire ,
Que je ſoupçonne avec douleur
De n'être qu'un roman trompeur ?
La vertu , croyez moi , n'eſt pas une chimère ,..
Diſoit le bon Socrate au jeune Athénien ;
Cen'est qu'en pratiquant le bien ,
Que l'on prend du goût à bien faire.
La ſageſſe eſt toujours néceſſaire ànos coeurs.
Leur donnedu reffort , enflamme le courage,
Rempliſlez vos devoirs , vous aurez l'avantage
D'y ſentir chaque jourde ſecrettes douceurs.
Par l'auteur du fonge d'Irus.
LE RUISSEAU.
Un Ruiffeau parcouroit une plaine fleurie;
Dans ces lieux enchantés il prolonge ſon cours ,
Yfait mille& mille détours ,
Et quitte à regret la prairie.
Il va couler plus loin parmi d'affreux rochers ;
Au lieu des zéphires légers
Qui flattoient doucement ſon onde ,
L'aquilon , échappé de ſa grotte profonde ,
Agite & trouble ſa belle eau.
Toujours allant , notre ruiſſeau
Rencontre une cité ſuperbe ;
!
FEVRIER.
1770.7
Il la traverſe , en ſort., & retrouve de l'herbe ;
Il voit en ſon chemin de tranquilles hameaux ,
Il baigne de rians côteaux ,
Il s'égare au milieu d'un déſert effroyable ,
Puis il vient établir ſon lit
Sous un ombrage frais , ſéjour bien plus aimable !
Bientôt il erre ſur le ſable ,
Enfin l'Océan l'engloutit .
Un vieillard l'autre jour me faiſoit ce récit ;
Ne vaut- il pas bien une fable ?
Par le même.
EPITRE à M. le Comte de V. , officier
au régiment du Roi infanterie.
DAAns cet âge où l'on facrific
Aux folles erreurs ſes inſtans;
Où l'on croit jouir de la vie
Par l'abus qu'on fait de ſes ſens;
Vous élevez votre génie
Etvous cultivez les talens .
Par vous Doris ( 1 ) eſt embellie ,
( 1 ) Voyez dans le Mercure du mois de Novembre
une imitation charmante de la Doris deM.
Haller; par M. le Comte de V.
1V
MERCURE DE FRANCE.
1
Vous lui prêtez vos ſentimens.
Au tumulte , au fracas du monde ,
Vous préférez d'heureux loiſirs ;
Dans votre retraite profonde
Vous nous préparez des plaifirs.
Mars&les filles de Mémoire
Vous offrent d'immortels lauriers ;
Ils vous ouvrent tous les ſentiers
Du temple brillant de la gloire.
Compagnon de deux cens héros
Que l'honneur anime ſans ceſſe,
Vous uniſlez à leurs travaux
Et les beaux arts& la ſageſfe.
Occupant ainfi leur repos ,
Les Vauvenargues (1 ) , les Plélos (2)
(1) Le Marquis de Vauvenargue , d'une andienne
maiſon de Provence , fut capitaine au régiment
du Roi. Il mourut en 1748 , âgé de 25 à
26ans. Sans autre fecours que celui des bons livres
, il devint excellent moraliſte & véritablement
éloquent. On a de lui une introduction à la
connoiffance de l'eſprit humain , ſuivie de réflexions
& de maximes. Cet ouvrage ſolide eſt
rempli de vues profondes &de penfées fortes,neuves&
vraies. Voyez le portrait qu'en fait M. de
Voltaire , dans l'éloge funebre des Officiers , & ce
qu'en dit M. de Marmontel dans l'épître dédicatoire
de Denis le Tyran.
(2) LeComte de Plélo ſervit dans le régiment
FEVRIER. 1770. 9
Cueillirent les fleurs du Permefle.
L'un éclaira notre raiſon ,
Et l'autre marchant ſur les traces
De Tibule & d'Anacréon ,
Il nous fit retrouver leurs graces.
Ils couvroient d'un tiſſu de fleurs
Les épines de la ſcience ;
A Folard , aux profonds auteurs
Qu'ils méditoient dans le filence ,
Ils joignoient ceux dont l'élégance
Etdont les charmes enchanteurs
Pouvoient ranimer leur conſtance.
Vauvenargue avec un pinceau ,
Guidé par la raiſon ſuprême ,
A l'homme montra l'homme même
Etn'en traçapoint un tableau
Calqué ſur la Rochefoucault ;
Sans enthouſiaſme & fans haine ,
Ses yeux n'étoient pas prévenus ,
Il ſout voir de l'eſpéce humaine
Et les défauts & les vertus.
Loin de corriger la ſatyre
Indigné contre ſon auteur ;
du Roi & fut enſuite ambaſſadeur de France en
Dannemarck . Il fut tué à Danzick , où il s'étoit
rendu auprès du Roi Stanislas , quand ce prince
fut obligé d'abandonner la Pologne après ſa ſeconde
élection.
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
;
১
:
Du genre humain ledétracteur
Nous force malgré nous à dire :
<<Dans notre coeur au lieu de lire ,
>> Il a lu dans ſon propre coeur. »
Plélo , d'une voix douce & tendre ,
Chante les fortunés amours
D'Amarillis & de Sylvandre.
Bergere aimable & fans atours ,
Sa muſe ſe plaît à nous rendre
Les ſimples & naïfs diſcours
Quefans ſe fatiguer d'entendre
Les amans entendent toujours.
Délaflé par la poësie ,
Il prenoit un nouvel eſfor :
Peut-être fut-ce à Polymnie
Qu'il dût cette douce énergie
Qui lui gagna les coeurs du Nord ;
Mais connoiſſant lajaloufie
5
:
:
Et redoutant la baſſe envie ,
Il cacha jufquesà ſa mort
Les fruits de fonheureux génie.
Le ſot eſt toujours l'ennemi
Des talens qu'il ne peut atteindre ,
Pour ſe venger d'être obſcurci ,
Il voudroit pouvoir les éteindre..
Les fots,les ſors font bien à craindre !
De leurs propos , de leur ennui ,
Hélas ! vous aurez à vous plaindre;
Onn'écrit pas impunément;
T
2
FEVRIER. 1770 . II
Pour ofer peindre un ſentiment ,
Pour crayonner l'ame d'un ſage ,
Pour offrir le tableau touchant
Des vertus de l'Aréopage,
Qui croiroit qu'il faut du courage ?
On en a beſoin cependant .
Ce fiécle du raiſonnement
Eſt bien encore un peu ſauvage ;
Mais vous qui , de l'antiquité ,
Voyez ſortir votre noblefle ,
Vous ferez plus perſécuté
Qu'un homme d'une moindre eſpéces
Legentilhomme campagnard ,
Ledos chargé d'une eſcopette ,
Son chapeau bordé ſur la tête ,
D'un air platement goguenard
Lâchant contre vous un brocard ,
Un inſtant paroîtra moins bête
A la vieille & fotte caillette ,
Qu'après la chaſſe du renard ,
Il verra d'un ton nazillard ,
Grondant Jaqueline ou Perrette.
Héritiers de tout le bon ſens ,
De l'ancêtre le plus gothique ,
Vous aurez de ſages parens
Qui , dans un accès frénetique ,
Sans nul eſprit & fans logique ,
Vous feront des fermons peſans
Contre les arts & les talens .
:
2
V
:
12 MERCURE DE FRANCE.
Ils croiront que leur nom antique
S'avilit pas vos vers charmans.
Le plaifir d'inſtruire & de plaire ,
Ceplaifir que goûtoient Varron ,
César , Mecène & Cicéron
N'eſt plus accordé qu'au vulgaire,
Etl'on veut forcer à le taire
Touthomme qui porte un beau nom
Je crois en ſavoir la raiſon ;
Je n'en ferai point un myſtere.
Rarement , ſoit dit entre nous ,
La bonne compagnie admire ;
Elle accueillit d'aimables foux ,
Et punira par la ſatyre
Leplaifir que fait votre lyre
Dans ſes accords touchans & doux ;
De ſes accords on eſt jaloux.
Anmérite fi l'on pardonne ,
C'eſt lorſqu'il ne peut ombrager.
Un auteur plaît , un fat le prône,
Et le fat penſe partager
L'éclatque ſon ſuccès lui donne.
Vous , qui n'accordez à perſonne
La gloire de vous protéger ,
Soyez mort ou bien étranger ,
Si vous voulez que l'on vous prone.
Ceconſeil un peu ſérieux
Pourroit fort bien ne pas vous plaires
Je conçois qu'onpeutfaire mieux,
FEVRIER. 1770. 13
Etje vous invite à mieux faire.
Suivez les pas de St Aulaire ;
Il fit des vers harmonieux ;
Il fut aimable ; il mourut vieux ,
Et força l'envie à ſe taire.
STANCES.
ENFIN, de mes fers délivré ,
Je reviens , tranquilles bocages ,
Sous vos délicieux ombrages
Goûter ce bonheur épuré ,
Qui , loin du tumulte des villes,
Dans vos folitaires aſyles ,
Semble s'être exprès retiré.
Là , couché près de l'onde pure
Qui baigne ces bords gracieux ,
Tantôt , d'un regard curieux ,
J'oſe interroger la nature ;
Ou tantôt , cenſeur rigoureux ,
Je diſſipe la nuit obfcure
Qui medéroboit à mes yeux.
Mais tandis qu'en ces rêveries
Je conſume aina ce beau jour ;
Le ſoleil , achevant ſon tour ,
Fuit loin de ses rives fleuries,
1
14
MERCURE DE FRANCE.
Ses rayons , dans l'ombre écartés ,
Des fleurs qui parent ſes prairies
Ne colorent plus les beautés .
Une nue obſcure & groffiere
Dérobe cet aſtre à mes yeux :
Mais bientôt l'éclat de ſes feux
Rompt cette impuiſſante barriere ;
Et de leur priſon affranchis ,
Ses traits me rendent la lumiere
Dans cent nuages réfléchis . :
Enfin , loin de cette contrée ,
Malgré lui , cet aſtre emporté ,
De la bienfaiſante clarté
Prive cette rive éplorée :
La nature rentre au tombeau ;
Et Cloris tremblante , égarée ,
Ramene à grands pas ſon troupeau.
Mais la nuit a forcé l'obstacle
Qui l'obscurcifloit à mes yeux .
Son char brillant de mille feux ,
M'offre le plus riant ſpectacle :
Et l'ombre , éclairée à ſon tour ,
Semble , par un nouveau miracle ,
Diſputer la lumiere aujour.
D'uncourſe agile & légere ,
Porté ſur l'aîle des zéphirs ,
:
e FEVRIER. 1770. 5
Augré demesbouillans defirs
Je parcours ce vafte émisphère.
Là, cent mondes illuminés
Semblent précipiter la terre
Loinde mes regards étonnés.
Mais un Dieu qui , ſous ſon empire ,
:
Tient & les bergers & les rois ,
Me rappelle au fond de ce bois,
!
Et m'y trace les traits d'Elvire :
Soudain , à cet objet vainqueur ,
Je ſens un plus tendre délire
Se rendre maître de mon coeur.
Viens , Elvire , maîtreſſe aimée,
Viens te livrer à mes tranſports.
Quoi ! tu m'oppoſes tes efforts ?
Que craintota tendreſſe allarmée ?
Viens. L'ombre propice à nos feux ,
De la malice délarmée
Saura tromper l'oeil curieux.
Dieux ! quelle lumiere imprévue
T'enleve à mes ſens enchantés ?
D'où partent ces vives clartés
Dont l'éclat éblouit ma vue ?
Que vois-je ? Au pied de ſon autel ,
La vertu , du ciel deſcendue ,
De fa main couronne un mortel .
:
1
1
4
16 MERCURE DE FRANCE.
C'eſt Boyrai . Mon ame ravie
Connoît ſes véritables traits .
Lesdieux rayent les faux portraits ,
Tracés par la main de l'envie ,
Dequi les pinceaux impoſteurs ,
Cacherent ſa vertu ternie
Sous les plus affreuſes couleurs:
En foule aux genoux de ce ſage ,
Chaque citoyen profterné
S'empreffe , en ce jour fortuné , *
A lui préſenter ſon hommage.
Sous ſes pieds la fourbe & l'erreur
Reſpectent enfin ſon image
Qu'oſa profaner leur fureur.
Ainfi desattentats du crime
Le ciel venge un coeur vertueux:
Ainfi lemenſonge odieux ,
Devenu ſa propre victime,
Eſt forcé de faire fumer
Lui- même un encens légitime
AnDieu qu'il olablafphemer.
* Il y avoit contre M. de Boyrai , à préſentmaire
, une violente cabale de gensd'affaires qui l'avoient
peintà la cour comme un mauvais citoyen,
&avoient fait retarder ſa nomination au mairat
d'un an ; mais la voix des gens vertueux a détruit
ces calomnies ,&il a été enfin nommé à la grande
fatisfaction des habitans.
FEVRIER. 1770. 1
17
Mais vous , que ce Dieu tutélaire
Vient ſoulagerdans vos malheurs ,
Peuples , oubliez vos douleurs ,
Sa main finit votre miſére :
Rendez graces aux immortels ,
Et placez , de ce tendre pere ,
Les images ſur vos autels.
Pourmoi , quoique devotre ville,
Citoyen obſcur & fans nom ;
Moi , des Muſes & d'Apollon ,
Eleve groſſier & futile ,
J'oſerai parmi vos concerts ,
Pour lui , d'une verve ſtérile ,
Faire entendre les foibles vers.
BOUQUET à Mile de B ***.
QU'EST U'EST devenu cetheureux tems ,
Si fertile en métamorphofes ;
Cetems heureux , où toutes choles
Eprouvoient divers changemens ?
Ah ! s'il pouvoit encor renaître ,
Et fi d'un choix j'étois le maître ,
Pour mieux vous prouver mon ardeur ,
BelleHortence , je voudrois être
La plus brillante & la plus belle ſteur :
Lemoment qui me verroit naître
18 MERCURE DE FRANCE .
Seroit celui de mon bonheur .
Dès queje viendrois à paroître ,
De mon éclat, de ma vive couleur ,
Vos yeux feroient frappés peut-être ;
Vous ne pourriez réſiſter au deſſein
Deme placer ſur votre ſein,
Je vous ſervirois de parure ,
Sans prétendre à vous embellir.
La beauté naturelle & pure
N'a pas beſoin de recourir
A la ſéduiſante impoſture
De l'art , rival de la nature ,
Qui ne pourroit que l'affoiblir.
Dans cette agréable poſture ,
Je pourrois , ſelon mes ſouhaits ,
Conſidérer tous vos attraits ,
Sans craindre de vous faire injure.
Vous me verriez avec orgueil
Vous préſenter mon tendre hommage .
De votre part, un baiſer , un coup d'oeil ,
Du vrai plaiſir éloquent témoignage , ..
Devotre amour heureux préſage ,
i
)
1
Demon bonheur ſeroient le gage.
Il eſt vrai qu'étant fleur , j'en ſubirois le fort ,
Etque ſur votre ſein , d'un prompt trépas ſuivie,
Ma vanité ſeroit punie.
Mais quand on fait une ſi bellemort ,
Peut-on avoir du regret à la vie ?
ParM. A.D. V. A. E. P.
FEVRIER. 1770. 19
L'ETRENNE DE L'AMOUR.
Sonnet à Mlle de B ***.
J'ai vu le plus jeune des dieux
Qui m'a dit , ſenſible à ma peine :
Demande-moi ce que tu veux ,
Et tu l'obtiendras pour étrenne.
Je ſuis prêt à combler tes voeux ;
Parle : veux- tu changer de chaîne ?
Veux-tu former de nouveaux noeuds ?
Veux-tu Aéchir une inhumaine ?
:
Qui ? Mọi! non , tu lis dans mon coeur.
Si tu veux faire mon bonheur ,
Amour , il eſt en ta puiſſance .
Jene veux qu'unde tes bienfaits.
Conferve moi le coeur d'Hortence ;
C'eſt le plus cherde mes ſouhaits.
Par le même.
:
1
1
20 MERCURE DE FRANCE.
ARDOSTAN.
Sur les bords de l'Indus s'élevoit un
palais ſuperbe , qui , depuis pluſieurs fiécles
ſervoit de demeure aux ſouverains
de Bavah ; ils y avoient réuni tout le luxe
oriental ; les bâtimens étonnoient par les
plus rares efforts de l'art , & toutes les
richeſſes de la nature étoient raſſemblées
dans les jardins. Parmi les Princes qui
l'avoient occupé , les uns avoient été célebres
par leur magnificence , les autres
par leur humanité , pluſieurs par leurs
victoires & quelques- uns par le bonheur
du peuple qu'ils avoient gouverné ; prefque
tous avoient péri , victimes de l'envie&
de la malignité. Les Empereurs de
l'Indoſtan , qui , en qualité de conquérans
du peuple de Bavah , lui donnoient
des maîtres & les lui ôtoient à leur gré ,
les avoient placés ſur le trône & les en
avoient fait deſcendre. Ardoftan venoit
enfin d'y monter ; il ne vit dans ſon élévationqu'un
moyen plus grand d'être utile
aux hommes ; ſes ſujets heureux le bénirent
; le bruit de ſa ſageſle remplit bientôt
l'orient. Un jour il ſe rappeloit la vie
FEVRIE R. .
21 1770 .
de ſes prédéceſſeurs , dont il vouloit
ſuivre les traces , & ſes yeux effrayés s'arrêterent
ſur leur fort ; il le craignit pour
lui-même ; l'étendue de ſa réputation le
fit frémir. Malheureux , s'écria- t-il , quelle
eſt la condition des ſouverains dépendans
d'une puillance ſupérieure , qui peut
dans un inſtant détruire ſon ouvrage !
Leurs vices & leurs vertus contribuent
également à leur perte ; li je néglige l'intérêt
du peuple qui m'eſt confié , ſi je
m'écarte des routes de la juſtice , les
plaintes vont s'élever de tous côtés contre
moi,&portées ſur les aîles des vents, publier
à la cour du Mogol que je ſuis indigne
de vivre. Si je perſiſte dans mes
devoirs , ſi ma juſtice ſévere pourſuit le
crime & récompenſe la vertu , le vice
négligé ou puni employera contre moi
ſes artifices ,& innocent ou coupable , je
ſerai toujours ſa victime.
Le génie Bajul entendit les plaintes
d'Ardoſtan & parut auſſi-tôt devant lui .
Enfant de la pouſſiere , lui dit-il , quelles
font tes craintes ? Ton amour pour une
exiſtence frèle & paſſagere peut- il balancor
un inftantdans ton coeur l'intérêt éternel
de la vertu ? Imite les héros , qui ,
juſqu'à préſent t'ont ſervi de modéle : &
fans regarder leur fort , ſonge à leur
22 MERCURE DE FRANCE.
:
gloire , à l'amour de leurs peuples , aux
Jarmes qu'artache encore leur ſouvenir ;
dût ton regne être auſſi court que le
leur & finir de même , mérite d'être aimé
, d'être pleuré comme eux ; tu partageras
leur félicité ; ta place eſt déjà marquée
à leurs côtés , dans les jardins délicieux
, deſtinés pour la demeure des
bons Rois.
1
Puiſſant Bajul , répondit Ardoſtan , en
s'inclinant avec reſpect , pardonne ces
foibleſſes à un enfant de la mort ; mais
daigne éclaircir mes doutes ; n'est-ce
point ta bienfaiſance pour les enfans de
-la terre qui te fait encourager la vertu ,
par l'eſpoir desrécompenſes à venir? Exiftent-
elles en effer ? N'est- ce point une
belle fable propre à conſerver la paix parmi
les hommes? Puis-je me flatter de
jouir de la félicité que tu me promets , ſi
je n'abandonne pas la vertu.
,
Le génie diſparut ; Ardoſtan regardoit
fon départ avec chagrin , & lui reprochoit
en ſecret de l'affermir dans l'incrédulité
en refuſant de lui répondre ;
-la douleur avoit fixé ſes yeux ſur la terre ;
-lorſqu'il les leva vers le ciel , il apperçut
de toutes parts un nombre prodigieux
d'eſprits , dont l'éclat annonçoit l'immortalité
; l'un d'eux deſcendit auprès du
FEVRIE R. 1770 . 23
Prince , que ce ſpectacle rendoit immobile
, & lui adreſſa ces mots :
Souverain de Bavah , ton doute eſt un
crime; mais ton coeur eſt bon & mérite
d'être éclairé ; les vertus des mortels ne
ſont jamais perdues ; elles ſont confervées
dans le livre de l'éternité ; Bajul
nous envoie vers toi pour t'aſſurer de la
vérité des récompenfes futures ; nous en
jouiffons ; vois en nous tes prédéceſſeurs
au trône de Bavah ; tu peux nous reconnoître
aux couronnes dont nos têtes font
ornées ; nous venons de les reprendre
pour t'inſtruire , te convaincre &t'encourager.
Jette les yeux fur ces Princes ; regarde
celui-ci dont l'air eſt ſi fier & fi
inajestueux ; il s'oppoſa courageuſement
aux loix impériales , qui auroient opprimé
le peuple de Bavah , & périt avec
gloire en défendant ſes ſujets. Il n'eſt
plus revêtu des honneurs fouverains ; il
n'en a pas beſoin ; la puiſſance n'est qu'un
moyen d'arriver au bonheur dont il jouit ;
fon nom rappelle ſes vertus & fait fadiftinction
; on l'appelle l'ami des opprimés.
:
Le Prince que tu vois à ſes côtés fur
autrefois le pere de ſes ſujets; il s'occupa
fans ceſſe de leur bonheur ; les heures
que la nature conſacre au repos il les
34 MERCURE DE FRANCE.
employoità méditer ſur les intérêts de ſon
peuple , & à former les plans de gouvernement
les plus propres à le rendre heureux;
l'envie le repréſenta comme untraître
au grand Empereur , & hata ſon paffage
aux demeures de la félicité.
La plupart des autres Princes que tu
vois ont été pareillement vertueux & ont
péri de même ; ſi leur réputation , ſi leur
félicité actuelle , peuvent diffiper les
craintes que t'inſpiroit leur fort ſur la
terre , continue à pratiquer la vertu , &
un jour tu viendras te joindre à nous.
Ardoſtan raſſuré , déteſta ſon incrédulité;
ſes terreurs s'évanouirent ; ſon coeur
ſe livra avec plus d'ardeur à ſa bienfaiſance
naturelle ; ſon gouvernement devint
l'objet de l'admiration de l'Aſſe ;
l'envie frémiſſante s'occupa de ſa perte;
elle parvint à lui nuire ; ſes mains barbares
s'étoient armées d'un trait pour lui
percer le coeur ; elles l'avoient déjà lancé;
Bajul le détourna & la força de ſe
contenter de la dépoſition d'Ardoſtan.
Le Prince ne regretta en deſcendant du
trône que le pouvoir de faire du bien ;
il ſe retira dans une campagne écartée ;
le ſouvenir de ſes vertus le ſuivit dans
ſa ſolitude & l'embellit ; il accompagna
fon
FEVRIER. 1770. 25
fon ame ; lorſqu'au fortir de fon corps
elle alla prendre place dans le ſéjour
éternel des bienfaiteurs de l'humanité.
A Mde la Vicomteſſe de L ** , après
Son inoculation .
L .. enfin le ciel vous rend
A la tendreſſe paternelle ,
A celle d'un époux charmant,
A l'amitié tendre & fidèle .
Quoi ! vous avez donc affronté
Ce mal que labeauté redoute ?
Les dieux ne vous ont rien ôté ,
C'eſt vous accorder tout ſans doute.
Envain on vouloit s'effrayer :
Pour vos attraits rien n'eſt à craindre
Que de beautés vont envier
Cellequ'elles eſpéroient plaindre.
Jeune L.. n'oublie pas
Que contre ce mal ſi terrible ,
C'eſt l'amour qui , dans nos climats ,
Porta la recette infaillible.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
Pour accréditer ce remède ,
Egalement craint & vanté ,
Votre courage à qui tout céde
Fera plus que la faculté.
Qui peut , en marchant ſur vos traces ,
A la crainte être encor livré ?
Qui ne ſera pas raſſuré ?
L'exemple eſt donné par lesGraces.
A M. l'Abbé de Lifle , auteur de la
traduction des Georgiques .
JUSQU'IGI j'ai peu fu lacauſe
Qui reproduit cet Univers :
Mais , depuis que j'ai lu tes vers
Je crois à la métempſicoſe :
De Liſle eſt un nom ſuppoſé ;
Je reconnois dans ton langage ,
Virgile même franciſé ,
Qui nous traduit ſon propre ouvrage.
Par un Ecolier.
FEVRIER. 1770. 27
VERS à l'auteur du livre intitulé : le
Pornographe , ou idée d'un honnête
homme , fur un projet de réglementpour
les Prostituées.
La volupté ſourit à ton projet ,
Mais la vertu déjà trop ignorée ,
Endéplore la cauſe , & craint d'en voir l'effet ;
Hélas ! dit- elle , à la douleur livrée :
Vous n'aurez plus d'empire , ô ſageſſe , ô raiſon ,
Il ne vous reſtera qu'un déſert & des larmes ;
Oter au vice ſon poifon ,
C'eſt vous dérober tous vos charmes .
Par M. d'Origny, de Rheims.
A M. d'Abancourt , quife diſpoſoit àfaire
des couplets à Mde ... , pour le jour
defa fête.
Tu vas travailler pour Emire ,
Et ta voix appelle Apollon ?
Ypenſes-tu ? donne à l'amour ta lyre ;
Lui ſeul doit faire ta chanſon.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE .
Pour moi , quand je chante Sylvie ,
Je dis : Amour , peins la beauté
Qui tient mon ame à ſes loix aſſervie ;
Et le dieu de la volupté
Eſt pour moi le dieu du génie,
Par le même.
A Mde de *** , sur une brouillerie.
Auu nom d'amour vous étiez ſi rebelle ,
Que tout amant d'abord découragé ,
En vous ſachant moins ſenſible que belle ,
Appréhendoit de ſe voir engagé.
Un ſeul pourtant , malgré la répugnance
Que vous aviez à connoître un vainqueur ,
S'étoit flatté par ſes ſoins , ſa conſtance
Demériter place dans votre coeur ;
Mais lorſqu'enfin , de votre bouche même ,
Il entendit l'aveu le plus charmant ,
Auroit- il cru que ſon bonheur ſuprême
Devoit , hélas ! ne durer qu'un moment !
D'un ami tendre écoutez la priere :
Que votre eſprit ne ſoit plus irrité,
FEVRIER. 1776 . 29
Sincérité , douceur de caractere ,
Peut- être trop de ſenſibilité ,
Voilà les torts dont Hilas eſt coupable ;
Vaudroit- il mieux qu'il ne l'eût point été ?
Ne rendez pas ſon ſort plus déplorable.
1 Par un Abonné au Mercure.
VERS à Mile C..... qui avoit proposé
le bonheur d'être libre pour fujet
d'une pièce de vers .
د
ILL eſt doux d'être libre , &de vivre à ſon choix :
Le courtiſan le dit ; l'homme ſage le penſe:.
L'un s'attache à la gloire , & l'autre ſert les rois .
Chacun a ſon dieu qu'il encenſe :
Quand on vous voit , on n'a point à choiſir ;
On ſe fait un affront de ſon indépendance ,
L'honneur eſt dans les fers , la gloire eſt de ſervir.
Eh! comment conſerver un parfait équilibre
Entre la raiſon & l'amour ?
Si le Ciel eût voulu que l'homme reſtat libre ,
Il ſe fût bien gardé de vous donner le jour.
ParM.le Prieur , G. O. D. L. ch. deR.
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
Madame la Marquise d'Antremont.
Je ſuis loin de vous contefter E
Unnom que Voltaire vous donne:
De lauriers ſa main vous couronne ,
Vous avez fu les mériter.
:
Oui , foyez la Sapho nouvelle
Qui regne fur le double mont ;
Souffrez auſſi qu'on vous appelle
Corine , jeune d'Antremont.
Ovide aimoit une Corine ,
Non la Grecque vieille & chagrine
Qui compofoit de mauvais vers ,
Ne pouvant pas faire autre choſe ;
Mais une Romaine aux yeux pers ,
Au fin ſourire , au teint de roſe ,
Au coeur ſenſible , au doux parler ;
Cette Corine étoit charmante ,
C'étoit la volupté décente ,
Sanshonte on peut lui reflembler.
D'Apollon vous ſuivez les traces ;
Sur les vôtres on voit l'amour.
Aces deux aſſignez des places ,
Faites les regner tour-à tour :
Soyez notre muſe lejour ,
La nuit , foyez une desGraces.
FEVRIER. 1770 . 31
MES FOIBLESSES.
Conte qui n'en est pas un.
-
د
AH! Je les faurai , ces foibleſſes qui
vous peſent ſi fort , diſoit Silvie à Lucinde
! Si vous perſiitez dans votre obſtination
, vous pouvez vous préparer à m'entendre
faire une déclaration d'amour
pour votre compte , au tendre & timide
Sernan . Ah ! Silvie , n'allez pas me
jouer ce tour , Vous êtes ſi folle !-Pourquoi
non ? Cela amuſe. Tenez , il me
vient une idée ; Sernan va venir , & moi ,
j'irai au devantde lui ,je le ſaluerai d'un
air tendre , mes yeux lui diront je vous
aime , ma bouche le lui confirmera : il
ſe jettera à mes genoux , s'y confumera
d'amour , & moi , je rirai , je regarderai
mon eſclave avec dédain , & je lui dirai :
Croyez - vous , Monfieur que je vous aye
parlé pour moi ? Non , vous ne lepenſezpas
? La belle Lucinde a dicté mes paroles
, & fon coeur va récompenfer votre
amoureuſe ardeur. Eh ! bien , Lucinde
quedites- vous de mon projet ?-Fort joli
en vérité , vous ne vous attendez pas fans
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
doute à mes remercimens ? -Mais il
vous reſte un moyen pour n'impofer
filence. Confiez-moi ce que vous appellez
vos foibleſſes . -Ah , Silvie !
Lucinde !
moi.
-
-Ah
Vous l'exigez , écoutez
Reſtée veuve à ſeize ans , fortant
d'éprouver une gêne cruelle , la liberté
me parût le plus grand des biens , je réfolus
de la conſerver. La bienséance me
forçant de paffer l'année de mon deuil
dans une forte de retraite , je me retirai
chez une de mes parentes , qui vivoit à
la campagne. Elle eut pour moi des attentions
infinies. Elle imaginoittous les jours
mille fortes de divertiſſemens. Elle avoit
un neveu qu'elle me préſenta ; une figure
intéreſfante , un air noble , aifé , un je
ne ſaisquoi me charma & m'inſpira pour
ce jeune homme des ſentimens que je
me reprocherai toute ma vie. Belmont ,
c'eſt ſon nom , ne fut pas long-tems fans
feindre des ſentimens qu'aſſurément il
n'avoit pas . J'étois jeune , ſans expérience ,
je le crus ſincère , & je me livrai de bon.
ne foi à mon penchant. Il s'apperçut de
mes fentimens , il en profita ; il devint
exigeant , jaloux. Je lui facrifiai tour ,
amis , plaiſirs. - Dites-moi prompteFEVRIER.
1770 . 33
۱
ment , Lucinde , combien a duré cer
amour ? - Six mois . - Six mois ! C'eſt
pour en mourir. Eh ! vite , renvoyezmoi
cet homme; il me donne des vapeurs
!
Ma parente le favorifoit en tout.
Un jour que j'étois d'une gaîté folle ,
ma parente me laiſſa ſeule avec lui , fous
le prétexte d'aller vaquer à des affaires
preſſantes , je voulus la ſuivre ; mais
Belmont me retint. On est bien foible
quand on aime ; un regard , un ſeul
regard me décida. Il ſe jeta à mes pieds ,
m'exagera ſon amour , il m'obligea à lui
dire , à lui répéter combien je l'aimois.
J'eus cette foibleſſe. Il eſt impoflible de
dire ces chofes de fang froid , lorſque
coeur eſt engagé. Il oſa me donnerun
baifer , je me fachai : il répandit des
larmes , je lui pardonnai. Nos yeux ſe
rencontrèrent , je rougis , je foupirai ;
cette rougeur , ce foupir , m'attirèrent
de nouvelles importunités. Et que ſçaisje
ce qui feroit arrivé ? Mon
s'uniſſoit au fien , ſes regards m'embarraffoient
, j'avois peine à me défendre de
moi- même , lorſque quelqu'un entrant,
me débarraſſa de l'homme du monde le
plus àcraindre pour moi. Il fortit & laiffa
coeur
le
ADE
ByV
34
MERCURE DE FRANCE.
tomber un papier que je ramaſſai , ſans
qu'il s'en apperçut.Je ſaiſis le premier moment
de liberté pour lire ce biller. Il étoit
d'une femme, grand Dieu,quelle femme !
ma parente , elle-même l'avoit écrit.
Elle l'exhortoit à profiter de mon penchant
pour lui ; elle lui diſoit qu'il falloit ſe
htâer de ine mettre hors d'état de refuſer
fa main , que ce moyen étoit le feul qu'il
pût prendre pour relever ſa fortune : &
qu'elle conſentoit à lui voir continuer
le rôle d'amant juſqu'à notre mariage ,
étant bien aſſurée qu'il l'aimeroit toujours
, malgré tous mes charmes & ma
coqueterie.
Je frémis à cette lecture ; l'amour , le
dépit , la jalouſie , tout porta à mon ame
les coups les plus cruels. Je paſſai deux
heures ſans ſavoir à quoi m'arrêter. Je
roulois des projets de vengeance , tous
mérités , mais trop cruels , & qui ne pouvoient
être excuſés que par la ſituation
violente ou je me trouvois. Après avoir
beaucoup raiſonné , je penſai que le mépris
me vengeroit mieux que l'éclat ; je
m'arrêtai à ce parti ; j'annonçai mon départpour
le lendemain. J'eus à ſoutenir
les larmes de Belmont , ſes reproches ,
les minauderies des voiſins , & celles de
FEVRIER. 1770. 35
ma parente , qui poufla la fauſſeté julqu'oû
elle peut aller. Belmont s'attendoit
à m'accompagner ; lorſque je pris congé
de ma parente , je lui remis le billet de
ſon amant , je leur lançai à tous deux un
regard qui les terraſſa , & je partis fans
écouter perfonne .
Je fus paffer quelque tems à une de
mes terres, fuyant toute compagnie , déteſtantleshommes,
& me voulant un mal
mortel d'avoir pu prendre de l'amourpour
un perfide tel que Belmont; cet audacieux
oſa m'écrire;ſes lettres lui furent renvoiées;
mais que mon coeur fouffroit cruellement !
qu'il lui en coûtoit pour rompre ſes chaînes
! Je tombai malade ; mes parens accoururent
; je guéris &je me vis forcée
de rentrer dans un monde que je déteftois.
Le chevalier d'Olbien , parent de
feu mon époux , fut un des plus emprefſés
à me voir ; ſes manieres me plurent ,
ſans m'attacher , du moins le croyois-je ;
l'hiver ſe paſſa à s'occuper de ces riens à
la mode, auxquels on attache une ſi grande
importance ; je me préparai à aller à
la campagne jouir des douceursdu printems
; une de mes parentes m'y accompagna
& le chevalier y venoit fort fouvent.
Plus tranquille qu'à la ville , j'exa
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
minai mes ſentimens; je frémis en m'apercevant
du déſordre qui régnoit dans
mon coeur ; je voulus y porter remède ,
mais il n'étoit plus tems , le Chevalier
le rempliſſoit tout entier ; je l'évitai ; il
s'en apperçut , devint triste , & , fans ofer
me demander la raiſon de ce caprice , il
ſe conforma à ma façon d'agir ; cette
conduite fit impreſſion ſur moi ; ſes attentions,
ſa complaiſance , quelques raifons
d'intérêt & plus que tout cela mon coeur
qui étoit vivement affecté , me porterent
à lui donner la main; je ne fis part de
cette réſolution qu'à ma parente , qui
l'approuva. Un foir que je me promenois
dans les jardins , ma rêverie me conduifit
dansun cabinet de charmille ; j'y entrai ,
& j'apperçus d'Olbien profondément en.
dormi ; ſa vue m'émut ; je le regardai
avec un intérêt ſi grand , qu'il me fut
impoffible de m'arracher de ce lieu ;
il ne m'avoit jamais dit qu'il m'aimoit
, mais ſes yeux me l'avoient juré
mille fois , & mon coeur entendoit leur
langage ; un attendriflement involontaire
me furprit ; la crainte de trouver
un autre Belmont me fit répandre quelques
larmes ; un mouvement que je fis
pour m'en aller le réveilla ; il me vit &
FEVRIE R. 1770 . 37
ſe précipita à mes pieds ; nous fûmes
long-tems fans ofer nous parler , nous
éprouvions cet embarras , ce trouble enchanteur
qui caractériſe ſi bien une pafſion
véritable; nos coeurs s'entendirent ,
nosbouches jurerent à la fois unetendreſſe
éternelle ; lorſque le ſentiment eut fait
place à la réflexion , je rougis , je baitſai
les yeux ; & le Chevalier s'abandonna à
un déſeſpoir qui me ſurprit; quoi ! s'écrioit-
il ,j'ai pu tromper !-Degrace , ma
chere Lucinde , apprenez •moi pourquoi
ce déſeſpoir , mais épargnez -vous la peine
de me redire les fadeurs d'un homme
qu'infailliblement je vais haïr.
-
Oma Silvie ! ne me haïffez- pas : vous
êtes trop vive ;-Maisquelle étoit donc la
cauſe d'un déſordre ſi ſoudain ?-Le mariage
du chevalier qui étoit conclu il y
avoit un an ; - ah le fat ! il étoit marié ,
vraiment marié ? oui , marié , ſéparé
de ſa femme , & pour toujours ; voici
comment je l'appris; interdite des pleurs
qu'il répandoit , inquiéte de ſes expref.
ſions , je voulus abſolument en ſçavoir la
cauſe ; il m'apprit que fa mere , femme
intéreſſée , l'avoit obligé d'épouſer une
riche heritiere , dont les défauts perfonnels
étoient aufli grands que les biens ;
38 MERCURE DE FRANCE.
qu'ayant juſques-là conſervé fon indif
férence , il avoit obéi; mais que fa feme
me étant d'une jaloufie affreuſe & l'obfédant
cruellement , il l'avoit quittée ; que
cette femme , furieuſe de ſe voir abandonnée
, s'étoit fait ſéparer d'avec lui &
avoit obtenu la jouiſſance de tous ſes
biens; ce fut dans ce tems que je connus
le Chevalier; quelques difcuffions
pour la fucceſſion de mon mari l'obligerent
à me voir; il fut ſenſible à mes foibles
attraits , il m'aima ; mais n'oſant fe
découvrir , il ſe borna à tâcher de m'amufer,
& il n'y réuſſit que trop bien !
Ses foupirs , ſes larmes me prouverent
ſon amour , mais n'affoiblirent point le
coup que cette cruelle confidence m'avoit
portée ; je me rappelois avec confufion
la facilité avec laquelle mon coeur s'étoit
donné ; j'étois anéantie ; le Chevalier
voyant couler mes larmes , ah ! c'en eſt
trop , dit- il , pourquoi faut-il que je faffe
le malheur de tout ce que j'adore ? Ne
devois-je pas m'éloigner avec mon faneſte
fecret & chercher , dans la mort ,
remede aux maux qui m'accablent : adieu,
Madame , poursuivit il, je pars ; puiſſéje
emporter avec moi ce trait dont je
vous ai bleffée ! oubliez , s'il ſe peur , que
un
FEVRIER . 1770 . 39
-
-
- continuez , je
je vous aye aimée , oubliez tout : juſqu'à
l'existence d'un malheureux qui va tout
faire pour ſe perdre? A ces mots il s'éloi .
gna; & vous le laiſsâtes partir ? -
Oui . Je ne vous comprends point ;
vous dites que vous aimiez, quelle eſpèce
d'amour est donc le votre ? Oh bien !
j'aimois , je me plaireis à le dire , à le
prouver , & je ne pourrois me ſéparer
d'un amant qui me feroit cher ;-mais,
Silvie , vous n'y penſez pas , ſongez vous
qu'il étoit engagé , que cet amour ne pouvoit
que m'outrager ;
vous prie , eſt - ce tout de bon qu'il s'en
alla ?-Oui ; lorſqu'il fut parti,je m'abandonnai
àtoute ma douleur,je pallai le reſte
du jour à m'affliger ; la fierté vint enfin
à mon ſecours , je me dis que je n'avois
pour lui qu'un goût paflager ; je me le
perfuadai &je m'en trouvai bien ; rentrée
dans mon appartement, j'appris qu'il venoit
de partir ; mon coeur ſe ſerra fortement
, mais je vins à bout de réprimer
ce premier mouvement ; &, pour réuffir
à l'oublier entierement , je lui cherchai
des torts , & je ne manquaipoint de lui
en trouver .
Que devint- il , Lucinde ?-Il ne me
tint que trop parole ; il s'expoſa au dam40
MERCURE DE FRANCE.
ger& fe fit tuer.-Il eut raiſon ; une ingrate
telle que vous méritoit bien d'être
punie. Eh bien ?-Je le pleurai; ily a deux
ans qu'il n'eſt plus , &j'en garde encore un
tendre ſouvenir. -Le voilà bien avancé ,
ce pauvre chevalier ! Après . -Je vis Sernan
; je vous connus ; j'eus pour vous
beaucoupd'amitié ; je vous l'ai prouvé en
demeurant avec vous , &j'eus pour lui la
plus grande indifférence. Il me parla de
ſa paffion , me rendit des ſoins , m'en
rend encore , mais il n'en eft pas plus
avancé ; jamais , non jamais je ne ſerai à
lui . Deux épreuves comme celles que j'ai
faites , me garantiſſent de la folie d'aimer.
Je vous ai rendu compte de ce que
vous vouliez ſçavoir , ainſi j'ai acquis un
droit fur votre diſcrétion . Il ne vous reſte
plus qu'à me rendre confidence pour
confidence .-Volontiers , mon hiſtoire
ne fera pas longue .
Je ſuis vive , capricieuſe , même un
peu folle; raiſon pour ne pas connoître
l'amour. Vingt coeurs enchaînés ſans avoir
jamais laiſſé prendre le mien , m'aſſurer
de tout , tirer parti des choſes les plus
ennuyeuſes , rire , badiner fans ceffe ; voilà
mon caractere , mes aventures ; ma
vie . Mais vous allez vous marier .-II
FEVRIER. 1770 . 41
-
le faut , mes parens m'obſedent , j'obéis ;
J'épouſe un homine que je ne connois .
ni ne me foucie de connoître , & je ſuis
perfuadée que nous vivrons très-bien enſemble.
Je l'attends aujourd'hui ; Serna'n
doit me l'amener ; les articles ſont dreffés
; nous fignerons ce foir. Mais s'il
étoitd'unehumeur..-. je lui conſeillerois
en vérité ! Je veux être libre ; point de
contrainte , chacun notre appartement ,
nos ſociétés ; voilà comme je veux vivre
& comme je vivrai. Parlons un peu de
Sernan . Vous ne le haïffez pas ; faut- il ,
par une bizarrerie que je ne conçois pas ,
que vous fafliez votre malheur . Non , Lucinde
, croyez moi , vous n'êtes point
avantagée de cette heureuſe indifférence ,
qui eſt la ſource des vrais plaiſirs; ainſi ,
prenez vîte un mari , afin qu'il vous
faſſe goûter les douceurs d'un heureux efclavage.
Sylvie parloit encore , lorſque Sernan
entra. Lucinde baiſſa les yeux , rougit , &
Sylvie éclata de rire : Sernan , qui ne
comprenoit rien à l'air embarraſlé de Lucinde
, ni à l'emportement exceffif de Syl.
vie , les regardoit l'une & l'autre fans
rompre le filence. Lucinde ſe remit enfin
, ſalua Sernan & lui demanda ce qu'il
42 MERCURE DE FRANCE.
avoit fait ce jour. -Madame , je l'ai
paffé avec le marquis d'Orfin.- Le marquis
d'Orfin interrompit Sylvie , & depuis
quand eſt-il à Paris. -D'aujourd'hui
, Madame ; il m'a chargé de...-n'achevez
pas ! Ne peut- il faire ſes commif.
fions lui-même ? Etes- vous ſon interprête
?-Mais , belle Sylvie , je venois
vous le préſenter; il n'a pas cru devoir...
-Que de cérémonies ! Qu'il vienne ,
qu'il vienne ,& vous , ne fongez qu'à vos
affaires. Le marquis entra , les Dames ſe
leverent , & l'étonnement de Lucinde
fut fi grand , qu'elle fit un cri perçant.
Sylvie lui demanda à qui elle en avoit ;
& Sernan regardant le marquis , qui ,
pâle , interdit , les yeux fixés ſur Lucinde ,
n'oſoit faire un pas , lui demanda l'explication
de ce qu'il voyoit.
Sylvie , qui ſçavoit enfin que le marquis
d'Orſin étoit le chevalier d'Olbien ,
prit la parole , & , malgré les ſignes de
Lucinde , conta à Sernan tout ce qui s'étoit
paffé entr'eux. Sernan pâlit à fon
tour ; le marquis , fans regarder Sylvie ,
courut aux pieds de Lucinde , lui demander
la mort ou ſa main. Mais dites moi
donc , pourquoi on vous a cru mort , lui
demanda cette aimable femme ?-Rien
FEVRIER. 1770 . 43
de plus ſimple , Madame. Le déſeſpoir
de ne pouvoir être à vous , & l'honneur
qui ne me permettoit pas de vous revoir ,
après l'aveu de ma témérité , m'engagerent
à joindre mon régiment. Il fût
taillé en piéces & moi percé de coups &
tombé fur un monceau de morts. Un
homme à moi s'apperçut que je reſpirois
encore , il me fit tranſporter à la ville
la plus prochaine , où je reſtai fix mois ,
mon chagrin s'oppofant à ma guériſon .
Je guéris enfin , malgré moi ; je changeai
de nom & réſolus de voyager , pour vous
laiſſer oublier un malheureux amour ,
que je n'oſois ſouhaiter de vous faire partager.
Ma mere ſeule fçavoit ce que j'étois
devenu. Au bout d'un an , elle m'écrivit
la mort de ma femme & me propoſa de
m'engager de nouveau. L'envie de vous
revoir , de voler à vos pieds , m'a ramené
en France ; j'ai feint de conſentir à
l'union projetée , pour avoir le tems de
vous chercher & de ſçavoir le fort que
vous me deſtiniez. Pardon , belle Sylvie ,
vous ſçavez mes ſentimens ; les premiers
engagemens ſont ſacrés & j'eſpere.... Efpérez-
tour , Monfieur , je ſuis enchantée
de notre réunion ;& j'ai tantôt trop bien
44 MERCURE DE FRANCE.
plaidé votte cauſe , pour l'abandonner d
préſent.-Eh bien , ma chere Lucinde, que
décidez- vous ? Reflemblez-vous au mar .
quis ? Etes- vous fidele à vos premiers engagemens
? ... Mais Sernan , pourquoi
nous quitter ?-Il le faut bien , Madame,
c'eſt une choſe trop cruelle d'entendre
prononcer un arrêt qu'on ſçait ne devoir
pas nous être favorable . Adieu , Madame ,
continua cet amant déſeſpéré , en ſe tournant
vers Lucinde , je ne troublerai point
votre félicité. Vous aimez , c'eſt aſſez ;
je reſpecte juſqu'à votre choix & je vais
me punir de n'avoir pu vous inſpirer des
ſentimens tels que les miens.- Sernan ,
je ne veux point que vous me quittiez .
-Lucinde , il le faut, je le dois . Je ne
le veux point , vous dis-je. Votre bon-..
heur m'eſt cher , plus cher que vous ne
le penfez; feroit il impoſſible que je le
fiffe ? Sylvie eſt une autre moi-même ;
pourriez-vous refuſer de rendre ma joie
parfaite en vous uniſſant à elle. -Lucinde
, ne diſpoſez point de moi , contentez-
vous d'adoucir la peine de Sernan
enlui offrant votre amitié , & moi , je
me charge de le guérir , fans autre prétention
que la gloire d'avoir fait une ſi
belle cure . Oui , vous la ferez , MaFEVRIER.
1770. 45
dame , & je jure à vos pieds , par vousmême
, que je travaillerai à rendre mon
coeur digne de vous.-Sernan , vous ne
pouviez m'obliger plus ſenſiblement , &
jejure que ſans ce conſentement , lemarquis
n'auroit jamais eu ma main , quelque
cher qu'il me ſoit. Je vous la donne ,
Marquis , je ne vous donne qu'elle. Il y
a long-tems que vous poffédez mon coeur .
Ah! l'heureuſe foibleſſe !
Par Mile Matné de Marville .
La jeune Fille & la Guêpe. Fable.
QUE jeplains le deſtin des belles !
De quels propos de Ruelles
Ne les obſéde-t'on pas ?
Par-tout où brillent leurs appas ,
Les fots fourmillent autour d'elles .
Pourquoi , me dira - t'on , plaignez - vous_leur
deſtin ?
Cette fadeur leur plaît , & cejargon les touche.
Sans cela , croyez - vous qu'un air fier & farouche
Ne feroit pas bientôt fuir l'importun eſlain ?
Lecoup le plus légerdélivre d'une mouche...
46 MERCURE DE FRANCE.
D'une mouche ? ... vraiment... Eh ! qui ne vous
croira?
Mais en est- il ainſi d'un petit maître ?
Jettez -en un par la fenêtre :
Par la porte à l'inſtant un autre rentrera ;
Et chez la belle ainſi peut-être
Tout l'eflain ſe ſuccédera.
Meſdames , voulez-vous obvier à cela ?
1
Quand le premier paroît , vous conta -t'il merveille
,
Atout ce qu'il vous dit faites la ſourde oreille ;
Je ne connois que ce remede-là.
Doris, aſſiſe auprès de ſa toilette ,
Sur ſes appas confultoit ſon miroir ;
Elle trouvoit ſa taille élégante & parfaite.
Etre belle & chercher ſoi -même à le ſavoir ,
C'eſt le moyen de devenir coquette.
En s'amulant ainſi , certaine guêpe , un jour ,
Vint bourdonner à l'entour d'elle .
L'inſecte alloit , venoit , menaçoit tour-à-tour
La joue& le col de la belle .
Sonéventail la protégeoit envain.
Laguêpe s'éloignoit un moment , & fondain
FEVRIER. 1770. 47
Revenoit lui cauſer une fraïeur nouvelle ;
Doris craignoit ſon aiguillon fatal.
Laiſſez-moi donc en paix , lui dit- elle en colere ;
De tous les animaux répandus ſur la terre ,
La guêpe eſt à mon gré le plus ſot animal.
Pourquoi , belle Doris , lui répond la derniere ,
M'outrager de cette maniere ?
Pourquoi ne dédaigne? Quel est mon crime,
hélas?
Quel mal fais-je , en voulant admirer vos appas ?
Ce ſein , où l'amour repoſe ,
Me ravit par la blancheur.
Ces lévres ont , par leur fraîcheur ,
Le coloris brillant & l'odeur de la roſe.
En voyant tant d'attraits , je crois que tous les
Dieux
Ont répandu ſur vous leurs bienfaits précieux.
A ce diſcours flatteur , Doris enfin s'appaiſe :
Ah! Liſette , dit - elle , ah! ne la frappe pas ;
Tiens , maintenant je ſuis fort aiſe
De n'avoir point hâté l'inſtant de ſon trépas.
Une guêpe n'eſt pas une mouche ordinaire.
Cet inſecte eſt galant , celui-ci ma ſu plaire ;
Je lui fais grace en ce moment.
MERCURE DE FRANCE.
Le croirois -tu , ſon joli compliment
Vient de déſarmer ma colere.
Je lui pardonne tout. La guêpe dans l'inſtant
Va vanter ſon bonheur à l'eſſain bourdonnant.
Enhardi par cette nouvelle ,
Il vole en foule après la belle .
Doris s'en amuſa; ſouffrit l'eſſain fripon
Badiner ſur ſon ſein , voltiger autour d'elle ;
Mais elle ne vit l'aiguillon
Quelorſqu'elle en ſentit la bleſſure mortelle.
Que l'amourpropre eſt ſot ! on veut être flatté.
Voulez - vous être écouté
De la beauté la plus ſévére ?
Amans , flattez ſa vanité ,
Louez & føyez ſûrs de plaire.
ParM. le Monnier,
A
:
FEVRIER. 1770. 49
A Mademoiselle .... Fable.
Un roffignol , habitant d'un bocage,
Chantoit la ſaiſon des beaux jours ,
Et ſes plaiſirs & ſes amours .
Hattira bientôt , par ſon tendre ramage ,
Les animaux du voisinage.
On s'arrêtoit pour l'admirer ;
Les vents ſe taiſoient dans la plaine ,
Zéphir même , Zéphir retenoit ſon haleine ,
Et les ruiſſeaux charmés craignoient de murd
murer.
De corneilles alors , jalouſes de ſa gloire ,
Une troupe voulut étouffer ſes concerts ,
Et lui diſputant la victoire ,
S'éleve en croaſlant & plane dans les airs
Pour fondre ſurl'oiſeau. Lui, ſans prévoir l'orage,
Oùfuyez-vous , dit- il ? Quelque vautour cruel
Vous menace- t'il de ſa rage ?
Ah ! calmez cet effroi mortel ,
Revenez avec moi ; ce bocage tranquille ,
Sous ſon feuillage épais vous préſente un aſyle,
C
50 MERCURE DE FRANCE.
Il dit : mais toutes à la fois
Elevant contre lui leurs croaſſantes voix ;
C'eſt toi , c'eſt toi ſeul , diſent-elles ,
Dont les ſons importuns , les fadeurs éternelles
Nous font abandonner ces bois.
Hé! bien , Meſdames les Corneilles ,
Si mes chants bleſſent vos oreilles ,
Je me tairai , point de procès .
Vous vous tairez , c'eſt à merveilles ;
Mais il faut vous juger , ſans cela point de paix.
Point de paix ? Sommes-nous en guerre ?
Que voulez-vous ? Que par toute la terre
On reconnoiſſe que vos ſons
N'ont riende comparable à nos douces chanfons.
Chez unjuge ſévère il faut que l'on vous mene.
Eh ! bien , ſoit , &j'irai ſans peine ,
Prenons un juge , je le veux.
Long-tems , à ce que dit l'hiſtoire ,
On débattit , parmi la troupe noire ,
Quel juge on choiſiroit entr'eux .
Le lion ? Non , ſans doute , & ſa majeſté veille
Pour de plus grands objets; les rois ont d'autres
foins .
Le finge? Pointdutout. Le renard ? Encor moins,
FEVRIER. 1770. St
Eux décider du chant ? Il n'ont qu'un bout d'oreille.
Gens idiots ! pauvres eſprits !
Mais à propos d'oreille , eh ! quoi , dit une d'elles,
A quoi penfons- nous donc ? L'âne en a de ſi belles!
A ces mots , on fit de grands cris .
L'âne , l'âne , dit-on , qu'il juge nos querelles!
Le roſſignol conſent à tout.
On l'emmene , on part tout-à-l'heure ,
On cherche l'âne en ſa demeure ,
On en trouve deux cens qui cauſoient ſur le goût.
Dieu ſait lajoie ! on entre , & la troupe ennemie
Fait chanter Philomele en cette académie ,
Philomele obéit , & chanta ſon amour.
Corneilles aufſi- tôt de chanter à leur tour :
De chanter ! J'entends à leur mode ;
Anes , d'applaudir à l'inſtant ,
De remuer l'oreille , & dire en ſe grattant;
C'eſt raviſſant : quelle méthode !
1
Cij
52
MERCURE DE FRANCE.
!
D
La Cicogne &le Cerf. Fable.
ANS un cercle nombreux d'animaux différens,
Une cicogne un jour exaltoit ſes talens ,
:
Et ſi l'on eût voulu la croire ,
Les Cliſtorels & les Fleurans ,
Ces ſages dont Thalie , au temple de mémoire ,
Agravé les noms triomphans
Dans l'éclat même de leur gloire ,
Au prix d'elle étoient des enfans.
Non , Meſſieurs , diſoit-elle , il n'eſt point de migraine
,
Point d'indigeſtion , point d'autres maux enfin
Quemon long bec , rempli d'un remede anodin ,
Ne guériſſe d'abord (ans peine :
Les bêtes de l'eſpéce humaine ,
Avec leurs cylindres d'étain
Et leur pharmacie incertaine ,
Sont loin de m'égaler dans cet art ſouverain,
De mon eſprit auſſi moi-même , quandj'y penſe ,
J'admire quelquefois l'énorme profondeur ;
La Faculté ne peut , en confcience ,
Me refaſerle bonnet de docteur :
FEVRIER. 1770. 53
L'obtiendrois- tu , réponds moi , je te prie,
Toi , cerfaux pieds légers , toi , l'honneur des forêts
?
Qui ? Moi ! repart le cerf, il n'a rien que j'envie :
Je ne fais pas guérir la moindre maladie ,
Mais j'ai le grand ſecret de n'en avoir jamais ,
Etce ſecret divin vaut ſeul tous les bonnets .
Par M. Sautereau de Bellevaud.
CONSULTATION TARDIVE.
SIIRR Jonh étoit un vieux garçon qui ,
toute la vie , avoit aimé le plaiſir ; fur le
déclin de ſes jours , il recherchoit encore
les jeunes gens ; leur ſociété ſembloit le
rapprocher de la jeuneſſe ; il aimoit leur
vivacité ; il s'efforçoit de l'imiter & d'oublier
ſon âge. Il comptoit , parmi ſes
amis, Sir Richard Onflow & Sir Antoine
Ashley Cooper , qui fut depuis comte de
Shaftsbury. Tous deux étoient graves &
fenfés ; Sir John les eſtimoit ; mais il les
voyoit rarement ; il ne les recherchoit
gueres que lorſqu'il avoit beſoin deleurs
conſeils , & ſouvent il avoit éprouvé
qu'ils en donnoient de bons .
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
Depuis long-tems Sir John avoit paru
fuir ſes amis ; ils furent très - furpris de
recevoir un matin une lettre par laquelle
il les prioit de venir le trouver à Chelſea,
les conjurant , au nom de l'amitié , de ne
pas différer,parcequ'il avoità les confulter
ſur une affaire importante & preſſée. Sir
Richard & Sir Antoine s'empreſſentde le
fatisfaire ; ils ſe rendent chez leur vieil
ami qui les fait entrerdans ſon cabinet ,
ferme la porte avec une précaution qui
les étonne& les prépare à quelque confidence
extraordinaire ; celle qu'il avoit à
leur faire l'étoit effectivement .
Mes amis , leur dit Sir John , vous
êtes , de tous les hommes , ceux en qui
j'ai le plus de confiance ; je me ſuis toujours
bien trouvé de vos avis , jamais je
n'en eus plus beſoin qu'aujourd'hui. Me
voici parvenu à un âge avancé ; j'ai connu
tous les plaiſirs ; ils commencent à me
fatiguer ; je veux vivre plus retiré ; mais
je crains l'ennui inſéparable de la folitude
; le ſoin de ma maiſon m'embarraſſe ;
les détails domeſtiques me font mourir ,
je voudrois m'en débarraſſer ſur quelqu'un
qui pût en même tems me tenir
compagnie & me ſoigner dans ma vieilleſſe;
je ſens qu'une femme ſeule peut
FEVRIER. 1770 . SS
remplir toutes ces vues à mon gré. J'ai
trouvé cette femme ; je la connois depuis
long-tems ; ſon caractere me convient ;
je ſuis fort tenté de l'épouſer ; que me
confeillez- vous?
Les deux amis ſe regarderent à ces
mots ; ils étoient étroitement liés avec le
neveu de Sir John ; c'étoit ſon unique
héritier ; il avoit rendu pluſieurs ſervices
à fon oncle qui , par reconnoiſſance , lui
avoir promis de ne jamais diſpoſer de ſes
biens qu'en ſa faveur,& qui lui ménageoit
un établiſſement conſidérable que l'exécution
de cette promeſſe devoit faciliter ; il
reſterent quelque tems ſans répondre , &
demanderent enfin le nom de la femmé
fur laquelle Sir John avoit jeté les yeux ;
ils furent très-furpris d'entendre nommer
Lucy Fington ; ils la connoiſfoient ; il y
avoit cinq ans qu'elle avoit fait fon entrée
dans le monde par le libertinage qui
lui avoit procuré une certaine aifance ;
Sir Richard prit le premier la parole :
vous me demandez mon avis , lui dit-il,
je dois vous le donner avec franchiſe , ce
projet me paroît bien extraordinaire à
votre âge & dans votre ſituation; je dirai
plus , je me croirois coupable de vous
taire mille raiſons que l'amitié vous doit
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
&que votre honneur ne vous permet pas
de rejeter ; le choix que vous faites....
Un moment , Sir Richard , interrompit
Sir Antoine , permettez - moi avant tout
de faire une queſtion à notre ami... Parlez
moi vrai , Sir John , faites - nous la
confidence entiere ; n'êtes - vous pas déjà
marié ? Sir John héſita un moment , &
enfin il convint que la cérémonie s'étoit
faite la veille. Eh ! bien , reprit Sir Antoine
, il n'y a plus beſoin de prendre
d'avis; permettez - nous d'aller féliciter
Mylady , & chargez-vous de lui préſenter
vos amis .
Sir John les conduiſit chez fa nouvelle
épouſe ; ils dînerent enſemble , & ils pafferent
la journée de la maniere la plus
gaie. En s'en retournant à Londres , Sir
Richard remercia ſon ami de l'avoir interrompu
aufli à- propos qu'il l'avoit fait;
car , ajouta -t - il, j'allois faire de Lucy
Fington un portrait que jamais Sir John
ne m'auroit pardonné ; mais je ne conçois
pas comment il vous eſt venu à l'efprit
de lui faire cette queſtion ; qui pouvoit
s'imaginer, lorſqu'il nous confultoit
ſi ſérieuſement , que la choſe étoit déjà
faite ? Son caractere , qui m'eſt bien connu
, reprit Sir Antoine , le ton qu'il avoit
FEVRIER. 17764 5.7
pris , m'ont donné des ſoupçons qu'il
avoit fait la fottiſe , & qu'il cherchoit à
la couvrir en s'autoriſant de notre avis.
C'eſt une bonne leçon , repliqua Sir Richard
, quand on me demandera confeil à
l'avenir , je me preſſerai moins de répondre.
EPIGRAMME.
D'U'UNN air honnête&toiſant mes paroles ,
Ces jours paflés je priois un ami ,
Vieux patelin , riche en diable & demi ,
Deme prêter quinze ou ſeize piſtoles.
Dès qu'il m'ouït ilfronça les ſourcils,
Et dégoifant une longue légende
De ſots fermons ſottement affortis ,
Me pérora comme il eût fait ſon fils :
Las à la fin de cette reprimande ,
Vous parlez bien , dis-je au papa raffis ;
Mais donnez moi ce que je vous demande ,
C'eſt de l'argent& non pas des avis .
ParM. Sautereau de Bellevaud,
C
S MERCURE DE FRANCE.
MADRIGAL à Mile L. P. D. B.
Le papillon léger , le zephire infidèle
Du jeune lys à la roſe nouvelle
Promenent au printems leurs ſoupirs ſéducteurs :
Charmante Eglé , mon coeur volage
Imita long- tems leurs erreurs ;
Mais ſous tes loixàjamais je m'engage,
Je trouve en toi toutes les fleurs .
Parlemême.
A M. Rag... , auteur du premier Logo-
J
gryphe du Mercure de Novembre.
E vous prends ſur le fait , beau fire ,
Entre les Muſes & Plutus ;
Favorides amours & chéri de Comus ,
Tous les dieux daignent vous fourire ;
Je vous en fais mon compliment ;
Ce concours doit, aſſurément ,
Sur chacun de vos jours répandre un nouveau
charme :
Pourſuivez , jouiſſez de votre heureux deſtin ,
Pag. 58
CHANS ON,
Pour une Basse taille
r
ParM.Delarousselle de Bordeaux .
Tendrement .
Fevrier
1770 .
Ah! quej'ai de re-
2:
=gret,D'avoir dit mon se - cret ;
2: *
Al'in=humaine que j'a:do =
+
re.Mon sort en est
plus rigou
re , re'..
2:
-reux ; Sij'avois pu cacher
+
2 .
mes
feux, l'Espoir me res :te: roit en
: 00 :: .` re . mon re
De l'Imprimerie de Récoquilliée rue du Foin StJacques
FEVRIER. 1770 . 59
Aimez , rimez toujours , banniſſez le chagrin ;
Et ſi jamais vous verſez une larme ,
Que , conforme à vos goûts & pour les mieux
ſervir ,
Elle ſoit fille du plaiſir.
Par D. L. S. , de Paris.
L'EXPLICATION du mot de la premiere
énigme du ſecond volume du Mercure
de Janvier 1770 , eſt Riviere ; celle de la
ſeconde est l'allumette ; celle de la troiſieme
eſt le fonge ; celle de la quatrième
eſt le nez. Le mot du premier logogryphe
eſt fauteuil , où l'on trouve taie , fút
de colonne , feu & eau , il faut & tuf ,
tuile , fa & mi , ail , lie , tuiau , fat , fil :
Celui du ſecond eſt ſavonnette , où l'on
trouve Etna , Efon , Enna , tout , fot ,
zue , faute , finon , Saône , Eve , os , vent ,
navette,fou , vente , Teos , Tenos , Tenos
vaſe,Jonnette , ton , as , anon , Annette ,
ofe , Ofée : Celui du troiſieme eftfoir, où
l'on trouvefoi & Roi.
4
-
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
J
ÉNIGME
■ ſuis le contenu , comme le contenant :
Je fais les délices du ſage ;
Mais je parois avec plus d'étalage ,
Quoiqu'inutile , aſſez ſouvent ,
Chez un Créfus ou chez un grand.
L'Univers eſt mon apanage ,
Et chaque jour m'apporte ſes tributs.
En moi tout n'eſt pas bon, & dans leur aſſemblage
Tous les êtres ſont confondus :
Lebien avec le mal inceſſamment contraſte ;
Le remede eſt à côté du poiſon :
Ala justice , à la raiſon
Souvent j'accorde moins de fafte
Qu'à l'impie & qu'au poliflon.
Je ſuis l'aſyle & le refuge
De ce que Thémis a proſcrit ,
Et je me trouve ce crédit
Juſques dans la maiſon dujuge:
Dans les plus importans procès ,
Quand il s'agit des plus grands intérêts ,
L'onme confulte,&l'on rencontre
FEVRIER. 1770. 6
Chez moi des raiſons pour & contre.
Ah ! lecteur , j'en ai dit afſez :
Apréſent vous me connoiſlez ,
Car , dans pluſieurs endroits de la machine ronde
Je reçois chez moi tout le monde.
Par M. Parron , capitaine d'infanterie.
AUTRE.
ON me voit dans Paris ,on me voit enprovince
Je fers également le portefaix , le prince.
Sans connoîtrejamais ni crainte , ni defir ;
C'eſt par moi que toujours commence le plaifir.
Trop pefant , pour gravir les rochers , les montagnes
,
Je deſcends dans la plaine & parcours les campagnes
:
Jen'y fais point la guerre aux timides oiſeaux :
Je préfère la pêche & l'habitant des eaux.
Sans ceſſe avec la paix , loin de l'indifférence ,
Je vis dans le repos &dans l'indépendance .
Le pantin , la poupée ont pour moi des attraits ;
Ic les ſuis en tous lieux , ſans les quitter jamais.
62 MERCURE DE FRANCE.
Mais vois , ami lecteur , quelle est mon inconf
tance ;
J'habite les palais , je ſuis dans l'opulence ;
Et toujours ennemi des grands & de la cour ,
Je m'éloigne du louvre & j'en fuis le ſéjour.
En ai-je dit affez pour me faire connoître ?
Je ſuis crochu , boîteux , & n'ai qu'une fenêtre ;
Tu me portes par-tout , aux pieds & ſur la peau :
Je loge ſur ta tête & ſuis dans ton chapeau.
Par M. Dauphin , abonné au Mercure.
AUTRE.
J ſuis d'une forme arbitraire ,
Et j'ai ma place en mille endroits ;
Par mon utilité je me rends néceſſaire
Chez le marchand , chez le bourgeois .
L'égalité fait mon mérite ,
Sans cela je ne vaux plus rien ;
Plus d'un fripon quand il débite ,
De mes défauts ſe trouve pourtant bien
De preſque toute marchandiſe ,
C'eſt moi qui fixe le rapport.
Quand on emplit un coffre fort ,
FEVRIER. 1770 . 63
Pour éviter toute ſurpriſe ,
On contrôle par moi les tréſors de Plutus.
Dans les endroits que j'habite le plus ,
Je ſuis preſque toujours pendue.
Apréſent te ſuis-je connue ?
Non , pas encor ! leve les yeux ,
Tu me verras briller aux cieux .
Par M. Charnois.
AUTRE.
C'est moi qui , des héros , ceint le front glerieux
Qui , mépriſant la glace & l'hiver furieux ,
En toutes les ſaiſons conſerve ma parure.
C'eſt moi qui , d'une nymphe , eus jadis la figure,
Et captivai le coeur de ce dieu bienfaiſant
Qui , ſur ſon char aſſis , d'un regard complaiſant ,
Enrichit les guerets du laboureur avide.
Sept lettres de mon nom rempliffent tout le vide.
Chez les Latins , je ſuis du genre féminin ;
Mais les François me font du genre maſculin.
:
Par M. le Baron des Hermeaux
de la Valette , P.A.C R.D. N.
64 MERCURE DE FRANCE.
LOGOGRYPΗ Ε.
SAANNSS me donner pour unoracle
Je ſuis dans l'hiſtoire vanté ,
Pour avoir opéré miracle ,
Et ne m'en fais point vanité.
En deux décompoſez mon être ;
Le premier vous montre en total
Ce que la nuit fait diſparoître ,
Le ſecond eſt un animal,
Par M. Metairie , curé de StMaurice
au diocèse du Mans.
ON
AUTRE.
N me trouve toujours chez le vaillant guerrier
,
L'intrépide ſoldat & le brave officier.
Guidé par la raiſon , je ne crains point l'orage,
Et ſans jamais trembler , j'évite le naufrage.
Septlettres font monnom ; en le décompoſant
Tutrouveras,lecteur,un infecte rampant ;
FEVRIER. 1770 . 65
Le terme qu'un cocher prononce ſur fon fiége ;
Le gîte qu'un oiſeau redoute autant qu'un piége ;
L'arme de Cupidon; un ſonore inftrument ;
Un mal qui , dans les chiens , ſe voit communément
;
Un légume commun , une plante rampante ;
Ce qui deſlus les mers intimide , épouvante ;
Un métal précieux , un adverbe , un pronom ;
L'épithète qu'on donne au vertueux Caton ;
Ce que cachent toujours & la femme & la fille ,
Le ſéjour de nos rois , celui de leur famille ;
Le ſoutien d'unbeau char comme d'un tombereau;
L'endroit où d'ordinaire on ne cherche pas l'eau ;
Un bénéfice enfin . mais cela doit ſuffire ..
Pour être deviné , j'ai dit ce qu'il faut dire.
ParM. Borel, contrôleur- ambulant
des Domaines du Roi.
MON
AUTRE.
ON nom fait très - ſouvent l'épithète d'un
fat;
Il eſt d'une fyllabe,& retournant ſa tête :
66 MERCURE DE FRANCE .
C'eſt un arbre ſans fleurs , ſans fruits , ſans odorat:
Je ſuis note &métal.. J'en dis trop .. Je m'arrête.
Par M. Deſnoyers , abonné au Mercure.
Q
AUTRE.
UOIQUE je ſois de matiere fragile,
Chacun s'empreſſe à louer ma beauté ;
Chacun convient de mon utilité ;
Mais à chacun je ne ſuis pas utile.
Il faut avoir , pour ſe ſervir de moi',
Une fortuné un peu conſidérable ;
Et l'on ne doit m'employer à la table
Que lorſque rien ne peut manquer chez ſoi .
Ce n'eſt pas tout; je vais , ſuivant l'uſage ,
Changer de forme & de déguiſement ,
Et du lecteur cherchant l'amusement ,
Demes dix pieds faire un nombreux partage.
Je dirai donc , pour commencer mon jeu ,
Que je fais voir par ma métamorphofe
Et la façon dont je me décompoſe ,
Un animal que l'on mange en tout licu.
FEVRIER. 1770. 67
Deplus , un terme à qui tout eſt contraire ,
Ce qu'un acteur doit ſouvent répéter ;
Un couple heureux que l'on doit reſpecter ;
Ce qu'un curé ſouvent manque de faire.
Un minéral de très - grande valeur ;
Le nom qu'on donne au chef d'une famille ;
Ce qui compoſe un ornement de fille ,
Ce qui devient un ſujet de douleur.
Un élément , deux notes de muſique ;
Un fer pédestre , ennemi des chevaux ;
Un des péchés qu'on nomme capitaux ;
Un bon gibier , un grand fleuve d'Afrique.
D'un animal que j'ai déjà cité
Une flotante & longue chevelure ,
Et des maris l'idéale coëffure ,
Qui , de leur honte , eſt un figne uſité.
Un coquillage , une plante inutile
Qu'à la campagne on trouve ſous ſes pas ,
Etdont jamais on n'a fait aucun cas ;
De la nature un connoiffeur habile .
Ce qu'on emploie aux étoffes d'hiver ;
Un grand ruiſſeau qui coule dans le Maine ;
Un ſédiment , le nom du capitaine
Qui découvrit les iſles du Cap Verd.
68 MERCURE DE FRANCE.
Un animal que l'on ne vante guère ,
Et que par contre on fait bien travailler ;
Un corps fort dur difficile à tailler;
L'ifle où mourut l'incomparable Homère.
L'outil d'un peintre ou d'un deſſinateur ;
Un faint vieillard qui , ſur un char de flame,
Fut tranſporté , ſoit en corps , ſoit en ame ,
Dans le ſéjour du divin Créateur.
Une ineffable & longue récompenſe
Qu'en faiſantbien chacun peut obtenir...
Mais c'eſt affez , il eſt tems de finir ,
Je ſuis déjà plus laſſe qu'on ne penſe .
Par M. Fabre de Marseille.
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
Bayard & Gaston , tragédie , par M. de
Belloi , à Paris chez la veuve Duchêne
, rue St Jacques , au temple du
goût.
L'AUTEUR du ſiége deCalais, qui a conſacré
ſes talens au patriotiſme , a réuni
dans ce nouvel ouvrage deux héros fran
1 FEVRIER. 1770 . 69
çois dont la înémoire ſera toujours chere
ànotre nation& reſpectée des étrangers .
La ſcéne eſt dans la citadelle de Breffo
où les François font affiégés par le Duc
d'Ubin , neveu du Pape Jules ſecond ,
fi connu par ſon audace ſcandaleuſe & fa
haine pour le nomFrançois;les lancesEſpagnoles
, commandées par Peſcaire , grand
général & grand fourbe , ſe ſont jointes
au troupes Italiennes ; Bayard arrive au
commencement de la piéce pour ſecourir
les affiégés; il leurdéclare qu'ils ne peuvent
tenir dans la citadelle plus de cinq jours ,
Gaſton ne vient les ſecourir ; mais il eſt
loin , les chemins ſont impraticables , ſes
ſoldats fatigués ; on n'oſe compter ſur lui
& il faut ſe réfoudre à mourir ; le comte
Avogare , ſeigneur Breſſan , & le duc
d'Altémore , Napolitain , font en apparence
alliés aux François ; mais ce font
deux traîtres qui ont conſpiré la perte de
Bayard & de Gaſton ; le motif d'Avogare
eſt la vengeance de ſon épouſe &de fon
fils , égorgés par les François dans les
fureurs de la guerre & c'en eſt affez
pour fonder une trahifon dans un tems&
dans un pays où elles étoient ſi communes;
Peſcaire a pratiqué ſous les murs
deBreſſe des mines dont on ſuppoſe que
70 MERCURE DE FRANCE.
l'uſage n'étoit encore connu que de lui
& d'Altémore,& qui doivent jouer dans
l'inſtant le plus favorable ; cependant le
duc d'Urbin a demandé une entrevue à
Bayard pour le déterminer à ſe rendre;
Bayard le reçoit ; le Duc l'invite nonſeulement
à rendre la place , mais à pafſer
dans le parti de Jule & de l'empereur
Maximilien ; Bayard lui répond :
Un pontife m'exhorte à violer ma foi !
Des Chrétiens , mieux que lui , je connois done
laloi .
Dieu dit à tout ſujet, quand il lui donne l'être :
* Sers , pour me bien ſervir , ta patrie & ton maître
:
>> Sur la terre , à tonRoi j'ai remis mon pouvoir.
→Vivre & mourir pour lui c'eſt ton premier de-
>> voir. »
Enrappelant nos coeurs à cette loi ſuprême ,
Un pontife devient l'organe de Dieu même.
Mais , Seigneur , quand ſa voix combat l'ordre du
ciel,
C'eſt l'homme alors qui parle & l'homme criminel.
En vain d'un rang ſacré Jule exalte l'empire;
Lui , qui ſoufflant par - tout la fureur qui l'inſpire ,
Du pieddes faints autels embraſe l'Univers ,
Lui , dont le front blanchi par quatre - vingt hivers
,
FEVRIER. 1770 . 71
Etaledans un camp le mêlange bizarre
De l'airain des guerriers au lin de la tiare ,
Qui , dans Mirande enfin vint lui - même afſiéger
,
Dépouiller l'orphelin qu'il devoit protéger.
Ne croyez pas pourtant que mon erreur ſiniſtre
Rejette ſur l'autel l'opprobre du miniftre.
Dépend- il en effet des vices d'un mortel
Dedégrader le nom , les droits de l'Eternel ?
Sont - ils moins faints pour nous, quand Jule les
profane?
Le crime avilit-il la loi qui le condamne ?
Je ſépare deux noms qu'on veut aſſocier ;
Je révére un pontife & combats un guerrier.
Quant à Maximilien que pourrai-je en attendre ?
Il ne ſéduiroit pas un coeur fait pour ſe vendre.
Ferdinand s'applaudit alors qu'il trompe un roi ;
Eſt - ce avec un ſoldat qu'il garderoit ſa foi ?
Pour Venise , il est vrai , j'eſtime ſon courage.
Surpriſe par la foudre elle a bravé l'orage ;
Au ſénat des Romains jaloux de reſſembler ,
Son ſénat vit ſa perte & fut n'en point trembler.
Entre ſes ennemis ſa politique habile 1
Sema pour l'intérêt une diſcorde utile ,
De ce Jule autrefois ſon ardent oppreſſeur ,
Veniſe maintenant le fait un défenſeur ,
Et fait contre Louis armer pour ſa querelle
Tous les rois qui , d'abord , armoient Louis contre
elle;
72
MERCURE DE FRANCE .
Mais l'Europe verra le Monarque François,
Trahi par les égaux & non par ſes ſujets.
Le Duc lui repréſente qu'il eſt mal
récompenſé par le roi de France ; la réponſe
de Bayard eſt digne d'un vrai chevalier.
Amon choix Louis me récompenfe.
Dès qu'il voit un laurier , il l'offre à ma vaillance.
Dès que pour la patrie il craint quelque haſard,
Le poſte du péril eſt celui de Baïard.
Il me met le premier ſous l'aîle de la gloire.
Il veut tenir de moi ſa premiere victoire .
Sonjeune fuccefleur , ce généreux Valois
Qui ſoupire en ſecret , au bruit de nos exploits ,
Dans les armes déjà m'a choiſi pour ſon pere ;
Il veut , qu'arbitre un jour de ſa vertu guerriere ,
Un ſujet donné aux Rois le ſceau de la valeur ;
Où ſont les dignités qui valent cet honneur ?
Le Duc ſe reſtreint enfin , en admirant
la vertu de Bayard , à lui faire fentir la
néceſſité de ſe rendre.
Comment ! Baïard ſe rendre !
s'écrie le chevalier fans peur ; le Duc lui
fait obſerver que la place n'eſt pas tenable,
que
FEVRIER . 1770 . 73
que les remparts ſont écroules , qu'ils
n'ont plus de poudre ; Bayard appelle ſes
foldats & dit au Duc :
Voici d'autres remparts dont vous ne parlez pas.
On annonce auſſi- tôt l'arrivée de Gaſton ;
le Duc , Bayard , Avogare , Altemore ,
d'Alegre , tout demeure immobile de furpriſe;
le chevalier s'écrie :
Que notre étonnement doit honorer Nemours !
Guerriers , depuis vingt ans, admirés ſur la terre ,
Allons apprendre encor le grand art de la guerre.
Aurions- nous projeté ce qu'il fait aujourd'hui ?
& en s'adreſſant au Duc qui lui a reproché
de ſe laiſſer commander par Ne
mours :
Eh! biendoit-on rougir de commander ſous lui ?
Il fort pour aller le recevoir ; Altemore
& Avogare font part de leurs projets de
trahifon au duc d'Urbin , mais fans en
expliquer le détail; le généreux Duc ne
veut point être leur complice , mais il ne
fait point avertir les Généraux François
que l'on trame une trahifon contre eux ;
ce ſecret parvient à Euphémie , la fille
d'Avogare , dont Bayard & Gaston font,
D
74 MERCURE DE FRANCE.
également amoureux , qui aime Gaſton
&dont le pere flatte la paſſion de Bayard
pour le mettre aux priſes avec ſon général;
Euphémie combat les deſſeins perfides
de fon pere , ſans lui dire de qui elle
les tient ; mais Avogare eſt inflexible ;
Gafton arrive tenant à la main le plan
de la bataille qu'il veut livrer aux ennemis
, & de l'affaut qu'il va faire donner
à la ville ; il eſt ſuivi de Bayard & des
autres chefs de l'armée ; il ſe promet de
triompher des ennemis de la France &
de trouver dans Euphémie le digne prix
de ſa victoire ; Bayard entendant parler
de cette alliance prochaine & de la paffion
de Nemours , qu'il ignoroit , eſt
frappé d'un étonnement mêlé de colere ;
il va juſqu'à braver Nemours & lui rappelle
que Sotomajore,un de ſes rivaux ,
a fuccombé fous fes coups ; Gaſton comprend
cette menace ; mais un danger
plus preffant l'occupe , c'eſt celui de la
patrie; il ne doute pas que cet intérêt ne
l'emporte dans le coeur de Bayard fur
tous les autres ; il lui donne fon plan de
bataille à examiner ; Bayard fort ; & un
moment après Nemours reçoit un cartel
de Bayard qui ne veut pas mourir compiable
envers l'honneur , & qui pouvant
FEVRIER. 1770 . 75
périr dans l'affaut que l'on va livrer aux
remparts de Breſſe , veut vider auparavant
ſa querelle avec fon Général ; Nemours
accepte le défi malgré le déſeſpoir
d'Euphémie ; il prend pour témoins du
combatAltemore & Avogare qui ſe propoſent
d'immoler celui des deux qui fera
vainqueur ; mais , dit Avogare , Ferdinand
(le roi d'Eſpagne) ſouffrira-t'il qu'on
aſſaſſine Nemours fon beau frere ? Te l'at'il
commandé ! l'Italien répond :
Il eſt de ces forfaits
Qu'un ſouverain prudent ne commandejamais.
Sûr du voeu de ſon maître , un courtiſan habile ,
En lui ſauvant la honte , acheve un crime utile.
Le parti de Gaſton dans Naple eſt dominant.
Qui perd ce prince , aſſure un trône à Ferdinand.
L'inutile vertu peut languir fans ſalaire ;
Mais un pareil ſervice eſt le grand art de plaire.
Ces vers peignenttrès bien une politique
affreuſe , très commune dans ces tems
groffiers & barbares ; car par un contraſte
alfez étrange c'eſt dans le tems où les vertus
loyales de la chevalerie jetoient le
plus , d'éclat qu'on vit le plus d'exemples
de cette perfidle ſyſtématique , érigée en
art par Machiavel .
!
1
i
:
Dij
75 MERCURE DE FRANCE.
Bayard & Gafton viennent au rendezvous
; le Duc embraſſe le Chevalier &
met l'épée à la main :
Embraſſez un ami, combattez un rival.
Bayard alorsappelle à haute voix tous les
officiers de l'armée qu'il avoit priés de ſe
raſſembler au rendez- vous,& en préſence
d'Euphémie qui s'y trouve auſſi , il met
fon épée aux pieds de Nemours & fe
reconnoît coupable de l'avoir offenfé ;
Nemours lui montre alors un papier où
il le faifoit héritier de ſon nom & de
ſes appanages , s'il étoit mort dans le
combat ; il est même ſur le point de
céder Euphémie , mais fon amour l'arrête
; ce facrifice eſt réſervé à Bayard ;"
l'hymen de Nemours & d'Euphémie eft
décidé ; Avogare qui voit tous ſes projets
confondus prend le parti de diſtimuler
avec ſa fille ; il feint d'être défarmé
par la générosité des deux héros ; mais il
eſt de concert avec Altemore pour les
faire périr dans le combat ; en effet Bayard
eft bleffé , mais Gafton trop bien accom.
pagné a échappé aux embuches des deux
traîtres . Euphémie informée de leurs nouveaux
complots a une ſcène très violente
avec ſon pere ; Nemours arrive & AvoFEVRIER.
1770. 77
gare craignant que fa fille ne découvre
tout , veut faifir le moment où il eſt ſeul
avec elle & Nemours pour percer ce jeune
héros; fa fille le retient ; Nemours le mer
en défenſe & veut percer Avogare ; Euphémie
ſe retourne & défend ſon pere
contre ſon amant , après avoir défenda
fon amant contre ſon pere ; Nemours
appelle ſes gardes & fait arrêter Avogare ,
mais il promet à ſa fille qu'il ne périra
point.
Au cinquième acte Bayard bleffé eſt
étendu fur un lit ,& le duc d'Urbin devenu
fon prifonnier eſt à côté de lui ; Nemours
fait éloigner le Duc,& devant Bayard,fil
donne audience à un vieillard qui apporte
des avis importans; ce vieillard eſt un
ancien déſerteur François établi chez les
Breſfans ; pénétré de remords & voulant
réparer fon crime en ſe rendant utile à
ſa patrie , il a gagné par argent un foldat
Eſpagnol qui lui a appris que Peſcaire
doit arriver la nuit dans Breſſe par ces
fouterrains dont nous avons parlé, que les
Vénitiens doivent arriver par un aqueduc
& ſe joindre à lui , qu'une mine doit
jouer près du rempart & qu'un traître s'eſt
chargé d'y mener adroitement Nemours
afin qu'il y périffe le premier; Nemours
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
donne les ordres les plus ſages pour prévenir
tant dedangers; il fort ; Altemore
qui n'a pas encore été découvert & qu'Avo
gare n'a point accuſé , vient dans la chambre
de Bayard & ſe prépare à l'égorger
au moment où l'exploſion de la mine
annoncera la perte Nemours ; c'eſt le
fignal convenu entre les traîtres; Euphémie
arrive éperdue , elle veut accuſer
Altemore ; tout d'un coup on entend
le bruit de la mine & Altemore veut
percer Bayard ; mais le Chevalier a
ſa lance à côté de lui ; il ſe met en
défenſe contre lui & fes Italiens ; Gafton
&les François entrent avec degrand cris;
on entraîne Altemore au fupplice ; Nemours
a été ſauvé une ſeconde fois par
les avis de ce vieux déſerteur; il avoit fon
poſte au palais d'Avogare , & c'étoit- là
précisément que la mine étoit placée ; le
vieillard eſt venu l'avertir qu'il n'y a pas
un moment à perdre, qu'il falloit quitter
ce palais ; Nemours en eſt ſorti , & un
moment après le palais eſt abîmé avec un
horrible fracas; & Avogare & ce généreux
déſerteury ont péri; Peſcaire avoit attaqué
un côté de la ville , mais il avoit été
repouffé , & Bayard & Nemours font
fauvés & la France eſt victorieuſe.
:
FEVRIER. 1770. 79
Nous ne voulons point prévenir fur un
ouvrage auſſi récent & qui n'a point été
repréſenté , le jugement que la partie la
plus faine du public & l'effet théâtral ne
fixent qu'à la longue ſur les productions
dramatiques ; mais nous ne pouvons nous
refufer au plaifir d'affirmer qu'on y trouve
de beaux vers , de grands fentimens , de
Penthoufiafine militaire & patriotique ,
& que l'ouvrage honore également M.
de Belloi comme auteur & comme citoyen
.
Anecdotes du Nord, comprenant la Suède,
le Dannemarck , la Pologne & la Ruffie
, depuis l'origine de ces monarchies
juſqu'à préfent. AParis , chez Vincent,
imprimeur- libraire , rue St Severin,
1 vol . in sº.
Nous avons déjà annoncé les anecdotes
françoifes , italiennes , angloiſes , germaniques
, &c. à meſure qu'elles ont paru;
les gens de lettres qui ſe ſont propoſé
de préſenter ſucceſſivement ſous ce plan
J'hiſtoire de tous les peuples de la terre ,
continuent leur travail avec ſuccès ; ce
volume contient la partie la plus intéreffante
de l'hiſtoire de Suède , du Dannemarck,
de la Pologne & de la Ruffie;
Div
30 MERCURE DE FRANCE.
on a recueilli tout ce qui pouvoit fixer
l'attention du ſçavant , fatisfaire l'homme
de lettres, amufer & récréer l'homme
dumonde.
On commence par la Suède ; ſi l'on em
crpit les Suedois , ils deſcendent de Suenon
, fils de Magog , petit fils de Japhet ,
& attribuent la fondation d'Upfal à fon
frere Ubbon. Sans s'arrêter à ces prétentions
, au moins ridicules , on defcend à
l'an 887 avant Jeſus Chriſt , qui eſt à
peu -près la premiere époque qu'offrent
les tems nébuleux de l'hiſtoire de Suède .
» L'amour eſt de tous les pays & de tous
> les climats ; le premier trait que nous
>>prèſente un peuple alors preſque ſauvage
, eſt un trait galant; Gram , prince
» de Dannemarck , étoit amoureux de la
>>fille de Sig-Trud , roi de Suède , fils
» & fucceffeur de Niord ; mais un grand
>> obſtacle s'oppoſoit à ſes voeux : le pere
>>de ſa maîtreſſe la deſtinoit au frere du
> Roi de Finlande ; Gram trouva cepen-
>> dant le moyen d'être heureux ; aſſuré
>> du coeur de la fille de Sig-Trud , il ſe
>> rendit déguifé à la cour de Suède , en-
>> leva la Princeffe& la conduifit en Dan-
*>> nemarck ; l'enlevement , dit l'auteur de
>> ce recit , ( Loccenius ) n'avoit alors rien
FEVRIER. 1770 . 81
>> de honteux ; cependant Sig Trud arma
» contre le raviffeur & confulta l'oracle
>> pour ſçavoir le ſuccès de fon expédition ;
» l'or te nuira plus que le fer , lui répon-
>> dit l'oracle ; cette réponſe étoit affez
>> intelligible ; cependant le bon Sig-
>> Trud s'y trompa ; l'art de corrompre les
>> hommes avec de l'or n'étoit pas fi com-
>> mun qu'aujourd'hui ; mais Gram le
>> ſçavoit auſſi - bien que celui de fédui-
>> re une fille ; il gagna par ſes largeſſes
رد les principaux chefs de l'armée Sué-
» doife , qui lui livrerent Sig-Trud ; ainſi
>> s'accomplit l'oracle. Loccenius dit que
>>Gram tua Sig Trud avec une maffue
>> dont le bout étoit d'or » .
Olaus Magnus rapporte que le roi Walander
, qui régnoit l'an 173 de l'ére chrétienne
, exerçoit publiquement le métier
de brigand , & détrouſſoit les paſſans ſur
les grands chemins ; pour ſe diftinguer
du commun des voleurs qui ſe contentoient
de prendre l'argent & les habits
des voyageurs , Walander les dépouilloit
tout nuds ; fil'on jugeoit des moeurs de la
nation par celles du Roi , on concevroit
une idée bien étrange des Suédois de ces
tems -là.
Parmi les traits que fournit l'hif
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
toire de Marguerite de Waldemar , nous
nous arrêterons à celui- ci : cette princeſſe
s'étoit emparé avec adreſſe des fortereſſes
principales ; elle confioit les gouvernemens
& les charges à des Seigneurs Danois
, éloignant les Suédois des places
importantes; le feul qu'elle éleva fut Abraham
Bronerfon dont le mérite étoit une
figure intéreſſante qui plaiſoit à la Reine ;
* çe choix n'échappa point à la critique
>> des mécontens ; ils ne s'en tinrent pas
>>aux propos injurieux qu'un tel ſujet
>> leur fourniffoit; ils allerent en corps
>> porter leurs plaintes à la Reine , munis
>> d'une copie du traité de Colmar &
>> des titres de leurs priviléges , qu'ils
>>ne lui préſenterent que pour lui repro-
>> cher de les avoir violés ; mais la Reine
>>qui avoit la force de fon côté , mépriſa
>>ces repréſentations impuiſſantes : con-
>>fervez avecfoin vos titres & vos parche .
>> mins, leur dit elle d'un ton railleur , &
» moije garderai les fortereſſes du Royau-
» me ১১ .
L'hiſtoire Danoiſe offre des anecdotes
rès- intéreſfantes ; Chriſtophe III étant
mort fans enfans en 1448 , le Sénat jeta
les yeux fur Adolphe , comte de Holſtein,
qui par un exemple de déſintéreflement
FEVRIER. 1770. 83
bien rare , refuſa la couronne en recommandant
Chriſtian, ſon neveu , fils de
Théodoric , comte d'Oldembourg ; » le
» Sénat députa ſur le champ versle Comte
>> pour le prier de marquer lui- même le
>> choix du ſujet le plus propre à les bien
>> gouverner ; j'ai trois fils , dit le comte
d'Oldembourg , l'un est paſſionné pour
» lejeu & lesfemmes; l'autre estd'un carac-
> tèrefi violent qu'il ne refpire que la guerre ,
» & il a des motifs qui la lui feroient entre .
> prendre ; le troisième est d'un caractère
» modéré , il ne refpire que la paix , & na
» cependant peut être pasfon égal en va-
» leur , en générosité & en bonté; ces am-
» baffadeurs ayant fait leur rapport , le
>> Sénat élut celui dont le pere avoir
>>fait un ſi bel éloge ; & ce fut fous de fi
>>heureux aufpices que commença la gran .
>> deur de la maiſon qui regne fur le Dan-
>> nemarck .
Piaſt en 842 commença la ſeconde
claſſe des Princes Polonois ; c'étoit un
homme d'une naiſſance obfcure , d'une
fortune médiocre , mais qui vivoit en
vrai philofophe ; il occupoit une petite
maison à Kruſwick , lieu où ſe tenoit
Paſſemblée générale pour l'élection d'an
nouveau Duc; les principaux concurrens
:
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
yfurent conduits par le hafard ; Piaſt les
reçut avec une affabilité qui les toucha ;
ils convinrent de ſe départir de leurs prétentions
en faveur d'un homme d'un fi
grand mérite ; les historiens Polonnois
ont cependant jugé à-propos de mêler
-le prodige à cette aventure. » Duglofs ,
-> hiſtorien Polonois , rapporte que la
&
ville de Krufwick ſe trouvant dans une
> grande diſette de vivres & de boiſſons
» même les plus communes , à cauſe de
« la quantité prodigieuſe de monde que
» l'élection y avoit attirée , deux anges
>> revêtus d'une figure humaine allerent
>> loger chez Piaſt qui les reçut avec ſa
• cordialité ordinaire , & leur préſenta
>> un petit barril d'une liqueur commune
>> dans le pays ; c'étoit le dernier qui lui
>> reſtoit ; les anges pour récompenfer la
>> charité de leur hôte , accorderent à
>> fon petit- barril , la propriété de ne
>>point ſe vider , de maniere que Piaſt
>> fournit abondamment de la boiffon à
>> toute la Ville , ſans que fon vaſe ceſsât
>> d'être plein ; ce fut ce prodige qui ,
>> ſelon nos hiſtoriens , détermina les élec-'
>> teurs à donner leurs fuffrages au ver-
>> tueux Piaſt " .
Les anecdotes Ruſſes commencent à
FEVRIER. 1770. S
l'an 862. Lorſque Rurich profita de la
défaite d'Ofchold & Idir , battus par
l'Empereur des Grecs , pour s'emparer de
leurs états . Nous ne nous arrêterons pas
fur les traits qu'elles préſentent ; on les
lira avec plaiſir dans l'ouvrage même qui
eft à la fois curieux & inftructif; on ne
peut qu'en attendre la ſuite avec emprefſement
, & exhorter les auteurs à ne pas
différer à publier les nouveaux volumes
qu'ils promettent .
:
Fables & Contes moraux en vers , par M
Fontaine , avec cette épigraphe :
.... Mutato nomine , de te
Fabula narratur.
HORAT,
A Londres , & ſe trouve à Paris chez
la veuve Duchefne , rue St Jacques ;
Delalain , rue & à côté de la Comédie
Françoife ; & le Jay , rue St Jacques ;
in. 8°. 52 pag. prix 24 fols .
Les pièces de vers qui compoſent ce
recueil , ne font pas fans mérite ; M. Fontaineyarépandabeaucoup
dephilofophie;
36 MERCURE DE FRANCE.
on deareroit ſeulement que la plupart fuffent
moins longues. Parmi les fables il y
en a quelques-unes qui font très-plaifantes
, telle eſt celle qui eſt intitulée : Thémis
& le Procureur ; celle qui a pour titre
le Fol, eſt philofophique ; une cervelle
dérangée s'imagine être le Dieu de l'univers
, elle croit le gouverner du fond de
fa loge ; mais malheureuſement le monde
ſe moque de cette prétendue divinité .
Ami lecteur , en ſais- tu les raiſons ?
« C'eſt que l'on s'apperçut de ſa folie extrême. >>
Mon cher lecteur , vous vous trompez vousmême
:
C'eſt que ce fou logeoit aux petites maiſons.
Le villageois& le courtiſan préſentent
une leçon intéreſſante & morale ; un
payſan ſe trouve ſur le chemin de Verfailles;
il a vendu ſes légumes & s'en retourne
chez lui avec un tréſor de cent
fols; il ſe moque beaucoup des voyageurs
que la fortune & la faveur menent fur
le même chemin ; il voit un carroffe fuperbe
dont le maître eſt fort affligé & fe
trouve mal ; le payſan vole à ſon ſecours ;
FEVRIER. 1770 . $7
il eſt pauvre & par conféquent humain ;
il s'informe de la maladie du maître de
cette voiture , on lui dit que c'eſt l'ambition
; on lui explique comment ce mal
agit fur les perſonnes qui en font attaquées.
Ah! quelle étrange maladie !
S'écria le manant ; mais cette frénéfie ,
Cette peſte , Meffieurs , ne regne qu'à la cour ;
Jamaisje ne la vis déſoler la campagne.
Adieu , j'ai des oignons qu'il faut vendre demain ;
Quelquefois la fiévre ſe gagne ,
Et je n'ai pas de quoi payer le médecin.
Nous nous arrêterons encore fur ledévos
débauché; un dévot payen avoit paffé ſa vie
dans la priere & les exercices pieux; Jupiter
nefaitrienpourlui ; il le laiſſe languir
dans l'indigence ; le dévot gémit de fa
fituation , & la compare avec celle des
perſonnes qui ne ſe refuſent rien; le defir
d'être mieux le porte à les imiter; il
devient publicain , & s'enrichit comme
les autres par la rapine; fon coeur s'endurcir
; la probité lui parle vainement &
lui crie en fecret que le méchant ne profpere
pas ;il lui répond :
83 MERCURE DE FRANCE.
Vous mentez , vieille folle , aveugle conſeillere ;
Tous vos amis ſont gueux , fortez de ma maiſon .
Vos conſeils déſormais ne ſont plus de ſaiſon.
Sije ſuis un fripon , ce n'eſt pas votre affaire ;
Importune , chez moi ne paroiſſez jamais ,
Il vous fied bien d'entrer dans un palais
Allez habiter la chaumiere .
Depuis ce jour la triſte probité
Alla gagner , honteuſe & délaiflée
Le taudis où logeoit ſa ſoeur la pauvreté ,
Et ne vint plus aux lieux dont elle étoit chaflée.
Quoiqu'abſente depuis , cette divinité
Aujourd'hui comme alors y reçoit maint outrage.
Chaque riche cependant
Se vante de lui rendre hommage ,
Et de la probité conſerve encore l'image ,
1
Qu'il promene par- tout , qu'il montre à tout venant;
:
Maisdieux! que ſon portrait eſt bien peu reflemblant
i
Naufrage & aventures de M. Pierre Viaud,
natifde Bordeaux , Capitaine de Navire ,
avec cette épigraphe :
... Forfan & hæc olim meminiſſejuvabit.
VIRG. ENEID. lib . 1 .
àBordeaux , chez les freres Labottiere,
FEVRIER. 1770 . 89
& à Paris , chez le Jay , rue S. Jacques,
au Grand Corneille. 1 vol . in- 12 .
La lecture de cet ouvrage doit intéreſfer
les ames honnêtes & fenfibles ; c'est la
relation du naufrage de M. Viaud & des
malheurs qu'il a eſſuyés pendant 81 jours .
Peu d'hommes en ont éprouvé de plus
longs &de plus terribles; le Brigantin ,
le Tigre fur lequel il étoit , échoua le 16
Février 1766 , à l'eſt de l'Iſle aux chiens,
à une portée de fufil de la terre , où l'agitation
de la mer ne lui permit d'aborder
que le ſur lendemain ; il paſſa deux nuits
ſur le côté du bâtiment que les vagues
avoient couché , s'attendant à chaque
inſtant à périr avec ſes compagnons ,
mouillés par la pluie & par les flots qui
ſe brifoient fur eux , & fatigués par les
efforts qu'ils faifoient pour réſiter à
l'impétuoſité des ondes qui devoient les
entraîner avec elles .
Un fauvage qui chaſſoit avec ſa famille
dans les Iles voiſines , promit à M.
Viaud de le conduire aux Appalaches ;
il le fit embarquer avec le Capitaine ,
ſa femme , ſon fils , un marchand de S.
Domingue & fon Nègre , promettant de
venir prendre enſuite le reſte de l'équipage.
Après avoir promené pendant huit
१० MERCURE DE FRANCE .
jours ces infortunés d'ifles en Iſles le fau
vage les abandonne une nuit & emporte
avec lui tous leurs effets . La ſituation des
voyageurs ne peut-être plus affreuſe , ils
manquent de proviſions ; ils ne peuvent
pas même faire du feu pour ſe réchauffer ,
juſqu'aumoment où M. Viaud a le bonheur
de trouver une vieill pierre à fufil
que le fauvage avoit jetée ſur le rivage ,
pour la remplacer par une bonne. Le
marchand de S. Domingue & le Capitaine
s'embarquent dans une mauvaiſe
pirogue abandonnée , qu'ils raccommodent
comme ils peuvent , mais dans laquelle
M. Viaud n'oſe pas s'embarquer ;
il reſte avec fon Nègre , Madame la
Couture , femme du Capitaine , fon fils,
& fon Nègre ; après avoir fouffert quelques
jours , il s'aviſe de conſtruire un
radeau pour gagner la terre-ferme qui
n'est pas éloignée. Au moment où il
eſpère d'en profiter il s'éleve une tempête
qui retarde ſon départ & emporte
fon bâtiment ; il travaille à un autre
avec la crainte de le perdre encore ; lorfqu'il
compte s'embarquer , le jeune la
Couture ſe trouve très mal ; il ne peut
ſe remuer ; on pourra bien le conduire
juſqu'à la terre ferme , mais comment le
tranſporter enfaite dans un lieu habité ,
FEVRIER. 1770. 91
s'il n'y en a point qui ne foit éloigné. On
attend quelques jours , le mal du jeune
homme empire ; on le voit à l'agonie ,
on veut épargner à ſa mere le ſpectacle
douloureux dele voir périr , on l'emporte
fur le radeau & l'on quitte l'Iſle .
Arrivés fur le continent , nos voyageurs
ne font pas plus heureux ; ils font
effrayés par les bêtes féroces , déchirés
par la faim ; ils eſſayent toutes les plantes
qu'ils rencontrent; elles ne peuvent
ſervir d'alimens;la plupart font nuiſibles
& les rendent malades. Le beſoin de
manger ſe fait bientôt ſentir avec la plus
grande violence , le déſeſpoir les rend
furieux ; M. Viaud & Madame la Cou-
-ture cherchent une nourriture dans le
corps du malheureux Negre qu'ils ont
avec eux ; cet horrible mets les foutient
pendant quelques jours ; mais il vont
bientôt fuccomber à leurs infortunes ;
M. Viaud ne peut plus marcher ; il fe
réſoud à la mort , lorſqu'il apperçoit un
canot ; c'étoit des Anglois qui couroient
la côte ; ils avoient appris qu'on avoit
trouvé des Européens morts ; le Commandant
de S. Marc des Appalaches ,
craignant qu'un vaiſſeau qu'il attendoit
n'eût fait nauffrage avoit envoyé ce canot
pour donner des ſecours à ceux qui pour92
MERCURE DE FRANCE.
roient en profiter. Les Anglois en conduifant
nos deux infortunés , paffent
devant l'ifle où l'on avoit laiſſé le jeune
la Couture qu'on y retrouve encore , &
qu'on rend à la vie à force de ſoins.
M. Viaud , de S. Marc des Appalaches
ſe rendit à la Nouvelle Yorck , ou M.
Dupeyſtre , un des plus riches Négocians
de cette ville , le logea chez lon & le
ſoigna juſqu'à ce qu'il fut rétabli ; il lui
donna enfuite la conduite du fenau le
Comte d'Estaing , avec lequel il arriva à
Nantes , le 27 Février 1767 .
Les aventures de M. Viaud font trèstouchantes
, on ne peut que prendre part
à fes infortunes ; on trouve à la ſuite de
ſa relation un certificat du Commandant
Anglois de S. Marc des Appalaches ,
dans lequel on rend compte de l'étar où
il a été trouvé. Il eſt actuellement aBordeaux
où il attend de l'emploi ; ſes longs
malheurs qu'on ne peut lire fans attendriffement
doivent intéreffer en fa faveur
, & porter les coeurs bienfaifans &
ſenſibles à le mettre en état de rétablir
ſa fortune , que fon naufrage a dû néceffairement
déranger .
Voyage pittoresque de la Flandre & du
Brabant , par M. Deſcamps , Peintre
FEVRIER. 1770. 93
du Roi , &c . à Paris , chez Deſaint ,
Saillant , Piſſot , Durand , &c .
Cet ouvrage dédié à M. le Marquis
de Marigni , contient une deſcription
très - exacte de tout ce qui peut attirer les
yeux des amateurs des beaux- arts , dans
les deux provinces les plus fertiles peutêtre
en beaux monumens. Tout ce qui
concerne la Peinture , la Sculpture , la
Gravure , l'Architecture , &c . eſt traité
avec le plus grand foin , & l'on peut
s'en rapporter ſur les jugemens , aux lumieres
& à l'impartialité de l'Auteur ,
qui conduit avec autant de zèle que de
fuccès , l'école gratuite de deſſin àRouen,
& dont on connoit l'habileté & l'eſprit
patriotique.
Les Georgiques de Virgile , traduction
nouvelle en vers françois , enrichie
de notes & de figures, par M. de Lille,
Profeſſeur de l'Univerſité de Paris ,
au Collège de la Marche. A Paris ,
chez Bleuet libraire , fur le Pont S.
Michel.
Il y a long-tems qu'on a dit qu'il falloit
traduire les poëtes en vers, & l'ona
dit vrai. Mais pour traduire un poëte il
۱
94 MERCURE DE FRANCE.
faut l'être foi-même. On ne refufera pas
ce titre au nouveau traducteur des Géorgiques
. Il y avoit bien de la hardielle à
Jutter contre le plus parfait de ſes ouvrages
, & contre le genre didactique qui
ne ſemble pas favorable à la monotonie
invincible de nos grands vers ; & contre
les détails d'agriculture que la timidité
indigente de cette même langue pouvoit
redouter. M. de Lille a furinonté ces
difficultés autant qu'elles peuvent l'être ,
en faiſant de la langue françoiſe l'uſage
le plus heureux , & y trouvant de nouvelles
richeſſes , en variant du moins ,
avec beaucoup d'art le rithme & la tournure
de nos vers, dont il n'eſt pas poſſible
de varier la quantité , & fuppléant par un
choix de mots nombreux à l'harmonie
élémentaire , à cette muſique naturelle
du latin & du grec qui nous manque
abſolument. Enfin il a fait voir qu'avec
ungrand talent & de beaux vers on ſe
tire de tout.
L'ouvrage eſt précédé d'un Difcours
Préliminaire , écrit ſagement. Il relève les
différens mérites de ſon original , parmi
leſquels il compte l'utilité du ſujer .
>>C'eſt le premier des Arts , celui qui
> nourrit l'homme , qui est né avec le
> genre humain , qui eſt de tous les
FEVRIER. 1770. 95
tems. « Rien de plus utile.-Oui , rien
de plus utile que l'agriculture. Mais ,
s'il faut dire la vérité , riende plus inu .
tile qu'un poëme ſur l'agriculture. Je ne
crois pas qu'aucun Cultivateur ait eu jamais
la moindre obligation aux Géorgiques
de Virgile. Mais les gens qui ont
l'oreille ſenſible & le goût des bons vers
doivent lui en avoir beaucoup. M. de
Lille avance avec vérité que les traductions
bien faites fervent à enrichir la
langue , & fon ouvrage le prouve. Il
parle très judicieuſement du poëme de
Rapin , de celui de Vanniére , qui ne
font pas despoëmes , & des Saiſons de
Thompson , qui font trop longues , &
de celles de M. de S. Lambert , que les
amateurs de la belle poëſie trouveront
trop courtes. Il traite enfuite de la différence
des deux langues & des avantages
qu'a celledes latins ſur la nôtre , ſurtout
en poësie. Il combat l'Abbé des
Fontaines , qui a foutenu le plus vivement
le ſyſtême des traductions en profe. Celle
qu'il nous a donnée des OEuvres de
Virgile , eſt ſéche , maigre , froide , ſans
goût , fans graces & fans chaleur. M. de
Lille , en cite quelques morceaux . On
Sera étonné , dit il , des énormes infidélités
qu'il afaites àfon auteur.
9 MERCURE DE FRANCE.
Multum adeò , raſtris glebas qui frangit inertes .
Vimineaſque trahit crates ,juvat arva, neque illum
Plava Ceres alto necquiquam ſpectat Olympo ;
Et qui , proſciſlo quæ ſuſcitat æquore terga,
Rurtus in obliquum verſo perrumpit aratro ,
Exercetque frequens tellurem atque imperat arvis .
L'Abbé des Fontaines , traduit :
«Cérès du haut de l'Olimpe jette tou-
>> jours un regard favorable fur le labou-
>> reur attentif qui a ſoin de briſer avec
» la herſe ou le rateau , les mottes de fon
>> champ ; elle ne favoriſe pas moins
» celui qui avec le foc de la charrue fait
>> croifer les fillons , & qui ne ceſſe d'agi-
> ter la terre .
On peut dire avec M. Diderot qui
parle de ce même des Fontaines ſur un
aurre endroit de ſa traduction , traduisez
ainfi , & vantez- vous d'avoir tué un poëte.
A cette verſion traînante qui dénature
toutes les beautés de l'original , M. de
Lille ſubſtitue celle- ci qui les fait revivre
toutes.
Voyez ce laboureur couſtant dans ſes travaux,
Traverſer les fillons par des fillons nouveaux ,
Ecrafer , ſous le poids de la herſe qu'il traîne ,
Les
:
FEVRIER. 1770 . 97.
Lesglébes dont le ſoc hériſſe au loin la plaine;
Gourmander ſans relâche un terrein pareſſeux ;
Cerès , à ſes travaux , ſourit duhautdes cieux.
Obfervez d'abord comme il fufpend
ſa période poëtique juſqu'au fixieme vers
où il termine le ſpectacle du laboureur
occupé dans ſon champ , par celui de
Cérès qui le regarde du haut des cieux ,
& lui applaudit d'un ſourire. Voilà une
conſtruction dictée par le goût & qui fou
tient l'attention du lecteur . Cette répétition
de mots , fes fillons par desfiilons ,
peint le travail répété du laboureur , de
la herſe qu'il traîne rend le trahit crates ,
pour le ſens & pour l'harmonie ; gourmander
rend imperat, & terrein paref
feux , vaut au moins glebas inertes. Il a
employé le mot de glébes au pluriel & au
propre , quoiqu'ordinairement il ne ſe
diſe qu'au fingulier &dans un ſens générique
; attaché à la glébe pour dire attache
à la terre , ferfdépendant , le travail de la
glébe , pour le travail de la terre. Le traducteur
en ſubſtituant le mot de glébes au
pluriel, à celui de mottes , qui n'eſt ni ſi
élégant, ni ſi agréable à l'oreille , a ajouté
àla languepoëtique qui eſt ſi pauvre dans
les détails ruftiques. Il cite un autre mor
E
1
وه MERCURE DE FRANCE.
ceau de Virgile , défiguré par l'Abbé des
Fontaines.
Acdum prima novis adolefcit frondibus ætas,
Parcendum teneris , &dum ſe lætus ad auras
Palmes agit , laxis per purum immiſſus habeniş
Ipſa acies falcis nondum tentanda ; fed uncis
Carpendæ manibus frondes interque legendæ.
Inde ubi jam validis amplexæ ftirpibus ulmos
Exierint , tumſtringe comas , tum brachia tonde,
Ante , reformidant ferrum , tum denique dura
Exerce imperia & ramos compefce fluentes.
>>Dans le tems qu'elle ( la vigne) pouf-
» ſe ſes premieres feuilles , ménagez un
>> bois ſi tendre , & même lorſqu'il eſt
>> devenu plus fort , & qu'il s'eſt élevé
>> plus haut , abſtenez vous d'y toucher
> avec le fer , arrachez les feuilles adroi-
>> tement avec la main. Mais quand le
>> bois eſt devenu ferme & folide , & que
>> les branches de votre vigne commen-
>> cent à embraſſer l'orme , alors ne crai-
>> gnez point de la tailler. N'épargnez ni
>> fon bois , ni ſon feuillage , elle ne
>> redoute plus le fer . >>
Toutes les expreſſions figurées , dit M.
l'Abbé de Lille , toutes les images hardies
FEVRIE R. 1770. 99
Sefont évanouies dans la traduction. Voici
la fienne .
Quand les premiers bourgeons s'empreſſeront d'éclore
,
Que l'acier rigoureux n'y touche point encore.
Même lorſque dans l'air qu'il commence àbraver,
Le rejeton moins frêle oſe enfin s'élever ,
Pardonne à fon audace en faveurde fon âge.
Dela main ſeulement éclaircis ſon feuillage;
Mais enfin quand tu vois ſes robuſtes rameaux ,
Par des noeuds redoublés, embraſſer les ormeaux ,
Alors ſaiſis le fer , alors ſans indulgence ,
De la ſéve égarée arrête la licence.
Borne des jets errans l'eſſor préſomptueux ,
Et des pampres touffus le luxe infructueux.
Certainement il ſeroit difficile de traduire
plus fidélement , &de faire de plus
beaux vers . La deſcription de la charrue
auroit étonné Boileau , & eût excité ſon
admiration .
De la charrue enfin deſſinons la ſtructure.
D'abord il faut choiſir , pour en former le corps ,
Un ormeau que l'on courbe avec de longs efforts .
Lejoug qui s'aſſervit ton robuſte attelage ,
Le manche qui conduit le champêtre équipage ,
Pour foulager ta main & le front de tes boeufs ,
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Du bois le plus léger ſeront formés tous deux .
Le fer , dont le tranchant dans la terre ſe plonge ,
S'enchaſſe entre deux coins d'où ſa pointe s'allonge.
Aux deux côtés du ſoc de larges orillons ,
En écartant la terre exhauſſent les fillons ;
Dehuit pieds en avant que le timon s'étende ,
Sur deux orbes roulans que ta main le ſuſpende ,
Et qu'enfin tout ce bois , éprouvé par les feux ,
Se durcifle à loiſir ſur ton foyer fumeux.
Le Traducteur a fait un bel uſage de
l'harmonie imitative , dans cette defcriptiond'unorage.
Tantôt un ſombre amas d'effroyables nuages
S'ouvre & foudain s'épanche en d'immenſes orages
;
Le ciel ſe fond en eaux , les grains font inondés ,
Les foſſés ſont remplis , les fleuves débordés ;
Les torrens bondiſſans précipitent leur onde ,
Et des mers en courroux le noir abîme gronde.
Dans cette nuit affreuſe , environné d'éclairs ,
Le Roi des dieux s'aſſied ſur le trône des airs .
La terre tremble au loin fous ſon maître qui
tonne ;
Les animaux ont fui , l'homme éperdu friffonne.
L'Univers ébranlé s'épouvante... Le dieu
De Rhodope ou d'Athos réduit la cime en feu.
FEVRIER. 1770. 1ΟΙ
L'air vomit tous ſes flots; tous les vents ſe confondent;
La terre au loin gémit& les bois lui répondent.
rend L'univers ébranlé s'épouvante
très-heureuſement la ſuſpenſion du vers
latin, per gentes humilis ftravit pavor. Le
premier livre finit par les prodiges qui
annoncèrent la mort de Céfar , & ce
morceau d'une beauté frappante dans le
latin , eſt à peu de choſe près très-bien
rendu en François. Le poëte s'adreſſe au
foleil.
Lorſque le grand Céſar eut terminé la vie,
Tu partageas le deuil de ma triſte patrie;
Tu refulas le jour à ce ſiécle pervers ;
Une éternelle nuit menaça l'Univers .
Quedis-je ? tout ſentoit notre douleur profonde ;
Tout annonçoit nos maux , le ciel , la terre &
1
l'onde ,
Les hurlemens des chiens & le cri des oiſeaux .
Combien de fois l'Etna , briſant ſes arſénaux
Parmi des rocs ardens , des lammes ondoyantes ,
Vomit en bouillonnant ſes entrailles brûlantes !
2
Des bataillons armés dans les airs ſe heurtoient ,
Sous leurs glaçons tremblans les Alpes s'agitoient.
Onvit errer la nuitdes ſpectres lamentables ;
1
E iij
1024 MERCURE DE FRANCE.
Desbois muets fortoient des voix épouvantables ;
L'airain même parutſenſible à nos malheurs .
Sur le marbre amoli l'on vit couler des pleurs .
La terre s'entr'ouvrit , les fleuves reculerent
&pour comble d'effroi les animaux parlerent .
Le ſuperbe Tridan , le ſouverain des eaux ,
Traîne & roule à grand bruit forêts , bergers ,
troupeaux ;
,
Le prêtre environné de victimes mourantes,
Obſerve , avec horreur , leurs fibres menaçantes :
L'onde , changée en ſang , roule des flots impurs ;
Des loups hurlans dans l'ombre épouvantent nos
murs.
Sans cefle l'éclair brille & le tonnerre gronde ,
Et-la cométe en feu vient effrayer le monde.
Il eſt bien vrai que ce vers vox quoque
per lucos vulgd exaudita filentes ingens ,
& fur- tout ce mot ingens , rejeté à l'autre
vers, étoient d'une grande difficulté à traduire
: mais le vers françois eſt défectueux
de pluſieurs manieres. Des bois
muets , n'eſt point du tout la même choſe
que le filence des bois. Une voix fort du
filence des bois , mais elle ne peut fortir
d'un bois muet , ſans faire une contradiction
apparente. Voix épouvantable eſt trop
vague. Il falloit un mor plus précis , plus
pittorefque , & d'ailleurs le vers manque
FEVRIER. 1770. 103
de céſure & de rithme. Le vers ſuivant a
le même défaut.
Nous citerons du ſecond livre un mor.
ceau fur le Printems dont on trouve une
traduction dans les OEuvres de M. L. F.
D. P. Les lecteurs aimeront à comparer
les deux traductions. Voici celle de l'auteur
de Didon .
C'eſt l'aimable printems dont l'heureuſe influence
Des corps inanimés échauffe la ſubſtance.
C'eſt alors que le Ciel répand tous ſes tréſors;
Ses eaux percent la terre , humectent ſes reſſorts ,
Et ranimant les fruits dont la ſéve eſt tarie ,
Pénétrent chaque germe & lui donnent la vie.
Les troupeaux dans les champs , les oiſeaux dans
lesbois ,
De l'instinct amoureux ſuivent les douces loix.
Des vapeurs du matin la plaine eſt arrofée .
Le zéphir ſur les fleurs agite la roſée .
L'horiſon brille aux yeux d'un feu pur & vermeil .
Le gaſon s'embellit des regards du ſoleil.
Sur ce riche coteau , la vigne renaiſſante
Promet à nos plaifirs une automne abondante ,
Et le pampre ne craint , pour ſes tendres bour
geons ,
Ni les torrens du ciel , ni les froids aquilons.
Je crois voir commencer le cours du premier âge.
De l'Univers naiſſant le printems eſt l'image.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
1
Il anima les cieux , & la terre & les flots ,
Quand l'Univers fortit des gouffres du chaos .
Les habitans de l'air & le peuple de l'onde
Reffentirent ſoudain ſa préſence féconde.
L'homme fut ébloui de ſon propre ſéjour ,
Et le jour qu'il naquit fut au moins un beaujour.
Voici maintenant celle de M. de Lille.
Le printems rend aux bois des ornemens nouveaux.
Alors la terre ouvrant ſes entrailles profondes ,
Demande de ſes fruits les ſemences fécondes .
Le dieu de l'air deſcend dans ſon ſein amoureux ,
Lui verſe ſes tréſors , lui darde tous ſes feux ,
Remplit ce vaſte corps de fon ame puiſſante ;
Le monde ſe ranime & la nature enfante.
L'amour, dans les forêts , réveille les oiſeaux ;
L'amour dans les vallons fait bondir les troupeaux.
Echauffés par zéphir , humectés par l'aurore ,
On voit germer les fruits, on voit les fleurs éclore,
La terre eſt plus riante & le ciel plus vermeil ;
Legaſon ne craint point les ardeurs du ſoleil ,
Et la vigne , des vents oſant braver l'outrage ,
Laifle échapper ſes fleurs & fortir ſon feuillage.
Sansdoute le printems vit naître l'Univers ,
Il vit le jeune oiſeau s'eſſayer dans les airs ,
Il ouvrit au ſoleil ſa brillante carriere ,
FEVRIER. 1770. 105
Et pour l'homme naiſſant épura la lumiere.
Les aquilons glacés & l'oeil ardent du jour
Reſpectoient la beauté de ſon nouveau ſéjour.
Le ſeul printems ſoûrit au monde à ſon aurore ;
Le printems tous les ans le rajeunit encore.
Il faut convenir que le premier morceau
eſt d'un verſificateur élégant , & que
l'autre eft d'un poëte. Cette grande& fublime
idée du mariage de la terre avec
les cieux n'eſt pas même indiquée dans
les vers de M. L. F. , & dans ceux de M.
de Lille elle eſt ſupérieurement rendue.
Il n'eſt pas poſſible que dans cette lutte
pénible& continuelle contre un homme
tel que Virgile , le traducteur françois ,
combattant avec des armes bien inégales,
n'ait quelquefois du déſavantage. En voici
quelques exemples que nous ne voulons
pas diffimuler.
Felix quipotuit rerum cognofcere caufas ,
Atque metus omnes & inexorabile fatum
Subjecit pedibus, ftrepitumque Acherontis avari
Heureux le ſage inſtruit des loix de l'Univers ,
Dont l'ame inébranlable affronte les revers ,
Qui regarde en pitié les fables du Tenare ,
Et s'endort au vain bruit de l'Acheron avare.
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
2
Cette verſion reſtreint l'étendue des
penſées de l'original & en affoiblit l'énergie.
L'ame inébranlable qui affronte les
revers eſt une phraſe vague & commune,
& ne rend point ce tableau du ſage qui a
mis fous fes pieds toutes les craintes , le
deftin inexorable & les menaces de l'avare
Acheron. S'endort au vain bruit de l'Achéron
eſt plutôt la peinture d'un épicurien
tranquille que celle du philofophe
actif & intrépide qui contemple tout ce
que les hommes craignent , & ne craint
point.
La peinture du cheval , dans le troifiéme
livre , mérite d'être remarquée dans
la foule des beautés qui y font répandues.
L'étalon généreux a le port plein d'audace ,
Sur ſes jarrets plians ſe balance avec grace ,
Aucun bruit ne l'émeut : le premier du troupeau
Il fend l'onde écumante , affronte un pont nouveau.
Il a le ventre court , l'encolure hardie ,
Une tête effilée , une croupe arrondie ;
On voit ſur ſon poitrail ſes muſcles ſegonfler,
Et ſes nerfs treflaillir,& ſes veines s'enfler.
Que du clairon bruyant le ſon guerrier l'éveille,
FEVRIER . 1770. 107
Je le vois s'agiter , trembler , dreſſer l'oreille ;
Son épine ſe double & fréinit ſur ſon dos ;
D'une épaiſſe criniere il fait bondir les flots ;
De ſes naſeaux brûlans il reſpire la guerre ,
Ses yeux roulent du feu , ſon pied creuſe laterre.
Il refpire la guerre eſt un hémiſtiche de
M. de Voltaire dans la Henriade ; mais
l'expreſſion originale appartient au livre
de Job , forbet & odoratur bellum. M. de
Lille le remarque dans ſes notes.
Nous terminerons cet extrait par le fameux
épiſode d'Orphée , dans le quatriéme
livre , l'un des beaux monumens
de l'ancienne poësie. C'eſt Protée le devin
qui parle au berger Ariſtée.
Tremble , un Dieu te pourſuit : pour venger ſes
douleurs ,
Orphée a ſur ta tête attiré ces malheurs ;
Mais il n'a pas au crime égalé le fupplice
Un jour , tu pourſuivois ſa fidéle Euridice.
Euridice fuyoit , hélas ! & ne vit pas
Un ſerpent que les fleurs recéloient ſous ſes pas.
Lamort ferma ſes yeux: les nymphes ſes compagnes
De leurs cris douloureux remplirent les monta
gnes.
Le Thrace belliqueux lui-même en ſoupira ;
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
Le Rhodope en gémit & l'Ebre en murmura.
Son époux s'enfonça dans un déſert ſauvage.
Là ſeul , touchant ſa lyre & charmant fon veuvage
,
Tendre épouſe , c'eſt toi qu'appeloit ſon amour ,
Toi , qu'il pleuroit la nuit , toi , qu'il pleuroit le
jour.
C'eſt peu: malgré l'horreur de ces profondes voûtes
,
Il franchit de l'enfer les formidables routes ,
Et perçant ces forêts où regne un morne effroi ,
Il aborda des morts l'impitoyable roi.
Afes chants, accouraient du fond des noirs royaumes
,
Des ſpectres pâliſſans , de livides fantômes,
Semblables aux eflains de ces oiſeaux nombreux
Quechaffe au fond des bois l'orage ténébreux;
Des vierges , des époux , des héros&des meres ,
Des enfans moiſlonnés dans les bras de leurs peres,
Victimes que le Styx bordé de noirs roſeaux ,
Environne neuffois de ſes lugubres eaux.
L'enfer même s'émût dans ſes cavernes ſombres;
Le Cerbere oublia d'épouvanter les ombres.
Surſa roue immobile Ixion refpira ,
Et ſenſible une fois Alectonfoupira.
Enfin , il revenoit des gouffres du Tenare ,
Poffefleur d'Euridice & vainqueur du Tartare
Sans, voir ſatendre amanteil précédoit ſes pas ;
Proferpine àce prix l'arrachoit au trépas.
FEVRIER. 1770. 109
Toutſecondoit leurs voeux , tout flattoit leur tendreffe
,
Lorſque ce foible, amant,dans un inſtant d'ivrefle,
Suivit imprudemment l'ardeur qui l'entraînoit ,
Biendigne de pardon ſi l'enfer pardonnoit.
Preſqu'aux portes du jour , troublé , hors de luimême
,
Il s'arrête , il ſe tourne , il revoit ce qu'il aime.
C'en est fait ; un coup d'oeil a détruit ſon bonheur :
Le barbare Pluron révoque ſa faveur ,
Et des enfers charmés de reſſaiſir leur proie ,
Trois fois le gouffre avare en retentit de joie.
Orphée ! ah ! cher époux ! quel tranſport malheu
reux ,
Dit- elle : ton amour nous a perdus tous deux.
Adieu , mes yeux déjà de nouveau s'obſcurciſſent.
Mes bras tendus vers toi déjà s'appeſantiſſent ,
Et la mort , déployant ſon ombre autour de moi ,
M'entraîne loin du jour , hélas ! & loinde toi.
Elle dit& foudain dans les airs s'évapore .
Orphée en vain l'appelle , en vain la ſuit encore.
Il n'embraſſe qu'une ombre , & l'horrible nocher
Deces bords déſormais lui défend d'approcher.
Alors deux fois privé d'une épouſe ſi chere ,
Oùporter ſa douleur ? ou traîner ſa miſére ?
Par quels fons , par quels pleurs , fléchir le Dieu
des morts ,
Déjà cette ombre froide arrive aux ſombres bords
Près du Strimonglacé , dans les antres deThrace,
110 MERCURE DE FRANCE.
Durant ſept mois entiers il pleura ſa diſgrace.
Sa voix adouciſſoit les tigres des déſerts ,
Et les chênes émus s'inclinoient dans les airs.
Telle ſur un rameau durant la nuit obſcure ,
Philomele plaintive attendrit la nature ,
Accuſe engémiſſant l'oiſeleur inhumain
Qui , gliſſant dans ſon nid une furtive main ,
Ravit ces tendres fruits que l'amour fit éclore
Et qu'un léger duvet ne couvroit pas encore.
Pour lui plus de plaiſirs , plus d'hymen , plus d'a
mour.
Seul , parmi les horreursd'un ſauvageſéjour
Dans ces noires forêts du ſoleil ignorées ,
Sur le ſommet déſert des monts Hyperborées,
Il pleuroit Euridice , & plein de ſes attraits ,
Reprochoit à Pluton ſes perfides bienfaits.
En vain mille beautés s'efforçoient de lui plaire.
Il dédaigna leurs feux ; & leur main ſanguinaire,
La nuit , à la faveur des myſteres ſacrés ,
Diſperſa dans les champs ſes membres déchirés .
L'Ebre roula ſa tête encor toute ſanglante.
Là, la langue glacée & ſa voix expirante ,
Juſqu'au dernier ſoupir formant unfoible ſon ,
D'Euridice en flottant murmuroit le doux nom.
Euridice ! ô douleur ! touchés de ſon ſupplice
Les échos répétoient Euridice , Euridice.
Il y a des choſes admirables dans cette
verſion. Cependant nous obſerverons
FEVRIER. 1770 . IIN
que quelques traits de l'original font affoiblis.
Il aborda des morts l'impitoyable
Roi ne paroît pas l'équivalent de manefque
adiit Regemque tremendum nefciaque
humanis precibus manfuefcere corda. Il
viſita les manes , leur Roi formidable &
ces divinités qui ne furentjamais attendries
par les prieres des humains. Le mot
d'impitoyable renferme , il est vrai , cette
idée; mais la reſſerrer ainſi dans un mot ,
c'eſt en diminuer l'intérêt. Alecton qui
Soupire eſt une image un peu froide , &
ces deux rimes reſpira &Soupira qui , par
elles- mêmes , ſont ſéches & désagréables,
le ſont d'autant plus ici qu'il falloit l'harmonie
la plus douce , & que de pareilles
rimes ſe trouvent vingt vers au - deſſus
dans le même morceau . On trouve ici
un peu de langueur dans le moment où
Orphée perd Euridice en la regardant.
Le traducteur est trop loin de la préciſion
du latin. Mais ces légeres taches font
bien excufables dans la traduction du
morceau le plus parfait peut - être que
l'antiquité nous ait laiſſé. Nous ne les
avons même relevées que parce qu'il eſt
aiſé de les faire diſparoître, ainſi que quelques
autres , dans une nouvelle édition
de cet excellent ouvrage qui doit faire
112 MERCURE DE FRANCE.
le plus grand honneur à fon auteur. Sa
verſification eſt mâle & ferme , riche &
variée , & en général du meilleur goût. II
eft fait pour conſoler les amateurs éclairés
, de ce déluge de vers barbares qui
tombent continuellementdans le gouffre
de l'oubli , & qu'une ligue d'écrivains
liés entr'eux par l'intérêt commun de
leur médiocrité voudroit faire admirer
malgré le public & le bon ſens , ce qui
rappelle toujours ce vers heureux de Boileau:
Un ſot trouve toujours un plus ſot qui l'admire.
Les géorgiques font imprimées avec le
plus grand foin. Eifen & Longueil ont
embelli cette édition de leurs talens réunis
qui , ttrop fouvent, ont été prodigués
pourde ſi mauvais ouvrages qu'il ſembloit
qu'on eût tout fait pour les curieux de
gravure , & rien pour les gens de lettres
&leshommesde goût.
Traité de la justice criminelle de France ,
où l'on traite de tout ce qui concerne
les crimes & les peines , tanten général
qu'en particulier ; des juges établis pour
la déciſion des affaires criminelles , des
parties publiques & privées , des mi
FEVRIER. 1770. 113
niſtres de la justice , des experts , des
témoins & des autres perſonnes nécefſaires
pour l'inſtruction des procès criminels
, ainſi que de la maniere de procéderdans
la pourſuite des crimes ; par
M. Jouſſe , conſeiller au préſidial d'Orléans
; à Paris , chez de Bure , pere ,
quai des Auguſtins , à Saint Paul , 3
volumes in-4°, propoſés par ſouſcription.
Pluſieurs auteurs en France ont écrit fur
les matieres criminelles ; mais leurs ouvrages
font bien éloignés de renfermer
toutes les connoiſſances néceſſaires à ceux
qui veulent s'appliquer à cette partie de
notre jurifprudence. On n'en avoit point
encore de traité complet ; M. Joufle l'a
entrepris ; il a réduit tout ce qui concerne
la juſtice criminelle , à ce qui concerne
les crimes & leurs peines , les accufés &
leurs complices , l'action criminelle en
général , les preuves & la maniere dont
les crimes peuvent être excuſés ; aux perſonnes
prépoſées pour la punition des
crimes & pour l'inſtruction des procès
criminels , aux jugemens & à leur exécution
, enfin , à la maniere, d'inſtruire &
de juger les procès criminels. Ces objets
diviſés en quatre parties , forment l'ou114
MERCURE DE FRANCE
vrage de M. Jouſſe ; la ſouſcription eſt
ouverte juſqu'au moisde Juillet prochain ;
l'ouvrage entier ſera délivré au mois de
Novembre ſuivant. On payera en foufcrivant
18 liv . & 15 liv. en recevant les
trois volumes en feuilles. Ceux qui n'auront
pas foufcrit payeront l'ouvrage 42 1.
en feuilles.
Le même libraire vient d'acquérir des
héritiers de M. l'abbé Roger Schabol le
Dictionnairepour lapratique dujardinage,
in- 8 ° , qu'on trouvera chez lui , au prix
de 3 liv. 12 fols relié; il a mis auffi ſous
preſſe la ſuite de cet ouvrage , fous le
titre : de la pratique du jardinage , in 8 ° ,
avec figures , qui paroîtra à Pâques prochain.
Le droit commun de la France, & la cou
tume de Paris , réduits en principes ,
tirés des loix , des ordonnances , des
arrêts , des jurifconfultes & des auteurs
, & mis dans l'ordre d'un commentaire
complet & méthodique fur
cette coutume : contenant , dans cet
ordre , les uſages du châtelet ſur les liquidations
, les comptes , les partages ,
les ſubſtitutions , les dixmes & toutes
autres matieres ; nouvelle édition , re
FEVRIER.
1770. 11S
vue , corrigée & conſidérablement augmentée
, par feu Me François Bourjon
, ancien avocat au Parlement ; à
Paris , chez Grangé , imprimeur- libraire
, pont Notre-Dame , près la
pompe , & Cellot , imprimeur- libraire
rue Dauphine , & à l'écu de France ,
grand'ſalle du palais.
Le mérite de cet ouvrage eſt généralement
reconnu ; ſa rareté , l'ordre & les
principes qu'il contient l'avoient fait porter
à un prix exceffif ; on doit ſçavoir gré
aux libraires qui le réimpriment ; cette
nouvelle édition contiendra une multitude
de corrections & de changemens
conſidérables , faits par M. Bourjon luimême
; les obſervations & les additions
qu'il y a jointes , l'augmentent de
plus d'un tiers. Comme depuis la mort
de ce ſçavant avocat , il a été rendu pluſieurs
arrêts intéreſſans & relatifs aux matieres
contenues dans ce livre , on a cru
devoir les y inférer ; on a eu recours aux
lumieres de pluſieurs jurifconfultes éclairés
, qui ont bien voulu joindre leurs réflexions
& leurs obſervations , aux difpoſitions
de ces arrêts ; ces morceaux particuliers
qui ne font point de la main de
M. Bourjon , font diſtingués par une mar116
MERCURE DE FRANCE.
que. Ce grand ouvrage , quoique confidérablement
augmenté , ne formera toujours
que deux volumes in-folio , qu'on
délivrera aux ſouſcripteurs pour 36 liv .
en feuilles , ceux qui n'auront pas foufcrit
les payeront 48 liv. La ſouſcription
eſt ouverte depuis le 1 Décembre ; elle
ſera fermée le 1 Avril prochain , que le
premier volume paroîtra ; on aura le ſecond
au i Juillet ſuivant. On payera en
ſouſcrivant 18 livres; 12 en recevant le
premier volume & 6 en retirant le ſecond.
La brochure en carton coûtera 24
fols par volumes .
Révolutions des Empires , Royaumes, Républiques
& autres Etats confidérables
du monde , depuis la création juſqu'à
nos jours , avec une légere defcription
des lieux , une idée ſuccinte du génie
, des moeurs , de la religion , des
coutumes , du commerce des différens
peuples de la terre ; une ſuite exacte
des ſouverains , & l'hiſtoire abrégée de
ceux qui ſe ſont le plus diftingués par
leurs vertus ou par leurs vices , ouvrage
orné d'un arbre chronologique
& fucceffif de ces différens états , propre
à en donner une connoiſſance claire
FEVRIER. 1770. 117
& fidéle , par M. Renaudot , Avocat ;
à Paris , chez Saillant , rue S. Jean de
Beauvais, & Brocas , rue S. Jacques ,
2 vol . in- 12 , d'environ 600 pag . chacun
, prix , 6 liv. broché.
Le titre de cet ouvrage en indique
l'objet; l'auteur s'eſt proposé de faire paf
fer ſous les yeux de ſes lecteurs tous les
peuples & tous les fiécles ; il offre d'abord
un arbre chronologique des diffé.
rens Empires qui ſe ſont établis fuccef.
fivement fur la terre ; cet arbre , très bien
fait , contient le tableau général des nations
, l'époque de leur origine & le nom
de leurs derniers Rois. M. Renaudot préfente
enfuite l'hiſtoire de chacune de ces
nations , d'une maniere très-préciſe ; il
ne conſerve que les faits principaux ,
écartant tous ceux qui font chimériques,ou
qui paroiffent les fruits de l'imagination ;
dans la foule des Rois , il choifit ſeulement
ceux dont les loix & les établiſſemens
ont été utiles à leur peuple , ou dont
les actions ont été telles , qu'elles tiennent
néceſſairement au corps entier de
l'hiſtoire. Il fait précéder ces détails d'une
courte deſcription du pays dont il parle ,
d'une légere connoiſſance des loix &des
coutumes du peuple qui l'habite ; il ne
118 MERCURE DE FRANCE .
perd pas l'occaſion de placer des réflexions
qu'il ſçait toujours rendre intéreſſantes
, inſtructives & philofophiques.
