Fichier
Nom du fichier
1769, 04, vol. 1-2
Taille
14.50 Mo
Format
Nombre de pages
457
Source
Lien vers la source
Année de téléchargement
Texte
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRE6.
AVRIL 1769 .
PREMIER VOLUME.
Mobilitate viget. VIRGILE.
Beugre
A PARIS
Chez LACOMBE , Libraire , Rue
Chriſtine , près la rueDauphine.
AvecApprobation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
GESESTT au Sieur Lacombe, libraire , àParis , rue
Chriftine , que l'on prie d'adrefler , francs de port,
les paquets & lettres , ainſi que les livres , les eftampes
, les piéces de veis ou de proſe , la muſique,
les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur. On prie aufli de marquer le prix des livres
, eſtampes & piéces de muſique .
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres &de ceux qui les
cultivent; ils font invités à concourir à ſon ſuccès;
on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils enverront
au Libraire ; on les nommera quand ils voudront
bien le permettre , & leurs travaux , utiles
au Journal , deviendront même un titre de préférence
pourobtenir des récompenfes fur le produit
du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eſt de 24 liv.
que l'on payerad'avance pour ſeize volumes rendus
francs de port .
L'abonnement pour la province eſt de 32 livres
pareillement pour ſeize volumes rendus francs de
port par la poſte. 1.
On s'abonne en tout temps, AJ SOD
Le prix de chaque volume eſt de 36 ſols pour
FLL
23.169
ecux qui n'ont pas ſouſcrit au lieu de 30 ſols pour
ceux qui font abonnés.
On ſupplie Meſſieurs les Abonnés d'envoyer
d'avance le prix de leur abonnement franc de port
par la pofte , ou autrement , au Sieur LACOMBE ,
libraire , à Paris , rue Chriſtine.
On trouve chez le même Libraire.
JOURNAL DES SCAVANS , in-4º ou in- 12 , 14 vol.
par an à Paris. 16 liv.
Franc de port en Province , par la poſte. 20 1.4 f.
ANNÉE LITTÉRAIRE , compoſée de quarante
cahiers de trois feuilles chacun , par an , àParis
,
En Province , port franc par la Poſte ,
24 liv .
32liv.
L'AVANTCOUREUR , feuille qui paroît le Lundi
de chaque ſemaine , & qui donne la notice
desnouveautés des Sciences , des Arts libéraux
&méchaniques , de l'Induſtrie & de la Littérature.
L'abonnement , ſoit à Paris , ſoit pour la
Province , port franc par la poſte, eſt de 12 liv.
JOURNAL ECCLÉSIASTIQUE , par M. l'Abbé Dinouart
; de 14 vol. par an , à Paris , 9 liv. 16 f.
En Province , port franc par la poſte , 14 liv
EPHEMERIDES DU CITOYEN OU Bibliothéque raiſonnée
desSciences morales & politiques.in- 12,
1 2 vol . par an port franc , à Paris ,
En Province ,
18 liv.
24 liv.
:
A ij
Nouveautés chezle même Libraire.
HISTOIRE anecdotique & raisonnée du
Théâtre Italien&de l'Opéra comique , 9
vol. in- 12 . rel . 22 1. 10 1.
Histoire littéraire des Femmes Françoises
avec la notice de leurs ouvrages , svol .
grand in-8°, rel . avec unegravure , 251.
Variétés littéraires , 4 vol. in- 12. rel . 101.
Nouvelles recherchesſur les Étres microſcopiques
, &c. in- 8 °. br. avecfig. s1.
Situationdesfinances de l'Angleterre , in-4°.
broch
4liv.41.
TabledelaGazettedeFrance, 3v. in-4°.b. 241.
Commentaires fur les Mémoires de Montecuculi,
parM. le Comte de Turpin-Criffé,
3vol. in-4°. ornés de gravures & de 43
plans , broch . 42liv.
ContesPhilofophiquesdeM. dela Dixmerie,
3 vol. in- 12. brochés ,
Dictionnaire de l'Elocutionfrançoise, 2 vol.
in-8°. rel .
61.
وا. 1
Les Nuits Parifiennes , vol. in-8 °. rel. 41.10f.
LePolitique Indien , 11.10 6.
11.
Differtationfurle Farcin , maladie des chevaux
, parM. Hurel , maréchal ,
Eloge de Henri IV, par M. Gaillard , I liv. 10 f.
Autre Eloge avec gravure , par M. de la
Harpe, 21. 8 f
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL 1769 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
L'INOCULATION. Chant II.
L'ESPAGNOL tranſporta ſur la rive Atlantique
Le mal que nos climats avoient reçu d'Afrique
*;
Mais à l'Américain le Breton bienfaiſant ,
De l'art d'inoculer tranſmit l'heureux préſent ,
Leſeulbien que l'Europe ait fait à l'Amérique.
* La petite vérole , Voyez Chant I.
Aiij
6 MERCURE DE FRANCE.
Quand cet art merveilleux parcourant l'Univers ,
Traverſant l'Oéan , s'avançant vers les poles ,
Arrachoit à la mort mille peuples divers ;
Les François enivrés de nouveautés frivolės ,
D'antiques préjugés ne pouvoient s'affranchir ;
Et le pas de Calais lui reſtoit à franchir.
A peine revenu des bords de la Tamiſe ,
Otoi , cher enchanteur , par qui la vérité
Que ton adroite main embellit & déguile ,
Emprunta ſi ſouvent l'air de la volupté;
En vain tu vantois l'art de Byſance apporté ,
Nous fermions à ta voix notre oreille timide ,
Ettandis que l'Anglois rioit de notre peur ,
Nos femmes , nos enfans , victimes de l'erreur ,
Expiroient dans nos bras , frappés d'un trait perfide
;
Ou ſurvivoient , pour être à notre oeil effrayé ,
Un éternel objet d'horreur & de pitié.
Mais enfin inſpiré par ſon puiſlant génie ,
Un ſage citoyen , dans le palais des Rois ,
Aux ſages aſſemblés fit entendre ſa voix :
Sage la Condamine , éleve d'Uranie ,
Après avoir bravé dans ta courſe infinie
Les flots de l'Océan , les feux de l'Equateur ,
Meſuré les contours de la terre applatie ,
Fixé la peſanteur par Newton preſſentie ,
Tuviens dans ton pays , tel qu'un heureux vain
queur
AVRIL. 1769. ?
Triomphant& chargé du butin le plus rare
Des ſecrets arrachés à la nature avare .
C'eſt là que jouiflant de ſes nobles travaux ,
Et d'un coeil attendri contemplant nos miféres
Cegénéreux mortel confacra ſon repos
Aguérir nos erreurs , à ſoulager nos maux ,
Anous apprendre un art ignoré de nos peres.
Lepremierparmi nous , il a dans ſes écrits
De l'art d'inoculer peſé les avantages ;
Le premier parmi nous , éclairant nos efprits
Il a des préjugés diffipé les nuages.
,
Σ
Nos yeux ſe ſont ouverts après un long ſommeil ;
Mais , trop foibles encor pour ce trait de lumiere ,
Ils ſe ſont refermés au moment du réveil.
Ainſiquand le matin notre humide paupiere
S'entr'ouvretout-à-coup aux clartés du foleil,
Ses faiſceaux rayonnans bleſſent notre prunelle
Et notre oeil ébloui ſoudain eſt refermé :
Ce n'eſt que par degrés qu'au jour accoutumé,
Il ſoutiendra l'éclat dont le ciel étincele .
4
P
EPITRE à une Laide.
EUX-TU craindre ma perfidie ,
D'où te vient ce ſoupçon ſur ma fidélité ?
Sous țes loix àjamais mon coeur eſt arrêté ,
At'adorer j'ai conſacré ma vie .
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
L'amourqui pour toi ſeule a ſçu fixer mes voeux ,
Ne pourra, j'en conviens , t'embellir à ma vue ,
A travers le bandeau qu'il a mis ſur mes yeux
J'apperçoista laideur ; mais mon ame éperdue
Brûle toujours des mêmes feux.
Des amans , tu le vois , je n'ai point lelangage ;
Pour mieux ſéduire la beauté ,
Qui de leur coeur a mérité l'hommage ,
Ils careſſent ſa vanité ;
Parleurs diſcours flatteurs ils égarent ſon ame
Et ſçavent avec art préparer le moment ,
Où , dans l'excès de ſon enivrement ,
Elle conſent enfin à couronner leur flamme.
Graces à ta laideur, ſans tous ces vils détours ,
Je puis aſpirer à te plaire ;
1
Tureſſens lebeſoin de céder aux amours ,
Et feul je veux le ſatisfaire.
Toujours aveuglés par l'erreur ,
Et mépriſant un facile avantage ,
Tous les mortels , en cherchant le bonheur ,
Le perdent pour ſa fauſle image ;
Séduits par quelques agrémens ,
Qu'une coquette augmente avec adreſſe ,
Ilstombent àſes pieds dans leur funeſte ivreſſe,
Et font voeu d'adorer l'objet de leurs tourmens.
Ah! peut - on être heureux lorſqu'on craint l'inconſtance
,
Lorſque mille rivaux , par des ſoins empreſſés
AVRIL. 1769. 9
Vousdiſputent un coeur dont vous ne jouiflez
Que parcaprice& non par préférence ?
Aumilieudes plus doux plaiſirs
Ledangerde les perdre empoiſonne la joie ,
A la terreur on eſt en proie ,
Etpuis , la crainte étouffe les deſirs...
Mais en t'aimant , rien ne peut me diſtraire
Dubonheurde te voir partager mon ardeur ;
Je ſuis le ſeul qui , ſoigneux de te plaire ,
Ait pu ſentir tout le prix de ton coeur.
D'ailleurs le frivole avantage
Depoſſéder quelques attraits ,
Que le ſouffle du tems ravage ,
Doit-il mériter tes regrets ?
Sijen'aimois en toi que ces dons périſſlables ,
Dont la natureorne quelques objets ,
Mes feux ne ſeroient plus durables ,
Letems les éteindroit en fillonant tes traits;
Maistu peux braver ſon injure
Ett'affurer de mon amour,
Je t'aime , malgré la nature ,
Malgré le tems , je t'aimerai toujours.
Tu ne le ſçaisque trop , chaque peuple différe
Dans ſon goût pour les agrémens ,
Et labeauté n'eſt qu'arbitraire ,
Le préjugé doit - il régler mes ſentimens ? ...
Ton nez de loin annonce ta figure ,
Maisdoit-il mériter pour cela nos mépris ?
10 MERCURE DE FRANCE .
Les femmes des Romains en connoiſſoient le
prix ,
Et t'auroient envié ce don de la nature.
,
Tes dents n'ont point cette blancheur
Dont ſe laiſſe éblouir le ſtupide vulgaire ;
Mais à Siam on priſe leur noirceur
Les noires ont ſeules le droit de plaire ;
On a recours à l'art pour changer leur couleur.
Tes lévres ont fur-tout un charme inexprimable ;
Leur groſſeur paroît effroyable ,
Mais en Afrique elleeût fait leur beauté ,
Et ce ſont deux couſſins où dort la volupté.
Tes yeux expriment la tendrefle ,
Mais malgré tes efforts ils répandent des pleurs.
Eh !bien , de l'Orient la charmante déeſſe ,
L'aurore en verſe auſſi pour ranimer les fleurs .
5
Si les éclairs de la faillie
Jettoient du feu dans tes propos ,
Ma vanité , je le parie ,.
Croiroit adorer tes bons mots ;
Mais non , mon ame n'eſt ſurpriſe
Paraucun de ces faux brillans ,
Et je l'avoue avec franchiſe ,
Ta ſimplicité même accroît mes ſentimens.
Lorſqu'emporté par ma tendreſſe ,
En palpitant , je tombe à tes genoux ,
Ton regard immobile , en des momens fi doux ,
Paroit à mon amour le comble de l'ivreſſe .
AVRIL. 1769. 11
1
Je bénis le deſtin qui voulut te former ,
Quite fit laide , exprès pour me charmer.
Sur tes difformes traits je vois ſa bienfaiſance ,
Jene mets point de borne à ma reconnoiſlance ;
Reçois , reçois encor le fermentde mon coeur ,
Je jure d'adorer à jamais ta laideur.
ABordeaux; Par Doncoffeph Garat.
LE SINGE PUNI. Fable.
CHACUNUn a fon talent qu'il tient de lanature;
Le cultiver , ſans briguer ceux d'autrui,
C'eſt de l'honneur la route la plus ſure ;
Un trait le prouve: le voici.
Unjour après une conquêté.,
Sire Lion enflé de ſes ſuccès
Pour des jeux folemnels aſſembla ſes ſujets .
Fagotin commença la fêre ,
Sauta , bala,
Gabriola درو
C'étoit merveille : en vain ſes camarades
Voulurent imiter ſes tours & ſes gambades ;
Il eut le prix : qui n'eût été content ?
Il ne le fut pas cependant.
Notre finge étoit jeune , & partant téméraire ;.
Rien ne l'effraie , il veut tout contrefaire,
Avj
12 MERCURE DE FRANCE .
Tout furpaſſer ; il brave , fier rival ,
Et la corne du boeuf& le pied du cheval :
On le mépriſe , il chante ſa victoire ,
Va, vient de rang en rang pour publier ſa gloire.
Cependant un oiſeau dans l'air vint à paſſer ,
>> Ainſi que lui , ne puis-je m'élancer ?
» Oui , je le puis ... & la troupe de rire ,
Mais de pitié ; lui , penſe qu'on l'admire ,
Grimpe au chêne voiſin , ſe jette en inſenſé ;
Voilà mon finge àbas , mon finge fracaflé.
Il ſe plaignoit au fort. Ta plainte m'importune ,
Lui dit quelqu'un , laiſſe- là la fortune ,
Accufe ton orgueil& non pas ton deſtin ;
Que ne reſtois- tu Fagotin ?
L'ENFANT & LE SABOT. Fable. *
Pourcélébrer l'anniverſaire
Du jour où naquit ſon papa ,
Unenfant vif&dru du matin ſe leva ,
Et fit cette courte priere :
:
*Elic aa été recitée par M. D. M. âgé de cinq
ans , àM. B. fon grand- oncle , âgé de quatrevingt-
dix qu'il appelle ſon Papa; l'enfant tenant
unfouet&un fabot d'une main,&préſentant ine
copiedes vers de l'autre.
AVRIL. 1769. 13
>>Arbitre du fort des humains ,
> Grand Dicu , qui de nos jours tiens le fil en tes
» mains ,
> Conſerve-nous long-tems une tête ſi chere : >>
Telle fur à peu- près l'oraifon du marmot ,
Qui , comme il a bon pied, bon oeil & bonne
langue ,
Pourroit ſans doutey coudre un lambeau de harangue
;
Mais il ne ſera pas ſi ſot ;
Le drôle ! il ſçait trop bien qu'on lui diroit en
face,
Que mal étreint qui trop embraſffe;
Et d'ailleursà tourner cent fois autour du por ,
Onne va point au but, quelqu'effort que l'on
faffe;
Le langage du coeur s'entend àdemi- mot ,
Sans commentaire ni préface ;
Bref , l'enfant bien ou mal a payé ſon écor,
Et , crainte d'ennuier , car à la fin tout laße,
Il eſt tems dedemander grace ,
Exd'allerfouetter lefabot.
14 MERCURE DE T
FRANCE.
ELEGIE à la mémoire d'une jeune Demoiselle
; par M. Pope , traduite de
l'Anglois. *
QUEUELL objet frappe mes yeux à l'entrée
de ce bois ! Tous mes ſens en font glacés
d'horreur & d'effroi , la pâle lueur de la
lune me fait entrevoir un ſpectre. II
m'appelle , ciel , ôciel ! c'eſt elle , c'eſt
elle - même !. Mais pourquoi ce ſein enſanglanté
& ce poignard tout prêt à la
percer encore ... Hélas ! toujours belle &
toujours tendre ! Quelle eſt la cauſe de ſa
mort ? Est-ce un mal de ſçavoir bien aimer
? Et le ciel peut- il faire un crime aux
mortels de ce qui fait la félicité des anges
? Défend- il d'avoir un coeur ſenſible
* M. Pope aimoit tendrement cette Demoiſelle
, & en étoit aimé. Elle ſollicita en vain
ſes parens de confentir à leur union. Comme elle
refuſoit tout autre parti , ſes parens l'enfermerent
dans un château. Cette jeune infortunée ne
pouvant s'arracher de ſa priſon ni foutenir la
cruelle abſence de l'amant qu'elle adoroit , ſe
donna la mort. On punit fur ſon cadavre cet excès
de tendreſſe , en le privant des honneurs de la
ſépulture.
AVRIL. 1769 . 15
:
1.
&intrépide ? Reprouve - t- il une action
qu'une amante paſſionnée , qu'une ame
vraiment romaine a dû commettre ? Non .
Le ciel doit révoquer ſes terribles arrêts .
Il doit des récompenfes & non pas des
fupplices à ceux dont les ſentimens font
ſi tendres & dont la mort eſt ſi glorieuſe .
Puiſſances ſuprêmes qui gouvernez le
monde , n'annonçâtes - vous pas d'avance
le fort d'une ſi grande ame,lorſque vous
la formâtes avec ce caractere d'élévation
qui la diftingua toujours de tant d'ames
vulgaires ? L'ambition tira ſa premiere
origine de vos demeures célestes ! c'eſt le
crime éclatant des anges & des dieux :
cette noble paffion defcendue ſur la terre
ſe communiqua bientôt à leurs images ,
c'eſt-elle qui embraſe le coeur des rois &
des héros : les ames vraiment magnanimesne
brillent parmi nous qu'un inſtant
dans un ſiècle. Les autres languiſſamment
Aupides demeurent captives dans la prifon
de leurs corps ; la lumiere obfcure
qui luit dans le cours de leur vie inutile
&preſque inviſible au reſte des hommes,
eſt ſemblable aux lampes qui éclairent les
ſépulcres : ou plutôt tels ſont ces Rois ,
la honte de l'Orient , qui, renfermés dans
leurs palais , y paſſent leurs jours dans un
16 MERCURE DE FRANCE.
ſommeil léthargique, où les plonge leur
coupable oifiveté.
D'une foule peut- être trop ſemblable
à ceux- là , la deſtinée rappella cette ame
fublime , le triſte objet de mes regrets ,
pour la rejoindre aux habitansducielqui
plaignoient ſon ſort ici-bas. Comme dans
l'air le plus pur , on voit les eſprits s'élever&
ſe ſéparerdes parties groſſieres dont
cette région inférieure eſt compoſée ; de
même ſon ame s'envola dans ſon ſéjour
natal , & avec elle s'envolerent toutes les
vertus qui ornoient le pays criminel où
elle avoit paffé un fi triſte exil. }
Mais vous,dont la barbarie l'a forcée
de ſe délivrer par une mott fanglantedes
tourmens que votre cruauté lui faiſoit
fouffrir , voyez fur ces lévres de corail ce
dernier foupir encore animé , ces joues
de roſe maintenant flétries par le ſouffle
de la mort ; ce ſein qui autrefois enflam .
moit l'Univers eft glacé maintenant : &
ces yeux qui répandoient un amour contagieux
ſont fermés pour jamais. Perfides
, ainſi périra votre race. Si la Juſtice
éternelle gouverne encore la foudre , une
vengeance imprévue éteindra toute votre
lignée. Semblables à la fleur des champs,
vos femmes & vos enfans feront moifAVRIL.
1769. 17
fonnés , & des cercueils ſans nombre affiégeront
vos portes; là les paſſans s'arrêteront
, & diront , en montrant vos cadavres
: ( tandis que vos pompeuſes funérailles
noirciront les chemins ) voilà
ceux dont les furies ont endurci les ames ,
voilà ceux qu'elles ont maudits pour toujours,
enleurdonnant des coeurs que rien
n'ajamais pu fléchir : ainſi paſſeront ſans
coûter une larme, vos ſuperbes convois ,
l'admiration des gens ſtupides& le ſpectacle
d'un jour. Ainſi s'évanouiront tous
ceux dont le ſein n'aura jamais brûlé que
pour des biens périſſables , ou qui n'auront
pas ſçu s'attendrir ſur les malheurs
de leurs ſemblables.
Loin d'adoucir ton fort , ombre facrée,
on a voulu te couvrir d'un éternel opprobre
; on a vu ta mort ſans pitié;on t'a
privée des honneurs funebres. Qui peur
maintenant expier tant de crimes ? Quoi !
des amis n'ont pas déploré ta deſtinée ?
Aucune larme n'a coulé des yeux de ceux
àqui ton enfance avoit été confiée. Perſonne
n'a appaiſé ton ombre plaintive ,
en arroſant de pleurs ton triſte ſépulcre.
Ce furent des mains étrangeres qui fermerent
tes yeux mourans , qui enſevelirent
ton corps innocent , qui ornerent ton
humble tombeau. Enfin tu ne fus hono
18 MERCURE DE FRANCE.
rée , tu ne fus regrettée que par des étrangers.
Mais qu'importe que des parens
ingrats n'ayent pas accompagné ton cercueil
en habits lugubres , affligés peutêtre
pour quelques inftans , quoique revêtus
d'ornemens triſtes pour une année ;
& traînant autour d'eux , à des fêtes nocturnes
&à des ſpectacles publics , un appareil
inſultant pour la vraie douleur ,
quand on n'en a que le maſque ! Qu'importe
qu'un marbre poli n'ait point tâché
vainement d'imiter les nobles traits
de ton viſage , ni que des amours en lar.
mes n'ayent point orné ta derniere demeure
! Qu'importe enfin qu'aucune terre
ſacrée n'ait ouvert ſon ſein pour te recevoir
, & que des chants mercenaires
n'ayent point fatigué tes mânes ! Au lieu
des vaines parures que l'art emprunte
pour éternifer des cadavres , un gazon
vert& touffu fera couché légérement ſur
ton fein , & les fleurs qui croiſſoient dans
Eden y naîtront avec des couleurs encore
plus vives& plus brillantes : c'eſt en ce
lieu que l'autore répandra ſes premieres
larmes. Ici les premieres roſes de l'année
fleuriront, tandis que les chérubins , avec
leurs aîles argentées, ombrageront la terre
devenue déformais ſacrée par tes cendres
qu'elle renferme. Ainſi demeurera paiſi
AVRIL. 1769. 19
ble,ſans monument& fans gloire , celle
qui , pendant ſa vie , eut en partage la
beauté , les titres , les richeſſes & la renommée.
Il t'importe peu maintenant
d'avoir été honorée & aimée éperduement
, ou qu'on ſache qui t'a donné l'être;
un monceau de pouffiére eſt tout ce
qui reſte de toi , c'eſt tout ce que tu es à
préſent & tout ce que feront les mortels
lesplus fiers& les plus orgueilleux.
Les poëtes eux - mêines , à qui les héros
doivent leur immortalité , mourront
comme ceux qu'ils auront chantés ; les
oreilles flattéesde leurs louanges deviendront
fourdes , & les langues éloquentes
qui les auront célébrés feront muettes
pourtoujours. Celui-même qui te pleure
maintenant& qui conſacre ſa douleur &
ſes regrets dans ces accens lugubres & lamentables
, aura beſoin dans peudes larmes
qu'il te paye. Alors il ne verra plus
ta chere image ; ſon dernier ſoupir t'arrachera
de fon coeur & terminera lesmalheurs
de ſa vie. Ma muſe ne gémira plus
fur ton tombeau , elle fera oubliée ; &
pour tout dire enfin tu ne ſera plus aimée.
:
10 MERCURE DE FRANCE.
TRADUCTION libre de l'hymne
Stupete gentes , &c.
Stupete gentes! fit Deus hoftia , &c.
PEUPLES, admirez
:
enfilence;
Reconnoiſſez un Dieu qui s'immole pour vous.
Celui qui créa tout par ſa ſeule puiſlance,
Fit la loi , s'y ſoumit : quel exemple pour tous !
Comment , pour racheter l'Univers de ſes crimes ,
Peut-il ſe mettreau rang des coupables victimes ?
Et vous , que rienn'a pu fouiller ,
Vous , admirable créature ,
Mere ſans tache , Vierge pure ,
Devez-vous vous purifier.
De more matrum Virgo puerpera , &c .
Une loi formelle & févére
Aux meres , pour un tems , interdit le lieu ſaint.
L'épouſe de Joſeph , comme toute autre mere ,
Beconnoît cette loi , la reſpecte & la craint .
Quel est donc ce devoir dont rien ne la diſpenſe ?
Eſt- ce pour elle enfin qu'eſt faite la défenſe ?
Ah! ſon ſein ne devient-il pas
Le templeduDieu qu'on adore ?
Pourquoi donc n'oſe- t-elle encore
Vers le lieu faint porter ſes pas.
AVRIL. 1769 . 21
Aràfub unaſe vovet hoftia , &c .
Quel ſpectacle ici ſe préſente !
Trois victimes , grand Dieu ! viennent s'offrirà
toi.
Leméme autel reçoit cette hoftie innocente ;
Le même inſtant devient le témoin de leur foi .
Nouveau prêtre , une Vierge , exempte de tout
vice ,
T'immole ſon honneur ; &dans ce ſacrifice
Un enfant encore au berceau
Livre ſon corps & foible & tendre ;
Un vieillard enfin ſemble attendre
Cejour pour deſcendre au tombeau.
Eheu ! quot enfes tranfadigent tuum , &c.
Combiende traits , mere ſenſible ,
Unjour , hélas ! un jour vous perceront le coeur !
Comment en ce moment vous ſera- t-il poſſible
D'éprouver , ſans mourir ,laplus vive douleur !
Decet enfant ſi cher , né dans votre ſein même,
Vous connoiſſez déjà la majeſté ſuprême.
De votre Dieu , de l'Eternel
C'eſt le fils unique , adorable 3
Cet Agneau , victime agréable ,
Deſon ſangdoit teindre l'autel
22 MERCURE DE FRANCE.
Chriftus futuro , corpus adhuc tener , &c .
Dès le moment de ſa naiſſance
Le Chriſt vient nous offrir un trait de ſon amour.
Le premier pas qu'il fait devient une ſouffrance ,
Prélude de la mort qu'il doit fubir unjour.
Pourquoi faut-il , ô ciel ! qu'un innocent périfle !
Quel ſera donc le prix d'un ſi grand facrifice ?
Les mortels étoient malheureux ,
Envers Dieu coupables victimes ;
Son fils vient expier leurs crimes ,
En répandant ſon ſang pour eux .
Par M. le Prévôt d'Exmes.
HARANGUE d'un Général François aux
officiers de fon armée , prêts à entrer.en
campagne.
MAGANGNAANIMES guerriers , l'honneur dema
patrie;
François , qu'aux champs de Mars la gloire m'affocie
;
Prêts de braver le ſort, prêts de vaincre ou mourir,
J'ai , ſur des faits preſſans à vous entretenir .
Par nos propres beſoins , par nos ſuites nom
breuſes ,
AVRIL. 1769 . 23
Par le luxe affiégés dans nos tentes pompeuſes,
Que de malheurs , ô Dieux ! je vois fondre ſur
nous ;
Mais réformons , amis , pour parer à ces coups
Le faſte & la moleſſe , avant-coureurs des vices ,
Qui font revivre ici Capoue & ſes délices :
Lejour , le caſque en tête , exercez vos ſoldats ,
Mêlez -vous à leurs jeux , partagez leurs repas ,
Bravez à leur exemple & les temps & la peine ,
La nuit la lance au poing , dormez au pied d'un
chêne ;
C'eſt ainſi que couchoit l'invincible Henri
Lorſqu'il fortit vainqueur des campagnes d'Yvri ;
Quand ſes braves ſervoient & fans faſte & fans
ſuites ,
Ferez-vous de nos camps un campde Sybarites,
Quoi? ... N'eſt - il pas affreux de voir chez des
guerriers
Unluxe , un ſuperflu qui ſouille leurs lauriers;
Unetable ſervie ainſi qu'au ſein des villes ,
Des piquets ſurchargés de chevaux inutiles ,
Des tentes où l'éclat préſente àmesregards
Le duvetde Plutus près des faiſceaux de Mars ?
Tant de profuſion nous forge des entraves ,
Elle attire après nous cette foule d'eſclaves ,
Ces vautours affamés , par l'intérêt conduits,
Des dépouilles des camps lâchement enrichis
Alexandre eût-il pû , traînant pareille ſuite,
"
14 MERCURE DE FRANCE.
Enchaîner Darius , mettre le Mede en fuite ?
Le ſage Scipion , ſur les bords Africains ,
Auroit- il arboré les aigles des Romains ,
Xenophon eût- il fait la retraite fameuſe ;
Eût-on vu d'Annibal la marche audacieuſe
Franchir& les délerts , &les rocs ſourcilleux
Dontle faîteglacé ſemble étayer les cieux?
Reformez donc , amis , tous ces vains équipages,
Obſtacle ànos exploits fur ces lointains rivages ;
Imitez ces héros privés de ſuperflu ,
Vous avez leur bravoure , embraſſez leur vertu!
ParM. Rozier.
ASon Excellence Monseigneur le Baron
DE GOLTZ.
DIGNE Ambaffadeur d'un monarque&d'us
: lage,
Recevez de mes vers les tributs mérités ;
Mamuſe vous doit double hommage ,
Pourvous&pour le Roi que vous repréſentez ;
Votre épouſe jeune & charmante
Ade moi les mêmes reſpects ;
Mes ſentimens ſont peu ſuſpects.
Vous trouverez par-tout une ardeur fi fervente(
Et Frederic ſera plus chéri parmi nous; 1
Du
AVRIL. 1769 . 25
Dumoins je ne le perſuade ,
Pour avoir voulu qu'avec vous
La beauté vint en ambaſſade.
Par la Muse Limonadiere.
DIALOGUE entre LA FONTAINE
& RONSARD.
RONSARD.
AQuos rêvez-vous là,bonhomme ?
LA FONTAINE .
J'eſlayois de faire parler en vers lepaon
de Junon & la chouette de Minerve.
RONSARD .
Le bel emploi ! ne renoncerez vous
jamais à ces bagatelles ? Je croyois quede
ſéjour de l'Eliſée auroit, tant ſoit peu ,
élevé votre génie .
LA FONTAINE..
C'eſt ce que je n'ambitionne point du
tout. Je veux faire ici ce que je faifois làbas
, & fi j'avois le bonheur d'y retourner ,
je ne voudrois pas y faire autre choſe.
I. Vol.
....
B
:
26 MERCURE DE FRANCE.
RONSARD.
Avouez , cependant , qu'il eſt plusglorieux
de chanter les héros que de faire parler
la cigale & la fourmi .
LA FONTAINE.
Je n'en ſçais rien : j'ai vu parmi nos
grands hommes tant de fourmis&tantde
cigales.....
RONSARD.
Voilà de vos comparaiſons. Vous n'épargnez
rien pour humilier notre eſpéce.
Moi , au contraire , j'employai tout pour
lui inſpirer le noble orgueil que j'avois
moi-même .
LA FONΤΑΙΝΕ .
J'ai toujours cru que les hommes étoient
ſuffiſamment orgueilleux & vains. Il ne
meparutpasmême que mes leçons euſſent
rendu un ſeul d'entre eux modeſte .
RONSARD.
Voilà biende la morale perdue.A quoi
bon élever ſi ſouvent la voix pour n'être
pas écouté ?
LA FONTAINE.
Jem'occupois de mes acteurs beaucoup
plus que de l'auditoire.
AVRIL. 1769. 27
RONSARD .
J'embouchai la trompette , & pinçai
fortement la lyre. Toute la France m'écouta
, & je fus admiré de tous ceux qui
m'écoutoient .
LA FONTAINE.
Ah ! ah ! j'en ſuis bien aife !
RONSARD.
Vous euſſiez dû m'imiter , autant que
cela ſe pouvoit , s'entend.
LA FONTAINE.
Je n'ai rien imité. J'ai laiſſe agir mon
génie, ou , ſi vous le voulez, mon inſtinct.
RONSARD.
C'eſt bien peu de choſe. Il falloit y
joindre l'érudition ; créer des termes nouveaux
, faire paſſer toute la languegrecque
&latine dans la vôtre.
... Sonner le ſang Hectorian ,
Changeant le ſon du Dircéan Pindare
Au plus haut bruit du chantre Smyrnéan. *
C'eſt par-làque j'ai éternifé mon nom &
* Vers de Ronſard.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
mes écrits . C'eſt par-là quej'ai reçu l'hom
mage de tous nos poëtes , & même du fouverain
dont j'étois né le ſujet.
LA FONTAΑΙΝΕ.
Oui , j'ai lu les vers que Charles IX
vous adreſſa . Il eſt fingulier qu'on en ait
fait d'auſſi beaux dans votre ſiécle& que
ce ſoit un Roi qui les ait faits.
RONSARD.
Que direz- vous donc de ceux que jelui
adreſſai avant & après les ſiens ?
LA FONTAI
Je ne les ai jamais lus; maisj'ai relu dix
fois ceux que Marot adreſſe à François I ,
qui en faifoit lui-même comme s'il n'eût
pas été Roi de France , & armé chevalier.
RONSARD.
Marot n'obtint jamais rien qu'à force
de demandes. L'on prévint toujours les
miennes.
LA FONTAINE ,
Cela eſt heureux,
RONSARD .
Les vôtres furent- elles écoutées ?
AVRIL. 1769.. 29
LA FONTAINE.
Je n'en fis jamais aucunes.
RONSARD.
Furent- elles prévenues .
LA FONTAINE .
Non; mais celles de Chapelain l'étoient.
RONSARD.
Fûtes vous , comme moi , recherché ,
accueillià la cour ?
LA FONTAINE.
Je n'y parus preſque jamais , &je penſe
que le monarque s'en apperçut aufli peu
quemoi-même.
RONSARD.
Je fus le chefde la Pléïade : fûtes vous
de la nouvelle académie ?
LA FONTAΙΝΕ.
On me donna l'excluſion la premiere
fois , & l'on m'y reçut aſſez tard la ſeconde.
RONSARD .
Vos ouvrages furent - ils , comme les
Dij
30 MERCURE DE FRANCE.
miens célébrés par tous les poëtes de votre
tems ?
LA FONTAINE.
Quelques - uns en parlerent mal ; nul
d'entr'eux n'en parla bien.
RONSARD.
Vons voyez qu'il exiſte entre nous une
grande difference. Mais dites - moi, fongeâtes
- vous jamais à vous faire une réputation?
LA FONTAΙΝΕ.
Je ſongeai à me fatisfaire. Un ſujet
frappoit- il mon imagination ; je le traitois
à ma maniere ,& fans fonger à celle
dont tout autre l'eût traité . J'oubliois qu'il
yeût des lecteurs & des critiques ; j'oubliois
juſqu'à mon exiſtence & à mon
nom : mais je ne perdis jamais de vue ni
les idées que je voulois rendre , nile ſoin
deles bien exprimer.Ce ſoin me ſuivoit
par-tour. J'entendois peu de choſe de ce
qu'on me diſoit: je ne répondois preſque
àrien. Dès lors , je pouvois ſouvent ennuyer
les autres ; mais il étoit rare qu'ils
m'ennuyaffent.
AVRIL. 1769 . 31
RONSARD.
Je vois que vous n'avez rien omis pour
ne jouer aucun rôle dans le monde. Il eſt
bon de ſe préférer aux autres ; mais il faut
encore que les autres nous préférent à
eux. J'ai réuni ce double avantage. On fut
généralement perfuadé de ce que je valois
& fi quelqu'un ſembloit l'oublier ,
j'avois ſoin de lui en rappeller le fouvenir.
Ce fut par- là queje devins l'oracle des
grands & des petits. Je n'eus point de rivaux
; je ne trouvai que des admirateurs
&des panégyriſtes. Je fus loué par ceux
que tout écrivain loue , & je gage que
mes productions n'ont rien perdu encore
de leur célébrité.
LA FONTAINE.
Cela peut être. On ne m'en a jamais
riendit.
RONSARD .
Voilà une ombre nouvelle qui s'approche
de nous , & qui paroît en vouloir à
l'un de nous deux.
Madame DE GRAFIGNY .
Je cherche , à mon arrivée en ceslieux ,
Biv :
32
MERCURE DE FRANCE .
le poëte le plus inimitable que la France
ait encore produit.
RONSARD à la Fontaine.
Vous voyez que c'eſt moi qu'elle cherche.
Madame DE GRAFIGNY .
C'eſt dont vous , qui eûtes l'avantage
d'être philoſophe dans un fiécle où on l'étoit
ſi peu ; & d'être auſſi grand poëte que
grandphilofophe ?
RONSARD.
Il eſt vrai ; je crois avoir été l'un &
l'autre.
• Madame DE GRAFIGNY .
Sublime la Fontaine ! recevez mon premierhommage.
RONSARD à la Fontaine.
Comment donc ! C'eſt à vous qu'elle
en veut !
I A FONTAINE
Amoi ? Je ne m'en ſerois pas douté.
Madame DE GRAFIGNY .
Avous-même ,grand homme ! on ſçait
AVRIL. 1769. 33
quelle fut votre modeſtie . Elle a pu vous
nuire auprès de vos contemporains ; mais
le tems vous a bien vengé. On vous regarde
aujourd'hui comme la gloire d'un
fiécle qui vous a preſque méconnu. La
réputation fondée ſur les brigues s'affoiblit
de jour en jour ; celle qui l'eſt ſur le
mérite ſe fortifie d'âge en âge. Il y eut
dans tous les tems des hommes qui , par
leur audace ou par leur adreſſe , en impoſerent
à la multitude , & ſouvent même
à ceux qu'ils ne valoient pas . Un autre
tems arrive , & chacun eſt remis à ſa
place.
RONSARD.
A ce compte , je m'étois bien mépris.
Voilà un homme qui a trouvé la gloire
ſans courir après ; j'y courus ſans ceffe &&
n'atteignis qu'à la réputation. Je le vois
trop ; la gloire véritable eſt pour nous une
prade ſuſceptible& capricieuſe . Elle fait
ceux qui la pourſuivent avec trop d'éclat,
&vient trouver ceux qui l'attendent .
Par M. DE LA DIXMERIE .
:
4
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
DE SENE PODAGRO.
TENTATUM podagrâ fenem Vacerram ,
Nec vini tamen abftinentiorem ,
Viſens Archigenes ; amice, dixit ,
Cado parcere, ſi ſapis , memento ;
Fons eft ille tuus unicus podagra.
Audivit placidèfenex monentem ,
Et grates , specie probantis , egiz .
Verùmpoft aliquot dies reverfus
Ad agrum Medicus , Scyphos ut illum
Vertentem reperit meraciores ,
Heu ! quidfacis? inquit at Vacerra,
Fontemficco meæ , ut vides , podagra.
Par M. de la Monnoye.
TRADUCTION par M. RICAUD
de Marseille.
CHEZ certain vieux buveur attaqué de la goutte ,
Alla jadis un Médecin ;
Mon cher ami , dit- il , écoute :
Veux- tu guérir ? Oui , ſans doute ,
Répond le Biberon , c'eſt bien là mon deſſein.
Tant mieux , reprend Purgon , lui touchant dans
lamain ,
AVRIL. 1769 . 35
Çà, promets-moi de mieux tremper ton vin ;
Aux diſcours des gourmets ne prête plus l'oreille,
Et fois certain que la bouteille
Eſt la ſource du mal qui cauſe ton chagrin.
Aces mots le goutteux , docile en apparence,
Fait ſemblant de goûter la lévere ordonnance ,
Etdéclare la guerre au doux jus du raiſin .
Mais peu de jours après,le docteur vénérable
Va voir notre malade ; il le ſurprend à table
Parmi les verres & les pots .
Quoi , dit- il , eſt- ce là cet homme ſi traitable
Qui parut faire cas de nies ſages propos ?
Ton erreur , inſenſé , ne peut être durable;
Hélas ! je plains ton fort fatal .
Tout doux , dit le buveur , je me porte à merveille
;
Votre ſçavoir eſt ſans égal ,
Et vous m'avez appris qu'en vuidant mabouteille
Je taris la ſource du mal .
AMademoiselle N** le jour defſa fête.
DAns les prémices de ſes ans ,
Brûlant d'une flamme divine ,
La courageuſe Catherine
Brava la fureur des tyrans ;
Etde la molle volupté
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Mépriſant le cruel empire ,
Aux lys de la virginité.
Joignit les palmes du martyre
Vous dont les ſolides attraits
Ne doivent rien qu'à la nature ,
Vous , dont l'ame innocente & pure
Del'amour ignore les traits ;
Quand aux douces loix d'hymenée
L'éternel , propice à nos voeux ,
Soumettra votre deſtinée ;
Et vous fera chérir vos noeuds ,
Ne ſoyez plus la vierge Catherine.
Juſque-là , fidéle à l'honneur ,
Sans efforts , fans humeur chagrine ,
Soumiſe aux loix d'une auſtere pudeur ,
Fuyez toujours le coupable délire
D'un jeune & trop ſenſible coeur ,
Pour goûter le rare bonheur
De n'être pas Catherine martyre.
Par Madame M. L. D. Z.
N
ROXANE. Conte Perfan.
E nous plaignons jamais de nos malheurs;
ſouvent notre imprudence nous
les attire ; regardons - les comme des
moyens dont Dieu ſe ſert pour nous
éprouver eu nous punir.
(
AVRIL. 1769 . 37
La ville de Kinnoge, autrefois capitale
de l'Indoſtan , à préſent détruite , avoit
été preſque entierement ruinée par la
guerre ; ſes habitans infortunés éprou .
voient encore l'horreur & la miſére qu'elle
traîne à ſa ſuite; Béoffah , l'un de ces
mortels obfcurs & pauvres qui ne fondent
leur ſubſiſtance que ſur la charité
publique , erroit foible& languiſſant dans
les rues de cette ville déſolée , implorant
en vain des ſecours . Un marchand
dont les richeſſes n'avoient point fermé
le coeur à l'humanité , jetta un oeil de
compaſſion ſur les beſoins du jeune homme
, & s'empreſſa de les foulager ; il le
recueillit dans ſa maiſon où il lui donna
un aſyle , des habits &dupain ; mais pour
le ſouſtraire au danger de l'oiſiveté , il le
chargea du ſoin de ſes jardins , fur lefquels
donnoit l'appartement de ſon époufe&
de fa famille .
,
Un jour Béoffah commençant fon ou
vrage , apperçut Roxane , la fille unique
de ſon bienfaiteur; ſortie des bras du
fommeil , elle reſpiroit l'air frais du matin
; ſa beauté raviſſante éblouit le jeune
homme ; il oublia ce qu'il devoit à la reconnoiſſance
, & livra fon coeur à l'amour .
Quel eſpoir cependant pouvoit - il former
? Son obſcurité , ſa pauvreté ne lui en
38 MERCURE DE FRANCE
permettoient aucun. Cette idée cruelle
l'agitoit fans ceſſe; elle le ſuivoit au milieude
ſes occupations ; elle ne le quirtoit
point lorſqu'il les interrompoit , &
ſouvent elle venoittroubler ſon ſommeil .
Cherchoit-il à ſe diſtraite par des chants,
les chanfons qui y avoient quelque rapport
étoient toujours les premieres qui
s'offroient à ſon ſouvenir ; il repétoit fréquemment
celle - ci du prince d'Orifla
qui , dépouillé de ſon trône , pourſuivi
par ſes ennemis , forcé de ſe cacher fous
divers déguiſemens , devenu amoureux
d'une femme qu'il avoit vue dans la ville
d'Ugein , l'avoit compoſée pourfoulager
fes ennuis.
"Malheureux prince ! faut-il que l'a-
>> mour ajoute ſes peines àtes mallheuts !
>> Je ne poffederai jamais la beauté que
j'adore , ni la couronne que j'ai perdue;
>> ſous le déguiſement où je ſuis , puis je
» aſpirer à fon coeur ? Elle me croit in-
>>digne d'elle ; je m'expoſe à la mort en
> revelant mon rang , & je mourrai s'il
■faut le lui cacher.>>>
Béoffah chantoit ces paroles avec intérêt
; Roxane en prit à l'écouter ; bientôt
elle penſa qu'il étoit ce prince d'Oriffa
, dont les aventures avoient fait tant
AVRIL.
1769. 39
de bruit; elle l'examina avec plus d'attention
; il étoit beau , bienfair; elle lui
trouva l'air noble & majestueux ; fon
imagination le lui fit regarder comme
une perle brillante que l'inconſtance de
la fortune avoit détachée d'une couronne .
Flattée de ſa prétendue découverte , à demi-
confirmée dans une opinion qui commençoit
à lui plaire , voulant écarter tous
ſes doutes , elle réſolut de le faire expliquer.
Dans ce deſſein elle ſe pare avec
plus de ſoin , leve ſes jalouſies , conſidére
le jeune homme , prend plaifir à en être
vue , & lui fait ſigne d'approcher. Béoffah
accourt avec un empreſſement qui la
flatte; fon embarras exprime ſon amour ;
Roxane s'en apperçoit & rougit ; elle
veut lui parler & ne ſçait par où commencer.
Ses yeux diſtraits tombent fur
une grenade ; elle lui demande ce fruit
dont la beauté la tente; le jeune homme
court & la cueille ; il la lance vers la fenêtre
; il jouit de la vue de ce qu'il aime ;
il veut prolonger ce plaiſir ; la grenade
jettée manque toujours le but & revient
fans ceſſe entre ſes mains ; Roxane rit de
cette maladreſſe , en ſoupçonne le motif
&s'en applaudit. Si vous ne viſez pas
mieux à la couronne , lui dit-elle en fou
40 MERCURE DE FRANCE.
riant , vous porterez toujours ce turban .
Béoffah n'entend pas le ſens de ces mots .
Quel rapport , lui demanda - t - il , votre
eſclave peut-il avoir avec des couronnes ,
lui , dont la plus grande ambition eſt de
ſervir la reine de la beauté ? -Aucun ,
reprit Roxane , j'ai ſeulement voulu faire
alluſion à un air que je vous ai entendu
chanter , & dont les paroles conviennent
à un prince malheureux .
Un trait de lumiere éclaira l'ame de
Béoffah ; il entrevit l'erreur de Roxane
& réſolut d'en profiter ; ſa ſurpriſe même
ſervit à ſon deſſein. Inſenſé que je fuis ,
s'écria- t- il avec une feinte douleur ! qu'aije
fait ? L'unique confolation des infortunés
eſt de n'être pas connus ; mon imprudence
me l'a ravie. A ces mots il ſe
retire dans un déſordre affecté , & va
planter d'un air chagrin ſa béche fur la
tetre. Dès ce moment il néglige fon travail
& ne s'occupe que des moyens
d'aſſurer ſon bonheur en trompant fon
amante .
Roxane cependant n'a plus de doutes;
Béoffah eſt un prince à ſes yeux ; tout le
lui confirme ; le lendemain en ouvrant ſa
fenêtre , elle le voit couché au pied d'une
haie , paroiſſant enſeveli dans un profond
AVRIL. 1769. 41
fommeil , mais agité par des ſonges ; elle
voudroit ſçavoir quels ſont ceux qui l'occupent;
il articule quelques ſons qui excitent
ſa curiofité ; ſon attention redouble
; elle entend enfin ces mots : malheureux
prince d'Orifla ! .. O Roxane ! ...
O amour ! ... Le filence ſuccéde ; mais
Roxane en a fuffisamment entendu ; ces
mots reſtent dans ſa mémoire ; elle les
explique , les commente , y ajoute , &,
dupe de fon imagination , elle néglige
l'épreuve de la pierre de touche, & prend
le plus vil des métaux pour de l'orpur.
Son eſprit égaré ne voit plus que des palais
, des trônes , des ſceptres , des couronnes.
Elle médite de l'arracher à un
état indigne de lui , trace le plan d'une
fuite dans laquelle elle doit le ſuivre , le
communique à fon prince imaginaire qui
l'approuve & en preſſe l'exécution .
L'imprudente Roxane oublie les inquiétudes
qu'elle va donner à ſes parens ;
elle ſe charge de ſes bijoux les plus précieux
, prend le cheval de ſon pere , & fe
met en route avec ſon amant. Elle traverſe
avec lui les forêts les plus ſombres;
ſon coeur timide , raſſuré par l'amour , ne
craint plus ni les eſprits qui errent au milieu
desténébres , ni les bêtes féroces qui
peuplent les déſerts.
42 MERCURE DE FRANCE.
Quand Béoffah fe crut affez éloigné de
Kinnoge pour être à l'abri de toutes pourfuites
, il conſidéra qu'il lui feroit difficile
de ſe déguifer long- temps,& craignit que
Roxane nedécouvrit ſon impoſture. L'amour,
la terreur & l'avarice rempliffoient
àla fois ſon ame; ſeul avec elle dans cette
folitude , il pouvoit fatisfaire ſa premiere
paffion , lui donner enfuite la mort
pour s'épargner ſes reproches & reſter
maître des richeſſes qu'elle avoit empor.
tées ; à peine eut-il conçu ce deſſein qu'il
réfolut de l'exécuter.
Le feudes étoiles commençoit à pâlir ;
le foleil naiſſant doroit les bords de l'horifon;
le ſcélérat arrête ſon cheval , l'attache
à un arbre & preffe Roxane de defcendre.
Son ton , ſes regards étonnent
cette infortunée ; elle n'y reconnoît plus
l'expreffion de l'amour ; l'effroi s'empare
deſes ſens; elle le conjure depourſuivre
le voyage ; il ne l'écoute point; il la prend
dans ſes bras , &ne lui laiſſe aucun doute
fur ſes coupables intentions ; en vain elle
lui rappelle ce qu'elle a faitpour lui , fa
confiance , ſes bienfaits ; en vain elle reclame
ſa généroſité , ſa compaflion ; fa
réſiſtance augmente les tranſports du
monſtre inſenſible à ſes cris; il n'eſt point
AVRIL. 1769 . 43
attendri des larmes de ſa victime; il aime
à les faire couler; elles lui prêtent de
nouveaux charmes . Roxane accablée veut
prévenir ſa honte & ſe donner la mort;
elle portoit fur elle un poignard empoiſonné;
elle le tire pour s'en frapper ; fon
déſeſpoir n'en veut qu'à ſes jours ; elle
reſpecte ceux du cruel; elle ſe ſouvient
encore qu'elle l'adoroit.
:
Béoffah s'apperçoit de ſa réſolution ,
tente de lui arracher le fer & n'y parvient
qu'en ſe bleſſant mortellement; le poiſon
pénétre auſſi - tôr dans ſes veines &
éteint ſes forces ; le lâche expire dans des
convulfions aftreuſes , déſeſpéré d'un effet
fi prompt , &blafphemant le ciel qui
prévient fonhorrible projet.
Roxane , échappée à l'opprobre qui la
menaçoit , plaint encore ce malheureux ;
mais ſes tourmens ne ſont pas à leur fin ;
elle jette les yeux autour d'elle , frémit
de la folitude qui l'environne & déteſte
fon imprudence. Tout l'effraye ; ſi le vent
agite la forêt , elle croit entendre leshurlemens
des bêtes féroces ; elle s'attend à
chaque inſtant à en être la proie ; elle
veut fuir& ne ſçait où porter ſes pas; elle
craint de s'égarer ; ſon incertitude & fa
terreur l'arrêtent à la même place ; elle
i
44 MERCURE DE FRANCE.
pleure , elle gémit & ne ſe réſoud àrien.
Pendant qu'elle s'abandonne à ſon déſeſpoir
, un bruit confus retentit dans les
airs; elle porte ſes regards vers le ciel , &
apperçoit Gretiafrofe , ( mot perſan qui
fignifie ſplendeur du monde) la Reine des
Génies aſſiſe ſur un char d'or , tiré par des
oiſeaux , & environnée d'une troupe
nombreuſe de ſes ſujets. Ils deſcendent
auprès de Roxane , l'enlevent dans leurs
bras& la portent à côté de leur Reine ;
elle plane avec étonnement dans les
cieux , regardant les nuages roulant fous
ſes pieds ,& la terre ſuſpendueau milieu
des airs. Elle paſſe au-deſſus des mers , &
découvre bientôt une ifle délicieuſe , où
le char deſcend & s'arrête ; Gretiafroſe
lui adreſſe alors la parole avec un ſourire
enchanteur qui acheve de la raſſurer. Je
vous félicite de votre prochain bonheur ,
lui dit-elle , vous allez vivre ici avec les
enfansde la lumiere , jouir de leurs plaifirs
, & oublier le monde , fi vous vous
accoutumez à nos moeurs & ſi vous vivez
comme vous le devez .
Des portes d'argent s'ouvrirent auffitôtd'elles-
mêmes;Roxane ſuivit la Reine
dans des jardins enchantés , où ſes yeux
s'arrêterent avec admiration ſur des mer.
AVRIL. 1769. 45
veilles ſansnombre ; les beautés de la nature
étoient jointes à celles de l'art ; l'une
&l'autre ſembloient s'être unis pour produire
les effets les plus ſurprenans.
Le palais dont dépendoient ces jardins
étoit de criſtal, & bâti au milieu d'un lac;
quatre pontsyconduiſoient; la glace dont
ils étoient compoſés préſentoit un chemin
difficile & gliſſant ; ils aboutiſſoient
àdes portiques ſuperbes, ouverts aux quatre
parties du monde. Roxane s'arrêta ,
effrayée, à l'entrée d'un de ces ponts; mais
ſa conductrice lui prit la main,en ſouriant,
&le lui fit franchir ſansdanger; elle la con .
duiſit dans une ſalle ſpacieuſe & magnifique,
éclairée par des luſtres de diamans,
&aumilieude laquelle s'élevoit un trône
inviſiblement ſuſpendu.
Gretiafroſe s'aſſit ſur ce trône d'un air
majestueux , & touchant une cloche d'argent
, elle annonça aux humains qu'elle
alloit donner ſes audiences. Auſſi- tôt les
jardins furent remplis d'une multitude
innombrable d'hommes qui ſe preſſant
les uns les autres , retardoient leur marche.
Pluſieurs , en précipitant leurs pas fur
les ponts , tomboient dans le lac où ils
périſſfoient , tandis que d'autres plus heu,
reux arrivoient au palais.
46 MERCURE DE FRANCE .
Le premier qui ſe préſenta fut unjeune
homme; les roſes de l'amour coloroient
fon teint ; il jouiſſoit d'une ſanté florifſante;
le feu du deſir brilloit dans ſes
yeux ; il s'approche de la Reine avec confiance
, ſe proſterne &lui préſente ſa requête
; elle ne contenoit que ces mots :
une table ſomptueuſe, la coupede la joie,
& la beauté dormant dans mes bras , voilà
l'objet de tous mes deſirs ; il fut fatisfait.
On vit paroître une table ſervie avec
autant d'abondance que de délicateſſe; de
jeunes femmes égales aux Peris ſe préſenterent
avec des coupes remplies de vins
exquis ; elles ſe mirent à danſer autour
du jeune homme qui , nageant dans la
joie , s'enivroit à longs traits de toutes
les voluptés. Mais bientôt il changea de
viſage ; les fleurs de fon teint ſe fanerent;
le feu de ſes yeux s'éteignit ; il mourut
victime de ſes excès , & le dégoût précéda
ſondernier ſoupir.
Il fit place à un vieillard haletant ,
portant un ſac ſur ſes épaules & pliant
ſous le faix. Arrivé au pied du trône il
l'y dépoſe & l'ouvre; il contenoit beaucoup
d'or. Acheve de le remplir , s'écriat-
il,& je mourrai content. Apeine avoitil
parlé que la terre s'ouvrit devant lui&
AVRIL. 1769 . 47
lui montra des richeſſes immenfes ; le
vieillard les contemple avec raviſſement ;
il s'empreſſe de remplir ſon ſac , le trouve
trop petit & regrette de n'en avoir pas
apporté un plus grand; il y fait entrer
tout ce qu'il peut contenir &ſoupire à la
vue de ce qu'il laiſſe. Il entreprend enfuitede
le charger ſur ſes épaules ; ſes efforts
font inutiles , il s'aſſied en l'embraffant
, & meurt ſans vouloir le quitter.
Dans l'inſtant un jeune homme qui ſe
laſſoit d'attendre , accourt& ſe jette fur
l'or , qui ſe fond &diſparoit en ne laifſant
que le fac vuide entre ſes mains.
Pluſieurs autres ſe préſenterent ; on vit
enfin un philofophe avec une barbe vénérable
; il tenoit un miroir d'une main
&de l'autre un livre. Il y a 70 ans , s'écria-
t-il , que je cherche par le monde le
palais du bonheur; j'ai ſuivi enfin les tracesde
la ſageſſe ; elles m'ont conduit dans
ce lieu ; je ſuis arrivé au terme ; ôgrande
Reine , fais - moi jouir de la ſuprême félicité.
Tu la mérites , répondit Gretiafroſe
, & dans l'inſtant le vieillard tomba
mort.
Alors on vit entrer une foule prodigieuſe
de perſonnes des deux ſexes ;
Roxane, attentive à ce qui ſe paſloit au-
: 21.
48 MERCURE DE FRANCE.
tour d'elle , rêvoit à la demande qu'elle
feroit à ſon tour , lorſque la ſouveraine
des génies , laſſe de l'audience , s'écria :
vous obtiendrez tous le premier voeu que
vous formez . Dans ce moment les yeux
de Roxane étoient fixés ſur une émeraude
d'un prix inestimable . Au dernier mot
de Gretiafroſe le palais s'évanouit ; un
bruit , ſemblable à celui du tonnerre , ſe
fit entendre ; Roxane tomba mourante
d'effroi , & ſe trouva ſur le bord de la
mer en revenant à elle , avec la précieuſe
émeraude à ſes côtés .
Quel fut fon effroi quand elle reconnut
qu'elle étoit dans une ifle déſerte , fans
fecours , fans aſyle , ſans nourriture ; une
troupe de ſinges monstrueux qui habitoient
ce lieu ſauvage , vint ajouter à ſa
terreur ; perfécutée par ces animaux cruels
&malins , elle attendoit la mort , lorfqu'un
lion fortit de la forêt& les mit en
fuite; fon épouvante redouble à cet afpect
, mais le monſtre dépouillant ſa férocité
, s'approche de Roxane , la flatte de
ſa queue terrible & lui léche les mains ;
ce fut un nouveau genre de fupplice pour
cette infortunée ; la langue rude & groffiere
du lion meurtriffoit les mains qu'il
ſembloit careſſer ; Roxane pour s'en débarraffer
AVRIL. 1769 . 49
barraſſer, tente de ſe lever&de fuir, mais
l'animal farouche l'arrête par lebas de ſa
robe & la contraint de reſter aſſiſe ſur la
terre.
Roxane épouvantée n'oſoit porter ſes
regards ſur le lion qui ne la quittoit point;
elle ſongea au poignard empoiſonné
qu'elle avoit conſervé ; mais elle n'oſa
pas s'en ſervir pour ſe délivrer de fon terrible
compagnon ; elle lui devoit la vie ;
il ne l'attaquoit point; elle ſe ſouvint
qu'elle avoit encore ſa boëte à bettel
qu'elle avoit remplie d'opium avant de
fortir de la maiſon de ſon pere ; elle mit
dans ſa main le ſomnifere puiſſant & le
préſenta au lion,qui le prit& en éprouva
auſſi - tôt l'effet. Elle profita de ce fommeil
pour ſe mettre en liberté ; en avançant
vers la mer , elle apperçut un vaifſeau
qui venoit à certe iſle , elle détacha
ſon voile , & s'en ſervit pour faire des
fignaux. Le commandantdu navire defcendit
ſur le rivage ; qui es - tu , lui demanda-
t-ild'un ton bruſque , qui t'a conduite
dans ce lieu déſert ? -Vous voyez
une infortunée dont l'hiſtoire eſt trop
longue pour vous être racontée ; daignez
me conduire dans une terre habitée; vous
entendrez alors le récit de mes malheurs;
I. Vol. C
so MERCURE DE FRANCE .
vous me plaindrez ; vous connoîtreztoute
l'étendue du ſervice que vous m'aurez
rendu .
Le capitaine , homme farouche, avare
& fans humanité, incapable de rendre un
ſervice gratuit , n'entendant point parler
de récompenſe , lui répondit avec dureté
qu'il avoit un long voyage à faire , que
ſes proviſions étoient preſque épuiſées ,
qu'il n'étoit venu dans cette ifle que pour
tâcher de s'en procurer de nouvelles &
non pour ſe charger d'une bouche de plus.
Il alloit ſe retirer en achevant ces mots
lorſqu'il apperçut les bijoux dont Roxane
étoit parée ; il s'arrête , réſolu de ſeles
approprier & de profiter de fon infortune;
il lui demande ce qu'elle lui donnera
pour ſon paſſage. Il faut donc payer vos
ſecours , lui dit-elle ; puiſque vous aimez
les richeſſes , prenez ces joyaux. Je tiens
ce diamant de ma mere; elle le porta le
jour de fon mariage ; elle eſpéroit le voir
àmon doigt dans la même circonftance .
Cette bague eſt à vous , un devin m'aſſura
qu'elle étoit un préſervatifcontre l'ingratitude
; l'expérience ne m'a que trop appris
à me défier de ſa prédiction. Recevez
auſſi cet anneau ; un derviche voyageur
me le remit , en me diſant qu'il me
AVRIL. 1769. SI
tireroit un jour de l'embarras le plus affreux.
Prenez encore ces boucles d'oreilles
, ce collier , ces bracelets , cette chaîne
d'or , prenez tout.
Lorſque le marin eut reçu tous ces ornemens
, il lui demanda ſi elle n'avoit
rien de plus. Je l'avois oublié , répondit
Roxane avec impatience ; il me reſte une
émeraude; regardez ſon éclat ; mais puiſque
l'avarice& la mer ont la même avidité
, je partagerai mes dépouilles entreelle&
vous ; en parlant ainſi , elle la jetta
dans les Hots.
Le commandant , que la vue de cette
pierre avoit ébloui , pouſſa un cri en la
voyant échapper de ſes mains ; ildéchira
ſes habits, & repouſſant Roxane avec fureur
, il remonta ſur ſon vaiſſeau qui mit
fur le champ à la voile.
Les ſcélérats ne jouiſſent pas long tems
du fruit de leurs méchancetés ; le ciel ,
vengeur du crime , a toujours le bras
étendu ſur eux ; un nuage parut ſur l'horifon
& le remplit bientôt tout entier; la
foudre qu'il portoit dans ſes flancs s'échauffe
, s'embrafe & gronde; les vents
déchaînés ſur les mers entrouvrent leurs
abymes qui engloutiſſent le vaiſſeau & le
monftre qu'il portoit.
Roxane , à la vue de l'orage , s'étoit
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
miſe à l'abri dans une caverne ; elle en
fort aufli-tôt qu'il eſt diſſipé ; les vagues
apportent ſur le rivage les debris du navire
&quelques proviſions dont elle appaiſe
la faim qui la dévore ; elle apperçoit
le corps du capitaine qui l'a dépouillée
ſi inhumainement ; ſes yeux s'arrêtent
fur un petit fac attaché à ſa ceinture; l'efpoir
d'y trouver quelques nouveaux alimens
la porte à s'en ſaiſir ; elle l'ouvre &
n'y trouve que ſes bijoux ; elle les revoit
avec plaifir & s'en pare encore ; ſon anneau
lui paroît fauſſe , elle eſſaye de le redreſſer
, il ſe rompt entre ſes mains. La
terre tremble autour d'elle ; ſes yeux
ſemblent ſe couvrir d'un voile ; elle ne
voit plus , mais elle entend ces mots.
Celui qui t'a donné ce joyau me force à
fortir du centre de l'abyſme pour te fervir
; parle , que veux- tu de moi. Roxane
lui répondit : Génie ſacré , ou qui que tu
fois , l'anneau que j'ai rompu eſt le préſent
d'un derviche dont j'ai ſoulagé l'infortune;
il me quitta en m'aſſurant qu'il
me feroit utile , ſans s'expliquer davantage.
Je vois ſa prédiction accomplie ;
daigne me tirer de cette ifle.
A ces mots elle ſe ſentit enlevée dans
les airs , & ſe trouva bientôt ſur la terre
ferme ; elle crut ſes malheurs finis; la
AVRIL. 1769 . $3
campagne chargée de fleurs & de fruits
lui offroit un ſpectacle raviſſant. Elle
marchoit pour ſe rendre dans quelque
lieu habité , lorſqu'elle vit paroître une
créature à figure humaine qui s'avançoit
endanſant , & qui fut ſuivie d'une multitude
d'autres; c'étoient les femmes des
Bunmanoes qui habitent les montagnes
du Décan , eſpéce de peuples ſauvages
qui paroiſſent à peine ſupérieurs aux brutes.
Dès qu'elles eurent apperçu les diamans
de Roxane , elles ſe jetterent fur
elle pour s'en emparer ; en défendant fon
anneau elle le rompit une ſeconde fois ;
le génie parut , & ſa préſence fit prendre
la fuite àces femmes. Il demande à Roxane
pour quelle raiſon elle l'a rappellé; elle
ſe proſterne , elle le ſupplie de la porter
dans la demeure de fon pere.
Le Génie obéit , & Roxane en ouvrant
les yeux ſe voit dans un tombeau qu'éclaire
une lampe funébre. Elle frémit &
ne doute plus que ſa fuite n'ait donné la
mort à l'auteur de ſes jours ; elle arroſe
de ſes pleurs le marbre qui le couvre , &
ne voit point ſa mere qui , vêtue de deuil ,
étoit venue renouveller l'huile de la lampe
& jerter des fleurs ſur la tombe de fon
époux. Surpriſe à l'aſpect de ſa fille , elle
pouſſe un cri ; prête à voler dans ſes bras,
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
elle s'arrête , & lui montrant ce lieu lugubre
, elle ſemble lui dire avec douleur :
c'eſt ici que tu as conduit ton pere ! Roxane
entend ce reproche terrible , ſe jette à
ſes pieds & fait parler ſes larmes & fes
remords ; fa mere attendrie la releve &
l'embraſſe ; elle écoute le récit de ſes triftes
aventures , & la ramene dans la maiſon
paternelle. Roxane mérita fes bontés;
elle ne ſe ſouvintde ſes égaremens
que pour les déteſter; la raiſon , la vertu ,
ſes devoirs furent la regle de ſa vie que
l'imprudence , l'erreur& l'imagination ne
troublerent plus.
SENTIMENT fur Héraclite & Démocrite.
Par un infructueux délire
Héraclite pleura nos maux ,
Démocrite ne fit qu'en rire ;
Mais comment excuſer ces deux originaux ?
Lequel a pour vous plus de charmes ,
De ces cyniques ris , de ces frondeuſes larmes ?
Voici mon avis entre nous.
Héraclite eſt un fou de pleurer pour des fous ;
Et Démocrite auffi peu lage
Rit des ſots dont il eſt l'image.
Simon fils , à Hennebond.
AVRIL. 1769 . 55
VERS d'un Ami fur la mort de fon
Amie , le 28 Janvier 1769 .
Tu n'es donc plus que cendre , ôma plus chere
amie!
LesDieux ont diſpolé de toi ,
Et tu viensde fubir la loi
Qa'impoſe la nature à qui reçoit la vie.
Ç'en est fait .. Quoi tu meurs ! .. Etje reſpire...
ô Dieux ! ..
Si le fort moins impitoyable
Eûtdaigné m'être favorable ,
Le coup qu'il t'a porté nous eût frappé tousdeux.
Mais la fatale deſtinée
Qui te précipite au tombeau ,
N'a pas voulu que le même cizeau
Ait coupéde mes jours la trame infortunée.
Ah ! du moins , fidu ſein des Etres éternels ,
Où ton ame s'eſt envolée , 1
Tu jettois ſur la terre , à mes yeux iſolée ,
Un de tes regards imınortels ,
Tu verrois qu'accablé de regrets , de triſteſſe ,
Et devoré par la douleur ,
Je pleure ces momens ſi chers à notre coeur ,
Ces momens conſacrés à la délicateſſe
D'un ſentiment plein de douceur ,
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Où nous applaudiſſant d'avoir eu le bonheur
D'éviter les excès de l'humaine foibleſſe ,
Et les condamnant ſans rigueur ,
Nous plaignions ceux denotre eſpèce ,
Qui , ſéduits par la folle ivreſſe ,
Et les attraits d'un penchant ſéducteur ,
Aux paffions ſacrifiant ſans cefle ,
Et n'écoutant pas la ſageſſe ,
Se laiſſoient à leurs goûts aller avec fureur.
La confiance mutuelle
Qui préſidoit à tous nos entretiens ,
A l'amitié prêtoit un nouveau zèle ,
Etd'intelligence avec elle ,
De notre attachement reſſerroit les liens.
Sans ennui comme ſans nuages ,
Nos jours couloient purs & ſereins ;
Contens de peu , vivans en ſages ,
Et ſans porter envie au reſte des humains.
La mort rompant , hélas ! cette union ſi rare ,
Amis le comble à mon malheur ;
Mais en dépit du fort qui nous ſépare
Tu vivras toujours dans mon coeur.
AVRIL. 1769 . $7
!
VERS à M. du Belloi , après la premiere
repréſentation de la reprise du
Siége de Calais , le 1 Mars 1769 .
TEs ſuccès ſont comblés : au temple de mémoire
Le ſiége de Calais conſacrera ta gloire ;
Et tes ſublimes vers , en paſſant dans nos coeurs ,
Etoufferont toujours les cris de tes cenſeurs .
Par M. Plaifant , avocat en parlement.
VERS pour mettre au bas du portrait
de M. du Belloi.
TIL eſt ce citoyen , dont le drame fidéle
Du maire de Calais éterniſe le zèle ;
La France dans les coeurs y voit graver pour loi ,
L'amour de la patrie & l'amour de ſon Roi.
VERS à Mgr l'ancien Evêque de
Limoges.
LES Enfans de nos Rois à vos ſoins confiés
De vos rares vertus ſont de fûrs témoignages :
Cv
38 MERCURE DE FRANCE .
Au milieu de la cour , au ſein de ſes orages ,
Le calme eſt dans votre ame & l'envie à vos pieds.
Permettez qu'un coeur qui vous aime
Applaudiſſe de loin à vos nobles travaux ;
Agréez tous mes voeux , ils ne ſont pas nouveaux ,
Mais ils ſont vrais comme vous- même.
ParM. de Bresle.
VERS adreſſfés aux Officiers François ,
affiftans à une repréſentation d'Adelaïdefur
le Théâtre de Ferney.
Sous les belles couleurs du pinceau d'un grand
homme ,
Guerriers , vos propres traits vont s'offrir à vos
yeux ;
Vous verrez votre image,&Nemours & Vendôme
Parleront de bien près à vos coeurs généreux.
L'ivreſle de l'Amour , l'ivreſſe de la Gloire ,
Le cri des paſſions , le cri de la victoire ,
Voilà vos guides , ô Français .
Les monumens de vos ſuccès
Sont au templede Gnide , au temple de Mémoire.
Les plaiſirs ont pour vous embelli les grandeurs ,
Ils charment vos inftans , vous ornez leur empire;
L'honneur ſeul vous artache à ces douces erreurs,
AVRIL. یو . 1769
L'honneur eſt votre dieu: cet ouvrage l'inſpire ,
Et ce que l'auteur ſçut écrire
Eſt écrit déjà dans vos coeurs,
ParM. de la Harpe.
A Mademoiselle R. fur fon aventure
des Tuileries.
FAUT- IL vous étonner, Beauté parfaite entour,
Que le François s'empreſſe ſur vos traces ;
Il fait l'éloge de ſon goût ,
En rendant hommage à vos graces .
Emerveillé de voir tant de charmes divers
Unis ( choſe ſi rare ) avec tant de décence ,
Il fait aux yeux de l'Univers
Ce que mon coeur fait en filence.
:
1
ParD.B.
::
IMPROMPTU fait au foyer de la Comédie
Françoife , fur une plaifanterie de
Mlle Luzi , qui avoitvolé un mouchoir
Vous méritez qu'on vous le donne
Le mouchoir que vous m'avez pris ,
Es la plus belledes Ouris,
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
C Par les charmes de ſa perſonne ,
Ne vaut pas dans le paradis
Le petit doigt de ma friponne.
Parmi les beautés de Paris
Ma préférence vous couronne ,
Et nul , n'en doit être ſurpris ;
Car ſans ceſſe je le redis :
Vous méritez qu'on vous le donne
Le mouchoir que vous m'avez pris .
<
Par M. de la Tourraille .
STANCES de M. de la Louptiere , académicien
des Arcades , fur la mort de
Madame de Relongue , fa mere.
QUOI ! ce ſein vertueux où je fus renfermé
Afubidu trépas les cruelles atteintes !
Par mes foupirs & par mes plaintes
Le fort ne fut pas déſarmé.
7
Objet le plus conftant que le ciel ait formé ,
Toi , qui de mon enfance as pris un ſoin extrême,
Que te fert aujourd'hui de m'avoir tant aimé
Si tu ne ſçais plus que je t'aime ?
Confidente de tous mes vers ,
Tun'approuvois que les plus ſages ,
AVRIL. 1769. 61
Et lorſque j'avois tes fuffrages
J'obtenois ceux de l'Univers .
Ton eſprit , fait pour tout connoître ,
Captivoit ſon eſſor ſous le joug de la foi ;
Et pleine de ferveur pour le ſouverain Etre ,
Tu ne méditois que ſa loi.
A l'attrait des vertus , à leur puiſſante flame ,
On te vit mille fois immoler ton repos ;
L'honneur habitoit dans ton ame
Comme dans l'ame d'un héros.
Tu chériſſois la ville , elle t'avoit vu naître ,
Tu ſçus bientôt quitter ce qu'elle a de plus doux ,
Pour fixer tes deſtins dans un ſéjour champêtre
Au gré de ton fidele époux.
:
De tes traits la vivante image ,
Que la peinture offre à nos yeux ,
Sera pour notre race un bien plus précieux
Que les biens dont l'hymen * orna notre héritage.
* La feue Damede Relongue qui , de fon chef,
étoit Dame de la ſeigneurie de la Digne , ſe nommoit
Marie-Genevieve Barat ; elle étoit coufine
germaine de Meſſire Pierre de Fouilleuſe , de la
familledes marquis de Flavacour ; elle étoit née
en 1699 , & elle avoit épousé en 1724 Meſſire
Jean-Paul de Relongue , chevalier ſeigneur de la
Louptiere , mouſquetaire du Roi. Elle est décédée
enſon château de la Louptiere , en Champagne ,
le 23 Janvier 1769.
62 MERCURE DE FRANCE.
Avec quelle douceur n'as-tu pas combattu
Les folles paſſions que la beauté m'inſpire!
Que de peines pour me conduire
Dans les ſentiers de la vertu !
Dela mode&des ſens quand le conſeil inique :
M'expoſoit au danger d'être un peu libertin,
Tupriois pour ton fils, comme autrefois Monique
Prioit pour ſon cher Auguſtin.
Du haut de la voûte azurée
Une main inviſible a rompu tes liens ;
Tu m'as donné des jours de trop longue durée
Puiſquej'ai vu finir les tiens .
INSCRIPTION pour l'une des fontaines
de la ville de Rheims .
(C'eſt la Veſle qui parle. )
!
ANNOS per longos humilis fine nomine
Nympha ,
Effudi latices dulcè ſalutiferos ;..
Nuper inurbe fluo;nova nunc ego diva ſalutor
Nott, Epidaure , tibi Numinis * ipſa foror.
*Efculapii.
Par M. de Bignicourt.
AIR NOUVEAU
Chanté dans le déserteur?
p.63
allegretto
Vive le vin! vi.ve L'a..mour! amant
etbu veur tour à tour,je narque
la mélanco
--li... e jamais les peiner de la vie ,
ne mon
m'ont cou..te quelques sou pirs ; avec
l'a - mour,je les change en plai - sirs ; a.vec
le vin,je les oubli .... e .
De l'Imprimerie de Récoquilliée rue du Fein
AVRIL. 1769. 63
L'EXPLICATION de la premiere énigme
du Mercure de Mars 1769 , eft S. M. D.
Le mot de la ſeconde est chemiſe ; celui
de la troifiéme eſt maison ; celui de la
quatriéme eſt le bonheur ; celui de la cinquiéme
eſt la lettre L. Le mot du logogr.
latin eſt Grex , où se trouve Rex , en orant
le G. Le mot du ſecond eſt Alpes , où ſe
trouventfep ,fel , pal , as , Alep , la , laps,
pas , las , fale , pâle; celui du troifiéme
eſt Notaire , où l'on voit note , re , Roi ,
ane , ire , noir , aire , or , taon , Io , ton ,
taire , air , Ino , rate , rat ; & le mot du
dernier eſt jardin , qui contient , jar &
din , la moitié de dindon .
ÉNIGME .
Je n'ai point d'origine.
Je ſuis un ſentiment doux ;
Lorſque vers l'eſprit je chemine ,
D'atteindre au coeur je ſuis jaloux.
Je ſuis , par ma nature ,
Propre àme laiſſer gagner.
64 MERCURE DE FRANCE .
J'erre ſouvent à l'aventure ;
Mais mon plaifir eſt de regner.
De mes loix la ſagefle
Toujours parle au fond des coeurs.
Mais une injuſte & fauſle adreſſe
Me fait ſervir à ſes noirceurs.
Quel eft , de ma parole ,
L'effet parmi les humains ?
Mon nom n'eſt qu'une faribole ,
Qu'on dit , en ſe donnant les mains.
Dans toutes les affaires
On emprunte mon ſecours .
Souvent , par- devant les notaires ,
On mefait les plus mauvais tours.
Mais pour donner l'aiſance
Au Lecteur de faire un choix :
Roug... reconnoît ma puiſſance .
De S. Ma.... parle par ma voix.
AUTRE.
QUOUIOIQQUUEE ſouvent très-juſte ,
Très- ſouple , & qui plus eſt , ſans vice originel ;
On me traite , on m'ajuste
Commeunvrai criminel ,
AVRIL. 1769. 65
Et fi par cas fortuit , je fais mainte grimace ,
On redouble mes liens , auſſi-tôt je m'efface ,
Et reprends un maintien honnête & plus joli.
Or , bienm'en prend toujours d'être un peu plus
poli !
Onmefrotte , on me flatte ; & ſouvent on m'admire
:
Autrement on me pince , &même on me déchire.
Alors la belle avance ! On me donne le tort ,
Onm'houſpille , on me tire avec telle colere ,
Que lecontre-coup va rejaillir ſur mon frere ,
Et le pauvre innocent ſubit le même ſort.
A fi peu de juſtice auroit-il dû s'attendre ?
Oui , fur-tout chez le riche ... Il faut donc dénicher.
Plus mes défauts ſont grands , moins je puis les
cacher :
Bien fin feroit celui qui pourroit les reprendre !
J'aime beaucoup mieux vivre avec gens du com
mun ,
Ils ont l'ame plus tendre ;
Quand pareil accident vient me ſurprendre ,
De mon frere& de moi ſouvent ils ne font qu'un .
Les regles de l'architecture
Ne s'obſervent pas tout-à-fait
Quand on travaille à ma ſtructure ;
On prendde haut en bas , &tout le fait d'un trait.
J'en ai trop dit , Lecteur , je me ſuis fais connoître.
" MERCURE DE FRANCE.
Si pous mieux me trouver , vous apportez vos
foins,
Cherchezdans tous les coins ,
Vous y verrez paroître
Ou couronnes ou fleurs ,
Ou quelqu'autre figure
Par fois de diverſes couleurs ;
Et voilà toute ma parure.
Avez-vous mis le nez deſſus ? Non , c'eſt la main,
Etl'y mettrez encore& ce ſoir &demain.
POUR
AUTRE.
Our ne point rebuter ton eſprit curieux ,
Par le voile épais du myſtere ,
Je veux m'expofer à tes yeux
Sous une nuance légere.
Lecteur , ci gît le noeud gordien:
Figure- toi , pour me connoître ,
Un immenſe néant , ou bien un vaſte rien;
Voilà dans peu de mots l'attribut de mon être.
Quelques auteurs ingénieux ,
Appuyés de l'expérience ,
Par des écrits victorieux
Ont ſçu prouver mon exiſtence.
D'autres , pour inventer des ſyſtêmes nouveaux ,
Ont dit queje n'étois qu'un être imaginaire ;
AVRIL . 1769. 67
Mais j'exiſtois dans leurs cerveaux ,
Quand ils me traitoient de chimere.
ParM. Simon , fils ; àHennebond.
AUTRE.
Je ſuis un meuble portatif ,
Econome & préſervatif ;
J'ai deux noms , & plus d'un uſage ,
Une ſeule forme , une cage ,
Si vous l'aimez inieux un réduit
Où j'entre , & d'où je ſors ſans bruit ,
On me plie , on m'étend au moyen d'une hoche ,
Plus ou moins , comme on veut , on me met dans
la poche ,
Dans l'une ou l'autre main , ſous l'un ou l'autre
bras ,
Sans cauſer le moindre embarras ;
Qui le croiroit ? Utile & jamais incommode ,
Quoique décent , quoique de mode ,
Gens du bel air m'ont toujours dédaigné ,
Et toujours vu d'un air mocqueur ou renfrogné ;
Si celui que je ſers eſt vraiment philoſophe ,
Il me venge en plaignant la fanfaronne étofe ,
L'homme à char , l'homme à palanquin ,
Dont la morgue eſt riſible aux yeux du citadin.
ParM. de Bouſſanelle , mestre de camp ,
capitaineau rég. du Commiſſaire-Général.
68 MERCURE DE FRANCE .
LOGOGRYPΗ Ε.
De la vertu je ſuis la récompenfe ;
Quatre lettres font ma ſubſtance.
Je ſuis en latin au plurier
Cequ'en françois je ſuis au fingulier.
J
AUTRE.
■ ſuis , quoique petit , un meuble afſez commode
,
Etdepuis long-tems à la mode.
Ma premiere moitié fait bien des envieux ;
Pour l'attraper il faut voir comme
On ne plaint pas un voyage de Rome.
Auboutdu compte elle fait un heureux
Qui , déſormais du fort mépriſant le caprice,
Peutà mon autre part donner de l'exercice .
Par M. T. P. C. de St Jacq. d'Eu.
AUTRE.
LECTEUR ,, en campagne , à la ville ,
Il eſt peu de logis où je ne fois utile ;
AVRIL. 1769: 69
De mon tout fais deux parts : refléchis un moment,
Eh! bien; ne vois - tu pas ſouvent
Gens qui , ſans avoir ma premiere ,
Portent fiérement ma derniere.
Par le même.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Eudoxie , tragédie; par M. de Chabanon ,
de l'académie des inſcriptions , &c. A
Paris , chez la veuve Ducheſne , rue
St Jacques .
Le ſujet de cette piéce eſt tiré de l'hiftoire
du bas Empire. Maxime , dont Valentinien
, empereur d'Occident , a violé
la femme , médite long - temps ſa vengeance.
Il cache ſa haine pour l'afſouvir.
Il feint d'oublier ſon injure ; il devient
le courtiſan le plus affidu de l'empereur
&le compagnon de ſes débauches. Enfin,
il prend ſi bien ſes meſures qu'il l'affaffine
, ſans être vû ni découvert. Il eſt élû
à la place du prince qu'il a maſſacré , &
force Eudoxie ſa veuve , qu'il aimoit depuis
long - temps , à lui donner la main.
Cet amour ne fait qu'augmenter , & un
70 MERCURE DE FRANCE .
jour dans l'ivreſſe de la paſſion , il avoue
à Eudoxie qu'il eſt l'aſſaſſin de ſon premier
époux , & que l'amour n'a pas eu
moins de part au meurtre que la vengeance.
Eudoxie , indignée également & d'un
crime auſſi horrible & d'un aveu auſſi
hardi , conçoit l'averſion la plus violente
pour Maxime. Elle preſſe ſecrettement
Genſéric , Roi des Vandales , d'attaquer
l'Italie , qui eſt ſans défenſe. Genféric
profite de ce conſeil ; il vient mettre le
ſiége devant Rome , la prend & la livre
au pillage . Maxine eſt mis en piéces par
le peuple , & Eudoxie demeure entre les
mains du Roi barbare. Voilà l'hiſtorique
du ſujet. Voyons la fable que M. Chabanon
en a compoſée.
Il donne un fils à l'Impératrice Eudoxie
, & ce fils encore enfant eſt priſonnier
des Vandales , qui ſont campés autour
de Rome.
Ce fier tyran du nord contre nous déchaîné ,
Ce chef audacieux d'une horde guerriere ,
Qui ravage l'empire& dépeuple la terre ;
Genſéric dont le nom porte avec lui l'effroi ,
Brigand , que des brigands ont appellé leur
Roi , &c .
Tyran duNordn'eſt peut- être pas exact.
AVRIL. 1769 . 71
C'eſt en Afrique qu'étoient établis les
Vandales dont Genſéric étoit Roi. Cependant
comme les Vandales , & toutes
les autres nations barbares qui accabloient
l'Empire Romain , étoient originaires du
Nord , l'expreffionde l'auteur peut ſe juftifier.
L'Impératrice pleure à la fois l'eſclavage
de ſon fils , & la mort de fon époux
&de fon pere , tués , à ce qu'elle croit ,
par les barbares dans le ſac de Meffine.
Il s'agit d'élire un Empereur. Le ſénat eſt
affemblé pour cette élection. Eudoxie ſe
plaint qu'on attente aux droits de ſon
fils; mais on lui remontre le beſoin qu'on
ad'un maître & d'un défenſeur.
L'Occident aujourd'hui fait un dernier effort.
Tout l'empire eſt en proie à ces enfans du Nord
Qui, chaſlés de ſes flancs , errans & fans patrie ,
De climats en climats promenent leur furie.
Ces tigres déchaînés , l'un de l'autre ennemis ,
Pour nous mieux accabler ſont entr'eux réunis.
Goths , Vandales , Alains , Sarmates & Gépides ,
Des bords de l'Occident aux marais méotides ,
Combattent tour-à-tour ſur nos ſanglans débris.
La Gaule eſt ſous le joug; la race de Clovis
Fonde un nouvel empire aux rives de la Seine.
LesGoths nous ont ravi l'Eſpagne & l'Aquitaine.
72 MERCURE DE FRANCE .
Le Saxon a franchi la limite des mers.
Aux Bretons étonnés il apporte des fers .
L'Afrique a reconnu Genſéric pour ſon maître.
Sous ce Roi triomphant Carthage va renaître .
A ſa libre fureur tous nos ports ſont ouverts.
Il tient ſous ſes drapeaux nos vaſtes champs couverts;
Ce nouvel Annibal eſt aux portes de Rome :
Né pour être un brigand , il ſçait être un grand
homme , &c .
Ce tableau eſt noblement tracé : le
dernier vers eſt beau. Mais est - il bien
vrai que Genféric fut un grand homme ?
L'hiſtoire ne nous le repréſente que comme
un chef de brigands féroce & heureux.
Peut - être les ouvrages de théâtre
acquerroient-ils undegré d'intérêt de plus,
fi les couleurs de l'hiſtoire y étoient fidélement
confervées . Ceux de M. de Voltaire
ont fur- tout cet avantage. On fent
bien que nous ne parlons que des caracteres
& des moeurs. A l'égard des faits ,
on ſçait quels font les droits de la poëfie
&du théâtre.
L'Impératrice ſouhaite au moins que
les fuffrages ſe réuniſſent en faveur de
Maxime. Mais il eſt abſent ; il paroît
l'abandonner. Elle s'en étonne d'autant
plus
AVRIL. 1769. 73
plus qu'autrefois il fut prêt de l'épouſer.
Elle en conſerve un ſouvenir bien cher.
Elle attend avec impatience & incertitude
la nouvelle du choix des ſénateurs
. On vient le lui annoncer. C'eſt
Maxime qui eſt proclamé. Il a remporté
une victoire ſur les Vandales . La couronne
impériale eſt le prix de ſon triomphe.
Eudoxie eſt au comble de la joie.
Elle va s'unir au héros qu'elle aime , au
héros de l'état. Il ſera ſon vengeur & brifera
les fers de ſon fils, de ce fils que
Genféric a refuſé de rendre , à moins
qu'Eudoxie ne lui donnât la main. Cette
main eſt déſormais à Maxime.
Rome, monte aux honneurs que le ciel te pr
pare.
Ta future grandeur dès ce jour ſe déclare.
Ates proſpérités il ne manque plus rien ;
Mais ton triomphe encor n'eſt pas égal au mien.
Au ſecond acte , Maxime déclare à fon
confident Aſpar qu'il refuſe l'empire &
Eudoxie. C'eſt un crime trop grand à ſes
yeux d'entrer dans le lit de l'empereur
qu'il a afſaffiné. Plus il aime Eudoxie ,
plus il craintde s'unir à elle par desnoeuds
aufli coupables ; cependant elle paroît, &
bientôt l'amour l'emporte fur les remords.
I. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
Il accepte tour. On vient lui annoncer
un ambaſſadeurde la part de Genféric. Il
fort, & mene Eudoxie aux autels.
Gontharis , l'envoyé des Vandales, explique
les deſſeins qu'il a formés pour la
perte de Maxime & des Romains. Eudoxie
vient & s'excuſe d'avoir rejetté les
offres de Genſéric. Elle auroit cru faire
un outrage trop ſenſible aux manès d'un
pere & d'un époux , ſi elle eût reçu la
mainde leur meurtrier . Le Vandale lui
répond que Genféric eſt très-innocent du
meurtre de Valentinien ; qu'il déteſte ce
crime , bien loin de l'avoir commis , &
que , quant à Léonce , pere d'Eudoxie ,
il eſt encore vivant , graces aux ſoins de
ce même Genféric ; qu'on l'a trouvé
mourant aux portes de Meſſine ; qu'on a
fait panfer ſes bleſſures ; qu'il eſt dans
Rome , & que ſa fille va le revoir. Eudoxie
eſt frappée de ſurpriſe & de joie ,
Gontharis ajoute que le Roi fon maître
ne met d'autre prix à la rançon du fils de
I'lompératrice que la vengeance de Valentinien.
Eudoxie ne peut comprendre
ce diſcours ; Mais Léonce , qui arrive
bleſlé& foutenu par des gardes, lui développe
ce terrible myſtere& après lui avoir
fait jurer de venger un époux, il luinomme
le meurtrier, :
AVRIL. 1769 . 75
QuandleVandale altier triomphoit dans Meſſine,
J'allois à l'Empereur porter un foible appui ;
Je courois le ſauver ou périr avec lui.
Ses gardes avoient fui , preflés par l'épouvante.
J'entre ... Dieu ! quel ſpectacle à mes yeux ſe préſente!
Céſar atteintd'un fer qui lui perçoit le flanc ,
Etendu ſur le marbre &baigné dans ſon ſang.
Je m'avance en tremblant; il me voit , il m'appelle.
>>>Inſtruiſez de mon fort une épouſe fidéle ,
>> Dit- il ; Maxime... Hélas ! je l'ai trop épargné.
>> Votre Empereur , par lui , vient d'être affaf-
35 finé.
>> Qu'Eudoxic àma cendre inmole le perfide.
Léonce ajoute qu'il avoit ſur le champ
écrit à ſa fille un billet où étoit contenu
ce fatal ſecret; mais l'écrit eſt tombé entre
les mains des Vandales , dont la politique
cherche à en profiter. On ramene
Léonce. Eudoxie eſt dans l'état le plus
affreux. Maxime ſe préſente à elle : elle
frémit : elle veut le quitter.
Maxime , jouiſlez des ſuprêmes honneurs.
Jouiſſez de la gloire où ce jour vous appelle :
Je n'en troublerai point la pompe ſolemnelle.
:
Mes yeux ne verront point vos nouvelles grandeurs.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Tant d'éclat convient mal à mes vives douleurs.
Vous , qui portez vos pas au trône de l'empire ,
Songez en y montant.. O Dieu ! qu'allois-je dire ;
Mon funeſte ſecret m'échappoit malgré moi .
Elle fort , & laiſſe Maxime dans l'agitation
& l'inquiétude. Elle revient au
quatriéme acte. Gontharis la preſſe de
nouveau d'accomplir le ferment qu'elle
a fait à Léonce. Il lui déclare que ſon fits
va périr , ſi elle ne conſent à ouvrir aux
Vandales une des portes de Rome où
commande Arbate. Genſéric , introduit
dans la ville , couronnera le fils d'Eudoxie
après avoir puni Maxime. Elle objecte
les devoirs de ſon nouvel engagement,
Gontharis lui répond.
Eh ! quel eſt donc ce noeud que le crime a formé ?
Quelle loi l'a permis ? Quel Dieu l'a confirmé ?
Leciel eſt- il garant d'un ſerment qui l'offenſe ?
A-t-il pu réunir le crime & l'innocence ?
Avez-vous , en un mot , devant ce Dieu jaloux
Fait ferment d'adorer l'aſſaſſin d'un époux ?
Pour achever de l'irriter contre Maxime
, il a recours à la calomnie. Il lui dit
que Maxime lui-même dévoré du deſir
de regner ,& craignant les droits du jeune
AVRIL. 1769 . 77
héritier des Céſars , offre de l'argent à
Genféric pour le faire périr. Elle ajoute
peu de foi à cette accuſation atroce . Mais
Léonce revient ſuivi d'Arbate , & la conjure
à genoux d'aſſurer à ſon fils la vie &
la couronne , & d'abandonner Maxime
à la juſte punition de fon forfait. Elle réfifte
long-temps. Ses combats font douloureux
; mais forcée de choiſir entre des
crimes , elle céde enfin , & dit à Arbate
d'exécuter les ordres de Léonce * . Gontharis
promet un êtage. Eudoxie , reſtée
ſeule , s'écrie :
:
Oh ! juſtice des cieux !
C'en eſt donc fait enfin, j'ai condamné Maxime.
Cet arrêt , je le fens ,dans ma bouche eſt un crime:
Ce n'étoit pas à moi dordonner ſon trépas .
Suit la ſcène terrible de l'éclairciffement
entre elle & Maxime. Il veut abfo .
lument ſçavoir le ſujet des chagrinsqu'elle
lui cache.
EUDOXIE .
Vous-même , Seigneur ,
Aucun ſoin en ſecret ne trouble- t-il votre ame ?
Ne me cachez - vous rien ?
* L'auteur ſe propoſe de mettre des cartons à
cette ſcène qui ſera changée.
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
ΜΑΧΙΜΕ.
Que dites- vous , Madame ?
D'où peut naître un ſoupçon que je ne conçois pas?
EUDOXIE.
Le fort entre vos mains a remis nos états.
Célar eſt au tombeau , ſon fils dans l'efclavage.
Vous à qui tous leurs droits ſont échus enpartage,
Jouiſlez - vous en paix de ce rang glorieux
Qu'un deſtin ſi cruel leur ravit à tous deux ?
ΜΑΧIME.
Madame , à ce diſcours je devois peu m'attendre.
Cereproche ſecret ſe fait aſſez entendre
Mais mon ambition ne l'a point mérité.
Peu jaloux de ce rang qui me fut préſenté ,
Je n'ai point recherché ce ſuperbe avantage ,
Ni du fils des Céſars diſputé l'héritage.
J'ai voulu refuſer & fon fceptre & ſes droits
Lorſqu'on me les offroit pour la premiere fois.
EUDOXIE .
Vous auriez de mon fils reſpecté la miſére !
Vous ne me parlez point des malheurs de ſon
pere!
ΜΑΧΙΜΕ.
Son pere ! je le plains. C'eſt tout ce que je peux.
AVRIL. 1769. 79
EUDOXIE.
Vous! vous plaignez ſon fort!
MAXIME.
Madame...
EUDOXIE .
Ah ! malheureux !
MAXIME.
Expliquez-vous.
EUDOXIE.
Faut-il en dire davantage ?
Tun'entends quetrop bien ce funeſte langage.
MAXIME.
Comment!Quedites-vous ?
EUDOXIE.
Le trouble de tes ſens
Répond à mes diſcours.
MAXIME.
Dieu ! quels affreux momens !
EUDOXIE.
Le remords te trahit.. Il décéle ton crime.
MAXIME.
Mon crime !
Div
8. MERCURE DE FRANCE.
EUDOXI Ε.
Qu'as-tu fait ? Ô ! malheureux Maxime ,
Quelle main a verſé le ſang de mon époux ?
MAXIME.
Ah! frappez lecoupable; il tombe à vos genoux.
Certe ſcène eſt effrayante , & le dialogue
en eft excellent.
On vient avertir Maxime que Rome
eſt inveſtie , & qu'on prépare l'affaut. Il
fort , réſolu de défendre Eudoxie & de
mourir.
Dansl'intervalledu4 acteau cinquiéme ,
Eudoxie, qui s'étoit repentie d'avoir abandonné
Maxime, a voulu révoquer l'ordre
donné àArbate; mais il n'étoit plus tems .
L'ambaſſadeur étoit forti , en aſſurant encore
que ſi la porte ne s'ouvroit au ſignal
convenu , le fils d'Eudoxie périroit. Les
otages des Vandales ſont dans Rome.
L'Impératrice tremble pourſon fils & pour
Maxime. Il paroît triomphant. Il a arraché
le jeune Céfar des mains des Vandales.
Il les a repouffés .
Qu'il regne , déſormais ; la gloire eſt ſon
partage ,
La mort ſera le mien , & je vous laiſſe après
Le ſoin de meſurer mon crime & mes bienfaits.
AVRI L. 1769. 81
Eudoxie eſt partagée entre la joie de
ſçavoir que fon fils eſt ſauvé, & la crainte
qu'on n'exécute l'ordre qu'elle a donné à
Arbate. Elle va pour le révoquer ; mais
on vient lui apprendre que l'ennemi eſt
dans la ville , & que le crime eſt confommé.
Maxime vole au combat , il en
revient mourant un moment après. Rome
eſt au pouvoir des Barbares. Iln'y a
plus aucune reſſource. Cependant il a afſuré
les jours du fils d'Eudoxie , & l'a fait
emporter loin de Rome. Eudoxie lui
avoue que c'eſt elle qui l'a perdu . Elle ſe
frappe , & meurt à ſes côtés .
La conduite & le ſtyle de cet ouvrage
font certainement beaucoup d'honneur
aux talens de M. Chabanon. Il lutte avec
beaucoup d'art contre les difficultés d'un
fujet aufli compliqué. Peut-être en allemblant
autour d'Eudoxie tant de dangers
à combattre & d'intérêts à concilier entre
-tout ce qu'elle a de plus cher , entre un
pere , un époux à venger ſur un autre
époux qu'elle aime, & un fils à fauver ,
l'a-t-il miſe dans la néceſſité de ne pou-
-voir faire qu'un choix malheureux. Mais
il tourne autour de l'écueil en l'évitanc
autant qu'il eſt poſſible , & des obstacles
mêmes qu'il rencontre il ſçait faire naître
desbeautés.
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
L'ouvrage eſt précédé d'une préface o
L'auteur paroît delirer que l'on juge les
pieces antheatre avecune rigueur moins
humiliante & une humeur moins marquée.
Il voudroit que le ſilence ſeul im
prouvat. Mais ne peut-on pas lui répon.
dre que toutes les impreſſions que l'on
éprouve au théâtre font néceſſairement
fortes & prononcées ; qu'il eſt bien difficile
que ceux qui applaudiſſent avec tranfportàcequi
les émeut , ne rejettent avec
violence ce qui les ennuye. D'ailleurs
l'on confulte l'expérience & le coeur humain
, on verra que les hommes mefurent
la ſévérité de leurs jugemens au degré
de vos prétentions; &quelles préten.
tions que celles d'un homme qui raffemble
une foule d'autres hommes de toute
condition&de tout âge , & qui leur promet
de les intéreſſer , de les émouvoir
juſqu'aux larmes pendant deux heures de
fuite , pour des perſonnages &des malheurs
imaginaires qu'un moment auparavant
ils ne connoiffoient pas ? S'ils ne font
pas charmés , ils feront inflexibles. Dans
lepremier cas , il ne faut pas trop s'enorgueillir;
& dans l'autre,il faut fe con
foler..
AVRIL. 1769. 83
Histoire anecdotique & raiſonnée du thédtre
italien & de l'opéra comique depuis
leur rétabliſſement en France juſqu'a
l'année 1769 ; contenant les analyſes
des principales piéces & un catalogue
de toutes celles tant italiennes que
françoiſes données ſur ces théâtres avec
les anecdotes les plus curieuſes & les
notices les plus intéreſſantes de la vie,
&des talens des auteurs & acteurs .
Ceftigat ridendo mores.
A Paris , chez Lacombe , libraire , rue
Chriſtine; 9 volumes in-12. prix rel.
22 liv. 10 f.
Cette hiſtoire contient les analyſes des
principales pièces , & un catalogue de
routes celles tant italiennes que françoifes
données ſur ce théâtre , avec les anecdotes
les plus curieuſes & les notices les
plus intéreſſantes de la vie & des talens
des auteurs & acteurs. Cette collection
neceſſaire aux amateurs , & à tous ceux
qui ont une bibliothéque , eſt auſſi agréable
qu'un ouvrage de ce genre puiſſe l'etre
, & joint à ce mérite celui de la plus
grande exactitude &de beaucoup d'impartialité.
Les extraits des piéces font
très bien faits , & préſentent toujours ce
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
qu'elles peuvent avoir de plus attachant.
Ony retrouve avec plaiſir pluſieurs parodies
des piéces de M. de Voltaire , celle
d'Edipe , de Zaïre , de Brutus , &c. Le
mérite de ces ouvrages immortels rend
piquantespournous ces parodies qui n'ont
guères d'autre prix aux yeux des connoiffeurs.
L'auteur a joint à ſon ouvrage , qui eſt
en ſept vol. , deux autres vol . qui contien.
nent l'hiſtoire de l'opéra comique, compoſée
ſur le même plan que celle du théâtre
italien , & qui la rend complette. Nous
reviendrons ſur cet ouvrage qui renferme
beaucoup de traits , d'anecdotes & de details
agréables qui ne peuvent que faire
beaucoup de plaifir à nos lecteurs .
Arminius , tragédie , ou eſſai ſur le théâtre
allemand ; par M. Bauvin , de la
fociété littéraire d'Arras . A Amſtetdam
; & ſe trouve à Paris , chez Delalain
, libraire , rue St Jacques.
>
Adélinde , princeſſe Chéruſque dévouée
aux Romains , a engagé dans leur
patti Sigifmond ſon fils , qu'elle a fait revêtir
du titre de prêtre d'Auguſte. Sa fille
Thuſnelde eſt aimée d'Arminius & de
Flavius , tous deux fils de Ségiſmar.
AVRI L. 1769 . 85
Arminius , animé contre les Romains
de la même haine que Ségifmar ſon pere ,
fouleve tous les eſprits contre Varus qui
voudroit introduire en Germanie les
moeurs & les loix romaines , & fe fortifier
de l'alliance de ces peuples contre
Mélo , roi des Sicambres. Adelinde féduit
Flavius en lui promettant ſa fille , à
condition qu'il trahira ſa patrie en faveur
des Romains. La Germanie eſt partagée
en deux partis , celui d'Arminius& de la
liberté , & celui des Germains que Varus
a intimidés , & qu'Adelinde a gagnés . La
ſcène eſt dans un bois conſacré aux divinités
chéruſques. Le camp de Varus n'en
eſt pas éloigné. Les partiſans d'Arminius
mépriſent ce prêteur.
Quel emploi , diſent- ils , pour ce grand général !
Il érige la tente en un vil tribunal .
Sous le joug de ſes loix il penſe nous abattre.
Il oſe nous juger , & craint de nous combattre.
Sigismond ſent quelques remords ;
mais ſa mere a réſolude le faire roi de la
Germanie ſous la protection de Rome .
Sers Rome , tes égaux vont être tes ſujets.
La mitre eſt ſur ton front; j'y mettrai la cou
ronne ;
Eleve tongénie &monte ſur le trône.
86 MERCURE DE FRANCE.
Varus a obtenu la permiſſion de haranguer
les Germains & de leur propoſer
l'alliance d'Auguſte. Il fort après avoir
parlé , & l'on délibére ſur le parti qu'il
faut prendre. Arminius s'écrie :
Vous l'avez entenda ; peuples , vous voyez tous
Quel ſervice odieux Rome exige de vous.
Elle veut vous détruire , & pour ce grand ouvrage
Elle oſe deſtiner votre propre courage.
Ah! contemplons Mélo ; ſon trône eſt renverlé,
Sa tête eſt miſe a prix , fon peuple eſt diſperſé
• •
Et voilà ceux que Rome ordonne d'accabler ;
Irez- vous la ſervır , quand ils la font trembler ?
Nevousytrompez pas,Rome attend que vos armes
Renverſent l'ennemi qui cauſe ſes allarmes.
Vous la verrez ſoudain ſe tourner contre vous ,
Pour orner un triomphe obtenu par vos coups, &c.
Flavius vante le pouvoir des Romains
&ne croit pas que la Germanie puiſle en
triompher. Ségiſmar , indigné , lui répond
:
Flavius! .. C'eſt mon fils qui croit Rome invincible!
1
L'avis de Ségiſmar &d'Arminius eſt
decombattre les Romains. Cependant on
convient d'envoyer auparavant des dépo
AVRIL. 1769. 87 .
tés à Varus ; mais ils reviennent ſans l'avoir
vu , parce qu'on leur fait craindre
une trahifon. Tout ſe prépare pour le
combat. Les Cartes , les Bructeres , les
Chauques ſe réuniffent pour attaquer te
camp du Prêteur. Les Chéruſques , ſeuls
foumis aux deſſeins d'Adelinde , tiennent
pour les Romains. Flavius a promis de
livrer le poſte dont il eſt chargé. Thufnelde
doit être ſa récompenſe ; mais elle
aime Arminius. Sa mere Adelinde s'efforce
de vaincre cet amour , & de le lui
faire oublier. Elle lui propoſe un autre
époux qu'elle ne lui nomine pas , & la
conjure par tout ce qu'une fille doit à ſa
mere de ne ſe pas refuſer à cet hymen.
Flavius arrive. Il ne veut prendre d'ordre
quede Thuſnelde .
Regarde : vois ce fer.
Parle, doit-il fervir Rome ou la Germanie ?
Veux- tu la liberté ? veux-tu la tyrannie ?
Surtous mes ſentimens , toi ſeule peux regner.
Dis , qui faut- il punir ? Qui faut il épargner ?
La princeſſe lui reptoche ſon égarement
&ſa foibleffe.
Je te voisbalancer entre ton peuple& Rome!
Tu veux ſuivre une femme , & tu ceſſes d'être
homme;
80
88 MERCURE DE FRANCE.
:
Que ton coeur incertain ne me conſulte pas.
Tu me ferois rougir de nos foibles appas ,
S'ils étoient plus puiſſans dans ton ame attendrie
Que tes premiers devoirs , l'honneur & la patrie.
Arminius ſurvient , &Thuſnelde l'encourage
à combattre pour ſon pays &pour
une amante qui l'adore. Flavius fort furieux.
Bientôt l'on eſt aux mains . La trahiſon
de Flavius donne d'abord de l'avantage
aux légions de Varus. Il vient , forcené
d'amour & de repentir , demander
le prix de ſon crime à la mere de Thufnelde.
Rome va triompher , & je peux t'en répondre.
Grace àmon triſte ſoin , tes voeux ont réuſſi .
Qu'as- tu fait pour les miens ? Ta fille est-elle ici ?
Je viens de monforfait chercher la récompenfe.
ADELINDE.
Regarde ton ouvrage avec plus de conſtance.
De tes ſoins je ſuis prête àte récompenfer ;
Mais on combat encor : voudrois- tu commencer
Dans ce moment ſi triſte une union ſi belle ?
Etn'avoir pour témoin qu'une nuit fi cruelle ?
Cet inſtant deviendroit fatal à ton amour.
Attendons que Varus , la victoire , le jour....
AVRIL. 1769 . 89
FLAVIUS.
Je n'attends que Thuſnelde &fa main qui m'eſt
dûe.
Je l'ai trop achetée , & tu me l'as vendue.
Voici le lieu , l'inſtant que toi-même as choiſis
Pour me donner ta fille & me nommer ton fils .
ADELIN DE.
Tu l'es; jeſuis ta mere, écoute , ſois tranquille.
FLAVIUS.
Quoi ! Thuſnelde avec toi n'eſt pas dans cet
aſyle ?
Quoi ! lorſque j'ai rempli tous mes engagemens...
ADELINDE .
Songe que mon effroi ...
FLAVIUS .
Je longe à tes fermens.
Trahis-tuton complice ? aux forfaits enhardie ,
Etendrois-tu ſur moi ta noire perfidie ?
Dans ce moment on voit paſſer dans
le lointain , à la lueur de quelques torches
, des morts & des bleſſés que l'on
porte. L'un d'eux eſt à portée d'être vû
de Flavius . C'eſt Ségiſmar ; c'eſt ſon pere
qui vient d'être tué dans le combat. Ce
coup de foudre éclaire Flavius en le frap9.
MERCURE DE FRANCE. !
pant. Il s'abandonne aux remords , & déteſte
un crime qui lui coûte ſon pere
fans fatisfaire fon amour. Il court réparer
ce crime , il trouve parmi les combattans
Thuſnelde qui enflamme par fon
exemple & ſes diſcours le courage des
Germains. Les Romains ſuccombent ,
Varus eſt tué. On rapporte fes dépouilles
& ſes aigles captives. Arminius revient
vainqueur ; mais on ne ſçait où eſt
Thuſnelde ; on l'a croit au pouvoir des
ennemis ; elle paroît avec Flavius; il l'a
arrachée aux Romains qui l'emmenoient
prifonniere , & la rend à fon frere & à
fon rival . Adelinde déſeſpérée , ſe tue ,
& les remords & la générosité de Flavius
lui font pardonner ſa faute.
Il y a de l'intérêt& des beautés dans les
deux derniers actes de cette piéce , dont les
défauts d'ailleurs ne doivent point être
imputés à l'écrivain françois qui a imité
l'ouvrage allemand de M. Schlégel. Le
ſtyle de M. Bauvin a de la nobleffe ; les
morceaux que nous avons cités en font
la preuve ; il prépare une traduction en
proſe des meilleures piéces du théâtre allemand.
Ce théâtre ne peut être que trèsintéreſſant
pour nous par la différence du
génie des deux nations , & par les endroits
même où ce théâtre étranger ſem-
!
AVRIL. وہ . 1769
ble ſe rapprocher du nôtre devenu le
modéle de l'Europe. Les talens que M.
Bauvin annonce dans cet effai , doivent
faire eſpérer beaucoup de l'exécution de
ſon projet , & lui mériter les encouragemens
dupublic.
LesNuits d'Young , traduites de l'Anglois
, par M. le Tourneur. A Paris ,
chez Lejay , libraire , quai de Gèvres ;
& à Pâques , rue St Jacques , in- 12.2
vol. prix s liv . br.
Les ouvrages d'Young font d'un genre
particulier , & dont nous n'avons point
d'exemple en France. Le poëte Anglois ,
né avec une imagination vive & fenfible,
ſe plaît à s'égarer, la nuit, ſur les tombeaux;
ce ſpectacle ſombre & terrible lui fournit
des réflexions fortes fur des vérités ſublimes
qu'il exprime avec tout le ſentiment
&toute l'énergie poſſible. Nous le connoiſſionsdéjà
par quelqueseſſaisde traduction
dûs à une main habile, &qui ont paru
dans le Journal étranger. Ils ont fait naître
le defir d'avoir une traduction complette
deſes nuits; cette entrepriſe étoit difficile;
Young devoit trouver moins de traducteurs
que tout autre poëte ; il falloit un
homme dont l'ame fût , pour ainſi dire ,
92 MERCURE DE FRANCE.
montée ſur le ton de l'original , qui ne
fût point effrayé de cette ſuire de tableaux
funébres , qui fût capable de s'en pénétrer
, & affez philoſophe lui- même pour
en créer de pareils. M. le Tourneur, connu
par pluſieurs diſcours remplis d'éloquence&
de philoſophie , vient de faire
paſſer les beautés de ce poëte dans notre
langue ; il a ſenti tout ce qu'Young a ſenti
, & a toujours rendu avec chaleur ſes
images & ſes penſées. Nous citerons
quelques morceaux que nous prendrons
au hafard , qui donneront une idée du ton
général du poëte &de la maniere heureuſe
dont il eſt traduit. Celui- ci eſt tiré
de la cinquiéme nuit où l'auteur préſente
un remede contre la crainte de la mort :
>> Heureux l'homme qui , dégoûté des
>> plaiſirs factices d'un monde tumul-
» tueux , & de tous ces vains objets qui
>> s'interpoſent entre notre ame & la vé-
>> rité , s'enfonce par choix ſous l'ombre
>> épaiſſe & filencieuſe des cyprès , viſite
» les voûtes ſépulcrales que le lambeau
» du trépas éclaire , lit les épitaphes des
>> morts , péſe leur pouſſiére , &ſe plaît
>> au milieu des tombeaux ! Ce ſombre
>>empire où la mort eſt aſſiſe au milieu
>> des ruines , offre à l'homme un aſyle
>>paiſible où ſon ame doit entrer ſouvent
L
AVRIL. 1769 . 93
» &promener ſes penſées ſolitaires. Que
>> l'air qu'on y reſpire eſt ſalutaire à la
- vérité,& mortel pour l'orgueil ! O mon
>> ame, entrons-y ſans effroi. Cherchons
>> ici ces idées confolantes dont l'homme
>> a tant beſoin ſur la terre ; peſons la vie
» & la mort ; ofons enviſager la mort en
>> face , & bravant ſes terreurs par un mé-
» pris généreux , cueillons ſur les tom-
>>beauxla palmedes grandes ames.Puiſſe
» ma ſageſſe s'enrichir de mes malheurs ,
» &me payer de mes larmes. » Le poëte
s'adreſſe enfuite à Lorenzo , auquel il
adreſſe ſes réflexions . « Suis - moi , Lo-
» renzo. Viens , liſons enſemble ſur la
>>pierre qui couvre ta chere Narciſſe.
>>Quel traité de morale fublime elle tient
>> ouvert ! Que ſon langage muet eſt pa-
>>thétique ! Quels orateurs peuvent tou-
>> cher comme elle une ame ſenſible ?
>>L'éloquence des paroles peut nous
» émouvoir ; mais que ſes images font
>>foibles & mortes auprès des impreffions
>>vives & profondes dont la vue de cette
>>pierre nous pénétre ! Avec quelle force
..
elle parle à nos yeux ! Que de leçons
>> renfermées dans la date que j'y vois
» gravée ! .. Demande- lui ſi la beauté , fi
>>la jeuneſſe , ſi tout ce qui eſt aimable
>> eſt de longue durée ! Homme , oſe donc
94
MERCURE DE FRANCE.
.. &
>>déſormais compter ſur la vie. A peine
>>puis- je rencontrer un tombeau qui ne
>> renferme un corps plus-jeune que le
- mien, & qui ne me crie , viens .
>> dans le monde entier , que trouve -je
» qui me rappelle& m'attache à la vie? »
L'oubli de la mort eſt le ſujet de la ſixiéine
nuit. Nous en rapporterons ce morceau
. Ce monde lui -même qu'eſt - il ?
» un vaſte tombeau. La terre eſt ingrate
. & fterile. C'eſt la deſtruction qui la fé-
>> conde: toutes les jouiſſances de nos fens
> ſont priſes & entretenues ſur la fubf-
>> tance des morts. L'homme , comme
> le ver , vit ſur les cadavres . Où eſt la
» pouſſière que la vie n'ait pas animée ?
» la béche & la charrue labourent les débris
de nos ancêtres : nous les cueillons
> dans nos moiſſons; ils forment le pain
» qui nous nourrit. Les couches extérieu-
>> res de la terre font formées des cen-
> dres de ſes habitans. Notre globe roule
>>une ſurface compoſée d'êtres qui ont
» vécu. Nous folâtrons avec inſenſibilité
» ſur les ruines de l'eſpéce humaine , &
→ le danſeur foule d'un pied léger des ci-
>> tés enſevelies. Tandis que l'ame déga-
> gée de ſes liens s'envole ſur ſes aîles de
>>feu , le ſoleil pompe en vapeurs les par-
> ties fluides de nos corps : la terre reAVRIL.
1769 . 95
> prend ce qu'elle a donné , les vents dif-
> perſent le reſte dans les airs ; chaque
» élément ſe partage nos dépouilles. Les
>> débris de l'homme ſont ſémés dans l'é .
>> tendue de la nature. La mort eſt par-
>> tout excepté dans la penſée de l'hom-
>>>me. >> Nous nous bornerons à ces morceaux
; toutes les nuits préſententdes détails
qui feront plaiſir à ceux qui aiment
à refléchir ; le noir , qui domine preſque
par-tout , ne révolte point ; il a des charmes
pour les ames ſenſibles , & ne peut
que fervir à faire mieux fentir & goûter
les réflexions du poëte.
Sophronie, ou leçon prétendue d'une mere
à ſa fille ; par Madame Benoît. A Londres;
& ſe trouve à Paris, chez la veuve
Duchefne , rue St Jacques , in-8 °. sor.
avecune gravure charmante d'après un
deffin de M. Greuze.
Sophronie étoit veuve; Adelle, ſa fille
unique , faifoit l'objet de tous ſes ſoins ;
quoiqu'elle pût prétendre encore à plaire,
elle voyoit ſes charmes fans envie ; Valzan
étoit très-affidu chez elle ; Adelle l'y
attiroit ; Sophronie , qui le trouvoit aimable
, s'imagina qu'elle étoit la cauſe de
fon affiduité; elle imputa au reſpect & à
:
96 MERCURE DE FRANCE.
la timidiré la lenteur qu'il mettoit à ſe déclarer
; elle voulut lui en faciliter les
moyens ; un jour , ſous prétexte d'affaires,
elle le fit entrer dans ſon cabinet ; elle lui
parla de ſa fille , des inquiétudes que lui
donnoit une certaine curioſité qu'elle lui
avoit remarquée ; Adelle , diſoit - elle ,
vouloit pénétrer tous ſes ſecrets ; dès
qu'elle voyoit ſa mere occupée ou renfermée
elle couroit à une porte ſecrete d'où
elle ne pouvoit rien entendre , à la vérité,
mais d'où elle pouvoit tout voir à l'aide
d'une légere ouverture . Sophronie vouloit
mettre cette découverte à profit ; ſa
fille avoit quinze ans ; elle étoit ſenſible ;
il étoit important de la prémunir contre
lesdangers de la ſéduction , & de lui apprendre
à réprimer les libertés d'un amant;
l'exemple , & fur- tout celui d'une mere ,
pouvoit lui fervir de leçon. Sophronie
héſite à ces mots ; elle n'a pas la force de
poursuivre ; elle parvient enfin à faire entendre
à Valzan qu'elle l'a choiſi pour la
ſervir dans cette occaſion; il faut qu'il
paroiſſe paſſionné , qu'il foit preſſant; Sophronie
ira ſe placer à l'extrêmité du cabinet
en lui ordonnant de reſter dans
l'éloignement ; Valzan ſe ſoumettra , demandera
grace , l'obtiendra , redeviendra
téméraire , on l'arrêtera , on le bannira
juſqu'à
AVRIL. 1769. 97
juſqu'à ce qu'il ait expié ſon crime. Adelle
, témoin de cette ſcène , en fera fon
profit , & imitera la conduite de ſa mere
dans l'occafion. Valzan eſt interdit de ce
diſcours ; cette comédie pourroit l'amufer
; mais il n'oſe la jouer dès qu'Adelle
eſt préſente; il ne veut pas qu'elle puiſſe
foupçonner qu'il aime une autre perfonne
qu'elle ; il paroît troublé ; Sophronie
interprête ce trouble d'une maniere conforme
à ſes deſirs , & remet l'exécution
du projet au lendemain. Valzan ſe retire
avec beaucoup d'inquiétude ; il ſoupçonne
qu'il eſt aimé de Sophronic ; une lettre
qu'il en reçoit le lui confirme ; l'inté
rêt qu'on prend à l'inſtruire de ſon rôle
ne lui laiſſe aucun doute ; il répond à cette
lettre; il arrange ſes expreſſions de maniere
qu'elles préſentent un double fens ;
Sophronie n'entend que celui qui l'a flatte;
elle ſe pare le lendemain; fon imagination
lui repréſente la ſcène qui va ſe
donner; elle ſe croit fûre que Valzan ne lui
laiſſera rien à deſirer ; elle craint même
qu'il ne ſoit très - preſſant , & déjà elle
n'oſe s'affurer de la victoire. Le moment
arrive ; toutes ſes eſpérances font trompées
; la froideur de Valzan , ſa timidité
l'humilient ; elle pleure; il la plaint , &
I. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
ſe jette à ſes pieds pour la conſoler ; auffitôt
la porte du cabinet s'ouvre ; Adelle
paroît; le ſpectacle qui eſt devant ſes yeux
l'étonne ; Valzan éperdu , ne peut plus ſe
déguifer ; vous voyez Adelle , s'écrie-t-il,
en parlant à Sophronie ; laiſſez- vous fléchir
, accordez-moi ſa main , vous com-
Lierez mes voeux ; Sophronie paroît confondue
; Adelle étoit venue demander le
flacon de fa mere pour foulager la foeur
de ſa femme de chambre qui ſe trouve
mal . La mere , ſans répondre , feint de
voler au ſecours de la malade ; elle entraîne
Adelle qui partage la douleur de
Valzan qui , de fon côté , n'a plus d'eſpérance
, & fort de cette maiſon , bien perfuadé
qu'il n'y ſera jamais rappellé. Sophronie
cependant rentre en elle même ;
elle fonde le coeur de ſa fille , & voit qu'il
eſt à Valzan ; après avoir combattu fa
paffion , elle ſe détermine à faire le bonheur
d'Adelle ; elle renonce à être aimée;
elle ne veut être que l'amie , que la inere
de Valzan ; fon retour à la ſageſſe & à la
raiſon fait ſa félicité , & le ſpectacle de
celle de ſes enfans ne fait qu'ajouter à la
fienne.
Il y a beaucoup d'intérêt dans ce petit
conte. La ſituation de Sophronie & de
AVRIL 1769. 99
Valzan eſt neuve , & fournit des détails
agréables.
Lettres d'un Philoſopheſenſible , publiées
par M. de la Croix . A la Haye ; & fe
trouve à Paris , chez Durand , neveu ,
rue Saint- Jacques , à la Sageſſe , in- 12 .
276 pages.
Montendre eſt le héros de ce roman ;
l'amitié la plus tendre l'unit à Saint-Lieu;
il faifoit fon bonheur de vivre avec lui&
avec la ſoeur de cet ami ; il a pris pour elle
une paffion qui ne finira qu'avec ſa vie ;
mais il n'eſpére pas de la voir couronner;
le comte d'Eſpardes l'a prié de ſe charger
de l'éducation de ſon fils; il ſaiſit cette
occaſion pour fuir une perſonne qu'il
adore , mais dont il ne croit pas être jamais
aimé ; il écrit ſouvent à Saint Lieu ,
il lui cache ſa paffion ; ſouvent elle lui
conſeille de revoler auprès de ſon ami
qui l'en preſſe ; l'attachement qu'il a pour
le pere de fon pupile le ſoutient contre
une ſéduction auſſi forte ; il le voit plongé
dans un chagrin qu'il s'efforce en vain
de déguifer ; il croit ne devoir point l'abandonner
pendant qu'il ſouffre , quoiqu'il
en ignore le ſujet. Bientôt il apprend
qu'un jeune homme revenu de ſes
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
voyages , établi à la campagne & voiſin
de Mlle de Saint-Lieu n'a pu ſe défendre
de l'aimer; cette nouvelle l'accable ; il écrit
à la ſoeurde ſon ami , lui avoue ſa paffion,
& lui confefle qu'il eſt un de ces malheureux
abandonné en naiſſant par les perſonnes
qui lui ont donné le jour , & qu'il
ne connoît point ſes parens; il ne reçoit
pointde réponſe , il ſe croit mépriſé , &
quitte M. d'Eſpardes après avoir encore
écrit un dernier adieu à Mlle de St Lieu .
Elle étoit en voyage lorſque la premiere
lettre eſt arrivée; elle preſſe ſon frere d'écrire
ſur le champ à M. d'Eſpardes pour
juſtifier ſon filence , & pour l'exhorter à
chercher Montendre. Le comte n'a pas
attendu ſi long-tems ; il a fait des perquiſitions
, il l'a retrouvé ; il lui rend la joie
& la vie ; il lui raconte la cauſe de ſes
chagrins ; il s'étoit marié en Iſlande ; il
avoit été infidéle à fon épouſe ; elle en
étoit morte de douleur après lui avoir
donné un fils qu'un vieil oncle de ſa femme
avoit voulu élever. Le vieillard en
mourant,voulant punir le comte des torts
qu'il avoiteus vis- à- vis de ſa niéce, avoit
réſolu de le priver pour jamais de ce fils;
on ne ſçavoit ce qu'il étoit devenu. D'Efpardes
s'étoit remarié ; depuis quelque
tems il avoit reçu une lettre où il avoit
AVRIL. 1769. ΙΟΙ
lu ces mots : « Monfieur , j'emporte juf-
» qu'au tombeau le remords qui me dé-
>>chire depuis long-tems; je ſuis le plus
>> malheureux des hommes ; j'ai abuſé de
>> la confiance de mon bienfaiteur ; il
» m'avoit remis votre enfant pour l'éle-
» ver dans la religionde ſes ancêtres. Je
>>l'ai placé dans un collége de Jéſuites
>>ſous un faux nom; las de fournir aux
>>dépenſes de ſon éducation , j'ai eu la
>>lâcheté de l'abandonner ,& d'emporter
» ſa fortune dont j'ai diſſipé plus de la
>>moitié . Celui que j'ai chargé de ma
>> lettre , vous remettra pour deux cents
>> mille livres de papier qui appartien-
>>nent à votre fils. Hélas ! je crains que
» vous ne puiſſiez découvrir le lieu qu'il
>> habite. Pardonnez , Monfieur , à un
» miſérable qui touche à ſes derniers mo-
>> mens. Des idées affreuſes l'agitent & le
>> troublent ... Il va paroître devant le
>> redoutable vengeur de l'innocence.
» Déjà... Ah ! je n'oſe implorer ſa bon-
» té. » Ce fils ſe trouve être Montendre.
Les Jéſuites n'entendant plus parler de
celui qui payoit ſa penſion , l'avoient fait
entrer dans le corps de l'artillerie , où ils
lui fournirent l'honnête néceſſaire. Eclai .
ré ſur ſa naiſſance , jouiſſant de quelque
fortune , Montendre vole chez St Lieu &&
..
Eiij
102 MERCURE DE FRANCE.
4
dans les bras de ſon amante qui devient
bientôt ſon épouſe. Ily a peu de vraiſem.
blance dans la fin de ce roman , mais il y
a beaucoup d'intérêt ; on trouve des détails
agréables , de l'eſprit & du ſentiment
.
Nouvelle Anthologie françoise * , ou choix
des épigrammes & madrigaux de tous
les poëtes françois depuis Marot jufqu'à
ce jour. A Paris , chez Delalain ,
libraire , rue St Jacques , 2 vol . in 12 .
Ce recueil offre une infinité de piéces
agréables que l'on lira fûrement avec plaifir
; il y a du choix &de la variété. Nous
en citerons quelques - unes ; celle- ci eſt
deMarot.
Amour trouva celle qui m'eſt amere ,
Et j'y étois , j'en ſçais bien mieux le conte ;
Bon jour , dit- il , bonjour , Vénus ma mere ,
Puis tout-à- coup il voit qu'il ſe mécompte ,
Dont la couleur au viſage lui monte ,
D'avoir failli ; honteux,Dieu ſçait combien !
Non , non , amour , ce dis je , n'ayez honte ,
Plus clairvoyans que vous s'y trompent bien.
* M. François de Neufchâteau déclare qu'il n'a
aucune part à ce recueil que pluſieurs perſonnes lui
attribuent. On ſçait que cette collection a été faite
par M. S. D. М.
AVRIL. 1769. 103
Il y a de l'eſprit dans ce madrigal , dont
on a retourné la penſée dans pluſieurs petites
piéces modernes. Nous rapporterons
ces vers de M. de Voltaire à M. le maréchal
de Richelieu , après la priſe de Port-
Mahon.
Rival du conquérant de l'Inde ,
Tu bois , tu plais & tu combats ;
Lepampre , le laurier , le myrthe ſuit tes pas ;
Tu prends Chypre & Mahon , mais nous perdons
le Pinde.
En vain l'Anglois mocqueur lançoit de toutes
parts ,
Sur un vaiſſeau muſqué les feux & les brocards.
Chez nous l'ambre eſt ami de la fatale poudre ;
Tu ſémois les bons mots , les ſouris & la foudre ;
L'ironie à tes pieds tombe avec leurs remparts ,
Leurs chanſons t'inſultoient : leurs défaites te
vantent:
Mais nos rimeurs jaloux profanent tes lauriers.
Veux- tu rendre l'honneur à tes ſuccès guerriers ,
Viens fiffler ceux qui les chantent.
Nous ne nous attachons pointà l'ordre
dans lequel font rangées ces piéces dans ce
recueil , nous les prenons au hafard. En
voici encore une de M. de Voltaire,adrefſée
à Madame Lullin le lendemain du jour
qu'elle avoit eu cent ans accomplis .
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
Nos grands peres vous virent belle ;
Par votre eſprit vous plaiſez à cent ans ;
Vous méritiez d'époufer Fontenelle ,
Et d'être ſa veuve long-tems.
Madrigal à Madame la comteſſe de ***
par M. de la Harpe .
Vostraits ſontbeaux& votre eſprit eſt ſage;
L'Amour le raconte en tous lieux ;
Ceque l'Amour publie eſt quelquefois douteux ;
Mais l'Amitié joint ſon ſuffrage ;
Quand ils s'accordent tous les deux ,
Il faut croire leur témoignage.
D'unjeune amant des arts , éloigné de vos yeux ,
Ce tribut haſardé vous ſurprendra peut- être ;
Vous reflemblez en tout aux dieux
Qu'on adore ſans les connoître.
Tout le monde ſçait à quel degré de
ſupériorité Mademoiselle Clairon a porté
fes talens pour la tragédie ; elle n'en avoit
pas moins pour la comédie ; elle étoit
faite pour exceller dans tous les gentes ;
M. de la Harpe lui adreſſa ces vers en
1763 , après lui avoir vu jouer un rôle de
foubrette.
On aime à voir un roi ſous l'habit d'un berger ;
Plus volontiers encore on vous verroit bergere ;
Vous ſeule à la nobleſle altiere ,
AVRIL. 1769. 105
Sçavez unir le ton léger.
Les Graces près de vous dociles à ſe rendre ,
Vous prêtent leurs attraits , leur aimable gaïté ;
Elles valent la majeſté :
Vous ne perdez rien à deſcendre,
Comme la plupart des piéces de ce recueil
ſont connues , nous bornerons ici
notre extrait ; on y voit avec plaiſir réunis
en deux volumes un grand nombre
d'ouvrages diſperſés dans l'immenſité des
poëlies qui ont paru depuis François I.
Continuation de Causes Célebres& intéreffantes
, par M. J. C. de la Ville , avocat
au parlement de Paris , & aſſocié
de l'académie royale des belles- lettres
de Caën ; tome 2 , à Paris chez Defpilly
, libraire rue Saint-Jacques à la
Croix d'Or , in - 12 , prix 2 liv. 10 f.
relié.
, M. de la Ville en fongeant à continuer
le recueil des Cauſes Célébres
s'étoit propoſé de n'employer que celles
qui avoient été jugées depuis 1650; le
premier volume qu'il a publié n'en contient
point d'antérieures. La difficulté de
trouver les mémoires d'une date plus ancienne
, fut la raiſon qui le décida ; il
1
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
a trouvé cependant les moyens de s'en
procurer deux de 1606 & de 1608. Ces
cauſes ſont les premieres de ce ſecond
volume qui en contient quatre , dont les
dernieres font d'une date poſtérieure. Le
procès célébre de la veuve du cardinal de
Bouillon , archevêque de Toulouſe , évêque
de Beauvais , &c. avec les héritiers
de ce cardinal , offre une infinité de détails
curieux qui tiennent à la ſuite de
l'hiſtoire du temps. M. de la Ville dans
fon recueil a ſuivi le plan général des
Cauſes Célébres qu'on a publiées avant
lui ; fon ouvrage préſente le même intérêt,
& l'on ne peut que l'exhorter à le
continuer.
Causes amusantes & connues , avec cette
épigraphe : Et Themis quelquefois se
permit defourire. Volume in - 12 de
420 pages ; à Berlin & ſe trouve à Paris
chez les freres Etienne , rue Saint-
Jacques.
L'éditeur à qui nous devons cette collection
de Cauſes Amuſantes & Connues
, s'eſt borné ſimplement à raffembler
les mémoires qu'il avoit dans
fon cabinet. On auroit defiré qu'il eût
rapporté les déciſions de ces cauſes ; mais
AVRIL. 1769. 107
des raiſons eſſentielles , nous dit- il dans
la préface , m'ont également empêché de
rapporter les jugemens de ces cauſes &
leurs déciſions. Il a eu foin , pourque fon
recueil pût aller entre les mains de tout
le monde , de rejeter les cauſes qui font
dans le genre des cauſes graffes . C'étoit
autrefois la coutume dans la plupart des
tribunaux du Royaume , de faire plaider
le jourdu Mardi-gras une cauſe dont la matiere
fût propre à s'égayer , telle qu'une
accuſation d'adultere on d'impuiſſance ,
une demande en payement de frais de
géſine , & autres ſemblables queſtions
que l'on appelloit cauſes graffes , foit à
cauſe du jour où elles étoient plaidées ,
qui eſt le plus folemnel de ceux qu'on
appelle vulgairement jours gras , foit
pour faire alluſion à la maniere libre dont
ces cauſes étoient plaidées. Le jour deftiné
à la plaidoirie de cette cauſe , ſemblant
autoriſer la licence , les avocats ne
manquoient pas de s'étendre en propos
joyeux , qui paſſoient bien ſouvent les
bornes de la modeſtie , & qui attiroient
un concours extraordinaire de peuple.
On trouve encore une de ces cauſes grafſes
au nombre des plaidoyers faits par le
célébre Henrys ; c'eſt le ſixiéme plaidoyer.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
Il s'agiffoit de l'état des enfans nés d'une
femme qui , ſous prétexte de l'impuillancede
ſon mari , s'étoit fait ſéparer de lui
étant même alors enceinte. Henrys , dans
ſon plaidoyer , compare le ſujet de l'affaire
avec le jeu du trictrac ; toute l'affaire
y eſt traitée dans ce goût d'une maniere
allégorique , & deſignée par les
termes qui font propres au jeudu trictrac.
Dans les cauſes que le nouvel éditeur
a raſſemblées , l'honnêteté n'eſt jamais
bleſſée. Elles amuferont moins pour les
ſujets & pour le fond , que pour la maniere
dont elles font écrites &préſentées.
Comme le premier but de ce recueil eſt
l'amusement , l'éditeur a mis à la fin une
autre collection d'anecdotes , reparties ,
traits plaifans , qui peuvent avoir rapport
au barreau.
L'avocat d'une veuve qui avoit un procès
qui duroit depuis quatre- vingt- ans ,
ditunjour en plaidant devant M. le premier
préſident de Verdun : » Meſſieurs ,
>> les parties adverſes qui jouiſſent injuf-
>> tement du bien de nos pupilles , pré-
>> tendent que la longueur de leur op-
>>>preſſion eſt pour eux un titre légitime ,
»& que nous ayant accoutumés à notre
> miſere , ils font en droitde nous la faire
AVRIL. 1769 . 109
>> toujours fouffrir : ily a près d'un ſiécle
>>que nous avons intenté action , contre
>> eux ;& vous n'en douterez point quand
>>je vous aurai fait voir par des certifi-
>> cats incontestables que mon aïeul , mon
» pere & moi , nous ſommes morts à la
» pourſuite de ce procès ... » Avocat ,
interrompit le premier préſident , Dieu
veuille avoir votre ame , &fit appeller une
autre cauſe.
L'éditeur auroit pujoindreàfon recueil
quelques anecdotes intéreſſantes , relatives
au barreau d'Athènes & de Rome.
Verrès , que l'on accuſoit d'avoir dépouillé
les provinces de fon gouvernement ,
avoit envoyé à l'orateur Hortenfius un
ſphynx d'ivoire , morceau de ſculpture
très - précieux . Cicéron , dans ſon plaidoyer
, ayant dit quelque choſe d'un peu
enveloppé contre la conduite d'Hortenfius
; celui- ci lui répondit, qu'il ne ſçavoit
pas expliquer les énigmes. Aquoi Cicéron
repliqua fur le champ : vous avec chez
vous le ſphynx.
Théophraſte parle d'un vieillard qui ſe
fardoit. L'orateur qui plaidoit contre lui
devant le ſénat d'Athènes , dit qu'il ne falloit
pas croire un homme qui portoit le
menſonge ſur le front.
110 MERCURE DE FRANCE .
Hiftoire de François I. , &c. tomes V,
VI , VII ; par M. Gaillard , de l'académie
des inſcriptions. A Paris , chez
Deſſaint , rue du Foin .
Ces trois volumes ſont la ſuite & le
complément de l'hiſtoire de François I ,
dont les quatre premiers volumes parurent
il y a quelques années,& furent trèsbien
reçus du Public. L'édition eſt épuiſée
aujourd'hui , & l'on en prépare une ſeconde.
L'auteur a réuni dans ces trois derniers
volumes tout ce qui regarde les affaires
éccléſiaſtiques , les arts & les lettres ; la
vie privée de François I; les moeurs &
uſages des François ſous ſon regne . Tous
ces objets forment autant de differtations
qui auroient trop rallenti la narration des
faits principaux & nui à l'intérêt de l'ouvrage
& à l'enchaînement des matieres .
Il eſt queſtion d'abord du concordat ;
de ce fameux concordat dont on dir , lorfqu'il
fut établi , que François Premier &
Léon X venoient de ſe damner tous deux ,
parce qu'ils s'étoient donné l'un à l'autre
ce qui ne leur appartenoit pas . Dans une
aſſemblée folemnelle du clergé François
convoqué à Bourges par Charles VII ,
où aſſiſterent avec le Dauphin , les prin
AVRIL. 1769 .
ces du ſang, les grands & les prélats , on
avoit adopté les canons du concile de
Bafle , & on en avoit formé l'ordonnance
connue ſous le nom de pragmatique
fanction . Cette ordonnance déclaroit le
concile général repréſentatif de l'Eglife
univerſelle , & par conséquent ſupérieur
au Pape ; elle aboliſſoit les droits lucratifs
de la cour de Rome ſur les prélatures
& les bénéfices du royaume , lesréſerves,
les expectatives , les annates , les évocations
, & conſervoit aux égliſes le droit
d'élire leurs évêques ; aux monaſteres ,
celui d'élire leurs abbés , & régloit la difcipline
eccléſiaſtique . Cette pragmatique
étoit appellée le palladium de l'Eglife
gallicane; mais à Rome on la regardoit
comme un attentat contre l'autorité du
fouverain Pontife , & comme l'étendard
de la révolte qu'arboroit une nation ſchif.
matique. Elle fut violemment attaquée
par Pie II qui , lorſqu'il étoit ſecrétaire
du concile de Baſle ſous le nom d'Enéas
Silvius Picolomini , avoit rédigé lui-même
, & défendu par écrit ces mêmes canons
før leſquels étoit fondée la pragmatique
qu'il voulut enfuire détruire. Il arma
contre elle l'évêque d'Arras Joffreoi
qui , ſéduit par l'eſpérance d'un chapeau ,
112 MERCURE DE FRANCE.
&nommé légat du St Siége auprès de
Louis XI , fit entendre au prince que la
pragmatique étoit contraire à ſes intérêts,
& laiſſoit un trop grand pouvoir aux
grands qui , devenus les arbitres des élections
aux bénéfices , diſpoſoient d'une
partie des richeſſes du royaume. Le Roi ,
jalouxde ſa puiſſance,& fufceptible d'ailleurs
de cette eſpéce d'orgueil mal entendu
que des princes d'un eſprit vain &
foible mettent à contrarier leurs prédécefſeurs
, confentit à l'abolition de la pragmatique
, à condition qu'un légat réſident
en France , expédieroit les bulles des
bénéfices , afin que l'argent donné pour
ces bulles ne ſortît pas du royaume. Cette
clauſe eſt ſage & peint le caractere de
Louis XI . Elle ne fut jamais formellement
ratifiée par le St Siége ; mais l'original
de la pragmatique remis an légat
par le Roi , & porté à Rome , n'en fut pas
moins traîné dans la boue aux acclamations
d'une populace eſclave & imbécille
qui , dans ſon abaiſſement , ſembloit s'applaudir
de voir augmenter & s'étendre
dans l'Europe le deſpotiſme pontiacal .
Cet indigne traitement fait à un acte folemnel
du clergé de France , que toute la
nation avoit confirmé , étoit un outrage
AVRIL. 1769. 113
à la dignité de cette nation & du trône ,
qu'on ne pardonneroit pas aujourd'hui . Il
prouve la férocité des moeurs de ce fiécle
& la foibleſſe honteuſe de Louis XI qui
avoit l'eſprit tyrannique , & n'avoit pas
l'ame grande , & qui trouvoit plus aiſé
d'êtredur avec ſes ſujets que fier avec ſes
ennemis .
Cependant la pragmatique n'étoit point
anéantie. Le clergé , le parlement ,l'univerſité
la défendirent avec un courage opiniâtre
juſqu'à la mort de Louis XI . Elle
fut en vigueur fous Charles VIII & fous
Louis XII . Le concile de Latran l'annulla
&le royaume fut mis en interdit. François
I , ſucceſſeur de Louis XII, s'aboucha
enfin avec le pape Léon Xà Bologne. Il
lui baiſa les pieds , les mains & la bouche
, & voulut faire les fonctions de caudataire
, fonctions que des gentilshommes
exercent auprès des cardinaux. Ils
convinrent de ſubſtituer un concordat à
la pragmatique. Le Roi laiſſa le chancelier
Duprat pour régler les prétentions
reſpectives avec les cardinaux d'Ancône
&de Santiquatro. L'intérêt du chancelier
étoit d'attribuer au Roi la nomination aux
bénéfices , (qu'alors , comme l'on ſçait ,
des ſéculiers pouvoient poſſéder ) parce
qu'il attendoit tout du Roi&de la cour.
114 MERCURE DE FRANCE.
Cette nomination fut donc aſſurée au Roi-
& à ſes fucceffeurs par le concordat , &
les annates furent laiſſées au Pape , qui
préféra le revenu de la premiere année
des bénéfices au privilege d'y nommer.
Ce concordat , qui ſubſiſte encore aujourd'hui
, fut conclule 15 Août 1516 , & ne
fut enregiſtré au parlement que le 2a
Mars 1518 , après une très-longue réfiftance
& par les ordres exprès & réitérés
du ſouverain. Mais comme le parlement
affectoit de ne point reconnoître pour loi
ce concordat qui excitoit des querelles à
chaque bénéfice vacant , François I. lui
ôta la connoiſſance de tous les procès concernant
les bénéfices , & l'attribua au grand
confeil.
Dans le chapitre du lutheraniſme,l'auteur
expoſe en détail toutes les circonftances
favorables qui concoururent aux
ſuccès de Luther ; l'abus énorme du pouvoir
des Papes & de la ſuperſtition des
peuples , les murmures & les ſcandales
qu'excita le trafic des indulgences , l'audace
ambitieuſe & avide des moines qui
ſediſputoient les dépouilles des nations,
la protection intéreſſée que l'électeur de
Saxe & d'autres princes d'Allemagne accorderent
au lutheraniſme qui mettoit
dans leurs mains les richeſſes& la puifAVRIL.
1769. 11I9
fancedes eccléſiaſtiques , qui favoriſoit
l'eſprit d'indépendance , & paroiffoit élever
des barrieres redoutables contre l'ambition
de Charlequint & l'autorité impériale.
