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1770, 01, vol. 1-2
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MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
JANVIER 1770.
PREMIER VOLUME.
Mobilitate viget.
VIRGIL DU
LIPART
NEW
YORK
CRA
A PARIS
Chez LACOMBE , Librair
Chriftine , près la rue Dauphin
PALATS
ROYAL
Avec Approbation & Privilège du Roi.
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, les piéces de vers ou de profe , la mufique
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, événemens finguliers , remarques fur les
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Franc de port en Province,
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LITTÉRAIRE , compofée de quarante
cahiers de trois feuilles chacun , à Paris , 24 liv .
32 liv.
En Province , port franc par la Pofte ,
L'AVANTCOUREUR , feuille qui paroît le Lundi
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, eft de 12 liv.
JOURNAL
ECCLÉSIASTIQUE , par M. l'Abbé Dinouart
; de 14 vol. par an , à Paris , 9 liv . 16 f.
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EPHEMERIDES DU CITOYEN Ou Bibliothéque raifonnée
des Sciences morales & politiques.in- 12.
12 vol. paran port franc , à Paris ,
En
Province ,
vince , port franc ,
18 liv.
24 liv.
JOURNAL ENCYCLOPÉDIQUE , à Paris & en pro-
JOURNAL POLITIQUE , port franc ,
33 liv . 12 f
14 liv
A ij
Nouveautés chez le même Libraire ,
Les Economiques ; par l'ami des hom- E
mes , in-4°. rel.
Idem . 2 vol. in- 12 . rel .
Origine des premieres Sociétés , des peuples,
des fciences , des arts & des idiomes anciens
& modernes , in- 8 ° . rel.
91.
61.
Hiftoire d' Agathe de St Bohaire , 2 vol, in-
12. br.
31.
Le bon Fils ou les Mémoires du Comte de
Samarande ;par l'auteur des mémoires du
Marquis de Solanges , 4 part. in 12.
-
41.
br. 41. 16 .
Confidérations fur les Caufes phyfiques &
morales de la diverfité du génie , des moeurs
& du gouvernement des nations , in - 8 °.
broché.
Traité de l'Ortographe Françoife , en forme
de dictionnaire , in- 8° . nouvelle édition ,
rel.
Nouvelle traduction des Métamorphofes d'Ovide
; par M. Fontanelle , 2 vol. in - 8°.
br. avec fig. 10 l.
'Parallele de la condition & des facultés de
l'homme avec celles des animaux , in- 8 ° br. 2 l .
Premier & fecond Recueils philofophiques &
litt. br.
71.
2 l. 10 f.
Le Temple du Bonheur , ou recueil des plus
excellens traités fur le bonheur , 3 vol . in-
8°.broch . 61 .
Traité de Tactique des Turcs , in - 8 ° . br. 1 l . 10 f.
MERCURE
DE FRANCE.
JANVIER 1770.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE .
LA VIEILLESSE DU SAGE. Epître.
Left bien vrai , mon cher abbé ,
Je me plains du poids des années .
Si le fil de mes destinées ,
A la parque s'eft dérobé ,
C'eft , je crois , pour quelques journées.
Le tems , dans l'âge des defirs ,
S'enfuit , fans qu'il nous intéreffe :
Il n'a que le vol des zéphirs
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Et l'impétueufe jeuneffe ,
Dans la pourfuite des plaifirs ,
Croit le furpafler en vîtefle .
Je n'entendois dans mes beaux jours
Que le doux battement des aîles
Du folâtre effain des amours :
Mais les vétérans , un peu fourds ,
N'entendent que le bruit de celles
De l'affreux oiſeau qui , toujours ,
Entr'ouvrant fes ferres cruelles ,
Prend quelques victimes nouvelles ,
Les dévore & pourſuit ſon cours .
Je fais que de les doigts arides
La vieilleffe n'a point ,fur moi ,
Gravé les traits les plus livides .
Oui , je dors , je mange , je boi.
Je dors ; mais , hélas ! de quel fomme !
Qu'il eft profond ! ah ! mon ami ,
Vous dites fort bien , le pauvre homme !
Non , jamais je n'ai tant dormi.
Autrefois un léger murmure ,
Le doux contact d'un bout d'orteil ,
Le fouffle d'une haleine pure
Eût interrompu mon fommeil.
Maintenant jufques au réveil ,
Auffi calme que la nature ,
J'attends le retour du foleil.
Je mange ; ah ! quelle économie !
Les fuppôts de la faculté
JANVIER. 1770 . 7
Gênent mes goûts , ma fantaiſie :
Mon eftomac débilité
Trop aifément fe raflafie:
Un mets fagement apprêté
Suffit au foutien de ma vie.
Dans l'âge heureux de la fanté
Je craignois peu l'intempérie ,
Les fucs d'un ragoût frélaté ,
Et je croiois , plein d'ambroifie ,
Digérer l'immortalité .
Je bois ; que Bacchus me pardonne ;
Il eft rare qu'à fes buffets
Je m'étourdiffe & déraisonne.
Qu'un ami vienne , on fait les frais
D'un peu de féve bourguignonne ;
Mais , hélas ! lorfque l'on m'en donne ,
C'eft dans des verres fi difcrets ,
Si médiocres , que jamais
Ils n'ont incommodé perfonne .
Oui , mes plaifirs font différens."
Ai-je encor ces douces foiblefles
Qui font au profic de nos fens ?
Vous m'enviez , & j'y confens ,
Les baifers de mes cheres niéces ;
J'aime fort leurs embraffemens ;
Mais ceux de mes belles maîtrefles
Valoient bien les froides careffes
Que l'on prodigue aux grands parens.
Vous me peignez tel qu'Epicure
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Sur l'ouate bien repolé ;
Mais fous un Sybarite ufé ,
Une feuille de roſe eft dure ,
Et de la plus mince pliffure ,
Son vieil automate eft brifé .
Par de trompeuſes apparences
Mon fort vous a rendu jaloux.
Je vous donnerois mes aifances ,
Mon fauteuil , mes couffins fi doux ,
Et mon café des Chiaoux ,
Et mon chocolat des Bragances ,
Mes poulets , mes perdrix aux choux ,
Mon être avec fes dépendances ,
Tous mes plaiſirs , oui , je dis tous ,
Pour une de vos jouiflances.
Le feul goût qui me foit reſté
De mes paffions éclipfées ,
Oui , ma derniere volupté
Eft de réchauffer mes pensées
A celles de l'antiquité ;
De lire & relire fans ceffe
Ces philofophiques écrits ,
Où , fous l'enveloppe des ris ,
On nousfait aimer la fagefle :
D'aimer toujours avec tendrefle
Les beaux vers , les vers favoris
D'Horace , le dieu du Permefle ,
Le plus fenfé des beaux efprits ,
Le moralifte fans rudefle
JANVIER . 1770. 9
A qui je donnerois le prix
Sur les fept Sages de la Grèce.
J'aime ce vieillard de Théos ,
Qui , voluptueux & tranquille ,
Laiflant les dieux & les héros ,
Chantoit , près du jeune Batille ,
Le vin , l'amour & le repos.
J'aime ce vieux goutteux du temple
Qui jouoit avec les amours .
Vous direz : fuivez fon exemple
Et fachez embellir vos jours.
Ah ! croiez - moi , ce St Aulaire ,
Chaulieu , ces libertins charmans ,
Qui , fur leur front octogénaire ,
Rajeuniffoient les agrémens
Qui , fous les drapeaux de Cythère ;
Alloient dans nos cercles brillaus
Rire encor , folâtrer & plaire ,
Rendus fous leur toit folitaire ,
Sentoient leurs maux , grondoient leurs gens ,
Et ne pouvant plus fe diftraire ,
Gémiffoient du fardeau des ans.
Sortis de Sceaux , loin de du Maine ,
Loin des foupers du grand Prieur ,
Dans leur petit intérieur ,
Goutte (ciatique ou migraine
Venoient affliger le rieur.
Le plaifir trompe la douleur ,
Mais le fentiment y ramene.
Av
10
MERCURE
DE FRANCE
.
Et vous , abbé , par quel chagrin
Prétendez -vous flétrir les rofes
Qu'amour mit fur le front divin
De l'auteur des métamorphoſes ?
Qui peut exciter vos dégoûts ?
Ovide fut trifte en Scythie ,
Et là fa mufe appefantie ,
Des Céfars pleura le courroux :
Mais que fur les rives du Tibre
Ses fons étoient mélodieux !
Que fa mufe élégante & libre
Chanta bien les amours des dieux !
Il faut encor qu'on l'apprécie
Par la nobleffe de fon coeur ;
Son ambition , fa folie ,
Fut d'être l'heureux féducteur
L'amant adoré de Julie.
Il ne fut point le vil flatteur
D'Octave , cet ufurpateur ,
Qui , de fang, couvrit l'Italie ;
Le prix que vous lui dérobez
Eft mérité par les ouvrages.
Ses écrits , quoique prohibés ,
Seront relus dans tous les âges
Et parles fous & par les fages ,
Je crois même par les abbés .
Sur ce Monfieur le ***
Recevez mes tendres adieux.
Si vous êtes libre d'affaire ,
JANVIER . 1770. II
Prenez votre vol vers ces lieux .
Vous verrez encor à nos treilles
Quelques mufcats bien parfumés ,
Et nous chargerons nos corbeilles
De ces beaux fruits que vous aimez.
Avant que l'âge vienne éteindre
Le feu de vos fens émouflés ,
Vivez fatisfait , jouiffez ,
Et laiffez les Vieillards fe plaindre.
A
NOEL.
Sur l'AIR : Jofeph & Marie.
NOS cris le Ciel s'ouvre ,
Le Jufte eft defcendu ;
Bethleem nous découvre
Le Meffie attendu .
Du péché qui l'attire ,
Admirable vainqueur ,
Il prend pour le détruire
La forme du pécheur.
Engendré de fon pere
De toute éternité ,
Par une Vierge mere
Il veut être enfanté ;
Immortel par eflence
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
Il naît vraiment mortel ,
Et déjà fon enfance
Prélude fur l'autel. *
Il naît dans une étable ,
Une crêche cft fon lit ;
Ce Dieu , moins redoutable ,
Se fait pauvre & petit.
Lui , qui d'un mot enchaîne
La tempête & les vents ,
Céde à leur froide haleine
Ses membres tremblotans .
O nuit mystérieuſe
Qui produit le foleil !
Onation heureuſe
Dont il rompt le fommeil !
Des princes de Chaldée ,
Ce Sauveur adoré ,
Au fein de la Judée
Eft du Scribe ignoré.
C'est un Enfant aimable
Qui nous invite tous ;
De la crêche adorable ,
Pauvres , approchez-vous ;
* Præludit Infans futuro victima funeri.
SANTEVI L.
JANVIER . 1770 . 13
Sans craindre pour vos trônes ,
Rois , portez lui vos voeux ,
Et gardez vos couronnes ,
Son royaume eft aux sieux .
Et vous , Vierge féconde ,
Dont le fein maternel
Enfante pour le monde
Le Fils de l'Eternel ;
Soyez , dans fa mifére ,
Un refuge au pécheur ;
Sans lui feriez - vous mere
De fon Réparateur ?
VERS préfentés à Mgr le Dauphin , à
l'occafion d'une eftampe où ce prince
eft représenté labourant.
MORTILS infortunés & chéris à la fois ,
Utiles citoyens qui nourriflez les Rois ,
Que l'allégreffe enfin fuccéde à vos allarmes ,
Vous ne tremperez plus les fillons de vos larmes :
J'ai vu , du bon Henri , le jeune rejeton
Héritier de fon coeur & digne de fon nom ,
Dans nos champs étonnés effayant fon courage ,
Soulever la charue ; & , fier de fon ouvrage ,
Tracer un dur fillon de cette même main
Qui doit porter lefceptre & régler le deſtin… …….
14
MERCURE DE FRANCE
On verra donc unjour , au temple de mémoire ,
Un Roi cultivateur , un Prince dont la gloire
N'aura point épuifé le fang de fes Lujets ,
Qui n'aura rien conquis qu'à force de bienfaits .
Il aura pour appui Cerès & non Bellone ;
Pour fceptre un olivier , les vertus pour couronne
:
L'airain n'offrira pas , aux yeux épouvantés ,
D'attributs teints de fang , de rebelles domptés ,
De captifs enchaînés une foule éperdue ;
Mais des gerbes , des focs , une fimple charrue ,
D'utiles laboureurs & de bons payſans ,
Et leurs chaftes moitiés & leurs nombreux enfans,
Tout un peuple à genoux béniffant fa mémoire ,
Embraflant fa ftatue ; & la France , à ſa gloire ,
Au lieu d'éloges vains , de titres faftueux ,
Y gravant ces feuls mots : Il les rendit heureux.
Par M. Brifard.
LE TEMPLE de la Fortune. Conte.
Il n'eft point de divinités à qui on ait
érigé plus d'autels qu'à la Fortune . Son
culte eft prefque auffi ancien que le monJANVIER.
1770. 15
de , & ne finira , fans doute , qu'avec lui .
Elle eut autrefois à Prénefte * un temple
fameux , & qu'elle vifitoit fouvent. It
réuniffoit la magnificence à la régularité.
Le marbre , l'or & les pierreries s'y faifoient
remarquer de toutes parts . Il fembloit
qu'on eût tranfporté dans le fanctuaire
tous les tréfors d'Ophir & des autres
ifles Fortunées.
Des chef- d'oeuvres de peinture & de
fculpture ajoutoient encore à cette magnificence.
Ils retraçoient aux yeux tous ces
mortels que la fortune éleva au faîte de
bonheur , ou précipita dans l'abîme des
revers. On y voyoit Cyrus fur un trône
& Créfus fur un bucher ; Pyrrhus , victorieux
dans une bataille & vaincu dans une
autre; Annibal , triomphant en Italie &
réduit à s'empoifonner dans la Gréce ;
Céfar , à qui on offre la tête de Pompée ,
& le même Céfar tombant percé le coups
aux pieds de la ftatue de cet ennemi. On
y voyoit Sémiramis , paffant du rang de
fujette à celui de fouveraine ; d'autres
fouveraines paffant du trône à l'efclavage .
Tout , enfin , dans ces lieux atteftoit le
pouvoir de la fortune ; tout annonçoit
Ancienne ville d'Italic
16 MERCURE DE FRANCE.
qu'il ne lui en coûte pas plus pour détruire
que pour élever.
C'étoit - là qu'on venoit implorer fes
bienfaits. On y venoit fouvent auffi la
prier de les reprendre. On dit même que
ceux à qui elle accordoit cette feconde
faveur ne la trouvoient pas inférieure à
la premiere. On ne pénétroit point à volonté
dans ce temple . Il falloit faifir l'inf
tant où l'entrée en étoit permife , & nul
fignal ne l'indiquoit. La fortune eft une
amante indécife qui laiſſe toujours eſpérer
fans jamais rien promettre . Elle veut
qu'on attende & qu'on failiffe l'occafion .
Malheur à qui ne fait rien deviner . Un
jour que la déeffe alloit rendre fes oracles
, tout - à - coup les les portes
du temple
s'ouvrirent avec grand bruit . Une foule
empreffée pénétra dans l'intérieur ; mais
pour arriver au fanctuaire , il falloit être
feul , ou n'avoir les mêmes voeux à
former. Chacun fit place à un homme
vêtu de pourpre & qui s'avançoit d'un pas
majeftueux. C'étoit Trajan . Il s'approcha
de l'autel , & adreffa cette priere à la déeffe
: Fortune ! toi qui m'as rendu maître
du plus vafte empire , je ne viens pas te
prier d'en étendre les limites. J'ai combattu
& triomphé . Quelques revers m'ont
depuis fait fentir combien la gloire
que
JANVIER. 1770. 17
des conquérans eft fragile & frivole. Je
renonce à cette ambition toujours funefte
à l'humanité. Cet empire n'eft
déjà que trop étendu , s'il n'eft pas entierement
peuplé de fujets heureux . Je ne
puis l'être moi - même qu'autant qu'ils le
feront. Mais un monarque n'eft qu'un
homme il peut fe tromper ; il peut être
trompé. Des cris plaintifs font arrivés
jufqu'à moi : ils ont chaffé de mon coeur
cette paix que je cherche à maintenir
dans mes valtes états . Une plaie ' fermée
en laiffe mille autres ouvertes. Fortune !
reprends tes bienfaits ou rends moi la tranquillité
de l'ame . Qu'est - ce qu'un trône ,'
file bonheur n'y vient prendre place avec
nous , & fi le defir de faire des heureux
nous empêche nous mêmes de l'être ?
Trajan fe tût , & une voix qui partoit
du fond du fanctuaire fit entendre cet
oracle : Je t'ai difpenfe les grandeurs ;j'ai
mis à tes pieds ce peuple qui fouloit aux
fiens les fceptres & les couronnes. Veille à
Ja garde & à fon bonheur. Ses plaintes ne
doivent t'affliger qu'autant qu'elles feront
juftes. N'épargne rien pour adoucir fes
maux, & fouviens toi que mes faveursfont
prefque toujours mêlées de quelques difgra.
ces. Tu n'es qu'un homme & tu voudrois
jouir du fort des dieux.
18 MERCURE DE FRANCE.
L'empereur s'éloigna pour aller méditer
fur cette réponſe. Un de fes principaux
miniftres vint le remplacer . Déeffe ,
à qui je dois tout , difoit-il, daignez ne pas
'mettre encore un terme à vos bienfaits .
J'ambitionnai la place que j'occupe ; j'ambitionnerois
aujourd - hui d'en defcendre ,
fi ma retraite volontaire pouvoit n'être pas
envisagée comme une difgrace . On me
flatte & l'on me cenfure avec excès . J'ai
pu quelquefois me tromper ; j'ai plus
d'une fois été utile ; on ne me pardonne
pas plus mes fervices que mes fautes.
C'eft à vous , déeffe , qu'il appartient de
me concilier les fuffrages . Tout , ici bas,
vous eft foumis ; honneurs , eftime , réputation
, gloire , tout eft votre ouvrage .
Achevez celui que vous avez commencé
en ma faveur faites que je réuniffe à
celle du monarque l'approbation univerfelle
de fes fujets....
Ta demande furpaffe mon pouvoir , interrompit
l'oracle. N'attends que des regards
jaloux de ceux qui te voyent placé
au deffus de leurs têtes . Le droit de cenfurer
les mortels que j'élève eft la feule confolation
de ceux que je néglige .
Un troifiéme perfonnage s'approcha de
l'autel. C'étoit un courtifan . Il s'avançoit
avec la même ardeur que s'il eut été
JANVIER . 1770. 19
queftion de fe rendre au petit lever du
prince. Voici comment il harangua la
déeffe . Vous voyez en moi le plus zélé
de vos fectateurs. Je vous adreſſe tous
mes voeux ; je fuis toutes les routes que
vous femblez me prefcrire. Chaque jour
Trajan m'apperçoit à fon réveil : fouvent
même il m'admet à fon fouper . Je flatte
fes miniftres & jufqu'aux fubftituts de fes
miniftres. J'embraffe mes rivaux ; je
trompe des femmes. Tous ces moyens , fi
fouvent efficaces , n'ont encore pu me tirer
de la foule. Vingt gouvernemens ont
été donnés depuis que j'en follicite un
vingt officiers , inconnus à la cour , ont
été faits généraux. Fortune ! leur élévation
eft une infulte pour toi . Je fuis l'homme
qu'il faut pour fignaler ton pouvoir.
Ma conduite prouvera que je me repofe
entierement fur lui.
La voix lui répondit : Sache attendre.
Je veux dépouiller une province qui doit
tout à fon induftrie : tu en feras nommé
gouverneur. Je veux humilier l'orgueil des
Romains : tu commanderas une de leurs
armées.
Julie s'avança . Elle étinceloit de charmes
& de pierreries. J'ai auffi mon ambition
, difoit-elle à la déeffe. On me trou20
MERCURE DE FRANCE.
que
ve belle . Une foule d'adorateurs me le
répéte chaque jour. Peut - être ces hommes
qui m'adorent ne m'aiment - ils
foiblement. Que m'importe ? Je veux que
l'amour ait plus d'éclat que de chaleur.
Je fupporte que l'on me quitte , & j'aime
à quitter. Ce que j'ambitionne c'eſt le
crédit , ce font les honneurs. Feu mon
époux , qui n'afpiroit à rien , pas même à
me plaire , eft mort oublié de tous ceux
qu'il oublioit. J'ai toute l'émulation qu'il
n'avoit pas. Je voudrois occuper le premier
rang
chez l'impératrice ; fixer tous
les regards de Trajan ; gouverner fes miniftres
; difpofer des places ; faire , à mon
choix , d'un petit un grand , d'un grand
un petit. Je voudrois , enfin , voir dépendre
de moi tous les hommes & pouvoir
défoler toutes les femmes...
N'attends plus rien de moi , interrompit
l'oracle ; je t'ai donné de la beauté , de
la naiffance , du manège & de l'ambition :
avec de tels fecours , tu peux te paffer des
miens.
Julie s'éloigna dans l'intention d'effayer
fon pouvoir. Une maffe énorme &
informe s'avançoit vers l'autel . C'étoit
un de ces hommes qui percevoient , pour
l'empereur & pour eux , les revenus de
JANVIER. 1770. 21
l'état. Je crus qu'il venoit prier la déeffe
de les lui accorder fans partage . Il venoit,
au contraire , déplorer les fruits de fon
opulence . O Fortune , difoit - il , que j'ai
payé cher tes préfens ! J'exiftois & je
n'existe plus. Né fous un toit ruftique , je
m'occupois de travaux ruftiques. Le champ
que mes mains cultivoient fuffifoit à
ma fubfiftance. Rien ne bornoit les facultés
de mon être. J'eus les befoins qu'il
eft le plus doux de fatisfaire , & je les
fatisfis . L'apétit affaifonnoit mes repas
groffiers ; Lycoris agréoit mes foins & y
répondoit. J'aimois Lycoris , & jamais
amour ne fut mieux prouvé. Enfin , j'étois
heureux ; mais je ne fus point apprécier
mon bonheur . Un char brillant
verfa à peu de diftance de ma retraite .
J'offris des fecours qui furent acceptés .
Celle qui les reçut étoit accoutumée à
faire des graces. C'étoit la femme du favori
de l'empereur Nerva . Elle daigna
fe repofer dans ma chaumiere & trouva
que j'y étois déplacé. Elle me preffa de la
fuivre à la cour. Elle étoit belle ; fon char
étoit brillant , & fa fuite nombreuſe . Je
me laiſſai éblouir & par ce que je voyois,
& par ce qu'on me fit entrevoir . J'oubliai
Lycoris , & fuivis Hortenfe. Il me parut
22 MERCURE DE FRANCE .
que fa bonne volonté pour moi ne diminuoit
J'eus lieu d'en douter encore
pas.
moins par la fuite. Enfin , au bout de
deux ans d'affiduités auprès d'elle , je fus
mis au nombre des Publicains . Je vis du
fonds de l'Afie , de l'Europe & de l'Afrique
, l'or fe rendre comme de lui - même
dans mes coffres . Mon opulence embarraffe
mes calculs , ou plutôt il me paroît
fuperflu de calculer. Mais que n'ai -je pas
perdu à ce gain factice ! mes tréfors fe
font accumulés & j'ai perdu le repos. J'ai
le meilleur cuifinier de Rome & n'ai plus
d'appétit ; vingt maîtreffes que je paye &
pas une qui m'aime ; des defirs & plus de
facultés , des adulateurs & pas un ami ;
une fatiété qui me rend tout infipide ;
le malheur d'avoir tout épuifé fans
avoir effectivement joui de rien. Daignez
donc , ô déeffe , me rendre mes travaux
, ma fanté , mes goûts , mon amour,
ma vigueur & Lycoris : je vous abandonne
en échange deux cens Aatteurs , cinq
cens tonneaux de Falerne , quelques millions
entaffés , quelques danfeufes & quatre
années du bail courant.
Sois content , lui dit l'oracle. Ce foir
même Trajan va te rayer de la lifte fortu
née ; tes richeffes pafferont dans fon trefor;
tesflatteurs s'éclipferont; tes maîtreffes iront
JANVIE R. 1770. 23
tromper ton fucceffeur ; tu retourneras à ta
chaumiere avec quelques facultés de moins,
& tu retrouveras Lycoris avec quelques années
de plus.
Au lourd Chifronius fuccéda la vive
Aglaé. A peine elle touchoit à fon troifiéme
luftre . Sa taille fvelte & légere ;
fon oeil doux & perçant ; les traits piquans
& animés ; fa bouche agaçante &
enfantine ; certain air d'étourderie bien
concerté ; certaines graces badines & finement
ingénues , tout décéloit en elle le
moyen de faire des conquêtes , & le defir
de les multiplier. Elle venoit fupplier la
Fortune de lui être propice. J'ai meş
vues , difoit - elle ; mais fans vous je ne
puis rien. Voyez ces cheveux ; ils font
fans ornemeus ; cette robe , que je porte ,
eft prefque auffi fimple que celle d'une
veftale je ne m'apperçois pas encore fi
le Gange produit des perles & des diamans
; le char qui m'a conduite à votre
temple eft un char d'emprunt. Jufqu'à
quand , ô déeffe ! tant de chofes me manqueront
- elles ? Daignez conduire mes
pas ; marquez moi la route que je dois
fuivre ; je vous jure de ne point m'en
écarter. On m'a dit que l'Amour vous
contrarioit affez fouvent. C'eft à quoi je
24 MERCURE DE FRANCE.
prendrai garde ; je le traiterai comme un
enfant qu'il eft difficile de ne pas careffer
d'abord ; mais qu'enfuite on congédie
fans façon. Je fouffrirai qu'on décore ſes
autels ; mais jamais mon encens ne brûfur
les vôtres. >>
Jera
que
Aglaé reçut cette réponſe : La Nature
a tant fait pour toi qu'il refte à la Fortune
peu de chofes à faire. Apprends à mesurer
tes pas en cadence , & monte fur la scène,
Tu m'aideras à dépouiller quelquesfavoris
qui abufent de mes préfens.
O tems ! ô moeurs ! ô fiécle ingrat ! s'écrioit
un homme dont l'ame & l'extérieur
me parurent être un peu en défordre !
O Fortune , à qui tes bienfaits font - ils
prodigués ? Que de nouveaux Mævius
l'emportent chez toi fur Virgile ! J'ai tout
donné à la Gloire , & la Gloire ne fait
rien pour moi. Chaque jour voit renouveller
mes facrifices . J'ignore & les plaifirs
& le fommeil . L'aftre du jour a difparu
; l'altre des nuits a déjà rempli une
partie de fa courfe : le mercenaire a quitté
fes travaux ; l'efclave dort en attendant
ceux du lendemain , tout repofe dans la
nature ;.. & moi , j'écris ! L'Aurore s'eft
arrachée des bras du vieux Titon ; fes regards
éclairent le fommet des montagnes;
le
JANVIER. 1779. 25
le coq vigilant s'éveille & chante , les oifeaux
lui répondent par des concerts variés
; Lycas donne un doux baifer à Tymarette....
Et moi , j'écris ! Julie a déjà eſſuié
vingt froideurs à fa toilette ; Cafca préfide
à l'arrangement de fes cheveux ; Lyfis
attrape un coup léger , & baiſe la main
qui le frappe. De la toilette on paffe à la
table , de la table on vole au cirque ; on
applaudit ou l'on cenfure ; on en fort
pour courir à de nouveaux amuſemens ...
Et moi , j'écris ! Telle une lampe fe confume
pour éclairer une affemblée qui ric
fans fonger à elle de même j'éclaire un
public ingrat qui oublie qu'une lampe
s'éteint fi on ne l'alimente. J'écris d'une
maniere profonde , & mes lecteurs font
fuperficiels ; je place , avec intention , des
traits fins ou délicats , & peu d'entr'eux
peuvent on daignent les faifit . Je réunis,
pourtant , quelques fuffrages ; mais d'autres
qui n'en réuniffent aucun , jouiffent de
tes faveurs. Daigne me répondre , ô
déeffe ! ne les accorde - tu qu'à ceux qui
renoncent à la gloire ?
Il reçut cette réponſe : Les favoris de la
gloirefont rarement les miens. Ecris moins ,
écris mal , fi tu veux ; mais vifue plus fouvent
mon temple. J'accorde quelquefois à
l'importunité ce que je refufe au mérite.
1. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
O Fortune ! s'écrioit une femme qui
fembloit pourtant n'avoir pas à s'en plaindre,
tu m'as comblée de bienfaits. J'ai eu
la gloire de ruiner dix patriciens opulens
& trois plébéïens dix fois plus riches que
des patriciens . J'ai celle d'effacer en luxe
nos plus faftueufes Dames Romaines . Je
leur enleve le double avantage de plaire
& d'éblouir. Elles me pardonnent plus
facilement le premier que le fecond . C'eſt
mon goût qui règle celui de la capitale .
On me copie en tout fens , & j'ai tant
d'imitatrices que je crains d'avoir bientôt
des émules . Daigne , ô déeffe ! me
conferver la prééminence. Indique moi
les moyens d'être toujours inimitable.
Sois , en tout point , le contraire de ce
que tu es , répondit l'oracle.
Déeffe ! dit , en s'approchant , un homme
qui paroiffoit fort ennemi du fafte ;
vous voyez en moi un amateur dont le
goût fait honneur à la capitale du monde.
Je n'ai qu'une paffion , & c'eft celle des
coquilles. J'ai transformé en coquillages
tout l'or que j'amaffai dans les Efpagnes
lorfque j'en étois gouverneur. C'eft une
belle chofe que l'hiftoire naturelle. Je
troque volontiers une émeraude contre
une huitre pétrifiée . Je fais parcourir &
fouiller , à grands frais , les plus lointains
JANVIER. 1770. 27
rivages. Il est vrai que le defir de raffembler
tous ces cadavres de poiffons me réduit
à vivre de légumes . Ce n'eft pas ce
qui m'inquiéte ; mais par malheur mon
tréfor eft vide , & mon coquillier n'eft
pas rempli . Il me reste encore à garnir
tout l'intérieur de mon alcove , un quart
de ma falle à manger , & mon foyer d'un
bout à l'autre . Je t'implore donc , ô Fortune
! fais
que Trajan me nomme encore
une fois gouverneur de province. J'en
deftine la dépouille à dépouiller les rivages
de l'Inde. Mon bonheur fera complet
, fi ma collection fe trouve une fois
complette .
Raffure- toi , lui dit l'oracle ; elle pourra
l'être. Tu préféres des madrépores à ta
femme qu'un autre amateur préfére à
toutes les curiofités qu'il pofféde. Il va te
propofer un échange * qui vous fatisfera
tous trois.
Le curieux s'éloigna & courut.accomplir
l'oracle. Il s'éleva quelque tumulte
dans l'affemblée . Chacun s'approcha fans
garder beaucoup d'ordre.
* Chez les Romains ces fortes d'échanges
étoient autorisés par les loix. Ils ne le font plus
maintenant que par l'ufage,
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Un fectateur d'Hermès pria la Fortune
de favorifer fa recherche du grand - cuvre.
Elle lui promit de brifer tous fes
fourneaux ; feul moyen de lui conferver
fon patrimoine. Un homme à projets lui
en préfenta de toutes les efpeces. Elle ne
choifit que celui qui étoit le plus extravagant
& le plus inutile. Un riche avare vint
la prier de lui procurer du repos. Tu en auras
, lui dit- elle ; onvient de t'enlever le tréfor
qui caufoit ton infomnie. Une joueufe
la fupplia de lui rendre tout ce qu'elle
avoit perdu au vingt & un . Volontiers ,
lui dit la déeffe ; Craffus va t'en dédommager
, fi tu n'es pas trop difficile fur les
conditions . Un habitant de la Gaule
Narbonnoife prioit la Fortune , non de le
fervir , mais de le laiffer faire . Elle y confentit
, & il parut très- content de fon lot.
Un prêtre de Jupiter afpiroit au pontificat.
Il citoit en fa faveur , & fa fanté affoiblie
par l'étude & fon indifférence pour
les femmes . On lui confeilla de fe réconcilier
avec elles , & de rétablir fa fanté.
D'autres perfonnes de différens états formoient
des voeux de différente efpece . Ils
furent ou adoptés ou rejetés , & les plus
bifarres n'étoient pas toujours les plus
JANVIER. 1770. 29
mal
reçus. II y eut un efclave
à qui la
Fortune
promit
les richeffes
, la place
&
la maîtreffe
de fon
maître
; on vit un
orateur
qu'elle
rélégua
parmi
les mimes
,
& un mime
à qui elle promit
la réputation
d'orateur
: on vit un boucher
décoré
de la robe
d'Efculape
; un foible
adolefcent
armé
de la mafue
d'Hercule
, & un
brave
, un robufte
centurion
couvert
d'une
tunique
de corybante
.
Un jeune couple fe tenoit à l'écart , &
fembloit attendre , pour s'approcher du
fanctuaire , que la foule s'en éloignât.
C'étoient Zélide & Leuxis . Tout , chez
eux , déceloit , ou deux amans ou deux
époux encore amans. Ils s'approchoient
enſemble comme n'ayant que les mêmes
voeux àformer. Ce fut Leuxis qui parla ,
& fon difcours dût paroître tout nouveau,
même à la déeffe .
Nous n'implorons point tes bienfaits ,
lui difoit- il , répands les fur ceux que
l'amour feul ne peut rendre heureux . Hé!
comment pourront ils donc jamais l'être
? Je le fuis par Zélide , & Zélide l'eſt
par moi. Je l'emportai auprès d'elle fur
une foule de tes faveris . Ils offroient des
tréfors . Je n'offris que de l'amour. C'eſt
l'amour feul qui mérite le fuffrage de la
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
beauté . Nous quittâmes la fuperbe Rome :
Le bonheur eft ennemi de l'éclat & du
tumulte . Nous le goûtons loin des envieux
, dans une retraite que lui - même
femble avoir choifie pour fon afyle . Elle
eft riante & n'eft point faftueule . Nous
mêlons à nos amufemens quelques foins
qui les varient. Je préfide à la culture du
champ qui fournit à ma fubfiftance ; je
taille moi- même l'arbre que mon pere a
planté. Zélide répand quelques bienfaits
fur ces malheureux condamnés à des travaux
dont ils ne recueillent pas même le
fruit. Les coeurs tendres font toujours
bienfaifans ; les coeurs infenfibles preſque
toujours inhumains. Les nôtres bornent
leurs voeux à ne jamais changer ni de penthans
ni de maximes . Chaque foleil qui
fe leve eft pour nous le préfage d'un jour
fortuné. O déeffe ! les mortels comblés
de tes dons jouiffent ils du même avantage
? Laiffe nous celui dont nous jouiffons.
N'ajoute , ne retranche rien à ce que
tu as fait pour nous . Affez d'autres viendront
t'implorer pour que tu daignes te
fouvenir d'eux . Nous , au contraire , nous
t'implorons pour être oubliés de toi .
Ce fut là , peut- être , le feul voeu raifonnable
qu'on eut jamais adreffé à la
JANVIER . 1770. 31
Fortune . Il fut admis , & l'oracle congédia
l'affemblée par cette maxime . O vous,
qui cherchez le bonheur , apprenez que
ce n'eft pas dans mon empire qu'il réfide,
La Fortune peut rendre les mortels puiffans
; la modération feule peut les rendre
heureux .
Par M. de la Dixmerie.
VERS à Madame Vien , de l'académie
royale de peinture.
T.ANDIS que ton époux , par une touche fiere ,
Par les plus hardis monumens ,
Signale la vafte carriere ,
Affife à fes côtés au temple des talens ,
Tu répands d'une main légere
La richefle des ornemens ;
La riante nature à tes yeux fe dévoile ,
Tout plaît , tout s'embellit fous tes pinceaux mi
gnons ;
Sous tes loix comme fur la toile
Tu fais fixer des papillons ;
Tu fais éternifer l'éclat des fleurs nouvelles ,
Sans le fecours de Flore , à loifir tu peux voir
Biv
32 MERCURE
DE FRANCE
.
Les plus fraîches & les plus belles
Chaquejour le modele eft dévant ton miroir.
Un fruit tenta le premier homme ,
On fait à quel defir fes fens furent enclins ,
J'en fuis peu furpris fi la pomme
Reffembloit aux fruits que tu peins.
Par M. de la Louptiere , de l'académie
des Arcades de Rome.
MADRIGAL à Madame **
QUI
UI te voit , dans tes fers eft foudain retenu
Sans qu'il puifle jamais devenir infidèle ;
La raifon vient ferrer une chaîne ſi belle.
Lorsqu'il eft né de la vertu ,
L'Amour eft durable comme elle .
Par M. François de Neufchâteau.
VERS pour
>
être mis au bas du portrait
de M. Bignicourt , auteur d'un recueil
de poëfies latines & françoifes , & c.
Ex latin , en françois , le bon goût ſuit ſes traces,
D'autres parlant leur langue y bornent leurs écrits,
Plus heureux que ces beaux efprits ,
Il regne fur les deux Parnaffes.
Par Madame **.
JANVIER. 1770. 33
LA Méprife de l'Amour. Chanfon.
Sur l'AIR : Dans un bois folitaire & fombre.
L'AUTRE 'AUTRE jour la jeune Lifette ,
En menant paître fon troupeau ,
Vint le repofer fur l'herbette
Dans un bofquet près du hameau.
Le bruit fourd d'un ruiffeau qui tombe,
La tourterelle qui gémit ,
Et les plaintes de la colombe ,
Tout la flatte & tout l'aſſoupit .
On voitles lèvres demi - clofes
Que le zéphir vient carefler ;
Une abeille croit voir des roles ,
Et s'approche pour les fucer.
Cherchant la reine de Cythère ,
L'Amour s'en vint d'un air malin ;
Il prend Lifette pour (a mere ,
Et fe repole fur fon ſein .
Ah ! dit-il , quelle eft ma furprise !
De Vénus , j'ai cru voir les traits ;
By
34
MERCURE DE FRANCE.
On doit pardonner ma mépriſe ,
Lifette n'a pas moins d'attraits.
Le foufle qui fort de fa bouche
Eft plus pur que l'air du matin ;
Et lorfque la mienne la touche ,
Un feu fecret paffe en mon fein.
Ah ! fuïons loin de cette belle ,
Craignons un regard de fes yeux ;
Je pourrois oublier près d'elle
Le rang que je tiens dans les cieux.
Je favois que j'étois le maître
De pouvoir tout affujettir ;
Mais , Lifette m'a fait connoître
Que j'étois le dieu du plaifir.
Par M. Delefpine , âgé de 18 ans.
E
LA MEPRISE.
Le feu Roi de P *** pouffoit la fimplicité
dans fes vêtemens au point que quand
il voyageoit dans fes états , ceux de fes
fujets qui ne le connoiffoient point le
prenoient pour une homme ordinaire .
JANVIER. 1770. 35
-
• • Un jour qu'il paffoit dans le B.
fans fuite , & très fimplement vêtu , il
apperçut une jeune femme travaillant à
la terre , & de taille gigantefque ; elle
avoit près de fept pieds. Les grandes perfonnes
étoient fa paffion ; il imagina
qu'un couple de cette efpece produiroit
des enfans très grands . Il defcendit de
cheval , s'approcha de cette payſanne ,
caufa avec elle , & apprit avec joie qu'elle
n'avoit que dix neuf ans ; qu'elle étoit
fille encore , & qu'elle devoit le jour à un
cordonnier. Il s'affit à terre & écrivit au
colonel de fes gardes : « Vous marierez
» la porteufe du préfent billet, avec le plus
grand de mes grenadiers ; vous aurez foin
que la céremonie fe faffe fur le champ &
» en votre préfence ; je veux abfolument
» que vous puifiez me répondre fûre-
» ment de l'exécution de cet ordre : il eft
37
"
"
33
précis & je vous ferois un crime du
» moindre délai » Le Roi remit cette lettre
à la jeune fille , fans l'inftruire de ce
qu'elle contenoit , & lui ordonna de la
porter à fon adreffe & de n'y pas
manquer fous peine de fon indignation
; il lui fit enfuite un joli préfent &
continua fa route . La fille , qui ne s'imagi
noit pas que c'étoit le Roi qui lui avoit
B vj
3.6 MERCURE DE FRANCE .
parlé , croyant qu'il étoit indifférent
que la lettre fût rendue par une autre ,
pourvû quelle le fût fûrement , fit marché
avec une vieille femme qu'elle chargea
de cette commiffion , en lui enjoignant
expreffément de dire qu'elle la tenoit d'un
homme vêtu de telle façon . Celle ci exécuta
fidèlement fon meffage . Le colonel ,
furpris du contenu de la lettre ; ne pouvoit
le concilier avec l'âge & la figure de
la porteufe ; cependant l'ordre étoit exprès
, il ne crut pas pouvoir , fans danger,
fe difpenfet d'obéir ; il penfa que fon
maître vouloit punir le foldat qu'il devoit
marier d'une maniere fi peu affortie;
il fit célébrer cet hymen devant lui au
grand regret du grenadier , mais en même-
tems à la grande fatisfaction de la
vieille. Quelque tems après le Roi revint
à B *** , il demanda avec empreffement
à voir le couple qu'il avoit marié . Lorfqu'on
le lui préfenta , il entra dans une
colere inexprimable ; le colonel cherchoit
en vain à fe juftifier ; il ne le fut qu'après
que la vieille eut avoué la vérité ; elle finit
le recit de fon aventure par lever les yeux
au ciel , & remercier la Providence d'un
bienfait auffi peu attendu que celui qu'elle
venoit d'en recevoir.
JANVIER . 1770. 37
VERS à M. le Chevalier de Pradine,
fur plufieurs préfens faits à mafille ,
ágée de douze ans.
CETTE Croix guerriere , ô Pradine !
Que vous portez fur la poitrine ,
Votre Roi vous en a fait don ,
Pour montrer que votre vaillance
Brilla dans plus d'une action ;
Mais s'il étoit un ordre en France
De chevaliers de bienfaiſance ,
Vous auriez le premier cordon.
Par la Mufe Limonadiere.
VERS & Mde Cahouet de Vilaire , fur
les portraits du Roi & de Mde Victoire,
& fur l'hiftoire , qu'elle rend en miniature
.
LES maris font peu louangeurs :
Ton époux m'a vanté tes talens enchanteurs ,
Autant en fait la renommée.
38 MERCURE DE FRANCE.
A cette gloire confirmée
Je joins encor ma foible voix ,
Je t'en dois le tribut : ta peinture chérie
Honore également mon fexe & ma patrie.
Par la même.
V.
LE SINGE & L'A N E.
ous connoiffez le Singe ; il eft divertiffant
Pour un inftant.
Vous le voyez grimper , fauter , rufer fans cefle ,
Et faire maint tour de fouplefle .
Comine un vrai faltinbanque , il fait rire les
gens ,
Se moque d'eux en face , & vità leurs dépens.
Quant à moi , je ne l'aime guère .
Ce n'eft au fond qu'un gauche imitateur ,
Qui gâte tout , fort enclin à mal faire ,
Pareffeux & gourmand , libertin & colere .
Les grimaces , les fauts de ce vil bateleur
Laflent bientôt le fpectateur.
Il vit un jour de la fenêtre
L'Ane chargé d'un lourd fardeau ,
Et tout prêt à partir. Ah ! le plaifant bardeau ,
JANVIER . 1770. 39
Dit le Singe, où va - t- il ? Croit - il charmer fen
maître ,
Avec un air fi lefte , & baiffant le muſeau ?
L'Ane répond , tu fais tout contrefaire ;
Mais , l'ami , tu n'es bon à rien ,
Qu'à tout défigurer. Tu grimaces fort bien ;
Je fuis utile ; adieu , voilà mon ſavoir faire .
Pour le coup , maître Aliboron
Parloit mieux qu'un docteur ; il avoit bien rai
fon !
Le plaifant & le parafite ,
Quelques auteurs auffi , dont je tairai le nom ,
Vrais finges en tout point , n'ont pas d'autre mérite.
L'AMOUR PATERNELLE. *
Hiftoire véritable.
BELIDOR
ELIDOR ayant effuyé des pertes confidérables
, fe réfolut à les aller réparer
dans les ifles . Il avoit un fils de fept ans
* On a cru devoir donner à cet Amour , qui eft
une vertu , le genre féminin que lui donnent quelquefois
nos poëtes . Cette licence devroit faire règle
, pour qu'on ne le confondît plus avec l'amour
qui n'eft qu'une paffion aveugle & ſouvent la
fource de nos peines.
40 MERCURE DE FRANCE .
au plus qu'il confia à fon frere Cernin , &
il partit avec Robert , un vieux domeſtique,
qui ne voulut point l'abandonner , &
qui jufques - là avoit été deſtiné à ne pas
quitter Nervan fon fils.
Ce dernier regretta fon pere, & fur-tout
fon bon ami Robert , autant qu'on peut
l'efpérer d'un enfant de fon âge , & il les
oublia bientôt tous deux dans les diffipations
d'un caractere
trop vif & difficile
à morigéner.
Cernin , oncle de Nervan , ne fupporta
qu'avec peine les fatigues de l'éducation
de fon neveu. Ni fes confeils , ni fes efforts
ne purent l'empêcher de devenir un
jeune homme à la mode , c'est - à - dire ,
une tête fort vide , un être fait pour n'être
remué que par des objets ou très - frivoles
ou très indécens .
Il avoit d'abord annoncé quelqu'efprit
, mais quel moyen d'y compter encore
? Il n'y avoit pas de fottife qui ne ſe
fût placée dans fa tête . L'idée d'un jeune
étourdi mis élégamment , & qui careffe
indécemment fur fa cuiffe une maffe de
joujoux attachés à la chaîne de fa montre
, rempliffoit pour lui l'idée de toute
perfection . Une voiture du dernier goût
& le fingulier honneur de perdre en com
JANVIE R. 1770. 41
pagnie brillante mille ou douze cens piftoles
lui fembloient mériter la vraie & la
feule confidération à rechercher . Perfonne
n'étoit plus perfuadé que lui de l'inutilité
parfaite d'une bonne lecture ; tout
homme raisonnable n'étoit qu'un pédant
à fuir , il n'appercevoit pas le plus petit
danger pour les moeurs à vivre avec des
femmes à tant pas mois ; en un mot il y
avoit à Paris peu de jeunes gens , même
parmi ceux du plus grand nom , qui euffent
de plus jolis principes que Nervan ,
qui s'annonçaffent dans le monde avec
des qualités plus agréablement fupérficielles.
Son oncle , moralifte un peu févere ,
avoit inutilement tâché de lui démontrer
qu'il fe trompoit fur tous les objets. Nervan
n'en avoit tenu compte , & ſe fondant
fur les efpérances d'une fortune que
fon pere étoit allé faire pour lui , il empruntoit
de tous côtés , & diffipoit d'avance
un bien qui n'étoit pas encore réalifé
en France .
On eut beau lui dire que fon pere
n'ayant point donné de fes nouvelles depuis
deux ans , il y avoit à craindre qu'il
n'eût éprouvé quelques revers fâcheux .
Rien ne put l'arrêter dans fa fougue ; &
42 MERCURE DE FRANCE.
Cernin qui avoit épuifé tous les moyens
ordinaires pour fe faire redouter de fon
neveu , & pour l'épouvanter fur le danger
des liaifons qu'il avoit contractées ,
folliciteit enfin un ordre qui le mit hors
d'état de faire de plus grandes fottifes .
Cet ordre alloit être inceffamment délivré
, & Nervan , tranquille dans fa débauche
, venoit d'irriter encore plus fon
encle en voulant obtenir de lui 25 louis ,
lorfque Cernin vit entrer dans fon cabinet
quelqu'un , qu'il ne fe rappela pas au
premier coup d'oeil , mais qu'il embraffa
bientôt avec tranfport en le reconnoiffant
pour fon frere.
La premiere effufion mutuelle paffée
entre Belidor & Cernin , il fut bientôt
queftion de Nervan ; & voici quelle fut à
cette occafion la converfation des deux
freres.
BELIDO R.
Vous héfitez Cernin ? Vous ne me répondez
point fur mon fils ? Il vit fans
doute ?
CERNIN.
Oui , mon frere.
BELIDOR.
Eh ! bien voilà tout ce que je demanJANVIER.
1770. 43
dois au Ciel , pourquoi m'avoir allarmé
fans raifon ?
CERNIN.
Eh ! mon cher Belidor , je craignois de
vous le peindre tel qu'il eft.
BELID R.
Point de myftere , mon frere , je vous
demande fon portrait au naturel ; j'en ai
befoin , de grace ne diffimulez rien.
CERNI N.
Premierement , c'est un franc étourdi .
BELIDO R.
Il n'a que dix-huit ans .
CERNI N.
Et qu'importe ? Mon frere , c'eft un
jeune homme vain, léger , fans principes .
BELIDO R.
Sans doute .
CERNI N.
Comment fans doute ?
44 MERCURE DE FRANCE.
BELID◊ R.
Je vous étonne ; je le fens bien , mais
achevez votre portrait.
CERNIN.
Toujours entouré des gens les plus
dangereux , de joueurs , d'efcrocs , de femmes
perdues , d'afuriers ; enfin , un diſſipateur
effraïant pour la fortune la plus
grande. Eh ! bien , vous êtes encore tianquille?
BELIDO R.
Vous venez de me faire le portrait de
toute la jeuneffe de Paris , & je n'ai pas
préfumé que mon fils , né vif & fenfible ,
pût échaper aifément à la contagion générale.
Eft - ce là tout?
CERNTN.
Il n'y a pas deux heures qu'il eft forti
de chez moi dans le défefpoir du refus
que je lui ai fait de 25 louis dont il avoit
le plus grand befoin aujourd'hui . Apparemment
que fon crédit eft épuifé , & je
Vous avoue que j'ai profité du filence que
vous avez gardé depuis deux ans avec
nous pour répandre beaucoup d'inquiétuJANVIER.
1770. 45
de fur votre compte , & pour effraïer les
afuriers qui le mettoient en état de fe paffer
de moi .
BELIDOR.
A merveille mon frere . C'étoit mon
projet de vous inquiéter tous , & fur- tout
mon fils , que je comptois trouver tel que
vous venez de me le peindre.
CEERNI N.
Votre fang froid , mon frere , eft une
choſe...
BELIDO r.
Inconcevable , n'eft- il pas vrai ? Atten
dez jufqu'au bout,
CERNIN.
Il s'en faut bien que j'aie pu envifager
fes défordres auffi tranquillement. Ennuïé
de l'inutilité de mes remontrances , j'ai
follicité , pour St Lazare , un ordre que
j'attends à chaque minute .
BELIDO R.
Oh ! voilà ce qui ne vaut rien , mon
frere ; vous ne pouvez plus , après mon
retour , mettre cet ordre à exécution . Je
ferois très- fâché de n'avoir que ce moyen
46 MERCURE DE FRANCE.
d'efpérer quelque changement de la part
de mon fils . Ces maifons de force qui
réuniffent des libertins de toute efpece
peuvent achever de perdre pour jamais un
caractere qu'on eût pu ramener par des
moyens moins violens. Réuniffez deux
méchans , vous les rendrez plus dangereux
pour les fuites. Vous n'avez point va fur
cet objet en pere : fouffrez que je vous le
dife.
CERNI N.
Mais que tenterez vous donc pour lui
donner des remords & pour le faire rougir
de fa conduite.
BELIDOR.
C'est ce que je vais vous dire , écoutez
moi : vous avez eu de la peine à me reconnoître
d'abord , & c'eft une preuve que
mes traits font bien changés .
CERNI N.
Je l'avoue , vous êtes méconnoiſſable
pour un autre qu'un frere.
BELID O R.
Encore plus pour un fils féparé de moi
à l'âge de fept ans .
JANVIER. 1770. 47
CERNI N.
D'accord. Mais quelle eft votre idée ?
BELID o r.
La voici . Vous vous rappelez ce valet
que je voulois laiffer près de mon fils , &
qui voulut me fuivre.
CERNI N.
Le pauvre Robert ! Je m'en fouviens à
merveille .
BELI Do r.
Je l'ai perdu. Il eft mort depuis deux
ans ; précisément au tems où je difcentinuai
de vous faire paffer de mes nouvelles
.
CERNI N.
Je ne vous comprends point.
BELID O. R.
Dès ce tems- là je conçus le projet que
je viens exécuter , & que je foupçonnois
très néceffaire . ·
CERNIN.
Mais quel projet encore ?
48 MERCURE
DE
FRANCE
.
BELIDÒ R.
Ce n'est point Robert qui eft mort ,
c'eft votre frere. C'est moi . Vous ne voyez
dans ce moment que mon ancien domeftique
que vous ne logerez & que vous ne
traiterez , s'il vous plaît , que fur ce piedlà.
CERNI N.
Mon cher frere ! ... Se pourroit - il ! ...
Quoi ?
BELIDO R.
CERNI N.
Les fatigues d'un long voyage auroientelles
pu.. •
BELIDO r.
Je vous entends, déranger ma cervelle .
Eh! non ; retenez bien tout ceci . Votre
frere repaffoit en France avec une trèsgrande
fortune ( ce qui eft vrai . ) Une
tempête affreufe a fait périr le vailleau
( voici la fable . ) Moi , Robert , j'ai eu le
bonheur de me fauver , & je vous apporte
la trifte nouvelle & du naufrage & de la
perte de Belidor , & de celle de tous fes
biens . Quant au furplus , laiffez agir Robert
,
JANVIER . 1770. 49
bert , paroiffez affligé , prenez même mon
deuil ; voilà tout ce que je vous demande ,
le refte eft mon affaire .
Cernin eut beau s'oppofer au deffein de
fon frere , il failut lui promettre de fe
prêter à ce qu'il demandoit , & bientôt
toute fa maifon & le quartier même furent
imbas de la nouvelle finiftre qu'avoit
apportée Robert .
Ce dernier eut vingt récits à faire de la
tempête où Belidor avoit péri , & ce rôle
fut fi bien joué de fa part qu'il fit verfer
des larmes à toutes les comeres des environs
, dont il s'étoit vû entouré fans en
être reconnu ..
Une raifon fecrette fit que Nervan rentra
à la maifon de fon oncle quelques
heures après , & l'hiftoire fatale du naufrage
occupant encore les valets , il en fat
bientôt inftruit lui même . Confterné d'abord
par cette nouvelle , il court chez fon
oncle qui lui confirme fon malheur . Il
demande Robert ; il vole au devant de
lui ; il l'embraffe , ne veut apprendre aucun
détail & tombe dans l'accablement .
Il faut ici rendre à Nervan la juſtice
qu'il mérite ; c'eft fon pere qu'il regrette
le plus , & Robert , attentif à tous fes
mouvemens , en tire un bon augure , parce
que l'amour n'eft jamais fans efpoir.
I. Vol.
C
so
MERCURE DE FRANCE.
Il paffe le refte de la journée dans for
appartement fans vouloir que Robert le
quitte , mais fans lui parler ; & jetant
feulement fur lui , de moment à autre ,
des regards qu'éteignoit un torrent de
larmes.
Robert pleuroit auffi , & fes larmes
palloient auprès du jeune homme pour la
jufte expreffion de la douleur d'un valet
qui regrette le meilleur des maîtres ; cette
idée l'attendriffoit encore davantage ,
enforte que Robert fut obligé de le laiffer
à lui-même , après l'avoir fupplié de
prendre quelque repos.
Une converfation qu'il eut le lendemain
avec le valet de Nervan le mit au
fait de fes défordres . Champagne étoit un
franc valet de comédie qui portoit le plus
qu'il pouvoit fon maître vers fa ruine ,
parce qu'il y trouvoit fon compte . Il confia
à Robert , qu'il avoit jugé fon égal ,
que par décence il refteroit encore quatre
ou cinq jours avec Nervan , mais qu'il
alloit chercher un maître dont le pere
n'eut pas fait naufrage , & auprès duquel
il ne fe vit pas dans la néceffité d'enfouir
les heureux talens qu'il avoit reçus de la
nature pour jeter un enfant de famille
dans le monde.
Dès que Robert fe vit feul avec NerJANVIER
. 1770. SI
van , il l'éclaira fur l'attachement de
Champagne ; & après avoir obtenu qu'il
feroit renvoyé le jour même , il le fupplia
de fe fouvenir qu'il avoit dû jadis être
fon maître , & de permettre qu'il lui confacrât
le refte de fes jours. A moi ? ( lui
répondit Nervan ) A moi , qui me trouve
aujourd'hui fans reffource ? Ah ! mon cher
Robert , dérobez vous aux influences de
l'infortune qui va m'environner ... Seraije
en état déformais de payer vos fervices
? Ofez être plus tranquille à cet
égard , Monfieur : j'ai , grace au ciel , fauvé
avec moi de quoi me foutenir le refte de
ma vie , & je ne vous ferai point à charge.
Permettez que je puiffe par-tout accompagner
vos pas , & je me croirai affez
payé; je dois cette reconnoiffance à mon
malheureux maître.
Nervan attendri , l'embraſſa ; Champagne
fut congédié , & Robert accepté
pour fon fucceffeur.
Jamais le fils de Bélidor ne s'étoit vu
fervi avec le zèle qu'il trouva chez Robert.
Il étoit prévenu fans cefle , & tout
léger qu'il avoit été jufqu'alors , il ne put
s'empêcher d'avoir , pour fon nouveau
domestique , des égards qu'il n'avoit ja
mais connus pour les gens de cet état.
Cij
52 MERCURE
DE FRANCE
.
Il n'avoit encore pa fe déterminer à
quitter fa retraite , malgré les confeils &
les inftances de Robert ; cependant il avoit
repris affez de force pour s'entretenir avec
lui de la perte qu'il avoit faite. Mais ,
foit que Robert lui en impofât , foit que
la nature fe fît mieux entendre dans l'état
de chagrin où il étoit , fon pere étoit toujours
le principal objet de fa douleur . Ah!
Monfieur , lui difoit Robert , fi vous faviez
à quel point vous en étiez chéri ,
combien le defir de vous rendre heureux
lui a coûté de foins & de peines , à quels
travaux affreux cette feule idée lui faifoit
trouver des douceurs , vous ne croiriez
pas le regretter encore affez. Robert , me
difoit- il , dans le funefte vaiffeau où nous
fommes montés pour revenir en France ;
Non , Robert , je ne me flatte pas de trouver
mon fils auffi fage qu'il pourroit l'être
: l'exemple , le funefte & contagieux
exemple aura pu l'entraîner ; il aura pu
égarer fa raifon . Mais il m'en fouvient ,
mon fils avoit des organes fenfibles ; en
me voyant il voudra ma félicité ; il s'en
occupera , & la légereté de la jeuneffe fera
place à la réflexion .
C'eſt par de femblables adreffes que
Robert s'infinuoit dans l'ame du jeune
JANVIER. 1770. 53
homme qui , dans ces momens , lui ferroit
la main avec tendreffe , & l'embraffoit
quelquefois.
Dès que Robert ſe vit aimé , il aſpira
à la confiance de Nervan ; il voulut apprendre
de lui l'hiftoire de fes premieres
années dans le monde . Arrêtez , iui dit le
jeune homme , arrêtez ; le tems & mon
oncle vous en apprendront plus que je ne
voudrois. Mon cher Robert , je vous redoute
comme fi vous étiez mon pere ,
n'exigez pas que je vous révèle tous mes
défordres , toute l'horreur de ma fituation
.
ROBERT.
Et pourquoi ne pas m'en inftruire M.
Peut être puis -je en adoucir l'amertume.
Ce que j'ai eu le bonheur de fauver avec
moi eft aflez confidérable . Il eft au fils de
mon maître ; fouffrez que je vous fupplie
d'en difpofer .
NERVAN ( avec vivacité. )
• •
Eh quoi ! Robert vous pourriez ..
Mais que dis je ? Ah ! malheureux que je
fuis , voudrois - je vous entraîner dans ma
ruine ? .. Vous me follicitez de quitter
cet appartement.... Vous ignorez qu'un
C iij
54 MERCURE DE FRANCE .
billet d'honneur ..... Mon cruel oncle
m'a refufé le fecours dont j'avois befoin...
Peut -être cette rue eft- elle pleine de gens
qui n'attendent que l'inftant de me voir
paroître.
ROBERT.
Mais , Monfieur , vous ne demandiez
à votre oncle que 25 louis. Il me l'a confié
, cette fomme n'eft pas affez forte...
NERVAN.
Avec cet à compte que j'avois promis ,
en devoit me donner du tems pour le
refte. J'ai manqué de parole ; je ne me
connois plus de reffource , & je ne puis
m'expofer à l'infamie d'être traîné par des
malheureux...
Cette image troubla Robert plus qu'on
ně peut dire , & après avoir appris le nom
& la demeure du créancier , fans aucune
affectation , il fortit fous prétexte de quelque
affaire.
Au moment qu'il rentroit , il vit defcendre
de chez Nervan quelqu'un qui
cherchoit à cacher une petite figure fous
un plus petit chapeau ; & ce mystere acheva
de le convaincre de ce qu'il foupçonnoit
d'après tout l'enfemble de la perfonne
.
JANVIE R. 1770 : 35
Il rentre auffi - tôt , & remet la quittance
qu'il apportoit. Eh ! quoi , Robert , (s'écrie
Nervan ) elle eft du double de la fomme
promife. Oui , Monfieur , ( répondit- il )
on vous laiffe plus de tems pour fatisfaire
au refte de cette dette , & vous voilà en
état de rendre les vifites que vous recevez
ici. Il est vrai ( reprend Nervan ) que ce
jeune homme..
ROBERT.
Monfieur, de grace , daignez ne pas me
tromper , cette efpece de page que je viens
de rencontrer eft une femme déguifée.
NERVA N.
Eh bien ! je l'avoue ; mais, Robert, c'eft
une femme adorable , & dont je fuis aimé
autant qu'on le peut être.
ROBERT.
2
Pardon , Monfieur , voas fçavez que
nous autres voyageurs , croïons difficilement
à de pareils amours.
NERVA N.
Eh ! mon ami , après les malheurs qui
viennent de m'accabler , fi mon oncle
m'abandonne, comme j'ai lieu de le crain
Civ
56 MERCURE
DE FRANCE
.
dre , c'eft cet amour qui fauvera votre
maître. . . . Un moment... Laiffez moi
- vous ouvrir tout à fait mon coeur à cet
égard. Une promeffe que je lui ai fignée...
Vous ous frémillez , Robert.
ROBERT .
Une promeffe , Monfieur , & de quelle
efpece ?
NERVA N.
De n'avoir jamais d'autre femme qu'el
le... Ah ! Robert , que d'injustice , que
de prévention dans votre effroi ; vous ne
connoiffez point Rofette ; vous ne connoiffez
ni fes charmes , ni fon coeur. Ses
moeurs , iill eesftt vvrraaii ,, n'ont pas d'abord été
auffi pures que vos préjugés pourroient
vous le faire fouhaiter.
ROBERT.
Mes préjugés ! Monfieur , dites ma raifon
, ou plutôt le fouvenir que j'ai gardé
de votre pere , qu'un pareil engagement
eût mis au défefpoir.
NERVA N.
Elle effacera la mémoire de fes premieres
années par fa conduite . Elle eft
JANVIER . 1770. 57
riche , Robert , & le malheureux Nervan
peut échapper àl'indigence dont il eft menacé.
ROBERT .
Ah ! Monfieur, vous voilà donc parvenu
au plus grand des dangers d'un pareil commerce
; c'eft de dégrader l'ame au point de
lui faire trouver fupportable ce qui devroit
la couvrir de honte.
En difant ces derniers mots , Robert
fortit brufquement & ne reparut plus dans
l'appartement de Nervan , ni dans la maifon
de Cernin .
La douleur du jeune homme , convaincu
le lendemain qu'il étoit abandonné
du plus fidèle des domeftiques , fut
auffi vive qu'elle pouvoit l'être ; mais elle
ne le fit point rougir encore de fa foiblefle
pour Rofette , chez laquelle au contraire ,
il crut devoir aller chercher des confolations
.
Quel fut fon étonnement lorfqu'on refufa
de le laiffer entrer chez elle , & qu'on
lui fignifia qu'il étoit inutile qu'il fe préfentât
davantage à fa porte. Il revole chez
lui ; il écrit à Rofette qui , par la réponſe
la plus infolente , ne lui laiffe aucun ef
poir. A peine en croit-il fes yeux ; il relic
C
58
MERCURE DE FRANCE.
la lettre : chaque mot lui peint encore un
plus grand mépris qu'il ne l'avoit apperçu
d'abord . L'infenfé fe défole , & ofe fe
croire plus malheureux qu'il ne l'avoit été
en apprenant la perte de fon pere & celle
de fa fortune. Il veut la voir . Il est prêt .
s'il le faut , à fe poignarder à fa vue. It
frappe ; il entre , on l'arrête ; il fe voit
entouré de gens d'une livrée inconnue
qui , par leurs regards & leurs geftes , lui
font appercevoir le plus grand danger s'il
s'obftine à paffer plus loin . L'effroi ramene
fa raiſon ; il fe retire , & va ſe venger
par une nouvelle lettre , où les déclamations
d'un amour qui fait place au mépris
& à l'indignation , brillent dans leur
plus grande énergie .
Qu'importoit ce courroux à Rofette ?
Depuis quelques jours un étranger , chez
lequel tout annonçoit la plus grande fortune
, l'avoit fait prier de paffer à fon hôtel
, voifin de fa demeure. Il avoit parlé
de la paflion la plus décidée & la plus délicate
; ce n'étoit pas ce dernier article
qui plaifoit le plus à Rofette , mais c'étoit
celui fur lequel fon nouvel amant
avoit intérêt d'appuyer davantage.
Bélidor ( car c'eft le pere de Nervan qui
joue ici le rôle d'un riche Eſpagnol ) avoir
JANVIER.. 1770.
59
même prétexté une incommodité qui exigeoit
qu'il ne fortît point de fon appartement
, mais il avoit obtenu de Roferte
de fe faire fervir chez elle par les gens ,
& les efpérances qu'il donnoit firent accepter
cette condition d'un amant jaloux
qui veut s'affurer de la conduite de l'objet
aimé.
Elle avoit offert la premiere le facrifice
d'un jeune homme qui l'aimo , & ce
jeune homme étoit Nervan . On ne laiſſa
pas ignorer non plus les ordres qu'on
avoit donnés pour qu'on ne le laiffât plus
entrer , ni la réponſe cruelle qu'on avoit
faite à fa lettre ; & c'étoit d'après cela que
Bélidor avoit ordonné à ceux de fes domeftiques
qui fervoient Rofette, d'effrayer
autant qu'ils le pourroient le jeune amant,
s'il venoit à reparoître.
L'infidélité intéreffée de cette fille avoit
conduit aisément Bélidor à témoigner
affez d'inquiétude fur fon prétendu rival ,
pour qu'elle cherchât à ne lui laiffer aucun
foupçon à cet égard.
Dans la vifite qu'elle avoit faite à Nervan
, en habit d'homme , le valet qui l'a
voit accompagnée avoit appris le défaftre
de fes affaires , & l'étranger n'avoit fait
qu'avancer de quelques jours la difgrace
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
du jeune homme , qu'on ne croyoit plus
bon à rien , puifque fa fortune étoit renverfée
.
Elle offroit donc à Bélidor de lui facrifier
une promeffe de mariage que Nervan
lui avoit faite , & elle fit valoir ce facrifice
autant qu'elle pût , en feignant de le
fuppofer plus confidérable qu'elle ne le
croyoit intérieurement .
L'étranger, qui jouoit toujours avec elle
l'amour honnête & paffionné , reçut la
promeffe avec la plus vive reconnoiffance
, & donna ordre , qu'en la reconduifant
, on portât chez elle quatre mille écus
qu'il venoit de recevoir de fon banquier.
Les remercîmens de Rofette auroient
été dangereux fans doute pour la vertu de
Bélidor , fans fa feinte incommodité qui
duroit encore , & fur-tout fi elle - même
n'avoit pas commencé à jouer l'hypocrite
avec l'étranger , qu'elle efpéroit conduire
bien loin par ce manége très nouveau pour
elle.
A peine fe fût - elle retirée pour aller
jouir du plaifir de voir une auffi groffe
femme d'argent , que Bélidor , enchanté
d'avoir fi heureufement retiré des mains
d'une pareille femme la funefte promeffe
de fon fils , arrêta tous fes comptes dans
JANVIER . 1770. 61
l'hôtel qu'il habitoit , & fortit pour aller
prendre , dans un autre quartier de la
ville , un logement , un nom & un état
fort différens de ceux qu'il avoit eus dans
le voisinage de Rofette .
La furpriſe & le chagrin de cette fille,
lorfqu'elle apprit le lendemain que fon
Efpagnol étoit parti , furent d'abord allez
confidérables ; mais les cinq cens louis
qu'elle avoit tirés de cette aventure étoient
une affez douce confolation , & elle s'y
livra comme auroit fait toute femme de
fon efpece fans fonger davantage à lui ,
ni à Nervan , qu'elle étoit charmée d'avoir
perdu , & qu'elle remplaça bientôt
par un jeune étourdi , dont elle détruifit
en peu de tems la fortune & les moeurs.
Mais retournons à Bélidor.
Il ne pouvoit fe féliciter affez de s'être
bien tiré de l'affaire dans laquelle il s'étoit
embarqué. Rofette l'avoit difpenfé
de toutes les petites fauffetés auxquelles
il avoit prévu avec peine qu'il feroit obligé
de recourir pour l'amener à fes vues ,
elle s'y étoit elle - même préfentée . C'étoit
elle , qui la premiere , avoit parlé de la
promeffe , & qui en avoit offert le facrifice
, d'ailleurs affez bien payé par les 12
mille liv, qu'on avoit portées chez elle .
Il n'étoit plus queftion pour Bélidor que
62 MERCURE DE FRANCE .
de retrouver fon fils . Cernin , avec lequel
il avoit toujours été en commerce fecret
pendant toute l'intrigue dont nous venons
de parler , lui apprenoit que depuis
trois jours on n'avoit pas entendu parler
de lui. Cette difparution étoit inquiétante
; mais , ayant mis quelqu'un à fa ſuite,
il découvrit qu'il s'étoit retiré chez un
homme qu'il honoroit du nom de fon
ami , & qui étoit un joueur de profeflion
dont on ne connoiffoit ni la naiflance ,
(fans doute obfcure ) ni le pays , ni les
facultés.
Bélidor prend auffi - tôt fon parti , &
travesti comme il convenoit pour le nouveau
perfonnage dont il alloit fe charger,
il retourne au cabaret que fréquentoit le
valet du joueur. Il lie connoiffance avec
lui ; il paye pour ce valet & fon camarade
; leur donne un autre rendez - vous , s'y
trouve & fait encore les honneurs de la
taverne ; dit un mal prodigieux d'un prétendu
maître qu'il fe donne , & par . là
engage fon nouveau camarade à lui révé
ler l'horrible conduite de l'ami de fon
fils.
Il apprend que la nuit prochaine tout
eft difpofé pour une partie où deux jeunes
Anglois doivent être adroitement dépouillés
; que le joueur eft occupé depuis
JANVIE R. 1770. 63
'deux jours à préparer & à marquer des
cartes chez lui ; qu'il a fait ample provifion
de dez favorables pour cet important
rendez - vous.
Bélidor étoit curieux d'entendre parler
'de fon fils . Il demande fi Delpont ( c'étoit
le nom du joueur ) n'a pas quelques
amis qui le fecondent dans fes utiles expéditions
; on lui répond qu'il eft en fociété
de commerce avec un grand nombre
d'honnêtes gens de Paris , dont il eft,
pour ainfi dire le chef. Que , depuis quel
ques jours , il a donné afyle à un pauvre
diable ruiné de fond en comble ; mais
qui , malgré fa mifére , a encore une fauffe
délicateffe qui ne lui permet que d'être
tout au plus témoin de ce qui fe paffe
chez fon ami Delpont.
Avec ces inftructions un peu moins af-
Aigeantes que ne le redoutoit Bélidor , il
quitte fes amis , enchantés de fa libéralité
, & court chez un commiffaire , auquel
il fait fa confeffion & revèle tout ce
qu'il vient d'apprendre.
On promet de le fervir comme il le
'demande ; & en effet on fe tranſporte
chez Delpont avec bonne eſcorte , au moment
où les deux victimes angloiſes fe
laiffoient affez troubler par la conftance
64 MERCURE DE FRANCE.
de leur malheur , pour ne plus voir avec
quelle groffiereté on ofoit les duper.
La fauffeté des cartes & des dez bien
vérifiée , & l'argent dont les tables étoient
couvertes , rendu à ceux qui le demanderent
, on fe faifit de Delpont & de fon
ami Nervan qu'on conduifit auffi- tôt en
prifon.
Ce fut là que le fils de Bélidor réfléchit
amérement fur la conduite qu'il avoit
tenue jufqu'alors ; mais avec quelle furprife
& quelle honte ne vit- il pas le lendemain
fon cher Robert fe préfenter à
lui ! Il fe jeta dans fes bras fans ofer le
regarder , mais en l'arrofant de fes larmes.
Oh ! mon cher Robert , (s'écria - t- il )
vous voyez l'abîme où plonge une vie
défordonnée . Trop peu délicat fur le
choix de mes amis , j'étois celui de cet
homme que vous voyez là bas , trifte &
rêveur. Il peut avoir mérité fon fort ;
mais , daignez m'en croire , je fuis innocent
, & ne fus jamais fon complice ; vous
n'avez point encore à méfeftimer tout-àfait
le fils malheureux de votre ancien
maître . Oh ! Robert , voyez mon oncle ,
qu'il me tire de ce lieu , & qu'il m'obtienne
un paffeport pour nos ifles ; je veux
aller voir ces climats où mon malheureux
JANVIER . 1770. 65
pere s'occupa fi long- tems pour un ingrat .
Que votre attendrilfement m'eft précieux,
mon cher Robert ! Ah ! ce n'eft pas à vous
à verfer des pleurs.
-
Tout ceci peut fe calmer ; ( reprit Robert
, en fe remettant un peu ) mais fi vous
m'en croyez , féparez vous dans ce lieu
même de cet homme que vous appeliez
du nom de votre ami. Si vous n'avez
point partagé fa baffeffe , demandez une
chambre où , feul , vous puiffiez attendre
la grace dont votre étourderie a befoin.
Je prévois votre réponſe ; je fatisferai pour
vous à cette dépenfe.
Nervan fuivoit Robert avec joie , lorfque
Delpont court après lui . Eh ! quoi ,
vous m'abandonnez , ami , ( dit - il ) . Trop
tard pour mon honneur , répondit le fils
de Bélidor. Laiffe moi , malheureux , tu
m'as fait partager ta honte , & tu fais que
je n'ai point partagé ton infamie . Je ſerai
le premier à apprendre à tes juges l'indignité
de ta conduite .
Ne l'accablez point dans l'état où il
eft , ( dit Robert à Nervan ) venez , je vais
vous procurer au moins une retraite qui
ne vous confonde pas avec tous les criminels
dont cet endroit commun eft rempli.
Je vous ai vû des remords , puiffentils
s'augmenter encore & vous rendre di66
MERCURE DE FRANCE.
gne de la liberté dont je vais travailler à
vous faire jouir !
Dès que le faux Robert eut placé Nervan
dans un lieu moins fait pour l'avilir ,
il alla fe préfenter au magiftrat , à qui il
ne cacha rien de fon hiftoire & de celle
de fon fils , & bientôt il en obtint la grace
qu'il lui demandoit . A l'égard de Delpont
il fortit auffi le même jour ; mais
comme il étoit noté depuis long - tems , on
lui fignifia l'ordre de s'éloigner de Paris
de foixante lieues avec injonction de n'y
refter que fix jours.
On ne fauroit fe peindre avec quelle
joie Nervan fe revit en liberté. Il embraffa
mille fois fon libérateur , qu'il conjura
de ne plus l'abandonner . O Robert ! s'écrioit-
il , je vais me jeter aux pieds de
mon oncle ; il faut qu'il me pardonne mes
égaremens & qu'il m'aide à choisir un état
auquel je puiffe me livrer . Mais ne l'efpérez
plus , Robert , non , je ne fuis plus
votre maître , vous ferez mon égái ; vous
ferez plus , vous ferez mon feul ami, monguide
, mon confeil . Je vous vois des
fentimens. Je vous connois une ame fi
fort au deffus de votre état , que je ne
partagerai point le tort que vous a fait la
nature .
·
Robert fut tenté plus d'une fois d'emJANVIER
. 1770 .
67
braffer Nervan & de l'appeler fon fils ;
mais il crut devoir attendre encore quelques
jours pour s'affurer de la vérité du
changement qu'il appercevoit en lui . Il
craignit que cet attendriffement qui ſaiſit
toujours dans l'infame lieu qu'il quittoit,
ne fût la fource de cet enthoufiafme vertueux
, & que le tems ne ramenât trop
tôt les penchans du caractere. Il fe refufa
donc à l'envie qu'il eut de fe faire connoître
, & voulut fur tout le voir aux
pieds de fon oncle implorer des reffources
contre la mifére où il fe croioit. Il
jugea que cette humiliation , encore néceffaire
pour dompter fon orgueil , étoit
faite pour dédommager Cernin des peines
qu'il avoit prifes pour fon éducation .
-
Il le conduifit donc à la maiſon de fon
oncle qui , par hafard , étoit pour vingtquatre
heures à la campagne . Nervan
(lui dit- il ) j'efpére que l'heureufe difpo
fition où vous êtes actuellement de rentrer
en grace avec votre oncle ne ſe paffera
point jufqu'à fon retour. Non , non ,
Robert ( répondit Nervan ) je veux mériter
votre eftime ; je me fouviens de ce
qu'il m'en a coûté pour l'avoir perdue ;
vous m'aviez abandonné ; vous m'abandonneriez
encore , ne craignez pas que je
m'expofe à ce danger.
68 MERCURE DE FRANCE.
En ce cas ( dit Robert ) je crois qu'en
attendant Cernin , il faut que nous fortions.
On a pu favoir votre détention ,
& il eft effentiel pour vous de vous montrer
par tour .
Ils fortirent en effet enfemble , & lorf
qu'ils étoient prêts à rentrer, à la chûte de
la nuit , Robert entrevit la pointe d'un fer
qui alloit frapper Nervan. 11 fe précipite
entre elle & lui , & reçoit le coup , en
criant : ah ! malheureux Delpont !
me meurs , ô mon fils ! mon cher fils , j'ai
couronné mon amour , je vous ai fauvé la
vie.
... Je
Nervan , fur qui fon ami Robert étoit
tombé , put à peine fe retourner , & il ne
vit pointl'affaffin qui fuioit ; mais ce mot
de fils , répété deux fois , l'agite & le trouble
au point de ne pouvoir fecourir l'infortuné
qui s'appefantit fur lui . Il crie ; il
appelle du fecours , & on les entraîne tous
deux dans une maifon voifine.
Quel fpectacle pour Nervan de voir
Robert pâle , défait & baigné dans fon
fang. Il pouffe des cris affreux ; il l'embraffe
; il fe fent ferrer la main ; il le baigne
de fes larmes , mais Robert ouvre à
peine les yeux & ne peut dire un mot.
Les fecours néceffaires arrivent ; la bleffure
eft inquiétante , cependant on n'a
JANVIER. 1770. 69
point prononcé le mot affreux auquel Nervan
eût fuccombé.
Nervan , après le premier appareil , ne
quitte pas des yeux fon ami ; il attend
qu'il puiffe ouvrir les fiens . Un fentiment
profond donna fans doute des forces à
Bélidor . Son ame étoit preffée de confirmer
à Nervan ce qu'il lui avoit dit . Il fouleve
fa paupiere ; il voit fon fils . Oui ,
dit-il , oui , je fuis votre pere . Nervan , à
ce mot , fe précipite à fes pieds , en s'écriant
: ah ! je devrois mourir de honte de
vous avoir méconnu , en voyant tout ce
que vous faifiez pour moi . Il n'y a que la
nature capable d'infpiter l'amour que
yous m'avez montré. Oh ! le meilleur des
peres , vivez , vivez , pour éprouver ma
reconnoiffance .
On voulut les arracher l'un à l'autre
parce que Bélidor avoit befoin de tranquillité
; mais Nervan promit , fous tous
les fermens poffibles , de ne plus dire un
mot , pourvû qu'on ne le féparât point de
fon pere , & qu'il lui fût permis de le voir
& la nuit & le jour .
Heureufement pour tous les deux , le
mal fut moins confidérable qu'on ne l'avoit
craint. Le meurtrier n'avoir percé
que des chairs qui , bientôt , fe referme70
MERCURE DE FRANCE .
rent , & la tendreffe mutuelle du
pere &
du fils put éclater à fon aife.
Nervan devint le plus fage & le plus
tendre des fils . Il dut fes vertus & fon
bonheur au meilleur de tous les peres.
Quel amour ! que de peines & de foins
pour ramener un fils ! Ce feroit une hiftoire
affreufe que celle de l'oubli des peres
d'aujourd'hui fur ce point.
Fables imitées de l'allemand.
LES FURIES.
LEE prince des fombres lieux ,
Le vengeur des ames impies ,
Pluton tint l'autre jour au meffager des dieux
Ce difcours à peu- près. «Mercure , mes Furies
»Commencent à vieillir. Affez & trop long-tems
» Je m'en fers , m'en laffe & prétends
En avoir d'autres : va t'en faire
» Un tour là haut fur la terre .
>> Je te connois , tu n'es pas fot.
Choifis moi donc trois perfonnes gentilles
» Ou femmes , ou vcuves , ou filles ,
»Toutes trois propres , en un mot
» A remplir dignement la place
" Que je leur deftine ici bas . »
Gentil Mercure avec grace
Lui repartit , Seigneur , j'y vole de ce pas
JANVIER. 1770. 711
Et j'y vole en deux tire- d'aîles.
Huit jours après Junon caufant avec Iris ,'
Non au milieu des jeux , des plaifirs & des ris
Mais dans le fein des contraintes cruelles ,
Des noirs chagrins & des cuifans foucis ,
Lui dit , cours parmi les mortelles ,
Me trouver en ce moment
» Trois filles lages ; mais... fages parfaitement.
De mon projet toi feule peut répondre :
» Tu m'entends bien , Iris , je veux confondre
»L'infolente Vénus
Qui prétend ... mais c'eft un abus,
Avoir fubjugué toute fille
» Jeune & vieille , laide & gentille :
Tâche de me donner ce feul contentement. "
Iris part , & parcourt tous les coins de la terre
Et de la mer , mais inutilement ;
0
Alors grande fut fa colere.
pur effet d'un chafte fouvenir !
N'importe donc , il falloit revenir ,
Et revenir feule. Quelle trifteffe !
S'écria , de fort loin , la jaloufe déefle.
O pudeur! ô verru ! dans quels affreux mépris
Etes vous à préfent ? Déeffe , dit Iris ,
J'aurois pu t'amener trois femmes, non trois filles,
Farouches autant que gentilles ,
Qui , toutes trois , étoient fages parfaitement ;
Qui , toutes trois , n'ofoient pas même feulement
Regarder un homme en face ;
72
MERCURE DE FRANCE .
Qui , toutes trois , encor ignoroient en ce jour,
Et le nom de l'amant & celui de l'amour.
Mais je fuis arrivé trop tard ; quelle difgrace !
Comment trop tard ? reprit la fuperbe Junon ,
Faifant à ce propos une laide grimace.
Oui , Mercure venoit de les prendre , dit- on ,
Dans le moment : pour qui ? repart avec colere
De la folâtre Hébé , la fiere & trifte mere .
Iris lui répondit pour le feigneur Pluton !
Que veut faire Pluton de ces filles jolies
Et vertueufes ? ... Des Furies.
LE MONSTRE DE L'AMOUR.
Je lifois l'autre jour cette galante hiſtoire ,
£
Qu'il faut rimer afin de la faire mieux croire.
Au fiécle d'or que l'on eftime tant ,
Où l'on vivoit fans loix , fans armes & fans
crainte,
Où les coeurs le donnoient fans force & fans contrainte
,
éclatant :
On croit qu'Amour eut un regne
C'eft ma foi bien à tort ! Il fut fi peu content,
Qu'à Jupiter , un jour , il porta cette plainte :
ecSeigneur , j'ai des fujets , mais ils font trop fou-
כ כ
mis ,
" Dit-il , je regne & n'ai pas grande gloire ;
>>Je
JANVIER. 1770. 73
» Je ne veux plus enfin d'empire fans victoire ;
» J'aimerois mieux cent fois dompter des enne-
>> mis ,
»Donnez moi quelque monftre à l'inſtant à com-
« battre ,
»Ainfi qu'Hercule , un hydre, un diable à quatre.
A ce difcours Jupin rêve , invente & produit
L'honneur , le fier honneur , épouvantail des belles
,
Rival d'amour & maître des cruelles ,
Qui peut & fait beaucoup avec un peu de bruit.
Le petit dieu mutin le confidére en face ,
De près , de loin , & d'en bas & d'en haut ,
Par-devant , par- derriere , & puis faiſant un faut
Avec la plus élégante grimace :
«Puiffant pere des dieux ! dit- il , je te rends grace,
Le voilà, le voilà , le monftre qu'il me faut.» *
Par M. L. C. D. E. C.
BOUQUET à M. Philippe , Cenfeur-
Royal & Maître d'hiftoire , pour le jour
de St André , fa fête , 1769 .
NOTRE OTRE ami , Monfieur Andréas ,
Bonjour vous dis , & bonne fête.
* On imprime un recueil de fables allemandes
& de contes en vers du même auteur.
Yo l D
74
MERCURE DE FRANCE.
Si vous aviez force ducats ,
Comme où vous trouveroit honnête !
Et combien feroit de fracas ,
Tant de livres ayant en tête
Notre ami Monfieur Andréas i
Combien , fans peine & fans tracas ,
Il'leveroit bientôt la crête
Entre fçavans & fçavantas
Et beaux efprits plus délicats ;
Et tiendroit fon rang , fans requête ,
Dans ces deux troupes où l'on quête
Des Varrons ou des Vaugelas ?
?
O tems ! ô moeurs ! hommes ingrats !
Sans l'argent feul , dont on fait cas ,
Le mérite n'eft qu'une bête :
On le laiffe là fans foulas.
Témoin , fans aucune autre enquête ,
Mon ami Monfieur Andréas.
Moi-même , plus gueux que mes rats
Tandis que je gronde & tempête ,
J'en fuis réduit à dire , hélas !
Bon jour vous dis & bonne fête ,
Notre ami Monfieur Andréas .
JANVIER . 1770. 75
VERS adreffés à Mlle de B *** ,fille
de M. de B *** , Confeiller au parlement
de Paris.
Q
U E tu m'as fait verfer de pleurs ,
Jeune & tendre de B. !
Que j'ai fouffert de tes douleurs !
J'y penfe encore , & j'en friflonne ...
Tout le monde qui t'environne
M'auroit fouvent pris pour ta foeur. *
Quoi ! fur tes jours à peine en fleur ,
L'air fe déchaîne , & le ciel tonne?
Faut- il qu'un myrthe qui fleurit ,
Qui croît en paix dans un boccage ,
Et que chaqu'inftant embellit ,
Hélas ! foit frappé de l'orage !
Mais puifque le tems fans nuage
Finit tes maux & mes regrets ,
Puifqu'un fouffle agréable & frais
Agite à préfent ton feuillage :
Reprends donc vite tes attraits ,
* M. de B *** a eu la bonté d'appeler fouvent
à la campagne Mlle Philippe la fille ; Mlle
de B *** a bien voulu lui confirmer un titre
auffi flatteur.
Dij
76 MERCURE
DE FRANCE
.
Ton coup d'oeil riant , ta verdure ,
Tes doux parfums , ton négligé ,
Et ces graces de la nature
Que ton goût n'a jamais changé ;
Reviens à nous toujours charmante ,
Toujours aimable & careffante
Sur les aîles de la fanté .
Je reverrai ce qui me flatte ,
Ton front , ton fourire & tes yeux ,
Ton air ouvert , ingénieux ,
Ton ame tendre & délicate .
Tu fais porter dans tous les lieux
L'avantage délicieux
D'être en tout tems fage & fenfible ;
C'eft à cette pente invincible
Qu'on doit des jours vraiment heureux.
L'indifférence inattentive
Ne peut arrêter le deftin ;
Aucun objet ne la captive ,
Et tout le flétrit fous la main. '
Tu trouves bien plus doux fans doute
D'interroger fouvent ton coeur ,
De réfléchir avec lenteur ,
D'apprendre à diftinguer la route
Qui nous éloigne de l'erreur.
Plus ton coeur voit , fent , penfe , écoute ...
Plus il est proche du bonheur ;
Auffi jamais il ne repoſe ,
C'est ce que j'ai vu bien des fois :
"
19.77
Janvier,
Air tendre.
1770.
Non, ce n'est qu'aux amans heu
reux Que la nature paroit bel:-
le. C'est pour eux seuls que Zephire amou:
f
reux Fait eclore lafleur nouvelle,
Et les oiseaux ne chan tent, Ne
tent que pour eux . Non, ce
qu'aux amans heureux Que la na:
ture paroit bel
le .
De l'Imprimerie deRecoquilliee, rue du
Foin StJacques .
JANVIER. 1770. 77
Et jufques dans la moindre chofe
Le fentiment eft une roſe
Qui vient s'effeuiller fous tes doigts.
Par Mlle Philippe , fille du Cenfeur royal.
L'EXPLICATION du mot de la premiere
énigme du volume du mois de Décembre
1769 , eft le Paquebot , vaiffeau anglois ;
celle de la feconde eft les Pions des échecs ;
celle de la troifiéme eft le Cordier ; celle
de la quatriéme eft la culotte ; celle de la
cinquiéme eft les bas tricotés. Le mot du
premier logogryphe eft larme , où ſe trouvent
arme , rame , ame , lame , la , re ,
mer, male , râle , male , mal : Celui du
fecond eft havrefac , où l'on trouve Havre,
fynonyme de port de mer , & fac.
ENIGM E.
On trouve , vers les Antipodes ,
N
Un pays des plus incommodes ,
Humide & fombre en tous les tems
Sans nulle efpece de denrée ,
2
Diij
78 MERCURE
DE FRANCE
.
Où manque un des quatre élémens ,
Où , des cieux , la voûte azurée
N'a que trois aunes en tout lens.
C'est le pays des fables , je parie.
Non , cher lecteur , tu te méprends ;
C'eft celui de leur ennemie.
AUTRE.
>
RIEN de ftable dans l'univers ,
Quand j'en dérange l'harmonie :
Tu peux connoître par ces vers
Jufqu'où je pouffe la manie ,
Difons mieux , la bizarrerie.
Tu dois rire de mes travers ;
Car par moi la marche eft un charme ;
La lune , rien ; la vie , un jeu ;
Le ciel , une riviere , & tout amer eft arme ,
Si tu veux réfléchir un peu .
Saint Luc , moyenant ma magie ,
Deviendra fuivante partie.
Tout rond eft vent ; le monde eft un demon ;
Il n'eft pas chien qui ne traîne fa niche ;
La rufe eft fûre , & fi tu veux mon nom ,
En expédiens je ſuis riche.
Le crâne devient fer ; le hévre eft un reveil ;
Je change en acier le miel ;
JANVIER. 1770 79
C'est moi qui , le premier , rendis la tuile utile ;
Par moi le trône exhale une mauvaiſe odeur ,
Je le rends par mon art la choſe la plus vile.
A ce mot indifcret , tu me tiens , cher lecteur ,
Tu metiens , j'en fuis fûr , adieu je me retire ;
Ne vas pas te fâcher , le plus court eſt d'en rire.
Par M. de la Rozerie.
TE
AUTRE.
EINTE de fang , je brille aux champs de Mars.
Sous mes coups , vois les eſcadrons épars.
De mes fureurs fais parler les victimes ;
Elles diront qu'on me voit chaque jour ,
A table comme en ville , & fur-tout à la cour ;
Que j'aide trop fouvent l'aflaflin dans fes crimes :
Et fi tu veux me fixer autrement ;
Je fuis fille de la tempête ,
Le pilote n'eft qu'une bête ,
Si le tort que je fais il n'eftime aifément.
Par le même.
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
Di
A U TRE.
mes foeurs je fuis la derniere ;
Nous fommes deux fois douze. Un homme eft
notre pere.
Son nom , je ne m'en fouviens pas.
Pour me reconnoître , en tout cas ,
Ce nom n'eft pas bien néceflaire .
J'avoue ici de bonne foi
Que de rire , à chacun je fais naître l'envie ;
Eft- ce un nain , un pigmée à taille mal polic ?
De le railler , fi l'on a la manie ,
On dit qu'il eft fait comme moi !
Quoi qu'il en ſoit, j'ai fçu me couronner de gloire ,
En me trouvant toujours dans les hazards.
Je m'offre aux yeux de toutes parts ;
Et (ce qu'on aura peine à croire )
Je ne fuis point dans l'eau , dans le feu , dans les
airs ,
Ni même dans tout l'univers.
Je vais pourtant , & fane me contredire ,
Vous dire où l'on peut me trouver :
C'est toujours avec le zéphire ,
Au zodiaque encor .... Fort bien , allez vous dire,
Je n'irai pas vous y chercher.
Par M. T.
JANVIER . 1770. 1
LOGO GRYPH E.
Je fuis , fi l'on m'en croit , un remede à tous E
maux ;
Mais bien fou qui s'y fie ;
Car , malgré mes efforts & ceux de mes (uppôts ,
Je dois manquer mon coup une fois dans la vie.
Si ce portrait ne me décèle pas ,
Pour diffiper ton embarras ,
Je te dirai , d'après un fage ,
Qu'on doit me cultiver dès fes plus jeunes ans ;
Mais il eft aujourd'hui d'ufage
De m'abandonner à des gens ,
Qui me vendent à prix d'argent.
Malgré ma profonde ſcience ,
Ce n'eft qu'en tâtonnant qu'à mon but je parviens ;
Auffi dès que quelqu'un je tiens ,
Il a befoin de patience.
Je fais prefque mourir de faini
Celui qui tombe fous ma main ;
Et cependant , malgré cette abſtinence ,
De tout tems j'ai regné fur ce vafte univers .
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
L'on trouve en moi , le haut d'une montagne ,
Un fouterrain fatal à plus d'un combattant ,
Ou ce gefte muet dont on uſe fouvent.
Ce qu'on trouve en été dans toute la campagne ;
Un cruel Empereur Romain ;
Un peuple fameux dans l'hiſtoire ,
Ce qui tient le milieu du pain ;
Un héros amoureux ; la fille de ton frere ;
Mon premier officier ; un divifé par deux ;
Une ville d'Afie ; une autre de Provence :
Enfin , fi tu veux vivre heureux ,
Rends inutile ma ſcience.
Par M. de Madieres
A
AUTRE.
VEC cinq pieds , je fuis un inftrument ;
Orez en deux , je deviens vêtement.
Par M. Cat...
JANVIER. 1770. 83
AUTR E.
NNEMI de Phébus , je le fuis dans fa courfe .
Favori d'Orithie , on me voit gagner l'Ourfe ,
Quand l'ardent Phaeton , d'un pas précipité ,
Vient fondre les frimats du févere Borée.
Eſope , en fes vers m'a chanté :
Je prends l'eflor vers la voûte azurée .
On m'accufe de cruauté ;
Veux-tu , lecteur , fçavoir la vérité.
En deux divife moi : la premiere partie
Répand dans la forêt une mâle harmonic ,
Et la feconde exprime la beauté.
Par M. de la Roferie.
PORTÉ
AUTRE.
ORTE fur mes cinq pieds , je m'annonce avec
bruit.
Sous mes puiflaus efforts l'onde murmure & fuit.
Aux Nochers , à Cérès fouvent je fais la guerre.
L'arbre qui , vers le ciel , leve fa tête altiere
Eft fujet à mes coups comme l'humble roſeau :
Mon chef eft un dieu fur la terre ;
Mon refte trop ancien de l'homme eft le fléau .
Par le même.
D vj
34 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
Second recueil philofophique & littéraire
de la fociété typographique de Bouillon.
A Bouillon ; & fe trouve à Paris , chez
Lacombe , rue Chriſtine , in- 12 . Prix
br. 2 liv.
Nous avons rendu compte dans le
tems du premier volume de ce recueil
philofophique. La fociété typographique
de Bouillon eft une fociété littéraire ; les
morceaux qu'elle publie font de différens
genres ; ils préfentent beaucoup de choix
& de variété ; ils réuniffent fur tout l'inf
truction & l'agrément . Nous nous contenterons
d'en indiquer plufieurs qui doi.
vent être lus de fuite , & qui ne pourroient
que perdre dans un extrait ; tels
font les réflexions politiques fur le droit
naturel & les loix pofitives , & l'effai fur
cette question : Cicéron a- t il été plus éloquent
qu'ambitieux , plus utile que dangereux
àfa patrie. Nous nous arrêterons un
inftant fur les recherches de M. de Haren
fur la conduite des Hollandois au Japon ;
il s'attache à les juftifier de plufieurs reptoches
qu'on leur a faits fur la maniere
JANVIER. 1770. 85
dont ils ont ruiné le commerce des Portugais
& établi le leur dans cette contrée ;
il fait voir qu'ils n'ont fait que profiter
des circonstances , & qu'ufer quelquefois
de repréfailles fur une nation avec laquelle
ils étoient en guerre.
L'auteur examine fur- tout une queftion
curieufe : exige - t- on le Jefumi des
Hollandois , s'y font - ils foumis ? Cette
cérémonie fe fait au Japon dans les lieux
où l'on foupçonne qu'il y a des Chrétiens;
des commiflaires chargés d'une lifte des
noms des habitans de tout fexe & de tout
âge fe rendent fucceffivement dans toutes
les maifons avec deux images , l'une repréfentant
un Crucifix & l'autre la fainte
Vierge ou tout autre faint . Ils affemblent
dans une falle tous ceux qui habitent
cette maiſon , & leur font mettre les uns
après les autres le pied fur ces images.
Les enfans même n'en font pas exempts,
leurs meres ou leurs nourrices les amenent
, placent leur pied , & les foutiennent
pas le bras.
M. de Haren affure qu'on n'a jamais rien
exigé de tel des employés de la compagnie
; il n'ont même été témoins qu'une
fois de cette cérémonie , à l'occafion d'un
fait rapporté dans les regiftres du comp86
MERCURE DE FRANCE.
toir de Nangazaqui . En 1704 le gouver
neur fit venir les chefs du comptoir hollandois
pour examiner fix étrangers qu'on
avoit arrêtés & dont on n'entendoit point
la langue ; deux fe trouverent Hollandois
, un Flamand , deux Ecoffois & un
Anglois ; prifonniers des Efpagnols , ils
s'étoient fauvés dans une barque , &
avoient été conduits par le hafard au Japon
. L'un d'eux dit qu'il étoit proteſtant ,
& les autres voyant la fatisfaction que
cette nouvelle donnoit aux Hollandois ,
ne manquerent pas de fe dire de la même
religion . Les Japonnois qui avoient fait .
un inventaire exact de leurs effets , avoient
vu avec peine un livre de prieres dont
les Catholiques font ufage . Le propriétaire
de ce livre trouva une excufe qui fur
reçue ; cependant le gouverneur les fit
fouiller encore ; « Et à la grande confter-
» nation du confeil japonois , on trouva
» dans la poche de l'un des deux Hollan-
» dois , un chapelet avec une médaille
» au bout qui repréfentoit un faint. Cela
» mit de nouveau tout en allarme , & les ,
"
Japonois firent de grands reproches à
» cet homme de ce qu'il n'avoit point
» dénoncé ce chapelet à l'examen ; mais
» lui , fans fe démonter , répondit froiJANVIER.
1770. 87
» dement qu'il n'avoit pas cru qu'une
» babiole pareille valut la peine d'en par-
» ler , d'autant plus que ce n'étoit pas un
ود
chapelet , vu qu'il y manquoit beaucoup
» de grains ; & pour fon bonheur il mon-
» tra qu'il s'étoit fervi de quelques - uns
» de ces grains pour en faire des boutons
» à fa camifolle , où effectivement il y
» en avoit trois ou quatre qui fervoient
» à cet ufage , ce qui adoucit beaucoup
» les Japonois. »
Ces prifonniers avoient un journal parmi
leurs effets ; il appartenoit à l'un des
Hollandois ; on le remit aux chefs du
comptoir pour en rendre compte , ils y
découvrirent que cet Hollandois étoit
Catholique zélé , & qu'il fe vantoit d'avoir
converti à cette religion deux perfonnes.
Ils pouvoient les perdre tous en
déclarant ce qu'ils avoient découverts ;
ils fe contenterent de dire qu'aucun des
fix n'étoit prêtre , que l'un des Hollandois
avoit déferté de Batavia , & qu'ils le
réclamoient pour l'y renvoyer & l'y faire
punir. Le gouverneur Japonois ne fe contenta
pas de ces examens ; il fit un long
recit des perfécutions que les Catholiques
avoient effuyées , & de leur conftance à
fouffrir la mort plutôt que de commettre
un facrilége ; après cela il fit apporter les
88 MERCURE DE FRANCE .
images dont on fe fervoit pour exiger
le Jefumi , & il dit aux prifonniers de
cracher deflus avec mépris & de les fouler
enfuite aux pieds. Aucun ne balança .
On les fit fortir du pays en leur ordonnant
de s'embarquer fur les vaiffeaux
hollandois. Auffi - tôt qu'ils avoient été
arrêtés , on leur avoit bâri une cabane de
bois dans laquelle on les gardoit à vue ,
& on l'avoit brûlée auffi - tôt qu'ils l'avoient
quittée ; tous les foirs , pendant
leur route , ils en trouverent une nouvelle
qui , le lendemain , fut embrafée . Il
réfulte des recherches de M. de Haren ,
que les Hollandois plus habiles & plus
fages que les Portugais ne fe mêlerent
jamais des affaires politiques de l'empire
du Japon , & qu'ils profiterent des circonftances
pour s'y établir ; ils s'y font
maintenus en fe conduifant avec la même
fagelle , & fe foumettant aux loix qui
défendent de prêcher aucune religion
contraire au culte fuivi dans cet empire
.
Parmi les autres morceaux il y en a de
très - philofophiques & de très - curieux ,
mais la plupart ont trop d'étendue pour être
fufceptibles d'extrait ; ils font terminés
par un mémoire pour fervir à la vie d'Uriel
Acofta. Cet homme , fameux par fou
JANVIER . 1770 . 89
apoftafie & par fon inconftance , étoit
Portugais , d'extraction juive , mais né &
élevé dans le chriftianifme . Il fe fentit
entraîné vers la religion de fes ancêtres
; & réfolu de l'embrafler , il fe rendit
à Amfterdam avec ſa mere & fes freres
qui , perfuadés par fes difcours & par fes
exemples , en étoient venus à penfer comine
lui.
Ils fe firent tous circoncire à leur arrivée.
Bientôt Acofta s'apperçut que les
Juifs modernes avoient dégénéré , qu'ils
s'étoient fort écartés des loix de Moïfe ;
il s'avifa de faire des remontrances aux
chefs qui le menacerent de l'excommunier
s'il ne fe conduifoit pas comme les
autres ; fon zèle l'emporta , & la menace
fut exécutée. Il fe détermina alors à compofer
des écrits & à publier fa défenſe.
En s'occupant de ce travail , il crut faire
de nouvelles découvertes , & il fe convainquit
que Moïfe ne parle que de récompenfes
& de punitions temporelles ,
fans rien dire d'une vie à venir & de l'immortalité
de l'ame . Ses ennemis ne manquerent
pas de faifir cette occafion , & ils
irriterent les Chrétiens contre lui. Acoſta
éprouva beaucoup d'infortunes ; les enfans
le pourfuivoient dans les rues avec
90
MERCURE DE FRANCE.
des pierres ; on caffoit fes vîtres ; il fut
même mis en prifon & condamné à une
amende ; ces difgraces le firent tomber
dans une nouvelle inconftance ; il douta
de la loi de Moïfe , & bientôt il la regarda
comme fauſſe ; il crut cependant devoir
rentrer dans la compagnie des Juifs;
il fe rétracta extérieurement , & il fut abfous.
Il ne jouit pas long - tems de la
tranquillité qu'il avoit efpérée ; un de fes
neveux , qui vivoit avec lui , l'accufa de
manger des alimens profcrits par la loi ;
fes autres parens fe réunirent & le dépouillerent
de fes biens ; deux Chrétiens
qui vouloient judaïfer le confulterent &
il les en dégoûta ; ceux - ci l'allerent dénoncer
, il fut cité au tribunal ; obligé
de comparoître devant le Sanhedrin
comme il ne voulut pas fe foumettre à
la fentence , il fut excommunié de nouveau
, & plus malheureux encore qu'il ne
l'avoit été ; il prit enfin le parti de fe foumettre
une feconde fois ; il rend compte
ainfi de la maniere dont il fut réintegré
parmi les Juifs. « J'entrai dans la fyna-
" gogue que je trouvai auffi remplie de
» monde qu'on en voit dans les fpectacles
; on me fit avancer vers le pupitre
» dans le milieu de ce temple , & là , je
30
>
JANVIE R. 1770 . 95
"
?
99
و د
"
ود
» lus à voix haute , un écrit préparé par
les chefs de la fynagogue , & dans le-
" quel je confeffai : Que je méritois de
fouffrir mille morts pour les crimes que
» j'avois commis , nommément pour mon
infraction à la foi judaïque que j'avois
fi odieufement violée , que j'avois même
perfuadé à des Chrétiens de ne point embraffer
le judaifme ; en réparation de
» quoi , j'étois prêt d'obéir à tout ce qui
» me feroit preferit , & à fubir la fentence
prononcée contre moi , promettant de ne
» jamais plus retomber dans ce péché &
» dans ce crime. Quand j'eus fini on me
» fit defcendre de cette espece d'échafaut
qu'on avoit élevé vers le pupitre , &
» un des chefs de la fynagogue vint me
» dire à l'oreille de me retirer dans un
» coin du temple qu'il me défigna . Là ,
» je me dépouillai de mes habits , & me
» mis à nud jufqu'à la ceinture. J'ôtai
"
"
mes fouliers & je m'enveloppai la tête
» d'un linge blanc. Enfuite je fus lié à
❤une colonne , & le précenteur ou celui
» qui dirige le chant dans la fynagogue ,
» me donna trente- neuf coups de cour-
» roye , afin que , fuivant la loi , il n'ex-
» cédât pas le nombre de quarante . Tan-
» dis qu'on me fouettoit , on chantoit un
92 MERCURE
DE FRANCE
.
"
pfeaume de David. Après cette exé-
» cution , on me fit coucher par terre , &
» le prédicateur auffi - tôt vint m'abfou-
» dre de mon excommunication . Dans
» ce moment on me dit que les portes du
» ciel n'étoient plus fermées pour moi.
» Enfuite on me r'habilla , & l'on me
» conduit fur le feuil de la porte du
temple , où je me couchai tout de mon
long , n'ayant fimplement que la tête
foutenue par le portier de la fynago-
» gue. Alors tous ceux qui fortoient me
» marchoient fur le corps , les uns fur les
pieds , d'autres fur les bras , & d'au-
» tres fur le milieu du corps. Lorfque
» tout le monde fut forti , & après avoir
» eu tous les membres brifés , on me releva
, on m'ôta la pouffiere dont j'étois
» couvert , & l'on me ramena , ou plutôt
» on me traîna à ma maiſon. »
>>
""
Acofta voulut fe venger de fes parens
qui avoient été fes plus cruels ennemis
; il entreprit de tuer fon frere
ou fon coufin , car on ne fait pas lequel
des deux ; il lui tira un coup de pif..
tolet comme il rentroit dans fa maiſon ;
l'ayant manqué , il ferma la porte de fa
chambre , & prenant un autre piſtolet
JANVIER. 1770. 93
qu'il avoit préparé , il s'en brûla la cervelle.
Variétés littéraires & politiques , avec cette
épigraphe :
Simul & jucunda & idonea dicere vitæ.
HORAT.
A Stockholm , chez J. George Lange;
& à Paris , chez Lacombe , libraire , rue
Chriftine , in- 12. tom. I. 1. part .
Cet ouvrage , forti des preffes de Stockholm
, a pour objet de préfenter aux Suédois
un choix de piéces eftimées de notre
littérature , & de faire connoître aux
étrangers l'état des affaires publiques &
celui des lettres dans la Suéde . Il paroîtra
périodiquement , & on ſouſcrit à Paris
pour ſe fe le procurer. Le prix de chaque
partie , qui fera toujours de 120 pages ,
comme celle que nous annonçons , eft de
36 fols. Cette premiere partie offre du
choix & de la variété ; parmi les pieces
de vers qu'on y a recueillies , on diſtinguera
une épître de M. l'abbé de l'Ifle ,
fur la néceffité de la retraite pour les gens
de lettres ; les lecteurs reliront avec plaifir
une héroïde de M. de la Harpe , Socrate
94 MERCURE DE FRANCE .
à fes amis , dans laquelle ils retrouveront
cette poësie noble , harmonieufe & penfée
qui caractériſe fes ouvrages , & qui
s'eft fait remarquer dans fes premiers effais.
On ne fera pas fâché de voir auffi
une pièce de vers fuédois avec la traduction
à côté , adreffée à la Suéde le jour de
la naiflance du Prince Royal , le 24 Janvier
1769. Les morceaux de profe ne
font pas moins intéreffans ; les thèfes
philofophiques de M. du Roveray fur la
patrie annoncent l'homme inftruit & le
citoyen ; elles font peu fufceptibles d'extrait
ainfi que les réflexions politiques de
M. Gordon .
Nous nous emprefferons d'annoncer la
fuite de cet ouvrage lorfqu'elle nous parviendra
, & de mettre fous les yeux de
nos lecteurs les articles les plus curieux ,
lorfqu'ils en feront fufceptibles.
Le Voyageur François , ou la connoiffan
ce de l'ancien & du nouveau monde
mis au jour par M. l'abbé de la Porte .
A Paris , chez L. Cellot , imprimeurlibraire
, rue Dauphine ; Tom . IX &
X. Prix 3 liv. le volume relić.
Le fuccès de cet ouvrage eft décidé depuis
long- tems ; chaque volume qui pa-

JANVIER , 1770. 95
roît le confirme & l'augmente ; il n'eft
point d'histoire de voyages qui préfente
un plan plus vafte & en même tems plus
exact ; on fe promene avec l'auteur dans
toutes les contrées de la terre ; on étudie
avec lui leur hiftoire politique & naturelle
, le caractere , les moeurs , les ufa-,
ges , l'efprit des nations différentes qui
les habitent , tous ces détails fourniflent
beaucoup d'intérêt & de variété , femés
d'obfervations qui annoncent un voyageur
philofophe .
L'auteur eft arrivé dans le Canada ; il
jette un coup d'oeil rapide fur nos établiffemens
dont il donne une histoire
précife ; il fait connoître les peuples fauvages
qui habitent ce pays. Les Iroquois
qui occupent le côté méridional du lac
Ontario font célèbres par leur inclination
belliqueufe , & par leur pofition qui eſt
entre les colonies françoife & angloife.
Ils font doux , civils , affables à l'égard
de leurs amis , & féroces envers leurs ennemis
. On fait de quelle maniere ils traitent
les prifonniers qu'ils font à la guerre.
Lorfqu'on fait fortir un de ces malheureux
de la cabane où il eft renfermé pour
le conduire au lieu où on doit le tourmenter
, on lui dit : prends courage, mon
96. MERCURE
DE FRANCE
.
frere , nous allons te brûler ; il répond
froidement , c'eft bien fait , je vous remercie.
La fermeté de ces victimes eft
auffi extraordinaire que la fureur de leurs
bourreaux ; la férocité eft la fource de
l'une & de l'autre ; hommes , femmes ,
enfans , tous fé réuniffent contre l'infor
tuné ; on lui arrache les membres , pieces
par pieces ; les femmes fur- tout femblent
être plus cruelles ; l'unique barbarie qu'elles
fe refufent ou qu'elles n'exercent que
le plus tard qu'il eft poffible , c'eft la mutilation
du captif ; & c'eft fans doute
pour éviter cet affront que le patient , au
milieu des tourmens , a foin de les faire
fouvenir qu'il eft homme. Ces ufages
font communs à la plupart des peuples
fauvages de ces contrées .
Les filles , chez les Hurons , jouiffent
de la plus grande liberté ; elles en abufent
quelquefois . Lorfqu'elles font mariées
, elles fe refpectent davantage ; elles
ont l'adultere en horreur , peu s'en'
rendent coupables , ce qu'il faut peut - être
attribuer à l'ufage qui leur permet de
quitter leurs maris quand il leur plaît . La
cérémonie des mariages Hurons eft fort
fimple & fort courte ; mais les époux n'u
fent pas du droit conjugal avant l'année
révolue ;
JANVIER . 1770. 97
révolue ; fi le jeune marié ofoit en faire
la propofition à fa nouvelle époufe , elle
fe croiroit peu eftimée ; & on en a vu fe
féparer de leurs maris parce qu'ils avoient
eu cette indifcrétion ; ce qui les rend fi
réfervées , c'est peut- être l'efpece de hon .
te attachée par le préjugé à la groffeffe
d'une femme la premiere année de fon
mariage.
Quelques hordes de Hurons font moins
délicates fur l'adultere ; cet exemple le
prouve , ainfi le que peu d'égards que les
enfans ont fouvent pour leurs peres. « Un
fauvage , qui avoit long- tems fervi dans
" nos troupes contre fa propre nation ,
» rencontra fon pere dans un combat , &
l'alloit percer lorfqu'il le reconnut . Il
» s'arrêta , & lui dit : j'ai reçu une fois de
» toi la vie ; je te la donne aujourd'hui ,
» mais ne te retrouve pas une feconde
» fois fous ma main ; car je fuis quitte
» de ce que je te devois . Ce fils dénaturé
» fe nommoit la Plaque ; les François
» l'avoient fait lieutenant dans nos trou-
» pes , pour le fixer parmi eux , parce
qu'il étoit brave & bon guerrier . Mais
» il ne put y refter , & s'en retourna dans.
» fa nation , n'emportant de chez nous ,
» que nos vices fans en avoir corrigé au-
» cun des fiens. Il aimoit éperdument les
1. Vol.
"
E
98 MERCURE DE FRANCE .
"
ور
"
femmes , & fa valeur lui donnoit un
grand relief. Auffi fit- il bien des épou-
» fes infidèles & des maris mécontens.
» Ses défordres allerent fi loin qu'on dé-
» libéra dans le confeil , fi l'on ne prendroit
pas le parti de s'en défaire. Il fut
» conclu qu'on le laifferoit vivre , parce
qu'étant auffi brave en amour qu'à la
» guerre , il peupleroit le pays d'excellens
» foldats . "
"
""
Les fonges forment un point effentiel
de la religion des Hurons ; ils leur accordent
la confiance la plus aveugle ; la
veille d'un jour de combat , ils ne manquent
pas de fe rappeler leurs fonges & de
les expliquer ; ceux qui en ont fait de
malheureux fe retirent , perfonne ne les
blâmant ; ce préjugé fuperftitieux ne laiſſe
pas d'être fort commode pour les lâches ;
il est pouffé fort loin . « Ce n'eft pas feu-
» lement celui qui a rêvé qui doit fatisfaire
aux obligations qu'il imagine lui
» être impofées ; ce feroit un crime que
» de lui refufer ce qu'il defire dans fon
» rêve . Un fauvage ayant vu à un François
une couverture meilleure la
que
» fienne , y rêva , & la lui demanda . Le
François la lui donna de bonne grace ,
» comptant bien d'avoir fa revanche . Peu
de jours après il va trouver fon homme,
30
"
JANVIER . 1770. 99
»

» & lui voyant une belle fourrure , feignit
d'y avoir rêvé , & le fauvage la
» livra fans le faire prier . Cette alterna-
» tive de fonges dura quelque tems ; mais
» le fauvage s'ennuyant le premier , par-
» ce qu'il perdoit toujours le plus à ces
» fortes d'échanges , alla trouver le François
& lui fit promettre qu'ils ne rêve-
» roient plus à rien qui pût appartenir à
» l'un ou à l'autre . Mais voici quelque cho-
» fe de plasfort. Un Huron ayant rêvé que
» le bonheur de fa vie étoit attaché à la pof-
» feffion d'une femme mariée à un des plus
» confidérables du village , lui en fit faire
, la demande. Le mari & la femme vi-
» voient dans une parfaite nion , & la
féparation devoit être bien fenfible à
» l'un & à l'autre. Cependant ils n'ofe-
» rent la refufer & fe quitterent. Le mari
» abandonné prit un nouvel engagement
» pour ôter tout foupçon qu'il penfoit
» encore à fa premiere époufe. »
L'auteur paffe enfuite dans les colonies
angloifes ; les premieres ont été formées
par des non - conformistes qui vinrent
chercher dans l'Amérique Septentrionale
un afyle contre la perfécution ; ils acheterent
des fauvages le terrein fur lequel
ils s'établirent ; mais à peine cefferent- ils
d'être perfécutés qu'ils devinrent intolé-
Eij
100 MERCURE DE FRANCE .
rans ; ils firent éprouver aux autres les
maux qu'ils avoient foufferts ; la Nouvelle
Angleterre devint le théâtre des fureurs
de leur zèle . La Penſylvanie a été
exempte de toutes ces atrocités ; le caractere
doux & pacifique de fes premiers
colons s'eft perpétué ; c'eft aujourd'hui la
colonie la plus floriffante ; nous rapporterons
une anecdote affez finguliere qui
peut donner une idée du degré de liberté
& de tranquillité dont chaque citoyen
jouit dans cette province. " Une fem-
» me , d'un certain âge , tombe malade &
" fe voit bientôt à l'extrêmité ; l'idée de
» fes enfansqui font encore jeunes vient
» troubler fes derniers momens. Elle fait
» venir fon mari & lui confie la crainte
qu'elle a que la nouvelle femme qu'il
prendra ne les maltraite . Elle le conjure
de feremarier avec la groffe &jeune Rofi .
» ne, domeftique fidèle qui les a toujours
" fervis avec affection . Le mari regar-
» de d'abord ce difcours comme un effet
» du délire ; mais fa femme exige de lui
>>
ן כ
33
>> qu'il jure d'époufer cette fille ; il fait
» le ferment par complaifance . Le len-
» demain , fe défiant de la promeffe de
» fon époux , elle l'appelle auprès de fon
» lit avec Rofine, déclare à celle- ci qu'el-
» le va la marier avec un homme qu'elle
JANVIER. 1770. 101
laiffera bientôt veuf , l'exhorte à l'ai-
» mer fidèlement , & à donner tous fes
foins à fes enfans & à fon ménage . Ro-
ود
"
93
"
fine en pleurs promet tout ce qu'on
» veut ; la moribonde les unit elle - mê-
» me , reçoit leurs fermens , & les force
à mettre le mariage en état de ne pou-
» voir être rompu . Cependant la malade
guérit ; mais le mari qui a pris du goût
» pour la nouvelle femme , déclare à
» l'ancienne qu'il ne veut point la quit-
» ter ; que puifqu'elle l'a contraint de
l'époufer , il la gardera toute fa vie .
» Loin de s'en fâcher , la vieille en eft
enchantée , embraffe fon mari , & témoigne
toute fa fatisfaction . Jamais
» le moindre orage n'a troublé la paix &
» l'union de ce double ménage . La jeune
époufe en a plufieurs enfans dont la
» vieille a pris foin de même que de la
» mere pendant fes couches . Celle - ci , de
» fon côté , n'a pas ceffé d'avoir , pour
l'ancienne , les égards & les fentimens
qu'elle lui devoit comme à fa bienfai-
» trice . Les jours du Bigame ont coulé
» fans inquiétude , & perfonne ne s'en
» eft fcandalifé . »
"
و ر
">
>>
Le voyageur fe rend enfuite dans la
Louifianne qui lui fournit un grand
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.

nombre de traits intéreffans que les bornes
d'un extrait ne nous permettent pas de rapporter
; il arrive enfuite au Mexique ; l'ignorance
eft générale dans ce pays ; on raconte
qu'une Créole trouva , par hafard, un
exemplaire des métamorphofes d'Ovide ; "
il le remit à un religieux qui le prit pour
une bible angloife ; les figures qu'il trouva
à la tête de chaque métamorphofe furent
fes preuves. Voilà , s'écria-t- il , comme
ces hérétiques adorent le diable qui les
change en bêtes . La prétendue bible fut
jetée enfuite dans un feu qu'on alluma
exprès. Les tribunaux de la juftice ne font
point exempts de l'ignorance générale .
J'ai vu porter dans une même audience
» la même fentence fur deux cas directe-
» ment oppofés . Quand on eut fait com-
» prendre au juge cette contradiction , il
» fe leva fur fon fiége , & juta par tous
les faints que ces chiens de Luthériens
Anglois lui avoient enlevé parmi fes
livres , ceux du Pape Juftinien , dont il
» fe fervoit pour juger les caufes douteu
» fes ; mais que fi ces huguenots repaf-
» foient par la Nouvelle Efpagne , il les
» feroit tous brûler. » L'auteur termine
ces volumes par la Californie ; on ne peut
qu'en defirer la fuite avec impatience .
"
JANVIER. 1770. 103
L'ouvrage entier formera le cours
plus complet & le plus intéreffant qui
exifte fur l'hiftoire & la géographie .
L'Art des expériences , ou avis aux amala
teurs de la phyfique : fur le choix ,
conftruction & l'ufage des inftrumens ;
fur la préparation & l'emploi des drogues
qui fervent aux expériences ; par
M. l'abbé Nollet , de l'académie royale
des fciences , de la fociété royale de
Londres , de l'inftitut de Bologne, &c .
maître de phyfique & d'hiftoire naturelle
des Enfans à de France , & profeffeur
royal de phyfique expérimentale
au collège de Navarre ; 3 vol . in 12 .
de plus de soo pages chacun avec 56
planches gravées en taille- douce. A Paris
, chez P. E. G. Durand , neveu , libraire
, rue St Jacques , à la Sagelfe .
Cet ouvrage eft comme le fupplément
des leçons de phyfique expérimentale de
l'auteur ; il eft divifé en trois parties ,
dont la derniere partie eft , à proprement
parler , le corps du livre. De trois volumes
, dont il eft compofé , elle en occupe
deux , où les amateurs trouveront des
inftructions particulieres fur chaque expérience
; mais comme M. l'abbé Nollet
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
a prévû que plufieurs d'entr'eux , par goût,
ou par néceffité voudroient conftruire euxmêmes
les machines , ou en conduire la
conftruction , préparer les drogues ou les
tirer d'un laboratoire de province, le plus
fouvent borné à la plus fimple pharmacie
, il s'eft vu obligé d'enfeigner en général
comment on travaille les différentes
matieres auxquelles un phyficien, dénué
de fecours , pourroit avoir affaire ;
c'eft ce qui fait le fujet du premier volume
divifé en deux parties.
"
"
Les principales matieres dont nous
" faifons nos inftrumens , dit l'auteur ,
» font le bois , le métal & le verre ; nous
» nous fervons de celui - ci à caufe de fa
tranfparence , & de ceux- là , à cauſe de
» leur folidité. Si nous employons quelqu'autres
fubftances , c'eft rarement &
» en petite quantité ; telles font certaines
parties animales , l'ivoire , l'écaille , la
» corne , la peau ou le cuir , &c. ou bien
quelques matieres métalliques qui ne
vont pas feules , mais dont on fe fert
» avec les inftrumens proprement dits
» pour produire certains effets , comme
» le mercure , l'aimant , le bifmuth , l'an-
» timoine , &c. Je parlerai des premieres
à la fuite des bois , parce qu'elles fe
"
JANVIER . 1770. 105
» travaillent à peu-près comme eux ; &
» je dirai ce qu'il y a à favoir fur les au-
» tres à l'occafion des métaux , à caufe de
l'analogie qu'elles ont avec eux , foit
» par leur nature , foit par la maniere de
» les traiter ; ou bien je les renverrai au
» chapitre des drogues .
.
13
Après cet expofé , M. l'abbé Nollet
entre en matiere , par quelques avis fur
le choix du bois en général , fur celui des
efpeces qui conviennent le mieux pour la
conftruction des inftrumens , fur la maniere
de les débiter & de les conferver.
Enfuite il s'étend fur les différentes façons
dont le bois eft fufceptible entre les mains
du ménuifier & du tourneur . « Le bois ,
» dit- il , rendu au laboratoire , fe fcie, fe
» coupe & s'ébauche avec la hache , la
plane ou le cifeau : il fe dreffe , s'unir
» & fe corroye avec le rabot : il reçoit
» différentes formes & moulures : il fe
» perce , il s'affemble , il fe colle : on le
» gratte , on le polit , on le cire , on le
peint. » Voilà le précis du premier
chapitre , qui apprend en détail les outils
dont on doit fe pourvoir pour façonner
les différens bois , la maniere de s'en fervir
, les formes & les ornemens qui conviennent
le mieux , les accidens qui peu-
"
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
vent nuire à la perfection de l'ouvrage , le
moyen de les éviter , d'y remédier, & c .
"
Dans le fecond chapitre , M. l'abbé
Nollet traite des métaux , & commence
par dire comment il faut les choifir & les
préparer avant que d'en venir à les façonner
: enfuite il enfeigne la maniere de
travailler chacun d'eux . Voici comme
il annonce ce qu'il a à dire fur cette partie,
« Les métaux , dit -il , fe fondent &
» fe coulent dans des moules ; on les for-
» ge à chaud eu à froid ; on les durcit , &
» l'on augmente leur élafticité ; on les
» coupe à la fcie ou au cifeau ; on les per-
» ce à chaud & à froid ; on les façonne
» en les faifant paffer par des filieres , on
» les lime , on les ufe , on les aiguile avec
» des fables ou fur de certaines pierres ;
» on les tourne , on les affemble par des
» brafures , par des foudures , par des rivûres
, par des goupilles , par des vis :
» enfin , on les polit , & on leur fait pren-
» dre un brillant dont ils font plus
fufceptibles qu'aucune autre marie-
» re. » Toutes ces manieres de travailler
les métaux auroient fourni une matiere
immenfe , fi chacune d'elles eût été traitée
dans toute fon étendue ; mais M. l'abbé
Noller , ne perdant point de vue fon
و و
و د
ود
JANVIER . 1770. 107
objet , inftruit fuffifamment l'amateur à
qui il parle , en ne lui difant que ce qu'il
aura befoin de favoir.
Dans le troifiéme chapitre , il s'agit du
choix du verre & des différentes façons
qu'on peut lui donner quand il eft forti de
la verrerie . M. l'abbé Nollet , après avoir
dit ce qu'on doit obferver fur le choix &
la qualité du verre , & fur les précautions
qu'il faut prendre pour fe procurer des
pieces d'une forme convenable , d'une
jufte épaiffeur , d'une belle tranſparence ,
& qui ne foient point fujettes à fe caffer
fans qu'on y touche , comme cela n'arrive
que trop fouvent , enfeigne comment on
doit faire les modèles qu'on envoie aux
verreries , & ce qu'on doit obferver pour
les pieces affujetties à des mefures précifes
: après quoi il continue ainsi. « Vous
» avez fouvent , dit- il , à retrancher quei-
» ques parties aux pieces de verre ou de
» criftal que vous voudrez faire fervir à
» vos expériences ou à la conftruction de
quelques unes de vos machines . Je ne
» vois que trois moyens à choisir pour
» cette opération ; le premier , c'eft'd'u-
» fer ce qu'il y a de trop fur une platine
» de métal avec du grès battu & de l'eau,
» le fecond , c'eft de le gréfiller avec la
30
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
pince du miroitier ou avec le gréſoir
» du vitrier ; le troifiéme , c'eft de le cou-
» per. »
Le premier moyen , celui d'ufer le
verre , donne occafion à M. l'abbé Nollet
d'apprendre à fon lecteur comment on
taille les verres concaves & convexes ,
en les frottant avec certaines poudres &
de l'eau , dans des baffins de formes convenables
; avec les inftructions qu'il donne
fur ce fujet , un homme un peu adroit
pourra fe paffer du fecours d'un lunetier
pour des verres qui n'auront pas befoin
de la derniere perfection , ce qui fuffit
dans bien des cas . Après cela fuit la defcription
d'une machine propre à couper
le verre & à le percer. L'équipage de l'émailleur
avec les principales manipulations
de fon art . La maniere d'amollir le
verre au fourneau , foit pour en former
des maffes propres à faire des prifies ,
foit pour courber des glaces pour en faire
des miroirs concaves & convexes ; des
lentilles creufes pour y renfermer de l'eau
ou d'autres liqueurs , & c .
La feconde partie de l'ouvrage dont
nous rendons compte roule fur le choix
des drogues fimples & fur la maniere de
préparer celles qui doivent être compo
fées.
JANVIE R. 1770. 109
« Les drogues fimples , dit l'auteur , à
» proprement parler , font celles que nous
recevons immédiatement des mains de
» la nature , & fur lefquelles l'art ne s'eſt
point encore exercé : cependant fous
» cette dénomination on comprend bien
» des fubftances que l'on a déjà travail-
» lées , foit pour les épurer en leur enle-
» vant ce qu'elles ont d'étranger , foit
» même pour changer par quelques ad-
» ditions leurs qualités naturelles , & les
> rendre par- là propres à certains ufages.
» C'est dans un fens encore bien plus
» étendu que j'emploie ici le nom des
drogues fimples : Je vous donne géné-
» ralement comme tel tout ce qui fe vend
» communément & fans être commandé
» d'avance dans les boutiques des apothicaires
ou des droguiftes , & je n'en
» exclus que ce que vous ferez obligé
» de compofer vous - même ou de faire
» compofer exprès pour vos expériences.
» Je fuivrai l'ordre alphabétique afin que
» vous puiffiez trouver plus aifément les
articles auxquels vous aurez affaire.
Après ce préambule fuit le chapitre pre-
» mier , qui eft intitulé : Indication des
» drogues dont il faut fe pourvoir pour pré-
» parer les expériences.
"
وو
N
">
Le fecond chapitre commence ainfi
110 MERCURE DE FRANCE.
« Tant que vous pourrez acheter des dro
" gues toutes préparées par un bon ar-
» tifte , je vous confeille de prendre ce
" parti préférablement à celui de les com-
» pofer vous même : vous épargnez beaucoup
de tems , bien de la peine & mê-
» me de la dépenfe ; car un homme de
la profeffion , qui à un laboratoire tout
» monté , fera toujours mieux que vous
» & avec plus d'économie , s'il faut faire
» entrer en compte l'appareil que vous
» ferez obligé d'avoir pour vous mettre en
état de travailler . »
» Mais je conçois , continue M. l'abbé
» Nollet , que vous pourrez y être forcé
» par les circonftances ; que , placé dans
» le fond d'une province & éloigné des
"
grandes villes .... vous ferez obligé de
» mettre la main à l'oeuvre vous même >
» au rifque d'effuyer des dégoûts d'un apprentiffage
, & de gâter plufieurs compofitions
avant d'en faire une bonne .
"
"
Ce chapitre eft divifé en deux articles.
Dans le premier , M. l'abbé Nollet enfeigne
comment il faut difpofer & meubler
le laboratoire , où l'on puiſſe travailler
& préparer les drogues ; mais
n'ayant en vue que ce qui est néceffaire à
la phyfique expérimentale , & même ſe
bornant à celle que renferment fes leçons
JANVIER. 1770 .
imprimées , il n'exige qu'un appareil affez
fimple & le moins difpendieux . Après
cela il donne une idée des principales
opérations dont le phyficien aura befoin ,
& il lui enfeigne en général comment il
doit les conduire .
Le fecond article contient cinquantequatre
préparations ou compofitions fur
chacune defquelles M. l'abbé Nollet donne
à fon lecteur toutes les inftructions
dont il peut avoir befoin , tant pour conduire
le travail à fon but que pour éviter
les pertes dede tems , les dépenfes inutiles
& les accidens fâcheux .
»
Le troifiéme chapitre contient des inftructions
fur l'emploi de différens vernis
dont on trouve la compofition à la fin du
chapitre précédent. " Prefque tous les
» bois de nos inftrumens , dit M. l'abbé
» Nollet , font peints avec des couleurs
détrempées au vernis d'efprit de vin ,
» & une partie de ceux qui font de métal
» font auffi couverts d'une peinture au
» vernis gras. Non - feulement ils en font
» plus agréables à voir ; mais plufieurs
» d'entr'eux étant fujets à être fouvent
» mouillés , cette efpece d'enduit empê-
» che l'eau de pénétrer dans les affemblages
, qui , fans cela , feroient bientôt
pourris ; elle préferve les bois tendres
112 MERCURE DE FRANCE.
و د
» de la piqûure des vers , ce qui n'eft
point un petit avantage ; elle empêche
» que les métaux ne fe rouillent : elle
difpenfe du foin de les frotter fouvent
» pour fauver aux yeux le défagrément
de les voir fales & tachés. »
97
M. l'abbé Nollet enſeigne d'abord la
maniere de peindre le bois ou le métal
avec des couleurs détrempées , foit avec
le vernis d'efprit de vin , foit avec le vernis
gras ; il apprend à diftinguer les moulures
& les revers par des couleurs différentes
de celles du fond : il indique celles
de ces couleurs qui conviennent le
mieux ; & il explique comment on donne
le luifant à toute la piece , quand elle
eft peinte. « Voilà , dit- il , ce qu'on peut
» faire foi - même fans le fecours des
peintres & des verniffeurs ; heureuſe-
» ment c'est ce qu'il y a de plus néceffaire
» & ce qui peut fuffire . Je conviens que
» les machines ont un agrément de plus,
lorfque , fur les fonds peints en noir ,
» en rouge , & c. on apperçoit des orne-
» mens de bon goût , qui les égayent &
qui relevent leur trop grande fimpli-
"
"
»
» cité . »
Après cette réflexion , M. l'abbé Nollet
continue d'enfeigner l'art du verniſfeur,
en expliquant comment on prépare
JANVIE R. 1770 . 113
& comment on applique le mordant;
comment on le couvre avec des feuilles
d'or , d'argent , de cuivre , ou avec des
bronzes & des aventurines de différentes
couleurs , ou avec des pailletes de quel-.
qu'un de ces métaux enfin , de quelle
maniere on rehauffe les couleurs tranfparentes
en les appliquant fur certaines par>
ties déjà couvertes de métal . Ces manipulations
générales font fuivies d'inftruc
tions plus particulieres fur la maniere de
deffiner les ornemens ; fur les parties auxquelles
ils conviennent , le tout accompagné
d'exemples & d'avis fur les moyens
de les varier.
Enfin pour ne rien laiffer à defirer fur
cette partie , M. l'abbé Nollet offre aux
perfonnes qui prendront goût à cette efpece
de travail , tout ce qui refte à favoir
fur l'art de traiter les vernis . Il leur apprend
comment on doit les polir , foit
avant que les fonds foient ornés , foit
après qu'on les a décorés par des peintures
, par des ornemens en or , en argent ,
en aventurine. Ce chapitre eft terminé
par des remarques fur certaines précautions
qu'il faut prendre en employant les
vernis , & par un tableau des couleurs
qui vont le mieux avec tel ou tel vernis,
114 MERCURE DE FRANCE.
& du mêlange defquelles il réfulte telle
ou telle nuance. Voilà ce que contient le
premier volume : en le lifant il eſt aifé
de reconnoître , par la méthode & la clarté
qui y regnent , que l'auteur n'a écrit que
ce qu'il a vu & pratiqué lui - même , &
qu'une longue expérience l'a mis en état
de choisir les moyens les plus fimples &
les plus fûrs.
Quoique les deux autres volumes forent,
comme nous l'avons dit plus haut à proprement
parler , le corps de l'ouvrage qui
fait le fujet de cet extrait, nous ne croyons
pas qu'il foit néceffaire d'en faire ici une
analyfe exacte ; il fuffira de dire que cette
troifiéme partie , qui eft la plus étendue ,
offre , aux amateurs , des avis particuliers
fur chacune des expériences qui font employées
dans les leçons de phyfique de
l'auteur , & fur celles qu'il a ajoutées par
occafion dans ce nouvel ouvrage ; qu'on y
trouve la conftruction & l'ufage d'un
grand nombre de machines nouvelles ou
perfectionnées ; & , quant aux manipulations
, dit M. l'abbé Nollet , « Je fuis entré
dans un fi grand détail , qu'on m'ac-
» cufera peut être de m'être appefanti
fur des minuties ; mais j'ai mieux aimé
m'expofer à ce reproche qu'à celui d'a-
·
JANVIER . 1770. 115
"
» voir laiffé quelqu'un de nos jeunes
phyficiens dans l'embarras , ou dans le
» cas de manquer une expérience qui
pourroit par- là devenir dangereufe : au
refte , je n'offre mes avis qu'à ceux qui
» croiront en avoir befoin ; le lecteur qui
» trouvera quélque chofe de trop , pourra
le laiffer à part & penfer que ce n'eft pas
» pour lui que je l'ai écrit . "
M. l'abbé Nollet , pour rendre fes defcriptions
& fes enfeignemens plus clairs
& plus intelligibles, a employé cinquantefix
planches proprement gravées : il en
auroit fallu bien davantage ; mais par
une fage économie il a fait fervir les figures
qui acompagnent fes leçons de phyfique
imprimées , qu'il cite en marge toutes
les fois qu'il en a befoin. Il regrette ,
avec raifon , que fes nouvelles planches
ne foient pas du format in 4 ° . pour repréfenter
les objets avec de plus grandes
proportions ; mais l'art des expériences
étant comme la fuite du premier ouvrage
qui eſt in 12. , il étoit comme indifpenfable
que l'un fût conforme à l'autre . Au
refte ce qu'on a perdu par le défaut d'étendue
, on s'eft appliqué à le regagner par
la correction du deffin & par la netteté de
la gravure qui en a été faire toute entiere au
116 MERCURE DE FRANCE.
burin , & l'auteur a eu foin d'énoncer encore
dans le difcours les mesures de chaque
piece , toutes les fois que cela lui a
paru de quelque importance.
Cet ouvrage , promis & attendu depuis
long tems , paroît aujourd'hui fort à- propos;
toutes les univerfités du royaume ,
animées d'une nouvelle émulation , s'appliquent
, comme de concert , à perfectionner
les études , & font entrer la phyfique
expérimentale dans leur plan : elles
ne feront plus arrêtées par la difficulté de
fe procurer des inftrumens. Le profeffeur
zélé rendra de vive voix les avis de M.
l'abbé Nollet à quelques artiſtes choifis
qui travailleront fous fes yeux & qui meubleront
fon école à moins de frais que s'il
falloit avoir recours aux ouvriers de la
capitale , & courir les rifques d'un tranfport
difficile & difpendieux . La préface ,
qui eft à la tête du premier volume , nous
apprend que c'eft là l'intention de l'auteur.
Elle est bien digne d'un académicien
qui a confacré les jours à l'étude de
la phyfique , quia fçu la faire goûter à la
cour & à la ville, & qui employe tous les
moyens poffibles pour en étendre les progrès
, & pour affermir fon regne par des
établiffemens folides.
JANVIER. 1770. 117
Pfyche , poëme en huit chants ; par M.
T'abbé Aubert , pour fervir de fuite à
fon recueil de fables , avec des notes
& des pieces fugitives du même auteur.
A Paris , chez Moutard , libraire,
quai des Auguftins , à S. Ambroife ,
LR- 12 ,
Tout le monde connoît le roman de la
Fontaine ; cet écrivain naïf & charmant
s'eft abandonné dans l'hiftoire de Pfyché
à toute fa facilité & à toute fa négligence
; on regrette fouvent qu'il foit trop
long ; mais quelques morceaux qui fuccédent
promptement à ceux qui caufent
ce reproche , font ordinairement oublier
ce défaut. M. l'abbé Aubert , qui a fait
une étude particuliere de ce poëte , & de
fa maniere de peindre qu'il femble avoir
affez bien faifi quelquefois dans quelques-
unes de fes fables , a effayé de marcher
encore fur fes traces dans les aventures
de Pfyché ; il les a dépouillées des
longueurs , des détails inutiles & fouvent
minutieux de fon original ; il en a fait un
petit poëme, où l'on trouve des morceaux
intéreffans & bien faits. L'ouvrage de la
Fontaine eft trop connu pour que nous
nous arrêtions fur celui de M. l'abbé Aubert
, qui fuit précisément la même mar118
MERCURE DE FRANCE.
qui
che , en élaguant toujours fon texte &
quelquefois en y faifant des changemens
vont toujours au même but ; fouvent
il a rendu les mêmes idées que la Fontaine
a rendues en vers , & il s'attache à
ne pas le copier. Nous cirerons quelques
morceaux de comparaifon que M. l'abbé
Aubert nous fournit lui même dans fes
notes ; nous nous arrêterons d'abord au
debut. Voici celui du nouveau poëte :
L'enfant cruel qui tourmente nos ames ,
N'eft pas exempt des maux qu'il fait fouffrir..
Même on a vu les redoutables flammes ,
Ses traits puiflans aider à le punir.
Il eft aveugle, & peut avec les armes,
Lorfqu'il médite un dangereux deflein ,
En fe bleffant venger le genre humain.
Pfyché lui plût ; Pfyché , de qui les charmes
Furent pour elle une fource de larmes.
Ainfi fouvent le ciel fait à nos coeurs
Payer bien cher les dous de la nature.
De cette belle , écoutez l'aventure :
Je vais chanter la gloire & fes malheurs .
La Fontaine avoit dit :
Le dieu qu'on nomme Amour n'eſt pas exempt
d'aimer.
Afon flambeau quelquefois il fe brûle ;
JANVIE R. 1770. 119
Et fi les traits ont eu la force d'entamer
Les coeur de Pluton & d'Hercule ,
Il n'eft pas inconvénient
Qu'étant aveugle , étourdi , téméraire ,
Il fe blefle en les maniant.
Je n'y vois rien qui ne ſe puifle faire:
Témoin , Pfyché , dont je vous veux conter
La gloire & les malheurs chantés par Apulée ,
Cela vaut bien la peine d'écouter ;
L'aventure en eft fignalée.
Le premier morceau eft peut- être plus
correct , mais il n'a pas les graces du dernier
; elles en rachettent bien la négligence.
Dans le fecond chant , Pfyché eft
tranſportée dans le palais de l'Amour. On
lui chante des paroles auxquelles elle
prend plaifir ; les idées des deux poëtes
font les mêmes , la meſure des vers & le
nombre de ceux qui compofent les deux
couplets font abfolument emblables ;
c'eft ainfi font ceux de M. l'abbé Aubert.
que
Du dieu charmant , à qui tout facrifie ,
Dans vos beaux jours éprouvez les douceurs.
C'est au printems qu'on voit naître les fleurs ;
Et les plaifirs font les fleurs de la vie .
Jeune Pfyché , formez de tendres voeux :
Aimez , aimez ; l'amour ſeul rend heureux .
120 MERCURE DE FRANCE.
Sur votre coeur cédez lui la victoire ,
Les plus beaux lieux languiffent ſans l'amour ;
Jupiter même , au célefte féjour ,
S'il n'aimoit pas s'ennuyeroit de la gloire.
Belle Pfyché , formez de tendres voeux ,
Aimez , aimez : l'amour feul rend heureux .
Il eft difficile de méconnoître la Fontaine
dans les couplets fuivans .
Tout l'univers obéit à l'amour ;
Belle Plyché , foumettez lui votre ame.
Les autres dieux , à ce dieu font la cour ,
Et leur pouvoir eft moins doux que la flamme.
Des jeunes coeurs c'eft le fuprême bien ,
Aimez , aimez , tout le refte n'eft rien.
Sans cet amour , tant d'objets raviflans ,
Lambris dorés , bois , jardins & fontaines ,
N'ont point d'appas qui ne foient languiflanss
Et leurs plaifigs font moins doux que fes peines ,
Des jeunes coeurs c'eft le fuprême bien :
Aimez , aimez , tout le refte n'eft rien.
Dans la defcription du palais il y a
beaucoup de longueurs dans la Fontaine ;
c'eft ainfi que M. l'abbé Aubert en rend
un morceau .
Pfyché , fur-tour , admire en ce léjour
Une
JANVIER. 1770. 12L
Une fuperbe & vafte galerie ,
Où l'on voyoit , en l'honneur de l'amour ,
Briller encor l'art de la broderie.
Là, Cupidon débrouillant le chaos ,
Autour du feu faifoit tourner la terre ,`
Semoit les vents , domptoit l'orgueil des flots.
Ailleurs , aux pieds de l'enfant de Cythère ,
Le fils d'Alcmene oublioit fes travaux ,
Mars , fa cuiraffe , Atropos , fes ciſeaux.
Mais , à fon tour , à Cupidon lui -même ,
Une mortelle avoit donné des loix .
A fes genoux , fans fleches , fans carquois
Il l'afluroit de fon ardeur extrême.
La Fontaine place quatre tapifferies
dans cette galerie ; on regrette que M.
l'abbé Aubert n'ait pas confervé la defcription
qu'il en donne ; nos lecteurs
feront fans doute bien aife de la trouver
ici .
Dans la premiere on voyoit un chaos ,
Maffe confufe , & de qui l'aflemblage
Faifoit lutter contre l'orgueil des flots
Des tourbillons d'une flamme volage.
Non loin delà dans un même monceau ,
L'air gémifloit fous le poids de la terre ;
Ainfi le feu , l'air , la terre avec l'eau ,
Entretenoient une cruelle guerre.
I. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
Que fait l'Amour ? volant de bout en bout,
Ce jeune enfant , fans beaucoup de myftere ,
En badinant , vous débrouille le tout ,
Mille fois mieux qu'un fage n'eût fçu faire.
Dans la feconde , un Cyclope amoureux ,
Pour plaire aux yeux d'une nymphe jolie ,
Se démêloit la barbe & les cheveux ;
Ce qu'il n'avoit encor fait de fa vic.
En fe mocquant la belle s'enfuyoit :
Amour l'atteint , & l'on voyoit la belle
Qui , dans un bois , le Cyclope prioit
Qu'il l'excusat d'avoir été rebelle.
La defcription des deux autres tapifferies
eft en profe. Il y a d'autres endroits
où M. l'abbé Aubert a été plus heureux
que fon modèle ; fon ouvrage en général
fe fait lire avec plaifir , mais il n'y a pas
toujours affez de chaleur ; & c'eft la flamme
qui conftitue le poëte : les pieces fugitives
qu'on trouve à la fuire offrent
quelques détails agréables & de la facilité.
Recueil chronologique & analytique de
tout ce qu'a fait en Portugal la fociété
dite de Jefus , depuis fon entrée dans
ce royaume en 15 40 jufqu'à fon expulJANVIE
R. 1770 .
123
1
fion en 1759 ; mis au jour par ordre de
Sa Majefté Très- Fidèle , & compolé
par le docteur Jofeph de Scabra da Sylva
, confeiller de la chambre des requêtes
& procureur général . A Lif
bonne , chez Michel Manefcal da Cofta
; & fe trouve à Paris , chez Barrois ,
libraire , quai des Auguftins , in- 12 .
tomes II & III.
·
Nous avons rendu compte du premier
tome de ce recueil curieux dans le fecond
volume du Mercure de Juillet de
cette année . On fuit , dans ces derniers ,
l'hiftoire de la fociété dans le royaume de
Portugal depuis fon établiffement on y ;
montre tout ce qu'elle a fait fous chaque
regne . On lui reproche fur tout d'avoir
inondé le Portugal d'une infinité d'ouvrages
fuperftitieux , capables d'y allumer
le feu du fanatifme ; parmi ces productions
abfurdes dont on parle , nous nous
arrêterons à celle - ci , dont le titre feul
peut donner une idée . « Jardin agréable,
monarchie portugaife, empire de Chrift,
prophéties , oracles , prédictions , pronoftics
& révélations de plufieurs faints
" & faintes , religieux & ferviteurs de
» Dieu , perfonnages illuftres & aftrolo-
"
"
33
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
$9
99
» gues les plus fameux qui , éclairés du
» Saint -Efprit , ont écrit fur la durée du
» royaume de Portugal , à Deo dato , de
» fon élévation à la dignité impériale en
» la perfonne du méconnu des Efpagnes ,
» & derniere monarchie du monde , re-
» cueillies & mifes en ordre par le licencié
Pédréanés de Alvélos , né au bourg
d'Abiul , profefleur de philofophie en
» l'univerfité de Coïmbre , dans l'ordre
» intellectif, l'an 1635. » Les Jésuites ,
dit l'auteur du recueil , ne fongeoient
qu'à accroître leur crédit , & , pour yparvenir
, ils excitoient des révolutions ; par
des accufations injuftes , ils écartoient de
la perfonne du Roi , les miniftres les plus
fidèles , les plus fages , & dont les confeils
auroient pu leur nuire ; ils avoient foin
de fe faire charger de l'éducation des jeunes
princes ; il eft aifé de voir comment
ils s'en acquittoient , par ce paffage de la
vie du prince Don Théodofe , écrite par
Jean - Baptifte Domingue. « Nous pour-
» rions connoître , dit-il , toute l'étendue
des lumieres de ce prince dans l'aſtro,
» nomie & l'Aftrologie , fi l'on avoit im-
» primé un ouvrage de fa compofition ,
» que l'on garde dans les archives roya
les , & qui eft intitulé : Summa aftraJANVIER.
1770 . 125
=
"
"
" nomica , in duos divifa libros : primes
» de aftronomia , fecundus de aftrologia.
» Autore D. Theodofio Lufitano , anno
» ætatis fuæ duodecimo labente 1646.
» Auffi fit- il divers pronoftics que l'évé-
» nement vérifia . Il dit de l'Infant Don
Alphonfe qu'il regneroit & occafionne-
» roit des troubles. Ses pere & mere , dans
» une converfation où il étoit préfent ,
» ayant agité laquelle des Infantes fe ma-
» rieroit , il dit que ce feroit l'Infante
» Dona Catherine , parce qu'il avoit ob-
» fervé de grandes chofes à fon fujet. » De
pareilles connoiffances ne faifoient pas
honneur à l'instituteur de ce prince . Dans
ces tems d'ignorance , l'aftrologie judiciaire
marchoit avec les révélations ; par
ces deux moyens on prétendoit lire dans
l'avenir & découvrir les fecrets les plus
cachés ; lorfque les lumieres de la philofophie
ont décrédité l'aftrologie , on s'en
eſt tenu aux révélations ; c'eft Dieu luimême
qui les accorde aux mortels , & certainement
on ne peut pas foupçonner
qu'il n'en ait le pouvoir ; on impute à la
fociété d'avoir fouvent abufé de la religion
des perfonnes qui avoient confiance
en elle pour leur en impofer. A la fin de
cet ouvrage on entre dans des détails affez
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE. '
"
étendus fur la derniere révolution de Portugal
; la plupart des chofes que l'on rapporte
de Malagrida annoncent la plus
grande fcélératefle , un fourbe conſommé;
lorfqu'il fut remis à l'inquifition , il conferva
ce caractere ; on cite plufieurs paragraphes
de fa fentence , qui font trèscurieux
; il continuoit de prophétifer , lorfque
fes juges l'avertirent de renoncer à
fes fictions , & de confeffer fes fautes. II
répondit qu'il étoit abfous de toute fau-
» te & peine par N. S. J. C. , & qu'il ne
favoit pas pour quelle raifon on n'ajoutoit
pas foi à la vérité de fa dépofition
affirmée par ferment , tandis que les
révélations de quelques fervantes de
Dieu qui n'avoient ni tant fouffert , ni
» rendu d'aufli grands fervices , & dont
» l'une étoit la vénérable foeur Marie de
» Jefus d'Agreda , s'étoient accréditées ,
»& que la nuit précédente à cette décla-
» ration qu'il faifoit , il avoit eu , lui cri-
» minel , une vifion intellectuelle des
» peines que fouffroit l'ame de Sa Ma-
»
و د
כ
jefté , & avoit entendu les reproches
» que lui faifoient quelques ames devo-
» tes , dans des termes qu'il a déclarés ,
»pour les perfécutions de la compagnie ;
» que les perfonnes qui concouroient à la
JANVIER. 1770. 127
» deſtruction de fon ordre éprouveroient
» les mêmes châtimens ou d'autres fem-
» blables , & qu'il n'y avoit dans ces cho-
» fes aucune impofture , puifqu'elles
» étoient révélées à un homme à qui , par
» un privilége fpécial , la très fainte Ma-
» rie adminiftroit tous les jours l'abſolu-
» tion dans la forme fuivante : Dominus
nofter Jefus Chriftus , filius meus te abfolvat
, & ego auctoritate ipfius , te abfolvo
ab omnibus peccatis tuis & pænis.
" In nomine Patris & Filii , & c. »
39
"
»
Nous bornerons ici l'extrait de cet ouvrage
qui doit piquer la curiofité , & qui
la fatisfera. Il eft actuellement fini ; mais
il feroit à fouhaiter que le traducteur y
eût joint les pieces juftificatives ; il pourroit
encore les publier par fupplément , &
ce ne feroit pas la partie la moins curieufe
de fon recueil .
Hiftoire , antiquités & defcription de la
ville & du port du Havre de Grace ,
avec un traité de fon commerce & une
notice des lieux circonvoifins de cette
place ; par M. l'abbé Pleuvri . Seconde
édition revue , corrigée & augmentée .
A Paris , chez Dufour , libraire , rue de
la Vieille Draperie , près le palais , au
bon Paſteur , in- 12.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
M. l'abbé Pleuvri a fenti le ridicule de
la manie des hiftoriens des villes particulieres
qui fe font égarés en recherches
inutiles pour leur donner une antiquité
reculée , comme fi quelques fiécles de
plus ou de moins ajoutoient à la gloire
actuelle du lieu . Loin de chercher à reculer
l'origine de la ville du Havre , il
releve une méprife du Pere Daniel , qui
la faifoit plus ancienne qu'elle ne l'eft
réellement ; & il a apporté autant de foin
à le convaincre d'erreur qu'un autre en
auroit pris pour foutenir cette méprife
favorable à une vanité mal entendue ,
dont peu de peuples & peu d'hiftoriens
ont été exempts. C'est à l'an 1516 qu'il
rapporte la fondation du Havre- de- Grace .
François I , pour oppofer une barriere aux
courfes des Anglois & pour mettre la
Normandie en fûreté , réfolut d'y établir
une place forte ; les marais du Havre furent
choifis , & on commença à bâtir la
ville. François I. voulut lui donner fon
nom ; mais les premiers habitans , c'eſtà
- dire les pêcheurs qui y étoient établis ,
ne purent pas s'y accoutumer , & le nom
de Havre de Grace prévalut . Le Roi faifit
en fa main le territoire de cette ville
& fupprima toutes les rentes qu'en percevoit
le feigneur de Graville ; il voulut
JANVIER . 1770. 129
abfolument être l'unique feigneur de cette
place importante . M. l'abbé Pleuvri
poutfuit fon hiftoire jufqu'au tems préfent
, nous ne nous arrêterons par fur les
événemens , ils font liés avec ceux qui
compofent l'hiftoire de la monarchie ; les
fondations particulieres n'appartiennent
qu'à la ville , mais font peu fufceptibles
d'extrait. Il n'oublie pas les perfonnes célèbres
qui font nées au Havre - de Grace ;
on trouve dans cette lifte M. & Mile De
Scudery, Mde de la Fayette , Dom Garet,
de la congrégation de St Maur , à qui l'on
doit une édition des oeuvres de Caffiodore
, M. Hantier , qui étoit à la fois ma-,
thématicien , peintre & graveur , & c .
Son ouvrage eft terminé par un traité
du commerce maritime du Havre - de-
Grace , & une notice détaillée de fes environs
. Il y a beaucoup de recherches , de
critique & d'exactitude dans cette hiftoire.
Elle a fur- tout un mérite qu'on trouve
aujourd'hui rarement dans les hiftoires
particulieres , celui d'être très - courţe.
Cours de latinité ; par M. Vaniere . Ouvrage
utile à tous ceux qui étudient la
langue latine , & néceffaire à toutes les
perfonnes de l'un & de l'autre fexe qui
veulent l'apprendre aifément , en peu
F v
130 MERCURE DE FRANCE.
de tems , fans le fecours des maîtres
& fans déranger le cours de leurs occupations
ordinaires. A Paris , chez Antoine
Boudet , imprimeur du Roi , rue
St Jacques , in- 8 °.
On connoît le cours de latinité de M.
Vaniere. La réputation de cet ouvrage eft
faite on regrette feulement que la mort
ne lui ait pas permis de l'achever ; on fe
propofe aujourd'hui de le continuer ; le
fecond volume que nous annonçons fe
diftribuera feuille par feuille ; on en recevra
une toutes les femaines : la premiere
, qui paroît déjà , fert de profpectus à
l'ouvrage , on y donne une légere idée
de la vie de M. Vanierc ; il naquit à Coffe
près de Beziers , dans la province de Languedoc
, en 1696. Il entra d'abord chez
Les Jéfuites , qu'il quitta à l'âge de 30 ans.
Il avoir 52 ans lorfqu'il fe maria ; les réflexions
qu'il avoit faites fur la méthode
longue , féche & rebutante qu'on fait dans
l'éducation , & fur tout dans l'étude de la
langue latine , l'engagerent à compofer fon
cours de latinité ; fa fortune trop bornée
ne lui permit pas de fe livrer entierement
à cet ouvrage , & de l'achever ; il efpéra
l'augmenter par le four économique qu'il
imagina , & pour lequel il obtint un priJANVIER
. 1770.
1770. 131
vilége exclufif; mais la nature même de
cette machine l'empêcha d'en tirer un
grand parti ; elle étoit trop chere pour les
gens du commun , à qui elle auroit convenu
par l'épargne du combustible, & elle
étoit inutile aux gens en état de l'acheter.
M. Vaniere mourut auprès de Corbeil le
12 Avril 1767. On ne peut que fçavoir
gré au continuateur du cours de latinité
de M. Vaniere ; il fuit exactement le plan
qui lui a été tracé par l'inventeur de cette
méthode déjà apperçue avant lui , mais
fur laquelle perfonne n'avoit encore écrit;
il est bien fingulier en effet que l'ufage de la
compofition fe foit établi de préférence à
la verfion , & qu'il prévale encore dans la
plupart des colléges. M. Vaniere avoit
choisi pour fes leçons , ce que les écrivains
anciens ont dit de mieux fur le
fpectacle de la nature. Le fecond volume
roulera fur les devoirs de l'homme ; on
y rapportera les exemples des vertus héroïques
les plus propres à échauffer le
coenr & à l'encourager à les imiter ; il fera
terminé par un tableau abregé de ces devoirs
, tiré du traité de Cicéron . Ce volume
fera, fuivi d'un troifiéme , où l'on
offrira toutes les fciences dans l'ordre le
plus naturel , avec les avantages qui les
F vj
132 MERCURE DE FRANCE .
accompagnent ; & on y joindra à la fin une
rhétorique & une poëtique , puifées dans
les auteurs qui ont le mieux parlé de ces
deux arts. Le dernier volume ouvrira aux
yeux de l'élève la fcène du monde & le
tableau des paflions qui l'agitent . Il faut
s'adreffer chez Boudet pour fe
procurer
cette fuite du cours de latinité .
Difcours fur les Lettres & fur les Arts . A
Rome ; & fe trouve à Paris , chez Fetil
, libraire , rue des Cordeliers près de
celle de la Comédie Françoife , in - 12 .
Prix 30 fols .
Ces difcours font au nombre de trois ;
l'auteur s'attache à répondre à celui de M
Rouffeau contre les fciences ; les lecteurs
trouveront peut- être que c'est s'y prendre
bien tard , & un grand nombre pourra juger
que cela étoit inutile ; on connoîr
l'adverfaire des fciences ; le Public appréciera
facilement leur défenfeur. Le premier
difcours a pour objet de montrer
combien les fciences & les arts influent
fur les moeurs d'une nation ; il n'étoit
peut-être pas néceffaire de prouver qu'ils
les rendent plus douces , plus polies , plus
décentes ; il fuffit d'ouvrir l'hiftoire & de
lire. Nous citerons ce morceau qui donJANVIE
R. 1770 .
133
">
"
>>
و د
39
nera une idée de la maniere de l'orateur.
« Les vaftes déferts de l'Amérique & , de
l'Afrique dépoferont fans doute en fa-
» veur de l'ignorance ... Quels horribles
» tableaux ils préfententà mon imagina-
» tion effrayée ! Là des hommes barbares
» fe difputent la chair d'un malheureux
» qui , lors même qu'il lutte contre la
» mort, ofe encore la braver par fes chants
de victoire ; ici la foibleffe d'un pere
» eft un crime que la mort feule peut expier.
Là on engraiffe les hommes com
» me autant de victimes ; ici des fem-
» mes , indignes du nom de mere , ne fouhiitent
de le devenir que pour fe ralfafier
de leurs propres enfans. Ainfi ces
» peuples inhumains fembloient vouloir
le difputer en cruauté aux animaux farouches
qui infeftent leurs déferts . Leurs
freres n'étoient pour eux que de vils
troupeaux deftinés à les nourrir. Voyez
» vous , dans cette ville immenfe , dont
les richetfes & la fplendeur ont étonné
» l'Europe , ces tours formées des offe-
» mens blanchis des victimes humaines ,
"
4
$
و د
و د
و د
immolées fur un autel déteſtable ; ces
» tours qui ne s'élèvent vers le ciel que
pour l'outrager , & pour y porter l'orgueilleux
témoignage de l'aveuglement
» du peuple qui ofa les conftruire. » >
"
ן כ
134 MERCURE DE FRANCE .
La poëfie est l'objet da ſecond difcours.
L'auteur prend un autre ton ; il entreprend
de développer comment on doit étudier
les poëtes , comment on peut , fans avaler
le poifon qu'ils cachent quelquefois
fous les fleurs , goûter la nourriture agréa
ble & folide qu'ils nous préfentent . Son
raifonnement eft bien fimple ; il faut ne
lire que ce qui peut l'être fans danger &
éviter tour le refte. Le dernier difcours
eft le plus intéreffant ; il traite de l utilité
de l'établiſſement des écoles de deffin en
faveur des métiers relatifs aux arts. « Un
» magiftrat , digne d'entrer dans les vues
» du grand Colbert , a fenti ce qui man-
» quoit à fon ouvrage ; l'exécution des
» loix dont les détails font confiés à fes
» foins , l'ont accoutumé à examiner fans
préjugé , cette partie de la nation qui ,
» placée aux derniers rangs de l'état , en
» porte tout le fardeau ; il a pu fe con-
» vaincre aifément combien elle renfer-
» me de talens déplacés , combien de
"9
grands hommes , combien d'arriftes fu-
» blimes fe confondent dans la foule &
» meurent ignorés , il a connu toute l'é-
» tendue du mal , & cette connoiffance ,
» loin de le rebuter , n'a fervi qu'à l'exciter
à en découvrir le remede. ' Que
» d'autres cherchent dans les projets qu'ils
"
30
30
JANVIE R. 1770. 135
99
adoptent un éclat paffager qui puiffe
rejaillir fur leurs noms , une ame tou-
» jours guidée par le bien public, ofe adop-
» ter des projets qui ne font qu'utiles ; tel-
» les font les écoles de deffin , établies
» dans l'enceinte de la capitale . Afyles heu-
» reux , deſtinés à l'enfance des arts , où
» l'émulation échauffe le génie , dévelop-
» pe & cultive les talens trop fouvent
» étouffés par la pauvreté , toujours alte-
» rés par une éducation groffiere. » Nous
ne nous arrêterons pas davantage fur ces
difcours , qui ne font pas fans mérite , &
dont le dernier fur- tout roule fur unfujet
intéreffant.
L'Ingénue ou l'encenfoir des Dames ; par
la Niéce à mon Oncle. A Geneve ; &
fe trouve à Paris , ches Des Ventes de
la Doué , libraire , rue St Jacques,visà
- vis le collège de Louis le Grand ,
in- 12.
Sur ce titre l'Ingénue , on feroit tenté
de croire qu'on a voulu faire le pendant
du roman charmant qui a paru il y a quel
que tems ; dès les premieres pages on eft
bien détrompé. On s'attache ici à faire
l'apologie des Dames ; on rappelle une
multitude de faits tirés de l'hiftoire & de
136 MERCURE DE FRANCE.
la fable qui font honneur au beau fexe ,
cet ouvrage eft dans le genre de plufieurs
qui ont para fur la fin du fiécle dernier ,
dont les auteurs prétendoient au titre
d'hommes galans & de bon ton . Quelques
foibles qu'il foient , celui - ci leur eſt
encore inférieur ; on a voulu rendre aux
femmes un hommage dont elles feront
peu flattées.
>
Traité hiftorique des Plantes qui croiffent
dans la Lorraine & les trois Evéchés
contenant leur deſcription , leur figute ,
leur nom , l'endroit où elles croiffent
leur culture , leur analyfe & leurs propriétés,
tant pour la médecine que pour
les arts & métiers ; par M. J. Buchoz ,
médecin naturalifte Lorrain , & de
feu Sa Majesté le Roi de Pologne ,
membre du collége royal des médecins
de Nancy , & de plufieurs académies ,
& c. A Paris , chez Durand neveu , rue
St Jacques , chez Didot le jeune , quai
des Auguftins , & Cavelier , rue Saint-
Jacques ; tome IX.
Ce traité , de M. Buchoz , devoit contenir
vingt volumes ; les plantes évacuantes
qui forment la premiere claffe de fa
divifion , rempliffent les huit premiers voJANVIER.
1770. 137
lumes que nous avons annoncés fucceffivement
lorfqu'ils ont paru. Les plantes.
altérantes devoient faire l'objet de douze
volumes fuivans ; des raifons particulieres
forcent M. Buchoz à refferrer fon plan ,
& à réduire tout l'ouvrage à dix volumes;
le neuvième , que nous annonçons contient
un abrégé fuccinct des plantes altérantes
qui fera terminé dans le dixième ,
qui ne tardera pas à paroître. La mort du
feu Roi de Pologne , duc de Lorraine &
de Bar , fous les aufpices duquel cet ouvrage
avoit été entrepris , & celle de plufieurs
feigneurs qui vouloient bien auffi
le protéger , font une des caufes de cette
réduction . L'auteur devoit joindre quatre
cens planches à fon traité ; mais il ne s'y
étoit engagé qu'autant qu'il trouveroit
des perfonnes affez zélées pour contribuer
aux frais des gravures ; le manque
de fecours pour cet objet l'oblige auffi à
les réduire à deux cens ; il en a fait graver
une certaine quantité à fes dépens
pour completer ce nombre. On ne peut
donner trop d'éloges au zèle & au travail
de M. Buchoz , que rien n'a pu décourager
; l'abrégé qu'il donne des plantes altérantes
, quelque fuccinct qu'il foit , offre
des détails fuffifans pour fatisfaire les
amateurs de l'hiftoire naturelle .
138 MERCURE DE FRANCE.
Hiftoire d'Emilie Montagut ; par l'auteur
de Julie Mandeville , traduit de l'anglois.
A Paris , chez le Jay , libraire ,
rue St Jacques , au deffus de la rue des
Mathurins , au grand Corneille ; quatrę
parties in- 12.
Ce roman eft dans la forme épiftolaire
, comme celui de Julie Mandeville ,
qui a eu beaucoup de fuccès en Angleterre
, & dont la traduction françoife a
paru vers la fin de 1764. Celui que nous
annonçons n'offre pas moins d'intérêt &
de vérité.
>
Le colonel Rivers , l'homme du monde
le plus aimable & le plus honnête
mais peu riche , abandonne fon petit patrimoine
à fa mere & à fa foeur , & va
tenter la fortune en Amérique ; il fe propofe
d'y faire un établiffement ; arrivé à
Montréal , il y fait connoiffance avec une
jeune Angloife , Miff Endilie Montagut ;
il apprend avec douleur qu'elle eft deftinée
à Sir Georges Clayton ; il ne peut réfifter
aux premieres impreffions de l'amour
, mais il fe garde bien de faire connoître
fa paffion à celle qui en eft l'objet ;
il refpecte les engagemens qu'elle a pris ;
il la fuit même pour parvenir à fe vaincre,
mais fes efforts font inutiles.
JANVIE R. 1770. 139
Emilie , de fon côté , n'eſt point infenfible
au mérite de Rivers ; elle s'apperçoit
qu'elle n'a jamais aimé Sir Georges , &
frémit à l'idée feule de lui donner la main
fans fon coeur. Heureufement pour elle ,
Sir Georges , qui étoit le cadet de fa famille
, en eft devenu l'appui par la mort
de fon aîné ; fa mere , qui avoit confenti
à l'anir avec Emilie , regrette d'avoir
donné fon aveu , & n'ofe pas le rétracter;
elle fait cependant fentir que la circonftance
a mis fon fils en état de prétendre à
une très- riche héritiere ; Emilie ne veut
pas mettre obftacle à l'avancement de Sir
Georges ; fon amour naillant pour Rivers
, & fa délicateffe la déterminent à
rompre . Le colonel a droit de foupçonner
la part qu'il a dans cette rupture , &
il en eft tranfporté ; il eft au défefpoir
de n'être pas auffi riche que fon rival
pour dédommager Emilie qui , de fon
côté , n'a point de fortune ; il prend le
parti de s'établir en Amérique ; il y vivra
heureux en poffédant Emilie ; il fait divers
voyages pour examiner des terreins
qu'on lui propofe ; pendant ce tems il
reçoir des lettres de Londres ; fa foeur eft
mariée ; fa mere eft défolée de l'abfence
de fon fils , elle mourra s'il ne revient
140 MERCURE DE FRANCE.
pas ; s'il fe marie en Amérique , elle en
conclura qu'elle ne le reverra plus , &
cette idée défefpérante abrégera fes jours;
Emilie apprend ces nouvelles ; elle part
pour l'Angleterre de peur que fon amant
ne balance entre la nature & l'amour ;
elle craint d'être trop foible pour pouvoir
lui confeiller fon devoir . Rivers cependant
étoit déterminé à aller confoler fa
mere le départ d'Emilie précipite le
fien ; il arrive peu de jours après elle ; il
arrange fes affaires pour pouvoir fe marier
; fa mere lui rend fon bien , & fe
contente des appointemens, qu'il avoiten
qualité de colonel ; ce qui le détermine à
y confentir c'est le retour d'un parent qui
arrive des Indes , & qui , pénétré de reconnoiffance
pour les bienfaits qu'il a
reçus du pere de Miftrifs Rivers , lui fait
une penfion de 400 guinées ; il lui écrit
auffi qu'il revient avec des richeffes confidérables,
& qu'il les deftine avec la main
de fa fille au colonel ; Rivers , affligé de
cette nouvelle , précipite fon mariage
avec Emilie ; c'eſt le feul moyen qui puiſſe
le mettre en état de réfifter à des prieres
qui l'affligeroient. Le colonel Wilmott ,
c'eſt le nom de ce parent , arrive & pardonne
ce mariage qui dérange fes projets
JANVIER. 1770.
141
en faveur des graces touchantes d'Emilie;
par un événement étrange , il fe trouve
que cette même Emilie eft fa fille , celle
qu'il deftinoit à Rivers. Il fe félicite du
foin que la fortune a pris de remplir fes
vues.
Il y a beaucoup d'intérêt dans ce roman
, les fituations en font fimples &
touchantes ; on defireroit feulement que
la fin en fût moins romanefque , & peutêtre
ne le paroîtroit- elle pas fi elle étoit
un peu mieux préparée . Cela n'empêche
pas qu'elle ne fafle effet , le lecteur , qui
a pris part aux aventures des héros , les
voit avec plaifir débarraffés de toutes fortes
d'inquiétudes , & dans un état où ils
n'ont rien à defirer ; comme il fouhaitoit
de les y laiffer , il eft fatisfait qu'on ait
rempli cette attente , & cela le rend plus
indulgent fur les moyens .
Vies des Peres , des Martyrs & des autres
principaux Saints , tirées des actes ori- -
ginaux & des monumens les plus authentiques
, avec des notes hiftoriques
& critiques ; ouvrage traduit de l'anglois.
A Villefranche de Rouergue
chez Pierre Vedeilhié , libraire- imprimeur
; & à Paris , chez Barbou , rue des
Mathurins , in - 8°. tom. VI.
,
142 MERCURE DE FRANCE.
Cet ouvrage , qui mérite d'être diftingué
de la foule de ceux que nous avons
dans le même genre , fe continue avec
fuccès ; il offre une lecture à la fois édifiante
& inftructive ; l'auteur a fçu le dépouiller
de cette multitude d'anecdotes
& d'hiftoriettes apocryphes, imaginées par
un zèle peu éclairé , & reçues par l'igno-
-rance & par la crédulité ; une critique fage
a préfidé aux recherches du favant écrivain
de ces vies dès Saints ; les traducteurs
ont eu le talent allez rare de s'approprier
fon travail , & de donner un air original
à leur verfion . Ce fixiéme volume contient
les vies des Saints que l'égliſe honore
depuis le premier Juillet jufqu'au 3 I
inclufivement ; fous chaque jour on fait or
dinairement mention de plufieurs Saints ,
honorés généralement dans l'églife , &
particulierement fêtés dans différens endroits
; on rapproche leurs actions , & on
fournit aux fidèles des exemples capables
de nourrir leur piété , & de les fortifier
dans les principes de la religion ; les perfonnes
verfées dans les fciences eccléfiaftiques
y trouvent auffi de quoi fatisfaire
leur érudition & même de quoi l'augmen
ter . Ce que nous avons dit déjà de cet ouvrage
nous difpenfe d'entrer dans des déJANVIER
. 1770. 143
tails ; nous nous bornons à en recomman.
der la lecture.
-
La Vie de Madame la Ducheffe de Montmorency
, fupérieure de la Vifitation de
Sainte Marie de Moulins , tirée des
manufcrits confervés dans ce monaftère.
A Clermont - Ferrand , chez P. Viallanes
, imprimeur des domaines du
Roi , près l'ancien Marché au bled ; 2
vol. in 12 .
Madame la Ducheffe de Montmoren
cy , après la mort de fon mari , ſe retira
dans le monaftere de la Vifitation de
Moulins , où elle paffa le refte de fes jours
dans la retraite & les exercices de piété.
L'auteur de fa vie a fuivi les mémoires
compofés par la foeur Agnès Ducros , religieufe
de la Vifitation , & confervés
dans cette maifon ; elle étoit fille d'un
homme qui , pendant long - tems , avoit
été attaché au maréchal duc de Montmo<<
rency , de qui elle tenoit les particularités
de la vie de la ducheffe dans le monde.
« Lorfqu'elle eut compofé fes mé-
» moires , peu de tems après la mort de
» la mere de Montmorency , elle en fit
» la lecture en préfence de toute la com-
» munauté , & celles qui la compofoient
"
144 MERCURE DE FRANCE.
33
» ayant vu de leurs yeux tout ce qu'elle
» dit de la vie de Madame de Montmo-
» rency dans le monaftere , & ayant en-
» tendu cette Dame faire le recit de bien
» des traits de fa vie dans le monde , con-
» vinrent de la vérité de tout ce que la
foeur Ducros avoit écrit , & y mirent
» le fceau de leur approbation , afin que
fes mémoires fuffent regardés , dans la
» fuite , comme authentiques. » On ne
fera pas furpris de trouver dans cette vie
des faits quelquefois oppofés à ceux que
rapporte l'hiftorien de la maifon de Montmorency,
& quelques- uns préfentés d'une
autre maniere ; les mémoires fur lesquels
il a travaillé , n'ont pas été composés par
une religieufe , & on ne voit pas toujours
de même dans le monde & dans le cloîl'hiftorien
fe contente de fuivre les
grands événemens , & néglige fouvent
d'autres détails qui peuvent édifier ; perfonne
ne lui en fait un crime ; nous nous.
arrêterons à ce feul trait.
tre ;
M. Déformeaux n'oublie pas le duel
du duc de Retz avec le duc de Montmo-;
rency ; il fe contente de dire que celui-ci
défarma fon ennemi , le renverfa par
terre & lui accorda la vie . La foeur Ducros
ajoute cette particularité. La veille
du
JANVIER. 1770. 145
du jour alligné pour le combat , le duc ,
pendant qu'on deshabilloit la ducheffe
qui alloit fe coucher , la pria de lui expliquer
à quoi fervoient plufieurs bijoux
pieux qui étoient fur fa toilette , & lui
demanda en même -tems un Agnus Dei
qu'elle portoit. La ducheffe le lui attacha
auffi - tôt au bras ; & l'époux fatisfait fe
mit à écrire des lettres dans fa chambre
jufqu'à la fin de la nuit ; il fortit alors.
fans faire de bruit , & courut au rendezvous
où on l'attendoit ; il fe met en devoir
de fe battre , tire fon épée , & eft fort
furpris de la voir échapper de fa main ;
il regarde cet événement comme un aver
tiffement du Ciel ; il abandonne le deffein
qui l'amenoit & le déclare à fon ennemi
que fa franchiſe défarme , & qui depuis
ce tems fut toujours fon ami. L'auteur
juſtifie la ducheffe de l'imputation qu'on
lui a faite d'avoir porté , par fes follicitations
, fon mari à la revolte . Ni Ducros,
ni un autre hiftorien de la ducheffe ne
l'en ont accufée ; c'eft l'auteur anonyme
d'une hiftoire du duc , publiée en 1699 ,
après les deux précédentes qui , le premier,
a avancé ce fait . M. Déformeaux l'a copié
; la conduite . que la cour tint d'abord
à l'égard de la ducheffe , montre qu'on
I. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
foupçonnoit fon innocence ; parente de
la Reine , mécontente du cardinal de Richelieu
, il étoit naturel de penfer qu'elle
favorifoit le parti de Gafton. Il fe peut
que le premier écrivain qui a rapporté ce
fait , ait voulu diminuer le crime de fon
héros ; mais ne peut- il pas auffi avoir été
bien inftruit ? Simon Ducros , attaché à
la maifon du duc , a pu vouloir , de fon
côté , laver la ducheffe d'une imputation
qui pouvoit lui être funefte , & faire tomber
toute l'horreur du crime fur fon mari
qui n'étoit plus ; l'autre hiftorien anony
me de la ducheffe infinue qu'il a puifé
dans les mémoires de la foeur Ducros , &
il n'eſt pas étonnant qu'il ait parlé comme
le pere de cette religieufe. Il eft difficile
peut- être de décider de quel côté eft la.
vérité ; il y a des raifons pour & contre ;
nous nous bornons à en indiquer quelques-
unes , & nous nous gardons bien de
prononcer.
JANVIER. 1770. 147
ACADÉMIE S.
I.
Lyon.
La fociété royale
d'agriculture de Lyon ,
propofa l'année derniere , le prix d'une
medaille d'or de 300 livres , au meilleur
mémoire , concernant
l'utilité réſultante
actuellement de la libre
exportation des
bleds , à la forme autorifée par l'édit du
mois de Juillet 1764 , & fur les inconvé
niens ou les avantages ultérieurs qui pourroient
résulter d'une entiere & pleine liberté
d'exploiter les grains de toute eſpece.
Ce prix devoit être adjugé dans le commencement
du mois de Décembre de cette
année; mais la multiplicité des ouvrages
préfentés au concours , a mis la fociété
dans la néceffité de prendre un plus long
terme pour l'examen convenable , & de
renvoyer fon jugement après les fêtes de
pâque prochaines ; elle a d'ailleurs préfumé
que ce délai pourroit devenir utile ,
en accordant jufqu'au premier de Mars ,
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
la liberté de lui faire parvenir de nouveaux
mémoires , ou des additions à ceux précédemment
envoyés.
I I.
Klagenfurt
La fociété impériale & royale d'agriculture
& des arts utiles , établie à Klagenfurt
, a tenu dernierement une affemblée
générale dans laquelle elle a adjugé
à M. Jean- Fréderic Mayer , pafteur à Kup.
ferzell , dans la principauté de Hohenloë
Schillingfurt , le prix qu'elle avoit propofé
pour cette année , & dont le fujet
étoit d'examiner : S'il eft plus utile de
nourrir des bêtes à cornes dans les étables
que de les faire pâturer.
La même fociété propofe , pour fujer
du prix de l'année prochaine , la queftion
fuivante : Si l'on peut préparer une terre
légere de maniere qu'elle puiffe produire ,
avec utilité , du froment , & quels font les
procédés qu'on doitfuivre pour cet effet.
Le prix qui eft fondé par l'Impératrice
Reine confifte en une médaille d'or du
poids de 36 ducats.
JANVIER. 1770. 149
II I.
Ecole Vétérinaire.
Une maladie épozootique qui ravageoit
l'élection de Langres , ayant décidé
M. Rouillé d'Orfeuil , intendant de
Champagne , à recourir à l'Ecole royale
vétérinaire de Lyon , le nommé la Borde,
l'un des élèves , fut envoyé fur le champ
le 11 du mois d'Octobre dernier dans les
paroiffes de Saint- Giefmes , Verfeilles ,
Perrogney , Pierre Fontaine , Orbigny- au-
Val , Voifine , Bonzy & Vaillant. 354
bêtes à cornes avoient été attaquées ; on
en comptoit 199 mortes avant fon arrivée.
Il en a guéri 142 , & 13 font mortes
entre fes mains . On doit à fes efforts
la ceffation de cette maladie , dont les
progrès auroient pu être très- rapides
.
Ces faits font atteftés par un certificat
de M. de Serrey , bailly d'épée , ſubdélégué
de l'intendance au département de
Langres , en date du 18 Novembre ; &
par ceux de M. Harot , prêtre deffervant
St Giefmes ; de M. Jourdeuil , curé de
Perrogney ; de M. Fargeot , curé d'Orbigny
; de M. Annequin , curé de Voifine ;
G iij
૪૦
50 MERCURE DE FRANCE.
de M. Janniot , curé de Bonzy , & par les
atteftations de tous les fyndics & principaux
habitans.
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITU E L.
Il y a eu concert le vendredi 8 Décembre
1769. Il a commencé par une fymphonie
; enfuite Super flumina Babylo
nis , & c. motet àgrand coeur de M. l'abbé
Girouft , maître de mufique de l'églife des
SS . Innocens. M. Bezzozi , de la mufique
du Roi , a exécuté un nouveau concerto
de hautbois de fa compofition , avec les
applaudiffemens dus à la fupériorité de
fes talens & à la délicateffe de fon jeu .
M. Durand a chanté un nouveau motet à
voix feule , d'une compofition très - agréable
, de M. l'abbé Feray , ordinaire de la
mufique de Madame la Ducheffe de Villeroy.
M. Cramer a exécuté un nouveau
concerto de violon de fa compofition ,
avec un éclat & une fûreté qui ont ravi les
amateurs & le public. Mile du Plant a
chanté Venite exultemus , & c. motet à voix
feule de Mouret . Le concert a fini par
JANVIER. 1776. 1st
Omnes Gentes , & c. beau motet à grand
coeur de M. l'abbé du Gué , maître de mufique
de l'églife royale de St Germainl'Auxerrois.
N
OPERA.
En attendant l'ouverture de la nouvelle
falle , qui fe fera dans le mois de Janvier
prochain par une repréfentation de Zoroaftre
, l'académie royale de mufique
vient de remettre Dardanus , qui a été
reçu avec le même tranfport qu'à la premiere
repréſentation , & qui fera toujours
applaudi lorfqu'il fera rendu par des ta
lens auffi fupérieurs que ceux de Mlle Arnoult
, de Mrs Gelin , le Gros & Lar
rivée .
COMÉDIE
FRANÇOISE.
ON a N a donné fur ce théâtre trois ou quatre
repréſentations de Guillaume Tel!,
tragédie de M. Lemierre. Il eft vrai qu'on
eft un peu étonné de voir donner le nom
de tragédie à un ouvrage où , pendant
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
trois actes , il s'agit de favoir fi on faluera
un chapeau . Il fe peut qu'il y ait eu
un tyran affez abfurde pour imaginer un
ordre auffi ridicule. Il fe peut que l'hiftoire
de Guillaume Tell foit aufli vraie
qu'elle est douteufe ; mais affurément elle
eft très contraire à la vraiſemblance , &
par conféquent très peu théâtrale. Ce mot
fi fameux de Guillaume Tell : je te réfervois
cette flèche , fi j'avois tué mon fils ,
n'a aucun fens. S'il a le courage de tirer
une fléche fur le tyran , il eft bien plus
fimple de le tuer avant d'expofer fon fils
à la mort que d'attendre à l'en menacer
après avoir obéi à fes ordres inhumains.
D'ailleurs , une pomme abbatue par un
pere fur la tête d'un enfant eft une atrocité
plus bizarre que tragique ; cependant
il y à quelques idées fortes dans cet ouvrage
, que le jeu de M. Lekain a foutenu
un moment.
On a remis le Magnifique , comédie en
deux actes de M. de la Motte ; & Hamlet
, tragédie nouvelle dans laquelle l'auteur
a fait des changemens qui ont paru
faire plaifir au Public
JANVIE R. 1770. 153
COMÉDIE ITALIENNE.
La Roſiere de Salenci , qui avoit été
repréſentée à la cour le 25 Octobre avec
fuccès , vient d'être jouée fur le théâtre
italien avec beaucoup plus d'applaudiſſemens.
Le fujet de cette comédie , en trois
actes , mêlée d'ariettes eft rirée d'un établiflement
fondé par St Medard dans le
village de Silenci , où il avoit reçu le jour.
Ce faint évêque de Noyon , qui vivoit
dans le cinquiéme fiécle , voulut encourager
la vertu dans le lieu qui lui avoit
donné la naiffance , & inftitua , le 8 Juin
de chaque année , une cérémonie deſtinée
à couronner la fille la plus fage qui reçoit
un chapeau de rofes & une fomme de
vingt- cinq livres tournois qui avoit une
valeur plus confidérable dans ces rems reculés
; mais fans doute le véritable prix
de cette récompenſe étoit dans l'honneur
qu'en recevoir celle qui l'avoit mérité
puifque l'émulation qu'elle excite n'a point
diminué. Les habitans de ce village font
tous honnêtes , fobres , laborieux & fans
ambition. On affure qu'il n'y a pas un feul
exemple d'un crime commis par un naturel
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
du lieu , pas même d'un vice groffier, encore
moins d'une foibleffe de la part du
fexe . Les bornes qui nous font prefcrites
par la forme de ce journal ne nous permettent
pas d'entrer dans les détails de
cette anecdote intéreflante , dont on peut
d'ailleurs s'inftruire dans un ouvrage trèsagréable
de M. de Sauvigny , intitulé :
l'Innocence du premier age. Nous pafferons
à l'extrait de la piece à laquelle il a
donné lieu .
Le theârre repréfente un payfage , au
fond duquel est un bofquet orné de guirlandes
& préparé pour la fête que Mde
Michel annonce . Sa fille Hélene vient la
joindre ; la bonté de leur coeur , qui fe fait
connoître dans cette fcène , intéreſſe d'abord
en leur faveur. La mere d'Helene
lui rappelle les leçons de fon pere par co
couplet ::
AIR : Menuet d'Exaudet,
Cet étang
Qui s'étend
Dans la plaine ,
Répéte au fein de ſes eaux
Ces verdoyans ormeaux
Qule pampre s'enchaîne
JANVIER . 1770. 155
Un jour pur ,
Un azur
Sans nuages ,
Vivement s'y réfléchit ,
Le tableau s'enrichit
D'images.
Mais tandis que l'on admire
Cette onde où le ciel fe mire ,
Un zéphir
Vient ternir
La furface
De la glace :
D'un fouffle , il confond les traits ;
Détruit tous les effets ,
L'éclat de tant d'objets.
S'efface.
Un foupir ,
Un defir ,
O ma fille !
Peut ainfi troubler un coeur
Où le peint la candeur ,
Où la fagefle brille .
Le
repos
Sur les flots
Peut renaître ;
Mais il le perd fans retour
Dans un coeur dont l'amour
Eft maître.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
Hélene quitte fa mere pour aller faire
des guirlandes de fleurs pour fes bonnes
amies Nicole & Thérefe qui doivent lui
difputer le prix , mais dont elle n'est point
jaloufe ; Colin , qui l'aime , mais qui n'a
jamais ofé le lui dire , vient prier la mere
de fon. amante d'être favorable à fon
amour. Elevés enfemble fur les genoux
de Mde Michel , fon époux les avoit deftinés
l'un à l'autre . Iss aimoient dès leur
enfance ; mais Hélene a tout à coup
changé de conduite avec lui , & ce qui
devroit flatter fon efpérance ne ferr qu'à
faire croire à cet amant fimple & timide
qu'il eft haï de fa maîtreffe .
Hélene
M'interdit par fa rigueur
Ma peine
Ne fauroit toucher fon coeur.
D'abord elle part ,
Et fuit à perdre haleine ,
Lorfque par hafard ,

Je la rencontre aux bois ou dans la plaine.
Hélene , &c.
Quand elle rit , quand elle chante ,
Si je l'écoute , elle fe tait :
Et fitôt que je me préfente ,
Tout l'inquiéte & lui déplaît.
JANVIE R. 1770. 197
Au fon de ma mufette ,
On l'entend foupirer.
Ah ! je crois qu'elle eft faite
Pour me défefpérer.
Chaque jour la fierté redouble ,
Et quand on parle de Colin ,
Elle rougit , elle fe trouble ,
C'eft un effet de fon dédain.

Hélene
M'interdit par fa rigueur;
Ma peine
Nefauroit toucher fon coeur.
La mere d'Hélene , qui craint de compro
mettre la réputation de fa fille , ne veut
s'engager à rien fans l'aveu du Bailli qui
arrive accompagné du Régiffeur & fuívi
de la maréchauffée , des miliciens , des garde
chaffes & des Meffiers ; I reçoit Colin
& Mde Michel qui fe recommandent à
lui , avec l'importance d'un Bailli qui fe
trouve dans fes fonctions , & les renvoie
en leur promettant fa protection .
LE REGISSEUR.
Mais n'êtes- vous pas obligé quelquefois
de réferver le prix ?
LE BAILLE
Jamais.
158 MERCURE DE FRANCE.
LE
REGISSEUR.
Là , en confcience , vous n'êtes done
guère difficile ?
L E BAILL I.
Guère difficile ! La plus petite inconfé
quence fuffit pour qu'on ait l'exclufion .
LE
REGISSEUR.
Diable !
LE BAILEI,
Je vous avouerai pourtant que nous
avois quelquefois de mauvaiſes années ,
des tems de difette .
LE
Je le crois .
REGISSEUR.
LE BAILLI.
Par exemple quand le hafard nous ame
me des militaires , des petits maîtres de
robe , de jeunes abbés ...
LE REGISSEUR.
Oui , c'est comme un vent d'orage ;
tout eft grêlé , adieu la récolte.
JANVIER.
1770. 159
LE BAILL I.
Pas tout à fait ; nous avons alors recours
à la réſerve .
LE REGISSEUR.
Qu'appelez vous la réſerve ?
LE BAIL LI.
Ce font des filles qui n'ont pas le malheur
d'être jolies , & qui , par conféquent,
néceffité.
font fages par
LE REGISSEUR.
J'entends , vous faites de néceffité
vertu .
Le Régiffeur déclare au Bailli qu'il pro
jette d'époufer celle qui aura le prix de la
fagelle ; c'eft pourquoi il examine Nicole,
dans laquelle il ne trouve que de l'imbécilité.
Tous les garçons du village viennent
fe faire inferire comme prétendant
au choix que la Rofiére doit faire de l'un
d'eux , mais le Bailli , qui a donné la parole
au Régiffeur , les refufe & les ren
voie.
Hélene ouvre le fecond acte en chantant
,
tandis qu'elle forme des guirlandes
160 MERCURE DE FRANCE.
pour les compagnes ; Colin , qui fuit fes
pas , fe cache pour l'entendre , & le Régiffeur
qui furvient fe tient auffi à l'écart
pour l'admirer. Dès qu'elle apperçoit Colin
, elle s'en va : il veut la fuivre , mais
le Régiffeur le retient pour lui demander
quelle eft cette jeune fille dont il eſt enchanté.
Colin fe recommande à lui , &
prend pour favorables les réponſes du Régiffeur
, ce qui produit une fcène trèscomique.
Mde Grignard , dont le nom
annonce le caractere , amene fa fille Thérefe
, qu'elle tourmente fans ceffe . Hélene
reparoît & apporte des guirlandes ,
dont elle pare fon amie Thérefe. Colin ,
qui n'a pas manqué de revenir en entendant
la voix d'Hélene , eft congédié par
Bailli , qui lui défend de la voir & lui déclare
qu'un autre lui eft deftiné ; il fort au
défefpoir. Mde Grignard jette des foupÇoris
fur la vertu d'Hélene , qui eft fortie
d'un autre côté & elle emmene le Bailly
pour lui remettre plufieurs mémoires
qu'elle a recueillis fur la conduite d'Héléne
. Le Régiffeur refte feul avec Thérefe
; mais Thomas garçon du village ,
qui en eft amoureux & qui cherche à profiter
de cette occafion pour lui parler ,
éconduit le Régiffeur , en lui difant que
le
JANVIER. 1770 . 161
le Bailli le demande. Il faifit ce moment
pour remettre à Thérefe une lettre & une
rofette qu'il lui recommande de porter ,
fi elle confent à le choifir an cas qu'elle
foit Rofiére ; Mde Grignard revient , &
furprend fa fille , lifant la lettre ; en femme
adroite , elle prétend que ni la lettre
ni le ruban ne font pour fa fille ; elle lui
ordonne de remettre , la rofette à Hélene , à
qui fans doute elle eft deftinée , & garde la
lettre pour fervir à fes deffeins . Thérefe
ne peut fe réfoudre à faire ce que fa mere
lui ordonne , dans la crainte de nuire à
fon amie ; mais Hélene la tire d'embaras
en prenant elle - même le ruban , & lorfque
Thérefe veut l'avertir du myftere qu'il
renferme , Mde Grignard vient & la fait
rentrer dans fa maifon . Ce ruban , refté
entre les mains d'Hélene , favorife les dépofitions
de Mde Grignard ; mais les précautions
qu'elle a prifes tournent contre
elle-même . L'innocence d'Hélene eft reconnue
; fa fagefle eft couronnée , & l'amour
fincere & refpectueux de Colin eft
récompensé par la main de cette vertueufe
époufe qui déclare le penchant qu'elle
avoit pour lui , mais qu'elle n'ofoit s'avouer
à elle même.
Le dialogue fpirituel & le ftyle fleuri
qui fe font applaudir à chaque inftant dans
161 MERCURE DE FRANCE .
la vercette
piece , y décélént par-tout le talent
fi reconnu de M. Favart . Cet auteur ingénieux
& honnête a fenti qu'un fujet fi
moral devoit être préfenté d'une maniere
conforme à ce bat , & c'eft ce qui l'a engagé
à établir les caracteres oppofés des
trois prétendantes. Nicole eft fage par
ignorance ; Thérefe , par contrainte ; Hélene
, par devoir & par amour pour
tu. Il n'auroit pas manqué de développer
davantage tous les moyens qui fortent
naturellement de ces oppofitions fans les
entraves de la mufique , qui vient arrêter
à chaque inftant une intrigue & qui
s'oppofe au développement des grands caracteres
dont on ne peut traiter que des
efquiffes. Celle ci paffe mal à propos
pour être entierement parodiće ; le plus
petit nombre des airs eft dans ce cas . M.
Blaife en a créé une bonne partie ; mais
fa fanté ne lui ayant pas permis d'achever
cet ouvrage , M. Philidor , & plufieurs
amateurs de la premiere diftinction , ont
bien voulu l'achever . Le fujet du ballet
qui termine cette piece eft tiré d'une anecdote
qui le rend plus intéreffant encore .
" Louis XIII fe trouvant , il y a cent cin-
» quante ans , au château de Varennes ,
» près Salency , M. de Belloi , alors fei
» gneur de ce dernier village , fupplia ce
·
JANVIE R. 1770. 163
»
39
monarque de faire donner en fon nom
» le prix deftiné pour la Rofiere . Louis
» XIII y confentit , & envoya M. le Marquis
de Gordes , fon premier capitaine
» des gardes , qui fit la cérémonie de la
» Rofe pour Sa Majesté , & qui , par fes
» ordres , ajouta une bague & un cordon
bleu. C'eft depuis cette époque que la
» Rofiere reçoit cette bague , & qu'elle
» & fes compagnes font décorées de ces
» rubans . »
C'eſt dans ce ballet qu'a débuté , avec
beaucoup de fuccès , le Sr Fierville, élève
du Sr Lepy , ainfi que Mlle Niel , qui obtient
& mérite chaque jour de nouveaux
applaudiffemens.
LE
ARTS.
GRAVURE.
E goût que le Public connoiffeur témoigne
pour les belles gravures , a engagé
le Sr Lacombe , libraire , à réunir à fon
commerce cette branche intéreffante des
beaux arts . Plufieurs anciens libraires penfoient
avec raifon que le commerce d'eftampes
devoit faire partie de celui de la
164 MERCURE DE FRANCE.
librairie , puifque la gravure contribue fi
fouvent à orner les belles éditions des livres.
Les eftampes qu'il fe propoſe de
publier font toutes exécutées par des artiftes
diftingués & dans le grand genre
d'hiftoire , de payfage , de marine , &c.
d'après les plus célèbres maîtres des trois
écoles .
On a fouvent reproché aux graveurs de
laiffer ignorer le fujet qu'ils avoient gravé.
Dans cette nouvelle entreprife , la
compofition de chaque eftampe fera expliquée
par deux vers latins , traduits par
deux vers françois. Une des fuites intéreffantes
de cette entreprife eft l'hiftoire
de St Grégoire le Grand , que le célèbre
Carlo Vanloo , premier peintre du Roi ,
a repréſenté en fept tableaux ou cartons.
Ces tableaux ont été expofés au falon du
louvre ; & on a applaudi dans le tems à la
fageffe de la compofition , à la pureté du
deffin , an beau choix des attitudes & à la
nobleffe des expreffions. Ils étoient deftinés
à orner la chapelle de St Grégoire aux
Invalides ; mais la mort de ce grand artifte
a fufpendu l'ouvrage , & le génie de
l'hiftoire a remis fes pinceaux entre les
mains de M. Doyen , peintre du Roi . Les
fept tableaux de Carlo Vanloo appartiennent
aujourd'hui à l'Impératrice de RufJANVIE1
R. 1770. 165
fie , qui les deftine aux progrès de fon
académie de peinture : on croit donc avoir
prévenu les regrets des artiftes & des vrais
amateurs , en faifant graver ces cartons
avant qu'ils fuffent enlevés à la France.
Le prince Gallitzin a bien voulu les confier
pour la gravure.
I.
On met aujourd'hui en vente l'eftampe
repréfentant St Grégoire , retiré dans une
caverne , où le clergé & le préfet de Rome
viennent le chercher pour l'élever fur
le trône de l'Eglife.
On lit au bas ces deux vers :
Summi Pontificis fugiens infignia , ab antro
Romanum adfolium , populo plaudente , vocatur.
Sors de cet antre obſcur entends la voix de
Rome ,

Et viens remplir un trône où la vertu te nomme.
Cette eftampe a vingt pouces de haut
fur 14 de large. Elle eft dédiée à Mgr L.
S. de Jarente de la Bruyere , évêque d'Or .
léans , abbé commendataire de St Vandrille
, chargé de la feuille des bénéfices ,
directeur- général des économats & de la
166 MERCURE DE FRANCE.
régie des biens des Religionnaires , commandeur
de l'ordre du St Efprit . Elle eft
gravée par M. Molès , penfionnaire de
l'affemblée du commerce de Barcelonne ,
de l'académie d'Efpagne , &c. Son prix
eft de 6 liv. chez Lacombe , libraire , rue
Chriſtine ; Vernet le jeune , marchand
d'eftampes & de tableaux de grands maî
tres , quai des Auguftins , & chez les principaux
marchands d'eftampes.
Les figures du premier plan de cette
nouvelle eftampe ont près d'un pied de
proportion , ce qui a donné lieu au graveur
d'y développer ces beaux caracteres
de tête que l'on admire dans les originaux
. Son burin, régulier fans affectation,
a cette douceur , cette foupleffe & cette
varieté de tailles , dont les Rouller , les
Poilly , les Edelinck ont donné l'exemple
, & qu'ils mettoient en ufage pour exprimer
avec élégance les formes des objets
& en faire fentir l'effet & l'harmonie.
On publiera inceffamment St Grégoire
qui guérit les malades , & les autres fujets
de cette fuite .
I I.
Le Bain troublé , & Sacrifice au dieu Pan,
deux eftampes en pendant d'environ
JANVIE R. 1770. 167
18 pouces de haut fur 13 de large , gravées
par M. T. de Launay , femme de
Mangein , d'après les tableaux de M.
Lallemant. A Paris , chez l'auteur , à
l'entrée de la rue d'Enfer porte St Mi
chel , au caffé de Touloufe.
De jeunes paftourelles qui fe baignent
font effrayées à la vue d'un berger qui les
furprend. Dans la feconde eftampe un
amoureux berger cherche à enlacer , avec
une guirlande de fleurs , fa bergere qui
vient de facrifier avec la compagne au
dieu Pan. Ces fujets , agréablement compofés
, font honneur à M. Lallemant.
Cet artiſte a fait de bonnes études en Italie
, & en a copié les points de vue les
plus agréables , qu'il fait enrichir de fabriques
, de ftatues , de vafes , &c. La gravure
de Mde Mangein eft agréable ; elle
a de la couleur & ne manque pas d'effet.
I I I.
Fontaine des environs de Tivoli , & vue
des environs de Frefcati , deux eftampes
en pendant d'environ 15 pouc. de haut
fur 11 de large , gravées par D. Née ,
d'après les tableaux originaux de J. B.
Lallemant. A Paris , chez Lempereur ,
168 MERCURE DE FRA NCE .
graveur du Roi, rue & porte St Jacques,
au - deffus du petit marché .
Ces deux nouvelles vues confirment
les éloges que nous venons de donner à
M. Lallemant. Son graveur l'a copié avec
intelligence , & fes eftampes entreront
dans le porte-feuille de l'amateur.
I V.
Concert champêtre & Goûté champêtre
deux eftampes en pendant d'environ 15
pouces de haur fur 11 de large, gravées
par Halm , élève de M. Wille , d'après
les tableaux originaux de M. Wille fils.
A Paris , chez Buldet , rue de Gêvres.
Les amateurs applaudiront à ces deux
nouvelles compofitions de M. Wille fils
parce qu'ils remarqueront un artifte qui
cherche à animer fes compofitions par des
caracteres variés & expreffifs . Le graveur,
M. Halm , s'eft montré un digne élève de
M. Wille pere , par la pureté , l'agrément
& le brillant de fon burin.
V.
Les Amuſemens italiens , eftampe d'environ
15 pouces de large fur is de haut ,
gravée
JANVIER. 1770. 169
gravée par N. Ranfonette d'après le tableau
de Wateau , peint fur bois . A Paris
, chez l'auteur, place Maubert , maifon
d'un un marchand de bas au coin de
la rue des Noyers ; & chez J. F. Chereau,
rue St Jacques , aux deux piliers d'or .
V I.
Recueil des ouvrages en ferrurerie que Sta .
nillas le Bienfaifant , Roi de Pologne,
duc de Lorraine & de Bar , a fait faire
pour la place royale de Nancy , à la
gloire de Louis le Bien - Aimé ; compofés
& exécutés par Jean Damour, fon
ferrurier ordinaire , avec un difcoursfur
l'art de la ferrurerie , & plufieurs autres
deffins de fon invention ; dédié au Roi,
vol. in-fol. format d'atlas . A Nancy
chez l'auteur , rue Notre - Dame. A Paris
, chez la veuve François , graveur du
Roi, rue St Jacques , à la vieille pofte.
Les beaux ouvrages dont ce volume
nous offre les deffins , ont déjà affuré à
l'auteur un rang diftingué parmi les premiers
artistes. Ces ouvrages atteſtent les
progrès qu'a fait de nos jours l'art fi utile
de la ferrurerie. Il feroit même difficile , à
I. Vol. H
170
MERCURE DE FRANCE.
celui qui n'a pas vu les fuperbes grilles.
qui décorent la place royale de Nancy
de s'imaginer jufqu'à quel point le fer
s'aflujettit à recevoir les formes les plus
agréables & les plus variées. M. Damour
a joint au recueil de ces beaux monumens
, plufieurs deffins de fa compofition.
Le modèle de la ferrure , appelée gothique
, qu'il nous donne, fuffiroit feul pour
nous convaincre que l'art de la ferrurerie
eft plus étendu qu'on ne penfe , & qu'il
exige bien des talens dans celui qui veut
l'exercer avec diftinction .
VII.
Portrait de Sa Majefté le Roi de Dannemarck
& de Norwege , gravé par le Se
Suvart. Ce portrait , qui eſt très - reflemblant
& très - bien fini , eft accompagné
d'ornemens agréables. Il porte en tout 3
pouces & demi de haut , & un pouce
dix lignes de large . Il eft en médaillon , à
mi-corps ; il peut fe découper pour être
monté fur une tabatiere. Prix 1I liv. 10 f.
Il fe vend chez Defnos , libraire & ingénieur-
géographe de Sa Majesté Danoiſe ,
rue St Jacques , au globe .
JANVIER . 1770. 171
GEOGRAPHI E.
Globe plat ou Mappemonde d'une projec
tion nouvelle , dédié & préfenté à S.
A. S. Mgr le Prince de Conti ; par A.
Duplefly . A Paris , chez l'auteur , à
l'entrée du pont Notre Dame , près le
quai de Gêvres , au bureau du tabac
d'Efpagne , à la civette couronnée .
LA divifion horaire , fuivant le cours
journalier du foleil , eft marquée fur ce
globe ; & des chifres romains indiquent
l'heure qu'il eft par toute la terre lorſqu'il
elt midi à Paris. On trouve aufli fur cette
mappemonde d'autres divifions & obfer
vations intéreffantes .
Le même géographe diftribue chez lui
un tableau abrégé , & très bien gravé , de
la population des états du monde les plus
connus . Ce tableau , qui a été dreffé fur
les calculs d'écrivains dignes de foi , par
M. Louis de Brion , ingénieur géographe
de Sa Majefté , peut donner une idée de
la puiffance des états ; puiffance qui r
doit fe mefurer qu'au nombre des fujets ,
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
ainfi qu'à leur induſtrie , & non à l'étendue
du terrein .
MUSIQUE.
I.
IVe. Nouveau choix de pieces françoifes
& italiennes , petits airs , menuets, &c.
avec des doubles , & variations accommodées
pour violoncelles , baffons , baſfes
de viole , & c. par M. Taillart l'aîné
; le tout recueilli & mis en ordre
par M. *** ; Prix 6 liv . A Paris, chez
M. Taillart , rue de la Monnoie , la
premiere porte cochere à gauche , en
defcendant du Pont neuf , chez M. Fabre
; & aux adreffes ordinaires de mufique.
Les amateurs de la mufique inftrumentale
ont toujours recherché avec empref
fement les recueils de M. Taillart ; c'eſt
ce qui a engagé ce profeffeur de mufique
à donner le nouveau choix que nous
annonçons. Il eft auffi varié qu'agréable
& contient les airs qui ont fait le plus de
plaifir , foit fur le théâtre , foit dans les
JANVIER. 1770. 173
concerts. Quelques menuets avec des doubles
& variations contribueront par la
facilité du doigté & le goût qui y regne , à
faire briller l'exécution de l'amateur fans
la gêner.
I I.
Sei duetti per due violi , compofti dall
Signor A. L. Baudron , premier violon
de la comédie françoife ; oeuvre IV . Prix
7 liv. 4 fols. A Paris , chez l'auteur , rue
Guenegaud , à la manufacture des chapeaux
de foie , chez la Dame Berault ,
rue & à côté de la comédie françoife , &
aux adreffes ordinaires.
I I I.
Six Sonates à violon feul & baffe ; par
Pugnani , premier violon du Roi de Sardaigne
; oeuvre VIº. Prix 7 liv . 4 fols . A
Paris , chez Hubert , rue des deux Ecus ,
au pigeon blanc.
I V.
Six Quatuors confiftans pour deux violons
, alto & baffe ; par Vannhall ; oeuvre
I ' . Prix 9 liv . à la même adreffe .
Cinq Quatuors de Vannhall ; oeuvre 2 .
Prix 9 liv . chez le même.
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
V.
Premier & deuxième Recueils de le Jay ,
contenant douze romances chacun , avec
accompagnement de guitarre & clavecin.
Les accompagnemens de Guitarre font
de M. Peant , & les paroles de M. Rozoy .
Prix 3 liv . 12 fols chaque recueil . A Paris
, au bureau d'abonnement de mufique,
cour de l'ancien grand cerf, rue St Denis ,
& aux adrelles ordinaires .
V I.
Sonates pour le clavecin , avec accompagnement
de violon ad libitum , compofées
par le St Poulain , maître de mufique
& de claveffin . Prix 4 liv . 4 fols. A Paris,
chez l'auteur , rue du petit Pont , maiſon
du commiffaire , & aux adreffes ordinaires.
VI I.
Nouvelles Sonates à violon & baſſe , de
M. l'abbé Robineau , dédiées à M.Audibert
de Luffan , chevalier , commandeur de
l'ordre de Malthe . Prix 7 liv . 4 f. A Paris,
chez l'auteur , au palais marchand ; & aux
adreffes ordinaires.
JANVIER. 1770. 175
VIII.
Livre de Guitarre , contenant des airs
d'opéra comique avec des accompagnemens
d'un nouveau goût , des préludes &
des ritournelles ; par M. Merchi , auvre
XXIV . Prix 9 liv. A Paris , chez l'auteur
, rue St Thomas du Louvre , en enttant
du côté du château d'eau , à côté de
de M. Godin , & aux adreffes ordinaires
de mufique. A Lyon , chez M. Caſtaud ,
place de la Comédie.
I X.
Journal de Claveffin & de Chant , come
pofé fur les ouvrages des meilleurs auteurs
étrangers ; par M. Clément , auteur
du Journal de claveffin , commencé l'année
1762 & continué avec fuccès jufqu'aujourd'hui
. L'auteur fe propofe de faire
connoître , par ce nouveau Journal , une
partie des bonnes ariettes compofées par
les auteurs étrangers , pour fervir de continuation
au Journal précédent , dans le
quel fe trouvent les meilleures ariettesdes
auteurs françois. On y trouvera des
paroles françoifes analogues au caractere
de l'ariette ; ce journal fera utile aux per-
H iv
176 MERCURE DE FRANCE .
fonnes qui chantent , & qui jouent du
claveffin ou de la harpe ; l'ariette étant
arrangée pour être jouée en piéce de claveffin
avec la voix, ou fimplement accompagnée
, la baffe étant chiffrée . Il peut aufli
fervir à faire un petit concert entre une
voix , un claveffin , un violon & une baffe.
Il fe vend à Paris , chez l'auteur, cloître
St Louis du Louvre , & aux adreffes
ordinaires .
L'abonnement des douze cahiers eft de
12 liv . , & féparément 1 liv . 16 f.
ARCHITECTURE.
Les ruines des plus beaux monumens de la
Gréce , confidérées du côté de l'hiſtoire
& du côté de l'architecture ; par M. le
Roi, hiftoriographe de l'académie royale
d'architecture & de l'inftitut de Bologne
; feconde édition , corrigée & augmentée
, 2 vol . in fol. format d'atlas .
Prix 96 liv. A Paris , chez Mufier fils ,
libraire , quai des Auguftins.
LÉ premier volume contient les ruines des monumens
élevés par les Athéniens avant la fin du fié.
sle de Periclès , avec un effai ſur l'hiſtoire de l'arJANVIER
. 1770. 177
chitecture & une differtation fur la longueur du
pied grec. Le fecond volume renferme les ruines
des monumens élevés par les Athéniens après la
fin du fiécle de Periclès , & les antiquités de Corynthe
& de Sparte , avec un eflai fur la théorie
de l'architecture& une differtation fur la longueur
de la carriere d'Olympie .
-
Ce recueil parur pour la premiere fois en 1758 .
On applaudit dès lors à la netteté , au goût , à
l'intelligence qui regne dans les gravures de ce
grand & magnifique ouvrage. Ces gravures nous
offrent des pieces très - pittorefques & très- fatisfaifantes
des plus beaux monumens qui nous reftent
de l'architecture des Grecs , nos maîtres dans
les beaux arts . La partie hiftorique qui y eft jointe
ne pouvoit manquer d'intérefler les gens de lettres
, puifqu'elle leur donne des notions utiles fur
plufieurs villes de Gréce , fur les monumens qu'elles
renferment , fur les meſures des Grecs , &c .
Les plans , les façades & les coupes des monumens
avec leurs mefures font raffemblés dans la
feconde partie de chaque volume . Les architectes
y trouvent des remarques intéreffantes , nonfeulement
fur les différentes particularités que.
l'on obferve dans ces monumens , & quinous
diquent les progrès de l'architecture en Gréce ,
mais encore fur les rapports que leurs principales
dimenfions , ou celles de leurs parties ont entre
elles ou avec les monumens romains .
in-
Il n'étoit fans doute pas moins utile pour les
progrès de l'art de faire voir les rapports que les
monumens de la Gréce ont avec ceux des peuples
qui les ont précédés ou fuivis dans la connoiffance
de l'architecture. Quoi de plus avantageux
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
encore que de déterminer la liaiſon qu'ont les
principes qui font la bafe de l'architecture grecque
avec ceux qui , dans cet art , tiennent aux loix
de la méchanique , ou qui dépendent de la nature
de notre ame & de nos organes , & fouvent de
l'habitude que nous contractons en voyant les
objets répandus le plus généralement fur la furface
de notre globe : C'eft auffi ce que M. le Roi
s'eft propofé d'examiner dans fes deux eflais , l'un
fur l'hiftoire , l'autre fur la théorie de l'architec-'
ture , qui font à la tête de chacun des volumes de
cet ouvrage. Ces difcours font remplis de nouvelles
réflexions fur les arts en général & fur l'architecture
en particulier . Ces réflexions font celles
d'un artifte éclairé , d'un obfervateur intelligent
& d'un homme de goût."
Les édifices décrits dans cette nouvelle édition
y font rangés de telle forte que le premier volume
contient ceux que les Athéniens éleverent
avant la fin du fiécle de Periclès ; & le fecond, ceux
qu'ils conftruifirent après cette époque. Cette divifion
, en effet , offre un tableau intéreflant de
l'influence des conquêtes d'Alexandre fur la Gréce .
Elle fait voir de la maniere la plus frappante
quelle eft la différence qu'on obferve entre les édifices
élevés par un peuple libre , & donnant par ſa
puiffance & fes lumieres , des loix aux autres peuples
, & ceux qu'il exécuta quand , fous le joug
des Romains , il eut perdu une partie de fa fierté
& du génie qui l'animoit.
L'auteur a ajouté dans cette feconde édition ,
des recherches fur l'étendue de la carrière d'Olympie
& fur les rapports qu'avoient entr'eux les ftades
les plus célèbres de la Gréce. Les autres additions
faites au corps du livre même font trèsJANVIER.
1770. 179
confidérables ; mais ce qui diftingue particulierement
cette édition de la premiere , c'eft le grand
nombre de citations dont elle eft enrichie. L'auteur
s'eft appliqué à les faire avec beaucoup d'exactitude.
Il a même fouvent rapporté en entier les
paffages originaux qui fervent à établir fes opinions
, afin que le lecteur fût plus en état de les
apprécier. M. le Roi auroit bien defiré pouvoir
former , de ces additions , un fupplément pour la
premiere édition , mais elles font de nature à ne
point permettre de prendre ce parti .
L'auteur , dans ce même ouvrage , répond aux
critiques que M. Stuard , écrivain Anglois , qui
a donné une defcription de quelques édifices d'Athènes,
a faites de la premiere édition du livre que
nous annonçons ; mais ces réponſes font fort
courtes , parce que M. le Roi en a publié une affez
étendue dans fes Obfervations fur les édifices des
anciens Peuples.
DIFFÉRENCE où parallele d'Amant
& d'Amoureux.
AMANT MANT & amoureux font - ils fynonymes
? Amans & amator paroiffent l'être.
Mais dans le françois je m'en forme une
toute autre idée ,
Amoureux , felon moi , dit plus qu'amant
. Le premier rebute à la premiere
idée ; le fecond offre quelque chofe de
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
plus doux . Celui - là exprime une paffion
violente qu'on ne peut réfréner ; celui - ci
un amour vif& refpectueux. L'amoureux
ne connoît aucunes bornes , l'amant fe
tient toujours dans celles de la bienſéance
. On peut être amoureux de plufieurs
objets à la fois , mais l'amant ne connoît
que l'objet qu'il aime digne de fes feux .
L'amoureux eft emporté par la fougue du
feu qui le confume , l'amant même au
milieu de fes feux , trouve une aimable
tranquillité. L'amour de celui - là ne tend
qu'à la volupté ; l'amour de celui - ci n'eft
qu'un doux plaifir. Le premier abrutit
l'efprit ; le fecond paroît l'aiguifer. Le
vice trouve des amoureux ; mais la vertu
a des amans. La nature fait les uns ; la
raifon forme les autres . Ceux - là n'aiment
que par paffion & par tempérament;
ceux - ci aiment feulement par inclinatien
& par goût . Les premiers n'écoutent
& ne fuivent que les mouvemens de
la nature ; les feconds ne font guidés que
par les fentimens , & ne s'écartent jamais
du refpect qu'ils fe preferivent . L'honneur
eft pour les uns une chimère , pour
les autres un point fixe où ils tendent.
L'amoureux regarde le refpect comme
ane gêne infupportable ; l'amant , comme
JANVIER. 1770. 181
un lien invincible de l'amour . L'amoureux
affecte par- tout une liberté dont il
ne goûte pas les douceurs ; l'amant , en
paroiffant la fuir , jouit de tous fes agrémens
. Tout , chez l'un , n'eft que grimace;
chez l'autre fincérité pure. Proteftations ,
larmes , fermens , défefpoir , tout enfin
vous montre la paffion du premier ; la
candeur eft feule l'apanage du fecond .
Celui-là fait expirer à vos genoux ; celuici
, dans une poſture moins romanefque ,
vous prouve la pureté de fes feux . L'ardeur
de celui-là eft trop violente pour
pouvoir fe foutenir ; l'amour de celui - ci
augmente par degrès , fans en venir à
l'extrême de l'autre. Enfin l'on ceffe d'être
amoureux dès qu'on jouit de l'objet
de fes amours ; mais un véritable amant
eft toujours conftant .
Par M. le Chevalier de H.....
182 MERCURE DE FRANCE.
Un Curé de province me prie de vous
faire parvenir le trait de générosité qu'il
vient de m'envoyer . Si vous le jugez digne
de figurer dans le Mercure , vous en ferez
part au Public. Le B... de C. . . & fon
domeftique G. font fes paroiffiens, à ce que
je crois.
J'ai l'honneur , &c.
GAUDIN
TRAIT DE GÉNÉROSITÉ.
M. le B ** de C ** , après avoir été
attaché long- tems à la cour , fut obligé
de vendre fa charge pour vaquer à fes
affaires qui fe trouverent dans un mauvais
état , quoiqu'il eût joui d'un trèsgros
revenu. Il fut obligé de fe défaire
d'un nombreux domeftique , & il ne garda
que fon valet- de- chambre G** , dont
la fidélité & l'attachement lui étoient
connus. I fe retira dans le fond d'une
province où le peu de bien qui lui reftoit
JANVIE R. 1770. 183
lui fut encore difputé. G ** avoit été
valet-de -chambre d'un miniftre , qui lui
avoit laiffé en mourant 600 liv . de rente
viagere. Il vendit la moitié de fa rente
pour tirer fon maître d'embarras ; mais
cette fomme fut bientôt confommée , &
M. le B ** ne trouva point d'autre reffource
que de fe retirer chez un neveu
qui jouiffoit d'un bénéfice qu'il tenoit de
fon oncle. Cet eccléfiaftique l'obligea
bientôt , quoiqu'âgé de plus de 80 ans ,
de fortir de chez lui . G** a loué une chaumiere
pour loger fon refpectable maître,
où il le fert avec tout le refpect qu'il
avoit pour lui lorfqu'il étoit dans l'opulence
; il ne porte que fes vieux habits ,
quoiqu'il lui en fourniffe de neufs ; &
tous les deux n'ont autre chofe pour vivre
que les 300 liv . qui reftent de la portion
du généreux G **
les
Le dernier trait que j'en fais , c'eft que
parens de G.. fachant qu'il n'étoit pas
à fon aife , lui ont envoyé une douzaine
de chemifes ; il les a mifes dans l'armoire
de fon maître , & n'en veut point porter
d'autres que celles que M. le B** ne peut
plus mettre.
184 MERCURE DE FRANCE.
ANECDOTES.
I
THYNGH - TI ,
HYNGH - TI , empereur de la Chine ,
avoit des vertus ; mais il étoit foible , &
plufieurs fois il fe feroit deshonoré
fans
les confeils de fa mere Pan- Hyay. Il devint
éperdument
amoureux d'une comédienne.
Sa paffion l'entraîna fi loin qu'il
répudia l'Impératrice
pour mettre l'hiftrione
à fa place ; il voulut que toutes
les Reines affiftaffent à fon couronnement
; enchanté de fa maîtreffe , il demanda
à fa mere ce qu'elle en penfoit.
Elle eft à merveille , répondit Pan - Hyay ,
elle joue avec beaucoup de vérité , & un
premier rôle ne lui meffied pas. L'Empereur
réfléchit fur cette réponfe ; on le vit
pâlir & rougir fucceffivement
; enfin il
prit fon parti. Vous avez raifon , s'écriat-
il , fon élévation n'eft auffi qu'une comédie
: & il fit en effet tout ce qui étoit néceffaire
pour perfuader que le projet qu'il
avoit eu n'étoit qu'un jeu.
JANVIER. 1770. 185
I I.
L'écho de Rofneath offre une fingularité
curieufe ; Rofneath eſt une maiſon
de campagne fituée au couchant d'un lac
d'eau falée qui fe perd dans la riviere de
Clyde à 17 milles au - deffous de Glafcow.
Plufieurs collines , dont la plupart
ne font que des rochers arides , entourent
ce lac , & forment l'écho dont il eſt queftion
. Le Lord B... fe rendit dans ce lieu,
il y a quelques années , avec une compagnie
curieufe d'entendre cet écho ; il avoit
eu foin d'amener un homme qui donnoit
du cor-de- chaffe ; il le fit placer fur
une pointe de terre que l'eau du lac laiffe
à découvert. L'homme fe tourna du côté
du nord & donna un air , après lequel il
s'arrêta . Un écho reprit auffi - tôt l'air & le
repéta très- diftinctement & très- fidèlement
, mais deux tons plus bas que le cor.
Lorfqu'il eut fini , un fecond écho repéta
exactement l'air , mais encore d'un ton
plus bas que le premier ; un troifiéme fe
fit entendre enfuite en baiffant encore le
ton dans la même progreffion. On repéta
plufieurs fois la même expérience , en variant
les airs , & les trois échos fe fuccéderent
de la même maniere .
186 MERCURE DE FRANCE .
I I I.
Le docteur Swift mourut en 1745 , âgé
de foixante-dix - huit ans ; il fit des vers
enjoués fur fa mort quelque tems avant
qu'elle arrivât ; il fuppofe qu'on vient
l'annoncer à deux Dames qui font occupées
d'une partie de jeu . «Ah ! mon Dieu ,
s'écrie l'une d'elle , le pauvre Swift eft
» mort... Carreau... C'étoit un homme
ود
d'efprit... Treffle... Il étoit un peu
» malin... La vole. »
Cette anecdote a été retournée de plufieurs
manieres ; elle rappelle celle que
raconte Mde de Sevigné au fujet de la
mort de M. de Turenne ; on en a fait un
conte agréable ; M. Poinfinet l'a encore
copiée dans la comédie du Cercle.
I V.
Le comte de Caylus raconte de Bouchardon
, célèbre artifte françois , que l'étant
allé voir un jour, il le trouva lifant une
mauvaiſe traduction d'Homère ; il lui demanda
comment il pouvoit fe réfoudre à
lire un fi grand poëte dans une fi pitoyable
verſion , tandis qu'il en pouvoit trouver
d'autres plus heureufes. N'importe ,
JANVIE R. 1770. 187
s'écria Bouchardon avec le feu dans les
yeux , je ne vois que fes idées fans m'occuper
de l'expreffion ; depuis que je le lis ,
les hommes ont quinze pieds , & la nature
s'eft aggrandie pour moi. M. de Caylus
avoit raiſon de dire à ce ſujet , qu'il étoit
difficile de trouver un exemple plus frappant
du génie qui parle au génie.
V.
Defpréaux difputoit avec vivacité contre
quelqu'un qui s'emporta , & lui dit
une injure groffiere. Des amis communs
le prierent de ne pas en avoir de reffentiment
, & de pardonner à la chaleur de
la converfation . Volontiers dit Defpréaux
, car j'ai raiſon , & je me fuis poffedé.
V I.
>
Defpréaux étant dans un couvent de
moines fort riches , ils lui demanderent
de leur montrer le lieu où logeoit la
molleffe , comme il l'avoit dit dans fon lutrin
; c'eft à vous , mes Peres , dit le Poëte ,
de me la faire voir , car vous la tenez cachée
avec grandfoin.
188 MERCURE DE FRANCE.
VII.
Le favant Pere Hardouin penfoit que
tous les écrits des anciens auteurs Grecs
& Latins qui ont fait les délices des gens
de lettres , avoient été fuppofés & compofés
par des moines ; Defpréaux difoit àpropos
de cette opinion ridicule . Je n'ai
me pas beaucoup les moines , mais je n'aurois
point été faché de vivre avec Frere
Horace , Frere Juvenal , Dom Virgile
Dom Cicéron , & c.
VIII.
Le Poëte Gacon attendoit la réponſe
à une critique qu'il avoit faite contre M.
de la Motte , pour y répliquer ; & comme
cet auteur fe taifoit , il fit fa brochu
re , ayant pour titre : Réponse aufilence de
M. de la Motte.
JANVIE R. 1770. 189
SCIENCES.
Expériences fur la méthode de faire purger
les bêtes à laine en plein air.
EXTRAIT du Mémoire lû par M. d'Aubenton
à la rentrée publique de l'Académie royale des
Sciences , du 13 Avril 1768 .
La fueur eft plus à craindre pour les animaux
ruminans que pour les autres , parce qu'elle fufpend
ou diminue la fécrétion de la férofité du lang
qui eft néceffaire pour la rumination . Les bêtes à
laine étant en lueur lorfqu'elles ruminent , ont
une double évacuation de férofité ; leur corps eft
defléché par la perte de cette liqueur , & leur fang
épaiffi & échauffé ; elles font altérées , & elles
boivent plus qu'il ne convient à leur tempérament.
La fueur cauſe auffi de mauvais effets
rapport à la laine , en la privant d'une partie de
fa nourriture : d'ailleurs , la chaleur qui excite la
fueur, la fait croître trop promptement pour qu'el
le prenne affez de confiftance.
כ כ
сс
par
Cependant nous logeons nos bêtes à laine
» dans des étables , où elles fuent non - feulement
» dans l'été , mais auffi dans l'hiver ; par des foins
» mal entendus & par une dépenfe inutile & même
nuifible , nous altérons leur fanté & nous gâtons
leur laine. Pourquoi renfermer ces animaux
» dans des bâtimens ? La nature les a vêtus de
façon qu'ils n'ont pas befoin de couvert ; ils ne
craignent que la chaleur : le froid , la pluie , ni
לכ
190 MERCURE DE FRANCE.
לכ
les injures de l'air ne leur font point de mal. Je
puis l'aurer , dit M. d'Aubenton , parce que
j'en ai des preuves acquifes par des expériences
၁ qui s'accordent avec ce que j'ai pu favoir d'autres
expériences faites auffi en France fur le mê-
» me fujet , mais dont je ne connois pas les détails
. Voici l'expofé de la mienne.
J'ai tenu , aux environs de la ville de Montbard
, un petit troupeau dans un parc en plein
» air , nuit & jour , fans aucun abri pas même
» pour le ratelier, pendant tout l'hiver dernier
qui a été fort rigoureux. Les bêtes qui compofoient
ce troupeau étoient de tout sèxe & de
22
55
сс
> tout âge ; il y avoit deux agneaux , l'un du premier
Mars & l'autre du premier Avril précédens,
deux brebis pleines & fix moutons de différens
âges , tous de la race des bêtes à laine de l'Au-
» xois. Ces animaux étoient placés dans un lieu
» expofé au nord & l'un des plus froids du can-
53
ton ; ils ont éprouvé des gêlées qui ont fait def-
» cendre le thermometre de M. Réaumur jufqu'à
» 14 degrés & demi au- deffous de la congellation ;
» ils ont été exposés à des vents très froids &
» très -violens , & à des pluies très - froides & continuelles
, à des brouillards qui ont duré plufieurs
jours de fuite , au gîvre & à la neige. Ils
» ont fubi toutes fortes d'épreuves des intemperies
de l'air , & cependant ils ont toujours été
» & ils font encore plus fains & plus vigoureux
» que ceux que l'on a renfermés dans des étables .
J'ai vifité très - louvent ces animaux dans les
tems les plus critiques de l'hiver . Après de gran-
» des pluies j'ai écarté les floccons de leur laine
pour toucher leur peau ; jamais je ne l'ai ſentie
mouillée ; la laine étoit toujours chaude & féche
autant qu'elle peut l'être , fur la longueur
35
JANVIER . 1770. 191
» de près d'un pouce au- deffus de fa racine , tan-
» dis que le refte étoit mouillé , glacé couvert de
» neige ou de gîvre : j'ai lieu de croire que le fuint
>> de la laine , qui eft une matiere graffe , empêche
» l'eau de la pluie de pénétrer jufqu'à la peau de
» l'animal . La partie de la laine qui fe mouille eft
bien plutôt féchée au grand air que dans des
» étables .
و د »Lesdeuxbrebisdutroupeauexpoféenplein
air, ont mis bas au mois de Février ; l'une le 18
» & l'autre le 28 ; l'agneau du 18 étant né par un
» tems de pluie , y fut expofé nuit & jour ; l'agneau
du28 Février éprouva d'affez fortes gelées
dans les premiers jours de fa vie au commen-
>> cement de Mars , cependant ces agneaux font
> très - fenfiblement plus vigoureux que ceux des
étables , & leurs meres n'ont eu aucun mal.
OD
D
Il y a eu dans l'expérience , dont je viens de
rapporter le détail , une circonftance qui la
rend encore plus décifive , c'elt que le 14 Décembre
dernier je joignis au troupeau , que je tenois
en plein air , un mouton qui m'arriva du
Roufillon avec d'autres bêtes à laine de cette
province. Quoique ce mouton fût né dans un
pays plus chaud que celui où il arrivoit , &
qu'il eût été élevé & foigné felon l'ufage de ce
" pays qui eft de loger les bêtes à laine dans des
» étables bien fermées , & de ne les jamais expo-
» fer à la pluie , s'il eft poffible ; cependant il a
» réſiſté au froid , à la neige & aux pluies aufli-
52 bien que les autres.
33
» J'ai auffi mis dans le même troupeau un mou-
» ton flandrin qui m'arriva de Lille le 21 Janvier;
quoique ce mouton eût été renfermé tous 99
192 MERCURE DE FRANCE .
>
>> les ans dans une étable depuis le commence-
» ment de Novembre jufqu'au mois de Mars
» comme les autres bêtes à laine de Flandre , les
» injures de l'air ne lui ont fait aucun mal depuis
» qu'il y eft exposé .
50
>> Dans la fuite toutes les bêtes à laine qui feront
en ma difpofition n'auront point d'autre
» gîte qu'un parc ; non pas tant pour faire une
» épreuve , comme je l'ai faite l'hiver dernier, que
» parce que je fuis convaincu qu'il n'y a point de
moyen plus fûr , pour maintenir les bêtes à laine
en bonne fanté , pour leur donner de la vi-
» gueur , pour les préferver de la plupart des maladies
auxquelles elles font fujettes , pour don-
» ner un meilleur goût à leur chair & pour rendre
la laine plus blanche , plus abondante & de
» meilleure qualité . Il eft fort à defirer pour le
>> bien public que cet ufage fe répande dans tout le
» royaume.
55
50
29
> La plupart des gens de la
campagne ne connoiflant
ni la force des raifonnemens
, ni l'authenticité
des faits , ne peuvent pas avoir confiance
aux innovations qu'on leur propofe fans
» leur en montrer le fuccès au doigt & à l'oeil . II
» n'y a que l'exemple palpable qui puifle les dé-
» terminer à fuivre de nouvelles pratiques ; il
faut leur faire voir dans les différentes provin-
» ces du royaume , & s'il fe peut , dans chaque
canton , des troupeaux de bêtes à laine élevées
» en plein air & foignées de la maniere la plus
» convenable au tempérament de ces animaux ;
» leur faire remarquer la vigueur de ce bétail
» les bonnes qualités de leur laine , le produit que
» l'on en retire , & les exhorter à comparer ces
» troupeaux avec les leurs : cette comparaiſon les
→ déterminera
JANVIER. 1770. 193
» déterminera bientôt à faire tout ce qui fera né-
» ceflaire pour en avoir de pareils . Voilà le meil
leur moyen d'établir des ufages qui peuvent re-
>> lever l'efpece des bêtes à laine en France , y
multiplier , y maintenir de bonnes races & pro-
> curer à la nation des laines nécefiaires pour
fes

manufactures. Qui peut faire un fi grand bien ?
» Le gouvernement s'en occupe efficacement, c'eſt
aux bons citoyens à y concourir . Vous , qui
» avez le goût des occupations champêtres & l'a-
> mour de l'humanité , élevez des troupeaux ,
> donnez par votre exemple , aux gens de la cam-
» pagne , des moyens d'être plus heureux par le
produit qu'ils peuvent tirer des bêtes à laine. »
STANCES à Monfeigneur le Duc
de Wirtemberg.
(Mgr le Duc de Wirtemberg , chaffant
dans les environs d'Hailbron , vint
inopinément defcendre chez Mde de
Wakes. Cette Dame , une des plus aimables
& des plus fpirituelles de ce pays ,
eut l'honneur de lui préfenter le café . Elle
a mis en vers cet événement , bien précieux
pour elle . Nous croyons qu'on retrouvera,
dans ces ftances, ces graces naturelles
qui caractériſent Mde de Wacks .
DANS ANS ,ces lieux où regne la paix
Quels fons guerriers fe font entendre ?
'1. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
Quel tumulte vers nos forêts !
Eft-ce Mars qui vient d'y deſcendre ?
Du Neckre ( 1 ) reſpecte les bords ,
Dieu fier , la Viftule ( 2 ) t'appele :
Ne viens point troubler les accords
Que nous confacre Philomèle,
A ce maintien majeſtueux ,
Germains , peut - on le méconnoître ?
C'eft Charles ( 3 ) qui s'eftime heureux
Lorfque fes fujets peuvent l'être,
Intrépide dans les hafards ,
Il préfère un deftin tranquille :
Sa cour eſt le centre des arts ;
Son coeur des vertus eft l'afyle .
Mais..ô furpriſe ! .. Inftant heureux !,
Ojour de la reconnoiflance !
Charles prévient , comble mes voeux ;
Il m'honore de fa préfence ,
Dans une coupe de Maiflen , (4)
Qu'aux vafes chinois l'on préfère ,
225
Riviere qui coule à Hailbron.
2 Riviere de la Pologne.
3 Mgr le Duc de Wirtemberg.
Ville de Saxe ,ou l'on fabrique la porcelaine.
121
1
JANVIER. 1770. 195
De la féve de l'Yemen ( 1 )
Il boit la liqueur ſalutaire.
Ma main la verle ; & cet honneur
Dont Hébé doit être fi fière ,
Qui fait dans les cieux fon bonheur ,
fur la terre .
Je le partage
O ma retraite , déformais
Ne craignez point que je vous quitte:
Un grand Prince change en palais
L'obfcur afyle qu'il vifite.
LETTRES-PATENTES , ARRÊTS , &c.
I.
LETTRES- PATENTES du Roi , données à Verfailles
au mois de Juin 1769 , regiftrées en parlement
le 12 Août fuivant , par lefquelles le Roi maintient
les priviléges de l'académie royale de mufique , &
ceux des perfonnes qui y font employées.
·I I.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du s. Septembre
1769 ; qui proroge pour dix années , à compter du
premier Janvier 1768 , le payement des Quatre fous
pour livre en fus du don gratuit ordinaire du clergé
de Toul .
1 Le café.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
I I I.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 9 Octobre
1769 ; qui ordonne que les droits des Quatre-
Membres , & autres y joints , qui ont lieu dans la
Flandre maritime , lefquels avoient été alienés
pour dix ans à Nicolas Remy , feront , à compter
du premier Janvier 1770 , perçus & régis pour le
compte du Roi par l'adjudicataire des fermes générales.
I V.
Arrêt de la chambre des comptes , du 26 Octobre
1769 ; fervant de reglement au fujet des erreurs
dans les quittances des Rentiers , relativement
à l'énoncé de leur âge .
V.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 3 Novembre
1769 ; par lequel Sa Majefté autorife les délibérations
prifes par le chapitre général des Chanoines
réguliers de la Congrégation de France , les 2 , 24
& 28 Octobre 1769 , pour l'acquittement des dettes
de ladite Congrégation .
V I.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 4 Novembre
1769 ; qui défend aux parties de faire imprimer
& diftribuer aucuns mémoires , confultations ou
écrits au fujet des demandes en caflation , en révifion
ou en contrariété d'arrêts : Et à tous imprimeurs,
de les imprimer avant qu'il ait été ordonné
que lesdites demandes feront communiquées .
JANVIE R. 1770. 197
V I I.
'Arrêt du confeil d'état du Roi , du 9 Novembre
1769 ; par lequel Sa Majefté , en dérogeant à quelques
articles du reglement du 28 Juin 1738 , concernant
la procédure qui doit être obfervée en fon
confeil , ordonne : 1 ° . Que les greffiers du confeil
ne pourront recevoir à l'avenir aucune requête en
caffation après l'expiration du délai fixé pour les
préfenter , qu'il ne leur apparoiffe des lettres de
relief de laps de tems accordées aux parties : 2° . Que
les Srs Maîtres des Requêtes , qui ne font pas de
quartier , pourront être choifis comme ceux qui
font de quartier , pour être rapporteurs fur toutes
matières.
AVIS.
I.
GUIDE des Lettres , volume in - 4° . de 80
planches , où tables gravées ; il contient , par ordre
alphabétique & par colonnes , les jours & heures
du départ des lettres de toutes les villes de
commerce de France les unes pour les autres , celles
de leurs arrivées & leurs deftinations. Une carte
de France & deux grandes tables , contenant
l'ordre général du départ & de l'arrivée des lettres
au bureau de Paris ; la taxe & le tems qu'elles
font en route ; le départ & arrivée des principales
villes de l'Europe , & le prix de l'affranchiffement.
Ouvrage utile & néceffaire à tous banquiers , négocians
, & à toutes perfonnes qui font en com-
1 iij
198 MERCURE DE FRANCE.
merce de letrres. Par M. Guyot , de la fociété littéraire
militaire de Befançon , & directeur au bureau
général des poftes . Prix , broché 6 liv . & 7 1.
10 f. relié . ር.
Pour fatisfaire les perfonnes qui ne voudront
que les deux grandes tables , elles fe vendent féparément
, 12 fols en feuilles & r8 f. collées fur
carton , & la carte de France feule , 6 fols , revue
& corrigée ; chez le Sieur Guyot , rue des Arcis ,
tenant la feule manufacture d'encre à Paris ; &
chez l'auteur , rue Ticquetonne , au premier , chez
l'Ebeniste.
I I.
Etrennes à la Nobleffe , pour l'année 1770. A
Paris , chez Lacombe , libraire , rue Chriftine ,
près la rue Dauphine ; avec approbation & privilége
du Roi . Prix , 15 f. broché .
Ces étrennes , qu'on préfente à la Noblefle
comme l'hommage le plus digne de lui être
offert , renferment des anecdotes concernant la
Noblefle ; les différens fentimens fur l'origine de
la troifiéme race des Rois de France ; le tableau
de la maifon regnante ; celui des maisons fouveveraines
, avec la notice des familles titrées & illuftrées
. Le Public y trouvera de quoi fatisfaire fa
curiofité fur des perfonnes que leurs fervices perfonnels
, ou ceux de leurs ancêtres , rendent chers
à la nation.
I I I.
Calendrier perpétuel & hiftorique , précédé d'une
inftruction railonnée fur les différens ufages
JANVIER. 1770. 199
& fuivi d'une idée générale de la géographie
& de l'hiftoire moderne. A Paris , chez le Sieur
Defnos, libraire & ingénieur géographe du Roi
de Dannemarck , rue St Jacques , au globe . Prix
1 liv. 16 f. broché, fans les cartes , relié en veau
avec les cartes , 6 liv. ; & en maroquin, les cartes
enluminées , 9 liv .
Cet opufcule qu'on fe propofe de continuer tous
les ans , formera un cours complet de géographie
élémentaire & d'hiftoire.
I V.
On trouve chez Dufour , libraire , rue de la
vieille Draperie près celle aux Féves , un alfortiment
complet de tous les almanachs chaptans &
autres , & fur- tout les fuivans :
Etrennes aux Francs - Maçons & Franches - Maconnes,,
ou recueil de chanſons pour la maçonnerie
des hommes & des femmes , augmenté de
vaudevilles nouveaux , in- 12 . Prix , 1 L 4 £.
Agenda du Voyageur.
Vive l'Amour.
L'Amour est de tout âge.
Les Horoscopes de Village.
Le Gout de tout le Monde.
Le Joujou des Dames.
Le Tribut du Caur & de l'Esprit
Les Etrennes du Plaifir , préfentées par l'Amour
Bachus à Cythere.
Moins que rien .
Titre qui convient à toutes ces bagatelles.
Il vend auffi des lettres changeantes gravées &
enluminées avec foin , pour les étrennes & les attrapes
. Prix , & fols.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
V.
Humaire , libraire , rue du marché Pallu près le
petit châtelet , vend un Almanach chrétien &
moral, compofé pour la premiere partie de cantiques
nouveaux fur les myfteres, & pour la feconde
partie d'un cantique fur la mort de la Reine , & c.
avec cette épigraphe : In canticis fpiritalibus in
gratia cantantes.
« Il eſt encore des ames pures , des coeurs innocens
qui n'ont point mêlé leurs voix dans les
concerts impies de Belial ; c'eft pour de telles
» ames que l'auteur , M. l'abbé du R ***
»compofé ces cantiques ; & s'ils font bien reçus
» du Public , il promet de ne tien épargner chaque
année pour le rendre auffi agréable qu'édifiant
V I.
Atlas méthodique & élémentaite de géogra
phie & d'hiftoire , dédié à M. le préſident
Hénault ; par M. Buy de Mornas ,
géographe du Roi & des Enfans de
France ; 4 vol . chez l'auteur , rue St
Jacques , à côté de St Yves.
Cette précieufe collection de cartes eft enfin
terminée. C'est l'ouvrage le plus complet que nous
ayons pour le progrès de l'éducation . C'eft l'unique
en ce genre où l'on fait marcher d'un pas égal
la géographie , la chronologie & l'hiftoire . Il eft
inutile d'en faire l'éloge ; l'empreffement que le
Public a eu de s'en procurer les premiers volumes,
&fon impatience à jouir des derniers ,juftifientfuffifamment
ce que les Journaliſtes en ont dit ; tout ce
a
JANVIER. 1770. 201
qu'on peut ajouter aujourd'hui , c'eft que ce quatriéme
& dernier volume eft fupérieur aux trois
premiers , tant pour le fond que pour l'exécution .
On y trouve la même clarté , la même méthode ,
la même précision , & fur tout la même exactitude
dans les fairs & dans les dates . Cet ouvrage a eu
des retards que l'auteur ne pouvoit ni ne devoit
prévoir , ce qui lui a fait un tort confidérable. La
plus grande partie des premiers foufcripteurs ,
dans la crainte de ne pas voir finir fon atlas , ont
difcontinué de prendre la fuite des livraiſons à
mefure qu'elles ont été annoncées . Ils ne font plus
dans ce cas aujourd'hui . Il leur cft facile de completer
une auffi belle collection qui , fans cela ,
leur deviendroit inutile. L'auteur , pour les mettre
à même de favoir où ils en font , & le nombre de
cartes dont ils ont befoin , les invite à voir le numéro
de la derniere carte qu'ils ont , & d'indiquer
la grandeur du papier , attendu qu'on a tiré les
cartes fur trois papiers différens. L'atlas eft aujourd'hui
compofé de 268 cartes , & divifé enen qua
tre volumes ; le premier a 57 cartes , le fecond en
a 71 , le troifiéme , 62 , enfin le quatrième en a 78.
VII.
Le Sr Fortin , expert méchanicien dans l'art de
monter les globes & autres machines , avertit qu'il
pofléde aujourd'hui le fonds de globes le plus complet
& le plus nouveau . Il annonça , l'année derniere
, des globes & fphères de quatre diamètres
différens ; fçavoir , de 12 , de 1o , de 7 & de s
pouces dont le Public a paru fatisfait , tant
pour le fond que pour l'exécution ; on ne peut
qu'y avoir confiance , puifqu'ils ont été rédigés
par M. Buy de Mornas , géographe du Roi & des
>
I v
202 MERCURE DE FRANCE .
Enfans de France , d'après les obfervations aftro
nomiques les plus récentes ..
Le Sr Fortin , pour mériter de plus en plus las
confiance du Public & répondre aux empreffe
mens d'un grand nombre d'amateurs , vient de
faire graver deux nouveaux globes d'un diametre
qui lui manquoit , je veux dire de 8 pouces . Ils
ne peuvent qu'être reçus favorablement , attendu
qu'ils font la réduction exacte de ceux de 12 pou
ces ; mais on a gravé de plus , fur l'équateur , les
13 heures de jour & de nuit . Ils font également
divifés de 15 en 15 degrés , & la longitude partagée
de même en orientale & en occidentale ,,
avantage que l'on ne trouve que fur fes globes ;
quand au célefte , il eft calculé pour l'année 1780
pour un plus long ufage. On y a pointillé les figu
res dans le goût du planifphère de Senex ; on y
inféré les nouvelles conftellations de l'abbé de la
Caille , & on a défigué chaque étoile par les ca--
racteres de Bayer ; en un mot , on n'a rien oublié
pour réunir dans ces globes l'agréable à l'utile..
ils font également accompagnés des fphères de
Copernic & de Ptolomée , du même diamètre.
On trouve de plus , chez lui , rue de la Harpe ,
à côté de celle du Foin , 1. Un planifphère monté
dans le goût le plus nouveau , & qui fert à réfoudre
facilement tous les problêmes aftronomiques.
& donue la connoiffance du ciel fans autre fecours
que celui d'un petit livre que l'on donne:
pour en faire connoître les ufages . Le prix eft de
Is liv.
2. Un mécanéclipfe , d'après MM. de la Hire
& de la Caille , qui indique les éclipfes de foleil
& de lune jufqu'à l'an 1869. Il nous fait connoître
également les jours des nouvelles & pleines lunes;;
JANVIER. 1770. 203
on y a joint un calendrier relatif à l'année courante
jufqu'à l'année 1812. Son prix eft de 6 liv .
30. Une petite machine , fervant à regler les
pendules , montres & horloges , tant pour le tems
vrai que pour le tems moyen ; c'eft une application
méchanique de la table des équations inferée dans
le livre de la connoiffance des tems : elle fe vend
4 liv .
4° . Enfin , le calendrier aftronomique & ma
ritime de M. de Gaulle , hydrographe du Roi au
Havre, inftrument très - ingénieux pour réfoudre
avec précifion une grande quantité de problêmesd'aftronomie
, de géographie & de marine : on
y a joint un petit livre qui en donne la clef. Son
prix , monté en blanc , 6 liv. & 7 liv. 10 f. enluminé.
Il fe vend également chez l'auteur , au Ha
vre .
Tous ces inftrumens , artiftement montés ,font
enluminés à la hollandoiſe , avec un très beau vernis
, & peuvent décorer les cabinets .
VIII
Il y a quelques années que nous annonçâmes un
Calendrier perpétuel , inventé par le Sr Dupleffis ;
il vient d'imaginer pour le pendant un globe plat,
ou mappe monde d'une nouvelle projection , dé
dié à S. A. S. Mgr le Prince de Conti . Cet inftrument
renferme non - feulemen: les avantages dess
globes terreftres ordinaires , mais encore il fupplée
à ce qui leur manquoit. Il offre d'abord un
tableau fidèle de l'ancien & nouveau Monde , réunis
dans un feul point de vue , c'ef't - à - dire , less
fituation & pofition des empires , états , royau
I vj.
204 MERCURE DE FRANCE .
mes , ifles , villes les plus confidérables des quatre
parties du monde ; il a encore d'autres utilités
qui feront apperçues , comme de faire connoître
les zones , les climats , la différence des méridiens,
&c. &c. On donnera , avec l'inftrument , un traité
& ufage du globe - plat , un recueil alphabétique
des lieux de la terre les plus confidérables . On
joindra à ce traité un tableau abregé de la population
des états du monde les plus connus , par une
approximation fondée , tant fur quelques dénombremens
que fur des combinaifons politiques pour
l'Europe , & fur des conjectures pour les autres
parties, d'après les écrivains les plus célèbres & les
plus connus. Ce tableau donne une idée de la puiffance
des fouverains , qui ne doit ſe meſurer qu'au
nombre des fujets , ainfi qu'à leur induſtrie & non
à l'étendue du terrein ; il eft très- intéreflant , très
curieux & très - utile pour l'hiftoire.
On en trouve à préfent de monté en carton &
fous verre , avec bordure dorée , chez le Sr Dupleffis
, à l'entrée du pont Nôtre-Dame , à la civette
couronnée , près le quai de Gêvres , au bureau de
tabac d'Efpagne; & chez le Sr Grangé , imprimeur
libraire.
I X.
Les Tabatieres optiques pour étrennes qui of
frent plufieurs deffins mobiles & qui font d'une
invention & d'une forme très- agréables , ainfi que
les Diamans nouveaux , blancs & de toutes couleurs
, imitant parfaitement les diamans fins , fe
vendent actuellement , comme nous l'avons annoncé
, chez le Sr Roger , orfévre - joaillier , au
chapelet d'or, fur le pont au Change.
JANVIER . 1770. 205
X.
Le Sr Riffoan , Marchand Epicier- Diftillateur,
ancien élève de l'apothicairerie de l'Hôtel - Dieu ,
demeurant rue de Buffi , au grand Turc , en face
de la rue Mazarine , débite avez fuccès le fyrop de
guimauve & de capillaire à 15 fols ; le fyrop d'orgeat
à 16 f.; le fyrop de limon à 18 f.; le fyrop de
grofeille & de vinaigre à la framboiſe , à 24 fols la
bouteille.
Il débite auffi plufieurs bijoux en fucre , &
beaucoup de liqueurs de différentes fortes , telles
que l'eau de pucelle , l'eau de Pere André , l'eau
de canelle , la belle de nuit , &c. l'huile de Vénus ,
l'huile d'anis , de rofe , de noyau , de Jupiter , de
Cythère , & c .
Il annonce une liqueur nouvelle & très - fine ,
dite la crême d'ananas ; il vend la véritable cau
de Cologne , eau de melifle , de la Reine d'Hongrie
, de Chypre , de beauté , de fleur d'orange ,
l'eau vulneraire de Capron , l'élixir de Garus ,
toutes fortes d'épiceries & drogueries à bon comptc.
X I.
&
Le Sr le Camus , Marchand Confifeur , à la ville
'de Verdun , rue des Lombards , annonce pour cette
année beaucoup de nouveautés , & d'étrennes
en fucre d'un deffin nouveau , & des médailles en
fucre , avec toutes fortes de bijoux & de ſurpriſes
qui plairont aux curieux .
X I I.
Le Sr Breffon de Maillard , Marchand d'Eftampes
, rue St Jacques près celle des Mathurins,
206 MERCURE DE FRANCE.
a nombres de nouveautés pour étrennes , en fleurs ,,
devifes ornées , bouquets , guirlandes , pots de
Aeurs , petits calendriers de la grandeur du pouce
& d'autres grandeurs , différens deffins & découpures
à l'ufage des marchands confifeurs , &c.
XIII
Arbres & arbriffeaux curieux & étrangers qui
ont de l'agrément , foit par leurs fleurs , foit par
la beauté de leurs feuillages ou par leurs fingularités
.
On fournit de grands arbres d'alignement pour
former des allées des falles , des quincon
ces ; des arbriffeaux & arbustes fleuriflans pour
former des bofquets & orner les parterres ; des arbres
& arbrilleaux toujours verts pour former des
bofquets d'hiver & des paliflades , des arbrifleaux
grimpans pour garnir des murs & des berceaux ,
des arbres fruitiers précieux & curieux , enfin de
toutes fortes d'efpeces bonnes , rares & recherchées
, & d'une variété infinie ; le tout à un prix
modique. Il faut s'adreffer à M. d'Aubenton,maire:
& fubdélégué à Montbard en Bourgogne.
XIV.
Arbres d'Allemagne des pepinieres fituées dans
Je grand Parc de Verfailles près St Cyr.
Ces arbres profpérent d'autant mieux dans le
fol de France qu'ils y font tranfplantés d'un paysfroid
& fec. Ils font très - propres pour former des
avenues , des bofquets couverts , & ils ont d'ailleurs
l'avantage de poufler très - promptement.
La compagnie continuera de fournir de ces ar
bres de huit à neufpieds de hauteur à 20f piéce ,
JANVIER . 1770. 207
& des grands , depuis 30 f. jufqu'à trois liv . avec
promefle de les garantir & d'en fournir gratis de
quatre pieds plus haut à la place de ceux qui mourront
la premiere année de leur plantation , afin
que les allées ou quinconces foient d'arbres égauz
en hauteur & en grofleur . Elle fournira de groffes
fouches à 10 f. , de petites à ff. Les plants , avec
bonnes racines , à la botte de 250 ; fçavoir , les
gros , 37 liv. 12 f. , & les petits , 18 liv . 15 f. la
botte ; le tout rendu à Paris en la demeure de ceuxqui
en demanderont.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Warfovie , le 8 Novembre 1769.
LEE Sieur Mlodziewiski , évêque de Pofnanie &
grand chancelier de la couronne , a ordonné dans
toutes les paroifles de cette capitale & de fon diocèfe
, des prieres publiques pour obtenir du Ciel la
fin des troubles qui défolent ce royaume depuis
long- tems. Ces prieres ont commencé le 29 du
mois dernier & dureront jufqu'à la fin de cette an
née.
Plufieurs lettres annoncent que le corps de trou
pes Rufles qui eft fous Bender , commence à fouffrir
de la difette des vivres & qu'on eft fort embar
raflé für les moyens de lui en procurer .
De Stockholm , le 24 Novembre 1769. บ 4
Aujourd'hui on a déposé dans l'églife de Rid
darcholm , le corps du feu orateur des Payfans
Oloff Hockanfon , mort fubitement la nuit du 17
au.18 , âgé de foixante-quinze ans ; il s'étoit rendu
208 MERCURE DE FRANCE.
célèbre par fon zèle patriotique , par l'étendue de
Les connoiffances & par fon éloquence naturelle ;
il rempliffoit , pour la huitieme fois , la place d'orateur
; l'ordre des payfans lui a nommé pour fuccefleur
Lars Torbiornfon . Dès que le traînage
pourra avoir lieu , fon corps fera transporté dans
la province de Blecking , où ce citoyen étoit né.
Le convoi a été fuivi du maréchal de la diéte , de
l'ordre entier des Payfans , & des députés des trois
autres ordres , ayant à leur tête leurs orateurs refpectifs.
De Ratisbonne , le 9 Novembre 1769.
و
La diéte a tenu la premiere affemblée le 6 de ce
mois. On a remis ce jour - là , à la dictature , un
écrit de la chambre impériale du 18 Juillet der .
nier , adreflé à l'affemblée de l'Empire , & auquel
étoit joint un état des fommes payées à la chambre
l'année derniere , avec la nore des objets pour
lefquels on les a employées & de ce qui refte encore
en caiffe ; fuivant cet état , la recette a été
pendant ladite année de 103 , 198 rixdales 44
creutzers , & la dépenſe de 83 , 293 rixdalers 60
creutzers .
De Lisbonne , le 7 Novembre 1769.
Il est entré dans le port de cette ville , le 30 du
mois dernier , un navire marchand portugais venant
de Riojaneiro , après 1 17 jours de navigation
; fa cargaifon confifte en or , en piaftres & en
cuirs, avec quelques caifles de fucre , & on l'évalue
à un million de livres tournois , fans y comprendre
deux cens octaves de diamaus pour le compte de Sa
Majesté .
De Rome , le 8 Novembre 1769.
Le Cardinal Pallavicini , ſecrétaire d'état , vient
JANVIER. 1770. 209
de recevoir d'Ancône des dépêches par lesquelles
on l'informe que cinquante- neuf Monténégrins ,
accompagnés de vingt & un officiers munis d'un
paffeport du Prince George, font arrivés à Ancône,
& ont déclaré qu'ils attendoient des vaifleaux &
des troupes Ruffes pour aller avec eux aux environs
de Montenero , en côtoyant la Dalmatie , &
pour aller enfuite en Turquie afin d'y faire une diverfion
d'armes . Le Cardinal fecrétaire s'eft rendu
fur le champ auprès du Saint Pere pour lui rendre
compte de cette nouvelle , & le foir même on a dépêché
à Ancône les ordres relatifs à la réception
que l'ondoitfaire aux Monténégrins, lefquels font
actuellement en quarantaine.
De Naples , le 11 Novembre 1769 .
Le Roi a fait adrefler au marquis de Cavalcante
par la fecrétairie d'état , un ordre relatifà l'efcadre
ruffe qui eft attendue dans la Méditerranée. Il
y eft dit que , comme il eft poffible que cette flotte
foit obligée , en tout ou en partie , d'aborder quelques-
uns des ports de ce royaume pour le procurer
des vivres ou pour ſe réparer , la volonté de Sa
Majefté eft que dans ce cas on nepermette l'entrée
que de trois de ces vaifleaux dans chaque port ;
qu'on leur donne , avec difcrétion ,, les vivres que
leurs commandans demanderont , mais pour un
mois feulement & fous condition qu'ils payeront
les denrées felon le prix courant ; que , quant aux
munitions de guerre , l'intention du Roi eft qu'on
ne leur en fourniffe d'aucune forte fous quelque
prétexte que ce foit , Sa Majefté ne voulant point
s'écarter de la règle généralement reçue dans de
femblables circonftances , ainsi que le demandent
l'amitié & la bonne intelligence qui fubfiftent entre
cette Couronne & la Porte Ottomane , & ainſi
210 MERCURE DE FRANCE .
que Sa Majefté peut en agir fans contrevenir en
rien à fes engagemens & traités avec la Ruffie.
De Londres , le 28 Novembre 1769 .
On remit , le 25 de ce mois , à la trésorerie l'amende
de 4000 liv . ftert. que le contè d'Halifax a
été condamné de payer au Sr Wilkes , à qui elle a
dû être remife fur le champ .
Dus Décembre.
Des lettres de Bofton portent que les principaux
habitans de la colonie ont tenu une aſſemblée dans
laquelle , après avoir exantiné les copies des lettres
mémoires du gouverneur Barnard , du général
Gage , du chef d'efcadre Hood & des commiflaires
de la douane , ils ont délibéré de nommer
un comité chargé de juftifier les habitans de Bofton
des imputations contenues contre eux dans ces
lettres & mémoires . Ils ont renouvellé en même
tems l'engagement qu'ils avoient pris de fufpendre
, jufqu'au premier Janvier prochain , l'impor
tation des marchandifes de la Grande-Bretagne.
De Verfailles , le 6 Décembre 1769,
Le 3 de ce mois , l'Académie royale des Sciences
eut l'honneur de préfenter au Roi le volume de fes
mémoires pour 1766 , ainfi que les quatre dernie
res defcriptions des arts qu'elle a publiées. Le Sr
de Lalande préfenta la connoiflance des tems . Les
Srs Caffini & le Sr de Montigni curent l'honneur
de préfenter auffi à Sa Majefté les 92e & 93e feuilles
de la grande carte de la France . L'abbé Noller
eut en même tems Fhonneur de préfenter auffi à
Mgr le Dauphin , ainfi qu'à Mgr le Comte de Pro- *
vence & à Mgr le Comte d'Artois , un ouvrage dé
dié à Mgr le Dauphin , & intitulé : L'art des expériences
, ou avis aux amateurs de la phyfique
JANVIER • . 1770. 217
fur la conftruction & l'ufage des inftrumens , &fur
la compofition des drogues qui fervent aux expériences.
Le St de Villevault , maître des requêtes ,
intendant du commerce , & le Sr de Brequigni , de
l'académie royale des infcriptions & belles - lettres ,
eurent l'honneur de préſenter auffi le XIe volume
des ordonnances des Rois de France de la se race .
Le Sr de Fougeroux de Bondaroy , un ouvrage intitulé
: Recherches fur les ruines d'Herculanum &
fur les lumieres qui peuvent en résulter relativement
à l'état préfent des fciences & des arts , avec
un traité fur la fabrique des mosaïques , & le Sr
Bezout , de l'académie des fciences & de celle de
· la marine , un Traité de navigation , faifant ſuite
du cours de mathématiques à l'usage des Gardes
du Pavillon & de la Marine.
De Paris , le 11 Décembre 1769.
Le 4 de ce mois les Chevaliers de l'ordre de St
-Michel fe rendirent au couvent des grands Cordeliers
, & y tinrent leur chapitre , auquel le Duc
d'Harcourt préfida en qualité de commiffaire du
Roi. Le Sieur Morand , fecrétaire de l'ordre , proponça
, fuivant l'ufage, un difcours relatif à la cit
conftance.

Le 22 Novembre , M. l'Archevêque de Paris at
beni la premiere pierre de la chapelle du féminaire
du St Efprit , rue des Poftes ; ce prélat & M. de
Sartine , confeiller d'état & lieutenant- général depolice
, l'ont pofée : On a jeté cette infcription
dans les fondemens : Pauperes evangelifantur ad
revel. Gent, & Glor . Pleb. Ex munificentia Regia,
Oratorii fub invoc. S. Spiritus & imm. Virginis
primarium lapidem benedixit illuftr.ac reverendiff
in Chrifto P. DD . Chriftoph . de Beaumont
, Archiep. Parif. Dux S. Clodoaldi , Par
212 MERCURE DE FRANCE.
Francia, Ord. S. Spiritûs Commendator ; impofuit
ill. D. D. Ant. Raym. Joan. Gual. Gab. de Sartine
Regi àfanétiorib. confiliis , difciplina politica
prim. Præfectus Ann. M. DCC. LXIX . die Nov.
22 adfuere Francifcus Becquet , fuperior generalis
, J. Duflots , J. M. Duflots & J. Roquelin ,
Semin. Direct. operibus gratuito prafuit Nicol. le
Camus de Mezieres expert. Reg. academiæque
ftud. Parif. Archit. camentavit Julianus Martin.
Cette maifon fut établie en 1703 pour l'éducation
des pauvres Eccléfiaftiques de France & des pays
étrangers , afin d'être employés dans les poftes les
plus laborieux ; de cette maifon auffi ils fe répandent
dans les campagnes des différens diocèſes . Le
féminaire des Miffions Errangeres en a tiré nombre
de vicaires apoftoliques & autres miffionnaires
, employés dans la Chine , la Cochinchine , la
Camboye & le Tonquin . C'eft auffi de cette maifon
que le miniftere a fait partir la plupart des prê
tres féculiers pour le Canada & l'Acadie ; & il paroît
avoir des vues pour la charger des miffions de
Cayenne & de la Guyanne Françoife.
LOTERIES.
Le cent feptiéme tirage de la Loterie de l'hôtelde
-ville s'eft fait le 25 de Novembre en la maniere
accoutumée. Le lot de cinquante mille livres eft
échu au No. 85053. Celui de vingt mille livres ,
au No. 87079 , & les deux de dix mille livres
aux numéros 83415 & 92680 .
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire
s'eft fait le du mois dernier. Les numéros
fortis de la roue de fortune font , 64 , 29 , 32 , 8 ,
26.
JANVIER . 1770. 213
MORTS.
de
Louis -Jacques d'Audibert de Luffan , archevêque
de Bordeaux , eft mort en fon diocèfe le Is
ce mois , d'une attaque d'apoplexie dont il avoit
été frappé la veille ; il étoit dans la 66e année de
fon âge.
François-Jofeph de Choifeul, marquis de Stainville
, chevalier de la toifon d'or , eft mort à Paris
le 27 du mois de Novembre , âgé de 75 ans .
O
Jean - François Ferdinand Olivier , comte de
Sénozan & de Viriville , meftre de camp de cavalerie
, maréchal - général des logis des camps & armées
du Roi , chevalier de l'ordre royal & militaire
de St Louis , cft mort à Paris le 26 Décembre ,
âgé de 37 ans.
Diane - Adelaïde de Mailly , ducheffe de Lauraguais
, Dame d'atours de feue Madame la Dauphi
ne , épouse de Louis de Brancas - Villars , duc de
Lauraguais , pair de France , lieutenant - général
des armées du Roi , chevalier de la toifon d'or &
gouverneur pour Sa Majefté des ville & château de
Guife , eft morte à Paris le 30 Novembre , âgée de
56 ans.
Henri - Claude comte d'Harcourt , lieutenantgénéral
des armées du Roi , eft mort le 2 Décembre
dans la 66e année de fon âge.
Etienne de St Quentin du Doignon , brigadier
des armées du Roi , ancien lieutenant - colonel du
régiment de la Fere & ci - devant lieutenant de Roi
de Bergues , eft mort à Poitiers le 6 Novembre ,
âgé de 83 ans,
214 MERCURE DE FRANCE.
Louis - Charles Baudouin , prêtre , chanoine de
f'églife de Paris , doyen du chapitre de Clingemunfter
dans le Palatinat, ancien abbé de l'abbaye
royale de Mauzat , eft mort à Paris le 8 Décembre,
dans la 90 ° année de fon âge .
Aymond Chrétien de Nicolaï , évêque de Verdun
, eft mort en fon diocèſe , le 9 Décembre , âgé
de so ans.
·
Françoife Charlotte Bidal d'Asfeld , époufe
d'Antoine- Louis comte de la Rochaymont , maréchal
des camps & armées du Roi , eft morte le f
Décembre , âgée de 42 ans . Elle étoit fille du feu
maréchal d'Asfeld & d'Anne Leclerc de Lefleville.
P.
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en profe , page
La vieillefle du Sage , épître ,
Noël ,
Vers à Mgr le Dauphin , fur une eſtampe ,
Le temple de la Fortune ,
ibid.
II
13
14
Vers à Mde . Vien , de l'académie de peinture , 31
Madrigal à Mde ***
Vers pour le portrait de M. Bignicourt ,
La Méprife de l'Amour , chanfon ,
La Méprife ,
Vers à M.le Chevalier de Pradine ,
Vers à Mde Cahouer de Villers
Le Sige & l'Ane , fable ,
L'Amour paternelle , hiftoire véritable ,
32
ibid.
33
34
37
ibid.
-38
39
JANVIE R. 1770. 215
Les Furies , fable imitée de l'allemand ,
Le Monftre de l'Amour , fable ,
Bouquet à M. Philippe , par Mlle fa fille ,
Vers à Mlle de B * * * >
Explication des Enigmes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
70
724
73
75
77
ibid.
81
84
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Second recueil philofophique & littéraire , ibid.
Variétés littéraires & politiques ,
Le Voyageur François ,
L'Art des Expériences ,
Pfyché , poëme ,
Recueil chronologique de ce qu'a fait la fociété
de Jefus en Portugal ,
93
94
103
197
122
Hiftoire du Havre de Grace , 127
Cours de Latinité , 129
Difcours fur les lettres & les arts , 132
L'Ingénu ou l'encenfoir des Dames , 135
Traité des Plantes de la Lorraine , & c. 136
Hiftoire d'Emilie Montagut ,
Vies des Peres , des Martyrs & des Saints ,
La Vie de Mde la Ducheffe de Montmorency , 143
138
141
ACADÉMIES ,
147
SPECTACLES , 150
Concert spirituel ,
ibid.
Opéra , 151
Comédie françoile , ibid.
216 MERCURE DE FRANCE.
Comédie italienne , 153
ARTS ; Gravure ,
163
Géographie , 171
Mufique , 172
Architecture , 176
Parallele d'Amant & d'Amoureux , 179
Trait de générofité ,
182
ANECDOTES ,
184
Lettres-patentes , Arrêts , &c .
Nouvelles Politiques ,
Sciences ; expériences fur les bêtes à laine ,
Stances à Mgr le Duc de Virtemberg,
AVIS ,
189
193
195
197
207
Loteries ,
212
Morts , 213
APPROBATIO N.
J'ai lu , par ordre de Monſeigneur le Chance- AI
lier , le premier vol. du Mercure de Janvier 1770,
&je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'im
preffion . A Paris , le 3 Décembre , 1769 .
GUIROY,
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue des Cordeliers.
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
1
JANVIER 1770 .
SECOND VOLUME.
Mobilitate viget. VIRGILE ..
Beugnet
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Chriftine , près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
4
C'EST EST au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriftine , que l'on prie d'adreffer , francs de port,
les paquets & lettres , ainfi que les livres , les eltampes
, les piéces de vers ou de profe , la mufique
, les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques fur les
fciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inftruire ou amufer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eftampes & piéces de mufique,
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à fa perfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront même un titre de
préférence pour obtenir des récompenſes fur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eft de 24 liv.
que l'on payera d'avance pour feize volumes rendus
francs de port.
L'abonnement pour la province eft de 32 livres
pareillement pour feize volumes rendus francs de
port par la pofte.
On s'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols pour
ceux qui n'ont pas foufcrit, au lieu de 30 fols pour
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cahiers de trois feuilles chacun , à Paris , 24 liv .
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de chaque femaine , & qui donne la notice
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& méchaniques , des Spectacles , de l'Induſtrie
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EPHEMERIDES DU CITOYEN ou Bibliotheque raifonnée
desSciences morales & politiques.in - 12 .
12 vol. paran port franc , à Paris ,
18 liv.
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JOURNAL ENCYCLOPÉDIQUE , à Paris & en pro-
En Province ,
vince , port franc , 33 liv. 12 f
JOURNAL POLITIQUE , port franc , 14 liv
A ij
Nouveautés chez le même Libraire..
Les Economiques ; par l'ami des hommes
, in-4° . rel .
Idem. 2 vol. in- 12 . rel.
Origine des premieres Sociétés , des peuples,
des fciences , des arts & des idiomes anciens
& modernes , in - 8 °. rel.
Hiftoire d Agathe de St Bohaire , 2 vol. in-
12. br.
9 1.
s 1.
61.
3 1.
Le bon Fils ou les Mémoires du Comte de
Samarande ; par l'auteur des mémoires du
Marquis de Solanges , 4 part. in - 12.
br. 41. 16 L.
Confidérations fur les Caufes phyfiques &
morales de la diverfité du génie , des moeurs
& du gouvernement des nations , in -8 °.
broché.
41.
Traité de l'Ortographe Françoife , en forme
de dictionnaire , in- 8 ° . nouvelle édition ,
rel. 7 le
Nouvelle traduction des Métamorphofes d'Ovide
; par M. Fontanelle , 2 vol . in - 8 °.
br. avec fig. 101.
Parallele de la condition & des facultés de
l'homme avec celles des animaux , in - 8 ° br. 2 1 ,
Premier &fecond Recueils philofophiques &
litt. br. 2 1. 10 f.
Le Temple du Bonheur , ou recueil des plus
excellens traités fur le bonheur , 3 vol. in-
8°. broch .
R
61.
Traité de Tactique des Turcs , in- 8 ° . br. 1 1. 10 f.
MERCURE
DE FRANCE.
JANVIER 1770 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ETRENNES AU MERCURE.
DE
E tous les meffagers de France ,
Sans excepter le meflager boîteux ,
Celui qui fûrement a le plus de fouffrance
Eft , à ce que je crois , le meffager des dieux.
Pauvre Mercure , hélas ! prends patience !
L'an qui renaît & recommence ,
Avec lui te ramene un cercle de tourmens.
A iij
MERCURE DE FRANCE.
Je vois maint auteur qui s'empreffe
A te faire gémir , toi , ton dos & la preffe.
D'épigrammes fans fel , de fadeurs quels torrens !
De légers madrigaux quelle mafle pelante !
L'année en mauvais vers fera ført abondante.
En vérité , pour aller vîte & loin
Porter ces lourdes bagatelles ,
Ce n'eft point affez de quatre aîles ;
Et tu cours, rifque, hélas ! de refter en chemin.
Ecoute mon avis , ne crains point de le ſuivre ;
Colle douze aîles à ton livre
Et huit ou dix à tes deux bras.
Tu n'aurois point cet embarras
Si chacun fuivoit mon exemple ;
Car de long- tems tu ne verras
Fumermon encens dans ton temple.
Peut-être que tu répondras
Que fitu n'avois rien à faire,
Rien ne feroit en fûreté ,
Qu'on voleroit avec impunité * ,
Et que ton livre eft un mal néceffaire.
Malgré tes foucis & tes foins ,
* Mercure eft le dieu des voleurs.
JANVIER. 1770.
Tes fatigues & tes affaires ,
Tu conviendras pourtant qu'on n'en vôle pas
moins ;
Tes petits auteurs plagiaires
Sont mes preuves & mes témoins .
Adieu , je ne veux pas t'arrêter davantage
On t'attend, vole , bon voyage.
Par M. M.
INSCRIPTIONS propres à être placées
au bas de différens Portraits .
Sous celui de l'auteur d'EMILE.
VERO ERO qui cedit non arma dat , ipfe reportat.
Sous celui de feu M. RACINE , auteur
du poëme de la Religion.
Sanctum eft pauca loqui de Numine : credere
multa.
Sous celui de M. DORAT.
Fabula tres finxit charites : hunc qui legit , ipfas
Judicat innumeras , iftud & hiftoria eft.
A iv
MERCURE DE FRANCE.
Sous celui de M. PIG'ALE.
Olim in faxa homines verterunt ora Meduſa ,
Nunc lapis arte tuâ fit propè vivus homo.
VERS fur l'Existence de Dieu.
Dixit infipiens in corde fuo :
Non eft Deus.
Tour n'étoit qu'un chaos & la nature entiere
N'étoit qu'un poids informe , une énorme matiere.
Dieu veut , parle , & foudain tout fe change à fa
voix ;
Il range l'Univers fous d'immuables loix.
Les cieux en un inftant enveloppent la terre ,'
La nuit fait place au jour , l'ombre fuit la lumiere
,
Des globes lumineux brillent au firmament ,
Tout obéit , tout céde à fon commandement.
De ces fignes certains , dans fa folle impudence ,
L'impie en vain veut- il obfcurcir l'évidence ?
En vain par fes détours l'Athée audacieux
Prétend-il démentir & la terre & les cieux ?
L'Univers fait connoître un Dieu par les mer
veilles ,
JANVIER.
1770. ༡
Il les étale aux yeux , les annonce aux oreilles ;
Et prouve ce qu'il eft par tout ce qu'il a fait.
J'entends par fon faint Nom un Etre tout parfait
,
Un Etre néceffaire , exiftant par lui -même ,
Tout puiflant , éternel , d'une bonté ſuprême ;
La lumiere du jufte & l'effroi du méchant ,
Le vengeur des forfaits , le fléau des coupables ;
Pere des affligés , l'appui des miférables ,
Le protecteur du pauvre & de l'homme innocent .
Tel eft aux yeux de tous l'Etre par excellence :
Qu'ofe- t-on réfuter ? Sa réelle exiftence .
L'un , comme un vil eſclave , en proie aux paffions
,
De fes fens feuls reçoit quelques impreffions ,
Sa vie eft unfommeil , où s'ignorant lui même ,'
Il commence , il exifte , & dépérit de même.
L'autre moins aveuglé , mais auffi criminel ,
S'efforce d'étouffer le reproche cruel
Qui déchire fon coeur , trouble la conſcience ,
Et , par crainte , d'un Dieu rejette l'existence .
Celui - ci plus hardi s'érige en efprit fort :
Tout n'eſt devant les yeux qu'un fimple jeu du
fort.
Epris des fauffetés d'une vaine chimère ,
Son efprit ne connoît de Dieu que la matiere.
Le hafard feul , dit- il , forma cet Univers ,
Il réfulte du choc des atomes divers.
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
Où t'entraîne , infenfé , cette aveugle manie ?
Le coeur pour un inftant d'accord avec les yeux ;
Combine les refforts de ce tout merveilleux ,
Tout ce confirmera ce que ton efprit nie ,
Tout te reprochera cette incrédulité ,
Que défend hautement ton orgueil entêté ;
Des aftres lumineux le cours & l'harmonic ,
Ce Soleil qui répand la chaleur & la vie ,
Qui , plus près ou plus loin , variant les faiſons ,
Fait croître , vivifie & mûrit les moiffons ;
Et cet Aftre inégal dont la douce influence
Eclaire de la nuit le ténébreux filence ;
Ces élémens unis , quoiqu'entre eux divilés ;
Ce feu qui rend la vie aux êtres épuifés ,
Qui nous donne la force , & ranime & recrée ;
Cet air qui nous fourient , auteur de la durée ,
L'ame des végétaux & l'aliment des corps ,
Qui , de tout l'Univers , fait jouer les refforts.
Cette terre enfon fein qui porte l'abondance ,
Si prodigue des dons qu'elle-même difpenfe ,
Où l'homme trouve enfemble une mere , un berceau
,
Le foutien de fes jours & même fon tombeau..
Ce point où , dans l'inſtant , tout naît , tout vit,
tout paffe ;
Cette eau qui , pénétrantla terre qu'elle embrasle ,
Y porte la fraîcheur & la fertilité ,
Qui rend aux animaux la force & la fantéj
JANVIER. 1770 . II
Sans qui tout dépérit , tout fe féche & fe fane ;
Ce corps humain où tout eft fi bien combiné ,
Où , de l'Esprit divin , tout femble être émané.
Ces fibres qu'enveloppe une foible membrane ,
Ces membres qui , chacun , ont leurs loix , leurs
rapports ;
Ces poulmons dont l'air feul fait jouer les refforts
;
Ces artères qui , tous , portent leur pellicule ;
Ces veines où le fang de tout côté circule ,
De chef- d'oeuvres fi grands tout ce concours pară
fait
N'annonce-t-il donc pas quel Etre les a fait ?
Qui peut avoir créé cet amas de prodiges ,
Qu'avec peine on conçoit , qu'à peine même on
fent ,
Si ce n'eft un feul Dieu , tout fage , tout puiſſant ?
De l'impie , en un mot , confondons les vertiges.
D'où conjecture- t- il que l'homme réfléchit ,
Et fur quoi fonde- t-il ce qu'il appelle eſprit ?
Sur ces raisonnemens que long- tems il rumine ,
Que pas à pas il fuit , qu'à la fin il combine ?
Et l'aveugle qu'il eft , dans l'infecte rampant ,
Méconnoît de fon Dieu le fymbole frappant.
Réponds , réponds , Athée , où font ces vains
menlonges ,
Que dans la vérité du dis avoir puifés ?
Ainfi que le réveil diffipe de vains fonges
A vj
12 MERCURE DE FRANCE .
Celui de ta raifon les a tous éclipfés.
Va , reconnois un Dieu ; feul , il fit la matiere ;
Seul , il en fut toujours le fuprême moteur ,
De tout cet Univers , il eft le feul auteur ,
Lui feul peut , quand il veut , le réduire en pouffiére.
Si tu ne m'en crois pas , tu croiras mieux ton
coeur ,
Confulte- le toi- même ; écoute ſon langage ,
Il te dit d'adorer un maître à ſon ouvrage ,
Ou de trembler du moins devant un Dieu vengeur,
Par M. l'abbé de Rezel.
L'ACCÈS DE FIÈVRE. Ode.
A
Velut ægri fomnia, vana
Fingentur fpecies.
HoR. de arte poet.
ux regards des mortels une fainte harmonie,
D'un voile impénétrable a caché l'avenir :
L'ignorance & l'erreur rempliffent notre vie ;
Mais je vais m'éclairer : je fuis près de mourir.
Le trifte mouvement des aîles du filence ,
La nuit , la folitude & ces pâles flambeaux ,
Semblent me préfager que mon heure s'avance :
JANVIER. 1770. 1.3
Je ne vois en ces lieux que l'horreur des tombeaux.
O douleur ! ô douleur , c'eft aflez me poursuivre.
Cefle de m'accabler , ou termine mon fort ;
Mais n'eft - ce que par toi que l'on ceffe de vivre ?
Et les orages feuls conduifent-ils au port ?
Déjà de l'Acheron je vois l'entrée ouverte :
Sur fon trône de fer Radhamante m'attend :
Minos agite l'urne : ils prononcent ma perte...
Ah ! cruels , arrêtez , je ne veux qu'un moment.
Ils font fourds à mes cris ; la mort impitoyable ,
De fes crêpes fanglans environne mon lit:
Aux pieds du noir Pluton l'on me traîne en coupable
;
Tous mes crimes en foule affiégent mon efprit.
Mes yeux four defillés ; & par l'attrait du vice ,
Par l'éclat des grandeurs mon coeur n'eſt plus léduit.
Je vois à découvert la vertu , l'injuftice :
La vérité paroît ; l'impofture s'enfuit.
Quel demon me contraint à m'accuíer moi -même
?
Tifiphone , Alecto , préparez vos ferpens.
Je reconnois ici la puiflance tuprême ;
Je reconnois les dieux ; mais à leurs châtimens.
14 MERCURE DE FRANCE
De mes féductions , malheureuſe victime ;
Otoi que je perdis , ô toi que j'adorois ,
Aminte , tu gémis des fuites de mon crime ;
Du féjour des humains partage mes regrets.
D'un triomphe charmant ma tendreffe enivrée
Se livra toute entiere aux tranſports des defirs ;
Mais bientôt de chagrins je te vis dévoréc :
Grands dieux ! que les regrets font voifins des plaifirs.
Je fus pere ; & je vis avec indifférence
La plus belle faveur de la Divinité .
Vas ,tu fus trop heureux de perdre l'existence ,
Trifte enfant par ton pere en naiffant rejeté.
J'outrageai la beauté malheureufe & fenfible :
Je la fuis : je m'armai d'un courage inhumain.
Que ne puis-je échapper de ce féjour terrible ,
Et malgrémes forfaits m'unir à fon deftin.
Souhaits vains & tardifs ! un redoutable afyle ,
A mes feux renaiffans l'arrache pour toujours ,
Et tandis que j'éprouve un remords inutile ,
Elle expie aux autels le crime des amours .
Etres vils & charmans qu'on aime & qu'on mépriſe
,
Qui vendez les regrets en vendant les plaifirs ,
Dans vos liens dorés ma jeuneſſe ſurpriſe
Coula rapidement dans de honteux loifirs.
5
JANVIER. 1770. LS
Phantôme féducteur , honneur imaginaire ,
Vous , préjugés cruels , vous , que j'ai trop ſuivis ,
Idole des humains , vous , gloire paffagere ,
Que mefert en ce jour de vous avoir fervis.
L'amour , le faux honneur guident ma main
cruelle.
Dans le fang d'un rival j'aflouvis ma fureur :
Dieux ! je crois voir ici fon ombre qui m'appelle
Il y devient mon juge & mon accuſateur.
Le repos s'eft enfui de mon ame égarée .
Mes fens font enivrés de débauche & d'amour :
Comme une frêle plante aux orages livrée ,
Ainfi les paffions m'attaquent tour-à- tour.
Vains plaifirs , en ces lieux vous me faites defcendre
,
Moi qui , dès mon printems , ai fervi vos autels :
Le feu du fentiment & le coeur le plus tendre ,
Ne fuffifent donc pas pour nous rendre immortels.
Mais ton image ici me pourfuit -elle encore ,
Flattenfe volupté , fuis loin de mes regards :
Jufques dans ce féjour ta flamme me dévote ,
L'enfer n'a contre toi que de foibles remparts.
Ah ! file repentir fléchit les deftinées ,
Dieux fufpendez encor votre jufte courroux
L
16 MERCURE DE FRANCE .
J'abjure les erreurs de mes jeunes années ,
Vertus aux yeux du monde & crimes devant vous..
Tous mes maux ont ceflé , la plus brillante aurore
Vient diffiper la nuit qui couvroit tous mes fens .
Mes
yeux , aux feux du jour , peuvent s'ouvrir encore
.
Et le calme fuccéde aux plus cruels tourmens.
Mais ce fonge effrayant tourmente ma pensée :
Il n'aura pas en vain agité mes efprits :
J'y vois , des immortels , la volonté tracée.
Je ne balance plus : ils parlent , j'obéis .
A mes inftans paflés une immenfe barriere
Aprefcrit pour jamais d'immuables deftins ;
Mais je vais m'élancer dans une autre carriere ,
L'emploi de l'avenir eft remis dans mes mains.
Fuis donc loin de ces lieux , paffion effrénée :
Je ceffe déformais de ramper fous ta loi .
Mon ame , en tes liens , trop long- tems enchaî
née ,
Vertueufe aujourd'hui n'eft plus digne de toi .
Vous , tendres fentimens , vrais befoins de la vie ,
D'amour & d'amitié venez remplir mon coeur.
Je fuis loin d'abjurer ta douce frénefie ;
Amour , c'eft de toi feul que j'attends mon bon
heur,
JANVIER. 1770. 17
L'abus des paffions fouille l'ame & l'opprime ;
Mais malheur à qui fonge à les anéantir .
S'il travaille fans fruit , il en eft la victime :
Plus à plaindre cent fois s'il a fçu réuffir.
Mais heureux qui les tient dans un juſte équilibre.
Il peut rendre , à fon gré , leurs efforts fuperflus :
D'esclaves entouré , fon ame eft fiere & libre ,
Et de fes paffions fait autant de vertus .
Ainfi , dans les accès d'une fièvre brûlante ,
Je tâchois d'écarter de trop juftes terreurs ,
En traçant au hafard , & d'une main tremblante 3
Ces vers trop négligés , nés du fein des douleurs.
La vertu vint briller à mon ame abatue.
Je ne fus point en vain frappé de fa beauté :
Dans mon coeur , dans mes fens la flamme eft répandue
,
Et c'eft à les bienfaits que je dois la fanté .
Par M. Barb... de M...
18 MERCURE DE FRANCE.
LA PROBITÉ PILLAGEOISE.
PERRIN étoit né en Bretagne , dans un
village auprès de Vitré ; la pauvreté environna
fon berceau ; il perdit fon pere
& fa mere avant de pouvoir en bégayer
les noms ; il dut fa fubfiftance à la charité
publique ; il apprit à lire & à écrire ;
fon éducation ne s'étendit pas plus loin;
à l'âge de quinze ans , il fervit dans une
petite ferme ; on lui confia le foin des
troupeaux. Lucette , une jeune payſanne
du voisinage , fut , dans le même tems ,
chargée de ceux de fon pere ; elle les conduifoit
dans des pâturages, où elle voyoit
fouvent Perrin qui lui rendoit tous les
petits fervices qu'on peut rendre à fon age
& dans fa fituation . L'habitude de fe voir,
leurs occupations , leut bonté mutuelle
leurs foins officieux les attacherent l'un à
l'autre ; ils aimoient à être enſemble ; ils
attendoient chaque jour, avec impatience,
le moment où ils fe réurriffoient dans la
prairie ; ils la quittoient avec regret parce
qu'il falloit fe féparer. Leurs jeunes
coeurs étoient fenfibles ; ils éprouvoient
déjà l'amour fans favoir ce que
c'étoit que
JANVIER . 1770. ཟྭ 9
cette paffion. Cinq ans s'écoulerent dans
des jeux innocens ; leurs fentimens devinrent
plus vifs ; ils ne s'aborderent plus
fans trouble ; leurs careffes naïves ne fervoient
qu'à l'augmenter ; Lucette les refufoit
, & regrettoit fes refus ; Perrin , en
gémiffant , imitoit fa retenue. Ils foupirerent
tous deux après leur union , ils la
defirerent & fe communiquerent leurs
defirs ; c'eft le but de tous les amours de
village ; on n'y connoît pas la féduction ,
on n'y cherche point à s'en défendre . Perrin
fe propofa de demander Lucette à fon
pere ; il le dit à fon amante qui rougit de
cette réfolution , lui en fçut gré & le lui
avoua franchement ; mais elle ne voulut
pas être préfente à cette vifite ; elle devoit
aller le lendemain à la ville ; elle
pria fon amant de choisir cet inftant , &
de venir le foir au - devant d'elle pour lui
apprendre comment il auroit été reçu .
Le jeune homme , au tems marqué
vola chez le pere de fa maîtreffe. Il lui
parla librement ; on ignore l'art & les detours
au village ; il déclara avec franchiſe
qu'il aimoit Lucette . Tu aimes ma fille ,
interrompit brufquement le vieillard ; tu
voudrois l'époufer ! Y fonges - tu , Perrin ?
Comment feras - tu ? As- tu des habits à
20 MERCURE DE FRANCE.
lui donner , une maison pour la recevoit
& du bien pour la nourrir ? Tu fers ; tu
n'as rien ; Lucette n'eft pas affez riche
pour fournir à ton entretien & au fien ;
Perrin , ce n'eft pas ainfi qu'on fe met en
ménage . J'ai des bras , je fuis fort ; on
ne manque jamais de travail quand on
l'aime ; & que ne ferai - je point quand il
s'agira de foutenir Lucette ! jufqu'à préfent
j'ai gagné cinq écus tous les ans; j'en
ai ramallé vingt ; ils feront les frais de
la nôce ; je travaillerai davantage ; mes
épargnes augmenteront ; je pourrai prendre
une petite ferme ; les plus riches habitans
de notre village ont commencé
comme moi , pourquoi ne réuffirois- je pas
comme eux ? Eh ! bien tu es jeune ; tu
peux attendre encore ; deviens riche , &
ma fille eft à toi , mais jufqu'à ce moment
ne m'en parle pas.
-
Perrin ne put obtenir d'autre réponſe ;
il courut chercher Lucette ; il la rencontra
bientôt ; il étoit trifte ; elle lut fur fon
vifage la nouvelle qu'il venoit lui annoncer.
Mon pere t'a donc refufé ? -Ah ,
Lucette , que je fuis malheureux d'être né
fi pauvre ! .... Mais je n'ai pas perdu
toute espérance ; ma fituation peut changer
; ton mari n'auroit rien épargné pour
JANVIE R. 1770. 21
·
te procurer de l'aifance ; ton amant ferat-
il moins pour devenir ton époux ? Nous
ferons unis un jour , j'aime à m'en flatter ;
conferve moi toujours ton coeur ; fouviens
- toi que tu me l'as donné ; fi ton
pere te propofoit un établiffement.
Lucette... Je ne crains que ce maheur
j'en mourrois... -Et moi , Perrin , vi
vrois-je pour un autre ? Non , je ferai ta
femme , ou je ne ferai celle de perfonne .
-

>
En parlant ainfi ils étoient toujours fur
la route de Vitré ; la nuit qui s'avançoit
les preffoit de regagner leurs maifons ; le
tems étoit très fombre ; Perrin fait un
faux pas & tombe ; en fe relevant fes
mains cherchent ce qui a caufé fa chûte ;
c'étoit un fac affez pefant ; il le ramaffe ;
curieux de voir ce qu'il contient , il entre
avec Lucette dans un champ où brûloient
encore des racines auxquelles les laboureurs
avoient mis le feu pendant le
jour ; à la clarté qu'elles fourniffent , il
ouvre ce fac & y trouve de l'or . Que voisje
, s'écria Lucette ? Ah ! Perrin , tu es devenu
riche. Quoi , je pourrois te pofféder
! Le Ciel , favorable à nos amours ,
m'auroit- il envoyé de quoi fatisfaire ton
pere & nous rendre heureux ? Cette idée
verfe la joie dans leurs ames ; ils contem
22 MERCURE DE FRANCE.
plent avidement cet or , & ne le quittent
que pour fe regarder enfuite avec plus
de tendreffe . Ils comptent la fomme qu'ils
ont trouvée; elle eft de douze mille francs;
ils font dans une espece d'enchantement.
Ah! Lucette , s'écria Perrin , ton pere ne
pourra plus te refufer à mes voeux . Lucette
ne lui répond pas ; fes yeux font plus
animés ; elle prend la main de fon amant
qu'elle preffe avec tranſport. Perrin ne
doute plus de leur union prochaine ; cette
félicité le remplit tout entier; emporté
par un mouvement rapide , il preife fa
maîtreffe dans fes bras . -Chere Lucette,
que cette fortune me devient chere ! nous
la partagerons enfemble .
Ils refferrent leur tréfor , & fe mettent
en chemin pour aller fur le champ le
montrer au vieillard ; ils étoient déjà près
de fa maiſon , lorfque Perrin s'arrête . -
Nous n'attendons notre bonheur que de
cet or ; mais eft il à nous ? Sans doute il
appartient à quelque voyageur ; la foire
de Vitré vient de finir ; un marchand , en
retournant chez lui , l'a vraisemblablement
perdu ; dans ce moment où nous
nous livrons à la joie , il eft peut - être en
proie au défeſpoir le plus affreux . - Ah !
Perrin, ta réflexion eft terrible ; le mal
JANVIER . 1770. 23
heureux gémit fans doute ; pouvons nous
jouir de fon bien ? Le hafard nous l'a fait
trouver ; mais le retenir eft un vol. -Tu
me fais frémir... Nous allions le porter
à ton pere ; il nous auroit rendus heureux
; mais peut on l'être du malheur
d'autrui ? Allons voir M. le Recteur ( c'eſt
le nom que les Bretons donnent à leurs
curés ) ; il a toujours eu mille bontés pour
moi ; il m'a placé dans la ferme où je
fers ; je ne dois rien faire fans le confulter.
Le Recteur étoit chez lui ; Perrin lui
remit le fac qu'il avoit trouvé , & avoua
qu'il l'avoit regardé d'abord comme un
préfent du Ciel ; il ne cacha point fon
amour pour Lucette & l'obftacle que fa
pauvreté oppofoit à leur union . Le pafteur
l'écoute avec bonté ; il les regarde
l'un & l'autre ; leur procédé l'attendrit ;
il voit toute l'ardeur de leur paffion mutuelle
, & admire la probité qui lui eſt
encore fupérieure ; il applaudic à leur action.
Perrin , conferve toujours les mê
mes fentimens ; le Ciel te bénira ; nous
retrouverons le maître de cet or ; il recompenfera
ta probité ; j'y joindrai quelques
unes de mes épargnes ; tu pofféderas
Lucette ; je me charge d'obtenir l'aveu de
24 MERCURE DE FRANCE.
fon pere ; vous méritez d'être l'un à l'autre
. Si l'argent que tu dépofes entre mes
mains n'eft point reclamé , c'eft un bien
qui appartient aux pauvres; tu l'es ; je croirai
fuivre l'ordre du Ciel en te le rendant;
il en a déjà difpofé en ta faveur.
Les deux jeunes gens fe retirerent , fatisfaits
d'avoir fait leur devoir , & remplis
des douces espérances qu'on leur donnoit.
Le recteur fit crier dans fa paroiffe
le fac qu'on avoit perdu ; il le fit afficher
enfuite à Vitré & dans tous les villages
voifins ; plufieurs hommes avides & intéreffés
fe préfenterent , mais aucun n'indiqua
la fomme , ni l'efpece de monnoie,
ni le fac qui la contenoit.
>
Pendant ce tems le Recteur n'oublia
pas qu'il avoit promis à Perrin de s'oc◄
cuper de fon bonheur ; il lui fit avoir une
petite ferme , la monta des beftiaux &
des inftrumens néceffaires au labourage ,
& deux mois après il le maria avec Lucette.
Les deux époux , au comble de leurs
voeux , remercierent fans ceffe le Ciel &
le Recteur . Perrin étoit laborieux . Lucette
s'occupoit de fon ménage ; ils étoient
exacts à payer le propriétaire de leur ferme;
ils vivoient médiocrement du furplus
, & fe trouvoient heureux .
L'or
JANVIER. 1770. 25
L'or perdu ne fut point reclamé durant
deux ans ; le Recteur ne jugea pas qu'il
fallût attendre d'avantage ; il le porta au
couple vertueux qu'il avoit uni. Mes enfans
, leur dit- il , jouiffez du bienfait de
la Providence , & n'en abuſez pas ; ces
douze mille francs font actuellement fans
produit , vous pouvez en faire ufage . Si
par hafard vous en découvriez le maître ,
vous devriez fans doute les lui rendre ; faites
en un emploi qui , les changeant feulement
de nature , n'en diminue point la valeur
. Perrin fuivit ce confeil ; il fe propofa
d'acquérir la ferme qu'il tenoit à bail ;
elle étoit à vendre ; on l'eftimoit un peu
plus de douze mille francs ; mais en
payant comptant on pouvoit efpérer de
l'avoir à ce prix ; cet argent , qu'il ne re-
⚫gardoit que comme un dépôt , ne pouvoit
être mieux placé , & fi le maître fe retrouvoit
un jour , il n'auroit pas à fe plaindre
.
Le Recteur approuva ce projet; l'acquifition
fut bientôt faite ; le fermier devenu
propriétaire , donna une plus grande
valeur à fon terrein ; fes champs mieux
entretenus mieux cultivés , devinrent
plus fertiles ; il vécut dans cette douce
aifance , qu'il avoit eu l'ambition de pro-
II Vol. B
26 MERCURE
DE FRANCE
.
curer à Lucette ; deux enfans bénirent
fucceffivement leur union ; ils prenoient
plaifir à fe voir revivre dans ces tendres
gages de leur amour. En revenant des
champs , Perrin trouvoit fa femme qui
venoit au- devant de lui , & lui préfentoit
fes enfans ; il les embraffoit l'un & l'autre
, & ne les quittoit que pour ferrer fon
époufe dans fes bras ; les tendres fruits
de fon hymen s'empreffoient autour de
lui ; l'un effuyoit la fueur dont fon front
étoit couvert , l'autre effayoit de le foulager
du poids du hoyau qu'il portoit . Perrin
fourioit de fes foibles efforts , le careffoit
de nouveau , & rendoit graces au
Ciel qui lui avoit donné une époufe tendre
& des enfans qui lui reffembloient .
Quelques années après le vieux Recteur
mourut ; Perrin & Lucette le pleurerent
; ils fongeoient avec attendriffement
à ce qu'ils lui devoient ; cet événement
les fit réfléchir fur eux - mêmes.
Nous mourrons auffi , difoient- ils ; notre
ferme reftera à nos enfans ; elle n'eft pas
à nous ; fi celui à qui elle appartient , revenoit
, il en fera privé pour toujours ;
nous emporterons le bien d'autrui au tombeau.
Ils ne pouvoient foutenir cette idée;
leur délicateffe leur fit écrire une déclaJANVIE
R. 1770 . 27
ration qu'ils dépoferent entre les mains
du nouveau Recteur, & qu'ils firent figner
par les plus notables habitans du village.
Cette précaution , qu'ils jugeoient néceffaire
pour affurer une reftitution à laquelle
ils croyoient leurs enfans obligés ,
les tranquillifa.
Il y avoit dix ans qu'ils étoient établis ;
Perrin , après un travail pénible , revenoit
un jour dîner avec fon époufe ; il vit
paffer fur la grande route deux hommes
dans une voiture qui verfa à quelques pas
de lui ; il courut porter du fecours ; il
offrit les chevaux de fa charrue pour tranf
porter les malles ; il pria les voyageurs
de venir fe repofer chez lui ; ils n'étoient
point bleffés ; ce lieu- ci m'eft bien funefte
, s'écria l'un d'eux ; je ne puis y paffer
fans éprouver des malheurs ; j'y ai
fait , il y a douze ans , une perte affez
confidérable ; je revenois de la foire de
Vitré ; j'emportois douze mille francs en
or , que j'y ai perdus . Comment , lui dit
Perrin qui l'écoutoit avec attention , avezvous
négligé de faire des recherches pour
les retrouver ? Cela ne me fut pas poffible
; je me rendois à l'Orient où je devois
m'embarquer pour les Indes ; le tems
preffoit ; le vaiffeau prêt à mettre à la voi-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
le ne m'auroit point attendu ; je ne pus
faire des perquifitions fans doute inutiles
qui , en retardant mon départ , m'auroient
apporté un préjudice beaucoup
plus grand que la perte que j'avois faite .
Ce difcours fait treflaillir Perrin ; il
s'empreffe d'avantage auprès du voyageur;
il le conjure de nouveau d'accepter l'afyle
qu'il lui offre ; fa maifon étoit la plus
prochaine & la plus propre habitation du
lieu ; on cede à fes inftances ; il marche
le premier pour montrer le chemin . Il
rencontre bientôt fa femme qui , felon
fon uſage , venoit au -devant de lui ; il lui
dit d'aller promptement préparer un dîner
pour les hôtes ; en attendant le repas
il leur préfente des rafraîchiffemens , &
fait retomber la converfation fur la perte
dont l'un s'eft plaint. Il ne doute plus que
ce ne foit à lui qu'il doit une reftitution ;
il va chercher le nouveau Recteur, l'infor
me de ce qu'il vient d'apprendre , l'invite à
partager le dîner de fes hôtes , & à leur tenir
compagnie. Celui - ci l'accompagne , &
ne ceffe d'admirer la joie que ce bon payfan
a d'une découverte qui doit le ruiner.
On dîne ; les voyageurs fatisfaits ne
favent comment reconnoître l'accueil que
JANVIER. 1770. 29
leur fait Perrin ; ils admirent fon petit
ménage , fon bon coeur , fa franchiſe , l'ait
ouvert de Lucette , fa candeur , fon activité.
Ils careffent les enfans ; Perrin , après
le repas , leur montre fa maifon , fon potager
, fa bergerie , fes beftiaux , les entretient
de fes champs & de leur produit;
tout cela vous appartient , dit - il enfuite
au premier voyageur ; l'or que vous avez
perdu eft tombé entre mes mains ; voyant
qu'il n'étoit point réclamé , j'en ai acheté
cette ferme dans le deffein de la remet
tre un jour à celui qui y a de véritables.
droits . Elle est à vous ; fi j'étois mort avant
de vous rencontrer , M. le Recteur a un
écrit qui conftate votre propriété.
L'étranger , furpris , lit l'écrit qu'il lui
remet ; il regarde Perrin , Lucette & fes
enfans , où fuis- je , s'écrie - t- il enfin ? Et
que viens-je d'entendre ? Quel procédé ,
quelle vertu , quelle nobleffe ! & dans
quel état les trouvé- je ! Avez- vous quelqu'autre
bien que cette ferme , ajouta- t- il ?
Non ; mais fi vous ne la vendez point ,
vous aurez befoin d'un fermier , & j'efpére
que vous me donnerez la préférence .
-Votre probité mérite une autre récom -
penfe . Il y a douze ans que j'ai perdu la
fomme que vous avez trouvée . Depuis ce
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
pas
tems Dieu a beni mon commerce ; il s'eft
étendu ; il a profpéré ; je ne me fuis
reffenti long- tems de ma perte. Cette reftitution
aujourd'hui ne me rendroit pas
plus riche ; vous méritez cette petite
fortune ; la Providence vous en a fait préfent
; ce feroit l'offenfer que de vous l'ôter
; confervez - la , elle vous appartient
& s'il le faut , je vous la donne . Vous
pouviez la garder, je ne la réclamois point;
quel homme eût agi comme vous !
Il déchira auffi - tôt l'écrit qu'il tenoit
dans fes mains ; une fi belle action , ajouta
til , ne doit pas être ignorée ; il n'eft
pas befoin d'un nouvel acte pour affurer
ma ceffion , votre propriété & celle de vos
enfans ; je le ferai cependant écrire pour
perpétuer le fouvenir de vos fentimens
& de votre honnêteté .
Perrin & Lucette tomberent aux pieds
du voyageur ; il les releva & les embraffa ;
un notaire qui fut mandé écrivit cet acte
le plus beau qu'il eûr rédigé dans fa vie ;
Perrin verfoit des larmes de tendreffe &
de joie ; mes enfans , s'écrioit- il , baifez
la main de votre bienfaiteur. Lucette , ce
bien eft à nous , & nous pouvons en jouir
fans trouble & fans remords.
NVIER. 1770. 31
VERS de Mlle de Surville , à Jeanne-
Agathe , enfant - trouvé.
REGNEZ , aimable infortunée ,
Tout doit céder à vos attraits ;
Efpérez une deftinée
Auffi brillante que vos traits.
Les vertus doivent à vos charmes
Mille triomphes les plus doux ,
Votre fort excita nos larmes ,
Mais aujourd'hui nos coeurs en font jaloux
Votre éloge enchanteur , tracé par la Louptiere ,
Déjà de toutes parts a fait naître l'amour ;
Ce digne favori du Pinde & de Cythère
A fait luire pour vous l'aurore d'un beau jour.
Quand il peint les plaifirs on le prend pour leur
frere ;
Et par un charme plus puiffant ,
Lorfqu'il nous les infpire il en devient lepere,
Lorſqu'il les chante on les reffent.
Jeanne , fi dans votre retraite
Vous aviez lu les vers ingénieux
Qui font voler votre gloire en tous lieux ,
Vous verriez vos malheurs d'une ame fatisfaite ;
Vous n'auriez plus à defirer
Que de connoître le poëte
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
Qui fait tout pour les réparer.
Ce qu'il nous dit de vous féduit , enchante & flatte.
Pour mériter de fi beaux vers ,
Les déeffes de l'univers
Voudroient devenir Jeanne-Agathe.
L'ÉCOLE DE L'AMOUR ,
Ode anacréontique .
DANS ANS un bofquet fleuri de l'ifle de Cythère ,
L'Amour tenoit école aux belles de fa cour ;
A chacune il donnoit , felon (on caractere ,
Sa leçon tour-à - tour.
Il dictoit ce bel art dont le charmant Ovide
Autrefois lui montra les loix & les détours ;
L'aflemblée en filence & d'une oreille avide
Ecoutoit les difcours .
Pour rendre fa doctrine encor plus féduifante ,
Et des coeurs attendris mouvoir mieux les refforts
,
Aux accens de fa voix , de fa lyre charmante
Il joignoit les accords .
Jamais on n'entendit une telle harmonie.
Jamais fi doux concert ne charma les échos ;
JANVIER.
1770. 33
Sur fon livre divin , à la belle Amélie ,
Il chantoit en ces mots.
De la belle nature
Suivons les douces loix ,
Le faux fage murmure ,
Mais laiflons- le parler fans écouter la voix,
Loin de nous la triſteſſe ;
Contentons nos defirs ,
Le tems de la jeuneffe
Eft le tems des plaifirs.
Fais valoir tes attraits ,
Lorfqu'on leur rend hommage ;
Le ciel de fes bienfaits
N'a voulu té combler que pour en faire ufage
La gloire ou la fageſſe
Peut nous rendre fameux ;
Mais c'eft à la tendreffe
A faire des heureux.
Ainfi chantoit l'amour , & d'une voix commune
Chacune applaudifloit à fes doctes chanfons.
Sous un myrthe caché , conduit par la Fortune
J'écrivois fcs leçons.
Par M. Dumajous,"
Bv .
34 MERCURE DE FRANCE .
FABLES lues aux féances publiques de
l'académie des belles lettres de Cuën
par M. Boifard , membre de cette académie&
fecrétaire de l'intendance.
U
LE SOURICEAU,
N Souriceau, rôdant une nuit fans fa mere
Fut conduit par fon odorat
Vers le trou d'une fouriciere
JA
Qui receloit un mets qu'il jugea délicat.
Ou je me trompe à cette odeur ,
» Ou cette nuit je ferai fine chere ,
Die en fon coeur la jeune aventuriere,
Un fil , pour un moment , modéra fon ardeur.
Le beftion recule ; il rumine en fa tête
S'il doit franchir , ou non , l'obſtacle qui l'arrêtes
«Ma mere m'avertit jadīs ,
» Se difoit il , que pour notre ruine ,
L'homme a conftruit mainte machine ;
Que certains trous font mortels aux fouris...
∞ Le meilleur mets eft bien cher à ce prix…….
Ceft dommage... Après tout la vieilleffe eft
» peureufe...
soPeut être un pro jaloufe , & fouvent radoteufe...
∞ Je ferois bien d'avis d'en courir le haſard ;
Le plaifir paroît fûr & la perte eft douteuse...
JANVIER . 1770. 35
so Puis mourir en mangeant du lard ,
» Eft-ce une mort fi malheureuſe ? »
Il flaire , il flaire encore... Il rentre au trébuchet ;
A l'odeur de la chair fon appétit s'enflamme...
Il n'y peut plus tenir ; il coupe le filet :
La parque , de fes jours coupe auffi- tôt la trame.
Jeunes coeurs , au danger qui plaît ,
S'expofer & périr le touchent de bien près.
Par M. Boifart.
L'Homme , l'Abeille & le Frelon.
Poussin aveuglément par un inſtinct fatal ,
L'abeille piqua l'homme , au danger de fa vie :
» Vas , méchante , dit - il ; mais utile ennemie ,
» Pour le bien que tu fais , je pardonne le mal . »
Le frelon auffi- tôt vint r’ouvrir ſa bleſſure.
" Oh ! pour toi , reprit-il , ta récompenſe eft füre;
» Etre inutile & malfaifant ,
20 C'est trop de moitié , meurs ; » il l'écrafe à l'inf
tant.
Par le même,
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
L'Araignée & le Ver à foie.
«Qu
UOI ! toujours un maudit balai
Emportera tout mon ouvrage !
» Et jamais je n'acheverai .
ככ
Ah ! cette fois je perds courage.
» Imbécilles humains ! mais vous n'y fongez pas !
» De la rivale de Pallas ,
» Barbares , vous brifez la trâme inimitable ;
» Et d'un vermiffeau méprifab ,
و د
Vous recherchez le fil mille fois plus groffier !
»Pour encourager l'ouvrier ,
>> Vous vous chargez de fa dépense ;
Vous le logez avec magnificence ! »»
C'étoit ainfiqu'Araigne exhaloit fon courroux.
Vermifleau fon voifin lui dit d'un ton plus doux :
Dame Arachné , pourquoi vous échauffer la
» bile:
» Eh ! de grace , modérez-vous..
Oui , de par tous les dieux , vous êtes fort ha-
» bile ;
Votre ouvrage eft fort beau ; .... mais il eſt
>> inutile . »
Par le même.
JANVIER. 1770. 37
BOUQUET d'une jeune Dame à une
jeune Demoiselle de fes amies .
L'AMOUR, par les mains de ſa ſoeur ,
fa
Belle Eglé , de fon myrthe orne aujourd'hui ta
tête.
Un jour viendra qu'il briguera l'honneur
De l'attacher lui -même ; & le fripon s'apprête
A célébrer plus dignement ta fête..
Hélas ! peut-être de ton coeur
Il effacera mon image ;
Mais du moins , s'il fait ton bonheur ,
Souviens - toi de la main qui t'en offrit le gage .
Par le même.
QUATRAIN à M. Moncrif , de
l'académie des Sciences.
NOUOUVVEELL Anacréon , fi de la loi des ans ,
Le corps ne peut pas fe défendre ,.
Quand on a , comme vous , l'ame fenfible &tendre
,
On eft toujours dans fon printems.
A Dourdan , par un Abonné au Mercure.
38 MERCURE DE FRANCE.
A
AVIS trop tard donné.
TON âge j'étois gentille ,
Difoit une mere à fa fille :
Comme toi j'avois des appas ;
Mais , ma chere enfant , ne crois pas
Ce qu'un amant pourroit te dire.
Evite mieux que moi les piéges féducteurs
Dans lefquels l'ingrat nous attire ;
Tous les hommes foot des
trompeurs.
J'ai fait plus d'une fois l'eflai de ma foibleffe s
Mais , dans ce tems plus qu'à préfent ,
Pournotre fexe on étoit indulgent ;
N'ouvre jamais ton coeur à la rendreſſe.
Tant pis , maman ; car nature entrenous
A mis fi grande reflemblance
Que j'aurois déjà , comme vous ,
Befoin de la même indulgence.
Par le même.
LA HAINE MAL FONDÉE . Conte.
DEPUIS EPUIS long tems la famille des Précelles
& celle de la Valice s'étoient juré
une haine irréconciliable. Le jeune de
!
JANVIER. 1770. 39
Précelles , fur-tout , né avec un caractère
impétueux , & nourri dans cette antipathie
, ne voyoit qu'avec des tranfports de
colere tout ce qui portoit le nom de la Valice.
On ne fait trop quel fut le fondement
de cette cruelle divifion . Ce fut l'intérêt
fans doute qui défunit ces deux familles ;
ce fut lui du moins qui les réconcilia.
Un procès , d'où dépendoient des biens
confidérables , demeuroit en fufpens par
la perte de quelques piéces néceffaires
pour le faire juger. L'accommodement ne
pouvoit qu'être avantageux à l'un & à l'autre
,
·
fur tout à M. de Précelles qui n'avoit
pas le bon droit de fon côté. Ce fut
donc lui qui fit les premieres démarches ,
malgré l'extrême répugnance de fon fils.
Il fit propofer à M. de la Valice de donner
fa fille au jeune de Précel'es . Cemariage
tranchoit toutes les difficultés . H
réuniffoit les biens en queſtion en rapprochant
les deux familles . M. de la Valice ,
moins animé , moins entêté que fon adverfaire
, faifir avec joie cette occafion de
fe délivrer des embarras d'un procès , &
de renouer une amitié dont il n'avoit
pu
oublier les charmes . On conclut le mariage
aux dépens de la félicité du jeune de
Précelles , qui regardoit comme le mal
40 MERCURE DE FRANCE.
heur le plus infupportable d'être l'époux
de la fille de fon ennemi.
On vantoit l'efprit , les graces , & furtout
la douceur de caractere de Mlle de la
Valice. De Précelles ne l'avoit jamais
vue , mais fes préjugés d'antipathie ne lui
permettoient pas d'ajouter foi aux éloges
qu'on ne ceffoit de faire de cette jeune
perfonne. Les plus grandes perfections
prennent l'apparence de vices à des yeux
prévenus. De Précelles ne pouvoit ſe mettre
dans l'efprit qu'une fille dont il haïffoit
fi fort les parens , pût pofféder les
qualités les plus aimables.
Tout s'apprêtoit cependant pour fon
hymen. Ses prieres , fes larmes , fa fureur
n'obtinrent rien fut fon inexorable
pere. Il fallut obéir. Les nôces furent célébrées
avec toute la trifteffe que de pareilles
difpofitions devoient y répandre.
De Précelles , au déſeſpoir , méditoit de
fe fouftraire à fon infortune. Fuyons , difoit-
il , fuyons une chaîne odieufe . Pere
cruel ! je vous obéirai , mais ce fera pour
le malheur de tous. Je donnerai ma main
à celle que vous me forcez de prendre pour
époufe ; mais je fuis feul maître de mon
coeur , elle ne l'obtiendra jamais. Les loix
nous donneront des liens , mais ils ne
JANVIER. 1770. 41
feront refferrés ni par l'amour ni par la
nature . Fuyons dès la premiere nuit ce
joug que je détefte . Que la honte & le
défefpoir me vengent , s'il fe peut , de
celle que mon coeur s'eft fait une loi de
haïr.
Malgré cette belle réfolution , de Précelles
fe met au lit avec fa nouvelle
époufe. Ses premieres réflexions font les
préparatifs de fon départ. Il est étonné d'y
rêver avec plus de distraction que de coutume.
Pour la premiere fois le regret pénétre
dans fon coeur adouci . Pourquoi
quitter , avant de la connoître , une femme
avec laquelle il eft peut- être poſſible
d'être heureux ? Il a beau combattre cette
idée , elle prend peu à peu l'empire fur
les autres. A force de s'occuper de fon
époufe , il s'apperçoit qu'il eft auprès
d'elle , & il ne s'en apperçoit pas impunément.,
La nature a fes droits , & de Précelles
eft homme. Une careffe innocente
acheve de l'enflamer. Les idées du plaifir
diffipent celles de la haine . Il oublie enfin
toutes fes réfolutions & fes fermens pour
ne fe fouvenir que de fon devoir.
Le réveil diffipe ces penfées voluptueufes
pour ranimer tous les fentimens
d'averfion qui n'étoient qu'affoupis dans
fon coeur. Le projet de fa fuite l'occupe
42 MERCURE DE FRANCE.
plus que jamais , & répand fur la figure
un air fombre qui inquiéte. Les careffes
les plus tendres que fon époufe croit lui
devoir , & dont elle l'accable , ne fervent
qu'à l'aigrir. Il rougit de fon bonheur
comme d'une foibleffe qui n'eft pour lui
qu'un motif de plus d'accélérer fon départ.
Il donne des ordres fecrets , & comme
fes préparatifs étoient commencés depuis
long-tems , tout le trouve prêt dès le
foir -même. Il part fans s'inquiéter , ou
peut - être en fe réjouiffant de la douleur
qu'il laiffe après lui .
La crainte d'être poursuivi par les parens
de Mlle de la Valice , l'obligea de
quitter d'abord la France. Son pere , qui
n'avoit eu en vue dans fon mariage que
fon propre intérêt , & que fa fuite n'af-
Aigeoit pas autant que les autres , lui faifoit
paffer tout ce qui lui étoit néceffaire..
De Précelles parcourut en dix ans l'Allemagne
, l'Angleterre , l'Italie ; il alloit
enfin fonger à fe fixer lorfqu'il reçut des
nouvelles qui changerent fes mefures.
Son pere venoit , par fa mort de le laiffer
maître de grands biens. Celui de fon
époufe , au contraire , accablé de malheurs
, de pertes confidérables , venoit de
mourir dans la mifére , & ne laiffoit qu'un
fort pareil à toute fa famille.
JANVIER. 1770. 43
Ces deux événemens rappelerent de
Précelles dans fon pays , où rien ne pouvoit
plus l'inquiéter . Il vint mettre ordre
à fes affaires . Il ne s'informa point du fort
de fon époufe ; mais il apprit , comme
malgré lui , qu'elle s'étoit retirée chez un
parent , où elle menoit triftement la vie
la plus malheureufe. Ce coeur , toujours
ulceré , ne fut point touché des peines
que fouffroit une infortunée qui les méritoit
fipeu. Il ne vit dans le malheur qui
accabloit fon époufe que l'impoffibilité
où elle étoit de faire aucune démarche
contre lui .
De Précelles , devenu maître de fon
bien , réfolut d'en jouir à Paris . Il fe livra
aux plaifirs , à la diffipation ; il oublia
bientôt la haine au fein de l'indifférence ;
mais il lui falloit un fentiment plus vif
pour remplir le vuide de fon coeur. Il ne
fut pas long - tems fans l'éprouver. Un
jour qu'il revenoit d'une de fes terres
comme il traverſoit une forêt , il entendit
des cris affreux mêlés d'un bruit d'armes
à feu, il courut du côté qui fixoit fon
attention . Il vit de loin des hommes qui
s'enfuirent à fon approche. Il ne douth
point qu'ils ne fuffent des voleurs , lorfque
s'étant approché de plus près , il vit une
femme baignée de pleurs & de fang qui
44
MERCURE DE FRANCE.
tâchoit vainement de rappeler à la vie un
eccléfiaftique étendu à fes pieds .
Il devinoit trop la caufe des larmes de
cette belle affligée , pour la lui demander
il ne s'occupa que des moyens de la confoler.
Des gémiffemens & des cris furent
la feule réponſe qu'il en put recevoir. II
profita d'un inftant où cette femme étoit
fans connoiffance pour la tranfporter dans
fa chaife , à l'aide de fon domestique , &
après s'être bien affuré que l'eccléfiaftique
ne pouvoit plus recevoir aucun fecours , il
abandonna ce cadavre , & partit avec l'inconnue
.
Lorfqu'elle reprit fes fens elle fe vit
avec ſurpriſe dans les bras d'un étranger .
Son premier mouvement fut l'effroi ; mais
il fit bientôt place à la reconnoiffance
qu'elle devoit à fon libérateur. De Précelles
l'inftruifit de l'état où il l'avoit
trouvée , du fervice qu'il lui avoit rendu,
& la conjura de lui apprendre à fon tour
à qui il avoit le bonheur d'être utile . Hélas
! dit l'inconnue en foupirant , vous
avez fauvé la vie à une infortunée qui ne
defiroit que l'inftant de la perdre . Souffrez
que je vous taife mon nom & ma famille.
Les maux qu'ils m'ont caufés ne
font pas affez intéreffans pour vous , &
font trop pénibles pour mon coeur . Qu'il
JANVIE R. 1770 . 45
vous fuffife de favoir qu'après avoir éprou
vé les plus cruelles difgraces , je vivois
chez un de mes oncles , l'ecclefiaftique
que vous avez vu malfacrer prefqu'à vos
yeux . Nous allions enſemble à Paris folliciter
une grace ; des voleurs nous ont
attaqués . Mon oncle a péri fous leurs
coups, & pendant que les uns emmenoient
nos équipages , votre généreux fecours a
empêché que je ne fuffe la victime des
autres.
Tandis que l'inconnue parloit , de Précelles
fe fentoit agité de mouvemens auffi
violens qu'extraordinaires . Cette ame qui
n'avoit jamais fu que haïr avec excès, commençoit
à aimer avec tranfport . Elle n'étoit
fufceptible d'aucun fentiment foible.
Ces pleurs qui donnent toujours un nouvel
éclat à la beauté , l'infortune qui attache
toute ame fenfible , & ce je ne fais
quoi de tendre que l'on reffent pour ceux
que l'on oblige , tout concouroit à augmenter
fa paffion . Vous alliez à Paris ,
dit-il à la belle affligée . Je rends grace au
fort de ce qu'il m'a choifi plutôt qu'un.
autre pour vous y conduire , & fur - tout
pour vous fauver une vie qui me devient
de momens en momens plus précieuſe.
Angélique , c'eft le feul nom que ſe
donna l'inconnue , n'étoit pas en état d'en46
MERCURE
DE FRANCE
.
tendre cette déclaration . Elle refufa conf.
tamment de fe rendre aux vives inftances
que
lui faifoit de Précelles de fe faire connoître
davantage . Ils arriverent à Paris en
ignorant mutuellement qui ils étoient.
Angélique pria de Précelles de lui louer
un petit appartement garni du prix le plus
médiocre ; de Précelles ne manqua pas de
le choifir proche de fon logis . Il ne quitta
point fa chere Angélique fans avoir obtenu
d'elle la permiffion de lui faire fat
cour.
Il profitoit de cette liberté le plus fouvent
qu'il lui étoit poffible. Il s'expliquoit
ouvertement fur fa paffion fans fonger
feulement qu'il ne lui étoit pas permis de
la fatisfaire . Chaque fois qu'il voyoit Angélique
il la trouvoit dans les pleurs. Il
attribuoit ce chagrin à la perte de fon oncle
; il tentoit d'après cette penfée tous
les moyens de la confoler , mais il reconnut
bientôt qu'il avoit une autre caufe.
Angélique avoit vendu piéce à piéce quelques
bijoux & quelques hardes que les
voleurs n'avoient pas eu le tems de lui
ravit . Ces fonds s'étoient bientôt épuifés;
elle voyoit la mifére prête à fondre fur
elle , & n'avoit que les moyens les plus
vils pour s'en délivrer.
De Précelles s'apperçoit affez tôt de
JANVIER . 1770. 47
l'extrêmité où celle qu'il adore va être
réduite. Il veut la prévenir. Il cherche , il
emploie les motifs les moins humilians
pour lui faire accepter fes bienfaits.
Nouvel objet de reconnoiffance pour la
tendre Angélique , qui met dans l'aveu
de fa mifére autant de grandeur d'ame que
fon amant en mettoit à la réparer. Elle ne
lui diffimula pas que les fecours qu'elle
peut recevoir de fa famille ne font
pas
fuffifans pour la foutenir. Mais , d'un autre
côté , comment accepter des bienfaits
d'un homme qu'elle ne connoît pas , auquel
elle ne peut fe faire connoître , &
quel en fera le motif? De Précelles , fans
cependant fe nommer , la raffure fur toutes
fes craintes , & goûte le fouverain
bonheur de partager fes biens avec l'objet
qu'il adore.
Il fentit bientôt pourtant combien ce
fervice lui coûtoit cher ; il gênoit fa délicateffe
au point de ne plus ofer faire
paroître fa tendreffe . Il craignoit que fa
générofité ne femblât à fon amante le
fentiment vil & intéreffé d'un homme
qui croit acheter l'amour en payant fes
plaifirs. Il fe contraignoit donc au filence ,
& n'en fouffroit que davantage. Angélique
s'en apperçut , & lui en fut gré. Sa
48 MERCURE DE FRANCE .
détreffe l'avoit empêchée de faire les démarches
qui l'avoient attirée à Paris . Elle
y fongea lorfqu'elle fut plus à fon aiſe ,
& s'occupa vivement des moyens de rendre
à de Précelles les bienfaits qu'elle en
recevoit chaque jour,
Un foir que de Précelles l'avoit été
voir , & qu'il l'avoir trouvée fortie ; à
peine rentré chez lui , il en reçut un billet
par lequel elle l'attendoit avec la plus
grande impatience. L'air d'émotion qui
paroiffoit dans fon ftyle l'étonnoit beaucoup
, & fon nom , qu'il lui avoit caché
avec tant de foin , & qui fe trouvoit cependant
fur l'adreffe , ajoutoit encore à fa
furprife. Il fe rendit chez elle dans le moment.
Jamais fon coeur n'avoit été tant
agité. Angélique , à fa vue , ne laiffa pas
voir moins de trouble . Sa main étoit tremblante
fous les baifers de fon amant. Elle
étoit fans lumiere , & la nuit commençoit
à paroître ; mais cette obfcurité étoit
favorable pour tous deux pour qu'il
la fiffent ceffer. Angélique parla la premiere.
trop
Vous m'avez accablée de bienfaits , ditelle
à de Précelles ; vous feul avez foutenu
cette vie que vous m'avez ſauvée ſi
noblement. Mais à quel titre , & quelle
reconnoillance
JANVIER. 1770. 49
·
reconnoiffance puis je vous en témoigner
? Vous m'aimez : vous me l'avez dit
avant que votre libéralité me donnât de
fi généreux fecours. La violence que votre
délicateffe a faite depuis à votre amour ,
n'a fervi qu'à me le faire mieux connoître.
Que ferai - je donc pour m'acquitter
de ce que je vous dois ? Vous aimer autant
que vous m'aimez ? Ah ! c'eft une
derte que mon coeur paye avec trop de
plaifir à votre amour , pour qu'elle ne devienne
que le prix de votre bienfaifance.
-
Ah ! charmante Angélique , s'écria de
Précelles , comptez- vous pour rien ce
tendre aveu? Il eſt plus que fuffifant pour
payer
Outes mes richeffes. Que parlezvous
de bienfaits ? Ne vous les dois je
pas , puifque je vous adore ? Ecoutez
moi , interrompit à fon tour Angélique .
Plus vous diminuez le prix de vos fervices
, plus j'en dois être reconnoiffante ; &
la façon dont je veux vous le témoigner
fera trop flatteufe pour vous , s'il eft vrai
que vous m'aimiez , pour que j'en puiffe
craindre un refus. S'il eft vrai que je
vous aime ! Pouvez-vous douter....
Non , je le crois. Mais... Que ne m'avezvous
toujours aimée , ou plutôt que ne
II. Vol.
-
C
;
so
MERCURE DE FRANCE.
-
fuis je fûre que quoi qu'il arrive , vous ne
cefferez jamais de m'aimer. Ah ! jamais
, jamais... Mais , chere Angélique ,
quelle idée avez vous de moi , fi vous
pouvez me croire capable d'inconftance .
Hélas ! dit Angélique en foupirant , &
d'une voix plus altérée , c'eft bien plutôt
votre conftance que je redoute .
De Précelles , fans la comprendre , s'apperçoit
qu'elle effuye des larmes. Son coeur
amoureux s'inquiette , & veut en favoir
la caufe . Angélique l'interrompt & continue
ainsi , avec un trouble qu'elle s'efforce
en vain de cacher. Il eft tems que
nous nous connoiflions l'un & l'autre ;
mais mon fecret ne peut être révélé le premier.
J'ai appris aujourd'hui votre nom ,
mais c'est à vous de me dire le refte . De
Précelles , vous m'offrez votre coeur ; mais
êtes vous bien libre de me le donner ?
Cette queftion imprévue , & qui rap
peloit un fouvenir que de Précelles avoit
banni depuis fi long - tems de fon eſprit ,
le remplit à l'instant de l'agitation la plus
cruelle. Il étoit inutile de cacher fon mariage
à Angélique qui ne paroiffoit pas
l'ignorer. D'ailleurs pouvoit- il la tromper
? Mais aufli comment lui avouer une
chofe qui le rend fi coupable. Que va penJANVIER.
1770. St
fer celle qu'il aime de l'efpece de ſes defirs
? Quels reproches ne mérite t'il pas ? Il
fent tous ceux dont fon amante doit l'accabler
, fur - tout après le tendre aveu
qu'elle vient de lui faire. Il fe taît , mais
enfin il faut répondre . Il fait un effort fur
lui- même ; l'obfcurité l'aide à cacher une
partie de fon embarras . Il fe jette aux genoux
d'Angélique , en arrofant fes mains
de larmes .
Que de torts j'ai à vous avouer , s'écrie
-t- il ! Je vais vous paroître le plus
odieux de tous les hommes ; mais fi je ne
fuis pas digne de votre clémence , je mérite
au moins votre pitié. Je vous adore;
je n'ai jamais aimé que vous . La violence
de ma paffion m'a fermé les yeux fur
l'impoffibilité de la fatisfaire. Je n'ai vu ,
en vous adorant , que le feul plaifir de
vous adorer. Ah ! combien il m'eût été
doux de lier mon fort au vôtre par les
noeuds les plus étroits ! mais ce bonheur
m'eft interdit par le deftin le plus barbare.
Je vous le confeffe , en rougiflant ;
mais je rougirois davantage de vous le
diffimuler. Je ne fuis plus libre... Je fuis
marié.
Pardon , Angélique , pardon ; je prévois
votre colere , elle eft jufte , & je ne pré.
Cij
52
MERCURE DE FRANCE.
f:
tends pas la fléchir ; mais conſidérez l'état
d'un coeur que vous ne partagez avec perfonne
, qui ne peut aimer que vous , qui
n'a fenti que pour vous feale les tranfports
d'une véritable paffions ; confidérez
ce coeur enchaîné malgré lui à l'objet de
fon averfion . Obligé de fuir une époufe
qu'il détefte , & qui , dix ans après , trouve
la feule beauté qui pouvoit l'enflammer.
Je vous aimai fans le favoir. Ai -je pu me
mettre en garde contre les charmes de
votre caractere & de votre perfonne ?
Avois - je rien dans le coeur qui pûr combattre
ce doux penchant ? Et fi je m'y fuis
laiffé entraîner , ne fuis je pas plus malheureux
que compable ? Angélique , mon
ame eft conftante. Je fens que je vous
adorerai toujours ; que deviendrai - je , s'il
faut que je vous fuye ? Irai je retrouver
une épouse , à qui cette même conſtance
affure une haine éternelle de ma part ?
Non , ne l'efpérez pas. Mon enfance fut
accoutumée à ne prononcer fon nom qu'a
vec horreur. Le refte de ma vie ne pourroit
effacer le fentiment né avec moimême.
Si ma haine étoit raiſonnée , des
motifs plus forts pourroient la balancer
& la détruire ; mais elle eft naturelle &
ne reconnoît point l'empire de la raiſon.
·
4
JANVI E R. 1770. 53
peut
Hélas ! fi elle eût été moins enracinée ,
être n'exifteroit- elle plus ? Mon
époufe a des charmes & des vertus qu'on
m'a vantés fans ceffe : il n'a tenu qu'à
moi de chercher auprès d'elle le bonheur;
mais un fentiment aveugle & que je n'ai
pu vaincre , m'en a toujours éloigné.
Plaignez donc , chere Angélique , plaignez
donc un coeur que l'amour & la haine
détruiront fi cruellement ; mais ne
m'accufez pas fi je vous aime. Mon ardeur
eft involontaire , & je ne vous en ai
jamais demandé d'autre prix que le plaifir
de vous en affurer & le bonheur de vous
y.voir fenfible..... De Précelles alloit
continuer , lorfqu'il fent que la main
d'Angélique , qu'il ferroit dans les fiennes
, devient froide comme le marbre. Il
la preffe ; il lui parle , il s'apperçoit qu'il
n'en eſt pas écouté : fon vifage eſt couvert
de larmes ; elle eft fans mouvement.
Cet accident effraye de Précelles . Il
appelle promptement du fecours . La lumiere
lui fait voir fa maîtreſſe évanouie ,
& portant fur fon vifage la pâleur de la
mort. Il la fait mettre au lit ; elle reprend
fes fens peu à peu : fes yeux s'ouvrent, &
fes regards fe tournent triftement fur fon
cher de Précelles . Elle lui ferre foiblement
la main , & fes larmes recommen-
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
cent à couler. La bienféance oblige l'amant
de fe retirer , avant d'avoir pu apprendre
la caufe d'un mouvement fi fubit
& fi extraordinaire . Il vole dès le lendemain
au logis d'Angélique pour favoir
des nouvelles de fa fanté. Il apprend
qu'elle fe porte mieux ; mais fa porte lui
eft interdite , & l'on ne détermine point
le tems où il pourra la voir. Il n'ofe fe
plaindre d'un ordre fi barbare ; mais il
n'en eft pas moins défefpéré. Huit jours fe
paffent dans ces cruelles fouffrances.
Ce tems écoulé , de Précelles reçoit un
billet d'Angélique . L'état où vous m'avez
vue , lui difoit elle , n'a pas dû vous
étonner , fi vous avez réfléchi à ce que je
fens pour vous & à ce que vous m'avez
avoué. Ces noeuds que vous déteftez &
qui vous éloignent de moi , ne pouvoient
qu'affliger cruellement une ame auffi fen-
Gible que la mienne . Il m'a fallu huit
jours pour me déterminer fur les moyens
d'accorder l'amour & la reconnoiffance
aux dépens de toute autre confidération .
Venez apprendre ce qu'ont produit les
combats que j'ai foufferts en votre abfence
.
De Précelles võla fur le champ où l'amour
l'appeloit. Il trouva fa chere Angélique
, dont l'air abbatu prouvoit enJANVIEŘ
. 1770. SS
core le défordre de fon ame. Vous avez
tout fait pour moi , lui dit-elle , je vous
dois tout ce que l'honneur même me rend
plus précieux ; & mon coeur vous eft acquis
par des droits fi légitimes , que la décence
ne fauroit murmurer de ce que je
fais pour vous. L'hymen ne veut pas que
nous foyons unis , mais l'amour l'ordonne
; c'eſt à lui de vous confoler des noeuds
que vous déteftez : fi vous n'aimez que
moi , c'eſt à moi feule que l'honneur vous
engage . Tant que cette même ardeur nous
enflammera l'un pour l'autre , nous ferons
véritablement époux.
De Précelles ne pouvoit fuffire à fes
tranfports. I les exprimoit par mille folies
auxquelles Angélique répondoit avec
tendreffe , mais fans que fa mélancolie
pût l'abandonner. Cette premiere ivrefle
un peu diffipée , il fallut fonger à s'arranger.
L'oubli que je fais de moi - même en
me donnant à vous , dit Angélique , m'oblige
plus que jamais à vous cacher qui je
fuis : j'ai des parens qui ne refteroient pas
tranquilles fur cette démarche , & je dois
éviter un éclat qui feroit fans doute le
malheur de tous deux . De Précelles n'en
exigea pas davantage ; il avoit , de fon
côté,des bienséances à ménager. Ils réfolurent
donc de tenir leur commerce fecret.
Civ
56 MERCURE
DE FRANCE
.
Angélique prit un appartement convenable
dans un des fauxbourgs de la ville ; &
de Précelles , fous le nom de Darville , y
paffoit pour fon époux. Il lui donnoit
tout le tems qu'il pouvoit dérober à fes
affaires. Garçon à la ville , & marié dans
les fauxbourgs , perfonne ne foupçonnoit
leur intelligence.
Il y avoit fix ans qu'elle duroit, lorfqu'un
jour qu'ils étoient enfemble dans une promenade
publique , de Précelles apperçut
de loin un jeune homme avec un autre
plus âgé qui les fixoient avec attention .
Il n'y prit pas garde d'abord ; mais après
plufieurs tours d'allée , voyant toujours
les regards de ces deux mêmes perfonnes
attachés fur eux , il le fit remarquer à Angélique
: elle n'eut que le tems de les entrevoir
; la foule qui fe trouvoit entr'eux
les lui fit perdre de vue.
Deux jours après , comme de Précelles
étoit chez Angélique , il reçut un billet
d'un inconnu qui vouloit le voir , difeit
il , pour une affaire importante . Sa tendre
maîtreffe vouloit l'empêcher de s'y rendre
, au moins avant qu'ileût de plus grands
éclairciffemens. Il rit de fes craintes , tâcha
de la raffurer , & partit fur le champ.
Il trouva au rendez-vous le même jeune
homme qu'il avoit remarqué à la promeJANVIE
R. 1770 . 57
nade . Il étoit feul , & paroiffoit fort agité.
Il le fut encore plus lorfqu'il vit arriver
de Précelles . Il l'aborda le premier.
N'est- ce pas vons , lui dit - il , qui vous
nommez M. d'Arville ? C'eſt un nom que
je porte . Faites moi la grace de me dire
quelle eft la Dame avec laquelle vous
étiez avant hier à la promenade . —Que
vous importe ? Pardon de mon indifcrétion.
Croyez que ce n'eft point une fimple
curiofité qui m'engage à vous faire
cette question ; je ne vous la fais que pour
des raifons effentielles. Hé bien , cette
Dame eft ma femme . Votre femme!
je m'attendois à de la fincérité de votre
part , mais vous m'en impofez . Elle ne
ne peut être votre femme , puiſqu'elle eſt
celle d'un autre . -Doucement, Monfieur ,
modérez vos expreffions . Vous avez , dites
-vous , des raifons effentielles pour favoir
à quel titre elle m'appartient ; quand
vous me les aurez apprifes , je verrai ce
que je dois vous répondre . La feule ·
explication que je veuille avoir avec vous ,
la voici , dit le jeune homme , en tirant
l'épée : Vous n'êtes qu'un infame fuborneur
qui avez abufé lâchement de fa mifére
pour lui ravir ce qu'elle avoit de plus
cher; & vous vivez avec elle fans honte
de votre conduite , fans remords du tort
Ст
58 MERCURE DE FRANCE.

que vous faites à fa famille , & fans crainte
de la vengeance qu'elle en doit tirer .
A ces mots le jeune homme charge
vivement de Précelles qui , outragé , attaqué
, n'a que le tems de fe mettre en
défenfe , fans confidérer la jeuneffe de celui
contre lequel il combat. Le jeune inconnu
, aveuglé par fa fureur , s'enferre
lui - même , tombe bleffé ; s'écrie : ah ! ma
mere ! je meurs fans vengeance , mais
c'eſt pour votre honneur que j'ai combattu.
Eh quoi , dit de Précelles , ému de
pitié , elle est votre mere . -Hélas ! pour
fon malheur & le mien . Ah ! malheureux
jeune homme , que ne me l'avezvous
dit plutôt ! Aurois - je jamais tenté
d'arracher la vie au fils d'une femme que
j'adore avec tant de paffion . En parlant
ainfi , de Précelles panfoir la plaie du
jeune homme, s'efforçoit d'étancher , d'arrêter
fon fang. Il le relevoit pour l'aider à
rentrer dans la ville , lorfqu'il vit de loin
la malheureufe Angélique qui , conduite
par l'homme âgé qu'il avoit vu à la promenade
, accouroit vers eux à bras ouverts.
-
Quel fpectacle pour cette tendre mere
de.voir fon fils fanglant , près d'expirer
à fes yeux ; & quelle douleur plus cruelle
encore pour une amante de voir dans ceJANVIE
R. 1770. 19
lui qu'elle adore le meurtrier de fon fils.
Ses gémiffemens éclatent fans retenue .
Elle ferre fon enfant dans fes bras ; elle
le quitte pour chercher la mort fur l'épée
de l'un des deux . On a mille peines à l'arrêter
; fes efprits font égarés ; elle nomme
fon amant & fon fils , & les prend l'un
pour l'autre ce n'eft qu'en verfant und
torrent de larmes qu'elle parvient à fe
foulager.
Elle revient à elle ; trouve fon fils dans.
fes bras , & eft elle - même ferrée dans
ceux de fon amant . Elle s'en arrache avec
fureur , & découvrant fon fein , tiens ,
dit- elle après avoir maſſacré ton fils , il ne
refte plus que moi de cette malheureuſe
famille que tu abhorres . Frappe l'infortunée
de la Valice , ton époufe déteſtée ;
que je fois ta derniere victime ! Que n'aije
été la feule ! Mais il te falloit , pour
affouvir ta rage , plonger dans le fein de
ton fils... De ton fils , oui , il eft ton fils ,
je te le répéte pour ton tourment & pour
ma vengeance . Viens , cher enfant, meurs
dans mes bras , & que je meure avec toi
pour le contenter. Refpecte ton meurtrier.
Il eft ton pere... Il eft mon époux ... O
nom que j'adore encore , pardonne à mes
égaremens...Je n'ai pas ceffé de t'aimer ;
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
mais je fuis mere , & mon fils eft dans mes
bras , bleffé de ta main.
Une foibleffe foudaine l'empêcha d'en
dire davantage. Je n'entreprendrai point
de peindre l'état de de Précelles , abîmé
dans l'étonnement & dans le défeſpoir . Le
vieillard , témoin de cette fcène affreuſe,
ne favoit auquel des trois donner fon fe
cours . Il trouva heureuſement une voiture
qui les conduifit chez Angélique. Un
chirurgien penfa le jeune homme ; fa
bleffure n'étoit pas dangereufe . L'état d'An
gélique faifoit bien plus appréhender
pour les jours ; une fiévre violente latourmentoit
fans ceffe , & les tranfports
la mettoient à chaque inftant au bord du
tombeau. La fanté de de Precelles n'étoit
pas plus certaine ; un noir défefpoir le
minoit rapidement. Le jeune homme
guérit le premier , & fa convalefcence
rendit la vie à fes parens . Il confoloit
tour - à tour fon & fa mere . Leur
pere
mal fe diffipa bientôt avec le danger de
leur fils .
-
Le médecin , à- peu- près inftruit de ce
qui s'étoit paffé entre les trois perfonnages
, avoit empêché qu'ils ne fe parlaffent,
de peur de quelque nouvelle révo
lution. Cette privation ne faifoit qu'ac
JANVIER . 1770. 61
eroître le defir qu'ils avoient de fe revoir.
De Précelles en obtint enfin la permiffion
, lorfqu'Angélique fut bien rétablie.
Prévenue de fa vifite , elle avoit fait venir
auprès d'elle fon fils , & fon parent qui l'avoit
amené ; elle vouloit qu'ils fuffent
témoins de cette fcène touchante. De
Précelles paroît en tremblant ; il ne fait
qu'un faut aux genoux d'Angélique , &
cache fa tête dans les mains de fon épou
fe pour lui dérober fa confufion . Elle le
releve , le ferre contre fon fein , colle fon
vifage contre celui de fon époux ; leurs
larmes fe confondent & coulent enfemble.
1 .
Le long filence qui permettoit un libre
cours à leurs foupirs , à leurs tranſports ,
eft enfin interrompu par Angélique . Je ne
fuis plus ton amante ; je redeviens ton
époufe... Puis - je donc efpérer que tu
m'aimes encore ? De Précelles fe leve:
pour toute réponſe , regarde fon fils avec
amour & le couvre des plus tendres baifers
; il ne quitte fes bras que pour voler
dans ceux de fa femme. Les larmes qui
recommencent à couler , les careffes , les
tranfports , tout eft commun entr'eux ; ils
font tous trois dans une égale ivreffe . On
veut enfin s'expliquer. Ah ! dit de Pré62
MERCURE DE FRANCE.
celles : chere Angélique , époufe adorée ,
pourquoi m'as- tu privé ſi long - tems du
bonheur que je goûte aujourd'hui , il n'eût
pas été précédé de tant de douleur ?
J'ai craint , dit Angélique , que mon
nom feul ne rappelât dans ton coeur la
haine qui m'y paroiffoit fi bien affermie .
Lorfqu'après m'avoir ficruellement abandonnée
, mon bonheur te ramena dans
cette forêt pour me fauver la vie & me
rendre ton coeur , je ne te reconnus point.
Dix ans d'abfence , fans avoir pu me faire
perdre ton fouvenir , avoient effacé de
mon efprit res traits que je n'avois vu que
quelques heures. Ce ne fut qu'à Paris que
j'appris ton nom . Etonnée d'un haſard fi
heureux , je n'ofai rifquer d'en perdre le
fruit . Je c'étois autant inconnue que tu
l'avois été pour moi. Je réfolus de fonder
tes fentimens . Souviens - toi avec quelle
horreur tu me parlas de ton époufe : j'ai
tremblé de la faire renaître . Elle m'eût
été bien plus cruelle , après avoir accoutumé
mon coeur à t'adorer . Que m'importoit
fous quel nom j'étois aimée ? Devois
je rifquer de perdre un bien qui
m'étoit précieux ? Sûre de mes fentimens
& de ma vertu , me livrant fans crainte à
une paffion légitime , les bienféances ne
-
JANVIER. 1770 . 63
m'allarmoient point. J'ai méprifé les apparences
pour m'affurer le bonheur de
plaire toujours à mon époux . J'ai craint
même que ma famille , inftruite de ma
félicité , ne fît des démarches pour affurer
une union que ton erreur rendoit bien
plus certaine . Cette entreprife pouvoit
me perdre en t'éclairant. Je lui cachai
donc & notre commerce & ma retraite.
Telle fut la caufe de nos chagrins . Mon
fils , amené à Paris par mon parent pour
tâcher de me découvrir , nous voit à la
promenade . Il nous fuit , s'informe , apprend
que nous paffons pour mariés . Perfuadé
que je ne pouvois être ton épouse ,
il te croit un féducteur , & veut en tirer
vengeance.... Mais oublions des momens
affreux pour ne nous occuper que
du plaifir qu'ils nous ont caufé .
La joie qui avoit précédé ce récit en
fut encore la fuite . De Précelles fe fit
honneur de déclarer fon mariage. Les
charmes de fon époufe étoient toujours
les mêmes , & la tendreffe de l'époux augmentant
, fe partageoit entre fa chere Angélique
& fon fils . L'amour avoit fi bien
pris la place de la haine dans fon coeur , que
toute cette famille lui devint auffi chère
qu'il l'avoit autrefois déteftée.
64 MERCURE
DE FRANCE.
LES QUILLES DE SIAM , Conte.
SURR chaque objet qui ſe préfente
Vous exercez votre langue éloquente ,
Difoit un enfant ; tous les jours
Vous m'inftruifez par vos difcours.
Que je joue au volant , aux dames , à la balle ,
Vous tirez de ces jeux une utile morale :
Elle me plaît aflez . Mais je voudrois favoir
Si vous pourrez me dire quelque chofe
Sur certain jeu qu'on me propofe ,
Et qui m'amufera ce foir.
C'eſt le Siam . Certes j'ai grande envie
De m'endormir une fois dans ma vie ,
Sans que mon gouverneur ait eu l'occafion
De placer à propos quelque réflexion.
Déjà tous les acteurs font arrivés. La boule
Eft pouffée avec art , & fur le parquet roule
Que de bois elle abbat ! Chacun la fuit des yeux .
Lorfque fon mouvement s'arrête ,
Un autre la faifit promptement , & s'apprête
A réuffir encore mieux .
De fon côté chacun travaille
Pour ne point perdre la bataille.
Et même à ces braves foldats
Une feule ne fuffit pas.
JANVIER. 1770. 65
1
L'honneur & l'amour de la gloire,
Excitent les guerriers à de nouveaux combats.
Ce n'eft qu'à l'heure du repas
Qu'ils cédent au plus fort une entiere victoire.
Eh bien , Monfieur , avez-vous médité ,
Dit le jeune élève à ſon maître ,
Sur le plaifir que nous avons goûté ?
Sans morale aujourd'hui je dormirai peut - être.
Non pas , mon bon ami , répond le gouverneur.
Vous entendrez , malgré votre air mocqueur ,
Quelques réflexions que ce jeu m'a fait naître.
Trois fois autour du neuf votre boule a tourné .
Ce neuf, trois fois environné ,
S'eft tenu droit vous n'avez pu l'abbatre :
:
Vous n'avez abbatu que le cinq ou le quatre.
Image des projets que forment les humains.
Aux biens , aux dignités, que de mortels afpi
rent ,
A qui rarement les deftins
Accordent plus d'un quart des chofes qu'ils defrent
!
Plufieurs n'obtiennent rien du tout .
Vous avez vu la boule , adroitement lancée ,
Parcourir tous les rangs , de l'un à l'autre bout ,
Sans qu'une feule quille ait été renverſée .
Vous avez éprouvé vous - même ce malheur .
Mais au lieu de vous plaindre avec impatience ,
Il auroit mieux valu montrer de la conftance.
Et témoigner plus de vigueur.
66 MERCURE DE FRANCE .
De vos mauvais fuccès , par une erreur commune
,
Vous avez , en jouant , accuſé la fortune :
Vous en étiez l'unique auteur.
Pouviez-vous espérer , que d'une main peu fôre
L'inftrument mal tenu , plus mal encor jeté ,
D'un cercle autour du jeu décrivit la figure ?
Nous imputons à la nature ,
Au hafard , au ciel irrité ,
Des peines , des chagrins , un affront , une injure ,
Que nous nous attirons par notre lâcheté ,
Par imprudence ou par témérité.
Rappelez vous un coup funefte.
Votre adverfaire n'a que dix ,
Et vous comptez quarante- fix.
Jetez le cinq à bas , & la palme vous refte.
Déjà vous triomphez.. Hélas ! quel changement !
La quille du Siam , par votre antagoniste
Eft renversée adroitement.
Vous perdez . Je l'avoue , il n'eft rien de plus trifte,
De plus infupportable... excepté cependant
Le fort d'un grand feigneur ou d'un homme puiffant
,
Qui , des heureux , groffit la lifte.
Il fe croit à l'abri de tout événement .
Un rival peu connu ſurvient à l'improviſte ,
Et le fupplante en un moment.
Par M. Janfon , de Vitry-le-François
en Champagne.
JANVIE R. 1770 .
67
TRADUCTION de l'Ode XXX du premier
livre d'Horace : O Venus regina
Gnidi , &c.
To1 ,
01 , qu'on adore à Gnide , à Paphos , à'Cythère
,
Et dont les douces loix enchaînent jufqu'aux
dieux ;
Toi , qui préferes Chypre à la pompe des cieux :
OVénus ! entends moi : quitte une ifle fi chere :
Et fenfible à l'encens que t'offre ma Glicere ,
Deſcends dans cet afyle embelli par fes yeux ;
Que ton fils , que ce dieu , dont la charmante
ivrefle ,
Sait couronner de fleurs le trait dont il nous bleſſe ,
Les graces, & les ris accompagnent tes pas ;
Que Mercure les fuive & l'aimable jeuneſle ,
Qui ne pourroit fans toi conferver les appas.
A une refpectable Dame, lejour defafête .
Τουτ OUT s'empreffe à vous rendre hommage :
Le feu , pour vous , s'éleve dans les airs ;
Pour vous , l'aimable dieu des vers
Du dieu du chant emprunte le langage ;
68 MERCURE DE FRANCE.
Flore , dépouillant fes jardins ,
De fes rofes , de fes jafmins ,
Vient vous offrir mainte couronne :
Pour moi , plus fimple en mes préfens ,
Je n'offrirai qu'un peu d'encens ,
Mais c'eſt à votre coeur que mon amour le donne.
ETRENNES à mon Pere.
Gaudes carminibus ; carmina poffumus
Donare : non pretium dicere muneri.
UNN peu
de verve , ou plutôt de folie
Jufqu'à ce jour me fit rimeur ;
L'âge me vient ; il eft tems que j'oublie
Ces noms obfcurs de Philis , de Sylvie ,
Que célébra & ſouvent mon erreur.
Je veux chanter la vesu , la ſageſle ,
La conftance dans le malheur.
Guidé par ma feule tendrelle ,
Je vous offre ces vers , qu'avouera le Perinefile ;
S'il ne dément jamais le langage du coeur ?
JANVIER . 1770. 69
1
LE Triomphe de L'AMITIÉ . Stances .
Jx languiffois aux noirs foucis en proie ;
Zélis parut , elle fut les baunir.
Je renaiffois dans une douce joie ,
Zélis auffi la fit évanouir.
Ne puis-je donc favoir quelle magic
Sur tous mes lens cette nymphe employa.
Je l'aime tant ! las , elle eft fi jolie !
Mais je ne fais fi fon coeur aimera.
Doute cruel ! oui , près de cette belle ,
Lui feul , fans doure , a pu navrer mon coeur.
Frémis , Amour , fi Zélis t'eft rebelle ,
Vas , tu n'es plus qu'un vulgaire enchanteur.
Oui , fi Zélis peut repouffer tes flames ,
Si l'amitié feule obtient fon encens ,
Renonce , Amour , à l'empire des ames ,
Tes loix , à peine , impoferont aux fens.
A l'amitié tu céderas la gloire
De difpenfer le fuprême bonheur ...
Zélis prononce , ô ciel ! puis-je le croire ,
L'Amour profcrit va cacher fa douleur !
Eh bien , aimons , comme Zélis l'ordonne :
70
MERCURE DE FRANCE.
Elle a raifon , l'Amour n'a qu'un printems.
Cléon vieillit , Thémire l'abandonne ,
Mais fon ami lui refte en les vieux ans.
EPIGRAMME , imitée de l'anglois .
Non, non , jamais , c'eſt choſe lûre ,
Dit une belle , fans mourir ,
Je n'efluierois telle aventure
Qu'amour à Life fit fubir.
Quoi ! dir quelqu'un , belle Sylvie ,
Sous l'orme , hier , au point du jour ,
Philinte vous faifant fa cour
Devoit trembler pour votre vie !
L'EXPLICATION du mot de la premiere
énigme du premier volume du Mercure
de Janvier 1770 , eft le puits ; celle de la
feconde eft anagramme ; celle de la troifiéme
eft lame ; celle de la quatriéme eſt
la lettre . Le mot du premier logogryphe
et Médecine , où l'on trouve cime
médecine (potion , ) mine , nid , Dece ,
Mede , mie , Cid , niece , Médecin , demie ,
Medine , Nice. Le mot du fecond eft baf-
Je , où fe trouve bas : Celui du troifiéme
JANVIER. 1770. 73
eft Corbeau , où fe rencontre cor & beau :
celui du quatriéme eft orage , où l'on trouve
or & âge.
ÉNIGME
Imitée de Rabelais.
JE connois un chemin qui n'eut jamais d'orniere ,
Fort doux , un peu tortu , fans crotte & fans pouffiere.
Sur ce chemin , point de voleurs ,
Point de caroffes , de charrettes ,
De cabriolets , de brouettes ,
Point de boeufs & point de paveurs.
Mais notez bien fur toute chofe ,
Et daignez croire ce qui fuit :
Le chemin marche jour & nuit ,
Et le voyageur fe repofe.
AUTRE .
AFIN d'éclairer l'homme on voit que je ſuis
faite ;
Car il me fouffre , hélas ! à peine , en deux endroits.
72 MERCURE
DE FRANCE.
Lorfqu'il faut me toucher , c'eft du bout de fes
doigts ;
Et cependant mes feux lui font tourner la tête.
ParF.... C. au greffe de l'hôtel- deville
de Paris.
AUTRE.
PAR le fecours de l'impofțure
J'imite la réalité ;
J'emprunte l'air de la nature ,,
Et je ne fuis que faufleté.
Souvent j'excite l'allégrefle
Dans le coeur des tendres amans
Et les tranfports de mon ivreſſe
Leurfont paffer d'heureux nomens,
Souvent je cauſe le martyre
Des maris fombres & jaloux ;
Et bien loin de les faire rire ,
J'excite toujours leur courroux.
Mais dès qu'on voit fuir le preftige ,
Le vrai fe montre en tout fon jour ;
L'amant heureux pleure & s'afflige ,
Et le mari rit à ſon tour.
Par M. Fabre de Marfeille.
AUTRE.
JANVIER. 1770. 73
V
AUTR E.
OUS faurez que d'un perroquet
D'un aigle ou bien d'une marmite ,
J'ai quelque chofe , & quand ma forme eft trop
petite ,
Le finge eft l'animal de qui
j'emprunte un trait :
L'on me
reconnoîtra fans peine à ce portrait ;
Je porte une double ouverture
D'où coule une matiere impure:
Jefuis glouton , & j'ai des mets
Qui ,fans être une nourriture ,
Sont
conformes à ma nature
Et pour moi font faits tout exprès.
Je fuis viſible à tout le monde ,
Hors au mortel à qui je luis ;
Seul de mon efpece au logis ,
Cependant en tous lieux j'abonde.
Par M. Parron , capitaine
d'infanterie
JE
LOGO
GRYPH E.
E fuis enfant de la commodité ;
Je me trouve par- tout , mais le luxe s'oppole
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
Par fois à mon utilité ,
Et par refpet , alors , pour ma beauté ,
En m'admirant beaucoup , on n'ofe
Ufer de moi trop librement ,
Car je tiens fort à l'étiquette :
Dans un palais , dans une humble retraite ,
Au potentat , comme au manant ,
Je fers d'une façon tout - à-fait uniforme
En changeant bien fouvent & de nom & de forme.
Je luis le témoin très- difcret
De tout ce qui fe dit , de tout ce qui fe paffe
Chez un amant ou chez un homme en place ,
Dans un boudoir ou dans un cabinet.
Mais pour bien garder mon fecret
Il ne faut pas en dire davantage.
En décomposant l'affemblage
Des huit lettres qui font mon nom ,
On voit la trifte maladie
Qui vient troubler la vifion ;
De la colonne une longue partie ;
Deux élémens ; une conjonction ;
L'indicatifdu néceflaire ;
Ce qu'on trouve en creufant la terre ;
Ce qui forme le toit d'une habitation ;
Deux notes de mufique ; une plante bulbeufe ;
Cette liqueur peu précieufe
Qui s'amafle au fond d'un tonneau ;
Ce qui conduit l'air auffi - bien que l'eau ;
Ce qu'eft toujours un petit maître;
JANVIER. 1770. 75
Dans la Flandre , l'objet d'un commerce impote
tant .
Tu dois à préſent me connoître ,
Je finis donc , lecteur , en t'afſuranc
Que le jaloux le plus infupportable
Voit la maîtreffe entre mes bras ,
Et ,quoiqu'il foit inexorable ,
Sûrement ne s'en fâche pas.
Par le même.
AUTR E.
MESSIEURS , je ne viens point fiere de mon
ufage ,
De mes fervices faire un pompeux étalage ,
Accufer de rigueur un aveugle deftin .
Non , bien qu'à vous fervir mon malheur foit certain
,
Je vous dois l'exiftence , agréez mon hommage.
Sexe enchanteur par vos attraits ,
Je n'aurai jamais l'avantage
De rafraîchir vos tendres traits.
Mon corps eft rond , & fur dix pieds voyage ;
Il préfente d'abord à qui veut combiner ,
Une molle partie attachée à mon être .
Ami , lecteur , à ce début peut- être
Facilement tu vas me deviner.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Ne crois pas , cependant , me trouver fifacile ,
Pourfuis & tu verras certain mont enflamé
Affaiffé fur le corps d'Encélade indocile ;
Le pere de Jalon , une ville en Sicile ;
Ce qui contrafte à rien ; comment eft bien nommé
Tout homme à préjugés , & plus d'un petit maîtres
L'action fans laquelle on n'eft point aſſaſſin ;
De ton coufin la mere , on y verroit un traître
S'il le trouvoit un feul i dans mon fein ;
O manes des Troyens ! Vous , cendres de Pergame!
Pardon , fi j'ofe ici rappeler un infame !
Vois , ce fleuve lorrain qui , chez le Bourguignon,
Dirige en ferpentant ſa courſe vagabonde ;
De ton pere l'époufe en race fi féconde ;
De ton individu la dure portion ;
Le tapageur fujet d'Eole ;
Un grain dontle ferin s'affole ,
Aflez commun chez le Flamand ;
Le plus groffier d'un aliment ;
Ce que fur-tout aime un marchand ;
Plus , d'Anacréon la patric ;
Une cité de Laconie ;
Certaine ifle du même nom
Affife fur la mer Egée ;
JANVIER . 1770. 77
Le fynonyme de limon;
Ce qui , chez le bourgeois , pare la cheminée ;
Poiffon , carte , animal , de Lubin l'épouſée ;
L'impératifhardi .... Mais c'eft trop babiller.
Bien que j'exprime encore un illuftre prophête ,
A famedi , lecteur , je te dois barbouiller ;
Car tu ne peux , fans moi , briller un jour de fête.
Par M. Mauger , de Rouen , lieutenant
de marine marchande,
A
AUTRE.
u moment que Phébus , de nos côteaux pourprés
,
Vale précipiter dans le fein d'Amphitrite ,
Avant que la nuit fombre au doux fommeil in
vite,
En routeje me mets , porté fur quatre pieds.
Confulte , ami lecteur , ton active penfée ,
Ma queue à bas , ce qui refte eſt pour foi ;
Sans chef & fi ma queue eft par toi déplacée ,
Je préſente celui qui nous donne la loi.
Par le même.
D iij
78 MERCURE DE FRANCE .
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Satyres de Juvenal , traduites par M. Dufaulx
, ancien commiffaire de la gendarmerie
, de l'académie royale des
fciences & belles lettres de Nancy ;
avec cette épigraphe : Veftra res agitur.
A Paris , de l'imprimerie de M. Lambert
, rue des Cordeliers , un vol in- 8°.
OOnNa toujours regardé Juvenal comme
*
un poëte très difficile à traduire ; les efforts
de Chaline , Marolles , Martignac,
la Valterie , Tarteron , &c. n'ont fervi
qu'à confirmer cette opinion ; il leur manquoit
une ame forte nourrie par la philo
fophie , capable de fentir avec énergie &
de s'exprimer de même. Ces qualités
étoient abfolument néceſſaires au traducteur
de Juvenal ; ce font celles que l'on
trouve dans M. Dufaulx ; la maniere dont
il a rendu fon auteur , annonce un homme
fait pour imaginer plutôt que pour imiter.
I s'eft aproprié les idées de Juvenal , &
l'on diroit qu'il crée lors même qu'il traduit.
Nous allons d'abord rendre compte da
JANVIER . 1770. 79
difcours préliminaire . Ce morceau vraiment
philofophique , lui appartient tout
entier ; & il n'eft point d'écrivain auquel
il ne fît le plus grand honneur. M. Dufaulx
en avoit déjà compofé un à - peuprès
fur le même fujet en 1757 pour
fa
réception à l'académie de Nancy ; il le
prononça dans une féance publique que
feue Sa Majesté le Roi de Pologne avoit
honorée de fa préfence . M. d'Heguerty
alors directeur , répondit en ces termes au
récipiendaire. « Vous venez de l'enten-
» dre , Meffieurs , quels traits lumineux ?
"

Quelle énergie d'expreffion , quelle mâ-
» le liberté de penfer ? Le feu de fon âge
» a paffé dans fon ftyle , & la nobleffe de
» fes fentimens s'eft peinte dans fon dif-
" cours , &c. " On verra dans ce nouvel
ouvrage , que M. Dufaulx n'a pas négligé,
depuis cette glorieufe époque , de nourrir
ce feu fans lequel on ne doit point
parler de Juvenal , encore moins le traduire
. Il débute par quelques conjectures
fur la vie de ce poëte fameux ; & après
avoir dit un mot de fes ouvrages , il expoſe
ainfi le plan de ce difcours . « Com-
» me on a coutume , pour déprimer Ju-
» venal , de le comparer avec Horace , je
» vais effayer de faire fentir que ces deux
poëtes ayant , en quelque forte , partagé
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
"
» le vafte champ de la fatyre , l'un n'en
» faifit que l'enjouement , l'autre que la
gravité; & que chacun d'eux , fidèle au
» but qu'il fe propofoit , a fourni fa car-
» riere avec autant de fuccès , quoiqu'ils
» ayent employé des moyens contraires.
» Cette maniere de les envifager , plus
» morale peut- être que littéraire , n'en eft
» pas moins capable de les montrer par
» le côté le plus intéreffant. Voyons dans
quelles circonftances l'un & l'autre peignirent
les moeurs , & ce qui conftitue
» la différence de leurs caracteres . »
>>
La marche de ce parallele eft fi rapide ,
les idées s'appartiennent & fe correfpondent
tellement , qu'il faut le lire tout entier
pour en fentir l'effet. Nous allons cependant
citer deux morceaux .
33
» Nul ne connut mieux que lui (Ho-
» race ) le pouvoir de la louange , nul ne
» fut l'apprêter plus adroitement , ni gagner
avec plus d'art la bienveillance des
premiers de l'empire ; & c'eft par - là
» fur- tout que fon livre eft devenu fi cher
» aux courtifans : avouons le cependant ,
tout homme qui penfe ne fauroit s'empêcher
d'en faire fes délices. Le client
» de Mécène joignoit des qualités émi-
» nentes & folides à fes talens agréables.
» Non moins philofophe que poëte , il
"
JANVIE R. 1770. Sr.
"
29
dictoit avec une égale aifance les pré-
» ceptes de la vie & ceux des arts . Com
» me il aimoit mieux capituler que.com-
» battre , comme il attachoit peu d'im-
» portance à fes leçons , & qu'il ne te-
» noit à fes principes qu'autant qu'ils favorifoient
fes inclinations épicurien-
» nes , ce Protée compta pour amis , ou
» pour admirateurs , ceux même dont il
» critiquoit les opinions ou la conduite....
» Si Juvenal reprend les ridicules , ce
» n'eſt qu'autant qu'ils tiennent au vice
» ou qu'ils y menent. Quand il févit ,
quand il immole , on n'eſt jamais tenté
» de plaindre fes victimes , tant elles font
» odieufes & difformes . Je fais qu'on l'ac-
» cufe d'avoir été trop avare de louanges :
» mais quand on connoît le coeur humain,
» quand on ne veut ni fe faire illuſion à
foi- même , ni tromper les autres , en
» peut - on donner beaucoup ? Il a peu
» loué : le malheur des tems l'en difpen-
» foit. Ce qu'il pouvoit faire de plus hu-
» main étoit de compatir à la fervitude
» involontaire de quelques hommes fe-
» crétement vertueux , mais emportés par
» le torrent. Au refte , il étoit trop gé-
» néreux pour flatter des tyrans & pour
» mendier les fuffrages de leurs efclaves.
» Les éloges ne font le plus fouvent don
»
"
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
» nés qu'en échange ; il méprifoit ce tra
» fic. Il aimoit trop fincerement les hom
» mes pour les flatter : tout ce qui pou-
» voit leur nuire l'indignoit , &c. »
Avant de finir fon parallele , l'auteur
defcend encore plus avant dans le coeur
des deux fatyriques Romains : il les oppofe
l'un à l'autre , & difcute pourquoi
Horace a plus de partifans que Juvenal .
Il en conclut « qu'Horace écrivit en cour-
» tifan adroit , Juvenal , en citoyen zélé :
» que l'un ne laiffe rien à defirer à un ef-
» prit délicat & voluptueux , & que l'au
» tre fatisfait pleinement une ame forte
» & rigide. »
L'auteur prétend & prouve qu'il ne faut
point confondre Juvenal avec ces fatyriques
, plus fameux par leur malignité
qu'eftimables par leur zèle . Il fait enfuire
cette belle apoftrophe. « S'il s'élevoit un
» homme intégre , impartial & capable
» de fuppléer aux loix , oferoit- on le taxer
» de méchanceté parce qu'il fouilleroit
» dans les fépulcres où giffent pompeu-
» fement , mais fans honneur , ceux qui
19 pouvant bien mériter de leur patrie ,
» n'en furent que les fléaux ? Parce qu'il
» dévoueroit aux furies quelques - uns de
» fes contemporains en butte à l'exécration
publique , pour avoir corrompu le
JANVIER. 1770. 8.3
» coeur des Rois , pour avoir opprimé le
foible ou dévoré la fubftance du pau-
» vre , afin d'étaler un luxe fcandaleux , &
» d'afficher des jouiflances exclufives ? Je
préfume trop bien du caractère général
» de l'humanité , quelle que fût la dépravation,
pour craindre qu'un tel Athlete,
» s'il fuccomboit dans cette noble carriè
» re , n'emportât pas l'eftime & les re-
» grets du plus grand nombre de fes compatriotes.
Je n'ai fait que peindre ce
qu'ofa Juvenal ,
99
"
33
Qu'on ne s'imagine pas que M. Dufaulx
ait eu deffein d'infpirer le goût de
la fatyre. « J'avoue , dit- il , que la fonc-
» tion de fatyrique eft une espece de ma-
99
ןכ
-33
"
giftrature , qu'il feroit dangereux d'a-
» bandonner, fans choix , à tous ceux qui
» fe croiroient en droit de l'exercer. La
réputation des citoyens ne doit point
dépendre du caprice , de l'humeur , de
l'intérêt ou de l'inexpérience des écri-
» vains animés d'un faux zèle. Je penfe
>> même dans un état bien policé , il
» eft plus fûr de renoncer à la fatyre que
» de s'expofer à fes abus . D'ailleurs , on
» peut fe paffer de ce violent fecours . La
» vraie fatyre du préfent , & la leçon de
" tous les fiécles à venir , c'est l'hiſtoire :
» les tableaux qu'elle nous tranfmet conque
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
39
tiennent tous les portraits de la pofté-
» rité ; que chacun y cherche le fien . Que
» les princes & leurs premiers fujets à qui
» nos bienséances modernes défendent
d'adreffer certaines vérités profcrites par
» leurs flatteurs , ayent donc le courage
» de confulter ces faftes véridiques , où
» font appréciés tous les mobiles de leurs
» actions ; où leurs injuftices & leurs turpitades
fecrettes font , fous d'autres
» noms , confignées à d'éternels opprobres
; & fi la pudeur & le remords ne
» font point de vains titres , qu'ils rougiffent
& fe corrigent. »
""
"
""
L'auteur rend compte , avec modeftie,
de fon travail & des idées qu'il s'eft faites
de l'art de traduire. Cette partie de fon
difcours n'eft point inférieure à l'autre.
M. Dufaulx met de l'ame & du fentiment
dans tout ce qu'il traite. « Quelles pourroient
être , s'écrie - t- il , les prétentions
» d'un traducteur ? L'avenir , ce patrimoi
» ne du génie , & dont tout homme qui
compofe ne fauroit s'empêcher d'anticiper
la jouiffance , l'avenir ne préfage
» aux meilleurs interprétes que l'oubli de
leurs veilles chaque jour les vieillit
fenfiblement , tandis que les fiécles ne
» font , pour ainfi dire , que rajeunir de
» plus en plus & confacrer leurs brillans
"
"
"
39
ود
JANVIER. 1770. 85
» modèles. » Le nouveau traducteur de
Juvenal à le courage de dire « que les
» meilleures traductions des chef- d'oeuvres
de l'antiquité ne font & ne peu-
» vent être que de foibles équivalens qui
» donnent plutôt la meſure de l'inſtinct
» du copifte que celle du génie de l'au-
» teur. Il eft vrai qu'il tâche de relever
enfuite le mérite de fon art qu'il avoit trop
rabaillé. « Interpréte trop fcrupuleux , dit
» Horace , ne t'épuiſe point à combiner des
» mois. En nous délivrant de cette gêne
» a - t- il rendu l'art plus facile ? Pour moi
» je crois entrevoir qu'il exigeoit pour
l'art de traduire , trop méprifé de nos
» jours , de plus grandes qualités qu'on ne
» le fuppofe. Il croyoit fans doute qu'il
n'appartient qu'au génie d'interpréter
» le génie. Qu'attendre de ces timides
efprits qui n'ofent envifager leur mo-
» dèle que le compas à la main , qui le
calquent fervilement , & dont tous les
» efforts ſe bornent à lever un plan froid
» & fans vie des morceaux les plus chauds,
» les plus animés ¿ Poëtes divins , ce n'eft =
» qu'en éprouvant vos tranfports , qu'en
» brûlant de votre feu , qu'un traducteur
» bien pénétré de vos fujets , tranſmettra
» dans fa langue quelques-unes des beau
❤tés dont étincellent vos ouvrages. In-
"
86 MERCURE DE FRANCE .
"
dépendamment du rapport des caractères
& des mêmes études , il faut en-
» core une ame vafte pour contenir votre
» ame , un efprit fouple & hardi pour fupléer
au vôtre & l'atteindre : Il vous .
» faudroit vous - mêmes , & peut - être
» éprouveriez - vous les douleurs d'un fe-
» cond enfantement . >>
"
Ce difcours éloquent & plein d'images
décéle un poëte traducteur d'un poëte.
Les bornes de nos extraits ne nous permettent
pas de nous étendre actuellement
fur la traduction ; nous en citerons quelques
morceaux dans l'un des Mercures
fuivans ; le Public nous faura toujours gré
fans doute de l'entretenir deux fois d'un
même ouvrage , lorfqu'il aura le mérite
de celui- ci . Nous connoiffons peu d'éditions
auffi exactes & auffi élégantes , fans
aucun ornement étranger ; la partie typographique
ne laiffe rien à defirer ; les lecteurs
y trouveront le texte latin corrigé
avec beaucoup de foin , & purgé des fautes
dont fourmillent la plupart des éditions
qu'on en a données.
Cet ouvrage fe diftribue chez Lambert,
imprimeur- libraire , rue des Cordeliers ,
au collège de Bourgogne ; Delalain , libraire
, rue de la Comédie Françoife ; Lacombe
, libraire , rue Chriftine , près la
rue Dauphine.
JANVIER. 1770.1 87
Euvres de Sébaftian Garnier ou la Henriade
& la Loyffée de Sébaftian Garnier ,
procureur du Roi Henri IV au comté &
bailliage de Blois ; 2 ° édit. fur la copie
imprimée à Blois , chez la veuve Gomel
, en 1594 & en 1693 ; àParis, chez
J. B. G. Mufier , fils , libraire , quai des
Auguſtins , au coin de la rue Pavée .
1 Il n'y a peut - être point d'homme de
lettres qui n'ait entendu dire , depuis plus
d'un an , qu'on alloit faire paroître une
Henriade , d'après laquelle celle de M. de
Voltaire avoit été faite , & qui décéleroit
un larcin inconnu jufqu'à ce jour . Les
obfcurs ennemis de ce grand homme
triomphoient de cette prétendue découverte
, & répétoient toutes les inepties.
qu'ils ne fe laffent pasde rebattre fans cefle
& qui amufent quelques lecteurs de province
; que M. de Voltaire n'avoit rien à
lui ; qu'à la vérité il avoit bien de l'esprit,
mais qu'il étoit incapable d'aller au génie.
Ceux qui avoient eu l'adreffe merveilleufe
de trouver Zaïre dans Othello , &
Mahomet dans Atrée , fe flattoient bien
de retrouver auffi la Henriade dans Sébaftian
Garnier ; mais depuis la publication
des oeuvres de ce Garnier , ces grands
délateurs de plagiat gardent un filence de
ss MERCURE DE FRANCE.
confternation. On ne reconnoît point là
leur intrépidité ordinaire. Il ne faut pas
perdre courage. Peut-être y a- t- il moyen,
quoi qu'on en dife , de prouver à toute
force que la premiere Henriade a fait
naître la feconde. Premierement , c'eſt le
même fujet , le même héros. Enſuite il
a des chofes dans l'une vifiblement copiées
dans l'autre. Chez Garnier , l'ombre
de l'amiral de Coligni apparoît à fon
fils Châtillon , & l'excite à venger fa
mort. Chez M. de Voltaire , l'ombre de
Guife apparoît au moine Clément , lui
demande vengeance & lui remet une
épée. Il est évident que voilà une apparition
dont M. de Voltaire eft redevable
à Garnier. D'ailleurs , chez Garnier ,
Henri IV tue le comte d'Egmont , & chez
M. de Voltaire auffi , nouveau larcin . En
voilà affez , je penſe , pour fonder le plagiat
au moins autant que celui de Zaïre ;
car enfin , a- t on dit , Othello eft Maure
& Orofmane eft Turc. Rien ne fe reffemble
davantage . Othello aime beaucoup fa
femme Defdémona , & Orofmane aime
beaucoup Zaïre fa maîtreffe . D'une femme
à une maîtreffe il n'y a pas grande
différence. C'est un mouchoir & un rêve
qui fondent la jaloufie d'Othello ; c'eſt un
billet qui fonde la jaloufie d'Orofmane.
JANVIER . 1770. 89
; Ce n'eft pas tout- à-fait la même choſe
mais enfin c'eft de la jaloufie. Othello
étrangle fa femme après l'avoir bien confidérée
dans fon lit & lui avoir donné un
baifer. Orofmane poignarde fa maîtreffe
au milieu de la nuit , au moment où il la
croit en rendez- vous. Il eft vrai qu'il ne
lui donne point de baifer ; mais enfin entre
le poignard & la corde il n'y a pas une
grande diftance. Il en réfulte clairement
que Zaïre eft une copie d'Othello. Voilà
comme on raifonne , & il faut avouer ,
comme a dit M. de Voltaire , que c'eftpuif
famment raifonner.
Quoi qu'ilen foit, le poëme de Sébaftian
Garnier eft en feize chants . Il y en a
fix de perdus , & en vérité ce n'eft pas une
grande perte. L'éditeur invite tous les
gens de lettres , tous les bibliographes à
réunir leurs efforts pour retrouver ces fix
chants perdus ; mais il vaudroit mieux
retrouver ce que nous avons perdu de
Tacite & de Tite-Live . Garnier l'épique
ne vaut pas mieux que Garnier le tragique.
Ce dernier même a quelques étincelles
qu'on ne voit jamais dans l'autre.
La Henriade eft une narration empoulée
& féche en profe barbare & en mauvaiſes
rimes. Il n'y a pas l'apparence de la poësie
ni dans le plan ni dans les détails . Pour
7
90 MERCURE DE FRANCE.
toute machine poëtique il y a deux ou
trois apparitions. Le refte du poëme eft
une defcription de combats . La bataille
d'Ivri tient feule quatre ou cinq chants.
L'éditeur dit dans fa préface qu'on y remarque
des imitations d'Homère. Ces
imitations fe réduifent aux injures que fe
difent les guerriers avant de fe battre. A
l'égard du ftyle nous allons tranfcrire
l'exorde & l'invocation qui fuffiront pour
en donner une idée.
Je veux dire en mes vers le céleste bonheur
De ce divin Henri , de ce grand belliqueur ,
De ce Roi Navarrois qui , par la providence
De Dieu , fut appelé au royaume de France ,
Après que le dernier des de Valois facré ,
Sous unprétexte feint, eut été mafſſacré ,
Et que , de toutes parts , brûloient d'armes civiles
Les citoyens ligués contre lui de fes villes.
Otoi ! grand gouverneur de ce bel univers ,
Sije t'ai toujours mis le premier en mes vers ,
Affifte-moi , mon Dieu , embrafant ma poitrine
Du feu des faints rayons de ta grace divine ,
Envoyant de ton ciel fur moi ton St Eſprit ,
Qu'il me foit favorable à coucher par écrit
De ce Roi généreux l'admirable ſageſſe ,
La peine , le travail , l'induſtrie & l'adrefle ,
Les périls , les hafards , la force & la vertu
Dont il eft par fur tous autres Rois revêtu ,
JANVIER. 1770 . 91,
Qui , dedans peu de jours , remettra notre France,
Altérant le ligueur par fa force & vaillance
Comme Cadmus jadis les terreftres géans ,
Sortis de terre armés la fémence des dents ,
Du ferpent de Pallas , garde de ſa fontaine ,
Qu'il défit combattant au milieu de la plaine ,
Des champs Béotiens , de mourans arroufés ,
Les fillons du fang chault de leurs
fés .
corps renver-
Princes Bourboniens , race fainte & divine ,
Qui retirez d'en haut votre belie origine ,
De ce grand Roi Loys , aftre qui luit aux cieux ;
Contemplant notre Dieu au rang des demi - dieux.
Toi ! principalement valeureux Roi de France ,
Qui tiens le premier rang de ceux de la femence ,
Prends ma défenſe en main ; car j'ai , mon bon ſei
gneur ,
Ce labeur entrepris du tout en ton honneur.
Garde ton écrivain , défendant ſon ouvrage ,
Oprince généreux ! de la fureur & rage
D'un tas de mal-difans envieux de fon nom
Le voyant eflever deflus tous ton renom ,
Comme Augufte jadis défendit fon Virgile
Des veneneufes dents de l'impudent Bathile
Et ton Garnier , mon Roi , ne redoutera lors
Des Zoïles mordans les furieux efforts ,
Ni les poiſons infects qu'ils ont en leurs poitri
nes ,
D'ordinaire fortans de leurs bouches malignes.
92 MERCURE DE FRANCE.
Le poëme commence peu après la jour
née d'Arques , & finit après celle d'Ivri .
Nous avons trois chants de la Loyffée du
même auteur. Le fujet eft la guerre de St
Louis en Afrique . Il eft traité comme celui
de la Henriade , fans invention , fans
caracteres , fans intérêt & fans poëfie . Cependant
Garnier fut comblé d'éloges par
fes contemporains . Ses talens furent célébrés
de toutes les manieres. On trouve
dans cette édition des fonnets en fon honneur,
des anagrammes , des vers latins qui
même ne font pas mauvais , & jufqu'à
une longue profe à fa louange faite précifément
dans le goût des profes qu'on
chante dans nos égliſes & qui ne font que
des efpeces de couplets rimés en mauvais
latin. Cependant Garnier n'étoit pas dépourvû
de connoiffances littéraires . On
voit qu'il avoit lu les anciens ; mais il en
profite mal . Le commencement de la
Loyffée reffemble à celui du poëme de
Claudien fur l'enlevement de Proferpine.
Inferni raptoris equos , &c.
Audaci promere cantu
Mens congeftajubet , &c.
Je nefais quel defir enflamme ma poitrine
JANVIER. 1770. 95
Comme pouflé d'en haut d'une faveur divine
A coucher par écrit les actes valeureux
De ce grand Roi Louis , & c ,
Il faut convenir que coucher par écrit
ne rend pas élégamment audaci promere
cantu.
La Henriade eft dédiée à Henri IV , &
la Loyffée , à la princeffe Catherine fa
four. L'épître dédicatoire , adreffée à notre
grand Henri , eft l'expreffion naïve du
zèle & de l'attachement qu'un bon citoyen
reffent pour un bon Roi , & cette
fimplicité touchante eft bien préférable
aux complimens recherchés qui compofent
ordinairement les dédicaces dont l'art
confifte à mentir avec efprit. Il y a d'ailleurs
un endroit bien remarquable . « Et
» d'autant que je ne puis , que je ne me
» faffe infinis ennemis , ( n'y ayant rien
qui les engendre plutôt que la vérité ,)
» & ne reçoive incommodité en mes affaires
domeftiques & particulieres , lef-
» quelles je délaiffe pour vacquer à fi
» haut deffein , je fupplie humblement
» Votre Majefté favorifer cette entrepriſe
» du fecours de votre bonté & libéralité ,
» & me fervir de tarque & de bouclier
»pour me garder de leurs dards enveni-
"
"
94 MERCURE DE FRANCE.
"
més , me tenant en votre protection &
fauvegarde avec ces miens livres , que
» dis - je miens ? Mais plutôt vôtres , ne
» contenans autre chofe que la pure vé-
» rité tant des vertus qui vous font par-
99 ticulieres que de vos braves exploits &
généreux faits d'armes , & des princes
» & des autres grands feigneurs qui ont
librement expofé leur vie pour mainte
" nir votre bon droit & la confervation
de l'églife gallicane en fon entier contre
» la violence & la tyrannie des ennemis
» communs de cet état . »
"
Il est évident que l'auteur croyoit courir
beaucoup de rifques en compofant un
poëme à la louange de fon Roi , ce qui
peut donner une idée des difpofitions où
étoit encore une grande partie du royau
me à l'égard de Henri IV . Cette dédicace
eft pourtant datée de l'année 1594. II
avoit alors fait abjuration , & avoit été
facré.
Il ne paroît pas que Henri IV ait été fort
libéral envers Garnier fon poëte & fon procureur
à Blois. Il le fut envers Malherbe .
Garnier fe plaint dans une élégie de n'avoir
point de récompenfe , & il rappelle
au Roi qu'Augufte a enrichi Virgile &
Horace ; mais fi Henti valoit beaucoup
mieux qu'Augufte , Garnier ne vaut ni
JANVIE R. 1770. 95
Virgile ni Horace . Lui -même feroit probablement
fort étonné de fe voir réimprimé
; c'est un honneur qu'il doit à la
Henriade de M. de Voltaire qui , peutêtre
, n'a jamais lu la fienne ; on ignoroit
même qu'elle exiſtât.
Jenneval ou le Barnevelt françois , drame
en cinq actes en profe ; par M. Mercier.
AParis , chez le Jai , libraire , rue ,
St Jacques , au- deffus de celle des Mathurins
, in 8 ° . figur.
Peu de fujets dragmatiques font plus
intéreffans
de Londres ue Barnevelt ou le Marthand
de Lillo ; il n'en eft peut-être
aucun qui offre un but moral plus frappant
& plus utile ; l'auteur a peint fortement
les fuites funeftes d'une liaiſon vicieuſe
, il a montré à la jeuneſſe que le
crime eſt voisin du libertinage ; c'eſt cette
leçon pathétique & terrible que M. Mercier
a tâché d'approprier à la fcène françoife
; il a faifi l'idée de l'auteur anglois ,
& en a fait la bafe d'un drame abfolument
différent de Barnevelt ; il a rejeté
les horreurs que le peuple applaudit au
théâtre de Londres , & qu'un autre avec
moins de goût , & féduit par les beautés
qu'elles préfentent, n'auroit pas eu le cou96
MERCURE
DE FRANCE
.
rage de facrifier ; il s'étoit impofé par-là
l'obligation d'y en fubftituer de nouvelles
, & celles qu'il y a répandues ne permettent
pas de regretter les détails qui
accompagnent la catastrophe de Lillo .
Nous donnerons une idée de ce drame
intéreffant.
Jenneval eft un jeune homme bien né;
il a perdu fes parens de bonne heure ; la
fortune qu'ils lui ont laiſſée eſt bornée ;
mais M. Ducrône fon oncle & fon tuteur
eft en état de l'augmenter , & il y eft abfolument
difpofé. Il vient à Paris pour
faire fon droit ; il demeure chez M. d'Abelle
, chef de bureau ; il eſt ſur- tout recommandé
à M. Bonnemer , caiffier de
M. d'Abelle , ancien ami du pere de Jenneval
, & qui a confervé pour le fils les
fentimens les plus tendres. Jenneval paſſe
quelque tems dans cette maifon où il fe
fait eftimer ; fon caractere honnête , fa
conduite ajoutent à fes graces naturelles;
Lucile , la fille de M. d'Abelle , n'eft pas
la derniere à les remarquer ; la vertu feule
peut faire impreffion fur fon coeur ; elle
ne peut fe défendre d'aimer en fecret Jenneval
; celui - ci ne paroît pas s'apperce
voir des fentimens de fa jeune hôtelle ;
elle lui en infpire quelques-uns ; mais il
n'ofe
JANVIE R. 1770 . 97
n'ofe les témoigner ; fes jours s'écoulent
délicieufement ; fa paffion timide & naiffante
ne lui fait éprouver aucune inquiétude
; de foibles efpérances fuffifent pour
le rendre heureux ; le hafard lui procure
malheureuſement la connoiffance deRofa .
lie , une de ces femmes féduifantes , faites
pour infpirer de l'amour fans jamais le
fentir , & qui font un commerce honteux
des agrémens que la nature leur a donnés;
Rofalie ne tarde pas à connoître le caractère
de Jenneval ; elle voit qu'il eſt trèsfenfible
, elle ne défefpére pas de fe fervir
de ce caractere du jeune homme pour
étouffer dans fon ame l'honneur & la
vertu ; elle commence par fe déguifer à
fes
yeux ; un roman touchant qu'elle lui
fait de fa pofition , la rend intéreffante ;
le manége qu'elle emploie féduit bientôt
le jeune homme qui conçoit pour elle
la paffion la plus violente ; elle a l'adreffe
de l'augmenter en refufant de la fatisfaire
, & en affectant beaucoup de vertu avec
l'amour le plus tendre.
Rofalie, fûre de fon empire fur le coeur
& l'efprit du jeune homme qui ne la quitte
plus , fe propofe d'en tirer adroitement
quelques fecours ; fes tentatives ne font
qu'affliger Jenneval qui n'eft pas en état
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
de lui en donner ; elle paroît le plaindre,
& lui fuggére des moyens honteux ; il n'a
pas la force de réſiſter à la féduction ; il
garde le montant d'une lettre de change
que Bonnemer l'avoit chargé de recevoir ;
la baffeffe de fon action l'humilie ; il paffe
quelques jours fans retourner chez M.
d'Abelle ; fon ami l'excufe long - tems ;
mais enfin le jour vient où il faut tout
avouer , & il éclaircit ce myſtere au moment
où M. d'Abelle , qui veut marier fa
fille , faire fon bonheur , après l'avoir
preffée de lui ouvrir fon coeur , alloit lui
entendre dire qu'elle aimoit Jenneval.
Cette nouvelle ferme la bouche de Lucile
, prête à prononcer le nom de l'homme
qu'elle préfére ; elle rougit de fa paffion
& fe propofe de l'étouffer . M. d'Abelle
voit le trouble de fa fille & n'a pas
de peine à en connoître la caufe ; il fonge
aux moyens de ramener Jenneval àla
verru ; il excufe une foibleffe ; le jeune
homme vient lui avouer avec confufion
le vol qu'il a fait ; mais il fe taît fur le
motif; il offre de le réparer par des engagemens
; M. d'Abelle le renvoie à Bonnemer
, mais il n'ofe fe préfenter devant
lui ; il fe regarde comme indigne d'habiter
déformais cette maiſon ; il va cherJANVIER.
1770. 99
cher des confolations chez Rofalie ; cette
femme artificieufe a bientôt étouffé fes
remords ; elle lui propofe de faire des
dettes en attendant le moment où il pourra
les payer .
Cette fcène est très - adroite ; il eft dif
ficile , en la lifant, de ne pas plaindre Jenneval
, & même de l'excufer ; celle qui
fuit, eft d'un autre genre ; c'eſt Bonnemer
qui a épié les pas de fon ami , qui a appris
enfin dans quel lieu il va fi fouvent ,
& qui vient l'y chercher & l'en arracher.
Nous en connoiffons peu d'auffi hardie &
traitée avec plus de fageffe & d'intérêt.
Rien de plus délicat que la maniere dont
elle eft traitée , & l'auteur y a mis une nobleffe
dont , à la premiere idée , on ne
l'auroit pas cru fufceptible. La vertu de
Bonnemer contrafte avec les tranfports
de la paffion de Jenneval ; celui - ci amoureux
de bonne foi , croit qu'il n'a qu'à
montrer fa maîtreffe à fon ami pour juftifier
fon amour , ce qui conduit à une
nouvelle fcène qui préfente un tableau
neuf où l'on voit l'artifice tentant envain
de fe mafquer aux yeux de l'honnête homme
, & l'amour aveuglé , féduit par la premiere
, repouffer la main qui veut lui arracher
le bandeau . Bonnemer eft forcé de
Eij
100 MERCURE DE FRANCE .
fe retirer feul ; Rofalie qui prévoit ce
qu'elle a à craindre de cet homme refpectable
, confeille l'hypocrifie à Jenneval
, & la crainte des dangers auxquels
il la voit expofée , livre ce jeune homme
à fes avis .
L'oncle de Jenneval , inftruit de la conduite
de fon neveu , eft venu à Paris ; c'eſt
un homme droit , rigoureufement honnête
homme , & qui n'attache aucun mérite
à remplir ce qui eft un devoir ; il eſt
brufque & vif; il ne veut pas entendre
parler de juftification ; Bonnemer lui
amene Jenneval qui a fuivi les confeils
de fa maîtreffe ; mais il ne foutient pas
long - tems le rôle qui lui eft impofé ; il
entend fon oncle parler de faire enfermer
Rofalie ; à ce mot il s'emporte , il promet
de la défendre , de ne jamais l'abandonner
; fes emportemens ne font qu'aigrir
fon oncle qui le menace ; ils fe quittent
furieux l'un contre l'autre . M. Ducrône
va demander un ordre pour arrêter
Rofalie ; cette fille en eft prévenue , elle
a le tems de fuir & de fe refugier dans un
grenier d'où elle peut défier ceux qu'elle
appelle fes perfécuteurs ; toute fa rage fe
tourne contre Ductône ; elle médite fa
mort ; un fcélérat qui vit avec elle peut
JANVIER . 1770. 101
la fervir ; mais pour être à l'abri des pourfuites
, elle a befoin de l'aveu de Jenneval;
elle lui fait donner fon adreffe ; il
accours ; il ne peut voir fans douleur le
lieu qu'elle habite , & fans éclater contre
fon oncle ; Rofalie , qui épie tous les
mouvemens de fon coeur , cherche à l'échauffer
; elle lui fait fentir que fon oncle
le deshérite , que s'il mouroit ce feroit un
bonheur pour elle & pour fon amant ;
Jenneval eft égaré ; il lui échappe un fouhait
pour la mort de cet oncle ; Rofalie
fait un figne au fcélérat qu'elle a inftruit ;
il part; elle ofe avouer à Jenneval ce qu'on
va faire ; il frémit , mais il ne peut réfifter
aux larmes d'une femme qu'il adore
& qui tombe à fes pieds ; il paffe rapidement
de l'amour à la rage , de la pitié à la
fureur ; dans fon égarement il eft prêt à
tout faire ; il ne parle que de crime , que
de fang , & il fort réfolu d'en répandre .
Cette fcène eft du plus grand pathétique
& prépare l'ouverture du cinquiéme acte
qui réunit la terreur & l'intérêt . Bonnemer
, inquiet , demande à chaque inftant
s'il eft vrai que M. d'Abelle &
M. Ducrône foient fortis feuls & fans
domeftiques ; Lucile le lui confirme , ce
qui augmente fon inquiétude ; elle la
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
partage ; elle voudroit en favoir le motif;
Bonnemer , accablé , lui dit qu'il a rencontré
fon ami dans un défordre extrême ;
il a voulu l'arrêter ; Jenneval , furieux , l'a
méconnu , & s'eft arraché de fes bras ; il
ajoute qu'un exempt eft venu lui dire d'avertir
M. Ducrône d'être fur les gardes .
M. d'Abelle arrive en ce moment; le trouble
de Lucile & de Bonnemer augmente
en le voyant feul ; il s'en fait expliquer
la caufe , & paroît effrayé lui- même;
Ductône l'a quitté pour aller à fes affaires
; il fait mettre les chevaux à deux caroffes
pour envoyer Bonnemer d'un côté
& courir lui- même de l'autre ; lorfqu'ils
fe difpofent à partir , M. Ducrône paroît
tenant Jenneval par la main , celui - ci a
fon épée fous fon bras ; leur préfence ramene
la joie & le calme ; M. Ducrône
raconte qu'il a été attaqué , & qu'il auroit
péri fûrement fi fon neveu n'étoit venu le
défendre. Jenneval ne peut foutenir les
éloges qu'on donne à fon action . « Arrê
» tez , s'écrie- t- il , fufpendez ces cris de
» joie , frémiffez tous de m'entendre ; je
» rejette vos louanges , je ne les mérite
» point... Sachez qu'une larme de plus ,
j'étois un parricide ... Ah ! mon oncle,
» cette main qui preffe la vôtre avec ten-
"
r
JANVIE R. 1770. 103
"
"
» dreſſe , cette même main qui a fauvé
» vos jours , étoit prête à fe plonger dans
» votre fang ; vous vous étonnez ! Ah !
» Dieu , vous n'avez pas vu cette femme
» en pleurs , profternée à mes genoux ;
» vous n'avez pas entendu fes accens .
» Vous ne concevez pas de quels traits
» elle a frappé mon coeur... Echauffé par
» fes cris , excité par fes larmes , plein du
poifon dont elle m'avoit enivré... j'al-
» lois ... La réponſe de Ducrône , à ces
aveax , eft fublime : Mon cher neveu, nous
ne fommes point encore embraffés. L'oncle ,
au milieu de fa reconnoiffance , conferve
toujours fon caractere brufque ; M. d'Abelle
, qui a écouté tout ce que le neveu a
dit , ne doute plus que fon retour à la vertu
ne foit fincere ; il a lu dans le coeur de
fa fille ; il ne craint point de deftiner fa
main à Jenneval , qui fent fes premiers
feux pour elle ſe ranimer , & qui fait la
différence d'un amour vertueux à un amour
criminel . Il étoit difficile d'amener ce dénoument
heureux ; mais l'auteur , dans le
cours de la piece , l'a préparé avec beaucoup
d'art. Il y a peu de drames aufli intéreffans
& plus heureufement combinés ;
il est plein de fituations neuves & pathétiques
; on ne peut que regretter qu'il n'ait
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
pas été repréſenté ; mais quelle actrice auroit
voulu fe charger du rôle de Rofalie ;
celles qui auroient pu le jouer plus naturellement
l'auroient fans doute refufé.
Peut- être s'en trouvera- t- il en province
qui n'auront pas la délicateſſe mal entendue
de celles de la capitale. Cette piece
fera le plus grand effet , & il feroit à fouhaiter
qu'elle fût jouée dans toutes les
grandes villes ; c'eft le meilleur préſervatif
qu'on puiffe donner à la jeuneſſe contre
la féduction & les liaifons dangereufes.
Origine des premieres fociétés, des peuples,
des fciences & arts , & des idiomes anciens
& modernes ; avec cette épigraphe :
Multa tenens antiqua.
ENNIUS , in frag.
A Amfterdam ; & fe trouve à Paris ,
chez Lacombe , rue Chriftine , in- 8°.
Cet ouvrage intéreffant & favant préfente
un fyftême nouveau fur l'état des
hommes après le déluge , & fur l'origine
des peuples ; on connoît les recherches de
l'auteur de l'antiquité dévoilée par fes ufages
, pour montrer dans tous les monuJANVIER.
1770. 105
mens des anciens & dans la plupart de
leurs inftitutions des traces du déluge ;
cet écrivain croit voir par - tout une commémoration
de cet événement terrible
où un avertiffement de la venue du grand
juge qui fera fuivie d'une nouvelle deftruction
du monde. L'auteur de l'ouvrage
que nous annonçons embraffe une opinion
tout- à-fait oppofée , au lieu de faire
tout dériver de l'eau , comme Boullanger,
il fonde fon fyftême fur le feu : lorfque
les eaux qui couvroient la terre fe furent
retirées , la furface du globe fe trouva enduite
d'un limon vifqueux , humide &
marécageux ; cet engrais fécond étoit une
vafte pépiniere de plantes & d'arbriffeaux
de toute efpéce que le flux & le reflux des
eaux avoient femés & difperfés d'une hémifphère
à l'autre . Il fallut peu d'années
pour que les montagnes & les plaines ne
fuffent qu'une immenfe forêt. Les hommes
, échappés au déluge , n'eurent point
d'autre demeure que ces bois ; ils y vécurent
dans l'ignorance de tous les arts connus
avant la deftruction du monde , &
dans un état peu différent de celui des
animaux ; un événement à jamais mémorable
changea la face du globe , & tira les
hommes de cette efpéce d'abrutiffement.
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
La foudre tomba ſur un arbre , au ſommer
d'une montagne , & l'embrafa. La nuit
vint ; un homme , témoin du phénomè .
ne s'en approcha ; il éprouva une ſenſa→
tion agréable ; la chaleur qui s'exhaloit
de l'arbre féchoit l'humidité dont fes
membres étoient pénétrés ; il fut le premier
de l'efpéce humaine qui fe douta
que le feu étoit bienfaifant ; il communiqua
aux autres hommes fa découverte ,
& les encouragea à en profiter ; il fur
regardé comme un héros bienfaifant ; il
imagina de conferver le feu en lui fourniffant
de l'aliment ; pendant qu'il étoit
avec les autres autour du brafier , un lion
fortit d'une taniere voifine ; les hommes
qui l'auroient apperçu dans une autre circonftance
n'auroient pas manqué de prendre
la fuite ; à la clarté du feu ils diſtinguent
leur nombre ; ils fentent qu'ils font
troupe ; la confiance prend la place de la
terreur; ils fondent tous enfemble fur leur
ennemi commun , & le mettent en piéces
; après ce premier exploit , le fentiment
de leur force & l'intérêt de leur confervation
dût naturellement les porter à
ne fe point féparer.
L'auteur fuit l'hiftoire des hommes
ainfi raffemblés ; les ravages du feu déJANVIER.
1770. 107
couvrent le fommet de la montagne ;
l'homme apperçoit le ciel pour la premiere
fois ; l'horifon s'étend fucceffivement
à fes yeux , fes idées fe multiplient,
il apprend à cultiver la terre , & c. Des
années stériles le forcent à fe nourrir de
la chair des animaux ; différentes caufes
l'obligent à chercher de nouvelles demeures
; c'eft en portant le feu par- tout qu'il
s'ouvre des routes , qu'il fe répand par
toute la terre , & qu'il va enfeigner l'ufage
de cet élément aux hommes fauvages
habitans des bois qui l'ignoroient encore.
Tous ces détails font préfentés de la maniere
la plus intéreflante , & appuyés fur
des paffages des écrivains anciens , & tendent
à prouver que les Vulcains , les Promethées
, les Cyclopes , &c. fi fameux
dans la fable , ont exifté réellement. Le
monde montre encore des traces fenfibles
& multipliées d'un incendie univerfel ;
il a dû commencer quelque part ; l'auteur
cherche qu'elle eft la contrée qui fut
la premiere embrafée ; ce fera celle qui
fut peuplée la premiere , & on pourra la
regarder comme le berceau des hommes;
Diodore de Sicile parle de l'incendie des
Pyrenées ; ce nom , chez les anciens , n'étoit
pas feulement affecté aux montagnes qui
E vj
10S MERCURE DE FRANCE.
féparent les Gaules de l'Efpagne ; on comprenoit,
fous ce nom , toutes les Gaules &
la Germanie jufqu'à la Norwege , toute
l'Eſpagne & la majeure partie des Alpes .
C'est cette partie du monde qui fut la
premiere habitée ; l'auteur cherche &
trouve le mot feu dans les noms de
prefque toutes les provinces qui la compofent.
La plupart de ces détails qui font
extrêmement curieux , & qui préfentent
les recherches les plus favantes ne font
pas fufceptibles d'extraits. Il en eſt de
même d'une differtation dans laquelle on
tâche de prouver que le paradis terreftre
étoit en Efpagne ; il eft difficile d'appuyer
une opinion d'un plus grand nombre d'autorités
& de lui donner plus de vraifemblance
; celle de l'auteur n'attaque aucune
idée orthodoxe ; la defcription que Moïfe
a donnée du jardin d'Eden a produit
différentes interprétations , parmi lefquelles
le fyftême dont il eft queftion
dans cet ouvrage peut trouver place ; mais
qu'apprennent toutes ces difcuffions ?
Peut-on fe flatter de découvrir réellement
où étoit le paradis terreftre ? Tous ceux
qui ont fait des recherches à ce fujet ont
commencé ppaarrffuuppppooffeerr qquuee Moïſe avoit
décrit Eden & fes environs tels qu'ils
JANVIER . 1770. 109
étoient de fon tems ; n'eft- il pas plus vraifemblable
de croire qu'il les a décrits tels
qu'ils étoient lors de la création ? On rejetera
alors fur les changemens qu'a dû
caufer le déluge , l'impoffibilité de retrouver
leur fituation.
L'auteur revient enfuite à fon fyftême
fur l'origine des hommes ; il préfente de
nouvelles preuves & de nouvelles recherches
par lesquelles il le concilie avec les
monumens de l'histoire facrée . Plufieurs
ufages des anciens peuples atteftent qu'autrefois
la poffeffion du feu n'étoit rien
moins que commune , & que fa confervation
exigeoit la plus extrême vigilance ;
dans beaucoup de pays on ne le connoiffoit
point , & plufieurs nations qui le
connoiffoient,ignoroient l'art de le reproduire.
L'auteur ajoute qu'on peut fuppofer
Noé dans ce cas , & que fes enfans ,
après avoir laiffé éteindre le foyer unique
confervé dans l'arche , fe difperferent dans
les diverfes contrées de la terre pour aller
à la découverte de ce qui leur manquoit;
ils ne dûrent fe difperfer que de proche
en proche , à l'aide de quelques radeaux ,
&fe refugier fur les montagnes voifines ,
d'où ils s'étendirent encore plus loin &
de hauteurs en hauteurs jufqu'aux extrê
110 MERCURE DE FRANCE.
mités de la terre ; car les eaux n'étoient
point encore retirées au point de la rendre
habitable. Ces fuppofitions une fois
admifes , le fyftême de l'auteur marche
de fuite , & les ufages , les monumens ,
& c. les langues même de prefque tous,
les peuples de laterre viennent à l'appui .
Les derniers chapitres de l'ouvrage offrent
des recherches également curieuſes ,
& peut-être plus intéreffantes ; l'auteur ,
après avoir prouvé que la Celtique priſe
dans fa plus grande étendue , a été le berceau
du genre humain en général , fait
voir que les Grecs , les Romains & les
autres peuples ont eu des armoiries dès
les plus anciens âges hiftoriques , & qu'ils
les tenoient des Celtes ; il préſente enfuite
des recherches fur les noms ; il en
montre plufieurs qui exiftent encore &
qui étoient portés autrefois par d'anciennes
familles celtiques ; nous citerons un
paffage qui donnera une idée des recherches
de l'auteur à ce fujet . Segonax , roi ,
qui commandoit dans la Grande - Bretagne
lorfque Céfar y fit fa defcente. «C'eſt
" Seguier, interprêté dans le fens de prêtre
ou facrificateur de la victoire . Seg ,
» qui fignifie victoire , eft traduit par Sego
; & comme ier peut s'interprêter
dans le fens du mot grec iereus , qui
JANVIER. 1770. III
"
les
fignifie un prêtre , un facrificateur , Cé-
» far le traduit par nax , qui vient du grec
naxaï , facrifier , & qui par conféquent
» eft l'équivalent d'iereus. » Prefque tous
peuples , lorfqu'ils ont parlé de quelques
étrangers , ont cherché à adoucir leurs
noms en les traduifant dans leurs langues.
Ils les dénaturalifoient , pour ainfi dire, en
leur ôtant cette phyfionomie , ou , fi l'on
veut , cette diffonance étrangere qui eût
offenfé les oreilles dédaigneufes d'Athènes
& de Rome. Il y a peu d'ouvrages
qui préfentent plus de recherches d'érudition
& moins de féchereffe ; nous ne
connoiffons aucun fyftême appuyé d'un
plus grand nombre de preuves & qui en
préfente d'auffi fatisfaifantes ; cela ne
nous empêche pas de le regarder comme
plus ingénieux que folide. Si les recherches
qu'a faites l'auteur pour le prouver ne
rempliffent pas tout - à- fait ce but , elles
n'en font pas moins précieufes ; elles éclairciffent
plufieurs parties de l'hiftoire des
premiers tems, & jettent quelque lumière
fur les ténebres épaiffes dont elle eſt
envelopée .
Le bon Fils , ou les Mémoires du Comte
de Samarandes ; par l'auteur des mé112
MERCURE DE FRANCE.
moires du Marquis de Solanges , avec
cette épigraphe :
Hic me , pater optime , feffum
'Deferis , heu ! tantis nequicquam erepte periclis.
VIRGIL. ENEID. liv. III.
A Amfterdam ; & fe trouve à Paris ,
chez Delalain , libraire , rue & à côté
de la Comédie Françoife , & Lacombe,
rue Chriſtine , 4 part. in- 12.
Parmi les romans qui paroiffent jour
nellement , & qui ont paru depuis quelques
années , celui - ci mérite d'être diftingué
; nous le devons à la plume élégante
qui nous a donné les mémoires du marquis
de Solanges , où il a répandu le fentiment
, l'intérêt & la vérité qui font le
fuccès de ces fortes d'ouvrages ; le bon
Fils n'en préfente pas moins ; un précis
des événemens qu'il renferme mettra le
lecteur en état d'en juger. Le pere du
comte de Samarandes avoit été de bonne
heure orphelin ; un curé de village , honnête
homme , s'étoit chargé de fon éducation
; le préſident de Bonelles le débarraffa
de ce foin qui étoit au - deſſus de fa
fortune & de fes talens ; il l'éleva luiJANVIER
. 1770. 113
même & lui fit obtenir , au moyen des
difpenfes vraiment juftifiées par un mérite
prématuré , une charge de confeiller
au parlement de .... Cette place le conduifit
à une fupérieure , & le jeune Samarandes
fe vit à la tête d'un fénat augufte ,
dans un âge où l'on eftencore fur les bancs
de l'école. Le préfident n'avoit point d'enfans
; il destinoit fes biens , & une niéce
déjà fort riche par elle - même à fon jeune
éleve ; la mort prévint l'exécution de ce
deffein ; il mourut en le recommandant
à fon époufe ; Samarandes ne la quitta
point après la perte de fon bienfaiteur ;
Madame de Bonelles étoit encore jeune ;
l'habitude de voir Samarandes le lui avoit
rendu cher ; fes fentimens devinrent plus
vifs , & elle crut remplir les intentions du
feu préfident en le rendant maître de fa
fortune & de fa main . Elle mourut en donnant
le jour au comte & à une fille , dont il
ne fut l'aîné que de quelques heures. M.
de Samarandes chercha à fe confoler de
fa perte dans l'éducation de fes enfans ; il
fut obligé de mettre fa fille dans un couvent;
il fut l'ami de fon fils , & lui infpira
de bonne heure les meilleurs princi
pes de vertu .
Le comte étoit né fenfible ; attaché à
fon pere par la nature & la reconnoiffan
114 MERCURE DE FRANCE.
ce , il vouloit n'aimer que lui ; il refufoit
de fonger au mariage de crainte de ſe
voir forcéde donner à l'auteur de les jours
la feconde place dans fon coeur. M. de Samarandes
defiroit cependant d'établir fon
fils ; il l'introduit chez Mde de Rofieres
qui avoit deux filles , dédommagées de
leur peu de fortune par leur caractere &
leurs agrémens. L'aînée étoit férieuſe ,
fon abord étoit froid & fier ; la cadette
Henriette étoit plus affable & plus tendre;
elle ne put fe défendre d'aimer le comte
qui ne s'en apperçut point ; il fallut que
fon pere l'éclairât ; des circonstances particulieres
le forcerent de céder aux defirs
de M. de Samarandes ; difpofé à ſe marier
, il voulut l'unir lui -même à Mde de
Rofieres qui préféra de lui donner ſa fille,
qu'il accepta. Le comte , dans ce moment
, auroit voulu faire encore le mariage
du chevalier de Rofieres avec fa foeur
qui étoit encore dans fon couvent & qui
vouloit s'y renfermer pour cacher peutêtre
les effets de la petite vérole fur fon
vifage. Mais ce fouhait ne fut point rempli
; les nouveaux époux vivent heureux
& tranquilles ; le comte achette une charà
la cour qui l'oblige de s'éloigner tous
les ans pendant quelques mois.Afon retour
dans fa famille, il y trouve une étrangere,
ge
JANVIER. 1770. IIS
·
Mde de Charmes ; elle vivoit dans une
terre voisine de celle où le duc de .
alla oublier fes égaremens ; elle le vit &
l'anima à la vertu ; le duc reconnoiffant
voulut l'époufer ; fon rang exigeoit que
le mariage fût fecret ; il mourut fans pouvoir
le déclarer , & la veuve avoit été
contrainte par les héritiers de rendre tout
ce qu'elle tenoit du duc , jufqu'aux préfens
qu'il lui avoit faits . M. de Samarandes
avoit été forcé de prononcer contre
elle , & avoit cru que l'humanité l'obligeoit
de l'en indemnifer. Mde de Samarandes
étoit jaloufe de cette nouvelle veu .
ve ; fa fierté ne lui permettoit pas de l'avouer
, elle fe contentoit de traiter froidement
fon mari qui alloit s'en confoler
avec fon amie ; il fe lia plus étroitement
avec elle ; les divifions ne manquent pas
d'augmenter dans la famille. Envain le
comte emploie tous fes foins pour y ramener
la paix ; l'orgueil de fa belle- mere
repouffe fans ceffe fon mari qui , entraîné
par un penchant invincible pour Mde de
Charmes , fuit avec elle fa maiſon . Le
comte affligé vole fur leurs traces , & les
perd en arrivant à Paris ; il croit que fon
pere aura été voir le miniftre , il fe rend
chez lui dans l'efpérance d'y apprendre
fon adreffe ; le miniftre ne l'a point vu ;
116 MERCURE DE FRANCE.
il est très mécontent de lui ; il le fait connoître
au comte qui fe retire à fon logement
très- affligé . Il y trouve M. de Samarandes
& Mde de Charmes à table , avec un
M. Dombreville , garde du Roi , frere de la
Dame, & le marquis de P. Le garde du Roi
étoit un jeune libertin ; le marquis de P..
paroiffoit honnête homme & décent ;
cette fociété paroît fort défagréable au
comte de Samarandes ; il paffe la journée
avec fon pere ; le lendemain , accablé de
fes chagrins , il fe leve de bonne heure ,
fe promene dans un jardin ; il entend
frapper à la porte de l'hôtel , il va ouvrir
lui même , tout le monde dort encore ;
c'eft un exempt chargé d'une lettre de cachet
pour arrêter M. de Samarandes ; le
comte porte ce nom & fe fait arrêter pour
fon pere à qui il écrit ce qu'il fait pour
lui ; il est conduit à Vincennes où il paffe
quelques mois. Il ne tarde pas à obtenir
fa liberté ; le Roi eft touché du facrifice
qu'il a fait à fon pere , & lui donne de
grands éloges ; il revient chercher M. de
Samarandes ; il ne peut le trouver ; il va
chez le marquis de P. qui lui apprend que
fa femme eft arrivée avec fa foeur , &
qu'il les a logées à Charenton pour qu'elles
fuffent plus à portée d'apprendre de
fes nouvelles ; il y vole , conduit par le
JANVIER . 1770. 117
marquis ; il trouve le frere de Mde de
Charmes qui paroît aimer Hortenfe ſa
foeur qui , depuis qu'elle eft fortie du couvent
, s'eft embellie ; le comte qui connoît
le caractere de d'Ombreville , ne manque
pas d'en inftruire fa foeur & de la mettre
en garde contre la féduction ; d'Ombreville
s'apperçoit de l'effet des foins du
comte ; il en montre de. l'humeur , &
fe fait chaffer de la maifon . Quelques
jours s'écoulent , un valet fidèle du comte
de Samarandes vient le réveiller une nuit,
& lui dire que l'on enleve fa foeur ; il vole
à fon fecours ; les raviffeurs , au nombre
de deux , l'entraînent déjà dans le jar
din ; le valet en tue un. Le comte , d'un
coup de couteau de chaffe , fait tomber
l'autre ; il ramene fa foeur ; le valet va
dépouiller les morts & les jeter dans la
riviere ; le lendemain un homme apporte
une lettre ; elle eft de Mde de Charmes ;
elle s'accufe d'avoir fait le malheur de la
famille du comte , en montre du repentir,
l'avertit que fon pere , pour unir Hortenfe
à d'Ombreville , fe propofe de l'enlever
; on l'en prévient ; le comte voit
que cette lettre eft arrivée trop tard ; il
frémit ; celui qu'il a immolé, eft fon pere ;
il fe livre pendant quelques inftans à fa
douleur , s'enferme dans fon apparte118
MERCURE DE FRANCE.
ment , où ilne voit perfonne ; un foir on y
fait entrer fon fils ; il s'attendrit & veut le
ramener lui - même à fa femme ; il vole à
fon appartement ; il ouvre la porte ; il la
voit avec le marquis de P. dans une fituation
trop cruelle pour un mari . Il ne peut
foutenir ce fpectacle ; il fe retire , renvoie
fon épouſe & fa foeur auprès de Mde de
Rofieres ; il fait un long voyage par ordre
du Roi ; il trouve en Hollande le chevalier
de Rofieres qui , inftruit de la con- `
duite de fa foeur , s'eft battu avec le marquis
de P. & la tué ; ce dernier en mourant
a avoué que l'arrivée de Samarandes
l'a empêché de profiter de l'effet de ſa ſéduction
.
Cette aventure a rendu public le deshonneur
de la comteffe de Samarandes ; s ;
elle s'eft retirée dans un couvent où fa
four avoit pris le voile après la mort de
fon mari ; cette femme altiere qui ne
fait pardonner aucune foibleffe , a traité
la comteffe d'une maniere qui a
troublé fa tête ; la comte en eft inftruit ;
la pitié le fait voler à fon fecours ; il voit
mourir fon époufe à qui il pardonne. Le
chevalier revient en France & eft arrêté ;
le Roi le tire des prifons de la conciergerie
, & le fait mettre à la bastille pour le
fouftraire à la juftice . Le comte , en at
JANVIER. 1770. 119
;
tendant une grace entiere , fonde un établiffement
pour la retraite des vieillards.
Mde de Samarandes en a la conduite
pendant qu'il s'occupe de l'adminiſtration
de cette maifon , il voit arriver le chevalier
qui s'eft fauvé de la baftille ; il a amené
avec lui une Dame à qui il a facilité
les moyens de fuir auffi ; c'eft Mde de
Charmes ; elle avoue tous fes crimes ; la
lettre qu'elle avoit écrite au comte étoit
un artifice pour l'engager à ne point faire .
de mal à d'Ombreville lorfqu'il enleveroit
Hortenfe , en lui perfuadant que fon
pere lui-même étoit l'auteur de cet enlela
lettre étoit arrivée vement ; trop tard;
le comte n'a point commis de parricide.
Pour achever de le confoler , il retrouve
fon pere dans la maifon qu'il a fondée ;
tous fe réuniffent & vivent heureux.
Nous n'avons pu donner qu'une idée
imparfaite de ce roman intérellant. L'auteur
annonce que les amours du chevalier
de Rofieres & d'Hortenfe feront encore
une partie ; nous l'exhortons à fe hâter de
la publier , de crainte que quelqu'autre ne
l'entreprenne & ne donne une fuite inférieure
à ce qui précéde.
1 120 MERCURE
DE FRANCE.
Inftructions pour les feigneurs & leurs gens
d'affaires ; par M. R *** , avocat au
parlement de Touloufe. A Paris , chez
Lottin l'aîné , libraire & imprimeur ,
rue St Jacques , au coq , & Lacombe ,
rue Chriſtine , in 12 .
L'auteur de cet ouvrage a pour but d'éclairer
les feigneurs & leurs gens d'affaires
; en apprenant à ceux - ci à régir les
biens dont l'adminiftration leur eft confiée
, il indique à ceux - là ce qu'ils doivent
faire pour n'être pas trompés. Son ouvrage
eft divifé en deux parties. La premiere
a pour objet le choix que les feigneurs
doivent faire parmi les gens d'affaires
qui leur font préfentés , & la conduite
qu'ils fe doivent à eux- mêmes . Tout démontre
que le feigneur riche en fonds de
terre doit être délicat fur le choix d'un intendant
, il ne peut le prendre au hafard
dans la claffe des protégés ; il a beſoin
d'un homme inftruit qui connoiffe les
fiefs , rôtures , biens fonds à affermer & à
régir , qui foit en état de mettre tout l'ordre
, toute l'attention , toute l'exactitude
poffible dans la comptabilité ; qui fache
conduire une affaire , en accélérer ou en
fufpendre la conclufion fuivant les circonftances
JANVIER . 1770 . 121
conftances , & qui garde un fecret invio-
Fable fur tout ce qui lui fera confié . Un
pareil fujet ne peut être choifi que parmi
les jeunes avocats qui entrent dans la carriere
du barreau , & qui , n'ayant point
encore d'état formé , annoncent des talens
& des difpofitions ; il eft inutile pour
le trouver de le chercher fpécialement
dans les tribunaux de la capitale ; ceux de
province peuvent en fournir d'excellens ;
c'eft même un avantage de le prendre
dans la province même où le feigneur auroit
des terres confidérables ; formé aux
loix , aux ufages , aux reffources du pays
qu'il habite , il fera dans l'inftant au fait
de tout ce qui regarde la terre qui forme
le principal revenu du propriétaire. La
feconde partie , qui eft la plus étendue ,
traite des devoirs des gens d'affaires des
feigneurs dans tout ce qui a rapport à leur
état. L'auteur , à ce fujet , entre dans une
infinité de détails extrêmement importans
& peu fufceptibles d'extraits ; il expofe le
travail des intendans & de leurs fubordonnés
, en parcourant fucceffivement.
tout ce qui doit former l'objet de leurs
études , tels que les mouvances actives &
paffives concernant les fiefs , celles qui
regardent les biens en roture , les baux à
II. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
ferme , les parties à régir , les droits feigneuriaux
, les cens & rentes , les bois
taillis , les moulins , les forges, les étangs,
&c. Il faut lire tous ces détails dans l'ouvrage
même ; les intendans y trouveront
des inftructions qu'ils ne fauroient trop
méditer , & les feigneurs eux- mêmes qui
voudront acquérir quelques lumieres fur
l'adminiſtration de leurs biens , & y veiller
quelquefois , profiteront de cet ouvrage
& fauront gré à l'auteur de fon travail.
Traité de la réfolution des équations invariables
; par M. S. R. Mourraille , de
l'académie des fciences & belles - let
tres de Marſeille . A Paris , chez Jombert
fils , libraire , rue Dauphine ; & à
Toulouſe , chez Dupleix & la Porte ,
un vol . in- 4°.
Cet ouvrage, de M. Mourraille , paroît
depuis quelque tems ; nous l'avons annoncé
l'année derniere , chez de Bure pere
quai des Auguftins ; de nouveaux libraires
le débitent actuellement , & c'eſt à
eux qu'il faut s'adreſſer pour fe le procurer
; on fait combien il eft important de
favoir réfoudre les équations pour la folution
des problêmes ; depuis Defcartes
JANVIER. 1770. 123
& Newton qui , l'un & l'autre , ont travaillé
fur cette matiere , on n'a encore fait
que des progrès très médiocres.Le dernier
de ces grands hommes fe contenta de
donner une méthode d'approximation
; il
fentit qu'il étoit impoffible d'en donner
une à la fois générale & exacte. La méthode
d'approximation de Newton fait
l'objet de l'ouvrage de M. Mourraille ,
qui s'écarte cependant de fon auteur ;
Newton déduit fa méthode d'un raiſonnement
purement analytique , & M.
Mourraille la dérive de la propriété générale
des courbes . Nous ne nous arrêterons
pas fur ce grand ouvrage qui annonce
de profondes connoiffances & de grandes
vues que les géometres feuls peuvent apprécier.
Traité de la défenfe des Places ; ouvrage
original de M. le maréchal de Vauban.
A Paris , rue Dauphine , chez Charles-
Antoine Jombert pere , libraire du génie
& de l'artillerie, à l'image Nôtre Dame,
un volume in -8°.
Cet
ouvrage ,
Vauban
, paroît pour la premiere
fois ;
c'eft une fuite néceffaire
de fon traité de
l'attaque
des places ; la difficulté
où l'on
de M. le Maréchal de
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
a été long- tems de s'en procurer une copie
complette & correcte , en a retardé la
publication jufqu'à préfent ; on la doit à
M. Belidor qui rend un fervice effentiel
aux militaires , & au public zélé pour la
gloire de cet illuftre ingénieur à qui l'on
doit le degré de perfection où l'on a porté
l'attaque des places ; le traité qui regarde
la maniere de les défendre eft divifé
en trois parties ; la premiere contient
l'explication de la fortification des places
qui peuvent être affiégées ; elle fait connoître
l'ufage & la propriété des piéces
qui compofent ces fortifications , leurs
avantages & leurs défauts les plus connus .
Dans la feconde , l'auteur indique les munitions
de guerre & de bouches néceffaires
à leur défenſe relativement à leur force;
& dans la troifiéme il entre dans tous
les détails de la défenfe depuis le moment
où la place eft inveftie , jufqu'à celui
où elle fe rend . Ces trois parties
complettent ce traité , & ne laiffent rien
à defirer ; c'étoit à l'homme qui avoit fu
tirer les plus grands avantages des terreins
fur lefquels il avoit fait conſtruire
des fortifications , qu'il convenoit de
montrer aux militaires le parti qu'ils doivent
en tirer pour faire une belle défenſe,
JANVIER. 1770. 125
Tous ceux qui voudront connoître les
vrais principes de cette partie de l'art de
la guerre , & ménager la vie des hommes
dans les fiéges , ne peuvent trop confulter
& méditer cet ouvrage.
Les hiftoires de Sallufte , traduites en
françois avec le latin revu & corrigé ,
des notes critiques & une table géogra
phique ; par M. Beauzée , de l'académie
della Crufca , des académies royales
de Rouen & de Metz , des fociétés
littéraires d'Arras & d'Auxerre ; profeffeur
de grammaire à l'école royale
militaire. A Paris , chez Barbou , im
primeur - libraire , rue & vis - à- vis la
grille des Mathurins , in 1 2 .
On connoît la grammaire générale de
M. Beauzée ; il a approfondi la philofophie
du langage ; des perfonnes , aux avis
defquelles il défére , lui ont confeillé de
faire entrer dans fon fyftême les principes
de l'art de traduire ; il falloit pour cela
qu'il éprouvât par lui-même les difficultés
qui fe préfentent devant un traduc
teur , pour examiner qu'elles peuvent être
fes reffources & établir , d'une maniere .
plus fûre , les principes qui doivent le
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
guider ; il s'eft en conféquence effayé fur
Sallufte ; fes deux hiftoires n'avoient pas
affez d'étendue pour le détourner longtems
de fon objet principal , & fuffifoient
pour lui fournir l'épreuve dont il avoit
befoin; telles font les raifons de fon choix .
« La célébrité même de cet écrivain, ajou-
» te t'il , donne naturellement à ſon traduc-
» teur de nouvelles entraves ; & fije n'a-
» vois pensé qu'à la petite gloire du fuc-
» cès de ma traduction , j'avois encore à
» redouter la concurrence de celle du
» pere d'Otteville de l'Oratoire , dont la
» troifiéme édition vient de paroître.
» Mais c'eſt une expérience que je fais de
» bonne foi , & que je préfente au public
» fans autre prétention que de profiter
» de mon effai & de fes avis pour me
» mettre en état d'éclaircir & de mettre
s en ordre les principes d'un art dont les
règles femblent jufqu'à préfent n'avoir
guères été connues que d'un petit nom-
» bre d'adeptes . »
»
»
M. Beauzée n'a donc point été conduit
par l'enthoufiafme ; il n'eft point l'admirateur
aveugle de Sallufte ; il l'apprécie
avec une juſtice dont peu de traducteurs
ont donné l'exemple ; il en releve les défauts
avec la même impartialité qu'il en
JANVIER. 1770. 127
admire les beautés ; il penfe avec raiſon
que les jeunes gens à qui on le fait lire
ne doivent point être féduits par des éloges
déplacés ; fes obfervations lui fourniffent
beaucoup de notes intéreffantes &
critiques qui fuppléent aux omiffions de
Sallufte , & aux jugemens que la prévention
lui a fait porter quelquefois ; la correction
du texte n'eft point oubliée , ni
les motifs qu'il a eus pour traduire quelques
endroits autrement que ne les ont
entendus plufieurs interprêtes. L'ouvrage
eft fuivi d'une table géographique dans
laquelle l'auteur a fait connoître l'ancienne
géographie en la rapprochant de la
moderne . La traduction de M. d'Ottevil
le ne fait aucun tort à celle de M. Beauzée
; cette derniere a le mérite rare de la
plus grande fidélité . L'auteur s'eft toujours
tenu auffi près du texte qu'a pu le lui permettre
le génie de notre langue ; & il n'eft
pas étonnant fi quelquefois fes tours font
moins vifs & moins ferrés qu'on ne le defireroit
dans une verfion de Sallufte.
Abregé de l'Hiftoire Grecque & Romaine ,
traduit du latin de Velleïus Paterculus ,
avec le texte corrigé , des notes critiques
& hiftoriques , une table géogra-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
phique , une lifte des éditions , & un
difcours préliminaire ; par M. l'abbé
Paul. A Paris , chez Barbou , imprimeur-
libraire , rue des Mathurins , un
volume in- 1 2.
L'ouvrage de Velleius-Paterculus , le
modèle inimitable des abregés , felon M. le
préfident Henault , avoit déjà été traduit
deux fois en françois ; la traduction de J.
Beaudoin eft oubliée avec la plûpart de
celles qui ont été données anciennement
des Ecrivains Grecs & Latins ; les verfions
d'Amiot fe font feules foutenues . En 1672
M. Doujat , célèbre jurifconfulte , en donna
une qui fut eftimée , & qui a confervé
encore une partie de fa réputation , peutêtre
parce que nous n'en avions pas d'autre
. Celle de M. l'abbé Paul la relégue
pour toujours àcôté de celle de Jean Beaudoin
. Le nouveau traducteur s'eft attaché
à épurer , autant qu'il lui a été poffible ,
le texte de fon auteur , fouvent altéré par
le tems ou par le défaut des copiftes . Il a
travaillé fur l'édition du P. Riguez , qui a
profité des recherches des commentateurs
& répandu toutes les variantes dans fes
notes ; c'eft d'après l'examen le plus fcrupuleux
qu'il s'eft décidé fut le choix des
leçons ; il s'écarte quelquefois du texte de
JANVIER. 1770. 129
M. Philippe , & s'appuie dans ces cas fur
de bonnes raifons ; c'eft en rendant juſtice
à l'érudition & au génie de ce célèbre éditeur
qui a contribué à rendre les preffes de
Barbou & des Couteliers , rivales de celles
des Elzevirs , qu'il prouve qu'il a eu
raifon de lire différemment ; à ce travail
M. l'abbé Paul en joint un autre qui n'eft
pas moins intéreflant ; c'eft une efquiffe de
fupplément de Velleius Paterculus , pour
former une chaîne continue d'évenemens
depuis l'enlevement des Sabines jufqu'à
la guerre de Perfée. Avant d'ofer tracer
le tableau en grand , il a voulu preſſentir
le public ; on ne peut que l'exhorter à entreprendre
ce fupplément en forme ; il eft
peut- être impoffible à un moderne de fuppléer
entierement à un ancien auteur, furtout
dans une langue morte ; il ne faut
pas
fe flater fans doute de prendre fa maniere
& fon génie , mais on peut quelquefois
en approcher ; cet effort auroit fon
mérite ; on lui devroit de juftes éloges , &
M. l'abbé Paul peut y afpirer.
Les Preffentimens juftifiés , anecdote hiftorique
, avec cette épigraphe :
Auri facra fames ,
Quid non mortalia pectora cogis .
Fv
130 MERCURE DE FRANCE .
A Amfterdam ; & fe trouve à Paris ,
chez Pillot , libraire , rue St Jacques ,
à la Providence , in- 12 .
Euphrofine étoit née en province ; fa
mere étant morte , fon pere la mit dans
un couvent à Paris ; elle y fit connoiffance
avec une jeune penfionnaire nommée Sophie
, qu'une famille injufte & barbare
deftinoit au cloître pour groffir la fortune
du président de Monfir fon frere aîné . Le
chevalier d'Armency , fon cadet , la plaignoit
feul , & la défendoit ; il venoit
fouvent la confoler au parloir ; il eut occafion
de voir Euphrofine qui étoit devenue
la compagne inféparable de fa foeur ;
il l'aima ; il fit des impreffions fur fon
coeur , & ne tarda pas à apprendre qu'il
étoit payé du plus tendre retour. Euphrofine
, convaincue qu'elle ne pouvoit être
heureufe qu'avec d'Armency , fonge aux
moyens de déterminer fon pere à confentir
à fon bonheur ; elle imagine de mettre
dans fa confidence fon coufin le marquis
de Ferou qui peut parler à fon pere
en fa faveur ; ce coufin eft l'ami intime
du chevalier ; il faifit avec tranfport l'octafion
de le fervir ; cette affaire l'oblige
de venir fouvent au couvent d'Euphrofime,
il voit Sophie & ne manque pas
d'en
JANVIER. 1770. 131
devenir auffi amoureux ; les quatre amans
fe trouvent fouvent au parloir , en faisant
des voeux pour le bonheur de fe voir un
jour fans être féparés par une grille ; l'entremife
du marquis auprès du pere d'Euphrofine
, après quelques difficultés &
quelques lenteurs , réuffit ; fon mariage
eft arrêté ; le pere de Sophie , preffé par
fon fils aîné de hâter l'inftant où fa fille
doit faire fes voeux , la traite de la maniere
la plus dure , & pour vaincre fa réfiftance
& la dérober aux vifites du chevalier
qu'on accufe de l'entretenir dans
fes dégoûts pour la retraite , il la conduit
dans un autre couvent fans en inſtruire
perfonne . Le chevalier & le marquis ,
avertis , mais trop tard , prennent la pofte;
le premier tombe malade ; ce n'eft qu'une
fiévre légere ; mais fon frere vient pour
le foigner , la maladie devient bientôt
dangereufe & il meurt . Euphrofine avoit
eu des preffentimens de ce malheur dont
elle gémit le refte de fa vie , fans pouvoir
recevoir aucune nouvelle de fon amie.
Le fond de ce roman eft fimple , commun
; mais il offre quelquefois de l'intérêr
; & on ne le liroit point fans plaifir ,
s'il finiffoit d'une maniere plus heureuſe.
F vj
132 MERCURE DE FRANCE .
Mémoire fur la maniere d'agir des bains
d'eau douce & d'eau de mer , &fur leur
ufage , qui a remporté le prix en 1767
au jugement de l'académie royale des
belles - lettres , fciences & arts de Bordeaux
; par M. Maret , médecin - chi~
rurgien de la faculté de médecine de
Montpellier , agrégé au collège de médécine
de Dijon , un des médecins de
l'hôpital & de la charité de la même
ville , affocié honoraire du collége
royal des médecins de Nancy , de l'académie
de Clermont Ferrand , & lecrétaire
perpétuel de l'académie des ſciences
, arts & belles - lettres de Dijon. A
Paris , chez Des Ventes de la Doué ,
libraire , rue St Jacques , vis - à- vis le
collége de Louis le Grand ; & à Bordeaux
, chez Racle , imprimeur de l'académie
, rue St James .
L'académie de Bordeaux avoit propo
fé , pour le fujet du prix qu'elle a diftribué
en 1767 , de déterminer qu'elle eft l'action
des bains ,foit d'eau douce, foit d'eau
de mer , & qu'elle eft leur utilité . Les
bains font une immerfion du corps humain
dans l'eau en tout ou en partie ; il
faut donc rendre raifon des effets que proJANVIER.
1770. 133
duit l'eau appliquée à la furface du corps.
Il est néceffaire pour cela de connoître
exactement les propriétés de l'élément &
la nature du corps fur lequel il agit . L'auteur
en conféquence entre dans des détails
fur ces deux objets ; c'eft un préliminaire
néceffaire après lequel il s'attache à expliquer
l'action des bains , & à démontrer
leur utilité. Toute cette partie de
l'ouvrage eft fondée fur les principes établis
dans l'autre ; on préfente enfuite les
regles qu'on doit fuivre pour rendre les
bains auffi utiles qu'ils le peuvent être.
Nous ne nous arrêterons pas fur cet ouvrage
important , digne du médecin qui
l'a compofé , & de l'académie qui l'a couronné
.
·
Effai fur les combinaiſons de la Loterie de
L'Ecole royale militaire , pour fervir
d'inftruction fur cette Loterie , & d'éclairciffement
fur les divers avantages
que l'on en peut tirer , avec cette épi
graphe :
Afpice diverfos anceps rotat alea cafus :
Nunc tibi , nunc aliis officiofa favet .
par M. A. C *** ; à Paris , chez Deflibraire
géographe du Roi de Dan
nos ,
134 MERCURE DE FRANCE.
nemarck , rue St Jacques , au globe ,
in 8°.
Cet ouvrage préſente un tableau fidèle
de tout ce qui compofe la loterie de l'Ecole
royale militaire ; on a tâché d'en dé.
velopper les principes de maniere que
tout le monde foit à portée de les connoître
, & d'y mettre en conféquente avec
plus de confiance. Il eft divifé en cinq
combinaifons générales ou grands tableaux
qui offrent du premier coup d'oeil
les chances déjà forties par extrait , par
ambe & par terne , celles qui attendent
leur tour & que le fort femble plus oa
moins favorifer , ainfi que la maniere de
les combiner les unes avec les autres . On
s'eſt attaché ſur tout à mettre la plus
grande fidélité dans les calculs. « Au refte
il ne faut pas s'attendre à trouver ici des
regles qui indiquent les numéros que
» l'on doit prendre avec la certitude de
» gagner ; fi on avoit donné dans une pareille
extravagance , on auroit raifon
» de la traiter de folie . Qui peut fe flatter
» de lire dans l'avenir , & d'avoir l'efprit
» affez perçant pour inventer un fyfteme
» qui apprend à fixer le hafard? On n'au
» roit raifonné que fur des hypothèſes ,
"
"
"
99
.
JANVIER. 1770. 135
» & l'édifice qu'on éleve fur des fonde-
» mens auffi fragiles n'eft pas long - tems à
» s'écrouler, Ce feroit abufer de la bonne
» foi des gens fimples , & mériter le mé-
·
pris des fages. D'ailleurs on avouera
» avec franchife que fi l'on connoiffoit
» un moyen fûr pour gagner tous les
» mois des ambes & des ternes , on com-
» menceroit par s'enrichir foi même ,
» avant de révéler au public le fecret
» d'arriver à la fortune. » Tous ceux qui
mettent à la loterie de l'Ecole royale militaire
doivent favoir gré à l'auteur de fon
travail , & les autres qui connoiffent peu
cette loterie ne feront pas fâchés de lui devoir
quelques lumieres fur ce fujet. On annonce
que s'il eft accueilli , il fera fuivi
d'un traité des loteries en général avec
l'hiftoire de celles des différens peuples
tant anciens que modernes. Cet ouvrage
fera fans doute curieux , s'il eft fait avec
foin , & nous exhortons l'auteur à le publier
; il ne manquera pas d'acheteurs.
Stratagêmes de guerre des François , ou
leurs plus belles actions militaires depuis
le commencement de la monarchie
jufqu'à préfent ; fuite de l'Officier
Partifan. A Paris , chez Delalain , rue
136 MERCURE DE FRANCE.
de la Comédie Françoife ; & la veuve
Duchefne , rue St Jacques ; tomes IV
& V , in 12 .
L'Officier Partifan forme les deux pre
miers volumes de cet ouvrage intéreflant;
la fuite avec le titre des ftratagêmes de
guerre des François eft préfentée fous une
forme différente ; l'auteur offre peu de
préceptes & beaucoup d'exemples ; c'eſt
dans ces derniers qu'on doit puifer les
premiers. Les deux volumes que nous
annonçons fe lient naturellement au troifiéme
& au fixiéme qui ont paru il y a
quelque tems . Le quatrième continue de
traiter de la guerre offenfive & défenſive ;
cette partie de l'art militaire eft fort étendue
; les batailles , les différentes eſpéces
de combats en dépendent ; l'auteur n'oublie
pas la guerre maritime qu'il fait précéder
de quelques obfervations fur la navigation
; pour montrer comment il faut
faire la guerre , il préfente l'hiftoire de
celles que la France a faites ; & indique
lés caufes de fes fuccès & de fes pertes.
Les fiéges fourniffent les détails du cinquiéme
volume , & ils font traités de la
même maniere que les précédens . Ce que
nous avons dit de cette production , en
JANVIE R. 1770. 137
parlant des premiers volumes , peut s'appliquer
à ceux- ci . M. de Saint - Geniés a
fu réunir l'inftruction & l'agrément ; fon
livre eft celui d'un militaire inftruit qui
donne des leçons de fon art ; les officiers
doivent le lire & le méditer .
Hiftoire de la derniere guerre , commencée
l'an 1756 & finie par la paix d'Hubertsbourg
, le 15 Février 1763. A Cologne
; & fe trouve à Paris , chez Merigot
, jeune , quai des Auguftins , près la
rue Gît- le- Coeur , in- 8 ° .
Des événemens auffi recens que ceux
de la derniere guerre font connus de tout
le monde ; ils ne peuvent exciter la curiofité
qu'autant qu'ils font préfentés avec
exactitude , avec impartialité, & que l'hiſtorien
a des connoiffances particulieres, &
qu'il les a puifées dans des fources non
fufpectes. On ne trouvera pas toujours
toutes ces qualités à l'ouvrage que nous
annonçons ; la préface qui eft à la tête ne
prévient pas beaucoup en fa faveur ; l'auteur
commence par des réflexions morales
fur les devoirs mutuels qui doivenr
lier l'homme à l'homme ; ces devoirs paroiffent
avoir leur fource dans l'égalité
138 MERCURE DE FRANCE.
les
primitive ; ces vérités ne font pas neuves,
& ily a fi long - tems qu'on a dit que
titres de nobleffe difparoiffent en rémontant
à Adam , qu'il n'étoit pas néceflaire
de le répéter. L'ouvrage eft écrit d'un ton
un peu différent , c'eſt une juftice qu'il
faut rendre à l'auteur ; on peut lui reprocher
cependant de n'avoir fait que copier
les gazettes , & de n'avoir pas toujours
mis affez de choix dans les extraits qu'il
en a tirés . On lui faura gré cependant d'a.
voir raffemblé en corps la plupart des événemens
dont elles ont fait mention dans
le tems , & de les avoir préſentés fouvent
avec intérêt .
Almanach danfant , ou pofitions & attitudes
de l'allemande , avec un difcours
préliminaire fur l'origine & l'utilité de
la danfe , dédié au beau fexe , par Guillaume
, maître de danfe , pour l'année
1770 , où fe trouve un recueil de contredanſes
& menuets nouveaux . Prix
30fols en blanc & 36 coloré. A Paris ,
chez l'auteur , rue des Arcis , maiſon
du commiffaire ; & chez Valade ,
libraire
, rue St Jacques , vis- à- vis celle
de la Parcheminerie.
Les amateurs de la danfe trouveront de
JANVIE R. 1770. 139
quoi fe fatisfaire dans cet almanach; l'auteur
y explique de la maniere la plus claire
& la plus précife les pas & les enchaînemens
de la nouvelle allemande. Il y a
joint douze planches en taille - douce qui
repréfentent les principales attitudes de
cette danfe ; il s'eft attaché à mettre fes
lecteurs en état de fe paffer de maîtres . A
la fin de fon ouvrage il y a un recueil de
dix contredanſes nouvelles & choifies ,
tant françoifes qu'allemandes & quelques
menuets des meilleurs auteurs , qui font
gravées avec foin ; l'explication des figures
de chacune de ces contredanfes eft
priſe de la mufique . Le difcours préliminaire
fur l'origine & l'utilité de la danſe
n'eft qu'un extrait de l'hiftoire générale
de cet art , par M. Bonnet ; on a eu foin
fur tout de recueillir les anecdotes les plus
curieufes ; mais toutes font trop connues
pour que nous ne nous difpenfions pas
d'entrer dans des détails.
The ftage , the high road to Hell , Being
an Effay on the pernitious nature of
theatrical entertainments , & c. Le théâtre,
-grand chemin de l'enfer , effai ſur
la nature dangereufe des amuſemens
qu'il préfente , in- 8° .
140 MERCURE DE FRANCE.
L'auteur de cet effai montre beaucoup
plus d'humeur que de raifon . Le théâtre,
felon lui , eft l'école du vice & du libertinage
, & les écrivains dramatiques & les
acteurs font les corrupteurs des hommes
& les inftrumens du diable . Pour confirmer
fon opinion , il allégue que la plûpart
des drames- anglois fourniffent une
infinité de traits indécens & la morale la
plus dangereufe . Dans la tragédie d'Hamlet
, le héros eft repréfenté déterminé à
tuer fon oncle pour venger le meurtre de
fon pere , réſolution contraire aux préceptes
de la religion qui ordonne le pardon
des injures . Dans Venife fauvée on
préfente , comme- héroïque & glorieux ,
l'horrible deffein de mettre le feu à une
ville & d'en malfacrer tous les habitans.
Dans l'Orpheline , la fcène où Polydore
fe gliffe dans la chambre de Monimie, &
quelques autres qui fuivent , font de la
plus grande indécence . Il n'y a rien qui
foit plus obfcène , ajoute l'auteur , que le
recit que fait Lothario de la maniere dont
il a triomphé de la vertu de Califte , Dans
la tragédie de Jeanne Shore , la prostituée ,
fait l'apologie de fa mauvaife conduite
en des termes qui femblent choifis avec
foin pour encourager les femmes dans le
JANVIER. 1770. 141
vice. La plupart de ces exemples font
vrais , mais l'auteur ne les enviſage pas
tous du côté naturel ; les conjurés qui
veulent mettre Veniſe à feu & à fang ,
font découverts & punis ; Lothario reçoit
le châtiment dû à fon crime . La mort
de l'oncle d'Hamlet prouve que la juſtice
divine venge
tôt ou tard l'innocence , &
que les forfaits les plus fecrets ne le font
point devant l'oeil qui voit tout. L'auteur
pourfuit fon examen . Les comédies angloifes
lui fourniffent de nouveaux exemples
plus forts & plus vrais que les précédens
; la décence & les moeurs n'y Tont
pas toujours refpectées ; on y trouve des
hardieffes condamnables & des maximes
impies ; il cite encore en preuve la vie
déreglée de plufieurs écrivains dramatiques
. Son ouvrage
eft généralement bien.
écrit.
An account ofthe manners and customs of
Italy , with obfervations on the mistakes
offome Travellers , with regard to that
Country. Expofition des moeurs & des
ufages de l'Italie , avec des obſervations
fur les erreurs de quelques voyageurs
relativement à ce pays ; par M. Jofeph
Baretti , in 8° . 2 vol,
142
MERCURE DE FRANCE.
La plupart des voyages d'Italie , publiés
en Angleterre , n'offrent que des fatyres;
M. Baretti , dans l'ouvrage que nous annonçons
, a voulu juftifier fon pays & détromper
les Anglois. Quoiqu'il annonce
qu'il veut relever les erreurs de quelques
voyageurs , il femble fe borner à un feul,
M. Sharp , écrivain eftimable à bien des
égards , mais égaré quelquefois par les
préjugés propres à fa nation. « Quoique
» M. Sharp fe foit trompé fouvent , dit
» M. Baretti , il faut cependant lui rendre
» cette juftice ; par-tout il montre un bon
» naturel , un coeur humain & fenfible.
» Parcourt-il un défert, il fe rappelle qu'il
» étoit autrefois célèbre par fa fertilité
» par fa population , & il s'attendrit. Il
» ne peut voir fans compaffion des prê-
» tres très riches & très gras au milieu
» d'un peuple pauvre & maigre. Il foupire
» en confidérant le tombeau de Galilée ;
» le fouvenir des inquiétudes que l'inqui
» fition donna à ce grand homme lui ar-
» rache des larmes, &c. Mais que devient
» ce bon naturel quand il parle de Loret-
» te , qu'il s'étend avec complaifance fur
» la facilité qu'auroient les Barbares à en
» piller le tréfor , qu'il lui échappe, pour
» ainfi dire,un voeu en faveur des pirates,
"
JANVIER. 1770. 143
» qu'il trace d'une maniere fi détaillée la
» route qu'ils devroient prendre pour ve
» nit à Lorette , & la leur montre en quel-
» que forte. » M. Baretti s'égaie fur ce
fujet , il fait voir qu'une pareille entreprife
ne feroit pas fi facile , & montre que
M. Sharp n'eſt pas le premier qui en ait
parlé ; plufieurs voyageurs Proteftans , &
M. Addiffon lui - même , avoient formé
le même fouhait . La fuperftition des Italiens
, ajoute notre auteur , donne -t- elle
aux autres nations le droit d'envahir leur
pays , de ravir leurs biens & de faire couler
leur fang ?
La religion , les moeurs , les ufages de
l'Italie ont prefque toujours été mal préfentés
par les Ecrivains Anglois. Les détails
dans lefquels on entre à ce fujet font
tous précis , intéreffans , & lavent les Ita
liens des reproches calomnieux qu'on leur
fait. M. Baretti n'oublie pas de rappeler
que le feu Pape Benoît XIV offrit d'abolir
toutes les fêtes de l'année à l'exception
du dimanche ; cette offre , après de
longues conteftations, fut refufée par tous
les princes de cette contrée .
Nous ne fuivrons pas l'auteur dans tous
fes détails ; nous nous arrêterons à ce qu'il
dit du théâtre de l'Italie ; il en préſente
B
144 MERCURE DE FRANCE.
une hiſtoire ſuivie , qui mérite d'être connue.
Les deux premieres piéces regulieres
qui parurent en Italie après la renaiffance
des lettres furent la Caffandre du
cardinal Bibiena & la Sophoniſbe de Trif
fin. Le plaifir que donnerent ces deux productions
& plufieurs autres , écrites dans
le même tems , dût être bien général ,
puifque dans la bibliothéque leguée il y a
quelques années aux Dominicains de Ve
nife par Apoftolo - Zeno , il y a environ
quatre mille ouvrages de cette espéce ,
tous compofés dans l'eſpace d'un fiécle ,
& connus en Italie fous le titre général de
commedie antiche , quoique ce foit des
comédies , des tragédies & des tragi - comédies.
M. Baretti en a lu plufieurs dans
fa jeuneffe ; elles font encore admirées
dans les écoles parce qu'elles ont été fcrupuleufement
modélées fur les tragédies
de Sophocle & d'Euripide , & fur les comédies
de Terence & de Plaute ; mais il
n'eft point étonné du mépris dans lequel
elles font tombées vers le commencement
du fiécle dernier.
Les Italiens chercherent des amuſemens
plus vifs ; il s'établit auffi - tôt une autre
efpéce de drame plus conforme à leur ca
ractere & à leurs ufages ; les acteurs jouerent
JANVIE R. 1770. 145
rent en mafque . Pour diftinguer ces piecés
de celles qu'on appeloit commedie antiche
, on les nomma commedie dell'arte .
Riccoboni a prouvé que les acteurs mafqués
n'étoient pas une invention moder
ne , & qu'ils viennent des Antellanes de
Rome , qui ont confervé leur droit de
plaire aux Italiens de génération en générations
, à travers les fiécles de barbarie.
Dans plufieurs endroits ils étoient préférés
aux Bibiena , aux Triffin & à leurs
imitateurs , dans le tems même qu'ils réu
niffoient l'admiration générale.
*
7
Chacun de ces perfonnages mafqués ,
dans les comédies de l'art , avoit originairement
pour but de repréfenter le caractere
de quelque ville ou de quelque ,'
canton particulier . Ainfi Pantalon étoit
un marchand Vénitien ; le Docteur , un
médecin Boulonnois ; Spaviento , un faux
brave Napolitain ; Polichinelle , un plaifant
de la Pouille ; Giangurlo & Covielle,
deux payfans de la Calabre ; Gelfomino
un petit maître Romain ; Beltrame , un
fot de Milan ; Brighelle , un Ferrarois , &
Arlequin , un valet balourd de Bergame.
Chacun de ces acteurs avoit fon habit
fon mafque particulier , & parloit le dialecte
de fon pays . Il devoit y avoir au
II Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
moins quatre de ces perfonnages dans
une comédie de l'art ; les amoureux , les
amoureufes , les foubrettes jouoient fans
mafques , & parloient tous Tofcan ou
Romain. On a imprimé très-peu de comédies
de cette espéce , parce qu'elles ont
été rarement écrites. On en traçoit feulement
le canevas , c'est - à- dire , la marche
des fcènes & leur fujet ; le comédien Flaminio
Scala en publia cinquante de fon
invention en 1611. M. Baretti , qui en a
parcouru quelques- unes , croit qu'elles ne
pourroient être repréfentées que par des
acteurs très exercés à faire leurs rôles en
les jouant ; en effet le plaifir que peuvent
donner ces comédies dépend entierement
d'eux ; il y a peu d'acteurs en état de réuffir
; le Pantalon & l'Arlequin de la comédie
italienne à Paris font tous deux fupérieurs
en leur genre , & M. Baretti obferve
que ce n'eſt que dans de grandes
villes qu'on peut efpérer d'en trouver de
pareils . Pour fuppléer à la médiocrité des
acteurs , les Italiens introduifirent la mufique
fur leur théâtre au commencement
du fiécle dernier . Dès- lors ils eurent des
opéras férieux & burlefques. Des premiers
auteurs qui , écrivirent en ce genre , peu
ont échappé à l'oubli , & aucun ne mériJANVIER.
1770. 147
toit que fon nom fût confervé ; Zeno &
Métaftafe font les feuls qui ayent été dignes
de cet honneur. ,
Zeno trouva l'opéra imparfait & groffier
; il le foumit aux règles d'Ariftote ; il
connoiffoit les anciens , il s'efforça de lui
faire prendre la majefté despiéces grecques;
il tâcha par fes duo , fes trio , fes choeurs,
d'imiterles ftrophes, les antiftrophes & les
épodes. Ce poëte brille fur- tout par l'invention
, le naturel , les caracteres ; mais
fon ſtyle eft inégal , fans chaleur & fans
élégance ; malgré cela fes drames trouvent
des lecteurs, parce qu'ils intéreffent, mais
il y a peu de muficiens qui veuillent les
mettre en musique. Traduits dans une autre
langue , ils feroient peut être plus de
plaifir que ceux de Métaftafe ; les beauiés
du fond paroîtroient feules , on ne ſeroit
point degoûté par fon ftyle; & le ftyle
en général fait le principal mérite de Mé
taftafe. Ses vers femblent faits pour la
mufique ; ils font fi harmonieux que le
muficien a peu de travail ; C'eft peut être
à lui feul , ajoute M. Baretti , que la mufique
italienne doit fa prééminence fur celle
des autres nations. Quant aux opéras comiques
, c'eft un ramas d'abfurdités ; on
Gij
148 MERCURE DE FRANCE .
fait en Italie comme en France ; on va
écouter les airs , on ne fonge pas aux paroles.
Les comédies de l'art , les opéras férieux
& bouffons ne furent pas les feuls drames
qu'on fubftitua aux comédies anciennes ;
on en inventa deux autres efpéces , les
comédies paftorales & les comédies ruftiques
. On trouve encore une centaine d'ouvrages
du premier genre dans les bibliothéques
des curieux . Les jeunes gens lifent
l'Aminte , le Paftor fido , la Filli di
Sciro & l'Alcée ; mais les gens de goût &
les critiques ne les eftiment plus autant
qu'on le faifoit autrefois ; ce font des
moeurs imaginaires, des concetti puériles,
des fentimens peu vrais , peu naturels , de
l'efprit & des tours épigrammatiques. Le
goût des paftorales eft tellement éteint
dans l'Italie , que le nom de Politien n'a
pu fauver fon Alphée d'un mépris total ,
& les fçavans eux- mêmes favent à peine
que cet ouvrage exifte . Quant aux comédies
ruftiques on n'en a qu'un petit nom .
bre , & une feule , la Tancia , eft encore
lue par les gens de lettres ; elle eft de Michel
- Ange Bonarotti , neveu du célèbre
Michel- Ange ; c'est un drame régulier &
en vers ; les perfonnages font des payfans
JANVIER. 1770 . 149
Florentins ; on y trouve des moeurs vraies ,
de la correction & de la clarté,
Lorfque les tragiques François furent
connus dans l'Italie, & fur- tout Corneille
& Racine , quelques écrivains donnerent
à leur nation des piéces dans le genre de
celles de ces grands hommes ; telles font
la Mérope du marquis Scipion Maffey ,
l'Electre du comte Gafparo Gozzi , & c.
Prefque toutes les tragédies de Corneille ,
Racine , Crébillon & Voltaire , traduites
en vers blancs , ont été repréfentées depuis
peu de tems en Italie , mais la nation n'eft
pas en état de les goûter; elle ignore encore
le plaifir de pleurer , & elle auroit gardé
une fidélité inviolable à Pantalon , à Bighelle
& à Arlequin , fi Goldoni & Chiari
n'avoient paru il y a dix - huit ou vinge
ans. M. Baretti donne une idée de ces
deux auteurs comiques ; on voit avec peine
l'amertume & la dureté de fa critique
fur le célèbre Goldoni ; il va jufqu'à lui
refufer tout mérite. Il oublie fa fécondité
furprenante , fa gaïté ; le feul article où il
peut avoir raifon eft celui du langage ; il
eft certain que M. Goldoni a mêlé la plûpart
des dialectes , qu'il a tofcanifé, fi l'on
peut s'exprimer ainfi , plufieurs mots vénitiens.
Notre auteur ne traite pas mieux
G-iij
150 MERCURE DE FRANCE.
Chiari , qu'il met beaucoup au - deſſus de
M. Goldoni. Nous ne nous arrêterons pas
fur cet endroit de fon ouvrage , où il femble
avoir mis fouvent l'humeur à la place
des raifons. Il réferve tous fes éloges pour
un autre auteur comique que nous ne
connoiffons point , qui a fait douze piéces
qui ne font pas imprimées , & dont il
vante le mérite . Cet écrivain eft Carlo
Gozzi , frere cadet du comte Gafparo
Gozzi . On raconte ainfi la maniere dont
il fut entraîné à compofer des comédies.
Il fe trouva un jour avec M. Goldoni dans
la boutique d'un libraire . Leur converfation
tomba fur l'art de la comédie ; tous
deux l'envifageoient différemment ; M.
Goldoni lui dit enfin qu'il étoit aifé de
critiquer un ouvrage de cette efpéce, mais
qu'il étoit difficile d'en faire un . Point du
tout , répliqua Gozzi , il est très - facile
d'en faire qui plaifent aux Vénitiens , &
fi je voulois m'en donner la peine , j'en
ferois un des trois Oranges , où je fuis fûr
qu'on verroit courir toute la ville.
Les trois Oranges font un conte dont
les nourrices Vénitiennes amufent les enfans
depuis un tems immémorial. M.
Gozzi fut pris au mot ; il foutint la gageure
; la piéce fut faite , & elle eut le
JANVIER. 1770. ISI
plus grand fuccès ; encouragé par cet effai
il écrivit onze nouvelles comédies ; M.
Baretti prétend qu'il éclipfa fes deux concurrens
, & les força de lui abandonner la
carriere. Ce qu'il dit de Goldoni annonce
trop de partialité pour que nous puiffions
nous en rapporter à fon jugement au fujet
de Gozzi ; ce font les ouvrages de celuici
qui doivent décider s'il mérite ou non
ces éloges , & on ne pourra prononcer
que lorfqu'ils feront imprimés . La production
de M. Baretti eft intéreffante ,
elle fe fait lire avec plaifir ; mais il faut
fe précautionner contre fes déciſions . Elle
a fur- tout le mérite du ftyle , & , au jugement
des Anglois , il eft le premier
étranger qui ait écrit dans leur langue
avec autant de pureté , de force & d'élégance.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
ACADÉMIES.
I.
DIJON.
L'ACADÉMIE des fciences,arts & belleslettres
de Dijon , a proposé pour fujet de
fon prix pour l'année 1771 , de déterminer
l'action des acides fur les huiles , le
méchanifme de leur combinaifon & la nature
des différens compofésfavonneux qui en
réfultént.
L'académie invite les auteurs à indiquer
dans les trois regnes les productions
naturelles les plus fimples qui participent
de l'état favonneux acide , à effayer en ce
genre de nouvelles compofitions , à expliquer
leurs propriétés générales & leurs
caracteres particuliers , & à ne préfenter
leur théorie qu'appuyée de l'obfervation
& de l'expérience .
Ceux qui voudront être admis au concours,
ne fe feront connoître ni directement
ni indirectement ; ils mettront une
devife , par forme d'épigraphe , à la tête
de leur ouvrage , & ils écriront la même
J.AN VIER. 1770. 153
devife dans un billet cacheté dans lequel
ils auront infcrit leur nom .
Les mémoires feront adreffés , francs
de port , à M. Maret , docteur en médecine
, fecrétaire perpétuel de l'académie ,
rue St Jean à Dijon , qui les recevra jufqu'au
premier Avril 1771 inclufivement.
Ce prix , fondé par M. le marquis du
Terrail , confifte en une médaille d'or ,
portant , d'un côté , l'empreinte du nom
& des armes de feu M. POUFFIER , fondateur
de l'académie ; & de l'autre , la dèvife
de la compagnie.
I I.
-Ecole Vétérinaire.
2
Le concours des élèves de l'Ecole royale
vétérinaire s'eft fait le 28 du mois dernier
; M. Bertin , miniftre & fecrétaire
d'état , y affifta ; les élèves , qui y furent
admis , traiterent des médicamens internes
dans ce qu'ils font , dans leurs effets
fenfibles fur les animaux , dans ce qu'ils
offrent de nuifible ou d'avantageux , ſelon
le choix & l'application qu'on peut
en faire , dans les divers mêlanges que foggérent
l'art , & fur tout une pratique
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.

éclairée. Les noms des élèves font MM.
Simon , d'Hirzenghen en Alface ; Becquemie
de la province du Bourbonnois ; Perret
, de celle du Mans , élève entretenu
par M. le comte de la Suze ; Genfon , entretenu
par l'Ecole royale militaire ; Gengon
, par M. Poulletier de Perigny ; Lamaniere
, Garnier , Maillard , par la géné-
Falité d'Amiens ; Lacueille du Périgord
par M. l'abbé Bertin , confeiller d'état ;
Bruyere,, par la généralité de Dombes ;
Cambray , par la ville de Valenciennes ;
Chauffour , par la généralité de Limoges,
& Plantier , de la légion de Lorraine ,
l'un des élèves militaires des cafernes
établies fous Charenton . Les Srs Simon,
Chauffour , Becquemie, Perret & Gengon
ont obtenu le prix qui a été adjugé par la
voie du fort au Sr Perret. L'acceffit a été
accordé aux Sieurs Lacueille , Cambray ,
Maillard , Plantier & Genſon..
JANVIE R. 1770. ISS
*
SPECTACLES.
OPÉRA.
L'OPÉRA continue toujours les mardis
& vendredis les repréfentations de Dardanus
, & les dimanches & jeudis celles
des fragmens , compofés de la Provençale
, Anacréon & Pſyché ; en attendant
l'ouverture du nouveau théâtre , qui ſe
fera le 16 Janvier , par Zoroaftre , tragédie
en cinq actes , paroles de Cahufac ,
mufique de Rameau , dont on parlera dans
le Mercure fuivant , ainfi que de la nouvelle
falle conftruite par M. Moreau , architecte
de la ville .
COMÉDIE FRANÇOISE .
ONNa donné fur ce théâtre , le premier
Janvier de cette année , une repréfentation
de l'Electre de M. de Crébillon , qui
n'avoit pas été jouée depuis huit ans ,
c'est- à-dire , à - peu - près depuis le tems
où l'Qrefte de M. de Voltaire
chef- >
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
d'oeuvre méconnu dans fa naiffance , reparut
avec tant d'éclat & prit fa place à
côté de Mérope & d'Edipe , fujets qui ,
comme Orefte , font confacrés dans l'antiquité
, & dans lefquels l'auteur moderne
a furpaffé fes originaux pour l'éloquence
dramatique & l'art théâtral . La
fupériorité d'Orefte n'a pourtant pas empêché
qu'on ne rendit juftice aux beautés
tragiques répandues dans l'Electre de M,
de Crébillon , & qui font regretter qu'un
homme de ce génie ait cru , comme on le
voit par la préface , qu'un fujet auffi intéreffant
par lui - même avoit befoin fur
notre théâtre d'une intrigue romanefque,
tandis que M. de Voltaire a tout tiré des
fentimens de la nature & des reffources
de fon ame.
On prépare fur la fcène françoife un
drame de M. de Beaumarchais , & une
petite comédie , en un acte , de M. de
Champfort , intitulée : les Efclaves de
Smyrne.
COMEDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ont été contraints
, par l'indifpofition d'une actrice,
f
ra
dir
rem
COU
très
qu'e
que i
rend
Trial
Les
remer
-des Fe
M.
Ph
dec
و
d'un
g
drons
Si c
il
ne
Rofali
Opera
celui-c
que le
mérité
Lauret
encore
du
mo
&
dans
JANVIER . 1770. 157
de fufpendre les repréfentations de la Rofiere
de Salenci , dans laquelle Mde Laruette
& M. Clairval fe faifoient applaudir
par la vérité de leur jeu ; M. Caillot
rempliffoit celui de Régifleur avec beaucoup
de gaîté , & Mlle Beaupré s'étoit
très bien affervie à . celui d'innocente
qu'elle y jouoit ; les autres rôles , quoique
moins importans , étoient fort bien
rendus par Mefdames Favart , Berard &
Trial.
Les mêmes Comédiens fe difpofent à
remettre inceffamment la nouvelle Ecole
des Femmes , embellie de la mufique de
M. Philidor. Ils ont auffi donné le mardi
de ce mois une pièce Italienne , ornée
d'un grand fpectacle & dont nous rendrons
compte dans le prochain volume.
و
Si ce théâtre eft fertile en nouveautés
il ne l'eft pas moins en débuts ; Mlle
Rofaline , tant applaudie fur le théâtre de
l'Opéra comique , eft venue recevoir fur
celui- ci des preuves de l'ancienne amitié
que le Public eut pour elle & qu'elle a
méritée dans les rôles d'Annette & de
Laurette. Le Sr Fargès , qui n'avoit point
encore paru fur le théâtre , a débuté le 27
du mois de Décembre dans la Clochette
& dans Ifabelle & Gertrude , pièces mêlées
158 MERCURE DE FRANCE .
d'ariettes. Il a rempli avec fuccès les
rôles d'amoureux dans ces deux pièces.
On a applaudi en lui un Acteur qui a la
pratique du théâtre , & qui peut faire valoir
fes rôles par l'agrément de fa figure
& l'élégance de fa taille ; fon jeu eft facile
& varié ; fa voix légère & qu'il conduit
avec goût eft très - propre pour l'ariette ;
il met dans fon chant le degré de fen
fibilité qu'exige la mufique imitative &
théâtrale.Le Sr Teffier a auffi débuté dans
le Sorcier par le rôle de Julien ; cet A&teur
qui vient de Rouen y retourne inceffamment
pour y former une voix plus forte
qu'agréable & un jeu plus brufqué que
réfléchi , afin de pouvoir par la fuite fe
rendre utile au théâtre auquel il paroît
fe deſtiner .
ÉCOLES GRATUITES DE DESSIN.
Tour le monde connoît cet établiſſement
utile que lon doit à M. de Sartine.
Confeiller d'Etat & Lieutenant- Général
de Police . Les perfonnes les plus diftinguées
, les corps & communautés , les
particuliers , amis du bien public , fe font
empreffés de concourir à cette oeuvre paJANVIER.
1770. 159
triotique par leurs contributions , & c'est
avec le plus grand plaifir qu'on voit l'émulation
qui règne dans ces Ecoles , & les
fujets diftingués qui en fortent pour exer
cer les arts utiles .
Le mercredi 27 décembre on fit au
Château des Tuileries la diftribution folemnelle
des maîtrifes & des prix qu'on
donne aux Ecoliers qui fe font le plus
diftingués ; l'affemblée fut très nombreuſe
& fe tint dans la galerie de la Reine dont
les murailles étoient couvertes des ouvrages
des Elèves. Le Sr Bachelier , Directeur
, fit un difcours analogue aux circonftances
& que l'on verra ici avec plaifir.
Les fpectateurs touchés de voir ce nombre
prodigieux de jeunes gens deſtinés à
la culture des arts , & qui trouvent dans
cette Ecole des reffources que leurs parens
n'auroient pu leur procurer , furent attendris
jufqu'aux larmes lorfque ces enfans
de la patrie témoignèrent par des acclamations
réitérées leur reconnoiffance à
M. de Sartine leur bienfaiteur , qui embraffa
, avec l'humanité qui le diftingue ,
les Elèves couronnés en leur donnant à
chacun des leçons & des éloges plus flatteurs
& plus encourageans que les prix
qu'ils avoient mérités.
160 MERCURE DE FRANCE.
Une circonstance qu'il n'eft pas inutile
de rapporter , c'eft que cet établiffement
utile va être imité par les Nations voilines
, & il est déjà arrivé des lettres d'Efpagne
pour demander les ftatuts de cès
Ecoles qu'on veut y former.
DISCOURS prononcé par le Sieur
Bachelier , Directeur.
MESSIEURS ,
Si quelque fpectacle eft digne d'intéreffer
les coeurs fenfibles , c'eſt celui que
le patriotifme offre aujourd'hui à vos
yeux dans ce lieu augufte ; vous n'avez
certainement pas oublié , Meffieurs , avec
quels tranfports de joie & de reconnoiffance
vous vîtes l'année derniere la même
diftribution de prix échauffer , attendrif ,
émouvoir les coeurs de tous ceux qui en
furent les témoins ou les objets. Les prix
qui fe délivrent à la fin de chaque quar
tier , les grands prix annuels , la diftribution
des apprentiffages & des maîtrifes
, font autant de véhicules qui doivent
vous conduire par degrés à remplir digne .
ment la profeffion à laquelle chacun de
vous fe deftine . Un Roi , l'amour & de
JANVIER. 1770. 161
pere de fes fujets ; les Princes de fon fang ,
comme lui protecteurs de la jeuneſſe laborieufe
; tous les ordres & toutes les claffes
des citoyens ont concouru , Meffieurs ,
au foutien de cet établiffement.
Les noms de vos bienfaiteurs doivent
vous être affez chers pour refter toujours
gravés dans votre mémoire ; vous les rappeler
, ce feroit vous accufer d'ingratitude .
Tous les corps & communautés ont auffi
contribué à votre avancement ; je dis
tous , parce que ceux qui ne l'ont pas
encore fait , en ont formé le deffein ; &
leur nombre fe réduit à fi peu que j'aime
mieux leur faire partager le tribut de
votre reconnoiffance que de paroître douter
de leur zèle.
Le Magiftrat , fous les aufpices duquel
cette Ecole s'eft ouverte , vous donne
encore , Meffieurs , une nouvelle preuve de
l'intérêt qu'il prend à vos progrès. Il a mis
au nombre de fes plus intéreffantes occupations
, le plaifir de couronner lui - même
ceux que leurs talens ont diftingués ; ſa
préſence doit vous être doublement chere ,
en ce qu'elle eft un gage & de fa faveur
particuliere , & de la protection que Sa
Majefté veur bien accorder à cet établiffement.
162 MERCURE DE FRANCE.
Je m'étendrois davantage fur les obligations
que vous lui avez , fi fa modeſtie
ne m'impofoit filence , & fi la voix publique
ne faifoit mieux que moi l'éloge de
fa vigilance patriotique & de fon amour
pour les arts.
Quel plaifir pour moi , Meffieurs , de
voir d'un côté tous les bienfaiteurs de
l'Ecole réunis dans ce jour folemnel , &
de l'autre des coeurs pénétrés de la plus
vive reconnoiffance quel bonheur ce
doit être pour vous de vous fouvenir à
jamais que les premieres années de votre
vie ont été honorées des regards du meil
leur & du plus chéri de tous les Rois.
ARTS.
SCULPTURE.
La renommée a déjà annoncé le tribut
immortel que Catherine II , Impératrice
des Ruffies , veut payer à la mémoire du
fondateur de ce vafte Empire , Pierre I.
Sa Statue Equeftre va être élevée au
milieu de la Ville de Saint Pétersbourg ,
dont il eft le Créateur. C'eſt M. Falconnet,
JANVIE R. 1770. 163
Sculpteur du roi de France , qui eft chargé
de ce beau monument. La defcription
qu'un citoyen inftruit & éclairé de Saint
Pétersbourg , en donne dans une de fes
lettres , peut nous faire juger du mérite
de cet important ouvrage . Sa bafe eft un
roc efcarpé , qu'à l'aide d'un vigoureux
courfier , le Héros franchit avec la derniere
intrépidité . On voit fous les pieds
de ce courfier un ferpent à demi écrafé .
Déjà & prefque à la cime du rocher
Pierre I , d'un air auffi ferein que tranquille
, étend fa main paternelle fur fon
peuple , unique objet de fes voeux & de
fes travaux. L'action du courageux animal
qui le porte & que rien n'arrête ,
l'agitation du ferpent écrafé , répandent
en quelque forte le mouvement for cette
compofition poëtique . Le roc & le ferpent
défignent les difficultés que Pierre
le Grand a furmontées ; l'action de fon
courfier , la promptitude avec laquelle il
les a vaincues ; l'extenfion de fa main fur
fon peuple , fa bienfaiſance envers lui .
L'air calme du Héros femble encore indiquer
fa conftance , au milieu des opérations
les plus pénibles , ainfi que fa fermeté
dans les plus grands dangers. Pour
dernier trait , ce rocher qui eft coupé
164 MERCURE DE FRANCE.
devant lui annonce à la postérité que ce
grand homme n'a pu aller plus loin , qu'il
n'a point déchu de fa gloire , & qu'au
milieu de fes travaux le deftin a terminé
fa carriere. Cette poësie eft fimple ; elle
eft en même tems jufte , fublime & précife.
.
GRAVURE.
I.
Saint Grégoire fait des prieres publiques ;
c'est le fujet de la troifieme eftampe
de la vie de S. Grégoire le Grand ,
annoncée dans le premier Mercure de
ce mois ; on la diftribue à Paris chez
Lacombe Libraire , rue Chriſtine , &
chez Vernet le jeune , marchand d'eftampes
, Quai des Augustins ; prix
6 liv.
CETTE nouvelle eftampe eſt dédiée à
Monfeigneur Léopold Charles de Choifeul
, Archevêque de Cambray , Prince
du S. Empire , Comte du Cambrefis
Abbé de l'Abbaye Royale de S. Arnould,
JANVIE R. 1770. 165
Prieur Commendataire du Prieuré de
Reuil. L'habile Peintre , M. Vanloo , a
repréſenté Saint Grégoire à la tête du
Clergé de Rome , qui fait une proceffion
générale , pour obtenir du Tout- Puiffant,
la ceffation de la pefte qui affligeoit la
Ville . On reconnoît ailément ce Saint à
la beauté de fon caractère de tête , & à la
nobleffe de fon attitude . Ses prieres femblent
déjà être exaucées en faveur d'une
perfonne malade , que le Peintre a placée
fur le devant de fon tableau :
Mors , peftifque foror , donec bacchantur in urbe ;
Ecce chorusfupplex , divo duce , monftra repellit.
сс
53
Quand la pefte & la mort exercent leur fureur ,
Ce jufte , par fes voeux , fléchit le ciel vengeur,
Cette eftampe a été gravée par M.
Voyez l'aîné , qui a très bien rendu le
faire du grand maître qu'il copioit . On
reconnoît dans fa gravure le moëlleux du
pinceau du célèbre Vanloo , & le foin
qu'il prenoit de bien arrondir les objets ,
& de les éclairer par des accidens de lumiere
, doux , agréables , amis de l'oeil ,
& plus capables de plaire que d'étonner.
166 MERCURE DE FRANCE.
I I.
L'orage impétueux , eftampe d'environ
17 pouces de large , fur 13 & demi
de haut , gravée d'après le tableau
original de M. Vernet , Peintre du
Roi , par Mlle R. Bertrand ; prix 2 liv.
8 fols. A Paris , chez l'Auteur , Place
des Trois Maries , chez le Chapelier ,
& chez Joulain , Marchand d'Eftampes,
Quai de la Mégifferie.
Cette nouvelle eftampe de Mademoifelle
Bertrand , peut fervir de pendant à
celle qu'elle a publiée précédemment &
qui eft intitulée , les Pêcheurs à la ligne.
Celle- ci préfente une mer calme , celle
que nous annonçons eft une mer agitée .
Des vaiffeaux font prêts à périr ; des
hommes fe fiant aux foibles débris de
leurs barques , font les derniers efforts
pour gagner le rivage. Les fecours qu'on
s'emprefle de leur rendre augmentent
encore l'intérêt que l'on doit prendre ,
à cette fcene . Mile Bertrand l'a rendue
avec intelligence ; cette Artifte s'eſt
efforcée de faire paffer dans fa gravure les
grands effets du tableau .
JANVIER. 1770. 167
I I I.
Combat des deux fexes , eftampe allégorique
. A Paris , chez Maillard , marchand
d'eftampes , rue St Jacques , aux
armes de Bourgogne , près la rue des
Mathurins . Prix 3 liv.
3
Il y a , au bas de l'eftampe , une explication
étendue qui donne le détail de ce
combat allégorique , où les deux fexes fe
difputent la fupériorité du mérite .
V.
Gravure dans la maniere du pafiel.
Nous avons annoncé plufieurs fois le
nouveau genre de gravure du Sr Bonnet ,
avec lequel il imite les deffins aux crayons
rehauffés de blanc & les tableaux au paftel
. Cet artiſte vient de faire paroîtrè
dans ce dernier gente le portrait en médaillon
de Mde la Comteffe du Barry ,
que les arts s'empreffent de reconnoître
pour leur protectrice. Ce portrait peut
être regardé comme une miniature dans
le genre du paſtel ,, ggeenntree fi difficile pour
J'exécution , fur- tout dans les morceaux
168 MERCURE DE FRANCE.
que l'on veut réduire en petit . Il fe diftribue
à Paris , chez l'auteur , rue Galande
place Maubert , vis- à- vis la rue du Fouare.
Prix 3 liv.
GEOGRAPHIE.
- I.
Carte du diocèse de Lyon , divifé par fes
vingt archiprêtrés . A Lyon , chez la
Veuve Dandet & le Sr Joubert , marchands
d'eftampes , grande rue Merciere
; & à Paris , chez Lattré , graveur,
rue St Jacques , vis -à - vis la fontaine St
Severin , à la ville de Bordeaux . Prix
4 liv.
CETTE TTE carte , dreffée par le St Joubert
fils , & dirigée par M. l'abbé Berlié , eft
recommandable par l'exactitude qui y regne
, par la netteté de l'exécution , le bon
goût des ornemens & les objets utiles
dont elle eft enrichie. Les deux côtés de
cette carte offrent par ordre alphabétique
l'état des archiprêtrés , on y a joint la lifte
des collateurs de toutes les cures du diocèfe
, le nombre de fes paroiffes , les diverfes
JANVIER . 1770. 169
verfes provinces où il s'étend , les généralités
qui y ont leur reffort , & un étať
eccléfiaftique de la ville de Lyon en particulier.
Cette carte eft dédiée à Mgr Autoine
de Malvin de Montazet , archevêque
& comte de Lyon , primat de France.
I I.
Sixiéme feuille de la carte de Normandie ,
en feize feuilles . A Paris , chez Denis ,
rue St Jacques , vis- à- vis le collège de
Louis le Grand .
Cette nouvelle feuille contient les villes
de Fécamp , de St Vallery , les bourgs
de Caffy , Valmont , Ourville , Grainville
, Vittefleur , Urcelles , Fontaine - le-
Dun , Bafqueville , Anglefqueville , Lindeboeuf
, St Laurent , Bouretout , Dondeville
, & c .
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE .
MUSIQUE.
Troisieme recueil , contenant quatre ariettes
& deux duo pour les deffus ou hautescontres
, avec grande fymphonie , par M.
Lejay ; prix , 7 liv. 4 fols.
Le tableau parlant , comédie- parade ,
en un acte , en vers , dédié à Mgr le duc
de Choiſeul , mis en mufique par M.
Gretry ; prix , 15 - liv.
Trois quatuors pour le clavecin , flûte ,
violon & baffe , par Giuſeppe Baur , oeuvre
11 ; prix , 7 liv. 4 f. à Paris , au bureau
d'abonnement mufical cour de l'ancien
grand cerf, rue S. Denis S. Sauveur , &
aux adreffes ordinaires de mufique.
,
Six fonates à folo pour la harpe , par
Philippe - Giacomo Mayer , opéra 4 ; prix ,
7 liv. 4 f. à Paris , chez Coufineau , luthier
& marchand de mufique , rue des
Poulies , vis- à-vis le Louvre & aux adreffes
ordinaires.
JANVIER. 1770. 171
Sinfonie à due violino , due flauto , alto-
viola , col baffo & cors , ad libitum ,
del fignor Roze . Euvre 2 ° ; prix , 2 liv.
8 f. à Paris , chez l'éditeur , rue des foffés
de M. le Prince , vis- à- vis le riche laboureur
& aux adreffes ordinaires .
Deux fonates en quatuor pour le clavecin
, deux violons & baffe , dédiées à
Madame Barret de Turpeaux , & compofées
par L. J. de S. Amans ; prix , 4 liv.
16 f. à Paris , chez l'auteur , rue du chantre
, maifon du café militaire & aux adreffes
ordinaires de mufique.
Six duo pour deux violons ou deux
mandolines , compofés dans le goût Italien
, par Jean Fouquet , maître de mandoline
; prix 6 1. à Paris , chez l'auteur ,
au café des menus plaiſirs du Roi , rue S.
Honoré , Lacombe , libraire , rue Chrif
tine & aux adreffes ordinaires.
Sixieme livre des amuſemens du Parnaffe
, contenant la marche des gardesfrançoiſes
& celle des gardes-fuiffes , avec
Hij
172 MERCURE DE FRANCE,
des ariettes choifies , accommodées pour
le clavecin , par M. Corrette ; prix 4 liv.
le premier livre contient une méthode
courte & facile pour cet inftrument ; il
eft du même prix. A Paris , aux adreffes
ordinaires de mufique .
Suite des confeils d'un Pere àfon Fils,
fur la mufique.
avoir
Des Modulations,
Commencer un morceau par un ton ,
but la dominante , pour y fixer
pour
un repos , c'eft moduler. De cette domialler
à la médiante , de là parcounante
,
rir d'autres modulations , & enfuite , pour
terminer fon morceau , revenir au premier
ton , c'eft moduler . Plus ils font
étendus , ainfi que les fymphonies , les
concertos , les choeurs , &c. plus ils doivent
avoir de modulations. Par la même
raifon , ceux qui font plus courts doivent
en avoir moins. Pour tout ce qui eft chant ,
les plus fimples , les plus douces & les
plus infenfibles , font celles qu'il faut toujours
préférer. Il ne faut fe fervir des modulations
dures & des tranfitions extraordinaires
, que dans le genre d'un carac
tere
aits
de c
dans
les
geance . R
modulation
Lorfqu'elles
bien tout
force
qu'elle :
l'ame la
terre
merveilleux e
rapport
du
ton
Plus
la
modu
femble
que
la
de la
penfée .
détail ,
qu'une b
modulation per
qu'il
eſt
poſſible
d'intéreffantes
,
nous
affectent ,
contribuent au
vrages.
I
Remarquez
la
jeurs ,
lorfqu'ils
fol , ré,
la ,
mi ,
viennent
fucceffive
brillans.
Ainfi
que
JANVIE R. 1770. 173
tere violent ; tels que les invocations , les
airs de furie , les choeurs de démons , ou
dans les fentimens de fureur & de vengeance.
Rien n'eft fi élégant que certaines
modulations éloignées du ton primordial.
Lorfqu'elles font bien ménagées & furtout
bien amenées , leur valeur eft fi
forte qu'elles portent quelquefois dans
l'ame la terreur ou l'attendriffement. Ce
merveilleux effet confifte dans le parfait
rapport du ton , au fentiment des paroles.
Plus la modulation eft heureuſe , plus il
femble que la mufique peint la couleur
de la penfée . On peut préfumer par ce
détail , qu'une bonne mufique n'eft qu'une
modulation perpétuelle. Il faut , le plus
qu'il eft poffible , en imaginer de neuves ,
d'intéreffantes , d'ingénieufes , puifqu'elles
nous affectent , nous attachent & qu'elles
contribuent au fuccès de tous les ouvrages.
Des Tons.
Remarquez la gradation des tons majeurs
, lorfqu'ils montent par quinte ut ,
fol , ré, la , mi , fi , fa . Comme ils deviennent
fucceffivement plus clairs & plus
brillans. Ainfi que les tons mineurs quand
H iij
174 MERCURE DE FRANCE .
ils defcendent par quinte , la , ré,fol , ut ,
fa , fib , mib , lab , font par l'effet contraire
plus fombres & plus triftes . Il faut
choifir de ces différens tons celui qui eft
le plus propre à exprimer le fentiment
qu'exigent les paroles .
Comme il y a peu d'auteurs qui faffent
ces réflexions , auffi y a-t- il peu de morceaux
de mufique vocale où les tons foient
fidélement obfervés . Evitez ce défaut , qui
prouve au connoiffeur le manque de fçavoir
, la négligence ou le peu de difcernement.
Songez , mon fils , qu'il n'eft pas
permis de s'y tromper.
Du Compofé.
Le compofé tient le milieu entre le
genre fublime & le fimple , ou pour
nieux dire , il participe des deux . C'eſt
un mêlange de phrafes inégales , dont les
unes font fortes & les autres foibles.
Quoiqu'il ait fon mérite , il plaît moins
que les autres par l'inégalité de deux
genres dont il eft émané. Il a lieu dans
tous les fentimens où le coeur indéterminé
reffent à la fois la tendreffe & la fureur.
Il eft rare qu'on puiffe l'employer
autrement , fans rifquer l'ennui toujours
JANVIER . 1770. 175
le
inféparable de tout ce qui ne peint pas
vrai. Un compofiteur qui n'auroit que ce
genre , ne produiroit pas un bon ouvrage.
Les chants ne feroient que grimacer.
L'harmonie , tantôt bruyante & tantôt
décharnée , feroit des contraftes défectueux
. La monotonie perpétuelle s'enfuivroit
; les airs de violons & les accompagnemens
forts & foibles ne peindroient
rien . L'expreffion ( cette partie fi néceffaire)
y feroit totalement abforbée ; enfin
, le tout paroîtroit mauvais , quoiqu'il
y eût quantité de bonnes chofes . C'eft
ainfi que plufieurs auteurs , n'ayant qu'une
maniere dans laquelle ils ne fe font pas
perfectionnés , faute de réfléchir fur leurs
talens , faute d'une étude particulière des
genres , entreprennent des ouvrages dont
ils ne font point capables , & dont la
chûte leur prouve la médiocrité de leurs
forces.

Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
HOGARTH , peintre comique , Anglois.
GUILLAUME Hogarth , naquit à Londres
en 1698 dans la Paroiffe de Saint
Barthelemy. Peu de tems après la mort
de fon pere , il entra en apprentiffage
chez un graveur en argenterie ; il choifit
vraisemblablement cette profeffion parce
qu'elle exige une légère connoiffance du
deffin . Son génie le portoit particuliérement
à cet art ; il y fic quelques progrès
pendant le tems qu'il demeura chez ce
graveur; renonçant enfuite à toute autre
'occupation , il s'y livra entiérement &
avec tant de fuccès , qu'il y devint maître
en
peu de tems fans le fecours de perfonne.
Ses talens extraordinaires le firent
connoître de Sir James Tornhill , qui peu
de tems avant fa mort , lui accorda fa
fille en mariage.
Hogarth ne tarda pas à étudier l'art de
peindre ; il s'y fit également admirer
quoique fa touche fût quelquefois feche
& rude. En 1736 , il fit préfent à l'Hôpital
de fa paroiffe , d'un tableau précieux
qui repréſentoit la pifcine de Bethesďa ;
JANVIER . 1770. 177
il y avoit déployé un talent particulier
pour l'expreffion ; la foibleffe , les peines
des malades qui fe font tranfporter vers
cette fource falutaire , & leur efpoir
font rendus avec beaucoup de force & de
génie , la douceur & la bienfaifance ,
diftinguent la figure du Fils de l'homme ,
qui contrafte heureufement avec les autres
. Lorfque l'Hôpital des Enfans - Trouvés
fut fini , Hogarth en fut nommé l'adminiftrateur
, & il lui donna un autre
tableau tiré de la bible , c'eft Moyfe enfant
, porté à la fille de Pharaon .
Jufques- là le Peintre avoit fuivi une
route dans laquelle il avoit beaucoup de
concurrens , & de maîtres ; il s'en fraya
une nouvelle ou perfonne ne pût l'atteindre.
On dit que les premiers ouvrages
qu'il compofa dans ce genre , furent les
deffins qu'on le chargea de faire pour une
nouvelle édition d'Hudibras . Quoi qu'il
en foit , il eft certain que dans la peinture
burleſque de la vie humaine , il furpaffa
tous ceux qui étoient venus avant
lui . L'ouvrage qu'il publia d'abord , fut lá
vie & les aventures de James Harlot ; il
prend fon Héros dans l'enfance , le préfente
dans différentes fituations , & le
conduit à travers les viciffitudes de la
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
débauche & du libertinage , à une mort
prématurée qui en eft la fuite : c'étoit
peindre à la fois à la raifon & au coeur.
On n'avoit point avant lui fait fervir
l'art à la morale & à l'inftruction ; un
livre tel que celui là eft propre à tous les
pays ,
à tous les obfervateurs , il ne faut
que des yeux pour l'entendie , & tous
les hommes peuvent le lire .
La vie du libertin fuivit bientôt celle
d'Harlot ; elle ne l'égale pas , mais elle
a encore un degré de perfection , dont
perfonne n'avoit approché. Le principal
mérite de cet ouvrage confifte dans les
détails ; la vie humaine préfente une infinité
d'images agréables & variées , qui
employées par le génie , donnent plus
de force & de vérité au tableau . Dans
fon mariage à la mode , par exemple ,
rien n'eft plus délicatement imaginé que
fon vieux Lord , affligé de la goutte , &
confervant fon orgueil au milieu de fes
infirmités ; fes armes fons gravées jufques
fur les bequilles fur lefquelles il
s'appuye.
L'Abbé du Bos s'eft fouvent étonné de
ce qu'aucun Peintre d'Hiftoire , n'avoit
fongé à préfenter une fuite d'aventures
de fon héros , depuis fa naiffance jufqu'à
JANVIER. 1770. 179
fa mort ; un recueil de tableaux dans ce
genre feroit fans doute fort intéreffant ,
& c'est ce qu'à fait Hogarth. Il vint en
France après la paix d'Aix - la - Chapelle ;
il y fit ce tableau burlefque connu fous
le nom de Calais ; cu le Roftbif du vieil
Anglois ; il le commença à Calais même ,
où il lui arriva une aventure affez plaifante
; il deffinoit pour fon tableau une
des portes de cette ville ; quelques perfonnes
qui le virent dans cette occupation
, le prirent pour un espion qui
levoit le plan des fortifications ; elles
communiquerent à d'autres leurs foupçons
& leurs craintes ; un ordre fut donné
pour arrêter Hogarth qui fut conduir en
prifon ; il n'eut pas de peine à fe juftifier;
on lui rendit la liberté ; & il rit beaucoup
de cet accident .
Hogarth ne fe borna pas à la Peinture,
il écrivit auffi ; en 1750 il publia fon
analyſe de la beauté , in 4° . Quelquesunes
de fes opinions furent fortement
attaquées & avec raifon ; cela n'empêche
pas que fon ouvrage n'ait un mérite réel;
il contient des dérails qui annoncent
l'homme de génie. Sept ans après , fon
beau frere fe démit en fa faveur de fa
place de Peintre du Roi . Depuis ce tems ,
il travailla moins : il fontoit le befoin du
H vj
180 MERCURE DE FRANCE .
repos ; fa réputation étoit faite ; il acheta
une maison de campagne à Chiswick
près de Londres , où il alloit paffer ordinairement
une partie de l'été , & l'autre
dans une maiſon qu'il avoit à Leiceſter-
Fields.
Sa fanté commença à s'altérer dans
l'année 1762. Il fe plaignit d'une douleur
d'entrailles qui le fit beaucoup fouffrir par
intervalles , qui devint enfuite continue ,
& bientôt incurable. Elle fe fit fentir
avec plus de violence vers la fin de 1764 .
Il étoit alors à Chiswick ; le 25 Octobre
il fe fit transporter à Leiceſter Fields ;
quoiqu'il fût très- mal , il conferva fa
gaîté pendant la route ; fon efprit étoit
libre ; ayant trouvé en arrivant une lettre
d'un de fes amis qui étoit en Penfylvanie,
il lui répondit fur le champ . En fe mettant
au lit il fut attaqué d'un vomiffement
violent qui le contraignit de fe
coucher fur le ventre ; il expira deux heures
après dans cette fituation ; il laiffa à fa
veuve une fortune confidérable qu'il
avoit entierement acquife ; elle fit tranf
porter fon corps à Chiswick ainfi qu'il
l'avoit defiré , & elle y a fait ériger un
très -beau monument à fa mémoire.
Ses ouvrages font au nombre de trente
JANVIER. 1770. 181
fix ; on diftingue fur tout la vie & les
aventures d'Harlot dont nous avons parlé
en fix tableaux ; celle du libertin en huit,
le mariage à la mode en fix ; un portrait
du célèbre Garrick , dans le rôle du roi
Richard III ; il eft repréfenté dans la
dixieme fcène . On prétend que M. Dun .
comb d'York - Shire , l'acheta 200 liv.
fterling , &c. On a auffi de fa main le
portrait de M. Wilkes . Il fit celui de
Churchill poëte fatytique , avec lequel
il fe brouilla quelque tems après. Le
poëte l'attaqua avec les armes qui lui
étoient particulieres , & le peintre lui
répondit avec fon pinceau ; il le peignit
à fa maniere . La fatyre a été oubliée à la
mort de celui qui en étoit l'objet ; & le
tableau d'Hogarth jouit encore dequelque
eftime.
LETTRE fur l'opération de la Pierre.
M.
Vous connoiffez l'hiftoire du Franc
Archer , qui ayant commis un facrilége
dans l'Eglife de Meudon , fut condamné
182 MERCURE DE FRANCE.
à mort , l'an 1474 , par Sentence du Prevôt
de Paris , confirmée au Parlement.
Les Médecins & Chirurgiens remontrerent
au Roi que plufieurs & diverfes perfonnes
étoient fort travaillées & moleftées
de la pierre , colique , paffion , &
maladie de côté ... qu'il feroit fort requis
de voir les lieux où lefdites maladies
font concréées dedans le corps humain
laquelle chofe ne pouvoit être mieux
fque , que d'incifer un homme vivant ;
ce qui ayant été fait fur cet homme , il
en fut bien guéri . Cela eft rapporté dans
la chronique fcandaleufe de Louis XI ,
par Jean de Troyes , greffier de la ville
de Paris ; par Mathieu , autre hiſtorien
de ce Prince ; par Varillas , enfin par Mézerai
. Tous alterent un peu le recit original
du premier hiftorien , fans citer des
garans de leurs variations. On a prétendu
que c'étoit l'opération de la taille ,
an perit appareil ; ou que c'étoit la néphrotomie
ces deux opinions font fans fondement.
Il est étonnant qu'on n'ait pas
vérifié ce fait dans les regiftres du Parle
ment & dans ceux de la Faculté de Médecine
on auroit été inftiuit fans doute
plus particulierement de cette anecdote
qui eſt intéreſſante' : on n'auroit pas tiré
JANVIER. 1770. 183
de faulles inductions telles qu'on en lit
dans les auteurs qui en ont parlé après
Jean de Troyes , & qui ne méritent pas
d'être rapportées .
Quoi qu'il en foit , il eſt évident que
l'on fit une expérience qui fait honneur
à ceux qui oferent ia tenter : Maupertuis
a parlé avant moi de toute l'utilité que l'on
retireroit des criminels fur lefquels on
feroit les effais de plufieurs autres opérations
de chirurgie , dont le fuccès eft
incertain , & peut être la pratique falutaire
à l'humanité. Il n'y a point dans
ces expériences cette barbarie que Celfe
& St Auguftin reprochent à Hérophile &
à fes Sectateurs : ils difféquoient des hommes
vivans par un fimple motif de curiofité:
mais ici des criminels condamnés à
mort deviendroient utiles à la fociété
qu'ils ont troublée pendant leur vie . Je
veux croire qu'on fit l'extraction d'une
pierre de la veffie du Frane Archer ;
mais je ne dirois pas avec Château , continuateur
de l'Index funereus Chirurgorum
de Devaux , « qu'on feroit tenté de croire
qu'on n'avoit jamais fait en France avant
» ce jour- là , l'extraction de la pierre » ;
induction qu'il tire des expreffions de
Varillas.
པ་
184 MERCURE DE FRANCE.
L'anecdote fuivante , extraite des régiftres
du greffe de la ville de Langeac ,
prouve le contraire.
و د
"
Aujourd'hui famedi 27 feptembre
1404 , pardevant moi Pierre Dauver-
» gne , Lieutenant du Bailli de Langeac ;
» Jean Cortes , de Montpellier , Chirur
gien , a pris en traitement André , âgé
» de 12 ans , fils de Hugon Fabre , pour
» lui faire l'extraction de la pierre ; & à
» la réquifition dudit Jean Cortes , ledit
Hugon Fabre , & Jean Fabre fon frere ,
» ont confenti que ledit Chirurgien en-
» treprenne la guérifon dudit André , &
"
en cas qu'il vienne à mourir , de cette
» opération , ils le tiennent quitte de fa
» mort «. Acte paffé à Langeac en préfence
de Jean Dauvergne , de Me Pierre
de Pont- Gibaut & de Jean Bergognon ,
& eft figné Pierre Dauvergne .
Et hodie qui eft fabbatum 27 menfis
Septembris anno 1404 , coram me Petrus
Dalvernia , Locum tenens Bajuli Langiaci;
Joannes Cortefius , de Montepeffulano
furgicus , ( Chirurgus ) recepit in curam
Andream, filium Hugonis Fabre , ætatis
dictus filius 12 annorum , videlicet ad
JANVIER. 1770. 185
projiciendam Petram : & ad requifitio
nem ipfius Joannis Cortefii dictus Hugo
Fabre pater, & Joannes Fabre fraterfuus , in
cafu quod dictus Andreas moriretur , ipfum
Jurgicum quittaverunt , & ipfum Andream
reciperet in curam voluerunt. Acta fuerunt
hæc apud Langiacum præfentibus teftibus
Joanne Dalvernia, MagiftroPetro de Pont-
Gibaut & Joanne lo Bergonho . Signé ,
Petrus Dalvernia.
Je tire deux conféquences de cet acte :
la premiere , c'eft que la pierre étoit regardée
comme une opération douteuſe ,
puifque le Chirurgien n'ofoit l'entreprendre
fans autorité du Juge . La feconde,
c'eft que les Médecins & les Chirurgiens
étoient refponfables de leurs propres fautes
dans les grandes maladies. Je pourrai
produire dans la fuite des exemples qui
démontreront ce que j'ai l'honneur de
vous dire. Il me fuffit aujourd'hui de vous
prouver que la taille de la pierre étoit
connue en France avant l'année 1474 .
Je finis en vous difant que ce Pierre
Dauvergne , originaire du village d'Auvergne
, Paroiffe de Chantenge , près
Langeac , étoit aïeul de Martial Dauvergne
, auteur des arrêts d'amour & de
186 MERCURE DE FRANCE.
plufieurs autres ouvrages en vers & en
profe.
Je fuis , Monfieur ,
!
Votre très - humble &
très- obéiſſant ſerviteur ,
NIOBET.
TRAIT DE PIÉTÉ
ET D'HUMILITÉ .
qu'il a pu
L'HOMME pieux eft capable de tout , dès
fe mettre par fa vertu au-deffus
de tout. Cette penſée du Pere Maffillon
eft confirmée par ce beau trait de
M. Radman , premier pafteur de l'églife
Suédoife , érigée en Penfylvanie. Ce pafteur
étoit un homme fçavant & fidéle à
remplir fes devoirs. Les quakers & ceux
des autres communions
s'empreffoient de
l'entendre prêcher ; ils propoferent des
foufcriptions
pour bâtir fon églife . Lorf
qu'elles furent ouvertes , M. Radman
foufcrivit pour une fomme confidérable ,
qu'il ne fut pas en état de payer dans le
JANVIER. 1770. 187
tems ; mais pour ne point manquer à fes
engagemens , il s'obligea , envers l'entrepreneur
, à porter du mortier à tant par
jour , jufqu'à ce qu'il eût rempli la fomme
pour laquelle il avoit foufcrit .
»
ANECDOTES.
I.
M. de Guilleragues avoit beaucoup
d'efprit. Quand il eût été nommé Ambaffadeur
à Conftantinople , la veille de
fon départ , il alla prendre congé du Roi
à fon coucher , & demanda à fa Majeſté
fes dernieres inftructions. » Si vous voulez,
lui dit le Roi , vous acquitter à mon
gré de votre Ambaffade , faites tout le
» contraire de ce qu'à fait votre Prédécef-
» feur. » M. de Guilleragues en faifant
la révérence au Roi , Sire , dit il , je
» ferai enforte que votre Majefté ne don-
» ne pas la même inftruction à mon
» fucceffeur. »
39
I I.
""
Certe gaîté que le vin pris modérément
communique , cet oubli des chagrins les
188 MERCURE DE FRANCE.
plus cuifans qu'il procure , cette hardieffe
qu'il infpire , ces faillies qu'il fuggère
font autant de preuves de fon excellence ,
pour difpofer l'ame à jouir de tous fes
droits. Le chantre immortel de l'Iliade
animoit quelquefois la vivacité de fon
imagination par l'ufage de cette liqueur :
laudibus arguitur vini vinofus Homerus.
Athénée témoigne qu'Efchyle ne' compofoit
fes tragédies que lorsqu'il étoit échauffé
par le vin ; & l'ancien Lamprias ne
paroilloit jamais plus en verve que lorfqu'il
s'étoit excité à boire. Auffi avoit-il
coutume de dire qu'il reffembloit à l'encens
auquel la chaleur fait exhaler fon
odeur agréable.
I I I.
Un jeune homme fe plaignoit de ce
que fa femme n'étoit pas jolie : » Mon
» ami , lui répondit un vieux philofophe ,
» mettez moins d'eau dans votre vin ,
» & elle vous paroîtra bientôt plus
agréable ».
I V.
Le gros bon fens du payfan eft fouvent
dans les arts un guide plus sûr que les
JANVIER. 1770 .
189
réflexions des prétendus connoiffeurs.
Un peintre avoit repréfenté l'abondancefous
l'emblême d'une femme , qui portoit
en fes mains une corne , de laquelle
fortoit quantité de fruits ; entre ces fruits
s'élevoient plufieurs épis. Chacun admiroit
la compofition de ce tableau , en louoit
le deffein , le coloris , la touche . Un manant
jette un coup d'oeil en paffant fur ce
chef d'oeuvre & fait remarquer que les
têtes des épis n'étoient point courbées vers
la terre ,
V.
Le feigneur d'un village , homme dur ,
étoit détesté des payfans. On demandoit
à l'un d'eux fi les chiens du château
qu'on lui montroit étoient renfermés :
" Il n'y a , répondit- il , que le feigneur
d'ici qui fçachemordre , les autres chiens
» ne vous toucheront pas » .
99
V I.
Après l'exécution de M. de Barnevelc
fes fils confpirerent , dit- on , contre Maurice
de Naffau Prince d'Orange , auteur
de la mort de leur pere. La faction fut
découverte , & l'aîné des deux freres fut
190 MERCURE DE FRANCE.
arrêté & condamné à être décapité . Madame
de Barnevelt alla trouver le Prince
, & lui demanda grace pour fon fils.
Le Prince lui dit qu'il étoit furpris que
n'ayant point demandé grace pour fon
mari , elle vînt la demander pour fon fils :
» Je n'ai point , dit - elle , demandé grace
» pour mon mari parce qu'il étoit innocent
, mais je la demande pour mon
fils , parce qu'il eft coupable.
»
>>
VII.
Fontenelle étant reçu à l'Académie
Françoife , dit : » Dieu merci il n'y a
plus que trente- neuf perfonnes dans le
» monde qui ayent plus d'efprit que
ود
» moi..
VIII.
Louis XV , allant vifiter les Hôpitaux
après le fiége de Menin , un Grenadier
qui étoit à l'Hôpital , s'écria : ah ! Voilà
du fruit nouveau : » Que dis- tu - là , lui
dit le Roi ; il repartit : » Je dis que
» voilà le premier Général qui foit venu
» dans ces endroits -ci .
»
و د
«
I X.
L'Empereur Kam - Hi employa un ftraJANVIER.
1770. 191
tagême fingulier pour enlever une partie
des tréfors d'un mandarin de Nankin
qui paffoit pour le particulier le plus
riche de la Chine ; il le fit venir dans fon
parc où il fe promenoit , & lui ordonna
de conduire la monture par la bride. Le
mandarin obéit & reçut une pièce d'or
pour récompenfe . L'Empereur lui rendir
à fon tour l'office de palfrenier , & lui
demanda enfuite : combien de fois fuisje
plus grand & plus puiffant que toi ? Le
mandarin fe profterna , & lui dit : „ qu'il
n'y avoit aucune comparaifon à faire
entre le maître & l'efclave . Je la ferai ,
reprit Kam - Hi : » je fuis vingt mille fois
plus grand que toi , & ma peine doit
» être payée à proportion . » Le mandarin.
l'entendit , & paya 20000 piéces d'or ,
en fe félicitant de la modération de
l'Empereur qui pouvoit s'eftimer cent
mille fois plus grand que fon fujet.
>>
X.
י כ
M. de Tourville , Amiral François, méditoit
une defrente en Angleterre , dans
le commencement du regne de Guillaume.
Comme il fe propofoit d'aborder à
Sulfex , il fit venir un pêcheur de cet en192
MERCURE DE FRANCE .
droit que les vaiſſeaux avoient pris : il¹
efpéroit d'en apprendre ce que le peuple
penfoit du gouvernement , » tes compatriotes,
lui demanda-t - il , aiment ils
» le roi Jacques ! Sont-ils attachés au
» Prince d'Orange , ou au roi Guillaume,
» comme vous l'appelez ; font - ils con-
39
tens du gouvernement actuel ? » Le pêcheur
refta interdit à ces queftions. » Je
» n'ai jamais entendu parler , répondit- il,
» des Meffieurs que vous me nommez ;
» ils peuvent être de très bons Seigneurs ;
» je ne veux de mal ni à l'un ni à l'autre ;
» ils ne m'en ont jamais fait , & je ne
» les connois pas , je fouhaite que le Ciel
» les béniffe. Quant au gouvernement ,
» comment voulez - vous qu'un homme
qui ne fait ni lire , ni écrire , puiffe y
» entendre quelque chofe ; je m'occupe
» de ma barque , de mes filets & de la
» vente de mon poiffon . « L'amiral com-1
prit à la maniere dont cet homme s'exprimoit
, qu'il ne lui en impofoit pas fur
fon ignorance. » Au moins , lui dit- il ,
""
vous n'avez l'air d'un bon matelot ,
≫ & comme vous êtes indifférent pour les
» deux partis , vous ne pouvez refufer de
» fervir dans mon vaiffeau . Moi , s'écria
» fur le champ le pêcheur ; je combat-
» trois ,
JANVIER . 1770 . 193
19 trois , contre mon pays ! Je ne le ferois
» pas pour la rançon d'un Roi.
USAGES ANCIEN S.
Duels judiciaires.
LES François n'abandonnèrent qu'avec
peine l'ufage des duels judiciaires où l'on
combattoit par foi- même , ou par des
champions ou advoués , contre celui par
qui on prétendoit avoir été offenfé . Le
plaifir de fe faire en quelque forte juftice
à foi-même , par la fupériorité de la
force ; l'appareil qui accompagnoit ces
combats judiciaires , où le Roi affiftoit
ordinairement en perfonne ; l'intervalle
immenfe qu'une pareille diftinction fembloit
mettre entre le noble & le roturier ;
enfin l'importance que ces duels pompeux
donnoient aux querelles particulieres
des grands : voilà fans doute les
motifs qui firent durer fi long temps cette
coutume finguliere & barbare .
Philippe le Bel l'avoit abolie en 1303 ;
mais on y revint bientôt , avec cette différence
feulement que les combats judi-
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
ciaires ne furent plus permis qu'en certains
cas feulement , énoncés dans l'Ordonnance
que le même prince donna à
ce fujet en 1306. Rien de plus curieux
que le formulaire des combats qui fut
fait en conféquence de cette ordonnance
, ou plutôt qui en étoit une fuite ; car
c'eft le Roi qui y parle comme dans l'Ordonnance
elle-même.
Suivant ce formulaire , le demandeur
ou appelant propofoit devant le Roi ou
te juge nommé les plaintes contre la parlie
adverfe , & offroit , en cas de déni de
fa part
de faire preuve par fon corps
contre le fien , ou par fon advoué en
champ clos , & il jettoit en même temps
un de fes gands pour fon gage de bataille.
Le défenfeur , après avoir donné un
démenti à l'appelant , fauf l'honneur du
Souverain ou du juge par lui'commis ,
offroit la même chofe de fon côté , &
pour engagement il ramaffoit le gage de
bataille. Tous deux juroient de fe repré
fenter au jour & à l'heure indiqués pour
juger s'il y auroit combat , & de fe trouver
enfuite à la journée de la bataille.
Pour ce combat , on préparoit une lice
ou champ de bataille de quarante pas de
JANVIER. 1770.
195
largeur fur quatre - vingt de longueur? A
la droite du fiége du Roi ou du juge étoit
le pavillon de l'appelant , à la gauche
celui du défendant.
Le jour du duel le roi d'armes ou hérault
d'armes venoit à cheval à la portée
des lices où il crioit par deux fois
que l'appellant vienne. Les deux combattans
partoient de leurs hôtels accompagnés
de leur confeil , de leurs gardes , &
faifant porter devant eux leurs écus
leurs glaives , & toutes armures raifonnables
; ils portoient auffi un crucifix & des
bannieres repréſentant des faints ou des
faintes , & ils fe fignoient comme vrais
chrétiens , jufqu'à ce qu'ils fuffent arrivés
au champ de bataille où l'appelant devoit
fe rendre avant l'heure de midi & le
défendant avant l'heure de none . Avant
que d'y entrer ils prononçoient fur la
porte du lieu leurs requêtes & proteftations
, ou bien ils les faifoient prononcer
par un avocat ; car fouvent ces pieux
chevaliers ne fçavoient pas lite: Se ainfi
toit , porte le formulaire , que les paro
les deffus dites , efcrites , il ne fceut dire ,
voulons qu'elles puiffent eftre dites par un
advocat. Enfin s'étant préfentés au Roi
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
& au juge , ils fe rendoient à leurs pavillons.
Peu de temps après , l'appelant fortoir.
du lien à pied , la vifiere hauffée , les
mains garnies de gantelets , & accompagné
comme il l'étoit en entrant , il fe
rendoit fous l'échafaud du Juge , où il
fe mettoit à genoux devant un fiége richement
paré où étoit placé un crucifix couché
fur un Te igitur. A droite de ce fiége étoit
un prêtre ou un religieux qui lui adreffoit
un petit difcours fur la fainteté &
les conféquences du ferment qu'il alloit
faire. Enfuite le Maréchal du champ lui
prenoit les deux mains , & lui ayant fait
metre la droite fur la croix , & la gauche
fur le te igitur , il prononçoit le ferment
que l'appelant répétoit à meſure
& mot à mot. Le défendant venoit faire
la même chofe , & cette cérémonie fe
répétoit une feconde fois.
Pour le troifiéme ferment les deux com.
battans , toujours accompagnés comme
il a été dit plus haut ,fortoient en même
tems de leurs pavillons ; & s'étant avancés
, pas à pas , jufqu'au lieu du ferment ,
ils fe mettoient à genoux. Après un nouveau
difcours que le prêtre leur adrefJANVIER.
1770. 197
leur ôtoit le gan-
Toit , le maréchal leur le
telet de la main droite & il les faifoit
jurer l'un après l'autre en ces termes :
Je tel N. appelant , jure fur cette vraie
figure de la paffion de noftre vrai Rédempteur
Jefus Chrift , & fur ceftes Evangiles
qui cy font ,fur la foi de baptefme comme
chreftien , que je tiens de Dieu, fur les très-
Jouverainesjoies du Paradis auxquelles je
renonce pour les très -angoiffantes peines
d'enfer , fur mon ame , fur ma vie & fur
mon honneur, que j'ai bonne , fainte &
jufte querelle à combattre ceiui faux &
mauvais , traitre , meurtrier , parjure , menteur
tel N. que je vois cy préfent devant
moi , & de ce j'en appelle Dieu mon vrai
juge , Notre- Dame , & Monfieur Saint
George le bon Chevalier , à tefmoins , &
pour ce leaument faire par les fermens que
j'ai faits , je n'ai , ne entends porterfur moi
ne fur mon cheval , paroles , pierres , herbes
, charmes , charrois , conjuremens , ne
invocations d'ennemis , ne nulles autres
chofes , où j'aye efpérance d'avoir ayde ,
ne à lui nuire , ne ay recours fors que en
Dieu , en mon bon droit , par mon corps
mon cheval,& par mes armes; &fur ceje bai
Je cette vraye Croix & les faints Evangiles
& me tais. Le défendant ayant prêté le
*

1 iij
198 MERCURE DE FRANCE.
même ferment , le Maréchal les faifoit
prendre par la main droite & prononçoit
un nouveau défi , qu'ils répétoient
l'un après l'autre en s'adreffant la parole.
"
Après tous les fermens faits , dit le for-
» mulaire , ils doivent rebaifer le cruci-
» fix , & puis chacun enfemble , pèr-à - pèr ,
» fe livrer , & leur retourner en leurs pa-
» villons pour faire leur devoir , & le
prêtre prend alors fa croix , fon te igitur
» & le fiége fur quoi ils étoient , & les
» boutte hors & s'en va ».
"9
Quand les combattans étoient rentrés
dans leurs pavillons , le roi d'armes
ou les héros crioient à haute voix » or
» oez, or oez , ( or écoutez ) feigneurs ,
chevaliers , écuyers & toutes manieres
» de gens , que notre fouverain feigneur
" par la grace de Dieu , roi de France ,
» vous commande & défend , furpeine de
» perdre corps & avoir , que nul ne foit ar-
» mé , ne porte épées ne autres harnois
quelconques , fe ne font les gardes du
champ , & ceux qui de par le Roi notre
Sire , en auront congé ....
»
que
» nul , durant la bataille , ne foit à cheval
, & ce aux gentilshommes ,furpeine
» de perdre le cheval , & aux ferviteurs &
JANVIER. 1770. 199
"
» rôturiers , furpeine de perdre l'oreille......
Ainçois le Roi , notre Sire , commande
» & défend à toutes perfonnes , de quel-
» que condition qu'ils foient , qu'ils fe
affient fur banc ou fur terre , afin que
» chacun puiſſe voir les parties combattre
, & ce fur peine du poing. Ainçois
» le Roi , notre Sire , vous commande &
défend , que nul ne parle , ne figne , ne
" touffe , ne crache , ne crie , ne faffe au-
» cun femblant quel qu'il foit ; fur peine
» de perdre corps & avoir ».
*
» Or , ajoute le formulaire , après ce
» que le roi d'armes aura crié , & que
» chacun fe fera affis & ordonné fans dire
» mot , & que les parties feront toutes
» prêtes & en point de faire leur devoir ;
» alors , par le commandement du ma-
» réchal , viendra le roi d'armes ou hérault
au milieu du lieu par trois fois ,
» crier , faites vos devoirs. Et après ces pa-
» roles , les deux champions fouldront de
» leurs pavillons fur les efcabeaux qui fe-
» ront la tout prêts , & leurs bâtons à l'en-
"
tour de eux , de quoi ils fe doivent ai-
» der , environnés de leurs confeillers.
Adonc fubitement leurs pavillons feront
par-deffus les lices jettés hors »> .
Iiv
200 MERCURE DE FRANCE.
"
Quand tout fera en point , lors le
» maréchal partant , en criant par trois
» fois , laiffez- les aller , & ces paroles dites ,
» jette le gand , & alors qui veut fe monte
» prêtement à cheval , & qui ne veut en
gaige de querelle , foit à fon bon plaifir
; ( mais dans ce dernier cas , il étoit
» cenfé vaincu & puni en conféquence. )
» Alors les confeillers , fans plus atten-
» dre , s'en partent , & laiffent là à cha-
» cun fa bouteillette pleine de vin & un
pain , lié en une toiiaillette , & faffe
» chacun le mieux qu'il pourra ».
33
Comme ces combats fe faifoient à outrance
, le formulaire ajoute encore :
» Voulons & ordonnons , que gaige de
» bataille ne foit point oultré , lors de
» deux manieres , c'eft à fçavoir , quand
» l'une des parties confeffe fa coulpe , &
» eft rendu , & l'autre qui eft la feconde ,
quand l'un met l'autre hors des lices
» vif ou mort , dont mort ou vif comme
» fera le corps , il fera du juge livré au
» maréchal , pour de lui faire juftice tour
» à noftre bon plaifir .... Voulons & or-
» donnons le vainqueur fe que des
lices honorablement à cheval , par la
» forme qu'il y eft entré , s'il n'a effoine
parte
L
JANVIER . 1770. 201
» de fon corps , portant le bafton duquel
» il aura déconfit fon adverfaire , en fa
» dextre main , & lui feront fes pleiges
» & hoftaiges délivrés. Et que de cette
querelle pour quelques informations du
» contraire , il ne foit tenu d'y refpondre ,
» ne nuls juges ne l'en puiffent plus con-
» traindre , s'il ne veult . Quia tranfivit in
» rem judicatam , & judicatum inviolabi-
» liter obfervari debet » .
"
ود
LETTRE d'un Officier Major d'infan.
terie , ancien Elève de l'Ecole Royale
Militaire , aux jeunes Elèves qui font
actuellement à l'hôtel.
MESSIEURS ,
J'ai joui du même bonheur que Vous dans un
tems où mon âge & mon peu d'expérience ne
m'ont pas permis d'en connoître le prix peut - être
êtes vous auffi malheureux que je l'ai été , & que
vous ne pensez pas plus mûrement que je faifois
alors. Cependant , fi vous négligez , ainſi que je
l'ai fait , les momens précieux que vous pouvez
confacrer à l'étude , vous manquez non - feulement
de reconnoiffance envers le Roi , mais encore
vous vous privez de tout efpoir de jamais pouvoir
fervir utilement la patrie , & de façon à la dé-
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
dommager des foins laborieux qu'elle donne à
votre enfance.
Tout Elève de l'Ecole Royale Militaire , par ce
feul titre , ne dépend plus de fes parens ni de les
caprices ; il n'eft plus le maître de difpofer de fes
jours , autrement que pour la gloire du Prince : il
eft l'enfant de l'état , & doit en être un des plus
fidèles défenfeurs . Comment donc pourroit - il
rendre fon zèle efficace , s'il pafle fa jeunefle dans
une oifiveté qui , en corrompant toutes les vertus
humaines , en détruit même jufqu'au germe ?
Croyez- vous , Meſſieurs , qu'il ſuffiſe à un officier
d'être brave , & qu'il foit jufte de croire qu'après
avoir reçu une éducation incomparable , &
impoffible dans le fein de vos familles qui , à pei
ne , peuvent fubvenir aux befoins phyúiques, que
vous ferez pleinement juftifiés de votre ignorance,
lorfque, pour unique excufe , vous répondrez :
Je vais bien aux coups de fufils ? Non , Meffieurs
, vous ne pouvez pas borner ainfi les de firs
de la patrie ; ce n'eſt pas là le feul caractere d'un
officier , & elle a droit d'exiger de vous des connoiflances
au - deflus du commun . Elle n'épargne
rien pour faire de vous des fujets de diſtinction .
Son choix a mis à votre tête un citoyen vertueux
à qui vous devez l'hommage de la félicité que
vous préparent les bontés de Sa Majesté , vous
vous en rendez dignes.C'eſt lui qui a fait naître au
meilleur des Rois , l'idée de ce projet fublime qui
arrache aux calamités de la plus cruelle indigence
la portion la plus précieuſe du royaume , & vous
lui devez un trône dans vos coeurs . C'eſt cet homme
refpectable qui eft venu efluyer les larmesdoulourcufes
que verfoient vos tendres meres fu?
JANVIER. 1770. 103
l'affreufe deftinée à laquelle vous livroit lent infor
tune. Pénétrez vous , Meffieurs , de ces fentimens
& vous appercevrez combien vous feriez ingrats
fi vous étiez indifférens au recit d'une fi grande
bienfaifance : quand même vous n'en devriez pas
recueillir un bien certain , vous devez le facrifice
de vos jours à l'intention feule du Roi & aux bienfaits
dont vous en êtes comblés.
Que ne puis-je me transformer & revenir à vo
treâge ? Vous me verriez fignaler mon application
& chercher à prolonger les inftans pour les employer
à l'étude.
Que de regrets n'éprouve-t'on pas & que de reproches
n'a-t'on point à le faire, lorfque fortant de
I'Ecole Militaire, dénué de toute connoiffance , l'on
n'a aucun talent qui puiffe vous faire accueillir &
vous faire diftinguer dans un corps ? C'est alors
qu'on fent avec douleur la néceffité de favoir . Chacun
s'empreffe à vous questionner & vous dit naïvement
: De quelle utilité vous ont été les bons
maîtres que vous avez eus ? A quoi vous ont fervi
l'attention & les foins qu'on a donnés à votre édu
cation ?. L'on conclut malheureuſement fur cette
feule apparence qu'on en étoit indigne
Voila , Meffieurs , les réflexions que mon devoir
me dicte , & que ma reconnoiffance a cru devoir à
un établiflement fur lequel font tournés les yeux
de toutes les nations & qui eft l'efpoir de l'état.
Je fuis , & c.
L. B. D. B.
I vj
*
204 MERCURE DE FRANCE.
ARRÊTS , LETTRES - PATENTES , &C..
АARREZ
I.
RRÊT du confeil d'état du Roi , du 28 Juín`
1768 ; qui caffe un arrêt de la cour des Aides de
Rouen , du 8 Juillet 1765 : Et fait défenfes aux ·
nommés Dugay & Hennequin- Defnoyers , amineurs
titulaires du grenier de Caen , de s'immiſ
cer au mefurage des fels des dépôts de ladite
ville.
I I.
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 5 Septembre
1769 ; qui cafle une ordonnance de police , rendue
en la fénéchauffée de la Rochelle le.24 Janvier
1769 : ordonne que les réglemens & arrêts du
confeil , notamment ceux des 22 Avril , 13 Mai
& 5 Août 1760 , feront exécutés felon leur forme
& teneur ; & conformément à iceux , entend Sa
Majefté , qu'il foit libre à toutes perfonnes de tenir
hôtellerie ou cabaret , & de vendre vin à la
Rochelle & dans l'étendue de la généralité , fans
être tenu de prendre la permiffion des officiers de
police ou autres juges , & fans être aſlujetti à autres
formalités que d'en faire déclaration au bureau
des aides en la forme ordinaire , avec défenfes
auxdits officiers de police de rendre de pareilles
ordonnances.
I I I.
Arrêt de la chambre des comptes , du 14 Septembre
1769 ; qui ordonne aux nommés Jean Depin
& Guillaume - Claude Leroux , de rapporter
JAN VIER . 1770. 205
les provifions de mefureurs & tirefacs , porteurs
de fel aux dépôts & entrepôts de la ville d'Honfleur
, qu'ils avoient obtenues : déclare lefdites
provifions nulles & de nul effet ; & fait défenfes
auxdits Pepin & Leroux , de s'immilcer au mefurage
des dépôts , à peine de trois mille livres d'amende.
I V..
Arrêt du confeil d'état du Roi , du 31 Octobre
1769 ; qui , en caflant un arrêt du parlement de
Douai du 25 Février 1767 , confirmatif d'une
fentence du bureau des finances de Lille du 14 Février
1766 , ordonne l'exécution de celui du confeil
du 6 Mai 1738 ; & en conféquence , que les
maîtres tailleurs de Lille feront tenus de déclarer,
de même que les fripiers- tailleurs , les habits
marchandifes & hardes , tant neuves que vieilles
qu'ils tiendront en magasin pour être vendues ,
d'en payer les droits de Tonlieu.
9
&
AV IS.
I.
Calendrier , ou effai hiftorique & légal
fur la chaffe , dans lequel on trouve des
remarques curieufes & utiles fur les
anciennes chaffes tant anciennes que
nationales , les reglemens anciens &
modernes qui ont été faits fur cet objer
, & un précis du droit des entrées
du gibier dans Paris. A Paris , chez le
206 MERCURE DE FRANCE.
Jay , libraire , rue St Jacques , au grand
Corneille.
CET effai hiftorique & légal fur la chaffe eft
déjà connu ; nous en avons rendu compte dans
le tems ; il offre aux chaffeurs des inftructions
utiles qui leur feront fans doute plaifir , & que
l'auteur a trouvé l'art de rendre agréables à ceuxmêmes
qui n'aiment point la chaſe . On vient de
le réimprimer avec des augmentations confidéra
bles ; on y ajoint un précis du droit des entrées
du gibier à Paris ; cet article étoit le feul que l'au
teur eût laiffé à defirer dans la premiere édition ;
le format de l'ouvrage , le calendrier qu'on a mis
à la tête lui donnent un air d'almanach ; & il en
eft peu d'auffi intéreffant & d'auffi curieux.
I I.
Le bien de l'humanité doit être le premier mobile
des actions des hommes. Pouflé par le
defir d'être utile à fes concitoyens , le Sieur Ray
n'a rien épargné pour perfectionner ſon ſtomachique
; il débarrafe & purge l'eftomac de toute
matiere fuperflue , comme vents , matiere vifqueufe
, bile, flegmes , humeurs noires , crudi--
tés , glaires , &c. Il précipite les eaux qui s'y for
ment par les mauvaiſes digeftions , le nettoie par
faitement , le difpofe à recevoir les alimens & à
les digérer il procure à la maffe du fang un bon
chyle qui le purifie , le rafraîchit & en chaffe l'âcri
monie , &c. Il rend entièrement le reffort aux eftomacs
affoiblis par la maladie & le trop long
afage des remedes , il prévient les hydropifies, les
coliques venteufes , arrête les vomiflemens les
plus invéterés. Il eft très-bon pour les poitrinaires,
JANVIER. 1770. 207
& dans toutes fortes d'affections de poulmon¸rhumes
négligés , & toux invéterées . On en prend
foir & matin deux cuillerées dans un verre de lait
chaud , qu'il fait pafler facilement & empêche
qu'il ne fe caille . Il conferve à la vieillefle cette
chaleur fi néceflaire , & dont elle n'eft que trop
-tôt dépourvue. Cette liqueur produit auffi de trèsbons
effets. Elle fortifie les inteftins en en délayant
deux ou trois cuillerées dans un lavement.
On en fait ufage de la même façon pour les coliques
d'entrailles , qu'elle guérit promptement.
4 L'auteur croit devoir avertir que fon ftomachique
n'eft point un remede compofé à l'eau-devie
, ni à l'efprit de vin , mais feulement un extrait
liquide de fimples artiftement préparées . Il
peut être employé pour tous les tempéramens , il
agit avec fuccès , & pour s'en convaincre , il fuffitde
confulter l'ufage qu'en font faire à leurs malades
les plus célèbres médecins de l'Europe & notamment
MM . de la faculté de médecine de Paris,
devant lefquels ledit remède a été composé en
1765 , & qui en ont donné une atteftation authentique
; ils ont tous rendu juftice à l'efficacité
de ce remède , & en ont reconnu la bonté par les
bons effets qu'il a produits fur les deux fexes , &
par l'ufage qu'ils en ont ordonné à des perfonnes
de la premiere diftinction.
Le Sr Ray ofe fe flatter d'être aflez connu . Il a
mérité la confiance , tant de la capitale que des
provinces , & d'une partie des ifles de l'Amérique,
où il fait des envois ; un grand nombre de lettres
& certificats prouvent ce qu'il avance ; & particulierement
une lettre de M. de Portalis , commiffaire
ordonnateur des guerres à Toulon , dans laquelle
on traite fon remède de divin , par les bons
effers qu'il a produits , tant à fon égard qu'à l'égard
d'un de fes amis .
208 MERCURE DE FRANCE.
Le Sr Ray demeure rue Chapon , au Marais , la
premiere porte cochere en entrant par la rue Tranf
nonains. On le trouve tous les matins jufqu'àmidi .
Ceux qui lui feront l'honneur de lui écrire, auront
la bonté d'affranchir leurs lettres. Il continue à débiter
avec fuccès fon topique pour les entorfes & .
foulures de quelque nature qu'elles foient.
III.
Elixir fpécifique de Mde Parizeau , auto .
rife par la commiffion royale de médecine.
Ce remède , tiré du regne végétal , purifie la
maffe du fang , en la débaraflant des humeurs qui
nuifent à la circulation ; enforte qu'il convient
aux différentes maladies occafionnées par l'âcreté
de ce fluide , & fingulierement aux dartres les plus
invétérées & les plus compliquées . Son efficacité
a été couftatée par des expériences fans nombre ,
certifiées par les perfonnes de l'art . Ce remède eft
aifé à prendre , & le régime qu'il exige n'eft point
allujétiffant. La Dame Parizeau l'indique à ceux
qui prennent de fon élixir. Le prix des bouteilles
eft de 12 livres : elles contiennent environ un demi-
feptier. Cet elixir peut- être transporté partout
, fans éprouver aucune altération . Mde Parizcau
demeure rue des Foflés de M. le Prince , mraifon
du riche laboureur. Les perfonnes de province
qui lui écriront pour avoir de fon remède font
priées de lui en faire remettre le prix & d'affranchir
leurs lettres.
JANVIE R. 1770. 209
NOUVELLES POLITIQUES.
De Conftantinople , le 3 Novembre 1769 .
L
Es avis reçus du camp du Grand Vifir portent
qu'il s'eft retiré en deçà dù Danube avec fon armée
pour prendre des quartiers d'hiver à Ifatchin , ou
l'étendard du Prophète eft demeuré . On affure
que jufqu'à préfent la Porte n'a voulu entendre
à aucune des propofitions de médiation qui lui :
ont éte faites pour le rétabliffement de la paix .
De Mittau , le 27 Novembre 1769 .
Le 14 de ce mois , le Duc , notre fouverain ,
manda auprès de fa perfonne les quatre Confeillers
de régence , & leur déclara que fon grand âge
& la foibleffe de fa fanté l'avoient déterminé à fe
démettre du gouvernement de fes états en faveur
du Prince Pierre , fon fils aînê & fon fucceffeur. Il
leur ordonna en même tems de dreffer l'acte de
renonciation néceffaire pour cet effet ; ce qui a été
exécuté ; le nouveau Duc a reçu à cette occafion les
complimens du miniftre de Ruffie & de toute la
Bobleffe aflemblée en cette ville .
D'Elfeneur , le 2 Décembre 1769.
On efluya ici la nuit du 24 au 25 du mois
dernier une tempête fi violente , que tous les vaiffeaux
Ruffes , & le bâtiment garde - côte Danois
chaflerent fur leurs ancres. Le 26 on en efluya une
feconde , pendant laquelle le vaiffeau que montoit
le chef d'efcadre Elphinfton toucha jufqu'à
trois fois . Le choc fut fi violent à la troifiéme fois
que la plus grande partie des gens de l'équipage ,
qui étoient fur le tillac , fut renverfée , cependant
le vaifleau n'a reçu aucun dommage . Ce jour - là la
3
210 MERCURE DE FRANCE.
chaloupe du vaifleau Danois garde- côte , voulant
fe rendre auprès de ce bâtiment , ne put y parvenir
à caufe de la force du vent. Le vaiffeau vogua
vers le vaiffeau du chef d'efcadre rufle & y parvint
heureufement ; mais quelque inftans après , la
tourmente devint fi grande , que la chaloupe le
brifa entierement contre le vaifleau ruffe & coula
à fond. Ces tems orageux qui règnent depuis huit
jours ont caulé le naufrage d'un navire hollandois
à Mafterland , & ont fait périr à la hauteur d'Elfimbourg
un petit bâtiment danois venant de
I'Iflande & chargé de vivres pour Coppenhague.
On a tout lieu de craindre que ce ne foit pas là les
feuls accidens qu'ils ayent occafionnés .
De Smyrne , le 17 Octobre 1769 .
La nouvelle qu'on a reçue qu'une eſcadre rufſe
étoit deſtinée à une expédition dans le levant
occafionne ici & parmi les nation's chrétiennes
dans l'Archipel de vives inquiétudes , attendu
qu'on ne fçait pas vers quel port elle dirigera fes
attaques. Les Confuls de ces nations ont envoyé à
leurs cours refpectives des dépêches par lesquelles
ils les fupplient d'interpofer leurs bons offices auprès
de la cour de Ruffie , pour empêcher que les
maifons & les magafins des habitans foient expofés
, par les opérations de cette efcadre , au pillage
& à l'incendie.
De Florence , le 25 Novembre 1769.
On a trouvé dernierement , en creufant dans un
endroit de cette ville , une grande quantité d'oflemens
d'hommes , différentes médailles romaines
& quelques morceaux de vales de terre très-épais.
Les médailles ne fe font pas allez bien confervées
pour qu'on puifle aifément diftinguer l'empreinte:
il n'y en a qu'une fur laquelle on apperçois
JANVIER. 1770. 211
d'un côré le bufte de Crifpe , fils de Conftantin le
grand , avec cette infcription au tour : Crifpus nob.
Caf.fur le revers & au milieu de la médaille , on
voit une couronne qui paroît être de laurier & qui
renferme ces mots : Vot. V. on lit autour de la couronne:
Cafarum noftrorum. Toutes ces médailles .
font de bronze ; celle dont on vient de parler doit
être la moins ancienne ; les autres , autant qu'on
peut en juger par les reftes de leur empreinte ,
paroiflent avoir été frappées fous des Empereurs
plus reculés. Il y a même quelque indice qui fait
foupçonner que l'une d'entr'elles pourroit bien
être du règne de Gordien ,
De Londres , le 15 Décembre 1769.
Les Négocians de cette ville , intéreffés au com
merce de l'Amérique , fe rendirent en corps le 9
de ce mois auprès du comte de Hillsbourgh , fecrétaire
d'état pour les affaires des colonies, & après
lui avoir expofé l'état de décadence de ce com
merce , ils le fupplierent d'employer tous les foins
& de fe concerter avec les autres miniftres pour le
rétablir ou du moins pour en prévenir l'anéantiffement.
Le 13 les miniftres eurent entre eux à
White Hall une longue conférence fur cet objet.
Ils y délibérerent fur les moyens de rétablir le com
merce dans fon ancienne vigueur , fans bleſſer la
dignité de la couronne & le privilége du Parlement
, & fans fouftraire les colonies à la dépendance
où elles doivent être à l'égard du
gouvernement
Britannique . Le réfultat de ces délibérations
fut communiqué fur le champ au Roi , & le
foir le Duc de Grafton eut un long entretien avec
Sa Majefté fur ces différens objets.
D'Amfterdam , le 1 Janvier 1770.
On apprend , par une lettre de la Nouvelle Or212
MERCURE DE FRANCE.
léans , qu'une flotte espagnole de vingt- deux voiles
, ayant à bord trois mille hommes , arriva de
la Havane à la Bafile au mois d'Août dernier , le
Sr O- Reilly , qui la commandoit , fit prévenir la
colonie qu'il étoit muni des ordres des cours de
France & d'Espagne. En conféquence on nomma
des députés pour aller l'aflurer que toute la colonie
étoit prête à le recevoir. Il entra le 18 dans la
ville , fes troupes ayant la bayonnette au bout du
fufil , & on lui remit les clefs . Le 21 , le Sieur OReilly
publia une amniftie , & le 26 on prêta ferment
de fidélité à Sa Majeſté Catholique .
D'Utrecht , le 31 Décembre 1769 .
Nous apprenons que la nuit du 27 au 28 de ce
mois , vers les deux heures après minuit , la digue
nommée Rhyndick s'eft affaiflée entre Heuffen ,
petite ville dans le pays de Cleves & Angeren , village
fitué dans le Betuwe fupérieur ; de forte que
toute cette partie de la Gueldre qui comprend les
contés de Buuren , Cuylembourg , la Baronnie
d'Arquey, &c , & c. eft ſubmergée . On ajoute qu'on
eft très - occupé dans ces derniers endroits , à détourner
les eaux qui les menacent d'une inondation
générale , & qui doivent fe décharger près de
Gorcum ; cet accident fait baifler les eaux du Lecq
aux environs du Vaert & autres lieux circonvoifins.
De Verfailles , le 23 Décembre 1769.
Le Sr Maynon d'Invau ayant donné la démiſfion
de la place de contrôleur général des finances,
le Roi a nommé pour le remplacer , l'abbé Terray
, confeilier - clerc du parlement de Paris , lequel
a eu l'honneur d'être préfenté aujourd'hui à
Sa Majeflé en cette qualité , par le comte de Saint-
Florentin , miniftre & lecrétaire d'état.
JANVIE R. 1770. 213
Du 30 Décembre.
Le Marquis de Tourzel , capitaine au régiment
Royal Cravattes , vient d'obtenir du Roi la furvivance
de la charge de grand Prevôt de France ,
dont le marquis de Sourches fon pere eft pourvû.
Il a eu l'honneur de faire à cette occafion , le 18
de ce mois , les très - humbles remercîmens à Sa
Majefté.
De Paris, le 1 Janvier 1769 .
On a appris , par des lettres particulieres de
Lisbonne , que le Roi de Portugal étant à la chaffe,
& fe trouvant éloigné de fa fuite , avoit été atta
qué par un homme qui avoit ofé le frapper d'une
efpece de maffue dont il étoit armé. Heureufement
ceprince n'a reçu qu'une légere contufion à
la main qui ne l'a pas empêché de continuer fa
chafle . L'affaffin a été arrêté fur le champ & conduit
en lieu de fûreté . On ne connoît pas encore
d'autres circonftances de cet horrible attentat.
Du 8 Janvier.
On mande de la Rochelle , qu'en conféquence
d'un arrêt du confeil du 19 Septembre 1759 , on
va y travailler inceflamment au rétabliſſement du
port ; la fûreté de fes rades & les avantages de fa
pofition ne pouvant manquer de rendre ce rétabliflement
très -utile , non -feulement au commerce
de la Rochelle , mais encore à la navigation du
royaume en général.
LOTERIES.
Le cent huitiéme tirage de la Loterie de l'hôtelde
- ville s'eft fait le 23 du mois dernier en la maniere
accoutumée . Le lot de cinquante mille livres
eft échu au N°. 3996. Celui de vingt mille livres,
au No. 1999 , & les deux de dix mille livres aux
numéros 3735 & 11168.
214 MERCURE DE FRANCE.
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire
s'est fait les de ce mois. Les numéros fortis
de la roue de fortune font , 86 , 17 , 19 , 73 , 40. '
MORT S.
Joachim - Cafimir- Léon , Comte de Bethune &
des Bordes , brigadier des armées du Roi , lieutenant-
général dela province d'Artois , gouverneur
des ville & citadelle d'Arras , & chevalier d'honheur
de Madame Adelaide en furvivance , eft
mort à Glatigny près de Verfailles , le 19 du mois
dernier, âgé de 46 ans.
Marie - Anne de la Rochefoucauld - Coufages ,
veuve de Henri de la Rochefoucauld , marquis de
Chavagnac , ancien exempt des gardes du corps
& chevalier de l'ordre royal & militaire de Saint
Louis , eft morte au château de Coufages.
FAUTE à corriger dans le premier volume
du Mercure de Janvier.
PAG.129, méthode de faire purger, lifez de faire parquer.
PIECES
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en profe , page s
Etrennes au Mercure ,
Infcriptions pour différens portraits ,
Vers furl'existence de Dieu ,
L'Accès de fièvre , ode ,
La probité villageoife ,
Vers de Mlle de Surville à Jeanne- Agathe ,
L'Ecole de l'Amour , ode anacréontique ,
ibid.
7
8
12
18
32
JANVIER . 1770 .
215
Fables , le Souriceau , 34
L'homme , l'Abeille & le Frélon , 35
L'Araignée & le Vers à foie , 36
Bouquet d'une Dame à une Demoiselle , 37
Quatrain à M. Moncrif, 37
Avis trop tard donné ,
38
La Haine mal fondée, conte, ibid.
Les quilles de Siam , conte ,
64
d'Horace ,
Traduction de l'ode XXX du premier livre
A une Dame , lejour de fa fête ,
Etrennes à mon pere ,
Le triomphe de l'amitié , ftances ,
Epigramme imitée de l'Anglois ,
Explication des Enigmes
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Satires de Juvenal ,
OEuvres de Sebaſticn Garnier ,
Jenneval ,
Origine des premieres fociétés ,
Le bon fils , ou mémoires de Samarandes ,
Inftructions pour les feigneurs & leurs gens
d'affaires ,
Traité de la réfolution des équations invariables
,
Traité de la défenſe des places ,
67
ibid.
68
69
70
ibid.

71
73
781
ibid:
87
95
104
111
120
122
123
Les hiftoires de Sallufte , 125
Abregé de l'hiftoire grecque & romaine , 127
Les preffentimens juſtifiés , 129
Mémoire fur les bains , 132
Effai fur les combinaifons de la loterie de
l'Ecole royale militaire , 133
Stratagêmes de guerre des François, 135
Hiftoire de la guerre de 1756 , 1,7
216 MERCURE DE FRANCE.
Almanach danfant ,
Le théâtre, grand chemin de l'enfer,
Expolition des moeurs & uſages de l'Italie ,
ACADÉMIES ,
138
139
141
If2
SPECTACLES ,
Iss
Opéra ,
ibid.
Comédie françoiſe ,
ibid.
Comédie italienne , 156
Ecoles gratuites de deffin , 158
Difcours de M. Bachelier , directeur , 160
ARTS ; Sculpture ,
162
Gravure ,
164
Géographie ,
168
Mufique , 170
Suite des confeils d'un père à fon fils , 172
Hogarth , peintre Anglois ,
Lettre fut l'opération de la pierre ,
176
181
Trait de piété & d'humilité , 186
ANECDOTES ,
187
Duels judiciaires , 193
Lettre d'un Officier , &c . 201
Arrêts , Lettres - patentes , &c. 204
AVIS ,
205
Nouvelles Politiques ,
209
Loteries , 213
Morts , 214
AP PROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le fecond vol . du Mercure de Janvier 1770 ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'im
preffion. A Paris , le 14 Janvier , 1770 .
GUIROY.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue des Cordeliers.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le