Son ouvrage peut être regardé comme un
livre claſſique ; mis entre les mains des
jeunes gens , il leur donnera une idée ſuperficielle
de l'hiſtoire générale , & du
goût pour une étude plus approfondie ;
il retracera aux perſonnes inſtruites des
faits qu'elles connoiſſent déjà , mais que
la maniere dont ils font traités leur fera
relire avec plaifir. Nous devons au même
auteur des annales hiſtoriques , dont nous
avons rendu compte dans le tems & dont
on trouve encore quelques exemplaires
chez les mêmes libraires .
Sophronie , ou leçon prétendue d'une mere
àfa fille , par Madame Benoiſt , ſeconde
édition ; à Londres , & fe trouve
à Paris , chez la veuve Regnard &
Demonville , imprimeur - libraires ,
grand'ſalle du palais & rue baffe des
Urins.
Nous avons rendu compte de cet ouvrage
de Madame Benoist lorſqu'il a paru
pour la premiere fois ; le ſuccès qu'il
a en juſtifie les éloges que nous lui avions
donnés ; la feconde édition que nous anFEVRIER.
1770. 119
nonçons ſera vraiſemblablement épuiſée
aufli promptement ; Madame Benoiſt a
voulu remettre ſous les yeux d'un ſexe ,
à qui l'on fait un crime de ſa foibleſſe ,
un tableau propre à lui inſpirer une ſage
défiance ; elle lui préſente une morale
auſſi importante que vraie , qui peut retenir
les femmes qui ſe laiſſeroient entraîner
à leur ruine par un penchant
déſordonné , lorſqu'elles eſpéreroient de
ſauver les apparences ; combien en eſt- il
qui n'ont perdu leur propre eſtime&celle
du public que pour avoir trop compté
fur les moyens adroits qu'elles ont mis
en uſage pour cacher leurs égaremens &
leurs paſſions. Ce conte intéreſſant leur
offre la meilleure leçon ,&celle qui peut
produire des effets plus utiles.
Le triomphe de la probité, comédie en deux
actes & en proſe , imitée de l'Avocat ,
comédie de Goldoni , par Madame Benoiſt
, ſeconde édition ; à Paris , chez
la veuve Regnard & Demonville , imprimeur-
libraires , grand'ſalle du palais
& rue baſſe des Urſins .
La piéce Italienne d'où cette comédie
eſt tirée , eſt une des plus intéreſſantes de
M. Goldoni ; il a mis l'honneur aux
120 MERCURE DE FRANCE.
priſes avec l'amour ; & en multipliant les
difficultés qui s'oppoſoient à ſon triomphe
par un grand nombre d'événemens
liés adroitement les uns aux autres , par
une intrigue également ingénieuſe &
compliquée , il a donné plus d'éclat à la
victoire de l'honneur. Quel que foit l'intérêt
dont cette piéce ſoit remplie , il
étoit difficile de l'approprier au théâtre
François , ſans y faire des changemens
conſidérables ; il falloit d'abord la -fimplifier&
facrifier un grand nombre de fituations
qu'on ne perd pas fans regret.
Madame Benoiſt n'a conſervé que le fond
de la comédie Italienne , qu'elle a arrangé
d'une maniere différente ; on peut confulter
le précis que nous avons donné de
fon ouvrage dans le tems qu'il a paru ; la
rapidité avec laquelle l'édition a été épuiſée,
dit plus en ſa faveur que tous nos
éloges ; nous nous contentons d'annoncer
cette ſeconde édition , que liront avec
plaiſir ceux même qui connoiſſent l'Avocato
veneziano .
Traité historique des plantes qui croiſſent
dans la Lorraine & les trois Evêchés ,
contenant leur deſcription, leur figure ,
ſuivant l'endroit où elles croiffent ,
leur
FEVRIER. 1770. 121
:
leur culture , leur analyſe & leurs propriétés
, tant pour la médecine que pour
les arts & métiers , par M. P. J. Buchoz
, médecin de feu ſa majesté le
roi de Pologne , membre du collége
royal de Nanci . A Paris , chez Fetil ,
rue des Cordeliers , près celle de la comédie
Françoiſe , au Parnaffe Italien ,
in- 12 , tome X. premiere & ſeconde
partie.
Ce volume termine le traité de M. Buchoz;
il fait connoître les ſix dernieres familles
des plantes altérantes , qu'il décrit
avec ſoin& dont il indique les vertus&
la culture. Cet ouvrage intéreſſant , égale
ment utile aux médecins & aux artiſtes ,
fait honneur aux connoiſſances de M.
Buchoz ; il en eſt peu dont l'objet ſoit
plus utile & plus étendu ; il feroit à fouhaiter
qu'on en eût de pareils pour les
plantes des différentes provinces de la
France ; les étrangers ne tarderoient pas
fans doute à nous imiter , & en peu de
tems on auroit une deſcription exacte &
préciſe de toutes les plantes de l'Europe.
Les planches , au nombre de deux cens ,
qui accompagnent ce traité , font gravées
avec ſoin & d'après des deſſins fidéles
de chaque plante ; le libraire qui vient de
F
MERCURE DE FRANCE.
:
faire l'acquifition de l'ouvrage entier,
continuera à le livrer au public pour le
prix de 30 livres en feuilles , de 31 liv .
10 fols broché , & 38 liv . 15 ſols relié
juſqu'au mois de Juillet prochain , pallé
lequel tems , chaque exemplaire coûtera
40 liv. en feuilles; il aura ſoin de fournir
de belles épreuves des planches à ceux
qui voudront bien s'adreſſer à lui pour ſe
procurer ce traité intéreſſant,
Traité de la communauté , auquel on a
joint un traité de la puiſſance du mari
fur la perſonne & les biens de la femme
, par l'auteur du traité des obligations
. A Paris , chez de Bure , pere ,
quai des Auguſtins , à l'image S. Paul ,
: &à Orléans , chez la veuve Rouzeau-
Montaut , imprimeur du Roi , de l'Evêché
& de l'Univerſité , 2 volumes
in- 12.
L'auteur de cet ouvrage commence par
traiter du mariage même & de la puifſance
qu'il donne au mari , ſur la perfonne
& les biens de ſa femme ; c'eſt une
eſpéce d'introduction préliminaire aux
principales conventions qui accompagnent
ordinairement le mariage , & qui
forment l'objet du traité de la commu
FEVRIER. 1770. 123
nauté. L'auteur parle d'abord des perfonnes
entre leſquelles la communauté peut
être contractée , du tems où elle commence
& des chofes dont elle eſt compoſée
tant en actif qu'en paſſif. Il traite enſuite
ſucceſſivement du droit des conjoints
fur les biens de la communauté , de la
diffolution de cette même communauté ,
de l'acceptation qu'en font la femme ou
les héritiers , de leur renonciation , de la
liquidation &du partage qui font à faire
après cette diffolution, comment le mari,
la femme & leurs héritiers ſont alors tenus
des dettes de la communauté , &
enfin de la continuation de cette même
communauté ; ces détails rempliffent les
fix parties qui forment la diviſion de l'auteur;
nous ne nous arrêterons pas fur cet
ouvrage qui mérite d'être lu , mais qui eſt
peu fufceptible d'extrait; les avocats doivent
l'étudier , & les perſonnes d'un autre
état qui voudront s'inſtruire fur cette
partie de notre jurisprudence, y trouveront
des connoiſſances&beaucoup d'ordre&
de clarté.
Satyres de Juvenal , traduites par M. Du
faulx , ancien Commiſſaire de la gendarmerie
, de l'académie royale des
ſciences &belles lettres de Nancy , &c ,
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
ر
A Paris , chez M. Lambert , rue des
Cordeliers ; Delalain , rue de laComédie
Françoiſe , & Lacombe , rue Chrifſtine.
Nous avons rendu compte du diſcours
que M. Duſaulx a mis à la tête de cette
traduction ; on a vu la maniere dont il a
apprécié les fatyres & le génie de Juvenal
; il nous reſte à faire connoître comment
il a rendu les idées énergiques de
ce poëte ſévère qui, dans fon enthouſiafme
fublime pour la vertu , tonne contre
les vices & les défordres de fon fiécle .
Nous citerons ; c'eſt le plus grand éloge
que nous puiffions faire.
La premiere fatyre fert de prologue
aux quinze autres ; le projet de Juvenal
eſt auſſi vaſte que philofophique. « De-
>> puis que la barque de Deucalion fut
>> foulevée par les eaux du déluge jul-
» qu'au ſommet du Parnaſſe , que ce fils
>> de Promethée conſulta l'oracle de Thé-
>> mis , que des cailloux amollis reçurent
>>par degrés la chaleur du ſentiment, que
>>Pyrrha fit éclørre des filles toutes nues
>> aux yeux des mâles ſurpris: colere, vo-
>>lupté , joie , chagrins , projets , intri-
>>gues , tout ce qui meut les humains
>>fera la matiere de mon livre. Quand
FEVRIE R. 1770. 125
>> le torrent da vice fut ilplus rapide ? Le
>>igouffre de l'avarice plus profond ? La
>> manie des jeux de hafard plus effrenée?
>> Non content aujourd'hui de porter fa
>> bourte au lieu de la féance , le joueur
>> y fait traîner fon coffre fort ; c'eſt là
» qu'à chaque coup , vous verriez naître
>>les plus funeftes débats. Perdre cent
>>mille ſuſterces , & ne pas vêtir un ef-
>> clave tranſi de froid , n'eſt-ce que de la
ود fureur. ,
Le poëte attaque l'hypocriſie dans 2º fatyre;
il y apeude morceaux plusénergiques
dans le latin & mieux rendus en françois ;
il faut lire le texte & le comparer avec la
verfion pour ſe perfuader que M. Duſaulx
n'a fait que traduire ; il eſt toujours auffi
près de fon auteur qu'il eſt poſſible de
l'être; & fon ſtyle conſerve cependant
cette élégance & cette liberté bien rares
quand il s'agit d'exprimer les idées d'autrui.
Nous ne nous arrêterons pas fur toures
les fatyres; cela nous entraîneroit trop
loin; nous nous bornerons à rapporter
quelques morceaux que nous prendrons
au hafard; le foin avec lequel tour eſt travaillé
, nous évite les embarras du choix .
La fatyre qui a pour objet les embarras de
Rome convient à beaucup d'égards à toutes
ces capitales immenfes où regnent le
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
luxe, l'intrigue & la molleſſe. Elle a fourni
à Deſpréaux l'idée de celle dans laquelle
il décrit les embarras de Paris ;
mais qu'il eſt loinde la maniere forte &
philofophique de Juvenal. « Codrus
>> avoit un grabat plus court que fa petite
>>épouſe ; fix vaſes meſquins décoroient
>> fon buffet , an - deflous duquel on
>> voyoit une aiguiere& la ſtatue couchée
>> du centaure Chiron; de plus un vieux
>> coffre délabré contenoit despoëſies grec-
» ques que des rats ignorans rongeoient
>> fans égard à leur fublimité. Codrus n'a-
>> voit rien , la choſe eſt évidente ; ce-
>> pendant la flamme le lui ravit ce rien
>>qu'il poffédoit. Pour comble de détreſſe
>> ayant faim , étant nud , ce malheureux
>> n'obtiendra de perſonne un aſyle & du
>>pain; mais ſi le feu prend au palais
>> d'Arturius , les Dames Romaines font
>> éclater leur déſeſpoir , la Nobleſſe eſt
>> en deuil , & le Prêteur interrompt ſes
» audiences. C'eſt alors que l'on gémit
>>du malheur de la ville , & que le feu
>> paroît un élément terrible. Le palais
>> brûle encore , & déjà l'on accourt de
>> toutes parts ; l'un veut fournir le mar-
>> bre , l'autre faire relever à ſes frais le
>> bâtiment; celui - ci promet les ſtatues
>> les plus rares & les mieux conſervées ,
FÉVRIER. 1770. 127
» celui-là de ſuperbes morceaux de Po
>> lyclete & d'Euphranor.... parce que
> cet Arturius eſt le plus opulent de tous
> ceux qui n'ont point d'héritiers , il
>> trouve dans cette catastrophe plus de
>> richeſſes qu'il n'en perdit ; de forte
» qu'on pourroit , à juſte titre , le ſoup-
>> çonner d'avoir embraſé ſa maiſon . >>
Tout lemonde connoît la ſatyre contre
les femmes; ce projet peu réfléchi de décrier
la plus belle moitié du genre humain
paroîtra peu philoſophique ; mais il faut
convenir qu'ici l'exécution en eſt ſupérieure
; on ne fauroit montrer plus d'imagination
, plus de génie , & malheureuſement
écrire plus de triſtes vérités ,
cette fatyre offroit des tableaux extrêmement
libres & difficiles à rendre en françois
. Si le latin dansſes mots brave l'honnéteté,
notre langue eſt plus délicate; M.
Duſaulx a mis beaucoup d'art &de ſoin
dans la traduction de cette fatyre , il a
rendu de la maniere la plus décente les
peintures peut - être trop libres de Juvenal
, & il ne leur a rien fait perdre de leur
énergie ; il a montré qu'entre les mains
d'une ame forte , ſenſible , éclairée par la
philofophie & par le goût , la langue fait
prendre toutes fortes de formes ; qu'on
1
Fiv
28 MERCURE DE FRANCE.
la rend délicare ſans l'énerver , & que fi
ellen'acquiert pas toujours,&elle ne perd
jamaisrien.
La huitieme fatyre ne vieillira point
tant qu'il y aura des nobles ſur la terre ;
Juvenal leur enſeigne à ſe glorifier de
leu's vertus plutôt que de leurs ayeux.
Dans la ſuivante , il arrache d'un homme
perdu de débauches , l'aveu de ſes turpitudes
les plus ſecrettes; il le force à gémir
fur le raffé , à craindre l'avenir ; & lui
donne des conſeils , auxquels l'infortuné.
répond :
Utile confilium modò , fed commune , dediſti :
Nunc mihi quidfuades poft damnum temporis &
Spes
Deceptas ? Festinat enim decurrere velox
Floſculus angusta , miſeræque breviſſima vitæ
Portio ; dum bibimus , dum ferta , unguenta ,
puellas
Pafcimus , obrepit non intellecta ſenectus.
« L'avis eſt bon , mais il est trop va-
>> gue : que faire maintenant après tant
ود de beaux jours , tant d'eſpérances vai-
>> nes ? telles qu'une fleur paſſagere , la
>> vie ſi courte & fi fragile précipite fon
FEVRIER. 1770. 129
>> cours : tandis que nous vivens dans les
ود délices & dans l'ivreſſe , la vieilleſſe
>> ſe gliffe & nous faifit à l'improviſte . >>
Cela nous rappelle une réflexion profonde
de M. Duſaulx dans une de ſes notes
fur le difcours préliminaire : « L'expé-
>>rience arrive preſque toujours trop tard;
>>elle eſt plus ſouvent le châtiment des
>> paſſions qu'elle n'en eſt le remède. »
C'eſt ce que Juvenal auroit pu répondre .
Nous nous bornerons à ces morceaux ;
ils fuffifent pour donner une idée de la
traduction de M. Duſaulx ; ſi elle n'étoit
pas auſſi fidèle qu'elle nous le paroît , il
deviendroit le rival de ſon auteur ; il a
placé des notes très - ſavantes & très- cu--
rieuſes à la fin de chaque fatyre ; elles
annoncent un profond littérateur & un
philoſophe ; nous le prévenons cependant
qu'il n'obtiendra tous les fuffrages qu'il
mérite, qu'avec le tems. On eſt d'accord
fur la beauté de ſon diſcours préliminai.
re ; on a ſenti vivement la nobleſſe & la
fimplicité de ſon épître dédicatoire ; elle
eſt un hommage à l'amitié ; elle fait l'éloge
de celui qui l'a écrite &de l'honnête
homme qui l'a inſpirée. Al'égard de la
traduction , plus elle paroîtra facile &
originale , plus lés lecteurs tâcheront de
Fv
30 MERCURE DE FRANCE.
prouver leur ſagacité par des remarques
critiques ; un auteur , tel que Juvenal ,
leur fournira de quoi s'exercer ; nous
nous arrêterons à une obſervation que
nous avons entendu faire ſur un vers de
la premiere ſatyre.
Qui dedit ergo tribus patruis aconita , vehetur
Penfilibus plumis , atque illinc deſpiciet nos.
Quum veniet contra , digito compeſce labellum,
Accufator erit qui verbum dixerit, hic eft.
On a cru trouver un contreſens dans la
traduction du derniers vers. " Quoi cet
>> empoisonneur qui fit périr trois de ſes
>> oncles , fera dans ſa litiere , mollement
>> aſſis ſur le duvet, d'où le monſtre laif-
->> ſera tomber ſur moi ſes regards mépri-
>> fans ? S'il vient à ta rencontre , preffe
>> du doigt res lévres impatientes ; le dé-
>> lateur , aux aguets , n'attend que ces pa-
» roles , le voici , pour accuſer quiconque
>> les aura prononcées. Le premier fens
qui ſe préſente n'eſt peut - être pas celui
que M. Duſaulx a ſaiſi ; il s'en eſt écarté
pour ſuivre les meilleures gloſes & les
plus habiles commentateurs ; la maniere
dont il explique ce vers eſt , ſans contredit
, plus ſatyrique , &a plus de mouve
FEVRIER. 1770. 131
ment que l'autre ſens. Les critiques
pourront s'attacher encore à quelques
morceaux ; mais s'ils réfléchiffent que le
traducteur n'a point dû ſe décider ſans
motifs & fans autorités , qu'il a eu ſous
les yeux une foule d'hiſtoriens & de commentateurs,
& que pendant plus de douze
ans il s'eſt appliqué à les concilier ou à
les combattre , ils ne jugeront point fur
de ſimples apparences , & quand ils découvriroient
quelques erreurs , ils reſpec
teront un travail qui prouve beaucoup de
zèle , de conſtance & de talent.
L'Homme conduit par la raison , avec
cette épigraphe :
Elle eſt du genre humain le tréſor le plus beau;
On ne craint point d'écueil en ſuivant ſon flam
beau.
D ***
A Paris , chez Pillot , libraire , rue St
Jacques , à la Providence , un volume
in- 12 .
Le but de cet ouvrage ne ſauroit être
plus intéreſſant ; l'auteur ſe propoſe de
former les moeurs ; il rappelle ſans cefle
l'homme àla raiſon , qui eſt la ſeule di-
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
:
rectrice de nos bonnes actions,& qui nous
met continuellement ſous les yeux le tableau
de nos devoirs envers Dieu & envers
les hommes. Il'offre plufieurs réflexions
folides & morales , placées ſous
différens titres ; elles ſont accompagnées
quelquefois de citations de pluſieurs écri
vains célèbres ; c'eſt ainſi , par exemple ,
qu'après avoir parlé de la volupté , de ſes
dangers & de ſes effets , il rappelle ces .
beaux vers de M. Thomas , qui contiennent
une obſervation très- vraie & facile
à retenir par la maniere dont elle eſt exprimée.
Vois ces ſpectres dorés s'avancer à pas lents ,
Traîner d'un corps uſé les reſtes chancelans ,
Et ſur un front jauni , qu'a ridé la molleſſe ,
Etaler à trente ans leur précoce vieilleſſe :
C'eſt la main du plaiſir qui creuſe leur tombeau ,
Et bienfaiteur du monde , il devient leur bourreau:
Il y a beaucoup de citations pareilles
dans cet ouvrage ; elles le rendent plus
intéreſſant & plus utile ; elles le font lire
avec plaiſir ; la jeuneſſe ſur-tout en tirera
de grands avantages , & il n'eſt aucun âge
où l'on ne puiſſe le lire avec fruit.
i
FEVRIER. 1770. 133
Précis de la Médecine pratique , contenant
l'histoire des maladies & la maniere de
les traiter , avec des obſervations & des
remarques critiques ſur les points les
plus intéreſſans ; par M. Lieutaud, médecin
de Mgr le Dauphin & des Enfans
de France , de l'académie royale
des ſciences & de la ſociété royale de
Londres. Troifiéme édition , revue &
augmentée par l'auteur. A Paris , chez
Vincent , imprimeur - libraire , rue St
Severin , 2 vol . in 8°.
Cet ouvrage eſt déjà connu ; c'eſt une
eſpéce d'extrait du précis de médecine
que le même auteur a publié en latin ; il
reparoît aujourd'hui avec des corrections
&des augmentations conſidérables ; il y
eſt traité ſucceſſivement des maladies internes
, des externes & de celles des femmes&
des enfans; le traitement termine
tous les articles des maladies différentes
dont on donne la deſcription. Le nom de
M. Lieutaud , qu'on trouve à la tête de
cet ouvrage en annonce le mérite ; on
connoît l'étendue de ſes recherches , la
profondeur & l'exactitude de ſes obfervations
; l'art de guérir doit beaucoup à
ſes travaux , & les médecins , feuls en état
134 MERCURE DE FRANCE.
de les apprécier , les eſtiment & en profi
tentavec reconnoiſſance.
,
Synopsis univerſæ praxeos medicinæ , &c.
Précis de toute la médecine pratique ,
diviſé en deux parties , dont la premiere
préſente le tableau de chaque
maladie ; & la ſeconde , la matiere médicale
, enrichie de commentaires
avec un traité ſur les alimens ; nouvelle
édition , revue , corrigée , augmentée &
travaillée avec beaucoup plus de ſoin
que les précédentes, tant françoiſes que
latines ; par M. Lieutaud , de l'académie
royale des ſciences , de la ſociété
royale de Londres , & médecin de Mgr
le Dauphin &des Enfans de France.A
Paris , chez Didot le jeune , quai des
Auguſtins ; 2 vol . in - 4°. Prix 24 liv.
relié.
Il a toujours paru très-difficile de préfenter
un tableau exact & précis des connoiſſances
acquiſes ſur l'étude & l'exercice
de la médecine ; l'art de guérir eſt ſi
étendu , & exige tant de détails que prefque
tous ceuxqui ont eſſayé d'en eſquiffer
les principes , ont échoué dans leur
entrepriſe. Il étoit réſervé à M. Lieutaud
d'éviter les écueils qui ont mis obſtacle
FEVRIER. 1770. 135
aux ſuccès de ceux qui l'ont précédé dans
cette carriere ; la promptitude avec laquelle
les éditions de cet ouvrage ſe ſont
épuiſées , en annonce le mérite & l'utilité.
Celle que nous annonçons contient un
grand nombre d'augmentations qui la
rendent très - ſupérieures à toutes celles
qu'on en a déjà données .
Instructionsfuccintesfur les accouchemens ,
en faveur des Sages- Femmes des Provin .
ces; faires par ordre du Miniſtère , par
M. Raulin , Docteur en Médecine ,
Confeiller Médecin ordinaire du Roi ,
Cenfeur Royal , de la Société Royale
de Londres , des Académies des Belles-
Lettres , Sciences & Arts de Bordeaux ,
de Rouen , & de celle des Arcades de
Rome. A Paris , chez Vincent , Imprimeur-
Libraire , rue Saint Séverin .
in 12 .
Une des cauſes les plus allarmantes
du dépériſſement de l'eſpèce humaine eſt
l'inſuffiſance des ſages-femmes de province
dans l'art des accouchemens ; des
expériences malheureuſes apprennent tous
les jours que leur ignorance fait périr en
même tems la mere & l'enfant ; ſouvent
elles mutilent l'un & l'autre au point
136 MERCURE DE FRANCE.
qu'il deviennent languiſſans & font enſuite
à charge à la Société & à euxmêmes
.
Le gouvernement attentif à détruire
tout ce qui peut mettre obſtacle à la population
, & à remédier aux abus qu'il eſt
impoſſible de prévenir , a chargé M.
Raulin de publier des inſtructions fur les
accouchemens & fur leurs différences ; il
a raſſemblé dans un très petit volume
tout ce que les ſages- femmes doivent favoir
; il étoit difficile de réunir plus de
connoiſſances importantes & néceſſaires
dans un auſſi petit nombre de pages . Elles
doivent le lire & le méditer fans ceſſe ,
& les Seigneurs de village , les dames de
paroiſſe , les Curés & les Magiſtrats ,
ne fauroient trop leur en recommander la
lecture.
Confidérationsfur les Cauſes Physiques &
Morales de la diverfité du génie , des
moeurs & du gouvernement des Nations;
tirées en partie d'un ouvrage anonyme,
Par M. L. Caſtilhon , avec cette épigra,
phe :
Magnis tamen excidit aufis.
à Bouillon , aux dépens de la Société
Typographique , & ſe trouve à Paris ,
FEVRIER. 1776 137
chez Lacombe Libraire , rue Chriſtine,
in-8°.
M. Caſtilhon avoit fait des recherches
particulieres , ſur les inſtitutions , les
moeurs , les religions & les inclinations
humaines ; elles l'avoient conduit à
eſſayer de démêler les cauſes phyſiques &
morales de leur diverſité ; il s'étoit contentéde
ramaſſer ſes obſervations & de les
approfondir , ſans ſonger à en former un
ouvrage , lorſque le hazard a fait tomber
entre ſes mains, un livre publié en Hollande
, il y a environ vingt ans , & peu
connu en France ; il eſt intitulé : l'Esprit
des Nations . L'Auteur y avoit ſemé des
vues philofophiques , mais elles étoient
préſentées dans un ſtyle obfcur & barbare;
M.Caſtilhon a cru ne pouvoir mieux faire
que de bâtir fur le plan de cet ouvrage ,
en confervant les réflexions qui lui ont
paru mériter d'être conſervées ; quelquefois
il préſente des obſervations de l'Auteur
anonyme qu'il urit avec les ſiennes ,
&dont il tire des conféquences tout à fait
oppoſées ; auſſi eſt- il rarement d'accord
avec cet écrivain ; » mais quelque diffé.
>> rence qu'il y ait entre nos obſervations
» & nos opinions , j'aime à déclaret ici ce
» qu'il m'eût été facile de cacher , c'eſt à38
MERCURE DE FRANCE.
>> dire que ſans lui jamais je n'aurois eu le
>> courage de publier bien des conſidéra-
>>tions nouvelles qu'on lira dans ce volu-
» me. "
M. Caſtilhon trouve dans le climat la
cauſe fondamentale du génie des Nations;
àcette cauſe il enjointd'autres qui lui font
fubordonnées , telles que la qualité du
fang , celle des eaux , des végétaux , & la
nature des alimens. Les caufes morales
ſont celles qui ſans donner aux hommes
plus d'eſprit qu'ils n'en ont , leur donnent
les moyens de perfectionner leur génie;
ces moyens ne font autre choſe que l'inftitution
, qui doit être regardée à l'égard
d'une nation comme l'éducation à l'égard
des particuliers. L'Auteur parcourt les
inſtitutions de tous les peuples anciens &
modernes.Chez toutes les Nations de l'an .
tiquité , à l'exception des Athéniens , le
corps étoit l'unique objet de l'éducation ;
on ne fongeoit pas à l'eſprit ; les jeux publics
, les combats ſouvent homicides de
tant de différentes eſpèces d'Athletes , les
honneurs inouis rendus aux vainqueurs ,
montrent affez la préférence qu'on donnoitaux
exercicesdu corps ſur la culture
desſciences & des arts . Cette éducation
>>>étoit utile , elle étoit excellente , & fans
>> contredit la meilleure que l'on pût
FEVRIE R. 1770. 139
donner dans un tems où la force ſeule
>>> enchaînoit la victoire . Aujourd'hui que
>> nous nous conduiſons par des principes
>>>différens ; aujourd'hui que des inven-
➡tions , le feu de l'artillerie & l'art des
>> fortifications ont rendu les hommes
>> plus ſpectateurs qu'acteurs dansles com-
>> bats , c'eſt à la ſcience incontestable-
• ment que nous donnons la préférence ;
>> nous avons ingénieuſement ſoumis le
>> corps à l'eſprit, & il faut croire que nous
> avons bien fait. Ala vérité nous nous en
>> portons un peu plus mal , nous ſommes
>>>foibles , délicats , énervés & preſque
>> ſans vigueur; mais enfin nous ſommes
>> Sçavans , nous cultivons les arts , nous
>> jouiffons& nous ſommes heureux puif-
> que nous croyons l'être. >>
L'Auteur préſente des détails agréables
&fatisfaifans fur l'éducation des peuples
modernes , & fur- tout des François . Il en
fait ſentir avec préciſion les avantages&les
défavantages; cela le conduit à traiter des
différentes formes de Gouvernement établies
de tout tems , & à comparer les gouvernemens
anciens avec les modernes , &
ces derniers les uns avec les autres . »
>> ne connois que quatre cauſes auxquelles
> on puiſſeattribuer tout ce qui a été exé-
>>cuté de plus grand dans l'univers : & ces
Je
140 MERCURE DE FRANCE.
>> quatre principes font la ſageſſe , ou fi
>> l'on veut la contrainte Egyptienne &des
> anciennes monarchies, l'impoſante célé
>> brité des Romains , laliberté des Grecs
» & l'honneur des Européens; c'eſt-à dire,
>> la valeur des Européens ,la ſageſſe des
>> Lég flateurs de la plus haute antiquité,
>> la févère & ſouvent la farouche vertu
>> des Romains , & l'enthousiaſine ingé
>> nieux des Grecs . »
M. Caftithon parle enſuite des reli
gions ; la plupart des anciens cultes que
leshommes rendoientà la Divinité , prou
vent leur goût pour le merveilleux & pour
les fables. On oppoſe l'auguſte ſimplicité
de la religion chrétienne à la confufion
des myſtères du paganiſme. Cette partie
de l'ouvrage eſt très curieuse pour les
détails qu'elle offre. A la Chine , dit
>> l'Auteur, il eſt permis aux Bonzes d'outrerl'austéritéjuſqu'au
plushaut degréd'ex-
>> travagance & de folie; mais il leur eſt
> ſévérement défendu d'être intrigans
>> ou ufurpateurs. Chaque pays a fes loix ,
>>& celles des Chinois fur cet article pa-
>> roiffent affez ſages. Ileſt très-ordinaire
>> de rencontrer dans cet empire des Bon-
>> zes horriblement défigurés , exténués &
>> traînant dans les rues des chaînes &
>> des poids énormes ; il eſt très- ordinaire
FEVRIER . 1770 . 141
>> d'en voir d'autres s'élancer contre les
>> mursdes maiſons, s'y frapper rudement
» la tête , s'enfanglanter , & donner con-
>> tre eux-mêmes les marques du délire le
>> plus complet. On leur permet encore
>> toutes les fingularités qu'ils ſuppoſent
>>>pouvoir intéreſſer la populace à leur
>> imbécille exiſtence ; ils peuvent même
>> prêcher publiquement , mais non pas or-
>> donner l'abſtinence, conſeiller,mais non
>> pas preſcrire de ne jamais boire de vin ,
>> de ne tuer aucune créature vivante ,
>> utile ou malfaiſante. Mais un Bonze
>> qui feroit ſurpris en adultère , femant
>> des diffenfions , ou s'emparant du bien
>> d'autrui , feroit auſſi - tôt livré à la
>> rigueur des loix , qui le condamne-
>>roient inévitablement à périr dans les
>> fupplices. " A Pekin les Bonzes font
obligés de ſe conformer au langage de la
cour , lors même qu'ils parlent de la religion
, & de ſe ſervir des expreſſions de
matiere , de portion de matiere , & de premiere
ame du monde . Une loi de cet empire,
qui oblige tous ceux qui l'habitent ,
eſt que toutes les ſectes doivent rendre
hommage à lareligion du fouverain .
e
M. Caftilhon termine fon ouvrage par
traiter du génie des nations relativement
142 MERCURE DE FRANCE.
aux arts ; cette partie eſt très - curieuſe ;
on aime à parcourir la terre pour y fuivre
les progrès des ſciences & des arts ; l'Orient
a été leur berceau ; mais l'Europe les
a perfectionnés. « C'eſt ſur-tout exclufi-
>> vement dans la littérature françoiſe que
» le ne quid nimis d'Horace eſt obſervé
>> avec toute l'intelligence qu'exige cette
>> regle peu connue des Anglois , qui ſe
>> livrent ſans réſerve au feu de leur gé-
>> nie , ne ſachant point modérer l'impé-
>> tuoſité du torrent qui les entraîne ; dif-
» fus dans leurs raiſonnemens , recher-
>> chés & quelquefois embarraſſes dans
→ leur méthode , on ne fait , & peut- être
>> ne ſavent - ils pas eux - mêmes où &
>> quand ils doivent s'arrêter. La colere
>>portée juſqu'à l'effervefcence du délire,
» & la terreur pouſſée juſqu'à l'horreur ,
>> font les deux grands & les deux ſeuls
» appuis du théâtre britannique ; Melpo-
>> mene y rugit de fureur ou s'y avilità
>> force de barbarie ; elle ignore les bien-
>> ſéances , le progrès naturel de l'action ,
» &les paffions tendres ; elle n'eſt point
>> fiere , elle eſt effrayante ; elle n'eſt point
» ſévere , elle eſt féroce. »
Il feroit trop long de ſuivre M. Caftilhon
dans tous ſes détails , &de ſuivre
FEVRIER. 1770. 143
le fil qui les lie les uns aux autres & à fon .
plan général : il traite ſucceſſivement des
arts , des ſciences & des lettres ; il fait
voir comment leur culture & leurs progrès
varient chez les différentes nations ;
ſes obſervations & ſes réflexions à ce ſujet
font des conféquences nettes & précifes
de celles qu'il a préſentées dans les deux
premiers livres de ſon ouvrage ; il y en a
peude plus intéreſfans , de plus curieux ,
de plus inſtructifs; il eft rempli de recherches
profondes , de vues neuves & philofophiques
.
ACADΕΜΙΕ .
BORDEAUX .
L'ACADÉMIE des ſciences , belles- lettres
& arts de Bordeaux tint ſa ſéance publique
le 8 du mois dernier. M. Dupaty ,
avocat - général au parlement , dont les
talens &les connoiſſances lui ont mérité
de bonne heure des distinctions rares ,
celle fur-tout d'être admis à l'âge de 19
ans à l'académie de la Rochelle , ouvrit
la féance en qualité de directeur ; il annonça
un poëme de ſa compoſition &
144 MERCURE DE FRANGE.
prépara l'académie à en entendre la lecture
, par quelques réflexions philoſophiques
préſentées avec beaucoup d'éloquence&
d'intérêt .
"Nous ne sommes plus , je penſe,dans
>> le tems où un magiſtrat auroit dû s'ex-
>> cufer d'avoir fait des vers. Ce préjugé
> d'une pédanterie ſcolaſtique , qui affi-
» gnoit à chaque profeſſion , un role &
» une pantomime particuliere , s'eſt éva-
>> noui devant la philoſophie de ce fié-
>> cle. On peut aujourd'hui être utile ſans
» être barbare . Je fais qu'autrefois un
» imbécille méchant , pour prouver qu'un
>> magiſtrat ignoroit ou négligeoit fon
>>métier , auroit pu dire , il fait des vers,
» & cet imbécille méchant auroit prou-
» vé ; on connoît mieux aujourd'hui l'a-
>> nalogie & la parenté ſecrette qui regne
>> entre les ralens , les vérités & les pro-
>> feflions . C'eſt la foibleſſe qui , pour
>>juſtifier l'orgueil , a diſtingué les genres
» & limité les devoirs .
>>D'ailleurs , ſi j'avois mérité de me
>> juſtifier par de grands exemples , je ci-
>> terois le P. Bouhier qui commenta la
>> coûtume de Bourgogne & traduifit Ca-
>>tulle. Je citerois Monteuſqieu qui ,
>> d'une main , écraſoit l'hydre de la ty-
>>rannie
FEVRIER . 1770. 145
rannie , de l'autre peignoit les trois gra-
>> ces , mais comme Socrates les avoit
→ ſculptées , étantjeune , dans la citadelle
» d'Athènes , vêtues & décentes , c'eſt-
.. à- dire les trois graces. Je citerois le
> Chancelier de l'Hôpital , ce Chancelier
» qui aima la justice & la patrie , fans in-
>> trigues à la Cour de Médicis , tolérant
> ſous le ministère du Cardinalde Lorrai-
>> ne , qui eût mérité de ſervir Henri IV
> avec Sully , & qui eût pour roi Charles
>> IX , ſçut vivre & refter honnête homme
>> dans ces tems- là , l'Hôpital après avoir
manié les reſſorts'embarraſfés du gou-
> vernement , contenu les Guiſes & le
>> fanatisme , venoit ſe délaſſer avec les
» muſes , & adoucir par leur commerce
>> l'horreur de ce ſiècle de fer.
2
>> La poësie n'eſt point étrangère aux
>> vues de la légiflation : il auroit été fa-
>> cile à un Légiflateur depolicer les hom-
>> mes qu'il auroit trouvés attendris en
>> filence autour d'Orphée. Des moeurs
>> douces diſpoſent les peuples à porter le
>>joug ſacré des loix. On peut même
>> comparer l'empire des moeurs à l'empire
>>de ces coutumes particulieres , qui fans
>> avoir la ſanction légale , en ont la force.
» Lesbeaux arts,en faiſant ſentir aux hom
>>mes le prix de leur exiſtence par les
G
146 MERCURE DE FRANCE.
>> plaiſirs dont ils l'embelliffent , les invi-
>> tent à reſpecter celle de leurs fembla-
>> bles . S'aimer véritablement , c'eſt aimer
>>les autres. Les plaiſirs & les loix ont le
>> même but , c'eſt de nous mener au bon-
>> heur. Il n'eſt pas interdit à ce qui eſt
>> agréable , d'être utile auſſi . C'eſt alors
>>le fruit qui ſe cache ſous la fleur. »
M. Dupaty fit enſuite la lecture de fon
ouvrage ; c'eſt l'imitation d'une élégie
Angloiſe ſur les cimetieres de campagne
: il n'a fait que s'approprier l'ordonnance
& la diſtribution du poëme
Anglois ; il a rempli tous les cadres d'une
maniere neuve & infiniment plus intéreffante
que ſon modèle. C'eſt une fuite
de tableaux énergiques , variés avec beaucoup
d'art & de goût , où la philofophie
revêtue des plus fortes images de la
poëfie , & prenant fouvent le coloris des
graces , préſente des vérités & des leçons
importantes aux hommes. Nous ne citerons
aucun morceau de cet excellent
poëme ; nos lecteurs préféreront de le voir
tout entier , &nous nous flatrons de pouvoir
le leur offrir dans le prochain mercure.
M. Dupaty de Claim , reçu nouvellement
à l'Académie , prononça fon difcours
de réception ; ce diſcours qui doit
FEVRIER. 1770. 147
ſervir de préface à un ſecond ouvrage fur
l'équitation , dans lequel il traite des rapports
de l'équitation avec l'anatomie , la
phyſique & la méchanique , justifia parfaitement
le choix de l'académie ; il lut
enfuite quelques chapitres de cet ouvrage
où regnent une théorie ſavante &une
chaîne de combinaiſons aufli ingénieuſes
que profondes . M. Dupaty , avocat - général
& directeur , répondit à ce difcours .
C'eſt la premiere fois peut- être que deux
freres ſe ſont trouvés dans une circonftance
fi flatteuſe; cette nouveauté intéreſſante
pour l'hiſtoire littéraire , & digne
d'être confervée dans les faſtes de l'académie
, avoit attiré un concours prodigieuxde
perſonnes de la premiere diſtinction
; on applaudit au ſentiment& à l'éloquence
que M. Dupaty mit dans ſa réponſe
; nos lecteurs nous fauront gré de
leur en mettre quelques morceaux ſous
les yeux ; nous regrettons de ne pouvoir
pas la leur donner toute entiere.
MONSIEUR ,
>>>L'académie vous donne aujourd'hui
>>une marque finguliere de fatisfaction ,
>> en permettant à l'amitié d'en être l'i--
>> terprête; elle vous donne une marque
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
» finguliere d'eſtime en ne craignant pas
» que ma voix puiſſe vous faire tort. Ah !
>> mon frere , qu'il me foit permis de me
>> livrer à la joie ſi douce de placer moi.
>> même , ſur votre front , le laurier qui
» lui eſt dû. Si c'eſt un plaifir inexprima-
>> ble de louer & de récompenfer le mé-
>> rite dans ſon ſemblable , que doit- ce
> être de le louer & de le récompenfer
>> dans un frere ? Qui connoît mieux que
>> moi tous vos talens & cette modeſtie
» qui vous les cache , en les découvrant
>> aux autres. Vous avez veillé pour la
>> patrie dans un âge où l'on ne veille guè ,
>> res que pour le plaiſir. Je ſerre avec
tranſport ce noeud littéraire que nous
>>ajoutonsà tantd'autres ; je nepuis m'em-
> pêcher de réfléchir ſur le ſpectacle que
>> nous donnons dans ce moment au mon.
>> de littéraire : il eſt auſſi intéreſſant qu'il
>> eſt bizarre . C'eſt le frere qui ouvre à
>> fon frere les portes de l'académie , &
>> c'eſt moi , Monfieur , qui vous les ou
» vre.
» Je m'arrête ... L'amitié me fait in-
>> ſenſiblement changer de rôle. L'acadé-
>> mie pourroit m'accuſer d'ufurper &de
>> m'approprier le témoignage de ſa ſatiſ-
>> faction ; je ferois peu- à - peu , comme
ces hommes qui , chargés de gouverner
FEVRIER. 1770. 149
» la patrie pour la patrie même , finiſſent
>> par la gouverner pour leur compte . »
>> L'Académie n'avoit pas besoin pout
>>ſa juſtification du Diſcours qu'elle vient
>>d'entendre ; vous aviez réuni tous les
>>ſuffrages , par un ouvrage nouveau pour
>>votre âge, pour votre art , & pour le pu-
>>blic;ouvrage conſacré &par le bien qu'en
>>a dit la critique , & par le mal qu'en a
>>dit la jaloufie. Vous avez dû avoir pour
"ennemis tous les maîtres & tous les an-
>>ciens. Vous avez affligé la cupidité des
>>uns,en dévoilant cette charlatanerie myf.
>>térieuſe parlaquelle ils font valoir leur art
>>&> fur-touteux- mêmes.Vousavez humi-
>>lié l'amour propre des autres , en rédui
"ſant à rien toute leur expérience& toute
>>leur pratique ; vous avez appris , par une
>>ſeule réflexion , ce que l'étude de toute
>>leur vie n'a pu leur apprendre . Ceux qui
>>ne font parvenus à une connoiffance
>>que par une route longue , tortueuſe &
>>ſemée d'épines , voyent éclore avec cha-
>>grin une méthode nouvelle , qui ouvre
>>une route plus courte &plus applanie . On
>>voudroit être vengépar la peine des au-
>>tres, de celle qu'on a été obligé de prendre
>>foi-même , on est même tout près de
>>prendre cette peine- là pour un mérite.
>>La jeuneſſe eſt la ſaiſon des grandes
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
>>entrepriſes & des découvertes, peut être
>>parce qu'il faut être irrité par les obſta-
>>cles,pour chercher à les furmonter ; que
>>l'inexpérience eſt néceſſaire au courage ;
»ou peut être parce qu'à un certain âge ,
>>on apprécie enfin l'importance des con-
>>noiffances en elle même,& leur influen-
>>ce ſur la ſociété ; qu'à mesure que la
>>vie s'échappe , on fonge davantage à s'en
>>occuper , & que le coeur en ſe glaçant
>>pour les plaiſirs , ſe glace auffi pour la
>>vérité.
>>Vous aurez la gloire , Monfieur , d'a-
>>v>oir foumis les principes de l'équitation
>>aux loix générales du mouvement ; c'eſt
>>une grande& magnifique idée d'affujet.
>>tir au calcul les mouvemens qu'opèrent
>>les corps organiſés ; mouvement qui a
>>toujours paru plus libre , plus indépen-
>>dant que celui qui s'opère dans la matie-
>> re brute. Peut- être même, Monfieur , cet
>>>inſtinct que vous regardez comme une
>>qualité perfonnelle à chaque animal
>>n'eſt- il le produit que d'actions imper-
>>ceptibles de la part des corps , & fuf-
>>ceptibles d'être calculées ſi on les con-
>>noiffoit mieux. Tout ce qui est dans la
>>>nature a vie , & cette vie n'eſt autre
>>choſe que du mouvement; ainſi la na-
,
FEVRIER. 1770.151
:
>
>>ture entiere ne vit que par un mouve-
>>ment général & univerſel dans chaque
>>molécule qui la compoſe ; & peut- être
>>que ſi le moindre grain de la matiere
>>brute , qui nous paroît la plus inerte
>>ceſſoitde vivre , c'est-à-dire, de ſe mou-
>>voir , ces grands corps qui ſe promènent
>>depuistant de ſiècles , furdes lignes indi-
>> viſibles & preſcrites , s'arrêteroient tout
»à coup , la nature ceſſeroit tout travail;
>>les générations qui s'avancent , fufpen-
>>droient leur marche , & l'univers actuel
>>fe repoſeroit, toujours uniforme & tou-
>>jours ſemblable , &c , &c. «
A la ſuite de ce diſcours , M. Dupaty
en lut un autre ſur l'incertitude des connoiſſances
humaines La féance fut terminée
par le compte que M. de la Roque
renditde ſes obfervations fur le paſſage de
Vénus.
:
:
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLE S.
OPÉRA.
La rigueur de la ſaiſon ayant ralenti les
travaux , on a été obligé de retarder l'ouverture
de la nouvelle Salle de l'Opéra ,
qui continue toujours, en attendant , les
repréſentations de Dardanus , & celles des
fragmens , compoſés de la Provençale ,
Anacreon & Pfiché. Mile Desforges a
débuté dans le premier de ces actes par le
rôle de Florine , avec un accueil favorable
qu'elle a mérité par une intelligence
de la ſcene , très-rare dans une actrice
qui n'a nulle habitude du théâtre ; ſa voix
eſt moins forte qu'agréable , mais le travail
la rendra ſans doute plus étendue ,
ce qu'il eſt aiſé de connoître par la Aexibilité
de ſes ſons & la facilité de ſa cadence.
COMÉDIE FRANÇOISE .
LE Samedi 13 Janvier , les Comédiens
François ont donné la premiere repréſen
FEVRIER. 1770. 153
tation des deux Amis , Drame en cinq
actes & en proſe , de M. de Beaumarchais .
Nous allons donner une idée ſuccinte de
cette piéce.
M. Orelli , Négociant de Lyon , d'une
réputation intacte , & honoré tout récemment
de lettres de nobleſſe , compre fur
treize cens mille livres d'effets , qu'il a
mis entre les mains de M. de Préfort ,
Banquier de Paris , afin de les échanger
en argent. Il eſt à la veille du jour des
payemens. Les ſiens ſe montent à fix cens
mille livres . Son caiffier , M. Dabins ,
reçoit une lettre de Paris , qui lui apprend
que M. de Préfort eſt mort fubitement ,
qu'on a mis le ſcellé ſur ſes papiers ,
&que par conféquent les effets de M.
Orelli ne peuvent pas lui rentrer avant
un certain tems. Cependant il faut abfolument
payer le lendemain fix cent
mille livres ou établir une faillite ; M.
Dabins va trouver M. de Mélac , receveur
général des Finances , ancien ami
de M. Orelli , logé avec lui , & qui
lui doit ſa place& fa fortune. M. de Mélac
a cinq cens mille francs dans ſa caiffe,
& centmiile à lui ; il les donne à Dabins
pour fauver ſon ami & lui ordonne le
ſecret; il n'imagine pas qu'on lui deman-
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
de ſes comptes , avant que M. Orelli ait
pu le rembourfer. Mais à peine l'argent
a-t-il paffé de la caiſſe de M. de Mélac
dans celle de M. Orelli , que S. Alban
Fermier Général entournée , chargé de recueillir
les deniers à l'expiration d'unbail,
vient exiger les comptes de M. de Mélac
&lui demander les deniers de fa caiffe .
M.de Mélac eſt forcé d'avouer l'impuiffance
où il eſt de les repréſenter. Il implore
un délai que S. Alban ne peut accorder.
M. Orelli ne peut concevoir que fon
ami ait pu détourner l'argent du Roi. Il
lui demande l'explication de ce procédé .
M. de Mélac ne fauroit ſe réfoudre à lui
apprendre ce qu'il a fait pour lui . Il fouffre
les reproches & même les ſoupçons
injurieux de ſon ami, qu'il fauve,& ſe tait.
Cependant M. Orelli a chez lui une
fille qui paſſe pour ſa niece , & qui eſt le
fruit d'un mariage qui n'a point été avoué .
Ila amaffé cent mille écus? pour lui faire
un fort après ſon décès. Elle aime le fils
de M. de Mélac & en eſt aimée. Elle
conjure M. Orelli de venir au ſecours de
M.de Mélac. M.Orelli lui répond qu'il n'a
plus entre les mains de M. de Préfort que
cent mille écus , qui font un dépôt ſacré ,
¢mille francs en billets. Illui apprend
FEVRIE R. 1770. 155
quel eſt le fort de l'infortunée à qui cet
argent appartient , & finit par lui avouer
que c'eſt elle. Elle n'hésite pas à preffer
M. Orelli de donner cet argent. Celui- ci
va l'offrir à S. Alban , & exige de lui qu'il
garde le filence ſur l'infidélité de M. de
Mélac. St Alban en revanche lui demande
une grace , & M. Orelli dans l'enthouſiaſme
de la reconnoiffance s'engage à
l'accorder . S. Alban demande la main de
la jeune Pauline , niéce prétendue de M.
Orelli. Pauline apprend cette demande
& ſe charge d'y répondre . Elle a auparavant
une converſation avec ſon amant
à qui elle révele le ſecret de ſa naiſſance
& le facrifice qu'elle fait pour M. de
Mélac. Le jeune de Mélac l'en aime davantage.
Elle fait les mêmes confidences à
S. Alban . M. Orelli lui apporte un man
dat fur M. de Préfort. S. Alban lui répond
qu'il eſt mort. M. Orelli étonné
fait venir M. Dabins , fon caiffier , qui
dénoue la pièce , en avouant ce que M.
deMélac a fait. Dès ce moment tout eft
réparé. S. Alban touché de tant de vertu,
ſe charge de la dette de M. de Mélac , &
Pauline & fon amant font unis enſemble.
Il y a de l'intérêt & des ſituations atta
Gvj
136 MERCURE DE FRANCE.
chantes dans cet ouvrage , & quelques
détails heureux. On peut lui reprocher
trop de complication dans les refforts ,
dont le jeu n'eſt ni aſſez clair ni affez
fondé.
COMÉDIE ITALIENNE.
LEE Mardi 9 de ce mois ,, onadonné fur
le Théâtre Italien , un canevas en cinq
actes , intitulé les Arbres enchantés .
Le Capitaine Celio ordonne à fon
valet Arlequin , d'aller faire du bois dans
la forêt ; auſſi - tôt que celui-ci lève ſa
coignée pour frapper le premier arbre
qui ſe trouve ſous ſa main , une voix ſe
fait entendre , & lui dit de couper une
branche à laquelle le charme eſt attaché ;
Arlequin exécute cet ordre , l'arbre ſe
change en une fontaine,& il en fort un enchanteur
que le grand Zoroastre y avoit
enfermé , & qui par reconnoiſſance pour
Arlequin lui donne ſa baguette & fon
pouvoir. Arlequin éprouve une grande
foif , mais l'enchanteur qui connoît le
danger qu'Arlequin courroit à la fatisfaire
, change la fontaine en un fourneau
ardent , au milieu duquel Arlequin voit
FEVRIER. 1770. 157
bouillir une marmitte qui contient des
macarons ; à cette vue la faim le preſſe ,
mais auſſi tôt qu'il s'approche de la chaudiere
elle ſe change en un affreux géant.
Le premier uſage qu'Arlequin fait de fa
baguette , eſt comme de raifon , pour faire
venir ſa maîtreſſe Argentine ; elle paroîr,
mais tandis qu'ils s'entretiennent enfemble
, le pourvoyeur de la maiſon qui en
eſt auſſiamoureux , la ſurprend & la menace
d'aller en informer Angélique; Arlequin
qui connoît le pouvoir de ſa baguette
, ſe moque de lui , & transforme
le panier de gibier qu'il conduiſoit, en un
énorme dragon qui s'envole .
Tandis que Célio s'oublie aux pieds de
ſa maîtreſſe , la bataille ſe donne , & il
apprend la nouvelle de la défaite des
ennemis ; le ſentiment de l'honneur le
réduit au déſeſpoir d'avoir manqué à fon
devoir ; mais Arlequin d'un coup de baguette
le tranſporte avec lui au milieu du
camp , où il prétend que ſon maître étoit
àfon poſte& a fait des prodiges de valeur;
Celio ne veut point augmenter ſa honte
par cette impoſture ; il s'avoue coupable ,
&eft traduit devant le Tribunal comme
fuyard , & comme raviſſeur de la fille du
Docteur qui eſt diſparue ; mais Arlequin
158 MERCURE DE FRANCE.
,
le tire encore de ce péril , il change le
Tribunal en moulin à vent , & les quatre
Juges courent les uns après les autres au
milieu des airs attachés aux quatre aîles
de ce moulin. Le fidele Arlequin dont le
zèle redouble à meſure qu'il rend des
ſervices à ſon maître , ſe déguiſe auſſi en
Pantalon & en Docteur , pour témoigner
en ſa faveur ; les archers le poursuivent ,
il ſe cache dans un fac en refort
auſli-tôt habillé en femme , ce qui les
déconcerte au point qu'ils s'en vont ſans
l'arrêter . Enfin la fille du Docteur ſe retrouve;
Celio eſt juſtifié de toutes façons
& obtient la main d'Angélique ; mais
Arlequin eſt condamné à paſſer le reſte
de ſa vie dans une tour qu'il change en
une montagne , d'où deſcend une troupe
de ſauvages &d'Amazones , qui le défendent
contre les ſoldats qui veulent l'arrêter
, ils les terraſſent , & après les avoir
vaincus , ils terminent la piéce par un
ballet agréable.
Ce cannevas qui attire par ſa variété
beaucoup plus de ſpectateurs que les
piéces Italiennes n'ont coutume d'en
avoir , fut apporté en France par Sachi ,
Arlequin Italien qui débuta dans le
mois de Mai 1767 ; il a été retouché par
,
FEVRIER . 1770. 159
le célèbre Goldoni , qui l'a rendu auſli
vraiſemblable que peut l'être une piéce à
machines ; celles qui en font le ſuccès
font très- ingénieuſes &de l'invention de
M. Veroneſe , ſeul chargé de cette partie,
mal- à - propos attribuée à M. de Heſſe ,
dans le calendrier intitulé: état des ſpectacles.
Madame Roſembert a débuté fur ce
Théâtre le Mercredi 17 Janvier , par le
rôle de Jacinte dans le Peintre amoureux ,
& de Gertrude dans Mazer. Elle continuera
fon début dans les rôles de Duégnes .
Une voix claire , ſonore & étendue ,
une prononciation nette & diſtincte ,
beaucoup d'art dans le chant & de fineffe
dans le jeu , tout annonce en elle un
ſujet d'une grande distinction , & les
applaudiſſemens redoublés du public
confirment cet heureux préſage. Si quelque
choſe peut ſervir encore à le juſtifier,
c'eſt que Madame Roſembert eſt annoncée
comme une élève de M. Duni , a qui
le Théâtre Italien eſt déjà redevable de
pluſieurs talens , qu'il a formés. Ceux de
M. Duni , lui- même , ſont d'une ſupériorité
reconnue dès long- tems , par ceux
qui aiment que dans la muſique , ainfi
que dans tous les beaux arts , on produife
160 MERCURE DE FRANCE .
de grands effets avec des moyens ſimples,
qu'on imite la nature ſans la charger , &
que la profondeur des combinaiſons harmoniques
ne nuiſe pas à la mélodie &
aux graces du chant.
ARTS.
GRAVURE.
I.
Portrait en petit& en forme de médaillon
deMgr Louis Auguſte Dauphin de
France , né à Versailles le 23 Août
1754 , deſſiné & gravé par Ch. Etienne
Gaucher. A Paris , chez l'auteur , rue
St Jacques , maiſon des Dames de la
Viſitation . Prix , 3 liv .
Ce portrait d'un Prince cher àla nation
honore les talens du Sr Gaucher. La gra .
vure en eſt ſoignée & finie . L'artiſte a
fait hommage de ſon travail à Madame
Adelaïde de France.
On peut ſe procurer chez le même artiſte
le portrait auſſi en médaillon de Ch .
Secondat , baron de Montesquieu. Ce
FEVRIER. 1770. 161
portrait a été deſſiné & gravé fidèlement
fur la médaille de Daſſier , par G. Ph .
Benoits. Daſſier étoit venu exprès de Londres
pour frapper la médaille de l'auteur
de l'Esprit des loix. Sa modeſtie s'y refufoit.
" Croyez vous , lui dit un jour l'ar-
>> tiſte Anglois , qu'il n'y ait pas autant
>>d'orgueil à refuſer ma propoſition qu'à
» l'accepter. » Défarmé par cette plaifanterie
, Monteſquieu laiſſa faire à Daffier
tout ce qu'il voulut.
I I.
Tableau contenant les principaux pavillons
qui s'arborent ſur les vaiſſeaux ,
dans les quatre parties du monde ; par
le Sr Wandick. AParis , chez l'auteur,
à l'hôtel St François , rue Pavée St André
des Arts , & chez Croiſey , marchand
d'eſtampes & de géographie ,
quai des Auguſtins , à la Minerve . Prix
4liv.
Cetableau utile des principaux pavil
lons offre auſſi l'image d'un vaiſſeau avec
l'explication de ſa mature. L'auteur a preſenté
fon ouvrage à Sa Majeſté , qui a bien
voulu lui faire la grace de l'accepter .
162 MERCURE DE FRANCE.
4
III.
La Pêche à la ligne & la Péche au filet ,
deux eſtampes en pendant , d'environ
12 pouces de large , ſur 10 de haut.
prix 15 fols chacune . A Paris , chez la
veuve Duchefne , Marchande d'eſtampes
, au bas de la rue S. Jacques au
Coq.
Ces deux eſtampes ont été gravées d'après
les compoſitions de M. Vernet , par
le ſieur Deq , qui a cherché à rendre
l'eſprit du deſſin qu'il copioit.
On distribue à la même adreſſe , deux
études en hauteur d'après Wischer. Elles
repréſentent des figures &des animaux ,
de la compoſition de Berghem. Prix 8 f.
chaque étude.
IV.
Collection de Planches , repréſentant les
plantes uſuelles d'aprèsnature , avec le
port , la forme &les couleurs qui leur
font propres , gravées d'une maniere
nouvelle par M. Regnault , de l'Académie
de Peinture & de Sculpture. A
Paris , chez l'Auteur , rue Croix des
FEVRIER. 1770. 163
Petits Champs , au magafin des chapeaux
des troupes du Roi , Deffain-
Junior libraire , Quai des Augustins ,
Delalain libraire , rue de la Comédie
Françoife , & Lacombe libraire , rue
Chriſtine , près la rue Dauphine .
Nous avons déjà annoncé cette importante
Collection de plantes , qui ſe continue
avec le plus grand ſuccès. Les Médecins ,
les Naturaliſtes & ceux qui ne cultivent
les arts que par goût , avoueront fans peine
que l'on ne pourroit , par le moyen de
l'impreſſion , rendre avec plus de vérité &
d'exactitude les différentes fortes deplantes
uſuelles . M. Regnault imite juſqu'aux
nuances des couleurs que donne la nature,
& eſt parvenu par ce moyen à nous faire
douter ſi cen'eſt pas la plante elle-même,
qui eſt fixée ſur le papier .Des notices intéreffantes,
jointes à chaque planche , mettent
actuellement la Botanique à la portée
de tout le monde. La Collection entiere
formera un herbier peu diſpendieux ,
très- facile à conferver & que l'on confultera
toujours avec fruit. On vient de
distribuer l'orvale ou toute- bonne , la
ſaponaire , la belladone, l'origan ſauvage,
la roquette fauvage , &c .
164 MERCURE DE FRANCE.
:
MUSIQUE.
Acis & Galathée , cantate à l'italienne
parodiće ſur la Chacone de M. Berthon ;
prix 6 liv . avec les accompagnemens , &
3 liv. ſéparément. A Paris , aux adreſſes
ordinaires de muſique. Les vers de ce
morceau de muſique parodié & bien connu,
font d'un amateur qui poſſéde le dou.
ble talent de la muſique & de la poësie .
Six Sonates à deux deſſus pour les
hautbois , flutes traverſieres , cu violons
fans baffes , d'une exécution facile & à la
portée de tous les amateurs ; Prix 3 liv.
12fols.
Plus un premier recueil de chanfons
avec accompagnement de guitarre , & une
tablature de cetinſtrument, dédié à Mile
Trudaine de Montigny ; par M. Van-
Hecke , ordinaire de l'académie royale de
muſique . A Paris , chez l'auteur , rue de
la vieille Draperie , chez M. Felize , no .
taire , vis à- vis St Pierre des Arcis ;& aux
adreffes ordinaires.
FEVRIER. 1770. 165
Six Quatuor pour flûte & violon , ou
deux violons , alto & balle , compoſés par
François Jofeph Goflec d'Anvers , op . 14.
prix 9 liv . A Paris , au bureau d'abonnement
muſical, cour de l'ancien grand cerf,
rue St Denis & des Deux Portes St Sau
veur , & aux adreſſes ordinaites ,
L
Second Recueil de différens airs , à grande
ſimphonie , compoſés & ajoutés dans
pluſieurs Operas , & exécutés au Concert
Spirituel. Par M. le Berton , Di
recteur de l'Académie Royale de mu
ſique. A Paris , chez de la Chevardiere,
rue du Roule , à la croix d'or , & aux
adreſſes ordinaires de muſique. prix 6
liv.
Le nom de M. le Berton placé à la
tête de ce recueil, doit donner toute confiance
ſur les morceaux qu'il contient. Ce
virtuoſe a eu ſoin d'en faciliter l'exécution
auxAmateurs.Ces ſimphonies cependant
quoique très- propres à être exécutées
dans des Concerts particuliers , font le
meilleur effet dans les grands orcheſtres
de Spectacles , & autres.
:
166 MERCURE DE FRANCE.
Six Sonates en duo pour mandoline &
violon , dédiées à M. de Fontanieu , compoſées
par Burkoffer , op . v. & premier
livre de petits airs avec accompagnement
de harpe & pluſieurs petites pièces & menuets
, dédiées à M. de Savary ; par le même
op . VI . Prix 6 liv . A Paris , aux adreffes
cideſſus.
*Premiere & deuxième ariettes avec accompagnement
de clavecin , harpe , violon&
baffe ; par M. de St Amans. Prix
2 liv. 8 fols chacune. A Paris , chez l'auteur
, rue du Chantre , maifon du café
militaire & aux adreſſes ordinaires . Ces
ariettes peuvent s'exécuter avec le clavecin
feul ou la harpe ; les autres parties
font ad libitum .
A
Six Trio pour deux flûtes ou hautbois
de L. Hoffmann , maître de muſique de
la chambre , chez l'Empereur ; prix 6 liv.
AParis, chez Huberty , rue des deux Ecus ,
au pigeon blanc.
Six Trio pour deux violons & baffe ;
1
FEVRIER. 1770. 167
- par M. Zappa , oeuvre 111 ; prix 6 liv . chez
le même.
Sei Sinfonie à più ſtromenti , compoſte
dal Signor Gaetano , Pugnani virtuoſo
di camera e primo violino ala corte di
Torino . Opera IX. prix 12 livres . A
Paris , chez Venier , éditeur de pluſieurs
ouvrages de muſique , rue Saint
Thomas du Louvre , vis - à- vis le château
d'eau , & aux adreſſes ordinaires .
Les quartetti & les quintetti de ce vira
tuoſe , ſe diſtribuent chez le même éditeur.
Cérémonies barbares de l'Isle de Baly.
EN 1633 , des Officiers Hollandois furent
envoyés de Batavia au Roi de l'iſle
de Baly , voiſine de celle de Java , & trèspeu
fréquentée des Européens. Voici la
relation que ces officiers firent à leur général
des pratiques qu'ils virent à la mort
de la reine mere . Ce recit donne une
idée exacte , mais horrible, del'ignorance
&de la ſuperſtition cruelle de ces barbares
infulaires. :
-
168 MERCURE DE FRANCE .
« Les Baliens tirerent d'abord le cada
» vre de la maiſon , par un grand trou
>> fait exprès à la muraille , du côté droit
>>de la porte , dans la ridicule opinion de
>> tromper le diable , que ces infulaires
>> croyent aux aguets ſur le paſſage ordi-
>> naire. Les femmes eſclaves , deſtinées
» à tenir compagnie au mort , précedent,
>> felon leur rang ; les moins diftinguées ,
>> les premieres , chacune foutenue d'une
» vieille femme par derriere , & portée
» dans un badi fort artiſtement compofé
» de bambous , & orné de fleurs de tou-
>> tes parts. On met devant elles un co-
» chon de lait rôti , du riz , du betel , &
ود d'autres fruits pour en faire offrande à
>> la Divinité ; & ces malheureuſes victi-
» mes de la plus horrible idolatrie font
» ainſi menées en grand triomphe au fon
» de divers inſtrumens , à l'endroit où
>> elles doivent être poignardées & brûlées
>> enſuite.
>>Chacune y trouve ſon échaffaud parti-
» culier à - peu près de la forme d'un au-
» ge , élevé fur quatre poteaux courts , &
>> bordé de planches des deux côtés . Après
» leur en avoir fait faire trois fois le tour
>>à meſure qu'elles arrivent , toujours af-
> ſiſes dans leur badi , on les en tire im-
» médiatement
FEVRIER. 1770. 169
>> médiatement l'une après l'autre , pour
>> les mettre dans ces auges. Aufli - tốt
>> cinq hommes & une ou deux femmes
» s'en approchent , leur ôtent toutes les
>> fleurs dont elles ſont parées , tandis que
>> portant à diverſes repriſes leurs mains
>>jointes au-deſſus de leur tête , elles
>> élèvent les pièces de l'offrande , dont
» les autres femmes , poſtées derriere ,
>> s'emparent de même , & qu'elles jettent
>> par terre , ainſique les fleurs. Quelques-
>> unes lâchent enſuite un pigeon , ou un
>>poulet , pour marquer par-là que leur
>> ame eſt ſur le point de s'envoler vers le
>> ſéjour des bienheureux.
>> A ce dernier ſignal , on les dépouille
>> de leurs habits juſqu'à la ceinture , &
« les quatre hommes ſaiſiſſant la victime ,
» deux par les bras , qu'elle tient éten-
>>dus , deux par les pieds ſur lefquels
> elle reſte debout , le cinquième ſe pré.
>> pare à l'exécution ,&le tout ſe fait fan's
» qu'on leur bande les yeux. Les plus cou-
>> rageuſes demandent quelquefois le
>>poignard , qu'elles reçoivent de la main
>>droite , le paſſent dans la gauche , &
>> l'ayant baiſe reſpectueuſement s'en pi-
» quent le bras droit, ſucent le ſang qui
>> découle de la plaie , s'en rougiffent les
H
1
170 MERCURE DE FRANCE.
» lévres , & en impriment une goute fur
» le front du bout du doigt qu'elles ont
» mouillé dans la bouche ; après quoi ,
>> rendant le poignard à leur meurtrier ,
>>Elles reçoivent au côté droit un pre-
» mier coup entre les fauſſes côtes , & un
» ſecond du même côté , ſous l'omoplate;
>>le poignardeſt enfoncéjuſqu'au manche;
>>de biais , la pointe vers le coeur , & dès
>>queles frayeursde la mort commencent
>> àſe peindre ſur leur viſage ſans qu'il leur
» échape jamais la moindre plainte , on
>> les laiſſe doucement tomber ſur le ven-
» tre ; on leur tire les pieds par-derriere ,
» & on les dépouille en même tems de
>>leur dernier vêtement,de ſorte qu'elles
reſtent abſolument nues.
>> Ceux qui poignardent les femmes ,
>>ont 250 petites pièces de monnoie de
>>cuivre de la valeur des ſols pour leur
>>ſalaire. Les plus proches parens s'ils font
>> préfens , ou d'autres perſonnes louées à
>>cet effet , viennent enſuite laver ces
>> corps ſanglans , & les ayant bien net-
>>toyés, ils les couvrentde bois , de façon
>>qu'on n'en voitque la tête , &y mettent
>>le feu ; ils font ainſi réduits en cen-
» dres . "
» Toutes ces femmes ſont déjà poi
FEVRIER. 1770. 171
>> gnardées , & pluſieurs même en flam-
» mes , avant que le mort arrive , porté
>> dans le plus fuperbe Badi de forme
» pyramidale , ayant onze eſcaliers ou
>> marches en hauteur & davantage , lié
>> de cordes par lehaut aux quatre coins,
» & foutenu en équilibre par un grand
> nombrede perſonnes proportionné à la
>>qualité du mort , &qui va quelquefois
>> à pluſieurscentaines.De chaque côté du
>>corps font aſſiſes deux femmes , l'une
>> tenant fon parafol,& l'autre un chaſſe .
>> mouches de crin de cheval , pour en
>> écarter ces infectes : deux de leurs prê-
>> tres précédent de loin , dans une voi-
» ture particuliere , tenant chacun en
>> main une longue corde , attachée au
>> Badi , comme pour donner à connoître
>> qu'ils mènent le mort au Ciel , & fon-
>> nant , de l'autre main , une clochette ,
> avec un tel bruit de gongues , de tam-
>> bourins , de flûtes & d'autres inftru-
» mens , que toute cette cérémonie à
>> moins l'air d'une pompe funèbre , que
>> de la plus joyeuſe fête de village .
>>Quand le mort a paſſé tous les bu-
>> chers , qui font rangés en file ſur la
>> route , on le poſe ſur le ſien , qui eſt
>> tout de ſuite allumé , & l'on brûle en
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
>>>même - tems la chaiſe , le banc , &c.
>> dont il ſe ſervoit pendant ſa vie. Tous
>> les aſſiſtans ſe mettent alorsà faire bonne
>> chère , tandis que les muſiciens ne cef-
>> fent de frapper l'oreille d'une mélodie
>>bruyante , affez agréable ; cela conti-
>> nue juſqu'au foir , que les corps étant
>>confumés , les parens& les grands s'en
>> retournent chez eux , laiſſant ſeulement
>> une bonnegarde pendant la nuit auprès
» des os ; mais, cette fois , on ne conſerva
>> que ceux de la Reine mere ; ceux des
>> autres femmes ayant été ramaſſes &
>> jetés le même ſoir contre la coutume; ce
>> qu'on nous fit encore valoir comme une
>> attention marquée pour nous , dans la
>> vue de nous expédier plus promptement
>> en abrégeant ces cérémonies.
» Le lendemain , les os de la reine
mere , furent rapportés avec une pompe
» égale à celle de la veille , dans ſon an-
>> cien logement , où l'on obſerve encore
>> les formalités ſuivantes. Chaque jour
>>une troupe de muſiciens & de Préquiers
» yaccompagnentpluſieurs vaſes d'argent,
» de cuivre & de terre , remplis d'eau ;
"' ceux qui les portent font précédés de
deux jeunesgarçons, tenant des rameaux
> verds, & marchantdevantd'autres charFEVRIER.
1770. 173
>>gés du miroir , du badjou, ou vêtement,
>>de la boîte au betel du mort , & de fes
» autres meubles ordinaires. On lave dé-
>> votement les os pendant un mois & fept
>>jours , après quoi , les remettant dans
>> un petit Badi fort propre , on les porte
» avec le même cortège que le corps , en
>> un lieu nommé Labec , où ils font entié-
» rement brûlés ; les cendresſont recueillies
>> ſoigneuſement dans des urnes , & jetées
» en mer , àune certaine diſtance du riva-
>>ge , ce qui termine la cérémonie.
>> Quand un Prince ou une Princeſſe du
>>ſang royal , vient à décéder , ſes femmes
» ou eſclaves courent autour du corps ,
>> faiſantdes cris &des hurlemens affreux.
" Toutes demandent avec inſtances de
>> mourir pour leur maître ou maîtreffe;
>>mais le Roi déſigne le lendemain , nom
>>par nom , celles dont il fait choix .
» De ce moment juſqu'au dernier de
>> leur vie , elles ſont conduites chaque
>> jour de grand matin , ſur autant de
>>> chariots , & au fon des inſtrumens ,
>> hors de la ville , pour y faire leurs dévo-
» tions , ayant les pieds enveloppés de
>>linge blanc , parce qu'il ne leur eſt plus
>> permis de toucher la terre à nû , &
>> qu'elles font regardées comme confa-
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
>> crées. Les jeunes filles , peu au fait de
>> ces exercices religieux , en ſont inſtrui-
>>tes par les vieilles femmes , qui les
>> affermiffent en même tems dans leur
>> réſolution .
Une femme qui a perdu ſon mari ,
>> vient lui offrir journellement de nou-
>> veaux mets ; mais voyant qu'il n'y
>>touche point , elle recommence cha-
>> que fois ſes lamentations ordinaires ,
>> pouffant l'affection à fon égard , juſqu'à
>> baifer & arroſer de ſes larmes , les trois
>>ou quatre premiers jours après ſa mort ,
» ce qu'elle chériſſoit leplus en lui pendant
»ſa vie.
>>Ce deuil ne dure pourtant pas juſqu'a
>> la veille des funérailles , pour celles qui
>> ſe ſont dévouées à la mort , parce qu'on
>> leur fait paſſer cette journée ,& toute
>> la nuit ſuivante , ſans fermer l'oeil ,
>> dans des danſes & des réjouiſſances con-
>> tinuelles. On s'empreſſe de leur offrir
>>tout ce qui peut flatter leur goût; & dans
>> la quantité de liqueurs qu'elles avalent,
» il leur reſte peu d'objets capables d'ef-
>> frayer leur imagination , d'ailleurs elles
>>font échaufféespar les promeſſes de leurs
>>prêtres, & par ledéplorable aveuglement
>>où ſont ces payens ſur les délices d'une
>> autre vie .
FEVRIER. 1770. 175
1
» On n'oblige cependant aucune fem-
› me ou eſclave à ſuivre cette barbare cou-
>>tume ; mais celles qui veulent s'y ſouſ-
>>traire , & les autres qu'on en excepte ,
>>quoique pour l'ordinaire elles s'y offrent
> toutes avec un égal empreſſement , font
>> renfermées dans un couvent pour le
>>reſte de leurs jours , ſans qu'on leur
>> permette jamais la vue d'un homme.
>>Si quelqu'une trouve le moyen de s'éva-
>>der de ſa priſon , & qu'on la ſaiſiſſe ,
>> fon procès eſt tout fait ; elle doit être
>>poignardée , traînée dans les rues , &
>>jetée aux chiens pour en être dévorée ,
>> ce qui eſt le ſupplice le plus ignomi-
>> nieux dans cette Iſle .
› Aux funérailles des deux fils du roi ,
>> morts depuis peu , il y eut 42 femmes
>> de l'un , & 34 de l'autre , poignardées
»& brûlées de la façon qu'on vient de
>>le dire ; mais les princeſſes du ſang
>> royal fautent elles-mêmes dans le feu ,
>> comme firent chacune des principales
» épouſes de ces deux princes , parce
>> qu'elles ſe croiroient deshonorées ſi
>>quelqu'un portoit la main ſur elles. On
» pratique , à cet effet , au-deſſus du bû.
>> cher une eſpéce de pont , qu'elles mon-
>> tent , tenant de la main un papier collé
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
>> fur le front , leur robbe retrouffée ſous
>> les bras ; & dès qu'elles ſentent la cha-
>>leur des flammes , elles ſe précipitent
» dans le braſier , qui eſt fermé d'un en-
>>clos quarré de paliſſades de cocotier. Si
>>la fermeté les abandonnoit à cet aſpect
>> frémiſſant , il y a toujours un frere ou
>>>un des plus proches parens , prêt à les y
>> pouffer & à leur rendre par affection ce
>> cruel office.
» On nous raconta encore que la pre-
>>miere femme du cadet de ces deux
>> princes , fille de la ſoeur du roi , avoit
>> demandé confeil à fon pere , le roi de
» Couta , fi elle devoit ſe brûler ou non ,
>> parce que n'ayant vécu qu'environ trois
>>>mois avec ſon mari , elle croyoir que
» cette raiſon & fa grande jeuneſſe l'au-
>> toriſoient à choiſir préférablement la
» vie; mais , refpectant moins la voix du
>> fang dans un enfant chéri que les pré-
> jugés de la naiſſance , ce pere lui repré.
>> ſenta avec tant de force les ſuites de la
>> Aétriffure qu'elle attireroit par - là fur
>> elle & fur toute fa famille , que cette
>> jeune infortunée , s'armant de courage,
>> fauta gayement dans le feu qui dévo-
>> roit déjà le corps de ſon époux .
>>A l'égard des rois regnans , toutes
FEVRIE R. 1770. 177
>> leurs femmes ou concubines , ſouvent
>> au nombre de cent à cent cinquante ,
>> ſe dévouent volontairement aux lam-
» mes , & c'eſt une distinction que l'ufa-
>>ge leur accorde ſur les autres qui doi-
>> vent être auparavant poignardées . Com-
>> me elles marchent ainſi ſfans contrain-
» te , il étoit arrivé à la mort du feu roi
>>de Bali , qu'une de ſes femmes , prête
» à ſuivre l'exemple de ſes compagnes ,
>> manquant tout- à- coup de conttance à
>> la vue de cet horrible appareil , avoit
>> eu cependant affez de préſence d'eſprir,
>>en approchant du pont pour demander
>> à s'écarter un inſtant , ſous prétexte de
>>fatisfaire aux néceſſités naturelles, ce qui
>>lui ayant éré accordé ſans défiance, elle
>>prit la fuite à toutes jambes. La fingu-
• larité du fait , plutôt qu'aucun motif
>>de compaffion , lui valut depuis ſa li-
>>berté, & l'on nous aſſura qu'elle venoit
>> encore tous les jours au marché pour
>> vendre ſes denrées; mais qu'elle étoit
>>regardée de tous les grands avec le der-
>> nier mépris , quoiqu'une longue ha-
>>bitude l'eût aguerrie à ſupporter pa
>> tiemment leurs mordantes railleries.
» Un autre objet de l'indignation de
>> ces peuples , & pour une cauſe auffi
Hw
178 MERCURE DE FRANCE.
>>finguliere , c'eſt la femme eſclave que
>>le fort appelle à la vile fonction de
>> purifier le corps de ſa maîtreſſe défunte
>> pendant un mois & fept jours. On la
>> croiroit trop honorée de pouvoir l'ac-
>> compagner dans l'autre monde avec
>> celles qui forment ce nombre ; & c'eſt
>>pourquoi on lui laiſſe la vie , avec la
>> liberté de ſe retirer où elle veut à la
>> campagne , & de pourvoir elle - même
>> à ſa ſubſiſtance.
>> Pour prévenir l'infection des cada-
> vres qu'on garde ſi long tems dans un
» pays où les chaleurs font exceſſives, on
> les frotte journellement de ſel , de poi-
>> vre&d'aromates,juſqu'à ce qu'ils ſoient
>> exténués & n'aient plus que la peau fur
>>les os ; après quoi on les nettoie propre-
>> ment de toutes ces drogues qui forment
>> une croûte de trois ou quatre doigts d'é-
>> paiſſeur , & c'eſt ainſi qu'ils font réduits
>> en cendres. Le cercueil qui renferme le
>> mort eſt troué par le fonds, pour donner
iſſue aux humeurs qu'on reçoit dans un
>>baſſin , lequel eft vidé chaque jour en
>>grande cérémonie. «
FEVRIER. 1770. 179
LETTRE à M. H. de P. L. fur un
célèbre impofteur de Reims , nommé
Bertrand.
LE pyrrhoniſme hiſtorique a ſes bornes , Monfieur
, & il eſt dangereux de les étendre trop loin .
La critique a ſans doute des droits ſur l'hiſtoire,
mais ce n'eſt qu'autant qu'elle eſt ſubordonnée
aux loix de la diſcuſſion. C'eſt à ces deux objets
quedoit ſe rapporter en général l'examen de tous
les faits . Je vous entretenois dernierement de khiltoire
du célèbre impoſteur Bertrand de Rans. Je
vous ajoutois qu'il étoit né à Rheims . Vous avez
rejeté bien loin cette aſſertion , & même la réalité
de cet événement , fondé ſans doute ſur le
filence de la plupart de nos hiſtoriens , ou plutôt
guidé par cet amour patriotique qui vous diſtingue
, & qui vous porte à défendre en toute occafion
l'honneur de votre patrie . Quoi qu'il en
foit , votre doute m'a porté à faire quelques recherches
ſur ce point d'hiſtoire. Voici le réſultat
de mes déouvertes.
Bertrand de Rans ou de Rayns vivoit fur la fin
du douziéme fiécle & au commencement du treiziéme.
Il mena pendant quelque tems la vie d'hermite
dans une forêt près de Valenciennes. Ennuyé
fansdoutede cegenre de vie, il entreprit de ſe faire
pafler pourBaudouin I, comte de Flandre &deHaynaut,
& empereur de Conſtantinople ; quoique ce
prince fût mort depuis plus de vingt ans. Quelques
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
traits de reſſemblance,joint au bruit qui ſe répandit:
alors que cet empereur s'étoit ſauvé des mains
des infidèles , & qu'il vivoit dans un hermitage ,
accréditerent cette fourberie. Bertrand parutdans
ſon habit d'hermite , &il en impoſa aux yeux de
la multitude toujours avide de nouveautés. Une
partie des villes , du peuple , & même de la nobleſle
de Flandre , le reconnut pour ſon ſouverain,
pour fon comte & pour l'empereur de l'Orient .
Cette croyance paroiſſoit d'autant mieux fondée
qu'il avoit la taille & pluſieurs traits du viſage de
Baudouin , & qu'il avoit pris dans ſon hermitage
une connoiſſance particuliere des armoiries ,
des généalogies & des actions les plus éclatantes
de la noblefle du payyss.. Il ſe laiſſa traiter magnifiquement
dans les villes de Flandre & de Haynaut
où il fut reçu avec beaucoup d'appareil&de
grandes démonstrations de joie. En un mot fon
attentat eut un ſuccès fi heureux , que Jeanne
fille aînée de l'empereur Baudouin , alors comtefle
de Flandre & de Haynaut, refufantde le re
connoître , fut obligée de mettre des troupes fur
pied pour s'oppoſer à ſon entrepriſe ; mais comme
elle étoit la plus foible , elle penſa être prifonniere
au Quelnoy , & fut obligée de ſe renfermere
dans le Catelet. Cependant comme l'impofteur
faisoit toujours des progrès , elle prit le parti
de le faire interroger par fon confeil. Bertrand
après avoir écouté attentivement toutes les interrogations
qu'onlum fit , répondit avec une fierté
étudiée , qu'ayant été fait prisonnier en Bulgarie
, il y avoit été retenu près de vingt ans fous
une garde qu'il n'avoit pu ni tromper ni corrompre,
qu'enfuite on avoit ceflé de l'obſerver avec
tant de rigueur , ce qui lui avoit donné lieu de
FEVRIER. 1770. 181
s'échapper ; qu'en chemin il avoit été repris par
d'autres Barbares qui l'avoient mené enAfie fans
le connoître ; que pendant une trève entre les
Chrétiens & les Barbares , des marchands Allemands
, à qui il s'étoit fait connoître , l'avoient
racheté , & qu'il avoit eu le bonheur de revenir
chez lui. Sur cette déclaration la comtefle de
Flandre envoya en Gréce Jean , évêque de Meteline
, & Albert , religieux de l'ordre de St Benoît ,
qui étoientGrecs , pour s'inſtruire de la vérité des
faits , & ſavoir fſi ſon pere étoit mort ou vivant.
Ces envoyés apprirent ſur les lieux que l'empereur
Baudouinavoit été fait prifonnier près d'Andrinople
par le Roi des Bulgares , qu'il avoit été envoié
à la Reine dans la ville de Ternove , qu'il y avoir
été mis à mort , & inhumé par une femme originaire
du paysde Bourgogne. Cette découverte ne
ſuſpenditpoint les effets de la révolution qui prenoit
toujours de nouveaux accroiſſemens ; de
forte que la comteſle fut obligée d'implorer contre
l'ufurpateur le ſecours de Louis VIII. Roi de
France. Ceprince s'avança juſqu'à Compiegne ,
où Bertrand ſe trouva au jour indiqué ſur la foi
d'un ſauf-conduit. Il y parut avec une ſuire bril--
lante & nombreuſe , vêtu à l'arménienne & en
écarlate , portant un bâton blanc à la main. Le
Roi le fit interroger publiquement par l'évêquede
Beauvais , Milon de Nanteuil . On lui demanda
en premier lieu dans quel endroit il avoit prêté
foi& hommage au roi Philippe : en ſecond lieu
depuis quand & où il avoit été fait chevalier ;
enfin où & quel jour il avoit épousé Marie de
Champagne. Bertrand ſe trouva embarraflé & ne
-ſçut que répondre , il demanda un délai de trois
jours; mais le Roi , bien convaincu par - là de
182 MERCURE DE FRANCE.
l'impoſture , lui commanda de ſortir du royaume
&ne le fit point arrêter parce qu'il avoit un ſaufconduit.
Cette aventure déconcerta les projets de
l'ufurpateur , & le fit abandonner de tous ſes partiſans.
Se voyant ainſi délaiſſé , il ſe retira d'abord
à Valenciennes ; enſuite il ſe traveſtit en
marchand pour pafler en Bourgogne. Mais en chemin
il tomba entre les mains d'un gentilhomme
Bourguignon , nommé Erard de Châtenai , qui le
livra à la comteſle Jeanne,moyennant quatre cens
marcs d'argent. La comteſle le fit mettre à la
queſtion , où il avoua qu'il étoit Champenois , &
qu'il ſe nommoit Bertrand de Reims. On le promena
par toutes les villes de Flandre & de Haynaut
pour le faire voir au peuple , après quoi il
fut publiquement pendu à Lille en 1225. On prétend
que cette exécution ne détrompa point le public,
& n'empêcha pas le peuple de croire que la
comtefle avoit mieux aimé faire mourir ſon pere
que de lui remettre la ſouveraineté. On va même
juſqu'à dire que cette princeſſe crut , après cette
exécution , que c'étoit effectivement ſon pere , &
que par ſcrupule de conſcience elle fonda un hôpital
à Lille qu'on nommoit l'Hôpital Comteſſe ,
où l'on voyoit une potence peinte aux vîtres &
aux murailles , & même brodée aux courtines des
lits , pour marquer , dit- on , le ſujet de cette fondation.
Mais cette tradition paroît deſtituée de
fondement , & ne prévaudra jamais contre l'aveu
du coupable , & contre le témoignage des hiftoriens
contemporains qui gardent àce ſujet le plus
profond filence.
Tel eſt le fait , Monfieur , accompagné de toutes
les circonstances. Reſte à voir quels font les
auteurs qui nous ont tranfmis cet événement ,&
FEVRIER. 1770. 18;
fi d'après leur témoignage on peut compter ſur la
vérité du fait, & afſurer que notre impoſteur étoit
de Reims. Quatre auteurs connus & antérieurs à
notre ſiècle , parlent de ce trait d'hiſtoire; ſçavoir
, Jean Iper , dans ſa chronique de St Bertin ;
Jacques Meyer , dans ſes annalesde Flandre &
dans ſa chronique abrégée de la même province ;
Locrius , dans ſa chronique des Pays- Bas , & Jean-
Baptifte de Rocoles , dans ſon livre des Impoſteurs
infignes. Il y a tout lieu de croire que de Rocoles
n'a rapporté ce fait que d'après Meyer & Locrius ,
&que ceux- ci n'en ont parlé que d'après la chroniquede
St Bertin. C'eſt donc à ce dernier ouvrage
qu'il faut nous arrêter pour trouver la ſource de
latradition. La chronique de Jean Iper a toujours
paflé pour un monument précieux de notre hiftoire
chez les écrivains anciens & modernes . Cet
auteur , plus connu ſous le nom de Joannes Iperius
, parce qu'il étoit d'Ipres , vivoitdans le quatorziéme
fiécle , cent ans environ après l'événes
iment enqueſtion. Il fut abbé de St Bertin&compoſa
l'hiſtoirede ſon monastere, quicomprend tout ce
qui s'eſt paflédans le pays depuis l'an 590 juſqu'en
1294. Cette hiſtoire eſt reſtée manufcrite juſqu'au
commencement de ce fiécle que D. Martenne l'a
inférée dans ſon Thefaurus anecdotorum , tom. 3 .
Jean Iper jouiſſoit d'une fi grande conſidération
parmi ſes contemporains qu'on l'appeloit par excellence
, virpius & eruditus ; & tous ceux qui ,
après lui , ont écrit ſur l'hiſtoire de Flandre , ont
fait un grand uſage de ſa chronique comme d'un
monument hiſtorique des plus certains : cela ſeul
ſuffiroit pour donner aux faits que cette chronique
renferme tout le degré de certitude qu'on peut
defirer en fait d'hiſtoire ; mais ce qui doit nous
184 MERCURE DE FRANCE.
rendre cet ouvrage encore plus précieux , c'eſt que
Jean Iper n'a travaillé lui-même que ſur les mé--
moires de trois de ſes prédéceſſeurs , contemporains
de la plupart des événemens que cette chronique
renferme . Le premier eſt Folquin , moine de
St Bertin , qui vivoit dans le dixième ſiècle. Le
ſecond eſt Simon , abbé de cette même abbaye ,
mort en 1148. Le troifiéme eſt un anonyme qui
vivoit& écrivoit en 1229 , tems auquel Bertrand
adonné à toute la Flandre le ſpectacle de ſon impoſture.
Il en réſulte que le fait en lui- même paroît
des plus certains & des mieux conftatés. Il ne
me reſte plus qu'à vous prouver que notre impofreur
portoit le nom de Reims , & qu'il en étoit.
Moreri , & d'après lui les auteurs du nouveau dictionnaire
hiſtorique portatif, le nomment Bertrand
de Rans. La chronique de Meyer& les an--
nales de Flandre le nointment Bertrand de Rayns.
Cette variété pourroit faire naître quelques
doutes fur la circonstance du nom , & je me
-laiſſerois aller moi - même à cette opinion ſi la
chronique de St Bertin ne levoit pas entierement
la difficulté. Voici les termes de cette chronique.
Quæftionatus & interrogatus ( Bertrandus ) quis
effet; faſſus estse effe Gallicum, de comitatu Campaniæ
, vocatumque Bertrandum de Remis. Ce pallage,
à ce qu'il me ſemble, ne peut s'interpréter autrement
qu'endifant que Bertrand avoit pris pour
fon nom le nom de ſa patrie, ainſi qu'il étoit enuſa--
ge alors , & qu'il étoit natif de Reims. Cette remarque
me paroît ſuffifante, Monfieur, pour faire
ceſſer votre doute à cet égard , & pour confirmer
-l'opinion oùje ſuis que ce fameux impoſteur étoit
de Reims . Ce qui peut avoir donné lieu à Meyer
d'avoir défiguré le furnom , c'eſt qu'il aura- traFEVRIER.
1770. 185
vaillé fur l'exemplaire manufcrit de la chronique
deSt Bertin , & qu'il aura lu Bertrandum de Rayns,
ou qu'il aura voulu franciſer lenom latin. D'un
autre côté Moreri en aura fait un nom propre &
l'aura appeléBertrandde Rans. Rien n'eſt fi commun
dans l'hiſtoire que ces confufions de noms ;
mais encore un coup les termes de la chronique
imprimée ſont trop clairs pour être fufceptibles de
la moindre équivoque. Quant au fait hiſtorique
en lui même , il n'a rien qui choque la vraiſemblance.
L'hiſtoire eſt pleine de pareils traits ; &
les annales de la république romaine nous en fourniffent
entr'autres un exempledont toutes les circonftances
font fi frapantes par leur reflemblance,
que je crois devoir le mettre ici en parallele avec
l'aventure de Bertrand de Reims .
Amatius , Romain de naiſlance & aventurier
célèbre, étoit de la plus baſſe extraction. Cet
homme , néavec un génie audacieux , chercha , à
l'aidede la plus groffiera impofture, à s'elever au
deffusde la fortune. A la faveur de la reſſemblance
du nom , * il ſe donna pour le petit-fils du fameux
Marius , & pour le fils de celui qui périt dans
Preneſte , étant conful à l'âge de vingt ans. Il ſe
prétendoit en conféquence parent des Céfars ; &
du vivant même du Dictateur il eut affez de hardieſle
pour rendre publique ſon impoſture& aſſez
d'intrigue pour la faire réuffir juſqu'à un certain
degré Déjà quelques Dames de la parenté de Céfar
le reconnoifloient , & il marchoit accompagné
d'un très-grand nombrede partiſans. Ceci ſepaf-
* Il avoit changé une lettre de ſon nom & fubf
titué un R au lieu d'un T , ce qui faifoit Amarius.
4
186 MERCURE DE FRANCE.
ſoit dans le tems de la derniere guerre que fit Cé
far. Amatius mit alors la prudence du jeune Octave
à une dangereuſe épreuve. Sachant que ce
neveu , chéri du Dictateur , arrivoit à Rome , il
alla à ſa rencontre juſqu'au Janicule avec toute ſa
troupe , demandant à être ſalué & reconnu pour
parent. Octave ne fut pas peu embaraflé. Il connoifloit
la fourberie , & il n'avoit garde de l'autoriſer
par ſon fuffrage. D'un autre côté il pouvoit
y avoir du riſque à rebuter un homme ſibien accompagné.
Il prit un ſage tempérament. « Cefar,
> dit- il à Amarius , eſt le chef de notre maiſon
>> comme de tout l'empire. C'eſt par lui que vous
>> devez vous faire reconnoître. Sa déciſion ſera
>> pour moi un ordre abſolu auquel je me ſoumet-
>> trai ſans balancer. « Lorſque Céfar fut de retour
à Rome , l'impoſteur , loin de ſe cacher , eut l'infolencede
ſe meſurer en quelque façon aver lui ,
&le Dictateur ayant admis le peuple à venir le faluerdans
ſes jardins ; cet homme dunéant ſeplaça
fous une arcade voife, ad il eut une cour prefqu'auſſi
nombreuſe. Céfar ſe hâta de mettre fin à
cettedangereuſe comédie. Il ſe fit rendre compte
de l'hiſtoire de cet homme , & ayant appris qu'il
étoit originairement maréchal , il le bannit de
l'Italie. Après la mort du Dictateur , Amatius reparut
dans Rome. Il recommença à ameuter le
peuple, & feignant un grand zèle pour venger la
mort de Céſar , il menaçoit déjà les auteurs de
cettemort , & même tous les ſénateurs auxquels
il faiſoit appréhender les dernieres violences. Antoine
les délivra de ce danger. Le faux Marius
fut arrêté par ſon ordre & étranglé dans la priſon.
Cette exécution militaire étonna le ſénat , mais la
FEVRIER. 1770. 187
néceſſité & l'utilité de la choſe firent oublier l'irrégularité
du procédé.
Je ſuis très- parfaitement , Monfieur , &c .
D. FOURNIER , Bénédictin
bibliothécaire de l'abbaye de
St Nicaiſe de Reims .
TRAIT DE PIÉTÉ
FILIALE.
M. de.... allant rejoindre fon régiment
il y a dix ou douze ans , s'occupa pendant
fa route à faire quelques recrues
dont il avoit beſoin pour completer fa
compagnie ; il trouva pluſieurs hommes
dans une petite ville où il demeura une
ſemaine . L'avant- veille de ſon départ il
ſe préſenta encore unjeune homme de
la plus haute taille & de la figure la plus
intéreſſante ; il avoit un air de candeur&
d'honnêteté qui prévenoit pour lui ; M.
de ne pût s'empêcher à la premiere
vue de ſouhaiter d'avoir cet homme
dans ſa compagnie ; il le vit trembler en
demandant qu'on l'engageât ; il prit ce
mouvement pour l'effet de la timidité , &
....
188 MERCURE DE FRANCE.
peut- être de l'inquiétude que peut avoir
unjeune homme qui fent le prix de la
liberté , & qui ne la vend pas fansregrets ;
il lui montra ſes ſoupçons en tâchant de
le raſſurer. Ah ! Monfieur , lui dit lejeune
homme , n'attribuez pas mon défordre
à d'indignes motifs; ilne vient que de
la crainte d'être refuſé; vous ne voudrez
peut- être pas de moi , & mon malheur
feroit affreux. Il lui échappa quelques
larmes en achevant ces mots ; l'officier
ne manqua pas de l'affurer qu'il feroit
enchanté de le fatisfaire , & lui demanda
vîte quelles étoient ſes conditions ? Je
ne vous les propoſe qu'en tremblant ,
répondit le jeune homme ; elles vous dégoûteront
peut- être ; je ſuis jeune , vous
voyez ma taille ; j'ai de la force ; je me
fens toutes lesdiſpoſitions néceſſairespour
fervir ; mais la circonſtance malheureuſe
dans laquelle je me trouve , me force
de me mettre à un prix que vous trouverez
ſans doute exorbitant ; je ne puis
rien en diminuer ; croyez que fans des
raiſons très - preſſantes je ne vendrois
pointmon ſervice; mais la néceſſité m'impofe
une loi rigoureuſe; je ne puis vous
fuivre à moins de cinq cens liv. & vous
me percez le coeur ſi vous me refuſez.
FEVRIER. 1770 . 189
.
Cinq cens liv . reprit l'officier ! La ſomme
eſt conſidérable , je l'avoue ; mais vous
me convenez , je vous crois de la bonne
volonté ; je ne marchanderai point avec
vous ; je vais vous compter votre argent ;
ſignez , & tenez vous prêt à partir après
demain avec moi .
Le jeune homme paru: pénétré de la
facilité de M. de ... il figna gayement fon
engagement , & reçut les cinq cens liv.
avec autant de reconnoiffance que s'il les
avoit eues en pur don. Il pria ſon Capitaine
de lui permettre d'aller remplir un
devoir ſacré , & lui promit de revenir à
l'instant. M. de .... crut remarquer quelque
choſe d'extraordinaire dans ce jeune
homme ; curieuxde s'éclaircir , il le ſuivit
ſans affectation; il le vit voler à la
priſon de la ville avec un empreſſement
qui ne lui permit pas d'appercevoir fon
Capitaine , frapper avec une vivacité finguliere
à la porte , & ſe précipiter dedans
auſſi tôt qu'elle fut ouverte : il l'entendit
dire au géolier , voilà la ſomme
pour laquelle mon pere a été arrêté ; je
la dépoſe entre vos mains , conduiſezmoi
vers lui , que j'aye le plaiſir de brifer
fes fers . L'officier s'arrête un moment
pour lui laiſſer le tems d'arriver ſeul au190
MERCURE DE FRANCE.
prèsde fon pere , & s'y rend enſuite après
lui. Il voit ce jeune homme dans les bras
d'un vieillard qu'il couvre de ſes careffes
& de ſes larmes , à qui il apprend
qu'il vient d'engager ſa liberté , pour
lui procurer la ſienne ; le priſonnier
l'embraſſe de nouveau; l'officier atten
dri s'avance : conſolez - vous , dit- il
au vieillard ; je ne vous enleverai point
votre fils , je veux partager le mérite
de ſon action; il eſt libre ainſi que
vous , & je ne regrette pointune ſomme
dont il a fait un ſi noble uſage ; voilà
fon engagement&je le lui remets; le pere
&le fils tombent à ſes pieds ; le dernier
refuſe la liberté qu'on lui rend ; il conjure
le capitaine de lui permettre de le
ſuivre; ſon pere n'a plus beſoin de lui ;
il ne pourroit que lui être à charge; l'offi .
cier ne peut le refufer. Le jeune homme
a ſervi le tems ordinaire ; il a toujours
épargné ſur ſa paye quelques petits ſecours
qu'il a fait paller à fon pere;&lorfqu'il
a eu le droit de demander ſon congé,
il en a profité pout aller ſervir ce pere,
qu'il nourrit actuellement du travail de
fes mains.
FEVRIER. 1770 . 191
ANECDOTES.
I.
EN 1715 il y eut une grande éclipſe de
ſoleil ; quelques jours avant qu'elle arrivât
, on l'annonça dans les papiers publics
, on en cria la deſcription dans les
rues de Londres ; il y avoit alors un envoyé
de Tripoli ; il acheta cette deſcription
, ſe la fit traduire , & fut très- étonné
de voir qu'on en marquoit précisément le
commencement& la fin. " Ces Anglois
>> font foux,s'écria-t- il ; ils s'imaginent fa-
» voir avant le tems , le moment préfix
» où il plaira au Tout - Puiſſant de nous
» dérober le ſoleil ; nos Muſulmans ne
» ſeroient pas en état de le faire ; aſſuré-
>> ment Dieu n'a pas révélé aux Infidèles
» ce qu'il cache aux vrais Croyans. » On
s'amuſa beaucoup de ce raiſonnement ;
& l'envoyé ne put revenir de ſa ſurpriſe
lorſqu'il vit l'éclipſe arriver comme on
l'avoit prévu ; le lord Forfax lui demanda
alors ce qu'il penſoit après cela des aſtrônomes
Anglois. " Ils tirent leurs con-
>> noiſſances de l'enfer, répondit l'envoyé,
192 MERCURE DE FRANCE.
>> c'eſt le diable ſeul qui les a inftruits ,
>> car il eſt impoſſible d'imaginer que
» Dieu daigne communiquer ſes lumiè
>> res àdemalheureux Infidèles. >>
I I.
Le lord comte de .... venoit d'être
élevé à la place de ſecrétaire d'état ; il
avoit été lui - même prendre ſa patente
dans le cabinet du Roi ; une foule de
courtiſans s'aſſemble autour de lui , chacun
s'empreffoit d'être le premier à le féliciter.
Son fils ſe trouvoit par hafard au
milieu d'eux ; il l'appela que ce ſpectacle
ne vous abuſe point , mon fils ; depuis
trois heures je ne ſuis ni plus grand
ni meilleur que je n'étois ; ce n'eſt pas à
moi qu'on rend ces honneurs , c'eſt à ma
patente de ſecrétaire d'état ; elle les a reçus
ſous mon prédéceſſeur , elle les aura encore
fous mon ſucceſſeur; ils la ſuivent
dans toutes les mains où elle palle ; &
quandje ne l'aurai plus , vous verrez toute
cette foule diſparoître.
ΙΙΙ.
Lamérempſycoſe eſt undes principaux
dogmes de la religion des Bramines ;
c'eft
FEVRIER. 1770. 193
c'eſt à cette opinion qu'un capitaine anglois
dût la vie que lui alloient arracher
Jes Indiensde la côte de Malabar. Il chaf
foit un jour , & peu au fait de la mythologie
du pays , il tira ſur un oiſeau que
les Malabariens mettent au nombre de
leurs dieux du premier rang ; il le tua ;
un Indien le vit & l'accuſa d'un déicide.
Les habitans des villages voiſins s'aſſemblerent
auſſi-tôt , ſe ſaiſirent du ſacrilége
& le condamnerent à la mort ; il n'avoit
plus d'eſpérance de l'éviter ; les Indiens
furieux paroiffoient réſolus à venger leur
dieu. Un Juif , inſtruit du malheur de
l'Anglois , fendit la preſſe qui l'entouroit
, & faifant ſemblant de ſe proſterner
pour prier , it dit a l'Anglois : Vous
>> n'avez qu'un ſeul moyen de vous fau-
» ver , tentez le & dites à ce peuple :
» Mon pere eſt mort ilya quelque tems;
>>ſon corps a été jeté dans la mer , & fon
» ame a pallé dans celui d'un poiffon .
» Comme je me promenois ſur le bord
» de la mer , le poiffon mon pere a paru
>> ſur l'eau; dans ce moment l'oiſeau que
>>j'ai tué fondoit ſur lui pourle devorerà
>> mes yeux ; devois -je le ſouffrir ? Je ne
→ lui ai donné la mortque pourl'empêcher
» de la donner à mon pere. » L'Anglois
Π
I
194 MERCURE DE FRANCE.
s'empreſſa de répéter ce difcours aux Indiens
; ils furent fatisfaits de cette juftifi
cation , & le délivrerent,
I V.
Le Prince de Conti demanda à Campra
ce qu'il penſoit de l'opéra d'Hypolite &
Aricie , par M. Rameau. Campra répon.
dit : « Il y a dans cet opéra affez de muſique
pour en faire dix .
V.
Ondonna à Lulli un prologue d'Opéra,
qu'on trouvoit excellent. La perſonne
qui le lui préſenta , le pria de le vouloir
bien examiner devant elle. Lorſque
Lulli fut au bout , on lui demanda s'il n'y
trouvoit rien à redire. Jen'y trouve qu'une
lettre de trop , répondit- il , c'est qu'au lieu
qu'il y ait fin du prologue , il devroit y
avoir fi du prologue.
V I,
Acajou , Opéra comique en 3 actes ,
de M. Favart , tiré de l'ingénieux roman
d'Acajou , de M. Duclos , attira un concours
ſi prodigieux , que lejourde la clôture
, la barrière qui ſéparoit l'orchestre
FEVRIE R. 1770. 195
duparterre ſe brifa ; pour la raccommoder
on fut obligé de faire fortir hors de la
ſalle toutes les perſonues qui rempliffoient
le parterre. Mais ce fur en vain ,
le monde qui étoit ſur le Théâtre y defcendit
pour faire place à de nouveaux
Spectateurs qui comblèrent entiérement
le lieu de la ſcène. Il n'avoit pas été pofſible
dans cette confuſion de rendre l'argent
à ceux qu'on avoit fait fortir. Pluſieurs
Texigeoient avec menaces. Six des plus
mutins furent arrêtés. M. Monet ſe comporta
en cette occafion avec beaucoup de
prudence. Il fit relâcher ceux que l'on
avoit mis au corps de garde , il paya les
mécontens d'une harangue moitié plaifante
, moitié pathétique , qui lui concilia
tous les eſprits. Jamais rep éſentation
n'avoit été ſi lucrative , toutes les places
étoient à fix francs , & le Théâtre étoit
fi templi qu'il n'y pouvoir paroître qu'un
acteur , à la fois. Il n'y eut point de
ſymphonie , point de balets , on n'entenditrien
, pas même le compliment ; on
applaudit beaucoup & tout le monde ſe
retira fatisfait , moins cependant que l'entrepreneur.
1
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
ARRÊTS , LETTRES PATENTES , &c,
ARRÊT du conſeil d'état du Roi , du31 Juil
let 1769 , qui , ſans s'arrêter à l'appel interjeté
par leSr Balavoine de la Trulliere , des ordonnan.
ces de M. l'intendant de Tours , des 11 Janvier &
3 Février 1766 ; par leſquelles ledit Sr Balavoine
avoit été condamné au payement des droits de
francs - fiefs des métairiesdu Livet , de la Touraille
&de la Greftiere , ci-devant tenues en fief & depuis
abournées & acenſivées par les ſeigneurs de
fiefs ; ordonne l'exécution deſdites ordonnances :
&pour la liquidation deſdits droits & la fixation
des époques , renvoie les parties devant ledit Sicur
intendant , & condamne ledit Balavoine en tous
Ięs dépens.
I I.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 13 Octobre
1769 , en interprétation de la déclaration du Roi
du Avril 1768 , concernant les penſions d'oblats .
III.
Arrêt du concil d'état du Roi du 7 Novembre
1769 , qui , en caſſant une ſentence de l'élection
de Pontoiſe , du 13 Juillet 1769 , ordonne l'exé
cution des précédens réglemens relatifs à l'expiration
des abonnemens pour les droits de marque
&contrôle fur les ouvrages d'or & d'argent ; no
FEVRIER. 1770. 197
:
:
tamment de la ſentence de l'élection de Paris , dư
Is Janvier 1733 , &de l'arrêt de la cour des aides
de Paris du 17 Février 1734 : en conféquence condamne
le Sr Gaudron , orfévre de Pontoiſe , au
payement des droits de marque & contrôle ſur des
ouvrages non finis , trouvés chez lui à l'expiration
de l'abonnement qui avoit eu lieu pendant
le précédent bail , entre le fermier & les orfévreя
de ladite ville.
I V.
Déclaration du Roi donnée à Verſailles le 20
Novembre 1769 , concernant les requêtes civiles.
V.
Lettres patentes du Roi , données à Verſailles
le 24 Novembre 1769 , qui confirnment l'acquinrion
faite de divers bâtimens en faveur du collége
&de l'académie royale de Chirurgie.
VI.
Arrêtdu conſeild'état du Roi, du 7 Décembre
1769 ; qui ordonne que les contrats & actes pafles
en doubles minutes feront contrôlés , tant ſur la
premiere que ſur la ſeconde minute , dans la quin -
zaine de leur date , aux bureaux de la réſidence de
chacun des noraires quiles recevront ; & que less
droits de contrôle qui en réſulteront , feront payés
fur l'une des deux minutes ſeulement ; ſavoir
par le plus ancien des deux notaires qui auront
inftrumenté , lorſqu'ils ſeront domiciliés l'un
l'autredans l'arrondiſſement du même bureau , Sa
Liij
I198 MERCURE DE FRANCE.
par celui dans le diſtrict duquel le lieu où l'acte
aura été fait, ſe trouvera fitué , s'ils réſident dan
deux villes ou deux provinces différentes .
VII.
Editdu Roi , donné à Verſailles au mois de Décembre
1769 , & regiſtré en parlement le 15 Janv .
1770 ; qui proroge la levée & perception des deux
ſols pour liv . du dixiéme juſqu'au premier Janvier
1772 .
VIII .
Déclaration du Roi , donnée à Verſailles le 7
Janvier 1770 ; qui ordonne que les fonds de la
caifle des amortiſſemens , feront employés , pendant
huit années , au rembourſement des ſommes
anticipées ſur les revenus duRoi.
1 Χ.
Arrêt du conſeil d'état & lettres - patentes du
Roi du 21 Décembre dernier , par leſquels Sa
Majesté a donné attribution au Sieur de Sartine ,
conſeiller d'état , lieutenant - général de police ,
& aux officiers tenant au châtelet , la chambre du
conſeil de police , pour connoître de la faillite du
nommé Billard , ci - devant caiffier de la ferme
des poſtes , juger de toutes les conteſtations nées
&à naître , tant au civil qu'au criminel , circonftances
& dépendances , & lui inſtruire ſon procès
ainſi qu'à les complices , fauteurs & adhérens, fur
les concluſions du Sieur Moreau , procureur de Sa
Majesté audit châtelet , à la charge de l'appelen la
grand'chambre du parlement de Paris.
FEVRIER. 1770. 199
AVIS.
I.
Calendrier intéreſſant pour l'année 1770 ;
ou alınanach phyſico économique ; par
M. S. D. A Bouillon , aux dépens de la
ſociété typographique ; & ſe trouve à
Paris , chez Lacombe , libraire , rue
Chriſtine , 12 fols broché.
CE calendrier , réellement intéreſlant , contient
une histoire abregée & raiſonnée des indications
qu'on a coutume d'inférer dans la plupart des calendriers
. Celui- ci eſt diviſé en dix colonnes ; la
premiere marque le quantiéme du mois , la 19. le
jour de la ſemaine , la 3. la fête du jour , la 4e. la
lettre dominicale , la se. l'épacte , la 6e. le lever
du foleil, la 7e. ſon coucher , & les trois dernieres
, le lever de la lune , ſon coucher & ſes phaſes .
Au hautdes cinq premieres colonnes on trouve la
durée des jours pendant le mois correſpondant ,
déterminée par celle de leur accroiflement ou de
leur diminution . A la fuire du calendrier ou a mis
la recetre de pluſieurs (ecrets recréatifs & utiles ſur
leſquels on peut compter; ils ſont tous fondés ſur
les principes certains de la phyſique ; & on ne doit
point les confondre avec les collections de ſecrets
recueillis par l'ignorance & l'enthousiasme , &
dont le public crédule a ſouvent été la dupe. On
ſe propoſe de varier tous les ans cette derniere par
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
tie qui formera dans la ſuite une collection auffi
curieuſe qu'intéreſſante .
IL.
Etat actuel de la musique du Roi & des trois
ſpectacles de Paris. A Paris , chez Vente, libraire
, aubas de la Montagne Ste Genevieve.
Le mérite de cet almanach eſt déjà connu ; il
faitconnoître aux auteurs les ulages des différens
ſpectacles pour la lecture& la repréſentationdes
piéces nouvelles ; il inſtruit le public des vacances
de divers théâtres &de leurs jours de relâche ; on
parle , dans une eſpéce de préface , de plusieurs
projets pour conſtruire une nouvelle falle pour la
Comédie Françoiſe. Celui de M. Liegeon eft expoſé
avec plus de détails , comme celui qui offre
le plus de moyens pour remplir les vues politiques
du miniftere , en rapprochant le ſpectacle
national auſſi près qu'il eſt poſſible de la rue Dauphine,
& en formant une place publique dans l'un
des quartiers de Paris , où depuis long-tems on en
defire une. L'artiſte qui a conçu ce projet , ſe borne
pour la mafle principale à ces quatre objets . « Le
premier conſiſte à faire du carrefour de Bufly ,
>> une place décorée uniformément & grande -
peu-près comme l'eſt celle des Victoires. Le ſe-
>> cond, à couper une rue de vingt- lept pieds de
largeur dans le corps actuel du bâtiment de la
•Comédie Françoiſe juſqu'à la rue des mauvais
>>garçons , & de la prolonger dans ſa premiere
illuejuſqu'au cul de facdeRohan. Le troifiéme
> de percer une autre rue en retour d'équerre , laquelle
aboutira dans celle de St André-des-Arts,
enfacede la rue des Auguſtins ;& le quatrième,
FEVRIER. 1770. 201
d'élargir de fix pieds la rue des MauvaisGarçons
→dans toute la longueur , & d'iſoler ainſi le nou-
>> veau bâtiment dont la principale entrée formera
>> l'une des façades de la place vis - à- vis la rue
>>Dauphine. >>
IIL
Le Sr Arnaud , marchand parfumeur du Roi
rueTraverſiere , au coin de celle du Haſard , près
lafontaine de Richelieu , à Paris , continue de faire
&de vendre la Páte royale, ſi connue depuis bien
des années pour blanchır , adoucir les mains , &
en ôter les taches, telles que les rougeurs , bon-
: tons & engelures ; elle est d'une odeur très agréable
, & de qualité à pouvoir être tranſportée dans
les lieux les plus éloignés; pluſieurs particuliers
s'ingerent à vouloir l'imiter , ils ne parviennent
qu'à tromper le public , attendu que celle qu'ils
diftribúent eſt ſujette àcorruption , ce qui fait que
par la fuite elle peut faireplus de mal que de bien
àceux qui s'en fervent; la bonne & véritable ,
pareille à celle dont le Roi fait uſage, ſe venddans
des pors de terre grife de Flandre , enveloppée ,
ficelée , cachetée d'un cachet où le nom de l'auteur
eft gravé autour. Il y a des pots doubles de
8 livres; les ordinaires ſontde 4liv. lorſqu'on les
rapporte vides ; ceux de huit font à ſept ,&ceux
de quatre à trois livres dix fols .
:
Il vend auſſi toutes fortes de poudres, pommades&
eaux de ſenteurs, fur tout celle de Jouvences
Elle est très -bonne pour détruire les boutons
rougeurs& cuillons..
Be.St Malefcor , maître perruquier, ayant ge
IV.
202 MERCURE DE FRANCE.
marquéque les perruques perdent leur forme après
quelques jours de ſervice , parce que l'humidité
occaſionnée par la ſueur ou par la pommade en
fait gonfler la coëffe & la retire , a imaginé de
ſubſtituer à ces coëffes faites ordinairement avec
du fil ou de la filoſelé , des reſeaux tiſlus avec des
cheveux . Ces nouveaux reſeaux feront plus élaftiques
& moins ſujets à recevoir la crafle & l'humidité
; les perruques ſe déformeront moins ;
ceux qui , pour quitter la perruque attendent que
leurs cheveux foient repouflés , n'auront pas à
craindre qu'un tiflu de cheveux raſe ou cafle leurs
cheveux naitlans ; le Sr Maleſcot fubſtitue avec
le même avantage , des rubans de cheveux aux
rubans ordinaires pour monter les roques des Dames
; il demeure à Paris , rue Ste Croix de la Bretonnerie
.
V.
On connoît les effets ſalutaires de l'eau de
Montpellier ; le Sr Jean Saury en obtint le privilége
d'après un certificat ſigné de douze perſonnes
de l'art , tant médecins que chirurgiens de Montpellier
qui afſurent que cette eau réuffit particulierement
dans les maladies vénériennes , dans les
écrouelles , les dartres , le rhumatiſme chronique,
& certaines affections de l'estomach . M. Cadet ,
de l'académie royale des ſciences , en a fait une
analyſe qui en démontre la falubrité ; il y a près
de deux ans que ce médicament s'adminiture avec
ſuccès à Montpellier & aux environs. On le diftribue
à Paris , chez la Dile Madeleine Boſquer ,
demeurant ſur le Boulevard de la Chauffée d'Antin
, maiſon du Sieur Hazard , maître charron , à
côté du dépôt des Gardes- Françoiſes ; & àMontFEVRIER.
1770. 203
pellier , chez la Dlle Canclaude , rue de la Vieille
Intendance , vis- à- vis le puits des Eſquilles. Les
bouteilles ſont de pinte & du prix d'une livre dix
fols; elles ſont cachetées & étiquetées : Eau de
Montpellier.
VI.
Le Sieur Granchet , à qui l'on doit de nouveaux
étriers à reſſorts , préférables à ceux d'Angleterre ,
vient de perfectionner la baffinoire angloiſe ;
cette baſſinoire reçoit ſa chaleur de l'eau chaude
qu'elle contient; elle est fermée hermétiquement
, & n'eſt par conséquent point ſujette à laiffer
dans le lit aucune impreſſion de moiteur. Sa
chaleur ſe conſerve plus long-tems cequi fait
qu'on peut s'en ſervir pour ballinci pluſieurs lits.
On peut placer aufli commodément cette baſſinoire
dans les voitures & la mettre ſous les pieds ;
fon prix eſt de 24 livres , y compris le chevalet
l'entonnoir & le manche. Le Sieur Granchet tient
toujours le magaſin anglois à la defcente du pont
Neuf , quai de Conti ; on trouve chez lui des tableaux
peints ſur verre , d'une compoſition agréa-
-ble à 9 l. la piéce , & des chaînes de montre en
acier , incruſtées en or de couleur.
VII .
Les parens qui deſireront que leurs enfans apprennent
fans aucuns frais (par un homme inftruit&
en place , demeurant aux environs des Invalides
) l'architecture militaire , l'architecture
civile , ledeſſinde la carte , le trait & la perfpective
, s'adreſſeront au R. P. Bridoud , docteur
en Sorbonne , profeſſeur de théologie & carme
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
de la place Maubert , qui donnera les ecchireiſſemens
néceflaires .
:
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
MONSIEUR ,
L'auteur d'un ouvrage qui a pour titre : Etat
actuelde la Muſique du Roi& des trois Spectacles
de Paris , en me faiſant l'honneur de me
comprendre dans le nombre des artistes qui ont déployé
dans les productions de leur génie tout ce que
& l'expérience ontpu leurfuggérerdeplusnoble&
de grand pour compoſer différens projetsdeconſtruction
d'un théâtre françois, indique
une eſpéce de concours entre MM. Dameun
Douailly , Liégeon & moi , dont je n'ai eu julqu'ici
aucune connoiffance..
2
Cet auteur, en rendant compte du choix des
emplacemens que chacun des artiſtes a eû en vue,
ditque monplan eft compoſéfur le terrein actuel
de l'hôtel des Monnoies. Quel eſt ce terrein actuel
de l'hôtel des Monnoies ? Est-ce l'emplacement
où l'on conftruit , ſous ma conduite & fur
mes deffins , le nouvelhotel des Monnoies ? Celas
n'eſt pas préſumable. Si c'eſt ſur l'emplacementde
L'anciennemonnoie, je ſuis trop éloigné d'applaudir
au choix de cette poſition pour la propoſer
moi-même. Sans doute que l'auteur de l'ouvrage
dont il s'agit a été mal informé ; je lui dois néanmoins
des remercimens de l'opinion favorable.
qu'il paroît avoir d'un artiſte qui n'a pas l'hon-
Acurde le connoître, & qui deſireroit bien mérites
FEVRIER. 1770. 205
les éloges que cet auteur lui fait partager avee
MM. Dameun, Douailly & Liégeon. Je vous prie
instamment , Monfieur , de vouloir bien inférer
sette lettre dans le prochain Mercure.
J'ai l'honeur d'être , &c.
ANTOINE , architecte,
LETTRE de M. Feutri à l'Auteur du
Mercure .
Paris , ce 6 Décembre 1769..
MONSIEUR ,
)
Jeviens de lire la lettre que vous avez inférée
dans le Mercure de ce mois , pag. 235 , fur l'epreuvede
mes canons , faite à Rochefort le 4 Septembre
dernier. Je n'aurois pas cru , je l'avoue ,
devoirjamais être dans le cas de me juſtifier ; n'im--
porte : voici ma réponſe, dont vous voudrez bien,
Lans doute , Monfieur , faire également part au
Public:Audi Partem. C'eſt une des loix fondamentales
de la justice , & certainement vous les
connoiſſez toutes mieux quemoi..
Ma piéce de douze, &celle d'une livre de balle,
ont foutenu les efforts de la poudre , puiſqu'ellesexiſtent,&
cettederniere achaſlé ſon boulet àplus
demille toiles; ce qui a paru affez extraordinaire
dans un canon dece petit calibre* ,& ce que tout:
* Quels avantages les corps d'infanterie ne ti---
croient-ils pasde ſemblables petites piéces
206 MERCURE DE FRANCE .
Rochefort peut certifier. J'attends ici ces deux pié
ces , Monfieur , pour les produire au grand jour ,
&les éprouver de nouveau avec plus de rigueur
encore , après avoir ſeulement changé leurs bouchons
de culafſfe , & cette épreuve peut ſe faire
fans tourillons. Je ſupplie donc ce même Public ,
qui a quelquefois daigné accueillir mes foibles ouvrages
en littérature , de ſuſpendre ſon jugement
juſqu'alors. Ce n'eſt pas le premier procès perdu
dans telle ou telle jurisdiction , que l'on eût gagné
par appel dans un autre tribunal. Au fond , cen'eſt
pasde ces deux piéces dont il devroit être queſtion
ici , mais de mes ſyſtêmes , de leur développement,
de leur fufceptibilité d'amélioration ; enfin , da
parti que l'on pourroit tirer de leur auteur , fans
chercher à le décourager. Un eflai n'eſt pas une
choſe parfaite , & je n'ai fait qu'un eflai. Quand
bienmêmedonc ces premieres piéces ſeroient aufli
mauvaiſes que quelques perſonnes le prétendent ,
le ſyſtême n'en eſt pas moins bon , avec les changemens
queje peux y faire. Au reſte,j'eſpére trèsfort
, Monfieur , n'en pas demeurer à
tive; je me flatte auſſi , par les connoiflances que
j'ai acquiſes dans les Forges , & dans Rochefort
même , de perfectionner des projets dont l'état me
ſaura peut- être gré quelque jour. Au ſurplus , je
doistout attendre de mon travail , de ma perſévérance
, & fur-tout de la haute protection que le
Miniſtere de la Marine accorde à ceux qui, en épuifant
leur ſanté & leur fortune en recherches utiles
, s'efforcent de contribuer à la gloire de nos armes.
Je finis en vous priant d'obſerver , Monfieur,
que dans ces expériences diſpendieuſes où j'ai employé
dix-huit mois , pendant leſquels j'ai eſſuyé
desobſtacles de tout genre , ce que ſavent tout le
Périgord & l'Angoumois , j'ai été principalement
cette tentaFEVRIER.
1770. 207
foutenu par un citoyen généreux & patriote , qui,
ayant examiné mes plans & mes modèles dès l'année
1767 , a paru defirer que je les exécutaile. Ses
talens militaires, fon grade ſupérieur, ſes lumieres
étendues & la naiſlance élevée, ſeroient d'un grand
poids dans ma cauſe , s'il m'étoit permis de nommer
cet homme reſpectable ; mais , certes , la poſtérité
n'ignorera point un procédé auſſi noble que
rare.
J'ai l'honneur d'être avec des ſentimens reſpec
tueux ,
MONSIEUR
Votre très -humble & très- obéiſſant
ferviteur , FEUTRI .
-
NOUVELLES POLITIQUES.
-
De Warfovie , le 20 Décembre 1769 .
LES Confédérés continuent de faire des incurfions
en différentes parties du Royaume , malgré
les efforts que font les Rufles pour les empêcher
de ſeréunir & de marcher en corps. Ces jours derniers
il en a paru un détachement aux environs
de cette ville.
Quelques lettres portent que les Troupes Rufſes
qui avoient tenté quelques entrepriſes fur Bender
, ſous les ordres du Général major de Wilgenſtein
ſe ſont retirées & ont rejoint le corps du
général Panin.
:
zos MERCURE DE FRANCE.
DeStockholm , le 19 Décembre 1769.
Samedi dernier les ordres de l'état ſe ſonr
aſlemblés en Plena , & font convenus de fixer la
clôture de la Diete au 19 du mois prochain. Aujourd'hui
ils ont atrété de rétablir la flotte des
Galères , dans le port d'Helſingfort en Finlande ,
ainſi que le corps d'officiers attaché ci- devant au
ſervice de cette flotte. Le chef de ces officiers n'eſt
pas encore nommé : on croit que les Etats choiſiront
pour cette place , le général Herenswerd
qui en a été revêru ci-devant juſqu'à la Diéte de
1765.
De Coppenhague , le 23 Décembre 1769 .
Cesjours derniers , le ſieur Arreboë arriva ici
d'Alger où il réſidoit en qualité de Conful du Roi,
&d'où il a été obligé de ſe retirer , lorſque la
guerre a été déclarée à la Nation par le Dey de
cetteRégence.
Du 30 Décembre.
Weſt ne, pendant le cours de cette année, dans
le Bailliage d'Aarhens en Iflande , 3953 perſonnes ;
il en eſt mort 3 520, parmi leſquelles on en compre
une de 108 ans , lept de 90 à 100 , & 37 de 80 à
20. Il y a eu pendant la même année dans les
Puchés de Holſtein &de Sleſwick, 11781 nailfances
, & 9.562 morts.
DeVienne, le 23 Décembre 1769 ..
Les Lettres de Conſtantinople portent que le
nouveau Beglierbeyde Romélie , eſt parti pour
Parmée avec un corps de troupes , & que le Pachas
de Sivas devoit s'y rendre incestaminent; elless
FEVRIER. 1770. 209
ajoutent qu'on ne ceſſe de travailler dans lesArſenaux
à de nouveaux armemens , & que l'Eſcadre
deſtinée pour la mer blanche hivernera dans
Archipel, &y ſera renforcée par quatre vaiſleaux
deguerre.
DeHambourg , le 24 Décembre 1769 .
On a appris par des lettres arrivées des frontièresde
la Pologne , que lesConfédérés raſſemblés
àPetrikaw ayant été informés que le Colonel
Ronne marchoit à eux , avoient quitté la ville
pour aller à ſa rencontre; mais que le Capitaine
Caſtelli étant entré dans cette place avec un détachement
d'environ 250 hommes , les Confédérés
y étoient retournés & avoient attaqué ce détachement
, on ajoute qu'après la plus vigoureuſe défenſe,
le capitaine Caſtelli fut tué dans le combat ;
que fur ces entrefaites les Confédérés ayant appris
que le Colonel Ronne s'avançoit avec tout fon
corps au ſecours de ce détachement , avoient
prisle parti de ſe retirer ,après avoir mis le feu
aux deux Fauxbourgs , par leſquels le Colonel
devoit entrer dans la ville. Les Ruſſes ont eu
dans cette affaire trente hommes de tués & autant
debleifés .
De Milan, le 20 Décembre 1769 .
La Chambre Héraldique , établie en cette ville,
& à laquelle on doit s'adreſſer pour obtenir des
titres de nobleſſe , a publié à ce ſujet la taxe ſuivante.
On payera pour le titre de marquis , 2500
florins; pour celui de comte , 2000 ; pour celui
de Barou , 1600 ; pour celui de Chevalier 1300 ;
pour celui de gentilhomme , 1000 ; pour celuide
Don, soo. Cependant pourparvenir àà la dignité
. 210 MERCURE DE FRANCE.
de Marquis , il faut avoir la propriété de cent
foyers , & à celle de comte , celle de cinquante.
Quant aux autres titres il ſuffira de produire des
preuves de ſervices rendus , & de poſſeſſions de
biens immeubles .
De Londres , le 5 Janvier 1770.
Hier la Compagnie des Indes reçut par terre&
par la voiede Hollande une dépêche que l'on dit
très- importante, mais dontil ne tranſpire encore
rien. Les actions de cette Compagnie continuent
debaifler chaque jour , malgré le rétablitlement
de la paix fur la côte de Coromandel. Les actionnaires
qui veulent connoître la cauſe de cedifcrédit
, ontdemandé aux Directeurs de leur communiquer
, dans une aſlemblée générale , le véritable
étatdes affaires de la Compagnie dans l'Inde. Les
matelots ont eu beaucoup de peine à ſe rendre à
bords des bâtimens deſtinés pour cette partie du
monde & pour laChine; ils ne s'y ſont déterminés
que moyennant une augmentation de gages de
20 à 36 Schelings par mois.
On prétend que l'Impératrice de Ruffie , fait
négocier ici parmi nos Commerçans , un emprunt
de 200 , 000 liv. ſterl. à 5 ponr 100 d'intérêt.
De Versailles , le 10 Janvier 1769 .
Dimanche dernier , le ſieur de Brequigny , de
l'Académie Royale des Inſcriptions & Belles-Lertres
, eut l'honneur de préſenter au Roi un ouvrage
intitulé : Table Chronologique des chartes
imprimées , concernant l'histoire de France. Il a
aufli remis à Sa Majefté la notice d'un fameux manuscrit
contenant divers ouvrages attribués à
Frédegaire ; ce manuſcrit eſt du huitiéme Siècle,&
FEVRIER . 1770. 211
aété copié ſur un du ſeptieme. Le Comte de Laura
guais qui avoit conſervé à la France ce précieux
monument en l'achetant des Jéſuites , a ſupplié le
Roi de l'accepter , & Sa Majesté a ordonné qu'il
feroit placé dans ſa bibliothéque à Paris , après
qu'on en auroit extrait les parties qui ne ſe trouvent
point dans les éditions qu'on a données juſqu'ici
de cet auteur , & après que la copie de ces
extraits auroit été remiſe au dépôt des chartes .
De Paris , le 12 Janvier 1770.
L'Académie Royale des Sciences a élu à la place
d'Académicien Honoraire , vacante par la nort
du dac de Chaulnes , le duc de Praflin , miniſtre
&fécrétaire d'état de la marine.
Les Aſtronomes commencent à jouir du fruit
des longs voyages que la plupart des puiflances de
l'Europe ont fait entreprendre à l'occaſion du pafſage
de Vénus ſur le diſque du Soleil. Les ſieurs
Dymond & Wales qui avoient été envoyés par la
Société Royale de Londres , dans la baie de Hudſon
, à $8 degrés , 47 minutes , 30 secondes de
latitude, y ont obſervé les contacts intérieurs des
bords de Vénus & du ſoleil , à 1 h. 15 min. 23 ſec.
& à 7 h . o min. 47 ſec.. Le ſieur de la Lande ,
de l'Académie Royale des Sciences , ayant reçu
cette obſervation , a reconnu qu'en la ſuppoſant
exacte , la parallaxe moyenne du ſoleil doit être
de 9 fec. & trois dix-ſeptièmes , & la diſtance du
foleil à la terre de 32 , 200, 000 lieues , à peu près
-chacune de 25 au degré , & de 1283 toiſes . C'eſt
ici la premiere obſervation complette qu'on ait
•reçue de ce paſlage , on en attend d'autres de la
Californie & de la mer du Sud.
212 MERCURE DE FRANCE .
Onmande de Limoges , par une lettre dus de
ce mois , que des paylans de la Paroifle de Darnac
, Diocèſe & Election deTulle , ont trouvé en
labourant, cinquante-cinq médailles d'Empereur's
&d'Impératrices, en argent bas & potin, frappées
depuis le règne de Sevère , juſqu'à celui deGallien
&de Pofthumus. Les plus curieuſes de ces medailles
font celles des Gordiens d'Afrique.
Du Is Janvier.
Demoiselle d'Albert , fille cadette du Duc de
Chevreuſe , vient d'avoir la petite vérole naturelle,
dont elle eſt parfaitement rétablic. En 1763 ,
elle avoit été inoculée deux fois , dans l'eſpace de
trois ſemaines; mais Finoculateur ayant averti
le Duc de Chevreuſe que l'inoculation n'avoit pas
pris , &que la Demoiselle n'avoit pas cu véritablement
la petite vérole ,& pluſieurs autres médecins
en ayant jugé de même ſur l'inſpection des
cicatrices , ce ſeigneur avoit attendu des circonftances
plus favorables à la ſanté de ſa fille pour la
faire réinoculer; il a cru devoir faire connoître
ces détails au public , afin de prévenir ou de diffiper
les ſoupçons que la petite vérole naturelle de
fa fille pourroit faire naître contre l'inoculation .
Elastic
MORT S.
Louife-Genevieve de Ramzay , fille de feuClaude
de Ramzay , gouverneur de la province de
Montréal, & épouſe de Louis Deſchamps de Boishebert
, major de Quebec , eſt morte à Quebec le
13 Octobre dernier , dans la 703 année de fon âge.
Henri-LouisMarquis d'Argouges, gouverneur
FEVRIER . 1770.
213
d'Aveſnes , & lieutenant - général des armées du
Roi, eft mort à Paris le 13 Janvier dernier , âgé de
31 ans.
Henri-PhilipeChauvelin , conſeiller d'honneur
au parlement , chanoine honoraire de l'égliſe de
Paris, abbé de l'abbaye royale de Moutier-Ramey,
prieur des prieurés du Grand Frenoy , de la Très-
Sainte Trinité de Beaumont- le-Roger & de St Blin ,
eſt mort à Paris le 14 Janvier , âgé de 56 ans.
Marie - Claire d'Estaing , Dame du Terrail-
Bayard , veuve de Joſeph Durey, ſeigneur de Sauroy
, commandeur honoraire de l'ordre royal &
militaire de St Louis , eſt morte à Paris , dans fa
89e année. Elle étoit mere du marquis du Terrail ,
maréchal de camp , lieutenant général du Verdunois
, & de la feue ducheſſe de Brillac , épouſe du
maréchal de ce nom.
Marie Gabrielle- Elifabeth de Richelieu , abbefle
de l'Abbaye - aux - Bois , diocèſe de Paris depuis
1760 , & ci-devant de celle du Tréſor , eſt
morte le 17 Janvier en ſon abbaye , dans la 818
année de ſon âge.
Emilie Fitzjames , ci - devant Dame du Palais
de la Reine , veuve de Français- Marie de Peruſſe ,
marquis d'Elcars , maréchal des camps & armées
du Roi , lieutenant - général du haut & bas Limoufin
, & menin de feu Mgr le Dauphin , eſt
morte à Paris.
Marie- Antoinette Charlotte du Maine du Bourg,
veuve de Louis Marquis de Loſtanges , eſt morte
Je 14 Décembre dernier.
e
6
214 MERCURE DE FRANCE
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers&en proſe , pages PIEC :
Socrates& Alcibiade , ibid.
LeRuifleau , 6
Epître àM. le comte de V ***, 7
Stances , 13
Bouquet à Mlle de B *** , 17
Etrennes de l'Amour , à Mile de B ***, 19
:
Ardoſtan 20
,
AMde la Vicomteſſe de L *** 25
A M. l'Abbé de Lille , 26
Vers à l'auteur du Pornographe , 27
A M. l'Abbé d'Abancourt , ibid.
AMde de *** , 28
Vers à Mlle C*** , 29
AMde la Marquiſe d'Antremont , 30
Mes Foibleſles , conte qui n'en eſt pas un , 3
Lajeune Fille& la Guêpe , fable , 45
AMlle *** , fable ,
La Cicogne & le Cerf ,
49
52
Conſultation tardive , 53
Epigramme , 17
FEVRIER. 1770. 215
Madrigal , à Mlle L. P. D. B. 58
AM. Rag... ibid.
Explication des Enigmes , رو
ENIGMES ,
60
LOGOGRYPHES , 64
NOUVELLES LITTÉRAIRES , 68
Bayard & Gaston , tragédie, ibid.
Anecdotes du Nord , 79
Fables & contes moraux en vers , 85
Naufrages & aventures de M. Viaud , 88
Voyage pittoreſque de Flandre , &c . 92
Les Géorgiques de Virgile , traduction , &c. 93
Traité de la juſtice criminelle de France , 112
Ledroit commun de la France , 114
Révolution des empires , &c. 116
Sophronie , 118
Le triomphe de la probité , 119
Traitédesplantes de la Lorraine, 120
Traité de la communauté , 122
Satyres de Juvénal , traduction , 123
L'homme conduit par la raiſon , 131
Précis de la médecine pratique , 134
E
Inſtructions ſur les accouchemens , I7
35
216 MERCURE DE FRANCE.
Conſidérations ſur les cauſes de la diverſité
du génie , &c . 136
ACADÉMIES , 143
SPECTACLES , 152
Opéra , ibid.
Comédie françoile , ibid.
Comédie italienne , 156
ARTS ; Gravure , 160
Muſique, 164
Cérémonies barbares de l'iſle de Bafly, 167
Lettre deM. Montpetit, ſur l'impoſteur Bertrand
de Reims , 179
Piété filiale , 1.87
ANECDOTES , 191
Arrêts , Lettres -patentes , &c. 196
AVIS , 199
Lettre à l'Auteur du Mercure , 204
Lettre de M. Feutri , 205
Nouvelles Politiques , 207
Morts , 212
:
De l'Imp . de M. LAMBERT , rue des Cordeliers.
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
FÉVRIER 1770 .
Mobilitate viget. VIRGILE.
CADE
FILOP
A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire
Chriſtine , près la rue Dauphine.
Rue
AvecApprobation & Privilège du Roi.
1
L
AVERTISSEMENT.
C'EST 'est au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriſtine , que l'on prie d'adreſler , francs de port ,
les paquets & lettres , ainſi que les livres , les eftampes
, les piéces de vers ou de proſe , la muſique,
les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , &généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auſſi de marquer le prix des livres
, eſtampes & piéces de muſique.
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à ſa perfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront même un titrede
préférence pour obtenir des récompenſes ſur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eft de 24 liv .
que l'on payera d'avance pour ſeize volumes rendus
francs de port.
L'abonnement pour la province eſt de 32 livres
pareillement pour ſeize volumes rendus francs de
port par la poſte.
On s'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eſt de 36 fols - pour
ceux qui n'ontpas ſouſcrit, au lieu de 30 fols pour
ceux qui font abonnés.
On fupplie Meffieurs les Abonnés d'envoyer
d'avance le prix de leur abonnement franc de port
par la poſte , ou autrement , au Sieur LACOMBE ,
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les Journaux fuivans .
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JOURNAL DES SÇAVANS , in-4° ou in- 12 , 14 vol.
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ANNÉE LITTÉRAIRE , compoſée de quarante
cahiersde trois feuilles chacun , àParis, 24 liv .
En Province , port franc par la Poſte , 32liv.
L'AVANTCOUREUR , feuille qui paroît le Lundi
de chaque ſemaine , & qui donne la notice
desnouveautés des Sciences , des Arts libéraux
&méchaniques , des Spectacles , de l'Induſtrie
&de la Littérature . L'abonnement , ſoit à Paris
, foit pour la Province, port franc par la pof
teeftde 12liv.
JOURNAL ECCLÉSIASTIQUE , par M. l'Abbé Dinouart
; de 14 vol . par an , à Paris , 9 liv. 16 f
EnProvince , port frane par la poſte ,
:
14 liv.
EPHEMERIDES DU CITOYEN DU Bibliothéque rai-
• ſonnée des Sciences morales & politiques.in. 12.
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24liv.
JOURNAL ENCYCLOPÉDIQUE , à Patis& en pro-
En Province ,
vince , port franc , 33 liv. 12 .
JOURNALPOLITIQUE , port franc 14liv.
A ij
Nouveautés chez le même Libraire,
LES Economiques ; par l'ami des hommes
, in-4°. rel . وام
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Origine des premieres Sociétés , des peuples,
des ſciences , des arts&des idiomes anciens
& modernes , in- 8 ° . rel . 61.
Histoire d'Agathe de St Bohaire , a vol. in-
12. br. 3 1.
Le bon Fils ou les Mémoires du Comte de
Samarandes;par l'auteur des mémoires du
Marquis de Solanges , 4 part. in - 12 .
br. 41.161.
Considérations fur les Causes physiques &
morales de la diverſitédu génie , des moeurs
&du gouvernement des nations, in -8 °,
broché. 41.
Traitéde l'Orthographe Françoise, en forme
de dictionnaire , in- 8 °. nouvelle édition ,
rel. 71.
Nouvelle traduction desMétamorphoses d'Ovide
; par M. Fontanelle , 2 vol. in - 8 °.
br. avecfig. 101.
Parallele de la condition & desfacultésde
l'homme avec celles des animaux , in - 8 ° br. 2 1.
Premier &fecond Recueils philofophiques &
Litt. br. 21. 1066
LeTemple du Bonheur , ou recueil des plus
excellens traités ſur le bonheur , 3 vol. in-
8°. broch .
Traité de Tactique des Turcs , in- 80, br.
Traduction des Satyres de Juvenal ,
M. Duſaulx , in-89 . br.
61.
11. 10 .
par
61.
MERCURE
DE FRANCE.
FÉVRIER 1770 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
SOCRATE & ALCIBIADE,
LE vif & ſouple Alcibiade
ASocrate un jour demandoit ;
Qu'est-ce que la vertu , dont nousfaiſonsparade ,
Que nous définiflons chacun comme il nous plaît,
Qu'on ne voit que chez vous , tout au plus dans
l'hiſtoire ,
A iij
८ MERCURE DE FRANCE
Dans ces archives de lagloire ,
Que je ſoupçonne avec douleur
De n'être qu'un roman trompeur ?
La vertu , croyez moi , n'eſt pas une chimère ,..
Diſoit le bon Socrate au jeune Athénien ;
Cen'est qu'en pratiquant le bien ,
Que l'on prend du goût à bien faire.
La ſageſſe eſt toujours néceſſaire ànos coeurs.
Leur donnedu reffort , enflamme le courage,
Rempliſlez vos devoirs , vous aurez l'avantage
D'y ſentir chaque jourde ſecrettes douceurs.
Par l'auteur du fonge d'Irus.
LE RUISSEAU.
Un Ruiffeau parcouroit une plaine fleurie;
Dans ces lieux enchantés il prolonge ſon cours ,
Yfait mille& mille détours ,
Et quitte à regret la prairie.
Il va couler plus loin parmi d'affreux rochers ;
Au lieu des zéphires légers
Qui flattoient doucement ſon onde ,
L'aquilon , échappé de ſa grotte profonde ,
Agite & trouble ſa belle eau.
Toujours allant , notre ruiſſeau
Rencontre une cité ſuperbe ;
!
FEVRIER.
1770.7
Il la traverſe , en ſort., & retrouve de l'herbe ;
Il voit en ſon chemin de tranquilles hameaux ,
Il baigne de rians côteaux ,
Il s'égare au milieu d'un déſert effroyable ,
Puis il vient établir ſon lit
Sous un ombrage frais , ſéjour bien plus aimable !
Bientôt il erre ſur le ſable ,
Enfin l'Océan l'engloutit .
Un vieillard l'autre jour me faiſoit ce récit ;
Ne vaut- il pas bien une fable ?
Par le même.
EPITRE à M. le Comte de V. , officier
au régiment du Roi infanterie.
DAAns cet âge où l'on facrific
Aux folles erreurs ſes inſtans;
Où l'on croit jouir de la vie
Par l'abus qu'on fait de ſes ſens;
Vous élevez votre génie
Etvous cultivez les talens .
Par vous Doris ( 1 ) eſt embellie ,
( 1 ) Voyez dans le Mercure du mois de Novembre
une imitation charmante de la Doris deM.
Haller; par M. le Comte de V.
1V
MERCURE DE FRANCE.
1
Vous lui prêtez vos ſentimens.
Au tumulte , au fracas du monde ,
Vous préférez d'heureux loiſirs ;
Dans votre retraite profonde
Vous nous préparez des plaifirs.
Mars&les filles de Mémoire
Vous offrent d'immortels lauriers ;
Ils vous ouvrent tous les ſentiers
Du temple brillant de la gloire.
Compagnon de deux cens héros
Que l'honneur anime ſans ceſſe,
Vous uniſlez à leurs travaux
Et les beaux arts& la ſageſfe.
Occupant ainfi leur repos ,
Les Vauvenargues (1 ) , les Plélos (2)
(1) Le Marquis de Vauvenargue , d'une andienne
maiſon de Provence , fut capitaine au régiment
du Roi. Il mourut en 1748 , âgé de 25 à
26ans. Sans autre fecours que celui des bons livres
, il devint excellent moraliſte & véritablement
éloquent. On a de lui une introduction à la
connoiffance de l'eſprit humain , ſuivie de réflexions
& de maximes. Cet ouvrage ſolide eſt
rempli de vues profondes &de penfées fortes,neuves&
vraies. Voyez le portrait qu'en fait M. de
Voltaire , dans l'éloge funebre des Officiers , & ce
qu'en dit M. de Marmontel dans l'épître dédicatoire
de Denis le Tyran.
(2) LeComte de Plélo ſervit dans le régiment
FEVRIER. 1770. 9
Cueillirent les fleurs du Permefle.
L'un éclaira notre raiſon ,
Et l'autre marchant ſur les traces
De Tibule & d'Anacréon ,
Il nous fit retrouver leurs graces.
Ils couvroient d'un tiſſu de fleurs
Les épines de la ſcience ;
A Folard , aux profonds auteurs
Qu'ils méditoient dans le filence ,
Ils joignoient ceux dont l'élégance
Etdont les charmes enchanteurs
Pouvoient ranimer leur conſtance.
Vauvenargue avec un pinceau ,
Guidé par la raiſon ſuprême ,
A l'homme montra l'homme même
Etn'en traçapoint un tableau
Calqué ſur la Rochefoucault ;
Sans enthouſiaſme & fans haine ,
Ses yeux n'étoient pas prévenus ,
Il ſout voir de l'eſpéce humaine
Et les défauts & les vertus.
Loin de corriger la ſatyre
Indigné contre ſon auteur ;
du Roi & fut enſuite ambaſſadeur de France en
Dannemarck . Il fut tué à Danzick , où il s'étoit
rendu auprès du Roi Stanislas , quand ce prince
fut obligé d'abandonner la Pologne après ſa ſeconde
élection.
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
;
১
:
Du genre humain ledétracteur
Nous force malgré nous à dire :
<<Dans notre coeur au lieu de lire ,
>> Il a lu dans ſon propre coeur. »
Plélo , d'une voix douce & tendre ,
Chante les fortunés amours
D'Amarillis & de Sylvandre.
Bergere aimable & fans atours ,
Sa muſe ſe plaît à nous rendre
Les ſimples & naïfs diſcours
Quefans ſe fatiguer d'entendre
Les amans entendent toujours.
Délaflé par la poësie ,
Il prenoit un nouvel eſfor :
Peut-être fut-ce à Polymnie
Qu'il dût cette douce énergie
Qui lui gagna les coeurs du Nord ;
Mais connoiſſant lajaloufie
5
:
:
Et redoutant la baſſe envie ,
Il cacha jufquesà ſa mort
Les fruits de fonheureux génie.
Le ſot eſt toujours l'ennemi
Des talens qu'il ne peut atteindre ,
Pour ſe venger d'être obſcurci ,
Il voudroit pouvoir les éteindre..
Les fots,les ſors font bien à craindre !
De leurs propos , de leur ennui ,
Hélas ! vous aurez à vous plaindre;
Onn'écrit pas impunément;
T
2
FEVRIER. 1770 . II
Pour ofer peindre un ſentiment ,
Pour crayonner l'ame d'un ſage ,
Pour offrir le tableau touchant
Des vertus de l'Aréopage,
Qui croiroit qu'il faut du courage ?
On en a beſoin cependant .
Ce fiécle du raiſonnement
Eſt bien encore un peu ſauvage ;
Mais vous qui , de l'antiquité ,
Voyez ſortir votre noblefle ,
Vous ferez plus perſécuté
Qu'un homme d'une moindre eſpéces
Legentilhomme campagnard ,
Ledos chargé d'une eſcopette ,
Son chapeau bordé ſur la tête ,
D'un air platement goguenard
Lâchant contre vous un brocard ,
Un inſtant paroîtra moins bête
A la vieille & fotte caillette ,
Qu'après la chaſſe du renard ,
Il verra d'un ton nazillard ,
Grondant Jaqueline ou Perrette.
Héritiers de tout le bon ſens ,
De l'ancêtre le plus gothique ,
Vous aurez de ſages parens
Qui , dans un accès frénetique ,
Sans nul eſprit & fans logique ,
Vous feront des fermons peſans
Contre les arts & les talens .
:
2
V
:
12 MERCURE DE FRANCE.
Ils croiront que leur nom antique
S'avilit pas vos vers charmans.
Le plaifir d'inſtruire & de plaire ,
Ceplaifir que goûtoient Varron ,
César , Mecène & Cicéron
N'eſt plus accordé qu'au vulgaire,
Etl'on veut forcer à le taire
Touthomme qui porte un beau nom
Je crois en ſavoir la raiſon ;
Je n'en ferai point un myſtere.
Rarement , ſoit dit entre nous ,
La bonne compagnie admire ;
Elle accueillit d'aimables foux ,
Et punira par la ſatyre
Leplaifir que fait votre lyre
Dans ſes accords touchans & doux ;
De ſes accords on eſt jaloux.
Anmérite fi l'on pardonne ,
C'eſt lorſqu'il ne peut ombrager.
Un auteur plaît , un fat le prône,
Et le fat penſe partager
L'éclatque ſon ſuccès lui donne.
Vous , qui n'accordez à perſonne
La gloire de vous protéger ,
Soyez mort ou bien étranger ,
Si vous voulez que l'on vous prone.
Ceconſeil un peu ſérieux
Pourroit fort bien ne pas vous plaires
Je conçois qu'onpeutfaire mieux,
FEVRIER. 1770. 13
Etje vous invite à mieux faire.
Suivez les pas de St Aulaire ;
Il fit des vers harmonieux ;
Il fut aimable ; il mourut vieux ,
Et força l'envie à ſe taire.
STANCES.
ENFIN, de mes fers délivré ,
Je reviens , tranquilles bocages ,
Sous vos délicieux ombrages
Goûter ce bonheur épuré ,
Qui , loin du tumulte des villes,
Dans vos folitaires aſyles ,
Semble s'être exprès retiré.
Là , couché près de l'onde pure
Qui baigne ces bords gracieux ,
Tantôt , d'un regard curieux ,
J'oſe interroger la nature ;
Ou tantôt , cenſeur rigoureux ,
Je diſſipe la nuit obfcure
Qui medéroboit à mes yeux.
Mais tandis qu'en ces rêveries
Je conſume aina ce beau jour ;
Le ſoleil , achevant ſon tour ,
Fuit loin de ses rives fleuries,
1
14
MERCURE DE FRANCE.
Ses rayons , dans l'ombre écartés ,
Des fleurs qui parent ſes prairies
Ne colorent plus les beautés .
Une nue obſcure & groffiere
Dérobe cet aſtre à mes yeux :
Mais bientôt l'éclat de ſes feux
Rompt cette impuiſſante barriere ;
Et de leur priſon affranchis ,
Ses traits me rendent la lumiere
Dans cent nuages réfléchis . :
Enfin , loin de cette contrée ,
Malgré lui , cet aſtre emporté ,
De la bienfaiſante clarté
Prive cette rive éplorée :
La nature rentre au tombeau ;
Et Cloris tremblante , égarée ,
Ramene à grands pas ſon troupeau.
Mais la nuit a forcé l'obstacle
Qui l'obscurcifloit à mes yeux .
Son char brillant de mille feux ,
M'offre le plus riant ſpectacle :
Et l'ombre , éclairée à ſon tour ,
Semble , par un nouveau miracle ,
Diſputer la lumiere aujour.
D'uncourſe agile & légere ,
Porté ſur l'aîle des zéphirs ,
:
e FEVRIER. 1770. 5
Augré demesbouillans defirs
Je parcours ce vafte émisphère.
Là, cent mondes illuminés
Semblent précipiter la terre
Loinde mes regards étonnés.
Mais un Dieu qui , ſous ſon empire ,
:
Tient & les bergers & les rois ,
Me rappelle au fond de ce bois,
!
Et m'y trace les traits d'Elvire :
Soudain , à cet objet vainqueur ,
Je ſens un plus tendre délire
Se rendre maître de mon coeur.
Viens , Elvire , maîtreſſe aimée,
Viens te livrer à mes tranſports.
Quoi ! tu m'oppoſes tes efforts ?
Que craintota tendreſſe allarmée ?
Viens. L'ombre propice à nos feux ,
De la malice délarmée
Saura tromper l'oeil curieux.
Dieux ! quelle lumiere imprévue
T'enleve à mes ſens enchantés ?
D'où partent ces vives clartés
Dont l'éclat éblouit ma vue ?
Que vois-je ? Au pied de ſon autel ,
La vertu , du ciel deſcendue ,
De fa main couronne un mortel .
:
1
1
4
16 MERCURE DE FRANCE.
C'eſt Boyrai . Mon ame ravie
Connoît ſes véritables traits .
Lesdieux rayent les faux portraits ,
Tracés par la main de l'envie ,
Dequi les pinceaux impoſteurs ,
Cacherent ſa vertu ternie
Sous les plus affreuſes couleurs:
En foule aux genoux de ce ſage ,
Chaque citoyen profterné
S'empreffe , en ce jour fortuné , *
A lui préſenter ſon hommage.
Sous ſes pieds la fourbe & l'erreur
Reſpectent enfin ſon image
Qu'oſa profaner leur fureur.
Ainfi desattentats du crime
Le ciel venge un coeur vertueux:
Ainfi lemenſonge odieux ,
Devenu ſa propre victime,
Eſt forcé de faire fumer
Lui- même un encens légitime
AnDieu qu'il olablafphemer.
* Il y avoit contre M. de Boyrai , à préſentmaire
, une violente cabale de gensd'affaires qui l'avoient
peintà la cour comme un mauvais citoyen,
&avoient fait retarder ſa nomination au mairat
d'un an ; mais la voix des gens vertueux a détruit
ces calomnies ,&il a été enfin nommé à la grande
fatisfaction des habitans.
FEVRIER. 1770. 1
17
Mais vous , que ce Dieu tutélaire
Vient ſoulagerdans vos malheurs ,
Peuples , oubliez vos douleurs ,
Sa main finit votre miſére :
Rendez graces aux immortels ,
Et placez , de ce tendre pere ,
Les images ſur vos autels.
Pourmoi , quoique devotre ville,
Citoyen obſcur & fans nom ;
Moi , des Muſes & d'Apollon ,
Eleve groſſier & futile ,
J'oſerai parmi vos concerts ,
Pour lui , d'une verve ſtérile ,
Faire entendre les foibles vers.
BOUQUET à Mile de B ***.
QU'EST U'EST devenu cetheureux tems ,
Si fertile en métamorphofes ;
Cetems heureux , où toutes choles
Eprouvoient divers changemens ?
Ah ! s'il pouvoit encor renaître ,
Et fi d'un choix j'étois le maître ,
Pour mieux vous prouver mon ardeur ,
BelleHortence , je voudrois être
La plus brillante & la plus belle ſteur :
Lemoment qui me verroit naître
18 MERCURE DE FRANCE .
Seroit celui de mon bonheur .
Dès queje viendrois à paroître ,
De mon éclat, de ma vive couleur ,
Vos yeux feroient frappés peut-être ;
Vous ne pourriez réſiſter au deſſein
Deme placer ſur votre ſein,
Je vous ſervirois de parure ,
Sans prétendre à vous embellir.
La beauté naturelle & pure
N'a pas beſoin de recourir
A la ſéduiſante impoſture
De l'art , rival de la nature ,
Qui ne pourroit que l'affoiblir.
Dans cette agréable poſture ,
Je pourrois , ſelon mes ſouhaits ,
Conſidérer tous vos attraits ,
Sans craindre de vous faire injure.
Vous me verriez avec orgueil
Vous préſenter mon tendre hommage .
De votre part, un baiſer , un coup d'oeil ,
Du vrai plaiſir éloquent témoignage , ..
Devotre amour heureux préſage ,
i
)
1
Demon bonheur ſeroient le gage.
Il eſt vrai qu'étant fleur , j'en ſubirois le fort ,
Etque ſur votre ſein , d'un prompt trépas ſuivie,
Ma vanité ſeroit punie.
Mais quand on fait une ſi bellemort ,
Peut-on avoir du regret à la vie ?
ParM. A.D. V. A. E. P.
FEVRIER. 1770. 19
L'ETRENNE DE L'AMOUR.
Sonnet à Mlle de B ***.
J'ai vu le plus jeune des dieux
Qui m'a dit , ſenſible à ma peine :
Demande-moi ce que tu veux ,
Et tu l'obtiendras pour étrenne.
Je ſuis prêt à combler tes voeux ;
Parle : veux- tu changer de chaîne ?
Veux-tu former de nouveaux noeuds ?
Veux-tu Aéchir une inhumaine ?
:
Qui ? Mọi! non , tu lis dans mon coeur.
Si tu veux faire mon bonheur ,
Amour , il eſt en ta puiſſance .
Jene veux qu'unde tes bienfaits.
Conferve moi le coeur d'Hortence ;
C'eſt le plus cherde mes ſouhaits.
Par le même.
:
1
1
20 MERCURE DE FRANCE.
ARDOSTAN.
Sur les bords de l'Indus s'élevoit un
palais ſuperbe , qui , depuis pluſieurs fiécles
ſervoit de demeure aux ſouverains
de Bavah ; ils y avoient réuni tout le luxe
oriental ; les bâtimens étonnoient par les
plus rares efforts de l'art , & toutes les
richeſſes de la nature étoient raſſemblées
dans les jardins. Parmi les Princes qui
l'avoient occupé , les uns avoient été célebres
par leur magnificence , les autres
par leur humanité , pluſieurs par leurs
victoires & quelques- uns par le bonheur
du peuple qu'ils avoient gouverné ; prefque
tous avoient péri , victimes de l'envie&
de la malignité. Les Empereurs de
l'Indoſtan , qui , en qualité de conquérans
du peuple de Bavah , lui donnoient
des maîtres & les lui ôtoient à leur gré ,
les avoient placés ſur le trône & les en
avoient fait deſcendre. Ardoftan venoit
enfin d'y monter ; il ne vit dans ſon élévationqu'un
moyen plus grand d'être utile
aux hommes ; ſes ſujets heureux le bénirent
; le bruit de ſa ſageſle remplit bientôt
l'orient. Un jour il ſe rappeloit la vie
FEVRIE R. .
21 1770 .
de ſes prédéceſſeurs , dont il vouloit
ſuivre les traces , & ſes yeux effrayés s'arrêterent
ſur leur fort ; il le craignit pour
lui-même ; l'étendue de ſa réputation le
fit frémir. Malheureux , s'écria- t-il , quelle
eſt la condition des ſouverains dépendans
d'une puillance ſupérieure , qui peut
dans un inſtant détruire ſon ouvrage !
Leurs vices & leurs vertus contribuent
également à leur perte ; li je néglige l'intérêt
du peuple qui m'eſt confié , ſi je
m'écarte des routes de la juſtice , les
plaintes vont s'élever de tous côtés contre
moi,&portées ſur les aîles des vents, publier
à la cour du Mogol que je ſuis indigne
de vivre. Si je perſiſte dans mes
devoirs , ſi ma juſtice ſévere pourſuit le
crime & récompenſe la vertu , le vice
négligé ou puni employera contre moi
ſes artifices ,& innocent ou coupable , je
ſerai toujours ſa victime.
Le génie Bajul entendit les plaintes
d'Ardoſtan & parut auſſi-tôt devant lui .
Enfant de la pouſſiere , lui dit-il , quelles
font tes craintes ? Ton amour pour une
exiſtence frèle & paſſagere peut- il balancor
un inftantdans ton coeur l'intérêt éternel
de la vertu ? Imite les héros , qui ,
juſqu'à préſent t'ont ſervi de modéle : &
fans regarder leur fort , ſonge à leur
22 MERCURE DE FRANCE.
:
gloire , à l'amour de leurs peuples , aux
Jarmes qu'artache encore leur ſouvenir ;
dût ton regne être auſſi court que le
leur & finir de même , mérite d'être aimé
, d'être pleuré comme eux ; tu partageras
leur félicité ; ta place eſt déjà marquée
à leurs côtés , dans les jardins délicieux
, deſtinés pour la demeure des
bons Rois.
1
Puiſſant Bajul , répondit Ardoſtan , en
s'inclinant avec reſpect , pardonne ces
foibleſſes à un enfant de la mort ; mais
daigne éclaircir mes doutes ; n'est-ce
point ta bienfaiſance pour les enfans de
-la terre qui te fait encourager la vertu ,
par l'eſpoir desrécompenſes à venir? Exiftent-
elles en effer ? N'est- ce point une
belle fable propre à conſerver la paix parmi
les hommes? Puis-je me flatter de
jouir de la félicité que tu me promets , ſi
je n'abandonne pas la vertu.
,
Le génie diſparut ; Ardoſtan regardoit
fon départ avec chagrin , & lui reprochoit
en ſecret de l'affermir dans l'incrédulité
en refuſant de lui répondre ;
-la douleur avoit fixé ſes yeux ſur la terre ;
-lorſqu'il les leva vers le ciel , il apperçut
de toutes parts un nombre prodigieux
d'eſprits , dont l'éclat annonçoit l'immortalité
; l'un d'eux deſcendit auprès du
FEVRIE R. 1770 . 23
Prince , que ce ſpectacle rendoit immobile
, & lui adreſſa ces mots :
Souverain de Bavah , ton doute eſt un
crime; mais ton coeur eſt bon & mérite
d'être éclairé ; les vertus des mortels ne
ſont jamais perdues ; elles ſont confervées
dans le livre de l'éternité ; Bajul
nous envoie vers toi pour t'aſſurer de la
vérité des récompenfes futures ; nous en
jouiffons ; vois en nous tes prédéceſſeurs
au trône de Bavah ; tu peux nous reconnoître
aux couronnes dont nos têtes font
ornées ; nous venons de les reprendre
pour t'inſtruire , te convaincre &t'encourager.
Jette les yeux fur ces Princes ; regarde
celui-ci dont l'air eſt ſi fier & fi
inajestueux ; il s'oppoſa courageuſement
aux loix impériales , qui auroient opprimé
le peuple de Bavah , & périt avec
gloire en défendant ſes ſujets. Il n'eſt
plus revêtu des honneurs fouverains ; il
n'en a pas beſoin ; la puiſſance n'est qu'un
moyen d'arriver au bonheur dont il jouit ;
fon nom rappelle ſes vertus & fait fadiftinction
; on l'appelle l'ami des opprimés.
:
Le Prince que tu vois à ſes côtés fur
autrefois le pere de ſes ſujets; il s'occupa
fans ceſſe de leur bonheur ; les heures
que la nature conſacre au repos il les
34 MERCURE DE FRANCE.
employoità méditer ſur les intérêts de ſon
peuple , & à former les plans de gouvernement
les plus propres à le rendre heureux;
l'envie le repréſenta comme untraître
au grand Empereur , & hata ſon paffage
aux demeures de la félicité.
La plupart des autres Princes que tu
vois ont été pareillement vertueux & ont
péri de même ; ſi leur réputation , ſi leur
félicité actuelle , peuvent diffiper les
craintes que t'inſpiroit leur fort ſur la
terre , continue à pratiquer la vertu , &
un jour tu viendras te joindre à nous.
Ardoſtan raſſuré , déteſta ſon incrédulité;
ſes terreurs s'évanouirent ; ſon coeur
ſe livra avec plus d'ardeur à ſa bienfaiſance
naturelle ; ſon gouvernement devint
l'objet de l'admiration de l'Aſſe ;
l'envie frémiſſante s'occupa de ſa perte;
elle parvint à lui nuire ; ſes mains barbares
s'étoient armées d'un trait pour lui
percer le coeur ; elles l'avoient déjà lancé;
Bajul le détourna & la força de ſe
contenter de la dépoſition d'Ardoſtan.
Le Prince ne regretta en deſcendant du
trône que le pouvoir de faire du bien ;
il ſe retira dans une campagne écartée ;
le ſouvenir de ſes vertus le ſuivit dans
ſa ſolitude & l'embellit ; il accompagna
fon
FEVRIER. 1770. 25
fon ame ; lorſqu'au fortir de fon corps
elle alla prendre place dans le ſéjour
éternel des bienfaiteurs de l'humanité.
A Mde la Vicomteſſe de L ** , après
Son inoculation .
L .. enfin le ciel vous rend
A la tendreſſe paternelle ,
A celle d'un époux charmant,
A l'amitié tendre & fidèle .
Quoi ! vous avez donc affronté
Ce mal que labeauté redoute ?
Les dieux ne vous ont rien ôté ,
C'eſt vous accorder tout ſans doute.
Envain on vouloit s'effrayer :
Pour vos attraits rien n'eſt à craindre
Que de beautés vont envier
Cellequ'elles eſpéroient plaindre.
Jeune L.. n'oublie pas
Que contre ce mal ſi terrible ,
C'eſt l'amour qui , dans nos climats ,
Porta la recette infaillible.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
Pour accréditer ce remède ,
Egalement craint & vanté ,
Votre courage à qui tout céde
Fera plus que la faculté.
Qui peut , en marchant ſur vos traces ,
A la crainte être encor livré ?
Qui ne ſera pas raſſuré ?
L'exemple eſt donné par lesGraces.
A M. l'Abbé de Lifle , auteur de la
traduction des Georgiques .
JUSQU'IGI j'ai peu fu lacauſe
Qui reproduit cet Univers :
Mais , depuis que j'ai lu tes vers
Je crois à la métempſicoſe :
De Liſle eſt un nom ſuppoſé ;
Je reconnois dans ton langage ,
Virgile même franciſé ,
Qui nous traduit ſon propre ouvrage.
Par un Ecolier.
FEVRIER. 1770. 27
VERS à l'auteur du livre intitulé : le
Pornographe , ou idée d'un honnête
homme , fur un projet de réglementpour
les Prostituées.
La volupté ſourit à ton projet ,
Mais la vertu déjà trop ignorée ,
Endéplore la cauſe , & craint d'en voir l'effet ;
Hélas ! dit- elle , à la douleur livrée :
Vous n'aurez plus d'empire , ô ſageſſe , ô raiſon ,
Il ne vous reſtera qu'un déſert & des larmes ;
Oter au vice ſon poifon ,
C'eſt vous dérober tous vos charmes .
Par M. d'Origny, de Rheims.
A M. d'Abancourt , quife diſpoſoit àfaire
des couplets à Mde ... , pour le jour
defa fête.
Tu vas travailler pour Emire ,
Et ta voix appelle Apollon ?
Ypenſes-tu ? donne à l'amour ta lyre ;
Lui ſeul doit faire ta chanſon.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE .
Pour moi , quand je chante Sylvie ,
Je dis : Amour , peins la beauté
Qui tient mon ame à ſes loix aſſervie ;
Et le dieu de la volupté
Eſt pour moi le dieu du génie,
Par le même.
A Mde de *** , sur une brouillerie.
Auu nom d'amour vous étiez ſi rebelle ,
Que tout amant d'abord découragé ,
En vous ſachant moins ſenſible que belle ,
Appréhendoit de ſe voir engagé.
Un ſeul pourtant , malgré la répugnance
Que vous aviez à connoître un vainqueur ,
S'étoit flatté par ſes ſoins , ſa conſtance
Demériter place dans votre coeur ;
Mais lorſqu'enfin , de votre bouche même ,
Il entendit l'aveu le plus charmant ,
Auroit- il cru que ſon bonheur ſuprême
Devoit , hélas ! ne durer qu'un moment !
D'un ami tendre écoutez la priere :
Que votre eſprit ne ſoit plus irrité,
FEVRIER. 1776 . 29
Sincérité , douceur de caractere ,
Peut- être trop de ſenſibilité ,
Voilà les torts dont Hilas eſt coupable ;
Vaudroit- il mieux qu'il ne l'eût point été ?
Ne rendez pas ſon ſort plus déplorable.
1 Par un Abonné au Mercure.
VERS à Mile C..... qui avoit proposé
le bonheur d'être libre pour fujet
d'une pièce de vers .
د
ILL eſt doux d'être libre , &de vivre à ſon choix :
Le courtiſan le dit ; l'homme ſage le penſe:.
L'un s'attache à la gloire , & l'autre ſert les rois .
Chacun a ſon dieu qu'il encenſe :
Quand on vous voit , on n'a point à choiſir ;
On ſe fait un affront de ſon indépendance ,
L'honneur eſt dans les fers , la gloire eſt de ſervir.
Eh! comment conſerver un parfait équilibre
Entre la raiſon & l'amour ?
Si le Ciel eût voulu que l'homme reſtat libre ,
Il ſe fût bien gardé de vous donner le jour.
ParM.le Prieur , G. O. D. L. ch. deR.
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
Madame la Marquise d'Antremont.
Je ſuis loin de vous contefter E
Unnom que Voltaire vous donne:
De lauriers ſa main vous couronne ,
Vous avez fu les mériter.
:
Oui , foyez la Sapho nouvelle
Qui regne fur le double mont ;
Souffrez auſſi qu'on vous appelle
Corine , jeune d'Antremont.
Ovide aimoit une Corine ,
Non la Grecque vieille & chagrine
Qui compofoit de mauvais vers ,
Ne pouvant pas faire autre choſe ;
Mais une Romaine aux yeux pers ,
Au fin ſourire , au teint de roſe ,
Au coeur ſenſible , au doux parler ;
Cette Corine étoit charmante ,
C'étoit la volupté décente ,
Sanshonte on peut lui reflembler.
D'Apollon vous ſuivez les traces ;
Sur les vôtres on voit l'amour.
Aces deux aſſignez des places ,
Faites les regner tour-à tour :
Soyez notre muſe lejour ,
La nuit , foyez une desGraces.
FEVRIER. 1770 . 31
MES FOIBLESSES.
Conte qui n'en est pas un.
-
د
AH! Je les faurai , ces foibleſſes qui
vous peſent ſi fort , diſoit Silvie à Lucinde
! Si vous perſiitez dans votre obſtination
, vous pouvez vous préparer à m'entendre
faire une déclaration d'amour
pour votre compte , au tendre & timide
Sernan . Ah ! Silvie , n'allez pas me
jouer ce tour , Vous êtes ſi folle !-Pourquoi
non ? Cela amuſe. Tenez , il me
vient une idée ; Sernan va venir , & moi ,
j'irai au devantde lui ,je le ſaluerai d'un
air tendre , mes yeux lui diront je vous
aime , ma bouche le lui confirmera : il
ſe jettera à mes genoux , s'y confumera
d'amour , & moi , je rirai , je regarderai
mon eſclave avec dédain , & je lui dirai :
Croyez - vous , Monfieur que je vous aye
parlé pour moi ? Non , vous ne lepenſezpas
? La belle Lucinde a dicté mes paroles
, & fon coeur va récompenfer votre
amoureuſe ardeur. Eh ! bien , Lucinde
quedites- vous de mon projet ?-Fort joli
en vérité , vous ne vous attendez pas fans
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
doute à mes remercimens ? -Mais il
vous reſte un moyen pour n'impofer
filence. Confiez-moi ce que vous appellez
vos foibleſſes . -Ah , Silvie !
Lucinde !
moi.
-
-Ah
Vous l'exigez , écoutez
Reſtée veuve à ſeize ans , fortant
d'éprouver une gêne cruelle , la liberté
me parût le plus grand des biens , je réfolus
de la conſerver. La bienséance me
forçant de paffer l'année de mon deuil
dans une forte de retraite , je me retirai
chez une de mes parentes , qui vivoit à
la campagne. Elle eut pour moi des attentions
infinies. Elle imaginoittous les jours
mille fortes de divertiſſemens. Elle avoit
un neveu qu'elle me préſenta ; une figure
intéreſfante , un air noble , aifé , un je
ne ſaisquoi me charma & m'inſpira pour
ce jeune homme des ſentimens que je
me reprocherai toute ma vie. Belmont ,
c'eſt ſon nom , ne fut pas long-tems fans
feindre des ſentimens qu'aſſurément il
n'avoit pas . J'étois jeune , ſans expérience ,
je le crus ſincère , & je me livrai de bon.
ne foi à mon penchant. Il s'apperçut de
mes fentimens , il en profita ; il devint
exigeant , jaloux. Je lui facrifiai tour ,
amis , plaiſirs. - Dites-moi prompteFEVRIER.
1770 . 33
۱
ment , Lucinde , combien a duré cer
amour ? - Six mois . - Six mois ! C'eſt
pour en mourir. Eh ! vite , renvoyezmoi
cet homme; il me donne des vapeurs
!
Ma parente le favorifoit en tout.
Un jour que j'étois d'une gaîté folle ,
ma parente me laiſſa ſeule avec lui , fous
le prétexte d'aller vaquer à des affaires
preſſantes , je voulus la ſuivre ; mais
Belmont me retint. On est bien foible
quand on aime ; un regard , un ſeul
regard me décida. Il ſe jeta à mes pieds ,
m'exagera ſon amour , il m'obligea à lui
dire , à lui répéter combien je l'aimois.
J'eus cette foibleſſe. Il eſt impoflible de
dire ces chofes de fang froid , lorſque
coeur eſt engagé. Il oſa me donnerun
baifer , je me fachai : il répandit des
larmes , je lui pardonnai. Nos yeux ſe
rencontrèrent , je rougis , je foupirai ;
cette rougeur , ce foupir , m'attirèrent
de nouvelles importunités. Et que ſçaisje
ce qui feroit arrivé ? Mon
s'uniſſoit au fien , ſes regards m'embarraffoient
, j'avois peine à me défendre de
moi- même , lorſque quelqu'un entrant,
me débarraſſa de l'homme du monde le
plus àcraindre pour moi. Il fortit & laiffa
coeur
le
ADE
ByV
34
MERCURE DE FRANCE.
tomber un papier que je ramaſſai , ſans
qu'il s'en apperçut.Je ſaiſis le premier moment
de liberté pour lire ce biller. Il étoit
d'une femme, grand Dieu,quelle femme !
ma parente , elle-même l'avoit écrit.
Elle l'exhortoit à profiter de mon penchant
pour lui ; elle lui diſoit qu'il falloit ſe
htâer de ine mettre hors d'état de refuſer
fa main , que ce moyen étoit le feul qu'il
pût prendre pour relever ſa fortune : &
qu'elle conſentoit à lui voir continuer
le rôle d'amant juſqu'à notre mariage ,
étant bien aſſurée qu'il l'aimeroit toujours
, malgré tous mes charmes & ma
coqueterie.
Je frémis à cette lecture ; l'amour , le
dépit , la jalouſie , tout porta à mon ame
les coups les plus cruels. Je paſſai deux
heures ſans ſavoir à quoi m'arrêter. Je
roulois des projets de vengeance , tous
mérités , mais trop cruels , & qui ne pouvoient
être excuſés que par la ſituation
violente ou je me trouvois. Après avoir
beaucoup raiſonné , je penſai que le mépris
me vengeroit mieux que l'éclat ; je
m'arrêtai à ce parti ; j'annonçai mon départpour
le lendemain. J'eus à ſoutenir
les larmes de Belmont , ſes reproches ,
les minauderies des voiſins , & celles de
FEVRIER. 1770. 35
ma parente , qui poufla la fauſſeté julqu'oû
elle peut aller. Belmont s'attendoit
à m'accompagner ; lorſque je pris congé
de ma parente , je lui remis le billet de
ſon amant , je leur lançai à tous deux un
regard qui les terraſſa , & je partis fans
écouter perfonne .
Je fus paffer quelque tems à une de
mes terres, fuyant toute compagnie , déteſtantleshommes,
& me voulant un mal
mortel d'avoir pu prendre de l'amourpour
un perfide tel que Belmont; cet audacieux
oſa m'écrire;ſes lettres lui furent renvoiées;
mais que mon coeur fouffroit cruellement !
qu'il lui en coûtoit pour rompre ſes chaînes
! Je tombai malade ; mes parens accoururent
; je guéris &je me vis forcée
de rentrer dans un monde que je déteftois.
Le chevalier d'Olbien , parent de
feu mon époux , fut un des plus emprefſés
à me voir ; ſes manieres me plurent ,
ſans m'attacher , du moins le croyois-je ;
l'hiver ſe paſſa à s'occuper de ces riens à
la mode, auxquels on attache une ſi grande
importance ; je me préparai à aller à
la campagne jouir des douceursdu printems
; une de mes parentes m'y accompagna
& le chevalier y venoit fort fouvent.
Plus tranquille qu'à la ville , j'exa
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
minai mes ſentimens; je frémis en m'apercevant
du déſordre qui régnoit dans
mon coeur ; je voulus y porter remède ,
mais il n'étoit plus tems , le Chevalier
le rempliſſoit tout entier ; je l'évitai ; il
s'en apperçut , devint triste , & , fans ofer
me demander la raiſon de ce caprice , il
ſe conforma à ma façon d'agir ; cette
conduite fit impreſſion ſur moi ; ſes attentions,
ſa complaiſance , quelques raifons
d'intérêt & plus que tout cela mon coeur
qui étoit vivement affecté , me porterent
à lui donner la main; je ne fis part de
cette réſolution qu'à ma parente , qui
l'approuva. Un foir que je me promenois
dans les jardins , ma rêverie me conduifit
dansun cabinet de charmille ; j'y entrai ,
& j'apperçus d'Olbien profondément en.
dormi ; ſa vue m'émut ; je le regardai
avec un intérêt ſi grand , qu'il me fut
impoffible de m'arracher de ce lieu ;
il ne m'avoit jamais dit qu'il m'aimoit
, mais ſes yeux me l'avoient juré
mille fois , & mon coeur entendoit leur
langage ; un attendriflement involontaire
me furprit ; la crainte de trouver
un autre Belmont me fit répandre quelques
larmes ; un mouvement que je fis
pour m'en aller le réveilla ; il me vit &
FEVRIE R. 1770 . 37
ſe précipita à mes pieds ; nous fûmes
long-tems fans ofer nous parler , nous
éprouvions cet embarras , ce trouble enchanteur
qui caractériſe ſi bien une pafſion
véritable; nos coeurs s'entendirent ,
nosbouches jurerent à la fois unetendreſſe
éternelle ; lorſque le ſentiment eut fait
place à la réflexion , je rougis , je baitſai
les yeux ; & le Chevalier s'abandonna à
un déſeſpoir qui me ſurprit; quoi ! s'écrioit-
il ,j'ai pu tromper !-Degrace , ma
chere Lucinde , apprenez •moi pourquoi
ce déſeſpoir , mais épargnez -vous la peine
de me redire les fadeurs d'un homme
qu'infailliblement je vais haïr.
-
Oma Silvie ! ne me haïffez- pas : vous
êtes trop vive ;-Maisquelle étoit donc la
cauſe d'un déſordre ſi ſoudain ?-Le mariage
du chevalier qui étoit conclu il y
avoit un an ; - ah le fat ! il étoit marié ,
vraiment marié ? oui , marié , ſéparé
de ſa femme , & pour toujours ; voici
comment je l'appris; interdite des pleurs
qu'il répandoit , inquiéte de ſes expref.
ſions , je voulus abſolument en ſçavoir la
cauſe ; il m'apprit que fa mere , femme
intéreſſée , l'avoit obligé d'épouſer une
riche heritiere , dont les défauts perfonnels
étoient aufli grands que les biens ;
38 MERCURE DE FRANCE.
qu'ayant juſques-là conſervé fon indif
férence , il avoit obéi; mais que fa feme
me étant d'une jaloufie affreuſe & l'obfédant
cruellement , il l'avoit quittée ; que
cette femme , furieuſe de ſe voir abandonnée
, s'étoit fait ſéparer d'avec lui &
avoit obtenu la jouiſſance de tous ſes
biens; ce fut dans ce tems que je connus
le Chevalier; quelques difcuffions
pour la fucceſſion de mon mari l'obligerent
à me voir; il fut ſenſible à mes foibles
attraits , il m'aima ; mais n'oſant fe
découvrir , il ſe borna à tâcher de m'amufer,
& il n'y réuſſit que trop bien !
Ses foupirs , ſes larmes me prouverent
ſon amour , mais n'affoiblirent point le
coup que cette cruelle confidence m'avoit
portée ; je me rappelois avec confufion
la facilité avec laquelle mon coeur s'étoit
donné ; j'étois anéantie ; le Chevalier
voyant couler mes larmes , ah ! c'en eſt
trop , dit- il , pourquoi faut-il que je faffe
le malheur de tout ce que j'adore ? Ne
devois-je pas m'éloigner avec mon faneſte
fecret & chercher , dans la mort ,
remede aux maux qui m'accablent : adieu,
Madame , poursuivit il, je pars ; puiſſéje
emporter avec moi ce trait dont je
vous ai bleffée ! oubliez , s'il ſe peur , que
un
FEVRIER . 1770 . 39
-
-
- continuez , je
je vous aye aimée , oubliez tout : juſqu'à
l'existence d'un malheureux qui va tout
faire pour ſe perdre? A ces mots il s'éloi .
gna; & vous le laiſsâtes partir ? -
Oui . Je ne vous comprends point ;
vous dites que vous aimiez, quelle eſpèce
d'amour est donc le votre ? Oh bien !
j'aimois , je me plaireis à le dire , à le
prouver , & je ne pourrois me ſéparer
d'un amant qui me feroit cher ;-mais,
Silvie , vous n'y penſez pas , ſongez vous
qu'il étoit engagé , que cet amour ne pouvoit
que m'outrager ;
vous prie , eſt - ce tout de bon qu'il s'en
alla ?-Oui ; lorſqu'il fut parti,je m'abandonnai
àtoute ma douleur,je pallai le reſte
du jour à m'affliger ; la fierté vint enfin
à mon ſecours , je me dis que je n'avois
pour lui qu'un goût paflager ; je me le
perfuadai &je m'en trouvai bien ; rentrée
dans mon appartement, j'appris qu'il venoit
de partir ; mon coeur ſe ſerra fortement
, mais je vins à bout de réprimer
ce premier mouvement ; &, pour réuffir
à l'oublier entierement , je lui cherchai
des torts , & je ne manquaipoint de lui
en trouver .
Que devint- il , Lucinde ?-Il ne me
tint que trop parole ; il s'expoſa au dam40
MERCURE DE FRANCE.
ger& fe fit tuer.-Il eut raiſon ; une ingrate
telle que vous méritoit bien d'être
punie. Eh bien ?-Je le pleurai; ily a deux
ans qu'il n'eſt plus , &j'en garde encore un
tendre ſouvenir. -Le voilà bien avancé ,
ce pauvre chevalier ! Après . -Je vis Sernan
; je vous connus ; j'eus pour vous
beaucoupd'amitié ; je vous l'ai prouvé en
demeurant avec vous , &j'eus pour lui la
plus grande indifférence. Il me parla de
ſa paffion , me rendit des ſoins , m'en
rend encore , mais il n'en eft pas plus
avancé ; jamais , non jamais je ne ſerai à
lui . Deux épreuves comme celles que j'ai
faites , me garantiſſent de la folie d'aimer.
Je vous ai rendu compte de ce que
vous vouliez ſçavoir , ainſi j'ai acquis un
droit fur votre diſcrétion . Il ne vous reſte
plus qu'à me rendre confidence pour
confidence .-Volontiers , mon hiſtoire
ne fera pas longue .
Je ſuis vive , capricieuſe , même un
peu folle; raiſon pour ne pas connoître
l'amour. Vingt coeurs enchaînés ſans avoir
jamais laiſſé prendre le mien , m'aſſurer
de tout , tirer parti des choſes les plus
ennuyeuſes , rire , badiner fans ceffe ; voilà
mon caractere , mes aventures ; ma
vie . Mais vous allez vous marier .-II
FEVRIER. 1770 . 41
-
le faut , mes parens m'obſedent , j'obéis ;
J'épouſe un homine que je ne connois .
ni ne me foucie de connoître , & je ſuis
perfuadée que nous vivrons très-bien enſemble.
Je l'attends aujourd'hui ; Serna'n
doit me l'amener ; les articles ſont dreffés
; nous fignerons ce foir. Mais s'il
étoitd'unehumeur..-. je lui conſeillerois
en vérité ! Je veux être libre ; point de
contrainte , chacun notre appartement ,
nos ſociétés ; voilà comme je veux vivre
& comme je vivrai. Parlons un peu de
Sernan . Vous ne le haïffez pas ; faut- il ,
par une bizarrerie que je ne conçois pas ,
que vous fafliez votre malheur . Non , Lucinde
, croyez moi , vous n'êtes point
avantagée de cette heureuſe indifférence ,
qui eſt la ſource des vrais plaiſirs; ainſi ,
prenez vîte un mari , afin qu'il vous
faſſe goûter les douceurs d'un heureux efclavage.
Sylvie parloit encore , lorſque Sernan
entra. Lucinde baiſſa les yeux , rougit , &
Sylvie éclata de rire : Sernan , qui ne
comprenoit rien à l'air embarraſlé de Lucinde
, ni à l'emportement exceffif de Syl.
vie , les regardoit l'une & l'autre fans
rompre le filence. Lucinde ſe remit enfin
, ſalua Sernan & lui demanda ce qu'il
42 MERCURE DE FRANCE.
avoit fait ce jour. -Madame , je l'ai
paffé avec le marquis d'Orfin.- Le marquis
d'Orfin interrompit Sylvie , & depuis
quand eſt-il à Paris. -D'aujourd'hui
, Madame ; il m'a chargé de...-n'achevez
pas ! Ne peut- il faire ſes commif.
fions lui-même ? Etes- vous ſon interprête
?-Mais , belle Sylvie , je venois
vous le préſenter; il n'a pas cru devoir...
-Que de cérémonies ! Qu'il vienne ,
qu'il vienne ,& vous , ne fongez qu'à vos
affaires. Le marquis entra , les Dames ſe
leverent , & l'étonnement de Lucinde
fut fi grand , qu'elle fit un cri perçant.
Sylvie lui demanda à qui elle en avoit ;
& Sernan regardant le marquis , qui ,
pâle , interdit , les yeux fixés ſur Lucinde ,
n'oſoit faire un pas , lui demanda l'explication
de ce qu'il voyoit.
Sylvie , qui ſçavoit enfin que le marquis
d'Orſin étoit le chevalier d'Olbien ,
prit la parole , & , malgré les ſignes de
Lucinde , conta à Sernan tout ce qui s'étoit
paffé entr'eux. Sernan pâlit à fon
tour ; le marquis , fans regarder Sylvie ,
courut aux pieds de Lucinde , lui demander
la mort ou ſa main. Mais dites moi
donc , pourquoi on vous a cru mort , lui
demanda cette aimable femme ?-Rien
FEVRIER. 1770 . 43
de plus ſimple , Madame. Le déſeſpoir
de ne pouvoir être à vous , & l'honneur
qui ne me permettoit pas de vous revoir ,
après l'aveu de ma témérité , m'engagerent
à joindre mon régiment. Il fût
taillé en piéces & moi percé de coups &
tombé fur un monceau de morts. Un
homme à moi s'apperçut que je reſpirois
encore , il me fit tranſporter à la ville
la plus prochaine , où je reſtai fix mois ,
mon chagrin s'oppofant à ma guériſon .
Je guéris enfin , malgré moi ; je changeai
de nom & réſolus de voyager , pour vous
laiſſer oublier un malheureux amour ,
que je n'oſois ſouhaiter de vous faire partager.
Ma mere ſeule fçavoit ce que j'étois
devenu. Au bout d'un an , elle m'écrivit
la mort de ma femme & me propoſa de
m'engager de nouveau. L'envie de vous
revoir , de voler à vos pieds , m'a ramené
en France ; j'ai feint de conſentir à
l'union projetée , pour avoir le tems de
vous chercher & de ſçavoir le fort que
vous me deſtiniez. Pardon , belle Sylvie ,
vous ſçavez mes ſentimens ; les premiers
engagemens ſont ſacrés & j'eſpere.... Efpérez-
tour , Monfieur , je ſuis enchantée
de notre réunion ;& j'ai tantôt trop bien
44 MERCURE DE FRANCE.
plaidé votte cauſe , pour l'abandonner d
préſent.-Eh bien , ma chere Lucinde, que
décidez- vous ? Reflemblez-vous au mar .
quis ? Etes- vous fidele à vos premiers engagemens
? ... Mais Sernan , pourquoi
nous quitter ?-Il le faut bien , Madame,
c'eſt une choſe trop cruelle d'entendre
prononcer un arrêt qu'on ſçait ne devoir
pas nous être favorable . Adieu , Madame ,
continua cet amant déſeſpéré , en ſe tournant
vers Lucinde , je ne troublerai point
votre félicité. Vous aimez , c'eſt aſſez ;
je reſpecte juſqu'à votre choix & je vais
me punir de n'avoir pu vous inſpirer des
ſentimens tels que les miens.- Sernan ,
je ne veux point que vous me quittiez .
-Lucinde , il le faut, je le dois . Je ne
le veux point , vous dis-je. Votre bon-..
heur m'eſt cher , plus cher que vous ne
le penfez; feroit il impoſſible que je le
fiffe ? Sylvie eſt une autre moi-même ;
pourriez-vous refuſer de rendre ma joie
parfaite en vous uniſſant à elle. -Lucinde
, ne diſpoſez point de moi , contentez-
vous d'adoucir la peine de Sernan
enlui offrant votre amitié , & moi , je
me charge de le guérir , fans autre prétention
que la gloire d'avoir fait une ſi
belle cure . Oui , vous la ferez , MaFEVRIER.
1770. 45
dame , & je jure à vos pieds , par vousmême
, que je travaillerai à rendre mon
coeur digne de vous.-Sernan , vous ne
pouviez m'obliger plus ſenſiblement , &
jejure que ſans ce conſentement , lemarquis
n'auroit jamais eu ma main , quelque
cher qu'il me ſoit. Je vous la donne ,
Marquis , je ne vous donne qu'elle. Il y
a long-tems que vous poffédez mon coeur .
Ah! l'heureuſe foibleſſe !
Par Mile Matné de Marville .
La jeune Fille & la Guêpe. Fable.
QUE jeplains le deſtin des belles !
De quels propos de Ruelles
Ne les obſéde-t'on pas ?
Par-tout où brillent leurs appas ,
Les fots fourmillent autour d'elles .
Pourquoi , me dira - t'on , plaignez - vous_leur
deſtin ?
Cette fadeur leur plaît , & cejargon les touche.
Sans cela , croyez - vous qu'un air fier & farouche
Ne feroit pas bientôt fuir l'importun eſlain ?
Lecoup le plus légerdélivre d'une mouche...
46 MERCURE DE FRANCE.
D'une mouche ? ... vraiment... Eh ! qui ne vous
croira?
Mais en est- il ainſi d'un petit maître ?
Jettez -en un par la fenêtre :
Par la porte à l'inſtant un autre rentrera ;
Et chez la belle ainſi peut-être
Tout l'eflain ſe ſuccédera.
Meſdames , voulez-vous obvier à cela ?
1
Quand le premier paroît , vous conta -t'il merveille
,
Atout ce qu'il vous dit faites la ſourde oreille ;
Je ne connois que ce remede-là.
Doris, aſſiſe auprès de ſa toilette ,
Sur ſes appas confultoit ſon miroir ;
Elle trouvoit ſa taille élégante & parfaite.
Etre belle & chercher ſoi -même à le ſavoir ,
C'eſt le moyen de devenir coquette.
En s'amulant ainſi , certaine guêpe , un jour ,
Vint bourdonner à l'entour d'elle .
L'inſecte alloit , venoit , menaçoit tour-à-tour
La joue& le col de la belle .
Sonéventail la protégeoit envain.
Laguêpe s'éloignoit un moment , & fondain
FEVRIER. 1770. 47
Revenoit lui cauſer une fraïeur nouvelle ;
Doris craignoit ſon aiguillon fatal.
Laiſſez-moi donc en paix , lui dit- elle en colere ;
De tous les animaux répandus ſur la terre ,
La guêpe eſt à mon gré le plus ſot animal.
Pourquoi , belle Doris , lui répond la derniere ,
M'outrager de cette maniere ?
Pourquoi ne dédaigne? Quel est mon crime,
hélas?
Quel mal fais-je , en voulant admirer vos appas ?
Ce ſein , où l'amour repoſe ,
Me ravit par la blancheur.
Ces lévres ont , par leur fraîcheur ,
Le coloris brillant & l'odeur de la roſe.
En voyant tant d'attraits , je crois que tous les
Dieux
Ont répandu ſur vous leurs bienfaits précieux.
A ce diſcours flatteur , Doris enfin s'appaiſe :
Ah! Liſette , dit - elle , ah! ne la frappe pas ;
Tiens , maintenant je ſuis fort aiſe
De n'avoir point hâté l'inſtant de ſon trépas.
Une guêpe n'eſt pas une mouche ordinaire.
Cet inſecte eſt galant , celui-ci ma ſu plaire ;
Je lui fais grace en ce moment.
MERCURE DE FRANCE.
Le croirois -tu , ſon joli compliment
Vient de déſarmer ma colere.
Je lui pardonne tout. La guêpe dans l'inſtant
Va vanter ſon bonheur à l'eſſain bourdonnant.
Enhardi par cette nouvelle ,
Il vole en foule après la belle .
Doris s'en amuſa; ſouffrit l'eſſain fripon
Badiner ſur ſon ſein , voltiger autour d'elle ;
Mais elle ne vit l'aiguillon
Quelorſqu'elle en ſentit la bleſſure mortelle.
Que l'amourpropre eſt ſot ! on veut être flatté.
Voulez - vous être écouté
De la beauté la plus ſévére ?
Amans , flattez ſa vanité ,
Louez & føyez ſûrs de plaire.
ParM. le Monnier,
A
:
FEVRIER. 1770. 49
A Mademoiselle .... Fable.
Un roffignol , habitant d'un bocage,
Chantoit la ſaiſon des beaux jours ,
Et ſes plaiſirs & ſes amours .
Hattira bientôt , par ſon tendre ramage ,
Les animaux du voisinage.
On s'arrêtoit pour l'admirer ;
Les vents ſe taiſoient dans la plaine ,
Zéphir même , Zéphir retenoit ſon haleine ,
Et les ruiſſeaux charmés craignoient de murd
murer.
De corneilles alors , jalouſes de ſa gloire ,
Une troupe voulut étouffer ſes concerts ,
Et lui diſputant la victoire ,
S'éleve en croaſlant & plane dans les airs
Pour fondre ſurl'oiſeau. Lui, ſans prévoir l'orage,
Oùfuyez-vous , dit- il ? Quelque vautour cruel
Vous menace- t'il de ſa rage ?
Ah ! calmez cet effroi mortel ,
Revenez avec moi ; ce bocage tranquille ,
Sous ſon feuillage épais vous préſente un aſyle,
C
50 MERCURE DE FRANCE.
Il dit : mais toutes à la fois
Elevant contre lui leurs croaſſantes voix ;
C'eſt toi , c'eſt toi ſeul , diſent-elles ,
Dont les ſons importuns , les fadeurs éternelles
Nous font abandonner ces bois.
Hé! bien , Meſdames les Corneilles ,
Si mes chants bleſſent vos oreilles ,
Je me tairai , point de procès .
Vous vous tairez , c'eſt à merveilles ;
Mais il faut vous juger , ſans cela point de paix.
Point de paix ? Sommes-nous en guerre ?
Que voulez-vous ? Que par toute la terre
On reconnoiſſe que vos ſons
N'ont riende comparable à nos douces chanfons.
Chez unjuge ſévère il faut que l'on vous mene.
Eh ! bien , ſoit , &j'irai ſans peine ,
Prenons un juge , je le veux.
Long-tems , à ce que dit l'hiſtoire ,
On débattit , parmi la troupe noire ,
Quel juge on choiſiroit entr'eux .
Le lion ? Non , ſans doute , & ſa majeſté veille
Pour de plus grands objets; les rois ont d'autres
foins .
Le finge? Pointdutout. Le renard ? Encor moins,
FEVRIER. 1770. St
Eux décider du chant ? Il n'ont qu'un bout d'oreille.
Gens idiots ! pauvres eſprits !
Mais à propos d'oreille , eh ! quoi , dit une d'elles,
A quoi penfons- nous donc ? L'âne en a de ſi belles!
A ces mots , on fit de grands cris .
L'âne , l'âne , dit-on , qu'il juge nos querelles!
Le roſſignol conſent à tout.
On l'emmene , on part tout-à-l'heure ,
On cherche l'âne en ſa demeure ,
On en trouve deux cens qui cauſoient ſur le goût.
Dieu ſait lajoie ! on entre , & la troupe ennemie
Fait chanter Philomele en cette académie ,
Philomele obéit , & chanta ſon amour.
Corneilles aufſi- tôt de chanter à leur tour :
De chanter ! J'entends à leur mode ;
Anes , d'applaudir à l'inſtant ,
De remuer l'oreille , & dire en ſe grattant;
C'eſt raviſſant : quelle méthode !
1
Cij
52
MERCURE DE FRANCE.
!
D
La Cicogne &le Cerf. Fable.
ANS un cercle nombreux d'animaux différens,
Une cicogne un jour exaltoit ſes talens ,
:
Et ſi l'on eût voulu la croire ,
Les Cliſtorels & les Fleurans ,
Ces ſages dont Thalie , au temple de mémoire ,
Agravé les noms triomphans
Dans l'éclat même de leur gloire ,
Au prix d'elle étoient des enfans.
Non , Meſſieurs , diſoit-elle , il n'eſt point de migraine
,
Point d'indigeſtion , point d'autres maux enfin
Quemon long bec , rempli d'un remede anodin ,
Ne guériſſe d'abord (ans peine :
Les bêtes de l'eſpéce humaine ,
Avec leurs cylindres d'étain
Et leur pharmacie incertaine ,
Sont loin de m'égaler dans cet art ſouverain,
De mon eſprit auſſi moi-même , quandj'y penſe ,
J'admire quelquefois l'énorme profondeur ;
La Faculté ne peut , en confcience ,
Me refaſerle bonnet de docteur :
FEVRIER. 1770. 53
L'obtiendrois- tu , réponds moi , je te prie,
Toi , cerfaux pieds légers , toi , l'honneur des forêts
?
Qui ? Moi ! repart le cerf, il n'a rien que j'envie :
Je ne fais pas guérir la moindre maladie ,
Mais j'ai le grand ſecret de n'en avoir jamais ,
Etce ſecret divin vaut ſeul tous les bonnets .
Par M. Sautereau de Bellevaud.
CONSULTATION TARDIVE.
SIIRR Jonh étoit un vieux garçon qui ,
toute la vie , avoit aimé le plaiſir ; fur le
déclin de ſes jours , il recherchoit encore
les jeunes gens ; leur ſociété ſembloit le
rapprocher de la jeuneſſe ; il aimoit leur
vivacité ; il s'efforçoit de l'imiter & d'oublier
ſon âge. Il comptoit , parmi ſes
amis, Sir Richard Onflow & Sir Antoine
Ashley Cooper , qui fut depuis comte de
Shaftsbury. Tous deux étoient graves &
fenfés ; Sir John les eſtimoit ; mais il les
voyoit rarement ; il ne les recherchoit
gueres que lorſqu'il avoit beſoin deleurs
conſeils , & ſouvent il avoit éprouvé
qu'ils en donnoient de bons .
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
Depuis long-tems Sir John avoit paru
fuir ſes amis ; ils furent très - furpris de
recevoir un matin une lettre par laquelle
il les prioit de venir le trouver à Chelſea,
les conjurant , au nom de l'amitié , de ne
pas différer,parcequ'il avoità les confulter
ſur une affaire importante & preſſée. Sir
Richard & Sir Antoine s'empreſſentde le
fatisfaire ; ils ſe rendent chez leur vieil
ami qui les fait entrerdans ſon cabinet ,
ferme la porte avec une précaution qui
les étonne& les prépare à quelque confidence
extraordinaire ; celle qu'il avoit à
leur faire l'étoit effectivement .
Mes amis , leur dit Sir John , vous
êtes , de tous les hommes , ceux en qui
j'ai le plus de confiance ; je me ſuis toujours
bien trouvé de vos avis , jamais je
n'en eus plus beſoin qu'aujourd'hui. Me
voici parvenu à un âge avancé ; j'ai connu
tous les plaiſirs ; ils commencent à me
fatiguer ; je veux vivre plus retiré ; mais
je crains l'ennui inſéparable de la folitude
; le ſoin de ma maiſon m'embarraſſe ;
les détails domeſtiques me font mourir ,
je voudrois m'en débarraſſer ſur quelqu'un
qui pût en même tems me tenir
compagnie & me ſoigner dans ma vieilleſſe;
je ſens qu'une femme ſeule peut
FEVRIER. 1770 . SS
remplir toutes ces vues à mon gré. J'ai
trouvé cette femme ; je la connois depuis
long-tems ; ſon caractere me convient ;
je ſuis fort tenté de l'épouſer ; que me
confeillez- vous?
Les deux amis ſe regarderent à ces
mots ; ils étoient étroitement liés avec le
neveu de Sir John ; c'étoit ſon unique
héritier ; il avoit rendu pluſieurs ſervices
à fon oncle qui , par reconnoiſſance , lui
avoir promis de ne jamais diſpoſer de ſes
biens qu'en ſa faveur,& qui lui ménageoit
un établiſſement conſidérable que l'exécution
de cette promeſſe devoit faciliter ; il
reſterent quelque tems ſans répondre , &
demanderent enfin le nom de la femmé
fur laquelle Sir John avoit jeté les yeux ;
ils furent très-furpris d'entendre nommer
Lucy Fington ; ils la connoiſfoient ; il y
avoit cinq ans qu'elle avoit fait fon entrée
dans le monde par le libertinage qui
lui avoit procuré une certaine aifance ;
Sir Richard prit le premier la parole :
vous me demandez mon avis , lui dit-il,
je dois vous le donner avec franchiſe , ce
projet me paroît bien extraordinaire à
votre âge & dans votre ſituation; je dirai
plus , je me croirois coupable de vous
taire mille raiſons que l'amitié vous doit
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
&que votre honneur ne vous permet pas
de rejeter ; le choix que vous faites....
Un moment , Sir Richard , interrompit
Sir Antoine , permettez - moi avant tout
de faire une queſtion à notre ami... Parlez
moi vrai , Sir John , faites - nous la
confidence entiere ; n'êtes - vous pas déjà
marié ? Sir John héſita un moment , &
enfin il convint que la cérémonie s'étoit
faite la veille. Eh ! bien , reprit Sir Antoine
, il n'y a plus beſoin de prendre
d'avis; permettez - nous d'aller féliciter
Mylady , & chargez-vous de lui préſenter
vos amis .
Sir John les conduiſit chez fa nouvelle
épouſe ; ils dînerent enſemble , & ils pafferent
la journée de la maniere la plus
gaie. En s'en retournant à Londres , Sir
Richard remercia ſon ami de l'avoir interrompu
aufli à- propos qu'il l'avoit fait;
car , ajouta -t - il, j'allois faire de Lucy
Fington un portrait que jamais Sir John
ne m'auroit pardonné ; mais je ne conçois
pas comment il vous eſt venu à l'efprit
de lui faire cette queſtion ; qui pouvoit
s'imaginer, lorſqu'il nous confultoit
ſi ſérieuſement , que la choſe étoit déjà
faite ? Son caractere , qui m'eſt bien connu
, reprit Sir Antoine , le ton qu'il avoit
FEVRIER. 17764 5.7
pris , m'ont donné des ſoupçons qu'il
avoit fait la fottiſe , & qu'il cherchoit à
la couvrir en s'autoriſant de notre avis.
C'eſt une bonne leçon , repliqua Sir Richard
, quand on me demandera confeil à
l'avenir , je me preſſerai moins de répondre.
EPIGRAMME.
D'U'UNN air honnête&toiſant mes paroles ,
Ces jours paflés je priois un ami ,
Vieux patelin , riche en diable & demi ,
Deme prêter quinze ou ſeize piſtoles.
Dès qu'il m'ouït ilfronça les ſourcils,
Et dégoifant une longue légende
De ſots fermons ſottement affortis ,
Me pérora comme il eût fait ſon fils :
Las à la fin de cette reprimande ,
Vous parlez bien , dis-je au papa raffis ;
Mais donnez moi ce que je vous demande ,
C'eſt de l'argent& non pas des avis .
ParM. Sautereau de Bellevaud,
C
S MERCURE DE FRANCE.
MADRIGAL à Mile L. P. D. B.
Le papillon léger , le zephire infidèle
Du jeune lys à la roſe nouvelle
Promenent au printems leurs ſoupirs ſéducteurs :
Charmante Eglé , mon coeur volage
Imita long- tems leurs erreurs ;
Mais ſous tes loixàjamais je m'engage,
Je trouve en toi toutes les fleurs .
Parlemême.
A M. Rag... , auteur du premier Logo-
J
gryphe du Mercure de Novembre.
E vous prends ſur le fait , beau fire ,
Entre les Muſes & Plutus ;
Favorides amours & chéri de Comus ,
Tous les dieux daignent vous fourire ;
Je vous en fais mon compliment ;
Ce concours doit, aſſurément ,
Sur chacun de vos jours répandre un nouveau
charme :
Pourſuivez , jouiſſez de votre heureux deſtin ,
Pag. 58
CHANS ON,
Pour une Basse taille
r
ParM.Delarousselle de Bordeaux .
Tendrement .
Fevrier
1770 .
Ah! quej'ai de re-
2:
=gret,D'avoir dit mon se - cret ;
2: *
Al'in=humaine que j'a:do =
+
re.Mon sort en est
plus rigou
re , re'..
2:
-reux ; Sij'avois pu cacher
+
2 .
mes
feux, l'Espoir me res :te: roit en
: 00 :: .` re . mon re
De l'Imprimerie de Récoquilliée rue du Foin StJacques
FEVRIER. 1770 . 59
Aimez , rimez toujours , banniſſez le chagrin ;
Et ſi jamais vous verſez une larme ,
Que , conforme à vos goûts & pour les mieux
ſervir ,
Elle ſoit fille du plaiſir.
Par D. L. S. , de Paris.
L'EXPLICATION du mot de la premiere
énigme du ſecond volume du Mercure
de Janvier 1770 , eſt Riviere ; celle de la
ſeconde est l'allumette ; celle de la troiſieme
eſt le fonge ; celle de la quatrième
eſt le nez. Le mot du premier logogryphe
eſt fauteuil , où l'on trouve taie , fút
de colonne , feu & eau , il faut & tuf ,
tuile , fa & mi , ail , lie , tuiau , fat , fil :
Celui du ſecond eſt ſavonnette , où l'on
trouve Etna , Efon , Enna , tout , fot ,
zue , faute , finon , Saône , Eve , os , vent ,
navette,fou , vente , Teos , Tenos , Tenos
vaſe,Jonnette , ton , as , anon , Annette ,
ofe , Ofée : Celui du troiſieme eftfoir, où
l'on trouvefoi & Roi.
4
-
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
J
ÉNIGME
■ ſuis le contenu , comme le contenant :
Je fais les délices du ſage ;
Mais je parois avec plus d'étalage ,
Quoiqu'inutile , aſſez ſouvent ,
Chez un Créfus ou chez un grand.
L'Univers eſt mon apanage ,
Et chaque jour m'apporte ſes tributs.
En moi tout n'eſt pas bon, & dans leur aſſemblage
Tous les êtres ſont confondus :
Lebien avec le mal inceſſamment contraſte ;
Le remede eſt à côté du poiſon :
Ala justice , à la raiſon
Souvent j'accorde moins de fafte
Qu'à l'impie & qu'au poliflon.
Je ſuis l'aſyle & le refuge
De ce que Thémis a proſcrit ,
Et je me trouve ce crédit
Juſques dans la maiſon dujuge:
Dans les plus importans procès ,
Quand il s'agit des plus grands intérêts ,
L'onme confulte,&l'on rencontre
FEVRIER. 1770. 6
Chez moi des raiſons pour & contre.
Ah ! lecteur , j'en ai dit afſez :
Apréſent vous me connoiſlez ,
Car , dans pluſieurs endroits de la machine ronde
Je reçois chez moi tout le monde.
Par M. Parron , capitaine d'infanterie.
AUTRE.
ON me voit dans Paris ,on me voit enprovince
Je fers également le portefaix , le prince.
Sans connoîtrejamais ni crainte , ni defir ;
C'eſt par moi que toujours commence le plaifir.
Trop pefant , pour gravir les rochers , les montagnes
,
Je deſcends dans la plaine & parcours les campagnes
:
Jen'y fais point la guerre aux timides oiſeaux :
Je préfère la pêche & l'habitant des eaux.
Sans ceſſe avec la paix , loin de l'indifférence ,
Je vis dans le repos &dans l'indépendance .
Le pantin , la poupée ont pour moi des attraits ;
Ic les ſuis en tous lieux , ſans les quitter jamais.
62 MERCURE DE FRANCE.
Mais vois , ami lecteur , quelle est mon inconf
tance ;
J'habite les palais , je ſuis dans l'opulence ;
Et toujours ennemi des grands & de la cour ,
Je m'éloigne du louvre & j'en fuis le ſéjour.
En ai-je dit affez pour me faire connoître ?
Je ſuis crochu , boîteux , & n'ai qu'une fenêtre ;
Tu me portes par-tout , aux pieds & ſur la peau :
Je loge ſur ta tête & ſuis dans ton chapeau.
Par M. Dauphin , abonné au Mercure.
AUTRE.
J ſuis d'une forme arbitraire ,
Et j'ai ma place en mille endroits ;
Par mon utilité je me rends néceſſaire
Chez le marchand , chez le bourgeois .
L'égalité fait mon mérite ,
Sans cela je ne vaux plus rien ;
Plus d'un fripon quand il débite ,
De mes défauts ſe trouve pourtant bien
De preſque toute marchandiſe ,
C'eſt moi qui fixe le rapport.
Quand on emplit un coffre fort ,
FEVRIER. 1770 . 63
Pour éviter toute ſurpriſe ,
On contrôle par moi les tréſors de Plutus.
Dans les endroits que j'habite le plus ,
Je ſuis preſque toujours pendue.
Apréſent te ſuis-je connue ?
Non , pas encor ! leve les yeux ,
Tu me verras briller aux cieux .
Par M. Charnois.
AUTRE.
C'est moi qui , des héros , ceint le front glerieux
Qui , mépriſant la glace & l'hiver furieux ,
En toutes les ſaiſons conſerve ma parure.
C'eſt moi qui , d'une nymphe , eus jadis la figure,
Et captivai le coeur de ce dieu bienfaiſant
Qui , ſur ſon char aſſis , d'un regard complaiſant ,
Enrichit les guerets du laboureur avide.
Sept lettres de mon nom rempliffent tout le vide.
Chez les Latins , je ſuis du genre féminin ;
Mais les François me font du genre maſculin.
:
Par M. le Baron des Hermeaux
de la Valette , P.A.C R.D. N.
64 MERCURE DE FRANCE.
LOGOGRYPΗ Ε.
SAANNSS me donner pour unoracle
Je ſuis dans l'hiſtoire vanté ,
Pour avoir opéré miracle ,
Et ne m'en fais point vanité.
En deux décompoſez mon être ;
Le premier vous montre en total
Ce que la nuit fait diſparoître ,
Le ſecond eſt un animal,
Par M. Metairie , curé de StMaurice
au diocèse du Mans.
ON
AUTRE.
N me trouve toujours chez le vaillant guerrier
,
L'intrépide ſoldat & le brave officier.
Guidé par la raiſon , je ne crains point l'orage,
Et ſans jamais trembler , j'évite le naufrage.
Septlettres font monnom ; en le décompoſant
Tutrouveras,lecteur,un infecte rampant ;
FEVRIER. 1770 . 65
Le terme qu'un cocher prononce ſur fon fiége ;
Le gîte qu'un oiſeau redoute autant qu'un piége ;
L'arme de Cupidon; un ſonore inftrument ;
Un mal qui , dans les chiens , ſe voit communément
;
Un légume commun , une plante rampante ;
Ce qui deſlus les mers intimide , épouvante ;
Un métal précieux , un adverbe , un pronom ;
L'épithète qu'on donne au vertueux Caton ;
Ce que cachent toujours & la femme & la fille ,
Le ſéjour de nos rois , celui de leur famille ;
Le ſoutien d'unbeau char comme d'un tombereau;
L'endroit où d'ordinaire on ne cherche pas l'eau ;
Un bénéfice enfin . mais cela doit ſuffire ..
Pour être deviné , j'ai dit ce qu'il faut dire.
ParM. Borel, contrôleur- ambulant
des Domaines du Roi.
MON
AUTRE.
ON nom fait très - ſouvent l'épithète d'un
fat;
Il eſt d'une fyllabe,& retournant ſa tête :
66 MERCURE DE FRANCE .
C'eſt un arbre ſans fleurs , ſans fruits , ſans odorat:
Je ſuis note &métal.. J'en dis trop .. Je m'arrête.
Par M. Deſnoyers , abonné au Mercure.
Q
AUTRE.
UOIQUE je ſois de matiere fragile,
Chacun s'empreſſe à louer ma beauté ;
Chacun convient de mon utilité ;
Mais à chacun je ne ſuis pas utile.
Il faut avoir , pour ſe ſervir de moi',
Une fortuné un peu conſidérable ;
Et l'on ne doit m'employer à la table
Que lorſque rien ne peut manquer chez ſoi .
Ce n'eſt pas tout; je vais , ſuivant l'uſage ,
Changer de forme & de déguiſement ,
Et du lecteur cherchant l'amusement ,
Demes dix pieds faire un nombreux partage.
Je dirai donc , pour commencer mon jeu ,
Que je fais voir par ma métamorphofe
Et la façon dont je me décompoſe ,
Un animal que l'on mange en tout licu.
FEVRIER. 1770. 67
Deplus , un terme à qui tout eſt contraire ,
Ce qu'un acteur doit ſouvent répéter ;
Un couple heureux que l'on doit reſpecter ;
Ce qu'un curé ſouvent manque de faire.
Un minéral de très - grande valeur ;
Le nom qu'on donne au chef d'une famille ;
Ce qui compoſe un ornement de fille ,
Ce qui devient un ſujet de douleur.
Un élément , deux notes de muſique ;
Un fer pédestre , ennemi des chevaux ;
Un des péchés qu'on nomme capitaux ;
Un bon gibier , un grand fleuve d'Afrique.
D'un animal que j'ai déjà cité
Une flotante & longue chevelure ,
Et des maris l'idéale coëffure ,
Qui , de leur honte , eſt un figne uſité.
Un coquillage , une plante inutile
Qu'à la campagne on trouve ſous ſes pas ,
Etdont jamais on n'a fait aucun cas ;
De la nature un connoiffeur habile .
Ce qu'on emploie aux étoffes d'hiver ;
Un grand ruiſſeau qui coule dans le Maine ;
Un ſédiment , le nom du capitaine
Qui découvrit les iſles du Cap Verd.
68 MERCURE DE FRANCE.
Un animal que l'on ne vante guère ,
Et que par contre on fait bien travailler ;
Un corps fort dur difficile à tailler;
L'ifle où mourut l'incomparable Homère.
L'outil d'un peintre ou d'un deſſinateur ;
Un faint vieillard qui , ſur un char de flame,
Fut tranſporté , ſoit en corps , ſoit en ame ,
Dans le ſéjour du divin Créateur.
Une ineffable & longue récompenſe
Qu'en faiſantbien chacun peut obtenir...
Mais c'eſt affez , il eſt tems de finir ,
Je ſuis déjà plus laſſe qu'on ne penſe .
Par M. Fabre de Marseille.
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
Bayard & Gaston , tragédie , par M. de
Belloi , à Paris chez la veuve Duchêne
, rue St Jacques , au temple du
goût.
L'AUTEUR du ſiége deCalais, qui a conſacré
ſes talens au patriotiſme , a réuni
dans ce nouvel ouvrage deux héros fran
1 FEVRIER. 1770 . 69
çois dont la înémoire ſera toujours chere
ànotre nation& reſpectée des étrangers .
La ſcéne eſt dans la citadelle de Breffo
où les François font affiégés par le Duc
d'Ubin , neveu du Pape Jules ſecond ,
fi connu par ſon audace ſcandaleuſe & fa
haine pour le nomFrançois;les lancesEſpagnoles
, commandées par Peſcaire , grand
général & grand fourbe , ſe ſont jointes
au troupes Italiennes ; Bayard arrive au
commencement de la piéce pour ſecourir
les affiégés; il leurdéclare qu'ils ne peuvent
tenir dans la citadelle plus de cinq jours ,
Gaſton ne vient les ſecourir ; mais il eſt
loin , les chemins ſont impraticables , ſes
ſoldats fatigués ; on n'oſe compter ſur lui
& il faut ſe réfoudre à mourir ; le comte
Avogare , ſeigneur Breſſan , & le duc
d'Altémore , Napolitain , font en apparence
alliés aux François ; mais ce font
deux traîtres qui ont conſpiré la perte de
Bayard & de Gaſton ; le motif d'Avogare
eſt la vengeance de ſon épouſe &de fon
fils , égorgés par les François dans les
fureurs de la guerre & c'en eſt affez
pour fonder une trahifon dans un tems&
dans un pays où elles étoient ſi communes;
Peſcaire a pratiqué ſous les murs
deBreſſe des mines dont on ſuppoſe que
70 MERCURE DE FRANCE.
l'uſage n'étoit encore connu que de lui
& d'Altémore,& qui doivent jouer dans
l'inſtant le plus favorable ; cependant le
duc d'Urbin a demandé une entrevue à
Bayard pour le déterminer à ſe rendre;
Bayard le reçoit ; le Duc l'invite nonſeulement
à rendre la place , mais à pafſer
dans le parti de Jule & de l'empereur
Maximilien ; Bayard lui répond :
Un pontife m'exhorte à violer ma foi !
Des Chrétiens , mieux que lui , je connois done
laloi .
Dieu dit à tout ſujet, quand il lui donne l'être :
* Sers , pour me bien ſervir , ta patrie & ton maître
:
>> Sur la terre , à tonRoi j'ai remis mon pouvoir.
→Vivre & mourir pour lui c'eſt ton premier de-
>> voir. »
Enrappelant nos coeurs à cette loi ſuprême ,
Un pontife devient l'organe de Dieu même.
Mais , Seigneur , quand ſa voix combat l'ordre du
ciel,
C'eſt l'homme alors qui parle & l'homme criminel.
En vain d'un rang ſacré Jule exalte l'empire;
Lui , qui ſoufflant par - tout la fureur qui l'inſpire ,
Du pieddes faints autels embraſe l'Univers ,
Lui , dont le front blanchi par quatre - vingt hivers
,
FEVRIER. 1770 . 71
Etaledans un camp le mêlange bizarre
De l'airain des guerriers au lin de la tiare ,
Qui , dans Mirande enfin vint lui - même afſiéger
,
Dépouiller l'orphelin qu'il devoit protéger.
Ne croyez pas pourtant que mon erreur ſiniſtre
Rejette ſur l'autel l'opprobre du miniftre.
Dépend- il en effet des vices d'un mortel
Dedégrader le nom , les droits de l'Eternel ?
Sont - ils moins faints pour nous, quand Jule les
profane?
Le crime avilit-il la loi qui le condamne ?
Je ſépare deux noms qu'on veut aſſocier ;
Je révére un pontife & combats un guerrier.
Quant à Maximilien que pourrai-je en attendre ?
Il ne ſéduiroit pas un coeur fait pour ſe vendre.
Ferdinand s'applaudit alors qu'il trompe un roi ;
Eſt - ce avec un ſoldat qu'il garderoit ſa foi ?
Pour Venise , il est vrai , j'eſtime ſon courage.
Surpriſe par la foudre elle a bravé l'orage ;
Au ſénat des Romains jaloux de reſſembler ,
Son ſénat vit ſa perte & fut n'en point trembler.
Entre ſes ennemis ſa politique habile 1
Sema pour l'intérêt une diſcorde utile ,
De ce Jule autrefois ſon ardent oppreſſeur ,
Veniſe maintenant le fait un défenſeur ,
Et fait contre Louis armer pour ſa querelle
Tous les rois qui , d'abord , armoient Louis contre
elle;
72
MERCURE DE FRANCE .
Mais l'Europe verra le Monarque François,
Trahi par les égaux & non par ſes ſujets.
Le Duc lui repréſente qu'il eſt mal
récompenſé par le roi de France ; la réponſe
de Bayard eſt digne d'un vrai chevalier.
Amon choix Louis me récompenfe.
Dès qu'il voit un laurier , il l'offre à ma vaillance.
Dès que pour la patrie il craint quelque haſard,
Le poſte du péril eſt celui de Baïard.
Il me met le premier ſous l'aîle de la gloire.
Il veut tenir de moi ſa premiere victoire .
Sonjeune fuccefleur , ce généreux Valois
Qui ſoupire en ſecret , au bruit de nos exploits ,
Dans les armes déjà m'a choiſi pour ſon pere ;
Il veut , qu'arbitre un jour de ſa vertu guerriere ,
Un ſujet donné aux Rois le ſceau de la valeur ;
Où ſont les dignités qui valent cet honneur ?
Le Duc ſe reſtreint enfin , en admirant
la vertu de Bayard , à lui faire fentir la
néceſſité de ſe rendre.
Comment ! Baïard ſe rendre !
s'écrie le chevalier fans peur ; le Duc lui
fait obſerver que la place n'eſt pas tenable,
que
FEVRIER . 1770 . 73
que les remparts ſont écroules , qu'ils
n'ont plus de poudre ; Bayard appelle ſes
foldats & dit au Duc :
Voici d'autres remparts dont vous ne parlez pas.
On annonce auſſi- tôt l'arrivée de Gaſton ;
le Duc , Bayard , Avogare , Altemore ,
d'Alegre , tout demeure immobile de furpriſe;
le chevalier s'écrie :
Que notre étonnement doit honorer Nemours !
Guerriers , depuis vingt ans, admirés ſur la terre ,
Allons apprendre encor le grand art de la guerre.
Aurions- nous projeté ce qu'il fait aujourd'hui ?
& en s'adreſſant au Duc qui lui a reproché
de ſe laiſſer commander par Ne
mours :
Eh! biendoit-on rougir de commander ſous lui ?
Il fort pour aller le recevoir ; Altemore
& Avogare font part de leurs projets de
trahifon au duc d'Urbin , mais fans en
expliquer le détail; le généreux Duc ne
veut point être leur complice , mais il ne
fait point avertir les Généraux François
que l'on trame une trahifon contre eux ;
ce ſecret parvient à Euphémie , la fille
d'Avogare , dont Bayard & Gaston font,
D
74 MERCURE DE FRANCE.
également amoureux , qui aime Gaſton
&dont le pere flatte la paſſion de Bayard
pour le mettre aux priſes avec ſon général;
Euphémie combat les deſſeins perfides
de fon pere , ſans lui dire de qui elle
les tient ; mais Avogare eſt inflexible ;
Gafton arrive tenant à la main le plan
de la bataille qu'il veut livrer aux ennemis
, & de l'affaut qu'il va faire donner
à la ville ; il eſt ſuivi de Bayard & des
autres chefs de l'armée ; il ſe promet de
triompher des ennemis de la France &
de trouver dans Euphémie le digne prix
de ſa victoire ; Bayard entendant parler
de cette alliance prochaine & de la paffion
de Nemours , qu'il ignoroit , eſt
frappé d'un étonnement mêlé de colere ;
il va juſqu'à braver Nemours & lui rappelle
que Sotomajore,un de ſes rivaux ,
a fuccombé fous fes coups ; Gaſton comprend
cette menace ; mais un danger
plus preffant l'occupe , c'eſt celui de la
patrie; il ne doute pas que cet intérêt ne
l'emporte dans le coeur de Bayard fur
tous les autres ; il lui donne fon plan de
bataille à examiner ; Bayard fort ; & un
moment après Nemours reçoit un cartel
de Bayard qui ne veut pas mourir compiable
envers l'honneur , & qui pouvant
FEVRIER. 1770 . 75
périr dans l'affaut que l'on va livrer aux
remparts de Breſſe , veut vider auparavant
ſa querelle avec fon Général ; Nemours
accepte le défi malgré le déſeſpoir
d'Euphémie ; il prend pour témoins du
combatAltemore & Avogare qui ſe propoſent
d'immoler celui des deux qui fera
vainqueur ; mais , dit Avogare , Ferdinand
(le roi d'Eſpagne) ſouffrira-t'il qu'on
aſſaſſine Nemours fon beau frere ? Te l'at'il
commandé ! l'Italien répond :
Il eſt de ces forfaits
Qu'un ſouverain prudent ne commandejamais.
Sûr du voeu de ſon maître , un courtiſan habile ,
En lui ſauvant la honte , acheve un crime utile.
Le parti de Gaſton dans Naple eſt dominant.
Qui perd ce prince , aſſure un trône à Ferdinand.
L'inutile vertu peut languir fans ſalaire ;
Mais un pareil ſervice eſt le grand art de plaire.
Ces vers peignenttrès bien une politique
affreuſe , très commune dans ces tems
groffiers & barbares ; car par un contraſte
alfez étrange c'eſt dans le tems où les vertus
loyales de la chevalerie jetoient le
plus , d'éclat qu'on vit le plus d'exemples
de cette perfidle ſyſtématique , érigée en
art par Machiavel .
!
1
i
:
Dij
75 MERCURE DE FRANCE.
Bayard & Gafton viennent au rendezvous
; le Duc embraſſe le Chevalier &
met l'épée à la main :
Embraſſez un ami, combattez un rival.
Bayard alorsappelle à haute voix tous les
officiers de l'armée qu'il avoit priés de ſe
raſſembler au rendez- vous,& en préſence
d'Euphémie qui s'y trouve auſſi , il met
fon épée aux pieds de Nemours & fe
reconnoît coupable de l'avoir offenfé ;
Nemours lui montre alors un papier où
il le faifoit héritier de ſon nom & de
ſes appanages , s'il étoit mort dans le
combat ; il est même ſur le point de
céder Euphémie , mais fon amour l'arrête
; ce facrifice eſt réſervé à Bayard ;"
l'hymen de Nemours & d'Euphémie eft
décidé ; Avogare qui voit tous ſes projets
confondus prend le parti de diſtimuler
avec ſa fille ; il feint d'être défarmé
par la générosité des deux héros ; mais il
eſt de concert avec Altemore pour les
faire périr dans le combat ; en effet Bayard
eft bleffé , mais Gafton trop bien accom.
pagné a échappé aux embuches des deux
traîtres . Euphémie informée de leurs nouveaux
complots a une ſcène très violente
avec ſon pere ; Nemours arrive & AvoFEVRIER.
1770. 77
gare craignant que fa fille ne découvre
tout , veut faifir le moment où il eſt ſeul
avec elle & Nemours pour percer ce jeune
héros; fa fille le retient ; Nemours le mer
en défenſe & veut percer Avogare ; Euphémie
ſe retourne & défend ſon pere
contre ſon amant , après avoir défenda
fon amant contre ſon pere ; Nemours
appelle ſes gardes & fait arrêter Avogare ,
mais il promet à ſa fille qu'il ne périra
point.
Au cinquième acte Bayard bleffé eſt
étendu fur un lit ,& le duc d'Urbin devenu
fon prifonnier eſt à côté de lui ; Nemours
fait éloigner le Duc,& devant Bayard,fil
donne audience à un vieillard qui apporte
des avis importans; ce vieillard eſt un
ancien déſerteur François établi chez les
Breſfans ; pénétré de remords & voulant
réparer fon crime en ſe rendant utile à
ſa patrie , il a gagné par argent un foldat
Eſpagnol qui lui a appris que Peſcaire
doit arriver la nuit dans Breſſe par ces
fouterrains dont nous avons parlé, que les
Vénitiens doivent arriver par un aqueduc
& ſe joindre à lui , qu'une mine doit
jouer près du rempart & qu'un traître s'eſt
chargé d'y mener adroitement Nemours
afin qu'il y périffe le premier; Nemours
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
donne les ordres les plus ſages pour prévenir
tant dedangers; il fort ; Altemore
qui n'a pas encore été découvert & qu'Avo
gare n'a point accuſé , vient dans la chambre
de Bayard & ſe prépare à l'égorger
au moment où l'exploſion de la mine
annoncera la perte Nemours ; c'eſt le
fignal convenu entre les traîtres; Euphémie
arrive éperdue , elle veut accuſer
Altemore ; tout d'un coup on entend
le bruit de la mine & Altemore veut
percer Bayard ; mais le Chevalier a
ſa lance à côté de lui ; il ſe met en
défenſe contre lui & fes Italiens ; Gafton
&les François entrent avec degrand cris;
on entraîne Altemore au fupplice ; Nemours
a été ſauvé une ſeconde fois par
les avis de ce vieux déſerteur; il avoit fon
poſte au palais d'Avogare , & c'étoit- là
précisément que la mine étoit placée ; le
vieillard eſt venu l'avertir qu'il n'y a pas
un moment à perdre, qu'il falloit quitter
ce palais ; Nemours en eſt ſorti , & un
moment après le palais eſt abîmé avec un
horrible fracas; & Avogare & ce généreux
déſerteury ont péri; Peſcaire avoit attaqué
un côté de la ville , mais il avoit été
repouffé , & Bayard & Nemours font
fauvés & la France eſt victorieuſe.
:
FEVRIER. 1770. 79
Nous ne voulons point prévenir fur un
ouvrage auſſi récent & qui n'a point été
repréſenté , le jugement que la partie la
plus faine du public & l'effet théâtral ne
fixent qu'à la longue ſur les productions
dramatiques ; mais nous ne pouvons nous
refufer au plaifir d'affirmer qu'on y trouve
de beaux vers , de grands fentimens , de
Penthoufiafine militaire & patriotique ,
& que l'ouvrage honore également M.
de Belloi comme auteur & comme citoyen
.
Anecdotes du Nord, comprenant la Suède,
le Dannemarck , la Pologne & la Ruffie
, depuis l'origine de ces monarchies
juſqu'à préfent. AParis , chez Vincent,
imprimeur- libraire , rue St Severin,
1 vol . in sº.
Nous avons déjà annoncé les anecdotes
françoifes , italiennes , angloiſes , germaniques
, &c. à meſure qu'elles ont paru;
les gens de lettres qui ſe ſont propoſé
de préſenter ſucceſſivement ſous ce plan
J'hiſtoire de tous les peuples de la terre ,
continuent leur travail avec ſuccès ; ce
volume contient la partie la plus intéreffante
de l'hiſtoire de Suède , du Dannemarck,
de la Pologne & de la Ruffie;
Div
30 MERCURE DE FRANCE.
on a recueilli tout ce qui pouvoit fixer
l'attention du ſçavant , fatisfaire l'homme
de lettres, amufer & récréer l'homme
dumonde.
On commence par la Suède ; ſi l'on em
crpit les Suedois , ils deſcendent de Suenon
, fils de Magog , petit fils de Japhet ,
& attribuent la fondation d'Upfal à fon
frere Ubbon. Sans s'arrêter à ces prétentions
, au moins ridicules , on defcend à
l'an 887 avant Jeſus Chriſt , qui eſt à
peu -près la premiere époque qu'offrent
les tems nébuleux de l'hiſtoire de Suède .
» L'amour eſt de tous les pays & de tous
> les climats ; le premier trait que nous
>>prèſente un peuple alors preſque ſauvage
, eſt un trait galant; Gram , prince
» de Dannemarck , étoit amoureux de la
>>fille de Sig-Trud , roi de Suède , fils
» & fucceffeur de Niord ; mais un grand
>> obſtacle s'oppoſoit à ſes voeux : le pere
>>de ſa maîtreſſe la deſtinoit au frere du
> Roi de Finlande ; Gram trouva cepen-
>> dant le moyen d'être heureux ; aſſuré
>> du coeur de la fille de Sig-Trud , il ſe
>> rendit déguifé à la cour de Suède , en-
>> leva la Princeffe& la conduifit en Dan-
*>> nemarck ; l'enlevement , dit l'auteur de
>> ce recit , ( Loccenius ) n'avoit alors rien
FEVRIER. 1770 . 81
>> de honteux ; cependant Sig Trud arma
» contre le raviffeur & confulta l'oracle
>> pour ſçavoir le ſuccès de fon expédition ;
» l'or te nuira plus que le fer , lui répon-
>> dit l'oracle ; cette réponſe étoit affez
>> intelligible ; cependant le bon Sig-
>> Trud s'y trompa ; l'art de corrompre les
>> hommes avec de l'or n'étoit pas fi com-
>> mun qu'aujourd'hui ; mais Gram le
>> ſçavoit auſſi - bien que celui de fédui-
>> re une fille ; il gagna par ſes largeſſes
رد les principaux chefs de l'armée Sué-
» doife , qui lui livrerent Sig-Trud ; ainſi
>> s'accomplit l'oracle. Loccenius dit que
>>Gram tua Sig Trud avec une maffue
>> dont le bout étoit d'or » .
Olaus Magnus rapporte que le roi Walander
, qui régnoit l'an 173 de l'ére chrétienne
, exerçoit publiquement le métier
de brigand , & détrouſſoit les paſſans ſur
les grands chemins ; pour ſe diftinguer
du commun des voleurs qui ſe contentoient
de prendre l'argent & les habits
des voyageurs , Walander les dépouilloit
tout nuds ; fil'on jugeoit des moeurs de la
nation par celles du Roi , on concevroit
une idée bien étrange des Suédois de ces
tems -là.
Parmi les traits que fournit l'hif
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
toire de Marguerite de Waldemar , nous
nous arrêterons à celui- ci : cette princeſſe
s'étoit emparé avec adreſſe des fortereſſes
principales ; elle confioit les gouvernemens
& les charges à des Seigneurs Danois
, éloignant les Suédois des places
importantes; le feul qu'elle éleva fut Abraham
Bronerfon dont le mérite étoit une
figure intéreſſante qui plaiſoit à la Reine ;
* çe choix n'échappa point à la critique
>> des mécontens ; ils ne s'en tinrent pas
>>aux propos injurieux qu'un tel ſujet
>> leur fourniffoit; ils allerent en corps
>> porter leurs plaintes à la Reine , munis
>> d'une copie du traité de Colmar &
>> des titres de leurs priviléges , qu'ils
>>ne lui préſenterent que pour lui repro-
>> cher de les avoir violés ; mais la Reine
>>qui avoit la force de fon côté , mépriſa
>>ces repréſentations impuiſſantes : con-
>>fervez avecfoin vos titres & vos parche .
>> mins, leur dit elle d'un ton railleur , &
» moije garderai les fortereſſes du Royau-
» me ১১ .
L'hiſtoire Danoiſe offre des anecdotes
rès- intéreſfantes ; Chriſtophe III étant
mort fans enfans en 1448 , le Sénat jeta
les yeux fur Adolphe , comte de Holſtein,
qui par un exemple de déſintéreflement
FEVRIER. 1770. 83
bien rare , refuſa la couronne en recommandant
Chriſtian, ſon neveu , fils de
Théodoric , comte d'Oldembourg ; » le
» Sénat députa ſur le champ versle Comte
>> pour le prier de marquer lui- même le
>> choix du ſujet le plus propre à les bien
>> gouverner ; j'ai trois fils , dit le comte
d'Oldembourg , l'un est paſſionné pour
» lejeu & lesfemmes; l'autre estd'un carac-
> tèrefi violent qu'il ne refpire que la guerre ,
» & il a des motifs qui la lui feroient entre .
> prendre ; le troisième est d'un caractère
» modéré , il ne refpire que la paix , & na
» cependant peut être pasfon égal en va-
» leur , en générosité & en bonté; ces am-
» baffadeurs ayant fait leur rapport , le
>> Sénat élut celui dont le pere avoir
>>fait un ſi bel éloge ; & ce fut fous de fi
>>heureux aufpices que commença la gran .
>> deur de la maiſon qui regne fur le Dan-
>> nemarck .
Piaſt en 842 commença la ſeconde
claſſe des Princes Polonois ; c'étoit un
homme d'une naiſſance obfcure , d'une
fortune médiocre , mais qui vivoit en
vrai philofophe ; il occupoit une petite
maison à Kruſwick , lieu où ſe tenoit
Paſſemblée générale pour l'élection d'an
nouveau Duc; les principaux concurrens
:
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
yfurent conduits par le hafard ; Piaſt les
reçut avec une affabilité qui les toucha ;
ils convinrent de ſe départir de leurs prétentions
en faveur d'un homme d'un fi
grand mérite ; les historiens Polonnois
ont cependant jugé à-propos de mêler
-le prodige à cette aventure. » Duglofs ,
-> hiſtorien Polonois , rapporte que la
&
ville de Krufwick ſe trouvant dans une
> grande diſette de vivres & de boiſſons
» même les plus communes , à cauſe de
« la quantité prodigieuſe de monde que
» l'élection y avoit attirée , deux anges
>> revêtus d'une figure humaine allerent
>> loger chez Piaſt qui les reçut avec ſa
• cordialité ordinaire , & leur préſenta
>> un petit barril d'une liqueur commune
>> dans le pays ; c'étoit le dernier qui lui
>> reſtoit ; les anges pour récompenfer la
>> charité de leur hôte , accorderent à
>> fon petit- barril , la propriété de ne
>>point ſe vider , de maniere que Piaſt
>> fournit abondamment de la boiffon à
>> toute la Ville , ſans que fon vaſe ceſsât
>> d'être plein ; ce fut ce prodige qui ,
>> ſelon nos hiſtoriens , détermina les élec-'
>> teurs à donner leurs fuffrages au ver-
>> tueux Piaſt " .
Les anecdotes Ruſſes commencent à
FEVRIER. 1770. S
l'an 862. Lorſque Rurich profita de la
défaite d'Ofchold & Idir , battus par
l'Empereur des Grecs , pour s'emparer de
leurs états . Nous ne nous arrêterons pas
fur les traits qu'elles préſentent ; on les
lira avec plaiſir dans l'ouvrage même qui
eft à la fois curieux & inftructif; on ne
peut qu'en attendre la ſuite avec emprefſement
, & exhorter les auteurs à ne pas
différer à publier les nouveaux volumes
qu'ils promettent .
:
Fables & Contes moraux en vers , par M
Fontaine , avec cette épigraphe :
.... Mutato nomine , de te
Fabula narratur.
HORAT,
A Londres , & ſe trouve à Paris chez
la veuve Duchefne , rue St Jacques ;
Delalain , rue & à côté de la Comédie
Françoife ; & le Jay , rue St Jacques ;
in. 8°. 52 pag. prix 24 fols .
Les pièces de vers qui compoſent ce
recueil , ne font pas fans mérite ; M. Fontaineyarépandabeaucoup
dephilofophie;
36 MERCURE DE FRANCE.
on deareroit ſeulement que la plupart fuffent
moins longues. Parmi les fables il y
en a quelques-unes qui font très-plaifantes
, telle eſt celle qui eſt intitulée : Thémis
& le Procureur ; celle qui a pour titre
le Fol, eſt philofophique ; une cervelle
dérangée s'imagine être le Dieu de l'univers
, elle croit le gouverner du fond de
fa loge ; mais malheureuſement le monde
ſe moque de cette prétendue divinité .
Ami lecteur , en ſais- tu les raiſons ?
« C'eſt que l'on s'apperçut de ſa folie extrême. >>
Mon cher lecteur , vous vous trompez vousmême
:
C'eſt que ce fou logeoit aux petites maiſons.
Le villageois& le courtiſan préſentent
une leçon intéreſſante & morale ; un
payſan ſe trouve ſur le chemin de Verfailles;
il a vendu ſes légumes & s'en retourne
chez lui avec un tréſor de cent
fols; il ſe moque beaucoup des voyageurs
que la fortune & la faveur menent fur
le même chemin ; il voit un carroffe fuperbe
dont le maître eſt fort affligé & fe
trouve mal ; le payſan vole à ſon ſecours ;
FEVRIER. 1770 . $7
il eſt pauvre & par conféquent humain ;
il s'informe de la maladie du maître de
cette voiture , on lui dit que c'eſt l'ambition
; on lui explique comment ce mal
agit fur les perſonnes qui en font attaquées.
Ah! quelle étrange maladie !
S'écria le manant ; mais cette frénéfie ,
Cette peſte , Meffieurs , ne regne qu'à la cour ;
Jamaisje ne la vis déſoler la campagne.
Adieu , j'ai des oignons qu'il faut vendre demain ;
Quelquefois la fiévre ſe gagne ,
Et je n'ai pas de quoi payer le médecin.
Nous nous arrêterons encore fur ledévos
débauché; un dévot payen avoit paffé ſa vie
dans la priere & les exercices pieux; Jupiter
nefaitrienpourlui ; il le laiſſe languir
dans l'indigence ; le dévot gémit de fa
fituation , & la compare avec celle des
perſonnes qui ne ſe refuſent rien; le defir
d'être mieux le porte à les imiter; il
devient publicain , & s'enrichit comme
les autres par la rapine; fon coeur s'endurcir
; la probité lui parle vainement &
lui crie en fecret que le méchant ne profpere
pas ;il lui répond :
83 MERCURE DE FRANCE.
Vous mentez , vieille folle , aveugle conſeillere ;
Tous vos amis ſont gueux , fortez de ma maiſon .
Vos conſeils déſormais ne ſont plus de ſaiſon.
Sije ſuis un fripon , ce n'eſt pas votre affaire ;
Importune , chez moi ne paroiſſez jamais ,
Il vous fied bien d'entrer dans un palais
Allez habiter la chaumiere .
Depuis ce jour la triſte probité
Alla gagner , honteuſe & délaiflée
Le taudis où logeoit ſa ſoeur la pauvreté ,
Et ne vint plus aux lieux dont elle étoit chaflée.
Quoiqu'abſente depuis , cette divinité
Aujourd'hui comme alors y reçoit maint outrage.
Chaque riche cependant
Se vante de lui rendre hommage ,
Et de la probité conſerve encore l'image ,
1
Qu'il promene par- tout , qu'il montre à tout venant;
:
Maisdieux! que ſon portrait eſt bien peu reflemblant
i
Naufrage & aventures de M. Pierre Viaud,
natifde Bordeaux , Capitaine de Navire ,
avec cette épigraphe :
... Forfan & hæc olim meminiſſejuvabit.
VIRG. ENEID. lib . 1 .
àBordeaux , chez les freres Labottiere,
FEVRIER. 1770 . 89
& à Paris , chez le Jay , rue S. Jacques,
au Grand Corneille. 1 vol . in- 12 .
La lecture de cet ouvrage doit intéreſfer
les ames honnêtes & fenfibles ; c'est la
relation du naufrage de M. Viaud & des
malheurs qu'il a eſſuyés pendant 81 jours .
Peu d'hommes en ont éprouvé de plus
longs &de plus terribles; le Brigantin ,
le Tigre fur lequel il étoit , échoua le 16
Février 1766 , à l'eſt de l'Iſle aux chiens,
à une portée de fufil de la terre , où l'agitation
de la mer ne lui permit d'aborder
que le ſur lendemain ; il paſſa deux nuits
ſur le côté du bâtiment que les vagues
avoient couché , s'attendant à chaque
inſtant à périr avec ſes compagnons ,
mouillés par la pluie & par les flots qui
ſe brifoient fur eux , & fatigués par les
efforts qu'ils faifoient pour réſiter à
l'impétuoſité des ondes qui devoient les
entraîner avec elles .
Un fauvage qui chaſſoit avec ſa famille
dans les Iles voiſines , promit à M.
Viaud de le conduire aux Appalaches ;
il le fit embarquer avec le Capitaine ,
ſa femme , ſon fils , un marchand de S.
Domingue & fon Nègre , promettant de
venir prendre enſuite le reſte de l'équipage.
Après avoir promené pendant huit
१० MERCURE DE FRANCE .
jours ces infortunés d'ifles en Iſles le fau
vage les abandonne une nuit & emporte
avec lui tous leurs effets . La ſituation des
voyageurs ne peut-être plus affreuſe , ils
manquent de proviſions ; ils ne peuvent
pas même faire du feu pour ſe réchauffer ,
juſqu'aumoment où M. Viaud a le bonheur
de trouver une vieill pierre à fufil
que le fauvage avoit jetée ſur le rivage ,
pour la remplacer par une bonne. Le
marchand de S. Domingue & le Capitaine
s'embarquent dans une mauvaiſe
pirogue abandonnée , qu'ils raccommodent
comme ils peuvent , mais dans laquelle
M. Viaud n'oſe pas s'embarquer ;
il reſte avec fon Nègre , Madame la
Couture , femme du Capitaine , fon fils,
& fon Nègre ; après avoir fouffert quelques
jours , il s'aviſe de conſtruire un
radeau pour gagner la terre-ferme qui
n'est pas éloignée. Au moment où il
eſpère d'en profiter il s'éleve une tempête
qui retarde ſon départ & emporte
fon bâtiment ; il travaille à un autre
avec la crainte de le perdre encore ; lorfqu'il
compte s'embarquer , le jeune la
Couture ſe trouve très mal ; il ne peut
ſe remuer ; on pourra bien le conduire
juſqu'à la terre ferme , mais comment le
tranſporter enfaite dans un lieu habité ,
FEVRIER. 1770. 91
s'il n'y en a point qui ne foit éloigné. On
attend quelques jours , le mal du jeune
homme empire ; on le voit à l'agonie ,
on veut épargner à ſa mere le ſpectacle
douloureux dele voir périr , on l'emporte
fur le radeau & l'on quitte l'Iſle .
Arrivés fur le continent , nos voyageurs
ne font pas plus heureux ; ils font
effrayés par les bêtes féroces , déchirés
par la faim ; ils eſſayent toutes les plantes
qu'ils rencontrent; elles ne peuvent
ſervir d'alimens;la plupart font nuiſibles
& les rendent malades. Le beſoin de
manger ſe fait bientôt ſentir avec la plus
grande violence , le déſeſpoir les rend
furieux ; M. Viaud & Madame la Cou-
-ture cherchent une nourriture dans le
corps du malheureux Negre qu'ils ont
avec eux ; cet horrible mets les foutient
pendant quelques jours ; mais il vont
bientôt fuccomber à leurs infortunes ;
M. Viaud ne peut plus marcher ; il fe
réſoud à la mort , lorſqu'il apperçoit un
canot ; c'étoit des Anglois qui couroient
la côte ; ils avoient appris qu'on avoit
trouvé des Européens morts ; le Commandant
de S. Marc des Appalaches ,
craignant qu'un vaiſſeau qu'il attendoit
n'eût fait nauffrage avoit envoyé ce canot
pour donner des ſecours à ceux qui pour92
MERCURE DE FRANCE.
roient en profiter. Les Anglois en conduifant
nos deux infortunés , paffent
devant l'ifle où l'on avoit laiſſé le jeune
la Couture qu'on y retrouve encore , &
qu'on rend à la vie à force de ſoins.
M. Viaud , de S. Marc des Appalaches
ſe rendit à la Nouvelle Yorck , ou M.
Dupeyſtre , un des plus riches Négocians
de cette ville , le logea chez lon & le
ſoigna juſqu'à ce qu'il fut rétabli ; il lui
donna enfuite la conduite du fenau le
Comte d'Estaing , avec lequel il arriva à
Nantes , le 27 Février 1767 .
Les aventures de M. Viaud font trèstouchantes
, on ne peut que prendre part
à fes infortunes ; on trouve à la ſuite de
ſa relation un certificat du Commandant
Anglois de S. Marc des Appalaches ,
dans lequel on rend compte de l'étar où
il a été trouvé. Il eſt actuellement aBordeaux
où il attend de l'emploi ; ſes longs
malheurs qu'on ne peut lire fans attendriffement
doivent intéreffer en fa faveur
, & porter les coeurs bienfaifans &
ſenſibles à le mettre en état de rétablir
ſa fortune , que fon naufrage a dû néceffairement
déranger .
Voyage pittoresque de la Flandre & du
Brabant , par M. Deſcamps , Peintre
FEVRIER. 1770. 93
du Roi , &c . à Paris , chez Deſaint ,
Saillant , Piſſot , Durand , &c .
Cet ouvrage dédié à M. le Marquis
de Marigni , contient une deſcription
très - exacte de tout ce qui peut attirer les
yeux des amateurs des beaux- arts , dans
les deux provinces les plus fertiles peutêtre
en beaux monumens. Tout ce qui
concerne la Peinture , la Sculpture , la
Gravure , l'Architecture , &c . eſt traité
avec le plus grand foin , & l'on peut
s'en rapporter ſur les jugemens , aux lumieres
& à l'impartialité de l'Auteur ,
qui conduit avec autant de zèle que de
fuccès , l'école gratuite de deſſin àRouen,
& dont on connoit l'habileté & l'eſprit
patriotique.
Les Georgiques de Virgile , traduction
nouvelle en vers françois , enrichie
de notes & de figures, par M. de Lille,
Profeſſeur de l'Univerſité de Paris ,
au Collège de la Marche. A Paris ,
chez Bleuet libraire , fur le Pont S.
Michel.
Il y a long-tems qu'on a dit qu'il falloit
traduire les poëtes en vers, & l'ona
dit vrai. Mais pour traduire un poëte il
۱
94 MERCURE DE FRANCE.
faut l'être foi-même. On ne refufera pas
ce titre au nouveau traducteur des Géorgiques
. Il y avoit bien de la hardielle à
Jutter contre le plus parfait de ſes ouvrages
, & contre le genre didactique qui
ne ſemble pas favorable à la monotonie
invincible de nos grands vers ; & contre
les détails d'agriculture que la timidité
indigente de cette même langue pouvoit
redouter. M. de Lille a furinonté ces
difficultés autant qu'elles peuvent l'être ,
en faiſant de la langue françoiſe l'uſage
le plus heureux , & y trouvant de nouvelles
richeſſes , en variant du moins ,
avec beaucoup d'art le rithme & la tournure
de nos vers, dont il n'eſt pas poſſible
de varier la quantité , & fuppléant par un
choix de mots nombreux à l'harmonie
élémentaire , à cette muſique naturelle
du latin & du grec qui nous manque
abſolument. Enfin il a fait voir qu'avec
ungrand talent & de beaux vers on ſe
tire de tout.
L'ouvrage eſt précédé d'un Difcours
Préliminaire , écrit ſagement. Il relève les
différens mérites de ſon original , parmi
leſquels il compte l'utilité du ſujer .
>>C'eſt le premier des Arts , celui qui
> nourrit l'homme , qui est né avec le
> genre humain , qui eſt de tous les
FEVRIER. 1770. 95
tems. « Rien de plus utile.-Oui , rien
de plus utile que l'agriculture. Mais ,
s'il faut dire la vérité , riende plus inu .
tile qu'un poëme ſur l'agriculture. Je ne
crois pas qu'aucun Cultivateur ait eu jamais
la moindre obligation aux Géorgiques
de Virgile. Mais les gens qui ont
l'oreille ſenſible & le goût des bons vers
doivent lui en avoir beaucoup. M. de
Lille avance avec vérité que les traductions
bien faites fervent à enrichir la
langue , & fon ouvrage le prouve. Il
parle très judicieuſement du poëme de
Rapin , de celui de Vanniére , qui ne
font pas despoëmes , & des Saiſons de
Thompson , qui font trop longues , &
de celles de M. de S. Lambert , que les
amateurs de la belle poëſie trouveront
trop courtes. Il traite enfuite de la différence
des deux langues & des avantages
qu'a celledes latins ſur la nôtre , ſurtout
en poësie. Il combat l'Abbé des
Fontaines , qui a foutenu le plus vivement
le ſyſtême des traductions en profe. Celle
qu'il nous a donnée des OEuvres de
Virgile , eſt ſéche , maigre , froide , ſans
goût , fans graces & fans chaleur. M. de
Lille , en cite quelques morceaux . On
Sera étonné , dit il , des énormes infidélités
qu'il afaites àfon auteur.
9 MERCURE DE FRANCE.
Multum adeò , raſtris glebas qui frangit inertes .
Vimineaſque trahit crates ,juvat arva, neque illum
Plava Ceres alto necquiquam ſpectat Olympo ;
Et qui , proſciſlo quæ ſuſcitat æquore terga,
Rurtus in obliquum verſo perrumpit aratro ,
Exercetque frequens tellurem atque imperat arvis .
L'Abbé des Fontaines , traduit :
«Cérès du haut de l'Olimpe jette tou-
>> jours un regard favorable fur le labou-
>> reur attentif qui a ſoin de briſer avec
» la herſe ou le rateau , les mottes de fon
>> champ ; elle ne favoriſe pas moins
» celui qui avec le foc de la charrue fait
>> croifer les fillons , & qui ne ceſſe d'agi-
> ter la terre .
On peut dire avec M. Diderot qui
parle de ce même des Fontaines ſur un
aurre endroit de ſa traduction , traduisez
ainfi , & vantez- vous d'avoir tué un poëte.
A cette verſion traînante qui dénature
toutes les beautés de l'original , M. de
Lille ſubſtitue celle- ci qui les fait revivre
toutes.
Voyez ce laboureur couſtant dans ſes travaux,
Traverſer les fillons par des fillons nouveaux ,
Ecrafer , ſous le poids de la herſe qu'il traîne ,
Les
:
FEVRIER. 1770 . 97.
Lesglébes dont le ſoc hériſſe au loin la plaine;
Gourmander ſans relâche un terrein pareſſeux ;
Cerès , à ſes travaux , ſourit duhautdes cieux.
Obfervez d'abord comme il fufpend
ſa période poëtique juſqu'au fixieme vers
où il termine le ſpectacle du laboureur
occupé dans ſon champ , par celui de
Cérès qui le regarde du haut des cieux ,
& lui applaudit d'un ſourire. Voilà une
conſtruction dictée par le goût & qui fou
tient l'attention du lecteur . Cette répétition
de mots , fes fillons par desfiilons ,
peint le travail répété du laboureur , de
la herſe qu'il traîne rend le trahit crates ,
pour le ſens & pour l'harmonie ; gourmander
rend imperat, & terrein paref
feux , vaut au moins glebas inertes. Il a
employé le mot de glébes au pluriel & au
propre , quoiqu'ordinairement il ne ſe
diſe qu'au fingulier &dans un ſens générique
; attaché à la glébe pour dire attache
à la terre , ferfdépendant , le travail de la
glébe , pour le travail de la terre. Le traducteur
en ſubſtituant le mot de glébes au
pluriel, à celui de mottes , qui n'eſt ni ſi
élégant, ni ſi agréable à l'oreille , a ajouté
àla languepoëtique qui eſt ſi pauvre dans
les détails ruftiques. Il cite un autre mor
E
1
وه MERCURE DE FRANCE.
ceau de Virgile , défiguré par l'Abbé des
Fontaines.
Acdum prima novis adolefcit frondibus ætas,
Parcendum teneris , &dum ſe lætus ad auras
Palmes agit , laxis per purum immiſſus habeniş
Ipſa acies falcis nondum tentanda ; fed uncis
Carpendæ manibus frondes interque legendæ.
Inde ubi jam validis amplexæ ftirpibus ulmos
Exierint , tumſtringe comas , tum brachia tonde,
Ante , reformidant ferrum , tum denique dura
Exerce imperia & ramos compefce fluentes.
>>Dans le tems qu'elle ( la vigne) pouf-
» ſe ſes premieres feuilles , ménagez un
>> bois ſi tendre , & même lorſqu'il eſt
>> devenu plus fort , & qu'il s'eſt élevé
>> plus haut , abſtenez vous d'y toucher
> avec le fer , arrachez les feuilles adroi-
>> tement avec la main. Mais quand le
>> bois eſt devenu ferme & folide , & que
>> les branches de votre vigne commen-
>> cent à embraſſer l'orme , alors ne crai-
>> gnez point de la tailler. N'épargnez ni
>> fon bois , ni ſon feuillage , elle ne
>> redoute plus le fer . >>
Toutes les expreſſions figurées , dit M.
l'Abbé de Lille , toutes les images hardies
FEVRIE R. 1770. 99
Sefont évanouies dans la traduction. Voici
la fienne .
Quand les premiers bourgeons s'empreſſeront d'éclore
,
Que l'acier rigoureux n'y touche point encore.
Même lorſque dans l'air qu'il commence àbraver,
Le rejeton moins frêle oſe enfin s'élever ,
Pardonne à fon audace en faveurde fon âge.
Dela main ſeulement éclaircis ſon feuillage;
Mais enfin quand tu vois ſes robuſtes rameaux ,
Par des noeuds redoublés, embraſſer les ormeaux ,
Alors ſaiſis le fer , alors ſans indulgence ,
De la ſéve égarée arrête la licence.
Borne des jets errans l'eſſor préſomptueux ,
Et des pampres touffus le luxe infructueux.
Certainement il ſeroit difficile de traduire
plus fidélement , &de faire de plus
beaux vers . La deſcription de la charrue
auroit étonné Boileau , & eût excité ſon
admiration .
De la charrue enfin deſſinons la ſtructure.
D'abord il faut choiſir , pour en former le corps ,
Un ormeau que l'on courbe avec de longs efforts .
Lejoug qui s'aſſervit ton robuſte attelage ,
Le manche qui conduit le champêtre équipage ,
Pour foulager ta main & le front de tes boeufs ,
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Du bois le plus léger ſeront formés tous deux .
Le fer , dont le tranchant dans la terre ſe plonge ,
S'enchaſſe entre deux coins d'où ſa pointe s'allonge.
Aux deux côtés du ſoc de larges orillons ,
En écartant la terre exhauſſent les fillons ;
Dehuit pieds en avant que le timon s'étende ,
Sur deux orbes roulans que ta main le ſuſpende ,
Et qu'enfin tout ce bois , éprouvé par les feux ,
Se durcifle à loiſir ſur ton foyer fumeux.
Le Traducteur a fait un bel uſage de
l'harmonie imitative , dans cette defcriptiond'unorage.
Tantôt un ſombre amas d'effroyables nuages
S'ouvre & foudain s'épanche en d'immenſes orages
;
Le ciel ſe fond en eaux , les grains font inondés ,
Les foſſés ſont remplis , les fleuves débordés ;
Les torrens bondiſſans précipitent leur onde ,
Et des mers en courroux le noir abîme gronde.
Dans cette nuit affreuſe , environné d'éclairs ,
Le Roi des dieux s'aſſied ſur le trône des airs .
La terre tremble au loin fous ſon maître qui
tonne ;
Les animaux ont fui , l'homme éperdu friffonne.
L'Univers ébranlé s'épouvante... Le dieu
De Rhodope ou d'Athos réduit la cime en feu.
FEVRIER. 1770. 1ΟΙ
L'air vomit tous ſes flots; tous les vents ſe confondent;
La terre au loin gémit& les bois lui répondent.
rend L'univers ébranlé s'épouvante
très-heureuſement la ſuſpenſion du vers
latin, per gentes humilis ftravit pavor. Le
premier livre finit par les prodiges qui
annoncèrent la mort de Céfar , & ce
morceau d'une beauté frappante dans le
latin , eſt à peu de choſe près très-bien
rendu en François. Le poëte s'adreſſe au
foleil.
Lorſque le grand Céſar eut terminé la vie,
Tu partageas le deuil de ma triſte patrie;
Tu refulas le jour à ce ſiécle pervers ;
Une éternelle nuit menaça l'Univers .
Quedis-je ? tout ſentoit notre douleur profonde ;
Tout annonçoit nos maux , le ciel , la terre &
1
l'onde ,
Les hurlemens des chiens & le cri des oiſeaux .
Combien de fois l'Etna , briſant ſes arſénaux
Parmi des rocs ardens , des lammes ondoyantes ,
Vomit en bouillonnant ſes entrailles brûlantes !
2
Des bataillons armés dans les airs ſe heurtoient ,
Sous leurs glaçons tremblans les Alpes s'agitoient.
Onvit errer la nuitdes ſpectres lamentables ;
1
E iij
1024 MERCURE DE FRANCE.
Desbois muets fortoient des voix épouvantables ;
L'airain même parutſenſible à nos malheurs .
Sur le marbre amoli l'on vit couler des pleurs .
La terre s'entr'ouvrit , les fleuves reculerent
&pour comble d'effroi les animaux parlerent .
Le ſuperbe Tridan , le ſouverain des eaux ,
Traîne & roule à grand bruit forêts , bergers ,
troupeaux ;
,
Le prêtre environné de victimes mourantes,
Obſerve , avec horreur , leurs fibres menaçantes :
L'onde , changée en ſang , roule des flots impurs ;
Des loups hurlans dans l'ombre épouvantent nos
murs.
Sans cefle l'éclair brille & le tonnerre gronde ,
Et-la cométe en feu vient effrayer le monde.
Il eſt bien vrai que ce vers vox quoque
per lucos vulgd exaudita filentes ingens ,
& fur- tout ce mot ingens , rejeté à l'autre
vers, étoient d'une grande difficulté à traduire
: mais le vers françois eſt défectueux
de pluſieurs manieres. Des bois
muets , n'eſt point du tout la même choſe
que le filence des bois. Une voix fort du
filence des bois , mais elle ne peut fortir
d'un bois muet , ſans faire une contradiction
apparente. Voix épouvantable eſt trop
vague. Il falloit un mor plus précis , plus
pittorefque , & d'ailleurs le vers manque
FEVRIER. 1770. 103
de céſure & de rithme. Le vers ſuivant a
le même défaut.
Nous citerons du ſecond livre un mor.
ceau fur le Printems dont on trouve une
traduction dans les OEuvres de M. L. F.
D. P. Les lecteurs aimeront à comparer
les deux traductions. Voici celle de l'auteur
de Didon .
C'eſt l'aimable printems dont l'heureuſe influence
Des corps inanimés échauffe la ſubſtance.
C'eſt alors que le Ciel répand tous ſes tréſors;
Ses eaux percent la terre , humectent ſes reſſorts ,
Et ranimant les fruits dont la ſéve eſt tarie ,
Pénétrent chaque germe & lui donnent la vie.
Les troupeaux dans les champs , les oiſeaux dans
lesbois ,
De l'instinct amoureux ſuivent les douces loix.
Des vapeurs du matin la plaine eſt arrofée .
Le zéphir ſur les fleurs agite la roſée .
L'horiſon brille aux yeux d'un feu pur & vermeil .
Le gaſon s'embellit des regards du ſoleil.
Sur ce riche coteau , la vigne renaiſſante
Promet à nos plaifirs une automne abondante ,
Et le pampre ne craint , pour ſes tendres bour
geons ,
Ni les torrens du ciel , ni les froids aquilons.
Je crois voir commencer le cours du premier âge.
De l'Univers naiſſant le printems eſt l'image.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
1
Il anima les cieux , & la terre & les flots ,
Quand l'Univers fortit des gouffres du chaos .
Les habitans de l'air & le peuple de l'onde
Reffentirent ſoudain ſa préſence féconde.
L'homme fut ébloui de ſon propre ſéjour ,
Et le jour qu'il naquit fut au moins un beaujour.
Voici maintenant celle de M. de Lille.
Le printems rend aux bois des ornemens nouveaux.
Alors la terre ouvrant ſes entrailles profondes ,
Demande de ſes fruits les ſemences fécondes .
Le dieu de l'air deſcend dans ſon ſein amoureux ,
Lui verſe ſes tréſors , lui darde tous ſes feux ,
Remplit ce vaſte corps de fon ame puiſſante ;
Le monde ſe ranime & la nature enfante.
L'amour, dans les forêts , réveille les oiſeaux ;
L'amour dans les vallons fait bondir les troupeaux.
Echauffés par zéphir , humectés par l'aurore ,
On voit germer les fruits, on voit les fleurs éclore,
La terre eſt plus riante & le ciel plus vermeil ;
Legaſon ne craint point les ardeurs du ſoleil ,
Et la vigne , des vents oſant braver l'outrage ,
Laifle échapper ſes fleurs & fortir ſon feuillage.
Sansdoute le printems vit naître l'Univers ,
Il vit le jeune oiſeau s'eſſayer dans les airs ,
Il ouvrit au ſoleil ſa brillante carriere ,
FEVRIER. 1770. 105
Et pour l'homme naiſſant épura la lumiere.
Les aquilons glacés & l'oeil ardent du jour
Reſpectoient la beauté de ſon nouveau ſéjour.
Le ſeul printems ſoûrit au monde à ſon aurore ;
Le printems tous les ans le rajeunit encore.
Il faut convenir que le premier morceau
eſt d'un verſificateur élégant , & que
l'autre eft d'un poëte. Cette grande& fublime
idée du mariage de la terre avec
les cieux n'eſt pas même indiquée dans
les vers de M. L. F. , & dans ceux de M.
de Lille elle eſt ſupérieurement rendue.
Il n'eſt pas poſſible que dans cette lutte
pénible& continuelle contre un homme
tel que Virgile , le traducteur françois ,
combattant avec des armes bien inégales,
n'ait quelquefois du déſavantage. En voici
quelques exemples que nous ne voulons
pas diffimuler.
Felix quipotuit rerum cognofcere caufas ,
Atque metus omnes & inexorabile fatum
Subjecit pedibus, ftrepitumque Acherontis avari
Heureux le ſage inſtruit des loix de l'Univers ,
Dont l'ame inébranlable affronte les revers ,
Qui regarde en pitié les fables du Tenare ,
Et s'endort au vain bruit de l'Acheron avare.
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
2
Cette verſion reſtreint l'étendue des
penſées de l'original & en affoiblit l'énergie.
L'ame inébranlable qui affronte les
revers eſt une phraſe vague & commune,
& ne rend point ce tableau du ſage qui a
mis fous fes pieds toutes les craintes , le
deftin inexorable & les menaces de l'avare
Acheron. S'endort au vain bruit de l'Achéron
eſt plutôt la peinture d'un épicurien
tranquille que celle du philofophe
actif & intrépide qui contemple tout ce
que les hommes craignent , & ne craint
point.
La peinture du cheval , dans le troifiéme
livre , mérite d'être remarquée dans
la foule des beautés qui y font répandues.
L'étalon généreux a le port plein d'audace ,
Sur ſes jarrets plians ſe balance avec grace ,
Aucun bruit ne l'émeut : le premier du troupeau
Il fend l'onde écumante , affronte un pont nouveau.
Il a le ventre court , l'encolure hardie ,
Une tête effilée , une croupe arrondie ;
On voit ſur ſon poitrail ſes muſcles ſegonfler,
Et ſes nerfs treflaillir,& ſes veines s'enfler.
Que du clairon bruyant le ſon guerrier l'éveille,
FEVRIER . 1770. 107
Je le vois s'agiter , trembler , dreſſer l'oreille ;
Son épine ſe double & fréinit ſur ſon dos ;
D'une épaiſſe criniere il fait bondir les flots ;
De ſes naſeaux brûlans il reſpire la guerre ,
Ses yeux roulent du feu , ſon pied creuſe laterre.
Il refpire la guerre eſt un hémiſtiche de
M. de Voltaire dans la Henriade ; mais
l'expreſſion originale appartient au livre
de Job , forbet & odoratur bellum. M. de
Lille le remarque dans ſes notes.
Nous terminerons cet extrait par le fameux
épiſode d'Orphée , dans le quatriéme
livre , l'un des beaux monumens
de l'ancienne poësie. C'eſt Protée le devin
qui parle au berger Ariſtée.
Tremble , un Dieu te pourſuit : pour venger ſes
douleurs ,
Orphée a ſur ta tête attiré ces malheurs ;
Mais il n'a pas au crime égalé le fupplice
Un jour , tu pourſuivois ſa fidéle Euridice.
Euridice fuyoit , hélas ! & ne vit pas
Un ſerpent que les fleurs recéloient ſous ſes pas.
Lamort ferma ſes yeux: les nymphes ſes compagnes
De leurs cris douloureux remplirent les monta
gnes.
Le Thrace belliqueux lui-même en ſoupira ;
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
Le Rhodope en gémit & l'Ebre en murmura.
Son époux s'enfonça dans un déſert ſauvage.
Là ſeul , touchant ſa lyre & charmant fon veuvage
,
Tendre épouſe , c'eſt toi qu'appeloit ſon amour ,
Toi , qu'il pleuroit la nuit , toi , qu'il pleuroit le
jour.
C'eſt peu: malgré l'horreur de ces profondes voûtes
,
Il franchit de l'enfer les formidables routes ,
Et perçant ces forêts où regne un morne effroi ,
Il aborda des morts l'impitoyable roi.
Afes chants, accouraient du fond des noirs royaumes
,
Des ſpectres pâliſſans , de livides fantômes,
Semblables aux eflains de ces oiſeaux nombreux
Quechaffe au fond des bois l'orage ténébreux;
Des vierges , des époux , des héros&des meres ,
Des enfans moiſlonnés dans les bras de leurs peres,
Victimes que le Styx bordé de noirs roſeaux ,
Environne neuffois de ſes lugubres eaux.
L'enfer même s'émût dans ſes cavernes ſombres;
Le Cerbere oublia d'épouvanter les ombres.
Surſa roue immobile Ixion refpira ,
Et ſenſible une fois Alectonfoupira.
Enfin , il revenoit des gouffres du Tenare ,
Poffefleur d'Euridice & vainqueur du Tartare
Sans, voir ſatendre amanteil précédoit ſes pas ;
Proferpine àce prix l'arrachoit au trépas.
FEVRIER. 1770. 109
Toutſecondoit leurs voeux , tout flattoit leur tendreffe
,
Lorſque ce foible, amant,dans un inſtant d'ivrefle,
Suivit imprudemment l'ardeur qui l'entraînoit ,
Biendigne de pardon ſi l'enfer pardonnoit.
Preſqu'aux portes du jour , troublé , hors de luimême
,
Il s'arrête , il ſe tourne , il revoit ce qu'il aime.
C'en est fait ; un coup d'oeil a détruit ſon bonheur :
Le barbare Pluron révoque ſa faveur ,
Et des enfers charmés de reſſaiſir leur proie ,
Trois fois le gouffre avare en retentit de joie.
Orphée ! ah ! cher époux ! quel tranſport malheu
reux ,
Dit- elle : ton amour nous a perdus tous deux.
Adieu , mes yeux déjà de nouveau s'obſcurciſſent.
Mes bras tendus vers toi déjà s'appeſantiſſent ,
Et la mort , déployant ſon ombre autour de moi ,
M'entraîne loin du jour , hélas ! & loinde toi.
Elle dit& foudain dans les airs s'évapore .
Orphée en vain l'appelle , en vain la ſuit encore.
Il n'embraſſe qu'une ombre , & l'horrible nocher
Deces bords déſormais lui défend d'approcher.
Alors deux fois privé d'une épouſe ſi chere ,
Oùporter ſa douleur ? ou traîner ſa miſére ?
Par quels fons , par quels pleurs , fléchir le Dieu
des morts ,
Déjà cette ombre froide arrive aux ſombres bords
Près du Strimonglacé , dans les antres deThrace,
110 MERCURE DE FRANCE.
Durant ſept mois entiers il pleura ſa diſgrace.
Sa voix adouciſſoit les tigres des déſerts ,
Et les chênes émus s'inclinoient dans les airs.
Telle ſur un rameau durant la nuit obſcure ,
Philomele plaintive attendrit la nature ,
Accuſe engémiſſant l'oiſeleur inhumain
Qui , gliſſant dans ſon nid une furtive main ,
Ravit ces tendres fruits que l'amour fit éclore
Et qu'un léger duvet ne couvroit pas encore.
Pour lui plus de plaiſirs , plus d'hymen , plus d'a
mour.
Seul , parmi les horreursd'un ſauvageſéjour
Dans ces noires forêts du ſoleil ignorées ,
Sur le ſommet déſert des monts Hyperborées,
Il pleuroit Euridice , & plein de ſes attraits ,
Reprochoit à Pluton ſes perfides bienfaits.
En vain mille beautés s'efforçoient de lui plaire.
Il dédaigna leurs feux ; & leur main ſanguinaire,
La nuit , à la faveur des myſteres ſacrés ,
Diſperſa dans les champs ſes membres déchirés .
L'Ebre roula ſa tête encor toute ſanglante.
Là, la langue glacée & ſa voix expirante ,
Juſqu'au dernier ſoupir formant unfoible ſon ,
D'Euridice en flottant murmuroit le doux nom.
Euridice ! ô douleur ! touchés de ſon ſupplice
Les échos répétoient Euridice , Euridice.
Il y a des choſes admirables dans cette
verſion. Cependant nous obſerverons
FEVRIER. 1770 . IIN
que quelques traits de l'original font affoiblis.
Il aborda des morts l'impitoyable
Roi ne paroît pas l'équivalent de manefque
adiit Regemque tremendum nefciaque
humanis precibus manfuefcere corda. Il
viſita les manes , leur Roi formidable &
ces divinités qui ne furentjamais attendries
par les prieres des humains. Le mot
d'impitoyable renferme , il est vrai , cette
idée; mais la reſſerrer ainſi dans un mot ,
c'eſt en diminuer l'intérêt. Alecton qui
Soupire eſt une image un peu froide , &
ces deux rimes reſpira &Soupira qui , par
elles- mêmes , ſont ſéches & désagréables,
le ſont d'autant plus ici qu'il falloit l'harmonie
la plus douce , & que de pareilles
rimes ſe trouvent vingt vers au - deſſus
dans le même morceau . On trouve ici
un peu de langueur dans le moment où
Orphée perd Euridice en la regardant.
Le traducteur est trop loin de la préciſion
du latin. Mais ces légeres taches font
bien excufables dans la traduction du
morceau le plus parfait peut - être que
l'antiquité nous ait laiſſé. Nous ne les
avons même relevées que parce qu'il eſt
aiſé de les faire diſparoître, ainſi que quelques
autres , dans une nouvelle édition
de cet excellent ouvrage qui doit faire
112 MERCURE DE FRANCE.
le plus grand honneur à fon auteur. Sa
verſification eſt mâle & ferme , riche &
variée , & en général du meilleur goût. II
eft fait pour conſoler les amateurs éclairés
, de ce déluge de vers barbares qui
tombent continuellementdans le gouffre
de l'oubli , & qu'une ligue d'écrivains
liés entr'eux par l'intérêt commun de
leur médiocrité voudroit faire admirer
malgré le public & le bon ſens , ce qui
rappelle toujours ce vers heureux de Boileau:
Un ſot trouve toujours un plus ſot qui l'admire.
Les géorgiques font imprimées avec le
plus grand foin. Eifen & Longueil ont
embelli cette édition de leurs talens réunis
qui , ttrop fouvent, ont été prodigués
pourde ſi mauvais ouvrages qu'il ſembloit
qu'on eût tout fait pour les curieux de
gravure , & rien pour les gens de lettres
&leshommesde goût.
Traité de la justice criminelle de France ,
où l'on traite de tout ce qui concerne
les crimes & les peines , tanten général
qu'en particulier ; des juges établis pour
la déciſion des affaires criminelles , des
parties publiques & privées , des mi
FEVRIER. 1770. 113
niſtres de la justice , des experts , des
témoins & des autres perſonnes nécefſaires
pour l'inſtruction des procès criminels
, ainſi que de la maniere de procéderdans
la pourſuite des crimes ; par
M. Jouſſe , conſeiller au préſidial d'Orléans
; à Paris , chez de Bure , pere ,
quai des Auguſtins , à Saint Paul , 3
volumes in-4°, propoſés par ſouſcription.
Pluſieurs auteurs en France ont écrit fur
les matieres criminelles ; mais leurs ouvrages
font bien éloignés de renfermer
toutes les connoiſſances néceſſaires à ceux
qui veulent s'appliquer à cette partie de
notre jurifprudence. On n'en avoit point
encore de traité complet ; M. Joufle l'a
entrepris ; il a réduit tout ce qui concerne
la juſtice criminelle , à ce qui concerne
les crimes & leurs peines , les accufés &
leurs complices , l'action criminelle en
général , les preuves & la maniere dont
les crimes peuvent être excuſés ; aux perſonnes
prépoſées pour la punition des
crimes & pour l'inſtruction des procès
criminels , aux jugemens & à leur exécution
, enfin , à la maniere, d'inſtruire &
de juger les procès criminels. Ces objets
diviſés en quatre parties , forment l'ou114
MERCURE DE FRANCE
vrage de M. Jouſſe ; la ſouſcription eſt
ouverte juſqu'au moisde Juillet prochain ;
l'ouvrage entier ſera délivré au mois de
Novembre ſuivant. On payera en foufcrivant
18 liv . & 15 liv. en recevant les
trois volumes en feuilles. Ceux qui n'auront
pas foufcrit payeront l'ouvrage 42 1.
en feuilles.
Le même libraire vient d'acquérir des
héritiers de M. l'abbé Roger Schabol le
Dictionnairepour lapratique dujardinage,
in- 8 ° , qu'on trouvera chez lui , au prix
de 3 liv. 12 fols relié; il a mis auffi ſous
preſſe la ſuite de cet ouvrage , fous le
titre : de la pratique du jardinage , in 8 ° ,
avec figures , qui paroîtra à Pâques prochain.
Le droit commun de la France, & la cou
tume de Paris , réduits en principes ,
tirés des loix , des ordonnances , des
arrêts , des jurifconfultes & des auteurs
, & mis dans l'ordre d'un commentaire
complet & méthodique fur
cette coutume : contenant , dans cet
ordre , les uſages du châtelet ſur les liquidations
, les comptes , les partages ,
les ſubſtitutions , les dixmes & toutes
autres matieres ; nouvelle édition , re
FEVRIER.
1770. 11S
vue , corrigée & conſidérablement augmentée
, par feu Me François Bourjon
, ancien avocat au Parlement ; à
Paris , chez Grangé , imprimeur- libraire
, pont Notre-Dame , près la
pompe , & Cellot , imprimeur- libraire
rue Dauphine , & à l'écu de France ,
grand'ſalle du palais.
Le mérite de cet ouvrage eſt généralement
reconnu ; ſa rareté , l'ordre & les
principes qu'il contient l'avoient fait porter
à un prix exceffif ; on doit ſçavoir gré
aux libraires qui le réimpriment ; cette
nouvelle édition contiendra une multitude
de corrections & de changemens
conſidérables , faits par M. Bourjon luimême
; les obſervations & les additions
qu'il y a jointes , l'augmentent de
plus d'un tiers. Comme depuis la mort
de ce ſçavant avocat , il a été rendu pluſieurs
arrêts intéreſſans & relatifs aux matieres
contenues dans ce livre , on a cru
devoir les y inférer ; on a eu recours aux
lumieres de pluſieurs jurifconfultes éclairés
, qui ont bien voulu joindre leurs réflexions
& leurs obſervations , aux difpoſitions
de ces arrêts ; ces morceaux particuliers
qui ne font point de la main de
M. Bourjon , font diſtingués par une mar116
MERCURE DE FRANCE.
que. Ce grand ouvrage , quoique confidérablement
augmenté , ne formera toujours
que deux volumes in-folio , qu'on
délivrera aux ſouſcripteurs pour 36 liv .
en feuilles , ceux qui n'auront pas foufcrit
les payeront 48 liv. La ſouſcription
eſt ouverte depuis le 1 Décembre ; elle
ſera fermée le 1 Avril prochain , que le
premier volume paroîtra ; on aura le ſecond
au i Juillet ſuivant. On payera en
ſouſcrivant 18 livres; 12 en recevant le
premier volume & 6 en retirant le ſecond.
La brochure en carton coûtera 24
fols par volumes .