Il nous repréſente Luther comme
un eſprit inquiet & féroce , entraîné par
les fougues de la révolte & l'aigreur de
la controverſe bien plus que conduit par
des vues profondes & un ſyſtême refléchi
; variant à tout moment dans ſes principes
, ſelon ſes intérêts & ſes haines ,
reconnoiffant d'abord l'autorité du Pape
tant qu'il eſpére n'être pas condamné , &
le nommant l'Antechrift dès qu'il a prononcé
contre lui ; détruiſant tous les dogmes
du chriſtianiſme , ſans être d'accord
fur les ſiens , ni avec lui-même , ni avec
ſes diſciples ; auſſi ennemi de quiconque
pouvoit balancer ſon crédit ou ſa réputation
qu'il l'étoit du Pape & de l'égliſe ,
& fubjuguant ſes rivaux & les peuples
bien plus par l'aſcendant d'un caractere
impétueux de capable de tout que par les
forces de l'éloquence &de la raiſon . Melancthon
, plus éclairé , plus ſage , plus
doux , aimoit en lui le réformateur , &
redoutoit le chef de parti ; il le blâmoit
ſouvent & lui cédoit toujours. Carloſtad,
chef de la ſecte des ſacramentaires, l'une
des branches de la réforme , ſe trouve
116 MERCURE DE FRANCE.
avec lui dans Orlemonde . « Il lui fait
>>jetter des pierres &de la boue par le
>> peuple , & vient enſuite le trouver dans
>>fon auberge , à l'Ourſe noire, pour con-
>> férer avec lui : il s'excuſa ſur les ſédi-
» tions qu'on lui reprochoit ; mais il
» avoua qu'il ne pouvoit ſouffrir l'opi-
» nion de Luther ſur la préſence réelle.
>> Luther , avec le mépris & l'arrogance
>> de la ſupériorité , lui conſeille d'écrire
>> contre cette opinion . Voici , lui dit- il,
» unflorin queje donne pour t'y engager.
>>On croiroit que Carloſtad lui jetta fon
>>>florin , non , il le prit. Les deux cham-
» pions ſe touchent dans la main, ſe pro-
> mettent bonne guerre ; on
>> vin. Luther , toujours railleur & dé-
>> daigneux , boit à la ſanté de Carloſtad
» &du beau livre qu'il va mettre au jour .
>> Carloſtad lui fait raiſon , & voilà la
>> guerre déclarée à la maniere du pays. »
Eraſme , qui eut depuis une ſi prodigieuſe
réputation ,&que tous les ſouverains
de l'Europe ſe diſputoient , Eraſme
plaiſanta d'abord ſur la réforme. « Tous
>> ces grands mouvemens , diſoit- il,abou-
» tiffent à défroquer quelques moines &
>>à marier quelques prêtres. La réforme
» n'eſt qu'un drame tragi- comique dont
>> l'expofition eſt impoſante , le noeud
fait venirdu
AVRIL. 1769. 117
>> ſanglant & le dénoument heureux .
>> Tout finit par un mariage. » Mais il ne
plaiſanta plus lorſqu'il penſa lui - même
être la victime des théologiens , jaloux
de ſon mérite & de ſa renommée , &
qu'il n'échapa que par la protection ſpéciale
de François I. D'ailleurs il ſemble
qu'il y avoit plus à gémir qu'à plaiſanter ,
lorſque les buchers s'allumoient dans toure
la France par les ordres de ce même
François I , qu'on appelle le Pere des lettres
, & qui ne fut fûrement pas celui de
ſon peuple ; lorſque ce prince , animé
par les délateurs , brûloit chez lui
les réformés qu'il protégeoit en Allemagne
; lorſque des prêtres& des magiſtrats
conduifoient des bourreaux à Mérindol
& à Cabrieres , exterminoient par le fer
& par le feu les Vaudois fans défenſe ,
comme des tigres égorgent des agneaux ,
&ordonnoient des horreurs & des cruautés
qui faifoient frémir juſqu'aux foldats
barbares qui les exécutoient ; enfin lorfque
les fufeurs du fanatique Jean de Leyde
& des anabaptiſtes déſoloient l'Allemagne
& y étaloient encore plus d'abominations
que le calviniſme n'en étaloit
en France , ſi l'on excepte la St Barthelemi
, à qui rien ne reſſemble dans les annales
des crimes .
:
18 MERCURE DE FRANCE
Ces affreux tableaux nous ſont retraces
par l'auteur. Il compare à Luther l'apôtre
de Genéve , Calvin . " Celui-ci étoit un
>> raiſonneur plus exact , plus méthodi-
>> que , un écrivain plus correct, plus pré-
>> cis , plus élégant , plus ſage ; il appar-
>>>tient à l'hiſtoire littéraire de ſon ſiècle.
>> Luther , étranger à toute littérature , ne
>> peut être reclamé que par l'école. »
M. Gaillard paſſe à l'hiſtoire littéraire.
Il remonte juſqu'à la premiere race de
nos rois , conſidère preſque tout ce qui a
été ſçavant ou qui en a eu le nom juſqu'à
François I , & diviſe enſuite en trois
époques tout l'eſpace qu'il a parcouru.
<<Pendant la premiere , qui s'étend juſ-
>> ques vers le milieu du onziéme fiécle ,
>> toute la littérature étoit entre les mains
>> des moines ; cette époque nous fournit
>> des chroniques , des légendes , de très-
>> mauvaiſes poëſies ; ſouvenons - nous
>> ſeulement que ces moines nous ont
> conſervé les manuscrits des anciens ,
>> fondement de toute littérature moder .
>> ne. Sous la ſeconde époque , qui com-
>> prend deux ou trois ſiècles , les lettres
>> concentrées dans l'univerſité ſe rédui-
>> fent preſque à la ſcholaftique ; la phi-
>> loſophie confondue avec la théologie ,
> le droit civil étouffé par le droit cano
AVRILL. 1769. 119
>> nique , des diſcoureurs en jargon bar-
>> bare , beaucoup d'hérétiques ; voilà les
>>ſciences &les ſçavans de ce temps- là.
•Enfin la troiſième époque eſt un tems
» de fermentation , où la bonne littéra-
>> ture dont Pétrarque avoit donné l'a-
>> vant-goût , fait effort pour percer l'en-
>>veloppe de la barbarie ; la langue veut
>> ſe former ; mais elle a beſoin de ſe
>> nourrir du ſuc des langues ſçavantes ,
» & on commence à deviner ce beſoin,
>>Les arts , chaffés de leur patrie , cher-
>> chent à s'établir en France ; l'impri-
>>>merie découverte étend & accé-
» lère la communication des idées , les
» vues naiſſent , l'émulation s'anime ; la
» raiſon humaine eſt en travail ; tout
» promet un nouvel ordre de choſes . En
>> revenant fur ces trois époques on ne
> trouve dans la premiere que des écri-
» vains tous au même niveau , & vrai-
» ſemblablement tous au niveau de leur
>> fiécle . Qui pourra dire ſi Adon l'em-
» porte ſur Jonas , ou fi Belgant vaut
>> mieux que Glaber ? La ſeconde époque
>> nous offre des auteurs qui ont donné
>> le ton à leur fiécle. Tels font au dou-
• ziéme St Bernard& Abailard ; tels font
» au treiziéme ces docteurs cordeliers &
110 MERCURE DE FRANCE .
>>jacobins qui regnent dans l'école. Enfia
» ſous la troiſième époque je vois quel-
» ques génies tellement élevés au - deſſus
>>de leur fiécle , que leur fiécle ne peut
>> prendre le ton qu'ils lui donnent , &
>> que l'eſprit ne peut être élevé à cette
>> hauteur que par une lente ſucceſſion
>> d'efforts & de travaux. Tel eſt Pétrar-
>> que pour l'élégance du ſtyle , pour les
>>couleurs de la poësie , pour le ton du
>> ſentiment ; tel eſt Commines pour la
>> naïveté originale , pour l'intérêt de la
> narration , pour l'énergie des tableaux
>>hiſtoriques. >>
François I aima & protégea les lettres ;
mais s'il avoit le goût des arts , il n'avoit
aucune philofophie. Sa foeur la reine de
Navarre en avoit bien plus que lui. S'il
eût penſé comme elle , il n'eût point été
perfécuteur , il n'eût point écouté les délations
des théologiens , ni recompenfé
les ſuccès dans la controverſe. Cependant
il ne faut point oublier les obligations
qu'on lui doit avoir. Il fonda le collége
royal ; il aima & enrichit Budée , celui
qui , de tous les lettrés de ce tems , étoit
le plus ſçavant & le mieux ſcavant ; il ne
put fixerEraſmeen France , Eraſme le ſeul
philoſophe de ce ſiécle; mais il eut le
mérite
AVRIL. 1769. ΓΕΣ
mérite de l'appeller dans ſes états , & de
le défendre contre la Sorbonne.
Tous les travaux , tous les monumens ,
tous les ſçavans du regne de François I ,
la muſique , le commerce , la guerre , le
dael , &c. font l'objet d'un examen trèsdétaillé
, dans lequel nous ne pouvons
pas entrer. On trouve par-toutune érudition
puiſée dans les meilleures ſources ,
&éclairée par le goût , une impartialité
foutenue , beaucoup de clarté&d'intérêt
dans le ſtyle , de la netteté , de la méthode
, l'amour de l'humanité , de la juſtice
&dela vérité .
Contes philofophiques & moraux; par M.
de la Dixmerie , nouvelle édition corrigée
& augmentée; 3 vol . in- 12 . A Paris
, chez Delalain , rue St Jacques, &
Lacombe , rue Chriſtine , 1769 .
Le conte en proſe eſt aujourd'hui en
faveur. Ceux qui ſçavent que chaque genrede
littérature a ſes difficultés , n'ignorent
pas que celui- ci a les ſiennes particulieres.
Il a auſſi ſon objet propre. Il eſt
devenu le tableau de nos moeurs actuelles
, tandis que notre comédie ſemblede
plus en plus s'en éloigner. Ce n'eſt pas
que le conteur doive s'aſtreindre unique-
1. Vol. F
..
1
122 MERCURE DE FRANCE .
ment ànous offrir des perſonnages de notre
tems & de notre pays. Il peut à fon
gré varier la ſcène & la tranſporter dans
des lieux qui nous ſont le plus étrangers.
C'eſt ſouvent de pareils contraſtes que réfultent
les meilleures leçons. Tacite , en
peignant les moeurs des Germains , frondoit
indirectement celles de ſes compatriotes.
Il paroît que l'auteur des Contes
philofophiques n'a jamais perdu de vue cet
objet analogue au titrede ſon ouvrage. Il
tranſporte ſon lecteur dans preſque tous
les climats du monde connu ; mais il eſt
fidéle à l'obſervation du coſtume , & ne
s'éloigne jamais du but moral qu'il ſe
propoſe. Il change de ton à meſure qu'il
changede local , & c'eſt toujours une heureuſe
imitationdu langage&du caractere
de chaque peuple où il choiſit ſes perſonnages.
M. de la Dixmerie a même traité
quelques ſujets pris dans le merveilleux
&dans la féerie; mais c'eſt dans ces fortes
de morceaux qu'il s'attache à ſemer
encore plus de morale , de philoſophie &
de traits épigrammatiques ; ſeul moyen
de rendre ce genre de contes utile & intéreſſant.
L'Anneau de Gygès; la Corne
d'Amalthée ; l'Oracle journalier , les Péris
&les Néris , & quelqu'autres contes qui
AVRIL 1769. 123
entrentdans ce recueil, fontd'une forme
&d'un ton qui appartiennent à l'auteur,
&le ſuccès qu'ils ont eû prouve généralement
leur mérite. Les deux premiers volumes
de cette ſeconde édition renferment
le même nombre de morceaux que
la premiere. L'auteur s'eſt ſeulementcontenté
d'y faire quelques changemens &
additions. Le tome troifiéme eſt abſolument
nouveau.
Dansl'Anneaude Gygès , Leuxis,muni
de cet anneau , a la faculté de ſe rendre
inviſible. Il en fait uſage dans la recherche
qui l'occupe , celle d'un ami fincere
&d'une maîtreſſe fidele. Il reconnoît
ſouvent qu'il s'eſt trompé dans le choix de
l'un& de l'autre .
Eumene , dans la Corne d'Amalthée ,
doit être exaucé dix fois par Jupiter. Il
uſe de ce privilege pour eſſayer de beaucoup
de profeffions.
Il eſt difficile de peindre avec plus de
préciſion & de légereté que ne le fait
l'auteur dans ce début d'un autre conte.
« Certain enchanteur & certaine fée s'ai-
>> moient depuis ſi long-tems qu'ils com-
>> mençoient à ſe haïr. Tous deux , cepen-
>>dant vouloient paroître s'aimer encore,
>> parce que tous deux ſe craignoient.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
> Leur pouvoir étoit à peu près le même ,
>> leurcaractere entierement oppoſé. C'est
>> ce qui avoit fait furnommer l'une la fée
• Colere , & l'autre l'enchanteur Pacifi
>> que. L'une étoit extrême en tout , ai-
» moit & haïffoit avec emportement ,
>>protégeoit & perſécutoit avec la même
ardeur , faiſoit le bien, faiſoit le mal ,
>> s'en repentoit tour-a-tour : en un mot
- la meilleure&la plus mauvaiſede tou-
» tes les femmes. L'autre , à toutes les
>>bonnes qualités de la premiere ne joi-
>>gnoit qu'un petit nombre de ſes dé-
>> fauts. Il avoit le pouvoir de nuire , &
>> n'enuſoitque modérement ; vertu dès
>>lors auſſi rare que celle d'obliger : c'é-
>>toit, pour mieux dire , un deces hom-
>>mes qui font le bien par penchant , &
>> ſe permettent le mal quand on oſe les
>> pouffer àbout. »
Dans le conte qui a pour titre les deux
Prix, plus d'une rivale ſe met ſur les
rangs pour obtenir celui de la beauté. «La
>>blonde Iſmene s'avança la premiere, Ses
>> regards avoient la douceur des rayons
* de l'aurore ; ſes traits plus d'agrément
>> que de régularité On l'eût priſe pour
>>une Grace; mais on ne l'eût jamais priſe
» pour Vénus.
AVRIL. 1769. 125
» La brune Zirphé parut enſuite. Sa
>> taille & fa démarche ſont celles d'une
>> nymphe ; fon oeil lance les feux brûlans
>> du Midi. Il n'échauffe pas, il confume.
» Zirphé a l'art de faire naître lesdefirs ,
»mais rarement elle inſpire l'amour. On
>> cherche à la vaincre plutôt qu'à lui
>>plaire.
>> Dircé eût voulu devancer les deux
>> premieres. Son foible eſt de vouloir
>> dominer par - tout. On ne dira point
>> qu'elle manque de beauté; on ne dira
>>pas que Dircé ſoit belle. Son air impé-
>> rieux nuit à ſes agrémens ; il effarouche
>> le timide Effain des Graces. Jamais
» Dirce ne marche en leur compagnie.
>>On la prendroit pour l'altiere Junon
>> qui vient , non pas difputer , mais exi-
>>ger la pomme.
»Une foule d'autres Theffaliennes
» s'empreſſoient de paroître. Leurs char-
>> mes réunis , mais preſque tousdifférens ,
> offroient la riante variété des fleurs d'un
>> parterre.
>>Doris n'arrivaque la derniere. Tous
>> les yeux , tous les coeurs volerent à fa
>>>rencontre. Tous furent éblouis , tous
>> furent émus . On douta ſi ce n'étoit
>>point Vénus elle-même qui alloit pré-
> ſider aux myſteres de ſon temple.>>
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
1. Paflons au troiſiéme volume , qui eft
entierement ajouté à cette édition. Le
premier morceau qu'il préſente eft Charles
Martel , anecdote françoiſe. Il étoit
difficile de faire figurer ce fameux capiraine
dans une intrigue galante ſans rien
dérober à fon caractere. C'eſt pourtant ce
que l'auteur entreprend & exécute avec
fuccès. 1
Le Sage honteux de l'étre , qui vient
après, eſt un tableau puiſe dans nos moeurs
actuelles. Dorval , homme à la mode ,
rougiffoit d'un rôle qui n'étoit en lui que
factice. « Parvenu à l'âge de trente ans ,
>>il en regrettoit douze , perdus dans la
diſſipation. Il avoit en lui de quoi ſe
>> rectifier ; un eſprit juſte , quoique bril-
> lant; un coeur ſenſible , quoique parta-
>> gé. Douze ans de travers n'avoient pu
>>anéantir cet heureux naturel , & Dorval
>> n'aſpiroit qu'à ſe montrer tel que la na-
>>>ture l'avoit fait naître. >>
M. de la Dixmerie a ſçu tirer un conte
très agréable & très- ingénieux d'un des
points de la théologie des Gaulois , nos
ancêtres. C'eſt celui des Lamies, fortesde
divinités bocageres qui , pour acquérir
l'immortalité , avoient beſoin de s'humanifer
avec quelque mortel.
Héraclite & Démocrite , voyageurs. « La
AVRIL. 1769. 127
>> folie de ces deux ſages fut d'un genre
bien oppoſé. On ſçait qu'Héraclite s'af-
>> fligeoit de tout , & que tout faisoit rire
>> Démocrite. Ils eurent une maniere de
>> voir & de ſentir en tous points diffé-
>> rente . Ce fut auſſi un motiftrès-diffé-
>>rent qui leur fit parcourir plus d'un cli-
>> mat. Démocrite vouloit eſſayer s'il
> pourroit une ſeule fois prendre ſon ſé-
>>rieux: Héraclite, s'il pourroit une ſeule
>> fois perdre le ſien . >>> :
Dans l'Amour tel qu'il eſt , Cinthie ,
mere de Flora , veut préſerver ſa fille des
diſgraces que l'amour lui a fait éprouver
àelle-même. Elle emmene Flora habiter
une maiſon de campagne. «C'étoit un
>>ſéjour iſolé ; mais ony jouiſſoit en re-
» pos des tréſors & des ornemens de la
>> nature. Elle s'y jouoit & s'y reprodui-
>> ſoit ſous mille formes. Voyez , ma
>>fille , diſoit Cinthie à Flora , voyez ſi
>> jamais Athènes vous offrit un pareil
>ſpectacle ? Ala ville tout eſt preſtige ;
>> ici tout eſt vérité:rien n'y trompe l'ame ,
>>ni les regards. Ecoutez le ramage de
> ces oiſeaux : il charmera votre oreille ,
>> mais votre coeur n'en doit rien redou-
>> ter. A la ville , à peine l'oreille eſt fla-
» tée que déjà le coeur eſt ſéduit. »رد
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
Le ſujet de Mélusine développe un autre
point de la métaphysique du coeur.
L'amour embellit tout ; une magicienne
change les traits de Liſidor & de Zulia .
Ils ne s'en apperçoivent ni l'un ni l'autre,
parce que leur coeur n'eſt point changé.
Tous deux se trompoient , & le danger
desEpreuves nous ramenent à nos moeurs
préſentes. L'auteur y change de ton , & il
atoujours foin d'en changer toutes les fois
qu'un ſujet qu'il veut traiter l'exige : attention
rare dans un conteur. C'eſt eependant
l'unique moyen d'éviter la monotonie&
de peindre avec vérité.
Nousdevons ajouter que l'auteur a une
maniere de voir &d'écrire qui lui eft propre.
On le reconnoîtra , on le diftinguera
toujours à l'une & à l'autre. Il enviſage
toujours les objets du côté le plus piquant,
&il les peint comme il les enviſage. Partout
il eſt à fon aiſe , & ſe montre ſupérieur
augenre qui l'occupe. L'épigramme
s'offre àlui plutôt qu'il ne ſemble la chercher.
Il réveille fans ceſſe le lecteur par
des traits inattendus , & il inſtruit en paroiſſant
ne vouloir qu'amuſer. Ce recueil,
enfin , le plus varié qu'un même auteur
ait encore mis au jour , doit être recherché
par toutes les claſſes de lecteurs. Cha
AVRI L. 1769. 129
cund'euxytrouvera en ſon particulier de
quoi ſe ſatisfaire..
Voyages& aventures du ChevalierD***.
ALondres; & ſe trouve à Paris , chez
Deſſain Junior , libraire , quai des Anguſtins
, à la bonne Foi , 1769 , 4 vol .
17-12.
Cet ouvrage eft diviſé en quatre parties.
Lapremiere contient les voyages de
l'auteur dans les Iſles Françoiſesdu Vent
de l'Amérique ſeptentrionale , ycompris
les Iles Caraïbes de Saint-Vincent, Sainte
Lucie& la Dominique,&dans cellede
Saint-Thomas , appartenante aux Danois;
la ſeconde , ceux qu'il a faits aux Iles
Antilles Françoiſes ſous le vent de l'Amérique
ſeptentrionale , à la Havane , capitale
de l'Iſle de Cuba , & à Porto-Rico,
appartenant aux Eſpagnols ; à San - Jago
de la Vega , capitale de la Jamaïque , &
à Port - Royal , appartenant aux Anglois ,
& ſon ſecond voyage à la Martinique.
Les voyages à la Barbade , à la Grenade,
à Caraçao , à Cayenne , à Surinam & à
Lisbonne forment la troiſième partie ; &
ceux au Port de Paix , à la Havane , au
Cap François , à l'Ancien & auNouveau
Fv
130 MERCURE DE FRANCE .
Mexique , à la Louiſiane & au Canada ,
rempliffent la quatrième partie.
Nous avons la deſcription de tous ces
pays où M. le chevalier de *** a voyagé ,
dans des livres eſtimés; mais ceux qui
ont fait cette deſcription l'ont écrite d'aprèsdes
mémoires qui n'ont pas toujours
été l'ouvrage de perſonnes éclairées en
état de raconter ce qu'elles ont vu ; de
façon que les auteurs qui ont travaillé
d'après ces mémoires ont pu , en ſe trompant
, tromper le Public , qu'ils vouloient
inſtruire. Ce n'eſt point ce qu'on doit
craindre en lifant l'ouvrage que nous annonçons.
L'auteur a vu ce qu'il décrit , &
on peut compter ſur la fidélité & l'exactitude
de ſes narrations. Elles contienment
de choſes très - piquantes ſur les
moeurs des habitans & l'hiſtoire naturelle
de chaque pays. L'auteur parle de
fes aventures qui font preſque toujours
galantes , mais qui peuvent intéreſſer le
coeur. Son intention , en les écrivant , a
été de faire voir « les dangers que court
>>une jeuneſſe inconſidérée, trop tôt li-
» vrée à elle-même , ce qui donnera (dit-
>> il ) matiere à réflexion à ceux qui en-
>> treprendront de fournir pareille carriere."
:
AVRIL. 1769. 131
On trouve encore dans cette compolition
des hiſtoires des perſonnes qui ont
voyagé avec l'auteur , ou qu'il a rencontréesdans
ſes voyages. Parmi ces hiſtoires
il en eſt deux , celles de Mlle d'Orbigni
&de Milord Tonſon qui méritent d'être
lues.
Au reſte , tout ceci eſt écrit en forme
de mémoires , & il faut convenir que
cette forme eſt plus agréable que celle de
la relation . ;
Si cet ouvrage eſt goûté , comme on
doit le croire , l'auteur donnera ſes autres
voyages de Guinée , aux Indes , en Egypte
&en Turquie .
,
Nouvelles recherchesfur les découvertes microscopiques
& la génération des corps
organiſes , ouvrage traduit de l'Italien
de M. l'abbé Spalanzani... & dédié à
fon alteſſe M. le prince de Marfan
par M. l'abbé Regley , aumônier de
ſon alteſſe, avec des notes & des recherches
de M. Needham ſur la nature & la
religion, une nouvelle théorie de la terre
, & une meſure de la hauteur des Alpes
.A Londres , & à Paris chez Lacombe
, rue Chriſtine , près la rue Dauphine
1769 : volume in-8 ° de 664 pages ,
avec figures. Prix , rel . 6 liv.
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
Cet ouvrage eſt diviſé en deux parties ;
nous nous bornerons aujourd'hui à la premiere
dans laquelle on trouve le diſcours
préliminaire du traducteur ; la differtation
de M. Spalanzani & les notes de
M. Needham ; nous reviendrons à la ſeconde
dans un autre extrait .
Dans le diſcours préliminaire M. l'abbé
Regley paſſe en revue toutes les découvertes
microſcopiques qui ont été faites
par les Lewenhoeck , les Hoſtſocker ,
les Swamerdam , les Baker , les Malpighi&
c. » Il ſemble , dit- il , que l'homme
>> peu contentde la claſſe mitoyenne dans
>> laquelle la nature l'a placé , ait voulu
>>rapprocher ces deux extrêmes de la
>> petiteſſe & de l'éloignement. D'un
» côté le télescope ſoumet à ſes regards
>> ces maſſes énormes , ſolides ou enflam-
>>mées qui roulent & ſe balancent dans
>> les airs. De l'autre , le microſcope lui
⚫dévoile ces particules imperceptibles
»&preſque élémentaires qui entrentdans
>>la compoſition des corps ». Il nous
donne enfuite le détail des découvertes
denos plus habiles obſervateurs. Une eau
dans laquelle on a fait infuſer des grains
de poivre , a fourni des animaux qui ont
autour d'eux une frange avec de longues
foies en forme de queue,&dont la lon
AVRIL. 1769. 133
gueur réelle n'égaloitque le diamètred'un
cheveu. Il y a dans les eaux de foin , de
froment , d'avoine , de paille , &c. des
animaux ovales & ſemblables àdes oeufs
de fourmi. Baker a vu des ſerpens ſur l'écume
de l'eau de foin : il a conſervé dans
de la cole de farine aigrie des anguilles ,
auxquelles le microſcope ſolaire donnoit
juſqu'à deux pouces de diamètre , & dont
on diftinguoit les viſcères. Joblot a apperçu
dans une infuſionde citron un animal
qui avoit fur le dos la figure d'un fatyre.
Lewenhoeck a découvert dans la matiere
gluante qui eſt ſous les eaux croupies
, des animaux à deux & à quatre roues
armées de dents qui ſortent de leur tête ,
& tournent circulairement comme fur
un effieu.
Lepou,dont la vue fait horreur , s'embellit
au microſcope , on y voit le battementrégulier
de ſon pouls , ſon ſuçoir eft
700 fois plus délié qu'un cheveu. La puce
ades écailles du plus beau poli , placées
avec beaucoup d'ordre & de régularité.
Le couſin a fur la queue des plumes de la
plus grande beauté , & fur les aîles un
brillant & long falbala . » La mouche pré-
>>ſente au microſcope des richeſſes qui
>> étonnent,un luxe qui éblouit ; la tête
134 MERCURE DE FRANCE.
>> eſt ornée de diamans ; ſon corps eft
>> tout couvert de lames brillantes , elle
> a de longues ſoies & un plumage écla-
>>tant: un cercle argenté environne ſes
>> yeux ; ſa trompe eſt affilée de maniere
» qu'elle lui donne la double propriété
>> de trancher les fruits & d'en pomper
>> les fucs ..
Les écailles des poiffons ont de petites
lames qui marquent leur âge. La peau de
l'homme a des écailles qui la couvrent
& qui peut- être ſont la cauſe de ſa blancheur;
le microſcope nous montre ſes
cinq pans , & la maniere dont les écailles
anticipent les unes fur les autres. Lewenhoeck
y a compté 144 millions de
pores fur un pied quarré. »Aquel point
>> la nature n'a-t-elle pas porté la ténui-
>>té des parties du ſang ! Lewenhoeck &
>>Jurin ont calculé 160 de ces globules ,
>>placés les uns à côté des autres , éga-
>>lant à peine la longueur d'une ligne ;
>>>ils les ont trouvés mols & flexibles dans
>> un état de ſanté , mais durs & roides
>> dans nos maladies; on voit ſa circula-
» tion , les alternatives qu'éprouvent fes
>> globules en paſſant d'un grand vaiſſeau
>>dans un plus petit , leurs colliſions &
>> juſqu'à la forme ovale qu'ils font for-
>> cés de prendre pour y entrer.
AVRIL. 1769 135
Il y a dans ce difcours des choſes fort
intéreſſantes& qui répandent un grand
jour ſur toutes les découvertes microfcopiques.
Le but de M. l'abbé Regley paroît
avoir été de donner un précis des
choſes propres à nous mettre fur la
voie de faifir le méchaniſme de la nature
dans la génération des corps organifés
, tant dans le regne animal que dans
le regne végétal. C'eſt ſans doute dans
cette vue qu'il cite les fameuſes obſervations
de Harvey ſur les daims & les biches
du parc de Charles premier , Roi
d'Angleterre , la découverte des organes
des plantes ,& les figures conſtantes qu'affectent
les ſels des végétaux & des minéraux
examinés avec le microſcope. 11
rappelle la folie de ceux qui ont cru y appercevoir
la matiere fubtile de Deſcartes
&les émanations de l'aimant ; il n'oublie
pas non plus l'extravagance de ces obfervateurs
qui ont prétendu demêler dans
chaque animal microſcopique le penchant
& le caractère de l'eſpéce , dans le
chien la vigueur & la force ; dans le liévre,
la foibleſſe& la crainte ; dans le coq ,
le feu , la vivacité , l'andace. » N'a- t- on
>> pas vu Lewenhoeck s'y méprendre , appeller
ſes voiſins & leur montrer avec
>> enthouſiaſme les entrailles d'un bélier ,
MERCURE DE FRANCE.
>>oùde jeunes brebis ne marchoientqu'en
>> troupe , & ſuivoient timidement leur
>>conducteur comme celles qui broutent
>>l'herbe de nos campagnes ?Contentons-
>> nous , dit M. l'abbé Regley , de por-
>> ter nos regards ſur les objets que le mi-
>>croſcope nous rendſenſibles ,& foyons
>> affez ſages pour ne point nous élancer
» au dela...... N'est-ce pas allez pour
> nous de croireque nous nous ſommes
> avancés juſques ſur lesbordsde ce baf-
>>fin où la nature travaille à la premiere
>> formation des corps , & que nous y
>>avons vu nager l'homme & les ani-
>> maux ? Si cette vérité nous reſte , elle
>> doit nous ſuffire » .
La Differtation de M. Spalanzani a
pour objet de combattre le ſyſtême des
forces plaſtiques qui vient d'être renouvellé
par MM. de Buffon & Needham.
l'auteur commence par examiner l'instinct
& les loix que ſuivent les animalcules
microfcopiques , &toutes les formesde
ceux que nous donnent les infuſions des
chairs &desgraines. Dans une infuſion
de graine de citrouille , il a vu des animalcules
s'élancer en tout ſens , fuivre
une ligne droite , ou s'agiter circulairement
, tourner fur eux- mêmes , & fe jerter
avec avidité furde petits morceaux de
AVRIL. 1769. 137
1
matiere: leur forme approchoit de l'ovale,
excepté unpetit bec crochu , & leurs vifcères
n'étoient autre choſe qu'un amas de
véſicules rondes&tranſparentes.
Les animalcules de l'infuſion depetite
camomille avoient plus de volume , &
une plus grande quantité de globules. 11
y en avoit de même dans ceux qu'ont
donnés la patience , le bledde Turquie &
le froment. M. Spalanzani jetta dans l'infuſionquelquesgouttes
d'urine pour déchirer
la pellicule qui leur ſervoitd'enveloppe,
&voir les globules à découvert. Tous
lesanimaux périrent dans des convulfions
étranges&ne préſenterent plusqu'un afſemblage
de petits grains fortis de leur
gouffe; mais ce qui ſurpritbeaucoup notre
obſervateur , cefut d'appercevoir que chacunde
ces êtres , qu'il appelle animaux ,
acquéroitune couronnede filets ou petits
points allongés , ſemblables à des rayons
qui divergent du centre à la circonférence
: ſouvent leur mouvement ne duroit
qu'autantde tems que leur organiſation
ſe trouvoit dérangée par les ſels corroſifs
de l'urine.
Ces petits animaux avoient ſans doute
un mouvement ſpontané ; on les a vus
éviter avec beaucoup d'adreſſe les obſtacles
qui ſe rencontroient dans leur route,
138 MERCURE DE FRANCE.
s'éviter entr'eux , ne jamais ſe heurter
malgré leur nombre , s'obſerver avec
l'oeil , becqueter doucement les parcelles
des végétaux , ſe réunir lorſque le fluide
diminuoit , paſſer du repos à un mouvement
rapide , nager contre l'effort du cou
rant , & changer bruſquement de direc
tion , ſans y être portés par aucune impulſion
étrangere. L'auteur a obſervé que
ces animaux ne ſe montrent jamais en
hiver , à moins que l'athmoſphere de la
chambre ne ſoit plus tempérée que l'air
du dehors. Ils ont beſoin , pour paroître,
d'un certain degré de chaleur ; mais une
fois nés , on peut les expoſer à toute la
violencedu froid.
M. Needham vent qu'il y aitune force
végétative intérieure qui agit en tout tems
fur chaque point de la matiere , & qu'il
ſuffit , pour l'apparition des êtres microfcopiques
, d'exciter cette force , fans cependant
lui laiſſer prendre la route de la
végétation ordinaire , afin de la rappeller
enſuite à la végétation vitale. Les êtres
microſcopiques ſe conforment toujours à
la décompoſitionde la ſubſtance infuſée;
ils ſe propagent par diviſion , & naiſſent
ſouvent par une eſpéce d'accouchement.
Les plus grands diminuent en ſe partageant
, & les petits ſe diviſent juſqu'à
AVRIL. 1769 . 139
د
une diſparition torale; mais les petits, au
lieu d'aggrandir leur volume en prenant
quelque nourriture, font toujours les premiers
à diſparoître. Lorſque ces êtres ſe
diviſent ce n'eſt que pour paſſer alternativement
d'un état de végétation à un
état de vitalité parfaite ; c'eſt affez malà-
propos que l'on veut les claſſer dans le
rang des animaux; il eſt prouvé qu'ils ne
ſe changent jamais en moucherons ni en
chtyſalides ,comme les infectes , & qu'ils
nemeurent jamais comme eux d'une more
naturelle.
Nous ne donnons ici qu'une eſquille
du ſyſtème de Monfieur Needham . C'est
dans l'ouvrage même qu'il faut lite
les détails de ces raiſonnemens philofophiques
& profonds. Nous terminerons
cet extrait par la ſage réflexion de
M. l'abbé Regley , qui ne paroît pas luimême
adopter cette opinion. « On fent
>> bien , dit- il , qu'il ne s'agit ici que d'un
>> ſyſtème , & que tout ſyſtême n'enleve
>> pas néceſſairement les fuffrages. La na-
>> ture ne nous trompe jamais fur les effets
; ce font toujours les cauſes qui
>>nous égarent. Peut-être que la Divini
» té, qui a ſi bien caché le jeu de la grande
>>machine de l'Univers , s'amuſe des ef-
>>forts que nous faiſons pour en conndî
140 MERCURE DE FRANCE.
>> tre les refforts ſecrets , & ritde nos re-
» reurs. Mais erreur ou vérité , cela nous
>> occupe , &nous y mettons de l'impor-
?
>> tatice.>>
L'Iſle de Robinson Crusoë, extrait de l'Anglois
; par M. de Montreille.
Cet ouvrage , annoncé l'année derniere
avec éloge, & qui ne ſe trouvoit alors que
chez Deſaint , libr. rue du Foin , ſe trouvera
encore aujourd'hui chez Brocas , rue
St Jacques ; le Jay , quai de Gevres , & au
Palais-Royal.
Sermons pour l'Avent & le Caréme ; par
M. Jaquin , chapelain de la cathédrale
d'Amiens , des académies royales de
Rouen &de Metz , & honoraire de la
ſociété royale d'Arras. A Paris , chez
Deſaint , libraire , rue du Foin , la premiere
porte cochere à droite , en entrant
par la rue St Jacques ,
2volumes.
in- 12.
Quelques-unsdes ſermons que contient
ce recueil n'ontpas été prêchés;une poitrine
foible , une voix peu étendue forcerent
de bonne heure M. Jaquin à renoncer
au miniſtere de la parole. Il avoit
été élevédans un ſéminaire, où la régle
AVRIL. 1769. 141
obligeoit tous les afpirans au facerdoce à
reciter chaque année un fermon ; elle
leur permettoit de les prendre dans les
recueils imprimés ; il préféra decompoſer
les ſiens ; auſſi - tôt qu'il en eut une
certaine quantité , il commença à prêcher;
lorſque ſa ſanté l'obligea de ceffer ,
il entreprit un ouvrage conſidérable ſous
le titre de l'Esprit de la Religion qui l'occupe
encore. Ses difcours font écrits avec
ſimplicité , avec clarté ,& remplisd'ono
tion.
Hiſtoire littéraire des Femmes françoiſes ,
ou lettres hiſtoriques & critiques contenantun
précis de la vie &une analyſe
raiſonnée des ouvrages des femmes
qui ſe ſont diftinguées dans la littérature
françoiſe; par une ſociété de
gens de lettres.
: Quid fæmina poffet. VIRG. Antid,
A Paris , chez Lacombe , libraire , rue
Chriftine ; s vol. grand in- 89. de plus
de 600 pag. chacun. Prix rel. 25 liv.
Cette collection précieuſe , une des
plus intéreſſantes que la littérature françoiſe
ait encore produires, renferme l'hiftoire
littéraire des femmes françoiſes ,&
142 MERCURE DE FRANCE.
contient tout ce que la délicateſſe de leur
goût& leurs talens agréables leur ont fait
écrire de plus intéreſſant. On nepouvoit
expoſer dans un jour plus favorable les
agrémens de leur eſprit. Nous ferons
connoître plus au long cette collection
qui tient lieu de plus de deux
mille volumes par des analyſes bien faites
de tous les ouvrages des femmes , dont
on retrouvera le coloris , la maniere en
quelque ſorte , le deſſein& les traits piquans
, dans de nouveaux tableaux refaits
& reproduits d'après leurs ingénieuſes
compoſitions.
.an
Garrick ou les Acteurs Anglois , ouvrage
contenant des obſervations ſur l'art dramatique
, ſur l'art de la repréſentation
& le jeu des acteurs , avec des notes
hiſtoriques& critiques , &des anecdotes
ſur lesdifférens théâtres de Londres
&de Paris , traduit de l'anglois. A Paris
, chez Lacombe , libraire,rue Chriftine
1769. vol . in. 8°, de 200 pages ,
broch , 1 liv. 10 f.
Cet ouvrage eſt amuſant & inſtructif.
Il donne l'idée des talens convenables à
un bon acteur. On y trouve auffi beaucoup
de traits , d'anecdotes & de notes
AVRIL. 1769. 143
curieuſes. Nous en parlerons plus en détail.
Ne pouvant placer dans ce volume le
compte que nous nous propoſons de
rendre du nouveau poëme des Saiſons ,
par M. de S. L. , nous croyons au moins
faire plaiſir à nos lecteurs de rapporter à
ce ſujet l'extrait d'une lettre de M. de
Voltaire à M. de la Harpe.
AFerney, ce 10 Mars 1769 .
« L'ouvrage de M. de St Lambert me
>>paroît à pluſieurs égards fort au- deſſus
>>du fiécle où nous ſommes. Ily a de l'i-
>> magination dans l'expreſſion , du tour,
» de l'harmonie , des portraits attendrif-
>> ſans & de la hauteur dans la façon de
>> penſer; mais les Parifiens ſont- ils capa-
>>bles de goûter le mérite de ce роёте ?
>> Ils ne connoiſſent les quatre ſaiſonsque
» par celle du bal , celle des tuileries ,
>> celle des vacances du parlement , &
» celle où l'on va jouer aux cartes à deux
>> lieues de Paris , au coin du feu, dans une
» maiſon de campagne. Pour moi , qui ,
>>ſuis un bon laboureur , je penſe à la St
» Lambert..
144 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLES.
OPERA.
DARDANUS , que l'académie royale de
muſique a repris pluſieurs fois depuis un
très-petit nombre d'années , n'en a pas été
reçu du Public avec moins de plaiſir à
cette repriſe. Poëme , muſique , ballets ,
exécution , tout concourt à l'effet général
de cet excellent ouvrage , vû trop ſouvent
& admiré depuis trop long - tems pour
avoir beſoin d'être analyſé. On n'ignore
pas que les paroles dans lesquelles on
trouve l'énergie de Corneille & les gracesde
Quinault, ſont de la Brüere , & la
muſique de Rameau ; ces noms valent
tous les éloges , & nous nous reftreindrons
à ceux que méritent d'abord
les Directeurs pour le ſoin qu'ils ont
apporté à la repriſe de cet opéra , & à
ceux que nous devons aux talens des acteurs
qui l'ont exécuté. M. Legrosachanté
aux trois dernieres repréſentations le
rôle de Dardanus avec le ſuccès qu'il eſt
accoutumé d'éprouver. M. Larrivée a
rendu avec énergie ceux d'Iſmenor&de
Teucer. M. Gelin a joué avec beaucoup
de
4
.
AVRIL. 1769. 145
de nobleſſe celui d'Antenor ; mais les
fuffrages ſe ſont réunis ſur Mile Arnoult
, qui a rendu celui d'Iphiſe avec
tout le ſentiment que cette excellente actrice
eft capablede faire éprouver.
La danſe , pour cette fois , n'a pas fait
ſeule le ſuccès de l'opéra que nous venons
d'annoncer, mais elle y a beaucoup contribué.
M. Lany a deſſiné les ballets du premier&
du cinquiéme acte,qui ont ététrèsapplaudis
. M. Laval , celui du ſecond ; &
M. Veftris , ceux du troifiéme & du quatriéme
, qui ont paru très- ingénieux . Il a
danſé, ainſi que Mile Heinel , avec beaucoup
de nobleſſe; Mlle Guimard , avec
grace ; Mlle Alard , avec légereté; & l'on
a donné de juſtes applaudiſſemens au talent
diftingué de M. Gardel , ainſi qu'à
MM. Malter , Riviere & Dupré. Meſdemoiſelles
Mion , Dervieux , Duperrai &
Audinot, font chaque jour de nouveaux
progrès .
COMÉDIE FRANÇOISE .
On a remis fur ce théâtre , pendant le
carnaval , le Bourgeois gentilhomme, dont
les repréſentations ont eu le plus grand
fuccès. Le naturel inimitable de M. Pré-
I. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
ville y a beaucoup contribué. Le ballet ,
de la compoſition de M. des Hayes, maître
des ballets de la comédie , différent de
ceux donnés dans la même comédie à la
cour , a beaucoup réuffi , & a été trouvé
très - ingénieux & très- plaiſant.
Ona repris enfin le Siége de Calais , qui a
reçudu Public le même accueil que dans ſa
nouveauté. Cet ouvrage a excité beaucoup
d'enthousiasme& beaucoup de critiques.
La vérité eſt entre les deux extrêmes .
C'eſt au tems à l'établir ; mais nous ne
nous refuferons point au plaifir d'aſſurer
que quel que foit le fort de cette tragédie,
le dévouement du ſecond acte , le
rôle d'Harcourt au cinquiéme , le retour
des dévoués au quatrième , feront des
beautés dans tous les temps &feront honneur
aux talens dramatiques de l'auteur.
On peut dire de lui ,& cette application
n'eſt pas faite pour lui déplaire , ce que
l'académie diſoit de l'auteur du Cid , la
ſeule pièce de théâtre qui ait eu autant de
ſuccès que le ſiége de Calais ; ſi l'auteur
ne doitpas tout àfon génie , il ne doit pas
tout àfon bonheur,
L'ouvrage a été d'ailleurs très- bien
joué. MM. Brizard& Molé ont rempli
les rôles de Saint - Pierre & d'Harcourt
AVRIL . 1769. 147
comme ils méritoient de l'être . Mlle Dubois
a été applaudie dans celui d'Aliénor,
&M. le Kaindans celui d'Edouard.
Avantla repriſedu ſiége de Calais, Mad.
Veſtris a débuté dans le comique par les
rôles de Célimene dans le Miſantrope ,
de la Marquiſe dans la ſurpriſe de l'Amour
, de Nanine & de Mélanide . On a
cru remarquer que l'habitude du tragique,
qu'elle étudie depuis long - tems , avoit
mis un peu de lenteur dans ſon débit ;
mais on y a retrouvé l'intelligence & la
nobleſſe qui la caractériſent ; c'eſt dans la
Surpriſe de l'Amour qu'elle a fait le plus
deplaifir.
M. d'Auberval a prononcé le compliment
de clôture .
COMÉDIE ITALIENNE.
LEE Mal Entendu , canevas en trois actes
que le théâtre italien a donné le vendredi
, 10 Février , eſt un canevas françois &
italien, mêlé de ſcènes écrites , & qui n'a
point été imprimé. Un jeune homme a
vu dans un bal une jeune perſonne dont
il eſt devenu amoureux , & cette paſſion
ſubite le porte à refuſer le parti que ſon
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
pere lui propoſe , & avec lequel il avoit
déjà pris des engagemens ; mais heureuſement
l'objet de ſon amour & celui du
choix de fon pere eſt le même ,&tout fe
paſſe à la fatisfaction commune. Le ſujet
de cette piéce , qui a plus d'une fois été
employé fur le théâtre , ne peut offrir
des ſituations bien neuves & bien intéreſſantes
; mais ſi M. de Pleinchêne , qui
eſt l'auteur de cet ouvrage , n'a voulu
comme il y a toute apparence , que rafſembler
quelques ſcènes plaiſantes , il a
très bien réuffi ; car pluſieurs ont paru
pleines de comique & de gaïté , & même
auroient pu réuſſir dans un tems où la
comédie proprement dite avoit encore
des partiſans à la comédie italienne.
Sur le même théâtre , le Sr Guilminot,
acteur estimé en province , a debuté cependant
ſans ſuccès dans les roles de Colas
des Chaſſeurs & la Laitiere , & de M.
Tue dans On ne s'aviſejamais de tout.
M. Desforges a continué fon debut comme
il l'avoit commencé , c'est - à- dire avec
applaudiſſement ; & fon état n'étant point
encore décidé , il a adreſſé cette ingénieuſe
fable au ſupérieur qui doitdécider
defon fort.
د
AVRIL. 1769. 149
M. le Maréchal - Duc de Richelieu ,
Pair de France , premier Gentilhomme
de la Chambre.
LA VOLIERE. Fable .
Un grand ſeigneur avoit une voliere ,
Mille oiſeaux raſſemblés y recevoient ſes loix ;
Et le flambeau du goût lui prêtant ſa lumiere
L'avoit éclairé dans ſon choix .
Ils avoient chacun leur ramage
Et leurs talens étoient divers .
Chaque jour à leur maître ils en offroient l'hommage
,
Le zèle animoit leurs concerts ,
Des plus tendres accords ils rempliſſoient les airs.
Cette cage formoit le plus doux des ſpectacles.
Arbitre de leurs jeux , il les guidoit en tout ,
Et ſes avis étoient autant d'oracles
Inſpirés par le dieu du goût.
Les heureux habitans de l'aimable voliere
Avoient bien des admirateurs ,
Leurs accens attiroient la ville toute entiere.
« Voyez , diſoient les ſpectateurs :
>>>Quels fons mélodieux ! cette douce harmonie
>> Juſqu'au fondde nos coeurs porte la volupté.
>> Quel accord dans ces jeux ! quelle variété !
>> Du maître de ces lieux tout nous peint le génie;
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
- Aux chants de ces oiſeaux ſon ame s'eſt unie,
> Et c'eſt lui qui , par eux , charme & ravit nos
>> fens. 20
Des eſprits enchantés tel étoit le langage;
Les citoyens reconnoiſſans
Offroient à nos oiſeaux le prix de leurs accens ,
Et par les grilles de la cage
Leur jettoient à l'envi des bonbons , des gâteaux ,
Pour les encourager par ces petits cadeaux ,
Et récompenſer leur ramage.
Un jeune oiſeau charmé de leurs accords
Ne quittoit point la cage , & pour mieux les entendre
Chaque jour à la grille il venoit ſe ſuſpendre :
Là , d'un oeil attentif ſuivant tous leurs efforts :
« Si je pouvois , diſoit-il en lui-même ,
De leur aimable maître amuſer les loiſirs ,
>> Que mon bonheur ſeroit extrême ,
>> Comme eux je ſens bien que je l'aime ,
>> Ne puis - je travailler comme eux à ſes plaiſirs. »
Enfin le maître un jour , au gré de ſes defirs ,
Ordonna que pour lui la cage fût ouverte.
Quel moment ! .. ſon coeur bat... vingt fois en
chancelant,
Il approche , & vingt fois il recule en tremblant..
Aſes regards s'il voit la gloire offerte ,
Il craint en même tems de courir à ſa perte;
Le zèle enfin l'emporte , & ſa bouillante ardeur
Du péril à ſes yeux dérobe la grandeur ,
AVRIL. 1769. ISI
D'une aîle moins timide il vole dans la cage ,
La troupe des oiſeaux l'excite , l'encourage ,
Et bientôt plus audacieux ,
A leurs concerts harmonieux
Il cherche à mêler ſon ramage ;
Avec peine la voix ſecondoit ſes tranſports ;
Mais en faveur de ſon jeune âge
On lui ſçût gré de ſes premiers efforts .
L'indulgente aſſemblée eſpéra que l'uſage
Deſon foible goſier formeroit les refforts .
Quedevint cet oiſeau ? ſon ſort eſt un inyſtere
Qu'on n'a point encor pénetré ;
C'eſt par vous ſeul qu'il peut être aſſuré ,
Vous, detous les talens le ſoutien &le pere ,
Ami de tous les arts , ſouverain éclairé
De la trop heureuſe voliere.
Du jeune oiſeau , ſi la timide voix
N'a pas encore acquis ſa force toute entiere ,
Daignez le ſoumettre à vos loix .
Cet oiſeau qui ne pouvoit rendre
Que de foibles accens & des ſons imparfaits
Pour célébrer ſon maître & chanter ſes bienfaits
Sçaura bientôt ſe faire entendre.
ParM. Desforges.
Les comédiens Italiens , toujours empreſſés
de mériter parde nouvelles preuves
de leur zèle l'accueil qu'ils reçoivent
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
du Public , ont redoublé leurs foins pour
terminer l'année par une nouveauté qu'ils
prévoyoient ne pouvoir manquer deplaire
au Public , & leurs efforts ont réuffi.
Le Déserteur , comédie en trois actes
mêlée d'ariettes, a réuni à la deuxième répréſentation
, les ſuffrages qui paroifſoient
avoir été partagés à la premiere .
L'intérêt que l'on ne peut s'empêcher d'éprouver
à la repréſentation de ce drame
lyrique , a fait oublier les défauts légers
qu'on avoit pu lui reprocher. Le ſentiment
déſarme facilement la critique , &
les armes tombent toujours des mains du
cenſeur , lorſque les larmes coulent de
ſes yeux. En attendant que l'impreſſion
nous mette à portée de rendre comptede
cette piéce intéreſſante , nous rendrons
juſtice aux talens des acteurs qui l'ontrepréſentée.
Madame Laruette & M. Caillot
ont rendu leurs rôles avec le pathétique
ſimple qui convient au ſujer ; M.
Trial a rendu un rôle de Niais avec beaucoup
de naïveté ; & M. Clerval a fur- tout
joué celui d'un Dragon avec une vérité&
une gaïeté grivoiſe qui a beaucoup contribué
au ſuccès de la pièce. Les paroles
font de M. Sedaine , & la muſique de
M. de Monfigni ; l'un & l'autre également
AVRIL. 1769. 153
connus par l'union de leurs talens , de
leurs productions&de leurs ſuccès.
Selon l'uſage établi, le théâtre italien
a fait ſa clôture par un compliment ; c'eſt
comme le dit l'auteur lui-même , une tâche
qui devient chaque jour plus pénible
, & qui feroit encore plus difficile à
remplir a l'on en ôtoit les mots de zèle
& d'indulgence , de langage du coeur &
dereconnoissance , &c. Le ſeul moyen d'y
mettre de la variété , c'eſt de rappeller au
Public les piéces qu'il a accueillies pendant
l'année , & c'eſt le parti qu'a pris
M. Anſéaume. Il fait reſſouvenirdu mariage
caché & d'Abdolonime qu'on auroit
pu oublier ; mais ce n'eſt pas dans la
même crainte qu'il rappelle le Huron &
Lucile.
AIR: Quand le péril eft agréable.
Ces deux enfans des mêmes peres
Ont eu le ſort le plus heureux ,
Puiſſent- ils au gré de nos voeux
Avoir beaucoup de freres.
:
M. Clerval qui , pendant tout le compliment,
a foutenu le ton grivois de ſon
rôledans le déſetteur , follicite la bienveillance
du Public pour cette piéce.
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
AIR : Et j'y pris bien du plaiſir.
Dans la derniere difgrace
Plongé par excès d'amour ,
Le déſerteur a ſa grace ,
Confirmez- ladans ce jour :
Pour ceux que l'amour égare ,
Les coeurs ſont toujours ouverts ,
Que votre bonté répare
Tous les maux qu'il a ſoufferts.
Le compliment ne pouvoit finir d'une
maniere plus intéreſſante que par ces
vers recités par l'actrice qui fait éprouver
le plus d'intérêt. Madame Laruette les
adreſſe au Public , & lui dit :
Parmi nous la muſe lyrique ,
Humble dans ſon début , n'oſoit prendre l'efior ;
Aux jeux de la ſcène comique
Tout ſon art ſe bornoit encor.
Ces jeux ſembloient vous fatisfaire ,
Mais ne nous fatisfaifoient pas ;
Car l'ambition de vous plaire
Croît & redouble à chaque pas ;
C'eſt en nous un defir qui jamais ne repoſe ;
S'il va trop loin , s'il nous expoſe ,
Meſſieurs, je vous le dis tousbas
Yous en êtes un peu la cauſe
AVRIL. 1769. 155
Des ſuccès nous ont fait prévoir ,
D'autres ſuccès encor poſſibles ,
Vous nous portiez des coeurs ſenſibles
Et nous avons cherché l'art de les émouvoir :
Quel plaifir de voirdans les loges
Debeaux yeux ſe mouiller de pleurs ;
C'eſt le vrai fuffrage des coeurs ,
Et c'eſt le plus doux des éloges.
Avec cette émulation
Par qui le talent ſe déploie
De la douleur & de la joie
Nous avons eſſayé la double illufion
Dans le Huron & dans Lucile .
D'heureux talens nous ont ſecondés à ſouhait ;
Dans Alexis nous avons fait
D'un contraſte plus fort l'eſſai plus difficile.
Varier vos plaiſirs pour les renouveller ,
Voilà notre méthode , elle eſt un peu hardie ;
Mais c'eſt ce qu'on peut appeller
Le ſecret de la comédie.
Nous vous leconfions , daignez nous raſſurer ,
Et du zèle qui nous inſpire ,
Laiſlez- nous encore eſpérer
De réunir pour vous au doux plaiſir de rire
Le plaifir plus doux de pleurer.
:
:
:
Le compliment finit par un chooeur général.
Il eſt de M. Anféaume, ſecrétaire de
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
la comédie italienne , & a été fort applaudi
.
Les Comédiens Italiens ont donné un
exemple de reconnoiſſance & de ſentiment
, qui doit être rapporté. Ils ont fait
un réglement par lequel , dans la vue de
récompenfer & d'encourager les talens
diftingués qui ont contribué à la gloire
& au ſuccès de leur Théâtre , ils ont accordé
deux penſions viageres de huit cens
livres chacune . La premiere de ces penſions
a été donnée à M. Favart , Poëte
célèbre& auteur d'un grand nombre de
piéces agréables ; la ſeconde a été donnée
à M. Duni , illuſtre Compoſiteur de
Muſique.
Les applaudiſſemens bien mérités que
réunit aujourd'hui la partie du chant au
Théâtre Italien , ne sçauroient empêcher
le tribut de reconnoiſſance due par le public
, toujours juſte , à un antre genre
énervé par le découragement des Auteurs.
Il eſt plus commode d'aſſervir ſon génie
à celuid'un muficien habile , preſquetoujours
fûrde réuſſir,quede courirles hazards
de rivalité avec les Deliſle , les Boiffi ,
les Marivaux . Cette branche que nous
avons vu à regret ſi négligée ſur la ſcène
Italienne , va faire à la clôture du Théâ
AVRIL. 1769. 157
tre une perte réelle. Madame Riviere ,
connue par les charmes d'une danſe vive
&légere , & par l'heureux don d'exprimer
naturellement les rôles ſi honnêtes
d'Angelique dans la Mere Confidente ,
&de Mélite dans la nouvelle Ecole des
femmes , vient de demander ſa retraite.
Quelque célébrité qu'elle ait acquiſe par
ſes talens , elle eft devenue plus digne
d'éloges par des moeurs irréprochables ,
unies à tout ce qu'il falloit d'agrémens
pour la faire aimer & reſpecter.
:
FOIRE SAINT - GERMAIN.
On a été s'amufer aux Comédiens de
bois dont le fleur Audinot étoit le compere.
Ces petites Marionnettes parodioient
quelques acteurs connus ,& le ſpectateur
entendoit à demi-mot la critique qui faiſoit
rire ſans nuire aux talens que l'on
aime & que l'on admire. Des enfans
aimables & intelligens ont fait , par leur
Pantomime , le principal_agrément de
ce ſpectacle .
Les Fêtes Foraines des ſieurs Ruggieri
ont attiré beaucoup de monde. On a vu
avec plaiſir l'ordonnance de ce lieu d'af158
MERCURE DE FRANCE.
ſemblée , conſiſtant en une grande Salle
de forme ovale , environnée de gradins ,
accompagnée de Salons , & de deux galeries
, l'une au-deſſus de l'autre ; d'où
l'on voyoit les danſes & les ſpectateurs .
Une illumination bien variée & bien
diftribuée , des ornemens galans , des
glaces multipliées & ornées de peintures
; des cafés , de petites boutiques garnies
de bijoux & de tableaux,une muſique
répandue dans les Salles où l'on pouvoit
danſer ; tout donnoit à ce Spectacle un
air de fête & d'enchantement.
Bifon ou Beuf boffu. Cet animal étoit
aux yeux des Naturaliſtes ce que la Foire
offroit de plus curieux . Le Biſon reſſemble
au boeuf ordinaire, pour la forme principale
du corps & pour la grandeur ; au
cheval & au Lion pour la criniere. Son
corps eft couvert d'une eſpèce de laine
rouifatre , & le col , les épaules & le
deſſus de la gorge , font garnis de poils
très- longs. Ceux de fon col ſe recourbent
fur la tête & lui forment une forte de
bonnet.Son dosest chargéd'une boſſe, affez
ſemblable à celle du chameau. Sa tête eſt
courte , ſes yeux font grands , ardens ,
menaçans; ſon front eſt large. Il a les
cornes pointues & recourbées , fort éloiAVRIL.
1769. 159
gnées l'une de l'autre , la langue rude ,
longue & noire , dont il forme une efpèce
de crochet pour haper ce qui ſe
préſente à lui. On prétend que cet animal
eſt indomptable ; & quoique ſur
desjambes très courtes, il eſt plus prompt
à la courſe que le Taureau domeſtique.
Celui qu'on voyoit à la Foire , vient des
Déſerts de l'Amérique , où cette eſpèce
eſt fort commune ; il peut avoir cinq ans.
Il a dix pieds de long , fix &demi de haut
par devant , y compris ſa boſſe , & quatre
pieds & demi par derriere. On affure
qu'il peſedix-huit cents , & qu'il mange
parjour so livres de foin & 12 liv. de
pain . Cet animal , dit M. Bomare , peut
être regardé comme une variété de l'Aurochs
qui eſt le Taureau ſauvage ; &
cette boffe du Biſon , ainſi que celle de
toutes les eſpèces de boeufs boffus , n'eſt
qu'une excroiffance , une eſpèce de loupe,
un morceau de chair tendre . Il y a
de ces boſſes qui peſent juſqu'à 40 ou so
livres. Voyez le Dictionnaire d'Histoire
Naturelle , par M. Valmont de Bomare ,
chezLacombe libraire rue Chrifline.
160 MERCURE DE FRANCE.
I.
Ecole Royale Vétérinaire de Paris.
LE 28 Février , un nouveau concours ,
dont l'objet a été les muſcles du cheval
conſidérés en général & en particulier , a
prouvé tout le zèle des éleves de l'école
royale vétérinaire de Paris , & l'ardeur
avec laquelle ils ſe livrent à l'étude de
l'art qu'ils doivent embraſſer. M. Bertin ,
miniſtre & ſecrétaire d'état , a préſidé à
cette ſéance , qui a été honorée de la préfence
de pluſieurs perſonnes de confidération.
Dix éleves ont été entendus ; ce font
les Sieurs Godin , maréchal de logis dù
régiment dragons d'Autichamps ; Plantier
, dragon de la légion de Hainault ;
Weber , entretenu par S. A. E. de Saxe ;
Lacueille , du Perigord ; Lamaniere
Maillard & Garnier , tous trois de la généralité
d'Amiens ; Genfon entretenu
par l'Ecole Royale militaire ; Genfon
par M. Poulletier de Périgny , Bruyere ,
par M. l'intendant de Dombes.
,
,
,
AVRIL. 1769 . 161
L'aſſemblée a témoigné la plus grande
ſurpriſe de la préciſion avec laquelle chacund'eux
a démontré celles des parties qui
lui font échues par le fort; néanmoins
elle ajugé que les Sieurs Weber & Godin
méritoient le prix , qui a été délivré à ce
dernier , le Sieur Weber étant plus que
fatisfait de l'honneur qu'il s'étoit acquis;
les Sieurs Maillard , Lacueille , Plantier
&Lamaniere ont obtenus l'acceffit. Les
applaudiſſemens donnés aux autres en exciteront
fûrementde plus en plus l'émulation.
II.
Ecole royale vétérinaire de Lyon.
Lejeudi 2 Mars , les éleves de l'école
royale vétérinaire de Lyon , au nombre
de ſept , furent admis à un concours dont
l'objet fut l'hippoſtéologie & la myologie
du cheval ; M. l'intendant y préſida.
Ces éleves font les nommés Arnaud ,
de la généralité de Lyon ; Damalix &
Arquinet , de la province de Franche-
Comté ; Laborde & Leger , de la généralité
de Bordeaux ; Pariſor , du Canton
de Berne , & Contier , chef de forge ,
entretenu par l'école .
Pluſieurs des plus célébres chirurgiens
162 MERCURE DE FRANCE.
de cette ville ont aſſiſté à cette ſéance
& ont jugé eux - mêmes des efforts des
éleves.
Les nommés Laborde , Damalix, Contier
&Arnaud ont également mérité le
prix ; le fort en a favorisé le premier.
L'acceffit a été accordé aux nommés
Leger & Arnaud.
L'aſſemblée a paru très - fatisfaite , &
il paroît que les deux écoles vétérinaires
dûes à un miniſtre qui n'eſt animé que du
bien général , ſe diſputent à l'envi l'honneur
d'obtenir les fuffrages du Public ,
foitdans ces fortes de concours , ſoit dans
le traitement des maladies des animaux
qui font l'objet de leurs études.
III.
Vienne.
La ſociété économique de laBaſſe Au,
triche , établie ſous les auſpices de l'Impératrice
Reine , propoſe un prix extraordinaire
de so ducats pour le meilleur ouvrage
fur ce ſujet: Quelsfont les moyens
les meilleurs & les plus prompts de partager&
d'améliorer les communes de laBaffe-
Autriche , eu égard à la fituation , à la
qualité dufol & au plus grand avantage
AVRIL. 1769. 163
de l'agriculture ? La même ſociété propoſe
un pareil prix extraordinaire qui ſera
accordé par Sa Majeſté Impériale &
Royale pour le meilleur ouvrage fur ce
fujet : De quelle maniere on peut le plus
efficacement rétablir la culture des vignobles
de la Baffle - Autriche négligés en partie;
en faisant cependant bien attention
aux côteaux & aux terreins qui font propres
à la meilleure qualité de vignes , &
fans préjudicier à l'agriculture ni auxpáturages
des beftiaux.
I V.
Laubach.
La ſociété royale d'agriculture & des
arts , établie en cette ville , propoſe pour
ſujet du prix qu'elle diſtribuera cette année
les trois queſtions ſuivantes : 1º. Si
l'on peut espérer ou non l'avancement &
l'augmentation de l'agriculture , des arts &
manufactures , & le maintien d'une fûre &
bonne police , dans unpays où ſouvent tel
territoire à portée du domaine ſeigneurial
eſtſujet à d'autres jurisdictions ſupérieures
qui en font éloignées d'une journée , & où
d'ailleurs on compte quelquefois dans un
village autant de jurisdictions qu'il s'y
164 MERCURE DE FRANCE.
trouve de maiſons : 2º . De quelle maniere
on pourroit le plus aisément & le plus
promptement parvenir àfaire des échanges
deſemblables territoires , & à les réunir au
domaine le plus voiſin de leur fupérieur
principal ? 3 °. De quelle maniere & par
quels moyens on pourroit , après les avoir
concentrés , les maintenir pour toujours
dans cet état. Le prix ordinaire n'eſt que
de trente- fix ducats ; mais la ſociété y en
ajoutera cinquante , en conſidération de
l'importance de ces queſtions.
ARTS.
GRAVURE .
L'homme condamné au travail. Estampe
d'environ 22 pouces de haut fur 16
de large , gravée par S. H. Thomaffin ,
d'après le tableau original de Dominique
Féti , qui ſe voit dans les appartemens
du Roi , au Luxembourg. A
Paris , chez L. Cars , graveur du Roi ,
rue S. Jacques , vis-à -vis le College du
Pleffis , 6 liv .
THOMASSIN mort en 1741 , a gravé
dans le plus grand ſtyle , & l'eſtampe que
AVRI L. 1769 . 165
nous annonçons eſt une de ſes piéces capitales.
On ſe rappellera en voyant cette
belle eſtampe ce paſſage de Job : Homo
nafcitur ad laborem , l'homme est né pour
le travail. Cette eſtampe étoit devenue
rare parce qu'un amateur en conſervoit
la planche depuis plus de douze ans ſans
en faire aucun uſage. Cette planche trèsbien
confervée , a encore toute ſa fraicheur;
& les épreuves que M. Cars vient
d'en tirer font de la premiere beauté.
MUSIQUE.
I.
Six Sonates pour la harpe avec un accompagnementde
violon, ad libitum; dédiées
à fon A. Mgr. le Prince Louis de Rohan ,
Coadjuteur de l'Evéché de Strasbourg ,
compofées par Francesco Petrini , OEuvre
I. prix 9 liv. à Paris chez M. Couſineau ,
Luthier & marchand de muſique , & aux
adreſſes ordinaires de muſique ; à Lyon ,
chez les marchands de muſique.
I I.
Sonates ou piéces de Clavecin , avec
accompagnement de violon , ad libitum ;
166 MERCURE DE FRANCE.
dédiées à Madame Deſprez , compoſées
par M. Pouteau , organiſte de S. Jacques
de la Boucherie , & du Prieuré Royal de
S. Martin des Champs. Prix 12 liv. à
Paris chez l'Auteur , rue de la Planche-
Mibrai à l'Image Notre- Dame , & aux
adreſſes ordinaires ; à Lyon chez les freres
Legoux place des Cordeliers , & Caſtaud
-place dela Comédie.
III .
Les petits oiſeaux , Ariette avec ſymphonie
, dédiée à Mademoiselle de Sorel
, par M. Greffet ; prix 1 liv. 4 fols ;
à Parriiss ,, chez M. Bailleux maître de muſique
, rue S. Honoré , à la régle d'or .
IV.
Suite des Confeils d'un pere àsonfils , fur
laMufique.
DE L'HARMONIE.
Cette ſcience eſt ſi connue , ſi développée
, tant d'Auteurs en ont écrit , que
je ne répéterai point ce qu'on a dit à ce
fujet. Il me fuffira de dire que nous devons
à Pithagore les ſix premieres diviſions de
la corde dont les trois dernieres diviſions
4 5
6
ut mifol ,, nous donnent l'accord parfait
majeur avec leurs conſonances. Cer ac
AVRIL. 1769. 167
cord étant compoſé de deux tierces , l'une
majeure , l'autre mineure ; la premiere
eſt le principe du ton majeur , & la feconde
du ton mineur. On ignore ceux qui
ont ajouté au deſſus de la quinte de l'accord
parfait majeur , une tierce mineure
qui fait la ſeptieme dont les différens arrangemens
produiſent les diſſonances
majeures . Il y a lieu de préſumer qu'on
doit la neuvieme & l'accord de quarte &
quinte , à la ſuſpenſion des agrémens
dont le chant eſt ſuſceptible . Les Italiens
ont trouvé la ſeptieme diminuée , dont
les différens arrangemens produiſent les
diffonances mineures. On leur doit auſſi
la ſeptieme ſuperflue & la fixte ſuperflue;
accords qui ne ſe renverſentpoint , ainſi
que ceux deneuvieme,& dequarte & quinte.
Cet abrégé qu'un Compoſiteur doit
entendre renferme toute l'harmonie; il
ne s'agit que d'en ſavoir faire uſage , en
plaçant chaque accord en conféquence
des objets qu'on veut peindre. C'eſt ce
que je tâcherai d'expliquer dans la ſuite
Avant de manier l'harmonie , il faut
en avoir une parfaite connoiſſance ; plus
on la retourne , plus on y découvre de
beautés . Ainſi qu'on affemble des fleurs
pour former un bouquet brillant , de
-
168 MERCURE DE FRANCE.
même formez un aſſemblage d'accords
pour peindre les divers ſentimens. L'art
confiſte non ſeulement dans la parfaite
connoiſſance de l'harmonie ; mais encore
dans l'arrangement ingénieux qu'on lui
donne ; c'eſt par la diverſité des traits &
des deſſeins que la combinaiſon devient
immenfe , & qu'on peut tout exprimer.
Quoique chaque Auteur ait ſa maniere
de coucher l'harmonie , la meilleure façon
eſt celle qui peint le mieux , & dont
le renverſement ne produit pointde faute.
Pour que tout ſoit dans un ordre précis
, & dans un arrangement parfait , il
faut porter juſqu'au ſcrupule la délicateſſe
de placer les notes ; ainſi qu'un Architecte
habile après avoir fait ſa diſtribution,
fait tracer dans les plus juſtes
proportions les différentes parties qui
compoſent ſon plan , de même un bon
compoſiteur , après avoir bien réfléchi
fur chaque morceau de ſon ouvrage ,
doit ſavoir la poſition que chaque defſein
, chaque trait & chaque note doit
avoir , ſoit dans les deſſus, hautes- contres
, tailles , baſſes ou ſymphonie , pour
qu'elles concourent toutes à l'expreffion
de ſes idées . Il n'eſt point indifférent de
les placer dans une partie plutôt que dans
l'autre
AVRIL. 1769. 169
l'autre. Pour ne pas s'y tromper , il n'y
qu'à confulter l'effet. Quoique la mufique
foit faite pour charmer l'oreille , il
faut encore qu'elle plaiſe aux yeux pour
qu'elle puiſſe ſervir d'étude aux Elèves.
Ce n'eſt que dans les morceaux bien faits
qu'ils peuvent s'inſtruire de la belle maniere
de coucher l'harmonie .
Du Chromatique.
Ce genre eſt une ſuite de demi-tons
ſucceſſifs , qu'on peut faire monter ou
deſcendre felon le ſentiment que les paroles
exigent : il eſt ſuſceptible de beaucoup
d'accords diſſonans de ſuite. Il ne
peut avoir lieu que dans les tons mineurs.
Les Grecs le trouvèrent enplaçant des
cordes intermédiaires ſur celles de la
lyre , ce qui diviſa l'octave en douze
demi-tons. Ce genre eſt très beau &
propre à exprimer par un mouvement
lent, la triſteſſe , la crainte , le trouble ,
l'abbattement , le déſeſpoir, le ſaififfement
, l'horreur , &c. Ainſi que dans un
mouvement rapide , l'agitation , la jalouſie
, la colere , la fureur , la vengeance
, &c. Il produit une grande variété
dans la muſique , & même quoique
I. Vol.
H
170 MERCURE DE FRANCE.
dénué de chant , il eſt encore admirable
quand on le traite bien , &qu'on le place
à - propos .
PATRIOTISME.
Lettre de M. le Chevalier de Lorry , Lieu
tenant Colonel du Régiment d'Auvergne
, écrite à M. de Voltaire , au sujet
de M. le Chevalier d'Affas , Capitaine
audit Régiment , à Strasbourgle 14
Octobre 1768 .
M. Vous aimez les belles actions , &
perſonne n'eſt plus capable que vous d'en
faire éclater larenommée , & de les transmettre
à la poſtérité avec toute la gloire
& la réputation qui leur appartiennent : en
voici une authentique & digne d'une
grande célébrité , qui cependant eft malheureuſement
tombé dans l'oubli .
Au combat de Cloſtercamp , M.
d'Allas Capitaine dans le Régiment
d'Auvergne , s'étant avancé pendant la
nuit pour reconnoître le terrain , fut
ſaiſi par des grenadiers ennemis embufqués
pour ſurprendre notre armée ; ces
grenadiers l'entourent & le menacent de
AVRIL. 1769 . 171
le poignarder ſur le champ s'il fait le
moindre cri qui puiſſe les faire découvrir,
M. d'Alfas fous la pointede vingt bayonnettes
ſe dévoue , crie d'une voix généreuſe
, à moi , Auvergne , cefont les en.
nemis , & tombe à l'inſtant percé de cent
coups . On ſçait que le Régiment d'Auvergne
ſoutint le premier effort des ennemis
, les repouffa , & qu'il s'enfuivic
une victoire complette .
L'hiſtoire de ces Romains qui étoient
furs d'obtenir des ſtatues couronnées ,
fournit elle une action plus grande &
plus glorieuſe que celle ci . L'Europe &
la poſtérité l'ignoreront elles? Non, Monſieur
, vous la célébrerez , vous en illuftrerez
votre nation , & le brave corps de
l'eſprit duquel elle eſt émanée : nous ne
la furpaſſerons pas , mais nous nous piquerons
de l'égaler&d'en fournir encore
de ſemblables dans les faſtes de l'histoire
de France ; heureux les ſiécles , heureuſes
les Nations qui produifent en même
tems des Agricola & des Tacite , des
Alfas & des Voltaire , & c.
* Le nom de d'Aſſas appartient à une des plus
anciennes familles de Languedoc , & qui , depuis
pluſieurs fiécles , s'eſt toujours diftingué par de
belles actions pour le ſervice du Roi & de la patric,
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
:
Réponse de M. de Voltaire .
Au Châteaude Ferney , le 26 Octobre 1768 .
M. je vous aurois remercié ſur le
champ, ſi mon âge & mes maladies me
l'avoient permis. Je ſuis bien affligé de
de n'avoir pas ſçu plutôt l'étonnante action
qui doit immortaliſer votre Régiment
& la mémoire de M. d'Affas . Je
n'aurois pas manqué d'en parler dans le
fiécle de Louis XIV & de Louis XV ,
que l'on vient d'imprimer ; j'en ſuis ſi
touché que je vais faire une addition qui
fera envoyée à tous les Libraires qui débitent
ce livre. Je ne veux point mourir
fans avoir rendu juſtice à un homme mort
ſi généreuſement pour la patrie .
ANECDOTES
De Dufresny.
Un des plus grands diffipateurs qui
ayent jamais été au monde , a été Dufresny
de la Riviere , auteur du Mercure ,
de pluſieurs Comédies , & des amufe
AVRIL. 1769. 173
mens ſérieux & comiques. Sa vie a été
un mélange de haut & de bas ; on l'a vu
à Paris dans un petit équipage leſte & galand
, le lendemain il couroit à pied toute
la ville ; l'or du Pérou n'auroit pas fuffi à
ſes profufions. Il étoit undes trois particuliers
que Louis XIV diſoit qu'il ne pouvoit
enrichir. Ce grand Prince lui affigna
un jour deux mille écus , pour une courſe
qu'il lui fit faire du camp de Compiegne
où laCour étoit pour lors , à Paris. Quand
Dufresni eut touché cetteſomme , il courut
chez un ami du même caractere que lui ;
ils tinrent conſeil entr'eux fur ce qu'ils feroient
de cet argent; & après de mures délibérations
, ils arrêtèrent qu'ils ſe feroient
habiller tous les deux , & que le ſurplus
ſeroit employé à faire un repas dont il
feroit parlé. Leurs emplettes faites , ils
allèrent chez un fameux Traiteur à qui
ils ordonnèrent de leur tenir prêts pour
lelendemain matin, uneprodigieuſe quantité
d'oeufs frais , so épaules de veaux , &
une centaine de carpes. La fingularité de
cette demande ſurprit le traiteur , il ne
put s'empêcher de rire , &de leur demander
s'ils vouloient traiter tout un
Régiment. Dufresni lui répondit l'argent
à la inain de ne s'embarraffer de rien.
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
Le traiteur envoya dès la pointe du jour
aux barrières acheter tous les oeufs frais
dont il avoit beſoin , il ſe munit auffi des
épaules de veau & des carpes qu'on lui
avoit demandées. Dufresny & fon ami
ſe rendirent chez le traiteur à l'heure
dite. Ils ſe firent faire un potage de petit
lait des oeufs frais; ils ne prirent des
épaules de veaux qu'un petit morceau délicat
qu'on appelle la noix , & des carpes
que les langues , dont on leur fitun ragout
au coulis de perdrix & d'écreviſſes. Ils
firent donner aux pauvres le furplus des
carpes & des épaules de veaux .
On dit de cet auteur , qu'il devoit un
jour trois cens livres à ſa blanchiſſeulle
qui lui dit qu'elle ne fortiroit pas de chez
lui qu'il ne l'eut payée. Comme il avoit
dans Paris plus de maiſons que le zodiaque
; voila la clef, lui dit- il , quand tu
feras laffe de refter ici , tu t'en iras ; pour
moije n'y reviendrai de huitjours ; mais,
ajouta- t - il , voyant que cette femme
s'emportoit , tu n'as pas coutume de me
preffer ainfi. C'eſt qu'il me faut de l'argent
, lui répondit elle , je me marie .
Comment, repliqua Dufresny, tu te maries
avec cent écus ? J'ai encore reprit- elle ,
deux mille ſept cent livres argent comp
AVRIL. 1769. 175
tant. Et qui épouses tu , interrompit Dufresny
, avec ces trois mille livres argent
comptant ? Un laquais répondit la blanchiffeuſe.
Unlaquais , répartit Dufresny :
apporte moi tes deux milleſept cent livres,
je vaux mieux qu'un laquais , & je t'épouferai,
moi. Elle accepta l'affaire ,& l'hiftoire
n'ajoute pas s'il fût fatisfait d'un
pareil mariage.
ELOGE HISTORIQUE
De M. DE CHEVERT.
FRANÇOIS DE CHEVERT , né à Verdun
fur Meuſe , le 2 Février 1695 .
(1) Lieutenant au régiment de Carné
infanterie , le 8 Août 1706 .
Lieutenant au régiment de Beauce ind
fanterie , le 1 Décembre 1711 .
Capitaine , le 17 Septembre 1721 .
Major , le 1 Mars 1728 .
Chevalier de l'Ordre de St Louis , le
premier Novembre 1732 .
Lieutenant - Colonel du même régiment
, le premier Août 1739 .
Η iv
176 MERCURE DE FRANCE.
Brigadier d'infanterie , le 15 Décembre
1741 .
Maréchal de Camp , le 2 Mai 1744 .
Lieutenant - Général des armées , le 10
Mai 1748 .
Commandeur de l'Ordre de St Louis ,
le 28 Mars 1754.
Commandeur Grand Croix du même
Ordre au mois de Décembre 1757 .
Chevalier de l'Aigle Blanc de Pologne,
le 2Décembre 1758 .
Gouverneur de Belle Iſle , le 12 Juin
1759 .
Gouverneur de Givet & Charlemont
par remplacement du premier gouvernement
, le premier Août 1761 .
Telle a été la carriere que M. de Chevert
a parcourue , &qu'il a terminée le 24
Janvier 1769 , dans la ſoixante - quatorziéme
année de ſon âge .
Deſtiné en naiſſant aux honneurs obf
curs des fonctions municipales , ou peutêtre
au miniſtere de la juſtice dans les
tribunaux fubalternes , rien ne ſembloit
l'appeller à l'état militaire ; mais une im:-
pulſion naturelle , une eſpéce d'inſtinct
qui annonce toujours le talent , quand il
eſt marqué à un certain point , l'entraîAVRIL.
1769. 177
ne malgré lui, & ceux que la loi a nommés
pour lui tenir lieu de pere & de mere qu'il
avoit perdus , cédent enfin à ſes inſtances .
En entrant dans la carriere , il en mefure
des yeux l'étendue immenfe , ſans en
être effraïé ; l'éloignement preſqu'infini
du dernier terme , loin de rallentir fon
courage , enflamme ſon jeune coeur ; cependant
il ne voit point ſuſpendus dans
la lice les écuſſons de fa maiſon ; il n'apperçoit
ni les trophées,ni les ſtatues deſes
ayeux ; nul guerrier de ſon ſang pour le
guider , le protéger , lui applanir la route,
lui abréger le chemin : fans ſecours , ſans
appui , c'eſt à ſa valeur , c'eſt à ſa fermeté à
braver tous les dangers &à ſurmonter tous
les obſtacles.
Il eſt vrai que ſes qualités naturelles ,
qui ſe développerent avec l'âge , & que le
tems perfectionna , annonçoient déjà ce
qu'il devoit être un jour.
A une taille avantageuſe & bien proportionnée
, il joignoir une phyſionomie
intéreſſante , également douce & fiere ;
une pénétration vive , un jugement ſain;
un amour de la gloire , diſons- le , puifque
les moyers en furent toujours honnêtes
, une ambition qui détruifit ou domi.
na ſes autres paſſions; une conſtance &
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
une tenue qui rien ne laſſoit ; plus capable
de ſe roidir contre les difficultés que
de ſe plier aux circonstances ; brave , entreprenant,
audacieux; d'une vivacizé, d'une
impétuoſité ſans égale ; mais pour en
modérer les effets , ou pour en réparer les
écarts , la nature avoit mis en lui une ame
droite , pleine de bonté & d'humanité ;
un coeur ſenſible , pour qui l'amitié fut
roujoursunbeſoin : obligeant,bienfaifant,
aimant à rendre juſtice aux autres ; ſe la
rendant librement à lui- même , d'une fincérité
& d'une franchiſe que l'équité ne
pouvoit condamner , mais que la prudence
n'approuvoit pas toujours ; fans art ,
fans déguiſement, parce qu'il n'avoit point
de vues à cacher, ni de qualités eſſentielles
àfeindre ou à ſuppléer.
Apeine s'étoit- il fait connoître dansle
régiment de Carné , que les officiers d'un
corps qui avoit plus de conſiſtance , voulurent
ſe l'attacher; comme ſi dès-lors on
avoit prévu combien il devoit contribuer
un jour à la célébrité du régiment de
Beauce . L'eſprit d'ordre & d'arrangement,
une application ſuivie à l'étude de la tactique
le mirentbientôt en état d'inſtraire,
de former ce régiment; d'en faire , pour
ainfi dire , un nouveau corps dontil étoit
AVRIL. 1769 . 179
,
l'ame; il le porta àun tel point dediſcipline
& de tenue , d'obéiſſance & d'émulation ,
d'aiſance & de fierté dans le maintien
d'agilité & d'enſemble dans la marche ,
de preſteſſe dans les mouvemens , de célérité
& de préciſion dans les manoeuvres
, que les autres corps ſe firent gloire
de l'imiter ; il ſervit d'exemple , ſans
avoir eu de modele , & l'éloge commence
àlui .
Il étoit parvenu à la tête du corps , lorfque
l'Electeur de Baviere, avec vingt mille
Saxons & Bavarois , joignit l'armée de
France , en prit le commandement & marcha
vers Prague au mois de Novembre
1741. Le régiment de Beauce ſervoit
d'eſcorte à l'Electeur ; le comte de Saxe
connut pendant la marche tout le mérite
du lieutenant - colonel ; il lui confia fon
plan pour s'emparer de la capitale de la
Bohême.
Les François & les Saxons donnent l'affaut
, & tandis que le bruit de leur attillerie
attire de leur côté la plus grande
partie de la garniſon , le comte de Saxe
fait préparer des échelles vers les murs
de la ville neuve. M. de Chevert monte
le premier ; on s'empreſſe de le ſuivre ;
il arrive au rempart , marche à la porte
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
où l'attendoit le comte de Saxe , à la tête
des dragons , défarme les corps de-garde ,
fait baiffer le pont levis ; la ville eſt priſe
&la garnifon prifonniere de guerre. Il
fut faitbrigadier , &déſigné par l'électeur
au maréchal de Belle-Ifle pour lieutenant
deRoi de Prague.
Il s'élevoit par degrés ; les occafions
développoient ſes talens: ſupérieur à tous
les emplois qu'on lui confioit , à chaque
pas il paroiffoit fait pour monter plus
haut ; un théâtre plus étendu n'étoit qu'un
moyen de montrer plus de qualités . Il en
falloit beaucoup pour établir l'ordre &
maintenir une police exacte dans une capitale
de la plus vaſte étendue , où la
haute nobleſſedu royaume & un peuple
immenſe ſe trouvoient enfermés dans la
même enceinte avec une armée compofée
de nations différentes ; les grands &
le peuple , le citoyen & le foldat ; François
, Bavarois , Saxons , tout fut foumis,
ou réprimé.
Maisbientôt il ne s'agitplus ſeulement
de contenir tant de paſſions oppofées , &
de concilier tant d'intérêts divers ; le maréchal
de Belle Iſle , pour ſauver l'armée
françoiſe aſſiégée dans Prague , fait une
retraite habile , après avoir donné ordre
:
AVRIL. 1769. 181
.
àM. de Chevert de traiter pour les effets
du Roi & pour les malades & les bleſlés ,
aux conditions les moins onéreuſes ; le
général croit exiger beaucoup ; M. de
Chevert oſe ſe promettre davantage ;
l'honneur des drapeaux françois vient de
lui être confié ; il entreprend de ſe défendre
avec moins de douze cens hommes
& contre les ennemis du dedans & con .
tre l'armée du prince Lobcowitz qui l'affiége.
La ſageſſe forma le plan : la valeur &
la fermeré l'exécuterent. Il redouble d'activité&
de vigilance. Tout ce qu'enſeigne
la ſcience de la guerre , tout les ſecrets de
l'art , prudence , audace , prévoyance , la
ruſe même, tout eſt mis en uſage, & il obtient
une capitulation honorable. Les hoftilités
ayant ceffé , les Autrichiens s'attendent
à ne trouver dans le défenſeur de
Prague qu'un militaire d'une fermeté opiniâtre&
d'une valeur féroce qui n'ad'autre
mérite que celui de combattre : les fentimens
les plus flatteurs fuccédent bientôt
à la ſurpriſe , lorſqu'ils n'apperçoivent que
des moeurs douces & faciles , & une noble
franchiſe unie à l'amenité de la nation
( 2) .
On le deſtina , en ſortant de Prague,à
182 MERCURE DE FRANCE
ſervir en Italie ; les troupes de France &
d'Eſpagne marchoient contre le Roi de
Sardaigne au mois de Juillet 1744 , pour
forcer le paſſage des Alpes & pénétrer
dans lePiémont. Le Prince de Conti avoit
formé le projet d'attaquer en même- tems
toute la frontiere de Charles Emanuel,&
ce projet a été loué par tous les maîtres de
l'art. Comme il étoit néceſſairedans une
guerre de montagnes d'inſpirer aux troupes
la plus grande audace , le Prince de
Conti donna l'avant-garde de la diviſion
du bailli de Givri à M. de Chevert, avec
une inſtruction particuliere , à laquelle il
étoit défendu de rien changer; cette diviſion
marchoit vers Château Dauphin.
Il ſe met à la tête des 2400 hommes de
l'avant garde , attaque bruſquement trois
mille Piémontois à la Gardette , les bat
&ſe maintient dans le poſte. On parvient
aux plus hautes Alpes; c'eſt dans la vallée
de Château - Dauphin que les Eſpagnols
avoient trouvé l'année précédente leur
gloire & leur tombeau ; celle de Bellin
feroit foudroyée par l'artillerie des retranchemens
qui la dominent; il faut ſe
fraïer une route vers la cime preſqu'inacceſſible
des rochers qui ſéparent ces
deux vallées. L'intelligence & l'activité
AVRIL. 1769. 183
de M. de Chevert ont le plus heureux
ſuccès. Il conduit ſon avant-garde juſqu'à
la hauteur de Bondormi , où il retrouve
celle des Piémontois qu'il défait pour la
feconde fois. Ils ſe couvrent de leurs retranchemens
de Pierre - longue ; M. de
Chevert eft chargé de la principale attaque
à la tête des grenadiers ; jamais l'audace
françoiſe n'avoit été auſſi opiniâtre ;
on arrache les paliffades , on comble les
foffés de morts , on pénétre par les embrafures
, &celui qui avoit monté le premier
ſur les remparts de Prague , force le
premier les barrieres du Piémont.
Le prince de Conti écrivit au Roi :
". C'eſt une des plus brillantes & des plus
» vives actions qui ſe ſoient jamais paf-
>> ſées . Les troupesy ont montré une va-
>> leur au deſſus de l'humanité; la briga-
>> de de Poitou ayant M. d'Agenois à ſa
>> tête , s'eſt couverte de gloire. La bra-
>> voure & la préſence d'eſprit de M. de
> Chevert ont principalement décidé
>> l'avantage , &c. Le grade de maréchal
de camp en fut la récompenſe ( 3 ) .
Les bornes de cet écrit ne permettent
pas d'entrer dans le détail de tous ſes faits
de guerre en Italie , dans les campagnes
qui ſuivirent , ſoit en opérant ſous les
184 MERCURE DE FRANCE.
yeux des généraux , foit en commandant
des corps léparés .
L'hiſtoire (*) en marquera les époques,
&en rapportera les circonstances; on le
verra faiſant l'arriere- garde de l'armée
combattre à pied , après avoir eu fon cheval
tué ; faire remonter à l'artillerie le
col de l'Argentiere à bras d'hommes en
préſence de l'ennemi , la placer ſi avantageuſement
que par-tout il en impoſe ,
& ne peut être entamé ; on le verra menant
l'avant-garde du maréchal de Maillebois
, forcer ou diffiper les différens
partis qu'il rencontre , faire le ſiége de la
ville & du château d'Afti , s'en rendre
maître ; aller enſuite prendre le commandement
de Montcalvo , bien plus difficile
à conſerver ; mettre cette ville , ſans murailles
, en état de défenſe ; ſoutenir trois
affauts , & forcer l'ennemi à ſe retirer.
Ici il attaque le pont de Cazal Bayan ,
paſſe le Tanaro , ſuivi de toute l'armée ;
là il manoeuvre ſi bien que les François ,
quittant Tortonne , ne font point entamés
par le Roi de Sardaigne .
(*) Ceſujer appartient au recueil des vies des
homines illuftres de France , & demande le ſtyle
&les talens du continuateur de cet ouvrage.
AVRIL. 1769. 185
Si les ennemis entrent en Provence ,
il attaque leurs détachemens qui s'étendent
juſqu'à Digne; les en chaſſe , ainſi
que de Mouſtier ; couvre Caftellane &
Draguignan ; reprend ſur eux les Ifles
Sainte-Marguerite ,y fait plus de ſix cents
prifonniers de guerre , & voit ſes ſuccès
couronnés par le grade de lieutenant général
des armées.
La paix eſt enfin rendue à l'Europe ;
les nations épuiſées la deſiroient , chaque
particulier afpiroit après le repos ; elle
ne fut pour M. de Chevert qu'un moyen
différent de montrer ſon zèle (4) , & une
nouvelle occaſion de bien mériter de la
patrie. On le nomma en 1749 pour commander
ſur la Sarre .
Veiller fur la frontiere au maintiende
l'ordre & à l'obſervation des traités , correſpondre
avec les états voiſins , tenir les
troupes dans la diſcipline , n'étoient pas
les ſeuls objets àremplir. Après une lon.
gue guerre, il étoit de la ſageſſe du gouvernement
de reformer les abus , de corriger
& de perfectionner notre tactique comparée
ſans prévention avec celles des
étrangers , d'ajouter au code militaire de
nouvelles ordonnances ; le miniſtre avoit
pris , fur différens projets, l'avis des offi.
1
186 MERCURE DE FRANCE.
も
ciers généraux les plus expérimentés ;
l'ordre fut donné pour affembler des
camps de paix , afin de ffaaiirre des eſſais , ou
pour fortner des troupes à ce qui étoit
décidé. M. de Chevert commanda celui
qui fut aſſemblé fur la Sarre en 1753. Il
avoit vu & étudié en détail les refforts
particuliers qui compoſent une armée ; il
en avoit calculé les forces ; il en connoiffoit
le jeu. Cet avantage , joint à huit
campagnesde guerre avec des cominandemens
conſidérables , le metroit en état de
faire mouvoir plus fûrement la machine
entiere. Les vuesdu miniſtre ſe trouverent
remplies , & le camp eut tant de ſuccès
qu'on lui en fit commander un fecond
l'année ſuivante. La réputation du premier
étoit parvenue juſqu'aux étrangers ;
on vit à celui-ci une foule d'officiers généraux
& particuliers , Anglois & Allemands
, également fatisfaits & des manoeuvres
de guerre & de la maniere dont
le général leur faifoit les honneurs de la
nation. Celui de 1755, far la Moſelle ,
eut encore plus de célébrité ; on conmptoit
à la fuire de M. de Chevert plus de
foixante aides -de - camp , parmi leſquels
on retrouvoit des noms illuſtres à la cour
& chers à la patrie , tant la jeune nobleſſe
AVRIL. 1769 . 187
avoit montré d'empreſſement à venir ſe
former ſous lui au métier des armes ( 5 ) .
Elle ne devoit que trop tôt faire uſage
deces brillantes&funeſtes connoiſſances .
Le ſyſtème politique de l'Europe change
tout - à- coup ; on voit les nations s'allier
avec leurs anciens ennemis ,& combattre
contre leurs anciens alliés .
Le maréchal d'Eſtrées avoit déjà paflé
le Vefer , & marchoit au duc de Cumberland.
Il l'atteignit près d'Aftenbeck le 25
Juillet 1757. La journée ſe paſſa en reconnoillance
& en diſpoſitions pour attaquer
le lendemain. Le 26 , le maréchal
d'Eſtrées ordonna à M. de Chevert de
marcher avec ſeize bataillons & des volontaires
pour tourner la gauche de l'armée
ennemie qui , par ſa poſition , ne
pouvoit être attaquée autrement , tandis
que la nôtre marcheroit de front à l'appui
de cette diviſion. Les bois , qu'il falloit
traverſer pour gagner les hauteurs où
cette gauche étoit appuyée , étoient fort
épais& les routes peu connues . Le comte
de Châtelet - Lomont , qui formoit la
tête de cette attaque avec douze compagnies
de grenadiers , eſt dangereuſement
•bleffé & mis hors de combat ; le comte
deMontmorency - Laval , &pluſieurs au
188 MERCURE DE FRANCE .
tres officiers meurent ſur le champ de
bataille; les trois guides ſont tués. M. de
Buffy qui menoit les volontaites & qui
devenoit ſi néceſſaire en ce moment par
les reconnoiſſances qu'il avoit faites la
veille , n'eſt déjà plus. L'ennemi , caché
dans l'épaiſſeur du bois , donne la mort
fans craindre de la recevoir ; nul chemin,
nulle iſſue pour aller à lui ; la valeur devient
preſqu'inutile; les troupes s'étonnent
, mais la contenance du général les
raffure. Ses propos , ſon exemple leur rend
l'eſpérance; il leur parle ſelon la circonftance
& le moment ; avec tranquillitéou
avec audace , ſelon que l'exige la ſituation.
Il voit ici ce qu'il y a à faire , & le
fait exécuter. Là, c'eſt un lion irrité qui
briſe tous les obftacles ; il ſe porte à la
tête des grenadiers ; il perce ; il enfonce;
il chaſſe les ennemis de la ſommité des
bois ; on arrive aux chemins qui defcendentdans
la plaine; l'armée ennemie s'inquiette
, elle s'ébranle & céde enfin le
champ de bataille aux François (6) .
Si le ſuccès de cette attaque contribua
au gain de la bataille , les précautions , les
diſpoſitions , la connoiſſance qu'il avoit
deshommes, &le talent de les employer
de la façon la plus utile , avoit préparé le
fuccès.
AVRIL. 1769. 189
Une fois , une ſeule fois , l'habitude de
vaincre lui donna trop de confiance , & il
fut battu à Mer. Il peut être excufé ſans
doute ; mille circonſtances le juſtifient : à
la bonne heure ; mais que lui importent
aujourd'hui nos foibles éloges ? Si le recit
fidèle & fincere de ſes actions peut avoir
quelque utilité , c'eſt de préſenter un modèle
à ceux qui ſuivent la même carriere ,
& l'exemple de ce revers ne leur ſervira
pas moins que trente actions heureuſes
qu'ils liront dans ſa vie .
Le ſervice qu'il eut occaſion de rendre
à la journée de Lutzelberg, pouvoit effacer
le ſouvenir du choc de Mer; le Prince de
Soubiſe paſſe la Fulde pour attaquer les
ennemis. Il fait cannoner leur armée & la
force de ſe mettre en Bataille. Il devoit
en attaquer le front , tandis que le Duc
de Fitz-James en attaqueroit la droite;
& M. de Chevert avec ſa diviſion , dont
les Saxons & les Palatins faifoient partie,
avoit ordre de tomber ſur leur flanc. Dès
qu'il fut en meſure , ildonna le ſignal de
l'attaque générale , ſelon l'ordre qu'il en
avoit reçu ; toutes les colonnes s'ébranlent
en même tems ; mais pluſieurs ayant
eu plus de chemin à faire , ou plus d'obſtacles
à furmonter , le plus grand effort
190 MERCURE DE FRANCE.
du combat ſe fit à la diviſion ; il avoit
pris ſon parti ſur le champ , d'après le
mouvement qu'il avoit vu faire aux troupes
qui lui étoient oppoſées , mais fi à
propos , les diſpoſitions furent ſi juſtes , &
prefferent tellement les ennemis , contraints
d'ailleurs par le front que leur préſentoit
le Prince de Soubiſe , & par le
feu de fon artillerie , que leur cavalerie
pliée à pluſieurs repriſes , leur infanterie
attaquée partout , & partout enfoncée ,
ils furent forcésde prendre la fuite, après
la réſiſtance la plus opiniâtre (7) .
Il feroit fuperflu de s'étendre plus au
long ſur ſa vie militaire. On le verroit
animé du même eſprit , & cherchant
toujours à donner des preuves du
même zèle. Il eſt plus agréable de le conſidérer
dans ſa retraite après la paix. C'eſt
là que loin de l'agitation des camps &du
tumulte des armes , exempt de tout defir
inquiet , libre de toute paſſion , rendu à
lui -même après cinquante-ſept années
de ſervice non interrompus, il ſe livre
pour la premiere fois aux douceurs du
repos ; il goute cette tranquillité , cette
douce paix qui fait le partage de l'honnête
homme; nulsregrets , nuls remords ne le
troublent; ſes intentions ont toujours été
AVRIL. 1769. 191
droites; ſes mains font pures ; il jouit
de cet avantage ſi précieux , de ce bien ſi
ſolide & fi flatteur , que la faveur ne
donne point & que l'intrigue ne ſauroit
ôter , la conſidération perſonnelle .
L'eſprit d'ordre & de prévoyance ,
dont la plus grande fortune a beſoin , &
qui ſupplée à la médiocre , le ſuivit dans
ſa retraite. Exact & vigilant parce qu'il
étoit juſte ; econome pour être généreux
, ſa dépenſe étoit grande ſans être
magnifique , ſa table étoit plus abondan .
te que recherchée , ſon domestique plus
choiſi que nombreux ; l'aifance & la liberté,
l'honnêteté & la décence régnoient
dans ſa maifon. Elle étoit ouverte aux
Militaires de tous les âges , & de tous
les grades , & l'étiquette de la vanité n'y
prenoit point ſur les agrémens. C'étoit
un vénérable chefde famille qui ſe chargeoit
du ſoin de la raſſembler autour de
lui , qui voyoit rangés à ſa table ſes enfans
, & les enfans de ſes enfans ; qui
les faiſoit entrer en partage de tout ce
qu'il poflédoit ; ſon crédit, ſes lumieres ,
ſa longue expérience étoient comme un
fonds patrimonial où tous avoient droit
de puifer , & fi chacun d'eux avoit pour
lui les ſentimens d'un fils , c'étoit un
1
192 MERCURE DE FRANCE.
pere qui s'honoroit à ſon tourde la gloire
de ſes enfans .
Son loiſir étoit honorable , ſes jours
étoient purs & fereins , l'amitié & la reconnoiſſance
veilloient ſans ceſſe pour
en écarterles nuages,& pour en prolonger
la durée ; quand tout à coup cette félicité
eſt détruite par une foudaine révolution.
Les gémiſſemens & les plaintes
annoncent la douleur ; on s'inquiéte, on
s'empreſſe ; les ſecours de toute eſpèce
font employés ; on appelle ceux de la
religion . Si le Ciel permet qu'il ſoit rendu
aux voeux & aux larmes de tout ce
qui l'environne , c'eſt de celui qui connoit
les fecrets de l'art & les reſſources
de la nature qu'on doit l'attendre ; ſes
lumieres & fon attachement en ſont de
furs garans , un calme ſubit ajoute encore
àcette confiance ; l'eſpérance renaît..
Calme trompeur ! Vain eſpoir ! le coup
fatal étoit porté; déjà il reſpire à peine ,
bientôt il ne refpire plus; la mort a fini
le ſonge; il eſt à fon réveil.
Le bruitde cet accident funeſte ſe répand&
ne trouve point de coeurs indifférens.
Les militaires ſont conſternés , la
ville & la cour lui rendent juſtice ; amis ,
rivaux , tous parlent le même langage ,
& les regrets font univerſels.
Le
AVRIL. 1769 . 193
:
Le ciſeau & le burin feront employés
pour conferver ſes traits à la poſtérité. Nos
neveux iront les conſidérer dans le temple
où ſes cendres repoſent ; ils iront
chercher fur le marbre & fur l'airain à
ſe retracer ſes différentes actions de guerre
; & ils ne pourront ſe rappeller fans
en être touchés , & les talens & les vertus
qui ont illustré ſa vie.
NOTES.
(1) Sa lettrede lieutenant au régimentde Carné
fait partiedes papiers remis à ſa famille , ainſi que
lecertificatducommiſſaire des guerres qui lui fit
prêter ferment , daté de Sarrelouis , où il fut reçu
au moisde Janvier 1707 .
(2) M. de Chevert ne voulant laiſſer que des traces
honorables du ſéjour des François & de leurs
alliés dans Prague , exigea qu'on lui remît deux
canons aux armes de l'Empereur Charles VII , menaçant
de n'entendre à aucune capitulation , ſion
les lui refuſoit; il les obtint , & les envoya à Sa
Majesté Impériale,
Extrait de la lettre écrite à ce ſujet , par l'Ema
pereur au Maréchal de Belle- Isle.
«Je ſuis très - ſenſible à l'attention qu'a eue le
>> brigadier Chevert de demander les deux piéces
>>>de canon ; vous me ferez plaifir de l'en remercier
I. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
>> de ma part , & de lui dire que je ſerai charméde
>> lui en marquer ma fatisfaction ; vous ſçavez
>> que j'ai toujours beaucoup eſtimé cet officier ,
>> qui s'eſt diftingué dans toutes les occafions , &
>> particulierement à la priſe de Prague ; ce qui
>>m>'avoit engagé à le nommer mon lieutenanten
>>cette ville : il s'eſt comporté dans ſes fonctions
>> avec tant de fermeté , de prudence & d'eſprit ,
>>de conciliation & de justice , qu'il s'eſt attiré la
>> confiance de mes ſujets. J'attends que vous foyez
>>>ici pour voir ce qui lui fera le plus de plaifir , &
>> ſur ce je prieDieu , &c. »
Signé , CHARLES.
A Francfort , le 28 Janvier 1743 .
(3 ) Dans les préparatifs d'une action , fur- tout
lorſqu'il devoit répondre du ſuccès ,l'impétuofité
de ſon caractere n'avoit point de bornes ; mais il
ſembloit que le feu qui couloit dans ſes veines
n'avoit fermenté que pour le répandre au-dehors
& ſe communiquer à tout ce qui devoit lui obéir;
tranquille , & l'eſprit toujours préſent pendant
l'action , il donnoit les ordres les plus nets& les
plus précis.
(4) Quand nous parlons de fon zèle , ce n'eſt
point une expreffion vague ; il étoit véritablement
rempli de zèle pour la gloire du Roi , de reconnoillance
pour ſes bienfaits , d'amour & de reſpect
pour ſa perſonne facrée. Il ne ſe rappelloit point
fans attendriſſement , & auroit payé de ſon ſang
le mot que Sa Majesté eut la bonté de lui dire en
prenant congé,après une longue maladie qui avoit
AVRIL. 1769. 195
retardé ſon départ pour l'armée : Jevoudroisvous
donnerdes ailes.
(5) FeuM. duGueſclin, évêquede Cahors , le
pria avec inſtance de prendre ſon neveu pour aidede-
camp quand la guerre ſe déclara , defirant que
leprécieux rejetton de ce grand &vertueux Connetable
n'apprêt point àd'autre école le métierde
laguerre: auſſi eſt-ilàremarquer que tous lesaides-
de-camp font aujourd'hui des militaires de
la premieredistinction.
!
(6) Le marquis de Brchant , qui avoit toute la
valeur& la noble franchiſe de l'ancienne chevalerie,
vient le trouver avant la bataille. Brehant,
lui dit - il , d'une voix animée , & le regardant
fixement , jurez - moi , foi de chevalier, que vous
&tout le régiment de Picardie , vous vousferez
tuerjusqu'audernier plutôt que de reculer,je vous
donnerai l'exemple. Je lejure , lui dit le marquis
deBrehant , d'un air & d'un ton qui rendoient le
ferment ſuperflus. Jamais engagemens réciproques
n'ont été mieux gardés .
Les officiers du régiment de Picardie le font
prier de prendre ſa cuiraſſe; il répond,en montrant
les grenadiers:Et ces braves gens-là enont-ils?
On vient lui dire qu'il n'y a plus de poudre ;
nous avons , dit-il , des bayonnettes.
(7) Le Roi de Pologne lui écrivit la lettre fuivante
, en lui envoyant les marques de l'ordre
royal de l'Aigle Blanc , avec ſon portrait dans une
boëte d'or enrichie de diamans . Monfieur le
>> lieutenant-général de Chevert , monfils le com-
>> te de Luface ne m'a point laiflé ignorer la part
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
>>>que vous avez eue au gain de la bataille de Lut-
>>zelberg, ni les attentions que vous avez eues pour
> lui dans toutes les occaſions , & fur-tout à cette
journée, en lui procurant l'honneur de contri-
>>buer , à la tête d'un corps de mon infanterie , à
>> la gloire des armes du Roi Très-Chrétien. Cet-
•>> teheureuſe nouvelle eſt la plus conſolante que
>> je puis recevoir. Je ſçais combien on doit dans
>>cette circonſtance à votre expérience , à votre
>> valeur & à la ſupériorité de tous vos talens mi-
>>>litaires. Je n'ai pas voulu différer à vous faire
>> cette lettre , & d'y joindre une marque de mon
>> eſtime&dema bienveillance la plus particulie-
>> re. Sur ce je prie Dieu , M. le lieutenant - général
de Chevert , qu'il vous ait en ſa ſainte
>>ga>rde.>>
Signé , AUGUSTE , Roi ,
A Warſovie , le 12 Novembre 1758 .
*On trouvera des exemplaires de cet éloge
chez Lacombe , libraire , rue Christine.
Voici l'épitaphe de M. de Chevert , telle
qu'ellea étéfaite par M. le comte de la
Touraille , dont il ne nous étoit parvenu
qu'une copie infidèle , imprimée dans le
dernier Mercure.
2.
Ci gît un I foldat couronné
Par la valeur & par la gloire.
Le laurier qu'il a moiſionné
AVRIL. 1769. 197
Orne le templede mémoire .
Pendant le cours de ſes hauts faits ,
Il eut des ſuccès mémorables ;
Et dans les loiſirs de la paix
Il eut des vertus plus aimables.
Lorſque la Parque l'attaqua
Et l'entraîna dans la nuit noire ,
C'eſt la ſeule fois qu'il céda
L'avantage de la victoire.
ARRÊTS , ORDONNANCES , & c .
I.
ARRÊT du conſeil d'état du Roi , du 14 Janvier
1769; qui ordonne que l'entrée du Journal qui
s'imprime a Luxembourg , ſous le nom de Clefdu
cabinet des Princes , ſera défendue dans toute l'étendue
du royaume , notamment dans la province
de Lorraine.
I I.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , & lettres - patentes
furicelui ,des 28 Décembre 1768 & 17 Janvier
1769 , regiſtrées en la chambre des comptes;
quidiſpenſentles ſujets deſtinés à remplir des offices
au parlement , & qui auront paffé dans les
charges du châtelet , d'une partie des droits de mutation
qu'ils feroient obligés de payer pour parveniràl'obtentionde
leurs nouvellesproviſions. 4
I inj
198 MERCURE DE FRANCE.
III.
Arrêtde la cour des Aides , du 22 Février 1769;
qui ordonne que , conformément aux reglemens y
énoncés , les receveurs des tailles ſeront tenus de
réſider en leur élection ,&d'y remplir en perſonne
leurs fonctions .
IV.
Ordonnance dubureaudes Finances de la généralité
de Paris , du 17 Février 1769 ; qui ordonne
l'exécution des arrêts , reglemens& ordonnances,
concernant les carrieres , fouilles & excavations
dans des terreins riverains des grands chemins :
En conféquence, fait défenſes à tous particuliers ,
notamment aux Tanneurs de la ville de Sens & autres
, de tirer ni enlever aucunes terres dans l'excavation
anciennement pratiquée proche la route
deBourgogne, entre la ville de Sens& le village
de Rozoy , à peine de so liv. d'amende.
V.
Arrêtdu conſeil d'état du Roi , du 24 Février
1769 ; qui fubroge Nicolas Follet , à feu Léonard
Marattay , commis par arrêt du conſeil du 30
Avril 1751 , pour régir & adminiſtrer le droit ſur
les cartes à jouer , au profit de l'hôtel de l'Ecole
Royale-militaire.
VI.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 10 Mars
1769 , qui ordonne que dans les chapitres de chacunedes
provinces & congrégations des religieux
de l'ordre des Freres-Prêcheurs de ſon royaume ,
AVRIL. 1769. 199
quiont coutume d'avoir des chapitres particuliers,
& qui doivent s'aflembler inceſlamment , il ſera
nommé deux députés , dont l'un ſera pris parmi
les ſupérieurs , &l'autre parmi les conventuels ,
leſquels feront chargés , conjointement avec les
provinciaux & vicaires généraux de chacune defdites
provinces & congrégations , enſemble avec
les prieurs du collége de la rue Saint- Jacques &du
noviciat de la rue Saint- Dominique de Paris , en
qualité de députés deſdits couvens , de procéder à
l'exécution des articles V, VII & X de l'édit du
mois de Mars 1768 ; à l'effet de quoi leſdits provinciaux
, vicaires - généraux & députés , feront
tenus de s'aſſembler le s du mois de Mai de l'année
1771 , dans le couvent de Saint- Honoré des Freres-
Prêcheurs de la ville de Paris , en préſence de
tels commiflaires que Sa Majesté jugera à-propos
de commettre pouryaffiſterde ſa pare.
Le Roi a donné un pareil arrêt pour les religieux
Recollets, Cordeliers ,Capucins , Carmes déchauf
fés , grands Carmes , & Fr. Mineurs conventuels
StFrançois.
AVIS.
I.
Art Héraldiquz.
ARMORIAL de la chambredes Comptes , depuis
l'année 1506 , précédé d'un état des officiers de
cette courjuſqu'en ladite année 1506 , époque où
la maiſon deNicolaï a commencé de poſſéder l'office
de premier préſident ; par Mlle Denys , armo-
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
rifte de la chambre ; ouvrage gravé en taille-douce,
de format in- 8°, tome premier contenant Meffieurs
les préſidens. Ce volume ſe diſtribuera pour
MM. les officiers de la chambre des comptes depuis
le 15 Févrierjuſqu'au 15 Avril ſuivant, après
lequel tems il ſera rendu public. A Paris , chez
l'auteur , quai de Bourbon ; & Grangé , imprim .
libraire , au cabinet littéraire , pont Notre-Dame.
Suivant l'avertiſſement mis à la tête de cet ouvrage
, la collection complette de l'armorial de la
chambre des comptes comprendra cinq parties :
MM. les premiers préſidens & préſidens ; MM. les
conſeillers-maîtres ; MM. les conſeillers - correcteurs
; MM. les conſeillers- auditeurs , & MM. les
gens du Roi. MM. les premiers préſidens & préfidens
, objet de la premiere partie de cet armorial ,
ſont compris dans le premier vol. qui vient d'êrse
annoncé. L'armorial eſt précédé d'undiſcours ſur la
jurisdiction de ta chambre , l'étendue de fon reffort
& les fonctions de fes différens officiers . L'auteur,
pour rendre ſon ouvrage d'une utilité plus
générale , a eu ſoin d'y joindre des recherches fur
l'origine des armoiries , & de donner les premiers
rudimens du blafon. Chaque guerrier , autrefois
pour prouver ſa valeur& ſe faire diftinguer dans
la mêlée, plaçoit ſur ſon armure un caractere
distinctif. De ces armures eſt venue la dénomination
d'armoiries , foit qu'elles fuſſent par la ſuite
gravées ſur les joyaux , bagues ou cachets , &c.
Ce fut fous Philippe Auguſte , c'eſt - à - dire l'an
1215 que le blafon reçut ſon plus grand luftre en
France. On perfectionna ſous fon regne cette
ſcience dont Louis le Jeune ſon pere avoit jetté les
premiers fondemens , en établiſſant des Héraults ,
tant pour ordonner les cérémonies & les one
AVRIL. 1769 . 201
mens convenables au ſacre du prince ſon fils , que
pour réduire en principes les ſignes diſtinctifs de la
nobleffe, & en faire par des regles un véritable
art , appellé depuis l'art héraldique , du latinbarbare
Heraldus, dont on avoit formé celui de hérault.
Ces armoiries , qui avoient pris naiſſance
parmi les hommes de guerre , ſont paffées aux
magiſtrats , foit parce que la magiftrature a d'abord
été exercée par des militaires , ſoit parce que
les magiſtrats de ces tems anciens prenoient les
mêmes armes qui avoient été adoptées comme
marques de diſtinction par leurs peres ; auſſi voitonque
les anciens arrêts ſont ſouvent , outre les
fignatures , munisdes ſceaux de ceux qui avoient
rendu lajuſtice. Les armoiries du premier volume
de l'armorial de la chambre des comptes ont été
gravées & coloriées par Mlle Denys avec le plus
grand ſoin & la plus grande propreté. L'ouvrage
eft dédié à M. le premier préſident de Nicolaï,qui
eſt le huitieme de pere en fils qui pofléde cette
charge éminente de la magiftrature. Le blaſon de
cette illustre maiſon , tel qu'il eſt donné par l'are
moriſte , eſt d'azur au levrier courant d'argent ,
accolé de gueules , bouclé d'or; la couronne de
marquis , & pour ſupports deux levriers au aaturel
.
II.
Catalogue raiſonné d'une collection choiſie de
minéraux , criſtalliſations , madrépores, coquilles
&autres curiofités de la nature & de l'art. A Pa--
ris , chez Delalain , 1769 , in 8 ° . La vente de cette
collection ſe fera le mardi 4 Avril 1769 &jours
ſuivans , trois heures de relevée , au grand irotel
deBerri , rue St Thomas du Louvre.
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
:
III.
Penfionat.
Les religieuses Ursulines de Gifors en Vexin-
Normand, menacées ci- devant d'une deſtruction
prochaine , viennent d'être ſolidement rétablies ;
elles ſe propoſent, conformément à leur inſtitut ,
de reprendre des penſionnaires au premier d'Avril
de la préſente année 1769. Cette nouvelle nous a
paru d'autant plus intéreſſante pour le Public , que
juſqu'à préſent nombre de Demoiſelles tantde
Paris quede la province , ont reçu dans cette maifon
l'éducation la plus diſtinguée. Les parens peuvent
être aſſurés d'y trouver encore le même avantagepour
leurs enfans. Ilya , en outre , dans la
ville, pour la muſique & le clavecin, un excellent
maîtreaffez connu par la ſupérioritéde ſes talens.
I V.
,
LeSieurGarand, peintre en miniature &deffinateur
, ci-devant place Dauphine , demeure préfentementquaide
la Megiſſerie près le Pont-Neuf,
la cinquiéme maison à l'enſeigne de la croix de
perle, au troifiéme .
V.
LaDemoiselleBertrand, marchande fabriquantede
cire d'Eſpagne , à Paris , rue de Tournon , à
l'étoile d'or , donne avis au Public qu'elle débite
ſeule les véritables cires de Pekin à 24 , 30 ,
36 1. la livre , dont elle poſſéde la compoſition.
Elle fabrique également la véritable cire de Holande,
d'Angleterre , Turque & autres. On trou
AVRIL. 1769. 203
<
vera chez elle , dans tous les genres , des cires ſapérieures
au moins d'un quart,à prix égal , à celle
des autres fabriques. La Demoiselle Bertrand fait
des envois pour la province& les iſles , fur commande.
VI.
Lebrun , marchand épicier-droguiſte &diftillateur,
fait & vend toutes fortes de liqueurs fines
étrangeres , huile de Vénus , ſcuba de Lorraine ,
parfait - amour , eau clairette de Chambery , le
cajolan , élixir de Garrus & de Stougthon d'Angleterre;
toutes fortes deſſences , lait virginal, &
toutes autres marchandises. Letout àjuſte prix.
On vend chez lui les tablettes pectorales , trouvées
enAngleterre par M. Archbald. Ces tablettes
fontfüres& infaillibles contre les maladies ordinaires
de la poitrine & du poulmon , telles que
les thumes , la roux & l'enrouement , &c. Elles
préviennent l'aſthme, la phtifie,la pulmonie ,&
diſſipent les humeurs qui ſe fixent ſur la poitrine ,
dontl'irritation occafionne des efforts continuels
pour touffer. Ces tablettes , par leurs vertus balfamiques
& nutritives , guériflent les tendres
vaiſleaux de l'estomach , & en fortifiant ſes organes
, aident à la digeftion &facilitent la chylification.
Elles ſe fondent dans l'eau comme da fuere;
legoût eft agréable , & corrige l'halcine&
les exbalaiſons impures de l'eſtomach. La boëte
eſtde36 fols.
VII.
Eau de Cologne.
CA
L'cau admirable , auſſi nommée Eau de Cologne
I vj
204 MERCURE DE FRANCE .
ſe diſtille & ſe vend chez Jean-Marie Farina , visà-
vis la place de Juillet , à Cologne , à 30 ſols la
bouteille.
A Nantes , chez Morin & Vallain , marchands
épiciers , à 36 fols la bouteille.
A Paris , chez Lebrun , marchand épicier , rue
Dauphine , hôtel de Mouy , magaſin de Provence
&deMontpellier , à 36 fols la bouteille ; lespropriétés
ſont ſignées de fa main.
VIII . .
Vinaigres variés.
Le Sr Maille , vinaigrier - diſtillateur ordinaise
-de LeursMajestés Impériales, continue de diftribuer
un très grand nombre de vinaigres , tant pour la
table que pour la toilette ,& tous auſli variés pour
les qualités & le goût , que bien compofés. Son
Vinaigre Romain entr'autres s'accrédite par les
bons effets qu'il produit. Il fave , pour être für
d'avoir le Vinaigre Romain dans toute ſa force ,
c'eſt - à- dire fpiritueux , pénétrant , defficatif, balſamique
, anti ſcorbutique , propre à raffermir
les dents & à les blanchir , à arrêter le progrès de
la carie , en détruiſant le limon qui s'attache aux
dents , à rafraîchir la bouche , à corriger les vices
de l'haleine , &c. &c .. le tenir directement du Sr
Maille . Sa demeure à Paris eſt toujours rue Saint-
André-des- Arts , aux armes impériales. Leprix de
lapinte, meſure de Paris , eſt de 24 livres , & co
lui des plus petites bouteilles, 3 liv. Il peut ſe tranfporter
par-tout , fans ſouffrir la moindre altération,
& l'on ne peut trop en recommander l'uſage
tant aux voyageurs qu'aux gens de mer , aux habitansdes
iſles , enfinà tous ceux qui font expölés
AVRIL. 1769. 205
ou ſujets à contracter des affections ſcorbutiques.
On trouve encore chez le Sieur Maille un Vinaigre
de Turbie , qui guérit le mal de dents , & qui
enappaiſe ſur le champ ladouleur ; un Vinaigre
deStorax , qui blanchit , unit , affermit la peau ,
donne un teint clair , frais & très - vif , & garantit
des rides ; an Vinaigre de fleurs de citron , pour
ôter toutes fortes de boutons au viſage ; un Vinaigre
de Racines , qui ôte toutes les taches ; un
Vinaigre d'écaille , qui guérit les dartres ; un Vinaigre
contre les vapeurs; un Vinaigre de cyprès ,
immanquable pour noircir les cheveux & les foutcils
blancs ou roux , & pour conſerver les cheveux
; un Vinaigre fcillitique pour la voix ; & le
vrai Vinaigre des quatre Voleurs , qui eſt le préſervatif
le plus für contre toutes eſpéces de contagion
& de mauvais air . Le prix des plus petites
bouteilles de ces différens vinaigres eſt de 3 liv.
Ces fortes de vinaigres peuvent ſe tranſporter pas
mer dans les parties du monde les plus éloignées ,
fans craindre que le tems ni le tranſport puiflent
en altérer la qualité , qui devient plus parfaite en
vicilliſſant. Les perſonnes de province qui voudront
s'inſtruire plus particulierement des qualités
de ces différens vinaigres , auront ſoin d'affranchir
les lettres qu'elles écriront audit Sr Maille ;
&en mettant l'argent à la poſte , auſſi franc de
port , on leur fera tenir exactement les vinaigres
qu'elles demanderont , avec la maniere d'en faite
uſage.
206 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES POLITIQUES.
DePetersbourg , le 31 Janvier 1769.
AVAVANNTT- HIER les Profeſſeurs Lowitz & Rumowski
, les Sieurs Mallet & Pictet , le lieutenant
Euler& les Sieurs Kraft & Inochodzow , chargés
d'aller obſerver le prochain paſſage de Vénus ſur
lediſquedu ſoleil, furent admis à l'honneur de
baifer la mainde l'Impératrice & du Grand Duc.
Ilsſediſpoſent tous à ſe rendre à leurs deſtinations
reſpectives . On apprend que le capitaine Ileniew,
parti d'ici le 21 Fév. de l'année derniere pour aller
fairela même obſervation , eſt arrivé à Jakuız le
19 Juillet ſuivant.
Du 11 Février.
Pluſieurs ſçavans , envoyés dans différentes
provinces pour obſerver le paſſage de Vénus , ont
déjàdonné de leurs nouvelles; les Sieurs Pallas &
Lepechin qui devoient ſe rendre à Orenbourg ,
n'ont pu aller plus loin que Sinbirskà cauſe de
l'hiver ; ils marquent que dès les premiers jours
du mois d'Août il gêloit déjà pendant la nuit , &
que depuis le 15 Septembrejuſqu'au 18 , le thermometre
de de Lifle étoit defcendu durant la nuit
de 160 à 165 degrés , & celui de Réaumur de S
degrés au- deſſous de o , que la terre étoit preſque
par- tout couverte de neiges , & que le froid avoit
continué avec tant de rigueur que , non feulement
les bleds ſur pied , mais encore les jeunes ar,
bres étoient tous gêlés,
AVRIL.. 1769. 207
De Warsovie, le 21 Février 1769 .
On a appris hier par un courier expédié de la
grande aimée des Ruſſes , que le Kan des Tartares
qui s'étoit porté de Balta dans la nouvelle Servie,
àla têtede douze mille hommes , avoit été attaqué
par le général Iſakow , & qu'il s'étoit retiré
vers la Pologne; on ajoute qu'il eft pourſuivi par
legénéral Iſakow , & que le général Proforowski
marche à ſa rencontre.
On a reçu avis que vingt mille Ruſſes ſe raſſembleront
aux environs de cette capitale pour la met
tre à l'abri de toute entrepriſe.
De Stockholm , le 27 Janvier 1769 .
Onaffure que le Roi a fait inſcrire au Protocoledu
ſénatun écrit , par lequel Sa Majefté déclare
qu'Elle nepeut confentir àce que l'aſſemblée
extraordinaire des états ſe tienne dans la ville de
Norkioping. Sa Majesté rapporte les divers inconvéniens
qui en réſulteroient , & ajoute qu'Elle efpére
que les ſénateurs y feront d'autant plus d'attention
, qu'il eſt à craindre , comme cela eſt vraiſemblable,
que les états , apres avoir tenu quelques
ſéancesdans cette ville, nejugent à-propos
de s'en retirer pour continuer leurs délibérations
dans celle de Stockholm , ce qui rendroit infructueuſes
les dépenſes conſidérables qu'auroient entraînéés
les premieres ſéances à Norkioping. On
ajoute que cette déclaration n'a encore produit aucuneffet.
De Vienne , le 2 Mars 1769 .
Onmande de Conſtantinople que, ſuivant toute
apparence , l'armée Ottomane , compoſée de plus
de 300 , 000 hommes , s'aſſemblera à quelques
208 MERCURE DE FRANCE .
lieues de cette capitale; que le grand vifirquien a
le commandement y formera ſon premier camp ,
& que Sa Hauteſſe s'y rendra elle- même pour l'examiner.
Après quelque tems de ſéjour, l'armée ſera
diviſée endeux corps , dont l'un , de 130 mille
hommes, défilera vers Andrinople ; & l'autre ,
d'environ 200 mille , marchera vers la Pologne
par laBulgarie & la Valachie.
Du 8 Mars.
:
L'Empereur eſt parti d'ici vendredi dernier au
foir , &a pit la route de l'Italie.
De Rome , le 1 Mars 1769 .
On attend ici leGrand Duc de Toſcane qui veut
profiter de l'aflemblée du conclave, tems où les
étiquettes n'ont pas lieu pour voir les curioſités de
cette ville. On mande de Florence que Son Altefle
Royale n'attendoit pour partir qu'une réponſe de
l'Impératrice Reine , & que l'Empereur pourroit
-bien ſe rendre auſſi en cette ville . Des lettres de
Naples portent que Sa Majesté Sicilienne defire
pareillementde faire ce voyage , & qu'Elle a écrit
à Madrid pour en obtenir l'agrément du Roi d'Efpagne.
De Gênes , le 18 Février 1769 .
Marcellin Durazzo ayant terminé le 3 de ce
*mois les deux ans de ſon dogat , & le petit conſeil
ayant completté le is le nombre des ſix ſujets ,
parmi leſquels devoit être choiſi le nouveau doge,
Le grand confeil s'aſſembla le 16 , & éleva à cette
premiere dignité de la république Jean -Baptifte
Negroni, qui reçut à cette occaſion les complimens
*desDames&des Nobles de cette ville. こ
AVRIL. 1769 . 209
De Londres le 24 Février 1769 .
Legouvernementa jugé à propos de ſuſpendre
juſqu'au 16 du mois prochain l'élection d'un
membre du parlement pour le comté de Middleſex
, à la place du Sieur Wilkes dont les partiſans
deviennent chaque jour plus nombreux. Le 20 ,
ungrand nombre d'entr'eux a tenu une aflemblée
dans laquelle on s'eſt occupé des moyens de ſoutenir
ſa réélection . Ils ont formé à cet effet une
ſouſcriptionde 3340 liv. ſterling , & ont nommé ,
dit-on , des députés chargés de ſolliciter dans tout
le royaume des contributions pour le même objet.
On dit , dans le mémoire dreſlé à ce ſujet , que le
SieurWilkes ayant conſidérablement ſouffertdans
ſa fortune pour avoir ſoutenu les droits& l'intérêt
de la nation , il étoit juſte que celui qui ſouffroit
pour le public fût ſoutenu par le public. La
ville de Londres & pluſieurs provinces ſe diſpofent
, ajoute-t-on, à faire parvenir au pied du trône
de très - humbles ſupplications pour obtenir la
gracede ce priſonnier. Ses amis prétendent qu'avant
la fin de la ſemaine la ſouſcription ouverte
-àLondres qui a déjà produit des ſommes conſidérables
, ira à plus de 40 , 000 liv. ſterlings. L'élestion
du député du comté de Middlesex eſt fixéc
au 16 du mois prochain .
De Paris , le 27 Février 1769 .
Le vicomte d'Adhemar , dont quelques perfonnes
ont prétendu que le nom étoit Azemar& non
Adhémar , a préſenté au Roi une requête par laquelle
il ſupplie Sa Majeſté de vouloir bien , ſans
avoir égard aux premieres preuves qu'il a faites ,
lui nommer de nouveaux commiſſaires pour examiner
définitivement ſes titres. Sa Majefté kni
210 MERCCURE DE FRANCE.
ayant accordé la demande , le Sieur d'Hozier de
Serigny , juge d'armes de la noblefle de France , a
donnéun certificat , ſuivant lequel il eſt conſtaté ,
d'après les actes originaux tranſcrits & figurés ,
que les nomsAzemar & Adhémar ont une identité
parfaite ; qu'ils ont été portés indiſtinctement
par les branches d'Orange , de Montelimar , de
Grignan , de la Garde , de Lombers , de Villelongue
, de la Garinie , de Panac & de Montfalcon ;
que cette variété d'orthographe qu'on voit fur
tous les ſceaux de la maiſon d'Adhemar , & qui le
retrouve ſouvent dans le même corps d'acte , ne
peut , en aucune maniere donner atteinte aux preuves
que le vicomte d'Adhémar a miles ſous les yeux
de Sa Majeſté.
Du 6 Mars.
On écrit du château de Broglie en Normandie
que le 24du mois dernier , à neuf heures du ſoir ,
on apperçut un metéore qui parut ſous la forme
d'une pyramide lumineuſe de 20 ou 30 toiſes de
longueur , & éclaira tout le château& les environs.
Le ſommet de cette eſpéce de pyramide paroifloit
perpendiculaire au clocher de la paroifle ,
&ſa baſe qui n'avoit gueres plus de 3 ou 4 toiſes
de largeur s'étendoit vers le nord. Elle ne brilla
que pendant trois quarts d'heures , & commença
àſe diſſiper par ſa partie orientale; ſa baſediſparut
inſenſiblement , & ce phénomene fut ſuivi
d'une petite aurore boréale. On mande auffi de
Courtalin dans le Dunois , terre appartenante au
baronde Montmorenci ,que le 26 du même mois
il parut , vers les 8 heures & demie du ſoir , une
lumiere zodiacale très-distincte & en forme de fuſcau
: elle occupa plus des deux tiers de l'horiſoa
AVRII. 1769. 211
pendant environ trois quarts d'heure. Il paroiffoic
dans le même tems quelques lueurs d'une aurore
boréale qui n'eut rien de fort remarquable.
Le Sieur Meffier a obſervé hier une lumiere
finguliere. A quatre heures & demie du matin
ayant regardé le cielqui étoit ſerein , il a apperçu
àl'horifon une lumiere qui s'étendoit depuis le
nord-eft juſqu'à l'eſt , & qui s'élevoit d'environ
15degrés. Le foyer étoit au nord-eft , & la lumiere
répandue dans cet eſpace du ciel étoit rougeâtre
& ſemblableà celle qui précéde ordinairement
le leverdu ſoleil dans les grands jours de
l'été. Ce phénomene ne s'eſt diffipé que dans un
crépuscule déjà conſidérable ; cette lumiere reffembloit
affez à une aurore boréale , toute la
différence conſiſte en ce que celle- ci étoit rougeâtre
au lieu que la lumiere des autres eſtblanchatre.
Elle avoit à - peu - près la même étendue & la
même hauteur que l'aurore boréale qui a paru ici
le 26 du mois dernier vers les dix heures du ſoir .
LOTERIES.
Le quatre-vingt-dix-huitieme tirage de la lotterie
de l'hôtel - de - ville s'est fait le 25 Février
en la maniere accoutumée. Le lot de cinquante
mille livres eſt échu au No. 10266. Celui de vingt
mille livres , au No. 158.48 , & les deux de dix
mille aux numéros 6674 & 7329 .
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire
s'eſt fait le 6 Mars. Les numéros , ſortis de
la rouede fortune font , 83 , 43 , 80, 42& 25 .
212 MERCURE DE FRANCE.
MORT S.
Jean-Jacques, comte de Ligniville , comte de
P'Empire , chambellan de feu Léopold , duc de
Lorraine & de Bar , & lieutenant- colonel de ſon
régiment des gardes , chevalier de l'ordre militaire
du Roi de Sardaigne , &grand bailli d'Epinal
, eſt mort à Paris le 18 Février , âgé de 76
ans; il a eu de feue Elifabeth , comteſſe de Saureau
ſon épouſe, vingt - deux enfans, dont onze
font encore vivans .
Jean de Boullongne , comte de Nogent , commandeur
des ordres du Roi , ancien contrôleurgénéral
, & honoraire amateur de l'académie
royale de peinture , eſt mort le 21 Février dans la
foixante -dix- neuviéme année de ſon âge. L'application
, l'intégrité & le zèle avec lesquels il a
rempli les emplois & les places qui lui avoient été
confiées , & fon amour pour les lettres & les arts
fontnaîtrede juſtes regrets de la perte.
Bernard Chriftophe , marquis de Bragelongne,
de l'ordre royal & militaire de St Louis , colonel
d'infanterie , lieutenant & aide - major au régiment
desGardes-Françoiſes , mourut ici de la petite vérole
le 26 Février , âgé de quarante ans .
Marie- Anne Marc de la Ferté , veuve d'Antoine
de la Myre , chevalier de l'ordre royal & militaire
de St Louis , ſeigneur baron châtelain d'Hangen
&d'Aveneſcour , mourut le 13 Février ; fut préſentée
à St Nicolas-des- champs ſa paroiſſe le 15,
&tranſportée à d'Aveneſcour en Picardie , lieu
de ſa ſépulture. Elle étoit la derniere de cette ancienne
maiſon des Marc , dont parle Jean Pillet
dans ſon hiſtoire de la ville & citadelle de Gerbery,
imprimée à Rouen en 1679.
AVRIL. 1769 . 213
Anne - Dorothée de Bertainvillier , veuve de
Claude-Alexandre de Pons , marquis de Rennepont
, maréchal de camp , eſt morte au Châteaud'Aban
en Franche-Comté le 21 Février , âgée de
quatre- vingt& un ans .
Hugues Taquet , charetier , mourut à Saint-
Venant en Artois le 20 Février , âgé de 103 ans
accomplis ; il n'avoit jamais été malade. Sa femme
, qui eft à-peu-près du même âge , ſe porte encore
fort bien.
Jeande Bonneguiſe , évêque d'Arras , eft mort
dans ſon diocèſe le 28 Février , âgé de 63 ans .
Louiſe- Françoiſe de Mailly-Nefle , veuve de
Jacques-Antoine de Beauffremont , marquis de
Liſtenois , chevalier de la toiſon d'or , maréchal
de camp &meſtre de camp du régiment de dragonsBeauffremont
, tué à l'âge de vingt- cinq ans
au fiége d'Aire en 1710 , eſt morte à Sens , le 26
Février , dans l'abbaye de St Antoine. Elle étoit
filledu feu comte de Mailly , meſtre de camp général
des dragons & de N. de Sainte- Hermine ,
dame d'atourde feue Madame la Dauphine , mere
du Roi , & enſuite de la feue Reine.
Anne-Angelique d'Harlus de Vertilly , épouſe
de Paul Sigifmond de Montmorency - Luxembourg
, duc de Boutteville , lieutenant-généraldes
armées du Roi , eſt morte à Paris le 28 Février ,
âgé de 69 ans .
Antoine Ferrein , docteur régent en médecine
des facultés de Montpellier & de Paris , ancien
médecin conſultant des armées du Roi , profeſſeur
en médecine au collége royal , & profefleur d'anatomie
au jardin du Roi , &penſionnaire de l'académie
royale des ſciences , eſt mort ici les du mois
dernier , âgé de 85 ans.
OnmandedePPaauu enBéarnque le nommé Pela
214 MERCURE DE FRANCE.
trony , ci-devant boulanger, eſt mort ſubitement
le 14Mars , à l'âge de 105 ans .
-Louis-Marie , marquis de Poulpry , lieutenantgénéral
des armées du Roi , eſt mort ici le 27 Février
, âgé de 68 ans .
Pierre-Antoine Parchappe de Vinay , abbé de
Prémontré& général de cet ordre , eſt mortdans
ſon abbaye les Mars ,âgé de 20 ans.
-
Il s'eſt gliflé au Mercure de Mars 1769 , à l'article
, Généalogie de la Maiſon de Gand , p. 226 ,
quelques fautes qu'il eſt eſſentielde corriger.
Pag. 229 , lig. 3 , Sire de Guynes , lifez, Siger de
Guynes.
231 lig. 25 Marguerite de Saucles , lif. de
Staucles.
236 lig. 20 Anne de Racs,fille de N. deRacs,
lif. Anne de Raes , fille de N.
deRaces.
P
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers &enprofe, pages
L'inoculation , chant H.
Epître àune laide
ibid.
7
Le Singe puni , fable , II
L'enfant&le fabot, fable , 12
Elégie, par M. Pope , traduite de l'anglois , 14
Traduction de l'hymne, Stupetegentes 20
Harangue d'un généralFrançois àſes officiers , 22
ASExc. M. le Baron de Goltz , 24
AVRIL. 1769. 215
Dialogue entre la Fontaine & Ronſard ,
Defene Podagro , & la traduction ,
AMlle N... le jour de ſa fête ,
25
34
35
Roxane , conte Perſan , 36
Sentiment ſur Héraclite & Démocrite , 54
Vers ſur la mort d'une amie , 55
Vers à M. de Belloi , 57
Vers pour le portrait de M. du Belloi ,
Vers à M. l'ancien évêque de Limoge ,
ibid.
ibid.
Vers aux Officiers François , aſſiſtans à une
repréſentation d'Adelaide , 58
▲Mademoiſelle R... ſur ſon aventure des
Tuileries
59
Impromptu fait à la comédie ſur Mademoiſelle
Lufi , ibid.
Stances ſur la mort de Mad. de Relongue ,
Inſcription d'une fontaine de la ville de
Reims ,
Air enmuſique ,
Explication des Enigmes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Eudoxie , tragédie ,
Hiſtoire du théâtre italien ,
Arminius , tragédie ,
60
62
63
63
ibid.
68
69
ibid.
83
84
Les nuits d'Young , 91
Sophronie , 95
Lettres d'un philoſophe ſenſible , 99
Nouvelle anthologie françoiſe ,
Continuation des cauſes célébres ,
102
105
Caules amuſantes , 106
Hiſtoire de François I.
110
Contes philoſophiques &moraux ,
121
Voyages & aventures du Chev. deD *** 129
216 MERCURE DE FRANCE.
Recherches ſur les découvertes microſcopiques
,
Sermons de M. Jacquin ,
Hiſtoire littéraire des Femines Françoiſes ,
Garrick ou les acteurs Anglois ,
131
143
141
142
SPECTACLES , Opéra , 144
Comédie françoile , 145
Comédie italienne , 147
Foire St Germain , 197
Ecole vétérinaire de Paris , 160
--de Lyon ,
161
Société économique d'Autriche , 162
-de Laubach , 163
ARTS , Gravure , 164
Muſique , 165
Patriotiſme, 170
Anecdotes de Dufreſny , 172
Eloge hiſtorique de M. de Chevert , 175
Lettres-patentes & arrêts ,
197
AVIS ,
199
Nouvelles Politiques , 207
Loteries ,
211
Morts , 212
J
APPROBATION.
AI lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le 1 volume du Mercure d'Avril 1769 ,
&je n'y ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher
l'impreſſion. AParis , le 30 Janvier 1769.
GUIROY.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue des Cordeliers.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU RO Ι .
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
AVRIL 1769 .
SECOND VOLUME .
Mobilitate viget. VIRGILE.
A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire
Chriſtine , près la rue Dauphine.
Rue
Avec Approbation & Privilège du Roi.
AVERTISSEMENT.
C'E'ESsTt au Sieur Lacombe , libraire , à Paris , rue
Chriftine , que l'on prie d'adreſſer , francs de port,
les paquets & lettres , ainſi que les livres , les eftampes
, les piéces de vers ou de proſe , la mufique,
les annonces , avis , obſervations , anecdoévénemens
finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eſtampes & piéces de muſique.
tes
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres&de ceux qui les
cultivent; ils ſont invités à concourir à ſon ſuccès;
on recevra avec reconnoillance ce qu'ils enverront
au Libraire ; on les nommera quand ils voudront
bien le permettre , & leurs travaux , utiles
au Journal , deviendront meine un titre de préférence
pour obtenir des récompenſes ſur leproduitdu
Mercure .
L'abonnement du Mercure à Paris eſt de 24 liv .
que l'on payera d'avance pour ſeize volumes rendus
francs de port .
L'abonnement pour la province eſt de 32 livres
pareillement pour ſeize volumes rendus francs de
port par la poſte.
On s'abonne en tout temps.
Leprix de chaque volume eſt de 36 fols pour
eeux qui n'ont pas ſouſcrit au lieude 30 ſols pour
ceux qui font abonnés.
On ſupplie Meſſieurs les Abonnés d'envoyer
d'avance le prix de leur abonnement franc de port
par la poſte , ou autrement , au Sieur LACOMBE ,
libraire, à Paris , rue Christine.
On trouve chez le même Libraire.
JOURNAL DES SCAVANS , in-4° ou in- 12 , 14 vol.
par an à Paris. 16 liv.
Francde port en Province , par la poſte. 20 1. 4 f.
ANNÉE LITTÉRAIRE , compoſée de quarante
cahiersde trois feuilles chacun , par an , à Pa-
115 ,
En Province , port franc par la Poſte ,
24liv.
32 liv.
L'AVANTCOUREUR , feuille qui paroît le Lundi
de chaque ſemaine. L'abonnement , foit à Paris
, foit pour la Province , port franc par la
poſte, eftde 12 liv.
JOURNAL ECCLÉSIASTIQUE , par M. l'Abbé Di
nouart ; de 14 vol . par an , à Paris , 9 liv . 16 .
En Province , port franc par la poſte , 14liv
JOURNAL ENCYCLOPEDIQUE , à Paris & en Province
, port franc par la poſte , 33 1.12 1.
EPHEMERIDES DU CITOYEN OU Bibliothéque raiſonnée
des Sciences morales & politiques.in - 12.
12 vol . paran port franc , à Paris , 18 liv.
En Province , 24 liv.
JOURNAL D'EDUCATION composé de 12 vol . par
an ; port franc par la poſte à Paris & en Pr. 121.
A ij
Nouveautés chez le méme Libraire.
HISTOIRE anecdotique & raiſonnée du
Théâtre Italien & de l'Opéra comique , 9
vol . in - 12 . rel . 221. 10 1.
Hiſtoire littéraire des Femmes Françoiſes
avec la notice de leurs ouvrages , svol .
grand in - 8 ° . rel. avec une gravure , 251.
Variétés littéraires , 4 vol. in- 1 2. rel . 101.
Nouvelles recherchesſur les Étres microfcopiques
, &c. in- 8 °. br. avecfig. sl.
Situation des finances de l'Angleterre , in-4° .
broch
4liv.4 f.
Tablede laGazette de France, 3v. in-4°. b. 241.
Commentaires fur les Mémoires de Montecuculi,
par M. le Comte de Turpin-Criſſé ,
3 vol. in-4°. broch. 42 liv.
Contes Philofophiques deM. dela Dixmerie,
3 vol. in - 12. brochés , 61.
Dictionnaire de l'Elocutionfrançoise , 2 vol.
in-8°. rel . وا
'Les Nuits Parifiennes , vol. in-8 °. rel. 41.10 .
Le Politique Indien , 11.106.
Differtation fur le Farcin , 1 1.
Eloge de Henri IV, par M. Gaillard , 1 liv. 10 f.
'Autre Eloge avec gravure , par M. de la
Harpe, 11.16f.
Tableau des Grandeurs de Dieu dans la religion&
dans la nature , in- 12. br. 21.
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL 1769 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
OBSERVATIONS de M. Mailhol
fur l'Epture ſuivante.
COMMENT ofer fonger à intéreſſer pour
Fayel , pour un mati barbare qui , fans
même être convaincu de l'infidélité de
ſon épouſe , lui fait manger le coeur de
fon amant !
On peut répondre que les perſonnages
d'Othello , de Radamiſte , ont excité dans
toutes les ames la pitié la plus tendre .
A iij
6 MERCURE DE FRANCE .
Maistoute bonne tragédie eſt un grand
chef - d'oeuvre ; & toute héroïde n'eſt
qu'une foible efquiffe.
Elle ennuyeroit ſans doute le lecteur ,
ſi l'on vouloit y filer , comme dans la
tragédie , la marche , le combat des paffrons,&
les incidens qui les font varier.
D'un autre côté , nous voyons qu'on
peut ſe permettre dans l'héroïde des idées,
des images , des expreſſions qui révolteroient
dans un drame : elle a des beautés
qu'on pourroit nommer exclusives , &
ce ſeroient des richeſſes perdues pour un
ſujet intéreſſant qui ne verroit le jour que
ſous la forme de la tragédie..
Fayel , des bords du tombeau , écrit à
fon frere. Son tempérament , ſon éducation
, fon amour , les conſeils qu'on lui
donne, ce qu'il voitlui-même, les déchi.
remens de ſon coeur, ſes remords , fa
fin ; que d'objets &de motifs pour le rendre
fupportable , &peut- être pour le faire
plaindre à fon tour !
: J'ajoute qu'il fait des apoſtrophes injurieuſes
au ſexe enchanteur , que nous chériffons
tous. Mais , jaloux par caractere ,
ſe croyant deshonoré , furieux contre les
hommes , les femmes , & lui - même , at-
il dû parler autrement ?
AVRIL. 1769.. 7
Le Comte de Fayel , époux de Gabrielle
de Vergy , à Fayel fon frere.
[
EPITRE.
E glaive de Fontal vient de percer mon flanc ,
Et l'écrit que tu vois eſt tracé de mon fang.
Celle que j'adorois me couvrit d'infamie ;
Ala mort, ſon parent vient m'arracher la vie :
Fidéle à ton devoir , mon frere , arme ton bras ;
Venge l'amour , l'hymen , ma honte & mon
trépas.
La guerre , en t'éloignant , te cacha mon outrage :
Lis , pleure , & , s'il ſe peut , reflens toute ma
rage.
Omon frere , dis-moi : les ſermens ſolemnels ,
Le lien de deux coeurs , formé ſur les autels ,
Dela ſociété ces appuis néceſſaires ,
Sont- ils donc à nos yeux devenus des chimeres ?
Et la fidélité , la décence , l'honneur
Ne ſont- ils plus connus par un ſexe trompeur ?
Devos maîtres foumis compagnes trop chéries ,
Agréables tyrans , ſéduiſantes furies ,
Objets de nos deſirs , ſources de tous nos maux ,
Vous êtes , à la fois , nos dieux & nos fléaux .
Fayel , tu meconnois. Mon bouillant caractere
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Contre moi , dès l'enfance , arma le coeur d'un
pere.
Rigide par orgueil , il voulut réprimer
De violens tranſports , qu'il auroit dû calmer.
Contraignant ma fureur , rongé par la ſouffrance ,
Je déteſtai le monde & ma propre exiſtence ;
Les crimes des humains m'ont trop juſtifié,
Neconnoiffant encor l'amour ni l'amitié.
Enfin , pour m'arracher à ma peine cruelle ,
Sur moi-mêmej'allois ... Mais je visGabrielle...
Je la vis : que d'appas ! quel ſoudain changement !
Souvenir enchanteur ! .. & qui fait mon tourment
! ..
Je la vis , & mon ame étonnée , attendrie
Sentit en un inſtant tout le prixde la vie.
J'oubliai mes fureurs ; ou plutôt dès ce jour
Je ne reſſentis plus que celles de l'amour.
Le printems ranimoit & paroit la nature.
Mille naiſlantes ficurs couronnoient la verdure.
Leurs parfums lentement s'élevoient dans les airs.
Lesoiſeaux empreflés y méloient leurs concerts.
L'aſtre éclatant du jour , pour prix de cet hommage
,
Rendoit à l'univers des rayons ſans nuage.
Et tout être ſenſible , à ces feux enflamé ,
Cédoit au doux beſoin d'aimer & d'être aimé.
La jeune Gabrielle entraînant ſes compagnes
Alors , d'un pas léger , parcouroit nos campagnes.
AVRIL. 1769 .
Quelle brillante cour ! que degraces ! quels traits!.
Ah ! combien Gabrielle effaçoit tant d'attraits !
Je veux par quelques mots... mais , mon ame
hautaine
Treflaillit , & trembla devant ſa ſouveraine :
Ma bouche , à ſon aſpect , ne put que bégayer
Le tendre nom d'amour , qui ſembla l'effrayer.
Qu'à ce ſexe enchanteur la feinte eſt naturelle !
Déjà dans les tranſports d'une ardeur immortelle
Son coeur étoit en proie à l'odieux rival ,
Dont le bonheur devoit m'être enfin fi fatal .
J'ignorois leur penchant. Trompé par l'appa
rence ,
Entraîné par l'amour , ſéduit par l'eſpérance ,
Dans les fers de Vergy brûlant de m'engager ,
Aux gouffres des enfers je courois me plonger.
Richeſſe defirée , & ſouvent importune ,
Biens , moins doux qu'enviés , préſens que la fottune
Nous fait pour nous corrompre & nous tyrannifer
;
Trop utiles métaux , que l'on doit mépriſer ;
Et vous rang , dignités , éclatantes chimeres ;
Idoles des humains queje tins de mes peres ,
Vous pouviez de Vergy ſéduire les parens ;
Que vous devintes chers à mes defirs ardens !
Je parlai , je preſſai. Ma paſſion cruelle
Vingt fois me fit tomber aux pieds de Gabrielle.
>
Av
10 MERCURE DE FRANCE .
Je baignai de mes pleurs la trace de ſes pas ;
J'offris ma main , mon ſang à ſes traîtres appas ;
Priere , emportemens , ſoumiſſions , careſſes ,
Tout fut vain ; de refus on paya mes baſſeſſes :
On détournoit les yeux... Ces yeux encor fi
beaux ! ..
Chaquejour augmentoit mon amour & mes maux.
Cher Fayel , c'étoit peu : l'inftant fatal arrive ;
Dubonheur dedouter pour jamais on me prive.
Quel tourment pour mon coeur brûlant & déchirét
J'apprends que de Vergy Raoul eſt adoré :
Oamon frere, quel fort ! quelle douleur extrême !
Cet amour de Vergy , je l'apprends d'elle- même !
Ah! juge de ma rage & de mes noirs tranſports.
Ma main à mon rival prépare mille morts :
Ou , je veux , fuccombant ſous ſon bras que j'abhorre
,
'Voir s'éteindre avec moi l'horreur qui me dévore.
Mais Raoul diſparoît par la guerre entraîné.
Tout change ; par l'hymen je ſerai couronné.
Des parens de Vergy la promeſſe eſt formelle :
Et , ſoit qu'on ait contraint , ou ſéduit Gabrielle ,
Son ame à mes deſſeins cefle de réſiſter :
Auplus flateur eſpoir je me laiſſe emporter.
J'oublierai tout , lui dis-je , oubliez ma colere ;
> Oubliez le mortel , qui ſçavoit trop vous plaire .
>> Satisfaites celui qui vous donna le jour :
> Ou plutôt , ne ſongez qu'à mon fidéle amour.
AVRIL. IT 1769 .
› Vergy , reçois les voeux d'une ame trop ſenſible.
>> Par grace , par pitié , ne ſois plus inflexible.
>> Aux pieds de l'Eternel viens recevoir ma foi .
>> Sois enfinmon épouſe , & viens regner fur moi.
>> Viens être de Fayel la compagne ſacrée ,
>>L>a reſpectable amie , & l'amante adorée:
>>>Par le plaiſir encor je charmerai tes ſens ;
>> Je ferai ton bonheur ; je l'eſpére& le ſens....
Quelle joie ! A mon fort Gabrielle eſt unie.
Au monde entier pour moi l'Eternel l'a ravie.
Dieu même l'autoriſe à combler mes defirs .
La nature & le ciel , conſacrant nos plaiſirs ,
Confondent ſaintement nos ardeurs mutuelles.
La décence & l'honneur nous couvrent de leurs
aîles :
Ledevoir dans nos bras conduit la volupté ,
Et nous unit au ſein de la félicité.
Sous les jaſmins d'Eden , tel notre premier pere...
Reflonvenir trop doux ! .. Et qui me déſeſpere ! ..
Raviſſante beauté , que para la vertu ,
Pourquoi m'avoir ſéduit ? ou pourquoi changeois-
tu ?
Raoul étoit abſent : mais , Fayel , l'art d'écrire
Sçait & bien réunir les coeurs qu'amour inſpire ! ..
Mon épouſe , rebelle à mes empreſſemens ,
Ofe ſe dérober à mes embraflemens :
Pour elle nos liens ſontde peſantes chaînes ,
Avj
1.2 MERCURE DE FRANCE .
Mes maux fontdes douceurs , mes plaiſirs ſontdes
peines:
Gabrielle me fuit. L'image d'un amant
L'obléde , fait ſa joie , &double mon tourment.
J'en pleure ; je frémis. Mes reproches , ma rage
Perfécutent envain l'épouſe qui m'outrage.
Tu connus , cher Fayel , mon fidéle écuyer :
Je crus à Gondebaut devoir tout confier.
Il apprit mes douleurs , ſervit ma jalouſie ,
Epiamon épouſe, excita ma furie.
Ses ſoins récompenſés éclairerent mon coeur :
De mes deſtins fon zèle accrut encor l'horreur.
« Raoul eſt de retour , me dit- il , & fa flame
>>>Vient fouiller votre couche , & ravir votre
>> femme :
> Ils doivent en fecret... que dis-tu ? Quels com-
>> plots !
>>Cher & cruel ami , vole , camble mes maux ;
2 Conduis-moi , montre- moi Gabrielle coupable.
>> Je l'ai perſécutée , & le remords m'accable :
→→ Je veux par ſon forfait me voir juſtifié.
Je veux , avec plaifir , ſans regret , ſans pitié ,
> Sur le ſein du mortel qui ſéduiſit ſon ame ,
>> Eteindre dans ſon ſang mon opprobre & leur
flame.
On meguide , on me ſuit vers un appartement
Où ma femme , dit- on , entretient ſon amant :
On ouvre; que d'horreurs ! aux pieds de Gabrielle
1
AVRIL. 1769. 13
Raoul reçoit un don des mains de l'infidéle ( 1 ) .
Il oſe d'un baiſer... Ciel! pourquoi mon courroux
,
En aveuglant mes yeux , égara-t- il mes coups !
Je ne pus me noyer au ſang de ces perfides :
Ils furent arrachés à mes mains parricides .
Mon heureux rival fuit ; & mon épouſe en pleurs
Ames pieds gémiſſante y brave mes fureurs .
Je combats vainement ma pitié qu'elle implore :
Armé , prêt à frapper , je ſens que je l'adore ;
J'héſite , je ſoupire ; &mon coeur éperdu
Pouffe , & retient mon bras tremblant & fufpendu....
ceNon , tu ne mourras point , objet cher & bar-
>> bare ,
>> Non , tu vivras , lui dis - je ; & ma main , qui
>> s'égare ,
>> Quand tu me fais ſentir tous les maux des enfers
,
>>Ne ſe plongera point dans tes flancs entrou-
ככ verts.
>> Mais , dans un noir cachot conduite & refferrée,
>> Des vivans & des morts tu vivras féparée...»
Elle veut repliquer. De zèle tranſporté
Gondebaut va remplir l'arrêt que j'ai dicté.
(1 ) On ſçait que Gabrielle eut la foibleſſe de
donner à Raoul une treffe de ſes cheveux.
14 MERCURE DE FRANCE .
Loin du jour , dans les fers , Gabrielle entraînée...
Quel ſpectacle ! .. Il glaça mon ame conſternée.
Sans être criminel auroit-on des remords ?
Moi-mêmeje voulus réprimer mes tranſports.
J'abhorrai ma fureur : je plaignis Gabrielle.
Les maux qu'elle ſouffroit , je les ſentois plus
qu'elle.
Et peut- être j'allois , tombant à ſes genoux...
Mais la perfide oſa me nommer ſon époux ...
Ce ſeul mot me rendit ma cruauté , ma rage.
Mon coeur ne ſentit plus que ſon indigne outrage.
Et , tandis qu'elle éprouve un trop doux châtiment
,
Je fuis , pour m'abreuver du ſang de ſon amant.
Raoul étoit parti : l'Europe réunie
Sous l'étendard du Chriſt l'entraîne vers l'Afie :
L'homme préſomptueux , vil , foible , criminel ,
Va défendre le fort , le juſte , l'Eternel .
Je veux ſuivre Raoul ; mais , pour punir ſon
crime ,
Je crains de perdre ici ma premiere victime.
J'héſite , je demeure ; & mon fort rigoureux
Au ſein de la vengeance en devient plus affreux :
Elle excite mon coeur , le charme & le dévore.
La guerre& les deſtins me ſecondent encore ;
Mon rival eſt frappé... Mais , des bords du rombeau
,
Le perfide me fait un outrage nouveau ...
AVRIL. 1769 15
Hier , mon frere , hier , ô fatale journée !
Ovictime coupable autant qu'infortunée ! ..
Des nuages ſanglans répandus dans les airs
Attriſtoient la nature , & voiloient l'Univers.
Le ſoleil , à regret , inclinoit vers la terre
Quelques rayons perdus dans les feux du tonnerre.
Aux éclats de la foudre , au fifflement des vents
Les échos répondoient par des mugiſſemens.
Plein de trouble , d'ennuis , & flétri par ma peine
Je cherchois un abri dans la forêt prochaine :
Un voyageur paroît ; il fuit , c'eſt Baudilter :
C'eſt de mon ennemi l'imprudent écuyer.
Je l'appelle , & le ſuis ; je l'attaque , il expire :
Et je vois dans ſon ſein. Ciel ! je tremble à
l'écrire.
..
Le trépas de Raoul eut dû finir mes maux ;
Mais , Raoul , de ſon flanc arracha des lambeaux
Pour en faire à ma femme un don cher & terrible .
Deſon bonheur paſſé ce témoignage horrible ,
Ce gage , que je vois ... c'eſt ſon coeur palpitant.
Il a ſouillé ma main , qui le touche en tremblant.
«Oui ce préſent t'eſt dû , mes mains vont te le
>> rendre ,
>> Oui , m'écriai-je , un coeur fi fidéle & fi tendre
>>N>e fut fait que pour toi. Ton époux , dans ce
>> jour ,
>>Entl'uniſſant au tien , veut ſervir votre amour,
16 MERCURE DE FRANCE .
O mon frere , à ces mots... conçois -tu ma vengeance
?
Elle doit , s'il ſe peut , égaler leur offenſe ...
Ama femme le feu déguiſe mon deſſein ;
Les reſtes de Raoul ont paſlé dans ſon ſein.
D'abord l'art a trompé les ſens de Gabrielle :
Mais je lui fais connoître un mets fi digne d'elle ...
Quels cris ! quelles douleurs ! que de gémiſſemens!
Elletombe ; & ſon oeil verſe des pleurs ſanglans :
Sa pâleur... quel ſpectacle ! ah ! peut - il ſe décrire
!
Mon coeur , trop ſatisfait , s'émeut & fe déchire.
Vengeur à juſte titre , innocemment cruel ,
Je me crois , à la fois , barbare & criminel .
Je maudis ma rigueur & ma fureur jalouſe ,
Je pleure , je frémis... J'embraſſe mon épouſe...
Gabrielle renaît , mais pour me défier ,
Pour ofer m'accuſer & fe justifier.
Elle ne veut plus voir un époux qu'elle brave;
Elle repoufſſe au loin ſon maître & fon eſclave ..
Ade ſemblables traits , inattendus , nouveaux ,
Mon frere , quel ſoupçon irrite encor mes maux !
J'écoute , en friſſonnant , ces mots de Gabrielle :
<< Ton épouſe fut foible , & non pas infidéle ;
>> Reſpecte ma vertu , que tu ne connus pas ;
>> Et gémis d'un forfait... Elle meurt dans mes
>>bras ! »
OFayel , quels accens ! quelle image effroyable!
AVRIL. 1769. 17
Qu'ai-je fait ? Suis - je hélas ! malheureux &coupable
?
Pour me rendre l'auteur d'un forfait abhorré
Mes yeux & mon amour m'auroient- ils égaré ?
Je ne ſçais; mais hier , au ſein de tant d'allarmes ,
Gondebaut s'éloignoit , en dérobant des larmes...
Il nourrit mes fureurs , il en fut l'inſtrument...
O mon frere, conçois ma crainte & mon tourment.
Gabrielle peut-être , à regret combattue ,
Par la religion , par l'honneur retenue...
Non , non ; ſa bouche même avoua ſon ardeur :
Sa vie étoit ma honte , & ſa mort mon bonheur.
Son juſte châtiment , effroi de ſes ſemblables ,
Dans la poſtérité fera moins de coupables...
Agité par mon trouble& par ces ſentimens ,
Vainement au ſommeil je provoquois mes ſens ;
J'appellois Gondebaut , qui ceſſoitde paroître ;
Je pleurois , je mourois , je maudiſſois mon être ;
Quand un cartel m'appelle à des malheurs nouveaux.
Fontal de ſa parente a connu tous les maux :
Il prétend la venger. L'aurore naît , je vole...
Et je réſiſte en vain à ſon fer qui m'immole.
De la pitié , de l'art je reçois des ſecours ;
Etje vois , à regret , qu'on veut ſauver mes jours .
Mais... Fayel , quelle horreur , qui ne peut ſe
comprendre! ..
18 MERCURE DE FRANCE..
Al'inftant un billet.. Ah! frémis del'apprendre!..
Le monſtre ! .. Gondebaut , s'exilant de ces lieux ,
S'accuſe , ſe repent & déſille mes yeux .
Ila , par intérêt & par condeſcendance ,
Fomenté mes ſoupçons , & hâté ma vengeance.
Il écrit que ma femme a toujours combattu
Un penchant trop flatteur , proſcrit par ſa vertu.
S'abhorrant , mais trop tard , il dit que Gabrielle
Fut, malgré mes soupçons , eſtimable & fidéle...
Au crime le plus noirje me ſuis donc livré !
Les charmes , la vertu d'un objet adoré
N'out donc pu le ſouſtraire à ma main parricide !..
Soleil , éclipſe toi devant un autre Atride...
Quedis-je ! ces tyrans , que j'imite & je hais ,
Moins barbares que moi , punifioient des forfaits.
Etje refpire encore ! & , pour prix de mes crimes ,
Les enfers ſous mes pas n'ouvrent point leurs
abyſmes ! ..
Gabrielle : .. Ô remords inutile & rongeur ,
Agis, purge la terre , anéantis mon coeur..
Mon frere , garde- toi de venger un coupable
Qui rend à nos neveux notre nom exécrable.
Injaſte , furieux, opprefleur , aflaflin ...
Ah! Fontal m'a fait grace en me perçant le ſein...
Las de ſouiller le jour qui , pour moi , va s'éteindre
,
Je n'oſe demander que tu daignes me plaindre.
Faistaire dans ton coeur le fang & l'amitié.
AVRIL. 1769 . 19
Mon fort doit t'inſpirer l'horreur , non la pitié..
Si pourtant mes remords... eſpoir illégitime !
Ta haine doitme ſuivre & venger ma victime...
Gabrielle! .. une écharpe entoure encor mon flanc;
Je la déchire , accours dans les flots de mon ſang ,
Accours , &m'entraînant ſur le rivage ſombre ,
Unie avec Raoul , viens tourmenter mon ombre.
Par M. Mailhol.
EPITRE à une jolie Femme.
Vous habitez des lieux charmans
Que vous rendez plus beaux encore:
Ainfi la préſence de Flore
Embellit les jours du printems.
Au village vous venez plaire ,
Laſſe de briller à la cour :
Ainſi la mere de l'Amour
Quitte l'Olympe pour Cythere.
Eglé, fur ces champêtres bords ,
Afin d'en être plus légere ,
Vous troquez les peſans tréſors ,
Du bas -de- robbe & du grand corps ,
Pour le corſet d'une bergere.
Pauvre d'atours , riche d'attraits ,
Avec cette ſimple parure ,
Vous venez orner la nature ,
20 MERCURE DE FRANCE.
Pour la payer de ſes bienfaits.
Votre goût délicat & ſage ,
Vos yeux au faſte accoutumés ,
N'en aiment pas moins le feuillage
De nos arbuſtes parfumés ;
Et les doux concerts de ta lyre
Qui , ſous vos belles mains , ſoupire
Des accords fi voluptueux ,
N'ont jamais rendu votre oreille
Iaſenſible aux chants amoureux
Du roſſignol qui ſe reveille.
Qu'ainſi paflés les jours ſont doux !
Pour moi , tout en ſervant Bellonne ,
Aimable Eglé, je m'abandonne
Aux foins champêtres , comme vous.
Quand vous trouvez dans la prairie
L'onde qui fuyant ſous vos pas ,
A la tendre mélancolie
Vous mene en murmurant tout bas ,
Vous écoutez ce doux murmure ,
Piége tendu par les Amours ;
Moi , je vois fi cette onde pure
Eſt guéable pour les Pandours .
Pour embellir le païſage
Par quelques douces fictions ,
Votre eſprit facile & volage
Sepeint , ſur la cime des monts ,
La pastorale & fraîche image
AVRIL. 1769 . 21
D'un berger gardant ſes moutons ,
Et repétant quelques chanſons
Pour quelque beauté du village :
Moi , je place là des canons
Qui doivent faire un beau tapage.
Dans les bois vous cherchez l'ombrage;
Moi , de vrais poſtes à voleurs :
Dans les prés vous cherchez des fleurs;
Etmoi , belle Eglé , du fourrage.
Par un Officier.
VERS pour mettre au bas du portrait
de Madame R* * *
Si le peintre , aimableGlicere ,
A côté de votre portrait
Où je vois vos appas exprimés trait pour trait ,
Eût pu placer ce dieu qui ſçait ſéduire & plaire ,
Ç'eût été réunir le fils avec la mere.
La VE'RITE' , la FABLE & la RAISON.
Apologue.
UNjour , au céleste domaine,
LaFable diſputoit contre la Vérité :
22 MERCURE DE PRANCE.
La choſe en valoit bien la peine ,
Il s'agiſſoit de leur beauté.
C'eſt le grand objet des querelles
Des déciles & des mortelles .
Il étoit mal aiſé de les mettre d'accord.
On aſſembla la cour parlementaire ,
Pour juger cette grande affaire.
La Vérité parla d'abord.
Une preuve , dit- elle , ô Fable ;
Mais une preuve incontestable
Queje ſuis plus belle que vous ,
C'est que j'oſe paroître nue.
Ma nudité ne bleſſe point la vue ;
Elle est mon charme le plus doux.
Je tiens mes dons de la nature ,
Sur mon front on voit la candeur ,
J'ai pour tout voile la pudeur
Et mes attraits font ma parure.
La Vertu marche à mon côté ,
On aime ma ſimplicité ;
D'un regard aſſuré le ſage me contemple:
Je ſuis l'ame des plaiſirs vrais ,
J'habite très- peu les palais ;
Mais le coeur du pauvre eſt mon temple.
Vous n'avez pour adorateur
Qu'un monde fot , vain& frivole ,
Votre beauté n'est qu'un fard impofteur ,
Et vos plaiſirs un ſonge qui s'envole.
La Fable repliqua: point tant de vanité.
AVRIL 1769 .
23
Tous les hommes , ô Vérité ,
Appréhendent de vous entendre ,
Rarement on peut vous comprendre :
Parlez- vous : c'eſt toujours pour faire la leçon.
Vous vous plaiſez aux champs , on vous fuit à la
ville :
Vous pénétrer eſt partant difficile.
Que vous échappez même aux yeux de la raiſon.
Oui , vous avez , c'eſt choſe indubitable ,
Une beauté mâle & durable ;
Mais c'eſt dire aflez clairement
Que vous manquez de ces graces touchantes ,
D'un effet sûr , & toujours triomphantes ,
Le plus précieux agrément.
Jel'emporte ſur vous quand j'ai fait ma toilette,
Vous venez d'en faire l'aveu .
Eh bien done ! attendez un peu ,
Et ma gloire ſera complette.
Raiſon , que l'équité dicte vos jugemens.
De la victoire elle ſe croïoit sûre ;
Soudain d'ôter ſes plus beaux ornemens ;
Mais la maladroite à meſure
Qu'elle dénouoit ſes rubans ,
S'enlevoir une grace , & devenoit moins belle ,
Elle alloit s'enlaidir. Heureuſement pour elle
La Raiſon vint à ſon ſecours .
Ne vous dépouillez point de vos brillans atours ,
Lui dit-elle , ils vous font valoir bien davantage :
24
MERCURE DE FRANCE .
La parure vous fied , &d'en ſervir toujours ,
Vous aurez le rare avantage.
La Vérité charme ſans art
Les eſprits dont j'ai la conduite ;
Mais trop d'austérité paroît dans ſon regard
A ceux qui ne ſont pas conſtamment à ma ſuite .
Gouvernez les mortels , regnez toujours ſur eux :
Qu'un même intérêt vous raſſemble ,
Vivez d'intelligence enſemble ,
Vous y gagnerez toutes deux .
Allons , Meſdames , qu'on s'embraſle
Et de bon coeur ; point de grimace.
Jurez-vous àjamais une tendre amitié.
Par cet heureux accord vous deviendrez , ô Fable ,
Plus belle encore de moitié ;
Et vous , ô Vérité , mille fois plus aimable.
ParM. leMarquis de St Just.
A Madame la Marquise de Crufol . d'Amboiſe
qui me rendoit les oeuvres de M. de
St Lambert , dont la lecture l'avoit beaucoup
amusée.
Tor , que d'accord avec la volupté ,
Le dieu des arts toujours inſpire ,
Que ton fort eſt bien fait pour être ſouhaité !
Crufol
AVRIL. 1769. 25
Crufſol aime tes vers,& ſe plaît à les lire.
Ociel , qu'on doit être flatté
De joindre au don charmant d'écrire
Le talent plus heureux d'amuſer la beauté.
Par lemême.
A GLICERE , qui me reprochoit de
l'avoir quittée.
REPONDEZ-MOI , belle Glicere ,
Lequel des deux doit - on blâmer ,
Ou celui qui ceſſe de plaire ,
Ou celui qui ceſſe d'aimer ?
Par lemême.
A Madame de P*** qui faitjoliment
R
des vers.
:
IEN n'eſt plus vrai , jeune&belle Victoire ,
Un dieu m'a fait voir l'autrejour
Tes vers au temple de mémoire ,
Et ton portraitdans les mains de l'Amour.
II. Vol.
Par le même.
B
26 MERCURE DE FRANCE .
!
SOLIMAN & ZULMA. Conte
SOLIMAN étoit fils d'un roi de Perſe.
Une ambitieuſe belle-mère l'avoit éloigné
du palais dès ſa premiere jeunelle ,
pour affurer le trône à ſon fils. Elle le
faiſoitgarderdans un château où il n'avoit
pour compagniequ'un vieux militaire qui
luiſervoitdegouverneur.Elle neregardoit
ce vieillard que comme un honnête homme
, & elle croyoit qu'un honnête hommene
pouvoit faire de ſon élève qu'un imbécile.
C'eſt ce qu'il lui falloit. Elle ſe
trompa. Le fils qu'elle vouloit couronner
mourut. Le pere de Soliman qui ,
quoique dominé par ſa femme,avoit toujours
aimé fon fils , le rappella à la cour.
Ce vieux guerrier que la reine mépriſoit
avoit appris au prince dans ſa ſolitude
tout ce qu'il n'eût jamais pu lui faire
comprendre dans le palais des rois. Il
avoit nourri l'eſprit de ſon élève , des
fages préceptes du Poëte de Schiras , du
grand Sadi . Le jeune prince aimoit les
hommes & la vérité. Il déteſtoit la flatterie&
lesabus.Mais des défauts nuiſoient à
l'effet de ſes bonnes qualités. Il avoit les
paffions ardentes. Il étoit plus diſpoſé à
AVRIL. 1769. 27 :
l'enthouſiaſme qu'à la réflexion. Il avoit
dela morale dans le coeur & nulle politique
dans l'eſprit ; en un mot c'eût été un particulier
aimable , mais ce n'étoit pas un
grand prince. Il avoit pour ſa belle-mere
toutes fortes d'attentions & d'égards.
Cette femme qui le déteſtoit ne pouvoit
imaginer qu'elle n'en fût pas haïe . Elle
ne concevoit pas la vertu. Le roi approchoitde
ſa fin. Soliman ſe trouvoit ſeul
entre elle & le trône. Elle réſolut de
l'empoiſonner. L'eſclave qu'elle chargea
de l'exécution alla tout découvrir auRoi ,
qui fit arrêter la reine ſur le champ , &
informa ſon fils du complot tramé contre
ſes jours. Le prince ſe jetta aux pieds de
fon pere , & lui demanda grace pour la
coupable. Le roi qui avoit encore un
reſte de foibleſſe pour cette femme , céda
avec plaiſir à ſes inſtances ,&pardonna.
Un jour que Soliman chaſſoit dans un
bois avec ſes courtiſans , il apperçut de
loin unhomme aſſis ſur l'herbe , qui liſoit
& ne ſembloit pas entendre le bruit
de la chaſſe . Il envoya unEcuyer lui demander
quel étoit ſon nom& ſon pays ,
&s'il ſavoitque c'étoit le princede Perſe
qui chaſſoit ſi près de lui. Cet homme
répondit , je ſuis Cachemirien , je m'ap
Bij
!
28 MERCURE DE FRANCE.
pelle Tranquille , & je ſuis peu curieux
de voir des rois . Cette réponſe rapportée
à Soliman lui parut finguliere , il le fit
venir , s'informa de fon fort & le pria
de s'attacher à lui .
Tranquille avoit 40ans. Il y en avoit 20
qu'il étoit forti deCachemire ſa patrie, pour
voyager dans tout l'Orient. Il avoir rapporté
de ſes voyages une grande indiffé.
rence pour tout ce qu'on appelle moeurs,
uſages , opinions , préjugés . Ce monde
lui paroiffoit une grande foire , où des
charlatans ſe diſputent des dupes , où
l'on s'étouffe pour aller voir ce qu'on
mépriſe quand on l'a vu , & où des marchands
différens d'habit & de langage ne
ſe rapprochent qu'en un point , qui eſt le
defir de ſe tromper les uns les autres.
Quant à lui , il ne deſiroit rien que le
repos , n'eſtimoit que les jouiſſances paifibles
, & avoit employé toute ſon étude
&tout fon travail ſur lui-même , à n'être
jamais ni étonné , ni ému , ni trompé.
Son flegme contraſtoit parfaitement avec
la vivacité de Soliman. Ce prince le
goûta beaucoup , & comprit qu'il pourroit
lui être très-utile. Tranquille accepta
ſes offres , & conſentit à vivre auprès de
lui , fans répondre de rien pour l'avenir.
AVRIL. 1769. 29
Le roi mourut. Soliman monté ſur le
trône , demanda à Tranquille ce qu'il
devoit faire de ſa beile mere , qui non
contente de l'avoir voulu empoifonner ,
formoit encore des cabales & foulevoit
des mécontens. Il ne faut point la faire
périr , dit Tranquille. Ces exécutions ,
quoiques juſtes , ſont toujours odieuſes.
Enfermez- la dans une loge à l'hôpital
des fous , comme une inſenſée que l'âge
n'a pu guérir de l'ambition , & croyez
qu'elle ne ſera plus à craindre. Soliman
fuivit ce conſeil. La reine traitée avec
tant de mépris , parut en effet méprifable
au peuple qui alloit la voir. La rage
la rendit tout-à-fait folle , elle mourut
peu de tems après.
Soliman s'efforcoit de rendre ſes fujets
heureux & ne l'étoit pas lui-même .
Son caractère ardent ne lui permettoit
aucun ſentiment modéré. Il eût voulu
ſur le champ guérir tous les maux &
déraciner tous les abus , & fouvent il
augmentoit le mal , parce qu'il ne connoiſſoit
que les moyens violens. Il n'avoit
point cette prudence des eſprits doux
&lexibles, qui ſavent ſe ſervir du temps.
Le Sultan des Turcs l'inquiéta ſur la pofſeſſion
de Tauris & de ſes dépendances .
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
Soliman pouvoit traîner les chofes en
longueur , juſqu'à ce qu'un nouveau régne
qui ne paroiſſoit pas éloigné changeât
la face du ferrail & l'eſprit du miniſtere.
Mais révolté d'une prétention
injuſte il ſe hâta de faire la guerre , &
ſe vit bientôt contraint d'épuiſer l'or &
le ſangde ſes ſujets .
Paſſant un jour dans une de ſes villes
frontieres avec Tranquille dont il ne
pouvoit ſe ſéparer , il apperçut à une fenêtre
une jeune fille de dix- sept ans , jolie
, brillante de l'incarnat de la jeuneſle.
La chaleur lui avoit fait ôter ſon voile .
Ses joues étoient couvertes de ce coloris
tendre , qui exprime à la fois la modeſtie
&les defirs. Il en fut charmé & voulut
ſavoir qui elle étoit. Son pere étoit un
Seigneur Perfan , diſgracié fort injuſtement
ſous le dernier regne. Soliman ſaifit
le prétexte de rendre juſtice au pere ,
pour rendre viſite à la fille. Il étoit aimable
, il vouloit plaire , & Zulma lattée
des ſentimens qu'elle inſpiroit n'en devint
que plus ſéduiſante. Le prince fortit
enivré de ſa nouvelle paffion. Quelle est
belle ! diſoit - il à Tranquille. Quelle
douceur modeſte ! Quelle grace dans ſes
réponſes ? C'eſt une grande queſtion ,
AVRIL. 1769. 31
ditTranquille , ſi l'extrême ſenſibilité eſt
un grand bien ou un grand mal . Les
philofophes.... Oui , dit Soliman , elle
ſera mon épouſe. Elle en eſt digne. J'en
crois mon amour. L'amour est un état
violent , dit Tranquille. Rien de violent
n'eſt durable . Plus la tendreſſe eſt vive ,
plus elle s'épuiſe.Ah! Parle-moi de Zulma
, dit Soliman. Conviens qu'elle mérite
le trône. Je le crois , dit Tranquille,
&je ne doute pas qu'elle ne puifle vous
rendre heureux , ſi vous favez l'être
mais je crains votre caractère impétueux .
Vous allez épouſer Zulma. Votre amour
qui n'a pas encore eu le temps de s'affermir
& de devenir un fentiment
profond , s'éteindra par la jouiffance.
Cette enfant au contraire vous aimera
long-tems ; car elle n'a encore aimé que
vous. Vous ferez une malheureuſe , &
c'eſt un crime. Ah! dit Soliman , je ne
puis ſeulement concevoir comment je
ceſſerai de l'aimer. C'eſt que vous l'aimez
actuellement , dit Tranquille. An
farplus , s'il faut que vous l'époufiez &
que vous deveniez inconſtant , il n'y aura
rien que de fort ordinaire. Apparemment
que cela eſt dans l'ordre . Aini foitil...
Soliman trouva ce raiſonnement fort
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
bon , & le lendemain il époufa Zulma.
Tranquille avoit prédit juſte. Soliman
fut bientôt raffaffiéde ſon bonheur ; bientôt
l'ardente activité de ſon ame , le beſoin
de nouveaux objets , les agaceries
des femmes de ſa Cour, l'éloignerent
peu à peu de Zulma. La tendreſſe naïve
de ſon épouſe cella d'avoir des charmes
pour lui. Elle manquoit de cet art que
donne aux femmes une expérience mépriſable
, lorſqu'elles ſont devenues aſſez
maîtreſſes d'elles mêmes , pour ménager
& varier à leur gré les témoignages de leur
amour & réveiller celui des hommes.
Soliman avoit à ſa cour une de ces
femmes artificieuſes qui joignent aux
dehors féduiſans de la vertu , tous les
agrémens que donne la connoiffance du
vice. Elle n'aimoit point le roi ; elle en
fut aimée éperdument. Elle le conduifit
où elle voulut , parce qu'elle ne ſentoit
rien pour lui . C'eſt le plus grand avantage
qu'une femme puiſſe avoir fur un
homme. Elle en profita. Elle mit ſa défaite,
à très-haut prix. Elle lui fit promettre
de ne plus voir Zulma . La vertueuſe
Zulma fut abandonnée. Elle pleura
l'inconſtance de Soliman , & ces larmes
qui ſont ſi puiſſantes dans un objet
AVRIL. 1769 . 33
aimé ne furent qu'importunes à ſon indifférent
époux. Bientôt il l'oublia entiérement
dans les bras de la perfide
Gulli.Tranquille lui en fit des reproches .
Il fut mal reçu. Il prit le parti d'aller confoler
Zulma . C'eſt un rôle affez dangereux
que celui de conſolateur auprès d'une
belle femme. Mais il s'appelloit Tranquille
, & de plus il étoit vertueux . Soliman
reviendra à vos pieds , diſoit il à
Zulma. Gulli trompe , & l'on ne trompe
pas long- temps. Le grand avantage que
la vérité a ſur le menſonge , c'eſt qu'elle
eſt durable & qu'il eſt paſſager. Zulma
accablée de douleurs mit au monde un
enfant qui mourut & penſa coûter la vie
à ſa mere. Soliman s'attendrit un moment
&revint toujours à Gulli .
Cependant il foutenoit une guerre
malheureuſe contre des ennemis habiles .
Son viſit Ofman le trahiſſoit , & fongeoit
à ledétroner. Ce miniſtre ambitieux
qui connoiſſoit l'inconſtance naturelle
aux Orientaux , avoit profité des mauvais
fuccès de Soliman pour le perdre dans
l'efprit des peuples. Le prince inftruit de
ces menées confulta Tranquille fur ce
qu'il avoit à faire. Il n'y a que deux partis
à prendre , dit celui-ci , il faut céder
By
34
MERCURE DE FRANCE.
le trône à Oſman ou le faire étrangler.
Soliman étoit affez de ce dernier avis ;
mais l'exécution n'en étoit pas très-aiſée.
Ofman commandoit l'armée. Le roi le
rappella . Mais le viſir dont le parti commençoit
à groſſir & à ſe fortifier , ſe fit
ſuivre par ceux qu'il avoit ſéduits , s'empara
des places les plus fortes du Coraffan
, & invita les Perſans à la révolte.
Le roi attaqué de tous côtés , marcha
d'abord contre les Turcs qui inondoient
ſes provinces , eſpérant qu'après avoir
vaincu l'étranger , il reviendroit avec
plusd'avantage contre ſes ſujets rébelles.
Il fut battu. Les troupes éclatèrent en
murmures , & ofèrent redemander Ofman
pour général. Soliman avoit de la
hauteur dans l'ame , & l'infortune ne
l'avoit pas ployée. Il parut hors de ſa
tente, & s'adreſſant à ſes ſoldats mutinés,
vous avez été malheureux , leur dit- il ,
parce qu'un perfide a ſéduit vos chefs &
a trahi ſon ſouverain , &loin de me demander
ſon châtiment & de m'aider à
le punir , vous m'outragez à votre tour !
Je ſuis votre roi. Des traîtres n'ont pas
voulu vaincte ſous mes ordres. Je vais
vous nommer les coupables . Qu'ils meurent,
& vous triompherez. En même
AVRIL. 1769. 35
tems il donna ordre à ſes gardes de ſaiſir
les complices qu'Oſman avoit dans l'armée.
Leurs têtes furent abbattues devant
lui . La foule qui craint lorſqu'on la brave
, & qui menace quand on la craint ,
vit leur fupplice & ſe tût. Mais la haine
fermentoit au fond des coeurs. Soliman
voulut tenterune ſeconde fois la fortune.
Il marcha à l'ennemi & combattit en
héros. Il vit ſes troupes plier de toutes
parts. Déſeſpéréde cette ſeconde diſgrace
il ne vouloit pas ſurvivre à ſa défaite .
Tranquille l'arrêta. Sçachez réſiſter au
malheur , lui dit- il, & il peut vous devenir
utile. Vous ne pouvez pas commander
aux événemens. Vous pouvez
commander à vous- même. Tout n'eſt pas
encore perdu. Recueillez les débris de
votre armée. Marchez à la Capitale ,
de peur qu'Oſman ne vous prévienne .
Songez qu'il exiſte une infortunée dont
vous avez fait le malheur , & que vous
devez conſoler. Ah ! dit Soliman , c'eſt
fur tout dans l'infortune que l'on ſent
l'amertume de ſes fautes. Ne me parle
point de Zulma. Elle doit we haïr. Il
eſt affreux d'aborder dans ſa diſgrace
ceux qu'on a offenſés dans ſa proſpérité.
Ils jettent ſur vous le regard de la ven
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
gence fatisfaite , & ils achevent cette
vengeance en vous plaignant. J'ai tour
fait, tout quitté pour Gulli. Je tiens à
elle par mes bienfaits autant que par
mon amour. Je ſens que mon coeur a beſoind'elle.
C'eſt auprès d'elle que je cours.
En s'entretenant ainſi , il reprenoit la
route d'Iſpahan. Il arrive. Il apprend que
le peuple eft révolté , qu'Ofman vient
d'être déclaré roi. La fureur le ſaiſit , il
entre en armes dans la ville , ſuivi de
peu de ſoldats. Il écarte une foule tumultueuſe
répandue fur fon paſſage , il vole
à fon palais. On vient lui dire qu'Ofman
entre dans ce moment par une autre
porte avec une nombreuſe ſuite :
Soliman hors de lui - même , court
à l'appartement de Gulli , qu'il veut du
moins enlever dans ſa fuite ; elle n'y
étoit plus. Des efclaves annoncent au
malheureux roi , en ſe jettant à ſes genoux ,
que Gulli eſt auprès d'Ofman , dont elle
a partagé tous les complots. Il jette un
cri . Ah ! Zulma ! Vous êtes bien vengée ,
& il tombe évanoui. Il reprend ſes ſens
avec peine. Venez , lui dit Tranquille ,
venez vers la fidèle Zulma , & fuyons
avec votre épouſe ſans regretter votre
ennemie. Allons demander du fecours au
roi d: Cachemire. Le roi ſans lui répon-
1
AVRIL. 1769. 37
dre ſe laiſſe entraîner ſur ſes pas juſqu'à
la chambre de Zulma. Zulma étoit auffi
diſparue. Ce dernier coup fut preſque
le coupde la mort pour le déplorable Soliman.
Il reſta immobile . Des larmes
couloient lentement fur ſes joues. C'étoit
le ſang qui ſortoit des bleſſures de
fon ame . Abîmé dans une douleur muette
, il ſe laiſſa conduire par des fouterrainsjuſques
hors des portes ,& ſe trouva
dans la plaine de Zenebal. Là , il jetta
loin de lui toutes les marques de fa dignité
, congédia le peu des ſiens qui l'avoient
fuivi , & demeuré ſeul avec Tranquille
il monta à cheval , & prit la route
de Cachemire .
Ils coururent juſqu'à la fin du jour ,
tous deux dans un profond filence , que
Tranquille ſe garda bien d'interrompre.
Il ſavoit qu'il faut reſpecter le premier
recueillement de la douleur. Ils
rencontrerent fur leur route un berger
qui jouoit ſur la flûte un air doux & tendre.
Soliman s'arrêta involontairement
pour l'entendre : la touchante harmonie
de cet inſtrument porta un moment de
calme dans ſon ame. Il s'approcha du
berger qui avoit quitté ſa flûte pour
chanter . Berger , lui dit-il , je te prie que
ces paroles foient le refrein de ta chanfon:
Malheureux Soliman , tu ne reverras plus
38 MERCURE DE FRANCE.
ta fidèle Zulma , & tu la pleureras toujours
, & il continua ſa route.
Ils apperçurent, comme la nuit s'approchoit,
unepetite habitation ruſtique , mais
qui leurparut commode & agréable. Ils s'y
préſenterent & furent très-bien reçus par
le maître de cette maiſon qui étoit un
bonGuébre. Il vivoit tranquillement avec .
ſa famille du travail de ſes mains. II
leur offrit un repas frugal& champêtre .
Que dit- on du Roi ? lui demanda Soliman.
Je n'en fais rien , dit le Guébre. Je
ne juge point mes maîtres , parce que
je les reſpecte ; & je n'écoute point
les bruits publics , parce qu'ils font
faux. Soliman ſe retira avec Tranquille
dans la chambre qu'on lui avoit
préparée. Pourquoi m'as tu ſuivi ? dit- il à
Tranquille . Quel lien t'attache encore à
moi ? Est-ce pitié ? Est-ce affection ? Un
homme aime-t-il un homme ? Ah ! Les
hommes ! ... Je les ai traités comme mes
freres , je les ai ſervis , je les ai aimés .
J'ai careſſé les tigres qui me déchirent.
Si je n'avois été pour eux qu'un deſpote ,
impitoyable , ils auroient devant moi
frappé la terre de leur front. Et Gulli,
l'exécrable Gulli ! ... Etre puni par celle
qui m'a rendu coupable ! trahi au moment
où l'on est malheureux ! l'infortune
n'a point de breuvage plus amer... C'en
AVRIL. 1769. 39
eſt fait , je renonce aux hommes , au
trône , à tour. Je n'irai point à Cachemire.
Je cultiverai ici la terre avec се
bon Guébre. La ſolitude & le travail
adouciront peut être mes regrets & mes
remords ; ou , quand tu voudras les renouveller,
quand tu jugeras queje ne ſuis
pas aſſez puni , tu me parleras de Zulma.
Je demeurerai volontiers avec vous ,
dit Tranquille ; une cabane m'eſt auſſi
agréable qu'un palais , & j'aime mieux le
travail que l'oiſiveté.AIſpahan j'obfervois
les hommes : Ici j'obſerverai la nature.
Ils demeurèrent ſix mois dans l'habitation
duGuébre & cultiverent ſon jardin . Soliman
étoit toujours plongé dans une
triſteſſe amere , & il n'avoit de foulagement
que dans les inftans qu'il s'attendriſſoit
avec Tranquille au ſouvenir de
Zulma , & parvenoit à pleurer.
Un matin ils virent paffer un Derviche
, qui ſans trop les regarder leur demanda
l'aumône. Son front étoit ſombre
&ridé,&fes regards tournés vers la terre.
Soliman le conſidéra avec quelque atrention
& reconnut Ofman. Dans le premier
mouvement d'indignation que lui
caufa la vue de ce ſcélérat , il porta la
main à un poignard qu'il avoit à ſa
ceinture. Mais Tranquille l'arrêta : de
40 MERCURE DE FRANCE.
qui voulez- vous vousvenger, lui dit-il ,
& que vous faut-il davantage ? L'ufurpateur
de votre trône vient vous demander
l'aumône. Croyez vous qu'il vous ſoit
poſſible encore de le punir ? Traître , lui
dit Soliman , qu'eſt devenue Zulma ?
Je l'ignore , repartit le Derviche . Elle
étoit fortie d'Ispahan , long temps avant
que je m'en fuſſe emparée. Et toi qui
t'en a fait fortir ? dit Tranquille. Un
jeune Perſan , dit le Derviche , nommé
Aménor a foulevé les Aghuans , peuples
les plus belliqueux de l'empire. J'ai perdu
une bataille . Gulli a été priſe par les
ennemis , & j'ai été obligé d'avoir recours
à ce déguiſement pour échapper à leur
pourſuite. Mais cequivous ſurprendraplus,
c'eſt qu'Aménor a publié dans un manifeſte
qu'il ne s'armoit que pour vous , &
qu'il vouloit vous rétablir fur le trône.
Au moment oùje vous parle, on vous
cherche pour vous ramener à Iſpahan .
Je n'irai point , dit Soliman . Je ne fouhaite
qu'une choſe , c'eſt de voir ce généreux
Aménor pour le remercier de fes
ſervices , & lui dire qu'il mérite mieux
le trône que moi. Quant à toi , pourfuis
ton chemin , & fi tu veux me faire quelque
bien après tout le mal que tu m'as
fait , ne découvre point ma retraite.
AVRIL. 1769. 41
Ofman s'éloigna. Je ne ſuis pointde votre
avis , ditTranquille à Soliman . Votre
déſaſtre vous a valu deux grands avantages
, de l'expérience & un ami. Pourquoi
ne pas en profiter ? Cet Aménor ne paroît
pas un homme ordinaire. Il n'y a qu'un
moyen de le récompenſer de ſes ſervices ,
c'eſt de les accepter pour faire le bonheur
de vos ſujets. Et d'ailleurs , pourquoi renoncer
à l'eſpérance de retrouver Zulma,
&de mettre votre couronne & votre repentir
à ſes pieds ? Cette derniere raifon
emut Soliman. Quand on vint le chercher
dans ſa demeure pour lui rendre fon
diadême , il demanda d'abord où étoit
Aménor , & lorſqu'on lui eut dit qu'il
étoit à Iſpahan & qu'il préparoit tout
pour le recevoir, il réſolut de s'y rendre
avec Tranquille. Il fut reçu aux acclamations
du peuple , & reconnut fur fa
route preſque tous ſes anciens ferviteurs
qui étoient venus au-devant de lui. Il
demandoit toujours Aménor. Mais Amé
nor ne paroiffoit point. Enfin il arriva
dans ſon palais , vit un trône élevé pour
lui , & deux femmes à genoux fur les
marches du trône. Quel fut ſon étonnement
, lorſqu'il reconnut Zulma & Gulli !
il ſe précipita dans les bras de Zulma ,
& voulut la relever. Non , lui dit Zulma,
42 MERCURE DE FRANCE.
jugez auparavant entre ma rivale & moi.
Il n'y a point d'Aménor . C'eſt Zulma qui
ſous les habits d'un homme , & animée
par l'amout a foulevé les,Aghuans. C'eſt
Zulma qui a défait Ofman , & qui maîtreſſe
des jours de Gulli , de celle qui a
fait fon malheur , a conſervé des jours
qui ont paru vous être chers. Elle eſt encoreà
vous ainſi que moi. Choiſiſſez entre
nous deux. Eloignez de mes yeux , s'écria
Soliman en montrant Gulli , éloignez
cette miſérable . Qu'elle ne paroiſſe jamais
devant moi , & embraſſant Zulma avec
tranſport , il la placa fur ſon trône. Vous
me l'avez rendu , lui dit-il , mais ce n'eſt
pas le plus grand de vos bienfaits. Je
vousdois tout.Vous n'avez rendu à moimême
, à mes ſujets , à la vertu. Aimezmoi
, lui dit la tendre Zulma , & vous
aurez fait pour moi encore davantage.
Soliman & Zulma ne goutèrent pas
longtemps leur bonheur. Le chagrin ,
poifon lent qui tue les coeurs ſenſibles ,
avoit altéré la ſanté de Zuima . Elle devint
bientôt languiſſante , & entrevit la
mort qui la menaçoit. Dans cet état d'affoibliſſement
& de douleurs , elle ſe conſoloit
par le ſouvenir de ce qu'elle avoit
fait pour Soliman , & ne s'occupoit qu'à
lui faire cublier les torts qu'il avoit eus
AVRIL. 1769 . 43
avec elle. Il fondoit en larmes auprès
de fon lit. Il la voyoit ſe conſumer inſenſiblement
, fans que jamais un mot
de reproche ſortit de ſa bouche. Elle
expira en fixant ſur ſon époux des regards
qui lui peignoient encore tout
l'amour que ſa voix ne pouvoit plus
exprimer & qui fut ſon dernier ſentiment.
L'ame de Soliman éprouvée déjà par de
fréquentes & terribles ſecouſſes , eut beſoin
de toute ſa force pour foutenir cette
nouvelle épreuve . L'active ſenſibilité de
ſon coeur devint peu à peu une mélancolie
profonde qui ne le rendoit que
plus appliqué à ſes devoirs en l'arrachant
aux distractions & aux plaiſirs. Deſtiné à
perdre tout ce qu'il aimoit , il vit mourir
Tranquille. Ille vit regarder la mort avec
autant d'indifférence qu'il avoit regardé
la vie. Ma vie a été calme , diſoit ce philofophe
, & ma fin l'eſt auſſi. Je n'ai
point connu vos grandes paſſions. Je
n'ai jamais tenu aux choſes humaines que
par des liens qui puffent ſe dénouer fans
douleur. La ſéparation eſt un déchirement
pour quiconque s'eſt lié plus fortement
que moi. Je n'éprouve point ce
fupplice, & je ſuis auffi prêt à continuer
44
MERCURE DE FRANCE.
de vivre , que je ſuis prêt à mourir . 'J'ai
été bien different de vous , dit Soliman .
J'ai fouffert beaucoup . Eh ! bien , dit
Tranquille , voudriez vous avoir eu en
partage ma froideur au lieu de votre ſenfibilité
? Je ne ſais, reprit Soliman . Mais
le moment où j'ai retrouvéZulma , a été
ſi doux , que je conſentirois àrecommencer
ma vie , pour le ſentir encore une
fois.
Sur l'arrivée du Roi de Dannemarck de
la cour de France à la cour Palatine.
S'ÉLOIGNANT à regret des rives de la Seine ,
Chriſtian, pour jamais , ſe croyoit ſéparé
D'un ami , d'un grand Roi des François adoré :
Les plaiſirs ſur ſa route ajoutoient à ſa peine ;
Mais dans Charle aujourd'hui ce monarque
charmé
Retrouve , aux bords du Rhin , Louis le Bien-
Aimé.
Le Comtede Couturelle , Chambellan
de S. A. S. E. Palatine.
AVRIL. 1769 . 45
LEANDRE & HERO. Romance.
Vous qui croyez qu'une ame tendre
Peut ſans honte verſer des pleurs ;
Dedeux amans daignez entendre
Etles amours & les malheurs.
Ils eurent un fort plein de charmes ,
Du ciel ſentirent les rigueurs.
N'eſſuïez jamais leurs allarmes :
Eprouvez long- tems leurs douceurs.
Tous deux étoient dans la jeuneſſe :
Tous deux aux argus abuſés
Cachant avec ſoin leur tendreſſe ,
Brûloient fur des bords oppolés.
L'intervalle n'eſt pas extrême ,
Et le bras de mer eſt étroit ;
Mais léparé de ce qu'on aime ,
C'eſt un océan qu'un détroit.
:
1
Chaque nuit l'amoureux Léandre ,
Quittoit à la nage Abydos ;
Héro defcendoit pour l'attendre
Sur le rivage de Seſtos.
Il n'a pas beſoin de bouſſole ,
Iln'a point d'aftre à confulter :
Une tendre ainante eſt un pôle
Dont l'amant he peut s'écarter.
1
46 MERCURE DE FRANCE.
Unfeu pourtant lui ſert de guide ,
C'eſt ton flambeau , charmant among
Héro, d'un ſexe plus timide ,
L'a mis ſur le haut de ſa tour.
Téméraire , craignez ce phare
Qui vous promet un heureux fort :
Son tropd'éclat ſouvent égare
Ceux même qui ſont dans le port.
L'enfant de Paphos en ſilente
Tantôt le ſoutient ſur les eaux ,
Tantôt en voltigeant lui lance,
Pour l'animer, des traits nouveaux.
L'amant ſent croître ſon courage ,
Et bientôt dégagé des flots ,
Des mains du dieu , ſur le rivage ,
Reçoit le prix de ſes travaux.
Lecouple heureux ſur la verdure
Sans bruit couronne ſes defirs ,
Et l'Amour qui les lui procure
Devientjaloux de ſes plaiſirs.
Tout eſt calme dans la nature ,
Tout eſt muetjuſqu'aux zéphirs ;
Ou, fi l'on entend unmurmure,
C'eſt le murmure des ſoupirs.
Diane, à ce charmant myſtere
Centfois a prêté ſon ſecours :
Cent foisà ladouce lumiere
AVRIL. 1769 . 47
Lesdauphins ont vu leurs amours .
Long-tems la route de Léandre
Se connutdans ces régions ,
Aje ne ſçais quoi de plus tendre
Qu'y gaſouilloient les Alcyons.
Mais tout- à-coup tandis qu'il nage;
La Jaloufie entre en fureur ;
Elle excite un affreux orage
Qui jette Héro dans la terreur :
Mille feux ſe briſent dans l'onde :
Et les Aquilons déchaînés ,
Contre le tonnerre qui gronde ,
Soulevent les flots mutinés,
Avec eux long- tems il diſpute,
Déplorable jouet du vent ,
C'eſt inutilement qu'il lutte
Contre le perfide élément.
Las! par une vague il eſpére
D'être ſur la rive poté,
Et par une vague contraire
Loin du bord il eſt rejetté.
L'amante à ce ſpectacle horrible
Que les pâles feux des éclairs
Nelui rendent que trop viſible ,
Deſes clameurs remplit les airs :
Comme ſa frayeur eft extrême
Sondéſeſpoir eſt indiſcret;
48 MERCURE DE FRANCE.
L'Amour , quand il perd ce qu'il aime ,
Ne ſçait plus garder ſon ſecret.
En vain l'infortunée implore
Des dieux qui ne l'écoutent pas.
En vain à l'amant qu'elle adore ,
La triſte amante tend les bras .
L'objet de ſes vives allarmes
Eſt prêt de périr ſous ſes yeux :
Il entend ſes cris , voit ſes larmes ,
Et ne meurt que plus malheureux.
La force lui manque... Il ſuccombe...
Il a vu ſon dernier moment .
Avec le flot près d'elle il tombe
Sans châleur & fans mouvement.
Héro ſe tait : fixe Léandre :
Se précipite au fond des mers ;
Etdu devoir d'une ame tendre ,
Laiſſe un exemple à l'Univers .
L'Amour , que la douleur irrite ,
Jure de ne bleſſer jamais .
La Beauté pleure , follicite :
Il ſourit : lui remet ſes traits .
Hélas ! s'il eût brifé ſes armes ,
Qu'il m'eût épargné de ſoupirs ;
Mais je lui pardonne mes larmes ,
Il m'adonné tant de plaiſirs !
ENVOI
AVRIL. 1769. 49
Envoi à Mademoiselle... à Londres.
It faut s'expoſer au naufrage ,
Quand on veut aborder au port.
Demain je quitte le rivage
Sans ſçavoir quel ſera mon fort :
Dieu des coeurs , fléchis ma Sylvie ;
Rends- la ſenſible à mon amour ,
Et que les vagues en furie
M'engloutiſſent.... mais au retour.
LE ROI BOIT. Conte.
L'AMOUR & l'intérêt avoient préſidé à
l'union d'Armand & de Claudine . Un
moulin bien achalandé faiſoit leur richeſſe
& leur occupation. Rien ne paroiſſoit
devoir altérer leur bonheur; mais l'amour
ſans obſtacle peut-il être de durée. Six
moisdejouiſſance & d'uniformité avoient
éteint celui d'Armand. Claudine en femme
habile ne s'exhale point en ces vains
propos qui aménent ſouvent la haine
à la ſuite du réfroidiſſement. Elle a trop
d'orgueil pour confulterſa voiſine, crainte
d'en être mépriſée, ſous l'apparence d'une
II. Vol. C
SO MERCURE DE FRANCE.
faufle pitié. Elle n'a recours qu'à ellemême
pour réchauffer l'amour de fon
cher inconſtant. La veille des rois fut
choiſie pour accomplir fon deſſein. La
nature avoit appris à Claudine que les
fêtes de Bacchus ſont des fleches pour
l'amour. Armand , dit-elle en ſouriant ,
tu vas à la ville -Oui-Apporte un
gâteau-Pourquoi faire?-les rois--J'ons
bien autre choſe à penſer... & le mari
bouru part en grondant. On l'attend. II
arrive , point de gâteau. Des plaintes ,
Claudine paſſe aux injures. Armand bat
ſa femme pour la premiere fois. Elle ,
au déſeſpoir, crie , ſe lamente , & fort.
Je vais me noyer , dit- elle en menaçant.
Le mari en colere mépriſe un tel propos.
Cependant elle approche de la riviere ,
prend une groffe pierre , la jette avec
ſa coëffe dans l'eau , & vite elle ſe cache
& ſe metauguet derriere un buiſſon. Le
bruit de la pierre éveille l'attention du
meunier. Il accourt ; la coëffe qui ſurnage
lui perfuade que ſa femme ſe noye.
Sans balancer , il plonge , il cherche , il
craint. Il leve les yeux au ciel , & voir
ſa femme qui ſe cache ſur le rivage , ou
plutôt il entend qu'elle crie : le roi boit,
le roi boit. Je l'avois juré , dit - elle , de
AVRIL. 1769. SI
crier les rois. La ſurpriſe de ce roi dans
l'eau , prévint ſa colere. La préſence &
la gaîtede ſa femme remirent ſes ſens
effrayés : elle lui tendit la main; l'amour
vint terminer cette plaiſante ſcène , &
jamais ménage ne fut plus heureux que
celuid'Armand & de Claudine.
EPITRE à Mile B***** , en lui
envoyant un Homère qu'elle m'avoit
demandé.
QUE la trifte & froide Dacier
De ſon latin s'enorgueilliſſe :
Que ſur le grec elle pâliſſe ;
Elle dut toujours étudier.
Il faut que laideur ſe conſole
Par l'avantage du ſçavoir ;
Mais la beauté ne doit avoir
Que l'Amour pour maître d'école.
Jamais éleve du Pouflin
Peignit- il ou Flore ou lesGraces
Liſant Plaute , Horace ou Lucain ?
Les ris , lesjeux ſont ſur leurs traces , ८
Elles ont des fleurs à la main.
Zéphire à Flore les arrache ,
Vole à Cyanne , & fur fon fein ,
:
4
Cij
52
MERCURE DE FRANCE.
1
Tout en folâtrant , les attaches
Il prend un baiſer libertin ,
Et parmi des rofiers ſe cache.
Voilà l'étude du matin ;
A toute autre , amour la préfére.
Le ſoir c'eſt encor même jeu.
L'emploi des nuits différe un peu ;
Mais je m'en tais , c'eſt un myſtere.
Ah ! croyez - moi , laiſſez Homère
Chanter Achille &tous les Dieux :
Vous ſçavez tout , vous ſçavez plaire ,
Et vous pouvez faire un heureux.
Par M. de St Just.
A Mademoiselle R*****.
A CETTE page-ci daignez vous arrêter !
Sur mon titre fixez ces beaux yeux que j'admire :
C'eſt vous , que mes vers vont chanter ,
Vous , dont j'idolâtre l'empire !
La proſe eſt circonſpecte , & parle avec détour ,
Mais le vers plus hardi riſque le mot d'amour.
Apprenez donc quej'aime :
Et qui ? Vous , oui , vous- même ;
N'attendez pas que je diſe pourquoi.
Tout le volume du Mercure
Apeine ſuffiroit à l'exacte peinture
AVRIL. 1769 . 53
Des attraits , dont mon coeur éprouve& fuit la loi.
Vos yeux , que j'ai nommés ..... Ah ! c'eſt la
moindre choſe !
Vous croyez cependant votre regne paſſé :
Eh ! quel objet par vous ne ſeroit éclipſé ?
C'eſt l'Immortelle enfin ſous l'éclat de la Rofe.
Moins belle , toujours vous plairiez !
Des graces fans minauderie ,
Un eſprit franc , fertile en propos variés ,
Une ame douce , égale , ſans envie :
Voilà des charmes pour la vie ,
Et je n'aimerois point ! ... ah ! Dieux... Quoi ! vous
riez !
Hélas ! que faut-il que j'eſpére ,
Et que répondrez- vous à qui n'a pu ſe taire?
Par M. Guichard.
VERSfur la chûte de cheval que le Roi
fit dernierement à la chaffe.
QUAUAND l'auguſte vertu s'unit au diadême ,
Faut-il par les douleurs qu'un grand Roi ſoit troublé!
Si tu permets ces maux , ôSageſſe ſuprême!
Louis peut les ſouffrir , ſans en être accablé.
Des François attendris écoute la priere ;
۲
Ciij
54
MERCURE DE FRANCE .
Pourun maître ſi bon l'amour est redoublé.
De leperdre ilſuffit que la terre ait tremblé,
Ton oeil confolateur veille ſur ſa carriere.
Quedegloire&de jours fon regne ſoit comblé!
..
Par l'abbéDelaunay, lecteur defeu S. A. R.
l'Infant Dom Emmanuel de Portugal.
LE PORTRAIT D'ELMIRE.
Chanson de guitearre.
De la plus tendre bergere
Je voulois peindre les traits :
L'amour me dit , téméraire ,
Tu n'y réuffiras jamais :
Connoître Elmire ,
C'eſt l'aimer ; :
La voir , c'eſt le lui dire ,
Et la peindre c'eſt la nommer.
Plein du feu qu'elle m'inſpire ,
J'oſe chanter ſes talens ;-
Mais mon impuiſſante lyre
N'apas d'accords aſſez touchans :
Connoître Elmire ,
C'eſt l'aimer :
La voir , c'eſt le lui dire,
Et la peindre c'eſt la nommer.
T
AVRIL.
1769.. 55
Du mélodieux Orphée ,
Saguittarre rend les tons ;
Moname en eſt tranſportée ,
Qui peuten imiter les ſons!
Connoître Elmire ,
C'eſt l'aimer ;
Lavoir, c'eſt le lui dire ,
Et la peindre c'eſt la nommer.
Par M. Moline.
:
LE MORALISTE.
Pour enſeigner la vérité
La fable fut toujours utile ,
Et l'homme eſt un enfant gâté
Qu'il eſtbonde tromper, pour le rendredocile.
UnMoraliſte attrabilaire
Aigrit ou ne fait qu'ennuyer ,
Il faut être für de nous plaire
Pour prétendre à nous corriger.
Autrefois la philoſophie
Sembloit faite pour les pédans ,
Nos bons ayeux l'avoientbannie ,
Ils ſe ſentoient encor du tems
De l'antique chevalerie ,
Et croyoient la galanterie
:
:
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Préférable à des argumens .
La morale , auſſi négligée ,
N'étoit ſoufferte qu'au fermon ;
Aujourd'hui la mode eſt changée ,
Par-tout on peut parler raiſon.
Il n'eſt de ſi mince brochure ,
Dont l'auteur , pour être goûté ,
Ne diſſerte ſur la nature ,
Ou ne prêche l'humanité.
S'il n'eſt un peu philoſophique ,
Un roman même n'eſt point lû ,
Et des préceptes de vertu
Sont mis en opéra comique.
En ſommes- nous plus vertueux ,
Diront des cenſeurs trop ſévéres ?
Il est vrai , nouspenſons autrement que nosperess
Mais agiſſons-nous beaucoup mieux ?
Notre morale eſt en paroles ,
Et quand il faut la pratiquer ,
L'intérêt ſeul eſt la bouſſole
Qu'on confulte pour s'embarquer.
Oneſt ſage par fantaisie ;
Mais s'il n'étoit pas dubon ton
Deparoître aimer la raiſon
Chacun reprendroit ſa folie.
/
AVRIL. 1769. 57
L'EXPLICATION de la premiere énigme
du premier volume du Mercure d'Avril
1769 , eft la confiance ; celle de la ſeconde
eſt le bas ; celle de la troifiéme eſt le
vuide ; celle de la quatrième le parafol
ou parapluye. Le mot du premier logogryphe
eſt ciel en françois , & celi en
latin; celui du ſecond eſt curedent , dans
lequel on trouve cure & dent. Celui du
troifiéme eſtſoubrette , qui renferme fou
&brette.
ÉNIGME.
A Madame la Comteſſe de R...
On m'accuſe d'être indifcret :
Trop aisément , dit- on , je me fais reconnoîtres
Iris , aujourd'hui , mon portrait
Sous des traits oppoſés à vos yeux va paroître.
Imaginaire & fabuleux
Je ſuis réel & véritable ,
Enfant, mais très-ancien,j'en ſçais plus que les
vieux ;
Jem'allarme aisément , quoique fort vedoutable,
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
Aveugle, monpouvoir réſide dans les yeux.
Quoique je fois inſatiable
Et comblé de dons précieux ,
Je ſuis nudcomme un miſérable.
Mais , c'eſt aſſez , Iris , vous m'aurez deviné ;
Car, c'eſt de vous que je ſuisné.
Par M. L. C. D. C. dA.
AUTRE.
QUOIQUE par nature immobile ,
Je ne ſuis pas ſans mouvement ,
Je vas , je viens , monte &defcends.
Je ſuis roide , ſouple & docile ,
Cependant je montre les dents.
J'habite au village , à la ville ,
Par- tout mon ſecours eft utile ,
Je ſers les petits & les grands ,
Les ſobres comme les gourmands.
Mais voyez comme on eſt honnête ;
Quoiqu'à tous les goûts je me prête ,
On m'exclud des appartemens,
Et quand je déloge, on m'y fête.
: ParM. R. D. L. G.
AVRIL. 1769 9
AUTRE. :
MrsIs freres me font tørt , m'éclipſent àlacour ;
L'un ſous un dais pompeux étale ſes richeſſes ,
L'autre est très- recherchédecertaines ducheſſes ;
Et je ſuis fans amans , moi , qui fuis faite au
tour.
: L
AUTRE.
LaVérité naïve & pure
Sa foeur , l'innocente Nature
Placent chez nous leurs plus beaux traits ;
Mais auſſi ſouvent l'Impoſture
?
S'y déguiſe ſous leurs attraits.
Images de l'eſprit , nous parlons ſans rien dire ,
Mais confidens peu fürsdans le tendre délire
Partageant tous les deux la même fonction ,
Réglant nos mouvemens , toujours à l'uniſſon ,
Faut-il que la nature avare ,
Parunfatal obſtacle à jamais nous ſépare !
Chacun peut lire en nous , comme cu un jour
ſerein,
L'atteinte du plaiſir ou celle du chagrin ;
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
Pour nous , privés du don de pouvoir nous la
peindre,
Nous ne ſçaurions nous voir , nous complaire ou
nous plaindre.
Enfin, chez les humains ,notre uſage eſt charmant
Nos dons font infinis ; on ne peut les décrire.
Au défaut de la voix , pour vanter notre empire ,
Nous avons eu le ſentiment.
ParM. de Jorna , créole
delaMartinique.
:
4
LOGOGRYPH Ε.
Dans les femmes j'ai l'avantage
Pour la douceur & la légereté
Dans les homines , pour apanage ,
J'ai la prudence & la folidité.
Sous des refforts cachés j'établis ma puiſſance.
Eſt- on auſſi ſur moi toujours en défiance ;
Malgré cette prévention , /
Faut- il encor qu'on paſſe à mon opinion.
Je décide au barreau , dans les académies ,
Jeme plais à la grille , au fein des compagnies
J'enfante l'union ou médis d'un chacun ,
Etje n'ai pas le fens commun.
AVRIL. 1769. 61
Dansun ſombre palais ſûrement défendue ,
Mes citoyens armés en gardent l'avenue.
J'ouvre ou ferme l'abord d'un goufre ſépulcral ,
Où je fais engloutir tout principe animal.
Veux-tu me voir ſous des formes nouvelles :
Ce n'eſt plus moi ; tu trouveras
Un eſprit pur des voutes éternelles .
Autre inétamorphoſe ! eh quoi, n'entends-tu pas !
L'animal qui donna quelque choſe à Midas ;
Me voilà dans les airs , je prépare l'orage ;
Ici je viens flétrir les plus charmans appas ,
Et marquer les degrés de la vie au trépas.
Adieu ; pour terminer un ſi rare aſſemblage ,
Je pars pour les forêts , comme animal ſauvage.
Après cela , fi tu ne peux parler ,
Je t'excuſe , lecteur , de ne pas me nommer.
J'en ai trop dit ; j'ai gâté mon ouvrage ;
Je me reconnois là; tâche d'en profiter.
Par leméme.
AUTRE.
COMME un ferpent je me gliffe par - tout
Cent fois je change de figure ,
Pour venir à mes fins & mieux faire mon coup.
Cinqpieds font toute ma ſtructure.
62 MERCURE DE FRANCE.
J'offre à qui veut les combiner
Choſequi ſertpour aligner ;
Un arbre qui toujours conſerve ſaverdure;
Nomqui convient peut- être à mon auteur ;
Unediphtongue , un terme d'aflurance ,
Unde mépris , undedouleur ,
Ceque porteun législateur ,
Et le ſynonyme àcréance. :
Par M. Mulot, praticien .
AUTRE.
DANS L'Empire Romain
quable,
je ſuis très - remar-
Même on peut lire dans la fable
Quejeſuisplacé près d'un dieu.
Le feu de mes yeux étincelle ,
Otez ma lettre du milieu ,
Aiole Yous ne me verrez plus qu'une aîle .
Par le même.
AVRIL. 1769 . 63
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Garrick ou les Acteurs Anglois , ouvrage
contenant des obfervations fur l'art
dramatique , ſur l'art de la repréfentation
& le jeu des Acteurs ; avec des
notes hiſtoriques & critiques , & des
anecdotes fur les différens théâtres de
Londres & de Paris , traduit de l'Anglois.
A Paris , chez Lacombe , libraire
, rue Chriſtine , petit in 8°. 199
pages.
CET ouvrage nous donne une idée
préciſe de la maniere dont les Anglois
ſavent appliquer à leurs moeurs les principes
de la nature ; il a fur- tout pour
objet d'initier les jeunes Acteurs dans
l'art de repréſenter au Théâtre. Cet art a
des régles eſſentielles que la plupart des
comédiens négligent trop , & qu'on ne
ſçauroit trop ſouvent remettre devant
leurs yeux : ils ne fentent pas affez les
avantages des dons naturels , puiſque la
plûpart ne ſe mettent pas en peine de
les cultiver. C'eſt l'étude qui peut les
conduire à la perfection, les préſerver
64 MERCURE DE FRANCE.
du défautde l'affectation, & leur apprendre
à ſe défier de l'inftinct aveugle de
la nature , qui , dès qu'elle eſt libre, abandonne
l'acteur timide ,&ſe plait ſouvent
àégarer celui qui a les plus grands talens ,
Le premier eſt toujours au-deſſous de
fon rôle ; le ſecond eſt quelquefois audeſſus
. Mademoiſelle Du... , dit- on dans
>> une note , qui porte dans le haut comi-
» que autant de talent que dans la Tra-
>>gédie , paroît dans la mere de Rhodope
>> s'élever un peu trop ; ſa grande ſenſi-
>>bilité eſt plus forte , plus belle que ce
>> qu'elle dit. Mademoiselle Lamotte
>>ſembloitjouer ce perſonnage aſſez bien;
>> le rôle étoit au -deſſus d'elle ; il lui
>> prêtoit un pathétique qu'elle n'avoit
>> point » . La monotonie eſt encore un
écueil que l'acteur doit éviter ; elle caractériſe
la ſtupidité ; la variété biſarre d'un
autre n'eſt pas moins dangereuſe ; il eſt
heureux pour eux que le commun des
ſpectateurs ne difcerne pas facilement la
bêtiſe uniforme d'avec l'eſprit outré. La
plupart font plus ſenſibles à l'extraordinaire
qu'aux bienſéances; les bons juges
ſont également bleſfés du défaut & de
l'excès. » Le comédien Baubourg , dont
-mille gens ſe ſouviennent encore ,
AVRIL. 1769 . 65
>> jouant Néron, diſoit à Burrhus en par-
>> lant d'Agrippine :
Répondez -m'en , vous dis-je , ou , ſur votre refus ,
D'autres me répondront & d'elle & de Burrhus.
>> avec des cris aigus & tout l'emporte-
>> ment de la férocité. Cette expreffion
> étrange renfermoit tant de vérité , que
>> tout le monde en étoit frappé de ter-
» reur ; ce n'étoit plus Baubourg , c'étoit
>> Néron même. Cependant ces deux vers
>> ſemblent demander uniquement la di-
>> gnité d'un empereur , & la tranquillité
>> cruelle d'un fils dénaturé: pointdu tout,
>> voilà un acteur fingulier, qui trouve
» encore le vrai en renverſant toutes les
>>régles . Cela prouve qu'au théâtre fur-
>> tout , l'air & le ton le plus exagérés ,
>> touchent quand on eſt naturel » . Il eſt
des inſtans , où la modération n'eſt que
bienféante & arbitraire ; dans quelques
autres elle eſt une beauté ; la vivacité , la
force , la paffion , ont des traits ſenſibles ;
elles réuſſiſſent preſque toujours , mais
combien faut-il de graces , de délicareſſe,
de grandeur même dans certaines actions
tranquilles. Shakespear nous préſente le
roi Richard à la veille d'une bataille déeiſive
, prêt à perdre la couronne & la
66 MERCURE DE FRANCE.
vie , goûtant la fraîcheur du ſoir , &
jouiſſant de tous les objets agréables qui
l'environnent. » L'air eft rafraîchiſſfant ;
» ces prairies nouvellement fauchées , ré-
>> pandent une odeurqui m'enchante. C'est
>> ainſi que le poëte met en action latran-
» quillité d'une grande ame à l'inſtant du
>>danger. Unde nos officiers marchant à
>> une attaque déſeſpérée apperçut une
>>oie ſauvage voler ſur ſa tête , &dit froi-
* dement : ily auroit là de quoi faire une
>> bonnefoupe. La fituation eſt la même ,
>> & fait voir des deux côtés le calme pat-
>> fait de l'ame dans un tems de terreur.
>> Le comédien ſenſé prononcera ces vers
> preſque avec nonchalance , d'un air
>>fimple , d'une voix douce , &plus fon
» débit fera dénué des ornemensde la ré-
>>citation&plus il ſera bean ; cependant
>> nous avons vu ces vers déclamés avec
>> faſte par un acteur affez renommé,
> ſans que le ſpectateur ait témoigné de
>>mécontentement. Le filence trop in-
>>dulgent & l'applaudiſſement trop pré-
>> cipité du public font , danstous les gen-
>> res , la ruine la plus prompte des talens
>>décidés ». Nous ne ſuivrons pas l'auteur
dans tous ſes détails; il s'étend ſur l'intelligence
, l'expreſſion, la variété , la
AVRIL. 1769 . 67
ſenſibilité , &c . néceſſaires à un comédien,
ſur les moyens de perfectionner la
ſenſibilité naturelle ; il l'exhorte fur- tout
à ne point chercher de modèle dans ſes
confreres , ou dans ceux qui l'ont précédé.
S'il ne veut être toujours une mauvaiſe
copie , c'eſt la nature ſeule qu'il doit étudier
& imiter. L'âge où les agrémens
extérieurs s'effacent , où les facultés de
fon ame s'affoibliſſent , eft celui où il
doit quitter le théâtre. Il faut lire tous
les préceptes dans l'ouvrage même qui
mérite d'être joint au petit nombre de
bons que nous avons ſur la déclamation
théâtrale , fur l'art du comédien ; on y
trouve de nouvelles vues , dont la juftefle
frappe & faiſit , &que les acteurs
&les ſpectateurs qui les jugent , liront
avec plaiſir & avec fruit.
Les viciffitudes de lafortune , ou coursde
morale , miſe en action pour ſervir à
I'hiſtoire de l'humanité , ouvrage orné
de figures en taille douce , avec cette
épigraphe :
Miferis fuccurrere difco. VIRG .
à Amſterdam, & ſe trouve à Paris
chez Delalain libraire, rue S. Jacques,
68 MERCURE DE FRANCE.
& le Jay , même rue , au- deſſus de
celle des Mathurins , 2 vol. in-1 2 .
Ceux qui aiment les lectures ſombres
trouveront de quoi ſe ſatisfaire dans ces
deux volumes ; ils préſentent pluſieurs
petites hiſtoires remplies d'événemens
ſouvent extraordinaires , toujours noirs
& quelquefois attendriſſans ; les héros
font des voyageurs perſécutés par la fortune
, fans ceſſe battus de la tempête ,
n'échappant à la mer que pour trouver
l'eſclavage ou la mort , & des malheurs
plus affreux encore. La multitude de leurs
aventures ne permet guères d'en faire
l'extrait; l'auteur a réuni pluſieurs fituations
lugubres& touchantes qui ne font
point ſans intérêt ; elles en auroient davantage
ſi elles étoient mieux liées entre
elles; les différentes impreſſions qu'elles
font ſur l'eſprit du lecteur ſe nuiſent les
unes aux autres ,& ne laiſſent plus dansl'ame
, à la fin de l'ouvrage , qu'un ſentiment
triſte & confus .
Antiquités de la Grèce en général , &
d'Athènes en particulier; par Lambert
Bos , avec les notes de M. Frédéric
Leifner , ouvrage traduit du latin par
M. la Grange , auteur de la nouvelle
AVRIL. 1769. 69.
traduction de Lucrece , à Paris chez
Bleuet , libraire , Pont Saint Michel ,
in- 12 .
Lambert Bos fleuriſſoit dans le dernier
ſiècle , il eſt mort en 1717. Il étoit profeſſeur
en langue grecque dans l'Univerſité
de Franeker. Parmi les ouvrages ſavans
qu'il a compoſés , celui-ci eſt le pluseſtimé;
ſon objet eſt de préſenter une eſquiſſe
de ce que les moeurs des Grecs ont de
plus agréable , de plus piquant& de plus
inftructif; c'eſt une deſcription abrégée de
leurs uſages , néceſſaire pour l'intelligence
des écrivains de cette nation , & le réfultat
d'une lecture immenfe& raiſonnée ,
à la faveur de laquelle le lecteur marche
toujours fûrement ſur la foi de l'autorité.
Le mérite de cet ouvrage l'a rendu claſſi.
que en Allemagne , il a l'avantage de
joindre à chaque uſage les termes grecs
qui y font relatifs , & de faire connoître,
en liant ainſi le mot à la choſe , la langue
par la nation , & la nation par la
langue. Frédéric Leiſner a mis des notes
qui montrent d'un coup d'oeil les ſources
dans leſquelles Lambert Bos a puiſé; ces
recherches pénibles pour celui qui les
fait , fatisfaiſantes pour celui qui les lit ,
ajoutent à l'utilité de cette production ,
70 MERCURE DE FRANCE.
&prouvent le ſoin avec lequel Bos a
travaillé ; on voit que partout il eſt ap.
puyé ſur des autorités , & qu'il ne s'eſt
pas livré à des conjectures. L'ouvrage
entier eſt diviſé ... quatre parties ſubdiviſées
chacune en pluſieurs chapitres.
Elles traitent de la religion , du gouvernement
civil , du gouvernement militaire
, &de la vie privée des Grecs. Nous
ne nous arrêterons pas fur cette production
peu ſuſceptible d'extraits , & qui
mérite d'être lue ; nous joindrons nos
voeux à ceux du traducteur pour le renouvellement
du goût des bonnes études,
qui malheureuſement ſont trop négligées;
les langues modernes font oublier
les anciennes. On pourroit réunir la connoiſſance
des unes& des autres ; il eſt à
craindre qu'on ne voie bientôt le grec
relégué avec l'hébreu & le ſyriaque ; on
ne ſe ſouvient plus que nous devons nos
chefs-d'oeuvres à l'étude réfléchie des
bons modèles de l'antiquité ; auſſi le
tems des chefs-d'oeuvres eſt il palle; il
ne renaîtra que quand on recommencera
à ſe nourrir des lectures qui ont échauffé
le génie des Corneilles , des Boſſuers ,
desRacine , des Voltaire , &c.
P
AVRIL. 1769. 71-
Les derniers adieux de la Maréchale de***
àfes enfans , par l'auteur de la converſation
avec ſoi-même ; à Paris chez
Bailly , libraire , quai des Auguſtins ,
à l'Occaſion , in - 12 , 392 pages.
On ſuppoſe dans cet ouvrage que la
Maréchale de ***, attaquée d'une maladie
mortelle , emploie ſes derniers momens
à l'inſtruction de ſes enfans; elle
a deux fils militaires , un troifiéme ecclé.
ſiaſtique , & une fille; elle les raſſemble
tous les foirs & leur parle de ce qu'ils
doivent à la religion , à la patrie , à la fo .
ciété; ces conférences intéreſſantes font
diviſées par ſoirées ; il y en a vingt une ;
la Maréchale fait fon hiſtoire dans la
premiere ; née avec un grand nom &des
richeſſes immenfes , elle a été élevée pour
le monde; tout ce qui l'environnoit lui
en peignoit les charmes ; on éveilloit ſa
vanité, on nouriſſoit ſon goût pour la
diffipation : un jour elle s'aviſe de lire
quelques pages de Nicole ; les réflexions
decet écrivain l'étonnèrent , ou je fuis
bien dupe de la vie queje mene , s'écria-telle
, ou cet auteur est un grand impofteur.
Une partiede plaiſir lui fit bientôt oublier
ce qu'elle avoit lu. Elle ne tarda pas à ſe
72 MERCURE DE FRANCE
marier ; ſon époux aimoit le faſte comme
elle ; ils dérangèrent leur fortune ; elle
le perdit trois ans après qu'il eût été fait
Maréchal de France . Cet événement devoit
la faire rentrer en elle-même ; elle
ſe livra au monde comme auparavant.
Un jour on donnoit une piece nouvelle
aux françois , elle fit la partie d'y aller
avecMadame de***.Elle ſe rend chez elle
pour la prendre , monte à ſon appartement
, la voit endormie ſur ſon lit , va
l'embraſſer , & trouve qu'elle eſt morte :
elle s'évanouit en pouſſant un cri qui attire
les domeſtiques que la conſternation
avoit écartés ; revenue à elle , elle apprend
que fon amie vient de mourir ſubitement;
elle retourne dans ſon Hôtel ,
effrayée de cet accident , & réfléchiffant
fur elle-même ; elle ſe rappelle le peu de
pages qu'elle avoit lues de Nicole , &
change de conduite. Après avoir donné
ainſi le précis de ſa vie à ſes enfans , la
Maréchale leur donne des avis; ils rempliffent
les vingt autres ſoirées , c'eſt une
mere tendre & éclairée qui épanche ſon
coeur devant eux ; les réflexions ſolides
qu'elle a faites , ſes études , ſon expérience,
luidiſtent les conſeils les plus utiles ;
le fentiment les anime & leur donne un
ton
AVRILL. 1769 . 73
ton plus touchant. Ce livre eſt fait pour
être mis entre les mains des jeunes gens ,
&furtoutdes militaires .
Dictionnaire critique , pittoresque&fentencieux
, propre à faire connoître les
uſages du ſiècle , ainſi que ſes biſarreries.
Par l'auteur de la couverſation
avec foi même ; à Lyon , chez Benoît
Duplain , libraire , rue Merciere , à
l'Aigle , in- 12,3 vol .
Le principal objet de ce Dictionnaire ,
eſtde faire connoître les différentes ſignifications
que l'uſage & la mode donnent
àpluſieurs mots; il ne faut pas s'attendre
en conféquence à y trouver du neuf :
un vocabulaire de cette eſpèce n'en eſt
pas ſuſceptible ; la maniere dont les articles
ſont préſentés , & les détails en
font rout le mérite : celui - ci dans cette
partie , laiſſe peut- être quelque choſe à
defirer; nous en citerons quelques traits .
>> ADORER. Il ſemble qu'on ait dépouillé
>>la divinitéde cette expreſſion qui lui fat
>> toujours conſacrée , pour l'employer à
» l'égard de tout ce qui ravit les ſens.
>> Ainſi ſelon la nouvelle maniere de par.
" ler , une belle voix , une belle main ,
>> une belle femme ſont des choſes adora-
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
» bles. On adore ſa maitreſſe , on adore
>> ſes amours ».On n'adore pas ſes amours,
mais l'objet de ſes amours. Pour rendre
ſes explications plus ſenſibles , l'auteur
y joint ſouvent des portraits; il faut ſe
rappeller en les lifant qu'il ſe borne aux
chofes de mode,& ne pas y chercher tous
les objets que le mot ſignifie. >> NONCHA-
>> LANCE. C'eſt un air que celui de la non-
>> chalance , & qui ſe rencontre affez fou-
>> vent avec celui de la fatuité . Aminte eſt
» excédée , elle n'oſe parler crainte de
>> touffer , comme elle n'oſe ſe remuer de
>> peur de ſe briſer. Sa perſonne abandon-
>>née ſur un ſopha n'a pas même la force
>>> de ſentir qu'elle exifte ,& fans les eaux
>>de ſenteur, ſon anme lui échapperoit im-
>> perceptiblement. Aminte en a trop fair.
>>Elle a traverſé la rue à pied , pour aller
> entendre la meſſe,&il y a dans cet effort
>>mille fois plus qu'iln'en faut pour faire
>> périr une femme,étonnamment jolie » .
PRETENTION. » Lesgens à prétentions
>> font inſupportables dans la ſociété , &
>> cependant le monde en eſt plein. Mé-
>> riſe exige qu'on la viſite , qu'on l'ad-
>> mire , qu'on la complimente , qu'on
>> l'accompagne par- tout où elle va , qu'on
>> recueille enfin ſes vapeurs & ſa mau
AVRIL. 1769 . 75
>> vaiſe humeur , comme une des plus
>> précieuſes faveurs dont on puiſſe être
>>gratifié. Mériſe a manqué ſa vocation ;
>> elle étoit née pour être fouveraine dans
>>l'Afrique , ou dans l'Afie , où elle n'au-
>>roit va que des eſclaves à ſes pieds » .
Ces portraits auroient pu fournir à l'auteur
des détails agréables ; il s'en eſt ſervi
pour corriger la ſéchereſſe de ſon ſujet ;
maisil ne les a peut- être ni allez varié ,
ni travaillé avec aſſez de ſoin .
Discoursfur l'Histoire moderne , pour fervir
de ſuite aux diſcours fut l'hiſtoire
desJuifs & fur l'hiſtoire ancienne. A
Paris , chez Saugrain le jeune , libraire
ordinaire de Mgr le Comte d'Artois ,
quai des Auguſtins près le pont St Michel
, in- 12 .; prix 2 liv. 10 f. broché.
Nous avons rendu compte,dans le tems,
desdiſcours ſur l'hiſtoire des Juifs &l'hiſtoire
ancienne ; celui-ci en eſt la ſuire ;
l'auteur préſente un tableau précis de l'état
de l'Europe depuis l'an 650 de Rome,
juſqu'au 15 ſiécle de l'Ere vulgaire . Tourecette
partie forme l'avant - propos de
ſon ouvrage : il paſſe rapidement ſur la
chûte de l'Empire Romain , ſur la fondation
de celui d'Occident &des différen
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
tes monarchies ou autres états modernes.
La barbarie regnoit par - tout ; quelques
grands hommes s'élevoient enfin dans les
univerſités de Paris & d'Oxford ; ces écolesdu
ſens&de l'érudition n'attendoient
qu'un rayon de lumiere pour ſecouer le
joug du préjugé & de la ſuperftition ; le
moment n'étoit pas éloigné ; le 15e ſiècle
l'amena . Mahomet II , en prenantConftantinople
, mit fin à l'empire d'Orient ;
les arts exilés par les armes muſulmanes
ſe refugierent en Italie ; cette époque eſt
celle àlaquelle l'auteur ſe fixe ; il parcourt
les traits principaux&les plus intéreſſans
qu'offre l'hiſtoire juſqu'à l'an 1740. Son
ouvrage eſt un réfumé précis & bienfait
qui peut fervir à ceux qui ont déjà quelque
connoiſſance de l'hiſtoire , &les guider
dans une étude plus étendue ; il ſera
fur - tout très- utile aux jeunes gens & à
leurs maîtres; ce ſont des élémens dont
lesuns&les autres peuvent tirer de grands
avantages.
La Theriacade , ou l'orviétan de Léodon ,
poëme héroï- comique. A Geneve ; &
ſe trouve à Paris , chez Merlin , libraire
, au bas de la rue de la Harpe ;
in- 12.2 vol .
La Thériacade eſt un poëme en proſe
AVRIL. 1769. 77
& en fix chants. Diabotanus , qui en eſt
le héros , eſt un digne fils d'Efculape ; il
voyagea dans différens pays pour trouver
un remede infaillible contre toutes fortes
de maladies , & finit par donner au
public un pot d'orviétan . Alecton eſt la
grande machine du poëme ; cette furie
ſuſcite au héros beaucoup de querelles &
d'embarras; elle emploie l'amour pour le
détourner de l'étude de ſon art ; le dieu
s'empreſſe à la fervir ; il prend pour cet
effet une forme qui tient du chirurgien &
de l'apothicaire , change fon carquois en
feringue , &en fait uſage pour embrafer
de tous ſes feux le coeur de Diabotanus ;
celui- ci s'attache à la fille d'un chymiſte ;
bientôt il s'arrache à la molleſſe , retourne
à ſes travaux , & fait enfin la découverte
de l'orviétan. Le ſecond volume
contient un autre poëme , qui a quelque
liaiſon avec le précédent , & qui peut cependant
ſe lire ſéparément ; c'eſt la Diabotanogamie
, ou les noces de Diabotanus.
Le héros , érabli à Léodon ſa patrie,
y jouit de la réputation que lui a faite ſa
grande découverte; amoureux de Mirabelle
, il ſe propoſe de l'épouſer; ſes rivaux
lui oppoſent mille obſtacles ; Alecton
les ſeconde; elle craint de voir les
talens de Diabotanus ſe perpétuer dans
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
1
ſes enfans ; elle corrompt toutes les droques
de ſa boutique , & préſide à plafheurs
quiproquo qui font tort à la renommée
du héros ; il eſt forcé de quitter fa
patrie ; il voyage , &revient enfin époufer
Mirabelle ; les dieux deſcendent du
ciel , & viennent aſſiſter à ſes nôces.
Nous n'entrerons dans aucun détail fur ces
poëmes ; l'idée que nous en avons donnée
ſuffit; ony ſent trop l'effortd'un homme
qui court après la plaifanterie , pour
remplir la tâche que lui impoſe le choix
de fon ſujer.
,
Continuation de l'Histoire générale des
voyages, ou collection nouvelle 1º. des
relations de voyages par mer , découvertes
obſervations , deſcriptions
omiſes dans celles de feu M. l'abbé
Prevôt , ou publiées depuis cet ouvrage.
2 ° . Des voyages par terre , faits
dans toutes les parties du monde , contenant
ce qu'il y a de plus remarquable
&de mieux avéré dans les pays où les
voyageurs ont pénétré , touchant leur
fituation , leur étendue , leurs limites ,
leurs diviſions , leurs climats , leur terroir
, leurs productions , leurs lacs ,
leurs rivieres , leurs montagnes , leurs
mines , leurs habitations , leurs princiAVRIL.
1769 . 79
pales villes , leurs ports , leurs rades ,
&c . avec l'hiſtoire , les moeurs & les
uſages des habitans , leur religion ,
leur gouvernement , leurs arts , leurs
ſciences , leur commerce , leurs manufactures
, &c. ouvrage enrichi de
cartes géographiques nouvellement
compoſées ſur les obſervations les
plus authentiques , de plans & de
perſpectives , de figures d'animaux ,
de végétaux , habits , antiquités , & c .
A Paris , chez Panckoucke , libraire ,
rue & à côté de la comédie françoife ,
in-4°. tome XVIII , formant le premier
de la continuation .
M. l'abbé Prevôt regardoit lui-même
comme indiſpenſable la continuation de
ſon hiſtoire générale des voyages ; il a
porté ſon travailſans interruption juſqu'à
quinze volumes in 4°. La table générale
des matieres faites par M. Chompré , frere
de l'inſtituteur , forme le ſeizieme, auquel
on a joint un dix-ſeptieme compofé
de ſupplémens fur chaque livre de l'hiſtoire
des voyages , qu'on a tirés de l'édition
hollandoiſe. Le nouveau volume que
nous annonçons , commence véritablement
à ſuppléer le grand ouvrage de M.
l'abbé Prevôt ; on y trouve d'abord la def
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
cription de l'Iſlande dont il n'avoit rien
dit. Celle de l'ifle de Jean Mayen ou de
la Trinité vient enſuite ; cette iſle eſt
fituée ſous le 71 degré de latitude , à environ40
deg. de longitude occidentale du
méridien de Paris; elle tire ſon nom de
Jean Jacob May , hollandois , quila découvrit
en 1614. Après quelques mots
fur la nouvelle Zemble , on donne l'hiftoire
du Kamtschatka par la Sibérie ; c'eſt
le voyage de M. Gmelin , dont on fait
l'extrait , & fur lequel nous ne nous arrêterons
pas . Il eſt ſuivi du détail de quelques
tentatives faites par les Ruſſes pour
paffer par le Lena dans la Mer Glaciale ,
&par le nord oueſt au Kamtschatka .
La nouvelle relation que les anteurs
donnent de la Samojedie & de ſes peuples
, réunit le double avantage de contenir
des obſervations très- recentes& peu
connues en Europe. Elle faifoit partie des
mémoires envoyés à M. de Voltzire pour
fon hiſtoire de l'empire de Ruffie ſous
Pierre le Grand. Les Samojedes ne connoiffent
d'autres beſoins que ceux de la
fimple nature , c'est-à-dire, la nourriture,
l'uſage des femmes & le repos. Ils font
très- ſimples dans leur morale & dans leur
dogmes ; ils n'ont point de loix , & igno
rent juſqu'aux noms des vices & des ver
AVRIL. 1769 . 81
tus. C'eſt par l'inſtinct de la nature qu'ils
s'abſtiennent de faire du mal; chacun a
ſes femines en propre ,& aucun ne contracte
jamais de mariage avec une fille
qui deſcend comme lui d'une même familleà
quelque degré d'éloignement que
ce foit. Ils ne prennent ſoin de leurs enfans
que juſqu'à ce qu'ils foient parvenus
à l'âge où ils peuvent pourvoir ſeuls à
leur ſubſiſtance. Ces uſages qu'ils ſuivent
religieuſement entr'eux font les fruits
d'une tradition qu'ils ont reçue de leurs
ancêtres. « On ne trouve pas qu'elle leur
>> défende d'aſſaſſiner , de voler ou de ſe
> mettre par la force en poſſeſſion des fil-
>> les & des femmes d'autrui. Cependant
» s'il faut en croire ces bonnes gens qui
>>paroiffent trop ſimples pour ſe dégui-
» ſer , il eſt bien peu d'exemples que de
>>pareils crimes ayent été commis parmi
- eux. Quand on leur demande rai-
>> ſon d'une ſemblable retenue , ils
» avouent eux mêmes qu'ils ne connoif-
>> ſent aucun principe qui dût les détour-
>> ner de ces actions , ils répondent tout
>> ſimplement qu'il eſt ailé à chacun de
>>pourvoir à ſes beſoins , &qu'il n'eſt pas
> bon de s'approprier ce qui appartient à
>> un autre. Pour le meurtre , ilsne com
Dv
82 MERCURE DE FRANCE .
>> prennent pas comment un homme peut
>> s'aviſer de tuer un de ſes ſemblables.
» A l'égard des femmes, ils penſent que
>>celle qu'ils ont la commodité d'ache-
>> ter à fort peu de frais , peut auffi bien
>> contenter leurs defirs naturels qu'une
>>' autre qu'ils trouveroient plus à leur gré,
>> mais qu'ils ne pourroient poſſeder que
» par la violence, »
Les Samojedes , quoi qu'on en ait dit ,
n'ont ni princes , ni juges , ni maîtres. Ils
payent ſans répugnance le tribut qui leur
eſt impoſé en fourrures par les Ruſſes ſans
connoître d'autre ſujetion; ils ſe ſoumertent
à ce payement parce qu'ils ont vu
leurs peres pratiquer la même chofe , &
parce qu'ils ſçavent qu'en cas de refus on
fçauroit bien les y forcer. Leur apathie
eſt extrême ; l'auteur de cette relation en
rapporte un exemple fingulier. « Je fis ,
>> dit - il , un jour affembler dans une
>> chambre pluſieurs Samojedes des deux
>> ſexes pour les examiner de plus près.
>>Mais quoique j'euſſe laiſſe ſur la table
>> de l'argent , des fruits & des liqueurs
>> fortes ,dont je leur avois fait goûter , &
>>tout ce que je pus imaginerdeplus.pro-
>> pre à tenter leurs defirs ; quoique j'euſſe
» même abandonné la chambre à leurdif.
AVRIL. 1769 . 83
>> crétion , ayant fait retirer mes domeſti-
>> ques ,& m'étant retiré moi-même dans
>> un coin , d'où je pouvois les obſerver
» ſans en être vu , ils ne fortirent point
>> de leur indifférence; ils reſterent tran-
» quillement aſſis par terre , les jambes
>>croiſées , ſans toucher à la moindre cho-
>> ſe. Il n'y eut que les miroirs qui leur
>>cauſerent d'abord une forte de ſurpriſe ;
>> mais un moment après ils ne paroif-
>>foient plusy faire attention.>>>
L'extrait du voyage de M. de l'Ifſle à
Berefow en Sibérie , dans l'année 1740 ,
pour obſerver le paſſage de Mercure fur
le diſque du Soleil , & le journal de M.
Kænigsfeld qui accompagnoit cet académicien
, terminent ce volume , qui n'eſt
point au - deſſous des précédens . On ne
peut qu'exhorter les continuateurs à pourfuivre
leurs recherches & leur travail.
Médecine de l'Esprit, où l'on cherche 1º.le
méchaniſme du corps qui influe ſur les
fonctions de l'ame. 2°. Les cauſes phyſiques
qui rendent ce méchaniſme ou
défectueux ou plus parfait. 3°. Les
moyens qui peuvent l'entretenir dans
fon état libre , & le rectifier lorſqu'il
eſt gêné. Par M. le Camus , docteur
:
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
régen: de la faculté de médecine en
l'univerſité de Paris , ancien profeſ. des
écoles , aggrégé honor. du collége royal
des médecins de Nancy , membre des
académies royales d'Amiens, de la Rochelle&
de la ſociété littéraire de Châlons-
fur-Marne. Nouvelle édition revue
, corrigée & augmentée.A Paris ,
chez Ganeau , libraire , rue St Severin
près l'églife , aux armes de Dombes &
à St Louis , 2 vol . in 12.
M. le Camus a preſque entierement
refondu fon ouvrage dans cette nouvelle
édition ; il ne borne pas l'objet de la médecine
aux vices du corps , il l'étend encore
à ceux de l'eſprit; il eſſaye de découvrir
les moyens propres à entretenir
le commerce le plus exact entre l'ame &
le corps; c'eſt aſſurément une belle entrepriſe
& digne des recherches des hommes
éclairés. Il diviſe ſa médecine de
l'eſprit en trois livres. Dans le premier il
fait voir que les fonctions de l'entendement&
les refforts de la volonté font
méchaniques ; il réduit à des idées trèsfimples
& phyſiques , ces diſcuſſions abftraites
, que les métaphyſiciens ont fi
long - tems obfcurcies. Il y a des cauſes
générales qui influent ſur les eſprits; elles
AVRIL. 1769. 85
font matérielles , & forcent l'ame & le
corps à exercer des fonctions conformes
à leur nature ; la connoiſſance de ces cauſes
& l'explication de la maniere dont
elles influent ſur l'homme,ſont l'objet du
ſecond livre. Elles conſiſtent dans la génération
, la différence des ſexes , les climats
, les tempéramens , l'éducation
le régime de vie , l'âge , la ſanté , la maladie.
Ces deux livres prouvent que les
défauts des opérations de l'entendement
&de la volonté , ces deux puiſſances de
l'ame , dépendent des vices de l'organiſation;
les cauſes phyſiques de ces vices
font développées; elles peuvent ſervir à
les détruire ; les détails des moyens rempliffent
le troifiéme livre. M. le Camus
ne ſe diſſimule pas les objections qu'on
peut faire contre ſon ſyſteme. Mais ,
>> dira - t- on , penſez- vous de bonne foi
>> faire un homme d'eſprit d'un ſtupide ?
>> Oui , nous le croyons. Modifiez d'a-
>> bord différemment ſes organes , enſuite
>> inſtruiſez- le , &donnez lui les mêmes
>> ſoins que vous apporteriez aux perfon-
» nes qui jouiroient des meilleures dif-
>>poſitions. Que les changemens arrivés
>> aux organes puiſſent procurer des chan-
>gemens ſi étonnans dans l'ame , c'eſt
>>une choſe que l'expérience confirme.
86 MERCURE DE FRANCE.
>>Nous en rapporterons quelques exem-
>>ples des plus ſenſibles avant d'entrer en
>> matiere. » Ces exemples font finguliers
en effet ; c'eſt unjeune homme trèsdiſgracié
de la nature du côté de l'eſprit ,
qu'on avoit fait moine , parce qu'il n'étoit
capable de rien , qui , ayant fait
une chûte violente , devint tout à- coup
très - intelligent & fut un des plus grands
hommes de ſon ſiécle; c'eſt une femme
qu'aucun remede n'avoit pu guérir de la
folie , qui ſe jetra par la fenêtre , & parut
enfuite plus ſage qu'elle ne l'avoit jamais
été; c'eſt le Pape Clément VII qui , diton
, devoit fa mémoire prodigieuſe à une
bleſſure qu'il avoit eue à la tête , &c. M.
le Camus ne propoſe pas des remedes ſi
violens , il ne cite ces exemples que pour
détruire l'idée d'impoſſibilité qui poursoit
naître contre ſon ſyſteme ; mais ils
ne la détruiſent pas ; des cas extraordinaires
ne font jamais cités pour des preuves.
Son ſyſtème eſt très- ingénieux , ſes
raiſonnemens adroits ; mais il les pouffe
trop loin ; la nature a fixé des bornes qu'il
ne faut point paffer. Ses remedes guériront
bien quelques altérations qui ſe feront
faites dans l'organiſation ; mais ils ſeront
fans effets lorſque le dérangement ſera
conſidérable; dureſte ſon livre mérite de
AVRIL. 1769 . 87
juſtes éloges , on le lit avec plaifir & avec
fruit.
Abrégé chronologique de l'histoire générale
d'Italie , depuis la chûte de l'Empire
Romain en Occident , c'est- à- dire depuis
l'an 476 de l'Ere chrétienne jufqu'au
traité d'Aix- la-Chapelleen 1748 ;
par M. de Saint - Marc , de l'académie
de la Rochelle. A Paris , chez Jean-
Thomas Hériſſant fils , libraire , rue St
Jacques , à St Paul & à St Hilaire ; in-
8°. tome V.
Le tome troifiéme de cet abregé chronologique
de l'hiſtoire générale de l'Italie
a paru en 1764 , il étoit diviſé en deux
parties qui contenoient chacune plus de
680 pages , & qui forment le troifiéme &
le quatriéme volume de cet ouvrage intéreſſant
; le cinquième que nous annonçons
n'eſt pas inférieur aux précédens; il
commence à l'an 1138 après la mort de
Lothaire II . L'époque que l'auteur parcourt
finit en 1254; il préſente l'Italie
ſous la domination de fix princes de la
maiſon de Souabe , dont trois furent empereurs
, & d'un prince de la maiſon de
Welf- Eſte , c'est - à- dire de Brunswick
qui monta auſſi ſur le trône impérial. On
88 MERCURE DE FRANCE.
vouloit faire entrer toute cette époque
dans ce volume ; mais l'abondance des
matieres ne l'a pas permis , quoiqu'on ait
employé un caractere un peu au- deſſous
de celui dont on s'eſt ſervi dans les premiers.
M. de Saint Marc en conféquence
s'eſt arrêté au moment où Frederic II eſt
couronné empereur à Rome en 1220. Il
n'a pas voulu couper l'hiſtoire de l'empire
de ce prince qui eſt la partie la plus curieuſe
& la plus intéreſſante de l'époque
qu'il décrit ; elle commencera le fixiéme
volume ; elle ne peut qu'être attendue
avec impatience par ceux qui ont vu la
maniere dont l'auteur a déjà traité la ſcandaleuſe
querelle des inveſtitures : les querelles
de Fréderic avec les Papes ne font
pas moins curieuſes ; peu d'hommes ſont
en état de les préſenter comme M. de St
Marc; il ſçait être vrai,&conſerver toujours
la décence & les ménagemens né
ceſſaires dans toutes les difcuffions délicates.
Son cinquiéme volume offre les
mêmes recherches , la même profondeur ,
la même critique que les quatre premiers .
Histoire générale de l'Amérique depuisfa
découverte ; qui comprend l'hiſtoire
naturelle , eccléſiaſtique , militaire ,
morale & civile des contrées de cette
AVRIL. 1769. 8,
grande partie du monde ; par le R. P.
Touron , de l'ordre des Freres Prêcheurs.
A Paris , chez Jean - Thomas
Heriſſant , fils , rue Saint-Jacques , à St
Paul & à St Hilaire , 8 vol. in- 12.
Cette hiſtoire générale comprend ſeulement
les pays conquis & poſſédés par
les Eſpagnols dans l'Amérique méridionale
& feptentrionale ; le principal objet
de l'auteur eſt de préſenter l'établiſſement
& les progrès de la foi dans ces contrées ;
c'eſt une partie de l'hiſtoire eccléſiaſtique
qui nous manquoit encore. Les miffionnaires
ont fourni beaucoup de dérails à co
fujet; mais ils font épars dans divers ouvrages
& n'offrent ni fuite , ni liaiſons .
Ces miffionnaires écrivoient ordinairement
ſur les lieux , les relations de leurs
travaux apoftoliques , & les envoyoient à
leurs ſupérieurs qui , après s'être aſſurés de
la vérité des faits , chargeoient quelques
perſonnes inſtruites de comparer ces relations
& de les fondre en une ſeule qu'on
envoyoit à Rome , où elle étoit confervée
avec ſoin dans les archives ; c'eſt dans
ces ſources qu'ont puiſé les auteurs qui
ont écrit ſur l'Amérique . Le P. Touron a
eu le courage de compulſer ces différentes
productions , & fur - tout ces actes &
৩০ MERCURE DE FRANCE.
ces relations déposés dans les archives&
les bibliothéques de Rome , d'Eſpagne &
de France . Il eſt parvenu à raſſembler des
matériaux fuffiſans pour former un corps
d'hiſtoire ſuivi & le plus complet que
nous ayons. La découverte de l'Amérique
, les conquêtes & les établiſſemens
des Européens font néceſſairement liés
avec la prédication de la religion dans
cette partie du monde ; l'auteur s'étend
fur ces détails dans les quatre premiers
volumes de fon ouvrage; ils font une efpéce
d'introduction à l'hiſtoire eccléſiaſtique.
Les travaux apoftoliques des miffionnaires
offrent une infinité de faits variés ,
intéreſſans & curieux ; on eſt étonné de
voir un ou deux hommes ſans autres armes
que celles de la priere , du jeûne &
de la parole , venir à bout par leur patience&
leur douceur de policer & de réunir
en ſociétés des hommes féroces qui vivoient
épars dans des cavernes , dans les
forêts & fur les montagnes , de les foumettre
non ſeulement au joug de l'évangile,
mais à la domination eſpagnole , tan.
dis que des armées victorieuſes n'avoient
puparvenir à les ſubjuguer .
OEuvres mêlées de Madame de Montegut ,
maîtreffe des jeux Horaux , recueillies
AVRIL. 1769. 91
par M. de Montegut ſon fils , conſeiller
au parlement de Toulouſe , de l'académie
royale des ſciences , infcriptions
& belles lettres de la même ville,
de celle des jeux floraux , & de la ſociété
royale d'agriculture de Limoges.
A Paris , chez Deſaint , rue du Foin St
Jacques ; Barbou , rue des Mathurins ,
& à Villefranche de Rouergue , chez
Vedeilhié , in- 8 °. 2 volumes.
Madame de Montegut naquit à Toulouſe
le 25 Octobre 1709. Après avoir
remporté trois prix à l'académie des jeux
Aoraux , elle y fut reçue & y prit ſéance à
côté de Mademoiselle de Catellan ; ces
deux Dames ſont les ſeules qui ayent obtenu
cet honneur depuis la fondation de
cette académie. Ses poëſies offrent beaucoup
de naturel& de facilité. Nous rapporterons
quelques ſtrophes de ſon ode ,
intitulée le Printems, couronnée en 1741 .
On y peint la nature renaiſſante .
Telle dans l'heureux tems de l'enfance du monde ,
Elle parut , ſortant des horreurs du chaos ,
Lorſque du Dieu des dieux la parote féconde
Sépara la terre des flots .
Ouvrant de l'Orient l'immortelle barriere ,
L'épouſe de Titon montra ſon front vermeil ,
92
MERCURE DE FRANCE.
Et de roſes au loin parfémant ſa carriere ,
Devança les pas du ſoleil .
Les arbres auſſi- tôt élevant leurs feuillages ,
Oppoſerent leur ombre à ſes rayons perçans ;
Et l'humide fraîcheur, dans le fonddes boccages,
Conſerva les gazons naiſlans.
On trouve dans ce recueil des odes ,
des épîtres , des élégies , des églogues ; il
y en a quelques-unesde ces dernieres qui
font imitées de Théocrite , d'autres traduites
de Pope. Madame de Montegut
ſçavoit très-bien pluſieurs langues vivantes
, & poffédoit ſupérieurement le latin ;
le ſecond volume de ſes poëſies contient
ſa traduction des odes d'Horace ; on a mis
le texte à côté. Par- tout elle a ſaiſi le ſens
de ſon auteur ; & ſa verſion eſt eſtimable,
quoiqu'elle foit ſouvent négligée. Nous
citerons celle- ci .
Mufis amicus , triftitiam &metus
Tradam protervis in mare Creticum
Portare ventis : quisfub Arcto
Rexgelida metuatur ore ;
Quid Tiridatem terreat , unicè
Securus ? O ! quæ fontibus integris
Gaudes , apricos nette flores ,
Nette meo Lamiæ coronam ,
AVRIL . 1769 . 93
Pimplea dulcis. Nilfine te mei
Poffunt honores : huncfidibus novis,
Hunc Lesbio facrare plectro ,
Teque tuaſque decetforores .
Chéri des muſes que j'adore ,
Je livre aux vents ſéditieux
La crainte , les ſoucis affreux
Pour les porter ſur le boſphore.
Qu'ai - je à faire qu'un puiſſant Roi
Se fafle redouter ſous l'ourſe ?
Que Tiridate dans ſa courſe ,
Soit frappé d'un ſoudain effroi ?
O vous , qui près d'une onde pure ,
Aimez à verſer vos faveurs ,
Muſe aimable , je vous conjure ,
Cueillez pour moi de tendres fleurs
Compoſez-en une couronne
Digne de mon cher Lamia.
Votre préſence embellira
La fête qu'un ami lui donne.
Qu'avec vous , par des ſons nouveaux ,
Vos foeurs conſacrent ſa mémoire
Et chantent des vers à ſa gloire ,
Dignes du chantre de Lesbos .
C'eſt ainſi que Madame de Montegut
rend ce diſcours de Regulus dans la cinquiéme
ode du troiſiéme livre.
94
MERCURE DE FRANCE.
..... Signa ego Punicis
Affixa delubris & arma
Militibusfine cæde , dixit , & c .
J'ai vu , dit-il , aux murs nos aigles attachées ,
Orner de toutes parts les temples Africains ;
J'ai vu chez leurs ſoldats ces armes qu'aux Romains
Sans combat ils ont arrachées :
J'ai vu nos citoyens , nés pour la liberté ,
Pour prix de leur foibleſſe & de leur lâcheté ,
Traînant dans les cachots une peſante chaîne.
L'ennemi, pour ſes murs, ne craint plus de danges,
Et cultive en paix cette plaine
Quenous avions ſou ravager.
Penſez-vous qu'au ſortir d'un pénible eſclavage ,
Et des fers d'un barbare à grands frais rachetés ,
Ade nouveaux combats ces coeurs épouvantés
Apporteront plus de courage ?
Non , non , vous ajoutez la perte au deshonneur.
La laine ne ſçauroit retrouver ſa blancheur,
Quand d'une autre couleur elle a reçu l'empreinte.
L'opprobre dans une ame étouffe la vertu.
Dans un coeur glacé par la crainte ,
Jamais l'honneur n'a reparu.
On a joint aux poësies de Madame de
Montegut quelques - unes de ſes lettres ;
elles peignent foname, & font également
AVRIL. 1769 . 95
honneur à ſon coeur & à fon eſprit ; elle
tiendra toujours un rang diftingué parmi
les femmes qui ſe ſont illuſtrées dans les
lettres.
Eſſai de Physique , en forme de lettres , à
l'uſage des jeunes perſonnes de l'un &
de l'autre ſexe ; augmenté d'une lettre
fur l'aimant , de reflexions fur l'électricité
, & d'un petit traité ſur le planetaire
. A Paris , chez Hériſſant , fils ,
libraire , rue St Jacques , in- 12.584 p .
Leslettresquicompoſentce volume font
le fruit desleçons de M. l'abbé Nollet& de
M. de Lor ; l'auteur nous prévient qu'elles
étoient adreſſées à un ami qui en a fouhaité
la publication. C'eſt un petit cours
de phyſique très - ſimple , très - clair ,
très - facile , qui peut ſervir à en donner
une idée aux jeunes gens de l'un & de
l'autre ſexe. On fait connoître les corps ,
leur poroſité , leurs figures , leur mouvement
: la pefanteur de ces mêmes corps
conduit à des détails ſur la méchanique ;
après ces obfervations générales , l'auteur
parcourt les liquides &les ſolides , & s'arrête
ſur les différens phenomenes qu'ils
produiſent ; il rend compte à ce ſujet des
expériences les plus curieuſes. La derniere
96 MERCURE DE FRANCE.
de ſes lettres traite de l'aimant; elle eſt
ſuivie d'un diſcours ſur l'électricité , ſelon
le ſyſtême de M. Franklin , adopté par
M. de Lor. L'ouvrage eſt terminé par un
abregé de la ſphère céleste; il eſt diviſé
en ſept chapitres précédés d'une introduction.
L'auteur commence par préſenter
l'origine des noms donnés aux aftres ; il
entre enſuite dans le détaildu ſyſtême de
Ptolomée& de celui de Copernic ; il explique
la cauſe des éclipſes. Ce chapitre
auroit dû peut - être ſuivre ceux qui trairent
des planetes , des étoiles & des cometes
qui viennent après , & qui font les
derniers de cet abregé. Nous ne nous arrêterons
pas fur cet ouvrage qui remplit le
but que l'auteur s'eſt propoſé , & qui ne
peut qu'être très utile aux jeunes gens.
Effai philofophique fur l'établiſſement des
Ecoles gratuites de deſſin pour les arts
méchaniques ; par M. de Rozoi . A Paris
, de l'imprimerie de Quillau , rue
du Fouarre ; & chez Leſclapart , libraire
, rue de la Barrillerie , près les Barnabites
, in- 8 ° . 128 pag .
Il s'eſt trouvé des hommes qui ont voulu
jetter des doutes ſur l'utilitédes écoles
gratuites de deſſin ; on a répondu à leurs
réflexions
: AVRIL. 1769 . 97
:
réflexions & à leurs critiques ; il ne manquoit
peut être à ces différentes réponſes
que de raſſembler ſous un même point de
vue tout ce qui peut convaincre des avantages
de cet établiſſement , & c'eſt ce que
M. de Rozoi a entrepris dans cet effai
philofophique. Les ouvriers , inſtruits
dans ces écoles , prendront le goût des artiſtes
qui les éleveront , & donneront à
leurs ouvrages l'élégance & la délicateſſe
qui caractériſent les productions françoiſes,
on ne leur recommandera point le
goût des arts , ſans leur impoſer en même
tems les devoirs d'une honnêteté aimable
, d'une décence cultivée , d'une affiduité
heureuſe à leurs études ; on leur
inſpirera encore le ſentiment de cet orgueil
permis qui nous fait attacher un prix
à l'opinion que les autres ont de nous.
• Tous les trois mois , dans chaque exer-
>> cice des trois genres d'étude , il y aura
> un concours pour le prix dans lequel
> on n'admettra que les deſſins faits dans
» les écoles mêmes ; il y aura chaque an-
>> née encore , un concours pour les grands
>>prix entre les éleves de tous les exerci-
>> ces d'un même genre , qui auront rem-
>>porté les premiers prix de leurs claſſes.
• Ces grands prix feront diſtribués dans
11. Vol.
E
98 MERCURE DE FRANCE.
i
>> une ſéance publique du bureau d'admi-
>> niſtration ; ceux qui les remporteront
>> auront droit de concourir aux prix des
>> douze maîtriſes & des douze apprentif-
>> ſages , dont feront gratifiés chaque an-
» née ceux qui , après s'être diftingués
>> dans les concours annuels , couronne-
>> ront leurs travaux par ce dernier triom-
>> phe , auffi utile que glorieux. Le prix
>> de ces maîtriſes &de ces apprentiſſages
>> ſera remis aux bureaux des métiers par
>> celui de l'adminiſtration. Quel établiſ-
>> ſement ? eh , quelle ame aſſez infenfi-
>> ble pour n'être point attendrie en cal-
>> culant ſes avantages ! » A la ſuite de
cet ouvrage on trouve des vers préſentés
à M. de Sartine le lendemain de la diftribution
des prix pour les arts méchaniques
, au palais des tuileries. Nous en
citerons quelques-uns.
-f
Déjà cette aimable jeuneſle
En filence forme des rangs ;
L'eſpérance & ſa douce ivreſſe
Fait palpiter leurs coeurs impatiens .
Quel miniſtre par ſa préſence
A leur triomphe encor vient ajouter un prix ,
Saint-Florentin , Sartine , noms chéris !
Pour les bénir un choeur de voix s'élance :
Heureux enfans , vous êtes attendris ;
AVRIL. وو . 1769
Uniflez vos tranſports... ah ! la reconnoiſſance ,
Dans un tel jour , n'a pour voix que les cris.
Cette brochure eſt terminée par les reglemens
de l'école royale gratuite de deffin;
c'eſt la ſageſſe même qui les a dictés .
Anecdotes Angloiſes , depuis l'établiſſement
de la monarchie juſqu'au règne
de Georges III ; à Paris chez Vincent,
imprimeur-libraire , rue S. Séverin ,
in- 8°. 720 pages.
Cet ouvrage préſente dans un ordre
chronologique ce que l'hiſtoire d'Angleterre
, d'Ecoffe & d'Irlande contiennent
de plus piquant ; il en fait connoître les
rois , les héros , les grands hommes , les
uſages finguliers, les moeurs particulieres,
les grandes révolutions & leurs cauſes
ſecrettes ; c'eſt un recueil de traits intéreſſans
qu'il feroit honteux d'ignorer ;
ceux qui craignent les longues lectures ,
&qui,ne s'embarraſſant pas de faire une
étude de l'Hiſtoire d'une nation , veulent
cependant en avoir une idée , liront ces
anecdotes avec plaiſir; elles font faites
dans le goût de celles que le même libraire
a publiées depuis peu ſur l'hiſtoire
de France , & dont il débite actuelle
E ij
100 MERCURE DE FRANCE .
ment une troiſième édition , il annonce
une ſuite de volumes qui offriront un
petit précis hiſtorique de tout ce que les
autres nations de la terre renferment de
plus intéreſſant ; ils auront ſans doute le
même ſuccès , ſi les auteurs apportent le
même ſoin & le même choix dans leur
travail.
Idée générale de l'Astronomie , ouvrage à
la portée de tout le monde; par M.
l'Abbé Dicquemare , avec vingt quatre
planches en taille-douce & cette
épigraphe : Cæli enarrant gloriam Dei ,
PS. 18. A Paris , chez Hériſſant , fils ,
libraire , rue St Jacques , in-8° . 114 p.
Cet ouvrage n'eſt ni un traité , ni un
cours , ni même des élémens d'aſtrongmie
; on s'eſt propoſé ſimplement de donner
une idée générale de cette ſcience ;
on la deſtine aux perfonnes qui n'en ont
encore aucune teinture , & auxquelles il
importe cependant d'en avoir quelque
connoiffance ; tels font les jeunes gens
qui veulent entrer dans la marine; tels
font auffi ceux qui , ayant reçu une éducation
foible ou tardive , ſe trouvent cependant
obligés par état de préſider à
celle des autres ; les perſonnes même du
AVRIL. 1769. 101
ſexe peuvent lire cet ouvrage ; l'auteur a
eu ſoin d'expliquer ſur le champ les termes
quine font pas à la portée de tout le
monde ; il abandonne le langage des aftronomes
pour ſe faire entendre plus aifément
des lecteurs pour lesquels il a
écrit; fon livre peut donner réellement
une idée de l'aſtronomie , & inſpirer le
goût d'une étude plus profonde que cette
lecture pourra faciliter.
Thomire , tragédie; par M. le chevalier
de Laurés. A Paris , chez Robert , libraire
, quai de Gêvres , à la Victoire,
in-8°. 92 pag.
Cette tragédie , écrite avec chaleur ,
offre des caracteres fortement deſſinés &
des ſituations intéreſlantes ; quand on la
compare avec la plupart des drames qui
obtiennent tous les jours les honneurs
dangereux de la repréſentation , on s'étonne
des obſtacles que M. le chevalier
de Laurés a eſſuyés ; on en cherche en
vaindes motifs raisonnables ; il appelle
du refus de ſes premiers juges ; le Public
reſpecte rarement leurs arrêts ; celui - ci
n'eſt pas le premier qu'il ait caffé , ce ne
fera vraiſemblablement pas le dernier ;
mais l'impreſſion ne vengera pas toujours
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
les auteurs dramatiques comme elle ven
ge M. le chevalier de Laurés. Le ſujetde
ſa tragédie mettra nos lecteurs en étatde
décider de l'intérêt dont elle eſt remplie.
L'ambitieuſe Antéone , ſeconde femme
de Thoas , avoit fait périr Meléagre
fon beau- frere qui , en mourant, laiffa fa
fille Thomire ſous la tutele de Thoas.
Depoſitaire de la couronne d'Etolie , celui
-ci ſepropoſoit de lareſtitueral'héritiere
auſſi tôt que l'âge l'auroit rendue capable
de la porter ; il ne s'occupa que du ſoin
de conſerver le dépôt qui lui étoit confié ;
il le défendit contre les entrepriſes de
Nauplius , roi d'Eubée ; il perdit Phanos
fon fils qu'il avoit eu d'un premier hymen
, & que ce tyran fit périr ; il ne voulut
point s'en venger ſur Amenor qui devoit
le jour à Nauplius ,&qui étoit entre
fes mains; il ſe contenta de le garder
pour ôtage. Bientôt il fut obligéde marcher
contre Troye avec les autres princes
Grecs ; il laiſſa à ſon épouſe le dépôt de
l'état en lui impoſant la loi de le rendre
à ſa niéce ; elle s'y engagea par les fermens
les plus ſacrés , réſolue de n'en garder
aucun. La durée du fiége de Troye
prolonge l'abſence de Thoas ; on ignore
ce qu'il eſt devenu ; Antéone s'eſt accoutumée
à regner ; elle a pris toutes les me
AVRIL. 1769. 103
fures convenables pour ne point defcendre
du trône ; elle veut faire monter
Thomire fur celui d'Eubée en l'uniſſant
avec Amenor qui eſt toujours en ôtage
dans ſa cour ; elle eſpére par ce moyen
défarmer Nauplius qui menace encore
l'Etolie. Thomire ne peut ſe réſoudre à
recevoir un époux de la main de l'ufurpatrice
de ſes états ; elle n'ignore pas
qu'Antéone a fait mourir fon pere ; Amenor
, que ſon coeur a choiſi , ne peut fe
rendre digne de ſon hymen qu'en la vengeant.
Pendant que l'amour , l'ambition & la
vengeance diviſent cette cour, Antéone
reçoitune lettre de Thoas qui lui apprend
fon retour prochain. Troye n'eſt plus ; il
eſt entré dans les états de Nauplius , a
puni ce tyran , l'a fait périr ſur un échaffaut;
il a retrouvé ſon fils qu'il croyoit
mort ; rien ne manqueroit à ſa félicité , ſi
ſon épouſe avoit rempli ſes devoirs à
l'égard de Thomire. Cette lettre accable
Antéone ; Pharſame , le miniſtre de ſon
ambition , le complice de ſes crimes , ſe
charge de diffiper l'orage ; il eſt maître
des troupes d'Etolie , elles le ſerviront ;
mais il veut auparavant employer d'autres
moyens ; il ne doute point qu'Ame-
A
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
nor , inftruit de la maniere affreuſe dont
Nauplius vient de périr , ne cherche à le
venger; il remplit de fureurs l'ame de ce
jeune prince , & lui montre la lettre de
Thoas. Amenor n'écoute plus que ſa douleur&
ce qu'il croit fon devoir.
Thoas arrive dans ces circonstances ; il
voit de tous côtés des revoltes & des trahiſons;
la crainted'expoſer ſon fils ne lui
permet pas de le faire connoître ; ce fils
n'eſt autre qu'Amenor ; le barbare Nauplius
ayant perdu le ſien , fit croire qu'il
avoir égorgé Phanos ,& le remit àThoas
ſous le nom d'Amenor , dans l'eſpérance
que, ſon ennemi trompé , commettroit
un parricide en croyant ſe venger ; la générosité
de Thoas l'a ſauvé de ce crime
affreux ; mais les deſſeins de Nauplius
ſont près d'avoir un effet auſſi terrible .
Amenor leve le fer fur Thoas ; l'arrivée
de Thomire ſuſpend le coup, le complice
de la Reine s'empreſſe de le déſarmer
pour détourner les foupçons loin de lui .
Le malheureux Thoas eſt accablé ; ſes ennemis
ont tourné les premiers pas de fon
fils vers le crime ; il cherche à le ramener
à la vertu; ſes remords le conſoleront ; il
eſt bientôt inſtruit de l'erreur qui avoit
armé ſes mains ; il voit Thomire elle
AVRI L. 1769. 105
même s'humilier devant lui pour implo.
rer la grace d'Amenor; il ne peut foute.
nir cet abbaiſſement de ſaReine ; il tombe
à ſes pieds en lui diſant qu'elle ſeule
peut faire juſtice ou grace , & la conjure
de pardonner à fon fils ; il ne craint plus
de l'avouer ; Amenor vole dans ſes bras ;
Thomire partage les tranſports du pere
&du fils ; ils font interrompus par les
cris des ſéditieux ; Anteone confſpire ;
Thoas va combattre , fon fils le fuit. Ici
la piéce marche vers le dénouement; l'autaur
le recule avec beaucoup d'art; il menage
l'intérêt qui va toujours en croiffant;
la fiere Antéone ſe croit juſqu'au dernier
moment füredefon triomphe, elle faitſentir
àThomire fon orgueil& fa joie. Elle
déceletoute l'atrocité de ſon ame; Thoas
& Amenor reviennent vainqueurs ; les
rebelles font foumis , Thomire eſt Reine,
Antéone ſedonne la mort.
L'extrait d'une pièce de théâtre n'en
préſente ordinairement que le ſquelette ,
&en laiſſe entrevoir feulement les ſituations;
pour la bien apprécier il faut la lire
toute entiere ; nous exhortons nos lecteurs
à voir celle ci ; le précis que nous
donnons de ſa fable annonce beaucoup
d'intérêt. On verra avec quel art l'auteur
Ev
106 MERCURE DE FRANCE .
!
a ſçu le ménager ; la verſification en eſt
exacte , élégante & remplie de chaleur.
Nous en citerons deux morceaux . Thoas a
vu ſon fils armé contre ſes jours ; il ſçait
que ſon épouſe conſpire ; les événemens
font incertains;ilparle ainſià unami fidéle.
Je veux que les remords d'un fils déſabuſé
Eclairent des complots que j'ai trop lieu de craindre.
Qu'ilm'a fallutantôt d'effort pour me contraindre
Pour arrêter mon coeur qui crioit à mon fils ,
Ami , ſon nom encor trompe nos ennemis ;
J'eſpére tout des Dieux , j'implore leur juſtice ;
Mais s'ils veulent enfin qu'aujourd'hui je périſſe ,
Amon fils malheureux il ne reſte que toi.
Prends ſoinde cedépôt que je laiſſe à ta foi ,
Dérobe à mes bourreaux cette tendre victime ;
Hélas ! ils ont tourné ſes premiers pas au crime ;
Leur art infidieux à ſon oeil prévenu ,
Afait du meurtre infâme un acte de vertu ;
C'eſt mon eſpoir , du moins il adoucit ma peine.
Thoas ayant fait amener devant lui
Amenor qui ſe croit fils de Nauplius , &
qui s'étonne que ſa mort ſoit différée , lui
répond :
Un coeur nourri de fiel , un coeur de ſang avide,
Qui prend pour Dicu la haine &pour loi l'homicide,
AVRIL. 1769. 107
Untraître qui ſe venge en flétriſſant ſon bras ,
Et qui n'oſe tenter que des aſſaſſinats ,
S'étonne d'un effort qu'il ne ſçauroit comprendre ;
Mais il eſt d'autres loix , il eſt un Dieu plus tendre ,
La nature . ſes noeuds auſſi doux que ſecrets
Excitent la pitié , l'arme des plus beaux traits ;
Elle excuſe , elle plaint le coupable qu'elle aime ,
Et dans notre ennemi voit un autre nous - même.
..
Hiftoire anecdotique & raiſonnée du théâtre
italien & de l'opéra comique , depuis
ſon rétabliſſement en France juſqu'à
l'année 1769.9 vol . in 12. Prix reliés
22 liv. 10 f. A Paris , chez Lacombe ,
libraire , rue Chriſtine.
Nous avons annoncé déjà cet ouvrage
intéreſſant & curieux qui mérite que nous
entrions dans quelques détails. La comédie
italienne a ſubi pluſieurs révolutions
en France; elle ſembla d'abord ne faire
qu'y voyager avant de s'y établir tout-àfait;
les premiers acteurs qui vinrent à
Paris furent connus ſous ladénomination
de Gelofi. Henri III en appella une troupe
à ſa cour qui joua pendant la tenue des
états de Blois , & continua enſuite ſes
repréſentations ſur le théâtre du Petit
Bourbon , que le parlement fit ferimer &
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
qui rouvrit trois mois après par un ordre
exprès du Roi. Les troubles du royaume
forcerent bientôt cette troupe à repaſſer
les monts ; il en vint une ſeconde en
1584 , & une troifiéme en 1588. Elles ne
firent pour ainſi dire que paſſer. Henti IV
en amena une quatrième de Piémont
qui s'en retourna deux ans après; celle
que Louis XIII appella ne reſta qu'une
année en France; le cardinal Mazarin en
fit venir une qui ne réuſſit point; celle
qui lui fuccéda ne futpas plus heureuſe ,
puiſqu'elle fut fupprimée peu de tems
après. Enfin il en vint une nouvelle qui
Joua d'abord alternativement avec les comédiens
françois ſur le théâtre de l'hôtel
de Bourgogne , enſuite fur celui du petit
Bourbon avec la troupe de Moliere , elle
paſſa après cela fur celui du Palais Royal
qu'elle partagea avec l'opéra juſqu'à la
séunion des deux troupes françoiſes ,
qu'elle ſe trouva maîtreſſe du théâtre de
Thôtel de Bourgogne qui fut encore fermé
en 1697. Dix neuf ans après , M. le
duc d'Orléans , régent de France , voulut
avoir des comédiens italiens ; en attendant
que la ſalle de l'hôtel de Bourgogne
fur prête , ils repréſenterent dans celledu
PalaisRoyalavecl'opéra. Ils font établis en
AVRIL. 1769. 109
France depuis ce tems. La premiere piéce
qu'ils donnerent fut l'Ingannofortunato;
leur premier regiſtre qui le prouve, commence
par ces mots : Au nom de Dieu ,
de la ViergeMarie , de Saint François de
Paul& des Ames du Purgatoire , nous
avons commencé ce 18 Mai 1716 par
L'INGANNO FORTUNATO . C'eſt à cette
époque que commence l'hiſtoire que nous
annonçons. Les comédiens italiens ne
réunirent pas fur le champ tous les fuffrages;
ils profiterent des critiques juſtes ;
Riccoboni dit Lelio , étoit à la tête de la
troupe ; il jouoit avec tant de naturel &
d'intelligence avec ſa femme Flaminia
Baletti , que les ennemis du nouveau
théâtre , & fur- tout les comédiens françois
ne pouvant prendre d'autre vengeance
, publierent qu'il ne jouoient point en
effer à l'Impromptu . Ce ſoupçon étoit
fondé fur la vérité de leur jeu & la maniere
dont ils dialoguoient leurs ſcènes ;
on s'entretenoit beaucoup fur ce ſujet
dans Paris , & principalement dans le café
de Gradot , où les gens de lettres s'afſembloient.
M. Remond de Sre Albine ,
qui n'avoit alors que dix - huit ans , pro .
poſa un moyen pour éclaircir cette quefzion,
c'étoit de compoſer un canevasqu'on
obligeroit les comédiens à remplir ſur le
110 MERCURE DE FRANCE .
:
champ. Dufreſny ſe chargea de la compoſitionde
ce canevas ,&ne le fit point;
M. Remond de Ste Albine en fit un intitulé
: Lelio , vainqueur des épreuves de la
conftance. La Mothe applaudit au projet
de cette piéce qui offroit pluſieurs fituations
comiques , il en remplit quelques
ſcènes , & le canevas fut joué avec beaucoup
de fuccès le 17 Octobre 1716 fous
le titre de l'Amante difficile ou l'Amant
conftant. Cette épreuve juſtifia les Italiens,&
fit reconnoître lestalens ſupérieurs
qui compofoient leur troupe. Lelio Riccoboni
jouoit encore mieux dans la tragédie
que dans la comédie ; il eut voulu
introduire ſur ſon théâtre lesdrames férieux
; pour étudier le goût du Public, il fit
repréſenter gratis la Méropede M. Maffey
en 1717 ; les billets qu'on donna furent
diſtribués avec choix , & on avoit écrit
deſſus per chi l'entende , pour ceux qui l'entendent
; mais cet eſſai ne réuſſit point.
Il n'y avoit que deux ans que les Italiens
étoient en France , lorſqu'ils ſe virent
fur le point de retourner dans leur
patrie. Malgré leurs efforts continuels
pour attirer le Public à leur ſpectacle , il
étoit ſouvent déſert ; les Dames , qui
avoient montré le plus grand empreffement
d'apprendre la langue italienne, n'a
AVRIL. 1769. III
voient pas gardé long - tems cette réſolution
; elle s'évanouit avec la nouveauté ;
le Public abandonnoit ce théâtre ; des
piéces françoiſes pouvoient l'y ramener ;
Autreau fut le premier auteur qui compoſa
pour les Italiens; ſon Port à l'Anglois
réuffit ; d'autres écrivains eſtimés
imiterent cet exemple ; les manieres honnêtes
des comédiens pour eux les encouragerent
, & ce théâtre ſe ſoutint ; les gens
de lettres furent charmés de contribuer
au bien d'une troupe qui avoit de la reconnoiſſance,
& qui ſentoit ce qu'elle leur
devoit ; les comédiens alors ne jugeoient
point des ouvrages , ils ſçavoient que le
Public ſeul avoit ce droit , & ils reſtoient
à leur place ; il n'y a pas bien du tems
qu'ils en font fortis. Nous citerons une
partie du compliment que le Sr Rochard
prononça à la clôture du théâtre , le 29
Mars 1748 .
Tous les ans un nouveau ſferment
Nous lie à vous , & nous engage
Au ſoin de votre amuſement ;
Aujourd'hui j'ajoute à l'hommage
L'excuſe & le remerciement.
Je ſuis deputé près de vous ,
D'un peuple plus libre que nous,"
D'un peuple amoureux de la gloire
112 MERCURE DE FRANCE.
Quevous ſeuls pouvez diſpenſer.
Eh , queltitre vaut la victoire
D'un auteur que peut careffer
L'accueil d'un a bel auditoire ?
Voilà le temple de mémoire ,
Vous ſeuls avez droit d'y placer.
Nous ſçavons quel péril menace
L'épreuve desjeunes auteurs ;
Faut- il redoubler leurs frayeurs ,
Leur demander avec audace ,
S'ils ont quelque nom au Parnaſſe ,
Ou quelques bruyans protecteurs ?
N'aurions- nous pas mauvaiſe grace
D'étouffer les germes des fleurs ?
C'eſt ainſi que les comédiens penſoient
encore dans ce tems ; l'auteur joint à ce
compliment une note qui contient une ré-
Bexion malheureuſement trop iudicieuſe
&trop vraie. « Il feroit à ſouhaiter que
>>les comédiens fuſſent toujours reſtés
>> eux - mêmes dans ces louables difpofi-
>>tions , & ne ſe fuſſent pas permis de
>>prononcer , ſans appel , des jugemens
» qui font le plus ſouvent caffés par le
>>Public. De toutes les piéces reçues avec
>> tranſport par les comédiens, tant Fran-
>> çois qu'Italiens , preſque pas une ne
>> réudit ; & la plupart de celles qu'ils
» n'ont jouées qu'à force de perſécutions,
1
AVRIL. 1769. 113
>> ont eu le plus grand ſuccès.» L'auteur
préſente des analyſes très - bien faites de
tous les canevas&de toutes les piéces qui
ont été repréſentées ſur le théâtre italien
depuis l'année 1716 juſqu'à préſent ; les
extraits dictés par le goût le plus fûr &le
plus impartial font accompagnés d'anecdotes
fur les pièces , ſur les auteurs& fur
les acteurs ; on trouve l'hiſtoire de ceux
qui font morts,la noticede tous les debuts;
nous n'avons rien de plus agréable & de
plus complet en ce genre ; il ſeroità fouhaiter
que nous euſtions l'hiſtoire des autres
théâtres traitée de la même maniere.
L'auteur y a joint celle du théâtre de l'opéra
comique qui , depuis quelques années,
eſt uni à celui de la comédie italienne
; il a fait marcher les piéces des
deux genres felon leur ordre chronologique;
il n'en a féparé que celles qui avoient
précédé la réunion des deux théâtres ; elles
forment deux volumes qui font fuite
avec les ſept de la comédie italienne , &
dont nous nous propoſons de parler inceffamment.
Eloge hiftorique de MM. Valin , de Chaf.
firon & Dupaty , prononcé dans l'afſemblée
publique de l'académie royale
des belles- lettres de la Rochelle , le
:
114 MERCURE DE FRANCE.
:
Mai 1767 ; par M. Bernon de Salins;
membre de l'académie. A la Rochelle,
chez Jerôme Legier , imprim. du Roi
&de l'académie royale de la Rochelle,
au canton des Flamands , in- 8 °. 26 p.
L'uſage de la plupart des académies eſt
de faire un court éloge des aſſociés que la
mort leur enleve; c'eſt un tribut que l'on
doit à leur mémoire , dont le but eſt de
rendre hommage aux talens & à la vertu ,
&de rappeller aux autres qu'ils doivent
mériter d'être loués de même . M. Valin
naquit à la Rochelle en 1695. Il fut à la
fois jurifconfulte , magiftrat , académicien
; c'eſt à lui que nous devons la jurifprudence
des arrêts; on ſentoit la nécefſité
de cet ouvrage; depuis ſoixante ans
ces arrêts prononçoient ſur les doutes des
citoyens &de leurs défenſeurs. M. Valin
ſentit qu'en les plaçant à côté de la loi ,
ils y jetteroient une grande clarté ; il ſe
conſacra à ce travail , & le remplit en ce
qui concernoit la marine ; cette production
précieuſe honore également le jurifconfulte
& le citoyen. Il mourut en
1765.
M. Chaffiron étoit le fils d'un homme
qui fixa pendant quelque tems les regards
de fon fiécle; qui , le premier , entreprit
AVRIL. 1769. 115
le commerce d'Inde en Inde ,& ſe rendit
à laChineoù aucun navigateur n'avoit encore
porté le pavillon françois. M. de
Chaffiron , dont l'académie pleure la perte
, n'avoit fait ni rhétorique , ni philoſophie,
& fut cependant homme de lettres
& philoſophe ; il occupa ſucceſſivement
deux places de magiſtrature au préſidial
&au bureau des finances. Il fut un des
fondateurs de l'académie ; il en fit auſſi
l'ornement ; il n'eſt perſonne qui ne connoiſſe
ſes réflexions ſur le comique larmoyant.
M. de Voltaire en parle ainſi
dans ſa préface de Nanine. « C'eſt une
>> differtation ingénieuſe & approfondie
>> d'un académicien de la Rochelle , fur
>> cette queſtion qui ſemble partager de-
>> puis quelques années la littérature ;
» ſçavoir , s'il eſt permis de faire des comédies
attendriſſantes. Il condamne
» avec raiſon tout ce qui auroit l'air d'une
>> tragédie bourgeoiſe. En effet que ſe-
>> roit -ce qu'une intrigue tragique entre
» des hommes du commun ? Ce feroit
>> ſeulement avilir le cothurne ; ce ſeroit
>> manquer à la fois l'objet de la tragédie
» & de la comédie ; ce ſeroit une eſpéce
>> bâtarde , un monſtre né de l'impuiſſan-
>> ce de faire une comédie & une tragédie
>> véritable. »
116 MERCURE DE FRANCE .
:
Le dernier éloge eſt celui de M. Dupaty
; c'eſt le pere de M. Dupaty , aujourd'hui
avocat général au parlement de
Bordeaux , magiftrat éloquent & membre
de l'académie de la Rochelle , qui a établi
le prix qu'on a donné cette année à
l'éloge de Henri IV. M. Dupaty le pere
n'a pas montré moins de zèle , de ſenſibilité
& de générosité. Il naquit à St Domingue
; il vint étudier en France . MM.
Coffin & Crevier furent ſes précepteurs ;
il prit des leçons de Rolin , & s'établit
enfuite à la Rochelle où M. Richard des
Herbiers fon beau- frere lui céda ſa charge
de tréſorier de France ; il obtint une place
à l'académie à l'âge de vingt - quatre
ans. Il fut le premier qui y ait été admis
ſijeune; fon fils en fournit un nouvel
exemple ; puiſqu'ily a été reçu à dix- neuf
ans; les talens ſupérieurs méritent ces
distinctions. M. Dupaty fut le bienfaiteur
de l'académie ; lors de ſon établiſſement
elle avoit été obligée de faire un emprunt
pour payer l'enregiſtrement des lettrespatentes
au parlement , & fatisfaire à
d'autres dépenses ; elle n'avoit pa lerembourfer
; la libéralité de M. Dupaty la
délivra de cette dette. Il s'eſt diſtingué
dans l'hiſtoire naturelle , où il a fait des
AVRIL. 1769. 117
4
découvertes précieuſes ; il eſt mort âgé
de47 ans & quelques mois.
The grand inftructions to the commiſſioners
appointed toframe a new code of laws
for the Ruſſian Empire , &c. Inſtructions
de S. M. I. Catherine II. Impératrice
de toutes les Ruſſies , aux commiſſaires
nommés pour former un nouveau
code de loi pour l'empire Ruffe,
in 4° .
Cet ouvrage ne peut manquer d'exciter
la curiofité, quel que foit ſon ſuccès ,
il offre toujours une preuve des progrés
de la philoſophie dans le Nord; l'entrepriſe
de l'Impératrice de Ruſſie la comble
de gloire ; les loix qu'elle donne à fon
peuple ne font point dictées par la néceffité,
ni par ces circonstances malheureuſes
qui ſouvent font la fuite des révolutions
, & qui quelquefois les annoncent ;
elles émanent directement de ſa bienfaifance
& de fon humanité. Le code dont
ces inſtructions forment la baſe , mérite
d'être travaillé avecfoin ; il doit être di
gne de la ſouveraine qui l'entreprend ,
& répondre à ſa grandeur ; le plan qu'on
en préfente contient des principes & des
détails qui n'offrent rien de neuf à la vé118
MERCURE DE FRANCE.
1
i
,
rité , puiſqu'on n'a fait en beaucoup
d'endroits que copier Monteſquieu
Becaria , &c . Mais quand il s'agit de légiſlation
, l'eſſentiel eſt de s'occuper du
bonheurdes peuples ; il n'est pas queſtion
dedonnerdes nouveautés qui ſouvent ne
font que brillantes , il faut s'attacher au
meilleur & au plusutile.On ne trouvera
peut-être pas ces qualités dans ce plan ; il
peut être rectifié : d'ailleurs on ſçait que
chaque nation a ſes loix particulieres ,
conformes à ſes moeurs , à ſes uſages , à
fon gouvernement ; fi elles ne paroiffent
pas les meilleures poſſibles , on doit ſuppoſer
du moins qu'elles ſont celles qui
lui conviennent ; ce n'eſt point de celleslà
qu'il appartient aux étrangers de juger ;
leurs préjugés influent trop ſur leur maniere
de voir. Il en eſt d'autres qui font
plus générales , & qui ſont communes à
tous les peuples; c'eſt dans ces eſpéces
de loix que l'on pourroit defirer quelques
changemens ; ce n'eſt point vraiſemblablement
d'après cet ouvrage qu'on doit
apprécier le code donton donne le plan ;
le compilateur a pu ſe tromper quelquefois;
l'article des héritages , fur lequel
nous nous arrêterons , fuffira pour le prou
ver. « L'ordre des ſucceſſions eſt fondé
:
AVRIL. 1769. 119
S
> ſur les loix civiles & non ſur la loi na-
>> turelle ; cette derniere oblige les peres
> à nourrir & à élever leurs enfans , mais
>>ellene les force point à les choiſir pour
>>héritiers. Un pere , par exemple , qui a
>> donné à fon fils un état dans lequel il
>>peut gagner facilement ſa vie , l'enri-
>>chit plus par ce moyen que s'il lui laif-
>> foitun héritage qui ne contribueroit
> vraiſemblablement qu'à le rendre oiſif
» & pareſſeux. Il eſt vrai que l'ordre
>> civil ou politique exige ſouvent que
>> l'enfant hérite de ſon pere; mais il ne
> le demande pas toujours. Cette regle
>> eſt générale: élever ſes enfans eſt une
>> loi de la nature ; mais leur laiſſer ſes
>> biens en mourant eſt un ordre établi par
>> les loix civiles. >> Ce raiſonnement n'eſt
point exact. Les héritages , regardés
comme une eſpèce de ſucceſſion , font
une inftitution politique ; mais le droit à
ces ſucceſſions nous ſemble dérivé de la
loi naturelle. Si elle ordonne au pere de
nourrir & d'élever ſes enfans , quand
cette obligation finit-elle ? Eſt elle détruite
lorſqu'il meurt avant que ſes enfans
puiſſent pourvoir à leur ſubſiſtance ?
Et quand ils ont ce pouvoir, la nature
n'inſpire-t-elle pas au pere le defir & la
120 MERCURE DE FRANCE.
volonté d'améliorer leur fort . Les raifons
qu'on apporte pour le diſpenſer de ce
devoir ne méritent pas une diſcuſſion ſérieuſe
; les fils peuvent s'enrichir ; l'héritage
les rendroit pareffeux. C'eſt dire précifément
que ce qui peut être ne manquera
pas d'arriver. Le compilateur du
code n'a pas affez réfléchi fur ce ſujet ; il
lui échappe même des contradictions fingulieres
; il dit plus bas : - Les filles
>>chez les Romains ne pouvoient héritér
>>par teſtament; les peres en conféquence
>>avoient ſoin de les pourvoir parfraude
» & fous un faux nom. La loi les forçoit
>>ainſi à tromper ou à violer celle de la
> nature , qui nous ordonne d'aimer nos
» enfans. Comment viole-t- on cette
loi , en privant les filles de leur héritage
fi elle n'oblige à rien à cet égard , & fi les
fucceffions font uniquement réglées par
les loix civiles ? Il y auroit auffi des réflexions
à faire fur pluſieurs autres articles
; mais en général les loix ſontſimples
&ſages; celles qui concernent les peines
ſemblent avoir été dictées par la modération
& l'humanité ; peut-être ſeroit- il
'à ſouhaiter que celui qui aſſaſſine , & celui
qui a ſimplement médité le meurtre
nefuffent pas également jugés dignes de
mort ;
AVRIL. 1769.1 121
5
mort ; le premier la mérite parce qu'il a
troublé la ſociété , & qu'il s'eſt ôté les
moyens de réparer le mal ; mais l'autre
peut avoir des remords ; d'ailleurs il eſt
difficile de prouver clairement qu'on a
ou qu'on n'a pas eu un tel deſſein ; n'eftil
pas dangereux qu'un homme, sûr d'être
puni pour le projet , ne ſoit tenté de
mériter tout à fait de l'être en l'effectuant
?
Hiftoire littéraire des femmes Françoiſes ,
ou lettres hiſtoriques & critiques ; contenant
une analyſe raiſonnée des ouvrages
des femmes qui ſe ſont diſtinguées
dans la littérature françoiſe : par
une ſociété de gens de lettres , avec
cette épigraphe , quid fæmina poffit ,
Virg. Eneïd. A paris , chez Lacombe
libraire , rue Chriſtine , cing volumes
in- 8°. de près de 600 pages chacun ,
( prix relić , 25 livtes .
6
20
Cet ouvrage utile &qui nous manquoit
eſt conſacré à la gloire d'un ſexe à
qui le célebre citoyen de Genève refuſe
abſolument le génie , mais à qui l'on ne
peut au moins conteſter des talens très
diftingués & très agréables dans plufieurs
genres de littérature , & prouvés par des
II. Vol. F
! 122 MERCURE DE FRANCE.
:
fuccès durables. Les auteurs de cette collection
ont raſſemblé dans cinq volumes
les noms de toutes les femmes Françoiſes
qui ont écrit , une analyſe plus ou
moins étendue de leurs ouvrages & des
jugemens ſur leur mérite. Quand ces
ouvrages font bons , ce précis a l'avantage
de remettre ſous les yeux du lecteur
ce qu'ils ont de plus précieux & de plus
piquant ; &quand ils font médiocres ou
mauvais , on en extrait les ſeuls endroits
qui méritent d'être lus , & on en donne
une idée.
L'illustre & malheureuſe Héloïſe ouvre
ce recueil. On y traduit pluſieurs
morceaux de ſes lettres originales , fort
ſupérieures à celle que Pope lui fait écrire
&dont l'élégante imitation a été l'heureux
eſſai des talens de M. Colardeau. On
rapporte de très-beaux endroits de cette
imitation&de deux autres ; l'une parM.
Feutri , l'autre par M. Beauchamps. Ily
en aune quatrieme qui a été inférée dans
la Gazette littéraire , dont on auroit dû
faire mention. Elle eſt pleine de ſentiment
& d'énergie.On y trouve ce vers
heureux :
Abailardvit encore& je n'ai plusd'amant.>>
AVRIL. 1769 . 123
Des reines &des princeſſes ornent la liſte
des femmes lettrées , telles que les deux
Marguerites de Valois , l'une connue par
les Centnouvelles nouvelles , que la Fontaine
a quelquefois embellies des graces
de ſon ſtyle : l'autre qui étoit femme de
Henri IV a laiſſé des Mémoires curieux
fur l'hiſtoire de ſon ſiècle. Ceux de madame
la princeſſe deConti , nom confacré
de tout tems aux arts , aux talens&
aux vertus ; & ceux de mademoiſelle de
Montpenſier ont fourni d'excellens matériaux
aux hiſtoriens. Les Mémoires de
madame de Villars ſur la cour d'Eſpagne,
ceux de madame de Motteville ſur la
fronde , font remplis de peintures naïves
&d'anecdotes intéreſſantes. Madame de
Staal eſt remarquable dans les ſiens par
la fineſſe de ſes idées & l'art de conter
agréablement de petites choſes.
Madame Deshouliéres tient le premier
rang parmi celles qui ont écrit en
vers. On peut lui reprocher de n'avoit
pas ſenti le mérite du grand Racine , &
d'avoir fait un fort mauvais ſonnet contre
une très-belle piéce. Mais ſi le reproched'avoir
mal jugé ôtoit quelque choſe
aux talens , les plus grands écrivains pourroient
perdre de leur gloire. Le génie
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
n'exclud ni les erreurs de l'eſprit , ni
l'aveuglement de la paſſion. L'ouvrage
dont nous rendons compte rapporte un
trait fingulier de madame Deshouliéres.
>> Etant allée voir une de ſes amies à la
>> campagne , on lui dit qu'un fantôme
>> avoit coutume de ſe promener toutes
>> les nuits dans l'un des appartemens du
>> chateau , & que depuis bien du tems
>>perſonne n'oſoit y habiter. Commeelle
>>n'étoit ni ſuperſtitieuſe,ni crédule , elle
>> eut la curioſité , quoique groſſe alors ,
>> de s'en convaincre par elle-même , &
>>>voulut abſolument coucher dans cet
» appartement. L'aventure étoit affez té-
>> méraire & délicate à tenter pour une
>> femmejeune &aimable. Au milieu de
>>la nuit elle entendit ouvrir ſa porte.
» Elle parla ; mais le ſpectre ne répondit
»rien. Il marchoit peſamment & s'avan-
>>çoit en pouſſant des gémiſſemens . Une
>>table qui étoit aux pieds du lit fut ren-
>>verſée , & fes rideaux s'entrouvrirent
>>avec bruit. Un moment après le guéri-
>>don , qui étoit dans la ruelle , fut cul-
>> buté , & le fantôme s'approcha de la
>> dame. Elle de ſon côté , un pen trou-
>> blée , allongeoit les deux mains pour
>>fentir s'il avoit une forme palpable. En
AVRIL. 1769. 125
>>>tâtonnant ainſi elle lui ſaiſit les deux
>> oreilles ſans qu'il y fit aucun obſtacle :
>> ces oreilles étoient longues & velues ,
>>>& lui donnoient beaucoup à penſer. Elle
» n'oſoit retirer une de ſes mains pour
>> toucher le reſte ducorps , de peur qu'il
» ne lui échappât , & pour ne point per-
>> dre le fruit de ſes travaux , elle per-
>> ſiſta juſqu'à l'aurore dans cette pénible
>>attitude. Enfin au pointdu jour elle re-
>> connut l'auteur de tant d'allarmes pour
>>un gros chien affez pacifique , qui ,
>> n'aimant point à coucher à l'air , avoit
>> coutume de venir chercher de l'abri
dans ce lieu dont la ferrure ne fermoit
» pas. »
Les tragédies de mademoiselle Ber
nard font attribuées à M. de Fontenelle.
A l'occaſion de Brutus , l'une de ces tra .
gédies , nous remarquerons que lorſque
M. de Voltaire donna le ſien , ouvrage
fublime , mais dont le ſuccès théâtral ne
fut pas proportionné à beaucoup près à
l'admiration qu'il a inſpirée depuis aux
connoiffeurs , M. de Fontenelle , qui ragardoit
l'ouvrage comme tombé, fit réimprimer
le Brutus de mademoiſelle Bernard
, ce qui étoit plus facile que de le
faire lire.
Fiij
116 MERCURE DE FRANCE.
!
Voici deux madrigaux qui font honneur
à mademoiselle Bernard , s'ils font
d'elle , comme on le dit.
Vous n'écrivez que pour écrire ,
C'eſt pour vous un amuſement.
Moi , qui vous aime tendrement
Je n'écris que pour vous le dire.
Autre.
Quandle ſage Damon dit que d'un trait mortel
L'Amour bleſſe les coeurs , ſans qu'ils ofent
plaindre ,
Que c'eſt un dieu traître&cruel ,
L'Amour pour moi n'eſt point à craindre.
Mais quand le jeune Atis me vient dire à ſon tour;
Ce dieu n'eſt qu'un enfant doux , careffant , aimable
,
Un enfant plusbeau que lejour :
Queje le trouve redoutable !
Tous les détails que M. de Voltaire a
écrits fur la fameuſe Ninon de l'Enclos
ſe retrouvent ici augmentés de quelques
autres . La maniere dont elle parodie les
vers que le grand prieur de Vendôme
avoit faits contre elle , prouve ſon eſprit
&fa facilité à écrire.
Indigue de mes feux , indigne de mes larmes ,
AVRIL. 1769. 127
Je renonce fans peine à tes foibles appas.
Mon amour te prêtoit des charmes ,
Ingrate , que tu n'avois pas.
:
Voicicomme Ninon les retourna contre
lui :
Inſenſible à tes feux , inſenſible àtes larmes )
Je te vis renoncer à mes foibles appas ;
Mais ſi l'Amour prête des charmes ,
Pourquoi n'en empruntois-tu pas ?
On connoît les vers de St. Evremont ,
mis au bas du portrait de Ninon , & qui
font les meilleurs qu'il ait faits.
L'indulgente &ſage nature
A formé l'ame de Ninon
De la volupté d'Epicure
Et de la vertu de Caton;
Il y a loin fans doute de Ninen a madame
Dacier. On retrouve ici pluſieurs
endroits de ſes traductions. Elles ſont
très-louées ; mais elles n'ont guères qu'un
mérite réel , c'eſt la fidélité. Si la Motte
ne connoiſſoit Ho mère que par ces tra
ductions , il n'eſt pas ſurprenant qu'il
n'ait pas été enthouſiaſte du poëte Grec .
Mais il commitune grande faute , celle
!
Fiv
28 MERCURE DE FRANCE.
de vouloir juger un poëte ſans l'entendre
dans ſa langue naturelle. MadameDacier
qui avoit raiſon pour le fonds , répondit
comme si elle avoit eu tort.
Il eſt rare d'avoir plus d'eſprit naturel
que madame de Sévigné. On relit tou
jours avec un nouveau plaifir ces lettres
charmantes , où regne une ſenſibilité ſi
douce & fi délicate , oùtout a de la grace
juſqu'au bavardage qu'on ſe permet
quand on aime , & qui ordinairement
ennuie tout autre que celui à qui on l'adreſſe
, où l'art de narrer eſt porté au plus
haut point de perfection , enfin où l'on
remarqué une foule d'expreſſions trouvéesqui
naiſſent ſous la plume de ceux
qui ont une imagination très vive & un
goût exquis . Madame de Sévigné avoit
les mains très- belles. Un jour Ménage en
tenoit une entre les ſiennes : quand il
l'eut retirée , M. Pelletier qui étoit préſent
, lui dit : voilà le plus bel ouvrage qui
Soitjamaisforti de vos mains.
Lorſque madame de Sévigné eut
compté la dot de ſa fille , elle s'écria :
>>Quoi ! faut- il tant d'argent pour obli-
>>ger M. de Grignan à coucher avec ma
>>fille ! Après avoir un peu réfléchi , elle
>>ſe reprit en diſant : il y couchera de-
4
AVRIL. 1769 . 129
» main , après demain , toutes les nuits ;
>> ce n'eſt point trop pour cela. »
Les romans font le genre où les femmes
ſe ſont le plus appliquées. Madame
de la Fayette eſt fort au-deſſus de toutes
celles qui en ont fait dans le ſiécle paflé.
Les ſituations de Zaïde & de la princeſſe
de Cléves font à la fois intéreſſantes &
naturelles , & ont dû faire tomber les volumineux
romans de mademoiselle Scudéri
, de madame de Ville- Dieu , de madame
d'Aulnoi , où l'on ne rencontre que
des aventures ou communes ou forcées ,
racontées d'un ſtyle lâche & prolixe ,
fans chaleur & fans eſprit.
On distingue dans notre fiécle les romans
de madame de Tencin , le ſiége de
Calais , le comte de Comminges & les
malheurs de l'Amour. Les deux premiers
ont été faits en ſociété avec M. de P. D.
V. , auteur de pluſieurs pièces de théâtre
très-jolies , pleines d'eſprit & fort fouvent
jouées.
La comteſſe de Savoie , de madame de
Fontaines , eſt un ouvrage plein d'intérêt
, dont M. de Voltaire paroît avoir tiré
le ſujet de Tancrede. Il avoit adreſſé à
l'auteur les vers ſuivans.
La Fayette & Ségrais , couple fublime & tendre ,
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
Lemodèle , avant vous , de nos galans écrits ,
Des champs éliſéens , ſur les aîles des ris ,
Vinrent depuis peu dans Paris.
D'où ne viendroit - on point , Sapho , pour vous
entendre?
Avosgenoux tous deux humiliés,
Tous deux vaincus & pourtant pleins dejoie ,
Ils mirent leur Zaïde aux pieds
De la comteſſe de Savoie.
Ils avoient bien raiſon : quel dieu , charmant auteur
,
Quel dieu vous a donné ce langage enchanteur è
La force & la délicateſſe ,
La ſimplicité , la nobleſſe
Que Fénelon ſeul avoit joint ;
Ce naturel aifé dont l'art n'approche point.
Sapho , qui ne croiroit que l'Amour vous inf
pire2
Mais vous vous contentez de vanter ſon empire.
De Mendore amoureux vous peignez le beau feu,
Et la vertueuſe foibleſſe
D'une maîtrefle
Qui lui fait , en fuyant , un ſi charmant aveu.
Ah ! pouvez -vousdonner ces leçons de tendrefle
Vous , qui les pratiquez ſi peu
C'est ainſi que Marot ſur ſa lyre incrédule ,
Đu Dieu qu'il méconnut chantala ſainteté :
Vous avez pour l'amour auſſi peude ſcrupule
Vous neleſervezpoint & vous l'avez chanté..
AVRIL. 1769. 131
Les lettres Péruviennes immortaliſeront
la mémoire de madame de Grafigni ,
plus que Cénie , qui n'est qu'une copie
unpeufoible de la gouvernante fans en
avoir les beaux détails. C'eſt le premier
roman épiſtolaire qui ait été compofé en
France. Cette méthode , empruntée des
Anglois , a été depuis employée avec
beaucoup de ſuccès par madame Riccoboni
dans Fanni Butler & dans Catesbi ,
ouvrages plein de ſenſibilité , & qui font
aimer la vertu , même en traçant des foibleſſes.
Le même merite ſe retrouve dans
fes autres compoſitions , dans Jenny ,
dans le marquis de Creſſi. Le feul morceaud'Ernestine
auroit ſuffi pour lui faire
une réputation. Camédris en a fair une à
ſon ingénienſe auteur. C'eſt à une femme
que nous devons les excellentes traductions
des hiſtoires de M. Hume ; &
c'eſt les louer aſſez que de dire qu'elles
font dignes de l'original.
Parmi les bons ouvrages que le fexe a
produits de nos jours, les lettres du marquisdeRoſelle
doivent tenir un rang dif
tingué. Lebut moral eſtde la plus grande
utilité ; & ce roman eſt du très- petit
nombre de ceux qu'on peut mettre fanss
crainte entre les mains des jeunes demoi
)
Fvj
532 MERCURE DE FRANCE.
ſelles : l'honnêteté y eſt toujours aimable
, & le vice n'y eſt jamais contagieux .
Le ſtyle eſt plein de douceur & de goût.
La ſeconde partie ſur-tout eſt pleine de
l'intérêt le plus attendriſſant , & l'ouvrage
en général eſt d'une belle plume ,
conduite par une belle ame ; il eſt de
madame Elie de Beaumont , femme de
l'avocat de ce nom .
Madame du Châtelet & madame du
Bocage ont pris un vol plus élevé , l'une
dans les ſciences , l'autre dans l'épopée &
la tragédie. On ſçait quels éloges M. de
Voltaire a donnés à toutes deux. Nous
ne pouvons pas citer ici toutes les femmes
dont les productions font extraites
dans l'hiſtoire littéraire . Nous en avons
affez dit pour prouver la vérité de ces
vers de Pétrarque :
Lédonnéfon venute in excellenza
Di ciaſcun' arte dove hannoporto cura.
Irza & Marſis , ou l'Iſle merveilleuse ,
poëme en deux chants , orné de jolies
gravures , fuivi d'Alphonſe conte ; feconde
édition ; à la Haie , & ſe trouve
à Paris chez Delalain , libraire , rue
Saint Jacques.
AVRIL. 1769. 133
L'homme eſt né pour le travail , & le
defir eſt en lui la meſure du plaiſir. Cette
vérité de ſpéculation eſt développée dans
le poëme d'Irza & Marſis par la plus
agréable des fictions. La raiſon ſourit à
la lecture de ce poëme ingenieux , & les
ſens font agréablement flattés par les images
qui leur font offertes. Parmi les beautés
neuves répandues dans cette nouvelle
édition , on remarquera fur-tout la defcription
du temple du Deſtin ; la teinte
ſombre qui y regne ne peut contribuer
qu'à faire reſſortir avec plus davantage les
couleurs douces & riantes des autres tableaux.
Loin de la fphère ou grondent les orages ;
Loindes ſolcils , par-delà tous les cieux ,
S'eſt élevé cet édifice affreux
Qui ſe ſoutient fur le gouffre des âges .
D'un triple airain tous les murs ſont couverts ,
Et ſur leurs gonds , quand les portes mugiffent,
Du temple alors les baſes retentiſſent ;
Le bruit pénetre , & s'entend aux enfers.
Les voeux ſecrets, les prieres , la plainte ,
Et notre encens , détrempé de nos pleurs ,
Viennent , hélas ! comme autant de vapeurs ,
Se diſſiper autour de cette enceinte.
Là tout eſt ſourd à l'accent des douleurs.
Multipliés en échos formidables ,
134 MERCURE DE FRANCE.
Nos cris en vain montent juſqu'à ce lieu,
Ces cris perçans & ces voix lamentables
N'arrivent point aux oreilles du Dieu .
Aſes regards un bronze incorruptible
Offre en un point l'avenir ramaffé.
L'urne des forts eſt dans ſa main terrible
L'axe des tems pour lui ſeul eſt fixé.
Sous une voûte où l'acier étincelle ,
Eſt enfoncé le trône du deſtin :
Triſte barriere & limite éternelle ,
Inacceſſible à tout l'effort humain .
Morne , immobile , & dans ſoi recueillie,
C'eſt de ce lieu que la nécefſité
Toujours févere & toujours obéie ,
Leve ſur nous ſon ſceptre enfanglanté ,
Ouvre l'abîme où diſparoît la vie ,
D'un brasde fer courbe le front des Rois
Tient ſous ſes pieds la terre aſſujettic ,
Et dit au tems : exécute mes loix.
Dans le conte d'Alphonse qui ſuit ce
poëme , on reconnoît cette muſe enjouće
&facile ,qui ſçait varier ſes chants & fes
plaiſirs.
Mélanges d'histoire & de littérature , de
jurisprudence littéraire , de critique, &c.
vol . in- 12 .; par M. Terraſſon , écuyer,
avocat au parlement , &c. A Paris ,
AVRIL. 1769. 135
4
chez la veuve Simon & fils , rue des
Mathurins.
Monfieur Terraſſon , dont le nom eſt
diftingué dans les lettres , & qui luimême
eſt avantageuſement connu par
une hiſtoire de la jurisprudence romaine
, a raſſemblé dans ces mélanges plu
ſieurs differtations également intéreſfantes
par leur objet & par leur variété.
Dans la premiere il conſidére l'ancien
emplacement de l'hôtel de Soiffons , &
le ſuit dans toutes les viciſſitudes qu'il a
éprouvées , & qui ſouvent ont rapport à
Thiſtoire du temps. Il examine dans la
ſeconde ſi l'enceinte de Paris , commencée
par Philippe - Auguſte , fut entourée
de foſſés& de remparts; & iltient pour
la négative. La troiſieme releve quelques
indécences des anciensjurifconfultes, entr'autres
le fameux procès entre la Vierge
& le Diable , imaginée par Bartole , &
qui eſt affez curieux pour le rapporter
ici.
« Le Diable prétendant remettre les
>> hommes ſous le joug auquel le crime
>> d'Adam les avoit foumis , aſſigne le
>> genre humain devant le tribunal deJefus
- Chriſt . L'aſſignation donnée aux
>> termes du droit eſt à trois jours . Elle fe
136 MERCURE DE FRANCE.
...
trouve écheoir un vendredi ſaint. Le
>> Diable cite à Jeſus - Chriſt les loix qui
>> ne permettent pas d'aſſigner à un jour
>>de fête. Jeſus-Chriſt diſpenſe de cette
>>formalité en vertu d'autres loix qui
>> donnent ce droit aux juges en certains
>> cas. Alors le Diable comparoît plein
>> de rage , & demande ſi quelqu'un oſe
>>parler pour le genre humain. La Ste
>>Vierge ſe préſente . Le Diable ,
>>intéreſſé à empêcher cette plaidoirie ,
>> propoſe deux moyens de récufation ;
>> le premier , que la Ste Vierge étant
>>mere du juge , elle pourroit trop aifé-
>>ment le faire prononcer en faveur de
>>ſa partie ; le ſecond eſt que les femmes
> font exclues de la fonction d'avocat. II
>> appuye ces deux motifs fur des para-
>>graphes tirés du digeſle & du code. La
>> Ste Vierge, de fon côté, allégue les loix
>> qui autoriſent les femmes à plaider
» pour les veuves , les pupilles , & ceux
>> qui ſont dans la miſére. La Ste Vierge
>> gagne cet incident , & Jeſus-Chrift lui
>> permet de plaider pour les hommes. Le
» Diable demande la provifion , comme
>> ayant été poffeffeur du genre humain
>> depuis la chûte d'Adam ; le tout fui-
>> vant la maxime du droit , Spoliatus an-
» teà reftituendus , & fait valoir pour lui
AVRIL. 1769. 137
>>la preſcription . La Ste Vierge lui op-
>> poſe le titre du droit Quod vi aut clam;
>>lui , foutient qu'un poſſeſſeur de mau-
>> vaiſe foi ne peut acquérir par la voie
>> de preſcription , & le prouve par la loi
>>III , paragraphe dernier , au digeſte de
» acquirenda poſſeſſione. Jeſus - Chrift
» ayant débouté le Diable de la provifion
>>par lui demandée , le fond du procès
>> ſe difcute de même par citations de
>>loix & de paragraphes... Enfin inter-
» vient le jugement définitif , qui eſt ex-
>> trêmement fingulier; il contient une
» eſpéce de vú de piéces ; enſuite de quoi
» Jeſus-Chriſt , du haut du ciel , rend, le
>>jour de pâques , une ſentence par la-
>>quelle, en déchargeant le genre humain
>> des imputations à lui faites par le Dia-
>> ble , il condamne le Diable à la dam-
>> nation éternelle ... La ſentence eft re-
>>digée par St Jean l'évangeliſte , qui fait
>> la fonction de greffier ; St Jean Baptif-
» te , St François , St Dominique , Saint
» Pietre , St Paul , St Michel & autres
» Saints en grand nombre fervent de té-
» moins . La ſentence eſt datée du 6 Avril
» 1311 , & les Anges , pour célébrer le
>> triomphe de la Ste Vierge , la félicitent
>> en lui chantant en choeur un Salve
» Regina. »
138 MERCURE DE FRANCE.
La quatriéme diſſertation traite de la
vielle,de fon origine&de ſes variations;
la cinquiéme , des loix rhodiennes ; la
fixiéme & derniere , d'un texte hébreu
que l'auteur prétend avoir exactement
traduit contre l'opinion des journaliſtes
deTrévoux.
Le volume eſt terminé par la vie de
Cujas &de fa fille Susanne Cujas , objet
de tant de plaifanteries. On ſçait le mot
des écoliers de droit qui alloient commenter
Cujas. Elle vécut dans le plaiſir
& mourut dans la mifére. Voici l'épitaphe
que lui fit le profeſſeur EdmondMé
rille.
Viderat immenfos Cujaci nata labores
Æternum patri promeruifle decus.
Ingenio haud poterat tam inagnum æquare pa
rentem .
Filia , quod potuit , corpore fecit opus.
EUGENIA dramma in cinque atti in
profa del fig. di Beaumarchais cen un
difcorso fopra il drama ferio tradotto
dal francese ; in Cofmopoli Banne 1768 .
C'eſt une traduction faite du François en
langue Toſcane de l'Eugénie de M. de
Beaumarchais. Le traducteur donne auffi
P'extrait avantageux que le Mercure a
AVRIL. 1769. 139
fait de ce drame au moisde Juin 1767,
&defire que les théâtres d'Italie s'enrichiffent
, non- feulement de cette piéce ,
mais encore de toutes celles qui ſont dans
le même genre. Il répond en particulier
du ſuccès d'Eugénie , ſi intéreſſante par
la vérité, par la force & le choix des caracteres
, des perſonnages & des ſentimens.
Il rapporte que « le marquis Al-
>> bergotti , qui vit actuellement à Vé
>>rone vient d'y faire jouer à la fin du
>>carnaval une traduction du comte de
»Comminges de ſa façon , & qu'on dit
>> fort bonne. La piéce a été très-bien
>>jouée par des cavaliers & une dame qui
faifoit le rôle d'Euthime. Le traducteur
>> lui-même faiſoit celui de Comminges.
>>>Leshabits étoient exactement ceux des
> moines de la Trape ; & on n'a rien épar-
>> gné pour rendre le ſpectacle terrible &
>>frappant. J'ai patlé , ajoute-t- il , à des
>> cavaliers qui ont aſſiſté à la repréſen-
>> tation , & qui m'ont dit que la pièce a
>> fait le plus grand effet. >> رو
Lettre de Madame de MEHEGAN.
Le nom que je porte , monfieur , ma
expolée à recevoir dans différens endroits
, des complimens ſur le ſiècle de
Louis XII , dont je ne ſuis pas l'auteur.
On s'eft imaginé que la veuve de M. de
140 MERCURE DE FRANCE.
Méhégan avoit voulu s'eſſayer ſur l'hiftoire
, ſans penſer que quand elle auroit
les talens néceffaires pour l'écrire , elle
n'en auroit pas la volonté. Comme je ſerois
très fâchée que -l'erreur de quelques
perſonnes s'accréditât , je vous ſerai infiniment
obligée d'en dire un mot dans
l'ouvrage auquel vous donnez vos foins.
Je ne me foucie aucunement d'une réputation
qui n'eſt point à moi : un pareil
honneur me feroit rougir ; & en vé.
rité je ſerois moins touchée d'eſſuyer des
critiques ameres, ſi je les méritois , qu'humiliée
d'entendre des éloges qui ne me
ſeroient pas dûs.
Lettre de M. le baron de TSCHUDI ,
Bailli de Metz.
J'ai trouvé , monſieur , dans la France
littéraire le livre anonyme de l'étoile
flamboyante ſous mon nom : il ſuffit
qu'il ne ſoit pas de moi pour que je doive
le déſavouer : mais comme j'ai appris
qu'il s'y trouve des lieux communs contre
la ville de Metz , que j'aime beaucoup
,je ne puis dès-lors ſupporter la pen.
ſée qu'on imagine un moment que j'aye
fait ce livre. J'eſpere en conféquence ,
monſieur , que vous voudrez bien inférer
cette lettre dans le Mercure.
AVRIL. 1769. 141
1
CONCERT SPIRITUEL.
Le concert ſpirituel a fupplée à la vacance
des autres ſpectacles pendant les
trois ſemaines qui commencentà laPaſſion
&finiſſent après la quinzaine de Pâque.
On rend justice à la belle exécution
des muſiciens qui compoſent ce grand
orchestre , & à l'intelligence des directeurs.
Ona fair entendre deux motets de concours
pour le prix propoſé ſur lepſeaume
Deus nofter refugium ; & deux autres motets
françois , auſſi pour le prix propoſé
fur l'ode de Rouſſeau , la gloire du Sei
gneur. On a trouvé dans ces eſſais quelques
traits d'harmonie ; mais peu d'expreffions
, peu de chant; un deſſein foible
, & un ſtyle monotone. Ces prix ont
été réſervés pour des ouvrages où il y ait
plus de connoiſſance de l'art , avec plus
de génie. On a exécuté de grands motets
connus de M. Dauvergne , ſurintendant
de la muſique du Roi. Pluſieurs autres
motets de la Lande , de Mouret , de
Lefèvre , de M. l'abbé Girout maître
de muſique de la cathédrale d'Orléans , de
142 MERCURE DE FRANCE.
9
1
M. Doriot maître de muſique de la Ste
Chapelle ; quelques petits motets de M.
l'abbé Jollier , de M. de Saint Amans,
de M. Milande , & d'autres morceaux
bien choiſis ont fait le fonds de ces concerts.
Le fublime motet du Stabat matur
par Pergoleſe , dont la muſique eſt ſi pittoreſque
, ſi éloquente , ſi expreſſive a
frappé profondément les ames ſenſibles.
Le pathétique & l'énergie touchante de
cette admirable compoſition a été ſupé,
rieurement rendue par M. Richer &par
Mademoiselle Fel. On a diſtingué le
motet à grand choeurfuperfluminaBaby.
lonis ,de la compoſition de M. Richter,
célebre maître de muſique de la chapelle
de l'électeur Palatin. Les motifs de ſes
chants ſont neufs , bien traités , bien ſoutenus,&
adaptés convenablement aux paroles.
Son harmonie eſt ſagement diſtribuée
, & toujours compagne de lamélodie
ſans en être le tyran , elle la fait valoir&
ajoute à fon expreſſion. Ses fugues
ſont ſcavantes & d'un bon effet. Ses récits&
ſes choeurs ſont bien coupés ; il a
fur-tout l'art d'approprier les formes &
le mouvement de ſa muſique aux ſujets
qu'il veut exprimer.
Les voix récitantes dans ces concerts
ont eu lesplus vifs applaudiſſemens . Ma
AVRIL. 1769. 143
demoiſelle Fel , qui a conſervé la jeuneſſe
de ſa voix , & qui lui a ajouté l'art que
donne une longue expérience ; M. Richer
qui ayant perdu dans le paſlage de l'enfance
à la jeuneſſe l'éclat de ſon organe ,
aſçu s'en créer un factice que le goût le
plus sûr & le ſentiment le plus exquis
conduiſent toujours ; Mademoiselle Ro
zet , excellente chanteuſe ; M. Legros ,
qui a reparu dans ces concerts embellis
par le brillant de ſa voix ; M. Gelin qui
chante ſes récits dans le caractere propre
de la muſique ; Mademoiselle Morizet
habile muſicienne , dont l'organe flateur
rend très-bienun chant délicat ; Meſdemoiſelles
Chenays , la Madeleine &
Beauvais ; M. l'abbé Platel , très-belle
baſſe-taille ; MM. Muguet , Péré & le
Vaſſeur ont tous fait le plus grand
plaifir.
Les virtuoſes ont mis auſſiune agréable
variété dans ces concerts. On a en,
tendu avec un nouvel étonnement l'exécution
parfaite , les fons doux & enchan .
teurs,le langage touchant que M. Bezozzi
tire de fon hautbois , inſtrument qu'il
maîtriſe à ſongré. Madame Lombardini
Sirmen, éleve du célebre Tartini , a exécuté
des concerto de violon qui ont fait
144 MERCURE DE FRANCE.
admirer le hrardieſſe de ſon archet & la
délicateſſe de ſon jeu ; c'eſt une muſe qui
tient la lyre d'Apollon. M. Bartelemont
a été très goûté par le choix agréable de
ſa muſique , par les beaux chants qu'il
fait fortir du violon , par le feu & par
l'ame de ſon exécution . M. Capron ,
premier violon du concett, ſe joue des
difficultés ; il domine ſon inſtrument ,
dont il tire tout le parti qu'il veut. Il a
varié ſa maniere dans différens concerto ,
& atoujours été fort applaudi. MM. Bertheaume
& Haran ont auſſi exécuté avec
fuccès des concerto de violon. M. Balbatre
a joué , avec les applaudiſſemens auxquels
il eſt accoutumé , pluſieurs ſymphonies
ſur l'orgue. M. Rodolphe , qui
ſçait donner au cor le moëlleux , l'agrément
& le charme de la flûte ; qui ſçait
en étendre les effets & en multiplier les
reſſources , a été entendu avec le plus
grand raviſſementdans une ariette chantée
par Mademoiſelle Fel , dont il accompagnoit&
imitoit enquelque forte la voix.
Deux clarinettes , de la muſique du
cardinal de Rohan , ont exécuté différens
morceaux. Les talens précoces& ſurprenans
de M. Hinner ſur la harpe , & de
M. Salentin fur la flûte , deux très-jeunes
virtuofes,
AVRIL. 1769 . 145
virtuoſes , ont été encouragés par de juftes
applaudiſſemens.
Ces concerts ont fait honneur au goût
&au choix des directeurs . Ilsauroient été
peut- être encore plus ſuivis , ſi les motets
avoient été plus variés. On aime
beaucoup en ce pays la nouveauté ; il y a
tant d'excellentes compofitions anciennes
&de morceaux Italiens qui ſeroient nouveaux
pour nous , & qui réuffiroient
beaucoup ! Témoins le Stabat mater; certains
motets de Fiocco qu'on a ceſſé de
donner , & d'autres excellens motets i
communs dans les égliſes d'Italie & d'Al .
lemagne.
OPERA.
L'ACADÉMIE royale de muſique a repris
le mardi 4 Avril Ragonde & l'acte d'Erofine
, qui produiſent toujours le même
plaifir , & qu'elle continuera les jeudis.
Dardanus ſera repréſenté les vendredis
&lesdimanches en attendant Omphale ,
tragédie lyrique en cinq actes , dont les
paroles , qui font de la Motte , viennent
d'être remiſes en muſique par M. Cardonne.
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LeEsS comédiens François ont fait l'ouverture
de leur ſpectacle le mardi 4 Avril ,
par la repriſe du Siége de Calais. Ils ont
joué avec ſuccès le lundi 10 Avril , le Mariage
interrompu , comédie nouvelle d'intrigue
, en trois actes , de M. Cailhava ;
nous en rendrons compte dans le Mercure
prochain. Ils préparent un drame en cinq
actes dans le nouveau genre moral & philofophique
, de M. de Beaumarchais.
Compliment prononcé par M. d'Alinval.
Je viens vous offrir un tribut d'hommages
& de reſpects , que depuis la naifſance
d'un théâtre qui vous doit ſa perfection
, vous avez daigné agréer avec
cette complaiſance qui vous eſt ſi naturelle.
Vous raffurez ma timidité ; & je
reſſemble à un éleve docile , qui , en rendant
compte de ſes travaux à des maîtres
auffi éclairés qu'indulgens , trouve dans
leur fagaciré le détail de ſes fautes & le
moyen de les éviter.
Vous avez de tout tems encouragé par
vos boutés ceux qui , engagés dans la car
xiere des talens , ont conſacré leurs veille
AVRIL. 1769. 147
,
à mériter vos fuffrages , & dont le premier
but a dû être de vous plaite. Voslumieres
les ont guidés dans la route épineuſe
de l'imitation de la nature ; & lorf.
qu'ils ont eu le malheur d'y rencontrer
quelques obftacles votre indulgence
leur a preſque toujours ſervi d'aſyle.
Cette vérité , Meſſieurs , eſt toute de fentiment.
Mon coeur , vivement pénétré de
la reconnoiſſance qu'elle inſpire , n'auroit
rien à regretter , s'il pouvoit l'exprimer
avec cette chaleur & cette énergie
qui caractériſent l'éloquence de l'ame
& que l'efprit ne ſuppléa jamais .
Vous ſeuls , Meſſieurs , pouvez juger
les talens que vous avez vu naître ; ils
font votre ouvrage ; & en leur permettant
de ſe développer ſous vos yeux ,
vous vous êtes réſervé le droit d'affigner
à chacun le degré de ſuccès que des
efforts plus ou moins heureux vous paroiſſent
mériter .
A quelque genre que le comédien ſe
deſtine , vos goûts feront ſacrés pour
lui , vos décifions feront ſes oracles. Il
verra le génie s'empreſſer à vous offrir
ſes productions , il tâchera de le ſuivre
dans ſa courſe ; & fi la nature ne l'a point
formé pour peindre les effets des paſſions
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
orageuſes qui font le malheur des héros ,
ildeſcendra à ce genre où l'homme , plus
rapproché de lui-même , ſe voit tel qu'il
eſt dans la ſociété. Il étudiera ſans ceffe
ce peintre inimitable , Moliere , ce comique
à qui la nature ſemble avoir révélé
tous ſes ſecrets ; qui a vu en philoſophe
profond , le choc des opinions ,
des uſages & des ridicules ; qui les a préſentés
avec les couleurs qui leur étoient
propres ; & qui en corrigeant d'une main
légere les travers de l'humanité , a mérité
d'en être à jamais l'ami , le confolateur
&le guide.
C'eſt en ſe pénétrant de ces vérités ,
que celui qui n'a d'autres droits à votre
indulgence que le defir d'en être digne ,
pourra peut-être un jour fixer votre attention.
Convaincu , Meſſieurs , de toute ma
foibleſle , je n'ai dans ce moment d'autres
voeux à former que de mériter par
le zèle le plus ardent , & le travail le
plus opiniâtre , que vous étendiez jufqu'à
moi les bontés dont vous daignez
honorer mes camarades , dont ils fentiront
toujours tout le prix , & pour lefquelles
ma reconnoiſſance ſera auſſi vive
quedurable .
AVRIL. 1769. 149
COMÉDIE ITALIENNE.
La comédie Italienne a fait l'ouverture
de fon théâtre le même jour , par un compliment
en proſe très-court & convenable
à la circonſtance ; il a été prononcé
par Mde Billoni , nouvellement reçue, &
a précédé la premiere repréſentation des
deux Chanteuses , canevas italien en cinq
actes . Toute l'intrigue de cette piéce
moderne roule ſur l'adreſſe qu'une jeune
fille employe pour ſéduire un vieillard,
tureurde fon amant , afin de le forcer à
confentir à fon mariage avec ſon pupille
qu'elle lui préfere : les moyens qu'elle
employé rappellent quelques- unes de ces
piéces de notre ancien théâtre , où l'on
cherchoit à mettre plus de gaîté que de
décence ; celle- ci paroît avoir été condamnée
par cette raiſon ;& l'on ne peut
qu'approuver cette ſévérité de la partdu
public.
Le théâtre Italien vientd'éprouverune
de ces révolutions dont ce ſpectacle a
déjà donné beaucoup d'exemples : * les
* Voyez l'hiſtoire du théâtre italien & de l'o
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
piéces en ariettes ayant depuis quelque
tems exclus entiérement les comédies
écrites ,&unegrande partie des acteurs &
des actrices qui faifoient autrefois le fuccès
de ce théâtre , voyant que leurs talens
y devenoient inutiles , ont pris le parti
de demander leur retraite ; de ce nombre
font Mesdames Riviere , Bognioli &
Carlin ; Meſſieurs Baletti , Ciavarelli ,
Champville , le Jeune & de Heſſe ; mais
ce dernier eſt , dit- on , reſté avec des ap .
pointemens avantageux , pour continuer
de veiller aux différens départemens
dont il étoit chargé . *
Lorſque dans un jardin on abat d'anciennes
tiges , on les remplace auffi-tôt
par de jeunes plants ; c'eſt ce que l'on
vient de faire au théâtre Italien , où l'on
eſpére voir bientôt fructifier les talens
de Meſdemoiſelles Zanerini , Billoni &
Fréderic l'aînée . Meſſieurs Trial , Nainpéra
comique , qui vient d'être publiée , ouvrage
fait avec ſoin & rempli de bonne critique , d'analyſes
intéreſſantes,d'anecdotes curieuſes & d'obſervations
fines & eſſentielles , 9 vol. in -12 . prix
rel. 22 liv. 10 ſols , chez Lacombe , libraire , rue
Chriftine.
* Voyez encore l'hiſtoire du théâtre italien,vol.
7, pag. 481 & fuivantes.
1
AVRIL. 1769. ISI
ville ont déjà prouvé les leurs. M. Camerani
, qui vient auſſi d'être reçu , &
quijuſqu'à préſent avoit joué les rôles d'amoureux
dans l'Italien , a débuté dans
ceux du Scapin avec beaucoup plus de
ſuccès ; & le compliment qu'il a adreſſé
aux ſpectateurs à cette occaſion en a été
fort bien reçu : le public eſpére donner
bientôt à ces jeunes ſujets , comme récompenfe
les applaudiſſemens qu'ils
en ont reçus comme encouragement .
د
ELOGE de Monfieur LE CAT , écuyer ,
docteur en médecine & chirurgien en
chefde l'Hôtel- Dieu de Rouen , profef-
Seur , démonstrateur en anatomie& chi
rurgie , lithotomiſte - penſionnaire de la
même ville ; des académies royales de
Paris , Londres , Madrid , Porto , Berlin
, Lyon , de l'Institut de Bologne ,
des Académies Impériales des curieux
de la nature de Saint - Petersbourg , &
Secrétaire perpétuel de celle de Rouen . ::
DE Aériles regrets ne fuffiſent point a
la mémoire du citoyen qui a conſacré ſes
veilles à ſa patrie ; la reconnoiffance publique
lui doit des éloges ; pour faire ce-
Giv
152 MERCURE DE FRANCE
:
lui de M. le Cat , nous n'aurons beſoin
quede rappeller ſes travaux.
Claude- Nicolas le Cat maquit le 6
Septembre 1700 à Blerancourt , bourg
conſidérablede Picardie , entre Noyon ,
Chauni & Soiſſons. Il étoit fils de Claude
le Cat , chirurgien , élève de Monfieur
Maréchal , premier chirurgien du Roi ,
& de N. Mereſſe , fille de Simon Mereffe
, auffi chirurgien , dont le bisayeul
avoit été appellé à la cour pour
guérir un cancer de la Reine Anne d'Au.
triche. De grandes probabilités auroient
autorisé M. le Cat à adopter des traditions
de famille qui le faifoient fortir
d'une race noble , dont il reſte pluſieurs
tiges dans la même province ; mais il aima
mieux illustrer fon nom lui - même
que d'en tirer l'éclat de ſes ancêtres . Dans
certe penfée il prit pour deviſe ce pallage
de Tacite fur un peuple avec lequel fon
nom n'avoit pas moins de rapport que fon
caractere.
Catti fortunam inter dubia , virtutem inter certa
numerant.
M. le Cat commença ſes études à
Soiffons & les termina àParis , en foutenant
une théſe ſur toutes les parties de la
i
AVRIL . 1769 . 153
philoſophie. Son inclination le portoit à
l'étude dugénie. Il avoit appris ſeul, pendant
ſes études , les mathématiques & les
fortifications ; mais ſes parens qui le deftinoient
à l'état eccléſiaſtique , dont il
porta l'habit pendant dix ans , s'oppofoient
à ce penchant , & cette contradiction
de vocation & d'autorité ſe termina
par un parti également éloigné des deux
autres. M. le Cat ſe fit médecin , chirurgien
, & commença à ſe faire connoître
dans la république des lettres par une
differtation fur le balancement des arcsboutans
de l'égliſe St Nicaiſe de Rheims,
phénomene très-curieux.
M. le Cat continua à ſe diſtinguer par
ſes ouvrages , comme phyficien , comme
chirurgien& comme homme de lettres ;
c'eſt ſous ces trois points de vue que nous
le préſenterons , après avoir ſommairement
rendu compte de ſes autres travaux.
En 1725 , il avoit fait une lettre ſur
la fameuſe aurore boréale qui avoit tant
effrayé le Public. En 1731 , il obtint en
concours la ſurvivance de la place de
chirurgien en chef de l'Hôtel - Dieu de
Rouen, où il ne s'érab it cependant qu'en
1733. En 1732 , il prit ſes degrés en médecine
, obtint le premier acceffit que
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
donnoit , pour la premiere fois , l'académie
de chirurgie ; mais il y remporta les
prix de toutes les années ſuivantes jufqu'en
1738 incluſivement : la deviſe du
mémoire de cette année étoit ufquequd.
En effet pour arrêter ſes triomphes , l'académie
ne trouva d'autres moyens que
de ſe l'aſſocier. A la fin de la même année
, M. de la Peyronnie lui offrit à Paris
un établiſſement des plus avantageux ,
qu'il refuſa par reconnoiffance pour les
bienfaits qu'il avoit reçus de la ville de
Rouen , & dans laquelle il ſe fixa pour
jamais en épouſant , en 1742 , Marguerite
Champoſſin , dont il ne lui reſte
qu'une fille âgée de vingt ans , mariée
depuis peu à M. David , docteur en médecine&
chirurgien de Paris , qui lui a
ſuccédé dans toutes ſes places ,& qui s'eſt
déjà fait connoître très-avantageuſement
dans la république des lettres par plufleurs
ouvrages très eſtimés ſur la phyſique
&fur la médecine.
M. le Cat , après avoir rempli d'une
maniere ſi triomphante la carriere qui
l'avoit conduit à l'académie de Paris ,
adreſſa ſes travaux aux autres académies
de l'Europe , qui ſe firent honneur de le
recevoir. Celle de St Petersbourg qui , à
l'exemple de pluſieurs académies d'Ita
AVRIL. 1769 . ISS
lie , eſt dans l'uſagede donner un ſurnom
à ſes aſſociés , l'appella Pliftonicus , c'eſtà-
dire , le remporteur de prix.
Ses ouvrages les plus conſidérables en
phyſique font :
La differtation ſur le phénomene des
arcs- boutans dont nous avons déjà parlé.
Unmémoire ſur la peſanteur & la légereté
des corps.
Un autre fur leur reffort & leur élafticité.
Une differtation ſur le Aux& le reflux
de la mer , dans lequel il démontre l'équilibre
de toutes les parties de l'Univers
, & établit un mouvement de la terre
& de la lune.
Une diſſertation ſur la faſcination.
Une differtation ſur les preſſentimens
&la ſympathie.
Une annonce de ſon eſſai ſur l'hiſtoire
de la terre ou de ſon ſyſtême ſur la formation
des montagnes par le flux & reflux
, & de l'origine des coquillages & des
animaux foffiles , &c. Ce ſyſtème conçu
dès 1731 , & donné dans le Journal de
Verdun en 1748 , eſt antérieur à ceux de
Téliamed & de M. de Buffon .
Une explication du mouvement de rotation
des planetes , ſecond volume du
G vj
136 MERCURE DE FRANCE.
Mercure de Décemb. 1737 , fous le nom
de Romazzini .
Une differtation fur cette queſtion :
Pourquoi la lune paroît elle plus grande à
Chorifon.
Obſervations envoyées à l'académie
des ſciences de Paris, fut la comete de
1742 , qu'il découvrit le premier à
Rouen , & dont il donne les configurations
entre les étoiles fixes .
Differtation ſur les influences de la lune.
Journal de Verdun , Décemb. 1741
& Juillet 1742 .
Pluſieurs mémoires fur Pélectricité , &
entr'autres fur la découverte faite parM.
le Cat du phénomene de la ſuſpenſionde
la feuille d'or en l'air au bout de la barre
électrique en 1745 & 1746 .
Sur l'aſcenſion des liqueurs dans les
tuyaux capillaires. Janvier 1747 .
Mémoire fur les géans , 1747 .
Obſervations météorologiques faites
pendantquatorze années.
Mémoire fur la chaleur centrale de la
terre , les volcans, les incendies fpontanés
terreſtres , leurs cauſes , 1750.
Détermination dela hauteur du pôle à
Rouen , plusjuſte , à ce que préſume l'auteur
, que celle qu'on a déterminée juf
qu'ici , 1750.
AVRIL. 1769. 157
Mémoires ſur la méridienne du tems
moyen , 1750 .
-pour fervir à l'hiſtoire naturelle de la
ville de Rouen & de ſes environs.
Remarques ſur les défauts de l'hydrometre
à corde, l'invention d'un hydrome.
tre plus ſenſible of plus fidéle.
Examendes principales expériences de
la doctrine de M. Franklin ſur l'électricité,
1752 .
Nouveau barometre qui conferve une
partie des avantages des barometres à
groffes colonnes de Mercure , ſans en
avoir les inconvéniens , 1752 .
Explication de quelques phénomenes
du barometre & du thermometre , 1752 .
Defcription d'un mats pour l'usage des
grandes lunettes & de deux ſupports du
bout oculaire de ces lunettes , 1753 .
Mémoire ſur les progrès des ſciences
&des arts , & de la poſſibilitéde les perfectionner
encore , 1753 .
Sur des animaux trouvés vivans au centredes
corps folides , tels que des blocs de
pierre , des arbres , &c. fans aucune iffue
au-dehors , 17550
Difcours qui prouvent que les arts appartiennent
plus aux ſciences qu'aux belles-
lettres , 1756 .
Application des nouvelles expériences
158 MERCURE DE FRANCE.
durefroidiſſement des liqueurs , leſquelles
expériences avoient été envoyées à l'académie
par M. l'abbé Nollet, ſon aſſocié.
Obſervation nouvelle ſur les géans .
Eſſai d'un ſyſtême phyſico mécanique
des affinités, ouvrage brûlé dans l'incendie
de fon cabinet , du 26 Décembre 1762 .
Mémoire fur cette queſtion , propoſée
à l'académie de Rouen , pourquoi le cuivre
est- il plus caſſant à chaud qu'à froid ,
tandis que les autres métauxfont plus caf-
Sans à froid qu'à chaud ? 1759 .
Remarques fur les états de la colle de
farine qui avoit été expoſée à la gêlée &
au dégel , leſquelles confirment les effets
d'atmosphere attractive & impulſive , que
M. le Cat donne pour principe de l'affinité
, 1760 .
Expoſition & explication d'un petit
phenomene obſervé dans la fufion du
ſoufre qui , de très- liquide dans le premier
degré de chaleur où il étoit d'abord,
devient épais comune du miel , à une chaleur
plus conſidérable , & reprend enſuite
ſa premiere liquidité en le laiſſant refroidir
juſqu'à ce premier degré de chaleur où
il étoit d'abord liquéfié , en 1760 .
Explication des effets d'un nouveau
marteau d'eau , ou nouvelle eſpéce de
cette machine , appellée vulgairement
AVRIL. 1769. 159
l'eau dans le vuide , trouvé par le Sr Scanegat
, 1763 .
Hiſtoire de la répétition des expérien
ces de la chûte des corps graves exécutés
du haut de la tour de la cathédrale de
Rouen avec la machine de M. Hubert ,
perfectionnée par M. le Cat, dans l'intention
d'améliorer la doctrine de la deſcente
des graves, cellede la réſiſtance des milieux
& celle de la force de percuffion .
4 La premiere repétition qui ſe ſoit faite
en France de la pompe afpirante de Séville
, laquelle porte l'eau , non pas à 32
pieds , felon la regle commune , mais à 60
pieds , &c. Explication de ce phénomene,
1766 .
En qualité de chirurgien , M. le Cat
donna d'abord un mémoire fur la taille
des femmes ; enfuite un volume fur l'opération
en général de la taille ; un autre
fur le diffolvant de la pierre , & fix lettres
fur la même matiere .
Un volume fur la couleur de la peau
humaine & fur celle des Négres en particulier.
Un volume , traitant de l'évacuation
périodique du ſexe . 7
Le premier volume des mémoires de
l'Académie de Rouen, qui feront publiés
160 MERCURE DE FRANCE.
dans peu , contient un grand nombre
d'expériences anatomiques faites parM.
leCat.
Diflertations fur la génération , &c .
Journal de Verdun .
En 1738 , il donna à l'académie des
ſciences de Paris l'obſervation de la biffurcationde
la veine azigos , trouvée dans
un marcaffin , hut. pag. 45 , & de la réuniondes
veines coronaires en un ſeul tronc
qui, ſans pénétrer dans l'oreillette droite,
ſejettoit dans la veine ſouclaviere gauche;
& il envoya , à cette compagnie , un oeil
diſſéqué , où l'origine de ſes tuniques étoit
démontrée venir des meninges du cerveau
.
Un traité de la métamorphoſe des os
enparties molles , en 1740 .
Des obſervations ſur le trou ovale qu'il
a trouvéouvert dans pluſieurs adultes , &
fur tout dans les femmes , dont un cinquiéme
conſerve ſes ouvertures. Il y joignit
des obſervations ,& une differtation
fur les hidatitées.
Depuis 1741 juſqu'à 1765 , il a communiqué
à la même compagnie un grand
nombre de mémoires anatomiques & pathologiques
imprimés dans les tranſactions
, qu'il feroit trop long de détailler
ici . On y trouve , en 1749 , le bocal,qu'il
AVRIL. 1769. 161
a inventé pour conſerver dans les liqueurs
ſpiritueuſes les piéces anatomiques ou
toutes autres ſubſtances corruptibles .
En 1744 , il donna , à l'académie de
Rouen , un mémoire intitulé : Description
d'un homme automate , dans lequel
on verra exécuter les principales fonctions
de l'économie animale , la circulation , la
refpiration , les fecrétions , & au moyen
desquels on peut déterminer les effets méchaniques
de la faignée , &foumettre au
joug de l'expérience pluſieurs phénomenes
intéreſſans qui n'en paroiſſent pasfufceptibles.
Cet ouvrage eſt accompagné de toutes
les figures néceſſaires à l'exécution de
Pautomate. C'eſt un article détaché de la
troifiéme partie d'un traité de la ſaignée
que M. le Cat avoit compofé dès 1729 ,
&qui avoit été annoncé dans les Jour
naux de ce tems. Il en faiſoit la partie
expérimentale.
Cette même année 1744 , il communiqua
à l'académie de Rouen , 1º. l'obſervation
d'une ſpina ventofa à la tête ;
2º. Celle d'une piqûure de l'os d'une frac
ture qu'il a réduite , quia produit une virulence
mortelle &une gangrene au pouce
même de l'opérateur qui avoit touché
cette pointe d'os, à l'occaſion de laquelle
162 MERCURE DE FRANCE.
il differte fur la nature des vitus ; 3 °. Un
mémoire ſur l'hydrophobie ou la rage ;
4°. Un enfant double par le haut juſqu'à
la ceinture , fimple par le bas ; l'un des
deux né vivant, l'autre mort. Il n'y avoit
qu'un coeur pour eux deux , de forte que
l'un des freres donnoit du ſang à l'autre.
M. le Cat differte ſur tous ces points & fur
toutes les difficultés qui en réſultent.
En 1748 , il commença à obſerver
les maladies qui regnerent à Rouen
dans toute l'année, ce qu'il continua d'obſerver
quatre années de ſuite , en y joignant
les variations de l'atmoſphere & les
réflexions qu'on doit attendre d'un médecin
phyficien.
Cet ouvrage contient 1º . un diſcours
fur les obfervations météorologiques . Il
donne des preuves phyfico anatomiques
de divers effets de la température
de l'atmosphere ſur nos nerfs , nos liqueurs
, notre ſanté , &c. Une des utilités
de ces obſervations , ſelon lui , eft de nous
conduire quelque jour à prédire ces températures
des ſaiſons qui onttant de part à
notre vie & à nos beſoins , & qu'il feroit ſi
avantageux à l'état de prévoir. Il prétend
que tout eſt périodique dans la nature , &
il donne de fortes preuves que la variété
AVRIL. 1769. 163
des ſaiſons eſt aſſujettie à la même loi , &
que par une ſuite affez longue d'obſervations
météorologiques bien faites on peut
parvenir à connoître ce période .
2º. Un mémoire fur la température
particuliere du climat de Rouen .
3 °. Pluſieurs differtations phyſiques
de l'article précédent ſur les inftrumens
qui fervent aux obſervations météorologiques&
leurs effets .
4°. Deux grands mémoires ſur les fiévres
malignes en général & en particulier
fur celles qui ont regné à Rouen à la fin de
1753 & au commencementde 1754 .
Depuis 1746 juſqu'en 1765 , M. le
Cat donna à la même académie de Rouen
les ouvrages ſuivans : l'obſervation d'un
prétendu hermaphrodite de Louviers &
d'un os qu'on croyoit appartenir à un
géant ; une differtation ſur cette eſpéce
d'homme ; des obſervations ſur la gangrenne
ſéche; celle ſur un curedentavalé ,
enfuite rendu par les urines ; mémoire
fur la génération& la cauſe des maladies
héréditaires ; féve d'aricot trouvée au
centre d'une pierre de la veſſie ovaire
d'une femme où le canal déférent étoit
creux ; morſure d'un canard irrité qui
donne une fiévre maligne & mortelle .
Obſervations anatomiques fur la com164
MERCURE DE FRANCE.
munication des vaiſſeaux du placenta ,
tant entre eux qu'entre ceux de la matrice
, conſtatées par des injections , & arteſtées
par des commiſſaires de l'académie.
Sur le tetanos , les ſignes caractériſtiques
de l'inflammation de la pie-mere ,
les fonctions des membranes du cerveau.
Sur une groſſeſſe de trois ans .
Surune autre de vingt- fix mois.
Sur une ſuperfétation arrivée à une
femme de Louviers , qui accoucha de
trois enfans , chacun à trois mois l'un de
Pautre.
Sur la communication des vaiſſeaux
fanguins entre le foetus & fa mere , dé
montrée ſur des piéces injectées & conf.
ratées par trois commiffaires de l'académie.
Sur un engorgement par congestion
dans toute l'étendue du péritoine , devenu
fuppuratoire avec iſſue des matieres
fécales.
Sur trois monftres, dont l'un avoit fix
doigts à la main; le ſecond, les yeux hors
de la tête , & le troiſieme , quatre yeux
dans une feule tête .
Sur un enfant née ſans front , ayant un
grand nez qui lui donnoit la phyſionomie
d'un adulte.
AVRIL. 1769 . 165
Sur un hermaphrodite imparfait de
dix ſept ans , & fur un enfant femelle à
deux têres.
Sur la ſubſtancedu cerveau d'un négre,
&c.&c.
Obſervations ſur une femme morte ,
pour avoir été fucée de ſangſues.
Sur des jumeaux d'une parfaite refſemblance.
Sur un enfant monftrueux par l'hypogaftre
en ce que le nombril manquoit ,
une partie des inteſtins étoitdécouverte.
Il n'avoit ni veffie , ni anus , & les deux
ouvertures de l'anus& des ureteres , placées
en- dedans , ſe réuniſſoient en un petit
eſpace au - deffus du pubis .
Sur une fuppuration d'une oreille , devenue
morteile.
Mémoire fur un enfant né ſans cerveau .
M. le Cat en avoit apporté un ſemblable
à l'académie le 18 Décembre 1755 .
Sur lamonſtruoſité des organes de la
génération & de ceux des urines par défaut
ou foibleſſe de nature .
D'un enfant monftrueux qui portoit
une partie de ſon cerveau & de fon cervelet
dans une tumeur ſituée à la partie
poſtérieure de la tête.
Mémoire fur le ſommeil , brûlé à l'incendie
de ſon cabinet.
166 MERCURE DE FRANCE.
:
Obfervations pathologiques & anatomiques
des maladies mortelles en is ou
18 heures .
Remarques ſur l'intérieur de l'utérus
dans le tems des regles; fingularités nouvelles
des trompes de fallope , & maladies
des ovaires du même ſujet.
Foetus humain qui manquoit de tête, de
coeur , de poumon , d'eſtomac , de rate ,
de foie , de pancréas & de reins ordinaires
, & qui , cependant , a vécu les neuf
mois de la groſſeſſe ordinaire , & avec un
accroiſſement à peu- près égal à celui des
autres enfans , 1764 .
Obſervations ſur un mangeur de cail .
loux.
Mémoire fur la féche inſecte poiffon ,
avec grand nombre de planches , tendant
à établir les élémens de l'animalité.
Un mémoire couronné à l'académie de
Berlin , fur la nature du fluide des nerfs ,
& un aurre ſur la ſenſibilité de la duremere
, de la pie- mere &des membranes .
Un autre mémoire à l'académie de Toulouſe,
ſur la théorie de l'ouïe, qui fut couronné
par un triple prix qui n'avoit point
été délivré les années précédentes.
Comme académicien ſecrétaire perpétuel
de l'académie des ſciences& promoteur
de l'établiſſement de celle de Rouen,
AVRIL. 1769. 167
M. le Cat a donné aux belles- lettres une
réfutation du diſcours de Jean - Jacques
Rouſſeau , qui a remporté le prix de l'académie
de Dijon ; réfutation qu'il foutint
avec honneur contre ce célébre écrivain
, & contre l'académie elle - même
qui foutint fon jugement.
Préface du premier volume des mémoires
de l'académie , où , après avoir
expoſé le plan de cet ouvrage , on répond
à quelques objections faites contre la
multiplicité des académies & des livres ,
&l'on prouve , par une hiſtoire ſuccinte
des belles lettres , des ſciences & des arts,
la poffibilité de faire des progrès dans les
uns & d'empêcher la décadence des autres
; double projet à l'exécution duquel
les académies font néceſſaires.
Hiſtoire de l'académie depuis fon origine
juſqu'en 1745 .
Divers éloges du Pere Meſcartel , du
Pere Caſtel , de MM . de Moyancourt , du
Boccage , Gunz , Guerin , le Prince &
Fontenelle.
Ces travaux littéraires ne firent point
négliger à M. le Cat ceux que fon art rendoitplus
directement utiles au Public .Dès
qu'il fût établi à Rouen , il y enſeigna l'anatomie
& la chirurgie. Il obtint du Roi
(1736) que ſon école particuliere fût éri
168 MERCURE DE FRANCE.
gée en école publique ; & ce fut , après
dix ans d'inftruction gratuite , qu'il contribua
de ſes propres deniers à la conftruction
de cet amphithéâtre anatomique.
Dans le même tems il réunit dans la mê
me ville pluſieurs ſcavans & amateurs
des arts , &devint , par ce moyen , le promoteur
de l'académie dont il fut depuis
le ſecrétaire ; il ne concourut pas avec
moins d'efficacité aux progrès de l'école
de deſſin , en lui prêtant ſon amphithéâtre
pendant pluſieurs années , & tandis
qu'il foutenoit le zèle de ſes éleves par
des prix diſtribués à ſes dépens dans des
féances publiques , fon épouſe excitoit
celui des deſſinateurs avec la même généroſité;
enfin la ville , touchée de ce zèle
vraiment patriotique , réſolut , dans les
dernieres années , d'en prendre les frais
fur fon compte.
La pratique de ſon art n'éprouva pas
moins les effets de ſon zèle . Deux ans mê.
me avant fon établiſſement , il fut le reftaurateur
de l'opération de la taille , qu'on
avoit abandonnée en Normandie. Il la
perfectionna , & la fit avec tant de fuccès,
que le magiſtrat de Rouen fit publier en
1739 , que de ſept printems , pendant
leſquels cethabile lithotomiſte avoit taillé
dans cette province , il y en avoit cinq
dans
AVRIL. 1769. 169
dans lesquels il ne lui étoit mort aucun
ſujet. Ses ſuccès , qui l'avoient fait appeller
dans les pays étrangers , dans pluſieurs
de nos provinces , & même à Paris,
-lui mériterent d'abord , comme lithoto-
-miſte , une penſion de deux mille livres
fur les octrois de Rouen ; & depuis une
- ſeconde , viagere , de pareille ſomme
-(1759) par augmentation à celle de chi-
-rurgien en chef de l'Hôtel - Dieu de
Rouen .
- Après tant de travaux &de ſuccès , il
ne manquoit à la gloire decet illuſtre artiſte
que d'éprouver l'ingratitude & l'injustice.
Quelques académiciens nouveaux
-paturent douter de la grande part queM.
le Cat avoit à l'établiſſement de leur académie
, & voulurent l'attribuer à d'autres;
mais tous les anciens académiciens
reclamerent en ſa faveur , & le doyen de
l'académie lui donna le certificat fuivant.
>>Nous ſouſſigné doyen de l'académie
» & témoin oculaire de ſa naiſſance & de
» ſa création, atteſtons que M. le Cat fut,
» en 1740 , l'auteur du projet de transfor-
>> mer notre premiere aſſociation en cette
>> ſociété académique qui eſt devenue de-
>> puis ( 1744) académie royale , & que
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
1
» c'eſt principalement à fon zèle & à ſon
» activité que nous devons l'exécution de
>> ce projet. A Rouen , ce 15 Janv. 1761 .
» Signé , LA ROCHE. »
Enfin , au mois de Janvier , en reconnoiſſance
des ſervices importans & multipliés
de M. le Cat , le Roi lui accorda
des lettres de nobleſſe ;&par une diſtinction
particuliere, le parlement& la chambre
des comptes deNormandie les enregiftrerentgratis.
C'eſt avec regret que , pour nous conformer
à la forme ordinaire de cet ouvrage
, nous ne pouvons nous livrer au
plaiſit que nous aurions de nous étendre
fur toutes les qualités ſociales & les vertus
particulieres dece bienfaiteurde l'hu-
-manité qu'il honora par ſes écrits , qu'il
foulagea par ſes travaux ; nous aurionsdefiré
fémer autant de fleurs ſur ſa tombe
que ſa patrie a verſé de larmes ſur ſa
perte.
e
AVRIL. 1769. 171
C
ΕΡΙΤΑΡHE de M. LE CAT.
I gît , qui , par le vrai , ſçut terraſſer l'envie ;
Par les traitsdu talent , qui repouſla la mort ;
Qui , par son immortel génie ,
Triomphe maintennant du cercueil & du fort.
Par un Eleve de M. David , fucceffeur.
&gendre de M. le Cat.
CADÉMIES.
I.
L'ACADEMIE royale des Sciences , dans
fon aſſemblée publique tenue les de ce
mois , a adjugé le prix double propoſé
en 1767 , fur le meilleur moyen de déterminer
l'heure à la mer , au Mémoire qui
a pour deviſe : Labor omnia vincit impro .
bus , dont l'auteur eſt M. le Roy , Horloger
du Roi . Mais comme les montres
marines de M. le Roy n'avoient pas encore
toute la préciſion néceſſaire ; elle a
cru devoir propoſer de nouveau le même
ſujet pour le prix qu'elle diſtribuera à la
rentrée de Pâque 1771 ; en déclarant en
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
même tems qu'elle exige que les horlo
ges , pendules ou montres qu'on lui adreſfera
, ayent été eſſayées à lamer , que les
eſſais en ſoient conftatés par des piéces
authentiques , &qu'elles foient d'une fi
grande préciſion , qu'elles ne ſe dérangent
que de deux minutes au plus pendant fix
ſemaines , afin qu'on puiſſe avoir la longitude
à un demi - degré près , dans un
voyage de mer , qui dureroit cet eſpace
de tems. Après cette annonce , M. de
Fouchi a lu un programme , par lequel
l'académie remet , pour la même année
1771 , le prix extraordinaire donné par le
Roi , & dont l'objet eſt de perfstionner
l'eſpèce de criſtal néceſſaire à la conftruction
des lunettes achromatiques. Le même
académicien a prononcé enſuite l'éloge
de M. de Parcieux , éloge que nous
avions eſquiſſé nous-mêmes dans le premier
volume du mois d'Octobre dernier,
où l'on pourra prendre une idée des travaux
& des connoiſſances de cet homme
célèbre.
M. de Vaucanfon a lu un Mémoire
ſur une machine de ſon invention , propre
à moirer les étoffes de foie plus parfaitement
, & par un procédé plus ſimple
&moins diſpendieux que celui qu'on a
employé juſqu'à préfent ,
AVRIL. 1769. 173
A ce Mémoire a fuccédé l'éloge de M.
Trudaine , auquel la France doit en grande
partie ces routes magnifiques , ces
ponts auſſi ſolides que hardis dans leur
conſtruction , qui facilitent la communication
de toutes les Provinces à la
Capitale , & de toutes les provinces entr'elles
, & qui font à ſi juſte titre l'admiration
des étrangers .
Ce éloge a été ſuivi d'un Mémoire ,
où M. Marquer donne un procédé pour
teindre la foie enun rouge vifde cochenille
, & lui faire prendre pluſieurs autres
couleurs plus belles & plus ſolides que
celles qui font uſitées .
La ſéance a été terminée par M. de Fouchi
qui a rendu compte des arts que
l'Académie a publiés dans le cours de cette
année.
1 1.
Académie des Infcriptions .
L'ACADÉMIE royale des infcriptions &
belles- lettres fit le 4 de ce mois ſa rentrée
publique d'après Pâque. M. le BEAU ,
fecrétaire perpétuel , annonça que l'académie
avoit propoſé pour ſujet du
prix , qui devoitêtre diſtribué dans cette
:
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
féance , la queſtion ſuivante : Quelles ons
été,depuis les tems les plus reculés , jufqu'au
IVfiècle de l'ere chrétienne , les tenzatives
des différens peuples pour ouvrir des
canaux de communication , foit entre diverſes
rivieres , foit entre deux mers différentes
,foit entre des rivieres & des mers ,
&quel en a été leſuccès ? Mais les mémoires
qui ont été envoyés n'ayant pas
rempli les vuesde l'académie , elle propoſe
le même ſujet pour le prix qui ſera
donné à Pâque 1771 , & qui fera double.
L'académie propoſe auſſi de nouveau
pour la SaintMartin de l'année 1770 , le
prix qui fera double , fur cette queſtion :
Quels furent les noms & les attributs divers
de Jupiter chez les différens peuples de
la Grèce& de l'Italie ; quelles furent l'origine
& les raisons de ces attributs ?Le
prix double conſiſtera en deux médailles
d'or , chacune de la valeur de cinq cens
livres.
Les pièces , affranchies de tout port ,
feront remiſes entre les mains du ſecrétaire
perpétuel de l'académie avantle prémier
Juillet 1770 .
Dans cette féance , M. l'abbé Arnaud
alu un mémoire ſur le génie , le ſtyle &
la maniere de Platon ; il a donné la plus
noble idée de ce grand homme , que les
AVRIL. 1769 . 175
traducteurs & les commentateurs étoient
ſi éloignés de faire connoître. Ce beau
mémoire, recommandable par une érudition
profonde , jointe àune philofophie
lumineuſe , renferme dans un court
eſpace le ſyſtême de morale des anciens ,
&les moyens admirables que Platon employoit
pour arriver à la vérité. Nous
ferions flattésde pouvoir préſenter dans
unde nos journaux prochains quelquesunesde
ces obſervations ſcavantes & intéreſſantes.
On a été très-attentifà la lecture d'un
mémoire dans lequel M. de Guignes ,
juſte appréciateur des Chinois qu'il a fi
bien étudiés , donne une idée de leur littérature
en général , & particulièrement
des hiſtoriens & de l'étude de l'hiſtoire
à la Chine. Il détruit l'opinion fauſſe qui
fait remonter l'antiquité de leurs livres
bien avant celle de nos écrivains facrés ;
maisil convient qu'aucun peuple ne préſente
un corps d'hiſtoire,ni li ancien, ni fi
complet , ni ſi ſuivi. Les fonctions d'hiftorien
ont toujours été regardées comme
auguſtes chez cette nation , & la vérité
comme un dépôt ſacré qui leur étoit confié
, & qu'ils conſervoient ſouvent aux
dépens de leur vie.
Hi
176 MERCURE DE FRANCE.
L
M. de Rochefort a fait part de ſes recherches
ſur les moeurs des tems héroïques
chez les Grecs. Il trouve dans les
poëtes de ces beaux ſiécles les modeles &
les préceptes de toutes les vertus.
M. Anquetil devoit terminer la féance
par un mémoire dans lequel il établit
que les livres zends , déposés à la bibliothéque
du Roi , le 15 Mars 1762 , font
les propres ouvrages de Zoroastre , ou
que du moins ils font auſſi anciens que
ce légiflateur ; mais le tems ne lui a pas
permisde commencer ſa lecture . Ce mémoire
ſera imprimé tout entier dans le
Journal des Sçavans , aux mois de Mai
&Juin de cette année.
III.
Fleffingue.
La ſociété érigée en cette ville pour
l'avancement des arts&des ſciences, propoſe
pour ſujet d'un prix , conſiſtant en
une médaille d'or , la queſtion ſuivante ,
fur laquelle il s'agita de répondre avant
le mois de Mai 1770 ; ſçavoir : Quels ont
été les habitans de Zélande juſqu'au XV
fiécle , quelles leurs moeurs , quel leur culte,
&quels parmi eux les commencemens &
AVRIL. 1769. 177
lesprogrès des belles lettres , des arts & des
Sciences. Les mémoires , qui feront envoyés
en réponſe , doivent être marqués
d'une ſimple deviſe , ſans nom d'auteur ,
mais accompagnés d'un billet cacheté ,
portant en detfus la même deviſe & en
dedans le nom & l'adreſſe de l'auteur. On
ſouhaite qu'ils foient écrits en caracteres
bien liables , foit enflamand , en françois
ou en latin , & adreſſes , francs de
port , à M. Juſte Tjeenk , ſecrétaire de
cette fociété.
En outre , la ſociété propoſe une autre
queſtion , fur laquelle il s'agira auſſi de
répondre avant le premier Mai 1771 .
Celle- ci eft : Quellesfont les causes des fré
quens éboulemens des digues ,fur tout dans
la province de Zélande , & quel est le meil
leur moyen de prévenir de pareils éboule .
mens ; ou , s'il en arrive , de les réparer de
la maniere la plus prompte & la moins
diſpendieuse.
Enfin, la ſociété ſe feraun plaiſir de recevoir
tous les mémoires qui lui feront
envoyés , il n'importe de quelle part ,
leſquels contiendront quelque nouvelle
invention , ou quelque moyen d'en perfectionner
d'anciennes , ainſi que des obſervations
ſur diverſes branches d'arts ou
de ſciences , ou toutes productions quel
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
conques , capables de contribuer à leur
avancement. Et elle diſtribuera encore
deux médailles d'argent en faveur de
ceux dont elle jugera avoir reçu les deux
meilleurs mémoires .
IV.
Ecoles Royales Vétérinaires.
Unemaladie épizootique s'eſt annoncée
avec un appareil formidable ſur une
quantité de bêtes à cornes de pluſieurs
paroiſſes de la province de Breffe , & a
répandu l'allarme dans toute cette province
& dans celles qui lui ſont limitro .
phes ; elle a même excité la terreur jufquedans
la ville de Lyon.
M. Amelot, intendant de la généralité
de Bourgogne , s'eſt adreſſé au directeur
& inſpecteur général des écoles royales
vétérinaires , pour obtenir les fecours que
les éleves de ces écoles font capables de
fournir dans des circonstances auſſi malheureuſes.
Le nommé Braſier , éleve de
celle de Lyon , a été envoyé auſſi- tôt dans
la paroiſſe de Meximieux , où il eſt arrivé
le premier du mois de Mars ; qua -
rante- fix animaux y étoient morts avant
ſon arrivée. Il en atraité ſuivant les états
AVRIL. 1769. 179
qu'il en a remis , certifiés véritables par
M. de la Cua , premier ſyndic perpétuel
de la ville de Montluel , par M. Doyen,
curé de Meximieux , par M. Gayor de la
Rajaſſe,doyen du chapitre , par MM. Jacquemet
& Beaublet , ſyndics de Meximieux
, trois cens cinquante fept. Ileneſt
morttrois entre ſesmains; cent quarantetrois
ont été radicalement guéris, & deux
cens onze ontpris les remedes préſervatifs
avec le plus grand ſuccès.
Ce même éleve auſſi- tôt après eſt parti
pour les paroiſſes de Pérouge , Faramant
& Loye. Il y a traité, ſuivant les états
qu'il a rapportés certifiés véritables par
M. de Courteville , de la paroiſſe de
Pérouge , & par MM. Chaland & Buiffon
bourgeois de Loye , cent trente- fix
animaux , dont deux font morts ; quarante-
quatre ont été parfaitement guéris ,
&quatre- vingt-dix ont été préſervés : il
en étoit mort dix-huit avant fon arrivée.
Voilà plus de neuf mille bêtes à cornes
conſervées aux cultivateurs depuis la fondation
des écoles ; de pareils faits , bien
conftatés , diſſipent tous les doutes que
les eſprits les plus prévenus pourroiene
former contre l'utilité de ces établiſſemens.
Le ſieur Brafier s'eſt conformé dans ce
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE .
traitement à ce qui a été preſcrit dans les
notes imprimées à la ſuite du difcours
qui remporta le prix de la ſociété royale
d'agriculturede Paris en l'année 1765 .
* Ces notes font dûes à M. Bourgelat ;
& celles qui ont pour objet les maladies
épizootiques inflammatoires & malignes
ontguidé le ſieur Brafier dans cette occafion
, qui lui fait un honneur infini , &
dans laquelle il a témoigné le zèle le plus
grand.
ARTS.
GRAVURE.
I.
La mort d'Hercule & celle de Didon, deux
eſtampes en pendant d'environ is poucesde
haut fur 11 de large. A Paris ,
aux adreſſes ordinaires de gravure .
Ces deux ſujets , empruntés de l'hiftoire
poëtique , ont été gravés par J. Bap .
* Cet ouvrage ſe trouve àParis chez la veuve
Hou y , Imprimeur-Libraire , rue S. Séverin ,
près la rue S. Jacques.
AVRIL. 1769 . 181
Michel , d'après les tableaux originaux
de M. Challe , peintre ordinaire du Roi ,
&deſſinateur de ſa chambre & de fon
cabinet. La premiere eſtampe repréſente
Hercule , qui pour ſe délivrer des douleurs
inſupportables que lui cauſe la robe
enchantée du centaure Neffus , s'eſt jetté
fur le bucher ardent qui doit le confumer.
Dans la ſeconde estampe , Didon termine
également ſon deſtin par les flammes d'un
bucher qu'elle a fait allumer. Elle eſt
prête à ſe frapper de l'épée d'Enée ſon
amant ; préſent , dit Virgile , deſtiné à
d'autres uſages.
I I.
Quatrieme ſuite de divers habillemensfuivant
le coftume d'Italie, deſſinés d'après
nature par M. Greuze , peintre du Roi,
&gravés par M. Moitte, qui les diſtribue
chez lui , à Paris , rue St Victor ,
la troiſieme porte cochere à gauche en
entrant par la Place Maubert.
Les amateurs s'empreſſerontde ſe procurer
cettederniere ſuite compoſée , ainſi
que les premiers , de fix morceaux intéreffans
,telsque la payſanne Napolitaine,
une femme de Freſcati , une femme Na-
:
182 MERCURE DE FRANCE.
politaine avec ſon habillement de fête ,
&une autre qui ſe chauffe les pieds à un
poële de braife , une payſanne de la Calabre
, gravée d'après Barbault , & une
bourgeoiſe de Freſcati, d'après Vleughels.
Ces fix morceaux completent agréablement
les vingt-quatre que M. Moitte
avoit annoncés au public.
III.
Portrait de Jean Jacques Rouſſeau , d'environ
14 pouces de haut fur 11 delarge;
à Paris , chez Delalain , libraire ,
rue St Jacques .
M. Ramſay , peintre eſtimé des Anglois
, avoit peint M. Rouſſeau à Londres
en 1766 ; & c'eſt d'après ce tableau que
J. E. Nochez vient de graver l'eſtampe
quenous annonçons. Le philoſophe Génevois
y eſt repréſenté en habit armenien
, habillement qu'il a adopté comme
le plus commode àune perſonne malade
& infirme. Ce même portrait a été gravé
en maniere noire par Martin , graveur
Anglois . Celui qui vient d'être publié a
pour épigraphe ces deux vers tirés du poëmede
la peinture , par M. Lemiere :
Ainſi l'aigle caché dans les forêts d'Ida ,
Pourprendre unvol plus haut,fouvent le retarda.
AVRIL. 1769. 183
I V.
Portrait de Pascal de Paoli , général des
Corſes ; à Paris , chez Baſan , graveur
& marchand d'eſtampes , rue du Foin
St Jacques ; prix , 1 livre 4 fols .
Ce portrait intéreſſant eſt de formar
in 8 ° . , & a été gravé en Italie , d'après
une peinture très-reſſemblante de ce général
. Il eſt ſurmonté d'une branche de
chêne , arbre conſacré chez les anciens
Romains pour les couronnes civiques ,
&d'un bâton de commandant avec ces
mots : pro patria.
On trouve un autre portrait de ce général
, gravé en médaillon , chez Defnos,
libraire , ingénieur , géographe du roi de
Dannemarck , rue St Jacques au globe ,
prix , 1 livre 4 fols.
;
:
MUSIQUE.
I.
VIe recueildes pièces Françoiſes & Italiennes
, petits airs , brunettes , menuets ,
184 MERCURE DE FRANCE
&c , avec des doubles , & variations
accommodées pour deux flûtes traverſieres
, violons , par deſſus de viole ,
&c , par M. TAILLART L'AINĖ : le
tout recueilli & mis en ordre par
M *** ; prix , 6 livres. A Paris chez
M. Taillart , rue de la Monnoie , la
premiere porte cochere à gauche en
defcendant du Pont-Neuf , & aux
adreſſes ordinaires .
L'ACCUEIL favorable que les amateurs
de la muſique inſtrumentale ont toujours
fait aux recueils d'airs de M. Taillart
l'aîné , a engagé ce virtuoſe à publier
celui ci . Il est compolé des airs qui ont été
le plus applaudis for différens théâtres ;
& les feconds deſſus en font arrangés
avec ce goût que l'on connoit à ce maître
qui profelle avec le plus grand ſuccès la
Aûte traverſiere , de l'aveu même des
muficiens Allemands & Italiens ; il eſt
celui qui par un travail ſuivi , ait ſçu réunir
au plus haut degré de perfection l'exé
cution la plus brillante , & les ſons les
plus agréablement timbrés à ce goût épuré
qui embellit les chants, même les plus
ingrats.
AVRI L. 1769. 185
II.
Nouveaux principes de musique , qui ſeuls
doivent ſuffire , pour l'apprendre parfaitement
, auxquels l'auteur a joint
l'hiſtoire de la muſique &de ſes progreſſions
depuis ſon origine juſqu'à
préſent. Par M. Dard , ordinaire de
la muſique du Roi , & de l'Académie
royale de muſique ; prix 9 liv .
Ce livre fe trouve chez l'auteur rue
Bailleul , la premiere porte à gauche en
entrant par la rue des Poulies , & aux
adreſſes ordinaires ; il a été annoncé ily
a quelques mois ; l'Auteur l'a retiré
auſſi tôt , s'étant apperçu que ſon objet
n'étoit pas rempli par pluſieurs négligences
de ſa part , & par la mauvaiſe exécution
de la gravure. Il a rétabli le tout &
faitdes augmentations conſidérables , il a
ajouté un grand nombre de leçons à deux
parties , & il a pareillement augmenté
le nombre des airs& ariettes avec accompagnementde
fûte ou violon.
Pendant le peu de tems que ce livre a
été mis en vente , avant ſa correction ,
ily a eu un grand nombre d'exemplaires
de diftribués ; c'eſt pourquoi l'auteur prie
186 MERCURE DE FRANCE.
ceux qui les ont de vouloir bien les renvoyer
, & il leur en fera diſtribuer de
nouveaux fans aucune rétribution .
Meſſieurs les marchands de province
peuvent écrire à l'auteur , &
lui indiquer la voie la plus courte & la
plus convenable, pour leur faire tenir le
nombre d'exemplaires qu'ils deſireront
avoir.
IV.
Odefacrée ou Cantique en action de
graces pour les bienfaitsreçus deDieu,
duPl.
duPf. XLV, Deus nofter refugium ,
&c. mis en muſique avec accompagnement.
Les paroles ſont de J. B.
Rouſſeau , la muſique du chant eſt de
M. B ***, & celle de l'accompagnement
de M. Duchesne , organiſtedes
égliſes de S. Marcel & de Sceaux ;
prix 1 liv. 16 f. A Paris , chez M.
Duchefne , rue S. Thomas , la premiere
porte cochere en entrant par la
rue S. Hyacinthe , à gauche , au fond
de la cour au premier , & aux adreſſes
ordinaires .
Cette Ode facrée de Rouſſeau avoit
été donnée par un amateur , & par les
AVRIL. 1769. 187
Directeurs du Concert Spirituel pour
ſujet du prix d'un motet françois qui devoit
être adjugé dans la quinzaine de Pâque.
Le motet que nous annonçons n'a
point été préſenté au concours , & les
auteurs ne donnentici que la partie chantante
avec accompagnement de baſſe ;
mais fi cet eſſai eſt reçu favorablement ,
ils publieront inceſſamment toutes les
partitions de ce motet.
V.
Ariette avec ſymphonie, dédiée à Monſeigneur
le Duc d'Aiguillon , par M.
Baillon , ci-devant ordinaire de ſa muſique
; prix 1 liv. 16 fols A Paris , chez
l'auteur , rue du petit Lion S. Sauveur ,
maiſon de M. Marchand , Perruquier ;
Jolivet , marchand de muſique , à la
muſe lyrique , rue Françoiſe , proche la
Comédie Italienne & aux adreſſes ordinaires.
V I.
Six quatuor d'un goûtnouveau à deux
violons alto & baffe , dédiés à M. le
comte d'Hautefort , grand d'Eſpagne de
la premiere claffe , meftrede camp du ré188
MERCURE DE FRANCE.
giment Royal étranger de cavalerie , par
Giovanni FRANCISCONI , Napolitain ,
muſicien de S. A. Mgr le comte d'Hefſenſtein
, opera II , gravés par Mademoiſelle
Vendôme & le ſieur Moria ;
prix 9 livres , chez l'auteur , chauffée
d'Antin vis-à-vis le chantier , & aux
adreſſes ordinaires de muſique.
VII
Le Réveil champêtre , ariette nouvelle
avec accompagnement de violons , altoviola
, baffo , & corno ad libitum del fignor
G. A. Haffe , arrangée par M.
MOUROY ; prix 2 liv. 8 fols , gravée par
Madame Annereau ; à Paris , aux adreſ
ſes ordinaires.
VIII.
,
Sixfonates pour le clavecin , avec accompagnement
de violon ad libitum , dédiées
à S. A. S. MADEMOISELLE compoſées
par M. Luontzi HONAUER, oeuvre
III , gravé par Madame Oger ; prix en
blanc , livres ; à Paris chez l'auteur à
l'hôtel Soubiſe , vieille rue du Temple ,
& aux adreſſes ordinaires de muſique.
AVRIL, 1769. 189
Ι Χ.
Le Désespoir amoureux , ariette nouvelle
avec accompagnement , par M.
TISSIER , maître de chant , gravée par
Mademoiselle Bouin ; prix : livre 16
fols ; à Paris chez l'auteur , rue St Honoré
à la Gerbe d'or proche l'Oratoire ,
M. Bouin marchand de muſique & de
cordes d'inſtrumens , même rue près St
Roch . Mademoiselle Castagnery , rue des
Prouvaires , à la Muſique royale. A
Lyon, chez M. Caſtand, A Toulouſe chez
M. Bruner .
Suite des Confeils d'un Pere à ſon Fils ,
fur la Muſique.
Du GoOuUτT..
Le goût eſt un mouvement de l'ame
qui nous porte à exprimer avec force ou
avec délicateſſe les divers ſentimens que
la nature inſpire. Il naît de la bonne édu
cation , s'accroît par les belles chofes
qu'on entend , ſe forme par les conſeils
des habiles gens , & ſe perfectionne par
190 MERCURE DE FRANCE.
la ſociété de la bonne compagnie. Les
productions n'ont le droit de plaire que
lorſqu'il les dirige. C'eſt lui qui embellit
les arts par un caractere noble qui
cauſe notre admiration & attire nos fuffrages
. Il ne ſçauroit briller dans la muſique
, ſi l'élégance du chant, les tournutes
agréables , les agrémens placés , la
belle modulation , le choix des accords
& la belle harmonie n'en font l'objet &
le principe. C'eſt dans les ſentimens du
coeur qu'il faut chercher ces traits charmans
qui nous enchantent. La théorie ne
le fait point naître ni acquérir ; témoin
ces froids compoſiteurs , qui ſe perfuadentque
la ſcrupuleuſe exactitude eſt le
premier mérite. La chûte de leurs ouvrages
leur prouve bien que la rigidité
du calcul n'eſt pas la regle du goût.
Dufimple.
Le genre ſimple eſt un chant naturel ,
propre àexprimer tous les ſentimens tendres&
affectueux . Les phraſes en doivent
être bien liées , les modulations douces ,
les accompagnemens fins & délicats ,
l'harmonie pure & ſenſible. Tout doit
reſpirerdans ce genre la paix , la douceur,
la fatisfaction , la tranquillité. C'eſt à
AVRIL. 1769. 191
proprement parler letriomphe de la mélodie
, partie ſi étendue , ſi difficile & fi
ingrate pour imaginer des chants nouveaux
, pour ne pas tomber dans les phraſes
communes , pour ne pas ſe répéter
foi-même , & pour répandre dans ſa
compoſition ce caractere vrai qui force
les plus inſenſibles à nous rendre les armes.
Nos anciens nous ont donné des regles
fûres de ce genre ; auffifaut- il beaucoup
parcourir leurs ouvrages& les imiter
ſans les copier dans toutes les occaſions
où ce genre eſt néceſſaire , comme
dans les fêtes des amours où regnent les
plaiſirs , les jeux , les ris, les graces; dans
celles des bergers , des nymphes , des fonges
agréables , &c. Il n'eſt point d'opéra
où il n'ait lieu ; par conséquent , on ne
peut trop l'étudier , trop l'approfondir ,
trop le connoître. Il eſt l'image des ſentimens
, du bon goût & de la volupté. C'eſt
lui qui dans les airs vifs inſpire la gaîté ,
le plaifir , la joie& qui ſuſpend le chagrin.
Il s'attache quelquefois ſi fort à
notre coeur , qu'on répéte ſouvent les
chants heureux qui le font briller. Le
génie y peut préfider autant que dans le
genre le plus élevé.
:
192 MERCURE DE FRANCE.
!
•
3
Du Chant vrai.
Il eſt du chant ainſi que du diſcours.
Il y a des choſes vraies qui frappent généralement
tout le monde. Il y en a d'autres
qui n'ont que l'apparence de la vérité
, qui ſéduiſent ceux qui n'ont point
aſſez de lumieres pour les difcerner. Il y
en a de fauſſes que les gens de goût ne
ſçauroient foutenir. Le chant qui exprime
parfaitement les paroles & qui peint les
penſées , eſt le vrai. Celui qui est trop
recherché , & qui nous laiſſe dans l'indéciſion
, n'a que l'apparence de la vérité.
Celui qui exprime à contre ſens eſt faux.
Le manque de génie & le défaut de goût
fontque le compoſiteur prend ſouventl'un
pour l'autre. L'homme de génie ne s'y
trompe point , étant bien perfuadé que
des chants différens ne ſçauroient rendre
également la même penſée. Ainſi qu'un
'poëte doit exprimer chaque ſentiment
par un choix de mots heureux qui peignent
bien la vérité ; de même un muicien
doit obſerver les divers ſons qui ren.
dent fidelement l'idée du poëte. C'eſt
dans la multitude des chants , qui ſe préſentent
à l'imagination , qu'il faut choiſir
J
celui qui paroît le plus propre à l'expreſſion
.
AVRIL. 1 169. 193
preſſion . Le vrai s'imprime ſi profondément
dans la mémoire , qu'il nous revient
pour ainſi dire malgré nous , ce qui
prouve que la vérité a toujours le droit
d'exercer ſon empire. Enfin , l'ouvrage
qui frappe le plus , & qu'on retient le
mieux , eſt toujours le meilleur ouvrage.
PIETE' FILIALE.
I.
Un enfant de très -bonne naiſſance ,
placé à l'Ecole royale militaire , ſe contentoit
pendant pluſieurs jours de manger
de la ſoupe & du pain ſec avec de l'eau.
Le gouverneur , averti de cette fingularité
, l'en reprit , attribuant cela à quelque
excès de dévotion mal entendue ; le
jeune enfant continuoit toujours fans dévoiler
fon fecret. M. P. D. , inſtruit par
le gouverneur , de cette perſévérance , le
fit venir , & après lui avoir doucement
repréſenté combien il étoit néceſſaire d'éviter
toute fingularité & de ſe conformer
à l'uſage de l'école , voyant que cet enfant
ne s'expliquoit point ſur les motifs
de ſa conduite , fut contraint de le mena-
11. Vol.
I
194 MERCURE DE FRANCE.
1
cer , s'il ne la réformoit , de le rendre à
ſa famille ; hélas ! Monfieur , dit alors
l'enfant , vous voulez ſçavoir la raiſon
que j'ai d'agir comme je fais ; la voici .
Dans la maison de mon pere , je mangeois
du pain noir en petite quantité ,
nous n'avions ſouvent que de l'eau à y
ajouter ; ici je mange de bonne ſoupe , le
pain y est bon , blanc & à difcrétion . Je
trouve que je fais grande chere , & je ne
puis me déterminer à manger davantage,
par l'impreſſion que me fait le ſouvenir
de l'état de mon pere &de ma mere .
M. D. & le gouverneur ne pouvoient
retenir leurs larmes , par la ſenſibilité &
la fermeté qu'ils trouvoient en cet enfant .
Monfieur , reprit M. D. , fi M. votre
pere a ſervi n'a-t il pas de penfion ? Non ,
repondit l'enfant. Pendant un an , il en a
follicité une ; le défaut d'argent l'a contraint
d'en abandonner le projet , & pour
ne point faire de dettes à Verſailles , it a
mieux aimé languir. Eh bien , ditM.
D. fi le fait eſt auſſi prouvé qu'il paroît
vrai dans votre bouche , je promets de
lui obtenir cinq cens livres de penſion.
Puiſque vos parens ſont ſi peuà leur aiſe,
vraiſemblablement ils ne vous ont pas
beaucoup garni le gouffet , recevez , pour
AVRIL 1769. 195
vos menus plaiſirs , ces trois louisque je
vous préſente de la part du Roi ; & quant
à M. votre pere , je lui enverrai d'avance
les fix mois de la penſion que je fuis affuré
de lui obtenir. Monfieur , reprit l'enfant
, comment pourrez-vous lui envoyer
cet argent ? Ne vous inquiétez point , repondit
M. D. , nous en trouverons les
moyens. Ah Monfieur , repartit promptement
l'enfant , puiſque vous avez cette
facilité , remettez-lui auſſi les trois louis
que vous venez de me donner ; ici j'ai
de tout en abondance , ils me deviendroient
inutiles , & ils feront grand bien
à mon pere , pour ſes autres enfans.
Ce fait est arrivé il y a quelques années,
&j'oſe en aſſurer la vérité.
CARDONNE , porte- manteau ordinaire
deMgr le Comte de Provence.
I I.
Trait de valeur d'un cavalier du régiment
du Roi , à la journée de Minden.
« Il y a peu d'événemens à la guerre ,
>> dit un homme célèbre dans un ouvrage
>> qu'il vient de donner au Public, où des
• officiers & de ſimples ſoldats ne faffent
>> de ces prodiges de valeur qui étonnent
1
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
>> ceux qui en font témoins , &qui enſui-
>> te reſtent pour jamais dans l'oubli. Si
>> un général , un prince , un monarque
» eût fait une de ces actions , elles ſe-
>> roient conſacrées à la poſtérité ; mais la
>> multitude de ces faits militaires ſe nuit
» à elle- même ; & en tout genre il n'y a
>> que les chofes principales qui reftent
» dans la mémoire des hommes. >>
M. le Maréchal de Belle - Iſle avoit le
deſſein d'établir une diſtinction militaire
pour arracher à l'oubli quelques - unes de
ces actions. Il l'écrivoit à M. le D. de
C ** , auffi prompt à faire connoître le
mérite des autres , qu'attentif à dérober le
fien , qui lui avoit fait part d'une belle
action faite par un cavalier de fon régiment
, dans la derniere guerre au ſiége de
Munſter. J'ai cru qu'on ne devoit pas
laiſſer ignorer au Public le trait ſuivant;
il fait honneur au cavalier & à ſes protecteurs.
Ala bataille de Minden, un cavalier
du régiment du Roi apperçut un officier
général , François , que fix dragons ennemis
avoient pris , & conduiſqient à leur
camp. St Jacques , c'étoit le nom du cavalier
, propoſe à deux ou trois de ſes camarades
d'aller le tirer de leurs mains .
AVRI L. 1769 . 197
La propoſition eft acceptée. Ils partent ,
diffipent ou tuent les dragons. Leur prifonnier
eſt délivré. Cet officier général
éroit M. de B*** . Le triſte état où il étoit
parlesbleſſures qu'il avoit reçues, jointau
danger qu'il couroit d'être repris par les
partis ennemis qui couvroient la plaine ,
lui fit propoſer à ces généreux libérateurs,
après les premiers remercimens,de le conduire
àMinden : Oh! nous nepouvons pas,
mon général , lui répondit St Jacques ,
nous avons encore ici de la befogne : d'ailleurs
, ajouta-t-il , nous sommes connus ,
que diroit on de nous fi on nous voyoit revenir?
Sur de nouvelles inſtances , ils ſe
déterminerent cependant à reconduire
M. de B** , qui ne pouvoit ſeul gagner
Minden ; mais ils exigerent de lui un
certificat qui mît leur honneur en fûreté.
M. de B** , toujours occupé de la reconnoiffance
qu'il devoit à St Jacques , vouloit
lui faire obtenir quelque place honorable
dans l'état militaire; des uſages
qui ne ſubſiſtent plus ont ſuſpendu ſa
bonne volonté , il vient de lui donner
l'intendance des gardes- chaſſe de ſa terre
avec l'expectative d'une penſion. Il aura
deplus dans cette place la demi-folde des
invalides , que M. le D. de C * * lui a
fait avoir , quoiqu'il n'eût point encore ,
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
par les années de ſon ſervice , le tems
déterminé pour cette grace.
:
III.
Etabliſſement d'une Bibliothéquepublique
à Beauvais.
MM. les adminiſtrateurs du college
de cette ville ont formé dans une ſale du
college , un commencement de bibliothéque.
Ils ſe propoſent d'ajouter à leurs
premieres libéralités , & de porter cet
établiſſement auſſi loin qu'il leur fera
poffible. Déjà ils comptent un nombre
atſez conſidérable de bons livres que les
citoyens ont envoyés à leur exemple.
Les dames Beauvaiſines , accoutumées
à ne point céder aux hommes en matiere
d'utilité générale , ſe ſont ſignalées en
cette rencontre. M. l'abbé Nollet vient
dedonner ſes ouvrages à la bibliothéque
comme un gage de ſes ſentimens pour
le college de ſa patrie , dans lequel il a
étudié. Le bureau d'adminiſtration fouhaite
lui donner , à son tour , un témoignage
authentique de ſa reconnoiſſance.
BUCQUET , procureur du Roi de Beauvais,
membre du bureau d'agriculture de cette
ville & de l'académie d'Amiens,
AVRIL. 1769.. 199
ANECDOTES.
I.
UN bon mot ou une faillie a quelquefois
plus fait en faveur de celui qui demandoit
une grace que les plus fortes follicitations.
On connoît cette repartie d'un
foldat Eſpagnol , auquel Philippe II venoit
d'accorder une modiquepenfion. Ce
ſoldat ſe préſente une ſeconde fois devant
ſon maître. Ne vous ai je pas donné une
récompense? lui dit le roi. « Oui , fire ,
>>répondit le foldat , votre majefté m'a
>>donné de quoi manger ; mais je n'ai pas
» de quoi boire. » Le monarque ſourit &
ajouta une nouvelle gratification à la premiere.
Sous le miniſtere du cardinal de
Fleuri , on avoit accordé des récompenfes
à tout un régiment , excepté au chevalier
de Ferigouſe, lieutenant dans ce régiment.
Ce chevalier étoit Gaſcon ; un jour qu'il
ſe préſentoit à l'audience du miniſtre :
>>Je ne ſçais , monſeigneur , lui dit-il ,
> par quelle fatalité je me trouve ſous le
>>parapluie , tandis que votre éminence
>>fait pleuvoir des graces dans tout le ré-
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
» giment. » Cette expreſſion ſinguliere
fut remarquée du miniſtre , & peu de
tems après le chevalier de Ferigoufe obtint
la récompenfe qu'il demandoit.
I I.
M. Fourcroy , avocat , plaidoit pour
un jeune homme qui s'étoit marié ſans le
conſentement du pere , qui demandoit la
caſſation du mariage. Cet avocat voyant
que ſa partie perdroit infailliblement ſa
cauſe , eſſaya de toucher les coeurs. Il fit
venir pour cela à l'audience , le jour qu'il
devoit plaider , deux enfans nés de ce
mariage. Il tâcha d'intéreſſer les juges en
leur faveur ; & fachant que le grand- pere
étoit préſent , il ſe tourna pathétiquement
vers lui , & lui montrant de la
main ces deux enfans , il l'attendrit fi
fort , que celui qui demandoit la caffation
du mariage , déclara hautement qu'il
l'approuvoit. Ce trait fit naître à M. de
la Motte l'idée des deux enfans , qui ,
dans Inès de Castro , ont produit des impreſſions
fi touchantes.
AVRIL. 1769. 201
III.
Quelques perſonnes faifoient maligne.
ment courir le bruit qu'Alzire , tragédie ,
n'étoit pas l'ouvrage de M. de Voltaire.
» Je le ſouhaiterois de tout mon coeur ,
>> dit un officier : & pourquoi , lui de-
>> manda quelqu'un. C'eſt , répondit-il ,
>> que nous aurions un bon poëte de
» plus. »
MARIAGE de S. A. S. Monseigneur le
DUC DE CHARTRES avec Mademoifelle
DE PENTHIEVRE.
LEE roi ayant fixé aus de cemois lemariage du
duc de Chartres avec Mademoiſelle de Penthievre,
Sa Majesté donna ordre au marquis de Dreux ,
grand-maître des cérémonies , d'y inviter , de la
part , les princes & princeſſes du ſang & les prin.
ces& princeſſes légitimés .
Le 4 au foir , jour de la ſignature du contrat
monſeigneur le Dauphin , monſeigneur le comte
de Provence , monſeigneur le comte d'Artois &
les princes ſe trouverent dans le cabinet du Roi ,
où madame Adelaide , & meſdames Victoire
Sophie & Louiſe arriverent immédiatement après,
accompagnées des princeſſes qui s'étoient rendues
,
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
dans l'appartement de madame Adelaïde. Le
comte de Saint- Florentin , miniftre d'état , préfenta
la plume à ſa majesté &à la famille royale
pour ſigner le contrat.
Le lendemains , un peu avant midi , le duc
d'Orléans , le duc de Chartres , le prince de Conti ,
le comte de la Marche , le comte d'Eu , le Duc de
Penthievre avec le comte de Saint- Florentin, porterent
le contrat de mariage à ſigner à Madame ,
laquelle , à cauſe de ſon âge , nes'étoit point trouvée
, la veille , à la ſignature dans le cabinet du
Roi. Ce fut le comtede Saint-Florentin qui préfenta
la plume à Madame.
Lemêmejour à midi , le Roi , accompagné de
monſeigneur le Dauphin , de monſeigneur le com
te de Provence, de monfeigneur le comte d'Artois,
de,madame Adelaide , de meſdames Victoire ,
Sophie& Louiſe , & des princes & princefles , ſe
rendit à la chapelle , étant précédé du grandmaître
des cérémonies . Le duc de Chartres & mademoiſelle
de Penthievre , qui ouvroient la marche
, s'avancerent , en entrant dans la chapelle ,
juſqu'auprès de l'Autel : ſa majesté ,ſuivie des
Princes &des Princeſſes , s'en étant approchée ,
l'Archevêque de Rheims , grand- aumonier , fit la
cérémonie des fiançailles & du mariage en même
tems , en préſence du ſieur Allart , curé de la paroiſſedu
château. L'abbé de Colincourt & l'abbé
de Fénelon tinrent le poële. Après la meſſe qui fut
dite par l'archevêque de Reims , le regiſtre des
mariages apporté par le curé de la paroiſle , fut
mis fur le prie-dieu du Roi , où ſe firent les ſignavuresde
ſa majesté , de la famille royale, & du duc
d'Orléans, du duc de Chartres , de la ducheſle de
AVRIL. 1769. 203
Chartres, de la princefle de Conti & du duc de
Penthievre ; après quoi ſa majesté fut reconduite
chez Elle avec les mêmes cérémonies qui avoient
été obſervées lorſqu'Elle étoit allée à la chapelle;
il y eut feulement cette différence , que le duc&
la ducheſle de Chartres marcherent à la ſuite de
meſdames, au rang de cette princefle .
Le foir , il y eut appartement & jeu , depuis
le ſalon d'Hercule juſqu'au fallon de la guerre.
Le Roi ſoupa en publicdans le fallon d'Hercule ,
avec monſeigneur le Dauphin , mgr le cointe de
Provence , mgr le comte d'Artois , madame
Adelaide , meſdames Victoire , Sophie & Louiſe ,
le duc d'Orléans , le duc de Chartres , la duchefle
deChartres , le prince de Condé , le duc de Bourbon,
le comte deClermont , la prineeffe de Conti,
le prince de Conti , le comte de la Marche , la
comtefle de la Marche , mademoiselle , le comte
d'Eu , le duc de Penthiévre , & la Princeſſe de
Lamballe.
1
Après le ſouper , le Roi fit l'honneur au duc de
Chartres de lui donner la chemiſe; ce fut la PrincefledeConti
qui la donna à la Duchefle deChartres
.
Le 6 après-midi , le Roi alla voir la Duchefle
de Chartres. Les Princes & Princeſſes nommés cideſſus
ſe trouverent dans l'appartement de cette
Princefle pour y recevoir la Majesté en la maniere
accoutumée. Monseigneur le Dauphin , Mgr le
comte de Provence , Mgr le comte d'Artois ,
Madame , Madame Elifabeth , Madame Adelaide
&Meſdames Victoire , Sophie & Louiſe vinrent
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
!
enfuite & furent reçus de même par les Princes
& Princefles. Ce mêmejour , la Duchefle de Chartres
reçut auſſi la viſite de toute la Cour.
Il y a eu des fêtes au Palais Royal , & à l'Hôtel
de Toulouſe , & les Princes & Princeſſes accompagnées
de leur cour , ont paru dans les différens
Spectacles , qui ont retenti ddeess applaudiſſemens
du public honoré , & enchanté de leur préſence.
M. le Duc d'Orléans & M. le Duc de Penthievre
ont fait répandre dans les terres de leurs apanagesdes
fommes confidérables ; cette dot accordée
par la bienfaiſance aux campagnes , les fertilifera
, & y fera germer le bonheur & l'abondance .
Les habitans s'écrieront :
Goûtons l'heureuſe bienfaiſance
Qui change nos côteaux en jardins enchanteurs ,
Nos grotes en témoins de toutes les douceurs
Que raſſemblent l'hymen , la joie & l'eſpérance ;
Le chaume des cultivateurs
En lambris qui couvrent l'aiſance ,
Ettous nos fillons créateurs
En canaux faits pour l'abondance.
Ah! de tantde faveurs , que le ciel nous diſpenſe
Par les prodigues mains de nos princes chéris ,
Ledon leplus touchant pour nos coeurs attendris ,
C'eſt vous , jeune Princeſſe , & c'eſt votre préſence!
AVRIL. 1769. 205
ΕΡΙΤΗ ALAME.
HYMEN , doux hymen , quel féjour
Nous cache ta flâme éternelle ?
Tu manques ſeul , en ce grand jour ,
Au plus beau cercle qui t'appelle ;
Hymen , doux hymen , quel ſéjour
Nous cache ta flâme éternelle ?
Si ton char roule dans les cieux
Où naiſſent tes plus belles roſes ,
Et fi le trône où tu repoſes
Eſt environné par les Dieux ,
Deſcens des pavillons ſuprêmes , "
Et prodiguant ici tes dons ,
Fais anticiper les Bourbons
Sur les délices des Dieux mêmes.
Hymen , doux hymen , quel ſéjour
Nous cache ta flâme éternelle ?
Tu manques ſeul , en ce grand jour ,
Hymen , doux hymen , quel ſéjour
Nous cache ta fâme éternele ?
206 MERCURE DE FRANCE.
Déjà , ſur les pas de Cypris ,
Marchent les Graces empreſſées ,
CesGraces bientôt éclipſées
Par des charmes d'un plus haut prix ,
Etdont les mains entrelacées
Portent lapomme de Paris.
L'Amour en veut être le juge.
Mais ſous un apareil charmant ,
DeGnide le jeune transfuge
Offre pour nouvel ornement
Un chiffre , tendre monument
De celle à qui ſon choix adjuge
Le prix qu'il garde au ſentiment.
Sous ce chiffre cher à ſon ame ,
Il brûle , c'eſt un feu vivant ;
Il brûle , & ce divin enfant
Refléte autour de lui la flâme
Dont il eſt le centre éclatant :
Un foupir profond & touchant
Pénetre les cieux qu'il reclame.
Hymen, doux hymen , quel ſéjour
Nous cache ta flâme éternelle ?
L'impatience de l'Amour ,
AVRIL. 1769. 207
(Tu la connois ) elle t'appelle :
Hymen , doux hymen , quel ſéjour
Nous cache ta flâme éternelle ?
Heureux préſage! mille voix
Ont fait retentir cette rive .
C'eſt l'hymen enfin que je vois ,
Et ce triomphateur arrive
Pour unir les enfans des Rois.
Sur ſon char , la troupe chérie
Des ſoins careſſans , des defirs
Laplus touchante rêverie ,
L'enjoûment , les doux ſouvenirs ,
La concorde & la ſympathie
Font affeoir les rians plaiſirs.
Montez , brillante enchantereſſe ,
Nouvelle Hébé , jeune Princeſſe ,
Montez fur ce char avec eux :
C'eſt un trône pour la tendreſſe ;
C'eſt le théâtre des heureux.
Acettefoule qui s'empreſſe ,
Offrez ce ſourisgracieux ,
Et cette touchante allégreſſe
Et ce regard victorieux.
208 MERCURE DE FRANCE.
Tout ce qui plaît dans ces modéles
Qui , des Amours , font l'entretien ,
Attraits , graces , noble maintien ,
Tout vous place parmi les belles .
Ah ! près de l'hymen , qu'il fied bien
Aux déeſſes d'être mortelles !
Hymen , doux hymen , ce ſéjour
Renaît par ta flâme éternelle.
Gloire , bonheur en cette cour ,
Objet ſi cher à notre zèle !
Hymen , doux hymen , ce ſéjour
Renaît par ta flâme éternelle.
Brulez de ſa plus ſainte ardeur ,
Rejetton des nobles Philippes
Qui vous ont tranſmis les principes
De la véritable grandeur ,
Leurs vertus & leur bienfaiſance
Qui , prodigue de ſes faveurs ,
Aime à deſcendre des hauteurs
De la plus fublime naiſſance ;
Equité , courage , clémence ,
Premiers droits acquis ſur les coeurs ,
Droits reclamés par la puiſſance.
AVRIL . 209 1769 .
Ovous , qui les raſſemblez tous ,
Heureux , & fi dignes de l'être ,
Toujours amans , long-tems époux ,
Proſpérez & faites renaître
Les héros fameux parmi nous .
Des fonges flatteurs de la vie ,
Tel eſt l'aimable enchaînement.
Que du tems l'aîle aſſujettie
Dans les liens du ſentiment ,
Eterniſe un ſi beau moment
Au ſein de votre ame attendrie !
O fonge vraiment fortuné !
Tranſports d'une ardeur mutuelle,
Objets où la gloire étincelle ,
Choix par l'eſtime raiſonné ,
Flâme où la vertu ſe décèle ,
Doux ſonge à peine imaginé ! ...
Que dis - je ? en cette ame fi belle ,
Dans cette compagne fidéle ,
Grand Prince , tout vous eſt donné,
Tout est réalisé par elle.
Combien ſes yeux vont embellir
210 MERCURE DE FRANCE.
Les amphithéâtres champêtres *
Où l'onde ſe plaît à jaillir !
Ce Taygete ** va s'enrichir
De la renaiſſance des êtres ,
Et les nayades treffaillir
Al'aſpect de leurs nouveaux maîtres.
Les Sylvains , ivres de plaiſir ,
Vont ſuivre , atteindre & conquérir ,
Sous les dômes touffus des hêtres
Les nymphes qui ceſſent de fuir.
Ainfi quand Pſyché , tranſportée
Au palais de l'enchantement ,
Eut , dans les bras de ſon amant ,
Puiſé le feu de Promethée ,
La terre autour d'eux agitée
Partagea leur raviflement.
Ainſi ſous le plus doux augure ,
Et par des anneaux infinis
Les êtres divers font unis ;
* Saint-Cloud .
**Montagne dans le Péloponèſe , ſur laquelle
on trouvoit les agrémens du Tempé.
AVRIL. 1769 . 211
Tout eſt hymen dans la nature.
Les aftres entr'eux entraînés ,
Les jeunes ormeaux couronnés ,
Leurs bras richement empourprés
Par les fleurs , amantes ſenſibles ;
Les zéphirs aux roſes livrés ,
Les myrthes par l'eau pénetrés
Devenus tendres & flexibles ;
Les heureux oiſeaux attirés
Dans des engagemens paiſibles ;
Tout répete ces chants ſacrés
Par des accords intelligibles .
Hymen , doux hymen , quel ſéjour
Ignore ta fâme éternelle ?
Cette flâme toujours nouvelle ,
Et le chef- d'oeuvre de l'Amour ?
Hymen, doux hymen , quel ſéjour
Ignore ta flâme éternelle !
212 MERCURE DE FRANCE.
VERS préſentés à L. A. S. Meſſeigneurs
les Ducs d'Orléans & de Penthievre.
Aux fêtes de Saturne on voyoit autrefois
Les eſclaves ſervis par la main de leurs maîtres ,
Pour montrer que tout homme avoit les mêmes
droits ;
Mais aujourd'hui ce queje vois
Vaut bien ce qu'ont vû nos ancêtres.
Princes , dans votre rang , loin de prodiguer l'or ,
Pour ajouter à l'éclat de la fête ,
Vous avez d'autres ſoins en tête ,
Sur l'indigent vous verſez le tréſor ..
Le ſuperflu , des grands , à vos yeux , eſt ladette ,
Vous mépriſez l'orgueil , le rang & l'étiquette ,
Les pleurs des malheureux ſont ſechés pas vos
mains .
Leur voix va vous bénir ſans cefle.
Vous leur donnez des jours ſerains ,
Ce ſont là vos concerts & vos jours d'allégreffe .
Par la Muse Limonadiere.
AVRIL. 1769. 213
AS. A. S. Monseigneur le Duc de Chartres
furfon mariage avec Mademoiselle de
Penthievre , les d'Avril 1769 .
PRIRINNCE auguſte , ainſi votre alteſſe
S'unit donc au gré de vos voeux
Avec une jeune princeſſe .
L'Amour , tout fier de ces beaux noeuds ,
Vient préſider à cette fête ;
Il fait les honneurs du gala ,
Et quand on voit votre conquête
On s'étonne peu qu'il ſoit là.
Par la même.
DECLARATIONS , ARRÊTS , & c .
I.
ARRÊT du conseil d'état du Roi , du 13 Janvier
1769 , portant confirmation de la déclaration
du Roi du 2 Avril 1768 , & interprétation de la
réſerve qui y eſt mentionnée au ſujetde la penſion
d'Oblat. Sa Majesté ordonne que les abbés &
prieurs qui juſtifieront que les revenus de leurs
214 MERCURE DE FRANCE.
bénéfices font au-deſſous de mille livres ,ne paye
ront que foixante quinze livres pour la penfion
d'oblat; & que ceux , dont les revenus ſont de
mille livres & au- deſſus , mais qui n'excedent pas
deux mille livres , ne payeront que cent cinquante
livres pour le même objet , le tout ainſi qu'il en a
étéuſé par le paſlé , à l'égard des uns &des autres.
I I
Déclaration du Roi , donnée à Verſailles le 28
Janvier 1769 , regiſtrée en la chambre des Comptes
le premier Février ſuivant ; portant prorogation
de délai pour la préſentation des comptes des
receveurs généraux des domaines.
III.
2
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 23 Mars
concernant le payement des billets de caiſle de la
Louiſiane.
I V.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 21 Mars
1769 ; portant fuppreffion , à compter du premier
Avril 1769 , de la caiſſe d'eſcompte établie par
celui du premier Janvier 1767 .
V.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 6 Avril 1769;
qui autoriſe une loterie en faveur de la compagnie
des Indes. :
ART. I. Ladite loterie ſera compoſée de trente
AVRIL. 1769. 215
ſept mille billets de trois cents liv. chacun , payables
en deniers comptans , & en un ſeul payement
en levant le billet.
II . Le tiragedes lots de ladite loterie ſera fixé
au plus tard au premier Août prochain & jours fuivans,
conformément à la table annexée à la minute
du préſent arrêt.
III. Les trente- ſept millebillets feront rembourſés
, ſur lepied de leur capital de trois cents
livres , à la caifle de Paris , & les trois mille ſept
cents lots échus auxdits billets , y feront pareillement
payés ; le tout par ordre de numéro , & à
compter du 1 s Janvier au 28 Février 1770. Leſdits
billets& lots feront auſſi reçus comme argent
comptant , en payement des marchandiles qui ſeront
vendues par la compagnie des Indes , à la
prochaine vente de l'Orient.
Il y a un lotde . • • • 100000 liv.
I de • • • 50000
I de • • 20000
I de • • •
I de
I de •
11000
1১০০০,&c.
AVIS.
I.
BELLE eau d'Hypocrene : c'eſt une liqueur trèsfine&
très- délicate , auſſi agréable augoût que
216 MERCURE DE FRANCE.
ſalutaire pour l'eſtomac ; elle eſt à ſa ſource;
chez la muſe limonadiere , au café Allemand, rue
Croix des Petits Champs à Paris .
II.
Mademoiſelle Conſeilleux a le ſecret de faire
une pommade , dite de toute beauté , qui ôre les
rides & qui conſerve toute la fleur & la fraîcheur
de la premiere jeuneſſe , même dans l'âge le plus
avancé: elle donne l'éclat & la vivacité à la vue;
elle ne fait aucun tortà la peau ni aux dents ; au
contraire , elle rafraîchit le teint , le blanchit&
lui rend ſa premiere fraîcheur.
Ladite demoiselle eſt parvenue à rendre ſa pommade
très - flexible : il faut la mettre dans le creux
de la main , l'écraſer , l'employer le ſoir en ſe couchant
, la laiffer , & en remettre le matin ,& leffuyer,
fi on le juge à propos. Elle a une odeur
très - agréable. Cette pommade eſt unique en ce
qu'il n'y a rien à craindre pour le linge , ni la dentelle
qu'elle ne graiſſe , ni ne falit.
Ladite Demoiſelle Conſeilleux a des pots , à
24 lols , à 36 f. , à 3 livres , &c. Les pots ſeront
cachetés de fon cachet , & fon nom est imprimé
fur les pots. Elle avertit auſſi que cette
pommade peut ſe garder ſans ſe gâter cinq à fix
ans.
La demeure de ladite Demoiselle Conſeilleux ,
'eſt rue Simon-le- Franc , la troiſiemeporte cochere
àmaingauche , en entrantdu côté de la rueMaubué,
au troisieme étage.
111.
AVRIL. 1769. 217
III.
Le fieur Chauvet , chymiſte , avoit cru bien
faire en multipliant ſes bureaux pour la vente de
fon eau antifcorbutique ; mais le public lui
ayant témoigné qu'il feroit plus fatisfait que la
diſtribution de ce ſpécifique ne ſe fît que chez lui ,
il a pris ce parti afin de le contenter , & de lui
ôter toute défiance ; ſa demeure eſt dans l'enclos
du Temple , au bâtiment neuf , allée du billard ,
au premier étage ; on le trouvera toute la matinéejuſqu'à
midi.
Les propriétés de ce puiſſant remede , ſont auffi
diverſes que ſalutaires : elles conſiſtent à guérir
promptenient les affections ſcorbutiques des gen-
Promp
cives , & les ulcères qui en proviennent , à détruire
la carie& le tartre boueux des dents , à les
blauchir , à les raffermir dans leurs alvéoles , à les
incarner fi elles ſont déchauffées , & à en calmer
ladouleur, ſi elle n'eſt occaſionnée que par le ſcorbut
ou la carie ; mais quand c'eſt par toute autre
cauſe , cette eau n'y eſt point propre.
Le prix eſt de deux livres la fiole.
I V.
Composition , inventée par la Riviere pour repaffer
les rafoirs fans cuir ni pierre , approuvée
parl'expérience qu'en ont faite Meſſieurs les valets
de chambre barbiers du Roi , & ſyndics des maîtres
perruquiers de Paris ; le côté du cachet n'eſt
quepour les raſoirs qui ont beſoin d'être repaflés
.II. Vol. K
218 MERCURE DE FRANCE.
ſur la pierre; l'autre côté eſt moins vif&bien plus
doux : elle maintient ſon onctuoſité ſans s'attacher
au rafoir : l'on en fait uſage comme d'un cuir,
& en peu de tours de raſoir. Le prix eſt de 2 livres
10 fols.
:
Il demeure rue du Petit Carreau chez un tourneur
, à Paris. En lui écrivantpar la petite pofte ,
ilse rendoù il est mandé.
V.
Le ſieur Legris , ſucceſſeur du ſieur Clément,
continue de vendre la liqueur dont le ſieur Clément
avoit acquis la connoiſſance par ſes grandes
recherches , propre à la deftruction totale des
punaiſes ; & une pâte pour celle des rats , laires
&mulots. Les perſonnes qui s'en trouveront incommodées
, peuvent ſe ſervir hardiment de ces
ſpécifiques , & pour peude choſe elles ſe verront
débarraflées de ces infectes incommodes.
LeditfieurLegrisſe tranſportera dans les maifonsoù
ilferamandé. Il demeuredans la boutique
où étoit ci-devant M. Baxolle , marchand de bierre
rue Zacharie , à la Renommée , vis-à-vis le chauderonnier
, près la rue de la Huchette & celle de St
Severin. L'on trouvera des drogues en tout tems
chezleditfieur.
Lesperſonnes qui lui écriront de province font
priées d'affranchir leurs lettres. Il prévient que la
marchandise énoncée ci-deſſus ne ſe trouve que
chez lui, & que celle que l'on vend ailleurseſt
contrefaite.
AVRIL. 1769. 219
V I.
Le ſieur Pierre Bocquillon , marchand gantierparfumeur
, rue St Antoine , compoſe & vend
une liqueur ſouveraine nommée le véritable tréfor
de la bouche , dont le ſieur Pierre Bocquillon eft
le ſeul compoſiteur & poflefleur .
Le prix des bouteilles eſt à 10 liv. , sliv. , 3 liv.
&24fols.
Cette liqueur , nommée trésor de la bouche , acquiert
tous les jours de nouvelles preuves de fon
efficacité.
Les perſonnes curieuſes de conſerver leurs
dents , doivent en faire uſage tous les jours , ſe
rincer labouche avec ladite liqueur toute pure ,
ſans y mettre ni cau nicoton.
Ladite liqueur peut ſe tranſporter ſur mer fans
perdre ſaforce ni ſa vertu , ſe conſerve des années
entieres , & ne craint point les fortes gelées.
Lepublic eſt prié de ſe tenir en garde contre les
contrefactions , &eſt averti qu'il ſe vend une eau
àParis , nommée le trésor de la bouche , avec des
imprimés contrefaits , qui n'eſt point de la qualité.
ni de la compoſition de l'auteur ; que la ſeule &
véritable ſe vend par le ſieur Pierre Bocquillon ,
marchand gantier-parfumeur , rue St Antoine , à
la Providence , vis-à- vis la rue des Balets, à Paris;
il vend auſſi de tout ce qui concerne ſon commerce.
Kij
120 MERCURE DE FRANCE.
VII.
Le fieur David , demeurant à Paris , rue des
Orties , butte St Roch , au petit hôtel Notre-Dame
, poſlede ſeul unſecret &remede infaillible pour
guérir toutesfortes de maux de dents , quelque gatées
qu'elles ſoient & pour la vie , fans qu'on ſoit
jamais obligé d'en faire arracher aucune.
Ce remede eſt approuvé par M. le doyen de
la Faculté de médecine , & autorilé par M. le
lieutenant- général de Police ; il confifte en un
topique que l'on applique le ſoir en ſe couchant
fur l'artere temporale du côté de la douleur , qui ,
outre les maux de dents , guérit auſſi les fluxions ,
les maux de têtes , migraines , rhume du cerveau.,
ſans qu'il entre rien dans la bouche , ni dans le .
corps. Il procure d'ailleurs un ſommeil paiſible ,
pendant lequel il ſe fait une tranſpiration douce
&falutaire. Au réveil , ce topique tombe de luimême
ſans laiſſer aucune marque ni dommage à la
peau ; mais comme ce topique n'opere que dans le
lit , le ſieur David débite auſſi une eauſpiritueuse
d'une nouvelle compoſition très-agréable , qui
fait paſſer les douleurs de dents les plus vives ,
qui guérit les gencives malades , & prévient tous
les accidens de la bouche. Il y ades bouteilles à
3 liv. &à 6 livres ; & les topiques ſont de 24 fols
chaque. Il faut lui apporter pour les topiques un
morceau de linge fin, blanc de leſſive , quand c'eſt
pour Patis Il donne un imprimé de la maniere
de ſe ſervirdu topique & de l'eau ſpiritueuſe .
AVRIL. 1769. 221
NOUVELLES POLITIQUES.
L.
De Petersbourg , le 17 Février 1769 .
■ ſieur Gmelin chargé par l'Académie des
Sciences de cette ville , de faire des recherches botaniques
dans les provinces de ce vaſte Empire ,
adécouvert près de Woranecz , une nombreuſe
famille de cochenilles , leſquelles s'attachent aux
racines de fraiſier ; ces cochenilles paroiſſent être
de la même eſpèce que celles que le ſieurRytsckow
a trouvées àOrenbourg , & qui donnent une belle
couleur de pourpre.
De Parme , le 11 Mars 1769 .
L'Infant vient de ſupprimer l'inquifition dans
ſes états; ce prince avoit donné le 21 du mois
dernier un décret par lequel il ſe plaignoic de l'intruſion
abuſive & irréguliere d'une puiſſance étrangere
, exercée par des religieux cloîtrés en forme
de tribunal ſous le nomd'inquifition du S. Office,
Il déclaroit qu'étant protecteur né de la religion il
n'appartient qu'à lui de pourvoir au moyende la
maintenir , & qu'il veut que les évêques ſoient
ſeuls chargés de ce qui regarde la conſervation de
la foi. L'Inquifiteur étant mort , l'Infant a fait
retirer toutes les Patentes de ceux qui fervoient
l'inquifition ſous le nom de Patentes du
S. Office. Il a défendu au vicaire de l'inquifition
de faire aucun exercice de cette charge , & ordonne
que tous les priſonniers , s'il y en avoit ,
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
fuſſent détenus au nom du Prince. Il a adreſſéune
lettre circulaire aux évêques qui ont répondu
qu'ils ſe conformcroient ponctuellement à ſes
ordres.
De Londres le 21 Mars 1769 .
La Chambre des Communes a déclaré nulle la
nouvelle élection du ſieur Wilkes ; celui-ci a publié
une nouvelle adrefle aux électeurs du comté
de Middleſex pour ſolliciter de nouveau leurs
fuffrages en ſa faveur le jour de l'élection fixé
au Is du mois prochain. Ces électeurs ſe ſont
aſlemblés hier au nombre de plus de mille , & ont
réſolu unanimement de ſoutenir même aux dépens
de leurs biens & de leur vie , le droit & le
privilége qu'ils ont d'élire le député qui leur paroît
le plus digne de les repréſenter au Parlement ; ils
ontpris en même tems la réſolution de ſoutenir
les intérêts du ſieur Wilkes , à la prochaine élection.
De Versailles , le 29 Mars 1769.
Le Roi a donné une place de grand- croix dans
l'ordre de S. Louis au ſieur de Caftella , Lieutenant-
Général , colonel d'un régiment Suiffe , &
une de commandeur dans le même ordre au Baron
d'Eſpagnac , maréchal de camp , & gouverneur
de l'Hôtel Royal des Invalides. Sa Majefté a accordé
en même tems le gouvernement de Givet &
de Charlemont , vacant par la mort du ſieur de
Chevert , au ſieur de Montmore , Lieutenant-Général
&majordes gardes du corps ; le gouvernenementdeBouchain
dont celui-ci étoit pourvu ,
au Comte de Durfort , maréchal de camp , & la
AVRIL. 1769. 223
charge de meſtrede camp, Lieutenant du régiment
duColonelGénéral des Dragons , vacante par la
démiſſion du marquis de Caraman , au duc de
Luynes.
Du 8 Avril.
Avant-hier le Roi monta à cheval pour la premiere
fois , & alla à la chaſle . Sa majeſté s'eſt bien
trouvé de cet exercice .
Sa majefté a accordé au vicomte de Houdetot,
Sous-Lieutenant dans le régiment desCarabiniers,
le guidon des Gendarmes de Berry , vacant par la
démiſſion du marquis de Vichy..
a
Le ſieur Hugnin , Géographe & Profeffeur de
Géographie&d'Hiftoire l'Ecole Royale Militaire
, eut l'honneur de préſenter le 3 de ce mois ,
àMonſeigneur le Dauphin , une carte manufcrite
de ſa compofition , repréſentant la généalogie des
trois races qui ont régné en France. Cette carte
porre environ fix pouces de hauteur ſur neuf de
largeur.
De Paris , le 27 Mars 1769.
Le ſieur de Bougainville eft revenu dernierement
au portde S Mato , ſur l'une des deux frégates
dont il avoit le commandement , il s'eſt rendu
ici & a rapporté qu'il avoit découvert dans la
mer du ſud , une Ifte juſqu'à préſent inconnue ,
très- vaſte& très- agréable , par la beauré du climat
, la fertilité de la terre , & la douceur ſinguliere
des moeurs des habitans ; le fieur de Bougainville
a amené avec lui un de ces habitans qui a ,
dit- on , beaucoup d'intelligence , & paroît avoir
quelques connoiffances d'Astronomie.
224 MECRURE DE FRANCE.
LOTERIES.
Le quatre-vingt-dix-neuvieme tirage de la loterie
de l'hôtel -de - ville s'est fait le 25 Mars
en la maniere accoutumée. Le lot de cinquante
mille livres eſt échu au No. 38503. Celui de vingt
mille livres , au No. 39848 , & les deux de dix
mille aux numéros 24817 & 31701 .
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire
s'eſt fait les de ce mois. Les numéros , fortis
de la rouede fortune ſont , 61 , 22 , 80,76 &
85.
MORT S.
Charlotte de Mailly-Neſle , veuve d'Emmanuel
- Ignace , Prince de Naflau-Siegen , & du S.
Empire, eſt morte le 15 Mars dans l'Abbaye royale
de Poiſy, agée de quatre- vingt- trois ans . Elle
avoiteu un fils ( Maximilien Guillaume Adolphe
de Naflau - Siegen ) qui avoit épousé Charlotte-
Amelie de Mouchi - Senarpont ; &il reſte de ce
mariage deux enfans , qui font Charles Henri-
Nicolas-Othon de Naſlau Siegen, capitaine d'une
brigadedans le régiment de Schomberg , & Charlotte-
Amelie de Naſlau- Siegen .
Louis Godefroy , marquis d'Eſtrades , perit- fils
du feu maréchal de ce nom , & maire gouverneur
de Bordeaux , mourut en cette ville le 2 Mars ,
dans la ſoixante - quatorzieme année de fon
âge.
AVRIL. 1769. 225
Le lord George Seton , pair d'Ecofle , chevalier
baronnet de la Grande- Bretagne , eſt mort à
Versailles le 9 Mars , âgé de quatre-vingt quatre
ans.
Charles-Edouard , comte de Heſſenſtein , fils
naturel du feu roi de Suede , eſt mort à Paris le
2Avril. Il étoit né en 1738 , avoit été légitimé en
1745 par le roi ſon pere. Son frere aîné qui accouroit
de Suede pour le voir , n'a pu arriver que
le lendemain de ſa mort.
François de Durat de la Serre , maréchal de
camp , chevalier de l'ordre royal & militaire de
St Louis , & ancien lieutenant colonel du régiment
Royal - la- Marine , mourut au château de
Vauchaunade , dans la quatre-vingt cinquieme
année de ſon âge.
Nous avons ſous les yeux un extrait de la
généalogie dela maison de Joyeuse , doù il réſulte
quecette maiſon n'a eu que deux branches , celle
des ducs qui eſt éteinte , & celle des comtes de
Grand-Pré qui ſubſiſte en la perſonne de M. le
comte de Joyeuſe , & en celles de M. le marquis
deJoyeuſe , & de M. ſon fils . Il n'exiſte plus de
Châteauneuf depuis que les auteurs de cette maifon
en ont quitté le nom pour prendre celui de
Joyeuſe , dans le treizieme fiecle , par le mariagede
Randon de Châteauneuf , & de la marquiſe
d'Anduſe; on trouve des cardinaux , des ducs
des maréchaux , des chevaliers de l'ordre , &c ,
du nom de Joyeuſe , mais on n'en connoît dans
aucune hiſtoiredu nom de Châteauneuf , puiſque
le nom de cette ancienne maiſon n'exiſte plus depuis
cinq fiécles. Cette note ſuffit fans doute pour
détruire l'aflertion renfermée dans une lettre rapportéedans
le Mercure de Mars 1769 , & dans le
Nº 3 de l'année littéraire , ſur une prétendue erreur
de M. Piganiol de la Force.
,
226 MERCURE DE FRANCE:
Mercure d'Avril , premier volume , pag. 6,
rétabliſſez ainſi les vers qui finiſſent la
page.
L'heureux la Condamine , éleve d'Uranie ,
Après avoir bravé dans ſa courſe infinie
Les flots de l'Océan , les feux de l'Equateur ,
Meſuré les contours de la terre applatie ,
Fixé la peſanteur , par Newton preſſentie,
Revient dans ſon pays tel qu'un heureux vainqueur
, &c .
PIECES
Obſervations de M. Mailhol ſur l'épître de
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers&en proſe , pages
Gabrielle de Vergi , ibid.
Gabrielle de Vergi à ſon frere , Epître ,
Epître à une jolie femme ,
7
19
Vers au bas du portrait de Madame R... 21
La Vérité , la Fable & la Raiſon. Fable.
AMadame la Marquiſe de Crufiol d'Amboiſe
ibid.
A Madame P.... ſur ſes vers ,
Sohman & Zulma , conte ,
fur les oeuvres de M. de St Lambert ,
AGlycere , ſur un abandon ,
Sur l'arrivée du Roi de Danemarck à la cour
palatine ,
24
25
ibid.
26
44
AVRIL. 1769. 227
Léandre& Hero , Romance , 45.
Envoi à Mademoiselle ... à Londres , 49
Le Roi boit , Conte. ibid.
Epître à Mlle B... en lui envoyant Homère , sr
AMademoiſelle R *** , 52
Vers ſur la chûte du Roi à la chaſſe , 53
Portrait d'Elmire , chanſon , 54
Le Moraliſte , 55
Explication des Enigmes , 57
ENIGMES ibid.
,
LOGOGRYPHES , 60
NOUVELLES LITTÉRAIRES , 63
Garrick ou les acteurs Anglois , ibid.
Les viciffitudes de la fortune , 67
Les derniers adieux de la Maréchale de ** ,
Diction. crit. pittoreſque&fententieux , &c.
Difcours ſur l'hiſtoire moderne ,
71
73
75
La Thériacade , 76
Continuationde l'hiſtoire des voyages , 78
Médecine de l'eſprit ,
Abrégé de l'histoire générale d'Italie ,
Hift . de l'Amérique depuis ſa découverte ,
OEuvres deMadame de Montegut ,
Eſſai de phyſique ,
Effai fur l'établiſſement des écoles gratuites
83
87
88
१०
95
dedeſſin , 96
Anecdotes angloiſes , 99
Idée générale de l'aſtronomie , 100
Thomire , tragédie , IOI
Hift. du théâtre italien &de l'opéra comique , 107
Eloge hiſtorique de MM. Vallin , deChaſfiron
&Dupaty, 113
Inſtructions de l'Impératrice de Ruffie pour la
formation d'un code
, 117
Hiſtoire littéraire des Femmes Françoiſes ,
Mélange d'hiſtoire & de littérature ,
Traduction en toſcan d'Eugenie ,
121
134
138
228 MERCURE DE FRANCE.
Lettre de Madame de Méhegan ;
Lettre de M. le BarondeTichudi ,
139
140
CONCERT SPIRITUEL , 141
Opéra , 145
Comédie françoile , 146
Comédie italienne , 149
Eloge de M. le Cat , ISI
Epitaphe de M. le Cat , 171
ACADEMIES ,
ibid.
ARTS ,
180
Gravure ,
ibid.
Muſique , 183
Piété filiale , 193
Trait de valeur d'un cavalier à la bataille de
Minden , 195
Etabliſſement d'une bibliotheque à Beauvais , 198
Anecdotes , 199
Mariage de Mgr le Duc de Chartres , 201
Epithalame , 205
VersàMgr le Due d'Orléans & à Mgr le Duc
de Penthievre , 212
AVIS ,
AMgr le duc de Chartres ſur ſon mariage ,
Déclarations , arrêts , &c .
Nouvelles Politiques ,
Loteries ,
213
ibid.
215
221
224
Morts , ibid.
:
JA
APPROBATION.
AI lu , par ordre de Monſeigneur le Chancelier
, le ſecond vol. du Mercure d'Avril 1769 ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher
l'impreſſion. A Paris , le 15 Avril 1769 .
GUIROY.
De l'Imp, de M. LAMBERT , rue des Cordeliers.
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRE6.
AVRIL 1769 .
PREMIER VOLUME.
Mobilitate viget. VIRGILE.
Beugre
A PARIS
Chez LACOMBE , Libraire , Rue
Chriſtine , près la rueDauphine.
AvecApprobation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
GESESTT au Sieur Lacombe, libraire , àParis , rue
Chriftine , que l'on prie d'adrefler , francs de port,
les paquets & lettres , ainſi que les livres , les eftampes
, les piéces de veis ou de proſe , la muſique,
les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur. On prie aufli de marquer le prix des livres
, eſtampes & piéces de muſique .
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres &de ceux qui les
cultivent; ils font invités à concourir à ſon ſuccès;
on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils enverront
au Libraire ; on les nommera quand ils voudront
bien le permettre , & leurs travaux , utiles
au Journal , deviendront même un titre de préférence
pourobtenir des récompenfes fur le produit
du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eſt de 24 liv.
que l'on payerad'avance pour ſeize volumes rendus
francs de port .
L'abonnement pour la province eſt de 32 livres
pareillement pour ſeize volumes rendus francs de
port par la poſte. 1.
On s'abonne en tout temps, AJ SOD
Le prix de chaque volume eſt de 36 ſols pour
FLL
23.169
ecux qui n'ont pas ſouſcrit au lieu de 30 ſols pour
ceux qui font abonnés.
On ſupplie Meſſieurs les Abonnés d'envoyer
d'avance le prix de leur abonnement franc de port
par la pofte , ou autrement , au Sieur LACOMBE ,
libraire , à Paris , rue Chriſtine.
On trouve chez le même Libraire.
JOURNAL DES SCAVANS , in-4º ou in- 12 , 14 vol.
par an à Paris. 16 liv.
Franc de port en Province , par la poſte. 20 1.4 f.
ANNÉE LITTÉRAIRE , compoſée de quarante
cahiers de trois feuilles chacun , par an , àParis
,
En Province , port franc par la Poſte ,
24 liv .
32liv.
L'AVANTCOUREUR , feuille qui paroît le Lundi
de chaque ſemaine , & qui donne la notice
desnouveautés des Sciences , des Arts libéraux
&méchaniques , de l'Induſtrie & de la Littérature.
L'abonnement , ſoit à Paris , ſoit pour la
Province , port franc par la poſte, eſt de 12 liv.
JOURNAL ECCLÉSIASTIQUE , par M. l'Abbé Dinouart
; de 14 vol. par an , à Paris , 9 liv. 16 f.
En Province , port franc par la poſte , 14 liv
EPHEMERIDES DU CITOYEN OU Bibliothéque raiſonnée
desSciences morales & politiques.in- 12,
1 2 vol . par an port franc , à Paris ,
En Province ,
18 liv.
24 liv.
:
A ij
Nouveautés chezle même Libraire.
HISTOIRE anecdotique & raisonnée du
Théâtre Italien&de l'Opéra comique , 9
vol. in- 12 . rel . 22 1. 10 1.
Histoire littéraire des Femmes Françoises
avec la notice de leurs ouvrages , svol .
grand in-8°, rel . avec unegravure , 251.
Variétés littéraires , 4 vol. in- 12. rel . 101.
Nouvelles recherchesſur les Étres microſcopiques
, &c. in- 8 °. br. avecfig. s1.
Situationdesfinances de l'Angleterre , in-4°.
broch
4liv.41.
TabledelaGazettedeFrance, 3v. in-4°.b. 241.
Commentaires fur les Mémoires de Montecuculi,
parM. le Comte de Turpin-Criffé,
3vol. in-4°. ornés de gravures & de 43
plans , broch . 42liv.
ContesPhilofophiquesdeM. dela Dixmerie,
3 vol. in- 12. brochés ,
Dictionnaire de l'Elocutionfrançoise, 2 vol.
in-8°. rel .
61.
وا. 1
Les Nuits Parifiennes , vol. in-8 °. rel. 41.10f.
LePolitique Indien , 11.10 6.
11.
Differtationfurle Farcin , maladie des chevaux
, parM. Hurel , maréchal ,
Eloge de Henri IV, par M. Gaillard , I liv. 10 f.
Autre Eloge avec gravure , par M. de la
Harpe, 21. 8 f
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL 1769 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
L'INOCULATION. Chant II.
L'ESPAGNOL tranſporta ſur la rive Atlantique
Le mal que nos climats avoient reçu d'Afrique
*;
Mais à l'Américain le Breton bienfaiſant ,
De l'art d'inoculer tranſmit l'heureux préſent ,
Leſeulbien que l'Europe ait fait à l'Amérique.
* La petite vérole , Voyez Chant I.
Aiij
6 MERCURE DE FRANCE.
Quand cet art merveilleux parcourant l'Univers ,
Traverſant l'Oéan , s'avançant vers les poles ,
Arrachoit à la mort mille peuples divers ;
Les François enivrés de nouveautés frivolės ,
D'antiques préjugés ne pouvoient s'affranchir ;
Et le pas de Calais lui reſtoit à franchir.
A peine revenu des bords de la Tamiſe ,
Otoi , cher enchanteur , par qui la vérité
Que ton adroite main embellit & déguile ,
Emprunta ſi ſouvent l'air de la volupté;
En vain tu vantois l'art de Byſance apporté ,
Nous fermions à ta voix notre oreille timide ,
Ettandis que l'Anglois rioit de notre peur ,
Nos femmes , nos enfans , victimes de l'erreur ,
Expiroient dans nos bras , frappés d'un trait perfide
;
Ou ſurvivoient , pour être à notre oeil effrayé ,
Un éternel objet d'horreur & de pitié.
Mais enfin inſpiré par ſon puiſlant génie ,
Un ſage citoyen , dans le palais des Rois ,
Aux ſages aſſemblés fit entendre ſa voix :
Sage la Condamine , éleve d'Uranie ,
Après avoir bravé dans ta courſe infinie
Les flots de l'Océan , les feux de l'Equateur ,
Meſuré les contours de la terre applatie ,
Fixé la peſanteur par Newton preſſentie ,
Tuviens dans ton pays , tel qu'un heureux vain
queur
AVRIL. 1769. ?
Triomphant& chargé du butin le plus rare
Des ſecrets arrachés à la nature avare .
C'eſt là que jouiflant de ſes nobles travaux ,
Et d'un coeil attendri contemplant nos miféres
Cegénéreux mortel confacra ſon repos
Aguérir nos erreurs , à ſoulager nos maux ,
Anous apprendre un art ignoré de nos peres.
Lepremierparmi nous , il a dans ſes écrits
De l'art d'inoculer peſé les avantages ;
Le premier parmi nous , éclairant nos efprits
Il a des préjugés diffipé les nuages.
,
Σ
Nos yeux ſe ſont ouverts après un long ſommeil ;
Mais , trop foibles encor pour ce trait de lumiere ,
Ils ſe ſont refermés au moment du réveil.
Ainſiquand le matin notre humide paupiere
S'entr'ouvretout-à-coup aux clartés du foleil,
Ses faiſceaux rayonnans bleſſent notre prunelle
Et notre oeil ébloui ſoudain eſt refermé :
Ce n'eſt que par degrés qu'au jour accoutumé,
Il ſoutiendra l'éclat dont le ciel étincele .
4
P
EPITRE à une Laide.
EUX-TU craindre ma perfidie ,
D'où te vient ce ſoupçon ſur ma fidélité ?
Sous țes loix àjamais mon coeur eſt arrêté ,
At'adorer j'ai conſacré ma vie .
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
L'amourqui pour toi ſeule a ſçu fixer mes voeux ,
Ne pourra, j'en conviens , t'embellir à ma vue ,
A travers le bandeau qu'il a mis ſur mes yeux
J'apperçoista laideur ; mais mon ame éperdue
Brûle toujours des mêmes feux.
Des amans , tu le vois , je n'ai point lelangage ;
Pour mieux ſéduire la beauté ,
Qui de leur coeur a mérité l'hommage ,
Ils careſſent ſa vanité ;
Parleurs diſcours flatteurs ils égarent ſon ame
Et ſçavent avec art préparer le moment ,
Où , dans l'excès de ſon enivrement ,
Elle conſent enfin à couronner leur flamme.
Graces à ta laideur, ſans tous ces vils détours ,
Je puis aſpirer à te plaire ;
1
Tureſſens lebeſoin de céder aux amours ,
Et feul je veux le ſatisfaire.
Toujours aveuglés par l'erreur ,
Et mépriſant un facile avantage ,
Tous les mortels , en cherchant le bonheur ,
Le perdent pour ſa fauſle image ;
Séduits par quelques agrémens ,
Qu'une coquette augmente avec adreſſe ,
Ilstombent àſes pieds dans leur funeſte ivreſſe,
Et font voeu d'adorer l'objet de leurs tourmens.
Ah! peut - on être heureux lorſqu'on craint l'inconſtance
,
Lorſque mille rivaux , par des ſoins empreſſés
AVRIL. 1769. 9
Vousdiſputent un coeur dont vous ne jouiflez
Que parcaprice& non par préférence ?
Aumilieudes plus doux plaiſirs
Ledangerde les perdre empoiſonne la joie ,
A la terreur on eſt en proie ,
Etpuis , la crainte étouffe les deſirs...
Mais en t'aimant , rien ne peut me diſtraire
Dubonheurde te voir partager mon ardeur ;
Je ſuis le ſeul qui , ſoigneux de te plaire ,
Ait pu ſentir tout le prix de ton coeur.
D'ailleurs le frivole avantage
Depoſſéder quelques attraits ,
Que le ſouffle du tems ravage ,
Doit-il mériter tes regrets ?
Sijen'aimois en toi que ces dons périſſlables ,
Dont la natureorne quelques objets ,
Mes feux ne ſeroient plus durables ,
Letems les éteindroit en fillonant tes traits;
Maistu peux braver ſon injure
Ett'affurer de mon amour,
Je t'aime , malgré la nature ,
Malgré le tems , je t'aimerai toujours.
Tu ne le ſçaisque trop , chaque peuple différe
Dans ſon goût pour les agrémens ,
Et labeauté n'eſt qu'arbitraire ,
Le préjugé doit - il régler mes ſentimens ? ...
Ton nez de loin annonce ta figure ,
Maisdoit-il mériter pour cela nos mépris ?
10 MERCURE DE FRANCE .
Les femmes des Romains en connoiſſoient le
prix ,
Et t'auroient envié ce don de la nature.
,
Tes dents n'ont point cette blancheur
Dont ſe laiſſe éblouir le ſtupide vulgaire ;
Mais à Siam on priſe leur noirceur
Les noires ont ſeules le droit de plaire ;
On a recours à l'art pour changer leur couleur.
Tes lévres ont fur-tout un charme inexprimable ;
Leur groſſeur paroît effroyable ,
Mais en Afrique elleeût fait leur beauté ,
Et ce ſont deux couſſins où dort la volupté.
Tes yeux expriment la tendrefle ,
Mais malgré tes efforts ils répandent des pleurs.
Eh !bien , de l'Orient la charmante déeſſe ,
L'aurore en verſe auſſi pour ranimer les fleurs .
5
Si les éclairs de la faillie
Jettoient du feu dans tes propos ,
Ma vanité , je le parie ,.
Croiroit adorer tes bons mots ;
Mais non , mon ame n'eſt ſurpriſe
Paraucun de ces faux brillans ,
Et je l'avoue avec franchiſe ,
Ta ſimplicité même accroît mes ſentimens.
Lorſqu'emporté par ma tendreſſe ,
En palpitant , je tombe à tes genoux ,
Ton regard immobile , en des momens fi doux ,
Paroit à mon amour le comble de l'ivreſſe .
AVRIL. 1769. 11
1
Je bénis le deſtin qui voulut te former ,
Quite fit laide , exprès pour me charmer.
Sur tes difformes traits je vois ſa bienfaiſance ,
Jene mets point de borne à ma reconnoiſlance ;
Reçois , reçois encor le fermentde mon coeur ,
Je jure d'adorer à jamais ta laideur.
ABordeaux; Par Doncoffeph Garat.
LE SINGE PUNI. Fable.
CHACUNUn a fon talent qu'il tient de lanature;
Le cultiver , ſans briguer ceux d'autrui,
C'eſt de l'honneur la route la plus ſure ;
Un trait le prouve: le voici.
Unjour après une conquêté.,
Sire Lion enflé de ſes ſuccès
Pour des jeux folemnels aſſembla ſes ſujets .
Fagotin commença la fêre ,
Sauta , bala,
Gabriola درو
C'étoit merveille : en vain ſes camarades
Voulurent imiter ſes tours & ſes gambades ;
Il eut le prix : qui n'eût été content ?
Il ne le fut pas cependant.
Notre finge étoit jeune , & partant téméraire ;.
Rien ne l'effraie , il veut tout contrefaire,
Avj
12 MERCURE DE FRANCE .
Tout furpaſſer ; il brave , fier rival ,
Et la corne du boeuf& le pied du cheval :
On le mépriſe , il chante ſa victoire ,
Va, vient de rang en rang pour publier ſa gloire.
Cependant un oiſeau dans l'air vint à paſſer ,
>> Ainſi que lui , ne puis-je m'élancer ?
» Oui , je le puis ... & la troupe de rire ,
Mais de pitié ; lui , penſe qu'on l'admire ,
Grimpe au chêne voiſin , ſe jette en inſenſé ;
Voilà mon finge àbas , mon finge fracaflé.
Il ſe plaignoit au fort. Ta plainte m'importune ,
Lui dit quelqu'un , laiſſe- là la fortune ,
Accufe ton orgueil& non pas ton deſtin ;
Que ne reſtois- tu Fagotin ?
L'ENFANT & LE SABOT. Fable. *
Pourcélébrer l'anniverſaire
Du jour où naquit ſon papa ,
Unenfant vif&dru du matin ſe leva ,
Et fit cette courte priere :
:
*Elic aa été recitée par M. D. M. âgé de cinq
ans , àM. B. fon grand- oncle , âgé de quatrevingt-
dix qu'il appelle ſon Papa; l'enfant tenant
unfouet&un fabot d'une main,&préſentant ine
copiedes vers de l'autre.
AVRIL. 1769. 13
>>Arbitre du fort des humains ,
> Grand Dicu , qui de nos jours tiens le fil en tes
» mains ,
> Conſerve-nous long-tems une tête ſi chere : >>
Telle fur à peu- près l'oraifon du marmot ,
Qui , comme il a bon pied, bon oeil & bonne
langue ,
Pourroit ſans doutey coudre un lambeau de harangue
;
Mais il ne ſera pas ſi ſot ;
Le drôle ! il ſçait trop bien qu'on lui diroit en
face,
Que mal étreint qui trop embraſffe;
Et d'ailleursà tourner cent fois autour du por ,
Onne va point au but, quelqu'effort que l'on
faffe;
Le langage du coeur s'entend àdemi- mot ,
Sans commentaire ni préface ;
Bref , l'enfant bien ou mal a payé ſon écor,
Et , crainte d'ennuier , car à la fin tout laße,
Il eſt tems dedemander grace ,
Exd'allerfouetter lefabot.
14 MERCURE DE T
FRANCE.
ELEGIE à la mémoire d'une jeune Demoiselle
; par M. Pope , traduite de
l'Anglois. *
QUEUELL objet frappe mes yeux à l'entrée
de ce bois ! Tous mes ſens en font glacés
d'horreur & d'effroi , la pâle lueur de la
lune me fait entrevoir un ſpectre. II
m'appelle , ciel , ôciel ! c'eſt elle , c'eſt
elle - même !. Mais pourquoi ce ſein enſanglanté
& ce poignard tout prêt à la
percer encore ... Hélas ! toujours belle &
toujours tendre ! Quelle eſt la cauſe de ſa
mort ? Est-ce un mal de ſçavoir bien aimer
? Et le ciel peut- il faire un crime aux
mortels de ce qui fait la félicité des anges
? Défend- il d'avoir un coeur ſenſible
* M. Pope aimoit tendrement cette Demoiſelle
, & en étoit aimé. Elle ſollicita en vain
ſes parens de confentir à leur union. Comme elle
refuſoit tout autre parti , ſes parens l'enfermerent
dans un château. Cette jeune infortunée ne
pouvant s'arracher de ſa priſon ni foutenir la
cruelle abſence de l'amant qu'elle adoroit , ſe
donna la mort. On punit fur ſon cadavre cet excès
de tendreſſe , en le privant des honneurs de la
ſépulture.
AVRIL. 1769 . 15
:
1.
&intrépide ? Reprouve - t- il une action
qu'une amante paſſionnée , qu'une ame
vraiment romaine a dû commettre ? Non .
Le ciel doit révoquer ſes terribles arrêts .
Il doit des récompenfes & non pas des
fupplices à ceux dont les ſentimens font
ſi tendres & dont la mort eſt ſi glorieuſe .
Puiſſances ſuprêmes qui gouvernez le
monde , n'annonçâtes - vous pas d'avance
le fort d'une ſi grande ame,lorſque vous
la formâtes avec ce caractere d'élévation
qui la diftingua toujours de tant d'ames
vulgaires ? L'ambition tira ſa premiere
origine de vos demeures célestes ! c'eſt le
crime éclatant des anges & des dieux :
cette noble paffion defcendue ſur la terre
ſe communiqua bientôt à leurs images ,
c'eſt-elle qui embraſe le coeur des rois &
des héros : les ames vraiment magnanimesne
brillent parmi nous qu'un inſtant
dans un ſiècle. Les autres languiſſamment
Aupides demeurent captives dans la prifon
de leurs corps ; la lumiere obfcure
qui luit dans le cours de leur vie inutile
&preſque inviſible au reſte des hommes,
eſt ſemblable aux lampes qui éclairent les
ſépulcres : ou plutôt tels ſont ces Rois ,
la honte de l'Orient , qui, renfermés dans
leurs palais , y paſſent leurs jours dans un
16 MERCURE DE FRANCE.
ſommeil léthargique, où les plonge leur
coupable oifiveté.
D'une foule peut- être trop ſemblable
à ceux- là , la deſtinée rappella cette ame
fublime , le triſte objet de mes regrets ,
pour la rejoindre aux habitansducielqui
plaignoient ſon ſort ici-bas. Comme dans
l'air le plus pur , on voit les eſprits s'élever&
ſe ſéparerdes parties groſſieres dont
cette région inférieure eſt compoſée ; de
même ſon ame s'envola dans ſon ſéjour
natal , & avec elle s'envolerent toutes les
vertus qui ornoient le pays criminel où
elle avoit paffé un fi triſte exil. }
Mais vous,dont la barbarie l'a forcée
de ſe délivrer par une mott fanglantedes
tourmens que votre cruauté lui faiſoit
fouffrir , voyez fur ces lévres de corail ce
dernier foupir encore animé , ces joues
de roſe maintenant flétries par le ſouffle
de la mort ; ce ſein qui autrefois enflam .
moit l'Univers eft glacé maintenant : &
ces yeux qui répandoient un amour contagieux
ſont fermés pour jamais. Perfides
, ainſi périra votre race. Si la Juſtice
éternelle gouverne encore la foudre , une
vengeance imprévue éteindra toute votre
lignée. Semblables à la fleur des champs,
vos femmes & vos enfans feront moifAVRIL.
1769. 17
fonnés , & des cercueils ſans nombre affiégeront
vos portes; là les paſſans s'arrêteront
, & diront , en montrant vos cadavres
: ( tandis que vos pompeuſes funérailles
noirciront les chemins ) voilà
ceux dont les furies ont endurci les ames ,
voilà ceux qu'elles ont maudits pour toujours,
enleurdonnant des coeurs que rien
n'ajamais pu fléchir : ainſi paſſeront ſans
coûter une larme, vos ſuperbes convois ,
l'admiration des gens ſtupides& le ſpectacle
d'un jour. Ainſi s'évanouiront tous
ceux dont le ſein n'aura jamais brûlé que
pour des biens périſſables , ou qui n'auront
pas ſçu s'attendrir ſur les malheurs
de leurs ſemblables.
Loin d'adoucir ton fort , ombre facrée,
on a voulu te couvrir d'un éternel opprobre
; on a vu ta mort ſans pitié;on t'a
privée des honneurs funebres. Qui peur
maintenant expier tant de crimes ? Quoi !
des amis n'ont pas déploré ta deſtinée ?
Aucune larme n'a coulé des yeux de ceux
àqui ton enfance avoit été confiée. Perſonne
n'a appaiſé ton ombre plaintive ,
en arroſant de pleurs ton triſte ſépulcre.
Ce furent des mains étrangeres qui fermerent
tes yeux mourans , qui enſevelirent
ton corps innocent , qui ornerent ton
humble tombeau. Enfin tu ne fus hono
18 MERCURE DE FRANCE.
rée , tu ne fus regrettée que par des étrangers.
Mais qu'importe que des parens
ingrats n'ayent pas accompagné ton cercueil
en habits lugubres , affligés peutêtre
pour quelques inftans , quoique revêtus
d'ornemens triſtes pour une année ;
& traînant autour d'eux , à des fêtes nocturnes
&à des ſpectacles publics , un appareil
inſultant pour la vraie douleur ,
quand on n'en a que le maſque ! Qu'importe
qu'un marbre poli n'ait point tâché
vainement d'imiter les nobles traits
de ton viſage , ni que des amours en lar.
mes n'ayent point orné ta derniere demeure
! Qu'importe enfin qu'aucune terre
ſacrée n'ait ouvert ſon ſein pour te recevoir
, & que des chants mercenaires
n'ayent point fatigué tes mânes ! Au lieu
des vaines parures que l'art emprunte
pour éternifer des cadavres , un gazon
vert& touffu fera couché légérement ſur
ton fein , & les fleurs qui croiſſoient dans
Eden y naîtront avec des couleurs encore
plus vives& plus brillantes : c'eſt en ce
lieu que l'autore répandra ſes premieres
larmes. Ici les premieres roſes de l'année
fleuriront, tandis que les chérubins , avec
leurs aîles argentées, ombrageront la terre
devenue déformais ſacrée par tes cendres
qu'elle renferme. Ainſi demeurera paiſi
AVRIL. 1769. 19
ble,ſans monument& fans gloire , celle
qui , pendant ſa vie , eut en partage la
beauté , les titres , les richeſſes & la renommée.
Il t'importe peu maintenant
d'avoir été honorée & aimée éperduement
, ou qu'on ſache qui t'a donné l'être;
un monceau de pouffiére eſt tout ce
qui reſte de toi , c'eſt tout ce que tu es à
préſent & tout ce que feront les mortels
lesplus fiers& les plus orgueilleux.
Les poëtes eux - mêines , à qui les héros
doivent leur immortalité , mourront
comme ceux qu'ils auront chantés ; les
oreilles flattéesde leurs louanges deviendront
fourdes , & les langues éloquentes
qui les auront célébrés feront muettes
pourtoujours. Celui-même qui te pleure
maintenant& qui conſacre ſa douleur &
ſes regrets dans ces accens lugubres & lamentables
, aura beſoin dans peudes larmes
qu'il te paye. Alors il ne verra plus
ta chere image ; ſon dernier ſoupir t'arrachera
de fon coeur & terminera lesmalheurs
de ſa vie. Ma muſe ne gémira plus
fur ton tombeau , elle fera oubliée ; &
pour tout dire enfin tu ne ſera plus aimée.
:
10 MERCURE DE FRANCE.
TRADUCTION libre de l'hymne
Stupete gentes , &c.
Stupete gentes! fit Deus hoftia , &c.
PEUPLES, admirez
:
enfilence;
Reconnoiſſez un Dieu qui s'immole pour vous.
Celui qui créa tout par ſa ſeule puiſlance,
Fit la loi , s'y ſoumit : quel exemple pour tous !
Comment , pour racheter l'Univers de ſes crimes ,
Peut-il ſe mettreau rang des coupables victimes ?
Et vous , que rienn'a pu fouiller ,
Vous , admirable créature ,
Mere ſans tache , Vierge pure ,
Devez-vous vous purifier.
De more matrum Virgo puerpera , &c .
Une loi formelle & févére
Aux meres , pour un tems , interdit le lieu ſaint.
L'épouſe de Joſeph , comme toute autre mere ,
Beconnoît cette loi , la reſpecte & la craint .
Quel est donc ce devoir dont rien ne la diſpenſe ?
Eſt- ce pour elle enfin qu'eſt faite la défenſe ?
Ah! ſon ſein ne devient-il pas
Le templeduDieu qu'on adore ?
Pourquoi donc n'oſe- t-elle encore
Vers le lieu faint porter ſes pas.
AVRIL. 1769 . 21
Aràfub unaſe vovet hoftia , &c .
Quel ſpectacle ici ſe préſente !
Trois victimes , grand Dieu ! viennent s'offrirà
toi.
Leméme autel reçoit cette hoftie innocente ;
Le même inſtant devient le témoin de leur foi .
Nouveau prêtre , une Vierge , exempte de tout
vice ,
T'immole ſon honneur ; &dans ce ſacrifice
Un enfant encore au berceau
Livre ſon corps & foible & tendre ;
Un vieillard enfin ſemble attendre
Cejour pour deſcendre au tombeau.
Eheu ! quot enfes tranfadigent tuum , &c.
Combiende traits , mere ſenſible ,
Unjour , hélas ! un jour vous perceront le coeur !
Comment en ce moment vous ſera- t-il poſſible
D'éprouver , ſans mourir ,laplus vive douleur !
Decet enfant ſi cher , né dans votre ſein même,
Vous connoiſſez déjà la majeſté ſuprême.
De votre Dieu , de l'Eternel
C'eſt le fils unique , adorable 3
Cet Agneau , victime agréable ,
Deſon ſangdoit teindre l'autel
22 MERCURE DE FRANCE.
Chriftus futuro , corpus adhuc tener , &c .
Dès le moment de ſa naiſſance
Le Chriſt vient nous offrir un trait de ſon amour.
Le premier pas qu'il fait devient une ſouffrance ,
Prélude de la mort qu'il doit fubir unjour.
Pourquoi faut-il , ô ciel ! qu'un innocent périfle !
Quel ſera donc le prix d'un ſi grand facrifice ?
Les mortels étoient malheureux ,
Envers Dieu coupables victimes ;
Son fils vient expier leurs crimes ,
En répandant ſon ſang pour eux .
Par M. le Prévôt d'Exmes.
HARANGUE d'un Général François aux
officiers de fon armée , prêts à entrer.en
campagne.
MAGANGNAANIMES guerriers , l'honneur dema
patrie;
François , qu'aux champs de Mars la gloire m'affocie
;
Prêts de braver le ſort, prêts de vaincre ou mourir,
J'ai , ſur des faits preſſans à vous entretenir .
Par nos propres beſoins , par nos ſuites nom
breuſes ,
AVRIL. 1769 . 23
Par le luxe affiégés dans nos tentes pompeuſes,
Que de malheurs , ô Dieux ! je vois fondre ſur
nous ;
Mais réformons , amis , pour parer à ces coups
Le faſte & la moleſſe , avant-coureurs des vices ,
Qui font revivre ici Capoue & ſes délices :
Lejour , le caſque en tête , exercez vos ſoldats ,
Mêlez -vous à leurs jeux , partagez leurs repas ,
Bravez à leur exemple & les temps & la peine ,
La nuit la lance au poing , dormez au pied d'un
chêne ;
C'eſt ainſi que couchoit l'invincible Henri
Lorſqu'il fortit vainqueur des campagnes d'Yvri ;
Quand ſes braves ſervoient & fans faſte & fans
ſuites ,
Ferez-vous de nos camps un campde Sybarites,
Quoi? ... N'eſt - il pas affreux de voir chez des
guerriers
Unluxe , un ſuperflu qui ſouille leurs lauriers;
Unetable ſervie ainſi qu'au ſein des villes ,
Des piquets ſurchargés de chevaux inutiles ,
Des tentes où l'éclat préſente àmesregards
Le duvetde Plutus près des faiſceaux de Mars ?
Tant de profuſion nous forge des entraves ,
Elle attire après nous cette foule d'eſclaves ,
Ces vautours affamés , par l'intérêt conduits,
Des dépouilles des camps lâchement enrichis
Alexandre eût-il pû , traînant pareille ſuite,
"
14 MERCURE DE FRANCE.
Enchaîner Darius , mettre le Mede en fuite ?
Le ſage Scipion , ſur les bords Africains ,
Auroit- il arboré les aigles des Romains ,
Xenophon eût- il fait la retraite fameuſe ;
Eût-on vu d'Annibal la marche audacieuſe
Franchir& les délerts , &les rocs ſourcilleux
Dontle faîteglacé ſemble étayer les cieux?
Reformez donc , amis , tous ces vains équipages,
Obſtacle ànos exploits fur ces lointains rivages ;
Imitez ces héros privés de ſuperflu ,
Vous avez leur bravoure , embraſſez leur vertu!
ParM. Rozier.
ASon Excellence Monseigneur le Baron
DE GOLTZ.
DIGNE Ambaffadeur d'un monarque&d'us
: lage,
Recevez de mes vers les tributs mérités ;
Mamuſe vous doit double hommage ,
Pourvous&pour le Roi que vous repréſentez ;
Votre épouſe jeune & charmante
Ade moi les mêmes reſpects ;
Mes ſentimens ſont peu ſuſpects.
Vous trouverez par-tout une ardeur fi fervente(
Et Frederic ſera plus chéri parmi nous; 1
Du
AVRIL. 1769 . 25
Dumoins je ne le perſuade ,
Pour avoir voulu qu'avec vous
La beauté vint en ambaſſade.
Par la Muse Limonadiere.
DIALOGUE entre LA FONTAINE
& RONSARD.
RONSARD.
AQuos rêvez-vous là,bonhomme ?
LA FONTAINE .
J'eſlayois de faire parler en vers lepaon
de Junon & la chouette de Minerve.
RONSARD .
Le bel emploi ! ne renoncerez vous
jamais à ces bagatelles ? Je croyois quede
ſéjour de l'Eliſée auroit, tant ſoit peu ,
élevé votre génie .
LA FONTAINE..
C'eſt ce que je n'ambitionne point du
tout. Je veux faire ici ce que je faifois làbas
, & fi j'avois le bonheur d'y retourner ,
je ne voudrois pas y faire autre choſe.
I. Vol.
....
B
:
26 MERCURE DE FRANCE.
RONSARD.
Avouez , cependant , qu'il eſt plusglorieux
de chanter les héros que de faire parler
la cigale & la fourmi .
LA FONTAINE.
Je n'en ſçais rien : j'ai vu parmi nos
grands hommes tant de fourmis&tantde
cigales.....
RONSARD.
Voilà de vos comparaiſons. Vous n'épargnez
rien pour humilier notre eſpéce.
Moi , au contraire , j'employai tout pour
lui inſpirer le noble orgueil que j'avois
moi-même .
LA FONΤΑΙΝΕ .
J'ai toujours cru que les hommes étoient
ſuffiſamment orgueilleux & vains. Il ne
meparutpasmême que mes leçons euſſent
rendu un ſeul d'entre eux modeſte .
RONSARD.
Voilà biende la morale perdue.A quoi
bon élever ſi ſouvent la voix pour n'être
pas écouté ?
LA FONTAINE.
Jem'occupois de mes acteurs beaucoup
plus que de l'auditoire.
AVRIL. 1769. 27
RONSARD .
J'embouchai la trompette , & pinçai
fortement la lyre. Toute la France m'écouta
, & je fus admiré de tous ceux qui
m'écoutoient .
LA FONTAINE.
Ah ! ah ! j'en ſuis bien aife !
RONSARD.
Vous euſſiez dû m'imiter , autant que
cela ſe pouvoit , s'entend.
LA FONTAINE.
Je n'ai rien imité. J'ai laiſſe agir mon
génie, ou , ſi vous le voulez, mon inſtinct.
RONSARD.
C'eſt bien peu de choſe. Il falloit y
joindre l'érudition ; créer des termes nouveaux
, faire paſſer toute la languegrecque
&latine dans la vôtre.
... Sonner le ſang Hectorian ,
Changeant le ſon du Dircéan Pindare
Au plus haut bruit du chantre Smyrnéan. *
C'eſt par-làque j'ai éternifé mon nom &
* Vers de Ronſard.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
mes écrits . C'eſt par-là quej'ai reçu l'hom
mage de tous nos poëtes , & même du fouverain
dont j'étois né le ſujet.
LA FONTAΑΙΝΕ.
Oui , j'ai lu les vers que Charles IX
vous adreſſa . Il eſt fingulier qu'on en ait
fait d'auſſi beaux dans votre ſiécle& que
ce ſoit un Roi qui les ait faits.
RONSARD.
Que direz- vous donc de ceux que jelui
adreſſai avant & après les ſiens ?
LA FONTAI
Je ne les ai jamais lus; maisj'ai relu dix
fois ceux que Marot adreſſe à François I ,
qui en faifoit lui-même comme s'il n'eût
pas été Roi de France , & armé chevalier.
RONSARD.
Marot n'obtint jamais rien qu'à force
de demandes. L'on prévint toujours les
miennes.
LA FONTAINE ,
Cela eſt heureux,
RONSARD .
Les vôtres furent- elles écoutées ?
AVRIL. 1769.. 29
LA FONTAINE.
Je n'en fis jamais aucunes.
RONSARD.
Furent- elles prévenues .
LA FONTAINE .
Non; mais celles de Chapelain l'étoient.
RONSARD.
Fûtes vous , comme moi , recherché ,
accueillià la cour ?
LA FONTAINE.
Je n'y parus preſque jamais , &je penſe
que le monarque s'en apperçut aufli peu
quemoi-même.
RONSARD.
Je fus le chefde la Pléïade : fûtes vous
de la nouvelle académie ?
LA FONTAΙΝΕ.
On me donna l'excluſion la premiere
fois , & l'on m'y reçut aſſez tard la ſeconde.
RONSARD .
Vos ouvrages furent - ils , comme les
Dij
30 MERCURE DE FRANCE.
miens célébrés par tous les poëtes de votre
tems ?
LA FONTAINE.
Quelques - uns en parlerent mal ; nul
d'entr'eux n'en parla bien.
RONSARD.
Vons voyez qu'il exiſte entre nous une
grande difference. Mais dites - moi, fongeâtes
- vous jamais à vous faire une réputation?
LA FONTAΙΝΕ.
Je ſongeai à me fatisfaire. Un ſujet
frappoit- il mon imagination ; je le traitois
à ma maniere ,& fans fonger à celle
dont tout autre l'eût traité . J'oubliois qu'il
yeût des lecteurs & des critiques ; j'oubliois
juſqu'à mon exiſtence & à mon
nom : mais je ne perdis jamais de vue ni
les idées que je voulois rendre , nile ſoin
deles bien exprimer.Ce ſoin me ſuivoit
par-tour. J'entendois peu de choſe de ce
qu'on me diſoit: je ne répondois preſque
àrien. Dès lors , je pouvois ſouvent ennuyer
les autres ; mais il étoit rare qu'ils
m'ennuyaffent.
AVRIL. 1769 . 31
RONSARD.
Je vois que vous n'avez rien omis pour
ne jouer aucun rôle dans le monde. Il eſt
bon de ſe préférer aux autres ; mais il faut
encore que les autres nous préférent à
eux. J'ai réuni ce double avantage. On fut
généralement perfuadé de ce que je valois
& fi quelqu'un ſembloit l'oublier ,
j'avois ſoin de lui en rappeller le fouvenir.
Ce fut par- là queje devins l'oracle des
grands & des petits. Je n'eus point de rivaux
; je ne trouvai que des admirateurs
&des panégyriſtes. Je fus loué par ceux
que tout écrivain loue , & je gage que
mes productions n'ont rien perdu encore
de leur célébrité.
LA FONTAINE.
Cela peut être. On ne m'en a jamais
riendit.
RONSARD .
Voilà une ombre nouvelle qui s'approche
de nous , & qui paroît en vouloir à
l'un de nous deux.
Madame DE GRAFIGNY .
Je cherche , à mon arrivée en ceslieux ,
Biv :
32
MERCURE DE FRANCE .
le poëte le plus inimitable que la France
ait encore produit.
RONSARD à la Fontaine.
Vous voyez que c'eſt moi qu'elle cherche.
Madame DE GRAFIGNY .
C'eſt dont vous , qui eûtes l'avantage
d'être philoſophe dans un fiécle où on l'étoit
ſi peu ; & d'être auſſi grand poëte que
grandphilofophe ?
RONSARD.
Il eſt vrai ; je crois avoir été l'un &
l'autre.
• Madame DE GRAFIGNY .
Sublime la Fontaine ! recevez mon premierhommage.
RONSARD à la Fontaine.
Comment donc ! C'eſt à vous qu'elle
en veut !
I A FONTAINE
Amoi ? Je ne m'en ſerois pas douté.
Madame DE GRAFIGNY .
Avous-même ,grand homme ! on ſçait
AVRIL. 1769. 33
quelle fut votre modeſtie . Elle a pu vous
nuire auprès de vos contemporains ; mais
le tems vous a bien vengé. On vous regarde
aujourd'hui comme la gloire d'un
fiécle qui vous a preſque méconnu. La
réputation fondée ſur les brigues s'affoiblit
de jour en jour ; celle qui l'eſt ſur le
mérite ſe fortifie d'âge en âge. Il y eut
dans tous les tems des hommes qui , par
leur audace ou par leur adreſſe , en impoſerent
à la multitude , & ſouvent même
à ceux qu'ils ne valoient pas . Un autre
tems arrive , & chacun eſt remis à ſa
place.
RONSARD.
A ce compte , je m'étois bien mépris.
Voilà un homme qui a trouvé la gloire
ſans courir après ; j'y courus ſans ceffe &&
n'atteignis qu'à la réputation. Je le vois
trop ; la gloire véritable eſt pour nous une
prade ſuſceptible& capricieuſe . Elle fait
ceux qui la pourſuivent avec trop d'éclat,
&vient trouver ceux qui l'attendent .
Par M. DE LA DIXMERIE .
:
4
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
DE SENE PODAGRO.
TENTATUM podagrâ fenem Vacerram ,
Nec vini tamen abftinentiorem ,
Viſens Archigenes ; amice, dixit ,
Cado parcere, ſi ſapis , memento ;
Fons eft ille tuus unicus podagra.
Audivit placidèfenex monentem ,
Et grates , specie probantis , egiz .
Verùmpoft aliquot dies reverfus
Ad agrum Medicus , Scyphos ut illum
Vertentem reperit meraciores ,
Heu ! quidfacis? inquit at Vacerra,
Fontemficco meæ , ut vides , podagra.
Par M. de la Monnoye.
TRADUCTION par M. RICAUD
de Marseille.
CHEZ certain vieux buveur attaqué de la goutte ,
Alla jadis un Médecin ;
Mon cher ami , dit- il , écoute :
Veux- tu guérir ? Oui , ſans doute ,
Répond le Biberon , c'eſt bien là mon deſſein.
Tant mieux , reprend Purgon , lui touchant dans
lamain ,
AVRIL. 1769 . 35
Çà, promets-moi de mieux tremper ton vin ;
Aux diſcours des gourmets ne prête plus l'oreille,
Et fois certain que la bouteille
Eſt la ſource du mal qui cauſe ton chagrin.
Aces mots le goutteux , docile en apparence,
Fait ſemblant de goûter la lévere ordonnance ,
Etdéclare la guerre au doux jus du raiſin .
Mais peu de jours après,le docteur vénérable
Va voir notre malade ; il le ſurprend à table
Parmi les verres & les pots .
Quoi , dit- il , eſt- ce là cet homme ſi traitable
Qui parut faire cas de nies ſages propos ?
Ton erreur , inſenſé , ne peut être durable;
Hélas ! je plains ton fort fatal .
Tout doux , dit le buveur , je me porte à merveille
;
Votre ſçavoir eſt ſans égal ,
Et vous m'avez appris qu'en vuidant mabouteille
Je taris la ſource du mal .
AMademoiselle N** le jour defſa fête.
DAns les prémices de ſes ans ,
Brûlant d'une flamme divine ,
La courageuſe Catherine
Brava la fureur des tyrans ;
Etde la molle volupté
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Mépriſant le cruel empire ,
Aux lys de la virginité.
Joignit les palmes du martyre
Vous dont les ſolides attraits
Ne doivent rien qu'à la nature ,
Vous , dont l'ame innocente & pure
Del'amour ignore les traits ;
Quand aux douces loix d'hymenée
L'éternel , propice à nos voeux ,
Soumettra votre deſtinée ;
Et vous fera chérir vos noeuds ,
Ne ſoyez plus la vierge Catherine.
Juſque-là , fidéle à l'honneur ,
Sans efforts , fans humeur chagrine ,
Soumiſe aux loix d'une auſtere pudeur ,
Fuyez toujours le coupable délire
D'un jeune & trop ſenſible coeur ,
Pour goûter le rare bonheur
De n'être pas Catherine martyre.
Par Madame M. L. D. Z.
N
ROXANE. Conte Perfan.
E nous plaignons jamais de nos malheurs;
ſouvent notre imprudence nous
les attire ; regardons - les comme des
moyens dont Dieu ſe ſert pour nous
éprouver eu nous punir.
(
AVRIL. 1769 . 37
La ville de Kinnoge, autrefois capitale
de l'Indoſtan , à préſent détruite , avoit
été preſque entierement ruinée par la
guerre ; ſes habitans infortunés éprou .
voient encore l'horreur & la miſére qu'elle
traîne à ſa ſuite; Béoffah , l'un de ces
mortels obfcurs & pauvres qui ne fondent
leur ſubſiſtance que ſur la charité
publique , erroit foible& languiſſant dans
les rues de cette ville déſolée , implorant
en vain des ſecours . Un marchand
dont les richeſſes n'avoient point fermé
le coeur à l'humanité , jetta un oeil de
compaſſion ſur les beſoins du jeune homme
, & s'empreſſa de les foulager ; il le
recueillit dans ſa maiſon où il lui donna
un aſyle , des habits &dupain ; mais pour
le ſouſtraire au danger de l'oiſiveté , il le
chargea du ſoin de ſes jardins , fur lefquels
donnoit l'appartement de ſon époufe&
de fa famille .
,
Un jour Béoffah commençant fon ou
vrage , apperçut Roxane , la fille unique
de ſon bienfaiteur; ſortie des bras du
fommeil , elle reſpiroit l'air frais du matin
; ſa beauté raviſſante éblouit le jeune
homme ; il oublia ce qu'il devoit à la reconnoiſſance
, & livra fon coeur à l'amour .
Quel eſpoir cependant pouvoit - il former
? Son obſcurité , ſa pauvreté ne lui en
38 MERCURE DE FRANCE
permettoient aucun. Cette idée cruelle
l'agitoit fans ceſſe; elle le ſuivoit au milieude
ſes occupations ; elle ne le quirtoit
point lorſqu'il les interrompoit , &
ſouvent elle venoittroubler ſon ſommeil .
Cherchoit-il à ſe diſtraite par des chants,
les chanfons qui y avoient quelque rapport
étoient toujours les premieres qui
s'offroient à ſon ſouvenir ; il repétoit fréquemment
celle - ci du prince d'Orifla
qui , dépouillé de ſon trône , pourſuivi
par ſes ennemis , forcé de ſe cacher fous
divers déguiſemens , devenu amoureux
d'une femme qu'il avoit vue dans la ville
d'Ugein , l'avoit compoſée pourfoulager
fes ennuis.
"Malheureux prince ! faut-il que l'a-
>> mour ajoute ſes peines àtes mallheuts !
>> Je ne poffederai jamais la beauté que
j'adore , ni la couronne que j'ai perdue;
>> ſous le déguiſement où je ſuis , puis je
» aſpirer à fon coeur ? Elle me croit in-
>>digne d'elle ; je m'expoſe à la mort en
> revelant mon rang , & je mourrai s'il
■faut le lui cacher.>>>
Béoffah chantoit ces paroles avec intérêt
; Roxane en prit à l'écouter ; bientôt
elle penſa qu'il étoit ce prince d'Oriffa
, dont les aventures avoient fait tant
AVRIL.
1769. 39
de bruit; elle l'examina avec plus d'attention
; il étoit beau , bienfair; elle lui
trouva l'air noble & majestueux ; fon
imagination le lui fit regarder comme
une perle brillante que l'inconſtance de
la fortune avoit détachée d'une couronne .
Flattée de ſa prétendue découverte , à demi-
confirmée dans une opinion qui commençoit
à lui plaire , voulant écarter tous
ſes doutes , elle réſolut de le faire expliquer.
Dans ce deſſein elle ſe pare avec
plus de ſoin , leve ſes jalouſies , conſidére
le jeune homme , prend plaifir à en être
vue , & lui fait ſigne d'approcher. Béoffah
accourt avec un empreſſement qui la
flatte; fon embarras exprime ſon amour ;
Roxane s'en apperçoit & rougit ; elle
veut lui parler & ne ſçait par où commencer.
Ses yeux diſtraits tombent fur
une grenade ; elle lui demande ce fruit
dont la beauté la tente; le jeune homme
court & la cueille ; il la lance vers la fenêtre
; il jouit de la vue de ce qu'il aime ;
il veut prolonger ce plaiſir ; la grenade
jettée manque toujours le but & revient
fans ceſſe entre ſes mains ; Roxane rit de
cette maladreſſe , en ſoupçonne le motif
&s'en applaudit. Si vous ne viſez pas
mieux à la couronne , lui dit-elle en fou
40 MERCURE DE FRANCE.
riant , vous porterez toujours ce turban .
Béoffah n'entend pas le ſens de ces mots .
Quel rapport , lui demanda - t - il , votre
eſclave peut-il avoir avec des couronnes ,
lui , dont la plus grande ambition eſt de
ſervir la reine de la beauté ? -Aucun ,
reprit Roxane , j'ai ſeulement voulu faire
alluſion à un air que je vous ai entendu
chanter , & dont les paroles conviennent
à un prince malheureux .
Un trait de lumiere éclaira l'ame de
Béoffah ; il entrevit l'erreur de Roxane
& réſolut d'en profiter ; ſa ſurpriſe même
ſervit à ſon deſſein. Inſenſé que je fuis ,
s'écria- t- il avec une feinte douleur ! qu'aije
fait ? L'unique confolation des infortunés
eſt de n'être pas connus ; mon imprudence
me l'a ravie. A ces mots il ſe
retire dans un déſordre affecté , & va
planter d'un air chagrin ſa béche fur la
tetre. Dès ce moment il néglige fon travail
& ne s'occupe que des moyens
d'aſſurer ſon bonheur en trompant fon
amante .
Roxane cependant n'a plus de doutes;
Béoffah eſt un prince à ſes yeux ; tout le
lui confirme ; le lendemain en ouvrant ſa
fenêtre , elle le voit couché au pied d'une
haie , paroiſſant enſeveli dans un profond
AVRIL. 1769. 41
fommeil , mais agité par des ſonges ; elle
voudroit ſçavoir quels ſont ceux qui l'occupent;
il articule quelques ſons qui excitent
ſa curiofité ; ſon attention redouble
; elle entend enfin ces mots : malheureux
prince d'Orifla ! .. O Roxane ! ...
O amour ! ... Le filence ſuccéde ; mais
Roxane en a fuffisamment entendu ; ces
mots reſtent dans ſa mémoire ; elle les
explique , les commente , y ajoute , &,
dupe de fon imagination , elle néglige
l'épreuve de la pierre de touche, & prend
le plus vil des métaux pour de l'orpur.
Son eſprit égaré ne voit plus que des palais
, des trônes , des ſceptres , des couronnes.
Elle médite de l'arracher à un
état indigne de lui , trace le plan d'une
fuite dans laquelle elle doit le ſuivre , le
communique à fon prince imaginaire qui
l'approuve & en preſſe l'exécution .
L'imprudente Roxane oublie les inquiétudes
qu'elle va donner à ſes parens ;
elle ſe charge de ſes bijoux les plus précieux
, prend le cheval de ſon pere , & fe
met en route avec ſon amant. Elle traverſe
avec lui les forêts les plus ſombres;
ſon coeur timide , raſſuré par l'amour , ne
craint plus ni les eſprits qui errent au milieu
desténébres , ni les bêtes féroces qui
peuplent les déſerts.
42 MERCURE DE FRANCE.
Quand Béoffah fe crut affez éloigné de
Kinnoge pour être à l'abri de toutes pourfuites
, il conſidéra qu'il lui feroit difficile
de ſe déguifer long- temps,& craignit que
Roxane nedécouvrit ſon impoſture. L'amour,
la terreur & l'avarice rempliffoient
àla fois ſon ame; ſeul avec elle dans cette
folitude , il pouvoit fatisfaire ſa premiere
paffion , lui donner enfuite la mort
pour s'épargner ſes reproches & reſter
maître des richeſſes qu'elle avoit empor.
tées ; à peine eut-il conçu ce deſſein qu'il
réfolut de l'exécuter.
Le feudes étoiles commençoit à pâlir ;
le foleil naiſſant doroit les bords de l'horifon;
le ſcélérat arrête ſon cheval , l'attache
à un arbre & preffe Roxane de defcendre.
Son ton , ſes regards étonnent
cette infortunée ; elle n'y reconnoît plus
l'expreffion de l'amour ; l'effroi s'empare
deſes ſens; elle le conjure depourſuivre
le voyage ; il ne l'écoute point; il la prend
dans ſes bras , &ne lui laiſſe aucun doute
fur ſes coupables intentions ; en vain elle
lui rappelle ce qu'elle a faitpour lui , fa
confiance , ſes bienfaits ; en vain elle reclame
ſa généroſité , ſa compaflion ; fa
réſiſtance augmente les tranſports du
monſtre inſenſible à ſes cris; il n'eſt point
AVRIL. 1769 . 43
attendri des larmes de ſa victime; il aime
à les faire couler; elles lui prêtent de
nouveaux charmes . Roxane accablée veut
prévenir ſa honte & ſe donner la mort;
elle portoit fur elle un poignard empoiſonné;
elle le tire pour s'en frapper ; fon
déſeſpoir n'en veut qu'à ſes jours ; elle
reſpecte ceux du cruel; elle ſe ſouvient
encore qu'elle l'adoroit.
:
Béoffah s'apperçoit de ſa réſolution ,
tente de lui arracher le fer & n'y parvient
qu'en ſe bleſſant mortellement; le poiſon
pénétre auſſi - tôr dans ſes veines &
éteint ſes forces ; le lâche expire dans des
convulfions aftreuſes , déſeſpéré d'un effet
fi prompt , &blafphemant le ciel qui
prévient fonhorrible projet.
Roxane , échappée à l'opprobre qui la
menaçoit , plaint encore ce malheureux ;
mais ſes tourmens ne ſont pas à leur fin ;
elle jette les yeux autour d'elle , frémit
de la folitude qui l'environne & déteſte
fon imprudence. Tout l'effraye ; ſi le vent
agite la forêt , elle croit entendre leshurlemens
des bêtes féroces ; elle s'attend à
chaque inſtant à en être la proie ; elle
veut fuir& ne ſçait où porter ſes pas; elle
craint de s'égarer ; ſon incertitude & fa
terreur l'arrêtent à la même place ; elle
i
44 MERCURE DE FRANCE.
pleure , elle gémit & ne ſe réſoud àrien.
Pendant qu'elle s'abandonne à ſon déſeſpoir
, un bruit confus retentit dans les
airs; elle porte ſes regards vers le ciel , &
apperçoit Gretiafrofe , ( mot perſan qui
fignifie ſplendeur du monde) la Reine des
Génies aſſiſe ſur un char d'or , tiré par des
oiſeaux , & environnée d'une troupe
nombreuſe de ſes ſujets. Ils deſcendent
auprès de Roxane , l'enlevent dans leurs
bras& la portent à côté de leur Reine ;
elle plane avec étonnement dans les
cieux , regardant les nuages roulant fous
ſes pieds ,& la terre ſuſpendueau milieu
des airs. Elle paſſe au-deſſus des mers , &
découvre bientôt une ifle délicieuſe , où
le char deſcend & s'arrête ; Gretiafroſe
lui adreſſe alors la parole avec un ſourire
enchanteur qui acheve de la raſſurer. Je
vous félicite de votre prochain bonheur ,
lui dit-elle , vous allez vivre ici avec les
enfansde la lumiere , jouir de leurs plaifirs
, & oublier le monde , fi vous vous
accoutumez à nos moeurs & ſi vous vivez
comme vous le devez .
Des portes d'argent s'ouvrirent auffitôtd'elles-
mêmes;Roxane ſuivit la Reine
dans des jardins enchantés , où ſes yeux
s'arrêterent avec admiration ſur des mer.
AVRIL. 1769. 45
veilles ſansnombre ; les beautés de la nature
étoient jointes à celles de l'art ; l'une
&l'autre ſembloient s'être unis pour produire
les effets les plus ſurprenans.
Le palais dont dépendoient ces jardins
étoit de criſtal, & bâti au milieu d'un lac;
quatre pontsyconduiſoient; la glace dont
ils étoient compoſés préſentoit un chemin
difficile & gliſſant ; ils aboutiſſoient
àdes portiques ſuperbes, ouverts aux quatre
parties du monde. Roxane s'arrêta ,
effrayée, à l'entrée d'un de ces ponts; mais
ſa conductrice lui prit la main,en ſouriant,
&le lui fit franchir ſansdanger; elle la con .
duiſit dans une ſalle ſpacieuſe & magnifique,
éclairée par des luſtres de diamans,
&aumilieude laquelle s'élevoit un trône
inviſiblement ſuſpendu.
Gretiafroſe s'aſſit ſur ce trône d'un air
majestueux , & touchant une cloche d'argent
, elle annonça aux humains qu'elle
alloit donner ſes audiences. Auſſi- tôt les
jardins furent remplis d'une multitude
innombrable d'hommes qui ſe preſſant
les uns les autres , retardoient leur marche.
Pluſieurs , en précipitant leurs pas fur
les ponts , tomboient dans le lac où ils
périſſfoient , tandis que d'autres plus heu,
reux arrivoient au palais.
46 MERCURE DE FRANCE .
Le premier qui ſe préſenta fut unjeune
homme; les roſes de l'amour coloroient
fon teint ; il jouiſſoit d'une ſanté florifſante;
le feu du deſir brilloit dans ſes
yeux ; il s'approche de la Reine avec confiance
, ſe proſterne &lui préſente ſa requête
; elle ne contenoit que ces mots :
une table ſomptueuſe, la coupede la joie,
& la beauté dormant dans mes bras , voilà
l'objet de tous mes deſirs ; il fut fatisfait.
On vit paroître une table ſervie avec
autant d'abondance que de délicateſſe; de
jeunes femmes égales aux Peris ſe préſenterent
avec des coupes remplies de vins
exquis ; elles ſe mirent à danſer autour
du jeune homme qui , nageant dans la
joie , s'enivroit à longs traits de toutes
les voluptés. Mais bientôt il changea de
viſage ; les fleurs de fon teint ſe fanerent;
le feu de ſes yeux s'éteignit ; il mourut
victime de ſes excès , & le dégoût précéda
ſondernier ſoupir.
Il fit place à un vieillard haletant ,
portant un ſac ſur ſes épaules & pliant
ſous le faix. Arrivé au pied du trône il
l'y dépoſe & l'ouvre; il contenoit beaucoup
d'or. Acheve de le remplir , s'écriat-
il,& je mourrai content. Apeine avoitil
parlé que la terre s'ouvrit devant lui&
AVRIL. 1769 . 47
lui montra des richeſſes immenfes ; le
vieillard les contemple avec raviſſement ;
il s'empreſſe de remplir ſon ſac , le trouve
trop petit & regrette de n'en avoir pas
apporté un plus grand; il y fait entrer
tout ce qu'il peut contenir &ſoupire à la
vue de ce qu'il laiſſe. Il entreprend enfuitede
le charger ſur ſes épaules ; ſes efforts
font inutiles , il s'aſſied en l'embraffant
, & meurt ſans vouloir le quitter.
Dans l'inſtant un jeune homme qui ſe
laſſoit d'attendre , accourt& ſe jette fur
l'or , qui ſe fond &diſparoit en ne laifſant
que le fac vuide entre ſes mains.
Pluſieurs autres ſe préſenterent ; on vit
enfin un philofophe avec une barbe vénérable
; il tenoit un miroir d'une main
&de l'autre un livre. Il y a 70 ans , s'écria-
t-il , que je cherche par le monde le
palais du bonheur; j'ai ſuivi enfin les tracesde
la ſageſſe ; elles m'ont conduit dans
ce lieu ; je ſuis arrivé au terme ; ôgrande
Reine , fais - moi jouir de la ſuprême félicité.
Tu la mérites , répondit Gretiafroſe
, & dans l'inſtant le vieillard tomba
mort.
Alors on vit entrer une foule prodigieuſe
de perſonnes des deux ſexes ;
Roxane, attentive à ce qui ſe paſloit au-
: 21.
48 MERCURE DE FRANCE.
tour d'elle , rêvoit à la demande qu'elle
feroit à ſon tour , lorſque la ſouveraine
des génies , laſſe de l'audience , s'écria :
vous obtiendrez tous le premier voeu que
vous formez . Dans ce moment les yeux
de Roxane étoient fixés ſur une émeraude
d'un prix inestimable . Au dernier mot
de Gretiafroſe le palais s'évanouit ; un
bruit , ſemblable à celui du tonnerre , ſe
fit entendre ; Roxane tomba mourante
d'effroi , & ſe trouva ſur le bord de la
mer en revenant à elle , avec la précieuſe
émeraude à ſes côtés .
Quel fut fon effroi quand elle reconnut
qu'elle étoit dans une ifle déſerte , fans
fecours , fans aſyle , ſans nourriture ; une
troupe de ſinges monstrueux qui habitoient
ce lieu ſauvage , vint ajouter à ſa
terreur ; perfécutée par ces animaux cruels
&malins , elle attendoit la mort , lorfqu'un
lion fortit de la forêt& les mit en
fuite; fon épouvante redouble à cet afpect
, mais le monſtre dépouillant ſa férocité
, s'approche de Roxane , la flatte de
ſa queue terrible & lui léche les mains ;
ce fut un nouveau genre de fupplice pour
cette infortunée ; la langue rude & groffiere
du lion meurtriffoit les mains qu'il
ſembloit careſſer ; Roxane pour s'en débarraffer
AVRIL. 1769 . 49
barraſſer, tente de ſe lever&de fuir, mais
l'animal farouche l'arrête par lebas de ſa
robe & la contraint de reſter aſſiſe ſur la
terre.
Roxane épouvantée n'oſoit porter ſes
regards ſur le lion qui ne la quittoit point;
elle ſongea au poignard empoiſonné
qu'elle avoit conſervé ; mais elle n'oſa
pas s'en ſervir pour ſe délivrer de fon terrible
compagnon ; elle lui devoit la vie ;
il ne l'attaquoit point; elle ſe ſouvint
qu'elle avoit encore ſa boëte à bettel
qu'elle avoit remplie d'opium avant de
fortir de la maiſon de ſon pere ; elle mit
dans ſa main le ſomnifere puiſſant & le
préſenta au lion,qui le prit& en éprouva
auſſi - tôt l'effet. Elle profita de ce fommeil
pour ſe mettre en liberté ; en avançant
vers la mer , elle apperçut un vaifſeau
qui venoit à certe iſle , elle détacha
ſon voile , & s'en ſervit pour faire des
fignaux. Le commandantdu navire defcendit
ſur le rivage ; qui es - tu , lui demanda-
t-ild'un ton bruſque , qui t'a conduite
dans ce lieu déſert ? -Vous voyez
une infortunée dont l'hiſtoire eſt trop
longue pour vous être racontée ; daignez
me conduire dans une terre habitée; vous
entendrez alors le récit de mes malheurs;
I. Vol. C
so MERCURE DE FRANCE .
vous me plaindrez ; vous connoîtreztoute
l'étendue du ſervice que vous m'aurez
rendu .
Le capitaine , homme farouche, avare
& fans humanité, incapable de rendre un
ſervice gratuit , n'entendant point parler
de récompenſe , lui répondit avec dureté
qu'il avoit un long voyage à faire , que
ſes proviſions étoient preſque épuiſées ,
qu'il n'étoit venu dans cette ifle que pour
tâcher de s'en procurer de nouvelles &
non pour ſe charger d'une bouche de plus.
Il alloit ſe retirer en achevant ces mots
lorſqu'il apperçut les bijoux dont Roxane
étoit parée ; il s'arrête , réſolu de ſeles
approprier & de profiter de fon infortune;
il lui demande ce qu'elle lui donnera
pour ſon paſſage. Il faut donc payer vos
ſecours , lui dit-elle ; puiſque vous aimez
les richeſſes , prenez ces joyaux. Je tiens
ce diamant de ma mere; elle le porta le
jour de fon mariage ; elle eſpéroit le voir
àmon doigt dans la même circonftance .
Cette bague eſt à vous , un devin m'aſſura
qu'elle étoit un préſervatifcontre l'ingratitude
; l'expérience ne m'a que trop appris
à me défier de ſa prédiction. Recevez
auſſi cet anneau ; un derviche voyageur
me le remit , en me diſant qu'il me
AVRIL. 1769. SI
tireroit un jour de l'embarras le plus affreux.
Prenez encore ces boucles d'oreilles
, ce collier , ces bracelets , cette chaîne
d'or , prenez tout.
Lorſque le marin eut reçu tous ces ornemens
, il lui demanda ſi elle n'avoit
rien de plus. Je l'avois oublié , répondit
Roxane avec impatience ; il me reſte une
émeraude; regardez ſon éclat ; mais puiſque
l'avarice& la mer ont la même avidité
, je partagerai mes dépouilles entreelle&
vous ; en parlant ainſi , elle la jetta
dans les Hots.
Le commandant , que la vue de cette
pierre avoit ébloui , pouſſa un cri en la
voyant échapper de ſes mains ; ildéchira
ſes habits, & repouſſant Roxane avec fureur
, il remonta ſur ſon vaiſſeau qui mit
fur le champ à la voile.
Les ſcélérats ne jouiſſent pas long tems
du fruit de leurs méchancetés ; le ciel ,
vengeur du crime , a toujours le bras
étendu ſur eux ; un nuage parut ſur l'horifon
& le remplit bientôt tout entier; la
foudre qu'il portoit dans ſes flancs s'échauffe
, s'embrafe & gronde; les vents
déchaînés ſur les mers entrouvrent leurs
abymes qui engloutiſſent le vaiſſeau & le
monftre qu'il portoit.
Roxane , à la vue de l'orage , s'étoit
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
miſe à l'abri dans une caverne ; elle en
fort aufli-tôt qu'il eſt diſſipé ; les vagues
apportent ſur le rivage les debris du navire
&quelques proviſions dont elle appaiſe
la faim qui la dévore ; elle apperçoit
le corps du capitaine qui l'a dépouillée
ſi inhumainement ; ſes yeux s'arrêtent
fur un petit fac attaché à ſa ceinture; l'efpoir
d'y trouver quelques nouveaux alimens
la porte à s'en ſaiſir ; elle l'ouvre &
n'y trouve que ſes bijoux ; elle les revoit
avec plaifir & s'en pare encore ; ſon anneau
lui paroît fauſſe , elle eſſaye de le redreſſer
, il ſe rompt entre ſes mains. La
terre tremble autour d'elle ; ſes yeux
ſemblent ſe couvrir d'un voile ; elle ne
voit plus , mais elle entend ces mots.
Celui qui t'a donné ce joyau me force à
fortir du centre de l'abyſme pour te fervir
; parle , que veux- tu de moi. Roxane
lui répondit : Génie ſacré , ou qui que tu
fois , l'anneau que j'ai rompu eſt le préſent
d'un derviche dont j'ai ſoulagé l'infortune;
il me quitta en m'aſſurant qu'il
me feroit utile , ſans s'expliquer davantage.
Je vois ſa prédiction accomplie ;
daigne me tirer de cette ifle.
A ces mots elle ſe ſentit enlevée dans
les airs , & ſe trouva bientôt ſur la terre
ferme ; elle crut ſes malheurs finis; la
AVRIL. 1769 . $3
campagne chargée de fleurs & de fruits
lui offroit un ſpectacle raviſſant. Elle
marchoit pour ſe rendre dans quelque
lieu habité , lorſqu'elle vit paroître une
créature à figure humaine qui s'avançoit
endanſant , & qui fut ſuivie d'une multitude
d'autres; c'étoient les femmes des
Bunmanoes qui habitent les montagnes
du Décan , eſpéce de peuples ſauvages
qui paroiſſent à peine ſupérieurs aux brutes.
Dès qu'elles eurent apperçu les diamans
de Roxane , elles ſe jetterent fur
elle pour s'en emparer ; en défendant fon
anneau elle le rompit une ſeconde fois ;
le génie parut , & ſa préſence fit prendre
la fuite àces femmes. Il demande à Roxane
pour quelle raiſon elle l'a rappellé; elle
ſe proſterne , elle le ſupplie de la porter
dans la demeure de fon pere.
Le Génie obéit , & Roxane en ouvrant
les yeux ſe voit dans un tombeau qu'éclaire
une lampe funébre. Elle frémit &
ne doute plus que ſa fuite n'ait donné la
mort à l'auteur de ſes jours ; elle arroſe
de ſes pleurs le marbre qui le couvre , &
ne voit point ſa mere qui , vêtue de deuil ,
étoit venue renouveller l'huile de la lampe
& jerter des fleurs ſur la tombe de fon
époux. Surpriſe à l'aſpect de ſa fille , elle
pouſſe un cri ; prête à voler dans ſes bras,
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
elle s'arrête , & lui montrant ce lieu lugubre
, elle ſemble lui dire avec douleur :
c'eſt ici que tu as conduit ton pere ! Roxane
entend ce reproche terrible , ſe jette à
ſes pieds & fait parler ſes larmes & fes
remords ; fa mere attendrie la releve &
l'embraſſe ; elle écoute le récit de ſes triftes
aventures , & la ramene dans la maiſon
paternelle. Roxane mérita fes bontés;
elle ne ſe ſouvintde ſes égaremens
que pour les déteſter; la raiſon , la vertu ,
ſes devoirs furent la regle de ſa vie que
l'imprudence , l'erreur& l'imagination ne
troublerent plus.
SENTIMENT fur Héraclite & Démocrite.
Par un infructueux délire
Héraclite pleura nos maux ,
Démocrite ne fit qu'en rire ;
Mais comment excuſer ces deux originaux ?
Lequel a pour vous plus de charmes ,
De ces cyniques ris , de ces frondeuſes larmes ?
Voici mon avis entre nous.
Héraclite eſt un fou de pleurer pour des fous ;
Et Démocrite auffi peu lage
Rit des ſots dont il eſt l'image.
Simon fils , à Hennebond.
AVRIL. 1769 . 55
VERS d'un Ami fur la mort de fon
Amie , le 28 Janvier 1769 .
Tu n'es donc plus que cendre , ôma plus chere
amie!
LesDieux ont diſpolé de toi ,
Et tu viensde fubir la loi
Qa'impoſe la nature à qui reçoit la vie.
Ç'en est fait .. Quoi tu meurs ! .. Etje reſpire...
ô Dieux ! ..
Si le fort moins impitoyable
Eûtdaigné m'être favorable ,
Le coup qu'il t'a porté nous eût frappé tousdeux.
Mais la fatale deſtinée
Qui te précipite au tombeau ,
N'a pas voulu que le même cizeau
Ait coupéde mes jours la trame infortunée.
Ah ! du moins , fidu ſein des Etres éternels ,
Où ton ame s'eſt envolée , 1
Tu jettois ſur la terre , à mes yeux iſolée ,
Un de tes regards imınortels ,
Tu verrois qu'accablé de regrets , de triſteſſe ,
Et devoré par la douleur ,
Je pleure ces momens ſi chers à notre coeur ,
Ces momens conſacrés à la délicateſſe
D'un ſentiment plein de douceur ,
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Où nous applaudiſſant d'avoir eu le bonheur
D'éviter les excès de l'humaine foibleſſe ,
Et les condamnant ſans rigueur ,
Nous plaignions ceux denotre eſpèce ,
Qui , ſéduits par la folle ivreſſe ,
Et les attraits d'un penchant ſéducteur ,
Aux paffions ſacrifiant ſans cefle ,
Et n'écoutant pas la ſageſſe ,
Se laiſſoient à leurs goûts aller avec fureur.
La confiance mutuelle
Qui préſidoit à tous nos entretiens ,
A l'amitié prêtoit un nouveau zèle ,
Etd'intelligence avec elle ,
De notre attachement reſſerroit les liens.
Sans ennui comme ſans nuages ,
Nos jours couloient purs & ſereins ;
Contens de peu , vivans en ſages ,
Et ſans porter envie au reſte des humains.
La mort rompant , hélas ! cette union ſi rare ,
Amis le comble à mon malheur ;
Mais en dépit du fort qui nous ſépare
Tu vivras toujours dans mon coeur.
AVRIL. 1769 . $7
!
VERS à M. du Belloi , après la premiere
repréſentation de la reprise du
Siége de Calais , le 1 Mars 1769 .
TEs ſuccès ſont comblés : au temple de mémoire
Le ſiége de Calais conſacrera ta gloire ;
Et tes ſublimes vers , en paſſant dans nos coeurs ,
Etoufferont toujours les cris de tes cenſeurs .
Par M. Plaifant , avocat en parlement.
VERS pour mettre au bas du portrait
de M. du Belloi.
TIL eſt ce citoyen , dont le drame fidéle
Du maire de Calais éterniſe le zèle ;
La France dans les coeurs y voit graver pour loi ,
L'amour de la patrie & l'amour de ſon Roi.
VERS à Mgr l'ancien Evêque de
Limoges.
LES Enfans de nos Rois à vos ſoins confiés
De vos rares vertus ſont de fûrs témoignages :
Cv
38 MERCURE DE FRANCE .
Au milieu de la cour , au ſein de ſes orages ,
Le calme eſt dans votre ame & l'envie à vos pieds.
Permettez qu'un coeur qui vous aime
Applaudiſſe de loin à vos nobles travaux ;
Agréez tous mes voeux , ils ne ſont pas nouveaux ,
Mais ils ſont vrais comme vous- même.
ParM. de Bresle.
VERS adreſſfés aux Officiers François ,
affiftans à une repréſentation d'Adelaïdefur
le Théâtre de Ferney.
Sous les belles couleurs du pinceau d'un grand
homme ,
Guerriers , vos propres traits vont s'offrir à vos
yeux ;
Vous verrez votre image,&Nemours & Vendôme
Parleront de bien près à vos coeurs généreux.
L'ivreſle de l'Amour , l'ivreſſe de la Gloire ,
Le cri des paſſions , le cri de la victoire ,
Voilà vos guides , ô Français .
Les monumens de vos ſuccès
Sont au templede Gnide , au temple de Mémoire.
Les plaiſirs ont pour vous embelli les grandeurs ,
Ils charment vos inftans , vous ornez leur empire;
L'honneur ſeul vous artache à ces douces erreurs,
AVRIL. یو . 1769
L'honneur eſt votre dieu: cet ouvrage l'inſpire ,
Et ce que l'auteur ſçut écrire
Eſt écrit déjà dans vos coeurs,
ParM. de la Harpe.
A Mademoiselle R. fur fon aventure
des Tuileries.
FAUT- IL vous étonner, Beauté parfaite entour,
Que le François s'empreſſe ſur vos traces ;
Il fait l'éloge de ſon goût ,
En rendant hommage à vos graces .
Emerveillé de voir tant de charmes divers
Unis ( choſe ſi rare ) avec tant de décence ,
Il fait aux yeux de l'Univers
Ce que mon coeur fait en filence.
:
1
ParD.B.
::
IMPROMPTU fait au foyer de la Comédie
Françoife , fur une plaifanterie de
Mlle Luzi , qui avoitvolé un mouchoir
Vous méritez qu'on vous le donne
Le mouchoir que vous m'avez pris ,
Es la plus belledes Ouris,
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
C Par les charmes de ſa perſonne ,
Ne vaut pas dans le paradis
Le petit doigt de ma friponne.
Parmi les beautés de Paris
Ma préférence vous couronne ,
Et nul , n'en doit être ſurpris ;
Car ſans ceſſe je le redis :
Vous méritez qu'on vous le donne
Le mouchoir que vous m'avez pris .
<
Par M. de la Tourraille .
STANCES de M. de la Louptiere , académicien
des Arcades , fur la mort de
Madame de Relongue , fa mere.
QUOI ! ce ſein vertueux où je fus renfermé
Afubidu trépas les cruelles atteintes !
Par mes foupirs & par mes plaintes
Le fort ne fut pas déſarmé.
7
Objet le plus conftant que le ciel ait formé ,
Toi , qui de mon enfance as pris un ſoin extrême,
Que te fert aujourd'hui de m'avoir tant aimé
Si tu ne ſçais plus que je t'aime ?
Confidente de tous mes vers ,
Tun'approuvois que les plus ſages ,
AVRIL. 1769. 61
Et lorſque j'avois tes fuffrages
J'obtenois ceux de l'Univers .
Ton eſprit , fait pour tout connoître ,
Captivoit ſon eſſor ſous le joug de la foi ;
Et pleine de ferveur pour le ſouverain Etre ,
Tu ne méditois que ſa loi.
A l'attrait des vertus , à leur puiſſante flame ,
On te vit mille fois immoler ton repos ;
L'honneur habitoit dans ton ame
Comme dans l'ame d'un héros.
Tu chériſſois la ville , elle t'avoit vu naître ,
Tu ſçus bientôt quitter ce qu'elle a de plus doux ,
Pour fixer tes deſtins dans un ſéjour champêtre
Au gré de ton fidele époux.
:
De tes traits la vivante image ,
Que la peinture offre à nos yeux ,
Sera pour notre race un bien plus précieux
Que les biens dont l'hymen * orna notre héritage.
* La feue Damede Relongue qui , de fon chef,
étoit Dame de la ſeigneurie de la Digne , ſe nommoit
Marie-Genevieve Barat ; elle étoit coufine
germaine de Meſſire Pierre de Fouilleuſe , de la
familledes marquis de Flavacour ; elle étoit née
en 1699 , & elle avoit épousé en 1724 Meſſire
Jean-Paul de Relongue , chevalier ſeigneur de la
Louptiere , mouſquetaire du Roi. Elle est décédée
enſon château de la Louptiere , en Champagne ,
le 23 Janvier 1769.
62 MERCURE DE FRANCE.
Avec quelle douceur n'as-tu pas combattu
Les folles paſſions que la beauté m'inſpire!
Que de peines pour me conduire
Dans les ſentiers de la vertu !
Dela mode&des ſens quand le conſeil inique :
M'expoſoit au danger d'être un peu libertin,
Tupriois pour ton fils, comme autrefois Monique
Prioit pour ſon cher Auguſtin.
Du haut de la voûte azurée
Une main inviſible a rompu tes liens ;
Tu m'as donné des jours de trop longue durée
Puiſquej'ai vu finir les tiens .
INSCRIPTION pour l'une des fontaines
de la ville de Rheims .
(C'eſt la Veſle qui parle. )
!
ANNOS per longos humilis fine nomine
Nympha ,
Effudi latices dulcè ſalutiferos ;..
Nuper inurbe fluo;nova nunc ego diva ſalutor
Nott, Epidaure , tibi Numinis * ipſa foror.
*Efculapii.
Par M. de Bignicourt.
AIR NOUVEAU
Chanté dans le déserteur?
p.63
allegretto
Vive le vin! vi.ve L'a..mour! amant
etbu veur tour à tour,je narque
la mélanco
--li... e jamais les peiner de la vie ,
ne mon
m'ont cou..te quelques sou pirs ; avec
l'a - mour,je les change en plai - sirs ; a.vec
le vin,je les oubli .... e .
De l'Imprimerie de Récoquilliée rue du Fein
AVRIL. 1769. 63
L'EXPLICATION de la premiere énigme
du Mercure de Mars 1769 , eft S. M. D.
Le mot de la ſeconde est chemiſe ; celui
de la troifiéme eſt maison ; celui de la
quatriéme eſt le bonheur ; celui de la cinquiéme
eſt la lettre L. Le mot du logogr.
latin eſt Grex , où se trouve Rex , en orant
le G. Le mot du ſecond eſt Alpes , où ſe
trouventfep ,fel , pal , as , Alep , la , laps,
pas , las , fale , pâle; celui du troifiéme
eſt Notaire , où l'on voit note , re , Roi ,
ane , ire , noir , aire , or , taon , Io , ton ,
taire , air , Ino , rate , rat ; & le mot du
dernier eſt jardin , qui contient , jar &
din , la moitié de dindon .
ÉNIGME .
Je n'ai point d'origine.
Je ſuis un ſentiment doux ;
Lorſque vers l'eſprit je chemine ,
D'atteindre au coeur je ſuis jaloux.
Je ſuis , par ma nature ,
Propre àme laiſſer gagner.
64 MERCURE DE FRANCE .
J'erre ſouvent à l'aventure ;
Mais mon plaifir eſt de regner.
De mes loix la ſagefle
Toujours parle au fond des coeurs.
Mais une injuſte & fauſle adreſſe
Me fait ſervir à ſes noirceurs.
Quel eft , de ma parole ,
L'effet parmi les humains ?
Mon nom n'eſt qu'une faribole ,
Qu'on dit , en ſe donnant les mains.
Dans toutes les affaires
On emprunte mon ſecours .
Souvent , par- devant les notaires ,
On mefait les plus mauvais tours.
Mais pour donner l'aiſance
Au Lecteur de faire un choix :
Roug... reconnoît ma puiſſance .
De S. Ma.... parle par ma voix.
AUTRE.
QUOUIOIQQUUEE ſouvent très-juſte ,
Très- ſouple , & qui plus eſt , ſans vice originel ;
On me traite , on m'ajuste
Commeunvrai criminel ,
AVRIL. 1769. 65
Et fi par cas fortuit , je fais mainte grimace ,
On redouble mes liens , auſſi-tôt je m'efface ,
Et reprends un maintien honnête & plus joli.
Or , bienm'en prend toujours d'être un peu plus
poli !
Onmefrotte , on me flatte ; & ſouvent on m'admire
:
Autrement on me pince , &même on me déchire.
Alors la belle avance ! On me donne le tort ,
Onm'houſpille , on me tire avec telle colere ,
Que lecontre-coup va rejaillir ſur mon frere ,
Et le pauvre innocent ſubit le même ſort.
A fi peu de juſtice auroit-il dû s'attendre ?
Oui , fur-tout chez le riche ... Il faut donc dénicher.
Plus mes défauts ſont grands , moins je puis les
cacher :
Bien fin feroit celui qui pourroit les reprendre !
J'aime beaucoup mieux vivre avec gens du com
mun ,
Ils ont l'ame plus tendre ;
Quand pareil accident vient me ſurprendre ,
De mon frere& de moi ſouvent ils ne font qu'un .
Les regles de l'architecture
Ne s'obſervent pas tout-à-fait
Quand on travaille à ma ſtructure ;
On prendde haut en bas , &tout le fait d'un trait.
J'en ai trop dit , Lecteur , je me ſuis fais connoître.
" MERCURE DE FRANCE.
Si pous mieux me trouver , vous apportez vos
foins,
Cherchezdans tous les coins ,
Vous y verrez paroître
Ou couronnes ou fleurs ,
Ou quelqu'autre figure
Par fois de diverſes couleurs ;
Et voilà toute ma parure.
Avez-vous mis le nez deſſus ? Non , c'eſt la main,
Etl'y mettrez encore& ce ſoir &demain.
POUR
AUTRE.
Our ne point rebuter ton eſprit curieux ,
Par le voile épais du myſtere ,
Je veux m'expofer à tes yeux
Sous une nuance légere.
Lecteur , ci gît le noeud gordien:
Figure- toi , pour me connoître ,
Un immenſe néant , ou bien un vaſte rien;
Voilà dans peu de mots l'attribut de mon être.
Quelques auteurs ingénieux ,
Appuyés de l'expérience ,
Par des écrits victorieux
Ont ſçu prouver mon exiſtence.
D'autres , pour inventer des ſyſtêmes nouveaux ,
Ont dit queje n'étois qu'un être imaginaire ;
AVRIL . 1769. 67
Mais j'exiſtois dans leurs cerveaux ,
Quand ils me traitoient de chimere.
ParM. Simon , fils ; àHennebond.
AUTRE.
Je ſuis un meuble portatif ,
Econome & préſervatif ;
J'ai deux noms , & plus d'un uſage ,
Une ſeule forme , une cage ,
Si vous l'aimez inieux un réduit
Où j'entre , & d'où je ſors ſans bruit ,
On me plie , on m'étend au moyen d'une hoche ,
Plus ou moins , comme on veut , on me met dans
la poche ,
Dans l'une ou l'autre main , ſous l'un ou l'autre
bras ,
Sans cauſer le moindre embarras ;
Qui le croiroit ? Utile & jamais incommode ,
Quoique décent , quoique de mode ,
Gens du bel air m'ont toujours dédaigné ,
Et toujours vu d'un air mocqueur ou renfrogné ;
Si celui que je ſers eſt vraiment philoſophe ,
Il me venge en plaignant la fanfaronne étofe ,
L'homme à char , l'homme à palanquin ,
Dont la morgue eſt riſible aux yeux du citadin.
ParM. de Bouſſanelle , mestre de camp ,
capitaineau rég. du Commiſſaire-Général.
68 MERCURE DE FRANCE .
LOGOGRYPΗ Ε.
De la vertu je ſuis la récompenfe ;
Quatre lettres font ma ſubſtance.
Je ſuis en latin au plurier
Cequ'en françois je ſuis au fingulier.
J
AUTRE.
■ ſuis , quoique petit , un meuble afſez commode
,
Etdepuis long-tems à la mode.
Ma premiere moitié fait bien des envieux ;
Pour l'attraper il faut voir comme
On ne plaint pas un voyage de Rome.
Auboutdu compte elle fait un heureux
Qui , déſormais du fort mépriſant le caprice,
Peutà mon autre part donner de l'exercice .
Par M. T. P. C. de St Jacq. d'Eu.
AUTRE.
LECTEUR ,, en campagne , à la ville ,
Il eſt peu de logis où je ne fois utile ;
AVRIL. 1769: 69
De mon tout fais deux parts : refléchis un moment,
Eh! bien; ne vois - tu pas ſouvent
Gens qui , ſans avoir ma premiere ,
Portent fiérement ma derniere.
Par le même.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Eudoxie , tragédie; par M. de Chabanon ,
de l'académie des inſcriptions , &c. A
Paris , chez la veuve Ducheſne , rue
St Jacques .
Le ſujet de cette piéce eſt tiré de l'hiftoire
du bas Empire. Maxime , dont Valentinien
, empereur d'Occident , a violé
la femme , médite long - temps ſa vengeance.
Il cache ſa haine pour l'afſouvir.
Il feint d'oublier ſon injure ; il devient
le courtiſan le plus affidu de l'empereur
&le compagnon de ſes débauches. Enfin,
il prend ſi bien ſes meſures qu'il l'affaffine
, ſans être vû ni découvert. Il eſt élû
à la place du prince qu'il a maſſacré , &
force Eudoxie ſa veuve , qu'il aimoit depuis
long - temps , à lui donner la main.
Cet amour ne fait qu'augmenter , & un
70 MERCURE DE FRANCE .
jour dans l'ivreſſe de la paſſion , il avoue
à Eudoxie qu'il eſt l'aſſaſſin de ſon premier
époux , & que l'amour n'a pas eu
moins de part au meurtre que la vengeance.
Eudoxie , indignée également & d'un
crime auſſi horrible & d'un aveu auſſi
hardi , conçoit l'averſion la plus violente
pour Maxime. Elle preſſe ſecrettement
Genſéric , Roi des Vandales , d'attaquer
l'Italie , qui eſt ſans défenſe. Genféric
profite de ce conſeil ; il vient mettre le
ſiége devant Rome , la prend & la livre
au pillage . Maxine eſt mis en piéces par
le peuple , & Eudoxie demeure entre les
mains du Roi barbare. Voilà l'hiſtorique
du ſujet. Voyons la fable que M. Chabanon
en a compoſée.
Il donne un fils à l'Impératrice Eudoxie
, & ce fils encore enfant eſt priſonnier
des Vandales , qui ſont campés autour
de Rome.
Ce fier tyran du nord contre nous déchaîné ,
Ce chef audacieux d'une horde guerriere ,
Qui ravage l'empire& dépeuple la terre ;
Genſéric dont le nom porte avec lui l'effroi ,
Brigand , que des brigands ont appellé leur
Roi , &c .
Tyran duNordn'eſt peut- être pas exact.
AVRIL. 1769 . 71
C'eſt en Afrique qu'étoient établis les
Vandales dont Genſéric étoit Roi. Cependant
comme les Vandales , & toutes
les autres nations barbares qui accabloient
l'Empire Romain , étoient originaires du
Nord , l'expreffionde l'auteur peut ſe juftifier.
L'Impératrice pleure à la fois l'eſclavage
de ſon fils , & la mort de fon époux
&de fon pere , tués , à ce qu'elle croit ,
par les barbares dans le ſac de Meffine.
Il s'agit d'élire un Empereur. Le ſénat eſt
affemblé pour cette élection. Eudoxie ſe
plaint qu'on attente aux droits de ſon
fils; mais on lui remontre le beſoin qu'on
ad'un maître & d'un défenſeur.
L'Occident aujourd'hui fait un dernier effort.
Tout l'empire eſt en proie à ces enfans du Nord
Qui, chaſlés de ſes flancs , errans & fans patrie ,
De climats en climats promenent leur furie.
Ces tigres déchaînés , l'un de l'autre ennemis ,
Pour nous mieux accabler ſont entr'eux réunis.
Goths , Vandales , Alains , Sarmates & Gépides ,
Des bords de l'Occident aux marais méotides ,
Combattent tour-à-tour ſur nos ſanglans débris.
La Gaule eſt ſous le joug; la race de Clovis
Fonde un nouvel empire aux rives de la Seine.
LesGoths nous ont ravi l'Eſpagne & l'Aquitaine.
72 MERCURE DE FRANCE .
Le Saxon a franchi la limite des mers.
Aux Bretons étonnés il apporte des fers .
L'Afrique a reconnu Genſéric pour ſon maître.
Sous ce Roi triomphant Carthage va renaître .
A ſa libre fureur tous nos ports ſont ouverts.
Il tient ſous ſes drapeaux nos vaſtes champs couverts;
Ce nouvel Annibal eſt aux portes de Rome :
Né pour être un brigand , il ſçait être un grand
homme , &c .
Ce tableau eſt noblement tracé : le
dernier vers eſt beau. Mais est - il bien
vrai que Genféric fut un grand homme ?
L'hiſtoire ne nous le repréſente que comme
un chef de brigands féroce & heureux.
Peut - être les ouvrages de théâtre
acquerroient-ils undegré d'intérêt de plus,
fi les couleurs de l'hiſtoire y étoient fidélement
confervées . Ceux de M. de Voltaire
ont fur- tout cet avantage. On fent
bien que nous ne parlons que des caracteres
& des moeurs. A l'égard des faits ,
on ſçait quels font les droits de la poëfie
&du théâtre.
L'Impératrice ſouhaite au moins que
les fuffrages ſe réuniſſent en faveur de
Maxime. Mais il eſt abſent ; il paroît
l'abandonner. Elle s'en étonne d'autant
plus
AVRIL. 1769. 73
plus qu'autrefois il fut prêt de l'épouſer.
Elle en conſerve un ſouvenir bien cher.
Elle attend avec impatience & incertitude
la nouvelle du choix des ſénateurs
. On vient le lui annoncer. C'eſt
Maxime qui eſt proclamé. Il a remporté
une victoire ſur les Vandales . La couronne
impériale eſt le prix de ſon triomphe.
Eudoxie eſt au comble de la joie.
Elle va s'unir au héros qu'elle aime , au
héros de l'état. Il ſera ſon vengeur & brifera
les fers de ſon fils, de ce fils que
Genféric a refuſé de rendre , à moins
qu'Eudoxie ne lui donnât la main. Cette
main eſt déſormais à Maxime.
Rome, monte aux honneurs que le ciel te pr
pare.
Ta future grandeur dès ce jour ſe déclare.
Ates proſpérités il ne manque plus rien ;
Mais ton triomphe encor n'eſt pas égal au mien.
Au ſecond acte , Maxime déclare à fon
confident Aſpar qu'il refuſe l'empire &
Eudoxie. C'eſt un crime trop grand à ſes
yeux d'entrer dans le lit de l'empereur
qu'il a afſaffiné. Plus il aime Eudoxie ,
plus il craintde s'unir à elle par desnoeuds
aufli coupables ; cependant elle paroît, &
bientôt l'amour l'emporte fur les remords.
I. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
Il accepte tour. On vient lui annoncer
un ambaſſadeurde la part de Genféric. Il
fort, & mene Eudoxie aux autels.
Gontharis , l'envoyé des Vandales, explique
les deſſeins qu'il a formés pour la
perte de Maxime & des Romains. Eudoxie
vient & s'excuſe d'avoir rejetté les
offres de Genſéric. Elle auroit cru faire
un outrage trop ſenſible aux manès d'un
pere & d'un époux , ſi elle eût reçu la
mainde leur meurtrier . Le Vandale lui
répond que Genféric eſt très-innocent du
meurtre de Valentinien ; qu'il déteſte ce
crime , bien loin de l'avoir commis , &
que , quant à Léonce , pere d'Eudoxie ,
il eſt encore vivant , graces aux ſoins de
ce même Genféric ; qu'on l'a trouvé
mourant aux portes de Meſſine ; qu'on a
fait panfer ſes bleſſures ; qu'il eſt dans
Rome , & que ſa fille va le revoir. Eudoxie
eſt frappée de ſurpriſe & de joie ,
Gontharis ajoute que le Roi fon maître
ne met d'autre prix à la rançon du fils de
I'lompératrice que la vengeance de Valentinien.
Eudoxie ne peut comprendre
ce diſcours ; Mais Léonce , qui arrive
bleſlé& foutenu par des gardes, lui développe
ce terrible myſtere& après lui avoir
fait jurer de venger un époux, il luinomme
le meurtrier, :
AVRIL. 1769 . 75
QuandleVandale altier triomphoit dans Meſſine,
J'allois à l'Empereur porter un foible appui ;
Je courois le ſauver ou périr avec lui.
Ses gardes avoient fui , preflés par l'épouvante.
J'entre ... Dieu ! quel ſpectacle à mes yeux ſe préſente!
Céſar atteintd'un fer qui lui perçoit le flanc ,
Etendu ſur le marbre &baigné dans ſon ſang.
Je m'avance en tremblant; il me voit , il m'appelle.
>>>Inſtruiſez de mon fort une épouſe fidéle ,
>> Dit- il ; Maxime... Hélas ! je l'ai trop épargné.
>> Votre Empereur , par lui , vient d'être affaf-
35 finé.
>> Qu'Eudoxic àma cendre inmole le perfide.
Léonce ajoute qu'il avoit ſur le champ
écrit à ſa fille un billet où étoit contenu
ce fatal ſecret; mais l'écrit eſt tombé entre
les mains des Vandales , dont la politique
cherche à en profiter. On ramene
Léonce. Eudoxie eſt dans l'état le plus
affreux. Maxime ſe préſente à elle : elle
frémit : elle veut le quitter.
Maxime , jouiſlez des ſuprêmes honneurs.
Jouiſſez de la gloire où ce jour vous appelle :
Je n'en troublerai point la pompe ſolemnelle.
:
Mes yeux ne verront point vos nouvelles grandeurs.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Tant d'éclat convient mal à mes vives douleurs.
Vous , qui portez vos pas au trône de l'empire ,
Songez en y montant.. O Dieu ! qu'allois-je dire ;
Mon funeſte ſecret m'échappoit malgré moi .
Elle fort , & laiſſe Maxime dans l'agitation
& l'inquiétude. Elle revient au
quatriéme acte. Gontharis la preſſe de
nouveau d'accomplir le ferment qu'elle
a fait à Léonce. Il lui déclare que ſon fits
va périr , ſi elle ne conſent à ouvrir aux
Vandales une des portes de Rome où
commande Arbate. Genſéric , introduit
dans la ville , couronnera le fils d'Eudoxie
après avoir puni Maxime. Elle objecte
les devoirs de ſon nouvel engagement,
Gontharis lui répond.
Eh ! quel eſt donc ce noeud que le crime a formé ?
Quelle loi l'a permis ? Quel Dieu l'a confirmé ?
Leciel eſt- il garant d'un ſerment qui l'offenſe ?
A-t-il pu réunir le crime & l'innocence ?
Avez-vous , en un mot , devant ce Dieu jaloux
Fait ferment d'adorer l'aſſaſſin d'un époux ?
Pour achever de l'irriter contre Maxime
, il a recours à la calomnie. Il lui dit
que Maxime lui-même dévoré du deſir
de regner ,& craignant les droits du jeune
AVRIL. 1769 . 77
héritier des Céſars , offre de l'argent à
Genféric pour le faire périr. Elle ajoute
peu de foi à cette accuſation atroce . Mais
Léonce revient ſuivi d'Arbate , & la conjure
à genoux d'aſſurer à ſon fils la vie &
la couronne , & d'abandonner Maxime
à la juſte punition de fon forfait. Elle réfifte
long-temps. Ses combats font douloureux
; mais forcée de choiſir entre des
crimes , elle céde enfin , & dit à Arbate
d'exécuter les ordres de Léonce * . Gontharis
promet un êtage. Eudoxie , reſtée
ſeule , s'écrie :
:
Oh ! juſtice des cieux !
C'en eſt donc fait enfin, j'ai condamné Maxime.
Cet arrêt , je le fens ,dans ma bouche eſt un crime:
Ce n'étoit pas à moi dordonner ſon trépas .
Suit la ſcène terrible de l'éclairciffement
entre elle & Maxime. Il veut abfo .
lument ſçavoir le ſujet des chagrinsqu'elle
lui cache.
EUDOXIE .
Vous-même , Seigneur ,
Aucun ſoin en ſecret ne trouble- t-il votre ame ?
Ne me cachez - vous rien ?
* L'auteur ſe propoſe de mettre des cartons à
cette ſcène qui ſera changée.
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
ΜΑΧΙΜΕ.
Que dites- vous , Madame ?
D'où peut naître un ſoupçon que je ne conçois pas?
EUDOXIE.
Le fort entre vos mains a remis nos états.
Célar eſt au tombeau , ſon fils dans l'efclavage.
Vous à qui tous leurs droits ſont échus enpartage,
Jouiſlez - vous en paix de ce rang glorieux
Qu'un deſtin ſi cruel leur ravit à tous deux ?
ΜΑΧIME.
Madame , à ce diſcours je devois peu m'attendre.
Cereproche ſecret ſe fait aſſez entendre
Mais mon ambition ne l'a point mérité.
Peu jaloux de ce rang qui me fut préſenté ,
Je n'ai point recherché ce ſuperbe avantage ,
Ni du fils des Céſars diſputé l'héritage.
J'ai voulu refuſer & fon fceptre & ſes droits
Lorſqu'on me les offroit pour la premiere fois.
EUDOXIE .
Vous auriez de mon fils reſpecté la miſére !
Vous ne me parlez point des malheurs de ſon
pere!
ΜΑΧΙΜΕ.
Son pere ! je le plains. C'eſt tout ce que je peux.
AVRIL. 1769. 79
EUDOXIE.
Vous! vous plaignez ſon fort!
MAXIME.
Madame...
EUDOXIE .
Ah ! malheureux !
MAXIME.
Expliquez-vous.
EUDOXIE.
Faut-il en dire davantage ?
Tun'entends quetrop bien ce funeſte langage.
MAXIME.
Comment!Quedites-vous ?
EUDOXIE.
Le trouble de tes ſens
Répond à mes diſcours.
MAXIME.
Dieu ! quels affreux momens !
EUDOXIE.
Le remords te trahit.. Il décéle ton crime.
MAXIME.
Mon crime !
Div
8. MERCURE DE FRANCE.
EUDOXI Ε.
Qu'as-tu fait ? Ô ! malheureux Maxime ,
Quelle main a verſé le ſang de mon époux ?
MAXIME.
Ah! frappez lecoupable; il tombe à vos genoux.
Certe ſcène eſt effrayante , & le dialogue
en eft excellent.
On vient avertir Maxime que Rome
eſt inveſtie , & qu'on prépare l'affaut. Il
fort , réſolu de défendre Eudoxie & de
mourir.
Dansl'intervalledu4 acteau cinquiéme ,
Eudoxie, qui s'étoit repentie d'avoir abandonné
Maxime, a voulu révoquer l'ordre
donné àArbate; mais il n'étoit plus tems .
L'ambaſſadeur étoit forti , en aſſurant encore
que ſi la porte ne s'ouvroit au ſignal
convenu , le fils d'Eudoxie périroit. Les
otages des Vandales ſont dans Rome.
L'Impératrice tremble pourſon fils & pour
Maxime. Il paroît triomphant. Il a arraché
le jeune Céfar des mains des Vandales.
Il les a repouffés .
Qu'il regne , déſormais ; la gloire eſt ſon
partage ,
La mort ſera le mien , & je vous laiſſe après
Le ſoin de meſurer mon crime & mes bienfaits.
AVRI L. 1769. 81
Eudoxie eſt partagée entre la joie de
ſçavoir que fon fils eſt ſauvé, & la crainte
qu'on n'exécute l'ordre qu'elle a donné à
Arbate. Elle va pour le révoquer ; mais
on vient lui apprendre que l'ennemi eſt
dans la ville , & que le crime eſt confommé.
Maxime vole au combat , il en
revient mourant un moment après. Rome
eſt au pouvoir des Barbares. Iln'y a
plus aucune reſſource. Cependant il a afſuré
les jours du fils d'Eudoxie , & l'a fait
emporter loin de Rome. Eudoxie lui
avoue que c'eſt elle qui l'a perdu . Elle ſe
frappe , & meurt à ſes côtés .
La conduite & le ſtyle de cet ouvrage
font certainement beaucoup d'honneur
aux talens de M. Chabanon. Il lutte avec
beaucoup d'art contre les difficultés d'un
fujet aufli compliqué. Peut-être en allemblant
autour d'Eudoxie tant de dangers
à combattre & d'intérêts à concilier entre
-tout ce qu'elle a de plus cher , entre un
pere , un époux à venger ſur un autre
époux qu'elle aime, & un fils à fauver ,
l'a-t-il miſe dans la néceſſité de ne pou-
-voir faire qu'un choix malheureux. Mais
il tourne autour de l'écueil en l'évitanc
autant qu'il eſt poſſible , & des obstacles
mêmes qu'il rencontre il ſçait faire naître
desbeautés.
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
L'ouvrage eſt précédé d'une préface o
L'auteur paroît delirer que l'on juge les
pieces antheatre avecune rigueur moins
humiliante & une humeur moins marquée.
Il voudroit que le ſilence ſeul im
prouvat. Mais ne peut-on pas lui répon.
dre que toutes les impreſſions que l'on
éprouve au théâtre font néceſſairement
fortes & prononcées ; qu'il eſt bien difficile
que ceux qui applaudiſſent avec tranfportàcequi
les émeut , ne rejettent avec
violence ce qui les ennuye. D'ailleurs
l'on confulte l'expérience & le coeur humain
, on verra que les hommes mefurent
la ſévérité de leurs jugemens au degré
de vos prétentions; &quelles préten.
tions que celles d'un homme qui raffemble
une foule d'autres hommes de toute
condition&de tout âge , & qui leur promet
de les intéreſſer , de les émouvoir
juſqu'aux larmes pendant deux heures de
fuite , pour des perſonnages &des malheurs
imaginaires qu'un moment auparavant
ils ne connoiffoient pas ? S'ils ne font
pas charmés , ils feront inflexibles. Dans
lepremier cas , il ne faut pas trop s'enorgueillir;
& dans l'autre,il faut fe con
foler..
AVRIL. 1769. 83
Histoire anecdotique & raiſonnée du thédtre
italien & de l'opéra comique depuis
leur rétabliſſement en France juſqu'a
l'année 1769 ; contenant les analyſes
des principales piéces & un catalogue
de toutes celles tant italiennes que
françoiſes données ſur ces théâtres avec
les anecdotes les plus curieuſes & les
notices les plus intéreſſantes de la vie,
&des talens des auteurs & acteurs .
Ceftigat ridendo mores.
A Paris , chez Lacombe , libraire , rue
Chriſtine; 9 volumes in-12. prix rel.
22 liv. 10 f.
Cette hiſtoire contient les analyſes des
principales pièces , & un catalogue de
routes celles tant italiennes que françoifes
données ſur ce théâtre , avec les anecdotes
les plus curieuſes & les notices les
plus intéreſſantes de la vie & des talens
des auteurs & acteurs. Cette collection
neceſſaire aux amateurs , & à tous ceux
qui ont une bibliothéque , eſt auſſi agréable
qu'un ouvrage de ce genre puiſſe l'etre
, & joint à ce mérite celui de la plus
grande exactitude &de beaucoup d'impartialité.
Les extraits des piéces font
très bien faits , & préſentent toujours ce
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
qu'elles peuvent avoir de plus attachant.
Ony retrouve avec plaiſir pluſieurs parodies
des piéces de M. de Voltaire , celle
d'Edipe , de Zaïre , de Brutus , &c. Le
mérite de ces ouvrages immortels rend
piquantespournous ces parodies qui n'ont
guères d'autre prix aux yeux des connoiffeurs.
L'auteur a joint à ſon ouvrage , qui eſt
en ſept vol. , deux autres vol . qui contien.
nent l'hiſtoire de l'opéra comique, compoſée
ſur le même plan que celle du théâtre
italien , & qui la rend complette. Nous
reviendrons ſur cet ouvrage qui renferme
beaucoup de traits , d'anecdotes & de details
agréables qui ne peuvent que faire
beaucoup de plaifir à nos lecteurs .
Arminius , tragédie , ou eſſai ſur le théâtre
allemand ; par M. Bauvin , de la
fociété littéraire d'Arras . A Amſtetdam
; & ſe trouve à Paris , chez Delalain
, libraire , rue St Jacques.
>
Adélinde , princeſſe Chéruſque dévouée
aux Romains , a engagé dans leur
patti Sigifmond ſon fils , qu'elle a fait revêtir
du titre de prêtre d'Auguſte. Sa fille
Thuſnelde eſt aimée d'Arminius & de
Flavius , tous deux fils de Ségiſmar.
AVRI L. 1769 . 85
Arminius , animé contre les Romains
de la même haine que Ségifmar ſon pere ,
fouleve tous les eſprits contre Varus qui
voudroit introduire en Germanie les
moeurs & les loix romaines , & fe fortifier
de l'alliance de ces peuples contre
Mélo , roi des Sicambres. Adelinde féduit
Flavius en lui promettant ſa fille , à
condition qu'il trahira ſa patrie en faveur
des Romains. La Germanie eſt partagée
en deux partis , celui d'Arminius& de la
liberté , & celui des Germains que Varus
a intimidés , & qu'Adelinde a gagnés . La
ſcène eſt dans un bois conſacré aux divinités
chéruſques. Le camp de Varus n'en
eſt pas éloigné. Les partiſans d'Arminius
mépriſent ce prêteur.
Quel emploi , diſent- ils , pour ce grand général !
Il érige la tente en un vil tribunal .
Sous le joug de ſes loix il penſe nous abattre.
Il oſe nous juger , & craint de nous combattre.
Sigismond ſent quelques remords ;
mais ſa mere a réſolude le faire roi de la
Germanie ſous la protection de Rome .
Sers Rome , tes égaux vont être tes ſujets.
La mitre eſt ſur ton front; j'y mettrai la cou
ronne ;
Eleve tongénie &monte ſur le trône.
86 MERCURE DE FRANCE.
Varus a obtenu la permiſſion de haranguer
les Germains & de leur propoſer
l'alliance d'Auguſte. Il fort après avoir
parlé , & l'on délibére ſur le parti qu'il
faut prendre. Arminius s'écrie :
Vous l'avez entenda ; peuples , vous voyez tous
Quel ſervice odieux Rome exige de vous.
Elle veut vous détruire , & pour ce grand ouvrage
Elle oſe deſtiner votre propre courage.
Ah! contemplons Mélo ; ſon trône eſt renverlé,
Sa tête eſt miſe a prix , fon peuple eſt diſperſé
• •
Et voilà ceux que Rome ordonne d'accabler ;
Irez- vous la ſervır , quand ils la font trembler ?
Nevousytrompez pas,Rome attend que vos armes
Renverſent l'ennemi qui cauſe ſes allarmes.
Vous la verrez ſoudain ſe tourner contre vous ,
Pour orner un triomphe obtenu par vos coups, &c.
Flavius vante le pouvoir des Romains
&ne croit pas que la Germanie puiſle en
triompher. Ségiſmar , indigné , lui répond
:
Flavius! .. C'eſt mon fils qui croit Rome invincible!
1
L'avis de Ségiſmar &d'Arminius eſt
decombattre les Romains. Cependant on
convient d'envoyer auparavant des dépo
AVRIL. 1769. 87 .
tés à Varus ; mais ils reviennent ſans l'avoir
vu , parce qu'on leur fait craindre
une trahifon. Tout ſe prépare pour le
combat. Les Cartes , les Bructeres , les
Chauques ſe réuniffent pour attaquer te
camp du Prêteur. Les Chéruſques , ſeuls
foumis aux deſſeins d'Adelinde , tiennent
pour les Romains. Flavius a promis de
livrer le poſte dont il eſt chargé. Thufnelde
doit être ſa récompenſe ; mais elle
aime Arminius. Sa mere Adelinde s'efforce
de vaincre cet amour , & de le lui
faire oublier. Elle lui propoſe un autre
époux qu'elle ne lui nomine pas , & la
conjure par tout ce qu'une fille doit à ſa
mere de ne ſe pas refuſer à cet hymen.
Flavius arrive. Il ne veut prendre d'ordre
quede Thuſnelde .
Regarde : vois ce fer.
Parle, doit-il fervir Rome ou la Germanie ?
Veux- tu la liberté ? veux-tu la tyrannie ?
Surtous mes ſentimens , toi ſeule peux regner.
Dis , qui faut- il punir ? Qui faut il épargner ?
La princeſſe lui reptoche ſon égarement
&ſa foibleffe.
Je te voisbalancer entre ton peuple& Rome!
Tu veux ſuivre une femme , & tu ceſſes d'être
homme;
80
88 MERCURE DE FRANCE.
:
Que ton coeur incertain ne me conſulte pas.
Tu me ferois rougir de nos foibles appas ,
S'ils étoient plus puiſſans dans ton ame attendrie
Que tes premiers devoirs , l'honneur & la patrie.
Arminius ſurvient , &Thuſnelde l'encourage
à combattre pour ſon pays &pour
une amante qui l'adore. Flavius fort furieux.
Bientôt l'on eſt aux mains . La trahiſon
de Flavius donne d'abord de l'avantage
aux légions de Varus. Il vient , forcené
d'amour & de repentir , demander
le prix de ſon crime à la mere de Thufnelde.
Rome va triompher , & je peux t'en répondre.
Grace àmon triſte ſoin , tes voeux ont réuſſi .
Qu'as- tu fait pour les miens ? Ta fille est-elle ici ?
Je viens de monforfait chercher la récompenfe.
ADELINDE.
Regarde ton ouvrage avec plus de conſtance.
De tes ſoins je ſuis prête àte récompenfer ;
Mais on combat encor : voudrois- tu commencer
Dans ce moment ſi triſte une union ſi belle ?
Etn'avoir pour témoin qu'une nuit fi cruelle ?
Cet inſtant deviendroit fatal à ton amour.
Attendons que Varus , la victoire , le jour....
AVRIL. 1769 . 89
FLAVIUS.
Je n'attends que Thuſnelde &fa main qui m'eſt
dûe.
Je l'ai trop achetée , & tu me l'as vendue.
Voici le lieu , l'inſtant que toi-même as choiſis
Pour me donner ta fille & me nommer ton fils .
ADELIN DE.
Tu l'es; jeſuis ta mere, écoute , ſois tranquille.
FLAVIUS.
Quoi ! Thuſnelde avec toi n'eſt pas dans cet
aſyle ?
Quoi ! lorſque j'ai rempli tous mes engagemens...
ADELINDE .
Songe que mon effroi ...
FLAVIUS .
Je longe à tes fermens.
Trahis-tuton complice ? aux forfaits enhardie ,
Etendrois-tu ſur moi ta noire perfidie ?
Dans ce moment on voit paſſer dans
le lointain , à la lueur de quelques torches
, des morts & des bleſſés que l'on
porte. L'un d'eux eſt à portée d'être vû
de Flavius . C'eſt Ségiſmar ; c'eſt ſon pere
qui vient d'être tué dans le combat. Ce
coup de foudre éclaire Flavius en le frap9.
MERCURE DE FRANCE. !
pant. Il s'abandonne aux remords , & déteſte
un crime qui lui coûte ſon pere
fans fatisfaire fon amour. Il court réparer
ce crime , il trouve parmi les combattans
Thuſnelde qui enflamme par fon
exemple & ſes diſcours le courage des
Germains. Les Romains ſuccombent ,
Varus eſt tué. On rapporte fes dépouilles
& ſes aigles captives. Arminius revient
vainqueur ; mais on ne ſçait où eſt
Thuſnelde ; on l'a croit au pouvoir des
ennemis ; elle paroît avec Flavius; il l'a
arrachée aux Romains qui l'emmenoient
prifonniere , & la rend à fon frere & à
fon rival . Adelinde déſeſpérée , ſe tue ,
& les remords & la générosité de Flavius
lui font pardonner ſa faute.
Il y a de l'intérêt& des beautés dans les
deux derniers actes de cette piéce , dont les
défauts d'ailleurs ne doivent point être
imputés à l'écrivain françois qui a imité
l'ouvrage allemand de M. Schlégel. Le
ſtyle de M. Bauvin a de la nobleffe ; les
morceaux que nous avons cités en font
la preuve ; il prépare une traduction en
proſe des meilleures piéces du théâtre allemand.
Ce théâtre ne peut être que trèsintéreſſant
pour nous par la différence du
génie des deux nations , & par les endroits
même où ce théâtre étranger ſem-
!
AVRIL. وہ . 1769
ble ſe rapprocher du nôtre devenu le
modéle de l'Europe. Les talens que M.
Bauvin annonce dans cet effai , doivent
faire eſpérer beaucoup de l'exécution de
ſon projet , & lui mériter les encouragemens
dupublic.
LesNuits d'Young , traduites de l'Anglois
, par M. le Tourneur. A Paris ,
chez Lejay , libraire , quai de Gèvres ;
& à Pâques , rue St Jacques , in- 12.2
vol. prix s liv . br.
Les ouvrages d'Young font d'un genre
particulier , & dont nous n'avons point
d'exemple en France. Le poëte Anglois ,
né avec une imagination vive & fenfible,
ſe plaît à s'égarer, la nuit, ſur les tombeaux;
ce ſpectacle ſombre & terrible lui fournit
des réflexions fortes fur des vérités ſublimes
qu'il exprime avec tout le ſentiment
&toute l'énergie poſſible. Nous le connoiſſionsdéjà
par quelqueseſſaisde traduction
dûs à une main habile, &qui ont paru
dans le Journal étranger. Ils ont fait naître
le defir d'avoir une traduction complette
deſes nuits; cette entrepriſe étoit difficile;
Young devoit trouver moins de traducteurs
que tout autre poëte ; il falloit un
homme dont l'ame fût , pour ainſi dire ,
92 MERCURE DE FRANCE.
montée ſur le ton de l'original , qui ne
fût point effrayé de cette ſuire de tableaux
funébres , qui fût capable de s'en pénétrer
, & affez philoſophe lui- même pour
en créer de pareils. M. le Tourneur, connu
par pluſieurs diſcours remplis d'éloquence&
de philoſophie , vient de faire
paſſer les beautés de ce poëte dans notre
langue ; il a ſenti tout ce qu'Young a ſenti
, & a toujours rendu avec chaleur ſes
images & ſes penſées. Nous citerons
quelques morceaux que nous prendrons
au hafard , qui donneront une idée du ton
général du poëte &de la maniere heureuſe
dont il eſt traduit. Celui- ci eſt tiré
de la cinquiéme nuit où l'auteur préſente
un remede contre la crainte de la mort :
>> Heureux l'homme qui , dégoûté des
>> plaiſirs factices d'un monde tumul-
» tueux , & de tous ces vains objets qui
>> s'interpoſent entre notre ame & la vé-
>> rité , s'enfonce par choix ſous l'ombre
>> épaiſſe & filencieuſe des cyprès , viſite
» les voûtes ſépulcrales que le lambeau
» du trépas éclaire , lit les épitaphes des
>> morts , péſe leur pouſſiére , &ſe plaît
>> au milieu des tombeaux ! Ce ſombre
>>empire où la mort eſt aſſiſe au milieu
>> des ruines , offre à l'homme un aſyle
>>paiſible où ſon ame doit entrer ſouvent
L
AVRIL. 1769 . 93
» &promener ſes penſées ſolitaires. Que
>> l'air qu'on y reſpire eſt ſalutaire à la
- vérité,& mortel pour l'orgueil ! O mon
>> ame, entrons-y ſans effroi. Cherchons
>> ici ces idées confolantes dont l'homme
>> a tant beſoin ſur la terre ; peſons la vie
» & la mort ; ofons enviſager la mort en
>> face , & bravant ſes terreurs par un mé-
» pris généreux , cueillons ſur les tom-
>>beauxla palmedes grandes ames.Puiſſe
» ma ſageſſe s'enrichir de mes malheurs ,
» &me payer de mes larmes. » Le poëte
s'adreſſe enfuite à Lorenzo , auquel il
adreſſe ſes réflexions . « Suis - moi , Lo-
» renzo. Viens , liſons enſemble ſur la
>>pierre qui couvre ta chere Narciſſe.
>>Quel traité de morale fublime elle tient
>> ouvert ! Que ſon langage muet eſt pa-
>>thétique ! Quels orateurs peuvent tou-
>> cher comme elle une ame ſenſible ?
>>L'éloquence des paroles peut nous
» émouvoir ; mais que ſes images font
>>foibles & mortes auprès des impreffions
>>vives & profondes dont la vue de cette
>>pierre nous pénétre ! Avec quelle force
..
elle parle à nos yeux ! Que de leçons
>> renfermées dans la date que j'y vois
» gravée ! .. Demande- lui ſi la beauté , fi
>>la jeuneſſe , ſi tout ce qui eſt aimable
>> eſt de longue durée ! Homme , oſe donc
94
MERCURE DE FRANCE.
.. &
>>déſormais compter ſur la vie. A peine
>>puis- je rencontrer un tombeau qui ne
>> renferme un corps plus-jeune que le
- mien, & qui ne me crie , viens .
>> dans le monde entier , que trouve -je
» qui me rappelle& m'attache à la vie? »
L'oubli de la mort eſt le ſujet de la ſixiéine
nuit. Nous en rapporterons ce morceau
. Ce monde lui -même qu'eſt - il ?
» un vaſte tombeau. La terre eſt ingrate
. & fterile. C'eſt la deſtruction qui la fé-
>> conde: toutes les jouiſſances de nos fens
> ſont priſes & entretenues ſur la fubf-
>> tance des morts. L'homme , comme
> le ver , vit ſur les cadavres . Où eſt la
» pouſſière que la vie n'ait pas animée ?
» la béche & la charrue labourent les débris
de nos ancêtres : nous les cueillons
> dans nos moiſſons; ils forment le pain
» qui nous nourrit. Les couches extérieu-
>> res de la terre font formées des cen-
> dres de ſes habitans. Notre globe roule
>>une ſurface compoſée d'êtres qui ont
» vécu. Nous folâtrons avec inſenſibilité
» ſur les ruines de l'eſpéce humaine , &
→ le danſeur foule d'un pied léger des ci-
>> tés enſevelies. Tandis que l'ame déga-
> gée de ſes liens s'envole ſur ſes aîles de
>>feu , le ſoleil pompe en vapeurs les par-
> ties fluides de nos corps : la terre reAVRIL.
1769 . 95
> prend ce qu'elle a donné , les vents dif-
> perſent le reſte dans les airs ; chaque
» élément ſe partage nos dépouilles. Les
>> débris de l'homme ſont ſémés dans l'é .
>> tendue de la nature. La mort eſt par-
>> tout excepté dans la penſée de l'hom-
>>>me. >> Nous nous bornerons à ces morceaux
; toutes les nuits préſententdes détails
qui feront plaiſir à ceux qui aiment
à refléchir ; le noir , qui domine preſque
par-tout , ne révolte point ; il a des charmes
pour les ames ſenſibles , & ne peut
que fervir à faire mieux fentir & goûter
les réflexions du poëte.
Sophronie, ou leçon prétendue d'une mere
à ſa fille ; par Madame Benoît. A Londres;
& ſe trouve à Paris, chez la veuve
Duchefne , rue St Jacques , in-8 °. sor.
avecune gravure charmante d'après un
deffin de M. Greuze.
Sophronie étoit veuve; Adelle, ſa fille
unique , faifoit l'objet de tous ſes ſoins ;
quoiqu'elle pût prétendre encore à plaire,
elle voyoit ſes charmes fans envie ; Valzan
étoit très-affidu chez elle ; Adelle l'y
attiroit ; Sophronie , qui le trouvoit aimable
, s'imagina qu'elle étoit la cauſe de
fon affiduité; elle imputa au reſpect & à
:
96 MERCURE DE FRANCE.
la timidiré la lenteur qu'il mettoit à ſe déclarer
; elle voulut lui en faciliter les
moyens ; un jour , ſous prétexte d'affaires,
elle le fit entrer dans ſon cabinet ; elle lui
parla de ſa fille , des inquiétudes que lui
donnoit une certaine curioſité qu'elle lui
avoit remarquée ; Adelle , diſoit - elle ,
vouloit pénétrer tous ſes ſecrets ; dès
qu'elle voyoit ſa mere occupée ou renfermée
elle couroit à une porte ſecrete d'où
elle ne pouvoit rien entendre , à la vérité,
mais d'où elle pouvoit tout voir à l'aide
d'une légere ouverture . Sophronie vouloit
mettre cette découverte à profit ; ſa
fille avoit quinze ans ; elle étoit ſenſible ;
il étoit important de la prémunir contre
lesdangers de la ſéduction , & de lui apprendre
à réprimer les libertés d'un amant;
l'exemple , & fur- tout celui d'une mere ,
pouvoit lui fervir de leçon. Sophronie
héſite à ces mots ; elle n'a pas la force de
poursuivre ; elle parvient enfin à faire entendre
à Valzan qu'elle l'a choiſi pour la
ſervir dans cette occaſion; il faut qu'il
paroiſſe paſſionné , qu'il foit preſſant; Sophronie
ira ſe placer à l'extrêmité du cabinet
en lui ordonnant de reſter dans
l'éloignement ; Valzan ſe ſoumettra , demandera
grace , l'obtiendra , redeviendra
téméraire , on l'arrêtera , on le bannira
juſqu'à
AVRIL. 1769. 97
juſqu'à ce qu'il ait expié ſon crime. Adelle
, témoin de cette ſcène , en fera fon
profit , & imitera la conduite de ſa mere
dans l'occafion. Valzan eſt interdit de ce
diſcours ; cette comédie pourroit l'amufer
; mais il n'oſe la jouer dès qu'Adelle
eſt préſente; il ne veut pas qu'elle puiſſe
foupçonner qu'il aime une autre perfonne
qu'elle ; il paroît troublé ; Sophronie
interprête ce trouble d'une maniere conforme
à ſes deſirs , & remet l'exécution
du projet au lendemain. Valzan ſe retire
avec beaucoup d'inquiétude ; il ſoupçonne
qu'il eſt aimé de Sophronic ; une lettre
qu'il en reçoit le lui confirme ; l'inté
rêt qu'on prend à l'inſtruire de ſon rôle
ne lui laiſſe aucun doute ; il répond à cette
lettre; il arrange ſes expreſſions de maniere
qu'elles préſentent un double fens ;
Sophronie n'entend que celui qui l'a flatte;
elle ſe pare le lendemain; fon imagination
lui repréſente la ſcène qui va ſe
donner; elle ſe croit fûre que Valzan ne lui
laiſſera rien à deſirer ; elle craint même
qu'il ne ſoit très - preſſant , & déjà elle
n'oſe s'affurer de la victoire. Le moment
arrive ; toutes ſes eſpérances font trompées
; la froideur de Valzan , ſa timidité
l'humilient ; elle pleure; il la plaint , &
I. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
ſe jette à ſes pieds pour la conſoler ; auffitôt
la porte du cabinet s'ouvre ; Adelle
paroît; le ſpectacle qui eſt devant ſes yeux
l'étonne ; Valzan éperdu , ne peut plus ſe
déguifer ; vous voyez Adelle , s'écrie-t-il,
en parlant à Sophronie ; laiſſez- vous fléchir
, accordez-moi ſa main , vous com-
Lierez mes voeux ; Sophronie paroît confondue
; Adelle étoit venue demander le
flacon de fa mere pour foulager la foeur
de ſa femme de chambre qui ſe trouve
mal . La mere , ſans répondre , feint de
voler au ſecours de la malade ; elle entraîne
Adelle qui partage la douleur de
Valzan qui , de fon côté , n'a plus d'eſpérance
, & fort de cette maiſon , bien perfuadé
qu'il n'y ſera jamais rappellé. Sophronie
cependant rentre en elle même ;
elle fonde le coeur de ſa fille , & voit qu'il
eſt à Valzan ; après avoir combattu fa
paffion , elle ſe détermine à faire le bonheur
d'Adelle ; elle renonce à être aimée;
elle ne veut être que l'amie , que la inere
de Valzan ; fon retour à la ſageſſe & à la
raiſon fait ſa félicité , & le ſpectacle de
celle de ſes enfans ne fait qu'ajouter à la
fienne.
Il y a beaucoup d'intérêt dans ce petit
conte. La ſituation de Sophronie & de
AVRIL 1769. 99
Valzan eſt neuve , & fournit des détails
agréables.
Lettres d'un Philoſopheſenſible , publiées
par M. de la Croix . A la Haye ; & fe
trouve à Paris , chez Durand , neveu ,
rue Saint- Jacques , à la Sageſſe , in- 12 .
276 pages.
Montendre eſt le héros de ce roman ;
l'amitié la plus tendre l'unit à Saint-Lieu;
il faifoit fon bonheur de vivre avec lui&
avec la ſoeur de cet ami ; il a pris pour elle
une paffion qui ne finira qu'avec ſa vie ;
mais il n'eſpére pas de la voir couronner;
le comte d'Eſpardes l'a prié de ſe charger
de l'éducation de ſon fils; il ſaiſit cette
occaſion pour fuir une perſonne qu'il
adore , mais dont il ne croit pas être jamais
aimé ; il écrit ſouvent à Saint Lieu ,
il lui cache ſa paffion ; ſouvent elle lui
conſeille de revoler auprès de ſon ami
qui l'en preſſe ; l'attachement qu'il a pour
le pere de fon pupile le ſoutient contre
une ſéduction auſſi forte ; il le voit plongé
dans un chagrin qu'il s'efforce en vain
de déguifer ; il croit ne devoir point l'abandonner
pendant qu'il ſouffre , quoiqu'il
en ignore le ſujet. Bientôt il apprend
qu'un jeune homme revenu de ſes
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
voyages , établi à la campagne & voiſin
de Mlle de Saint-Lieu n'a pu ſe défendre
de l'aimer; cette nouvelle l'accable ; il écrit
à la ſoeurde ſon ami , lui avoue ſa paffion,
& lui confefle qu'il eſt un de ces malheureux
abandonné en naiſſant par les perſonnes
qui lui ont donné le jour , & qu'il
ne connoît point ſes parens; il ne reçoit
pointde réponſe , il ſe croit mépriſé , &
quitte M. d'Eſpardes après avoir encore
écrit un dernier adieu à Mlle de St Lieu .
Elle étoit en voyage lorſque la premiere
lettre eſt arrivée; elle preſſe ſon frere d'écrire
ſur le champ à M. d'Eſpardes pour
juſtifier ſon filence , & pour l'exhorter à
chercher Montendre. Le comte n'a pas
attendu ſi long-tems ; il a fait des perquiſitions
, il l'a retrouvé ; il lui rend la joie
& la vie ; il lui raconte la cauſe de ſes
chagrins ; il s'étoit marié en Iſlande ; il
avoit été infidéle à fon épouſe ; elle en
étoit morte de douleur après lui avoir
donné un fils qu'un vieil oncle de ſa femme
avoit voulu élever. Le vieillard en
mourant,voulant punir le comte des torts
qu'il avoiteus vis- à- vis de ſa niéce, avoit
réſolu de le priver pour jamais de ce fils;
on ne ſçavoit ce qu'il étoit devenu. D'Efpardes
s'étoit remarié ; depuis quelque
tems il avoit reçu une lettre où il avoit
AVRIL. 1769. ΙΟΙ
lu ces mots : « Monfieur , j'emporte juf-
» qu'au tombeau le remords qui me dé-
>>chire depuis long-tems; je ſuis le plus
>> malheureux des hommes ; j'ai abuſé de
>> la confiance de mon bienfaiteur ; il
» m'avoit remis votre enfant pour l'éle-
» ver dans la religionde ſes ancêtres. Je
>>l'ai placé dans un collége de Jéſuites
>>ſous un faux nom; las de fournir aux
>>dépenſes de ſon éducation , j'ai eu la
>>lâcheté de l'abandonner ,& d'emporter
» ſa fortune dont j'ai diſſipé plus de la
>>moitié . Celui que j'ai chargé de ma
>> lettre , vous remettra pour deux cents
>> mille livres de papier qui appartien-
>>nent à votre fils. Hélas ! je crains que
» vous ne puiſſiez découvrir le lieu qu'il
>> habite. Pardonnez , Monfieur , à un
» miſérable qui touche à ſes derniers mo-
>> mens. Des idées affreuſes l'agitent & le
>> troublent ... Il va paroître devant le
>> redoutable vengeur de l'innocence.
» Déjà... Ah ! je n'oſe implorer ſa bon-
» té. » Ce fils ſe trouve être Montendre.
Les Jéſuites n'entendant plus parler de
celui qui payoit ſa penſion , l'avoient fait
entrer dans le corps de l'artillerie , où ils
lui fournirent l'honnête néceſſaire. Eclai .
ré ſur ſa naiſſance , jouiſſant de quelque
fortune , Montendre vole chez St Lieu &&
..
Eiij
102 MERCURE DE FRANCE.
4
dans les bras de ſon amante qui devient
bientôt ſon épouſe. Ily a peu de vraiſem.
blance dans la fin de ce roman , mais il y
a beaucoup d'intérêt ; on trouve des détails
agréables , de l'eſprit & du ſentiment
.
Nouvelle Anthologie françoise * , ou choix
des épigrammes & madrigaux de tous
les poëtes françois depuis Marot jufqu'à
ce jour. A Paris , chez Delalain ,
libraire , rue St Jacques , 2 vol . in 12 .
Ce recueil offre une infinité de piéces
agréables que l'on lira fûrement avec plaifir
; il y a du choix &de la variété. Nous
en citerons quelques - unes ; celle- ci eſt
deMarot.
Amour trouva celle qui m'eſt amere ,
Et j'y étois , j'en ſçais bien mieux le conte ;
Bon jour , dit- il , bonjour , Vénus ma mere ,
Puis tout-à- coup il voit qu'il ſe mécompte ,
Dont la couleur au viſage lui monte ,
D'avoir failli ; honteux,Dieu ſçait combien !
Non , non , amour , ce dis je , n'ayez honte ,
Plus clairvoyans que vous s'y trompent bien.
* M. François de Neufchâteau déclare qu'il n'a
aucune part à ce recueil que pluſieurs perſonnes lui
attribuent. On ſçait que cette collection a été faite
par M. S. D. М.
AVRIL. 1769. 103
Il y a de l'eſprit dans ce madrigal , dont
on a retourné la penſée dans pluſieurs petites
piéces modernes. Nous rapporterons
ces vers de M. de Voltaire à M. le maréchal
de Richelieu , après la priſe de Port-
Mahon.
Rival du conquérant de l'Inde ,
Tu bois , tu plais & tu combats ;
Lepampre , le laurier , le myrthe ſuit tes pas ;
Tu prends Chypre & Mahon , mais nous perdons
le Pinde.
En vain l'Anglois mocqueur lançoit de toutes
parts ,
Sur un vaiſſeau muſqué les feux & les brocards.
Chez nous l'ambre eſt ami de la fatale poudre ;
Tu ſémois les bons mots , les ſouris & la foudre ;
L'ironie à tes pieds tombe avec leurs remparts ,
Leurs chanſons t'inſultoient : leurs défaites te
vantent:
Mais nos rimeurs jaloux profanent tes lauriers.
Veux- tu rendre l'honneur à tes ſuccès guerriers ,
Viens fiffler ceux qui les chantent.
Nous ne nous attachons pointà l'ordre
dans lequel font rangées ces piéces dans ce
recueil , nous les prenons au hafard. En
voici encore une de M. de Voltaire,adrefſée
à Madame Lullin le lendemain du jour
qu'elle avoit eu cent ans accomplis .
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
Nos grands peres vous virent belle ;
Par votre eſprit vous plaiſez à cent ans ;
Vous méritiez d'époufer Fontenelle ,
Et d'être ſa veuve long-tems.
Madrigal à Madame la comteſſe de ***
par M. de la Harpe .
Vostraits ſontbeaux& votre eſprit eſt ſage;
L'Amour le raconte en tous lieux ;
Ceque l'Amour publie eſt quelquefois douteux ;
Mais l'Amitié joint ſon ſuffrage ;
Quand ils s'accordent tous les deux ,
Il faut croire leur témoignage.
D'unjeune amant des arts , éloigné de vos yeux ,
Ce tribut haſardé vous ſurprendra peut- être ;
Vous reflemblez en tout aux dieux
Qu'on adore ſans les connoître.
Tout le monde ſçait à quel degré de
ſupériorité Mademoiselle Clairon a porté
fes talens pour la tragédie ; elle n'en avoit
pas moins pour la comédie ; elle étoit
faite pour exceller dans tous les gentes ;
M. de la Harpe lui adreſſa ces vers en
1763 , après lui avoir vu jouer un rôle de
foubrette.
On aime à voir un roi ſous l'habit d'un berger ;
Plus volontiers encore on vous verroit bergere ;
Vous ſeule à la nobleſle altiere ,
AVRIL. 1769. 105
Sçavez unir le ton léger.
Les Graces près de vous dociles à ſe rendre ,
Vous prêtent leurs attraits , leur aimable gaïté ;
Elles valent la majeſté :
Vous ne perdez rien à deſcendre,
Comme la plupart des piéces de ce recueil
ſont connues , nous bornerons ici
notre extrait ; on y voit avec plaiſir réunis
en deux volumes un grand nombre
d'ouvrages diſperſés dans l'immenſité des
poëlies qui ont paru depuis François I.
Continuation de Causes Célebres& intéreffantes
, par M. J. C. de la Ville , avocat
au parlement de Paris , & aſſocié
de l'académie royale des belles- lettres
de Caën ; tome 2 , à Paris chez Defpilly
, libraire rue Saint-Jacques à la
Croix d'Or , in - 12 , prix 2 liv. 10 f.
relié.
, M. de la Ville en fongeant à continuer
le recueil des Cauſes Célébres
s'étoit propoſé de n'employer que celles
qui avoient été jugées depuis 1650; le
premier volume qu'il a publié n'en contient
point d'antérieures. La difficulté de
trouver les mémoires d'une date plus ancienne
, fut la raiſon qui le décida ; il
1
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
a trouvé cependant les moyens de s'en
procurer deux de 1606 & de 1608. Ces
cauſes ſont les premieres de ce ſecond
volume qui en contient quatre , dont les
dernieres font d'une date poſtérieure. Le
procès célébre de la veuve du cardinal de
Bouillon , archevêque de Toulouſe , évêque
de Beauvais , &c. avec les héritiers
de ce cardinal , offre une infinité de détails
curieux qui tiennent à la ſuite de
l'hiſtoire du temps. M. de la Ville dans
fon recueil a ſuivi le plan général des
Cauſes Célébres qu'on a publiées avant
lui ; fon ouvrage préſente le même intérêt,
& l'on ne peut que l'exhorter à le
continuer.
Causes amusantes & connues , avec cette
épigraphe : Et Themis quelquefois se
permit defourire. Volume in - 12 de
420 pages ; à Berlin & ſe trouve à Paris
chez les freres Etienne , rue Saint-
Jacques.
L'éditeur à qui nous devons cette collection
de Cauſes Amuſantes & Connues
, s'eſt borné ſimplement à raffembler
les mémoires qu'il avoit dans
fon cabinet. On auroit defiré qu'il eût
rapporté les déciſions de ces cauſes ; mais
AVRIL. 1769. 107
des raiſons eſſentielles , nous dit- il dans
la préface , m'ont également empêché de
rapporter les jugemens de ces cauſes &
leurs déciſions. Il a eu foin , pourque fon
recueil pût aller entre les mains de tout
le monde , de rejeter les cauſes qui font
dans le genre des cauſes graffes . C'étoit
autrefois la coutume dans la plupart des
tribunaux du Royaume , de faire plaider
le jourdu Mardi-gras une cauſe dont la matiere
fût propre à s'égayer , telle qu'une
accuſation d'adultere on d'impuiſſance ,
une demande en payement de frais de
géſine , & autres ſemblables queſtions
que l'on appelloit cauſes graffes , foit à
cauſe du jour où elles étoient plaidées ,
qui eſt le plus folemnel de ceux qu'on
appelle vulgairement jours gras , foit
pour faire alluſion à la maniere libre dont
ces cauſes étoient plaidées. Le jour deftiné
à la plaidoirie de cette cauſe , ſemblant
autoriſer la licence , les avocats ne
manquoient pas de s'étendre en propos
joyeux , qui paſſoient bien ſouvent les
bornes de la modeſtie , & qui attiroient
un concours extraordinaire de peuple.
On trouve encore une de ces cauſes grafſes
au nombre des plaidoyers faits par le
célébre Henrys ; c'eſt le ſixiéme plaidoyer.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
Il s'agiffoit de l'état des enfans nés d'une
femme qui , ſous prétexte de l'impuillancede
ſon mari , s'étoit fait ſéparer de lui
étant même alors enceinte. Henrys , dans
ſon plaidoyer , compare le ſujet de l'affaire
avec le jeu du trictrac ; toute l'affaire
y eſt traitée dans ce goût d'une maniere
allégorique , & deſignée par les
termes qui font propres au jeudu trictrac.
Dans les cauſes que le nouvel éditeur
a raſſemblées , l'honnêteté n'eſt jamais
bleſſée. Elles amuferont moins pour les
ſujets & pour le fond , que pour la maniere
dont elles font écrites &préſentées.
Comme le premier but de ce recueil eſt
l'amusement , l'éditeur a mis à la fin une
autre collection d'anecdotes , reparties ,
traits plaifans , qui peuvent avoir rapport
au barreau.
L'avocat d'une veuve qui avoit un procès
qui duroit depuis quatre- vingt- ans ,
ditunjour en plaidant devant M. le premier
préſident de Verdun : » Meſſieurs ,
>> les parties adverſes qui jouiſſent injuf-
>> tement du bien de nos pupilles , pré-
>> tendent que la longueur de leur op-
>>>preſſion eſt pour eux un titre légitime ,
»& que nous ayant accoutumés à notre
> miſere , ils font en droitde nous la faire
AVRIL. 1769 . 109
>> toujours fouffrir : ily a près d'un ſiécle
>>que nous avons intenté action , contre
>> eux ;& vous n'en douterez point quand
>>je vous aurai fait voir par des certifi-
>> cats incontestables que mon aïeul , mon
» pere & moi , nous ſommes morts à la
» pourſuite de ce procès ... » Avocat ,
interrompit le premier préſident , Dieu
veuille avoir votre ame , &fit appeller une
autre cauſe.
L'éditeur auroit pujoindreàfon recueil
quelques anecdotes intéreſſantes , relatives
au barreau d'Athènes & de Rome.
Verrès , que l'on accuſoit d'avoir dépouillé
les provinces de fon gouvernement ,
avoit envoyé à l'orateur Hortenfius un
ſphynx d'ivoire , morceau de ſculpture
très - précieux . Cicéron , dans ſon plaidoyer
, ayant dit quelque choſe d'un peu
enveloppé contre la conduite d'Hortenfius
; celui- ci lui répondit, qu'il ne ſçavoit
pas expliquer les énigmes. Aquoi Cicéron
repliqua fur le champ : vous avec chez
vous le ſphynx.
Théophraſte parle d'un vieillard qui ſe
fardoit. L'orateur qui plaidoit contre lui
devant le ſénat d'Athènes , dit qu'il ne falloit
pas croire un homme qui portoit le
menſonge ſur le front.
110 MERCURE DE FRANCE .
Hiftoire de François I. , &c. tomes V,
VI , VII ; par M. Gaillard , de l'académie
des inſcriptions. A Paris , chez
Deſſaint , rue du Foin .
Ces trois volumes ſont la ſuite & le
complément de l'hiſtoire de François I ,
dont les quatre premiers volumes parurent
il y a quelques années,& furent trèsbien
reçus du Public. L'édition eſt épuiſée
aujourd'hui , & l'on en prépare une ſeconde.
L'auteur a réuni dans ces trois derniers
volumes tout ce qui regarde les affaires
éccléſiaſtiques , les arts & les lettres ; la
vie privée de François I; les moeurs &
uſages des François ſous ſon regne . Tous
ces objets forment autant de differtations
qui auroient trop rallenti la narration des
faits principaux & nui à l'intérêt de l'ouvrage
& à l'enchaînement des matieres .
Il eſt queſtion d'abord du concordat ;
de ce fameux concordat dont on dir , lorfqu'il
fut établi , que François Premier &
Léon X venoient de ſe damner tous deux ,
parce qu'ils s'étoient donné l'un à l'autre
ce qui ne leur appartenoit pas . Dans une
aſſemblée folemnelle du clergé François
convoqué à Bourges par Charles VII ,
où aſſiſterent avec le Dauphin , les prin
AVRIL. 1769 .
ces du ſang, les grands & les prélats , on
avoit adopté les canons du concile de
Bafle , & on en avoit formé l'ordonnance
connue ſous le nom de pragmatique
fanction . Cette ordonnance déclaroit le
concile général repréſentatif de l'Eglife
univerſelle , & par conséquent ſupérieur
au Pape ; elle aboliſſoit les droits lucratifs
de la cour de Rome ſur les prélatures
& les bénéfices du royaume , lesréſerves,
les expectatives , les annates , les évocations
, & conſervoit aux égliſes le droit
d'élire leurs évêques ; aux monaſteres ,
celui d'élire leurs abbés , & régloit la difcipline
eccléſiaſtique . Cette pragmatique
étoit appellée le palladium de l'Eglife
gallicane; mais à Rome on la regardoit
comme un attentat contre l'autorité du
fouverain Pontife , & comme l'étendard
de la révolte qu'arboroit une nation ſchif.
matique. Elle fut violemment attaquée
par Pie II qui , lorſqu'il étoit ſecrétaire
du concile de Baſle ſous le nom d'Enéas
Silvius Picolomini , avoit rédigé lui-même
, & défendu par écrit ces mêmes canons
før leſquels étoit fondée la pragmatique
qu'il voulut enfuire détruire. Il arma
contre elle l'évêque d'Arras Joffreoi
qui , ſéduit par l'eſpérance d'un chapeau ,
112 MERCURE DE FRANCE.
&nommé légat du St Siége auprès de
Louis XI , fit entendre au prince que la
pragmatique étoit contraire à ſes intérêts,
& laiſſoit un trop grand pouvoir aux
grands qui , devenus les arbitres des élections
aux bénéfices , diſpoſoient d'une
partie des richeſſes du royaume. Le Roi ,
jalouxde ſa puiſſance,& fufceptible d'ailleurs
de cette eſpéce d'orgueil mal entendu
que des princes d'un eſprit vain &
foible mettent à contrarier leurs prédécefſeurs
, confentit à l'abolition de la pragmatique
, à condition qu'un légat réſident
en France , expédieroit les bulles des
bénéfices , afin que l'argent donné pour
ces bulles ne ſortît pas du royaume. Cette
clauſe eſt ſage & peint le caractere de
Louis XI . Elle ne fut jamais formellement
ratifiée par le St Siége ; mais l'original
de la pragmatique remis an légat
par le Roi , & porté à Rome , n'en fut pas
moins traîné dans la boue aux acclamations
d'une populace eſclave & imbécille
qui , dans ſon abaiſſement , ſembloit s'applaudir
de voir augmenter & s'étendre
dans l'Europe le deſpotiſme pontiacal .
Cet indigne traitement fait à un acte folemnel
du clergé de France , que toute la
nation avoit confirmé , étoit un outrage
AVRIL. 1769. 113
à la dignité de cette nation & du trône ,
qu'on ne pardonneroit pas aujourd'hui . Il
prouve la férocité des moeurs de ce fiécle
& la foibleſſe honteuſe de Louis XI qui
avoit l'eſprit tyrannique , & n'avoit pas
l'ame grande , & qui trouvoit plus aiſé
d'êtredur avec ſes ſujets que fier avec ſes
ennemis .
Cependant la pragmatique n'étoit point
anéantie. Le clergé , le parlement ,l'univerſité
la défendirent avec un courage opiniâtre
juſqu'à la mort de Louis XI . Elle
fut en vigueur fous Charles VIII & fous
Louis XII . Le concile de Latran l'annulla
&le royaume fut mis en interdit. François
I , ſucceſſeur de Louis XII, s'aboucha
enfin avec le pape Léon Xà Bologne. Il
lui baiſa les pieds , les mains & la bouche
, & voulut faire les fonctions de caudataire
, fonctions que des gentilshommes
exercent auprès des cardinaux. Ils
convinrent de ſubſtituer un concordat à
la pragmatique. Le Roi laiſſa le chancelier
Duprat pour régler les prétentions
reſpectives avec les cardinaux d'Ancône
&de Santiquatro. L'intérêt du chancelier
étoit d'attribuer au Roi la nomination aux
bénéfices , (qu'alors , comme l'on ſçait ,
des ſéculiers pouvoient poſſéder ) parce
qu'il attendoit tout du Roi&de la cour.
114 MERCURE DE FRANCE.
Cette nomination fut donc aſſurée au Roi-
& à ſes fucceffeurs par le concordat , &
les annates furent laiſſées au Pape , qui
préféra le revenu de la premiere année
des bénéfices au privilege d'y nommer.
Ce concordat , qui ſubſiſte encore aujourd'hui
, fut conclule 15 Août 1516 , & ne
fut enregiſtré au parlement que le 2a
Mars 1518 , après une très-longue réfiftance
& par les ordres exprès & réitérés
du ſouverain. Mais comme le parlement
affectoit de ne point reconnoître pour loi
ce concordat qui excitoit des querelles à
chaque bénéfice vacant , François I. lui
ôta la connoiſſance de tous les procès concernant
les bénéfices , & l'attribua au grand
confeil.
Dans le chapitre du lutheraniſme,l'auteur
expoſe en détail toutes les circonftances
favorables qui concoururent aux
ſuccès de Luther ; l'abus énorme du pouvoir
des Papes & de la ſuperſtition des
peuples , les murmures & les ſcandales
qu'excita le trafic des indulgences , l'audace
ambitieuſe & avide des moines qui
ſediſputoient les dépouilles des nations,
la protection intéreſſée que l'électeur de
Saxe & d'autres princes d'Allemagne accorderent
au lutheraniſme qui mettoit
dans leurs mains les richeſſes& la puifAVRIL.
1769. 11I9
fancedes eccléſiaſtiques , qui favoriſoit
l'eſprit d'indépendance , & paroiffoit élever
des barrieres redoutables contre l'ambition
de Charlequint & l'autorité impériale.
Il nous repréſente Luther comme
un eſprit inquiet & féroce , entraîné par
les fougues de la révolte & l'aigreur de
la controverſe bien plus que conduit par
des vues profondes & un ſyſtême refléchi
; variant à tout moment dans ſes principes
, ſelon ſes intérêts & ſes haines ,
reconnoiffant d'abord l'autorité du Pape
tant qu'il eſpére n'être pas condamné , &
le nommant l'Antechrift dès qu'il a prononcé
contre lui ; détruiſant tous les dogmes
du chriſtianiſme , ſans être d'accord
fur les ſiens , ni avec lui-même , ni avec
ſes diſciples ; auſſi ennemi de quiconque
pouvoit balancer ſon crédit ou ſa réputation
qu'il l'étoit du Pape & de l'égliſe ,
& fubjuguant ſes rivaux & les peuples
bien plus par l'aſcendant d'un caractere
impétueux de capable de tout que par les
forces de l'éloquence &de la raiſon . Melancthon
, plus éclairé , plus ſage , plus
doux , aimoit en lui le réformateur , &
redoutoit le chef de parti ; il le blâmoit
ſouvent & lui cédoit toujours. Carloſtad,
chef de la ſecte des ſacramentaires, l'une
des branches de la réforme , ſe trouve
116 MERCURE DE FRANCE.
avec lui dans Orlemonde . « Il lui fait
>>jetter des pierres &de la boue par le
>> peuple , & vient enſuite le trouver dans
>>fon auberge , à l'Ourſe noire, pour con-
>> férer avec lui : il s'excuſa ſur les ſédi-
» tions qu'on lui reprochoit ; mais il
» avoua qu'il ne pouvoit ſouffrir l'opi-
» nion de Luther ſur la préſence réelle.
>> Luther , avec le mépris & l'arrogance
>> de la ſupériorité , lui conſeille d'écrire
>> contre cette opinion . Voici , lui dit- il,
» unflorin queje donne pour t'y engager.
>>On croiroit que Carloſtad lui jetta fon
>>>florin , non , il le prit. Les deux cham-
» pions ſe touchent dans la main, ſe pro-
> mettent bonne guerre ; on
>> vin. Luther , toujours railleur & dé-
>> daigneux , boit à la ſanté de Carloſtad
» &du beau livre qu'il va mettre au jour .
>> Carloſtad lui fait raiſon , & voilà la
>> guerre déclarée à la maniere du pays. »
Eraſme , qui eut depuis une ſi prodigieuſe
réputation ,&que tous les ſouverains
de l'Europe ſe diſputoient , Eraſme
plaiſanta d'abord ſur la réforme. « Tous
>> ces grands mouvemens , diſoit- il,abou-
» tiffent à défroquer quelques moines &
>>à marier quelques prêtres. La réforme
» n'eſt qu'un drame tragi- comique dont
>> l'expofition eſt impoſante , le noeud
fait venirdu
AVRIL. 1769. 117
>> ſanglant & le dénoument heureux .
>> Tout finit par un mariage. » Mais il ne
plaiſanta plus lorſqu'il penſa lui - même
être la victime des théologiens , jaloux
de ſon mérite & de ſa renommée , &
qu'il n'échapa que par la protection ſpéciale
de François I. D'ailleurs il ſemble
qu'il y avoit plus à gémir qu'à plaiſanter ,
lorſque les buchers s'allumoient dans toure
la France par les ordres de ce même
François I , qu'on appelle le Pere des lettres
, & qui ne fut fûrement pas celui de
ſon peuple ; lorſque ce prince , animé
par les délateurs , brûloit chez lui
les réformés qu'il protégeoit en Allemagne
; lorſque des prêtres& des magiſtrats
conduifoient des bourreaux à Mérindol
& à Cabrieres , exterminoient par le fer
& par le feu les Vaudois fans défenſe ,
comme des tigres égorgent des agneaux ,
&ordonnoient des horreurs & des cruautés
qui faifoient frémir juſqu'aux foldats
barbares qui les exécutoient ; enfin lorfque
les fufeurs du fanatique Jean de Leyde
& des anabaptiſtes déſoloient l'Allemagne
& y étaloient encore plus d'abominations
que le calviniſme n'en étaloit
en France , ſi l'on excepte la St Barthelemi
, à qui rien ne reſſemble dans les annales
des crimes .
:
18 MERCURE DE FRANCE
Ces affreux tableaux nous ſont retraces
par l'auteur. Il compare à Luther l'apôtre
de Genéve , Calvin . " Celui-ci étoit un
>> raiſonneur plus exact , plus méthodi-
>> que , un écrivain plus correct, plus pré-
>> cis , plus élégant , plus ſage ; il appar-
>>>tient à l'hiſtoire littéraire de ſon ſiècle.
>> Luther , étranger à toute littérature , ne
>> peut être reclamé que par l'école. »
M. Gaillard paſſe à l'hiſtoire littéraire.
Il remonte juſqu'à la premiere race de
nos rois , conſidère preſque tout ce qui a
été ſçavant ou qui en a eu le nom juſqu'à
François I , & diviſe enſuite en trois
époques tout l'eſpace qu'il a parcouru.
<<Pendant la premiere , qui s'étend juſ-
>> ques vers le milieu du onziéme fiécle ,
>> toute la littérature étoit entre les mains
>> des moines ; cette époque nous fournit
>> des chroniques , des légendes , de très-
>> mauvaiſes poëſies ; ſouvenons - nous
>> ſeulement que ces moines nous ont
> conſervé les manuscrits des anciens ,
>> fondement de toute littérature moder .
>> ne. Sous la ſeconde époque , qui com-
>> prend deux ou trois ſiècles , les lettres
>> concentrées dans l'univerſité ſe rédui-
>> fent preſque à la ſcholaftique ; la phi-
>> loſophie confondue avec la théologie ,
> le droit civil étouffé par le droit cano
AVRILL. 1769. 119
>> nique , des diſcoureurs en jargon bar-
>> bare , beaucoup d'hérétiques ; voilà les
>>ſciences &les ſçavans de ce temps- là.
•Enfin la troiſième époque eſt un tems
» de fermentation , où la bonne littéra-
>> ture dont Pétrarque avoit donné l'a-
>> vant-goût , fait effort pour percer l'en-
>>veloppe de la barbarie ; la langue veut
>> ſe former ; mais elle a beſoin de ſe
>> nourrir du ſuc des langues ſçavantes ,
» & on commence à deviner ce beſoin,
>>Les arts , chaffés de leur patrie , cher-
>> chent à s'établir en France ; l'impri-
>>>merie découverte étend & accé-
» lère la communication des idées , les
» vues naiſſent , l'émulation s'anime ; la
» raiſon humaine eſt en travail ; tout
» promet un nouvel ordre de choſes . En
>> revenant fur ces trois époques on ne
> trouve dans la premiere que des écri-
» vains tous au même niveau , & vrai-
» ſemblablement tous au niveau de leur
>> fiécle . Qui pourra dire ſi Adon l'em-
» porte ſur Jonas , ou fi Belgant vaut
>> mieux que Glaber ? La ſeconde époque
>> nous offre des auteurs qui ont donné
>> le ton à leur fiécle. Tels font au dou-
• ziéme St Bernard& Abailard ; tels font
» au treiziéme ces docteurs cordeliers &
110 MERCURE DE FRANCE .
>>jacobins qui regnent dans l'école. Enfia
» ſous la troiſième époque je vois quel-
» ques génies tellement élevés au - deſſus
>>de leur fiécle , que leur fiécle ne peut
>> prendre le ton qu'ils lui donnent , &
>> que l'eſprit ne peut être élevé à cette
>> hauteur que par une lente ſucceſſion
>> d'efforts & de travaux. Tel eſt Pétrar-
>> que pour l'élégance du ſtyle , pour les
>>couleurs de la poësie , pour le ton du
>> ſentiment ; tel eſt Commines pour la
>> naïveté originale , pour l'intérêt de la
> narration , pour l'énergie des tableaux
>>hiſtoriques. >>
François I aima & protégea les lettres ;
mais s'il avoit le goût des arts , il n'avoit
aucune philofophie. Sa foeur la reine de
Navarre en avoit bien plus que lui. S'il
eût penſé comme elle , il n'eût point été
perfécuteur , il n'eût point écouté les délations
des théologiens , ni recompenfé
les ſuccès dans la controverſe. Cependant
il ne faut point oublier les obligations
qu'on lui doit avoir. Il fonda le collége
royal ; il aima & enrichit Budée , celui
qui , de tous les lettrés de ce tems , étoit
le plus ſçavant & le mieux ſcavant ; il ne
put fixerEraſmeen France , Eraſme le ſeul
philoſophe de ce ſiécle; mais il eut le
mérite
AVRIL. 1769. ΓΕΣ
mérite de l'appeller dans ſes états , & de
le défendre contre la Sorbonne.
Tous les travaux , tous les monumens ,
tous les ſçavans du regne de François I ,
la muſique , le commerce , la guerre , le
dael , &c. font l'objet d'un examen trèsdétaillé
, dans lequel nous ne pouvons
pas entrer. On trouve par-toutune érudition
puiſée dans les meilleures ſources ,
&éclairée par le goût , une impartialité
foutenue , beaucoup de clarté&d'intérêt
dans le ſtyle , de la netteté , de la méthode
, l'amour de l'humanité , de la juſtice
&dela vérité .
Contes philofophiques & moraux; par M.
de la Dixmerie , nouvelle édition corrigée
& augmentée; 3 vol . in- 12 . A Paris
, chez Delalain , rue St Jacques, &
Lacombe , rue Chriſtine , 1769 .
Le conte en proſe eſt aujourd'hui en
faveur. Ceux qui ſçavent que chaque genrede
littérature a ſes difficultés , n'ignorent
pas que celui- ci a les ſiennes particulieres.
Il a auſſi ſon objet propre. Il eſt
devenu le tableau de nos moeurs actuelles
, tandis que notre comédie ſemblede
plus en plus s'en éloigner. Ce n'eſt pas
que le conteur doive s'aſtreindre unique-
1. Vol. F
..
1
122 MERCURE DE FRANCE .
ment ànous offrir des perſonnages de notre
tems & de notre pays. Il peut à fon
gré varier la ſcène & la tranſporter dans
des lieux qui nous ſont le plus étrangers.
C'eſt ſouvent de pareils contraſtes que réfultent
les meilleures leçons. Tacite , en
peignant les moeurs des Germains , frondoit
indirectement celles de ſes compatriotes.
Il paroît que l'auteur des Contes
philofophiques n'a jamais perdu de vue cet
objet analogue au titrede ſon ouvrage. Il
tranſporte ſon lecteur dans preſque tous
les climats du monde connu ; mais il eſt
fidéle à l'obſervation du coſtume , & ne
s'éloigne jamais du but moral qu'il ſe
propoſe. Il change de ton à meſure qu'il
changede local , & c'eſt toujours une heureuſe
imitationdu langage&du caractere
de chaque peuple où il choiſit ſes perſonnages.
M. de la Dixmerie a même traité
quelques ſujets pris dans le merveilleux
&dans la féerie; mais c'eſt dans ces fortes
de morceaux qu'il s'attache à ſemer
encore plus de morale , de philoſophie &
de traits épigrammatiques ; ſeul moyen
de rendre ce genre de contes utile & intéreſſant.
L'Anneau de Gygès; la Corne
d'Amalthée ; l'Oracle journalier , les Péris
&les Néris , & quelqu'autres contes qui
AVRIL 1769. 123
entrentdans ce recueil, fontd'une forme
&d'un ton qui appartiennent à l'auteur,
&le ſuccès qu'ils ont eû prouve généralement
leur mérite. Les deux premiers volumes
de cette ſeconde édition renferment
le même nombre de morceaux que
la premiere. L'auteur s'eſt ſeulementcontenté
d'y faire quelques changemens &
additions. Le tome troifiéme eſt abſolument
nouveau.
Dansl'Anneaude Gygès , Leuxis,muni
de cet anneau , a la faculté de ſe rendre
inviſible. Il en fait uſage dans la recherche
qui l'occupe , celle d'un ami fincere
&d'une maîtreſſe fidele. Il reconnoît
ſouvent qu'il s'eſt trompé dans le choix de
l'un& de l'autre .
Eumene , dans la Corne d'Amalthée ,
doit être exaucé dix fois par Jupiter. Il
uſe de ce privilege pour eſſayer de beaucoup
de profeffions.
Il eſt difficile de peindre avec plus de
préciſion & de légereté que ne le fait
l'auteur dans ce début d'un autre conte.
« Certain enchanteur & certaine fée s'ai-
>> moient depuis ſi long-tems qu'ils com-
>> mençoient à ſe haïr. Tous deux , cepen-
>>dant vouloient paroître s'aimer encore,
>> parce que tous deux ſe craignoient.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
> Leur pouvoir étoit à peu près le même ,
>> leurcaractere entierement oppoſé. C'est
>> ce qui avoit fait furnommer l'une la fée
• Colere , & l'autre l'enchanteur Pacifi
>> que. L'une étoit extrême en tout , ai-
» moit & haïffoit avec emportement ,
>>protégeoit & perſécutoit avec la même
ardeur , faiſoit le bien, faiſoit le mal ,
>> s'en repentoit tour-a-tour : en un mot
- la meilleure&la plus mauvaiſede tou-
» tes les femmes. L'autre , à toutes les
>>bonnes qualités de la premiere ne joi-
>>gnoit qu'un petit nombre de ſes dé-
>> fauts. Il avoit le pouvoir de nuire , &
>> n'enuſoitque modérement ; vertu dès
>>lors auſſi rare que celle d'obliger : c'é-
>>toit, pour mieux dire , un deces hom-
>>mes qui font le bien par penchant , &
>> ſe permettent le mal quand on oſe les
>> pouffer àbout. »
Dans le conte qui a pour titre les deux
Prix, plus d'une rivale ſe met ſur les
rangs pour obtenir celui de la beauté. «La
>>blonde Iſmene s'avança la premiere, Ses
>> regards avoient la douceur des rayons
* de l'aurore ; ſes traits plus d'agrément
>> que de régularité On l'eût priſe pour
>>une Grace; mais on ne l'eût jamais priſe
» pour Vénus.
AVRIL. 1769. 125
» La brune Zirphé parut enſuite. Sa
>> taille & fa démarche ſont celles d'une
>> nymphe ; fon oeil lance les feux brûlans
>> du Midi. Il n'échauffe pas, il confume.
» Zirphé a l'art de faire naître lesdefirs ,
»mais rarement elle inſpire l'amour. On
>> cherche à la vaincre plutôt qu'à lui
>>plaire.
>> Dircé eût voulu devancer les deux
>> premieres. Son foible eſt de vouloir
>> dominer par - tout. On ne dira point
>> qu'elle manque de beauté; on ne dira
>>pas que Dircé ſoit belle. Son air impé-
>> rieux nuit à ſes agrémens ; il effarouche
>> le timide Effain des Graces. Jamais
» Dirce ne marche en leur compagnie.
>>On la prendroit pour l'altiere Junon
>> qui vient , non pas difputer , mais exi-
>>ger la pomme.
»Une foule d'autres Theffaliennes
» s'empreſſoient de paroître. Leurs char-
>> mes réunis , mais preſque tousdifférens ,
> offroient la riante variété des fleurs d'un
>> parterre.
>>Doris n'arrivaque la derniere. Tous
>> les yeux , tous les coeurs volerent à fa
>>>rencontre. Tous furent éblouis , tous
>> furent émus . On douta ſi ce n'étoit
>>point Vénus elle-même qui alloit pré-
> ſider aux myſteres de ſon temple.>>
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
1. Paflons au troiſiéme volume , qui eft
entierement ajouté à cette édition. Le
premier morceau qu'il préſente eft Charles
Martel , anecdote françoiſe. Il étoit
difficile de faire figurer ce fameux capiraine
dans une intrigue galante ſans rien
dérober à fon caractere. C'eſt pourtant ce
que l'auteur entreprend & exécute avec
fuccès. 1
Le Sage honteux de l'étre , qui vient
après, eſt un tableau puiſe dans nos moeurs
actuelles. Dorval , homme à la mode ,
rougiffoit d'un rôle qui n'étoit en lui que
factice. « Parvenu à l'âge de trente ans ,
>>il en regrettoit douze , perdus dans la
diſſipation. Il avoit en lui de quoi ſe
>> rectifier ; un eſprit juſte , quoique bril-
> lant; un coeur ſenſible , quoique parta-
>> gé. Douze ans de travers n'avoient pu
>>anéantir cet heureux naturel , & Dorval
>> n'aſpiroit qu'à ſe montrer tel que la na-
>>>ture l'avoit fait naître. >>
M. de la Dixmerie a ſçu tirer un conte
très agréable & très- ingénieux d'un des
points de la théologie des Gaulois , nos
ancêtres. C'eſt celui des Lamies, fortesde
divinités bocageres qui , pour acquérir
l'immortalité , avoient beſoin de s'humanifer
avec quelque mortel.
Héraclite & Démocrite , voyageurs. « La
AVRIL. 1769. 127
>> folie de ces deux ſages fut d'un genre
bien oppoſé. On ſçait qu'Héraclite s'af-
>> fligeoit de tout , & que tout faisoit rire
>> Démocrite. Ils eurent une maniere de
>> voir & de ſentir en tous points diffé-
>> rente . Ce fut auſſi un motiftrès-diffé-
>>rent qui leur fit parcourir plus d'un cli-
>> mat. Démocrite vouloit eſſayer s'il
> pourroit une ſeule fois prendre ſon ſé-
>>rieux: Héraclite, s'il pourroit une ſeule
>> fois perdre le ſien . >>> :
Dans l'Amour tel qu'il eſt , Cinthie ,
mere de Flora , veut préſerver ſa fille des
diſgraces que l'amour lui a fait éprouver
àelle-même. Elle emmene Flora habiter
une maiſon de campagne. «C'étoit un
>>ſéjour iſolé ; mais ony jouiſſoit en re-
» pos des tréſors & des ornemens de la
>> nature. Elle s'y jouoit & s'y reprodui-
>> ſoit ſous mille formes. Voyez , ma
>>fille , diſoit Cinthie à Flora , voyez ſi
>> jamais Athènes vous offrit un pareil
>ſpectacle ? Ala ville tout eſt preſtige ;
>> ici tout eſt vérité:rien n'y trompe l'ame ,
>>ni les regards. Ecoutez le ramage de
> ces oiſeaux : il charmera votre oreille ,
>> mais votre coeur n'en doit rien redou-
>> ter. A la ville , à peine l'oreille eſt fla-
» tée que déjà le coeur eſt ſéduit. »رد
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
Le ſujet de Mélusine développe un autre
point de la métaphysique du coeur.
L'amour embellit tout ; une magicienne
change les traits de Liſidor & de Zulia .
Ils ne s'en apperçoivent ni l'un ni l'autre,
parce que leur coeur n'eſt point changé.
Tous deux se trompoient , & le danger
desEpreuves nous ramenent à nos moeurs
préſentes. L'auteur y change de ton , & il
atoujours foin d'en changer toutes les fois
qu'un ſujet qu'il veut traiter l'exige : attention
rare dans un conteur. C'eſt eependant
l'unique moyen d'éviter la monotonie&
de peindre avec vérité.
Nousdevons ajouter que l'auteur a une
maniere de voir &d'écrire qui lui eft propre.
On le reconnoîtra , on le diftinguera
toujours à l'une & à l'autre. Il enviſage
toujours les objets du côté le plus piquant,
&il les peint comme il les enviſage. Partout
il eſt à fon aiſe , & ſe montre ſupérieur
augenre qui l'occupe. L'épigramme
s'offre àlui plutôt qu'il ne ſemble la chercher.
Il réveille fans ceſſe le lecteur par
des traits inattendus , & il inſtruit en paroiſſant
ne vouloir qu'amuſer. Ce recueil,
enfin , le plus varié qu'un même auteur
ait encore mis au jour , doit être recherché
par toutes les claſſes de lecteurs. Cha
AVRI L. 1769. 129
cund'euxytrouvera en ſon particulier de
quoi ſe ſatisfaire..
Voyages& aventures du ChevalierD***.
ALondres; & ſe trouve à Paris , chez
Deſſain Junior , libraire , quai des Anguſtins
, à la bonne Foi , 1769 , 4 vol .
17-12.
Cet ouvrage eft diviſé en quatre parties.
Lapremiere contient les voyages de
l'auteur dans les Iſles Françoiſesdu Vent
de l'Amérique ſeptentrionale , ycompris
les Iles Caraïbes de Saint-Vincent, Sainte
Lucie& la Dominique,&dans cellede
Saint-Thomas , appartenante aux Danois;
la ſeconde , ceux qu'il a faits aux Iles
Antilles Françoiſes ſous le vent de l'Amérique
ſeptentrionale , à la Havane , capitale
de l'Iſle de Cuba , & à Porto-Rico,
appartenant aux Eſpagnols ; à San - Jago
de la Vega , capitale de la Jamaïque , &
à Port - Royal , appartenant aux Anglois ,
& ſon ſecond voyage à la Martinique.
Les voyages à la Barbade , à la Grenade,
à Caraçao , à Cayenne , à Surinam & à
Lisbonne forment la troiſième partie ; &
ceux au Port de Paix , à la Havane , au
Cap François , à l'Ancien & auNouveau
Fv
130 MERCURE DE FRANCE .
Mexique , à la Louiſiane & au Canada ,
rempliffent la quatrième partie.
Nous avons la deſcription de tous ces
pays où M. le chevalier de *** a voyagé ,
dans des livres eſtimés; mais ceux qui
ont fait cette deſcription l'ont écrite d'aprèsdes
mémoires qui n'ont pas toujours
été l'ouvrage de perſonnes éclairées en
état de raconter ce qu'elles ont vu ; de
façon que les auteurs qui ont travaillé
d'après ces mémoires ont pu , en ſe trompant
, tromper le Public , qu'ils vouloient
inſtruire. Ce n'eſt point ce qu'on doit
craindre en lifant l'ouvrage que nous annonçons.
L'auteur a vu ce qu'il décrit , &
on peut compter ſur la fidélité & l'exactitude
de ſes narrations. Elles contienment
de choſes très - piquantes ſur les
moeurs des habitans & l'hiſtoire naturelle
de chaque pays. L'auteur parle de
fes aventures qui font preſque toujours
galantes , mais qui peuvent intéreſſer le
coeur. Son intention , en les écrivant , a
été de faire voir « les dangers que court
>>une jeuneſſe inconſidérée, trop tôt li-
» vrée à elle-même , ce qui donnera (dit-
>> il ) matiere à réflexion à ceux qui en-
>> treprendront de fournir pareille carriere."
:
AVRIL. 1769. 131
On trouve encore dans cette compolition
des hiſtoires des perſonnes qui ont
voyagé avec l'auteur , ou qu'il a rencontréesdans
ſes voyages. Parmi ces hiſtoires
il en eſt deux , celles de Mlle d'Orbigni
&de Milord Tonſon qui méritent d'être
lues.
Au reſte , tout ceci eſt écrit en forme
de mémoires , & il faut convenir que
cette forme eſt plus agréable que celle de
la relation . ;
Si cet ouvrage eſt goûté , comme on
doit le croire , l'auteur donnera ſes autres
voyages de Guinée , aux Indes , en Egypte
&en Turquie .
,
Nouvelles recherchesfur les découvertes microscopiques
& la génération des corps
organiſes , ouvrage traduit de l'Italien
de M. l'abbé Spalanzani... & dédié à
fon alteſſe M. le prince de Marfan
par M. l'abbé Regley , aumônier de
ſon alteſſe, avec des notes & des recherches
de M. Needham ſur la nature & la
religion, une nouvelle théorie de la terre
, & une meſure de la hauteur des Alpes
.A Londres , & à Paris chez Lacombe
, rue Chriſtine , près la rue Dauphine
1769 : volume in-8 ° de 664 pages ,
avec figures. Prix , rel . 6 liv.
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
Cet ouvrage eſt diviſé en deux parties ;
nous nous bornerons aujourd'hui à la premiere
dans laquelle on trouve le diſcours
préliminaire du traducteur ; la differtation
de M. Spalanzani & les notes de
M. Needham ; nous reviendrons à la ſeconde
dans un autre extrait .
Dans le diſcours préliminaire M. l'abbé
Regley paſſe en revue toutes les découvertes
microſcopiques qui ont été faites
par les Lewenhoeck , les Hoſtſocker ,
les Swamerdam , les Baker , les Malpighi&
c. » Il ſemble , dit- il , que l'homme
>> peu contentde la claſſe mitoyenne dans
>> laquelle la nature l'a placé , ait voulu
>>rapprocher ces deux extrêmes de la
>> petiteſſe & de l'éloignement. D'un
» côté le télescope ſoumet à ſes regards
>> ces maſſes énormes , ſolides ou enflam-
>>mées qui roulent & ſe balancent dans
>> les airs. De l'autre , le microſcope lui
⚫dévoile ces particules imperceptibles
»&preſque élémentaires qui entrentdans
>>la compoſition des corps ». Il nous
donne enfuite le détail des découvertes
denos plus habiles obſervateurs. Une eau
dans laquelle on a fait infuſer des grains
de poivre , a fourni des animaux qui ont
autour d'eux une frange avec de longues
foies en forme de queue,&dont la lon
AVRIL. 1769. 133
gueur réelle n'égaloitque le diamètred'un
cheveu. Il y a dans les eaux de foin , de
froment , d'avoine , de paille , &c. des
animaux ovales & ſemblables àdes oeufs
de fourmi. Baker a vu des ſerpens ſur l'écume
de l'eau de foin : il a conſervé dans
de la cole de farine aigrie des anguilles ,
auxquelles le microſcope ſolaire donnoit
juſqu'à deux pouces de diamètre , & dont
on diftinguoit les viſcères. Joblot a apperçu
dans une infuſionde citron un animal
qui avoit fur le dos la figure d'un fatyre.
Lewenhoeck a découvert dans la matiere
gluante qui eſt ſous les eaux croupies
, des animaux à deux & à quatre roues
armées de dents qui ſortent de leur tête ,
& tournent circulairement comme fur
un effieu.
Lepou,dont la vue fait horreur , s'embellit
au microſcope , on y voit le battementrégulier
de ſon pouls , ſon ſuçoir eft
700 fois plus délié qu'un cheveu. La puce
ades écailles du plus beau poli , placées
avec beaucoup d'ordre & de régularité.
Le couſin a fur la queue des plumes de la
plus grande beauté , & fur les aîles un
brillant & long falbala . » La mouche pré-
>>ſente au microſcope des richeſſes qui
>> étonnent,un luxe qui éblouit ; la tête
134 MERCURE DE FRANCE.
>> eſt ornée de diamans ; ſon corps eft
>> tout couvert de lames brillantes , elle
> a de longues ſoies & un plumage écla-
>>tant: un cercle argenté environne ſes
>> yeux ; ſa trompe eſt affilée de maniere
» qu'elle lui donne la double propriété
>> de trancher les fruits & d'en pomper
>> les fucs ..
Les écailles des poiffons ont de petites
lames qui marquent leur âge. La peau de
l'homme a des écailles qui la couvrent
& qui peut- être ſont la cauſe de ſa blancheur;
le microſcope nous montre ſes
cinq pans , & la maniere dont les écailles
anticipent les unes fur les autres. Lewenhoeck
y a compté 144 millions de
pores fur un pied quarré. »Aquel point
>> la nature n'a-t-elle pas porté la ténui-
>>té des parties du ſang ! Lewenhoeck &
>>Jurin ont calculé 160 de ces globules ,
>>placés les uns à côté des autres , éga-
>>lant à peine la longueur d'une ligne ;
>>>ils les ont trouvés mols & flexibles dans
>> un état de ſanté , mais durs & roides
>> dans nos maladies; on voit ſa circula-
» tion , les alternatives qu'éprouvent fes
>> globules en paſſant d'un grand vaiſſeau
>>dans un plus petit , leurs colliſions &
>> juſqu'à la forme ovale qu'ils font for-
>> cés de prendre pour y entrer.
AVRIL. 1769 135
Il y a dans ce difcours des choſes fort
intéreſſantes& qui répandent un grand
jour ſur toutes les découvertes microfcopiques.
Le but de M. l'abbé Regley paroît
avoir été de donner un précis des
choſes propres à nous mettre fur la
voie de faifir le méchaniſme de la nature
dans la génération des corps organifés
, tant dans le regne animal que dans
le regne végétal. C'eſt ſans doute dans
cette vue qu'il cite les fameuſes obſervations
de Harvey ſur les daims & les biches
du parc de Charles premier , Roi
d'Angleterre , la découverte des organes
des plantes ,& les figures conſtantes qu'affectent
les ſels des végétaux & des minéraux
examinés avec le microſcope. 11
rappelle la folie de ceux qui ont cru y appercevoir
la matiere fubtile de Deſcartes
&les émanations de l'aimant ; il n'oublie
pas non plus l'extravagance de ces obfervateurs
qui ont prétendu demêler dans
chaque animal microſcopique le penchant
& le caractère de l'eſpéce , dans le
chien la vigueur & la force ; dans le liévre,
la foibleſſe& la crainte ; dans le coq ,
le feu , la vivacité , l'andace. » N'a- t- on
>> pas vu Lewenhoeck s'y méprendre , appeller
ſes voiſins & leur montrer avec
>> enthouſiaſme les entrailles d'un bélier ,
MERCURE DE FRANCE.
>>oùde jeunes brebis ne marchoientqu'en
>> troupe , & ſuivoient timidement leur
>>conducteur comme celles qui broutent
>>l'herbe de nos campagnes ?Contentons-
>> nous , dit M. l'abbé Regley , de por-
>> ter nos regards ſur les objets que le mi-
>>croſcope nous rendſenſibles ,& foyons
>> affez ſages pour ne point nous élancer
» au dela...... N'est-ce pas allez pour
> nous de croireque nous nous ſommes
> avancés juſques ſur lesbordsde ce baf-
>>fin où la nature travaille à la premiere
>> formation des corps , & que nous y
>>avons vu nager l'homme & les ani-
>> maux ? Si cette vérité nous reſte , elle
>> doit nous ſuffire » .
La Differtation de M. Spalanzani a
pour objet de combattre le ſyſtême des
forces plaſtiques qui vient d'être renouvellé
par MM. de Buffon & Needham.
l'auteur commence par examiner l'instinct
& les loix que ſuivent les animalcules
microfcopiques , &toutes les formesde
ceux que nous donnent les infuſions des
chairs &desgraines. Dans une infuſion
de graine de citrouille , il a vu des animalcules
s'élancer en tout ſens , fuivre
une ligne droite , ou s'agiter circulairement
, tourner fur eux- mêmes , & fe jerter
avec avidité furde petits morceaux de
AVRIL. 1769. 137
1
matiere: leur forme approchoit de l'ovale,
excepté unpetit bec crochu , & leurs vifcères
n'étoient autre choſe qu'un amas de
véſicules rondes&tranſparentes.
Les animalcules de l'infuſion depetite
camomille avoient plus de volume , &
une plus grande quantité de globules. 11
y en avoit de même dans ceux qu'ont
donnés la patience , le bledde Turquie &
le froment. M. Spalanzani jetta dans l'infuſionquelquesgouttes
d'urine pour déchirer
la pellicule qui leur ſervoitd'enveloppe,
&voir les globules à découvert. Tous
lesanimaux périrent dans des convulfions
étranges&ne préſenterent plusqu'un afſemblage
de petits grains fortis de leur
gouffe; mais ce qui ſurpritbeaucoup notre
obſervateur , cefut d'appercevoir que chacunde
ces êtres , qu'il appelle animaux ,
acquéroitune couronnede filets ou petits
points allongés , ſemblables à des rayons
qui divergent du centre à la circonférence
: ſouvent leur mouvement ne duroit
qu'autantde tems que leur organiſation
ſe trouvoit dérangée par les ſels corroſifs
de l'urine.
Ces petits animaux avoient ſans doute
un mouvement ſpontané ; on les a vus
éviter avec beaucoup d'adreſſe les obſtacles
qui ſe rencontroient dans leur route,
138 MERCURE DE FRANCE.
s'éviter entr'eux , ne jamais ſe heurter
malgré leur nombre , s'obſerver avec
l'oeil , becqueter doucement les parcelles
des végétaux , ſe réunir lorſque le fluide
diminuoit , paſſer du repos à un mouvement
rapide , nager contre l'effort du cou
rant , & changer bruſquement de direc
tion , ſans y être portés par aucune impulſion
étrangere. L'auteur a obſervé que
ces animaux ne ſe montrent jamais en
hiver , à moins que l'athmoſphere de la
chambre ne ſoit plus tempérée que l'air
du dehors. Ils ont beſoin , pour paroître,
d'un certain degré de chaleur ; mais une
fois nés , on peut les expoſer à toute la
violencedu froid.
M. Needham vent qu'il y aitune force
végétative intérieure qui agit en tout tems
fur chaque point de la matiere , & qu'il
ſuffit , pour l'apparition des êtres microfcopiques
, d'exciter cette force , fans cependant
lui laiſſer prendre la route de la
végétation ordinaire , afin de la rappeller
enſuite à la végétation vitale. Les êtres
microſcopiques ſe conforment toujours à
la décompoſitionde la ſubſtance infuſée;
ils ſe propagent par diviſion , & naiſſent
ſouvent par une eſpéce d'accouchement.
Les plus grands diminuent en ſe partageant
, & les petits ſe diviſent juſqu'à
AVRIL. 1769 . 139
د
une diſparition torale; mais les petits, au
lieu d'aggrandir leur volume en prenant
quelque nourriture, font toujours les premiers
à diſparoître. Lorſque ces êtres ſe
diviſent ce n'eſt que pour paſſer alternativement
d'un état de végétation à un
état de vitalité parfaite ; c'eſt affez malà-
propos que l'on veut les claſſer dans le
rang des animaux; il eſt prouvé qu'ils ne
ſe changent jamais en moucherons ni en
chtyſalides ,comme les infectes , & qu'ils
nemeurent jamais comme eux d'une more
naturelle.
Nous ne donnons ici qu'une eſquille
du ſyſtème de Monfieur Needham . C'est
dans l'ouvrage même qu'il faut lite
les détails de ces raiſonnemens philofophiques
& profonds. Nous terminerons
cet extrait par la ſage réflexion de
M. l'abbé Regley , qui ne paroît pas luimême
adopter cette opinion. « On fent
>> bien , dit- il , qu'il ne s'agit ici que d'un
>> ſyſtème , & que tout ſyſtême n'enleve
>> pas néceſſairement les fuffrages. La na-
>> ture ne nous trompe jamais fur les effets
; ce font toujours les cauſes qui
>>nous égarent. Peut-être que la Divini
» té, qui a ſi bien caché le jeu de la grande
>>machine de l'Univers , s'amuſe des ef-
>>forts que nous faiſons pour en conndî
140 MERCURE DE FRANCE.
>> tre les refforts ſecrets , & ritde nos re-
» reurs. Mais erreur ou vérité , cela nous
>> occupe , &nous y mettons de l'impor-
?
>> tatice.>>
L'Iſle de Robinson Crusoë, extrait de l'Anglois
; par M. de Montreille.
Cet ouvrage , annoncé l'année derniere
avec éloge, & qui ne ſe trouvoit alors que
chez Deſaint , libr. rue du Foin , ſe trouvera
encore aujourd'hui chez Brocas , rue
St Jacques ; le Jay , quai de Gevres , & au
Palais-Royal.
Sermons pour l'Avent & le Caréme ; par
M. Jaquin , chapelain de la cathédrale
d'Amiens , des académies royales de
Rouen &de Metz , & honoraire de la
ſociété royale d'Arras. A Paris , chez
Deſaint , libraire , rue du Foin , la premiere
porte cochere à droite , en entrant
par la rue St Jacques ,
2volumes.
in- 12.
Quelques-unsdes ſermons que contient
ce recueil n'ontpas été prêchés;une poitrine
foible , une voix peu étendue forcerent
de bonne heure M. Jaquin à renoncer
au miniſtere de la parole. Il avoit
été élevédans un ſéminaire, où la régle
AVRIL. 1769. 141
obligeoit tous les afpirans au facerdoce à
reciter chaque année un fermon ; elle
leur permettoit de les prendre dans les
recueils imprimés ; il préféra decompoſer
les ſiens ; auſſi - tôt qu'il en eut une
certaine quantité , il commença à prêcher;
lorſque ſa ſanté l'obligea de ceffer ,
il entreprit un ouvrage conſidérable ſous
le titre de l'Esprit de la Religion qui l'occupe
encore. Ses difcours font écrits avec
ſimplicité , avec clarté ,& remplisd'ono
tion.
Hiſtoire littéraire des Femmes françoiſes ,
ou lettres hiſtoriques & critiques contenantun
précis de la vie &une analyſe
raiſonnée des ouvrages des femmes
qui ſe ſont diftinguées dans la littérature
françoiſe; par une ſociété de
gens de lettres.
: Quid fæmina poffet. VIRG. Antid,
A Paris , chez Lacombe , libraire , rue
Chriftine ; s vol. grand in- 89. de plus
de 600 pag. chacun. Prix rel. 25 liv.
Cette collection précieuſe , une des
plus intéreſſantes que la littérature françoiſe
ait encore produires, renferme l'hiftoire
littéraire des femmes françoiſes ,&
142 MERCURE DE FRANCE.
contient tout ce que la délicateſſe de leur
goût& leurs talens agréables leur ont fait
écrire de plus intéreſſant. On nepouvoit
expoſer dans un jour plus favorable les
agrémens de leur eſprit. Nous ferons
connoître plus au long cette collection
qui tient lieu de plus de deux
mille volumes par des analyſes bien faites
de tous les ouvrages des femmes , dont
on retrouvera le coloris , la maniere en
quelque ſorte , le deſſein& les traits piquans
, dans de nouveaux tableaux refaits
& reproduits d'après leurs ingénieuſes
compoſitions.
.an
Garrick ou les Acteurs Anglois , ouvrage
contenant des obſervations ſur l'art dramatique
, ſur l'art de la repréſentation
& le jeu des acteurs , avec des notes
hiſtoriques& critiques , &des anecdotes
ſur lesdifférens théâtres de Londres
&de Paris , traduit de l'anglois. A Paris
, chez Lacombe , libraire,rue Chriftine
1769. vol . in. 8°, de 200 pages ,
broch , 1 liv. 10 f.
Cet ouvrage eſt amuſant & inſtructif.
Il donne l'idée des talens convenables à
un bon acteur. On y trouve auffi beaucoup
de traits , d'anecdotes & de notes
AVRIL. 1769. 143
curieuſes. Nous en parlerons plus en détail.
Ne pouvant placer dans ce volume le
compte que nous nous propoſons de
rendre du nouveau poëme des Saiſons ,
par M. de S. L. , nous croyons au moins
faire plaiſir à nos lecteurs de rapporter à
ce ſujet l'extrait d'une lettre de M. de
Voltaire à M. de la Harpe.
AFerney, ce 10 Mars 1769 .
« L'ouvrage de M. de St Lambert me
>>paroît à pluſieurs égards fort au- deſſus
>>du fiécle où nous ſommes. Ily a de l'i-
>> magination dans l'expreſſion , du tour,
» de l'harmonie , des portraits attendrif-
>> ſans & de la hauteur dans la façon de
>> penſer; mais les Parifiens ſont- ils capa-
>>bles de goûter le mérite de ce роёте ?
>> Ils ne connoiſſent les quatre ſaiſonsque
» par celle du bal , celle des tuileries ,
>> celle des vacances du parlement , &
» celle où l'on va jouer aux cartes à deux
>> lieues de Paris , au coin du feu, dans une
» maiſon de campagne. Pour moi , qui ,
>>ſuis un bon laboureur , je penſe à la St
» Lambert..
144 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLES.
OPERA.
DARDANUS , que l'académie royale de
muſique a repris pluſieurs fois depuis un
très-petit nombre d'années , n'en a pas été
reçu du Public avec moins de plaiſir à
cette repriſe. Poëme , muſique , ballets ,
exécution , tout concourt à l'effet général
de cet excellent ouvrage , vû trop ſouvent
& admiré depuis trop long - tems pour
avoir beſoin d'être analyſé. On n'ignore
pas que les paroles dans lesquelles on
trouve l'énergie de Corneille & les gracesde
Quinault, ſont de la Brüere , & la
muſique de Rameau ; ces noms valent
tous les éloges , & nous nous reftreindrons
à ceux que méritent d'abord
les Directeurs pour le ſoin qu'ils ont
apporté à la repriſe de cet opéra , & à
ceux que nous devons aux talens des acteurs
qui l'ont exécuté. M. Legrosachanté
aux trois dernieres repréſentations le
rôle de Dardanus avec le ſuccès qu'il eſt
accoutumé d'éprouver. M. Larrivée a
rendu avec énergie ceux d'Iſmenor&de
Teucer. M. Gelin a joué avec beaucoup
de
4
.
AVRIL. 1769. 145
de nobleſſe celui d'Antenor ; mais les
fuffrages ſe ſont réunis ſur Mile Arnoult
, qui a rendu celui d'Iphiſe avec
tout le ſentiment que cette excellente actrice
eft capablede faire éprouver.
La danſe , pour cette fois , n'a pas fait
ſeule le ſuccès de l'opéra que nous venons
d'annoncer, mais elle y a beaucoup contribué.
M. Lany a deſſiné les ballets du premier&
du cinquiéme acte,qui ont ététrèsapplaudis
. M. Laval , celui du ſecond ; &
M. Veftris , ceux du troifiéme & du quatriéme
, qui ont paru très- ingénieux . Il a
danſé, ainſi que Mile Heinel , avec beaucoup
de nobleſſe; Mlle Guimard , avec
grace ; Mlle Alard , avec légereté; & l'on
a donné de juſtes applaudiſſemens au talent
diftingué de M. Gardel , ainſi qu'à
MM. Malter , Riviere & Dupré. Meſdemoiſelles
Mion , Dervieux , Duperrai &
Audinot, font chaque jour de nouveaux
progrès .
COMÉDIE FRANÇOISE .
On a remis fur ce théâtre , pendant le
carnaval , le Bourgeois gentilhomme, dont
les repréſentations ont eu le plus grand
fuccès. Le naturel inimitable de M. Pré-
I. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
ville y a beaucoup contribué. Le ballet ,
de la compoſition de M. des Hayes, maître
des ballets de la comédie , différent de
ceux donnés dans la même comédie à la
cour , a beaucoup réuffi , & a été trouvé
très - ingénieux & très- plaiſant.
Ona repris enfin le Siége de Calais , qui a
reçudu Public le même accueil que dans ſa
nouveauté. Cet ouvrage a excité beaucoup
d'enthousiasme& beaucoup de critiques.
La vérité eſt entre les deux extrêmes .
C'eſt au tems à l'établir ; mais nous ne
nous refuferons point au plaifir d'aſſurer
que quel que foit le fort de cette tragédie,
le dévouement du ſecond acte , le
rôle d'Harcourt au cinquiéme , le retour
des dévoués au quatrième , feront des
beautés dans tous les temps &feront honneur
aux talens dramatiques de l'auteur.
On peut dire de lui ,& cette application
n'eſt pas faite pour lui déplaire , ce que
l'académie diſoit de l'auteur du Cid , la
ſeule pièce de théâtre qui ait eu autant de
ſuccès que le ſiége de Calais ; ſi l'auteur
ne doitpas tout àfon génie , il ne doit pas
tout àfon bonheur,
L'ouvrage a été d'ailleurs très- bien
joué. MM. Brizard& Molé ont rempli
les rôles de Saint - Pierre & d'Harcourt
AVRIL . 1769. 147
comme ils méritoient de l'être . Mlle Dubois
a été applaudie dans celui d'Aliénor,
&M. le Kaindans celui d'Edouard.
Avantla repriſedu ſiége de Calais, Mad.
Veſtris a débuté dans le comique par les
rôles de Célimene dans le Miſantrope ,
de la Marquiſe dans la ſurpriſe de l'Amour
, de Nanine & de Mélanide . On a
cru remarquer que l'habitude du tragique,
qu'elle étudie depuis long - tems , avoit
mis un peu de lenteur dans ſon débit ;
mais on y a retrouvé l'intelligence & la
nobleſſe qui la caractériſent ; c'eſt dans la
Surpriſe de l'Amour qu'elle a fait le plus
deplaifir.
M. d'Auberval a prononcé le compliment
de clôture .
COMÉDIE ITALIENNE.
LEE Mal Entendu , canevas en trois actes
que le théâtre italien a donné le vendredi
, 10 Février , eſt un canevas françois &
italien, mêlé de ſcènes écrites , & qui n'a
point été imprimé. Un jeune homme a
vu dans un bal une jeune perſonne dont
il eſt devenu amoureux , & cette paſſion
ſubite le porte à refuſer le parti que ſon
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
pere lui propoſe , & avec lequel il avoit
déjà pris des engagemens ; mais heureuſement
l'objet de ſon amour & celui du
choix de fon pere eſt le même ,&tout fe
paſſe à la fatisfaction commune. Le ſujet
de cette piéce , qui a plus d'une fois été
employé fur le théâtre , ne peut offrir
des ſituations bien neuves & bien intéreſſantes
; mais ſi M. de Pleinchêne , qui
eſt l'auteur de cet ouvrage , n'a voulu
comme il y a toute apparence , que rafſembler
quelques ſcènes plaiſantes , il a
très bien réuffi ; car pluſieurs ont paru
pleines de comique & de gaïté , & même
auroient pu réuſſir dans un tems où la
comédie proprement dite avoit encore
des partiſans à la comédie italienne.
Sur le même théâtre , le Sr Guilminot,
acteur estimé en province , a debuté cependant
ſans ſuccès dans les roles de Colas
des Chaſſeurs & la Laitiere , & de M.
Tue dans On ne s'aviſejamais de tout.
M. Desforges a continué fon debut comme
il l'avoit commencé , c'est - à- dire avec
applaudiſſement ; & fon état n'étant point
encore décidé , il a adreſſé cette ingénieuſe
fable au ſupérieur qui doitdécider
defon fort.
د
AVRIL. 1769. 149
M. le Maréchal - Duc de Richelieu ,
Pair de France , premier Gentilhomme
de la Chambre.
LA VOLIERE. Fable .
Un grand ſeigneur avoit une voliere ,
Mille oiſeaux raſſemblés y recevoient ſes loix ;
Et le flambeau du goût lui prêtant ſa lumiere
L'avoit éclairé dans ſon choix .
Ils avoient chacun leur ramage
Et leurs talens étoient divers .
Chaque jour à leur maître ils en offroient l'hommage
,
Le zèle animoit leurs concerts ,
Des plus tendres accords ils rempliſſoient les airs.
Cette cage formoit le plus doux des ſpectacles.
Arbitre de leurs jeux , il les guidoit en tout ,
Et ſes avis étoient autant d'oracles
Inſpirés par le dieu du goût.
Les heureux habitans de l'aimable voliere
Avoient bien des admirateurs ,
Leurs accens attiroient la ville toute entiere.
« Voyez , diſoient les ſpectateurs :
>>>Quels fons mélodieux ! cette douce harmonie
>> Juſqu'au fondde nos coeurs porte la volupté.
>> Quel accord dans ces jeux ! quelle variété !
>> Du maître de ces lieux tout nous peint le génie;
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
- Aux chants de ces oiſeaux ſon ame s'eſt unie,
> Et c'eſt lui qui , par eux , charme & ravit nos
>> fens. 20
Des eſprits enchantés tel étoit le langage;
Les citoyens reconnoiſſans
Offroient à nos oiſeaux le prix de leurs accens ,
Et par les grilles de la cage
Leur jettoient à l'envi des bonbons , des gâteaux ,
Pour les encourager par ces petits cadeaux ,
Et récompenſer leur ramage.
Un jeune oiſeau charmé de leurs accords
Ne quittoit point la cage , & pour mieux les entendre
Chaque jour à la grille il venoit ſe ſuſpendre :
Là , d'un oeil attentif ſuivant tous leurs efforts :
« Si je pouvois , diſoit-il en lui-même ,
De leur aimable maître amuſer les loiſirs ,
>> Que mon bonheur ſeroit extrême ,
>> Comme eux je ſens bien que je l'aime ,
>> Ne puis - je travailler comme eux à ſes plaiſirs. »
Enfin le maître un jour , au gré de ſes defirs ,
Ordonna que pour lui la cage fût ouverte.
Quel moment ! .. ſon coeur bat... vingt fois en
chancelant,
Il approche , & vingt fois il recule en tremblant..
Aſes regards s'il voit la gloire offerte ,
Il craint en même tems de courir à ſa perte;
Le zèle enfin l'emporte , & ſa bouillante ardeur
Du péril à ſes yeux dérobe la grandeur ,
AVRIL. 1769. ISI
D'une aîle moins timide il vole dans la cage ,
La troupe des oiſeaux l'excite , l'encourage ,
Et bientôt plus audacieux ,
A leurs concerts harmonieux
Il cherche à mêler ſon ramage ;
Avec peine la voix ſecondoit ſes tranſports ;
Mais en faveur de ſon jeune âge
On lui ſçût gré de ſes premiers efforts .
L'indulgente aſſemblée eſpéra que l'uſage
Deſon foible goſier formeroit les refforts .
Quedevint cet oiſeau ? ſon ſort eſt un inyſtere
Qu'on n'a point encor pénetré ;
C'eſt par vous ſeul qu'il peut être aſſuré ,
Vous, detous les talens le ſoutien &le pere ,
Ami de tous les arts , ſouverain éclairé
De la trop heureuſe voliere.
Du jeune oiſeau , ſi la timide voix
N'a pas encore acquis ſa force toute entiere ,
Daignez le ſoumettre à vos loix .
Cet oiſeau qui ne pouvoit rendre
Que de foibles accens & des ſons imparfaits
Pour célébrer ſon maître & chanter ſes bienfaits
Sçaura bientôt ſe faire entendre.
ParM. Desforges.
Les comédiens Italiens , toujours empreſſés
de mériter parde nouvelles preuves
de leur zèle l'accueil qu'ils reçoivent
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
du Public , ont redoublé leurs foins pour
terminer l'année par une nouveauté qu'ils
prévoyoient ne pouvoir manquer deplaire
au Public , & leurs efforts ont réuffi.
Le Déserteur , comédie en trois actes
mêlée d'ariettes, a réuni à la deuxième répréſentation
, les ſuffrages qui paroifſoient
avoir été partagés à la premiere .
L'intérêt que l'on ne peut s'empêcher d'éprouver
à la repréſentation de ce drame
lyrique , a fait oublier les défauts légers
qu'on avoit pu lui reprocher. Le ſentiment
déſarme facilement la critique , &
les armes tombent toujours des mains du
cenſeur , lorſque les larmes coulent de
ſes yeux. En attendant que l'impreſſion
nous mette à portée de rendre comptede
cette piéce intéreſſante , nous rendrons
juſtice aux talens des acteurs qui l'ontrepréſentée.
Madame Laruette & M. Caillot
ont rendu leurs rôles avec le pathétique
ſimple qui convient au ſujer ; M.
Trial a rendu un rôle de Niais avec beaucoup
de naïveté ; & M. Clerval a fur- tout
joué celui d'un Dragon avec une vérité&
une gaïeté grivoiſe qui a beaucoup contribué
au ſuccès de la pièce. Les paroles
font de M. Sedaine , & la muſique de
M. de Monfigni ; l'un & l'autre également
AVRIL. 1769. 153
connus par l'union de leurs talens , de
leurs productions&de leurs ſuccès.
Selon l'uſage établi, le théâtre italien
a fait ſa clôture par un compliment ; c'eſt
comme le dit l'auteur lui-même , une tâche
qui devient chaque jour plus pénible
, & qui feroit encore plus difficile à
remplir a l'on en ôtoit les mots de zèle
& d'indulgence , de langage du coeur &
dereconnoissance , &c. Le ſeul moyen d'y
mettre de la variété , c'eſt de rappeller au
Public les piéces qu'il a accueillies pendant
l'année , & c'eſt le parti qu'a pris
M. Anſéaume. Il fait reſſouvenirdu mariage
caché & d'Abdolonime qu'on auroit
pu oublier ; mais ce n'eſt pas dans la
même crainte qu'il rappelle le Huron &
Lucile.
AIR: Quand le péril eft agréable.
Ces deux enfans des mêmes peres
Ont eu le ſort le plus heureux ,
Puiſſent- ils au gré de nos voeux
Avoir beaucoup de freres.
:
M. Clerval qui , pendant tout le compliment,
a foutenu le ton grivois de ſon
rôledans le déſetteur , follicite la bienveillance
du Public pour cette piéce.
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
AIR : Et j'y pris bien du plaiſir.
Dans la derniere difgrace
Plongé par excès d'amour ,
Le déſerteur a ſa grace ,
Confirmez- ladans ce jour :
Pour ceux que l'amour égare ,
Les coeurs ſont toujours ouverts ,
Que votre bonté répare
Tous les maux qu'il a ſoufferts.
Le compliment ne pouvoit finir d'une
maniere plus intéreſſante que par ces
vers recités par l'actrice qui fait éprouver
le plus d'intérêt. Madame Laruette les
adreſſe au Public , & lui dit :
Parmi nous la muſe lyrique ,
Humble dans ſon début , n'oſoit prendre l'efior ;
Aux jeux de la ſcène comique
Tout ſon art ſe bornoit encor.
Ces jeux ſembloient vous fatisfaire ,
Mais ne nous fatisfaifoient pas ;
Car l'ambition de vous plaire
Croît & redouble à chaque pas ;
C'eſt en nous un defir qui jamais ne repoſe ;
S'il va trop loin , s'il nous expoſe ,
Meſſieurs, je vous le dis tousbas
Yous en êtes un peu la cauſe
AVRIL. 1769. 155
Des ſuccès nous ont fait prévoir ,
D'autres ſuccès encor poſſibles ,
Vous nous portiez des coeurs ſenſibles
Et nous avons cherché l'art de les émouvoir :
Quel plaifir de voirdans les loges
Debeaux yeux ſe mouiller de pleurs ;
C'eſt le vrai fuffrage des coeurs ,
Et c'eſt le plus doux des éloges.
Avec cette émulation
Par qui le talent ſe déploie
De la douleur & de la joie
Nous avons eſſayé la double illufion
Dans le Huron & dans Lucile .
D'heureux talens nous ont ſecondés à ſouhait ;
Dans Alexis nous avons fait
D'un contraſte plus fort l'eſſai plus difficile.
Varier vos plaiſirs pour les renouveller ,
Voilà notre méthode , elle eſt un peu hardie ;
Mais c'eſt ce qu'on peut appeller
Le ſecret de la comédie.
Nous vous leconfions , daignez nous raſſurer ,
Et du zèle qui nous inſpire ,
Laiſlez- nous encore eſpérer
De réunir pour vous au doux plaiſir de rire
Le plaifir plus doux de pleurer.
:
:
:
Le compliment finit par un chooeur général.
Il eſt de M. Anféaume, ſecrétaire de
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
la comédie italienne , & a été fort applaudi
.
Les Comédiens Italiens ont donné un
exemple de reconnoiſſance & de ſentiment
, qui doit être rapporté. Ils ont fait
un réglement par lequel , dans la vue de
récompenfer & d'encourager les talens
diftingués qui ont contribué à la gloire
& au ſuccès de leur Théâtre , ils ont accordé
deux penſions viageres de huit cens
livres chacune . La premiere de ces penſions
a été donnée à M. Favart , Poëte
célèbre& auteur d'un grand nombre de
piéces agréables ; la ſeconde a été donnée
à M. Duni , illuſtre Compoſiteur de
Muſique.
Les applaudiſſemens bien mérités que
réunit aujourd'hui la partie du chant au
Théâtre Italien , ne sçauroient empêcher
le tribut de reconnoiſſance due par le public
, toujours juſte , à un antre genre
énervé par le découragement des Auteurs.
Il eſt plus commode d'aſſervir ſon génie
à celuid'un muficien habile , preſquetoujours
fûrde réuſſir,quede courirles hazards
de rivalité avec les Deliſle , les Boiffi ,
les Marivaux . Cette branche que nous
avons vu à regret ſi négligée ſur la ſcène
Italienne , va faire à la clôture du Théâ
AVRIL. 1769. 157
tre une perte réelle. Madame Riviere ,
connue par les charmes d'une danſe vive
&légere , & par l'heureux don d'exprimer
naturellement les rôles ſi honnêtes
d'Angelique dans la Mere Confidente ,
&de Mélite dans la nouvelle Ecole des
femmes , vient de demander ſa retraite.
Quelque célébrité qu'elle ait acquiſe par
ſes talens , elle eft devenue plus digne
d'éloges par des moeurs irréprochables ,
unies à tout ce qu'il falloit d'agrémens
pour la faire aimer & reſpecter.
:
FOIRE SAINT - GERMAIN.
On a été s'amufer aux Comédiens de
bois dont le fleur Audinot étoit le compere.
Ces petites Marionnettes parodioient
quelques acteurs connus ,& le ſpectateur
entendoit à demi-mot la critique qui faiſoit
rire ſans nuire aux talens que l'on
aime & que l'on admire. Des enfans
aimables & intelligens ont fait , par leur
Pantomime , le principal_agrément de
ce ſpectacle .
Les Fêtes Foraines des ſieurs Ruggieri
ont attiré beaucoup de monde. On a vu
avec plaiſir l'ordonnance de ce lieu d'af158
MERCURE DE FRANCE.
ſemblée , conſiſtant en une grande Salle
de forme ovale , environnée de gradins ,
accompagnée de Salons , & de deux galeries
, l'une au-deſſus de l'autre ; d'où
l'on voyoit les danſes & les ſpectateurs .
Une illumination bien variée & bien
diftribuée , des ornemens galans , des
glaces multipliées & ornées de peintures
; des cafés , de petites boutiques garnies
de bijoux & de tableaux,une muſique
répandue dans les Salles où l'on pouvoit
danſer ; tout donnoit à ce Spectacle un
air de fête & d'enchantement.
Bifon ou Beuf boffu. Cet animal étoit
aux yeux des Naturaliſtes ce que la Foire
offroit de plus curieux . Le Biſon reſſemble
au boeuf ordinaire, pour la forme principale
du corps & pour la grandeur ; au
cheval & au Lion pour la criniere. Son
corps eft couvert d'une eſpèce de laine
rouifatre , & le col , les épaules & le
deſſus de la gorge , font garnis de poils
très- longs. Ceux de fon col ſe recourbent
fur la tête & lui forment une forte de
bonnet.Son dosest chargéd'une boſſe, affez
ſemblable à celle du chameau. Sa tête eſt
courte , ſes yeux font grands , ardens ,
menaçans; ſon front eſt large. Il a les
cornes pointues & recourbées , fort éloiAVRIL.
1769. 159
gnées l'une de l'autre , la langue rude ,
longue & noire , dont il forme une efpèce
de crochet pour haper ce qui ſe
préſente à lui. On prétend que cet animal
eſt indomptable ; & quoique ſur
desjambes très courtes, il eſt plus prompt
à la courſe que le Taureau domeſtique.
Celui qu'on voyoit à la Foire , vient des
Déſerts de l'Amérique , où cette eſpèce
eſt fort commune ; il peut avoir cinq ans.
Il a dix pieds de long , fix &demi de haut
par devant , y compris ſa boſſe , & quatre
pieds & demi par derriere. On affure
qu'il peſedix-huit cents , & qu'il mange
parjour so livres de foin & 12 liv. de
pain . Cet animal , dit M. Bomare , peut
être regardé comme une variété de l'Aurochs
qui eſt le Taureau ſauvage ; &
cette boffe du Biſon , ainſi que celle de
toutes les eſpèces de boeufs boffus , n'eſt
qu'une excroiffance , une eſpèce de loupe,
un morceau de chair tendre . Il y a
de ces boſſes qui peſent juſqu'à 40 ou so
livres. Voyez le Dictionnaire d'Histoire
Naturelle , par M. Valmont de Bomare ,
chezLacombe libraire rue Chrifline.
160 MERCURE DE FRANCE.
I.
Ecole Royale Vétérinaire de Paris.
LE 28 Février , un nouveau concours ,
dont l'objet a été les muſcles du cheval
conſidérés en général & en particulier , a
prouvé tout le zèle des éleves de l'école
royale vétérinaire de Paris , & l'ardeur
avec laquelle ils ſe livrent à l'étude de
l'art qu'ils doivent embraſſer. M. Bertin ,
miniſtre & ſecrétaire d'état , a préſidé à
cette ſéance , qui a été honorée de la préfence
de pluſieurs perſonnes de confidération.
Dix éleves ont été entendus ; ce font
les Sieurs Godin , maréchal de logis dù
régiment dragons d'Autichamps ; Plantier
, dragon de la légion de Hainault ;
Weber , entretenu par S. A. E. de Saxe ;
Lacueille , du Perigord ; Lamaniere
Maillard & Garnier , tous trois de la généralité
d'Amiens ; Genfon entretenu
par l'Ecole Royale militaire ; Genfon
par M. Poulletier de Périgny , Bruyere ,
par M. l'intendant de Dombes.
,
,
,
AVRIL. 1769 . 161
L'aſſemblée a témoigné la plus grande
ſurpriſe de la préciſion avec laquelle chacund'eux
a démontré celles des parties qui
lui font échues par le fort; néanmoins
elle ajugé que les Sieurs Weber & Godin
méritoient le prix , qui a été délivré à ce
dernier , le Sieur Weber étant plus que
fatisfait de l'honneur qu'il s'étoit acquis;
les Sieurs Maillard , Lacueille , Plantier
&Lamaniere ont obtenus l'acceffit. Les
applaudiſſemens donnés aux autres en exciteront
fûrementde plus en plus l'émulation.
II.
Ecole royale vétérinaire de Lyon.
Lejeudi 2 Mars , les éleves de l'école
royale vétérinaire de Lyon , au nombre
de ſept , furent admis à un concours dont
l'objet fut l'hippoſtéologie & la myologie
du cheval ; M. l'intendant y préſida.
Ces éleves font les nommés Arnaud ,
de la généralité de Lyon ; Damalix &
Arquinet , de la province de Franche-
Comté ; Laborde & Leger , de la généralité
de Bordeaux ; Pariſor , du Canton
de Berne , & Contier , chef de forge ,
entretenu par l'école .
Pluſieurs des plus célébres chirurgiens
162 MERCURE DE FRANCE.
de cette ville ont aſſiſté à cette ſéance
& ont jugé eux - mêmes des efforts des
éleves.
Les nommés Laborde , Damalix, Contier
&Arnaud ont également mérité le
prix ; le fort en a favorisé le premier.
L'acceffit a été accordé aux nommés
Leger & Arnaud.
L'aſſemblée a paru très - fatisfaite , &
il paroît que les deux écoles vétérinaires
dûes à un miniſtre qui n'eſt animé que du
bien général , ſe diſputent à l'envi l'honneur
d'obtenir les fuffrages du Public ,
foitdans ces fortes de concours , ſoit dans
le traitement des maladies des animaux
qui font l'objet de leurs études.
III.
Vienne.
La ſociété économique de laBaſſe Au,
triche , établie ſous les auſpices de l'Impératrice
Reine , propoſe un prix extraordinaire
de so ducats pour le meilleur ouvrage
fur ce ſujet: Quelsfont les moyens
les meilleurs & les plus prompts de partager&
d'améliorer les communes de laBaffe-
Autriche , eu égard à la fituation , à la
qualité dufol & au plus grand avantage
AVRIL. 1769. 163
de l'agriculture ? La même ſociété propoſe
un pareil prix extraordinaire qui ſera
accordé par Sa Majeſté Impériale &
Royale pour le meilleur ouvrage fur ce
fujet : De quelle maniere on peut le plus
efficacement rétablir la culture des vignobles
de la Baffle - Autriche négligés en partie;
en faisant cependant bien attention
aux côteaux & aux terreins qui font propres
à la meilleure qualité de vignes , &
fans préjudicier à l'agriculture ni auxpáturages
des beftiaux.
I V.
Laubach.
La ſociété royale d'agriculture & des
arts , établie en cette ville , propoſe pour
ſujet du prix qu'elle diſtribuera cette année
les trois queſtions ſuivantes : 1º. Si
l'on peut espérer ou non l'avancement &
l'augmentation de l'agriculture , des arts &
manufactures , & le maintien d'une fûre &
bonne police , dans unpays où ſouvent tel
territoire à portée du domaine ſeigneurial
eſtſujet à d'autres jurisdictions ſupérieures
qui en font éloignées d'une journée , & où
d'ailleurs on compte quelquefois dans un
village autant de jurisdictions qu'il s'y
164 MERCURE DE FRANCE.
trouve de maiſons : 2º . De quelle maniere
on pourroit le plus aisément & le plus
promptement parvenir àfaire des échanges
deſemblables territoires , & à les réunir au
domaine le plus voiſin de leur fupérieur
principal ? 3 °. De quelle maniere & par
quels moyens on pourroit , après les avoir
concentrés , les maintenir pour toujours
dans cet état. Le prix ordinaire n'eſt que
de trente- fix ducats ; mais la ſociété y en
ajoutera cinquante , en conſidération de
l'importance de ces queſtions.
ARTS.
GRAVURE .
L'homme condamné au travail. Estampe
d'environ 22 pouces de haut fur 16
de large , gravée par S. H. Thomaffin ,
d'après le tableau original de Dominique
Féti , qui ſe voit dans les appartemens
du Roi , au Luxembourg. A
Paris , chez L. Cars , graveur du Roi ,
rue S. Jacques , vis-à -vis le College du
Pleffis , 6 liv .
THOMASSIN mort en 1741 , a gravé
dans le plus grand ſtyle , & l'eſtampe que
AVRI L. 1769 . 165
nous annonçons eſt une de ſes piéces capitales.
On ſe rappellera en voyant cette
belle eſtampe ce paſſage de Job : Homo
nafcitur ad laborem , l'homme est né pour
le travail. Cette eſtampe étoit devenue
rare parce qu'un amateur en conſervoit
la planche depuis plus de douze ans ſans
en faire aucun uſage. Cette planche trèsbien
confervée , a encore toute ſa fraicheur;
& les épreuves que M. Cars vient
d'en tirer font de la premiere beauté.
MUSIQUE.
I.
Six Sonates pour la harpe avec un accompagnementde
violon, ad libitum; dédiées
à fon A. Mgr. le Prince Louis de Rohan ,
Coadjuteur de l'Evéché de Strasbourg ,
compofées par Francesco Petrini , OEuvre
I. prix 9 liv. à Paris chez M. Couſineau ,
Luthier & marchand de muſique , & aux
adreſſes ordinaires de muſique ; à Lyon ,
chez les marchands de muſique.
I I.
Sonates ou piéces de Clavecin , avec
accompagnement de violon , ad libitum ;
166 MERCURE DE FRANCE.
dédiées à Madame Deſprez , compoſées
par M. Pouteau , organiſte de S. Jacques
de la Boucherie , & du Prieuré Royal de
S. Martin des Champs. Prix 12 liv. à
Paris chez l'Auteur , rue de la Planche-
Mibrai à l'Image Notre- Dame , & aux
adreſſes ordinaires ; à Lyon chez les freres
Legoux place des Cordeliers , & Caſtaud
-place dela Comédie.
III .
Les petits oiſeaux , Ariette avec ſymphonie
, dédiée à Mademoiselle de Sorel
, par M. Greffet ; prix 1 liv. 4 fols ;
à Parriiss ,, chez M. Bailleux maître de muſique
, rue S. Honoré , à la régle d'or .
IV.
Suite des Confeils d'un pere àsonfils , fur
laMufique.
DE L'HARMONIE.
Cette ſcience eſt ſi connue , ſi développée
, tant d'Auteurs en ont écrit , que
je ne répéterai point ce qu'on a dit à ce
fujet. Il me fuffira de dire que nous devons
à Pithagore les ſix premieres diviſions de
la corde dont les trois dernieres diviſions
4 5
6
ut mifol ,, nous donnent l'accord parfait
majeur avec leurs conſonances. Cer ac
AVRIL. 1769. 167
cord étant compoſé de deux tierces , l'une
majeure , l'autre mineure ; la premiere
eſt le principe du ton majeur , & la feconde
du ton mineur. On ignore ceux qui
ont ajouté au deſſus de la quinte de l'accord
parfait majeur , une tierce mineure
qui fait la ſeptieme dont les différens arrangemens
produiſent les diſſonances
majeures . Il y a lieu de préſumer qu'on
doit la neuvieme & l'accord de quarte &
quinte , à la ſuſpenſion des agrémens
dont le chant eſt ſuſceptible . Les Italiens
ont trouvé la ſeptieme diminuée , dont
les différens arrangemens produiſent les
diffonances mineures. On leur doit auſſi
la ſeptieme ſuperflue & la fixte ſuperflue;
accords qui ne ſe renverſentpoint , ainſi
que ceux deneuvieme,& dequarte & quinte.
Cet abrégé qu'un Compoſiteur doit
entendre renferme toute l'harmonie; il
ne s'agit que d'en ſavoir faire uſage , en
plaçant chaque accord en conféquence
des objets qu'on veut peindre. C'eſt ce
que je tâcherai d'expliquer dans la ſuite
Avant de manier l'harmonie , il faut
en avoir une parfaite connoiſſance ; plus
on la retourne , plus on y découvre de
beautés . Ainſi qu'on affemble des fleurs
pour former un bouquet brillant , de
-
168 MERCURE DE FRANCE.
même formez un aſſemblage d'accords
pour peindre les divers ſentimens. L'art
confiſte non ſeulement dans la parfaite
connoiſſance de l'harmonie ; mais encore
dans l'arrangement ingénieux qu'on lui
donne ; c'eſt par la diverſité des traits &
des deſſeins que la combinaiſon devient
immenfe , & qu'on peut tout exprimer.
Quoique chaque Auteur ait ſa maniere
de coucher l'harmonie , la meilleure façon
eſt celle qui peint le mieux , & dont
le renverſement ne produit pointde faute.
Pour que tout ſoit dans un ordre précis
, & dans un arrangement parfait , il
faut porter juſqu'au ſcrupule la délicateſſe
de placer les notes ; ainſi qu'un Architecte
habile après avoir fait ſa diſtribution,
fait tracer dans les plus juſtes
proportions les différentes parties qui
compoſent ſon plan , de même un bon
compoſiteur , après avoir bien réfléchi
fur chaque morceau de ſon ouvrage ,
doit ſavoir la poſition que chaque defſein
, chaque trait & chaque note doit
avoir , ſoit dans les deſſus, hautes- contres
, tailles , baſſes ou ſymphonie , pour
qu'elles concourent toutes à l'expreffion
de ſes idées . Il n'eſt point indifférent de
les placer dans une partie plutôt que dans
l'autre
AVRIL. 1769. 169
l'autre. Pour ne pas s'y tromper , il n'y
qu'à confulter l'effet. Quoique la mufique
foit faite pour charmer l'oreille , il
faut encore qu'elle plaiſe aux yeux pour
qu'elle puiſſe ſervir d'étude aux Elèves.
Ce n'eſt que dans les morceaux bien faits
qu'ils peuvent s'inſtruire de la belle maniere
de coucher l'harmonie .
Du Chromatique.
Ce genre eſt une ſuite de demi-tons
ſucceſſifs , qu'on peut faire monter ou
deſcendre felon le ſentiment que les paroles
exigent : il eſt ſuſceptible de beaucoup
d'accords diſſonans de ſuite. Il ne
peut avoir lieu que dans les tons mineurs.
Les Grecs le trouvèrent enplaçant des
cordes intermédiaires ſur celles de la
lyre , ce qui diviſa l'octave en douze
demi-tons. Ce genre eſt très beau &
propre à exprimer par un mouvement
lent, la triſteſſe , la crainte , le trouble ,
l'abbattement , le déſeſpoir, le ſaififfement
, l'horreur , &c. Ainſi que dans un
mouvement rapide , l'agitation , la jalouſie
, la colere , la fureur , la vengeance
, &c. Il produit une grande variété
dans la muſique , & même quoique
I. Vol.
H
170 MERCURE DE FRANCE.
dénué de chant , il eſt encore admirable
quand on le traite bien , &qu'on le place
à - propos .
PATRIOTISME.
Lettre de M. le Chevalier de Lorry , Lieu
tenant Colonel du Régiment d'Auvergne
, écrite à M. de Voltaire , au sujet
de M. le Chevalier d'Affas , Capitaine
audit Régiment , à Strasbourgle 14
Octobre 1768 .
M. Vous aimez les belles actions , &
perſonne n'eſt plus capable que vous d'en
faire éclater larenommée , & de les transmettre
à la poſtérité avec toute la gloire
& la réputation qui leur appartiennent : en
voici une authentique & digne d'une
grande célébrité , qui cependant eft malheureuſement
tombé dans l'oubli .
Au combat de Cloſtercamp , M.
d'Allas Capitaine dans le Régiment
d'Auvergne , s'étant avancé pendant la
nuit pour reconnoître le terrain , fut
ſaiſi par des grenadiers ennemis embufqués
pour ſurprendre notre armée ; ces
grenadiers l'entourent & le menacent de
AVRIL. 1769 . 171
le poignarder ſur le champ s'il fait le
moindre cri qui puiſſe les faire découvrir,
M. d'Alfas fous la pointede vingt bayonnettes
ſe dévoue , crie d'une voix généreuſe
, à moi , Auvergne , cefont les en.
nemis , & tombe à l'inſtant percé de cent
coups . On ſçait que le Régiment d'Auvergne
ſoutint le premier effort des ennemis
, les repouffa , & qu'il s'enfuivic
une victoire complette .
L'hiſtoire de ces Romains qui étoient
furs d'obtenir des ſtatues couronnées ,
fournit elle une action plus grande &
plus glorieuſe que celle ci . L'Europe &
la poſtérité l'ignoreront elles? Non, Monſieur
, vous la célébrerez , vous en illuftrerez
votre nation , & le brave corps de
l'eſprit duquel elle eſt émanée : nous ne
la furpaſſerons pas , mais nous nous piquerons
de l'égaler&d'en fournir encore
de ſemblables dans les faſtes de l'histoire
de France ; heureux les ſiécles , heureuſes
les Nations qui produifent en même
tems des Agricola & des Tacite , des
Alfas & des Voltaire , & c.
* Le nom de d'Aſſas appartient à une des plus
anciennes familles de Languedoc , & qui , depuis
pluſieurs fiécles , s'eſt toujours diftingué par de
belles actions pour le ſervice du Roi & de la patric,
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
:
Réponse de M. de Voltaire .
Au Châteaude Ferney , le 26 Octobre 1768 .
M. je vous aurois remercié ſur le
champ, ſi mon âge & mes maladies me
l'avoient permis. Je ſuis bien affligé de
de n'avoir pas ſçu plutôt l'étonnante action
qui doit immortaliſer votre Régiment
& la mémoire de M. d'Affas . Je
n'aurois pas manqué d'en parler dans le
fiécle de Louis XIV & de Louis XV ,
que l'on vient d'imprimer ; j'en ſuis ſi
touché que je vais faire une addition qui
fera envoyée à tous les Libraires qui débitent
ce livre. Je ne veux point mourir
fans avoir rendu juſtice à un homme mort
ſi généreuſement pour la patrie .
ANECDOTES
De Dufresny.
Un des plus grands diffipateurs qui
ayent jamais été au monde , a été Dufresny
de la Riviere , auteur du Mercure ,
de pluſieurs Comédies , & des amufe
AVRIL. 1769. 173
mens ſérieux & comiques. Sa vie a été
un mélange de haut & de bas ; on l'a vu
à Paris dans un petit équipage leſte & galand
, le lendemain il couroit à pied toute
la ville ; l'or du Pérou n'auroit pas fuffi à
ſes profufions. Il étoit undes trois particuliers
que Louis XIV diſoit qu'il ne pouvoit
enrichir. Ce grand Prince lui affigna
un jour deux mille écus , pour une courſe
qu'il lui fit faire du camp de Compiegne
où laCour étoit pour lors , à Paris. Quand
Dufresni eut touché cetteſomme , il courut
chez un ami du même caractere que lui ;
ils tinrent conſeil entr'eux fur ce qu'ils feroient
de cet argent; & après de mures délibérations
, ils arrêtèrent qu'ils ſe feroient
habiller tous les deux , & que le ſurplus
ſeroit employé à faire un repas dont il
feroit parlé. Leurs emplettes faites , ils
allèrent chez un fameux Traiteur à qui
ils ordonnèrent de leur tenir prêts pour
lelendemain matin, uneprodigieuſe quantité
d'oeufs frais , so épaules de veaux , &
une centaine de carpes. La fingularité de
cette demande ſurprit le traiteur , il ne
put s'empêcher de rire , &de leur demander
s'ils vouloient traiter tout un
Régiment. Dufresni lui répondit l'argent
à la inain de ne s'embarraffer de rien.
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
Le traiteur envoya dès la pointe du jour
aux barrières acheter tous les oeufs frais
dont il avoit beſoin , il ſe munit auffi des
épaules de veau & des carpes qu'on lui
avoit demandées. Dufresny & fon ami
ſe rendirent chez le traiteur à l'heure
dite. Ils ſe firent faire un potage de petit
lait des oeufs frais; ils ne prirent des
épaules de veaux qu'un petit morceau délicat
qu'on appelle la noix , & des carpes
que les langues , dont on leur fitun ragout
au coulis de perdrix & d'écreviſſes. Ils
firent donner aux pauvres le furplus des
carpes & des épaules de veaux .
On dit de cet auteur , qu'il devoit un
jour trois cens livres à ſa blanchiſſeulle
qui lui dit qu'elle ne fortiroit pas de chez
lui qu'il ne l'eut payée. Comme il avoit
dans Paris plus de maiſons que le zodiaque
; voila la clef, lui dit- il , quand tu
feras laffe de refter ici , tu t'en iras ; pour
moije n'y reviendrai de huitjours ; mais,
ajouta- t - il , voyant que cette femme
s'emportoit , tu n'as pas coutume de me
preffer ainfi. C'eſt qu'il me faut de l'argent
, lui répondit elle , je me marie .
Comment, repliqua Dufresny, tu te maries
avec cent écus ? J'ai encore reprit- elle ,
deux mille ſept cent livres argent comp
AVRIL. 1769. 175
tant. Et qui épouses tu , interrompit Dufresny
, avec ces trois mille livres argent
comptant ? Un laquais répondit la blanchiffeuſe.
Unlaquais , répartit Dufresny :
apporte moi tes deux milleſept cent livres,
je vaux mieux qu'un laquais , & je t'épouferai,
moi. Elle accepta l'affaire ,& l'hiftoire
n'ajoute pas s'il fût fatisfait d'un
pareil mariage.
ELOGE HISTORIQUE
De M. DE CHEVERT.
FRANÇOIS DE CHEVERT , né à Verdun
fur Meuſe , le 2 Février 1695 .
(1) Lieutenant au régiment de Carné
infanterie , le 8 Août 1706 .
Lieutenant au régiment de Beauce ind
fanterie , le 1 Décembre 1711 .
Capitaine , le 17 Septembre 1721 .
Major , le 1 Mars 1728 .
Chevalier de l'Ordre de St Louis , le
premier Novembre 1732 .
Lieutenant - Colonel du même régiment
, le premier Août 1739 .
Η iv
176 MERCURE DE FRANCE.
Brigadier d'infanterie , le 15 Décembre
1741 .
Maréchal de Camp , le 2 Mai 1744 .
Lieutenant - Général des armées , le 10
Mai 1748 .
Commandeur de l'Ordre de St Louis ,
le 28 Mars 1754.
Commandeur Grand Croix du même
Ordre au mois de Décembre 1757 .
Chevalier de l'Aigle Blanc de Pologne,
le 2Décembre 1758 .
Gouverneur de Belle Iſle , le 12 Juin
1759 .
Gouverneur de Givet & Charlemont
par remplacement du premier gouvernement
, le premier Août 1761 .
Telle a été la carriere que M. de Chevert
a parcourue , &qu'il a terminée le 24
Janvier 1769 , dans la ſoixante - quatorziéme
année de ſon âge .
Deſtiné en naiſſant aux honneurs obf
curs des fonctions municipales , ou peutêtre
au miniſtere de la juſtice dans les
tribunaux fubalternes , rien ne ſembloit
l'appeller à l'état militaire ; mais une im:-
pulſion naturelle , une eſpéce d'inſtinct
qui annonce toujours le talent , quand il
eſt marqué à un certain point , l'entraîAVRIL.
1769. 177
ne malgré lui, & ceux que la loi a nommés
pour lui tenir lieu de pere & de mere qu'il
avoit perdus , cédent enfin à ſes inſtances .
En entrant dans la carriere , il en mefure
des yeux l'étendue immenfe , ſans en
être effraïé ; l'éloignement preſqu'infini
du dernier terme , loin de rallentir fon
courage , enflamme ſon jeune coeur ; cependant
il ne voit point ſuſpendus dans
la lice les écuſſons de fa maiſon ; il n'apperçoit
ni les trophées,ni les ſtatues deſes
ayeux ; nul guerrier de ſon ſang pour le
guider , le protéger , lui applanir la route,
lui abréger le chemin : fans ſecours , ſans
appui , c'eſt à ſa valeur , c'eſt à ſa fermeté à
braver tous les dangers &à ſurmonter tous
les obſtacles.
Il eſt vrai que ſes qualités naturelles ,
qui ſe développerent avec l'âge , & que le
tems perfectionna , annonçoient déjà ce
qu'il devoit être un jour.
A une taille avantageuſe & bien proportionnée
, il joignoir une phyſionomie
intéreſſante , également douce & fiere ;
une pénétration vive , un jugement ſain;
un amour de la gloire , diſons- le , puifque
les moyers en furent toujours honnêtes
, une ambition qui détruifit ou domi.
na ſes autres paſſions; une conſtance &
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
une tenue qui rien ne laſſoit ; plus capable
de ſe roidir contre les difficultés que
de ſe plier aux circonstances ; brave , entreprenant,
audacieux; d'une vivacizé, d'une
impétuoſité ſans égale ; mais pour en
modérer les effets , ou pour en réparer les
écarts , la nature avoit mis en lui une ame
droite , pleine de bonté & d'humanité ;
un coeur ſenſible , pour qui l'amitié fut
roujoursunbeſoin : obligeant,bienfaifant,
aimant à rendre juſtice aux autres ; ſe la
rendant librement à lui- même , d'une fincérité
& d'une franchiſe que l'équité ne
pouvoit condamner , mais que la prudence
n'approuvoit pas toujours ; fans art ,
fans déguiſement, parce qu'il n'avoit point
de vues à cacher, ni de qualités eſſentielles
àfeindre ou à ſuppléer.
Apeine s'étoit- il fait connoître dansle
régiment de Carné , que les officiers d'un
corps qui avoit plus de conſiſtance , voulurent
ſe l'attacher; comme ſi dès-lors on
avoit prévu combien il devoit contribuer
un jour à la célébrité du régiment de
Beauce . L'eſprit d'ordre & d'arrangement,
une application ſuivie à l'étude de la tactique
le mirentbientôt en état d'inſtraire,
de former ce régiment; d'en faire , pour
ainfi dire , un nouveau corps dontil étoit
AVRIL. 1769 . 179
,
l'ame; il le porta àun tel point dediſcipline
& de tenue , d'obéiſſance & d'émulation ,
d'aiſance & de fierté dans le maintien
d'agilité & d'enſemble dans la marche ,
de preſteſſe dans les mouvemens , de célérité
& de préciſion dans les manoeuvres
, que les autres corps ſe firent gloire
de l'imiter ; il ſervit d'exemple , ſans
avoir eu de modele , & l'éloge commence
àlui .
Il étoit parvenu à la tête du corps , lorfque
l'Electeur de Baviere, avec vingt mille
Saxons & Bavarois , joignit l'armée de
France , en prit le commandement & marcha
vers Prague au mois de Novembre
1741. Le régiment de Beauce ſervoit
d'eſcorte à l'Electeur ; le comte de Saxe
connut pendant la marche tout le mérite
du lieutenant - colonel ; il lui confia fon
plan pour s'emparer de la capitale de la
Bohême.
Les François & les Saxons donnent l'affaut
, & tandis que le bruit de leur attillerie
attire de leur côté la plus grande
partie de la garniſon , le comte de Saxe
fait préparer des échelles vers les murs
de la ville neuve. M. de Chevert monte
le premier ; on s'empreſſe de le ſuivre ;
il arrive au rempart , marche à la porte
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
où l'attendoit le comte de Saxe , à la tête
des dragons , défarme les corps de-garde ,
fait baiffer le pont levis ; la ville eſt priſe
&la garnifon prifonniere de guerre. Il
fut faitbrigadier , &déſigné par l'électeur
au maréchal de Belle-Ifle pour lieutenant
deRoi de Prague.
Il s'élevoit par degrés ; les occafions
développoient ſes talens: ſupérieur à tous
les emplois qu'on lui confioit , à chaque
pas il paroiffoit fait pour monter plus
haut ; un théâtre plus étendu n'étoit qu'un
moyen de montrer plus de qualités . Il en
falloit beaucoup pour établir l'ordre &
maintenir une police exacte dans une capitale
de la plus vaſte étendue , où la
haute nobleſſedu royaume & un peuple
immenſe ſe trouvoient enfermés dans la
même enceinte avec une armée compofée
de nations différentes ; les grands &
le peuple , le citoyen & le foldat ; François
, Bavarois , Saxons , tout fut foumis,
ou réprimé.
Maisbientôt il ne s'agitplus ſeulement
de contenir tant de paſſions oppofées , &
de concilier tant d'intérêts divers ; le maréchal
de Belle Iſle , pour ſauver l'armée
françoiſe aſſiégée dans Prague , fait une
retraite habile , après avoir donné ordre
:
AVRIL. 1769. 181
.
àM. de Chevert de traiter pour les effets
du Roi & pour les malades & les bleſlés ,
aux conditions les moins onéreuſes ; le
général croit exiger beaucoup ; M. de
Chevert oſe ſe promettre davantage ;
l'honneur des drapeaux françois vient de
lui être confié ; il entreprend de ſe défendre
avec moins de douze cens hommes
& contre les ennemis du dedans & con .
tre l'armée du prince Lobcowitz qui l'affiége.
La ſageſſe forma le plan : la valeur &
la fermeré l'exécuterent. Il redouble d'activité&
de vigilance. Tout ce qu'enſeigne
la ſcience de la guerre , tout les ſecrets de
l'art , prudence , audace , prévoyance , la
ruſe même, tout eſt mis en uſage, & il obtient
une capitulation honorable. Les hoftilités
ayant ceffé , les Autrichiens s'attendent
à ne trouver dans le défenſeur de
Prague qu'un militaire d'une fermeté opiniâtre&
d'une valeur féroce qui n'ad'autre
mérite que celui de combattre : les fentimens
les plus flatteurs fuccédent bientôt
à la ſurpriſe , lorſqu'ils n'apperçoivent que
des moeurs douces & faciles , & une noble
franchiſe unie à l'amenité de la nation
( 2) .
On le deſtina , en ſortant de Prague,à
182 MERCURE DE FRANCE
ſervir en Italie ; les troupes de France &
d'Eſpagne marchoient contre le Roi de
Sardaigne au mois de Juillet 1744 , pour
forcer le paſſage des Alpes & pénétrer
dans lePiémont. Le Prince de Conti avoit
formé le projet d'attaquer en même- tems
toute la frontiere de Charles Emanuel,&
ce projet a été loué par tous les maîtres de
l'art. Comme il étoit néceſſairedans une
guerre de montagnes d'inſpirer aux troupes
la plus grande audace , le Prince de
Conti donna l'avant-garde de la diviſion
du bailli de Givri à M. de Chevert, avec
une inſtruction particuliere , à laquelle il
étoit défendu de rien changer; cette diviſion
marchoit vers Château Dauphin.
Il ſe met à la tête des 2400 hommes de
l'avant garde , attaque bruſquement trois
mille Piémontois à la Gardette , les bat
&ſe maintient dans le poſte. On parvient
aux plus hautes Alpes; c'eſt dans la vallée
de Château - Dauphin que les Eſpagnols
avoient trouvé l'année précédente leur
gloire & leur tombeau ; celle de Bellin
feroit foudroyée par l'artillerie des retranchemens
qui la dominent; il faut ſe
fraïer une route vers la cime preſqu'inacceſſible
des rochers qui ſéparent ces
deux vallées. L'intelligence & l'activité
AVRIL. 1769. 183
de M. de Chevert ont le plus heureux
ſuccès. Il conduit ſon avant-garde juſqu'à
la hauteur de Bondormi , où il retrouve
celle des Piémontois qu'il défait pour la
feconde fois. Ils ſe couvrent de leurs retranchemens
de Pierre - longue ; M. de
Chevert eft chargé de la principale attaque
à la tête des grenadiers ; jamais l'audace
françoiſe n'avoit été auſſi opiniâtre ;
on arrache les paliffades , on comble les
foffés de morts , on pénétre par les embrafures
, &celui qui avoit monté le premier
ſur les remparts de Prague , force le
premier les barrieres du Piémont.
Le prince de Conti écrivit au Roi :
". C'eſt une des plus brillantes & des plus
» vives actions qui ſe ſoient jamais paf-
>> ſées . Les troupesy ont montré une va-
>> leur au deſſus de l'humanité; la briga-
>> de de Poitou ayant M. d'Agenois à ſa
>> tête , s'eſt couverte de gloire. La bra-
>> voure & la préſence d'eſprit de M. de
> Chevert ont principalement décidé
>> l'avantage , &c. Le grade de maréchal
de camp en fut la récompenſe ( 3 ) .
Les bornes de cet écrit ne permettent
pas d'entrer dans le détail de tous ſes faits
de guerre en Italie , dans les campagnes
qui ſuivirent , ſoit en opérant ſous les
184 MERCURE DE FRANCE.
yeux des généraux , foit en commandant
des corps léparés .
L'hiſtoire (*) en marquera les époques,
&en rapportera les circonstances; on le
verra faiſant l'arriere- garde de l'armée
combattre à pied , après avoir eu fon cheval
tué ; faire remonter à l'artillerie le
col de l'Argentiere à bras d'hommes en
préſence de l'ennemi , la placer ſi avantageuſement
que par-tout il en impoſe ,
& ne peut être entamé ; on le verra menant
l'avant-garde du maréchal de Maillebois
, forcer ou diffiper les différens
partis qu'il rencontre , faire le ſiége de la
ville & du château d'Afti , s'en rendre
maître ; aller enſuite prendre le commandement
de Montcalvo , bien plus difficile
à conſerver ; mettre cette ville , ſans murailles
, en état de défenſe ; ſoutenir trois
affauts , & forcer l'ennemi à ſe retirer.
Ici il attaque le pont de Cazal Bayan ,
paſſe le Tanaro , ſuivi de toute l'armée ;
là il manoeuvre ſi bien que les François ,
quittant Tortonne , ne font point entamés
par le Roi de Sardaigne .
(*) Ceſujer appartient au recueil des vies des
homines illuftres de France , & demande le ſtyle
&les talens du continuateur de cet ouvrage.
AVRIL. 1769. 185
Si les ennemis entrent en Provence ,
il attaque leurs détachemens qui s'étendent
juſqu'à Digne; les en chaſſe , ainſi
que de Mouſtier ; couvre Caftellane &
Draguignan ; reprend ſur eux les Ifles
Sainte-Marguerite ,y fait plus de ſix cents
prifonniers de guerre , & voit ſes ſuccès
couronnés par le grade de lieutenant général
des armées.
La paix eſt enfin rendue à l'Europe ;
les nations épuiſées la deſiroient , chaque
particulier afpiroit après le repos ; elle
ne fut pour M. de Chevert qu'un moyen
différent de montrer ſon zèle (4) , & une
nouvelle occaſion de bien mériter de la
patrie. On le nomma en 1749 pour commander
ſur la Sarre .
Veiller fur la frontiere au maintiende
l'ordre & à l'obſervation des traités , correſpondre
avec les états voiſins , tenir les
troupes dans la diſcipline , n'étoient pas
les ſeuls objets àremplir. Après une lon.
gue guerre, il étoit de la ſageſſe du gouvernement
de reformer les abus , de corriger
& de perfectionner notre tactique comparée
ſans prévention avec celles des
étrangers , d'ajouter au code militaire de
nouvelles ordonnances ; le miniſtre avoit
pris , fur différens projets, l'avis des offi.
1
186 MERCURE DE FRANCE.
も
ciers généraux les plus expérimentés ;
l'ordre fut donné pour affembler des
camps de paix , afin de ffaaiirre des eſſais , ou
pour fortner des troupes à ce qui étoit
décidé. M. de Chevert commanda celui
qui fut aſſemblé fur la Sarre en 1753. Il
avoit vu & étudié en détail les refforts
particuliers qui compoſent une armée ; il
en avoit calculé les forces ; il en connoiffoit
le jeu. Cet avantage , joint à huit
campagnesde guerre avec des cominandemens
conſidérables , le metroit en état de
faire mouvoir plus fûrement la machine
entiere. Les vuesdu miniſtre ſe trouverent
remplies , & le camp eut tant de ſuccès
qu'on lui en fit commander un fecond
l'année ſuivante. La réputation du premier
étoit parvenue juſqu'aux étrangers ;
on vit à celui-ci une foule d'officiers généraux
& particuliers , Anglois & Allemands
, également fatisfaits & des manoeuvres
de guerre & de la maniere dont
le général leur faifoit les honneurs de la
nation. Celui de 1755, far la Moſelle ,
eut encore plus de célébrité ; on conmptoit
à la fuire de M. de Chevert plus de
foixante aides -de - camp , parmi leſquels
on retrouvoit des noms illuſtres à la cour
& chers à la patrie , tant la jeune nobleſſe
AVRIL. 1769 . 187
avoit montré d'empreſſement à venir ſe
former ſous lui au métier des armes ( 5 ) .
Elle ne devoit que trop tôt faire uſage
deces brillantes&funeſtes connoiſſances .
Le ſyſtème politique de l'Europe change
tout - à- coup ; on voit les nations s'allier
avec leurs anciens ennemis ,& combattre
contre leurs anciens alliés .
Le maréchal d'Eſtrées avoit déjà paflé
le Vefer , & marchoit au duc de Cumberland.
Il l'atteignit près d'Aftenbeck le 25
Juillet 1757. La journée ſe paſſa en reconnoillance
& en diſpoſitions pour attaquer
le lendemain. Le 26 , le maréchal
d'Eſtrées ordonna à M. de Chevert de
marcher avec ſeize bataillons & des volontaires
pour tourner la gauche de l'armée
ennemie qui , par ſa poſition , ne
pouvoit être attaquée autrement , tandis
que la nôtre marcheroit de front à l'appui
de cette diviſion. Les bois , qu'il falloit
traverſer pour gagner les hauteurs où
cette gauche étoit appuyée , étoient fort
épais& les routes peu connues . Le comte
de Châtelet - Lomont , qui formoit la
tête de cette attaque avec douze compagnies
de grenadiers , eſt dangereuſement
•bleffé & mis hors de combat ; le comte
deMontmorency - Laval , &pluſieurs au
188 MERCURE DE FRANCE .
tres officiers meurent ſur le champ de
bataille; les trois guides ſont tués. M. de
Buffy qui menoit les volontaites & qui
devenoit ſi néceſſaire en ce moment par
les reconnoiſſances qu'il avoit faites la
veille , n'eſt déjà plus. L'ennemi , caché
dans l'épaiſſeur du bois , donne la mort
fans craindre de la recevoir ; nul chemin,
nulle iſſue pour aller à lui ; la valeur devient
preſqu'inutile; les troupes s'étonnent
, mais la contenance du général les
raffure. Ses propos , ſon exemple leur rend
l'eſpérance; il leur parle ſelon la circonftance
& le moment ; avec tranquillitéou
avec audace , ſelon que l'exige la ſituation.
Il voit ici ce qu'il y a à faire , & le
fait exécuter. Là, c'eſt un lion irrité qui
briſe tous les obftacles ; il ſe porte à la
tête des grenadiers ; il perce ; il enfonce;
il chaſſe les ennemis de la ſommité des
bois ; on arrive aux chemins qui defcendentdans
la plaine; l'armée ennemie s'inquiette
, elle s'ébranle & céde enfin le
champ de bataille aux François (6) .
Si le ſuccès de cette attaque contribua
au gain de la bataille , les précautions , les
diſpoſitions , la connoiſſance qu'il avoit
deshommes, &le talent de les employer
de la façon la plus utile , avoit préparé le
fuccès.
AVRIL. 1769. 189
Une fois , une ſeule fois , l'habitude de
vaincre lui donna trop de confiance , & il
fut battu à Mer. Il peut être excufé ſans
doute ; mille circonſtances le juſtifient : à
la bonne heure ; mais que lui importent
aujourd'hui nos foibles éloges ? Si le recit
fidèle & fincere de ſes actions peut avoir
quelque utilité , c'eſt de préſenter un modèle
à ceux qui ſuivent la même carriere ,
& l'exemple de ce revers ne leur ſervira
pas moins que trente actions heureuſes
qu'ils liront dans ſa vie .
Le ſervice qu'il eut occaſion de rendre
à la journée de Lutzelberg, pouvoit effacer
le ſouvenir du choc de Mer; le Prince de
Soubiſe paſſe la Fulde pour attaquer les
ennemis. Il fait cannoner leur armée & la
force de ſe mettre en Bataille. Il devoit
en attaquer le front , tandis que le Duc
de Fitz-James en attaqueroit la droite;
& M. de Chevert avec ſa diviſion , dont
les Saxons & les Palatins faifoient partie,
avoit ordre de tomber ſur leur flanc. Dès
qu'il fut en meſure , ildonna le ſignal de
l'attaque générale , ſelon l'ordre qu'il en
avoit reçu ; toutes les colonnes s'ébranlent
en même tems ; mais pluſieurs ayant
eu plus de chemin à faire , ou plus d'obſtacles
à furmonter , le plus grand effort
190 MERCURE DE FRANCE.
du combat ſe fit à la diviſion ; il avoit
pris ſon parti ſur le champ , d'après le
mouvement qu'il avoit vu faire aux troupes
qui lui étoient oppoſées , mais fi à
propos , les diſpoſitions furent ſi juſtes , &
prefferent tellement les ennemis , contraints
d'ailleurs par le front que leur préſentoit
le Prince de Soubiſe , & par le
feu de fon artillerie , que leur cavalerie
pliée à pluſieurs repriſes , leur infanterie
attaquée partout , & partout enfoncée ,
ils furent forcésde prendre la fuite, après
la réſiſtance la plus opiniâtre (7) .
Il feroit fuperflu de s'étendre plus au
long ſur ſa vie militaire. On le verroit
animé du même eſprit , & cherchant
toujours à donner des preuves du
même zèle. Il eſt plus agréable de le conſidérer
dans ſa retraite après la paix. C'eſt
là que loin de l'agitation des camps &du
tumulte des armes , exempt de tout defir
inquiet , libre de toute paſſion , rendu à
lui -même après cinquante-ſept années
de ſervice non interrompus, il ſe livre
pour la premiere fois aux douceurs du
repos ; il goute cette tranquillité , cette
douce paix qui fait le partage de l'honnête
homme; nulsregrets , nuls remords ne le
troublent; ſes intentions ont toujours été
AVRIL. 1769. 191
droites; ſes mains font pures ; il jouit
de cet avantage ſi précieux , de ce bien ſi
ſolide & fi flatteur , que la faveur ne
donne point & que l'intrigue ne ſauroit
ôter , la conſidération perſonnelle .
L'eſprit d'ordre & de prévoyance ,
dont la plus grande fortune a beſoin , &
qui ſupplée à la médiocre , le ſuivit dans
ſa retraite. Exact & vigilant parce qu'il
étoit juſte ; econome pour être généreux
, ſa dépenſe étoit grande ſans être
magnifique , ſa table étoit plus abondan .
te que recherchée , ſon domestique plus
choiſi que nombreux ; l'aifance & la liberté,
l'honnêteté & la décence régnoient
dans ſa maifon. Elle étoit ouverte aux
Militaires de tous les âges , & de tous
les grades , & l'étiquette de la vanité n'y
prenoit point ſur les agrémens. C'étoit
un vénérable chefde famille qui ſe chargeoit
du ſoin de la raſſembler autour de
lui , qui voyoit rangés à ſa table ſes enfans
, & les enfans de ſes enfans ; qui
les faiſoit entrer en partage de tout ce
qu'il poflédoit ; ſon crédit, ſes lumieres ,
ſa longue expérience étoient comme un
fonds patrimonial où tous avoient droit
de puifer , & fi chacun d'eux avoit pour
lui les ſentimens d'un fils , c'étoit un
1
192 MERCURE DE FRANCE.
pere qui s'honoroit à ſon tourde la gloire
de ſes enfans .
Son loiſir étoit honorable , ſes jours
étoient purs & fereins , l'amitié & la reconnoiſſance
veilloient ſans ceſſe pour
en écarterles nuages,& pour en prolonger
la durée ; quand tout à coup cette félicité
eſt détruite par une foudaine révolution.
Les gémiſſemens & les plaintes
annoncent la douleur ; on s'inquiéte, on
s'empreſſe ; les ſecours de toute eſpèce
font employés ; on appelle ceux de la
religion . Si le Ciel permet qu'il ſoit rendu
aux voeux & aux larmes de tout ce
qui l'environne , c'eſt de celui qui connoit
les fecrets de l'art & les reſſources
de la nature qu'on doit l'attendre ; ſes
lumieres & fon attachement en ſont de
furs garans , un calme ſubit ajoute encore
àcette confiance ; l'eſpérance renaît..
Calme trompeur ! Vain eſpoir ! le coup
fatal étoit porté; déjà il reſpire à peine ,
bientôt il ne refpire plus; la mort a fini
le ſonge; il eſt à fon réveil.
Le bruitde cet accident funeſte ſe répand&
ne trouve point de coeurs indifférens.
Les militaires ſont conſternés , la
ville & la cour lui rendent juſtice ; amis ,
rivaux , tous parlent le même langage ,
& les regrets font univerſels.
Le
AVRIL. 1769 . 193
:
Le ciſeau & le burin feront employés
pour conferver ſes traits à la poſtérité. Nos
neveux iront les conſidérer dans le temple
où ſes cendres repoſent ; ils iront
chercher fur le marbre & fur l'airain à
ſe retracer ſes différentes actions de guerre
; & ils ne pourront ſe rappeller fans
en être touchés , & les talens & les vertus
qui ont illustré ſa vie.
NOTES.
(1) Sa lettrede lieutenant au régimentde Carné
fait partiedes papiers remis à ſa famille , ainſi que
lecertificatducommiſſaire des guerres qui lui fit
prêter ferment , daté de Sarrelouis , où il fut reçu
au moisde Janvier 1707 .
(2) M. de Chevert ne voulant laiſſer que des traces
honorables du ſéjour des François & de leurs
alliés dans Prague , exigea qu'on lui remît deux
canons aux armes de l'Empereur Charles VII , menaçant
de n'entendre à aucune capitulation , ſion
les lui refuſoit; il les obtint , & les envoya à Sa
Majesté Impériale,
Extrait de la lettre écrite à ce ſujet , par l'Ema
pereur au Maréchal de Belle- Isle.
«Je ſuis très - ſenſible à l'attention qu'a eue le
>> brigadier Chevert de demander les deux piéces
>>>de canon ; vous me ferez plaifir de l'en remercier
I. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
>> de ma part , & de lui dire que je ſerai charméde
>> lui en marquer ma fatisfaction ; vous ſçavez
>> que j'ai toujours beaucoup eſtimé cet officier ,
>> qui s'eſt diftingué dans toutes les occafions , &
>> particulierement à la priſe de Prague ; ce qui
>>m>'avoit engagé à le nommer mon lieutenanten
>>cette ville : il s'eſt comporté dans ſes fonctions
>> avec tant de fermeté , de prudence & d'eſprit ,
>>de conciliation & de justice , qu'il s'eſt attiré la
>> confiance de mes ſujets. J'attends que vous foyez
>>>ici pour voir ce qui lui fera le plus de plaifir , &
>> ſur ce je prieDieu , &c. »
Signé , CHARLES.
A Francfort , le 28 Janvier 1743 .
(3 ) Dans les préparatifs d'une action , fur- tout
lorſqu'il devoit répondre du ſuccès ,l'impétuofité
de ſon caractere n'avoit point de bornes ; mais il
ſembloit que le feu qui couloit dans ſes veines
n'avoit fermenté que pour le répandre au-dehors
& ſe communiquer à tout ce qui devoit lui obéir;
tranquille , & l'eſprit toujours préſent pendant
l'action , il donnoit les ordres les plus nets& les
plus précis.
(4) Quand nous parlons de fon zèle , ce n'eſt
point une expreffion vague ; il étoit véritablement
rempli de zèle pour la gloire du Roi , de reconnoillance
pour ſes bienfaits , d'amour & de reſpect
pour ſa perſonne facrée. Il ne ſe rappelloit point
fans attendriſſement , & auroit payé de ſon ſang
le mot que Sa Majesté eut la bonté de lui dire en
prenant congé,après une longue maladie qui avoit
AVRIL. 1769. 195
retardé ſon départ pour l'armée : Jevoudroisvous
donnerdes ailes.
(5) FeuM. duGueſclin, évêquede Cahors , le
pria avec inſtance de prendre ſon neveu pour aidede-
camp quand la guerre ſe déclara , defirant que
leprécieux rejetton de ce grand &vertueux Connetable
n'apprêt point àd'autre école le métierde
laguerre: auſſi eſt-ilàremarquer que tous lesaides-
de-camp font aujourd'hui des militaires de
la premieredistinction.
!
(6) Le marquis de Brchant , qui avoit toute la
valeur& la noble franchiſe de l'ancienne chevalerie,
vient le trouver avant la bataille. Brehant,
lui dit - il , d'une voix animée , & le regardant
fixement , jurez - moi , foi de chevalier, que vous
&tout le régiment de Picardie , vous vousferez
tuerjusqu'audernier plutôt que de reculer,je vous
donnerai l'exemple. Je lejure , lui dit le marquis
deBrehant , d'un air & d'un ton qui rendoient le
ferment ſuperflus. Jamais engagemens réciproques
n'ont été mieux gardés .
Les officiers du régiment de Picardie le font
prier de prendre ſa cuiraſſe; il répond,en montrant
les grenadiers:Et ces braves gens-là enont-ils?
On vient lui dire qu'il n'y a plus de poudre ;
nous avons , dit-il , des bayonnettes.
(7) Le Roi de Pologne lui écrivit la lettre fuivante
, en lui envoyant les marques de l'ordre
royal de l'Aigle Blanc , avec ſon portrait dans une
boëte d'or enrichie de diamans . Monfieur le
>> lieutenant-général de Chevert , monfils le com-
>> te de Luface ne m'a point laiflé ignorer la part
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
>>>que vous avez eue au gain de la bataille de Lut-
>>zelberg, ni les attentions que vous avez eues pour
> lui dans toutes les occaſions , & fur-tout à cette
journée, en lui procurant l'honneur de contri-
>>buer , à la tête d'un corps de mon infanterie , à
>> la gloire des armes du Roi Très-Chrétien. Cet-
•>> teheureuſe nouvelle eſt la plus conſolante que
>> je puis recevoir. Je ſçais combien on doit dans
>>cette circonſtance à votre expérience , à votre
>> valeur & à la ſupériorité de tous vos talens mi-
>>>litaires. Je n'ai pas voulu différer à vous faire
>> cette lettre , & d'y joindre une marque de mon
>> eſtime&dema bienveillance la plus particulie-
>> re. Sur ce je prie Dieu , M. le lieutenant - général
de Chevert , qu'il vous ait en ſa ſainte
>>ga>rde.>>
Signé , AUGUSTE , Roi ,
A Warſovie , le 12 Novembre 1758 .
*On trouvera des exemplaires de cet éloge
chez Lacombe , libraire , rue Christine.
Voici l'épitaphe de M. de Chevert , telle
qu'ellea étéfaite par M. le comte de la
Touraille , dont il ne nous étoit parvenu
qu'une copie infidèle , imprimée dans le
dernier Mercure.
2.
Ci gît un I foldat couronné
Par la valeur & par la gloire.
Le laurier qu'il a moiſionné
AVRIL. 1769. 197
Orne le templede mémoire .
Pendant le cours de ſes hauts faits ,
Il eut des ſuccès mémorables ;
Et dans les loiſirs de la paix
Il eut des vertus plus aimables.
Lorſque la Parque l'attaqua
Et l'entraîna dans la nuit noire ,
C'eſt la ſeule fois qu'il céda
L'avantage de la victoire.
ARRÊTS , ORDONNANCES , & c .
I.
ARRÊT du conſeil d'état du Roi , du 14 Janvier
1769; qui ordonne que l'entrée du Journal qui
s'imprime a Luxembourg , ſous le nom de Clefdu
cabinet des Princes , ſera défendue dans toute l'étendue
du royaume , notamment dans la province
de Lorraine.
I I.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , & lettres - patentes
furicelui ,des 28 Décembre 1768 & 17 Janvier
1769 , regiſtrées en la chambre des comptes;
quidiſpenſentles ſujets deſtinés à remplir des offices
au parlement , & qui auront paffé dans les
charges du châtelet , d'une partie des droits de mutation
qu'ils feroient obligés de payer pour parveniràl'obtentionde
leurs nouvellesproviſions. 4
I inj
198 MERCURE DE FRANCE.
III.
Arrêtde la cour des Aides , du 22 Février 1769;
qui ordonne que , conformément aux reglemens y
énoncés , les receveurs des tailles ſeront tenus de
réſider en leur élection ,&d'y remplir en perſonne
leurs fonctions .
IV.
Ordonnance dubureaudes Finances de la généralité
de Paris , du 17 Février 1769 ; qui ordonne
l'exécution des arrêts , reglemens& ordonnances,
concernant les carrieres , fouilles & excavations
dans des terreins riverains des grands chemins :
En conféquence, fait défenſes à tous particuliers ,
notamment aux Tanneurs de la ville de Sens & autres
, de tirer ni enlever aucunes terres dans l'excavation
anciennement pratiquée proche la route
deBourgogne, entre la ville de Sens& le village
de Rozoy , à peine de so liv. d'amende.
V.
Arrêtdu conſeil d'état du Roi , du 24 Février
1769 ; qui fubroge Nicolas Follet , à feu Léonard
Marattay , commis par arrêt du conſeil du 30
Avril 1751 , pour régir & adminiſtrer le droit ſur
les cartes à jouer , au profit de l'hôtel de l'Ecole
Royale-militaire.
VI.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 10 Mars
1769 , qui ordonne que dans les chapitres de chacunedes
provinces & congrégations des religieux
de l'ordre des Freres-Prêcheurs de ſon royaume ,
AVRIL. 1769. 199
quiont coutume d'avoir des chapitres particuliers,
& qui doivent s'aflembler inceſlamment , il ſera
nommé deux députés , dont l'un ſera pris parmi
les ſupérieurs , &l'autre parmi les conventuels ,
leſquels feront chargés , conjointement avec les
provinciaux & vicaires généraux de chacune defdites
provinces & congrégations , enſemble avec
les prieurs du collége de la rue Saint- Jacques &du
noviciat de la rue Saint- Dominique de Paris , en
qualité de députés deſdits couvens , de procéder à
l'exécution des articles V, VII & X de l'édit du
mois de Mars 1768 ; à l'effet de quoi leſdits provinciaux
, vicaires - généraux & députés , feront
tenus de s'aſſembler le s du mois de Mai de l'année
1771 , dans le couvent de Saint- Honoré des Freres-
Prêcheurs de la ville de Paris , en préſence de
tels commiflaires que Sa Majesté jugera à-propos
de commettre pouryaffiſterde ſa pare.
Le Roi a donné un pareil arrêt pour les religieux
Recollets, Cordeliers ,Capucins , Carmes déchauf
fés , grands Carmes , & Fr. Mineurs conventuels
StFrançois.
AVIS.
I.
Art Héraldiquz.
ARMORIAL de la chambredes Comptes , depuis
l'année 1506 , précédé d'un état des officiers de
cette courjuſqu'en ladite année 1506 , époque où
la maiſon deNicolaï a commencé de poſſéder l'office
de premier préſident ; par Mlle Denys , armo-
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
rifte de la chambre ; ouvrage gravé en taille-douce,
de format in- 8°, tome premier contenant Meffieurs
les préſidens. Ce volume ſe diſtribuera pour
MM. les officiers de la chambre des comptes depuis
le 15 Févrierjuſqu'au 15 Avril ſuivant, après
lequel tems il ſera rendu public. A Paris , chez
l'auteur , quai de Bourbon ; & Grangé , imprim .
libraire , au cabinet littéraire , pont Notre-Dame.
Suivant l'avertiſſement mis à la tête de cet ouvrage
, la collection complette de l'armorial de la
chambre des comptes comprendra cinq parties :
MM. les premiers préſidens & préſidens ; MM. les
conſeillers-maîtres ; MM. les conſeillers - correcteurs
; MM. les conſeillers- auditeurs , & MM. les
gens du Roi. MM. les premiers préſidens & préfidens
, objet de la premiere partie de cet armorial ,
ſont compris dans le premier vol. qui vient d'êrse
annoncé. L'armorial eſt précédé d'undiſcours ſur la
jurisdiction de ta chambre , l'étendue de fon reffort
& les fonctions de fes différens officiers . L'auteur,
pour rendre ſon ouvrage d'une utilité plus
générale , a eu ſoin d'y joindre des recherches fur
l'origine des armoiries , & de donner les premiers
rudimens du blafon. Chaque guerrier , autrefois
pour prouver ſa valeur& ſe faire diftinguer dans
la mêlée, plaçoit ſur ſon armure un caractere
distinctif. De ces armures eſt venue la dénomination
d'armoiries , foit qu'elles fuſſent par la ſuite
gravées ſur les joyaux , bagues ou cachets , &c.
Ce fut fous Philippe Auguſte , c'eſt - à - dire l'an
1215 que le blafon reçut ſon plus grand luftre en
France. On perfectionna ſous fon regne cette
ſcience dont Louis le Jeune ſon pere avoit jetté les
premiers fondemens , en établiſſant des Héraults ,
tant pour ordonner les cérémonies & les one
AVRIL. 1769 . 201
mens convenables au ſacre du prince ſon fils , que
pour réduire en principes les ſignes diſtinctifs de la
nobleffe, & en faire par des regles un véritable
art , appellé depuis l'art héraldique , du latinbarbare
Heraldus, dont on avoit formé celui de hérault.
Ces armoiries , qui avoient pris naiſſance
parmi les hommes de guerre , ſont paffées aux
magiſtrats , foit parce que la magiftrature a d'abord
été exercée par des militaires , ſoit parce que
les magiſtrats de ces tems anciens prenoient les
mêmes armes qui avoient été adoptées comme
marques de diſtinction par leurs peres ; auſſi voitonque
les anciens arrêts ſont ſouvent , outre les
fignatures , munisdes ſceaux de ceux qui avoient
rendu lajuſtice. Les armoiries du premier volume
de l'armorial de la chambre des comptes ont été
gravées & coloriées par Mlle Denys avec le plus
grand ſoin & la plus grande propreté. L'ouvrage
eft dédié à M. le premier préſident de Nicolaï,qui
eſt le huitieme de pere en fils qui pofléde cette
charge éminente de la magiftrature. Le blaſon de
cette illustre maiſon , tel qu'il eſt donné par l'are
moriſte , eſt d'azur au levrier courant d'argent ,
accolé de gueules , bouclé d'or; la couronne de
marquis , & pour ſupports deux levriers au aaturel
.
II.
Catalogue raiſonné d'une collection choiſie de
minéraux , criſtalliſations , madrépores, coquilles
&autres curiofités de la nature & de l'art. A Pa--
ris , chez Delalain , 1769 , in 8 ° . La vente de cette
collection ſe fera le mardi 4 Avril 1769 &jours
ſuivans , trois heures de relevée , au grand irotel
deBerri , rue St Thomas du Louvre.
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
:
III.
Penfionat.
Les religieuses Ursulines de Gifors en Vexin-
Normand, menacées ci- devant d'une deſtruction
prochaine , viennent d'être ſolidement rétablies ;
elles ſe propoſent, conformément à leur inſtitut ,
de reprendre des penſionnaires au premier d'Avril
de la préſente année 1769. Cette nouvelle nous a
paru d'autant plus intéreſſante pour le Public , que
juſqu'à préſent nombre de Demoiſelles tantde
Paris quede la province , ont reçu dans cette maifon
l'éducation la plus diſtinguée. Les parens peuvent
être aſſurés d'y trouver encore le même avantagepour
leurs enfans. Ilya , en outre , dans la
ville, pour la muſique & le clavecin, un excellent
maîtreaffez connu par la ſupérioritéde ſes talens.
I V.
,
LeSieurGarand, peintre en miniature &deffinateur
, ci-devant place Dauphine , demeure préfentementquaide
la Megiſſerie près le Pont-Neuf,
la cinquiéme maison à l'enſeigne de la croix de
perle, au troifiéme .
V.
LaDemoiselleBertrand, marchande fabriquantede
cire d'Eſpagne , à Paris , rue de Tournon , à
l'étoile d'or , donne avis au Public qu'elle débite
ſeule les véritables cires de Pekin à 24 , 30 ,
36 1. la livre , dont elle poſſéde la compoſition.
Elle fabrique également la véritable cire de Holande,
d'Angleterre , Turque & autres. On trou
AVRIL. 1769. 203
<
vera chez elle , dans tous les genres , des cires ſapérieures
au moins d'un quart,à prix égal , à celle
des autres fabriques. La Demoiselle Bertrand fait
des envois pour la province& les iſles , fur commande.
VI.
Lebrun , marchand épicier-droguiſte &diftillateur,
fait & vend toutes fortes de liqueurs fines
étrangeres , huile de Vénus , ſcuba de Lorraine ,
parfait - amour , eau clairette de Chambery , le
cajolan , élixir de Garrus & de Stougthon d'Angleterre;
toutes fortes deſſences , lait virginal, &
toutes autres marchandises. Letout àjuſte prix.
On vend chez lui les tablettes pectorales , trouvées
enAngleterre par M. Archbald. Ces tablettes
fontfüres& infaillibles contre les maladies ordinaires
de la poitrine & du poulmon , telles que
les thumes , la roux & l'enrouement , &c. Elles
préviennent l'aſthme, la phtifie,la pulmonie ,&
diſſipent les humeurs qui ſe fixent ſur la poitrine ,
dontl'irritation occafionne des efforts continuels
pour touffer. Ces tablettes , par leurs vertus balfamiques
& nutritives , guériflent les tendres
vaiſleaux de l'estomach , & en fortifiant ſes organes
, aident à la digeftion &facilitent la chylification.
Elles ſe fondent dans l'eau comme da fuere;
legoût eft agréable , & corrige l'halcine&
les exbalaiſons impures de l'eſtomach. La boëte
eſtde36 fols.
VII.
Eau de Cologne.
CA
L'cau admirable , auſſi nommée Eau de Cologne
I vj
204 MERCURE DE FRANCE .
ſe diſtille & ſe vend chez Jean-Marie Farina , visà-
vis la place de Juillet , à Cologne , à 30 ſols la
bouteille.
A Nantes , chez Morin & Vallain , marchands
épiciers , à 36 fols la bouteille.
A Paris , chez Lebrun , marchand épicier , rue
Dauphine , hôtel de Mouy , magaſin de Provence
&deMontpellier , à 36 fols la bouteille ; lespropriétés
ſont ſignées de fa main.
VIII . .
Vinaigres variés.
Le Sr Maille , vinaigrier - diſtillateur ordinaise
-de LeursMajestés Impériales, continue de diftribuer
un très grand nombre de vinaigres , tant pour la
table que pour la toilette ,& tous auſli variés pour
les qualités & le goût , que bien compofés. Son
Vinaigre Romain entr'autres s'accrédite par les
bons effets qu'il produit. Il fave , pour être für
d'avoir le Vinaigre Romain dans toute ſa force ,
c'eſt - à- dire fpiritueux , pénétrant , defficatif, balſamique
, anti ſcorbutique , propre à raffermir
les dents & à les blanchir , à arrêter le progrès de
la carie , en détruiſant le limon qui s'attache aux
dents , à rafraîchir la bouche , à corriger les vices
de l'haleine , &c. &c .. le tenir directement du Sr
Maille . Sa demeure à Paris eſt toujours rue Saint-
André-des- Arts , aux armes impériales. Leprix de
lapinte, meſure de Paris , eſt de 24 livres , & co
lui des plus petites bouteilles, 3 liv. Il peut ſe tranfporter
par-tout , fans ſouffrir la moindre altération,
& l'on ne peut trop en recommander l'uſage
tant aux voyageurs qu'aux gens de mer , aux habitansdes
iſles , enfinà tous ceux qui font expölés
AVRIL. 1769. 205
ou ſujets à contracter des affections ſcorbutiques.
On trouve encore chez le Sieur Maille un Vinaigre
de Turbie , qui guérit le mal de dents , & qui
enappaiſe ſur le champ ladouleur ; un Vinaigre
deStorax , qui blanchit , unit , affermit la peau ,
donne un teint clair , frais & très - vif , & garantit
des rides ; an Vinaigre de fleurs de citron , pour
ôter toutes fortes de boutons au viſage ; un Vinaigre
de Racines , qui ôte toutes les taches ; un
Vinaigre d'écaille , qui guérit les dartres ; un Vinaigre
contre les vapeurs; un Vinaigre de cyprès ,
immanquable pour noircir les cheveux & les foutcils
blancs ou roux , & pour conſerver les cheveux
; un Vinaigre fcillitique pour la voix ; & le
vrai Vinaigre des quatre Voleurs , qui eſt le préſervatif
le plus für contre toutes eſpéces de contagion
& de mauvais air . Le prix des plus petites
bouteilles de ces différens vinaigres eſt de 3 liv.
Ces fortes de vinaigres peuvent ſe tranſporter pas
mer dans les parties du monde les plus éloignées ,
fans craindre que le tems ni le tranſport puiflent
en altérer la qualité , qui devient plus parfaite en
vicilliſſant. Les perſonnes de province qui voudront
s'inſtruire plus particulierement des qualités
de ces différens vinaigres , auront ſoin d'affranchir
les lettres qu'elles écriront audit Sr Maille ;
&en mettant l'argent à la poſte , auſſi franc de
port , on leur fera tenir exactement les vinaigres
qu'elles demanderont , avec la maniere d'en faite
uſage.
206 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES POLITIQUES.
DePetersbourg , le 31 Janvier 1769.
AVAVANNTT- HIER les Profeſſeurs Lowitz & Rumowski
, les Sieurs Mallet & Pictet , le lieutenant
Euler& les Sieurs Kraft & Inochodzow , chargés
d'aller obſerver le prochain paſſage de Vénus ſur
lediſquedu ſoleil, furent admis à l'honneur de
baifer la mainde l'Impératrice & du Grand Duc.
Ilsſediſpoſent tous à ſe rendre à leurs deſtinations
reſpectives . On apprend que le capitaine Ileniew,
parti d'ici le 21 Fév. de l'année derniere pour aller
fairela même obſervation , eſt arrivé à Jakuız le
19 Juillet ſuivant.
Du 11 Février.
Pluſieurs ſçavans , envoyés dans différentes
provinces pour obſerver le paſſage de Vénus , ont
déjàdonné de leurs nouvelles; les Sieurs Pallas &
Lepechin qui devoient ſe rendre à Orenbourg ,
n'ont pu aller plus loin que Sinbirskà cauſe de
l'hiver ; ils marquent que dès les premiers jours
du mois d'Août il gêloit déjà pendant la nuit , &
que depuis le 15 Septembrejuſqu'au 18 , le thermometre
de de Lifle étoit defcendu durant la nuit
de 160 à 165 degrés , & celui de Réaumur de S
degrés au- deſſous de o , que la terre étoit preſque
par- tout couverte de neiges , & que le froid avoit
continué avec tant de rigueur que , non feulement
les bleds ſur pied , mais encore les jeunes ar,
bres étoient tous gêlés,
AVRIL.. 1769. 207
De Warsovie, le 21 Février 1769 .
On a appris hier par un courier expédié de la
grande aimée des Ruſſes , que le Kan des Tartares
qui s'étoit porté de Balta dans la nouvelle Servie,
àla têtede douze mille hommes , avoit été attaqué
par le général Iſakow , & qu'il s'étoit retiré
vers la Pologne; on ajoute qu'il eft pourſuivi par
legénéral Iſakow , & que le général Proforowski
marche à ſa rencontre.
On a reçu avis que vingt mille Ruſſes ſe raſſembleront
aux environs de cette capitale pour la met
tre à l'abri de toute entrepriſe.
De Stockholm , le 27 Janvier 1769 .
Onaffure que le Roi a fait inſcrire au Protocoledu
ſénatun écrit , par lequel Sa Majefté déclare
qu'Elle nepeut confentir àce que l'aſſemblée
extraordinaire des états ſe tienne dans la ville de
Norkioping. Sa Majesté rapporte les divers inconvéniens
qui en réſulteroient , & ajoute qu'Elle efpére
que les ſénateurs y feront d'autant plus d'attention
, qu'il eſt à craindre , comme cela eſt vraiſemblable,
que les états , apres avoir tenu quelques
ſéancesdans cette ville, nejugent à-propos
de s'en retirer pour continuer leurs délibérations
dans celle de Stockholm , ce qui rendroit infructueuſes
les dépenſes conſidérables qu'auroient entraînéés
les premieres ſéances à Norkioping. On
ajoute que cette déclaration n'a encore produit aucuneffet.
De Vienne , le 2 Mars 1769 .
Onmande de Conſtantinople que, ſuivant toute
apparence , l'armée Ottomane , compoſée de plus
de 300 , 000 hommes , s'aſſemblera à quelques
208 MERCURE DE FRANCE .
lieues de cette capitale; que le grand vifirquien a
le commandement y formera ſon premier camp ,
& que Sa Hauteſſe s'y rendra elle- même pour l'examiner.
Après quelque tems de ſéjour, l'armée ſera
diviſée endeux corps , dont l'un , de 130 mille
hommes, défilera vers Andrinople ; & l'autre ,
d'environ 200 mille , marchera vers la Pologne
par laBulgarie & la Valachie.
Du 8 Mars.
:
L'Empereur eſt parti d'ici vendredi dernier au
foir , &a pit la route de l'Italie.
De Rome , le 1 Mars 1769 .
On attend ici leGrand Duc de Toſcane qui veut
profiter de l'aflemblée du conclave, tems où les
étiquettes n'ont pas lieu pour voir les curioſités de
cette ville. On mande de Florence que Son Altefle
Royale n'attendoit pour partir qu'une réponſe de
l'Impératrice Reine , & que l'Empereur pourroit
-bien ſe rendre auſſi en cette ville . Des lettres de
Naples portent que Sa Majesté Sicilienne defire
pareillementde faire ce voyage , & qu'Elle a écrit
à Madrid pour en obtenir l'agrément du Roi d'Efpagne.
De Gênes , le 18 Février 1769 .
Marcellin Durazzo ayant terminé le 3 de ce
*mois les deux ans de ſon dogat , & le petit conſeil
ayant completté le is le nombre des ſix ſujets ,
parmi leſquels devoit être choiſi le nouveau doge,
Le grand confeil s'aſſembla le 16 , & éleva à cette
premiere dignité de la république Jean -Baptifte
Negroni, qui reçut à cette occaſion les complimens
*desDames&des Nobles de cette ville. こ
AVRIL. 1769 . 209
De Londres le 24 Février 1769 .
Legouvernementa jugé à propos de ſuſpendre
juſqu'au 16 du mois prochain l'élection d'un
membre du parlement pour le comté de Middleſex
, à la place du Sieur Wilkes dont les partiſans
deviennent chaque jour plus nombreux. Le 20 ,
ungrand nombre d'entr'eux a tenu une aflemblée
dans laquelle on s'eſt occupé des moyens de ſoutenir
ſa réélection . Ils ont formé à cet effet une
ſouſcriptionde 3340 liv. ſterling , & ont nommé ,
dit-on , des députés chargés de ſolliciter dans tout
le royaume des contributions pour le même objet.
On dit , dans le mémoire dreſlé à ce ſujet , que le
SieurWilkes ayant conſidérablement ſouffertdans
ſa fortune pour avoir ſoutenu les droits& l'intérêt
de la nation , il étoit juſte que celui qui ſouffroit
pour le public fût ſoutenu par le public. La
ville de Londres & pluſieurs provinces ſe diſpofent
, ajoute-t-on, à faire parvenir au pied du trône
de très - humbles ſupplications pour obtenir la
gracede ce priſonnier. Ses amis prétendent qu'avant
la fin de la ſemaine la ſouſcription ouverte
-àLondres qui a déjà produit des ſommes conſidérables
, ira à plus de 40 , 000 liv. ſterlings. L'élestion
du député du comté de Middlesex eſt fixéc
au 16 du mois prochain .
De Paris , le 27 Février 1769 .
Le vicomte d'Adhemar , dont quelques perfonnes
ont prétendu que le nom étoit Azemar& non
Adhémar , a préſenté au Roi une requête par laquelle
il ſupplie Sa Majeſté de vouloir bien , ſans
avoir égard aux premieres preuves qu'il a faites ,
lui nommer de nouveaux commiſſaires pour examiner
définitivement ſes titres. Sa Majefté kni
210 MERCCURE DE FRANCE.
ayant accordé la demande , le Sieur d'Hozier de
Serigny , juge d'armes de la noblefle de France , a
donnéun certificat , ſuivant lequel il eſt conſtaté ,
d'après les actes originaux tranſcrits & figurés ,
que les nomsAzemar & Adhémar ont une identité
parfaite ; qu'ils ont été portés indiſtinctement
par les branches d'Orange , de Montelimar , de
Grignan , de la Garde , de Lombers , de Villelongue
, de la Garinie , de Panac & de Montfalcon ;
que cette variété d'orthographe qu'on voit fur
tous les ſceaux de la maiſon d'Adhemar , & qui le
retrouve ſouvent dans le même corps d'acte , ne
peut , en aucune maniere donner atteinte aux preuves
que le vicomte d'Adhémar a miles ſous les yeux
de Sa Majeſté.
Du 6 Mars.
On écrit du château de Broglie en Normandie
que le 24du mois dernier , à neuf heures du ſoir ,
on apperçut un metéore qui parut ſous la forme
d'une pyramide lumineuſe de 20 ou 30 toiſes de
longueur , & éclaira tout le château& les environs.
Le ſommet de cette eſpéce de pyramide paroifloit
perpendiculaire au clocher de la paroifle ,
&ſa baſe qui n'avoit gueres plus de 3 ou 4 toiſes
de largeur s'étendoit vers le nord. Elle ne brilla
que pendant trois quarts d'heures , & commença
àſe diſſiper par ſa partie orientale; ſa baſediſparut
inſenſiblement , & ce phénomene fut ſuivi
d'une petite aurore boréale. On mande auffi de
Courtalin dans le Dunois , terre appartenante au
baronde Montmorenci ,que le 26 du même mois
il parut , vers les 8 heures & demie du ſoir , une
lumiere zodiacale très-distincte & en forme de fuſcau
: elle occupa plus des deux tiers de l'horiſoa
AVRII. 1769. 211
pendant environ trois quarts d'heure. Il paroiffoic
dans le même tems quelques lueurs d'une aurore
boréale qui n'eut rien de fort remarquable.
Le Sieur Meffier a obſervé hier une lumiere
finguliere. A quatre heures & demie du matin
ayant regardé le cielqui étoit ſerein , il a apperçu
àl'horifon une lumiere qui s'étendoit depuis le
nord-eft juſqu'à l'eſt , & qui s'élevoit d'environ
15degrés. Le foyer étoit au nord-eft , & la lumiere
répandue dans cet eſpace du ciel étoit rougeâtre
& ſemblableà celle qui précéde ordinairement
le leverdu ſoleil dans les grands jours de
l'été. Ce phénomene ne s'eſt diffipé que dans un
crépuscule déjà conſidérable ; cette lumiere reffembloit
affez à une aurore boréale , toute la
différence conſiſte en ce que celle- ci étoit rougeâtre
au lieu que la lumiere des autres eſtblanchatre.
Elle avoit à - peu - près la même étendue & la
même hauteur que l'aurore boréale qui a paru ici
le 26 du mois dernier vers les dix heures du ſoir .
LOTERIES.
Le quatre-vingt-dix-huitieme tirage de la lotterie
de l'hôtel - de - ville s'est fait le 25 Février
en la maniere accoutumée. Le lot de cinquante
mille livres eſt échu au No. 10266. Celui de vingt
mille livres , au No. 158.48 , & les deux de dix
mille aux numéros 6674 & 7329 .
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire
s'eſt fait le 6 Mars. Les numéros , ſortis de
la rouede fortune font , 83 , 43 , 80, 42& 25 .
212 MERCURE DE FRANCE.
MORT S.
Jean-Jacques, comte de Ligniville , comte de
P'Empire , chambellan de feu Léopold , duc de
Lorraine & de Bar , & lieutenant- colonel de ſon
régiment des gardes , chevalier de l'ordre militaire
du Roi de Sardaigne , &grand bailli d'Epinal
, eſt mort à Paris le 18 Février , âgé de 76
ans; il a eu de feue Elifabeth , comteſſe de Saureau
ſon épouſe, vingt - deux enfans, dont onze
font encore vivans .
Jean de Boullongne , comte de Nogent , commandeur
des ordres du Roi , ancien contrôleurgénéral
, & honoraire amateur de l'académie
royale de peinture , eſt mort le 21 Février dans la
foixante -dix- neuviéme année de ſon âge. L'application
, l'intégrité & le zèle avec lesquels il a
rempli les emplois & les places qui lui avoient été
confiées , & fon amour pour les lettres & les arts
fontnaîtrede juſtes regrets de la perte.
Bernard Chriftophe , marquis de Bragelongne,
de l'ordre royal & militaire de St Louis , colonel
d'infanterie , lieutenant & aide - major au régiment
desGardes-Françoiſes , mourut ici de la petite vérole
le 26 Février , âgé de quarante ans .
Marie- Anne Marc de la Ferté , veuve d'Antoine
de la Myre , chevalier de l'ordre royal & militaire
de St Louis , ſeigneur baron châtelain d'Hangen
&d'Aveneſcour , mourut le 13 Février ; fut préſentée
à St Nicolas-des- champs ſa paroiſſe le 15,
&tranſportée à d'Aveneſcour en Picardie , lieu
de ſa ſépulture. Elle étoit la derniere de cette ancienne
maiſon des Marc , dont parle Jean Pillet
dans ſon hiſtoire de la ville & citadelle de Gerbery,
imprimée à Rouen en 1679.
AVRIL. 1769 . 213
Anne - Dorothée de Bertainvillier , veuve de
Claude-Alexandre de Pons , marquis de Rennepont
, maréchal de camp , eſt morte au Châteaud'Aban
en Franche-Comté le 21 Février , âgée de
quatre- vingt& un ans .
Hugues Taquet , charetier , mourut à Saint-
Venant en Artois le 20 Février , âgé de 103 ans
accomplis ; il n'avoit jamais été malade. Sa femme
, qui eft à-peu-près du même âge , ſe porte encore
fort bien.
Jeande Bonneguiſe , évêque d'Arras , eft mort
dans ſon diocèſe le 28 Février , âgé de 63 ans .
Louiſe- Françoiſe de Mailly-Nefle , veuve de
Jacques-Antoine de Beauffremont , marquis de
Liſtenois , chevalier de la toiſon d'or , maréchal
de camp &meſtre de camp du régiment de dragonsBeauffremont
, tué à l'âge de vingt- cinq ans
au fiége d'Aire en 1710 , eſt morte à Sens , le 26
Février , dans l'abbaye de St Antoine. Elle étoit
filledu feu comte de Mailly , meſtre de camp général
des dragons & de N. de Sainte- Hermine ,
dame d'atourde feue Madame la Dauphine , mere
du Roi , & enſuite de la feue Reine.
Anne-Angelique d'Harlus de Vertilly , épouſe
de Paul Sigifmond de Montmorency - Luxembourg
, duc de Boutteville , lieutenant-généraldes
armées du Roi , eſt morte à Paris le 28 Février ,
âgé de 69 ans .
Antoine Ferrein , docteur régent en médecine
des facultés de Montpellier & de Paris , ancien
médecin conſultant des armées du Roi , profeſſeur
en médecine au collége royal , & profefleur d'anatomie
au jardin du Roi , &penſionnaire de l'académie
royale des ſciences , eſt mort ici les du mois
dernier , âgé de 85 ans.
OnmandedePPaauu enBéarnque le nommé Pela
214 MERCURE DE FRANCE.
trony , ci-devant boulanger, eſt mort ſubitement
le 14Mars , à l'âge de 105 ans .
-Louis-Marie , marquis de Poulpry , lieutenantgénéral
des armées du Roi , eſt mort ici le 27 Février
, âgé de 68 ans .
Pierre-Antoine Parchappe de Vinay , abbé de
Prémontré& général de cet ordre , eſt mortdans
ſon abbaye les Mars ,âgé de 20 ans.
-
Il s'eſt gliflé au Mercure de Mars 1769 , à l'article
, Généalogie de la Maiſon de Gand , p. 226 ,
quelques fautes qu'il eſt eſſentielde corriger.
Pag. 229 , lig. 3 , Sire de Guynes , lifez, Siger de
Guynes.
231 lig. 25 Marguerite de Saucles , lif. de
Staucles.
236 lig. 20 Anne de Racs,fille de N. deRacs,
lif. Anne de Raes , fille de N.
deRaces.
P
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers &enprofe, pages
L'inoculation , chant H.
Epître àune laide
ibid.
7
Le Singe puni , fable , II
L'enfant&le fabot, fable , 12
Elégie, par M. Pope , traduite de l'anglois , 14
Traduction de l'hymne, Stupetegentes 20
Harangue d'un généralFrançois àſes officiers , 22
ASExc. M. le Baron de Goltz , 24
AVRIL. 1769. 215
Dialogue entre la Fontaine & Ronſard ,
Defene Podagro , & la traduction ,
AMlle N... le jour de ſa fête ,
25
34
35
Roxane , conte Perſan , 36
Sentiment ſur Héraclite & Démocrite , 54
Vers ſur la mort d'une amie , 55
Vers à M. de Belloi , 57
Vers pour le portrait de M. du Belloi ,
Vers à M. l'ancien évêque de Limoge ,
ibid.
ibid.
Vers aux Officiers François , aſſiſtans à une
repréſentation d'Adelaide , 58
▲Mademoiſelle R... ſur ſon aventure des
Tuileries
59
Impromptu fait à la comédie ſur Mademoiſelle
Lufi , ibid.
Stances ſur la mort de Mad. de Relongue ,
Inſcription d'une fontaine de la ville de
Reims ,
Air enmuſique ,
Explication des Enigmes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Eudoxie , tragédie ,
Hiſtoire du théâtre italien ,
Arminius , tragédie ,
60
62
63
63
ibid.
68
69
ibid.
83
84
Les nuits d'Young , 91
Sophronie , 95
Lettres d'un philoſophe ſenſible , 99
Nouvelle anthologie françoiſe ,
Continuation des cauſes célébres ,
102
105
Caules amuſantes , 106
Hiſtoire de François I.
110
Contes philoſophiques &moraux ,
121
Voyages & aventures du Chev. deD *** 129
216 MERCURE DE FRANCE.
Recherches ſur les découvertes microſcopiques
,
Sermons de M. Jacquin ,
Hiſtoire littéraire des Femines Françoiſes ,
Garrick ou les acteurs Anglois ,
131
143
141
142
SPECTACLES , Opéra , 144
Comédie françoile , 145
Comédie italienne , 147
Foire St Germain , 197
Ecole vétérinaire de Paris , 160
--de Lyon ,
161
Société économique d'Autriche , 162
-de Laubach , 163
ARTS , Gravure , 164
Muſique , 165
Patriotiſme, 170
Anecdotes de Dufreſny , 172
Eloge hiſtorique de M. de Chevert , 175
Lettres-patentes & arrêts ,
197
AVIS ,
199
Nouvelles Politiques , 207
Loteries ,
211
Morts , 212
J
APPROBATION.
AI lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le 1 volume du Mercure d'Avril 1769 ,
&je n'y ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher
l'impreſſion. AParis , le 30 Janvier 1769.
GUIROY.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue des Cordeliers.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU RO Ι .
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
AVRIL 1769 .
SECOND VOLUME .
Mobilitate viget. VIRGILE.
A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire
Chriſtine , près la rue Dauphine.
Rue
Avec Approbation & Privilège du Roi.
AVERTISSEMENT.
C'E'ESsTt au Sieur Lacombe , libraire , à Paris , rue
Chriftine , que l'on prie d'adreſſer , francs de port,
les paquets & lettres , ainſi que les livres , les eftampes
, les piéces de vers ou de proſe , la mufique,
les annonces , avis , obſervations , anecdoévénemens
finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eſtampes & piéces de muſique.
tes
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres&de ceux qui les
cultivent; ils ſont invités à concourir à ſon ſuccès;
on recevra avec reconnoillance ce qu'ils enverront
au Libraire ; on les nommera quand ils voudront
bien le permettre , & leurs travaux , utiles
au Journal , deviendront meine un titre de préférence
pour obtenir des récompenſes ſur leproduitdu
Mercure .
L'abonnement du Mercure à Paris eſt de 24 liv .
que l'on payera d'avance pour ſeize volumes rendus
francs de port .
L'abonnement pour la province eſt de 32 livres
pareillement pour ſeize volumes rendus francs de
port par la poſte.
On s'abonne en tout temps.
Leprix de chaque volume eſt de 36 fols pour
eeux qui n'ont pas ſouſcrit au lieude 30 ſols pour
ceux qui font abonnés.
On ſupplie Meſſieurs les Abonnés d'envoyer
d'avance le prix de leur abonnement franc de port
par la poſte , ou autrement , au Sieur LACOMBE ,
libraire, à Paris , rue Christine.
On trouve chez le même Libraire.
JOURNAL DES SCAVANS , in-4° ou in- 12 , 14 vol.
par an à Paris. 16 liv.
Francde port en Province , par la poſte. 20 1. 4 f.
ANNÉE LITTÉRAIRE , compoſée de quarante
cahiersde trois feuilles chacun , par an , à Pa-
115 ,
En Province , port franc par la Poſte ,
24liv.
32 liv.
L'AVANTCOUREUR , feuille qui paroît le Lundi
de chaque ſemaine. L'abonnement , foit à Paris
, foit pour la Province , port franc par la
poſte, eftde 12 liv.
JOURNAL ECCLÉSIASTIQUE , par M. l'Abbé Di
nouart ; de 14 vol . par an , à Paris , 9 liv . 16 .
En Province , port franc par la poſte , 14liv
JOURNAL ENCYCLOPEDIQUE , à Paris & en Province
, port franc par la poſte , 33 1.12 1.
EPHEMERIDES DU CITOYEN OU Bibliothéque raiſonnée
des Sciences morales & politiques.in - 12.
12 vol . paran port franc , à Paris , 18 liv.
En Province , 24 liv.
JOURNAL D'EDUCATION composé de 12 vol . par
an ; port franc par la poſte à Paris & en Pr. 121.
A ij
Nouveautés chez le méme Libraire.
HISTOIRE anecdotique & raiſonnée du
Théâtre Italien & de l'Opéra comique , 9
vol . in - 12 . rel . 221. 10 1.
Hiſtoire littéraire des Femmes Françoiſes
avec la notice de leurs ouvrages , svol .
grand in - 8 ° . rel. avec une gravure , 251.
Variétés littéraires , 4 vol. in- 1 2. rel . 101.
Nouvelles recherchesſur les Étres microfcopiques
, &c. in- 8 °. br. avecfig. sl.
Situation des finances de l'Angleterre , in-4° .
broch
4liv.4 f.
Tablede laGazette de France, 3v. in-4°. b. 241.
Commentaires fur les Mémoires de Montecuculi,
par M. le Comte de Turpin-Criſſé ,
3 vol. in-4°. broch. 42 liv.
Contes Philofophiques deM. dela Dixmerie,
3 vol. in - 12. brochés , 61.
Dictionnaire de l'Elocutionfrançoise , 2 vol.
in-8°. rel . وا
'Les Nuits Parifiennes , vol. in-8 °. rel. 41.10 .
Le Politique Indien , 11.106.
Differtation fur le Farcin , 1 1.
Eloge de Henri IV, par M. Gaillard , 1 liv. 10 f.
'Autre Eloge avec gravure , par M. de la
Harpe, 11.16f.
Tableau des Grandeurs de Dieu dans la religion&
dans la nature , in- 12. br. 21.
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL 1769 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
OBSERVATIONS de M. Mailhol
fur l'Epture ſuivante.
COMMENT ofer fonger à intéreſſer pour
Fayel , pour un mati barbare qui , fans
même être convaincu de l'infidélité de
ſon épouſe , lui fait manger le coeur de
fon amant !
On peut répondre que les perſonnages
d'Othello , de Radamiſte , ont excité dans
toutes les ames la pitié la plus tendre .
A iij
6 MERCURE DE FRANCE .
Maistoute bonne tragédie eſt un grand
chef - d'oeuvre ; & toute héroïde n'eſt
qu'une foible efquiffe.
Elle ennuyeroit ſans doute le lecteur ,
ſi l'on vouloit y filer , comme dans la
tragédie , la marche , le combat des paffrons,&
les incidens qui les font varier.
D'un autre côté , nous voyons qu'on
peut ſe permettre dans l'héroïde des idées,
des images , des expreſſions qui révolteroient
dans un drame : elle a des beautés
qu'on pourroit nommer exclusives , &
ce ſeroient des richeſſes perdues pour un
ſujet intéreſſant qui ne verroit le jour que
ſous la forme de la tragédie..
Fayel , des bords du tombeau , écrit à
fon frere. Son tempérament , ſon éducation
, fon amour , les conſeils qu'on lui
donne, ce qu'il voitlui-même, les déchi.
remens de ſon coeur, ſes remords , fa
fin ; que d'objets &de motifs pour le rendre
fupportable , &peut- être pour le faire
plaindre à fon tour !
: J'ajoute qu'il fait des apoſtrophes injurieuſes
au ſexe enchanteur , que nous chériffons
tous. Mais , jaloux par caractere ,
ſe croyant deshonoré , furieux contre les
hommes , les femmes , & lui - même , at-
il dû parler autrement ?
AVRIL. 1769.. 7
Le Comte de Fayel , époux de Gabrielle
de Vergy , à Fayel fon frere.
[
EPITRE.
E glaive de Fontal vient de percer mon flanc ,
Et l'écrit que tu vois eſt tracé de mon fang.
Celle que j'adorois me couvrit d'infamie ;
Ala mort, ſon parent vient m'arracher la vie :
Fidéle à ton devoir , mon frere , arme ton bras ;
Venge l'amour , l'hymen , ma honte & mon
trépas.
La guerre , en t'éloignant , te cacha mon outrage :
Lis , pleure , & , s'il ſe peut , reflens toute ma
rage.
Omon frere , dis-moi : les ſermens ſolemnels ,
Le lien de deux coeurs , formé ſur les autels ,
Dela ſociété ces appuis néceſſaires ,
Sont- ils donc à nos yeux devenus des chimeres ?
Et la fidélité , la décence , l'honneur
Ne ſont- ils plus connus par un ſexe trompeur ?
Devos maîtres foumis compagnes trop chéries ,
Agréables tyrans , ſéduiſantes furies ,
Objets de nos deſirs , ſources de tous nos maux ,
Vous êtes , à la fois , nos dieux & nos fléaux .
Fayel , tu meconnois. Mon bouillant caractere
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Contre moi , dès l'enfance , arma le coeur d'un
pere.
Rigide par orgueil , il voulut réprimer
De violens tranſports , qu'il auroit dû calmer.
Contraignant ma fureur , rongé par la ſouffrance ,
Je déteſtai le monde & ma propre exiſtence ;
Les crimes des humains m'ont trop juſtifié,
Neconnoiffant encor l'amour ni l'amitié.
Enfin , pour m'arracher à ma peine cruelle ,
Sur moi-mêmej'allois ... Mais je visGabrielle...
Je la vis : que d'appas ! quel ſoudain changement !
Souvenir enchanteur ! .. & qui fait mon tourment
! ..
Je la vis , & mon ame étonnée , attendrie
Sentit en un inſtant tout le prixde la vie.
J'oubliai mes fureurs ; ou plutôt dès ce jour
Je ne reſſentis plus que celles de l'amour.
Le printems ranimoit & paroit la nature.
Mille naiſlantes ficurs couronnoient la verdure.
Leurs parfums lentement s'élevoient dans les airs.
Lesoiſeaux empreflés y méloient leurs concerts.
L'aſtre éclatant du jour , pour prix de cet hommage
,
Rendoit à l'univers des rayons ſans nuage.
Et tout être ſenſible , à ces feux enflamé ,
Cédoit au doux beſoin d'aimer & d'être aimé.
La jeune Gabrielle entraînant ſes compagnes
Alors , d'un pas léger , parcouroit nos campagnes.
AVRIL. 1769 .
Quelle brillante cour ! que degraces ! quels traits!.
Ah ! combien Gabrielle effaçoit tant d'attraits !
Je veux par quelques mots... mais , mon ame
hautaine
Treflaillit , & trembla devant ſa ſouveraine :
Ma bouche , à ſon aſpect , ne put que bégayer
Le tendre nom d'amour , qui ſembla l'effrayer.
Qu'à ce ſexe enchanteur la feinte eſt naturelle !
Déjà dans les tranſports d'une ardeur immortelle
Son coeur étoit en proie à l'odieux rival ,
Dont le bonheur devoit m'être enfin fi fatal .
J'ignorois leur penchant. Trompé par l'appa
rence ,
Entraîné par l'amour , ſéduit par l'eſpérance ,
Dans les fers de Vergy brûlant de m'engager ,
Aux gouffres des enfers je courois me plonger.
Richeſſe defirée , & ſouvent importune ,
Biens , moins doux qu'enviés , préſens que la fottune
Nous fait pour nous corrompre & nous tyrannifer
;
Trop utiles métaux , que l'on doit mépriſer ;
Et vous rang , dignités , éclatantes chimeres ;
Idoles des humains queje tins de mes peres ,
Vous pouviez de Vergy ſéduire les parens ;
Que vous devintes chers à mes defirs ardens !
Je parlai , je preſſai. Ma paſſion cruelle
Vingt fois me fit tomber aux pieds de Gabrielle.
>
Av
10 MERCURE DE FRANCE .
Je baignai de mes pleurs la trace de ſes pas ;
J'offris ma main , mon ſang à ſes traîtres appas ;
Priere , emportemens , ſoumiſſions , careſſes ,
Tout fut vain ; de refus on paya mes baſſeſſes :
On détournoit les yeux... Ces yeux encor fi
beaux ! ..
Chaquejour augmentoit mon amour & mes maux.
Cher Fayel , c'étoit peu : l'inftant fatal arrive ;
Dubonheur dedouter pour jamais on me prive.
Quel tourment pour mon coeur brûlant & déchirét
J'apprends que de Vergy Raoul eſt adoré :
Oamon frere, quel fort ! quelle douleur extrême !
Cet amour de Vergy , je l'apprends d'elle- même !
Ah! juge de ma rage & de mes noirs tranſports.
Ma main à mon rival prépare mille morts :
Ou , je veux , fuccombant ſous ſon bras que j'abhorre
,
'Voir s'éteindre avec moi l'horreur qui me dévore.
Mais Raoul diſparoît par la guerre entraîné.
Tout change ; par l'hymen je ſerai couronné.
Des parens de Vergy la promeſſe eſt formelle :
Et , ſoit qu'on ait contraint , ou ſéduit Gabrielle ,
Son ame à mes deſſeins cefle de réſiſter :
Auplus flateur eſpoir je me laiſſe emporter.
J'oublierai tout , lui dis-je , oubliez ma colere ;
> Oubliez le mortel , qui ſçavoit trop vous plaire .
>> Satisfaites celui qui vous donna le jour :
> Ou plutôt , ne ſongez qu'à mon fidéle amour.
AVRIL. IT 1769 .
› Vergy , reçois les voeux d'une ame trop ſenſible.
>> Par grace , par pitié , ne ſois plus inflexible.
>> Aux pieds de l'Eternel viens recevoir ma foi .
>> Sois enfinmon épouſe , & viens regner fur moi.
>> Viens être de Fayel la compagne ſacrée ,
>>L>a reſpectable amie , & l'amante adorée:
>>>Par le plaiſir encor je charmerai tes ſens ;
>> Je ferai ton bonheur ; je l'eſpére& le ſens....
Quelle joie ! A mon fort Gabrielle eſt unie.
Au monde entier pour moi l'Eternel l'a ravie.
Dieu même l'autoriſe à combler mes defirs .
La nature & le ciel , conſacrant nos plaiſirs ,
Confondent ſaintement nos ardeurs mutuelles.
La décence & l'honneur nous couvrent de leurs
aîles :
Ledevoir dans nos bras conduit la volupté ,
Et nous unit au ſein de la félicité.
Sous les jaſmins d'Eden , tel notre premier pere...
Reflonvenir trop doux ! .. Et qui me déſeſpere ! ..
Raviſſante beauté , que para la vertu ,
Pourquoi m'avoir ſéduit ? ou pourquoi changeois-
tu ?
Raoul étoit abſent : mais , Fayel , l'art d'écrire
Sçait & bien réunir les coeurs qu'amour inſpire ! ..
Mon épouſe , rebelle à mes empreſſemens ,
Ofe ſe dérober à mes embraflemens :
Pour elle nos liens ſontde peſantes chaînes ,
Avj
1.2 MERCURE DE FRANCE .
Mes maux fontdes douceurs , mes plaiſirs ſontdes
peines:
Gabrielle me fuit. L'image d'un amant
L'obléde , fait ſa joie , &double mon tourment.
J'en pleure ; je frémis. Mes reproches , ma rage
Perfécutent envain l'épouſe qui m'outrage.
Tu connus , cher Fayel , mon fidéle écuyer :
Je crus à Gondebaut devoir tout confier.
Il apprit mes douleurs , ſervit ma jalouſie ,
Epiamon épouſe, excita ma furie.
Ses ſoins récompenſés éclairerent mon coeur :
De mes deſtins fon zèle accrut encor l'horreur.
« Raoul eſt de retour , me dit- il , & fa flame
>>>Vient fouiller votre couche , & ravir votre
>> femme :
> Ils doivent en fecret... que dis-tu ? Quels com-
>> plots !
>>Cher & cruel ami , vole , camble mes maux ;
2 Conduis-moi , montre- moi Gabrielle coupable.
>> Je l'ai perſécutée , & le remords m'accable :
→→ Je veux par ſon forfait me voir juſtifié.
Je veux , avec plaifir , ſans regret , ſans pitié ,
> Sur le ſein du mortel qui ſéduiſit ſon ame ,
>> Eteindre dans ſon ſang mon opprobre & leur
flame.
On meguide , on me ſuit vers un appartement
Où ma femme , dit- on , entretient ſon amant :
On ouvre; que d'horreurs ! aux pieds de Gabrielle
1
AVRIL. 1769. 13
Raoul reçoit un don des mains de l'infidéle ( 1 ) .
Il oſe d'un baiſer... Ciel! pourquoi mon courroux
,
En aveuglant mes yeux , égara-t- il mes coups !
Je ne pus me noyer au ſang de ces perfides :
Ils furent arrachés à mes mains parricides .
Mon heureux rival fuit ; & mon épouſe en pleurs
Ames pieds gémiſſante y brave mes fureurs .
Je combats vainement ma pitié qu'elle implore :
Armé , prêt à frapper , je ſens que je l'adore ;
J'héſite , je ſoupire ; &mon coeur éperdu
Pouffe , & retient mon bras tremblant & fufpendu....
ceNon , tu ne mourras point , objet cher & bar-
>> bare ,
>> Non , tu vivras , lui dis - je ; & ma main , qui
>> s'égare ,
>> Quand tu me fais ſentir tous les maux des enfers
,
>>Ne ſe plongera point dans tes flancs entrou-
ככ verts.
>> Mais , dans un noir cachot conduite & refferrée,
>> Des vivans & des morts tu vivras féparée...»
Elle veut repliquer. De zèle tranſporté
Gondebaut va remplir l'arrêt que j'ai dicté.
(1 ) On ſçait que Gabrielle eut la foibleſſe de
donner à Raoul une treffe de ſes cheveux.
14 MERCURE DE FRANCE .
Loin du jour , dans les fers , Gabrielle entraînée...
Quel ſpectacle ! .. Il glaça mon ame conſternée.
Sans être criminel auroit-on des remords ?
Moi-mêmeje voulus réprimer mes tranſports.
J'abhorrai ma fureur : je plaignis Gabrielle.
Les maux qu'elle ſouffroit , je les ſentois plus
qu'elle.
Et peut- être j'allois , tombant à ſes genoux...
Mais la perfide oſa me nommer ſon époux ...
Ce ſeul mot me rendit ma cruauté , ma rage.
Mon coeur ne ſentit plus que ſon indigne outrage.
Et , tandis qu'elle éprouve un trop doux châtiment
,
Je fuis , pour m'abreuver du ſang de ſon amant.
Raoul étoit parti : l'Europe réunie
Sous l'étendard du Chriſt l'entraîne vers l'Afie :
L'homme préſomptueux , vil , foible , criminel ,
Va défendre le fort , le juſte , l'Eternel .
Je veux ſuivre Raoul ; mais , pour punir ſon
crime ,
Je crains de perdre ici ma premiere victime.
J'héſite , je demeure ; & mon fort rigoureux
Au ſein de la vengeance en devient plus affreux :
Elle excite mon coeur , le charme & le dévore.
La guerre& les deſtins me ſecondent encore ;
Mon rival eſt frappé... Mais , des bords du rombeau
,
Le perfide me fait un outrage nouveau ...
AVRIL. 1769 15
Hier , mon frere , hier , ô fatale journée !
Ovictime coupable autant qu'infortunée ! ..
Des nuages ſanglans répandus dans les airs
Attriſtoient la nature , & voiloient l'Univers.
Le ſoleil , à regret , inclinoit vers la terre
Quelques rayons perdus dans les feux du tonnerre.
Aux éclats de la foudre , au fifflement des vents
Les échos répondoient par des mugiſſemens.
Plein de trouble , d'ennuis , & flétri par ma peine
Je cherchois un abri dans la forêt prochaine :
Un voyageur paroît ; il fuit , c'eſt Baudilter :
C'eſt de mon ennemi l'imprudent écuyer.
Je l'appelle , & le ſuis ; je l'attaque , il expire :
Et je vois dans ſon ſein. Ciel ! je tremble à
l'écrire.
..
Le trépas de Raoul eut dû finir mes maux ;
Mais , Raoul , de ſon flanc arracha des lambeaux
Pour en faire à ma femme un don cher & terrible .
Deſon bonheur paſſé ce témoignage horrible ,
Ce gage , que je vois ... c'eſt ſon coeur palpitant.
Il a ſouillé ma main , qui le touche en tremblant.
«Oui ce préſent t'eſt dû , mes mains vont te le
>> rendre ,
>> Oui , m'écriai-je , un coeur fi fidéle & fi tendre
>>N>e fut fait que pour toi. Ton époux , dans ce
>> jour ,
>>Entl'uniſſant au tien , veut ſervir votre amour,
16 MERCURE DE FRANCE .
O mon frere , à ces mots... conçois -tu ma vengeance
?
Elle doit , s'il ſe peut , égaler leur offenſe ...
Ama femme le feu déguiſe mon deſſein ;
Les reſtes de Raoul ont paſlé dans ſon ſein.
D'abord l'art a trompé les ſens de Gabrielle :
Mais je lui fais connoître un mets fi digne d'elle ...
Quels cris ! quelles douleurs ! que de gémiſſemens!
Elletombe ; & ſon oeil verſe des pleurs ſanglans :
Sa pâleur... quel ſpectacle ! ah ! peut - il ſe décrire
!
Mon coeur , trop ſatisfait , s'émeut & fe déchire.
Vengeur à juſte titre , innocemment cruel ,
Je me crois , à la fois , barbare & criminel .
Je maudis ma rigueur & ma fureur jalouſe ,
Je pleure , je frémis... J'embraſſe mon épouſe...
Gabrielle renaît , mais pour me défier ,
Pour ofer m'accuſer & fe justifier.
Elle ne veut plus voir un époux qu'elle brave;
Elle repoufſſe au loin ſon maître & fon eſclave ..
Ade ſemblables traits , inattendus , nouveaux ,
Mon frere , quel ſoupçon irrite encor mes maux !
J'écoute , en friſſonnant , ces mots de Gabrielle :
<< Ton épouſe fut foible , & non pas infidéle ;
>> Reſpecte ma vertu , que tu ne connus pas ;
>> Et gémis d'un forfait... Elle meurt dans mes
>>bras ! »
OFayel , quels accens ! quelle image effroyable!
AVRIL. 1769. 17
Qu'ai-je fait ? Suis - je hélas ! malheureux &coupable
?
Pour me rendre l'auteur d'un forfait abhorré
Mes yeux & mon amour m'auroient- ils égaré ?
Je ne ſçais; mais hier , au ſein de tant d'allarmes ,
Gondebaut s'éloignoit , en dérobant des larmes...
Il nourrit mes fureurs , il en fut l'inſtrument...
O mon frere, conçois ma crainte & mon tourment.
Gabrielle peut-être , à regret combattue ,
Par la religion , par l'honneur retenue...
Non , non ; ſa bouche même avoua ſon ardeur :
Sa vie étoit ma honte , & ſa mort mon bonheur.
Son juſte châtiment , effroi de ſes ſemblables ,
Dans la poſtérité fera moins de coupables...
Agité par mon trouble& par ces ſentimens ,
Vainement au ſommeil je provoquois mes ſens ;
J'appellois Gondebaut , qui ceſſoitde paroître ;
Je pleurois , je mourois , je maudiſſois mon être ;
Quand un cartel m'appelle à des malheurs nouveaux.
Fontal de ſa parente a connu tous les maux :
Il prétend la venger. L'aurore naît , je vole...
Et je réſiſte en vain à ſon fer qui m'immole.
De la pitié , de l'art je reçois des ſecours ;
Etje vois , à regret , qu'on veut ſauver mes jours .
Mais... Fayel , quelle horreur , qui ne peut ſe
comprendre! ..
18 MERCURE DE FRANCE..
Al'inftant un billet.. Ah! frémis del'apprendre!..
Le monſtre ! .. Gondebaut , s'exilant de ces lieux ,
S'accuſe , ſe repent & déſille mes yeux .
Ila , par intérêt & par condeſcendance ,
Fomenté mes ſoupçons , & hâté ma vengeance.
Il écrit que ma femme a toujours combattu
Un penchant trop flatteur , proſcrit par ſa vertu.
S'abhorrant , mais trop tard , il dit que Gabrielle
Fut, malgré mes soupçons , eſtimable & fidéle...
Au crime le plus noirje me ſuis donc livré !
Les charmes , la vertu d'un objet adoré
N'out donc pu le ſouſtraire à ma main parricide !..
Soleil , éclipſe toi devant un autre Atride...
Quedis-je ! ces tyrans , que j'imite & je hais ,
Moins barbares que moi , punifioient des forfaits.
Etje refpire encore ! & , pour prix de mes crimes ,
Les enfers ſous mes pas n'ouvrent point leurs
abyſmes ! ..
Gabrielle : .. Ô remords inutile & rongeur ,
Agis, purge la terre , anéantis mon coeur..
Mon frere , garde- toi de venger un coupable
Qui rend à nos neveux notre nom exécrable.
Injaſte , furieux, opprefleur , aflaflin ...
Ah! Fontal m'a fait grace en me perçant le ſein...
Las de ſouiller le jour qui , pour moi , va s'éteindre
,
Je n'oſe demander que tu daignes me plaindre.
Faistaire dans ton coeur le fang & l'amitié.
AVRIL. 1769 . 19
Mon fort doit t'inſpirer l'horreur , non la pitié..
Si pourtant mes remords... eſpoir illégitime !
Ta haine doitme ſuivre & venger ma victime...
Gabrielle! .. une écharpe entoure encor mon flanc;
Je la déchire , accours dans les flots de mon ſang ,
Accours , &m'entraînant ſur le rivage ſombre ,
Unie avec Raoul , viens tourmenter mon ombre.
Par M. Mailhol.
EPITRE à une jolie Femme.
Vous habitez des lieux charmans
Que vous rendez plus beaux encore:
Ainfi la préſence de Flore
Embellit les jours du printems.
Au village vous venez plaire ,
Laſſe de briller à la cour :
Ainſi la mere de l'Amour
Quitte l'Olympe pour Cythere.
Eglé, fur ces champêtres bords ,
Afin d'en être plus légere ,
Vous troquez les peſans tréſors ,
Du bas -de- robbe & du grand corps ,
Pour le corſet d'une bergere.
Pauvre d'atours , riche d'attraits ,
Avec cette ſimple parure ,
Vous venez orner la nature ,
20 MERCURE DE FRANCE.
Pour la payer de ſes bienfaits.
Votre goût délicat & ſage ,
Vos yeux au faſte accoutumés ,
N'en aiment pas moins le feuillage
De nos arbuſtes parfumés ;
Et les doux concerts de ta lyre
Qui , ſous vos belles mains , ſoupire
Des accords fi voluptueux ,
N'ont jamais rendu votre oreille
Iaſenſible aux chants amoureux
Du roſſignol qui ſe reveille.
Qu'ainſi paflés les jours ſont doux !
Pour moi , tout en ſervant Bellonne ,
Aimable Eglé, je m'abandonne
Aux foins champêtres , comme vous.
Quand vous trouvez dans la prairie
L'onde qui fuyant ſous vos pas ,
A la tendre mélancolie
Vous mene en murmurant tout bas ,
Vous écoutez ce doux murmure ,
Piége tendu par les Amours ;
Moi , je vois fi cette onde pure
Eſt guéable pour les Pandours .
Pour embellir le païſage
Par quelques douces fictions ,
Votre eſprit facile & volage
Sepeint , ſur la cime des monts ,
La pastorale & fraîche image
AVRIL. 1769 . 21
D'un berger gardant ſes moutons ,
Et repétant quelques chanſons
Pour quelque beauté du village :
Moi , je place là des canons
Qui doivent faire un beau tapage.
Dans les bois vous cherchez l'ombrage;
Moi , de vrais poſtes à voleurs :
Dans les prés vous cherchez des fleurs;
Etmoi , belle Eglé , du fourrage.
Par un Officier.
VERS pour mettre au bas du portrait
de Madame R* * *
Si le peintre , aimableGlicere ,
A côté de votre portrait
Où je vois vos appas exprimés trait pour trait ,
Eût pu placer ce dieu qui ſçait ſéduire & plaire ,
Ç'eût été réunir le fils avec la mere.
La VE'RITE' , la FABLE & la RAISON.
Apologue.
UNjour , au céleste domaine,
LaFable diſputoit contre la Vérité :
22 MERCURE DE PRANCE.
La choſe en valoit bien la peine ,
Il s'agiſſoit de leur beauté.
C'eſt le grand objet des querelles
Des déciles & des mortelles .
Il étoit mal aiſé de les mettre d'accord.
On aſſembla la cour parlementaire ,
Pour juger cette grande affaire.
La Vérité parla d'abord.
Une preuve , dit- elle , ô Fable ;
Mais une preuve incontestable
Queje ſuis plus belle que vous ,
C'est que j'oſe paroître nue.
Ma nudité ne bleſſe point la vue ;
Elle est mon charme le plus doux.
Je tiens mes dons de la nature ,
Sur mon front on voit la candeur ,
J'ai pour tout voile la pudeur
Et mes attraits font ma parure.
La Vertu marche à mon côté ,
On aime ma ſimplicité ;
D'un regard aſſuré le ſage me contemple:
Je ſuis l'ame des plaiſirs vrais ,
J'habite très- peu les palais ;
Mais le coeur du pauvre eſt mon temple.
Vous n'avez pour adorateur
Qu'un monde fot , vain& frivole ,
Votre beauté n'est qu'un fard impofteur ,
Et vos plaiſirs un ſonge qui s'envole.
La Fable repliqua: point tant de vanité.
AVRIL 1769 .
23
Tous les hommes , ô Vérité ,
Appréhendent de vous entendre ,
Rarement on peut vous comprendre :
Parlez- vous : c'eſt toujours pour faire la leçon.
Vous vous plaiſez aux champs , on vous fuit à la
ville :
Vous pénétrer eſt partant difficile.
Que vous échappez même aux yeux de la raiſon.
Oui , vous avez , c'eſt choſe indubitable ,
Une beauté mâle & durable ;
Mais c'eſt dire aflez clairement
Que vous manquez de ces graces touchantes ,
D'un effet sûr , & toujours triomphantes ,
Le plus précieux agrément.
Jel'emporte ſur vous quand j'ai fait ma toilette,
Vous venez d'en faire l'aveu .
Eh bien done ! attendez un peu ,
Et ma gloire ſera complette.
Raiſon , que l'équité dicte vos jugemens.
De la victoire elle ſe croïoit sûre ;
Soudain d'ôter ſes plus beaux ornemens ;
Mais la maladroite à meſure
Qu'elle dénouoit ſes rubans ,
S'enlevoir une grace , & devenoit moins belle ,
Elle alloit s'enlaidir. Heureuſement pour elle
La Raiſon vint à ſon ſecours .
Ne vous dépouillez point de vos brillans atours ,
Lui dit-elle , ils vous font valoir bien davantage :
24
MERCURE DE FRANCE .
La parure vous fied , &d'en ſervir toujours ,
Vous aurez le rare avantage.
La Vérité charme ſans art
Les eſprits dont j'ai la conduite ;
Mais trop d'austérité paroît dans ſon regard
A ceux qui ne ſont pas conſtamment à ma ſuite .
Gouvernez les mortels , regnez toujours ſur eux :
Qu'un même intérêt vous raſſemble ,
Vivez d'intelligence enſemble ,
Vous y gagnerez toutes deux .
Allons , Meſdames , qu'on s'embraſle
Et de bon coeur ; point de grimace.
Jurez-vous àjamais une tendre amitié.
Par cet heureux accord vous deviendrez , ô Fable ,
Plus belle encore de moitié ;
Et vous , ô Vérité , mille fois plus aimable.
ParM. leMarquis de St Just.
A Madame la Marquise de Crufol . d'Amboiſe
qui me rendoit les oeuvres de M. de
St Lambert , dont la lecture l'avoit beaucoup
amusée.
Tor , que d'accord avec la volupté ,
Le dieu des arts toujours inſpire ,
Que ton fort eſt bien fait pour être ſouhaité !
Crufol
AVRIL. 1769. 25
Crufſol aime tes vers,& ſe plaît à les lire.
Ociel , qu'on doit être flatté
De joindre au don charmant d'écrire
Le talent plus heureux d'amuſer la beauté.
Par lemême.
A GLICERE , qui me reprochoit de
l'avoir quittée.
REPONDEZ-MOI , belle Glicere ,
Lequel des deux doit - on blâmer ,
Ou celui qui ceſſe de plaire ,
Ou celui qui ceſſe d'aimer ?
Par lemême.
A Madame de P*** qui faitjoliment
R
des vers.
:
IEN n'eſt plus vrai , jeune&belle Victoire ,
Un dieu m'a fait voir l'autrejour
Tes vers au temple de mémoire ,
Et ton portraitdans les mains de l'Amour.
II. Vol.
Par le même.
B
26 MERCURE DE FRANCE .
!
SOLIMAN & ZULMA. Conte
SOLIMAN étoit fils d'un roi de Perſe.
Une ambitieuſe belle-mère l'avoit éloigné
du palais dès ſa premiere jeunelle ,
pour affurer le trône à ſon fils. Elle le
faiſoitgarderdans un château où il n'avoit
pour compagniequ'un vieux militaire qui
luiſervoitdegouverneur.Elle neregardoit
ce vieillard que comme un honnête homme
, & elle croyoit qu'un honnête hommene
pouvoit faire de ſon élève qu'un imbécile.
C'eſt ce qu'il lui falloit. Elle ſe
trompa. Le fils qu'elle vouloit couronner
mourut. Le pere de Soliman qui ,
quoique dominé par ſa femme,avoit toujours
aimé fon fils , le rappella à la cour.
Ce vieux guerrier que la reine mépriſoit
avoit appris au prince dans ſa ſolitude
tout ce qu'il n'eût jamais pu lui faire
comprendre dans le palais des rois. Il
avoit nourri l'eſprit de ſon élève , des
fages préceptes du Poëte de Schiras , du
grand Sadi . Le jeune prince aimoit les
hommes & la vérité. Il déteſtoit la flatterie&
lesabus.Mais des défauts nuiſoient à
l'effet de ſes bonnes qualités. Il avoit les
paffions ardentes. Il étoit plus diſpoſé à
AVRIL. 1769. 27 :
l'enthouſiaſme qu'à la réflexion. Il avoit
dela morale dans le coeur & nulle politique
dans l'eſprit ; en un mot c'eût été un particulier
aimable , mais ce n'étoit pas un
grand prince. Il avoit pour ſa belle-mere
toutes fortes d'attentions & d'égards.
Cette femme qui le déteſtoit ne pouvoit
imaginer qu'elle n'en fût pas haïe . Elle
ne concevoit pas la vertu. Le roi approchoitde
ſa fin. Soliman ſe trouvoit ſeul
entre elle & le trône. Elle réſolut de
l'empoiſonner. L'eſclave qu'elle chargea
de l'exécution alla tout découvrir auRoi ,
qui fit arrêter la reine ſur le champ , &
informa ſon fils du complot tramé contre
ſes jours. Le prince ſe jetta aux pieds de
fon pere , & lui demanda grace pour la
coupable. Le roi qui avoit encore un
reſte de foibleſſe pour cette femme , céda
avec plaiſir à ſes inſtances ,&pardonna.
Un jour que Soliman chaſſoit dans un
bois avec ſes courtiſans , il apperçut de
loin unhomme aſſis ſur l'herbe , qui liſoit
& ne ſembloit pas entendre le bruit
de la chaſſe . Il envoya unEcuyer lui demander
quel étoit ſon nom& ſon pays ,
&s'il ſavoitque c'étoit le princede Perſe
qui chaſſoit ſi près de lui. Cet homme
répondit , je ſuis Cachemirien , je m'ap
Bij
!
28 MERCURE DE FRANCE.
pelle Tranquille , & je ſuis peu curieux
de voir des rois . Cette réponſe rapportée
à Soliman lui parut finguliere , il le fit
venir , s'informa de fon fort & le pria
de s'attacher à lui .
Tranquille avoit 40ans. Il y en avoit 20
qu'il étoit forti deCachemire ſa patrie, pour
voyager dans tout l'Orient. Il avoir rapporté
de ſes voyages une grande indiffé.
rence pour tout ce qu'on appelle moeurs,
uſages , opinions , préjugés . Ce monde
lui paroiffoit une grande foire , où des
charlatans ſe diſputent des dupes , où
l'on s'étouffe pour aller voir ce qu'on
mépriſe quand on l'a vu , & où des marchands
différens d'habit & de langage ne
ſe rapprochent qu'en un point , qui eſt le
defir de ſe tromper les uns les autres.
Quant à lui , il ne deſiroit rien que le
repos , n'eſtimoit que les jouiſſances paifibles
, & avoit employé toute ſon étude
&tout fon travail ſur lui-même , à n'être
jamais ni étonné , ni ému , ni trompé.
Son flegme contraſtoit parfaitement avec
la vivacité de Soliman. Ce prince le
goûta beaucoup , & comprit qu'il pourroit
lui être très-utile. Tranquille accepta
ſes offres , & conſentit à vivre auprès de
lui , fans répondre de rien pour l'avenir.
AVRIL. 1769. 29
Le roi mourut. Soliman monté ſur le
trône , demanda à Tranquille ce qu'il
devoit faire de ſa beile mere , qui non
contente de l'avoir voulu empoifonner ,
formoit encore des cabales & foulevoit
des mécontens. Il ne faut point la faire
périr , dit Tranquille. Ces exécutions ,
quoiques juſtes , ſont toujours odieuſes.
Enfermez- la dans une loge à l'hôpital
des fous , comme une inſenſée que l'âge
n'a pu guérir de l'ambition , & croyez
qu'elle ne ſera plus à craindre. Soliman
fuivit ce conſeil. La reine traitée avec
tant de mépris , parut en effet méprifable
au peuple qui alloit la voir. La rage
la rendit tout-à-fait folle , elle mourut
peu de tems après.
Soliman s'efforcoit de rendre ſes fujets
heureux & ne l'étoit pas lui-même .
Son caractère ardent ne lui permettoit
aucun ſentiment modéré. Il eût voulu
ſur le champ guérir tous les maux &
déraciner tous les abus , & fouvent il
augmentoit le mal , parce qu'il ne connoiſſoit
que les moyens violens. Il n'avoit
point cette prudence des eſprits doux
&lexibles, qui ſavent ſe ſervir du temps.
Le Sultan des Turcs l'inquiéta ſur la pofſeſſion
de Tauris & de ſes dépendances .
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
Soliman pouvoit traîner les chofes en
longueur , juſqu'à ce qu'un nouveau régne
qui ne paroiſſoit pas éloigné changeât
la face du ferrail & l'eſprit du miniſtere.
Mais révolté d'une prétention
injuſte il ſe hâta de faire la guerre , &
ſe vit bientôt contraint d'épuiſer l'or &
le ſangde ſes ſujets .
Paſſant un jour dans une de ſes villes
frontieres avec Tranquille dont il ne
pouvoit ſe ſéparer , il apperçut à une fenêtre
une jeune fille de dix- sept ans , jolie
, brillante de l'incarnat de la jeuneſle.
La chaleur lui avoit fait ôter ſon voile .
Ses joues étoient couvertes de ce coloris
tendre , qui exprime à la fois la modeſtie
&les defirs. Il en fut charmé & voulut
ſavoir qui elle étoit. Son pere étoit un
Seigneur Perfan , diſgracié fort injuſtement
ſous le dernier regne. Soliman ſaifit
le prétexte de rendre juſtice au pere ,
pour rendre viſite à la fille. Il étoit aimable
, il vouloit plaire , & Zulma lattée
des ſentimens qu'elle inſpiroit n'en devint
que plus ſéduiſante. Le prince fortit
enivré de ſa nouvelle paffion. Quelle est
belle ! diſoit - il à Tranquille. Quelle
douceur modeſte ! Quelle grace dans ſes
réponſes ? C'eſt une grande queſtion ,
AVRIL. 1769. 31
ditTranquille , ſi l'extrême ſenſibilité eſt
un grand bien ou un grand mal . Les
philofophes.... Oui , dit Soliman , elle
ſera mon épouſe. Elle en eſt digne. J'en
crois mon amour. L'amour est un état
violent , dit Tranquille. Rien de violent
n'eſt durable . Plus la tendreſſe eſt vive ,
plus elle s'épuiſe.Ah! Parle-moi de Zulma
, dit Soliman. Conviens qu'elle mérite
le trône. Je le crois , dit Tranquille,
&je ne doute pas qu'elle ne puifle vous
rendre heureux , ſi vous favez l'être
mais je crains votre caractère impétueux .
Vous allez épouſer Zulma. Votre amour
qui n'a pas encore eu le temps de s'affermir
& de devenir un fentiment
profond , s'éteindra par la jouiffance.
Cette enfant au contraire vous aimera
long-tems ; car elle n'a encore aimé que
vous. Vous ferez une malheureuſe , &
c'eſt un crime. Ah! dit Soliman , je ne
puis ſeulement concevoir comment je
ceſſerai de l'aimer. C'eſt que vous l'aimez
actuellement , dit Tranquille. An
farplus , s'il faut que vous l'époufiez &
que vous deveniez inconſtant , il n'y aura
rien que de fort ordinaire. Apparemment
que cela eſt dans l'ordre . Aini foitil...
Soliman trouva ce raiſonnement fort
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
bon , & le lendemain il époufa Zulma.
Tranquille avoit prédit juſte. Soliman
fut bientôt raffaffiéde ſon bonheur ; bientôt
l'ardente activité de ſon ame , le beſoin
de nouveaux objets , les agaceries
des femmes de ſa Cour, l'éloignerent
peu à peu de Zulma. La tendreſſe naïve
de ſon épouſe cella d'avoir des charmes
pour lui. Elle manquoit de cet art que
donne aux femmes une expérience mépriſable
, lorſqu'elles ſont devenues aſſez
maîtreſſes d'elles mêmes , pour ménager
& varier à leur gré les témoignages de leur
amour & réveiller celui des hommes.
Soliman avoit à ſa cour une de ces
femmes artificieuſes qui joignent aux
dehors féduiſans de la vertu , tous les
agrémens que donne la connoiffance du
vice. Elle n'aimoit point le roi ; elle en
fut aimée éperdument. Elle le conduifit
où elle voulut , parce qu'elle ne ſentoit
rien pour lui . C'eſt le plus grand avantage
qu'une femme puiſſe avoir fur un
homme. Elle en profita. Elle mit ſa défaite,
à très-haut prix. Elle lui fit promettre
de ne plus voir Zulma . La vertueuſe
Zulma fut abandonnée. Elle pleura
l'inconſtance de Soliman , & ces larmes
qui ſont ſi puiſſantes dans un objet
AVRIL. 1769 . 33
aimé ne furent qu'importunes à ſon indifférent
époux. Bientôt il l'oublia entiérement
dans les bras de la perfide
Gulli.Tranquille lui en fit des reproches .
Il fut mal reçu. Il prit le parti d'aller confoler
Zulma . C'eſt un rôle affez dangereux
que celui de conſolateur auprès d'une
belle femme. Mais il s'appelloit Tranquille
, & de plus il étoit vertueux . Soliman
reviendra à vos pieds , diſoit il à
Zulma. Gulli trompe , & l'on ne trompe
pas long- temps. Le grand avantage que
la vérité a ſur le menſonge , c'eſt qu'elle
eſt durable & qu'il eſt paſſager. Zulma
accablée de douleurs mit au monde un
enfant qui mourut & penſa coûter la vie
à ſa mere. Soliman s'attendrit un moment
&revint toujours à Gulli .
Cependant il foutenoit une guerre
malheureuſe contre des ennemis habiles .
Son viſit Ofman le trahiſſoit , & fongeoit
à ledétroner. Ce miniſtre ambitieux
qui connoiſſoit l'inconſtance naturelle
aux Orientaux , avoit profité des mauvais
fuccès de Soliman pour le perdre dans
l'efprit des peuples. Le prince inftruit de
ces menées confulta Tranquille fur ce
qu'il avoit à faire. Il n'y a que deux partis
à prendre , dit celui-ci , il faut céder
By
34
MERCURE DE FRANCE.
le trône à Oſman ou le faire étrangler.
Soliman étoit affez de ce dernier avis ;
mais l'exécution n'en étoit pas très-aiſée.
Ofman commandoit l'armée. Le roi le
rappella . Mais le viſir dont le parti commençoit
à groſſir & à ſe fortifier , ſe fit
ſuivre par ceux qu'il avoit ſéduits , s'empara
des places les plus fortes du Coraffan
, & invita les Perſans à la révolte.
Le roi attaqué de tous côtés , marcha
d'abord contre les Turcs qui inondoient
ſes provinces , eſpérant qu'après avoir
vaincu l'étranger , il reviendroit avec
plusd'avantage contre ſes ſujets rébelles.
Il fut battu. Les troupes éclatèrent en
murmures , & ofèrent redemander Ofman
pour général. Soliman avoit de la
hauteur dans l'ame , & l'infortune ne
l'avoit pas ployée. Il parut hors de ſa
tente, & s'adreſſant à ſes ſoldats mutinés,
vous avez été malheureux , leur dit- il ,
parce qu'un perfide a ſéduit vos chefs &
a trahi ſon ſouverain , &loin de me demander
ſon châtiment & de m'aider à
le punir , vous m'outragez à votre tour !
Je ſuis votre roi. Des traîtres n'ont pas
voulu vaincte ſous mes ordres. Je vais
vous nommer les coupables . Qu'ils meurent,
& vous triompherez. En même
AVRIL. 1769. 35
tems il donna ordre à ſes gardes de ſaiſir
les complices qu'Oſman avoit dans l'armée.
Leurs têtes furent abbattues devant
lui . La foule qui craint lorſqu'on la brave
, & qui menace quand on la craint ,
vit leur fupplice & ſe tût. Mais la haine
fermentoit au fond des coeurs. Soliman
voulut tenterune ſeconde fois la fortune.
Il marcha à l'ennemi & combattit en
héros. Il vit ſes troupes plier de toutes
parts. Déſeſpéréde cette ſeconde diſgrace
il ne vouloit pas ſurvivre à ſa défaite .
Tranquille l'arrêta. Sçachez réſiſter au
malheur , lui dit- il, & il peut vous devenir
utile. Vous ne pouvez pas commander
aux événemens. Vous pouvez
commander à vous- même. Tout n'eſt pas
encore perdu. Recueillez les débris de
votre armée. Marchez à la Capitale ,
de peur qu'Oſman ne vous prévienne .
Songez qu'il exiſte une infortunée dont
vous avez fait le malheur , & que vous
devez conſoler. Ah ! dit Soliman , c'eſt
fur tout dans l'infortune que l'on ſent
l'amertume de ſes fautes. Ne me parle
point de Zulma. Elle doit we haïr. Il
eſt affreux d'aborder dans ſa diſgrace
ceux qu'on a offenſés dans ſa proſpérité.
Ils jettent ſur vous le regard de la ven
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
gence fatisfaite , & ils achevent cette
vengeance en vous plaignant. J'ai tour
fait, tout quitté pour Gulli. Je tiens à
elle par mes bienfaits autant que par
mon amour. Je ſens que mon coeur a beſoind'elle.
C'eſt auprès d'elle que je cours.
En s'entretenant ainſi , il reprenoit la
route d'Iſpahan. Il arrive. Il apprend que
le peuple eft révolté , qu'Ofman vient
d'être déclaré roi. La fureur le ſaiſit , il
entre en armes dans la ville , ſuivi de
peu de ſoldats. Il écarte une foule tumultueuſe
répandue fur fon paſſage , il vole
à fon palais. On vient lui dire qu'Ofman
entre dans ce moment par une autre
porte avec une nombreuſe ſuite :
Soliman hors de lui - même , court
à l'appartement de Gulli , qu'il veut du
moins enlever dans ſa fuite ; elle n'y
étoit plus. Des efclaves annoncent au
malheureux roi , en ſe jettant à ſes genoux ,
que Gulli eſt auprès d'Ofman , dont elle
a partagé tous les complots. Il jette un
cri . Ah ! Zulma ! Vous êtes bien vengée ,
& il tombe évanoui. Il reprend ſes ſens
avec peine. Venez , lui dit Tranquille ,
venez vers la fidèle Zulma , & fuyons
avec votre épouſe ſans regretter votre
ennemie. Allons demander du fecours au
roi d: Cachemire. Le roi ſans lui répon-
1
AVRIL. 1769. 37
dre ſe laiſſe entraîner ſur ſes pas juſqu'à
la chambre de Zulma. Zulma étoit auffi
diſparue. Ce dernier coup fut preſque
le coupde la mort pour le déplorable Soliman.
Il reſta immobile . Des larmes
couloient lentement fur ſes joues. C'étoit
le ſang qui ſortoit des bleſſures de
fon ame . Abîmé dans une douleur muette
, il ſe laiſſa conduire par des fouterrainsjuſques
hors des portes ,& ſe trouva
dans la plaine de Zenebal. Là , il jetta
loin de lui toutes les marques de fa dignité
, congédia le peu des ſiens qui l'avoient
fuivi , & demeuré ſeul avec Tranquille
il monta à cheval , & prit la route
de Cachemire .
Ils coururent juſqu'à la fin du jour ,
tous deux dans un profond filence , que
Tranquille ſe garda bien d'interrompre.
Il ſavoit qu'il faut reſpecter le premier
recueillement de la douleur. Ils
rencontrerent fur leur route un berger
qui jouoit ſur la flûte un air doux & tendre.
Soliman s'arrêta involontairement
pour l'entendre : la touchante harmonie
de cet inſtrument porta un moment de
calme dans ſon ame. Il s'approcha du
berger qui avoit quitté ſa flûte pour
chanter . Berger , lui dit-il , je te prie que
ces paroles foient le refrein de ta chanfon:
Malheureux Soliman , tu ne reverras plus
38 MERCURE DE FRANCE.
ta fidèle Zulma , & tu la pleureras toujours
, & il continua ſa route.
Ils apperçurent, comme la nuit s'approchoit,
unepetite habitation ruſtique , mais
qui leurparut commode & agréable. Ils s'y
préſenterent & furent très-bien reçus par
le maître de cette maiſon qui étoit un
bonGuébre. Il vivoit tranquillement avec .
ſa famille du travail de ſes mains. II
leur offrit un repas frugal& champêtre .
Que dit- on du Roi ? lui demanda Soliman.
Je n'en fais rien , dit le Guébre. Je
ne juge point mes maîtres , parce que
je les reſpecte ; & je n'écoute point
les bruits publics , parce qu'ils font
faux. Soliman ſe retira avec Tranquille
dans la chambre qu'on lui avoit
préparée. Pourquoi m'as tu ſuivi ? dit- il à
Tranquille . Quel lien t'attache encore à
moi ? Est-ce pitié ? Est-ce affection ? Un
homme aime-t-il un homme ? Ah ! Les
hommes ! ... Je les ai traités comme mes
freres , je les ai ſervis , je les ai aimés .
J'ai careſſé les tigres qui me déchirent.
Si je n'avois été pour eux qu'un deſpote ,
impitoyable , ils auroient devant moi
frappé la terre de leur front. Et Gulli,
l'exécrable Gulli ! ... Etre puni par celle
qui m'a rendu coupable ! trahi au moment
où l'on est malheureux ! l'infortune
n'a point de breuvage plus amer... C'en
AVRIL. 1769. 39
eſt fait , je renonce aux hommes , au
trône , à tour. Je n'irai point à Cachemire.
Je cultiverai ici la terre avec се
bon Guébre. La ſolitude & le travail
adouciront peut être mes regrets & mes
remords ; ou , quand tu voudras les renouveller,
quand tu jugeras queje ne ſuis
pas aſſez puni , tu me parleras de Zulma.
Je demeurerai volontiers avec vous ,
dit Tranquille ; une cabane m'eſt auſſi
agréable qu'un palais , & j'aime mieux le
travail que l'oiſiveté.AIſpahan j'obfervois
les hommes : Ici j'obſerverai la nature.
Ils demeurèrent ſix mois dans l'habitation
duGuébre & cultiverent ſon jardin . Soliman
étoit toujours plongé dans une
triſteſſe amere , & il n'avoit de foulagement
que dans les inftans qu'il s'attendriſſoit
avec Tranquille au ſouvenir de
Zulma , & parvenoit à pleurer.
Un matin ils virent paffer un Derviche
, qui ſans trop les regarder leur demanda
l'aumône. Son front étoit ſombre
&ridé,&fes regards tournés vers la terre.
Soliman le conſidéra avec quelque atrention
& reconnut Ofman. Dans le premier
mouvement d'indignation que lui
caufa la vue de ce ſcélérat , il porta la
main à un poignard qu'il avoit à ſa
ceinture. Mais Tranquille l'arrêta : de
40 MERCURE DE FRANCE.
qui voulez- vous vousvenger, lui dit-il ,
& que vous faut-il davantage ? L'ufurpateur
de votre trône vient vous demander
l'aumône. Croyez vous qu'il vous ſoit
poſſible encore de le punir ? Traître , lui
dit Soliman , qu'eſt devenue Zulma ?
Je l'ignore , repartit le Derviche . Elle
étoit fortie d'Ispahan , long temps avant
que je m'en fuſſe emparée. Et toi qui
t'en a fait fortir ? dit Tranquille. Un
jeune Perſan , dit le Derviche , nommé
Aménor a foulevé les Aghuans , peuples
les plus belliqueux de l'empire. J'ai perdu
une bataille . Gulli a été priſe par les
ennemis , & j'ai été obligé d'avoir recours
à ce déguiſement pour échapper à leur
pourſuite. Mais cequivous ſurprendraplus,
c'eſt qu'Aménor a publié dans un manifeſte
qu'il ne s'armoit que pour vous , &
qu'il vouloit vous rétablir fur le trône.
Au moment oùje vous parle, on vous
cherche pour vous ramener à Iſpahan .
Je n'irai point , dit Soliman . Je ne fouhaite
qu'une choſe , c'eſt de voir ce généreux
Aménor pour le remercier de fes
ſervices , & lui dire qu'il mérite mieux
le trône que moi. Quant à toi , pourfuis
ton chemin , & fi tu veux me faire quelque
bien après tout le mal que tu m'as
fait , ne découvre point ma retraite.
AVRIL. 1769. 41
Ofman s'éloigna. Je ne ſuis pointde votre
avis , ditTranquille à Soliman . Votre
déſaſtre vous a valu deux grands avantages
, de l'expérience & un ami. Pourquoi
ne pas en profiter ? Cet Aménor ne paroît
pas un homme ordinaire. Il n'y a qu'un
moyen de le récompenſer de ſes ſervices ,
c'eſt de les accepter pour faire le bonheur
de vos ſujets. Et d'ailleurs , pourquoi renoncer
à l'eſpérance de retrouver Zulma,
&de mettre votre couronne & votre repentir
à ſes pieds ? Cette derniere raifon
emut Soliman. Quand on vint le chercher
dans ſa demeure pour lui rendre fon
diadême , il demanda d'abord où étoit
Aménor , & lorſqu'on lui eut dit qu'il
étoit à Iſpahan & qu'il préparoit tout
pour le recevoir, il réſolut de s'y rendre
avec Tranquille. Il fut reçu aux acclamations
du peuple , & reconnut fur fa
route preſque tous ſes anciens ferviteurs
qui étoient venus au-devant de lui. Il
demandoit toujours Aménor. Mais Amé
nor ne paroiffoit point. Enfin il arriva
dans ſon palais , vit un trône élevé pour
lui , & deux femmes à genoux fur les
marches du trône. Quel fut ſon étonnement
, lorſqu'il reconnut Zulma & Gulli !
il ſe précipita dans les bras de Zulma ,
& voulut la relever. Non , lui dit Zulma,
42 MERCURE DE FRANCE.
jugez auparavant entre ma rivale & moi.
Il n'y a point d'Aménor . C'eſt Zulma qui
ſous les habits d'un homme , & animée
par l'amout a foulevé les,Aghuans. C'eſt
Zulma qui a défait Ofman , & qui maîtreſſe
des jours de Gulli , de celle qui a
fait fon malheur , a conſervé des jours
qui ont paru vous être chers. Elle eſt encoreà
vous ainſi que moi. Choiſiſſez entre
nous deux. Eloignez de mes yeux , s'écria
Soliman en montrant Gulli , éloignez
cette miſérable . Qu'elle ne paroiſſe jamais
devant moi , & embraſſant Zulma avec
tranſport , il la placa fur ſon trône. Vous
me l'avez rendu , lui dit-il , mais ce n'eſt
pas le plus grand de vos bienfaits. Je
vousdois tout.Vous n'avez rendu à moimême
, à mes ſujets , à la vertu. Aimezmoi
, lui dit la tendre Zulma , & vous
aurez fait pour moi encore davantage.
Soliman & Zulma ne goutèrent pas
longtemps leur bonheur. Le chagrin ,
poifon lent qui tue les coeurs ſenſibles ,
avoit altéré la ſanté de Zuima . Elle devint
bientôt languiſſante , & entrevit la
mort qui la menaçoit. Dans cet état d'affoibliſſement
& de douleurs , elle ſe conſoloit
par le ſouvenir de ce qu'elle avoit
fait pour Soliman , & ne s'occupoit qu'à
lui faire cublier les torts qu'il avoit eus
AVRIL. 1769 . 43
avec elle. Il fondoit en larmes auprès
de fon lit. Il la voyoit ſe conſumer inſenſiblement
, fans que jamais un mot
de reproche ſortit de ſa bouche. Elle
expira en fixant ſur ſon époux des regards
qui lui peignoient encore tout
l'amour que ſa voix ne pouvoit plus
exprimer & qui fut ſon dernier ſentiment.
L'ame de Soliman éprouvée déjà par de
fréquentes & terribles ſecouſſes , eut beſoin
de toute ſa force pour foutenir cette
nouvelle épreuve . L'active ſenſibilité de
ſon coeur devint peu à peu une mélancolie
profonde qui ne le rendoit que
plus appliqué à ſes devoirs en l'arrachant
aux distractions & aux plaiſirs. Deſtiné à
perdre tout ce qu'il aimoit , il vit mourir
Tranquille. Ille vit regarder la mort avec
autant d'indifférence qu'il avoit regardé
la vie. Ma vie a été calme , diſoit ce philofophe
, & ma fin l'eſt auſſi. Je n'ai
point connu vos grandes paſſions. Je
n'ai jamais tenu aux choſes humaines que
par des liens qui puffent ſe dénouer fans
douleur. La ſéparation eſt un déchirement
pour quiconque s'eſt lié plus fortement
que moi. Je n'éprouve point ce
fupplice, & je ſuis auffi prêt à continuer
44
MERCURE DE FRANCE.
de vivre , que je ſuis prêt à mourir . 'J'ai
été bien different de vous , dit Soliman .
J'ai fouffert beaucoup . Eh ! bien , dit
Tranquille , voudriez vous avoir eu en
partage ma froideur au lieu de votre ſenfibilité
? Je ne ſais, reprit Soliman . Mais
le moment où j'ai retrouvéZulma , a été
ſi doux , que je conſentirois àrecommencer
ma vie , pour le ſentir encore une
fois.
Sur l'arrivée du Roi de Dannemarck de
la cour de France à la cour Palatine.
S'ÉLOIGNANT à regret des rives de la Seine ,
Chriſtian, pour jamais , ſe croyoit ſéparé
D'un ami , d'un grand Roi des François adoré :
Les plaiſirs ſur ſa route ajoutoient à ſa peine ;
Mais dans Charle aujourd'hui ce monarque
charmé
Retrouve , aux bords du Rhin , Louis le Bien-
Aimé.
Le Comtede Couturelle , Chambellan
de S. A. S. E. Palatine.
AVRIL. 1769 . 45
LEANDRE & HERO. Romance.
Vous qui croyez qu'une ame tendre
Peut ſans honte verſer des pleurs ;
Dedeux amans daignez entendre
Etles amours & les malheurs.
Ils eurent un fort plein de charmes ,
Du ciel ſentirent les rigueurs.
N'eſſuïez jamais leurs allarmes :
Eprouvez long- tems leurs douceurs.
Tous deux étoient dans la jeuneſſe :
Tous deux aux argus abuſés
Cachant avec ſoin leur tendreſſe ,
Brûloient fur des bords oppolés.
L'intervalle n'eſt pas extrême ,
Et le bras de mer eſt étroit ;
Mais léparé de ce qu'on aime ,
C'eſt un océan qu'un détroit.
:
1
Chaque nuit l'amoureux Léandre ,
Quittoit à la nage Abydos ;
Héro defcendoit pour l'attendre
Sur le rivage de Seſtos.
Il n'a pas beſoin de bouſſole ,
Iln'a point d'aftre à confulter :
Une tendre ainante eſt un pôle
Dont l'amant he peut s'écarter.
1
46 MERCURE DE FRANCE.
Unfeu pourtant lui ſert de guide ,
C'eſt ton flambeau , charmant among
Héro, d'un ſexe plus timide ,
L'a mis ſur le haut de ſa tour.
Téméraire , craignez ce phare
Qui vous promet un heureux fort :
Son tropd'éclat ſouvent égare
Ceux même qui ſont dans le port.
L'enfant de Paphos en ſilente
Tantôt le ſoutient ſur les eaux ,
Tantôt en voltigeant lui lance,
Pour l'animer, des traits nouveaux.
L'amant ſent croître ſon courage ,
Et bientôt dégagé des flots ,
Des mains du dieu , ſur le rivage ,
Reçoit le prix de ſes travaux.
Lecouple heureux ſur la verdure
Sans bruit couronne ſes defirs ,
Et l'Amour qui les lui procure
Devientjaloux de ſes plaiſirs.
Tout eſt calme dans la nature ,
Tout eſt muetjuſqu'aux zéphirs ;
Ou, fi l'on entend unmurmure,
C'eſt le murmure des ſoupirs.
Diane, à ce charmant myſtere
Centfois a prêté ſon ſecours :
Cent foisà ladouce lumiere
AVRIL. 1769 . 47
Lesdauphins ont vu leurs amours .
Long-tems la route de Léandre
Se connutdans ces régions ,
Aje ne ſçais quoi de plus tendre
Qu'y gaſouilloient les Alcyons.
Mais tout- à-coup tandis qu'il nage;
La Jaloufie entre en fureur ;
Elle excite un affreux orage
Qui jette Héro dans la terreur :
Mille feux ſe briſent dans l'onde :
Et les Aquilons déchaînés ,
Contre le tonnerre qui gronde ,
Soulevent les flots mutinés,
Avec eux long- tems il diſpute,
Déplorable jouet du vent ,
C'eſt inutilement qu'il lutte
Contre le perfide élément.
Las! par une vague il eſpére
D'être ſur la rive poté,
Et par une vague contraire
Loin du bord il eſt rejetté.
L'amante à ce ſpectacle horrible
Que les pâles feux des éclairs
Nelui rendent que trop viſible ,
Deſes clameurs remplit les airs :
Comme ſa frayeur eft extrême
Sondéſeſpoir eſt indiſcret;
48 MERCURE DE FRANCE.
L'Amour , quand il perd ce qu'il aime ,
Ne ſçait plus garder ſon ſecret.
En vain l'infortunée implore
Des dieux qui ne l'écoutent pas.
En vain à l'amant qu'elle adore ,
La triſte amante tend les bras .
L'objet de ſes vives allarmes
Eſt prêt de périr ſous ſes yeux :
Il entend ſes cris , voit ſes larmes ,
Et ne meurt que plus malheureux.
La force lui manque... Il ſuccombe...
Il a vu ſon dernier moment .
Avec le flot près d'elle il tombe
Sans châleur & fans mouvement.
Héro ſe tait : fixe Léandre :
Se précipite au fond des mers ;
Etdu devoir d'une ame tendre ,
Laiſſe un exemple à l'Univers .
L'Amour , que la douleur irrite ,
Jure de ne bleſſer jamais .
La Beauté pleure , follicite :
Il ſourit : lui remet ſes traits .
Hélas ! s'il eût brifé ſes armes ,
Qu'il m'eût épargné de ſoupirs ;
Mais je lui pardonne mes larmes ,
Il m'adonné tant de plaiſirs !
ENVOI
AVRIL. 1769. 49
Envoi à Mademoiselle... à Londres.
It faut s'expoſer au naufrage ,
Quand on veut aborder au port.
Demain je quitte le rivage
Sans ſçavoir quel ſera mon fort :
Dieu des coeurs , fléchis ma Sylvie ;
Rends- la ſenſible à mon amour ,
Et que les vagues en furie
M'engloutiſſent.... mais au retour.
LE ROI BOIT. Conte.
L'AMOUR & l'intérêt avoient préſidé à
l'union d'Armand & de Claudine . Un
moulin bien achalandé faiſoit leur richeſſe
& leur occupation. Rien ne paroiſſoit
devoir altérer leur bonheur; mais l'amour
ſans obſtacle peut-il être de durée. Six
moisdejouiſſance & d'uniformité avoient
éteint celui d'Armand. Claudine en femme
habile ne s'exhale point en ces vains
propos qui aménent ſouvent la haine
à la ſuite du réfroidiſſement. Elle a trop
d'orgueil pour confulterſa voiſine, crainte
d'en être mépriſée, ſous l'apparence d'une
II. Vol. C
SO MERCURE DE FRANCE.
faufle pitié. Elle n'a recours qu'à ellemême
pour réchauffer l'amour de fon
cher inconſtant. La veille des rois fut
choiſie pour accomplir fon deſſein. La
nature avoit appris à Claudine que les
fêtes de Bacchus ſont des fleches pour
l'amour. Armand , dit-elle en ſouriant ,
tu vas à la ville -Oui-Apporte un
gâteau-Pourquoi faire?-les rois--J'ons
bien autre choſe à penſer... & le mari
bouru part en grondant. On l'attend. II
arrive , point de gâteau. Des plaintes ,
Claudine paſſe aux injures. Armand bat
ſa femme pour la premiere fois. Elle ,
au déſeſpoir, crie , ſe lamente , & fort.
Je vais me noyer , dit- elle en menaçant.
Le mari en colere mépriſe un tel propos.
Cependant elle approche de la riviere ,
prend une groffe pierre , la jette avec
ſa coëffe dans l'eau , & vite elle ſe cache
& ſe metauguet derriere un buiſſon. Le
bruit de la pierre éveille l'attention du
meunier. Il accourt ; la coëffe qui ſurnage
lui perfuade que ſa femme ſe noye.
Sans balancer , il plonge , il cherche , il
craint. Il leve les yeux au ciel , & voir
ſa femme qui ſe cache ſur le rivage , ou
plutôt il entend qu'elle crie : le roi boit,
le roi boit. Je l'avois juré , dit - elle , de
AVRIL. 1769. SI
crier les rois. La ſurpriſe de ce roi dans
l'eau , prévint ſa colere. La préſence &
la gaîtede ſa femme remirent ſes ſens
effrayés : elle lui tendit la main; l'amour
vint terminer cette plaiſante ſcène , &
jamais ménage ne fut plus heureux que
celuid'Armand & de Claudine.
EPITRE à Mile B***** , en lui
envoyant un Homère qu'elle m'avoit
demandé.
QUE la trifte & froide Dacier
De ſon latin s'enorgueilliſſe :
Que ſur le grec elle pâliſſe ;
Elle dut toujours étudier.
Il faut que laideur ſe conſole
Par l'avantage du ſçavoir ;
Mais la beauté ne doit avoir
Que l'Amour pour maître d'école.
Jamais éleve du Pouflin
Peignit- il ou Flore ou lesGraces
Liſant Plaute , Horace ou Lucain ?
Les ris , lesjeux ſont ſur leurs traces , ८
Elles ont des fleurs à la main.
Zéphire à Flore les arrache ,
Vole à Cyanne , & fur fon fein ,
:
4
Cij
52
MERCURE DE FRANCE.
1
Tout en folâtrant , les attaches
Il prend un baiſer libertin ,
Et parmi des rofiers ſe cache.
Voilà l'étude du matin ;
A toute autre , amour la préfére.
Le ſoir c'eſt encor même jeu.
L'emploi des nuits différe un peu ;
Mais je m'en tais , c'eſt un myſtere.
Ah ! croyez - moi , laiſſez Homère
Chanter Achille &tous les Dieux :
Vous ſçavez tout , vous ſçavez plaire ,
Et vous pouvez faire un heureux.
Par M. de St Just.
A Mademoiselle R*****.
A CETTE page-ci daignez vous arrêter !
Sur mon titre fixez ces beaux yeux que j'admire :
C'eſt vous , que mes vers vont chanter ,
Vous , dont j'idolâtre l'empire !
La proſe eſt circonſpecte , & parle avec détour ,
Mais le vers plus hardi riſque le mot d'amour.
Apprenez donc quej'aime :
Et qui ? Vous , oui , vous- même ;
N'attendez pas que je diſe pourquoi.
Tout le volume du Mercure
Apeine ſuffiroit à l'exacte peinture
AVRIL. 1769 . 53
Des attraits , dont mon coeur éprouve& fuit la loi.
Vos yeux , que j'ai nommés ..... Ah ! c'eſt la
moindre choſe !
Vous croyez cependant votre regne paſſé :
Eh ! quel objet par vous ne ſeroit éclipſé ?
C'eſt l'Immortelle enfin ſous l'éclat de la Rofe.
Moins belle , toujours vous plairiez !
Des graces fans minauderie ,
Un eſprit franc , fertile en propos variés ,
Une ame douce , égale , ſans envie :
Voilà des charmes pour la vie ,
Et je n'aimerois point ! ... ah ! Dieux... Quoi ! vous
riez !
Hélas ! que faut-il que j'eſpére ,
Et que répondrez- vous à qui n'a pu ſe taire?
Par M. Guichard.
VERSfur la chûte de cheval que le Roi
fit dernierement à la chaffe.
QUAUAND l'auguſte vertu s'unit au diadême ,
Faut-il par les douleurs qu'un grand Roi ſoit troublé!
Si tu permets ces maux , ôSageſſe ſuprême!
Louis peut les ſouffrir , ſans en être accablé.
Des François attendris écoute la priere ;
۲
Ciij
54
MERCURE DE FRANCE .
Pourun maître ſi bon l'amour est redoublé.
De leperdre ilſuffit que la terre ait tremblé,
Ton oeil confolateur veille ſur ſa carriere.
Quedegloire&de jours fon regne ſoit comblé!
..
Par l'abbéDelaunay, lecteur defeu S. A. R.
l'Infant Dom Emmanuel de Portugal.
LE PORTRAIT D'ELMIRE.
Chanson de guitearre.
De la plus tendre bergere
Je voulois peindre les traits :
L'amour me dit , téméraire ,
Tu n'y réuffiras jamais :
Connoître Elmire ,
C'eſt l'aimer ; :
La voir , c'eſt le lui dire ,
Et la peindre c'eſt la nommer.
Plein du feu qu'elle m'inſpire ,
J'oſe chanter ſes talens ;-
Mais mon impuiſſante lyre
N'apas d'accords aſſez touchans :
Connoître Elmire ,
C'eſt l'aimer :
La voir , c'eſt le lui dire,
Et la peindre c'eſt la nommer.
T
AVRIL.
1769.. 55
Du mélodieux Orphée ,
Saguittarre rend les tons ;
Moname en eſt tranſportée ,
Qui peuten imiter les ſons!
Connoître Elmire ,
C'eſt l'aimer ;
Lavoir, c'eſt le lui dire ,
Et la peindre c'eſt la nommer.
Par M. Moline.
:
LE MORALISTE.
Pour enſeigner la vérité
La fable fut toujours utile ,
Et l'homme eſt un enfant gâté
Qu'il eſtbonde tromper, pour le rendredocile.
UnMoraliſte attrabilaire
Aigrit ou ne fait qu'ennuyer ,
Il faut être für de nous plaire
Pour prétendre à nous corriger.
Autrefois la philoſophie
Sembloit faite pour les pédans ,
Nos bons ayeux l'avoientbannie ,
Ils ſe ſentoient encor du tems
De l'antique chevalerie ,
Et croyoient la galanterie
:
:
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Préférable à des argumens .
La morale , auſſi négligée ,
N'étoit ſoufferte qu'au fermon ;
Aujourd'hui la mode eſt changée ,
Par-tout on peut parler raiſon.
Il n'eſt de ſi mince brochure ,
Dont l'auteur , pour être goûté ,
Ne diſſerte ſur la nature ,
Ou ne prêche l'humanité.
S'il n'eſt un peu philoſophique ,
Un roman même n'eſt point lû ,
Et des préceptes de vertu
Sont mis en opéra comique.
En ſommes- nous plus vertueux ,
Diront des cenſeurs trop ſévéres ?
Il est vrai , nouspenſons autrement que nosperess
Mais agiſſons-nous beaucoup mieux ?
Notre morale eſt en paroles ,
Et quand il faut la pratiquer ,
L'intérêt ſeul eſt la bouſſole
Qu'on confulte pour s'embarquer.
Oneſt ſage par fantaisie ;
Mais s'il n'étoit pas dubon ton
Deparoître aimer la raiſon
Chacun reprendroit ſa folie.
/
AVRIL. 1769. 57
L'EXPLICATION de la premiere énigme
du premier volume du Mercure d'Avril
1769 , eft la confiance ; celle de la ſeconde
eſt le bas ; celle de la troifiéme eſt le
vuide ; celle de la quatrième le parafol
ou parapluye. Le mot du premier logogryphe
eſt ciel en françois , & celi en
latin; celui du ſecond eſt curedent , dans
lequel on trouve cure & dent. Celui du
troifiéme eſtſoubrette , qui renferme fou
&brette.
ÉNIGME.
A Madame la Comteſſe de R...
On m'accuſe d'être indifcret :
Trop aisément , dit- on , je me fais reconnoîtres
Iris , aujourd'hui , mon portrait
Sous des traits oppoſés à vos yeux va paroître.
Imaginaire & fabuleux
Je ſuis réel & véritable ,
Enfant, mais très-ancien,j'en ſçais plus que les
vieux ;
Jem'allarme aisément , quoique fort vedoutable,
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
Aveugle, monpouvoir réſide dans les yeux.
Quoique je fois inſatiable
Et comblé de dons précieux ,
Je ſuis nudcomme un miſérable.
Mais , c'eſt aſſez , Iris , vous m'aurez deviné ;
Car, c'eſt de vous que je ſuisné.
Par M. L. C. D. C. dA.
AUTRE.
QUOIQUE par nature immobile ,
Je ne ſuis pas ſans mouvement ,
Je vas , je viens , monte &defcends.
Je ſuis roide , ſouple & docile ,
Cependant je montre les dents.
J'habite au village , à la ville ,
Par- tout mon ſecours eft utile ,
Je ſers les petits & les grands ,
Les ſobres comme les gourmands.
Mais voyez comme on eſt honnête ;
Quoiqu'à tous les goûts je me prête ,
On m'exclud des appartemens,
Et quand je déloge, on m'y fête.
: ParM. R. D. L. G.
AVRIL. 1769 9
AUTRE. :
MrsIs freres me font tørt , m'éclipſent àlacour ;
L'un ſous un dais pompeux étale ſes richeſſes ,
L'autre est très- recherchédecertaines ducheſſes ;
Et je ſuis fans amans , moi , qui fuis faite au
tour.
: L
AUTRE.
LaVérité naïve & pure
Sa foeur , l'innocente Nature
Placent chez nous leurs plus beaux traits ;
Mais auſſi ſouvent l'Impoſture
?
S'y déguiſe ſous leurs attraits.
Images de l'eſprit , nous parlons ſans rien dire ,
Mais confidens peu fürsdans le tendre délire
Partageant tous les deux la même fonction ,
Réglant nos mouvemens , toujours à l'uniſſon ,
Faut-il que la nature avare ,
Parunfatal obſtacle à jamais nous ſépare !
Chacun peut lire en nous , comme cu un jour
ſerein,
L'atteinte du plaiſir ou celle du chagrin ;
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
Pour nous , privés du don de pouvoir nous la
peindre,
Nous ne ſçaurions nous voir , nous complaire ou
nous plaindre.
Enfin, chez les humains ,notre uſage eſt charmant
Nos dons font infinis ; on ne peut les décrire.
Au défaut de la voix , pour vanter notre empire ,
Nous avons eu le ſentiment.
ParM. de Jorna , créole
delaMartinique.
:
4
LOGOGRYPH Ε.
Dans les femmes j'ai l'avantage
Pour la douceur & la légereté
Dans les homines , pour apanage ,
J'ai la prudence & la folidité.
Sous des refforts cachés j'établis ma puiſſance.
Eſt- on auſſi ſur moi toujours en défiance ;
Malgré cette prévention , /
Faut- il encor qu'on paſſe à mon opinion.
Je décide au barreau , dans les académies ,
Jeme plais à la grille , au fein des compagnies
J'enfante l'union ou médis d'un chacun ,
Etje n'ai pas le fens commun.
AVRIL. 1769. 61
Dansun ſombre palais ſûrement défendue ,
Mes citoyens armés en gardent l'avenue.
J'ouvre ou ferme l'abord d'un goufre ſépulcral ,
Où je fais engloutir tout principe animal.
Veux-tu me voir ſous des formes nouvelles :
Ce n'eſt plus moi ; tu trouveras
Un eſprit pur des voutes éternelles .
Autre inétamorphoſe ! eh quoi, n'entends-tu pas !
L'animal qui donna quelque choſe à Midas ;
Me voilà dans les airs , je prépare l'orage ;
Ici je viens flétrir les plus charmans appas ,
Et marquer les degrés de la vie au trépas.
Adieu ; pour terminer un ſi rare aſſemblage ,
Je pars pour les forêts , comme animal ſauvage.
Après cela , fi tu ne peux parler ,
Je t'excuſe , lecteur , de ne pas me nommer.
J'en ai trop dit ; j'ai gâté mon ouvrage ;
Je me reconnois là; tâche d'en profiter.
Par leméme.
AUTRE.
COMME un ferpent je me gliffe par - tout
Cent fois je change de figure ,
Pour venir à mes fins & mieux faire mon coup.
Cinqpieds font toute ma ſtructure.
62 MERCURE DE FRANCE.
J'offre à qui veut les combiner
Choſequi ſertpour aligner ;
Un arbre qui toujours conſerve ſaverdure;
Nomqui convient peut- être à mon auteur ;
Unediphtongue , un terme d'aflurance ,
Unde mépris , undedouleur ,
Ceque porteun législateur ,
Et le ſynonyme àcréance. :
Par M. Mulot, praticien .
AUTRE.
DANS L'Empire Romain
quable,
je ſuis très - remar-
Même on peut lire dans la fable
Quejeſuisplacé près d'un dieu.
Le feu de mes yeux étincelle ,
Otez ma lettre du milieu ,
Aiole Yous ne me verrez plus qu'une aîle .
Par le même.
AVRIL. 1769 . 63
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Garrick ou les Acteurs Anglois , ouvrage
contenant des obfervations fur l'art
dramatique , ſur l'art de la repréfentation
& le jeu des Acteurs ; avec des
notes hiſtoriques & critiques , & des
anecdotes fur les différens théâtres de
Londres & de Paris , traduit de l'Anglois.
A Paris , chez Lacombe , libraire
, rue Chriſtine , petit in 8°. 199
pages.
CET ouvrage nous donne une idée
préciſe de la maniere dont les Anglois
ſavent appliquer à leurs moeurs les principes
de la nature ; il a fur- tout pour
objet d'initier les jeunes Acteurs dans
l'art de repréſenter au Théâtre. Cet art a
des régles eſſentielles que la plupart des
comédiens négligent trop , & qu'on ne
ſçauroit trop ſouvent remettre devant
leurs yeux : ils ne fentent pas affez les
avantages des dons naturels , puiſque la
plûpart ne ſe mettent pas en peine de
les cultiver. C'eſt l'étude qui peut les
conduire à la perfection, les préſerver
64 MERCURE DE FRANCE.
du défautde l'affectation, & leur apprendre
à ſe défier de l'inftinct aveugle de
la nature , qui , dès qu'elle eſt libre, abandonne
l'acteur timide ,&ſe plait ſouvent
àégarer celui qui a les plus grands talens ,
Le premier eſt toujours au-deſſous de
fon rôle ; le ſecond eſt quelquefois audeſſus
. Mademoiſelle Du... , dit- on dans
>> une note , qui porte dans le haut comi-
» que autant de talent que dans la Tra-
>>gédie , paroît dans la mere de Rhodope
>> s'élever un peu trop ; ſa grande ſenſi-
>>bilité eſt plus forte , plus belle que ce
>> qu'elle dit. Mademoiselle Lamotte
>>ſembloitjouer ce perſonnage aſſez bien;
>> le rôle étoit au -deſſus d'elle ; il lui
>> prêtoit un pathétique qu'elle n'avoit
>> point » . La monotonie eſt encore un
écueil que l'acteur doit éviter ; elle caractériſe
la ſtupidité ; la variété biſarre d'un
autre n'eſt pas moins dangereuſe ; il eſt
heureux pour eux que le commun des
ſpectateurs ne difcerne pas facilement la
bêtiſe uniforme d'avec l'eſprit outré. La
plupart font plus ſenſibles à l'extraordinaire
qu'aux bienſéances; les bons juges
ſont également bleſfés du défaut & de
l'excès. » Le comédien Baubourg , dont
-mille gens ſe ſouviennent encore ,
AVRIL. 1769 . 65
>> jouant Néron, diſoit à Burrhus en par-
>> lant d'Agrippine :
Répondez -m'en , vous dis-je , ou , ſur votre refus ,
D'autres me répondront & d'elle & de Burrhus.
>> avec des cris aigus & tout l'emporte-
>> ment de la férocité. Cette expreffion
> étrange renfermoit tant de vérité , que
>> tout le monde en étoit frappé de ter-
» reur ; ce n'étoit plus Baubourg , c'étoit
>> Néron même. Cependant ces deux vers
>> ſemblent demander uniquement la di-
>> gnité d'un empereur , & la tranquillité
>> cruelle d'un fils dénaturé: pointdu tout,
>> voilà un acteur fingulier, qui trouve
» encore le vrai en renverſant toutes les
>>régles . Cela prouve qu'au théâtre fur-
>> tout , l'air & le ton le plus exagérés ,
>> touchent quand on eſt naturel » . Il eſt
des inſtans , où la modération n'eſt que
bienféante & arbitraire ; dans quelques
autres elle eſt une beauté ; la vivacité , la
force , la paffion , ont des traits ſenſibles ;
elles réuſſiſſent preſque toujours , mais
combien faut-il de graces , de délicareſſe,
de grandeur même dans certaines actions
tranquilles. Shakespear nous préſente le
roi Richard à la veille d'une bataille déeiſive
, prêt à perdre la couronne & la
66 MERCURE DE FRANCE.
vie , goûtant la fraîcheur du ſoir , &
jouiſſant de tous les objets agréables qui
l'environnent. » L'air eft rafraîchiſſfant ;
» ces prairies nouvellement fauchées , ré-
>> pandent une odeurqui m'enchante. C'est
>> ainſi que le poëte met en action latran-
» quillité d'une grande ame à l'inſtant du
>>danger. Unde nos officiers marchant à
>> une attaque déſeſpérée apperçut une
>>oie ſauvage voler ſur ſa tête , &dit froi-
* dement : ily auroit là de quoi faire une
>> bonnefoupe. La fituation eſt la même ,
>> & fait voir des deux côtés le calme pat-
>> fait de l'ame dans un tems de terreur.
>> Le comédien ſenſé prononcera ces vers
> preſque avec nonchalance , d'un air
>>fimple , d'une voix douce , &plus fon
» débit fera dénué des ornemensde la ré-
>>citation&plus il ſera bean ; cependant
>> nous avons vu ces vers déclamés avec
>> faſte par un acteur affez renommé,
> ſans que le ſpectateur ait témoigné de
>>mécontentement. Le filence trop in-
>>dulgent & l'applaudiſſement trop pré-
>> cipité du public font , danstous les gen-
>> res , la ruine la plus prompte des talens
>>décidés ». Nous ne ſuivrons pas l'auteur
dans tous ſes détails; il s'étend ſur l'intelligence
, l'expreſſion, la variété , la
AVRIL. 1769 . 67
ſenſibilité , &c . néceſſaires à un comédien,
ſur les moyens de perfectionner la
ſenſibilité naturelle ; il l'exhorte fur- tout
à ne point chercher de modèle dans ſes
confreres , ou dans ceux qui l'ont précédé.
S'il ne veut être toujours une mauvaiſe
copie , c'eſt la nature ſeule qu'il doit étudier
& imiter. L'âge où les agrémens
extérieurs s'effacent , où les facultés de
fon ame s'affoibliſſent , eft celui où il
doit quitter le théâtre. Il faut lire tous
les préceptes dans l'ouvrage même qui
mérite d'être joint au petit nombre de
bons que nous avons ſur la déclamation
théâtrale , fur l'art du comédien ; on y
trouve de nouvelles vues , dont la juftefle
frappe & faiſit , &que les acteurs
&les ſpectateurs qui les jugent , liront
avec plaiſir & avec fruit.
Les viciffitudes de lafortune , ou coursde
morale , miſe en action pour ſervir à
I'hiſtoire de l'humanité , ouvrage orné
de figures en taille douce , avec cette
épigraphe :
Miferis fuccurrere difco. VIRG .
à Amſterdam, & ſe trouve à Paris
chez Delalain libraire, rue S. Jacques,
68 MERCURE DE FRANCE.
& le Jay , même rue , au- deſſus de
celle des Mathurins , 2 vol. in-1 2 .
Ceux qui aiment les lectures ſombres
trouveront de quoi ſe ſatisfaire dans ces
deux volumes ; ils préſentent pluſieurs
petites hiſtoires remplies d'événemens
ſouvent extraordinaires , toujours noirs
& quelquefois attendriſſans ; les héros
font des voyageurs perſécutés par la fortune
, fans ceſſe battus de la tempête ,
n'échappant à la mer que pour trouver
l'eſclavage ou la mort , & des malheurs
plus affreux encore. La multitude de leurs
aventures ne permet guères d'en faire
l'extrait; l'auteur a réuni pluſieurs fituations
lugubres& touchantes qui ne font
point ſans intérêt ; elles en auroient davantage
ſi elles étoient mieux liées entre
elles; les différentes impreſſions qu'elles
font ſur l'eſprit du lecteur ſe nuiſent les
unes aux autres ,& ne laiſſent plus dansl'ame
, à la fin de l'ouvrage , qu'un ſentiment
triſte & confus .
Antiquités de la Grèce en général , &
d'Athènes en particulier; par Lambert
Bos , avec les notes de M. Frédéric
Leifner , ouvrage traduit du latin par
M. la Grange , auteur de la nouvelle
AVRIL. 1769. 69.
traduction de Lucrece , à Paris chez
Bleuet , libraire , Pont Saint Michel ,
in- 12 .
Lambert Bos fleuriſſoit dans le dernier
ſiècle , il eſt mort en 1717. Il étoit profeſſeur
en langue grecque dans l'Univerſité
de Franeker. Parmi les ouvrages ſavans
qu'il a compoſés , celui-ci eſt le pluseſtimé;
ſon objet eſt de préſenter une eſquiſſe
de ce que les moeurs des Grecs ont de
plus agréable , de plus piquant& de plus
inftructif; c'eſt une deſcription abrégée de
leurs uſages , néceſſaire pour l'intelligence
des écrivains de cette nation , & le réfultat
d'une lecture immenfe& raiſonnée ,
à la faveur de laquelle le lecteur marche
toujours fûrement ſur la foi de l'autorité.
Le mérite de cet ouvrage l'a rendu claſſi.
que en Allemagne , il a l'avantage de
joindre à chaque uſage les termes grecs
qui y font relatifs , & de faire connoître,
en liant ainſi le mot à la choſe , la langue
par la nation , & la nation par la
langue. Frédéric Leiſner a mis des notes
qui montrent d'un coup d'oeil les ſources
dans leſquelles Lambert Bos a puiſé; ces
recherches pénibles pour celui qui les
fait , fatisfaiſantes pour celui qui les lit ,
ajoutent à l'utilité de cette production ,
70 MERCURE DE FRANCE.
&prouvent le ſoin avec lequel Bos a
travaillé ; on voit que partout il eſt ap.
puyé ſur des autorités , & qu'il ne s'eſt
pas livré à des conjectures. L'ouvrage
entier eſt diviſé ... quatre parties ſubdiviſées
chacune en pluſieurs chapitres.
Elles traitent de la religion , du gouvernement
civil , du gouvernement militaire
, &de la vie privée des Grecs. Nous
ne nous arrêterons pas fur cette production
peu ſuſceptible d'extraits , & qui
mérite d'être lue ; nous joindrons nos
voeux à ceux du traducteur pour le renouvellement
du goût des bonnes études,
qui malheureuſement ſont trop négligées;
les langues modernes font oublier
les anciennes. On pourroit réunir la connoiſſance
des unes& des autres ; il eſt à
craindre qu'on ne voie bientôt le grec
relégué avec l'hébreu & le ſyriaque ; on
ne ſe ſouvient plus que nous devons nos
chefs-d'oeuvres à l'étude réfléchie des
bons modèles de l'antiquité ; auſſi le
tems des chefs-d'oeuvres eſt il palle; il
ne renaîtra que quand on recommencera
à ſe nourrir des lectures qui ont échauffé
le génie des Corneilles , des Boſſuers ,
desRacine , des Voltaire , &c.
P
AVRIL. 1769. 71-
Les derniers adieux de la Maréchale de***
àfes enfans , par l'auteur de la converſation
avec ſoi-même ; à Paris chez
Bailly , libraire , quai des Auguſtins ,
à l'Occaſion , in - 12 , 392 pages.
On ſuppoſe dans cet ouvrage que la
Maréchale de ***, attaquée d'une maladie
mortelle , emploie ſes derniers momens
à l'inſtruction de ſes enfans; elle
a deux fils militaires , un troifiéme ecclé.
ſiaſtique , & une fille; elle les raſſemble
tous les foirs & leur parle de ce qu'ils
doivent à la religion , à la patrie , à la fo .
ciété; ces conférences intéreſſantes font
diviſées par ſoirées ; il y en a vingt une ;
la Maréchale fait fon hiſtoire dans la
premiere ; née avec un grand nom &des
richeſſes immenfes , elle a été élevée pour
le monde; tout ce qui l'environnoit lui
en peignoit les charmes ; on éveilloit ſa
vanité, on nouriſſoit ſon goût pour la
diffipation : un jour elle s'aviſe de lire
quelques pages de Nicole ; les réflexions
decet écrivain l'étonnèrent , ou je fuis
bien dupe de la vie queje mene , s'écria-telle
, ou cet auteur est un grand impofteur.
Une partiede plaiſir lui fit bientôt oublier
ce qu'elle avoit lu. Elle ne tarda pas à ſe
72 MERCURE DE FRANCE
marier ; ſon époux aimoit le faſte comme
elle ; ils dérangèrent leur fortune ; elle
le perdit trois ans après qu'il eût été fait
Maréchal de France . Cet événement devoit
la faire rentrer en elle-même ; elle
ſe livra au monde comme auparavant.
Un jour on donnoit une piece nouvelle
aux françois , elle fit la partie d'y aller
avecMadame de***.Elle ſe rend chez elle
pour la prendre , monte à ſon appartement
, la voit endormie ſur ſon lit , va
l'embraſſer , & trouve qu'elle eſt morte :
elle s'évanouit en pouſſant un cri qui attire
les domeſtiques que la conſternation
avoit écartés ; revenue à elle , elle apprend
que fon amie vient de mourir ſubitement;
elle retourne dans ſon Hôtel ,
effrayée de cet accident , & réfléchiffant
fur elle-même ; elle ſe rappelle le peu de
pages qu'elle avoit lues de Nicole , &
change de conduite. Après avoir donné
ainſi le précis de ſa vie à ſes enfans , la
Maréchale leur donne des avis; ils rempliffent
les vingt autres ſoirées , c'eſt une
mere tendre & éclairée qui épanche ſon
coeur devant eux ; les réflexions ſolides
qu'elle a faites , ſes études , ſon expérience,
luidiſtent les conſeils les plus utiles ;
le fentiment les anime & leur donne un
ton
AVRILL. 1769 . 73
ton plus touchant. Ce livre eſt fait pour
être mis entre les mains des jeunes gens ,
&furtoutdes militaires .
Dictionnaire critique , pittoresque&fentencieux
, propre à faire connoître les
uſages du ſiècle , ainſi que ſes biſarreries.
Par l'auteur de la couverſation
avec foi même ; à Lyon , chez Benoît
Duplain , libraire , rue Merciere , à
l'Aigle , in- 12,3 vol .
Le principal objet de ce Dictionnaire ,
eſtde faire connoître les différentes ſignifications
que l'uſage & la mode donnent
àpluſieurs mots; il ne faut pas s'attendre
en conféquence à y trouver du neuf :
un vocabulaire de cette eſpèce n'en eſt
pas ſuſceptible ; la maniere dont les articles
ſont préſentés , & les détails en
font rout le mérite : celui - ci dans cette
partie , laiſſe peut- être quelque choſe à
defirer; nous en citerons quelques traits .
>> ADORER. Il ſemble qu'on ait dépouillé
>>la divinitéde cette expreſſion qui lui fat
>> toujours conſacrée , pour l'employer à
» l'égard de tout ce qui ravit les ſens.
>> Ainſi ſelon la nouvelle maniere de par.
" ler , une belle voix , une belle main ,
>> une belle femme ſont des choſes adora-
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
» bles. On adore ſa maitreſſe , on adore
>> ſes amours ».On n'adore pas ſes amours,
mais l'objet de ſes amours. Pour rendre
ſes explications plus ſenſibles , l'auteur
y joint ſouvent des portraits; il faut ſe
rappeller en les lifant qu'il ſe borne aux
chofes de mode,& ne pas y chercher tous
les objets que le mot ſignifie. >> NONCHA-
>> LANCE. C'eſt un air que celui de la non-
>> chalance , & qui ſe rencontre affez fou-
>> vent avec celui de la fatuité . Aminte eſt
» excédée , elle n'oſe parler crainte de
>> touffer , comme elle n'oſe ſe remuer de
>> peur de ſe briſer. Sa perſonne abandon-
>>née ſur un ſopha n'a pas même la force
>>> de ſentir qu'elle exifte ,& fans les eaux
>>de ſenteur, ſon anme lui échapperoit im-
>> perceptiblement. Aminte en a trop fair.
>>Elle a traverſé la rue à pied , pour aller
> entendre la meſſe,&il y a dans cet effort
>>mille fois plus qu'iln'en faut pour faire
>> périr une femme,étonnamment jolie » .
PRETENTION. » Lesgens à prétentions
>> font inſupportables dans la ſociété , &
>> cependant le monde en eſt plein. Mé-
>> riſe exige qu'on la viſite , qu'on l'ad-
>> mire , qu'on la complimente , qu'on
>> l'accompagne par- tout où elle va , qu'on
>> recueille enfin ſes vapeurs & ſa mau
AVRIL. 1769 . 75
>> vaiſe humeur , comme une des plus
>> précieuſes faveurs dont on puiſſe être
>>gratifié. Mériſe a manqué ſa vocation ;
>> elle étoit née pour être fouveraine dans
>>l'Afrique , ou dans l'Afie , où elle n'au-
>>roit va que des eſclaves à ſes pieds » .
Ces portraits auroient pu fournir à l'auteur
des détails agréables ; il s'en eſt ſervi
pour corriger la ſéchereſſe de ſon ſujet ;
maisil ne les a peut- être ni allez varié ,
ni travaillé avec aſſez de ſoin .
Discoursfur l'Histoire moderne , pour fervir
de ſuite aux diſcours fut l'hiſtoire
desJuifs & fur l'hiſtoire ancienne. A
Paris , chez Saugrain le jeune , libraire
ordinaire de Mgr le Comte d'Artois ,
quai des Auguſtins près le pont St Michel
, in- 12 .; prix 2 liv. 10 f. broché.
Nous avons rendu compte,dans le tems,
desdiſcours ſur l'hiſtoire des Juifs &l'hiſtoire
ancienne ; celui-ci en eſt la ſuire ;
l'auteur préſente un tableau précis de l'état
de l'Europe depuis l'an 650 de Rome,
juſqu'au 15 ſiécle de l'Ere vulgaire . Tourecette
partie forme l'avant - propos de
ſon ouvrage : il paſſe rapidement ſur la
chûte de l'Empire Romain , ſur la fondation
de celui d'Occident &des différen
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
tes monarchies ou autres états modernes.
La barbarie regnoit par - tout ; quelques
grands hommes s'élevoient enfin dans les
univerſités de Paris & d'Oxford ; ces écolesdu
ſens&de l'érudition n'attendoient
qu'un rayon de lumiere pour ſecouer le
joug du préjugé & de la ſuperftition ; le
moment n'étoit pas éloigné ; le 15e ſiècle
l'amena . Mahomet II , en prenantConftantinople
, mit fin à l'empire d'Orient ;
les arts exilés par les armes muſulmanes
ſe refugierent en Italie ; cette époque eſt
celle àlaquelle l'auteur ſe fixe ; il parcourt
les traits principaux&les plus intéreſſans
qu'offre l'hiſtoire juſqu'à l'an 1740. Son
ouvrage eſt un réfumé précis & bienfait
qui peut fervir à ceux qui ont déjà quelque
connoiſſance de l'hiſtoire , &les guider
dans une étude plus étendue ; il ſera
fur - tout très- utile aux jeunes gens & à
leurs maîtres; ce ſont des élémens dont
lesuns&les autres peuvent tirer de grands
avantages.
La Theriacade , ou l'orviétan de Léodon ,
poëme héroï- comique. A Geneve ; &
ſe trouve à Paris , chez Merlin , libraire
, au bas de la rue de la Harpe ;
in- 12.2 vol .
La Thériacade eſt un poëme en proſe
AVRIL. 1769. 77
& en fix chants. Diabotanus , qui en eſt
le héros , eſt un digne fils d'Efculape ; il
voyagea dans différens pays pour trouver
un remede infaillible contre toutes fortes
de maladies , & finit par donner au
public un pot d'orviétan . Alecton eſt la
grande machine du poëme ; cette furie
ſuſcite au héros beaucoup de querelles &
d'embarras; elle emploie l'amour pour le
détourner de l'étude de ſon art ; le dieu
s'empreſſe à la fervir ; il prend pour cet
effet une forme qui tient du chirurgien &
de l'apothicaire , change fon carquois en
feringue , &en fait uſage pour embrafer
de tous ſes feux le coeur de Diabotanus ;
celui- ci s'attache à la fille d'un chymiſte ;
bientôt il s'arrache à la molleſſe , retourne
à ſes travaux , & fait enfin la découverte
de l'orviétan. Le ſecond volume
contient un autre poëme , qui a quelque
liaiſon avec le précédent , & qui peut cependant
ſe lire ſéparément ; c'eſt la Diabotanogamie
, ou les noces de Diabotanus.
Le héros , érabli à Léodon ſa patrie,
y jouit de la réputation que lui a faite ſa
grande découverte; amoureux de Mirabelle
, il ſe propoſe de l'épouſer; ſes rivaux
lui oppoſent mille obſtacles ; Alecton
les ſeconde; elle craint de voir les
talens de Diabotanus ſe perpétuer dans
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
1
ſes enfans ; elle corrompt toutes les droques
de ſa boutique , & préſide à plafheurs
quiproquo qui font tort à la renommée
du héros ; il eſt forcé de quitter fa
patrie ; il voyage , &revient enfin époufer
Mirabelle ; les dieux deſcendent du
ciel , & viennent aſſiſter à ſes nôces.
Nous n'entrerons dans aucun détail fur ces
poëmes ; l'idée que nous en avons donnée
ſuffit; ony ſent trop l'effortd'un homme
qui court après la plaifanterie , pour
remplir la tâche que lui impoſe le choix
de fon ſujer.
,
Continuation de l'Histoire générale des
voyages, ou collection nouvelle 1º. des
relations de voyages par mer , découvertes
obſervations , deſcriptions
omiſes dans celles de feu M. l'abbé
Prevôt , ou publiées depuis cet ouvrage.
2 ° . Des voyages par terre , faits
dans toutes les parties du monde , contenant
ce qu'il y a de plus remarquable
&de mieux avéré dans les pays où les
voyageurs ont pénétré , touchant leur
fituation , leur étendue , leurs limites ,
leurs diviſions , leurs climats , leur terroir
, leurs productions , leurs lacs ,
leurs rivieres , leurs montagnes , leurs
mines , leurs habitations , leurs princiAVRIL.
1769 . 79
pales villes , leurs ports , leurs rades ,
&c . avec l'hiſtoire , les moeurs & les
uſages des habitans , leur religion ,
leur gouvernement , leurs arts , leurs
ſciences , leur commerce , leurs manufactures
, &c. ouvrage enrichi de
cartes géographiques nouvellement
compoſées ſur les obſervations les
plus authentiques , de plans & de
perſpectives , de figures d'animaux ,
de végétaux , habits , antiquités , & c .
A Paris , chez Panckoucke , libraire ,
rue & à côté de la comédie françoife ,
in-4°. tome XVIII , formant le premier
de la continuation .
M. l'abbé Prevôt regardoit lui-même
comme indiſpenſable la continuation de
ſon hiſtoire générale des voyages ; il a
porté ſon travailſans interruption juſqu'à
quinze volumes in 4°. La table générale
des matieres faites par M. Chompré , frere
de l'inſtituteur , forme le ſeizieme, auquel
on a joint un dix-ſeptieme compofé
de ſupplémens fur chaque livre de l'hiſtoire
des voyages , qu'on a tirés de l'édition
hollandoiſe. Le nouveau volume que
nous annonçons , commence véritablement
à ſuppléer le grand ouvrage de M.
l'abbé Prevôt ; on y trouve d'abord la def
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
cription de l'Iſlande dont il n'avoit rien
dit. Celle de l'ifle de Jean Mayen ou de
la Trinité vient enſuite ; cette iſle eſt
fituée ſous le 71 degré de latitude , à environ40
deg. de longitude occidentale du
méridien de Paris; elle tire ſon nom de
Jean Jacob May , hollandois , quila découvrit
en 1614. Après quelques mots
fur la nouvelle Zemble , on donne l'hiftoire
du Kamtschatka par la Sibérie ; c'eſt
le voyage de M. Gmelin , dont on fait
l'extrait , & fur lequel nous ne nous arrêterons
pas . Il eſt ſuivi du détail de quelques
tentatives faites par les Ruſſes pour
paffer par le Lena dans la Mer Glaciale ,
&par le nord oueſt au Kamtschatka .
La nouvelle relation que les anteurs
donnent de la Samojedie & de ſes peuples
, réunit le double avantage de contenir
des obſervations très- recentes& peu
connues en Europe. Elle faifoit partie des
mémoires envoyés à M. de Voltzire pour
fon hiſtoire de l'empire de Ruffie ſous
Pierre le Grand. Les Samojedes ne connoiffent
d'autres beſoins que ceux de la
fimple nature , c'est-à-dire, la nourriture,
l'uſage des femmes & le repos. Ils font
très- ſimples dans leur morale & dans leur
dogmes ; ils n'ont point de loix , & igno
rent juſqu'aux noms des vices & des ver
AVRIL. 1769 . 81
tus. C'eſt par l'inſtinct de la nature qu'ils
s'abſtiennent de faire du mal; chacun a
ſes femines en propre ,& aucun ne contracte
jamais de mariage avec une fille
qui deſcend comme lui d'une même familleà
quelque degré d'éloignement que
ce foit. Ils ne prennent ſoin de leurs enfans
que juſqu'à ce qu'ils foient parvenus
à l'âge où ils peuvent pourvoir ſeuls à
leur ſubſiſtance. Ces uſages qu'ils ſuivent
religieuſement entr'eux font les fruits
d'une tradition qu'ils ont reçue de leurs
ancêtres. « On ne trouve pas qu'elle leur
>> défende d'aſſaſſiner , de voler ou de ſe
> mettre par la force en poſſeſſion des fil-
>> les & des femmes d'autrui. Cependant
» s'il faut en croire ces bonnes gens qui
>>paroiffent trop ſimples pour ſe dégui-
» ſer , il eſt bien peu d'exemples que de
>>pareils crimes ayent été commis parmi
- eux. Quand on leur demande rai-
>> ſon d'une ſemblable retenue , ils
» avouent eux mêmes qu'ils ne connoif-
>> ſent aucun principe qui dût les détour-
>> ner de ces actions , ils répondent tout
>> ſimplement qu'il eſt ailé à chacun de
>>pourvoir à ſes beſoins , &qu'il n'eſt pas
> bon de s'approprier ce qui appartient à
>> un autre. Pour le meurtre , ilsne com
Dv
82 MERCURE DE FRANCE .
>> prennent pas comment un homme peut
>> s'aviſer de tuer un de ſes ſemblables.
» A l'égard des femmes, ils penſent que
>>celle qu'ils ont la commodité d'ache-
>> ter à fort peu de frais , peut auffi bien
>> contenter leurs defirs naturels qu'une
>>' autre qu'ils trouveroient plus à leur gré,
>> mais qu'ils ne pourroient poſſeder que
» par la violence, »
Les Samojedes , quoi qu'on en ait dit ,
n'ont ni princes , ni juges , ni maîtres. Ils
payent ſans répugnance le tribut qui leur
eſt impoſé en fourrures par les Ruſſes ſans
connoître d'autre ſujetion; ils ſe ſoumertent
à ce payement parce qu'ils ont vu
leurs peres pratiquer la même chofe , &
parce qu'ils ſçavent qu'en cas de refus on
fçauroit bien les y forcer. Leur apathie
eſt extrême ; l'auteur de cette relation en
rapporte un exemple fingulier. « Je fis ,
>> dit - il , un jour affembler dans une
>> chambre pluſieurs Samojedes des deux
>> ſexes pour les examiner de plus près.
>>Mais quoique j'euſſe laiſſe ſur la table
>> de l'argent , des fruits & des liqueurs
>> fortes ,dont je leur avois fait goûter , &
>>tout ce que je pus imaginerdeplus.pro-
>> pre à tenter leurs defirs ; quoique j'euſſe
» même abandonné la chambre à leurdif.
AVRIL. 1769 . 83
>> crétion , ayant fait retirer mes domeſti-
>> ques ,& m'étant retiré moi-même dans
>> un coin , d'où je pouvois les obſerver
» ſans en être vu , ils ne fortirent point
>> de leur indifférence; ils reſterent tran-
» quillement aſſis par terre , les jambes
>>croiſées , ſans toucher à la moindre cho-
>> ſe. Il n'y eut que les miroirs qui leur
>>cauſerent d'abord une forte de ſurpriſe ;
>> mais un moment après ils ne paroif-
>>foient plusy faire attention.>>>
L'extrait du voyage de M. de l'Ifſle à
Berefow en Sibérie , dans l'année 1740 ,
pour obſerver le paſſage de Mercure fur
le diſque du Soleil , & le journal de M.
Kænigsfeld qui accompagnoit cet académicien
, terminent ce volume , qui n'eſt
point au - deſſous des précédens . On ne
peut qu'exhorter les continuateurs à pourfuivre
leurs recherches & leur travail.
Médecine de l'Esprit, où l'on cherche 1º.le
méchaniſme du corps qui influe ſur les
fonctions de l'ame. 2°. Les cauſes phyſiques
qui rendent ce méchaniſme ou
défectueux ou plus parfait. 3°. Les
moyens qui peuvent l'entretenir dans
fon état libre , & le rectifier lorſqu'il
eſt gêné. Par M. le Camus , docteur
:
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
régen: de la faculté de médecine en
l'univerſité de Paris , ancien profeſ. des
écoles , aggrégé honor. du collége royal
des médecins de Nancy , membre des
académies royales d'Amiens, de la Rochelle&
de la ſociété littéraire de Châlons-
fur-Marne. Nouvelle édition revue
, corrigée & augmentée.A Paris ,
chez Ganeau , libraire , rue St Severin
près l'églife , aux armes de Dombes &
à St Louis , 2 vol . in 12.
M. le Camus a preſque entierement
refondu fon ouvrage dans cette nouvelle
édition ; il ne borne pas l'objet de la médecine
aux vices du corps , il l'étend encore
à ceux de l'eſprit; il eſſaye de découvrir
les moyens propres à entretenir
le commerce le plus exact entre l'ame &
le corps; c'eſt aſſurément une belle entrepriſe
& digne des recherches des hommes
éclairés. Il diviſe ſa médecine de
l'eſprit en trois livres. Dans le premier il
fait voir que les fonctions de l'entendement&
les refforts de la volonté font
méchaniques ; il réduit à des idées trèsfimples
& phyſiques , ces diſcuſſions abftraites
, que les métaphyſiciens ont fi
long - tems obfcurcies. Il y a des cauſes
générales qui influent ſur les eſprits; elles
AVRIL. 1769. 85
font matérielles , & forcent l'ame & le
corps à exercer des fonctions conformes
à leur nature ; la connoiſſance de ces cauſes
& l'explication de la maniere dont
elles influent ſur l'homme,ſont l'objet du
ſecond livre. Elles conſiſtent dans la génération
, la différence des ſexes , les climats
, les tempéramens , l'éducation
le régime de vie , l'âge , la ſanté , la maladie.
Ces deux livres prouvent que les
défauts des opérations de l'entendement
&de la volonté , ces deux puiſſances de
l'ame , dépendent des vices de l'organiſation;
les cauſes phyſiques de ces vices
font développées; elles peuvent ſervir à
les détruire ; les détails des moyens rempliffent
le troifiéme livre. M. le Camus
ne ſe diſſimule pas les objections qu'on
peut faire contre ſon ſyſteme. Mais ,
>> dira - t- on , penſez- vous de bonne foi
>> faire un homme d'eſprit d'un ſtupide ?
>> Oui , nous le croyons. Modifiez d'a-
>> bord différemment ſes organes , enſuite
>> inſtruiſez- le , &donnez lui les mêmes
>> ſoins que vous apporteriez aux perfon-
» nes qui jouiroient des meilleures dif-
>>poſitions. Que les changemens arrivés
>> aux organes puiſſent procurer des chan-
>gemens ſi étonnans dans l'ame , c'eſt
>>une choſe que l'expérience confirme.
86 MERCURE DE FRANCE.
>>Nous en rapporterons quelques exem-
>>ples des plus ſenſibles avant d'entrer en
>> matiere. » Ces exemples font finguliers
en effet ; c'eſt unjeune homme trèsdiſgracié
de la nature du côté de l'eſprit ,
qu'on avoit fait moine , parce qu'il n'étoit
capable de rien , qui , ayant fait
une chûte violente , devint tout à- coup
très - intelligent & fut un des plus grands
hommes de ſon ſiécle; c'eſt une femme
qu'aucun remede n'avoit pu guérir de la
folie , qui ſe jetra par la fenêtre , & parut
enfuite plus ſage qu'elle ne l'avoit jamais
été; c'eſt le Pape Clément VII qui , diton
, devoit fa mémoire prodigieuſe à une
bleſſure qu'il avoit eue à la tête , &c. M.
le Camus ne propoſe pas des remedes ſi
violens , il ne cite ces exemples que pour
détruire l'idée d'impoſſibilité qui poursoit
naître contre ſon ſyſteme ; mais ils
ne la détruiſent pas ; des cas extraordinaires
ne font jamais cités pour des preuves.
Son ſyſtème eſt très- ingénieux , ſes
raiſonnemens adroits ; mais il les pouffe
trop loin ; la nature a fixé des bornes qu'il
ne faut point paffer. Ses remedes guériront
bien quelques altérations qui ſe feront
faites dans l'organiſation ; mais ils ſeront
fans effets lorſque le dérangement ſera
conſidérable; dureſte ſon livre mérite de
AVRIL. 1769 . 87
juſtes éloges , on le lit avec plaifir & avec
fruit.
Abrégé chronologique de l'histoire générale
d'Italie , depuis la chûte de l'Empire
Romain en Occident , c'est- à- dire depuis
l'an 476 de l'Ere chrétienne jufqu'au
traité d'Aix- la-Chapelleen 1748 ;
par M. de Saint - Marc , de l'académie
de la Rochelle. A Paris , chez Jean-
Thomas Hériſſant fils , libraire , rue St
Jacques , à St Paul & à St Hilaire ; in-
8°. tome V.
Le tome troifiéme de cet abregé chronologique
de l'hiſtoire générale de l'Italie
a paru en 1764 , il étoit diviſé en deux
parties qui contenoient chacune plus de
680 pages , & qui forment le troifiéme &
le quatriéme volume de cet ouvrage intéreſſant
; le cinquième que nous annonçons
n'eſt pas inférieur aux précédens; il
commence à l'an 1138 après la mort de
Lothaire II . L'époque que l'auteur parcourt
finit en 1254; il préſente l'Italie
ſous la domination de fix princes de la
maiſon de Souabe , dont trois furent empereurs
, & d'un prince de la maiſon de
Welf- Eſte , c'est - à- dire de Brunswick
qui monta auſſi ſur le trône impérial. On
88 MERCURE DE FRANCE.
vouloit faire entrer toute cette époque
dans ce volume ; mais l'abondance des
matieres ne l'a pas permis , quoiqu'on ait
employé un caractere un peu au- deſſous
de celui dont on s'eſt ſervi dans les premiers.
M. de Saint Marc en conféquence
s'eſt arrêté au moment où Frederic II eſt
couronné empereur à Rome en 1220. Il
n'a pas voulu couper l'hiſtoire de l'empire
de ce prince qui eſt la partie la plus curieuſe
& la plus intéreſſante de l'époque
qu'il décrit ; elle commencera le fixiéme
volume ; elle ne peut qu'être attendue
avec impatience par ceux qui ont vu la
maniere dont l'auteur a déjà traité la ſcandaleuſe
querelle des inveſtitures : les querelles
de Fréderic avec les Papes ne font
pas moins curieuſes ; peu d'hommes ſont
en état de les préſenter comme M. de St
Marc; il ſçait être vrai,&conſerver toujours
la décence & les ménagemens né
ceſſaires dans toutes les difcuffions délicates.
Son cinquiéme volume offre les
mêmes recherches , la même profondeur ,
la même critique que les quatre premiers .
Histoire générale de l'Amérique depuisfa
découverte ; qui comprend l'hiſtoire
naturelle , eccléſiaſtique , militaire ,
morale & civile des contrées de cette
AVRIL. 1769. 8,
grande partie du monde ; par le R. P.
Touron , de l'ordre des Freres Prêcheurs.
A Paris , chez Jean - Thomas
Heriſſant , fils , rue Saint-Jacques , à St
Paul & à St Hilaire , 8 vol. in- 12.
Cette hiſtoire générale comprend ſeulement
les pays conquis & poſſédés par
les Eſpagnols dans l'Amérique méridionale
& feptentrionale ; le principal objet
de l'auteur eſt de préſenter l'établiſſement
& les progrès de la foi dans ces contrées ;
c'eſt une partie de l'hiſtoire eccléſiaſtique
qui nous manquoit encore. Les miffionnaires
ont fourni beaucoup de dérails à co
fujet; mais ils font épars dans divers ouvrages
& n'offrent ni fuite , ni liaiſons .
Ces miffionnaires écrivoient ordinairement
ſur les lieux , les relations de leurs
travaux apoftoliques , & les envoyoient à
leurs ſupérieurs qui , après s'être aſſurés de
la vérité des faits , chargeoient quelques
perſonnes inſtruites de comparer ces relations
& de les fondre en une ſeule qu'on
envoyoit à Rome , où elle étoit confervée
avec ſoin dans les archives ; c'eſt dans
ces ſources qu'ont puiſé les auteurs qui
ont écrit ſur l'Amérique . Le P. Touron a
eu le courage de compulſer ces différentes
productions , & fur - tout ces actes &
৩০ MERCURE DE FRANCE.
ces relations déposés dans les archives&
les bibliothéques de Rome , d'Eſpagne &
de France . Il eſt parvenu à raſſembler des
matériaux fuffiſans pour former un corps
d'hiſtoire ſuivi & le plus complet que
nous ayons. La découverte de l'Amérique
, les conquêtes & les établiſſemens
des Européens font néceſſairement liés
avec la prédication de la religion dans
cette partie du monde ; l'auteur s'étend
fur ces détails dans les quatre premiers
volumes de fon ouvrage; ils font une efpéce
d'introduction à l'hiſtoire eccléſiaſtique.
Les travaux apoftoliques des miffionnaires
offrent une infinité de faits variés ,
intéreſſans & curieux ; on eſt étonné de
voir un ou deux hommes ſans autres armes
que celles de la priere , du jeûne &
de la parole , venir à bout par leur patience&
leur douceur de policer & de réunir
en ſociétés des hommes féroces qui vivoient
épars dans des cavernes , dans les
forêts & fur les montagnes , de les foumettre
non ſeulement au joug de l'évangile,
mais à la domination eſpagnole , tan.
dis que des armées victorieuſes n'avoient
puparvenir à les ſubjuguer .
OEuvres mêlées de Madame de Montegut ,
maîtreffe des jeux Horaux , recueillies
AVRIL. 1769. 91
par M. de Montegut ſon fils , conſeiller
au parlement de Toulouſe , de l'académie
royale des ſciences , infcriptions
& belles lettres de la même ville,
de celle des jeux floraux , & de la ſociété
royale d'agriculture de Limoges.
A Paris , chez Deſaint , rue du Foin St
Jacques ; Barbou , rue des Mathurins ,
& à Villefranche de Rouergue , chez
Vedeilhié , in- 8 °. 2 volumes.
Madame de Montegut naquit à Toulouſe
le 25 Octobre 1709. Après avoir
remporté trois prix à l'académie des jeux
Aoraux , elle y fut reçue & y prit ſéance à
côté de Mademoiselle de Catellan ; ces
deux Dames ſont les ſeules qui ayent obtenu
cet honneur depuis la fondation de
cette académie. Ses poëſies offrent beaucoup
de naturel& de facilité. Nous rapporterons
quelques ſtrophes de ſon ode ,
intitulée le Printems, couronnée en 1741 .
On y peint la nature renaiſſante .
Telle dans l'heureux tems de l'enfance du monde ,
Elle parut , ſortant des horreurs du chaos ,
Lorſque du Dieu des dieux la parote féconde
Sépara la terre des flots .
Ouvrant de l'Orient l'immortelle barriere ,
L'épouſe de Titon montra ſon front vermeil ,
92
MERCURE DE FRANCE.
Et de roſes au loin parfémant ſa carriere ,
Devança les pas du ſoleil .
Les arbres auſſi- tôt élevant leurs feuillages ,
Oppoſerent leur ombre à ſes rayons perçans ;
Et l'humide fraîcheur, dans le fonddes boccages,
Conſerva les gazons naiſlans.
On trouve dans ce recueil des odes ,
des épîtres , des élégies , des églogues ; il
y en a quelques-unesde ces dernieres qui
font imitées de Théocrite , d'autres traduites
de Pope. Madame de Montegut
ſçavoit très-bien pluſieurs langues vivantes
, & poffédoit ſupérieurement le latin ;
le ſecond volume de ſes poëſies contient
ſa traduction des odes d'Horace ; on a mis
le texte à côté. Par- tout elle a ſaiſi le ſens
de ſon auteur ; & ſa verſion eſt eſtimable,
quoiqu'elle foit ſouvent négligée. Nous
citerons celle- ci .
Mufis amicus , triftitiam &metus
Tradam protervis in mare Creticum
Portare ventis : quisfub Arcto
Rexgelida metuatur ore ;
Quid Tiridatem terreat , unicè
Securus ? O ! quæ fontibus integris
Gaudes , apricos nette flores ,
Nette meo Lamiæ coronam ,
AVRIL . 1769 . 93
Pimplea dulcis. Nilfine te mei
Poffunt honores : huncfidibus novis,
Hunc Lesbio facrare plectro ,
Teque tuaſque decetforores .
Chéri des muſes que j'adore ,
Je livre aux vents ſéditieux
La crainte , les ſoucis affreux
Pour les porter ſur le boſphore.
Qu'ai - je à faire qu'un puiſſant Roi
Se fafle redouter ſous l'ourſe ?
Que Tiridate dans ſa courſe ,
Soit frappé d'un ſoudain effroi ?
O vous , qui près d'une onde pure ,
Aimez à verſer vos faveurs ,
Muſe aimable , je vous conjure ,
Cueillez pour moi de tendres fleurs
Compoſez-en une couronne
Digne de mon cher Lamia.
Votre préſence embellira
La fête qu'un ami lui donne.
Qu'avec vous , par des ſons nouveaux ,
Vos foeurs conſacrent ſa mémoire
Et chantent des vers à ſa gloire ,
Dignes du chantre de Lesbos .
C'eſt ainſi que Madame de Montegut
rend ce diſcours de Regulus dans la cinquiéme
ode du troiſiéme livre.
94
MERCURE DE FRANCE.
..... Signa ego Punicis
Affixa delubris & arma
Militibusfine cæde , dixit , & c .
J'ai vu , dit-il , aux murs nos aigles attachées ,
Orner de toutes parts les temples Africains ;
J'ai vu chez leurs ſoldats ces armes qu'aux Romains
Sans combat ils ont arrachées :
J'ai vu nos citoyens , nés pour la liberté ,
Pour prix de leur foibleſſe & de leur lâcheté ,
Traînant dans les cachots une peſante chaîne.
L'ennemi, pour ſes murs, ne craint plus de danges,
Et cultive en paix cette plaine
Quenous avions ſou ravager.
Penſez-vous qu'au ſortir d'un pénible eſclavage ,
Et des fers d'un barbare à grands frais rachetés ,
Ade nouveaux combats ces coeurs épouvantés
Apporteront plus de courage ?
Non , non , vous ajoutez la perte au deshonneur.
La laine ne ſçauroit retrouver ſa blancheur,
Quand d'une autre couleur elle a reçu l'empreinte.
L'opprobre dans une ame étouffe la vertu.
Dans un coeur glacé par la crainte ,
Jamais l'honneur n'a reparu.
On a joint aux poësies de Madame de
Montegut quelques - unes de ſes lettres ;
elles peignent foname, & font également
AVRIL. 1769 . 95
honneur à ſon coeur & à fon eſprit ; elle
tiendra toujours un rang diftingué parmi
les femmes qui ſe ſont illuſtrées dans les
lettres.
Eſſai de Physique , en forme de lettres , à
l'uſage des jeunes perſonnes de l'un &
de l'autre ſexe ; augmenté d'une lettre
fur l'aimant , de reflexions fur l'électricité
, & d'un petit traité ſur le planetaire
. A Paris , chez Hériſſant , fils ,
libraire , rue St Jacques , in- 12.584 p .
Leslettresquicompoſentce volume font
le fruit desleçons de M. l'abbé Nollet& de
M. de Lor ; l'auteur nous prévient qu'elles
étoient adreſſées à un ami qui en a fouhaité
la publication. C'eſt un petit cours
de phyſique très - ſimple , très - clair ,
très - facile , qui peut ſervir à en donner
une idée aux jeunes gens de l'un & de
l'autre ſexe. On fait connoître les corps ,
leur poroſité , leurs figures , leur mouvement
: la pefanteur de ces mêmes corps
conduit à des détails ſur la méchanique ;
après ces obfervations générales , l'auteur
parcourt les liquides &les ſolides , & s'arrête
ſur les différens phenomenes qu'ils
produiſent ; il rend compte à ce ſujet des
expériences les plus curieuſes. La derniere
96 MERCURE DE FRANCE.
de ſes lettres traite de l'aimant; elle eſt
ſuivie d'un diſcours ſur l'électricité , ſelon
le ſyſtême de M. Franklin , adopté par
M. de Lor. L'ouvrage eſt terminé par un
abregé de la ſphère céleste; il eſt diviſé
en ſept chapitres précédés d'une introduction.
L'auteur commence par préſenter
l'origine des noms donnés aux aftres ; il
entre enſuite dans le détaildu ſyſtême de
Ptolomée& de celui de Copernic ; il explique
la cauſe des éclipſes. Ce chapitre
auroit dû peut - être ſuivre ceux qui trairent
des planetes , des étoiles & des cometes
qui viennent après , & qui font les
derniers de cet abregé. Nous ne nous arrêterons
pas fur cet ouvrage qui remplit le
but que l'auteur s'eſt propoſé , & qui ne
peut qu'être très utile aux jeunes gens.
Effai philofophique fur l'établiſſement des
Ecoles gratuites de deſſin pour les arts
méchaniques ; par M. de Rozoi . A Paris
, de l'imprimerie de Quillau , rue
du Fouarre ; & chez Leſclapart , libraire
, rue de la Barrillerie , près les Barnabites
, in- 8 ° . 128 pag .
Il s'eſt trouvé des hommes qui ont voulu
jetter des doutes ſur l'utilitédes écoles
gratuites de deſſin ; on a répondu à leurs
réflexions
: AVRIL. 1769 . 97
:
réflexions & à leurs critiques ; il ne manquoit
peut être à ces différentes réponſes
que de raſſembler ſous un même point de
vue tout ce qui peut convaincre des avantages
de cet établiſſement , & c'eſt ce que
M. de Rozoi a entrepris dans cet effai
philofophique. Les ouvriers , inſtruits
dans ces écoles , prendront le goût des artiſtes
qui les éleveront , & donneront à
leurs ouvrages l'élégance & la délicateſſe
qui caractériſent les productions françoiſes,
on ne leur recommandera point le
goût des arts , ſans leur impoſer en même
tems les devoirs d'une honnêteté aimable
, d'une décence cultivée , d'une affiduité
heureuſe à leurs études ; on leur
inſpirera encore le ſentiment de cet orgueil
permis qui nous fait attacher un prix
à l'opinion que les autres ont de nous.
• Tous les trois mois , dans chaque exer-
>> cice des trois genres d'étude , il y aura
> un concours pour le prix dans lequel
> on n'admettra que les deſſins faits dans
» les écoles mêmes ; il y aura chaque an-
>> née encore , un concours pour les grands
>>prix entre les éleves de tous les exerci-
>> ces d'un même genre , qui auront rem-
>>porté les premiers prix de leurs claſſes.
• Ces grands prix feront diſtribués dans
11. Vol.
E
98 MERCURE DE FRANCE.
i
>> une ſéance publique du bureau d'admi-
>> niſtration ; ceux qui les remporteront
>> auront droit de concourir aux prix des
>> douze maîtriſes & des douze apprentif-
>> ſages , dont feront gratifiés chaque an-
» née ceux qui , après s'être diftingués
>> dans les concours annuels , couronne-
>> ront leurs travaux par ce dernier triom-
>> phe , auffi utile que glorieux. Le prix
>> de ces maîtriſes &de ces apprentiſſages
>> ſera remis aux bureaux des métiers par
>> celui de l'adminiſtration. Quel établiſ-
>> ſement ? eh , quelle ame aſſez infenfi-
>> ble pour n'être point attendrie en cal-
>> culant ſes avantages ! » A la ſuite de
cet ouvrage on trouve des vers préſentés
à M. de Sartine le lendemain de la diftribution
des prix pour les arts méchaniques
, au palais des tuileries. Nous en
citerons quelques-uns.
-f
Déjà cette aimable jeuneſle
En filence forme des rangs ;
L'eſpérance & ſa douce ivreſſe
Fait palpiter leurs coeurs impatiens .
Quel miniſtre par ſa préſence
A leur triomphe encor vient ajouter un prix ,
Saint-Florentin , Sartine , noms chéris !
Pour les bénir un choeur de voix s'élance :
Heureux enfans , vous êtes attendris ;
AVRIL. وو . 1769
Uniflez vos tranſports... ah ! la reconnoiſſance ,
Dans un tel jour , n'a pour voix que les cris.
Cette brochure eſt terminée par les reglemens
de l'école royale gratuite de deffin;
c'eſt la ſageſſe même qui les a dictés .
Anecdotes Angloiſes , depuis l'établiſſement
de la monarchie juſqu'au règne
de Georges III ; à Paris chez Vincent,
imprimeur-libraire , rue S. Séverin ,
in- 8°. 720 pages.
Cet ouvrage préſente dans un ordre
chronologique ce que l'hiſtoire d'Angleterre
, d'Ecoffe & d'Irlande contiennent
de plus piquant ; il en fait connoître les
rois , les héros , les grands hommes , les
uſages finguliers, les moeurs particulieres,
les grandes révolutions & leurs cauſes
ſecrettes ; c'eſt un recueil de traits intéreſſans
qu'il feroit honteux d'ignorer ;
ceux qui craignent les longues lectures ,
&qui,ne s'embarraſſant pas de faire une
étude de l'Hiſtoire d'une nation , veulent
cependant en avoir une idée , liront ces
anecdotes avec plaiſir; elles font faites
dans le goût de celles que le même libraire
a publiées depuis peu ſur l'hiſtoire
de France , & dont il débite actuelle
E ij
100 MERCURE DE FRANCE .
ment une troiſième édition , il annonce
une ſuite de volumes qui offriront un
petit précis hiſtorique de tout ce que les
autres nations de la terre renferment de
plus intéreſſant ; ils auront ſans doute le
même ſuccès , ſi les auteurs apportent le
même ſoin & le même choix dans leur
travail.
Idée générale de l'Astronomie , ouvrage à
la portée de tout le monde; par M.
l'Abbé Dicquemare , avec vingt quatre
planches en taille-douce & cette
épigraphe : Cæli enarrant gloriam Dei ,
PS. 18. A Paris , chez Hériſſant , fils ,
libraire , rue St Jacques , in-8° . 114 p.
Cet ouvrage n'eſt ni un traité , ni un
cours , ni même des élémens d'aſtrongmie
; on s'eſt propoſé ſimplement de donner
une idée générale de cette ſcience ;
on la deſtine aux perfonnes qui n'en ont
encore aucune teinture , & auxquelles il
importe cependant d'en avoir quelque
connoiffance ; tels font les jeunes gens
qui veulent entrer dans la marine; tels
font auffi ceux qui , ayant reçu une éducation
foible ou tardive , ſe trouvent cependant
obligés par état de préſider à
celle des autres ; les perſonnes même du
AVRIL. 1769. 101
ſexe peuvent lire cet ouvrage ; l'auteur a
eu ſoin d'expliquer ſur le champ les termes
quine font pas à la portée de tout le
monde ; il abandonne le langage des aftronomes
pour ſe faire entendre plus aifément
des lecteurs pour lesquels il a
écrit; fon livre peut donner réellement
une idée de l'aſtronomie , & inſpirer le
goût d'une étude plus profonde que cette
lecture pourra faciliter.
Thomire , tragédie; par M. le chevalier
de Laurés. A Paris , chez Robert , libraire
, quai de Gêvres , à la Victoire,
in-8°. 92 pag.
Cette tragédie , écrite avec chaleur ,
offre des caracteres fortement deſſinés &
des ſituations intéreſlantes ; quand on la
compare avec la plupart des drames qui
obtiennent tous les jours les honneurs
dangereux de la repréſentation , on s'étonne
des obſtacles que M. le chevalier
de Laurés a eſſuyés ; on en cherche en
vaindes motifs raisonnables ; il appelle
du refus de ſes premiers juges ; le Public
reſpecte rarement leurs arrêts ; celui - ci
n'eſt pas le premier qu'il ait caffé , ce ne
fera vraiſemblablement pas le dernier ;
mais l'impreſſion ne vengera pas toujours
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
les auteurs dramatiques comme elle ven
ge M. le chevalier de Laurés. Le ſujetde
ſa tragédie mettra nos lecteurs en étatde
décider de l'intérêt dont elle eſt remplie.
L'ambitieuſe Antéone , ſeconde femme
de Thoas , avoit fait périr Meléagre
fon beau- frere qui , en mourant, laiffa fa
fille Thomire ſous la tutele de Thoas.
Depoſitaire de la couronne d'Etolie , celui
-ci ſepropoſoit de lareſtitueral'héritiere
auſſi tôt que l'âge l'auroit rendue capable
de la porter ; il ne s'occupa que du ſoin
de conſerver le dépôt qui lui étoit confié ;
il le défendit contre les entrepriſes de
Nauplius , roi d'Eubée ; il perdit Phanos
fon fils qu'il avoit eu d'un premier hymen
, & que ce tyran fit périr ; il ne voulut
point s'en venger ſur Amenor qui devoit
le jour à Nauplius ,&qui étoit entre
fes mains; il ſe contenta de le garder
pour ôtage. Bientôt il fut obligéde marcher
contre Troye avec les autres princes
Grecs ; il laiſſa à ſon épouſe le dépôt de
l'état en lui impoſant la loi de le rendre
à ſa niéce ; elle s'y engagea par les fermens
les plus ſacrés , réſolue de n'en garder
aucun. La durée du fiége de Troye
prolonge l'abſence de Thoas ; on ignore
ce qu'il eſt devenu ; Antéone s'eſt accoutumée
à regner ; elle a pris toutes les me
AVRIL. 1769. 103
fures convenables pour ne point defcendre
du trône ; elle veut faire monter
Thomire fur celui d'Eubée en l'uniſſant
avec Amenor qui eſt toujours en ôtage
dans ſa cour ; elle eſpére par ce moyen
défarmer Nauplius qui menace encore
l'Etolie. Thomire ne peut ſe réſoudre à
recevoir un époux de la main de l'ufurpatrice
de ſes états ; elle n'ignore pas
qu'Antéone a fait mourir fon pere ; Amenor
, que ſon coeur a choiſi , ne peut fe
rendre digne de ſon hymen qu'en la vengeant.
Pendant que l'amour , l'ambition & la
vengeance diviſent cette cour, Antéone
reçoitune lettre de Thoas qui lui apprend
fon retour prochain. Troye n'eſt plus ; il
eſt entré dans les états de Nauplius , a
puni ce tyran , l'a fait périr ſur un échaffaut;
il a retrouvé ſon fils qu'il croyoit
mort ; rien ne manqueroit à ſa félicité , ſi
ſon épouſe avoit rempli ſes devoirs à
l'égard de Thomire. Cette lettre accable
Antéone ; Pharſame , le miniſtre de ſon
ambition , le complice de ſes crimes , ſe
charge de diffiper l'orage ; il eſt maître
des troupes d'Etolie , elles le ſerviront ;
mais il veut auparavant employer d'autres
moyens ; il ne doute point qu'Ame-
A
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
nor , inftruit de la maniere affreuſe dont
Nauplius vient de périr , ne cherche à le
venger; il remplit de fureurs l'ame de ce
jeune prince , & lui montre la lettre de
Thoas. Amenor n'écoute plus que ſa douleur&
ce qu'il croit fon devoir.
Thoas arrive dans ces circonstances ; il
voit de tous côtés des revoltes & des trahiſons;
la crainted'expoſer ſon fils ne lui
permet pas de le faire connoître ; ce fils
n'eſt autre qu'Amenor ; le barbare Nauplius
ayant perdu le ſien , fit croire qu'il
avoir égorgé Phanos ,& le remit àThoas
ſous le nom d'Amenor , dans l'eſpérance
que, ſon ennemi trompé , commettroit
un parricide en croyant ſe venger ; la générosité
de Thoas l'a ſauvé de ce crime
affreux ; mais les deſſeins de Nauplius
ſont près d'avoir un effet auſſi terrible .
Amenor leve le fer fur Thoas ; l'arrivée
de Thomire ſuſpend le coup, le complice
de la Reine s'empreſſe de le déſarmer
pour détourner les foupçons loin de lui .
Le malheureux Thoas eſt accablé ; ſes ennemis
ont tourné les premiers pas de fon
fils vers le crime ; il cherche à le ramener
à la vertu; ſes remords le conſoleront ; il
eſt bientôt inſtruit de l'erreur qui avoit
armé ſes mains ; il voit Thomire elle
AVRI L. 1769. 105
même s'humilier devant lui pour implo.
rer la grace d'Amenor; il ne peut foute.
nir cet abbaiſſement de ſaReine ; il tombe
à ſes pieds en lui diſant qu'elle ſeule
peut faire juſtice ou grace , & la conjure
de pardonner à fon fils ; il ne craint plus
de l'avouer ; Amenor vole dans ſes bras ;
Thomire partage les tranſports du pere
&du fils ; ils font interrompus par les
cris des ſéditieux ; Anteone confſpire ;
Thoas va combattre , fon fils le fuit. Ici
la piéce marche vers le dénouement; l'autaur
le recule avec beaucoup d'art; il menage
l'intérêt qui va toujours en croiffant;
la fiere Antéone ſe croit juſqu'au dernier
moment füredefon triomphe, elle faitſentir
àThomire fon orgueil& fa joie. Elle
déceletoute l'atrocité de ſon ame; Thoas
& Amenor reviennent vainqueurs ; les
rebelles font foumis , Thomire eſt Reine,
Antéone ſedonne la mort.
L'extrait d'une pièce de théâtre n'en
préſente ordinairement que le ſquelette ,
&en laiſſe entrevoir feulement les ſituations;
pour la bien apprécier il faut la lire
toute entiere ; nous exhortons nos lecteurs
à voir celle ci ; le précis que nous
donnons de ſa fable annonce beaucoup
d'intérêt. On verra avec quel art l'auteur
Ev
106 MERCURE DE FRANCE .
!
a ſçu le ménager ; la verſification en eſt
exacte , élégante & remplie de chaleur.
Nous en citerons deux morceaux . Thoas a
vu ſon fils armé contre ſes jours ; il ſçait
que ſon épouſe conſpire ; les événemens
font incertains;ilparle ainſià unami fidéle.
Je veux que les remords d'un fils déſabuſé
Eclairent des complots que j'ai trop lieu de craindre.
Qu'ilm'a fallutantôt d'effort pour me contraindre
Pour arrêter mon coeur qui crioit à mon fils ,
Ami , ſon nom encor trompe nos ennemis ;
J'eſpére tout des Dieux , j'implore leur juſtice ;
Mais s'ils veulent enfin qu'aujourd'hui je périſſe ,
Amon fils malheureux il ne reſte que toi.
Prends ſoinde cedépôt que je laiſſe à ta foi ,
Dérobe à mes bourreaux cette tendre victime ;
Hélas ! ils ont tourné ſes premiers pas au crime ;
Leur art infidieux à ſon oeil prévenu ,
Afait du meurtre infâme un acte de vertu ;
C'eſt mon eſpoir , du moins il adoucit ma peine.
Thoas ayant fait amener devant lui
Amenor qui ſe croit fils de Nauplius , &
qui s'étonne que ſa mort ſoit différée , lui
répond :
Un coeur nourri de fiel , un coeur de ſang avide,
Qui prend pour Dicu la haine &pour loi l'homicide,
AVRIL. 1769. 107
Untraître qui ſe venge en flétriſſant ſon bras ,
Et qui n'oſe tenter que des aſſaſſinats ,
S'étonne d'un effort qu'il ne ſçauroit comprendre ;
Mais il eſt d'autres loix , il eſt un Dieu plus tendre ,
La nature . ſes noeuds auſſi doux que ſecrets
Excitent la pitié , l'arme des plus beaux traits ;
Elle excuſe , elle plaint le coupable qu'elle aime ,
Et dans notre ennemi voit un autre nous - même.
..
Hiftoire anecdotique & raiſonnée du théâtre
italien & de l'opéra comique , depuis
ſon rétabliſſement en France juſqu'à
l'année 1769.9 vol . in 12. Prix reliés
22 liv. 10 f. A Paris , chez Lacombe ,
libraire , rue Chriſtine.
Nous avons annoncé déjà cet ouvrage
intéreſſant & curieux qui mérite que nous
entrions dans quelques détails. La comédie
italienne a ſubi pluſieurs révolutions
en France; elle ſembla d'abord ne faire
qu'y voyager avant de s'y établir tout-àfait;
les premiers acteurs qui vinrent à
Paris furent connus ſous ladénomination
de Gelofi. Henri III en appella une troupe
à ſa cour qui joua pendant la tenue des
états de Blois , & continua enſuite ſes
repréſentations ſur le théâtre du Petit
Bourbon , que le parlement fit ferimer &
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
qui rouvrit trois mois après par un ordre
exprès du Roi. Les troubles du royaume
forcerent bientôt cette troupe à repaſſer
les monts ; il en vint une ſeconde en
1584 , & une troifiéme en 1588. Elles ne
firent pour ainſi dire que paſſer. Henti IV
en amena une quatrième de Piémont
qui s'en retourna deux ans après; celle
que Louis XIII appella ne reſta qu'une
année en France; le cardinal Mazarin en
fit venir une qui ne réuſſit point; celle
qui lui fuccéda ne futpas plus heureuſe ,
puiſqu'elle fut fupprimée peu de tems
après. Enfin il en vint une nouvelle qui
Joua d'abord alternativement avec les comédiens
françois ſur le théâtre de l'hôtel
de Bourgogne , enſuite fur celui du petit
Bourbon avec la troupe de Moliere , elle
paſſa après cela fur celui du Palais Royal
qu'elle partagea avec l'opéra juſqu'à la
séunion des deux troupes françoiſes ,
qu'elle ſe trouva maîtreſſe du théâtre de
Thôtel de Bourgogne qui fut encore fermé
en 1697. Dix neuf ans après , M. le
duc d'Orléans , régent de France , voulut
avoir des comédiens italiens ; en attendant
que la ſalle de l'hôtel de Bourgogne
fur prête , ils repréſenterent dans celledu
PalaisRoyalavecl'opéra. Ils font établis en
AVRIL. 1769. 109
France depuis ce tems. La premiere piéce
qu'ils donnerent fut l'Ingannofortunato;
leur premier regiſtre qui le prouve, commence
par ces mots : Au nom de Dieu ,
de la ViergeMarie , de Saint François de
Paul& des Ames du Purgatoire , nous
avons commencé ce 18 Mai 1716 par
L'INGANNO FORTUNATO . C'eſt à cette
époque que commence l'hiſtoire que nous
annonçons. Les comédiens italiens ne
réunirent pas fur le champ tous les fuffrages;
ils profiterent des critiques juſtes ;
Riccoboni dit Lelio , étoit à la tête de la
troupe ; il jouoit avec tant de naturel &
d'intelligence avec ſa femme Flaminia
Baletti , que les ennemis du nouveau
théâtre , & fur- tout les comédiens françois
ne pouvant prendre d'autre vengeance
, publierent qu'il ne jouoient point en
effer à l'Impromptu . Ce ſoupçon étoit
fondé fur la vérité de leur jeu & la maniere
dont ils dialoguoient leurs ſcènes ;
on s'entretenoit beaucoup fur ce ſujet
dans Paris , & principalement dans le café
de Gradot , où les gens de lettres s'afſembloient.
M. Remond de Sre Albine ,
qui n'avoit alors que dix - huit ans , pro .
poſa un moyen pour éclaircir cette quefzion,
c'étoit de compoſer un canevasqu'on
obligeroit les comédiens à remplir ſur le
110 MERCURE DE FRANCE .
:
champ. Dufreſny ſe chargea de la compoſitionde
ce canevas ,&ne le fit point;
M. Remond de Ste Albine en fit un intitulé
: Lelio , vainqueur des épreuves de la
conftance. La Mothe applaudit au projet
de cette piéce qui offroit pluſieurs fituations
comiques , il en remplit quelques
ſcènes , & le canevas fut joué avec beaucoup
de fuccès le 17 Octobre 1716 fous
le titre de l'Amante difficile ou l'Amant
conftant. Cette épreuve juſtifia les Italiens,&
fit reconnoître lestalens ſupérieurs
qui compofoient leur troupe. Lelio Riccoboni
jouoit encore mieux dans la tragédie
que dans la comédie ; il eut voulu
introduire ſur ſon théâtre lesdrames férieux
; pour étudier le goût du Public, il fit
repréſenter gratis la Méropede M. Maffey
en 1717 ; les billets qu'on donna furent
diſtribués avec choix , & on avoit écrit
deſſus per chi l'entende , pour ceux qui l'entendent
; mais cet eſſai ne réuſſit point.
Il n'y avoit que deux ans que les Italiens
étoient en France , lorſqu'ils ſe virent
fur le point de retourner dans leur
patrie. Malgré leurs efforts continuels
pour attirer le Public à leur ſpectacle , il
étoit ſouvent déſert ; les Dames , qui
avoient montré le plus grand empreffement
d'apprendre la langue italienne, n'a
AVRIL. 1769. III
voient pas gardé long - tems cette réſolution
; elle s'évanouit avec la nouveauté ;
le Public abandonnoit ce théâtre ; des
piéces françoiſes pouvoient l'y ramener ;
Autreau fut le premier auteur qui compoſa
pour les Italiens; ſon Port à l'Anglois
réuffit ; d'autres écrivains eſtimés
imiterent cet exemple ; les manieres honnêtes
des comédiens pour eux les encouragerent
, & ce théâtre ſe ſoutint ; les gens
de lettres furent charmés de contribuer
au bien d'une troupe qui avoit de la reconnoiſſance,
& qui ſentoit ce qu'elle leur
devoit ; les comédiens alors ne jugeoient
point des ouvrages , ils ſçavoient que le
Public ſeul avoit ce droit , & ils reſtoient
à leur place ; il n'y a pas bien du tems
qu'ils en font fortis. Nous citerons une
partie du compliment que le Sr Rochard
prononça à la clôture du théâtre , le 29
Mars 1748 .
Tous les ans un nouveau ſferment
Nous lie à vous , & nous engage
Au ſoin de votre amuſement ;
Aujourd'hui j'ajoute à l'hommage
L'excuſe & le remerciement.
Je ſuis deputé près de vous ,
D'un peuple plus libre que nous,"
D'un peuple amoureux de la gloire
112 MERCURE DE FRANCE.
Quevous ſeuls pouvez diſpenſer.
Eh , queltitre vaut la victoire
D'un auteur que peut careffer
L'accueil d'un a bel auditoire ?
Voilà le temple de mémoire ,
Vous ſeuls avez droit d'y placer.
Nous ſçavons quel péril menace
L'épreuve desjeunes auteurs ;
Faut- il redoubler leurs frayeurs ,
Leur demander avec audace ,
S'ils ont quelque nom au Parnaſſe ,
Ou quelques bruyans protecteurs ?
N'aurions- nous pas mauvaiſe grace
D'étouffer les germes des fleurs ?
C'eſt ainſi que les comédiens penſoient
encore dans ce tems ; l'auteur joint à ce
compliment une note qui contient une ré-
Bexion malheureuſement trop iudicieuſe
&trop vraie. « Il feroit à ſouhaiter que
>>les comédiens fuſſent toujours reſtés
>> eux - mêmes dans ces louables difpofi-
>>tions , & ne ſe fuſſent pas permis de
>>prononcer , ſans appel , des jugemens
» qui font le plus ſouvent caffés par le
>>Public. De toutes les piéces reçues avec
>> tranſport par les comédiens, tant Fran-
>> çois qu'Italiens , preſque pas une ne
>> réudit ; & la plupart de celles qu'ils
» n'ont jouées qu'à force de perſécutions,
1
AVRIL. 1769. 113
>> ont eu le plus grand ſuccès.» L'auteur
préſente des analyſes très - bien faites de
tous les canevas&de toutes les piéces qui
ont été repréſentées ſur le théâtre italien
depuis l'année 1716 juſqu'à préſent ; les
extraits dictés par le goût le plus fûr &le
plus impartial font accompagnés d'anecdotes
fur les pièces , ſur les auteurs& fur
les acteurs ; on trouve l'hiſtoire de ceux
qui font morts,la noticede tous les debuts;
nous n'avons rien de plus agréable & de
plus complet en ce genre ; il ſeroità fouhaiter
que nous euſtions l'hiſtoire des autres
théâtres traitée de la même maniere.
L'auteur y a joint celle du théâtre de l'opéra
comique qui , depuis quelques années,
eſt uni à celui de la comédie italienne
; il a fait marcher les piéces des
deux genres felon leur ordre chronologique;
il n'en a féparé que celles qui avoient
précédé la réunion des deux théâtres ; elles
forment deux volumes qui font fuite
avec les ſept de la comédie italienne , &
dont nous nous propoſons de parler inceffamment.
Eloge hiftorique de MM. Valin , de Chaf.
firon & Dupaty , prononcé dans l'afſemblée
publique de l'académie royale
des belles- lettres de la Rochelle , le
:
114 MERCURE DE FRANCE.
:
Mai 1767 ; par M. Bernon de Salins;
membre de l'académie. A la Rochelle,
chez Jerôme Legier , imprim. du Roi
&de l'académie royale de la Rochelle,
au canton des Flamands , in- 8 °. 26 p.
L'uſage de la plupart des académies eſt
de faire un court éloge des aſſociés que la
mort leur enleve; c'eſt un tribut que l'on
doit à leur mémoire , dont le but eſt de
rendre hommage aux talens & à la vertu ,
&de rappeller aux autres qu'ils doivent
mériter d'être loués de même . M. Valin
naquit à la Rochelle en 1695. Il fut à la
fois jurifconfulte , magiftrat , académicien
; c'eſt à lui que nous devons la jurifprudence
des arrêts; on ſentoit la nécefſité
de cet ouvrage; depuis ſoixante ans
ces arrêts prononçoient ſur les doutes des
citoyens &de leurs défenſeurs. M. Valin
ſentit qu'en les plaçant à côté de la loi ,
ils y jetteroient une grande clarté ; il ſe
conſacra à ce travail , & le remplit en ce
qui concernoit la marine ; cette production
précieuſe honore également le jurifconfulte
& le citoyen. Il mourut en
1765.
M. Chaffiron étoit le fils d'un homme
qui fixa pendant quelque tems les regards
de fon fiécle; qui , le premier , entreprit
AVRIL. 1769. 115
le commerce d'Inde en Inde ,& ſe rendit
à laChineoù aucun navigateur n'avoit encore
porté le pavillon françois. M. de
Chaffiron , dont l'académie pleure la perte
, n'avoit fait ni rhétorique , ni philoſophie,
& fut cependant homme de lettres
& philoſophe ; il occupa ſucceſſivement
deux places de magiſtrature au préſidial
&au bureau des finances. Il fut un des
fondateurs de l'académie ; il en fit auſſi
l'ornement ; il n'eſt perſonne qui ne connoiſſe
ſes réflexions ſur le comique larmoyant.
M. de Voltaire en parle ainſi
dans ſa préface de Nanine. « C'eſt une
>> differtation ingénieuſe & approfondie
>> d'un académicien de la Rochelle , fur
>> cette queſtion qui ſemble partager de-
>> puis quelques années la littérature ;
» ſçavoir , s'il eſt permis de faire des comédies
attendriſſantes. Il condamne
» avec raiſon tout ce qui auroit l'air d'une
>> tragédie bourgeoiſe. En effet que ſe-
>> roit -ce qu'une intrigue tragique entre
» des hommes du commun ? Ce feroit
>> ſeulement avilir le cothurne ; ce ſeroit
>> manquer à la fois l'objet de la tragédie
» & de la comédie ; ce ſeroit une eſpéce
>> bâtarde , un monſtre né de l'impuiſſan-
>> ce de faire une comédie & une tragédie
>> véritable. »
116 MERCURE DE FRANCE .
:
Le dernier éloge eſt celui de M. Dupaty
; c'eſt le pere de M. Dupaty , aujourd'hui
avocat général au parlement de
Bordeaux , magiftrat éloquent & membre
de l'académie de la Rochelle , qui a établi
le prix qu'on a donné cette année à
l'éloge de Henri IV. M. Dupaty le pere
n'a pas montré moins de zèle , de ſenſibilité
& de générosité. Il naquit à St Domingue
; il vint étudier en France . MM.
Coffin & Crevier furent ſes précepteurs ;
il prit des leçons de Rolin , & s'établit
enfuite à la Rochelle où M. Richard des
Herbiers fon beau- frere lui céda ſa charge
de tréſorier de France ; il obtint une place
à l'académie à l'âge de vingt - quatre
ans. Il fut le premier qui y ait été admis
ſijeune; fon fils en fournit un nouvel
exemple ; puiſqu'ily a été reçu à dix- neuf
ans; les talens ſupérieurs méritent ces
distinctions. M. Dupaty fut le bienfaiteur
de l'académie ; lors de ſon établiſſement
elle avoit été obligée de faire un emprunt
pour payer l'enregiſtrement des lettrespatentes
au parlement , & fatisfaire à
d'autres dépenses ; elle n'avoit pa lerembourfer
; la libéralité de M. Dupaty la
délivra de cette dette. Il s'eſt diſtingué
dans l'hiſtoire naturelle , où il a fait des
AVRIL. 1769. 117
4
découvertes précieuſes ; il eſt mort âgé
de47 ans & quelques mois.
The grand inftructions to the commiſſioners
appointed toframe a new code of laws
for the Ruſſian Empire , &c. Inſtructions
de S. M. I. Catherine II. Impératrice
de toutes les Ruſſies , aux commiſſaires
nommés pour former un nouveau
code de loi pour l'empire Ruffe,
in 4° .
Cet ouvrage ne peut manquer d'exciter
la curiofité, quel que foit ſon ſuccès ,
il offre toujours une preuve des progrés
de la philoſophie dans le Nord; l'entrepriſe
de l'Impératrice de Ruſſie la comble
de gloire ; les loix qu'elle donne à fon
peuple ne font point dictées par la néceffité,
ni par ces circonstances malheureuſes
qui ſouvent font la fuite des révolutions
, & qui quelquefois les annoncent ;
elles émanent directement de ſa bienfaifance
& de fon humanité. Le code dont
ces inſtructions forment la baſe , mérite
d'être travaillé avecfoin ; il doit être di
gne de la ſouveraine qui l'entreprend ,
& répondre à ſa grandeur ; le plan qu'on
en préfente contient des principes & des
détails qui n'offrent rien de neuf à la vé118
MERCURE DE FRANCE.
1
i
,
rité , puiſqu'on n'a fait en beaucoup
d'endroits que copier Monteſquieu
Becaria , &c . Mais quand il s'agit de légiſlation
, l'eſſentiel eſt de s'occuper du
bonheurdes peuples ; il n'est pas queſtion
dedonnerdes nouveautés qui ſouvent ne
font que brillantes , il faut s'attacher au
meilleur & au plusutile.On ne trouvera
peut-être pas ces qualités dans ce plan ; il
peut être rectifié : d'ailleurs on ſçait que
chaque nation a ſes loix particulieres ,
conformes à ſes moeurs , à ſes uſages , à
fon gouvernement ; fi elles ne paroiffent
pas les meilleures poſſibles , on doit ſuppoſer
du moins qu'elles ſont celles qui
lui conviennent ; ce n'eſt point de celleslà
qu'il appartient aux étrangers de juger ;
leurs préjugés influent trop ſur leur maniere
de voir. Il en eſt d'autres qui font
plus générales , & qui ſont communes à
tous les peuples; c'eſt dans ces eſpéces
de loix que l'on pourroit defirer quelques
changemens ; ce n'eſt point vraiſemblablement
d'après cet ouvrage qu'on doit
apprécier le code donton donne le plan ;
le compilateur a pu ſe tromper quelquefois;
l'article des héritages , fur lequel
nous nous arrêterons , fuffira pour le prou
ver. « L'ordre des ſucceſſions eſt fondé
:
AVRIL. 1769. 119
S
> ſur les loix civiles & non ſur la loi na-
>> turelle ; cette derniere oblige les peres
> à nourrir & à élever leurs enfans , mais
>>ellene les force point à les choiſir pour
>>héritiers. Un pere , par exemple , qui a
>> donné à fon fils un état dans lequel il
>>peut gagner facilement ſa vie , l'enri-
>>chit plus par ce moyen que s'il lui laif-
>> foitun héritage qui ne contribueroit
> vraiſemblablement qu'à le rendre oiſif
» & pareſſeux. Il eſt vrai que l'ordre
>> civil ou politique exige ſouvent que
>> l'enfant hérite de ſon pere; mais il ne
> le demande pas toujours. Cette regle
>> eſt générale: élever ſes enfans eſt une
>> loi de la nature ; mais leur laiſſer ſes
>> biens en mourant eſt un ordre établi par
>> les loix civiles. >> Ce raiſonnement n'eſt
point exact. Les héritages , regardés
comme une eſpèce de ſucceſſion , font
une inftitution politique ; mais le droit à
ces ſucceſſions nous ſemble dérivé de la
loi naturelle. Si elle ordonne au pere de
nourrir & d'élever ſes enfans , quand
cette obligation finit-elle ? Eſt elle détruite
lorſqu'il meurt avant que ſes enfans
puiſſent pourvoir à leur ſubſiſtance ?
Et quand ils ont ce pouvoir, la nature
n'inſpire-t-elle pas au pere le defir & la
120 MERCURE DE FRANCE.
volonté d'améliorer leur fort . Les raifons
qu'on apporte pour le diſpenſer de ce
devoir ne méritent pas une diſcuſſion ſérieuſe
; les fils peuvent s'enrichir ; l'héritage
les rendroit pareffeux. C'eſt dire précifément
que ce qui peut être ne manquera
pas d'arriver. Le compilateur du
code n'a pas affez réfléchi fur ce ſujet ; il
lui échappe même des contradictions fingulieres
; il dit plus bas : - Les filles
>>chez les Romains ne pouvoient héritér
>>par teſtament; les peres en conféquence
>>avoient ſoin de les pourvoir parfraude
» & fous un faux nom. La loi les forçoit
>>ainſi à tromper ou à violer celle de la
> nature , qui nous ordonne d'aimer nos
» enfans. Comment viole-t- on cette
loi , en privant les filles de leur héritage
fi elle n'oblige à rien à cet égard , & fi les
fucceffions font uniquement réglées par
les loix civiles ? Il y auroit auffi des réflexions
à faire fur pluſieurs autres articles
; mais en général les loix ſontſimples
&ſages; celles qui concernent les peines
ſemblent avoir été dictées par la modération
& l'humanité ; peut-être ſeroit- il
'à ſouhaiter que celui qui aſſaſſine , & celui
qui a ſimplement médité le meurtre
nefuffent pas également jugés dignes de
mort ;
AVRIL. 1769.1 121
5
mort ; le premier la mérite parce qu'il a
troublé la ſociété , & qu'il s'eſt ôté les
moyens de réparer le mal ; mais l'autre
peut avoir des remords ; d'ailleurs il eſt
difficile de prouver clairement qu'on a
ou qu'on n'a pas eu un tel deſſein ; n'eftil
pas dangereux qu'un homme, sûr d'être
puni pour le projet , ne ſoit tenté de
mériter tout à fait de l'être en l'effectuant
?
Hiftoire littéraire des femmes Françoiſes ,
ou lettres hiſtoriques & critiques ; contenant
une analyſe raiſonnée des ouvrages
des femmes qui ſe ſont diſtinguées
dans la littérature françoiſe : par
une ſociété de gens de lettres , avec
cette épigraphe , quid fæmina poffit ,
Virg. Eneïd. A paris , chez Lacombe
libraire , rue Chriſtine , cing volumes
in- 8°. de près de 600 pages chacun ,
( prix relić , 25 livtes .
6
20
Cet ouvrage utile &qui nous manquoit
eſt conſacré à la gloire d'un ſexe à
qui le célebre citoyen de Genève refuſe
abſolument le génie , mais à qui l'on ne
peut au moins conteſter des talens très
diftingués & très agréables dans plufieurs
genres de littérature , & prouvés par des
II. Vol. F
! 122 MERCURE DE FRANCE.
:
fuccès durables. Les auteurs de cette collection
ont raſſemblé dans cinq volumes
les noms de toutes les femmes Françoiſes
qui ont écrit , une analyſe plus ou
moins étendue de leurs ouvrages & des
jugemens ſur leur mérite. Quand ces
ouvrages font bons , ce précis a l'avantage
de remettre ſous les yeux du lecteur
ce qu'ils ont de plus précieux & de plus
piquant ; &quand ils font médiocres ou
mauvais , on en extrait les ſeuls endroits
qui méritent d'être lus , & on en donne
une idée.
L'illustre & malheureuſe Héloïſe ouvre
ce recueil. On y traduit pluſieurs
morceaux de ſes lettres originales , fort
ſupérieures à celle que Pope lui fait écrire
&dont l'élégante imitation a été l'heureux
eſſai des talens de M. Colardeau. On
rapporte de très-beaux endroits de cette
imitation&de deux autres ; l'une parM.
Feutri , l'autre par M. Beauchamps. Ily
en aune quatrieme qui a été inférée dans
la Gazette littéraire , dont on auroit dû
faire mention. Elle eſt pleine de ſentiment
& d'énergie.On y trouve ce vers
heureux :
Abailardvit encore& je n'ai plusd'amant.>>
AVRIL. 1769 . 123
Des reines &des princeſſes ornent la liſte
des femmes lettrées , telles que les deux
Marguerites de Valois , l'une connue par
les Centnouvelles nouvelles , que la Fontaine
a quelquefois embellies des graces
de ſon ſtyle : l'autre qui étoit femme de
Henri IV a laiſſé des Mémoires curieux
fur l'hiſtoire de ſon ſiècle. Ceux de madame
la princeſſe deConti , nom confacré
de tout tems aux arts , aux talens&
aux vertus ; & ceux de mademoiſelle de
Montpenſier ont fourni d'excellens matériaux
aux hiſtoriens. Les Mémoires de
madame de Villars ſur la cour d'Eſpagne,
ceux de madame de Motteville ſur la
fronde , font remplis de peintures naïves
&d'anecdotes intéreſſantes. Madame de
Staal eſt remarquable dans les ſiens par
la fineſſe de ſes idées & l'art de conter
agréablement de petites choſes.
Madame Deshouliéres tient le premier
rang parmi celles qui ont écrit en
vers. On peut lui reprocher de n'avoit
pas ſenti le mérite du grand Racine , &
d'avoir fait un fort mauvais ſonnet contre
une très-belle piéce. Mais ſi le reproched'avoir
mal jugé ôtoit quelque choſe
aux talens , les plus grands écrivains pourroient
perdre de leur gloire. Le génie
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
n'exclud ni les erreurs de l'eſprit , ni
l'aveuglement de la paſſion. L'ouvrage
dont nous rendons compte rapporte un
trait fingulier de madame Deshouliéres.
>> Etant allée voir une de ſes amies à la
>> campagne , on lui dit qu'un fantôme
>> avoit coutume de ſe promener toutes
>> les nuits dans l'un des appartemens du
>> chateau , & que depuis bien du tems
>>perſonne n'oſoit y habiter. Commeelle
>>n'étoit ni ſuperſtitieuſe,ni crédule , elle
>> eut la curioſité , quoique groſſe alors ,
>> de s'en convaincre par elle-même , &
>>>voulut abſolument coucher dans cet
» appartement. L'aventure étoit affez té-
>> méraire & délicate à tenter pour une
>> femmejeune &aimable. Au milieu de
>>la nuit elle entendit ouvrir ſa porte.
» Elle parla ; mais le ſpectre ne répondit
»rien. Il marchoit peſamment & s'avan-
>>çoit en pouſſant des gémiſſemens . Une
>>table qui étoit aux pieds du lit fut ren-
>>verſée , & fes rideaux s'entrouvrirent
>>avec bruit. Un moment après le guéri-
>>don , qui étoit dans la ruelle , fut cul-
>> buté , & le fantôme s'approcha de la
>> dame. Elle de ſon côté , un pen trou-
>> blée , allongeoit les deux mains pour
>>fentir s'il avoit une forme palpable. En
AVRIL. 1769. 125
>>>tâtonnant ainſi elle lui ſaiſit les deux
>> oreilles ſans qu'il y fit aucun obſtacle :
>> ces oreilles étoient longues & velues ,
>>>& lui donnoient beaucoup à penſer. Elle
» n'oſoit retirer une de ſes mains pour
>> toucher le reſte ducorps , de peur qu'il
» ne lui échappât , & pour ne point per-
>> dre le fruit de ſes travaux , elle per-
>> ſiſta juſqu'à l'aurore dans cette pénible
>>attitude. Enfin au pointdu jour elle re-
>> connut l'auteur de tant d'allarmes pour
>>un gros chien affez pacifique , qui ,
>> n'aimant point à coucher à l'air , avoit
>> coutume de venir chercher de l'abri
dans ce lieu dont la ferrure ne fermoit
» pas. »
Les tragédies de mademoiselle Ber
nard font attribuées à M. de Fontenelle.
A l'occaſion de Brutus , l'une de ces tra .
gédies , nous remarquerons que lorſque
M. de Voltaire donna le ſien , ouvrage
fublime , mais dont le ſuccès théâtral ne
fut pas proportionné à beaucoup près à
l'admiration qu'il a inſpirée depuis aux
connoiffeurs , M. de Fontenelle , qui ragardoit
l'ouvrage comme tombé, fit réimprimer
le Brutus de mademoiſelle Bernard
, ce qui étoit plus facile que de le
faire lire.
Fiij
116 MERCURE DE FRANCE.
!
Voici deux madrigaux qui font honneur
à mademoiselle Bernard , s'ils font
d'elle , comme on le dit.
Vous n'écrivez que pour écrire ,
C'eſt pour vous un amuſement.
Moi , qui vous aime tendrement
Je n'écris que pour vous le dire.
Autre.
Quandle ſage Damon dit que d'un trait mortel
L'Amour bleſſe les coeurs , ſans qu'ils ofent
plaindre ,
Que c'eſt un dieu traître&cruel ,
L'Amour pour moi n'eſt point à craindre.
Mais quand le jeune Atis me vient dire à ſon tour;
Ce dieu n'eſt qu'un enfant doux , careffant , aimable
,
Un enfant plusbeau que lejour :
Queje le trouve redoutable !
Tous les détails que M. de Voltaire a
écrits fur la fameuſe Ninon de l'Enclos
ſe retrouvent ici augmentés de quelques
autres . La maniere dont elle parodie les
vers que le grand prieur de Vendôme
avoit faits contre elle , prouve ſon eſprit
&fa facilité à écrire.
Indigue de mes feux , indigne de mes larmes ,
AVRIL. 1769. 127
Je renonce fans peine à tes foibles appas.
Mon amour te prêtoit des charmes ,
Ingrate , que tu n'avois pas.
:
Voicicomme Ninon les retourna contre
lui :
Inſenſible à tes feux , inſenſible àtes larmes )
Je te vis renoncer à mes foibles appas ;
Mais ſi l'Amour prête des charmes ,
Pourquoi n'en empruntois-tu pas ?
On connoît les vers de St. Evremont ,
mis au bas du portrait de Ninon , & qui
font les meilleurs qu'il ait faits.
L'indulgente &ſage nature
A formé l'ame de Ninon
De la volupté d'Epicure
Et de la vertu de Caton;
Il y a loin fans doute de Ninen a madame
Dacier. On retrouve ici pluſieurs
endroits de ſes traductions. Elles ſont
très-louées ; mais elles n'ont guères qu'un
mérite réel , c'eſt la fidélité. Si la Motte
ne connoiſſoit Ho mère que par ces tra
ductions , il n'eſt pas ſurprenant qu'il
n'ait pas été enthouſiaſte du poëte Grec .
Mais il commitune grande faute , celle
!
Fiv
28 MERCURE DE FRANCE.
de vouloir juger un poëte ſans l'entendre
dans ſa langue naturelle. MadameDacier
qui avoit raiſon pour le fonds , répondit
comme si elle avoit eu tort.
Il eſt rare d'avoir plus d'eſprit naturel
que madame de Sévigné. On relit tou
jours avec un nouveau plaifir ces lettres
charmantes , où regne une ſenſibilité ſi
douce & fi délicate , oùtout a de la grace
juſqu'au bavardage qu'on ſe permet
quand on aime , & qui ordinairement
ennuie tout autre que celui à qui on l'adreſſe
, où l'art de narrer eſt porté au plus
haut point de perfection , enfin où l'on
remarqué une foule d'expreſſions trouvéesqui
naiſſent ſous la plume de ceux
qui ont une imagination très vive & un
goût exquis . Madame de Sévigné avoit
les mains très- belles. Un jour Ménage en
tenoit une entre les ſiennes : quand il
l'eut retirée , M. Pelletier qui étoit préſent
, lui dit : voilà le plus bel ouvrage qui
Soitjamaisforti de vos mains.
Lorſque madame de Sévigné eut
compté la dot de ſa fille , elle s'écria :
>>Quoi ! faut- il tant d'argent pour obli-
>>ger M. de Grignan à coucher avec ma
>>fille ! Après avoir un peu réfléchi , elle
>>ſe reprit en diſant : il y couchera de-
4
AVRIL. 1769 . 129
» main , après demain , toutes les nuits ;
>> ce n'eſt point trop pour cela. »
Les romans font le genre où les femmes
ſe ſont le plus appliquées. Madame
de la Fayette eſt fort au-deſſus de toutes
celles qui en ont fait dans le ſiécle paflé.
Les ſituations de Zaïde & de la princeſſe
de Cléves font à la fois intéreſſantes &
naturelles , & ont dû faire tomber les volumineux
romans de mademoiselle Scudéri
, de madame de Ville- Dieu , de madame
d'Aulnoi , où l'on ne rencontre que
des aventures ou communes ou forcées ,
racontées d'un ſtyle lâche & prolixe ,
fans chaleur & fans eſprit.
On distingue dans notre fiécle les romans
de madame de Tencin , le ſiége de
Calais , le comte de Comminges & les
malheurs de l'Amour. Les deux premiers
ont été faits en ſociété avec M. de P. D.
V. , auteur de pluſieurs pièces de théâtre
très-jolies , pleines d'eſprit & fort fouvent
jouées.
La comteſſe de Savoie , de madame de
Fontaines , eſt un ouvrage plein d'intérêt
, dont M. de Voltaire paroît avoir tiré
le ſujet de Tancrede. Il avoit adreſſé à
l'auteur les vers ſuivans.
La Fayette & Ségrais , couple fublime & tendre ,
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
Lemodèle , avant vous , de nos galans écrits ,
Des champs éliſéens , ſur les aîles des ris ,
Vinrent depuis peu dans Paris.
D'où ne viendroit - on point , Sapho , pour vous
entendre?
Avosgenoux tous deux humiliés,
Tous deux vaincus & pourtant pleins dejoie ,
Ils mirent leur Zaïde aux pieds
De la comteſſe de Savoie.
Ils avoient bien raiſon : quel dieu , charmant auteur
,
Quel dieu vous a donné ce langage enchanteur è
La force & la délicateſſe ,
La ſimplicité , la nobleſſe
Que Fénelon ſeul avoit joint ;
Ce naturel aifé dont l'art n'approche point.
Sapho , qui ne croiroit que l'Amour vous inf
pire2
Mais vous vous contentez de vanter ſon empire.
De Mendore amoureux vous peignez le beau feu,
Et la vertueuſe foibleſſe
D'une maîtrefle
Qui lui fait , en fuyant , un ſi charmant aveu.
Ah ! pouvez -vousdonner ces leçons de tendrefle
Vous , qui les pratiquez ſi peu
C'est ainſi que Marot ſur ſa lyre incrédule ,
Đu Dieu qu'il méconnut chantala ſainteté :
Vous avez pour l'amour auſſi peude ſcrupule
Vous neleſervezpoint & vous l'avez chanté..
AVRIL. 1769. 131
Les lettres Péruviennes immortaliſeront
la mémoire de madame de Grafigni ,
plus que Cénie , qui n'est qu'une copie
unpeufoible de la gouvernante fans en
avoir les beaux détails. C'eſt le premier
roman épiſtolaire qui ait été compofé en
France. Cette méthode , empruntée des
Anglois , a été depuis employée avec
beaucoup de ſuccès par madame Riccoboni
dans Fanni Butler & dans Catesbi ,
ouvrages plein de ſenſibilité , & qui font
aimer la vertu , même en traçant des foibleſſes.
Le même merite ſe retrouve dans
fes autres compoſitions , dans Jenny ,
dans le marquis de Creſſi. Le feul morceaud'Ernestine
auroit ſuffi pour lui faire
une réputation. Camédris en a fair une à
ſon ingénienſe auteur. C'eſt à une femme
que nous devons les excellentes traductions
des hiſtoires de M. Hume ; &
c'eſt les louer aſſez que de dire qu'elles
font dignes de l'original.
Parmi les bons ouvrages que le fexe a
produits de nos jours, les lettres du marquisdeRoſelle
doivent tenir un rang dif
tingué. Lebut moral eſtde la plus grande
utilité ; & ce roman eſt du très- petit
nombre de ceux qu'on peut mettre fanss
crainte entre les mains des jeunes demoi
)
Fvj
532 MERCURE DE FRANCE.
ſelles : l'honnêteté y eſt toujours aimable
, & le vice n'y eſt jamais contagieux .
Le ſtyle eſt plein de douceur & de goût.
La ſeconde partie ſur-tout eſt pleine de
l'intérêt le plus attendriſſant , & l'ouvrage
en général eſt d'une belle plume ,
conduite par une belle ame ; il eſt de
madame Elie de Beaumont , femme de
l'avocat de ce nom .
Madame du Châtelet & madame du
Bocage ont pris un vol plus élevé , l'une
dans les ſciences , l'autre dans l'épopée &
la tragédie. On ſçait quels éloges M. de
Voltaire a donnés à toutes deux. Nous
ne pouvons pas citer ici toutes les femmes
dont les productions font extraites
dans l'hiſtoire littéraire . Nous en avons
affez dit pour prouver la vérité de ces
vers de Pétrarque :
Lédonnéfon venute in excellenza
Di ciaſcun' arte dove hannoporto cura.
Irza & Marſis , ou l'Iſle merveilleuse ,
poëme en deux chants , orné de jolies
gravures , fuivi d'Alphonſe conte ; feconde
édition ; à la Haie , & ſe trouve
à Paris chez Delalain , libraire , rue
Saint Jacques.
AVRIL. 1769. 133
L'homme eſt né pour le travail , & le
defir eſt en lui la meſure du plaiſir. Cette
vérité de ſpéculation eſt développée dans
le poëme d'Irza & Marſis par la plus
agréable des fictions. La raiſon ſourit à
la lecture de ce poëme ingenieux , & les
ſens font agréablement flattés par les images
qui leur font offertes. Parmi les beautés
neuves répandues dans cette nouvelle
édition , on remarquera fur-tout la defcription
du temple du Deſtin ; la teinte
ſombre qui y regne ne peut contribuer
qu'à faire reſſortir avec plus davantage les
couleurs douces & riantes des autres tableaux.
Loin de la fphère ou grondent les orages ;
Loindes ſolcils , par-delà tous les cieux ,
S'eſt élevé cet édifice affreux
Qui ſe ſoutient fur le gouffre des âges .
D'un triple airain tous les murs ſont couverts ,
Et ſur leurs gonds , quand les portes mugiffent,
Du temple alors les baſes retentiſſent ;
Le bruit pénetre , & s'entend aux enfers.
Les voeux ſecrets, les prieres , la plainte ,
Et notre encens , détrempé de nos pleurs ,
Viennent , hélas ! comme autant de vapeurs ,
Se diſſiper autour de cette enceinte.
Là tout eſt ſourd à l'accent des douleurs.
Multipliés en échos formidables ,
134 MERCURE DE FRANCE.
Nos cris en vain montent juſqu'à ce lieu,
Ces cris perçans & ces voix lamentables
N'arrivent point aux oreilles du Dieu .
Aſes regards un bronze incorruptible
Offre en un point l'avenir ramaffé.
L'urne des forts eſt dans ſa main terrible
L'axe des tems pour lui ſeul eſt fixé.
Sous une voûte où l'acier étincelle ,
Eſt enfoncé le trône du deſtin :
Triſte barriere & limite éternelle ,
Inacceſſible à tout l'effort humain .
Morne , immobile , & dans ſoi recueillie,
C'eſt de ce lieu que la nécefſité
Toujours févere & toujours obéie ,
Leve ſur nous ſon ſceptre enfanglanté ,
Ouvre l'abîme où diſparoît la vie ,
D'un brasde fer courbe le front des Rois
Tient ſous ſes pieds la terre aſſujettic ,
Et dit au tems : exécute mes loix.
Dans le conte d'Alphonse qui ſuit ce
poëme , on reconnoît cette muſe enjouće
&facile ,qui ſçait varier ſes chants & fes
plaiſirs.
Mélanges d'histoire & de littérature , de
jurisprudence littéraire , de critique, &c.
vol . in- 12 .; par M. Terraſſon , écuyer,
avocat au parlement , &c. A Paris ,
AVRIL. 1769. 135
4
chez la veuve Simon & fils , rue des
Mathurins.
Monfieur Terraſſon , dont le nom eſt
diftingué dans les lettres , & qui luimême
eſt avantageuſement connu par
une hiſtoire de la jurisprudence romaine
, a raſſemblé dans ces mélanges plu
ſieurs differtations également intéreſfantes
par leur objet & par leur variété.
Dans la premiere il conſidére l'ancien
emplacement de l'hôtel de Soiffons , &
le ſuit dans toutes les viciſſitudes qu'il a
éprouvées , & qui ſouvent ont rapport à
Thiſtoire du temps. Il examine dans la
ſeconde ſi l'enceinte de Paris , commencée
par Philippe - Auguſte , fut entourée
de foſſés& de remparts; & iltient pour
la négative. La troiſieme releve quelques
indécences des anciensjurifconfultes, entr'autres
le fameux procès entre la Vierge
& le Diable , imaginée par Bartole , &
qui eſt affez curieux pour le rapporter
ici.
« Le Diable prétendant remettre les
>> hommes ſous le joug auquel le crime
>> d'Adam les avoit foumis , aſſigne le
>> genre humain devant le tribunal deJefus
- Chriſt . L'aſſignation donnée aux
>> termes du droit eſt à trois jours . Elle fe
136 MERCURE DE FRANCE.
...
trouve écheoir un vendredi ſaint. Le
>> Diable cite à Jeſus - Chriſt les loix qui
>> ne permettent pas d'aſſigner à un jour
>>de fête. Jeſus-Chriſt diſpenſe de cette
>>formalité en vertu d'autres loix qui
>> donnent ce droit aux juges en certains
>> cas. Alors le Diable comparoît plein
>> de rage , & demande ſi quelqu'un oſe
>>parler pour le genre humain. La Ste
>>Vierge ſe préſente . Le Diable ,
>>intéreſſé à empêcher cette plaidoirie ,
>> propoſe deux moyens de récufation ;
>> le premier , que la Ste Vierge étant
>>mere du juge , elle pourroit trop aifé-
>>ment le faire prononcer en faveur de
>>ſa partie ; le ſecond eſt que les femmes
> font exclues de la fonction d'avocat. II
>> appuye ces deux motifs fur des para-
>>graphes tirés du digeſle & du code. La
>> Ste Vierge, de fon côté, allégue les loix
>> qui autoriſent les femmes à plaider
» pour les veuves , les pupilles , & ceux
>> qui ſont dans la miſére. La Ste Vierge
>> gagne cet incident , & Jeſus-Chrift lui
>> permet de plaider pour les hommes. Le
» Diable demande la provifion , comme
>> ayant été poffeffeur du genre humain
>> depuis la chûte d'Adam ; le tout fui-
>> vant la maxime du droit , Spoliatus an-
» teà reftituendus , & fait valoir pour lui
AVRIL. 1769. 137
>>la preſcription . La Ste Vierge lui op-
>> poſe le titre du droit Quod vi aut clam;
>>lui , foutient qu'un poſſeſſeur de mau-
>> vaiſe foi ne peut acquérir par la voie
>> de preſcription , & le prouve par la loi
>>III , paragraphe dernier , au digeſte de
» acquirenda poſſeſſione. Jeſus - Chrift
» ayant débouté le Diable de la provifion
>>par lui demandée , le fond du procès
>> ſe difcute de même par citations de
>>loix & de paragraphes... Enfin inter-
» vient le jugement définitif , qui eſt ex-
>> trêmement fingulier; il contient une
» eſpéce de vú de piéces ; enſuite de quoi
» Jeſus-Chriſt , du haut du ciel , rend, le
>>jour de pâques , une ſentence par la-
>>quelle, en déchargeant le genre humain
>> des imputations à lui faites par le Dia-
>> ble , il condamne le Diable à la dam-
>> nation éternelle ... La ſentence eft re-
>>digée par St Jean l'évangeliſte , qui fait
>> la fonction de greffier ; St Jean Baptif-
» te , St François , St Dominique , Saint
» Pietre , St Paul , St Michel & autres
» Saints en grand nombre fervent de té-
» moins . La ſentence eſt datée du 6 Avril
» 1311 , & les Anges , pour célébrer le
>> triomphe de la Ste Vierge , la félicitent
>> en lui chantant en choeur un Salve
» Regina. »
138 MERCURE DE FRANCE.
La quatriéme diſſertation traite de la
vielle,de fon origine&de ſes variations;
la cinquiéme , des loix rhodiennes ; la
fixiéme & derniere , d'un texte hébreu
que l'auteur prétend avoir exactement
traduit contre l'opinion des journaliſtes
deTrévoux.
Le volume eſt terminé par la vie de
Cujas &de fa fille Susanne Cujas , objet
de tant de plaifanteries. On ſçait le mot
des écoliers de droit qui alloient commenter
Cujas. Elle vécut dans le plaiſir
& mourut dans la mifére. Voici l'épitaphe
que lui fit le profeſſeur EdmondMé
rille.
Viderat immenfos Cujaci nata labores
Æternum patri promeruifle decus.
Ingenio haud poterat tam inagnum æquare pa
rentem .
Filia , quod potuit , corpore fecit opus.
EUGENIA dramma in cinque atti in
profa del fig. di Beaumarchais cen un
difcorso fopra il drama ferio tradotto
dal francese ; in Cofmopoli Banne 1768 .
C'eſt une traduction faite du François en
langue Toſcane de l'Eugénie de M. de
Beaumarchais. Le traducteur donne auffi
P'extrait avantageux que le Mercure a
AVRIL. 1769. 139
fait de ce drame au moisde Juin 1767,
&defire que les théâtres d'Italie s'enrichiffent
, non- feulement de cette piéce ,
mais encore de toutes celles qui ſont dans
le même genre. Il répond en particulier
du ſuccès d'Eugénie , ſi intéreſſante par
la vérité, par la force & le choix des caracteres
, des perſonnages & des ſentimens.
Il rapporte que « le marquis Al-
>> bergotti , qui vit actuellement à Vé
>>rone vient d'y faire jouer à la fin du
>>carnaval une traduction du comte de
»Comminges de ſa façon , & qu'on dit
>> fort bonne. La piéce a été très-bien
>>jouée par des cavaliers & une dame qui
faifoit le rôle d'Euthime. Le traducteur
>> lui-même faiſoit celui de Comminges.
>>>Leshabits étoient exactement ceux des
> moines de la Trape ; & on n'a rien épar-
>> gné pour rendre le ſpectacle terrible &
>>frappant. J'ai patlé , ajoute-t- il , à des
>> cavaliers qui ont aſſiſté à la repréſen-
>> tation , & qui m'ont dit que la pièce a
>> fait le plus grand effet. >> رو
Lettre de Madame de MEHEGAN.
Le nom que je porte , monfieur , ma
expolée à recevoir dans différens endroits
, des complimens ſur le ſiècle de
Louis XII , dont je ne ſuis pas l'auteur.
On s'eft imaginé que la veuve de M. de
140 MERCURE DE FRANCE.
Méhégan avoit voulu s'eſſayer ſur l'hiftoire
, ſans penſer que quand elle auroit
les talens néceffaires pour l'écrire , elle
n'en auroit pas la volonté. Comme je ſerois
très fâchée que -l'erreur de quelques
perſonnes s'accréditât , je vous ſerai infiniment
obligée d'en dire un mot dans
l'ouvrage auquel vous donnez vos foins.
Je ne me foucie aucunement d'une réputation
qui n'eſt point à moi : un pareil
honneur me feroit rougir ; & en vé.
rité je ſerois moins touchée d'eſſuyer des
critiques ameres, ſi je les méritois , qu'humiliée
d'entendre des éloges qui ne me
ſeroient pas dûs.
Lettre de M. le baron de TSCHUDI ,
Bailli de Metz.
J'ai trouvé , monſieur , dans la France
littéraire le livre anonyme de l'étoile
flamboyante ſous mon nom : il ſuffit
qu'il ne ſoit pas de moi pour que je doive
le déſavouer : mais comme j'ai appris
qu'il s'y trouve des lieux communs contre
la ville de Metz , que j'aime beaucoup
,je ne puis dès-lors ſupporter la pen.
ſée qu'on imagine un moment que j'aye
fait ce livre. J'eſpere en conféquence ,
monſieur , que vous voudrez bien inférer
cette lettre dans le Mercure.
AVRIL. 1769. 141
1
CONCERT SPIRITUEL.
Le concert ſpirituel a fupplée à la vacance
des autres ſpectacles pendant les
trois ſemaines qui commencentà laPaſſion
&finiſſent après la quinzaine de Pâque.
On rend justice à la belle exécution
des muſiciens qui compoſent ce grand
orchestre , & à l'intelligence des directeurs.
Ona fair entendre deux motets de concours
pour le prix propoſé ſur lepſeaume
Deus nofter refugium ; & deux autres motets
françois , auſſi pour le prix propoſé
fur l'ode de Rouſſeau , la gloire du Sei
gneur. On a trouvé dans ces eſſais quelques
traits d'harmonie ; mais peu d'expreffions
, peu de chant; un deſſein foible
, & un ſtyle monotone. Ces prix ont
été réſervés pour des ouvrages où il y ait
plus de connoiſſance de l'art , avec plus
de génie. On a exécuté de grands motets
connus de M. Dauvergne , ſurintendant
de la muſique du Roi. Pluſieurs autres
motets de la Lande , de Mouret , de
Lefèvre , de M. l'abbé Girout maître
de muſique de la cathédrale d'Orléans , de
142 MERCURE DE FRANCE.
9
1
M. Doriot maître de muſique de la Ste
Chapelle ; quelques petits motets de M.
l'abbé Jollier , de M. de Saint Amans,
de M. Milande , & d'autres morceaux
bien choiſis ont fait le fonds de ces concerts.
Le fublime motet du Stabat matur
par Pergoleſe , dont la muſique eſt ſi pittoreſque
, ſi éloquente , ſi expreſſive a
frappé profondément les ames ſenſibles.
Le pathétique & l'énergie touchante de
cette admirable compoſition a été ſupé,
rieurement rendue par M. Richer &par
Mademoiselle Fel. On a diſtingué le
motet à grand choeurfuperfluminaBaby.
lonis ,de la compoſition de M. Richter,
célebre maître de muſique de la chapelle
de l'électeur Palatin. Les motifs de ſes
chants ſont neufs , bien traités , bien ſoutenus,&
adaptés convenablement aux paroles.
Son harmonie eſt ſagement diſtribuée
, & toujours compagne de lamélodie
ſans en être le tyran , elle la fait valoir&
ajoute à fon expreſſion. Ses fugues
ſont ſcavantes & d'un bon effet. Ses récits&
ſes choeurs ſont bien coupés ; il a
fur-tout l'art d'approprier les formes &
le mouvement de ſa muſique aux ſujets
qu'il veut exprimer.
Les voix récitantes dans ces concerts
ont eu lesplus vifs applaudiſſemens . Ma
AVRIL. 1769. 143
demoiſelle Fel , qui a conſervé la jeuneſſe
de ſa voix , & qui lui a ajouté l'art que
donne une longue expérience ; M. Richer
qui ayant perdu dans le paſlage de l'enfance
à la jeuneſſe l'éclat de ſon organe ,
aſçu s'en créer un factice que le goût le
plus sûr & le ſentiment le plus exquis
conduiſent toujours ; Mademoiselle Ro
zet , excellente chanteuſe ; M. Legros ,
qui a reparu dans ces concerts embellis
par le brillant de ſa voix ; M. Gelin qui
chante ſes récits dans le caractere propre
de la muſique ; Mademoiselle Morizet
habile muſicienne , dont l'organe flateur
rend très-bienun chant délicat ; Meſdemoiſelles
Chenays , la Madeleine &
Beauvais ; M. l'abbé Platel , très-belle
baſſe-taille ; MM. Muguet , Péré & le
Vaſſeur ont tous fait le plus grand
plaifir.
Les virtuoſes ont mis auſſiune agréable
variété dans ces concerts. On a en,
tendu avec un nouvel étonnement l'exécution
parfaite , les fons doux & enchan .
teurs,le langage touchant que M. Bezozzi
tire de fon hautbois , inſtrument qu'il
maîtriſe à ſongré. Madame Lombardini
Sirmen, éleve du célebre Tartini , a exécuté
des concerto de violon qui ont fait
144 MERCURE DE FRANCE.
admirer le hrardieſſe de ſon archet & la
délicateſſe de ſon jeu ; c'eſt une muſe qui
tient la lyre d'Apollon. M. Bartelemont
a été très goûté par le choix agréable de
ſa muſique , par les beaux chants qu'il
fait fortir du violon , par le feu & par
l'ame de ſon exécution . M. Capron ,
premier violon du concett, ſe joue des
difficultés ; il domine ſon inſtrument ,
dont il tire tout le parti qu'il veut. Il a
varié ſa maniere dans différens concerto ,
& atoujours été fort applaudi. MM. Bertheaume
& Haran ont auſſi exécuté avec
fuccès des concerto de violon. M. Balbatre
a joué , avec les applaudiſſemens auxquels
il eſt accoutumé , pluſieurs ſymphonies
ſur l'orgue. M. Rodolphe , qui
ſçait donner au cor le moëlleux , l'agrément
& le charme de la flûte ; qui ſçait
en étendre les effets & en multiplier les
reſſources , a été entendu avec le plus
grand raviſſementdans une ariette chantée
par Mademoiſelle Fel , dont il accompagnoit&
imitoit enquelque forte la voix.
Deux clarinettes , de la muſique du
cardinal de Rohan , ont exécuté différens
morceaux. Les talens précoces& ſurprenans
de M. Hinner ſur la harpe , & de
M. Salentin fur la flûte , deux très-jeunes
virtuofes,
AVRIL. 1769 . 145
virtuoſes , ont été encouragés par de juftes
applaudiſſemens.
Ces concerts ont fait honneur au goût
&au choix des directeurs . Ilsauroient été
peut- être encore plus ſuivis , ſi les motets
avoient été plus variés. On aime
beaucoup en ce pays la nouveauté ; il y a
tant d'excellentes compofitions anciennes
&de morceaux Italiens qui ſeroient nouveaux
pour nous , & qui réuffiroient
beaucoup ! Témoins le Stabat mater; certains
motets de Fiocco qu'on a ceſſé de
donner , & d'autres excellens motets i
communs dans les égliſes d'Italie & d'Al .
lemagne.
OPERA.
L'ACADÉMIE royale de muſique a repris
le mardi 4 Avril Ragonde & l'acte d'Erofine
, qui produiſent toujours le même
plaifir , & qu'elle continuera les jeudis.
Dardanus ſera repréſenté les vendredis
&lesdimanches en attendant Omphale ,
tragédie lyrique en cinq actes , dont les
paroles , qui font de la Motte , viennent
d'être remiſes en muſique par M. Cardonne.
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LeEsS comédiens François ont fait l'ouverture
de leur ſpectacle le mardi 4 Avril ,
par la repriſe du Siége de Calais. Ils ont
joué avec ſuccès le lundi 10 Avril , le Mariage
interrompu , comédie nouvelle d'intrigue
, en trois actes , de M. Cailhava ;
nous en rendrons compte dans le Mercure
prochain. Ils préparent un drame en cinq
actes dans le nouveau genre moral & philofophique
, de M. de Beaumarchais.
Compliment prononcé par M. d'Alinval.
Je viens vous offrir un tribut d'hommages
& de reſpects , que depuis la naifſance
d'un théâtre qui vous doit ſa perfection
, vous avez daigné agréer avec
cette complaiſance qui vous eſt ſi naturelle.
Vous raffurez ma timidité ; & je
reſſemble à un éleve docile , qui , en rendant
compte de ſes travaux à des maîtres
auffi éclairés qu'indulgens , trouve dans
leur fagaciré le détail de ſes fautes & le
moyen de les éviter.
Vous avez de tout tems encouragé par
vos boutés ceux qui , engagés dans la car
xiere des talens , ont conſacré leurs veille
AVRIL. 1769. 147
,
à mériter vos fuffrages , & dont le premier
but a dû être de vous plaite. Voslumieres
les ont guidés dans la route épineuſe
de l'imitation de la nature ; & lorf.
qu'ils ont eu le malheur d'y rencontrer
quelques obftacles votre indulgence
leur a preſque toujours ſervi d'aſyle.
Cette vérité , Meſſieurs , eſt toute de fentiment.
Mon coeur , vivement pénétré de
la reconnoiſſance qu'elle inſpire , n'auroit
rien à regretter , s'il pouvoit l'exprimer
avec cette chaleur & cette énergie
qui caractériſent l'éloquence de l'ame
& que l'efprit ne ſuppléa jamais .
Vous ſeuls , Meſſieurs , pouvez juger
les talens que vous avez vu naître ; ils
font votre ouvrage ; & en leur permettant
de ſe développer ſous vos yeux ,
vous vous êtes réſervé le droit d'affigner
à chacun le degré de ſuccès que des
efforts plus ou moins heureux vous paroiſſent
mériter .
A quelque genre que le comédien ſe
deſtine , vos goûts feront ſacrés pour
lui , vos décifions feront ſes oracles. Il
verra le génie s'empreſſer à vous offrir
ſes productions , il tâchera de le ſuivre
dans ſa courſe ; & fi la nature ne l'a point
formé pour peindre les effets des paſſions
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
orageuſes qui font le malheur des héros ,
ildeſcendra à ce genre où l'homme , plus
rapproché de lui-même , ſe voit tel qu'il
eſt dans la ſociété. Il étudiera ſans ceffe
ce peintre inimitable , Moliere , ce comique
à qui la nature ſemble avoir révélé
tous ſes ſecrets ; qui a vu en philoſophe
profond , le choc des opinions ,
des uſages & des ridicules ; qui les a préſentés
avec les couleurs qui leur étoient
propres ; & qui en corrigeant d'une main
légere les travers de l'humanité , a mérité
d'en être à jamais l'ami , le confolateur
&le guide.
C'eſt en ſe pénétrant de ces vérités ,
que celui qui n'a d'autres droits à votre
indulgence que le defir d'en être digne ,
pourra peut-être un jour fixer votre attention.
Convaincu , Meſſieurs , de toute ma
foibleſle , je n'ai dans ce moment d'autres
voeux à former que de mériter par
le zèle le plus ardent , & le travail le
plus opiniâtre , que vous étendiez jufqu'à
moi les bontés dont vous daignez
honorer mes camarades , dont ils fentiront
toujours tout le prix , & pour lefquelles
ma reconnoiſſance ſera auſſi vive
quedurable .
AVRIL. 1769. 149
COMÉDIE ITALIENNE.
La comédie Italienne a fait l'ouverture
de fon théâtre le même jour , par un compliment
en proſe très-court & convenable
à la circonſtance ; il a été prononcé
par Mde Billoni , nouvellement reçue, &
a précédé la premiere repréſentation des
deux Chanteuses , canevas italien en cinq
actes . Toute l'intrigue de cette piéce
moderne roule ſur l'adreſſe qu'une jeune
fille employe pour ſéduire un vieillard,
tureurde fon amant , afin de le forcer à
confentir à fon mariage avec ſon pupille
qu'elle lui préfere : les moyens qu'elle
employé rappellent quelques- unes de ces
piéces de notre ancien théâtre , où l'on
cherchoit à mettre plus de gaîté que de
décence ; celle- ci paroît avoir été condamnée
par cette raiſon ;& l'on ne peut
qu'approuver cette ſévérité de la partdu
public.
Le théâtre Italien vientd'éprouverune
de ces révolutions dont ce ſpectacle a
déjà donné beaucoup d'exemples : * les
* Voyez l'hiſtoire du théâtre italien & de l'o
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
piéces en ariettes ayant depuis quelque
tems exclus entiérement les comédies
écrites ,&unegrande partie des acteurs &
des actrices qui faifoient autrefois le fuccès
de ce théâtre , voyant que leurs talens
y devenoient inutiles , ont pris le parti
de demander leur retraite ; de ce nombre
font Mesdames Riviere , Bognioli &
Carlin ; Meſſieurs Baletti , Ciavarelli ,
Champville , le Jeune & de Heſſe ; mais
ce dernier eſt , dit- on , reſté avec des ap .
pointemens avantageux , pour continuer
de veiller aux différens départemens
dont il étoit chargé . *
Lorſque dans un jardin on abat d'anciennes
tiges , on les remplace auffi-tôt
par de jeunes plants ; c'eſt ce que l'on
vient de faire au théâtre Italien , où l'on
eſpére voir bientôt fructifier les talens
de Meſdemoiſelles Zanerini , Billoni &
Fréderic l'aînée . Meſſieurs Trial , Nainpéra
comique , qui vient d'être publiée , ouvrage
fait avec ſoin & rempli de bonne critique , d'analyſes
intéreſſantes,d'anecdotes curieuſes & d'obſervations
fines & eſſentielles , 9 vol. in -12 . prix
rel. 22 liv. 10 ſols , chez Lacombe , libraire , rue
Chriftine.
* Voyez encore l'hiſtoire du théâtre italien,vol.
7, pag. 481 & fuivantes.
1
AVRIL. 1769. ISI
ville ont déjà prouvé les leurs. M. Camerani
, qui vient auſſi d'être reçu , &
quijuſqu'à préſent avoit joué les rôles d'amoureux
dans l'Italien , a débuté dans
ceux du Scapin avec beaucoup plus de
ſuccès ; & le compliment qu'il a adreſſé
aux ſpectateurs à cette occaſion en a été
fort bien reçu : le public eſpére donner
bientôt à ces jeunes ſujets , comme récompenfe
les applaudiſſemens qu'ils
en ont reçus comme encouragement .
د
ELOGE de Monfieur LE CAT , écuyer ,
docteur en médecine & chirurgien en
chefde l'Hôtel- Dieu de Rouen , profef-
Seur , démonstrateur en anatomie& chi
rurgie , lithotomiſte - penſionnaire de la
même ville ; des académies royales de
Paris , Londres , Madrid , Porto , Berlin
, Lyon , de l'Institut de Bologne ,
des Académies Impériales des curieux
de la nature de Saint - Petersbourg , &
Secrétaire perpétuel de celle de Rouen . ::
DE Aériles regrets ne fuffiſent point a
la mémoire du citoyen qui a conſacré ſes
veilles à ſa patrie ; la reconnoiffance publique
lui doit des éloges ; pour faire ce-
Giv
152 MERCURE DE FRANCE
:
lui de M. le Cat , nous n'aurons beſoin
quede rappeller ſes travaux.
Claude- Nicolas le Cat maquit le 6
Septembre 1700 à Blerancourt , bourg
conſidérablede Picardie , entre Noyon ,
Chauni & Soiſſons. Il étoit fils de Claude
le Cat , chirurgien , élève de Monfieur
Maréchal , premier chirurgien du Roi ,
& de N. Mereſſe , fille de Simon Mereffe
, auffi chirurgien , dont le bisayeul
avoit été appellé à la cour pour
guérir un cancer de la Reine Anne d'Au.
triche. De grandes probabilités auroient
autorisé M. le Cat à adopter des traditions
de famille qui le faifoient fortir
d'une race noble , dont il reſte pluſieurs
tiges dans la même province ; mais il aima
mieux illustrer fon nom lui - même
que d'en tirer l'éclat de ſes ancêtres . Dans
certe penfée il prit pour deviſe ce pallage
de Tacite fur un peuple avec lequel fon
nom n'avoit pas moins de rapport que fon
caractere.
Catti fortunam inter dubia , virtutem inter certa
numerant.
M. le Cat commença ſes études à
Soiffons & les termina àParis , en foutenant
une théſe ſur toutes les parties de la
i
AVRIL . 1769 . 153
philoſophie. Son inclination le portoit à
l'étude dugénie. Il avoit appris ſeul, pendant
ſes études , les mathématiques & les
fortifications ; mais ſes parens qui le deftinoient
à l'état eccléſiaſtique , dont il
porta l'habit pendant dix ans , s'oppofoient
à ce penchant , & cette contradiction
de vocation & d'autorité ſe termina
par un parti également éloigné des deux
autres. M. le Cat ſe fit médecin , chirurgien
, & commença à ſe faire connoître
dans la république des lettres par une
differtation fur le balancement des arcsboutans
de l'égliſe St Nicaiſe de Rheims,
phénomene très-curieux.
M. le Cat continua à ſe diſtinguer par
ſes ouvrages , comme phyficien , comme
chirurgien& comme homme de lettres ;
c'eſt ſous ces trois points de vue que nous
le préſenterons , après avoir ſommairement
rendu compte de ſes autres travaux.
En 1725 , il avoit fait une lettre ſur
la fameuſe aurore boréale qui avoit tant
effrayé le Public. En 1731 , il obtint en
concours la ſurvivance de la place de
chirurgien en chef de l'Hôtel - Dieu de
Rouen, où il ne s'érab it cependant qu'en
1733. En 1732 , il prit ſes degrés en médecine
, obtint le premier acceffit que
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
donnoit , pour la premiere fois , l'académie
de chirurgie ; mais il y remporta les
prix de toutes les années ſuivantes jufqu'en
1738 incluſivement : la deviſe du
mémoire de cette année étoit ufquequd.
En effet pour arrêter ſes triomphes , l'académie
ne trouva d'autres moyens que
de ſe l'aſſocier. A la fin de la même année
, M. de la Peyronnie lui offrit à Paris
un établiſſement des plus avantageux ,
qu'il refuſa par reconnoiffance pour les
bienfaits qu'il avoit reçus de la ville de
Rouen , & dans laquelle il ſe fixa pour
jamais en épouſant , en 1742 , Marguerite
Champoſſin , dont il ne lui reſte
qu'une fille âgée de vingt ans , mariée
depuis peu à M. David , docteur en médecine&
chirurgien de Paris , qui lui a
ſuccédé dans toutes ſes places ,& qui s'eſt
déjà fait connoître très-avantageuſement
dans la république des lettres par plufleurs
ouvrages très eſtimés ſur la phyſique
&fur la médecine.
M. le Cat , après avoir rempli d'une
maniere ſi triomphante la carriere qui
l'avoit conduit à l'académie de Paris ,
adreſſa ſes travaux aux autres académies
de l'Europe , qui ſe firent honneur de le
recevoir. Celle de St Petersbourg qui , à
l'exemple de pluſieurs académies d'Ita
AVRIL. 1769 . ISS
lie , eſt dans l'uſagede donner un ſurnom
à ſes aſſociés , l'appella Pliftonicus , c'eſtà-
dire , le remporteur de prix.
Ses ouvrages les plus conſidérables en
phyſique font :
La differtation ſur le phénomene des
arcs- boutans dont nous avons déjà parlé.
Unmémoire ſur la peſanteur & la légereté
des corps.
Un autre fur leur reffort & leur élafticité.
Une differtation ſur le Aux& le reflux
de la mer , dans lequel il démontre l'équilibre
de toutes les parties de l'Univers
, & établit un mouvement de la terre
& de la lune.
Une diſſertation ſur la faſcination.
Une differtation ſur les preſſentimens
&la ſympathie.
Une annonce de ſon eſſai ſur l'hiſtoire
de la terre ou de ſon ſyſtême ſur la formation
des montagnes par le flux & reflux
, & de l'origine des coquillages & des
animaux foffiles , &c. Ce ſyſtème conçu
dès 1731 , & donné dans le Journal de
Verdun en 1748 , eſt antérieur à ceux de
Téliamed & de M. de Buffon .
Une explication du mouvement de rotation
des planetes , ſecond volume du
G vj
136 MERCURE DE FRANCE.
Mercure de Décemb. 1737 , fous le nom
de Romazzini .
Une differtation fur cette queſtion :
Pourquoi la lune paroît elle plus grande à
Chorifon.
Obſervations envoyées à l'académie
des ſciences de Paris, fut la comete de
1742 , qu'il découvrit le premier à
Rouen , & dont il donne les configurations
entre les étoiles fixes .
Differtation ſur les influences de la lune.
Journal de Verdun , Décemb. 1741
& Juillet 1742 .
Pluſieurs mémoires fur Pélectricité , &
entr'autres fur la découverte faite parM.
le Cat du phénomene de la ſuſpenſionde
la feuille d'or en l'air au bout de la barre
électrique en 1745 & 1746 .
Sur l'aſcenſion des liqueurs dans les
tuyaux capillaires. Janvier 1747 .
Mémoire fur les géans , 1747 .
Obſervations météorologiques faites
pendantquatorze années.
Mémoire fur la chaleur centrale de la
terre , les volcans, les incendies fpontanés
terreſtres , leurs cauſes , 1750.
Détermination dela hauteur du pôle à
Rouen , plusjuſte , à ce que préſume l'auteur
, que celle qu'on a déterminée juf
qu'ici , 1750.
AVRIL. 1769. 157
Mémoires ſur la méridienne du tems
moyen , 1750 .
-pour fervir à l'hiſtoire naturelle de la
ville de Rouen & de ſes environs.
Remarques ſur les défauts de l'hydrometre
à corde, l'invention d'un hydrome.
tre plus ſenſible of plus fidéle.
Examendes principales expériences de
la doctrine de M. Franklin ſur l'électricité,
1752 .
Nouveau barometre qui conferve une
partie des avantages des barometres à
groffes colonnes de Mercure , ſans en
avoir les inconvéniens , 1752 .
Explication de quelques phénomenes
du barometre & du thermometre , 1752 .
Defcription d'un mats pour l'usage des
grandes lunettes & de deux ſupports du
bout oculaire de ces lunettes , 1753 .
Mémoire ſur les progrès des ſciences
&des arts , & de la poſſibilitéde les perfectionner
encore , 1753 .
Sur des animaux trouvés vivans au centredes
corps folides , tels que des blocs de
pierre , des arbres , &c. fans aucune iffue
au-dehors , 17550
Difcours qui prouvent que les arts appartiennent
plus aux ſciences qu'aux belles-
lettres , 1756 .
Application des nouvelles expériences
158 MERCURE DE FRANCE.
durefroidiſſement des liqueurs , leſquelles
expériences avoient été envoyées à l'académie
par M. l'abbé Nollet, ſon aſſocié.
Obſervation nouvelle ſur les géans .
Eſſai d'un ſyſtême phyſico mécanique
des affinités, ouvrage brûlé dans l'incendie
de fon cabinet , du 26 Décembre 1762 .
Mémoire fur cette queſtion , propoſée
à l'académie de Rouen , pourquoi le cuivre
est- il plus caſſant à chaud qu'à froid ,
tandis que les autres métauxfont plus caf-
Sans à froid qu'à chaud ? 1759 .
Remarques fur les états de la colle de
farine qui avoit été expoſée à la gêlée &
au dégel , leſquelles confirment les effets
d'atmosphere attractive & impulſive , que
M. le Cat donne pour principe de l'affinité
, 1760 .
Expoſition & explication d'un petit
phenomene obſervé dans la fufion du
ſoufre qui , de très- liquide dans le premier
degré de chaleur où il étoit d'abord,
devient épais comune du miel , à une chaleur
plus conſidérable , & reprend enſuite
ſa premiere liquidité en le laiſſant refroidir
juſqu'à ce premier degré de chaleur où
il étoit d'abord liquéfié , en 1760 .
Explication des effets d'un nouveau
marteau d'eau , ou nouvelle eſpéce de
cette machine , appellée vulgairement
AVRIL. 1769. 159
l'eau dans le vuide , trouvé par le Sr Scanegat
, 1763 .
Hiſtoire de la répétition des expérien
ces de la chûte des corps graves exécutés
du haut de la tour de la cathédrale de
Rouen avec la machine de M. Hubert ,
perfectionnée par M. le Cat, dans l'intention
d'améliorer la doctrine de la deſcente
des graves, cellede la réſiſtance des milieux
& celle de la force de percuffion .
4 La premiere repétition qui ſe ſoit faite
en France de la pompe afpirante de Séville
, laquelle porte l'eau , non pas à 32
pieds , felon la regle commune , mais à 60
pieds , &c. Explication de ce phénomene,
1766 .
En qualité de chirurgien , M. le Cat
donna d'abord un mémoire fur la taille
des femmes ; enfuite un volume fur l'opération
en général de la taille ; un autre
fur le diffolvant de la pierre , & fix lettres
fur la même matiere .
Un volume fur la couleur de la peau
humaine & fur celle des Négres en particulier.
Un volume , traitant de l'évacuation
périodique du ſexe . 7
Le premier volume des mémoires de
l'Académie de Rouen, qui feront publiés
160 MERCURE DE FRANCE.
dans peu , contient un grand nombre
d'expériences anatomiques faites parM.
leCat.
Diflertations fur la génération , &c .
Journal de Verdun .
En 1738 , il donna à l'académie des
ſciences de Paris l'obſervation de la biffurcationde
la veine azigos , trouvée dans
un marcaffin , hut. pag. 45 , & de la réuniondes
veines coronaires en un ſeul tronc
qui, ſans pénétrer dans l'oreillette droite,
ſejettoit dans la veine ſouclaviere gauche;
& il envoya , à cette compagnie , un oeil
diſſéqué , où l'origine de ſes tuniques étoit
démontrée venir des meninges du cerveau
.
Un traité de la métamorphoſe des os
enparties molles , en 1740 .
Des obſervations ſur le trou ovale qu'il
a trouvéouvert dans pluſieurs adultes , &
fur tout dans les femmes , dont un cinquiéme
conſerve ſes ouvertures. Il y joignit
des obſervations ,& une differtation
fur les hidatitées.
Depuis 1741 juſqu'à 1765 , il a communiqué
à la même compagnie un grand
nombre de mémoires anatomiques & pathologiques
imprimés dans les tranſactions
, qu'il feroit trop long de détailler
ici . On y trouve , en 1749 , le bocal,qu'il
AVRIL. 1769. 161
a inventé pour conſerver dans les liqueurs
ſpiritueuſes les piéces anatomiques ou
toutes autres ſubſtances corruptibles .
En 1744 , il donna , à l'académie de
Rouen , un mémoire intitulé : Description
d'un homme automate , dans lequel
on verra exécuter les principales fonctions
de l'économie animale , la circulation , la
refpiration , les fecrétions , & au moyen
desquels on peut déterminer les effets méchaniques
de la faignée , &foumettre au
joug de l'expérience pluſieurs phénomenes
intéreſſans qui n'en paroiſſent pasfufceptibles.
Cet ouvrage eſt accompagné de toutes
les figures néceſſaires à l'exécution de
Pautomate. C'eſt un article détaché de la
troifiéme partie d'un traité de la ſaignée
que M. le Cat avoit compofé dès 1729 ,
&qui avoit été annoncé dans les Jour
naux de ce tems. Il en faiſoit la partie
expérimentale.
Cette même année 1744 , il communiqua
à l'académie de Rouen , 1º. l'obſervation
d'une ſpina ventofa à la tête ;
2º. Celle d'une piqûure de l'os d'une frac
ture qu'il a réduite , quia produit une virulence
mortelle &une gangrene au pouce
même de l'opérateur qui avoit touché
cette pointe d'os, à l'occaſion de laquelle
162 MERCURE DE FRANCE.
il differte fur la nature des vitus ; 3 °. Un
mémoire ſur l'hydrophobie ou la rage ;
4°. Un enfant double par le haut juſqu'à
la ceinture , fimple par le bas ; l'un des
deux né vivant, l'autre mort. Il n'y avoit
qu'un coeur pour eux deux , de forte que
l'un des freres donnoit du ſang à l'autre.
M. le Cat differte ſur tous ces points & fur
toutes les difficultés qui en réſultent.
En 1748 , il commença à obſerver
les maladies qui regnerent à Rouen
dans toute l'année, ce qu'il continua d'obſerver
quatre années de ſuite , en y joignant
les variations de l'atmoſphere & les
réflexions qu'on doit attendre d'un médecin
phyficien.
Cet ouvrage contient 1º . un diſcours
fur les obfervations météorologiques . Il
donne des preuves phyfico anatomiques
de divers effets de la température
de l'atmosphere ſur nos nerfs , nos liqueurs
, notre ſanté , &c. Une des utilités
de ces obſervations , ſelon lui , eft de nous
conduire quelque jour à prédire ces températures
des ſaiſons qui onttant de part à
notre vie & à nos beſoins , & qu'il feroit ſi
avantageux à l'état de prévoir. Il prétend
que tout eſt périodique dans la nature , &
il donne de fortes preuves que la variété
AVRIL. 1769. 163
des ſaiſons eſt aſſujettie à la même loi , &
que par une ſuite affez longue d'obſervations
météorologiques bien faites on peut
parvenir à connoître ce période .
2º. Un mémoire fur la température
particuliere du climat de Rouen .
3 °. Pluſieurs differtations phyſiques
de l'article précédent ſur les inftrumens
qui fervent aux obſervations météorologiques&
leurs effets .
4°. Deux grands mémoires ſur les fiévres
malignes en général & en particulier
fur celles qui ont regné à Rouen à la fin de
1753 & au commencementde 1754 .
Depuis 1746 juſqu'en 1765 , M. le
Cat donna à la même académie de Rouen
les ouvrages ſuivans : l'obſervation d'un
prétendu hermaphrodite de Louviers &
d'un os qu'on croyoit appartenir à un
géant ; une differtation ſur cette eſpéce
d'homme ; des obſervations ſur la gangrenne
ſéche; celle ſur un curedentavalé ,
enfuite rendu par les urines ; mémoire
fur la génération& la cauſe des maladies
héréditaires ; féve d'aricot trouvée au
centre d'une pierre de la veſſie ovaire
d'une femme où le canal déférent étoit
creux ; morſure d'un canard irrité qui
donne une fiévre maligne & mortelle .
Obſervations anatomiques fur la com164
MERCURE DE FRANCE.
munication des vaiſſeaux du placenta ,
tant entre eux qu'entre ceux de la matrice
, conſtatées par des injections , & arteſtées
par des commiſſaires de l'académie.
Sur le tetanos , les ſignes caractériſtiques
de l'inflammation de la pie-mere ,
les fonctions des membranes du cerveau.
Sur une groſſeſſe de trois ans .
Surune autre de vingt- fix mois.
Sur une ſuperfétation arrivée à une
femme de Louviers , qui accoucha de
trois enfans , chacun à trois mois l'un de
Pautre.
Sur la communication des vaiſſeaux
fanguins entre le foetus & fa mere , dé
montrée ſur des piéces injectées & conf.
ratées par trois commiffaires de l'académie.
Sur un engorgement par congestion
dans toute l'étendue du péritoine , devenu
fuppuratoire avec iſſue des matieres
fécales.
Sur trois monftres, dont l'un avoit fix
doigts à la main; le ſecond, les yeux hors
de la tête , & le troiſieme , quatre yeux
dans une feule tête .
Sur un enfant née ſans front , ayant un
grand nez qui lui donnoit la phyſionomie
d'un adulte.
AVRIL. 1769 . 165
Sur un hermaphrodite imparfait de
dix ſept ans , & fur un enfant femelle à
deux têres.
Sur la ſubſtancedu cerveau d'un négre,
&c.&c.
Obſervations ſur une femme morte ,
pour avoir été fucée de ſangſues.
Sur des jumeaux d'une parfaite refſemblance.
Sur un enfant monftrueux par l'hypogaftre
en ce que le nombril manquoit ,
une partie des inteſtins étoitdécouverte.
Il n'avoit ni veffie , ni anus , & les deux
ouvertures de l'anus& des ureteres , placées
en- dedans , ſe réuniſſoient en un petit
eſpace au - deffus du pubis .
Sur une fuppuration d'une oreille , devenue
morteile.
Mémoire fur un enfant né ſans cerveau .
M. le Cat en avoit apporté un ſemblable
à l'académie le 18 Décembre 1755 .
Sur lamonſtruoſité des organes de la
génération & de ceux des urines par défaut
ou foibleſſe de nature .
D'un enfant monftrueux qui portoit
une partie de ſon cerveau & de fon cervelet
dans une tumeur ſituée à la partie
poſtérieure de la tête.
Mémoire fur le ſommeil , brûlé à l'incendie
de ſon cabinet.
166 MERCURE DE FRANCE.
:
Obfervations pathologiques & anatomiques
des maladies mortelles en is ou
18 heures .
Remarques ſur l'intérieur de l'utérus
dans le tems des regles; fingularités nouvelles
des trompes de fallope , & maladies
des ovaires du même ſujet.
Foetus humain qui manquoit de tête, de
coeur , de poumon , d'eſtomac , de rate ,
de foie , de pancréas & de reins ordinaires
, & qui , cependant , a vécu les neuf
mois de la groſſeſſe ordinaire , & avec un
accroiſſement à peu- près égal à celui des
autres enfans , 1764 .
Obſervations ſur un mangeur de cail .
loux.
Mémoire fur la féche inſecte poiffon ,
avec grand nombre de planches , tendant
à établir les élémens de l'animalité.
Un mémoire couronné à l'académie de
Berlin , fur la nature du fluide des nerfs ,
& un aurre ſur la ſenſibilité de la duremere
, de la pie- mere &des membranes .
Un autre mémoire à l'académie de Toulouſe,
ſur la théorie de l'ouïe, qui fut couronné
par un triple prix qui n'avoit point
été délivré les années précédentes.
Comme académicien ſecrétaire perpétuel
de l'académie des ſciences& promoteur
de l'établiſſement de celle de Rouen,
AVRIL. 1769. 167
M. le Cat a donné aux belles- lettres une
réfutation du diſcours de Jean - Jacques
Rouſſeau , qui a remporté le prix de l'académie
de Dijon ; réfutation qu'il foutint
avec honneur contre ce célébre écrivain
, & contre l'académie elle - même
qui foutint fon jugement.
Préface du premier volume des mémoires
de l'académie , où , après avoir
expoſé le plan de cet ouvrage , on répond
à quelques objections faites contre la
multiplicité des académies & des livres ,
&l'on prouve , par une hiſtoire ſuccinte
des belles lettres , des ſciences & des arts,
la poffibilité de faire des progrès dans les
uns & d'empêcher la décadence des autres
; double projet à l'exécution duquel
les académies font néceſſaires.
Hiſtoire de l'académie depuis fon origine
juſqu'en 1745 .
Divers éloges du Pere Meſcartel , du
Pere Caſtel , de MM . de Moyancourt , du
Boccage , Gunz , Guerin , le Prince &
Fontenelle.
Ces travaux littéraires ne firent point
négliger à M. le Cat ceux que fon art rendoitplus
directement utiles au Public .Dès
qu'il fût établi à Rouen , il y enſeigna l'anatomie
& la chirurgie. Il obtint du Roi
(1736) que ſon école particuliere fût éri
168 MERCURE DE FRANCE.
gée en école publique ; & ce fut , après
dix ans d'inftruction gratuite , qu'il contribua
de ſes propres deniers à la conftruction
de cet amphithéâtre anatomique.
Dans le même tems il réunit dans la mê
me ville pluſieurs ſcavans & amateurs
des arts , &devint , par ce moyen , le promoteur
de l'académie dont il fut depuis
le ſecrétaire ; il ne concourut pas avec
moins d'efficacité aux progrès de l'école
de deſſin , en lui prêtant ſon amphithéâtre
pendant pluſieurs années , & tandis
qu'il foutenoit le zèle de ſes éleves par
des prix diſtribués à ſes dépens dans des
féances publiques , fon épouſe excitoit
celui des deſſinateurs avec la même généroſité;
enfin la ville , touchée de ce zèle
vraiment patriotique , réſolut , dans les
dernieres années , d'en prendre les frais
fur fon compte.
La pratique de ſon art n'éprouva pas
moins les effets de ſon zèle . Deux ans mê.
me avant fon établiſſement , il fut le reftaurateur
de l'opération de la taille , qu'on
avoit abandonnée en Normandie. Il la
perfectionna , & la fit avec tant de fuccès,
que le magiſtrat de Rouen fit publier en
1739 , que de ſept printems , pendant
leſquels cethabile lithotomiſte avoit taillé
dans cette province , il y en avoit cinq
dans
AVRIL. 1769. 169
dans lesquels il ne lui étoit mort aucun
ſujet. Ses ſuccès , qui l'avoient fait appeller
dans les pays étrangers , dans pluſieurs
de nos provinces , & même à Paris,
-lui mériterent d'abord , comme lithoto-
-miſte , une penſion de deux mille livres
fur les octrois de Rouen ; & depuis une
- ſeconde , viagere , de pareille ſomme
-(1759) par augmentation à celle de chi-
-rurgien en chef de l'Hôtel - Dieu de
Rouen .
- Après tant de travaux &de ſuccès , il
ne manquoit à la gloire decet illuſtre artiſte
que d'éprouver l'ingratitude & l'injustice.
Quelques académiciens nouveaux
-paturent douter de la grande part queM.
le Cat avoit à l'établiſſement de leur académie
, & voulurent l'attribuer à d'autres;
mais tous les anciens académiciens
reclamerent en ſa faveur , & le doyen de
l'académie lui donna le certificat fuivant.
>>Nous ſouſſigné doyen de l'académie
» & témoin oculaire de ſa naiſſance & de
» ſa création, atteſtons que M. le Cat fut,
» en 1740 , l'auteur du projet de transfor-
>> mer notre premiere aſſociation en cette
>> ſociété académique qui eſt devenue de-
>> puis ( 1744) académie royale , & que
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
1
» c'eſt principalement à fon zèle & à ſon
» activité que nous devons l'exécution de
>> ce projet. A Rouen , ce 15 Janv. 1761 .
» Signé , LA ROCHE. »
Enfin , au mois de Janvier , en reconnoiſſance
des ſervices importans & multipliés
de M. le Cat , le Roi lui accorda
des lettres de nobleſſe ;&par une diſtinction
particuliere, le parlement& la chambre
des comptes deNormandie les enregiftrerentgratis.
C'eſt avec regret que , pour nous conformer
à la forme ordinaire de cet ouvrage
, nous ne pouvons nous livrer au
plaiſit que nous aurions de nous étendre
fur toutes les qualités ſociales & les vertus
particulieres dece bienfaiteurde l'hu-
-manité qu'il honora par ſes écrits , qu'il
foulagea par ſes travaux ; nous aurionsdefiré
fémer autant de fleurs ſur ſa tombe
que ſa patrie a verſé de larmes ſur ſa
perte.
e
AVRIL. 1769. 171
C
ΕΡΙΤΑΡHE de M. LE CAT.
I gît , qui , par le vrai , ſçut terraſſer l'envie ;
Par les traitsdu talent , qui repouſla la mort ;
Qui , par son immortel génie ,
Triomphe maintennant du cercueil & du fort.
Par un Eleve de M. David , fucceffeur.
&gendre de M. le Cat.
CADÉMIES.
I.
L'ACADEMIE royale des Sciences , dans
fon aſſemblée publique tenue les de ce
mois , a adjugé le prix double propoſé
en 1767 , fur le meilleur moyen de déterminer
l'heure à la mer , au Mémoire qui
a pour deviſe : Labor omnia vincit impro .
bus , dont l'auteur eſt M. le Roy , Horloger
du Roi . Mais comme les montres
marines de M. le Roy n'avoient pas encore
toute la préciſion néceſſaire ; elle a
cru devoir propoſer de nouveau le même
ſujet pour le prix qu'elle diſtribuera à la
rentrée de Pâque 1771 ; en déclarant en
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
même tems qu'elle exige que les horlo
ges , pendules ou montres qu'on lui adreſfera
, ayent été eſſayées à lamer , que les
eſſais en ſoient conftatés par des piéces
authentiques , &qu'elles foient d'une fi
grande préciſion , qu'elles ne ſe dérangent
que de deux minutes au plus pendant fix
ſemaines , afin qu'on puiſſe avoir la longitude
à un demi - degré près , dans un
voyage de mer , qui dureroit cet eſpace
de tems. Après cette annonce , M. de
Fouchi a lu un programme , par lequel
l'académie remet , pour la même année
1771 , le prix extraordinaire donné par le
Roi , & dont l'objet eſt de perfstionner
l'eſpèce de criſtal néceſſaire à la conftruction
des lunettes achromatiques. Le même
académicien a prononcé enſuite l'éloge
de M. de Parcieux , éloge que nous
avions eſquiſſé nous-mêmes dans le premier
volume du mois d'Octobre dernier,
où l'on pourra prendre une idée des travaux
& des connoiſſances de cet homme
célèbre.
M. de Vaucanfon a lu un Mémoire
ſur une machine de ſon invention , propre
à moirer les étoffes de foie plus parfaitement
, & par un procédé plus ſimple
&moins diſpendieux que celui qu'on a
employé juſqu'à préfent ,
AVRIL. 1769. 173
A ce Mémoire a fuccédé l'éloge de M.
Trudaine , auquel la France doit en grande
partie ces routes magnifiques , ces
ponts auſſi ſolides que hardis dans leur
conſtruction , qui facilitent la communication
de toutes les Provinces à la
Capitale , & de toutes les provinces entr'elles
, & qui font à ſi juſte titre l'admiration
des étrangers .
Ce éloge a été ſuivi d'un Mémoire ,
où M. Marquer donne un procédé pour
teindre la foie enun rouge vifde cochenille
, & lui faire prendre pluſieurs autres
couleurs plus belles & plus ſolides que
celles qui font uſitées .
La ſéance a été terminée par M. de Fouchi
qui a rendu compte des arts que
l'Académie a publiés dans le cours de cette
année.
1 1.
Académie des Infcriptions .
L'ACADÉMIE royale des infcriptions &
belles- lettres fit le 4 de ce mois ſa rentrée
publique d'après Pâque. M. le BEAU ,
fecrétaire perpétuel , annonça que l'académie
avoit propoſé pour ſujet du
prix , qui devoitêtre diſtribué dans cette
:
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
féance , la queſtion ſuivante : Quelles ons
été,depuis les tems les plus reculés , jufqu'au
IVfiècle de l'ere chrétienne , les tenzatives
des différens peuples pour ouvrir des
canaux de communication , foit entre diverſes
rivieres , foit entre deux mers différentes
,foit entre des rivieres & des mers ,
&quel en a été leſuccès ? Mais les mémoires
qui ont été envoyés n'ayant pas
rempli les vuesde l'académie , elle propoſe
le même ſujet pour le prix qui ſera
donné à Pâque 1771 , & qui fera double.
L'académie propoſe auſſi de nouveau
pour la SaintMartin de l'année 1770 , le
prix qui fera double , fur cette queſtion :
Quels furent les noms & les attributs divers
de Jupiter chez les différens peuples de
la Grèce& de l'Italie ; quelles furent l'origine
& les raisons de ces attributs ?Le
prix double conſiſtera en deux médailles
d'or , chacune de la valeur de cinq cens
livres.
Les pièces , affranchies de tout port ,
feront remiſes entre les mains du ſecrétaire
perpétuel de l'académie avantle prémier
Juillet 1770 .
Dans cette féance , M. l'abbé Arnaud
alu un mémoire ſur le génie , le ſtyle &
la maniere de Platon ; il a donné la plus
noble idée de ce grand homme , que les
AVRIL. 1769 . 175
traducteurs & les commentateurs étoient
ſi éloignés de faire connoître. Ce beau
mémoire, recommandable par une érudition
profonde , jointe àune philofophie
lumineuſe , renferme dans un court
eſpace le ſyſtême de morale des anciens ,
&les moyens admirables que Platon employoit
pour arriver à la vérité. Nous
ferions flattésde pouvoir préſenter dans
unde nos journaux prochains quelquesunesde
ces obſervations ſcavantes & intéreſſantes.
On a été très-attentifà la lecture d'un
mémoire dans lequel M. de Guignes ,
juſte appréciateur des Chinois qu'il a fi
bien étudiés , donne une idée de leur littérature
en général , & particulièrement
des hiſtoriens & de l'étude de l'hiſtoire
à la Chine. Il détruit l'opinion fauſſe qui
fait remonter l'antiquité de leurs livres
bien avant celle de nos écrivains facrés ;
maisil convient qu'aucun peuple ne préſente
un corps d'hiſtoire,ni li ancien, ni fi
complet , ni ſi ſuivi. Les fonctions d'hiftorien
ont toujours été regardées comme
auguſtes chez cette nation , & la vérité
comme un dépôt ſacré qui leur étoit confié
, & qu'ils conſervoient ſouvent aux
dépens de leur vie.
Hi
176 MERCURE DE FRANCE.
L
M. de Rochefort a fait part de ſes recherches
ſur les moeurs des tems héroïques
chez les Grecs. Il trouve dans les
poëtes de ces beaux ſiécles les modeles &
les préceptes de toutes les vertus.
M. Anquetil devoit terminer la féance
par un mémoire dans lequel il établit
que les livres zends , déposés à la bibliothéque
du Roi , le 15 Mars 1762 , font
les propres ouvrages de Zoroastre , ou
que du moins ils font auſſi anciens que
ce légiflateur ; mais le tems ne lui a pas
permisde commencer ſa lecture . Ce mémoire
ſera imprimé tout entier dans le
Journal des Sçavans , aux mois de Mai
&Juin de cette année.
III.
Fleffingue.
La ſociété érigée en cette ville pour
l'avancement des arts&des ſciences, propoſe
pour ſujet d'un prix , conſiſtant en
une médaille d'or , la queſtion ſuivante ,
fur laquelle il s'agita de répondre avant
le mois de Mai 1770 ; ſçavoir : Quels ont
été les habitans de Zélande juſqu'au XV
fiécle , quelles leurs moeurs , quel leur culte,
&quels parmi eux les commencemens &
AVRIL. 1769. 177
lesprogrès des belles lettres , des arts & des
Sciences. Les mémoires , qui feront envoyés
en réponſe , doivent être marqués
d'une ſimple deviſe , ſans nom d'auteur ,
mais accompagnés d'un billet cacheté ,
portant en detfus la même deviſe & en
dedans le nom & l'adreſſe de l'auteur. On
ſouhaite qu'ils foient écrits en caracteres
bien liables , foit enflamand , en françois
ou en latin , & adreſſes , francs de
port , à M. Juſte Tjeenk , ſecrétaire de
cette fociété.
En outre , la ſociété propoſe une autre
queſtion , fur laquelle il s'agira auſſi de
répondre avant le premier Mai 1771 .
Celle- ci eft : Quellesfont les causes des fré
quens éboulemens des digues ,fur tout dans
la province de Zélande , & quel est le meil
leur moyen de prévenir de pareils éboule .
mens ; ou , s'il en arrive , de les réparer de
la maniere la plus prompte & la moins
diſpendieuse.
Enfin, la ſociété ſe feraun plaiſir de recevoir
tous les mémoires qui lui feront
envoyés , il n'importe de quelle part ,
leſquels contiendront quelque nouvelle
invention , ou quelque moyen d'en perfectionner
d'anciennes , ainſi que des obſervations
ſur diverſes branches d'arts ou
de ſciences , ou toutes productions quel
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
conques , capables de contribuer à leur
avancement. Et elle diſtribuera encore
deux médailles d'argent en faveur de
ceux dont elle jugera avoir reçu les deux
meilleurs mémoires .
IV.
Ecoles Royales Vétérinaires.
Unemaladie épizootique s'eſt annoncée
avec un appareil formidable ſur une
quantité de bêtes à cornes de pluſieurs
paroiſſes de la province de Breffe , & a
répandu l'allarme dans toute cette province
& dans celles qui lui ſont limitro .
phes ; elle a même excité la terreur jufquedans
la ville de Lyon.
M. Amelot, intendant de la généralité
de Bourgogne , s'eſt adreſſé au directeur
& inſpecteur général des écoles royales
vétérinaires , pour obtenir les fecours que
les éleves de ces écoles font capables de
fournir dans des circonstances auſſi malheureuſes.
Le nommé Braſier , éleve de
celle de Lyon , a été envoyé auſſi- tôt dans
la paroiſſe de Meximieux , où il eſt arrivé
le premier du mois de Mars ; qua -
rante- fix animaux y étoient morts avant
ſon arrivée. Il en atraité ſuivant les états
AVRIL. 1769. 179
qu'il en a remis , certifiés véritables par
M. de la Cua , premier ſyndic perpétuel
de la ville de Montluel , par M. Doyen,
curé de Meximieux , par M. Gayor de la
Rajaſſe,doyen du chapitre , par MM. Jacquemet
& Beaublet , ſyndics de Meximieux
, trois cens cinquante fept. Ileneſt
morttrois entre ſesmains; cent quarantetrois
ont été radicalement guéris, & deux
cens onze ontpris les remedes préſervatifs
avec le plus grand ſuccès.
Ce même éleve auſſi- tôt après eſt parti
pour les paroiſſes de Pérouge , Faramant
& Loye. Il y a traité, ſuivant les états
qu'il a rapportés certifiés véritables par
M. de Courteville , de la paroiſſe de
Pérouge , & par MM. Chaland & Buiffon
bourgeois de Loye , cent trente- fix
animaux , dont deux font morts ; quarante-
quatre ont été parfaitement guéris ,
&quatre- vingt-dix ont été préſervés : il
en étoit mort dix-huit avant fon arrivée.
Voilà plus de neuf mille bêtes à cornes
conſervées aux cultivateurs depuis la fondation
des écoles ; de pareils faits , bien
conftatés , diſſipent tous les doutes que
les eſprits les plus prévenus pourroiene
former contre l'utilité de ces établiſſemens.
Le ſieur Brafier s'eſt conformé dans ce
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE .
traitement à ce qui a été preſcrit dans les
notes imprimées à la ſuite du difcours
qui remporta le prix de la ſociété royale
d'agriculturede Paris en l'année 1765 .
* Ces notes font dûes à M. Bourgelat ;
& celles qui ont pour objet les maladies
épizootiques inflammatoires & malignes
ontguidé le ſieur Brafier dans cette occafion
, qui lui fait un honneur infini , &
dans laquelle il a témoigné le zèle le plus
grand.
ARTS.
GRAVURE.
I.
La mort d'Hercule & celle de Didon, deux
eſtampes en pendant d'environ is poucesde
haut fur 11 de large. A Paris ,
aux adreſſes ordinaires de gravure .
Ces deux ſujets , empruntés de l'hiftoire
poëtique , ont été gravés par J. Bap .
* Cet ouvrage ſe trouve àParis chez la veuve
Hou y , Imprimeur-Libraire , rue S. Séverin ,
près la rue S. Jacques.
AVRIL. 1769 . 181
Michel , d'après les tableaux originaux
de M. Challe , peintre ordinaire du Roi ,
&deſſinateur de ſa chambre & de fon
cabinet. La premiere eſtampe repréſente
Hercule , qui pour ſe délivrer des douleurs
inſupportables que lui cauſe la robe
enchantée du centaure Neffus , s'eſt jetté
fur le bucher ardent qui doit le confumer.
Dans la ſeconde estampe , Didon termine
également ſon deſtin par les flammes d'un
bucher qu'elle a fait allumer. Elle eſt
prête à ſe frapper de l'épée d'Enée ſon
amant ; préſent , dit Virgile , deſtiné à
d'autres uſages.
I I.
Quatrieme ſuite de divers habillemensfuivant
le coftume d'Italie, deſſinés d'après
nature par M. Greuze , peintre du Roi,
&gravés par M. Moitte, qui les diſtribue
chez lui , à Paris , rue St Victor ,
la troiſieme porte cochere à gauche en
entrant par la Place Maubert.
Les amateurs s'empreſſerontde ſe procurer
cettederniere ſuite compoſée , ainſi
que les premiers , de fix morceaux intéreffans
,telsque la payſanne Napolitaine,
une femme de Freſcati , une femme Na-
:
182 MERCURE DE FRANCE.
politaine avec ſon habillement de fête ,
&une autre qui ſe chauffe les pieds à un
poële de braife , une payſanne de la Calabre
, gravée d'après Barbault , & une
bourgeoiſe de Freſcati, d'après Vleughels.
Ces fix morceaux completent agréablement
les vingt-quatre que M. Moitte
avoit annoncés au public.
III.
Portrait de Jean Jacques Rouſſeau , d'environ
14 pouces de haut fur 11 delarge;
à Paris , chez Delalain , libraire ,
rue St Jacques .
M. Ramſay , peintre eſtimé des Anglois
, avoit peint M. Rouſſeau à Londres
en 1766 ; & c'eſt d'après ce tableau que
J. E. Nochez vient de graver l'eſtampe
quenous annonçons. Le philoſophe Génevois
y eſt repréſenté en habit armenien
, habillement qu'il a adopté comme
le plus commode àune perſonne malade
& infirme. Ce même portrait a été gravé
en maniere noire par Martin , graveur
Anglois . Celui qui vient d'être publié a
pour épigraphe ces deux vers tirés du poëmede
la peinture , par M. Lemiere :
Ainſi l'aigle caché dans les forêts d'Ida ,
Pourprendre unvol plus haut,fouvent le retarda.
AVRIL. 1769. 183
I V.
Portrait de Pascal de Paoli , général des
Corſes ; à Paris , chez Baſan , graveur
& marchand d'eſtampes , rue du Foin
St Jacques ; prix , 1 livre 4 fols .
Ce portrait intéreſſant eſt de formar
in 8 ° . , & a été gravé en Italie , d'après
une peinture très-reſſemblante de ce général
. Il eſt ſurmonté d'une branche de
chêne , arbre conſacré chez les anciens
Romains pour les couronnes civiques ,
&d'un bâton de commandant avec ces
mots : pro patria.
On trouve un autre portrait de ce général
, gravé en médaillon , chez Defnos,
libraire , ingénieur , géographe du roi de
Dannemarck , rue St Jacques au globe ,
prix , 1 livre 4 fols.
;
:
MUSIQUE.
I.
VIe recueildes pièces Françoiſes & Italiennes
, petits airs , brunettes , menuets ,
184 MERCURE DE FRANCE
&c , avec des doubles , & variations
accommodées pour deux flûtes traverſieres
, violons , par deſſus de viole ,
&c , par M. TAILLART L'AINĖ : le
tout recueilli & mis en ordre par
M *** ; prix , 6 livres. A Paris chez
M. Taillart , rue de la Monnoie , la
premiere porte cochere à gauche en
defcendant du Pont-Neuf , & aux
adreſſes ordinaires .
L'ACCUEIL favorable que les amateurs
de la muſique inſtrumentale ont toujours
fait aux recueils d'airs de M. Taillart
l'aîné , a engagé ce virtuoſe à publier
celui ci . Il est compolé des airs qui ont été
le plus applaudis for différens théâtres ;
& les feconds deſſus en font arrangés
avec ce goût que l'on connoit à ce maître
qui profelle avec le plus grand ſuccès la
Aûte traverſiere , de l'aveu même des
muficiens Allemands & Italiens ; il eſt
celui qui par un travail ſuivi , ait ſçu réunir
au plus haut degré de perfection l'exé
cution la plus brillante , & les ſons les
plus agréablement timbrés à ce goût épuré
qui embellit les chants, même les plus
ingrats.
AVRI L. 1769. 185
II.
Nouveaux principes de musique , qui ſeuls
doivent ſuffire , pour l'apprendre parfaitement
, auxquels l'auteur a joint
l'hiſtoire de la muſique &de ſes progreſſions
depuis ſon origine juſqu'à
préſent. Par M. Dard , ordinaire de
la muſique du Roi , & de l'Académie
royale de muſique ; prix 9 liv .
Ce livre fe trouve chez l'auteur rue
Bailleul , la premiere porte à gauche en
entrant par la rue des Poulies , & aux
adreſſes ordinaires ; il a été annoncé ily
a quelques mois ; l'Auteur l'a retiré
auſſi tôt , s'étant apperçu que ſon objet
n'étoit pas rempli par pluſieurs négligences
de ſa part , & par la mauvaiſe exécution
de la gravure. Il a rétabli le tout &
faitdes augmentations conſidérables , il a
ajouté un grand nombre de leçons à deux
parties , & il a pareillement augmenté
le nombre des airs& ariettes avec accompagnementde
fûte ou violon.
Pendant le peu de tems que ce livre a
été mis en vente , avant ſa correction ,
ily a eu un grand nombre d'exemplaires
de diftribués ; c'eſt pourquoi l'auteur prie
186 MERCURE DE FRANCE.
ceux qui les ont de vouloir bien les renvoyer
, & il leur en fera diſtribuer de
nouveaux fans aucune rétribution .
Meſſieurs les marchands de province
peuvent écrire à l'auteur , &
lui indiquer la voie la plus courte & la
plus convenable, pour leur faire tenir le
nombre d'exemplaires qu'ils deſireront
avoir.
IV.
Odefacrée ou Cantique en action de
graces pour les bienfaitsreçus deDieu,
duPl.
duPf. XLV, Deus nofter refugium ,
&c. mis en muſique avec accompagnement.
Les paroles ſont de J. B.
Rouſſeau , la muſique du chant eſt de
M. B ***, & celle de l'accompagnement
de M. Duchesne , organiſtedes
égliſes de S. Marcel & de Sceaux ;
prix 1 liv. 16 f. A Paris , chez M.
Duchefne , rue S. Thomas , la premiere
porte cochere en entrant par la
rue S. Hyacinthe , à gauche , au fond
de la cour au premier , & aux adreſſes
ordinaires .
Cette Ode facrée de Rouſſeau avoit
été donnée par un amateur , & par les
AVRIL. 1769. 187
Directeurs du Concert Spirituel pour
ſujet du prix d'un motet françois qui devoit
être adjugé dans la quinzaine de Pâque.
Le motet que nous annonçons n'a
point été préſenté au concours , & les
auteurs ne donnentici que la partie chantante
avec accompagnement de baſſe ;
mais fi cet eſſai eſt reçu favorablement ,
ils publieront inceſſamment toutes les
partitions de ce motet.
V.
Ariette avec ſymphonie, dédiée à Monſeigneur
le Duc d'Aiguillon , par M.
Baillon , ci-devant ordinaire de ſa muſique
; prix 1 liv. 16 fols A Paris , chez
l'auteur , rue du petit Lion S. Sauveur ,
maiſon de M. Marchand , Perruquier ;
Jolivet , marchand de muſique , à la
muſe lyrique , rue Françoiſe , proche la
Comédie Italienne & aux adreſſes ordinaires.
V I.
Six quatuor d'un goûtnouveau à deux
violons alto & baffe , dédiés à M. le
comte d'Hautefort , grand d'Eſpagne de
la premiere claffe , meftrede camp du ré188
MERCURE DE FRANCE.
giment Royal étranger de cavalerie , par
Giovanni FRANCISCONI , Napolitain ,
muſicien de S. A. Mgr le comte d'Hefſenſtein
, opera II , gravés par Mademoiſelle
Vendôme & le ſieur Moria ;
prix 9 livres , chez l'auteur , chauffée
d'Antin vis-à-vis le chantier , & aux
adreſſes ordinaires de muſique.
VII
Le Réveil champêtre , ariette nouvelle
avec accompagnement de violons , altoviola
, baffo , & corno ad libitum del fignor
G. A. Haffe , arrangée par M.
MOUROY ; prix 2 liv. 8 fols , gravée par
Madame Annereau ; à Paris , aux adreſ
ſes ordinaires.
VIII.
,
Sixfonates pour le clavecin , avec accompagnement
de violon ad libitum , dédiées
à S. A. S. MADEMOISELLE compoſées
par M. Luontzi HONAUER, oeuvre
III , gravé par Madame Oger ; prix en
blanc , livres ; à Paris chez l'auteur à
l'hôtel Soubiſe , vieille rue du Temple ,
& aux adreſſes ordinaires de muſique.
AVRIL, 1769. 189
Ι Χ.
Le Désespoir amoureux , ariette nouvelle
avec accompagnement , par M.
TISSIER , maître de chant , gravée par
Mademoiselle Bouin ; prix : livre 16
fols ; à Paris chez l'auteur , rue St Honoré
à la Gerbe d'or proche l'Oratoire ,
M. Bouin marchand de muſique & de
cordes d'inſtrumens , même rue près St
Roch . Mademoiselle Castagnery , rue des
Prouvaires , à la Muſique royale. A
Lyon, chez M. Caſtand, A Toulouſe chez
M. Bruner .
Suite des Confeils d'un Pere à ſon Fils ,
fur la Muſique.
Du GoOuUτT..
Le goût eſt un mouvement de l'ame
qui nous porte à exprimer avec force ou
avec délicateſſe les divers ſentimens que
la nature inſpire. Il naît de la bonne édu
cation , s'accroît par les belles chofes
qu'on entend , ſe forme par les conſeils
des habiles gens , & ſe perfectionne par
190 MERCURE DE FRANCE.
la ſociété de la bonne compagnie. Les
productions n'ont le droit de plaire que
lorſqu'il les dirige. C'eſt lui qui embellit
les arts par un caractere noble qui
cauſe notre admiration & attire nos fuffrages
. Il ne ſçauroit briller dans la muſique
, ſi l'élégance du chant, les tournutes
agréables , les agrémens placés , la
belle modulation , le choix des accords
& la belle harmonie n'en font l'objet &
le principe. C'eſt dans les ſentimens du
coeur qu'il faut chercher ces traits charmans
qui nous enchantent. La théorie ne
le fait point naître ni acquérir ; témoin
ces froids compoſiteurs , qui ſe perfuadentque
la ſcrupuleuſe exactitude eſt le
premier mérite. La chûte de leurs ouvrages
leur prouve bien que la rigidité
du calcul n'eſt pas la regle du goût.
Dufimple.
Le genre ſimple eſt un chant naturel ,
propre àexprimer tous les ſentimens tendres&
affectueux . Les phraſes en doivent
être bien liées , les modulations douces ,
les accompagnemens fins & délicats ,
l'harmonie pure & ſenſible. Tout doit
reſpirerdans ce genre la paix , la douceur,
la fatisfaction , la tranquillité. C'eſt à
AVRIL. 1769. 191
proprement parler letriomphe de la mélodie
, partie ſi étendue , ſi difficile & fi
ingrate pour imaginer des chants nouveaux
, pour ne pas tomber dans les phraſes
communes , pour ne pas ſe répéter
foi-même , & pour répandre dans ſa
compoſition ce caractere vrai qui force
les plus inſenſibles à nous rendre les armes.
Nos anciens nous ont donné des regles
fûres de ce genre ; auffifaut- il beaucoup
parcourir leurs ouvrages& les imiter
ſans les copier dans toutes les occaſions
où ce genre eſt néceſſaire , comme
dans les fêtes des amours où regnent les
plaiſirs , les jeux , les ris, les graces; dans
celles des bergers , des nymphes , des fonges
agréables , &c. Il n'eſt point d'opéra
où il n'ait lieu ; par conséquent , on ne
peut trop l'étudier , trop l'approfondir ,
trop le connoître. Il eſt l'image des ſentimens
, du bon goût & de la volupté. C'eſt
lui qui dans les airs vifs inſpire la gaîté ,
le plaifir , la joie& qui ſuſpend le chagrin.
Il s'attache quelquefois ſi fort à
notre coeur , qu'on répéte ſouvent les
chants heureux qui le font briller. Le
génie y peut préfider autant que dans le
genre le plus élevé.
:
192 MERCURE DE FRANCE.
!
•
3
Du Chant vrai.
Il eſt du chant ainſi que du diſcours.
Il y a des choſes vraies qui frappent généralement
tout le monde. Il y en a d'autres
qui n'ont que l'apparence de la vérité
, qui ſéduiſent ceux qui n'ont point
aſſez de lumieres pour les difcerner. Il y
en a de fauſſes que les gens de goût ne
ſçauroient foutenir. Le chant qui exprime
parfaitement les paroles & qui peint les
penſées , eſt le vrai. Celui qui est trop
recherché , & qui nous laiſſe dans l'indéciſion
, n'a que l'apparence de la vérité.
Celui qui exprime à contre ſens eſt faux.
Le manque de génie & le défaut de goût
fontque le compoſiteur prend ſouventl'un
pour l'autre. L'homme de génie ne s'y
trompe point , étant bien perfuadé que
des chants différens ne ſçauroient rendre
également la même penſée. Ainſi qu'un
'poëte doit exprimer chaque ſentiment
par un choix de mots heureux qui peignent
bien la vérité ; de même un muicien
doit obſerver les divers ſons qui ren.
dent fidelement l'idée du poëte. C'eſt
dans la multitude des chants , qui ſe préſentent
à l'imagination , qu'il faut choiſir
J
celui qui paroît le plus propre à l'expreſſion
.
AVRIL. 1 169. 193
preſſion . Le vrai s'imprime ſi profondément
dans la mémoire , qu'il nous revient
pour ainſi dire malgré nous , ce qui
prouve que la vérité a toujours le droit
d'exercer ſon empire. Enfin , l'ouvrage
qui frappe le plus , & qu'on retient le
mieux , eſt toujours le meilleur ouvrage.
PIETE' FILIALE.
I.
Un enfant de très -bonne naiſſance ,
placé à l'Ecole royale militaire , ſe contentoit
pendant pluſieurs jours de manger
de la ſoupe & du pain ſec avec de l'eau.
Le gouverneur , averti de cette fingularité
, l'en reprit , attribuant cela à quelque
excès de dévotion mal entendue ; le
jeune enfant continuoit toujours fans dévoiler
fon fecret. M. P. D. , inſtruit par
le gouverneur , de cette perſévérance , le
fit venir , & après lui avoir doucement
repréſenté combien il étoit néceſſaire d'éviter
toute fingularité & de ſe conformer
à l'uſage de l'école , voyant que cet enfant
ne s'expliquoit point ſur les motifs
de ſa conduite , fut contraint de le mena-
11. Vol.
I
194 MERCURE DE FRANCE.
1
cer , s'il ne la réformoit , de le rendre à
ſa famille ; hélas ! Monfieur , dit alors
l'enfant , vous voulez ſçavoir la raiſon
que j'ai d'agir comme je fais ; la voici .
Dans la maison de mon pere , je mangeois
du pain noir en petite quantité ,
nous n'avions ſouvent que de l'eau à y
ajouter ; ici je mange de bonne ſoupe , le
pain y est bon , blanc & à difcrétion . Je
trouve que je fais grande chere , & je ne
puis me déterminer à manger davantage,
par l'impreſſion que me fait le ſouvenir
de l'état de mon pere &de ma mere .
M. D. & le gouverneur ne pouvoient
retenir leurs larmes , par la ſenſibilité &
la fermeté qu'ils trouvoient en cet enfant .
Monfieur , reprit M. D. , fi M. votre
pere a ſervi n'a-t il pas de penfion ? Non ,
repondit l'enfant. Pendant un an , il en a
follicité une ; le défaut d'argent l'a contraint
d'en abandonner le projet , & pour
ne point faire de dettes à Verſailles , it a
mieux aimé languir. Eh bien , ditM.
D. fi le fait eſt auſſi prouvé qu'il paroît
vrai dans votre bouche , je promets de
lui obtenir cinq cens livres de penſion.
Puiſque vos parens ſont ſi peuà leur aiſe,
vraiſemblablement ils ne vous ont pas
beaucoup garni le gouffet , recevez , pour
AVRIL 1769. 195
vos menus plaiſirs , ces trois louisque je
vous préſente de la part du Roi ; & quant
à M. votre pere , je lui enverrai d'avance
les fix mois de la penſion que je fuis affuré
de lui obtenir. Monfieur , reprit l'enfant
, comment pourrez-vous lui envoyer
cet argent ? Ne vous inquiétez point , repondit
M. D. , nous en trouverons les
moyens. Ah Monfieur , repartit promptement
l'enfant , puiſque vous avez cette
facilité , remettez-lui auſſi les trois louis
que vous venez de me donner ; ici j'ai
de tout en abondance , ils me deviendroient
inutiles , & ils feront grand bien
à mon pere , pour ſes autres enfans.
Ce fait est arrivé il y a quelques années,
&j'oſe en aſſurer la vérité.
CARDONNE , porte- manteau ordinaire
deMgr le Comte de Provence.
I I.
Trait de valeur d'un cavalier du régiment
du Roi , à la journée de Minden.
« Il y a peu d'événemens à la guerre ,
>> dit un homme célèbre dans un ouvrage
>> qu'il vient de donner au Public, où des
• officiers & de ſimples ſoldats ne faffent
>> de ces prodiges de valeur qui étonnent
1
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
>> ceux qui en font témoins , &qui enſui-
>> te reſtent pour jamais dans l'oubli. Si
>> un général , un prince , un monarque
» eût fait une de ces actions , elles ſe-
>> roient conſacrées à la poſtérité ; mais la
>> multitude de ces faits militaires ſe nuit
» à elle- même ; & en tout genre il n'y a
>> que les chofes principales qui reftent
» dans la mémoire des hommes. >>
M. le Maréchal de Belle - Iſle avoit le
deſſein d'établir une diſtinction militaire
pour arracher à l'oubli quelques - unes de
ces actions. Il l'écrivoit à M. le D. de
C ** , auffi prompt à faire connoître le
mérite des autres , qu'attentif à dérober le
fien , qui lui avoit fait part d'une belle
action faite par un cavalier de fon régiment
, dans la derniere guerre au ſiége de
Munſter. J'ai cru qu'on ne devoit pas
laiſſer ignorer au Public le trait ſuivant;
il fait honneur au cavalier & à ſes protecteurs.
Ala bataille de Minden, un cavalier
du régiment du Roi apperçut un officier
général , François , que fix dragons ennemis
avoient pris , & conduiſqient à leur
camp. St Jacques , c'étoit le nom du cavalier
, propoſe à deux ou trois de ſes camarades
d'aller le tirer de leurs mains .
AVRI L. 1769 . 197
La propoſition eft acceptée. Ils partent ,
diffipent ou tuent les dragons. Leur prifonnier
eſt délivré. Cet officier général
éroit M. de B*** . Le triſte état où il étoit
parlesbleſſures qu'il avoit reçues, jointau
danger qu'il couroit d'être repris par les
partis ennemis qui couvroient la plaine ,
lui fit propoſer à ces généreux libérateurs,
après les premiers remercimens,de le conduire
àMinden : Oh! nous nepouvons pas,
mon général , lui répondit St Jacques ,
nous avons encore ici de la befogne : d'ailleurs
, ajouta-t-il , nous sommes connus ,
que diroit on de nous fi on nous voyoit revenir?
Sur de nouvelles inſtances , ils ſe
déterminerent cependant à reconduire
M. de B** , qui ne pouvoit ſeul gagner
Minden ; mais ils exigerent de lui un
certificat qui mît leur honneur en fûreté.
M. de B** , toujours occupé de la reconnoiffance
qu'il devoit à St Jacques , vouloit
lui faire obtenir quelque place honorable
dans l'état militaire; des uſages
qui ne ſubſiſtent plus ont ſuſpendu ſa
bonne volonté , il vient de lui donner
l'intendance des gardes- chaſſe de ſa terre
avec l'expectative d'une penſion. Il aura
deplus dans cette place la demi-folde des
invalides , que M. le D. de C * * lui a
fait avoir , quoiqu'il n'eût point encore ,
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
par les années de ſon ſervice , le tems
déterminé pour cette grace.
:
III.
Etabliſſement d'une Bibliothéquepublique
à Beauvais.
MM. les adminiſtrateurs du college
de cette ville ont formé dans une ſale du
college , un commencement de bibliothéque.
Ils ſe propoſent d'ajouter à leurs
premieres libéralités , & de porter cet
établiſſement auſſi loin qu'il leur fera
poffible. Déjà ils comptent un nombre
atſez conſidérable de bons livres que les
citoyens ont envoyés à leur exemple.
Les dames Beauvaiſines , accoutumées
à ne point céder aux hommes en matiere
d'utilité générale , ſe ſont ſignalées en
cette rencontre. M. l'abbé Nollet vient
dedonner ſes ouvrages à la bibliothéque
comme un gage de ſes ſentimens pour
le college de ſa patrie , dans lequel il a
étudié. Le bureau d'adminiſtration fouhaite
lui donner , à son tour , un témoignage
authentique de ſa reconnoiſſance.
BUCQUET , procureur du Roi de Beauvais,
membre du bureau d'agriculture de cette
ville & de l'académie d'Amiens,
AVRIL. 1769.. 199
ANECDOTES.
I.
UN bon mot ou une faillie a quelquefois
plus fait en faveur de celui qui demandoit
une grace que les plus fortes follicitations.
On connoît cette repartie d'un
foldat Eſpagnol , auquel Philippe II venoit
d'accorder une modiquepenfion. Ce
ſoldat ſe préſente une ſeconde fois devant
ſon maître. Ne vous ai je pas donné une
récompense? lui dit le roi. « Oui , fire ,
>>répondit le foldat , votre majefté m'a
>>donné de quoi manger ; mais je n'ai pas
» de quoi boire. » Le monarque ſourit &
ajouta une nouvelle gratification à la premiere.
Sous le miniſtere du cardinal de
Fleuri , on avoit accordé des récompenfes
à tout un régiment , excepté au chevalier
de Ferigouſe, lieutenant dans ce régiment.
Ce chevalier étoit Gaſcon ; un jour qu'il
ſe préſentoit à l'audience du miniſtre :
>>Je ne ſçais , monſeigneur , lui dit-il ,
> par quelle fatalité je me trouve ſous le
>>parapluie , tandis que votre éminence
>>fait pleuvoir des graces dans tout le ré-
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
» giment. » Cette expreſſion ſinguliere
fut remarquée du miniſtre , & peu de
tems après le chevalier de Ferigoufe obtint
la récompenfe qu'il demandoit.
I I.
M. Fourcroy , avocat , plaidoit pour
un jeune homme qui s'étoit marié ſans le
conſentement du pere , qui demandoit la
caſſation du mariage. Cet avocat voyant
que ſa partie perdroit infailliblement ſa
cauſe , eſſaya de toucher les coeurs. Il fit
venir pour cela à l'audience , le jour qu'il
devoit plaider , deux enfans nés de ce
mariage. Il tâcha d'intéreſſer les juges en
leur faveur ; & fachant que le grand- pere
étoit préſent , il ſe tourna pathétiquement
vers lui , & lui montrant de la
main ces deux enfans , il l'attendrit fi
fort , que celui qui demandoit la caffation
du mariage , déclara hautement qu'il
l'approuvoit. Ce trait fit naître à M. de
la Motte l'idée des deux enfans , qui ,
dans Inès de Castro , ont produit des impreſſions
fi touchantes.
AVRIL. 1769. 201
III.
Quelques perſonnes faifoient maligne.
ment courir le bruit qu'Alzire , tragédie ,
n'étoit pas l'ouvrage de M. de Voltaire.
» Je le ſouhaiterois de tout mon coeur ,
>> dit un officier : & pourquoi , lui de-
>> manda quelqu'un. C'eſt , répondit-il ,
>> que nous aurions un bon poëte de
» plus. »
MARIAGE de S. A. S. Monseigneur le
DUC DE CHARTRES avec Mademoifelle
DE PENTHIEVRE.
LEE roi ayant fixé aus de cemois lemariage du
duc de Chartres avec Mademoiſelle de Penthievre,
Sa Majesté donna ordre au marquis de Dreux ,
grand-maître des cérémonies , d'y inviter , de la
part , les princes & princeſſes du ſang & les prin.
ces& princeſſes légitimés .
Le 4 au foir , jour de la ſignature du contrat
monſeigneur le Dauphin , monſeigneur le comte
de Provence , monſeigneur le comte d'Artois &
les princes ſe trouverent dans le cabinet du Roi ,
où madame Adelaide , & meſdames Victoire
Sophie & Louiſe arriverent immédiatement après,
accompagnées des princeſſes qui s'étoient rendues
,
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
dans l'appartement de madame Adelaïde. Le
comte de Saint- Florentin , miniftre d'état , préfenta
la plume à ſa majesté &à la famille royale
pour ſigner le contrat.
Le lendemains , un peu avant midi , le duc
d'Orléans , le duc de Chartres , le prince de Conti ,
le comte de la Marche , le comte d'Eu , le Duc de
Penthievre avec le comte de Saint- Florentin, porterent
le contrat de mariage à ſigner à Madame ,
laquelle , à cauſe de ſon âge , nes'étoit point trouvée
, la veille , à la ſignature dans le cabinet du
Roi. Ce fut le comtede Saint-Florentin qui préfenta
la plume à Madame.
Lemêmejour à midi , le Roi , accompagné de
monſeigneur le Dauphin , de monſeigneur le com
te de Provence, de monfeigneur le comte d'Artois,
de,madame Adelaide , de meſdames Victoire ,
Sophie& Louiſe , & des princes & princefles , ſe
rendit à la chapelle , étant précédé du grandmaître
des cérémonies . Le duc de Chartres & mademoiſelle
de Penthievre , qui ouvroient la marche
, s'avancerent , en entrant dans la chapelle ,
juſqu'auprès de l'Autel : ſa majesté ,ſuivie des
Princes &des Princeſſes , s'en étant approchée ,
l'Archevêque de Rheims , grand- aumonier , fit la
cérémonie des fiançailles & du mariage en même
tems , en préſence du ſieur Allart , curé de la paroiſſedu
château. L'abbé de Colincourt & l'abbé
de Fénelon tinrent le poële. Après la meſſe qui fut
dite par l'archevêque de Reims , le regiſtre des
mariages apporté par le curé de la paroiſle , fut
mis fur le prie-dieu du Roi , où ſe firent les ſignavuresde
ſa majesté , de la famille royale, & du duc
d'Orléans, du duc de Chartres , de la ducheſle de
AVRIL. 1769. 203
Chartres, de la princefle de Conti & du duc de
Penthievre ; après quoi ſa majesté fut reconduite
chez Elle avec les mêmes cérémonies qui avoient
été obſervées lorſqu'Elle étoit allée à la chapelle;
il y eut feulement cette différence , que le duc&
la ducheſle de Chartres marcherent à la ſuite de
meſdames, au rang de cette princefle .
Le foir , il y eut appartement & jeu , depuis
le ſalon d'Hercule juſqu'au fallon de la guerre.
Le Roi ſoupa en publicdans le fallon d'Hercule ,
avec monſeigneur le Dauphin , mgr le cointe de
Provence , mgr le comte d'Artois , madame
Adelaide , meſdames Victoire , Sophie & Louiſe ,
le duc d'Orléans , le duc de Chartres , la duchefle
deChartres , le prince de Condé , le duc de Bourbon,
le comte deClermont , la prineeffe de Conti,
le prince de Conti , le comte de la Marche , la
comtefle de la Marche , mademoiselle , le comte
d'Eu , le duc de Penthiévre , & la Princeſſe de
Lamballe.
1
Après le ſouper , le Roi fit l'honneur au duc de
Chartres de lui donner la chemiſe; ce fut la PrincefledeConti
qui la donna à la Duchefle deChartres
.
Le 6 après-midi , le Roi alla voir la Duchefle
de Chartres. Les Princes & Princeſſes nommés cideſſus
ſe trouverent dans l'appartement de cette
Princefle pour y recevoir la Majesté en la maniere
accoutumée. Monseigneur le Dauphin , Mgr le
comte de Provence , Mgr le comte d'Artois ,
Madame , Madame Elifabeth , Madame Adelaide
&Meſdames Victoire , Sophie & Louiſe vinrent
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
!
enfuite & furent reçus de même par les Princes
& Princefles. Ce mêmejour , la Duchefle de Chartres
reçut auſſi la viſite de toute la Cour.
Il y a eu des fêtes au Palais Royal , & à l'Hôtel
de Toulouſe , & les Princes & Princeſſes accompagnées
de leur cour , ont paru dans les différens
Spectacles , qui ont retenti ddeess applaudiſſemens
du public honoré , & enchanté de leur préſence.
M. le Duc d'Orléans & M. le Duc de Penthievre
ont fait répandre dans les terres de leurs apanagesdes
fommes confidérables ; cette dot accordée
par la bienfaiſance aux campagnes , les fertilifera
, & y fera germer le bonheur & l'abondance .
Les habitans s'écrieront :
Goûtons l'heureuſe bienfaiſance
Qui change nos côteaux en jardins enchanteurs ,
Nos grotes en témoins de toutes les douceurs
Que raſſemblent l'hymen , la joie & l'eſpérance ;
Le chaume des cultivateurs
En lambris qui couvrent l'aiſance ,
Ettous nos fillons créateurs
En canaux faits pour l'abondance.
Ah! de tantde faveurs , que le ciel nous diſpenſe
Par les prodigues mains de nos princes chéris ,
Ledon leplus touchant pour nos coeurs attendris ,
C'eſt vous , jeune Princeſſe , & c'eſt votre préſence!
AVRIL. 1769. 205
ΕΡΙΤΗ ALAME.
HYMEN , doux hymen , quel féjour
Nous cache ta flâme éternelle ?
Tu manques ſeul , en ce grand jour ,
Au plus beau cercle qui t'appelle ;
Hymen , doux hymen , quel ſéjour
Nous cache ta flâme éternelle ?
Si ton char roule dans les cieux
Où naiſſent tes plus belles roſes ,
Et fi le trône où tu repoſes
Eſt environné par les Dieux ,
Deſcens des pavillons ſuprêmes , "
Et prodiguant ici tes dons ,
Fais anticiper les Bourbons
Sur les délices des Dieux mêmes.
Hymen , doux hymen , quel ſéjour
Nous cache ta flâme éternelle ?
Tu manques ſeul , en ce grand jour ,
Hymen , doux hymen , quel ſéjour
Nous cache ta fâme éternele ?
206 MERCURE DE FRANCE.
Déjà , ſur les pas de Cypris ,
Marchent les Graces empreſſées ,
CesGraces bientôt éclipſées
Par des charmes d'un plus haut prix ,
Etdont les mains entrelacées
Portent lapomme de Paris.
L'Amour en veut être le juge.
Mais ſous un apareil charmant ,
DeGnide le jeune transfuge
Offre pour nouvel ornement
Un chiffre , tendre monument
De celle à qui ſon choix adjuge
Le prix qu'il garde au ſentiment.
Sous ce chiffre cher à ſon ame ,
Il brûle , c'eſt un feu vivant ;
Il brûle , & ce divin enfant
Refléte autour de lui la flâme
Dont il eſt le centre éclatant :
Un foupir profond & touchant
Pénetre les cieux qu'il reclame.
Hymen, doux hymen , quel ſéjour
Nous cache ta flâme éternelle ?
L'impatience de l'Amour ,
AVRIL. 1769. 207
(Tu la connois ) elle t'appelle :
Hymen , doux hymen , quel ſéjour
Nous cache ta flâme éternelle ?
Heureux préſage! mille voix
Ont fait retentir cette rive .
C'eſt l'hymen enfin que je vois ,
Et ce triomphateur arrive
Pour unir les enfans des Rois.
Sur ſon char , la troupe chérie
Des ſoins careſſans , des defirs
Laplus touchante rêverie ,
L'enjoûment , les doux ſouvenirs ,
La concorde & la ſympathie
Font affeoir les rians plaiſirs.
Montez , brillante enchantereſſe ,
Nouvelle Hébé , jeune Princeſſe ,
Montez fur ce char avec eux :
C'eſt un trône pour la tendreſſe ;
C'eſt le théâtre des heureux.
Acettefoule qui s'empreſſe ,
Offrez ce ſourisgracieux ,
Et cette touchante allégreſſe
Et ce regard victorieux.
208 MERCURE DE FRANCE.
Tout ce qui plaît dans ces modéles
Qui , des Amours , font l'entretien ,
Attraits , graces , noble maintien ,
Tout vous place parmi les belles .
Ah ! près de l'hymen , qu'il fied bien
Aux déeſſes d'être mortelles !
Hymen , doux hymen , ce ſéjour
Renaît par ta flâme éternelle.
Gloire , bonheur en cette cour ,
Objet ſi cher à notre zèle !
Hymen , doux hymen , ce ſéjour
Renaît par ta flâme éternelle.
Brulez de ſa plus ſainte ardeur ,
Rejetton des nobles Philippes
Qui vous ont tranſmis les principes
De la véritable grandeur ,
Leurs vertus & leur bienfaiſance
Qui , prodigue de ſes faveurs ,
Aime à deſcendre des hauteurs
De la plus fublime naiſſance ;
Equité , courage , clémence ,
Premiers droits acquis ſur les coeurs ,
Droits reclamés par la puiſſance.
AVRIL . 209 1769 .
Ovous , qui les raſſemblez tous ,
Heureux , & fi dignes de l'être ,
Toujours amans , long-tems époux ,
Proſpérez & faites renaître
Les héros fameux parmi nous .
Des fonges flatteurs de la vie ,
Tel eſt l'aimable enchaînement.
Que du tems l'aîle aſſujettie
Dans les liens du ſentiment ,
Eterniſe un ſi beau moment
Au ſein de votre ame attendrie !
O fonge vraiment fortuné !
Tranſports d'une ardeur mutuelle,
Objets où la gloire étincelle ,
Choix par l'eſtime raiſonné ,
Flâme où la vertu ſe décèle ,
Doux ſonge à peine imaginé ! ...
Que dis - je ? en cette ame fi belle ,
Dans cette compagne fidéle ,
Grand Prince , tout vous eſt donné,
Tout est réalisé par elle.
Combien ſes yeux vont embellir
210 MERCURE DE FRANCE.
Les amphithéâtres champêtres *
Où l'onde ſe plaît à jaillir !
Ce Taygete ** va s'enrichir
De la renaiſſance des êtres ,
Et les nayades treffaillir
Al'aſpect de leurs nouveaux maîtres.
Les Sylvains , ivres de plaiſir ,
Vont ſuivre , atteindre & conquérir ,
Sous les dômes touffus des hêtres
Les nymphes qui ceſſent de fuir.
Ainfi quand Pſyché , tranſportée
Au palais de l'enchantement ,
Eut , dans les bras de ſon amant ,
Puiſé le feu de Promethée ,
La terre autour d'eux agitée
Partagea leur raviflement.
Ainſi ſous le plus doux augure ,
Et par des anneaux infinis
Les êtres divers font unis ;
* Saint-Cloud .
**Montagne dans le Péloponèſe , ſur laquelle
on trouvoit les agrémens du Tempé.
AVRIL. 1769 . 211
Tout eſt hymen dans la nature.
Les aftres entr'eux entraînés ,
Les jeunes ormeaux couronnés ,
Leurs bras richement empourprés
Par les fleurs , amantes ſenſibles ;
Les zéphirs aux roſes livrés ,
Les myrthes par l'eau pénetrés
Devenus tendres & flexibles ;
Les heureux oiſeaux attirés
Dans des engagemens paiſibles ;
Tout répete ces chants ſacrés
Par des accords intelligibles .
Hymen , doux hymen , quel ſéjour
Ignore ta fâme éternelle ?
Cette flâme toujours nouvelle ,
Et le chef- d'oeuvre de l'Amour ?
Hymen, doux hymen , quel ſéjour
Ignore ta flâme éternelle !
212 MERCURE DE FRANCE.
VERS préſentés à L. A. S. Meſſeigneurs
les Ducs d'Orléans & de Penthievre.
Aux fêtes de Saturne on voyoit autrefois
Les eſclaves ſervis par la main de leurs maîtres ,
Pour montrer que tout homme avoit les mêmes
droits ;
Mais aujourd'hui ce queje vois
Vaut bien ce qu'ont vû nos ancêtres.
Princes , dans votre rang , loin de prodiguer l'or ,
Pour ajouter à l'éclat de la fête ,
Vous avez d'autres ſoins en tête ,
Sur l'indigent vous verſez le tréſor ..
Le ſuperflu , des grands , à vos yeux , eſt ladette ,
Vous mépriſez l'orgueil , le rang & l'étiquette ,
Les pleurs des malheureux ſont ſechés pas vos
mains .
Leur voix va vous bénir ſans cefle.
Vous leur donnez des jours ſerains ,
Ce ſont là vos concerts & vos jours d'allégreffe .
Par la Muse Limonadiere.
AVRIL. 1769. 213
AS. A. S. Monseigneur le Duc de Chartres
furfon mariage avec Mademoiselle de
Penthievre , les d'Avril 1769 .
PRIRINNCE auguſte , ainſi votre alteſſe
S'unit donc au gré de vos voeux
Avec une jeune princeſſe .
L'Amour , tout fier de ces beaux noeuds ,
Vient préſider à cette fête ;
Il fait les honneurs du gala ,
Et quand on voit votre conquête
On s'étonne peu qu'il ſoit là.
Par la même.
DECLARATIONS , ARRÊTS , & c .
I.
ARRÊT du conseil d'état du Roi , du 13 Janvier
1769 , portant confirmation de la déclaration
du Roi du 2 Avril 1768 , & interprétation de la
réſerve qui y eſt mentionnée au ſujetde la penſion
d'Oblat. Sa Majesté ordonne que les abbés &
prieurs qui juſtifieront que les revenus de leurs
214 MERCURE DE FRANCE.
bénéfices font au-deſſous de mille livres ,ne paye
ront que foixante quinze livres pour la penfion
d'oblat; & que ceux , dont les revenus ſont de
mille livres & au- deſſus , mais qui n'excedent pas
deux mille livres , ne payeront que cent cinquante
livres pour le même objet , le tout ainſi qu'il en a
étéuſé par le paſlé , à l'égard des uns &des autres.
I I
Déclaration du Roi , donnée à Verſailles le 28
Janvier 1769 , regiſtrée en la chambre des Comptes
le premier Février ſuivant ; portant prorogation
de délai pour la préſentation des comptes des
receveurs généraux des domaines.
III.
2
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 23 Mars
concernant le payement des billets de caiſle de la
Louiſiane.
I V.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 21 Mars
1769 ; portant fuppreffion , à compter du premier
Avril 1769 , de la caiſſe d'eſcompte établie par
celui du premier Janvier 1767 .
V.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 6 Avril 1769;
qui autoriſe une loterie en faveur de la compagnie
des Indes. :
ART. I. Ladite loterie ſera compoſée de trente
AVRIL. 1769. 215
ſept mille billets de trois cents liv. chacun , payables
en deniers comptans , & en un ſeul payement
en levant le billet.
II . Le tiragedes lots de ladite loterie ſera fixé
au plus tard au premier Août prochain & jours fuivans,
conformément à la table annexée à la minute
du préſent arrêt.
III. Les trente- ſept millebillets feront rembourſés
, ſur lepied de leur capital de trois cents
livres , à la caifle de Paris , & les trois mille ſept
cents lots échus auxdits billets , y feront pareillement
payés ; le tout par ordre de numéro , & à
compter du 1 s Janvier au 28 Février 1770. Leſdits
billets& lots feront auſſi reçus comme argent
comptant , en payement des marchandiles qui ſeront
vendues par la compagnie des Indes , à la
prochaine vente de l'Orient.
Il y a un lotde . • • • 100000 liv.
I de • • • 50000
I de • • 20000
I de • • •
I de
I de •
11000
1১০০০,&c.
AVIS.
I.
BELLE eau d'Hypocrene : c'eſt une liqueur trèsfine&
très- délicate , auſſi agréable augoût que
216 MERCURE DE FRANCE.
ſalutaire pour l'eſtomac ; elle eſt à ſa ſource;
chez la muſe limonadiere , au café Allemand, rue
Croix des Petits Champs à Paris .
II.
Mademoiſelle Conſeilleux a le ſecret de faire
une pommade , dite de toute beauté , qui ôre les
rides & qui conſerve toute la fleur & la fraîcheur
de la premiere jeuneſſe , même dans l'âge le plus
avancé: elle donne l'éclat & la vivacité à la vue;
elle ne fait aucun tortà la peau ni aux dents ; au
contraire , elle rafraîchit le teint , le blanchit&
lui rend ſa premiere fraîcheur.
Ladite demoiselle eſt parvenue à rendre ſa pommade
très - flexible : il faut la mettre dans le creux
de la main , l'écraſer , l'employer le ſoir en ſe couchant
, la laiffer , & en remettre le matin ,& leffuyer,
fi on le juge à propos. Elle a une odeur
très - agréable. Cette pommade eſt unique en ce
qu'il n'y a rien à craindre pour le linge , ni la dentelle
qu'elle ne graiſſe , ni ne falit.
Ladite Demoiſelle Conſeilleux a des pots , à
24 lols , à 36 f. , à 3 livres , &c. Les pots ſeront
cachetés de fon cachet , & fon nom est imprimé
fur les pots. Elle avertit auſſi que cette
pommade peut ſe garder ſans ſe gâter cinq à fix
ans.
La demeure de ladite Demoiselle Conſeilleux ,
'eſt rue Simon-le- Franc , la troiſiemeporte cochere
àmaingauche , en entrantdu côté de la rueMaubué,
au troisieme étage.
111.
AVRIL. 1769. 217
III.
Le fieur Chauvet , chymiſte , avoit cru bien
faire en multipliant ſes bureaux pour la vente de
fon eau antifcorbutique ; mais le public lui
ayant témoigné qu'il feroit plus fatisfait que la
diſtribution de ce ſpécifique ne ſe fît que chez lui ,
il a pris ce parti afin de le contenter , & de lui
ôter toute défiance ; ſa demeure eſt dans l'enclos
du Temple , au bâtiment neuf , allée du billard ,
au premier étage ; on le trouvera toute la matinéejuſqu'à
midi.
Les propriétés de ce puiſſant remede , ſont auffi
diverſes que ſalutaires : elles conſiſtent à guérir
promptenient les affections ſcorbutiques des gen-
Promp
cives , & les ulcères qui en proviennent , à détruire
la carie& le tartre boueux des dents , à les
blauchir , à les raffermir dans leurs alvéoles , à les
incarner fi elles ſont déchauffées , & à en calmer
ladouleur, ſi elle n'eſt occaſionnée que par le ſcorbut
ou la carie ; mais quand c'eſt par toute autre
cauſe , cette eau n'y eſt point propre.
Le prix eſt de deux livres la fiole.
I V.
Composition , inventée par la Riviere pour repaffer
les rafoirs fans cuir ni pierre , approuvée
parl'expérience qu'en ont faite Meſſieurs les valets
de chambre barbiers du Roi , & ſyndics des maîtres
perruquiers de Paris ; le côté du cachet n'eſt
quepour les raſoirs qui ont beſoin d'être repaflés
.II. Vol. K
218 MERCURE DE FRANCE.
ſur la pierre; l'autre côté eſt moins vif&bien plus
doux : elle maintient ſon onctuoſité ſans s'attacher
au rafoir : l'on en fait uſage comme d'un cuir,
& en peu de tours de raſoir. Le prix eſt de 2 livres
10 fols.
:
Il demeure rue du Petit Carreau chez un tourneur
, à Paris. En lui écrivantpar la petite pofte ,
ilse rendoù il est mandé.
V.
Le ſieur Legris , ſucceſſeur du ſieur Clément,
continue de vendre la liqueur dont le ſieur Clément
avoit acquis la connoiſſance par ſes grandes
recherches , propre à la deftruction totale des
punaiſes ; & une pâte pour celle des rats , laires
&mulots. Les perſonnes qui s'en trouveront incommodées
, peuvent ſe ſervir hardiment de ces
ſpécifiques , & pour peude choſe elles ſe verront
débarraflées de ces infectes incommodes.
LeditfieurLegrisſe tranſportera dans les maifonsoù
ilferamandé. Il demeuredans la boutique
où étoit ci-devant M. Baxolle , marchand de bierre
rue Zacharie , à la Renommée , vis-à-vis le chauderonnier
, près la rue de la Huchette & celle de St
Severin. L'on trouvera des drogues en tout tems
chezleditfieur.
Lesperſonnes qui lui écriront de province font
priées d'affranchir leurs lettres. Il prévient que la
marchandise énoncée ci-deſſus ne ſe trouve que
chez lui, & que celle que l'on vend ailleurseſt
contrefaite.
AVRIL. 1769. 219
V I.
Le ſieur Pierre Bocquillon , marchand gantierparfumeur
, rue St Antoine , compoſe & vend
une liqueur ſouveraine nommée le véritable tréfor
de la bouche , dont le ſieur Pierre Bocquillon eft
le ſeul compoſiteur & poflefleur .
Le prix des bouteilles eſt à 10 liv. , sliv. , 3 liv.
&24fols.
Cette liqueur , nommée trésor de la bouche , acquiert
tous les jours de nouvelles preuves de fon
efficacité.
Les perſonnes curieuſes de conſerver leurs
dents , doivent en faire uſage tous les jours , ſe
rincer labouche avec ladite liqueur toute pure ,
ſans y mettre ni cau nicoton.
Ladite liqueur peut ſe tranſporter ſur mer fans
perdre ſaforce ni ſa vertu , ſe conſerve des années
entieres , & ne craint point les fortes gelées.
Lepublic eſt prié de ſe tenir en garde contre les
contrefactions , &eſt averti qu'il ſe vend une eau
àParis , nommée le trésor de la bouche , avec des
imprimés contrefaits , qui n'eſt point de la qualité.
ni de la compoſition de l'auteur ; que la ſeule &
véritable ſe vend par le ſieur Pierre Bocquillon ,
marchand gantier-parfumeur , rue St Antoine , à
la Providence , vis-à- vis la rue des Balets, à Paris;
il vend auſſi de tout ce qui concerne ſon commerce.
Kij
120 MERCURE DE FRANCE.
VII.
Le fieur David , demeurant à Paris , rue des
Orties , butte St Roch , au petit hôtel Notre-Dame
, poſlede ſeul unſecret &remede infaillible pour
guérir toutesfortes de maux de dents , quelque gatées
qu'elles ſoient & pour la vie , fans qu'on ſoit
jamais obligé d'en faire arracher aucune.
Ce remede eſt approuvé par M. le doyen de
la Faculté de médecine , & autorilé par M. le
lieutenant- général de Police ; il confifte en un
topique que l'on applique le ſoir en ſe couchant
fur l'artere temporale du côté de la douleur , qui ,
outre les maux de dents , guérit auſſi les fluxions ,
les maux de têtes , migraines , rhume du cerveau.,
ſans qu'il entre rien dans la bouche , ni dans le .
corps. Il procure d'ailleurs un ſommeil paiſible ,
pendant lequel il ſe fait une tranſpiration douce
&falutaire. Au réveil , ce topique tombe de luimême
ſans laiſſer aucune marque ni dommage à la
peau ; mais comme ce topique n'opere que dans le
lit , le ſieur David débite auſſi une eauſpiritueuse
d'une nouvelle compoſition très-agréable , qui
fait paſſer les douleurs de dents les plus vives ,
qui guérit les gencives malades , & prévient tous
les accidens de la bouche. Il y ades bouteilles à
3 liv. &à 6 livres ; & les topiques ſont de 24 fols
chaque. Il faut lui apporter pour les topiques un
morceau de linge fin, blanc de leſſive , quand c'eſt
pour Patis Il donne un imprimé de la maniere
de ſe ſervirdu topique & de l'eau ſpiritueuſe .
AVRIL. 1769. 221
NOUVELLES POLITIQUES.
L.
De Petersbourg , le 17 Février 1769 .
■ ſieur Gmelin chargé par l'Académie des
Sciences de cette ville , de faire des recherches botaniques
dans les provinces de ce vaſte Empire ,
adécouvert près de Woranecz , une nombreuſe
famille de cochenilles , leſquelles s'attachent aux
racines de fraiſier ; ces cochenilles paroiſſent être
de la même eſpèce que celles que le ſieurRytsckow
a trouvées àOrenbourg , & qui donnent une belle
couleur de pourpre.
De Parme , le 11 Mars 1769 .
L'Infant vient de ſupprimer l'inquifition dans
ſes états; ce prince avoit donné le 21 du mois
dernier un décret par lequel il ſe plaignoic de l'intruſion
abuſive & irréguliere d'une puiſſance étrangere
, exercée par des religieux cloîtrés en forme
de tribunal ſous le nomd'inquifition du S. Office,
Il déclaroit qu'étant protecteur né de la religion il
n'appartient qu'à lui de pourvoir au moyende la
maintenir , & qu'il veut que les évêques ſoient
ſeuls chargés de ce qui regarde la conſervation de
la foi. L'Inquifiteur étant mort , l'Infant a fait
retirer toutes les Patentes de ceux qui fervoient
l'inquifition ſous le nom de Patentes du
S. Office. Il a défendu au vicaire de l'inquifition
de faire aucun exercice de cette charge , & ordonne
que tous les priſonniers , s'il y en avoit ,
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
fuſſent détenus au nom du Prince. Il a adreſſéune
lettre circulaire aux évêques qui ont répondu
qu'ils ſe conformcroient ponctuellement à ſes
ordres.
De Londres le 21 Mars 1769 .
La Chambre des Communes a déclaré nulle la
nouvelle élection du ſieur Wilkes ; celui-ci a publié
une nouvelle adrefle aux électeurs du comté
de Middleſex pour ſolliciter de nouveau leurs
fuffrages en ſa faveur le jour de l'élection fixé
au Is du mois prochain. Ces électeurs ſe ſont
aſlemblés hier au nombre de plus de mille , & ont
réſolu unanimement de ſoutenir même aux dépens
de leurs biens & de leur vie , le droit & le
privilége qu'ils ont d'élire le député qui leur paroît
le plus digne de les repréſenter au Parlement ; ils
ontpris en même tems la réſolution de ſoutenir
les intérêts du ſieur Wilkes , à la prochaine élection.
De Versailles , le 29 Mars 1769.
Le Roi a donné une place de grand- croix dans
l'ordre de S. Louis au ſieur de Caftella , Lieutenant-
Général , colonel d'un régiment Suiffe , &
une de commandeur dans le même ordre au Baron
d'Eſpagnac , maréchal de camp , & gouverneur
de l'Hôtel Royal des Invalides. Sa Majefté a accordé
en même tems le gouvernement de Givet &
de Charlemont , vacant par la mort du ſieur de
Chevert , au ſieur de Montmore , Lieutenant-Général
&majordes gardes du corps ; le gouvernenementdeBouchain
dont celui-ci étoit pourvu ,
au Comte de Durfort , maréchal de camp , & la
AVRIL. 1769. 223
charge de meſtrede camp, Lieutenant du régiment
duColonelGénéral des Dragons , vacante par la
démiſſion du marquis de Caraman , au duc de
Luynes.
Du 8 Avril.
Avant-hier le Roi monta à cheval pour la premiere
fois , & alla à la chaſle . Sa majeſté s'eſt bien
trouvé de cet exercice .
Sa majefté a accordé au vicomte de Houdetot,
Sous-Lieutenant dans le régiment desCarabiniers,
le guidon des Gendarmes de Berry , vacant par la
démiſſion du marquis de Vichy..
a
Le ſieur Hugnin , Géographe & Profeffeur de
Géographie&d'Hiftoire l'Ecole Royale Militaire
, eut l'honneur de préſenter le 3 de ce mois ,
àMonſeigneur le Dauphin , une carte manufcrite
de ſa compofition , repréſentant la généalogie des
trois races qui ont régné en France. Cette carte
porre environ fix pouces de hauteur ſur neuf de
largeur.
De Paris , le 27 Mars 1769.
Le ſieur de Bougainville eft revenu dernierement
au portde S Mato , ſur l'une des deux frégates
dont il avoit le commandement , il s'eſt rendu
ici & a rapporté qu'il avoit découvert dans la
mer du ſud , une Ifte juſqu'à préſent inconnue ,
très- vaſte& très- agréable , par la beauré du climat
, la fertilité de la terre , & la douceur ſinguliere
des moeurs des habitans ; le fieur de Bougainville
a amené avec lui un de ces habitans qui a ,
dit- on , beaucoup d'intelligence , & paroît avoir
quelques connoiffances d'Astronomie.
224 MECRURE DE FRANCE.
LOTERIES.
Le quatre-vingt-dix-neuvieme tirage de la loterie
de l'hôtel -de - ville s'est fait le 25 Mars
en la maniere accoutumée. Le lot de cinquante
mille livres eſt échu au No. 38503. Celui de vingt
mille livres , au No. 39848 , & les deux de dix
mille aux numéros 24817 & 31701 .
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire
s'eſt fait les de ce mois. Les numéros , fortis
de la rouede fortune ſont , 61 , 22 , 80,76 &
85.
MORT S.
Charlotte de Mailly-Neſle , veuve d'Emmanuel
- Ignace , Prince de Naflau-Siegen , & du S.
Empire, eſt morte le 15 Mars dans l'Abbaye royale
de Poiſy, agée de quatre- vingt- trois ans . Elle
avoiteu un fils ( Maximilien Guillaume Adolphe
de Naflau - Siegen ) qui avoit épousé Charlotte-
Amelie de Mouchi - Senarpont ; &il reſte de ce
mariage deux enfans , qui font Charles Henri-
Nicolas-Othon de Naſlau Siegen, capitaine d'une
brigadedans le régiment de Schomberg , & Charlotte-
Amelie de Naſlau- Siegen .
Louis Godefroy , marquis d'Eſtrades , perit- fils
du feu maréchal de ce nom , & maire gouverneur
de Bordeaux , mourut en cette ville le 2 Mars ,
dans la ſoixante - quatorzieme année de fon
âge.
AVRIL. 1769. 225
Le lord George Seton , pair d'Ecofle , chevalier
baronnet de la Grande- Bretagne , eſt mort à
Versailles le 9 Mars , âgé de quatre-vingt quatre
ans.
Charles-Edouard , comte de Heſſenſtein , fils
naturel du feu roi de Suede , eſt mort à Paris le
2Avril. Il étoit né en 1738 , avoit été légitimé en
1745 par le roi ſon pere. Son frere aîné qui accouroit
de Suede pour le voir , n'a pu arriver que
le lendemain de ſa mort.
François de Durat de la Serre , maréchal de
camp , chevalier de l'ordre royal & militaire de
St Louis , & ancien lieutenant colonel du régiment
Royal - la- Marine , mourut au château de
Vauchaunade , dans la quatre-vingt cinquieme
année de ſon âge.
Nous avons ſous les yeux un extrait de la
généalogie dela maison de Joyeuse , doù il réſulte
quecette maiſon n'a eu que deux branches , celle
des ducs qui eſt éteinte , & celle des comtes de
Grand-Pré qui ſubſiſte en la perſonne de M. le
comte de Joyeuſe , & en celles de M. le marquis
deJoyeuſe , & de M. ſon fils . Il n'exiſte plus de
Châteauneuf depuis que les auteurs de cette maifon
en ont quitté le nom pour prendre celui de
Joyeuſe , dans le treizieme fiecle , par le mariagede
Randon de Châteauneuf , & de la marquiſe
d'Anduſe; on trouve des cardinaux , des ducs
des maréchaux , des chevaliers de l'ordre , &c ,
du nom de Joyeuſe , mais on n'en connoît dans
aucune hiſtoiredu nom de Châteauneuf , puiſque
le nom de cette ancienne maiſon n'exiſte plus depuis
cinq fiécles. Cette note ſuffit fans doute pour
détruire l'aflertion renfermée dans une lettre rapportéedans
le Mercure de Mars 1769 , & dans le
Nº 3 de l'année littéraire , ſur une prétendue erreur
de M. Piganiol de la Force.
,
226 MERCURE DE FRANCE:
Mercure d'Avril , premier volume , pag. 6,
rétabliſſez ainſi les vers qui finiſſent la
page.
L'heureux la Condamine , éleve d'Uranie ,
Après avoir bravé dans ſa courſe infinie
Les flots de l'Océan , les feux de l'Equateur ,
Meſuré les contours de la terre applatie ,
Fixé la peſanteur , par Newton preſſentie,
Revient dans ſon pays tel qu'un heureux vainqueur
, &c .
PIECES
Obſervations de M. Mailhol ſur l'épître de
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers&en proſe , pages
Gabrielle de Vergi , ibid.
Gabrielle de Vergi à ſon frere , Epître ,
Epître à une jolie femme ,
7
19
Vers au bas du portrait de Madame R... 21
La Vérité , la Fable & la Raiſon. Fable.
AMadame la Marquiſe de Crufiol d'Amboiſe
ibid.
A Madame P.... ſur ſes vers ,
Sohman & Zulma , conte ,
fur les oeuvres de M. de St Lambert ,
AGlycere , ſur un abandon ,
Sur l'arrivée du Roi de Danemarck à la cour
palatine ,
24
25
ibid.
26
44
AVRIL. 1769. 227
Léandre& Hero , Romance , 45.
Envoi à Mademoiselle ... à Londres , 49
Le Roi boit , Conte. ibid.
Epître à Mlle B... en lui envoyant Homère , sr
AMademoiſelle R *** , 52
Vers ſur la chûte du Roi à la chaſſe , 53
Portrait d'Elmire , chanſon , 54
Le Moraliſte , 55
Explication des Enigmes , 57
ENIGMES ibid.
,
LOGOGRYPHES , 60
NOUVELLES LITTÉRAIRES , 63
Garrick ou les acteurs Anglois , ibid.
Les viciffitudes de la fortune , 67
Les derniers adieux de la Maréchale de ** ,
Diction. crit. pittoreſque&fententieux , &c.
Difcours ſur l'hiſtoire moderne ,
71
73
75
La Thériacade , 76
Continuationde l'hiſtoire des voyages , 78
Médecine de l'eſprit ,
Abrégé de l'histoire générale d'Italie ,
Hift . de l'Amérique depuis ſa découverte ,
OEuvres deMadame de Montegut ,
Eſſai de phyſique ,
Effai fur l'établiſſement des écoles gratuites
83
87
88
१०
95
dedeſſin , 96
Anecdotes angloiſes , 99
Idée générale de l'aſtronomie , 100
Thomire , tragédie , IOI
Hift. du théâtre italien &de l'opéra comique , 107
Eloge hiſtorique de MM. Vallin , deChaſfiron
&Dupaty, 113
Inſtructions de l'Impératrice de Ruffie pour la
formation d'un code
, 117
Hiſtoire littéraire des Femmes Françoiſes ,
Mélange d'hiſtoire & de littérature ,
Traduction en toſcan d'Eugenie ,
121
134
138
228 MERCURE DE FRANCE.
Lettre de Madame de Méhegan ;
Lettre de M. le BarondeTichudi ,
139
140
CONCERT SPIRITUEL , 141
Opéra , 145
Comédie françoile , 146
Comédie italienne , 149
Eloge de M. le Cat , ISI
Epitaphe de M. le Cat , 171
ACADEMIES ,
ibid.
ARTS ,
180
Gravure ,
ibid.
Muſique , 183
Piété filiale , 193
Trait de valeur d'un cavalier à la bataille de
Minden , 195
Etabliſſement d'une bibliotheque à Beauvais , 198
Anecdotes , 199
Mariage de Mgr le Duc de Chartres , 201
Epithalame , 205
VersàMgr le Due d'Orléans & à Mgr le Duc
de Penthievre , 212
AVIS ,
AMgr le duc de Chartres ſur ſon mariage ,
Déclarations , arrêts , &c .
Nouvelles Politiques ,
Loteries ,
213
ibid.
215
221
224
Morts , ibid.
:
JA
APPROBATION.
AI lu , par ordre de Monſeigneur le Chancelier
, le ſecond vol. du Mercure d'Avril 1769 ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher
l'impreſſion. A Paris , le 15 Avril 1769 .
GUIROY.
De l'Imp, de M. LAMBERT , rue des Cordeliers.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères