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1768, 07, vol. 1-2
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MERCURE
=
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.-
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES .
JUILLET 1768 .
PREMIER VOLUME .
Mobilitate viget. VIRGILE .
Cochin
Jilias inv
RequilionSculp
1718.
A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire , quai
de Conti.
Avec approbation & privilège du roi.

halts
N
7-10-31
240.09
AVERTISSEMENT.
M. DE LA PLACE , dont le nom & les ouvrages
ſont ſi avantageuſement connus , ayant deſiré de
quitter les occupations aſſujettiſſantes du Mercure ,
àcauſe de ſa ſanté qui exige du repos , elles
viennent d'être tranſportées par Brevet au ſieur
LACOMBE , Libraire à Paris , quai de Conti.
LeBureau du Mercure eſt donc , à commencer
du premier juillet 1768 , chez le ſieur LACOMBE;
& c'eſt à lui ſeul que l'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & lettres , ainſi que les
livres , les estampes , les pieces de vers ou de
proſe, les annonces, avis , obſervations , anecdotes,
événemens anguliers , remarques ſur les ſciences
& arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout cequi peut inſtruire ou amuſer le lecteur.
CeJournal devant être principalement l'ouvrage
en généraldes amateurs des lettres & de ceux qui
les cultivent , ſans être l'ouvrage d'aucun en particulier
, ils ſont tous invités à y concourir : on rece
yra avee reconnoiſſance ce qu'ils enverront au Libraire
; on les nommera quand ils voudront bien
le permettre : & leurs travaux , utiles au ſuccès &
àla réputation du Journal , deviendront même un
titrede préférence pour obtenir des récompenſes
Lur les produits du Mercure , réſervés à cet effer,
ij
comme le porte expreſſfément le brevet accordé
au fieur LaCOMBF.
Le prix'de chaque volume eſt de 36 fols , mais
l'on ne paiera d'avance , en s'abonnant , que 24 liv .
pourfeize volumes , à raison de 30 fols piece.
Lesperfonnes de province auxquelles on enverra
le Mercure par la pofte , paieront pour feize
volumes , 32 livres d'avance en s'abonnant , &
elles les recevront francs de port.
Celles qui auront d'autres voies que la poſte
pour le faire venir , & qui prendront les frais du
port fur leur compte , ne paieront , comme à
Paris , qu'à raiſon de 30 fols par volume , c'est-
'à-dire , 24 livres d'avance , en s'abonnant pour
Seize volumes.
Les personnes & les Libraires des provinces ou
'des pays étrangers , qui voudront faire venir le
'Mercure , écriront à l'adreſſe ci-deſſus chez le
fieur Lacombe.
On supplie les habitans des provinces d'envoyer
par la poste , en payant le droit , leprix de leur
abonnement , & d'ordonner que le paiement en foit
fait d'avance au Bureau .
Les paquets qui ne seront pas affranchis resteront
au rebut.
On prie les personnes qui envoient des livres ,
eftampes&muſique à annoncer, d'en marquer leprix.
Les volumes du nouveau choix des pieces
tirées des Mercures & autres Journaux , se trou
vent auffi au Bureau du Mercure,
Cone
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET 1768 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
Le génie d'un grand poëte s'amuſe quelquefois
à faire des peintures légeres &
riantes d'objets même qui ſembloient
demander une compoſition grave , majeftueuſe.
C'eſt ainſi qu'il ſe délaſſe des
travaux hardis qui raviſſent l'admiration
, par un badinage qui excite la
gaieté ; c'eſt ainſi qu'Homere a chanté le
combat des grenouilles après avoir célé
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
bré les actions héroïques des Grecs & des
Troyens. C'eſt auſſi ce que l'on remarque
dans un poëme nouveau , dont nous allons
rapporter quelques fragmens choiſis .
FRAGMENS D'UN POEME NOUVEAU.
Invocation.
AUTEUR fublime , inégal & bavard , ( a )
Toi , qui chantas le rat & la grenouille ,
Daigneras-tu m'inſtruire dans ton art ?
Poliras- tu les vers que je barbouille ?
O Taſſoni ! ( b ) plus long dans tes diſcours ;
De vers prodigue , & d'eſprit fort avare ,
Me faudra- t-il , dans mon deſſein biſare ,
De tes langueurs implorer le ſecours ?
Grand Nicolas , ( c ) de Juvenal émule ,
Peintre des moeurs , ſur- tout du ridicule ,
Ton ſtyle pur auroit pu me tenter ;
Il est trop beau ; je ne puis l'imiter .
A ſon génie il faut qu'on s'abandonne :
Suivons le nôtre , & n'invoquons perſonne.
(a) Homere.
(b) L'auteur de la Secchia rapita , ou de la
terrible guerre entre Bologne & Modene , pour
un ſceau d'eau .
( c) Nicolas Boileau.
JUILLET 1768. 7.
Peinture d'un Sénat populaire.
CES Sénateurs , de leur place ennuyés ;
Vivent d'honneur , & font fort mal payés.
On ne voit point une pompe orgueilleuſe
Environner leur marche faſtueuſe ;
Ils vont à pied comme les Manlius ,
Les Curius & les Cincinnatus.
Pour tout éclat une énorme perruque ,
D'un long boudin cache leur vieille nuque ;
Couvre l'épaule & retombe en anneaux.
Cette criniere a deux pendans égaux ,
De la juſtice embleme reſpectable.
Leur col eſt roide ; & leur front vénérable
N'a jamais ſcu pencher d'aucun côté ,
Signe d'eſprit , & preuve d'équité.
Effets de la diviſion dans un Etat.
QUAND deux partis diviſent un empire ,
Plus de plaiſirs , plus de tranquillité ,
Plus de tendreſſe & plus d'honnêteté.
Chaque cerveau , dans ſa moëlle infecté ,
Prend pour raiſon les vapeurs du délire.
Tous les eſprits , l'un par l'autre agités ,
Vont redoublant le feu qui les inſpire :
Ainſi qu'à table un cercle de buveurs
C
Aiv
MERCURE DE FRANCE.
Faiſant au vin ſuccéder les liqueurs ,
Tout en buvant demande encor à boire ;
Verſe à la ronde , & ſe, fait une gloire ,
En s'enyvrant , d'enyvrer ſon voiſin.
i
Incertitude de la cauſe des orages.
QUAND le ſoleil ſur la fin d'un beau jour
De ſes rayons dore encor nos rivages ,
Que Philomele enchante nos bocages ,
Que tout refpire & la paix & l'amour ,
Nul ne prévoit qu'il viendra des orages.
D'où partent- ils ? Dans quels antres profonds
Etoient cachés les fougueux aquilons ?
Où dormoient- ils ? Quelle main fur nos têtes
*Dans le repos retenoit les tempêtes ?
Quel noir démon ſoudain trouble les airs?
Quel bras terrible a foulevé les mers ?
On n'en fait rien : les ſavans ont beau dire ,
Et beau rêver ; leurs ſyſtemes font rire.
L'Inconstance.
,
1
Sur un vieux mur eſt un vieux monument ,
Reſte maudit d'une déeſſe antique ,
Du paganiſme ouvrage fantaſtique
Dont les enfers animoient les accens ,
Lorſque la terre étoit fans prédicans .
Dieu quelquefois permet qu'à cette idole
L'eſprit malin prête encor fa parole .
۱
JUILLET 1768.
Les habitans confultent ce démon
Quand, par malheur , ils n'ont pointde ſermon.
Ce diable antique eſt nommé l'Inconstance.
Elle a toujours confondu la prudence.
Une girouette expoſée à tout vent ,
Eſt à la fois ſon trône & ſon emblême ;
Cent papillons forment ſon diadême.
Par ſon pouvoir magique & décevant ,
Elle envoya Charles-Quint au couvent ,
Jules ſecond aux travaux de la guerre ;
Fit Amédée & moine , & pape , & rien
Bonneval Turc , & M *** . chrétien .
Elle eſt fêtée en France , en Angleterre.
Contre l'ennui ſon charme eſt un ſecours.
Elle a , dit- on , gouverné les amours.
S'il eſt ainſi , c'eſt gouverner la terre.
Portrait d'un ingrat.
IL ſe connoît finement en amis ;
Il les embraffe & pour jamais les quittes
L'ingratitude eſt ſon premier mérite.
Par grandeur d'âme il hait ſes bienfaiteurs.
Verſez ſur lui les plus nobles faveurs ;
Il frémira qu'un homme ait la puiſſance ,
La volonté , la coupable impudence
De l'avilir en lui faiſant du bien .
Il tient beaucoup du naturel du chien ,
I jappe & fuit , & mord qui le careffe.
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Tempête fur mer.
L'AFFREUX borée a chaſſé le zéphire ,
Un aquilon prend en flanc le navire ,
Briſe la voile & caſſe les deux mats ;
Le timon cede & s'envole en éclats ;
La quille faute & la barque s'entrouvre ;
L'onde écumante en un moment la couvre.
Nouveau portrait de la Renommée.
ELLE portoit trois cornets à bouquin , ( a )
L'un pour le faux , l'autre pour l'incertain ;
Et le dernier , que l'on entend à peine ,
Eſt , pour le vrai , que la nature humaine
Chercha toujours & ne connut jamais.
La belle auſſi ſe ſervoit de fifflets .
Son écuyer , l'aſtrologue de Liége ,
De ſon chapitre obtint le privilége
D'accompagner l'errante déïté ;
Et le menſonge étoit à ſon côté.
( a ) Obſervez combien notre ſiècle ſe perfectionne.
On n'avoit donné qu'une trompette à la
Renommée dans la Henriade. On lui en a donné
deux dans le la Pucelle ; & aujourd'hui on lui
en donne trois dans ce poëme. Pour moi , j'ai
envie d'en prendre une quatrième pour célébrer
l'auteur , qui eſt ſans doute unjeune homme qu'il
faut encourager.
4
JUILLET 1768. II
Entre eux marchoit le Vieux à tête chauve ,
Avec ſon ſable & ſa fatale faulx .
Auprès de lui la vérité ſe ſauve.
L'âge & la peine avoient courbé ſon dos;
Il étendoit ſes deux peſantes aîles ;
La vérité qu'on néglige ou qu'on fuit ,
Qu'on aime en vain , qu'on maſque & qu'on
pourſuit ,
En gémiſſant , ſe blotiſſoit ſous elles.
La renommée à peine la voyoit ,
Et tout courant devant elle avançoit.
De la plupart des livres.
Tour ce fatras fut du chanvre en ſon temps;
Linge il devint par l'art des tiſſerans ;
Puis en lambeaux des pilons le prefferent:
Il fut papier. Cent cerveaux à l'envers
De viſions à l'envi le chargerent ;
Puis on le brûle : il vole dans les airs ;
Il eſt fumée auſſi bien que la gloire.
De nos travaux voilà quelle eſt l'hiſtoire.
Tout eſt fumée : & tout nous fait ſentir
Cegrand néant qui doit nous engloutir.
Le Public.
1.
Qui du public s'eſt fait le ſerviteur ,
Peut ſe vanter d'avoir un méchant maître.
vj
14 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à M. de Voltaire , par Mde la
Marquise d' Antremont , en lui envoyant
quelques ouvrages en vers .
MONSIEUR ,
UNE femme , qui n'eſt pas Mde Defforges
- Maillard , une femme vraiment
femme , & femme dans toute la force du
terme , vous prie de lire les pieces renfermées
ſous cette enveloppe ; elle fait des
vers parce qu'il faut faire quelque choſe ,
parce qu'il eſt auſſi amusant d'aſſembler
des mots que des noeuds , & qu'il en coûte
moins de ſymmétriſer des penſées que des
pompons : vous ne vous appercevrez que
trop , Monfieur , que ces vers lui ont peu
coûté , & vous lui direz que
Des vers faits aiſement ſont rarement aiſés .
fur une montagne de l'Apennin , entre Urbin &
Rimini , conquit autrefois un moulin ; mais ,
craignant le ſort de la République Romaine ,
elle rendit le moulin , & demeura tranquille &
heureuſe; elle a mérité de garder ſa liberté. C'eſt
une grande leçon qu'elle a donnée à tous les
états,
JUILLET 1768. 15

Elle ſe rappelle vos préceptes ſur ce
ſujet, &ceux de Boileau , qui partage avec
vous l'art de graver ſes écrits dans la mémoire
de ſes lecteurs , & d'inſtruire l'efprit
ſans lui demander des efforts. Vos
principes & les ſiens ſont admirables ,
mais ils ne s'accordent pas avec la légéreté
d'une perſonne de vingt-un ans , qui a
beaucoup d'antipatie pour tout ce qui eſt
pénible ; heureuſement je rime ſans prétention
, & mes ouvrages reſtent dans mon
porte- feuille : s'ils en ſortent aujourd'hui ,
c'eſt parce qu'il y a long - temps que je
defirois d'écrire à l'homme de France que
je lis avec le plus de plaifir , & que je
me ſuis imaginée que quelques pieces de
vers ſerviroient de paſſeport à ma lettre ;
jen'ai point eu d'autres motifs , Monfieur :
Il eſt des femmes beaux eſprits ;
A Pindare autrefois , dans les jeux olympiques ,
Corinne , des ſuccès lyriques
Très-ſouvent diſputa le prix.
Pindare aſſurément ne valoit pas Voltaire ;
Corinne valoit mieux que moi :
Qu'il faudroit être téméraire
Pour entrer en lice avec toi !
Mais je le ſuis aſſez pour deſirer de plaire
A l'écrivain dont le goût eſt ma loi.
:
14 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à M. de Voltaire , par Mde la
Marquise d'Antremont , en lui envoyant
quelques ouvrages en vers.
MONSIEUR ,
UNE femme , qui n'eſt pas Mde Defforges-
Maillard , une femme vraiment
femme , & femme dans toute la force du
terme , vous prie de lire les pieces renfermées
ſous cette enveloppe ; elle fait des
vers parce qu'il faut faire quelque choſe ,
parce qu'il eſt auſſi amusant d'aſſembler
des mots que des noeuds , &qu'il en coûte
moins de ſymmétriſer des penſées que des
pompons : vous ne vous appercevrez que
trop , Monfieur , que ces vers lui ont peu
coûté, & vous lui direz que
Des vers faits aiſément ſont rarement aiſés .
fur une montagne de l'Apennin , entre Urbin &
Rimini , conquit autrefois un moulin ; mais ,
craignant le fort de la République Romaine
elle rendit le moulin , & demeura tranquille &
heureuſe; elle a mérité de garder ſa liberté. C'eſt
une grande leçon qu'elle a donnée à tous les
états.
JUILLET 1768. 13
Elle ſe rappelle vos préceptes ſur ce
ſujet, &ceux de Boileau , qui partage avec
vous l'art de graver ſes écrits dans la mémoire
de ſes lecteurs , & d'inſtruire l'efprit
ſans lui demander des efforts. Vos
principes & les ſiens font admirables ,
mais ils ne s'accordent pas avec la légéreté
d'une perſonne de vingt-un ans , qui a
beaucoup d'antipatie pour tout ce qui eſt
pénible ; heureuſement je rime ſans prétention
, & mes ouvrages reſtent dans mon
porte- feuille : s'ils en ſortent aujourd'hui ,
c'eſt parce qu'il y a long - temps que je
defirois d'écrire à l'homme de France que
je lis avec le plus de plaiſir , & que je
me ſuis imaginée que quelques pieces de
vers ſerviroient de paſſeport à ma lettre ;
jen'ai point eu d'autres motifs , Monfieur:
Il eſt des femmes beaux eſprits ;
A Pindare autrefois , dans les jeux olympiques ,
Corinne , des ſuccès lyriques
Très-ſouvent diſputa le prix.
Pindare aſſurément ne valoit pas Voltaire ;
Corinne valoit mieux que moi :
Qu'il faudroit être téméraire
Pour entrer en lice avec toi !
Mais je le ſuis aſſez pour deſirer de plaire
A l'écrivain dont le goût eſt ma loi.
16 MERCURE DE FRANCE.
Si tu daignois ſourire à mes ouvrages ,
Quel ſort égaleroit le mien !
Tu réunis tous les ſuffrages ,
Et moi , je n'aſpire qu'au tien.
Il ſeroit bien glorieux pour moi , Monſieur
, de l'obtenir ; n'allez pourtant pas
croire que j'oſe me flatter de le mériter ,
mais croyez que rien ne peut égaler les
ſentimens d'eſtime & d'admiration avec
leſquels j'ai l'honneur d'être , &c .
D'ANTREMONT.
AAubenas , le 4 février 1768 .
RÉPONSE de M. de Voltaire.
Vous n'êtes point la Desforges-Maillard:
De l'Hélicon ce triſte hermaphrodite
Paſſa pour femme' , & ce fut ſon ſeul art;
Dès qu'il fut homme il perdit ſon mérite :
Vous n'êtes point , & je m'y connois bien ,
Cette Corinne & jalouſe & bifarre
Qui par ſes vers , où l'on n'entendoit rien ,
En déraiſon l'emportoit ſur Pindare.
Sapho plus ſage , en vers doux & charmans
Chanta l'amour ; elle eſt votre modele ,
Vous poffédez ſon eſprit , ſes talens ;
Chantez , aimez : Phaon ſera fidele. 1
JUILLET 1768. 17
Voilà , Madame , ce que je dirois fi
j'avois l'âge de vingt-un ans , mais j'en
ai foixante- quatorze paſſés ; vous avez des
beaux yeux fans doute ; cela ne peut être
autrement , & j'ai preſque perdu la vue ;
vous avez le feu brillant de la jeuneſſe ,
& le mien n'eſt plus que de la cendre
froide ; vous me reſſuſcitez , mais ce n'eſt
que pour un moment , & le fait eſt que je
fuis mort.
C'eſt du fond de mon tombeau que je
vous ſouhaite des jours auſſi beaux que vos
talens.
J'ai l'honneur d'être , &c.
DE VOLTAIRE.
AFerney, pays de Gex , le 20 février.
18 MERCURE DE FRANCE.
COUPLETS chantés à Chantilli par le petit
Moreau , âgé de treize ans , & qui n'a
que trente pouces de haut.
A la ſuite de ces magnifiques fêtes que
S. A. S. Mgr le Prince de Condé a données
l'année dernière à Chantilli , on fervit ,
pour le ſouper , au milieu d'une table de
quarante couverts , un ananas factice qui
tenoit lieu de dormant. Dès que le deſſert
fut diſpoſé , cet ananas s'ouvrit & laiſſa
voir le petit Moreau , vêtu en Amour ,
qui étoit affis au milieu ; l'enfant ſe leva
& vint , en ſe promenant ſur la table ,
chanter aux Dames , qui en faifoient l'ore
nement , les trois couplets ſuivans.
Sur l'air : Ilfaut , quand on aime unefoisi
Sous différens traits tour à tour
J'ai paru pour vous plaire ;
Mais à vos regards en ce jour
Je m'offre ſans myſtere ,
Reconnoiſſez en moi l'Amour
Qui cherche ici ſa mere.
JUILLET 1768. 19
Mais dans mon coeur en ce moment
Je ſens un trouble naître ,
Ici chaque objet eſt charmant :
Ah , que le tour eſt traître !
Maman ? ( a ) maman ? maman ? maman ?
Comment vous reconnoître.
Vous refuſez de m'éclaircir ,
De me tracer mes routes ;
On ſe plaît à me voir ſouffrir ,
Chacun rit de mes doutes ;.
Eh bien je vais vous en punir ,
En vous adoptant toutes.
Ces couplets font de M. Poinfinet.
( a ) En regardant ſucceſſivement les Dames
qui étoient à table.
20 MERCURE DE FRANCE.
DIALOGUE entre Helene & Lucrece.
LUCRECE. OUS êtes donc cette Helene
ſi fameuſe par ſa beauté ?
HELENE. Vous êtes donc cette Lucrece
fi renommée par ſa vertu ?
LUCR. On dit que vous n'étiez pas
moins galante que belle.
HEL. On dit que vous redoutiez moins
de paroître laide que galante .
LUCR. Vous voyez que notre caractere
différoit autant que notre deſtinée ?
HEL. Il me ſemble que notre deſtinée
ne differe que de très-peu .
LUCR. Mais , fi l'on m'a dit vrai , vous
finîtes votre brillante carrière par être
pendue.
HEL. Un poignard termina la vôtre.
LUCR . D'accord ; mais je me poignardai
moi-même.
HEL. Je fus pendue par des femmes.
LUCR. Elles vengeoient ſur vous l'honneur
du ſexe , flétri par toutes vos aventures.
HEL. Elles fatisfaifoient encore plus
leur jaloufie. Mais vous , ſage Lucrece,
JUILLET 1768. 21
n'aviez-vous pas auſſi votre ſexe à venger ?
LUCR. Non ; je n'écoutai que ma délicateſſe:
je me punis du crime de Tarquin.
HEL. C'étoit lui qu'il eût fallu punir.
LUCR. Devois-je ſurvivre à cet outrage ?
Il y a plus , je voulois me garantir même
du ſoupçon.
HEL. C'eſt ce que vous n'avez pas fait.
LUCR. Que dites - vous ? Rome conſerve
pour moi la plus extrême vénération.
Par- tout on me cite comme un exem
ple de fidélité conjugale.
HEL. Et cet exemple fut- il ſouvent
imité ?
LUCR. Que m'importe ? Voudriezvous
que toutes les Romaines fuſſent des
Lucreces?
HEL. Je doute que vous le ſouhaitiez
vous - même. Votre mort ſeroit perdue
pour vous fi beaucoup de femmes ſe
tuoient en pareil cas.
LUCR. Je n'ai point appris qu'on m'ait
ſouvent imitée ; mais je fais que Rome
me reſpecte.
HEL. J'ai pourtant vu quelques ombres
romaines déroger à ce profond reſpect.
Elles m'ont appris qu'on ydérogeoit encore
plus à Rome. Peu de femmes y font votre
éloge , & les hommes trouvent que vous
yous êtes tuée un peu tard,
22 MERCURE DE FRANCE.
LUCR. Seroit- il poſſible ?
HEL. Rien de plus certain.
LUCR. Peuple ingrat ! ... Je ne me ſuis
cependant tuée que pour mériter ſon
eſtime.
HEL. Ce moyen n'eſt pas toujours
efficace. De deux choſes l'une : ou vous
étiez d'accord avec Tarquin , ou Tarquin
uſa de violence envers vous. Dans le premier
cas , votre mort n'empêcha rien.Dans
leſecond, il falloitbraver celledont on vous
menaçoit ; elle vous eût épargné l'embarras
de vous la donner vous - même , &
Collatin , votre époux , n'auroit eu qu'un
motif d'affliction au lieu de deux que
vous lui laiſſates.
Lucr. C'eſt exigerbeaucoup de préſence
d'eſprit.... Je vous croyois moins févere
dans vos déciſions.
HEL. Je vous juge en Lucrece.
Lucr. Ce n'eſt pas ainſi , du moins ,
qu'il faut vous juger. Comment juſtifieriez
- vous tant de coupables avantures ?
elles remontent juſqu'à votre enfance. A
peine vous en ſortiez quand Théſée vous
enleva.
HEL. Eh ! c'eſt ce qui doit faire mon
excuſe. Pouvois-je , à treize ans , réſiſterà
Théſée ? D'ailleurs , vous ſavez qu'aucune
femme ne lui réſiſtoir,
JUILLET 1768 . 23
Lycr. Réſiſtâtes-vous mieux à Paris ?
HEL. Ah ! Lucrece ! ſi Tarquin lui eût
reffemblé!
...
Lucr. Tarquin pouvoit en valoir d'autres.
Mais revenons à vous. Que de
malheurs votre coquetterie n'a-t-elle pas
cauſés aux Troyens , & même aux Grecs ?
HEL. Votre vertu fut-elle moins funeſte
aux Romains & à l'univers entier ?
Lucr. Ma mort fut le ſignal de la
liberté pour la ville qui m'avoit vu naître,
Votre enlevement cauſa la ruine de celle
qui vous avoit reçue.
HEL. Ecoutez , ma chère Lucrece : la
politique ne fut jamais mon fort ; jamais
ni Theſée , ni Paris ne m'en donnerentde
leçons. J'étois belle , j'eus l'âme tendre ,
je fus vivement ſollicitée ; voilà ce qui
détermine preſque toujours en pareil cas,
Pourquoi attribuer à une femme qui céde,
un autre motif que l'attrait de céder ?
Celui-là me ſemble plus naturel que tout
autre.
Luck. Il n'en eſt pas moins vrai que
ſi vous euſſiez réſiſté au fils de Priam , cent
mille Grecs n'euffent pas péri , & que
Troie exiſteroit encore.
HEL. Il eſt encore plus vrai que ſivous
cuſliez diſſimulé l'entrepriſe de Tarquin,
24 MERCURE DE FRANCE.
Rome n'eût pas été en proie aux guerres
civiles , & le monde n'eût pas été ravagé.
Votre mort faſtueuſe fit naître aux Romains
la dangereuſe fantaiſie d'être libres ,
&enſuite celle de mettre aux fers toutes
les autres nations. Vous me parlez de
Troie : Sophonisbe vous parlera de Carthage.
Mes défenſeurs périrent preſque
tous : vos vengeurs curent à peu près le
même fort. En un mot, le coup de poignard
que vous vous donnâtes , avec tant
d'appareil , a couvert de ſang l'Europe ,
l'Afie & l'Afrique.
LUCR. J'en ai plus d'une fois gémi.
Cependant je ne croirai jamais que las
vertu ſoit auffi dangereuſe que le vice.
LUCR. Il est facheux pour Lucrece
d'être ainſi moraliſée par Helene.
HEL. Je vous parle raiſon. C'eſt un
privilége dont jouiſſent toutes les ombres.
Elles n'ont plus ni préjugés qui les trompent,
ni paffionsqui les égarent. Ellesn'ont
plus rien à ſe difputer ſur les faits ; il leur
eſt facile de s'accorder ſur les opinions.
A LUCR. Au moins avouerez-vous qu'il y
eut trop d'éclat dans vos foibleſſes ?
HEL. Oui ; mais convenez vous-même
qu'il y eut trop de faſte dans votre vertu .
ParM. de la Dixmerie.
LE
JUILLET 1768, 25
LE Dervis voyageur. Fable orientale.
CERTAIN Dervis voyageoit en Afie,
Et voyageoit avec peu d'attirail .
Sur ſa route, il découvre un ſuperbe ſérail
Qu'il prend pour une hôtellerie.
Il s'y gliffe , & déja le modeſte reclus ,
Sur un tapis ſuperbe étendant ſa beface ,
Nonchalamment à ſon aiſe s'y place.
On murmure , on s'écrie , on veut lui courir ſus
:.
Il paroît ſourd à la menace.
Le Prince vient lui-même , attiré par le bruit ,
Et du Dervis tranquille admire l'attitude...
Quel ſujet , lui dit- il , en ces lieux vous conduit ?
L'autre répond : ma laſſitude.
Ce caravanserai * m'offre fort à propos
Les moyens de goûter un ſommeil néceſſaire,
Bon ſoir. Le Roi ſourit à ce naïf propos.
Vous vous trompez , révérend pere ,
Reprir- il ; ce ſéjour n'eſt point un hôpital,
Voyez cette magnificence :
La trouve-t-on dans un réduit bannal ?
Eh ! de grace , repart notre humble Révérence ,
* Nom d'une eſpece d'hôtellerie aſiatique où
les voyageurs peuvent ſéjourner gratuitement,
Vol, I. B
Y
26 MERCURE DE FRANCE.
Répondez-moi : d'un ſi riche ſéjour
Quels ont été les premiers maîtres ?
Il fut bâti par mes ancêtres ,
Qui l'ont habité tour à tour.
Après eux ? - Il fut à mon pere.
-Et ce pere vous l'a tranſmis ?
Sans doute; &je prétends le tranſmettre à mon
fils.
-Etlui , ſans doute , aux fiens ? -C'eſt comme
je l'eſpère ;
Et que ſon petit- fils , au gré de mes ſouhaits ,
A ſes deſcendans ſatisfaits.....
J'entends , dit le Dervis , vos projets font fort
fages.
Mais , ſeigneur , un ſéjour condamné pour jamais
A loger tous ces perſonnages
Eſt une hôtellerie , & non point un palais.
Par le méme.
AM. Saurin,fur le rôle de Mde Beverlei
dansfa tragédie du même nom.
SAUAURRIINN , cette femme ſi belle ,
Ce coeur fi pur , ſi vertueux ,
**A tous ſes devoirs ſi fidelle ,
De ton eſprit n'eſt point l'enfant heureux:
Tú l'as bien peint ; mais le modele
Vit dans ton âme & fous tes yeux,
JUILELT 1768. 29
CONTE ( 1 ) .
Le vieux Bélus , roi de Babylone, ſe
croyoit le premier homme de la terre , car
tous fes courtiſans le lui diſoient & fes
hiſtoriographes le lui prouvoient. Ce qui
pouvoit excuſer en lui ce ridicule , c'eſt
qu'en effet ſes prédéceſſeurs avoient bâti
Babylone plus de trente mille ans avant
lui , & qu'il l'avoit embellie. Mais , ce
qu'ily avoit de plus admirable àBabylone ,
ce qui éclipſoit tout le reſte , étoit la fille
uniquedu roi , nommée Formosante. Aufſi
Bélus étoit plus fier de ſa fille que de fon
royaume. Elle avoit dix-huit ans ; il lui
falloit un époux digne d'elle : mais où le
trouver ? Un ancien oracle avoit ordonné
que Formoſante ne pourroit appartenic
qu'à celui qui tendroit l'arc de Nembrod.
( 1 ) Ce conte , très - moderne , eſt réduit. On
afait une miniature d'un grand tableau ; en conſervantnéanmoins
les touches précieuſes du maître,
&enemployant , autant qu'il eſt poſſible , les traits
d'imagination , les ſaillies d'eſprit , les penſées
philofophiques , & l'art par lequel l'auteur ſait
la fois amuſer , inſtruire & intéreſſer.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Il devoit fur-tout avoir beaucoup d'eſprit,
être le plus vertueux des hommes , & pofſéder
la choſe la plus rare qui fût dans
l'univers.
Il ſe préſenta trois rois, le Pharaon
d'Egypte , le Shac des Indes , & le grand
Kan des Scytes. Bélus aſſigna le jour &
le lieu du combat à l'extrêmité de fon
parc. On dreſſa autour de la lice un
amphithéâtre de marbre ; vis - à- vis de
l'amphithéâtre étoit le trône du roi ,
qui devoit paroître avec Formofanțe accompagné
de toute fa cour.
Bélus fit conduire les trois monarques
fur des trônes qui leur étoient préparés ,
& tirer au fort à qui eſſaieroit le premier
l'arc de Nembrod. On mit dans
un caſque d'or les noms des trois prétendans.
Celui du roi d'Egypte fortit le premier
; enfuite parut le nom du roi des
Indes. Le roi Scythe , en regardant l'are
& ſes rivaux , ne ſe plaignit point d'être
le troiſième.
Comme on alloit commencer ces eſſais ,
qui devoient décider de la deſtinée de
Formoſante , un jeune inconnu , monté
fur une licorne , accompagné de ſon valer
monté de même , & portant fur le poing
un gros oiſeau , ſe préſenta à la barriere,
JUILLET 1768. 29
Les gardes furent ſurpris de voir en cet
équipage une figure qui avoit l'air de la
divinité ; c'étoit , comme on a dit depuis ,
le viſage d'Adonis ſur le corps d'Hercule ;
c'étoit la majesté avec les grâces. Toutes
les femmes de la cour fixerent fur lui des
regards étonnés. Formoſante elle-même ,
qui baiſſoit toujours les yeux , les releva
&rougit : les trois rois pâlirent : tous les
ſpectateurs , en comparant Formoſante avec
l'inconnu , s'écrioient : il n'y a dans le
monde que ce jeune homme qui ſoit
aufli beau que la princeſſe. On l'introduiſitdans
lepremier rang de l'amphithéâtre ,
lui , ſon valet , ſes deux licornes & fon
oifeau.
Les épreuves commencerent ; on tira
de ſon étui d'or l'arc de Nembrod. Le
grand maître des cérémonies le préſenta
au roi d'Egypte. Ce prince deſcend au
milieu de l'arene ; il eſſaie , il épuiſe ſes
forces ; il fait des contorſions qui excitent
le rire de l'amphithéâtre , & qui font
même ſourire Formoſante. Son grand aumônier
s'approcha de lui : que Votre
>>Majesté , lui dit-il , renonce à ce vain
>> honneur , qui n'eſt que celui des muf-
>>cles & des nerfs. Vous triompherez dans
>> tout le reſte. La princeſſe de Babylone
64
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
:
,
>>doit appartenir au Prince qui a le plus
>>d'eſprit & vous avez deviné des
>> énigmes : elle doit épouſer le plus verptueux
; vous l'êtes , puiſque vous avez
>> été élevé par les prêtres » . Vous avez raiſon
, dit le roi ; & il ſe remit ſur fon
trône.
On alla mettre l'arc entre les mains du
roi des Indes. Il eut des ampoules pour
quinze jours , & fe confola en préſumant
que le roi des Scythes ne feroit pas plus
heureux. Le Scythe mania l'arc à ſon tour,
& ne put venir à bout de le tendre. Alors
le jeune homme deſcendit dans l'arene ;
il prit une fleche , l'ajuſta ſur la corde ,
tendit l'arc de Nembrod , & fit voler la
fleche bien au delà des barrieres. Il tira
enfuite de ſa poche une petite lame d'yvoire
, écrivit fur cette lame , avec une
aiguille d'or , attacha la tablette d'yvoire
àl'arc , & préſenta le tout à la princeſſe
avec une grace qui raviſſoit tous les affiftans.
Puis il alla modeſtement ſe remettre
à ſa place , entre fon oiſeau & fon valer.
Babylone entiere étoit dans la ſurpriſe.
Les trois rois étoient confondus ; & l'inconnu
ne paroiſſoit pas s'en appercevoir.
Formoſante fut encore plus étonnée , en
lifant ſur la tablette d'yvoire , attachée à
UILLET 1768. 31
l'are , ces petits vers en beau langage
chaldéen.
L'arc de Nembrod eſt celui de la guerre ;
L'arc de l'amour est celui du bonheur ;
► Vous le portez . Par vous ce dieu vainqueur
>>> Eſt devenu le maître de la terre.
>> Trois rois puiſſans , trois rivaux aujourd'hui ,
>> Ofent prétendre à l'honneur de vous plaire ;
>>>Je ne sais pas qui votre coeur préfere ;
>> Mais l'univers ſera jaloux de lui. >>
Bélus envoya fon grand écuyer complimenter
l'inconnu , & lui demander s'il
étoit ſouverain ou fils de fouverain. Tandis
qu'il avançoit vers l'amphithéâtre pour
s'acquitter de ſa commiſſion , arriva fur
une licorne un valet qui , adreſſant la
parole au jeune homme , lui dit : Ormar ,
votre pere , touche à l'extrêmité de ſa vie,
&je ſuis venu vous en avertir. L'inconnu
leva les yeux au ciel , verſa des larmes ,
& ne répondit que par ce mot partons.
Le grand écuyer demanda au valet de
quel royaume étoit ſouverain le pere de
ce jeune héros. Le valet répondit : « fon
>> pere eſt un vieux berger qui eſt fort
» aimé dans le canton ». Pendant ce court
entretien l'inconnu étoit déja monté ſur
ſa licorne : il dit au grand écuyer , ſei-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
gneur , daignez me mettre aux pieds de
Bélus & de ſa fille. Je lui laiſſe cet oiſeau ,
&j'oſe la ſupplier d'en avoir grand ſoin ,
il eſt unique comme elle. En achevant ces
mots il partit comme un éclair : ſes deux
valets le ſuivirent , & on les perdit de vue.
Bélus aſſembla fon conſeil ſur le mariage
de la belle Formoſante ; & voici comme
il parla en grand politique. Je ſuis vieux ,
je ne fais plus que faire , ni à qui donner
ma fille. Celui qui la méritoit n'eſt qu'un
vil berger. Je vais encore conſulter l'oracle;
en attendant délibérez , & nous conclutons
ſuivant ce que l'oracle aura dit.
Alors il va dans fa chapelle ; l'oracle lui
répond en peu de mots : ta fille ne fera
mariée que quand elle aura couru le monde.
Tous les miniſtres avoient un profond
reſpect pour les oracles ; mais ils trouverent
que rien n'étoit plus indécent pour
une fille , & fur-tout pour celle du grand
roi de Babylone , que d'aller courir fans
ſavoir où ; que c'étoit le vrai moyen de
n'être point mariée , ou de faire un mariage
clandeſtin , honteux & ridicule.
• Formoſante avoit fait placer à côté de
fon lit un petit oranger dans une caifle
d'argent pour y faire repoſer ſon oiſeau.
Ses rideaux étoient fermés , mais elle
:
JUILLET 1768 . 33
n'avoit nulle envie de dormir ; fon coeur
&ſon imagination étoient trop éveillés.
Le charmant inconnu étoit devant fes
yeux ; elle le voyoit tirant une fleche avec
l'arc de Nembrod ; elle récitoit ſon madrigal
; enfin elle le voyoit s'échapper de la
foule monté ſur ſa licorne ; alors elle
éclatoit en ſanglots ; elle s'écrioit avec
larmes, je ne le reverrai donc plus , il ne
reviendra pas. Il reviendra , Madame ,
lui répondit l'oiſeau , du haut de fon oranger
; peut-on vous avoir vue & ne pas
vous revoir ?Ociel ! ô puiſſances éternelles !
mon oiſeau parle le pur chaldéen ! En
difant ces mots elle tire ſes rideaux , lui
tend les bras , ſe met à genoux fur fon
lit : êtes-vous un dieu deſcendu ſur la
terre ? fi vous êtes un dieu rendez- moi ce
beau jeune homme. Je ne ſuis qu'une
volatille , lui répliqua l'autre , mais je
naquis dans le temps que toutes les bêtes
parloient encore. Je n'ai pas voulu parler
devant le monde de peur que vos dames
d'honneur ne me priffentpour un forcier :
je ne veux me découvrir qu'à vous.
-Etoù eſt lepays de moncher inconnu ?
quel eſt le nom de ce héros ? comment
ſe nomme ſon empire ?
Son pays, Madame, eſt celui desGan
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
garides , peuple vertueux & invincible
qui habite la rive orientale du Gange. Le
nom de mon ami eſt Amazan. Il n'eſt
pas roi , & je ne ſais même s'il voudroit
l'être. Il eſt berger , mais n'allez pas vous
imaginer que ces bergers reſſemblent aux
vôtres , qui , couverts à peine de lambeaux
déchirés , gardent des moutons infiniment
mieux habillés qu'eux ; qui gémiſſent fous
le fardeau de la pauvreté , & qui paient à
un exacteur la moitié des gages chétifs
qu'ils reçoivent de leurs maîtres. Les bergers
Gangarides , nés tous égaux , font les
maîtres des troupeaux innombrables qui
couvrent leurs prés éternellement fleuris.
Telle eſt la patrie de mon cher Amazan ;
c'eſt- là que je demeure ; j'ai autant d'amitiépour
lui, qu'il vous a inſpiré d'amour.
Si vous m'en croyez , nous partirons enſem
ble , & vous irez lui rendre fal vifite
Vraiment , mon oiſeau , vous faites-là
un joli métier, répondit en fouriant la
princeffe, qui brûloit d'envie de faire le
voyage , & qui n'oſoit le dire. Je fers mon
ami , dit l'oiſeau ; &, après le bonheur
de vous aimer , le plus grand eſt celui de
ſervir vos amours .
Formosante ne ſavoit plus où elle en
étoir. Elle paſſa toute la nuit à parler
JUILLET 1768 . 35
d'Amazan . Elle ne l'appelloit plus que
fon berger ; & c'eſt depuis ce temps- là
que les noms de berger & d'amant font
toujours employés l'un pour l'autre chez
quelques nations.
Enfin le ſommeil ferma leurs yeux , &
livra Formoſante à la douce illuſion des
fonges envoyés par les dieux , qui furpaffent
quelquefois la réalité même. Elle ne
s'éveilla que très-tard. Il étoit petit jour
chez elle , quand le roi ſon pere entra
dans ſa chambre .
☐☐ Ma chere fille , vous n'avez pu trouver
hier un mari comme je l'eſpérois ; il vous
en faut un pourtant ; le falut de mon
empire l'exige . J'ai conſulté l'oracle , qui ,
comme vous favez , ne ment jamais , &
qui dirige toute ma conduite. Il m'a ordonné
de vous faire courir le monde. 11
faut que vous voyagiez. Ah! chez les Gangarides
fans doute, dit la princeſſe ; & en
prononçant ces mots qui lui échappoient ,
elle ſentit bien qu'elle diſoit une fottife.
Le Roi , qui ne ſavoit pas un mot de géographie
, lui demanda ce qu'elle entendoit
par des Gangarides. Elle trouva aisément
une défaite. Le roi lui apprit qu'il falloit
faire un pélerinage ; qu'il avoit nommé
les perſonnes de ſa ſuite , le doyen des
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
conſeillers d'état , le grand aumônier , une
dame d'honneur , un médecin , un apoticaire
& fon oiſeau , avec tous les domeftiques
convenables.
Formofante , qui n'étoit jamais fortie
du palais du roi ſon pere , fut ravie
d'avoir un pélerinage à faire. Qui fait ,
diſoit- elle tout bas à ſon coeur , ſi les dieux
n'inſpireront pas à mon cher Gangaride
le même defir d'aller à la même chapelle
, & fi je n'aurai pas le bonheur de
revoir le pélerin ? Elle remercia tendrement
ſon pere , en lui diſant qu'elle avoit
eu toujours une ſecrette dévotion pour le
faint chez lequel on l'envoyoit. Elle alla
enfuite ſe promener dans les jardins avec
fon cher oiſeau , qui , pour l'amuſer , vola
d'arbre en arbre en étalant ſa ſuperbe
queue & fon divin plumage. Le roi d'Egypte
fortoit de table ; il étoit chaud de
vin , pour ne pas dire yvre ; il demanda
un arc & des fleches à un de ſes pages. Ce
prince étoit à la vérité l'archer le plus mal
adroit de fon royaume : quand il tiroit
au blanc , la place où l'on étoit le plus en
fûreté étoit le but où il viſoit. Mais le
bei oiſeau , en volant auſſi rapidement que
la fleche , ſe préſenta lui-même au coup
& tomba tout ſanglant entre les bras de
JUILLET 1768 . 37
Formoſante. L'Egyptien , en riant d'un
fot rire , ſe retira. La princeſſe perça le
cielde ſes cris , fondit en larmes , ſe meurtrit
les joues & la poitrine. L'oiſeau mourant
lui dit tout bas , brûlez- moi , & ne
manquez pas de porter mes cendres vers
l'Arabie heureuſe , & de les expoſer au
foleil fur un petit bûcher de gérofle & de
canelle. Après avoir proféré ces paroles
il expira. Formoſante reſta long - temps
évanouie , & ne revit le jour que pour
éclater en ſanglots. Son pere , partageant
ſa douleur , & faiſant des imprécations
contre le roi d'Egypte , ne douta pas que
cette aventure n'annonçât un avenir finiftre.
Sa fille éplorée fit rendre à l'oiſeau les
honneurs funebres qu'il avoit ordonnés
& réſolut de le porter en Arabie au péril
de ſes jours. Il fat brûlé dans du lin incombuſtible
, avec l'oranger ſur lequel il avoit
couché : elle en recueillit la cendre dans
un petit vaſe d'or. Enſuite elle ſe mit en
route à trois heures du matin, ſe flattant
bien qu'elle pourroit aller en Arabie exécuter
les dernieres volontés de fon oiſeau.
Elle ſuivoit le chemin de Baſfora. Ala
troiſieme couchée , à peine étoit- elle entrée
dansunehôtellerie , qu'elle apprit que
le roi d'Egypte y entroit auſſi. Inſtruit de
38 MERCURE DE FRANCE.
la marche de la princeſſe par ſes eſpions,
il l'avoit ſuivie accompagné d'une nombreuſe
eſcorte. Il monte dans la chambre
de la belle Formoſante , & lui dit : mademoiſelle
, c'eſt vous précisément que je
cherchois ; vous avez fait très- peu de cas
de moi lorſque j'étois à Babylone ; il eſt
juſte de punir les dédaigneuſes & les
capricieuſes ; vous aurez , s'il vous plaît ,
la bonté de ſouper avec moi ce foir , & je
me conduirai avec vous , felon que j'en
ferai content.
Formoſante vit bien qu'elle n'étoit pas
la plus forte ; elle ſavoit que le bon eſprit
conſiſte à ſe conformer à ſa ſituation ;
elle prit le parti de ſe délivrer du roi
d'Egypte par une innocente adreſſe : elle
le regarda du coin de l'oeil ; ce qui plufieurs
ſiècles après s'eſt appellé lorgner ;
&voici comme elle lui parla , avec une
modeſtie , une grace , une douceur , un
embarras , & une foule de charmes qui .
auroient rendu fou le plus fage des hommes
, & aveuglé le plus clair-voyant.
Je vous avoue , monfieur , que je baiffai
toujours les yeux devant vous quand
vous fîtes l'honneur au roi , mon pere ,
de venir chez lui. Je craignois, mon coeur,
je craignois ma ſimplicité trop naïve : je
JUILLET 1768. 39
tremblois que mon pere & vos rivaux ne
s'apperçuſſent de la préférence que je vous
donnois , & que vous méritez ſi bien ; je
puis à préſent me livrer à mes fentimens.
Vos propoſitions m'ont enchantée ; j'ai
déja foupé avec vous chez le roi, mon
pere , j'y ſouperai bien encore ici. J'ai
d'excellent vin de Chiras , je veux vous
en faire goûter ; tout ce que je vous demande
c'eſt de permettre que mon apoticaire
vienne me parler ; les filles ont toujours
de certaines petites incommodités
qui demandent de certains foins , comme
vapeurs de tête , battemens de coeur , coliques
, étouffemens , auxquels il faut mettre
un certain ordre dans de certaines circonftances
; en un mot , j'ai un beſoin preſſant
de mon apoticaire , & j'eſpere que vous
ne me refuſerez pas cette légere marque
d'amour.
1
-Jevais ordonner qu'il viennevous parler
en attendant le fouper ; je conçois que
vousdevez être un peu fatiguée du voyage;
vous devez auſſi avoir beſoin d'une femme
de chambre ; vous pouvez faire venir celle
qui vous agréera davantage ; j'attendrai
enfuite vos ordres & votre commodité. II
ſe retira; l'apoticaire &lafemmedechambre
,nommée Irla , arriverent. La princeffe
40 MERCURE DE FRANCE.
avoit en elle une entiere confiance ; elle lui
ordonna de faire apporter fix bouteilles de
vinde Chiras pour le ſouper , &d'en faire
boire de pareil à toutes les ſentinelles ; puis
elle recommanda à l'apoticaire de faire
mettre dans toutes les bouteilles certaines
drogues de ſa pharmacie qui faisoient dormir
les gens 24 heures , & dont il étoit
toujours pourvu. Elle fut ponctuellement
obéie , le fouper fut très-gai , le roi vuida
les bouteilles : la femme de chambre eut
ſoin d'en faire boire aux domeſtiques qui
avoient fervi . Pour la princeſſe , elle eut
grande attention de n'en point boire , difant
que fon médecin l'avoit miſe au régime.
Tout fut bientôt endormi.
Formoſante s'étant munie de fon urne
&de ſes pierreries , fortit de l'hôtellerie
à travers les ſentinelles qui dormoient
comme leur maître. La ſuivante avoit eu
ſoinde faire tenir à la poſte des chevaux
prêts. Les deux fugitives arriverent en
vingt-quatre heures à Baffora , avant que
le roi fût éveillé : Elles fréterent au plus
vîte un vaiſſeau , qui les porta , par le détroitd'Ormus
, dans l'Arabie heureuſe.Dès
que la princeſſe ſe vitdans cette terre , fon
premier ſoin fut de rendre à ſon cher oiſeau
leshonneurs funebres : ſes belles mains
JUILLET 1768 . 41
dreſſferent un petit bûcher de gérofle & de
canelle. Quelle fut ſa ſurpriſe lorſqu'ayant
répandu les cendres de l'oiſeau ſur ce bucher
, elle le vit s'enflammer de lui-même !
Tout fut bientôt confumé , il ne parut à
la place des cendres qu'un gros oeuf, dont
elle vit fortir ſon oiſeau plus brillant qu'il
ne l'avoit jamais été. Je vois bien , lui
dit-elle , que vous êtes le phénix dont on
m'avoit tant parlé. Songez que les premieres
paroles que vous m'avez dites àBabylone
me flatterent de l'eſpérance de re--
voir mon cher berger ; il faut abſolument
que nous allions enſemble chez les Gangarides.
C'eſt bien mon deſſein , dit le
phénix , il faut aller trouver Amazan par
le plus court chemin , c'est- à-dire par les
airs. Il y a , dans l'Arabie heureuſe , deux
gtiffons mes amis intimes , je vais leur
écrire par la poſte aux pigeons ; ils viendront
avant la nuit. Nous aurons tout le
tems de vous faire travailler un petit canapé
commode. Vous ferez très à votre
aiſe dans cette voiture , avec votre demoiſelle.
Les deux griffons font les plus
vigoureux de leur eſpece ; chacun d'eux
tiendra un bras du canapé entre ſes griffes.
Le canapé fut achevé en quatre heures.
Formoſante & Irla s'y placerent ; les deux
:
42 MERCURE DE FRANCE.
griffons l'enleverent comme une plume.
Le phénix tantôt voloit auprès , tantôt fe
perchoit ſur le doſſier. Les deux griffons
cinglerent vers le Gange , avec la rapidité
d'une fleche qui fend les airs. Le phénix
fit arrêter la voiture devant la maifon
d'Amazan , il demanda à lui parler ; mais
il y avoit trois heures qu'il en étoit parti ,
ſans qu'on ſçût où il étoit allé. Il n'y a
point de termes , dans la langue même
des Gangarides , qui puiſſent exprimer le
déſeſpoir dont Formoſante fut accablée.
Le phénix demanda aux domeſtiques , ſi
on pouvoit faluer la mere d'Amazan ? Ils
répondirent que ſon mari étoit mort l'avant-
veille , & qu'elle ne voyoit perſonne.
Le phénix , qui avoit du crédit dans la
maiſon , ne laiſſa pas de faire entrer la
princeffe. Formoſante lui fit d'abord ſes
triſtes complimens ſur la mort de fon mari.
Hélas! dit la veuve , vous devez vous intéreſſer
à ſa perte plus que vous ne penſez.
J'en ſuis touchée ſans doute , dit Formoſante
; il étoit le pere de .
ces mots elle pleura. Je n'étois venue que
pour lui , & à travers bien des dangers.
J'ai quitté pour lui mon pere , & la plus
brillante cour de l'univers. La mere lui
dit alors:Madame, lorſque le roi d'Egypte
.A
JUILLET 1768. 43
vous raviſſoit , lorſque vous foupiez avec
lui dans un cabaret fur le chemin de Baffora
, lorſque vos belles mains lui verſoient
du vin de Chiras , vous ſouvenez-vous
d'avoir va un merle qui voltigeoit dans
la chambre ? Vraiement oui , vous m'en
rappellez la mémoire , je n'y avois pas
fait d'attention; mais en recueillant mes
idées , je me ſouviens très-bien qu'au moment
que le roi d'Égypte ſe levade table
pour me donner un baiſer , le merle s'envola
par la fenêtre en jettant un grand cri ,
& ne reparut plus.
Hélas ! Madame , reprit la mere d'Amazan
, voilà ce qui fait précisément le
ſujet de nos malheurs. Mon fils avoit envoyé
le merle s'informer de l'état de votre
ſanté & de tout ce qui ſe paſſoit à Babylone;
il comptoit revenir bientôt ſe mettre
à vos pieds & vous conſacrer ſa vie.
Le merle , ſaiſi d'une juſte indignation ,
s'envolaen maudiſſantvos funeſtes amours;
il eſt revenu aujourd'hui ; il a tout conté.
Mon fils ne pourra ſurvivre à la douleur
que lui a cauſée votre baifer donné au roi
d'Égypte.
Ah ! s'écria la belle Formoſante , je jure
quecebaifer funeſte , loin d'être criminel ,
étoit la plus forte preuve d'amour que je
44 MERCURE DE FRANCE.
puſſe donner à votre fils. Je déſobéiffois
à mon pere pour lui ; j'allois pour lui de
l'Euphrate au Gange ; tombée entre les
mains de l'indigne Pharaon d'Egypte , je
nepouvois lui échapper qu'en le trompant.
J'en atteſte les cendres & l'ame du phénix
qui étoient alors dans ma poche ; il peut
me rendre juſtice.
Le phénix juſtifia la princeſſe du crime
que lui imputoitle merle , d'avoirdonné,
par amour , un baifer au roi d'Égypte ;
mais il falloit détromper Amazan & le
ramener. Il envoye des oiſeauxſur tous les
chemins ; il met en campagne les licornes ;
on lui rapporte enfin qu'Amazan a pris la
route de la Chine. Eh bien , allons à la
Chine , s'écria la princeſſe , le voyage n'eſt
pas long.
Le phénix commanda ſur le champ un
carroſſe à fix licornes ; la mere fournit
deux cents cavaliers , & fit préſent à la
princeſſe de quelques milliers des plus
beaux diamans du pays.
Les licornes en moins de huit jours amenerent
Formoſante , Irla & le phénix à
Cambalu , capitale de la Chine.
Dès que l'empereur eut appris que la
princeſſe de Babylone étoit à une porte de
la ville , il lui dépêcha quatre mille manJUILLET
1768 . 45
darins en robes de cérémonies ; tous ſe
proſternerent devant elle , & lui préſenterent
chacun un compliment écrit en
lettres d'or , ſur une feuille de ſoie pourpre.
Formoſante leur dit que ſi elle avoit
quatre mille langues , elle ne manqueroit
pas de répondre ſur le champ à chaque
mandarin; mais que n'en ayant qu'une, elle
les prioit de trouver bon qu'elle s'en fervît
pour les remercier tous en général. Ils
la conduifirent reſpectueuſement chez
l'empereur.
C'étoit le monarque de la terre le plus
juſte , le plus poli & le plus ſage. Ce fut
lui qui le premier laboura un petit champ
de ſes mains impériales , pour rendre l'agriculture
reſpectable à ſon peuple. Il éta
blit le premier des prix pour la vertu,
Les loix , par-tout ailleurs , étoient honteuſement
bornées à punir les crimes.
L'empereur de la Chine en dînant tête
à tête avec la princeſſe de Babylone , eut
la politeſſe de bannir l'embarras de toute
étiquette gênante ; elle lui préſenta le
phenix , qui ſe percha ſur ſon fauteuil,
Formoſante , ſur la fin du repas , lui confia
ingénuement le ſujet de ſon voyage ,
&le pria de faire chercher dans Cambalu
le bel Amazan, dont elle lui conta l'aven
46 MERCURE DE FRANCE.
ture, ſans lui rien cacher de la fatale paffion
dont ſon coeur étoit enflammé pour
ce jeune héros. Aqui en parlez-vous , lui
dit l'empereur? Il m'a fait le plaifir de venir
dans ma cour , il m'a enchanté , cet
aimable Amazan. Il eſt vrai qu'il eſt profondément
affligé ; mais ſes graces n'en
font que plus touchantes.Aucun de mes
favoris n'a plus d'eſprit que lui ; nul
mandarin de robe n'a de plus vaſtes connoiſſances
; nul mandarin d'épée n'a l'air
plus martial & plus héroïque ; ſon extrême
jeuneſſe donne un nouveau prix à tous
fes talens. Ah ! Monfieur , lui dit Formofante
, avec un air enflammé , & un ton
de reproche , pourquoi ne m'avez- vous
pas fait dîner avec lui ? Vous me faites
mourir ; envoyez-le prier tout à l'heure.
Madame , il eſt parti ce matin , & il n'a
pointdit dans quelle contrée il portoit
fespas.
Une princeſſe du ſang , des plus aimables
, s'eſt épriſe de paſſion pour lui , &
lui a donné un rendez-vous chez elle à
midi ; il eſt parti au point du jour , & il a
laiſfé ce billet qui a coûté bien des larmes
àma parente.
«Belle princeſſe du ſang de la Chine ,
>vous méritez un coeur qui n'ait jamais
JUILLET 1768. 47
» été qu'à vous ; j'ai juré aux dieux im-
>> mortels de n'aimer jamais que Formo-
>> ſante , princeſſe de Babylone , &de lui
>> apprendre comment on peut dompter
>> ſes deſirs dans ſes voyages ; elle a eu le
>> malheur de ſuccomber avec un indigne
>>roi d'Egypte : je ſuis le plus malheureux
>>des hommes : j'ai perdu mon pere & le
>> phénix , & l'eſpérance d'être aimé de
>>Formoſante. J'ai quitté ma mere affli-
>> gée , ma patrie , ne pouvant vivre un
» moment dans les lieux où j'ai appris
>> que Formoſante en aimoit un autre que
» moi. J'ai juré de parcourir la terre &
>> d'être fidelle ; vous me mépriſeriez , &
>> les dieux me puniroient , ſi je violois
>> mon ferment : prenez un amant , Ma-
» dame , & foyez auſſi fidelle que moi».
Ah! laiſſez-moi cette étonnante lettre ,
ditla belle Formoſante , elle ſera ma conſolation
; je ſuis heureuſe dans mon infortune.
Amazan m'aime , Amazan renonce
pour moi à la poſſeſſion des princeſſes de
la Chine ; il me donne un grand exemple
: le phénix fait que je n'en avois pas
beſoin ; il eſt bien cruel d'être privé de
fon amant pour le plus innocent des baiſers
donné par pure fidélité ; mais enfin ,
où est-il allé ? quel chemin a-t-il pris ?
!
48 MERCURE DE FRANCE.
Daignez me l'enſeigner & je pars. L'empereur
de la Chine lui répondit qu'il
croyoit , fur les rapports qu'on lui avoit
faits , que fon amant avoit ſuivi une route
qui menoitdans l'empire des Cimmériens.
Aufſi- tôt les licornes furent attelées , & la
princeſſe , après les plus tendres complimens
, prit congé de l'empereur avec le
phénix , ſa femme de chambre Irla , &
toute ſa ſuite.
Bientôt ils arriverentdans la capitale des
Cimmériens , que l'impératrice regnante
faiſoit embellir. Mais elle n'y étoit pas ,
elle voyageoit alors des frontieres de l'Europe
à celles de l'Aſie , pour connoître ſes
états par ſes yeux , pour juger des maux ,
porter les remedes pour accroître les
avantages , pour ſemer l'inſtruction.
د
Un des principaux officiers de cette
ancienne capitale , inſtruit de l'arrivée de
la Babylonienne & du phénix , s'empreſſa
de rendre ſes hommages à la princeſſe ,
&de lui faire les honneurs du pays , bien
fûr que fa maîtreſſe , qui étoit la plus
polie & la plus magnifique des reinos ,
lui ſauroit gré d'avoir reçu une ſi grande
dame avec les mêmes égards qu'elle auroit
prodigués elle-même.
Le phénix lui avoua qu'il avoit autrefois
JUILLET 1768. 49
fois voyagé chez les Cimmériens , qu'il
ne reconnoiſſoit plus le pays. Comment
de ſi prodigieux changemens , diſoit- il ,
ont-ils pu être opérés dans un temps ſi
court ? Il n'y a pas trois cents ans , que je
vis la nature ſauvage dans toute fon horreur
; j'y trouve aujourd'hui les artss ,, la
ſplendeur , la gloire & la politeſſe. Un
ſeulhomme acommencé ce grand ouvrage,
répondit le Cimmerien ; une femme l'a
perfectionné ; une femme a été meilleure
légiſlatrice que l'Iſis des Egyptiens , & la
Cérès des Grecs.
Notre impératrice embraſſe des projets
entierement oppoſés ; elle conſidere fon
vaſte état ſur lequel tous les méridiens
viennent ſe joindre , comme devant correſpondre
à tous les peuples qui habitent
fous ces différens méridiens. Elle a lié fa
nation à toutes les nations du monde ; &
les Cimmériens vont regarder le Scandinavien
& le Chinois comme leurs freres.
Ainſi elle a mérité le titre de mere de la
patrie ; & elle aura celui de bienfaitrice
dugenre humain,
Le phénix demanda des nouvelles de
ſon ami Amazan ; le Cimmérien lui conta
les mêmes choſes qu'on avoit dites à la
princeſſe chez les Chinois. Amazan s'enfuyoit
de toutes les cours qu'il viſitoit,
Vol. I. C
JO MERCURE DE FRANCE.
fitôt qu'une dame lui avoit donné un rendez-
vous , auquelil craignoitde ſuccomber,
Le phénix inſtruiſit bientôt Formofante
decette nouvelle marque de fidélité qu'Amazan
lui donnoit , fidélité d'autant plus
étonnante , qu'il ne pouvoit pas ſoupçonner
que ſa princeſſe en fût jamais informée.
Il étoit parti pour Scandinavie. Ce fut
dans ces climats , que des ſpectacles nouveaux
frapperent encore ſes yeux : ici la
royauté & la liberté ſubſiſtoient enfemble
, par un accord qui paroît impoffible
dansd'autres états: les agriculteurs avoient
part à la légiflation, auſſi bien que lesgrands
du royaume ; & un jeune prince donnoit
les plus grandes eſpérances d'être digne
de commander à une nation libre. Là
c'étoit quelque choſe de plus étrange ; le
ſeul roi qui fût deſpotique de droit fur la
terre, par un contrat formel avec ſon peuple,
étoit en même temps le plusjeune&
le plus juſte des rois .
Chez les Sarmates, Amazan vit un philoſophe
ſur le trône ; on pouvoit l'appeller
le roi de l'anarchie ; car il étoit le chefde
cent mille petits rois , dont un ſeul pouvoit,
d'un mot , anéantir les réſolutions
de tous les autres. Eole n'avoit pas plus
de peine à contenir tous les vents qui ſe
JUILLET 1768 . SI
combattent ſans ceſſe , que ce monarque
n'en avoit à concilier les eſprits ; c'étoit
un pilote environné d'un éternel orage ;
&cependant le vaiſſeau ne ſe briſoit pas ,
car le prince étoit un excellent pilote.
En parcourant tous ces pays , ſi différens
de ſa patrie , Amazan refuſoit conftamment
toutes les bonnes fortunes qui
ſe préſentoient à lui , toujours déſeſpéré
du baifer que Formoſante avoit donné au
roi d'Egypte , toujours affermi dans ſon
inconcevable réſolution de donner à Formoſante
l'exemple d'une fidélité unique
& inébranlable. La princeſſe de Babylone ,
avec le phénix , le ſuivoit par- tout à la
piſte , & ne le manquoit jamais que d'un
jour ou deux , fans que l'un ſe laſſat de
courir , & fans que l'autre perdît un moment
à le ſuivre.
Amazan arriva chez les Bataves ; fon
coeur éprouva une douce ſatisfaction dans
fon chagrin , d'y retrouver quelque foible
image du pays des heureux Gangarides ;
la liberté , l'égalité , la proprété , l'abondance;
mais les dames du pays étoient
fi froides , qu'aucune ne lui fit d'avances ,
comme on lui en avoit fait par- tout ailleurs
; il n'eut pas la peine de réſiſter . S'il
avoit voulu attaquer ces dames , il les
auroit toutes ſubjuguées l'une après l'autre
Cij
52
MERCURE DE FRANCE.
ſans être aimé d'aucune ; mais il étoit bien
éloigné de ſonger à faire des conquêtes.
Il avoit entendu parler avec tant d'éloges
d'une certaine ifle nommée Albion ,
qu'il s'étoit déterminé à s'embarquer , lui
&ſes licornes , ſur un vaiſſeau qui , par un
vent favorable , l'avoit porté en quatre heuresau
rivagedecette terre ,plus célebre que
Tyr&que l'iſle Atlandide. Labelle Formoſante,
qui l'avoit ſuivi au bordde la Duina,
de la Viſtule , de l'Elbe , du Vezer, arrive
enfin aux bouches du Rhin. Elle apprend
que fon cher amant a vogue aux côtes
d'Albion ; elle loue deux vaiſſeaux pour
ſe tranſporter , avec tout fon monde , dans
cette bienheureuſe iſle , qui alloit poſſéder
l'unique objet de tous ſes defirs.
Un vent funeſte s'éleva tout-à-coup ,
dans le moment même où le fidèle &
malheureux Amazan mettoit pied à terre
en Albion ; les vaiſſeaux de la princeſſe
de Babylone ne purent démarer. Un ferxement
de coeur , une douleur amere , une
mélancolie profonde ſaiſirent Formoſante;
elle ſemit au lit dans ſa douleur , en attendant
que le vent changeât. Elle ſe faifoit
lire par Irla des romans ; ce n'eſt pas que
les Bataves en ſuſſent faire ; mais , comme
ils étoient les facteurs de l'univers , ils
vendoient l'eſprit des autres nations aind
JUILLET 1768. 53
que leurs denrées. La princeſſe fit acheter
tous les contes que l'on avoit écrits chez
les Aufoniens & chez les Welches. Irla
lifoit , & la Princeſſe ne trouvoit rien
dans la Paysanne parvenue , ni dans Tanfay,
ni dans le Sopha , ni dans les quatre
Facardins , qui eût le moindre rapport à
ſes aventures ; elle interrompoit à tout
moment la lecture, pour demander de quel
côté venoit le vent.
Cependant Amazan étoit déja ſur le
cheminde la capitale d'Albion , dans ſon
carroſſe à fix licornes , & rêvoit à ſa princeffe
: il apperçut un équipage verſé dans
un fofſfé ; les domeſtiques s'étoient écartés
pour aller chercher du ſecours ; le maître
de l'équipage reſtoit tranquillement
dans ſa voiture , ne témoignant pas la
plus légere impatience , & s'amuſant à
fumer. Il ſe nommoit Mylord Whatthen ,
ce qui ſignifie à peu près , Mylord Qu'importe,
en la langue dans laquelle je traduis
cesmémoires.
Amazan ſe précipita pour lui rendre
ſervice ; il releva tout ſeul la voiture ,
tant ſa force étoit ſupérieure à celle des
autres hommes. Mylord Qu'Importe ſe
contenta de dire : voilà un homme bien
vigoureux. Des ruſtres du voiſinage étant
accourus , ſe mirent en colere de ce qu'on
Çiij
54
MERCURE DE FRANCE.
les avoit fait venir inutilement , & s'en
prirent à l'étranger ; ils le menacerent en
l'appellant chien d'étranger , & ils voulurent
le battre.
Amazan en ſaiſit deuxde chaque main ,
& les jetta à vingt pas ; les autres le refpecterent
, le ſaluerent , lui demanderent
pour boire ; il leur donna plus d'argent
qu'ils n'en avoient jamais vu. Mylord
Qu'Importe lui dit , je vous eſtime; venez
dîner avec moi dans ma maiſon de campagne,
qui n'eſt qu'à trois milles : il monta
dans la voiture d'Amazan , parce que la
ſienne étoit dérangée par la ſecouſſe.
Après un quart-d'heure de filence , il
regarda un moment Amazan , & lui dit ,
how dye do , à la lettre comment faitesyous
faire ; & dans la langue du traducteur
, comment vous portez- vous. Ce qui
ne veut rien dire du tout en aucune langue
; puis il ajouta , vous avez-là fix jolies
licornes ; & il ſe remit à fumer.
Il avoit une fenime jeune & charmante,
à qui la nature avoit donné une ame aufli
fenfible, que cellede fon mari étoit indifférente.
Pluſieurs ſeigneurs Albioniens
étoient venus ce jour-là dîner avec elle.
Il ſe trouva , dans la compagnie , des gens
très- aimables , d'autres d'un eſprit ſupérieur
, quelques - uns d'une ſcience pro
fonde.
JUILLET 1768. 55
La maîtreſſe de la maiſon n'avoit rien
de cet air emprunté & gauche , de cette
roideur , de cette mauvaiſe honte qu'on
reprochoit alors aux jeunes femmes d'Albion;
elle ne cachoit point , par un maintien
dédaigneux , & par un filence affecté ,
la ſtérilité de ſes idées , & l'embarras humiliant
de n'avoir rien à dire : nulle femme
n'étoit plus engageante. Elle reçut Amazan
avec la politeſſe& les graces qui lui étoient
naturelles. L'extrême beauté de ce jeune
étranger , & la comparaiſon ſoudaine
qu'elle fit entre lui & ſon mari , la frapperent
d'abord ſenſiblement.
Après le dîner , pendant que Myladi
verſoit du thé , & qu'elle dévoroit des
yeux le jeune homme , il s'entretenoit
avec un ſeigneur , de la conſtitution , des
moeurs , des loix , des forces , des uſages ,
des arts qui rendoient ce pays ſi recommandable
; & ce ſeigneur lui parloit en
ces termes .
Nous avons long-temps marché tout
nuds , quoique le climat ne ſoit pas chaud.
Nous avons été long- temps traités en
eſclaves par des gens venus de l'antique
terre de Saturne , arroſée des eaux du
Tibre , & appellée les ſept montagnes.
Après ces temps d'aviliſſement, ſont venus
des ſiecles de férocité & d'anarchie. Notre
Civ
;
56 MERCURE DE FRANCE.
terre , plus orageuſe que les mers qui l'environment
, a été ſaccagée & enfanglantée
par nos diſcordes ; pluſieurs têtes couronnées
ont péri par le dernier fupplice : plus
de cent princes du fang des rois ont fini
leurs jours ſur l'échaffaud. On a arraché
le coeur à tous leurs adhérens , & on en a
battu leurs joues. C'étoit au boureau qu'il
appartenoit d'écrire l'hiſtoire de notre iſle ,
puiſque c'étoit lui qui avoit terminé toutes
les grandes affaires. Qui croiroit que de
cet abîme épouvantable d'atrocités , il eſt
enfin réſulté le plus parfait gouvernement
peut- être , qui ſoit aujourd'hui dans le
monde ? Un roi honoré & riche , tout
puiſſant pour faire le bien , impuiſſant
pour faire le mal , eſt à la tête d'une
nation libre , guerriere , commerçante &
éclairée. Les grands d'un côté , & les
repréſentans des villes de l'autre , partagent
la législation avec le monarque. Nos.
Hottes victorieuſes portent notre gloire fur
toutes les mers ; & les loix mettent en
fûreté nos fortunes : jamais un juge ne
peut les expliquer arbitrairement : jamais
on ne rend un arrêt qui ne ſoit motivé .
Il est vrai qu'il y a toujours chez nous
deux partis qui ſe combattent avec la
plume & avec des intrigues ; mais auſſi
ils ſe réuniffent toujours quand il s'agit
JUILLET 1768 . 57
de prendre les armes pour défendre la
patrie & la liberté. Ces deux partis veillent
l'un ſur l'autre ; ils s'empêchent
mutuellement de violer le dépôt ſacré des
loix ; ils ſe haïſſent , mais ils aiment l'état :
ce ſont des amans jaloux , qui ſervent à
l'envi la même maîtreſſe .
Amazan , à ce diſcours , ſe ſentit pénétré
du defir de paſſer ſa vie dans l'ifle
d'Albion ; mais ce malheureux baifer ,
donné par ſa Princeſſe au roi d'Egypte , ne
lui laiſſoit pas affez de liberté dans l'efprit.
:
Je vous avoue , dit - il , que m'ayant
impoſé la loi de courir le monde , & de
m'éviter moi-même , je ſerois curieux de
voir cette antique terre de Saturne , ce
peuple du Tibre & des ſept montages , à
qui vous avez obéi autrefois , il faut fans
doute que ce ſoit le premier peuple de
la terre. Je vous conſeille de faire ce
voyage , lui répondit l'Albionien , pour
peu que vous aimiez la muſique & la
peinture. Nous allons très-ſouvent nousmêmes
porter quelquefois notre ennui
vers les ſept montagnes. Mais vous ferez
bien étonné en voyant les deſcendans de
nos vainqueurs.
Cetteconverſation fut longue. Quoique
le bel Amazan eût la cervelle un peu atta-
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
quée , il parloit avec tant d'agrémens , fa
voix étoit ſi touchante , fon maintien fi
noble & fi doux , que la maîtreſſe de la
maiſon ne put s'empêcher de l'entretenir
à fon tour tête à tête. Elle lui ſerra tendrement
la main ſelon ſa coutume ; il fit
à la dame une réponſe reſpectueuſe , par
laquelle il lui repréſentoit la ſainteté de
fon ferment , & l'obligation étroite où il
étoit d'apprendre à la princeſſe de Babylone
à dompter ſes paſſions ; après quoi
il fit atteler ſes licornes , & repartit pour
la Batavie , laiſſant toute la compagnie
émerveillée de lui , & la dame du logis
déſeſpérée.
De ſon côté Formoſante voloit vers
Albion, avec ſes deux vaiſſeaux qui cingloient
à pleines voiles ; celui d'Amazan
&celui de la princeſſe ſe croiferent , ſe
toucherent preſque ; lesdeux amans étoient
près l'un de l'autre & ne pouvoient s'en
douter : ah , s'ils l'avoient ſou ! mais
l'impérieuſe deſtinée ne le permit pas. !
Si - tôt qu'Amazan fut débarqué fur le
terrein égal & fangeux de la Batavie , il
partit comme un éclair pour la ville aux
ſept montagnes. Il fallut traverſer la partie
méridionale de la Germanie. De quatre
milles en quatre milles , on trouvoit un
prince&une princeſſe , des filles d'honneur&
des malheureux. Il étoit étonné
JUILLET 1768. 59
des coquetteries que ces filles d'honneur
lui faifoient par-tout avec la bonne foi
germanique ; il n'y répondoit que par de
modeſtes refus.
Après avoir franchi les Alpes , il s'embarqua
ſur la mer de Dalmatie , &
aborda dans une ville qui ne reſſembloit
à rien du tout de ce qu'il avoit vu jufqu'alors.
La mer formoit les rues ; les
maiſons étoient bâties dans l'eau. Le peu
de places publiques qui ornoient cette
ville , étoit couvert d'hommes & de femmes
qui avoient un double viſage , celui
que la nature leur ayoit donné , & une
facedecartonmalpeint,qu'ils appliquoient
par-deſſus ; en forte que la nation fembloit
compoſée de ſpectres. Les étrangers
qui venoient dans cette contrée , commen--
çoient par acheter un viſage , comme on
ſe pourvoit ailleurs de bonnets & de ſouliers.
Amazan dédaigna cette mode contre
nature ; il ſe préſenta tel qu'il étoit. Il
y avoit dans la ville douze mille filles
enregiſtrées dans le grand livre de la république
; filles utiles à l'état , chargées du
commerce le plus avantageux & le plus
agréable qui ait jamais enrichi une nation.
Les négocians ordinaires envoyoient à
grands frais & à grands riſques , des étoffes
dans l'Orient : ces belles négociantes fai-
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
:
foient , fans aucun riſque , un trafic toujours
renaiſſant de leurs attraits. Elles
vinrent toutes ſe préſenter au bel Amazan
&lui offrir le choix. Il s'enfuit au plus
vîte , en prononçant le nom de l'incomparable
princeſſede Babylone , &en jurant
par les dieux immortels , qu'elle étoit plus
belleque toutes les douze mille filles Vénitiennes.
Enfin les ondes jaunes du Tibre ſe préſenterent
à ſes yeux , & lui annoncerent
qu'il étoit à la porte de la ville aux fept
montagnes , de cette ville de héros & de
légiſlateurs qui avoient conquis & policé
une grande partie du globe.
Il s'étoit imaginé qu'il verroit à la porte
triomphale cinq cent bataillons commandés
par des héros , & dans le ſénat une
aſſemblée de demi-dieux donnant des loix
à la terre ; il trouva pour toute armée une
trentainedefoldats qui montoient la garde,
avec un parafol , de peur du ſoleil. Ayant
pénétré juſqu'à un temple qui lui parut
très-beau , mais moins que celui de Babylone
; il fut aſſez furpris d'y entendre une
muſique exécutée par des hommes qui
avoient des voix de femmes.
Voilà , dit-il, unplaiſant paysque cette
antique terre de Saturne. J'ai vu une ville
où perſonne n'avoit ſon viſage ; en voici
JUILLET 1768. 61
une autre , où les hommes n'ont ni leur
yoix ni leur barbe.
Les Ardens , dont le métier étoit de
montrer aux étrangers les curioſités de
la ville , s'empreſſerent de lui faire voir
des mazures où un muletier ne voudroit
pas paffer la nuit , mais qui avoient été
autrefois de dignes monumens de la grandeur
d'un peuple roi. Il vit encore des
tableaux de deux cents ans , & des ſtatues
de plus de vingt ſiecles , qui lui parurent
des chefs-d'oeuvres. Faites-vous encore de
pareils ouvrages ? Non , votre excellence ,
lui repondit un des ardens , mais nous
mépriſons le reſte de la terre , parce que
nous conſervons ces raretés .
De province en province, ayant toujours
repouffé les agaceries de toute eſpece ,
toujours fidelle à la princeſſe de Babyloné,
toujours en colere contre le roi d'Egypte
, ce modele de conſtance parvint à
la capitale nouvelledesGaules. Cette ville
avoitpaffé , comme tantd'autres , par tous
lesdegrés de labarbarie,de l'ignorance, de
la fottiſe &de la miſere. Son premier nom
avoit été la boue & la crotte ; enſuite elle
avoit pris celui d'Iſis , du culte d'Iſis parvenu
juſques chez elle. Son premier fé-
*nat avoit été une compagnie de bateliers.
Elle avoit été long-temps efclave des hé
MERCURE DE FRANCE.
:
tos déprédateurs des ſept montagnes , &
après quelques ſiecles , d'autres héros brigands
, venus de la rive ultérieure du Rhin ,
s'étoient emparés de ſon petit terrein.
Le temps qui change tout , en avoit fait
une ville dont la moitié étoit très-noble
& très agréable , l'autre un peu groffiere
& ridicule : c'étoit l'emblême de ſes habitans.
Il y avoit dans ſon enceinte environ
cent mille perſonnes au moins , qui
n'avoient rien à faire qu'à jouer & à ſe
divertir. Ce peuple d'oiſifs jugeoit des
arts que les autres cultivoient. Ils ne ſçavoient
rien de ce qui ſe paſſoit à la Cour ;
quoiqu'elle ne fût qu'à quatre petits milles
d'eux , il ſembloit qu'elle en fût à fix cent
mille au moins. La douceur de la ſociété ,
la gaieté , la frivolité étoient leur importante
&leur unique affaire. On les gou-
-vernoit comme des enfans à qui l'on prodigue
desjouets pour les empêcher de crier.
Si on leur parloit des horreurs qui avoient,
deux fiecles auparavant , déſolé leur patrie,
& des temps épouvantables où la moitié
de la nation avoit maſſacré l'autre pour
des ſophiſmes , ils diſoient qu'en effet cela
-n'étoit pas bien ; & puis ils ſe mettoient
-a rire & à chanter des vaudevilles.
Ce peuple avoit vu s'écouler un fiecle
tierne, pendant lequel les beaux arts s'éle
JUILLET 1768. 63
verentàundegréde perfection qu'on'n'auroit
jamais ofé eſpérer. Les étrangers ve
noient alors , comme à Babylone , admirer
les grands monumens d'architecture , les
prodiges des jardins , les ſublimes efforts
de la ſculpture&de la peinture. Ils étoient
enchantés d'une muſique qui alloit à l'ame
ſans étonner les oreilles.
La vraie poéſie , c'est-à-dire celle qui
eſt naturelle & harmonieuſe , celle qui
parle au coeur autant qu'à l'eſprit , ne fut
connue de la nation que dans cet heureux
fiecle. De nouveaux genres d'éloquence
déployerent des beautés fublimes.
Les theatres fur-tout retentirent de chefsd'oeuvres
dont aucun peuple n'approcha
jamais. Enfin le bon goût ſe répandit dans
toute les profeffions , au point qu'il y
eut de bons écrivains , même chez les
druides.

Tant de lauriers qui avoient élevé leurs
têtes juſqu'aux nues , ſe ſécherent bientôt
dans une terre épuiſée. Il n'en reſta qu'un
très-petit nombre dont les feuilles étoient
d'un verd pâle & mourant. La décadence
fut produite par la facilité de faire , &
par la pareſſe de bien faire , par la fatiété
du beau , & par le goût du biſarre. La
vanité protégea des artiſtes qui ramenoient
les tempsdelabarbarie : cette même vanité,
64 MERCURE DE FRANCE.
enperfécutant les talens véritables, les força
dequiter leur patrie.
On conduifitAmazan à un ſpectacle enchanteur
, compoſé de vers agréables , de
chants délicieux , de danſes qui exprimoient
les mouvemens de l'ame , & de
perſpectives qui charmoient les yeux en
les trompant. Ce genre de plaiſir qui rafſembloit
tant de genres , n'étoit connu que
ſousun nométranger ; il s'appelloit opéra ,
ce qui ſignifioit autrefois , dans la langue
des ſept montagnes , travail ,foin , occupation
, industrie , entrepriſe , befogne ,
affaire. Cette affaire l'enchanta ; une fille
fur- tout le charma par ſa voix mélodieuſe ,
&par les gracesqui l'accompagnoient; cette
fille d'affaire, après le ſpectacle , lui fut préſentée
par unde ſes nouveaux amis. Il lui
fit préſent d'une poignéede diamans. Elle
en fut fi reconnoiſſante , qu'elle ne put le
quitterdu reſte du jour. Il ſoupa avec elle ;
&pendant le repas , il oublia ſa ſobriété ,
& après le repas , il oublia fon ferment
d'être toujours inſenſible à la beauté , &
inexorable aux tendres coquetteries .
La belle princeſſe de Babylone arrivoit
alors avec le phénix & ſa femme de chambre:
elle entra le coeur palpitant d'amour :
toute ſon aime étoit pénétrée de l'inexpri .
mable joie de revoir enfin dans ſon amant
JUILLET 1768. 65
4
le modele de la conſtance. Rien ne put
l'empêcher d'entrer dans ſa chambre ; les
rideaux étoient ouverts ; elle vit le bel
Amazandormant entre les bras d'une jolie
brune. Formoſante jetta un cri de douleur ,
quiretentit dans toute la maiſon , mais qui
ne put éveiller ni ſon amant , ni la fille
d'affaire. Elle tomba pâmée entre les bras
d'Irla. Dès qu'elle eut repris ſes ſens , elle
fortit de cette chambre fatale , avec une
douleur mêlée de rage. Irla s'informa
quelle étoit cette jeune demoiselle qui
paſſoit des heures ſi douces avec le bel
Amazan : on lui dit que c'étoit une fille
d'affaire fort complaiſante , qui joignoit à
ſes talens , celui de chanter avec affez de
grace. O juſte ciel ! ô puiſſant Orofmade !
s'écrioit la belle princeſſe de Babylone
toute en pleurs , par qui fuis-je trahie , &
pour qui ? Ainfi donc celui qui a refuſé
pour moitant de princeſſes , m'abandonne
pourune farceuſe des Gaules !
C'en eſt fait , dit la princeſſe , je ne le
reverrai de ma vie , partons dans l'inſtant.
Amazan à ſon reveil apprend l'arrivée &
le départ de Formoſante &du phénix ; il
apprend le déſeſpoir & le courroux de la
princeſſe ; on lui dit qu'elle a juré de ne
lui pardonner jamais : il ne me reſte plus ,
s'écria-t- il, qu'à la ſuivre &à me tuer à fes
66 MERCURE DE FRANCE.
pieds. Ses amis de la bonne compagnie
des oififs accoururent au bruit de cette
aventure; tous lui remontrerent qu'il valoit
infiniment mieux demeurer avec eux ;
que rienn'étoit comparable à la douce vie
qu'ils menoient dans le ſein des arts , &
d'une volupté tranquille &délicate ; que
pluſieurs étrangers , & des rois même
avoient préféré ce repos ſi agréablement
occupé&fi enchanteeuurr ,, à leur patrie & à
leur trône ; que d'ailleurs ſa voiture étoit
briſée , & qu'un ſellier lui en faiſoit une
à la nouvelle mode ; que le meilleur tailleur
lui avoit déja coupé une douzaine
d'habits du dernier goût ; que les dames
les plus fpirituelles & les plus aimables
de la ville, chez qui on jouoit très-bien
la comédie , avoient retenu chacune leur
jour pour lui donner des fêtes. Rien n'ébranla
fon deſſein de courir après Formoſante."
Il prit congé de ſes amis , en leur re
commandant d'être toujours légers & frivoles
, puiſqu'ils n'en étoient que plus aimables
& plus heureux. Les Germains ,
difoient- ils , font les vieillards de l'Europe;
les peuplesd'Albion ſont leshommes
faits; les habitans de la Gaule ſont les enfans
,&j'aime à jouer avec eux.
Ses guides n'eurent pas de peine à fui
JUILLET 1768. 67
vre la route de la princeffe ; on ne parloit
que d'elle & de ſon gros oiſeau. Tous
les habitans étoient encore dans l'enthouſiaſme
de l'admiration. Les bords de la
Loire , de la Dordogne , de la Garronne ,
de la Gironde retentiſſoient encore d'acclamations.
Quand Amazan fut aux pieds des Pyrénées
, les magiſtrats & les druides du
pays lui furent danſer malgré lui un tambourin
; mais ſitôt qu'il eut franchi les ryrénées
, il ne vit plus de gaieté & de joie.
S'il entendit quelques chanfons de loin en
loin , elles étoient toutes ſur un ton triſte :
la nation vêtue de noir ſembloit être en
deuil. Si les domeſtiques d'Amazan interrogeoient
les paſſans , ceux-ci répondoient
par fignes ; fi on entroit dans une
hôtellerie , le maître de la maiſon enſeignoit
aux gens en trois paroles , qu'il
n'y avoit rien dans la maiſon , & qu'on
pouvoit envoyer chercher , à quelques
mitles , les chofes dont on avoit un beſoin
preffant.
La princeſſe de Babylone avoit mis
pied à terre dans la ville qu'on appella
depuis Sévilla. Son deſſein étoit de s'embarquer
ſur le Bétis , pour retourner par
Tyr à Babylone , revoir le roi Bélus ſon
pere , & oublier , ſielle pouvoit , ſon infi
68 MERCURE DE FRANCE.
delle amant , ou bien le demander en
mariage.
Le phénix rencontra ſur la frontiere de
la Bétique l'amant de la princeſſe& lui
apprit fon chagrin. Amazan , en embrafſant
ſon cher phenix , ne lui dit que ces
triſtes paroles : je ſuis coupable. Il vint
ſe profterner à ſes pieds. Ah ! que vous
êtes aimable , dit-elle , que je vous adorerois
, ſi vous ne m'aviez pas fait une infidélité
avec une fille d'affaire !
Mon deſſein , dit la princeſſe , eſt affurément
de ne jamais me ſéparer de
vous ; mais je crois qu'il convient que je
me rende auprès du roi mon pere , d'autant
plus qu'il ne m'a donné permiffion
que d'aller en pélerinage à Baſſfora , & que
j'ai couru le monde. Ils partent enſemble
dans le même vaiſleau ; & l'invincible
& généreux Amazan , reconnu pour héritier
du royaume de Babylone , entra
dans la ville en triomphe avec le phénix .
La fête de ſon mariage ſurpaſſa en tout
celle que le roi Bélus avoit donnée ; &
ces nôces furent célébrées par cinq cent
grands poëtes de Babylone.
JUILLET 1768 . 69
VERS préſentés à M. de V... pour lejour
de fa fête , par Poufpouf, ſon chien
favori. Air : Attendez-moiſous l'orme.
EN habit fort honnête
Se préſente Poufpouf ,
Pour célébrer la fête.
Du pere à Mizapouf.
Mon cher parrein , j'eſpere
Que vous permettrez bien ,
Que de vous j'oſe faire
Un éloge de chien.
Douceur & complaiſance ;
Prudence & fûreté ,
Ardeur & vigilance ,
Zele & fidélité ,
C'eſt ce qui vous attire
Les coeurs des gens de bien.
L'on aime & l'on admire
Vos qualités de chien.
Par votre gentilleſſe ,
Par vos airs careſſants
Vous flattez ſans baſſeſſe ,;
Mais vous avez des dents,
70 MERCURE DE FRANCE.
De ceux qui le méritent
Vous êtes le gardien ;
Quand les fots vous irritent ,
Vous mordez comme un chien.
Des tréſors du Parnaſſe
Vous êtes défenſeur ;
Vous y donnez la chaſſe
A tout mauvais auteur.
Mais le zele m'inſpire ;
De vous je ne crains rien ;
De grace daignez lire
Mes petits vers de chien .
1
Ces couplets font de M. Favart.
JUILLET 1768. 71
par feu ( 1 ) EPITRE à Madame.
M. DESMAHIS .
Vous ave ous avez un mari jaloux ,
Une foeur prude & ſédentaire :
De ſots parens vous ont cru tous (2 )
De leur honneur dépoſitaire ,
Et vos gens ne ſont point à vous,
De toute amoureuſe entrepriſe ,
C'eſt à qui vous préſervera.
L'un vous obſerve à l'opera ,
L'autre vous conduit à l'égliſe.
A vos regards , qu'ils ont ſurpris,.
Par-tout ils ferment le paſſage ,
Epiant ſur votre viſage
Juſqu'à la trace d'un ſouris.
( 1 ) Cette piece ingénieuſe & remplied'images
neuves & vraies eſt affez peu connue , n'ayant pas
été imprimée. Elle eſt du nombre des meilleurs
morceaux dans ce genre. Il n'y a que très-peu
de vers foibles , & , en général, elle eſt fort ſupé.
rieure à preſque toutes les pieces légeres qu'on
nous fait aujourd'hui , où le mauvais goût eſt
trop ſouvent à côté du talent , & le perlifflage à
laplacede l'eſprit.
(1) Dans la rigueur grammaticale il faudroit
yous ont crue. Mais il ſemble qu'on foit convenu
d'adoucir cette rigueur gênante pour les pieces
légeres.
72 MERCURE DE FRANCE.
Vous ſeriez plus libre en Afie.
Vous ne diſpoſez pas d'un jour.
* Non , la cruelle jalouſie
N'eſt point fille du tendre amour.
Ce monſtre à l'oeil triſte , au teint blême ,
Dans les ténebres écoutant ,
Troublé du bruit qu'il fait lui-même ,
'Ajoute à tout ce qu'il entend ,
Et fait peur en diſant qu'il aime,
Il défend les tendres deſirs ,
Rendus plus vifs par ſa défenſe.
Il permet les autres plaiſirs ,
Toujours détruits par ſa préſence.
En vain l'éclat des diamans
Orne vos graces naturelles.
En vain à nos pieces nouvelles
Vous brillez de mille agrémens.
Le jour n'eſt favorable aux belles
Que quand la nuit l'eſt aux amans.
De quoi vous ſert qu'on idolâtre
Ces levres du plus beau corail ,
Ces dents du plus brillant émail ;
Ce teint d'incarnat & d'albâtre ?
Tandis qu'amour ſoupire en vain
Pour ces fleurs fraîchement écloſes ;
.
.
Que les jaloux ont de rigueur !
Leur tendreſſe même eſt cruelle .
:
Mais
JUILLET 1768. 73
1 Mais je poſſede votre coeur , ( 3 )
Et l'amour est toujours vainqueur
Lorsque l'ardeur est mutuelle.
Dans le ſilence de la nuit
Il enſeigne à marcher ſans bruit
Juſques ſur les reſſorts d'un piége ;
Et les pas de ceux qu'il conduit
Ne s'impriment point ſur la neige.
Corinne étoit , ainſi que vous ,
Eſclave d'un amant jaloux :
Elle étoit ſans doute moins belle;
Ovide charma ſon ennui :
Je ſuis plus amoureux que lui ;
Seriez-vous moins ſenſible qu'elle ?
( 3 ) Imitation foible de ces vers de M. de
Voltaire :
Mais vous m'aimez , & quand on a le coeur
De femme honnête , on a bientôt le reſte .
Vol. I. D
74 MERCURE DE FRANCE .
L'ECOLE de la piété filiale . Nouvelle
orientale.
PotOURQUOI chercher toujours dans l'ordre
le plus élevé les leçons que l'on
veut donner aux hommes ? On en a beſoin
dans tous les états. Locman & Pilpai
en puifoient chez les animaux. La philofophie
embraſſe le genre humain ; l'inégalité
diſparoît à ſes regards ; elle dépouille
le monarque des ornemens de la fouveraine
puiſſance ; elle ôte la charrue au
laboureur ; ce ne ſont plus que deux hommes
à ſes yeux .
Dans ces contrées où l'on ne voit que
deux rangs , le deſpote & fes eſclaves ;
où les diſtinctions font perſonnelles ; où
le fils n'hérite pas des dignitésde ſes ancêtres
; où le viſir eſt ſouvent arraché à
la terre qu'il cultive , pour prendre les
rênes de l'empire: les richeſſes ſont le ſeul
figne de l'inégalité,
Mehemet , né dans la plus extrême pauvreté
, tiroit à peine d'un travail aflidu , de
quoi fournir à ſa propre fubſiſtance & à
celle du vieillard octogénaire qui lui avoit
donné le jour. Il ne craignit point cepen
JUILLET 1768 . 75
dant de s'aſſocier une compagne ; il lui
confia le ſoin de fon pere , & celui de
l'humble réduit qu'il habitoit. Tous les
foirs , il venoit ſe délaſſer auprès d'elle
des travaux de la journée , & lui remettre
ſes profits . Fatime ( c'étoit le nom de fon
épouſe ) lui donna bientôt un fils. Mehemet
, au milieu de la joie que lui cauſa
ſa naiſſance , réfléchit ſur ſon infortune
que cet enfant alloit partager. Il n'avoit
point eu d'ambition juſqu'alors ; il eut
cellede lui faire un fort plus heureux ;
pour cela , il falloit acquérir quelque aifance
; mais commenty parvenir avec un
gain tel que le fien ?
Pendant qu'il s'occupoit ainſi de ces
idées , ſes regards tomberent ſur ſon
pere que l'âge rendoit incapable de le
foulager ; il fentit pour la premiere fois
que c'étoit une charge pour lui , qui le
mettoit dans l'impoſſibilité de faire des
épargnes ; il ne le vit plus que comme
un vieillard infirme & chagrin , ſe plaiguant
fans ceffe , exigeant les plus grandes
attentions ; il oublia qu'il avoit le droit
de les exiger ; devenu pere , il ne ſe ſouvint
plus qu'il étoit fils.
Le magnificence & la piété des ſultans
avoient fondé des aſyles publics pour la
vieilleſſe indigente. La richeſſe de ces
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
monumens hofpitaliers étoit connue ; mais
le pauvre n'en profitoit pas. L'avarice
avoit détourné ſur d'autres objets les
tréſors deſtinés à la charité. L'infortuné ,
réduit à recourir à ces demeures , ne s'y
rendoit qu'en tremblant , für d'y paffer
ſes triſtes jours dans un mal-aiſe qui les
abrégeroit.
Mehemet , qui n'avoit jamais regardé
ces retraites fans frémir , penſa qu'elles
étoient ouvertes à ſon pere. Preſſe de ſe
débarraſſer des ſoins qu'il lui devoit , aigri
par quelques-uns de ces caprices ordinaires
à l'âge , par cette humeur qui accompagne
toujours l'inquiétude & les infirmités
, il lui annonça qu'il falloit ſe ſéparer.
Le vieillard ſoupira ſans répondre ; il
n'étoit pas en état de le ſuivre. Mehemer ,
le chargea fur ſes épaules , & prit le cheminde
l'hofpicede la pauvreté. Il eut beſoin
de ſe repoſer dans la route qui étoit
longue& fatigante , ildépoſa ſon fardeau
au coin d'une rue , & s'aſſit à ſes côtés
pour reprendre haleine.
Depuis qu'il étoit forti de ſa maiſon ,
le vieillard n'avoit pas ceſſé de gémir &
de verſer des larmes ; elles s'arrêterent
tout à coup ; il parutplongé pendant quelques
momens dans une rêverie profonde ;
bientôt il ſe pencha vers ſon fils,&le fer
JUILLET 1768 . 77
rant dans ſes bras : je te le pardonne , lui
dit- il , j'ai mérité le traitement que tu
me fais ; je le reçois comme un châtiment
qui m'eſt dû. Dieu voit au fondde
nos coeurs ; nos mouvemens les plus ſecrets
lui ſont connus , il tient un regiſtre
exact de toutes nos actions , & dans le
temps il les récompenſe ou les punit. Il
y a quatrante-cinq ans , ajouta t- il , que
j'ai conduit ton ayeul dans le ſéjour où
tume conduis : je fus ingrat , tu le deviens;
ton fils le fera peut-être. Dieu eſt juſte ,
que ſon ſaint nom ſoit béni ! A ces mots ,
il ſe profterna fur la terre qu'il baifa
humblement , s'humilia devant l'être des
êtres , & l'adora.
Mehemet l'entendit avec étonnement ,
un trait de lumiere paſſa dans ſon âme ;
il ne répondit point ; mais remettant le
vieillard ſur ſon dos, il reprit avec lui
le chemin de fa maiſon. Le projet qu'il
avoit formé lui fit horreur ; il témoigna
fon repentir par un redoublement de tendreſſe
& de ſoins ; il ne s'apperçut plus
que ſon pere lui fût à charge ; ſon activité
ſe ranima ; ſes gains augmenterent ;
tout lui proſpéra. Le temps & ſon économie
lui procurerent l'aiſance qu'il avoit
defſirée , & il éprouva enfin que le ciel
bénit &récompenſe toujours l'amour filial.
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
L'EXPLICATION de la premiere énigme
du Mercure du moisde juin ſont les trois
accens , l'aigu , le grave & le circonflexe :
les deux dames ou lettres font le Z & l'S.
Le mot de la ſeconde eſt monofillabe : tous
les mots de cette énigme font monofillabiques.
Celui de la troiſieme énigme eſt
mains. Celui du logogryphe eſt hermaphro :
dite; dans lequel on trouve mort , homar ,
ami , dame , arme , âme , dormir , dôme ,
hard , mer , perte , phare , trop , drame
thême , rampe , mode , ordre , mai , mardi ,
Rome , rime , mere , item , mordre , mari ,
harde , mérite , perdre , merde , rame ,
therme , porte , Hérode , mare , or re
mi , tard.
,
D
ÉNIGME.
ESTINÉE à fournir aux besoins de mon
maître ,
Quand errant , vagabond , à la merci des mers ,
Il les parcourt ſans les connoître ,
Je le mets à l'abri de leurs périls divers .
Mais lorſque délaiſſée aux bords de ce rivage ,
De quelque avide main je deviens le partage ,
JUILLET 1768 . 79
:
Iris , voyez combien je change de deſtin.
L'hermite à mes dépens pare ſa ſolitude ,
Je deviens à Congo le prix du ſang humain ;
Des ſavans à Paris de moi font une étude.
Pourdeviner mon nom vous faut- il d'autres traits?
A ces emplois j'en peux encore ajouter d'autres ;
J'embellis des aurels , j'orne vos patenôtres ,
Et très- ſouvent je ſers à faire des bouquets.
FRA
Par Mlle de K.... A Kermel ,
près Tréguier , ce 9 avril 1768 .
AUTRE.
RANÇOIS, je fais pålir ces braves infulaires ,
Dont le pouvoir jaloux veut t'impoſer la lois
Parmi les traits dont Mars arme tes mains guer
rieres ,
Ils ne craignent rien tant que ma famille ( 1 )
& moi !
L'éclat n'annonce point ma colere afſaſſine ;
Je fais mes coups à la ſourdine.
Tant que l'orage gronde & feme au loin l'effroi ,
Tranquille ſous la main qui regle mon emploi ,
Souvent je reſte neutre au milieu du carnage ;
Mais faut- il ajouter des aîles à la mort ?
( 1 ) Le fabre & l'épée , nommés collectivement
armes blanches .
Div
So MERCURE DE FRANCE.
Incontinent je prends l'eſſor ;
Malheureux le guerrier dont le noble courage
Oppoſe à ma vigueur un inutile effort !
Il a bientôt un paſſeport
Pour deſcendre au ſombre rivage.
Encor un mot & tu fais qui je ſuis;
Trois pieds de moins changent mon exiſtence ;
Je fais la paix avec mes ennemis ,
Et ne ſuis plus qu'un port de France ,
Où l'on prétend que je naquis.
Blandurel de Saint- Just , près Beauvais.
U
LOGOGRYP Η Ε.
N fleuve , un mot latin compoſent tout
mon être ;
La ſource du premier eſt encore à connoître ,
L'autre eſt un attribut commun aux indigens .
J'offre à qui me renverſe une plante champêtre ,
Dont la terre habilloit ſes premiers habitans .
Par le même.
JUILLET 1768. 81
DANSI
AUTRE.
AN'S mon château de fort belle ſtructure
On voit briller les aimables talens.
Dans mes jardins l'art aidant la nature ,
Etale aux yeux ſes plus beaux ornemens .
Chez moi je vois venir & les grands & les princes ,
Les enfans de la ville & ceux de nos provinces ,
Tout l'eſſain brillanté des jolis élégans.
L'éleve charmant de Bellonne ,
Les belles que l'amour couronne ,
Menant en leſſe leurs amans ;
Tout à côté la petite fripone
Ala démarche fiere , aux regards ſemillans.
Le lecteur à ces traits ne peut me méconnoîtres
Eſſayons toutefois d'analyſer mon être.
Onze pieds font mon corps ; par vos combinaiſons
Trouvez y ce qu'on voit aux faîtes des maiſons.
L'excellent coquillage à Paris à la mode ;
Une voiture fort commode ,
L'infuſion chinoiſe utile le matin ;
Ce qui cauſe par fois le plus grand incendie
Une ville du Limousin ;
Le cri moqueur qui ſouvent humilie ;
Un mot équivalent au mot cérémonie ;
Le jeu fi répandu dans les cercles d'amis
Dans le lieu ſaint un ſigne de triſteſſe
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
Qu'élevent des parens le faſte & la tendreſſe ;
Un objet ſous vos pieds en rentrant au logis ;
Le ſéjour du repos , ſouvent de la parelle ;
Un grand prêtre puni pour deux coupables fils ;
Dans le pays d'Artois une grande riviere ;
Une fleur blanche printanniere ;
Distinctif éclatant d'un empire fameux ;
Le ver qui des buveurs aime à tromper les voeux ;
Le ſymbole de la ſageſſe ;
Un péché fort commun & pourtant capital ;
L'inſtrument dont les ſons ſont ceuxdelatendreſſe,
Et qui ſauva jadis Arion en détrelle ;
La très -digne moitié d'un vilain animal ;
Le prophete , fléau des prêtres de Baal ;
Le titre pompeux d'un monarque ;
D'un coeur content une trompeuſe marques
Le jus du fruit de l'arbre de la paix ;
Le vaſe ſans lequel on ne le ſert jamais ;
Cequ'unbuveur gourmet de tout ſon coeur déteſte;
De vos ciſeaux ... mais non , voilà mon reſte.
:
Boyer , à Auneau , près Chartres.
Page820
AIR NOUVEAU
de la Dénitienne
Léonore
2
L'amour cou-te trop desou-pirs . On se
*
plaint, on lan-guitdansses plus douces chai
+
+
-nes; il n'estjamaissans dé-sirs,Et les dé
-sirs sont des pei-nes, Il n'estja-mais sa
n
de- sirs , Et les dé- sirs sont des pei
nes.
Oct-
2
-ave
م
L'amour seul peut nous satis
-faire, sans lui rien ne
peut
nous char-m
14
Le plus doux plaisir
plussen-sible
***
doux plaisir
est d'ai-mer, Et le
est de
plaire, Le plus
est
d'ai -mer, Et le plussen-
-sible est de plai - re
es paroles Sont de M de la Motte
a musique est de m dAuvergne :
:
:
de Umprimerie, de Récoquillise,rve du Foin.2.
JUILLET 1768. 83

NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LE CITOYEN DÉSINTÉRESSÉ , ou Diverſes
idées patriotiques concernant quelques
établiſſemens & embelliſſemens utiles
à la Ville de Paris , analogues aux travaux
publics quise font dans cette Capitale
, lesquels peuvent être adaptés aux
principales villes du Royaume , & de
l'Europe ; avec l'indication des moyens
de finance & d'économie qui pourroient
Servir à remplir ces vues : divisé en deux
parties ; orné de figures en taille- douce
&de plans gravés : tom. 2º, in-8° : par
M. DUSSAUSSOY. A Paris , chez
GUEFFIER , rue de la Harpe ; PANCKOUCKE
, rue, & à côté de la Comédie
Françoise ; LACOMBE , quaide Conty ;
& la veuve DUCHESNE , rue Saint-
Jacques , au temple du Goût ; 1768 .
:
LEs travaux & les embelliffemens dela
Capitale ont la plus grande analogie avec
les embelliſſemens qu'on peut faire dans
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
les provinces , parce qu'en fait d'adminif
tration publique , tout a le même but , c'eſtà-
dire , le bien général du royaume & la
commodité particulière des citoyens.
Le nom de Stanislas , roi de Pologne ,
duc de Lorraine & de Bar , les vertus
guerrieres & pacifiques de ce prince , les
monumens immortels de ſa gloire , font
retracés dans le premier chapitre de ce
fecond volume.
Le ſecond chapitre traite d'un établiſfement
de maiſon d'aſſociation en faveur
du commerce & des commerçans malheureux
, qui eſt de la plus grande importance
pour cette claffe de citoyens ſi ſujette aux
révolutions de la fortune.
Ce n'eſt pas affez pour M. Duffauffoy
de procurer des aſyles aux commerçans ,
ſa prévoyance s'étend ſur tous les différens
ordres de l'Etat ; il deſire que ces aſyles
foient honorables , & que la miſere ſoit
un titre pour l'indigent : il tire les ſecours
qu'il donne aux pauvres de la réformation
des ordres religieux ; &, par un double
avantage , il veur, en les faiſantrentrer dans
l'efprit de leur inſtitution , les rendre des
objets de refpect &de vénération au peupleen
les rendant utiles.
Ce chapitre eſt ſuivi d'un plan plus
vaſte& plus général. Après avoir parlé des
JUILLET 1768 . 8.5
cauſes de la dépopulation , & de la dégénération
de l'eſpèce en France , il propoſe
des encouragemens pour l'agriculture , &
des moyens de prévenir ou d'arrêter cette
eſpèce de décadence de la nation , & de
favorifer la population. Ces objets fi importans
, & fur leſquels on a tant écrit ,
ſont préſentés d'une manière toute nouvelle
; l'Auteur démontre fur- tout que
l'agriculture pourroit tirer les plus grands
avantages de la réformation des ordres religieux&
de la deſtruction de la mendicité ,
dont il fait une peinture effrayante , mais
vraie.
Dans un autre chapitre il propoſe d'inftituer,
enfaveurdupatriotiſme , ſanslequel
toute vertu languit, un nouvel ordre qu'on
appelleroit l'Ordre du Citoyen , & qui
feroit joint à celui de Saint Michel. Les
particuliers qui auroient rendu à la patrie
des ſervices eſſentiels , ou qui ſe ſeroient
diftingués par des traits de générofité , ou
de grandeur d'âme , y feroient admis.
Le dernier chapitre traite de la reconftruction
des deux falles de comédie & de
la nouvelle diſpoſition à donner à leur
emplacement pour en rendre les abords
plus faciles & leur procurer les dégagemens
dont elles ont un ſi grand befoin .
Enfin M. Duffauffoy s'élève contre une
86 MERCURE DE FRANCE .
:
foule d'abus dont le public ſe plaint tous
les jours , & entre à ce ſujet dans des
détails curieux & intéreſſans. Toutes fes
vues font appuyées de l'indication des
moyens de finance , dont l'exécution eſt
plus ou moins facile.
ELÉMENS d'algebre ou du calcul littéral,
avec un précis de la méthode analytique
appliquée à la réſolution des équations
du premier & du ſecond degré ; par
M. le Blond, maître de mathématiques
de Monseigneur le Dauphin , profeffeur
en la mêmeſcience des pages de la grande
écurieduRoi, cenfeur royal , &c. volume
in - 8 ° de 430 pages , ſans la préface &
la table : prix 7 livres relié . A Paris ,
chez Ch. Antoine Jombert , libraire du
roi pour l'artillerie & le génie , rue
Dauphine , à l'image Notre - Dames
1768.
:
Ce livre , dans lequel on retrouve la
méthode & la clarté qui,caractériſent
particulierement les ouvrages de l'auteur ,
eſt un ſupplément utile qui manquoit à
JUILLET 1768 . 87
la géométrie de l'officier. M. le Blond en
avoit formé le projet depuis long- tems ;
pluſieursGouvrages particuliers ayant retardé
fon exécution , il l'avoit pour ainſi dire
abandonné , lorſque l'occaſion s'étant préſentée
de donner quelques idées de l'algebre
& de l'analyſe à Monſeigneur le
Dauphin , cette circonſtance l'a engagé à
s'occuper de ce travail .
"M. le duc de la Vauguyon , dit M. le
>>Blond dans ſa préface, voyant ce prince
>>fort inſtruit de l'arithmétique & poffé-
>> dant l'eſſentiel des élémens degéométrie,
>> jugea qu'une connoiſſance fuccincte des
>>premieres régles du calcul algébrique &
>>de la méthode analytique pourroit lui
>>être utile. Son but étoit qu'on mît le
>> jeune prince en état de réſoudre diffé-
>> rens petits problêmes propres à exercer
>>ſon jugement , à lui fortifier le goût de
>>l'application , à l'accoutumer à réfléchir
>>fur les difficultés qui pourroient lui être
>> propoſées , & de luidonner les principes
>> ou la méthode pour parvenir à leurs
>> ſolutions » .
Tel eſt le plan que M. le Blond s'eſt
propoſé de ſuivre relativement aux vues
de M. le duc de la Vauguyon , qui ne
néglige rien de tout ce qui peut contri-
(
88 MERCURE DE FRANCE.
buer à former le coeur & l'eſprit de ſes
auguſtes éleves.
On voit par - là qu'il a dû s'attacher ,
dans ce traité , aux objets les plus propres
à bien faire ſaiſir les principes de la méthode
analytique , & à faciliter l'uſage de
leur application. Comme ſon deſſein étoit
encore que cet ouvrage pût ſervir de ſupplément
à ſa géométrie , il y a ajouté tout
ce qui lui a paru néceſſaire pour donner
des élémens d'algebre qui puiſſent être à
l'uſage de tous les lecteurs , les initier
dans ce calcul , les mettre en état de paffer
enſuite aux ouvrages les plus profonds
fur l'analyſe& les autres parties des mathématiques.
LETTRES d'un Citoyen à un Magiftratfur
les vingtiemes & autres impôts. A Amfterdam
, chez Arckſtée & Merkus ', libraires
; 1768 : un vol. in- 12 de 234
pages.
Le célebre citoyen qui ſe diſtingue entre
les économistes par l'activité de fon
zele , la profondeur de ſes connoiffances
& la ſimplicité de ſon ſtyle , a entrepris
tout à la fois de traiter avec le magiftrat
des points capitaux de l'adminiſtration &
JUILLET 1768 . 89
d'inſtruire le peuple ſur ſes premiers beſoins.
Ses lettres ſont au nombre de quatre.
Dans la premiere , il prouve que la quotité
du revenu public & la forme de ſa perception
ſont invariablement réglées par une loi
naturelle , fondée ſur la néceffité phyfique.
Dans la ſeconde lettre , l'auteur établit
que les propriétaires des terres payent toujours
la totalité des impôts quelconques
levés dans l'étar.
L'auteur calcule , dans la troiſieme lettre
, le préjudice que cauſent néceſſairement
au ſouverain , aux propriétaires , aux
cultivateurs &à toutes les claſſes de la ſociété
les impôts ſur les perſonnes , les marchandiſes
& les consommations.
La quatrieme lettre contient le calcul
du profit que le fouverain & toutes les
claſſes de l'état retireroient de la ſupprefſion
totale des impôts indirects.
Mémoirefur les effets de l'impôt indirect
fur le revenu des propriétaires des biensfonds
, qui a remporté le prix propofé
par la ſociété royale d'agriculture de
Limoges en 1767.Brama affai , pao ſpera,
e nulla chiede , Aminta del Taffo . A
Londres ; 1768 : un vol. in - 12 de 264 pag.
M. de de Saint- Péravi , dans ce mé
१० MERCURE DE FRANCE.
moire , paré des ornemens de l'éloquerice
académique , a approfondi & développé
avec autant de fagacité que de force , les
principes économiques expoſés dans l'atticle
précédent. Au milieu des preuves de
l'ordre phyſique qui rejettent tous les
genres d'impoſitions ſur le revenu des propriétaires
, fujetde la premiere partie , on
trouve des éclairciſſemens lumineux &
des notes intéreſſantes fur les reflets de
ces impoſitions , le commerce extérieur ,
le crédit public , les procédés de l'adminiſtration
financiere. La ſeconde partie ,
dans laquelle font appréciés les effets des
taxes indirectes ſur la reproduction & le
revenu , préſente les vices généraux de la
régie & de la ferme de ces impofitions ,
les vices particuliers de la ferme , la ruine
du commerce extérieur , la guerre inteſtine
entre les citoyens qui repouſſent les char-.
ges les uns fur les autres , la langueur des
campagnes dépourvues de numéraire par
l'entaffement des fortunes pécuniairesdans
la capitale & par les dépenſes de luxe loin
des ſources de la reproduction.
Cesprincipes feront confirmés par laréfutation
que M. de Saint- Péravi doit donner
aupublic, du ſyſtême diametralement contraire
ſuivi par M. G.... dans ſon Effai
analytiquefur la richeffe &fur l'impôt , préJUILLET
1768 . 91
ſenté à la ſociété de Limoges qui a couronné
le mémoire dont nous venons de
donner une idée.
Si l'on entend par diſette , l'inſuffiſance
réelle des grains exiſtans dans le royaume
pour la ſubſiſtance des habitans , il ne ſeroit
pas difficilede prouver qu'il n'y a point
eu de difette en France depuis plus d'un
fiecle. Si l'on entend par difette l'inſuffifance
apparente & l'exceſſive cherté des
grains , cauſée par le monopole ou l'avidité,
on en trouveroit aisément des exemples.
Les faits rapportés dans le traité de
la police du commiſſaire Lamare & dans
le ſupplément concernant les diſettes des
années 1660 , 61 , & des années 1709 &
10 , démontrent que le grain ne manquoit
pasdans ces tems-là , quoique le prix du
ſeptier y ait été porté juſqu'à so livres ,
(près de cent livres de notre monnoie actuelle
) & que le pain ſe fût vendu jufqu'à
huit fols la livre ( près de ſeize ſols
de ce tems- ci ) ; la difette n'avoit d'autre
cauſe que les manoeuvres du monopole ;
les ordonnances & les ſupplices ne le détruifirent
pas ; il tomba auffi-tôt devant
quelques muids de grains tirés de l'étranger.
La concurrence eſt donc le moyen unique
, prompt & infaillible d'anéantir le
monopole & d'aſſurer l'abondance : mais
92 MERCURE DE FRANCE .
la concurrence n'aura pas toute ſon efficacité
ſi les marchands étrangers ne sont attirés
dans nos ports , & ils n'entreront
pas dans nosports s'ils n'ont pas la liberté
d'en fortir. En Angleterre on avoit , depuis
1689 , juſqu'en 1765 , gratifié l'exportation
des grains,&chargé de taxes l'entrée
des grains étrangers : ces taxes équivalentàdes
prohibitions , & favoriſentle monopole
, gangrene qui dévore perpétuellement
l'Angleterre. Les marchands magafiniers
achetent dans la ſaiſon où les fermiers
font obligés de vendre pour payer
leurs propriétaires , & enſuite ils font
maîtres du prix. En 1764 la récolte fut
médiocre , le froment hauſſa. En janvier
de l'année ſuivante , on publia que le parlement
alloit permettre l'entrée du grain
étranger, franche d'impôt: le prix du grain
fut auffi-tôt réduit. Peu de tems après le
prix du grain ayant atteint le taux où la
gratification ceſſe , une difette artificielle
ſe manifeſta ſur le champ. Au feul bruit
de l'importation des bleds étrangers , les
magaſiniers baifferent le leur fans que
l'étranger en eût apporté un ſeul grain .
Les années ſuivantes on ſuſpendit , mais
pour des temps limités & affez courts , les
droits d'entrée. Le monopole fut raſſuré
par la limitation : les magaſiniers ache
JUILLET 1768 . 93
terent tout le grain qui fut importé , &
les diſettes artificielles n'ont point ceſſé.
La liberté entiere & aſſurée tant de l'importation
que de l'exportation eſt donc
le remede unique à ces déſordres.
On trouve des exemplaires de ces
ouvrages chez Deſaint , rue du Foin.
HISTOIRE du Bas- Empire , en commen
çant à Constantin le grand ; par M.
le Beau , profeffeur émérite de l'univerfité
de Paris , profeſſeur d'éloquence au
collège royal , Secrétaire ordinaire de
Mgr le duc d'Orléans , &fecrétaire perpétuel
de l'académie royale des infcrip
tions & belles- lettres . Tome onzieme de
$22 pages , tome douzieme de $ 32 . A
Paris , chez Saillant , rue Saint-Jeande-
Beauvais , & Desaint , rue du Foin ;
1768 : avec approbation & privilège du
roi.
1
Le public a prononcé ſur le mérite de
cet ouvrage. L'auteur ſoutient , dans ces
deux volumes , la réputation qu'il s'eſt
acquiſe par les volumes précédens ; érudition
profonde , critique éclairée , ſtyle
1
94 MERCURE DE FRANCE .
>
fage , tout y annonce un excellent historien.
Le tome onzieme , qui commence à
l'année 554 & finit à l'année 593 , comprend
une partie du regne de Juſtinien
les regnes de Juſtin & de Tibere , & une
partie de celui de Maurice , en cinq livres ,
dont le premier eft le quarante - neuvieme
de l'ouvrage. Dans ce quarante-neuvieme
livre Juſtinien fait la guerre en Italie , aux
Perfes , & aux Huns. Béliſaire défait les
Huns , la paix ſe conclut avec les Perſes ,
Narſes triomphe en Italie. Il nous paroît
à propos de remarquer ici que les moraliſtes
débitent depuis fix cens ans , au ſujet
de Béliſaire , un conte qui n'est qu'une
groſſiere erreur d'un écrivain ſans jugement
, du douzieme fiecle , & qui ne s'eſt
accrédité que par l'odieux plaifir que l'on
a d'imputer des vices aux grands. Il eſt
faux que Bélifaire ait été privé de la vue
par ordre de Juſtinien , & réduit à mendier
fon pain dans les rues de Conſtantinople.
Accuſé d'une conſpiration on lui
donna des gardes ; il ſe juſtifia , & l'empereur
le rétablit dans ſes dignités. Il eſt
très- vraiſemblable que Juſtinien mourut
dans l'héréſie.
Le tome douzieme embraſſe la fin du
regne de Maurice ; les regnes de Phocas ,
JUILLET 1768. 95
d'Héraclius , de Conſtantin III & Héra
cléonas , & une partie de celui de Conftantin
II ; il finit en 648. Maurice périt
par la main du bourreau , après avoir vu
trancher la tête à ſes cinq fils. Cette fanglante
tragédie eſt le plus terrible exemple
que l'hiſtoire fourniſſe , de l'audace d'un
rebelle & de l'abandon d'un ſouverain
qui n'a pas ménagé l'amour de ſes ſujets
comme fon plus ferme appui,
د
Avis au peuple fur fon premier beſoin ,
ou petits traités économiques ; par l'auteurdes
éphémérides du citoyen. Troiſieme
traité fur la fabrication & le commerce
du pain , & fur le vrai moyen de pourvoir
aux approvisionnemens publics. A
Paris , chez Deſaint , rue du Foin ; Lacombe
, quai de Conti ; & Lemoine , au
Palais ; 1768 : in- 12 de deux cents pages.
Prix 30 fols.
On donne dans cet avis des détails fur
l'art de la boulangerie; ony traite de la
fabrication du pain , du petriſſage , de
l'apprêt & de l'utilité qu'il y auroit d'établir
des fours publics. Il y a un chapitre
particulier ſur les approvisionnemens publics
dans les marchés. Enfin l'auteur conclud
qu'il faut , en toutes circonstances &
fans aucunes reſtrictions , laiſſer la liberté
:
96 MERCURE DE FRANCE.
entiere de vendre , d'acheter , d'importer
&d'exporter le bled, la farine &le pain.
Réponſe du magistrat de Normandie ;
au gentil - homme de Languedoc , fur le
commerce des bleds , desfarines& du pain.
Brochure de 48 pages ; prix 6 ſols : chez
Lacombe , Libraire , quai de Conti.
Le magiſtrat ſe décide dans cette
réponſe pour la liberté du commerce des
grains de province à province ; il fonde
les motifs de ſa déciſion ; mais il n'eſt
pas également convaincu des avantages de
la liberté de l'exportation à l'étranger ; il
demande quels font les inconvéniens qui
peuvent réſulter des reſtrictions appofées
au commerce extérieur des bleds , par l'édit
de 1764 ? On doit fans doute s'attendre
à une réponſe à cette queſtion importante.
Eloge de Charles V, dit le Sage , roi
de France ; par M. Brizard: 1768. A
Paris , chez Gogué , Libraire , quai des
Auguſtins , in- 8 ° de 68 pages , avec des
notes hiſtoriques.
Cet éloge peut être lû après ceux qui
l'ont précédé ; il y a de l'élévation dans
les ſentimens & de la nobleſſe dans le
ſtyle. L'orateur enviſage les vertus de fon
héros
:
JUILLET 1768. 97
héros comme pere de la patrie , & fes
grandes qualités comme reſtaurateur de la
France.
Syſtema Auguftinianum de divinâ gratiâ
, excerptum ex operibus RR. PP.
Fulgentii,Bellelli& Laurentii Berti , ordinis
Erem. S. Auguſtini , & ad ufum
theologiæ candidatorum , perpetua ac facili
methodo accommodatum , cum notis
& additionibus redactoris ; 2 vol. in- 12.
A Lyon , chez Regnault , Imprimeur- Libraire
; à Paris , chez Saillant , rue Saint-
Jean-de-Beauvais , & Crapard , quai des
Auguſtins.
L'art deſe traiter & de ſe guérir foimême
, dans les maladies les plus ordinaires
& les plus dangereuſes ; par Daniel
Langhans , médecin , penſionnaire de la
ville&république de Berne , ouvrage traduit
de l'allemand par M. E. avec cette
épigraphe :
Promptiffima fit curatio ab eo qui probè ægritudinem
agnoverit. Galen. 12 , Meth. cap.ult.
deux vol. in- 12 . A Paris , chez Deſaint ,
rue du Foin S. Jacques ; 1768 : avec approbation
& privilége du Roi.
L'auteur a eu pour but de mettre la
Vol. I. E
98 MERCURE DE FRANCE.
médecine à la portée de tout le monde;
il décrit les maladies les plus ordinaires ,
il indique enſuite les remedes qui leur
ſont convenables ; il veutenfin que le malade
ſoit à lui-même ſon médecin. Un
tel ouvrage peut être utile aux perſonnes
retirées loin des ſecours des gens de
l'art ; mais il eſt difficile de pratiquer la
médecine fur foi-même : le malade eſt trop
affecté de ſon mal , pour s'occuper encore
desmoyens d'y remédier.
La vie de fainte Fremiot de Chantal
fondatrice de l'ordre de la viſitation de
ſainte Marie , avec des notes tirées de fes
lettres , de cellesde ſaint François de Sales ,
&des hiſtoires de Henri de Maupas du
Tour , évêque du Puy , de l'abbé Marfollier
, &c. un vol. in- 12 . A Orléans , chez
Couretde Villeneuve , imprimeur du roi ,
& à Paris , chez Delalain , libraire , rue
Saint-Jacques ; 1768 .
Conjectures fur l'électricité médicale ,
avec des recherches ſur la colique métallique
; par J. J. Gardane , cenſeur
royal , docteur régent de la Faculté demédecine
de Paris , médecin de Montpellier ,
de la ſociété royale des ſciences de cette
JUILLET 1768. 99
ville& de celle de Nancy ; avec cette épigraphe
:
Permezzo di tali irritazioni ſi promovono d'all
arte noftra nel corpo humano falutari mutationi.
A Paris , chez la veuve d'Houry , imprimeur-
libraire , rue Saint-Severin .
Le butdel'auteur dans cet ouvrage a été
de donner de la vogue à l'électricité médicale
, beaucoup trop négligée , en indi
quant les cas où ce ſecours peut être employé,
en préſentant les moyens d'en affurer
le ſuccès , & fur-tout en appuyant
ſes conjectures ſur de nouvelles expériences
qui démontrent l'utilité des mou.
vemens électriques.
Les recherches ſur la colique métallique
ou des peintres , ajoutent un nouveau
prix à cette production. Il eſt en effet
prouvé que le plomb eſt la ſeule cauſe de
cette maladie, qu'elle exiſta dans tous les
tems , que perſonne ne s'en eſt plus occupé
que les médecins de Paris , qu'enfin les
émétiques &les forts purgatifs font le ſpécifique
contre ſes cruels accidens : toutes
queſtions regardéesjuſqu'aujourd'hui comme
problématiques&dont la ſolution devenoit
de la plus grande importance.
M. Gardane a donné dans cet ouvrage
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
de nouvelles preuves de ſes lumieres , de
ſes talens & de ſon ſtyle.
Troiſieme mémoire , fur le projet d'amener
l'Yvette à Paris , contenant 1º. de
nouvelles preuves que c'eſt le ſeul projet
propre à fournir une quantité d'eau ſuffiſante
aux beſoins de cette grande ville.
2°. Des détails particuliers de ce qu'on a
fait juſqu'à préſent pour lui donner de
l'eau. 3º. L'indication de quelques moyens
pour parvenir à l'exécution du projet.
Cemémoire eſt de M. de Parcieux , de
l'académie royale des ſciences. Il réſulte
de ſes obfervations que le projet qu'il propoſe
donnera de l'eau ſalubre dans tous
les quartiers , & à la portée de tout le
monde , que cette eau fera abondante en
hyver comme en été ; ce qui devient un
fecours contre les incendies , &un moyen
de rendre l'air falubre , les rues propres ,
&même un moyen d'économie par les
avantages qui en réſulteront&qui difpenſerontdebeaucoupde
machines embarraſſantes
&coûteuſes. On pourra ſe procurer
de cette eau dans les fortes maiſons
pour 3 à400 livres , &dans les petites pour
dix , quinze ou vingt piſtoles , plus qu
moins.
JUILLET 1768. 101
An eſſay on the Learning of Shakespeare:
Effaifur l'érudition de Shakespear ,
par M. Richard Farmer.
Shakeſpear jouit de la plus haute réputation
chez les Anglois ; nous admirons
dans les traductions que nous avons de ce
célebre écrivain , les traits de génie qui
brillent dans preſque tous ſes ouvrages ;
mais nousyavons auſſi trouvé des défauts.
M. Farmer s'attache à montrer dans ſon
ellai , que Shakespear n'avoit aucune érudition;
il cite en preuve le témoignage de
Ben Jonſon,de Drayton&d'autres auteurs
contemporains de ce poëte. C'eſt en vain
ſelon lui que l'on cherche dans les productions
de Shakeſpear des imitations des
hiftoriens & des poëtes anciens. Si l'on y
trouve quelquefois des alluſions à des
faits ou àdes fables de l'antiquité, il n'en
faut pas conclure néceſſairement qu'il ait
lu les écrivains grecs & romains dans leurs
langues originales ; il pouvoit en avoir pris
une légere idée dans quelques vieilles traductions
des livres claſſiques , qui vraiſemblablement
ne lui étoient pas inconnues.
Les exemples même que les partiſans de
ce poëte apportent en faveur de ſon érudition
fourniſſent à M. Farmer les preuves
contraires dont il a beſoin. Il a répandu
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
l'enjouement dans toutes ſes recherches ;
il a imité Dryden dans l'adreſſe qu'il a eu
de mettre dans ſon parti tous les partiſans
du vieux poëte. En lui ôtant le pouvoir
& la facilité de s'approprier les beautés
des anciens , il le fait regarder comme le
créateur detoutes celles dont ce poëte a femé
ſes écrits ; il n'eſt plus copiſte , il eſt
original : tout ce qu'ila , il ne le doit
qu'à lui- même ; c'eſt le poëte de la nature
&de la vérité : il n'eut point d'autres guides
, il n'eut point d'autre art. Les enthoufiaftes
de ce pere du théatre anglois penferont
peut- être bientôt ainfi . Pour nous
autres François , nous l'eſtimerions davanrage
ſous ce point de vue. Nous ne verrions
plus en lui qu'un génie fublime ,
mais brut , tel que la nature l'a formé ,
admirable même par cette groffiereté qui
nous choque ; nous la lui pardonnerions
en faveur de fon originalité , ſi l'on peut
s'exprimer ainſi . Au lieu que ſi l'on ſuppoſe
Shakeſpear inſtruit , en état d'étudier
les modeles , de perfectionner par
conféquent fon génie , de l'éclairer par le
goût , nous demanderons pourquoi il ne
l'a pas fait , & nous aurons raiſon de le
blâmer.
Histoire de la république de Venise ,
JUILLET 1768 . 103
depuis ſa fondation juſqu'à préſent ; par
M. l'Abbé Laugier. A Paris , chez la veuve
Ducheſne , libraire , rue Saint-Jacques , au
temple du goût ; 1768 : avec approbation
& privilége du roi ; 12 vol. in- 12 , dont
les trois derniers paroiſſent nouvellement.
Il a été fait mention de cette hiſtoire
dans le Mercure , à meſure qu'on en publioitde
nouveaux volumes. Nous n'avons
donc rien à dire de nouveau à nos lecteurs ,
ſur le plan , l'objet , l'utilité & l'exécution
de cet ouvrage. L'unique choſe qui
pourra peut-être paroître agréable à nos
lecteurs , c'eſt de lui mettre ſous les yeux
quelques-uns des traits curieux & intéreſſans
dont cette hiſtoire eſt remplie.
Le premier que le haſard nous préſente
eſt la mort de François de Carmagnole ,
général du duc de Milan , qui paſſa au
ſervice des Venitiens , & enſuite ſe rendit
ſuſpect à cette république. Ayant été convaincu
de perfidie , le ſénat l'attira à Veniſe
, ſous prétexte d'une conférence , à
laquelle on lui diſoit que ſa préſence étoit
néceſſaire .
>> Carmagnole , qui ne ſe doutoit pas
» qu'on en voulût à ſa liberté , ne différa
>> pas un inſtant d'obéir à la volonté du
>>>fénat : il prit la toute de Vicenſe & de
E iv
1
104 MERCURE DE FRANCE.
>>>Padoue . Les recteurs de ces deux villes
>>vinrentà ſa rencontre avec leurs gardes ;
» & Frederic Contarini , capitaine d'armes
de Padoue, le fit coucher avec lui.
>>dans ſon palais. Ces attentions inuſitées
> ne lui inſpirerent aucune défiance : il
>> les attribua à la conſidération que ſes
>> ſervices lui avoient méritée. Contarini
» l'accompagna juſques ſur le bord des
>>lagunes. Là il trouva les ſeigneurs de
>>nuit avec leur eſcorte , qui feignirent
>>d'avoir été envoyés pour lui faire hon-
>> neur. A l'entrée de la ville , il fut ac-
>> cueilli par huit autres nobles qui l'ac-
>>compagnerent au palais. Dès qu'il y fut
>>entré on fit retirer ſes gens , on ferma
>> les portes , & on doubla les gardes. On
>> le imena dans la ſalle du collége , où
>> Leonard Mocenigo , l'un des ſages
>>grands , lui dit que le doge ſe trouvant
>>incommodé, il ne pourroit avoir audience
» que le lendemain. Carmagnole defcen-
>>dit pour aller dîner dans ſa maiſon ;
>> mais lorſqu'il fut dans la cour du palais,
>> les nobles qui l'accompagnoient lui di-
>> rent : feigneur comte , paſſez du côté des
>>prisons. Il répondit : mais ce n'est pas
» là le chemin. Les nobles lui réplique-
>> rent : allez , allez ; c'est le chemin leplus
>> droit. Il entra dans le corridor; une priJUILLET
1768. 105
:
>> fon s'ouvrit , & on l'y enferma. Alors
>> il pouſſa un profond ſoupir , & il dit :
» ah ! je suis mort. Les nobles le conſo-
>>lerent , en l'aſſurant que la priſon ne dé-
>>cidoit , ni du crime , ni du ſupplice.
>>Le 11 avril , Carmagnole fut mené
» dans la chambre de la queſtion , & les
» députés du conſeil des dix lui firent ſu-
>>>bir interrogatoire. On lui repréſenta ſes
ود lettres qu'on avoit interceptées ; on lui
>> confronta les témoins qui dépoſoient
>> contre lui. Comme il refuſoit d'avouer
>> ſa perfidie , on le mit à la torture . La
>>douleur lui arracha l'aveu que l'on fou-
>> haitoit , & on le remena en prifon.
» Deux jours après , le conſeil des dix
>> rendit ſentence portant , que François ,
>> comte de Carmagnole , atteint & con-
>> vaincu , par la dépoſition de plufieurs
>> témoins , par le contenu de ſes lettres
>>& par fon propre aveu , d'avoir commis
>> diverſes trahiſons contre le ſervice de
>>la république , & d'en machiner de
>>nouvelles pour l'avenir , feroit mené ,
» avec un bailion à la bouche , entre les
>> deux colonnes de la petite place de
>>Saint- Marc , & que là il auroit la tête
tranchée en préſence de tout le peuple.
>> La ſentence fut exécutée le lendemain ,
»
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
» & fon corps fut enterré à Saint François
> de la Vigne.
>>Il étoit fils d'un payſan de Carma-
>> gnole , & fon véritable nom étoit Fran-
» çois Buffo. Il fut un des plus grands
>> capitaines de ſon ſiecle , & jamais
>> homme ne ſut mieux entretenir , dans
>> une armée , la difcipline & la ſubordi-
>> nation . Il avoit la bravoure du ſoldat ,
»& les qualités de l'homme de guerre.
» Un orgueil naturel & un caractere in-
>> flexible occaſionnerent tous ſes mal-
»heurs. »رد
Réflexions morales fur lefaint évangile
de Jésus- Chriſt ſelon Saint Matthieu , &
fur le livre de Tobie , un vol. in- 12 broché.
A Paris , chez Hériſſant fils , libraire ,
rue Saint-Jacques ; & Pillot , libraire , rue
Saint- Jacques , près la rue de la Parcheminerie
, à la Providence .
Il paroît que l'auteur de ces réflexions
utiles n'a eu pour objet, en expoſant dans
leur plus beau jour les vérités de la religion
, que d'établir la bonne morale.
Ce livre , qui eſt également propre à réchauffer
le germe de la vertudans les ames
où il s'affoiblit , & à le faire fructifier dans
JUILLET 1768 . 107
le coeur de la jeuneſſe , ne peut qu'être
favorablement accueilli de tous les gens
debien.
Peroraiſon dufermon prêché le jour de
pâques , 3 avril 1768 , en l'égliſe du prieuré
des dames religieuſes bénédictines de la
préſentation deNotre-Dame , rue des Poftes,
à Paris.
Il n'eſt perſonne qui n'ait pris part au
malheur arrivé en ce monaftere le jeudi
3.1 mars 1768. Malgré les foins des magiſtrats
& l'activité des ſecours , cinq jeunes
penſionnaires ont été la proie des
flammes , ſavoir , Mlle de Luſignan , Mlle
de Briancourt , Mlles de Ligny , premiere
& troiſieme , & Mile Bellanger. Ce déſaftre
, après avoir excité de tendres regrets
dans tous les coeurs , ne pouvoit manquer
d'être ſaiſi par le miniſtre évangélique qui
prêchoit le carême dans cette égliſe ; c'eſt
auſſi ce qu'il a fait , en ramenant le ſujet
principal & les circonstances à la religion .
L'orateur chrétien , après avoir fait voir
que la réſurrection de Jésus- Chriſt aſſure
aux fideles la réfurrection glorieuſe de
leurs corps , finit ainſi en fixant le tombeau
des cinq jeunes penſionnaires .
Qui , vous reparoîtrez dans un état de
1
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
gloire , de puiſſance & d'incorruptibilité ,
triſtes & informes débris de corps qu'anima
le ſouffle divin , & qu'un feu dévorant
vient de réduire preſque en poudre.
O mon Dieu ! qui fuis-je pour interroger
votre volonté ? ... Je ſai que votre juſtice
permit que le feu du ciel conſumât cent
deux hommes qui inſultoient à Elie ; que
deux bêtes féroces déchiraſſent quarantedeux
enfans qui ſe railloient d'Eliſée ;
mais je fais auſſi que votre miséricorde
conſerva trois jeunes Hébreux au milieu
d'une fournaiſe ardente. Votre bonté
étoit donc épuiſée pour ces cinq vierges
qui faifoient , il y a trois jours , la joie
&la couronne de cette religieuſe maiſon ,
&qui font aujourd'hui l'objet de ſes plus
vifs regrets.
Réflexions fur les causes de l'incredulité
par rapport à la religion ; par Duncan
Forbes de Culloden , préſident de la cour
des Seffions d'Ecoſſe , traduites de l'anglois
par M. E *** , un vol. in- 12 , avec
cette épigraphe :
Evanuerunt in ratiocinationibus fuis & obfcuratum
est infipiens eorum cor. Dicentes effſe ſapientes
, ftultifacti sunt. Paul. epiſt. ad Rom. cap. r ..
. 21 & 22.
à Paris , chez Pillot , Libraire, rue SaintJUILLET
1768. 109
Jacques , à la Providence. L'auteur de cet
ouvrage , dont le but eſt de ramener les
hommes aux principes de la religion , établit
, pour baſe de ſes réflexions , que les
ouvrages de Dieu , les merveilles qu'il a
opérées & opere tous les jours font une
preuve indubitable de ſon exiſtence & en
inême temps de ſa puiſſance illimitée.
Caracteres , ou religion de ce fiecle , un
volume in- 12 broché , avec cette épigraphe :
Ut religio propaganda etiam eft qua est conjuncta
cum cognatione natura , fic erroris ftirpes ejicienda.
Bordeaux , chez Jean Chappuis , imprimeur
de la cour de Parlement , foſſés de
ville ; & à Paris , chez les libraires qui
vendent les nouveautés .
Cet ouvrage eſt diviſé en dix- neuf chapitres
qui traitent ſéparément de Dieu ,
du culte , de l'ame , de la vertu , de la nature
, de la philosophie , de l'ignorance ,
des efprits forts , de l'esprit de parti , des
livelles , des moeurs , de la mode , de la
fortune , de l'éducation , de la vocation ,
d. préjugé , de l'intolérance de l'illufion
& de la prudence.
د
Mémoires & confultation, pour Antoine
&Jean Perra & Jeanne Dalin , femme
Forobert , accuſés de crime de viol &
MERCURE DE FRANCE.
d'affaffinat , avec le jugement de la ſénéchauſſée
criminelle de Lyon , qui les déchargede
toute accuſation; ſuivisde lettres,
de conſultations &de diſſertations ſur les
cauſes de mort de ceux que l'on trouve
dans l'eau ; un vol. in- 12 broché. AParis ,
chez la veuve Ducheſne , rue Saint-Jacques
, au temple du goût ; à Lyon , chez
Aimé de la Roche , aux halles de la Grenette.
:
L'événement qui a donné lieu à ces
mémoires intéreſſe trop l'humanité pour
que nous le laiſſions ignorer du public.
Le 25 juin de l'année 1767 la fille d'un
ouvrier en foie de la ville de Lyon , nommée
Claudine Rouge , d'une très- jolie figure,
mais d'une ſageſſe reconnue , s'étant apperçue
ſur les neuf heures du foir , en
fortant de table , qu'il lui manquoit un
chat qu'on lui avoit donné depuis quelques
jours , fortit de chez elle pour le
chercher dans le voiſinage. Ses pere &
mere , ne la voyant pas revenir , la croient
chez la femme qui lui avoit fait préſent
du chat qu'ils ſuppoſent être retourné
dans ſa premiere maiſon , attiré par les
cris de ſa mere. Inquiets enfin de l'abfence
de leur fille , ils vont la demander à
cette voiſine , dont les réponſes plaiſantes
JUILLET 1768 . 111
font naître contre elle les plus violens
ſoupçons. Elle eſt deux fois contrainte à
fouffrir que l'on faſſe chez elle les plus
exactes perquifitions.
Six jours ſe paſſent dans l'incertitude
la plus cruelle ſur le ſort de Claudine
Rouge. On apprend enfin qu'on a trouvé
au-deſſous de lavillede Condrieu , à neuf
lieues de Lyon , ſur les bords du Rhône ,
le cadavre d'une femme ou fille. Sur cette
nouvelle , l'oncle & un voiſin ſe tranfportent
ſur les lieux ; ils font exhumer le
cadavre &penſent reconnoître , à la figure
& aux habits , Claudine Rouge qu'ils font
inhumer ſous ce nom , dans le charnier
de la paroiffe de Saint Michel ſous Condrieu
.Un chirurgien qui , en paſſant , avoit
conſidéré le cadavre , avoit conjecturé que
c'étoit une fille fur laquelle on avoit fatiffait
ſa paſſion par force ,& que l'on avoit
enfuite étranglée & jettée à l'eau.
Les ſoupçons ſe renouvellent & s'aggravent
contre la femme Forobert , que
fonhumeur, naturellement enjouée , avoit
fait plaiſanter ſur la diſparution ſubite
de Claudine Rouge. On l'accuſe de s'être
prêtée aux violences que l'on imagine ,
fans aucun fondement , avoir été faites à
cette fille par un nommé Antoine Perra ,
qui ne la connoiſſoit point & ne l'avoit
112 MERCURE DE FRANCE.
jamais vue ; on implique dans l'affaire
Jean Perra comme complice du crime de
fon frere Antoine , qu'il lui a aidé à commettre
conjointement avec un oncle defdits
Perra & la femme Forobert. On ne
craint point d'avancer qu'après cette horrible
action ils ont étranglé Claudine
Rouge , qu'ils l'ont enſuite jettée dans un
puits , d'où ils l'ont retirée deux jours
après pour la porter à la riviere. Le
procès s'inſtruit ; deux femmes & trois
hommes ſont empriſonnés en conféquence,
&un autre eſt déclaré contumax. Enfin
après une immenſe procédure , dont l'inftruction
a duré près de cinq mois , on renvoie
les prétendus coupables déchargés de
toute accufation.
Tel eſt le précis de l'étrange aventure
qui fait la matiere de ces mémoires &
differtations dans lesquels les avocats &
chirurgiens combattent réciproquement
leurs opinions.
F
Nota. On trouve auſſi chez Aimé
de la Roche , à Lyon , l'inſtruction fur
la pénitence que l'archevêque de cette
ville adonnée cette année à l'occaſion des
difpenfes pour le carême , & qui ſe vend
à Paris , chez Mercier , rue Saint - Jacques
, & chez Saillant , rue Saint-Jean-de-
Beauvais ; ainſi qu'un état des baptêmes ,
(
1
JUILLET 1768 . 113
mariages & morts de la même ville dans
les années 1766 & 1767 : dont on trouve
des exemplaires à Paris chez Durand, libraire,
rue Saint- Jacques , à la ſageſſe.
Lettre de M. de Saintfoix , au ſujet de
l'homme au maſquede fer. AAmſterdam ,
& ſe trouve à Paris , chez Vente , libraire ,
au bas de la montagne Sainte-Genevieve.
Il eſt certain , dit M. de Saintfoix , qu'il
y a eu à la Baſtille un prifonnier à qui il
étoit défendu , ſous peine de la vie , de ſe
faire connoître , & qu'on obligeoit de porter
un maſque de fer , pour qu'il ne fût
pas reconnu . Il ajoute que les conjectures
haſardées ſur cette anecdote mystérieuſe
étant abſolument contraires & à la vérité
&à la vraiſemblance , il a cherché à éclaircir
le fait , & croit y avoir réuffi.
Il commence par rapporter l'opinionde
l'auteur des Mémoiresfecrets pourfervir à
l'histoire de Perse , ( 1 ) qui prétend que ce
priſonnier étoit le Comte de Vermandois
( 2 ) qui , ayant eu un petit différend
( 1 ) Sous ce nom est déguisé celui de France.
( 2 ) Sous le nom de Giafer. Il étoit fils de
Louis XIV & de Mde de la Valliere,
114 MERCURE DE FRANCE.
avec le dauphin ( 3 ) , avoit eu l'audace
de lui donner un foufflet. Un paſſage tiré
des Mémoires de Mlle de Montpenfier ,
tom. 7 , pag. 90 & 92 , & une lettre de la
préſidente d'Ofembray au comte de Buffi-
Rabutin , fur la mort du comte de Vermandois
arrivée au ſiege de Courtray ,
ſont deux preuves évidentes dont ſe ſert
M. de Saintfoix pour démontrer la faufſeté
de cette mépriſable anecdote.
Il rapporte enfuite une lettre de M. de
la Grange Chancel à M. Fréron , dans
laquelle celui qui écrit affure que l'homme
au maſque de fer étoit le ducde Beaufort
(4 ) , que ſon génie remuant & féditieux
avoit rendu ſi redoutable , qu'on s'étoit
cru obligé de prendre ce parti pour ne plus
craindre ſes cabales. M. de Saintfoix , pour
nous convaincre de l'abſurdité de cette
fable , nous préſente le récit que M. le
marquis de Saint- André Montbrun , pag.
362 , 363 & 365 de ſon mémoire , fait de
la mort du duc de Beaufort , tué le s juin
1669 , en combattant contre les Turcs qui
( 3 ) Sous le nom de Sephi-Mirza.
(4) Il étoit frere puîné de Louis duc de Vendome
, & Amiral de France ; il avoit été un des
chefs de la fronde pendant la minorité de
Louis XIV.
JUILLET 1768. 115
aſſiégeoient Candie. Quoique l'on n'ait
jamais pu retrouver ſon corps , il n'en eft
pas moins vrai que ſa têre fut envoyée à
Conſtantinople , & portée pendant trois
jours par les rues , au bout d'une pique ,
comme une marque de la défaite des
chrétiens .
Enfin M. de Saintfoix , après avoir rejetté
les deux opinions qui regardent le
comte de Vermandois & le duc de Beaufort
, penſe que l'homme au maſque de
fer n'a pu être que le duc de Monmouth ,
fils de Charles II , roi d'Angleterre , & de
Lucie Valters , qui avoit entrepris de détrôner
Jacques II : que ce duc ayant été
fait prifonnier dans une bataille , & condamné
à mort , a été ſauvé par la clémence
de ſon roi & envoyé , ſous eſcorte ,
en France , où il fut d'abord enfermé aux
ifles Sainte- Marguerite , &de- là transféré
à la Baſtille. Quoique cette opinion ait ,
dans la lettre de M. de Saintfoix tous les
degrés de probabilité néceſſaires à l'évidence
, nous nous abſtiendrons cependant
de rien décider ſur une queſtion qui ne
peut que devenir de jour en jour plus
problématique.
Mélanges hiftoriques & critiques , contenant
diverſes pieces relatives à l'hiſtoire
116 MERCURE DE FRANCE.
de France , 2 vol. in- 12 . A Amſterdam ;
& ſe trouve à Paris , chez de Hanſy , le
jeune , rue Saint-Jacques.
Ces mêlanges ſont compofés , pour le
premier volume , de trois differtations ,
dont la première , qui eſt diviſée en deux
parties , roule ſur la forme du gouvernement
de la monarchie françoiſe ſous les
rois de la premiere race, ſur ſa nature &
ſon origine. L'auteur y combat , ou , pour
mieux dire , y renverſe entierement le
ſyſtême de M. de Boulainvilliers , qui
paroît avoir donné trop peu de puiſſance
à nos premiers rois ; il ſuit en cela le ſentiment
de la plupart de nos plus célebres
écrivains modernes. La ſeconde diſſertation
, auſſi diviſée en deux parties , traite
de l'origine & de l'autorité des maires
du palais ſous la premiere race. L'auteur
y dément encore l'opinion de M. de Boulainvilliers
, qui dit que les maires du
palais que les François éliſoient, étoient ,
par leur titre , généraux nés de la nation ,
& qu'en cette qualité ils ont joui de toute
la puiſſance militaire & du droit de commander
les armées juſqu'à ce que Pepin
eût réuni en ſa perſonne l'une & l'autre
puiſſance. Loin d'adopter cette idée , qu'il
traite de chimérique, il prétend , au cor
JUILLET 1768. 117
traire , que les rois , maîtres de choifir
leurs maires du palais , l'étoient auſſi de
les deſtituer.
Cette differtation eſt ſuivie d'une troi
fieme , où l'auteur s'attache à démontrer
qu'Urſin , auteur de la vie de Saint-Léger ,
n'étoit point contemporain , & que ce
Saint n'a jamais été maire du palais ; il
croit aufli , contre le pere le Cointe &
M. de Valois , que la mairie n'étoit point
unedignité incompatible avec l'épiſcopar.
Des conjectures fur la véritable cauſe
de la fuppreffion de la chargede connétable
ſuivent ces diſſertations. L'auteur
impute à l'orgueil du cardinal de Richelieula
ſuppreſſionde cette première charge
de la couronne , qui rendoit trop puiſſant
celui qui en étoit décoré. Nous remarquerons
que l'auteur , en parlant des connétablesde
Luynes&de Leſdiguieres, ne rend
pas juſtice au premier ſur un article très-intéreſſant
pour ſes deſcendans. Après qu'il a
ditde ce favoride Louis XIII , que la baſe
de fon crédit étoit trop foible pour le rendre
redoutable aux yeux du cardinal , il
parle du duc de Leſdiguieres en ces termes ;
ſanaiſſance, la conſidération quelui avoient
méritée ſes ſervices , &c. Nous ne prétendons
point conteſter l'ancienneté de la
nobleſſe de la maiſon de Bonne-Lefdi
118 MERCURE DE FRANCE.
guieres ; mais qu'a-t-elle de ſi éclatant
par rapport à la maiſon de Luynes ? Ne
fait-on pas qu'en 1476 Jean d'Albert ,
ſeigneur de Montclas , ancêtre des ducs
de Luynes , étoit prevêt- maître des cérémonies
de l'ordre de Saint Michel , charge
que Louis XI créa exprès pour lui , en
inftituant cet ordre , qui pour lors étoit
auſſi reſpecté en France que celui du Saint-
Eſprit l'eſt aujourd'hui.
Les obſervations ſur les biens eccléſiaſtiques
, qui terminent ce volume , ne
fauroient manquer d'être agréables au public
; elles détruiſent l'immunité de ces
biens & le privilége que les gens d'égliſe
pourroient prétendre avoir de ne point
contribuer aux charges de l'état.
Le ſecond volume contient l'hiſtoire
de la ſurpriſe d'Amiens par les Eſpagnols
le 11 mars 1597 , & de la repriſe de cette
ville par Henry IV le 25 ſeptembre de la
même année , avec les pieces juttificatives ;
quelques réflexions de M. Colbert fur
différens objets importans pour l'état ; une
traduction des diſcours hiſtoriques & politiques
ſur l'hiſtoire d'Angleterre de M.
Humes , auteur Anglois ; & une differtation
ſur l'origine & les prérogatives de la
charge de connétable.
JUILLET 1768, 119
Discours moraux , couronnés dans les
académies de Montauban & de Besançon
en 1766 & 1767 , avec un éloge de
Charles V , roi de France ; par M * * * :
brochure in- 8° . A Sens , chez P. H. Tarbé
imprimeur-libraire , au nom de Jéſus ; à
Paris , chez la veuve Pierres & fils , libraires
, rue Saint-Jacques , vis-à-vis Saint
Yves , à Saint Ambroiſe & à la couronne
d'épines,
Dans le premier diſcours l'auteur examine
s'il eſt utile à la ſociété que le coeur
de l'homme ſoit un myſtere , & il ſe décide
pour l'affirmative.
Dans le ſecond il s'attache à démontrer
qu'il importe autant aux nations qu'aux
particuliers d'avoir une bonne réputation.
Dans le troiſieme , où il s'agit de prouver
combien le courage d'eſprit eſt néceffaire
dans tous les états , il diftingue ce
courage de la ſtoïque inſenſibilité de l'ancienne
philoſophie ; & de cette fievre
fanatique qui détruit dans le coeur de
l'homme le ſentiment de la pitié : c'eſt
la force monstrueuſed'un ſcélérat ou d'un
inſenſé. Différens exemples qu'il cite des
héros & des ſages de l'antiquité lui fervent
à établir pour principe que le courage
d'eſprit n'eſt autre que la vertu qui
120 MERCURE DE FRANCE.
nous fait braver tous les périls pour l'amour
de la patrie , pour le ſoutiende notre
propre gloire , &c.
Quoique l'éloge de Charles V, qui a
concouru pour le prix de l'académie françoiſe
en 1767 n'ait point été couronné,
nous ne ſaurions refuſer à l'auteur la juftice
de dire que cet ouvrage n'eſt point
inférieur à ſes diſcours précédens.
Poésies & oeuvres diverſes de M. de la
Louptiere , de l'académie des Arcades ;
2 vol. in- 12. A Londres , & fe trouvent
à Paris , chez la veuve Ducheſne , rue
Saint-Jacques , au temple du goût .
Les oeuvres de M. de la Louptiere ,
font des élégies , des madrigaux , des
énigmes , des épigrammes , des vaudevilles
, des chansons , des ariettes , des
épîtres , des bouquets , des vers ſur toutes
fortes de ſujets , un dialogue entre Houdart
& la Chauſſée , des fables , dont la
plus ſaillante eſt celle de la chaſſe au
miroir , que nous tranfcrirons ici pour
donner une juſte idée de la facilité avec
laquellel'auteur verſifie.
Sur la fin de l'hiver vivoit une allouette ,
Vrai modele d'inſtinct & de vivacité ,
Jeune fur-tout & fort bien faite ,
Par conféquent pleine de vanité.
On
JUILLET 1768. 12
On la voyoit dans les campagnes
Se rengorger , ſe panacher ,
D'elle-même s'amouracher ;
Alloit-elle avec ſes compagnes ,
Ce n'étoit que pour s'aſſurer
Qu'elle valoit beaucoup mieux qu'elles ,
Et les contraindre d'admirer
Quelques gentilleſſes nouvelles.
Elle ſe diſoit quelquefois :
Je vaux , ou l'on m'a bien trompée ;
L'allouette la mieux huppée.
Iln'eſtpasun oiſeaudans nos champs, dans nosbois,
Qui ne s'honorât de mon choix ;
Mais , après tout , ſuis-je donc faite
'Avec tant d'agrémens pour le bonheur d'un ſeul ,
Et quel mal eſt-ce au fond que d'être un peu
coquette ?
Dans le creux de quelque tilleul
Une vieille méſange , au déclin de ſa vie,
En aura fait un crime , & cela par envie.
: Nous avons toutes bonnement
* Reçu pour loi ce radotage ;
こい
:
4
Mais enfin je ne ſuis pas d'âge
A penſer ridiculement.
1
Tandis qu'elle tient ce langage ,
:
Elle voit dans un champ reluire ſon image;
Un miroir faiſant cet effet ,
Déroboit à ſes yeux un dangereux filet ;
Un jeune enfant la guettoit au paſſage ;
Vol. I. F
122 MERCURE DE FRANCE.
La voilà toutefois qui s'éleve en chantant ,
S'abaille par degrés , plane avec complaiſance ,
Se retourne à chaque diſtance,
Se trouve , au moindre mouvement ,
Plus belle encor qu'auparavant ;
Tant qu'à la fin s'abaiſſant ſur la glace ,
Dans le piege elle s'embarraffe ,
Ivre du plaifir de ſe voir,
Que de jeunes beautés l'amour prend au miroir !
OmaggiopoeticodiAntonio diGennaro ,
duca di Belforte , volume in- 8° , du prix
de 2 liv. 10 ſols broché , dédié à fon
excellence madame Anne - Genevieve la
Vieuville , comteſſe de la Vieuville ; par
M. Vefpafiano , éditeur de l'ouvrage qui
ſe vend à Paris , chez Debure , pere ,
libraire , quai des Auguſtins , du côté du
pont Saint-Michel , à l'image Saint Paul
Ce poëme , qui contient quatre-vingtcinq
ſtrophes de huit vers chacune , eſt
adreſſée à la future reine de NaplesMarie-
Joſephe , archiducheſſe d'Autriche , quele
glaive de la mort a frappée au moment
même qu'elle ſe diſpoſoit à joindre fon
époux.
Un ſeigneur François a traduit cette
belle ode avecdes ſoins affez heureux pour
avoir pu lui conſerver dans notre langue
l'harmonie & la force originales,
JUILLET 1768 . 123
La traduction françoiſe ſe trouve imprimée
à côté des vers italiens.
L'éditeur , le ſieur Vefpafiano avertit le
public qu'il profeſſe à Paris la langue italienne
depuis plus de dix ans. Sa demeure
eſt ruedes Cordeliers , à l'hôtel du Saint-
Eſprit.
L'Art de bien faire les glaces d'office ,
ou les vrais principes pour congeler tous
les rafraîchiſſemens. La maniere de préparer
toutes fortes de compoſitions , la
façon de les faire prendre , d'en former
des fruits , cannelons & toutes fortes de
fromages. Le tout expliqué avec préciſion
ſelon l'uſage actuel. Avec un traité ſur les
mouſſes. Ouvrage très-utile à ceux qui font
desglaces ou fromages glacés. Orné de
gravures en taille-doute ; par M. Emy ,
officier. I volume in 12 ; prix 2 livres 10
ſols broché , 3 liv. relié. A Paris , chez
Leclerc , libraire , quai des Auguſtins , à
la toiſon d'or .
L'auteur n'a pas ſeulement écrit ſur
cette matiere en praticien , mais encore en
phyſicien parfaitement inſtruit des cauſes
de la congelation. On voit qu'il a lu avec
fruit les principes de MM. de Mairan ,
Nollet , &c. Il parcourt divers pays & nous
indique les moyens dont lesChinois &
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
autres peuples ſe ſont ſervis pour faire
geler l'eau dans les tems de chaleur.
Histoire d'Agathon , ou tableau philoſophique
des moeurs de la Grece ; imité
de l'allemandde M. Wielland , avec cette
épigraphe :
Quid virtus & quid ſapientia poſſit ,
utile propofuit nobis exemplar.
Quatres parties in- 12 . A Lausanne ,
chez Graffet , & à Paris , chez de Hanſy
le jeune , rue Saint - Jacques ; 1768 .
Voici le premier roman de la littérature
allemande traduit en françois ; il
a un caractere propre qui le diftingue des
autres ouvrages de ce genre. L'auteur a
voulu repréſenter dans Agathon un homme
honnête , qui a le ſentiment de la
vertu , & le courage de la pratiquer dans
les occaſions les plus critiques. Il combat
les raiſonnemens dangereux du ſophiſte
Hippias : il le réfute encore plus par ſa
conduite que par ſes diſcours.
Ily a eu unAgathon, poëte dramatique ,
qui eut , dit-on , trente mille ſpectateurs
à la repréſentation de ſa premiere piece ,
auxquels il donna enſuite un feſtin magnifique.
L'Agathon de ce roman eſt un perſonnage
fictif , mais qui n'eſt point au- deſſus
JUILLET 1768. 125
des forces de la nature ,& dont l'exemple
eft utile & ſenſible dans le but moral que
l'auteur s'eſt propoſé .
Les quatres premieres parties de ce roman
feront ſuivies de quatre autres qui
le termineront.
Le traducteur caractériſe dans ſon avertiſſement
les principaux auteurs de la littérature
allemande ; nous en donnerons
une notice d'après lui. Vtz , Leffing ,
Gleim , Geſtenberg ſe ſont diftingués par
des poéſies légeres. Cramer a fait des odes.
Hagedorn , Gellert , Roſt ont donné des
fables & des contes agréables. Gefner a
réuſſi dans le genre de l'idyle. Bodmer a
une poéſie élevée. Haller , Zacharie &
Kleiſt inſpirent à leurs lecteurs l'enthouſiaſme
qui les anime. Klopſtock a compoſe
la Meſſiade , poëme épique qui jouit
de la plus grande réputation. Rabner a
écrit de ſatyres eſtimées. Schlegel &
Chronegk ont publié de bonnes pieces de
théâtre.
Mofès- Mendelſon , juif de Berlin , a
développé , dans ſes lettres ſur les ſentimens
, & dans ſon Phædon ou de l'immortalité
de l'ame , les connoiſſances les
plus profondes du coeur humain. Wielland
s'eſt diſtingué dans différens genres ; il a
commencé le poëme de Cyrus , il a fait
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
des contes moraux , des lettres morales ;
l'art d'aimer , poëme en deux chants ; un
autre poëme ſur la nature , en ſix chants ;
des lettres des morts aux vivans ; l'épreuve
d'Abraham , poëme ; Clementine ,
dont le ſujet eſt tiré du roman de Grandiſſon
; des tragédies , ſavoir ; Jeanne
Grai , Angloiſe ;Araſpe & Panthée : enfin
il a donné la ſympathie des ames traduite
en françois ; & cette hiſtoire d'Agathon.
Carmen in inftauratione concurfus academici
, die undecimâ menſis aprilis , anno
1768 ; recitatum à M. Arnulpho
Vernade , doctore aggregato .
Ce poëme , ouvrage d'un jeune homme
de 21 ans , annonce un talent décidé , &
de la nobleſſe dans les idées & dans les
fentimens . Il a été fait à l'occaſion du
concours établi en 1766 pour ceux qui
aſpirent à profeffer publiquement dans les
chaires de l'univerſité.
Concours pour les places de profeffeurs
dans l'univerſité.
Il y a trois différens ordres , celui des
philoſophes , celui des rhétoriciens , celui
dos grammairiens. Tous les afpirans ont
JUILLET 1768. 127
trois épreuves à foutenir en préſence de
l'univerſité aſſemblée , à la tête de laquelle
eſt M. le recteur. Celle de la compoſition ,
celle de l'explication des auteurs , & celle
de la leçon. Ceux des concurrens que les
juges nommés pour cet effet , ont décidé
l'emporter ſur les autres ( ce qui ne ſe fait
qu'après environ fix ſemaines d'examen )
font déclarés aggrégés à l'univerſité , &
reçoivent deux cent liv. de penfion annuelle
, juſqu'à ce qu'ils aient obtenu une
chaire , auxquelles les ſeuls aggrégés ont
droit de prétendre ; & alors la penſion
ceffe.
1
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADÉMIES.
SEANCE publique de l'académie royale des
belles- lettres deCaen, duz décembre1767.
M. Viallet , ingénieur du Roi pour les
ponts,chauffées,& ports maritimes ducommerce
de la généralité deCaen , fit l'ouverture
de la féance par des réflexions ſur l'efprit
philofophique, qu'il conſidérarelativement
à l'homme privé , à l'homme d'état
& à l'homme de lettres. Dans le premier
cet eſprit ſe borne à lui faire aimer &
remplir ſes devoirs. Il doit toujours être en
action avecl'homme d'état. Il aide enfin au
ſavantàrépandre ſur l'homme privé comme
fur l'homme d'état la lumiere qui leur apprend
à voir , analiſer , comparer , & juger.
(1 ) .
M. Rouxelin , fecrétaire de l'académie ,
annonça que le prix avoit été adjugé à M.
l'Abbé Brufeau , dont le diſcours paroiffoit
déſigner le mieux la qualité qui caractériſe
lebon ſujet Parmi les opinions que
doit faire naître cette queſtion , l'auteur
( 1 ) L'Académie avoit propoſé , pour le ſujet
du prix de 1767 : quelles font , dans un Etat
monarchique , les qualités distinctives qui caractérisent
lebonsujet, relativement à l'ordre public?
JUILLET 1768. 123
embraſſe celle qui convient à un citoyen
qui n'a d'autre mérite que ſon amour pour
fon Prince , &qui apperçoit dans cet amour
la qualité qui diftingue le bon ſujet , &
plus encore le françois qui a le bonheur
de vivre ſous celui des rois qui mérite le
plus cet amour. Le Ciel forma fon âme
des qualités héroïques du plus grand de
nos monarques , &des vertus aimables du
plus chéri de nos ſouverains : ſes premieres
années nous retracent le ſouvenir de Louis
le Grand ; & le reſte de ſa vie paroît conſacré
à nous rappeller la mémoire du bon
Henri. Le droit de la naiſſance plaça fur
ſa tête une couronne illuſtrée par plus de
douze fiecles de gloire : la patrie lui en
offritdepuis une plus précieuſe;elle l'avoit
formée du coeur de tous les François.
La longueur de la féance fit remettre à
celle du mois de janvier le diſcours de
réception de M. l'abbé Guyot , prédicateur
ordinaire du roi , aumônier de Mgr
le duc d'Orléans , & de la ſociété littéraire
de Nancy , fur un ſtatut particulier à pluſieurs
académies , qui depuis a été imprimé
chez Ganeau , rue Saint- Severin .
Cette ſéance fut terminée par des réflexions
intéreſſantes & patriotiques de
M. de Fontette , intendant de la généralité
, & vice-protecteur de l'académie.
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
L
Cemagiſtrat fit fentir que ſi l'eſprit philofophique
paroiſſoits'occuper uniquement
aujourd'hui des queſtions économiques ,
il n'en étoit pas moins l'ame de toutes les
parties de l'adminiſtration. Son regne eft
de tous les fiecles , comme de toutes les
profeſſions. Les tréſors qu'il avoit accumulés
dans Rome , rendus à la Grece ,
leur patrie originaire , furent diſperſés
par les armes des Muſulmans. Dans les
débris échappés de ce naufrage , & recueillis
avec ſoin en France & en Italie ,
l'eſprit philofophique, par le ſecours de la
méthode , rendit aux ſciences & aux arts
une ſplendeur qui diſſipa les ténebres dans
leſquelles nous étions plongés. Il éclaira
l'univers ; les rois lui dûrent leur autorité ,
&les peuples une ſage adminiſtration. Si
quelques mortelsprivilégiés par les talents,
s'aviſent de vouloir troubler l'harmonie de
l'ordre public , leurs ouvrages excitent au
plus la curiofité. Peut-être feroient- ils fenſationdans
une république ; mais ils n'ont
point ce funeſte avantage en France : ils
n'euſſent même oſé paroître ſous le regne
de Louis XIV. Il est vrai qu'alors la monarchie
n'avoit d'autres bornes que la volonté
d'un roi qui n'en fouffroit pas. Comme
l'éclat de ſa couronne , & la gloire de fon
peuple , étoient fon unique objet , la main
qui diftribuoit lesbienfaits fut plus occupée
JUILLET 1768. 131

que celle qui infligeoit les peines ; & il
n'abuſa point d'un pouvoir ſi dangereux.
Si ſa modération dans l'uſage qu'il fit de
ce pouvoir , mérite nos éloges , nous en
devons bien plus encore à fon auguſte
ſucceſſeur , qui a renfermé l'autorité royale
dans les bornes de la monarchie abſolue ,
qu'on ne peut pas dire être ſupérieure aux
✓ loix dictées par l'intérêt général , & qui
par cela même ſont les loix fondamentales
de l'Etat.
L'académie , pour le ſujetdu prix qu'elle
diſtribuera le premier de décembre 1768 ,
propoſe la queſtion ſuivante :
Ya-t-il eu autrefois en France dans
les habillemens ordinaires des particuliers ,
une marque distinctive de leur état ; & fi
cette distinction eft utile dans une monarchie,
quelsferoient les moyens de la rétablir,
&de la perfectionner ,fans nuire aux manufactures
?
Ce prix eſt une médaille d'or de la
valeur de 300 livres , que donne M. de
Fontette. Les diſcours , d'une demi-heure
de lecture , & lifiblement écrits , feront
remis , francs de port, avec le nom de
l'auteur , ſous enveloppe cachetée , avant
le premier de novembre 1768 , à M. Rouxelin
, ſecrétaire de l'académie. Les auteurs
auront l'attention de ne pas ſe faire connoître.
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLES.
OPÉRA.
Daphnis & Alcimadure.
L'ACADÉMIE royale de muſique a donné
le vendredi 10 juin la premiere repréſentation
de Daphnis&Alcimadure , paftorale
en trois actes , dont les paroles & la
muſique ſont de M. de Mondonville. ( 1 )
Cette paſtorale étoit dans l'origine en
vers languedociens ; mais comme peu de
ſpectateurs en comprenoient le patois ,
ce qui nuiſoit au ſuccès , malgré le charme
(1 ) Elle fut repréſentée devant le Roi à Fontainebleau
le 29 octobre 1754 ; & fur le théâtre
de l'académie royale de muſique le 4 novembre
de la même année. Les principaux rôles furent
alors rendus par le ſieur Jeliotte , par la Dile
Fel& par le fieur Latour. On a publié , dans le
tems , trois parodies de cet opéra ; l'une , en un
acte , ſous le titre de l'heureuſe feinte , ou Daphnis
& Alcimadure , traduction aſſez fidelle que
les théâtres de Province adopterent ; l'autre les
Amours de Mathurines , en deux actes , jouées à
la comédie italienne ; la troiſieme Jérôme & Fanchonnette
, parodie par feu Vadé , repréſentée à
l'opéra-comique.
:
>
JUILLET 1768. 133
de la muſique , on l'a traduite en vers
françois ,& fous cette forme elle plaît
généralement. Le ſpectateur françois s'attache
plus aux paroles qu'à la muſique ;
ce qui fait qu'une langue étrangere aura
toujours de la peine à réuſſir ſur notre
théâtre , quoique foutenue par la mufique
la plus brillante & la plus expreſſive.
On a donné auſſi à cette repriſe , le
prologue dont le ſujet eſt l'inſtitutiondes
jeux floraux , par Clemence Ifaure , ſeul
perſonnage , avec un choeur de jardiniers
, de nobles &de peuples.
Le théâtre repréſente les jardins de
Clémence Ifaure , & fon palais dans le
fond.
La ſcene commence par des danſes ;
c'eſt l'expofition naturelle d'une fête galante.
Ifaure célebre dans ſes chants l'amour
, l'éternel dieu de notre muſique.
Ici ſans art & fans détour
L'eſprittient toutdu coeur& fait ſefaire entendre,
Sans chercher à briller , il eſt naïf & tendre ,
Le dieu des vers n'eſt que le dieu d'amour.
ISAURB continue.
Peuples , il faut , dans ce beau jour ,
D'un ſiècle ſi chéri tranfmettre la mémoire ,
Et je veux que des prix couronnent la victoire
De ceux qui ſauront mieux chanter le tendr
amour,
134 MERCURE DE FRANCE.
Le choeur célebre la gloire & les bien
faits d'Iſaure.
Mlle Duplant a rendu avec nobleſſe ce
rôle d'Iſaure. Elle réuſſira toujours dans
les rôles de repréſentation & de grand
caractere , dont le chant eſt ſoutenu , &
plus expreſſif que léger.
Le ballet de ce prologue eſt agréable &
bien deſſiné ; on n'a pas oublié les fleurs
qui ſervent de prix dans les jeux Aoraux.
Le fieur Gardel, dont la danſe eſt ſi noble ,
ſi ferme & fi bien prononcée , y a reçu
de juſtes éloges . On a pareillement applaudi
ſa ſoeur , dont les talens ſe développent
tous les jours dans le grand genre ,
pour lequel ſon frere lui donne le meilleur
modele & des leçons.
Les perſonnages de la paſtorale ſont :
"Alcimadure , bergere , Mde L'ARRIVÉE,
Daphnis , berger , .. M. LE GROS , hautecontre.
Mirtil, frere d'Alcimadure, M. L'ARRIVÉE ,
baſſe-taille.
Cette diſtribution de voix eſt préférable
à celle de deux hautes- contres qui
étoient dans l'opéra languedocien. Il faut
du contraſte entre les voix pour ſe faire
valoir & rendre plus ſenſibles la progref
fion & la diſtribution du chant .
JUILLET 1768. 135
Tous ces perſonnages ont été ſupérieurement
rendus. La voix du ſieur le Gros ,
ſi flatteuſe par ſon timbre argentin , ſi
brillante par ſon étendue , ſi expreſſive par
fa ſoupleſſe , a parfaitement exécuté le
rôle de Daphnis. Le ſieur l'Arrivée a un
organe fort , articulé , & gracieux , que le
goût& l'art font encore valoir. Mde l'Arrivée
ne pouvoit avoir un rôle plus convenable
à la légéreté & à la volubilité de
ſes fons , à l'adreſſe , pour ainſi dire , de
fon chant , & à la rapide & étonnante
exécution de ſa voix.
La fable de cette paſtorale eſt ſimple :
Alcimadure craint l'eſclavage de l'amour
malgré les conſeils de Mirtil , ſon frère ,
&malgré le penchant de ſon coeur , &
la reconnoiſſance qu'elle doit à Daphnis ,
qui l'a ſauvée & vengée des pourſuites
d'un loup furieux. Enfin apprenant la
fauſſe nouvelle de la mort de fon amant ,
elle ſe livre à ſon déſeſpoir , elle le pleure ,
&fapréſence inattendue comble ſes voeux.
( 2) Le caractere d'une indifférente n'intéreſſe
point ou n'intéreſſe que foiblement;
(2) Théocrite , & le bon la Fontaine , ont chanté
les rigueurs d'Alcimadure ; ils la puniſſent par la
chure de la ſtatue de l'amour qui l'écraſe , cauſe
phyſique peu faite pour corriger le moral. M. de
Mondonville a mieux confulté la nature. **
136 MERCURE DE FRANCE.
il n'offre qu'une ſeule ſituation négative
qui ſe répetedans tout le cours de la repréſentation
; il doit peu toucher le ſpectateur
, qui ne reçoit que le ſentiment qu'on
lui préſente : c'eſt pourquoi les auteurs
dramatiques ont toujours ſoin de traverſer
les deſirs des amans , & d'attacher l'attention
par l'inquiétude de leur fort. Mais le
défaut de cette paſtorale eſt bien réparé
par l'agrément du ſpectacle & par l'habileté
dupoëte &du muficien , double titre
que M. de Mondonville réunit en cette
occaſion par un talent rare & précieux.
les arts , enfans de la nature & du goût ,
font freres ; & il ne peut y avoir trop
d'intelligence , principalement entre la
poéſie & la muſique.
PREMIER ACTE.
Le théâtre repréſente le hameau d'Alcimadure.
Daphnis ſe plaintdes rigueursde l'amour,
Hélas ! amour , faut- il mourir !
Que t'ai-je fait pour tant ſouffrir ! &c .
Cet air eſt d'un chant neuf, naif , &
très-piquant.
Alcimadure annonce & peint la tranquillité
de ſon ame par un air vif & gai ,
dans lequel la bergere célebre les charmes
JUILLET 1768. 137
de l'indépendance. Daphnis ſe hâte de lui
déclarer fon amour ; mais fa réponſe n'eſt
point fatisfaiſante , elle lui chante :
Au dieu de la tendreſſe
Pourquoi s'aſſujettir ?
Souvent une foibleſſe
Nous cauſe un repentir.
Des traits dont il vous bleffe
Je veux me garantir.
Mirtil engage ſa ſoeur à répondre à l'ar
deur de Daphnis ; &, n'en étant point
connu , il projette d'éprouver ſi la tendreſſe
de ce berger eft en effet ſincere &
conſtante.
Daphnis donne une fête à ſa bergere ;
rien de plus galant & tour à tour de plus
gai & de plus expreſſif que les tableaux
figurés dans les danſes pittoreſques de ce
ballet , ingénieuſement composé par le
fieur Dauberval. Ce ballet eſt lui-même
un petit drame qui repréſente les caracteres
de l'amour & les délices des amans. Le
fieur Gardel & la Dlle Guimard y danſent
voluptueuſement un pas de deux. Le
fieur Dauberval , les Dlles Allard& Peflin
expriment la gaieté & l'inſpirent par la
vivacité de leurs pas & par les ſaillies de
leur pantomime.
Daphnis ſeul & avec le choeur chante
138 MERCURE DE FRANCE.
:
pluſieurs airs agréables , mais peut - être
trop fréquens , ce qui lui fait dire juſtement
par Alcimadure :
Que votre ardeur paroît extrême !
Faut- il tant de fois la chanter ?
DAPHNI S.
Pour l'inſpirer à ce qu'on aime
On ne peut trop la répéter.
ACTE SECOND.
Le théâtre représente un bois.
Mirtil , en officier , anime une troupe
de chaffeurs à la pourſuite d'un loup qui
déſole le pays. Ils forment un choeur d'un
grand effet.
Mirtil profite de ſon déguiſement pour
intimider Daphnis ; il l'engage à venir ſe
couronner des lauriers de la victoire.
Daphnis répond par ces vers agréables ,
embellis encore par la muſique :
Tant de grandeurs ne font pas faites
Pour les bergers de nos hameaux ;
Nos coeurs ne ſont flattés quedu ſondes muſettes,
Et du ramage des oiſeaux.
يف
Nos douceurs y ſeroient parfaites
Et nos plaiſirs toujours nouveaux ,
Si les belles de ces retraites
Ne troubloient pas notre repos.
JUILLET 1768. 139
Mirtil fait la deſcription d'un combat ;
il exprime le vacarmedu canon & l'horreur
d'une action , dans un air énergique &
impoſant. Il ſe déclare enſuite lerival de
Daphnis , & le menace , mais il ne peut
le faire renoncer à ſon amour. Alcimadure
eſt pourſuivie par le monſtre furieux.
Daphnis en a déja triomphe lorſque les
bergers s'aſſemblent pour l'attaquer.
L'inſenſible Alcimadure ſe contente de
lui dire :
Que ne puis-je , pour récompenſe ,
Vous payer d'un tendre retour !
Mais ſi mon coeur craint les traits de l'amour ,
Il a du moins de la reconnoillance.
Daphnis a- t-il tort de lui répondre :
Eit-ce donc là le prix du plus ardent tranſport!
Les chaſſeurs & les chaſſereſſes , les bergers&
les bergeres ſe réuniſſent pour célébrer
la gloire de Daphnis. Le ballet , qui
eſt de la compoſition du ſieur Laval , eſt
très-bien deſſiné. Mile Guimard & fes
compagnes , en habit de chaſſereſſes , forment
une guirlande de fleurs qu'elles préfentent
à Alcimadure.
:
140 MERCURE DE FRANCE.
ACTE TROISIEME .
Le théâtre repréſente une place champêtre
& une riviere dans le fond.
Alcimadure regrette la perte defa liberté
que l'amour veut lui enlever. Mirtil tente
encore inutilement de fléchir ſa ſeoeur , il
ſe retire à l'approche de Daphnis qui
éprouve les mêmes rigueursd'Alcimadure ;
ilcroit même avoir un rival dans Mirtil ,
&, par un excès d'amour , il veut abandonner
à cette belle inhumaine ſes prés ,
ſes bois , ſes troupeaux , & mourir. ( 3 )
Sa fuite précipitée fait naître l'inquiétude
dans le coeur d'Alcimadure , elle craint
les ſuites de ſon déſeſpoir ; Mirtil lui apprend
qu'elle a cauſé la mort de fon amant.
Alors elle laiſſe éclater ſa douleur & fa
paffion. Daphnis paroît ; Alcimadure lui
témoigne toute ſa joie en lui diſant :
'Je voudrois en vain réſiſter
A tant d'amour & de conſtance .
Ils chantent un duo , vrai chef- d'oeuvre
(3 ) Ceci est imité de la Fontaine :
Mon pere , après ma mort , & je l'en ai chargé ,
Doit mettre à vos pieds l'héritage
Que votre coeur a négligé , &c.
JUILLET 1768. 141
de goût & d'art , ſoit pour la coupe des
paroles , foit pour la belle mélodie , foit
pour la beauté de l'accompagnement &
le brillant de la muſique.
Ah ! qu'il eſt doux de reſſentir
Tes traits , ta flamme & ta puiſſance !
Amour ! ah ! quelle récompenſe !
Mon coeur nage dans le plaiſir.
Le ballet de ce dernier acte eſt formé
par des quadrilles de bergers , de bergeres ,
de mariniers & de marinieres. Ce ballet ,
de la compoſition du ſieur Lani , offre
l'image du plaifir & de l'allégreſſe qui
pétillent dans tous les pas& dans la pantomime
du ſieur Dauberval & de la Dile
Allard. On peut dire , fans flatterie , &
les étrangers en conviennent , que ce théâ
tre raſſemble les talens les plus rares&les
plus parfaitsdans tous les genresdedanſes.
Combien de ſujets encore de la plus
grande eſpérance , telles que les Diles
Mion , de Fierville , Audinot , Duperrei ,
& les fieurs Rogier , Simonin , &c. &c.
La muſique de cette paſtorale eſt une
des productions les plus agréables qui ſoir
fur notre théâtre ; elle eſt piquante & variée
dans toutes fes parties , quoique la muſicien
n'eût preſquequelesmêmes ſentimens
à exprimer ; mais M. Mondonville a ſu en
142 MERCURE DE FRANCE.
quelque forte fauver cette uniformité de
la ſcène , par les airs de danſe , les choeurs ,
les duos , & les morceaux de ſymphonie
dans leſquels il fait briller la fécondité &
les reſſources de ſon heureux génie.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LES comédiens françois ordinaires du
Roi continuent , avec ſuccès , les repréſentations
de Beverlei , tragédie bourgeoife ,
imitée de l'anglois , en cinq actes & en
vers libres ; par M. Saurin , de l'académie
françoiſe.
Cette piece vient d'être publiée & fe
vend à Paris , chez la veuve Ducheſne ,
rue Saint-Jacques. て
Ils continuent auſſi de jouer la Gageure ,
piece en un acte & en proſe , par M.
Sedaine.
Nous rendrons compte dans le prochain
Mercure de ces deux drames , qui font
l'un & l'autre dans un genre fingulier &
dignes d'attention.
JUILLET 1768. 143
COMÉDIE ITALIENNE.
LE famedi 4 juin les comédiens italiens
ordinaires du Roi ont repréſenté , pour la
premierefois , Sophie, ou le mariage caché,
comédie nouvelle , en trois actes , en proſe,
mêlée d'ariettes : c'eſt une imitation du
Clandestine mariage , comédie , en cinq
actes ; parMM. Colman&Garrick: jouée
avec fuccès à Londres , ſur le théâtre de
Drury- Lane , au commencement de l'année
1766. Nous donnerons d'abord l'analyſe
de la piece françoiſe , & nous pré
ſenterons enfuite quelques obſervations
qui nous conduiront à comparer quelquesunes
des ſituations des deux drames. Le
précis de l'un ſuffira pour faire connoître
l'autre , le fond du ſujet étant abſolument
le même , ils ne different que par des circonſtances
peu eſſentielles , & qui ne
changent rien à l'intrigue , ni à l'action,
144 MERCURE DE FRANCE.
PERSONNAGES.
M. DES. AUBIN , négociant , M. LA RUETTE.
CLAIRVILLE , ſon fils ,
SOPHIE , ſa pupille ,
M. CLAIRVAL..
MileLA RUETTE.
Mde DE S. AUBIN , ſa femme , MileDESGLANS
HENRIETTE , fille de M. DE
S. AUBIN , Mile BEAUPRÉ
DURVAL , capitaine de vaifſeaux
, M. CAILLOT.
VAL , M. TRIAL.
CELICOURT, neveu de DURNISON
, gouvernante de
SOPHIE ,
UN VALET.
Mile FAVART
Laſcêne est àla campagne , dans la maifon
de M. de S. Aubin.
Sophie , l'héroïne de ce drame , eſt la
fille d'un ancien ami de M. de S. Aubin ,
reſtée de bonne heure orpheline & fans
fortune : elle a trouvé un aſyle dans la
maifon de ce riche négociant qui vient
de quitter le commerce. Elle a inſpiré
la paſſion la plus vive au fils de ſon bienfaiteur
; un mariage ſecret les unit ; fon
imprudence & ſon ingratitude peuvent
avoir des ſuites funeſtes : comment en
inftruire M. de S. Aubin ? Il eſt riche , on
craint
JUILLET 1768. 145
craint ſon avarice. Clairville s'efforce de
la raſſurer ; il avoit d'abord réſolu de révéler
ce ſecret à Durval , qu'on attend à
chaque inſtant avec ſon neveu , qui doit
épouſer Henriette : il avoue à Sophie qu'il
n'a pas ofé ouvrir ſon coeur. Durval eſt
obligeant , honnête , ſincere , généreux ,
mais bruſque & peu ſenſible ; fon âge ,
fon état , fon caractere l'éloignent de l'amour.
Clairville. eſpere de fléchir luimême
fon pere : il ſe flatte de pouvoir
bientôt avouer ſa félicité.
SOPHIE.
Mon cher Clairville , cette facilité de
l'avouer n'en diminuera- t-elle point les
douceurs ?
5
CLAIRVILLE.
Ne crains rien , ma Sophie ,
Pour toute ma vie
Je ſuis ſous tes loix.
Dans ſa femme chérie ,
Trouver fa tendre amie ,
Et maîtreſſe jolie ,
C'eſt raffembler tous les biens à la fois.
Ne crains rien , ma Sophie ,
Mes plaiſirs aſſurent tes droits.
Durval arrive , il préſente ſon neveu
Vol. I. G
146 MERCURE DE FRANCE.
à Henriette ; il ne paroît occupé que de
Sophie. Cette ſcene préſente pluſieurs tableaux
très - variés. Mde de S. Aubin humilie
Sophie en parlant de ſa pauvreté; celle- ci
rougit en regardant Clairville, & lui montre
fes craintes , henriette eſt piquée de
l'indifférence de Celicourt ; Durval parle
de fon vaiſſeau , de ſes voyages , des périls
qu'il a courus , & du defir qu'il a de ſe
teinbarquer promptement .
Le fecond acte offre une multitude de
ſituations fingulieres , intéreſſantes par leur
variété : il repréſente les allées d'un parc.
Clairville & Célicourt ſe trouvent ſeuls ;
ils ſe cherchoient , ils n'oſent s'aborder :
tous deux ont un ſecret à fe confier. Ils ſe
raſſurent l'un & l'autre en chantant le
pouvoir de l'amour,
L'amour exerce ſes droits
Avec violence ;
Et la raiſon , à ſa voix ,
Garde le filence .
1
Dès qu'il ſe rend maître d'un cear ,
Fortune , éclat , grandeur ,
Tout eſt chimere,
Un amant ne voit le bonheur
Qu'avec l'objet qui fait lui plaire.
Célicourt déclare à ſon ami qu'en vain
on veut l'unir à Henriette , qu'il adore
Sophie , il le conjure de l'inſtruire de ſes
JUILLET. 1768. 147
ſentimens. Clairville , interdit , eft prêt à
lui répondre avec chaleur ; fon pere l'appelle
: il quitte Célicourt , qui ne reſte
ſeul qu'un moment. Il vole au devant de
Sophie ; les diſcours qu'il lui tient lui
donnent lieu de penſer qu'il eſt inſtruit
de ſon union ſecrette , ce qui produit quelques
mépriſes qui rendent cette ſcene
piquante. Célicourt , qui ſe croit encou
ragé , parle ouvertement de ſon amour ;
on le rebute : il ſe jette aux pieds de
Sophie , implore ſa pitié , jure de ne former
jamais les noeuds auxquels on l'oblige..
Henriette & fa mere paroiſſent tout-àcoup
; ce qu'elles voient, ce qu'elles entendent
les confond : elles éclatent en
reproches. Durval accourt attiré par le
bruit ; ſa vivacité , ſes queſtions ne lui
permettent d'entendre mi les accufations ,
ni les juftifications. Apprenant qu'on attaque
Sophie , il prend la défenſe , irrite la
mere & la fille , qui ſortent outrées de
fureur ; il demande alors à Sophie d'où
eſt venu ce vacarme : dès qu'elle a dit
qu'on a furpris Gélicourt à ſes genoux , il
ceſſe d'écouter ; il prend de l'humeur , de
l'inquiétude. Ce n'eſt pas fans peine que
Sophie lui fait ſavoir enfin qu'elle ne
fonge pas à fon neven ; ce mot rétablit le
calme dans ſon ame : il la regarde avec
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
plus d'attention. Il deſcend au fond de
fon coeur , il croit trouver de l'amour
dans les ſentimens qu'elle lui inſpire , il
le lui dit avec la franchiſe d'un marin .
Nouvel embarras , nouveau contre-tems
pour Sophie. S. Aubin vient lui annoncer
de ſe préparer à partir pour le couvent ;
ſa femme eſt irritée : c'eſt par-là ſeulement
qu'il peut parvenir à l'appaiſer. La
propoſition que fait Durval de lui donner
la main le fait changer de ſentiment ; il
ſe joint au marin pour déterminer Sophie :
leurs inſtances augmentent ſon embarras.
Elle prévoit de nouvelles perſécutions ; ſa
fituation eſt devenue plus pénible.
Le troiſieme acte ſe paſſe dans la maifon,
ainſi que le premier. Le théâtre repréſente
un fallon ; on y entre par une porte
qui eſt au fond : il y en a deux dans les
côtés , l'une conduit à l'appartement de
Sophie & l'autre à celui de Mde de S. Aubin&
de ſa fille. La malheureuſe Sophie
exprime ſes embarras dans un récitatif
obligé ; elle invoque enfuite l'amour par
cette ariette .
Amour, je t'implore ,
Ecoure ma voix ;
Sur l'objet que j'adore.
Tu fixas mon choix.
JUILLET 1768. 149.
Et l'hymen encore
Reſpecte tes droits.
Finis mes allarmes ,
Comble mes defirs ;
Après tant de larmes ,
Tu me dois des plaiſirs.
Elle rentre dans ſon appartement , ou
Nifon lui promet de conduire Clairville
auſſi- tôt que tout le monde ſera retiré ;
Mde de S. Aubin vient avec Henriette
épier Sophie ; elles ne doutent point que
Celicourt ne cherche à lui parler : elles
éteignent les lumieres ; elles entendent
Clairville ( qu'elles prennent pour Célicourt)
fe gliſſer dans la chambre de Sophie.
Elles triomphent ; elles appellent ; on apporte
des flambeaux : S. Aubin & Durval
accourent. Inftruits de ce qui ſe paſſe ,
celui- ci propoſe d'enfoncer la porte. Elle
s'ouvre , on voit fortir Clairville ſuivi de
Sophie ; Célicourt arrive en même tems
par un autre chemin : tout le monde reſte
dans l'étonnement. Clairville tombe aux
pieds de fon pere , lui avoue fa faute ,
implore ſon pardon , & demande fon
aveu. Sophie joint ſes prieres & ſes larmes
à celles de fon amant, & forme avec lui
un duo pathétique , & du plus grand effet
pour la muſique.
Giij
130 MERCURE DE FRANCE.
S. Aubin ne refuſe que parce que Sophie
eſt ſans fortune ; Durval leve cette objection
en propoſant une dot. Célicourt , qui
fe voit enlever ſes eſpérances , reprend ſes
engagemens avec Henriette , qui lui pardonne.
Tous les perſonnages , fatisfaits ,
chantent en choeur .
Le calme eſt revenu ſur l'onde ;
Jouillons de ſon retour , &c.
DURVAL.
La raiſon en vain gronde ,
Il faut céder à l'amour.
LE CHEUR.
Le calme eſt revenu ſur l'onde ;
Jouiffons de ſon retour.
CÉLICOURT & HENRIETTE.
Déſormais mon bonheur ſe fonde
Sur vos bontés , fur mon amour.
HENRIETTE.
Le calme eſt revenu ſur l'onde;
Jouillez de ſon retour .
CÉLICOURT.
Je ſuis le plus heureux du monde
De pouvoir dire à mon tour :
Le calme eſt revenu ſur l'onde ;
Jouiffons- en ſans retour .
LE CHEUR
Le calme , &c.
JUILLET 1768. 131
Cette piece a fait de l'effet au théâtre ;
elle en auroit produirdavantage ſi le genre
même ne s'y étoit oppoſé : il a fallu facrifier
les développemens de l'ame de Clairville,
de Sophie & de celle du généreux
Durval , à ce mêlange biſarre de déclamation
& de chant , que la mode autoriſe ,
&qu'elle ne juſtifie pas. Le mariage , qui
fondeledrame , offre lui-même un grand
défaut. On ne motive pas les raiſons qui
l'ont fait contracter . Clairville a craint les
refus de fon pere ; il devoit , avant tout ,
s'y expoſer : ce n'eſt qu'à la derniere extrê
mité qu'il eût pu recourir à ce parti violent
; l'excèsde ſon amourlui auroit ſervi
d'excuſe. Sophie n'en a point ; on la pré.
ſente comme un modele de perfection ,
&elle manque eſſentiellement à ſes bienfaicteurs.
Il n'est pas adroitde commencer
par rendre coupable celle en faveur de
qui l'on veut intéreſfer. Il auroit fallu
créer quelque ſituation embarraſſante qui
l'auroit forcée , pour ainſidire , à cethymen.
Cette circonftance , en l'excufant à nos
yeux , l'auroit aufli rendu plus touchante;
au lieu que fa démarche annonce de l'ingratitude
, & jette par-là quelque choſe
d'odieux fur fon caractere. Fanny , dans
la piece angloiſe , n'eſt coupable que d'imprudence
; elle n'eſt point ingrate. Fille
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
cadette d'un riche négociant , elle prend
de l'amour pour un jeune apprentifde ſon
pere , ſans fortune à la vérité , mais patent
dujeuneſeigneur qui doit épouſer ſa ſoeur.
Elle ſe marie en ſecret avec lui . On voit
quelquefois des unions de cette eſpece en
Angleterre ; les enfans n'y conſultent pas
toujours leurs parens pour les contracter :
la loi protege ces noeuds qui ne peuvent
pas être rompus. La naiſſance de l'époux
de Fanny équivaut aux richeſſes du négociant.
Si la conduite de la jeune perſonne
eſt imprudente , la force de ſa paflion , la
dureté de fon pere , le choix même qu'elle
a fait, intéreſſent pour elle.
Le troifieme acte du drame françois
préſente un autre défaut plus choquant.
Mde de S. Aubin vient avec Henriette
épier Sophie , la ſoupçonnant d'avoir
donné rendez-vous à Célicourt : jamais
une mere n'accompagne ſa fille dans une
pareille démarche. Si la jalouſie porte
Henriette à la tenter , cette jaloufie lui
fert d'excuſe ; mais il ne faut pas qu'elle
en prévienne ſa mere , qui ne peut ni ne
doit l'approuver. Les Anglois ont plus
refpecté les bienféances. La foeur de Fanny
entend du bruit dans ſon appartement ;
elle nedoute point que fon infidele amant
n'y ſoit renfermé avec elle , &, pour s'en
JUILLET 1768. 153
venger , elle veut les faire ſurprendre :
elleva avertir ſon pere & fa tante ,&c.
Nous avons ſuffisamment indiqué les
fituations heureuſes &théâtrales qui naifſent
de ce ſujet. L'auteur , qui ne s'eſt
point encore fait connoître , mérite des
éloges. Le muficien , M. Koote , connu
déja pars compoſitions agréables , a
juſtifié les eſpérances qu'il avoit données
; pluſieurs de ſes airs ont eu le ſuffrage
des conhoiffeurs. C'eſt avec plaifir
que nous rendons juſtice à ce drame ;
nous en louons les beautés avec la même
impartialité que nous en relevons les défauts:
enmontrer quelques-uns , c'eſt peſer
fur les difficultés de l'art , c'eſt mettre dans
le jour le plus favorable le mérite dont on
a eu beſoin pour vaincre celles qu'on a
furmontées ,& des obfervations critiques
diſent ſouvent plus en faveur d'une production
, que les éloges outrés dont on a
raiſon de ſe défier..
GW
154 MERCURE DE FRANCE.
ARTS ET SCIENCES.
MUSIQUE .
Annonce de deux prix de musique , latine
& françoise , proposés aux musiciens.
La même perſonne à laquelle on eſt
redevable du prix de muſique qui a éré
donné cette année au concert ſpiritue) ,
a fait remettre à M. Dauvergne , ſurintendant
de la muſique du Roi , & directeur
de ce concert , une nouvelle médailled'or
de la valeur de trois cents livres,
deſtinée encore à celui qui aura compofé
le meilleur motet. On propoſe pour ſujet
le pſeaume 45 , Deus nofter refugium &
virtus , &c.
Un autre particulier a fait auſſi remettre
à M. Dauvergne , une médaille d'or
de la valeur de trois cents livres , deſtinée
à celui qui aura le mieux mis en muſique
l'ode IV de Rouſſeau , telle qu'on la verra
à la fin de ce programine ; on en a retranché
les 17 derniers vers , pour que l'exécution
de la muſique ne paſſe pas une
demi-heure.
JUILLET 1768. 155
Les juges feront M. Dauvergne , &
M M. Blanchard & Gauzargues , maîtres
de muſique de la chapelle du Roi.
Outre les deux prix de trois cents livres
chacun , s'il ſe trouve encore des ouvrages ,
latins ou françois , qui paroiſſent mériter
un ſecond prix , il y aura deux autres médailles
de deux cents livres chacune , l'ume
fournie par les directeurs du concert ,
l'autre par la perſonne qui a donné le
prix de muſique françoife.
Il faudra que chaque ouvrage , foit latin,
ſoit françois , contienne au moins deux
récits , un duo , & deux choeurs dont un
en fugue , & qu'il ne dure que 25 à 30
minutes au plus .
Toutes perſonnes ſeront admiſes à concourir
, à l'exception des trois juges..
Les ouvrages feront remis francs de
port à M. Dauvergne, à Paris, rue & porte
Saint-Honoré près le boulevard , avant le
premier février de l'année prochaine 1769 .
On prie inſtamment les auteurs de prendre
toutes leurs meſures pour remplir exactement
ces deux conditions ; les ouvrages
non affranchis reſteront au rebut , ainfi
que ceux qui feront envoyés après le 31
janvier 1769. Pluſieurs moters ont été
exclus du dernier concours pour être arrivés
un jour trop tard.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
M. Dauvergne donnera fon récépillé
de chaque ouvrage avec un numéro , qui
-ſervira à diftinguer l'ouvrage , ou bien il
enverra ce récépiffé aux adreſſes qu'on lui
indiquera.
Leconcours ſe fera au concert ſpirituel ,
dans le courantde la quinzaine de pâques ,
& il n'y aura que les ouvrages choiſis par
les trois juges , fur l'examen des partitions ,
qui pourront concourir.
Les auteurs ne mettront point leur nom
à leurs ouvrages ; ils n'y mettront pas
même de deviſe ; mais ils écriront leur
nom & leur adreſſe dans un papier cacheté
joint à l'ouvrage , & qui ne fera ouvert
qu'au cas que l'ouvrage remporte le prix.
M. Dauvergne remettra la médaille du
prix à celui qui lui rapportera le récépiffé ,
& ceux qui n'auront pas remporté le prix ,
pourront auffi retirer leurs ouvrages en
rapportant ou en renvoyant le récépiſſé
qu'ils auront reçu .
Odequatrieme de Rouſſeau,tirée dupfeaume
47 , pro posée pour être mise en muſique.
Astion de graces pour les bienfaits qu'on
a reçus de Dieu.
La gloire du Seigneur , ſa grandeur immortelle ,
De l'univers entier doit occuper le zele :
Mais fur tous les humains, qui vivent fous ſes loix,
Le peuple de Sion doit ſignaler ſa voix.
JUILLET 1768. 157
Sion , montagne auguſte & fainte ,
Formidable aux audacieux ;
Sion , féjour délicieux ,
C'eſt toi , c'eſt ton heureuſe enceinte
Qui renferme le dieu de la terre & des cieux.
O murs ! & ſéjour plein de gloire !
Mont ſacré , notre unique eſpoir ,
Oà Dieu fait régner la victoire ,
Et manifeſte ſon pouvoir !
Cent rois ligués entr'eux pour nous livrer laguerre,
Etoient venus ſur nous fondre de toutes parts ,
Ils ont vu nos facrés remparts .
Leur aſpect foudroyant , tel qu'un affreux tonnerre,
Les a précipités au centre de la terre.
Le Seigneur dans leur camp a ſemé la terreur;
Il parle, & nous voyons leurs trônes mis en poudre,
Leurs chefs aveuglés par l'erreur ,
Leurs foldats conſternés d'horreur ,
Leurs vaiſſeaux ſubmerges ou brûlés par la foudre,
Monumens éternels de ſa juſte fureur.
Rien ne ſauroit troubler les loix inviolable.s
Qui fondent le bonheur de ta ſainte cité ;
Seigneur , toi-même en as jetté
Les fondemens inébranlables ..
Au pied de tes autels humblement proſternés ,
Nos voeux par ta clémence ont été couronnés.
158 MERCURE DE FRANCE.
Des lieux chéris où le jour prend naiſſance ,
Juſqu'aux climats où finit ſa ſplendeur ,
Tout l'univers révere ta puiſſance ,
Tous les mortels adorent ta grandeur.
Publions les bienfaits , célébrons la juſtice
Du Souverain de l'univers ,
Que le bruit de nos chants vole au-delàdes mers;
Qu'avec nous la terre s'unille ,
Que nos voix penetrent les airs :
Elevons juſqu'à lui nos coeurs & nos concerts.
AVIS .
Les amateurs de la bonne muſique , de
cellequi offre un chant agréable , foutenue
par une harmonie ſavante & faite pour
faire valoir le chant , doivent rechercher
les ouvrages de M. de Mondonville , que
l'on trouve chez lui ſeul , rue des vieux
Auguſtins , la deuxieme porte cochere à
gauche en entrant par la rue Coquilliere.
Sçavoir : Six tri⚫ pour flûte, violon &
baffe.
Les fons harmoniques , ſonates à violon
feul.
Pieces de clavecin avec accompagnement
de violon .
Pieces de clavecin avec voix.
Le Carnaval du Parnaſſe , opéra .
Titon & l'Aurore , opéra.
Les fêtes de Paphos , opéra.
Daphnis & Alcinadure , paftorale lan
JUILLET 1768. 199
guedocienne , miſe depuis en vers françois.
Le véritable amour , romance avec ſim-.
phonie , paroles & muſique par M. M.
C. Prix i liv. 4 fols. A Paris , chez M.
Bailleux , maître de muſique , rue Saint-
Honoré , à la regle d'or.
Sei finfonie per due violini , alto , é
baſſo o apiù ſtromenti , ſe piacce , compoſti
dall fignor Criſtiano - Guiſeppe Lidarti ,
accademico filarmonico ; opera fecunda ,
novamente ſtampata à ſpeſe di G. B. Venier.
Prix 9 liv . A Paris , chez M. Venier,
rue Saint Thomas-du- Louvre , & à Lyon ,
chez Cartau , place de la Comédie.
:
Six trios , pour le clavecin , violon &
violoncelle ; par J. Martini , Allemand :
prix 9 liv. A Paris , au bureau d'abonitement
muſical , cour de l'ancien grand
Cerf Saint Denis,&aux adreſſes ordinaires
demuſique.
GRAVURE.
Portrait du chevalier Bayard , & le buste
d'une femme , d'après Rembrandı.
M. Demarcenay Deghui vient de faire
paroître le portrait du célebre chevalier
160 MERCURE DE FRANCE.
Bayard , de qui on a dit à juſte titre :
qu'ilfut fans peur &fans reproche.
Cet ouvrage eſt le trente- quatrieme
de l'oeuvre de l'auteur , & le ſeptieme
portrait de ſa ſuite des hommes illuftres ;
ayantdéja mis au jour ceux , 1º. De Sully.
2º. De Henri IV. 3 °. Du chancelier de
l'Hôpital. 4°. Du maréchal de Saxe. s.
Du vicomte de Turenne. 6°. De Charles
V, dit le Sage. :
M.. le marquis de Brancas , qui a une
collection très-curieuſe dans cegenre , dont
ſa bibliotheque eſt ornée a bien voulu
communiquer ce portrait à l'auteur , ainſi
que le précédent.
Il vient pareillement de mettre au jour
une autre eſtampe repréſentant le buſte
d'une femme , d'après Rembrandt,& l'un
des plus beaux ouvrages de ce peintre ,
foit par la beauté du coloris ,la force du
clair-obfcur & la recherche précieuſe des
détails. Ce nouvel ouvrage , ainſi qu'un
petit payſagequi eſt ſur la même planche ,
forment les nº 35 & 3.6 de l'oeuvre de
l'auteur.
Il grave actuellement le portrait de la
célebre Jeanne d'Arques , plus connue ſous
le nom de la pucelle d'Orléans. MM.
les officiers municipaux de cette ville ont
bien voulu lui confier le tableau qu'ils
JUILLET 1768 . 161
confervent comme un monument de la
reconnoiſſance de leurs ancêtres pour la
mémoire glorieuſe de cette héroïne .
On trouve ces eſtampes chez l'auteur ,
rue d'Anjou Dauphine,&chez M. Wille ,
graveur du roi, quai des grands Auguſtins.
HISTOIRE NATURELLE.
0 N apprend par une lettre d'Italie ,
écrite à M. de la Condamine par le pere
Boſcovich, que le docteur Spalanzini , célebre
naturaliſte, réſident à Modene, ayant
coupé la tête à quelques limaçons de terre ,
remarqua qu'ils n'en moururent pas , &
qu'après être rentrés dans leur coquille , ils
en fortirent au bout de quelque tems pour
fe promener fur les plantes qui leur ferventde
nourriture,avec une tête organiſée
comme la premiere .
Ce fait extraordinaire a beſoin d'être
confirmé par de nouvelles obfervations.
On nous a écrit , relativement à l'objet
ci-deſſus , la lettre fuivante.
M.
Je ſuis à la veille de faire imprimer
un mémoire fur les limaçons terreftres.de
l'Artois , dans lequel je rapporte le détail
ci-après.
162 MERCURE DE FRANCE.
Les limaçons vivent très-long- tems fatis
des parties qui paroiſſent effentielles à
la vie des animaux. A la fin du mois
d'octobre de 1767 , j'ai coupé la tête à
pluſieurs limaçons qui ſe ſont d'abord remfernés
dans leur coquille dont ils ont bou
ché l'ouverture comme s'ils avoient été
entiers ; & ce fut avec ſurpriſe que dans
le mois de mai de 1768 , je vis fortir ces
animaux de leur coquille pleins de vie
quoique ſans tête ; il ſuffit de les expoſer
peu de tems au foleil ,pour les faire fortir
de leur coquille quand on le ſouhaite. Je
conferve encore ces animauxdans le même
état.
J'avois achevé mon petit mémoire ,
quand j'ai eu connoiſſance des expériences
deM. Spalanzini ,rapportées dans l'avantcoureur
du 20 mai dernier. J'ai trouvé
fingulier , après avoir lu cet article , de
voir mes obſervations confirmées en partie
par M. Spalanzini dont je n'avois
jamais entendu parler. Mais quand je voudrois
croire la reproduction des têtes des
limaçons poffible , j'ai des preuves en
mains qui ine perfuadent le contraire ; ce
ſont des limaçons vivans ſans têtes depuis
le mois d'octobre de l'année paſſée, comme
je viens de le dire , & de plus d'autres
limaçons qui vivent fans cornes depuis le
JUILLET 1768. 163
même tems : d'où il eſt facile de tirer la
conféquence ſuivante: ſi les cornes de ces
animaux ne repouſſent pas ,à plus forre
raifon la tête : ainſi je crois,comme on le
fait entendre dans l'article cité de l'avantcoureur,
que cette prétendue reproduction
mérite d'être confirmée par des expériences
faciles à répéter.
Je ſuis , &c.
G. WATEL, chanoinė régulier de l'abbaye
de S. Eloi-lès-Arras , membre de la
fociété littéraire de la même ville.
MÉDECINE.
Remede pour les cancers.
N a inféré dans une gazette de Londres,
« qu'une pauvre femme près d'Hun-
> gerford étant incommodée depuis plu-
>> fieurs années d'un cancer très- invéteré
>> au ſein , un particulier du voiſinage lui
>> dit , que ſi elle vouloit faire uſage des
crapauds de la maniere qu'il le lui indi-
>> queroit , elle recouvreroit la fanté. En
>>conféquence elle appliqua huit crapauds
>>enveloppés dans des ſacs de mouſſeline
164 MERCURE DE FRANCE.
>>ſur huit ulceres qu'elle avoit au ſein;
>> ces crapauds s'y attacherent comme des
>>fangſues , fucerent prodigieuſement , &
>> après s'être remplis ils ſe détacherent du
>> ſein& moururent en paroiſſant fouffrir
>> violemment. On n'a pas entendu dire
>>>que les crapauds euſſent caufé à cette
>> femme la moindre douleur : au contraire
>> ſes peines diminuerent dès la premiere
>>application. Elle continua le même re-
>>mede à quinze repriſes , pendant leſquel-
>>les elle fit périr cent vingt crapauds.
>>B>ientôt les ulceres commencerent à fe
>>guérir , le ſein reprit ſa forme ordinaire ;
>> la femme s'eſt bien portée depuis ce
>>tems-là ».On appliquoit les crapauds toutes
les nuits , ils vécurent & fucerent plus
long-tems à meſure que les plaies ſe guériffoient.
Ce remede a été employé par un
pauvre homme à Lambourne en Weltshire,
qui depuis long- tems avoit un double
cancer aux reins , & l'on aſſure que cet
homme a été entierement guéri. Pluſieurs
autres perſonnes attaquées de cancer , ont
fait avec ſuccès le même remede.
Si cela réuffit pour la cure des cancers ,
on doit penfer que l'on pourroit guérir
par ce moyen pluſieurs eſpeces d'alceres
qui réſiſtent aux traitemens ordinaires .
JUILLET 1768. 165
Lettre de M***. docteur en médecine à
:
Avignon , de lafociété royale des Sciences
de Montpellier , à l'auteur du Mercure
de France , fur la poudre fébrifuge.
M.
Je viens de lire dans une brochure inti
tulée , traitéde la poudre royale fébrifuge ,
qui m'eſt tombée entre les mains , un certificat
de MM. Fagon&Boudin,premiers
médecins de Louis XIV , conçu en ces
termes. « Nous certifions que la poudre
>>qui nous a été remiſe entre les mains
>>par le ſieur de Guillers , a guéri tous les
>>malades à qui nous l'avons donnée des
>> fievres double-tierce , tierce , quarte , &
>> en un mot de toutes eſpeces de fievres
>> intermittentes ».
Voilà fans doute un remede merveilleux
& d'autant plus important pour moi ,
que je vis dans un pays où les fievres font
les plus affreux ravages dans cette ſaiſon-ci
&dans l'automne. Depuis letems qu'on a
découvert ce remede , il eſt étonnant qu'on
ne l'ait pas mis entre les mains de tout le
monde. Dans la brochure dont je viens de
1
166 MERCURE DE FRANCE.
donner le titre , il eſt dit , que l'auteur
de cette découverte avoit révélé ſon ſecret
àM. de la Jutais ſon gendre ;mais on m'a
aſſuré que M. de la Jutais eſt mort il y a
deux ou trois ans . Or je demande ſi ce ſecret
eſt perdu ou s'il a été communiqué à
quelqu'un ? Dans le premier cas, j'exhorte
tous mes confreres à faire les recherches
convenables pour découvrir la compoſition
de cette poudre fébrifuge. M. le premier
médecin du Roi peut la connoître , puifque
M. de Guillers l'avoit donnée à MM.
Fagon&Boudin ; ſi au contraire quelqu'un
en a hérité , on le prie d'en faire part au
public , en diftribuant cette poudre comme
M. de la Jutais l'a fait juſqu'à fa
mort.
ILLY
QUESTIONS.
1.
a long- tems qu'on a dit que tous
les beaux arts fraterniſent ; ils ont tous en
effet un même objet , qui eſt d'imiter la
nature en l'embelliſſant. Voilà leur reſſemblance
générale ; elle eſt frappante , &
tout le monde l'apperçoit. Mais il eſt plus
difficile de ſuivre toutes les analogies que
ces arts ont entr'eux dans leurs moyens
1
JUILLET 1768. 167
d'opérer. Comment faifir , par exemple ,
les rapports quife trouvent à cet égard entre
la musique & la peinture? Cette connoiffance
procureroit ſans doute un avantage
réel, puiſque les principes de la peinture.
étant plus généralement connus , la comparaiſon
de cet art avec la muſique peut
donner à bien des perſonnes une idée de
la compoſition muſicale.
11.
On avoit coutume autrefoisde mettre
des vers latins ſur la façade des édifices
publics. Depuis que notre langue s'eſt perfectionnée
, il ſemble qu'elle doive être
préférée pour cet uſage ; mais est-il poffible
de renfermer dans deux vers françois
autant de ſens avec autant de préciſion
que dans un diſtique latin ? On demande ,
quelle infcription pourroit être comprise en
deux vers françois pourfervir d'inſcription
au bâtiment d'unesalle deſpectacle ?
ANCIEN USAGE..
Na vu dans le Mercure du mois de
février , page 78 , la lettre d'un hermite
de Bourgogne , qui demande l'explication
d'un article de dépenſe d'un ancien compte
168 MERCURE DE FRANCE.
de fabrique , en latin qu'on lui a apporté
à traduire. Cet article eſt conçû en ces
termes...... Pro faciendo nebulas in ramis
palmarum , quas choriales confueverunt
projicere ab alto ecclefia.
Le bon hermite , embarraſſé d'expliquer
cet article , commence par avouer qu'il
n'eſt pas ſavant ; j'avouerai auſſi facilement
que je ne le ſuis pas plus que lui ; mais je
peux citer un uſage dont j'ai été témoin ,
& qui peut aider à conjecturer l'explication
de celui-ci. En 1743 , nous étions
cantonnés fur la rive gauche du Rhin , à
Deidezeim , à une journée de Rhinzabern
& près de Worms , qui eſt de l'autre côté
du Rhin.
Le jour de la pentecôte nous vîmes
avant la meſſe le prêtre qui devoit célébrer,
venir en furplis & en étole accompagné
des enfans de choeur qui portoient la croix
&les cierges ; ils ſe placerent au bas de
l'égliſe à l'endroit des cordes des cloches ;
(ces cordes , dans ce moment , étoient
tout-à- fait retirées. ) Il y avoit , à la voûte
de l'égliſe , une ouverture en rond d'environ
trois pieds de diametre par laquelle ,
pendant que le prêtre récitoit le Véni
Créator , on deſcendit , au bout d'une
corde , un pigeon blanc , en plâtre , les
aîles étendues : celui qui en haut tenoit
la
JUILLET 1768. 169
la corde, lui donnoit pluſieurs mouvemens
en tous ſens , mais fur-tout circulairement.
Le prêtre à pluſieurs repriſes
voulut ſe ſaiſir du pigeon , & en étant
enfin venu àbout , il entonna le Te Deum ,
& , précédé de la croix & des cierges , il
porta l'oiſeau dans la ſacriſtie.
Pendant qu'il ſe retiroit, on jetta , par
la même ouverture dont j'ai parlé , grand
nombre de flocons d'étouppe , & de pains
à chanter , que le peuple en foule s'efforçoit
avecempreſſement de recevoir comme
il pouvoit. Voilà des nebulas ( d'une autre
efpece ) quas confueverunt projicere ab alio
ecclefia.
Sans avoir demandé le motif de cet
uſage, il eſt clair que par les étouppes on
figuroit les langues de feu qui deſcendirent
ſur les apôtres ; par lespains à chanter
les dons du Saint-Eſprit ; & par les tentatives
du prêtre , pour ſe ſaiſir du pigeon ,
les efforts que nous devons faire pour les
mériter.
D'après un uſage ſemblable , ne pourroit-
on pas expliquer l'article propoſé par
l'hermite de Bourgogne , pour lesbranches ,
les feuilles & les fleurs que les enfans de
choeur font dans l'uſage de jetter du haut
de l'égliſe le jour des rameaux ? Il ſeroit
clair alors qu'il étoir d'uſage autrefois en
Vol. I. H
170 MERCURE DR FRANCE.
Bourgogne de faire , le jour des rameaux;
avec des feuillages , ce qui ſe pratique avec
des étouppes près de Worms , le jour de
la pentecôte.
Traits de générosité & de bienfaisance.
Le trait de générosité & d'amour filial ,
rapporté dans le Mercure du mois de
ſeptembre dernier , concernant Jean-JacquesCuny
, de la ville de Troyes , a donné
lieu à deux lettres qui nous ont été écrites
fur des faits à peu près ſemblables ; nous
ne les rapporterons que par extrait.
La premiere de ces lettres eſt de M.
Gimbault , de Blois ; il dit tenir le fait
ſuivant d'un des freres mêmes du héros
de la ſcene , & des gens du pays où elle
s'eſt paffée , au tirage de la milice, qui ſe
fit à Villeloin , bourg de la généralité
deTours , ſous les yeux du ſubdélégué de
Loches ; le nombre de billets étoitde trente
&un. Troisfreres , nommés Plazenelle ,
fils d'un marchand drapier d'Ecueillé , près
des confins du Berry , étoient du nombre
des tireurs. L'aîné , nommé François ,
avoit environ trente-deux ans , & le plus
jeune , appellé Louis , n'en avoit pas dix
JUILLET 1768. 171
huit. François Plazenelle demanda & obtint
de tirer le trentieme ; mais fon tour
étant venu , il fut interdit : & , comme
il héſitoit à prendre fon billet, le plus
jeune de ſes deux freres , Louis Plazenelle ,
qui avoit déja tiré , ſe préſenta de nouveau
pour tirer en ſa place. Il expoſa que ſi le
fort tomboit à ſon aîné , il ne pourroit
s'établir de long-tems ; que pour lui ,
il étoit encore jeune , & éloigné de fonger
à un établiſſement ; que d'ailleurs , en
tirant pour ſon frere , il auroit la ſatisfaction
de l'avoir ſouſtrait au fort qui ſembloit
le menacer , & par-là , de devenir
l'inſtrument de ſon bonheur. Après ces
mots il tira avec la plus ferme conſtance ,
& amena le billet de milicien. Il ſe fit
enfuite infcrire pour ſon aîné , & prit la
cocarde.
La ſeconde lettre eſt de M. Hell , bailli
du comté de Montjoye , dans la partie de
la haute Alface , que l'on appelle le Sundgaw,
dont les habitans , dit M. Hell , ſe
font rendus ſi recommandables par leur
amour pour notre auguſte monarque , &
par leur zele ardent pour ſon ſervice.
M. Hell s'étant trouvé préſent aux tirages
de la milice des années 1766 , 1767
& 1768 , qui ſe ſont faits par M. Baudouin
, commiſſaire ordonnateur de la
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
haute Alface , au château de M. le comte
de Montjoye , à Hirſingen , a été témoin
de pluſieurs traits ſemblables à ceux de
Jacques Cuni & de Louis Plazenelle .
Le fort étant tombé ſur Jean Stehlin ,
fils d'un laboureur de la communauté de
Wolfchwiller , tous les garçons du même
lieudemanderent à tirer une ſeconde fois,
en criant " qu'il n'étoit pas juſte que Jean
>> Stehlin , qui avoit déja ſervi le roi pen-
>>dant ſept ans , & qui auroit été diſpenſé
> du tirage s'il en avoit parlé , fût mili-
» cien pour eux ; qu'ils demandoient à
>> tirer de nouveau ». Ils retirerent en effet
après avoir renvoyé ledit Jean Stehlin ,
que le fort a remplacé par Nicolas Stehlin .
Parmi les garçons de la communauté
de Heimerſdorf, qui ont tiré la milice ,
il s'eft trouvé deux freres , Xavier & Jean
Roſsbourger. L'aîné perdit au fort : le
cadet pria le commiſſaire de le recevoir à
fa place. Alors il s'éleva , entre les deux
freres , un combat qui attendrit tous les
ſpectateurs. Lorſque l'un ſe mettoit ſous
latoiſe, l'autre le repouſſoit , & cherchoit
àprendre ſa place. Ils follicitoient la préférence
avec une égale vivacité , lorſque
le commiſſaire , pour terminer cette difpute
attendriſſante , décida que celui qui
avoit perdu au fort devoit reſter milicien.
JUILLET 1768. 173

Je ne dirai pas , ajoute M. Hell , combien
le cadet parut affligé de cette déciſion : fa
généroſité n'étoit pas cette premiere impul- .
fion d'une vive compaſſion ; elle étoit
l'effet du pur amour fraternel : en voici la
preuve.
Quelques heures après le tirage le jeune
homme revint trouver le commiſſaire
pour ſe faire infcrire au lieu & place du
nommé Jean Weldi , milicien pour la
communauté de Carſpach , diſant qu'ilne
vouloit pas vivre ſans ſon frere.
Les ſentimens qui animent ces deux
freres doivent en faire deux excellens ſoldats
en combattant l'un à côté de l'autre.
Cette raifon , & encore plus l'humanité ,
doivent empêcher qu'ils ne ſoient ſéparés
lors de l'incorporation .
Un chanoine de la cathédrale de Toul ,
en Lorraine , ſuffisamment connu par fon
mérite & par l'oraiſon funebre qu'il a
prononcée enl'honneurde Mgr ledauphin,
ayant appris l'état malheureux de la Picardie
par la difette des blés , a conſacré une
partiedes revenus d'un prieuré qu'il pofſededans
le pays,pour foulager les pauvres,
& en a ordonné la diſtribution ſelon le
beſoin de chaque famille. Lettre du 15
juin dernier.
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
&
Un particulierde la ville de Laon ayant
établi , dans cette ville , un dépôt de remedes
pour être diſtribués gratis aux
malades de la campagne , ce généreux
citoyen a eu le plaisir de voir pluſieurs
bons citoyens vouloir , à ſon exemple ,
contribuer à enrichir ce dépôt utile , qui •
'eſt auſſi favorisé des bienfaits & de la
protection de M. le Pelletier de Morfontaine
, intendant de la province.
Le recteur ou curé du bourg de Pleſtan ,
à cinq quarts de lieue de Lamballe en
Bretagne ,&M. de Tramain gentilhomme
&feigneur d'une partie du lieu , ſe font
réunis par une aſſociation bien louable
pour procurer du travail aux pauvres habitans
, & pour répandre l'abondance dans
un champ ſtérile. Ils ont fait défricher à
frais communs une lande très - vaſte & trèsproche
du bourg. Le gentilhomme qui
demeure toujours propriétaire a fair
conſtruite une maiſon ou ferme , & des
foſſés de clôture ; le recteur a fait cultiver
le terrein dont il a l'ufufruit pendant ſa
vie. Des prairies artificielles, du froment&
d'autres graines couvrent actuellement cette
lande fertiliſée par la bienfaiſance la
mieux entendue , & la plus féconde dans
ſes effets.
JUILLET 1768. 195
ANECDOTE S.
1.
UNhomme de lettres ſe vantoit en préſence
d'une dame qui vouloit paffer pour
femme d'eſprit , de dire ſur le champ de
quel poëte & dans quel ouvrage feroit tel
ou tel vers qu'il plairoit à chaque perſonne
de la compagnie de citer. La dame voulant
l'embarraſſer , imagina d'en faire un ,
&de lui demander s'il en connoiſſoit l'auteur
? Afſurément , répondit- il , il est de la
chercheuse d'esprit.
I I.
Une demoiſelle qui , par ſa galanterie ,
avoit acquis une fortune affez conſidérable
, crut en faire oublier la ſource , en
affectant la décence la plus rigoureuſe,
Un jour qu'elle donnoit à ſouper à fes
anciens amans , un abbé y fut invité. On
y prit d'abord le ton qu'elle voulut y
donner ; mais la converſation s'étant
égayée , il échappa à l'abbé une équivoque
qui bleſſa les oreilles de notre fauſſe
prude. Vous oubliez votre état , lui ditelle
, Monfieur l'abbé. Cela est vrai
Mademoiselle , répliqua l'abbé ; car ſi je
m'en étois ſouvenu , je ne ferois pas ici.
Η iv
176 MERCURE DE FRANCE.
III.
Un officier qui avoit été chargé de
défendre contre l'ennemi un poſte important,
l'ayant rendu avec trop de facilité ,
à la premiere attaque qu'on en fit , lorfqu'il
auroit pu réſiſter plus long-temps ,
voulut s'excufer des reproches que lui en
porta fongénéral: le poſte ,lui dit- il , étoit
indéfendable. Le général le regardant d'un
airdemépris , ſe contenta de lui répondre
cela n'eſt pointfrançois.
I V.
On grondoitM. N. de ce qu'il arrivoit
trop tard dans une maiſon où on l'attendoit
à dîner. Il s'excuſa en montrant des
fleurs qu'il venoit de cueillir dans le jardin
de M. D... Voilà , dit-il , ce qui m'a
retardé. Je n'étois pas inquiet de mon
dîner ; la Providence nous doit la nourriture
& elle ne peut pas nous manquer :
mais les fleurs font une politeffe de la
Providence.
V.
3
Un poëte ayant fait un opéra qui n'eut
pas de ſuccès , dit à Mlle Cartou que la
poire n'étoit pas mûre. Je veux le croire,
JUILLET 1768. 177
répondit la demoiselle , mais cela ne l'a
pas empêché de tomber.
VI.
Une des principales richeſſes de la
Moſcovie, eſt le miel qu'une forte d'abeille
ſauvage dépoſe dans le creux des arbres.
Onraconte qu'un payſan cherchant , il y a
peu de tems , àfaire une bonne récolte , vit
un chêne fort gros , & entr'ouvert par une
large fente à une certaine hauteur. Il
préſume avec raiſon qu'il doit trouver
beaucoupde miel dans cet arbre : il grimpe
leftement , il atteint le trou ; mais en voulant
y puiſer , il entre tout entier dans le
tronc, & s'étant par ſon poids enfoncé dans
le miel juſqu'aux épaules , il ne put en
fortir , ni remonter , à cauſe de la profondeur.
Il fut obligé de reſter ainſi deux
jours empêtré dans ſon gîte, ſans entendre,
ni appercevoir aucun paſſant pour lui donner
du ſecours. Le troiſieme jour , quelle
eſt ſa ſurpriſe de voir un gros ours qui
vient à lui en deſcendant à reculons dans
ce même trou où il avoit fans doute habitude
de venir ſe repaître de miel! Le payfan
ne dit mot , mais auſſi -tôt que l'animal
eſt à ſa portée , il ſaiſit avec force fes
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
jambes , les ferre violemment l'une contre
l'autre , & pouſſe en même temps des cris
horribles ; l'ours en eſt tellement épouvanté
qu'il s'élance hors du trou , fouleve
après lui le payſan , l'entraîne & le
retire ainſi du précipice.
L
AVIS.
E fieur Level , maître chaudronnier
rue des mauvais garçons , fauxbourg Saint-
Germain , eſt l'inventeur d'une nouvelle
baignoire , qui a été examinée & approuvéepar
l'académie royale des ſciences. Les
commiſſaires nommés pour cet examen ,
ont déclaré , qu'étant moins haute &
moins longue que toutes les baignoires
qui font en uſage , elle a ceci de commode
&de particulier,que la perſonne qui prend
lebain y eſt aſſiſe &contenue de toutes
parts ,, comme on l'eſt dans un fauteuil.
Elle n'emploie que cinq voies d'eau;tandis
que les baignoires ordinaires en demandent
juſqu'à huit. Dans celle du ſieur
Level, la partie qui eſt ſous le ſiege forme
une chambre , dans laquelle celui qui ſe
baigne fait placer un réchaut à l'eſprit de
vin, au moyen duquelil entretient la chaJUILLET
1768. 179
leur au degré qui lui convient. Pour juger
des avantages particuliers qui réſultentde
la forme donnée à l'intérieur de cette baignoire
, il ſuffit d'avoir uſé des cuves ordi-.
naires. Tout le monde ſçait la gêne qu'on
y éprouve ; à moins que l'on ne s'y tienne
entierement ſur ſon ſéant , on parvient
difficilement à avoir les reins foutenus &
appuyés comme il faut : le cou , la partie
des épaules , fur leſquels tout l'effort du
corps porte contre ces baignoires, fatiguent
conſidérablement. Quant aux préparatifs
&aux circonstances relatives aux baignoires
ordinaires, il n'eſtperſonne qui ignore
l'embarras qu'entraîne le chauffage de
l'eau , l'attiraildes vafes néceſſaires pour
la tranſporter de deſſus le feu dans la cuve ,
pour y en ajouter de la chaude ou de la
froide, & par-deſſus tout cela la mal-propreté
dont ſe reſſent inévitablement l'appartement.
La baignoire du ſieur Level
remédie à tous ces inconvéniens ſans que
la dépenſe ſoit beaucoup plus conſidérable,
puinqued'une part il ne faut que cinq
voies d'eau , & que de l'autre avec une
chopine d'eſprit de vin du prix de vingt à
vingt-deux fols , pour deux heures , on a
ſon bain préparé & maintenu d'une chaleur
convenable,
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Lettre de M. Blondel , architecte du roi ;
fur une nouvelle fabrique de carreaux
& briques.
Μ.
1
D'APRÈS un avis public qui m'eſt parvenu
, concernant une nouvelle fabrique
de carreaux & briques,établie à la fablonniere
de Vaugirard , par le ſieur Annotin ,
je me fuis tranſporté au lieu de cet établiſſement.
L'intérêt que je prends à tout
ce qui appartient à l'art de bâtir , m'a fait
examiner avec l'attention la plus fcrupuleuſe
tout ce qui compoſe cette fabrique.
Je n'ai pu m'empêcher d'abord de rendre
juſtice à ll''iintelligence du ſieur Annotin ,
dans la conſtruction des fours , des ateliers
&hangards néceſſaires à cette fabrication.
Quant à la marchandiſe , j'oſe dire qu'elle
eſt de la meilleure qualité par la terre &
le fable dont elle est compoſée ; le calibre
eſt égal, bien dreſſé , & la cuiſſon parfaite :
je m'enfuis fait remettre même plufieurs
échantillons pris au haſard dans douze ouquinze
milliers , afin d'en faire la comparaiſon
avec les briques & carreaux des autres
fabriques , &d'en conférer avec pluſieurs
architectes du Roi mes confreres ;
tous ont également reconnu la bonté de la
JUILLET 1768. 181
qualité& de la fabricationde cette marchandiſe
, & tous ſe ſont promis d'engager
les propriétaires & entrepreneurs qui
ont confiance en eux , de l'employer par
préférence.
Cette forte de marchandiſe devenoit
déja fort rare , on en manquoit dans beaucoup
d'endroits , & l'augmentation des
prix étoit inévitable. Je vous invite donc,
Monfieur, à vouloir bien rendre cette lettre
publique , afin que les propriétaires&autres
perſonnesqui font bâtir n'ignorent pas le
fecours qui leur eſt offert dans ce nouvel
établiſſement. Je ſuis , Monfieur , &c.
La nouvelle manufacture royale de fer
blanc & noir , tôle , poëles à frire façon
de Liege & d'Allemagne , lames de fcie
pour les pierres , feuillards de touteeſpece ,
fers à porte cochere , fléaux de grandes
balances ,& autres ouvrages en fer blane
&noir , battus ou cilindrés , établie à Sauvage
, généralité de Berry , vient d'ouvrir
fon magaſin , tenu par le fieur Payen , à la
Charite- fur- Loire , auquel MM. les négocians
pourront s'adreſſer . Il remplira exactement
& diligemment les états qui lui ſe-..
rontdemandés , fera éxécuter les échantillons
ou montres qui lui feront envoyés ,
182 MERCURE DE FRANCE .
enverra les tarifs de la manufacture ,&
recevra en paiement des effets ſur Paris ,
Neveres , & la Charité-fur- Loire .
L'on n'emploie dans cette manufacture
que du meilleur fer du Berry , où elle a
fes fourneaux& ſes forges , & elle n'épargne
rien pour rendre ſes marchandiſes de
la meilleure qualité. Elles font exemptes
dedroits d'entrée &de ſortie par tout le
royaume.
:
Préaux , marchand potier d'étain , a
Saint-Denis en France , eſt le feul qui
fabrique les canelles à vin d'un métal compoſé
qui ne porte aucun verd-de-gris ,
vues & approuvées par l'académie royale
des ſciences. Il tient tout ce qu'il y a de
plus beau en moules à chandelle , & en
moules pour faire la bougie pour mettre
dans les faux flambeaux , & les cierges qui
ſe mettent deſſus les autels. Il garantit ſes
marchandiſes.
Le magasin général de la manufacture
angloiſe privilégiée depapiers peints pour
ameublemens , déja annoncé dans le publicpar
différentes affiches , est actuellement
rue S. Honoré , près l'Oratoire ,
à l'enseigne des deux bons rois.
Le ſieur Huquier & Compagnie , Entre
JUILLET 1768. 183
preneur de cette manufacture , eſt nouvellement
aſſocié avec un très - habile
artiſte Anglois, auteur des plus jolis papiers
que l'on a tirés de Londres juſqu'ici. On
vientd'enrichir la manufacture de pluſieurs
deffeins nouveaux , imitant toutes fortes
d'étoffes en foie & en laines , unies & a
couleurs variées ; deſſeins chinois , perſes
rehauffées en or & en argent , & à des
prix proportionnés à la richeſſe du travail.
On y jouit auffi d'un très- grand avantage
, qui eſt de pouvoir y faire fabriquer ,
en très-peu de temps , les papiers que l'on
defire , conformément aux meubles que
l'on veut aſſortir.
Edits, déclarations , ordonnances, arrêts, &c .
I.
DÉCLARATION du Roi , du 25 février
dernier, par laquelle ſa majeſté diſpenſe les
prevôts généraux & lieutenans de maréchauffée
, du prêt& annuel , droits de muration
& autres droits caſuels pour l'hérédité
de leurs charges , qu'ils ne poſſéderont
plus qu'à vie,
I I.
LeRoi a ſupprimé,par des lettres-paten184
MERCURE DE FRANCE.
tes du 22 avril 1768 , les quatre places de
chapelains établies dans le college de la
Fleche en 1764 , & par ces mêmes lettrespatentes
ſa majeſté y établit un ſecond
Sous- principal , ſous le titre de préfet des
études.
III.
Lettres-patentes , du premier mai , par
leſquelles ſa majeſté accorde à l'ifle de
Cayenne & la Guyane Françoiſe , la
liberté de commercer avec toutes les nations
pendant douze ans , à la charge de
payer ſeulement un pour cent de la valeur
des marchandiſes ſoit importées ſoit exportées
de la colonie.
I V.
Sa majeſté , par un édit enregiſtré au
parlement le 13 mai , ordonne qu'à commencer
du premier janvier 1769 , la portion
congrue des curés & des vicaires perpétuels
, établis actuellement ou qui le
feront à l'avenir , ſera fixée ſur le pied de
vingt ſeptiersde froment , meſure de Paris ,
évalués , quant à préſent , à cinq cens livres
pour les premiers ; & pour les ſeconds à
dix ſeptiers , évalués à deux cens livres.
Ces portions congrues feront payées fur
toutes les dixmes eccléſiaſtiques , groffes
:
JUILLET 1768. 185
& menues , de quelqu'eſpece qu'elles
foient , à leur défaut ou par fupplément
fur les dixmes inféodées , & àdéfaut de
celles-ci , ſur les corps & communautés
féculiers & réguliers qui ſe prétendent
exempts de dixmes , même ſur l'ordre de
Malthe.
V.
:
Le Roi a renouvellé , par une ordonnance
du 15 mai , les peines portées par
les anciennes ordonnances , ſur le fait des
chaſſes , contre tous ceux qui feront convaincus
d'avoir tué des cerfs , biches ,
faons& autres bêtes fauves dans les bois
appartenans à ſa Majesté , & particulierement
dans ceux qui avoiſinent les capitaitaineries
royales.
V I.
Le comte de Broglie , chevalier des
ordres du Roi , lieutenant-général de ſes
armées , a gagné , le 17 mai , un grand
procès à la troiſieme chambre des enquêtes.
Il s'agiſſoit d'un droit de guet
&garde , bians& corvées attachés à la terre
deRuffec qu'il avoit achetée en 1762. Les
habitans & quelques gentilshommes qui
le lui diſputoient ont perdu ſur tous les
points avec dépens.
186 MERCURE DE FRANCE.
VII .
Arrêt du conſeil , du 21 mai , qui porte
à 2,400 , 0001. au lieu de 1,500,0001.
la répartition à faire en 1768 , par la voie
du fort , aux fix mille actions intéreffées
dans la caiſſe d'eſcompte , & qui ordonne
que les lots de 15 liv. ne feront pas mis
dans la roue de fortune. Suivant la dittributiondes
lots, ily en aura un de 200, 0001.
un de 100 , 000 l. un de 50 , 000 l. un de
25,000 l. un de 20, 0001. deuxde 15, 0001.
trois de 10 , 000 l. cinq de 6000 l. dix de
soool.quinze de 3000 l. quarante de 20001.
deux cens vingt de 1000 1. deux cens de
500 1. cinq cens de 200 1. mille de 100 1.
deux mille de so l. quatre mille de 40 1.
douze mille de 30 l. & quarante mille de
15 livres , ce qui forme 60 , 000 lots , dont
la valeur produira un totalde 2,400,0001.
à répartir ſuivant l'arrêt.
ÉVÉNEMENT REMARQUABLE.
LE Comtat Venaiſſin eſt une petite province
, dont Carpentras eſt la capitale ,
enclavéedans la France , entre leDauphiné,
la Provence & le Languedoc. Elle a quaJUILLET
1768. 187

torze lieues de longueur ſur neuf& demie
de largeur , ce qui peut être évalué à quatre-
vingt lieues en quarré. C'eſt un pays
mêléde plaines&de montagnes. Le Comtat
Venaiſſin faiſoit ci-devant partie de
la légation d'Avignon ; mais fans ceffer
de faire un état diſtinct , ayant ſes loix ,
ſes magiftrats , ſes ſtatuts , ſes coutumes
particulieres. Il y a dans le Comtat Venaiffin
trois évêchés fuffragans du métropolirain
d'Avignon ; ſavoir , Carpentras , Cavaillon
& Vaiſon. L'évêché de Carpentras
comprend vingt- neufparoiſſes , dontvingtdeuxdans
le Comtat Venaiffin & fept en
Provence. Son revenu peut monter à quarante-
deux mille francs. L'évêché de Cavaillon
a treize paroiſſes dans le Comtat
& quatre dans la Provence. Son revenu
eſtd'environ ſeize mille livres. On compte
dans l'évêché de Vaiſon trente-huit paroiſſes
, dont vingt-deux dans le Comtat ,
quinze dans le Dauphiné , & une dans la
principauté d'Orange. On eſtime qu'il
vaut dix à douze mille livres .
Avignon eſt une ville ancienne auComté
Venaiſſin , avec un archevêché , une univerſité
, un hôtel des monnoies , & pluſieurs
tribunaux de magiſtrature. Cette
ville eſt ſituée ſur la rive gauche du Rhône
&ſur un canal qui eſt tiré de la riviere de
188 MERCURE DE FRANCE.
Sorgue , à une demi- lieue de l'embouchure
de la Durance. On y compte trois mille
huit cens feux & environ vingt huit mille
ames. On entre dans Avignon par ſept
portes ; ſavoir , la porte S. Michel , celles
d'Imbert , de S. Lazare , de la Ligne , du
Rhône , de l'Oule , & de S. Roch.
Les comtes de Provence étoient ſouverains
d'Avignon.
Le 19 juin 1348 , Jeanne , comteſſe
de Provence , & reine de Sicile & de
Naples , iſſue de Charles I , vendit Avignon
au pape Clement VI pour une trèsmodique
ſomme de quatre - vingt mille
florins d'or de Florence , évalués à quarante
ou quarante-huit mille livres de
France. Depuis ce tems , la ville d'Avignon
a été ſous la domination des fouverains
pontifes ; mais les rois de France
ont toujours conſervé une pleine ſouveraineté
ſur le Rhône. On a même prétendu
que la reine Jeanne n'avoit aucun
droit d'aliéner cette ville , ni aucune
autre de fon domaine ; que d'ailleurs elle
étoit alors mineure ; que ſon ayeul Robert
avoit expreſſément défendu l'aliénation
par ſon teftament ; que ſon conſeil déclara
cette vente nulle & illégitime ; enfin
que le pape Clement VI déclara nulle
par une bulle donnée un an après cette
JUILLET 1768. 189
vente , toutes les aliénations faites par la
reine Jeanne. Enforte que cette vente prétendue
ne pouvoit paſſer que pour un
ſimple engagement révocable.
C'eſt par cette raiſon qu'après l'attentat
commis l'an 1662 à Rome contre le duc
de Créqui , ambaſſadeur de France , le
parlement de Provence , par arrêt du 26
juillet 1663 , déclara que la ville d'Avignon
& le Comtat Venaiſſin étoient de
P'ancien domaine & dépendance du comté
de Provence , & comme tels , les réunit à
la couronne. Enſuite il nomma des commiffaires
pour en prendre poffeſſion au
nom du roi , ce qui fut exécuté.
Cette ville & le Comtat furent réunis
au faint ſiége lors de la paix de Piſe ,
conclue le 12 mars 1667 .
Après l'excommunication lancée à l'occaſion
des franchiſes que le pape vouloit
ôter à l'ambaſſadeur de France à Rome ,
il a été pareillement ordonné , par arrêt du
parlementde Provence, du 2 octobre 1688 ,
que la ville d'Avignon & le Comtat Venaiſſin
ſeroient & demeureroient réunis à
la couronne comme étant de l'ancien domaine
& dépendance du comté de Provence.
Louis XIV rendit cette ville au
pape en 1690 , après la mort d'Innocent
XI.
190 MERCURE DE FRANCE.
(
Avignon & le Comtat viennent encore
d'être réunis au domaine du roi , par arrêt
de la cour du parlement de Provence du 9
juin 1768 ; & M. le marquis de Rochechouart
, lieutenant général des armées du
roi , & commandant en Provence pour fa
majesté , ayant été chargé de prendre poffeffion
d'Avignon & du Comtat Venaiffin,
fit le 11 juin ſon entrée dans cette
ville vers les neuf heures du matin , par
la porte Saint- Lazare , accompagné des
confuls & affeſſeur , qui avoient été audevant
de lui pour le recevoir. Il étoit à la
tête d'un détachement de cent dragons du
régiment de Beaufremont , avec l'étatmajor.
Le premier & le troiſieme bataillon
du régimentDauphin , & un détachement
de la maréchauffée , entrerent auſſi dans la
ville , par la porte Saint-Michel. Toutes
ces troupes s'étant réunies dans la place
du palais , s'y rangerent en bataille ; &
pendant que le marquis de Rochechouart
alla notifier au ſieur Vincentini , vicelégat
, les ordres dont l'avoit chargé ſa
majefté , deux huiſſiers du parlement allerent
à l'hôtel-de-ville ſignifier aux confuls
l'arrêt rendu le 9 de ce mois ,& dont voici
la teneur.
• Vu par la cour , les chambres extraor-
>> dinairement aſſemblées , l'arrêt par elle
JUILLET 1768. 191
» rendu le 26 juillet 1663 & celui du 2
>> octobre 1688 pour la réunion de la ville
>> d'Avignon & du Comtat Venaiffin an
>> domaine de ſa majeſté ; les lettres-paten-
>> tes portant que le premier préſident , un
>> autre préſident & huit conſeillers en la
>> cour , qui feront par elle commis & dé-
>> purés , ſe tranſporteront avec le procu-
>> reur général , l'un des avocats généraux
» & deux ſubſtituts dudit procureur géné-
>> ral en la ville d'Avignon , & fon terri-
>> toire , & Comtat Venaiſſin pour la priſe
>> de poffeffion , au nom de ſa majeſté ,
>> deſdites villes& comtat ; leſdites lettres
>> données à Versailles le premier de ce
» mois , ſignées Louis , & plus bas , par
>> leRoi, comtede Provence , Phelippeaux,
>> duement ſcellées ; la requête préſentée à
>>ladite cour , par le procureur général ,
>> tendante , pour les cauſes y contenues ,
>> à ce que leſdites lettres-patentes ſoient
>> enregiſtréespour être exécutées ſelon leur
>> forme& teneur , enſemble leſdits arrêts :
>> ce faiſant , que la ville d'Avignon &
>> Comtat Venaiſſin ſeront&demeureront
>> réunis à la couronne , comme étant de
→ l'ancien domaine & dépendance du com-
>>té de Provence ; & au moyen de ce , que
>> le roi ſoit rétabli en la jouiſſance de la-
>dite ville & comtat , droits & apparte
192 MERCURE DE FRANCE.
>>nances , par les commiſſaires qui feront
» députés par la cour , leſquels accéderont
>> en ladite ville & comtat , & par- tout où
>> beſoin ſera , pour en prendre la réelle
»& actuelle poffeffion , lui préſent & re-
>> quérant , en conformité deſdites lettres-
-patentes & arrêts de la cour ; recevoir
» le ſerment de fidélité , foi & hommage
>>des confuls & habitans dudit Avignon
» & autres , enſemble des élus & fyndics
>> dudit comtat; établir , par provifion &
>> juſqu'à ce que ſa majeſté y ait pourvu ,
>> des officiers de juſtice au nombre qu'ils
>> trouveront à propos , pour connoître des
>>>différends civils & criminels des habi-
>> tans de ladite ville &comtat, dont l'ap-
- pel reſſortira à la cour , & généralement
>>ordonner tout ce qu'ils eſtimeront né-
< ceſſaire pour le ſervice de ſa majesté , &
>> le plus grand avantage de ſes ſujets d'A-
>> vignon & du comtat , circonſtances &
>>dépendances , nonobſtant oppoſitions ou
>>appellations quelconques pour leſquelles
>> ne fera différé; requérant en outre qu'in-
*,, hibitions & défenſes ſoient faites aux
» habitans de ladite ville & comtat , de
» s'adreſſer ni reconnoître autres magiſtrats
» & officiers , que ceux qu'ils auront com-
» mis & délégués , ou qui feront dans la
>> ſuite pourvus & nommés par le roi ,&
!
>>par
JUILLET 1768 . 193
و د
ود
par appel à la cour , & à tous les officiers
de ſa ſainteté , de ne plus ſe mêler
» de leurs charges , à peine de faux & au-
» tres arbitraires ; que les armes de notre
» ſaint pere le pape ſoient ôtées avec ref-
» pect & décence des lieux où elles ſe
>> trouvent , & à leur place remiſes celles
» du roi ; & que l'arrêt qui interviendra
>> foit imprimé , publié & affiché par-tout
» où beſoin ſera ; ladite requête ſignée
» Ripert de Montclar : oui le rapport de
» Maître Joſeph de Boutaſſy de Chateaularc
, confeiller du roi , doyen en la
» cour , tout conſidéré : dit a été que la
» cour , les chambres extraordinairement
» aſſemblées , a vérifié les lettres-patentes
>> de ſa majeſté , du premier de ce mois ,
>> ordonne qu'elles feront enregiſtrées ès
>> regiſtres de la cour pour être exécutées
> ſelon leur forme & teneur , enſemble
>>les arrêts de la cour des 26 juillet 1663
» & 2 octobre 1688 ; & , au moyen de
» ce , ordonne que la ville d'Avignon &
>> comtat Venaiſſin ſeront & demeureront
>> réunis à la couronne , comme de l'an-
>> cien domaine & dépendance du comté
>> de Provence : ordonne que le roi ſera
» rétabli en la jouiſſance de ladite ville
» & Comtat , droits & appartenances ,
" par MM. de la Tour , premier préſi-
Vol. I. I
194 MERCURE DE FRANCE.
>>dent,Grimaldide Reguſſe , ſecond préfident
, Boutaſſyde Chateaularc , doyen ,
وو
de Ballon de Saint- Julien , de Mey-
ود ronnet de Saint-Marc,le Blanc de Ven-
„ tabren , de Benault de Lubieres , d'Arlatan
de Lauris , d'Eſtienne du Bour-
> guet , de Raouſſet de Ventimille , con-
>> ſeillers du roi , que la cour a commis ,
>> leſquels accéderont en ladite ville &
Comtat , & par-tout où beſoin ſera ,
>> pour en prendre la réelle & actuelle pof-
> ſeſſion : préſent & requérant le procu-
» reur général , en conformité deſdites
> lettres-patentes & arrêts de la cour , re-
>> cevoir le ferment de fidélité , foi &
» hommage des confuls & habitans dudit
>>>Avignon & autres , enſemble des élus
» & fyndics dudit Comtat ; établir , par
>> proviſion , & juſqu'à ce que ſa majeſté
» y ait pourvu , des officiers de justice ,
» au nombre qu'ils trouveront à propos ,
pour connoître des différends civils &
criminels des habitans de ladite ville
» & Comtat , dont l'appel reſſortira à la
» cour , & généralement ordonner tout
» ce qu'ils eſtimeront néceſſaire pour le
>>fervice de ſa majesté , & le plus grand
» avantage de ſes ſujets d'Avignon & du
>> Comtat , circonstances & dépendances ,
>> nonobſtant oppoſitions ou appellations
JUILLET 1768. 195
quelconques , pour lesquelles ne feta
différé: afait & fait inhibitions & de-
»fenfes à tous les habitans de ladite ville
مد & Comtatde s'adreſſer , ni reconnoître
>>>autres magiſtrats & officiers que leſdits
>>>commiſſaires , & en leur abfence , que
→ceux qu'ils auront commis &délégués,
>> ou qui feront dans la ſuite pourvus &
-nommés par le roi , & par appel à la
cour , & à tous les officiers de ſa ſain-
>>>teté , de ne plus ſe mêler de leurs char-
>> ges , à peine de faux & autres arbi-
>>>traires: ordonne en outre que les armes
>>de notre faint pere le pape feront ôtées
→→ avec reſpect& décence des lieux où elles
د
ſe trouvent & à leur place remifes
>> celles du roi , & que le préſent arrêt ſera
imprimé , publié & affiché par-tout où
beſoin fera. Fait à Aix en parlement ,
les chambres extraordinairement affem-
>> blées , le neufjuin mil ſeptcent foixante-
>huit». Signé, DE REGINA.
- Une demi-heure après , le premier préfident
, accompagnéde tous les commiffaires
du parlement , entra dans la ville par la
porte Saint Michel, ſuivi du premier huiffier
, de quatre greffiers & de trois autres
huiffiers , tous précédés de la maréchauffée.
Les commiſſaires étantdeſcendus à l'hô
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
tel-de-ville ,dont les avenues étoient gardées
parun détachement de troupes , firent
ſçavoir auxconfuls le ſujet de leur arrivée ,
&leur ordonnerent de ſe rendre à l'hôtel
dů premier préſident à trois heures de relevée.
Les confuls y allerent en chaperons
avec le corps de ville&les principaux habitans
des trois ordres , précédés de leur ſymphonie
avec timbales , hautbois & trompettes
, &des fergens & valets de ville en
manteau d'écarlate , tenant leurs maſſes en
main ; ils conduiſirent les commiſſaires
dans la plus grande ſalle du palais , dite la
grande chapelle , au fond de laquelle ſe
placerent les commiſſaires , revêtusde leurs
robes rouges , & les préſidens avec leur
manteau d'hermine & leur mortier ; après
quoi le procureur général du Roi requit la
lecture & publication de l'arrêt de la cour
&demanda qu'en exécution d'icelui le
Roi fût mis en poſſeſſion de la ville& territoire
d'Avignon ; que l'arrêt fût publié
à ſonde trompe dans tous les lieux & carrefoursde
ladite ville ,avecinjonction aux
habitans de reconnoître le Roi pour leur
fouverain ſeigneur , à peine d'être procédé
contre les contrevenans comme criminels
de leze-Majeſté; le premier préſident parla
enfuite de la grandeur & de la justice du
Roi ; il fit fentir combien il étoit avanta
JUILLET 1768. 197
geux à la ville d'Avignon de retourner ſous
la dominationde fon légitime maître , &c .
& prononça l'ordonnance ſuivante.
<<Nous commiſſaires députés par la cour,
>>faiſant droit ſur la réquisition du procu-
>> reur général du Roi , avons ordonné &
>>ordonnons que l'arrêt de la cour , du 9
>>>de ce mois ,portant réunion de la ville
» d'Avignon , ſon territoire & comtat de
>>>Venaiſſin au domaine de la couronne &
>>>comté de Provence , ſera exécuté ſelon
>> ſa forme & teneur , lu tout préſentement
>> par le greffier de la cour , publié à fon de
>>>trompe par tous les lieux & carrefours de
>>cette ville , regiſtré ès regiſtres du palais
>>& par-tout où beſoin ſera , & que ſa
>>majeſté ſera préſentement par nous miſe
>>en poſſeſſionde ladite ville d'Avignon &
>>territoire en la perſonne de ſon procureur
>>général ; enjoignons àtous les habitans
>>>de ladite ville de reconnoître le Roi pour
>>leur ſouverain ſeigneur , à peine d'être
>>procédé contre les contrevenans comme
>>criminels de leze- majeſté. Fait à Avi-
>>>gnon , dans le palais , le 11 Juin 1768 ,
» Signé , DES GALOIS DE LA TOUR . »
A l'inſtant , le greffier de la cour fit la
lecture de l'arrêt , laquelle fut ſuivie d'acclamations
& de cris de vive le Roi. Le
même arrêt fut enſuite publié dans la ville
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
à fon de trompe avec les criées pour la
preſtation du ferment qui doit ſe faire
aujourd'hui dans l'hôtel-de-ville à trois
heures après-midi.
Les confuls , ſuivis du même cortege ,
conduifirent les commiſſaires à la porte du
palais , au tribunal des Juges de Saint-
Pierre , aux portes de la ville & à celle de
la métropole , à chacune deſquelles leſdits
commiffaires mirent le Roi en poffeffion
en la perſonne du procureur général. A la
porte de la métropole , ils furent reçus par
le chapitre ayant à ſa tête le prevôt , qui ,
après la priſe de poffeffion , leur préſenta de
l'eau bénite ; le chapitre les conduiſit enfuite
au choeur où ils ſe placerent fur les
ſtalles les plus hautes du côté de l'épître.
Immédiatement après , le chapitre retourna
à la porte de l'égliſe poury recevoir
le marquis de Rochechouart , & après
l'avoir conduit à un fauteuil , qu'on lui
avoit préparé , il ſe plaça au côté oppofé à
celui qu'occupoient les commiſſaires. Le
prevôt entonna le Te Deum qui fut chanté
enmuſique au fon des timbales ,des hautbois&
des trompettes , & au bruit de tour
le canon & des boîtes de la ville. Cette
hymne fut fuivie de l'antienne & de la
priere pour le Roi. Le chapitre ayant reconduitjuſqu'à
la porte del'égliſe les commifJUILLET
1768. 199
faires& le marquis de Rochechouart, ceuxci
ſe rendirent devant le palais & y allumerent
un feu de joie au milieudes acclamations&
des cris de tout le peuple ; après
quoi ils furent reconduits à l'hôtel du premier
préſident par les confuls qui ſe rendirent
à la place de l'hôtel -de-ville , pour
yallumer auſſi un feu de joie. A l'entrée
de lanuit , tous les habitans témoignerent
àl'envi leur allégreſſe pardes feux &par des
illuminations générales .
DIVID SO
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES POLITIQUES .
De Warfovie , le 28 avril 1768.
L'I'MIMPPEERRAATTRICE DE RUSSIE adéclaréque fes
troupes ne fortiroient de Pologne que lorſque la
tranquillité y ſeroit parfaitement rétablie. On
apprend que , malgré le traité qui a été conclu ,
l'animofité des catholiques contre les diſſidens
augmente de jour en jour dans quelques diftricts
; on l'attribue à l'inſtigation des prètres.
Le curé de Pecsken , village ſitué dans la Staroſtie
de Mævi , pouffé par un zele indiſcret , ſe
rendit , le 17 du mois dernier , dans l'égliſe
luthérienne pendant l'office divin ; il invectiva
le miniſtre qui étoit alors en chaire , & l'en fir
deſcendre en le prenant par les cheveux. Les
auditeurs firent fortir le curé de l'égliſe , & empêcherent
peut- être par-là d'autres excès auxquels
il auroit pu ſe porter. L'indignation du peuple
fit craindre des ſuites fâcheuſes , & le magiſtrat
prit toutes les meſures néceſſaires pour les prévenir.
Du 13 mai.
Il s'eſt formé des confédérations dans tous les
palatinats du royaume ; la Lithuanie ſeule eſt encore
tranquille : elle attend l'iſſue de la diere
généralede la Pruſſe Polonoiſe qui s'ouvrira incefſamment.
Il eſt à craindre qu'elle n'ait pas le
ſuccès qu'on en attend ; la nobleſſe de cette province
, celle ſur-tout du Palatinat de Pomerelie ,
JUILLET 1768 . 201
témoigne beaucoup d'envie de confédérer. Le
motifde la religioneſt le prétexte qu'elle emploie ,
ainſi que tous ceux qui ont pris ce parti.
Du 21 mai.
La commiſſion de guerre vient d'arrêter que
le comte de Branicki , feld- maréchal d'artillerie ,
raſſembleroit quelques houlans de Pulsk , les
gardes-dragons de Lithuanie , & le régiment de
dragons de Wielopoliski , commandés actuellement
par le général Kraczinski , & qu'il iroit
camper près de Zambor , à la tête de ces troupes ,
& attaquer les confédérés , après avoir fait publier
dans les tribunaux des Staroſties voiſines une amniſtie
générale pour tous ceux qui viendroient
rejoindre ſon drapeau.
Le 13 un courier apporta la nouvelle de la
défaited'une partie des confédérés près de Labatow
, à peu de diſtance de Conſtantinow , où ils
avoient eu un avantage le mois précédent. Leur
perte , qu'on faiſoit monter très-haut , ſe réduit
aujourd'hui à huit cens hommes tant tués que
bleſſés & prifonniers. Les Rufles , qui veulent profiter
de leur victoire , marchent vers Halicz pour
attaquer , dit - on , le comte Potocki , chefde la
confédération du Palatinat de Ruſſie , qui eſt à la
tête de dix-huit mille combattans , outre neuf
mille hommes de troupes réglées réunies ſous ſes
ordres.
De Stockholm , le 20 mai 1768 .
L'abbé du Prat , chargé des affaires de France
en cette cour , n'attend , pour en partir , que
l'arrivée du comte de Modene , qui vient réſider
ici en qualité de miniſtre plénipotentiaire de ſa
1
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
20
majeſté très chrétienne ; il ſe rendra à La Haye
où il doit être employé ſous le baron de Breteuil
ambaſſadeur de France en Hollande. Le ſieur
'Barthelemy , qui le remplace , avec le titre de
fecrétaire d'ambaſſade , a eu l'honneur d'être préfenté
le 14 à leurs majeftés.
De Coppenhague , le 6 mai 1768.
On a frappé une médaille à l'occaſion de la
naiſſance du prince Frederick ; on y voit d'un
côté les buſtes du Roi & de la Reine , avec cette
infcription: Carolus VII& Carolina- Mathilda D.G.
Rex&Reg. Dan. & Norv. De l'autre côté l'éter->
nité eſt repréſentée ſous la figure d'une femme ,
ayant à ſa droite un phénix couronné de rayons ,
avec ces mots aternitas auguſta : & on lit ſous
Pexergue: Frederico , princ. hered. Dan. & Norv..
nato D. 27jan. M. DCC. LXVIII.
Du 21 mai.
Le roi , par une ordonnance du 14 de ce mois,
a permis l'importation & la conſommation de
routes fortes de ſel , à commencer du premier
juillet prochain , moyennant deux eſcalins par
tonnes pour tout droit. Pour compenfer en quelque
façon la diminution que cette liberté pourra
preduire dans les revenus de la couronne , fa
majesté ordonne que tous ſes ſujets , de l'âge de
douze ans & au deſſus , paieront chacun , tous
les trois mois , à commencer auſſi du premier
juillet prochain , deux eſcalins à la caiſſe royale.
Les bas officiers & les ſoldats , ceux qui appar
tiennent aux diviſions de marine & de la police,
qui font actuellement au ſervice , font exempts de
JUILLET 1768. 203:
certe taxe ; ceux qui , comme des perſonnes libres ,
fubfiftent de leur travail , y ſont ſoumis comme
les autres.
De Vienne , le 27 avril 1768 .
Le mariage de l'archiducheſſe Charlotte avec
le roi de Naples adonné lieu à pluſieurs fêtes.
On a frappé une médaille à cette occafion. Le
bufte de cette princeſſey eſt repréſenté avec ceite
inſcription : M. Carolina Austr. Ferdinando utr.
Siciliæ Régi nupta, ſur le revers eſt un autel antique
qui ſoutient deux écuſſons où font les armes
du roi de Naples & celles d'Autriche. Ils font
joints par un noeud que forment l'hymen & l'amour
; on y lit ces mots : fortius alternis nexibus
&àl'exergue : nuptia celebrata Vindob. procuratore
FerdinandoArch. Austr. 7 april M. DCC. LXVIII.
La ſociété de commerce en toiles pour Cadix ,
førmée en Bohême , acquiert tous les jours de
la conſiſtance ; le fond en eſt de 1000 actions
de 1000 florins chacune. Tout actionnaire qui
en poſſéde vingt- cinq a droit de ſuffragedans les
affemblées de cette ſociété.
:
Du 4 mai.
La députation du crédit des états des provinces
héréditaires de Bohême & d'Autriche a fait publier
qu'on rembourseroit en argent comptant le
capital & les intérêts à quatre pour cent de toutess
les obligations du premier août 1763 , à moins
que les propriétaires ne préférent de les convertir.
en obligations de la banque conformément aux
édits des 31 janvier & 31 juillet 17631 21
Lvj
204 MERCURE DE FRANCE.
De Berlin , le 24 mai.
On mande de Lubwalde qu'un laboureur ,
appellé Jacob Menkouwske , y est mort le 20
avril dernier , âgé de cent onze ans ; il s'étoit
marié trois fois & avoit eu quinze enfans , qui
l'avoient rendu ayeul de trente-deux , & biſayeul
de vingt-deux. Cinquante-quatre qui exiſtoient
encoreafamort ont tous afſfſifſtéà fon
:
:
enterrement .
De Lisbonne , le 19 avril 1768 .
Par une loi dus de ce mois , publiée & enrégiſtrée
le 9 , le roi vient d'ériger un tribunal
ſuprême chargé de la cenſure des livres & de la
policede la librairie. Il ne ſe bornera pas aux
livres qu'on imprimera ou qu'on introduira dans
le royaume ; ſes ſoins s'étendront à tous ceux qui
ont été publiés depuis l'établiſſement des Jéſuites
enPortugal. L'intention de ſa majesté eſt de bannir
de ſes états la morale corrompue , l'ignorance
& la ſuperſtition , &de ne laiſſer entre les mains
de ſes ſujets que les ouvrages qui contiennent une
morale pure & une ſaine doctrine. Le tribunal
s'aſſemblera toutes les ſemaines & ne ſe décidera
que ſur les concluſions du procureur général de la
couronne.
Du so mai.
1
Le roi vient de ſupprimer , par un décret du s
de ce mois , le brefdu pape contre les édits de
l'infant duc de Parme & de Plaiſance. Défenſes .
font faites de l'imprimer , de le publier , de le
retenir ſous peine de crime de léze-majeſté.
JUILLET 1768. 205
Lesdéſordres que faiſoient naîtred'anciens rôles
de gens accuſés ou ſoupçonnés de judaïſme viennent
d'être anéantis par un décret du 2 de ce mois.
Sa majeſté abolit ces rôles , qui n'ont jamais été
revêtus d'aucune autorité légitime , & dont on ſe
ſervoit pour diffamer ou inquiéter pluſieurs familles
; elle défend en même temps d'en garder des
copies & d'en faire mention en aucunes circonftances.
1 De Rome , le 18 mai 1768 .
Leis on fit , dans la baſilique de S. Pierre ;
la cérémonie de la béatification du vénérable Bernard
de Corleone , frere-lai capucin. Le ſacré
collége , tous les ordres de la prélature romaine
y aſſiſterent ; ſa ſainteté s'y rendit après-midi , &
fit ſa priere devant l'autel où l'on avoit expoſé
l'image de ce bienheureux.
De Civita- Vecchia , le 15 avril 1768.
La plupart des Jéſuites chaffés de Sicile ſont à
Viterbe & dans les environs , employés par les
évêques aux fonctions eccléſiaſtiques & aux écoles
publiques. Ceux de Portugal y vivent de leurs
meſſes en habits féculiers : on ne les emploie plus
depuis l'expulfion des Jéſuites d'Eſpagne & de
Sicile. Il arrive ſans ceſſe de Corſe quelques- uns
de ces religieux eſpagnols. On attend de jour en
jour ceux de l'ifle de Malthe , que les galeres de
lareligion doivent eſcorter juſqu'ici .
:
• De Porto- Ferraio , le 10 avril 1768 .
On apprend de la Baſtie que le corſaire Corſe ,
d'Erbalonga , qui croiſoit contre les bâtimens
206 MERCURE DE FRANCE.
Génois depuis le 12 du mois dernier , y eft rentré
le 20 avec cinq priſes. Si la paix ne ſe conclut
point on prétend qu'il fe remettra en courſe. On
ajoute que le général Paoli donna le 21 un grand
dîné à M. de Marbeuf , commandant des troupes
françoiſes en Corſe , & aux autres officiers de cette
mation.
De Naples , le 14 mai 1768 .
Le roi arriva le 12 à Portello , où il reçut la
reine ſon épouſe. Le même jour leurs majeftés ,
accompagnées de leurs alteffes royales le grand
Duc& la grande ducheffe de Toſcane , ſe rendi
rent à Caferte , où elles arriverent à onze heures .
La reine ſe fit voir au peuple pendant quelque
temsdedeſſus les balconsdu château.
Du 21 mai.
Leurs majeſtés ſont arrivées ici le 19 au fon
de toutes les cloches & au bruit de l'artillerie . On
a ordonné des illuminations pendant cinq jours.
Demain la reine fera ſon entrée publique.
De Londres , le 6 mai 1768.
On apprend que le vice-roi d'Irlande a remis ,
de lapartdu roi aux contnunes de ce royaume ,
un meſſage , par lequel il eſt déclaré que le fervicede
ſa imajeſté exige qu'ily ait en tems de paix,
fur l'établiſſement d'Irlande , 12 , 000 hommes
de troupes réglées , indépendamment des 3,235
hommesqui font employés au dehors. Il paroît
auſſi un état dreſſé par la douanne & remis au
parlement de ce royaume , ſuivant lequel l'augmentation
montera à 33 , 694 liv. fterl. 2.f. 10d.
JUILLET 1768. 107
Du 27 mai.
Leparlement tint ſa premiere ſéance le rod
Les communes élurent le chevalier Cuſt pour leur
orateur. Le 13 elles nommerent un comité chargé
d'examiner les ordonnances relatives aux bleds
&les loix qui font prêtes à expirer. Le bill à ce
fujet fut dreſſé le 14 , approuvé le 19 par cette
chambre , après avoir été lu le 15 à celle des
Pairs. Le 21 le Roi y donna par commiffion fon
conſentement royal.
Des lettres d'Irlande portent que le parlement
de ce royaume a repréſenté au vice-roi que les
dettes actuelles de l'Irlande ne lui permettoient
pas de faire les dépenſes qu'exigeoit l'augmentation
projettée dans les troupes , de forte qu'elle a
été rejettée à la pluralité des voix.
Le capitaine du vaiſſeau le Dauphin , de retour
du voyage qu'il a fait dans la mer du Sud , a
remis à l'amirauté le journal de ſes opérations. II
adécouvert dans cette mer une iſle nouvelle, ſituée
environ au vingtieme degré de latitude méridionale
: il lui adonné le nomde terre du roiGeorges
Du 3 juin.
Le premier de ce mois , on a reçu des de
pêches des gouverneurs du roi à la nouvelle Yorck.
Elles apprennentque les aſſemblées des provinces
refuſent de reconnoître la légitimité de tout acte
du parlement Britannique qui a pour objet les
taxes & impôts des Colonies , & qu'elles infiftent
fur le droit qu'elles prétendent avoir ſeules de
les lever. Les négocians , qui tiroient des marchandiſes
de la grande Bretagne ,ſe ſont ſolene
208 MERCURE DE FRANCE.
nellement engagés de n'en plus acheter ni ven
dre , pour leur compte , ou pour celui d'autrui ,
paffé le premier octobre prochain , juſqu'à ce
que l'on ait révoqué l'acte qui impoſe certaines
taxes ſur le papier , le verres , les couleurs & autres
objets . Toutes les Colonies du continent ont
ſouſcrit à cette réſolution qui leur a été communiquée
, & elles ont ménacé de mort les commiſſaires
de la douanne du roi qui ſe haſarderoient
à lever de nouvelles impoſitions.
:
FRANCE.
Nouvelles de la Cour de Paris , &c. د
De Versailles , le 18 mai 1768 .
Le ro le roi , la reine & la famille royale ;
fignerent le contrat de mariage du ſieur de la
Caze , premier préſident en ſurvivance au parlement
de Pau , avec demoiselle de la Borde , niece
du ſieur de la Borde , ci - devant Banquier de
la cour. Le is , elles ſignerent celui du comte
de Cleron d'Hauſſonville , brigadier des armées
du roi , & colonel du régiment de la Marine ,
avec demoiselle de Guerchy , fille du feu comte
de ce nom , colonel du régiment du roi , lieutenant
général des armées de ſa majeſté , chevalier
de ſes ordres & fon ambaſſadeur à la cour de
Londres.
Du 21 mai.
L'état de la reinedonna hier les plus juſtes inquiétudes
; le cardinal de Rochechouard lui adminiſtra
l'extrême onction ; on fit expoſer ſur
le chanip le faint Sacrement , & on ordonna les
prieres des quarante heures.
JUILLET 1768. 209
Du 25 mai.
Les députés des états d'Artois , admis à l'audience
du roi , le 23 de ce mois , furent préſen
tés à ſa majesté par le marquis de Lévis , gouverneur
de la province d'Artois , & par le duc de
Choiſeul , miniſtre & fecrétaire d'état , ayant le
département de cette province. Le marquis de
Dreux & le ſieur Deſgranges , l'un grand maitre
, & l'autre maître des cérémonies , les conduiſoient.
La députation étoit compoſée , pour le
clergé , de l'évêque de Saint-Omer , qui portala
parole , pour la nobleſſe , du ſieur Fréchin , marquis
de Wamin , & pour le tiers état , du ſieur
de la Haye , avocat en parlement & ancien éche.
vin de la ville & cité d'Arras .
De Paris, le 13 mai 1768 .
Il paroît par les dernieres lettres de Suiſſe que
le meurtre du ſieur Gaudot , commis à Neuf-
Châtel pourroit bien avoir des ſuites graves.
On marque que le ſieur Derſchau , miniſtre plé.
nipotentiaire du roi de Pruſſe , a requis au nom
de ſon maître, les cantons de Berne , Lucerne ,
Fribourg & Soleure d'envoyer à Neuf-Châtel une
garniſon de ſix cens hommes pour y maintenir
la police & prêter main-forte aux magiſtrats
dans la pourſuite des auteurs de l'attentat commis
ſur la perſonne de l'avocat général du Prince.
Berne a ordonné à cent cinquante hommes de
ſes troupes de ſe tenir prêts à s'y rendre , & a
député aux trois autres cantons pour les exhorter
à fournir leur contingent.
Du 16 mai.
Le duc de Duras , chevalier commandeur des
1
210 MERCURE DE FRANCE.
ordres du roi , revêtu du collier des ordres de ſa
majesté , ſe rendit , le 9 de ce mois au couvent
des Cordeliers , pour y préſider en qualité
de commiſſaire du roi , au chapitre de
l'ordre de Saint- Michel , qui ſe tient ordinairement
le jour de la fêre de l'apparition
de faint Michel. Les chevaliers y parurent ,
pour la premiere fois , avec le nouvel uniforme
que ſa majesté leur a accordé. Il confiſte en
une toque de plumes noires & bleues , un
grand manteau de foie , l'habit complet de la
même étoffe , & les retrouffis du manteau en de
vant de moire bleue. Le duc de Duras reçut
chevalier le ſieur Guerin , chirurgien major des
moufquetaires & le fieur Coppens , feigneur
d'Herfin lieutenant général de l'amirauté à
Dunkerque, Le fieur Morand , chevalier , prononça
un difcours à cette occafion ; on entendit
enſuite la grand'meſſe que l'ordre fait celebrer
tous les ans pour la confervation des jours du
roi & de la famille royale.
د
>
Du 30 mai.
}
On a imprimé à Lyon , un état des baptêmes ,
mariages & morts de ladite ville en 1766 & em
1767. Suivant cet état , il est né dans la premiere
année 5592 perſonnes , dont 2845 garçons ; il y
a eu 1139 mariages & 4165 morts , dont 2063
filles & femmes . En 1767 , il y a eu 5646 naif
fances , dans leſquelles on compte 2887 garçons ,
IOII mariages & 4006 morts , dont 2012 tant
hommes que garçons .
Du 6 juin.
Le freur Pierre-Jacques Meflé de Grandclos ,
JUILLET 1768. 211
négociant à Saint-Malo , connu dans le commerce
fous le nom deGrandcloş Meſlé , vient d'être an
nobli par lettres patentes du Roi , en conféquence
de lapromeffe faite par ſa majeſté dans l'arrêt de
fon conſeil du 30 Octobre dernier , de donner
tous les ans des lettres de nobleſſe àdeux des négocians
en gros qui ſe ſeroient diftingués dans
leurprofeffion.
Extrait d'une lettre écrite de Stockholm ,
le 6 mai 1768 .
<<On ſçaitque Deſcartes eſt mort à ſtockolnı,
>>>ſous le regne de Chriſtine ; il fut enterré dans
>> l'égliſe de Saint-Olof , & fa tombe fut couverte
>>> d'une fimple pierre où étoient gravés ſeulement
>> fon nom , le jourde ſa naillance & celui de fa
>> mort. Le corps de ce célebre philoſophe fur
>> tranſporté en France quelques années après ,
>> mais le lieu de ſa ſépulture ,& la pierre qui
>>l>'indique ont toujours été un objetde curioſité
>>>pour les étrangers , qui étoient furpris de ne
>> trouver qu'une pierre informe pour conſerver
>> le ſouvenir d'un fi grand homme. Le prince
>> royal , dont la bienfaiſance & le goûtpour les
>> ſciences & les arts ſont connus de toute l'Euro-
>>>pe , vient de faifir l'occaſion de réparer cette
>> négligence . On a réſolu de faire rebâtir l'égliſe
>>>de Saint-Olof & de l'aggrandir. Le Roi poſa
>>>lui -même , mardi dernier , la premiere pierre
>> du nouvel édifice ,& le prince royal déclara le
>>>même jour , qu'il y feroit ériger , à ſes frais ,
>> un mauſolée digne de la réputation du philofo
>>>phe immortel , dont le corps avoit d'abord été
>> déposé dans l'ancienne égliſe . >>
Du 10 juin.
La princeſſe de Baufremont- Liſtenois , dame
212 MERCURE DE FRANCE.
de la croix étoilée , a été reçue le 3 de ce mois
avec la permiſſion du Roi , grand'croix de l'ordre
deMalthe , par le baillyde Fleury amballadeur de
la religion auprès de ſa majeſté. Elle héritera
ainſi que ſa poſtérité , du droit de nommer à la
commanderie de Saint-Jean Diacetto en Toſcane.
Cedroit avoit été tranſmis à la princeſſe de Beaufrenmont
ſa mere , comme deſcendante de la branche
des ducs d'Atry qu'elle repréſente. Cette branche
établie en France & éteinte dans le fiècle dernier
, a été fondue dans les maiſons d'Anglure ,
de Bourlemont , du Bellay ,de Grantmont& de
Tenarre ; ces maiſons ont conftamment nommé
à la commanderie de Saint- Jean Diacetto .
On apprendde Ronte , que le pere Aimé de
Lamballe , capucin françois de la province de Bretagne
, a été nommé général de ſon ordredans le
chapitre qui s'eſt tenu à Rome , le 20 du mois
dernier.
Du 13 juin.
Le Roi a nommé le ſieur Jars & le ſieur
Lavoizier , à la place qui vaquoit àl'académie des
ſciencesdans la claffe de chymie , par la mort du
fieur Baron .
LOTERIES.
Le quatre-vingt- neuvieme tirage de la loterie
de l'hôtel-de- ville s'eſt fait le 25 de Mai , le lot
de cinquante mille livres eſt échu au numéro
35407 , celui de vingt mille livres au numéro
27124 , & les deux de dix mille aux numéros
37586 & 39966.
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire
s'eſt fait le 6 Juin , les numéros ſortis de la roue
de fortune ſont 75 , 14 , 7 , 32 , 31 .
MORT S.
Charles- Etienne- Louis Camus , de l'académie
JUILLET 1768. 213
royaledes ſciences , de la ſociété royale de Londres
, examinateur des ingénieurs & du corps
royal de l'artillerie , profeſſeur & ſecrétaire perpétuel
de l'académie royale d'architecture , & honoraire
de celle de la marine , eſt mort le 4 Mai ,
âgé de 68 ans .
Antoinette - Louiſe - Gabrielle des Gentils du
Beſſay , veuve de Henri- Joſeph comte de Vaffé ,
meſtre de camp de cavalerie , eſt morte en cette
ville , le 2 de ce mois , dans la cinquante huitieme
année de âge.
De Versailles , le 25 juin 1768 .
Marie Lézinska , princeſſe de Pologne , Reine
de France & de Navarre , fille de feu Stanislas ,
Roi de Pologne , duc de Loraine & de Bar , & de
feu Marie Opalinska , eſt morte au château de
cette ville , hier , à dix heures & demie du ſoir ,
âgéede ſoixante- cinq ans & un jour , étant née le
23 Juin 1703. Elle avoit épousé, les Septembre
1725 , Louis XV , Roi de France & de Navarre.
Elle a eu de ce mariage dix enfans , ſçavoir , deux
princes&huit princeſſes ,dont il ne reſte aujourd'hui
que Madame Adelaide , & Meſdames Victoire
, Sophie & Louiſe.
La vertu la plus éminente&une piété conſtante
& ſolide ont dirigé toutes les actions de ſa vie ;
fon attachement & fon reſpect pour le Roi , ſa
tendreſſe pour ſes enfans ſabonté pour tous ceux
qui avcient l'honneur de la ſervir ou de l'approcher
,fon zele pour la religion , ſon inépuiſable
charité , tout concourt à rendre ſa perte à jamais
ſenſible & fa mémoire toujours chere au Roi , à la
famille royale , à la nation entiere, La Pologne
qui l'ayu naître , partagera les vifs & juſtes re
214 MERCURE DE FRANCE.
grets de la France où elle a régné pendant une
longue ſuite d'années. La réſignation qu'elle a fait
paroître aux décrets de la providence pendant le
coursde la longue maladie à laquelle elle vient
de fuccomber , s'eſt ſoutenue juſqu'au dernier
moment de ſa vie.
La Reine a fait un teſtament par lequel elle
déſire que fon coeur ſoit porté à Notre-Dame de
Bon-Secours auprès de Nancy, lieu de la ſépulture
du Roi & de la Reine de Pologne , ſes
pere & mere ; & par une ſuite de la modeſtie qui
lui étoit naturelle , elle a demandé que ſes funérailles
ſe fîffent avec le moins de cérémonies qu'il
ſeroit poffible .
Le Roi vient de partir pour Marly , ainſi que
lafamille royale , à l'exception de Madame & fa
ſoeur, toutes deux filles de feu Monſeigneur le
Dauphin, leſquelles refteront à Verſailles pendant
le ſéjour de la cour à Marly.
:
J
Sur la mort de la Reine.
... Arrête , parque trop cruelle !
Hélas ! nos cris ſont ſuperflus ;
Que fervent nos voeux , notre zele ;
Notre auguſte Reine n'eſt plus .
Aujourd'hui toutes les vertus
Viennent de perdre leur modele.
Par M. de C ***.
APPROBATΙΟΝ.
'AI lu , par ordre de Monſeigneur le Vice-
Chancelier , le premier volume du Mercure de
juillet 1768 , & je n'y airien trouvé qui puifle en
empêcher l'impreſſion. A Paris , le 8 juin 1768,
GUIROY,
JUILLET 1768. 215
TABLE.
FRAGMENS d'un poëme nouveau. Pages
Lettre à M. de Voltaire , par Mde la Marquiſe
d'Antremont. 14
Réponſe de M. de Voltaire. 16
Couplets chantés à Chantilli par le petit Moreau ,
âgé de treize ans. 18
Dialogue entre Helene & Lucrece. 20
Le Dervis voyageur. Fable orientale . 25
A M. Saurin , ſur le rôle de Mde Beverlei dans
fa tragédie du même nom . 26
Conte. 27
Vers préſentés à M. V... 69
Epître à Madame ... par feu M. Deſmahis . 71
L'Ecole de la piété filiale . Nouvelle orientale . 74
Enigmes .
Logogryphes.
Air nouveau de la Vénitienne.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Extraits & annonces de livres .
78
४०
83
83
ACADÉMIES.
Séance publique l'académie royale des belleslettres
de Caen .
SPECTACLES .
OPÉRA
Comédie françoiſe ...
Comédie italienne ,
٢٠٠
128
132
142
143
216 MERCURE DE FRANCE.
ARTS ET SCIENCES,
Annonce de deux prix de muſique , latine &
françoiſe , propoſés aux muſiciens . 154
Portrait du chevalier Bayard , & le buſte d'une
femme , d'après Rembrandt. 159
HISTOIRE NATURELLE . 161
Remede pour les cancers. 163
Lettre de M *** ſur la poudre fébrifuge. 165
QUESTIONS. 166
AANCIEN USAGE . 167
TRAITS DE GÉNÉROSITÉ ET DE BIENFAISANCE . 170
ANECDOTES. 175
AVIS. 138
EDITS, déclarations, ordonnances, arrêts , &c . 183
EVÉNEMENT REMARQUABLE. 186
NOUVELLES POLITIQUES. 200
De l'Imprimerie de LOUIS CELLOT, rueDauphine.
:
JOURNAUX & LIVRES qui ſe trouvent
chez LACOMBE , Libraire , à Paris.
Ce Libraire se charge d'envoyer en Province les
Livres , Estampes , Muſiques , &c . aux particuliers
qui lui marquent leurs intentions en lui
faisant remettre d'avance les fonds néceſſaires
en argent , ou en effets à recevoir à Paris.
JOURNAUX .
Pour lesquels on s'abandonne , foit pour Paris
, foit pour la Province , chez LacoMBE ,
Libraire.
Les Soufcripteurs de Province font priés de remettre
leur argent à la Pofte , avec une Lettre
d'avis , & d'affranchir l'un & l'autre.
M
ERCURE DE FRANCE ; il en paroît 16 vol.
in- 12 par an; l'abonnement eſt à Paris de 24 liv.
Et pour la Province , port franc par la poſte ,
JOURNAL DES SÇAVANS , in- 4º ou in- 12 , 14 vol.
àParis.
Franc de port en Province...
32 liv.
1
16 liv.
20 1.4f.
ANNÉE. LITTÉRAIRE , compoſcée de quarante
cahiers de trois feuilles chacun , à Paris, 24 liv.
En Province , port franc par la Poſte , 32 liv.
L'AVANT-COUREUR , feuille qui paroît le lundi
de chaque ſemaine , & qui donne la notice
2
des nouveautés des Sciences , des Arts libéraux
& méchaniques , de l'Induſtrie &de la Littérature.
L'abonnement , foit pour Paris , foit pour
la Province , port franc par la poſte , eſt de
12 liv.
JOURNAL ECCLÉSIASTIQUE , par M. l'Abbé Dinouart
; il en paroît 14 vol. par an . L'abonne
ment pour Paris eſt de 9. liv. 16 fols.
Et pour la Province, port franc par la poſte , 14 1.
-EPHÉMÉRIDES DU CITOYEN, ou bibliotheque raifonnée
des Sciences morale & politique, in- 12 ,
12 vol. par an. L'abonnement pour Paris eft
de 18 liv.
Et pour la Province, port franc par la poſte. 241.
JOURNAL ENCYCLOPÉDIQUE , in- 12 , composé de
24 vol. par an , port franc par la poſte , à Paris
& en Province 33 liv. 12 f.
JOURNAL POLITIQUE , port franc par la poſte à
Paris & en Province 14liv.
:
LIVRES .
DICTIONNAIRE raiſonné univerſel d'hiſtoire naturelle
, par M. Valmont de Bomare , nouvelle
édition , 6 vol. in 8°. relić.. 27 liv.
Et en 4 vol. in-4°. relié. 48 liv.
Dictionnaire de chymie , contenant la théorie &
la pratique de cette ſcience , &c. par M. Maquer
, 2 vol. in- 8 °. relié. 9 liv.
Dictionnaire portatif des arts & métiers , contenant
en abrégé l'hiſtoire , la deſcription & la
policedes arts & métiers , fabriques & manufactures
de France & des pays étrangers , 2 vol.
în 8 °. reliés . : 9 liv .
Dictionnaire de chirurgie , contenant la deſcrip3
tion anatomique des parties du corps humain ,
&c . 2 vol . in - 8 reliés . 9 liv
Dictionnaire interprete de matiere médicale , &c .
vol . in- 8º d'environ 900 pages relié . sliv.
Dict. d'anecdotes , de traits caractériſtiques & finguliers.,
faillies , bons mots & réparties ingénieuſes
, &c. 1 vol. in- 8º relić. 4liv. 10 f.
Dict. des portraits hiſtoriques , anecdotes , &
traits remarquables des hommes illuftres , 3
vol. in- 8 reliés . 15 liv.
Dict. eccléſiaſtique & canonique , portatif , 2 vol .
in- 8 ° reliés .
وliv.
Dict. portatif de jurisprudence & de pratique ,
10 liv. 10 f. 3 vol . in- 8 reliés.
Dict. lyrique , portatif , ou choix des plus jolies
ariettes de tous les genres , diſpoſées pour la
voix & les inftrumens , avec les paroles françoiſes
ſous la muſique , 2 vol. in- 8 ° , gravée .
15 liv. broché.
Dict. typographique , hiſtorique & critique des
livres rares , finguliers , eſtimés & recherchés ,
avec les prix , 2 vol. in- 8 ° reliés .
Dict. hiſtorique , par M. l'abbé Ladvocat , 2 vol.
و
liv .
in- 8 relié. 10 liv. 10 (.
Dict. géographique de Voſgien , revu par M.
l'abbé Ladvocat , 2 vol. in- 8° , nouvelle édition.
4 liv. 10 f.
Dict. de droit canonique , par Durandde Maillane,
2 vol. in-4° reliés.
Dict. de phyſique , par le Pere Paulian , 3 vol.
in-4° brochés. 27 1 .
Dict. univerſel des foſſils propres & des foflils
accidentels , contenant une deſcription des
terres , des fables , des ſels , des foufres , & c.
in- 8° , par M. Bertrand , relić. 41. το f.
Dict. de droit & de pratique , 2 vol. in- 4 ° . relié.
aij 20 liv.
4
Dict. anglois & françois , & françois & anglois ,
in- 8° relié. 1 10 liv.
Dict. allemand & françois , & françois & alle.
mand , in- 8 ° , relié. 61.
-Idem in- 4° . relié. 121.
Avis aux meres qui veulent nourrir leurs enfans
, broché. I liv.
Trois avis au peuple ſur le blé , la farine & le
pain. 2 liv. 12 f.
Almanach philofophique , en quatre parties , par
un auteur très -philoſophe , à Goa 1767 , bro .
ché.
Anecdotes de médecine , in- 12 relié.
Antropologie , 2 vol. in- 12 , broché.
-Idem. in-4° broché.
Anatomie du corps humain , par M. J.
in-4° relié.
Almahide , 8 vol. in- 8° , reliés .
Le Botaniſte françois , 2 vol. reliés.
1 liv. 4 f.
3 liv.
4liv.
6liv.
Proſteval ,
12 liv.
32 liv.
sliv.
Le bon Fermier ou l'Ami des Laboureurs , in - 12
broché. 2 liv.
La bonne Fermiere , broché. 1 liv. 16 f.
Bocace Italien , édition de Londres , in4 ° ,
broché. 24liv.
Bibliotheque des jeunes négocians , par Jean Larue
, 2 vol. in- 48 relié . 18 liv .
La ſainte Bible , par la Cêne , 2 vol. in- fol.
reliés.
Catéchiſme de Montpellier , en latin , 6 volumes
in-4 ° , brochés.
Celíanne , on les amans ſéduits par leur vertu ,
40!.
in-12 , broché.
I liv. 10 f.
Le Citoyen déſintéreſſé , 2 vol. in- 8 ° , broché .
4liv. 10 f.
Commentaire des aphoriſmes de médecine d'Her.
man Boerhave , par Wans-Wieten en françois
, 2 vol. in-12 , brochés. 4liv.
S
Conférence de Bornier , 2 vol. in-4º , reliés. 24 1
Controverſe ſur la religion chrétienne & celle
des Mahométans, in- 12 , 1767 , broché. 11. 16 f.
Le Docteur Panſophe , ou lettre de M. de Voltaire
à M. Hume , & lettre au Docteur Panſophe
, in- 12 , broché. 12 .
Les Délaſſemens champêtres , ou Mêlanges d'un
philoſophe ſérieux à Paris & badin àla campagne
, 2 vol. in- 12 , brochés. 4liv.
Difputationes ad morborum hiftoriam & curationem
, &c . Albertus Hallerus , 6 vol . in- 4 ° ,
reliés.
60 liva
Difputationes chirurgicæ ſelectæ , Albertus Hallerus
, 5 vol . in-4° , reliés .
soliv.
Diſpenſatorium Pharmaceuticum , in-4° , 2 vol .
brochés. 24 liv.
Differtation ſur la littérature , 4 vol. in 80. 6 liv.
Elémens de pharmacie , théorique & pratique ,
par M. Beaumé , Maître Apothicaire de Paris
, 1 vol . in- 8 ° , grand papier , avec figures ,
relié.
6 liv.
Examen des faits qui, ſervent de fondement à
la religion chrétienne , avec une réponſe aux
principales objections des Athées , des Fataliſtes
& des Matérialiſtes , 3 vol.in- 12 , par
M. l'abbé François , reliés . 7 liv. 10 f.
Ellai für les erreurs & fuperftitions anciennes &
modernes , nouvelle édition , augmentée ,
1767 , 2 vol. grand in- 8 ° , reliés .
Elémens de philoſophie rurale , broché
sliv.
2liv.
Eſſais ſur l'art de la guerre , avec cartes & planches
, parM. le comte de Turpin , 2 vol. in- 4",
brochés.
24liv .
Expoſé ſuccinct de la conteſtation de M. Roufleau
avec M. Hume , in - 12 , broché .
V 24
Effai ſur l'hiſtoire des belles -lettres , 4 vol . reliés .
12 liv. a iij
Entretien d'une ame pénitente , in- 12 broché.
Les élémens de la médecine pratique , par M.
Bouiller , in- 4 ° , relié. 7liv.
Elémens de métaphyſique ſacrée & profane ,
in-8° , broché. 3 liv.
Hiſtoire naturelle de l'homme dans l'état de
maladie , in- 8 ° , 2 vol . relié. و liv.
Hift. des progrès de l'eſprit humain dans les
ſciences exactes , & dans les arts qui en dépendent
, &c. par M. Saverien , grand in- 8
deplus de soo pages relié.

5 liv.
Hift. de Chriſtine , Reine de Suede , in- 12 , relié .
2 liv. to f.
Hiſtoire de la prédication ou la maniere dont
la parole de Dieu a été prêchée dans tous les
fiecles , I vol.in- 12 , relié.
Hift. des Empereurs , 12 vol. reliés in - 12. 361.
Hift. du bas Empire , 10 vol. reliés .
Hift. eccléſiaſtique de Racine , Is vol. in- 12 ,
2 liv. 101.
30 liv.
reliés. 48 liv.
In-4°, 13 vol. 130 liv.
Hift. de France de Vely , 18 vol. reliés , in- 12 .
54 liv.
Hift. moderne , 12 vol. reliés , in- 12 . 36liv .
4 liv.
Hift . de Lucie Weller , 12 vol. in- 12 , broché.
7 liv. 10 f.
Hift. des révolutions de Florence , ſous les Medicis
, ouvrage traduit de Toſcan de Benedetto
Varchi , 3 vol . in- 12 reliés.
Hift. de l'Afrique ( nouvelle ) françoiſe , enrichie
de cartes & d'obſervations aſtronomiques &
géographiques , par M. l'abbé Demanet , 2 vol.
in- 12 , reliés . 6liv.
Hift. de l'empire ottoman , in- 4°, relié. 9 liv.
Hift. des navigations aux terres Auſtrales , 2 vol.
in-4°, reliés. 24liv.
7
Hiſt. navale d'Angleterre , 3 vol. in-4°. reliés.
27 liv.
Mélanges intéreſſans & curieux , contenant l'hiftoire
naturelle , morale , civile & politique
de l'Aſie , de l'Afrique & des terres Polaires ,
par M. Raiffelot de Surgy ; Paris , 1766 , 10
vol. in- 12 , reliés. 25 liv.
Mémoires de Mademoiselle de Valcourt , 2 vol.
brochés. 2 liv. 8 f.
Médecine rurale & pratique , rel. in- 12 . 101.8 f.
Henry IV , ou la réduction de Paris , poëme en
trois actes . 1 liv. 46.
Manuel de chymie , ou expoſé des opérations de
la chymie & de leurs produits , &c. par M.
Beaumé , nouvelle édition augmentée , in- 12 ,
relié . 2 liv . 10 f.
Manuel lexique , par M. l'abbé Prevôt , 2 vol.
in-8° , reliés. وliv.
Manuel harmonique , ou tableau des accords ,
pratiques , &c . par M. Dubreuil , maître de
clavecin , in- 8 ° ; 1767 , broché. 1 liv. 16 f.
Mémoires militaires , & voyages du Pere de Singlande,
2 vol . in-12 , 1766 , broc. 2 1.10 f.
Ces mémoires contiennent les principaux événemens
de la guerre de 1741 , & une deſcription
de la Corſe .
Mémoire ſur l'adminiſtration des finances d'Angleterre
, in-4 ° , broché. 6liv.
Maladie des gens de mer , par M. Poiffonnier ,
in 8°, relić. sliv.
Monades de Leibnitz , in - 4° , broché. 9liv.
Mémoire ſur le ſafran , in - 80 , broché . I liv. 4 f.
Notes ſur la lettre de M. de Voltaire , broché.
9 ſols.
OEuvres dramatiques , avec des obſervations , par
M. Marin , in- 8 ° , broché . 2 liv.
g
Octave ou le jeune Pompée , ou le Triumvirat ;
avec des notes & des morceaux hiftoriques
I vol . in - 8 ° , broché . 1 liv. 16 f.
Les OEuvres de Rouſſeau , in- 12 , petit format
s vol . reliés . to liv.
Les OEuvres de M. d'Héricourt , 4 vol. in- 4 ° ,
reliés . 40 liv.
Obſervations ſur la mouture des bleds , & fur leur
produit. 10f.
La poétique de M. de Voltaire , 1766 , 2 part.
enun grand in- 8° , relié . sliv.
Penſées & réflexions morales , nouv. édit. revue &
augmentée ; Paris , 1766 , broché, 1 liv. 10 f.
Polypes d'eau douce , ou lettre de M. Romé de
l'Ifle à M. Bertrand , &c. broché. 12f.
La paffion de notre Seigneur Jeſus - Chriſt , miſe
envers&en dialogues , in-8 ° , broché. 12f.
Richardet , poëme héroï- comique , en 12 chants
dans le goût de l'Arioſte , 1 vol. grand in - 8 ° ,
,
relié. s liv.
Les Scythes , tragédie de M. de Voltaire , nouv .
édition revue & augmentée ſur les éditions de
Geneve , de Paris & de Lyon , in - 8 ° , broché .
11.106.
Syphilis , ou le mal vénérien , poëme latin de
Jerôme Fracaſtor , avec la traduction en françois
& des notes , I vol . in - 8 ° broché. 1 1. 10 f.
La Sechia Rapita , 2 vol. in- 8º reliés.
Table des monnoies courantes dans les quatre
parties du monde , brochés . 1 1. 4 f.
Traité de toutes les coliques , in- 12 , 1767 ,
broché. 1 liv. 10 (.
Traité des principaux objets de médecine , avec
un ſommaire de la plupart des theſes ſoutenues
aux écoles de Paris , depuis 1752 juſqu'en
1764 , 2 vol. in- 12 , reliés. sliv.
Théorie du plaiſir , I vol. broché.
Traité des jacinthes , broché.
Traité des tulipes , broché.
1 liv. 161.
1 liv. 4fo
I liv. 10 f
Traité des renoncules , broché. 2liv
Recueil de divers traités ſur l'hiſtoire naturelle de
la terre&des fofſfils , in-4°, broché. 9 liv.
Virgile d'Annibal Carro , 2 vol. in- 8 °, reliés . 36 1.
OUVRAGES ſous preſſe & qui doivent paroître
inceſſamment.
Supplément pour la premiere édition du dica
tionnaire d'hiſtoire naturelle , volume in-8°.
Hiſtoire du patriotiſme françois , ou nouvelle
hiſtoire de France , dans laquelle on s'eſt
principalement attaché à décrire les traits de
patriotiſme qui ont illuftré nos Rois , la Nobleſſe
& le Peuple François , depuis l'origine
de la monarchie , juſqu'à nos jours , 6 vol.
in - 12 .
Variétés littéraires ou choix de morceaux intéreflans
& curieux , concernant les ſciences ,
les arts & la littérature , 4 vol . in- 12.
Dictionnaire de l'élocution françoiſe , contenant
les regles & les exemples de lagrammaire ,
de l'éloquence & de la poéſie , 2 vol. in - 80.
Hiſtoire littéraire des femmes Françoiſes , contenant
une analyſe raiſonnée de leurs ouvrages ,
&c. s vol. grand in- 8 °.
Hiſtoire des théâtres de la comédie italienne &
de l'opéra - comique , depuis leur établiſſe
ment en France juſqu'à nos jours , avec l'analyſe
raiſonnée , & l'hiſtoire anecdotique de
ces théâtres , 6 vol. in - 12 .
Les nuits pariſiennes , ou recueil de traits finguliers
, d'anecdotes , de penſées , &c. 2 vol.
in-8°.
10
Les deux âges du goût & du génie ou les efforts
& les progrès du goût & du génie dans
les ſciences , les arts & la littérature , ſous
les regnes de Louis XIV & de Louis XV ,
vol. grand in-8 °.
Nouvelles recherches ſur les êtres microſcopiques
& fur la génération des corps orga
niſés , vol. grand in- 80 avec figures .
Dictionnaire de la géographie ancienne , vol.
in- 8°.
,
*****
***
*****
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU RO Ι .
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
JUILLET 1768 .
SECOND VOLUME,
Mobilitate viget. VIRGILE.
Jilmesay
Papillon Sreyp 1755-
A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire , quai
de Conti.
Avec approbation & privilège du roi.


AVERTISSEMENT.
L
E privilége du Mercure ayant été tranſporté
parbrevet au ſieur LACOMBE , libraire ; c'eſt à lui
feulque l'on prie d'adreſſer , francs de port , les
paquets & lettres , ainſi que les livres , les eſtampes
, les pieces de vers ou de proſe , les annonces ,
avis , obſervations , anecdotes , événemens ſinguliers
, remarques ſur les ſciences & arts libéraux
&méchaniques , & généralement tout ce qui peut
inſtruire ou amuſer le lecteur.
CeJournal devant être principalement l'ouvrage
en général des amateurs des lettres & de ceux qui
les cultivent , fans être l'ouvrage d'aucun en particulier
, ils font tous invités à y concourir : on recevra
avee reconnoiſſance ce qu'ils enverront au Libraire
; on les nommera quand ils voudront bien
le permettre : & leurs travaux , utiles au fuccès&
àla réputation du Journal , deviendront même un
titre de préférence pour obtenir des récompenfes
fur les produits du Mercure.
Le prix de chaque volume est de 365 fols , mais
l'on ne paiera d'avance , en s'abourant , flow Tita
pourſeixe volumes , à raison de 30 jole piece..
Lesperſonnes de province auxqu Mes an emera
le Mercure par la poſte , paierous , pur felke
volumes , 32 livres d'avance en s'abonnant ;&
elles les recevront francs de port,
Celles qui auront d'autres voies que la poſte
pour le faire venir , & qui prendront les frais du
port fur leur compte , ne paierent , comme à
Paris , qu'à raiſon de 30 fols par volume , c'està-
dire , 24 livres d'avance , en s'abonnant pour
Seize volumes.
Les perſonnes & les Libraires des provinces ou
des pays étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreſſe ci- deſſus chez le
fieur Lacombe.
Onfupplie les habitans des provinces d'envoyer
par la poste , en payant le droit , le prix de leur
abonnement , & d'ordonner que le paiement en foit
fait d'avance au Bureau .
Les paquets qui ne seront pas affranchis refteront
au rebut.
On prię les personnes qui envoient des livres ,
estampes&musique à annoncer, d'en marquer le prix.
Les volumes du nouveau choix des pieces
tirées des Mercures & autres Journaux, se trouvent
auffi au Bureau du Mercure,
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET 1768.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
Ο
A mon Vaiſſeau ( 1 ).
vaiſſeau qui portes mon nom ;
Puiſſes- tu , comme moi , réſiſter aux orages !
L'empire de Neptune a vu moins de naufrages
Que le Permeſſe d'Apollom
Tu vogueras peut- être à ces climats ſauvages
Que J. J. a vantés dans ſon nouveau jargon.


( 1 ) Un négociant de Nantes a donnné au
vaiſſeau qu'il a équipé , le nom de M. de V ***.
C'eſt l'occaſion de cette épître.
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Mais non , ton fort t'appelle aux dunes d'Albion :
Tu verras , dans les champs qu'arroſe laTamiſe ,
La liberté fuperbe auprès du trône aſſiſe ;
Le chapeau qui la couvre eſt orné de lauriers5
Et , malgré les partis , la fougue & la licence ,
Elle tient dans ſes mains la corne d'abondance
Et les étendards des guerriers.
Sois certain que Paris ne s'informera guere
Situvogues vers Smirne où l'onvit naître Homere,
Ou fi ton Breton Nautonnier ;
Te conduit près de Naple , en ce ſéjour fertile ,
Qui fait bien plus de cas. •
Que de la cendre de Virgile.
Ne vas point ſur le Tibre , il n'eſt plus de talens ,
Plus de héros , plus de grand homme ;
Chez ce peuple de conquérans ,
Tu ne trouveras plus de Rome.
Vas plutôt vers ces monts qu'autrefois ſépara
Le redoutable fils d'Alcmene ,
Qui dompta les lions , ſous qui l'hydre expira ,
Et qui des cieux jaloux brava toujours la reine.
Tu verras en Eſpagne un Alcide nouveau ,
Vainqueur d'une hydre plus fatale ,
Des ſuperſtitions déchirant le bandeau.
JUILLET 1768. 7
Dis-lui qu'il eſt en France un mortel qui l'égale ,
Car tu parles ſans doute ainſi que le vaiſſeau
i
Qui tranſporta dans la Colchide
Les deux gémeaux divins , Jaſon, Orphée , Alcide.
Baptifé ſous mon nom , tu parles hardiment .
Que ne diras-tu point des énormes ſottiſes
Que mes ...... ont commiſes

Sur l'un & fur l'autre élément ?
Tu brûles de partir , attend , demeure , arrête ,
Je prétends m'embarquer , attend-moi , je te
jeins ;
Libre de paffions , & d'erreurs , & de foins ,
J'ai fu de mon aſyle écarter la tempête ;
Mais dans mes prés fleuris , dans mes fombres
forêts ,
Dans l'abondance & dans la paix ,
Mon ame eſt encor inquiete ;
Des fots & des méchans je ſuis encor trop près ;
Les cris des malheureux percent dans ma retraite :
Enfin le mauvais goût qui domine aujourd'hui ,
Deshonore trop ma patrie.

Je n'y tiens plus , je pars , & j'ai trop différé.
Ainfi je m'occupois , fans fuite & fans méthode,
De ces penſers divers où j'étois égaré ,
Comme tout folitaire à lui-même livré ,
Ou comme un fou qui fait une ode ,
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
QuandMinerve entr'ouvrant les rideaux de mon lit,
Avec l'aube du jour m'apparut & me dit :
Tu trouveras par-tout la même impertinence;
Les ennuyeux & les pervers
Compoſent ce vaſte univers.
• •
Je me rendis à la raiſon ,
Et , ſans plus m'affliger des ſottiſes du monde ,
Je laiſſai mon vaiſſeau fendre le ſeinde l'onde ,
Et je reſtai dans ma maiſon.
Galimathias pindarique ſur un carrousel
donné par l'Impératrice de Ruffie ( 1 ) .
SORS du tombeau , divin Pindare ,
Toi qui célébras autrefois
Les chevaux de quelques bourgeois
Ou de Corinthe ou de Mégare ;
Toi qui poflédas le talent
De parler beaucoup fans rien dire ,
Et qui modulas ſavamment
Des vers que perſonne n'entend
Et qu'il faut toujours qu'on adınire .
( 1 ) Ces vers ſont de l'auteur de l'épître précédente
; & il eſt inutile de le nommer à ceux
qui favent diftinguer la touche du grand maître
JUILLET و . 1768
Mais commence par oublier
Tes petits vainqueurs de l'Elide ;
Prens un ſujet moins infipide ,
Viens cueillir un plus beau laurier :
Ceffe de vanter la mémoire
Des héros dont le premier ſoin
Fut de ſe battre à coups de poing ,
Devant les juges de la gloire.
La gloire habite de nos jours
Dans l'empire d'une Amazone ,
Elle la poſſede & la donne ;
Mars , Thémis , les jeux , les amours
Sont en foule autour de ſon trône.
Viens chanter cette Thaleſtris ( 1) .
Qu'iroit courtiſer Alexandre ;
Sur tes pas je voudrois m'y rendre ,
Si je n'étois en cheveux gris .
Sans doute , en dirigeant ta courſe
Vers les ſept étoiles de l'ourſe ,
Tu verras , dans ton vol divin ,
Cette France fi renommée
• • :
(1 ) Thalestris , reine des Amazones , ſortit de
ſes états pour venir voir Alexandre le Grand ,
auquel elle avoua de bonne foi qu'elle defiroit
avoirdes enfansde lui , ſe croyant digne de donner
des héritiers àſon empire. Quint. Curt.
Av
i
10 MERCURE DE FRANCE.
Car ta muſe eſt accoutumée
A ſe détourner en chemin ;
Tu verras ce peuple volage
Dont les modes & le langage ,
Regnent dans vingt climats divers
Ainſi que ta brillante Grece ,
Par ſes arts , par ſa politeſſe ,
Servit d'exemple à l'univers.
Mais il eſt encor des barbares
Dans le ſein même de Paris ;
Des pédans jaloux & biſares ,
Inſenſibles aux bons écrits ;
Des fripons aux regards auſteres ,
Perfécuteurs atrabilaires
Des grands talens & des vertus
Et fi , dans ma patrie ingrate ,
Tu rencontres quelque Socrate
Tu trouveras vingt Annitus. (2 )
Je m'apperçois que je t'imite.
Je veux , aux campagnes du Scythe ,
Chanter les jeux , chanter les prix
Que la beauré donne au mérite ;
Je veux célébrer la grandeur ,
Les généreuſes entrepriſes ,
Chanter les vertus , le bonheur ,
Et j'ai parlé de nos fottiſes.
(2) Annitus fut le délateur& l'accuſateur calomnieux
de Socrate .
JUILLET 1768. I
La félicité née du malheur.
L'I'NIFNFOORRTTUUNNEE& la félicité ſe touchent;
c'eſt quand on ſe croit le plus malheureux
qu'on eſt ſouvent près de ceſſer de l'être.
On remédie aux maux par la conſtance ,
on les aggrave par le déſeſpoir ; il les rend
preſque toujours irréparables .
Sir Damby étoit né avec un caractere
tendre , honnête & généreux ; il alloit
au-devant des beſoins de ſes ſemblables :
il lui fuffifoit de foupçonner leurs peines ,
pour s'empreſſer à les foulager. Cet emploi
de ſa fortune la lui rendoit chere ; mais ,
en faiſant des heureux , il ne l'étoit pas
lui-même. Au milieu des grandeurs & de
l'opulence il ſentoit un vuide affreux dans
fon coeur ; l'amour & l'amitié pouvoient
ſeuls le remplir : & l'un& l'autre l'avoient
trahi. Sa maitreſſe étoit infidelle. Il avoit
tiré de l'opprobre &de la mifere un infortuné
qui lui paroiſſoit digne d'un meilleur
fort ; il s'étoit flatté d'en faire un ami , il
n'en avoit fait qu'un ingrat. Ce monſtre ,
qu'il avoit produit auprès du miniſtre ,
venoit de le deſſervir dans une affaire
importante ; & , pour y réuffir , il avoit
noirci l'honneur de fon bienfaicteur.
Avj
12 MERCURE DE FRANCE.
Accablé de ce trait , dévoré d'une mélancolie
, ſecrette qui lui étoit naturelle ,
& que cette perfidie augmentoit encore ,
fir Damby fortit un ſoit de ſon hôtel par
une porte dérobée. La nuit étoit déja fort
avancée ; il erroit à grands pas dans les
rues de Londres : la folitude & l'obſcurité
ajoutoient à la noirceur de ſa ſituation ;
incapable de foutenir plus long-tems le
poids de ſon exiſtence , en proie aux chagrins
qui le confumoient , à charge à lui--
même , fatiguédu commerce des hommes,
parmi leſquels il n'avoit trouvé que des
envieux ou des traîtres , il ſe repréſenta
la mort comme ſon eſpoir, fa confolation
& fon aſyle : cette idée ſombre & funeſte
ſembla ſuſpendre le trouble qui l'agitoit ;
ſéduit par ce calme trompeur , il compara
fon ame au captif impatient de ſa chaîne ,
&qui s'endort enfin la veille du jour qui
doit la voit brifer. Sa réſolution fut priſe
au même inſtant. Il apperçut une rue qui
conduiſoit à la Tamiſe ; il marcha de ce
côté , ravi de ſe trouver plus tranquille à
meſure qu'il avançoit.
Le déſeſpoir avoit fait prendre la même
route à un marchand de la cité , nommé
Kingston. Sir Damby&le marchand ſe rencontrent&
fe heurtent. Les réflexions déchirantes
qui les occupoient, l'épaiſſeur des té
JUILLET 1768 . If
nebres , les avoient empêchés de ſe voir ; ils
ſe repouflent avec un mouvementd'impatience
mêlé de fureur. Quelques momens
après ils ſe rejoignent encore ; attachés à
leur rêverie , ils ne peuvent fouffrir d'en
être diſtraits ; ils ſe reprochent avec humeur
l'embarras qu'ils ſe cauſent mutuellement.
Bientôt ils reconnoiſſent qu'ils
ſuivent le même chemin : la préſence d'un
ſecond les fatigue ; ils ne veulent point
avoir de témoin ; tous deux fongent à ſe
ſouſtraire aux regards d'un importun ; la
même idée leur inſpire le même deſſein ;
ils précipitent leurs pas pour ſe fuir ; ils
parcourent les mêmes rues , paſſent par les
mêmes détours , & s'arrêtent enfin avec
étonnement , furieuxde ne pouvoir parvenir
à ſe débarraſſer l'un de l'autre. Sir
Damby ne conçoit pas pourquoi cet inconnus'obſtineàl'accompagner
; Kingſton,
de fon côté , voyant briller à travers l'obfcurité
, la broderie qui releve les habits du
Lord , ne peut imaginer qu'il veuille ſe
rendre au terme fatal où le conduit fon
égarement. Chacun commence à foupçonner
l'autre de le ſuivre pour l'épier ; ils
s'interrogentbruſquement, ils ſe répondent
avec aigreur.
Le pont qui traverſe la Tamiſe s'offre
enfin devant eux ; fir Damby s'approche
14 MERCURE DE FRANCE.
auffi-tôt du parapet ; il ſemble meſurer
des yeux l'endroit où il veut ſe jetter ,
mais la riviere ne lui paroît pas encore
aſſez profonde ; il ſe juge trop près du
bord; il reprend ſa marche : Kingfton
, qui a fait de pareilles obſervations ,
eſt toujours ſur ſes pas. Ils arrivent au
milieu du pont ; chacun s'arrête pour
laiffer au fâcheux qui l'incommode le
temps de s'éloigner. Enfin preſſés d'être
feuls , ils s'impatientent de ſe voir immobiles
l'un& l'autre ; ils s'accuſent réciproquement
d'indifcrétion , & ſe propoſent
de la punir. Sir Damby éleve la voix le
premier : pourquoi ne pourſuis- tu pas ton
chemin? -Qui t'empêche de continuer
le tien? Ma route finit ici .
auffi le terme de la mienne , reprend le
Lord. Quel est le motifqui peut t'y conduire
? Quet'importe , répond le marchand
avec l'emportement du déſeſpoir ? Veux-tu
mettre le comble à mon infortune , en
m'empêchant de la terminer ? Chaque
queſtion que tu me fais eſt un inſtant que
tu me dérobes ; tu prolonges mon exiftence&
mes malheurs; je ne ſuis pas venu
ici pour m'en plaindre , je ſuis venu pour
les finir.
5
- -
C'eſt
Aces mots il fait un mouvement pour
s'élancer dans la riviere. Quoique prêt à
s'y précipiter lui-même , fir Damby l'ar
JUILLET 1768. 15
rête. Kingſton ſe débat dans ſes bras ; il
menace , il prie tour à tour. Sir Damby
le retient , & lui demande la cauſe de ſon
déſeſpoir. Une pitié ſecrette l'engage à
s'en inftruire ; iljure de lui laiſſer la liberté
de mourir s'il en a un juſte ſujet ; il ne lui
cache même pointqu'il eſt auſſi déterminé à
périr. Kingſton laſſé par les vains efforts
qu'il a faits , & trouvant quelque foulagement
dans la compaſſion qu'on lui montre
, ceſſe de ſe plaindre de cette violence ,
&justifie ainſi ſa réſolution.
C'eſt du ſein même du bonheur que je
fuis tombédans l'abîme où vous me voyez ;
le ſouvenir de ma félicité paffée rend ma
ſituation actuelle plus douloureuſe. Des
banqueroutes inattendues ont dérangé
mes affaires , & m'ont ravi juſqu'à l'efpérance
de les relever un jour ; elles me
forcent à manquer moi - même à mes
paiemens. J'étois connu honorablement
dans le commerce ; ma probité , mon
honneur ma fidélité , mon exactitude
étoient eſtimés ; on me citoit comme un
exemple à tous nos négocians : demain
cette réputation flatteuſe va s'anéantir ;
j'entraînerai pluſieurs infortunés dans ma
perte ; leurs plaintes n'accuſeront que moi
de leurs déſaſtres ; on oubliera mon innocence
: malheureux , je ſerai cru coupable ;
16 MERCURE DE FRANCE.
je me verrai chargé du mépris public... :
Mylord , l'homme honnête peut ſe confoler
de l'infortune ; mais qui peut fupporter
le mépris ? Le foutenir c'eſt le
mériter. Une femme que j'aime , qui
faiſoit le charme & la douceur de ma vie ,
une fille , unique fruit de mon himen ,
vonttomberdans la miſere la plus affreuſe ...
On ne me permettra pas de l'adoucir ;
conduit dans le fond d'un cachot , j'y
gémirai de leurs maux , & l'impuiſſance
de les foulager augmentera les miens.
Tendre épouſe , fille infortunée ! de quel
oeil verrois-je couler des larmes que mes
mains ne pourroient eſſayer ? Mylord ,
je les ai laiſſées plongées dans la douleur
la plus profonde ; je viens de pleurer avec
elles : je frémis d'être forcé de m'en ſéparer...
& c'eſt dans leurs bras que j'ai formé
la réſolution de moutir ; je m'en ſuis arraché
avec violence , ſous prétexte de tenter
de nouveaux efforts. Leurs gémiſſemens
douloureux ont retenti dans mon coeur
lorſque je les ai quittées... Hélas ! elles
ignorent qu'elles ont reçu mes derniers
embraſſemens. elles ne me reverront
plus. J'ai tâché de leur inſpirer un eſpoir
que je n'avois pas ; elles s'y livrent peutêtre
: c'eſt un inſtant de calme & d'illuſion
dont elles jouiffent... Il ſe diſſipera
..
JUILLET 1768 . 17
bientôt. Je me repréſente déja leur trouble
& leur terreur , lorſqu'elles verront paffer
l'heure de mon retour... Que deviendront-
elles en apprenant... Ah ! Mylord ,
permettez-moi de me délivrer de ces réflexions
qui me déchirent.
Ce diſcours porta dans l'ame de fir
Damby la compaſſion , l'attendriſſement ,
l'horreur & l'effroi ; ſes bras retenoient
encore Kingſton. Non , tu ne mourras
point , s'écria- t- il emporté par un ſentiment
rapide ; tu vivras pour une femme
qui t'aime , pour une fille à qui tu dois
ton appui. Je bénis le Ciel de t'avoir rencontré
; quitte ce projet funefte , il ne
te convient plus : les pertes de la fortune
ne font point irréparables ; tes maux vont
trouver un remede ; il n'en eſt aucun pour
les miens. Venu dans ce lieu poar y chercher
la mort , je la différerai d'un inſtant ;
ce fera pour affurer ta tranquillité ; je
veux emporter au tombeau la douce confolation
d'avoir fait encore un heureux :
tu ſeras le dernier ; puiſſe-tu me chérir
&fonger àmoi quelquefois pour ne plaindre
! Viens , fuis-moi ; ta femme & ta fille
gémiſſent ; il eſt temps de tarir la ſource
de leurs pleurs ; viens recevoir de quoi
fatisfaire à tes engagemens ; les momens
me font chers ; la nuit approche de ſa fin ,
18 MERCURE DE FRANCE.
il faut que je termine tes peines& que je
ne fois plus avant le lever du ſoleil.
Kingſton reſta immobile d'étonnement
& de joie ; il doutoit s'il veilloit ou s'il
étoit dans l'illuſion d'un rêve agréable :
il craignoit un réveil affreux ; il regardoit
Mylord avec inquiétude , incertain de ce
qu'il devoit penſer , agité tour à tour par
la défiance & par l'eſpoir. Sir Damby cependant
le preſſoit de le ſuivre & l'entraînoit
après lui ; il le conduit à fon
hôtel , le fait monter dans fon appartement
, ouvre un porte- feuille , & lui remet
une fomme conſidérable en billets de banque.
Kingſton ne doute plus de fa félicité ;
la violence de ſes ſentimens le rendmaet,
mais fon filence même eſt expreſſif ; fon
coeur eſt déchargé d'un poids inſupportable.
Refferré par la douleur, il ſemble s'étendre
& recevoir une nouvelle vie. Il
parle à la fois de fa reconnoiſſance , de
ſa joie , de celle de ſa famille ; il jette
les yeux fur les bienfaits de Mylord ; fon
admiration augmente, il veut en rendre
une partie; la moitié fuffit à ſes beſoins ;
le généreux Damby le force à les garder.
comme une reffource contre les malheurs
à venir. La fortune peut vous poursuivre
encore , lui dit- il, & je ne pourrai plus
yous ſecourir ;je ne fauroisemployer mieux
JUILLET 1768. 19
mes richeſſes ; elles ne font pas épuiſées ,
bientôt elles me deviendront inutiles.
Cette réflexion afflige le ſenſible Kingfton
; il demande au Ciel de ramener la
paix dans cette ame généreuſe , de détourner
les effets de ſon déſeſpoir , de lui faire
goûter le bonheur qu'elle procure aux
autres. Il eſt effrayéduprojetde fir Damby;
il oſe le conjurer d'y renoncer : tant de
grandeur , de vertu , d'humanité doiventelles
ne paroître qu'un inſtant parmi les
hommes ! Il le preſſe de reprendre ſes dons,
ou de vivre : il vouloit périr avec lui . Sir
Damby lui rappelloit ſes devoirs & le fouvenir
de fa famille : Kingſton pleureit &
tomboit à ſes pieds.
La nuit avoit diſparu pendant ces conteſtations
; déja le ſoleil ſe levoit ; fon
éclat fatiguoit fir Damby : il regrettoit les
rénebres ; il accuſoit Kingſton de lui avoir
fait perdre un temps précieux. C'en eft
fait , s'écria ce dernier en foupirant , vous
le voulez , il faut me rendre , je ne combattrai
plus votre réſolution ; mais avant
de l'exécuter , que j'obtienne de vous une
nouvelle grace , elle me ſera plus chere
que vos tréſors. Mylord , je ne vous demande
qu'unjour , un ſeuljour ; accordezmoi
celui- ci , ce ſera le plus beau des
miens. Venez montrer mon bienfaicteur à
20 MERCURE DE FRANCE.
ma famille , venez recevoir les remercie
mens de ceux qui vous doivent tout ; venez
jouir un inſtant avec moi de cette vie que
vous m'avez conſervée , ſoyez témoin de
monbonheur, votre préſence l'augmentera;
que je préſente à ma femme , à ma fille
celui qui leur a rendu un pere , un mari ;
venez , Mylord , la joie de trois coeurs
heureux par vos bienfaits eſt un ſpectacle
digne de vos regards .
SirDamby ne peut réſiſter à ces prieres ;
les diſcours de Kingſton l'échauffoient
inſenſiblement ; il ſe raccommodoit avec
l'humanité ; il s'applaudiſfoit d'avoir enfin
trouvé une ame ſenſible , & foupiroit de
l'avoir rencontrée ſi tard. Preffé d'arriver
au tombeau , il ſe réjouiſſoit cependant
de voir une famille vertueuſe avant d'y
deſcendre ; il marche ſur les pas de Kingfton
,& le prie de garder le ſilence ſur le
projet irrévocable qu'il a formé.
L'épouſe& la fille de Kingſton , Miſtriſs
Betty & Miſs Nancy avoient paſſé la nuit
dans les larmes&dans la priere ; ces deux
coeurs juſtes & vertueux n'avoient pas
ceſſé d'implorer le Ciel pour un pere &
pour un époux ; elles le conjuroient de
lui donner la force de foutenir ſes malheurs
: elles n'oſoient pas en demander le
remede , elles ne l'eſpéroient plus. Dans
JUILLET 1768. 21
cet état douloureux & terrible , contre
lequel la raiſon eſt d'un foible ſecours ,
elles voient paroître le jour , & Kinſton
n'arrive point encore ; de nouvelles alarmes
ajoutent à l'horreur de leur fituation : un
bruit léger ſe fait entendre ; elles écoutent
avec frémiſſement ; c'eſt Kingſton & fir
Damby qui ſe préfentent. Trop occupées
de leurs inquiétudes , elles n'apperçoivent
point l'étranger. Elles ne regardent que
Kingſton , elles cherchent à lire dans ſes
yeux cequ'ellesdoivent eſpérer ou craindre.
Kingſton voledans leurs bras : réjouiffezvous
, leur dit- il ; toutes nos pertes font
réparées ; remerciez le Ciel ; tombez
avec moi aux genoux du dieu tutélaire
qui nous rend tous trois au bonheur. Ils
ſe précipitent enſemble aux pieds de leur
bienfaiteur. Mylord veuten vainlesretenir;
il leur préſente ces mains pour les relever :
ils ſe ſaiſiſſent de ſes mains bienfaiſantes ,
lespreſſent contre leurslevres , les mouillent
deleurslarmes ,& leurs larmes en arrachent
à firDamby. On n'entend que des fons confus,
des accens inarticulés , des mots interrompus
, ſans ſuite , fans liaiſon ; mais
ils portent au fond de l'ame le ſentiment
profond qu'ils expriment. Je vous dois
mon époux , vous me rendez mon pere...
Ah , Mylord! ... généreux Mylord ! ...
22 MERCURE DE FRANCE .
Sir Damby , pour la premiere fois ſent
le prix de la vie ; jamais il n'éprouva des
mouvemens plus tendres , plus délicieux :
il ſe félicite de vivre encore pour goûter
un plaiſir qu'il ignoroit ; fon coeur flétri
eſt encore capable de jouir. Il ſe retourne
fur lui-même avec une fatisfaction fecrette,
il reconnoît que l'homme juſte eſt heureux
du bonheur d'autrui ; il eſt payé de ſes
bienfaits.
Kingſton s'arrache à cette ivrefle , à ces
tranſports , pour courir où l'appellent des
devoirs indiſpenſables ; il annonce à tous
ceux qu'il rencontre ſa nouvelle félicité :
il voudroit faire connoître à l'univers
entier le bienfait & fa reconnoiffance ;
on l'eſtimoit , on le plaignoit , on ſe
réjouit de ſa fortune. Empreſſé de retourner
auprès de Mylord , il ſe hâte de terminer
ſes affaires. L'impatience luidonnedes
aîles : il vole bientôt dans le ſein
de fa famille. Elle s'empreſſoit au tour
de fir Damby : celui- ci ſe croyoit tranfportédansunnouveau
monde ; des eſprits
célestes lui ſembloient l'habiter , il ne
pouvoit s'empêcher d'admirer Kingſton &
Betty. Ses regards cherchoient fur- tout
leur fille ; dès qu'ils étoient tombés fur
elle , ils ne pouvoient s'en détacher. Les
larmes qu'elle avoit verſées rendoient fa
JUILLET 1768. 23
beauté plus touchante ; les expreffions
naïves de fa reconnoiſſance portoient au
fond de fon coeur le trouble & le plaiſir ;
tout le flattoit, tout l'intéreſſoit.
Il n'eſt point de ſpectacle plus délicieux
pour un homme bienfaiſant que celui de
la vertu qu'il ranime. La journée s'écoula
rapidement , elle ne parut qu'un inſtant à
Mylord ; l'heure où il devoit ſe retirer
approchoit ; Kingſton l'attendoit avec douleur
; il eût donné ſa vie pour la retarder.
SirDambyne vitpas ce momentfuneſte ſans
regrets ; ſes yeux , où brilloit la férénité , ſe
couvrirent tout-à- coup d'un nuage. Kingfton,
qui ne le perdoit pas de vue, regarda ce
changement ſubit comme la ſuite des idées
noires dont ſon bienfaicteur étoit occupé.
Il ſavoit qu'il n'en avoit obtenu qu'un
jour ; la nuit commençoit à paroître, il
alloit le perdre pour jamais : je ne le verrai
donc plus , diſoit- il en foupirant ! Des
larmes lui échapoient. Elles furent apperçues
par Nancy. Ses regards inquiets ſe
tournerent auffi-tôt ſur Mylord ; elle étoir
à peine remiſe des coups violens qui l'avoient
accablée , tout étoit pour elle un
ſujet de terreur. Sa timidité cherchoit un
appui ; fir Damby , dans ce moment ,
venoit de ſe réfoudre à ſortir; elle le vit
24 MERCURE DE FRANCE.
encore ému de l'effort qu'il avoit fait fur
lui-même. Mon pere pleure , Mylord eſt
troublé , s'écria - t- elle ; ah, parlez , que
m'annonce ce que je vois ! C'en est trop ,
interrompitKingſton , je n'y puis réſiſter ,
cethorrible fecret mepeſe ; non , Mylord ,
je ne puis le renfermer. Betty , Nancy...
ſi vous faviez ! ... Vous m'avez vu cette
nuit courbé ſous l'infortune , réduit au
fort le plus affreux . mais vous ignorez à
quel excès mes maux avoient égaré ma
raifon. Un défeſpoir aveugle me conduiſoit
vers la Tamife... j'allois ... ah! Betty !
ah Nancy !
..
Les deux femmes frémiſſent, tremblantes
encore d'un danger qui n'eſt plus ; elles
s'élancent dans ſes bras , & ſemblent , en
l'embraſſant , chercher à le retenir. i
Ce n'eſt pas fur moi que vous devez
pleurer , ajouta Kingſton , non, pleurez fur
Mylord, c'eſt lui qui m'a arrêté ſur le bord
du précipice , c'eſt lui qui veut s'y plonger...
Ilne nous quitte que pour courir à la mort.
O Mylord ! ô mon bienfaicteur ! c'eſt la
Providence qui vous a fait venir fur mes
pas ; elle ne s'eſt ſervie de vous que pour
me rendre à la vie : ſans doute elle a les
mêmes deſſeins fur moi... Betty , Nancy ,
joignez-vous à moi , uniſſez vos prieres
aux
JUILLET 1768 . 25
aux miennes. O Mylord , écoutez des
coeurs ſenſibles & recontuoiſſans ; c'eſt au
nom de vos bienfaits que nous vous conjurons
de vivre : n'empoisonnez pas le
bonheur que nous vous devons ; nous y
renonçons s'il faut vous perdre. Fait pour
ſervir d'exemple aux hommes , ne leur
donnez pas celui du déſeſpoir. Souvenezvous
, Mylord , qu'il vous reſte encore du
bien à faire ; il eſt encore des malheureux
qui réclament vos foins & vos fecours :
les abandonnerez-vous , démentirez - vous
vos vertus ?
Ces mots étoient accompagnés de larmes
; Betty exprimoit dans ſes regards
tout ce que diſoit ſon époux : Nancy , à
demi défaillante , le conjuroit plus tendrement
encore. Vous voulez mourir , lui
diſoit- elle ; pourquoi êtes-vous venu avec
cette affreuſe réſolution ? Ah ! Mylord ,
-il falloit nous fuir ; j'aurois pleuré mon
bienfaiteur. mais je ne l'aurois pas
connu.
...
Sir Damby avoit gardé le filence ; fes
chagrins étoient affoiblis ; il ne fongeoit
plus à l'ingratitude humaine : le ſpectacle
de la vertu étoit devant ſes yeux ; un ſentiment
plus doux ſuccédoit à ſa mélancolie.
Raffurez-vous , leur dit il , je vivrai ,
je le dois , vous me faites aimer la vie.
Vol. II. B
26 MERCURE DE FRANCE.
O Kingſton ! je vous ai rendu à vous
même , vous me rappellez à la raiſon ;
vous me faites éprouver que l'amitié de
l'homme de bien dédommage de la haine
des méchans. Le ciel , je le vois , a voulu
nous fauver l'un par l'autre ; une nouvelle
carriere ſe préſente devant moi ; vos mains
peuvent me l'ouvrir. Kingſton... Betty...
famille aimable & céleste ! ... adoptezmoi
.... Nancy , chere Nancy , modele
d'innocence & de perfection , conſentez...
Il n'oſe pourſuivre ; ſes regards attachés
fur Nancy ſemblent la confulter ; elle
baiſſe ſes yeux timides & foupire. L'étonnement
de Kingſton ne lui permet pas de
parler ; il les obſerve l'un & l'autre ; c'eſt
un pere , c'eſt un ami qui cherche à pénétrer
leurs fentimens les plus fecrets. Le
croirai - je , s'écria-t-il enfin ? Ah , Mylord ,
Nancy pourroit vous rendre heureux ! Je
trouverois un fils dans mon bienfaicteur ! ..
Cet honneur ne m'éblouit point , il a trop
ſouvent égaré mes pareils.... Mais fi la
beauté n'a pas beſoin de naiſſance , fi la
vertu lui fuffit , je connois la vôtre , Mylord
; élevez ma fille juſqu'à vous , &
recevez- la des mains de la reconnoiſſance.
Elle furpaſſe mes bienfaits , reprend avec
tranſport fir Damby. Nancy , belle Nancy ,
sonſentez à devenir mon épouſe ; daignez
JUILLET 1768 . 27
confirmer mon bonheur. Nancy leve fur
lui des yeux remplis d'amour ; elle voit
dans ceux de Mylord qu'elle eſt entendue ,
& court en rougiſſant cacher dans le ſein
de ſa mere ſa joie & ſa confufion.
Cet himen ne fut pas long-temps différé.
Kingſton quitta ſon commerce ; le
beau-pere & le gendre vécurent enſemble;
ils ne forment aujourd'hui qu'une ſeule
famille ; ils ſe ſignalent à l'envi par des
actes de bienfaiſance ; ils ne foulagent
aucun malheureux ſans fe féliciter de vivre
encore , fans remercier le ciel de les avoir
ſauvés de leur déſeſpoir,
Par M. de Fontanelle.
Les charmes de l'imagination.
DON des cieux , enfant du génie ,
Elle répand à pleines mains ,
Sur les malheurs attachés à la vie ,
L'ilafon néceſſaire aux humains :
Par elle je m'élance à la céleste voûte :
Plus rapide que les éclairs ;
Sur un char de ſaphirs mon eſprits fuit la route
Que des gløbes de feu me tracent dans les airs,
Mais , fi je veux borner ſa courſe vagabonde ,
Ses preſliges nouveaux ne me font pas moinschers; A
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Je vais la rapprocher : ſon action féconde
Me fair joüir de cent plaiſirs divers.
Je vois , j'entends ce ruiſſeau qui murmure ,
Ce gaſon , cet ombrage invite à la langueur ,
Le doux gaſouillement de cette eau vive & pure
Porte le calme dans mon coeur.
Troubles des ſens , préſens de la nature ,
Embraſez - moi d'une tendre fureur ,
Et , par une douce impoſture ,
Créez l'objet qui doit partager mon ardeur.
Sous un berceau de roſes & de lis
Une jeune nymphe ſommeille ,
Je l'apperçois , j'approche , elle s'éveille ,
Et fon réveil eſt un fouris .
Elle eſt négligemment aſſiſe ;
Deux levres de corail qu'entr'ouvre ſa ſurpriſe -
Font palpiter mon coeur par le feu des deſirs ;
Son timide embarras augmente mon délire ,
Et ſon ſein d'albâtre reſpire
Le ſouffle pur de mes ſoupirs.
Voluptueuſe & douce ivreſſe ! .. •
Mes avides regards découvrent mille appas...
Mais ici l'illuſion ceſſe ;
Qui la décrit ne la ſent pas .
Sans ſoins , fans art , & fans étude ,
C'eſt ainſi que je fais amufer mes loiſirs ;
J'attendris à mon gré l'inſenſible & la prude ,
Et les ſoumers à mes plaiſirs.
L
JUILLET 1768. 29
ENVOI.
L'imagination nous rend tout agréable ;
Par elle on fait chaque jour ſon bonheur ,
Par elle enfin on poufſeroit l'erreur
Juſqu'à ne pas vous croite aimable.
Par Henry , concierge du château de Malvoiſines :
près Dampiere , adreſſe à Mile Ju. ....
Les dangers de l'imagination , palinodie
demandée au même , par la même , &
fur les mêmes rimes.
UNESTE égarement , preſtige du génie ,
Imagination , délire des humains ,
Tu cauſes leurs malheurs , & tes perfides mains
Préparent le poiſon qui conſume leur vie.
Tes feux paſſent comme l'éclair
Qui fllonant le fluide de l'air ,
Du firmament ſemble embraſer la voûte ,
Mais qui laiffe après lui , ſur des chemins divers ,
Le voyageur incertain de ſa route.
Si, nos intérêts nous font chers ,
Ah ! fuyons cette vagabonde ;
Sa trompeuſe lueur , en écarts trop féconde ,
Porte le trouble dans le coeur ,
Des ſens excite le murmure ,
Biij
4
30 MERCURE DE FRANCE.
Et biieennttôôtt , de ſa ſource impure ,
Coule une mortelle langueur.
Raiſon , préſent de la nature ,
De mes defirs fougueux tempere la fureur ,
Viens arracher le maſque à l'impoſture ,
Vers les folides biens dirige mon ardeur.
Qu'avec le noir remords jamais je ne m'éveille ;
Et que mon âme , auſſi pure qu'un lis ,
Mollement s'endorme , & ſommeille ,
Tandis que la vertu me fait un doux ſouris.
A mes côtés , indécemment affife ,
Que Vénus tâche en vain d'allumer mes defirs
Et que jamais une lâche ſurpriſe
Ne puiſſe m'arracher ni regrets ni ſoupirs ;
Que mon coeur enfin ne reſpire
Cet air contagieux de l'amoureux délire.
Amour ! tels ſont ſont mes voeux , je brave tes
appas,
J'abjure ta fatale ivreſſe ;
Le plaifir fuit , le charme ceffe ,
Et le repentir ſuit tes pas.
Douce raiſon ; oui , ton étude
Va chaque jour occuper mes loiſirs ,
Et , fans être auſtere ni prude ,
De tes leçons je ferai mes plaiſirs.
JUILLET 1768. 31
ENVO 1 .
Cette ſeconde touche eſt bien moins agréable ,
Mais la contrainte nuit au pinceau du bonheur ;
Vous plaire en ſeroit un , mais cette douce erreur
Eft réſervée à quelqu'un plus aimable. *
* Ces vers annoncent de la facilité , du goût &
du naturel. Nous engageons l'auteur à exercer
ſon talent pour la poéſie, & à le perfectionner
par la vérité des images & par le choix des expreffions.
Le Chat & la Sonnette , conte.
UNchat , dès ſon enfance eſcroc ,
Et regardant moins à terre qu'au croc
Empâté par une dévote ,
>
N'en étoit pas plus ſobre. Un jour, près de Marote,
Cuiſiniere madrée , à qui le vieux routier
Avoit joué déja maints tours de fon métier ,
L'animal accroupi dormoit en apparence ,
Mais d'un fin gigot de mouton
•Fort ſérieuſement s'occupoit , le glouton ;
Son ſommeil ne fit rien , il perdoit l'eſpérance.
La mémoire & le jugement
Viennent l'aider ſubitement :
Il ſe leve en chat qui s'éveille
Briv
32
MERCURE DE FRANCE .
Hauſſe le dos , s'étend , & ſe frotte l'oreille;
Puis , comme un trait , court à l'appartement
De ſa imaîtreſſe qui repoſe.
Après une petite pauſe ,
( Pour réfléchir apparemment )
Vous eufliez vû notre eſcogrife
Grimper ſur un fauteuil , s'eſcrimer de la grife,
Pincer , tirer enfin , comme un démon ,
De la fonnette le cordon .
Servante de defcendre ,
Et chat de remonter , & de faire un repas.
Tout s'éclaircit ; voifins de rire de l'eſclandre,
Tant pis , lecteur, fi vous n'en riez pas.
Par M. Guichard.
Le Vieillard politique. *
UN vieillard qui toujours plaint lepréfent
& vante le paſſe , me diſoit : mon ami ,
la France n'eſt pas auſſi riche qu'elle l'a été
fous Henri IV. Pourquoi ? C'eſt que les
* Ce vieillard a beaucoup d'eſprit , & entend
très-bien les affaires ; c'eſt ce qui nous engage à
rapporter ici fes obſervations : nous tâcherons
d'en recueillir le plus qu'il fera poſſible ; & l'on
doit nous en ſavoir gré.
وت
JUILLET 1768. 33
terres ne font pas ſi bien cultivées ; c'eſt
que les hommes manquent à la terre , &&
que le journalier ayant enchéri fon travail,
pluſieurs colons laiſſent leurs héritages en
friche.
3
D'où vient cette difette de manoeuvres
? De ce que quiconque s'eſt ſenti
un peu d'induſtrie , a embratlé les métiers
de brodeur , de cizeleur , d'horloger , d'ouvrier
en ſoie , de procureur ou d'avocat.
C'eſt que la révocation de l'édit de Nantes
a laiſſé un très-grand vuide dans le
royaume ; que les oiſifs & les mendians
fe font multipliés,& qu'enfin chacun a fui ,
autant qu'il a pu , le travaif pénible de la
culture , pour laquelle Dieu nous afait
naître , & que nous avons rendue ignominieufe
, tant nous ſommes ſenſés .
Une autre cauſe de notre pauvreté eſt
dans nos beſoins nouveaux. Il faut payer
ànos voiſins quatre millions d'un article,
& cinq ou fix d'un autre , pour mettredans
notre nez une poudre puante , venue de
l'Amérique : le caffé , le thé , le chocolat ,
la cochenille , l'indigo , les épiceries , nous
coûtent plus de ſoixante millions par an..
Tout cela étoit inconnu du tems de Henti
IV , aux épiceries près ,dont la confommation
étoitbien moins grande. Nous brû--
lons cent fois plus de bougie ,
&nous ti-
By
34 MERCURE DE FRANCE.
rons plus de la moitié de notre cire de
l'étranger , parce que nous négligeons les
ruches. Nous voyons cent fois plus de diamans
aux oreilles , au cou , aux mains de
nos citoyennes de Paris & de nos grandes
villes , qu'il n'y en avoit chez toutes les
dames de la cour de Henri IV , en comptant
la Reine. Il a fallu payer preſque toutes
ces ſuperfluités argent comptant.
Obſervez fur-tout , que nous payons
plus dequinze millions de rentes ſur l'hôtel-
de- ville aux étrangers ; & que Henri
IV à fon avénement en ayant trouvé pour
deux millions en tout fur cet hôtel , en
rembourſa ſagement une partie pour délivrer
l'état de ce fardeau.
Conſidérez que nos guerres civiles
avoient fait verſer en France les tréſors du
Méxique, lorſque Don Phelippo el difcetto
vouloit acheter la France , & que depuis
cetemps là les guerres étrangeres nous ont
débarraffés de la moitié de notre argent.
Voilà en partie les caufes de notre pauvreté.
Nous la cachons ſous des lambris
vernis; & par l'artifice des marchandes de
modes , nous ſommes pauvres avec goût .
Il y a des financiers , des entrepreneurs, des
négocians très- riches ; leurs enfans, leurs
gendres ſont rès-riches ; en général la nation
ne l'eſt pas.
JUILLET 1768 . 35
Le raiſonnementde ce vieillard , bon ou
mauvais , fit fur moi une impreſſion profonde
; car le curé de ma paroiſſe qui a
toujours eu de l'amitié pour moi , m'a enſeigné
un peu de géométrie &d'hiſtoire ,
&je commence à réfléchir , ce qui est trèsraredans
ma province.Je ne ſçais s'il avoit
raiſon en tout: mais étant fort pauvre , je
n'eus pas grand peine à croire que j'avois
beaucoup de compagnons *.
* Madame de M.... qui en tout genre étoit
une femme fort entendue , fait , dans une de ſes
lettres, le compte du ménage de ſon frere & de
ſa femme en 1680. Le mari & la femme avoient
àpayer le loyer d'une maiſon agréable ; leurs
domeſtiques étoient au nombre dedix. Ils avoient
quatre chevaux & deux cochers , un bon dîner
tous les jours . Madame de M... évalue le tout à
neufmille francs par an , & met trois mille livres
pour le jeu , les ſpectacles , les fantaisies , & les
magnificences de Monfieur&deMadame.
Il faudroit à préſent environ quarante mille livres
pour mener une telle vie dans Paris. Il n'en
eût fallu que fix mille du tems de Henri IV. Cet
exemple prouve aſſez que le vieux bon homme
ne radote pas abſolument.
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
A M. Saurin , fur Beverley.
JA'I lu ton drame pathétique :
Si la froide analyſe y voit quelques défauts ,
Le ſentiment te venge ; & tes hardis tableaux
Sont inondés des larmes du critique.
Regnard , en badinant , eſquiſſa ſon Joueur ,
**Mais il fait rire , & fa gaîté l'excuſe :
Chez ton rival le vice amuſe ;

Chez toi , mieux peint , il inſpire l'horreur.
Pourſuis'; cours dans ce champ où l'Anglois nous
20 tranſporte.
3
Le fiecle a fait un pas ; oſe , avance avec lui :
Les femmes même aujourd'hui ,
1.
Avec l'ame auſſi foible , ont la tête plus forte :
Aux dépens de leurs nerfs leur goût s'eſt aguerri ;
Et , dans quelques momens , s'il leur échappe
un cri , I 1.
C'eſtl'effet de ton art , c'eſt un prix qu'il emporte.
Conferve aux paffions leurs plus ſombres couleurs.
Souvent le ridicule ſe glifle & s'évapore.
Pour mieux nous corriger fais -nous frémir encore:
Onne parle aux eſprits qu'en ſubjuguant les coeurs,
JUILLET 1768. 37
LA BIENFAISANCE ET L'EQUITÉ.
Allégorie à M. le comte de S.... F........
LaA
févere Equité la tendre Bienfaiſance ;
Deux nobles ſoeurs , jalouſes de leurs droits ,
Se diſputoient la préféance.
L'une ſans ceſſe arboroit ſa balance ,
Et peſoit tout à fon rigoureux poids :
L'autre , de l'urne d'abondance
Répandoit les tréſors ſans meſure & fans choix.
Quel abus ! s'écrioit la déeſſe rigide :
C'eſt prodiguer vos dons , ce n'eſt point les placer,
Apprenez à punir , comme à récompenſer ,
Et que mon exemple vous guide.
Soyez juſte ; c'eſt le moyen
D'écarter à l'inſtant la foule qui vous preſſe!
Je n'imite perſonne & m'en trouve affez bien,
Répond la paiſible déeſſe.
Votre exemple n'eſt point ma loi .
Nous ſommes ſoeurs ; mais notre ame differe.
&
Je veux n'agir que d'après moi.
L'EQUITÉ.
Réformez votre caractere.
Il eſt trop indulgent .
LA BIENFAISANCE.
t
Le vôtre eſt trop auſtere:
38 MERCURE DE FRANCE.
L'EQUITÉ.
Vous faites mille ingrats.
LA BIENFAISANCE.
Vous mille mécontens.
L'EQUITÉ.
On ſe plaint ; mais on me révere.
LA BIENFAISANCE .
On me loue , on m'adore en cent lieux différens.
L'EQUITÉ .
Ce que j'accorde eſt un juſte ſalaire.
LA BIENFAISANCE.
Ce que je donne eſt toujours un bienfait.
L'EQUITÉ.
*Je paie exactement le bien que l'on a fait.
LA BIENFAISANCE.
J'excite au bien que l'on peut faire.
J'abrege leurs diſcours. On fait qu'en pareil cas ;
Lorſque la jalouſie enfante quelque rixe ,
Femme , & fur- tout déeſſe , eſt volontiers prolixe.
Enfin , pour afſoupir ces éternels débats ,
On propoſe , on réſout de choiſir un arbitre ,
Equitable , éclairé , digne de ce beau titre.
Mais chacune du choix prétend avoir l'honneur.
L'EQUITÉ.
Je connois un mortel toujours inacceffible
Aux pieges de la fraude , aux écarts de l'erreur.
JUILLET 1768 . 39
LA BIENFAISANCE.
Je connois un mortel ſenſible ,
Qui de l'autorité fait chérir la grandeur.
L'ÉQUITÉ.
Il contient la licence , il fait pálir le crime.
LA BIENFAISANCE.
Des talens , des vertus , il eſt le protecteur.
L'EQUITÉ.
2
Il frappe , il punit l'oppreſſeur .
LA BIENFAISANCE.
Il protege ceux qu'on opprime.
Nouveau conflit , autre diſcuſſion.
Chacune opine pour ſon ſage.
On le déſigné par ſon nom.'
1
C'étoit le vôtre , & tout François , je gage ,
En eût fait l'application.
ENVO
Auprès de vous ce couple reſpectable
Vint expofer & fa cauſe & les droits.
Chaque déeile attend un arrêt favorable
Du Juge qu'elle-même inſpira tant de fois.
סייו Vous ne jugeâtes point entre elles :
Mais que l'exemple eſt un puiſſant reffort !
Le vôtre , pour jamais , toucha ces immortelles :
Pour la premiere fois on les vit bien d'accord,
40 MERCURE DE FRANCE.
Vous tempérez , avec prudence ,
De l'une la douceur , de l'autre l'âpreté.
L'Equité , par vos ſoins , conduit la Bienfaiſance;
La Bienfaiſance attendrit l'Equité.
Par M. de la Dixmerie.
4.1
L'amitié trahie, nouvelle angloiſe.
WILLIAM & Johnſon étoient nés dans
le même comté , de parens différens , mais
unis par le voifinage & par l'amitié ; ils
furent élévés enſemble ; on s'attacha furtout
à leur inſpirer l'amour de tous les devoirs
envers Dieu & envers les hommes.
On s'applaudiffoit de leurs progrès ; leur
ame étoit faite pour la vertu ; on eſpéroit
tout de ces premieres impreſſions ; le tems
les fortifie ordinairement;on ne fongeoit
pas que les circonstances peuvent quelquefois
les effacer.
William eſſuya des revers qui dérangerent
ſa fortune ; la perſpective de l'indigence
, toujours affreuſe dans la vieilleſſe ,
conduifit fon pere au tombeau. Il trouva
des confolations dans celui de Johnfon ;
avec fes fecours il entra dans le commerce;
le ciel bénit ſes travaux. Occupé de fon
JUILLET 1768 . 41
negoce , tout entier à ſes affaires , il ne
perdit jamais de vue les principes qu'il
avoit reçus dans ſon enfance ; ſa droiture
le fit reſpecter , & toutes les fois qu'on
parloit de fa proſpérité , il avouoit qu'il
la devoit au pere de ſon ami.
Johnſon deſtiné à jouer un rôle dans le
monde , prit une route différente.Onl'en-
<voya dans une ville voiſine pour y perfectionner
fon éducation. Lajeuneſſe a beſoin
d'un guide ; on ne lui en donna point ; on
ſe perſuada même qu'il lui feroit inutile ;
il fut la victime de la confiance aveugle de
ſes parens. L'oifiveté lui fitbientôt contracterdes
liaiſonsdangereuſes ; elles offrirent
à ſes regards un ſpectacle nouveau pour
-lui ; il en fut d'abord étonné ; il ne concevoit
pas qu'on pût ſe vanter de ſes déſordres
, ſe faire un jeu de la ſéduction , porter
en riant le trouble dans les familles ,
la diviſion dans les ménages , en tirér
même une eſpece de gloire. Il ne fut pas
moins furpris d'entendre des hommes que
l'âge devoit rendre graves , des femmes
dont la vertu n'étoit point ſoupçonnée ,
plaiſanter de ces actions ,& appeller du
nomde vices agréables ce qu'il avoit regardé
juſqu'alors comme des crimes. Il s'accoutuma
par degrés à cette maniere de voir.
Il commença àpenſer que ſon étonnement
42 MERCURE DE FRANCE.
étoit l'effet de ſon manque d'uſage. Ori
ne ceſſoitde lui répéter que le plaiſir eſt le
bien fuprême , que la nature conduit à le
chercher par un penchant irréſiſtible , &
qu'il faut obéir à ſa loi ſupérieure à toutes
les loix. L'âge des paſſions , dans lequel il
entroit, ouvroit ſon coeur à ces maximes ;
les railleries l'humilioient ; les exemples
qu'il avoit devant les yeux , les parties
folles où il étoit appellé , tout concourut
à l'égarer. Dès qu'il eut franchi le premier
pas , il n'eut pas beſoin de guide pour en
faire un fecond , un troiſieme ,& ilne tarda
pas à égaler ſes compagnons. Sa raiſon obfcurcie
ne lui prêta plus ſon flambeau ; ſes
maximes & fa conduite furent une ſuitede
déſordres&d'inconféquences.Au moment
qu'il portoit le déshonneur dans une maifon,
il ſe piquoit d'être fidele à l'honneur ;
il ſe feroit coupé la gorge avec celui qui
l'auroit ſoupçonné d'une action injuſte.
Johnfon perdit ſon pere & fa mere ; le
plaifir de ſe voir libre & maître de ſes
biens, étouffa ſes regrets ; il ſe rendit à Londres
; cette capitale fut le nouveau théâtre
de ſes déréglemens ; il n'y fut pas longtems
fans déranger ſa fortune. Peu foigneux
de compter avec lui-même , il ne
meſura pas ſa dépenſe à ſon revenu. Les
avances qu'il avoit tirées pluſieurs fois de
JUILLET 1768 . 43
ſes fermiers , ne lui permettoient pas d'en
exiger de nouvelles ; il emprunta de tous
côtés ; fes créanciers craignant fa ruine
totale , ſe hâterent de la prévenir ; ils uſerent
de leurs droits & obtinrent un ordre
pour s'affurer de ſa perſonne. Il fut arrêté
en plein jour , malgré ſa réſiſtance. Lebon
William revenant de la bourſe , & fe retirant
dans ſa maiſon , ſe trouva par hafard
ſur le chemin qu'on lui faisoit prendre.
Compatiffant aux peines d'autrui , toujours
prêt à les foulager , il perça la foule
qui s'étoit amaffée. Quelle fut ſa ſurpriſe ,
quand il crut reconnoître l'ancien ami de
fon enfance , le fils de ſon bienfaicteur !
Il cautionna Johnson & vela dans ſes bras ,
lui rappellant fon nom , & fe plaignant de
ce qu'il l'avoit négligé. Vous êtes à Londres
, lui diſoit- il ,& je l'ignorois ! Vous
étiez forcé de recourir à des emprunts , &
vous ne fongiez pas à votre ami ! Sa fortune
n'eſt-elle pas la vôtre ?
Johnfon ne pouvoit être inſenſible àun
ſervice rendu ſi à propos & avec tant de
générofité. Il ſe reſſouvintde leur ancienne
amitié ; ce fut avec chaleur qu'il s'empreſſa
de la renouveller : il céda ſans efforts à la
priere que lui fit William de ne pas le
quitterde la journée.
Cet honnête marchand étoit marié de
44 MERCURE DE FRANCE.
puis deux ans ; il avoit choiſi une compagne
aimable & douce , avec laquelle il paffoit
des jours heureux. Johnſon trouva
mille charmes à Miſtriſs Lucy ; la reconnoiſſance
& l'amitié ne le défendirent
point contre les impreſſions de ſes ſens ;
peu accoutumé à les combattre , il oublia
ce qu'il devoit à William , & tandis que
celui-ci le ferroit dans ſes bras , & fe félicitoitde
l'avoir retrouvé , ſes regards enflammés
tomboient ſur Lucy ; il méditoit
au fond de fon coeur le déteſtable projet
de féduire la femme de fon ami.
N'écoutant que ſa paffion , il accepta avec
tranſport l'appartement que William lui
offritdans ſa maiſon : il s'y établit avec les
eſpérances qu'il avoit conçues. Il ſcut ſe
rendre agréable ;bientôt il devint nécef--
faire. Toutes les fois que William étoit
forcé de fortir pour les affaires defon commerce
, il tenoit compagnie à Lucy ; fes
foins , fon affiduité furent vus avec plaifir;
il employa tout l'art & toute l'adreſſe dont
il étoit capable , pour la détacher d'un
époux qui mettoit fon eſpoir & fon bonheurdans
fa fidélité.
La préſence de William étoit cependant
un obſtacle aux progrès de Johnſon ; il eût
bien voulu pouvoir l'éloigner;lehafardlui
enfournit les moyens. Un homme dont le
1
JUILLET 1768 . 45
crédit égaloit le rang , venoit de faire une
perte conſidérable au jeu ; il diſpoſoit
d'une place à la cour ; on avoit lieu d'eſpérer
de l'obtenir en réparant ſa perte. Cette
place convenoit à Johnſon ; mais il ne pouvoitpas
ſe préſenter avec mille guinées ; il
confulta fon ami ; empreſſé de contribuer à
fon avancement , celui-ci lui promit de
trouver cette fomme , il entreprit même un
voyage exprès pour la recueillir. Johnfon
ne vit dans cette nouvelle marque de tendreſſe
, qu'une circonſtance favorable à fon
ambition & à ſes deſſeins ,& pendant que
fon ami alloit travailler à ſa fortune , il ne
fongea qu'à le déshonorer ; il mit à profit
fon abfence , & conſomma le crime ſans
remords.
William réuffit dans ſon voyage ; il revint
à Londres avec les mille guinées ; il
les porta fur le champ au Lord avant de
defcendre chez lui. Il vouloit , en embraffant
fon ami , pouvoir lui apprendre qu'il
avoit la place qu'il defiroit. Dès qu'il eut
fini cette affaire , il ſe rendit dans ſa maifon
; il ne s'entretenoit en chemin quede
la ſurpriſe agréable qu'il alloit caufer.
Johnſon lui en préparoit une autre ; il ſe
livroit dans cet inſtant à toute l'ivreſſe de
ſa paſſion criminelle. William arrive ſans
être attendu ; il retient les cris de joie de
46 MERCURE DE FRANCE.
ſes domeſtiques ; il veut s'annoncer luimême
; il monte .... Quel ſpectacle pour
un époux! il demeure immobile d'étonnement
& d'horreur. Lucy s'évanouit ;
Johnſon interdit , n'eſpérant point de grace,
tire ſon épée , réſolu de la plonger
dans le ſein de celui qu'il vient d'outrager
s'il s'oppoſe à ſa fuite : mais l'accablement
de William ne lui permet pas d'y
penſer. Il en profite & fort de cette maiſon
qu'il a remplie de douleur & d'opprobre
,déſeſpéré de voir ſon intrigue découverte
, mais fans regrets de l'avoir formée,
Lemalheureux époux de Lucy ne revient
à lui-même que pour tomber dans l'état le
plus affreux. Son ame honnête , généreuſe
& fenfible n'a que des pleurs à donner à
fon infortune ; le déſeſpoir la déchire ,
mais elle eſt incapable de fureur. Il fuit
dans un appartement retiré ; ily laiſſe couler
en liberté des larmes qui ne le foulagent
point ; des réflexions accablantes leur
fuccedent & les renouvellent. Il eſt trahi
par fa femme , & par fon ami ; cette idéę
eft affreuſe , il ne peut la foutenir , ſes
maux font irréparables ; chaque inſtant en
accroît la violence ; il ne ſent ſon exiftence
que pour la déteſter. Pluſieurs jours s'écoulent
dans cette ſituation terrible ; enfin il
Le détermine à en fortir; il médite un proJUILLET
1768 . 47.
jet dont il fera lui-même la victime , mais
qui peut effrayer les ingrats. Il avoit une
maiſon de campagne à quelques millesde
Londres , elle étoit ſituée dans un endroit
écarté; il y fit conduire la coupable Lucy ,
àlaquelle il n'avoit fait encore aucun reproche,&
qui reconnoiſſant l'abîme où elle
venoit de ſe plonger , pleuroit ſa foibleſſe
& fon infidélité . Il avoit fait chercher en
même tems ſon indigne ami ; on lui apprit
qu'il s'abandonnoit à ſes diffipations ordinaires
; ce rapport fit couler de nouveau
ſes larmes; quelque criminel que fût Johnfon
, il ne pouvoit oublier qu'il l'avoit
aimé ; il ſe ſeroit fenti ſoulagé s'il eût pu
ſoupçonner qu'il avoit des regrets. Lecruel,
s'écrioit- il ! il m'a percé le coeur ,& le fien
peut être tranquille ! il ne fit que ſe confir
merdans ſa réſolution, Le même ſoir il fit
arrêter Johnſon par ſes émiſſaires ; on lui
lia les mains après l'avoir déſarmé , & on
le conduifit dans la maiſon de campagne ,
où Lucy étoit déja renfermée.
Johnſon ne ſavoit que penſer de cette
aventure ; en vain il interrogea ſes guides,
ils obſerverent le filence qui leur étoit
preſcrit. Il arrive enfin dans un appartement
inconnu ; quelques chaiſes , une table
fur laquelle il voit un poignard , en
font tout l'ameublement ; un seul Hame
48 MERCURE DE FRANCE.
beauy jette une clarté douteuſe; à ſa lueur ,
il apperçoit Lucy qui fondoit en larmes.
Il frémit ; une porte s'ouvre ; William paroît
; fon effroi redouble ; il prévoit ce
qu'il doit attendre d'un époux offenſé ; il
ne doute pas que fa derniere heure ne ſoit
venue.
Williams'avança ſansriendire ; ſesyeux
humidess'arrêterent un inſtant fur les coupables.
Malheureux , leurdit- il enfin ; ingrats
, qui fûtes ſi chers à ce coeur que
vous déchirez ! Vous frémiſſez en ma préfence
; ce font des remords que vous devriez
me montrer . Johnfon ! tu fais ce
que j'ai fait pour toi ! tu fais combien je
t'aimois , avec quelle chaleurje m'occupois
de ton bonheur ! .. le mien eſt anéanti ...
&c'eſt ton ouvrage ! de quel prix affreux
as- tu payé mes ſervices ! ah ſi je pouvois à
mon tour oublier lesbienfaitsde tonpere! ..
Netremble- tu pasde l'exemple&desdroits
que tu m'as donnés? Mais le crime n'autoriſe
jamais le crime. Je ſuis fidele à cette
amitié que tu trahis , à la vertu que tu mépriſes
, à l'honneur que tu ne connois pas .
Je pourrois réclamer les loix & me venger ;
mais je reſpecte la mémoire de ton pere ;
j'ai pitié du reſpectable auteur des jours
de Lucy ; j'épargnerai cet opprobre à fa
vieilleſſe ; je ne publierai point votre défhonneur...
JUILLET 1768. 49
honneur ... oui , c'eſt le vôtre plutôt que
le mien. D'autres moyens me font offerts
pour briſer des noeuds odieux. Vous vivez ;
graces au ciel , votre ſang n'a point fouillé
mes mains ; mon malheur ne m'a point
rendu coupable. Réduit à deſirer la mort,
je l'attends de toi , Johnſon ; je ne t'ai fait
amener ici que pour m'offrir à tes coups.
Qui voulut m'oter l'honneur ne doit
pas reſpecter ma vie ; frappe , perce ce
coeur déſeſpéré de ton ingratitude , & qui
frémit de l'obligation que tu lui as impoſéede
te haïr.
A
د
ces mots,
il ôte ſes liens à Johnfon ,
lui met le poignard entre les mains , &
lui préſente la place où il doit frapper.
Johnſon ému rempli d'étonnement ,
d'horreur & d'effroi , ne peut fontenir ce
ſpectacle ; il rejette ce fer dont on vientde
l'armer ; immobile , éperdu , il tombe fur
un fiége voiſin.
Lucy fondante en larmes , ſe jette aux
pieds de William ; ſa pâleur , ſes traits ,
ſes accens , font ceux de la douleur , du
repentir & du déſeſpoir ; elle s'avoue coupable
, & demande la mort qu'elle a méritée.
William la regarde & paroît attendri
; il ſemble ſe pencher vers elle pour
s'élancer dans ſes bras ; un frémiſſement
fecret l'en éloigne ; ſes yeux ſe fixent fur
Vol. II. C
30 MERCURE DE FRANCE.
la terre ; il s'écrie en ſe tournant vers Johnſon
après un moment de filence : enviſage,
cruel ! l'état horrible où tu m'as réduit
! c'en eſt donc fait ! je n'ai plus d'épouſe
! je vois ſes larmes , ſes ſanglots ,
ſon déſeſpoir , ... ſes remords ; ils viennentdu
fond de ſon coeur ; ils retentiffent
juſqu'au mien , tout outragé qu'il eſt ; l'amour
me parle en ſa faveur , ..... il ne
m'eſt plus permis de l'écouter. Le ſouvenir
de ſa foibleſſe , celui de mon bonheur
paſſé , ton ingratitude , ton crime , le fien ,
nous ſéparent éternellement.
Un foupir lui échappe en achevant ces
mots ; il ſe tait un moment ,& faiſant un
effort fur lui-même ; dans l'accablement
où je ſuis , ajoute-t- il , je me ſens la force
de vous pardonner , mais je n'ai pas celle
de vivre. Vous avez empoisonné mes
jours : ils me font devenus odieux , & je
vais chercher dans la mort cette paix que
vous m'avez ravie. Je vous abandonne à
vos remords ; quels que foient les tourmens
qu'ils puiſſent vous caufer , ils n'égaleront
jamais les miens,
Dans l'inſtant William ramaſſe le poignard&
l'enfonce dans ſon ſein. Cemouvement
eſt ſi rapide qu'on ne peuty mettre
obſtacle ; ſon épouse &Johnson pouſſent
un cri ,& ſe jettent ſur ſon corps expi
JUILLET 1768 . SI
rant ; ils tâchent d'arrêter ſon ſang , de
fermer ſa bleſſure. William ouvre les yeux
pour la derniere fois , les détourne loin
d'eux après les avoir vus , ramaſſe ſes forces
pour repouffer leurs foins , & le dernier
gémiſſement qu'il fait entendre ſemble les
accufer encore de ſon infortune.
Johnfon & Lucy reſtent anéantis auprès
de lui ; revenus à eux-mêmes ils ſentent
toute l'horreur de leur crime ; leurs regards
effrayés ſemblent ſe chercher en gémiſſant ;
ils ne ſe rencontrent qu'en ſe croifant fur
le corps glacé de William , & s'en éloignent
avec terreur. Tous deux ſe levent
précipitamment ; ils ſe fuient , ils s'évitent
l'un l'autre. Lucy retourna dans le ſein de
ſa famille. Ses regrets & ſa douleur précipiterent
ſes pas vers la tombe. Johnfon
renonça au monde & ſe retira dans ſes
terres, déteftantſes anciens égaremens , &
ſe rappellant ſans ceſſe l'aventure affreuſe
qui l'avoit éclairé. Là , fombre , farouche
& folitaire , il verſe des larmes ſur ſa vie
criminelle ; jamais il n'apperçoit deux
époux qu'il ne fonge auffi-tôt à l'infortuné
William . Ce ſouvenir déchirant eſt toujours
préſent à ſa penſée , & ſes remords
font ſon ſupplice,
Par M. de Fontanelie.
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
Vers à Mde Benoist , ſur ſon dernier
roman d'Agathe & Ifidore.
L'INTÉRET dans tous vos écrits
S'accorde avec la vraiſemblance ;
Des caracteres , des eſprits
Vous expoſez la reſſemblance ;
Et , dans vos portraits bien décrits ,
La nature d'intelligence ,
Embellit votre coloris
Des graces de la négligence.
On admire dans la douceur
Dont vous exprimez la tendreſſe ,
Le pinceau de la délicateſſe
Dont votre ſexe eſt poſſeſſeur.
Lorſque le ſuccès vous couronne ,
Ne jettez qu'un regard mocqueur
Sur le critique qui bourdonne ;
Continuez , peignez le coeur ,
Et vous peindrez ce qu'on vous donne,
Par M ****
JUILLET 1768. 53
Imitation de la troiſieme ode du ſecond
livre d'Horace :
Aquam memento rebus in arduis
Servare mentem , &c.
Aux rigueurs de l'adverſité
Oppoſe un plus ferme courage;
N'altere point , au ſein de la proſpérité ,
Cette modefte égalité ,
Caractere auguſte du ſage.
Il faut mourir , ami , c'eſt la loi du deſtin ;
Ces jours flétris par la fombre triſteſſe ,
Empoiſonnés par le chagrin ;
Ces jours ſereins où la vive allégreſſe
Sur le gafon , le verre en main ,
Unit aux feux de la tendreſſe ,
Les charmes d'une aimable ivreſſe , ....
Ces jours ont tous la même fin. ...
Le temps , vieillard infatigable ,
Preſſe ſon vol ſans s'arrêter ,
Et le préſent , trop peu durable ,
Nous avertit d'en profiter...
Tu connois ce ſimple boccage
Où l'orme & le tilleul mariant leur feuillage;
Forment un ombrage charmant ,
Aſyle pour l'amour , retraite pour l'amant ;
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
Où ce ruiſſeau , par ſon tendre murmure ,
Se plaint d'être forcé de pourſuivre ſon cours;
Et ne fuyant qu'après mille détours ,
Regrette encore la verdure
Qu'il voudroit arroſer toujours.. ::
C'eſt - là qu'oubliant tout , pour ſuivre la nature ,
Il faut couler nos heureux jours .
Que Bacchus , que l'amour tour à tour y préſide.
Par nos plaiſirs calculons nos inſtans ,
Attendons , fans chagrin , que la parque homicide
Enleve la fleur de nos ans .
Tes jardins , ton or , ta maîtreſſe ,
Ta maîtreſſe ! .. il t'en coûte... inutiles ſouhaits ! ..
Il faudra tout quitter ! .. Ton héritier s'empreffe,
Il habite déja tes ſuperbes palais ....
Eh que t'importe , ami ! .. Quelle humaine foibleffe
! ...
Va , la roture & la nobleſſe ;
Va , la pauvreté , la richeſſe ,
La mort n'épargne rien. Ceſſe donc tes regrets.
Tôt ou tard nous viendrons à cette heure fatale
Un fort commun nous y conduit ,
Et le triſte nocher de la barque infernale
Nous plongera dans l'éternelle nuit.
J****.

* Ces vers doux & faciles rendent heureuſement
Je ſens& les graces de l'original.Nous prions l'aureur
de vouloir bien quelquefois nous faire part
des fruits de ſon loiſir .
JUILLET 1768 . 55
Entretien entre un Géometre & un Citoyen
de Paris.
IL arrive quelquefois qu'on ne peut rien
répondre , & qu'on n'eſt pas perfuadé. On
eſt atterré ſans pouvoir être convaincu. On
ſent dans le fond de fon ame un ſcrupule ,
une répugnace qui nous empêche de croire
cequ'on nous a prouvé. Un géometre vous
démontrequ'entre un cercle & une tangente
, vous pouvez faire paſſer une infinité de
lignes courbes , & que vous n'en pouvez
faire paſſer unedroite. Vosyeux , votre raifon
vous diſent le contraire. Le géometre
vous répond gravement que c'eſt là un infini
du fecond ordre. Vous vous taiſez , &
vous vous en retournez tout ſtupéfait , ſans
avoir aucune idée nette, ſans rien comprendre
,& fans rien repliquer.
Vous confultez un géometre de meilleure
foi qui vous explique le myſtere.
Nous fuppofons , dit- il , ce qui ne peut
être dans la nature ,des lignes qui ont de
la longueur ſans largeur ; il eſt impoffible
phyſiquement parlant qu'une ligne réelle
en pénetre une autre. Nulle courbe , ni

Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
nulle droite réelle ne peut paffer entre deux
lignes réelles qui ſe touchent ; ce ne font
là que des jeux de l'entendement , des chimeres
idéales ; & la véritable géométrie
eſt l'artde meſurer les choſes exiftantes.
Je fus très- content de l'aveu de ce ſage
mathématicien ; & je me mis à rire dans
mon malheur d'apprendre qu'il y avoit de
la charlatanerie juſques dans la ſcience
qu'on appelle la haute ſcience.
,
Mon géometre étoit un citoyen philoſophe,
qui avoit daigné quelquefois caufer
avec moi dans ma chaumiere. Je lui dis
Monfieur , vous avez tâché d'éclairer les
badauts de Paris ſur le plus grand intérêt
des hommes , la durée de la vie humaine.
Le miniftere a connu par vous ſeul ce qu'il
doitdonner aux rentiers viagers ſelon leurs
différens âges. Vous avez propoſé de donner
aux maiſons de la ville l'eau qui leur
manque , & de nous ſauver enfin de l'opprobre
& du ridicule d'entendre toujours
crier à l'eau , & de voir des femmes enfermées
dans un cerceau oblong porter
deux fceaux d'eau peſant enſemble trente
livres , à un quatrième étage auprès d'un
privé. Faites-moi , je vous prie , l'amitiéde
me dire combien il y a d'animaux à deux
mains&àdeux pieds en France.
JUILLET 1768. 57
}
Le Géometre .
On prétend qu'il y en a environ vingt
millions , & je veux bien adopter ce calcul
très- probable * , en attendant qu'on
le vérifie ; ce qui ſeroit très-aiſé , & qu'on
n'a pas encor fait , parce qu'on ne s'avife
jamais de tout.
Le Citoyen.
Combien croyez-vous que le territoire
de France contienne d'arpens ?
Le Géometre.
Cent trente millions , dont preſque la
moitié eſt en chemins , en villes , villages ,
landes , bruyeres , marais , fables , terres
ſtériles , couvents , jardins de plaiſance
plus agréables qu'utiles , terreins incultes
, mauvais terreins mal cultivés. On
pourroit réduire les terresd'un bon rapport
àſoixante&quinze millions d'arpens quarrés
, mais comptons-en quatre-vingt mil-
*Cela eſt prouvé par les mémoires des intendans,
faits à la fin du dix-feptieme fiecle , combimés
avec le dénombrement par feux , compofé en
1753 , par ordre de M. le Comte d'Argenſon , &
fur-tout avec l'ouvrage très- exact de M. Mezence,
fait ſous les yeux de M. l'intendant de laM.....
l'un des hommes les plus éclairés ,
Cv
38 MERCURE DE FRANCE.
lions. On ne ſçauroit trop faire pour fa
patrie.
Le Citoyen.
Combien croyez- vous que chaque ar
pent rapporte l'un dans l'autre, année com
mune , en bleds , en ſemences de toute
eſpece, vins , étangs , bois , métaux , beftiaux
, fruits , laines , foies , lait , huiles ,
tous frais faits , fans compter l'impôt ?
LeGéometre.
Mais , s'ils produiſent chacun vingtcinq
livres , c'eſt beaucoup ; cependant ,
mettons trente livres pour ne pas décourager
nos concitoyens. Il y a des arpensqui
produiſent des valeurs renaiſſantes eſtimées
trois cent livres ; il y en a qui produifent
3 livres. La moyenne proportionnelle
entre 3 & 300 eſt 30; car vous voyez bien
que 3 eſt à 30 comme 30 eſt à 300. Il eſt
vrai que s'il y avoit beaucoup d'arpens à
30 livres & très-peu à 300 livres , notre
compte ne s'y trouveroit pas ; mais encore
une fois , je ne veux point chicanner.
Le Citoyen.
Ehbien, Monfieur ;combien les quatrevingt
millions d'arpens donneront- ils de
revenu , estimé en argent ?
JUILLET 1768. 59
Le Géometre.
Le compte eft toutfait : cela produit par
an deux milliards quatre cent millions de
livres numéraires au coursde ce jour.
Le Citoyen.
J'ai lu que Salomon poſſédoit lui ſeul
vingt- cinqmilliards d'argent comptant : &
certainement il n'y a pas deux milliards
quatre cent millions d'eſpeces circulantes
dans la France , qu'on m'a dit être beaucoup
plus grande & plus riche que le pays
deSalomon.
Le Géometre.
C'eſt-là le myſtere : il y a peut- être à
préſentenviron neufcent millions d'argent
circulant dans leroyaume ; & cet argent
paſſant de main enmain fuffit pour payer
toutes les denrées & tous les travaux : le
même écu peut paſſer mille fois de la poche
du cultivateur dans celle du cabaretier &
du commis des Aides.
Le Citoyen.
J'entends. Mais vous m'avez dit que
nous ſommes vingt millions d'habitans,
hommes & femmes , vieillards & enfans ;
combien pour chacun , s'il vous plaît ?
Cvj
6. MERCURE DE FRANCE.
Le Géometre.
Cent vingt livres ou quarante écus.
Le Citoyen.
Vous avez deviné tout juſte mon revenu
: j'ai quatre arpens qui, en comptant les
années de repos mêlées avec les années de
produit , me valent cent vingt livres ; c'eſt
peu de choſe.
Quoi ! fi chacun avoit une portion égale
comme dans l'âge d'or , chacun n'auroit
que cinq louis d'or par an ?
Le Géometre.
Pas davantage , ſuivant notre calculque
j'ai un peu enflé. Tel eſt l'état de la nature
humaine. La vie & la fortune ſont bien
bornées ; on ne vit à Paris l'un portantl'autre
que vingt- deux à vingt-trois ans ; on
n'a tout au plusque 120 livres par an àdépenſer.
C'eſt-à-dire que votre nourriture ,
votre vêtement , votre logement , vos meubles
, font repréſentés par la ſomme de 120
livres.
Le Citoyen.
Hélas ! que vous ai-je fait pour m'ôter
ainſi la fortune & la vie ? Est- il vrai que je
n'aye que vingt- trois ans à vivre , à moins
que je ne vole la part de mes camarades ?
JUILLET 1768.6
Le Géometre.
Cela eſt incontestabledanslabonne ville
deParis ; maisde ces vingt-trois ans , il en
faut retrancher au moins dix de votre enfance
; car l'enfance n'eſtpas une jouifſance
de la vie , c'eſt une préparation ; c'eſt le
veſtibule de l'édifice , c'eſt l'arbre qui n'a
pas encore donné de fruits, c'eſt le crépufcule
d'un jour. Retranchez des treize années
qui vous reſtent le temps du ſommeil ,
&celui de l'ennui , c'eſt au moins la moitié
: reſte ſix ans & demi que vous paſſez
dans le chagrin , les douleurs , quelques
plaiſirs & l'eſpérance.
Le Citoyen.
Miſéricorde ! votre compte ne va pas à
trois ans d'une exiſtence ſupportable !
Le Géometre.
Cen'eſt pas ma faute. La nature ſe ſoucie
fort peu des individus. Il y a d'autres
infectes qui ne vivent qu'un jour , mais
dont l'eſpece dure à jamais. La nature eft
comme ces grands princes qui comptent
pour rien la perte de quatre cent mille
hommes , pourvu qu'ils viennent à bout
de leurs auguſtes deſſeins .
Le Citoyen.
Quarante écus&trois ans à vivre ! quelle
2 MERCURE DE FRANCE.
reſſource imaginerez - vous contre ces deux
malédictions ?
Le Géometre.
Pour la vie , il faudroit rendre dans
Paris l'air plus pur , que les hommes man
geafflent moins , qu'ils fiſſent plus d'exercices
, que les meres allaitaffent leurs enfans
, qu'on ne fût plus aſſez mal aviſé pouz
craindre l'inoculation ;c'eſt ce quej'ai déja
dit ; & pour la fortune , il n'y a qu'à ſe marier
& faire des garçons & des filles.
Le Citoyen.
Quoi !lemoyende vivre commodément
eſt d'afſſocier ma miſere à celle d'un autre ?
Le Géometre.
Cinq ou fix miſeres enſemble font un
établiſſement très - tolérable. Ayez une brave
femme , deux garçons &deux filles feulement,
cela fait ſept cens vingtlivres pour
votre petit ménage, ſuppoſéqquuejuſtice foit
faite,& que chaque individu ait 120 livres
de rente.Vos enfans en bas âge ne vous coutent
preſque rien;devenus grands ils vous
foulagent ; leurs fecours mutuels vous fauvent
preſque toutes les dépenſes , & vous
vivez très- heureuſement en philoſophe ;
mais le malheur est que nous ne femmes
JUILLET 1768. 63
plus dans l'âge d'or , où les hommes nés
tous égaux avoientégalement part aux productions
fucculentes d'une terre non cultivée.
Il s'en faut beaucoup aujourd'hui
que chaque être à deux mains & à deux
pieds poffede un fonds de cent vingt livres
de revenu.
Le Citoyen.
Ha! vous nous ruinez. Vous nous diſiez
tout- à- l'heure , que dans un pays où il y
a quatre vingt millions de terre affezbonne
, & vingt millions d'habitans , chacun
doitjouir de 120 livres de rente , & vous
nous les ôtez !
Le Geometre.
Je comprais fuivant les regiſtres du fiecle
d'or , & il faut compter ſuivant le ſieclede
fer. Il y a beaucoup d'habitans qui
n'ont que la valeur de dix écus de rente ,
d'autres qui n'en ont que quatre ou cinq ,
&plusde fix millions d'hommes qui n'ont
abſolument rien.
Le Citoyen.
Mais ils mourroient de faim au boutde
trois jours.
Le Géometre.
Point du tout ; les autres qui poſſedent
leurs portions,les font travailler , & par64
MERCURE DE FRANCE.
tagent avec eux ; c'eſt ce qui paye le confi
turier , l'apothicaire , le comédien , le procureur
& le fiacre. Vous vous êtes cru à
plaindre de n'avoir que cent vingt livres
àdépenſer par an , réduites à 108 livres à
cauſe de votre taxe de douze francs ; mais
regardez les foldats qui donnent leur
fang pour la patrie ;ils ne diſpoſent , à quatre
ſous par jour , que de foixante & treize
livres ,& ils vivent gaiement en s'aſſociant
par chambrées.
Chacun s'ingénie dans ce monde ; l'un
eſt à la tête d'une manufacture d'éroffes ,
l'autre de porcelaine ; un autre entreprend
l'opéra , celui- ci fait une brochure ; cet
autre une tragédie bourgeoiſe ouun roman
dans le goût anglois ; il entretient le papetier
, le marchand d'encre , le libraire , le
colporteur , qui ſans lui demanderoient
l'aumône. Ce n'eſt enfin que la reſtitution
de cent vingt livres àceux qui n'ont rien
qui fait fleurir l'état.
Le Citoyen.
Plaiſante maniere de fleurir !
Le Géometre .
2
Il n'y en a point d'autre ; par tout pays
le riche fait vivre le pauvre. Voilà l'unique
ſource de l'induſtrie du commerce.
JUILLET 1768. 65
Plus la nation eſt induſtrieuſe , plus elle
gagne ſur l'étranger. Si nous atrapions de
L'étranger dix millions paran pour la balance
du commerce , il y auroit dans vingt
ans deux cent millions de plus dans l'état ;
ce feroit dix francs de plus dans le royaume
, & ce feroit dix francs de plus à répartir
loyalement fur chaque tête ; c'est- à- dire
que les négocians feroient gagner à chaque
pauvre dix francs de plus une fois payés ,
dans l'eſpérance de faire des gains encore
plus conſidérables. Mais le commerce a ſes
bornes comme la fertilité de la terre ; autrement
la progreſſion iroit à l'infini ; & puis
il n'eſt pas fûr que la balance de notre
commerce nous foit toujours favorable ;
il y a des tems où nous perdons .
Le Citoyen .
J'ai entendu parler beaucoup de population.
Si nous nous aviſions de faire le
doubled'enfans de ce que nous en faiſons
ſi notre patrie étoit peuplée du double , fi
nous avions quarante millions d'habitans
au- lieu de vingt , qu'arriveroit- il ?
Le Géometre .
Il arriveroit que chacun n'auroit à dépenſer
que vingt écus l'un portant l'autre ,
ou qu'il faudroit que la terre rendît ledou
66 MERCURE DE FRANCE.
blede ce qu'elle rend ; ou qu'il y auroit le
double de pauvres ; ou qu'il faudroit avoir
le double d'industrie & gagner le double
fur l'étranger , ou envoyer la moitié de la
nation en Amérique ; ou que la moitiéde
la nation mangeât l'autre .
Le Citoyen .
Contentons-nousdoncde nos vingtmillionsd'hommes
&de nos cent vingt livres
par tête , réparties comme il plaît àDieu :
mais cette ſituation eſt trifte ,& votre fieclede
fer eſt bien dur .
Le Géometre.
Il n'y a aucune nation qui ſoit mieux ;
&il en eſt beaucoup qui font plus mal.
Croyez- vous qu'il y ait dans le nord de
quoi donner la valeur de cent vingtde nos
livres à chaque habitant ? S'ils avoient eu
l'équivalent ; les Huns , les Goths , les
Vandales ,& les Francs n'auroient pas déſerté
leur patrie pour aller s'établir ailleurs
, le fer & la flamme à la main.
Le Citoyen.
Si je vous laiſſois dire , vous me perſuaderiez
bientôt que je fuis heureux avec
mes cent vingt francs .
Le Géometre.
Si vous penſiez être heureux , en cecas
vous le feriez.
JUILLET 1768. 67
Le Citoyen .
Onne peut s'imaginer être cequ'on n'eft
pas , à moins qu'on ne ſoit fou.
Le Géometre.
Je vous ai déja dit que pour être plus a
votre aiſe& plus heureux que vous n'êtes ,
il faut que vous preniez une femme ; mais
j'ajouterai qu'elle doit avoir comme vous
120 livres de rente , c'est-à-dire , quatre
arpens à dix écus l'arpent. Les anciens
Romains n'en avoient chacun que trois.
Si vos enfans font induſtrieux , ils pourront
en gagner chacun autant en travaillant
pour les autres.
Le Citoyen.
Ainfi ils ne pourront avoir de l'argent
ſans que d'autres en perdent.
Le Géometre.
C'eſt la loi de tous les nations , on ne
reſpire qu'à ce prix .
L'EXPLICATION de lapremiere énigme
dupremier volume du Mercure de juillet
eft coquillage ; le mot de la ſeconde eſt
bayonnette : celui du premier logogryphe
68 MERCURE DE FRANCE.
eſt Nil , dans lequel on trouve Nil , fleuve
d'Egypte , nil , mot latin , & lin . Le nom
du ſecond logogryphe eſt thuilleries , dans
lequel on trouve thuile , huitre , litiere ,
the , fuie , Tulle , huée , rit , Vhift , litre ,
Seuil , lit , Lis ( la ) , lis , Levi ,fel , ire ,
lire, truie , Elie , fire , rire , huile , huiliers
lie , étui.
ÉNIGME.
ESSSSEE decem nosfinge : quibusfi accefferit unus
Tunc erimus tantum , lector amice , novem.
AUTRE.
L'I'NINSSTTAANNTT qui
me donne le jour
Me prive de mon exiſtence.
Je marche ſur fix pieds : je chéris le filence.
Je ſuis affez ſouvent néceffaire en amour.
Je ſuis.... mais c'eſt aſſez : tu devines peut- être.
En ce cas , cher lecteur , pour toi je ceſſe d'être .
Q
AUTRE .
UEL fingulier deſtin !
Hier j'étois demain .
JUILLET 1768. 69
Q
AUTRE.
UE mon fort eſt à plaindre ! hélas ! ami
lecteur ,
Toujours en te ſervant j'éprouve ta rigueur.
Je ne puis cependant t'accuſer d'injuſtice :
Si de cent traits aigus tu ne perçois mon corps ,
Tu ne pourrois de moi tirer aucun ſervice.
Aufſi , ſans murmurer , je cede à tes efforts,
Quoique ſouvent riche & brillante ,
Ma richeſſe n'est qu'apparente ;
Ami , je reſſemble au Gaſcon ;
Habit doré , ventre de ſon.
ز
Par M. D..... de Paris , & non point M.
du Beroy , Provençal , comme l'on a mis
par erreur à la suite des quatre derniers
logogryphes du second volume d'avril.
J
LOGOGRYPHUS.
EJUNIS damus integra mortalibus efcam ;
Si caput avellas , blanda fluenta damus ;
Perge aliud membrum refecare , est utile membrum ,
Exime adhuc membrum , vivere te doceo.
70 MERCURE DE FRANCE.
LOGOGRYPΗ Ε.
JE ſuis de genre féminin ,
Inconſtante , jeune , volage ,
Qui ne déplaît pas moins au ſage
Qu'il charme le jeune blondin.
Où l'on rencontre la fortune ,
Cette riche divinité ,
C'eſt - là ma demeure commune ,
Et non la médiocrité.
Mere du bon eſprit & du parfait génie ,
On trouve dans mon nom deux prépoſitions ;
Un terme de muſique ; un de philoſophie ,
L'inſtrument qui nourrit une des paſſions
Qui chaque jour ne manque gueres
D'apporter le déſordre aux meilleures affaires.
Deux de mes membres ſeulement
Font voir plus de quatorze cent.
On trouve auſſi certain ouvrage
QueMalherbe& Ronſard ont mis en leur langage;
Un monument ſacré d'où le chrétien pieux
Vient offrir au Seigneut ſon encens & ſes voeux.
Je n'en dirai pas davantage.
Par M. d'H.........
JUILLET 1768 . 71
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
SONGES philofophiques , par M. Mercier.
ALondres , & fe trouve à Paris , chez Lejay
, Libraire , quai de Gêvres , au grand
Corneille , in - 12 ; 1768 : 410 pages.
On a renfermé dans cet ouvrage les
grands principes de la morale la plus néceſſaire
à l'homme ; on y préſente des opinions
fur pluſieurs objets qui font au-deffus
de l'eſprit humain , & c'eſt pour cela
qu'on lui a donné le titre qu'il porte . Ces
fonges font au nombre de dix. Nous nous
bornerons à préſenter une idée de quelques-
uns ; le premier eſt intitulé l'optimisme.
L'auteur qui parle lui - même dans
chacundeces fonges , fatigué des réflexions
qu'il a faites fur le bonheur du méchant ,
& fur l'infortune qui ſuit l'homme vertueux,
s'abandonne à un fommeil profond ;
ſa penſée libre fuit le cours de ſes méditations
; le ſpectacle des injustices , des
forfaits & de la tyrannie s'offre encore à
ſon imagination ; il demande au ciel pourquoi
l'humanité eſt par-tout fouffrante ,
& le plaifir ſi rare ? Il eſt enlevé dans les
airs , tranſporté dans un ſéjour inconnu ;
72 MERCURE DE FRANCE.
un génie revêtu de ſes aîles brillantes qu'il
reconnoît pour un des anges de l'éternel ,
lui dit: écoute , & ne cenfureplus la Providence
, faute de la mieux connoître , &fuismoi.
Il le conduit dans un temple majeſtueux
; au milieu s'élevoit un autel ; on
voyoit à côté un tableau de marbre noir ,
& vis-à-vis un miroir compoſé du plus
pur criſtal. Le génie l'abandonne en lui
diſant : regarde & lis ; c'eſt ici que tu vas
apprendre que ſi la Providence rend quelquefois
un homme de bien malheureux ,
c'eſt pour le conduire plus fûrement au
bonheur. L'auteur jette les yeux fur le
miroir ; il voit fon ami Sadak plongé dans
l'infortune la plus affreuſe, entouré de quatre
enfans en pleurs qui lui demandoient
du pain & ne pouvant leur en donner,
Son épouſe à ſes côtés , oubliant la douceur
qui lui étoit naturelle , ajoutoit à
ſes malheurs par ſes reproches. Sadak , le
vertueux Sadak court implorer la pitié de
ſes amis ; tous détournent la vue à fon
approche ; le feul qui paroît le plus compatiſſant
, lui parle un inſtant en prenant
tous les foins poffibles pour n'être vu de
perfonne , & le quitte fans le foulager . Sadakva
tendreune main fuppliante de porte
enporte; il eſt ſouvent rebuté & reçoit enfin
quelque aumône ; il achete auffi tôt du
pain
JUILLET 1768. 73
pain & va le partager entre ſes enfans en
remerciant la Providence des bénédictions
qu'elle vient de répandre ſur eux. L'auteur
déchiré par ce ſpectacle, murmure en ſecret
; ces mots paroiſſent auſſi-tôt écrits fur
le tableau de marbre noir : acheve de contempler
Sadak , & blâme , ſi tu l'ofes , la
Providence qui regle tout. Il retourne au
miroir , y voit Sadak dans l'opulence ; un
héritage imprévu a relevé ſa fortune ; il
eſt devenu dur en devenant riche ; il ne ſe
ſouvient plus qu'il a été malheureux ; il ne
penſe pas qu'il en eſt ſur la terre. L'auteur
étonné reçoit avec docilité cette leçon
tracée fur le tableau par une main inviſible
: " ſouvent la vertu fouffre , parce
>> qu'elle ceſſeroit d'être verta , ſi elle ne
>> combattoit pas. Lorſque l'auguſte Pro-
>>> vidence fait deſcendre la miſere fur la
>> tête d'un mortel ; la patience , ſa foeur ,
>> l'accompagne , le courage la ſoutient ,
• & c'eſt par ce don que la vertu ſe ſuffit
» à elle-même , & qu'elle devient heu-
>> reuſe , lors même que l'infortune ſem-
>>>ble l'accabler ». Pluſieurs autres objets ſe
préſentent ſucceſſivement dans le miroir,
&offrent des leçons utiles & fublimes.
Tous ces ſonges ont de la variété ,
beaucoup de philofophie , ſouvent du fentiment;
par- tout l'un & l'autre font ani-
Vol. II.
D
74 MERCURE DE FRANCE.
més par un ſtyle vif & rempli de feu ;
peut-être en trouvera-t- on trop ; ſi c'eſt
undéfaut , il eſt bien rare aujourd'hui ,
& il vaut mieux avoir celui - là que d'être
*trop froid,
Le Mariage clandestin , comédie en
cinq actes , repréſentée au théâtre royal de
Drury- Lane en 1766 , par les comédiens
de ſa majeſté britannique ; compofée par
MM. Garrick & Colman , traduite de
l'anglois , fur la troiſieme édition. A Paris ,
chez Lejay , libraire , quai de Gêvres , au
grand Corneille ; in- 8°. 1768 .
Nous avons rendu compte dernierement
d'une comédie mêlée d'ariettes dont
la piece angloiſe que nous annonçons a
fourni le ſujet. Sterling , marchand de la
cité , a deux filles ; l'aînée doit ſe marier
avec Sir John Melvil , neveu de milord
Ogleby ; la cadette , Miſs Fanny a épousé
en ſecret Lovel , un jeune homme qui
apprend le commerce chez fon pere , &
qui eſt parent de milord Ogleby. Ce mariage
commence à l'inquiéter ; le ſecret ne
peut être gardé encore long tems; elle veut
engager fon mari à le déclarer à fon pere ;
mais celui - ci montre tant d'éloignement
que Lovel n'oſe lui en parler ; Sir John
arrive dans ces entrefaites ; onpreſſe ſon
JUILLET 1768 . 75
union avec Miſs Sterling , il voudroit la
retarder ; il eſt enfin déterminé à la rompre
parce qu'il adore Fanny ; il confulte
Lovel fur ce qu'il doit faire ; accablé de
cette confidence , Lovel y répond mal ; il
emploie tous ſes efforts pour le détourner
de cette paffion , ſans lui révéler le motif
fecret qui le force à la condamner. Sir John
n'écoute rien ; il quitte Lovel pour aller
déclarer ſes ſentimens à l'aimable Fanny ,
qui fait tous ſes efforts pour le renvoyer
à ſa foeur ; Sir John emploie toutes les
inſtances que peut lui ſuggérer l'amour ; il
ſe jette ſes pieds où il eſt ſurpris par
Miſs Ste. ing qui ne peut cacher fon dépit.
Sir John voyant fon amourdécouvert ,
ne garde plus de meſures ; il s'adreſſe au
marchand & lui propoſe de ſubſtituer ſa
fille cadette à l'aînée qu'il étoit convenu
d'époufer ; Sterling ſe révolte à cette propoſition
; il ſe radoucit ſur l'offre que fait
Sir John de ſe contenter de so mille liv.
pour la dot de Fanny , au lieu de quatrevingt
mille que ſa ſoeur lui devoit apporter.
Ilyconſent ; mais à condition que
Miſtriſs Heidelberg ſa ſoeur l'approuvera
; la bonne Dame refuſe d'en entendre
parler ; Sterling ne veut pas , pour trente
mille livres qu'il gagneroit au changement
propoſé par Sir John , en perdre cent cin
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
quante mille dont il doit hériter de la
vieille Dame ; pour la gagner on veut ſe
ſervir de l'entremiſe de milord Ogleby.
Fannyde ſon côté, après avoir confulté avec
Lovel , entreprend de mettre le vieux pair
dans ſes intérêts ; elle a un entretien ſecret
avec lui ; ſa timidité , ſon embarras lui
font chercher des détours pour lui avouer
fon himen fecret. Milord , qui eſt une efpèce
de petit maître anglois , croit qu'elle
eſt amoureuſe de lui , & trouve dans ſes
propos tout ce qui peut le confirmer dans
cette idée ; au lieu de parler de Lovel ,
elle ſe plaint de Sir John ; le lord lui
promet ſa protection contre lui. Miſs Sterling
ne tarde pas à venir auſſi ſe plaindre
de fon infidele amant ; milord , pour ramener
la paix , demande Fanny en mariage
pour lui-même ; ce parti lui paroît le ſeul
convenable; il eſt aimé ; il ne peut ſe défendred'aimer
à ſontour ; Sir John , déchu
de ſes prétentions , reviendra à ſon premier
engagement. Sterling y confent encore
avec la reſtriction ordinaire que ſa
ſoeur ne déſapprouvera pas ce projet. Milord
ſe charge de tout ; enchanté , il fait
confidence de ſon bonheur à Lovel qui
reſte confondu. Sir John arrive & le fupplie
d'appuyer ſon parti auprès de Miſtriſs
Heidelberg. Milord lui promet de voir
JUILLET 1768. 77
la tante & de lui parler de Fanny ; il ſe
moque intérieurement de l'erreur de Sir
John qui le remercie de ce qu'il va faire
en croyant qu'il agira pour lui. Lovel ,
accablé de ces contretems , cherche Fanny
pour lui en faire part ; il ſe rend dans fon
appartement. Pendantqu'ils confultent en
ſemble , Miſs Sterling entend la voix d'un
homme dans l'appartement de ſa foeur,
elle ne doute pas que ce ne ſoit celle de
Sir John. Elle veut les faire ſurprendre ,&
court avertir ſa tante. Elle revient avec
elle , on appelle Sterling , on lui dit ce
qui ſe paſſe , il regarde cela comme une
calomnie ; milord arrive au bruit ; il or
donne à Sir John de ſortir; celui- ci vient ,
mais par une autre porte ; tout le monde
eft dans l'étonnement : qui peut être enfermé
avec Fanny ? Elle fort enfin ; fa confuſion
eſt au comble ; elle ſe trouve mal ;
on s'empreffe autour d'elle ; Lovel accourt
&découvre le miſtere. Le marchand furieux
veut le chaffer de ſa maiſon avec fa
fille ; milord promet de les recevoir dans
la fienne ; il a promis de protéger Fanny,
il reſpecte cette promeffe. Sterling s'attendrit
, donne ſon aveu à leur hymen ;
Miſtriſs Heidelberg ydonne auffi le ſien..
Cette piece eft bien intriguée ; cema
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
riage ſecret fournit pluſieurs ſituationstrèsgaies
, très - comiques. Elle a beaucoup
réuſſi en Angleterre ; elle n'auroit peutêtre
pas tant de ſuccès en France; les caracteres
n'y ſont point dans nos moeurs ;
les changemens qu'il faudroit y faire les
rendroient trop reſſemblans à quelques-uns
que l'on trouve dans nos comédies ; &
nous ne les ſupporterions pas tels qu'ils
font. Nous ne dirons pas pour cela qu'ils
font défectueux ; MM. Garrick & Colman
ont peint des Anglois &non pas des
François , & leur objet principal a été de
plaire à leur nation. La traduction en eft
faite avec beaucoup de goût. L'auteur a
retranché quelques traits qui n'auroient
fait que des longueurs , & auxquels des
lecteurs François , peu inſtruits de certains
uſages d'Angleterre , n'auroient compris
que très -peu de choſe.
:
ESSAI ON ORIGINAL GENIUS . Effai
fur le génie original.
On ſe propoſe dans ceteſſaide montrer
ce que c'eſt que le génie original , & les
différens traits auxquels on peut le reconnoître
dans la philofophie , dans les beaux
arts ,& fur- tout dans la poéſie. Il eſt diviſé
en deux livres qui contiennent chacun
pluſieurs fubdiviſions. Le premier traite
JUILLET 1768. 79
des objets & des parties qui caractériſent
le génie ; de l'effet qui réſulte de ces
mêmes parties réunies néceſſairement dans
ſa compoſition ;de ce qui l'indique ordinairement
; de la liaiſon qui eſt entre le
génie& l'eſprit ; de l'influence réciproque
de l'imagination fur le goût,& du goût fur
l'imagination , conſidérés l'un & l'autre
comme des parties qui entrent dans lacompoſition
du génie ; & enfin des différens
degrés qu'on remarque dans ſes productions.
Dans le ſecond livre , il eſt principalement
queſtion de ce degré de génie qui
mérite le nom de génie original ; de ce
✓ qui le conſtitue ainſi dans la philofophie ,
dans la poéſie , & dans les autres arts
libéraux. On préſente enfin comme une
lobſervation générale , qu'on s'efforce de
prouver par pluſieurs raisonnemens particuliers
, que le génie poétique original a
déployé ſa plus grande vigueur dans les
premiers tems de la ſociété , lorſqu'elle
touchoit encore à l'état de nature dont elle
étoit à peine ſortie ; que cet âge lui étoit
plus favorable que tous ceux où elle a fair
le plus de progrès. Comme cet endroit eſt
ce qu'il y a de plus remarquable dans l'ouvrage
, nous nous y arrêterons un inſtant.
La premiere raiſon que l'auteur apporte
Div
So MERCURE DE FRANCE.
pour confirmer ſon opinion , eſt tirée de
l'antiquité même de ce période. Le poëte
qui a vécu dans ces tems reculés a eu néceffairement
de grands avantages pour des
compofitions originales. Il étoit vraiſemblablementle
premier chantrede ſanation;
l'empire de l'imagination lui appartenoit
tout entier ; aucun rival ne le partageoit
avec lui ; perſonne n'avoit apperçu les
richeſſes qu'elle lui offroit , ou du moins
perſonne n'en avoit tiré parti ; comme ilen
faiſoit la premiere découverte , il avoit le
droit de ſe les approprier. " Un homme ,
>>dans cet état , ne peut regarder autourde
>>lui qu'avec étonnement ; tous les objets
>> font nouveaux à ſes yeux ; la furpriſe
>>qu'ils lui inſpirent eſt un plaifir ; & com-
>>>me des deſcriptions précédentes ne l'ont
>>point encore familiariſé avec les tableaux
>> qu'il contemple , ils font toute leur im-
>>preſſion ſur ſon ame. C'eſt au milieudes
>>tranſports & des raviſſemens que fon
> imaginarion parcourt les beautés immen-
>> ſes & variées de la nature ; emportée par
>> l'enthousiasme , elle exprime ſes idées
>>avec chaleur ;elle coule comme un tor-
>> rent ; les objets qui les font naître four-
>>>niffent toujours les expreſſions propres ;
>>le génie& le ſentiment en créentde nou-
>> velles ; les deſcriptions ſont pittoreſques
JUILLET 1768 . 81
1.
»& animées ; les métaphores les plus
>>hardies ſe préſentent ; vivement affectée,
>>elle ne fait point d'impreſſion légere ,
>>elle brûle. Un poëte d'un génie ordinai-
>> re , nédans ces circonstances favorables ,
>> offrira même quelques idées originales
>dans ſes productions ; la nature lui dé-
>>couvrira toutes ſes richeſſes &ſa variété;
>>il contemplera ce jardin vaſte & fans
>>bornes ; il ſaiſira facilement quelques
» objets effentiels qui n'ont point encore
>>été apperçus , & qui,employés par la poé-
>> fie , pourront lui donner une partie de
>> cos beautés neuves & fublimes qu'il au-
>> roit cherchées vainement s'il eût vécu
>> dans des tems moins heureux ».
L'auteur trouve une ſeconde raiſon dans
l'uniformité & la ſimplicité des moeurs &
&des uſages des hommes. " Ils ont une
>>influence finguliere ſur le génie ; leur
>> fimplicité dans l'enfance des nations lui
>>eſt particulierement favorable. Dans
>> cet état primitifde la fociété , les moeurs,
>>les ſentimens , les paſſions , ſi l'on peur:
>>s'exprimer ainſi , ont quelque choſed'ori-
>>>ginal. Ce font les ſimples réſultats de lat
>>>nature qu'ils n'ont point encore déguisée
>>en ſe melant , en ſe confondant , en pre-
>>nant une forme plus compliquée. Le
>> poëte en peignant fes propres fentimens
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
>>exprime ceux des autres ; il n'y a point
>> de différence entr'eux ;leurs goûts , leurs
>>diſpoſitions , leurs penchans font fortis
- du même moule,& formés ſur le même
modele. L'amour tendre & fans art ,
>> l'amitié généreuſe & folide , des exploits
>> guerriers , voilà ce que préſente l'hiſtoire
>>du berceau des hommes. Le poëte qui
>> les décrit en éprouve les inſpirations ;
>> l'amour , l'amitié , l'héroïſme l'enflamment.
Comme ſes ſenſations font vives
»&profondes , ſes ſentimens ſont paflion-
>> nés ou fublimes, felon les circonstances ,
>>ſes deſcriptions énergiques , ſon ſtyle
>>hardi , metaphorique , élevé ; & l'enfemble
de fon ouvrage , étant l'effufion
>>d'une imagination brûlante & d'un
>> coeur paſſionné , eſt parfaitement origi-
>>nal ,& parfaitement naturel ».
Le loiſir & la tranquillité de la vie , les
plaiſirs innocens qui l'accompagnent, ſont
une troiſieme cauſe de la ſupériorité du
génie ; nous aimons encore à contempler
dans les ouvrages des grands maîtres ces
tableaux innocens de l'enfance du monde ,
qui nous rappellent la chimere agréable de
l'âge d'or , & dont l'imagination ſeule peut
jouir ; tranſportons un poëte dans ces tems
heureux , qu'il décrive ce qu'il voit : quelle
énergie ,quelles graces , quelle douceur ,
JUILLET 1768 . 83
quelle fublimité ne mettra-t- il pas dans
ſes peintures ! Quelle impreſſion ne ferontelles
pas fur nous !
Nous nous bornerons à ces traits. L'ouvrage
renferme de l'ordre & de la clarté ;
les opinions d'Ariftote , de Longin , de
Cicéron , de Quintilien y font recueillies
avec pluſieurs obſervations des critiques
modernes. Le ſtyle en eſt plein & facile ;
on n'y trouve peut-être pas affez defentiment
original ; on le lit cependant avec
plaifir. L'auteur reſſemble à ces voyageurs
qui ne cherchent pas des pays nouveaux ,
qui ſe contententde parcourir les contrées
déja connues ; il y marche avec plus de
facilité , moins de dégoût ; il obſerve ce
que les autres ont déja obſervé , & quelquefois
il apperçoit dans les mêmes objets
des nuances qui leur font échappées .
FERNEY , AN EPISTOLE TO M. DE
VOLTAIRE. Ferney , épître à M. de Voltaire
, par Georges Keate .
Le génie a droit aux hommages de toutes
les nations ; il n'eſt étranger dans aucune
; elles s'empreſſent de le connoître &
de lui payer le tribut d'admiration qu'elles
lui doivent ; c'eſt ſon triomphe le plus flatteur
,& la récompenſe la plus précieuſe de
ſes travaux. M. de Voltaire eſt ſans doute
Dvj
+ MERCURE DE FRANCE.
ui de nos écrivains qui a le plus reçude
ten oignages de l'eſtime des étrangers ; il
n'a eft point qui les ait mérités comme
Jut : nous citerons quelques morceaux de
l'épître que M. Keates adreſſe à Ferney ;
elle a ea beaucoup de fuccès à Londres. Le
poëte ſe tranſporte aux pieds des Alpes ;
il décrit les agrémens du château de
Ferney , & la beauté de ſa ſituation.
• L'art employé par la ſimple nature y
>>préſente par tout l'emblême brillant de
>> l'ame du maître. Tandis que dans une
>> ſcene éloignée qui s'étend juſqu'au fir-
>>mament , la terre préſente à la vue , des
>>merveilles fans nombre , les Alpes lui
>> fervent de boulevard , & leurs maffes
>> inégales terminent une perſpective im-
>> menfe ».
« La nature étale aux yeux ſurpris mille
>> charmes champêtres & variés ; ce font
>> ici des moiffons abondantes qui dorent
>>les campagr es, làdes vignobles pourprés
>>quimûriffent ſur les côteaux , & plus loin
>> des montagnes blanchies par les neiges
>>éternelles dont elles ſont couvertes. On
>>>voit dans l'éloignementdes rochers eſcar-
>>pés cacher leurs fommets dans les nues ,
>>pendant que_d'autres , ſemblables à des
>> colonnes , ſemblent s'élever juſqu'aux
cieux. Les vallées s'étendent au pied de
JUILLET 1768 . 85
>> ces énormes maffes ; des forêts y entre-
>>tiennent la fraîcheur , & ajoutent à leurs
>>beautés , par la variété des tableaux ; la .
>> lumiere brille & ſe réfléchit ſur les flots
>> qui cherchent à ſe déborder dans le loin-
>>tain. Ici dorment les eaux paiſibles d'un
>>petit océan ; là roulent avec fracas des
>>>torrens d'une égale profondeur. Des vil-
>>lages innombrables s'élevent fur les bords
>>du lac ; ils font le ſéjour de la prudence;
>>l'orgueil en eſt banni ; l'oeil n'apperçoit
>>aucun endroit négligé ; par-tout le fol
>> fertile & reconnoiſſant paye par des
>>richeſſes le travail du laboureur ; le con-
>>tentement & la paix y ont établi leur
>>>demeure , & la liberté veille elle- même
>>à la fûreté de la plaine » .
«C'eſt au milieu de ce ſpectacle enchan
>>teur , que ce grand homme parcourt le
>> monde vafte & fans bornes des ſciences ;
>>fon ame toujours active s'élance ſur les
>>aîles du génie , dans les régions les plus
>> reculées ; ſes regards embraſffent à la fois
>>l'un& l'autre pole ; ſans jamais s'égarer à
>>travers les routes tortueuſesde la nature ,
>> il ſuit le cours des planetes & les révolu-
>> tions des aftres. Souvent abandonnant
>>>les cieux , il jette un regard humain
>> fur le malheur des mortels ; il dépouille
>>les coeurs de leur enveloppe épaiffe &
86 MERCURE DE FRANCE.
:
>>groſſiere ; il leur montre les objets divers
>> de leurs foins , de leurs inquiétudes &
>>de leurs eſpérances. Lajeunelle s'enflam-
>» me à ſes leçons , ſe détourne du mal , ou
>> ſe confirme dans le bien. Il ſoumet aux
>>loix de la raiſon tous les deſirs qui peu-
>>vent être dangereux ; il fait parler les
>>paffions mêmes en faveur de lavertu » ..
" Pendant que ces vues fublimes vous
>> animent , Voltaire , elles ajoutent de
nouveaux charmes , une nouvelle fraî-
>>cheur à votre folitude ! Retiré loin des
>>Cours , en quelques lieux que vous portiez
vos pas , les muſes que vous aimez ,
>>les muſes qui vous ſont ſi fidelles , vous
accompagnent ; dociles , obéiſſantes à
>>vos moindres ſignes , elles accourent
>> auprès de vous ; l'imagination & le goût
>>marchent àleur tête v.
Nous avons imité ce morceau plus que
nous ne l'avons traduit ; il ſeroit difficile
de rendre les véritables images de l'auteur ;
nous nous fommes contentés d'en donner
une idée. Le poëte parcourt enfuite la plupart
des ouvrages de M. de Voltaire ; il
s'arrête fur-tout ſur ſon théâtre , parce
qu'il fournit davantage à la poéſie ; il
n'oublie preſque aucune des tragédies de
cet illuſtre écrivain ; chacune préſente un
petit tableau intéreſfant par la chaleur , par
JUILLET 1768. 87
la préciſion & par la variété. Nous indiquerons
celui- ci qui fera juger des autres ;
il s'agit des Scythes .
i
" Reſpirons un moment.... La ſcène
>> aujourd'hui tranquille dédaigne l'or-
>>gueil des empires & la pompe du trône.
>> Elle offre à nos regards des berceaux
>> ruſtiques , des ſieges de gafon émaillés
>> de quelques fleurs. C'eſt-làqu'une vierge
>>exilée voit ſa foi promiſe à un jeune
>> Scythe. Avant qu'elle ait ferré ces noeuds
>>commencés ſous de funeſtes aufpices ,
>>le Perſan qu'elle avoit aimé vient s'offrir
» à ſa vue. Retourne , prince imprudent ,
>> où la gloire t'appelle ; pars , reprends
>> le chemindes campagnes défertes d'Ec-
>> batane ; vas rejoindre dans ta cour les
>>plaifirs qui s'y font fixés ; laiſſe la nou-
> velle épouſe apprendre aux échos de
>>Scythie à répondre aux gémiſſemens .
>> Le tems eft court, il s'écoule.
>> fort , barbare ! eſt de ſéparer des époux
>> que la volonté de deux peres vient
de faire l'infortune éternelle رد d'unir ,
..... Ton
>>d'un couple innocent , & de changer
>> l'autel de l'Himen en tombeau ». :
M. Keates , qui avoit fait une viſite à
M. de Voltaire à Ferney , rappelle les
charmes qu'il a trouvés dans la converfation
de ce grand homme ; ſon admiration
88 MERCURE DE FRANCE.
cependant ne l'empêche pas de ſe plaindre
des critiques qu'il a faites de Shakespear ;
il l'invite à ne pas troubler les cendresdu
poëte Anglois. Sa lettre eſt terminée par
une adreſſe à Ferney même , dont le nom
ne périra jamais , & que les voyageurs
s'empreſſerontdeviſitercommeles temples
anciens , célébres par les divinités qu'on y
révéroit.
De la ſanté des gens de lettres , par M.
Tiffot , docteur & praticien en médeciné,
de la ſociété royale des ſciences de Londres
, del'académie méd. phyſi. de Bâle ,
de la ſociété économique de Berne. A
Paris , chez Didot le jeune , quai des Auguſtins
, à ſaint Augustin.
Différentes maladies nées d'une trop
forte affiduité au travail , font les exemples&
les avertiſſemens employés par M.
Tilfot pour engager les gens de lettres à
partager le temps de leur étude , & à ne
pas s'appliquer avec tant d'ardeur.
" L'eſprit trop occupé affoiblit le genre
>> nerveux , & eſt l'origine de toutes les
>> maladies qui affectent la vieilleſſe de
>> la plupart des fçavans.
Une connoiffance profonde , un ſtyle
clair & pur , beaucoupde lecture , caractériſent
cet ouvrage , qui dabord étoit laJUILLET
1768 . 89
tin , & que M. Tiſſot vouloit dérober aux
éloges publiques ; mais une éditiontronquée,
faite àParis, l'a obligé de traduire luimême
en françois cet ouvrage que les
gens de lettres & de cabinet doivent fans
ceffeconfulter.
د Traité des eaux minérales avec plufieurs
mémoires de chymie relatifs à cet
objer, par M. Monnet, de la ſociété royale
de Furin , & de l'académie royale des
ſciences , arts & belles lettres de Rouen :
prix , trois livres relié. AParis , chez le
même libraire : avec approbation &privilege
du Roi.
L'auteur dans ce traité démontre la
bonté des différentes eaux minérales , &
leur qualité ; ſon ouvrage eſt auſſi inftructif
qu'utile , & l'on y remarque une
connoiſſance profonde de la chymie , &
des recherches intéreſſantes.
Traité élémentaire de morale , dans
lequel on développe les principes d'honneur&
de vertu , & les devoirs de l'homme
envers la ſociété. Piece qui a remporté
le prix à l'académie de Dijon en
1766 , par M..... prêtre , docteur en
théologie. AParis , chez le même.
و ه
MERCURE DE FRANCE.
Cet ouvrage s'étend ſur une matiere
d'autant plus utile , qu'elle intéreſſe tous
les hommes en général. M. Rofe y détaille
la regle des moeurs , ladépendance
abſolue de l'homme envers Dieu , les
devoirs de l'homme en particulier ; l'égalité
naturelle & la dépendance reciproque
des hommes entr'eux ; les devoirs des
fouverains & des ſujets , & leur attachement
à la patrie ; les devoirs de famille ,
ceux des divers états ; les regles de l'amitié,
les avantages & la confolation de l'amitié
fondée fur la vertu. Une diction aiſée
, des citations bien choiſies ſont les
garans de la bonté de ce traité quia réuni
tous les fuffrages de l'académie de Dijon.
:
Histoire du coeur , par Mlle. de Milly.
Chez le Jay , libraire , quai de Gêvres ,
au grand Corneille .
د
Madame d'Amouville veuve d'un
homme riche, & n'ayant qu'un ſeul fils
pour héritier , vient paſſer le temps de
fon deuil dans un couvent , où Julie ,
fille de M. d'Orvigny , paſſe ſon enfance.
Cette Dame lie amitié avec cet enfant;
amitié qui tire ſon origine de l'amour.
M. d'Orvigny avoitaimé dans ſa jeuneſſe
Madame d'Amouville , ils eſpéroient tous
JUILLET 1768. 91
deux de jouir d'un heureux hymen ; mais
M. d'Orvigny avoit quitté Madame d'Amouville
qui l'aimoit éperdument.
Julie rappellée à Bruxelles , étoit heureuſe
par l'amitié de ſes parens ; ſon coeur
ne parloit que pour ſon amie qu'elle avoit
quittée avec regret, lorſque M. d'Amouville
fils lia connoiſſance avec elle chez
Madame de Berville. M.d'Orvigny malgré
ſon inconſtance , ſe rappella avecplaifir fa
premiere paflion , & témoigna la plus fincere
amitié à M. d'Amouville , qui conçut
pour Julie l'amour le plus violent. Cet
amour fut terminé , après quelques difficultés
, au gré des amans ; & Madame
d'Amouville vit avec plaifir réaliſer le
nom de mere qu'elle avoit ſi ſouvent donné
à Julie.
Abrégé de l'anatomie du corps humain ,
où l'on donne une deſcription courte &
exacte des parties qui le compoſent , avec
leurs uſages: par M. Verdier , de l'académie
royale de chirurgie , & profeſſeurdémonftrateur
royal en anatomie au college
de chirurgie de Paris : quatrieme
édition , revue , corrigée & confidérablement
augmentée , par M. Sabatier de l'académie
royale de chirurgie , profeſſeur92
MERCURE DE FRANCE.
و
démonſtrateur royal en anatomie , & chirurgien-
major en ſurvivance , de l'hô
tel royal des Invalides. A Paris , chez
P. François Didor , quai des Auguſtins ,
près dupont Saint - Michel , à ſaint Auguſtin
, 2 volumes in- 12 .
Les éditions nombreuſes de cet ouvrage
de M. Verdier en prouvent le mérite;
il le compoſa d'abord dans la vue
de donner à ſes éleves un abrégé de ſes
leçons ; dans la ſuite il l'augmenta . Il y
faifoit encore de nouveaux changemens ,
de nouvelles additions , lorſque la mort
interrompit ſon travail. M. Sabatier, fon
éleve , & l'un de ſes ſucceſſeurs dans la
place de profeffeur - démonſtrateur royal
en anatomie au college de chirurgie de
Paris , a exécuté ce que M. Verdier avoit
entrepris ; il a donné plus d'étendue à la
partie anatomique , il a multiplié les remarques
de phyfiologie &de pathologie ;
en y faiſant entrer les nouvelles découvertes
; il y a ajouté quelques notes hiſtoriques
qui font connoître les auteurs de
ces découvertes , & la maniere dont l'anatomie
eſt parvenue au point de perfection
où elle eſt aujourd'hui. Ce travail rend
l'ouvrage de M. Verdier plus utile , &
l'augmente conſidérablement ; M. Saba
JUILLET 1768. 93
tier a puiſé dans les meilleures ſources ,
&n'a rien avancé ſur leur autorité , qu'il
n'ait pris le ſoin de s'en aſſurer auparavant
par ſa propre expérience. On a mis
à la tête un éloge de M. Verdier par M.
Louis ; on s'attache à faire connoître
l'homme & l'artiſte : nous n'entrerons pas
dans des détails fur cet ouvrage. Les gens
de l'art ont apprécié le travail de M.
Verdier ; ils donnent leurs fuffrages à celui
de M. Sabatier : cela ſuffit ; tout ce que
nous dirions , ne pourroit rien ajouter à
à ces éloges.
4
Avis ſur la nouvelle édition du dictionnaire
françois-anglois , anglois - françois ;
par Boyer , en deux volumes in-4°. imprimés
à Lyon en 1768 , chez Jean-Marie
Bruyſet , & qui ſe vend à Paris chez de
Bure pere,quai des Auguſtins à Saint-Paul.
On a fait dix ou douze éditions de
ce dictionnaire en France , en Angleterre,
en Hollande; ila eu le plus grand fuccès
malgré ſes défauts : on les a fait difparoître
dans cette nouvelle édition ; on
a corrigé toutes les mépriſes , les contreſens,
les barbariſmes dont il étoit rempli
, & on y a ajouté près de quinze mille
articles que Boyer avoit omis. Les deux
parties françoiſe-angloiſe & angloife- 4
94 MERCURE DE FRANCE.
françoiſe ont été travaillées avec beaucoup
de foin ; on a puiſé dans les meilleurs
fources pour les deux langues. Le
dictionnaire de l'académie françoiſe ,
celui de M. Chambaud françois & anglois
, qui parut à Londres en 1761 , &
qui mérite de juites éloges, ont fervi à
la premiere partie ; on a travaillé la ſeconde
fur le dictionnaire de Johnfon ,
qui jouit de la plus grande réputation en
Angleterre. Ce ſcavant a ſuivi un plan
très- vaſte & très- embarraſſant ; il a également
admis dans ſon ouvrage les mots
douteux qu'évitent les bons, écrivains ,
ceux qui font uniquement propres à certains
auteurs , ceux qui ont été empruntés
plus ou moins heureuſement des langues
érrangeres , les mots anciens qu'on trouve
dans les écrivains du fiecle précédent , &
ceux qui , dans cette claffe , lui ont paru
mériter d'être conſervés. Les remarques
que Johnfon joint à fon ouvrage , laiffent
encore biendes doutes ; une fociété
de gens de lettres anglois , voués à l'érude
de la langue , pourroit ſeul les réfoudre
; l'éditeur françois a tâché d'y ſuppléer
par ſes ſoins& fon application , en
confultant les meilleurs auteurs ; il a
même enrichi ſa compilation d'environ
fix mille mots qu'on chercheroit en vain
JUILLET 1768. 95
dans celle de Johnson. Il n'a point rejetté
certaines expreſſions actuellement
hors d'uſage , mais dont quelques écrivains
célebres ſe ſont ſervis , parce qu'elles
font néceſſaires pour les entendre.
La partie typographique a été trèsſoignée
; le caractère de cette édition eſt
plus gros & plus net ; tous les dérivés
d'un mot y font imprimésen lettres majufcules
, ils ne l'étoient pas dans les précédentes
, de maniere que l'oeil ne diftinguoit
point s'ils étoient une dépendance
de l'article qui précédoit, ou s'ils en
formoient un nouveau. L'I voyelle & l'J
confonne , ainſi que l'U & l'V y font féparés
; ils forment effectivement dans
P'alphabet de l'une & de l'autre langue
deux lettres diſtinctes , dont la dénomination
ne devroit pas être la même. Les
mêmes libraires vendent auſſi l'abrégé du
dictionnaire de Boyer en deux volumes
in- 89 , grand format ; l'exécution en eſt
ſemblable à celle del'in- 4º que nous annonçons
.
:
Cantiques ou opufcules lyriques fur dif.
férens fujets de piété , avec les airs notés à
l'ufage des catéchifmes de la paroiſſe de
Saint-Sulpice, premiere partie; le prix eft
trois livres , broché. A Paris chez Cra96
MERCURE DE FRANCE.
:
part , libraire , rue de Vaugirard 1768 .
Ceci eſt une nouvelle édition augmentée
de moitié ; il y ades airs faciles; il y en
ade plus de travaillés , pour ſe conformer
au goût & à la ſcience des perſonnes
auxquelles ces airs ſont deſtinés. Les principes
de la ſaine morale , & toutes fortes
de vertus font célébrés dans ces cantiques
qui font en même temps deſtinés
à l'amuſement & à l'inſtruction des chréziens.
f Journal d'un voyage à la Louiſiane , fait
en 1720 ; par M *** , capitaine de vaifſeau
de roi . A la Haye , & ſe trouve à
Paris , chez Muſier fils & Fournier , libraires
, quai des Auguſtins ; in- 12 petit
format , de 316 pages.
Ce voyage paroît ſous la forme épiſtolaire
qui lui eſt commune avec beaucoup d'autres
relations ; on a voulu far-tout prendre
pourmodelecelle de l'abbéde Choifi ; mais
onn'a pas imité ſon badinage ni ſes agrémens.
L'auteur ſe préſente comme un marin
peu exercé dans l'art d'écrire ; c'eſt à
une Dame qu'il adreſſe ſes lettres ; elles
forment le journal de ſon voyage , & font
remplies de détails peu curieux , de termes
de marine qui , ſur la terre , font
une langue étrangere ; on y trouve auſſi
quelques
-JUILLET 1768. 97
quelques complimens qui font du même
ton que le reſte. L'auteur raconte que
la diſcorde eſt parmi ſes dindons ; qu'ils
fe battent & ſe tuent. Cette affaire n'eſt
pas une bagatelle , parce que ſa vie en
dépend ; il ajoute galamment : " on a be-
>> ſoin d'une infinité de petites reſſources
>>pour nous aider à foutenir votre abſence ,
»& mes dindons y entrent pour quelque
>> choſe » .
Eſſai fur les grands hommes d'une partie
de la Champagne.; par un homme du
pays. AAmſterdam ,& ſe trouve à Paris ,
chez Gogué , libraire , quai des Auguſtins
au coin de la rue Pavée , à Saint-Hilaire ;
in- 8 °, 88 pages.
C'eſt l'amour de ſa patrie qui a dicté cet
ouvrage à un Champenois ; il ſe borne à
faire connoître les hommes célebres de la
ville de Reims , ou qui font nés dans les
environs ; il ne remonte qu'à Frodoard ,
le premier hiſtorien de la Champagne qui
mourut en 966 , après avoir vécu 73 ans.
Ces vies ſont au nombre de 49 ; elles
font trop préciſes pour apprendre quelque
choſe ; elles contiennent ordinairement
la date de la vie & de la mort de chaque
perſonnage ; quelquefois on ne donne pas
la liſte de leurs ouvrages , quandceux dont
Vol. II. E
98 MERCURE DE FRANCE.
on parle ont été des écrivains : une notice
exacte de leurs productions les auroit
mieux fait connoitre ; le lecteur auroit pu
juger s'ils avoient réellement fait honneur
à leur patrie. Cette brochure eſt terminée
par une liſte des célebres Rémois & des
auteurs de cette ville qui vivent encore,
On y remarque pluſieurs écrivains eſtimés.
Expoſition de la doctrine de l'égliſe Romaine
, contenue dans les articles de la
profeſſion de foi dreſſée par notre faint
pere le pape Pie IV , ſur les décrets &
les canons du concile de Trente , ouvrage
diviſé en dix conférences que l'auteur a
eues avec pluſieurs calviniſtes , ſuivi d'un
difcours ſur l'amour de la vérité , prononcé
à la cérémonie de l'abjuration d'un
d'entre eux les juillet 1733 , dans l'égliſe
collégiale & paroiffiale de Saint- Merry ,
à Paris ; par M. Ballet , ancien curé de
Gif , prédicateur de la reine. A Paris ,
chez Deſpilly , libraire , rue Saint - Jacques
, 1756 : un volume in- 12 , 15 fols
broché.
On a rendu compte de cet ouvrage
dans le tems qu'il parut ; nous nous
bornons aujourd'hui à en rappeller le ti
tre, qui donne une juſte idée de ce qu'il
JUILLET 1768. 99
contient ; il peut être très-utile aux ecclé
ſiaſtiques chargés de l'inſtruction de la
jeuneſſe,& fouvent obligés d'entrer dans
des diſcuſſions de controverſe avec les calviniſtes.
Pour leur en faciliter l'acquifition
, on le propoſe à un rabais confidérable.
Prospectus d'un ouvrage qui a pour titre :
Logique pratique , ou précis de mathématiques
tant élémentaires que tranſcendantes ,
deſtiné à l'inſtruction de tous les âges &
des deux fexes , par M. Fleury , ingénieur
&profeſſeur royal de mathématiques.
- La juſteſſe de l'eſprit conduit naturel
ment à la droiture du coeur ; c'eſt par les
mathématiques qu'on parvient à acquérir
la premiere ; il eſt bien fingulier que leur
étude foit ſi négligée. M. Fleury ſe propoſe
d'en faciliter l'étude à ceux qui veulent
les étudier ſans prendre de leçons , &
de guider les maîtres dans les inſtructions
qu'ils donnent. Son ouvrage formera quatre
volumes in- 4º , diviſés chacun en cinq
parties ou cinq ſections ; il conſacre le premier
tout entier au calcul , il n'établit
aucun principe ſans en faite ſentir auffitôt
l'utilité , en le rapportant à nos beſoins
par différentes queſtions. Ce volume com,
prend environ trois cens problêmes dans
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
leſquels l'auteur aſſure n'avoir rien oublié
de ce qui peut inſtruire & former au calcul
numérique & au calcul algébrique.
Dans le ſecond volume , on traite de la
géométrie. Cette ſcience développe les facultés
de l'eſprit & lui donne de la jufteſſe
&de la préciſion. « Quand ceux qui
> ſe deſtinent au barreau & à la magiftra-
» ture ne prendroient la géométrie que
» comme une logique pratique , comme
>>dit Rollin , ils découvriroient mieux
» la vérité où d'autres ne la ſoupçonne-
» roient pas » . L'état où elle eſt plus néceſſaire
eſt ſans contredit celui des militaires,
Les ſections coniques , la méchanique
, le jet des bombes , les calculs différentiel
& intégral , & la phyſique font
l'objet du troiſieme volume ; toutes ces
parties ſont fondées ſur l'arithmétique ,
l'algebre & la géométrie. Le dernier volume
, deſtiné aux militaires , renferme ce
qu'il y a de plus eſſentiel dans l'art de la
guerre. M. Fleury y traite de la défenſe&
de l'attaque des places , des mines & contremines
, de la tactique , & il le termine
par des réflexions ſur la modeſtie & la
prudence , qui ne font pas moins néceffaires
à un officier que le courage. Cet
ouvrage eſt proposé par ſouſcription. Ces
deux premiers volumes couteront 48 liv.
JUILLET 1768. ION
aux ſouſcripteurs ; ils en paieront 18 en
'ſouſcrivant , autant en recevant le premier
volume à la fin de cette année ou
au commencement de l'année prochaine ,
& 12 en recevant le ſecond à la fin de
1749. Ils s'adreſſerontà l'auteur M. Fleury,
rue du four , maiſon de M. Perron , maître
en chirurgie , la ſeconde porte cochere
à gauche en entrant par la rue Saint-
Honoré ; il prie les perſonnes qui lui
écriront d'affranchir leurs lettres. Le prix
de ces deux premiers volumes ſera de
60 liv. pour ceuxqui n'auront pas ſouſcrit.
La Supercherie réciproque , comédie en
un acte & en profe , par Mde Benoiſt . A
Amſterdam , & ſe trouve à Paris , chez
Durand , libraire , rue Saint-Jacques , à
la ſageſle ; in- 8° : 1768 .
Roſalie , fille d'un fermier , ayant perdu
ſes parens dès l'enfance , fut élevée par la
généroſité de la mere du comte. Son éducation
, trop au-deſſus de ſa naiſſance ,
fut un malheur pour elle plutôt qu'un
bien ; elle ne lui inſpira que des idées
vaines. Elle fut envoyée dans un couvent
où on lui donna des maîtres ; parmi ceux-ci
elle diftingua celui qui lui apprenoit à
chanter : il avoit une figure intereſſante ,
&unair noble ; ſon coeur conçut pour lui
E iij
101 MERCURE DE FRANCE.
quelque tendreffe , & , pour n'en plus
rougir , ſa vanité lui inſpira l'idée de le
regarder comme un homme de qualité
qui avoit pris ce déguisement pour la voir
avec plus de liberté. Elle en fit part à M.
Diapafon , c'eſt le nom du maître à chanter
, qui n'oſa pas la déſabufer d'une erreur
qui flattoit les ſentiniens qu'elle lui avoit
inſpirés ; il pafla pour le marquis de Fleville
dans l'eſprit de Rofalie , qui ſe fit
paffer à ſon tour dans le ſien pour la niece
du Comte. Sa bienfaitrice étant morte ,
le Comte , fon oncle prétendu , la tire du
couvent ; il ſe propoſe de la marier à M.
Paperar , procureur fiſcal. Roſalie rejette
cethimen avec dédain. Il n'eſt point aſſorti
avec les idées de grandeur qu'elle s'eſt
formée , &dans lesquelles elle eſt encore
entretenue par l'amour du maître à chanter
, & par l'opinion qu'elle a de ſa naiffance.
Celui-ci vient au château dans fon
déguiſement ; un valet qu'il a pris le
porte à pouſſer l'aventure juſqu'à la fin.
Il voit en perſpective un établiſſement
avantageux ; il veut conduire Rofalie à
un himen ſecret que le Comte ſera forcé
d'approuver enfaite. Séduit par ſon amour ,
excité par ſon valet , Diapaſon ſe prête à
l'impoſture. Roſalie , de ſon côté , perfécutée
par le Comte , qui preſſe ſon himen
JUILLET 1768. 103
avec Paperar , humiliée à chaque inſtant ,
ſe détermine à fuir avec le Marquis. Dans
ce moment le Comte & le Procureur fif
cal arrivent ; ce dernier reconnoît fon
neveu dans le prétendu Marquis ; il s'excuſe
auprès du Comte ſur l'ardent amour
qu'il éprouve pour ſa niece ; celui - ci ,
furpris , dévoile la naiſſance de Rofalie.
Les deux amans ſont égaux ; ils s'étoient
trompés tous les deux , on les unit. On
n'a pas tiré affez de parti de ce ſujet ; la
rivalité de l'oncle & du neveu auroit pu
produire de plus grands effets : on n'a
pas profité du comique que préſentoit
la fupercherie réciproque de Rofalie &
de Diapafon , & l'action n'a point affez
d'intérêt , qui doit être l'âme de tout
ouvrage , fur-tout des ouvrages dramatiques
; au reſte le ſtyle de cette piece eſt
fimple , facile & naturel ; dans quelques
endroits le dialogue eſt affez bien coupé ,
l'auteur mérite des encouragemens , & fes
eſſais annoncent un talent qui ſe forme ,
& qui promet.
L'examen impartial des meilleures tragédies
de Racine , avec cette épigraphe :
Si j'ai raiſon , qu'importe qui je ſois ?
P. Corn. trag. de Nic.
A Paris chez Merlin , libraire rue dela
1
E iv
134 MERCURE DE FRANCE.
IHarpe , & au Palais royal , 1768 , in- 8 .
Cette brochure eſt du même format
que le commentaire des oeuvres de Racine
, publié par M. Luneau de Boisjermain;
elle ne contient que l'examen
de deux pieces , Andromaque & Britannicus
; celui des autres ne tardera pas à
paroître. L'auteur préſente ſon ouvrage
comme le fruit des réfléxions qu'il a faites
en voyant repréſenter les tragédies de Racine.
Plus difficile que M. l'abbé đOlivet
, qui n'a trouvé que cent fautes
dans les oeuvres dramatiques de cet illuftre
poëte , il en releve une quantité
plus conſidérable ; dans celles qui font
purement grammaticales , il nous paroît
avoir quelquefois raiſon , & très - ſouvent
tort ; ſes remarques ne ſont pas toujours
juſtes : telle eſt par exemple celle-ci
fur deux vers d'Oreſte dans Andromaque.
Tu vis mon déſeſpoir , & tu m'as vu depuis
Traînerde mers en mers ma chaîne&mes ennuis.
>>Cette image ne préſente-t-elle pasa
>> des lecteurs François une image plus
>>ignoble que tragique » ? Nous demanderons
à notre tour s'il eſt un François
qui puiſſe ſe faire cette queſtion , ou balancer
fur la réponſe , s'il a du goût
Après avoir admiré ce motdePilade ,
en parlant d'Hermione :
JUILLET 1768. 105
Eh bien ? il la faut enlever.
Il déſapprouve un peu plus bas :
Allons , Seigneur , enlevons Hermione.
Il craint que ce double conſentement
ne jette de l'odieux ſur le caractère de Pilade
; il prétend que comme il eſt ſans paffions
, le ſpectateur ne peut approuver
en lui ce qu'il excuſe dans Oreſte. Nous
lui répondrons que d'abord Pilade a feint
de conſentir aux projets de ſon ami qui
n'eſt pas enétatd'écouter la raiſon , & dont
il voudroit modérer la fureur ; il n'y parvient
pas. Oreſte furieux , déſeſpéré , jaloux
, veutjuſtifier le courroux des dieux ;
il médite un crime , il ſe prépare à le
commettre ; mais il craint que Pilade
ne partage les dangers auxquels il s'expoſe;
il veut le forcer à s'éloigner , à le
laiſſer ſeul enlever Hermione , ou périr.
La réponſe de Pilade alors eſt le cri du
ſentiment. Eclairer ſon ami ſur lebord
du précipice , l'en arracher on s'y précipiter
avec lui , voila l'amitié telle que la
connoiſſoient les anciens ; telle que les
poëtes ont peint celle d'Oreſte & de Pilade;
ne la connoîtroit-on plus ? C'eſt
ce que prouveroit la critique de ce mot
fublime de Racine , s'il étoit poflible
qu'elle fût approuvée géneralement. Nous
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
/
nous bornerons à ces deux exemples ; nous
entrerons dans plus de détails ſur cet ouvrage
, lorſque la ſuite aura paru ; nous
exhortons l'auteur à ne pas précipiter fes
jugemens , à ne pas multiplier , comme
il l'a fait, les citations des vers fur lefquels
il avoue qu'il n'a point de remarques
à faire , ni celles des vers qu'il ne
tranfcrit que pour les admirer. Ces citations
font inutiles , elles ne fervent qu'à
groffir un volume ; & le lecteur n'a pas
beſoin de guide pour chercher des mor
ceaux admirables dans Racine : il n'a qu'à
ouvrir le livre des tragédies de ce grand
écrivain.
La république des Jurifconfultes , ouvrage
de M. Gennaro , célebre avocat
Napolitain , traduit par M. l'abbé Dinouart
, chanoine de l'égliſe collégiale de
Saint-Benoît , & de l'académie des arcades
deRome. A Paris , chez Nyon pere ,
libraire , quai des Auguſtins , à l'occafion
, in- 8°.
Jofeph Aurele Gennaro jouit d'une réputation
méritéeparmi les juriſconſultes;
il naquit à Naples en 1701 ; ſon pere qui
étoit avocat le forma à la même profeffion
, dans laquelle il ſe diſtingua par
la ſupériorité de ſes connoiſſances & de
:
JUILLET 1768. 107
ſes talens; la république des jurifconfultes
écrite en latinméritoit d'être traduite par
un homme de lettres , qui sût ſentir les
défauts de cet ouvrage , & les faire difparoître
, tels que la prolixité de quelques
détails , l'affectation à citer des vers
grecs & latins , des épiſodes trop fréquens;
&rendre la vérité à ſes portraits , dont
les nuances font généralement trop chargées;
c'eſt ce qu'a entrepris M. l'abbé
Dinouart. On ſuppoſe que les jurifconſultes
font rélégués après leur mort dans
une iſlede la mer Egée , au-delà des Cyclades
, & qu'ils y vivent fous un gouvernement
républicain. Gennaro s'y rend ,
entraîné par ſes amis & par ſa propre
curioſité ; ils s'embarquent enſemble ; a
peine font-ils fortis du port , qu'ils regrettent
leur patrie ; l'un d'eux plus réfolu
que les autres , leur récite , pour les
diſtraire , une élégie latine qu'il a compoſée
contre ceux qui profanent la ſcience
des loix en l'étudiant. Le vaiſſeau eſt poufſé
par les vents vers différens endroits ;
par- tout les voyageurs trouvent des jurifconfultes
, s'entretiennent avec eux des
plus célebres , & les apprécient d'une
maniere neuve , ſouvent préciſe &prefque
toujours piquante : ils arrivent enfin
dans l'ifle defirée ; la multitude des
E vj
T
108 MERCURE DE FRANCE.
perſonnages qu'ils rencontrent , donne
lieu à une infinité de jugemens littéraires
& critiques qui intéreſſent la jurifprudence
& l'hiſtoire. L'objet général de
Gennaro étoit de donner au public les
obſervations qu'il avoit faites ſur l'étude
des loix , & de critiquer les productions
des plus fameux juriſconſutes; il l'a rempli
comme il ſe le propoſoit, en jettant
de l'agrément fur une matière qui n'en
paroiffoit point ſuſceptible , & qui exigeoit
plus d'éruditon que de graces. A
la fuite de cet ouvrage on a mis l'analyſe
d'un traité italiendeGennaro , ſur l'abus
de l'éloquence du barreau , qui eſt fort
inſtructif, & qui mériteroit d'être traduit
en entier ; elle eſt ſuivie d'un poëme latin
ſur les loix des douze tables , qui
contient environ dix-huit cens vers ; c'eſt
P'hiſtoire de toute la jurisprudence ; la
verfification en eſt claire , facile , quoiqu'elle
ait en même temps la nobleſſe
qu'exigeoit la gravité du ſujet. On nous
annonce que M. Drouot , docteur aggrégé
en droit , en a entrepris la traduction ;
ce volume eſt terminé par trois élégies ,
ce poëme & la premiere de ces élégies
devoient être répandus dans le corps de
l'ouvrage même ; le premier eſt chanté
par un jeune poëte à la célébration des
JUILLET 1768. 109
jeux ſéculaires que la république des juriſconſultes
avoit pris des Romains; l'autre
eſt celle dont nous avons parlé , &
qu'undes voyageurs récite dans le vaiſſeau.
Principes généraux & particuliers de la
languefrançoife , confirmés par des exemples
choiſis , inftructifs , agréables& tirés
des bons auteurs , avec des remarques fur
Ies lettres , la prononciation , la profodie ,
les accens , la ponctuation , l'ortographe ,
& un abrégé de la verſification françoiſe
, par M. de Wailly , cinquieme édition
revue&confidérablement augmentée.
A Paris chez J. Barbou , rue des Mathurins
: in- 12 , 1768 .
Cet ouvrage a acquis de nouveaux
degrés de perfection à mesure qu'on l'a
réimprimé ; il ne contenoit pas d'abord
quatre cens pages , il eſt actuellement de
plusde 560. Il en parut des éditions ſucceffivement
en 1763 , 1765 , & à la fin
de 1766. L'auteur , dans celle qu'il donne
aujourd'hui , n'a rien négligé pour la
rendre digne du public ; il l'a revue avec
tout le ſoin dont il étoit capable ; il a
corrigé quelques fautes qui lui étoient
échappées ; il a refferré quelques articles
trop étendus, il en a réuni pluſieurs qui
font devenus plus clairs & plus précis.
112 MERCURE DE FRANCE.
diſtinction de M. l'abbé de Wailly : nous
ne nous arrêterons pas davantage à cette
production déja connue , & qui mérite
de plus en plus ſon ſuccès.
La bienfaisancefur le trône , éloge hiftorique
de Stanislas I , roi de Pologne ,
grand duc de Lithuanie , duc de Lorraine &
deBar : dédié à la reine , par M. Deslaviers
avocat au parlement. A Paris chez
Delalain libraire ,rueSaint-Jacques , 1768,
in-80.
C'eſt un nouveau tribut rendu à la mémoire
de Staniſlas le bienfaisant ; titre
auguſte , & bien fupérieur à, tous ceux
qu'ont mérité les plus grands rois ; c'eſt
le ſentiment& la reconnoiſſance quilelui
ont donné. M. Deslaviers n'eſt qu'hiſto-
Fiendans cet éloge;il ſuit la vie de Staniflas
depuis le momentde ſa naiſfance.Al'âgede
19 ans Stanislas fut chargéde complimenter
la reine de Pologne ſur la mortdu roi fon
époux;la maniere dont ils'en acquitra étonna
tout le monde,& fit concevoir les plus
haures eſpérances de ſon génie ; l'évêque
de Varmie en 1696 , dans une diete générale
qui étoit alors aſſemblée , félicita la
Pologne d'avoirvu naître Staniſlas. L'année
fuivante ce prince confondit la calomnie
qui avoit ofé attaquer ſon pere , il pan
JUILLET 1768. 113
donna aux monſtres qui avoient voulu le
perdre. « Selon les loix de Pologne , dit
» M. Deflaviers dans une note , la peine
>> des calomniateurs eſt que celui qui eſt
>> convaincu de ce crime,doit enplein ſénat
> ſe coucher à terre ſous le ſtalle , & entre
>> les jambes de celui qu'il a accuſé injuſte-
>> ment , & dire à haute voix qu'en répan-
>> dant dans le public telle & telle choſe
>>contre celui qui eſt au-deſſus de lui , il
>> en a menti comme un chien. Cette con-
>>feſſion publique étant achevée , il faut
» qu'à trois diverſes fois il imite la voix
>> d'un chien qui aboye. » On préfente
rapidement le précis des événemens qui
porterent Staniſlas fur le trône ; on eſt
attaché par les malheurs qui l'éloignerent
de Pologne ; on frémit des dangers auxquels
il s'expoſe , dans le voyage qu'il
fait de Dantzig à Konigsberg , en butte
aux traits de l'affaffin qui voudra gagner
le prix qu'on a mis à ſa vie : on reſpire
quand on le voit arrivé en France ; on le
fuit dans la Lorraine ; chaque jour y préſente
des traits qui arrachent des larmes
d'attendriffement & d'admiration. Cer
éloge intéreſſe par le prince qui en eſt le
ſujet ; on oublie quelques fautes de ſtyle
qui font échappées à l'auteur : on ne s'apperçoit
pas qu'il manque quelquefois de
114 MERCURE DE FRANCE.
chaleur , parce qu'on eſt occupé des actions
du monarque.
Obfervations fur pluſieurs maladies des
yeux , par M. Janin oculiſte du college de
chirurgie de Paris , aſſocié correſpondant
de l'académie des ſciences , arts & belles
lettres de Dijon , &c. A Lyon de l'imprimerie
d'Aimé de la Roche , in 12 de 33
pages.
Cette brochure contient ſept obſervations
ſur des fiſtules lacrymales , & fur des
cataractes de différente eſpece. M. Janin
les décrit telles qu'il les a vues dans les
traitemens qu'il en a faits ; il y a joint deux
diflertations liées naturellement au ſujet,
l'une fur la cauſe des mouvemens de l'iris,
&l'autre traite des diverſes opinions ſur
l'organe immédiat de la vue. Elles annoncent
un homme inſtruit & qui a fait des
études profondes fur les maladies des yeux,
Il demeure à Lyon , chez M. Blanc bait
gneur , rue de l'arſenal , & donne gratui
tement tous les matins ſes ſoins aux pauvres.
:
Journal des guérisons opérées aux fon
taines minérales de Saint- Amand en Flandres
, pendant la ſaiſon de 1767 , par le
fieur Deſmillevilles...
JUILLET 1768. 11
Cette petite brochure d'environ 48
pages , doit fervir de ſuite à l'eſſai du fieur
Defmillevilles ſur les eaux & les boues
minérales de Saint-Amand. Elle ne contient
que le recueil des obſervations qu'il
a faites fur les bons effets qu'elles ont produits
en 1767. Des malades attaqués de
rhumatiſme , de ſciatique , de paralyfie ,
de maladiesde la peau , des reins &du bas
ventre , ont été guéris par l'uſage de ces
eaux.
THE ART OF KNOWING MANKING.
L'art de connoître les hommes , in- 12 .
Perſonne ne doute de l'utilité de cet
art ; l'auteur n'avoit pas beſoin d'en faire
l'apologie ; il devoit plutôt travailler à ſe
défendre de la miſantropie , qui ſe fait
voir à chaque page de fon livre. En peignant
l'humanité , il s'eſt attaché à la préſenter
toujoursdu mauvais côté ; s'il releve
quelque vertu , c'eſt pour faire mieux fortir
les vices , & ſouvent il ne la trouve pas
ſans défaut. Pourquoi nous offrir la fatyre
des hommes ? Pourquoi déprimer leurs
vertus ? Est-il avantageux de prouver
qu'elles tirent leur origine des vices oudes
foibleſſes ? Un auteur qui fait un pareil
emploi de ſes talens, fonge plus à les faire
briller , à fatisfaire ſa vanité , qu'à travail
116 MERCURE DE FRANCE .
ler à notre bonheur , qu'à nous reconcilier
avec notre eſpece & avec nous-mêmes. II
mérite des autres hommes le traitement
qu'il leur fait ; qui ne fait pointde grace ,
ne doit guere en attendre. La plupart des
obſervations qu'on trouve dans cette production
font juſtes , mais on en voit peu
qui ſoient neuves.
A GENUINE HISTORY OF M. AND
MRS. TENDUCCI. Hiſtoire véritable deM.
& de Madame Tenducci , in - 80 .
M. Tenducci eſt un chantre italien , qui
doit les agrémens de ſa voix à cette opération
barbare , trop commune peut-être
dans ſon pays. Ses manieres honnêtes &
polies , la douceur de ſon chant firent la
conquête d'une jeune demoiselle , avec
laquelle il ſe maria en Irlande dans l'année
1766. Ce qui paroîtra ſans doutebien fingulier
, c'eſt que la tendreſſe de ſon épouſe
n'a point diminué après deux ans de
mariage ; c'eſt elle-même qui écrit fon
hiſtoire , elle l'adreſſe à un ami qu'elle a
ouqu'elle ſuppoſe avoir à Bath ;elle yrend
comptedesperfécutions qu'elle&ſon mari
ont éprouvées de la part de fes parens qui
n'ont pas vu cetre union de bon oeil , &
qui onttenté toutes fortes de moyens légitimes&
nonlégitimes pour la rompre ;ils
JUILLET 1768. 117
ne ſe ſeroientjamais attendusde trouverles
plusgrands obſtacles de la partde Madame
Tenducci. Cette hiſtoire, indépendamment
de la fingularité qui la rend curieuſe parce
qu'elle est vraie , offre des détails intéreſfans.
On frémit des excès auxquels s'eſt
portée la famille de l'héroïne; cet hymen
extraordinaire n'a cauſé que du trouble&
des chagrins à Madame Tenducci , & certainement
rien ne l'en dédommage ; fon
attachement pour fon époux n'eſt pas moins
extraordinaire ; on eſt étonné de ſa conftance
à lui facrifier le repos de ſa vie. On a
beaucoup plaiſanté ſur ſon aventure ; on
auroit du ſans doute la plaindre.
LETTERS TO MARRIED WOMEN. Lettres
aux femmes mariées , petit in- 8 ° .
Ces lettres traitent un ſujet bien intéreſfant
; l'auteur fait voir le ridicule des préjugés
qui attribuent à l'imagination des
meres, la plupart des taches&des défauts
qu'on apperçoit ſur le corps des enfans ;
il parle des fauſſes couches , & conſeille
d'éviter le trop grand exercice , le
trop de repos , &c. Il exhorte les meres
à remplir le grand but de la nature , à ne
pas ſe ſouſtraire au devoir ſacré qu'elle
leur impoſe, celui de nourrir leurs enfans;
il préſente enſuite la meilleure maniere
118 MERCURE DE FRANCE.
:
de les élever depuis leur naiſſancejuſqu'au
moment où on les ſevre. Comme il y a
des cas où une mere ne peut pas allaiter
ſon enfant , l'auteur veut qu'elle s'affure
bien que cela eſt impoſſible ,& qu'au lieu
de donner l'enfant à une nourrice étrangere
, elle le garde ſous ſes yeux ,&le
nourriſſe avec du lait de vache , qui peur
être pris en général fans avoir été bouilli ,
&fans autre mêlange qued'un peu de fucre.
Il entre enfuite dans des détails fur l'enfant
& fur la mere depuis le tems où le premier
a été ſevré juſqu'à l'âge de deux ans ; il parledu
traitement qu'il faut lui faire lorſ
qu'il ſe porte bien & lorſqu'il eſt malade,
Il moraliſe enſuite & inſiſte ſur la nécefſité
de cultiver ſes diſpoſitions pour le rendre
vertueux & aimable ; ces lettres doivent
être lues & méditées par toutes les
meres ; les inſtructions qu'elles y trouveront
font intéreſſantes , claires , & utiles,
Les principes de la langue latine , mis
dans un ordre plus clair , plus étendu &
plus exact. AParis , chez J. Barbou , impri
meur- libraire , rue des Mathurins ; 1768 ;
in-12.
:
Cet ouvrage eſt eſtimé & mérite de
P'être , il n'y en a point de meilleur &de
plus utile parmi ceux dont on ſe fert dans
JUILLET 1768. 119
les colleges. Cette édition , qui eſt la
fixieme , a été retouchée avec beaucoup
de foin. A l'article des conjugaiſons on a
ajouté la formation des tems dans les
verbes actifs & paflifs ; on rectifie , dans
la fintaxe , pluſieurs regles qui paroif
foient manquer de juſteſſe.
Guide des chemins de la France , contenant
toutes les routes générales & particulieres.
Troiſieme édition , revue , cor
rigée & preſqu'entierement refondue , con ,
ſidérablement augmentée , & principalement
d'une notice très-ample des villes
principales & des choſes les plus remarquables
qu'on y trouve. A Paris , chez
Vincent, imprimeur-libraire , rue Saint
Severin ; in- 12 : 1768 .
Cet ouvrage étoit connu déja ſous le
titre de nouveau guide des chemins de la
France ; il reparoît aujourd'hui , pour la
troiſieme fois , avec une quantité de corrections
qui en font un ouvrage abſolument
nouveau , & qui remplit fon objet
de maniere à ne laiſſer rien à deſirer ,
120 MERCURE DE FRANCE.
ACADÉMIES.
I.
Prix proposé par l'académie royale des
Sciences de Paris , pour l'année 1770 .
L'ACADÉMIE avoit proposé pour le ſujet
du prix de 1768 , de perfectionner les méthodesfur
lesquelles est fondée la théorie de
la lune , de fixer par ce moyen celles des
équations de cette planete qui font encore
incertaines , & d'examiner en particulierfi
on peut rendre raison , par cette théorie ,
del'équationféculaire du mouvementmoyen
de la lune.
N'ayant pas été fatisfaite des recherches
qu'elle a reçues furce ſujet , elle le propoſe
de nouveau pour l'année 1770 .
Le prix fera double , c'est-à-dire , de
sooo livres.
Les ſçavans de toutes les nations font
invités à travailler ſur ce ſujet , & même
les aſſociés étrangers de l'académie. Elle
s'eſt fait la loi d'exclure les académiciens
régnicoles de prétendre aux prix.
Ceux qui compoſeront , feront invités à
écrire en françois ou en latin , mais fans
aucune
:
JUILLET 1768. 121
aucune obligation. Ils pourront écrire en
telle langue qu'ils voudront , & l'académie
fera traduire leurs ouvrages .
On les prie que leurs écrits foient fort
liſibles , fur- tout quand il y aura des calculs
d'algebre.
Ils ne mettront point leur nom à leurs
ouvrages ,
mais ſeulementune ſentence ou
deviſe. Ils pourront, s'ils veulent , attacher
à leur écrit un billet ſéparé & cacheté par
eux , où ſeront avec cette même ſentence ,
leur nom , leurs qualités & leur adreſſe ;
& ce billet ne fera ouvert par l'académie ,
qu'en cas que la piece ait remporté le prix.
Ceux qui travailleront pour le prix ,
adreſſeront leurs ouvrages à Paris au ſecrétaire
perpétuel de l'académie , ou les lui
feront remettre entre les mains. Dans ce
fecond cas le ſecrétaire en donnera en
même temps à celui qui les lui aura remis ,
ſon récépiffé , où ſera marquée la ſentence
del'ouvrage & fon numéro , felon l'ordre
ou le temps dans lequel il aura été reçu.
Les ouvrages ne feront reçus que jufqu'au
premier ſeptembre 1769 , exclufivement.
L'académie à ſon aſſemblée publique
d'après pâques 1770 , proclamera la piece
qui aura mérité ce prix.
S'il y a un récépiflé du ſecrétaire pour la
Vol. II. F
122 MERCURE DE FRANCE.
piecequi aura remporté le prix , le tréſorier
de l'académie délivrera la ſomme du prix
àcelui qui lui rapportera ce récépiffé. Il
n'y aura à cela nulle autre formalité.
S'il n'y a pas de récépiſſé du ſecrétaire ,
le tréſorier ne délivrera le prix qu'à l'auteur
même , qui ſe fera connoître , ou au
porteur d'une procuration de ſa part.
I I.
La ſociété royale des ſciences de Montpellier
propoſe encore , pour le ſujet du
prix de 1769 : quels font les principaux
caracteres des terres du bas Languedoc ?
quels sont les défauts de celles qui font peu
propres à la production des grains , & les
moyens d'y remédier ?
Les mémoires ne feront reçus que jufqu'au
8 ſeptembre de la même année ,
& adreſſés à M. Ratte , ſecrétaire perpétuel
de la ſociété , avec les conditions
ordinaires.
JUILLET 1768 . 123
COMÉDIE FRANÇOISE.
LES Comédiens françois donnerent le
fept mai dernier la premiere repréſentation
de Beverlei , tragédie bourgeoise ,
imitée de l'anglois , en cinq actes , & en
vers libres .
L'auteur , M. Saurin de l'académie
françoiſe , avoit déja eſſayé fur notre
théâtre une autre production du théâtre
anglois , Blanche & Guiſcard. Les meurtres
multipliés au cinquieme acte parurent
bleſſer notre délicateffe , peut-être
trop rigoureuſe ; mais les beautés vraiment
tragiques , répandues dans le rôle
deBlanche , n'échapperent point aux connoiffeurs.
Ona dit qu'un ouvrage dethéatre étoit
une expérience fur le coeur humain ; jamais
ce mot fut vrai , c'eſt fur-tout relativement
à la piece de M. Saurin ; mais
elle eſt de plus une expérience fur le goût
national : elle nous donne lieu d'obferver
ce que les françois peuvent ſupporter
de terreur fur la ſcène , & le genre d'horreurs
auquel ils s'accoutumeroient avec
peine.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
Le théatre repréſente un fallon mal meublé
, & dont les murs font presque nuds ,
avec des restes de dorure. Madame Beverlei
eſt aſſiſe à côté de ſa ſoeur ; elle
travaille avec diſtraction : l'inquiétude
eſt ſur ſon viſage , dans ſes geſtes & dans
ſes paroles ; fon époux a paſſe la nuit
hors de chez lui , & n'eſt point encore
rentré. Cette abſence paroît la ſeule choſe
qui l'afflige ; elle lui pardonne tout le
reſte , l'excuſe ſur le jeu , & ſe réſigne à
l'indigence. Sa foeur ſe répand enplaintes
contre lui;elle le trouve d'autant plus
coupable , que fon épouſe eſt plus indulgente
: elle retrace vivement tous les excès
où l'amour du jeu l'a entraîné.
Mde BEVERLEI .
Il n'a qu'un ſeul défaut ....
HENRIETTE
Qui les renferme tous.
Les veilles , les chagrins ont flétri ſa jeuneſſe.
Madame Beverlei répond :
Ce changement, encor ,n'a point frappé mes yeux.
Henriette lui parle du petit Tomi , de
cet enfant , dont l'héritage eſt diſſipe ;
elle craint elle - même pour des fonds
qu'elle a confiés à Beverlei : elle doit
JUILLET 1768. 125
épouſer Leufon . Ce mariage feroit fon
bonheur ; mais comment penſer au bonheur,
quand ſa ſoeur eſt dans l'infortune !
Cependant des fonds qu'on attend de
Cadix peuvent encore réparer tour ; mais
un joueur ſe corrige- t- il ? Il a d'ailleurs
un ami ſuſpect , Stukeli . Hier dit
Henriette
>
د
Hier Leuſon me chargea de vous dire
Qu'il a fur Stukéli le plus grave ſoupçon :
Souvent fur notre front notre coeur ſe fait lire ;
Et l'air de Stukeli n'annonce rien de bon.
Jarvis paroît , ce vieux domeſtique
qu'on a été forcé de congédier après
quarante ans de ſervice. Madame Beverlei
l'avoit prié de lui épargner des vifites
qui lui ſemblent des reproches :je l'ai
donc oublié , dit le bon homme.
;
A mon âge aiſément l'on oublie & l'on pleure.
-Et il pleure ſur le ſortde ſon maître
& fur ſes égaremens .
Stukeli vient : on lui demande s'il n'a
point vu Beverlei ; il répond qu'il l'a
laiſſé la veille chez Vilſon , en affez mauvaiſe
compagnie ; il ne peut concevoir
qu'il ne ſoit pas rentré : il blâme ſa paf- 1
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
fion pour le jeu. Il l'a toujours combattue;
& quand il a vu ſon ami malheureux ,
il lui a ouvert fa bourſe : Jarvis offre d'aller
chercher fon maître chez Vilſon;
Madame Beverlei lui recommande de ne
rien dire qui puiſſe avoir l'ait du reproche:
elle n'en fit jaunais à fon mari.
Les malheureux , Jarvis , font aités à bleſfer:
Avec ménagement il faut qu'on les approche.
Elle appelle fon fils :
:
Ecoutez-moi , Tomi :
Ce matin, fuivant l'ordinaire ,
Votre pere , mon fils , n'a pu vous embraffer ;
Mais quand il reviendra , ſi vous voulez me plaire,
Songez à le bien carefler ,
N'y manquez pas.
Hentierte fort avec l'enfant ; & Madame
Beverlei , demeurée ſeule avec
Stukeli , l'interroge encore fur ce qui peut
retenir fon mari fi long temps. Il profite
de cette ouverture pour jetter des Coupçons
dans l'ame d'une épouſe ſenſible :il
parle de bruit vagues , de rapports. Madame
Beverlei , troublée intérieurement ,
répond avec une fermeté qui déconcerte
l'impoſteur; il revient fur lui, & garantit
la fidélité de fon ami.
Mon eſtimepour lui m'en répond mieux que vous,
JUILLET 1768. 127
Dit Madame Beveley , & elle le quitte.
Stukeli dévoile ſon caractere dans un
monologue ; il a aimé Madame Beverlei
: il a déja ruiné par fes artifices le ri
val qu'on lui a préféré ; il veut le perdre
encore dans le coeur de ſa femme , &
la féduire elle-même. Leufon l'aborde.
Je vous trouve à propos : juſqu'en votre demeure
J'aurois été , Monfieur , vous chercher tout-àl'heure.
STUKELI.
De quoi s'agit-il donc , Monfieur ?
LEUSON.
De Béverlei.
De mon ami
STUKELI.
Dites le nôtre.
LEUSON , d'un ton ferme .
1
Je dis le mien .....
On veut que , chez Vilſon,
Vous ayez , avec Mackinſon ,
Une ſecrette intelligence..
Vous vous enrichiffez , dit-on
Lorſque Béverlei ſe ruine.
La querelle eſt prête à s'élever. Hen
riette retient Leufon à qui elle veut par
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
ler , & Stukeli ſe retire ; Henriette craint
les fuites de ce différend : Leuſon la raffure.
Je crois à ſa valeur comme à ſa probité ,
Dit- il , en parlant de Stukeli : il preffe
Henriette de conclure leur mariage ; il
veut s'attacher à Beverley par d'autres
liens que ceux de l'amitié : mais elle allegue
les chagrins de ſa ſoeur , comme une
trop juſte raiſon de différer leur himen :
elle fort pour aller la conſoler.
Beverlei ouvre le ſecond acte ; la ſcene
a changé , & repréſente une place près de
la maiſon de Beverlei .
Ciel ! voici ma maiſon , & je crains d'y rentrer :
Ama femme , à ma ſoeur , je n'oſe me montrer ;
J'ai tout trahi , l'amour , l'amitié , la nature :
A tout ce qui m'eſt cher , à moi même odieux
Sans deſſein , ſans eſpoir , errant à l'aventure ,
La honte & le remords me ſuivent en tous lieux.
O ! du jeu paſſion fatale !
Ou , plutôt , vil amour de l'or!
Eh ! qu'avois-je beſoin d'en amaſſer encor ?
A ma félicité quelle autre fut égale ?
Tout prévenoit mes voeux , tout flattoit mes
deſirs ,
L'amour femoit de fleurs ma couche nuptiale ,
Et l'aurore avec moi réveilloit les plaifirs. A
JUILLET 1768. 129
Nous ofons croire que ces vers font
d'une tournure beaucoup trop métaphorique
, & d'une poéſie trop figurée pour
la fituation. Que Beverlei ſe rappelle
ſon bonheur paffé , pour l'oppoſer au malheur
préſent ; qu'il en trace une image
douce &intéreſſante : rien n'eſt plus vraiſemblable
; mais qu'il emploie le langage
de la poéſie épique ; qu'il perſonnifie l'aurore
, l'amour & les plaiſirs : c'eſt ce
qu'on ne doit pas attendre de l'état violent
où il eſt. Les malheureux ont l'éloquence
de la douleur ; elle eſt ſombre &
énergique , & les couleurs riantes ſe refuſent
à leur imagination.
Jarvis ſe préſente à fon maître , il l'a
cherché vainement chez Vilſon . Il le
preffede rentrer chez lui ; il porte le zele
juſqu'à lui offrir le peu de bien qu'il peut
avoir.
:
BEVERLEI.
O !digne ſerviteur ! ..
De ton maître avili crains plutôt la baſſeſſe :
Oui , crains que , ſans pitié , dépouillant ta vieilleffe
Je n'abuſe de ton bon coeur :
Tu ne fais pas , Jarvis , ce que c'eſt qu'un joueur ;
J'ai ruiné mon fils , & ma femme & ma soeur :
De la même fureur crains dêtre auſſi la proie.
Un miférable qui ſe noie ,
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
S'attache , en périflant , au plus foible roſeau
Crains que je ne t'entraîne auffi dans mon nau
frageloch
-Cette réponſe eſt admirable ; le fenti
ment en est bien profond , & l'expreflion
vigoureuſe : Beverlei continue.
Va trouver ta maitreſſe. hélas ! dans ſon malheur
,
..
On peut la conſoler ; elle n'eſt pas coupable.
Mais modere pour moi ton zele :
Qu'ont mes malheurs & toi , Jarvis , à démêler ?
Né dans ce que l'orgueil appelle la baſſeſſe ,
De l'honneur tu ſuivis la loi ;
Et l'honneur rarement conduit à la richeſſe.
Les beſoins vont bientot aſſaillir ta vieilleſſe ,
Ne mers pas la miſere entre la tombe & toi.
:
1
Cedernier vers eſt d'une grande beauté.
Il y a dans l'anglois : Ne fois point preſſe
entre l'indigence & le tombeau. Le vers
françois nous paroît bien plus pathétique
&plus naturel.
Suit une ſcene entre Beverlei & Stukeli,
où ce dernier développe toute la malignité
de fon caractere : toujours occupé
de fon projet, il veut öter à Beverlei
routes les reffources qui peuvent lui refter.
Il lui fait entendre que,pour le ſecourir,
JUILLET 1768. 131
il s'eſt mis dans le beſoin , & même en
danger d'être arrêté : il oſe lui conſeiller
d'avoir recours à Jarvis ; & rebuté ſur cer
article , il lui parle des diamansde fa femme.
A ce ſeul mot Beverlei ſe récrie
cependant l'extrêmité où il voitcelui qu'ili
croit ſon ami; la douleur feinte de Stukeli,
fes reproches , fes féductions entraînentà
la fin le malheureux Beverlei. Il conſent
à tout , & Stukeli le quitre. Prêt à rentrer
dansla maiſon , il rencontre ſa foeur,
dont il eſſuie les plus ſanglansreproches ,
& qui va même juſqu'à lui redemander
fes fonds qu'il a entre les mains. Madame
Beverlei vient ſe jetter entre les
bras de fon mari avec le petit Tomi ; il
reçoit leurs careſſes qu'il a fi peu méritées;
il ſe ſouvientde ſes torts qu'on ne lui re
proche point. Il eſt puni. Ce tableaueſt
attendriſſant : Leuſon ſurvient; Beverlei
prévenu contre lui par Stukeli , le reçoir
froidement : Lenfon veut le détromper fur
le ſcélérat qui le domine. Beverlei refuſe
de l'écouter , & demande qu'on le laiſſe
feul avec ſa femme ; Leuſon fort en
ſe promettant de démaſquer bientôt Stu
keli , & de ſervir Beverlei. Celui-ci
vante à ſa femme la fidélité,&le zele
de ſon ami prétendu. Ului parle dur
péril où il eſt. On apporte une lettre , elle
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
eſt de Stukeli : il ſe prépare , dit il dans
cette lettre , à quitter l'Angleterre , & ne
veut point qu'on parle à Madame Beverlei
de l'expédient dont ils étoient convenus
: elle veut ſçavoir quel il eſt , ſon
mari lui déclare , tout en rougiſſant.
Mde BEVERLEI.
Mes diamans ?
:
BEVERLEI.
J'ai honte...
Mde BEVERLEI .
Eft-ce donc une affaire ?
Mon ami , fois bien afſuré
Que lapaixdeton coeur par-deffus tour m'eſt chere;
Que jamais rien , par moi , n'y fera préféré.
Mais vous ne joûrez plus.
Beverlei s'y engage. Mais , dit- il ,
Pour le meilleur des amis
Pouvois-je faire moins?
Mde BEVERLEI .
Pouviez-vous davantage ?
Puiſſe-t-ilen ſentir le prix !
Et puiſſe votre coeur ne s'être pas mépris !
Al'ouverture du troiſieme acte , Stukeii
apprend au ſpectateur que les diamans
font perdus. Madame Beverlei ſortant du
logis , vient à ſa rencontre : on peut re
JUILLET 1768. 133
marquer que lorſque la ſcene ſe paſſedans
une place publique , il eſt toujours aflez
difficile de motiver les allées& venues des
acteurs. Cet inconvénient peut s'obſerver
dans quelques pieces de Moliere ;
mais lorſque l'action eſt intéreſſante , on
ne ſonge gueres à chicaner l'auteur fur
cette inexactitude qui n'eſt pas indifférente
pour la perfection , mais qui l'eſt
affez pour le plaifir des ſpectateurs.
Stukeli cherche à confommerdans cette
ſcene l'ouvrage de ſcélérateſſe & de perfidie
qu'il a ébauché dans le premier acte.
Il déclare qu'il n'a point reçu lesdiamans;
il fait entendre qu'ils ontpu être donnés
à une rivale :
A l'un de ces objets de luxe & de ſcandale ,
A qui nous prodiguons l'argent & le mépris.
Enfin , voyant que Madame Beverley
s'obſtine à ne rien croire , il va juſqu'à
dire que Beverlei lui a fait confidence de
fon infidélité .
Mde BÉVERLEI .
ة • ...
S'il n'eſt d'un impoſteur , ton rapport eſt d'un
traître.
Choifis d'être perfide ou calomniateur.
Je te crois tous les deux...
134 MERCURE DE FRANCE.
Elle le chaffe de fa préſence avec in
dignation. Henriette vient lui reprochers
la foibleſſe qu'elle a eu de donner ſesbijoux.
Avant de les avoir il auroit eu ma vie..
Mde BÉVERLEI
Il n'avoit qu'à la demander ,
Il auroit eu la mienne.
:
Il y a dans cette réponſe ſi touchante
un contreſens grammatical qu'on ne peut
conteſter , puiſque la demander ſe rapporté
néceſſairement par la conſtruction à
la vie d'Henriette , & qu'il doit , par le
ſens de la phraſe , ſe rapporter à la viede
Madame Beverley. Cependant le ſens eft
fi clair , & ce vers eſt d'une préciſion ſi
heureuſe , que je ne voudrois point le
changer.

Quelques inſtans je veux être à moi- même ,
( dit Mde Béverlei ) .
Et je vois que Leuſon cherche votre entretien;
Il vous apprendra comme on aime.
Leufon annonce à Henriette qu'il a un
ſecret àlui révéler ; mais qu'elle n'en fera
inſtruite qu'à condition qu'elle fixera au
lendemain le mariage ſi long temps projetté
entr'eux. Il reçoit ſa parole , & lui
1
JUILLET 1768. 135
apprend que le bien qu'elle a confié à
Beverley eſt perdu; il tient cette nouvelle
de Bates , le principal agent de
Stukeli. Ce Bates a reçu des ſervices de
Leuſon , & c'eſt par ſon moyen que Leufon
ſe flatte de produire au grand jour
toutes les manoeuvres du ſcélérat. Il fort;
& Beverlei rayonnant de joie , vient apprendre
à ſa ſoeur & à ſa femme que les
fonds qu'on attendoit de Cadix , fontarrivés.
Il a cent mille écus dans ſon portefeuille.
Il abjure à jamais la paſſion du
jeu ; il veut ſe retirer à la campagne :
cependant il eſt obligé d'aller acquitter
une dette preſſante; ſa femme le conjure
de revenir au plutôt , elle defire de l'entretenir
ſur un ſujet important. Ellerentre
avec ſa ſoeur , & Beverlei rencontre
fur fon chemin Stukeli qui lui fait compliment
de ſa bonne fortune ; & comme
Beverlei parle d'aller fatisfaire James &
Mackinſon ſes créanciers , Stukeli faiſit
ce moment pour lui apprendre qu'ils font
une partie conſidérable chez Vilſon , qu'ils
jouent d'un malheur affreux , que c'eſt le
moment de faire un beau gain , &c . Ве-
verlei combat foiblement les artifices du
perfide , & fa propre paffion. Il remet fes
papiers entre les mains de Stukeli, & pour
plus grande sûreté , il prend le parti de
136 MERCURE DE FRANCE.
1
faire demander Mackinſon à la porte ,&
dene point entrer chez Vilſon. Il fort avec
Stukeli.
Le quatrieme acte ſe paſſe dans la nuit.
Beverlei paroît dans les convuſiions du
déſeſpoir : Stukeli eſt avec lui.
STUKELI.
Falloit- il entrer chez Vilſon ?
Si mes conſeils ſur vous avoient eu quelque em-
: pire ,
Votre ami....
BÉVERLE I.
Mon ami ! barbare ! à toi ce nom !
Tu n'es qu'une horrible furie
Qui de ſon ſouffle impur empoiſonna ma vie ;
Un monftre par l'enfer contre moi déchaîné.
Sans cette amitié déteſtable
Seroit- il un mortel plus que moi fortuné ?
En est- il un plus miférable ?
Heureux pere ! heureux frere , & moins époux
qu'amant ,
Manquoit- il à mes voeux quelque bien defirable ?
Mais , d'un fatal égarement
Réveillant dans mon coeur lafemence endormie,
Tu lui fournis de l'aliment ,
Et fis d'une étincelle un affreux incendie.
Tout a péri , mes biens , mon honneur & ma vie,
Voilà ce qu'a produit ta funeſte amitié,
JUILLET 1768. 137
Réveiller la femence endormie d'un égarement
, & lui fournir de l'aliment , c'eſt ce
qu'on peut appeller une ſuite de métaphores
incohérentes ; mais les reproches
de Beverlei font animés & énergiques .
• :
Oui , j'ai vu l'artifice ,
Et qu'en montrant le précipice ,
Tu ſavois inſpirer la fureur d'y courir.
Mais mon coeur étoit ton complice ,
Et cherchoit lui-même à périr.
Mais , réponds-moi , pourquoi me rendre
Les effets qu'en dépôt j'avois mis dans tes mains?
STUKELI .
: Vous ſavez que pour m'en défendre
Tous mes efforts ont été vains .
Vous avez voulu les reprendre.
BÉVERLEI .
Traître , donne- t- on du poiſon
Au furieux qui le demande ?
Il s'éleve dans ſon ame des ſoupçons
contre James & Mackinſon : Stakeli les
juſtifie.
... Par moi l'un & l'autre , en jouant , obſervé ,
M'a paru loyal & fidelle.
BÉVERLEI .
Mais toi -même , l'es-tu?
138 MERCURE DE FRANCE.
Tour à tour il s'emporte contre Stukeli ,
lui demande pardon ; il lui dit de fortir ,
dedemeurer.
.
Non , crains tout en effer.
de rage

dans un moment
Je puis te poignarder & moi-même après toi .
Il demeure ſeul dans la nait , dans les
remords & les fureurs. Il reconnoît à travers
les ténebres Leufon. Il s'approche
furieux & ulcéré des propos qu'il croit
que Leuſon a tenus contre lui , il met
l'épée à la main , & lui crie de ſe défendre.
Leuſon n'oppoſe à cet emportement
que le fangf-roid&la vérité : il promet
de prouver la perfidie de Stukeli .
Demain , moins préventu,
Béverlei rougira de m'avoir mal connu.
Il s'éloigne , & Beverley hors de lui
veut ſe percer de ſon épée : le vieux
Jarvis ſurvient , & le conjure de la lui
remettre.
BÉVERLEI.
Oui , prens- la , prens ce fer ,ôte- lede mes mains.
Peut-être en ce moment c'eſt le ciel qui t'envoie.
JARVIS.
Ah ! Monfieur , quelle eſt donc ma joie!
Et que Jarvis ſe tient heureux !
JUILLET 1768. 139
BEVERLEI.
Puiffes-tu toujours l'être , ὁ vieillard vertueux !
Mais ne reſte pas davantage.
De mes malheurs , Jarvis , crains la contagion.
La ruine , l'horreur , la malédiction ,
De tout ce qui m'approche eſt le cruel partage.
Rentre , bon vieillard , couche- toi ,
Va trouver le repos... qui n'eſt plus fait pour moi.

Va-t-en. Couché far cette pierre ,
Je paſſerai la nuit à dévorer mon coeur.
Cette expreſſion eſt-elle claire & naturelle
? Ce qui précede eſt fort beau ;
mais la ſcene ſuivante eſt bien au-deſſus.
Madame Beverlei , qui a envoyé Jarvis
chercher fon mari , n'a pu réſiſter à fon
impatience. Elle fort avec de la lumiere,
elle voit le malheureux Beverlei étendu
fur des pierres dans l'attitude du déferpoir
, & Jarvis à ſes pieds fondant en larmes.
Ce ſpectacle eſt déchirant. Ce fontlà
de grands effets dramatiques , & le
ftyle n'eſt pas au deſſous de la ſituation.
BÉVERLEI .
Frémiflez , je n'ai rien que d'affreux à vous dire .
De malédictions vous allez m'accabler ..
140 MERCURE DE FRANCE.
Mde BÉVERLEI .
Ah ! mon coeur en eſt incapable.
Il n'apprendra jamais qu'à benir mon époux
BÉVERLE I.
Cet époux eſt un miſérable ,
Qui ne doit être vu par vous
Que comme un monſtre déteſtable.
Ce jour a fixé notre fort.
La miſere & les pleurs voilà votre partage.
C'eſt celui de mon fils , & le mien c'eſt la mort
Quoi donc !
Mde BÉVERLEI .
BÉVERLEI .
Tour eſt perdu. Le déſeſpoir , la rage ,
Voilà tout ce qui m'eſt reſté.
Maudiſſez votre époux , il l'a bien mérité.
Mde BÉVERLEI,
Exauce mes voeux & mes larmes ,
Ciel ! d'un oeil de bonté , regarde ſa douleur.
De fon front obſcurci diſſipe les allarmes ,
Ramene la paix dans ſon coeur,
Si l'infortune & la miſere
Doivent tomber ſur l'un des deux ,
Epuiſe ſur moi ta colere ,
Et que Béverlei ſoit heureux !
?
J
!
JUILLET 1768. 141
BÉVERLEI .
Et c'eſt ainſi que me maudit ta bouche !
Que nous reſte- t- il ?
Et le travail,

Mde BÉVERLEI.
Le courage
Elle parvient , à force de tendreſſe &
de conſtance , à le calmer & à l'adoucir ,
Il ſe jette dans ſes bras , & fes larmes
coulent ; mais on vient porter le dernier
coup : on l'arrête pour une dette de 300
pieces. Jarvis offre d'en payer la moitié ;
on ne l'écoute pas ; on mene Beverlei
en priſon , & fa femme le ſuit.
Le cinquieme acte ſe paſſe dans la prifon.
Le petit Tomi dort ſurun fauteuil :
Jarvis eſt dans la même chambre ; Madame
Beverlei vient lui apprendre que ſon époux
goûte un momentde fommeil.
O la cruelle , ô l'effroyable nuit!
Plongé dans un morne filence >

L'oeil fixe , il paroiſſoit ni n'entendre , ni voir ;
Et foudain furieux juſques à la démence ,
Pouffant les cris du déſeſpoir ,
Il déreſtoir ſon exiſtence.
}
15
e
140 MERCURE DE FRANCE.
Mde BÉVERLEI .
Ah! mon coeur en eſt incapable.
Il n'apprendra jamais qu'à benir mon époux
BÉVERLE I.
Cet époux eſt un miférable
Qui ne doit être vu par vous
Que comme un monſtre déteſtable.
Ce jour a fixé notre fort.
La miſere & les pleurs voilà votre partage.
C'eſt celui de mon fils , & le mien c'eſt la mort
Quoi donc !
Mde BéVERLEI .
BÉVERLEI.
Tour eſt perdu, Le déſeſpoir , la rage ,
Voilà tout ce qui m'eſt reſté.
Maudiffez votre époux , il l'a bien mérité.
Mde BÉVERLEI,
Exauce mes voeux & mes larmes ,
Ciel ! d'un oeil de bonté , regarde ſa douleur.
Defon front obſcurci diſſipe les allarmes ,
८.
Ramene la paix dans ſon coeur,
Si l'infortune & la miſere
Doivent tomber ſur l'un des deux ,
Epuiſe ſur moi ta colere ,
Et que Béverlei ſoit heureux !
!
JUILLET 1768. 141
BÉVERLEI .
Et c'eſt ainſi que me maudit ta bouche !
Que nous reſte- t- il ?
:
Et le travail,
Mde BÉVERLEI.
Le courage
Elle parvient , à force de tendreſſe &
de conſtance , à le calmer & à l'adoucir,
Il ſe jette dans ſes bras , & fes larmes
coulent ; mais on vient porter le dernier
coup : on l'arrête pour une dette de 300
pieces. Jarvis offre d'en payer la moitié ;
on ne l'écoute pas ; on mene Beverlei
en priſon , & fa femme le ſuit.
Le cinquieme acte ſe paſſe dans la prifon.
Le petit Tomi dort ſur un fauteuil ;
Jarvis eſt dans la même chambre; Madame
Beverlei vient lui apprendre que ſon époux
goûte un momentde ſommeil.
i
O la cruelle , 6 l'effroyable nuit !
Plongé dans un morne filence
L'oeil fixe , il paroiſſoit ni n'entendre , ni voir ;
Et foudain furieux juſques à la démence ,
Pouffant les cris du déſeſpoir ,
Il déreſtoit ſon existence.
15
144 MERCURE DE FRANCE.
Nature , tu frémis ... Terreur d'un autre monde,
Abîme de l'éternité ,
Obſcurité vaſte & profonde ,
Tout coeur à ton aſpect ſe glace épouvanté:
Mais j'abhorre la vie , & mon deſtin l'emporte.
Il boit.
C'en eſt fait.... c'eſt la mort qu'en mes veines
je porte :
De mes jours ce ſoleil éclaire le dernier.
Ofi l'homme au tombeau s'enfermoit tout entier !
Mais des pleurs des vivans ſi l'ame encore émue
Voit ceux qui lui font chers ſouffrans & malheureux
,
Si j'entends vos cris douloureux ,
O ma femme , ô mon fils , ô famille éperdue !
L'enfer , l'enfer n'a pas de tourmens plus affreux.
• O réflexion trop tardive !
Mon fils ! un doux ſommeil tient ſon ame captive.
Je n'entendrai donc plus le ſon de cette voix ,
A mon oreille , hélas ! ſi chere !
Que je t'embraſſe au moins pour la derniere fois.
Omalheureux enfant d'un plus malheureux pere!
Qu'en le voyant mon ame s'attendrit!
Il ſemble qu'en dormant fa bouche me ſourit.
Cette bouche ... ces traits ...Ce font ceux de fa mere:
Pauvre enfant ! tune ſens , ni ne prévois ton fort ;
La honte de ma vie , & l'horreur de ma mort ,
Voilà ton unique héritage :
L'opprobre ſera ton partage.
De
JUILLET 1768 . 145
)
De miſere accablé , n'oſant lever les yeux ,
Tu vivras pour maudire & le jour & ton pere.
La vie eſt elle donc un bien ſi précieux ?
Ma fureur t'a ravi tout ce qui la rend chere :
Qui t'en délivreroit t'oteroit un fardeau.
Que n'a-t- on étouffé ton pere en ſon berceau ?
Mais déja le poiſon... je ſens que je m'égare ;
Une épaille & noire vapeur
Couvre mes yeux , & dans mon coeur
Fait naître une fureur barbare :
Que dis-je fureur ? c'eſt pitié.
Pour qui dans le malheur languit humilié ,
Mourir eſt un inſtant , vivre eſt un long fupplice.
Mon fils , ce ſeroit là ton fort ...
Oſons-l'y dérober... le moment eſt propice ;
Qu'il paſſe , ſans douleur , du ſommeil à la mort.
Ce fer... Tuer mon fils ! Le tranſport eſt horrible.
Nature ! ah ! ta voix dans mon coeur
Vient de jetter un cri terrible...
Il s'éveille?
Tomi effrayé ſe jette aux genoux de
fon pere , qui laiſſe tomber le couteau
de ſes mains. Madame Beverlei rentre &
reproche à ſon époux cet horrible égarement
qu'il n'a pas pu lui cacher. Leufon
vient annoncer que Stukeli a été aſſaſliné
par Jame ; qu'un différend s'étoit élevé
entr'eux furle partage des dépouilles ; que
les effets de Beverlei lui feront rendus ,
Vol. II. G
146 MERCURE DE FRANCE.
&que Jame eſt arrêté. Beverlei leur avoue
qu'il a pris du poiſon , & qu'il n'y a plus
de remede. Il meurt dans les remords.
Cecinquieme acte eſt le ſeul où M. Sau
rin ſe ſoit écarté pour le fond de l'action
de l'original anglois ; juſques là il a fuivi,
fidélement la même marche , en corrigeant
les irrégularités , & fupprimant des
détails dégoûtans & contraires à nos
moeurs. Cet enfant , qui n'eſt point dans
la piece angloiſe , occupe ici preſque tout
le cinquieme acte. La ſituation qu'il pro
duit , eſt- elle heureuſe au théatre ? tientelle
à la piece ? ajoute-t elle à l'intérêt ?
nous nouspermettrons quelques réflexions.
Les quaattrree premiers actes de l'ouvrage
ont fait généralement le plus grand plaifir.
Le quatrieme fur-tout eſtde laplusgrande
beauté ; l'action eſt attachante , le coeur
eſt toujours intéreſfé & attendri ; il s'en
faut bien que l'effet du cinquieme acte
foit le même. Une partie des ſpectateurs
a été révoltée ; & l'autre , en tolérant
l'horreur de ce ſpectacle , eſt convenue
que l'effet qu'il produit , peſe à l'ame
& l'accable. Ce partage d'avis & cette
différence entre la ſenſation que les premiers
actes ont produite , & celle que
fait le dernier , ſont déja de grandes préſomptions
: c'eſt que l'horreur n'eſt point
JUILLET 1768. 147
un plaiſir ; c'eſt que le coeur aime à être
effrayé ou attendri au théatre , & non pas
à être cruellement bleſſé ; il veut qu'on
lui faſſe ſentir l'humanité , & non qu'on
la lui faſſe haïr. Les larmes font délicieuſes
; le ferrement de coeur qui les ſeche
& les tarit , eſt à charge : les atrocités
entout genre ne font pas bonnes à
préſenter aux hommes ; celle- ci en particulier
n'eſt point préparée , ne naît point
du fond du ſujet , elle diſtrait l'ame de
l'intérêt qui l'occupoit. On plaignoit un
malheureux dans les remords ; on détourne
les yeux d'un forcené qui oublie
la nature ; on nous dit qu'il y a des
exemples d'une pareille horreur ; que des
peres ont tué leurs enfans , ſoit ; mais tout
ce qui est horrible eſt- il intéreſſant ? Eftil
même bien vraiſemblable que Beverlei
ne ſonge pas qu'il va porter à ſa femme
un coup mortel ; qu'il va lui ôter la ſeule
confolation qui peut l'attacher à la vie ?
Cette idée ſi naturelle ne lui vient point
à l'eſprit ; cependant il n'eſt point dans
le délire , ſa mort eſt très-raiſonnée , il
ſe rend compte de ſes motifs : enfin l'on
peut croire que l'auteur en voulant ajouter
à l'intérêt de ſon ouvrage , y a peutêtre
nui , en mêlant à cette eſpece de
douleur qui nous plaît , ces impreſſions
Gij
# 48 MERCURE DE FRANCE.
déſolantes que nous repouffons. Il y a
un terme dans tous les arts d'imitation ,
qu'il ne faut point paſſer. Nous sommes
loin cependant de rien affirmer ; nous
laiſſons ce tondedéciſion abſolue à l'ignorance
, quand elle loue le mauvais goût ;
& à la haine , quand elle juge le génie.
On a faitd'autres obſervations ſur Beverlei;
on trouveque ce n'est pas un joueur
affez caractériſé ; qu'on ne voit pas affez
les ſimptômes de cette funeſte maladie ,
&les traits prononcés de la paffion. On
peut répondre que l'imitateur françois ,
ainſi que fon original , a voulu peindre
fur-tout les effets du jeu , & l'on ne peut
nier qu'ils n'y ayent tous deux très-bien
réuſſi. Regnard avoit peint le caractère
avec des effets moins affreux , & il n'ya
rien à ajouter à ſon tableau. On fait aufli
quelques reproches au rôle de Mde Beverlei
; & à celui de Stukeli. L'un eſt d'une
réſignation trop continue , & l'autre n'eſt
pas allez adroitement méchant , & n'explique
pas affez fes motifs. Ila , dit- il , été
autrefoisdédaigné parMadame Beverlei ;
commentne s'en fouvient-elle pas , &n'a
t elle point les plusgraves ſoupçons ſur lui ,
d'après ce ſouvenir ?
Verum ubi plura nitent in carmine ,
Non ego paucis offendar maculis,
JUILLET 1768. 1.49
Le ſtyle eſt en général naturel& pathétique
; il y a quelques vers proſaïques ,
&quelques fautes faciles à corriger. Mais ,
quoi qu'il en ſoit , il y a peu de rôle au théâtre
plus intéreſſant que celui de Beverlei ;
& il n'y en a point qui ſoit mieux joué.
N. L'abondancedes matieres nous oblige
de renvoyer au Mercure prochain l'arti
cle que nous avons annoncé de laGageure
imprévue , comédie de M. Sedaine.
MÉDECINE.
Lettre de M. de Voltaire à M. Paulet , au
fujet de l'histoire de la petite-vérole.
JE crois , Monfieur , que Don Quichotte
n'avoit pas lu plus de livres de chevalerie
que j'en ai lu demédecine ; je ſuis né foible
& malade , & je reſſemble aux gens
qui ayantd'anciens procès de famille , pafſent
leur vie à feuilleter les jurifconfultes
ſans pouvoir finir leurs procès. Il y a environ
74 ans que je ſoutiens comme je peux
mon procès contre la nature : j'ai gagné
un grand incident , puiſque je ſuis encore
en vie ; mais j'ai perdu tous les autres ,
ayant toujours vécu dans les ſouffrances.
Gij
150 T MERCURE DE FRANCE.
De tous les livres que j'ai lus, il n'y en
a point qui m'ait plus intéreſſé que le
vôtre. Je vous fuis très-obligéde m'avoir
fait faire connoiffance avec le Rhafez.
Nous étions degrands ignorans && demifé
rables barbares quand cesArabes fe décraffoient.
Nous nous ſommes formés bien
tard en tout genre , mais nous avons regagné
le tems perdu. Votre livre , ſur-tout ,
en eſt un bon témoignage. Il m'a beaucoup
inſtruit , mais j'ai encore quelques petits
fcrupules fur la patrie de la petite vérole.
J'avois toujours penſé qu'elle étoit native
de l'Arabie déferte ,& coufine germaine
de la lepre , qui appartenoit de droit au
peuple Juif , peuple le plus infecté qui ait
jamais étédans notre malheureuxglobe..
Si la petite vérole étoit native d'Egypte ,
je ne vois pas comment les troupes de
Marc Antoine , d'Auguſte & de fes fucceffeurs
ne l'auroient pas apportée à Rome.
Preſque tous les Romains eurent des
domeſtiques Egyptiens Verna Canopi. Ils
n'eneurentjamais d'Arabes. Les Arabes
fefterent preſque toujoursdans leur grande
preſqu'ifle juſqu'au tems de Mahoniet. Ce
fut dans ce tems que la petite vérole commença
à être connue. Voilà mes raiſons ,
mais je me défie d'elles,puiſque vous penfez
différemment :
JUILLET 1768. 15E
, Vous, m'avez convaincu , Monfieur
que l'extirpation ſeroit très-préférable à
l'inoculation. La difficulté eſt de pouvoir
mettre une ſonnette au cou du chat. Je
ne crois pas les princes de l'Europe portés à
faire une ligue offenfive & défenfive contre
ce fléau du genre humain. Mais ſi vous
obtenez quelques arrêts contre la petite
vérole , je vous prierai aufli , ſans aucun
intérêt , de préſenter requête contre ſa
groſſe ſoeur.
Je ne ſçais laquelle de ces deux demoifelles
a fait le plus de mal au genre humain
, mais la groſſe ſoeur me paroît cent
fois plus abſurde que l'autre. C'eſt un fi
énorme ridicule dans la nature d'empoiſonner
les ſources de la génération,que je
ne ſçais plus où j'en fuis quand je fais
l'éloge de cettebonnemere. La nature eft
très- aimable&très-reſpectable , fans dou
te; mais elle a des enfans bien infâmes.
Je conçois bien que ſi tous les gouver
nemens de l'Europe s'entendoient enfemble
,ils pourroient à toute force diminuer
un peu l'empire des deux fooeurs. Nous
avons actuellement plus de douze cent
mille hommes qui montent la garde en
pleine paix ; ſi on les employoit à extit
per les deux virus qui déſolent le genre
humain , ils ſeroient du moins bons à
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
quelque choſe. On pourroit même leur
donner encore à combattre le ſcorbut , les
fievres pourprées ,& les autres faveurs de
cegenre , que la nature nous a faites.
Vous avez dans Paris un hôtel- dieu où
regne une contagion éternelle , où les malades
, entaffés les uns fur les autres , ſe
donnent réciproquement la peſte & la
mort. Vous avez des boucheries dans de
petites rues fans iſſue , qui répandent en
été une odeur cadavereuſe , capable d'empoiſonner
tout un quartier. Les exhalaifons
des morts tuent les vivans dans vos
égliſes ; & les charniers des Innocens ou
de Saint Innocent font encore un témoignage
de barbarie qui nous met fort audeſſous
des Hottentots &des Negres.
Nous ferons long-temps fous& infenfibles
au bien public. On fait de tems en
tems quelques efforts & on s'en laſſe le
lendemain. Laconſtance, lenombre d'hommes
néceſſaire & l'argent manquent pour
tous les grands établiſſemens. Chacun vit
pour foi. Sauve qui peut eſt la déviſe de
chaque particulier. Plus les hommes font
inattentifs à leur plus grand intérêt , plus
vos idées patriotiques m'ont inſpiré d'eftime.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Voltaire , gentilhomme ordinaire de
la chambre du roi.
Auchâteau deFerney, parGeneve, ce 22 avril17 68.
1
JUILLET 1768. 153
: Ligue contre la petite-vérole.
Iz y a deux grands problêmes à réſondre
, intéreſſans pour l'humanité ; ſavoir:
1º. s'il eſt plus avantageux d'avoir la petitevérole
que de ne l'avoir pas du tout. II
eſt prouvé qu'il n'eſt pas néceſſaire que
l'homme ſoit malade pour parvenir à la
plus longue vieilleſſe ; les Sauvages & les
Hottentots font en état de nous donner
la ſolution de ce problême. Les mots de
gourme , de fermentation , d'ébullition ,
de germe , de deſtin irrévocable , &c. font
des mots barbares , indignes de notre
fiecle , & tranfinis par des peuples encore
plus barbares.
Le ſecond problême conſiſte à ſavoir
s'il eſt poſſible de ſe préſerver entierement
de la petite- vérole ou non. Pour le réſoudre
il faut établir quelques vérités .
1º. La petite- vérole eſt étrangere , nouvelle
dans nos climats ; elle n'eſt point
hér éditaire , perſonne n'en porte le germe ,
il n'est pas néceſſaire d'en être attaqué.
2º. Il y a encore des nations qui ne la
connoiſſent pas. 2.
3 °. Il y a un peuple qui s'en eſt préſervé
pendant près d'un fiecle.
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
4°. Il y a en Europe environ le tiers
deshommes qui n'en eſt point attaqué.
5º. Elle n'attaque en général que les
enfans.
6°. Elle difparoît d'elle- même des
villes pluſieurs années de ſuite.
7°. Elle est contagieuſe comme une
peſte.
8°. Il n'y a que le pus ou les croûtes ,
les véritables ſemences de la maladie , qui
puiffent la donner , foit qu'on touche ces.
croûtes , ſoit qu'on les avale avec les alimens.
9°. Ces ſemencesde petite-vérole s'attachent
ſur tous les corps , tels que les
meubles , les linges , les habits , &c. &
peuvent communiquer la maladie encore
aubout d'une année , lorſqu'on manie ou
qu'ontouche ſimplement ces corps, fur- tout
auprintems , où les pores font plus ouverts.
2
11º. La petite-vérole ſe communique
comme la peſte qui attaque tous les âges.
On arrête les progrès d'une peſte. Nous
en avons un exemple tout récent à Marfeille
, où l'on vient de l'étouffer dans le
lafaret de Saint Roch. 1. 2.
12º. Il eſt prouvé qu'il y a des pafu ms
capables de déſinfecter les meubleslo rfqu'ils
font expoſés à leur vapeur.
Si la petite - vérole n'attaque qu'ane
JUILLET 1768. 155
claſſe d'hommes en général, c'est-à-dire
les enfans , & qu'il n'y ait que les deux
tiers de cette claſſe qui en foient atteints
en Europe ; fi on ne craint la maladie
que dans deux ſaiſons principales ,le printemps
& l'automne ; s'il n'y a des précautions
à prendre que depuis l'inſtant' que
la petite-vérole eſt en maturité juſqu'à la
chûte entiere des croûtes , ce qui eſt un
tems très-court ; ſi , malgré notre négligence
& notre aveuglement la petite-vérole
diſparoît d'elle-même : il eſt évident
qu'en prenant les moindres précautions
elle doit diſparoître entierement de nos
climats. Tout l'art conſiſte à ne pas toucher
un malade avec ſes croûtes , ce qu'on
n'a jamais fait impunément quand même
on auroit eu dix fois la petite-vérole
Toutes les fois qu'on a l'imprudence d'embraffer
un convalefcent qui a encore fes
croûtes , on fent toujours une démangeaifon
aux joues , il y ſurvient des boutons
oubien l'on prend une petite- vérole complette.
J'en appelle à l'expérience de tous
ceux qui s'y font expoſés. Ainsi , rien de
plus aveugle , rien de plus barbare que de
laiſſer ſortir les enfans avec leurs croûtes;
ils vont ſemer la petite-vérole dans tous
Jes quartiers d'une ville ; & cette négligenceparmi
nous prouvebien encore qu'on
Gvj
136 MERCURE DE FRANCE.
ne connoît pas cette maladie , & , qui pis
eft , qu'on ne veut pas la connoître. On a
vu en France un évêque , nommé M. l'Allemand
, qui eut la petite- vérole ſept années
de fuite , & toujours au mois de mai.
Si quelque homme éclairé lui eût dit :
Monſeigneur , quand votre petite-vérole
eſt en croûtes ne lifez point , ne touchez
aucun corps ſans le laver avecdu vinaigre ,
ſans le déſinfecter avec un parfum , ou
ſans le tremper dans l'eau bouillante ;
purifiez vous- même votre corps comme
les prêtres Juifs , lavez- vous avec une décoction
de genievre : on lui auroit rendu
un grand ſervice & on lui auroit épargné
la douleur de ſe voir mourir d'une maladie
dont il ignoroit la cauſe. On dit que
la ville d'Eu eſt affligée depuis long-tems
d'une maladie contagieuſe , c'eſt quelque
fievre pourprée ſans doute ou la fievre
rouge ; fi elle veut s'en délivrer , elle n'a
qu'a lire l'hiſtoire de la petite- vérole , &
faire uſage des moyens qu'on y trouve , fi
elle veat ſe préſerver de la maladie contagieuſe
dont elle eſt affligée. Il regne
encoredans la Picardie une maladie meurtriere,
c'eſt la fievre rouge,febrisſcarlatina,
qui n'attaque que les enfans ; elle eft contagieufe
comme la petite- vérole , & laiffe
après elle des femences qui la perpétuent.
JUILLET 1768. 157
On peut appliquer ce qu'on trouve dans
l'hiſtoire de la petite-vérole à la fievre
rouge. Il n'y a pas deux mois qu'elle fut
apportée de Saint Quentin dans un village
voiſin , nommé Ouetre , par le moyen
d'un tablier qui avoit ſervi à un malade ,
& qu'une blanchiſſeuſe imprudente qui
l'étoit venu chercher à la ville,laiſſa mettre
à ſa petite fille avant de l'avoir lavé. Cette
maladie ſe répand dans la Picardie ſans
qu'on fonge à l'arrêter , parce qu'on ignore
peut- être qu'elle est contagieuſe. C'eſt ainſi
que les erreurs ſe perpétuent&deviennent
funeſtes. On ne peut pas ſe défaire de ſes
miférables préjugés. Et , lorſqu'on effaye
de prouver que l'extirpation de la petitevérole
eſt poſſible , on trouve des gens qui
veulent prouver que cela eſt impoſſible.
Nedonne- t- on pas alors la preuve la plus
complette de ſon impéritie , & de l'abus
du pouvoir qu'on lui a donné d'être utile
au genre humain ? Y a-t-il une marque
pluscertaine qu'on ne connoît pas la petitevérole
? Tandis que cet écrivain , qui eſt
médecin , répandoit dans Paris une miférable
brochure pour nous avertir que la
peſte eſt endémique dans le climat de Marſeille
; les officiers de ſanté de cette ville ,
qui , heureuſement , ne l'écoutoient pas ,
arrêtoient cette maladie dans l'enceinte
158 MERCURE DE FRANCE.
du lafaretde SaintRoch. Il n'est pas perimis
de ſe tromper ſur une matiere aufli grave
& de jetter tout le monde dans l'erreur.
Mais nous ferons long- tems barbares.Nous
ne faurons jamais imiter nos peres qui
ont détruit la lepre.Aquoi ferventlesbons
livres & les bonnes obſervations , ſi perfonneneles
lit?Tandis qu'un forçatéchappé
de Marſeille répandoit la contagion avec
un manteau infecté dans la Provence &
le Languedoc , il y avoit des auteurs qui
faifoient des diſſertations fublimes pour
expliquer les cauſes de la peſte qu'on cherchoit
dans les intempéries de l'air, dans
des révolutions dont on ignoroit la cauſe.
On arrêta le galérien , on brûla le manteau
, on forma des lignes , & la peſte
diſparut. On cherche à ſe préſerver de la
petite-vérole , à s'éclairer ; il y a des gens
qui crient : c'est impoſſible. Laiffons crier
les fourds & les aveugles , qui diſent que
l'uſage du linge a mis fin à la lepre , tandis
que les monumens de ſa deſtruction
exiſtent encore en nature dans preſque
toutes nos villesde France, tandis que nos
annales , nos archives font remplies de
loix, d'arrêts concernant les lépreux. Laiffons-
leur dire encore aux grands enfans
que nous avons le germe d'une maladie
inconnue en Europe av ant Mahomet , &
JUILLET 1768. 199
qui n'eſt point héréditaire ; laiſſons-leur
direencore férieuſement que la peur donne
lapetite-vérole aux enfans, qui n'ont point
peur ; qui ſoutiennent qu'un deſtin
irrévocable qu'un ſeul homme pourroit
révoquer condamne à la petite- vérole ;
qui croyent aux ſonges , aux miracles de
Pinoculationqui ſeme par-tout la maladie.
Laiſſons dire encore ceux qui font des
argumens pitoyables , juſqu'à dire qu'une
barriere autour du lit du malade l'étoufferoit.
Imitons le bon ſens de nos peres.
Au lieu d'établir des magaſins de petitevérole
qu'il faudroit un jour détruire
comme font les Anglois, au lieu d'entretenir
des foyers de peſte , faiſons plutôt
comme les Tartares , qui enferment le
premier qui eſt attaqué de la petite-vérole ,
qu'ils regardent avec raiſon comme une
peſte ; purifions nos corps , nos habits ,
notre linge , tout ce qui eſt infecté , & la
petite-vérole deviendra plus rare , diſparoîtra
de nos villes, de nos campagnes ,
malgré les clameurs de ceux qui font intéreſſés
à l'entretenir , malgré le génie de
ceux qui n'ont d'autre mérite que de crier
ceft impoſſible. Et parce que la peſte eſt
toujours en Egypte & à Conſtantinople ,
pays de préjugés & de barbarie , faut-il
conclure que nous ne devons pas nous
160 MERCURE DE FRANCE.
endéfendre lorſqu'elle eſt en France ? On
gagnera toujours beaucoup de la rendre
plus rare , & l'on apprendra enfin à s'en
délivrer tout-à-fait ; au lieu qu'ily a tour
à craindre de l'inoculation qui rend la
maladie plus fréquente. Prenons un extrait
de cet arrêt du conſeild'état du Roi ,
de 1720 , qui arrêta la contagion deMarſeille
; ſuivons les préceptes d'Homere ,
qui charmoit les Grecs en leur donnant
des conſeils utiles , en lesinvitant au commencement
de l'iliade à ſe purifier , à
jetter dans la mer tout ce qu'il y avoit
d'immonde dans le camp. Ecoutons les
loix du ſage Moïſe , qui ordonnoit de ſéparer
les lépreux , & de purifier tous les
corps qu'ils avoient touchés. Confultons
nos annales , on y trouvera que le célebre
Achille de Harlay éloigna la peſte de
Paris , dans un temps où pluſieurs de nos
provinces en étoient infectées ; & lorfqu'un
peſtiféré en 1668 vint infecter une
maiſon entiere dans la rue de la Parcheminerie
, un ſeul arrêt rendu dans le
temps , & bien exécuté , éloigna la contagion
, & fit difparoître la maladie. J'ofe
dire que le fort de la petite vérole eft
dans les mains des magiftrats. Il y aura
même une petite gloire à faire di paroître
une maladie qui diſparoît d'elle-même.
JUILLET 1768. 16
Les nations voiſines ſeront forcées de nous
imiter ; mais le bien précieux , le bien
ineſtimable & immanquable qui en ſera
la ſuite , eſt un motif puiſſant qui doit
décider la nation , & tous les vrais amis
du genre humain. En attendant , on invite
tous les particuliers à prendre des précautions
contre la contagion , & de fuir
tous ceux qui portent des croûtes de petite
vérole , ou qui en ramaſſent ; la vérité
perce & triomphe tôt ou tard.
Paulet, médecin de la faculté de
Paris & de Montpellier.
Paris , le 10 juillet 1768 .
PHYSIQUE.
Expériences pour faire venir des légumes,
& des fruits en hiver, & préſerver du
froid les arbres fruitiers *.
C'EST un principe certain en phyſique
que la terre peut végéter en tout temps ,
*
Ceux qui voudront l'entreprendre peuvent
s'adreſſer à celui qui a travaillé avec Fauteur ,
chez le ſieur Durieux , Distillateur - Chymiſte
privilégiédu Roi , rue Charonne , fauxbourg Saint-
Antoine : ſontableau eſt ſur la porte.
162 MERCURE DE FRANCE.
& que ſi elle ne produit ni légumes ni
fruits , c'eſt l'éloignement du ſoleil de
notre horifon , & la rigueur du froid qui
én retarde les productions ; cela eſt fi
vrai , qu'il y a des climats qui procurent
deux récoltes par année : le ſoleil , ce
pere de la nature , eſt un agent qui fait
fermenter & agir les ſels dont la terre eſt
tiſſue , il en ouvre les pores , & donne
l'action aux deux êtres , créateurs de tout
ce qui prend naiſſance , le volatil, & l'actif
ou le fixe , qui combattent fans ceſſe fur
leur propre ſubſtance ; & l'actif dont le
ſoleil eſt le premier principe , donne la
germination à toutes les ſemences , en fixe
le mouvement , & fait produire chaque
choſe ſelon ſon eſpece. La rigueur du
froid eſt le ſeul obſtacle à cette nutrition ,
parce que refferrant les pores, il en écarte
la chaleur , & la répercute vers le centre
de la terre , qui eſt ſon foyer , ou réſervoir
des rayons du ſoleil; c'eſt-là où ils aboutiffent
, s'élevent du centre à la circonféfence
aux approches du ſoleil juſques à
la furface de la terre , &donnent la naiffance
aux différens êtres , & les fait fructifier
: cette vérité eſt ſi conſtante , qu'en
faifant l'hiver des fouilles dans la terre
juſques à une certaine diſtance , on reffentune
chaleur différente de la furface ,
JUILLET 1768. 163
&qu'on la reconnoît plus conſidérable à
meſure qu'on approfondir.
C'eſt donc la chaleur naturelle qui
ſeule échauffant les ſels, les fait fermenter ;
il ne s'agit que de la conſerver dans le
temps que le ſoleil s'écarte de notre horiſon
, & de l'obliger à donner l'action néceſſaire
aux ſels de la terre pour faire fructifier
tout ce qui végete , en le préſervant
du froid.
terre ;
Tout le monde conviendra de ce principe,
fi l'on fait attention qu'il s'eſt trouvé
des curieux , aux environs de Paris * , qui
ont pratiqué , à grands frais , des feux
fouterreins , & artiſtement conduits , pour
échauffer la terre & la forcer à végérer.
Hs ont dirigé ces feux par des canaux
particuliers ſous les ſemences & les plants
qu'ils avoient introduits dans la elle
leur a produit des légumes &des fruits
depuis la fin d'octobre juſques au commencement
du printemps , dont les fubftances
étoient perceptibles , mais qui n'avoient
ni le goût parfait ni la nutrition
des récoltes ordinaires ; la raiſon en eft
ſenſible , c'eſt qu'ils ont fait uſage d'un
feu ſec , dévorant , & étranger à celui de
la nature , qui eſt un feu oléagineux ,
*M. Paris Duverney , à Plaiſance.
164 MERCURE DE FRANCE.
nutritif, humide , créateur , & rénovateus
des ſubſtances.
Un particulier à qui la nature avoit
donné un goût fingulier ſur la végétation
dela terre , en a fait I épreuve ; il a imaginé
des cabinets propres à conferver la chaleur
naturelle lorſqu'elle quitte notre horifon ,
ou que le ſoleil s'en éloigne ; il a introduitdes
ſemences dans le centre de ces
cabinets , & il a vu avec admiration que
la terre végétoit en tout temps , & qu'elle
pouvoit fructifier ſans le ſecours des feux
fouterreins & étrangers ; il a fait venir
des légumes , & des fruits ayant leur maturité
, c'eſt-à-dire la forme , la couleur &
le goût ; mais , dans le temps qu'il alloit
recueillir le fruit de ſes travaux , il eſt
décédé.
Il a laiſſé , pour confidentde ſon ſecret,
un particulier qui a été aſſocié à ſes travaux
, & qui eſt en état de faire cette
épreuve pour la perfuafion de ceux qui
voudroient l'entreprendre : il obſerve que
ces cabinets ſont ſi ingénieuſement inventés
, qu'ils ne privent pas les légumes &
les fruits de la néceſſité de l'air utile à
leur production ; leur conſtruction même
contient une méchanique ſi réfléchie , que
dans les temps de l'apparition du ſoleil ,
il peut faire régner ſon influence ſur ſes
JUILLET 1768. 165
productions , de manière que les rayons
venant à ſe joindre au feu intérieur &
terreſtre , ils en augmentent la chaleur &
donnent la couleur aux fruits.
Il ne faut pas s'imaginer que la conftruction
de ces cabinets ſoit ſeule ſuffiſantepour
les faire fructifier , ils ont beſoin
d'un arroſement particulier , c'eſt-à- dire ,
d'une liqueur qui contient un feu naturel,
analogue à celui de la terre , & c'eſt en
ce point que réſide le ſecret de la végétation
, car l'arroſement des pluies du ciel ,
ou de l'eau des rivieres & des fontaines
eſt pernicieux , parce que ces eaux font
chargées d'un froid glacial qu'elles ont
emprunté de l'atmoſphere où elles ont
paffé , ou par leur féjour ſur la terre ; ce
n'eſt pas qu'elles ne contiennent dans leur
effence un feu naturel , mais il n'eſt pas
aſſez volumineux ni dominant pour abſorber
le froid.
Le temps le plus propre pour commencer
cette opération eſt déterminé au commencement
de ſeptembre , parce que la
terre eſt ſuffisamment échauffée à la fin
d'août des influences du ſoleil ; il ne s'agit
que de conferver cette chaleur & de l'entretenir
pendant trois mois , au bout defquels
on verra les légumes & les fruits
dans leur maturité au grand étonnement
166 MERCURE DE FRANCE.
1
des ſpectateurs. Parmi les productions de
la premiere eſpece on y verra éclorre des
petits poids , & arricots verds , des feves
de marais , des laitues de toutes eſpeces,
des melons , des concombres , & autres de
pareille nature ; & , au nombre de ceux
de la ſeconde eſpece , on y verra fructifier
des abricots , des pêches , des poires , des
pommes , & des prunes. En voilà plus
qu'iln'en faut pour fatisfaire la curioſité de
ceux qui douteroient que la terre produit
en tout temps.
Ladépenſed'une premiere épreuve n'eſt
pas bien conſidérable , puiſqu'elle ne peut
aller qu'à vingt-cinq louis , tant pour la
nourriture &le logement de l'artiſte pendant
l'eſpace de trois mois › que pour
l'achat des uſtenſiles néceſſaires, qui , quoique
conſacrés à l'exécution de ce fecret ,
peuvent être revendus les deux tiers de
ce qu'ils auroient coûté ; mais , pour y
réuſfir avec ſuccès , il est néceſſaire de
faire choix d'un jardin qui ait les aſpects
du ſoleil les plus favorables ; les murs &
contre -murs propres aux eſpaliers , ſont
d'unegrande utilité; les terraſſes graduelles
font déterminantes par la chaleur du ſoleil
qu'elles concentrent en elles-mêmes : tous
ces objets concourent à la réuſſite de l'exé-
⚫cution.
JUILLET 1768. 167
A l'égard de la conſervation de la chaleur
des arbres en plein vent , ils feront
la matiere d'une feconde differtation ,
parce que le plus intéreſſant eſt l'exécution
du ſecret en faveur des eſpaliers ,
légumes & fruits.
N. B. Nous avons rapporté cette differtation
parce qu'elle annonce un fait intéreffant.
Mais nous ſommes bien éloignés
d'adopter les raiſonnemens de phyſique
finguliers qu'elle contient.
GRAVURE.
I.
L وت
:
M. MOITTE , graveur du roi , vient de
publier le ſecond cahier de ſa ſuite intéreſſante
des habillemens ſuivant le costume
d'Italie , d'après M. Greuze , peintre du
roi. On connoît le goût & le talent ſupérieur
de ce maître pour ſaiſir la belle &
ſimple nature , & pour lui conſerver ſes
charmes & fes graces touchantes. Chaque
cahier est compoſé de fix eſtampes. Celui
que nous annonçons repréſente la bouquetiereGénoiſe,
la bourgeoiſe de Genes ,
168 MERCURE DE FRANCE.
la payſanne Parmeſane , la payſanneBolonoiſe
, la bourgeoiſe de Bologne , la payfanne
Florentine ; toutes ces figures font
du choix le plus agréable & le plus intéreffant
: elles font parfaitement rendues
par la gravure , & placées dans un ſite riche
& biendécoré. Cette fuite ſera compoſée
en tout de vingt - quatre eſtampes , avec
un frontispice orné. Ces eſtampes ont environ
dix pouces &demi de hauteur fur
huit de largeur.
I I.
Mlle Boizot , qui occupe un rang diftingué
par ſes talens parmi les meilleurs
graveurs , vient de terminer deux eſtampes
d'un travail agréable & précieux , d'après
deux excellens tableaux originaux deMerzu
qui font dans le cabinet de M. le duc de
Choiſeul , amateur éclairé , & protecteur
bienfaifant des arts & des artiſtes.
Ces eftampes ont quatorze pouces quatre
lignes de haut fur dix pouces deux lignes
de large. Elles doivent ſervir de pendans .
Elles repréſentent l'une la Hollandoiſe à
fon clavecin , l'autre le déjeûné de la Hollandoife.
Une expreſſion naturelle , ſimple
&vraie, fait le mérite de ces figures , qui
ont parfaitement le caractere de leur nation.
JUILLET 1768. 169
tion. L'auteur a fait l'hommage de fon
travail à Mde la ducheſſe de Gramont ,
qui diftingue , aime & foutient les talens.
Le prix de ces eſtampes eſt de 3 livres.
Elles ſe vendent à Paris , chez M. Flipart ,
graveur du roi , rue d'Enfer , près la place
Saint- Michel ; &chez Joullain , marchand
d'eſtampes , quai de la Mégiſſerie.
III.
Le ſieur Halbou , graveur , déja connu
par pluſieurs eſtampes agréables qu'il a
publiées , vient d'en faire paroître deux
nouvelles dans le genre gracieux. L'une
repréſente la Sultane favorite recevant les
proteſtations d'amour du Sultan , l'autre
le Sultan galant qui orne de fleurs la tête
de fon amante. Ces ſujets doivent ſervir
de pendans , & font gravés avec beaucoup
d'expreſſion , d'intelligence &d'effet d'après
les tableaux originaux de M. Jeaurat ,
peintre du roi , qui a ſi bien réuſſi à rendre
les uſages & les différentes modes des
Turcs. Ces estampes ont un pied huit
pouces & demi de hauteur ſur un pied
deux pouces & demi de largeur.
Elles ſe vendent 3 liv. chacune. A Paris ,
chez l'auteur , rue de la Harpe , vis-à- vis
la rue des Deux-Portes ; & chez la veuve
Vol. II. H
170 MERCURE DE FRANCE .
1
Chéreau , rue Saint - Jacques , aux deux
piliers d'or.
PEINTURE EN CHEVEUX.
Mde Moreau a inventé l'art fingulier
de peindre en cheveux. Elle ſe ſert de cheveux
dont les différentes teintes lui donnent
la variété néceſſaire des nuances pour
faire des miniatures , qui ont un effet
faillant , vif & brillant. Elle compoſe en
çe genre de petits portraits , des agathes
herboriſées , des payſages , des marines ,
des figures d'animaux. Sa demeure eſt chez
le ſieur Sollin , marchand , rue de la Barillerię
, près le palais à Paris .
MUSIQUE.
I.
Pieces de Clavecin , compofées par M.
Marchal . Prix 9 liv. A Paris , chez l'auteur
, fauxbourg & près la grille Saint-
Denis ; & aux adreſſes ordinaires de mufique.
2 Ces pieces , dans un goût moderne
agréable & varié , n'ont point trop de difficultés.
Les ſujets en font bien choiſis ,
piquans , & foutenus avec art dans les
différentes modulations,
JUILLET 1768. 171
I I.
Six fonates à violoncelle ou violon &
baffe , dédiées à M. de Saint - Martin ,
capitaine des vaiſſeaux de la compagnie
des Indes ; par J. Rey : oeuvre premiere .
AParis , chez l'auteur , rue Saint Thomasdu
Louvre , maiſon de Mde le Blanc ;
chez Mde Lemarchand , cloître SaintThomas-
du-Louvre ; & aux adreſſes ordinaires
demuſique.
I.
Recueil d'airs choisis , avec accompagnement
de guitarre ; par M. Bouleron , ordinaire
de la muſique du roi : prix 6 liv. A
Verſailles , chez M. Huguet , marchand
de muſique , rue Saint- Pierre ; à Paris ,
aux adreſſes ordinaires de muſique.
GÉOGRAPHIE.
I.
Le ſieur Denis , géographe , vient de
publier , en quatre feuilles , une carte unique
en fon genre , où font marquées les
routes de Paris aux principales villes de
France , & les routes d'une ville à une
autre. Les villes ſont ſituées ſuivant les
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
obſervations de MM. Maraldi & Caffini.
Pour rendre cette carte plus utile , &
pour marquer avec la plus grande préciſion
la diſtance reſpective des lieux , il a
tiré des cercles de deux mille toiſes , qui
ont pour centre l'obſervatoire de Paris. Le
prix de cette carte lavée eſt de 3 liv. Elle
ſe vend chez les ſieurs Denis & Paſquier ,
rue Saint- Jacques , vis-à- vis le college de
Louis le Grand.
I I.
Cosmographie universelle , physique &
astronomique , pour l'étude de tous les
âges de l'hiſtoire , de format in- 4°. grand
papier , dirigée par M. Philippe , de l'académie
royale des ſciences & belles- lettres
d'Angers , cenfeur royal , & profeſſeur
d'histoire , 1768 .
Cet ouvrage , deſtiné à ſervir de guide
& de commentaire dans la lecture des
livres hiſtoriques , peut accompagner , à
plus forte raiſon , les meilleures méthodes
que nous avons pour étudier la géographie,
entr'autres celles de Mademoiſelle
Crozat , des abbés Lenglet du Frenoy &
la Croix. Il eſt actuellement compoſé de
32 cartes toutes lavées & enluminées à la
maniere des ingénieurs ;& chacune eſt du
JUILLET 1768 . 173
prix de feize ſols , l'une dans l'autre. On
le livre au public , avec la précaution de
l'encartonner ſolidement , & d'y placer
desonglets d'attente pour les cartes qu'on
donnera fucceſſivement de fix mois en fix
mois.
Il contient les 32 articles ſuivans.
1º. L'hémiſphere céleſte ſeptentrional ,
une feuille.
2º. L'hémiſphere céleste méridional ,
une feuille.
3 ° . La projection générale de l'ancien
&du nouveau monde, une feuille.
4°. Orbis vetus : le monde connu des
anciens , pour l'intelligence de l'hiſtoire
profane , une feuille.
5°. Les quatre parties du globe terreftre
, quatre feuilles.
ز
6°. Le Dannemarck , la Norwege , &
la Suede , une feuille.
7°. La Ruſſie d'Europe , la plus vaſte
des couronnes du nord , ſuivant fon état
actuel , une feuille.
8°. Les Gaules , ſous les trois monarchies
qui les partageoient quand Clovis
en fit la conquête , une feuille.
9°. La France , avec dix feuilles pour
le développement des trente provinces de
ce royaume , onze feuilles.
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
10°. Une Allernagne générale pour les
premieres études , une feuille.
11. Les cantons Suiſſes , les ligues des
Grifons , leurs alliés & leurs ſujets , une
feuille.
12°. La Pologne , avec la Lithuanie , la
Curlande , &c. Une feuille.
1 ,°. L'Eſpagne y compris le Portugal ,
une feuille.
14°. Une Italie générale pour les premieres
études , une feuille.
15°. L'Italie ſeptentrionale ブ l'Italie
moyenne , & l'Italie méridionale , trois
feuille.
16°. Carte de la Turquie d'Europe &
de la Hongrie , une feuille.
17°. Les fles Britanniques , c'est-à dire,
l'Angleterre , l'Ecoffe , & l'Irlande , une
feuille.
Total 32 cartes dont le prix , la reliure
en carton compriſe , eſt de 27 liv.
: Outre le foin & l'exactitude qu'on peut
remarquer dans cette cofmographie , elle
renferme quantité d'acceſſoires astronomiques
, tels que l'indication des climats , la
durée des jours & des nuits , le calcul des
diſtances dans la carte réduite du globe
terreftre , & des degrés de la longitude
diminuée dans celle de la France , &c. Ce
JUILLET 1768. 175
qui ne ſe rencontre dans aucun atlasde ce
format.
A Paris , chez Saillant & Nyon , libraires
, rue Saint-Jean de Beauvais . Deſaint ,
libraire , rue du Foin. Lacombe , libraire.
La fuite au mois de janvier prochain
Remede contre la démence.
Le Sieur Chauzel du Bruel , de la ville
de Millaud en Rouergue , & la Dame fon
épouſe prétendent poſſéder un remede für
contre la démence & la folie, quelle qu'en
foit la cauſe. Ce remede a déja , dit-on ,
fait pluſieurs guériſons dans le pays & furtout
à Montpellier , où pluſieurs chymiſtes
&médecins de cette ville ont analyſé ce
médicament. Un médecin de cette ville
qui a le ſecret de la compoſition , l'adminiſtre
, & traite les malades avec le plus
grand ſuccès. Le poſſeſſeur envoie auffi fon
remede aux perſonnes qui veulent l'éprouver
, avec la façon de s'en ſervir.
Nouvel instrument de chirurgie.
M. de Beauve , maître en chirurgie à
Paris , vient d'inventer un nouvel inſtrument
, en forme de fonde , propre à faire
1
וי
Η iv
176 MERCURE DE FRANCE.
pafferdes alimens &des médicamens dans
l'oesophage d'un malade dont les organes
nutritifs font ſans fonction. Cette invention
eſt très- utile pour ceux qui par une
paralyfie dans la gorge , ou par quelqu'autre
cauſe, ſont hors d'état de pouvoir
rien avaler ,& en danger de mourir d'inanition.
ÉVÉNEMENT REMARQUABLE.
Derniere éruption du Vésuve , en 1767 .
LEs environs delavillede Naples ,trop
voiſine du Véſuve fi fameux par ſes éruptions
,& dont les cendres comblerent autrefois
Herculanum & Pompeia , font expoſés
de tems en tems aux fureurs de ce
volcan. Depuis les Romains il a épargné
les villes , mais il ravage quelquefois les
campagnes en les couvrantde ſes laves qui
fontdestorrens de matiere enflammée . Elle
coule comme du plomb fondu en fortant
du volcan , ſe fige enſuite , ſe détache
comme la glace dans un dégel , & prend
différentes épalſſeurs ſuivant la configuration
du terrein qu'elle parcourt ; enfin elle
devient très-dure & très-peſante lorfqu'elle
eſt totalement refroidie.
JUILLET 1768. 177
२ Ce ſiecle offre deux ou trois exemples
d'éruptions remarquables , & particuliere.
ment en 1760 ; mais celle du mois d'octobre
1767 a été ſi terrible , qu'elle jetta
l'effroi parmi les perſonnes les plus familiariſées
avec ce volcan .
Apeine la poéſie & la peinture pourroient-
elles rendre cette belle horreur.
Qu'on ſe repréſente une vaſte campagne
montueuſe , dont les différens vallons font
couverts d'un lit mouvant de braſier allumé
, de dix , vingt , juſqu'à trente pieds
d'épaiſſeur , & du milieu de laquelle s'éleveune
immenſe montagne de feu ,jettant
par ſon ſommet de l'artifice dont l'explo
Gon fait retentir tous les environs;par fon
flanc ouvert en pluſieurs endroits elle vomit
des flots de matiere enflammée , qui dans
leurs cours entraînent des arbres , des pierres
monstrueuſes & les murs les plus folides
; ajoutez à l'idée de ce ſpectacle infernal
, la conſternation des malheureux payfans
qui s'enfuient avec leurs effets , les
lamentations de ceux dont les vignes font
couvertes &les maitons engloutiespar cette
lave brûlante , & par deſſus tout , le fracas
épouvantable qui ſe fait entendredu creux)
delamontagneen travail ;fracas , que l'on
ne peut comparer qu'à des tonnerres con
Hv
1-8 MERCURE DE FRANCE.
:
tinuels foutenus de la canonade la plus
vive.
Les maiſons de la ville de Naples
éprouverent , pendant cette éruption , des
ſecouſſes qui faisoient vaciller les portes
& les fenêtres ; on y voyoit tomber des
pluies de cendre auſſi noire & aufli grenue
que de la poudre à canon. Qu'on juge de
la force de ce volcan qui fait voler cette
cendre à près de quatre lieues de diſtance.
Quelqu'affreux que ſoit le ſpectacle de
cette montagne tonnante & embraſée ,
l'oeil de l'obfervateur s'y fixe avec avidité ,
&l'on eſt tenté quelquefois de croire avec
le peuple Napolitain que ce phénomene
redoutable ne peut être que l'effet de la
vengeance céleste. Cependant, à le confidérer
en phyſicien , c'eſt le ſalutde Naples;
car fi malheureuſement la matiere qui fait
tout ce ravage ne ſe procuroit point ellemôme
une fortie , il en réſulteroit un
tremblement de terre , qui , comme celui
de Lisbonne, renverſeroitde fond en, comble
la ville amphithéâtrale de Naples. Les
premiers inftans de l'éruption l'ont fait
craindre au point que le roi avec toute fa
cour s'eſt retiré précipitamment de fon
château royal de Portici , très- voiſin du
Véſuve. Iln'y avoit pointdetems àperdre;

JUILLET 1768. 179
fi les laves avoient fuivi leur premiere
direction , ce château & les hôtels adjacens
auroient eſſayé un terrible afflaut :
mais heureuſement le danger ſe diffipa au
bout de quelques jours. Quel beau ſujet
de differtation pour les ſçavans ! D'où
vient cette matiere des volcans ? Comment
ſe forme t-elle ? Quel eſt ſon dépôt ,
fon foyer , fon agent ? Qui l'agite ? Qui
P'enflainme ? Qui l'éleve au fommet du
gouffre ?
S'il eſt difficile de peindre les ravages
duvolcan , il ne l'eſt pas moins de donner
une idée de la révolution qu'ils ont occafionnée
dans toutes les têtes Napolitaines.
Au premier ſignal de l'éruption , le peuple
ſe répandit tumultueuſement dans les rues
&fur les places publiques ; ſon premier
foin fut de ſe rendre à la porte du cardinal
archevêque , pour lui demander une
proceffion folemnelle , où l'on devoit
porter la chaffe de ſaintJanvier , patron
miraculeux de cette ville ; mais ce prélat
infirme ne ſe livrant point aſſez tôt aux
tranſports de la populace , elle mit le feu
aux portes de fon palais , & elle ne s'empreſſa
de l'éteindre qu'après avoir obtenu
fans délai ce qu'elle demandoit.
Indépendamment de cette proceſſion
générale , qui dirigea ſa marche vers le
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Véſuve, on rencontroit jour & nuit dans
toutes les rues des proceſſions particulieres,
où ſaint Janvier étoit porté. A preſque
toutes les fenêtres on expoſoit l'effigie de
ce faint , ou celle d'une vierge entourée de
cierges , pluſieurs mêmes portoient à la
main leur bien- aimé patron , & le haranguoient
hautement de la maniere la plus
bifarre ; ils lui demandoient d'abord ſa
protection ; ils s'interrompoient enfuite
en paroiffant furpris de ſa réſiſtance ,&
fur le peu d'efficacité de leurs prieres ,
finiſſoient par ſe fâcher ,& par lui reprocher
outrageuſement ſon inſenſibilité.
ils
Les jeunes filles formoient auffi entre
elles de petites proceſſions où elles affiftoient
pieds nuds , les cheveux épars , la
tête couronnée d'épines & récitant des
prieresdu ton leplus lugubre. Uned'entre
elles qui portoit le crucifix ayant été apperque
avec une goutte de ſang au viſage ,
fes camarades s'imaginerent que ce crucifix
avoit verſé des larmes de ſang. Après
avoir crié au miracle ,elles ſe ſaiſirent de
cette perfonne , & la regardant dès- lors
comme une fainte,elles lui couperent les
cheveux & une partie de ſes vêtemens.
pour s'en faire des reliques ; on la conduific
enfuite entriomphe,& on a fait depuis
une quête qui l'a miſe en étatde ſe marier.
JUILLET 1768. 184
L'enthouſiaſme des moines augmentoit
encore les allarmes &les dévotions populaires:
on les entendoit dans les marchés
& au coin des rues s'emporter contre les
pécheurs qui avoient attiré ſur la ville la
colerede Dieu ; ils faiſoient plus de bruit
que le volcan ; ils effrayoient les eſprits
par leurs geſtes , leurs cris ,&par une peinture
exagérée du danger. D'un autre côté
ledéſordre ſe mêlant à la frayeur publique ,
les criminels s'efforçoient de briſer les
portes & les grilles de leurs priſons , excités
par les lamentations des paſſans qui
leur crioient qu'ils alloient périr. Enfin cet
événement eſt une fource de réflexions à
faire fur le moral & le phyſique du pays .
ANCIENS USAGES .
C'ÉTOIT
ÉTOIT un ancien uſage dans un village
proche Soiffons,nommé Charelles , de publier
le jour de la nativité de Notre-Dame
qui eſt la fête du lieu , immédiatement
après vêpres , trois branles à danſer pour
les amoureux , à tant de livres de cire pour
l'entretiendu luminaire de l'égliſe. Chacun
étoit reçu à ſon enchere , & à chaque
enchere le curé & le choeur chantoient le
182 MERCURE DE FRANCE .
verſer depofuit potentes de fede. L'année
étoit bonne lorſqu'il y avoit beaucoup
d'amoureux , chacun croyant que fon
amour n'auroit pas été heureux s'il n'avoit
enchéri à fon tour , & fi l'on n'avoitchanté
le verſet pour lui .
II .
La ville d'Utrecht étoit redevable à la
province d'Hollande à titre d'hommage
d'un pore tous les ans. Les magiſtrats
d'Utrecht écrivirent en 16 : 2 , an penſionnaire
Barnewelt , pour ſe plaindre de ce
qu'on mettoit leur porc au carcan expoféà
l'infulte du peuple. Le penfionnaire répondit
que ſuivant l'ancien uſage le porc devoit
être attaché à un poteau dans la cour
du palais , mais qu'on vouloit bien lui ôter
le collier&la chaîne. Les magiſtrats ne ſe
contenterent point de cette réponſe , ils
folliciterent les Etats pendant trois ans ,&
parvinrent enfin à s'affranchir de cette
redevance.
:
COUTUME EN HOLLANDE.
Si un homme fort& en état de travailler
fait le métier de mendiant en Hollande
, on le faifit , on le deſcend dans un
JUILLET 1768. 183
puits profond & on lâche un robinet ; ſi le
pauvre ne pompoit pas ſans relâche, il ſeroit
bientôt noyé. Pendant que ce malheureux
travaille , de graves Hollandois font des
paris ſur le borddu puits ; l'un gagé que cet
homme eſt lâche & pareſſeux & que l'eau
va l'enſevelir ; l'autre ſoutient le contraire.
Enfin après quelques heures on tire lemendiant
plus mort que vif, & on le renvoie
avec cette utile leçon du travail.
ANECDOTES.
:
I.
:
FeuM. le cardinal de Noailles , archevêque
de Paris , alloit ſouvent viſiter les
pauvres , les priſonniers , & les malades
de Bicêtre. Dans une de ces viſites , il
demanda à voir le quartier des perſonnes
détenues pour cauſe de folie. Un homme
d'environ quarante ans ſe préſenta à fon
éminence , & le ſupplia de lui procurer
fon élargiſſement. « Je mérite , Monfei-
>>gneur , lui dit- il , que vous vous inté---
> reffiez en ma faveur. Je jouiſfois d'une
>>-fortune honnête , & mes parens pour
>> avoir mon bien , m'ont accuſéde folie ,
»& ont en affez de crédit pour me faire
>> enfermer dans cette maiſon. Je conjure
>>votre éminence de me queſtionner fur
184 MERCURE DE FRANCE.
>> toutes fortes de ſujets ; elle reconnoîtra
» par elle-même l'injuftice de ma déten-
» tion. >> En effet M. le cardinal , après
une demi-heure d'entretien , le trouva
de très-bon ſens ,& ne douta pas que le
prifonnier ne fût la victime de l'avidité
de ſes parens. « Je plains votre ſort , lui
>>dit- il , & je vous promets de travailler
>>efficacement à vous procurer inceſſam-
> ment votre liberté. Je reviendrai la ſe-
>>maine prochaine , & j'eſpere apporter
>> avec moi l'ordre de votre délivrance . J'ai
>>encore une grace à vous demander , mon-
>>ſeigneur , lui dit le priſonnier ; ne venez
>>pas un famedi;je ne pourrois pas avoir
» P'honneur de voir votre éminence , parce
>> queje reçois cejour-là la viſite des ames
>>dupurgatoire. Vous faitesbiendem'aver-
>>tir , reprit le prélat , je ſçais au juſte à
*quoi m'entenir ».
I I.
-Deux voyageurs marchoient de front
ſur ungrand chemin , un peu écartés l'un
de l'autre. Un troiſieme paſſa au milieu
d'eux fans les ſaluer. « Tu es une bête ou un
>> infolent , lui dirent les premiers ; entre
>> deux , répondit l'autre » .
JUILLET 1768. 185
III.
Jacques II , roi d'Angleterre , ayant éré
détrôné par le prince d'Orange , venoit
pour prendre pofſſeſſion de fon royaume.
Unprifonnier , un foldat , & un crocheteur
s'entretenoient de cet événement.
« Que m'importe , dit le crocheteur , que ce
>>foit Jacques ou Guillaume , quifoit notre
>> roi ? Je n'en porterai pas moins mes cro-
>>>chets. Mais , dit le priſonnier enchaîné ,
» que deviendra notre liberté ? Et mor.....
ود dit le ſoldat , quedeviendra notre fainte
» religion ? »
I V.
M. de V.... recevant chez luiun jeune
François qui revenoit de Rome , lui dit ,
<<il falloit y reſter ; vous avez vu plus de
>>Vénus dans ce pays là,que vous ne verrez
>> de vierges dans le vôtre ».
V.
M. Pitt , ci -devant miniſtre du roi
d'Angleterre , avoit pour lui un parti conſidérable,&
un contre lui. On appelloit le
premier les pitoyables , & le ſecond les
impitoyables.
186 MERCURE DE FRANCE .
VI
Charles II , roi d'Angleterre , ordonna
àune femme de la courde faire des excuſes
publiques à une autre femme que la
premiere avoit traitée de C.... Voici en
quels termes ſe fit cette réparation : « J'ai
>> dit que vous étiez une C.... cela est
>> vrai ; j'ai ordre de vous en faire des
>> excuſes , j'enfuis fâchée ».
TRAIT DE GÉNÉROSITÉ.
Un inandarin Chinois avoit été con
damné à mort pour avoir prévariqué dans
ſa place. Son fils âgé de quinze ans , alla
ſe jetter aux pieds de l'empereur , & offrir
ſa vie pour conſerver celle de ſon pere.
L'empereur touché de la piété de ce géné
reux enfant , lui accorda la grace de fon
pere , & voulut lui donner des marques
perſonnelles d'honneur ; il les refuſa en
diſant qu'il ne vouloit point d'une distinction
qui lui rappelleroit l'idée d'un pere
coupable.
I.
QUESTION S. "
On demande ce qu'on entend par comique
larmoyant , & par tragédie bourgeoise?
Savoir ji ce genre est nouveau ; s'il doit
:
JUILLET 1768. 187
être admis ,& quelles font les regles propres
à cette espece de drame ?
I I.
*Quels font les différens caracteres de la
danſe ; & ce que l'on peut defirer pour les
progrès & l'expreſſion de cet art .
Nota. Nous nous propoſons de donner
la ſolution de ces queſtions intéreſſantes ,
en profitant des obſervations dont on nous
fera part.
AVIS.
I.
Pluſieurs citoyens de Toulouſe , amateurs
des beaux ars , ont formé une fociété
, qui a le privilege exclufif des trois
ſpectacles dans cette ville : defirant avoir
les meilleurs ſujets dans les trois genres ,
elle donne avis aux acteurs répandus dans
les provinces & chez l'étranger , de faire
leurs propoſitions à M. Devaulx , régifſeur
du ſpectacle , à l'hôtel de la comédie ,
à Toulouſe.
I I.
Fabrique d'acide marin ou d'esprit de fet.
Il y a peu d'occaſions où l'eſprit de
+
188 MERCURE DE FRANCE.
fel ne remplace avantageuſement l'eau
forte on l'acide nitreux. L'eſprit de ſel
doit être utilement employé dans une
multitude d'arts , fur-tout dans la teinture
fur toutes fortes d'étoffes & de
toiles. Les artiſtes n'en n'ont pas fait
juſqu'ici des eſſais , & un grand uſage
dans leurs opérations , parce que l'eſprit
de fel étoit rare &fort cher dans lecommerce
; mais M. Baumé , apothicaire , rue
Coquilliere , & chymiſte connu par fes
ouvrages & par ſes découvertes , vient
d'établir une manufacture & fabriqued'efprit
de ſel , qu'il eſt en état de donner de
lameilleure qualité , & à très-bas prix ,
&autant que l'on en demandera pour
l'uſage en grand dans les arts & lesmanufactures
. Il a éprouvé lui même que l'efprit
de fel a les effets ordinaires de l'acide
nitreux , &des avantages qui lui font
particuliers que l'expérience ſeule peut
enſeigner.
III.
Le ſieur Ravoifié , marchand confiſeur ,
quia annoncé &vend avec ſuccès les paftilles
pour faire l'orgeat& la limonade ,
vient , à la faveur de la ſaiſon , d'en compoſer
de nouvelles très-agréables pour
fairede l'eaude fraiſes, framboiſes,& groJUILLET
1768. 189
ſeilles. Elles ſe conſervent& peuvent ſe
tranſporter par- tout.
Une de ces paſtilles miſe dans un verre
d'eau , & remuée pour la faire fondre ,
donne auſſi tôt un verre de liqueur fraîche&
gracieuſe.
Les boîtes ſont de ; liv. & de 36. f.
Au fidele Berger , rue des Lombards ,
Paris. On trouve chez le même marchand
les diaboliny de Naples pour la digeftion
ainſi que des paſtilles au ķerwafer,
:
2
:
I V.
L'abbé Bencirechi , Toſcan , de pluſieurs
académies d'Italie , ſe propoſe
de donner des leçons de langue italienne
aux amateurs & autres qui voudront lui
donner leur confiance. Il a compofé &
fait imprimer enAllemagne une nouvelle
grammaire , ſous le titre de l'art d'apprendre
parfaitement la langue italienne. Il a
enſeigné avec ſuccès cette langne à pluſieurs
perſonnes de confidération de la
courde Vienne. Ilannonce même un nouveau
ſyſtème pour apprendre facilement
la prononciation , pour fixer les regles de
T'ortographe , & faire fentir les graces délicates,
particulieres à cette langue.
190 MERCURE DE FRANCE.
: Sa demeure eſt rue du Colombier , au
petit hôtel de la couronne.
V.
Les perſonnes qui ont fait quelque ſéjour
à Paris ou à la Cour , connoiffent
l'utilité , l'agrément & même la néceſſité
des chaiſes roulantes , vulgairement appellées
brouettes , tirées par des hommes.
Ces voitures établies dans la capitale depuis
cent ans, font les ſeules dont on
peut ſe ſervir ſans danger dans les temps
de neige , glaces & verglats : elles ont
toute préférence ſur les autres voitures à
bras , lorſqu'il fait du vent. Elles ſont commodes
pour tous ceux que des fonctions
publiques obligentde fortir la nuit; elles
font de néceffité pour les perſonnes âgées ,
infirmes , convalefcentes , &c. parce que
leurs mouvemens ſont très doux , & que
leuruſagen'eſt ſuſceptible d'aucun danger.
Le roi ayant renouvellé pour cinquante
années par ſes lettres-patentes , enregiftrées
auparlement, le privilege exclufifdes
brouettes , tant pour la ville de Paris , que
pour celles du royaume , les propriétaires
voulant faire jouir les habitans des provinces
de la commodité de ces voitures ,
vont s'occuper ſérieuſement à en établir
JUILLET 1768. 191
dans les villes les plus conſidérables & les
plus fufceptibles de s'en ſervir. Ces chaifes
ou brouettes feront conſtruites ſur le
modele de celles de la cour , avec toute la
folidité & propreté convenables. Les
perfonnes qui defireront acquérir dans
leurs villes la propriété de ce privilege ,
en tout ou en partie, ou faire quelqu'arrangement
relatif à cet établiſſement , pourront
s'adreſſer à Monfieur de Néelle , l'un
des propriétaires du privilege , demeurant
à Paris , rue de Tournon , vis- à- vis l'hôrel
de Nivernois , en affranchiſſant leurs
lettres ; il leur marquera les conditions
auxquelles il veut traiter , leur fera parvenirdes
modeles, en rembourſant la valeur,
&leur donnera toutes les inſtructions néceſſaires
à ce ſujet,
V I,
De diverſes branches qui compoſent le
commerce de mer , celle de la traite des
negres , des envois& des retours d'Amérique
, ont toujours préſenté les avantages
les plus conſidérables & les plus certains
pour l'état & pour les particuliers.
D'un autre côté la liberté établie par les
loix du royaume , de former pour le commerce
maritime toutes fortes de ſociétés ,
& la protection & la faveur fingulieres
192 MERCURE DE FRANCE.
quelegouvernementa accordées aux branches
dont on vient de parler , par les arrêts
du conſeil des 29 , 31 juillet , & 30
ſeptembre 1767 , ont donné l'idée à des
négocians de former un établiſſement à
Paris , qui pût les embraſſer pendant l'efpace
de quinze années.
Si le commerce d'Afrique & d'Amérique
a des avantages , celui du nord &
ddeellaa pêche peuvent également en procurer.
Il entre auſſi dans le plande la ſociété
de s'en occuper par la ſuite.
La ſociété a cru devoir établir , quant
à préſent , une maiſon au Havre , une à
Bordeaux , & une autre en Amérique ,
pour ſuivre les deux premieres branches
de commerce ci-deſſus .
Elle ſe propoſe d'armer chaque année ,
&à certaines époques ſucceſſives , quinze
navires & leurs dépendances ; elle doit
leur donner diverſes cargaiſons , les affujettir
à diverſes deſtinations , & mettre
de la vivacité dans leurs expéditions.
Pour éviter la perte des capitaux des
miſes, ils feront affures. Les compagnies
d'aſſurances du royaume , ou des perſonnes
folvables feront donc les cautions des
différens riſques de mer.
Une ſomme de trois millons ſera ſuffifante
pour embraſſer en grand les deux
objets
JUILLET 1768. 193
objets ci-deſſus , & cent intérêts de trente
mille livres donneront ce capital.
Ceux qui defireront prendre de ces intérêts
, pourront maintenant remettre leurs
foumiſſions à la caiſſe de la maifon , &
l'on n'en recevra plus paſſé le premier avril
1769 .
La premiere des expéditions des navires
ne doit avoit lien que lorſqu'on aura
des ſoumiffions en quantité ſuffiſante.
Tout intéreſſé de 30 , 000 liv. régira
en perſonne l'entrepriſe , & il ſera nommé
tous les deux ans parmi eux , des perſonnes
pour adminiſtrer les opérations
courantes.
Les correfpondans qu'on a établis dans
les ports ,&les négocians qui ſe ſont chargés
de la maiſon de Paris , font aftreints
àdes arrangemens économiques qui leur
tiennent lieu de commiſſion.
Des quinze navires que la ſociété projette
de faire armer , avec le contingent
de ce que chaque intéreſſé s'engagera de
fournir fans augmentation , ſept navires
feront le commerce d'Afrique , & huit
celui de l'Amérique ; & il réſultera de
l'arrangement de leurs opérations :
1º . Que les voyages d'Afrique ne ſeront
plus que de huit àdix mois , & ceux
d'Amérique d'environ 6 mois , attendu
Vol. II. I
196 MERCURE DE FRANCE.
Ceux d'un armement particulier , que l'on
devragagner dans celle-là , dans les mêmes
circonstances où l'on pourra perdre dans
celui-ci.
Ceux qui voudront avoir une connoif
ſance plus étendue des conditions que
l'on propoſe au public , pour entreprendre
le commerce en queſtion , peuvent s'adreſſer
chaque jour , depuis neufheures
juſqu'à midi , & depuis trois heures de
relevée juſqu'à ſept , excepté les jours de
dimanches&defêtes , àla maison de commerce
maritime , rue Coq-Héron : il leur en
feradonné communication.
ORDONNANCES , LETTRES PATENTES ,
ARRÊTS , &c .
ΟRDONNANCE du Roi , du 24 avril
1768 ; qui défend à tous ſuiſſes , portiers ,
domeftiques & à toutes autres perfonnes
logeant dans les maiſons royales ou dans
des lieux privilégiés , de vendre & débiter
du tabac , fans la permiſſion par écrit
de l'adjudicataire des fermes ; & qui autoriſe
les employés des fermes à faire viſite
&perquiſition dans leſdites maiſons
royales & lieux privilégiés , avec les formalités
preſcrites.
JUILLET 1768. 197
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du
29 avril 1768 , qui caffe & annulle pluſieurs
ordonnances des bureaux des finances
d'Amiens , la Rochelle , Moulins
& Limoges , en ce qu'elles ordonnoient
que les propriétaires de parties prenantes
employées dans les états du Roi de ces
généralités , feroient tenus de faire enregiſtrer
en leurs bureaux , les titres qu'ils
ont été obligés de faire renouveller au defir
de l'édit du mois de décembre 1764 ,
&de la déclaration du 19 juillet 1767.
Ariêt du conſeil d'état du Roi , du
s mai 1768 , qui fubroge François Noel
au lieu & place de François Teſſier , dans
la régie & exploitation , tant des droits
des offices ſupprimés par l'édit du mois
d'avril dernier , dont Sa Majesté s'eſt réſervé
la perception , que de ceux établis
pour le paiement du don gratuit , qui doivent
continuer d'être perçus juſqu'au 31
décembre 1774.
Arrêtdu conſeil d'état du Roi , & lettres-
patentes ſur icelui, du 15 mai 1768,
regiſtrées en la cour des aides le premier
juin 1768 , qui ordonnent que François
Noel , fubrogé à François Teffier par arrêt
du conſeil dus mai 1768 , ſera mis
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
en poffeffion de la régie & perception des
droits réſervés . :
Lettres-patentes du Roi , données à
Verſailles le 21 mai 1768 , regiſtrées en
parlement le 4 juin 1768 , qui nomment
M. de Jarente de la Bruyere , évêque
d'Orléans , pour diriger & adminiſtrer le
temporel des abbayes de faint Germaindes-
prés , du Bec-Hellouin &de Châlis ;
& les ſieurs Marchal de Sainſcy , pere &
fils , adjoints à la place d'économe , pour
faire la recette & régie des biens & revenus
deſdites abbayes .
:
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du
28 mai 1768 , qui en ordonnant l'exécution
de ceux des 7 ſepembre 1688 ,
premier février & 10 mai 1689 , & en
les interprétant en tant que de beſoin ,
ordonne , aux exceptions y contenues , que
les cuirs tannés & corroyés , vaches de
Rouffy , peaux de veau & autres paffées
en couleur , foit en pieces entieres , foit
en bandes , ou autrement ; comme auſſi
tous ouvrages de cuirs & peaux , tels que
bottes, bottines ,&c. venant de l'étranger ,
payeront à toutes les entrées du royaume
vingt pour cent de leur valeur.
1
JUILLET 1768. 199
POMPE FUNEBRE.
1
Nous rapporterons ce qui s'eſt paſſé en 16835
Lors de la mort de l'épouſe de Louis le Grand ;
cette relation fera connoître le cérémonial obfervé
au convoi des reines .
Marie-Théreſe d'Autriche , reine de France &
de Navarre , fille , femme & foeur de roi , mourut
le 30 juillet 1683 , à l'âge de quarante- cing
ans , & dans la vingt- troiſieme année de fon
mariage ; fon corps fut expoſé dans ſon lit pour y
demeurer vingt-quatre heures *.
Lesmiflionnaires & les récollets de Verſailles
furent mandés pour pfalmodier dans ſa chambre.
On y joignit vingt feuillans , ces peres ayant
droit d'être appellés auprès des corps des rois &
des reines de France , depuis que Henri III a
fondé leur couvent dans la rue Saint- Honoré .
A une heure après minuit l'aumônier de quartier
fit commencer des meſſes ſur deux autels qui
avoient été dreſſés dans la même chambre ; ces
meſſes duroient juſqu'à une heure après midi.
Quand elles étoient finies on recommençoit à
pſalmodier juſqu'a une heure après minuit.
Dès le jour de la mort de la reine , des prélats
qui devoient être au moins au nombre de quatre ,
*
Autrefois,quand on ceſſoit de voir les rois &
les reines dans leur lit de parade , on mettoit une
effigie de cire en leur place, & on la ſervoit qua,
rante jours à dîner & à ſouper ; mais cette cérémonie
a été changée.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
ſe placerent auprès d'elle a la droite en camail &
en rochet. Tantque le corps demeura à Verſailles ,
ils turent tous les jours relevés par quatre autres .
Ily en avoit ſouvent davantage ; pluſieurs dirent
la meſſe ſur les autels dreflés dans la chambre.
Les principales dames de la cour de la reine
étoient a la gauche.
Le corps de cetre princeſſe fut embaumé le 31 ,
on en ſépara le coeur & les entrailles qui furent
pareillement embaumées , & enfermées l'un dans
un coeur d'argent ,& les autres dans une urne.
Ses femmes de chambre la revêtirent de l'habit du
tiers ordre de Saint- François dont elle étoit. Son
corps fut mis enſuite dans un cercueil de plomb ,
&portédans ſon grand cabinet qui étoit tendu de
deuil , avec pluſieurs bandes de velours parſemées
de fleurs de lys & de larmes , & chargées d'écufſons
aux armes de cette princeſſe. On voyoit entre
eesbandes de velours pluſieurs plaques d'argent à
deux branches garnies de bougies. On poſa le
corps ſur une eftrade élevée de deux pieds ſous un
dais de velours noir à grandes crépines d'argent ,
&tout rempli d'écuſions aux armes de France &
d'Eſpagne. Il y avoit autour de l'eſtrade quatre
rangs de grands chandeliers d'argent garnis de
cierges , & auprès unpetit autel ſur lequel étoit
une croix& pluſieurs chandeliers de vermeildoré.
Le cercueil étoit couvert du poële de la couronne
de drap d'or croiſe d'argent , doublé & bordé
d'hermine , avec des écullons aux quatre coins aux
armes de la reine ; ſur ce poële vers l'endroit des
pieds , on voyoit un carreau ſur lequel étoit une
couronne d'or couverte de crêpe ; on pofa le coeur
fur l'un des deux autels dreffés dans le même
cabinet , pour y célébrer des meſles .
Les miffionnaires & les prêtres qui pfalmo
JUILLET 1768. 20F
dioient étoient le long des croiſées , l'aumônie
de quartier étoit aſſis entr'eux & le cercueil , fur
unbanc couvertde deuil ; aux piedsdu cercueil ilr
y avoit deux hérauts d'armes ſur deux petits
bancs avec leurs cottes d'armes , leurs robes de
deuil qui font de grandes foutanes à capuchon ,
leurs épées & leurs caducées couverts de crêpes ;
le bénitier étoit entr'eux. La cour vint jetter de
l'eau bénite ; les princes& les princeſſes du ſang
y furent conduits par le grand maître des céré
monies ,& reçus par les officiers & les dames
ayant charges dans le palais de la reine ; ils reçurent
l'aſpertoir des mains de l'aumônier de quartier
à qui les hérauts le donnoient ; ces hérauts le
remettoient eux- mêmes à ceux qui n'étoient pas
de ce rang , & préſentoient le caveau.
Le lundi au foir , le coeur fut porté au monaf
tere du Val deGrace , le clergé de la paroifle de
Verſailles l'accompagna juſqu'au carrolledu corps:
de la reine,où le cardinal de Bouillon le reçut ,&
le tint ſur ſes genoux. Mademoiselle & la grande
ducheſſedeToſcane étoientdans cecarroſlequi fut
ſuivi de pluſieurs autres ,& entouré de pages & de
valets de pied ; on arriva au Val de Grace à trois
heures après minuit ; l'abbeſſe,à la tête de ſes religieuſes,
vint recevoir le coeur à la porte du monaftere;
il futpofé fur une eſtrade ,& ſous un dais ;
on fit les cérémonies ordinaires qui ne finirent
qu'à quatre heures du matin.
LeRoi écrivit une lettre à M. l'archevêque de
Paris , qui fit un niandement pour ordonner un
ſervice dans toutes les paroitfes. Le tranſport du
corps fut fait àl'égliſe de Saint-Denis , le 10 août,
cinq princeſſes de la famille royale & du ſang furent
choiſies pour faire le deuil , & les honneurs
dela pompe. Elles devoient être dans cinq car
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
rotfes remplis de ducheſſes &de dames invitées,
pour les accompagner. Elles arriverent ſur les fix,
heures du foir à Versailles , & furent conduites
dans la chambre de la reine , où les dames du
palais s'étoient rendues.
Le premier aumônier du roi, revêtu de ſeshabits.
pontificaux , alla jetrer de l'eau benite ſur le corps
&commença les prieres ; elles furent continuées
par les prêtres de l'égliſe paroiſſiale de Verſailles.
Douze gardes du corps conduits par un exempt
monterent ſur l'eſtrade , & ayant levé le corps .
tête nue , le porterent ſur un charriot fait exprès,
pour le conduire a Saint-Denis Ce charriot étoit
couvert d'ungrand poële de velours noir croitéde
moired'argent ,& bordé d'hermine,avec pluſieurs
écullons fort larges en broderie d'or & d'argent. ,
Les chevaux qui le tiroient , au nombre de huit
étoient caparaçonnés de velours noir croifé de
moire d'argent avec des écuſſons en broderie. Le
cocher & le poſtillon étoient vêtus de velours noir.
Les entrailles furent portées dans le même charriot
, par deux gardes auſſi tête nue. Pendant
qu'ony plaça le corps , la muſique de la reine.
chanta un deprofundis. Le clergé de la paroille ,
quatre vingt récollets, & plus de deux cents habitans
de Verſailles , en deuil , chacun un cierge à la
main , aſſiſterent à cette cérémonie ; ils étoient.
venus enproceflion juſques à la chambre où repofoit
le corps de cette princeſſe , & l'accompagnerent
au-delà de la montagne de Picardie.
La compagnie des archers & M. le prevôt de
l'ifle étoient à la tête de la marche , ſuivis de
foixante- fix des gens ſervant dans les ſept offices de
la reine , vêtus de drap gris , portant chacun un
lambeau , & des officiers des ſept offices , au nombrede
plus de trois cens vêtus de deuil & à pied...
JUILLET 1768. 201
• Les carrolles des perſonnes du confeil de la
reine , & pluſieurs officiers de ſon ſervice ſur des
chevaux caparaçonnés de noir , venoient enſuite ,
ſuivis de pluſieurs valets de pied , & domestiques
endeuil.
Trois carroſſes du roi & trois de la reine mar.
choient après eux. Ils étoient drapés & les chevaux
avoient des houſſes traînantes croiſées de
moire d'argent . Les princeſſes du ſang& les dames
du palais occupoient cinq de ces carrolles ; le premier
aumônier du roi , & pluſieurs autres prélats
étoient dans le dernier.
Les mouſquetaires , avec leurs officiers à leur
tête , tous vêtus de deuil , ayant de grandes écharpes
de crêpe , marchoient quatre à quatre portant
des flambeaux. Leurs mousquetons avoient la
bouche en bas , & leurs hautbois couverts de
crêpe , ainſi que leurs tambours , rendoient un
fon lugubre.
1
Pluſieurs compagnies , les chevaux - légers *,
les pages de la grande & petite écurie , & ceux
de la reine, conduits par les écuyers du roi , formoient
deux longues lignes avec chacun un flambeau.
Quatre trompettes de la chambre du roi
précédoient les hérauts & le roi d'armes , tous
revêtus de leurs cortes d'armes par deſſus leurs
robes de deuil traînantes , le chapeau rabattu
avec leurs caducées couverts de crêpe. Le grand
maître & le maître des cérémonies venient enſuite.
Les ſuiſſes du roi précédoient le charriot.
Quatre aumôiers de la reme, montés ſur des
* Les chevaux-légers de la garde du roi avoient
des écharpe & des cordons de crêpe , qui font
les, feules marques de deuil qu'ils portent en
pareilles occafions .
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
chevaux caparaçonnés denoir , tenoient avec des
cordons les quatre coins du grand poële qui cou
vroit le charriot , à la droite du quel étoit le chevalier
d'honneur de la reine , en manteau long ,
fur un cheval couvert d'une houſſe traînante. Le
premier écuyerde la reine devoit être à la gauche ,
une indiſpoſition l'empêcha de s'y trouver. Derriere
marchoient des officiers des gardes du corps
à la tête de cinquante gardes , ayant des écharpes
&des cordons de crêpe , & portant un flambeau.
Le prince de Soubiſe paroiſſoit à la tête des gendarmes
du roi. Les carroſſes des princeſſes qui
faifoient les honneurs , & ceux de leurs écuyers ,
environnés de valets de pied , fermoient cette
marche.
La pompe funebre ſortit ainſi de Verſailles au
milieud'une double haie de gardes-françoiſes &
fuiſſes qui bordoient l'avenue avec leurs armes
traînantes , les drapeaux renverſés & repliés , couverts
de crêpes , ainſi que les tambours , qui ne
furent frappés que d'un ſeul coup, pendant que le
convoi paſſa. Les curés des égliſes de la route
vinrent avec leur clergé , fuivant l'uſage , audevant
du corps , & firent les prieres accoutumées.
On arriva le mercredi 11 , à ſept heures du
matin , à un quart de lieue de Saint-Denis , où
leconvoi étoit attendu par un clergé très-nombreux
& par les religieux de l'abbaye ; les prélats.
&les aumôniers mirent pied àterre à la premiere
croix , & fuivirent le corps à piedjuſqu'à la ville :
la porte étoit tendue de deuil , le dedans & le
dehors de l'égliſe l'étoient auſſi .
Le premier aumônier préſenta le corps aur
religieux de l'abbaye & leur fit un diſcours , auquel
le prieur répondit. Les gardes porterent le
corps ſurune eſtrade dans le choeur. Le premier
JUILLET 1768. 205
aumônier fit quelques prieres & célébra enfuite
une meſſe haute , qui fut chantée par les religieux.
Les officiers de la maiſonde la reine y afſiſterent.
Les cérémonies durerent juſqu'à onze heures du
matin.
Les gardes & les fuiffes , & toute la maiſon de
la reine demeurerent à Saint-Denis. Les tables
des officiers y furent fervies à l'ordinaire , & ſa
maiſon ne ſe ſépara qu'après que la reine fur
inhumée , le jour du ſervice ſolemnel , auquel
les compagnies furent invitées.
LepereMeneſtrier , jéſuite , avoit donné l'idée
deladécoration de l'égliſe .
Al'entrée du choeur étoit une perſpective qui
faifoit paroître un temple ouvert : on voyoit des
deux côtés les tombeaux des rois de France. Les
images de la Mort &de l'Immortalité portoient
une inſcription latine , par laquelle elles paroiffoient
inviter les manes des monarques d'aller
au-devant de Marie-Théreſe , reine de France.
Dans un fronton au deſſus de ce temple paroiffoientles
faintsde la maiſon royale qui ſembloient
montrer une trace de lumiere à la reine & l'inviter
d'ymonter. Une tête de mort avec des aîles de
chauve-ſouris ſéparoit les armoiries de France &c
d'Eſpagne. Une croix entre deux lampes allumées
furunglobe du monde figuroit la réſurrection .
Une chapelle ardente , ompoſée de fix colonnes
de lumieres , étoient dans le choeur , au deffus
du corps , avec autantde conſoles qui portoient
une pyramide de lumieres. On n'y avoit point
dreſſe de maufolée , parce que l'égliſe ſert ellemême
de mauſolée en ſemblable occafion.
Seize figures couchées ſur les ceintres des huit
arcades qui entourent le choeur repréſentoient les
divers avantages de lafortune que la reine n'avoit
206 MERCURE DE FRANCE.
regardé que comme des moyens offerts pour arri
ver à une plus parfaite pratique de la vertu. La
Naiſſance étoit repréſentée par une figure dont
P'habit étoit ſemé des tours de Caſtille & des
lions de Léon elle tenoit une branche de grenadier
dont les fruits étoient couronnés.
LeRing avoit fon habit ſemé d'étoiles.
L'Autorité tenoit un caducée.
LaPuiſſance avoit un faiſceau romain.
La Majesté , le ſceptre & la couronne.
La Magnificence , ſon habit ſemé de lys.
L'Abondance , ſa corne pleine de fruits.
Le Mariage , ſon habit ſemé de jougs & de
ccoeurs entrelacés de noeuds d'amour.
L'Indépendance, une robe volante ſans ceinture,
avec une hirondelle à la main.
LaRérutation étoit peinte comme larenommée.
La Conduite avoit un niveau entre les mains ,
&le coffretdes ſceaux pour le ſecret.
:
:
Le Domaine avoit fon habit en carte de géographie.
LeRepos étoit dans la poſture d'un homme
dormant avec des pavots en main .
La Délica fle avoit ſon habit ſemé de fleurs
& un voile délié.
La Diftinction , ſon habit en échiquier.
:
La Félicité , ſes ſymboles ordinaires.
Toutes ces vertus ou qualités avoient chacune
une deviſe relative à la reine. I
On avoitélevé un ſuperbe pavillon entre le dais
qui courroit l'autel & celui qui étoit placé au deffus
de la chapelle ardente.
Lorſque la meile fut célébrée & que l'on eut
fait les prieres , les encenſemens & aſperſions
ordinaires , douze gardes du corps deſcendirent
de cercueil de deſſus l'eſtrade , & le porterentdans
JUILLET 1768. 207
lecaveau; quatre préſidens du parlement tenoient
les quatre coins du drap mortuaire , en même
tems le roi d'armes étant au haut des degrés du
caveau appella les honneurs en ces termes : «Mon-
>>ſ>ieur le marquis de Villacerf , premier maitre
>> d'hôtel de la reine, venez faire votre charge,&c.
Le manteau royal fut_apporté par le premier
écuyer de la reine , la couronne par ſon chevalier
d'honneur , &c. & furent remis au roi d'armes
qui les fit paſſer àdeux religieux au bas des degrés.
On mit le tout fur le cercueil de la reine. Les
bâtons du premier maître d'hôtel & des maitres
d'hôtel ordinaire & de quartier furent rompus ;
alors le roi d'armes s'avança trois pas du côté du
chooeur , & cria deux fois : Marie- Théreſe , infante
d'Espagne , épouse de Louis le Grand , est morte ,
priez Dieu pourfon ame.
Le Dies ira & le Deprofundis , mis en muſique
par Lulli , furent chantés.
Les compagnies dînerent dans le réfectoirede
l'abbaye. On fit une diſtribution conſidérable d'au.
mônes à plus de quatre mille pauvres.
On fit auſſi un ſervice ſolemnel a Notre-Dame.
Les cérémonies y furent les mêmes qu'à S. Denis.
NOUVELLES POLITIQUES.
De Pétersbourg, le 13 mai 1768 .
Un anonyme ayant remis vers la fin de l'année
derniere une ſomme de mille ducats à la ſociété
cæconomique de cette ville , elle propoſa un prix
decent ducats avec une médaille d'or de vingtcing
, deſtiné pour le meilleur mémoire ſur cette
queſtion : Est- il plus avantageux && plus utile au
pab'ic que lepavfan poſſede en propre des terres ou
Jeulement des biens immeubles , & quelle feroit
208 MERCURE DE FRANCE.
l'étendue deſesdroitsfur cette propriété pour la
plus grande utilité du public ? Il y a eu cent
foixante concurrens ; la ſociété a adjugé le prix à
unmémoire françois qui a pour devife : in favorem
libertatis omnia jura clamant ; fed eft modus
in rebus. Le ſieur Bearde de Labbaye en eſt l'auteur.
Du 11 juin 1768 .
Le général Mokzanowski , qu'on avoit envoyé
aux confédérés pour les porter à la paix , eſt revemu
dans cette capitale ainſi que le ſieur Dzieduſycki
, à qui l'on avoit confié le commandement
destroupes Polonoiſes , qui l'ont abandonné pour
ſe joindre aux confédérés. Ceux d'Halitz , après
avoir ſigné leur acte de confédération,(e fontrendus
à Poſin ; on apprend que la nobleſſe de la
Samogitie s'eſt ſoulevée ; les Ruſſes ne ſe trouventqu'au
nombre de fix mille dans tout le pays ,
&ils n'ont point encore de nouvelles du renfort
qu'ils attendent.
De Stockholm , le 27juin 1768.
Emmanuel Swedenborg , ci-devant aſſeſſeur an
college royal des mines , fameux par ſes viſions
&ſes prétendus entretiens avec les morts , s'eſt
embarqué pour aller faire imprimer en Hollande
ſes derniers ouvrages. Il eſt dans la quatre-vingtunieme
année de ſon âge , & a prédit , avant de
partir , que ce voyage,le dixieme qu'il a fait dans
les pays étrangers , ſeroit le dernier qu'il entreprendroit
, mais qu'il reviendroit mourir dans fa
patrie. Il a publié ſur la théologie & la minéralogie
pluſieurs ouvrages eſtimés.
De Vienne , le 15 juin 1768 .
On apprend de Berne , que les princes Guilaume
-Auguste & Frédéric- Louis de Holſtein
JUILLET 1768.209
Gottorpy ont été inoculés ſous les yeux du docteur
Haller , & que l'éruption s'eſt faire très-heureuſement.
Le ſieur Ingenhouſs, médecin Anglois,
qu'on a fait venir ici de Londres pour eſlayer la
pratique de l'inoculation , a commencé cette expérience
ſur ſeize enfans depuis l'age d'un an julqu'a
treize , dans l'hôpital érigé pour cet effet au
village de Meydling .
De Lisbonne , lu 31 mai 1768 .
Le nombre des prêtres , des religieux , des
moines & des religieuſes de ce royaume , porta
ſa majeſté à ordonner en 1764 , que perfonne ne
putdans ſes Etats , pendant dix ans , prendre les
ordre ſacrés , ni entrer dans aucun couvent ſans ſa
permiflion expreſſe , expédiée à la fecrétairerie
d'Etat. Cependant le roi , voulant bien avoir
égard aux repréſentations qui lui ont été faites par
les provinciaux des dominicains , des auguftins
réformés & des récollets , vient d'accorder à chacund'eux
la permiffion de recevoir vingt ſujets.
Le provincial des dominicains exige juſqu'a fept
mille cinq cens livres de chaque ſujet qui voudra
entrer dans cet ordre.
De Rome , le 15 juin 1768.
On apprend par un exprès arrivé d'hier , qu'un
corps de troupes Napolitaines s'eſt emparé de
Benevent le 11 de ce mois,&que le prélat Lante,
gouverneur de cette ville , s'eſt mis en route pour
revenir auprès de ſa ſainteté ; on aſſure que ces
mêmes troupes ont dû s'emparer auffi de Ponte-
Corvo , autre ville de la domination du pape. Le
princeOdeſcalchi de Braciano a été inoculé avec
leplus grand fuccès.
210 MERCURE DE FRANCE.
De Londres , le 10 juin.
Extrait d'une lettre écrite de l'iſle de Montfer
rat dans l'Amérique ſeptentrionale , le 6 mars
1768 .
Les negres de cette iſte avoient formé le projet
d'exterminer tous les blancs , & de s'emparer de
leurs biens & de leurs femmes. Ils devoient
d'abord faire fauter en l'air la ſalle du bal , le 17
mars au ſoir pendant,qu'on y danſeroit. Le complot
n'a été découvert que trois heures avant le
moment convenu pour l'exécuter . Il y a maintenant
ſoixante-dix negres dans les fers . Les autres
ſe ſont retirés ſur les montagnes avec tout ce
qu'ils ont pu emporter d'armes & de munitions ,
& ilsſemblent déterminés à ſe défendre avec tout
le courage qu'on peut attendre de gens animés
parledéfeſpoir.
Du 21 juin 1768 .
Le 18 le tribunal du banc du roi a enfin
prononcé le jugement définitif du ſieur Wilkes .
Lesdeux ſentences des jurés,par leſquelles il eſt,
déclaré coupable d'avoir publié l'ouvrage intitulé :
efſſaifur lafemme , & republié dans le numéro 45
du North- Briton , avoient été confirmées dans la
ſéance du 14. La cour du banc a condamné le
fieur Wilkes à garder la priſon pendant deux ans
à commencer dujour qu'il s'y eſt volontairement
rendu , à payer une amende de mille livres ſterling
, & à donner caution de la bonne conduite
pendant ſept ans ; cette caution a été fixée à
deux mille livres ſterlings ,dont une moitié en
fon nom , & l'autre au nom de deux autres per-
Fonnes. Le feur Wakes voyant fa profcription
JUILLET 1768 . 211
révoquée , déclara qu'il pourſuivroit juridiquement
le comte Halifax.
Dans les aſſemblées que les miniſtres tiennent
relativement aux colonies du continent de l'Amérique
, qui perſiſtent àne vouloir pas ſe ſoumettre
aux taxes impoſées ,&àne rien tirer des manufactures
de la grande Bretagne , on a propoſé de
permettre aux habitans de ces colonies , 1º. d'ouvrir
& d'exploiter leurs mines & minieres fans
nulle redevance à la couronne & aux mêmes
conditions que celles qui ſont impoſées en Angleterre
pour cet objet. 2°. Leur accorder le droit de
battre monnoie. 3 °. De révoquer les actes du par
lement qui peuvent gêner leur commerce , mais
de leur impoſer l'obligation de lever une ſomme
équivalente aux droits actuellement établis
laquelle ſera perçue de la maniere que chaque
province jugera la plus convenable , & appliquée
àl'entretiendes garniſons & aux autres dépenſes
militaires de l'Amérique ; le ſurplus deſtiné au
rembourſement des dettes qu'à occaſionnées pendant
les dernieres guerres ladéfenſe des colonies.
FRANCE.
De Marly , le 29 juin 1768 .
1
Aujourd'hui la cour a pris le deuil pour fix mois
à l'occaſion de la mort de la reine.
De Versailles , le 2 juillet 1768 .
:
J
Tout étant prêt pour le départ du convoi de la
reine , l'évêque de Chartres, premier aumônier de
ſa majesté , a fait , à huit heures du ſoir , la cérémonie
de lever le corps qui , après le De profundis
chanté par la muſique du roi , a été placé dans
le char deſtinéà le porter àl'église de l'abbaye
212 MERCURE DE FRANCE.
royale de Saint- Denis. Le convoi s'eſt mis en mar
che peude tems après dans l'ordre ſuivant. Un
détachement des gardes du corps ; un grand
nombre de pauvres , vêtus de robes de drap gris ,
portant des flambeaux ; des officiers des officesde
la reine , en deuil , portant auſſi des flambeaux ;
d'autres officiers en manteau , à cheval ; une partie
des caroffes des perfonnes principales qui compofoient
le deuit ; la ſeconde compagnie des
mouſquetaires de la garde du roi , ainſi que la
premiere compagnie ; les chevaux légers de la
garde ; deux grands carroffes du roi , drapés de
violet; trois autres grands carroſſes du roi , drapés
de noir avec des caparaçons qui couvroient
entierement les chevaux ; ces carroffes , attelés de
huit chevaux & éclairés par un grand nombre de
gens à cheval , étoient occupés par la comteſſede
Ta Marche , Mademoiselle , & les Dames d'honneur
, d'atours & Dames du palais de la reine :
marchoient enſuite les pages de lareine , les pages
de la grande & petite écurie du roi& des écuyers
de leurs majeftés ; les trompettes de la chambre
&écuries ; les hérauts d'armes ; le roi d'armes ; le
marquis de Dreux , grand- maître , le ſieur de
Nantouillet , maître , &le ſieur de Watronville ,
aide des cérémonies ; quatre chevaux légers.
Venoit enfuite le char , qui portoit le corps : il
étoit attelé de huit chevaux caparaçonnés de velours
noir avec des croix de moire d'argent aux
armes de la reine en broderie , conduit par le
cocher & le poſtillon vêtus de velours noir , &
entouré de valets de pied de la reine & des cent
Suiſſes de la garde : les quatre coins du poële
étoient portés par quatre aumôniers de la reine ,
àcheval: lecomte de Saulx-Tavannes , chevalier
d'honneur ,& le comte de Teſſé , premier écuyer
de ſamajesté , étoient àcheval àdroit & àgauche
JUILLET 1768 . 213
du char, derriere lequel marchoient des gardes du
corps& enfuiteles gendarmes de la garde ; cette
compagnie étoit ſuivie de carroffes drapés de noir
où étoient les femmes de chambre de la reine : la
marche étoit fermée par des carroſſes des princeffes
, du grand aumônier de la reine , & des
dames d'honneur & du palais de ſa majefté : tou
tes les troupes portoient des flambeaux , ainſi que
les pages , valers de pied & palfreniers.
Le convoi paſſa par Sevres & le pont de Sevres ,
traverſa le bois de Boullogne & fuivit le grand
chemin qui conduit à Saint-Denis , où il arriva le
lendemain vers les quatre heures & demie du
matin. Les religieux de l'abbaye & tout le clergé ,
tant ſéculier que régulier de la ville de S. Denis ,
&leComteDanès , gouverneur , à la tête du corps
de ville , vinrent ſur le chemin de S. Ouen recevoir
le corps de la reine: ils marcherent procefſionnellementdevant
le char juſqu'à l'égliſe , àla
portede laquelle l'évêque de Chartres , premier
aumônier de la reine , préſenta au prieur de l'abbaye
le corps de ſa majeſté qui fut tranſporté&
expoſédans le choeur de l'égliſe. On chanta les
prieres ordinaires , auxquelles afſiſterent les princeſſes
du ſang&toutes les perſonnes qui s'étoient
trouvées au convoi. Le mêmejour , le corps de la
reine fut tranſporté dans la chapelle haute de
l'égliſe,où il doit reſter en dépôt juſqu'au moment
de l'inhumation : on chante , chaque jour , dans
cette chapelle , une grand' meſſe à laquelle affiftent
pluſieurs dames de la reine ,ainſi qu'un grand
nombred'officiers de la maiſon de ſa majeſté. Le
coeur de la reine a été mis en dépôt , avec le
corps , dans la chapelle haute , en attendantqu'il
foit tranſporté àNotre-Dame de Bon-Secours en
Lorraine , ainſi que ſa majesté l'a demandé par
ſon teftament.
214 MERCURE DE FRANCE.
<
:
ERRATA.
Dans le premier volume de juillet , page 24 ,
après la ligne ſeizieme, ajoutez : HEL. Tout excès
eſt dangereux. Tout éclat déplacé l'eſt encore
davantage.
Même volume , page 91 , après la ligne 4 ,
ajoutez ce titre :
Faits qui ont influé fur la cherté des grains en
France& en Angleterre. Avril 1768 , brochure
1 in - 8 ° de 48 pages.
APPROBATI0N.
J'AAII lu , par ordre de Monſeigneur le Vice-
Chancelier , le ſecond volume du Mercure de
juillet 1768 , & je n'y ai rien trouvé qui puiſſe en
empêcher l'impreſſion. AParis , le 14juin 1768.
GUIROY.
TABLE.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
A mon vaiſſeau , épître de M. de V. .. pages
Galimathias pindarique ſur un carrouſel , &c. par
* M. de V...
La félicité née du malheur , nouvelle,
Les charmes de l'imagination.
Les dangers de l'imagination ,
p. &
II
27
29
JUILLET 1768. 215
Le Chat & la Sonnette , conte. 31
Le vieillard politique. 32
A M. Saurin ſur Beverlei. 36
La Bienfaiſance & l'Equité. 37
L'Amitié trahie , nouvelle angloiſe. 49
Vers à Mde Benoift . 52
Imitation de la troiſieme ode d'Horace. 53
Entretien entre un géometre & un citoyen de
Paris. 55
Explication des énigmes & logogryphes . 67
Enigmes. 63
Logogryphes. 69
NOUVELLES LITTÉRAIRES,
Songes philoſophiques , par M. Mercier. 71
Le Mariage clandestin , comédie. 74
Ellai ſur le génie original. 78
Epître de M. de Voltaire. 83
De la ſanté des gens de lettres. 88
Traité des eaux minérales.
ا ل و
Traité élémentaire de morale. Ibid.
Hiſtoire du coeur. १०
Abrégé d'anatomie. 91
Avis ſur le dictionnaire anglois.. 93
Cantiques. 95
Journal d'un voyage à la Louiſiane. 96
Expoſition de la doctrine .
Logique-pratique.
Eſſai lur les grands hommes de la Champagne . 97
La ſupercherie réciproque.
L'examen des tragédies de Racine.
La république des jurifconfultes .
Principes de la langue françoiſe.
Eloge de Staniſlas.
Obſervations ſur les maladies des yeux .
99
ΙΟΙ
103
106
109
112
114
Journal des guériſons opérées aux fontaines de
Saint-Amand.big.
و
216 MERCURE DE FRANCE.
L'art de connoître les hommes .
Hiſtoire de M. & de Mde Tenducci .
115
116
Lettres aux femmes mariées. 117
Principes de la langue latine.
Guide des chemins de la France.
Prix de l'académie des ſciences .
118
119
I20
Prix de l'académie de Montpellier. 122
COMÉDIE FRANÇOISE , Beverlei. 123
Lettre de M. de Voltaire à M. Paulet , au ſujet
de l'hiſtoire de la petite- vérole 149
Ligue contre la petite-vérole. 153
Expériences phyſique pour faire venir des légumes&
des fruits en hiver , &c. 161
GRAVURE. 167
PEINTURE EN CHEVEUX. 170
MUSIQUE.
Ibid.
GEOGRAPHIE. 171
MÉDECINE ET CHIRURGIE. 175
Evénement remarquable. 176
ANCIENS USAGES. 181
Coutume en Hollande. 182
ANECDOTES . 383
TRAITS DE GÉNÉROSITÉ . 186
QUESTIONS.
Ibid.
AVIS.
1.87
Ordonnances. 196
Pompe funebre. 199
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Ladvocat, 2 vol . in- 8°, nouv.édit. 4liv. 10 6.
Dict. de droit canonique , par Durandde Maillane,
2 vol. in -4° reliés . 24 liv.
Dict. de phyſique , par le Pere Paulian , 3 vol .
in-4° brochés. 27.1.
Dict. univerſel des fofſiles propres &des folfiles
accidentels , &c. in - 8º , par M. Bertrand , relić.
41. 10 f.
Dict. anglois & françois , françois & anglois
in-8° relié. 10 liv.
Dict. allemand & françois , & françois & alle.
mand , in- 80 , relié. 61.
-Idem in 4°. relié. 121.
Dict.dedroit&de pratiq. 2 vol. in- 4°. relié. 20 1.
Avis aux meres qui veulent nourrir leurs enfans
, broché. I liv.
Trois avis au peuple fur leblé , la farine & le
pain.
Almanach philofophique.
2 liv. 12
1 liv. 4C.
Anecdotes de médecine , in- 12 relié.
Antropologie , 2 vol, in- 12 , broché,
L
3 liv.
-Idem. in- 4º broché.
4
liv
.
6lix.
Anatomie du corps humain , par M. J. Proſteval,
in - 4° relié.
t
12liv.
Almahide , 8 vol. in- 8 , reliés . 3.2liv.
ai
4
LeBotaniste François , 2 vol. reliés. s liv
Le bon Fermier , ou l'Ami des Laboureurs , in - 12
broché. 2 liv.
La bonne Fermiere , broché. 1 liv. 16 (.
Bocace Italien, édit, de Londres, in- 4°, br. 24 liv .
Bibliotheque des jeunes négocians , par Jean Larue
, 2 vol. in 4º relié. 18 liv.
La ſainte Bible par le Cêne, 2 vol. in- fol. rel . 40 1.
Catéch.de Montpell. en lat. 6 vol. in 4º, br. 48 1.
Celiane , ou les Amans féduits par leur vertu ,
in- 12 , broché. 1 liv. 10 f.
Le Citoyen défintéreſſé, 2 vol. in-8 ° , br. 4 1. 10 f.
Commentaire des aphorismes de médecine d'Herman
Bse have par Wans Wieten en françois
, 2 vol. in- 12 , brochés. 4liv.
Conférence de Bornier , 2 vol . in-4º , reliés. 24 1.
Controverfefur la religion chrétienne & celle des
Mahometans, in- 12 , 1767 , broché. 1 1. 16 (.
Le Docteur Panſophe , ou lettre de M. de Voltaire
a M. Home , in 12 , broché. 12 C.
Les DELASSEMENS CHAMPÊTRES , 2 vol. in- 12
brochés. 4liv.
Difputationes ad morborum hiftoriam & curationem
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reliés. 60 liv.
Difputationes chirurgicæ ſelectæ , Albertus Hallerus
, vol. in 4º , reliés . so liv.
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brochés. 24 liv.
Differtation fur la littérature , 4 vol. in 80. 6 liv .
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religion chrétienne , 3 vol. in- 12 , par M. l'abbé
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5
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Elemens de philofophie rurale , broché 2liv.
Effſaisfur l'art de la guerre , avec cartes &planches,
parM. le comte deTurpin , 2vol. in-4 ,
brochés. 24 liv.
24f.
Exposéfuccinct de la contestationdeM. Rousseau
avec M. Hume , in 12,broché.
Eſſai ſur l'hiſt. des belles lettres, 4vol. rel. 12 liv.
Entretien d'une ame pénitente, in 12 broché. 2 liv.
Les élémens de la médecine pratique , par M.
Bouillet , in 4º , relié. 7 liv.
Elém. de métaph. facrée&profane, in-sobr. 3 liv.
Histoire naturelle de l'homme dans l'état demaladie,
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2 liv. 10 f.
Hift. de la prédication, 1 vol. in- 12, rel.2 liv. 10 f.
Hift. des Empereurs , 12 vol. reliés in- 12..361.
Hift. du bas Empire , 10 vol. reliés . 30 liv.
Hift. ecclef. de Racine , 15 vol.in- 12, relié. 48 liv.
in-4° , 13 vol. 130 liv.
Hift. de France de Vely , 18 vol . reliés , in 12.
54 liv.
Hift. moderne , 12 vol. reliés , in- 12 . 36 liv .
Hift. de Lucie Weller , 2 vol. in 12 , broché. 4 liv .
Hift. des révolutions de Florence ſous les Medicis ,
3 vol. in- 12 reliés . 7liv. 10 f.
Hift. de l'Afrique ( nouvelle ) françoise , 2 vol.
in- 12 , reliés. 6liv.
Hift. de l'empire ottoman , in-4º, relić . 9 liv.
Hift. des navigations aux terres Auſtrales , 2 vol.
in-4° , reliés. 24liv.
6
Hift.navaled'Angleterre,3 vol. in-4°.rel. 27 liv.
Mélangesintéreſſans & curieux , contenant l'hiſ-
12 , re'iés .
toire naturelle , morale , civile & politique
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25 liv.
Mém. de Mile de Valcourt , 2 vol. broc. 2 liv . 8 .
M.decine rurale& pratique , rel . in- 12. 21. 10 f.
Henry IV, ou la réduction de Paris , poëme en
1 liv. 4 (.
Manu'l de chymie , par M. Beaumé , nouvelle
édition augmentée , in- 12 , relié. 2 liv. ro f.
Manuel lexique , par M. l'abbé Prevôt , 2 vol.
in 8 ° , reliés .
trois actes.
و liv.
Manuel harmonique, &c . par M. Dubreuil , maître
de clavecin , in- 8 ° ; 1767 , broché . 1 liv. 16 f.
Mémoires militaires , & voyages du Pere de Singlande
, 2.vol. in-12 , 1766 , broc.
Mémoirefur l'adminiſtration des finances d'Angle-
21.101.
terre , in -4° , broché. 6liv.
Maladies des gens de mer , par M. Poiffonnier ,
in 8°, relić. sliv.
Monades de Leibnitz , in , broché. 9liv
Mémoire ſur le ſafran , in- 80 , broché. I liv. 4
Notesfur la lettre de M. de Voltaire , br. 9 fols .
Oeuvres dramatiques , avec des obſervations , par
M. Marin , in 8° , broché. 2 liv.
Olave ou le jeune Pompée , ou le Triumvirat ,
avec des notes & des morceaux hiſtoriques ,
I vol. in- 8 ° , broché . 1 liv. 16
Les OEuvres de Rouſſeau , in- 12 , petit format ,
5 vol. reliés. 10liv.
Les Cuvres de M. d'Héricourt , 4 vol. in-4 ° ,
reliés.. 40liv.
Obfervationsfur la mouture des bleds , & fur leur
produit. 101.
La poétique de M. de Voltaire , 2 part. en un
7
grand in- 8° , relić. s liv .
Pensées & réflexions morales , nouv. édit. revue &
augmentée , broché. I liv. 10 f.
Polypes d'eau douce , ou lettre de M. Romé de
l'Iſle à M. Bertrand , &c. broché . 12 .
La paſſion de notre Seigneur Jesus- Chrift , miſe
en vers & en dialogues , in-8 ° , broché. 12 f.
Richardet , poëme héroï- comique , en 12 chants ,
dans le goût de l'Arioſte , I vol. grand in-8°,
relić.
s liv.
Les Scythes , tragédie de M. de Voltaire , nouv .
11.10 6. édition , in- 8 ° , broché.
Syphilis , ou le mal vénérien , poëme latin de
Jerôme Fracaſtor , avec la traduction en françois
& des notes , I vol . in. 8 ° broché . 1 1. 10 f.
La Sechia Rapita , 2 vol . in- 8º reliés. 36 liv.
Table des monnoies courantes dans les quatre
parties du monde , brochés. 1 1.4f.
Traité de toutes les coliques , in-12 , 1767 ,
broché. 1 liv. 10(.
Traité des principaux objets de médecine , 2 vol.
in- 12 , reliés . sliv.
Théorie du plaifir , I vol. broché. 1 liv. 16f.
Traité des jacinthes , broché. 1 liv. 4 f.
Traitédes tulipes , broché. I liv. 106.
2 liv. Traité des renoncules , broché.
Recueil de divers traités ſur l'hiſtoire naturelle de
laterre & des foſſiles , in-4° , broché. 9 liv.
Virgile d'Annibal Carro, 2 vol, in- 8 °, reliés. 36 1.
OUVRAGES fous preſſe & qui doivent paroître
inceffamment.
in-89.
Supplément pour la premiere édition du dictionnaire
d'histoire naturelle , volume
Hiſtoire du Patriotisme François , ou nouvelle
hiſtoire de France , dans laquelle on s'eft
8
S
principalement attaché à décrire les traits de
patriotiline qui ont illustré nos Rois , la Nobleſle
& le Peuple François , depuis l'origine
de la monarchie , juſqu'a nos jours , 6vol.
in- 12.
Variétés littéraires , ou choix de morceaux intéreffans
& curieux , concernant les ſciences ,
les arts & la littérature , 4 vol . in- 12.
Dictionnaire de Telocution françoise , contenant
les regles & les exemples de la grammaire ,
de l'éloquence&de la poéſie , 2 vol. in-১০.
Hiſtoire littérairedes Femmes Françoises , contenant
une analyte raifonnée de leurs ouvrages ,
&c. s vol. grand in 8°.
Hiltoire des théâtres de la Comédie Italienne
& de l'Opéra- comique , depuis leur établiſſement
en France juſqu'à nos jours , avec l'analyſe
raiſonnée , & Thiſtoire anecdotiquede
ces théâtres , 6 vol. in 12.
Les Nuits parifiennes , ou recueil de traits finguliers
, d'anecdotes , de pentées , &c. 2 vol.
in-8°.
Les deux áges du goût & du génie , ou les efforts
& les progrès du goût & du génie dans
les ſciences , les arts & la littérature , ſous
les regnes de Louis XIV & de Louis XV ,
vol. grand in-8°.
Nouvelles recherches fur les êtres microscopiques
, & fur la génération des corps orgapifés
, vol. grand in 80 , avec figures.
Dictionnaire de lagéographie ancienne , vol. in-8º.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le