Révolutions des Empires , Royaumes, Républiques
& autres Etats confidérables
du monde , depuis la création juſqu'à
nos jours , avec une légere defcription
des lieux , une idée ſuccinte du génie
, des moeurs , de la religion , des
coutumes , du commerce des différens
peuples de la terre ; une ſuite exacte
des ſouverains , & l'hiſtoire abrégée de
ceux qui ſe ſont le plus diftingués par
leurs vertus ou par leurs vices , ouvrage
orné d'un arbre chronologique
& fucceffif de ces différens états , propre
à en donner une connoiſſance claire
FEVRIER. 1770. 117
& fidéle , par M. Renaudot , Avocat ;
à Paris , chez Saillant , rue S. Jean de
Beauvais, & Brocas , rue S. Jacques ,
2 vol . in- 12 , d'environ 600 pag . chacun
, prix , 6 liv. broché.
Le titre de cet ouvrage en indique
l'objet; l'auteur s'eſt proposé de faire paf
fer ſous les yeux de ſes lecteurs tous les
peuples & tous les fiécles ; il offre d'abord
un arbre chronologique des diffé.
rens Empires qui ſe ſont établis fuccef.
fivement fur la terre ; cet arbre , très bien
fait , contient le tableau général des nations
, l'époque de leur origine & le nom
de leurs derniers Rois. M. Renaudot préfente
enfuite l'hiſtoire de chacune de ces
nations , d'une maniere très-préciſe ; il
ne conſerve que les faits principaux ,
écartant tous ceux qui font chimériques,ou
qui paroiffent les fruits de l'imagination ;
dans la foule des Rois , il choifit ſeulement
ceux dont les loix & les établiſſemens
ont été utiles à leur peuple , ou dont
les actions ont été telles , qu'elles tiennent
néceſſairement au corps entier de
l'hiſtoire. Il fait précéder ces détails d'une
courte deſcription du pays dont il parle ,
d'une légere connoiſſance des loix &des
coutumes du peuple qui l'habite ; il ne
118 MERCURE DE FRANCE .
perd pas l'occaſion de placer des réflexions
qu'il ſçait toujours rendre intéreſſantes
, inſtructives & philofophiques.
Son ouvrage peut être regardé comme un
livre claſſique ; mis entre les mains des
jeunes gens , il leur donnera une idée ſuperficielle
de l'hiſtoire générale , & du
goût pour une étude plus approfondie ;
il retracera aux perſonnes inſtruites des
faits qu'elles connoiſſent déjà , mais que
la maniere dont ils font traités leur fera
relire avec plaifir. Nous devons au même
auteur des annales hiſtoriques , dont nous
avons rendu compte dans le tems & dont
on trouve encore quelques exemplaires
chez les mêmes libraires .
Sophronie , ou leçon prétendue d'une mere
àfa fille , par Madame Benoiſt , ſeconde
édition ; à Londres , & fe trouve
à Paris , chez la veuve Regnard &
Demonville , imprimeur - libraires ,
grand'ſalle du palais & rue baffe des
Urins.
Nous avons rendu compte de cet ouvrage
de Madame Benoist lorſqu'il a paru
pour la premiere fois ; le ſuccès qu'il
a en juſtifie les éloges que nous lui avions
donnés ; la feconde édition que nous anFEVRIER.
1770. 119
nonçons ſera vraiſemblablement épuiſée
aufli promptement ; Madame Benoiſt a
voulu remettre ſous les yeux d'un ſexe ,
à qui l'on fait un crime de ſa foibleſſe ,
un tableau propre à lui inſpirer une ſage
défiance ; elle lui préſente une morale
auſſi importante que vraie , qui peut retenir
les femmes qui ſe laiſſeroient entraîner
à leur ruine par un penchant
déſordonné , lorſqu'elles eſpéreroient de
ſauver les apparences ; combien en eſt- il
qui n'ont perdu leur propre eſtime&celle
du public que pour avoir trop compté
fur les moyens adroits qu'elles ont mis
en uſage pour cacher leurs égaremens &
leurs paſſions. Ce conte intéreſſant leur
offre la meilleure leçon ,&celle qui peut
produire des effets plus utiles.
Le triomphe de la probité, comédie en deux
actes & en proſe , imitée de l'Avocat ,
comédie de Goldoni , par Madame Benoiſt
, ſeconde édition ; à Paris , chez
la veuve Regnard & Demonville , imprimeur-
libraires , grand'ſalle du palais
& rue baſſe des Urſins .
La piéce Italienne d'où cette comédie
eſt tirée , eſt une des plus intéreſſantes de
M. Goldoni ; il a mis l'honneur aux
120 MERCURE DE FRANCE.
priſes avec l'amour ; & en multipliant les
difficultés qui s'oppoſoient à ſon triomphe
par un grand nombre d'événemens
liés adroitement les uns aux autres , par
une intrigue également ingénieuſe &
compliquée , il a donné plus d'éclat à la
victoire de l'honneur. Quel que foit l'intérêt
dont cette piéce ſoit remplie , il
étoit difficile de l'approprier au théâtre
François , ſans y faire des changemens
conſidérables ; il falloit d'abord la -fimplifier&
facrifier un grand nombre de fituations
qu'on ne perd pas fans regret.
Madame Benoiſt n'a conſervé que le fond
de la comédie Italienne , qu'elle a arrangé
d'une maniere différente ; on peut confulter
le précis que nous avons donné de
fon ouvrage dans le tems qu'il a paru ; la
rapidité avec laquelle l'édition a été épuiſée,
dit plus en ſa faveur que tous nos
éloges ; nous nous contentons d'annoncer
cette ſeconde édition , que liront avec
plaiſir ceux même qui connoiſſent l'Avocato
veneziano .
Traité historique des plantes qui croiſſent
dans la Lorraine & les trois Evêchés ,
contenant leur deſcription, leur figure ,
ſuivant l'endroit où elles croiffent ,
leur
FEVRIER. 1770. 121
:
leur culture , leur analyſe & leurs propriétés
, tant pour la médecine que pour
les arts & métiers , par M. P. J. Buchoz
, médecin de feu ſa majesté le
roi de Pologne , membre du collége
royal de Nanci . A Paris , chez Fetil ,
rue des Cordeliers , près celle de la comédie
Françoiſe , au Parnaffe Italien ,
in- 12 , tome X. premiere & ſeconde
partie.
Ce volume termine le traité de M. Buchoz;
il fait connoître les ſix dernieres familles
des plantes altérantes , qu'il décrit
avec ſoin& dont il indique les vertus&
la culture. Cet ouvrage intéreſſant , égale
ment utile aux médecins & aux artiſtes ,
fait honneur aux connoiſſances de M.
Buchoz ; il en eſt peu dont l'objet ſoit
plus utile & plus étendu ; il feroit à fouhaiter
qu'on en eût de pareils pour les
plantes des différentes provinces de la
France ; les étrangers ne tarderoient pas
fans doute à nous imiter , & en peu de
tems on auroit une deſcription exacte &
préciſe de toutes les plantes de l'Europe.
Les planches , au nombre de deux cens ,
qui accompagnent ce traité , font gravées
avec ſoin & d'après des deſſins fidéles
de chaque plante ; le libraire qui vient de
F
MERCURE DE FRANCE.
:
faire l'acquifition de l'ouvrage entier,
continuera à le livrer au public pour le
prix de 30 livres en feuilles , de 31 liv .
10 fols broché , & 38 liv . 15 ſols relié
juſqu'au mois de Juillet prochain , pallé
lequel tems , chaque exemplaire coûtera
40 liv. en feuilles; il aura ſoin de fournir
de belles épreuves des planches à ceux
qui voudront bien s'adreſſer à lui pour ſe
procurer ce traité intéreſſant,
Traité de la communauté , auquel on a
joint un traité de la puiſſance du mari
fur la perſonne & les biens de la femme
, par l'auteur du traité des obligations
. A Paris , chez de Bure , pere ,
quai des Auguſtins , à l'image S. Paul ,
: &à Orléans , chez la veuve Rouzeau-
Montaut , imprimeur du Roi , de l'Evêché
& de l'Univerſité , 2 volumes
in- 12.
L'auteur de cet ouvrage commence par
traiter du mariage même & de la puifſance
qu'il donne au mari , ſur la perfonne
& les biens de ſa femme ; c'eſt une
eſpéce d'introduction préliminaire aux
principales conventions qui accompagnent
ordinairement le mariage , & qui
forment l'objet du traité de la commu
FEVRIER. 1770. 123
nauté. L'auteur parle d'abord des perfonnes
entre leſquelles la communauté peut
être contractée , du tems où elle commence
& des chofes dont elle eſt compoſée
tant en actif qu'en paſſif. Il traite enſuite
ſucceſſivement du droit des conjoints
fur les biens de la communauté , de la
diffolution de cette même communauté ,
de l'acceptation qu'en font la femme ou
les héritiers , de leur renonciation , de la
liquidation &du partage qui font à faire
après cette diffolution, comment le mari,
la femme & leurs héritiers ſont alors tenus
des dettes de la communauté , &
enfin de la continuation de cette même
communauté ; ces détails rempliffent les
fix parties qui forment la diviſion de l'auteur;
nous ne nous arrêterons pas fur cet
ouvrage qui mérite d'être lu , mais qui eſt
peu fufceptible d'extrait; les avocats doivent
l'étudier , & les perſonnes d'un autre
état qui voudront s'inſtruire fur cette
partie de notre jurisprudence, y trouveront
des connoiſſances&beaucoup d'ordre&
de clarté.
Satyres de Juvenal , traduites par M. Du
faulx , ancien Commiſſaire de la gendarmerie
, de l'académie royale des
ſciences &belles lettres de Nancy , &c ,
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
ر
A Paris , chez M. Lambert , rue des
Cordeliers ; Delalain , rue de laComédie
Françoiſe , & Lacombe , rue Chrifſtine.
Nous avons rendu compte du diſcours
que M. Duſaulx a mis à la tête de cette
traduction ; on a vu la maniere dont il a
apprécié les fatyres & le génie de Juvenal
; il nous reſte à faire connoître comment
il a rendu les idées énergiques de
ce poëte ſévère qui, dans fon enthouſiafme
fublime pour la vertu , tonne contre
les vices & les défordres de fon fiécle .
Nous citerons ; c'eſt le plus grand éloge
que nous puiffions faire.
La premiere fatyre fert de prologue
aux quinze autres ; le projet de Juvenal
eſt auſſi vaſte que philofophique. « De-
>> puis que la barque de Deucalion fut
>> foulevée par les eaux du déluge jul-
» qu'au ſommet du Parnaſſe , que ce fils
>> de Promethée conſulta l'oracle de Thé-
>> mis , que des cailloux amollis reçurent
>>par degrés la chaleur du ſentiment, que
>>Pyrrha fit éclørre des filles toutes nues
>> aux yeux des mâles ſurpris: colere, vo-
>>lupté , joie , chagrins , projets , intri-
>>gues , tout ce qui meut les humains
>>fera la matiere de mon livre. Quand
FEVRIE R. 1770. 125
>> le torrent da vice fut ilplus rapide ? Le
>>igouffre de l'avarice plus profond ? La
>> manie des jeux de hafard plus effrenée?
>> Non content aujourd'hui de porter fa
>> bourte au lieu de la féance , le joueur
>> y fait traîner fon coffre fort ; c'eſt là
» qu'à chaque coup , vous verriez naître
>>les plus funeftes débats. Perdre cent
>>mille ſuſterces , & ne pas vêtir un ef-
>> clave tranſi de froid , n'eſt-ce que de la
ود fureur. ,
Le poëte attaque l'hypocriſie dans 2º fatyre;
il y apeude morceaux plusénergiques
dans le latin & mieux rendus en françois ;
il faut lire le texte & le comparer avec la
verfion pour ſe perfuader que M. Duſaulx
n'a fait que traduire ; il eſt toujours auffi
près de fon auteur qu'il eſt poſſible de
l'être; & fon ſtyle conſerve cependant
cette élégance & cette liberté bien rares
quand il s'agit d'exprimer les idées d'autrui.
Nous ne nous arrêterons pas fur toures
les fatyres; cela nous entraîneroit trop
loin; nous nous bornerons à rapporter
quelques morceaux que nous prendrons
au hafard; le foin avec lequel tour eſt travaillé
, nous évite les embarras du choix .
La fatyre qui a pour objet les embarras de
Rome convient à beaucup d'égards à toutes
ces capitales immenfes où regnent le
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
luxe, l'intrigue & la molleſſe. Elle a fourni
à Deſpréaux l'idée de celle dans laquelle
il décrit les embarras de Paris ;
mais qu'il eſt loinde la maniere forte &
philofophique de Juvenal. « Codrus
>> avoit un grabat plus court que fa petite
>>épouſe ; fix vaſes meſquins décoroient
>> fon buffet , an - deflous duquel on
>> voyoit une aiguiere& la ſtatue couchée
>> du centaure Chiron; de plus un vieux
>> coffre délabré contenoit despoëſies grec-
» ques que des rats ignorans rongeoient
>> fans égard à leur fublimité. Codrus n'a-
>> voit rien , la choſe eſt évidente ; ce-
>> pendant la flamme le lui ravit ce rien
>>qu'il poffédoit. Pour comble de détreſſe
>> ayant faim , étant nud , ce malheureux
>> n'obtiendra de perſonne un aſyle & du
>>pain; mais ſi le feu prend au palais
>> d'Arturius , les Dames Romaines font
>> éclater leur déſeſpoir , la Nobleſſe eſt
>> en deuil , & le Prêteur interrompt ſes
» audiences. C'eſt alors que l'on gémit
>>du malheur de la ville , & que le feu
>> paroît un élément terrible. Le palais
>> brûle encore , & déjà l'on accourt de
>> toutes parts ; l'un veut fournir le mar-
>> bre , l'autre faire relever à ſes frais le
>> bâtiment; celui - ci promet les ſtatues
>> les plus rares & les mieux conſervées ,
FÉVRIER. 1770. 127
» celui-là de ſuperbes morceaux de Po
>> lyclete & d'Euphranor.... parce que
> cet Arturius eſt le plus opulent de tous
> ceux qui n'ont point d'héritiers , il
>> trouve dans cette catastrophe plus de
>> richeſſes qu'il n'en perdit ; de forte
» qu'on pourroit , à juſte titre , le ſoup-
>> çonner d'avoir embraſé ſa maiſon . >>
Tout lemonde connoît la ſatyre contre
les femmes; ce projet peu réfléchi de décrier
la plus belle moitié du genre humain
paroîtra peu philoſophique ; mais il faut
convenir qu'ici l'exécution en eſt ſupérieure
; on ne fauroit montrer plus d'imagination
, plus de génie , & malheureuſement
écrire plus de triſtes vérités ,
cette fatyre offroit des tableaux extrêmement
libres & difficiles à rendre en françois
. Si le latin dansſes mots brave l'honnéteté,
notre langue eſt plus délicate; M.
Duſaulx a mis beaucoup d'art &de ſoin
dans la traduction de cette fatyre , il a
rendu de la maniere la plus décente les
peintures peut - être trop libres de Juvenal
, & il ne leur a rien fait perdre de leur
énergie ; il a montré qu'entre les mains
d'une ame forte , ſenſible , éclairée par la
philofophie & par le goût , la langue fait
prendre toutes fortes de formes ; qu'on
1
Fiv
28 MERCURE DE FRANCE.
la rend délicare ſans l'énerver , & que fi
ellen'acquiert pas toujours,&elle ne perd
jamaisrien.
La huitieme fatyre ne vieillira point
tant qu'il y aura des nobles ſur la terre ;
Juvenal leur enſeigne à ſe glorifier de
leu's vertus plutôt que de leurs ayeux.
Dans la ſuivante , il arrache d'un homme
perdu de débauches , l'aveu de ſes turpitudes
les plus ſecrettes; il le force à gémir
fur le raffé , à craindre l'avenir ; & lui
donne des conſeils , auxquels l'infortuné.
répond :
Utile confilium modò , fed commune , dediſti :
Nunc mihi quidfuades poft damnum temporis &
Spes
Deceptas ? Festinat enim decurrere velox
Floſculus angusta , miſeræque breviſſima vitæ
Portio ; dum bibimus , dum ferta , unguenta ,
puellas
Pafcimus , obrepit non intellecta ſenectus.
« L'avis eſt bon , mais il est trop va-
>> gue : que faire maintenant après tant
ود de beaux jours , tant d'eſpérances vai-
>> nes ? telles qu'une fleur paſſagere , la
>> vie ſi courte & fi fragile précipite fon
FEVRIER. 1770. 129
>> cours : tandis que nous vivens dans les
ود délices & dans l'ivreſſe , la vieilleſſe
>> ſe gliffe & nous faifit à l'improviſte . >>
Cela nous rappelle une réflexion profonde
de M. Duſaulx dans une de ſes notes
fur le difcours préliminaire : « L'expé-
>>rience arrive preſque toujours trop tard;
>>elle eſt plus ſouvent le châtiment des
>> paſſions qu'elle n'en eſt le remède. »
C'eſt ce que Juvenal auroit pu répondre .
Nous nous bornerons à ces morceaux ;
ils fuffifent pour donner une idée de la
traduction de M. Duſaulx ; ſi elle n'étoit
pas auſſi fidèle qu'elle nous le paroît , il
deviendroit le rival de ſon auteur ; il a
placé des notes très - ſavantes & très- cu--
rieuſes à la fin de chaque fatyre ; elles
annoncent un profond littérateur & un
philoſophe ; nous le prévenons cependant
qu'il n'obtiendra tous les fuffrages qu'il
mérite, qu'avec le tems. On eſt d'accord
fur la beauté de ſon diſcours préliminai.
re ; on a ſenti vivement la nobleſſe & la
fimplicité de ſon épître dédicatoire ; elle
eſt un hommage à l'amitié ; elle fait l'éloge
de celui qui l'a écrite &de l'honnête
homme qui l'a inſpirée. Al'égard de la
traduction , plus elle paroîtra facile &
originale , plus lés lecteurs tâcheront de
Fv
30 MERCURE DE FRANCE.
prouver leur ſagacité par des remarques
critiques ; un auteur , tel que Juvenal ,
leur fournira de quoi s'exercer ; nous
nous arrêterons à une obſervation que
nous avons entendu faire ſur un vers de
la premiere ſatyre.
Qui dedit ergo tribus patruis aconita , vehetur
Penfilibus plumis , atque illinc deſpiciet nos.
Quum veniet contra , digito compeſce labellum,
Accufator erit qui verbum dixerit, hic eft.
On a cru trouver un contreſens dans la
traduction du derniers vers. " Quoi cet
>> empoisonneur qui fit périr trois de ſes
>> oncles , fera dans ſa litiere , mollement
>> aſſis ſur le duvet, d'où le monſtre laif-
->> ſera tomber ſur moi ſes regards mépri-
>> fans ? S'il vient à ta rencontre , preffe
>> du doigt res lévres impatientes ; le dé-
>> lateur , aux aguets , n'attend que ces pa-
» roles , le voici , pour accuſer quiconque
>> les aura prononcées. Le premier fens
qui ſe préſente n'eſt peut - être pas celui
que M. Duſaulx a ſaiſi ; il s'en eſt écarté
pour ſuivre les meilleures gloſes & les
plus habiles commentateurs ; la maniere
dont il explique ce vers eſt , ſans contredit
, plus ſatyrique , &a plus de mouve
FEVRIER. 1770. 131
ment que l'autre ſens. Les critiques
pourront s'attacher encore à quelques
morceaux ; mais s'ils réfléchiffent que le
traducteur n'a point dû ſe décider ſans
motifs & fans autorités , qu'il a eu ſous
les yeux une foule d'hiſtoriens & de commentateurs,
& que pendant plus de douze
ans il s'eſt appliqué à les concilier ou à
les combattre , ils ne jugeront point fur
de ſimples apparences , & quand ils découvriroient
quelques erreurs , ils reſpec
teront un travail qui prouve beaucoup de
zèle , de conſtance & de talent.
L'Homme conduit par la raison , avec
cette épigraphe :
Elle eſt du genre humain le tréſor le plus beau;
On ne craint point d'écueil en ſuivant ſon flam
beau.
D ***
A Paris , chez Pillot , libraire , rue St
Jacques , à la Providence , un volume
in- 12 .
Le but de cet ouvrage ne ſauroit être
plus intéreſſant ; l'auteur ſe propoſe de
former les moeurs ; il rappelle ſans cefle
l'homme àla raiſon , qui eſt la ſeule di-
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
:
rectrice de nos bonnes actions,& qui nous
met continuellement ſous les yeux le tableau
de nos devoirs envers Dieu & envers
les hommes. Il'offre plufieurs réflexions
folides & morales , placées ſous
différens titres ; elles ſont accompagnées
quelquefois de citations de pluſieurs écri
vains célèbres ; c'eſt ainſi , par exemple ,
qu'après avoir parlé de la volupté , de ſes
dangers & de ſes effets , il rappelle ces .
beaux vers de M. Thomas , qui contiennent
une obſervation très- vraie & facile
à retenir par la maniere dont elle eſt exprimée.
Vois ces ſpectres dorés s'avancer à pas lents ,
Traîner d'un corps uſé les reſtes chancelans ,
Et ſur un front jauni , qu'a ridé la molleſſe ,
Etaler à trente ans leur précoce vieilleſſe :
C'eſt la main du plaiſir qui creuſe leur tombeau ,
Et bienfaiteur du monde , il devient leur bourreau:
Il y a beaucoup de citations pareilles
dans cet ouvrage ; elles le rendent plus
intéreſſant & plus utile ; elles le font lire
avec plaiſir ; la jeuneſſe ſur-tout en tirera
de grands avantages , & il n'eſt aucun âge
où l'on ne puiſſe le lire avec fruit.
i
FEVRIER. 1770. 133
Précis de la Médecine pratique , contenant
l'histoire des maladies & la maniere de
les traiter , avec des obſervations & des
remarques critiques ſur les points les
plus intéreſſans ; par M. Lieutaud, médecin
de Mgr le Dauphin & des Enfans
de France , de l'académie royale
des ſciences & de la ſociété royale de
Londres. Troifiéme édition , revue &
augmentée par l'auteur. A Paris , chez
Vincent , imprimeur - libraire , rue St
Severin , 2 vol . in 8°.
Cet ouvrage eſt déjà connu ; c'eſt une
eſpéce d'extrait du précis de médecine
que le même auteur a publié en latin ; il
reparoît aujourd'hui avec des corrections
&des augmentations conſidérables ; il y
eſt traité ſucceſſivement des maladies internes
, des externes & de celles des femmes&
des enfans; le traitement termine
tous les articles des maladies différentes
dont on donne la deſcription. Le nom de
M. Lieutaud , qu'on trouve à la tête de
cet ouvrage en annonce le mérite ; on
connoît l'étendue de ſes recherches , la
profondeur & l'exactitude de ſes obfervations
; l'art de guérir doit beaucoup à
ſes travaux , & les médecins , feuls en état
134 MERCURE DE FRANCE.
de les apprécier , les eſtiment & en profi
tentavec reconnoiſſance.
,
Synopsis univerſæ praxeos medicinæ , &c.
Précis de toute la médecine pratique ,
diviſé en deux parties , dont la premiere
préſente le tableau de chaque
maladie ; & la ſeconde , la matiere médicale
, enrichie de commentaires
avec un traité ſur les alimens ; nouvelle
édition , revue , corrigée , augmentée &
travaillée avec beaucoup plus de ſoin
que les précédentes, tant françoiſes que
latines ; par M. Lieutaud , de l'académie
royale des ſciences , de la ſociété
royale de Londres , & médecin de Mgr
le Dauphin &des Enfans de France.A
Paris , chez Didot le jeune , quai des
Auguſtins ; 2 vol . in - 4°. Prix 24 liv.
relié.
Il a toujours paru très-difficile de préfenter
un tableau exact & précis des connoiſſances
acquiſes ſur l'étude & l'exercice
de la médecine ; l'art de guérir eſt ſi
étendu , & exige tant de détails que prefque
tous ceuxqui ont eſſayé d'en eſquiffer
les principes , ont échoué dans leur
entrepriſe. Il étoit réſervé à M. Lieutaud
d'éviter les écueils qui ont mis obſtacle
FEVRIER. 1770. 135
aux ſuccès de ceux qui l'ont précédé dans
cette carriere ; la promptitude avec laquelle
les éditions de cet ouvrage ſe ſont
épuiſées , en annonce le mérite & l'utilité.
Celle que nous annonçons contient un
grand nombre d'augmentations qui la
rendent très - ſupérieures à toutes celles
qu'on en a déjà données .
Instructionsfuccintesfur les accouchemens ,
en faveur des Sages- Femmes des Provin .
ces; faires par ordre du Miniſtère , par
M. Raulin , Docteur en Médecine ,
Confeiller Médecin ordinaire du Roi ,
Cenfeur Royal , de la Société Royale
de Londres , des Académies des Belles-
Lettres , Sciences & Arts de Bordeaux ,
de Rouen , & de celle des Arcades de
Rome. A Paris , chez Vincent , Imprimeur-
Libraire , rue Saint Séverin .
in 12 .
Une des cauſes les plus allarmantes
du dépériſſement de l'eſpèce humaine eſt
l'inſuffiſance des ſages-femmes de province
dans l'art des accouchemens ; des
expériences malheureuſes apprennent tous
les jours que leur ignorance fait périr en
même tems la mere & l'enfant ; ſouvent
elles mutilent l'un & l'autre au point
136 MERCURE DE FRANCE.
qu'il deviennent languiſſans & font enſuite
à charge à la Société & à euxmêmes
.
Le gouvernement attentif à détruire
tout ce qui peut mettre obſtacle à la population
, & à remédier aux abus qu'il eſt
impoſſible de prévenir , a chargé M.
Raulin de publier des inſtructions fur les
accouchemens & fur leurs différences ; il
a raſſemblé dans un très petit volume
tout ce que les ſages- femmes doivent favoir
; il étoit difficile de réunir plus de
connoiſſances importantes & néceſſaires
dans un auſſi petit nombre de pages . Elles
doivent le lire & le méditer fans ceſſe ,
& les Seigneurs de village , les dames de
paroiſſe , les Curés & les Magiſtrats ,
ne fauroient trop leur en recommander la
lecture.
Confidérationsfur les Cauſes Physiques &
Morales de la diverfité du génie , des
moeurs & du gouvernement des Nations;
tirées en partie d'un ouvrage anonyme,
Par M. L. Caſtilhon , avec cette épigra,
phe :
Magnis tamen excidit aufis.
à Bouillon , aux dépens de la Société
Typographique , & ſe trouve à Paris ,
FEVRIER. 1776 137
chez Lacombe Libraire , rue Chriſtine,
in-8°.
M. Caſtilhon avoit fait des recherches
particulieres , ſur les inſtitutions , les
moeurs , les religions & les inclinations
humaines ; elles l'avoient conduit à
eſſayer de démêler les cauſes phyſiques &
morales de leur diverſité ; il s'étoit contentéde
ramaſſer ſes obſervations & de les
approfondir , ſans ſonger à en former un
ouvrage , lorſque le hazard a fait tomber
entre ſes mains, un livre publié en Hollande
, il y a environ vingt ans , & peu
connu en France ; il eſt intitulé : l'Esprit
des Nations . L'Auteur y avoit ſemé des
vues philofophiques , mais elles étoient
préſentées dans un ſtyle obfcur & barbare;
M.Caſtilhon a cru ne pouvoir mieux faire
que de bâtir fur le plan de cet ouvrage ,
en confervant les réflexions qui lui ont
paru mériter d'être conſervées ; quelquefois
il préſente des obſervations de l'Auteur
anonyme qu'il urit avec les ſiennes ,
&dont il tire des conféquences tout à fait
oppoſées ; auſſi eſt- il rarement d'accord
avec cet écrivain ; » mais quelque diffé.
>> rence qu'il y ait entre nos obſervations
» & nos opinions , j'aime à déclaret ici ce
» qu'il m'eût été facile de cacher , c'eſt à38
MERCURE DE FRANCE.
>> dire que ſans lui jamais je n'aurois eu le
>> courage de publier bien des conſidéra-
>>tions nouvelles qu'on lira dans ce volu-
» me. "
M. Caſtilhon trouve dans le climat la
cauſe fondamentale du génie des Nations;
àcette cauſe il enjointd'autres qui lui font
fubordonnées , telles que la qualité du
fang , celle des eaux , des végétaux , & la
nature des alimens. Les caufes morales
ſont celles qui ſans donner aux hommes
plus d'eſprit qu'ils n'en ont , leur donnent
les moyens de perfectionner leur génie;
ces moyens ne font autre choſe que l'inftitution
, qui doit être regardée à l'égard
d'une nation comme l'éducation à l'égard
des particuliers. L'Auteur parcourt les
inſtitutions de tous les peuples anciens &
modernes.Chez toutes les Nations de l'an .
tiquité , à l'exception des Athéniens , le
corps étoit l'unique objet de l'éducation ;
on ne fongeoit pas à l'eſprit ; les jeux publics
, les combats ſouvent homicides de
tant de différentes eſpèces d'Athletes , les
honneurs inouis rendus aux vainqueurs ,
montrent affez la préférence qu'on donnoitaux
exercicesdu corps ſur la culture
desſciences & des arts . Cette éducation
>>>étoit utile , elle étoit excellente , & fans
>> contredit la meilleure que l'on pût
FEVRIE R. 1770. 139
donner dans un tems où la force ſeule
>>> enchaînoit la victoire . Aujourd'hui que
>> nous nous conduiſons par des principes
>>>différens ; aujourd'hui que des inven-
➡tions , le feu de l'artillerie & l'art des
>> fortifications ont rendu les hommes
>> plus ſpectateurs qu'acteurs dansles com-
>> bats , c'eſt à la ſcience incontestable-
• ment que nous donnons la préférence ;
>> nous avons ingénieuſement ſoumis le
>> corps à l'eſprit, & il faut croire que nous
> avons bien fait. Ala vérité nous nous en
>> portons un peu plus mal , nous ſommes
>>>foibles , délicats , énervés & preſque
>> ſans vigueur; mais enfin nous ſommes
>> Sçavans , nous cultivons les arts , nous
>> jouiffons& nous ſommes heureux puif-
> que nous croyons l'être. >>
L'Auteur préſente des détails agréables
&fatisfaifans fur l'éducation des peuples
modernes , & fur- tout des François . Il en
fait ſentir avec préciſion les avantages&les
défavantages; cela le conduit à traiter des
différentes formes de Gouvernement établies
de tout tems , & à comparer les gouvernemens
anciens avec les modernes , &
ces derniers les uns avec les autres . »
>> ne connois que quatre cauſes auxquelles
> on puiſſeattribuer tout ce qui a été exé-
>>cuté de plus grand dans l'univers : & ces
Je
140 MERCURE DE FRANCE.
>> quatre principes font la ſageſſe , ou fi
>> l'on veut la contrainte Egyptienne &des
> anciennes monarchies, l'impoſante célé
>> brité des Romains , laliberté des Grecs
» & l'honneur des Européens; c'eſt-à dire,
>> la valeur des Européens ,la ſageſſe des
>> Lég flateurs de la plus haute antiquité,
>> la févère & ſouvent la farouche vertu
>> des Romains , & l'enthousiaſine ingé
>> nieux des Grecs . »
M. Caftithon parle enſuite des reli
gions ; la plupart des anciens cultes que
leshommes rendoientà la Divinité , prou
vent leur goût pour le merveilleux & pour
les fables. On oppoſe l'auguſte ſimplicité
de la religion chrétienne à la confufion
des myſtères du paganiſme. Cette partie
de l'ouvrage eſt très curieuse pour les
détails qu'elle offre. A la Chine , dit
>> l'Auteur, il eſt permis aux Bonzes d'outrerl'austéritéjuſqu'au
plushaut degréd'ex-
>> travagance & de folie; mais il leur eſt
> ſévérement défendu d'être intrigans
>> ou ufurpateurs. Chaque pays a fes loix ,
>>& celles des Chinois fur cet article pa-
>> roiffent affez ſages. Ileſt très-ordinaire
>> de rencontrer dans cet empire des Bon-
>> zes horriblement défigurés , exténués &
>> traînant dans les rues des chaînes &
>> des poids énormes ; il eſt très- ordinaire
FEVRIER . 1770 . 141
>> d'en voir d'autres s'élancer contre les
>> mursdes maiſons, s'y frapper rudement
» la tête , s'enfanglanter , & donner con-
>> tre eux-mêmes les marques du délire le
>> plus complet. On leur permet encore
>> toutes les fingularités qu'ils ſuppoſent
>>>pouvoir intéreſſer la populace à leur
>> imbécille exiſtence ; ils peuvent même
>> prêcher publiquement , mais non pas or-
>> donner l'abſtinence, conſeiller,mais non
>> pas preſcrire de ne jamais boire de vin ,
>> de ne tuer aucune créature vivante ,
>> utile ou malfaiſante. Mais un Bonze
>> qui feroit ſurpris en adultère , femant
>> des diffenfions , ou s'emparant du bien
>> d'autrui , feroit auſſi - tôt livré à la
>> rigueur des loix , qui le condamne-
>>roient inévitablement à périr dans les
>> fupplices. " A Pekin les Bonzes font
obligés de ſe conformer au langage de la
cour , lors même qu'ils parlent de la religion
, & de ſe ſervir des expreſſions de
matiere , de portion de matiere , & de premiere
ame du monde . Une loi de cet empire,
qui oblige tous ceux qui l'habitent ,
eſt que toutes les ſectes doivent rendre
hommage à lareligion du fouverain .
e
M. Caftilhon termine fon ouvrage par
traiter du génie des nations relativement
142 MERCURE DE FRANCE.
aux arts ; cette partie eſt très - curieuſe ;
on aime à parcourir la terre pour y fuivre
les progrès des ſciences & des arts ; l'Orient
a été leur berceau ; mais l'Europe les
a perfectionnés. « C'eſt ſur-tout exclufi-
>> vement dans la littérature françoiſe que
» le ne quid nimis d'Horace eſt obſervé
>> avec toute l'intelligence qu'exige cette
>> regle peu connue des Anglois , qui ſe
>> livrent ſans réſerve au feu de leur gé-
>> nie , ne ſachant point modérer l'impé-
>> tuoſité du torrent qui les entraîne ; dif-
» fus dans leurs raiſonnemens , recher-
>> chés & quelquefois embarraſſes dans
→ leur méthode , on ne fait , & peut- être
>> ne ſavent - ils pas eux - mêmes où &
>> quand ils doivent s'arrêter. La colere
>>portée juſqu'à l'effervefcence du délire,
» & la terreur pouſſée juſqu'à l'horreur ,
>> font les deux grands & les deux ſeuls
» appuis du théâtre britannique ; Melpo-
>> mene y rugit de fureur ou s'y avilità
>> force de barbarie ; elle ignore les bien-
>> ſéances , le progrès naturel de l'action ,
» &les paffions tendres ; elle n'eſt point
>> fiere , elle eſt effrayante ; elle n'eſt point
» ſévere , elle eſt féroce. »
Il feroit trop long de ſuivre M. Caftilhon
dans tous ſes détails , &de ſuivre
FEVRIER. 1770. 143
le fil qui les lie les uns aux autres & à fon .
plan général : il traite ſucceſſivement des
arts , des ſciences & des lettres ; il fait
voir comment leur culture & leurs progrès
varient chez les différentes nations ;
ſes obſervations & ſes réflexions à ce ſujet
font des conféquences nettes & précifes
de celles qu'il a préſentées dans les deux
premiers livres de ſon ouvrage ; il y en a
peude plus intéreſfans , de plus curieux ,
de plus inſtructifs; il eft rempli de recherches
profondes , de vues neuves & philofophiques
.
ACADΕΜΙΕ .
BORDEAUX .
L'ACADÉMIE des ſciences , belles- lettres
& arts de Bordeaux tint ſa ſéance publique
le 8 du mois dernier. M. Dupaty ,
avocat - général au parlement , dont les
talens &les connoiſſances lui ont mérité
de bonne heure des distinctions rares ,
celle fur-tout d'être admis à l'âge de 19
ans à l'académie de la Rochelle , ouvrit
la féance en qualité de directeur ; il annonça
un poëme de ſa compoſition &
144 MERCURE DE FRANGE.
prépara l'académie à en entendre la lecture
, par quelques réflexions philoſophiques
préſentées avec beaucoup d'éloquence&
d'intérêt .
"Nous ne sommes plus , je penſe,dans
>> le tems où un magiſtrat auroit dû s'ex-
>> cufer d'avoir fait des vers. Ce préjugé
> d'une pédanterie ſcolaſtique , qui affi-
» gnoit à chaque profeſſion , un role &
» une pantomime particuliere , s'eſt éva-
>> noui devant la philoſophie de ce fié-
>> cle. On peut aujourd'hui être utile ſans
» être barbare . Je fais qu'autrefois un
» imbécille méchant , pour prouver qu'un
>> magiſtrat ignoroit ou négligeoit fon
>>métier , auroit pu dire , il fait des vers,
» & cet imbécille méchant auroit prou-
» vé ; on connoît mieux aujourd'hui l'a-
>> nalogie & la parenté ſecrette qui regne
>> entre les ralens , les vérités & les pro-
>> feflions . C'eſt la foibleſſe qui , pour
>>juſtifier l'orgueil , a diſtingué les genres
» & limité les devoirs .
>>D'ailleurs , ſi j'avois mérité de me
>> juſtifier par de grands exemples , je ci-
>> terois le P. Bouhier qui commenta la
>> coûtume de Bourgogne & traduifit Ca-
>>tulle. Je citerois Monteuſqieu qui ,
>> d'une main , écraſoit l'hydre de la ty-
>>rannie
FEVRIER . 1770. 145
rannie , de l'autre peignoit les trois gra-
>> ces , mais comme Socrates les avoit
→ ſculptées , étantjeune , dans la citadelle
» d'Athènes , vêtues & décentes , c'eſt-
.. à- dire les trois graces. Je citerois le
> Chancelier de l'Hôpital , ce Chancelier
» qui aima la justice & la patrie , fans in-
>> trigues à la Cour de Médicis , tolérant
> ſous le ministère du Cardinalde Lorrai-
>> ne , qui eût mérité de ſervir Henri IV
> avec Sully , & qui eût pour roi Charles
>> IX , ſçut vivre & refter honnête homme
>> dans ces tems- là , l'Hôpital après avoir
manié les reſſorts'embarraſfés du gou-
> vernement , contenu les Guiſes & le
>> fanatisme , venoit ſe délaſſer avec les
» muſes , & adoucir par leur commerce
>> l'horreur de ce ſiècle de fer.
2
>> La poësie n'eſt point étrangère aux
>> vues de la légiflation : il auroit été fa-
>> cile à un Légiflateur depolicer les hom-
>> mes qu'il auroit trouvés attendris en
>> filence autour d'Orphée. Des moeurs
>> douces diſpoſent les peuples à porter le
>>joug ſacré des loix. On peut même
>> comparer l'empire des moeurs à l'empire
>>de ces coutumes particulieres , qui fans
>> avoir la ſanction légale , en ont la force.
» Lesbeaux arts,en faiſant ſentir aux hom
>>mes le prix de leur exiſtence par les
G
146 MERCURE DE FRANCE.
>> plaiſirs dont ils l'embelliffent , les invi-
>> tent à reſpecter celle de leurs fembla-
>> bles . S'aimer véritablement , c'eſt aimer
>>les autres. Les plaiſirs & les loix ont le
>> même but , c'eſt de nous mener au bon-
>> heur. Il n'eſt pas interdit à ce qui eſt
>> agréable , d'être utile auſſi . C'eſt alors
>>le fruit qui ſe cache ſous la fleur. »
M. Dupaty fit enſuite la lecture de fon
ouvrage ; c'eſt l'imitation d'une élégie
Angloiſe ſur les cimetieres de campagne
: il n'a fait que s'approprier l'ordonnance
& la diſtribution du poëme
Anglois ; il a rempli tous les cadres d'une
maniere neuve & infiniment plus intéreffante
que ſon modèle. C'eſt une fuite
de tableaux énergiques , variés avec beaucoup
d'art & de goût , où la philofophie
revêtue des plus fortes images de la
poëfie , & prenant fouvent le coloris des
graces , préſente des vérités & des leçons
importantes aux hommes. Nous ne citerons
aucun morceau de cet excellent
poëme ; nos lecteurs préféreront de le voir
tout entier , &nous nous flatrons de pouvoir
le leur offrir dans le prochain mercure.
M. Dupaty de Claim , reçu nouvellement
à l'Académie , prononça fon difcours
de réception ; ce diſcours qui doit
FEVRIER. 1770. 147
ſervir de préface à un ſecond ouvrage fur
l'équitation , dans lequel il traite des rapports
de l'équitation avec l'anatomie , la
phyſique & la méchanique , justifia parfaitement
le choix de l'académie ; il lut
enfuite quelques chapitres de cet ouvrage
où regnent une théorie ſavante &une
chaîne de combinaiſons aufli ingénieuſes
que profondes . M. Dupaty , avocat - général
& directeur , répondit à ce difcours .
C'eſt la premiere fois peut- être que deux
freres ſe ſont trouvés dans une circonftance
fi flatteuſe; cette nouveauté intéreſſante
pour l'hiſtoire littéraire , & digne
d'être confervée dans les faſtes de l'académie
, avoit attiré un concours prodigieuxde
perſonnes de la premiere diſtinction
; on applaudit au ſentiment& à l'éloquence
que M. Dupaty mit dans ſa réponſe
; nos lecteurs nous fauront gré de
leur en mettre quelques morceaux ſous
les yeux ; nous regrettons de ne pouvoir
pas la leur donner toute entiere.
MONSIEUR ,
>>>L'académie vous donne aujourd'hui
>>une marque finguliere de fatisfaction ,
>> en permettant à l'amitié d'en être l'i--
>> terprête; elle vous donne une marque
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
» finguliere d'eſtime en ne craignant pas
» que ma voix puiſſe vous faire tort. Ah !
>> mon frere , qu'il me foit permis de me
>> livrer à la joie ſi douce de placer moi.
>> même , ſur votre front , le laurier qui
» lui eſt dû. Si c'eſt un plaifir inexprima-
>> ble de louer & de récompenfer le mé-
>> rite dans ſon ſemblable , que doit- ce
> être de le louer & de le récompenfer
>> dans un frere ? Qui connoît mieux que
>> moi tous vos talens & cette modeſtie
» qui vous les cache , en les découvrant
>> aux autres. Vous avez veillé pour la
>> patrie dans un âge où l'on ne veille guè ,
>> res que pour le plaiſir. Je ſerre avec
tranſport ce noeud littéraire que nous
>>ajoutonsà tantd'autres ; je nepuis m'em-
> pêcher de réfléchir ſur le ſpectacle que
>> nous donnons dans ce moment au mon.
>> de littéraire : il eſt auſſi intéreſſant qu'il
>> eſt bizarre . C'eſt le frere qui ouvre à
>> fon frere les portes de l'académie , &
>> c'eſt moi , Monfieur , qui vous les ou
» vre.
» Je m'arrête ... L'amitié me fait in-
>> ſenſiblement changer de rôle. L'acadé-
>> mie pourroit m'accuſer d'ufurper &de
>> m'approprier le témoignage de ſa ſatiſ-
>> faction ; je ferois peu- à - peu , comme
ces hommes qui , chargés de gouverner
FEVRIER. 1770. 149
» la patrie pour la patrie même , finiſſent
>> par la gouverner pour leur compte . »
>> L'Académie n'avoit pas besoin pout
>>ſa juſtification du Diſcours qu'elle vient
>>d'entendre ; vous aviez réuni tous les
>>ſuffrages , par un ouvrage nouveau pour
>>votre âge, pour votre art , & pour le pu-
>>blic;ouvrage conſacré &par le bien qu'en
>>a dit la critique , & par le mal qu'en a
>>dit la jaloufie. Vous avez dû avoir pour
"ennemis tous les maîtres & tous les an-
>>ciens. Vous avez affligé la cupidité des
>>uns,en dévoilant cette charlatanerie myf.
>>térieuſe parlaquelle ils font valoir leur art
>>&> fur-touteux- mêmes.Vousavez humi-
>>lié l'amour propre des autres , en rédui
"ſant à rien toute leur expérience& toute
>>leur pratique ; vous avez appris , par une
>>ſeule réflexion , ce que l'étude de toute
>>leur vie n'a pu leur apprendre . Ceux qui
>>ne font parvenus à une connoiffance
>>que par une route longue , tortueuſe &
>>ſemée d'épines , voyent éclore avec cha-
>>grin une méthode nouvelle , qui ouvre
>>une route plus courte &plus applanie . On
>>voudroit être vengépar la peine des au-
>>tres, de celle qu'on a été obligé de prendre
>>foi-même , on est même tout près de
>>prendre cette peine- là pour un mérite.
>>La jeuneſſe eſt la ſaiſon des grandes
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
>>entrepriſes & des découvertes, peut être
>>parce qu'il faut être irrité par les obſta-
>>cles,pour chercher à les furmonter ; que
>>l'inexpérience eſt néceſſaire au courage ;
»ou peut être parce qu'à un certain âge ,
>>on apprécie enfin l'importance des con-
>>noiffances en elle même,& leur influen-
>>ce ſur la ſociété ; qu'à mesure que la
>>vie s'échappe , on fonge davantage à s'en
>>occuper , & que le coeur en ſe glaçant
>>pour les plaiſirs , ſe glace auffi pour la
>>vérité.
>>Vous aurez la gloire , Monfieur , d'a-
>>v>oir foumis les principes de l'équitation
>>aux loix générales du mouvement ; c'eſt
>>une grande& magnifique idée d'affujet.
>>tir au calcul les mouvemens qu'opèrent
>>les corps organiſés ; mouvement qui a
>>toujours paru plus libre , plus indépen-
>>dant que celui qui s'opère dans la matie-
>> re brute. Peut- être même, Monfieur , cet
>>>inſtinct que vous regardez comme une
>>qualité perfonnelle à chaque animal
>>n'eſt- il le produit que d'actions imper-
>>ceptibles de la part des corps , & fuf-
>>ceptibles d'être calculées ſi on les con-
>>noiffoit mieux. Tout ce qui est dans la
>>>nature a vie , & cette vie n'eſt autre
>>choſe que du mouvement; ainſi la na-
,
FEVRIER. 1770.151
:
>
>>ture entiere ne vit que par un mouve-
>>ment général & univerſel dans chaque
>>molécule qui la compoſe ; & peut- être
>>que ſi le moindre grain de la matiere
>>brute , qui nous paroît la plus inerte
>>ceſſoitde vivre , c'est-à-dire, de ſe mou-
>>voir , ces grands corps qui ſe promènent
>>depuistant de ſiècles , furdes lignes indi-
>> viſibles & preſcrites , s'arrêteroient tout
»à coup , la nature ceſſeroit tout travail;
>>les générations qui s'avancent , fufpen-
>>droient leur marche , & l'univers actuel
>>fe repoſeroit, toujours uniforme & tou-
>>jours ſemblable , &c , &c. «
A la ſuite de ce diſcours , M. Dupaty
en lut un autre ſur l'incertitude des connoiſſances
humaines La féance fut terminée
par le compte que M. de la Roque
renditde ſes obfervations fur le paſſage de
Vénus.
:
:
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLE S.
OPÉRA.
La rigueur de la ſaiſon ayant ralenti les
travaux , on a été obligé de retarder l'ouverture
de la nouvelle Salle de l'Opéra ,
qui continue toujours, en attendant , les
repréſentations de Dardanus , & celles des
fragmens , compoſés de la Provençale ,
Anacreon & Pfiché. Mile Desforges a
débuté dans le premier de ces actes par le
rôle de Florine , avec un accueil favorable
qu'elle a mérité par une intelligence
de la ſcene , très-rare dans une actrice
qui n'a nulle habitude du théâtre ; ſa voix
eſt moins forte qu'agréable , mais le travail
la rendra ſans doute plus étendue ,
ce qu'il eſt aiſé de connoître par la Aexibilité
de ſes ſons & la facilité de ſa cadence.
COMÉDIE FRANÇOISE .
LE Samedi 13 Janvier , les Comédiens
François ont donné la premiere repréſen
FEVRIER. 1770. 153
tation des deux Amis , Drame en cinq
actes & en proſe , de M. de Beaumarchais .
Nous allons donner une idée ſuccinte de
cette piéce.
M. Orelli , Négociant de Lyon , d'une
réputation intacte , & honoré tout récemment
de lettres de nobleſſe , compre fur
treize cens mille livres d'effets , qu'il a
mis entre les mains de M. de Préfort ,
Banquier de Paris , afin de les échanger
en argent. Il eſt à la veille du jour des
payemens. Les ſiens ſe montent à fix cens
mille livres . Son caiffier , M. Dabins ,
reçoit une lettre de Paris , qui lui apprend
que M. de Préfort eſt mort fubitement ,
qu'on a mis le ſcellé ſur ſes papiers ,
&que par conféquent les effets de M.
Orelli ne peuvent pas lui rentrer avant
un certain tems. Cependant il faut abfolument
payer le lendemain fix cent
mille livres ou établir une faillite ; M.
Dabins va trouver M. de Mélac , receveur
général des Finances , ancien ami
de M. Orelli , logé avec lui , & qui
lui doit ſa place& fa fortune. M. de Mélac
a cinq cens mille francs dans ſa caiffe,
& centmiile à lui ; il les donne à Dabins
pour fauver ſon ami & lui ordonne le
ſecret; il n'imagine pas qu'on lui deman-
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
de ſes comptes , avant que M. Orelli ait
pu le rembourfer. Mais à peine l'argent
a-t-il paffé de la caiſſe de M. de Mélac
dans celle de M. Orelli , que S. Alban
Fermier Général entournée , chargé de recueillir
les deniers à l'expiration d'unbail,
vient exiger les comptes de M. de Mélac
&lui demander les deniers de fa caiffe .
M.de Mélac eſt forcé d'avouer l'impuiffance
où il eſt de les repréſenter. Il implore
un délai que S. Alban ne peut accorder.
M. Orelli ne peut concevoir que fon
ami ait pu détourner l'argent du Roi. Il
lui demande l'explication de ce procédé .
M. de Mélac ne fauroit ſe réfoudre à lui
apprendre ce qu'il a fait pour lui . Il fouffre
les reproches & même les ſoupçons
injurieux de ſon ami, qu'il fauve,& ſe tait.
Cependant M. Orelli a chez lui une
fille qui paſſe pour ſa niece , & qui eſt le
fruit d'un mariage qui n'a point été avoué .
Ila amaffé cent mille écus? pour lui faire
un fort après ſon décès. Elle aime le fils
de M. de Mélac & en eſt aimée. Elle
conjure M. Orelli de venir au ſecours de
M.de Mélac. M.Orelli lui répond qu'il n'a
plus entre les mains de M. de Préfort que
cent mille écus , qui font un dépôt ſacré ,
¢mille francs en billets. Illui apprend
FEVRIE R. 1770. 155
quel eſt le fort de l'infortunée à qui cet
argent appartient , & finit par lui avouer
que c'eſt elle. Elle n'hésite pas à preffer
M. Orelli de donner cet argent. Celui- ci
va l'offrir à S. Alban , & exige de lui qu'il
garde le filence ſur l'infidélité de M. de
Mélac. St Alban en revanche lui demande
une grace , & M. Orelli dans l'enthouſiaſme
de la reconnoiffance s'engage à
l'accorder . S. Alban demande la main de
la jeune Pauline , niéce prétendue de M.
Orelli. Pauline apprend cette demande
& ſe charge d'y répondre . Elle a auparavant
une converſation avec ſon amant
à qui elle révele le ſecret de ſa naiſſance
& le facrifice qu'elle fait pour M. de
Mélac. Le jeune de Mélac l'en aime davantage.
Elle fait les mêmes confidences à
S. Alban . M. Orelli lui apporte un man
dat fur M. de Préfort. S. Alban lui répond
qu'il eſt mort. M. Orelli étonné
fait venir M. Dabins , fon caiffier , qui
dénoue la pièce , en avouant ce que M.
deMélac a fait. Dès ce moment tout eft
réparé. S. Alban touché de tant de vertu,
ſe charge de la dette de M. de Mélac , &
Pauline & fon amant font unis enſemble.
Il y a de l'intérêt & des ſituations atta
Gvj
136 MERCURE DE FRANCE.
chantes dans cet ouvrage , & quelques
détails heureux. On peut lui reprocher
trop de complication dans les refforts ,
dont le jeu n'eſt ni aſſez clair ni affez
fondé.
COMÉDIE ITALIENNE.
LEE Mardi 9 de ce mois ,, onadonné fur
le Théâtre Italien , un canevas en cinq
actes , intitulé les Arbres enchantés .
Le Capitaine Celio ordonne à fon
valet Arlequin , d'aller faire du bois dans
la forêt ; auſſi - tôt que celui-ci lève ſa
coignée pour frapper le premier arbre
qui ſe trouve ſous ſa main , une voix ſe
fait entendre , & lui dit de couper une
branche à laquelle le charme eſt attaché ;
Arlequin exécute cet ordre , l'arbre ſe
change en une fontaine,& il en fort un enchanteur
que le grand Zoroastre y avoit
enfermé , & qui par reconnoiſſance pour
Arlequin lui donne ſa baguette & fon
pouvoir. Arlequin éprouve une grande
foif , mais l'enchanteur qui connoît le
danger qu'Arlequin courroit à la fatisfaire
, change la fontaine en un fourneau
ardent , au milieu duquel Arlequin voit
FEVRIER. 1770. 157
bouillir une marmitte qui contient des
macarons ; à cette vue la faim le preſſe ,
mais auſſi tôt qu'il s'approche de la chaudiere
elle ſe change en un affreux géant.
Le premier uſage qu'Arlequin fait de fa
baguette , eſt comme de raifon , pour faire
venir ſa maîtreſſe Argentine ; elle paroîr,
mais tandis qu'ils s'entretiennent enfemble
, le pourvoyeur de la maiſon qui en
eſt auſſiamoureux , la ſurprend & la menace
d'aller en informer Angélique; Arlequin
qui connoît le pouvoir de ſa baguette
, ſe moque de lui , & transforme
le panier de gibier qu'il conduiſoit, en un
énorme dragon qui s'envole .
Tandis que Célio s'oublie aux pieds de
ſa maîtreſſe , la bataille ſe donne , & il
apprend la nouvelle de la défaite des
ennemis ; le ſentiment de l'honneur le
réduit au déſeſpoir d'avoir manqué à fon
devoir ; mais Arlequin d'un coup de baguette
le tranſporte avec lui au milieu du
camp , où il prétend que ſon maître étoit
àfon poſte& a fait des prodiges de valeur;
Celio ne veut point augmenter ſa honte
par cette impoſture ; il s'avoue coupable ,
&eft traduit devant le Tribunal comme
fuyard , & comme raviſſeur de la fille du
Docteur qui eſt diſparue ; mais Arlequin
158 MERCURE DE FRANCE.
,
le tire encore de ce péril , il change le
Tribunal en moulin à vent , & les quatre
Juges courent les uns après les autres au
milieu des airs attachés aux quatre aîles
de ce moulin. Le fidele Arlequin dont le
zèle redouble à meſure qu'il rend des
ſervices à ſon maître , ſe déguiſe auſſi en
Pantalon & en Docteur , pour témoigner
en ſa faveur ; les archers le poursuivent ,
il ſe cache dans un fac en refort
auſli-tôt habillé en femme , ce qui les
déconcerte au point qu'ils s'en vont ſans
l'arrêter . Enfin la fille du Docteur ſe retrouve;
Celio eſt juſtifié de toutes façons
& obtient la main d'Angélique ; mais
Arlequin eſt condamné à paſſer le reſte
de ſa vie dans une tour qu'il change en
une montagne , d'où deſcend une troupe
de ſauvages &d'Amazones , qui le défendent
contre les ſoldats qui veulent l'arrêter
, ils les terraſſent , & après les avoir
vaincus , ils terminent la piéce par un
ballet agréable.
Ce cannevas qui attire par ſa variété
beaucoup plus de ſpectateurs que les
piéces Italiennes n'ont coutume d'en
avoir , fut apporté en France par Sachi ,
Arlequin Italien qui débuta dans le
mois de Mai 1767 ; il a été retouché par
,
FEVRIER . 1770. 159
le célèbre Goldoni , qui l'a rendu auſli
vraiſemblable que peut l'être une piéce à
machines ; celles qui en font le ſuccès
font très- ingénieuſes &de l'invention de
M. Veroneſe , ſeul chargé de cette partie,
mal- à - propos attribuée à M. de Heſſe ,
dans le calendrier intitulé: état des ſpectacles.
Madame Roſembert a débuté fur ce
Théâtre le Mercredi 17 Janvier , par le
rôle de Jacinte dans le Peintre amoureux ,
& de Gertrude dans Mazer. Elle continuera
fon début dans les rôles de Duégnes .
Une voix claire , ſonore & étendue ,
une prononciation nette & diſtincte ,
beaucoup d'art dans le chant & de fineffe
dans le jeu , tout annonce en elle un
ſujet d'une grande distinction , & les
applaudiſſemens redoublés du public
confirment cet heureux préſage. Si quelque
choſe peut ſervir encore à le juſtifier,
c'eſt que Madame Roſembert eſt annoncée
comme une élève de M. Duni , a qui
le Théâtre Italien eſt déjà redevable de
pluſieurs talens , qu'il a formés. Ceux de
M. Duni , lui- même , ſont d'une ſupériorité
reconnue dès long- tems , par ceux
qui aiment que dans la muſique , ainfi
que dans tous les beaux arts , on produife
160 MERCURE DE FRANCE .
de grands effets avec des moyens ſimples,
qu'on imite la nature ſans la charger , &
que la profondeur des combinaiſons harmoniques
ne nuiſe pas à la mélodie &
aux graces du chant.
ARTS.
GRAVURE.
I.
Portrait en petit& en forme de médaillon
deMgr Louis Auguſte Dauphin de
France , né à Versailles le 23 Août
1754 , deſſiné & gravé par Ch. Etienne
Gaucher. A Paris , chez l'auteur , rue
St Jacques , maiſon des Dames de la
Viſitation . Prix , 3 liv .
Ce portrait d'un Prince cher àla nation
honore les talens du Sr Gaucher. La gra .
vure en eſt ſoignée & finie . L'artiſte a
fait hommage de ſon travail à Madame
Adelaïde de France.
On peut ſe procurer chez le même artiſte
le portrait auſſi en médaillon de Ch .
Secondat , baron de Montesquieu. Ce
FEVRIER. 1770. 161
portrait a été deſſiné & gravé fidèlement
fur la médaille de Daſſier , par G. Ph .
Benoits. Daſſier étoit venu exprès de Londres
pour frapper la médaille de l'auteur
de l'Esprit des loix. Sa modeſtie s'y refufoit.
" Croyez vous , lui dit un jour l'ar-
>> tiſte Anglois , qu'il n'y ait pas autant
>>d'orgueil à refuſer ma propoſition qu'à
» l'accepter. » Défarmé par cette plaifanterie
, Monteſquieu laiſſa faire à Daffier
tout ce qu'il voulut.
I I.
Tableau contenant les principaux pavillons
qui s'arborent ſur les vaiſſeaux ,
dans les quatre parties du monde ; par
le Sr Wandick. AParis , chez l'auteur,
à l'hôtel St François , rue Pavée St André
des Arts , & chez Croiſey , marchand
d'eſtampes & de géographie ,
quai des Auguſtins , à la Minerve . Prix
4liv.
Cetableau utile des principaux pavil
lons offre auſſi l'image d'un vaiſſeau avec
l'explication de ſa mature. L'auteur a preſenté
fon ouvrage à Sa Majeſté , qui a bien
voulu lui faire la grace de l'accepter .
162 MERCURE DE FRANCE.
4
III.
La Pêche à la ligne & la Péche au filet ,
deux eſtampes en pendant , d'environ
12 pouces de large , ſur 10 de haut.
prix 15 fols chacune . A Paris , chez la
veuve Duchefne , Marchande d'eſtampes
, au bas de la rue S. Jacques au
Coq.
Ces deux eſtampes ont été gravées d'après
les compoſitions de M. Vernet , par
le ſieur Deq , qui a cherché à rendre
l'eſprit du deſſin qu'il copioit.
On distribue à la même adreſſe , deux
études en hauteur d'après Wischer. Elles
repréſentent des figures &des animaux ,
de la compoſition de Berghem. Prix 8 f.
chaque étude.
IV.
Collection de Planches , repréſentant les
plantes uſuelles d'aprèsnature , avec le
port , la forme &les couleurs qui leur
font propres , gravées d'une maniere
nouvelle par M. Regnault , de l'Académie
de Peinture & de Sculpture. A
Paris , chez l'Auteur , rue Croix des
FEVRIER. 1770. 163
Petits Champs , au magafin des chapeaux
des troupes du Roi , Deffain-
Junior libraire , Quai des Augustins ,
Delalain libraire , rue de la Comédie
Françoife , & Lacombe libraire , rue
Chriſtine , près la rue Dauphine .
Nous avons déjà annoncé cette importante
Collection de plantes , qui ſe continue
avec le plus grand ſuccès. Les Médecins ,
les Naturaliſtes & ceux qui ne cultivent
les arts que par goût , avoueront fans peine
que l'on ne pourroit , par le moyen de
l'impreſſion , rendre avec plus de vérité &
d'exactitude les différentes fortes deplantes
uſuelles . M. Regnault imite juſqu'aux
nuances des couleurs que donne la nature,
& eſt parvenu par ce moyen à nous faire
douter ſi cen'eſt pas la plante elle-même,
qui eſt fixée ſur le papier .Des notices intéreffantes,
jointes à chaque planche , mettent
actuellement la Botanique à la portée
de tout le monde. La Collection entiere
formera un herbier peu diſpendieux ,
très- facile à conferver & que l'on confultera
toujours avec fruit. On vient de
distribuer l'orvale ou toute- bonne , la
ſaponaire , la belladone, l'origan ſauvage,
la roquette fauvage , &c .
164 MERCURE DE FRANCE.
:
MUSIQUE.
Acis & Galathée , cantate à l'italienne
parodiće ſur la Chacone de M. Berthon ;
prix 6 liv . avec les accompagnemens , &
3 liv. ſéparément. A Paris , aux adreſſes
ordinaires de muſique. Les vers de ce
morceau de muſique parodié & bien connu,
font d'un amateur qui poſſéde le dou.
ble talent de la muſique & de la poësie .
Six Sonates à deux deſſus pour les
hautbois , flutes traverſieres , cu violons
fans baffes , d'une exécution facile & à la
portée de tous les amateurs ; Prix 3 liv.
12fols.
Plus un premier recueil de chanfons
avec accompagnement de guitarre , & une
tablature de cetinſtrument, dédié à Mile
Trudaine de Montigny ; par M. Van-
Hecke , ordinaire de l'académie royale de
muſique . A Paris , chez l'auteur , rue de
la vieille Draperie , chez M. Felize , no .
taire , vis à- vis St Pierre des Arcis ;& aux
adreffes ordinaires.
FEVRIER. 1770. 165
Six Quatuor pour flûte & violon , ou
deux violons , alto & balle , compoſés par
François Jofeph Goflec d'Anvers , op . 14.
prix 9 liv . A Paris , au bureau d'abonnement
muſical, cour de l'ancien grand cerf,
rue St Denis & des Deux Portes St Sau
veur , & aux adreſſes ordinaites ,
L
Second Recueil de différens airs , à grande
ſimphonie , compoſés & ajoutés dans
pluſieurs Operas , & exécutés au Concert
Spirituel. Par M. le Berton , Di
recteur de l'Académie Royale de mu
ſique. A Paris , chez de la Chevardiere,
rue du Roule , à la croix d'or , & aux
adreſſes ordinaires de muſique. prix 6
liv.
Le nom de M. le Berton placé à la
tête de ce recueil, doit donner toute confiance
ſur les morceaux qu'il contient. Ce
virtuoſe a eu ſoin d'en faciliter l'exécution
auxAmateurs.Ces ſimphonies cependant
quoique très- propres à être exécutées
dans des Concerts particuliers , font le
meilleur effet dans les grands orcheſtres
de Spectacles , & autres.
:
166 MERCURE DE FRANCE.
Six Sonates en duo pour mandoline &
violon , dédiées à M. de Fontanieu , compoſées
par Burkoffer , op . v. & premier
livre de petits airs avec accompagnement
de harpe & pluſieurs petites pièces & menuets
, dédiées à M. de Savary ; par le même
op . VI . Prix 6 liv . A Paris , aux adreffes
cideſſus.
*Premiere & deuxième ariettes avec accompagnement
de clavecin , harpe , violon&
baffe ; par M. de St Amans. Prix
2 liv. 8 fols chacune. A Paris , chez l'auteur
, rue du Chantre , maifon du café
militaire & aux adreſſes ordinaires . Ces
ariettes peuvent s'exécuter avec le clavecin
feul ou la harpe ; les autres parties
font ad libitum .
A
Six Trio pour deux flûtes ou hautbois
de L. Hoffmann , maître de muſique de
la chambre , chez l'Empereur ; prix 6 liv.
AParis, chez Huberty , rue des deux Ecus ,
au pigeon blanc.
Six Trio pour deux violons & baffe ;
1
FEVRIER. 1770. 167
- par M. Zappa , oeuvre 111 ; prix 6 liv . chez
le même.
Sei Sinfonie à più ſtromenti , compoſte
dal Signor Gaetano , Pugnani virtuoſo
di camera e primo violino ala corte di
Torino . Opera IX. prix 12 livres . A
Paris , chez Venier , éditeur de pluſieurs
ouvrages de muſique , rue Saint
Thomas du Louvre , vis - à- vis le château
d'eau , & aux adreſſes ordinaires .
Les quartetti & les quintetti de ce vira
tuoſe , ſe diſtribuent chez le même éditeur.
Cérémonies barbares de l'Isle de Baly.
EN 1633 , des Officiers Hollandois furent
envoyés de Batavia au Roi de l'iſle
de Baly , voiſine de celle de Java , & trèspeu
fréquentée des Européens. Voici la
relation que ces officiers firent à leur général
des pratiques qu'ils virent à la mort
de la reine mere . Ce recit donne une
idée exacte , mais horrible, del'ignorance
&de la ſuperſtition cruelle de ces barbares
infulaires. :
-
168 MERCURE DE FRANCE .
« Les Baliens tirerent d'abord le cada
» vre de la maiſon , par un grand trou
>> fait exprès à la muraille , du côté droit
>>de la porte , dans la ridicule opinion de
>> tromper le diable , que ces infulaires
>> croyent aux aguets ſur le paſſage ordi-
>> naire. Les femmes eſclaves , deſtinées
» à tenir compagnie au mort , précedent,
>> felon leur rang ; les moins diftinguées ,
>> les premieres , chacune foutenue d'une
» vieille femme par derriere , & portée
» dans un badi fort artiſtement compofé
» de bambous , & orné de fleurs de tou-
>> tes parts. On met devant elles un co-
» chon de lait rôti , du riz , du betel , &
ود d'autres fruits pour en faire offrande à
>> la Divinité ; & ces malheureuſes victi-
» mes de la plus horrible idolatrie font
» ainſi menées en grand triomphe au fon
» de divers inſtrumens , à l'endroit où
>> elles doivent être poignardées & brûlées
>> enſuite.
>>Chacune y trouve ſon échaffaud parti-
» culier à - peu près de la forme d'un au-
» ge , élevé fur quatre poteaux courts , &
>> bordé de planches des deux côtés . Après
» leur en avoir fait faire trois fois le tour
>>à meſure qu'elles arrivent , toujours af-
> ſiſes dans leur badi , on les en tire im-
» médiatement
FEVRIER. 1770. 169
>> médiatement l'une après l'autre , pour
>> les mettre dans ces auges. Aufli - tốt
>> cinq hommes & une ou deux femmes
» s'en approchent , leur ôtent toutes les
>> fleurs dont elles ſont parées , tandis que
>> portant à diverſes repriſes leurs mains
>>jointes au-deſſus de leur tête , elles
>> élèvent les pièces de l'offrande , dont
» les autres femmes , poſtées derriere ,
>> s'emparent de même , & qu'elles jettent
>> par terre , ainſique les fleurs. Quelques-
>> unes lâchent enſuite un pigeon , ou un
>>poulet , pour marquer par-là que leur
>> ame eſt ſur le point de s'envoler vers le
>> ſéjour des bienheureux.
>> A ce dernier ſignal , on les dépouille
>> de leurs habits juſqu'à la ceinture , &
« les quatre hommes ſaiſiſſant la victime ,
» deux par les bras , qu'elle tient éten-
>>dus , deux par les pieds ſur lefquels
> elle reſte debout , le cinquième ſe pré.
>> pare à l'exécution ,&le tout ſe fait fan's
» qu'on leur bande les yeux. Les plus cou-
>> rageuſes demandent quelquefois le
>>poignard , qu'elles reçoivent de la main
>>droite , le paſſent dans la gauche , &
>> l'ayant baiſe reſpectueuſement s'en pi-
» quent le bras droit, ſucent le ſang qui
>> découle de la plaie , s'en rougiffent les
H
1
170 MERCURE DE FRANCE.
» lévres , & en impriment une goute fur
» le front du bout du doigt qu'elles ont
» mouillé dans la bouche ; après quoi ,
>> rendant le poignard à leur meurtrier ,
>>Elles reçoivent au côté droit un pre-
» mier coup entre les fauſſes côtes , & un
» ſecond du même côté , ſous l'omoplate;
>>le poignardeſt enfoncéjuſqu'au manche;
>>de biais , la pointe vers le coeur , & dès
>>queles frayeursde la mort commencent
>> àſe peindre ſur leur viſage ſans qu'il leur
» échape jamais la moindre plainte , on
>> les laiſſe doucement tomber ſur le ven-
» tre ; on leur tire les pieds par-derriere ,
» & on les dépouille en même tems de
>>leur dernier vêtement,de ſorte qu'elles
reſtent abſolument nues.
>> Ceux qui poignardent les femmes ,
>>ont 250 petites pièces de monnoie de
>>cuivre de la valeur des ſols pour leur
>>ſalaire. Les plus proches parens s'ils font
>> préfens , ou d'autres perſonnes louées à
>>cet effet , viennent enſuite laver ces
>> corps ſanglans , & les ayant bien net-
>>toyés, ils les couvrentde bois , de façon
>>qu'on n'en voitque la tête , &y mettent
>>le feu ; ils font ainſi réduits en cen-
» dres . "
» Toutes ces femmes ſont déjà poi
FEVRIER. 1770. 171
>> gnardées , & pluſieurs même en flam-
» mes , avant que le mort arrive , porté
>> dans le plus fuperbe Badi de forme
» pyramidale , ayant onze eſcaliers ou
>> marches en hauteur & davantage , lié
>> de cordes par lehaut aux quatre coins,
» & foutenu en équilibre par un grand
> nombrede perſonnes proportionné à la
>>qualité du mort , &qui va quelquefois
>> à pluſieurscentaines.De chaque côté du
>>corps font aſſiſes deux femmes , l'une
>> tenant fon parafol,& l'autre un chaſſe .
>> mouches de crin de cheval , pour en
>> écarter ces infectes : deux de leurs prê-
>> tres précédent de loin , dans une voi-
» ture particuliere , tenant chacun en
>> main une longue corde , attachée au
>> Badi , comme pour donner à connoître
>> qu'ils mènent le mort au Ciel , & fon-
>> nant , de l'autre main , une clochette ,
> avec un tel bruit de gongues , de tam-
>> bourins , de flûtes & d'autres inftru-
» mens , que toute cette cérémonie à
>> moins l'air d'une pompe funèbre , que
>> de la plus joyeuſe fête de village .
>>Quand le mort a paſſé tous les bu-
>> chers , qui font rangés en file ſur la
>> route , on le poſe ſur le ſien , qui eſt
>> tout de ſuite allumé , & l'on brûle en
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
>>>même - tems la chaiſe , le banc , &c.
>> dont il ſe ſervoit pendant ſa vie. Tous
>> les aſſiſtans ſe mettent alorsà faire bonne
>> chère , tandis que les muſiciens ne cef-
>> fent de frapper l'oreille d'une mélodie
>>bruyante , affez agréable ; cela conti-
>> nue juſqu'au foir , que les corps étant
>>confumés , les parens& les grands s'en
>> retournent chez eux , laiſſant ſeulement
>> une bonnegarde pendant la nuit auprès
» des os ; mais, cette fois , on ne conſerva
>> que ceux de la Reine mere ; ceux des
>> autres femmes ayant été ramaſſes &
>> jetés le même ſoir contre la coutume; ce
>> qu'on nous fit encore valoir comme une
>> attention marquée pour nous , dans la
>> vue de nous expédier plus promptement
>> en abrégeant ces cérémonies.
» Le lendemain , les os de la reine
mere , furent rapportés avec une pompe
» égale à celle de la veille , dans ſon an-
>> cien logement , où l'on obſerve encore
>> les formalités ſuivantes. Chaque jour
>>une troupe de muſiciens & de Préquiers
» yaccompagnentpluſieurs vaſes d'argent,
» de cuivre & de terre , remplis d'eau ;
"' ceux qui les portent font précédés de
deux jeunesgarçons, tenant des rameaux
> verds, & marchantdevantd'autres charFEVRIER.
1770. 173
>>gés du miroir , du badjou, ou vêtement,
>>de la boîte au betel du mort , & de fes
» autres meubles ordinaires. On lave dé-
>> votement les os pendant un mois & fept
>>jours , après quoi , les remettant dans
>> un petit Badi fort propre , on les porte
» avec le même cortège que le corps , en
>> un lieu nommé Labec , où ils font entié-
» rement brûlés ; les cendresſont recueillies
>> ſoigneuſement dans des urnes , & jetées
» en mer , àune certaine diſtance du riva-
>>ge , ce qui termine la cérémonie.
>> Quand un Prince ou une Princeſſe du
>>ſang royal , vient à décéder , ſes femmes
» ou eſclaves courent autour du corps ,
>> faiſantdes cris &des hurlemens affreux.
" Toutes demandent avec inſtances de
>> mourir pour leur maître ou maîtreffe;
>>mais le Roi déſigne le lendemain , nom
>>par nom , celles dont il fait choix .
» De ce moment juſqu'au dernier de
>> leur vie , elles ſont conduites chaque
>> jour de grand matin , ſur autant de
>>> chariots , & au fon des inſtrumens ,
>> hors de la ville , pour y faire leurs dévo-
» tions , ayant les pieds enveloppés de
>>linge blanc , parce qu'il ne leur eſt plus
>> permis de toucher la terre à nû , &
>> qu'elles font regardées comme confa-
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
>> crées. Les jeunes filles , peu au fait de
>> ces exercices religieux , en ſont inſtrui-
>>tes par les vieilles femmes , qui les
>> affermiffent en même tems dans leur
>> réſolution .
Une femme qui a perdu ſon mari ,
>> vient lui offrir journellement de nou-
>> veaux mets ; mais voyant qu'il n'y
>>touche point , elle recommence cha-
>> que fois ſes lamentations ordinaires ,
>> pouffant l'affection à fon égard , juſqu'à
>> baifer & arroſer de ſes larmes , les trois
>>ou quatre premiers jours après ſa mort ,
» ce qu'elle chériſſoit leplus en lui pendant
»ſa vie.
>>Ce deuil ne dure pourtant pas juſqu'a
>> la veille des funérailles , pour celles qui
>> ſe ſont dévouées à la mort , parce qu'on
>> leur fait paſſer cette journée ,& toute
>> la nuit ſuivante , ſans fermer l'oeil ,
>> dans des danſes & des réjouiſſances con-
>> tinuelles. On s'empreſſe de leur offrir
>>tout ce qui peut flatter leur goût; & dans
>> la quantité de liqueurs qu'elles avalent,
» il leur reſte peu d'objets capables d'ef-
>> frayer leur imagination , d'ailleurs elles
>>font échaufféespar les promeſſes de leurs
>>prêtres, & par ledéplorable aveuglement
>>où ſont ces payens ſur les délices d'une
>> autre vie .
FEVRIER. 1770. 175
1
» On n'oblige cependant aucune fem-
› me ou eſclave à ſuivre cette barbare cou-
>>tume ; mais celles qui veulent s'y ſouſ-
>>traire , & les autres qu'on en excepte ,
>>quoique pour l'ordinaire elles s'y offrent
> toutes avec un égal empreſſement , font
>> renfermées dans un couvent pour le
>>reſte de leurs jours , ſans qu'on leur
>> permette jamais la vue d'un homme.
>>Si quelqu'une trouve le moyen de s'éva-
>>der de ſa priſon , & qu'on la ſaiſiſſe ,
>> fon procès eſt tout fait ; elle doit être
>>poignardée , traînée dans les rues , &
>>jetée aux chiens pour en être dévorée ,
>> ce qui eſt le ſupplice le plus ignomi-
>> nieux dans cette Iſle .
› Aux funérailles des deux fils du roi ,
>> morts depuis peu , il y eut 42 femmes
>> de l'un , & 34 de l'autre , poignardées
»& brûlées de la façon qu'on vient de
>>le dire ; mais les princeſſes du ſang
>> royal fautent elles-mêmes dans le feu ,
>> comme firent chacune des principales
» épouſes de ces deux princes , parce
>> qu'elles ſe croiroient deshonorées ſi
>>quelqu'un portoit la main ſur elles. On
» pratique , à cet effet , au-deſſus du bû.
>> cher une eſpéce de pont , qu'elles mon-
>> tent , tenant de la main un papier collé
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
>> fur le front , leur robbe retrouffée ſous
>> les bras ; & dès qu'elles ſentent la cha-
>>leur des flammes , elles ſe précipitent
» dans le braſier , qui eſt fermé d'un en-
>>clos quarré de paliſſades de cocotier. Si
>>la fermeté les abandonnoit à cet aſpect
>> frémiſſant , il y a toujours un frere ou
>>>un des plus proches parens , prêt à les y
>> pouffer & à leur rendre par affection ce
>> cruel office.
» On nous raconta encore que la pre-
>>miere femme du cadet de ces deux
>> princes , fille de la ſoeur du roi , avoit
>> demandé confeil à fon pere , le roi de
» Couta , fi elle devoit ſe brûler ou non ,
>> parce que n'ayant vécu qu'environ trois
>>>mois avec ſon mari , elle croyoir que
» cette raiſon & fa grande jeuneſſe l'au-
>> toriſoient à choiſir préférablement la
» vie; mais , refpectant moins la voix du
>> fang dans un enfant chéri que les pré-
> jugés de la naiſſance , ce pere lui repré.
>> ſenta avec tant de force les ſuites de la
>> Aétriffure qu'elle attireroit par - là fur
>> elle & fur toute fa famille , que cette
>> jeune infortunée , s'armant de courage,
>> fauta gayement dans le feu qui dévo-
>> roit déjà le corps de ſon époux .
>>A l'égard des rois regnans , toutes
FEVRIE R. 1770. 177
>> leurs femmes ou concubines , ſouvent
>> au nombre de cent à cent cinquante ,
>> ſe dévouent volontairement aux lam-
» mes , & c'eſt une distinction que l'ufa-
>>ge leur accorde ſur les autres qui doi-
>> vent être auparavant poignardées . Com-
>> me elles marchent ainſi ſfans contrain-
» te , il étoit arrivé à la mort du feu roi
>>de Bali , qu'une de ſes femmes , prête
» à ſuivre l'exemple de ſes compagnes ,
>> manquant tout- à- coup de conttance à
>> la vue de cet horrible appareil , avoit
>> eu cependant affez de préſence d'eſprir,
>>en approchant du pont pour demander
>> à s'écarter un inſtant , ſous prétexte de
>>fatisfaire aux néceſſités naturelles, ce qui
>>lui ayant éré accordé ſans défiance, elle
>>prit la fuite à toutes jambes. La fingu-
• larité du fait , plutôt qu'aucun motif
>>de compaffion , lui valut depuis ſa li-
>>berté, & l'on nous aſſura qu'elle venoit
>> encore tous les jours au marché pour
>> vendre ſes denrées; mais qu'elle étoit
>>regardée de tous les grands avec le der-
>> nier mépris , quoiqu'une longue ha-
>>bitude l'eût aguerrie à ſupporter pa
>> tiemment leurs mordantes railleries.
» Un autre objet de l'indignation de
>> ces peuples , & pour une cauſe auffi
Hw
178 MERCURE DE FRANCE.
>>finguliere , c'eſt la femme eſclave que
>>le fort appelle à la vile fonction de
>> purifier le corps de ſa maîtreſſe défunte
>> pendant un mois & fept jours. On la
>> croiroit trop honorée de pouvoir l'ac-
>> compagner dans l'autre monde avec
>> celles qui forment ce nombre ; & c'eſt
>>pourquoi on lui laiſſe la vie , avec la
>> liberté de ſe retirer où elle veut à la
>> campagne , & de pourvoir elle - même
>> à ſa ſubſiſtance.
>> Pour prévenir l'infection des cada-
> vres qu'on garde ſi long tems dans un
» pays où les chaleurs font exceſſives, on
> les frotte journellement de ſel , de poi-
>> vre&d'aromates,juſqu'à ce qu'ils ſoient
>> exténués & n'aient plus que la peau fur
>>les os ; après quoi on les nettoie propre-
>> ment de toutes ces drogues qui forment
>> une croûte de trois ou quatre doigts d'é-
>> paiſſeur , & c'eſt ainſi qu'ils font réduits
>> en cendres. Le cercueil qui renferme le
>> mort eſt troué par le fonds, pour donner
iſſue aux humeurs qu'on reçoit dans un
>>baſſin , lequel eft vidé chaque jour en
>>grande cérémonie. «
FEVRIER. 1770. 179
LETTRE à M. H. de P. L. fur un
célèbre impofteur de Reims , nommé
Bertrand.
LE pyrrhoniſme hiſtorique a ſes bornes , Monfieur
, & il eſt dangereux de les étendre trop loin .
La critique a ſans doute des droits ſur l'hiſtoire,
mais ce n'eſt qu'autant qu'elle eſt ſubordonnée
aux loix de la diſcuſſion. C'eſt à ces deux objets
quedoit ſe rapporter en général l'examen de tous
les faits . Je vous entretenois dernierement de khiltoire
du célèbre impoſteur Bertrand de Rans. Je
vous ajoutois qu'il étoit né à Rheims . Vous avez
rejeté bien loin cette aſſertion , & même la réalité
de cet événement , fondé ſans doute ſur le
filence de la plupart de nos hiſtoriens , ou plutôt
guidé par cet amour patriotique qui vous diſtingue
, & qui vous porte à défendre en toute occafion
l'honneur de votre patrie . Quoi qu'il en
foit , votre doute m'a porté à faire quelques recherches
ſur ce point d'hiſtoire. Voici le réſultat
de mes déouvertes.
Bertrand de Rans ou de Rayns vivoit fur la fin
du douziéme fiécle & au commencement du treiziéme.
Il mena pendant quelque tems la vie d'hermite
dans une forêt près de Valenciennes. Ennuyé
fansdoutede cegenre de vie, il entreprit de ſe faire
pafler pourBaudouin I, comte de Flandre &deHaynaut,
& empereur de Conſtantinople ; quoique ce
prince fût mort depuis plus de vingt ans. Quelques
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
traits de reſſemblance,joint au bruit qui ſe répandit:
alors que cet empereur s'étoit ſauvé des mains
des infidèles , & qu'il vivoit dans un hermitage ,
accréditerent cette fourberie. Bertrand parutdans
ſon habit d'hermite , &il en impoſa aux yeux de
la multitude toujours avide de nouveautés. Une
partie des villes , du peuple , & même de la nobleſle
de Flandre , le reconnut pour ſon ſouverain,
pour fon comte & pour l'empereur de l'Orient .
Cette croyance paroiſſoit d'autant mieux fondée
qu'il avoit la taille & pluſieurs traits du viſage de
Baudouin , & qu'il avoit pris dans ſon hermitage
une connoiſſance particuliere des armoiries ,
des généalogies & des actions les plus éclatantes
de la noblefle du payyss.. Il ſe laiſſa traiter magnifiquement
dans les villes de Flandre & de Haynaut
où il fut reçu avec beaucoup d'appareil&de
grandes démonstrations de joie. En un mot fon
attentat eut un ſuccès fi heureux , que Jeanne
fille aînée de l'empereur Baudouin , alors comtefle
de Flandre & de Haynaut, refufantde le re
connoître , fut obligée de mettre des troupes fur
pied pour s'oppoſer à ſon entrepriſe ; mais comme
elle étoit la plus foible , elle penſa être prifonniere
au Quelnoy , & fut obligée de ſe renfermere
dans le Catelet. Cependant comme l'impofteur
faisoit toujours des progrès , elle prit le parti
de le faire interroger par fon confeil. Bertrand
après avoir écouté attentivement toutes les interrogations
qu'onlum fit , répondit avec une fierté
étudiée , qu'ayant été fait prisonnier en Bulgarie
, il y avoit été retenu près de vingt ans fous
une garde qu'il n'avoit pu ni tromper ni corrompre,
qu'enfuite on avoit ceflé de l'obſerver avec
tant de rigueur , ce qui lui avoit donné lieu de
FEVRIER. 1770. 181
s'échapper ; qu'en chemin il avoit été repris par
d'autres Barbares qui l'avoient mené enAfie fans
le connoître ; que pendant une trève entre les
Chrétiens & les Barbares , des marchands Allemands
, à qui il s'étoit fait connoître , l'avoient
racheté , & qu'il avoit eu le bonheur de revenir
chez lui. Sur cette déclaration la comtefle de
Flandre envoya en Gréce Jean , évêque de Meteline
, & Albert , religieux de l'ordre de St Benoît ,
qui étoientGrecs , pour s'inſtruire de la vérité des
faits , & ſavoir fſi ſon pere étoit mort ou vivant.
Ces envoyés apprirent ſur les lieux que l'empereur
Baudouinavoit été fait prifonnier près d'Andrinople
par le Roi des Bulgares , qu'il avoit été envoié
à la Reine dans la ville de Ternove , qu'il y avoir
été mis à mort , & inhumé par une femme originaire
du paysde Bourgogne. Cette découverte ne
ſuſpenditpoint les effets de la révolution qui prenoit
toujours de nouveaux accroiſſemens ; de
forte que la comteſle fut obligée d'implorer contre
l'ufurpateur le ſecours de Louis VIII. Roi de
France. Ceprince s'avança juſqu'à Compiegne ,
où Bertrand ſe trouva au jour indiqué ſur la foi
d'un ſauf-conduit. Il y parut avec une ſuire bril--
lante & nombreuſe , vêtu à l'arménienne & en
écarlate , portant un bâton blanc à la main. Le
Roi le fit interroger publiquement par l'évêquede
Beauvais , Milon de Nanteuil . On lui demanda
en premier lieu dans quel endroit il avoit prêté
foi& hommage au roi Philippe : en ſecond lieu
depuis quand & où il avoit été fait chevalier ;
enfin où & quel jour il avoit épousé Marie de
Champagne. Bertrand ſe trouva embarraflé & ne
-ſçut que répondre , il demanda un délai de trois
jours; mais le Roi , bien convaincu par - là de
182 MERCURE DE FRANCE.
l'impoſture , lui commanda de ſortir du royaume
&ne le fit point arrêter parce qu'il avoit un ſaufconduit.
Cette aventure déconcerta les projets de
l'ufurpateur , & le fit abandonner de tous ſes partiſans.
Se voyant ainſi délaiſſé , il ſe retira d'abord
à Valenciennes ; enſuite il ſe traveſtit en
marchand pour pafler en Bourgogne. Mais en chemin
il tomba entre les mains d'un gentilhomme
Bourguignon , nommé Erard de Châtenai , qui le
livra à la comteſle Jeanne,moyennant quatre cens
marcs d'argent. La comteſle le fit mettre à la
queſtion , où il avoua qu'il étoit Champenois , &
qu'il ſe nommoit Bertrand de Reims. On le promena
par toutes les villes de Flandre & de Haynaut
pour le faire voir au peuple , après quoi il
fut publiquement pendu à Lille en 1225. On prétend
que cette exécution ne détrompa point le public,
& n'empêcha pas le peuple de croire que la
comtefle avoit mieux aimé faire mourir ſon pere
que de lui remettre la ſouveraineté. On va même
juſqu'à dire que cette princeſſe crut , après cette
exécution , que c'étoit effectivement ſon pere , &
que par ſcrupule de conſcience elle fonda un hôpital
à Lille qu'on nommoit l'Hôpital Comteſſe ,
où l'on voyoit une potence peinte aux vîtres &
aux murailles , & même brodée aux courtines des
lits , pour marquer , dit- on , le ſujet de cette fondation.
Mais cette tradition paroît deſtituée de
fondement , & ne prévaudra jamais contre l'aveu
du coupable , & contre le témoignage des hiftoriens
contemporains qui gardent àce ſujet le plus
profond filence.
Tel eſt le fait , Monfieur , accompagné de toutes
les circonstances. Reſte à voir quels font les
auteurs qui nous ont tranfmis cet événement ,&
FEVRIER. 1770. 18;
fi d'après leur témoignage on peut compter ſur la
vérité du fait, & afſurer que notre impoſteur étoit
de Reims. Quatre auteurs connus & antérieurs à
notre ſiècle , parlent de ce trait d'hiſtoire; ſçavoir
, Jean Iper , dans ſa chronique de St Bertin ;
Jacques Meyer , dans ſes annalesde Flandre &
dans ſa chronique abrégée de la même province ;
Locrius , dans ſa chronique des Pays- Bas , & Jean-
Baptifte de Rocoles , dans ſon livre des Impoſteurs
infignes. Il y a tout lieu de croire que de Rocoles
n'a rapporté ce fait que d'après Meyer & Locrius ,
&que ceux- ci n'en ont parlé que d'après la chroniquede
St Bertin. C'eſt donc à ce dernier ouvrage
qu'il faut nous arrêter pour trouver la ſource de
latradition. La chronique de Jean Iper a toujours
paflé pour un monument précieux de notre hiftoire
chez les écrivains anciens & modernes . Cet
auteur , plus connu ſous le nom de Joannes Iperius
, parce qu'il étoit d'Ipres , vivoitdans le quatorziéme
fiécle , cent ans environ après l'événes
iment enqueſtion. Il fut abbé de St Bertin&compoſa
l'hiſtoirede ſon monastere, quicomprend tout ce
qui s'eſt paflédans le pays depuis l'an 590 juſqu'en
1294. Cette hiſtoire eſt reſtée manufcrite juſqu'au
commencement de ce fiécle que D. Martenne l'a
inférée dans ſon Thefaurus anecdotorum , tom. 3 .
Jean Iper jouiſſoit d'une fi grande conſidération
parmi ſes contemporains qu'on l'appeloit par excellence
, virpius & eruditus ; & tous ceux qui ,
après lui , ont écrit ſur l'hiſtoire de Flandre , ont
fait un grand uſage de ſa chronique comme d'un
monument hiſtorique des plus certains : cela ſeul
ſuffiroit pour donner aux faits que cette chronique
renferme tout le degré de certitude qu'on peut
defirer en fait d'hiſtoire ; mais ce qui doit nous
184 MERCURE DE FRANCE.
rendre cet ouvrage encore plus précieux , c'eſt que
Jean Iper n'a travaillé lui-même que ſur les mé--
moires de trois de ſes prédéceſſeurs , contemporains
de la plupart des événemens que cette chronique
renferme . Le premier eſt Folquin , moine de
St Bertin , qui vivoit dans le dixième ſiècle. Le
ſecond eſt Simon , abbé de cette même abbaye ,
mort en 1148. Le troifiéme eſt un anonyme qui
vivoit& écrivoit en 1229 , tems auquel Bertrand
adonné à toute la Flandre le ſpectacle de ſon impoſture.
Il en réſulte que le fait en lui- même paroît
des plus certains & des mieux conftatés. Il ne
me reſte plus qu'à vous prouver que notre impofreur
portoit le nom de Reims , & qu'il en étoit.
Moreri , & d'après lui les auteurs du nouveau dictionnaire
hiſtorique portatif, le nomment Bertrand
de Rans. La chronique de Meyer& les an--
nales de Flandre le nointment Bertrand de Rayns.
Cette variété pourroit faire naître quelques
doutes fur la circonstance du nom , & je me
-laiſſerois aller moi - même à cette opinion ſi la
chronique de St Bertin ne levoit pas entierement
la difficulté. Voici les termes de cette chronique.
Quæftionatus & interrogatus ( Bertrandus ) quis
effet; faſſus estse effe Gallicum, de comitatu Campaniæ
, vocatumque Bertrandum de Remis. Ce pallage,
à ce qu'il me ſemble, ne peut s'interpréter autrement
qu'endifant que Bertrand avoit pris pour
fon nom le nom de ſa patrie, ainſi qu'il étoit enuſa--
ge alors , & qu'il étoit natif de Reims. Cette remarque
me paroît ſuffifante, Monfieur, pour faire
ceſſer votre doute à cet égard , & pour confirmer
-l'opinion oùje ſuis que ce fameux impoſteur étoit
de Reims . Ce qui peut avoir donné lieu à Meyer
d'avoir défiguré le furnom , c'eſt qu'il aura- traFEVRIER.
1770. 185
vaillé fur l'exemplaire manufcrit de la chronique
deSt Bertin , & qu'il aura lu Bertrandum de Rayns,
ou qu'il aura voulu franciſer lenom latin. D'un
autre côté Moreri en aura fait un nom propre &
l'aura appeléBertrandde Rans. Rien n'eſt fi commun
dans l'hiſtoire que ces confufions de noms ;
mais encore un coup les termes de la chronique
imprimée ſont trop clairs pour être fufceptibles de
la moindre équivoque. Quant au fait hiſtorique
en lui même , il n'a rien qui choque la vraiſemblance.
L'hiſtoire eſt pleine de pareils traits ; &
les annales de la république romaine nous en fourniffent
entr'autres un exempledont toutes les circonftances
font fi frapantes par leur reflemblance,
que je crois devoir le mettre ici en parallele avec
l'aventure de Bertrand de Reims .
Amatius , Romain de naiſlance & aventurier
célèbre, étoit de la plus baſſe extraction. Cet
homme , néavec un génie audacieux , chercha , à
l'aidede la plus groffiera impofture, à s'elever au
deffusde la fortune. A la faveur de la reſſemblance
du nom , * il ſe donna pour le petit-fils du fameux
Marius , & pour le fils de celui qui périt dans
Preneſte , étant conful à l'âge de vingt ans. Il ſe
prétendoit en conféquence parent des Céfars ; &
du vivant même du Dictateur il eut affez de hardieſle
pour rendre publique ſon impoſture& aſſez
d'intrigue pour la faire réuffir juſqu'à un certain
degré Déjà quelques Dames de la parenté de Céfar
le reconnoifloient , & il marchoit accompagné
d'un très-grand nombrede partiſans. Ceci ſepaf-
* Il avoit changé une lettre de ſon nom & fubf
titué un R au lieu d'un T , ce qui faifoit Amarius.
4
186 MERCURE DE FRANCE.
ſoit dans le tems de la derniere guerre que fit Cé
far. Amatius mit alors la prudence du jeune Octave
à une dangereuſe épreuve. Sachant que ce
neveu , chéri du Dictateur , arrivoit à Rome , il
alla à ſa rencontre juſqu'au Janicule avec toute ſa
troupe , demandant à être ſalué & reconnu pour
parent. Octave ne fut pas peu embaraflé. Il connoifloit
la fourberie , & il n'avoit garde de l'autoriſer
par ſon fuffrage. D'un autre côté il pouvoit
y avoir du riſque à rebuter un homme ſibien accompagné.
Il prit un ſage tempérament. « Cefar,
> dit- il à Amarius , eſt le chef de notre maiſon
>> comme de tout l'empire. C'eſt par lui que vous
>> devez vous faire reconnoître. Sa déciſion ſera
>> pour moi un ordre abſolu auquel je me ſoumet-
>> trai ſans balancer. « Lorſque Céfar fut de retour
à Rome , l'impoſteur , loin de ſe cacher , eut l'infolencede
ſe meſurer en quelque façon aver lui ,
&le Dictateur ayant admis le peuple à venir le faluerdans
ſes jardins ; cet homme dunéant ſeplaça
fous une arcade voife, ad il eut une cour prefqu'auſſi
nombreuſe. Céfar ſe hâta de mettre fin à
cettedangereuſe comédie. Il ſe fit rendre compte
de l'hiſtoire de cet homme , & ayant appris qu'il
étoit originairement maréchal , il le bannit de
l'Italie. Après la mort du Dictateur , Amatius reparut
dans Rome. Il recommença à ameuter le
peuple, & feignant un grand zèle pour venger la
mort de Céſar , il menaçoit déjà les auteurs de
cettemort , & même tous les ſénateurs auxquels
il faiſoit appréhender les dernieres violences. Antoine
les délivra de ce danger. Le faux Marius
fut arrêté par ſon ordre & étranglé dans la priſon.
Cette exécution militaire étonna le ſénat , mais la
FEVRIER. 1770. 187
néceſſité & l'utilité de la choſe firent oublier l'irrégularité
du procédé.
Je ſuis très- parfaitement , Monfieur , &c .
D. FOURNIER , Bénédictin
bibliothécaire de l'abbaye de
St Nicaiſe de Reims .
TRAIT DE PIÉTÉ
FILIALE.
M. de.... allant rejoindre fon régiment
il y a dix ou douze ans , s'occupa pendant
fa route à faire quelques recrues
dont il avoit beſoin pour completer fa
compagnie ; il trouva pluſieurs hommes
dans une petite ville où il demeura une
ſemaine . L'avant- veille de ſon départ il
ſe préſenta encore unjeune homme de
la plus haute taille & de la figure la plus
intéreſſante ; il avoit un air de candeur&
d'honnêteté qui prévenoit pour lui ; M.
de ne pût s'empêcher à la premiere
vue de ſouhaiter d'avoir cet homme
dans ſa compagnie ; il le vit trembler en
demandant qu'on l'engageât ; il prit ce
mouvement pour l'effet de la timidité , &
....
188 MERCURE DE FRANCE.
peut- être de l'inquiétude que peut avoir
unjeune homme qui fent le prix de la
liberté , & qui ne la vend pas fansregrets ;
il lui montra ſes ſoupçons en tâchant de
le raſſurer. Ah ! Monfieur , lui dit lejeune
homme , n'attribuez pas mon défordre
à d'indignes motifs; ilne vient que de
la crainte d'être refuſé; vous ne voudrez
peut- être pas de moi , & mon malheur
feroit affreux. Il lui échappa quelques
larmes en achevant ces mots ; l'officier
ne manqua pas de l'affurer qu'il feroit
enchanté de le fatisfaire , & lui demanda
vîte quelles étoient ſes conditions ? Je
ne vous les propoſe qu'en tremblant ,
répondit le jeune homme ; elles vous dégoûteront
peut- être ; je ſuis jeune , vous
voyez ma taille ; j'ai de la force ; je me
fens toutes lesdiſpoſitions néceſſairespour
fervir ; mais la circonſtance malheureuſe
dans laquelle je me trouve , me force
de me mettre à un prix que vous trouverez
ſans doute exorbitant ; je ne puis
rien en diminuer ; croyez que fans des
raiſons très - preſſantes je ne vendrois
pointmon ſervice; mais la néceſſité m'impofe
une loi rigoureuſe; je ne puis vous
fuivre à moins de cinq cens liv. & vous
me percez le coeur ſi vous me refuſez.
FEVRIER. 1770 . 189
.
Cinq cens liv . reprit l'officier ! La ſomme
eſt conſidérable , je l'avoue ; mais vous
me convenez , je vous crois de la bonne
volonté ; je ne marchanderai point avec
vous ; je vais vous compter votre argent ;
ſignez , & tenez vous prêt à partir après
demain avec moi .
Le jeune homme paru: pénétré de la
facilité de M. de ... il figna gayement fon
engagement , & reçut les cinq cens liv.
avec autant de reconnoiffance que s'il les
avoit eues en pur don. Il pria ſon Capitaine
de lui permettre d'aller remplir un
devoir ſacré , & lui promit de revenir à
l'instant. M. de .... crut remarquer quelque
choſe d'extraordinaire dans ce jeune
homme ; curieuxde s'éclaircir , il le ſuivit
ſans affectation; il le vit voler à la
priſon de la ville avec un empreſſement
qui ne lui permit pas d'appercevoir fon
Capitaine , frapper avec une vivacité finguliere
à la porte , & ſe précipiter dedans
auſſi tôt qu'elle fut ouverte : il l'entendit
dire au géolier , voilà la ſomme
pour laquelle mon pere a été arrêté ; je
la dépoſe entre vos mains , conduiſezmoi
vers lui , que j'aye le plaiſir de brifer
fes fers . L'officier s'arrête un moment
pour lui laiſſer le tems d'arriver ſeul au190
MERCURE DE FRANCE.
prèsde fon pere , & s'y rend enſuite après
lui. Il voit ce jeune homme dans les bras
d'un vieillard qu'il couvre de ſes careffes
& de ſes larmes , à qui il apprend
qu'il vient d'engager ſa liberté , pour
lui procurer la ſienne ; le priſonnier
l'embraſſe de nouveau; l'officier atten
dri s'avance : conſolez - vous , dit- il
au vieillard ; je ne vous enleverai point
votre fils , je veux partager le mérite
de ſon action; il eſt libre ainſi que
vous , & je ne regrette pointune ſomme
dont il a fait un ſi noble uſage ; voilà
fon engagement&je le lui remets; le pere
&le fils tombent à ſes pieds ; le dernier
refuſe la liberté qu'on lui rend ; il conjure
le capitaine de lui permettre de le
ſuivre; ſon pere n'a plus beſoin de lui ;
il ne pourroit que lui être à charge; l'offi .
cier ne peut le refufer. Le jeune homme
a ſervi le tems ordinaire ; il a toujours
épargné ſur ſa paye quelques petits ſecours
qu'il a fait paller à fon pere;&lorfqu'il
a eu le droit de demander ſon congé,
il en a profité pout aller ſervir ce pere,
qu'il nourrit actuellement du travail de
fes mains.
FEVRIER. 1770 . 191
ANECDOTES.
I.
EN 1715 il y eut une grande éclipſe de
ſoleil ; quelques jours avant qu'elle arrivât
, on l'annonça dans les papiers publics
, on en cria la deſcription dans les
rues de Londres ; il y avoit alors un envoyé
de Tripoli ; il acheta cette deſcription
, ſe la fit traduire , & fut très- étonné
de voir qu'on en marquoit précisément le
commencement& la fin. " Ces Anglois
>> font foux,s'écria-t- il ; ils s'imaginent fa-
» voir avant le tems , le moment préfix
» où il plaira au Tout - Puiſſant de nous
» dérober le ſoleil ; nos Muſulmans ne
» ſeroient pas en état de le faire ; aſſuré-
>> ment Dieu n'a pas révélé aux Infidèles
» ce qu'il cache aux vrais Croyans. » On
s'amuſa beaucoup de ce raiſonnement ;
& l'envoyé ne put revenir de ſa ſurpriſe
lorſqu'il vit l'éclipſe arriver comme on
l'avoit prévu ; le lord Forfax lui demanda
alors ce qu'il penſoit après cela des aſtrônomes
Anglois. " Ils tirent leurs con-
>> noiſſances de l'enfer, répondit l'envoyé,
192 MERCURE DE FRANCE.
>> c'eſt le diable ſeul qui les a inftruits ,
>> car il eſt impoſſible d'imaginer que
» Dieu daigne communiquer ſes lumiè
>> res àdemalheureux Infidèles. >>
I I.
Le lord comte de .... venoit d'être
élevé à la place de ſecrétaire d'état ; il
avoit été lui - même prendre ſa patente
dans le cabinet du Roi ; une foule de
courtiſans s'aſſemble autour de lui , chacun
s'empreffoit d'être le premier à le féliciter.
Son fils ſe trouvoit par hafard au
milieu d'eux ; il l'appela que ce ſpectacle
ne vous abuſe point , mon fils ; depuis
trois heures je ne ſuis ni plus grand
ni meilleur que je n'étois ; ce n'eſt pas à
moi qu'on rend ces honneurs , c'eſt à ma
patente de ſecrétaire d'état ; elle les a reçus
ſous mon prédéceſſeur , elle les aura encore
fous mon ſucceſſeur; ils la ſuivent
dans toutes les mains où elle palle ; &
quandje ne l'aurai plus , vous verrez toute
cette foule diſparoître.
ΙΙΙ.
Lamérempſycoſe eſt undes principaux
dogmes de la religion des Bramines ;
c'eft
FEVRIER. 1770. 193
c'eſt à cette opinion qu'un capitaine anglois
dût la vie que lui alloient arracher
Jes Indiensde la côte de Malabar. Il chaf
foit un jour , & peu au fait de la mythologie
du pays , il tira ſur un oiſeau que
les Malabariens mettent au nombre de
leurs dieux du premier rang ; il le tua ;
un Indien le vit & l'accuſa d'un déicide.
Les habitans des villages voiſins s'aſſemblerent
auſſi-tôt , ſe ſaiſirent du ſacrilége
& le condamnerent à la mort ; il n'avoit
plus d'eſpérance de l'éviter ; les Indiens
furieux paroiffoient réſolus à venger leur
dieu. Un Juif , inſtruit du malheur de
l'Anglois , fendit la preſſe qui l'entouroit
, & faifant ſemblant de ſe proſterner
pour prier , it dit a l'Anglois : Vous
>> n'avez qu'un ſeul moyen de vous fau-
» ver , tentez le & dites à ce peuple :
» Mon pere eſt mort ilya quelque tems;
>>ſon corps a été jeté dans la mer , & fon
» ame a pallé dans celui d'un poiffon .
» Comme je me promenois ſur le bord
» de la mer , le poiffon mon pere a paru
>> ſur l'eau; dans ce moment l'oiſeau que
>>j'ai tué fondoit ſur lui pourle devorerà
>> mes yeux ; devois -je le ſouffrir ? Je ne
→ lui ai donné la mortque pourl'empêcher
» de la donner à mon pere. » L'Anglois
Π
I
194 MERCURE DE FRANCE.
s'empreſſa de répéter ce difcours aux Indiens
; ils furent fatisfaits de cette juftifi
cation , & le délivrerent,
I V.
Le Prince de Conti demanda à Campra
ce qu'il penſoit de l'opéra d'Hypolite &
Aricie , par M. Rameau. Campra répon.
dit : « Il y a dans cet opéra affez de muſique
pour en faire dix .
V.
Ondonna à Lulli un prologue d'Opéra,
qu'on trouvoit excellent. La perſonne
qui le lui préſenta , le pria de le vouloir
bien examiner devant elle. Lorſque
Lulli fut au bout , on lui demanda s'il n'y
trouvoit rien à redire. Jen'y trouve qu'une
lettre de trop , répondit- il , c'est qu'au lieu
qu'il y ait fin du prologue , il devroit y
avoir fi du prologue.
V I,
Acajou , Opéra comique en 3 actes ,
de M. Favart , tiré de l'ingénieux roman
d'Acajou , de M. Duclos , attira un concours
ſi prodigieux , que lejourde la clôture
, la barrière qui ſéparoit l'orchestre
FEVRIE R. 1770. 195
duparterre ſe brifa ; pour la raccommoder
on fut obligé de faire fortir hors de la
ſalle toutes les perſonues qui rempliffoient
le parterre. Mais ce fur en vain ,
le monde qui étoit ſur le Théâtre y defcendit
pour faire place à de nouveaux
Spectateurs qui comblèrent entiérement
le lieu de la ſcène. Il n'avoit pas été pofſible
dans cette confuſion de rendre l'argent
à ceux qu'on avoit fait fortir. Pluſieurs
Texigeoient avec menaces. Six des plus
mutins furent arrêtés. M. Monet ſe comporta
en cette occafion avec beaucoup de
prudence. Il fit relâcher ceux que l'on
avoit mis au corps de garde , il paya les
mécontens d'une harangue moitié plaifante
, moitié pathétique , qui lui concilia
tous les eſprits. Jamais rep éſentation
n'avoit été ſi lucrative , toutes les places
étoient à fix francs , & le Théâtre étoit
fi templi qu'il n'y pouvoir paroître qu'un
acteur , à la fois. Il n'y eut point de
ſymphonie , point de balets , on n'entenditrien
, pas même le compliment ; on
applaudit beaucoup & tout le monde ſe
retira fatisfait , moins cependant que l'entrepreneur.
1
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
ARRÊTS , LETTRES PATENTES , &c,
ARRÊT du conſeil d'état du Roi , du31 Juil
let 1769 , qui , ſans s'arrêter à l'appel interjeté
par leSr Balavoine de la Trulliere , des ordonnan.
ces de M. l'intendant de Tours , des 11 Janvier &
3 Février 1766 ; par leſquelles ledit Sr Balavoine
avoit été condamné au payement des droits de
francs - fiefs des métairiesdu Livet , de la Touraille
&de la Greftiere , ci-devant tenues en fief & depuis
abournées & acenſivées par les ſeigneurs de
fiefs ; ordonne l'exécution deſdites ordonnances :
&pour la liquidation deſdits droits & la fixation
des époques , renvoie les parties devant ledit Sicur
intendant , & condamne ledit Balavoine en tous
Ięs dépens.
I I.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 13 Octobre
1769 , en interprétation de la déclaration du Roi
du Avril 1768 , concernant les penſions d'oblats .
III.
Arrêt du concil d'état du Roi du 7 Novembre
1769 , qui , en caſſant une ſentence de l'élection
de Pontoiſe , du 13 Juillet 1769 , ordonne l'exé
cution des précédens réglemens relatifs à l'expiration
des abonnemens pour les droits de marque
&contrôle fur les ouvrages d'or & d'argent ; no
FEVRIER. 1770. 197
:
:
tamment de la ſentence de l'élection de Paris , dư
Is Janvier 1733 , &de l'arrêt de la cour des aides
de Paris du 17 Février 1734 : en conféquence condamne
le Sr Gaudron , orfévre de Pontoiſe , au
payement des droits de marque & contrôle ſur des
ouvrages non finis , trouvés chez lui à l'expiration
de l'abonnement qui avoit eu lieu pendant
le précédent bail , entre le fermier & les orfévreя
de ladite ville.
I V.
Déclaration du Roi donnée à Verſailles le 20
Novembre 1769 , concernant les requêtes civiles.
V.
Lettres patentes du Roi , données à Verſailles
le 24 Novembre 1769 , qui confirnment l'acquinrion
faite de divers bâtimens en faveur du collége
&de l'académie royale de Chirurgie.
VI.
Arrêtdu conſeild'état du Roi, du 7 Décembre
1769 ; qui ordonne que les contrats & actes pafles
en doubles minutes feront contrôlés , tant ſur la
premiere que ſur la ſeconde minute , dans la quin -
zaine de leur date , aux bureaux de la réſidence de
chacun des noraires quiles recevront ; & que less
droits de contrôle qui en réſulteront , feront payés
fur l'une des deux minutes ſeulement ; ſavoir
par le plus ancien des deux notaires qui auront
inftrumenté , lorſqu'ils ſeront domiciliés l'un
l'autredans l'arrondiſſement du même bureau , Sa
Liij
I198 MERCURE DE FRANCE.
par celui dans le diſtrict duquel le lieu où l'acte
aura été fait, ſe trouvera fitué , s'ils réſident dan
deux villes ou deux provinces différentes .
VII.
Editdu Roi , donné à Verſailles au mois de Décembre
1769 , & regiſtré en parlement le 15 Janv .
1770 ; qui proroge la levée & perception des deux
ſols pour liv . du dixiéme juſqu'au premier Janvier
1772 .
VIII .
Déclaration du Roi , donnée à Verſailles le 7
Janvier 1770 ; qui ordonne que les fonds de la
caifle des amortiſſemens , feront employés , pendant
huit années , au rembourſement des ſommes
anticipées ſur les revenus duRoi.
1 Χ.
Arrêt du conſeil d'état & lettres - patentes du
Roi du 21 Décembre dernier , par leſquels Sa
Majesté a donné attribution au Sieur de Sartine ,
conſeiller d'état , lieutenant - général de police ,
& aux officiers tenant au châtelet , la chambre du
conſeil de police , pour connoître de la faillite du
nommé Billard , ci - devant caiffier de la ferme
des poſtes , juger de toutes les conteſtations nées
&à naître , tant au civil qu'au criminel , circonftances
& dépendances , & lui inſtruire ſon procès
ainſi qu'à les complices , fauteurs & adhérens, fur
les concluſions du Sieur Moreau , procureur de Sa
Majesté audit châtelet , à la charge de l'appelen la
grand'chambre du parlement de Paris.
FEVRIER. 1770. 199
AVIS.
I.
Calendrier intéreſſant pour l'année 1770 ;
ou alınanach phyſico économique ; par
M. S. D. A Bouillon , aux dépens de la
ſociété typographique ; & ſe trouve à
Paris , chez Lacombe , libraire , rue
Chriſtine , 12 fols broché.
CE calendrier , réellement intéreſlant , contient
une histoire abregée & raiſonnée des indications
qu'on a coutume d'inférer dans la plupart des calendriers
. Celui- ci eſt diviſé en dix colonnes ; la
premiere marque le quantiéme du mois , la 19. le
jour de la ſemaine , la 3. la fête du jour , la 4e. la
lettre dominicale , la se. l'épacte , la 6e. le lever
du foleil, la 7e. ſon coucher , & les trois dernieres
, le lever de la lune , ſon coucher & ſes phaſes .
Au hautdes cinq premieres colonnes on trouve la
durée des jours pendant le mois correſpondant ,
déterminée par celle de leur accroiflement ou de
leur diminution . A la fuire du calendrier ou a mis
la recetre de pluſieurs (ecrets recréatifs & utiles ſur
leſquels on peut compter; ils ſont tous fondés ſur
les principes certains de la phyſique ; & on ne doit
point les confondre avec les collections de ſecrets
recueillis par l'ignorance & l'enthousiasme , &
dont le public crédule a ſouvent été la dupe. On
ſe propoſe de varier tous les ans cette derniere par
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
tie qui formera dans la ſuite une collection auffi
curieuſe qu'intéreſſante .
IL.
Etat actuel de la musique du Roi & des trois
ſpectacles de Paris. A Paris , chez Vente, libraire
, aubas de la Montagne Ste Genevieve.
Le mérite de cet almanach eſt déjà connu ; il
faitconnoître aux auteurs les ulages des différens
ſpectacles pour la lecture& la repréſentationdes
piéces nouvelles ; il inſtruit le public des vacances
de divers théâtres &de leurs jours de relâche ; on
parle , dans une eſpéce de préface , de plusieurs
projets pour conſtruire une nouvelle falle pour la
Comédie Françoiſe. Celui de M. Liegeon eft expoſé
avec plus de détails , comme celui qui offre
le plus de moyens pour remplir les vues politiques
du miniftere , en rapprochant le ſpectacle
national auſſi près qu'il eſt poſſible de la rue Dauphine,
& en formant une place publique dans l'un
des quartiers de Paris , où depuis long-tems on en
defire une. L'artiſte qui a conçu ce projet , ſe borne
pour la mafle principale à ces quatre objets . « Le
premier conſiſte à faire du carrefour de Bufly ,
>> une place décorée uniformément & grande -
peu-près comme l'eſt celle des Victoires. Le ſe-
>> cond, à couper une rue de vingt- lept pieds de
largeur dans le corps actuel du bâtiment de la
•Comédie Françoiſe juſqu'à la rue des mauvais
>>garçons , & de la prolonger dans ſa premiere
illuejuſqu'au cul de facdeRohan. Le troifiéme
> de percer une autre rue en retour d'équerre , laquelle
aboutira dans celle de St André-des-Arts,
enfacede la rue des Auguſtins ;& le quatrième,
FEVRIER. 1770. 201
d'élargir de fix pieds la rue des MauvaisGarçons
→dans toute la longueur , & d'iſoler ainſi le nou-
>> veau bâtiment dont la principale entrée formera
>> l'une des façades de la place vis - à- vis la rue
>>Dauphine. >>
IIL
Le Sr Arnaud , marchand parfumeur du Roi
rueTraverſiere , au coin de celle du Haſard , près
lafontaine de Richelieu , à Paris , continue de faire
&de vendre la Páte royale, ſi connue depuis bien
des années pour blanchır , adoucir les mains , &
en ôter les taches, telles que les rougeurs , bon-
: tons & engelures ; elle est d'une odeur très agréable
, & de qualité à pouvoir être tranſportée dans
les lieux les plus éloignés; pluſieurs particuliers
s'ingerent à vouloir l'imiter , ils ne parviennent
qu'à tromper le public , attendu que celle qu'ils
diftribúent eſt ſujette àcorruption , ce qui fait que
par la fuite elle peut faireplus de mal que de bien
àceux qui s'en fervent; la bonne & véritable ,
pareille à celle dont le Roi fait uſage, ſe venddans
des pors de terre grife de Flandre , enveloppée ,
ficelée , cachetée d'un cachet où le nom de l'auteur
eft gravé autour. Il y a des pots doubles de
8 livres; les ordinaires ſontde 4liv. lorſqu'on les
rapporte vides ; ceux de huit font à ſept ,&ceux
de quatre à trois livres dix fols .
:
Il vend auſſi toutes fortes de poudres, pommades&
eaux de ſenteurs, fur tout celle de Jouvences
Elle est très -bonne pour détruire les boutons
rougeurs& cuillons..
Be.St Malefcor , maître perruquier, ayant ge
IV.
202 MERCURE DE FRANCE.
marquéque les perruques perdent leur forme après
quelques jours de ſervice , parce que l'humidité
occaſionnée par la ſueur ou par la pommade en
fait gonfler la coëffe & la retire , a imaginé de
ſubſtituer à ces coëffes faites ordinairement avec
du fil ou de la filoſelé , des reſeaux tiſlus avec des
cheveux . Ces nouveaux reſeaux feront plus élaftiques
& moins ſujets à recevoir la crafle & l'humidité
; les perruques ſe déformeront moins ;
ceux qui , pour quitter la perruque attendent que
leurs cheveux foient repouflés , n'auront pas à
craindre qu'un tiflu de cheveux raſe ou cafle leurs
cheveux naitlans ; le Sr Maleſcot fubſtitue avec
le même avantage , des rubans de cheveux aux
rubans ordinaires pour monter les roques des Dames
; il demeure à Paris , rue Ste Croix de la Bretonnerie
.
V.
On connoît les effets ſalutaires de l'eau de
Montpellier ; le Sr Jean Saury en obtint le privilége
d'après un certificat ſigné de douze perſonnes
de l'art , tant médecins que chirurgiens de Montpellier
qui afſurent que cette eau réuffit particulierement
dans les maladies vénériennes , dans les
écrouelles , les dartres , le rhumatiſme chronique,
& certaines affections de l'estomach . M. Cadet ,
de l'académie royale des ſciences , en a fait une
analyſe qui en démontre la falubrité ; il y a près
de deux ans que ce médicament s'adminiture avec
ſuccès à Montpellier & aux environs. On le diftribue
à Paris , chez la Dile Madeleine Boſquer ,
demeurant ſur le Boulevard de la Chauffée d'Antin
, maiſon du Sieur Hazard , maître charron , à
côté du dépôt des Gardes- Françoiſes ; & àMontFEVRIER.
1770. 203
pellier , chez la Dlle Canclaude , rue de la Vieille
Intendance , vis- à- vis le puits des Eſquilles. Les
bouteilles ſont de pinte & du prix d'une livre dix
fols; elles ſont cachetées & étiquetées : Eau de
Montpellier.
VI.
Le Sieur Granchet , à qui l'on doit de nouveaux
étriers à reſſorts , préférables à ceux d'Angleterre ,
vient de perfectionner la baffinoire angloiſe ;
cette baſſinoire reçoit ſa chaleur de l'eau chaude
qu'elle contient; elle est fermée hermétiquement
, & n'eſt par conséquent point ſujette à laiffer
dans le lit aucune impreſſion de moiteur. Sa
chaleur ſe conſerve plus long-tems cequi fait
qu'on peut s'en ſervir pour ballinci pluſieurs lits.
On peut placer aufli commodément cette baſſinoire
dans les voitures & la mettre ſous les pieds ;
fon prix eſt de 24 livres , y compris le chevalet
l'entonnoir & le manche. Le Sieur Granchet tient
toujours le magaſin anglois à la defcente du pont
Neuf , quai de Conti ; on trouve chez lui des tableaux
peints ſur verre , d'une compoſition agréa-
-ble à 9 l. la piéce , & des chaînes de montre en
acier , incruſtées en or de couleur.
VII .
Les parens qui deſireront que leurs enfans apprennent
fans aucuns frais (par un homme inftruit&
en place , demeurant aux environs des Invalides
) l'architecture militaire , l'architecture
civile , ledeſſinde la carte , le trait & la perfpective
, s'adreſſeront au R. P. Bridoud , docteur
en Sorbonne , profeſſeur de théologie & carme
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
de la place Maubert , qui donnera les ecchireiſſemens
néceflaires .
:
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
MONSIEUR ,
L'auteur d'un ouvrage qui a pour titre : Etat
actuelde la Muſique du Roi& des trois Spectacles
de Paris , en me faiſant l'honneur de me
comprendre dans le nombre des artistes qui ont déployé
dans les productions de leur génie tout ce que
& l'expérience ontpu leurfuggérerdeplusnoble&
de grand pour compoſer différens projetsdeconſtruction
d'un théâtre françois, indique
une eſpéce de concours entre MM. Dameun
Douailly , Liégeon & moi , dont je n'ai eu julqu'ici
aucune connoiffance..
2
Cet auteur, en rendant compte du choix des
emplacemens que chacun des artiſtes a eû en vue,
ditque monplan eft compoſéfur le terrein actuel
de l'hôtel des Monnoies. Quel eſt ce terrein actuel
de l'hôtel des Monnoies ? Est-ce l'emplacement
où l'on conftruit , ſous ma conduite & fur
mes deffins , le nouvelhotel des Monnoies ? Celas
n'eſt pas préſumable. Si c'eſt ſur l'emplacementde
L'anciennemonnoie, je ſuis trop éloigné d'applaudir
au choix de cette poſition pour la propoſer
moi-même. Sans doute que l'auteur de l'ouvrage
dont il s'agit a été mal informé ; je lui dois néanmoins
des remercimens de l'opinion favorable.
qu'il paroît avoir d'un artiſte qui n'a pas l'hon-
Acurde le connoître, & qui deſireroit bien mérites
FEVRIER. 1770. 205
les éloges que cet auteur lui fait partager avee
MM. Dameun, Douailly & Liégeon. Je vous prie
instamment , Monfieur , de vouloir bien inférer
sette lettre dans le prochain Mercure.
J'ai l'honeur d'être , &c.
ANTOINE , architecte,
LETTRE de M. Feutri à l'Auteur du
Mercure .
Paris , ce 6 Décembre 1769..
MONSIEUR ,
)
Jeviens de lire la lettre que vous avez inférée
dans le Mercure de ce mois , pag. 235 , fur l'epreuvede
mes canons , faite à Rochefort le 4 Septembre
dernier. Je n'aurois pas cru , je l'avoue ,
devoirjamais être dans le cas de me juſtifier ; n'im--
porte : voici ma réponſe, dont vous voudrez bien,
Lans doute , Monfieur , faire également part au
Public:Audi Partem. C'eſt une des loix fondamentales
de la justice , & certainement vous les
connoiſſez toutes mieux quemoi..
Ma piéce de douze, &celle d'une livre de balle,
ont foutenu les efforts de la poudre , puiſqu'ellesexiſtent,&
cettederniere achaſlé ſon boulet àplus
demille toiles; ce qui a paru affez extraordinaire
dans un canon dece petit calibre* ,& ce que tout:
* Quels avantages les corps d'infanterie ne ti---
croient-ils pasde ſemblables petites piéces
206 MERCURE DE FRANCE .
Rochefort peut certifier. J'attends ici ces deux pié
ces , Monfieur , pour les produire au grand jour ,
&les éprouver de nouveau avec plus de rigueur
encore , après avoir ſeulement changé leurs bouchons
de culafſfe , & cette épreuve peut ſe faire
fans tourillons. Je ſupplie donc ce même Public ,
qui a quelquefois daigné accueillir mes foibles ouvrages
en littérature , de ſuſpendre ſon jugement
juſqu'alors. Ce n'eſt pas le premier procès perdu
dans telle ou telle jurisdiction , que l'on eût gagné
par appel dans un autre tribunal. Au fond , cen'eſt
pasde ces deux piéces dont il devroit être queſtion
ici , mais de mes ſyſtêmes , de leur développement,
de leur fufceptibilité d'amélioration ; enfin , da
parti que l'on pourroit tirer de leur auteur , fans
chercher à le décourager. Un eflai n'eſt pas une
choſe parfaite , & je n'ai fait qu'un eflai. Quand
bienmêmedonc ces premieres piéces ſeroient aufli
mauvaiſes que quelques perſonnes le prétendent ,
le ſyſtême n'en eſt pas moins bon , avec les changemens
queje peux y faire. Au reſte,j'eſpére trèsfort
, Monfieur , n'en pas demeurer à
tive; je me flatte auſſi , par les connoiflances que
j'ai acquiſes dans les Forges , & dans Rochefort
même , de perfectionner des projets dont l'état me
ſaura peut- être gré quelque jour. Au ſurplus , je
doistout attendre de mon travail , de ma perſévérance
, & fur-tout de la haute protection que le
Miniſtere de la Marine accorde à ceux qui, en épuifant
leur ſanté & leur fortune en recherches utiles
, s'efforcent de contribuer à la gloire de nos armes.
Je finis en vous priant d'obſerver , Monfieur,
que dans ces expériences diſpendieuſes où j'ai employé
dix-huit mois , pendant leſquels j'ai eſſuyé
desobſtacles de tout genre , ce que ſavent tout le
Périgord & l'Angoumois , j'ai été principalement
cette tentaFEVRIER.
1770. 207
foutenu par un citoyen généreux & patriote , qui,
ayant examiné mes plans & mes modèles dès l'année
1767 , a paru defirer que je les exécutaile. Ses
talens militaires, fon grade ſupérieur, ſes lumieres
étendues & la naiſlance élevée, ſeroient d'un grand
poids dans ma cauſe , s'il m'étoit permis de nommer
cet homme reſpectable ; mais , certes , la poſtérité
n'ignorera point un procédé auſſi noble que
rare.
J'ai l'honneur d'être avec des ſentimens reſpec
tueux ,
MONSIEUR
Votre très -humble & très- obéiſſant
ferviteur , FEUTRI .
-
NOUVELLES POLITIQUES.
-
De Warfovie , le 20 Décembre 1769 .
LES Confédérés continuent de faire des incurfions
en différentes parties du Royaume , malgré
les efforts que font les Rufles pour les empêcher
de ſeréunir & de marcher en corps. Ces jours derniers
il en a paru un détachement aux environs
de cette ville.
Quelques lettres portent que les Troupes Rufſes
qui avoient tenté quelques entrepriſes fur Bender
, ſous les ordres du Général major de Wilgenſtein
ſe ſont retirées & ont rejoint le corps du
général Panin.
:
zos MERCURE DE FRANCE.
DeStockholm , le 19 Décembre 1769.
Samedi dernier les ordres de l'état ſe ſonr
aſlemblés en Plena , & font convenus de fixer la
clôture de la Diete au 19 du mois prochain. Aujourd'hui
ils ont atrété de rétablir la flotte des
Galères , dans le port d'Helſingfort en Finlande ,
ainſi que le corps d'officiers attaché ci- devant au
ſervice de cette flotte. Le chef de ces officiers n'eſt
pas encore nommé : on croit que les Etats choiſiront
pour cette place , le général Herenswerd
qui en a été revêru ci-devant juſqu'à la Diéte de
1765.
De Coppenhague , le 23 Décembre 1769 .
Cesjours derniers , le ſieur Arreboë arriva ici
d'Alger où il réſidoit en qualité de Conful du Roi,
&d'où il a été obligé de ſe retirer , lorſque la
guerre a été déclarée à la Nation par le Dey de
cetteRégence.
Du 30 Décembre.
Weſt ne, pendant le cours de cette année, dans
le Bailliage d'Aarhens en Iflande , 3953 perſonnes ;
il en eſt mort 3 520, parmi leſquelles on en compre
une de 108 ans , lept de 90 à 100 , & 37 de 80 à
20. Il y a eu pendant la même année dans les
Puchés de Holſtein &de Sleſwick, 11781 nailfances
, & 9.562 morts.
DeVienne, le 23 Décembre 1769 ..
Les Lettres de Conſtantinople portent que le
nouveau Beglierbeyde Romélie , eſt parti pour
Parmée avec un corps de troupes , & que le Pachas
de Sivas devoit s'y rendre incestaminent; elless
FEVRIER. 1770. 209
ajoutent qu'on ne ceſſe de travailler dans lesArſenaux
à de nouveaux armemens , & que l'Eſcadre
deſtinée pour la mer blanche hivernera dans
Archipel, &y ſera renforcée par quatre vaiſleaux
deguerre.
DeHambourg , le 24 Décembre 1769 .
On a appris par des lettres arrivées des frontièresde
la Pologne , que lesConfédérés raſſemblés
àPetrikaw ayant été informés que le Colonel
Ronne marchoit à eux , avoient quitté la ville
pour aller à ſa rencontre; mais que le Capitaine
Caſtelli étant entré dans cette place avec un détachement
d'environ 250 hommes , les Confédérés
y étoient retournés & avoient attaqué ce détachement
, on ajoute qu'après la plus vigoureuſe défenſe,
le capitaine Caſtelli fut tué dans le combat ;
que fur ces entrefaites les Confédérés ayant appris
que le Colonel Ronne s'avançoit avec tout fon
corps au ſecours de ce détachement , avoient
prisle parti de ſe retirer ,après avoir mis le feu
aux deux Fauxbourgs , par leſquels le Colonel
devoit entrer dans la ville. Les Ruſſes ont eu
dans cette affaire trente hommes de tués & autant
debleifés .
De Milan, le 20 Décembre 1769 .
La Chambre Héraldique , établie en cette ville,
& à laquelle on doit s'adreſſer pour obtenir des
titres de nobleſſe , a publié à ce ſujet la taxe ſuivante.
On payera pour le titre de marquis , 2500
florins; pour celui de comte , 2000 ; pour celui
de Barou , 1600 ; pour celui de Chevalier 1300 ;
pour celui de gentilhomme , 1000 ; pour celuide
Don, soo. Cependant pourparvenir àà la dignité
. 210 MERCURE DE FRANCE.
de Marquis , il faut avoir la propriété de cent
foyers , & à celle de comte , celle de cinquante.
Quant aux autres titres il ſuffira de produire des
preuves de ſervices rendus , & de poſſeſſions de
biens immeubles .
De Londres , le 5 Janvier 1770.
Hier la Compagnie des Indes reçut par terre&
par la voiede Hollande une dépêche que l'on dit
très- importante, mais dontil ne tranſpire encore
rien. Les actions de cette Compagnie continuent
debaifler chaque jour , malgré le rétablitlement
de la paix fur la côte de Coromandel. Les actionnaires
qui veulent connoître la cauſe de cedifcrédit
, ontdemandé aux Directeurs de leur communiquer
, dans une aſlemblée générale , le véritable
étatdes affaires de la Compagnie dans l'Inde. Les
matelots ont eu beaucoup de peine à ſe rendre à
bords des bâtimens deſtinés pour cette partie du
monde & pour laChine; ils ne s'y ſont déterminés
que moyennant une augmentation de gages de
20 à 36 Schelings par mois.
On prétend que l'Impératrice de Ruffie , fait
négocier ici parmi nos Commerçans , un emprunt
de 200 , 000 liv. ſterl. à 5 ponr 100 d'intérêt.
De Versailles , le 10 Janvier 1769 .
Dimanche dernier , le ſieur de Brequigny , de
l'Académie Royale des Inſcriptions & Belles-Lertres
, eut l'honneur de préſenter au Roi un ouvrage
intitulé : Table Chronologique des chartes
imprimées , concernant l'histoire de France. Il a
aufli remis à Sa Majefté la notice d'un fameux manuscrit
contenant divers ouvrages attribués à
Frédegaire ; ce manuſcrit eſt du huitiéme Siècle,&
FEVRIER . 1770. 211
aété copié ſur un du ſeptieme. Le Comte de Laura
guais qui avoit conſervé à la France ce précieux
monument en l'achetant des Jéſuites , a ſupplié le
Roi de l'accepter , & Sa Majesté a ordonné qu'il
feroit placé dans ſa bibliothéque à Paris , après
qu'on en auroit extrait les parties qui ne ſe trouvent
point dans les éditions qu'on a données juſqu'ici
de cet auteur , & après que la copie de ces
extraits auroit été remiſe au dépôt des chartes .
De Paris , le 12 Janvier 1770.
L'Académie Royale des Sciences a élu à la place
d'Académicien Honoraire , vacante par la nort
du dac de Chaulnes , le duc de Praflin , miniſtre
&fécrétaire d'état de la marine.
Les Aſtronomes commencent à jouir du fruit
des longs voyages que la plupart des puiflances de
l'Europe ont fait entreprendre à l'occaſion du pafſage
de Vénus ſur le diſque du Soleil. Les ſieurs
Dymond & Wales qui avoient été envoyés par la
Société Royale de Londres , dans la baie de Hudſon
, à $8 degrés , 47 minutes , 30 secondes de
latitude, y ont obſervé les contacts intérieurs des
bords de Vénus & du ſoleil , à 1 h. 15 min. 23 ſec.
& à 7 h . o min. 47 ſec.. Le ſieur de la Lande ,
de l'Académie Royale des Sciences , ayant reçu
cette obſervation , a reconnu qu'en la ſuppoſant
exacte , la parallaxe moyenne du ſoleil doit être
de 9 fec. & trois dix-ſeptièmes , & la diſtance du
foleil à la terre de 32 , 200, 000 lieues , à peu près
-chacune de 25 au degré , & de 1283 toiſes . C'eſt
ici la premiere obſervation complette qu'on ait
•reçue de ce paſlage , on en attend d'autres de la
Californie & de la mer du Sud.
212 MERCURE DE FRANCE .
Onmande de Limoges , par une lettre dus de
ce mois , que des paylans de la Paroifle de Darnac
, Diocèſe & Election deTulle , ont trouvé en
labourant, cinquante-cinq médailles d'Empereur's
&d'Impératrices, en argent bas & potin, frappées
depuis le règne de Sevère , juſqu'à celui deGallien
&de Pofthumus. Les plus curieuſes de ces medailles
font celles des Gordiens d'Afrique.
Du Is Janvier.
Demoiselle d'Albert , fille cadette du Duc de
Chevreuſe , vient d'avoir la petite vérole naturelle,
dont elle eſt parfaitement rétablic. En 1763 ,
elle avoit été inoculée deux fois , dans l'eſpace de
trois ſemaines; mais Finoculateur ayant averti
le Duc de Chevreuſe que l'inoculation n'avoit pas
pris , &que la Demoiselle n'avoit pas cu véritablement
la petite vérole ,& pluſieurs autres médecins
en ayant jugé de même ſur l'inſpection des
cicatrices , ce ſeigneur avoit attendu des circonftances
plus favorables à la ſanté de ſa fille pour la
faire réinoculer; il a cru devoir faire connoître
ces détails au public , afin de prévenir ou de diffiper
les ſoupçons que la petite vérole naturelle de
fa fille pourroit faire naître contre l'inoculation .
Elastic
MORT S.
Louife-Genevieve de Ramzay , fille de feuClaude
de Ramzay , gouverneur de la province de
Montréal, & épouſe de Louis Deſchamps de Boishebert
, major de Quebec , eſt morte à Quebec le
13 Octobre dernier , dans la 703 année de fon âge.
Henri-LouisMarquis d'Argouges, gouverneur
FEVRIER . 1770.
213
d'Aveſnes , & lieutenant - général des armées du
Roi, eft mort à Paris le 13 Janvier dernier , âgé de
31 ans.
Henri-PhilipeChauvelin , conſeiller d'honneur
au parlement , chanoine honoraire de l'égliſe de
Paris, abbé de l'abbaye royale de Moutier-Ramey,
prieur des prieurés du Grand Frenoy , de la Très-
Sainte Trinité de Beaumont- le-Roger & de St Blin ,
eſt mort à Paris le 14 Janvier , âgé de 56 ans.
Marie - Claire d'Estaing , Dame du Terrail-
Bayard , veuve de Joſeph Durey, ſeigneur de Sauroy
, commandeur honoraire de l'ordre royal &
militaire de St Louis , eſt morte à Paris , dans fa
89e année. Elle étoit mere du marquis du Terrail ,
maréchal de camp , lieutenant général du Verdunois
, & de la feue ducheſſe de Brillac , épouſe du
maréchal de ce nom.
Marie Gabrielle- Elifabeth de Richelieu , abbefle
de l'Abbaye - aux - Bois , diocèſe de Paris depuis
1760 , & ci-devant de celle du Tréſor , eſt
morte le 17 Janvier en ſon abbaye , dans la 818
année de ſon âge.
Emilie Fitzjames , ci - devant Dame du Palais
de la Reine , veuve de Français- Marie de Peruſſe ,
marquis d'Elcars , maréchal des camps & armées
du Roi , lieutenant - général du haut & bas Limoufin
, & menin de feu Mgr le Dauphin , eſt
morte à Paris.
Marie- Antoinette Charlotte du Maine du Bourg,
veuve de Louis Marquis de Loſtanges , eſt morte
Je 14 Décembre dernier.
e
6
214 MERCURE DE FRANCE
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers&en proſe , pages PIEC :
Socrates& Alcibiade , ibid.
LeRuifleau , 6
Epître àM. le comte de V ***, 7
Stances , 13
Bouquet à Mlle de B *** , 17
Etrennes de l'Amour , à Mile de B ***, 19
:
Ardoſtan 20
,
AMde la Vicomteſſe de L *** 25
A M. l'Abbé de Lille , 26
Vers à l'auteur du Pornographe , 27
A M. l'Abbé d'Abancourt , ibid.
AMde de *** , 28
Vers à Mlle C*** , 29
AMde la Marquiſe d'Antremont , 30
Mes Foibleſles , conte qui n'en eſt pas un , 3
Lajeune Fille& la Guêpe , fable , 45
AMlle *** , fable ,
La Cicogne & le Cerf ,
49
52
Conſultation tardive , 53
Epigramme , 17
FEVRIER. 1770. 215
Madrigal , à Mlle L. P. D. B. 58
AM. Rag... ibid.
Explication des Enigmes , رو
ENIGMES ,
60
LOGOGRYPHES , 64
NOUVELLES LITTÉRAIRES , 68
Bayard & Gaston , tragédie, ibid.
Anecdotes du Nord , 79
Fables & contes moraux en vers , 85
Naufrages & aventures de M. Viaud , 88
Voyage pittoreſque de Flandre , &c . 92
Les Géorgiques de Virgile , traduction , &c. 93
Traité de la juſtice criminelle de France , 112
Ledroit commun de la France , 114
Révolution des empires , &c. 116
Sophronie , 118
Le triomphe de la probité , 119
Traitédesplantes de la Lorraine, 120
Traité de la communauté , 122
Satyres de Juvénal , traduction , 123
L'homme conduit par la raiſon , 131
Précis de la médecine pratique , 134
E
Inſtructions ſur les accouchemens , I7
35
216 MERCURE DE FRANCE.
Conſidérations ſur les cauſes de la diverſité
du génie , &c . 136
ACADÉMIES , 143
SPECTACLES , 152
Opéra , ibid.
Comédie françoile , ibid.
Comédie italienne , 156
ARTS ; Gravure , 160
Muſique, 164
Cérémonies barbares de l'iſle de Bafly, 167
Lettre deM. Montpetit, ſur l'impoſteur Bertrand
de Reims , 179
Piété filiale , 1.87
ANECDOTES , 191
Arrêts , Lettres -patentes , &c. 196
AVIS , 199
Lettre à l'Auteur du Mercure , 204
Lettre de M. Feutri , 205
Nouvelles Politiques , 207
Morts , 212
:
De l'Imp . de M. LAMBERT , rue des Cordeliers.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères