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1768, 04, vol. 1-2
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MERCURE
DE FRANCE,
2.
DÉDIÉ AU RO Ι.
AVRIL 1768 .
PREMIER VOLUME.
Diverſité , c'est ma deviſe. La Fontaine.
Copfhin
Filius inv.
Papillon Seulp.
1783-
A PARIS ,
JORRY , vis- à-vis la Comédie Françoife.
PRAULT , quai de Conti .
Chez DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue du Foin .
CELLOT , Imprimeur, rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
:
Compleets
7-10-131
24009
AVERTISSEMENT.
LEE
Bureau du Mercure est chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier - Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne, Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
د
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer ,
francs de port , les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie littéraire
àM. DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
Leprix de chaque volume est de 36fols ;
mais l'on ne payera d'avance en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raiſon de 30 fols piece.
د
Les perſonnes de province auxquelles
on enverra le Mercure par la Poſte ,
payeront pour ſeize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront d'autres voies que
la Poste pour le faire venir , & qui pren.
dront les frais du port fur leur compte ,
ne payeront , comme à Paris , qu'à raiſon
de 30fols par volume , c'est- à- dire , 24 liv .
d'avance , en s'abonnant pourſeize volumes.
A ij
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreſſe ci- deſſus .
On fupplie les personnes des provinces
d'envoyer par la Pofte , en payant le droit,
leurs ordres , afin que le paiement enfoit
fait d'avance au Bureau .
Les paquets qui neferont pas affranchis
refteront au rebut .
On prie les perfonnes qui envoient des
Livres , Eftampes & Musique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Les volumesdu nouveau Choix des Pièces
tirées des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , ſe trouvent auffi au
Bureau du Mercure. Cette collection eſt
compoſée de cent huit volumes. On en a
fait une Table générale , par laquelle ce
Recueil eft terminé ; les Journaux ne
fourniſſant plus un affez grand nombre de
pièces pour le continuer. Cette Table ſe
vend ſéparément au même Bureau , où
l'on pourra ſe procurer deux collections
somplettes qui reſtent encore.
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL 1768 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE .
ODE contre l'athéisme.
LOIN d'ici cette folle yvreſſe
Qui , des nourriſſons du Permeſſe ,
Soutient les prophanes accens.
Fuyez , déïtés chimériques ( 1 ) !
Oui , les idôles poétiques
Ne méritent point mon encens.
Vérité ! c'eſt toi que j'implore !
Du Dieu , que l'univers adore ,
Fais briller les droits éternels :
( 1 ) Apollon & les Muſes invoqués par les poëtes .
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Fais , que d'une main affermie ,
Dans le coeur même de l'impie ,
J'aille lui dreſſer des autels .
Fille du Ciel , le fol athée ,
A ta clarté ſi reſpectée ,
Livre des affauts impuiſſans ;
Malgré lui ta vive lumière ,
De l'erreur perçant la barrière ,
Frappe ſon eſprit & ſes ſens.
Impie ! arrête ; ton blafpheme
Au vrai chrétien , au payen même ,
Inſpire une ſecrette horreur ;
Ton crime alarme la nature ,
Elle abhorre une bouche impure
Qui vient lui ravir ſon auteur.
Viens , ingrat ! contemple le monde ;
Les vaſtes cieux , la terre & l'onde ;
Qu'offrent- ils à nos yeux charmés ?
Contemple cet ordre admirable ,
Où brille la main adorable
De l'Auteur qui les a formés.
Mais pourquoi promener ta vue
Sur les eaux , la terre & la nue ?
Confidère ton propre corps ;
Admire ſa noble ſtructure ,
Ses organes , fa contexture ,
Leurs inexplicables refforts .
AVRIL 1768 . 7
Vainement une erreur antique ,
Au hafard , cauſe chymérique ,
Afligne un ordre fi conftant.
Seroit- il poffible , Epicure (2) ,
Que les beautés de la nature
Fuſſent l'ouvrage du néant ?
Rions de la folle penſée
Des philoſophes du lycée ( 3 ) ,
Qui crurent le monde éternel ,
Et qui , d'une maſſe inſenſible ,
Lourde , changeante & corruptible ,
Forgèrent un être immortel.
Un eſprit foible , hardi Prothée ( 4 ) ;
Tour à tour juif, chrétien , achée ,
Forme un ſyſteme monstrueux ;
Confond l'eſprit & la matière ,
Et fait du dieu de la lumière ,
Un être obſcur & ténébreux.
( 2) Philotophe qui foutenoit la matière éternelle
, & dont le ſyſteme étoit de rapporter au
concours fortuit des atômes la cauſe du bel arrangement
de l'univers.
( 3 ) Lieu dans Athènes où ſe tenoit l'école
des péripatéticiens , ou ſectes des philoſophes qui
avoit pour chef Ariftote.
( 4 ) Dominique Spinofa , auteur d'un captieux
ſyſteme d'athéiſme ,& qui a prétendu que tout
l'univers n'étoit qu'une ſeule ſubſtance , & que
cette ſubſtance étoit Dieu.
A iv
MERCURE DE FRANCE.
Vantez-nous les rares ſyſtemes ( s ) ,
Ou plutôt les affreux blafphemes
Que l'homme étale en ſes travers ;
Qui , monumens de ſa foibleſſe ,
Font voir de l'humaine ſageſſe
L'orgueil & les excès divers.
Conçoit-t- on , dis-tu , ce myſtère ( 6 ) ?
Ici bas le méchant proſpère ,
L'homme de bien vit malheureux ....
Attends le jour , jour redoutable ,
Où tu verras l'un miſérable ,
Et l'autre au comble de ſes voeur.
Dès le moment qu'il prit naiſſance ,
L'univers de ton exiſtence
Fit , grand Dieu ! ſa félicité ;
Rien n'a pu chez les Hurons mêmes ( 7 ) ,
Eteindre d'un Étre ſuprême
La confolante vérité.
Tu parles , tout ſe meut , tout tremble
Soudain tous les êtres enſemble
Suivent tes ordres ſouverains ;
L'inſecte qui rampe ſous l'herbe ,
Ainſi que le lion ſuperbe ,
Prêchent ta grandeur aux humains.
( 5 ) Les paſſions objectées par les libertins ,
contre l'exiſtence de Dieu.
( 6 ) Le mal phyſique objecté par les mêmes
contre l'exiſtence de Dieu.
(7 ) L'idée de Dieu naturelle a tous les hommes.
AVRIL 1768 . 9
Le méchant même te révère .
Caligula , Néron , Tibère ,
Craignirent ton juſte courroux ;
Et les âmes nobles & belles ,
Les Antonin , les Marc-Auréle ,
Adorèrent, toujours tes coups.
Un ardent deſir me pénétre ;
Je veux perpétuer mon être ,
Je veux vivre après le trépas .
Si ce n'est qu'une erreur flatteuſe ,
Elle me plaît , elle est heureuſe ;
Cruel ! ne me l'arraches pas.
Mon âme tremblante , etonnée ,
Frémiroit de la deſtinée
A l'aſpect d'un affreux néant :
Et l'homme abhorant cette image ,
Déſeſpéré de ſon partage ,
Mourroit cent fois en un inſtant.
Que ne puis-je , d'un trait de flame ,
Peindre le déſeſpoir de l'âme ,
Si l'univers étoit ſans Dieu ?
On verroit l'affreuſe licence ,
Le vol , le meurtre , la vengeance ,
Porter leur fureur en tout lieu .
Quel effroi ſaiſit ma penſée!
La mature bouleverſée
S'offre à mon eſprit éperdu;
-Le ſoleil embraſe la terre ,
10 MERCURE DE FRANCE.
Au ſoleil l'onde fait la guerre :
Tout périt , tout est confondu ( 8 ) !
Au crime quand il s'abandonne ,
D'où vient que le mortel friſſonne ,
Eût- il ſcû cacher ſon forfait ?
En vain au glaive redoutable ,
S'échappe l'effrayé coupable ;
Un Dieu l'a vu , ce Dieu le fait.
Menace , tonne , frappe , abîme ,
Dieu juſte , fait trembler le crime !
Venge ta ſainte Majeſté.
Mais que dis-je ? ... Ah ! plutôt pardonne ,
Dieu clément ! touche , éclaire , tonne.
Fais nous adorer ta bonté.
Inſenſé ! tout ce qui reſpire ,
D'un Dieu nous démontre l'empire ;
Oui , tout concourt à le prouver.
Qui ne le reſpecte eſt à plaindre ;
On ne riſque rien à le craindre ,
On riſque tout à le braver.
Un jour , ſur les rigueurs céleſtes ,
Viendront mille doutes funeſtes ..
Alarmer ton dernier inſtant.
Je vois , ô mifère accablante !
Ton âme s'envole flottante
Entre l'enfer & le néant.
( 8 ) L'hypothèſe de l'athéiſme entraîne l'anéantiſſement
de l'univers . Par M***.
AVRIL 1768 .
VERS à une jeune Demoiselle , fur l'attachement
qu'ellefit paroître dans un repas,
où se trouvoit l'auteur , pour la mémoire
d'Henry IV.
V
OTRE âme , m'a-t- on dit , eſt mille fois
plus belle
Que vos deux yeux qui font très-beaux ;
Et des vrais Rois le vrai modèle ,
Qui conquit ſon Royaume , & , malgré ſes rivaux ,
Triompha des efforts de la ligue rebelle ,
Henry IV eſt votre héros ?
Que de titres , Eglé , pour vous rendre immortelle!
Vos talens , votre eſprit répondent du ſuccès.
Vous méritiez de vivre au temps de Gabrielle ,
De charmer le vainqueur & le Roi des François ,
Et de le rendre heureux comme elle.
COSTARD .
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Epitre à M. le Comte ANDRÉ DE
SCHOUVALOw , Chambellan de S. M.
l'IMPÉRATRICE DE TOUTES LES Rus-
SIES ; par M. RAOULT, ancien Profeffeur
de Belles-Lettres Françoises dans
ĽUniverſité impériale de Mofcou.
AINSI donc au printemps de l'âge ,
Et dans la ſaiſon des amours ,
Tout à coup un ſombre nuage ,
Cher Comte , obſcurcit vos beaux jours.
La vive & brillante déeſſe ,
Qui , ſur les pas de la jeuneſſe ,
Semant les fleurs , les ris , les jeux ,
Du front de l'aimable ſageſſe
Chaſſe les foucis ténébreux ;
La gaîté , par ſa douce flanıme ,
Hélas ! n'anime plus vos ſens ,
Et ne verſe plus dans votre âme
Ses plaiſirs toujours renaiſſans.
Dans une retraite profonde ,
Trop philoſophe , en vérité ,
Vous fuyez la Cour & le monde
Pour méditer en liberté.
Avec Nollet , de la nature
Vous interrogez les ſecrets ,
AVRIL 1768. 13
Et , d'une main habile & fûre ,
Vous en démontrez les effets ;
Et la musique & la peinture ,
Tour à tour ſervent vos loiſirs ;
De la morale la plus pure
Les loix dirigent vos defirs.
Tous ces goûts , ces dons d'Uranie ,
Sont bien dignes de vous charmer ;
Dans l'âge ardent de la folie ,
Cher Comte , du feu du génie ,
Ah ! qu'il eſt beau de s'enflammer !
Cependant il faut de l'étude
Modérer la vivacité ;
Le triſte ennui , la ſolitude ,
Des moeurs flétrit l'aménité .
L'eſprit ſans ceſſe agit , dévore ,
Il a beſoin d'un aliment ;
Mais il a plus beſoin encore
De repos & d'amuſement.
De ce miſantrope ſublime ,
Retiré dans l'ombre des bois ,
A qui tout paroît vice ou crime ,
Gardez- vous d'écouter la voix .
Laiſſez ce ſage atrabilaire
Déclamer avec dureté
Contre un déſordre néceſſaire ,
Et faire injuſtement la guerre
Aux arts, à la ſociété.
t
14 MERCURE DE FRANCE.
De ſes moeurs & de ſon ſyſteme
L'orgueil en ſecret eſt l'appui ,
Et ſa fingularité même
Le trahit toujours malgré lui :
Le ſage à ſes devoirs fidelle ,
Humain , bienfaiſant , généreux ,
Pratique la vertu pour elle ,
Sans étalage faſtueux.
Aux défauts , à quelque foibleſſe ,
Indulgent il fait pardonner.
Il ne va point fronder fans ceſſe
Maint abus , mainte petiteſſe
Qu'en lui - même il peut condamner.
Utile au monde , à la patrie ,
Il lui conſacre ſes talens
,
Et croit que la philoſophie ,
Par la grandeur plus ennoblie ,
Peut s'exercer dans tous les rangs.
Au plaiſir quelquefois ſenſible ,
S'il goûte ſes tendres douceurs ;
Toujours libre & toujours paiſible ,
De l'amour il plaint les erreurs ,
Et ce Dieu ſi ſouvent terrible
,
Ne l'enchaîne qu'avec des fleurs .
Loin de la ſtupide molleſſe ,
De la ſotte fatuité ,
Sans arrogance & fans baſſeffe ,
Aux vertus il joint la nobleſſe ,
Le mérite à la dignité.
:
AVRIL 1768. 15
Des honneurs la pompe & l'hommage ,
D'un palais les lambris dorés ,
Ne tiennent point en eſclavage
3
Ses ſens dans l'yvreſſe égarés.
Des biens il embellit l'uſage ,
Et , par des ſecours généreux ,
Sa main ſait réparer l'outrage
Que du fort l'inégal partage
A fait à tant de malheureux .
Ainfi , tant qu'il voit la lumière ,
Chéri de la nature entière ,
Tous ſes jours coulent dans la paix ;
Et quand la Parque meurtrière
L'enlève malgré nos regrets ,
Son nom ſurvit à ſa pouſſière ,
Et ſa vertu ne meurt jamais.
Cher Comte , voilà le vrai ſage
Que j'offre à vos yeux fatisfaits.
Un jour on verra ſon image
Briller en vous des mêmes traits.
La nature , avec complaiſance ,
Répandant ſur vous ſes préſens ,
Vous donna tout , eſprit , naiſſance ,
Vertu , caractère , agrémens :
N'allez point gâter fon ouvrage ,
Connoillez mieux cet avantage ,
Et jouiſſez de vos talens...
16 MERCURE DE FRANCE.
Laiſſez voltiger fur vos traces
L'eſſain folâtre des amours ;
Des plaiſirs reprenez le cours ,
Et que Minerve avec les Grâces
Préſide au bonheur de vos jours.
LETTRE à M. DE LA PLACE.
JE fus hier , Monfieur , dans une maiſon
françoiſe , où je trouvai deux aimables
femmes que la bonté de leur coeur , la
vivacité de leur eſprit & l'habitude de
réfléchir avoient engagées dans unediſpute
de ſentiment digne de l'attention de tous
les êtres qui penſent. Il étoit queſtion de
ſavoirfi les malheurs d'autrui font un motif
de confolation pour les malheureux. L'affirmative
& la négative furent foutenues
avec fen & de la manière la plus touchante
& la plus ingénieuſe. L'une de
ces deux Afpafies fit couler mes larmes en
briſant mon coeur , l'autre me cauſa une
vive douleur en étonnant mon eſprit. II
me fut impoffible d'être ſpectateur tranquille
: je dis mon avis avec chaleur , il
fut loué avec enthouſiaſme & critiqué
avec emportement ; chacun garda fon
AVRIL 1768 . 17
opinion , & nous nous promîmes tous de
nous en rapporter à celle qui feroit la
mieux établie dans votre Journal. Toute
queſtion qui intéreſſe l'humanité , & toute
vérité qui peut rendre les hommes meilleurs
mérite d'être éclaircie , & j'oſe
vous prier , Monfieur , de vouloir bien
rendre ma lettre publique pour parvenir
à connoître l'opinion générale ſur celle
qui a été ſi diverſement foutenue. Je prendrai
la liberté de vous adreſſer une diſſertation
qui établira la mienne , & j'invite
' les gens de lettres à fixer nos doutes , en
motivant leurs avis.
:
J'ai l'honneur , & c .
DE L**.
De Londres , le premier février 1768 .
LES malheurs d'autrui font- ils un motif de
confolation pour les malheureux ?
IL n'est pas néceſſaire de penſer pour
réfoudre cette queſtion , on n'a beſoin que
de ſentir pour être convaincu que , nonſeulement
les maux des autres n'adouciffent
point ceux auxquels l'infortune nous
18 MERCURE DE FRANCE.
livre , mais qu'ils ne ſervent , au contraire
, qu'à aigrir la douleur que nous
éprouvons déja. :
Quel eſt le fentiment qui nous porte à
partager les malheurs de nos ſemblables ?
La ſenſibilité. Quels font les êtres les plus
ſenſibles ? Les malheureux. Comment, en
partageant la peine des autres , pourroientils
diminuer la leur ? Rend-on fon fardeau
plus léger en ſe chargeant d'un nouveau
poids ? Coeurs vertueux & ſenſibles ,
qui êtes ſi ſouvent plongés dans la plus
vive triſteſſe , vous est- il jamais arrivé de
recevoir quelque confolation des larmes
de la douleur ? Une amante abuſée qui
pleure ſur l'infidélité d'un perfide , une
mère déſeſpérée de la mort d'un fils tendrement
aimé , un ami ſenſible qui gémit
ſur la perte de ſon ami , ont- ils été pour
vous un ſpectacle capable d'adoucir vos
peines ? Le ſentiment de la douleur ne
peut être calmé que par celui du plaifir;
&quel eſt l'homme affez méchant , quelque
malheureux qu'il foit , pour goûter
une ſecrette joie à l'aſpect de ceux qui
font auffi à plaindre que lui ? S'il étoit
poſſible que l'infortune des autres émouffat
l'aiguillon de nos malheurs , il faudroit
cacher cette vérité affreuſe qui dégraderoit
P'humanité ; il le faudroit pour qu'un
AVRIL 1768 . 19
homme dévoré de chagrin pût nous intéreffer
, car s'il étoit prouvé qu'il defire le
malheur de la nature entière , qui voudroit
être le conſolateur & le bienfaiteur d'un
pareil monſtre ? La cabane d'un indigent
ſeroit la retraite d'un ſcélérar. Les humbles
toîts de la mifère couvriroient les
plus horribles complots , & tout malheureux
feroit un être déreſtable qu'il faudroit
bannir de la ſociété. Le bonheur eſt le
cri de nos coeurs , c'eſt le voeu de la nature ;
& celui qui n'appercevroit le ſien que
dans les maux qu'il pourroit faire , feroit
bientôt le fléau des humains. N'aviliſſons
point nos êtres par des ſyſtêmes odieux ;
n'empoifonnons point la nature , ne nous
créons pas des vices nouveaux , fuivons
l'impulfion de nos coeurs. Heureux ou
malheureux , la meſure de la ſenſibilité
qui eſt en nous eſt celle de l'intérêt que
nous prenons aux événemens de la vie
qui nous font relatifs , ou qui regardent
les autres. Les perſonnes que l'infortune a
habituées à la douleur ſont plus exercées à
fentir , &conféquemmentplus capables de
commifération : d'où je conclus que les
maux des autres doivent augmenter ceux
des malheureux ; puiſqu'ils font plus fenfi
bles , ils doivent les reſſentir plus vivement.
En ſe pénétrant d'une douleur qui
20 MERCURE DE FRANCE.
leur eſt étrangère , celle qui leur eſt propre
ne doit-elle pas prendre une conſiſtance
nouvelle ? C'eſt un feu déja bien allumé ,
dont des nouveaux tiſons augmentent la
flamme. Je ſuis perfuadé qu'un homme
qui ſouffre n'en apperçoit pas un autre
dansun état pareil au ſien , ſans reffentir à
la fois& ſes maux & ceux de ſon ſemblable
, & fans s'écrier : pourquoi faut- il
quelenombredes malheureux ſoit ſi grand!
Que ne puis-je goûter au moins la douce
fatisfaction de ſouffrir ſeul ? Pour qu'il ne
tîntpas ce langage il faudroit qu'il y eût une
portionde malheur déterminée qui circulât
parmi les hommes. Elle s'affoibliroit en ſe
partageant ; & il ſeroit naturel alors de
deſirer que ce partage ſe multipliât à l'infini
pour voir diminuer d'autant la portion
qui l'accableroit. Il eſt démontré que les
hommes ne font point méchans gratuitement
; & qu'importe en effet au miférable
qui n'a pas de quoi ſubſiſter, que mille
autres meurent de faim puiſque cela ne
rend pas ſon état meilleur ? Les malheureux
peuvent ſe conſoler enſemble , parce
que leurs âmes communément ont des
rapports entr'elles qui les attachent l'un à
l'autre ; mais ces rapports font indépendans
de leur mauvaiſe fortune : les véritables
font ceux de la vertu , & certaineAVRIL
1768. 21
ment les âmes honnêtes ne ſe ſont jamais
fait un aliment agréable de la douleur des
autres. L'opinion contraire détruiroit en
nous tout ſentiment de bienfaiſance &
briſeroit les liens de la ſociété. Liens ſacrés
, qui font de la félicité d'un ſeul le
bonheur de pluſieurs , & que les malheureux
ont un intérêt ſi ſenſible à reſpecter.
C'eſt pour eux que j'ai écrit. Puifle mon
ſyſtême recevoir les applaudiſſemens de
ceux à qui leur fortune permet de faire
du bien aux hommes ! Puiſſent- ils être
perfuadés que le ſurplus des riches eſt le
patrimoine des pauvres , & que le plus
bel acte de l'humanité eſt ſans doute de
les ſecourir en ménageant leur délicateſſe!
:
ODE.
LA RECONNOISSANCE LORRAINE.
0U fuis - je tranſporté ? quel nuage s'en
tr'ouvre ?
Un ſéjour enchanteur à mes yeux ſe découvre ,
Dans la plaine des cieux ....
Je vois le temple auguſte où réſide la gloire ,
Cet aſyle éternel des filles de mémoirę
Et des enfans des dieux. 1
22 MERCURE DE FRANCE.
J'y cherche vainement ces conquérans féroces ,
(a) Ces Timurs , ces Nadirs érigés en coloflès-
( b ) Par un vil écrivain. ...
Votre triſte grandeur peint nos pertes fatales...
Cruels , vous n'avez teint vos palmes triomphales,
Que dans le ſang humain.
J'y vois les Princes nés pour le bonheur du monde:
Ils laiffent repoſer dans une paix profonde
Leurs foudres deſtructeurs ;
Sans afſervir les Rois ils leur ſervent d'exemples...
Elèvent vers le ciel des autels & des temples ;
Ils en ont dans les coeurs .
:
Ici ſont des héros ſous la pourpre romaine ;
Là paroît ( c ) Léopold , fi cher à la Lorraine
Par ſes bienfaits divers ;
Père de ſes ſujets avant d'être leur maître :
Il ne régit qu'un peuple , & méritoit de naître
Pour régir l'univers.
( a ) Tamerlan , ſurnommé Timur , eſt encore
plus connu par ſes cruautés que par ſes victoires.
Scah - Nadyr , Thamas Koulikan , ne pénétra
juſqu'aux Indes qu'à travers des flots de fang
humain ; l'atroce barbarie de ces guerriers heureux
, plus rapide & plus funeſte qu'un incendie ,
laiſſa dans tous les pays où ils portèrent leurs
armes , d'affreuſes marques de leur inhumanité.
(6) Un pour pluſieurs.
( c ) Léopold I , Duc de Lorraine & de Bar ,
Roi de Jérusalem , &c. nâquit à Inſpruck , capitale
du Tyrol , le 11 ſeptembre 1679 .
AVRIL 1768. 23
S'il n'eût point ſous ſes loix l'un & l'autre Neptune,
La mort de ſes mépris fait rougir la fortune ,
Et le place à ſon rang ;
Autour de Léopold ſont les héros de Rome ,
Et la gloire à leurs yeux fait placer le grand
homme,
Entre Tite & Trajan.
Auguste triomphant , a vingt Rois à ſa ſuite;
( La gloire d'un héros , pour celui qui l'imite ,
N'eſt jamais un affront ) .
Céfar ceint Léopold du laurier littéraire ,
Dont l'ami de Mécène & le rival d'Homère
Couronnèrent ſon front.
Le ſuperbe Empereur du Duc n'eſt point le guide...
Vers le grand ſanctuaire , où la gloire préſide ,
Il marche en le ſuivant . ...
L'un cultiva les arts , l'autre en prit la défenſe ;
Le 6 février 1698 fut le jour à jamais mémorable
, où ce grand Prince commença à remplir
le trônede ſes ancêtres. Sans celle occupé du bienêtre
de ſes ſujets , Léopold chercha tous les moyens
de les rendre heureux , & parvint au but qu'il fe
propoſoit. Ce Souverain , le reſtaurateur , le véri
table père de la patrie , mourut à Lunéville le
21 mars 1729. Ce Prince ne dut qu'à les pro
pres lumières le repos dont il jouit pendant
ſon glorieux règne. Ce repos fut aſſuré par une
neutralité auſſi difficile à obtenir qu'a garder.
24 MERCURE DE FRANCE.
Auguste , dans ſa Cour , protégea la ſcience ;
( d ) Léopold fut favant,
Le moderne héros égale Mare-Aurele ;
Tous deux , dans leur empire , avec le même zèle ,
Firent régner les loix....
Tous deux , lents à punir , ils prévinrent les crimes:
Tous deux auteurs profonds , coeurs grands , efprits
fublimes,
Et philoſophes Rois.
Prince , diſoit Trajan , tu balançois ma gloire ,
Quand tamain , jeune encor , captivoit la victoire
(e ) Enchaînée à ton char ;
Quand l'Orient te prit pour le dieu de la guerre ,
Quand le fier Ottoman , frappé de ton tonnerre ,
Fuyoit à Témeſwar,
(d) Il ſeroit à ſouhaiter que celui qui poſſéde
les mémoires de ce profond politique, les mît au
jour. C'eſt un beau préſent à faire au public. L'efprit
y brille par la beauté des idées , le coeur s'y
reproduit par la tendreſſedes ſentimens , & la
religion y domine dans les ſentimens &dans les
penſées. Un homme diſtingué par ſon eſprit ,
par ſa naiſſance , par ſes lumières & par ſon carac.
tère , a lu les mémoires de Léopold , &en a fait
publiquement l'éloge que l'on vient de lire.
(e) A ſeizeans , le fils du vainqueur des Ottomans
, le fils de Charles V, dit le Victorieux ,
Duc de Lorraine , fit voir à la bataille de Témel-
Ah!
AVRIL 1768. 25
Ah ! j'ai trop aſſouvi ma ſoifpour les conquêtes...
Tandis qu'un feu central , préſage des tempêtes ,
Couvoit dans nos remparts ;
Sous la pourpre Trajan devoit vivre en Socrate ,
Plutôt que d'arborer au-delà de l'Euphrate
Le drapeau des Céfars....
Léopold mit ſa gloire à gouverner en ſage ;
Auſſi ſon régne heureux du plus léger nuage
t Ne fut point obſcurci.
Il crut qu'il valoit mieux faire aimer ſa mémoire,
Que d'unir ſous ſes loix la Meurtre (f) à la mer
e Noire ,
Et Belgrade à Nancy.
Viens , lui diſoit Titus , toi dont je fus l'exemple ,
Sur le marbre & l'airain , à jamais dans ce temple,
On lira nos exploits....
Vois ta grande maiſon de ton âme héritière ,
(g) Et ta gloire former ce bel arc de lumière
:
1
Au premier des François.
war , qu'il étoit le digne ſang de tant de Souverains
zélés défenſeurs de la ſeule vraie religion .
(f) La Meurtre eſt la rivière qui borde l'agréable
prairie de Nancy .
(g) Ces vers étoient compoſés avant la mort
de François I, qui fit le bonheur de l'Empire ,
les délices de la Toſcane & l'admiration de l'Europe.
Cet Empereur fut équitable , bienfaiſant ,
magnanime , affable. La poſtérité ne peut mans
Vol. I. B
26 MERCURE DE FRANCE.
Ce fils obéiffant à l'amour qui l'in pire ,
( h ) T'élève un monument d'où s'élancent , pour
luire ,
D'éclatantes vertus....
Le vaſe précieux d'un parfum d'Arabie
Embaume , exhale encore une odeur d'ambroiſſe,
Quand le parfum n'eſt plus .
:
Sur tes traces , François , en s'illustrant encore ;
( i ) A comblé de bienfaits le peuple qui t'adore ,
Sans en être le Roi....
Tu dois te réjouir de la rigueur des Parques...
En Jofeph revivront tant de ſages Monarques ,
Qui revivoient en toi. 2
quer de le placer au nombre des meilleurs Princes
qui aient exiſté . Cet augure paroît des mieux
fondés.
(h) François Etienne de Lorraine , né à Lunéville
le 8 décembre 1708 , mort à Inſpruck le
18 août 1765 , peu de temps avant ſa mort , fit
achever , à grands frais , la chapelle ronde que
Leopold I avoit fait batir à Nancy , fur le tom-
-beau de pluſieurs de ſes ancêtres. Le corps de
Léopold , celui d'Elifabeth Charlotte d'Orléans ,
-ſa digne épouse ,& pluſieurs Princes leurs enfans ,
repotent ſous cette chapelle ducale que les connoiffeurs
admirent.
(i ) Pendant le régne de François I, ce bienfaifantEmpereur
fit annuellement paſſer en Lorraine
des ſommes immenfes , pour récompenſer tous
soux qui avoient en l'honneur d'être attachés au
AVRIL 1768 . 27
Les Princes de ton ſang l'admirent ſans envie , ..
Ton Jofeph fait entre eux maintenir l'harmonie ,
En leur cédant ſes droits....
Les frères du Sultan , punis de leur naiſſance ,
Sous le cordeau fatal expirent à Bizance ,
Et les fiens font des Rois .
Non , la jamais grandeur ne conſiſte à détruire ;
Plus aifément ſans doute on renverſe un empire ,
Qu'on n'en foutient le poids ;
Un courage fougueux, d'un brigand eſt la marque;
Et le coeur bienfaisant diftingue un grand Monarque
Entre les plus grands Rois.
J'atteſte ce guerrier ſi peu fait pour le trône ,
(k ) Qui , du Gange au Cydnus , de Thébe à
Babylone ,
ſervice de ſes auguſtes père & mère. Sa Majeſté
l'Empereur , actuellement régnant , en montant
fur le trône , a promis aux Lorrains qu'il continueroit
à leur prouver que la bonté & la généroſité
caractériſent toujours les Princes de la trèsilluftre
Maiſon . Tous les papiers publics annoncent
ce que Jofeph II fait pour ſa famille , pour
fon peuple , pour ſes ſoldats. Son attention , fa
bienfaiſance s'étendent ſur tous.
(k) Rivière de Cilicie. Alexandre , pour s'y
être baigné , fut à toute extrêmité. Les eaux du
Cydnus font très-froides .
;
Bij
18 MERCURE DE FRANCE.
Oſa tout envahir ;
Il fit à l'univers des bleſſures profondes ,
Et reprochoit aux dieux d'avoir créé des mondes
Qu'il ne pût conquérir.
Dans cet heureux ſéjour il n'eût point trouvé place ,
Si , fatisfait de vaincre , il n'eût encore fait grace
A Porus , ſon rival ;
Et fi de fon orgueil étouffant le murmure ,
Il n'eût de Lyfimaque elluye la bleffure ,
De ſon bandeau Royal.
J'ai par quelques bienfaits ſignalé ma puiſſance s
Toi , difcret dans tes dons , ſage en ta bienveillance
,
Tu ne fis point d'ingrats ;
J'enrichis des amis , toi la Lorraine entière ;
( 1 ) Pour l'embellir le Ciel prolongea la carrière
De ſon Roi Stanislas.
Enguerre comme en paix ce héros , ce vrai ſage ,
Du pouvoir ſouverain fit le plus bel uſage....
( 1 ) Stanislas 1 , Leczinski , Roi de Pologne ,
Duc de Lorraine & de Bar , né le 20 octobre
1677 , à Léopold , capitale du Palatinat de Rufſſe
, termina le 23 février 1766 , ſur les quatre
700 ,
heures du ſoir , dans ſon château de Lunéville
une vie que les traverſes les plus étonnantes ,
foutenues avee une aimable gayeté & une heureuſe
philoſophie , rendront admirable aux ſiècles les
plus reculés.
AVRIL 1767. 29
(m) Par des traits inouis....
Lorrains reconnoiſſans , ne verſez plus de larmes,
Un Prince Bien - aimé diſſipe vos alarmes .
( n ) Sur vous règne Louis.
...
(o ) Ton fiècle à tes vertus a rendu témoignage ;
Les ſiècles à venir à ſon juſte ſuffrage
Uniront tous leurs voix ;
(m) La facultéde vouloir le bien &de le faire
eut dans l'âme du Roi Stanislas une force & une
activité qui rendirent ſa bienfaiſance intariſſable.
Ses monumens fans nombre ſont les plus beaux
ornemens de la Lorraine , & fur- tout de Nancy , fa
capitale. Ils y parlent aux yeux enchantés & excitent
dans les coeurs un attendriſſement qui fera
toujours chérir la mémoire du Bienfaisant auteur
de tantdedons ſi utiles à l'humanité.
(n) O Rex in eternum vive ! Daniel , 6 , 21.
O Roi ! vivez éternellement !
Sinos voeux ſont exaucés le règnede Louis XIV
ſera dans l'hiſtoire beaucoup plus court que celui
denotre Monarque Bien-aimé , qui veut honorer
deſes bontés les plus décidées ſon nouveau peuple,
en faveur duquel Sa Majeſté fait achever les
caſernes commencées à Nancy par ordre du Roi
Stanislas.
( 0 ) M. de Voltaire a fait , en peu de mots , le
plus bel éloge du Duc Léopold. Ce Souverain n'étoit
plus depuis trente ans lorſqu'un ſi bon appréciateur
du vrai mérite a & juſtement loué ce grand
Prince.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Ton peuple vit en toi le modèle des pères . ッ
(p) On te nomme aujourd'hui , dans les Cours
étrangères ,
Le modèle des Rois.
(p) L'anti Machiavel, qui tient parmi les livres le
même rang que ſon auteur occupe parmi les hommes
, donne les plus juſtes idées de S. A. R. & de
l'amour que ſes fidèles ſujets avoient pour ce Prince
& pour Mde la Duchelle ſon épouſe , amour qui
fut témoignéd'une façon ſi attendrillante à S. A. R.
Madame, à ſon départ pour ſe rendre à Lunéville ,
dans ſa ſouveraineté de Commercy . Peut- on defirer
des témoignages plus forts , plus vrais , plus
favorables aux Lorrains que ceux de l'Achille &
des deux Homères de ce ſiècle ?
Je defirerois que tous ceux qui liront ces vers&
ces notes fuffent perfuadés que le ſentiment déſintereſſe
eſt ſeul fait pour peindre le ſentiment qui
devroit être le moins ſujet à varier.
:
Après tant de bienfaits peut-on les oublier !
Corn.
Par un Père de l'Oratoire de Nancy.
AVRIL 1768. 31
Glycère à AMARYLLIS , qui lui avoit
enlevé fon amant .
C'EST trop long- temps renfermer dans
mon coeur le déſeſpoir qui le confume.
En vain voudrois-je diſſimuler encore. Il
m'eſt impoffible de feindre davantage.
Après tant de précautions pour dérober
à tes yeux les tourmens que j'endure , il
faut enfin , Amaryllis , que ma fureur
éclate. C'eſt à toi que j'adreſſe mes plaintes.
Toi feule as cauſe mes malheurs. Tu dois
ſeule être l'objet demavengeance. ١٠٠
Il eſt donc vrai que tu viens de mettre
le ſceau à ta perfidie , en recevant dans
tes bras l'ingrat qui m'abandonne ? Quoi !
cette amitié fi tendre , dont nous avons
reſpecté les loix dès l'aurore de nos jours ,
&dont le temps n'a fait que ferrer les
noeuds , n'a pu t'engager à me rendre la
conquête que tu m'avoisenlevée?Ahlj'ofois
eſpérer qu'un remords falutaire pourroit
réveiller en toi des ſentimens qu'une illu
ſion trop prompte avoit étouffés ; je n'imaginois
pas qu'Amaryllis dût agréer des
hommages rendus d'abord à Glycère , ni
qu'elle pût conſentir à perdre une amię
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
fidelle pour ſoumettre à ſon empire un
amant parjure .... Mais quelle étoit mon
erreur ! Devois -je me flatter que la voix
de l'amitié ſe fit entendre dans un coeur
où régnoit l'amour?
Dieux , quelle noirceur ! .. L'eſpérance
de voir bientôt les deſtinées de Berville
s'unir aux miennes avoit répandu au ſein
denos familles une douce allégreſſe. Déja ,
ſous les plus heureux auſpices , brûloient
pour nous les flambeaux de l'hymenée.
Déja même , le dirai-je ? ... j'éprouvois
cette timide inquiétude , cet empreſſement
ſecret, cette vive impatience , ce ſaiſiſſement
délicieux , fi ordinaires aux vrais
amans , lorſqu'ils touchent à l'inſtant du
bonheur.... Quelle ſubite métamorphofe!
Un de tes regards , perfide Amaryllis ,
tombe avec complaiſance fur Berville . Son
coeur en eſt embrâfé ; il oublie ſes ſermens
; il devient ton eſclave,
Hé quoi ! les attraits dont la nature s'eſt
plû à t'embellir ſont donc bien victorieux
pour détruine en un moment un ouvrage
qui m'a coûté pluſieurs années ? ... Il eſt
vrai qu'elle t'a prodigué des charmes. J'en
conviens , quoiqu'un tel aveu ſoit pénible
pour une femme , & fur- tout pour une
rivale. Mais ne crois pas qu'elle ait en ta
faveur épuiſé tous ſes tréſors. Ecarte cette
:
AVRIL 1768. 35
idée , que l'amour-propre & l'adulation
n'ont ſervi ſans doute qu'à fortifier ; les
yeux d'une amante irritée ſont plus clairvoyans
que ceux d'un public facile à ſéduire.
D'ailleurs, ſi c'eſtuniquementàlabeauté
que tu dois la victoire qui fait mon infortune,
ceſſede t'énorgueillir. Ton triomphe
ne mérite pas que tu t'en applaudiſſe. Les
ſentimens que la beauté fait naître font
paſſagers comme elle. C'eſt un preſtige
qui ſéduit , mais qu'on voit bientôt s'évanouir.
Le Temps , ce cruel ennemi des
viſages , en altère inſenſiblement les traits.
Il en Aétrit les agrémens. Alors cet amour
qu'on proteſtoit devoir être éternel , ſe
change en indifférence , l'indifférence en
dégoût , & le dégoût en averſion.
Tel eſt le fort auquel tu dois t'attendre.
Oui , je te le prédis : l'infidèle , dont tu
viens de couronner les voeux , cet amant
ſi ſoumis , ſi paſſionné , dont la bouche te
jure une flamme immortelle , ne fera
bientôt qu'un époux volage. Ah ! que cer
eſpoir eſt confolant pour moi ! Il fert à
diminuer le poids de ma douleur. Qu'il
me ſera doux de me voir vengée par ceux
mêmes contre leſquels je veux exercer ma
vengeance ! Que le ſpectacle de ces diffentions
domeſtiques, de ces haines conju-
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
gales , aura de charmes pour Glycère ! Dès
à préſent même , Amaryllis , l'attente de
tes revers , la perſpective des maux que
tu dois effuyer , font preſque ma félicité !
Mais que dis -je ? cruelle ! .. Ah ! plutôt,
jouiſſez tous deux des douceurs que
l'hymen & le Dieu de Paphos vous procurent
! Tâchez , s'il eſt poſſible , de réunir
ces deux divinités inconciliables. Goutez
bien leurs faveurs : le devoir les autorife
; mais le ſentiment ſeul doit en faire
le prix. Toujours amans , ne vous fouvenez
pas que vous êtes époux. Vivez enfin
dans un cercle de plaiſirs toujours renouvellés.
Tandis que , triſte objet de la rigueur
du deftin , je me verrai réduite à
traîner des jours malheureux dans la langueur
& dans les larmes. Trahie par le
ſeul mortel qui juſqu'ici me parut digne
de me plaire , je ne connoîtrai plus que
l'affreux déſeſpoir de jamais revoir fon
ſemblable.
Mais terminons au plutôt cette lettre ;
une idée ſi accablante eſt trop capable
de ranimer en moi tout ce qu'inſpire la
vengeance. Tu dois ſentir , Amaryllis , à
quels excès ſe porte une amante trompée
& qu'on force à demeurer fille.... peutêtre
, héias ! le reſte de ſes jours.
Par M. DU TAILLIS. i
AVRIL 1768 . 35
A Mlle H *** . en lui envoyant un recueil
de chansons choiſies , écrites par l'auteur.
REÇOIS , Iris , ce foible hommage
Qu'oſe t'offrir un tendre amant.
D'un immortel attachement ,
Ce léger préſent eſt le gage ;
C'eſt le tribut du ſentiment ,
Dont ton âme eſt la vive image.
La main qui le traça n'en fut que l'inftrument ,
Le coeur ſeul a fait tout l'ouvrage.
Par le même.
Le plaisir d'être père : Air du vaudeville
d'Epicure ; à M. D. B. P.
DEPUIS EPUIS ta plus tendre jeuneſſe ,
Des vertus l'accord enchanteur ,
A fait chez toi briller ſans ceffe
Les rares qualités du coeur.
Ton âme au plaifir rend les armes ,
L'amour t'a brûlé de ſes feux:
Mais il manquoit , à tant de charmes ,
Un titre encor pour être heureux.
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Tu vas , d'une ivreſſe nouvelle
Goûtant les douceurs déſormais
De la tendreſſe paternelle
Connoître les puiſſans attraits....
Ah ! quelle volupté ſuprême ,
De careſſer avec ardeur ,
Dans les traits d'un autre ſoi-même ,
Un être dont on eſt l'auteur !
Qu'un vrai père , à qui la nature
Inſpire ſes divins penchans ,
Eprouve un aimable murmure
Au doux aſpect de ſes enfans !
Il ſe dit avec complaifance :
« Voici l'ouvrage de mes mains ;
>>> Ils me doivent leur exiſtence :
>> C'eſt par moi qu'ils font des humains >>.
Par le même.
AVRIL 1768. 37
L'AMITIÉ TRAHIE,
NOUVELLE FRANÇOISE:
RIEN IEN de plus rare que l'amitié ( 1 ) ,
riendeplus commun que le nom d'ami :
fans conſidérer l'étendue des devoirs que
ce titre impoſe , on ſe le prodigue indiftinctement
l'un à l'autre , & perſonne ne
rougit de l'ufurper. L'abus que l'on fait
d'une qualité ti précieuſe en dégrade l'effence
divine. Tous les hommes ſeroient
heureux , fans doute , s'ils connoiffoient
mieux le prix d'un ſentiment qui élève
l'âme & fait fes plus pures délices ; mais
leur foibleſſe naturelle , l'inconſtance de
lear humeur , l'intérêt particulier qui les
diviſe oppofe trop d'obſtacles aux progrès
qu'il pourroit faire dans leurs coeurs. La
politique même des méchans a converti
en piéges la trame de ces noeuds facrés
quidevroient nous unir. Quelle gêne pour
un être ſenſible d'être à toute heure en
(1) Le plus grand poëte de nos jours , ce
fublime peintre du ſentiment , la définit ainſi dans
ſa Henriade , chant VIII , vers 322 :
Amitié , don du Ciel ! plaiſir des grandes âmes !
38 MERCURE DE FRANCE.
garde contre la trahifon & l'ingratitude !
Faut- il que ces réflexions nous empêchent
de faire le bien ? non. Aimons , pour
notre propre fatisfaction , ceux qui ſe
diſent nos amis ; mais gardons - nous de
les trop éprouver. L'exemple que je vais
citer pourra fuffire à établir cette maxime.
Bertrand & Norbert , tous deux nés
d'honnêtes bourgeois de cette capitale du
royaume , s'étoient voués dès leur plus
bas âge une amitié réciproque. La conformité
de caractères n'avoit eu aucune part
à cette liaiſon. Leurs goûts différoient
juſques dans les choſes les plus indifférentes.
Le premier étoit bruſque , emporté ,
fombre & avide ; le ſecond étoit civil,
tempéré , enjoué & généreux. Son humeur,
facile à ſe prêter aux défauts de ſon ami ,
lui méritoit tout l'honneur d'une fi belle
union. Leurs parens n'étoient pas riches :
forcés par cette raiſon de ſe choiſir un
état , Bertrand s'étoit décidé pour le commerce
de Paris , & Norbert pour celui de
mer. Ils avoient réuffi également dans
leurs entrepriſes , & le voyageur , content
de ce qu'il avoit rapporté des Indes Occi .
dentales , étoit revenu ſe fixer auprès de
fon ami.
Quelque temps après ſon retour , Bertrand
s'étoit marié. Malgré la répugnance
AVRIL 1768 . 39
que Norbert avoit toujours fenti pour
cet engagement ſérieux, fa complaifance
pour ſon ami l'avoit déterminé à en
faire de même. Les deux ménages n'en
faifoient qu'un , & la même différence qui
exiſtoit entre les époux ſe trouvoit entre
les femmes. Mde Bertrand étoit aigre ,
fière , capricieuſe , & d'un génie trèsborné
; mais la beauté qu'elle avoit en
partage ſembloit couvrir tous ces défauts.
Mde Norbert n'étoit ni laide ni jolie ,
mais douce , complaifante , d'une humeur
toujours égale & d'un eſprit auſſi liant
qu'agréable. L'une goûtant une parfaite
fatisfaction dans la gloire d'être belle , &
l'autre n'enviant point cet avantage fuperficiel
, aucune rivalité ne troubloit la paix
de leur fociété , & elles vivoient enſemble
de très-bon accord .
De ce double mariage étoient nés deux
garçons& deux filles, avec cette fingularité,
que Bertrand & Norbert s'étoient vus
chacun père d'un fils le même jour & à
la même heure ; &, qu'au bout de cinq
ans d'intervalle , ils l'étoient devenus auſſi
chacun d'une fille , & preſque dans le
même temps. De cet accord que la nature
ſembloit mettre entre ces enfans dès leur
naiſſance,on avoit conjecturé qu'ils feroient
un jour auffi unis que les pères & mères
40 MERCURE DE FRANCE.
l'étoient entr'eux , & dès lors la double
alliance avoit été projettée d'un voeu unanime
, les âges étant d'ailleurs ſi bien
proportionnés .
Mde Norbert étant morte des ſuites
de cette couche , l'extrême tendreſſe que
fon mari avoit pour ſes enfans s'accrut
par la perted'une femme qui lui avoit été
fidèlement attachée , & qu'il regretta autant
qu'elle méritoit de l'être. M. & Mde
Bertrand partagèrent ſa douleur & parurent
auſſi pénétrés que lui du chagrin d'en
être ſéparés.
Leur fortune augmentoit ſans ceffe ;
&Norbert , borné à ſes revenus , ne cherchoit
point les moyens de groffir la fienne.
Mais il crut s'appercevoir par la ſuite que
Mde Bertrand commençoit à ſe prévaloir
de fon opulence , & qu'elle ne goûtoit plus
avec le même plaiſir le projet d'union
qu'ils avoient formé entre leurs deux familles.
Il en fut alarmé. Il connoiffoit la
bifarrerie de cette femme , & le crédit
qu'elle avoit fur l'eſprit de ſon mari , qui
l'avoit épouſée également par inclination
& par intérêt. La crainte de voir rompre
des noeuds qui promettoient à ſon coeur
paternel une fatisfaction ſi douce le fit
repentir de s'être arrêté au milieu d'une
carrière où il avoit débuté ſi heureuſeAVRIL
1768 . 41
ment. Il ſentit que l'aiſance qu'il s'étoit
procurée pouvoit bien ſuffire aux voeux
d'un garçon , mais n'étoit point affez amplepour
fixer les deſirs d'un père de famille.
Il ſe reprocha fon oiſiveté en conſidérant
le médiocre héritage qu'il devoit laiſſer à
ſes enfans , & qui ne pouvoit être comparé
à celui que partageroient un jour
ceux de Bertrand.
L'occaſion lui avoit fait connoître deux
Marchands Eſpagnols que la curiofité avoit
amenés à Paris. Ils lui vantèrent fi fort le
trafic qu'ils faifoient aux Indes Orientales,
qu'il ſe laiſſa amorcer par l'eſpérance du
gain confidérable dont ils le flattèrent. Il
ſe décida ſur le champ à s'intéreſſer dans
leur commerce , & à tenter une ſeconde
fois les caprices du haſard. Le temps preffoit.
Déterminé à partir avec eux , il fit
partde fon deſſein à Bertrand , qui employa
tous les efforts de l'amitié pour l'en
détourner , mais ce fut inutilement. Norbert
lui détailla , d'une manière fi brillante
, les communs avantages qui réfulteroient
pour leurs enfans du voyage qu'il
alloit entreprendre , qu'il fut contraint
deconſentir à ſon départ.
Norbert fupputa le temps qu'il lui falloit
pour paſſer aux Indes , y commercer
&en revenir , & , fuivant fon calcul , il
comptoit être de retour au plus tard dans
1
42 MERCURE DE FRANCE.
cinq ans. Son fils , qu'il appelloit Rosanne ,
du nom d'une petite terre fur laquelle la
famille de ſa mère avoit des droits , ne
faifoit que d'achever ſa quinzième année ,
&ſa fille fa dixième : il n'y avoit donc
aucun inconvénient à ce qu'il s'abſentat
pendant l'eſpace de temps qu'il s'étoit
Jimité ; il devoit en avoir encore de reſte
pour terminer leurs mariages. D'après cette
combinaiſon il hata les préparatifs de fon
voyage, & fondit tous ſes effets pour s'af
focier avec les deux Eſpagnols.
Il confia & recommanda ſon fils aux
ſoins de Bertrand, àqui il offrit une ſomme
convenable pour ſa penſion des cinqannées.
Celui- ci , qui penſoit alors en véritable
ami , ne voulut rien accepter. Gardez
votre or , mon cher Norbert , lui répondit-
il avec le ton du plus pur déſintéreſfement
, l'offre que vous me faites bleſſe
notre amitié ; ce ſentiment , qui a joint
nos coeurs dès notre enfance , m'a rendu
votre fils auſſi cher que le mien même. Je
n'ai pas beſoin que vous m'engagiez à lui
ſervir de père ; je l'ai déja adopté en lui
deſtinant ma fille qui , je vous le proteſte ,
ne ſera jamais à d'autre qu'à lui , quand
même le Ciel le priveroit de vous , malheur
dont je ſupplie ſa bonté de nous
préſerver ! Tranquilliſez- vous donc , & fi
;
AVRIL 1768 . 43
vous doutez de ma fidélité , je ne crains
point de vous jurer ſur ce que l'honneur
ade plus facré... Norbert , tranſporté de
reconnoiffance , l'arrêta ; admirant dans
ſon ami la délicateſſe & la générofité dont
il étoit lui-même ſuſceptible , il l'embraſſa
tendrement , le remercia , & ne fit plus
difficulté d'abandonner à ſa probité un fils
qui lui étoit ſi cher.
Il crut que la décence exigeoit qu'il
mît ſa fille dans un couvent , & Bertrand
ne le gêna point ſur cet article. Il choiſit
un monastère qui ſe trouvoit ſur ſa route ,
à quelque diſtance de Paris , & où il la
conduifit lui - même en partant avec ſes
deux afſociés . Rosanne , Bertrand & fon
fils , que lon nommoit faſtueuſement M.
de Margenne , l'accompagnèrent juſques
dans cet endroit. Les adieux furent trèstouchans
de part & d'autre. La nature chez
les âmes vraiment tendres a quelquefois
de cruels preſſentimens ! Norbert ne pouvoit
quitter ſes enfans qu'il ferroit tour à
tour dans ſes bras en recueillant leurs larmes
; il lui ſembloit que ſes entrailles ſe
déchiroient lorſqu'il ſe ſépara d'eux.
Margenne annonçoit déja pour la petite
Norbert les ſentimens de la plus vive tendreſſe.
Il paroiſſoit inconfolable de la laiffer
au couvent. Elevés enſemble , on les
44 MERCURE DE FRANCE.
avoit accoutumés à s'appeller mari &
femme. L'innocence de Julie ( c'eſt ainſi
qu'on la noinmoit) n'empêcha pas qu'elle
ne reçût ſes adieux avec autant de déplaiſir
qu'il lui en témoignoit. Elle reſſentit
avec une égale amertume le chagrin de ſe
voir éloigner de ſon père & de ſon cher
mari. Une pareille intelligence ne régnoit
point entre les deux autres futurs époux.
Zéphirine , vrai portraitde Mde Bertrand
ſa mère , étoit comme elle vaine & capricieuſe.
Elle ne ſe plaiſoit qu'à rebuter
Rosanne & à le contredire en tout. Elle
ne montra aucune ſenſibilité au départdu
père , non plus qu'à la douleur dont le fils
étoit accablé.
Dès que Norbert fut parti , Mde Bertrand
ſe promit biende ne donner Zéphirine
à ſon fils qu'aux conditions qu'il
auroit fait aux Indes une fortune confidérable.
Comme , dans l'incertitude de ce
qui pourroit arriver , elle penſa qu'il étoit
de ſa prudence de deshabituer ſa fille
d'appeller Rosanne ſon mari, elle n'eut
pas de peine à la diſtraire de cette familiarité.
Bertrand , malgré cela , perſiſtoit
dans l'intention de tenir ſes engagemens ,
&ſe croyoit incapable d'y manquer.
Norbert donnoit fréquemment de ſes
nouvelles . Il ne rencontroit aucun vaifAVRIL
1768. 45
ſeau , faiſant voile pour la France , qu'il
ne chargeât d'une lettre pour Bertrand. La
dernière qu'il écrivit étoit datée de Goa :
elle contenoit le récit d'une aventure trèsintéreſſante.
« Nous touchions ( diſoit- il ) au terme
» de nos travaux , n'ayant eſſuyé dans un
>> ſi long trajet que quelques légères tem-
>>pêtes qui, heureuſement, ne nous avoient
>> cauſé ni retard ni dommage. Déja nous
>> approchions de cette ifle , & le rivage
>> ſe découvroit à nos yeux : la nuit com-
» mençoit à nous gagner , lorſque nous
>> fûmes écartés par un orage violent qui
>>nous égara. Pendant trois jours entiers
>> la mer fut agitée & le ciel couvert de
> nuages ; nous flottions au gré des vents
>>& fans pouvoir nous reconnoître. Enfin
>> l'air ſe calma & le ſoleil renaiſſant nous
>> fit appercevoir de loin un rocher qui
>>dominoit ſur les eaux. Quelques débris
>> devaiſſeauxqueles flots nousrenvoyoient
>> de cet endroit, nous firent juger qu'un
» bâtiment s'étoit briſé contre cet écueil.
>>Nous ne ſongeâmes d'abord qu'à nous
>> en éloigner ; mais le Ciel m'inſpira une
>>penſée dont je le bénirai toute ma vie.
» O mes amis ! dis-je à mes compagnons ,
>> ne ſeroit - il pas poſſible que cet écueil
→ fervit maintenant d'abri à quelques in46
MERCURE DE FRANCE.
ود fortunés échappés du naufrage , &pour-
„rions nous fans pitié les abandonner à
„ la mort la plus cruelle ? Chacun ap-
„ plaudit à cette idée : l'humanité n'eſt
»jamais plus facile à s'attendrir qu'au
> fortir d'un péril évident. Nous retournames
vers cet maſſe formidable que
» nous évitions ; & , lorſqu'il fut temps
, de deſcendre dans l'eſquif, j'y ſautai le
» premier. Nous allâmes en nombre ſuffi-
» fant juſqu'au pied du rocher. A meſure
que nous approchions , nous entendions
des cris plus lamentables ; & nous vîmes
fortir d'une des cavités du rocher trois
>> hommes & une jeune enfant qui , en
» nous tendant les mains , imploroient
» notre ſecours. Nos coeurs treſſaillirent
ود
ود
و د
"
de joie. Nous nous hâtâmes de les recueillir
tous les quatre & de rejoindre
le vaiſſeau. Ces infortunés nous appri-
>> rent que leur bâtiment , qui étoit Fran-
» çois , & qui faiſoit voile pour une des
>> colonies de cette nation , avoit été em-
- porté du premier coup de vent que nous
>> avions elfuyé ,& brifé contre ce roc , où
» ils s'étoient ſauvés ; que tout le reſte
> de l'équipage avoit péri ; & qu'après
> avoir langui depuis ce temps ſans aucune
>>>eſpèce de nourriture , ils étoient fur le
>> point de ſe précipiter au fond des eaux,
AVRIL 1768. 47
> lorſque nous étions venus leur rendre à
>> la fois l'eſpérance & la vie. L'un d'eux
>> étoit le maître du navire , l'autre un
>> paſſager , & le troiſième un valet atta-
>> ché au ſervice du père de la jeune enfant
>> qui étoit parti de France avec ſa femme
>> & toute fa famille pour aller s'établir
>> dans les Indes ; & cette orpheline de-
>> voit ſon ſalut au zèle de ce fidèle fer-
>> viteur. Nous nous empreſſaines de les
>> dédommager de leurs fouffrances. J'ai
>> pris le domestique à mon ſervice &
>> l'orpheline fous ma protection. Elle eſt
>> du même âge que ma fille ; ſa taille &
>> ſes traits font à peu près ſemblables , &
vous jugez combien cette reſſemblance
>> ajoute à l'intérêt que j'ai pris à ſes malheurs
! j'eſpère même être affez heu-
>> reux pour la ramener à Paris avec moi » .
Norbert finiffoit par annoncer qu'il ſe
diſpoſoit à parcourir toutes les ifles appartenantes
aux différentes Puiſſances de
l'Europe.
:
Depuis cette lettre il ceſſa d'écrire , &
trois ans s'écoulèrent ſans que l'on entendît
parler de lui .
Bertrandavoit paffé par tous les grades
qui mènent à l'échevinage , & étoit enfin
parvenu à ce dernier degré de gloire après
lequel il afpiroit, Sa femme , qui eller
48 MERCURE DE FRANCE.
même étoit fille d'Echevin , aſpiroit au
plaiſir de recouvrer la nobleſſe à laquelle
elle n'avoit dérogé qu'avec peine en l'époufant
, &ne reſpiroitplus que les fumées
de la condition. Suffisamment autoriſée
à ne plus vouloir qu'un Gentilhomme pour
gendre , elle proteſta devant fon mari &
toute ſa famille , qu'à moins que Norbert
n'achetât à ſon retour une charge qui
annoblît ſes enfans , elle ne conſentiroit
jamais à la double alliance projettée.
Le Baron de Montbrillant, cadet de Normandie
, c'est- à-dire , on ne fauroit moins
riche , étoit parvenu à s'introduire dans la
maiſon par l'entremiſe de quelques amis.
Comptant beaucoup fur les avantages de fa
naiſſance , il s'étoit toujours flatté qu'un
bonmariage le mettroit en état de marcher
** de pair avec ſes aînés. Il déguiſa adroitementſesprétentions
fur Zéphirine &gagna
pardégré le coeur de la mère pour attaquer
plus fûrement celui de la fille. Sa hauteur
alloitquelquefois juſqu'à l'inſolence&n'en
ſympatiſoit que mieux avec l'orgueil de
MdeBertrand , dont il devint le complaiſant.
Il affecta de mépriſerRosanne afind'en
dégouter la jeune Demoiselle qui n'avoit
déja que trop de pente à profiter des leçons
de fierté qu'il s'étudioit à lui donner. Ro-
Sanne, en âged'aimer , voyoit avecdouleur
que
!
AVRIL 1768. 49
,
que l'amitié de Zéphirine s'affoibliſſoit
pour lui à meſure que ſes années augmentoient,
& craignit avec raiſon que leBaron,
dont il pénétroit les vues , ne réuſsîtà le
ſupplanter. Le chagrin nourrit l'amour
refferre ſa chaîne au lieu de la briſer. Ce
tendre amant , dévoué à tous les caprices
d'une ingrate qu'il adoroit , n'oſoit s'en
plaindre. Plus elle étoit ſévère & dédaigneuſe
, &plus il paroiſſoit tendre & foumis.
Zéphirine , àquinze ans , étoit auſſi formée
qu'une fille de dix- huit. Outre l'intérêt
qui animoit le Baron , il ne pouvoit ,
ſans rendre un juſte hommage à ſes charmes
, la voir croître de jour en jour en
eſprit, en grâces & en beauté. Il ne fut
bientôt plus le maître de cacher ſes deſirs ;
il n'ofoit cependant les déclarer ouvertement
: non pas qu'il craignît d'offenfer
Mde Bertrand , dont les ridicules n'empêchoient
pas qu'il ne rendît juſtice à ſa
vertu ; mais il redoutoit la promeſſe que
fon mari avoit faite à Norbert. Il réſolut
d'attendre une occafion favorable pour
s'expliquer , & ce moment ſe préſenta
bientôt.
Pluſieurs perſonnesde condition dînoient
avec lui chez M. & Mde Bertrand. Le
hafard voulut que la converſation tombât
Vol. I. C
50
MERCURE DE FRANCE.
fur le chapitre des généalogies. Quelquesuns
des convives , moins par oftentation
que par forme d'entretien , déclinèrent
leurs noms ; le Baron, preſlé, à fon tour ,
de détailler ſes qualités , enchanta Mde
Bertrand en annonçant qu'il avoit eu des
Souverains dans ſa famille , & paffant à
la preuve, il démontra qu'il defcendoit
en ligne collatérale de Guillaume Chenu ,
Seigneur d'Yvetot (1) , dont le fils Jacques
(1 ) Yvetot eſt une petite ville fituée dans le
pays de Caux , & dont la ſeigneurie a toujours
été tenue en franc-aleu. Il est très - vrai que deux
de ſes Seigneurs ont pris la qualité de Roi , mais
on ne fauroit dire de quelle autorité. Tous ceux
qui ontquelque connoiflance de l'origine des aleux
faventque c'étoient des terres àla vérité franches
&indépendantes , mais dont les Seigneurs étoient
obligés de ſervir le Roi de leur perſonne & de
celles de leurs vaſſaux. Liés par cette condition ,
ils ne pouvoient être dans le cas de ſe qualifier
Roi. Le peu de conféquence qu'il y avoit a latiler
ufurper ce titre par les Seigneurs d'Yvetota , ſans
doute, été cauſe du filence qui fut obſervé à leur
égard. Les autres propriétaires de cette terre ,
dont les franchiſes ont été confirmées par LouisXI,
ont borné leur ambition à la qualité de Princes.
M. le Comte de Boulainvilliers a fait de trèsfavantes
recherches ſur l'origine des aleux & des
différens fiefs en France. Son hiſtoire de la pairie,
où il prouve firclairement les prérogatives des
Seigneurs revêtus de cette dignité , lui a fait des
ennemis , mais fes ouvrages n'en ſont pas moins
AVRIL 1768 . SI
avoit pris , à l'imitation d'un de ſes prédéceſſeurs
, la qualité de Roi. En effet ,
s'écria Mde Bertrand , j'ai beaucoup entendu
parler de ce Roi-là , & je ſuis vraiment
charmée que vous en deſcendiez !
Je me fouviens , pourſuivit- il , d'avoir
ludans mes titres queMarc-Antoine Chenu,
tige de la branche dont je ſuis iſſu , s'étoit
lié de l'amitié la plus intime avec unChevalier
Bertrand , qui étoit l'un des plus
riches Seigneurs du pays de Caux. Il avoit
une fille dont Marc-Antoine s'étoit vivement
épris fans ofer découvrir ſa flamme ,
dans la crainte que le délabrement de ſa
fortune ne lui fit eſſayer un refus. Bertrand
le prévint , & mon ancêtre vit rétablir
par ce mariage le lustre de ſa maiſon.
Bercé de cette hiſtoire,j'ai toujours conſervé
, depuis mon enfance , une fingulière
vénération pour le nom de Bertrand. J'ai
preſſenti mille fois qu'il me porteroit bonheur
aufſi. L'événement ne m'a point
trompé , puiſqu'il me fait connoître aujourd'hui
trois perſonnes de ce nom dont
j'honore infiniment les deux premières ,
eſtimables. Paffons-lui ſon ſyſtême ſur l'irruption
ſubite des Francs dans les Gaules. Quel homme
eſt exempt d'erreur , fur- tout en matière d'hypothèſe
, la ſeule voie qui nous reſte pour éclaircir
l'obſcurité des premiers ſiècles !
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
& l'autre me paroît adorable. Je me
nomme Marc Antoine comme mon ayeul ,
mon âme n'eſt pas plus inſenſible que la
fienne ( il avoit alors les regards tendrement
fixés fur Zéphirine ) ; & fi le Ciel
vouloit que cette ancienne aventure ſe
renouvellât de nos jours , on penſe bien
que les obſtacles ne feroient pas de mon
côté. Ni du nôtre certainement , répondit
avec tranſport Mde Bertrand. Ah ! mon
cher Baron , que vous êtes heureux d'avoir
pu conferver vos titres ! M. Bertrand ne
diſoit mot & paroiſſoit fort peu touché
de l'honneur d'être à table avec un deſcendant
de Souverain. Sa femme , à force de
prières & de careſſes , lui fit en quelque
forte approuver l'amour de ce Seigneur; &
le pauvre Rosanne eut le chagrin de voir
Zéphirine rougir , en ſouriant, à M.le
Baron.
Rofanne aimoit , & l'amour donne du
courage : vous prétendez , Monfieur , dit- il
féchement au Baron , renouveller ici l'hifroire
que vous venez de nous raconter au
ſujet d'un de vos ancêtres ? mais il n'avoit
probablement point de rival à combattre ,
&vous en avez un à qui l'objet de votre
amour fut promis dès l'inſtant de ſa naiffance.
Le Baron alloit lui répondre lorſque
M. Bertrand , qui déteſtoit les querelles ,
AVRIL 1768 . 53
s'écria qu'il ne vouloit point de bruit dans
ſa maiſon , & dit à Roſanne de fortir .
Dès qu'il fut éloigné , Bertrand avoua
qu'il ne pouvoit le blâmer de cet emportement
, & que lui-même n'oferoit ſe
réſoudre à trahir le ferment qui l'enga
geoit à en faire ſon gendre. On differta
long-temps fur ce ſujet , & l'avis prépondérant
fut que Norbert , ayant promis de
revenir au bout de cinq ans , & beaucoup
plus riche qu'il n'étoit , dégageoit , par
fon retardement & ſa négligence à donnerde
ſes nouvelles , la parole de M. Bertrand.
On traita de préjugés les principes
d'honneur auxquels celui-ci ſembloit encore
tenir. On remit ſur le tapis l'aventure
de la jeune orpheline trouvée ſur le
rocher ; on préſuma que cette enfant ,
ayant grandie , faifoit oublier à Norbert
qu'il avoit un fils & une fille à Paris.
L'amour , diſoit-on , eſt quelquefois plus
fort aux approches de la vieilleſſe que dans
l'effervefcencede l'âge. L'opinion générale
ſe réduifit à cette alternative : ou qu'il
étoit entièrement livré à elle , ou qu'ils
avoient péri enſemble en revenant des
Indes. Le Baron , beau parleur , avoit le
den de perfuader. Il retourna ſi bien l'efprit
de Bertrand , que ce père excédé
convint de lui accorder ſa fille dans ſix
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
mois ſi Norbert n'étoit point encore de
retour , ou continuoit à garder le filence.
Quelque long que parût ce terme au Baron
de Montbrillant , il fallut en paſſer par là.
L'imprudence de Rosanne fut cruellementpunie
par les ſuites qui en réſultèrent.
Montbrillant ne quittoit point la maiſon :
les égards que l'on avoit pour ſa qualité
& la peur de le compromettre avec le fils
d'un roturier , donnèrent lieu à la défenſe
que l'on fit à fon rival de reparoître dans
l'appartement de Mde Bertrand. On le fit /
ſervir en particulier dans ſa chambre ; &
les procédés de Zéphirine l'affligeoient &
l'humilioient bien plus encore que la froideur
de ſes père & mère envers lui.
Il eſt bon d'obſerver que la probité de
Bertrand n'avoit jamais été fondée que fur
un motif peu louable aux yeux de l'humanité.
Plus honnête homme par foibleſſe
que par ſentiment ; élevé dans la croyance
que les mauvaiſes actions ne reſtoient
jamais impunies , la crainte des juſtes châtimens
du Ciel étoit le ſeul frein qui le
retînt , & particulièrement à l'égard du fils
de fon ami. D'ailleurs, il penchoit fort pour
le Baron , & fa femme étoit parvenue à le
rendre auſſi enyvré qu'elle de la gloire.
Les ames bornées ſont toujours ingénieuſes
à trouver les moyens de couvrir
AVRIL 1768. 55
leurs perfidies. Bertrand imagina pour ſe
difculper envers Norbert , de rebuter Ro-
Sannede manière qu'il déſertât la maiſon
de lui- même , &dégageât ſa foi en renonçantde
ſon propre mouvement à l'hymen
de ſa fille. Ce projet , dont il n'eut pas l'air
d'être l'auteur , fut exécuté par Mde Bertrand.
Rosanne , outré par cette femme,
avoitquelques amis qui le dédommagèrent
des procédés de Mde Bertand. L'un d'eux
lui ayant propofé de lui tenir compagnie à
la campagne où il devoit paſſer quelque
temps , Rofanne accepta la partie d'autant
plus volontiers, que le terme preſcrit àl'impatience
du Baron alloit expirer ; & que
l'abſence étoit le ſeul moyenqui lui reſtât
pour s'épargner la douleur d'être témoin du
bonheurde fon rival.
Dès que l'on fut débarraffé de lui , on
ne fongea plus chez Bertrand qu'aux nôces.
de fa fille , qui quoique précipitées furent
cependant célébrées avecleplus grand éclat.
Cédant bientôt aux voeux de fa femme &
de fon gendre , Bertrand quitta ſon commerce
& confentit d'aller avec eux & fes
enfans faire quelque ſéjour à Montbrillant ;
&Rosanne , qui revint de la campagne préciſément
l'inſtant après leur départ, ſe vit
abandonné à toute l'horreur de ſa deſtinée.
Quantà Bertrand , il acheta pluſieurs terres
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
qui environnoient la ſeigneurie de fon
Gendre , lequel ne tarda pointà ſe voir un
des plus puiſſans feudataires du pays de
Caux.
Le fils de Bertrand , que l'on regardoit
àpeine , étoit cependant demeuré fidele à
Julie , qu'il alloit de temps en temps voir
dans ſon Couvent , à l'inſçu de ſa famille.
Il s'étoit fait un effort violent pour dévorer
ſes larmes enpartant pour une Province
qui l'éloignoit peut- être pour jamais de fa
chère maîtreſſe , n'avoit point ceſſé de regarder
Rosanne comme ſon beau- frère , &
l'impuiſſance où il étoit de le ſecourir l'affligeoit
autant que le regret de perdre celle
qu'il adoroit. Il confola Rosanne de fon
mieux & lui promit de ſe reſſouvenir de
lui s'il trouvoit quelque occafion de l'obliger
; c'étoit toutce qu'il pouvoit faire , &
Rosanne en fut auffi attendri ques'il en eût
reçu quelque ſervice eſſentiel.
Eloigné de Julie , Margenne tomba à
Montbrillant dans un état de langueur qui
le confumoir. On s'en apperçut. On crut
que ſa maladie provenoit du peu d'égards
que l'on avoit pour lui ,& l'on en eut quelque
pitié. Tous les coeurs ne reſpiroient
dans ce riantféjour que le plaiſir &la gaîté.
La joie engendre la douceur , & le Baron
enétoitami. Les richeſſes de ſon beau-père
AVRIL 1768 . 57
luiſembloient inépuiſables,& ilétoit moins
piqué que fa femme d'avoirun co- héritier .
Ilplaignit ſon beau frere , & engageaMde
Bertrand à montrer plus d'entrailles pour
ce fils qu'elle négligeoit trop .
en re-
Margenne , mieux traité , fortit peu-àpeu
de ſa profonde mélancolie. Il écrivoit
àfa maîtreffe , & les réponſes qu'il
cevoit verfoient dans ſon ame un baume
qui bientôt lui rendit la ſanté. En faiſant
ſa cour à ſa mère il eſperoit la difpofer un
jour en faveurde Julie. Animé par cet efpoir
, il réuffit à captiver ſa bienveillance ;
& Mde Bertrand commençoit à l'aimer de
bonne foi lorſqu'un fâcheux contre temps
vinttoutgâter.
Le Baron avoit une parente à laquelle
il vouloit beaucoup de bien. Cette Dame
étoit mère d'une perſonne charmante qu'il
lui vintdans l'idéede marier avec fon beaufrère.
Cette alliance fut goûtée des deux familles,&
il ne s'agiffſoit plus que de l'aveu
du jeune Bertrand. On ne ſe doutoit pas
des ſentimens qu'il conſervoit pour Julie ,
& l'on n'attendoit aucune réſiſtance de ſa
part. Malgré la vivacité de ſon amour &
de fon âge , il eut aſſez de prudence pour
ne point rejetter bruſquement ce parti. Se
flattant toujours que Norbert reviendroit
des Indes affez riche pour mériter que ſa
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
Alle fût préférée , il tâcha de gagner du
temps. Maisil fallut bientôt ou obéir ou rifquerd'encourir
l'indignation de ſon père ,
qui ſouffroit impatiemment ces délais.
Ilgémiſſoit ſous cette alternative , lorfque
Julie lui écrivit que le Couvent où elle
vivoit n'étoit plus en étatde la nourrirgratis
; que fon père ne donnant pointdefes
nouvelles & perſonne ne répondant pour
lui , on venoit de lui déclarer que paflé
quinze jours , elle eût à ſe retirer où bon
lui ſembleroit : qu'en conféquence elle
comptoit ſe rendre chez Bélife , couſinede
fon père , qu'elle n'avoit jamais vue , mais
dontelle ſçavoit la demeure & qu'on diſoit
auſſi charitable que pieuſe. Elle ajoutoitque
fon frère lui avoit fait ſçavoir de qu'elle
manière M. Bertrand l'avoit abandonné ,
&qu'elle ignoroit ce que ce frère étoit
devenu.
Margenne , alors, forme tout-à-coup le
projet de s'échapper de la maiſon paternelle&
de retourner à Paris , où il ſe croit
très-fûr de voir tous les jours ſa maîtreſſe
chez Bélife. Il ne manquoit ni d'eſprit ni
de bon fens , & conçevoit très-bien qu'il
ne tarderoit pas à être retrouvé& puni s'il
ne prenoit de fûres précautious pour n'être
point inquiété.
Un ami qu'il avoit à Calais , un ancien
AVRIL مو . 1768
camarade de collége , fut chargé par lui de
mettre à la poſte de cette ville une lettre
qu'il lui envoyoit , à l'adreſſe de M. Bertrand
à Montbrillant , & par laquelle il
mandoit à fon père , qu'il paſſoit dans l'inftant
même en Angleterre. Il écrivit auffi à
une femme de confiance , à Paris , qu'il
chargea de louer & faire meubler ſur le
champ pour lui un petit appartement dans
un quartier éloigné. Ses meſures ainſi priſes
, il dérobe une partie de l'or que fon
père avoit apporte a Montbrillant , part de
grand matin & arrive au couvent de Julie ,
aumomentqu'elle montoit dans la voiture
publique pour regagner Paris ,& où il l'accompagne.
Elle étoit prévenue qu'il viendroit
au devant d'elle , & elle en quittoit
le couvent avec moins d'inquiétude & de
regret.
Defcendus à Paris, ils vont enſemble
chez Bélife, à qui Julie ſe préſente en qualité
d'alliée ; mais Bélife qui n'étoit que
prude, & par conféquent hypocrite , refuſa
de la reconnoître & la renvoya durement.
Margenne , qui attendoit à quelques pas
de là quel ſeroit le ſuccès de cette viſite ,
en conçur autant de plaiſir que ſon amante
en marquoit de douleur. Il la voyoit en ſa
puiffance, &pour ne la poiut effarroucher ,
il lui propoſa , en maudiſſant la prétendue
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.

dévote , d'aller avec lui demander un aſyle
à une Dame de ſa connoiſſance chez laquelle
il ofoit l'aſſurer qu'elle ſeroit bien
accueillie. Julie, élevée au couvent , n'avoit
point encore appris à ſe méfier des hommes.
Quand elle ſcut ( ce qui ne tarda
point ) qu'elle étoit chez ſon amant , loin
de s'en effrayer , elle en parut plus raſſurée.
Son inclination la portoit à aimer mieux
lui avoir obligation qu'à tout autre perſonne,&
fa raiſon ne l'éclairoitpointencore
fur le danger auquel cette obligation l'expofoit.
Margenne lui perſuada facilement
qu'ayant été mariés enſemble dès l'enfance ,
il étoit plus naturel & plus décent qu'ils
n'euſſentqu'un même logement.La crédule
innocence de Julie ne vit que de l'honnêteté
à tout cela , & elle fouffrit ſans le
moindre fcrupule qu'il ne la quittât point.
Il étoit forti de chez ſon père ſous prétexte
d'une partie de plaifir ; & en partant ,
il avoit chargé un domeſtique de remettre
à M. Bertrand un billet cacheté par lequel
il lui marquoit qu'il aimoit mieux s'expatrier
pour la vie, que de conſentir à un mariage
qui répugnoit à fon inclination , &
qu'il alloit chez un peuple libre & fage
chercher l'humanité qu'il n'avoit pu trouver
au ſein de ſa famille. On ne ſoupçonna
donc pas qu'il fût caché dans Paris ; la
T
AVRIL 1768 . 61
-
lettre écrite de ſa mainque l'on reçut quelques
jours après de Calais , & où il s'expliquoit
plus clairement , avoit produit tout
l'effet qu'il en avoit attendu , & on le
croyoitdécidément parti pour l'Angleterre.
La pauvreté eſt l'écueil le plus dangereux
que puiſſe craindre la vertu. Julie goûtoit
auprès de ſon amant un bonheur fans
remords . Livrée aux tendres mouvemens
de la nature , elle trouvoit mille délices à
l'appeller fon mari . L'exceſſive ardeur d'un
amour qui les aveugloit l'un & l'autre , la
liberté dont ils jouiſſoient , leur jeuneſſe ,
tout confpiroit à faire triompher la paffion
deMargennede la foibleſſede Julie. Abandonnéede
tout lemonde ,& ne vivant plus
que des bienfaits de fon amant ; quelle
crainte pouvoit mettre un frein aux tranfports
de fa reconnoiffance ?
Toujours heureux , toujours enchantés
l'un de l'autre , ils vécurent deux ans , en
ménageant ce que Margenne avoit emporté
de chez fon père , ſous le nom emprunté
de M. & Mde de Valbonne , fans éprouver
ni craintes ni chagrins.
Lafuite au Mercure prochain.
62 MERCURE DE FRANCE.
A M. B.... DE .... G.... Air : de tous
les Capucins du monde.
PAR
AR moins de feu que de fumée ,
Souvent notre âme eſt enflammée ;
Ami , je l'avois craint pour toi.
Mais digne en tous points d'être aimée ,
( Je l'avoue , un peu malgré moi ) !
Ta belle Dame est bien nommée.
RÉPONSE.
D. L. P.
Si moins de feu que de fumée ,
Quelquefois étourdit un coeur ;
C'eſt l'inftant d'un ſonge trompeur :
Il fuit. la raiſon ranimée , ...
A déja diſſipé l'erreur.
Mais quand une rare meſure ,
Du bon , de l'aimable , & du beau ,
D'amour alluma le flambeau ;
Lorſque du temps l'épreuve fûre ,
Loin d'y trouver de l'impoſture ,
Dans l'amante montre un ami ....
Pour être heureux , tenons-nous-y.
AVRIL 1768. 63
COUPLETS fur la comédie des Moiſſonneurs.
Air : il faut l'envoyer à l'école.
FAVAVAARRTT,, dans ſon drame charmant ,
Tient une école de morale :
Sans ſcandale ,
C'eſt l'ouvrage du ſentiment.
Si vous voulez , jeunelle folle ,
Réformer ( en changeant vos moeurs )
Vos erreurs ,
Allez ſouvent à ſon école.
Candor excuſe la gaieté
Des trois commères babillardes
Et gaillardes :
Il les fait taire avec bonté.
Que de femmes , jouant ce rôle ,
Pourroient enan ſe corriger ,
Et changer ,
En profitant de ſon école !
Candor nous peint l'aménité
De ſon coeur , de ſon caractère :
C'eſt le père
Du pauvre & de l'humanité :
64 MERCURE DE FRANCE.
Il les ſoutient , il les conſole ....
Grands ! voulez- vous être aujourd'hui ,
Comme lui ?
Allez ſouvent à ſon école .
Que d'écrivains , pauvres glaneurs ,
Favart , dans les champs littéraires ,
( Téméraires , )
Ne feront jamais moiffonneurs !
Mais toi , par tes brillans ouvrages ,
De tes rivaux même applaudis ;
Dans Paris ,
Tu moiſſonnes tous les fuffrages .
Par M. DE SEPMANVILLE.
VERS à M. DORAT , au sujet du quatrain
mis à la tête de ſes nouvelles oeuvres ,
intitulées mes Fantaiſies.
QUAND j'ai lu ton joli quatrain ,
Cette charmante Fantaisie
Où tu fais balotter le pauvre globe humain ,
Entre l'Amour & la Folie ;
Dorat, te l'avouerai-je?.. oui... j'ai plaint ſon deſtin.
Mais que ce ſort pourtant feroit digne d'envie ,
Si l'on pouvoit paſſer ſa vie
Auprès de l'aimable Mellin * !
* Mde D.... réunit chez elle l'Amour & la Folie,
Par M. LAU. DE BOIS .
AVRIL 1768 . 6
A M. G ***, fur fon Opéra - Comique ;
intitulée : Nanine , foeur de lait d'Aline ,
Reine de Golconde.
O, de la poéſie admirons tout l'effet !
Chez nos grands , aujourd'hui , quelle chienne
de mine
Pourroit faire une foeur de lait ?
Et je vois G ***, ta Nanine
Marcher de pair avec Aline.
Par le même.
L'ÉCHO DU PUBLIC.
Air : ah ! le bon temps que la moiſſon.
ALLONS fans ceſſe à la moiſſon,
C'eſt un plaifir , une leçon.
Favart , qui toujours ſe varie ,
Qui toujours du vrai prend le ton ,
Sous le maſque heureux de Thalie
Sait faire parler la raiſon .
Allons fans ceſſe , &c.
66 MERCURE DE FRANCE.
Genevotte , fimple , mais fière ,
Sans ceífer d'être à l'uniſſon ,
Sous la ferge , dans la chaumière
Fait briller la femme de nom.
Allons fans celle , &c .
,
La morale en eſt amenée ,
Le ſel s'y répand à foiſon ,
La vertu s'y voit couronnée ;
Tout en eſt beau , tout en eſt bon.
Allons fans celle , & c .
BEL EXEMPLE DE BIENFAISANCE.
Lettre à l'Auteur du Mercure .
Un coeur honnête , amis doit être fatisfair ,
Quand la reconnoiſſance eſt égale au bienfair.
Anonyme.
PEU d'hommes de nos jours , Monfieur,
croyent à une providence : le nombre en
feroit peut-être plus grand s'il y avoit
moins de riches , & moins de pauvres. Il
eſt des momens de calme pour les paffions ,
ce font ceux qui font néceſſaires au phyſique
de l'homme, pour le préparer à prendre,
& à recevoir de nouveaux plaiſirs. Dans
ces moniens le riche ſe rend ſouvent juſtice
AVRIL 1768 . 67
avec
à lui-même ; & ſe demande , pourquoi ,
s'ily a une providence , il nage dans l'abondance
, tandis que ſon ſemblable
plus de talens , de connoiſſances & de inérite
réel , manque de tout ? D'un autre
côté , le miférable , qui vit à peine d'un
travail aflidu , ne peut comprendre que la
divinité ſe mêle d'une diſpenſation de
biens , quiparoît ſi peu conforme à la droite
raifon.
Le Philoſophe même , qui ne ſçauroit
concevoir pourquoi , ſi Dieu veille fur
nous , il y a un mal moral , ſoutient qu'il
faut pratiquer la vertu par amour- propre ,
parce qu'elle procure à l'ame la plus douce
de toutes les voluptés , & que c'eſt là ſa
ſeule récompenfe .
Mais fans prétendre diſcuter les diverſes
opinions qu'a fait naîtredans tous les temps
ce point de controverſe familier , que la
droite raiſon trouve pourtant fi clair ; je
dirai ſeulement que les faits ſeuls , en pareil
cas, ſuffiſent pont nous décider , attendu
que leur enchaînement peut produire un
genre de preuves , auxquelles il eſt auffi
impoſſible à l'eſprit humain de ſe refuſer ,
qu'à une vérité mathématique.
Ceux , dont je vous ſupplie, Monfieur ,
de rendre compte dans votre Journal , me
ſemblent être de ce genre ; & me forcent
68 MERCURE DE FRANCE.
à rendre à une providence marquée , un
hommage public, en même temps qu'ils me
fourniffentl'occaſion d'augmenter la vénération
qu'on a déja pour un de ces hommes
privilégiés , que la divinité paroît avoir
choiſis pour procurer la ſubſiſtance dans les
beſoins preffans , à ceux qui ne veulent
conſerver la vie que pour en faire le meilleur
uſage poffible.
Attirédans cette ville pour une affaire
d'où dépend toute ma fortune ; après avoir
long-temps compté ſur un ſuccès qui paroiffoit
toujours prochain , & auquel des
perfonnes en placedaignoient s'interreffer ,
d'autantplusque mes ſervices joints à ceux
de mes pères leur étoient connus : j'ai vu
fondre par dégrés mon petit patrimoine à
la pourſuite d'un bien que je vois prêt à
m'échapper , uniquement parce que les
forces memanquent.
Après deux ans d'attente &de ſollicitations
ruineuſes , je me fuis vu au mois de
Décembre dernier dans une de ces poſitions
, où l'on ſe trouve comme forcé , par
les duretés qu'on éprouve de la part des
hommes, dedemander du ſecours à un être
inviſible ; & le mouvement involontaire
de l'ame qui s'y porte d'elle-même , eſt
peut-être une des plus grandes preuves de
l'existence de Dieu .
AVRIL 1768 . 69
Éloigné de ma famille ; étranger dans
cette ville , & fans nul eſpoir de ſecours ;
portant les yeux ſur une épouſe vertueuſe
aumoment d'accoucher , manquant même
du néceſſaire ; je ne vois plus que les dangers
qui la menacent , ma vanité ſe taîr
l'amour feul & l'humanité commandent à
mon coeur , j'oſe expoſer , par écrit , &
mon état & ma ſituation , à un vertueux
Prélat , de qui je ne ſuis pas connu , mais
dont l'ame l'eſt univerſellement autant
qu'elle eſt digne de l'être ; & dès le lendemain
( 1 ) , l'on m'apporte cette réponſe :
>>On ne peut être , Monfieur , plus édifié
que je le ſuis , des ſentimens contenus
>> dans votre lettre : je ſuis charmé de pou-
>> voir rendre ſervice à la perſonne à la-
>>quelle vous vous intérreſſez. Si vous
>>voulez envoyer quelqu'un de votre part
>> chez M. P ***. l'A ***, il remettra la
>> ſomme de ... à la perſonne qui lui
>> préſentera ma lettre. J'ai l'honneur d'ê-
» tre , &c . » .
Dès le lendemain 29 , ma femme fut
heureuſement délivrée. Mais la providence
ne ſe contenta pas de conferver la
mère , elle pourvut auffi à la nourriture de
l'enfant , & par le froid le plus exceſſif , il
lui arriva une nourrice.
( 1 ) 28 décembre dernier,
70 MERCURE DE FRANCE.
Ce que j'ai éprouvé dans cette occafion
où je tremblois pour mon épouſe , pour
fon enfant & pour moi -même , m'a paru
trop marqué pour qu'il puiffe m'être permis
de douter à l'avenir qu'il ſoit une
providence dont la bonté veille fur nous.
Ce qui ajoute encore infiniment à la foi
que j'y dois , c'eſt le genre de ſentiment
délicieux dont le coeur eſt rempli lorſqu'on
ſe voit ſauvé d'un grand danger , & qu'on
croît l'être par la divinité même. Ce fentiment
que je crois vrai , manque au bonheur
des riches ; & ce n'eſt que par leurs
bienfaits qu'ils puiffent en connoître d'àpeu-
près aufli purs.
د
Vous voyez , Monfieur , quels font les
motifs de la prière , que je vous fais , d'inférer
au moins par extrait , cette lettre ,
dans votre Journal : je crois devoir à la
providence un hommage public , ainſi qu'à
la plus fublime & à la plus refpectable des
vertus . J'ai l'honneur d'être , &c .
Ce 6 mars 1758 .
AVRIL 1768 .
71
Les quatre nouvelles beatitudes , adreſſsées
à M. DE V... ..
EUREUX l'homme ſimple & docile ,
Qui , dévorant avec ardeur
,
Ces alimens ſacrés dont la raiſon habile
Aime à nourrir & l'eſprit & le coeur
Y ſait reconnoître l'empreinte
Du vrai , du beau , du ſentiment ;
Et ſentir , aux tranſports dont ſon âme eſt atteinte ,
La main d'un être bienfaiſant !
Heureux le modeſte génie ,
Qui , ſans fiel & fans vanité ,
Chériſſant l'ordre & l'harmonie ,
Le véritable goût , la vraie humanité ,
Dans le miroir divin que Clio te confie ,
Dans celui des neuf foeurs qu'Apollon ťa prêté ,
Y fait reconnoître les traces
De la raiſon & de ton coeur ;
Et l'horoſcope du bonheur ,
Sous le pinceau de l'eſprit & des grâces !
Heureux celui que tu chéris ,
Celui pour qui tu daignes être un père ,
Qui voit en toi ſon ange tutélaire ,
Qui peut de tes vertus connoître tout le prix !
72 MERCURE DE FRANCE.
Son âme épurée & tranquille ,
S'élève au ſentier de l'honneur ;
Elle ſuit des devoirs la pente difficile ,
Pour imiter ſon bienfaiteur .
Heureuſe l'âme inébranlable ,
Que ton exemple a ſu former !
L'éclat de la grandeur ne fauroit la charmer;
Sa vertu fière , inaltérable ,
Sur ce globe voit du même oeil
Le préſent , l'avenir , le lit & le cercueil.
Les ſolides douceurs de la philoſophie ,
Savent la conſoler des caprices du fort.
Qui fait jouir des momens de ſa vie ,
Sait mépriſer la fortune & la mort.
Telles font les ſages maximes ,
Dent j'aime à flatter mes deſirs .
Tendres vertus , vierges fublimes ,
Vous excitez mes voeux & mes ſoupirs.
Puiſſai-je être doué de l'heureux avantage ,
D'avoir mérité vos faveurs !
J'emprunterois ici vos crayons , vos couleurs ,
Pour peindre , dans ces vers , le plus parfait hommage
Qu'on doive rendre à votre image.
CARRAROLIN.
LA
AVRIL 1768 . 73
LA MAIN DE SCÉVOLA.
DÉçu , dans ſa fureur , Mutius implacable ,
En punit dans les feux ſon poing comme coupable.
Porfenna ſuſpendit ce prodige inhumain :
UnToſcan ne peut voir ce qu'endure un Romain.
Aux brâfiers ennemis arrachant ce grand homme ,
Vainqueur , il eſt confus des triomphes de Rome.
O glorieuſe erreur ! qui n'en ſeroit frappé ?
Ce bras auroit moins fait s'il ne ſe fût trompé.
Par M. le Baron DE S. JULIEN.
Urere quam potuit contempto Mutius igne ,
Hanc ſpectare manum Porfena non potuit.
Ceux qui aiment à comparer les deux
langues peuvent obſerver qu'on a rendu ,
par un vers françois , ce diſtique de Martial
, qui renferme une penſée fort dans
le goût de Corneille.
SURl'imitation ou la traduction des anciens.
Eloquente en ſes vers , une muſe hardie
Peut allumer ſa flamme au feu de leur génie ,
Réclamer des lauriers ſur leurs neveux conquis :
Peu ſemblables , ſans doute , à ces tiédes efprits ,
Vol. I. D
74 MERCURE DE FRANCE.
Qui , d'un aigle ſublime émulateurs ſerviles ,
N'ofent franchir ſon vol , trop tortueux reptiles ,
Craignent le fort d'Icare , en quittant un appui ,
Et n'oſent dans les cieux s'élever plus que lui.
Par le même.
Unjeune écolier àfon père, lejour de l'an.
PAPA , APA , je voudrois bien vous faire un compliment.
Pour le trouver , que ma peine eſt extrême !
Je feuillette mon rudiment ,
Et je n'y trouve qu'Amo .... j'aime.
Par M. M ***.
Le mot de la première énigme du Mercure
du mois de mars eſt l'amitié. Celui
de la feconde eſt poële. Celui du premier
logogryphe eſt virginité ; dans lequel on
trouve Virginie & vie. Et celui de la
ſeconde, fiévre ; dans lequel on trouve feu,
fer , Eve , ver , feve , rêve , Fée , vie.
AVRIL 1768 . 75
It eſt
NIG ME.
Leſt creux en de dans , endehors il eſt rond ,
Quatre - lettres donnent fon nom ;
Et fi c'eſt un métal qui compoſe ſon être ,
Affez communément des armes de ſon maître
On le voit porter l'écuſſon.
Le marque- t- on ainſi pour le mieux reconnoître ?
Non , c'eſt pour une autre raiſon....
Et pourquoi diable , dira- t-on ?
Une énigme veut du myſtère ,
Et, fur ce point , je dois me raire.
Mais ne parlons plus du dehors ,
Le dedans paroîtra biſare ;
Car lorſqu'en deux on le ſépare ,
On lui trouve ſouvent des plumes dans le corps.
Par M. DE ST. G. Mousquetaire de la
Seconde Compagnie , à Crépy en Vallois.
I
AUTRE.
1 ſe fait peu de bons repas
Que l'on ne me mette en uſage.
Ami lecteur , fi d'un ménage
Où de moi l'on ne ſe ſert pas !
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Ce diſcours trop vague , peut-être ,
Me peint encore obfcurément.
Mais deux petits mots ſeulement ,
Vont bientôt me faire connoître .
Si l'on parle d'un pauvre fot ,
Qui de certaine lotterie
Vient d'attrapper le premier lot ,
On me nomme en plaifanterie.
...
LOGOGRYPH Ε,
LEJCETCTEEUURR,, mon ſecret va bientôt être éventé;
Les trois quarts de mon nom déſignent une choſe ,
Qui n'a point de rapport à la commune cauſe
De l'établiſſement de ſa totalité.
L ******. de Paris.
AUTRE à Mile ***.
AIMIAMBALBLIE Hébé , vos deſirs ſont des loix ;
Un logogryphe vous amuſe ?
Ce mot fuffit ; tels ſont les droits
De la beauté ; daignez être ma muſe,
Et je ferai de jolis vers ,
Si les ris&les jeux qui marchent ſur yos traces,
AVRIL 1768 . 77
Si le fripon d'enfant qui nous met dans vos fers ,
Ajoute à mon eſprit quelqu'unes de vos grâces .
Mieux que perſonne , Hébé , vous connoillez
Le mot qu'ici je vous déguiſe ;
Mais les lecteurs embarraffés
Pourront- ils deviner quelle eſt la friandiſe ,
Qui reçoit de vos mains ſon plus für agrément ?
Tout ce qui vient d'Hébé doit plaire également ,
Tout eſt exquis ; mais , de peur qu'on ne gloſe ,
Venons au fait , abrégeons les difcours .
Dans les huit pieds dont je diſpoſe
On trouve ce métal trop fêté tous les jours ;
Un élément ; ce que maudit ſans celle
Un malheureux enchaîné ſur les flots ;
Un mortel que ſouvent une femme careſſe ,
Et qu'elle met au rang des ſots ;
Un vilain vent ; le plus illuſtre titre ;
Un autre moins brillant & d'un prix ſans égal ,
Mais , par malheur , ſur ce chapitre ,
La bouche avec le coeur ſouvent s'accorde mal ;
Le travail d'un inſecte ; & l'étoffe agréable
Qu'en tire un homme induſtrieux ;
Une ville confidérable
,
D'où le chriſtianiſme a chaſſe les faux dieux ;
L'odeur qu'adopte un petit-maître ;
Un agne für de la gaîté ;
Une fleur que Zéphir développe & fait naître ,
Pour briller un moment ainſi que la beauté .
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Mais devinez , Hébé , ce que je trouve encore !
Un gage de l'amour , & d'un tendre defir ,
Qui bien reçu de l'objet qu'on adore ,
Par un chemin de fleurs nous conduit au plaiſir.
Il eſt auſſi faveur légère :
Puitſe le mot vous décider !
:
Ce tribut qu'à l'amour doit payer la bergère.
A l'amitié peut s'accorder.
Par M. B. DE B. d'Orléans.
;
ANAGRAMME LOGOGRIPHIQUE.
RAREMENT AREMENT on me voit
J
Sous le ruſtique toît
Du manant de village ;
Je ne ſuis en uſage
Que parmi les bourgeois ,
Les nobles & les Rois.
Un petit trait d'hiſtoire ,
Une chanfon à boire ,
Un bon mot , une loi ,
Trouvent place chez moi.
Je cite vers & profe ,
Fable , métamorphoſe.
L'hiver eſt ma ſaiſon ;
C'eſt pour cette raiſon,
1
:
AVRIL 1768 . 79
Qe jamais je ne quitte
Le foyer que j'habite.
Quand le zéphir aux fleurs
Vient conter des douceurs ,
Devenue inutile ,
On me laiſſe tranquille.
Voudriez-vous vous amuſer ,
Lecteur , à me décompoſer ?
Sans faire de plus longs programes ,
Je ſuis compoſé de cinq piés :
Pour peu que vous les combiniez ,
Vous trouverez quatre anagrames,
Le premier offre ,
Sous le chapeau ,
Le petit coffre
Où loge le cerveau.
Le ſecond vous préſente
Une coquille très -brillante ,
Qui renferme un tréſor
Plus précieux que l'or....
Le troiſième eſt d'uſage
Sur l'humide élément ,
Pour braver un orage
Et réſiſter au vent....
Enfin ma mufe
Prends un travers
Contre mes vers ;
Elle refuſe
:
Div
8. MERCURE DE FRANCE .
De vous donner
L'autre anagrame
Qui reſte à deviner :
Enfin , la bonne Dame ;
Rougit de combiner
Un terme de cuiſine ,
Qui bleſſe ſon oreille fine.
De peur d'irriter ſa fureur ,
Je ne veux pas , lecteur ,
Introduire au Parnaſſe
Un mot inuſité :
Apollon feroit la grimace
S'il en avoit goûté.
Par Mile GERMAIN DE REZAY ,
1 en Berry , âgée de 16 ans.

+
percés du méme trait Du senti =
1
eAvoit sçufixer nos de- sirs,
W
el -le?Enfaloit- il à nosplaisirs,
e me rappelle Le tropfuneste
à le bannir: Puisque d'une
144
W
ds, Licas a sçu plaire à tesyeux
Hon
éteint des qu'il est heureux,
1
t dès qu'il est heureux .
AVRIL 1768. 81
CHANSON.
LISE ISE m'aimoit , Life m'étoit fidelle ,
Nos coeurs percés du même trait ,
Du ſentiment goûtoient l'attrait .
Une tendreſſe mutuelle
Avoit ſu fixer nos deſirs ;
Nos fermens étoient nos ſoupirs :
Qui le fait mieux que toi , cruelle !
En falloit-il à nos plaiſirs ?
De mon bonheur en vain je me rappelle
Le trop funeſte ſouvenir ;
Je dois chercher à le bannir ,
Puiſque , d'une chaîne nouvelle ,
Tu chéris aujourd'hui les noeuds .
Licas a ſu plaire à tes yeux ;
Mais ſon feu n'est qu'une étincelle
Qui s'éteint dès qu'il eſt heureux.
Paroles de M. FRĖM... Muſique de M. DUGUÉ ,
Muficien vétéran de la Chapelle du Roi.
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
L'UNI- CLÉFIER Muſical , pour fervir de
Supplément au Traité général des Élémens
du Chant ; dédié à Monseigneur
le DAUPHIN : par M. l'Abbé LACASSAGNE
, & pour fervir de réponse à
quelques objections . A Paris , chez l'Auteur
à l'ancien Collège de Justice , rue
de la Harpe ; la veuve DUCHESNE
rue Saint-Jacques , au temple du Goût
& aux adreſſes ordinaires de musique :
à Versailles , chez FOURNIER , aux
galeries du château : grand in- 8º d'environ
30 pages.
CE ſupplément , que M. l'Abbé Lacaf
fagne ajoute à fon Traité des Elémens du
Chant , tend à développer & à confirmer
les principes, qu'il avoit établis , & à réfuter
les objections qu'on lui avoit faites.
Nous avons parlé , au mois de décembre
AVRIL 1768. $3
1767 , d'une lettre de M. Boyer , dans
laquelle l'auteur attaque le projer de l'unité
de clef dans la muſique , & de la
réforme des meſures , tel qu'il avoit été
propoſé dans les Elémens du Chant. C'est
àcette lettre que répond aujourd'hui M.
l'Abbé Lacaſſagne.
Il commence par remercier ſon adverfaire
de lui avoir fait connoître l'ouvrage
de M. S. Lambert , intitulé Principes du
Clavecin , où l'auteur avoit propoſé dès
1702 l'unité de clef dans la muſique;
ſyſtême qui fut enſuite remanié par M. de
Montéclair & par d'autres : mais , quoiqu'il
faſſe gloire d'admettre , ſur ce point ,
les idées fondamentalesde cesdeux auteurs ,
if montre la différence qu'il y a entre fon
plan & le leur. Il s'attache enſuite à faire
voir que la tranſpoſition , dont il a parlé
dans ſes Elémens , eſt bien différente de
celle qui eſt en uſage , & même de celle
de Montéclair.
La plus forte raiſon qu'ait alléguée
M. Boyer , pour défendre la multiplicité
des clefs , eft fondée ſur l'uſage qu'on en
a fait dès l'origine , pour représenter les
différens genres de voix : en conféquence
ila remis fous les yeux la figure ordinaire ,
ou le tableau qui , par la poſition des
clefs uſitées , marque la différence qui ca
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
ractériſe les voix de diverſe eſpèce . Cela
peut paroître ſéduisant ; néanmoins quand
on y regarde de près , il eſt naturel de
demander ſi le mérite de cette repréſentation
compenſe les embarras & les difficultés
qu'elle traîne à ſa ſuite ; fi d'ailleurs
on ne peut pas parvenir au même but par
une voix plus fimple & plus courte. Pour
enjuger , il ſuffit de voir ſi , dans le ſyſtême
d'une feule clef, on ne peut pas avoir un
tableau qui montre la différence qu'on
cherche ; & M. l'Abbé Lacaſſogne en préſente
un qui , ne laiſſant rien à deſirer fur
cet objet, eſt préférable à l'ancien , puiſqu'avec
les mêmes avantages , il n'a pas les
mêmes inconvéniens.
M. Boyer a dit qu'on ne pouvoit fupprimer
la multiplicité des clefs fans contrarier
ouvertement la nature. On ne ſoupçonnera
pas lesgrands muſiciens qui , avant
M. l'Abbé Lacaſſagne , ont tenté de les réduire
, d'avoir ignoré les prétendus avantages
de l'ancien ſyſtème , & de n'avoir
pas compris que celui qu'ils vouloient
introduire , choquoit la nature. « Qu'au-
>> roient- ils répondu , dit l'auteur , fi quel-
>> que critique leur eût reproché qu'ils
>>ignoroient la nature de chaque genre
» de voix , & qu'ils ne conſidéroient ces
>> différens genres , que comme distans les
AVRIL 1768 . 85
>> uns des autres par des octaves ? Qu'au-
>> roient-ils répondu ſi on leur eût objecté
>> que l'usage d'une seule clef ne pourra
» véritablement avoir lieu , pourfaire chan-
» ter diverſes fortes de voix , que lorsqu'il
» n'y aura en muſique qu'un ſeul & même
» ton convenable à toutes les voix » ? L'expérience
, & même les exemples cités par
M. Boyer , paroiffent à M. l'Abbé Lacaf-
Sagne combattre ſa prétention. Pourquoi
, dit ce dernier , m'imputer d'avoir
marqué , par l'intervalle d'une octave , la
différence d'un genre de voix à un autre ?
Aufſi , demande t- il , dans quel endroit des
Elémens du Chant a- t-on trouvé une pareille
idée ? A- t- il cru que c'étoit une conféquence
néceſſaire de la réduction des clefs?
&avoit-il raiſon de le croire ? Il convient
lui-même , ajoute-t- il , qu'il y a parmi les
femmes , autant de genres différens de voix
qu'il s'en trouve parmi les hommes. On
a introduit pluſieurs clefs pour ceux- ci ,
une ſeule ordinairement pour les autres.
En a-t- il réſulté qu'on ait admis un ſeul
& même ton convenable à toutes les voix
des femmes ? En eſt-il arrivé qu'on ait
conſidéré ces différens genres de voix ,
comme diftans les uns des autres par des
octaves , & qu'on ait choqué la nature ?
Ce qu'on n'a point craint à l'égard des
1.
86 MERCURE DE FRANCE.
voixdes femmes, pourquoi le craindroit-on
à l'égard des voix des hommes ? M. Boyer
juge qu'on a tort de ne pas affigner aux
femmes autant de clefs qu'aux hommes ;
mais elles s'en font bien paſſées juſqu'ici;
elles s'en paſſeront vraiſemblablement en
core ; & les hommes pourront ſans conféquence
les imiter.
L'article qui concerne la réduction des
meſures a été traité fort ſommairement
par M. l'Abbé Lacafſagne dans ſon ſupplément.
Il s'eſt contenté de renvoyer à fon
Traité des Elémens du Chant , & de donner
une liſte qui indique les pages de la
lettre de ſon adverſaire , où il juge
que le lecteur doit être ſur ſes gardes ;
méthode qu'il a fuivie pour s'épargner ,
dit-il , une foule d'obſervations , dans lefquelles
il auroit été obligé d'entrer , s'il
avoit voulu le ſuivre pas à pas.
On peut ſe rappeller que M. l'Abbé
Lacaſſagne , & même M. Rameau , ne devoient
pas , felon M. Boyer , regarder les
différens ſignes des meſures comme des
marques deſtinées à indiquer la manière
dont chacune doit ſe battre , & , pour
ainſi dire , l'action ou le mouvement des
bras. C'eſt , à ſon avis , pour déſigner la
ſtructure d'un morceau de muſique , fon
mouvement, la manière dont les notes
AVRIL 1768. 87
le
doiventy être paſſées , les différentes périodes
du chant , les repos ou cadences qui
peuvent ſe rencontrer de deux en deux
meſures , de trois en trois , ou de quatre
en quatre , qu'on a introduit l'uſage des
fignes différens dans les meſures qu'on ap
pelle compofées. Il eſt cependant d'expérience
, dit M. l'Abbé Lacaſſagne , que ces
fignes nedéſignent point , par eux-mêmes,
lemouvementd'une pièce, du moins quant
à la lenteur ou à la vîteſſe ; car de deux
pièces compoſées ſur la même eſpèce de
meſure , l'une s'exécute ſouvent avec plus
de vîteſſe que l'autre. Ces fignes n'indiquent
pas non plus , par leur nature ,
caractère , l'expreſſion du chant , puiſque
fouvent le compoſiteur est obligé d'ajouter
à ces ſignes des termes plus caractériſtiques,
commelouré , détaché,ſpirituoso, &c .
de forte que l'on voit ſouvent , fur une
même eſpèce de meſure, des morceaux
demuſique d'un caractère très-différent.
Nous citerons ſeulement les divers menuets
quenousconnoiſſons, dont les ſignes font
toujours les mêmes , quoique leur mouvement
foit bien oppofé. C'eſt encore un
faitd'expérience, que les repos oucadences
ne ſe rencontrent pas toujours dedeux en
deux ou de trois en trois meſures. Rien
de plus fréquent que d'en voir au milieu
88 MERCURE DE FRANCE.
d'une meſure. Et d'ailleurs quand la cadence
tomberoittoujours à la fin d'un nombre
déterminé de meſures , la chûte ne
ſeroit-elle pas la même , fi une meſure
compoſée étoit , par exemple , partagée
en deux meſures ſimples ? Mettez un au
lieu d'un , ſi vous executez avec la même
vîteſſe, les repos arriveront précisément
après le même intervalle de temps , &
après un nombre fixe de meſures.
M. Boyer avoit encore reproché àM. Lacaſſagne
d'avoir avancé que les notes n'ont
point de valeur abfolue : elles en ont une
felon lui très-fixe , très réelle & très -déterminée.
N'y auroit-il pas du mal- entendu ?
Les notes ont une durée ou valeur relative
, très - conſtante & invariable , c'est- àdire
, qu'en les comparant entr'elles , la
blanche eſt toujours la moitié de la ronde ,
la noire la moitié de la blanche , &c . A
cet égard point de variation : le rapport
eſt toujours le même. Mais la durée de la
ronde peut varier ; elle dure tantôt plus ,
tantôt moins : elle n'eſt pas aſſervie à un
eſpacede temps toujours le mêine. Elle ſe
palle avec plus de vîteſſe ou plus de lenteur
, felon la nature & le caractère des
compoſitions diverſes. C'eſt encore une
vérité d'expérience. Ce n'eſt donc pas
parler exactement , de dire que les notes
AVRIL 1768 . 89
de la muſique ont une durée abfolue, quoique
le rapport qu'elles ont entr'elles ſoit
invariable.
Le ſupplément de M. l'Abbé Lacaſſagne
nousdonne liende faire ces obſervations ,
& nous exhortons de le lire , ceux qui
voudront ſe former des idées juſtes ſur
la matière qui y eſt traitée avec autant de
clarté que de ſolidité. Souvent on ſe laiſſe
prévenir par un coup-d'oeil porté légérement
& à la hâte ſur un objet ; mais un
examen plus ſérieux & plus réfléchi fait
bientôt découvrir la mépriſe. L'auteur a
joint à ſon excellent ouvrage douze planches
gravées , où différens exemples fervent
à développer , à confirmer , ou à modifier
ſa méthode.
وه MERCURE DE FRANCE.
MÉDECINE rurale & pratique , tirée uniquement
des plantes uſuelles de la France,
appliquées aux différentes maladies qui
régnent dans les campagnes ; ou Pharmacopée
végétale & indigène , &c . &c.
ouvrage également utile aux Seigneurs
de campagne , aux Cures , & aux cultivateurs
; par M. PIERRE - JOSEPH
BUCHOZ , Docteur aggrégé au Collège
Royal des Médecins de Nancy , & à la
Faculté de Médecine de Pont-à-Mouffon
, Membre de plusieurs Académies.
A Paris , chez LACOMBE , Libraire ,
quai de Conti ; un vol. in- 12 .
LE livre que nous annonçons au public
eſt d'autant plus digne de fon
accueil , qu'il eſt uniquement conſacré au
bien de l'humanité , &de cette portion
de l'humanité , au bien de laquelle on
travaille le moins , c'est- à-dire , les pauvres
habitans de la campagne. Les temples
d'Efculape ne brillent guères que dans
nos grandes villes ; & ſes prêtres ne ſe
répandent que difficilement dans les ha
AVRIL 1768. 91
meaux & les villages , où leur art & leur
préſence ſeroient pourtant ſouvent ſi néceſſaires.
C'eſt moins leur zèle que l'éloignement
des lieux , & plus encore l'état
mal-aiſé des villageois , qu'il en faut accufer.
L'Auteur de la Médecine rurale a
cherché de remédier à cet inconvénient &
à acquitter envers les gens de la compagne
ladettede ſes confrères , dont l'art & les
talens ne ſe doivent pas moins en effet à
cette partiedes citoyens qu'à ceux que la
fortune a placés dans les villes , & plus
près de tous les fecours.
Le célèbre M. Fiſcot avoit déja commencé
de fatisfaire à cette dette ſi intéreffante
pour l'État ,en publiant ſon excellent
ouvragefur les maladies populaires.
Mais ſa méthode curative , quelque ſimple
&aifée qu'elle fût , ne l'étoit pas encore
affez , pour des gens qui n'ont guères que
leurs bras pour toutes reſſources. Elle ſuppoſoit
au moins une petite pharmacie ; &
il n'eſt guères que les ſeigneurs des villages
, qui ſoient en état de ſe procurer
cet avantage ; encore tous ne le font-ils
pas , malgré la douce ſatisfaction que cette
dépenſe ſi utile pourroit leur procurer. La
Médecine rurale ſupplée à cet objet de dépenſe
, en apprenant aux villageois à ſe
guérir eux-mêmes avec les fimples plantes
92 MERCURE DE FRANCE.
qu'ils trouvent autour de leurs cabanes , &
dans leurs potagers , ſans recourir deformais
aux pharmacies des villes , ni même
à celles de leurs ſeigneurs , ou de leurs curés
, qui peut être n'en ont pas. Mais cet
ouvrage pourra leur en tenir lieu : quelque
facile & fimple que foit la manière que
l'Auteur propoſe, ils l'entendront toujours
mieux que de ſimples payſans , & feront
plus à mêmede leur en apprendre l'uſage :
auſſi eſt- ce à eux particulièrement que l'Auteur
ſemble conſacrer ſon livre en le dédiant
à une Dame vertueuſe , qui n'a pas
voulu être nommée , mais qui employe
tous fes foins& toutes ſes richeſſes au foulagement
des pauvres malades de la ville
&de la campagne. L'Auteur paroît pénétré
du même zèle .
Voici quel eſt le plan de cet utile ouvrage.
Il eſt diviſé en trois parties. La première
contient les formules ou recettes des
médicamens compoſés avec les plantes. La
ſeconde traite des principales vertus de
chaque plante , & eft accompagnée de renvois
pour dénoter la recette , dans laquelle
elles entrent. La troiſième comprend les
définitions ſymptomatiques des maladies
qui regnent dans les campagnes , avec la
méthode pour les guérir.
L'ouvrage eſt précédé d'une introducAVRIL
1768 . 93
tion , où tous les termes uſités dans les
ordonnances de médecine , font expliqués
avec la plus grande clarté , & toute
la préciſion poffible. Les remèdes que la
Médecine rurale indique , ſont le réſultat
des obſervations que l'Auteur a faites dans
un grand nombre d'hôpitaux , où il a employé
ces fortes de médicamens , & dont
il a reconnu la vertu& l'efficacité par les
guériſons qu'ils ont opérées ſur une quanrité
de malades , &en particulierſur ceux
de la paroiſſe du Saint-Eſprit à Nanci .
La pauvreté des gens de la campagne &
même du grand nombre des habitans des
villes ne leur permet pas de mettre les trois
regnes de la nature à contribution pour
leur ſanté ; on a obligation à l'Auteur de
s'être borné au regne végétal , comme le
plus abondant & le plus à la portée des
pauvres. C'eſt celui où la nature ſouffrante
va d'elle-même chercher le ſoulagement
à ſes maux. Quiſçait ſi elle n'y a pas renfermé
les remèdes de toutes nos maladies
à l'excluſion mêmedes deux autres regnes ?
t
94 MERCURE DE FRANCE.
TRAITÉ des principaux objets de médecine ,
avecunfommaire de la plupart des théſes
foutenues aux Écoles de Paris depuis
1752 jusqu'en 1764 ; on y a joint des
obfervations de pratique : par M. Ro-
BERT , Docteur-Régent de la Faculté de
Médecine de Paris. A Paris , chez
LACOMBE , Libraire , quai de Conti.
CET ET ouvrage eſt précédé d'une dédicace
& d'un diſcours préliminaire.
Dans ce dernier , l'Auteur ne craint
pas de ſe déclarer hautement contre la
doctrine du fameux Boerrhave , & contre
tous les ſyſtêmes brillans qu'elle a enfantés.
Il part de l'axiome ſi connu , & fi mal entendu
, que le Médecin commence où le
Phyficien finit ; &en conféquence , il s'éleve
contre toutes les doctrines qui lui
paroiffent tenir plus au raiſonnement du
méchanicien , & aux loix de la phyſique
expérimentale , qu'à l'action de la nature.
« Rien de plus illuſoire , dit- il , que ces
>> théories , & de plus vain que les eſpé-
>> rances de guériſon fondées ſur les mé-
>> thodes de traitement qui en dérivent. II
AVRIL 1768 . 95
>>eſt conſtant que les maladies ne ſe gué-
>> riſſent que par des révolutions critiques;
>> il faut un écoulement d'une matière
>>bilieuſe , c'est-à-dire , de couleur jaune
>"& de conſiſtance de purée » . Cette
affertion , au ſujet de l'écoulement qu'il
met ici comme un principe incontestable ,
fe trouve démontrée preſque à chaque
page de fon livre.
,
"Quel que foit le nombre des ſaignées
>> que l'on emploie , continue l'Auteur
>> les maladies vont leur train , & guérif-
>> fent à certains jours , ſavoir , le ſept , le
>> neuf, le onze , le quinze , le dix-huit ,
» & le vingt & un. Les purgatifs donnés
>> avant le temps de la révolution ne font
>> rendre que des matières noirâtres &
>> ſéreuſes ; &, loin de procurer du fou-
» lagement aux malades, ils les tracaſſent
> & les fatiguent au point d'éloigner la
>> fin de la maladie : la révolution critique
>> vient à la ſuite des mouvemens fébriles
>> qui ſervent à préparer les humeurs » .
L'Auteur développe avec intelligence cette
opération triomphante de la nature au
chapitre de la coction.
Il s'annonce pour le partiſan reſpectueux
& zélé de la médecine hypocratique. Il
ſe range du parti des naturistes , dont
Hypocrate étoit& eſt encore le modèle &
96 MERCURE DE FRANCE.
le chef , & fur les traces duquel ont marché
les Houlier , les Duret , les Baillou , noms
célèbres , à qui la Faculté de Paris doit
une partie de ſon éclat & de ſa renommée.
Ce qui acheva de déterminer l'Auteur
en faveur d'Hypocrate , & des naturiftes
, fur , dit-il , la lecture d'un livre
intitulé : Ars fanandi per expectationem.
L'Art de guérir par l'expectation .
Le nom de naturiste , ou d'observateur ,
ſemble expliquer aſſez par lui-même l'efprit
& la méthode du Médecin qui s'en
décore. On voit que ſa pratique eſt d'obſerver
, de ſuivre pas à pas la nature fouffrante
, ſans l'accabler par des médicamens
qu'elle ne demande pas ; d'attendre , pour
ainſi dire , qu'elle les demande elle-même
par des ſignes non équivoques ; & de
diftinguer T'inſtant précis où elle les demande
; en un mot, de ne pas conſidérer
le corps humain comme une pure machine
de phyſique , qu'on ne remet en mouvement
qu'à force de cauſes extérieures ,
inais comme une machine admirable qui
renferme en elle-même le principe de ſon
imouvement , & dont les organes s'entreaident
par leur action à ſe mouvoir & à
dégager celui dont le jeu eſt ſuſpendu.
Tel eſt la pratique du Médecin natu
rifte ; pratique qui ſemble devenir de
jour
AVRIL 1768. 97
:
jour en jour plus commune &plus générale.
L'ouvrage que nous annonçons ne
peut que favorifer cette révolution ſalutaire
à l'humanité , & relever le triomphe
d'Hypocrate , le roi des Médecins obſervateurs.
L'auteur prend un ſoin particulier
de le venger dans toutes les occaſions ,
&de montrer les ſens abſurdes qui ont
quelquefois été prêtés à ſes aphorifmes
les plus fages.
Son livre eſt partagé par chapitres ,
remarques & obſervations. Un ſimple
extrait le fera mieux connoître , & pénétrera
en même temps de confiance pour
l'art médical quand on ne le verra exercé
que par des gens qui voudront ſe conformer
à cet excellent ouvrage.
Exemples des Anglois & des différens peuples
, pour fervir d'appui à ce qui a été
ditfur la mélancolie.
Il faudroit pouvoir rapporter tout ce
que l'auteur a dit précédemment fur
cette maladie ; les cauſes phyſiques &
morales qu'il lui attribue ; les ſignes
certains auxquels il la fait reconnoître ;
les remèdes aſſures qu'il lui affigne ;
enfin la manière lumineuse & fatif-
Vol. I. E
98 MERCURE DE FRANCE.
2
faifante dont il traite cet objet , que la
médecine oſoit à peine revendiquer. II
fait voir que cette maladie , qui étoit regardée
comme une pure diſpoſitionde l'ef
prit ou de l'imagination , dépend beaucoup
plus du phyſique que du moral. La mélancolie
n'eſt , ſelon lui , que l'effet d'un
embarras ou empâtement de matières glaireuſes
& bilieuſes dans tous les viſcères
du bas - ventre ; empatement qui attire
vers les entrailles l'action de l'organe intérieur
, & n'en laiſſe que très-peu à l'organe
extérieur. Ceci deviendra plus ſenſible par
les exemples que nous allons rapporter
d'après lui.
L'hiſtoire de la mélancolie , dit l'auteur,
eſt d'autant plus intéreſſante , que nous
vivons dans un ſiècle où la maladie , qui
en conſerve le nom , eſt devenue trèsfréquente
; car la mélancolie n'eſt autre
choſe que ce qu'on appelle communément
vapeurs. Tout le monde fait combien eſt
grand le nombre des perſonnes de l'un &
de l'autre ſexe qui en font rongées .
Il paroît qu'autrefois elle attaquoit plus
particulièrement les Anglois , puiſque aujourd'hui
elle porte encore le nom de
maladie Angloiſe. Si cependant elle continue
de ſe répandre , autant qu'elle l'a
fait depuis un liècle chez les François ,
AVRIL 1768 . 99
on pourra l'appeller , avec autant de fondement
, la maladie Françoise. Qui peut
donc la rendre ſi commune en France ?
Seroit- ce le goût qu'il ſemble que les François
ont contracté pour la philofophie ?
En effet , il eſt étonnant combien ce ſiècle
a produit d'hommes dignes de l'antiquité
par le génie philoſophique qui règne dans
les divers ouvrages dont ils ont enrichi la
république des lettres. C'eſt de-là vraiſemblablement
qu'il a pris le nom du ſiècle de
philofophie.
Quidit philoſophe dit un homme occupé
de férieuſes méditations & de recherches
utiles à l'humanité.... C'eſt ſans doute
de l'application conſtante qu'exige cette
étude , que naît la maladie connue ſous le
nom de mélancolie.
La mélancolie ou vapeur pourroit donc
être conſidérée comme une maladie plus
ordinaire aux philoſophes qu'aux autres
hommes : on pourroit l'appeller le fruit
des méditations. Pour lui aſſurer ce titre ,
je puis donner l'exemple des Anglois. 11
n'eſt pas de nation dans l'Europe dont le
génie foit plus tourné aux méditations
que le génie anglois ; tout l'y porte , &
la nature du gouvernement & l'efprit de
commerce qui y domine . Le commerce
exige des calculs à l'infini & oblige à une
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
vie oiſive & fédentaire , par cela même
ils acquièrent plus de diſpoſition à la mélancolie.
La contenſion d'eſprit qui accompagne
le travail des calculs doit néceſſairement
détourner de l'organe extérieur
l'effort d'action & lui donner une pente
facile qui dégénère même en habitude
vers l'organe intérieur qui en devient plus
actif& plus ſenſible.
Comme leur gouvernement , continue
l'auteur , eſt républico-monarchique , chaque
citoyen ſe croit autorisé à diſcuter
les droits de la nation. Il examine avec la
plus ſcrupuleuſe attention les opérationsdu
miniſtère, les critique, ou les approuve. Son
eſprit n'eſt rempli que des idées du gouvernement
; il médite ſans ceſſe , il devient
inſenſiblement oifif& pareſſeux. De cette
inaction au dehors naît la mélancolie ;
mais comme le goût dominant de la nation
eſt celui des ſpéculations , il ne faut
pas s'étonner ſi la mélancolie & les maladies
, qui ont beaucoup de rapport avec
elle , y font très-communes.
J'ai déja dit que la diſpoſition à la mélancolie
étoit la tendance de l'action au
centre phrénique. J'ai de plus fait obferver
que les hommes de génie naiffoient
avec elle , ou qu'elle leur étoit néceſſaire.
Il'ett de fait que communément les hom
AVRIL 1768 . 101
mes n'acquièrent de la ſageſſe & de la
prudence , & ne ſe procurent une confidération
perſonnelle , que vers l'âge où
l'ordre des mouvemens propres à la mélancolie
commence à s'établir. L'époque de
cet établiſſement eſt l'âge viril. L'action
commençant alors à ſe porter plus au
dedans , les organes deſtinés à foutenir
l'élévation du diaphragme , reçoivent &
conſervent plus d'effort. C'eſt de l'élévationde
cet organe , que dépend l'examen
le mieux réfléchi des différens objets dont
la connoiſſance nous importe.
Cette obfervation , qui doit paroître
juſte , conduit l'auteur à une autre , c'eſt
que la ſpéculation étant, pour ainſi dire ,
de mode chez les Anglois , la mélancolie
y fait des progrès bien plus conſidérables
qu'ailleurs ; ce qui les oblige d'en venir
chercher ſouvent le remède en France
où la nation étant plus gaie & plus enjouée
naturellement , & plus diſſipée , ils y trouvent
des ſujets de diſtraction qu'ils n'ont
pas chez eux. Leurs nerfs y prennent un
nouveau ton ; ils s'y mettent à un nouvel
uniffon. L'oiſiveté , ſelon l'auteur , eſt
une autre cauſe de mélancolie , elle produit
à peu près le même effer , que l'excès
du travail ſpéculatif. Il le prouve par
l'exemple des Turcs , qui vivent dans
,
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
l'indolence & la fainéantiſe , & qui font
auſſi mélancoliques que les Anglois .
Soumis , dit - il , à un gouvernement
deſpotique , ils ne reconnoiffent d'autres
loix que la volonté de leur Empereur ,
pour lequel ils ont une obéiſſance aveugle;
ils ne s'occupent pas même de connoître
ce qui eſt juſte ou injufte. Contrains à un
profond filence fur tout ce qui concerne
le gouvernement , ils n'en font pas l'objet
de leurs méditations : élevés parmi des
hommes plongés dans l'ignorance , ils ne
contractent pas l'uſage de penſer , ils réfléchiffent
peu. Idolâtres & tyrans des
femmes , ils n'ont pas l'habitude des exer
cices du corps que détruit leur commerce.
Les Turcs font naturellement livrés à une
vie oiſive & pareſſeuſe ; leurs organes ,
faute d'être exercés , ne ſe livrent à aucune
eſpèce d'action : de-là la mélancolie. S'ils
n'avoient pas l'uſage de l'opium , qui eſt
propre à détruire le fond du ſpaſme ordi
naire à la mélancolie , leur exiſtence ne
leur ſeroit pas moins à charge qu'aux
Anglois ; l'opium , comme on le voit ,
leur eſt donc néceſſaire pour prévenir
l'ennui & le mal- aiſe qui naiſſent de
leur genre de vie.
Les Anglois ne font pas dans l'uſage
d'un ſpécifique, auffi efficace contre la
AVRIL 1768 . 103
...
mélancolie. Ils eſſaient d'en arrêter les
effets par l'uſage du vin & des liqueurs
fortes ; mais ces boiſſons ne leur apportent
aucune eſpèce de foulagement. Elles produiſent
à la vérité l'ivreſſe comme l'opium,
mais elles irritent les nerfs , excitent des
criſpations , & occaſionnent un ſpaſme
plus pernicieux encore que celui qui accompagne
la mélancolie ; elles conduiſent
plus promptement au tombeau. Quand
le ſpaſme , effetde l'embarras des entrailles,
ajoute l'auteur , eſt porté au plus haut
degré , il naît un état d'inertie pour toute
la machine , qui fait juger qu'elle eſt dans
l'engourdiſſement. Il ne reſte à l'homme ,
qui en eſt éprouvé , ni la faculté d'agir ,
ni celle de penſer. L'existence eſt nulle
pour lui , puiſqu'il est vrai qu'il n'en a
pas le ſentiment ; celui qui lui reſte confiſte
dans une ſuite de ſenſations ſi défagréables
, qu'il cherche à ſe procurer la
mortpour terminer une vie ſi importune...
Toutlereſtede l'ouvrage eſtdans lemême
goût de diſcuſſions & d'obſervations qui
jettent la plus grande lumière ſur les objets
qu'il traite , & cette lumière paroît être
celle de la vérité .
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
ANNONCES DE LIVRES.
L'ESPRIT de l'Encyclopédie , ou choix
des articles les plus curieux , les plus agréables
, les plus piquans , les plus philoſophiques
de ce grand dictionnaire. On ne
s'eſt attaché qu'aux morceaux qui peuvent
plaire univerſellement , & fournir à toutes
fortes de lecteurs , & fur-tout aux gens
du monde , la matière d'une lecture intéreſſante.
A Genève , & ſe trouve à Paris ,
chez Vincent , Imprimeur- Libraire , rue
Saint- Severin : 1768 ; cinq volumes in- 12.
Dans cette multitude innombrable d'articles
qui compoſent le dictionnaire de
l'Encyclopédie , les uns ne peuvent être
lus ni entendus que d'un petit nombre de
perſonnes. Les autres , peu fufceptibles
d'une lecture ſuivie , ne font faits que
pour être confultés dans le beſoin. D'autres
enfin conviennent à toutes fortes de
lecteurs , & font comme autant de petits
traités particuliers , où régnent à la fois
l'eſprit , le goût , l'élégance , une ſainephilofophie
, une critique judicieuſe , une
érudition polie , &tout ce qui peut rendre
un écrit curieux , inſtructif, intéreſſant;
AVRIL 1768. 105
Ce n'eſt point ici le lieu d'examiner fi
ce grand ouvrage remplit l'objet que les
Auteurs ſe ſont propoſé , & s'il a acquis
toute ſa perfection. Il nous fuffit de pouvoir
affurer qu'il préſente une infinité de
morceaux de génie , dont le choix & la
réunion en un petit nombre de volumes
portatifs , doit former une collection précieuſe
, & d'autant plus agréable , que
l'acquiſition en ſera facile.
Peu de gens font en état de ſe procurer
le dictionnaire Encyclopédique ; & ceux
même qui voudroient y mettre le prix ,
trouveroient peut-être difficilement à l'acheter
, aujourd'hui que l'édition en eſt ,
pour ainſi dire , entièrement épuisée.
On a donc cru faire une choſe favorable
& commode pour le public , de rafſembler
en cinq volumes in- 12, les articles
les plus piquans de ce grand dictionnaire
, & d'en facilitet la lecture , nonſeulement
aux perſonnes qui , ſans ce ſecours
, en auroient été privées , mais à
celles même qui poſſédent l'Encyclopédie ,
en leur épargnant l'embarras & la peine
de les chercher parmi une infinité d'autres
moins intéreſſans. D'ailleurs , la difficulté
de tranſporter des in folio peut , dans mille
occafions , empêcher qu'on n'y ait recours.
Une table générale des articles choiſis ,
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
& rangés par ordre alphabétique , avec
le nom des auteurs connus , ſe trouve à
la tête du premier volume , & indique ,
au premier coup-d'oeil , ce que renferme
toute la collection. Cette réunion forme
un tableau fingulier par ſa variété ; & chacun
peut s'arrêter ſur les objets qui font
le plus à ſa portée ou de fon goût ; quoi
qu'en général il n'eſt peut-être pas un article
, parmi les cent foixante que contient
ce recueil, qui ne ſoit du goût & à la portée
de tous les lecteurs.
On ſent bien qu'il ne peut être ici quef
tion ni d'arts , ni de métiers, ni de fciences
abſtraites , ni de diſcuſſions grammaticales.
L'aſtronomie , la géométrie , la médecine
, la chirurgie , la jurifprudence , la
théologie , la chymie , la géographie , &c.
ne pouvoient entrer dans le plan qu'on
s'eſt propofé. On s'en est tenu uniquement
aux articles de philoſophie , de morale
, de critique , de galanterie , de politique
& de littérature. En un mot , ce
n'eſt ici que l'Esprit de l'Encyclopédie ,
ou le choix des articles les plus curieux ,
les plus agréables , les plus piquans , les
plusphilosophiques de cegrand dictionnaire;
on ne s'eft attaché qu'aux morceaux qui peuvent
plaire univerſellement , & fournir à
toutes fortes de lecteurs , & fur tout aux
AVRIL 1768. 107
gens du monde , la matière d'une lecture
intéreſſante.
Al'égard de quelques articles condamnés
, qui ont fait , à diverſes repriſes ,
fupprimer l'Encyclopédie , on s'eſt bien
donné de garde de les inférer dans ce
recueil. On fait d'ailleurs que ce ne font
ni les mieux écrits ni les plus piquans.
LES vies des Hommes illuſtres de la
France , continuées par M. Turpin ; contenant
les vies de Charles & de César de
Choiseul du Plessis- Praslin , Maréchaux
de France. A Amſterdam ; & fe vend à
Paris , chez Knapen , Imprimeur , au bas
du pont Saint-Michel , & grand'ſalle du
palais , au bon protecteur ; 1768 : vol .
in- 12 .
Il eſt difficile d'écrire l'hiſtoire avec plus
de force , de préciſion , de nobleffe , d'efprit
& d'élégance , que l'auteur en a mis
dans cet ouvrage.
RECUEIL de pièces fugitives ; par M.
S.D. R. Sicard J. Roberty, élève du génie ,
âgé de dix- sept ans : prix 12 fols broché.
AAmſterdam , chez Arkſtée & Merkus ;
1767 : chez les Libraires qui débitent les
nouveautés ; brochure d'environ 40 pages .
La jeuneſſe de l'Auteur est bien capable
E vj
IOS MERCURE DE FRANCE.
de faire excuſer les petits défauts de ces
petits vers.
Le Gouverneur , ou Eſſai ſur l'éducation
; par M. D**L** F****, ci -devant
Gouverneur de L. L.. A. A.. S. SmesMgrs
les PrincesDucs de Slesvig Holstein-Gottorp .
A Londres , chez J. Nourse , Libraire du
Roi , dans le Strand. A Paris , chez Defaint
, rueduFoin ; 1768 : vol. in - 12 .
L'ISLE de Robinson Crusoe , extraite de
l'anglois ; par M. de Montreille. A Londres
, chez Jean Nourse , Libraire ; & fe
trouve à Paris , chez Desaint , Libraire ,
rue du Foin Saint- Jacques ; à Villefranche
de Rouergue , chez Vedeilhié, Imprimeur-
Libraire ; 1767 : vol. in- 12 .
Le grand Vocabulaire François , &c.
tome quatrième. A Paris , chez Panckoucke
Libraire , rue & à côté de la
Comédie Françoiſe .
Le quatrième volume du grand Vocabulaire
françois vient de paroître ; nous
avons parcouru la plupart des articles qu'il
contient ; ils n'ont ſervi qu'à nous confirmer
dans le jugement que nous avons
déja porté de cet ouvrage important &
utile, lorſque nous avons rendu comptedes
volumes précédens. On y remarque une
AVRIL 1768. 109
attention ſcrupuleuſe juſques dans les
moindres détails ; & nous ne connoiffons
point de dictionnaires qui puiſſent entrer
en parallèle avec celui - ci à cet égard.
Combien de mots oubliés dans la plupart
de ceux qui ont paru ! combien d'autres
dont on ſe contente de faire connoître
quelques fignifications , ſans entrer dans
toutes celles , fous leſquelles on peut les
employer ! Ici les Auteurs ne laiſſent rien
àdeſirer ; leur ouvrage pourra tenir lieu
d'une infinité d'autres : il raſſemble tout
ce qu'on trouve dans le plus grand nombre
des dictionnaires , & une infinité de
choſes qu'on y chercheroit inutilement.
Les omiffions y font rares ;& les Auteurs
pourront ſuppléer à celles qui font inévitables
, par des renvois ménagés heureuſement
dans le cours de leur ouvrage. Nous
n'en avons point apperçu dans ce volume.
Nous y avons trouvé , au contraire , beaucoup
de mots que nous n'avons vus dans
aucun des autres dictionnaires que nous
avons confultés : nous pouvons en dire
autant des trois premiers volumes ; nous
en avons eu ſouvent beſoin ; & nous y
avons toujours eu recours avec ſuccès.
Nous nous contenterons d'annoncer aujourd'hui
ce quatrième tome , dont nous
nous propofons de rendre compte dans la
ITO MERCURE DE FRANCE.
fuite avec plus de détails. Les étrangers
qui étudient notre langue ne peuvent guères
ſe paſſer de ce dictionnaire ; ce fera
un ſecours pour eux , qu'ils ne rencontreront
point ailleurs : ils yapprendrontnonſeulement
à parler françois , mais encore
àle bien prononcer. Le travail des Auteurs
mérite les plus grands éloges. Leur exactitude
à faire paroître ſucceſſivement les
volumes , leur doit attirer la plus juſte confiancede
la partdu public ; ils ne le laiſſent
point languir dans l'attente. Au moment
préſent , où ce quatrième volume ſe diſtribue
, le cinquième eſt ſous preſſe avec le
ſixième , qu'on publiera & fera paroître
enſemble . C'eſt avec cette diligence qu'on
fe propoſe de ſervir le public; on le doit
à la manière dont il a accueilli cet excellent
ouvrage.
SECONDE lettre de M. Midi , à M.
Panckoucke , Imprimeur du grand Vocabulaire
François ; brochure in-8 .
L'auteur de cette lettre y attaque nonfeulement
le grand Vocabulaire François ,
mais tous les autres grands dictionnaires
, comme l'Encyclopédie , le Moréri ,
la Martinière , le Dictionnaire du commerce
, &c. qu'il regarde comme de trèsmauvais
ouvrages. Sans doute que les
:
AVRIL 1768 . IT
auteurs du Vocabulaire auront à fe confoler
qu'on trouve leur ouvrage aufli mauvaisque
l'Encyclopédie , la Martinière, &c.
Mais ſi on lit fans préjugés cette lettre
de M. Midi , on verra qu'elle roule principalement
fur des détails de géographie
&de mythologie , ſur leſquels les perfon--
nes même les plus inſtruites ne font prefque
jamais d'accord , & dont on pourroit
diſputer éternellement. S'il falloit , en
compoſant un dictionnaire , confulter pour
chaque article Ptolomée , Strabon , Cellarius
, chaque mot demanderoit la vie d'un
homme ; & il faudroit pluſieurs fiècles
pour faire la moitié d'un volume : encore
au bout d'une ſi pénible carrière , ne
s'en trouveroit-on pas plus avancé ; car
un érudit viendroit fapper toutes ces recherches.
Pour donner à nos lecteurs une légère
idée du ſtyle & de la manière de critiquer
de M. Midi , nous citerons quelques-unes
de ſes plaifanteries.
" Comme vos gens de lettres , entre
>>nous , ne font que des plagiaires , je
>>fuis obligé d'agiter les fources où ils
>>ſe font corrompus , & la fatalité amène
>> toujours l'Encyclopédie au bout de ma
>> plume. J'aurois voulu ne m'exprimer à
>>ſon ſujet qu'en termes ſucrés , car il n'y
7
112 MERCURE DE FRANCE.
>> a point dans mon choix de vice de
>> coeur ; mais quand l'humeur que donne
>> un mauvais livre nous gagne à un cer-
>> tain point, lesexpreffions ſyroteuſes tarif-
> ſent tout à coup ».
Le ſuccès prodigieux du grand Vocabulaire
ne pouvoit manquer de lui attirer
des critiques. Ce livre eſt à ſa troiſième
éditiondepuis un an qu'il a paru. M. Midi
aſſure qu'il n'a pas eu deſſein de nuire
Libraire ni aux auteurs , mais que l'amour
du bien public l'a entraîné ; que c'eſt ce
ſentiment qui a parlé à fon coeur , a excité
fon efprit & l'a porté à écrire.
au
Nous croyons en effet que M. Midi
n'a point cherché à détruire les principaux
ouvrages de la nation , qui font le fonds
du commerce de la librairie & la baſe des .
bibliothèques & des cabinets.
La critique qui a paru dans le Journal
des Savans eft honnête & modefte ; en:
relevant pluſieurs erreurs de ce dictionnaire
, elle juge leur ouvrage d'une trèsgrande
utilité ; & nous pouvons affurer
nos lecteurs , par la comparaiſon que nous
avons faite de ce dictionnaire avec beaucoup
d'autres , qu'on ne trouvera dans
aucun , plus d'ordre , plus de méthode ,
plus de netteté dans la manière de préfenter
les mots &de les développer ; qu'on
AVRIL 1768. 113
ne trouvera nulle part plus de détail fur
la langue , la littérature ; que les faits qui
concernent l'hiſtoire , les ſciences & les
beaux-arts y font traités avec une étendue
convenable ; & qu'on ne fauroit trop
encourager les Auteurs du Vocabulaire à
le continuer.
ÉLÉMENS de fortification , de l'attaque
& de la défenſe des places ; contenant les
ſyſtèmes des auteurs les plus célèbres , neuf
ſyſtêmes de l'auteur , l'analyſe & la comparaiſonde
tous ces ſyſtèmes ; la fortification
irrégulière & celle de campagne ;
les changemens qui peuvent contribuer à
la perfection des ouvrages extérieurs ; le
calcul des mines, la pouffée des terres &
des voûtes ; l'art de camper & de retrancher
une armée ; deux nouvelles méthodes
de conduire les travaux d'un fiége ; un
traité abrégé du lavis ; un dictionnaire
des termes de fortification , de guerre &
d'artillerie , &c ; par M. Trincano , Ingénieur
extraordinaire de Sa Majefté pour
lesPrinces étrangers , profeffeur deMathématiques
de l'Ecole des Chevaux-Légers
de la garde ordinaire du Roi , des Pages
de la Chambre de Sa Majesté , &c . A
Paris , chez J. B.G. Mufier , fils , Libraire,
quai des Augustins , au coin de la rue
114 MERCURE DE FRANCE.
Pavée , à Saint Etienne ; à Versailles , chez
Lefèvre , Libraire , au château ; 1768 :
avec approbation & privilége du Roi ;
vol. in- 8 ° .
FABLES nouvelles, diviſées en ſix livres ,
& dédiées à Monſeigneur le Dauphin ;
par M. Grozelier , P. D. L. O. A Paris ,
chez Defventes de la Doué , Libraire , rue
Saint Jacques ; & à Dijon , chez Lagarde
Libraire , rue de Condé ; 1768 : avec
approbation & privilége du Roi ; in- 12 ,
petit format.
PRÉCIS du voyage de M. le Marquis
de Courtanvaux , pour la vérification de
quelques inſtrumens deſtinés à la détermination
des longitudes ſur mer. Lu à
l'aſſemblée publique de l'Académie royale
des Sciences , le 14 novembre de l'année
1767. A. Paris , de l'imprimerie royale ;
1768 : in-4°.
EXPOSÉ fuccinct des travaux de MM.
Harrison & Leroy , dans la recherche des
longitudes en mer , & des épreuves faites
de leurs ouvages ; par M. Leroy , Horlo
ger du Roi. A Paris , chez Nyon , quai
des Auguſtins , à l'occafion ; Jombert , rue
Dauphine, à l'image Notre-Dame ; Prault,
AVRIL 1768 . 11
père , quai de Gèvres , au paradis ; 1768 :
in-4°.
NOUVELLE Société contractée pour la
tenue de la penſion académique établie à
Paris , rue & barrière Saint-Dominique ,
pour l'éducation des jeunes gens deſtinés
à la milice , à la jurisprudence , au commerce
; avec des inſtructions pour MM.
les élèves , les maîtres & les parens. A
Paris , de l'imprimerie de Michel Lambert ,
au Collège de Bourgogne , rue des Cordeliers
; 1768 : avec approbation & permiffion
; brochure in- 8 °.
RÉFLEXIONS ſur une queſtion importante
, propoſée au public : ſavoir fi le ter
ritoire immenſe que la nation Angloiſe a
acquis par le dernier traité de paix , contribuera
à la proſpérité ou à la ruine de la
Grande-Bretagne : ouvrage traduit de l'anglois.
A Londres ; 1768 : & ſe vend à
Paris , chez Lejay , Libraire , quai de
Gêvres , au grand Corneille ; brochure
in- 12 .
HÉROÏDES , ou lettres en vers ; troiſième
édition , revue , corrigée & ornée de gravures
: par M. Blin de Sainmore . A Paris ,
chez Delalain , Libraire , rue Saint-Jac
:
116 MERCURE DE FRANCE.
ques; 1768 : avec approbation &privilége
du Roi.
Ce volume , grand in- 8º de 150 pages ,
très bien imprimé par Jorry, fur le plus
beau papier , contient :
1°. La lettre de Biblis à Caunus , fon
frère , précédée d'une lettre de M. Sautreau
de Marfy à l'auteur , dans laquelle
on tâche de démontrer combien il eſt
important à un écrivain de ne ſe livrer
qu'au genre pour lequel il eſt né.
2°. La lettre de Gabrielle d'Estrées à
Henry IV, précédée d'une épître à M. de
Voltaire , & de fa réponſe.
3°. La lettre de Sapho à Phaon , précédée
d'une épître à Rofine , d'une vie de
Sapho , & fuivie d'une traduction en vers
de ſes ouvrages.
Et 4°. La lettre de Jean Calas àſafemme
& àses enfans , précédée d'un précis de
P'hiſtoite des Calas , & d'une épître à Mde
de**. fur le ſentiment.
Chaque héroïde eſt ornéed'uneeſtampe,
d'une vignette & d'un cul-de-lampe trèsbien
exécutés , par les plus habiles graveurs ,
fur les deſſeius de MM. Eisen , deſſinateur
du Roi , Gravelot , & Choffard.
Le prompt débit des précédentes éditions
confirme les éloges que nous avons
donnés à ces différens ouvrages.
AVRIL 1768. 117
Delalain , qui a fait l'acquiſition de
cette édition , eſt ſeul chargé de la débiter.
Le prix de chaque collection eſt de 7 liv.
4fols , & celui de chaque lettre ſéparée
de 1 liv. 16 fols .
Le même Libraire donnera , à la fin de
cette année , un recueil des poéſies fugitives
de M. Blin de Sainmore , pour faire
fuite au volume que nous annonçons.
Il ſera imprimé dans le même format
&fur le même papier , & fera pareillement
orné de gravures.
DICTIONNAIRE hiſtorique des auteurs
eccléſiaſtiques , renfermant la vie des Pères
&des Docteurs de l'égliſe ; des meilleurs
interprètes de l'écriture ſainte , juifs &
chrétiens ; des théologiens ſcolaſtiques ,
moraux , myſtiques , polémiques , hétérodoxes
même qui ont écrit ſur des matières
noncontroverfées ; des canoniſtes & des
commentateurs des Décrétales & du corps
dudroit canonique ; des hiſtoriens , bibliographes
, biographes & agiographes eccléſiaſtiques
; des orateurs facrés ; des liturgiftes
, &généralement de tous les auteurs
qui ont écrit ſur les matières eccléfiaftiques
; avec le catalogue de leurs principaux
ouvrages ; le ſommaire de ce qu'on
trouve de remarquable dans ceux des pères ,
118 MERCURE DE FRANCE.
pour former la chaîne de la tradition ; le
jugement des critiques fur la perſonne ,
le caractère , la doctrine , la méthode &
le ſtyle desdifférens auteurs eccléſiaſtiques ;
&l'indication des meilleures éditions de
leurs ouvrages. Le tout ſuivi d'une table
chronologique pour l'hiſtoire de l'égliſe ,
depuis Jefus- Chriſt juſqu'à nos jours. A
Lyon , chez la veuve Beffiat , Libraire ,
rue Mercière ; 1767 : avec approbation &
privilége du Roi ; 4 vol . in- 8 °.
MÉMOIRE fur les pommes de terre &
fur le pain economique , lu à la Société
Royale d'agriculture de Rouen ; par M.
-Muftel , Chevalier de l'Ordre Royal &
Militairede Saint Louis, aſſocié.ARouen,
de l'Imprimerie de la veuve Besorgne ,
cour du Palais ; 1768 : avec permiffion ;
brochure in 8 .
NOUVEAU recueil hiftorique d'antiquités
grecques & romaines , en forme de
dictionnaire , pour faciliter l'intelligente
des auteurs grecs&latins; par M. Furgault,
Profeſſeur de Belles- Lettres , au College de
Mazarin. A Paris , chez Nyon , quai des
Auguftins , à l'occafion"; Aumont , place
du Collége Mazarin , à fainte Monique ;
1768 : avec approbation & privilége du
Roi; vol. in- 8 °,
AVRIL 1768. 119
ALMANACH de la ville de Lyon , pour
l'année 1768. A Lyon , chez Aimé de la
Roche , Imprimeur de Monſeigneur l'Archêque
& du Clergé , de Monseigneur le
Duc de Villeroi , du Gouvernement & de
la Ville : aux halles de la Grenette ; 1768 ;
à Paris , chez Rozet , rue Saint- Severin ;
vol in- 80 .
L'ART d'imprimer les tableaux ; traité
d'après les écrits , les opérations & les inftructions
verbales , de J. C. le Blon ; avec
figures en taille- douce. A Paris , chez
Vente, Libraire , au bas de la Montagne
ſainte Genevieve ; 1768 : avec approbation
& privilége du Roi ; brochure in- 8 °.
RÉPONSE aux obſervations de M. l'abbé
Defapt , fur un plan d'étude , dreflé par
M. Goullier , Maître de penſion à Verſailles
, & imprimé en 1766 ; par M. Trincano
, fils , fon élève ; chez Mufier fils ,
Libraire ; feuille in- 12.
EUPHEMIE OU LE TRIOMPHE DE LA
RELIGION , Drame en trois actes & en
vers ; in- 8 ° , avec une très belle efſtampe ;
chez le Jay, Libraire, au Grand Corneile ,
quai de Gèvres : par M. d'Arnaud , Confeiller
d'ambaſſade de la Cour de Saxe ;
120 MERCURE DE FRANCE.
e
de l'Académie Royale des Sciences &
Belles- Lettres de Pruffe , &c.
Voici encore une nouvelle production
théâtrale de l'Auteur ſi pathétique de la
pièce du Comte de Comminge , & qui eſt
dans ce genre fombre dont M. d'Arnaud
peut paſſer pour l'inventeur ; Euphemie eft
peut-être encore ſupérieure à Comminge
pour l'intérêt , la verſification & les effets
tragiques ; nous en parlerons inceffamment
, ainſi que de la troiſième édition
du C. de Comminge qui ſe vend chez le
même Libraire , & avec le même ſuccès
que ſi elle paroiſſfoit pour la première fois.
RÉFLEXIONS ſur les ravages que fait la
gale dans l'Hôtel- Dieu & les autres hôpitaux
; &moyens pour parvenir à détruire
cette maladie contagieuſe. A la Haye ;
1768 : feuille in- 8 ° .
AVIS & Mémoires inſtructifs , fur les
avantages des inventaires des titres &papiers
, tant anciens que nouveaux.
ESSAI ſur le feu ſacré & les veſtales ;
brochure in-8 °. de cent dix pages. A
Amſterdam , & fe trouve à Paris , chez
le Jay , Libraire , quai de Gévres.
Cetouvrage eſt ce que nous avonsde plus
complet
AVRIL 1768. 121
complet en notre langue ſur les veſtales ;
la plupart de ceux qu'on a donnés fur ces
vierges n'apprennent rien du feu ſacré qui
étoit l'objet de leur culte. L'Auteur de
celui- ci préſente l'origine de cette eſpèce
de religion qui ne devint idolatrie , que
dans la ſuite. Il la montre d'abord dans
la Chaldée , où elle prit naiſſance , d'où elle
ſe répandit chez les peuples voiſins : il la
fuit rapidement chez preſque toutes les
nations de la terre. Il s'arrête davantage fur
ce qu'elle étoit chez les anciens Perfes.
Ce qui lui fournit l'occaſion de donner un
précis de la vie & de la morale de Zoroaftre.
Après avoir parcouru les régions où
le feu facré fut allumé , l'Auteur le ſuit
dans la Grèce , dans l'Italie , & enfin à
Rome. Il offre alors l'hiſtoire des prêtreſſes
qui étoient chargées de ſa confervation.
En parlant de leurs uſages , de
leurs réglemens , il montre les rapports
qu'ils avoient avec d'autres plus anciens ,
&remarque les reſſemblances qui fe trouvent
entre les vierges de Rome & celles
du Pérou. L'atticle de la virginité qui
leur étoit recommandée ſur les peines les
plus graves , lui fournit une difgreffion
intéreſſante. Il cherche dans l'antiquité les
miniſtres des autels ſoumis à cette loi ; il
prouve qu'elle n'obligea guères que les
Vol. I. F
122 MERCURE DE FRANCE.
prêtreffes. Les prêtres , en général, faifoient
voeu de chaſteté& non de virginité.Les concubines
& les ſecondes noces leur étoient
interdites . Les prêtres de Cybelle étoient
à-peu près les fouls , à qui il fût preſcrit une
virginité perpétuelle ; l'opération cruelle
à laquelle ils étoient foumis les empêchoient
de l'enfreindre. Les coutumes des
veſtales , l'âge auquel on les choififfoit ,
leurs occupations , les châtimens qui fuivoient
leur négligence , & la honte dont
elles ſe couvroient en manquant à leurs
voeux , les honneurs qu'on leur rendoit ,
leurs prérogatives fourniſſent des détails
intéreſfans & préſentés avec goût. L'Auteur
fuit les veftales juſqu'au tems où cet
ordre célèbre tomba, Il commença l'an
40 de Rome & la deuxième du règne de
Numa , c'est- à-dire 712 ans avant J. C.
& finit vers la fin du 4me ſiècle de notre
ère. Il y a des recherches dans cette production
, une critique ſage & éclairée.
L'Auteur , M. de Fontanelle , eſt le même
qui nous a donné une traduction excellente
des métamorphofes d'Ovide. On lui
attribue auſſi une tragédie intitulée les
Vestales, que les Comédiens avoient reçue,
&dont la repréſentation n'a pas été permiſe.
On en vante la ſimplicité & l'intérêt,
AVRIL 1768 . 123
Les trois Nations , contes nationaux. A
Londres; & fe trouvent à Paris , chez la .
yeuve Duchesne , Libraire , rue Saint- Jacques
, au temple du Goût ; 1768 : deux
parties in- 12 .
Nous ne tarderons pas à donner un
extrait de cet agréable recueil.
: LETTRES de Milady VorthleyMontague,
écrites pendant ſes voyages en diverſes
parties du monde; traduites de l'anglois :
troiſième partie , pour ſervir de fupplément
aux deux premières. On y a joint
une réponſe à la critique que le Journal
encyclopédique a faite des deux premières
parties de ces lettres. Par M. G ... de
Marſeille. A Londres , & fe trouvent à
Paris , chez la veuve Duchesne , Libraire ,
rue Saint-Jacques , au- deſſous de la fontaine
faint Benoît , au temple du Goût ;
1768 : brochure in- 12 .
Les choſes curieuſes qui ſe trouvent
dans cette fuite des lettres de Mde de Montague
, méritent que nous en faſſions un
extrait , que le public lira avec autant de
plaifir , qu'il en a eu à lire les premières
lettres.
SUITE de Tout un peu , ou les Amuſemens
de la campagne , avec cette épi
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
graphe: Prandeo , poto , cano , ludo , lego ;
cano , quiefco. A Paris chez le Jay , Libraire
, quai de Gêvres , au Grand Corneille:
brochure in- 12 .
,
C'eſt avec regret que nous ſommes obligésde
remettre au Mercure prochain l'extrait
de cet ouvrage , que le public attendoit
avec impatience ; mais nous pouvons
toujours en affurer le fuccès par la variété
qu'on y trouve. Philofophie , intérêt
gaîté , utile invention , tout concourt à
rendre la lecture de ce recueil également
utile & agréable ; & nous eſpérons que
l'empreſſement du public à le lire , excitera
celui de l'Auteur à donner le 3 me volume
qu'il promet.
HISTOIRE de la république de Veniſe ,
depuis fa fondation juſqu'à préſent ; par
M. l'Abbé Laugier : prix 3 liv. relié. A
Paris , chez la veuve Duchesne , Libraire ,
rue Saint- Jacques , au-deſſous de la fontaine
faint Benoît , au temple du Goût ;
1768 : avec approbation & privilége du
Roi : les tomes X. XI. XII.
Ce font les trois derniers volumes de
cette grande & belle hiſtoire de Veniſe
qui manquoit dans notre langue , &
dont le public eſt redevable à M. l'abbé
Laugier. Ce livre eſt de nature , ſoit par
AVRIL 1768 . 12
les détails curieux & intéreſſans qu'il préſente
à chaque page , foit par le mérite
même de l'ouvrage , à fournir la matière
de pluſieurs extraits.
ABRÉGÉ hiſtorique & chronologique
des figures de la bible , mis en vers françois
par Mlle ***. A Paris , chez la
veuve Ballard , Imprimeur - Libraire , &
Ballard , fils , Libraire , ſeul Imprimeur
du Roi pour la muſique & menus-plaiſirs ;
1768 : avec approbation & privilége du
Roi ; in - 12 .
QUESTION chirurgico-légale , relative à
l'affaire de Dile Famin , femme du ſieur
Lancret , accuſée de ſuppreſſion de part ;
dans laquelle l'on affigne les ſymptômes
communs & particuliers aux vraies grofſeſſes&
aux fauſſes , & où l'on établit des
principes pour diftinguer fûrement ſi une
femme eft accouchée ou ſi elle a eu une
hydropiſie de matrice ; par M. Valentin ,
Maître en Chirurgie de Paris.
Cette differtation intéreſſe d'abord ,
parce qu'elle contient l'hiſtoire détaillée
de la Demoifſelle Famin , extraite du
mémoire même de l'Avocat. Le mémoire
avoit été tiré à un très- petit nombre d'exemplaires
; de forte qu'il étoit devenu
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
très-rare. Le précis que l'on en trouve
dans la préſente brochure ſe fait lire avec
le plus grand intérêt. La queſtion difcutée
n'eſt guères moins curieuſe ; en voici le
ſujet. Une hydropiſie de matrice eſt priſe
pour une groſſeſſe ; deux enfans nouveaux
nés ſe trouvent morts du fait de l'expoſition
à la porte d'un village ; on accufe
d'être mère de ces deux infortunés ceile
de qui on avoit déja pris un état auquel
la maladie ſeule avoit donné lieu , pour
celui que le crime auroit eu pour cauſe.
L'Auteur commence par démontrer que fi
l'art de faire les rapports en chirurgie , eſt
la partie de cette ſcience la plus imporrante
, c'eſt auſſi celle qui offre le plus de
difficultés. Il n'eſt point de fautes auffi
irréparables , que celles que l'on commer
dans une confultation de cette eſpéce.
L'impunité du crime , la réputation des
accuſés flétrie , ou quelquefois la mort
même de l'innocent en font les ſuites
fâcheuſes. Car quand ſommes-nous , dit-il ,
appellés ? c'eſt lorſque les Juges , malgré
leur pénétration , ne rencontrent que des
difficultés , que toutes leurs recherches ne
leur font appercevoir que des doutes. Si
la loi nous charge alors de fonctions ſi
honorables , c'eſt dans l'eſpérance que des
connoiſſances particulières à notre art nous
AVRIL 1768 . 127
mettront à portée de fournir des éclaircif
ſemens capables de les tirer de ce labyrinthe
, & de diffiper les nuages qui enveloppent
le criminel ou l'innocent .
M. Valentin traite ſon ſujet avec beaucoup
de fagacité &d'érudition ; il ne marche
pas ſeul ; il s'appuie toujours des autorités
des plus grands maîtres , de Paul
Zacchias ,de M. Albert , de Bohein , & c.
Enfin c'eſt une courte brochure in- 12 , qui
intéreſſera même les perſonnes du monde ,
enmême temps qu'elle inſtruira les gens de
l'art. On doit la recommander fur- tout
aux jeunes étudians en chirurgie ou en
médecine : elle ſe trouve à Paris , chez
Lottin le jeune , Libraire , rue Saint- Jacques
, vis-à-vis celle de la Parcheminerie ;
1768.
MÉTHODES & projets pour parvenir à
la deſtruction des loups dans le royaume ;
par M. de Lifle de Moncel, ancien Capitaine
de Cavalerie , Chevalier de l'Ordre
Royal & Militaire de Saint Louis , chargé
des épreuves relatives à la deſtruction des
loups fur la frontière des trois Evêchés. A
Paris , de l'imprimerie royale ; 1768 : &
ſe trouve chez Desaint , Libraire , rue du
Foin Saint- Jacques , &chez Panckouckeد
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
rue & à côté de la Comédie Françoiſe :
prix 36 fols broché : vol. in- 12 .
NOUVEAUX voyages aux Indes Occidentales
, contenant une relation des différens
peuples qui habitent les environs du
grand fleuve Saint Louis , appellé vulgairement
le Miffiffipi , leur religion , leur
gouvernement , leurs moeurs, leurs guerres
& leur commerce ; par M. Boffu , Capitaine
dans les troupes de la marine : deux
parties in- 12 . A Paris , chez Lejay , Libraire
, quai de Gêvres .
Il y a beaucoup d'intérêt dans ces voyages
; l'auteur a fait des obſervations exactes
ſur les pays qu'il a parcourus , & dans
leſquels il a paffé pluſieurs années ; il ne
laiſſe rien à defirer ſur l'hiſtoire des peuples
barbares , chez leſquels il a demeuré.
La partie de l'hiſtoire naturelle de ces contrées
nous a paru bien remplie. On trouve
par- tout un ſtyle ſimple ,tel qu'il convient
à un Officier . Après tous les romans qui
ont paru ſous le titre de relations du
Mififfipi , on voit , avec plaifir , un ouvrage
, où l'auteur ne parle que de ce qu'il
a vu , & qui a craint de nuire à la vérité
en lui donnant des ornemens . La manière
dont il la préſente eſt affez intéreſſante ,
AVRIL 1768 . 129
pour qu'elle puiſſe ſe paſſer aisément de
ces parures étrangères. Nous nous propofons
d'entrer dans plus de détails fur ces
voyages , que nous nous contentons d'annoncer
aujourd'hui.
LETTRE fur les élémens de philofophie
de M. D... Par M. Duval , Profeffeur
de philofophie à Harcourt : feuille in - 12 .
ABRÉGÉ chronologique de l'hiſtoire
Ottomane ; par M. de la Croix. A Paris ,
chez Vincent , Imprimeur- Libraire , rue
Saint- Severin ; 1768 : avec approbation
& privilége du Roi ; 2 vol. in- 8 ° .
Nous donnerons un extrait de cet of
vrage dans un de nos prochains Mercures.
Il mérite d'occuper les lecteurs& les journaliſtes
par les traits intéreſſans qu'on y
trouve en ført grand nombre.
ESSAI ſur les moulins à foie , & defcription
d'un moulin propre à fervir feul
à l'organfinage & à toutes les opérations
du tord de la foie ; fuivis de cinq mémoires
relatifs à la foie & à la culture du
mûrier ; par M. le Payen , Procureur du
Roi au Bureau des finances de la généralité
de Metz & Alface , de la Société
royale des Sciences & Arts de la même
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
ville . A Paris , chez Barbou rue des
Mathurins ; & à Metz , chez Bouchard
le jeune : prix 9 liv . broché .
د
PLAIDOYER de M. l'Avocat général du
Sénat littéraire . Ce plaidoyer ſur le méchaniſme
de l'univers eſt curieux & intéreffant
: prix 18 fols. A Paris , chez Knapen
, Imprimeur- Libraire , au bas du pont
Saint-Michel , au bon Protecteur ; Lacombe
, Libraire , quai de Conty ; 1768 :
avec approbation & privilége du Roi ;
brochure in - 8°.
La nouvelle Zélis au bain , pоёте
in- 8 .. 1768 .
Tel eſt le titre d'un poëme qu'on vient
de nous donner non-feulement corrigé ,
maistout-à-fait refondu . La dernière forme
ſous laquelle il paroît , ne fera point regretter
la première. Il n'étoit compoſé que de
quatre chants ; il en a fix aujourd'hui , avec
des planches nouvelles , qui , pour tout
dire , font dignes de la poéſie qu'elles décorent.
Le goût , la grâce , l'harmonie , tous
les charmes d'une expreffion choifie &
animée , des tableaux enchanteurs & ingénieux
, fans ceffer d'être ſimples , voilà ce
qui caractériſe cet ouvrage. La lettre en
proſe qui le précéde , eſt d'un ſtyle hardi
& noble. La partie typographique eſt traiAVRIL
1768.
:
tée avec le plus grand ſoin. Il ſe vend
chez Merlin , rue de la Harpe.
COMMENTAIRES fur Racine ; par Μ.
Luneau de Boisjermain. A Paris , chez
Panckoucke , Libraire , rue de la Comédie
Françoiſe ; 3 vol. in- 12 : 6 liv. 10 f. broc.
ZAMBEDDIN . A Amſterdam , & fe
trouve à Paris , chez Delalain , Libraire ,
rue Saint-Jacques ; 1768 : in- 12 .
On attribue ce joli conte de fée à M. le
C. de S * * *. & on y trouve beaucoup
d'imagination & de gaîté jointes à de -
bonnes leçons.
LES Ondins , conte moral ; par Mde
Robert : deux parties in- 12 , chez le même
Libraire , qui vend auſſi les autres ouvrages
de Mde Robert ; ſavoir :
La Payſanne Philoſophe , 4 vol.
La Voix de la Nature , s vol .
VOYAGES de Mylord Céton dans les
ſept planettes , 7 vol.
NICOLE de Beauvais , 2 vol.
DELALAIN , Libraire , rue Saint-Jacques
, vient d'acquerir ce qu'il reſtoit
d'exemplaires des ouvrages ſuivans :
Le nouveau Spectateur , par M. de Bafzide
, 8 vol . in- 12 .
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
LES Après- foupés de la campagne , ou
recueil d'hiſtoires courtes , amuſantes &
intéreſſantes , 4 parties in- 12.
LES Aventures de Victoire Ponty ,
petites parties.
PROJET de paix perpétuelle ; par M.
Rouffeau ,de Genève , in - 12 , avec une
belle planche de M. Cochin .
LETTRES de Mlle de Juffy à Mile ** ,
contenant ſes aventures , un vol. in- 12 .
Le même Libraire , Delalain , a mis
auſſi en vente la nouvelle Iconologie hiftorique
, un vol. in-fol. carta magna , avec
cent onze planches en tailles-douces , par
M. Lafoffe.
6 LETTRE ſur un remède anti-vénérien
dans lequel il n'entre point de mercure ;
adreffée à M. Morand , fils , Docteur-
Régent de la Faculté de Médecine de
Paris , ancien Médecin des Camps &
Armées du Roi , Médecin adjoint de
l'hôpital royal des Invalides ; ppaarrM. Nicole
, Chirurgien ordinaire du Roi. A
Paris , chez Panckoucke , à côté de la
Comédie Françoise ; Desaint junior , quai
des Auguſtins ; & dans les provinces ,
AVRIL 1768 . 133
chez tous les Libraires des principales
villes : nouvelle édition ; avec approbation
& privilége du Roi ; in- 12 .
Les maladies vénériennes les plus opiniâtres
, les plus invétérées , celles qui
avoient réſiſté aux remèdes connus , aux
pratiques ufitées , à des chirurgiens célèbres,
celles enfin qu'on regardoit comme
déſeſpérées , & dont on ne s'attendoit à ſe
voir délivré que par la mort ; en un mot ,
les maux vénériens , de toute eſpèce , de
tout genre , même avec carie aux os ,&
autres fuites effrayantes , n'ont jamais manqué
de trouver une parfaite guérifon dans
le ſpécifique anti-vénérien de M. Nicole ,
Chirurgien ordinaire du Roi. Ce remède ,
aujourd'hui & connu , ſi généralement
pratiqué , dans lequel il n'entre point de
mercure , & dont , par conféquent , on ne
doit appréhender aucune fuite fâcheuſe ,
opère journellement les cures les plus
promptes, les plus fingulières, les plus frappantes.
Les malades qui pourroient encore
avoir quelque doute ſur l'excellence &
F'efficacité de cet admirable anti-vénérien ;
ceux qui voudront être éclaircis plus amplement
ſur la nature , la propriété , les
effets de ce remède , fouverain pour toutes
les maladies dont on vient de faire menion
; ceux , dis-je , qui deſireront avoir
134 MERCURE DE FRANCE.
fous leurs yeux des preuves convaincantes
& fans réplique de la bonté , de la fouveraineré
de cette célèbre mérhode , dont
M. Nicole eſt l'inventeur & le feul pofſeſſeur
, pourront ſe procurer une lettre
imprimée avec privilége du Roi , approuvée
par quelques-uns des plus habiles
médecins , écrite par M. Nicole , à
M. Morand , Docteur en médecine , &
qui ſe trouve actuellement , chez tous les
Libraires des principales villes des provinces
de France & des pays étrangers , à qui
M. Nicole en a fait paſſer des exemplaires.
Cette lettre dont on peut aujourd'hui ſe
procurerpar-tout & facilement la lecture ,
contientun certain nombre d'obſervations
d'autant plus intéreſſantes , que les guérifons
quoique déſeſpérées , ont été faites
ſous les yeux de pluſieurs médecins &
chirurgiens dont la capacité , l'habileté
les lumières & fur-tout la probité & le
déſintéreſſement font reconnus & inconteſtables.
Pluſieurs particuliers dans les
provinces , frappés des cures fingulières
opérées par cette méthode , ſe ſont faufſement
attribué la qualité de correfpondans
de M. Nicole , & adminiſtrent har--
diment des remèdes qu'ils diſent tenir de
lui , quoiqu'il foit très-certain que M.
Nicole n'a jamais confié ſon ſecret à per-
,
AVRIL 1768 . 135
ſonne ; ainſi tous ceux qui ſe vantent de
traiter ſelon ſa méthode , en impofent à
leurs malades & au public. C'eſt ce qu'on
ne ſçauroit trop répéter en faveur de
ceux dont la bonne foi feroit la dupe de
cette baſſe ſupercherie .
د
M. Nicole , demeure rue des poulies ,
la porte cochère vis-à-vis de la rue Bailleul
, à l'ancien Hôtel des princes de
Conty.
HISTOIRE amoureuſe de Pierre le Long ,
&de ſa très-honorée Dame Blanche Bazu :
nouvelle édition , précédée d'un difcours
ſur la langue françoiſe ; par M. de Sauvigny.
La muſique eſt de MM. Philidor &
Albanaise. A Londres ; 1768 : & fe trouve
à Paris, chez Delalain, rue Saint- Jacques ;
in- 12 , avec figures , & la muſique gravée .
Le ſuccès mérité qu'a eu la première
édition de cet ouvrage , nous met endroit
d'augurer que celle-ci ne fera pas accueillie
moins favorablement , fur - tout en
paroiſſant augmentée d'un diſcours préliminaire
intéreſſant & curieux .
COURS d'Hiſtoire & de Géographie
univerſelle ; par M. Luneau de Boisjermain .
Il manquoit à l'éducation des jeunes
gens qui fortoient du collége , & fur-tout
136 MERCURE DE FRANCE.
à celle des jeunes Demoiselles qui font
au couvent ou qui en ſont ſorties , un
ouvrage qui coutât peu & qui pût remplacer
les maîtres qu'elles ne peuvent ſe
procurer , ou dont elles n'ont pas de temps
de répéter les leçons. Le Cours d'Hiſtoire
&de Géographie univerſelle de M. Luneau
de Boisjermain réunit ce double objet.
C'eſt un ouvrage périodique qui ſe diftribue
deux fois par ſemaine , &qui eſt diviſé
en autant de leçons qu'il y a de jours dans
l'année . On s'abonne chez Panckoucke, Libraire,
ruede laComédie Françoiſe, ou chez
l'Auteur , même maiſon que ce Libraire.
Le prix de l'abonnement eſt de 25 liv. 4 f.
pour Paris , & de 31 liv. 4 f. pour la province.
On reçoit , en s'abonnant , le premier
volume , la première carte , & tout
ce qui a paru depuis.
AVIS.
SÉBASTIEN JORRY , qui a ſeul le privilége
des ouvrages de M. Dorat , vient
d'imprimer , même format que les deux
premiers volumes des oeuvres, la Déclamation
théâtrale en quatre chants , & les
Fantaisies , ornées des mêmes planches &
vignettes , que dans la grande édition; ces
quatre volumes ſe vendent 18 liv. brochés ,
pour la commodité du public ; il laiſſe à
AVRIL 1768 . 137
part le théâtre qui contient Régulus ,
Théagène & Pierre le Grand. Ces pièces
ſe vendent ſéparément.
Les curieux de la grande édition doivent
s'adreſſer chez lui , vis- à- vis de la
Comédie françoiſe , pour completter leur
collection ; comme chez Delalain : il a
réfervé des premières épreuves , de même
qu'un très-petitnombre d'exemplaires complets
choiſis de l'édition en grand papier.
Nous croyons qu'il importe aux perfonnes
curieuſes de certains manufcrits
originaux, & à celles qui aiment à recueillir
ce qu'ily a de plus imporatnt fur notre hiftoire
, de ſçavoir que M. Lalourcé, célèbre
avocat au Parlement & mort depuis environ
un mois , poſſédoit pluſieurs manufcrits
qui ſe vendront à ſon inventaire. Il
yen a un fur-tout , que les curieux eſtiment
fort ; c'eſt l'original du procès-verbal de
la tenue des Etats de Blois , revêtu de
toutes les fignatures & autres caractères
qui en conſtatent l'authenticité. On y
vendra auſſi une table manufcrite en vingt
volumes , des matières contenues dans les
manufcrits de M. de Harlai.
Cette vente ſe fera après Paſques & les
jours feront indiqués par la notice qui
fera délivrée , tant des livres , que des
manufcrits .
138 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADÉMIES.
ÉCOLE Royale Vétérinaire de Paris.
LE mardi 15 mars 1768 les élèves de
l'Ecole Royale Vétérinaire de Paris donnèrent
de nouvelles preuves de leur émulation&
de leur capacité dans un concours
qui eut pour objet les muſcles du cheval ,
confidérés en général & conſidérés en particulier.
Ces élèves ſe préſentèrent au nombre
de neuf , & font :
Les ſieurs Flandrin , de la ville de Lyon ,
entretenu aux frais de l'Ecole .
Perret , du Mans , aux frais de M. le
Comte de la Sufe .
Thiebaut & Brade , de la province de
Bourgogne , entretenus l'un & l'autre aux
frais des Etats de cette même province.
Soulier , de la Brie , entretenu par M.
le Bailly de Champignelles.
AVRIL 1768 . 139
Bechmie, de Moulins , aux frais de la
Généralité.
Cambray , aux frais de la Ville de
Valenciennes.
Bravi , de Montargis , aux frais de fon
père.
Simon , d'Hirzinghen , en Alface , aux
frais des départemens.
L'aſſemblée fut brillante & très-nombreuſe
, & la féance honorée de la préſence
de M. Bertin , Miniſtre & Secrétaire d'Etat
, qui y préſida. M. Pibrac , Chevalier
de l'Ordre du Roi , Chirurgien Major de
l'Ecole Royale Militaire & de la feue
Reine ſeconde Douairière d'Eſpagne ,
M. Louis , Profeffeur & Cenfeur Royal ,
Chirurgien confultant desArmées du Roi ,
& Secrétaire perpétuel de l'Académie
Royale de Chirurgie , & M. Sabathier ,
Profeffeur & Démonftrateur Royal , voulurent
bien être les témoins & les juges
des efforts des élèves.
Le ſieur Danguin , chef de la brigade
qui devoit être entendue , débuta par le
difcours fuivant , auſſi tôt que le Miniſtre
eut fait , felon l'uſage , à ceux qui avoient
été admis au concours , la diſtribution des
billets cachetés , dans leſquels les queſtions
ſe trouvoient renfermées.
140 MERCURE DE FRANCE.
MONSEIGNEUR , MESSIEURS .
Le développement des moyens employés
par la nature pour affurer à l'animal une
liberté de mouvemens , dont la faculté
importoit même à fon exiſtence , n'eſt pas
de tous les objets offerts aux recherches
& aux travaux des élèves , le moins intéreffant
& le moins curieux.
La connoiffance des organes à la faveur
deſquels l'action de ſes membres & le jeu
de fesautres portions mobiles font opérées,
éclaire en effet le Maréchal ſur une infinité
de points qu'il ne lui eſt pas permis d'ignorer
, à moins qu'il ne croie pouvoir reftreindre
& limiter fon art àdes jugemens
ſans principes , à des traitemens toujours
hafardés , à des opérations enfin pratiquées
aveuglément & fans le ſecours d'aucunes
lumières fur la compoſition, la direction ,
la fituation & les uſages des parties qu'il
eft chargé de rétablir.
Elle eſt la bâſe de la ſcience du manége ,
ſcience qui n'eſt autre choſe que celle des
mouvemens du cheval , de leur origine ,
de leur poffibilité , des bornes de leur étendue
, de leur fucceffion , de leur harmonie
&des inftans précis à ſaiſir pour en folli
AVRIL 1768 . 141
citer l'exécution au gré de la nature , &
d'après ſes volontés & fes loix.
Elle eſt d'une utilité indiſpenſable à
quiconque veut créer , pour ainſi dire , cet
animal fur la toile , ou le tirer d'un bloc
de matière. Eh ! que produiroient le peintre
& le ftatuaire les mieux inftruits des
os ou de la charpente ſi , d'une autre part,
ils n'avoient que de fauſſes idées ſur les
parties qui font deſtinées à la mouvoir ,
ſoit dans quelques-unes de fes articulations,
foit dans pluſieurs à la fois , fur les
lieux où chaque muſcle , par exemple ,
eſt attaché , ou aux os , ou à des portions
flexibles & molles , ſur la forme de chacun
de ſes agens dans l'inaction , fur leur
forme dans l'action , relativement au plus
ou moins de force motrice qu'ils exercent ,
fur leur forme dans le relâchement plus
ou moins complet , ſur la correſpondance
mutuelle de ces organes , fur le nombre
&la ſituation locale de ceux dont le concours
est néceſſaire pour exécuter un tel
mouvement , & fur les degrés & le genre
de l'action que chacun d'eux fournit dans
l'action commune ?
Enfin , Meffieurs , par elle nous découvrons
bien plus fûrement la vérité des
beautés & des défauts de la conformation
foumiſe à notre examen , que ſi nos yeux ,
142 MERCURE DE FRANCE.
C
:
comme ceux du plus grand nombre , n'outrepaffoient
pas , pour en juger , le poil ,
le cuir ou la fimple fuperficie.
Mais cette étude eſt épineuſe ; les objets
qu'elle embraſſe ſont très - compliqués :
il eſt d'ailleurs , dans ces portions de l'animal
, des communications fingulières ; là
elles s'exécutent par les parties charnues
de ces agens , ici ils font confondus par
leurs tendons , & le cahos n'eſt pas facile
àdébrouiller.
Nous devons , Meſſieurs , rendre publiquement
aux élèves la justice qui leur eſt
due. Ils n'ont été rebutés ni par les difficultés
, ni par les obſtacles les plus capables
d'imprimer en eux le dégoût. Les ſuffrages
que votre indulgence leur accorda dans
le dernier concours , dont vous daignâtes.
être les témoins & les juges , les ont ſans
doute foutenus dans des recherches pénibles
; & c'eſt , Monseigneur , le defir ardent
qu'ils ont de répondre aux vues ſupérieures
dont vous êtes animé , qui doit
garantir àjamais la conſtance de leur application
, de leurs efforts & de leur
courage.
Le concours commença enſuite ſur le
champ , & lors de la defcription de chaque
muſcle en particulier , chaque élève indiAVRIL
1768 . 143
qua avec ſoin celui dont il parloit , ſa
fituation , ſon trajet , ſes attaches , fes
ufages , &c . &c .
,
Le ſieur Flandrin mérita les plus grands
éloges par fa fécurité , la netteté & l'ordre
qu'il mit dans la démonstration qui lui
étoit échue ; cependant les ſieurs Thiebaud
, Bechmie & Simon furent admis avec
lui à tirer au fort qui décerna le prix au
ſieur Bechmie. Il eut l'honneur de le recevoir
de la main même du Miniſtre . On
doit dire ici , en faveur du ſieur Simon
qu'il n'eſt entré à l'école que depuis trèspeu
de temps , & que fon application l'a
mis en état d'atteindre ceux qui y ont été
reçus avant lui , puiſqu'il a été jugé digne
de concourir avec eux. Il en eſt de même
du ſieur Bravi , auquel le ſecond acceffit
a été accordé. Le ſieur Perret , du Mans ,
ſujet qui ſera de la plus grande diſtinction
, a mérité le premier.
Quant aux autres élèves , l'aſſemblée
leur a donné les plus juſtes applaudiffe
mens.
144 MERCURE DE FRANCE.
ÉCOLE VÉTÉRINAIRE.
A l'Auteur du Mercure.
A Paris , le 16 février 1768 .
Je viens de lire , Monfieur , dans le
fecond volume du Mercure de France
pour le mois de janvier paffé , page 169 ,
une lettre de M. Cardonne , datée de Verſailles.
Son zèle l'a engagé à publier un .
remèdequ'il annonce comme un ſpécifique
pour les tranchées quelconques des chevaux.
Vous avez voulu le ſeconder , Monſieur
, en publiant vous- même cet écrit ;
mais comme il paroît fortir , par le titre
qui précéde cette lettre , de l'Ecole Vérérinaire
, je me crois obligé de vous prévenir
que nous n'admettons point de remèdes
qui puiſſent convenir & être employés
à la cure d'une maladie quelle
qu'en puiſſe être la cauſe ; & d'ailleurs fi
M. Cardonne a trouvé dans du lait & de
la ſavatte brûlée & pulvérisée une reffource
fûre contre les différentes coliques
dont les chevaux peuvent être atteints ;
l'Ecole Vétérinaire , qui n'a d'autre objer
que le bien public , croit qu'il eſt à propos
de
AVRIL 1768.
145
de le laiſſer jouir ſeul de la gloire d'une
découverte que nous n'aurions pas tentée ,
& à laquelle nous n'avons eu certainement
aucune part. J'ofſe vous ſupplier en conſéquence
, Monfieur , de vouloir bien
rendre publique cette lettre , qui m'offre
d'ailleurs la fatisfaction de vous affurer, &c .
CHABERT , Profeſſeur & Démonstrateur
de l'Ecole Royale Vétérinaire de Paris.
SUJETS proposés par l'Académie Royale
des Sciences & Beaux Arts , établie à
Pau , pour trois prix , quiferont diftribués
le premierjeudi du mois de février
1769.
L'ACADEMIE ayant réſervé deux prix
fur trois qu'elle avoit à diſtribuer cette
année , en donnera trois en 1769 ; le premier
à un ouvrage de profe , qui aura pour
fujet :
L'Eloge dePierre de Monteſquieu d'Artagnan
, Maréchal de France.
Le fecond à un ouvrage de poéſie , ode ,
ou poëme , au choix des auteurs fur ce
ſujet : l'Industrie.
Vol. I. G
146 MERCURE DE FRANCE.
Le troiſième à un ſecond ouvrage de
proſe , qui aura pour ſujet :
L'âme est- elle plus remuée par le plaisir
que par la peine ?
Les ouvrages de poéſie ſeront au plus
decent vers , & ceux de proſe d'une demie
heure de lecture. Il en ſera adreſſé deux
exemplaires à M. de Croufeilles , Secrétaire
de l'Académie; on n'en recevra aucun
après le mois de novembre , & fi ils ne
font affranchis des frais du port.
Chaque Auteur mettra , à la fin de fon
ouvrage , une ſentence , il la répétera audeſſus
d'un billet cacheté , dans lequel il
écrira fon nom .
L'ode de M. l'Abbé de Maleſpines ,
réſident à Paris , a été couronnée.
PRIX proposé par l'Académie Royale des
Sciences & des Arts de la Ville deMetz ,
pour les années 1768 & 1769 .
L'ACADÉMIE Royale avoit propofé ,
pour ſujet du prix qu'elle devoit diſtribuer
le jour Saint Louis 1767 , la queſtion
ſuivante ;
Quelle est la meilleure méthode de faire
&de gouverner les vins du Pays-Meſſin,
AVRIL 1768. 147
Et afin qu'on ne ſe méprît point au
genre de la queſtion , & qu'on n'oubliât
pas les détails acceſſoires & locaux , qui
en étoient inféparables , elle avoit eu foin
d'ajouter , qu'il étoit néceſſaire de traiter ,
De la maturité du raisin , de la fermentation
vineuse , des accidens auxquels les
vins font ſujets , & des moyens de les
prévenir.
Dans le nombre des diſcours , qui ont
été préſentés au concours , fur cette
queſtion , il s'en eſt trouvé pluſieurs ,
qui décèlent une juſte & profonde étendue
de connoiſſances , tant dans la phyſique
générale , expérimentale & particulière ,
quedans la partie economique ; fur-tout ,
ceux qui portent pour épigraphe , l'un
ces mots deVirgile , cæleftia dona exequar;
l'autre , ce vers d'Horace , generofum
& leve requiro : le troiſième cette Sentence ,
mentes dominantur prejudicia , qui ne ſe
font guères éloignés du but.
C'eſt dans l'eſpérance de nouveaux
efforts pour y arriver , ſur- tout de la part
de ceux qui en ont approché de ſi près , &
peut-être auſſi de la part de nouveaux
émules , qui n'auroient pas eu le tems de
raſſembler toutes leurs forces , que l'Académie
a remis le même ſujet en queſtion ;
& pour donner aux auteurs la facilité de
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
faire les recherches & expériences capables
d'éclaircir cette importante queſtion, d'une
manière fatisfaifante , & qui ne laiſſe
rien à défirer , elle l'a remis ( & dans
les mêmes termes & conditions ) au
concours , pour être couronné dans la
ſéance publique du 25 Août 1769 .
Et comme l'Académie Royale eſt dans
l'uſage de mêler alternativement les queftions
hiſtoriques , à celles qui intéreſſent
le commerce ou l'agriculture , elle propoſe
, pour le concours du prix de l'année
1768 , la queſtion de ſçavoir :
Comment la ville de Metz eft pafſsée
fous la puiſſance des Empereurs d'Allemagne
? En quel tems précisément obtintelle
le titre de Ville libre Impériale ? Et
quel changement ces révolutions ont opéré
dans l'administration de la Justice?
Les mémoires , que les auteurs font
libres d'écrire en latin ou en françois , nė
pourront être de moins d'une demi -heure
de lecture & de plus d'une heure ; mais
ils pourront , par des notes , dévolopper
leurs principes , étendre leurs idées , fortifier
leurs preuves , &c .
Ils mettront en tête de leurs ouvrages
une épigraphe , deviſe ou fentence , &
ils la répéteront , pour ſuſcription , au
billet cacheté , qui contiendra leurs nom ,
qualité & adreſſe , bien liſiblement.
AVRIL 1768 . 149
On prévient que le prix ne feroit
point adjugé aux auteurs qui auroient
négligé d'inférer leurs noms dans les billets
cachetés , ou qui en mettroient de fuppoſés
; non plus qu'à ceux qui auroient
l'indifcrétion de ſe faire connoître , directement
ou indirectement , avant le jugementt
, ou en faveur de qui il pourroit
paroître que les fuffrages ſeroient brigués .
Les ouvrages feront adreſſes à M.
Dupré de Geneste , Sécretaire perpétuel ,
rue Nexirue , qui ne les recevra que francs
de port , & ne les préſentera au concours
que juſqu'au dernier juin incluſivement.
Chaque prix eſt une médaille d'or de
la valeur de quatre cens livres.
Lettre à M. DE LA PLACE , auteur du
Mercure , concernant l'Ecole de la Compagnie
des Chevaux- Légers de la garde
ordinaire du Roi.
Vous avez donné , Monfieur , dans le
Mercure de janvier 1768 , à l'occaſion de
la mort de M. le Comte de Luberfac , un
extrait où vous avez rendu juſtice à ſa
naiſſance & à ſes talens diftingués. Il eût
été à ſouhaiter que ceux qui vous ont
Giij
5. MERCURE DE FRANCE.
fourni les mémoires ſur lesquels vous avez
travaillé ſe fuſſent concertés avec les Offi
ciers du corps dans lequel il a ſervi ſi
long-temps. Nous euffions certainement
plutôt augmenté qu'affoibli les juftes éloges
qu'ils font de ſa capacité ; mais nous leur
euffions donné des renſeignemens plus
exacts ſur le rapport qu'a eu M. de Luberfac
avec notre Ecole. Nous leur euffions
évité l'anachroniſine dans lequel ils tombent
en difant : « qu'il commença à réa-
>>liſer le projet qu'il avoit communiqué
» à M. le Duc de Chaulnes , de former ,
» dans la Compagnie , une école pour la
>>nobleſſe qui ſe deſtine au métier des
» armes " . En rendant , comme nous , juſ
rice à fon zèle , à ſes travaux , à ſes ſuccès ,
ils ne lui euſſent jamais donné le titre de
promoteurde cet établiſſement. Ils n'euſſent
point enfin mis le public dans le cas de
penſer que cette école , qui ſubſiſte dans
ſon entier , ait été anéantie par la retraite
de M. de Luberſac , conféquence cependant
qui réſulte aſſez naturellement de ce qui
ſe lit dans votre extrait.
Un expoſé fuccinct , dont nous avons
été témoins ainſi que tous les Officiers
de l'Ecole , ſuffira pour déſabuſer le public
de ces idées que nous ne devons pas laiffer
ſubſiſter.
AVRIL 1768.
L'Ecole de la Compagnie des Chevaux-
Légers de la garde ordinaire du Roi doit
ſa naiſſance à M. le Duc de Chaulnes . Le
projet en étoit réaliſé , elle étoit en plein
exercice depuis pluſieurs années , lorſque
toujours occupéduſoinde perfectionner fon
ouvrage , & connoiſſant les rares talensde
M. de Luberfac , il ſe propoſa de luienconfierladirection
,&de l'attacher à laCompagnie.
Il lepréſenta auRoi pour une charge
deCornette , & lui obtint en même temps
de Sa Majefté des graces conſidérables
pour lui procurer la poſſibilité d'en faire
l'acquifition. L'intelligence avec laquelle
M. de Luberfac remplit ſes fonctions ſous
les yeux & ſous les ordres de M. le Duc
de Chaulnes , & le brillant fuccès de ſes.
travaux juftifièrent ſon choix. Il ne fut
pas moins équitable à le récompenfer , car
il ne négligea aucune occafion de le faire
connoître au Roi & de lui procurer des,
marques honorables & utiles des bontés
de Sa Majefté.
Des occupations totalement étrangères
à l'Ecole , ayant détourné M. de Luberfac
d'en ſuivre les opérations , il cefla de la
conduite plus de trois ans avant ſa retraite ,
fans que cet établiſſement ait ceffé pour
cela de former , comme il fait encore aujourd'hui
, par les mêmes exercices , &
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
ſous les mêmes maîtres que de ſon temps ,
la jeune nobleſſe qui ſe deſtine au métier
des armes.
Voilà , Monfieur , le récit exact des faits
& du rapport qu'a eu feu M. le Comte
de Luberfac avec l'Ecole de notre Compagnie.
MATHÉMATIQUES.
SOLUTION du problême proposé dans le
Mercure de février 1768 , page 191 .
Le nombre des affociés eſt déterminé
par la valeur de c , c'est- à- dire , qu'il y
a autant d'aſſociés qu'il y a d'unité dans c.
Si c vaut 10 , il y aura dix aſſociés .
Le gain total eft "+1XC-1X2 n- I
Si on ſuppoſe c= 10 & n = 4 : c'eſtà-
dire , que fi le dernier afſſocié a mis le
quart de ce qu'a mis le premier , on aura
le gain= = 150 liv.
5X9X10
3
Le premier afſocié aura , dans cette
fuppofition , 24 liv. & le dernier aſſocié
aura 6 liv .
De plus , les gains feront en progreffion
arithmétique décroiſſante , dont la ra ifon
eſt 2 , ainſi la fuite des gains ſera
AVRIL 1768 . 153
24,22,20 , 18 , 16 , 14 , 12 , 10 , 8 , 6 .
Les miſes devront auſſi être en progrefſion
arithmétique décroiſſante, dont le premier
terme eſt M , qui eſt la miſe du pre-
M
mier aſſocié , & le dernier terme eſt qui
eſt la miſe du dernier aſſocié. Et la raifon
eft -1XM
6-1Xn
Si donc on ſuppoſe que le premier affocié
ait mis 40 liv. & que le dernier ait
mis 10 liv . on aura M = 40 & = 10 ,
M
en ſuppoſant toujours que n vaut 4. L'on
aura = 3. Ainſi la ſuite des miſes
fera
nIXM
C- 1Xn
I
40,36 , 33 , 30, 26 , 23 , 20 ,
16 , 13 , 10.
C. Q. F. T.
GRASSET, Elève de la penſion académique
& militaire , rue & barrière S. Dominique.
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
HISTOIRE NATURELLE.
L'ART d'accommoder les animaux de
quelqu'eſpèces qu'ils ſoient a eu juſqu'à
préſent des amateurs & des admirateurs
en grand nombre qui en ont fait leur
occupation la plus amuſante ; il ne lui
manque maintenant , pour arriver à fa
perfection , que le moyen de rendre ſes
productions plus durables. C'eſt ce que
l'on propoſe ici comme un véritable &
infaillible obſtacle aux progrès rapides des
mites & des teignes. Pluſieurs perſonnes
adonnées à cette partie de l'hiſtoire naturelle
ont fait des épreuves qui , quoique
réïtérées , n'ont point flatté leurs eſpérances
; d'autres , après une infinité de
recherches , ont arrêté , pour un temps fort
limité , les affreux ravages de ces inſectes .
Malgré toutes leurs précautions elles
n'ont pu arriver à leur bur. En effet , quoi
de plus affligeant , pour un véritable amateur
, que de ſe voir arracher , en moins de
quatre à cinq ans , l'agréable objet de ſa
curiofité ? Il voit , avec peine , l'ingratitude
de ſes dépenſes & de ſes travaux ; par fa
vigilance & ſes ſoins affidus il parvient à
AVRIL 1768.15
\
rallentir la deſtruction qui , bientôt après ,
reprend ſon cours & le contraint de renoncer
à tout.
On fera peut - être étonné qu'après
de telles recherches infructueuſes , une
Dame , qui eſt ſuppoſée n'avoir aucune
connoiſſance ſur la valeur des différens
moyens que l'on employe , propoſe aujourd'hui
un ſpécifique que trente années d'expériences
faitesdans les ifles lui font regardet
comme ſupérieur à tous ceux que l'on
a mis en uſage juſqu'à préſent.
Mde de Grandpré qui , depuis quelque
temps s'adonne à la partie de l'hiſtoire
naturelle qui concerne les quadrupedes ,
les oiſeaux , les reptiles , les infectes , &
les poiffons , offre ſes ſervices aux amateurs
pour les accommoder , & les garantir des
mites , teignes & autres infectes. La Dame
deGrandpré , ne voulant point s'attribuer
une fi utile découverte , prévient qu'un
marin de ſa connoiſſance , verſé depuis
long-temps dans cette partie , lui a fait
part à elle ſeule des moyens pour conferver
toutes fortes d'animaux , en lui envoyant ,
par la même occaſion , pluſieurs poiffons
&oiſeaux des ifles qui ont été accommodés
depuis pluſieurs années ſans être endommagés.
D'après des expériences de
trente années , elle a lieu de croire qu'elle
د
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
obligera les curieux , pour la conſervation
de leurs cabinets , à avoir recours à fon
ſpécifique , & à la nouvelle méthode d'accommoder
les animaux. Elle ſe propoſe
auſſi de réparer , non-feulement les défordresqu'auront
faits ces inſectes,mais encore
de les conferver pendant le temps que l'expérience
faite lui indique.
Les curieux qui l'honoreront de leur
viſite trouveront , à leur choix , des quadrupedes
& des oiſeaux de ces pays- ci ,
&quelques-uns des pays étrangers.
Elle ſe chargera d'envois pour les provinces.
Elle demeure rue des Prouvaires ,
près Saint Eustache , l'avant dernière portecochère.
AVRIL 1768 . 157
ÉDUCAΤΙΟ Ν .
LETTRE de M. VIARD , ancien Maître de
Pension , demeurant rue du Roi doré ,
au Marais , à M. DE ***,fur unplan
d'éducation intéreſſant.
M.
J'AI été maître de Penſion pendant
vingt ans: je n'ai quitté cette profeffion
que pour joindre , dans la retraite , les
réflexions à l'expérience ; pour me pré-,
parer à mieux faire que je n'avois fait ;
pour former , dans le filence du cabinet ,
unpland'éducation qui rentrât plus directement
dans plan de la nature , & dans
les intérêts de la Société ; enfin pour me
mettre en état de donner à un petit nombre
d'élèves la meilleure éducation
poſſible.
Je dis un petit nombre d'élèves , Monſieur
, car toute inſtitution qui s'éloigne
de celle que la nature indique eſt évidemment
mauvaiſe. Or la nature indiqu,e
deux choſes : l'une , que toute éducation
foit ſuivie& dirigée dans un même eſprit;
:
138 MERCURE DE FRANCE.
l'autre , que l'inſtituteur chargé de mettre
cette ſuite & cette unité d'eſprit dans
l'éducation , n'ait pas une tâche au-deſſus
de fes forces.
Les pères font naturellement faits pour
élever eux-mêmes leurs enfans. Si ceux
qui ſe chargent de les repréſenter ne le
font pas complettement , l'éducation eſt
manquée ; ainſi l'inſtituteur qui ſe charge
d'élever cinquante , & quelquefois cent
enfans , ne peut pas repréſenter un père ,
parce que la nature n'a jamais donné tant
d'enfans à un père. Il faut donc revenir
à la nature ; combiendonne- t-elle d'enfans
à un père ? trois . quatre ......
cinq ..... fix .....-dix & douze , font
des cas affez rares. Qu'un maître ne ſe
charge donc jamais plus qu'un père ,
qui a le plus grand intérêt de faire les
derniers efforts pour bien élever ſes
enfans .
....
Il faut que les enfans ne ſoientjamais
perdus de vue : il faut que l'inſtituteur
fache ſe retourner , changer ſouvent de
méthode , varier l'inſtruction , & la proportionner
à la pareſſe de l'un , à l'étourderie
de l'autre ; au défaut de mémoire
de celui- ci , à l'inattention de celui- là ,
à l'inapplication du plus grand nombre.
Un jeune père n'a point cette expérience;
AVRIL 1768 . 139
c'eſt donc à l'inſtituteur à le repréſenter ;
mais il n'eſt pas facile de repréſenter
dignement un père; il faudroit pour cela
des hommes ſages , vertueux expérimentés
, & qui vouluſſent ſe charger d'élever
chacun cinq ou fix enfans : alors il
ne ſeroit peut-être pas impoſſible de donner
à ce petit nombre d'enfans une éducation
ſupérieure à celle qu'ils reçoivent
ordinairement , même chez les parens .
L'eſſai que j'en fais depuis quelque temps
fur quelques- uns , me donne lieu d'efpérer
que cette entrepriſe n'eſt point une
chimère , & que je ferai peut-être affez
heureux pour donner l'exemple à quelques
inſtituteurs plus capables que moi de rendre
ce bon office à la ſociété.
Tout le monde ſçait que la pureté des
moeurs , & le ſuccès de l'éducation , exigent
néceſſairement , que les enfans foient
arrachés de bonne heure à la flatterie &
aux baffes complaiſances des valets , à la
cajolerie des femmes , & à l'habitude de
commander & de déſobéir. Je ne crois
pas devoir en dire davantage fur cet
article.
J'ai un fils âgé de vingt-cinq ans , &
affez inſtruit pour me ſeconder. En nous
bórnant à un petit nombre d'èlèves , nous
pouvons enſeigner , outre les langues ,
1
160 MERCURE DE FRANCE.
l'hiſtoire , la géographie & les mathé
matiques , pluſieurs autres parties d'inftruction
relatives & néceſſaires à l'homme
de robe , & au militaire ; mais nous
croyons qu'il ne faut pas s'en tenir là , &
qu'une bonne éducation exige encore quelques
notions réfléchies ſur les arts les plus
diftingués. Nous croyons qu'un inſtituteur
qui ſent toute la diſtinction de ſon état ,
doit conduire quelquefois ſes élèves dans
les atteliers des artiſtes célèbres : leur faire
connoître les monumens que la peinture ,
la ſculpture & l'architecture ont élevés
à la religion & à la gloire des grands
hommes : nous croyons qu'il doit leur
faire obſerver avec quelque détail , tantôt
le méchaniſme d'une pompe , d'un moulin ,
d'une machine extraordinaire ; tantôt les
effets ſurprenans du levier & des roues
dentées ; qu'il doit mettre auſſi quelquefois
ſous leurs yeux les tréſors ineftimables
& les phénonènee de la nature ,
que renferment les cabinets d'hiſtoire naturelle
, de médailles & d'antiques ; qu'il
doit leur faire entendre , dans l'occaſion ,
les plus célèbres orateurs de la chaire &
dubarreau , pour les mettre inſenſiblement
en état de juger des avantages de la parole
& des triomphes de l'éloquence. Sur ce
ſimple expoſé , vous voyez , Monfieur , que
AVRIL 1768. 161
ce plan d'éducation exige une certaine
dépenſe , &qu'il ne peut guères convenir
qu'aux Pères de familles qui font en état
de la faire , &qui connoiffent le prix d'une
pareille éducation .
J'ai l'honneur &c.
Paris , ce 25 janvier 1768 .
VIARD.
162 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE I V.
BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
GÉOGRAPHIE - GRAVURE .
LE fieur Deſnos , Libraire & Ingénieur-
Géographe pour les Globes & les Sphères ,
rue Saint- Jacques , à Paris , à l'enſeigne du
Globe & de la Sphère , annonce qu'il vient
de faire paroître le deuxième volume des
Généralités de la France ; ce ſecond volume
comprend le haut , le bas Boulonnois ,
lepays reconquis , l' Artois avec la Gouvernance
d'Arras , diviſée en fes bailliages ;
la généralité d'Amiens en élections , bailliages&
doyenné ,&la généralité de Soiffons
, qui confine à la haute Picardie , levés
ſur les lieux & détaillés chorographiquement
dans toutes leurs parties , en 28
cartes , lavées & enluminées à la manière
hollandoiſe : vol . grand in-4°. relié 15 liv.
En tête de chacune de ces généralités eſt
une carte générale , où l'on voit la diſpoAVRIL
1768. 163
J
fition relative de chacune deſdites élections
, &c. Les amateurs qui deſireront ſe
faire connoître ſeulement pour les volumes
qui ſuivrontde cet ouvrage , à meſure
qu'ils paroîtront , auront l'avantage d'en
avoir les premières épreuves , étant dûes
de préférence aux ſouſcripteurs. La généralité
de Lyon , traitée de même , qui for
mera une troiſième partie , paroîtra dans
peu : le prix ne ſera que de 9 liv. pour
ceux qui auront pris les deux premiers
volumes , & de 12 livres pour ceux qui la
prendront ſeule. Comme il a paru déja
dans le public quelqu'ouvrage à peu près
ſemblable , le ſieur Deſnos prie de ne
prononcer fur ces nouvelles cartes qu'après
en avoir fait la comparaiſon , fur tout quant
au local & aux diviſions politiques de la
géographie.
Nota. Notre but principal , en donnant
au public les généralités de la France , a
étéde tracer , d'une manière fidèle& exacte,
l'étendue des départemens , d'en fixer les
limites & d'en montrer , comme avec le
doigt, les routes les plus courtes & les
plus faciles. Nos cartes , par ce moyen ,
deviennent utiles au voyageur , à qui
elles mettent ſous les yeux les diſtances
relatives , & la portion des lieux où il ſe
164 MERCURE DE FRANCE.
1
trouve ; au négociant , qui y diftingue les
fabriques, les manufactures , les pays dont
les productions entrent dans les objets de
fon commerce , & les moyens de faire
l'importation des denrées par les rivières ,
ou par les routes ordinaires ; au Seigneur ,
àqui il importe d'être inſtruit de l'étendue
de fon domaine ; aux communautés religieuſes
, aux chapitres , aux bénéficiers
même à qui le terrein doit être connu ,
foit pour les poſſeſſions domaniales , foit
pour les dixmes ; & au particulier , qui
ne doit point ignorer la contrée qu'il habite
& celles qui l'environnent. Mais il
ſemble que perſonne ne doit en tirer un
avantage plus marqué que MM. les Intendans
, Elus des provinces , & MM. les
Fermiers généraux , Directeurs , Receveurs,
Contrôleurs , Commiſſaires , Ordonnateurs
, Chefs de bureaux , Régiffeurs des
deniers royaux , &c. & généralement tous
ceux qui , par état & par devoir , font
obligés d'avoir à la main comme l'image
& le détail des lieux. C'eſt là qu'il trouveront,
non-feulement les villes , les fleuves
, les rivières , les routes , la pofition ,
l'étendue , les limites de chaque élection ,
mais encore les bourgs , les villages , enfin
toute la deſcription topographique que la
nature de chaque carte nous a pu permettre
AVRIL 1768 . 165
d'y placer , avec le nombre des paroiſſes &
le total des feux .
Le ſieur Deſnos diſtribue gratuitement
aux amateurs le catalogue des nouveaux
ouvrages en géographie qu'il vient de faire
paroître.
Il vient auſſi de publier les ſept, huit ,
neuf & dixième vol. de ſon Atlas général ,
dont toutes les routes de France font partie
& ſe vendent ſéparément. Les quatre
volumes font de 64 liv. Les dix volumes
complets font de soo cartes enluminées
à la manière hollandoiſe , & reliés en
cartons très-folides , avec des dos de veau ,
feront du prix de 194 liv. juſqu'à la fin
d'avril 1768 , & , paflé ce terme , de 240 1.
Les deſcriptions deſdits volumes font fous
preſſe ; elles feront délivrées gratuitement.
ÉCRITURE.
LE 22 novembre dernier MM. Potier
& Paillaffon , de l'Académie Royale d'écriture
, ont eu l'honneur de préſenter &
d'expliquer à Sa Majesté deux tableaux
à la plume , en traits d'écriture , en or ,
enargent& en couleur. Ces tableaux , qui
font au Roi , ont chacun quatre pieds dix
166 MERCURE DE FRANCE.
pouces de face fur quatre pieds huit pouces
de haut.
Le premier , avec cette inſcription :
alphabets anciens , expoſe une belle architecture
; le milieu préſente une coupole ,
au - dellus eft Thot , Apollon & Minerve ,
& au- deſſous l'Empereur Auguste enſeignant
à ſes petits- fils à former ſa ſignature
( 1). Sur le devant font deux foldats
Romains. Au fommet de la colonne trajane
, à droite , eſt Alexandre ( 2 ) . Tout
proche eſt un portique ; au-deſſous eſt
Cadmus , & au-deſſus les ſeize lettres qu'il
porta enGrèce. La colonne trajane , à gauche
, ſoutient l'Empereur Claude ( 3 ) : un
portique eſt à côté ; au deſſous eſt Evandre ,
&au-deſſus les ſeize lettresdont il inſtruifit
l'Italie . On voit encore trente médaillons
renfermant les alphabets des anciens peuples
, & fix enfans ſur une balustrade qui
tiennent les inſtrumens dont l'antiquité ſe
ſervoit pour écrire.
Le ſecond tableau qui a ce titre : écriture
des François , préſente une architecrure
plus majestueuſe. Au milieu eſt un
( 1 ) Suèt. vie de cet Empereur , vers la fin.
( 2 ) Ce Conquérant rendit le papyrus plus
commode pour écrire.
( 3 ) Ce Prince ajouta trois lettres à l'alphabet
Jatin.
AVRIL 1768. 167
portique qui ſoutient la Religion , la Jufrice
& deux renommées ; au-deſſous eſt
Louis XV, le Bien-Aimé , recevant les
hommages de l'Ecriture préſentée par la
France. L'Ecriture offre au Roi cette requête
: Sire , j'ai l'honneur de présenter à
Votre Majesté les nouvelles productions
d'un arttout divin . Ellesfont de deux artistes
qui ont fait leurs efforts pour vous plaire,
Que Votre Majesté daigne jetter fur eux
un oeil favorable , ainsi que fur ce talent ,
qu'on ne fauroit trop perfectionner pour
immortaliser la clémence , la générosité &
les grandes actions de Votre Majesté. Les
douze médaillons en face expoſent les écritures
perfectionnées ſous le règne de notre
Monarque. Adroite eſt une colonne trajane
; au ſommet eſt Chilpéric 1. ( 4 ) A
gauche eſt encore une colonne trajane ;
c'eſt Charlemagne ( 5 ) qui eſt au fommet,
Le haut de l'architecture ſe diftingue des
deux côtés par les arts , les talens , la littérature
, les ſciences & les ſymboles des
quatre parties du monde. Avec les dixhuit
médaillons qui reſtent , & qui contiennent
les alphabets par ſiècles qui ont
( 4 ) Ce Roi augmenta l'alphabet gaulois de
quatre caractères.
( 5 ) Cet Empereur aimoit l'écriture & s'y exerfoit
louvent,
168 MERCURE DE FRANCE.
régné en France , font encore quatre gardes
du Roi , & huit génies ſur la balustrade ,
repréſentans les Sciences & les Arts qui ſe
ſoutiennent par l'écriture.
Ce précis fait connoître que le génie &
le goût ſe font réunis avec l'utile pour
former deux ouvrages uniques & dans un
genre qui a été inconnu juſqu'à préſent.
Si ces deux tableaux prouvent que les auteurs
ont fait des recherches & mis des
beautés dans l'art qu'ils enſeignent , ils
font voir qu'ils ont choiſi , pour le fondement
de leurs productions , des matières
inſtructives. En effet, le premier tableau
conduit à la connoiſſance des anciennes
langues , & le ſecond à celle de déchiffrer
les anciens titres , chartes & manufcrits
françois.
ARTS AGRÉABLES.
GRAVURE.
VUE de Naples , dédiée à M. Dimitri ,
Prince de Galitzin , Gentilhomme de la
Chambre de S. M. I. de toutes les Ruffies ,
& fon Miniſtre Plénipotentiaire à la Cour
de France , Membre honoraire de l'Académie
Impériale de Pétersbourg , &c. &c.
tirée
AVRIL 1768 . 169
tités du cabinet de M. Thiroux d'Eper-
Sonnes , Maître des Requêtes.
Cette estampe , gravée par M. Lebas ,
Graveur du Cabinet du Roi , d'après le
tableau original de M. Vernet , fert de
pendant à une autre eſtampe du même
auteur , intitulée vue des galères de Naples
, ſupérieurement exécutée , & fait le
même honneur au burin de ce ſavant &
gracieux Artiſte , dont la demeure eſt rue
de la Harpe , la porte- cochère vis-à- vis
de la rue Poupée.
On trouve auſſi chez lui deux autres
eſtampes nouvelles , ſavoir , la Rudera ,
près le Sans Souci , d'après J. P. Panini ;
dédiée à M. Mirleau de Neuville , Ecuyer ,
Fermier général , &c. & faite pour ſervir
dependant à une eſtampe du même Artiſte ,
intitulée la Reine Grecque ; & le Faucon ,
d'après Subleras ; toutes deux font agréables
chacune dans leur genre , & d'un
effet très-piquant .
Onpeut ſe procurer , à la même adreſſe,
les eſtampes ſuivantes , de M. Vernet ,
Peintre du Roi :
N° 1. Le Port neuf , ou l'Arſenal de
Toulon , vue de l'angle du parcd'artillerie.
2 L'intérieur du Port de Marſeille , vue
du pavillon de l'horloge du parc.
Vol. I. H
170 MERCURE DE FRANCE.
:
e
3.La Madrague ou la pêche du thon ,
vue du golphe de Bandol.
4 L'entrée du Port de Marſeille , vue
de la montagne appellée Tête de more.
5 Le Port vieux de Toulon , vue du
côté des magaſins aux vivres.
6 La Ville & la rade de Toulon , vue
à mi-côtéde la montagne qui eſt derrière,
7 Le Port d'Antibes en Provence , vue
du côté de la terre.
8 Le Port de Cette en Languedoc , vue
du côté de la mer , derrière la jettée iſolée,
9 Vue de la Ville & du Port de Bordeaux
, priſe du côté des Salinières.
10 Vue de la Ville & du Port de Bordeaux,
priſe du Château Trompette.
11 Vue de la Ville & du Port de Bayonne
, prife à mi - côté ſur le glacis de la citadelle.
12 Vuede laVille&du Portde Bayonne,
priſe de l'allée de Bouflers , près le port de
Moufferolle.
13 Vue de Rochefort.
14 Vue de la Rochelle.
Six grouppes des ports de merde France ,
4 liv. 10 fols .
Départ pour la pêche , 3 liv.
Port de mer d'Italie , 3 liv.
Troiſième vue d'Italie , I liv. 15 fols,
AVRIL 1768. 17
Quatrième vue d'Italie , 1 liv. 15 fols.
Cinquième vue d'Italie , 18 ſols.
Sixième vue d'Italie , 18 fols.
Nº 19. Vue des galères de Naples 6 liv.
Nº 20. Septième vue d'Italie 2 liv.
Huitième vue d'Italie 2 liv.
Nº 21. Vue de Naple , pendantdes gale
res de Naple , 6liv.
Les oſtampes des Ports de France ſe
vendent par ſuite ,& la ſuite eſt compoſée
de quatre , & ſe vendent 36 liv. la
fuite.
: Estampes nouvelles.
Ceux qui s'intéreſſent aux progrès des
talens , particulièrement à ceux de laPeinture&
de la Gravure , verront avec plaiſir
ce dernier art leur conſerver & leur tranfmettre
quelques productions des plus applaudies
aux derniers Salons de 1765 &
1767. Ce font deux tableaux peints à
gouaffe , par M. Baudouin , Peintre du
Roi , d'environ douze pouces de haut fur
neufde large , repréſentans deux jeunes
filles qui , à l'ombre d'une treille , regardent
des pigeons qui ſe careſſent , tandis
qu'un jeune homme les écoute en regardant
le même objet.
L'autre , une jeune perſonne ſurpriſe &
querellée par ſa mère dans un cellier. Le
Hij
72 MERCURE DE FRANCE.
défordre de la jeune fille , l'action de la
mère &la fuited'un jeunepayſan,font d'un
grand effet & rendent ce ſujet très intéreffant
, ainſi que toutes les productions de
cet Artiſte , dont le genre neuf, naif, gracieux
& noble , fait voir que la Peinture a
des reſſources que le génie ſçait toujours
rendre nouvelles .
• Ces deux eſtampes , gravées par le ſieur
Choffard, fous les n° 1 & 4 , en font ſans
doute eſpérer deux autres du même aureur
; le goût & le foin avec lequel elles
font traitées , ne laiſſent rien regretter
des grâces des tableaux ,& font defirer la
fuite de ceux de ce genre. On les trouve
à Paris , première cour des Quinze-Vingts ,
chez l'Auteur. Prix fix livres , les deux.
Lajeune Nourrice , &la petite Mère ,
faiſant pendans , gravées d'après les defſeins
deM. Greuse , Peintre du Roi , tirés
du cabinet de feu M. l'Abbé Gongenot ,
Conſeiller au Grand - Conſeil , Honoraire
de l'Académie Royale de Peinture & de
Sculpture , par M. Moitte , Graveur du
Roi ; ſe vendent à Paris , chez lui , à l'entrée
de la rue Saint Victor , la troifiéme
porte cochère à gauche , en entrant par la
place Maubert. Prix 1 liv. 4 fols pièce!
N. B. Ceux qui auront jugé de ces
AVRIL 1768. 173
eſtampes par la modicité du prix , feront
furpris bien agréablement .
- NOUVEAU Plan de Versailles , dedié à
M. le Comte de Noailles , en juin 1767 .
Ce Plan mis dans un ordre fatisfaifant
pour les curieux , a été ſuivi ſoigneuſement
, tant pour la figure correcte des
parterres & boſquets , que pour l'emplacement
des ſtatues , & dont on trouve les
noms des ſujets repréſentés , & celui de
leurs Auteurs. On a obſervé dans l'ordre
des renvois la même marche qu'on fuit
lorſqu'on fait jouer les eaux , dont l'élévation
des grands jets eſt auſli indiquée.
Le même Plan préſente, dans la ville, les
emplacemens des différens Hôtels dépendans
du Château , &lesmaiſons publiques ,
le tout dans l'état actuel. A Paris , chez
le ſieur Defnos , Libraire & Ingénieur-
Géographe pour les Globes & Sphères ,
rue Saint- Jacques , au Globe ; prix i liv.
10 fols en blanc , & 3 liv. lavé & enluminé
à la manière hollandoiſe. Les Plans
de Paris , de Lyon , Dijon & Nancy , &c .
le même prix .
AVIS AU PUBLIC.
La ſeconde livraiſon des eſtampes des
Métamorphofes d'Ovide , entrepriſes par
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
MM. Bafan &le Mire , & que nous avons
annoncée dans le Mercure de Mars , ne
fait qu'ajouter à l'idée que les amateurs
avoient conçue de cette collection intéreffante
, & n'en fait que d'autant plus
defirer la ſuite.
2
)
1
AVRIL 1768 . 175
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPÉRA.
On a continue les repréſentations de
Dardanus juſqu'au vendredi 18 mars ,
veille de la clôture , & celles de Titon &
l'Aurore juſqu'au jeudi 17 incluſivement.
MlleArnould , que ſa ſanté avoit obligée
dequitter le rôle d'Iphiſe dans Dardanus ,
l'a repris & a continué de le jouer toujours
avec le même ſuccès juſqu'à la dernière
repréſentation.
Le dimanche 6 M. le Gros , qui , par
zèle & malgré ſon indiſpoſition , avoic
entrepris de chanter le rôle de Dardanus ,
fut obligé de le quitter au troiſième acte .
M. Pillot , que le haſard avoit conduit au
théâtre, s'étant habillé dans l'inſtant même,
& ſans que le ſpectacle fût retardé d'une
minute , acheva de remplir ce rôle , qui ,
dans les repréſentations ſuivantes , a été
chanté , d'une façon agréable au public ,
par M. Muguet , juſqu'à la clôture.
Η iv
176 MERCURE DE FRANCE.
M. l'Arrivée a été remplacé dans les
rôles de Teucer & d'Iſménor, par M. Durand,
dont les progrès ſenſibles ne fauroient
être trop encouragés ; & M. Gélin ,
par M. Caffaignade , dans celui d'Anténor.
Le mardi 22 Mile Renard , élève des
écoles du magafin de l'opéra , a débuté
dans les petits airs du troiſième acte ; &
ſa timidité n'a pas empêché qu'on ne
remarquât en elle des diſpoſitions qui
doivent l'encourager à reparoître dans le
même emploi .
Le mardi 9 , M. Veftris s'étant donné
une entorſe à la répétition de Silvie ,
M. Gardel l'a remplacé juſqu'à la clôture,
& a mérité des applaudiſſemens dans le
pas de deux du quatrième acte , ainſi que
dans la chaconne du cinquième.
La Dile Heinel , jeune Danſeuſe , &
dontnous avons annoncé le brillant début ,
a foutenu la gloire qu'elle avoit acquiſe ,
& MM. les Directeurs viennent de traiter
avec elle pour la fixer à leur ſpectacle.
M. Fierville , âgé de quinze ans , élève ,
ainſi que Mlle Heinel , de M. l'Epi , cidevant
premier Danfeur de S. A. S. le
Duc de Wirtemberg , a débuté le jeudi ,
3 mars , dans des airs ajoutés à cet effet
au divertiſſement du troiſième acte de
Titon & l'Aurore. Ce début , compoſé de
AVRIL 1768 . 177
deux entrées , la première une paſſacaille ,
& la ſeconde une forlanne , a paru fatiffaire
les ſpectateurs.
M. Touvois a chanté le 17 le rôle de
Prométhée dans le prologue de Titon &
l'Aurore , & M. Lafuze celui d'Eole dans
le même opéra.
Les Acteurs ont choiſi , pour la capitation
, le ballet de Silvie , qui a été repréſenté
avec un concours digne de tout le
mérite de l'ouvrage , les ſamedi 12 , mercredi
16 , & famedi 19.
M. Durand, à la première repréſentation
, a chanté , dans le prologue , le rôle
de Vulcain ; à la ſeconde il a été remplacé
par M. Caffaignade ; il l'a repris à la troiſième
, & a mérité des applaudiſſemens
qu'il a reçus.
Mlle Duplant s'eſt acquittée à fon ordinaire
, c'est -à-dire avec ſuccès , du rôle de
Diane dans le prologue & dans l'opéra ;
Mile Rofalie de celui de l'Amour.
Mille Beaumesnil s'eſt avantageuſement
diſtinguée dans celui de Silvie ; M. Muguet
dans celui d'Amyntas , qu'il a joué à la
première repréſentation à cauſe de l'indifpoſition
de M. le Gros , qu'on y a revu
avec le plus grand plaifir le mercredi 16 ,
&le famedi 19 , ainſi que M. Gelin dans
celui d'Hylas .
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
On a remarqué quelques changemens
dans le balletdu ſecond acte , qui ont paru
préſenter un cadre encore plus beau que
ci-devantaupas de deuxde M.d'Auberval.
Mlle Heinel , au troiſième acte de Silvie
, a danſé des airs de ce même opéra .
Nous ne devons pas oublier que Mlle
Durancy, à la dernière repréſentation de
Titon & l'Aurore , a chanté & joué de
façon à réunir les fuffrages les plus juſtes
&les plus éclatans.
COMÉDIE FRANÇOISE.
ΟN a donné , pour la clôture de théâ
tre , Mérope , & Dupuis & Defronais ,
qui ont été univerſellement applaudis ,
& à la fin deſquels M. d'Auberval a prononcé
le diſcours ſuivant :
DISCOURS prononcé à la clôture du théâtre
François.
MESSIEURS ,
PERMETTEZ - NOUS de vous faire nos
reſpectuenx remercimens , & de vous re
AVRIL 1768. 179
nouveller le tribut de notre reconnoiſſance.
Eh ! comment n'en ſerions-nous pas pénétrés
; nous vous la devons à tant de titres ?
Si le théâtre françois , devenu par vos
lumières le plus célèbre de l'Europe , doit
à votre jugement ſupérieur la collection
précieuſe de ces drames immortels qui
feront à jamais des modèles de génie , de
goût & de moeurs ; que ne doit- il point
aux encouragemens dont vous avez honoré
les efforts des Artiſtes qui ſe ſont chargés
de la repréſentation de ces chefs-d'oeuvres
de l'eſprit humain ? Daignez , Meſſieurs ,
leur continuer vos bontés. Vous avez
accoutumé les talens à croître , à ſe for--
mer ſous vos yeux ; protégez-les , ils feront
toujours votre ouvrage. Je n'entreprendrai
point , Meffieurs , de vous expoſer les
regrets d'undenos camarades, que le temps
& un travail réfléchi ont rendu digne de
vos fuffrages ; a une longue &dangereuſe
maladie a privé M. le Kain de partager ,
avec nous , la gloire de contribuer à vos
plaiſirs , il eſpère qu'un rétabliſſement
aſſuré lui procurera bientôt cet avantage.
Mes expreſſions font trop foibles pour
vous peindre les ſentimens qui nous infpirent&
qui nous guident ; la vénération
que nous vous devons , Meſſieurs , eſt le
ſeulhommage digne de vous être offert.
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
Les Valets maîtres de la maison , ou le
Tour du Carnaval , comédie en un acte ,
en profe , de M. ROCHON DE CHABANNES
.
L'AUTEUR n'ayant pas encore jugé à
propos de faire imprimer cette pièce , nous
ne croyons pas moins devoir en donner
une idée.
M. de Genicour, nouveau débarqué& perſonnage
imbécille, eſt devenu amoureuxde
Finette à des aſſemblées que donnoit M.
Rigaudon , Maître à danſer , où Finette ,
par vanité d'abord , s'eft fait paſſer pour
Demoiselle , & a été ſecondée par M.
Rigaudon. C'eſt en cet état des choſes que
commence la pièce , & la ſcène ſe paffe
chez Mde & M. Vermeuil , dont Finette
a pris le nom.
La pièce commence par une conférence
entre Marine , Finette , la Fleur & Champagne
, domestiques de M. & de Mde
Vermeuil; & Rigaudon , le Maître à danfer
, eſt l'intriguant de cette comédie.
L'envie de duper M. Genicour a fuccédé
au premier plaifir qu'on s'étoit donné de
le tromper. Il eſt queſtion de s'emparer
de la maiſon de M. & de Mde Vermeuil,
d'en faire faire les honneurs à Marine &
AVRIL 1768 . 181
à Finette , de leur donner une famille qui
puiffe repréſenter , d'attendre M. Genicour,
de lui faire figner un prétendu contrat
de mariage & d'eſcamoter très-férieuſement
des préſens de nôces qu'il doit
envoyer. Il s'agit auſſi d'un grand dîner
qui ne coûtera rien qu'au Traiteur.
On vient s'arranger ſur tous ces points.
Marine & Finette s'étoient chargées defaire
fortir leurs maîtres , & ils y ont réuffi . La
maiſon va être à eux dans un moment.
M. & Mde Vermeuil , qui ſont prêts à
fortir & à aller , chacun de leur côté ,
en partant de leur jalouſie naturelle , obfervent
les domeſtiques ; ilsſeſéparent à
deſſein de s'épier. Portrait de la jalouſie de
leurs maîtres , que les domeſtiques font en
paſſant & tout naturellement. Rigaudon
rend compte enſuite de ſa conduite. La
familledeMarine & de Finette, autrement
de M. & Mile Vermeuil , entrera dès que
la maiſon ſera libre . C'eſt un valet de
chambre baigneur qui ſera traveſti en
militaire , un garçon de caffé en petit
Abbé , un clerc d'Huiſſier en Notaire , &
un apprentif commerçant des halles en
négociant. Ce dernier a fourni des habits
à tous les acteurs pour la repréſentation
de la pièce. On entend arriver les maîtres.
Marine emmène Rigaudon , & M. & Mde
Vermeuil entrent.
182 MERCURE DE FRANCE.
,
C'eſt une ſcène de jalouſie en règle.
M. Vermeuil croit fes gens d'intelligence
avec ſa femmepour le tromper ,&Madame
croit qu'ils s'entendent avec ſon mari
qu'ils cherchent à ſe débarraſſer l'un de
l'autre , & qu'il y a aujourd'hui grand
gala à la maiſon. En conféquence ils projettentde
ſe ſurprendre , ſe donnent rendez-
vous à neuf heures du ſoir pour la
commoditéde leurs gens , & ſe promettent
bien de revenir à trois. Tout cela ſe fait
dans des à parte, & en achevant de s'habiller.
Cependant leur jalouſie perce malgré
eux. Madametrouve aujourd'huiMonſieur
d'une recherche prodigieuſe dans ſa
toilette. Monfieur trouve à ſa femme un
air de prétention décidé ; mais ils ne foupçonnent
rien de leurs projets réciproques ,
& encore moins leurs domeſtiques , qui ,
après leurdépart , ſe croient , pour la journée
, maîtres de la maiſon. Cette ſcène a
toujours fait le plus grand plaifir.
Les domeftiques , en poſſeſſion de la
maiſon , s'arrangent , fe concilient entre
eux pour contrefaire leurs maîtres , &
offrent un tableau affez comique , où Mde
Belcour eſt fupérieure, comme dans toutfon
rôle. On annonce l'arrivée de M. Blanchard
, Traiteur , qu'un des fourbes a été
chercher. Marine eſtd'abord un peudéconAVRIL
1768 . 183
certée en le voyant paroître , parce qu'il
eſt de ſa connoiſſance ; mais elle ſe remet
en l'adreſſant à M. Rigaudon , qu'elle fait
paſſer pour le frère de M. Vermeuil.
C'eſt une ſcène où il fait voir M. Préville
contrefaiſant la morgue& la fuffifance
des gens d'un certain ton vis- à-vis du petit
bourgeois ; on n'en fauroit donner l'idée.
MARTON.
Monfieur , c'eſt M. Blanchard que M. votre
frère a envoyé chercher , .. un honnête homme.
RIGAUDON .
Un honnête homme .. qu'il attende .
MARINE.
Eh ! qu'est-ce qui t'empêche de lui donner au
dience ſur le champ ?
RIGAUDON.
C'eſt pour avoir l'air d'un homme comme il
faut.
Enſuite viennent les tons affectueux ,
les airs de confiance , les M. Blanchard
éternels , les papa Blanchard , &c. M. Préville
y eſt inimitable. M. Blanchard promet
de donner à dîner dans une heure , &
s'en va. Les aſſociés de M. Rigaudon enrent
ici. Ils arrivent tous traveſtis , &
Rigaudon dit :
184 MERCURE DE FRANCE.
Que de pareilles métamorphoſes ſe font tous
les jours dans Paris ! & voilà d'où vient qu'on dit
ſouvent dans un cercle : eh ! il me ſemble que j'ai
vucethomme-là quelque part; & ce quelque part
c'eſt derrière un fauteuil.
Un laquais vient annoncer à la compagnie
l'arrivée de M. Genicour , & l'on fe
diſpoſe à le recevoir. M. Rigaudon fait
placer tout le monde : le Notaire , la mère
&la fille d'un côté , le Mil itaire , l'Abbé
& lui de l'autre.
Allons , dit- il à Finette , le ſac à ouvrage à
la main , un air niais & fot comme une honnête
fille qui ſe marie.
MARINE.
Oui , un air niais & fot , vois-tu , la veille du
mariage , c'eſt le rôle d'une fille bien élevée ; le
lendemain c'eſt celui du mari.
Entrée de M. Genicour. Ses marchands
lui ont manqué de parole, & il eſt fort
en colère; mais il eſpère cependant que
les préfens ne tarderont pas à arriver , &
il embraſſe la future pour ſe remettre en
bonne humeur. Il lui fait remarquer fon
habit , ſes bas , ſa perruque ,
Tout cela fort de chez le marchand.
RIGAUDON. :
C'eſtbien gracieux au moins , Mademoiſelle ,
pour une honnête fille qui ſe marie , de renconAVRIL
1768 . 185
crer un homme tout neuf, tout neuf ! Oui , de la
tête aux pieds , regardez pour voir .
Il ſe retourne alors en tous ſens & voit
la famille , à qui il avoit tourné le dos
juſques- là. Tout le monde lui rit au nez ,
& il n'a guères moins de peine à n'en pas
faire autant , maistoute cette impertinence
ſe raccommode par la préſence d'eſprit de
M. l'Abbé. Cela les met tous à l'aife , &
ils ſe moquent les uns des autres. Enſuite
vient la fignature du contrat. Genicour
reproche à ſa future de trembler , qui lui
répond naïvement & fottement , car c'eſt-là
fon rôle vis-à- vis M. Genicour :
FINETTE .
:
Je n'en aurai pas plutôt ſigné une demi-douzaine....
GENICOUR.
De contrats de mariage ?
FINETTE.
Oui , Monfieur , je ſerai plus habile.
GENICOUR À RIG.
Elle est bonne avec ſes naïvetés !
Tout le monde ſigne le contrat de mariage
, après quoi l'on apporte la table &
l'on dîne.
C'eſt un dîner gai où l'on rit & l'on
chante.
186 MERCURE DE FRANCE.
Undes domestiques de la maiſon vient
annoncer à M. Genicour le retour de ſes
gens , fans les préſens de noces ; toute la
compagnie eſt un peu déconcertée , mais
M. Genicour la raſſure en diſant qu'il va
les chercher lui-même & en emmenant
Rigaudon avec lui. La fête continue un
moment pendant leur abfence , & eſt interrompue
par l'arrivée du maître & de la
maîtreſſe de la maiſon , que Champagne
&la Fleur viennent annoncer. Tout le
monde ſe lève , s'enfuit , & pluſieurs emportent
des plats de deſſus la table , ce qui
produit un défordre vraiment comique.
Madame entre la première , voit les
débris d'un grand dîner , nombre de
lumières , dont pluſieurs font renverſées ,
&ne manque pas de croire que c'eſt une
fête que donne fon mari à ſa maîtreſſe.
Son mari la ſuit immédiatement & n'a pas
des idées plus raiſonnables. M. Blanchard ,
Traiteur , ſurvient pour avoir des nouvellesde
fon repas& favoir ſi l'on est content.
Jugez de quelle manière il eſt reçu des
deux époux ! Nouvelle confufion occaſionnée
par les préſens de nôces. Le Jouaillier
, le Marchand de modes & pluſieurs
filles de boutiques portent des corbeilles ,
s'avancent vers Monfieur & Madame . Le
Jouaillier montre à Madame un écrain , &
MARS 1768 . 187
elle fort étouffant de rage & de dépit. La
Marchande de modes étale ſes préſens à
Monfieur , qui ne peut contenir ſa fureur ,
&ne trouve plus heureuſement ſa femme
qui vientde fortir. Il ordonne aux Marchands
de ſe retirer.
LE JOUAILLIER.
Nous avons ordre d'attendre ici le Monfieur.
M. VERMEUIL.
Comment , quel Monfieur ?
LA Mde DE MODES .
Celui qui nous acommandé tout ceci.
M. VERMEUIL.
Ah! je voudrois bien qu'il s'aviſat de ſe préſenter.
LE JOUAILLIER.
Il n'y manquera fûrement pas .
Et en effet M. Genicour reparoît , qui
marque , on ne peut pas plus comiquement
, ſon étonnement de ne voir plus
perſonne à table , de voir la ſcène changée
, &de nouveaux perſonnages à la place
de ceux qu'il avoit laiſſes. M. Vermeuil
lui ferre la botte , & lui propoſe de ſe
couper la gorge avec lui.
188 MERCURE DE FRANCE.
M. VERMEUIL.
Allons , Monfieur , fortons.
GENICOUR,
Je ne fors jamais , que pour prendre l'air.
Génitour ne comprend rien àtout cela ,
& Rigaudon rentre. On conçoit fon embarras
vis- à- vis de M. Vermeuil , de M.
Génicour , du Traiteur &des Marchands.
Il s'en tire cependant affez adroitement.
Mais Mde Vermeuil ramène Marine &
Finette , & le confond. Tout s'éclaircit ;
M. Vermeuil chaſſe ſes domeſtiques , conſeille
à M. de Génicour de s'arranger avec
ſes Marchands , rit de ſa jalouſie , & fe
raccommode avec ſa femme.
Voici deux des couplets de la table.
LE MAJOR .
Air : Tu croyois en aimant Colette.
O délicieuſe bouteille ,
Que j'aime tes enchantemens !
Tu fais que le mari ſommeille ,
Tu n'éveilles que les amans.
Tous ces couplets font lardés de profe.
HAVRIL 1768. 189
১ 1
MARIN.
Ait : Mgr vous ne voyez rien.
En dépit de nos merveilleux ,
Qui font ma foi de vrai ſauvages
Nous confervons de nos ayeux
Les bon's & précieux uſages.
Enſemble ils, bûvoient le vin vieux ,
Et s'embraſfoient à qui mieux mieux.
Bûvons & baiſons- nous ,
Il n'eſt pas de plaiſirs plus doux.
د
M. Belcour , Mde Préville Mile
Fanier , MM. Préville , Molé , Bouret ,
Bonneval , Augé & Feuilly , jouent les
premiers rôles dans cette bagatelle , &
nous avons déja dit qu'elle ne pouvoit.
être ni plus agréablement, ni mieux jouće.
Nous aurions tort de ne pas ajouter , que
M. Brizard même a bien voulu y jouer
un bout de rôle de jouaillier , & que le
public toujours ſenſible aux bons procédés,
fur-tout à ceux qui ajoutent à ſes plaiſirs ,
lui a ſcu beaucoup de gré de cette complaifance.
La principale objection qu'on ait faite
à l'auteur , eſt d'avoir mis ſur la ſcène , des
coquins.
Mais indépendamment de ce qu'il n'eſt
ici queſtion que de valets , pouvons- nous
}
190 MERCURE DE FRANCE.
6
oublier que Moliere dans les Fourberies
de Scapin , que Regnard dans le Légataire
&dans ſes autres comédies , que le Sage
dans Turcaret, & dix autres auteurs , dont
les pièces plairont toujours , ont encore pris
de plus grandes licencesde ce genre ?
Ne fent- on pas , d'ailleurs , qu'en ſupprimant
quatre lignes de proſe , on réduiroit
la pièce à une ſimple plaiſanterie ?
Il eſt pourtant vrai qu'il y auroit alors
d'autant moins de vraiſemblance dans
le projet des valets , qu'il ſembleroit
tourner contr'eux - mêmes , puiſqu'ils feroient
la dépenſe inutile d'un grand dîner.
Au fond, l'auteur n'a misque de très-petits
fripons ſur la ſcéne , decesfripons auxquels
nos yeux ne font que trop accoutumés , de
ces fripons enfin , que pour les moeurs &
pour notre profit , nous ſommes maîtres de
chaſſer dès l'inſtant qu'ils nous incommodent
; &plût au ciel que nous puffions
nous défaire auſſi aisémentdes autres !
Quoi qu'il en ſoit , cette pièce , qui a
été jouée pour la première fois le jeudigras
, a été vue avec plaiſir pendant tout le
carême , ſera probablement repriſe à la
rentrée des ſpectacles , & reſtera d'autant
plus vraiſemblablement au théâtre , que
bien des gens , comme déja nous l'avons
dir , & qui nous l'ont confirmé , aiment
encore quelquefois à rire,
AVRIL 1768. 191
COMÉDIE ITALIENNE.
La clôture s'eſt faite par la vingt- troiſième
repréſentation des Moiſſonneurs ,
ſuivie d'undivertiſſement , & précédée par
'Iſle Sonante. Après ces deux pièces , qui
onteutout le ſuccès dont elles ſontdignes ,
les acteurs ont joué une eſpèce de comédię
ou d'épilogue en action , pour tenir lieu de
compliment ; mais ſa longueur & le peu
d'eſpace qui nous reſte , nous forcent de
remettre à en parler au Mercure prochain,
SUPPLÉMENT A L'ART. DES SPECTACLES,
THEATRE de Société , imprimé à La
Haye ; 1768. L'on en trouve les exemplaires
chez GUEFFIER fils , Libraire
Imprimeur , rue de la Harpe , vis - à-vis
la rue Saint- Severin ; 2 vol. in- 8 ° .
L'on connoît déjà la plupart des pièces
qui compoſent le premier volume de ce
théâtre , qui n'en a malheureuſement que
deux.
192 MERCURE DE FRANCE.
La Veuve, comédie en un acte , en
proſe ; le Roffignol , opéra comique ; les
adieux de la Parade , prologue en vers
libres ; le Galant efcroc , comédie en un
acte , en profe ; & la Partie de chaffe de
Henri IV, comédie en trois actes , en
proſe , avoient déja paru. L'on joint , pour
completter ce premier volume , le Bouquet
de Thalie , prologue joué avant la Partie
de chaffe ; Tanzai & Néadarné , tragi - comédie
en un acte , en vers , précédée de la
Lecture , prologue en profe.
L'on prévient , dans l'avertiſſement de
ces deux dernières pièces , qu'elles ſe débiteront
enſemble ou ſéparément, ainſique
toutes celles de ce premier tome , à ceux
qui ne voudront pas acheter tout le volume;
mais que le ſecond tome ne ſe débitera
point par parties , &qu'il faudra le prendre
entier.
Ce ſecond volume contient l'Espérance,
prologue en vaudeville ; Joconde , opéra
comique en deux actes ; Nicaise , comédie
enproſe , en deux actes ; la Vérité dans
le vin , comédie en proſe , en un acte ;
Madame Prologue , prologue en profe &
vaudevilles , ſuivi d'un Proverbe comédie ;
Cacatrix , tragédie- amphigouriſtique en
vers & en cinq actes ; la Tête à perruque ,
petit conte dramatique en un petit acte ;
&
AVRIL 1768 . 193
& le Jaloux honteux , comédie en cinq
actes , de M. du Fresny , réduite en trois
actes.
Il n'eſt point de théâtre auſſi varié que
celui- ci : preſqu'aucunes des pièces qui le
compoſent ne ſe reſſemblent entre elles ,
on les croiroit chacune d'une main différente
: diverſité paroît avoir été la deviſe
de l'auteur , & il l'a bien remplie. On eſt
affecté , dans la comédie de la Veuve , de
la peinture vraie & forte d'un amour
violent & délicat ; l'on est touché de fon
expreſſion vive & naturelle , de ces traits
defentiment qui ne peuvent être ſaiſis que
par des âmes tendres , & qui plairont furtout
à ce ſexe aimable & ſenſible qui nous
les inſpire , & en eſt plein lui-même.
De l'attendriſſement que cauſe cette
comédie , on peut paſſer à la gaîté des
couplets bien faits & gaillards du Roffignol
& de Joconde , qui fontpeut- être les deux
ſeules pièces de ce théâtre qui aient quelque
reſſemblance entre elles. Les poëmes
de ces deux opéra comiques ne le cèdent
point d'ailleurs aux plans des comédies les
mieux combinées. Ces pièces , qui toutes
deux ont été repréſentées , ont dû fürement
produire un très-grand effet tréâtral.
Nicaise , comédie d'un genre tout différent
, ne doit pas moins plaire par la
Vol. I. I
194 MERCURE DE FRANCE.
,
naïveté précieuſe , & fi rare à préſent , avec
laquelle elle eſt dialoguée , par la nouveauté&
la hardieſſe de ſes ſcènes , & enfin
par l'adreſſe des tours que prennent les perfonnages
de cedrame , pour dire des choſes
qu'il paroiffoit preſqu'impoffible d'exprimer
avec quelque forte de décence. Nous
obſerverons encore que cette comédie
dont le dénouement n'eſt point un mariage
, puiſque dès l'expoſition le mariage
eft fait , & que les nouveaux mariés forrent
de l'égliſe , eſt conſtruite ſur untiſſu
dont on ne trouvera point d'exemples dans
aucun théâtre , ni ancien , ni moderne
pas même dans ceux des autres nations.
Nous n'en dirons pas davantage , & nous
demandons ſeulement que l'on faffe attention
à la fingularité du noeud de cette comédie
, & à celle de ſon dénouement .
Le peu de reſſemblance , & même la
différence marquée que l'on trouve entre
cette pièce & la tragi- comédie de Tanzai ,
écrite en vers avec tant de nobleſſe , de
gaité & d'élégance , forme , avec ce dernier
drame , un contraſte de variété encore plus
frappant.
Cocatrix, par fa fingulière folie, préſente
une autre oppofition qui n'a aucun des
traits de Tanzai ; mais pas le moindre.
La vérité dans le vin , qui , après la
,
AVRIL 1768 . 195
Partie de chaffe d'Henri IV ( dont la
fortune eſt faite ) , nous a paru , ſans contredit
, la meilleure comédie de ce recueil ,
eſt d'un genre & d'un ſtyle tout différent
encore de toutes les autres qui ſont contenues
dans cette agréable collection. Le
but moral qu'on apperçoit aisément dans
cet ouvrage eſt de mettre ſous les yeux les
déſagrémens & les dégoûts cruels auxquels
s'expoſe une femme galante dans les affaires
qu'elle a , & qui ne font produites
uniquement chez elle que par le dérangement
de ſa tête. Cette idée est rendue dans
tout le cours de ce drame avec des touches
bien vives &bien fortes .
Tous les caractères de cette comédie
ſont ſi vrais & fi bien modelés d'après la
nature , que l'on a peine à ſe perfuader
que ce foient des perſonnages imaginés ;
l'on croit au contraire entendre réellement
des gens que l'on a rencontrés dans le
monde , qui parlent & qui agiſſent : ils
vous ſont préſens.
Le comique de cette pièce fort naturellement
& de ces mêmes caractères
des ſituations ; l'on ne peut s'empêcher de
rire en voyant la confiance intrépide du
mari trompé , la ſcélérateſſe pleine de gaîré
avec laquelle un abbé du grand monde
traite les femmes , rien n'eſt auſſi vif &
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
auſſi original que le caractère du Milord ,
&de plus vrai que la ſtupidité del'homme
de fortune. Enfin la ſcène des deux ivrognes
, qui termine preſque cette comédie ,
nous paroît un chef d'oeuvre de dialogue ;
il eſt d'une vérité & d'une naïveté auxquelles
on ne fauroit donner trop d'éloges.
La Tête à perruque , qui n'eſt qu'un tableau
un peu vifde coloris d'une partie
quarrée d'honnêtes gens , eſt la pièce qui
approcheroit davantage du ton de la précédente.
Ce petit conte dramatique , comme
l'auteur l'appelle , reſpire la gaîté , &
eſt ſemé de très-bonne plaiſanterie. Le
fond du ſujet est très-piquant.
Nous terminerons le compte que nous
rendons ici du théâtre de fociété , par obſerver
que l'on trouve , dans les prologues
mêmes , des ſcènes de véritable comédie ;
nous entendons par-là des ſcènes qui peignent
les hommes tels qu'ils font. Dans le
Bouquetde Thalie, par exemple , l'homme
de la cour , qui eſt un croquis de caractère
detrès-bonton , nous préſente une échappée
de vue des moeurs trop aisées des gens
du très-grand monde , qui ſont peints &
rendus avec un ſtyle noble & familier à
la fois : de forte que l'auteur ne s'écarte
jamaisde la nature.
AVRIL 1768. 197
J
Nous en dirons autant du Proverbe-Comédie
, l'on y voit l'eſquiſſe du caractère
d'une femme de la plus haute eſpèce , qui
eſt pieuſe&gaie en même temps. La ſcène
qu'elle a avec un agréable de la cour , qui
veut lui en conter , eſt de la plus grande
fingularité , & fait regretter que l'on n'ait
pas donné plus d'étendue à ce caractère
charmant & reſpectable.
Quant aux libertés que l'auteur de ce
théâtre de ſociété s'eſt permiſes , fon titre
peut faire ſa juſtification , bien moins encore
que les tournures adroites & voilées
qu'il a imaginées pour adoucir la vivacité
de ſes tableaux. S'il ne nous eût expoſé
que ceux que l'on voit tous les jours ſur un
théâtre public , le ſien n'eût plus été alors
un théâtre de fociété.
N'oublions pas que l'auteur a mis à la
fin de fon théâtre une pièce de M. du
Frefny , le Jaloux honteux , comédie en
cinq actes , qu'il a réduite à trois avec tout
l'art poffible & toute la connoiſſance du
théâtre. Nous ne doutons point que ſi les
comédiens la jouent , comme il les y invite
dans fon modeſte avertiſſement , elle n'ait
du ſuccès , & que même elle ne ſoit une
des pièces qu'ils peuvent aujourd'hui reprendre
le plus ſouvent , attendu que tous
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
les acteurs actuels s'y trouvent naturellement
placés.
Mais , pour parler en général du théâtre
de ſociété , nous y avons trouvé de l'eſprit
fans affectation , & qui paroît n'avoir prefque
rien coûté ; dunaturel &de la vivacité
dans le dialogue , de la facilité dans l'expreffion
, une grande connoiſſance des
règles dramatiques , l'art de bien amener
&conduire une ſcène , & du comique
dans la chofe plus que dans les mors. Original
dans ſes tours d'expreſſions , & le
plus ſouvent dans ſes idées , l'auteur a
trouvé le moyen de jetter des caractères
faillans , neufs & contraſtés dans toutes fes
pièces ; & fon génie heureux a ſçu ſe plier
à tous les genres .
CONCERT SPIRITUEL.
LE 2 février , jour de la Purification , il acom
mencé par une ſymphonie , qui a été ſuivie
d'ExurgatDeus, motet à grand choeur de Lalande,
M. Fifcher , Haut-bois de la Chambre de S. A. Ε.
deSaxe , a exécuté , avec le plus grand talent, un
concerto de ſa compoſition. M. Touvois , de l'Académie
royale de Muſique , a chanté Dominus
regnavit , motet à voix ſeule de M. Milandre
&y a été applaudi. Le frère de M. Duport , &
fon Élève , a très-bien exécuté , ſur le violoncelle ,
AVRIL 1768. 199
une fonate que ſon aîné a accompagné ; & les
connoiffeurs ont fenti tout le prix de la réunion
de leurs talens. M. Godard , dont le goût eft
connu , a chanté un beau motet à voix ſeule ,
de la compoſition de M. le Chevalier Gluk
Maîtrede laMuſique de S. M. Impériale. Ce Concert
a été terminé par Diligam te Domine , motet
à grand choeur de M. Gibert , qui a mérité les
fuffrages de l'aſſemblée .
Mile Fel , que nous ne pouvons plus loner
fans répéter ce qu'on en a dit mille fois avec
justice , Mlle Descoins , & MM. Gelin , & Narbonne
ont aufli chanté & ont été applaudis dans ce
Concert.
Du dimanche 20 mars .
د
Il conmmença par une ſymphonie. On chanta
enfuite , Lauda Jerufalem , motet à grand choeur
du célèbre Lalande. M. Manfredi exécuta fur le
violon , un concerto de ſa compofition , & eut
lieu d'être ſatisfait de la façon dont le public
rendit juſtice aux talens de l'artiſte & du compofiteur.
M. l'Abbé le Vaffeur chanta un nouveau
motet à voix ſeule , de la compofition de M.
l'Abbé Giroust , Maître de Muſique de la cathédrale
d'Orléans. Sa voix , rare dans ſon eſpèce,
(c'eſt une taille ) forte , timbrée & conduite avec
goût , a rendu , au gré des auditeurs , toutes les
beautés du motet de l'agréable & favant Muficien
à qui nous devons ce nouvel ouvrage. M.
Boccherini , déja connu par ſes trio & fes quatuor
, qui font d'un grand effet , a exécuté , en
maître , fur le violoncelle une fonate de ſa
compoſition. Mlle Morizet , de la Muſique du
Roi , a été fort applaudie dans le Confitebor tibi
Domine , nouveau motet à voix ſeule , & d'un
,
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
chant gracieux de M. Milandre. Le Concert a
fini par Benedic anima mea, motet à grand choeur ,
déja connu & également eſtimé , de M. l'Abbé
Giroust.
Miles Rozet & Defcoins ainſi que MM. Gélin
&Muguet , ont auffi chanté dans ce Concert , à
la fatisfaction du public.
Du vendredi 25 , jour de l'Annonciation.
Une ſymphonie ( ſuivant l'uſage ) fit l'ouverture
da Concert. On donna enſuite Super flumina
Babylonis , nouveau motet à grand choeur ,
pour le concours du prix ci devant annoncé dans
notre Journal , & propofé par un très eftimable
amateur , dans lequel on a trouvé de la ſcience
& des beautés muſicales ; mais dont l'auteur ,
probablement peu inſtruit des effets qui flattent
notre goût , n'a point tiré tout le parti dont le
fonds étoit fufceptible. M. Tirot , de l'Académie
Royale de Muſique , chanta fi bien dans Coronate
flores , motet à voix ſeule de M. le Febvre , que le
public , aufli juſte que reconnoillant , loin de lui
imputer un léger manquement de voix dans un
moment où l'organe ſe trouvoit aufli inopinément
qu'involontairement embarraffé , crut devoir d'autant
plus le raſſurer par des applaudiſſemens unanimes.
M. Duport , le jeune , élève de M. ſon
frère , de la Muſique de S. A. S. Mgr le Princede
Conti , eut auſſi lieu de s'applaudir des ſoins qu'il
prit pour plaire à la nombreuſe aſſemblée , dans
une fonate qu'il exécuta ſur le violoncelle. Mile
Morizet fut aufli accueillie dans le Confitebor tibi
Domine , de M. Milandre , qu'elle l'avoit été au
Concert du 20 de ce mois. M. Frentzl , premier
violon de S. A. S. l'Electeur Palatin , exécuta un
AVRIL 1768 . 201
, concetto de ſa compoſition , muſique ſavante
agréable , du plus grand effet , & dont l'exécution ,
après avoir autant étonné qu'enchanté les auditeurs
, leur a fait avouer que toutes les fineſſes
& tous les preſtiges de l'art , à quelque degré
qu'ils ſoient portés, n'ont droit d'affecter l'âmejul
qu'àun certain point qu'autant que le ſavant artiſte
a lui-même l'âme ſenſible. Un autre nouveau
motet à grand choeur , fait pour le ſujet du concours
, Super flumina Babylonis , a terminé le
concertde la façon la plus fatisfaiſante , & d'autant
plus flatteuſe pour l'auteur anonyme , qu'elle
préſageoit la certitude de ſon triomphe. Miles
Fel & Rozet , & MM. Gelin , Muguet & Narbonne
ont partagé les applaudiſſemensdu public.
Du dimanche , 27 mars .
Après la ſymphonie ordinaire on a chanté , pour
la ſeconde fois , le ſecond & grand motet Super
flumina Babylonis ; & , loin que les impreſſions
qu'il avoit laiſſées dans les eſprits fuſſent affoiblies
par certaines critiques , que l'on croit fondées
eu égartau ſens dans lequel l'Auteur a pris quelques
verſets du pſeaume , les connoiffeurs font
convenus d'y avoir découvert encore de nouvelles
beautés. M. Narbonne , de l'Académie Royale de
Muſique , chanta enſuite Afferte Domino , moter
à voix ſeule de le Febvre . M. Balbatre exécuta fur
Forgueun concerto de (a compoſition , c'est- à-dire ,
d'un très bon goût , & dont Fexécution , de ſa
part , eſt toujours préſumée digne de lui . MM.
Muguet & Durand chantèrent Cantemus , &c.
morer à deux voix & en duo de Mouret , & le
chantèrent bien. M. Frentzl exécuta un concerto
de la comportion , & prouva qu'il n'eſt pointde
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
difficultés qu'il ne puiffe franchir. Le troiſième
motet a grand choeur , pour le concours , Super
flumina Babylonis , qui terminace concert , offrit
aux connoilleurs d'allez grandes beautés , quoique
dans un autre genre que celles qu'il venoit d'applaudir
dans le précédent , pour obtenir un grand
nombre de fuffrages .
Mlle Defcoins , MM. Gélin & Muguet chantèrent
différens morceaux,
Du lundi, 28 mars .
On exécuta le De profundis , motet à grand
choeur de M. d'Auvergne , Surintendant de la
Muſique du Roi , dont nous avons rendu , dans.
le temps de la nouveauté , un compte favorable ,
& qui jamais ne fut conteſté. M. Salantin * , fils ,
exécuta , fur la Aûte , un concerto de M. Toeski ,
& réunit tous les fuffrages . M. Tirot chanta de
nouveau Coronate flores , & le public , à qui ſa
voix& fon talent font chers , prouva qu'il lui en
tenoit compte. M. Berthéaume , dans un concerto
de violon de ſa compoſition , & Mile Morizet
dans un motet a voix ſeule de M. Milandre ,
eurent également lieu d'en être ſatisfaits . Le Concert
fut terminé par Judica Domine nocentes me ,
nouveau motet du fécond & toujours eſtimable
Abbé Girouft.
Mlles Rozet & Defcoins , MM. Gélin , Muguet
, & l'inimitable chanteur pour la préciſion &
le goût , M. Richer , ont auffi chanté dans ce
Concert.
Du mardi , 29 .
On donna d'abord une très bonne ſymphonie,
* Ce jeune & très-étonnant Artiſte eſt élève de M.
Bureau.
AVRIL 1768. 20
deM. Monlinghem ; enſuite Superflumina Babylonis
, premier motet nouveau & à grand choeur ,
pour le concours , dont on jugea comme précédemment.
M. l'Abbé Robineau fut applaudi dans
unnouveau concerto de ſa compoſition. Mlle la
Madeleine , quoique avec la timidité preſque toujours
inſéparable de toute eſpèce de débuts , montra
aſſez de voix & de talens , dans le motet
Conferva me de M. Lefebvre , pour faire augurer
des plaiſirs qu'elle pourra nous procurer , & les
auditeurs le lui ont témoigné . Mile le Chantre
exécuta fur l'orgue un concerto de Vagenſeil d'une
façon ſupérieure & univerſellement ſentie. M.
l'Abbé le Vaffeur, dont nous avons annoncé le
talent , chanta enſuite un motet à voix ſeule de
M. l'Abbé Girouft. Le Concert finit par Super
flumina Babylonis , nouveau & troiſième motet ,
pour le concours , qui fut très-applaudi.
Mlles Fel , Rozet , & MM. Gelin , Muguet &
Narbonne chantèrent différens récits .
Ce jour même les Juges nommés pour adjuger
le prix du concours , informés que MM. les
Entrepreneurs avoient deſtiné un nouveau prix *
pour le troiſième motet, déclarèrent que M. l'Abbé
Giroust , Maître de Muſique de la cathédrale
d'Orléans , & auteur du ſecond ainſi que du
troiſième motet , quoique dans un genre trèsdifférent
, les avoit remportés tous les deux ; &
l'extrême équité de ce jugement , qui met le comble
à la gloiredu jeune & très-eftimable Muſicien,
eſtuniverſellement confirmée par les applaudiſſemens
du public.
* Cet acte de généroſité fait beaucoup d'honneur à
MM. les Entrepreneurs du Concert Spirituel , & ne peut
qu'exciter d'autant plus l'émulation des bons artiſtes .
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES.
A
De Warsovie , le 21 novembre 1767.
UJOURD'HUI l'importante affaire des Diffidens
a été entièrement conclue& fignée en leur
faveur. Eux & lesGrecs auront une égliſe en cette
capitale , des temples & des écoles dans tous les
diſtricts des provinces du Royaume & du grand
Duché de Lithuanie ; mais ils ne pourront en faire
conſtruire dans les villes qu'ils n'aient obtenu pour
cet effet un privilége du Roi : il ſera permis aux
nobles de leur accorder cette grace dans leursterres
reſpectives. De plus , les Diffidens & déſunis pourront
faire uſage de cloches & placer des orgues
dans leurs égliſes , faire adminiſtrer le baptême
à leurs enfans , ſe marier &donner la fépulture à
leurs morts , le tout ſuivant les cérémonies de
leur cuite & ſans le moindre obſtacle. Il a été
arrêté en outre, que les Diſſidens &Grecs déſunis,
nobles , feront admis au Sénat , à l'adminiſtration
, à la législation & à toutes les prérogatives ,
charges& honneurs de la République , ſur le pied
d'égalité & en commun avec les autres nobles
Catholiques , tant dans la Pologne que dans le
Duché de Lithuanie ; qu'ils ne ſeront plus nommés
Schifmatiques non unis ni Diffidens ; que leurs
Miniſtres feront appellés Curés & Pasteurs , & non
Prédicans ; que les biens confifqués fur euxjuf
AVRIL 1768 . 205
qu'en l'année 1717 reviendront aux propriétaires,
mais que quant à ceux qui leur ont été enlevés
depuis cette époque , il leur ſera libre de les réclamer
juridiquement; qu'il ſera établi une Commif
fron mixte pour juger leurs procès , & qu'il leur
fera permis de convoquer des ſynodes ſans la permiflion
des Evêques Catholiques , & fans dépendre
aucunement de leur confiſtoire ni jurisdiction ,
que l'ancienne loi , Rex Catholicus efto , ſera invariable
; qu'en conféquence la Religion Catholique
ſera toujours la dominante , & qu'aucune Reine
de Pologne ne ſera couronnée à moins qu'elle ne
foitCatholique.
Du 2 janvier 1768.
Les Catholiques & les Proteftans , également
mécontens de pluſieurs articles où l'on favoriſe
les Grecs déſunis au préjudice des uns & des autres,
en ſollicitent le redreſſement avec beaucoup de
vivacité.
4
Du 20.
Il a été réglé qu'il ſeroit accordé au Prince
Radziwille une penſion de 60000 florins à titre
dedédommagement , & qu'on lui rembourſeroit
environ trois millions prêtés par ſa famille à la
République.
De Ratisbonne , le 3 décembre 1767.
Le décret de Commiffion Impériale , concer
nant le traité d'échange & de limites , conclu
depuis long- temps entre le Roi de France & le
Prince de Naſſau- Saarbruck , fut porté à la Dictazure
le 23 dumois dernier. Sa Majeſté Impériale ,
206 MERCURE DE FRANCE.
avantde ratifier le traité , demande , parcedécrer ,
l'avis & l'approbation du Corps Germanique. En
conféquence , le Miniſtre de France a communiqué
ſur cet objet , aux Membres de la Diete , le
mémoire ſuivant .
La néceſſité de procéder à la fixation des
>> limites entre la France & l'Empire ayant été
>> reconnue , lors des préliminaires de paix con-
>>>clus à Vienne en 1735 , & les principes qui.
>> doivent diriger une opération auſſi ſalutaire y
>>>ayant été déterminés , les Etats intéreſſes ne
>> tardèrent pas à envoyer leurs Commiſſaires ref-
>> pectifs à Nancy , où les conférences furent
✓ entamées ; mais le décès de l'Empereur Char-
>>>les VI les interrompit. Le concours de diverſes
>> circonſtances ayant depuis empêché de les re-
>> prendre , le Roi & le Prince de Naſſau-Saar-
>>> bruck ſentant la néceſſité d'obvier aux diſcuſſions
>> désagréables & aux inconvéniens journaliers qui
>> réſultent du mêlange des poſſeſſions reſpectives
>> & de l'incertitude des droits des Souverains &
>>>des Sujets , ſoit par l'enclavement réciproque
>>> des territoires , ſoit par des poſſeſſions indiviſes,
>> nommèrent des Commiſſaires pour chercher
>> les moyens d'établir le bon voiſinage fur un
>> pied fixe & ſtable , & d'ôter aux Sujets reſpec-
>> tifs tout ſujet de haine & de querelle. Les deux
>> Parties ſe trouvant animées du même eſprit de
>> conciliation , leurs Commiffaires arrêtèrent
>> en 1760 , une convention proviſoire ; & , le 15
>>> février 1766 , ils conclurent une convention
>>>générale , qui fur ratifiée par le Roi le II mars
>>>ſ>uivant ,&par le Princede Naſſau-Saarbruck le
>> 20 février de la même année .
>> L'attention principale des Parties contractan-
>> tes a été de ſupprimer , par des échanges , les
AVCIL 1768 . 207
senclaves reſpectives & les poffeffions indiviſes,
>>Elles ſe ſont fait droit mutuellement ſur leurs
>>>prétentions , lorſqu'elles ont paru fondées , &
» elles ont éteint , par des renonciations , celles
» qui étoient équivoques ou deſtituées de preuves
>> ſuffisantes. La convention établit en outre des
>> régles pour la communication & pour l'avan-
>> tage réciproque des Sujets reſpectifs , entre
>> leſquels on a cherché à maintenir & à affermir
>> la paix & l'union dans tous les objets qui ont
>> paru capables de les troubler. On a pourvu à la
>> conſervationdes droits , poffeffions , priviléges ,
>> franchiſes & libertés d'élection de l'Abbaye
>> de Wadgaffen , qui doit paſſer ſous la domi-
>>> nation de la France. Le Roi s'est même
>>>porté , en conſidération du deſir que Sa Majeſté
> Impériale lui a fait témoigner , à affurer , par
› une déclaration formelle , aux Sujets de l'Em-
>> pire , la faculté & la capacité d'être admis dans
>> cette Abbaye , enfin l'on a pris desarrangemens ,
>> dont l'inſpection feule de la convention& de la
>>>carte topographique qui y eſt jointe , démontre
>>>la convenance réciproque , & qui préſente au
>>> Corps Germanique en général les mêmes avan-,
>> tages qui font aſſurés à la Maiſon de Naſſau .
>> Tels font les principes & les détails de cette
>> convention , que le Prince de Natlan-Saarbruck,
>>> après avoir obtenu le conſentement de ſes
>>>Agnats , a préſentée à l'Empereur des Romains
>> pour la ſoumettre à fon examen , & que Sa
>> Majesté Impériale a bien voulu porter , par un
>> décret de commiffion , à la connoiffance de
>> l'aflemblée générale des Etats de l'Empire. Le
>>Roi a lieu d'attendre des lumières & des diſpofi-
>> tions amicales des Electeurs , Princes & Etats ,
>>>qu'ils confirmeront ſans difficulté un arrange208
MERCURE DE FRANCE.
>>ment auffi ſalutaire&qu'ils y verront une preuve
> éclatante du defir que Sa Majesté a de vivre en
>>bonne intelligence avec le Corps Germanique ,
>> &de ne laiſſer ſubſiſter aucune occaſion de dif-
>> cuffion avec ceux de ſes Membres dont les pof-
>> ſeſſions font limitrophes de la France. Comme
>> le Roi eſt perfuadé que tous les Electeurs ,
>>>Princes & Etats de l'Empire ſont dans des fenti-
>> mens analogues aux fiens , Sa Majefté ſe flatte
>>>qu'ils s'empreſſeront à en donner une preuve
>> dans l'affaire qu'elle leur fait aujourd'hui recom-
> mander »
Par le traité dont il s'agit , le Prince de Naſſau-
Saarbruck céde à la France douze villages , en
échange deſquels cette Couronne lui en céde un
pareil nombre. Les bords de la rivière de Sarre
formeront les limites des deux Etats .
Du 10 janvier 1768 .
Le Miniſtre Directorial remit à la Dictature ,
vers la fin du mois dernier , le décret de ratification
par lequel Sa Majesté Impériale approuve le
choix que les Electeurs , Princes & Erats ont fait
du Prince Albert de Saxe , Duc de Teſchen , pour
remplir la place de Général Feld- Maréchal de
l'Empire , vacante par le mort du Comte Palatin ,
Prince de Deux- Ponts , & conſent que Son Alteſſe
Royale ſoit revêtue de ce grade.
De Mayence , le 14 décembre 1767 .
Ministre Plé-
LeMarquis d'Entraigues-Latis ,
nipotentiaire de Sa Majesté Très- Chrétienne auprès
de notre Electeur , eſt arrivé ici le 3 de ce mois.
Il a eu hier ſa première audience de Son Alteſſe
elctorale.
1
AVRIL 1768 . 209
De Manheim , le 4 janvier 1768 .
L'Electeur , notre Souverain , inſtitua , le premier
de ce mois , avec beaucoup de folemnité ,
un nouvel Ordre de Chevalerie ſous le nom de
l'Ordre du Lion-Palatin. Le grand cordon en eſt
bleu & blanc , avec la croix éreilée , ſemblable
àcelle de l'ordre de Marie-Thérése. Il ſera accordé
indifféremment à ceux qui ſe ſeront diftingués
par leur mérite dans les affaires civiles ou militaires
; & , ſuivant les ſtatuts , aucune perſonne
ne ſera dorénavant revêtue de celui de Saint Hubert
qu'elle n'ait été auparavant décorée du nouvel
Ordre.
De Coblentz , le 12 janvier 1768.
,
Jean Philippe de Walderdorff de Moelburg ,
Electeur de Trêves , eſt mort hier en cette ville
des ſuises de l'apoplexie dont il avoit été atteint il
y a quelque temps. Il étoit né le 26 mai 1701 ,
avoit été nommé Electeur & Archevêque de Trêves
le 18 janvier 1756 , & Evêque de Worms le 20
juillet 1763 .
De Rome , le 23 décembre 1767 .
Le Cardinal Serra , Légat à Ferrare , y eſt
mort le 14 de ce mois , âgé de ſoixante - un ans.
Cet événement fait vaquer un neuvième chapeau
dans le Sacré Collége , en comptant celui qui eſt
réſervé à la nomination du Roi de Portugal.
De Venise , le 2 janvier 1768.
Le Sénat ayant lieu de croire , d'après les infor
mations exactes qu'il s'eſt procurées, que le nommé
210 MERCURE DE FRANCE.
Stéphano , qui s'eſt fait un parti conſidérable dans
la province de Montenero , n'est qu'un impoſteur ,
amis ſa tête à prix & a promis cent cinquante
ſequins à quiconque le livreroit mort ou vif.
De Londres , les janvier 1768 .
On a imprimé ici , dans un papier public , la
copie du traité de commerce & d'amitié conclu
dernièrement entre le Roi & l'Impératrice de
Ruſſie. Ce traité , qui contient vingt-fix articles ,
porte en ſubſtance qu'il y aura pour toujours ,
entre la Couronne de la Grande Bretagne d'un
côté , & la Couronne de toutes les Ruſſies de l'autre
, comme auſſi entre les Etats , Pays, Royaumes ,
Domaines &Territoires de leur obéiffance , une
paix , amitié & bonne intelligence , vraie , fincère,
ferme& parfaite , leſquelles feront inviolablement
obſervées , tant par mer que par terre , & que les
ſujets des deux Couronnes auront une entière li.
bertéde navigation & de commerce dans tous leurs
Etats , fitués en Europe , où la navigation & le
commerce ſont permis actuellement ou le ſerontà
l'avenir.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
De Versailles , le 16 décembre 1767 .
Le Roi a donné l'Abbaye de Montigny , Ordre
de Sainte Claire , diocèſe de Besançon , à la Dame
d'Orimeſſon , Chanoineſſe de la même Abbaye.
Leurs Majeſtés & la Famille Royale ont ſigné ,
le 29 du mois dernier , le contrat de mariage du
fieur Blanchard de Changy , Ecuyer ordinaire du
Roi , avec Demoiſelle Charron .
AVRIL 1768. 211
Du 19 .
Le 16 de ce mois , fêre de Saint Lazare , les
Grands Officiers , Commandeurs & Chevaliers des
Ordres Royaux , Militaires & Hofpitaliers de
Notre-Dame de Mont-Carmel & de Saint Lazare
de Jérufalem , s'étant aſſemblés en habits de cérémonie
de ces Ordres , vers les dix heures du matin,
dans une des ſalles des Miffionnaires Deffervans
de l'égliſe royale & paroiffiale de Saint Louis de
cette ville, Monſeigneur le Dauphin , Grand-
Maître deſdits Ordres , tint chapitre pour l'admiffion
du fieur Joſeph-Bernard de Chabert , Chevalier
de l'Ordre de Saint Louis , Capitaine des
Frégates du Roi & Membre de l'Académie Royalə
des Sciences , en qualité de Chevalier , & des
ſieurs Paſquet de Salaignac , d'Artigues d'Offlaux ,
de Bonneau de Montaufier , de Valory , Deffoffy ,
Loubac de Bohan , de Laumoy & le Metaër ,
Elèves de l'Ecole Royale Militaire , & à préſent
Officiers dans différens Corps des troupes de Sa
Majesté , en qualité de Chevaliers novices. Après
avoir admis leurs preuves & leur information de
vie & moeurs , Monſeigneur le Dauphin fit proclamer
, par le Hérault de l'Ordre , à la porte du
chapitre , l'admiſſion qui venoit d'être faite , tant
du nouveau Chevalier que des nouveaux Chevaliers
novices ; après quoi l'Ordre ſe mit en marche
pour ſe rendre à l'égliſe en la manière ſuivante :
le Hérault de l'Ordre ; les huit futurs Chevaliers
novices ; le Chevalier récipiendaire ; les Chevaliers
de l'Ordre ; les Grands Officiers ; le Comte
de Saint- Florentin , Vice-Gérent & Adminiftrateurgénéral
de l'Ordre ; Monfeigneur de Dauphin ,
Grand-Maître , ayant à ſes côtés les deux Huif
212 MERCURE DE FRANCE .
fiers des Ordres portans leurs maſſes ; la ſuite
deMonſeigneur le Dauphin, & les Commandeurs
Eccléſiaſtiques . Après la meile , qui fut célébrée
par l'Evêque de Condom , Commandeur Eccléſiaſtique
deſdits Ordres , & chantée par la Muſique
de la Chapelledu Roi , Monſeigneur le Dauphin ,
accompagné du Comte de Saint- Florentin & des
Grands Officiers de l'Ordre , ſe plaça ſous le
dais qui lui avoit été préparé , & reçut ſeul le ſieur
de Chabert , qui fit ſa profeſſion & l'émiffion de
ſes voeux. Les huit Elèves de l'Ecole Royale Militaire
furent reçus enfuite Chevaliers novices , &
eurent , ainſi que le nouveau Chevalier , l'honneur
de baifer la main du Prince Grand- Maître , en
figne d'obédience. Après la cérémonie , Monſeigneur
le Dauphin fut reconduit à fon carroſſedans
le même ordre qu'à ſon entrée dans l'égliſe .
Le Roi ayant accordé au Prince d'Enrichemont
les honneurs du Louvre , & lui ayant permis de
prendre le titre de Duc de Sully , le Duc de Sully,
fon père, a pris le nom de Duc de Béthune. Le
isla Duchelle de Sully prit le tabouret chez la
Reine.
AVIS SALUTAIRE.
LETTRE à M. DE LA PLACE , auteur du
Mercure de France.
V
OTRE Journal , Monfieur , eſtſi généralement
répandu , que les particuliers le regardent
comme l'organe qui eſt le plus agréable au public
lorſqu'on veut lui faire paſſer des inftructions.
AVRIL 1768. 213
Permettez- moi donc , Monfieur , de profiter de
cet avantage pour répondre à quelques queſtions
qu'on m'a faites au ſujet du Chocolat Oriental ,
que vous avez bien voulu annoncer dans votre
Mercure du mois de décembre de l'année dernière.
On me demande ſi les enfans peuvent , fans
danger , faire uſage de ce Chocolat. Il eſt facile
d'y répondre , & de lever tous les ſcrupules , en
renvoyant fimplement aux perſonnes qui en ont
déja fait l'expérience. On apprendra d'elles que
la digestion de cette nourriture ſe fait par tous
les eſtomachs , les plus foibles même , & les
plus pareſſeux , & qu'elle rétablit les différentes
fonctions de la machine animale , dont elle opère
enſuite l'heureux accord. On peut donc aflûrément
adminiſtrer ce Chocolat fi bienfaiſant & fi
doux aux perſonnes de tout âge& de tout ſexe . Il
faut ſeulement obſerver qu'on ne doit donner aux
enfans que la moitié de la doſe indiquée dans le
mémoire inſtructifque le ſieur Rouffel, Marchand
Epicier dans l'Abbaye Saint Germain , joint à
chaque bouteille du Chocolat Oriental , dont il eſt
ſeul diſtributeur ; c'est- à-dire , qu'au lieu d'une
demi-once ou d'une pleine cuillerée à bouche
dont chaque priſe doit être compoſée pour les
adultes , il n'en faut employer , pour les enfans ,
qu'une cuillerée à caffé ou deux gros délayés dans
undemi- ſeptier d'eau bouillante.
Comme cette nourriture mérite certainement
la préférence ſur toutes celles qu'on permet aux
malades , les enfans ou les adultes qui ſeroient
dans ce cas pourroient , aux heures qu'un Médecin
éclairé jugeroit convenables , la ſubſtituer aux
alimensdont onleur permettroit l'uſage, en réduiſant
toute fois la doſe ordinaire à celle d'un gros ,
214 MERCURE DE FRANCE.
que l'on délayeroit auſſi dans la même quantité
d'eau.
On infère aisément , Monfieur , des détails où
je viens d'entrer , que le Chocolat Oriental doit,
naturellement convenir à ces enfans malheureux
qui fe feront abandonnés , fans en ſavoir les conféquences
, aux plaiſirs trop précoces. Ceux qui
defireront une plus ample inſtruction pourront
la trouver dans l'excellent livre que M. Tiffot ,
célèbre & favant Médecin , a publié ſous le titre
de l'onaniſme , & qui ſe vend rue Saint- Jacques ,
chez Cavelier. lis y verront une peinture aufſſi
fidèle qu'effrayante des maux auxquels des épuifemens
de cette nature expoſent néceflairement ,
quelles en font les ſuites terribles , & quelquefois
biſarres dans leurs effets : il eſt certainque
pour réparer des malheurs fi funeftes , & les
prévenir , on ne peut trouver un meilleur reſtaurant
, ni qui foit auffi efficace.
Les bornes d'une lettre ne me permettant pas
de répondre à d'autres queſtions qu'on m'a faites
fur le même objet , je les réſerve , ſous votre
agrément , aux Mercures des mois ſuivans.
Je ſuis , Monfieur , votre , &c.
FA
APPROBATI0N.
'AI lu , par ordre de Monſeigneur le Vice-
Chancelier , le premier volume du Mercure du
mois d'avril 1768 , & je n'y ai rien trouvé qui
puiile en empêcher l'impreſſion. A Paris , le 2
avril 1768.
3
GUIROY.
215 MERCURE DE FRANCE.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
0 DE contre l'athéiſme. Pages
VERS à une jeune Demoiselle. II
EPITRE à M. André de Schouvalow , Chambellan
de S. M. l'Impératrice de toutes les Ruffies . 12
LETTRE à M. de la Place. 16
Les malheurs d'autrui ſont- ils un motifde confolation
pour les malheureux ? 17
ODE. La Reconnoiffance Lorraine . 21
GLYCÈRE à Amaryllis , qui lui avoit enlevé fon
amant.
31
A Mile H***. en lui envoyant un recueil de
Le plaifir d'être père. Chanſon.
chanfons choiſies , écrites par l'auteur.
L'AMITIÉ trahie , nouvelle françoiſe.
AM. B ... de G. Chanfon .
COUPLETS ſur la comédie des Moiſſonneurs. 63
35.
Ibid.
37
62
VERS à M. Dorat. 64
AM. G ***. fur ſon opéra-comique. 65
L'Echo du public. Chanfon. Ibid.
BEL exemple de bienfaiſance, 66
Les quatre nouvelles béatitudes. 71
La main de Scévola. 73
Un joune écolier à ſon père , le jour de l'an . 74
ENIGMES.
75
LOGOGRYPHES , 76
CHANSON. BI
216 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II . NOUVELLES LITTERAIRES.
L'UNI -CLÉFIER Muſical , pour ſervir de fupplément
au Traité général des élémens du chant. 82
MÉDECINE rurale & pratique , tirée uniquement
des plantes uſuelles de la France .
TRAITÉ des principaux objets de médecine. 94
ANNONCES de Livres .
१०
104
ARTICLE 111. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
ACADÉMIES.
ECOLE Royale Vétérinaire de Paris. 138
A l'AUTEUR du Mercure , fur le même ſujet. 144
SUJETS propofés par l'Académie Royale des
Sciences & Beaux Arts de Pau. 145
PRIX propoſé par l'Académie Royale des Sciences
&des Arts de la ville de Metz.
LETTRE à M. de la Place.
MATHÉMATIQUES.
HISTOIRE naturelle .
EDUCATION,
ARTICLE IV. BEAUX - ARTS .
ARTS UTILES.
146
149
152
154
157
GEOGRAPHIE - GRAVURE. 162
ECRITURE . 165
ARTS AGRÉABLES.
GRAVURE. 168
ARTICLE V. SPECTACLES .
OPÉRA. 175
COMÉDIE Françoiſe . 178
COMÉDIE Italienne . 191
SUPPLÉMENT à l'article des ſpectacles. Ibid.
CONCERT Spirituel. 198
ARTICLE VI . NOUVELLES POLITIQUES .
De Warfovie , &c. 204
Avis ſalutaire . 212
De l'Imprimerie de LOUIS CELLOT, rue Dauphine
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU RΟΙ.
AVRIL 1768 .
SECOND VOLUME.
Diverſité , c'est ma deviſe. La Fontaine.
Coalim
Silius inv.
りは、
A PARIS ,
JORRY , vis- à- vis la Comédie Françoife.
PRAULT , quai de Conti.
Chez DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue du Foin.
CELLOT , Imprimeur, rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilege du Roi


AVERTISSEMENT.
LE
1
E Bureau du Mercure est chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier - Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
د
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer ,
francs de port , les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie littéraire ,
àM. DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
Leprix de chaque volume eft de 36fols ;
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant,
que 24 livres pour ſeize volumes ,
à raison de 30fols piece.
Les personnes de province auxquelles
on enverra le Mercure par la Poste ,
payeront pour ſeize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront d'autres voies que
la Poste pour le faire venir , & qui pren.
dront les frais du port fur leur compte ,
ne payeront , comme à Paris , qu'à raiſon
de 30 fols par volume , c'est- à- dire , 24 liv.
d'avance , en s'abonnant pourſeize volumes.
A ij
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreſſe ci- deffus.
On fupplie les personnes des provinces
d'envoyerpar la Poſte , en payant le droit ,
leurs ordres , afin que le paiement enfoit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis
refteront au rebut.
On prie les personnes qui envoient des
Livres , Estampes & Muſique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Lesvolumesdu nouveau Choix des Pièces
tirées des Mercures & autres Journaux,par
M. DE LA PLACE , ſe trouvent auſſi au
Bureau du Mercure. Cette collection eft
compoſée de cent huit volumes. On en a
fait une Table générale , par laquelle ce
Recueil eft terminé ; les Journaux ne
fourniſſant plus un aſſez grand nombre de
pièces pour le continuer. Cette Table ſe
vend ſéparément au même Bureau , où
l'on pourra ſe procurer deux collections
complettes qui reſtent encore.
MERCURE
DE FRANCE .
AVRIL 1768.
ARTICLE PREMIER .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ESSAI ſur l'art de traduire en vers : traduit
de l'anglois , du Comte DE ROSCOMON.
HEUREUX le ſage auteur (1 )dont la Muſe au
Parnaſſe ,
Pour nous dicter des loix , marche à côté d'Horace!
(1 ) Jean Scheffield, Duc de Buckingham. Il
A iij
MERCURE DE FRANCE....
Heureux vous que le ſort fit naître pour les arts ;
Qui ſuivez d'Apollon les ſacrés étendarts ,
Ec, foumis aux rigueurs d'un pénible exercice ,
Apprîtes à combattre avant d'entrer en lice !
Je vois contre notre âge éclater en mépris ,
Et la preſſe & la chaire , & le théâtre unis .
Réprimons ces clameurs dont la raiſon s'irrite,
Du peu que nous avons connoiſſons le mérite.
Quel peuple , mieux que nous , par de ſavans
efforts,
T
Des Grecs & des Romains s'eſt acquis les tréſors ?
Cesarbresqu'en nos champs tranſplanta la ſcience,
Déja couverts de fleurs flattent notre eſpérance.
Nos coeurs du tendre Ovide écoutent les leçons,
Et la nature céde à ſes impreffions .
Théocrite eſt à nous': les rochers de notre ifle
Répétent les chanfons des bergers de Sicile.
(2)Qui ne fait , en ces lieux , quels illuſtres deſtins
Des autres nations diftinguent les Latins ?
eſt auteur d'un eſſai fur la poéfie. Cet ouvrage &
celui que je traduis ſont à peu- près tout ce que les
Anglois ont de meilleur à oppoſer à l'art poétique
de Boileau : on peut y joindre l'Effai ſur la
critique de l'illuſtre Pope'; tous ces ouvrages ,
pleins d'idées & de poéfie , péchent tous par le
défaut de méthode , ce qui les mettra toujours
au-deſſous de celui du poëte François.
( 2 ) Sed neque Medorum filva , ditiffima terra
AVRIL 1768 . 7
(3 ) Gallus, aux doux accens de fa voixgémiſſante,
Toucheroit aujourd'hui ſon infidèle amante.
(4) Daphnis , ſans être émus, nous ne liſons jamais
Les vers que ſur ta tombe ont gravé les regrets.
De quels nobles accords retentiſlent ces rives ?
(5 ) L'Eglogue ajoute un luſtre à ſes grâces naïves
Pour chanter dignement l'âge de la vertu :
Notre Appollon triomphe , & fon régne eſt venu.
Quand la France étouffant ſes diſcordes fatales ,
Eutcouronné ſon front de palmes triomphales ;
Cultivé par la paix , fous un Roi généreux ,
Le ſavoir déploya ſes rameaux vigoureux ,
Et de l'antiquité les précieux modèles ,
Dûrent un nouvel être à des plumes fidèles.
L'Europe même encor doit ſes nouveaux ſuccès,
A l'exemple ſavant des traducteurs François,
C'eſt de là que l'on vit la jaloufe Angleterre ,
Rivale de la France , entrer dans la carrière.
Mais de plus beaux chemins aujourd'hui ſont
<
ouverts ,
4
Nous apprenons à tous l'art de traduire en vers,
১.
Nec pulcher Ganges , atque auro turbidus hermus
Laudibus Italia certent. Georg . liv, 2 .
( 3 ) Virgile , églogue 10.
(4) Eglog. 5 .
(5 ) Eglog. 6 .
:
Aiv
8 MERCURE DE FRANCE.
Ce n'eſt que dans les vers qu'on peut des vers
d'Horace
Conſerver la clarté , l'harmonie & la grace.
La proſe le dégrade , & ſes pinceaux trompeurs
Prêtent à ſes tableaux d'infidèles couleurs .
Elle peut expoſer l'étoffe à notre vue ,
Mais non pas le talent des mains qui l'ont tiſſue.
Moi-même , qui le ſers depuis plus de vingt ans ,
Je méconnois mon maître à ces déguiſemens.
(6) C'eſt en vain , à mon gré , que le François
eſpère
Parcourir avec nous cette noble carrière.
Si le fuccès n'a pu couronner ſes efforts ,
On ne doit qu'à ſa langue en donner tous les torts.
Abondante , fleurie , élégante , flatteuſe ,
Souvent plus que la nôtre elle eſt harmonieuſe ;
Mais qui trouva jamais dans les auteurs françois
Le taſſu reſſerré de notre nerf anglois ?
( 6 ) Rien de mieux fondé que ce reproche. De
toutes les langues vivantes de l'Europe , la langue
françoiſe eſt celle qui ſe rapproche le moins , par
fon génie, des langues mortes. L'anglois & l'italien
emploient une infinité de conſtructions &
d'inverſions latines . Chapelain , Ménage , Desmarêts
ont fait d'aſſez bons vers italiens ,& n'ont rien
laiffé de ſupportable dans leur langue. Quand on
parviendroit à faire une bonne traduction d'un
poëte latin , elle prouveroit moins la richeſſe de
notre langue que les talens de l'ouvrier.
AVRIL 1768 . 9
,
L'or d'un ſeul de nos vers ſoumis à leur filière ,
Couvriroit de clinquant toute une page entière.
Sincère , exempt de fiel , j'expoſe mon avis
Et cours me rétracter ſi-tôt qu'en leurs écrits
Je verrai cette touche & préciſe & ſévère ,
Qui fait du ſtyle anglois le premier caractère.
Traduire , je l'avoue , eſt moins beau qu'inventer ;
Mais l'art du traducteur est- il à rejetter ?
Par un autre , il eſt vrai , votre route eſt tracée ;
Mais ſous un joug de fer on tient votre penſée.
Il faut , pour embellir un ouvrage étranger ,
Imaginer très-peu , mais ſavoir bien juger,
Des champs où doit germer l'aimable poéſie ,
Ecartez les chardons de la pédanterie.
Le Parnaſſe s'émeut , le Dieu des vers frémit
Aux barbares accens que l'école vomit :
Et , pour être goûtée , il faut que la ſcience
Couvre ſes traits groſſiers des fleurs de l'élégance.
Votre premier devoir , ( l'écueil eſt dangereux ! )
C'eſt de vous faire en vous un juge rigoureux ,
De fuir d'un fol orgueil les perfides amorces ,
D'analiſer votre âme & de ſonder ſes forces .
Un ſot qui n'a pour ſoi que des yeux prévenus ,
Prend l'effor en Virgile & tombe en Mevius ;
Cet auteur , en dépit de ſa muſe ignorée ,
Vit aux faſtes du temps ſa honte conſacrée ,
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
Pour avoir célébré , dans ſes vers amponlés ,
Du ſuperbe Ilion les remparts écroulés.
Si je dois de ma muſe en croire les oracles ,
C'eſt lui de qui la voix annonçant des miracles
Des aſſiſtans trompés recueille les mépris ,
Quand la montagne enfante , ( ô monftre ! ) une
fouris.
* Entendez-vous gémir l'athlète de Crotone,?
Mortels préſomptueux , que ſon ſort vous étonne.
Ses téméraires mains , par d'impuiſſans efforts ,
Du bois qui les retient repouſſent les refforts.
Chacun a ſon talent : un auteur veut inſtruire ,
Un autre aime à louer , un troiſième à médire.
Flaccus n'aſpira point aux lauriers de Maron,
Et Virgile , à fon tour , du tendre Anacréon ,
Dédaigna d'imiter les ſimples chanſonnettes.
Suivez tous vos penchans dans leurs routesſecrettes,
Puis cherchez un auteur comme on cherche un
ami.
Le noeud qui vous ratſemble eſtbientôt affermi,
Et de vos paffions l'heureuſe ſympathie ,
Tient votre âme à la ſienne intimément unie:
Vous n'êtes plus enfin l'écho de ſes accens ,
Mais un autre lui-même , & fenti par ſes ſens.
Qu'aiſément l'on féduit une muſe novice !
Sa foibleſſe eſt en bute aux traits charmans duvice.
AVRIL 1768 . 11
Dès les plus jeunes ans que vos ſoins affidus ,
De ſon coeur tendre & pur cultivent les vertus ,
L'impreffion première y pénétre , y demeure :
Qu'ainſi que la plus forte elle ſoit la meilleure.
Gardez de l'aſſervir au frein de la rigueur ,
Mais d'aucun mot impur n'alarmez ſa pudeur.
Repouſſez les appas que l'orgueil lui préſente.
Renverſez des flatteurs la coupe ſéduiſante.
Que toujours l'innocence & l'ingénuité ,
Faiſent briller ſon front de leur douce clarté.
Veillez ſur tous ſes pas. Si-tôt qu'elle eſt coupable,
De ſes égaremens vous êtes reſponſable.
Rien ne peut excuſer les termes indécens :
Manquer d'honnêteté, c'eſt manquer de bon ſens .
Et quelhomme voudroit hanter des lieux infames,
Quand il peut , par ſes ſoins , toucher d'honnêtes
femmes?
Il eſt tant de ſujets ! Il faut vous confulter ,
Et favoir en prendre un que vous puiſſiez traiter ;
Grand, moral, digne en toutde la voix d'un poëte :
La honte eſt le ſeul prix qu'un mauvais choix
s'apprête .
Que , profanant ſon art dans tous les carrefours ,
Un peintre aille imiter & les boeufs & les ours
Et les tableaux groſſiers pendus à la muraille ,
Qui font au cabaret aſſembler la canaille ;
Il eſt hué , fiftlé d'une commune voix.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Mais ce n'eſt pas aſſez d'avoir fait un bon choix?
En rendant votre auteur il faut ſonger à plaire,
D'un objet dégoûtant la peinture vulgaire ,
( On en pourroit citer mille exemples récens )
Et déplaît à l'eſprit & révolte les ſens.
Faites connoître au monde avec quel art Virgile
Sut mêler dans ſes vers l'agréable à l'utile ;
Votre fiècle , charmé de ſes tableaux , vrais ,
grands ,
Joint la reconnoiſſance aux applaudiſſemens.
Bien ou mal imité , le bas ne fauroit plaire :
Et quoiqu'allaiſonnés par le divin Homère ,
Les inteſtins ſacrés font ſoulever nos coeurs..
Mars & Vénus bleſſés , des héros froids railleurs ,
Font croire ſon ſommeil près de la léthargie.
Mais c'en est trop : Virgile indigné ſe récrie :
Flaccus lance ſur moi des regards de fureur.
Déja le front chargé d'une vive rougeur ,
Ma mule plus ſoumiſe , inſtruite en leur école ,
Avec eux, en tremblant , encenſe cette idole.
:
I
AVRIL 1768. 13
Q
ODE.
UE les Rousseaux & les Malherbes
S'élançant au plus haut des cieux ,
Chantent ſur leurs lyres ſuperbes
Les rois , les héros & les dieux ;
Pour moi , qui n'ai qu'une mufette ,
Je la conſacre à ma Jeannette :
L'Amour ſera mon Apollon.
Volez , ma muſe , allez pour elle ,
Cueillir une roſe nouvelle ,
Dans les jardins de l'Hélicon .
Accourez , déités champêtres ,
Quittez les rochers & les bois ;
Venez à l'ombre de ces hêtres
Unir vos accens à ma voix :
Chantez avec moi ma bergère ;
Que tout en ces lieux pour lui plaire ,
S'anime au bruit de nos concerts.
Amour , ſeconde mon envie;
Prête ta flamme à mon génie ,
Prête tes charmes à mes vers !
Guidé par un fougueux courage ,
Du trépas bravant les horreurs ,
Le guerrier , au ſein du carnage ,
Cherche la gloire & les honneurs

4 MERCURE DE FRANCE.
<
Affrontant les vents & Neptune ,
L'avare poursuit la fortune
Sur les bords d'un autre univers.
Ces grands à qui l'on porte envie ,
Conſument triſtement leur vie
A former cent projets divers.
On fuit des lueurs paſſagères ,
Dont l'éclat eſt toujours trompeur ;
On ſacrifie à des chimères ,
Des jours deſtinés au bonheur .
Pour moi , loin du fracas des armes ,
Sans ſoins , ſans defirs , fans alarmes ,
Je coule les plus heureux jours ;
Ma liberté fait ma richeſſe ,
Ma grandeur eſt dans la ſageſſe ,
Et mon bonheur dans mes amours .
Par M. A. B ***. de Lyon .
LES SAISONS DE L'AMOUR.
Vous qui du dieu de la tendreſſe ,
Deſirez éprouver les traits ;
Conſacrez- lui votre jeuneſſe ,
Ou renoncez - y pour jamais.
11 n'offre aux coeurs glacés par l'âge ,
Que des rebuts & du tourment :
AVRIL 1768 .
Un rofier nous offre l'image
De ce dieu cruel & charmant.
Décoré de fleurs éclatantes ,
Le rofier nous charme au printemps ;
Mais de ces parures brillantes ,
Il ſe dépouille en peu de temps.
L'été lui porte un coup funeſte ,
En automne il eſt aux abois ,
Etdans l'hiver il ne lui reſte
Que les épines & le bois .
1
Par le même.
U
FABLE.
)
N petit Seigneur de village ,
De ces Meffieurs dont les propos
Roulent toujours ſur leurs châteaux ,
Qu'ils vantent avec étalage ;
Enfin un mince perſonnage ,
Du plus fot orgueil enyvré ,
Eut querelle avec fon Curé ,
Pour un droit d'honneur & d'uſage .
Je prétends , diſoit Monseigneur ,
Étre ici la première tête ;
Et je veux tous les jours de fête
Du goupillon avoir l'honneur ;
:
16 MERCURE DE FRANCE.
Quand vous afpergez à la meſſe ,
Il faut que mon Curé s'empreſſe
D'aſperger d'abord ma grandeur.
Vous en aurez tout à votre aiſe ,
Répartit le ſage Curé.
Deux jours après venoit la Saint André.
Quand mon homme au choeur fut entré ,
Et ſe fut placé ſur ſa chaiſe ;
Le Curé vient à lui tout le premier,
Avec le vâſe d'eau ſalée ,
Et ſur ſa figure hâlée
Lui renverſe le bénitier.
Voilà Monſeigneur en colère.
Nouveaux débats , nouvelle affaire ;
Cauſe plaidée en pleine Cour ,
Cauſe ſouvent examinée ,
Mais remiſe de jour en jour ,
Et long-temps au palais traînée ;
Procès enfin malencontreux ,
Qui les ruina tous les deux.
C'eſt à vous , Seigneurs de village ,
A tirer la conclufion .
Voilà ce que produit la folle ambition.
Chacun dans ſon état veut faire du tapage !
AVRIL 1768. 17
A M. FENOUILLOT DE FALBAIRE , &
l'occafion de fon drame intitulé , l'Honnête
criminel .
VOTRE muſe attendrit mon âme ;
Elle eſt fille du ſentiment.
Vous le peignez ſi vivement ,
Que l'on voit bien qu'il vous enflâme.
Des vertus & de la candeur ,
Tous vos vers font les interprètes ,
Et les ouvrages que vous faites ,
Ont l'empreinte de votre coeur .
Par M. DE C***.
VERS à Mde ***. fur la promotion de
M. le M. DE B ***.
SI la fortune nous diſpenſe .
Les attributs de la grandeur ,
Ce n'eſt ſouvent qu'une faveur ,
Mais pour B ***. c'eſt récompenfe.
Au plus digne des potentats
J'accorde avectranſport mon reſpect, matendreſſex
Lorſque ſon équité s'empreſſe
D'élever un héros , l'appui de ſes Etats ,
18 MERCURE DE FRANCE.
Je crois voir l'auguſte Sageſſe
Couronner le Dieu des combats.
3 J'entends la voix de la patrie ,
Qui préconife & ratifie
Les honneurs accordés au rival des Cefars ,
Dont la noble valeur aux vertus réunie ,
Paroît avoir été nourrie
Des fublimes leçons & ſous les étendarts
Des Duguefclins & des Bayards.
Jeune C ***. quelle eſt la gloire
Dont le fort vous environna !
Le père qui vous adopta ,
Eſt proclamé par la victoire ;
* Celui qui vous donna le jour :
Porte fon tribut tour à tour
१.
Aux autels des neuf foeurs & de la politique.
Diſpenſateur de leurs tréſors ,
Il fait mouvoir tous les refforts
De la félicité publique.
C'eſt de tous les talens qu'il fait prendre le ton :
S'il chante c'eſt Anacreon ,
C'eſt Montesquieu s'il négocie ;
D'une main tenant Polymnie ,
De l'autre il enchaîne avec art
Le redoutable léopard.
C***. vous révérez ſur des têtes ſi chères
Des lauriers que la gloire aura ſoin de nourrir.
* M. le D. de N ***.
AVRIL 1768 . 19
:
Mais qu'avez-vous beſoin des palmes de vos pères,
Puiſque vous en ſavez cueillir ?
Sans vouloir triompher on vous voit conquérir ;
Vos victoires en ſont plus belles :
Des grâces vous avez appris
A fubjuguer les coeurs rebelles ,
Apollon vous enſeigne à charmer les eſprits.
Par M. l'Abbé T***. Chanoine
de l'Eglise de Besançon.
LAS CUENTAS DEL GRAN CAPITAN .
LES Comptes du grand Capitaine , comédie
de Don JOSEPH DE CANISARÈS.

I L ne faut point chercher dans lesdrames
des meilleurs auteurs Eſpagnols l'obfervation
des régles que nous avons adoptées ,
ni la vraiſemblance que nous defirons
trouver dans les événemens ; mais on y
découvre un fonds de génie qui ne fouffre
nulle contrainte , des caractères fiers rendus
avec une énergie particulière à la langue ,
& ſouventdes faits giganteſques qui n'ont
cependant pas toujours été hors de la
nature chez un peuple brave , vif , fpirituel
, & ami du merveilleux. Son hiſtoire
:
20 MERCURE DE FRANCE.
fourmille de traits qui paroiſſent fabuleux ,
& qui font atteſtés & conſacrés par des
traditions ſi authentiques , qu'on eſt forcé
d'y ajouter quelque degré de croyance.
Leurs romances de toute antiquité , qui
font partie de leurs archives , les monumens
ſubſiſtans qui s'y rapportent , le témoignage
des hiſtoriens , tout s'accorde
à fournir différens genres de preuves dont
il réſulte des probabilités pour nous , qui
font pour cette nation des certitudes indubitables.
Ces faits extraordinaires ont produit
une quantité immenſe de ſituations dramatiques.
Les auteurs de ces poëmes ne
ſe ſont jamais mis en peine de diſpoſer
un ſujet. Ils ont entaffé les fairs , mis en
ſcène les perſonnages , & les événemens
en action. La vie entière d'un homme ,
tout le régne d'un Roi , ſouvent la durée
de pluſieurs générations , forment la ma- .
tière d'une comédie.
Celle dont je vais vous extraire quelques
traits n'eſt pas entièrement de ce
genre. Le fondement de ce drame tient
à l'hiſtoire d'Eſpagne . Sous le régne de
Ferdinand le Catholique , qui gouvernoit
conjointement avec Philippe , fon
gendre, Don Gonzalo de Cordoue , Duc
de Seffe , fut en effet ſurnommé le
Grand Capitaine. C'étoit un Général qui
AVRIL 1768.. 21
:
entendoit très-bien la guerre , mais dont
le génie inquiet donna beaucoup d'exercice
à la politique de Ferdinand. Ce n'étoit
pas fans prétexte ſpécieux qu'il fut
accuſé en diverſes occaſions d'avoir traité
avec les Princes ennemis de ſon maître. Il
étoit néceſſaire , commandoit au-delà des
mers , connoiſſant ſa réputation& fes forces,
& par conféquent ſujet auſſi incommode
qu'utile. Il ne paroît cependant pas
prouvé qu'il ait ſuccombé aux tentations
de l'ambition ; mais Ferdinand , qui fut
ſouvent einbarraſſé dans les différens
aſpects ſous leſquels les affaires de l'Italie
ſe préſentoient par la conduite ou les
intrigues du grand Capitaine , employa
enfin l'adreſſe pour le tirer du Royaume
de Naples , où il eût été trop difficile de
le réprimer s'il ſe fût ouvertement révolté.
Le caractère que Canizarès a donné à
ceGénéral , a quelque choſede ſi noble ,
de ſi franc , de ſi généreux , qu'on eſt
entraîné à s'intéreſſer aux ſituations dans
leſquelles il ſe trouve , & forcé d'applaudirà
la ſupériorité avec laquelle il traite
-fes ennemis. J'ai écarté les petites circonftances
d'une intrigue d'amour mal filée
durant toute la pièce , & tout le remplifſagedes
bouffons , qui font très uniformes
&encore plus infipides au théâtre Eſpa1
22 MERCURE DE FRANCE.
:
gnol , & ne me ſuis attaché qu'à faire
connoître le héros , qui m'a paru digne
d'attention.
Il n'y a rien de plus ingénieux que la
tournure que l'auteur a priſe pour efquiffer
ce caractère. Deux traits de maître en font
les frais .
Il eſt Vice-Roi de Naples. On lui préſente
diverſes requêtes. Un Soldat , entre
autres , lui demande quelque argent ,
parce que , dit-il , ſa paie n'eſt pas ſuffifante
, & vient lentement. Ce n'eſt pas-là
la raiſon, lui dit Gonzalès , c'eſt le jeu
qui vous dérange. Je fais que vous êtes
bon foldat, dites vrai , vous avez joué &
perdu ? J'en conviens , répond franchement
le Soldat : un Irlandois m'a gagné
mon argent , & il y va de mon honneur
de le payer. Cela eſt juſte , dit Gonzales :
un Eſpagnol , qui fert un grand Monarque;
ne peut manquer à fon honneur.
Pour toute autre occaſion je vous refuſerois.
Prenez cet argent & allez vous acquitrer.
Ne croyez pas que ce ſoit de la caiffe
du Roi ; ce n'eſt pas à lui qu'il en doit
coûter ſi je tolère que ſes Soldats jouent.
LeSoldat reconnoiffant fe retire en comblant
fon Général de bénédictions , & lui
offrant mille vies s'il étoit poflible. Etonnante
nation ! s'écrie Gonzalès , ya-t- il
AVRIL 1768 . 23
rien de fi touchant & de ſi riſible à la
fois que de voir un Soldat qui ſe pique
d'honneur & n'a pas de quoi ſe couvrir ;
qui fait mourir de faim plutôt que de
renoncer à ſa fierté . Vive Dieu ! il me
fâche de ne pas leur donner mes propres
entrailles.
Une femme vient enſuite ſe plaindre
de ce qu'un Soldat lui a promis mariage ,
&manque à ſa parole.
Gonzalès. Pourſuivez .
La femme. Je l'ai reçu chez moi fur
cette confiance.
Gonz. Eft- il Eſpagnol ?
La fem. Qui , Seigneur.
Gonz. Et il vous a trompée ?... finiffons.
Lafem. Il diffère & épuite ma patience.
Gonz. C'eſt- là , ma bonne , ce qui vous
amène ? me prenez-vous , par hafard , pour
un curé ?
La fem. Vous êtes notre Vice-Roi ,&
il fert ſous vos ordres.
Gonz. Je le ferai donc pendre ; après
cela vous épouſera-t-il ?
Lafem. Mais , Seigneur , pourquoillui
ôter la vie?
Gonz Il vous a trompée.
:
Lafem. Mon honneur est entier ; mais
il m'a promis mariage.... wod
Gonz. Hé bien ! fi l'envie de vous épou24
MERCURE DE FRANCE.
fer lui a paſſé , dois je l'y forcer ? Je puis
bien lui ordonner de ſe battre , mais non
d'être amoureux.
Onpeut conjecturer, par cesdeux traits,
que ce Général , très- habile à faire la
guerre ,& à gagner le coeur de ſes Soldats ,
tient très-peu de compte des dépenſes &
desformesd'uneadminiſtration pécuniaire,
&que, fans nulle avarice de ſa part , tout
l'argent de la caiſſe militaire&les ſommes
qu'il a tirées des conquêtes qu'il a faites
pour ſon Roi , ont été très - libéralement
dépenſées , & avec très -peu d'ordre.
C'eſt auſſi ſur ce point que ſes envieux
& ſes ennemis ſecrets prennent occaſion
de l'attaquer. Des mémoires anonymes
l'accuſent d'avoir abuſé des finances ; on
veut même rendre ſa fidélité ſuſpecte , en
citant les offres avantageuſes qu'on prétend
qui lui ont été faites par de puiſſans
Princes ennemis de ſon maître.
Le Roi , prévenu par de ſi graves accuſations
, ſe détermine enfin à paſſer à
Naples en perſonne. Deux nobles Napolitains
viennent le trouver à Salerne où il
s'eſt arrêté. Le Prince les reçoit avecbonté,
comme des ſujets nouvellement foumis ,
&donne à l'un , nommé Fabricio , la
charge de grand Contador , ou Adminiftrateur
AVRIL 1768. 25
trateur des finances du royaume de Naples
, & à l'autre , nommé Ascanio , celle
de grand Magittrat , ou Chefde la Juſtice.
Il les interroge enfuite fur ce qu'on impute
au grand Capitaine . Ascanio , foible , entraîné
& féduit , adhère aux accuſations
que fait ſans détour le violent Fabricio.
Sur ces dépoſitions le Roi ordonne au
Magiſtrat de retourner àNaples& de faire
arrêter Gonzalès , & au Contador d'examiner
les griefs dont on l'accufe.
Ascanio ( troublé ) . Mais , Sire , je ne
vois pas de motif ſuffifant....
Le Roi. Vous me dites cela à préſent ?
Fabricio. Seigneur , Ascanio craint que
la priſon du grand Capitaine ne faffe
révolter le peuple.
Le Roi. Est- ildonc fi fort aimé ?
Fab . Les habitans le nomment leur
père. :
Le Roi. C'eſt pour cela même que je
veux que vous exécutiez mon ordre. S'il
s'y rend avec ſoumiflion , Ascanio , vous
lui remettrez ce billet. Mais s'il réſiſte ;
duffiez- vous cauſer du déſordre , employez
les dernières violences pour le tirer de
Naples.
Ascanio. Je ne vois, Seigneur , rien à
faire....
LeRoi. Que ce que je vous ordonne.
Vol. II. B
1
:
26 MERCURE DE FRANCE.
Afcanio. Je ne puis , Sire ; j'aime mieux
remettre ma dignité à vos pieds ... acceptez ,
je vous conjure , ma démillion.
LeRoi. Je n'admets qu'une prompte
obéiſſance.
Le Roi ſe retire . Fabricio eſt auſſi content
qu'Ascanio eſt triſte , & tous deux ſe
diſpoſent à remplir leur miſſion.
Le grand Capitaine paroît très- furpris
lorſqu'Ascanio vient lui intimer , avec
beaucoup de regret & d'humilité , l'ordre
exprès du Roi , de fortir de Naples. Une
eſpèce de Sergent de bataille , qui tient
dans cette pièce , du gracioso & du Capitaine
, mais vaillant à toute épreuve , tient
au Juge des diſcours affez peu meſurés,
Gonzalès fait voir auſſi un vif reſſentiment
du traitement qu'il éprouve , & cependant
impoſe ſilence à ſon Lieutenant. Ascanio,
le voyant réſigné aux ordres du Roi , lui
remet le billet cacheté. C'eſt ſans doute
par ce billet , dit Gonzalès , qu'il me prefcrit
le lieu où il m'ordonne de me rendre.
Sa ſurpriſe & celle d'Ascanio ſe manifeſtent,
à la lecture de ce que contient le
papier. Le Roi lui mande que la ſoumifſion
qu'il a marquée, en obéiffant volontairement
aux ordres que le Magiſtrat lui a
annoncés de ſa part ,le perfuade de la faufſeté
des accuſations qu'élèvent contre lui
ſes ennemis. Il lui donne la grande maîAVRIL
1768 . 27
triſe de Saint Jacques , & ajoute qu'il ſe
propoſe de l'embraſſer inceſſamment.
Je ſuis moins ſenſible à ſes faveurs , dit
Gonzalès , qu'offenſé de l'outrage qu'il m'a
fait en doutant de ma fidélité. Cependant
un bruit militaire annonce l'arrivée du
Roi. Il ſurprend Gonzalès , qui ſe diſpoſe
à aller au- devant de lui , & le traite en
entrant de grand Connétable du Royaume
de Naples. Gonzalès le remercie avec froideur,
& cela produit entre leRoi&le grand
Capitaine une longue explication , dans
laquelle le Monarque met plus de politique
que de dignité. Gonzales y fait au
Roi , avec une bruſque franchiſe , des reproches
qui paſſent quelquefois les bornes
du reſpect. Il fait fon propre éloge avec
emphâſe , & quoiqu'on ſente la vérité de
tout ce qu'il dit , il doit paroître à l'auditeur
que la majesté royale a quelque
choſe à fouffrir. Après avoir vanté ſa nobleſſe
& fa parenté avec ſon maître , il
excuſe ſon apologie ſur ce qu'elle eſt
très bien fondée , & que des ennemis du
Roi defireroient de le voir détaché de
ſon ſervice , à cauſe de ſa valeur & de fa
capacité. Il dit , que s'il a prodigué fon
fang , ſes fatigues & fes biens , pour conquérir
des royaumes , ce'n'a pas été pour
acquérir des honneurs & des revenus ,
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
poffédant par lui-même tous ces avanrages;
que ce n'a été que par attachement,
& pour acquérir l'amitié de Ferdinand ;
que s'il avoit voulu conquérir Naples , &
le monde entier , pour lui- même , il en
feroit venu à bout par fon courage & fon
génie , mais que s'il avoit cent royaumes,
il les mettroit tous aux pieds de fon maître;
que ces fentimens démentent affez les accuſations
des fateurs & des envieux ; qu'il
ne veut point accepter de nouveaux bienfaits
; que le Roi a autour de lui affez
d'âmes mercénaires dont l'attachement a
beſoin d'être foutenu par ces faveurs ; que
pour lui , il eſt prêt de ſe retirer dans ſes
domaines , après avoir donné la paix à l'Italie
& le repos à l'Europe.
Le Roi l'interrompt , & l'appaiſe avec
aſſez de peine. La hauteur emportée de
Gonzalès , & la patience du Roi , feroient
infupportables ſi le grand Capitaine n'y
mêloit pas du ſentiment , même des larmes
de tendreſſe , & des témoignages d'attachement
qui affoibliſſent celui d'indignation
dont on feroit affecté par la chaleur
de ſa déclamation .
Malgré ces modifications , cette ſcène
n'auroit certainement pas notre approbation
, quelque génie qui s'y faſſe rematquer,
Elle fait cependant constamment
AVRIL 1768 . 29
beaucoupd'effet en Eſpagne , où la rodomontade
eſt toujours applaudie quand elle
eſt exprimée avec nobleſſe.
Cependant on donne toujours à Ferdinand
de nouveaux mémoires contre le
grand Capitaine. Fabricio vient lui rendre
compte de ce qui réſulte des charges
qu'il a raſſemblées , par leſquelles il paroît
que Gonzalès a reçu treize millions d'écus ,
dont il n'a rendu aucun compte. Je lui
ordonnerai , dit le Roi , d'en déſigner
l'emploi. C'eſt tout ce que demande cet
ennemi.
Gonzalès paroît devant le Roi ,que la
mort de fon gendre Philippe , oblige de
retourner en Caſtille. Le Monarque paroît
incertain du parti qu'il doit prendre ,
au fujet d'un royaume nouvellement conquis
, où il eſt réfolu de ne pas laiffer le
grand Capitaine. Si je quitte ce pays , lui
dit Gonzalès , c'eſt un royaume perdu
pour vous. N'ai-je donc pas des Généraux
? dit le Roi. Non , aucun , reprend
Gonzalès ; vous avez pluſieurs grands Capitaines
, mais nul d'eux n'eſt capable de
me remplacer. Cette réponſe déplaît au
Roi. Combien demandez-vous de troupes
pour garder ce royaume , en y demeurant ?
dit- il à Gonzalès. Dix mille hommes
répart le Général. Et fi j'en laiſſe un autre
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
que vous ? reprend le Roi. Quarante mille
fantaflins & quinze mille chevaux , fans
les garniſons des places , répond Gonzalès ;
& avec tout cela le royaume ne fera pas
plus en fûreté , maisdu moins vous y aurez
pourvu. Que dites-vous ? dit le Roi. C'eſt ,
repliqua Gonzalès , la différence que fait
un feul homine ; craint & aimé des peuples
, eſtimé par les Puiſſances voiſines ,
fon nom ſeul vaut des milliers de foldats.
Je veux cependant , dit le Roi , vous
emmener avec moi; vous m'êtes néceffaire
en Caftille. J'irai où vous voudrez , répond
Gonzalès , tout pays m'eſt égal. Puifque
vous devez quitter celui-ci , reprend
le Roi , en lui remettant les accufations ,
jettez les yeux fur ces mémoires , & jugez
vous- même s'il convient à votre honneur
qu'on diſe de vous que vous avez reçu
des ſommes immenfes dont vous n'avez
jamais fait connoître le moindre emploi ?
Gonzalès demeure, avec ſon lieutenant ,
fort étonné à la vue de ces charges. Voilà ,
dit- il , les effets de l'envie des gens oififs.
Moi , rendre des comptes ! je ſuis bien
peu propre à ce métier. Garcias , ſavezvous
compter ? Moi , Seigneur ? dit Garcias
; ma cervelle eſt toute renverſée quand
je veux changer un écu. A mon âge , reprend
Gonzalès , il me faut apprendre ce
AVRIL 1768. 31 1
nouveau métier ! Il ſe détermine cepen
dant , malgré fon Lieutenant , qui eſt
d'avis d'envoyer tout au diable , à raffembler
ſes idées, & ſes papiers , s'il en a.
Enfin ce moment arrive. On le voit
aflis devantune table avec Ascanio , & Fabricio
. Il eſt d'aſſez mauvaiſe humeur , &
Garcias paroît dans un coin du théâtre
qui obſerve ce qui ſe paſſe.
Je vais eſlayer de traduire cette ſcène
curieuſe , ſujetde l'admiration & de la fatisfaction
des Eſpagnols , & où le flegme
offenfé , & le farcaſme amèr du grand
Capitaine indigné , & prêt à éclater à tout
moment , fait fans doute un effet intéreſfant.
Qu'on ne s'attende pas , au reſte , a
la préciſion , l'énergie & le genre original
d'ironie que la langue eſpagnole exprime
bien plus heureuſement. Ce n'eſt que la
copie d'un tableau .
Le grand Capitaine Gonzalès , Fabricio,
Ascanio ; Garcias dans le fond du théâtre.
Gonzalès. Lifez les charges.
Ascanio. ( Piége ſcabreux ! ) Puiſque
le Roi nous enjoint de nous acquitter de
ce miniſtère , nous allons .....
Gon. à Fab. A qui eſt- ce que je parle ?
ne vous ai-je pas dit de lire ?
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
Fab. Je vous obéis .
Gon. Faites-y attention. Je vous avertis
que je ne ſuis pas patient.
Fab. Vous avez reçu cent trente mille
ducats en lettres de change de Valladolid.

:
Gon. Cela eſt juſte .
Fab . Le Capitaine Requena vous a remis
huit mille (1) ..... je me trompe ,
quatre-vingt mille écus.
Gon. He! qu'il y en ait huit mille ou
quatre-vingt mille , cela m'eſt égal ; pourfuivez.
Fab. Vous avez tiré de la Calabre , en
contributions ou en impôts , trois millions
& onze mille écus.
Gon. Quelle patience ! eſt-ce qu'il n'y
a pas un total ?
Fab. Pardonnez - moi , Seigneur.
Gon. Voyons donc le réfulrat , & à
quoi ſe montent toutes ces légendes.
Fab. A treize millions d'écus .
Gon. Quoi ! il n'y a que cette mifère ?
mes troupes en ont conſommé bien davantage
aux dépens des ennemis , & fur
leur territoire , graces à mes bons foins.
Confultons à préſent mon livre.
Garcias ( dans le fond) . Bon ! Le Général
a auſſi un livre ! Ce feront les mémoires
de fes campagnes .
( 1 ) Il lit d'abord ocho , & en ſe reprenant ,
ochant.
AVRIL 1768 . 33
Gon. Vous voyez que j'ai auffi mes
papiers. Écrivez.
Garcias Je les aſſommerois avec le livre,
pour le leur bien mettre dans la cervelle.
Gon. Mémoire de ce que j'ai dépenfé
pour les conquêtes qui me coûtent mon
fang , mes fatigues & mes veilles.
Fab. J'ai écrit ; Votre Excellence peut
dicter.
Gon. Deux millions en gratifications à
des eſpions.
Ascanio. Une ſi groffe fomme !
Gon. C'eſt au contraire très-peu.Apprenez
que pour avoir épargné fur cet article ,
on a fouvent manqué les entrepriſes les
plus importantes. Il faut très-bien payer
les eſpions pour qu'ils fervent de même.
Si ce ne font pas eux qui donnent la victoire,
du moins ils en préparent les voies.
Fab. On ne peut en douter.
Gon. Cent mille ducats pour de la poudre
& des boulets .
Fab. C'eſt de quoi en faire une immenſe
proviſion.
Gon. Sachez que nous avons renvoyé
aux ennemis tous ceux qu'ils nous tiroient.
Sans cet expédient , le Roi ne ſeroit pas
affez riche pour payer toutes les munitions
que nous avons employées.
6
Garcias . Je voudrois avoir vu dans nos
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
rangs ces deux teneurs de livres ; ils n'au
roient pas été ſi à leur aiſe .
Gon. Dix mille ducats , pour des gands
de peau de ſenteur.
Fab. Cet article eſt-il ſérieux ?
Gon. Écrivez, quandje vous ledis. Après
une eſcarmouche dans laquelle il périt
vingt- ſept millehommes , nous campames
fur le champ de bataille , ſur des monceaux
de morts ; & pour éviter que l'infection
ne caufât la peſte parmi nous ,
vous voyez bien qu'il étoit juſte d'avoir
bonne proviſion de gands parfumés. C'étoitbien
affez de ſupporter la faim , ſans
être encore engloutis de cette odeur. Je
parie que vous n'avez jamais ſenti de cadâvres
, Monfieur le Financier ?
☐ Fab. Non, Seigneur.
Gon. On le voit bien. Continuez. Cent
foixante mille ducats pour des batans de
cloches.
Afca. Cet article me ſemble nouveau !
Gon. Hé! ſi chaque jour on les brifoit
dans les égliſes en s'empreſſant à les fonner
pour célébrer les victoiresduRoi , n'at-
il pas fallu réparer les anciennes & en
refaire de nouvelles au beſoin ?
Garcias. Bon! Et s'il falloit compter ce
que nous avons conſommé en ſalves &
réjouiſſances !
AVRIL 1768 . 35
Gon. Cinq cent mille écus d'eau de vie ,
pour enivrer les ſoldats les jours de bataille.
Fab. Voilà une étrange précaution !
Gon. Et très-ſage. Comment vous imaginez-
vousque ſur l'ordre d'un ſeul homme ,
des gens du commun dans tout leur bon
fens , allaſſent affronter un trépas certain ,
fi on n'avoit ſoin de les enivrer ? Je ne
parle pas pour les nobles , l'honneur qui
les conduit eſt leur récompenſe.
Afca. Vous avez raiſon .
:
:
Garcias Ces gens ci regardent comme
une bagatelle d'aller braver la mort de
fang froid.
Gon. Quinze cent mille écus pour faire
panfer les bleffés & pour le ſoin des prifonniers.
Deux millions d'écus pour faire
dire des meſſes pour attirer du ciel la
bénédiction ſur nos armes ; car c'eſt du
ciel que viennent tous les ſuccès. Trois
millions d'écus pour des indulgences.
Fab. Pour des indulgences !
Gon. Sans doute. Quand un brave foldat
eft tué , n'a-t- il pas aſſez de toutes les
mifères qui lui ont déja fait un purgatoire
de fon malheureux métier , ſans qu'on
l'expoſe encore, faute de ſuffrages, à brûler
dans un ſecond ?
Afca. Cela eft incontestable.
B_vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Le Roi paroît au fond de lafalle , &
écoute le reste de lascène .
Fab. Mais , Seigneur, la dépenſe monte
déja ſi haut qu'il ſe trouvera que le Roi
vous redevra des ſommes conſidérables ?
Gon. J'en ai cependant encore bien
d'autres . Écrivez, Cent mille millions....
Fab. En quoi , Seigneur ?
Gon. Pour la patience que j'ai de ſupporter
que le Roi ait ordonné qu'on faſſe
rendre des comptes à un Général qui a
fait toute ſa vie preuve de déſintéreſſement
; qui a vendu ſa vaiſſelle & fon
patrimoine pour entretenir ſans murmure
des armées qu'on laiſſoit manquer
de paye , de récompenfe , &de toute forte
de fecours. Le Roi fait lui-même .....
د
Le Roi se montrant. C'eſt la vérité ,
&mon deſſein n'a été que de faire connoître
votre intégrité à des envieux qui
ne ceffent de former des plaintes. Je ſuis
content , & vous donne trente mille écus
de penſion ſur le royaume de Naples.
Gon. Mes ſervices , Sire , font ma récompenfe.
Après cettefinguliere ſcène , le Roi em.
mene le grand Capitaine & s'embarque avec
lui pourl'Espagne .
On reconnoît , dans cette comédie , le
AVRIL 1768. 7
caractère de Ferdinand , qui ſe piquoit
d'être le plus adroit politique de fon fiècle.
C'étoit lui qui , parlant d'un de nos Rois
qui ſe plaignoit d'en avoir été trompé
trois fois : il en a menti , l'yvrogne , dit- il ,
je l'ai trompé plus de douze.
Le grand Capitaine avoit auſſi la réputation
, toujours bien acquiſe , de n'être
pas ſcrupuleux dans les procédés. Le même
Ferdinand , parlant de lui , & ſe vantant
d'être l'homme le plus fin de fon royaume:
je ne connois , difoit- il , que ce vieux coquin
de Duc de Seſſe qui ſoit plus fourbe
que moi. Lorſque je l'envoyai faire la
conquête du royaume de Naples , je ne
craignis qu'une choſe , c'étoit qu'il ne le
prît pour lui - même. Gonzalès , à qui le
propos du Roi fut rapporté : il a raiſon ,
dit-il , de ſe moquer de moi de ne l'avoir
pas fait ; c'eſt la ſeule ſottiſe que j'aie
Caste en ma vie.
38 MERCURE DE FRANCE.

LA PIPÉE.
DEUX
FABLE.
EUX manans d'un même village ;
L'un appellé Guillaume , & l'autre Mathurin';
Aux oiſillons du voisinage
Tendoient leurs laqs chaque matin.
Lebois ſe partageoit à l'un tout comme à l'autre ,
Par égale moitié. Moi , voici mon terrein ;
Vous , Mathurin , voilà le vôtre.
Chacun alors s'établiſſoit
En ſouverain de ſa contrée ,
Trône de moufſe y bâtiſſoit ,
Le louvre étoit une feuillée ,
Le royaume étoit la pipée ,
Les oiſeaux leurs ſujets ; ils étoient vraiment rois ,
Et rois plus heureux mille fois
Que tous les princes de la terre !
Aux petits hôtes de mes bois ,
Ne pourrai-je jamais , tranquille & folitaire ,
Donner ainſi de douces loix ,
Et n'obéir qu'à ma bergère !
Guillaume & Mathurin , plus que moi fortunés,
Régnoient une journée entière ;
Mais des deux ruſtres couronnés ,
Différente étoit la manière
AVRIL 1768. 39
D'exercer le métier ; car dès que Mathurin ,
D'un roſſignol ou d'un ſerin ,
Parvenoit à faire capture ;
De l'innocente créature ,
Il étoit occupé ; la flattoit de la main ,
La baiſoit mille fois , la mettoit dans ſon ſein;
S'amuſoit avec elle à l'abri du feuillage.
L'oiſeau , de ſes ſoins tranſporté ,
Préféroit les douceurs d'un pareil eſclavage
Aux charmes de la liberté.
Chez Guillaume c'étoit façon toute oppoſée;
Dans les lags s'il tomboit un malheureux oiſeau ,
Il l'emportoit ſous la feuillée ,
Puis vous le pinçoit bien & beau ,
Tantôt aux pieds tantôt aux aîles ;
Et l'oiſillon craintif , foib'e & plein de douceur ;
Aux tortures les plus cruelles ,
N'oppoſoit que des cris qui charmoient l'oiſeleur.
Auquel des deux croit- on que la légère engeance
Donnoit toujours la préférence ?
A Mathurin ? Nenni. Qu'on en ſoit étonné !
Mathurin pour Guillaume étoit abandonné.
Les cris de l'oiſillon ſembloient ſervir de guide ;
Chacun venoit s'y rendre , & le bon Mathurin
Emportoit ſon ſac toujours vuide ,
Guillaume l'avoit toujours plein.
Chez nous la pipée cſt commune ,
Nos belles s'y prennent ſouvent.
۱
40 MERCURE DE FRANCE.
Qu'm agréable en déchire une ,
Il en attrape plus de cent.
COUPLETSfur l'air : Dans un bois folitaire
& fombre.
QU'ELLE eſt aimable , ma Hortenfe !
Tout eſt en elle intéreſſant ;
Sa bouche dit ce qu'elle penſe ,
:
Ses yeux diſent ce qu'elle ſent.
Le nom d'amour ( tant elle eſt ſage ! )
Lui rend l'air ſurpris & confus ,
Et fur les lys de ſon viſage
Fait naître des rofes de plus.
Je ne reſſens jamais près d'elle ,
La triſte langueur d'un amant.
C'eſt pour me charmer qu'elle eſt belle ,
Et non pour caufer mon tourment.
Dans les cieux on met ſa bergère ,
Au nombre des divinités .
Je laiſſe Hortenſe ſur la terre ,
Et je me place à ſes côtés.
AVRIL 1768 . I
LÉGÈRE esquiſſe du bonheur. A mon ami.
Auream quisquis mediocritatem
Diligit , tutus caret obfoleti
Sordibus tecti , caret invidenda
Sobrius aula. Hor. fat. 6 .
Pour être heureux faut-il tant d'opulence ?
Dans les grandeurs voit- on des jours ſereins !
De petits biens , une agréable aifance ,
Font , ſelon moi , les plus heureux deſtins.
Lorſque j'ai ſoif , dans un ruiſſeau limpide
J'aime bien mieux en étancher l'ardeur
Que dans les flots de ce fleuve rapide.
Trop d'affluence étouffe le bonheur.
Petit logis & chère délicate ,
Bon petit lit , dans un petit réduit ,
*Petit donjon où je liſe ſans bruit ,
Joli tendron dont l'amitié me flatte ;
C'eſt le bonheur , tout autre en vain ſéduit.
Lorſqu'un Plutus , par des liqueurs brûlantes ,
Cherche à piquer ſes ſens déja flétris ,
Le jus charmant de més treilles naiſſantes
Ranime , éveille , échauffe mes eſprits.
Tous les beſoins naiſſent de la nature ;
Mais l'habitude empoitonne ſes goûts :
ג
42 MERCURE DE FRANCE.
Heureux qui peut en régler la meſure !
Et malheureux qui les contente tous !
Par M. D'HERMITE MAILLANNE
d'Aix en Provence.
I
MADRIGAL à Mde DE. •
NSTRUIT par les leçons de la philoſophie ,
Elle m'apprit que les biens & les maux ,
Par un mêlange égal répandu ſur la vie ,
Rendent , pour le bonheur , tous les hommes
égaux.
Je l'ai cru , je vous vois paroître :
Vos yeux , pour mon malheur , ont deſfillé les
miens.
Pour ne ſe croire pas privé de tous les biens ,
Il faut vous poſſeder ou ne vous pas connoître.
DE S...
J
A M. P *** , Médecin .
& cherchois l'autre jour au temple de mémoire,
Les noms des Médecins célèbres dans l'hiſtoire.
J'en voyois une foule , & je m'attendois bien ,
P*** , que fûrement j'y trouverois le tien.
:
AVRIL 1768 . 43
Je le cherchai long-temps , j'en marquai ma
ſurpriſe.
Je dis à la Prêtreſſe , eſt-ce donc par mépriſe ,
Tandis que nul docteur ne fit autant de bien ,
Qu'on inſcrivit ſi tard un nom comme le ſien ?
Va, ſon fort , me dit-elle , eſt plus digne d'envie ;
Il s'eſt fait de ces noms que jamais on n'oublie.
...
Par M. DESVAUX DU MOUTIER ;
abonné au Mercure.
:
SUITE DE L'AMITIÉ TRAHIE.
CONTE.
CEPENDANT Norbert , que l'on n'attend
doit plus , après avoir fait une fortune
immenſe dans les Indes , revit enfin les
frontières de France. Il s'étoit ſéparé à
Cadix de ſes deux aſſociés. Chargé d'or&
muni d'un porte feuille conſidérable , il
revenoit , courant jour & nuit , impatient
de rejoindre ſes enfans , de les embraſſer
&de les combler de biens. Mais le tréfor
le plus précieux qu'il amenoit avec lui ,
étoit l'orpheline à qui il daignoit ſervir
de père depuis ſa funeſte aventure. Elle
ſe nommoit Mélanie. Jolie , bien faite ,
44 MERCURE DE FRANCE.
fpirituelle & fage , elle réuniſſoit en elle
tous les agrémens & toutes les vertus de
fon fèxe . Curieuſe de voir la famille de
fon généreux protecteur , elle ne defiroit
pas avec moins d'empreſſement que lui
d'arriver à Paris .
Comme il approchoit du couvent où
il avoit laiſſe ſa fille , il dépêcha un laquais
pour la prévenir qu'elle alloit bientôt
le revoir. Ce domeſtique , ayant été
informé ſimplement qu'il y avoit deux ans
qu'elle étoit retournée à Paris , fit part à
fon maître de cequ'on venoit de lui dire ;
& Norbert qui ne doutoit pas qu'elle ne
fût retournée chez Bertrand , continua fa
route. En entrant dans la capitale , il ſe
fait arrêter à ſon ancienne maison , &
voit avec ſurpriſe que tout y a changé de
face. On frappe en vain , perſonne ne répond.
Une femme du voisinage inſtruit
enfin Norbert que le propriétaire de cette
maiſon étoit depuis long-temps en Normandie
avec toute fa famille , mais fans
pouvoir lui dire en quel endroit ; & les
autres perſonnes à qui il s'adreſſe dans le
quartier n'en ſcavent pas plus qu'elle . Le
jour tomboit , il étoit temps de penſer à
fe loger. Norbert prend le parti de ſe
faire conduire chez un autre ami qui demeuroit
à l'une des extrêmités de la ville
AVRIL 1768 . 45
&qui , étant auſſi lié avec Bertrand , ne
pouvoit manquer de ſcavoir ce qu'il étoit
devenu. Nouveau chagrin pour lui , il
apprend qu'il y a cinq ans que cet ami
eſt mort. Dépitéde tous ces contre- temps ,
& forcé de remettre au lendemain les
informations qui l'intéreſſent , il ne fonge
plus qu'à trouver un endroit pour mettre
pied à terre & ſe repoſer.
On lui indique , dans une rue voiſine
un hôtel garni, où il deſcend avec Mélanie.
Ils avoient tous deux auſſi beſoinde nour
riture que de ſommeil. Mais l'agitation
où étoit Norbert ne lui permit pas de faire
honneur à la table ni de ſe tranquilliſer,
Il obtint de l'hôteſſe qu'elle fit préparer
dans le même appartement qu'elle occupoit
un lit pour ſa compagne de voyage ,
qu'il appelloit fa fille. Cette jeune per
fonne ,qquuee la reconnoiffance attachoit à
ce digne bienfaîteur , avoit d'autant plus
àſe louer de ſes bontés , qu'il ne cherchoit
point à faire valoir les droits que tant de
foins généreux lui donnoient fur elle,
Il ſe faifoit un véritable plaifir de l'élever
avec toute la tendreſſe & le déſintéreſſement
d'un père ; il ne lui inſpiroit que
des ſentimens de vertu , & ſon ſeul defir
étoit de la rendre encore plus eſtimable
par ſes moeurs , qu'elle n'étoit ſéduisante
46 MERCURE DE FRANCE.
par les charmes de fa figure &de ſon eſprit.
Le trouble où elle le laiſſa & qu'elle partageoit
, ne rendit pas ſa nuit meilleure
que celle de Norbert.
?
Dès le matin , il envoya ſes gens de
tous côtés pour s'informer du lieu où étoit
Bertrand.A l'heure qu'il penſa que Mélanie
pouvoit être réveillée , il ſe rendit auprès
d'elle. Les embarras qui occupoient fon
eſprit lui avoient fait oublier en fortant de
fermer la porte de ſa chambre , dans laquelle
il avoit laiffé une bourſe qui renfermoit
cinquante louis. En retournant
pour prendre quelque choſe dont il a
beſoin , il s'apperçoit que cette bourſe n'eſt
plus à l'endroit où il ſe reſſouvient de
l'avoir laiſſée , & en porte ſes plaintes à
l'hôteſſe . Cet incident met toute la maifon
en rumeur. Mais on a beau chercher ,
le vol ne ſe retrouve point. Chacun pour
ſe juſtifier conſent de ſe laiſſer fouiller ,
& l'on parle d'appeller un commiffaire.
Mais Norbert , trop humain pour vouloir
perdre un être malheureux à qui il eſt
maître de pardonner , & convaincu de la
probité de fon hôteſſe par le ſaiſiſſement
dont il la voit pénétrée , ſe fait entendre ,
& dit qu'il le défend. La justice , ajoutet-
il , fait fon devoir en puniſſant les coupables
; mais un riche fait-il le ſien en
AVRIL 1768 . 47
lui livrant des victimes ? Ne parlons plus
de cette bourſe je ne ſuis point volé ſi
la perſonne , qui l'a dérobée , en avoit un
vrai beſoin. Que chacun ſe retire , & que
ceci foit oublié.
Apeine eſt- il rentré dans ſon appartement
, qu'il entend ouvrir ſa porte & y
voit entrer un jeune homme dont l'air
humble & les vêtemens uſés annoncent
l'infortune . Le trouble & la confufion
font peints ſur ſon viſage. Il pâlit , chancèle
, veut reculer , s'arrête ; les fons de
ſa voix ſont étouffés par ſes ſanglots. Norbert
l'accueille , le raffure ; & l'inconnu
qui tombe à ſes genoux , lui avoue qu'il
eſt le voleur , & que l'excès de ſa mifère
apu ſeul le rendre tel. Voilà votre bourſe ,
ajoute-t- il en ſanglottant ; daignez du
moins ne point me perdre , en divulguant
mon crime ! Jeune homme , lui dit Norbert
, je conçois que l'excès du beſoin a
pu vous rendre criminel ; mais qui peut
faire naître en vous un ſi prompt repentir
?-Hélas ! Monfieur , un coeur
bien né peut commettre le mal , ( je ne
l'ai que trop éprouvé ) mais des qu'il eſt
commis , ſon ſeul defir eſt de le réparer,
Jugez de tout l'excès de mes remords ,
après avoir entendu de loin le génereux
pardon que vous m'accordiez , fans me
48 MERCURE DE FRANCE.
-
connoître ! Ce trait d'humanité m'a plus
puni que n'auroit fait le châtiment qui
m'étoitdû.
Hé quoi donc ? à votre âge
& fait comme vous l'êtes , avec une éducation
que tout annonce avoir été foignée
, quelle cauſe a donc pu vous forcer ? ..
-
-
Omon père ! ( s'écria le jeune homme )
puifliez vous toujours ignorer ! .....
Vous avez ( dites-vous ) un fère , &
vous êtes dans la peine ? il ne peut donc
vous foulager ? Son extrême tendreſſe
pour ſes enfans nous a perdus , & mon
plus grand fupplice eſt d'ignorer ce qu'il
eſt devenu ; mais concevez tout le tourment
d'un fils qui depuis dix ans pleure
un père qu'il adoroit, qu'il chérit toujours
, & qui ne ſçait en quels lieux il
refpire. Hélas ! c'eſt le defir de le revoir ,
d'aller moi-même le chercher aux extrêmités
de la terre ; c'eſt l'impuiſſance où
je me vois de pouvoir fatisfaire à ce defir ,
dont rien ne peut me détacher , qui m'a
fait commettre un forfait que je me reprocherai
toujours .
Norbert étoit ſi ému qu'il avoit peine à
l'interrompre. Quel eſt votre père ? lui ditil
enfin ; quelles raiſons ont pu lui faire
abandonner ainſi ſa famille ?- Iljouiffoit
à Paris d'un fort tranquille ; il étoit heureux
& nous l'étions avec lui. L'envie
d'accroître
MARS 1768 . 49
-
d'accroître notre fortune le conduifit audelà
des mers.- Que dites- vous ? .....
n'avoit- il point d'amis aux foins deſquels
il pût confier ſes enfans ? Il préfumoit
en avoir un, mais il s'étoit trompé.-Ciel !
feroit- il poflible ? ... ô mon fils ! ... ô perfide
Bertrand ! ô mon cher fils ! ... oui c'eſt
Rofanne ! c'eſt lui-même. Mon père !
ciel ! c'eſt lui ..... je meurs de ſurpriſe &
de joie .....
-
Dès qu'ils eurent payé à la nature un
égal tribut de ſenſibilité , & qu'ils fe
furent remis de leur première ſurpriſe ,
Rosanne fit à fon père le récit des procédés
inouis dont Bertrand avoit ufé à fon
égard. Norbert frémiſſoit en l'écoutant.
Quelque modéré qu'il fût , ſa colère l'emporta
dans ce moment , & cette imprécation
lui échappa comme malgré lui : juſte
Ciel ! qui puniſſez la trahifon & le parjure
, épargnez - vous encore un monftre
qui a violé toutes les loix de l'honneur
&de l'amitié ? Enſuite , s'adreſſant à fon
fils : voi , lui dit- il , quels fentimens oppoſés
nous animoient ce perfide & moi ;
Tandis qu'il t'outrageoit avec la dernière
indignité , je ne m'enivrois que de la douce
efpérance de partager avec lui l'éclat de
ma fortune. Je ne croyois pas même , par
le prix que je lui réſervois , le récompenfer
Vol. II. C
50 MERCURE DE FRANCE.
aſſez de ce qu'il auroit fait pour toi.
Mais après qu'il t'eut bannide ſa maiſon ,
ne te reſtoit- il pas d'autres amis capables
de te venger de ſa cruauté ? Tant qu'il me
traita bien , répondit Rosanne , j'avois plus
d'amis que je ne voulois ; dès qu'il m'eut
livré à la merci du fort , je parus à charge ,
& toutes les portes me furent fermées.
J'avoue que la honte me rendoit triſte ;
& l'on s'ennuie bientôt d'un indigent que
le chagrin dévore. Je cherchai à m'occuper
& je n'en trouvai point l'occafion.
L'indolence n'étoit pourtant point mon
vice. Dénué de tout, iſolé au milieu d'une
ville immenſe où tout ſemble ne reſpirer
que la bienfaiſance & l'humanité , le hafard
me procura la connoiſſance d'un étranger
qui logeoit dans cet hôtel , & à qui
j'eus le bonheur de rendre quelques fervices
; je louai la chambre que je tiens
encore là-haut pour être plus à portée de
lui continuer mes ſoins. Pendant tout le
ſéjour qu'il fit ici , je vécus à ſes frais. II
partit. Deux Anglois le remplacèrent fucceflivement.
L'un & l'autre , en prenant
congé de moi , me laiſsèrent quelque
argent, Jugeant de ma façon de penſer
par la conduite que j'avois tenue avec eux ,
ils eurent l'honnêteté de m'épargner tour
ce que leurs dons pouvoient avoir d'humi,
AVRIL 1768 .
liant pour moi. Ces ſecours dont ils m'aidèrent
ſe tarirent pourtant par degrés , &
il y a près d'un mois qu'il ne m'en reſte
rien. Logé , nourri ici depuis ce temps ſur
mon ſeul crédit, je me voyois au moment
d'eſſuyer quelque affront : le déſeſpoir
s'eſt emparé de moi , & le larcin que j'ai
Toſé vous faire en a été le premier effet.
Va , ton crime eſt effacé , reprend vivement
Norbert , & ton coeur recouvre ſa
pureté : le bien d'autrui n'a point fouillé
tes mains , tu ne prenois que ce qui t'appartient.
A l'inſtant Mélanie entre pour lui faire
part de ce que ſes gens ont appris au ſujet
de Bertrand. Norbert ne lui donne pas le
temps de parler: ma chère fille , s'écrie-t- il ,
en lui montrant Rosanne , le Ciel nous a
prévenus , & voilà ce fils qu'il daigne rendre
à mes ſouhaits ! Puis ſe tournant vers
Rofanne : tu vois , lui dit- il , cette aimable
orphelinedont j'avois écrit l'étonnante
aventure à Bertrand , & qui , ſans doute,
t'en aura fait part. Rosanne , dont une
ſubite joie avoit déja préparé le coeur aux
plus vives impreſſions , fut ébloui des charmesde
Mélanie. Le ſouvenir de Zéphirine ,
qu'il n'avoit pu oublier , s'effaça tout-àcoupde
fon âme. Mélanie lut fon triomphe
dans les yeux de fon nouvel amant , & fa
ےہ
Cij
542 MERCURE DE FRANCE.
tendre reconnoiſſance pour les bontés du
père , crut s'acquitter par le vif intérêt
qu'elle prit au bonheur du fils .
Il ne manquoit plus à Norbert , pour
goûter une félicité parfaite , que de revoir
auffi Julie entre ſes bras . Rosanne l'informa
que , dans le temps qu'il vivoit aux dépens
de l'étranger , il avoit été un jour pour la
voir à fon couvent ; qu'on lui avoit
ditqu'elle n'y étoit plus , & qu'on la croyoit
chez Mde Bélife ; qu'il s'étoit tranſporté
au logis de cette Dame , & qu'il avoit fû
d'un domeſtique la dureté avec laquelle
l'orgueilleuſe dévote avoit refuſé de la
reconnoître pour ſa parente & de s'en
charger. Il ajouta, que toutes les recherches
qu'il avoit faites depuis ayant été vaines ,
il avoit perdu l'eſpérance de la retrouver.
Ne perdons point l'eſpoir , lui dit Norbert ;
Dieu , qui veille ſur tout ce qu'il a créé ,
t'a fecouru dans ton indigence. Il eſt juſte ,
il te venge ; il est bon , il aura protégé
l'innocence de ma fille. Pleinde cette confiance
, il ſe promit bien de ne plus renouer
avec Bertrand , & de le mépriſer à jamais.
Il renonça aux amis , ſe repentit d'avoir
eu la foibleſſe d'y croire , & proteſta de
n'en plus connoître d'autres que ſes enfans.
Trois jours s'étoient paſſés : il commençoit
à s'alarmer cruellement ſur le ſort de
AVRIL 1768 . 53
Julie. Il réfléchiſſoit avec douleur fur tous
les événemens auxquels ſa jeuneſſe & fa
mifère pouvoient l'expofer. Il ſentoit affoiblir
cette foi conftante qu'il avoit toujours
eue en la Providence. Son eſprit ne ſe rempliffoit
plus que d'idées ſombres , que d'images
effrayantes. Sa tendreſſe inquiette ſe
refuſoit à tout objet de confolation.
Aquelque diſtance de l'hôtel où il demeuroit
étoit la maiſon de M. Befnard ,
ancien Négociant , qui avoit un fils aux
Indes Orientales. Ayant appris qu'un François
, nouvellement arrivé de ce pays-là ,
logeoit dans ſon voisinage , le defir de
favoir des nouvelles de ſon fils le conduifit
chez Norbert. Celui-ci le fatisfit fur tout
ce qu'il lui demanda ; & Befnard
l'invita à venir paſſer chez lui les momens
où il rifqueroit de s'ennuyer. Il lui
vanta l'union & la liberté qui régnoit dans
la ſociété qu'il s'étoit choifie , & le pria
de s'y aggréger fans façon. Norbert avoit
beſoin d'amuſement ; & , quoiqu'il n'en
cherchât point , l'air engageant de Befnard
lui fit répondre à ſa politeffe enacceptant ſes
offres . Il fut charmé de trouver un homme
à qui il pourroit confier ſes peines , & qui
étoitdans le cas de l'aider à faire des perquiſitions
, au ſujet de ſa fille , dans toutes
les provinces du royaume , & même chez
C iij
14 MERCURE DE FRANCE.
l'étranger , où il entretenoit encore des
correſpondances. Beſnard , en le quittant ,
luidonna rendez-vous pour le ſoir même ,
& Norbert promit de n'y pas manquer.
Pendant que les caprices du haſard formoient
cette chaîne d'événemens , le Baron
de Montbrillant , Mde Bertrand & fa
fille ſe faifoient haïr de tous leurs voiſins
par les airs impérieux qu'ils ſe donnoient.
Abuſant de leur opulence , ils ne diſtinguoient
pas plus les gentils-hommes que
les payſans. Ils moleſtoient tous leurs voifins
, & chaſſoient inſolemment ſur toutes
les terres. Cette conduite leur ſufcitaune
infinitéde procès, qu'ils perdirent.
Malgré toutes ces leçons , le Baron toujours
incorrigible , n'ayant pas plus refpecté
les terres d'un ſeigneur auſſi puiſſant
par fon crédit , que par ſa naiſſance & fes
richeſſes , fut pris par deux des gardes qui
voulurent s'oppoſer à ſes infractions , &
qu'il laiſſa pour morts ſur la place. Cette
affaire , vigoureuſement ſuivie de la part
du maître irrité , ruina Bertrand qui ſacrifia
tout pour ſauver fon gendre. Sa
femme & fa fille ſe trouvoient auſſi impliquées
dans l'affaire , comme complices
du délit. Pour payer les frais de ce procès
& les dédommagemens auxquels la juftice
les condamna , il fut obligé d'aban
AVRIL 1768. 55
donner au ſeigneur offenſé les terres dont
il avoit arrondi le domaine de Montbrillant.
Déshonorée , haïe de toute la
province , cette famille humiliée , étoit
fur le point de retourner à Paris dans le
temps que Norbert y rentroit.
Cedernier s'étant rendu ſur le foir chez
Befnard , accompagné de ſon fils & de
Mélanie , la fociété qu'ily trouva lui parut
un aſſemblage de caractères parfaitement
affortis. La maîtreſſe de la maiſon plaifoit
au premier abord , par la manière agréable
dont elle en faifoit les honneurs. Norbert
aſſis au milieu de tant de gens aimables ,
ſe croyoit au centre de ſes amis. Son coeur
preffé par la douleur ne demandoit plus
qu'à s'épancher , lorſque Mde Befnard,
prenant la parole , dit à ſon époux : je ne
Içai ce que nous avons fait à nos jeunes
gens , nous ne les avons pas vus depuis
deux jours. Ils auroient tort de nous bouder,
reprend le mari, ils perdroient en nous
leurs meilleurs amis. Ils ſe mirent alors à
faire leur éloge devant Norbert , & toute
la compagnie demeura d'accord que l'on
n'avoit jamais vu un couple plus uni. On
admiroit fur-tout qu'à leur âge ils fuſſent
ſi ennemis des frivolités , ſi raiſonnables ,
ſi prudens , fi fobres , ſi economes. On
annonce alors M. de Valbonne. Qu'il foitle
Civ
56 MERCURE DE FRANCE .
bien venu, répond Mde Befnard: voilà juftement
, dit- elle à Norbert , un des perfonnages
fur le chapitre deſquels nous étions dans
la moment , & nous ferons ravis que vous
le connoiffiez . C'étoit précisément dans ce
quartier que nos deux amans refugiés vivoient
avec toute la privauté que l'himen
feul a droit de permettre. La maifon de
M. & Mde Befnard étoit devenue la leur ;
ils y paffoient toutes les journées, & étoient
de tous leurs plaiſirs à l'ombre du nom
d'époux qu'ils ufurpoient , ils ne pouvoient
qu'être bien reçus chez les honnêres
gens ,
L'air intrigué de Valbonne décèle la
frayeur. Il ne reconnoît point Norbert ,
mais il croit avoir vu Rosanne. Ils ſe regardent
, & craignent réciproquement de
ſe trahir. Norbert n'est pas moins ému :
Il avoit toujours confervé une idée préfente
de Bertrand , & le fils étoit trop
l'image du père pour qu'il n'en fût point
frappé. La ſeule crainte de s'être mépris
lui fait garder le filence . Valbonne , défefpéré
d'un événement qui rend ſa perte inévitable
, ne balance point à implorer les
bons offices de Befnard. Sans s'inquiéter
de la préſence des deux Norbert , il déclare
ſon vrai nom , avoue que fon mariage
n'eſt que ſuppoſé & annonce que fon
AVRIL 1768 . 57
père , forcé par des circonstances qu'il
ignore , à quitter la Normandie plûtôt qu'il
n'avoit cru , & inſtruit de la vie qu'il
menoit à Paris , le menaçoit d'un châtiment
tres- rigoureux , ainſi que l'infortunée
complice de ſa faute. La vengeance
paroît aufli douce à l'amitié trahie qu'à
l'amour outragé. Norbert , tout généreux
qu'il eſt , goûte une eſpèce de fatisfaction
en voyant que le fils de fon perfide ami
venge le ſien par fa mauvaiſe conduite .
Il ne lui cache point qu'il s'intéreſſeroit
au fort de tout autre que lui , mais qu'il
ne pouvoit croire que le fils d'un traître
fût capable d'une inclination honnête .
Valbonne eſt étonné de ce diſcours ; Norbert
fe nomme. Ah , Monfieur ! s'écrie le
jeune homme en ſe jettant à ſes pieds ;
votre fils peut vous dire ſi j'ai été infenfible
à ſes peines : fi vous êtes fans pitié
pour moi , que la nature , au moins , vous
parle pour votre fille. C'eſt elle que j'adore ,
c'eſt elle dont toutes les violences d'un
père n'ont pu me ſéparer. J'ai furpris fon
innocence ; je l'ai rendue coupable , il eft
vrai ; mais nos coeurs d'intelligence n'af
pirent qu'à réparer un crime que l'amour
leur fait partager. Norbert eft immobile.
Rosanne intercède pour fon ami , & fon
père attendri n'ouvre la bouche que pour
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
demander ſa fille. Elle arrive , on la lui
préſente ; elle tombe aux pieds de ſon père,
qui la relève , l'embraſſe & lui pardonne .
Le bien que l'on venoit de lui dire &
d'elle & de fon amant , diminue à ſes
yeux leur faute , & tous les témoins de
cette ſcène intéreſſante admirent par quel
concours de circonſtances , cette famille
diſperſée ſe trouve réunie. Norbert voulut
bien abjurer , en faveur de Julie & de
Valbonne , la haine qui l'animoit contre
Bertrand. Sa fille devenoit un parti trop
conſidérable pour être refuſé ; mais il
connoiſſoit l'humeur de fon parjure ami.
Il penſa que , s'il le ſavoit inſtruit de ſa
perfidie , la honte le rendroit inacceſſible.
Il forma le projet de le ſurprendre pour
l'amener plus facilement à fon but , & fe
ménager en même-temps le plaiſir de jouir
de fon embarras.
De retour chez lui avec Julie , qu'il fépara
de Valbonne , & bientôt informé que
Bertrand étoit de retour , il ſe préſente
à la porte de ſon ancien ami comme arrivant
des Indes . Un vieux laquais , qui le
reconnoît dans l'inſtant , va l'annoncer :
Norbert le fuit , &feprécipite dans lesbras
de Bertrand. Félicitez-moi , lui dit- il , fur
l'heureux ſuccès de mon voyage , & fouffrez
que la reconnoiſſance me rende déAVRIL
رو . 1768
biteur envers vous d'environ quinze cens
mille livres. Bertrand , que ſes remords
accablent , eſt fans parole , & n'oſe envifager
Norbert. Celui- ci feint de vouloir
chercher& embraſſer ſon fils , vole à l'appartement
qu'il occupoit , le trouve démeublé
, en marque ſa ſurpriſe , fait à la fois
mille queſtions à Bertrand , qui fe trouve
forcé d'avouer une partie de ſes indignes
procédés. Norbert , alors , éclate contre fa
trahifon , & l'accable de tous les reproches
que la nature & l'amitié trahie le mettent
en droit de lui faire. Eh ! pourquoi , luı
dit Bertrand , hors de lui-même , avezvous
tout-à-coup ceffé de me donner de
vos nouvelles ? Je n'aurois pas renvoyé
votre fils , je n'aurois point marié ma fille
à un autre ; en un mot , je n'aurois point
écouté ma femme , ni perdu votre amitié.
J'aurois bien dû me défier de vous , répond
Norbert ; il eſt peu d'amitié qui ſoit
à l'épreuve du temps ! Les guerres qui furvinrent
dans les Indes avoient détruit mes
eſpérances ; je craignis que mes malheurs
ne rompiſſent les noeuds qui vous attachoient
à moi , je remis à vous écrire d
des temps plus heureux. La paix a réparé
mes pertes , & je me ferois cru trop opulent
, ſi la moitié de ma fortune ne vous
eût pas été deſtinée. J'ai hâté mon retour ,
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
en me réſervant le plaifir de vous annoncer
mon bonheur & le vôtre .
Bertrand, alors, effaye delecalmer. Norbert
, qui veut qu'il fente ſes remords , feint
de rejetter fes excuſes & femble ſe ſauver
avec horreur d'une maiſon que fouillent
la trahifon & le parjure .
د
Il avoit fenti , en revoyant cet ingrat ,
que fon ancien attachement pour lui , avoit
encore des droits fur fon coeur : tant l'habitude
a d'empire fur nous ! & n'imputant
les manquemens de fon ami qu'à l'extrême
afcendant qu'avoit pris ſur lui fon épouſe ,
il s'efforçoit de le trouver moins criminel .
Touché de fon repentir il oublioit
déja que l'intérêt excitoit ſeul les remords
du coupable. En partantde ces diſpoſitions ,
il s'adreſſe à Valbonne , l'engage d'écrire
à fon père une lettre de ſoumiſſion , & de
lui, avouer l'amour qu'il a confervé pour
Julie ; & le bon Norbert s'applaudit d'avoir
par là fourni à Bertrand un moyen für
pour ſe reconcilier avec ſon ancien ami ,
puiſque ſon fils devenoit leur médiateur.
Mais ils ignoroient également la ſituation
actuelle de Bertrand. Il ſembloit que le
ciel, offenſéde ſon infidélité, eût raffemblé
fur lui tous les traits de ſa colère. Son
gendre l'avoit endetté en Normandie ; il
vient d'apprendre que les entreprenneurs
AVRIL 1768 . 61
d'une affaire conſidérable , dans laquelle
il avoit placé le reſte de fon bien , viennent
de faire banqueroute , & lui enlèvent
le reſtant de ſa fortune ; & c'eſt dans cet
inſtant que le laquais de Valbonne étoit
venu lui apporter la lettre de ſon maître,
L'image du déſeſpoir étoit peinte fur
fon viſage , il foupiroit , & fe frappoit la
poitrine en pouffant les cris les plus douloureux.
Il refuſe la lettre & renvoye le
laquais , en maudiſſant & fon fils & le
monde entier. Le récit que fait ce domeftique
de la ſituation où il a trouvé Bertrand
, allarme Norbert : c'eſt moi , dit- il ,
qui ferai cauſe de ſa mort. Partons , allons
le raſſurer , le conſoler : mon ancienne
amitiél'exige , elle eſt toujours reſpectable
pour moi. Venez , Valbonne , allons , je
veux vous préſenter moi-mème à lui avec
votre épouſe & mon fils : en pareil cas ,
les remèdes les plus prompts font les plus
efficaces. Qu'il approuve votre union avec
ma fille , il me reverra fon ami.
Bertrand , après avoir renvoyé le laquais
de fon fils , avoit ordonné à ſes gens de le
laiſſer ſeul. Son air égaré , la fureur qui
l'agitoit & les fombres projets qu'il fembloit
méditer , les faifoient trembler pour
lui; mais ils n'oſoient le contredire. Demeuré
fans témoins , il ſe mit à réfléchir
fur les malheurs qui tous l'accabloient à
62 MERCURE DE FRANCE.
la fois ; malheurs d'autant plus cruels qu'il
s'avouoit les avoir mérités.
En s'abandonnant à toute la noirceur
de ſes idées , il apperçut ſur une table , à
quelques pas de lui , deux piſtolets dont il
s'étoit muni en partant de la Normandie
pour la fûreté de fa route ; & ce malheureux
ſe diſpoſoit à s'en ſervir pour mettre
fin à ſes regrets , lorſque ſa porte en s'ouvrant
tout-à-coup, lui montre fon ami Norbert
accompagné de ſes enfans.
Le trouble de Bertrand , la pâleur de
Norbert , l'effroi de Rofanne , de Julie &
de fon amant , ne peuvent facilement ſe
préfumer. Norbert , qui ne voit plus que le
déſeſpoir de fon ami , oublie qu'il fut
ingrat , le conſole , & lui offre ſes biens.
Bertrandcéde au tranſport que tant de généroſité
lui inſpire. Sa femme qui , dans
l'inſtant même , arrive avec fon gendre &
fa fille , dépouille fon orgueil , tombe aux
pieds de Norbert , & reconnoît également
fes torts.
L'heureux Norbert enfin , après avoir
très-richement doté ſa fille , & partagé ſa
fortune avecBertrand , unit l'aimableMélanie
avec ſon fils , & vécut long - tems
avec eux dans l'abondance & la félicité ,
dont fonbon coeur & fes travaux l'avoient
rendu ſidigne.
Par M. BRUNET , fils.
AVRIL 1768 . 63
A Mile DE R. R. en lui dédiant & en lui
envoyant le recueil de mes poéfies.
EN lifant ce recueil , qui contient mon hiſtoire,
Vous verrez que j'ai peu travaillé pour la gloire ;
Ah ! je plains trop ſes partiſans !
Dans le cheminqui mène au temple de mémoire ,
Pour quelques fleurs que de tourmens !
De mes goûts , de mes ſentimens ,
Mes vers vous offriront une plus douce image ;
Recevez-en le tendre hommage ,
Et connoillez enfin le plus vrai des amans.
Même , aux beaux jours de mon printemps ,
Des vertus tranquilles du ſage ,
Et de caprices innocens ,
( Je conviens que je fus volage ! )
Je faifois mon étude & mes amuſemens .
Quand mes devoirs , fans bruit , ſans étalage ,
Au folâtre plaiſir diſputoient les momens ,
Le plaiſir , je l'avoue , eut ſouvent l'avantage ;
Mais la raiſon s'en plaignit rarement ,
Et le public jamais n'en rendit témoignage.
Peu répandu , diſcret , jamais ſauvage ,
J'ai des amis choiſis avec difcernement ;
Le nombre en eſt petit , car je crains l'alliage
Qu'on trouve en les multipliant.
64 MERCURE DE FRANCE.
Tel eſt , Minette , le partage
Dont je fus jaloux conſtanment ;
Je vous ai vue , & cet arrangement
N'eſt plus rien fans votre fuffrage :
Oui , je pourſuivrois vainement
Le bonheur , s'il n'eſt votre ouvrage .
J'ai cru dans vos beaux yeux , en découvrir

le gage.
Les miens vous diſent tendrement ,
(Et c'eſt depuis deux mois leur unique langage )
Que mon defir , à tout moment ,
Eſt de vous plaire davantage.
Et puis voyez à quoi , Minette , vous engage
Ce recueil fait pour vous , pour vous uniquement !
Perſonne , avant ce jour , ( & l'on parle à mon
âge! }
N'avoit été mon confident .
AA.... ce 6 mars 1768. Par le P. DE S. S. E. Ν.
AVRIL 1768 . 65
:
U
A mon Amie.
NIR aux roſes du printemps ,
Qui parent la tendre jeuneſſe ,
Les fruits exquis, de la ſageſſe;
A peine à l'âge de vingt ans
Voir le plaifir , lui faire fête ,
L'attacher par des noeuds de fleurs ,
Sourire à ſes diſcours flatteurs ,
N'en être jamais la conquête ,
Et régner ainfi fur les coeurs ,
Remplir tous les jours de la vie
De ſentiment & de raiſon ;
D'une main défarmer l'envie ,
De l'autre écarter le poiſon
De la perfide calomnie ,
Étre ſenſible à la douce amitié ,
Par des vertus en étendre l'empire....
A ce portrait , qui n'eſt fait qu'à moitié ,
Lifette , je vous vois ſourire ,
' Et puis rougir ! ... nous ferons devinés ...
Ah ! ne le craignez pas. Tout nous eſt favorable ;
Pour le bonheur d'un lien véritable
Le myſtère & nos feux , au même inſtant , ſont
nés.
Je ſuis tendre & prudent ; Lifette eſt adorable!
66 MERCURE DE FRANCE.
Je fais aimer autant que vous êtes aimable ;
A l'amour , au ſecret , nous fûmes deſtinés.
Par le même.
LETTRES écrites & fignées de la main de
HENRY IV * , copiéessur les originaux ,
adreſſées à HENRY III.
MON MAITRE ,
Vous ſaves comme le Comte de Soijfons
s'étoit gouverné en mon endroit , ſi
nai-je pour cela laiſſé de porter un regret
infini du déſaſtre qui lui eſt arrivé , que
je puis appeller ainſi , tant pour la façon
de ſa prinſe que pour celui qui l'a pris ;
Dieu l'a puni juſtement pour ſa préſomption.
Si ſon maître puniſſoit ſa jeunelle
ſe feroit trop. Ayes donc pitié de lui , &
à cette heure qu'il ſera ſage à ſes dépens ,
retires- le , vous en avez pluſieurs moyens
en votre main , il a cet honneur de vous
appartenir , vous obligeres toute la race",
non a vous fervir , car ils le vous doivent ,
mais a vous aimer , qui eſt une choſe a
laquelle les obligations forcent ; je ne le
(1) Nous tenons ces lettres du poffeffeurde
originaux.
AVRIL 1768 . 67
di pour moi , car je vous jure devant
Dieu que je n'aimerois un frere comme
je vous aime , pardonnes-moi ce hardi
langage , une douſaine des principaux de
votre royaume vous le puiſſent- ils dire
avec autant de vérité que je fais ! Mon
avis fur ces circonstances eſt que tant que
vous feres diverſes armées , il ne faut
douter que vous ne ſoyes ſujet à tels
accidans ; je dirai donc que V. M. doit
envoyer un chef aux provinces où il n'y
en a point , avec ce qu'il lui faut ſeulement
que vos ſerviteurs tiennent , & faire
que ce qu'il y aura de plus vienne tout à
vous ; car , rabattant lautorité du chef,
les membres ne font rien ; ceux que vous
envoyes aux provinces veulent rous vous
acquerir quelque choſe , &par-là ſe rendre
recommandables ; c'eſt un juſte deſir ,
mais non propre à votre ſervice. A cette
heure trois mois de deffenſion par vos ferviteurs
, & vous employez à temps à affaillir,
vous mettentnondu tout hors de peine,
mais vos affaires en ſplendeur , & celles
de vos ennemis en mépris , grand chemin
de leur ruine. Je puis vous donner ce conſeil
plus hardiment que perſonne , nul n'a
expérimenté ceci que moi à mon grand
regret. Lorſque nous oyons dire que le
Roi fait diverſes armées , nous louyons
68 MERCURE DE FRANCE.
د
Dieu , & difions nous voilà hors de danger
d'avoir du mal ; quand nous entendions
dire le Roi aſſemble ſes forces& vient en
perfonne & ne fait qu'une armée nous
nous eſtimions , ſelon le monde , ruinés.
V. M. juge , far cette comparaiſon , la
juſtice des deux cauſes , la différence de
l'établiſſement du parti, leſquels font les
plus aguerris. L'on dira , mais ils ont les
capitales villes , ce font les afpics qu'ils
nourriffent en leur ſein qui les tueront fi
ce que deſſus eft fait ? Mais ſi l'on leur
donne loiſir , ils ruineront & vous & eux.
Mon maitre , gardes cette lettre pour ſi
vous ine croyes , & qu'il vous en arrive
mal , me le reprocher ; auſſi qu'elle me
ſerve d'acte de ma fidélité ſi vous ne me
croyes , & que vous en trouviez mal.
Montres cet avis à qui il vous plaira. Je
voudrois avoir donné beaucoup & être
prés de V. M. pour alléguer mille raifons
qui font pour moi qu'il feroit trop long à
écrire. Voyes un coup de parti , réves
murement , & exécutes diligeamment ,
j'attendrai votre commandement comme
votre trés-humble & trés-obéiſſant ſujet
&ferviteur. HENRY.
Et au dos eſt écrit au Roi mon ſouve
rain ſeigneur.
AVRIL 1768 . 69
AUTRE LETTRE.
MON MAITRE ,
Je vous avois écri hier , tant pour le
poure Comte de Soiffons , que mon avis
fur ces circonftances. J'approuve l'élection
du Prince de Dombes pour aller en Bretagne
, & encore plus que V. M. que votre
voyage n'eſt retardé , car le bruit couroit
par-tout , qu'alliés en Bretagne , j'en étois
enragé ; car , pour regagner votre royaume ,
il faut paffer fur les pons de Paris ; qui
vous conſeillera de paſſer par ailleurs n'eſt
pas bon guide. Mon Maitre , ayes pitié
duComte de Soiffons , qu'il ne foit privé ,
par une longue prifon , de vous faire fervice
& de s'en rendre capable en l'exerſant
bien ; que ce porteur deſirat vous porter
le fruit de fon labeur , ſi l'ai-je expreffément
dépéché pour le ſujet de mon coufin
le Comte , à qui je veux rendre ce que je
croi qu'il ne penſe pas. Mon Maitre ,
vous répondres pour moi de mon bon
naturel . M. de Marolles vous contera toutes
nouvelles , je remés le tout fur lui. Bon
jour , mon Maitre , Dieu vous donne ce
70 MERCURE DE FRANCE.
que je defire , & vous ſeres le plus heureux
Prince du monde. Votre , &c .
D'Illier le 7 .
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
Je prends la liberté , Monfieur , de vous
adreſſer une épître ſur la convalefcence de
Mde de Villemur pour vous mettre vousmême
dans le cas d'annoncer au public le
miracle qui la conſerve. C'eſt un événement
pour les coeurs ſenſibles ; ſon exemple
pourra peut- être exciter la bienfaiſance :
il ne peut manquer à ſon bonheur que
l'eſpérance de laiſſer après elle une autre
mère aux malheureux. Vous vous chargez
quelquefois des couronnes de l'eſprit , je
vous remets celle du coeur , il ne faut
qu'une, belle âme pour goûter le plaifir
d'immortaliſer des bienfaits.
J'ai l'honneur , &c. L'Abbé DE M......
Paris , ce 21 mars 1768.
:
J
AVRIL 1768 . 71
EPître à Mde DE VILLEMUR ,fur fa
convalescence.
VILLEMUR , le Ciel s'ouvre aux cris des malheureux
,
Et les jours qu'il te rend ſont des bienfaits pour
eux.
:
Je les ai vu tremblans , du ſein de la mifère ,
Inquiets , conſternés , redemander leur mère ,
Se traîner aux autels & , du fond de leurs coeurs ,
Juſqu'au Ciel attendri faire jaillir des pleurs.
Mes larmes ont coulé, la perte étoit commune ,
Etj'ai pleuré leur fort , comme eux leur infortune;
Mais un Dieu de bonté, ſenſible à nos douleurs ,
Prolonge enfin tes jours pour ſoulager les leurs.
Comme un zéphir heureux qui diſſout un nuage ,
Qui prépare le calme & diſſipe l'orage ;
Ainfi le Tout-Puiſſant , par nos voeux excité ,
T'accorde à nos deſirs & te rend la ſanté.
Déja le fort cruel avoit marqué ta tête.
La mort alloit frapper , quand l'orphelin l'arrête.
On le vit tranſporté ſe ſaiſir de ſon bras ,
Lui diſputer tes jours & vaincre le trépas ;
S'écrier , en pleurant , je ſuis prêt à te ſuivre !
Epargne notre mère , o mort ! laifſfe- la vivre ! ..
Ah ! plutôt ſur nous ſeuls épuiſe tes fureurs ;
Tuyeux une victime, & nous t'offrons nos coeurs,, .
...
72 MERCURE DE FRANCE .
Frappe .... je m'abandonne à ta faux meurtrière ,
Mais du moins , en mourant , exauce ma prière :
Vois tous ces malheureux , triſtes & languitlans ...
Ecoute ! entens leurs cris ! ce ſont tous ſes enfans ;
Ses foins font notre appui , ſes bienfaits notre vie :
Laifle donc à nos pleurs la main qui les effuie ! ..
La Parque s'attendrit , & la pitié ſoudain
Achève & fait tomber le ci eau de ſa main ;
Pour la première fois fon âme fut émue ,
Elle devint ſenſible , & la Mort fut vaincue.
Villemur en triomphe ; à nos voeux fatisfaits ,
Le Ciel accorde enfin le prix de tes bienfaits ;
Elle vit , & ce Dieu , maître des deſtinées ,
Promet à ſes vertus d'égaler ſes années.
Qu'elle vive , a t-il dit , & que rien déſormais
Ne puiſſe de ſes jours interrompre la paix !
Vous , Miniſtres heureux de mes ordres ſuprêmes ,
Allez à ſes enfans les apprendre vous-mêmes.
Le Seigneur a parlé ; tous les Anges , jaloux
D'annoncer à nos coeurs un oracle fi doux ,
( Comme un Miniftre auquel un coup- d'oeil fait
entendre
Les ordres de ſon Roi pour courir les répandre )
Tous volent , & bientôt , dans leur courſe rapide ,
De l'air qui nous ſépare ils ont franchi le vuide ,
Et femblent , dans l'ardeur dont ils font animés ,
Qu'ils ont eu part aux voeux que nous avons
formés.
Déja
AVRIL 1768 . 73
1
Déja des malheureux , en maudiſſant leur vie ,
Découvroient lous leurs pas leur tombe avec envie.
Un jour plus pur s'élève , un doux preſſentiment
Soulage leur douleur & finit leur tourment ,
La crainte ſe diſſipe & l'eſpoir ſe ranime ,
Une inviſible main vient réformer l'abyme ;
L'yvreſſe dans leurs coeurs, étouffant leurs ſoupirs,
Les font frémir de joie & pleurer de plaiſirs !
Qui te retientencore , âme ſenſible & tendre ?
Viens jouir de ces pleurs que tu nous fais répandre ,
Viens , & par nos tranſports que ton eſprit charmé
S'enyyre , en nous voyant , du bonheur d'être
aimé ;
Accours , & dans ce temple où ton âme fidèle
Aconſacré par-tout des marques de ton zèle ( 1 ) ,
Viens reprendre ta place & benir le Seigneur
Ranimer tes enfans , conſoler ton Paſteur ;
Et ſi le Ciel entend les voeux qu'il nous inſpire ,
Que les ans de tous deux puiſſent ſe reproduire ,
Et , conſervant des jours dont nous avons beſoin ,
Qu'en lui donnant ton âge , il t'en rende témoin.
( 1 ) Mde de Villemur eſt une de celles qui ait
le plus ſecondé les vues de M. le Curé de Saint
Roch dans les embelliſſemens , l'ordre & le bien
qu'il a fait dans ſa paroiffe.
Vol. II.
74 MERCURE DE FRANCE.
VERS à ÉGLÉ , en lui envoyant le portrait
de l'Amour.
B
ELLE Eglé , recevez l'Amour ;
Sa vifite aujourd'hui ne doit point vous ſurprendre ;
Est- il juſte que chaque jour
Vous nous en donniez ſans en prendre ?
RÉPONSE à la même , qui avoit remarqué
*que cet Amour n'étoit repréſenté qu'avec
fon flambeau.
BELLE Egle, ſi l'Amour n'a plus que fon
flambeau
C'eſt que ce Dieu , trop für de vaincre par vos
charmes ,
A lui -même briſé ſes armes
Comme un inutile fardeau.
JORELDESAINT- BRICE , Garde du Roi ,
Compagnie de Beauvau,
AVRIL 1768 . 75
LETTRE de Milady ***. à M. DE LA
PLACE , fur une anecdote fingulière
concernant les funérailles de Cromwel.
VOuuss vous rappellez , fans doute
Monfieur , qu'à propos des foibleſſes dont
les plus grands hommes font fufceptibles ,
je vous citai entre autres celle que notre
fameux Cromwel eut quelques jours avant
ſa mort , & qu'il ne craignit pas de confier
àl'un de ſes plus intimes favoris ; que cette
anecdote , dontjefus bercée parmon père ,
qui la tenoitdu ſen, vous parut , non-feulement
fabuleuſe , mais encore dénuée de
toute eſpèce de vraiſemblance.
Quoi ! ( difiez- vous ) cet heureux ſcélérat
, dont la froide intrépidité conſtituoit
eſſentiellement le caractère ; cette âme auffi
atroce qu'hypocrite , auroit pu ſe dénaturer
aupointde craindre les outrages que
l'on pourroit un jour faire ſubir à fon cadâvre
? Il eût pu s'oublier aſſez , lui que la
mort mille fois préſente à ſes yeux , ne fit
jamais pâlir , pour vouloir dérober fon
corps aux infultes très-incertaines dont
pouvoit le menacer le retour encore plus
incertainde la maiſon de Stuart fur le
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
trône d'Angleterre ? Etduſſai je ( ajoutiezvous
) être affez poliment François , pour
accorder à Milady que ce barbare & ambitieux
politique , affoibli par la maladie ,
eût pu céder à ces ridicules terreurs ; comment
ſe ſoumettre à croire que les affreux
moyens qu'on propoſa pour le calmer &
le faire mouriren paix , puffent avoir
ſeulement été imaginés , mais raiſonnablement
enviſagés comme pratiquables ?
non-
Vous me fites rougir , Monfieur ; je ſuis
jeune , & n'inſiſtai pas : mais je ſuis Angloiſe
, & ne l'ai point oublié. Or , plus
cette eſpèce de tradition que j'ai reçue de
mes ayeux , ſembla vous paroître étrange ,
& plus j'ai pensé que pour tâcher de réhabiliter
dans votre eſprit quelqu'un que
vous ſavez d'ailleurs n'être pas trop légèrement
croyant , je devois , à mon retour
ici , tenter d'approfondir ſur quoi pouvoit
être fondée cette anecdore. Voici ce qu'en
attendant mieux , m'envoie un homme
très-verſé dans ce qu'a de plus ſecret notre
hiſtoire , & que je vous envoie à mon
tour , pour vous prouver que cellequi vous
a tant amuſé à mes dépens , n'eft pas toutà-
fait de celles que l'on appelle ici auffi
leftement que chez vous , de vrais contes
de bonnes femmes. Je ſuis , &c.
A Londres , le 6 mars 1768 .
AVRIL 1768. 77
LETTRE de M. V***, à Milady ***.
MILADY ,
CI- inclus eſt l'article dont j'eus l'honneur
de vous parler lundi , & qui ſe trouve
dans le 2me volume , page 169 , des Mêlanges
de la bibliothèque Harleiene. Bien des
perſonnes regardent cette relation comme
très vraie , d'autres comme douteuſe , d'autres
comme un fait dénué de toute eſpèce
de probabilité. Quant à moi , je crois
devoir ſuſpendre mon jugement, juſqu'à
ce que le tems & notre bon ami R ***.
qui m'a promis ſur ce ſujet d'autres lumières
, me permettent de prononcer affirmativement
fur cette étonnante aventure.
Quoi qu'il en ſoit , & pour obéir à Milady,
voici l'extrait que je lui ai promis de cinq
différentes pièces de cette bibliothèque ,
& intitulées ainſi que ci- deſſous :
N°. 1. Relation de l'enterrement du
RoiCHARLES I. & de celui de CROMWEL ;
dans laquelle on voit comment les amis
d'OLIVIERfont parvenus à mettrefon corps
à l'abri des infultes dont l'avenir pouvoit le
menacer , en ſubſtituant le corps du Roi
CHARLES à l'ignominie qui pouvoit être
destinée à celui de l'ufurpateur.
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
2. Manuscrit foigneusement confervépar
Mylord OXFORD , contenant l'extrait d'un
journal de la Chambre des Communes ; laquelle
honorable Chambre voulant , autant
qu'il est en fon pouvoir , profcrire la mémoire
& le nom de l'ufurpateur CROMWEL
ordonnaquefon corps fût exhumé, pour être
pendu à Tyburn , & enfuite jetté au feu.
3. Lafaçon dont cet ordrefut exécutépar
leSergent de l'honorable Chambre ; comment
il trouva & fit déterrer le cercueil du
tyran , fur lequel cercueil étoit écrit le nom
d'OLIVIER , avecfes titres ufurpés , dans
la chapelle de HENRI VII , à l'abbaye de
Westminster.
4 & 5. Un manuscrit de deux différentes
mains contenant la relation très-remarquable
du CONTRE- ENTERREMENT de l'archi-
traître , ainsi que des raiſons & des
moyens dont on s'eſtſervi , pour foustraire
fon cadavre à l'ignominie qu'on craignoit ;
pour étendre même au-delà du tombeau , la
haine que les ennemis du Roi CHARLES lui
avoientjurée au point deſubſtituer le corps
de ce Roi décapité à celui de CROMWEL ,
& lui faire fubir l'opprobre public deſtiné
par un peuplejuſtement enragé , au cadavre
del'ufurpateur.
N. B. Les raiſonnemens , & les conféquences
tirées de ces différentes pièces ,
au Mercure prochain.
AVRIL 1768. 79
LE mot de la première énigme du premier
volume du Mercure du mois d'avril
eſt l'étui. Celui de la ſeconde eſt cafferolle.
Celui du premier logogryphe eft cave , où
l'on trouve eau , antidote du vin , dont la
conſervation eſt l'avantage principal qu'on
en retire. Celui du ſecond eſt ambroiſie ;
dans lequel on trouve or , air , rame ,
mari , bife , Roi , ami , foie , moire , ambre
ris , rofe , baifer. Et celuide l'anagrammelogogriphique
est écran , dont les quatre
anagrammes font : crâne , nacre , ancre
& rance.
D
ÉNIGME.
Es ſucceſſeurs de l'empire du monde
Ma reſſemblance orne le front :
د
Quoique petit je ſuis profond ;
J'ai mille creux , & ma furface eſt ronde.
Je ne ſuis fait que pour être pouffé ,
Je fers aux laides comme aux belles ;
Et je cauſe ſouvent des bleſſures cruelles
En empêchant que l'on ne ſoit bleffé .
Par M. MOLINE.
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
J
AUTRE.
E ſuis l'outil de preſque tous les arts ;
Un meuble des enfans de Mars.
Je fus jadis une arme incomparable ,
Un peuple belliqueux ſe ſert encor de moi ,
Et me rend , dans un choc , terrible , formidable
A l'aide d'un bon bras , & d'un bon palefroi.
On me trouve partout , ſous une humble cabane ,
Comme dans les palais des Rois ;
C'eſt moi qui dépeuple les bois ,
Qui conſtruit le vaiſſeau , l'eſquif & la tartane
J'en dis trop ; je vainquis ſouventdans les tournois
Piques , lances , & pertuiſane ;
Je ſuis d'un dieu jaloux l'attribut principal ,
Je façonne un courſier , je commande au métal ,
Je ſuis un voiſin redoutable
Dans les villes , près des forêts ,
Et tôt ou tard je ſuis inexorable)
Lorſque je mets en oeuvre un ais plus lamentable
Que le ſombre & triſte cyprès.
Par M. DE BOUSSANELLE , Mefire de Camp de
Cavalerie , Capitaine au Commiſſaire-Général.
AVRIL 1768. 81
LOGOGRYPΗ Ε.
H
UIT lettres compoſent mon nom ,
Et j'en puis former plus de mille.
Les détaillerar-je ici ? non ,
Cela ne ſeroit pas facile.
Contente-toi , mon cher lecteur ,
D'y trouver celui de ton maître ,
De ton égal , de ton inférieur ,
De celui qui te donna l'être.
Si cependant tu veux le tien ,
Celui de ton Eléonore ,
Et de ſon chat & de ſon chien
Tu les y trouveras encore.
,
AUTRE.
A l'Auteur du logogryphe - arithmétique
inféré dans le Mercure de France , du
mois d'août 1767 , qui dit l'avoir trouvé
dans un vieux manufcrit.
1 DE votre docte logogryphe ,
Je crois l'origine apocryphe ,
Et c'eſt un nouveau tour d'eſpric
Tiré d'un ancien manufcrit .
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
Mais j'aime à deviner fans peine ,
Et l'oeuvre eſt de trop longue haleine .
Vous aimez donc à calculer ?
, Eh bien , n'allez pas reculer
Le thême n'eſt pas difficile ;
Au calcul je vous crois habile ,
Et vous l'expliquerez dans peu;
Ce n'eſt , je vous jure , qu'un jeu.
:
Addition : 3,7 , plus 8 font fix ,
Soustraction : 8 moins s reſte dix ,
4,7 & 8 , par deux multipliés ,
Donneront 12 ; & par trois diviſés ,
Reſte zéro . Voici le mauvais pas ,
La régle d'or me met dans l'embarras ;
3,7 & 8 font , à huit dans mon theme ,
Comme 6,7 plus huit font à huit même.
Serois-je obſcur ? mais au moins je ſuis bref,
Et dans ceci ne mets rien de mon chef ;
Ce n'eſt grimoire à vous rompre la tête :
C'eſt , je l'ai dit , un jeu , je le répète.
,
Par M. D. C. D. DE FL... CE ,
abonné au Mercure.
AVRIL 1768 . $3
COUPLETS DE TABLE,
N
Air : La ceinture.
os efforts ſeroient ſuperflus ,
Cédons au charme qui nous preſſe.
Pour hôte nous avons Bacchus ,
Nous avons Vénus pour hotelſe.
S'il exiſte un audacieux
Qui morgue l'amour & le brave ,
L'éclat qui part de ſes beaux yeux
En fera bientot un eſclave.
Le plaiſir s'éclipſe en naiſſant ,
Enchaînons-le s'il eſt poſſible.
Je ne vois qu'un moyen puiſſant ,
C'eſt de boire & d'être ſenſible .
Les grandeurs & l'ambition ,
Entraînent trop d'inquiétude.
L'enjoûment eſt ma paſſion ,
Et la volupté mon étude.
Un teul jour , d'amis entouré ,
Vaut mieux que dix ans de retraite.
Tout homme chez lui ſequeſtré ,
N'eſt qu'un innocent qui végète .
:
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
Si nos jours au deſtin ſoumis ,
Ne ſont jamais aſſez durables ;
Le vin , l'amour & les amis ,
Sont faits pour les rendre agréables.
:
Par M. FUZILLIER , à Amiens.
AVRIL 1768. 85
:
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTÉRAIRES,
ABRÉGÉ chronologique de l'Histoire de
France , &c. A Paris , de l'imprimerie
de PRAULT ; 1768 : in-4 . 2 volumes ,
en in- 12 2 volumes.
Ce très inftructif , très- intéreſſant &trèsbel
ouvrage , que nous avons annoncé dans
le Mercuredu mois de mars paffé , indépendaminent
des corrections que fon célèbre
auteur y a faites , eſt conſidérablement
augmenté dans cette nouvelle édition.
Nous avons pris , parmi ces augmentations
, quelques articles au hafard , qui
ne pourront ſans doute que plaire aux
lecteurs & faire deſirer d'autres .
Michel Servet , hérétique , eſt brûlé à
Genève * vingt ans après que Genève eut
donné ſon arrêt contre la religion romaine.
Cette exécution ſe fit à la pourſuite de
Calvin , qui démentit bien alors tout ce
qu'il avoit cherché à établir touchant les
exécutionspratiquéescontre les hérétiques .
* Année 1553 .
$6 MERCURE DE FRANCE.
Le tolérantiſme eſt toujours la prétention
du parti le plus foible. Il s'autoriſe furtout
de ce que la religión romaine eſt la
ſeule qui ne l'admet pas , & que la religion
païenne n'a jamais persécuté. On
trouvera la preuve du contraire dans Tacite
& dans Dion . " Ceux qui introduifent un
>> nouveau culte , difoit Mécénas àAugufte,
>> ouvrent la porte à de nouvelles loix ,
» d'où naiffent enfin les cabales , les fac-
>>tions , les conſpirations ». Quand on
dit que les païens étoient tolérans , cela
s'entend des différens ſyſtemes adoptés
par les païens , qui leur étoient tous égaux,
parce qu'ils étoient d'accord fur le dogme ,
& que leurs dieux , loin de ſe nuire , fe
fortifioient en ſe multipliant. Mais quand
on en vouloit au paganiſme , ils ceffoient
d'être tolérans ; témoin Socrate , à qui
il en coûta la vie : tout le monde ſait
cela ,mais il ne faut pas oublier que la perſécution
eſt indigne d'un chrétien. ( Voyez
l'année 1685. ).
1683 .
Mort de M. Colbert , âgé de ſoixantequatre
ans , le 6 ſeptembre. L'éclat & la
proſpérité de ce règne , la grandeur da
Souverain , le bonheur des peuples , feront
regretter à jamais le plus grand ministre
AVRIL 1768 . 87
qu'ait eu la France. Ce fut par lui que les
atts furent portés à ce degré de ſplendeur
qui a rendu le régne de Louis XIV le
plus beau régne de notre monarchie : & ,
ce qui eſt à remarquer , c'eſt que cette
prétention fignalée qu'il leur accorda n'étoit
peut-être pas en lui l'effet du goût &
des connoiſſances ; ce n'étoit pas par ſentiment
qu'il aimoit les artiſtes &les favans
, c'étoit comme homme d'état qu'il
les protégeoit, parce qu'il avoit reconnu
que les beaux arts ſont ſeuls capables de former
& d'immortaliſer les grands empires.
Homme mémorable à jamais, ſes ſoins
étoient partagés entre l'économie & la
prodigalité ; il économiſoit dans ſon cabinet
par l'efprit d'ordre qui le caractériſoit ,
ce qu'il étoit obligé de prodiguer aux yeux
de l'Europe , tant pour la gloire de fon
maître que par la néceſſité de lui obéir ;
efprit fage , & n'ayant point les écarts du
génie. Par negociis neque fupra erat.
(Tacite )
-2
:
7
14
Remarques particulières. Troisième race.
}
Que la ſimplicité des premiers temps
ne nous rebute pas. Ily a autant à gagner
pour la connoiffance de l'eſprit humain &
de fes progrès. N'est-ce pas une choſe
88 MERCURE DE FRANCE .
curieuſe , par exemple , de retrouver dans
une nation , qui peut bien le diſputer
aujourd'hui au plus bel âge de la Grèce ,
pour la fublimité de ſes ouvrages dramatiques
, de retrouver le temps de ces tragédies
informes appellées myſtères ? Quel
chemin il a fallu faire pour parvenir du
théâtre de la Trinité à celui de l'hôtel de
Bourgogne , des miracles de Sainte Catherine
, de la comédie de la paſſion , &c.
à Polieucte , à Athalie , & c ! Mais une
conſidération plus importante ſe préſente
à ce ſujet , c'eſt par rapport à la religion.
Nous ne revenous pas de ſurpriſe de
voir les myſtères repréſentés avec l'autorité
des Magiſtrats , dont la ſévérité à cet
égard ne peut être ſuſpecte. C'eſt ce que
nous avons de plus ſacré , Jésus-Chrift , la
Vierge , &c. repréſentés avec une familiarité
ſi éloignée de nos idées & de nos
reſpects ; cela s'explique par la différence
des temps , & nous fait connoître l'ignorance
, la fimplicité , l'innocence d'alors.
Nons, ce n'étoit point par profanation de
la religion , tout étoit ſpectacle pour un
peuple groffier , qui étoit attiré dans les
égliſes , où les cérémonies mêmes du fervice
divin étoient mêlées de ces ſpectacles.
« On ne célébroit pas ſeulement les fêtes ,
> on les repréſentoit ; le jour des Rois trois
AVRIL وو . 1768
>> Prêtres , habillés en rois , conduits par
>>une figure d'étoile qui paroiffoit au
>> haut de l'égliſe , alloient à une crèche ,
>> où ils offroient leur don » . De-là le
peuple couroit au théâtre , où il retrouvoit
les mêmes ſujets ; c'étoit encore lui
remettre les chofes de la religion ſous les
yeux. « Leur foi étoit fortifiée par l'habi-
>> tude qu'ils contractoient avec ces objets ,
»& en entendre parler , c'étoit les avoir
>> vus ». ( Fontenelle ) . Ne ferions-nous pas
réduits aujourd'hui à regretter ces temps
de fimplicité , où l'on ne raiſonnoit pas ,
mais où l'on croyoit ?
Ce furent donc là les ayeux du grand
Corneille ? Tout a commencé ainſi dans
le monde. La tragédie Grecque n'eut pas
une plus noble origine. Qu'il y a loin de
Thespis à Sophocle ! Après les repréſentations
des myſtères , les idées s'étendirent ,
le ton changea inſenſiblement , & cet
eſpace ne fut guères que de Charles Và
Henri II. Jodelle donna alors des tragédies&
des comédies , Baïfſous Charles IX,
Garnier fous Henri III & Henri IV, &
enfin ſous Louis XIII , Hardi , Mairet ,
Tristan & Corneille.
9. MERCURE DE FRANCE.
TRAITÉ de Morale , ou devoirs de l'homme
envers Dieu , envers laſociété , & envers
lui-même ; par M. LACROIX. A Paris ,
chez DESAINT , Libraire , rue du Foin
Saint - Jacques ; à Carcaſſonne , chez
HEIRISSON Imprimeur - Libraire ;
1768 : avec approbation & privilège du
Roi ; vol. in- 12 .
د
ANALYSE.
Nos devoirs ont pour ſource notre
nature & les rapports que nous avons avec
Dieu & avec nos ſemblables. Ils embraffent
donc ce que nous devons à Dieu , à
la fociété & à nous-mêmes.
LIV. I. Nous devons à Dieu l'adoration ,
l'amour & une foumiſſion entière.
L'adoration renferme l'aveu de fon
ſouveraindomaine & de notre dépendance
abfolue , la louange , l'action de graces &
la prière. L'amour conſiſte à defirer de
jouir de lui comme étant notre bien fuprême
; & exige que nous lui rapportions
toutes nos actions comme à notre fin dernière.
La foumiſſion emporte l'obéiſſance
AVRIL 1768 .
àſes loix,& la réſignation à ſa providence.
Au culte intérieur doit être joint l'extérieur.
Liv. II. Les hommes peuvent être conſidérés
comme formant la ſociété générale
du genre humain , ou des ſociétés particulières
qui obéiſſent à certaines loix , &
qui ont divers rapports les unes aux autres.
De - là vient la morale de l'homme , la
morale du citoyen , la morale des états.
La morale de l'homme ſe réduit à ne
faire du tort à aucun de nos ſemblables ,
& à faire du bien à tous. On fait du tort
à autrui lorſqu'on porte préjudice à ſes
biens corporels ou à ſes biens ſpirituels ,
qu'on attente à ſa vie , à ſa liberté , àfa
réputation , à ſes biens de fortune , qu'on
le jette dans l'erreur ou dans le crime.
Il eſt permis d'agir contre un aggreffeur
injuſte ; mais on doit ne lui faire que le
moindre mal poſſible. Ce principe règle
lesdroits de la défenſe naturelle. La bienfaiſance
confifte à favorifer le bien corporel
& le bien fpirituel des autres , à défendre
leur perſonne& leurs biens de fortune ,
à les aſſiſter dans leurs beſoins , à leur
rendre la ſociété agréable , à éclairer leur
-eſprit , à les porter à la vertu.
Le citoyen doit obſerver les loix de ſa
patrie , & la ſervir de ſa vie , de ſes biens ,
92 MERCURE DE FRANCE.
de ſes talens. Toute ſociété civile a beſoin
d'un chef pour diriger vers le bien commun
les forces & les volontés particulières.
<< Ainſi l'être ſuprême ayant inſpiré aux
>>>hommes de ſe réunir en ſociété, approuve
» & ordonne qu'ils choiſiſſent un ſouve-
>> rain . Par cette approbation&par cet ordre
>> il communique au Souverain choiſi une
>> partie de ſa puiſſance fur les hommes.
>> C'eſt donc de Dieu que les Souverains
>>tiennent l'autorité ; car étant lui ſeul
>> maître ſuprême des hommes , il n'ap-
>>partient qu'à lui de donner à un d'en-
>> tr'eux le droit de gouverner les autres.
>>>Une troupe d'eſclaves pourroient - ils ,
>> ſans le conſentement de leur maître ,
>> donner à un d'entr'eux le pouvoir de
>>> les gouverner , & le droit de vie & de
>>>mort ? Or nous ſommes les eſclaves de
» Dieu » . Les ſujets doivent obéir au Souverain
, & lui garder une fidélité inviolable.
M. de Montesquieu a cru que le citoyen
pouvoit , dans les monarchies , refufer les
emplois publics ; l'auteur du traité que
nous analyſons penſe le contraire. « Dans
>>quelque gouvernementque ce ſoit , dit- il,
>>républicain ou monarchique , les ſujets
>> ont donné au Souverain le droitde diri
>> ger vers le bien commun leurs forces&
>> leurs volontés ; ils ſont donc obligés de
AVRIL 1768 . 93
>> ſuivre ſa direction dans tout ce qui inté-
>> reſſe le bien. Eſt- ce à eux à juger de la
>> manière dont leurs talens doivent être
>> employés ? Parce que le Souverain ne
>> trouvera pas à propos de leur confier des
>>emplois que leur ambition defireroit ,
>> pourroient- ils refuſer ceux qu'il voudra
>> leur confier ? Où ſeroit l'obéiſſance qu'ils
>> lui ont jurée ? Où ſeroit l'amour que
>> tout citoyen doit avoir pour la patrie ,
>>& l'engagement qu'il a contracté de la
>> ſervir de ſes talens ? Un vain honneur ,
>>c'est- à-dire , la crainte de ce que diront
>> les concitoyens , doit - il faire violer le
>>devoir le plus facré ? Mais que diront
>> les concitoyens ? Ce que diſoient les
>>>Romains & les Grecs lorſqu'ils voyoient
>> d'anciens Généraux, illuſtrés parpluſieurs
>> triomphes , ſervir ſous des Généraux
>>>novices ; ce qu'a dit la France lorſqu'elle
>> a vu le Maréchal de Boufflers ſervir ( en
>> 1709 ) ſous le Maréchal de Villars qui
>> étoit moins ancien : que le bon citoyen
» est toujours prêt à fervir la patrie dans
» tous les poftes où elle veut le placer , & que
» l'amour du bien public est le principe do
>> toutes ses actions. D'ailleurs n'est- il pas
>> de l'eſſence du grand homme d'être
> ſupérieur au rang qu'il occupe ? Il n'eſt
>>doncpointhonteux d'être regardé comme
94 MERCURE DE FRANCE.
>>capable de remplir des emplois plus éle-
>>vés ». La révolte eſt un forfait. Le prétexte
de la religion ne l'excuſe point. La
puiſſance eccléſiaſtique n'a pas le droit de
délier les ſujets du ferment de fidélité.
Ce font- là des vérités qu'on ne ſauroit
trop publier pour la fûreté des Souverains
& la paix des nations , &dont la connoiffance
auroit autrefois épargné à l'Europe
entière des fleuves de ſang.
Le Souverain , de ſon côté , doit ſe
propoſer ſans ceſſe le bien public , procurer
à l'Etat la ſûreté & la tranquillité
intérieure & une véritable puiſſance , &
le mettre à l'abri de la violence étrangère.
C'eſt manquer à la plus ſaine politique
que de ne point y introduire ou de ne
point y conferver le chriftianiſme : « cette
>>religion donne aux loix civiles la plus
>>>grande force qu'elles puiſſent avoir, celle
>> de la confcience , la ſeule capable d'ar-
>> rêter un coeur corrompu qui peut com-
>> mettre l'injustice ſans être découvert ,
» ou fans avoir à craindre la punition des
>>>hommes. Elle est très-conforme à l'ef-
>>> prit ſocial ; car l'eſprit ſocial n'eſt que
>>ce dévouement à la patrie , qui fait que
>>le citoyen conſacre à fon ſervice ſes
>>>talens , fes biens , ſavie : or il n'eſt rien
>>qui inſpire plus ce dévouement que le
AVRIL 1768. 95
>> chriſtianiſme , puiſqu'il n'eſt rien qui
>>inſpire plus l'amour du devoir. Que
>> l'honneur des monarchies , la crainte des
>> états deſpotiques , la vertu républicaine
>> font de foibles motifs pour engager le
>> citoyen à ſacrifier à la patrie ſes inté-
>> rêts les plus chers & ſes plus douces in-
>> clinations ! Il n'eſt que le chriſtianiſme
>> qui élève l'homme au - deſſus des foi-
>> bleſſes de fon coeur. Enfin cette religion
>> fert beaucoup à la police. Quel eſt l'ob
>>jet de la police ? La conduite extérieure
>>> des citoyens ; & c'eſt un des préceptes
>>les plus formels du chriſtianiſme d'obéir
>>>aux Princes , dans tout ce qui n'eſt pas
>> contraire à la loi de Dieu , & de leur
>> garder une fidélité inviolable » .
Vient enfin la morale des états. Voici
les principes importans que l'auteur en
ſeigne ; les ambaſſadeurs doivent agir en
amis & être traités comme tels : la guerre
doit être juſte , & ne faire à l'ennemi que
le moindre mal poſſible : elle ne donne pas
le droit d'ôter la vie ou la liberté à un
ennemi déſarmé ou ſoumis : le dégât a
desbornes : la conquête n'eſt légitime que
lorſqu'elle est néceſſaire à la fûreté du
vainqueur : celui- ci eſt obligé d'interrompre
, au milieu de la guerre , ſes ſuccès
pour recevoir les ſoumiſſions de l'ennemi ;
96 MERCURE DE FRANCE.
les engagemens pris avec l'ennemi font
inviolables.
LIV . 111. Pour ſe rendre heureux , il faut
éviter les maux & acquérir les véritables
biens. Les maux nous viennentde nos paffions
, ou de la méchanceté des autres
hommes , ou de cauſes purement phyfiques.
Nos véritables biens ſont la ſantédu
corps , la vérité , la vertu .
L'auteur indique les moyens de ſe procurer
ceux- ci , & d'éviter ceux- là , ou d'en
diminuer le ſentiment. Touchant la calomnie
: " Si l'envie ou la malignité , dit-
>>il , terniſſent notre réputation , & que
> nous ne puiſſions pas diffiper les préjugés
» qu'elles ont fait naître ; que le témoi-
>>gnage de notre confcience nous ſuffiſe.
>>Que peuvent nous ôter les vains difcours
»& le mépris des hommes ? Notre vertu
» ſera- t-elle moins pure & moins réelle ,
» parce qu'elle ne fera pas reconnue ? II
>>eſt beau de mériter l'eſtime publique ;
>> mais il ne l'eſt pas de l'obtenir : la beauté
>>conſiſte dans l'ordre ; & l'ordre pour tout
>>>homme conſiſte à être vertueux , & non
>> à être reconnu pour tel ... Touchant l'oppreſſion
: " Si notre foibleſſe nous livre
» entre les mains d'un injuſte aggreſſeur ,
>>quelle reſſource nous reſte-t- il ? Notre
>>innocence & notre vertu.... S'affliger
>>de
AVRIL 1768. 97
> de ce qu'on eſt maltraité injustement ,
>> c'eſt preſque s'affliger de n'être point
>>coupable ; ſe plaindre qu'on n'obtient
>->pas les égards qu'on a méritésparſa vertu,
>>c'eſt avilir la vertu , puiſque c'eſt defirer
>>une récompenſe indigne d'elle. Quoi ,
>>eſt- il d'autre véritable mal que le crime ,
».& d'autre véritable bien que l'inno-
>> cence ? Et n'est- ce point un Dieu fage
>>& bienfaiſant qui gouverne l'univers ,
>& qui envoye des maux à l'homme ver-
>>-theux pour épurer ſa vertu ,& lui faire
>>acquérir du mérite » ?
Mais quel motifpeut nous porter à remplir
nos devoirs ? Dieu a promis à l'homme
debien, des récompenſes éternelles , & au
méchant , des châtimens éternels : c'eſt-là
un fait fondé ſur la foi publique , & fur
le chriſtianiſme qui est lui-même revêtu
de tous les caractères de divinité. « Nous
>> n'avons donc point de plus grand intérêt
>>que celui d'être vertueux , pendantle peu
>>d'inſtans rapides que nous avons à paffer
>>parmi les vivans.... Il s'agit d'un bon-
>>>heur ou d'un malheur infini & éternel ;
>>& cette vie comparée à l'étendue inter-
>>minable des ſiècles qui doivent la ſuivre ,
>>>n'eſt qu'un point : ce ſeroit donc renon-
>>cer à la raiſon , être dans l'aveuglement
Vol. II.
ود
ود
98 MERCURE DE FRANCE.
>>le plushonteux& le plus déplorable , que
>>de ne pas tout ſacrifier à la vertu » .
C'eſt ainſi que ſe termine le traité que
nous venons d'analyſer. On voit qu'il renferme
ce que la morale a de plus intéreſfant.
Cet ouvrage nous a paru clair , méthodique
, ſolide , écrit avec ſentiment ,
très-propre à répandre l'amour de la vertu .
Un autre avantage qui le diſtingue , c'eſt
que les principes du droit naturel y font
appuyés , modifiés ou expliqués par les
principes du droit civil & du chriſtianiſme
, & par- là la morale devient une
ſcience véritablement pratique.
RÉPONSE à la lettre de l'Hermite de Sainte-
Marguerite,en Bourgogne. Mercure de
février , pag. 78 .
IL eft affez naturel , Monfieur , que
privé,dans votre hermitage ,du ſecoursde
certains livres , vous ayez été embarraffé
ſur la ſignification du mot nebulas , qui
veut dire des oublies , pâtiſſerie fort recherchée
par nos ayeux , & dont on faiſoit un
grand débit , à en juger par le nombre des
Talmeliers ou Patiſſiers , & la quantité
qu'on en fourniſſoit pour la table de nos
AVRIL 1768. 99
Rois. Il paroît même qu'il y avoit une rue
à Paris qui leur étoit affectée , car la rue
de la Licorne s'appelloit anciennement rue
ás Oubloyers , aux Obléeurs & aux Oubliers .
Dans untitred'amortiſſement fait en 1273
aux écoliers de Sorbonue de deux maifons
ſiſes rues du Marché Palu & de la Licorne ,
celle- ci eſt appellée Vicus Nebulariorum.
C'étoit une coutume ancienne dans
l'égliſe de jetter du haut des voûtes des
fleurs & des oublies dans les fêtes ſolemnelles
, & principalement le jour de la
Pentecôte. Entre toutes les autorités citées
par du Cange , je vous rapporterai ſeulement
celle qu'il a tirée d'un ancien rituel
manufcrit de l'égliſe de Rouen. Dum incipitur
Veni Creator projicientur perfamiliares
thefaurarii exiſtentes in deambulatoriis
inferioribus turris ante crucifixumfcilicet
inferius & quàmpoterunt infra chorum
folia quercuum , nebulas & ſtupas ardentes
in magna quantitate. Voilà , comme vous
levoyez , Monfieur , une diſtribution d'oublies
faite au commencement de l'office ;
on la réitéroit à la meſſe. Et à Gloria in
excelfis emittent volare verfus chorum aves
parvas & mediocres cum nebulis ligatas ad
tibiam in competenti numero & continuabunt
pramiſſa ufque ad officium miſſa , nec ceffabunt
nifidum dicitur evangelium. Dans les
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
égliſes de Paris on jettoit par les voûtes
le jour de la Pentecôte un ou pluſieurs
pigeons , des oiſeaux , des fleurs , des étou--
pes enflammées & des oblées , oublées
oblayes . On voit par un compte de 1422
que cet uſage ſe partiquoit encore au isme
ſiècle. La plus grande marque de reſpect
& de joie qu'on pût donner dans les fêtes
publiques , faintes & profanes , étoit de ſe
parer de guirlandes de fleurs , d'en parſemer
les rues ou les égliſes , & de mettre
des oiſeaux en liberté. Comme ces fortes
de cérémonies avoient pour objet de retracer
l'idée du myſtère que l'Égliſe célébroit
&d'inſpirer une ſainte allégreſſe , on ne
peut pas douter qu'il y eût outre la Pentecôte
différentes fêtes où on les mettoit
en uſage. Celle de l'entrée triomphante
deJ. C. dans Jérufalem , rappellée à
ſouvenir le dimanche des rameaux , devoit
certainement être du nombre. Le regiſtre
•de votre paroiſſe lève toute incertitude à
cet égard ,& quoiquecette coutume ait été
fupprimée , il en reſte encore quelques vef
tiges. Nous avons des égliſes en France
où , le jour des rameaux , les enfans & les
jeunes perſonnes vont à la bénédiction
avec des branches d'olivier dans leſquelles
on a piqué de petits gâteaux , des cornets
d'oublies& autres friandiſes.Dans d'autres
a notre
AVRIL 1768 . 101
endroits on attache des fleurs à des branches
de laurier , de romarin , de bouis , &c.
Ici on porte des bouquets liés au haut d'une
longue tige , là on jonche le pavé des églifes
avec des herbes , & on environne de
fleurs & de verdure les croix de pierre ou
de bois qui font dans le parvis ou les
carrefours. Chaque pays a ſes uſages , &
vous ſavez que c'eſt de ces fleurs ou bouquets
qu'eſt venu le nom de Paſques fleuries
, qu'on a donné au dimanche des rameaux
.
Reſte à examiner ſi les nebula qu'on jettoit
dans les égliſes étoient ſimplement
ce que nous appellons oublies ou pain à
chanterdont on fait nos hofties , ou bien
cette pâtiſſerie ,plus ou moins fine & délicate,
qu'on appelle gauffre , croquet , petit
métier , &c. Je ferois affez tenté de croire
que c'étoient des oublies de cette dernière
eſpèce qu'on jettoitdu haut des voûtes ,&
que cet uſage a ſuccédé & remplacé celui
des premiers ſiècles du chriſtianiſme , où
les fidèles recevoient du pain azime &
s'envoyoient les uns aux autres des eulogies,
en figne de communion & de fraternité.
Je fuis , &c. J******.
A Paris , ce 19 février 1768.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
LES effets des Paſſions , ou Mémoires de
M. DE FLORICourt. Chez LEJAI
quai de Gefvres : 2 vol. in- 12 .
CES Mémoires font dans le goût de
romans de M. l'Abbé Prevôt. C'eſt ung
fuite de malheurs l'un à l'autre enchaînés
avec beaucoup d'adreſſe. On en pourrof
tirer une galerie de tableaux fombres , &
la plupart effrayans. Nous ſuivrons , dan
cet extrait , le fil des événemens. C'eſt le
ſeul moyen d'indiquer leur variété , la
nature des ſituations , & de laiſſer entre
voir leurs effets au lecteur.
«J'ai connu l'infortune dès ma plus
>> tendre jeuneſſe. Les paffions ont agité
>> mon coeur. Leurs funeſtes effets ont
>> répandu l'amertume fur ma vie. Le
ود temps , ſans diſſiper mes chagrins , en
> a diminué l'excès ; je ne ſuis plus dé-
>> chiré par le déſeſpoir. Une triſteſſe
»calme remplit mon coeur. Elle en amuſe
"l'inquiétude. Les malheureux , au bout de
>> leur carrière , ſe plaiſent à porter leurs
>> regards derrière eux , à ſe rappeller ce
>> qu'ils ont fouffert ; leur âme fatiguée
> ſemble ſe repoſer ſur ſes peines. Elle
AVRIL 1768. 103
>> jouit encore de ce plaiſir ſombre , indé-
>>finiſſable , mais vrai , qu'elle ſeule fait
>> connoître , & peut- être au - deſſus des
>> vaines confolations que donne l'amitié ».
Mon père , dégoûté du ſervice , époufa
une Demoiselle de Merville. Il s'étoit
vanté de ſes prétendues bonnes - fortunes
avec une Dame de Balme. Son mari périt
en voulant venger l'honneur de cette
femme vertueuſe. Elle conçut un projet
inoui. Plus de ſoins pour elle , que celui
de fortifier le tempérament de ſon fils
encore au berceau , de lui inſpirer des
ſentimens atroces, de l'accoutumer au fang.
Aquatorze ans le jeune de Balme vengea
fon père ſur le mien. Ma mère en mourut
de déſeſpoir. Le Préſident de Merville ,
frère de ma mère , venoit de perdre ſa
femme & d'apprendre la mort du ſeul
enfantqu'il avoit eud'un premier mariage.
Il fit tranſporter mon berceau chez lui ,
ſoigna monéducation en père auſſi éclairé
que tendre. Revêtu d'une charge de Conſeiller
, je partageois mon temps entre ma
reconnoiſſance & l'étude des loix.
La campagne , dans les temps de repos ,
m'offroit les ſeuls , mais fréquens moyens
de varier mes loiſirs. Attiré par des cris
perçans d'une forêt où je me promenois ,
je trouvai un jeune payſan qui diſputoir
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
à trois gardes- chaſſes de mon oncle , fon
fufil & un liévre. Je lui fis rendre le tout
& le ſuivis chez ſon père , où tout portoit
l'image de la plus déſaſtreuſe mifère. Ils
me parlèrent d'une bienfaitrice abſente , de
manière à me perfuader qu'elle étoit auffi
généreuſe qu'ils étoient reconnoiſſans. Je
les laiſſai contens de moi. Aquelque jour
de là quel fut mon étonnement en entrant
chez ce bon vieillard ! « J'apperçois une
>> femme parfaitement belle , préparant de
>>ſes mains un bouillon pour le vieillard ,
>> arrangeant ſon lit ; je m'avance : ne
>> ſoyez point ſurpris , me dit- elle , les
>> coeurs honnêtes s'entendent ; j'achève ce
-> que vous avez commencé. Je veux imi-
» ter les ſoins de Julie : permettez que je
>> vous ſeconde , que je partage votre
>> pitié. Sans me répondre & fans ſe dé-
>> ranger , elle me remet entre les mains
>>l'écuelle qui renfermoit ce bouillon ,
>> courtpanſer le vieillard , vient la repren
>>dre & la lui préſenter. Les grâces fim-
>> ples & touchantes avec leſquelles elle
>>s'occupoit, mepénétrent : voilà le triom-
"phe de l'humanité ».
Ce que je voyois , ce que j'apprenois
chaque jour de Julie , fit fuccéder à l'admiration
l'amour le plus violent. M. Derlet
, ſon père , avoit épousé , malgré elle ,
AVRIL 1768 . 1ος
une coufine de ma mère . Les foins inutiles
qu'il employa pour gagner le coeur de
cette femme, ſe changèrent en haine contre
toute notre famille. Julie , ſon ſeul enfant
, étoit fans ceſſe la victime de ſon injuſte
dureré. Je rendis pluſieurs viſites à
M. Derlet ; elles me déſeſpéroient ; mais
j'étois bienloinde croire cette haine invincible.
« Je voyois Julie , unie à moi par des
noeuds éternels , m'aimer autant que je
» l'adorois , répondre à ma tendreſſe. Je
>> goûtois le plaiſir de faire fon bonheur ;
>>j'inventois ce qui pouvoit le plus lui
>> plaire ,& je le lui offrois ; je me la re-
>>préſentois tendre & reconnoiffante , me
>>prouvant par ſes careſſes , combien elle
>>étoit fenfible. Je nageois dans la joie.
->J'épuifois toutes les idées poftibles de fé-
>»licité : je lui adreſſois des diſcours ; elle
>> y répondoit ; j'y répliquois. Une imagi-
>>nation brûlante m'entraînoit && me fixoit
"tout entier fur ces objets. ; elle me les
>> traçoit avec des traits fi vifs , que je me
>> croyois dans la fituation qu'elle avoit
>>produite. Je m'y livrois , & m'écriois
>>fouvent, quel bonheur! Ces mots échappés
» de ma bouche étoient encore plus dans
mon coeur. Il nageoit dans l'yvreſſe;
>>m>es ſens y étoient plongés. Je voyois
» Julie ; je la touchois; je reſpitois fon
ود
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
>>haleine ; la douceur de ſa voix enchan-
>>>toit mes oreilles. Mes diſcours la tou-
>> choient ; je la voyois s'attendrir. Heu-
>> reux délire ! plaifir de l'âme ! touchante
>>ſenſibilité , vous n'étiez qu'une douce
illuſion ; mon bonheur ne fut rien de
>>plus».
Mon oncle , preſſentant les ſuites d'une
telle paffion , fit entendre à mon eſprit tout
ce que la fageffe & la raiſon avoit de plus
capable de la déraciner de mon coeur. Ce
ne fut point par tout ce que les larmes &
l'intérêt perſonnel ont d'éloquence qu'il
me toucha. Il ne gagna quelque choſe ſur
moi, qu'en me montrantque j'allois rendre
Julie à jamais malheureuſe. « Floricourt ,
>> voudras- tu faire l'infortune de celle qui
>> t'adore ? N'en doute point ; l'amour que
>> tu lui auras inſpiré, que tu auras entre-
>>tenu s'éteindra difficilement ; le déſef-
>>poir empoiſonnera ſa vie. Les larmes
>>l'abreuveront ; tu auras à gémir de ſes
>>peines & des tiennes. Tu regretteras la
>>tranquillité que tu auras perdue , & celle
>>que tu lui auras ravie. Avant de te livrer
>>à ta paſſion , tranſporte-toi dans l'avenir ;
>>examine ce que tu voudrois avoir fait ;
>>>réfléchis ſur toi-même ; rentre en ton
>>coeur ; arraches- en le trait dont il eſt
>> percé ; ou fouffre , mais fouffre ſeul. Si
AVRIL 1768. 107
ود
>>tu peux étouffer le feu qui te brûle , ne
>>cherche point à ſéduire celle qui l'allume;
>>éclairé ſur le malheur qui l'attend , ne l'y
>>précipite point ; tu le peux , tu le dois.
>>Que dirois- tu d'un homme qui , dans
>>une entrepriſe périlleuſe qu'il pourroit
>>achever tout ſeul , iroit chercher fon
>>meilleur ami pour lui en faire partager les
>>dangers , & l'expoſer à une mort preſque
>>>certaine ? Tu le déteſterois comme un
>>>monſtre ; & ce monſtre ſeroit moins
>>odieux que toi. O mon fils ! tu dois être
>>la confolation de mes vieux jours ; je te
>>conjure de te vaincre par tout ce qui t'eſt
cher , par le ſouvenir de ton père &de
>> tamère , par ma vieilleſſe, par moncoeur ,
» qui a pris pour toi les ſentimens les plus
>>tendres , par cette Julie que tu adores ,
>>dont tu ne dois vouloir que le bonheur.
>>>O mon oncle! ômon père !
» mon ami ! ... que de noms ſacrés ! ....
>>Quedeviendrai-je ? L'appui d'un vieillard
>>qui t'aime. Quand l'honneur, le devoir
>>la vertu , l'amour même te le comman-
>>>dent , il faut t'y réſoudre ; me le promets-
>> tu ? je ne te demande que des efſais.
>>Ceffe de voir Julie pendant quelques
>>jours , le temps fera le reſte » . Le temps
ne fit que m'enflammer davantage..Mon
oncle,ſes amis, les miens , leurs prières&
...
...
6
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
mes foumiffions , ne purent rien obtenirde
M. Derlet. Il mit Julie dans un couvent.
Des ſommes immenfes préparèrent & dé
terminèrent la communauté à faire accepter
des voeux forcés , & à en accélérer
le moment. Vilson , mon ami dès le berceau
, renonça alors à fon goût ſolitaire
pour me fervir. Le jardinier de la communauté
étoit ce mêmepayſan dont j'avois ſecouru
la famille avec Julie. Nous nous écrivions.
Cependant Julie touchoit au terme
de prononcer des voeux irrévocables. La fupérieure
meurt ; il faut un homme pour aider
le jardinier à ouvrir le caveau. A la faveur
d'un déguiſement , je me vis dans les
murs quirenfermoient Julie. Je ſçavois que
les novices font chargées du ſoin de veiller
les morts. J'écrivis à Julie de demander à
reſter ſeule auprès du cadavre. Je deſcendis
dans le caveau pour arranger les caiffes. La
curiofitéy amena toutes les religieuſes. J'y
diſtinguai Julie. Les religieuſes ſorties , je
parcourus ces vaſtes tombeaux , fans être
effrayé de marcher fur des oſſemens épars ,
ou ramaſſés en un tas. J'avois placé mon
flambeau dans un coin dont la lueur ne
pouvoit m'éclairer. Je vis de la lumiere ,
du jour , du feu à travers des pierres mal
jointes , j'entends un bruit de ſoufflets , le
pétillementdu charbon. J'ébranlela pierre,
AVRIL 1768. 109
elle tombe. Je vois Vilson effrayé dans
une cave au niveau de celle où je ſuis. Le
hafard vous apprend mon fecret, me dit- il ,
en revenant à lui-même. Toutes les précautions
priſes pour enlever Julie , je me
renfonce dans le caveau. On m'appelle :
je monte. « O Julie ! m'écriai -je , je vous
>>revois ! en quel temps ! ... dans quels
>> lieux! ... ſous quels habits ! ... quels
> témoins de mon amour , & de la pureté
>>> du vôtre » ! J'entraînai Julie ſous ces
voûtes effrayantes. Là , reſpirant les exha
laiſons ſépulchrales , enveloppés de l'ombre
de la mort , ſans d'autres témoins que des
cercueils , nous nous jurâmes une fidélité
inviolable. Je lui montrai une porte qui
communiquoit à un ancien bûcher , dont
le jardinier m'avoit laiſſé la clef. Je la
menai auprès de Viljon . Je voulois partir ;
il s'y oppoſa. Je me rendis à ſes raiſons.
Le moment fixé pour notre départ , j'accompagnai
Julie auprès du cadavre , &
allai arrêter une chaiſede poſte , pour nous
mener au bord de la mer. Le jour arrive.
J'entre dans le caveau ; ma lampe s'éteint :
j'appelle Julic. La porte du bûcher étoit
ouverte. En errant de cave en cave , mes
pieds font arrêtés , jetombe ; je diftingue
des habillemens humides , unegorge ref
pirantàpeine. Je frémis; ferait-ce vous,
110 MERCURE DE FRANCE.
Julie : ah , Ciel ! un ſoupir me répond;
>> je n'en doute plus , je m'approche , elle
>>> revient : ſe ſentant ſaiſir à travers ces
>> ténébres , elle pouffe un cri , l'accompa-
>> gne de ces mots : Ciel ! ſecourez-moi.
>> Raffurez-vous , Julie , nous touchons à
>> la fin de nos peines. Floricourt
>> c'en eſt fait ..... j'outrageois mes de-
>> voirs , je profanois ces murs ſacrés , un
>>dieu vengeur m'en punit. Il m'a
>>>ſemblé voir ces cadavres s'élever devant
.....
....
.....
.....
>>moi , me fermer le paſſage ; un friffon
>> m'a ſaiſie , ma lampe s'eſt échappée de
>>>mes mains , je ſuis tombée .. Ah!
>>Floricourt , le ciel eſt offenſé ..... je ne
>>puis ni ne dois Dieu juſte , Dieu
>>terrible , ayez pitiéde moi ». Juliemeurt ;
la connoiſſance m'abandonne ; je tombe
mourant à ſes côtés. Vilson étonné de
notre abfence , vint , me rappella à lavie
par le moyen de quelque liqueur , m'emporte
dans mon appartement , fans être
apperçu ; retourne à Julie , la porte fur
l'eſcalier qui deſcendoit dans le tombeau,
referme la porte du bûcher , remet la
pierre , tranſporte tous fes creuſets dans la
cave fupérieure , en mure l'entrée ; & vient
me recommander ma propre vie & le
fecret.
M. Derlet m'accuſe de rapt. On m'emAVRIL
1768. III
priſonne. J'étois à la veille de périrdans
les tortures ou fur l'échaffaut , lorſqu'une
religieuſe mourut. Je fus innocenté. Que
ne dois-je point à la généreuſe & compatiſſante
tendreſſe de M. de Merville !
Méritoit- il le coup mortel dont il va être
frappé ! On avoit arrêté un homme furpris
à mutiler un cadavre. Preſſé d'avouer
les motifs qui l'avoient porté à ce meurtre ,
il dit qu'il avoit trouvé cet homme , autrefois
ſon ami , avec ſa femme , qu'il perça
ſur l'heure de pluſieurs coups d'épée
&que l'ayant forcé à ſe battre , il croyoit
l'avoir trop peu puni , en ne lui arrachant
que la vie. Toute l'horreur de tous les
fupplices dont on le menaçoit pour ſavoir
fon nom n'ébranlèrent pas ſa fermeté ;
& ce ne fut qu'avec le temps , qu'on obtint
de lui qu'il ſe déclarât. Il ne voulut
s'ouvrir qu'à M. de Merville , fur qui il
leva des regards ſombres & ſiniſtres , &
lui dit : « Enviſagez moi ... tremblez ...
>>je ſuis votre fils. Reconnoiſſez-le ce fils
>>que vous avez abandonné aux caprices ,
>> aux humeursd'une marâtre ;qui aigri par
>>votre haine , dégoûté de la maiſon pa-
>>ternellle , vous a fui & ſe voit plongé
>>dans cet abîme de malheurs , dont le
>>terme eſt un échaffaut , au pied duquel
> vous l'avez conduit , & fur lequel vos
112 MERCURE DE FRANCE .
>> ordres vont le faire monter .... Sepeut-
>> il que mon fils reparoiſſe en cet état
>> devant moi ! .. Malheureux ... de quel
>> crime t'es-tu rendu coupable ? ... Celfez
>> vos reproches , M. le Préſident ; la cir-
> conſtance dans laquelle je me trouve
>>n'en permet plus. Organe de la loi ,
>> réfléchiffez , & frappez . Vous avez voulů
» me connoître ; vous êtes fatisfait ....
>> mon fils n'accable point ton père in-
>> fortuné ; il fut coupable , la nature te
>>>venge ; ... que ſa vengeance eft ef-
>>>frayante ! .... La loi parle... je ſuis ton
> père ... elle eſt plus forte que ma ten-
>>dreſſe ... tu ne peus obtenir que mes
>> pleurs .... Et je n'en veux pas davan-
>> tage ; je ſuis prêt à tout ; je retrouve
>> mon père ; c'eſt au bord de la tombe ,
>>& quel chemin m'y conduit ! l'amer-
>>tume l'infamie. Il eſt inutile de
> ſonger à s'attendrit ; raffurez vous , re-
>>prenez vos forces ; je vais vous donner
>> l'exemple : je ne vous recommande que
>> mon fils. Adieu , mon père ». Je parvins
à le tirer des cachots par le moyen d'un
religieux directeur de la prifon. Il refta
caché chez ces moines , juſqu'à ce que le
fort de ſon enfant fût affure , après quoi
il ſe brûla la cervelle. M. de Merville ne
lui ſurvécut pas long-tems. Il ne me laiſſa
...
AVRIL 1768 . 113
que ma charge. Vilson arrangea mes affaires
; &je partis pour Paris, détestant des
lieux où, à chaque pas, je trouvois l'ombre
de mes malheurs.
Je jouiſſois d'une eſpèce de tranquillité
depuis fix mois , c'eſt-à- dire , que rien ne
me retiroit des tombeaux où mon imaginationmetenoit
impérieuſement renfermé
à côté de Julie , de M. de Merville & de
fon malheureux fils , lorſque j'entendis ,
dans l'appartement à côté du mien , une
voix qui appelloit au ſecours. J'y volai ;
je vis une jeune perſonne à qui on vouloit
faire violence. Je rentrai chez moi
après l'avoir tirée d'embarras. Le lendemainj'entendis
deux perſonnes ſe plaindre
deleur mifère. Jerendis une viſite à ces dames&
les reconnus pour des compagnes de
voyage , qui m'avoient rendu fervice. II
me fallut bien du temps & de l'adreſſe ,
pour leur faire recevoir mes fecours& mes
foins à la jeune perfonne, dans un procès
dontl'iffue devoit rétablir ſa fortune ou la
laiſſer ſans reſſource.En voiciun précis. Son
époux, conſacréàDieupar ſesparens , entra
dansun ordredont il n'eutpas à ſeplaindre,
tant que les aumônes de ſa mère en adoucirent
la ſévérité. Ii fit des fautes ; on le
punit; il s'évada. Après bien des malheurs ,
fon frère , ſous prétexte de l'obliger, l'at114
MERCURE DE FRANCE.
tira en France , le remit entre les mains
de ſes ſupérieurs qui le traitèrent comme
on peut ſe l'imaginer. Mde Vareuil le
connut en Angleterre où ils s'étoient mariés.
Auffi-tôt qu'elle fut inſtruite de fon
fort , elle quitte ſa patrie , trouve les
moyens d'entrer dans le couvent où fon
mari étoit renfermé , en qualité de frère ;
d'où , après cinq ans de travaux , elle l'arracha.
Il mourut des peines qu'il avoit
eſſuyées dans les cachots. Les religieux
trouvèrent le frère Sylvestre chez un M.
d'Abol, qu'ils ſçavoient êtrede ſa connoifſance.
Le ſupérieurdela communautéyalla
accompagné d'archers & d'un magiftrat :
«le voilà le frére Sylvestre, ce relaps, voyez,
>>> Monfieur , dit- il au magiſtrat ; je ne vois
>>que deux dames , répondit celui-ci ;
>>vous vous abuſez , reprit l'autre , cet ha-
>>bit de femme cache le frère Sylveftre ;
>>l'état dans lequel il m'a confié qu'il étoit,
>>prête à ſon déguiſement ; l'impie , il
>>>nous déshonore par ce traveſtiſſement ;
>> il ajoute crime fur crime. Il voulut s'é-
>> lancer ſur Mde Vareuil ; elle le repouſſe
>> avec fermeté . Père , lui dit-elle , êtes-
>>vous ſage ? Que ſignifient ces propos où
>je ne comprends rien ? Mde d'Abol leur
>>dit, laiſſez-moi ce petit frère , je ne puis
>>>mepaſſer de lui ; je ne ſçavois pas que
AVRIL 1768. IIS
t
>>>ce fût un échappé de votre maiſon ; je
>> remercierai M. d' Abol de lui avoir offert
>> unaſyle » . La ſcéne devint fort plaiſante,
& finit par couvrir le ſupérieur de confufion
. Mde Vareuil fit venir ſa fille d'Angleterre
, & chercha les moyens d'intéreſſer
fon beau- frère au fort de cet enfant ; elle
n'en éprouva que des indignités. L'ambaffadeur
d'Angleterre , à la protection duquel
elle recourut , lui conſeilla de l'attaquer
en juſtice ; elle le fit & fit mal. Que
peuvent deux femmes avec des droits
auſſi incertains , ſans protection , dans un
pays étranger ? Je voyois tous les jours
Mde Vareuil & ſa fille ; une douce familiarité
, les épanchemens mutuels nous
lièrent étroitement. Sylvie étoit belle ,
ſenſible. La reconnoiſſance m'avoit gagné
ſon coeur ; elle y fit naître l'amour. J'en
remarquois les ſymptômes dans toute fa
conduite. Je n'ofois m'interroger. Je craignois
unmaldont j'étois déja violemment
atteint. J'épouſai Sylvie après bien des
traverſes . M. de Saint- Clair , homme d'un
caractère extraordinaire , nous dota d'une
terre de près de dix mille livres de rentes.
"Allons, nous diſoit- il , vîte un enfant , je
>>veux le nommer ; je n'en ai point ; mes
>> parens ſont riches , il ſera mon héritier ,
>>ce ſera mon petit fils , je l'adopte d'a108
MERCURE DE FRANCE.
>> vance ; à ſa ſanté.Je ne m'occupe plus que
>>de lui. Son père & ſa mère font heureux ;
ils n'ont rien à deſirer , qu'ils faffent
>> leurs affaires & me le donnent promp-
>> tement » . Je vécus quelque temps heureux
avec Sylvie ; mais est- il ſur la terre
une ſituation où l'homme ſcache s'arrêter ?
Tout me parut dépoſer contre la fidélité
demon épouſe. Je devins ſoupçonneux.
Je ne la vois point pendant deux jours ;
j'enfonce la porte de ſon appartement ,
point de Sylvie. Je trouve une lettre à mon
adreſſe , où je lus : "Criminelle envers
>> mon époux , excuſable aux yeux de la
>>j>ustice divine , je pars ..... vous ne me
>>reverrez plus ». La terre de Floricourt
étoit en vente ; je l'achetai , pour y aller
enſevelir mes tourmens dans la plus triſte
folitude. La forêt attenante au château
étoit ma ſeule promenade. J'y vis paffer
une voiture traînée par fix chevaux ; une
femme ſe débattoit violemment avec plufieurs
perſonnes qui la tenoient dans ce
caroffe. J'avois mon fufil , je tirai ſur un
des chevaux , il tomba. Les domeſtiques
prirent la fuite. C'étoit une Dame qu'ils
enlevoient. A quelques jours de là , un
homme ſe préſente à moi l'épée à la main.
Il me reproche d'avoir tué ſon cheval , &
de l'avoir privé de fon rapt. Je refuſe
AVRIL 1768. 117
conſtamment le combat. Il me dit qu'il
a déshonoré mon épouse ; il tombe de
deux coups mortels. Il avoit fur lui une
lettre , où je vis comment mon innocente
épouſe étoit tombée dans les piéges de ce
monſtre. C'étoit ce même de Balme qui
avoit tué mon père. Vilſon m'écrivit que
M. Derlet vouloit m'entendre prononcer
fon pardon , & que mon confin étoit à
toute extrêmité. Ils me laiſſèrent l'un &
l'autredes biens conſidérables. Vilſon avoit
avec lui une jeune perſonne dont mon fils
devint amoureux. Nous partions pour les
unir , lorſque je reçus cet avis : " gardez-
>> vous d'accomplir cet hymen; prévenez
>> un inceſte » . Le caractère étoit de Sylvie
que je retrouvai. Vilson épouſa la foeur
de mon fils ; & nous vivons tous enſemble
auſſi heureuſement que le peuvent des
hommes.
:
Les événemens , malgré leur multiplicité
, ne ſe nuiſent pas dans cet ouvrage ;
les faits & les circonstances en ſont préparés
& développés avec beaucoup d'inrelligence.
Chaque perſonnage a un caractère
propre & foutenu dans toutes les fituations
où il ſe trouve ; ce qui jette pare.
tout une variété admirable. L'âme qui
aime à s'arrêter fur les objets ſombres ,
funèbres , à ſe remplir de terreurs , ne
?
118 MERCURE DE FRANCE.
ſera pas moins étonnée de la fécondité
dans l'invention , que du ton , du caractère
de ce lugubre , ce ſombre indéfinifſables;
celle qui ſe complaît dans les foupirs
, les gémiſſemeus , les larmes , ſera
ſouvent arrachée à elle-même , par des
fituations tantôt attendriſſantes , tantôt
pathétiques , & ſouvent déchirantes. L'auteur
a fans doute eu le deſſein de réunir
ces deux genres dans ſon ouvrage; fentant
bienqu'il ne manque à Cleveland, que d'attaquer
davantage notre ſenſibilité , pour
être le chef- d'oeuvre de cette partie de
notre littérature. Nous avons remarqué
qu'il poſſéde au mieux l'art du dialogue ,
dans pluſieurs ſcènes d'une éloquence ſage
&onctueuſe. Son ſtyle eſt extrêmement
ferré & rapide. Nous l'exhortons à écrire
dans cegenre. Il ne tiendra qu'à lui d'imiter
M. l'Abbé Prévôt.
DICTIONNAIRE portatif de faits & dits
mémorables ; chez VINCENT , rue
Saint- Severin : 2 vol. in- 8 °.
NOUS
ous revenons avec plaiſir ſur cet
ouvrage , dont l'avertiſſement , que nous
avonsrapportédans undes derniers MercuAVRIL
1768. 119
res , donne une idée exacte & préciſe. Il
n'étoit pas poſſible de renfermer dans deux
tômes de près de huit cens pages chacun ,
un plus grand nombre de faits & dits
mémorables ſans compter les tables ;
comme le caractère en eſt petit & fort
ſerré , le Libraire en eût pu faire aiſément
quatre bons volumes de même format.
Quant à la matière , on n'a preſque rien
à deſirer ſur l'hiſtoire ancienne ; fi l'Auteur
n'a pas épuisé la moderne , il a du
moins fait voir qu'il le pouvoit ; & le
Public doit lui ſçavoir gré de n'avoir
pas été volumineux. Un dictionnaire de
quatre ou fix tomes de la groſſeur de ceuxci
n'auroit pas été portatif. Quelques traits
pris au hafard dans cet ouvrage , le feront
mieux connoître , que tout ce que nous en
pourrions dire.
Dans le premier volume , article Alcibiade.
Son caractère s'annonça dès l'enfance.
Il jouoit un jour dans une rue avec
d'autres enfans de ſon âge , lorſqu'un
chartier vint à paffer avec ſa voiture ; il
le pria d'attendre que ſon jeu fût fini ;
mais le voyant près de déranger ſa partie ,
il ſe jette à terre au devant des chevaux
&dit au chartier de paſſer. Étonné de
cette hardieſſe , le chartier s'arrête & voit
finir le jeu.
120 MERCURE DE FRANCE .
Dans l'article d' Alexandre le Grand,Roi
de Macédoine , Ce Prince enfant fit voir
ce qu'il devoit être un jour. Entendant
parler des conquêtes continuelles du Roi
Philippe , fon père , il dit d'un ton chagrin
à ceux de fon âge , avec leſquels il
jouoit : " mon père ne me laiſſera rien ».
• Il vous laiſſera , lui répondirent - ils ,
>>toutes les conquêtes qu'il fait ". Que
m'importe , répliqua t- il , de poſſéder par
fucceffion de grands états , s'il ne me reſte
rien à faire , & fi je ne puis me montrer
un guerrier égal à mon père.
Antipatridas , chez lequel il ſoupoit ,
fit venir une très-belle chanteuſe. Ebloui
de ſes charmes , Alexandre demanda fur
le champ à fon hôte , s'il l'aimoit. Antipatridas
en convint , « ah ! ſcélérat , lui dit-
>>il alors , ne la feras-tu pas fortir promp-
>> tement ? »
Lorſqu'il rendoit la juſtice , il avoit
coutume , pendant que l'accuſateur parloit,
de ſe boucher une oreille avec la main ; &
comme on lui en demanda la raiſon :
" c'eſt , dit- il , que je garde l'autre à l'ac-
>> cufé » .
Pendant une marche longue & pénible
dans un pays aride , Alexandre & fon
armée ſouffroient extrêmement de la foif.
Quelques foldats envoyés à la découverte ,
trouvèrent
AVRIL 1768. 121
t
trouvèrent un peu d'eau dans le creux
d'un rocher , & l'apportèrent au Roi dans
un caſque. Alexandre fit voir cette eau à
ſes ſoldats , pour les encourager à ſupporter
la foif avec patience , puiſqu'ils
alloient trouver ce qu'il falloit pour y
remédier. Enſuite , au lieude boire , il la
jetta par terre aux yeux de toute l'armée.
Les Macédoniens applaudirent par de
grandes acclamations à cette abſtinence
admirable ; & ne penſant plus à leur foif,
ils dirent à leur roi qu'il pouvoit les mener
quelque part que ce fût , & qu'ils ne
ſe laſſeroient point de le ſuivre.
Proteas , dont l'eſprit plaiſant l'amuſoit ,
ayant eu lemalheur de lui déplaire, engagea
ſes amis à demander ſon pardon ; ce qu'il
fit en même tems les larmes aux yeux.
Alexandre , ſans ſe laiſſer trop prier , lui
dit qu'il lui pardonnoit. " Seigneur , dit
>>auſſi- tôt Proteas , commencez donc par
>>m>'en donner quelques marques , pour
>>que j'en fois bien aſſuré », Cette demande
fit rire Alexandre , qui commanda
qu'à l'heure même on lui donnật cing
talens (cinq mille écus, )
Il vit un jour un pauvre Macédonien
qui conduiſoit un mulet chargé de l'argentdu
roi , mais fi las , que ne pouvant
plus ſe foutenir , le conducteur , pour ſup-
Vol. II. F
122 MERCURE DE FRANCE.
pléer au manque de forces de l'animal,
chargea l'argent ſur ſes épaules. Près de
fuccomber fous un fardeau trop peſant , il
alloit le jetter à terre: " ne te laſſe point ,
>>lui dit Alexandre , & gagne tout dou-
>> cement ta tente avec cet argent : je te
>ledonne ".
• Dans l'article d'Antigonus , Roi d'Afie.
Informé que Philippe , ſon ſecond fils ,
étoit logé dans une maifon , dont la maîtreffe
avoit trois filles d'une grande beauté:
j'apprends , mon fils , lui dit-il , que vous
êtes trop à l'étroit dans une maiſon ha
>>bitée par pluſieurs maîtres ; prenez un
>>logement où vous ſoyez plus au large ».
Il le fit aller ailleurs , & défendit à tous
ceux au- deſſous de cinquante ans , de loger
chez des mères de famille. !
Lorſqu'on lui préſenta le diadême , il
letintquelque temps dans ſes mains , avant
qu'on le lui mît fur la tête , & dit , après
l'avoir confidéré : « ô bandeau plus noble
>> qu'heureux ! ſi l'on te connoiſſoit bien;
fi l'on ſçavoit combien d'inquiétudes ,
>>d>edangers&de mifères t'accompagnent,
>>& que l'on te vît traîner àterre , on ne
>>daigneroit pas même te ramaſſer ».
Dans l'article d' Ariftippe. Une fille publique
lui difoit un jour qu'elle étoit enceinte
de lui. Qu'en ſçavez-vous , lui
AVRIL 1768 . 123
>>répondit- il ? ſi vous marchiez au travers
d'un buiffon d'épines , pourriez -vous
>>fçavoir fi telle épine en particulier vous
»apiquée?>رد
Unhomme lui demandoit quelle femme
il devoit prendre. « Je n'en ſçais rien
>>répondit- il ; belle , elle vous trahira ;
laide , elle vous déplaira ; pauvre , elle
>>vous ruinera ; riche , elle vous dominera.
>>Décidez-vous vous même » .
1. Dans l'article de Bion. Il diſoit , en
diſſuadant le mariage , que la laide faifoit
mal au coeur , & la belle à la tête.
Dans l'article de Diogène. Un ouvrier ,
qui portoit une longue pièce de bois , en
donna un coup à Diogène en paſſant & lui
ditenſuite : " prenez garde ». Diogène
pourtoute réponſe lui donna ungrandcoup
de bâton & lui dit après : << prenez garde».
Un Phyſicien lui demandoit un jour
pourquoi l'or avoit une couleur pâle ? " II
craint , répondit- il , d'être attrappé par
>>tant de gens qui courent après lui ».
Comme nous aurons encore occafion de
parler de ce dictionnaire , nous paffons
tout de ſuite à l'hiſtoire moderne.
ArticleAmrou Laith. Il conçut ledeſſein
de détruire le Calife , & lui déclara la
guerre ; mais le Calife lui envoya Ismaël
qui le fit priſonnier. Amrou étoit un prince
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
magnifique & très ſplendide , il ne falloit
pas moins que trois cens chameaux pour
porter ſeulement l'attirail de ſa cuiſine ,
lorſqu'il étoit en campagne. Le jour qu'il
fut vaincu & arrêté priſonnier par Ismaël ,
il vit près de lui le chefde ſa cuiſine qui
ne l'avoit pas abandonné , & lui demanda
⚫ s'il n'avoit rien à lui donner à manger.
Le cuiſinier , qui avoit un peu de viande ,
la mit auffi-tôt ſur le feudans une marmite,
& alla chercher quelqu'autre choſe pour
régaler fon maître dans ſa diſgrace , le
mieux qu'il lui ſeroit poffible. Cependant
un chien , qui vint là par hafard , mit la
rête dans la marmite pour prendre la
viande; mais il ne put le faire auſſi promptement
qu'il falloir , à cauſe de l'ardeur
du feu qui le contraignit d'abandonner
ſon entrepriſe. En relevant la tête , l'anſe
de la marmite lui tomba ſur le col ,& il
fit ce qu'il put pour s'en dégager ; mais ne
pouvant en venir à bout , il prit la fuite
& enleva la marmite. A ce ſpectacle ,
Amrou ne puts'empêcher de faire un grand
éclat de rire , nonobſtant ſa diſgrace ; &&
un des officiers qui le regardeient , furpris
de ce qu'un roi prifonnnier pouvoit rire ,
lui en demanda le ſujet. Il répondit : " ce
matin , trois cens chameaux ne ſuffifoient
* pas pour le tranſport de ma cuiſine , cette

AVRIL 1768 . 125
>> après-dînée vous voyez qu'un chien n'a
>>pas de peine à l'emporter » .
Dans l'article Arabes. Le CalifeMahadi
aimoit paffionnément la chaſſe. Egaré de
ſa route , il entra chez un payſan & lui
demanda à boire. Celui- ci apporta une
cruche de vin , dont le Calife but quelques
coups. Mahadi lui demanda enſuite s'il le
connoiſſoit : " non , répondit l'Arabe » ..
« Je ſuis , dit ce Prince , undes principaux
>>S>eigneurs de la Cour du Calife ». II
but encore un autre coup , & demanda.
encore au payſans'il le connoiſſoit ; celui- ci
lui répondit qu'il venoit de lui dire qui
il étoit. Ce n'eſt pas cela , reprit Mahadi,
>>je ſuis encore plus grand que je ne vous
» l'ai dit ». Là-deſſus il but encore un
coup , & répéta la première demande.
L'Arabe , impatient , lui répliqua qu'il
venoitde s'expliquer lui -même à ce ſujet.
<<Non, dit le Prince , je ne vous ai pas
>> tout appris ; je ſuis le Calife , devant
>> qui tout le monde ſe proſterne ». A ces
paroles l'Arabe , au lieu de ſe proſterner ,
prit la cruche avec précipitation pour la
reporter où il l'avoit priſe. Le Calife ,
étonné , lui en ayant demandé la cauſe :
<< c'eſt , dit l'Arabe , parce que fi vous
>> bûviez encore un coup , j'aurois peur que
>> vous ne fuffiez le prophète , & qu'enfin ,
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
>> à un dernier coup , vous ne prétendiffiez
» me faire accroire que vous êtes le Dieu
>>>tout- puiffant >».
Dans l'article Biron le père. On lui
faiſoit des repréſentations ſur les dépenſes
conſidérables de fa maiſon & fur le grand
nombre de ſes domeſtiques. « Vous pou-
>> vez très-bien vous paſſfer , lui diſoit- on ,
>> de cette foule de gens inutiles. « Oui ,
>>> dit Biron , mais , avant que de les ren->
>>>voyer , il faut ſavoir s'ils peuvent ſe
>> paſſer de moi ».
Il eſt difficile , en ouvrant ce diction->
naire , de pouvoir en quitter la lecture.
Les articles qui le compoſent ſont ſi variés ,
f'intéreſſans , fi bien choiſis , qu'on paſſe
de l'un à l'autre ſans , pour ainſidire , s'en
appercevoir ; & on a parcouru une partie
du livre qu'on croit ne l'avoir lu qu'un
inſtant : il ſeroit à ſouhaiter que l'Auteur ,
qui certainement eſt un homme d'eſprit
&degoût , eût augmenté cette collection.
Preſque tous les traits en ſont précieux ,
utiles à retenir , & agréables à citer dans
la converfation.
AVRIL 1768.127
ار
COURS d'Histoire & de Géographie univerfelle
; ouvrage périodique : par M. Lu-
NEAU DE BOISJERMAIN ; 1768 : avec
approbation & privilège du Roi.
:
Nous avons annoncé dans le dernier
Mercure ce Cours d'inſtruction hiftorique,
dont le but principal eſt de préſenter l'hiftoire
de l'univers , ſous les différens points
de vue que lui prêtent la politique , la
morale & la religion ; nous allons donner
ici une expoſition préciſe du plan que doit
fuivre M. Luneau , afin de mettre nos lecteurs
à même dejuger du fruit qu'on peut
retirer d'un pareil ouvrage.
Ce Cours d'Hiſtoire univerſelle eſt divifé
en deux parties , en petits & en grands
élémens. Ce font des tablettes féculaires
plusou moins remplies de faits , de recherches
ou de diſcuſſions qui les concernent ,
faites à-peu-près dans le genre de l'hiſtoire
de France de M. le Préſident Hénault.
Comme ce qui regarde la géographie
occafionneroit néceſſairement des diſgreffions
qui feroient perdre de vue l'enchaînement
des faits , tout ce qui a quelque
Fiv
228 MERCURE DE FRANCE.
rapportà la deſcription des lieux eſt expoſé
ſéparément. Cette inſtruction diftincte ,
marche cependant d'un pas égal avec le
Cours hiſtorique , c'est- à-dire , qu'après
un certain nombre de leçons , on doit donner
, dans un cahier ſéparé , une expofition
géographique , qui répand les éclairciffemens
néceſſaires à l'intelligence de l'hiftoire.
Les cartes de géographie qu'on nous a
données juſqu'ici , n 'étant point propres à
remplir les vues d'ordre &de clarté, d'après
leſquelles cetouvrage eſt conduit, l'auteur a
cru devoir s'attacher à une nouvelle forme
de cartes , à l'aide deſquelles on fuit le
genre humain dans tous ſes degrés d'accroiffement
ſur la terre. Chacune de ces
cartes repréſente le globe terreſtre tel qu'il
eft connu aujourd'hui , on ne voit dans
les continens & les ifles , ni fleuves , ni
rivières , ni montagnes , ni forêts,&c. Ces
détails ne font placés aux lieux où ils
appartiennent , qu'à meſure que l'hiſtoire
en rend l'indication néceſſaire.
Il y a beaucoup de livres qui , ſous le
titred'Histoire universelle , paroiſſent offrir
au public le même avantage que celui-ci ;
mais les uns remplis de la plus vaſte érudition
ne peuvent être regardés que
comme des ſources à conſulter , où tout
V
AVRIL 1768 . 129
le monde n'a , ni les facultés , ni le goût
d'aller puiſer ; les autres , en laiſſant de
côté toutes difcuffions critiques , ſe font
bornés à la ſimple énumération des faits
qui n'ontentr'eux d'autres liaiſons , que les
dates ſous leſquelles ils font rangés. Cette
ſtérilité & l'énorme prolixité de ces compilations
ſont également capables d'arrêter
le progrès de l'étude par le dégoût qu'elles
en inſpirent. L'ouvrage que nous annonçons
au public n'expoſe point à cet inconvénient
, parce qu'on a évité ſoigneuſement
le danger de ces deux écueils oppoſés
, en gardant un juſte milieu entre
L'aſſemblage fuperflu d'une érudition accumulée
, & la ſéchereſſe chronologique.
La diſtribution du Cours d'Histoire &
de Géographie univerſelle ſe fait par cahiers
envoyés à l'adreſſe des abonnés , foit
à Paris , ſoit en Province ; on en donne
deux par ſemaine , le lundi & le jeudi .
Cette diſtribution eſt une manière oeconomique
de ſuppléer aux maîtres d'hiſtoire ,
qu'on ne trouve point dans les provinces,
ou qu'on ne peut ſe procurer qu'à grands
frais à Paris .
Comme nous aurons ſouvent occafion
de revenir ſur cet ouvrage , qui eft rempli
de philofophie , de raiſon , de réflexions
courtes & vives , de traits de morale ex
Fv
124 MERCURE DE FRANCE.
magnifique & très ſplendide , il ne falloit
pas moins que trois cens chameaux pour
porter ſeulement l'attirail de ſa cuiſine ,
lorſqu'il étoit en campagne. Le jour qu'il
fut vaincu & arrêté priſonnier par Ismaël ,
il vit près de lui le chef de ſa cuiſine qui
ne l'avoit pas abandonné , & lui demanda
⚫ s'il n'avoit rien à lui donner à manger.
Le cuiſinier , qui avoit un peu de viande ,
la mit auffi-tôt ſur le ſeu dans une marmite,
&alla chercher quelqu'autre choſe pour
régaler fon maître dans ſa diſgrace , le
mieux qu'il lui feroit poffible. Cependant
un chien , qui vint là par hafard , mit la
rête dans la marmite pour prendre la
viande; mais il ne put le faire auſſi promptement
qu'il falloir , à cauſe de l'ardeur
du feu qui le contraignit d'abandonner
ſon entrepriſe. En relevant la tête , l'anſe
de la marmite lui tomba ſur le col , & il
fit ce qu'il put pour s'en dégager ; mais ne
pouvant en venir à bout , il prit la fuite
& enleva la marmite. A ce ſpectacle ,
Amrou ne put s'empêcher de faire un grand
éclat de rire , nonobſtant fa diſgrace ; &
undes officiers qui le regardoient , ſurpris
de ce qu'un roi prifonnnier pouvoit rire ,
lui en demanda le ſujet. Il répondit : " ce
matin, trois cens chameaux ne ſuffifoient
* pas pour le tranſport de ma cuiſipe , cette

2
AVRIL 1768 . 125
>> après-dînée vous voyez qu'un chien n'a
>>pas de peine à l'emporter » .
Dans l'article Arabes. Le Calife Mahadi
aimoit paffionnément la chaſſe. Egaré de
ſa route , il entra chez un payſan & lui
demanda à boire. Celui- ci apporta tune,
cruchede vin , dont le Calife bur quelques
coups. Mahadi lui demanda enſuite s'il le
connoiſſoit : " non , répondit l'Arabe » ..
« Je ſuis , dit ce Prince , undes principaux
>>Seigneurs de la Cour du Calife ». II
but encore un autre coup , & demanda.
encore au payſan s'il le connoiſſoit ; celui- ci
lui répondit qu'il venoit de lui dire qui
il étoit. Ce n'eſt pas cela , reprit Mahadi ,
>> je ſuis encore plus grand que je ne vous
l'ai dir ». Là-deſſus il but encore un
coup , & répéta la première demande.
L'Arabe , impatient , lui répliqua qu'il
venoitde s'expliquer lui-même à ce ſujet.
<<Non , dit le Prince , je ne vous ai pas
>> tout appris ; je ſuis le Calife , devant
>> qui tout le monde ſe proſterne ». A ces
paroles l'Arabe , au lieu de ſe proſterner ,
prit la cruche avec précipitation pour la
reporter où il l'avoit priſe. Le Calife ,
étonné , lui en ayant demandé la cauſe :
« c'eſt , dit l'Arabe , parce que fi vous
>>>bûviez encore un coup , j'aurois peurque
>> vous ne fuffiez le prophète , & qu'enfin ,
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
>> à un dernier coup , vous ne prétendiffiez
>>me faire accroire que vous êtes le Dieu
>>>tout-puiffant >».
Dans l'article Biron le père. On lui
faifoit des repréſentations fur les dépenſes
conſidérables de ſa maiſon & fur le grand
nombre de ſes domeſtiques. « Vous pou-
>> vez très -bien vous paſſer , lui diſoit- on ,
>> de cette foule de gens inutiles. « Oui ,
>>> dit Biron , mais , avant que de les ren->
>>>voyer , il faut ſavoir s'ils peuvent fe
>> paſſer de moi ».
Il eſt difficile , en ouvrant ce dictionnaire
, de pouvoir en quitter la lecture.
Les articles qui le compoſent ſont ſi variés ,
ff'intéreſſans ,ſi bien choiſis , qu'on paſſe
de l'un à l'autre fans , pour ainſidire , s'en
appercevoir ; & on a parcouru une partie
du livre qu'on croit ne l'avoir lu qu'un
inſtant : il ſeroit à ſouhaiter que l'Auteur ,
qui certainement eſt un homme d'eſprit
&de goût , eût augmenté cette collection.
Preſque tous les traits en ſont précieux ,
utiles à retenir , & agréables à citer dans
la converſation.
AVRIL 1768. 127
COURS d'Histoire & de Géographie univerfelle
; ouvrage périodique : par M. Lu-
NEAU DE BOISJERMAIN ; 1768 : avec
approbation & privilège du Roi.
:
Nous avons annoncé dans le dernier
Mercure ce Cours d'inſtruction hiftorique,
dont le but principal eſt de préſenter l'hiftoire
de l'univers , ſous les différens points
de vue que lui prêtent la politique , la
morale & la religion ; nous allons donner
ici une expoſition préciſe du plan que doit
fuivre M. Luneau , afin de mettre nos lecteurs
à même dejuger du fruit qu'on peut
retirer d'un pareil ouvrage.
Ce Cours d'Hiſtoire univerſelle eſt diviſé
en deux parties , en petits & en grands
élémens. Ce font des tablettes féculaires
plusou moins remplies de faits , de recherches
ou de diſcuſſions qui les concernent ,
faites à-peu-près dans le genrede l'hiſtoire
de France de M. le Préſident Hénault.
Comme ce qui regarde la géographie
occafionneroit néceſſairementdes difgreffions
qui feroient perdre de vue l'enchaînement
des faits , tout ce qui a quelque
Fiv
228 MERCURE DE FRANCE .
rapport à la deſcription des lieux eſt expoſé
ſéparément. Cette inſtruction diftincte ,
marche cependant d'un pas égal avec le
Cours hiſtorique , c'est- à-dire , qu'après
un certain nombre de leçons , on doit donner
, dans un cahier ſéparé , une expofition
géographique , qui répand les éclairciffemens
néceſſaires à l'intelligence de l'hiftoire.
Les cartes de géographie qu'on nous a
données juſqu'ici , n'étant point propres à
remplir les vuesd'ordre & de clarté, d'après
leſquelles cet ouvrage eſt conduit, l'auteur a
cru devoir s'attacher à une nouvelle forme
de cartes , à l'aide deſquelles on fuit le
genre humain dans tous ſes degrés d'accroiffement
fur la terre. Chacune de ces
cartes repréſente le globe terreſtre tel qu'il
eſt connu aujourd'hui ; on ne voit dans
les continens & les ifles , ni fleuves , ni
rivières , ni montagnes , ni forêts, &c. Ces
détails ne font placés aux lieux où ils
appartiennent , qu'à meſure que l'hiſtoire
en rend l'indication néceſſaire.
Il y a beaucoup de livres qui , ſous le
titred'Histoire universelle , paroiſſent offrir
au public le même avantage que celui -ci ;
mais les uns remplis de la plus vaſte érudition
ne peuvent être regardés que
comme des ſources à confulter , où tout
,
V
AVRIL 1768 . 129
le monde n'a , ni les facultés , ni le goût
d'aller puiſer ; les autres , en laiſſant de
côté toutes diſcuſſions critiques , ſe ſont
bornés à la ſimple énumération des faits
quin'ontentr'eux d'autres liaiſons , que les
dates ſous leſquelles ils font rangés . Cette
ſtérilité & l'énorme prolixité de ces compilations
ſont également capables d'arrêter
le progrès de l'étude par le dégoût qu'elles
en inſpirent. L'ouvrage que nous annonçons
au public n'expoſe point à cet inconvénient
, parce qu'on a évité foigneuſement
le danger de ces deux écueils oppoſés
, en gardant un juſte milieu entre
L'aſſemblage fuperflu d'une érudition accumulée
, & la ſéchereſſe chronologique.
La diſtribution du Cours d'Histoire &
de Géographie univerſelle ſe fait par cahiers
envoyés à l'adreſſe des abonnés , foit
à Paris , foit en Province ; on en donne
deux par ſemaine , le lundi & le jeudi .
Cette diſtribution eſt une manière economique
de ſuppléer aux maîtres d'hiſtoire ,
qu'on ne trouve point dans les provinces ,
ou qu'on ne peut ſe procurer qu'à grands
frais à Paris.
Comme nous aurons ſouvent occafion
de revenir ſur cet ouvrage , qui eft rempli
de philofophie , de raiſon , de réflexions
courtes & vives , de traits de morale ex
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
primés avec la plus grande briéveté , nous
ne nous arrêterons point ici à faire remarquer
de quelle importance il eſt pour l'inftruction
publique. M. Luneau ne s'eſt
point borné à ne parler que des peuples
anciens qui ont joué un rôle dans l'univers
; ce but dans lequel étoit reſſerréM.
Rollin lui a paru trop étroit , il remonte à
l'origine de toutes les nations grandes &
petites , à l'établiſſement de leurs uſages ,
de leurs religions , de leurs loix , de leur
langage , de leurs ſciences, de leurs arts ,
de leur commerce , de leurs guerres , de
leurs traités , en un mot, de tout ce qui
peut aider au parallèle de tous les peuples
conſidérés dans leurs rapports généraux ou
particuliers. C'eſt une eſpèce d'encyclopédiehiſtorique
, dans laquelle on voit paffer
en revue tous les peuples qui ont ſervi à
former de grandes monarchies ou de petits
états. Ce qui intéreſſe le plus dans cette
hiſtoire , c'eſt que tout y paroît nouveau ;
ce qu'elle contient n'eſt point une répétition
ſéche& ennuyeuſe de tout ce qu'on
trouve dans les hiſtoires différentes de ce
genre , c'eſt un nouveau fonds employé
avec ordre , diſtribué avec une ſageſſe &
une économie qui fait plaifir.
La mythologie ou l'hiſtoire fabuleufe
des dieux , qui a tant de rapport avec
AVRIL 1768. 134
P'hiſtoire des peuples où leur culte a pris
naiſſance , fait auſſi partie du Cours d'Hiftoire
: c'eſt un objet de curioſité qui ne
peut guères être ſéparé d'elle. M. Luneau
ne s'eſt pas flatté de ſaiſir tous les traits
de reffemblance , ni de ramener tous les
événemens aux faits ſimples & naturels
dont ils paroiſſent avoir été détachés ;mais
il rapproche fi heureuſement les fictions ,
desfaitsdontelles ont dû dépendre , qu'on
lui pardonne aisément de n'avoir pas démêlé
ce qui eſt confus , & de n'y avoit
pas apperçu ce qui eſt mal exprimé.
Lesconditions de l'abonnement ſe trouvent
à la page 136 du Mercure d'avril.
Ceux qui voudront s'abonner peuvent ſe
faire infcrire chez l'Auteur , rue & à côté
de la Comédie Françoiſe. On peut acheter
cet ouvrage volume à volume , ſi l'on ne
veut pas jouir de l'avantage de le recevoir
au moment où chaque feuille paroît.
MES Fantaisies, & la Déclamation , poëme;
Seconde édition ; 1768 : 2 vol. petit in-8°.
L'ÉDITION des pièces fugitives par
M. Dorat , eſt la même pour le fonds des
choſes & les ornemens ; elles ne différent
Evj
132 MERCURE DE FRANCE.
que par le papier & le format , qui eſt
bien plus portatif, bien plus commode ,
&bien plus conforme à la légéreté de
l'ouvrage. Jorry acependant réſervé quelques
exemplaires de la grande édition pour
ceux qui voudront completter leur recueil ,
& qui font jaloux d'avoir les planches
dans leur fraîcheur.
L'édition du poëme de la Déclamation
eſt intéreſſante par les changemens que
l'Auteur y a faits. Les deux morceaux de
proſe ſur la déclamation & fur la danſe
ſe trouvent réunis au commencement , &
ne coupent plus la ſuite du chant. Les
Muſiciens ne trouveront plus , dans le
chant de l'opéra , les vers qui les avoient
choqués ; & en général l'ouvrage eſt trèsperfectionné.
On ne peut trop encourager
l'Auteur , qui paroît ſi docile aux remarques
du public , à ſoigner de plus en plus
un poëme qui lui fait tant d'honneur , &
dont la réputation paroît déja fixée par
les connoiffeurs.
AVRIL 1768. 133
;
ANNONCES DE LIVRES.
L'ISLE merveilleuſe , poëme en trois
chants , traduit du grec ; ſuivi d'Alphonse ,
ou de l'Alcide Espagnol, conte très- moral .
A Genève.
On attribue cette brochure à différentes
perſonnes ; mais il paroît que l'Auteur veut ,
refter anonyme. On trouve des exemplairesde
l'Iſle merveilleuſe chezDelalain,
rue Saint - Jacques. Nous en rendrons
compte dans le prochain Mercure. A
l'égarddu conte , la lecture nous en a paru
très-agréable , par les images & le coloris.
PURIFICATION de l'air croupiſſant dans
les hôpitaux , les priſons , & les vaiſſeaux
de mer, par le moyen d'un renouvellement
continuel d'air pur & frais , qui en
emportera auffi continuellement la mauvaiſe
odeur , & qui , d'infects que font
ces lieux , les rendra ſains & habitables ;
avec une application de ce moyen de renouvellement
, pour rafraîchir , pendant
les grandes chaleurs de l'été , l'air des
appartemens des Printes& des riches par134
MERCURE DE FRANCE.
riculiers ; celui des égliſes , des ſalles d'audience
&de ſpectacles ; celui des maiſons
religieuſes & de tous les lieux d'aſſemblée
; de même que les magaſins , mannfactures
, &c. & enfin le moyen d'oter
l'odeur infecte que les commodités répandent
dans la plupart des maiſons où il y
en a : on y a joint une ſeconde éditionda
manuel des laboureurs , réduifant à quatre
chefs principaux ce qu'il y a d'eſſentiel à
la bonne culture des champs ; par M.
Genneté, premier Phyſicien de feu Sa
Majesté Impériale. ANancy , chez J. B.
Hyacinthe Leclerc , Imprimeur-Libraire,
près du pont Mouja ; 1767 : avec permiffion
;brochure in- 8°. de 120 pages.
NOUVELLE Société contractée pour la
tenue de la penſion académique établie à
Paris , rue & barrière Saint-Dominique ,
pour l'éducation des jeunes gens deſtinés
à la milice , à la jurisprudence , au commerce
, ſous la conduite de M. l'Abbé
Chocquart : avec des inſtructions pour
MM. les élèves , les maîtres & les parens.
A Paris , de l'imprimerie de Michel Lam
bert, au Collège de Bourgogne , rue des
Cordeliers ; 1768 : avec approbation &
permiffion ; brochure in- 80. de 32 pages.
Nous avons ſouvent fait mention , dans
AVRIL 1768. 135
nos Mercures , de la célèbre penſion académique
de M. l'Abbé Chocquart ; les
détails renfermés dans cette brochure acheveront
d'en donner l'idée la plus avantageuſe.
On ne peut rien imaginerde mieux
réglé que cette maiſon , où règne à la fois
la vigilance , l'ordre , la décence , l'émulation,
ſous un maître auſſi ſage qu'éclairé
fur toutes les parties d'une noble& folide ,
éducation.
RECHERCHE ſur l'origine de la règle
coutumière : repréſentation a lieu à l'infini
en collatérale ; par T. C. L. G***. A
Strasbourg , chezAmand Konig , Libraire;
1767 : avec permiſſion des Supérieurs. A
Paris , chez Humblot , Libraire , rue Saint-
Jacques , entre la rue du Plâtre & la rue
des Noyers , près Saint-Yves ; brochure
in-8°. de 120 pages.
MÉMOIRE dans lequel on prouve l'im
poſſibilité d'anéantir la pétite-vérole ; pour
faire fuite aux obſervations fur la meilleure
manière d'inoculer ; par J. J. Gardane
, Cenſeur royal , Docteur-Régent de
la Faculté de Médecine de Paris , Médecin
de Montpellier , de la Société royale
desSciences de cette même ville. A Paris ,
chez la veuve d'Houry , Imprimenr-Li
136 MERCURE DE FRANCE.
braire de Monſeigneur le Duc d'Orleans
rue Saint- Severin , près la rue Saint-Jacques
; 1768 : brochure in- 12 , de 74 pages.
Le jeune Médecin , à qui on eſt redevable
de cette brochure , s'eſt déja fait
connoître par des écrits qui prouvent ſa ,
capacité dans ſon art , & un eſprit de
recherches qui pourra jetter un jour de
grandes lumières fur la médecine.
L'ART de guérir les hernies ou defcentes
, ouvrage utile aux perfonnes attaquées
de ces maladies , & dans lequel on
trouvera la meilleure méthode de conftruire
les bandages convenables à leur curation
; par M. Balin , ci - devant Chirurgien
aux armées , reçu au Collège de
Chirurgie pour les hernies , placede Grêve,
au coinde la rue de la Tannerie. A Paris ,
de l'imprimerie de Hériſſant , Imprimeur
du cabinet du Roi ; 1768 : avec approbation
& privilége du Roi ; vol. in-12.
:
- SELECTÆ fabula ex libris Metamorphofeon
Ovidii Naſonis , capitibus & notis
gallicis enucleate , quibus accefferunt eximia
quadam ex Virgilii georgicis loca ; ad ufum
Scholarum inferiorum , editio altera , recognita
, & locupletior priore. Parifiis , apud
Petrum Guillyn , Bibliopolam , ad ripam
AVRIL 1768 . 137
Auguftinianorum , propè pontem Sancti
Michaelis,fubfigno Lilii aurei ; cum approbatione
& privilegio Regis : vol . in- 12 .
Ces fables choiſies des Métamorphoſes
d'Ovide , & des Géorgiques de Virgile ,
éclaircies par des notes françoiſes , ont eu
le plus grand ſuccès dans les colléges ; &
cette nouvelle édition , conſidérablement
augmentée , ne peut que rendre ce recueil
plus utile.
La ſympathie des âmes ; traduction
libre de l'allemand : avec cette épigraphe ;
Il est des sympathies
Dont , par le doux rapport , les âmes aſſorties ,
S'attachent l'une à l'aure. P. Corn. tr. de Rodog.
A Paris , chez H. C. de Hanſy , le jeune ,
Libraire , rue Saint-Jacques ; 1768 : brochure
in- 12 , de 140 pages.
DISCOURS ſur la ſenſibilité , prononcé
en préſence des MM. de la Maiſon de Sorbonne.
AAvignon ; & ſe trouve à Paris ,
chez Delalain , Libraire , rue Saint-Jacques
; & chez Valade , Libraire , rue de
la Parcheminerie ; 1768 .
L'HONNÊTE Criminel , ou l'amour filial,
drame en cinq actes & en vers ; par M.
Fenouillot de Falbaire : ſeconde édition ,
138 MERCURE DE FRANCE.
revue , corrigée , &augmentée de l'hiſtoire
duhérosde la pièce. A Amſterdam , & fe
trouve à Paris , chez Merlin , Libraire ,
rue de la Harpe , vis -à-vis la rue Poupée ,
àl'image Saint Joſeph ; 1768 : in- 8 °. avec
des figures , & en très beau papier.
Le ſuccès de cette pièce eſt fi connu ,
que nous croyons n'avoir plus d'autres
éloges à en faire , que d'annoncer cette
nouvelle édition .
L'ECOLIER devenu maître, ou le Pédant
joué , comédie en trois actes & en proſe ;
compoſée pour eſſai du ridicule de caractère
inventé par Moliere , & introduit par
Goldoni ſur les théâtres d'Italie. Repréſentée
pour la première fois , le 6 novembre
1767 , fur le théâtre de la barrière du
temple ; & à la foire Saint Germain en
1768 : prix vingt-quatre ſols. A Paris ,
chez Cailleau , Libraire , rue du Foin
Saint-Jacques , vis-à- vis les Mathurins , à
Saint André ; 1768 : avec approbation &
privilége du Roi ; in- 80.
De la confervation des enfans , ou les
moyens de les fortifier , de les préſerver
& guérir des maladies , depuis l'inſtant
de leur exiſtence , j'uſqu'à l'âge de puberté
; par M. Raulin Docteur en Médecine ,
AVRIL 1768. 139
Conſeiller , Médecin ordinaire du Roi ,
Cenſeur royal ; de la Société royale de
Londres ; des Académies des Belles-
Letres , Sciences& Arts de Bordeaux &
de Rouen , & de celle des Arcades de
Rome. A Paris , chez Merlin , Libraire ,
rue de la Harpe ; 1768 : avec approbation
& privilège du Roi ; 2 volumes in- 12 .
PRONES réduits en pratique , pour tous
les dimanches & fêtes principales de l'année,
tirés des ſujets de l'évangile qu'on lit
à la meſſe ; avec une table de fermons
choiſis , propres à donner une miſſion ou
retraite ; un petit diſcours pour la première
communion des enfans & un pour
la rénovation des voeux du baptême ; dédiés
à Monſeigneur le Cardinal de Choifeul
, par M. Billot , ancien Directeur du
Séminaire de Besançon , & Curé de Malange.
A Lyon , chez Benoît- Michel
Mauteville , Libraire , rue Tupin , près
l'Empereur ; 1768 : avec approbation &
privilége du Roi. 4 volumes in- 12 .
DOUTES propoſés aux philofophes économiſtes
, fur l'ordre naturel & effentiel
des ſociétés politiques ; par M. l'Abbé de
Mably. A la Haye , & ſe trouve à Paris ,
chez Nyon , quai des Auguſtins , à l'occa
e
140 MERCURE DE FRANCE.
fion ; veuve Durand , rue Saint-Jacques :
1768 ; volume in- 12 .
Ces doutes prétendus , ſont bien une réfutation
en règle du livre de M. Rivière ,
intitulé de l'ordre naturel & effentiel des
fociétés politiques , dont on a beaucoup
parlé l'été dernier.
HENRIETTE de Volmar , ou la mère
jalouſede ſa fille , hiſtoire véritable , pour
ſervir de ſuite à la nouvelle Héloïse , par
J. J. R. A Genève , & ſe trouve à Paris ,
chez Delalain , Libraire , rue Saint-Jacques
; & Valade , Libraire , rue de la Parcheminerie
; 1768 : in- 12 .
On juge bien que cette ſuite prétendue
de la célebre Héloïse de M. Rouffeau ,
eſt infiniment au-deſſous du premier roman
, & qu'Henriette de Volmar , est bien
inférieure à ſa mère en beauté & en
mérite.
MÉMOIRES du Chevalier de Kilpar ;
traduits ou imités de l'anglois de M.
Fielding ; par M. D... M.... C....
D.... A Paris ; chez la veuve Duchesne ,
rue Saint Jacques , au Temple du goût ;
1768 : avec approbation & privilége du
Roi ; 2 volumes in- 12 .
Cet ouvrage eſt plein de ſentiment
AVRIL 1768 . 141
&la lecture en eſt infiniment intéreſſante.
ALCIDONIS , ou la Journée Lacédémonienne
, comédie en trois actes , avec
intermédes : prix 30 fols. A Paris , chez
Lacombe , Libraire , quai de Conti ; 1768 :
avec approbation & permiffion du Roi ;
in-80.
Ce drame a pour objet de répréſenter
les moeurs& les vertus des Lécédémoniens.
L'action d'une jeune beauté qui facrifie
fon amour , ſa fortune , ſa liberté pour
tirer fon père de l'esclavage , eſt intereffante
; elle le devient encore davantage par
l'art avec lequel l'Auteur a fu développer
ſes ſentimens.
1
:
La fête de la roſe , poëme. A Paris ,
chez Merlin , Libraire , rue de la Harpe ,
vis-à-vis la rue Poupée , à Saint Joſeph:
1768 : feuille in- 8 °.
1
3 Ce poëme reſpire une douceur champêtre
, conforme au lieu où ſe paſſe l'action .
3
Les Plaiſirs de l'Eſprit , ode qui a remporté
le prix au jugement de l'Académie
royale des Sciences & Beaux- Arts de Pau ,
en l'année 1768 ;par M. l'Abbé de Malefpine.
A Paris , chez Lefclapart , Libraire ,
au quai de Gevres 1768 ; in-4°
142 MERCURE DE FRANCE.
Nous contons donner quelques ſtrophes
de cette ode , juſtement couronnée.
:
ORAISON funébre de très- haut & trèspuiſſant
Seigneur Adrien- Maurice , Dac
de Noailles , Pair & Maréchal de France ;
prononcée dans l'égliſe collégiale & paroiſſiale
de Saint Martin de la ville de
Brives , le 30 mai 1767 ; par M. l'Abbé
deLuberfac. ABrives,& ſe trouve à Paris ,
chez Saillant , Libraire , rue Saint-Jeande-
Beauvais ; 1768 : avec approbation
&permiffion ; grand in-4°.
...<<Deux principes appuyés ſur les fon-
>> demens de la religion fainte , & déve-
>>loppés dans ce diſcours, fuffiſent ſeuls
>>pour vous rendre les caractères du génie
» & de l'âme de ce héros chrétien : de
>> cesdeuxprincipes , l'un n'employa jamais
>> ſes talens qu'à l'honneur de ſa nation.
>> L'autre ne propoſa jamais à ſa ſageſſe
>>que le bonheur de la ſociété. Il n'agit
>> enfin que pour la gloire de ſa patrie , &
>>ne vécut que pour ſe rendre utile à ſes
>> concitoyens » . Tels font les deux points
qui partagent l'éloge funèbre de M. le
Maréchal de Noailles , dont les grandes
actions& les grandes vertus ſont au-deſſus
de tous les éloges.
LUCRÈCE,de la nature des chofes ; traAVRIL
1768 . 143
۱
duction nouvelle , avec des notes : par M.
L* . G** . A Paris , chez Bleuet , Libraire ,
fur le Pont Saint- Michel ; 1768 : avec
approbation & privilége du Roi : magnifique
édition , avec de belles eſtampes deffinées
par M. Gravelot , & gravées par M.
Binet ; 2 volumes in- 8°. Prix 30 liv. brochés
, papier d'Hollande ; & 18 liv. papier
d'Auvergne.
Nous parlerons plus amplement de ce
bel ouvrage.
:
T
:
TIBÈRE , ou les fix premiers livres de
Tacite , traduits par M. l'Abbé de la Ble
terie , Profeſſeur d'éloquence au Collège
Royal , & de l'Académie Royale des Infcriptions
& Belles- Lettres : 3 volumes
in- 12 . Paris , 1768 : de l'Imprimerie
Royale , avec des vignettes des deſſeins
de M. Gravelot ; gravées par M. Aliamet.
Nous ne tarderons pas à rendre compte
de cet ouvrage , auſſi digne de ſon auteur ,
que de l'eſtime du public.
: :
LENÉCROLOGE des hommes célèbres de
France , par une ſociété de gens de lettres.
Paris ; 1768 : in- 12 ; de l'Imprimerie
de G. Després , Imprimeur du Roi.
¿ Cet ouvrage aufli intéreſſant que bien
fait , nous eſt parvenu trop tard pour qu'il
144 MERCURE DE FRANCE.
nous ſoit poſſible d'en donner aujourd'hui
l'extrait.
JULIEN l'Apoſtat , ou Voyage dans
l'autre monde ; traduit de Fielding, par
le ſieur Kauffmann , Interprête juré au
Châtelet de Paris , pour les langues allemandes
, angloiſe , & italienne. A Amfterdam
, & fe trouve à Paris , chez Lejay,
Libraire , quai de Gèvres , au grand Corneille
; 1768 : vol. in- 12 .
DICTIONNAIRE interprête de matière
médicale , & de ce qui y a rapport ; contenant
l'explication des termes arabes ,
grecs & latins ; des abréviations , des caractères
, ainſi que des opérations de chymie
; avec des obſervations de théorie &
de pratique fur ces ſciences & fur l'hiſtoire
naturelle : enſemble une courte defcription
anatomique des parties du corps
humain ; ouvrage utile à ceux qui ſe deftinent
à l'étude ou à l'exercice de quelqu'un
des objets de la médecine : par
M. Julliot , Démonstrateur en Chymie ,
Garde en charge des Apothicaires de Paris
, & c. AParis , chez Lacombe , Libraire ,
quai de Conti ; 1768 : avec approbation
& privilége du Roi ; vol. in- 8° , de plus
de 980 pages , relié s liv.

Ce
AVRIL 1768. 145
-Ce livre eſt en effet un bon interprète
dés mots & des choſes qui peuvent arrêter
dans la lecture ou dans l'étude de quelques
parties relatives à la médecine. M. Julliot
donne auſſi ſes obſervations , ſes procédés
dans bien des occafions , en forte que fon
dictionnaire peut être enviſagé comme un
bon traité de matière médicale ; il explique
le langage de cette ſcience ; & il la
faitconnoître dans toutes ſes diviſions. Ce
livre doit être un manuel pour tous ceux
qui , par goût ou par erat , ſe livrent à
l'art de guérir , & à la connoiſſance des
moyens propres à prévenir ou à combattre
les maladies. Nous reviendrons ſur cet
important ouvrage , dont il eſt eſſentiel à
l'humanitéde faire connoître toute l'utilité.
LIVRES proposés au rabais.
La veuve Duchesne , Libraire , rue
Saint-Jacques , au temple du Goût , ayant
uncertain nombre d'exemplaires des Lettres
fur quelques écrits de ce temps , des
Observationsfur la littérature moderne , &
del'Esprit de l'Abbé Desfontaines ; ouvrages
périodiques qui ont précédé l'Année
Littéraire , & l'Obfervateur Littéraire , &
qui ſont des mêmes auteurs , propoſe de
lesdonne au public , juſqu'au premier
Vol. II. G
146 MERCURE DE FRANCE.
d'octobre prochain, àdeux tiers de diminution
, c'est- à-dire , que les volumes qui ſe
font vendus juſqu'ici 3 liv. brochés , ne
ſe paieront plus que vingt ſols ; & l'on
aura , pour dix écus , les ouvrages ſuivans ,
ſavoir:
Lettresfur quelques écrits de ce temps,
13 volumes ,
Obfervations fur la littérature moderne
, 10 vol.
Les Lettres de la Comteſſe , ou opufcules
de M. F. 3 vol.
L'Esprit de l'Abbé Desfontaines ,
4 vol.
13 liv.
10
3
4
Total 30 liv .
Comme les exemplaires qu'on propoſe
à un rabais ſi conſidérable ne font pas trèsnombreux
, il y a apparence qu'ils ne tarderont
pas à être enlevés ; & , paffé le
terme preſcrit , on ne pourra plus les avoir
qu'à 3 liv, le volume.
Un autre ouvrage très - important , &
fur lequel on fait également une très- forte
diminution , eſt un livre en trois volumes
in -folio , intitulé Collectio Judiciorum , de
novis erroribus , qui ab initio duodecimi
faculi , in Ecclefia profcriptifunt , c'est- àdire
, Recueil de tous les Jugemens portés
contre les nouvelles erreurs & héréfies que
l'Eglise a condamnées depuis le commencer
AVRIL 1768. 147
ment du douzième fiècle juſqu'à préſent. On
trouve , dans ce même livre , les cenſures
&jugemens qui ſont émanés des écoles
les plus célèbres , telles que cellesde Paris ,
de Louvain , de Douai , & c ; & des plus
habiles théologiens Allemands , Italiens ,
Eſpagnols , Polonois , Hongrois , Lorrains;
avec des notes , des obſervations & des
remarques théologiques : par M. Dupleſſis
d'Argentré , Docteur de Sorbonne. Nous
croyons qu'il n'eſt pas poſſible de bien
connoître l'hiſtoire de l'Eglife , fur-tout
cellede ces derniers temps , fans le ſecours
d'un pareil recueil. On y trouve toutes
les pièces originales , en latin ou en françois
, felon l'idiome dans lequel elles
ont été écrites. Toutes les déciſions de la
Sorbonne , tous les arrêts du Parlement
qui y ont rapport , enfin tout ce qui peut
apporter , fur cette partie intéreſſante de
notre hiſtoire , des éclairciſſemens & des
lumières , eſt réuni dans ces trois volumes.
Ils ſe ſont vendus juſqu'à préſent ſoixante
& quinze livres en feuilles ; & , d'ici au
premier d'octobre prochain , ils ne ſe paierontplus
que 24 liv. Le peu d'exemplaires
qu'on en a tirés dans le temps , nous fait
juger que cet ouvrage manque dans pluſieurs
grandes bibliothèques ; & que le
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
filence des Journaliſtes du temps , fur un
livrede cette importance , peut bien avoir
été cauſe qu'il n'a pas été auſſi connu qu'il
devroit l'être .
ARTICLE envoyé par M. DE VOLTAIRE,
pour être inféré dans les papiers publics.
J'AI appris , dans ma retraite, qu'on avoit
inféré dans la Gazette d'Utrecht , du II
mars 1768 , des calomnies contre M. de
la Harpe , jeune homme plein de mérite ,
déja célébré par la tragédie de Warvic ,
&par pluſieurs prix remportés à l'Académie
Françoiſe avec l'approbation du public,
C'eſt ſans doute ce mérite-là même qui
lui attire les imputations calomnieuſes
envoyées de Paris contre lui à l'Auteur de
la Gazette d'Utrecht.
On articule , dans cette Gazette , des
procédés avec moi dans le ſéjour qu'il a
fait à Ferney. La vérité m'oblige de déclarer
que ces bruits ſont ſans aucun fondement,
& que tout cet article eſt çalomnieux
d'un bout à l'autre. Il eſt triſte qu'on
cherche à transformer les nouvelles publi.
ques & d'autres écrits plus ſérieux, en
AVRIL 1768 . 149
libelles diffamatoires. Chaque citoyen eſt
intéreſſé à prévenir les ſuites d'un abus
auſſi funeſte à la ſociété.
Fait au Château de Ferney , pays de
Gex , en Bourgogne , ce 31 mars 1768.
Signé , VOLTAIRE .
Giij
I150 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADÉMIES.
SUITE de l'affemblée publique de l'Académie
Royale des Sciences & Belles-
Lettres de Béſiers.
TROISIÈME MÉMOIRE.
M.l'Abbé Millié a prouvé que l'homme
inutile eſt toujours mépriſable , & fouvent
pernicieux à la ſociété. Il appelle homme
inutile celui qui eſt ordinairement déſoeuvré
, ou qui ne penſe qu'à ce qui l'intéreſſe
perſonnellement , & qui ne fait rien
pour la patrie,
Pour inontrer combien cet homme eſt
mépriſable en quelque état qu'il foit , &
quelque rang qu'il tienne dans la république
, M. Millié a d'abord fait parler les
anciens philofophes qui ont démontré
qu'il y a pour chacun de nous une obligation
indiſpenſable d'être utiles au public.
AVRIL 1768 . I
«Nous ſommes nés pour contribuer au
>> bonheur de nos ſemblables , diſoit Séné-
» que ( 1 ) , & nous n'exiſtons que pour
» le biencommun. La ſociété ſubſiſte par
>> des ſecours mutuels , comme les pierres
>>d'une voûte qui ſe ſoutiennent par leur
>> liaiſon & leur aſſemblage. N'oublions
* donc jamais ce beau vers ; qu'on nous
> entende répéter fans ceſſe :
Homo fum , humani nihil à me alienum puto.
Avant lui Platon avoit dit ce beau mot :
>> nous devons vivre pour la patrie , pour
>> nos parens & nos amis ; car ce n'eſt pas
>> pour nous ſeuls que nous avons été créés.
>> Nous ſommes donc obligés , ajoutoit
» Cicéron ( 2 ) , de contribuer autant qu'il eſt
➤ en nous à l'utilité commune , en em-
>> ployant notre induſtrie , nos travaux ,
>> nos biens même pour rendre plus douce
>> & plus étroite l'union qui forme la fo-
>> ciété humaine , &c. ».
D'après ces principes , dit M. Millie,
que puis-je penſer de l'homme qui ne fait
rien faire , ou qui ne fait rien pour la
patrie ? Ce qu'on penſeroit d'un domeſtique
qui ſeroit toujours oifif, ou qui ne
travailleroit pas pour ſon maître. Il pourfuit:
( 1 ) L. 1 , de bonef. c. 13 .
(2 ) De offic. l. 1 .
Gv
152 MERCURE DE FRANCE.
Ces hommes autrefois ſi eſtimés , & qui
méritent encore de l'être , le laboureur
pénible , le pauvre payſan , ſont précieux à
la ſociété. Ils ſe lèvent avec l'aurore. Le
ſoleil n'a pas encore commencé ſa courſe ,
& je les vois répandus dans nos champs
pour nous fervir. Celui - ci arroſe de ſa
ſueur la terre qu'il prépare , ou il l'enſemence
pour nous. Celui-là , péniblement
courbé , façonne la vigne pour nous procurer
cette liqueur ſi néceſſaire à pluſieurs ,
&fi avantageuſe au très-grand nombre.
Ici le bûcheron infatigable frappe à coups
redoublés : l'arbre tombe ſous ſa hache ,
&c'eſt pour notre uſage qu'il ſera employé.
Là je vois un berger vigilant : il brave la
rigueur des ſaiſons ; &, par le ſoin qu'il
prendde fon troupeau , il nous nourrit , &
nous avons de quoi nous vêtir. De tous
côtés je diftingue différens chemins qui
aboutiſſent à nos villes , comme autant de
veines dans lesquelles les villageois circulent
,&pourvoient à nos beſoins.
Que fait pour lors l'homme inutile ?
Le dirai -je ſans rougir pour lui ? Le ſoleil
a déja fourni la moitié de ſa courſe , &
cet homme , dit Eraſme ( 3 ) , nihil aliud
quàm ftertit. Il ſe lève enfin ; mais incertain
de ce qu'il doit faire , il fort fans
(3 ) Diluc.
AVRIL 1768. 153
1
aucune intention préciſe. S'il rencontre un
objet qui l'amuſe , il s'arrêtera : ſans quoi
on le verra aller & venir , felon que le
haſard ou fon caprice le conduiront. Si
rien ne le défennuie , il rentre chez lui ,
mais il s'ennuie encore plus avec luimême.
Il reſſort donc, & le but qu'il ſe
propoſe , c'eſt d'apprendre ou de débiter
des nouvelles : c'eſt de faire des viſites
que l'homme occupé redoute ſouvent :
c'eſt de jouer ; grande , ſérieuſe affaire
pour lui. La plupart des hommes travail-
Jent , & celui-ci joue. La nuit eſt déja
fort avancée , il joue encore ; & tandis que
le bon patriote prend de nouvelles forc.e
pour rendredenouveaux ſervices, l'homme
inutile ſe fatigue au jeu , & il croira avoir
acquis le droit de ſe repoſer tandis que
tout ſera en action... De bonne foi , quiconque
eſtime un tel homme , ne ſe rend- il
pas lui même mépriſable?
- M. Millié fait voir enſuite que l'arrangement
de l'univers démontre que tout a
été créé pour concourir au bien général ,
& que les êtres , même inſenſibles , obſervent
un ordre , une harmonie admirables
pour le bonheur des humains. L'homme ,
à plus forte raiſon , doit conſacrer à la
félicité publique les dons & les talens qu'il
a reçus ; il ſe déshonore donc s'il n'entre
;
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
point dans les deſſeins de la nature , & s'il
ne remplit point ſa deſtination.
Pour s'en convaincre , il ſuffit de defcendre
dans quelque détail. En effet , c'eſt
pour fervir la patrie que ce jeune homme
a été favorisé d'un tempérament fort &
robuſte : il ſoutiendroit fans peine l'affiduité
au travail ; il pourroit même , par
les qualités de ſon eſprit , ſe rendre propre
à tout , &c. Qu'arrive-t- il pourtant ?
Parce qu'il ſe foucie peu d'être utile à la
ſociété , il s'occupe beaucoup de ſa perfonne
, il s'étudie à ſe donner des grâces ,
il connoît toutes les modes , il en inventeroit
; il fait , ou il croit ſavoir l'art de
plaire ,&, pour en ſuivre toutes les règles,
il imite ces perſonnes de qui Terence difoit
, dum poliuntur , dum comuntur , annus
eft(4) .
Celui- ci eſt un homme de qualité. Des
titres -honorables , de hautes dignités ont
mé ſa maiſon , tous ſes ancêtres l'ont illuftrée
: tout cela auſſi n'annonce que belles
actions , que ſentimens patriotiques dans
l'héritierd'ungrand nom, &c. Que faut- il
donc en dire , fi , fatisfait de fon rang ,
*eft inutile à l'Etat ? Pour moi , je penſe
qu'il eſt noble , parce qu'on le dit. Que s'il
falloit en juger par les actions , j'eſtimerois
: ( 4) In teauton.
il
AVRIL 1768 . 155
que celui qui a bien mérité de ſa patrie eſt
noble , ou qu'il eſt digne de l'être ; & que
quiconque n'a que des titres & des priviléges
, déshonore le nom qu'il porte.
Perit omnis in illo
Gentis honos , cujus laus eft in origine fola ( 5) .
Le rang qu'on occupe dans le monde eſt
comme l'habit dont on eſt revêtu : il y auroit
fans doute de l'extravagance à juger,
d'un homme par fon habillement ; jugeons
donc du noble par le bien qu'il fait : tout
le reſte lui eſt en quelque forte étranger.
Nam genus , & proaves , & qua non fecimus ipfi
Vix ea nostra voco ( 6 ) . 20
2
7
Cet autre eſt riche. Il fera donc des
heureux : il goûtera le plus noble &le
plus doux des plaiſirs ; c'eſt celui d'obliger
&de faire du bien ,&c. Oui , fansdoute
fi la bienfaiſance caractériſe ce riche , ce
fera un homme né pour le bonheur des
peuples. Mais s'il méconnoît cette douce
ſenſibilité qui s'attendrit far les maux
d'autrui ; s'il eſt , comme il n'arrive que
trop ſouvent , le moins humain de tous
les hommes , &c. pourquoi l'eftimerois je?
Parce que la profuſion , la délicateffe de
( 5 ) Ovid. ad Pifon.
( 6 ) Ovid. lib . 13 , Métam.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
ſa table attire chez lui des adulateurs ?
parce que ſes appartemens ſont plus ornés
que nos temples ? parce qu'il eſt ſuperbementvêtu
? Ces dehors brillans éblouiſſent
le peuple , mais ils n'en impoſent point
au ſage : il perce juſqu'à l'homme , & ne
voyant point un coeur fait pour ſentir la
compaffion & l'humanité , il penſe qu'on
n'en eſt pas plus eſtimable pour avoir un
éclat emprunté.
Non faciunt meliorem equum aurei frani ( 7 ) .
Cet autre eſt un homme d'eſprit. Son
génie heureux & fécondpromet beaucoup :
iln'aura qu'à entreprendre pour réuffir , &c.
Il cultivéra dond avec foin ces excellentes
qualités: il travaillera pourſes concitoyens ,
&, s'il le peut , pour la poſtérité même ;
car , dit Cicéron , c'eſt le devoir que lui
impoſent ſes talens , &c. ( 8 ). Cependant
l'homme d'eſprit , avec tout ce qu'il faut
pour être utile pour les ſciences , demeure
ſouvent dans l'inaction ou il paſſe ſa
vie dans l'enjouement& la futilité. Quel
uſage fait-il de fon génie ? Il amuſe des
gens déſoeuvrés comme lui , &c. Dirai-je
trop ſi j'avance que de tous les hommes
( 7 ) Seneca ubi fupra.
(8) De of. liv..
,
AVRIL 1768. 157
inutiles , celui-ci doit être le plus vil aux
yeux du ſage , parce qu'il pourroit rendre
de plus grands ſervices au public ? 1
Enfin il n'y a perſonne à qui on ne
puiſſe dire avec un ancien : prends garde ,
quiconque eſt homme de bien travaille ,
il facrifie ce qu'il poſſéde , & s'immole
volontiers lui-même à l'intérêt public ( 9 ) .
Si cette maxime eſt vraie , il s'enfuit que
l'homme vertueux , l'homme eſtimable ,
ne futjamais un homme inutile. Celui- ci
eſt donc ſouverainement mépriſable ; il
eſt encore pernicieux à la ſociété.
Pour prouver cette ſeconde partie, M.
Millié compare l'homme inutile à ces
déteſtables enfans qui refuſent d'affifter ,
dans le befoin , la mère qui les a portés
dans ſon ſein ; & il ajoute : mais , dirat-
on , la patrie trouve toujours des ſujets
qui la fervent avec zèle ; & qu'importe à
<l'Etat que tels & tels s'intéreſſent au bien
public ? Et moi , je demande ſi un enfant
eſt moins coupable de négliger ſa mère ,
&d'être fans affection pour elle , parce
qu'il ades frères recommandables par une
piété vraiment filiale ? Enſuite il fait voir
qu'en quelque état qu'on ſoit , on peut être
utile à la patrie, du moins en infpirant à
quelqu'un l'amour de la vertu par ſes con-
( 9) Seneca , lib. 2 , quest. nat . cap. 37..
158 MERCURE DE FRANCE.
ſeils ou ſes exemples. Or , dit un ſage ,
rendre un ſeul homme meilleur c'eſt ſervir
l'Etat .
Il prouve , en ſecond lieu , que l'homme
inutile eft vicieux s'il languit dans une
indigne oiſiveté ; qu'on le voit livré à de
malheureux penchans , trop funeſtes au
repos des familles , &c. S'il s'occupe , que
peut- il réſulter de ſon travail dès que cet
homme n'exiſte que pour lui-même , &
qu'il ne connoît pas ce doux lien qui unit
les particuliers , & les intéreſſe tous à la
félicité publique ? Ici il fait l'énumération
des vexations , des injustices , &c. dont le
bon citoyen eſt trop ſouvent la victime;
&il finit en difant:
Je pafferois les bornes qui me font prefcrites
, fi je voulois ſeulement nommer les
ravages que l'homme inutile fait dans la
ſociété. Elle ne feroit qu'un cahos où régneroient
la confufion & l'horreur , fi elle
n'étoit foutenue par deshommes laborieux,
bienfaiſans , pleins d'humanité.
Ces hommes , qui méritent toute notre
eſtime , ſe trouvent particulièrement dans
les fociétés littéraires. Ce font les vertus
ſociales qui raffemblent les académiciens ,
qui les portent à ſe communiquer mutuellement
leurs lumières , & à faire fans ceffe
de nouveaux efforts pour perfectionner
AVRIL 1768 . 159
l'humanité. Ce n'eſt pas ici le lieu de
prouver combien les académies ſont utiles
à l'Etat ; mais j'aime à me repréſenter
l'académicien , tantôt livré au public ,
tantôt rendu en quelque forte à lui -même
au milieu de ſes confrères , lifant , ou ſe
plaiſant à raiſonner ſur les moyens de ſoulager
l'homme , & de former de bon's
citoyens.
Je vois dans ces aſſemblées des perfonnes
eccléſiaſtiques qui m'apprennent , par
leur exemple , qu'on peut ſe conſacrer au
fſoin des peuples , être ſavantdans la ſcience
du falut , & en même temps habile dans
toute forte de littérature : qu'on doit regarder
, avec Saint Bafile , les lettres profanes
par rapport aux livres faints ,
comme les feuilles qui ſervent aux fruits
d'ornement & de défenſe : qu'enfin une
piété tendre , mais éclairée , fut toujours
amie des ouvrages qu'enfantent le génie
&le bon goût.
,
:
J'y vois de braves & fidèles ſujets qui ,
pour ſervir leur patrie & leur Roi , ont
fouvent expoſé leur vie , qui l'expoferont
encore ſi l'occaſion le demande ;
ou qui préféreroient le péril au ſoin de la
vie, ſi l'âge ou les circonſtances n'arrêtoient
leur zèle ; & leur goût décidé pour les
belles-lettres me prouve que, ſil es Muſes
160 MERCURE DE FRANCE.
reculent effrayées au bruit des armes &
des combats , le guerrier littérateur fait les
rappeller , & fe familiariſer avec elles.
J'y vois des Magiſtrats qui méditent
fansceſſe ſur nos loix & nos coutumes pour
être utiles à leurs compatriotes,& ſe rendre
les pacificateursde leurs différends. Cependant
cesmêmes hommes trouvent le loifir
d'acquerir une vaſte & profonde érudition.
Dans leurs délafſſemens les difficultés philofophiques
font leurs jeux.
J'y vois des hommes qui , par leur profeffion,
font les foutiens & l'appui de la
foible humanité. Ils conſacrent leurs foins
& leur vie au foulagement des miférables
humains : ils renoncent au repos pour voler
au ſecoursde celui qu'un accident va précipiterdans
le tombeau , & ils l'arrachent à la
mort: ils adouciſſent les douleurs & l'ennui
deceluiquela langueur confume ,& ils l'aident
à guérir ou à prolonger ſes jours : ils
affiſtent de leurs conſeils & de leur art le
pauvre & l'indigent , & ils donnent à ſes
enfans le pain& la vie en rendant au père
fa force & ſa vigueur.Ils trouvent pourtant
affez de temps pour ſe rendre célèbres
par leurs obſervations aſtronomiques ou
phyſiques .
Enfin j'y vois le bon citoyen , l'homme
utile. Leur exemple m'inſtruit & m'excite
AVRIL 1768. 161
à ſuivre leurs traces , moins pour éviter
le mépris que mérite l'homme inutile ,
que pour rendre à la ſociété ce que je lui
dois.
1 QUATRIÈME MÉMOIRE.
EXTRAIT du mémoire de M. CARABASSE,
Docteur de la Faculté de Médecine de
Montpellier,ſur laformationde lapierre
des reins& de la veſſie , &fur les moyens
qu'on doit mettre en usage pour tâcher de
s'en garantir.
L'AUTEUR commence par faire voir ,
d'après les obſervations qu'une pratique
de trente ans lui a fournies , qu'il ſe forme
des pierres ou des concrétions pierreuſes
dans preſque toutes les partiesdu corps de
l'homme : mais que celles des reins & de
la veſſie lui ont paru mériter le plus fon
attention , comme étant ordinairement les
plus dangereuſes. Il s'étend enſuite ſur les
qualités extérieures de ces pierres urinaires,
& paffe à l'examen de leur conformation
intérieure , dans laquelle il reconnoît ,
avec Fernel , qu'il n'y a point de pierre
urinaire ſans noyau ; & que ces pierres ſe 2
162 MERCURE DE FRANCE.
forment toutes par juxtapoſition. Il affure
que ce noyau prend naiſſance dans la
ſubſtance tubuleuſe des reins , à l'occaſion
de l'arrêt des particules terreuſes , falines ,
fulphureuſes , &c. qui ſe ſéparent avec l'urine
du ſang d'un calculeux , & dont le
volume les force à ſéjourner trop long-tems
dans les petits tuyaux des reins , dont la
foibleſſe , innée ou acquiſe , favoriſe ſouvent
le trop long séjour dans ces menus
tuyaux. Il fait fentir enſuite , que ce noyau
étant formé par le concours d'un grand
nombre de ces particules ſolides qui ont
beaucoup d'analogie entr'elles , & par un
plus grand nombre encore de molécules
d'air fixe , comme M. Hales ( 1 ) l'a fait voir
évidemment en décompoſant une de ces
pierres par la diftillation ; le calcul luimême
peut s'y former aufſi , ſi le noyau
n'eſt pas bientôt entraîné par le courant de
l'urine , qui , ſelon lui , eſt quelquefois en
état d'entretenir toutes ces particules , &
d'en fournir elle-même de nouvelles , indépendamment
de celles dont il a déja
parlé. M. Carabaſſe cite ici pour exemple
deux pierres rénales d'un très-gros volume ,
qu'on conferve à Toulouſe , & deux autres
qu'on trouva dans les reins du Pape Inno-
(1 ) Statique des végétaux , pag. 167 & fuiv . &
hæmaſtatique , pag. 162 & ſuiv.
AVRIL 1768 . 163
centXI. Il fait enſuite l'analyſe de l'urine ,
& il avance , qu'indépendamment de la
terre , du ſoufre & du ſel volatil que ce
liquide lixiviel renferme,& qui fervent de
matière première au calcul , un très-grand
nombre de molécules d'air fixe qui abondent
, ſe joignant avec la partie fulphureuſe
, ſervent comme de ciment aux parties
terreuſes & falines , & par là font augmenter
de plus en plus la maſſe du calcul.
L'Auteur du mémoire , pouffant fon
examen encore plus loin , infinue qu'outre
les principes que tout le monde reconnoît
dans l'urine , celle-ci charrie quelquefois
des molécules folides d'une eſpèce toute
différente de celles dont il a déja parlé ,
leſquelles font le produitde certaines mauvaiſes
digestions habituelles , lors defquelles
ellesn'ont pu ſe convertir en chile :
&qui venant à s'allier avec les principes
ſuſdits , & renfermant plus que les autres
une grande quantité d'air fixe , font durcir&
groffir d'autant le calcul. Après avoir
examiné quels peuvent être les matériaux
de la pierre urinaire , & avoir ſuppoſé leur
trop long séjour dans la ſubſtance tubuleuſe
des reins , cet Académicien paffe à
la cauſe eſſentielle du calcul , & il la
trouve dans l'ofcillation violente & longtems
continuée des vaiſſeaux ſanguins voi
164 MERCURE DE FRANCE.
fins du tuyau rénal-gorgé , dont les efforts
redoublés font rapprocher fur elles toutes
ces différentes molécules , qui forment un
corps d'autant plus compacte , que leur
rapprochement fait exprimer d'entr'elles
les parties aqueuſes qui s'oppoſeroient à
la folidité du calcul , & leur unit intimement
celles d'air fixe & les ſulphureuſes
qui leur fervent comme de ciment. Après
avoir conduit la pierre juſqu'à ſon entière
perfection , M. C.... ſuppoſe comme une
vérité connue , qu'elle comprime les parties
voiſines , & qu'alors le jeu ofcillatoire
des vaiſſeau x ambients diminuantpar cette
compreffion exceſſive , la partiedu calcul ,
qui eſt la plus éloignée du centre , doit
avoir moins de ſolidité , comme l'expérience
le confirme ; & il ajoute que par
cette raiſon , toutes proportions gardées ,
les pierres qui ſe forment dans la veſſie ,
doivent avoir moins de ſolidité que celles
des reins.
L'Auteur parle enſuite des ſignes qui
font connoître la pierre ſans s'y méprendre
, comme il arrive quelquefois. Il termine
enfin ſon mémoire en indiquant les
précautions qu'il faut prendre pour prévenir
la formation du calcul ou en empêcher
les progrès. Il fait conſiſter ces précautions
dans l'égalité d'âme & la tran-
2
4
AVRIL 1768 . 165
enquillité
conſtante de l'eſprit , ſi propres
par les loix de l'union à entretenir l'uniformité
du cours de nos humeurs , la dou
ceur & la juſte proportion des principes
du ſang que les paſſions bouleverſent
tièrement : dans la privation des alimens
terreux & falés , mais fur-tout des coquillages
dont l'abus lui a fourni des obſervations
ſur cette matière dans une grande
modération à l'égard du caffé & des liqueurs
ardentes dont l'uſage exceffif &
trop journalier deſſéche beaucoup le ſang
& produit des grandes diſpoſitions à la
forinationde la pierre urinaire : dans l'habitude
de prendre tous les ans & dans la
belle ſaiſon quelques bains domeſtiques
&fimplementdélayans avec l'eau de rivière
tiéde , ſoit adouciſſans & tels qu'aux environs
de Béſiers la nature les offre à la
Malou , à Avéne & à Sylvanez . Comme
auſſi à prendre en été tantôtquelques eaux
minérales acidules qui ne font pas rares
dans cette contrée ; tantôt des bouillons
de poulet ou de grenouilles attérés avec
des plantes légérement apéritives, & tantôt
du petit lait ou du lait d'aneſſe , obſer
vant, pendant leur uſage , un régime &
les précautions convenables. Enfin , le dernier
moyen qu'il indique , pour prévenir
la formation ou les progrès du calcul des
166 MERCURE DE FRANCE.
reins & de la veſſie , conſiſte , felon lui ,
àgarder conftamment un régime fobre &
des plus adouciſſant , ne buvant que de
l'eau bien pure & des vins entièrement
dépouillés de leur tartre , &fur-tout à ſe
tenir en garde contre la violence & les
atteintes des paffions fougueuſes auxquelles
on ne ſe livre que trop ſouvent , afin que ,
par ces divers moyens , le ſang & l'urine
foient moins chargés de parties terreuſes ,
fulphureuſes & falines trop maſſives &des
aëriennes fixes , toutes propres à la génération
de la pierre des reins & de la veſſie.
PROGRAMME de l'Académie Royale des
Belles- Lettres de La Rochelle.
UN Membre de l'Académie voulant
donner une marque de ſon amour pour
la patrie & les lettres , lui a remis lesfonds
néceſſaires pour une médaille d'or
de la valeur de fix cens livres , qui doit
être adjugée par l'Académie au meilleur
diſcours dont le ſujet ſera l'éloge d'Henri
IV. Cette médaille doit être frappée exprès
, elle repréſentera d'un côté le portrait
de ce Roi , ſi cher à la Nation Francoiſe
, qui en fut auſſi le père. Le reyers
AVRIL 1768 . 167
ſera décoré de cette deviſe , le bien bon
ami des Rochellois ; paroles que ce grand
Prince avoit adoptées & qui font autant
d'honneur à fon coeur qu'elles font précieuſes
& facrées pour les habitans de la
Rochelle. On lira dans l'exergue , prix
adjugé par l'Académie Royale de la Rochelle
en 1768. Les étrangers feront admis
au concours comme les régnicoles. Les
Académiciens titulaires & aſſociés en font
ſeuls exceptés. Les diſcours écrits en françois
feront d'une demi -heure de lecture
au moins. L'Académie voulant laiſſer un
temps ſuffifant pour traiter un ſi beau
ſujet , ne diftribuera le prix qu'en décembre
1768.
Elle tiendra dans ce mois une aſſemblée
publique , pour lire l'ouvrage couronné :
les paquets doivent être adreſſes , francs
de port, avant le 15 d'octobre 1768 , à M.
de la Faille , Secrétaire perpétuel de l'Académie.
Les auteurs qui ſe feront connoître
directement ou indirectement , ne
concourront point. Chaque diſcours portera
en tête une deviſe répétée ſur un
billet cacheté qui contiendra le nom &
la demeure de l'auteur.
N. B. Ce programme a déja été publié
dans notre Journal ; mais la matière eſt
ſi intéreſſante , qu'on n'en fauroit trop
rappeller le ſouvenir,
168 MERCURE DE FRANCE.
:
ARTICLE I V.
BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
MONSIEUR,
DANS l'ordre que vous avez donné aux
diverſes matières dont vous parlez dans
le Journal que vous compoſez , & que le
public lit avec tant de plaifir , vous avez
deſtiné une claſſe pour les arts , au commencement
de laquelle vous placez les arts
utiles dont la ſociéré tire tant d'avantage.
Au nombre de ces arts , on doit , je
penſe , compter ceux dont le but eft de
réparer les défauts naturels , de rendre aux
hommes , au moins en partie , ce que les
accidens leur ont fait perdre , d'imiter
la nature , de manière à faire croire , que
celui qui eſt réellement privé d'un des
biens qu'elle accorde , paroiſſe cependant
encore en jouir,
Je
7
:
AVRIL 1768 . 169
Je crois donc remplir votre idée , Monſieur
, en vous faiſant connoître , ainſi
qu'au public , l'art auquel j'ai eu recours ,
& l'artiſte intelligent auquel je deſire en
même tems payer le tribut de ma reconnoiſſance.
Un coup m'avoit privé dans mon enfance
d'un de mes yeux , cette perte me
défiguroit , & me rendoit peu propre à
être admis dans la ſociété ; on me conſeilla
d'y remédier , en mettant un oeil
d'émail. La crainte de la douleur , le peu
d'eſpoir que j'avois qu'on pût de cette
manière , je ne dis pas , réparer ma perte ,
mais la rendre moins apparente , m'empêchèrentlong-
tems de tenter cette reſſource ,
mais enfin l'âge m'apprit qu'on devoit
tenter tous les moyens poſſibles pour ne
pas rebuter la ſociété dont on doit devenirundes
membres .
Je me refolus donc à ſuivre l'avis que
m'avoient donné mes amis ; je vinsà Paris,
on m'adreſſa au fieur Raux , marchand
Émailleur. ( 1 ) Dès la première viſite que
** Le ſieur Raux demeure actuellement rue du
Petit Lyon Saint- Sauveur, & au cinquième juillet
prochain il demeurera rue des Juifs , derrière le
petit Saint Antoine , la première porte-cochère à
droite en entrant par la rue des Roſiers , ou la
dernière en entrant par celle du Roi de Sicile.
Vol. II. H
170 MERCURE DE FRANCE.
je lui fis, je fus débarraffé de la crainte que
je m'étois faite de cette opération que je
regardois comme douloureuſe. C'étoit un
lundi , jour auquel cet artiſte donne des
yeux gratuitement aux perſonnes quin'ont
pas le moyen de les payer ; j'en vis mettre
pluſieurs , l'opération me parut ſimple ,
je l'eſſayai; & je vis que rien n'étoit
moins douloureux & plus facile , que de
mettre un oeil d'émail ; je le portai , &
n'en reſſentis aucune eſpèce d'incommodité.
Charmé de cet eſſai , je priai le ſieur
Ruaux de me faire un oeil qui imitât le
plus qu'il feroit poſſible celui qui me
reſtoit ; il y travailla , & je dois dire à
ſa louange , qu'il ſurpaſſa mon eſpérance,
Le peintre le plus exact n'auroit pu rendre
avec plus de vérité toutes les parties
de mon oeil , la couleur de l'iris , les divers
rayons qui la traverſent , la grandeur
de la cornée , le point viſuel , la nuance du
blanc de l'oeil , les petits vaiſſeaux ſanguins
qui s'y rencontrent, tout ſe trouve également
& dans mon oeil naturel & dans
l'oeil artificiel que je porte ; enfin ceux
qui m'ont connu s'y méprennent , moimême
je cherche en vain ày trouver quel.
que différence,
Il y a plus, la juſte proportion que cet
AVRIL 1768 . 171
L
artiſte a ſu mettre entre la concavité de
l'oeil d'émail & la convexité du globe qui
me reſte , fait que cet oeil obéit au mouvement
de mes muſcles ; il ſe porte également
de côté & d'autre en bas & en
haut , de manière que quiconque ne fait
pas que j'ai perdu un oeil , ne pourra jamais
le ſoupçonner ; que ceux même qui
ne m'ont connu que légèrement & qui
n'ont pas acquis par l'habitude la connoiffance
de l'oeil que j'ai perdu , ne pourroient
dire quel eſt l'oeil qui me reſte .
Vous pouvez , Monfieur , concevoir ma
joie après cette réuſſite. C'eſt pour la rendre
publique que j'ai l'honneur de m'adreſſer
à vous ; c'eſt pour que l'artiſte à
qui je me fuis adreſſe , n'ignore pas que
je ſuis reconnoiſſant ; c'eſt plus encore
pour apprendre au public , qu'il eſt un
moyen fimple & fans douleur , de réparer
auffi parfaitement qu'il eſt poſſible , la
perte d'une choſe auſſi précieuſe que l'eft
un oeil , que je vous prie de vouloir bien
inférer ma lettre dans le Mercure , à l'article
des arts utiles.
J'ai l'honneur d'être, &c . L***

P. S. J'eſpère que ni vous , Monfieur,
niM. Raux , ne trouverez pas extraordi
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
naire que mon nom ne ſoit pas au bas de
cette lettre ; vous êtes trop philofophe ,
pour ne pas me paſſer la foibleſſe de
n'ofer avouer un défaut naturel ; & pour
M. Raux , il ne doit pas trouver mauvais,
que je cherche à ne pas devoiler aux yeux
de tout le monde ce qu'il m'a lui-même
donné le moyen de lui cacher.
CHIRURGIE.
LETTRE à M. DE LA PLACE , auteur du
Mercure de France.
MONSIEUR,
Si des indiſpoſitionspreſque continuelles
m'avoient permis , depuis trois mois , de
m'occuper d'autre choſe que de ma propre
ſanté , la lettre du ſieur Regnier , Médecin
de Reims , inférée dans le premier volume
de votre Mercure de janvier , ne ſeroit
pas reſtée juſqu'à préſent ſans réponſe. Je
pourrois même me diſpenſer d'en faire
une, en vous envoyant fimplement les
pièces que cette lettre m'oblige de produire
, & qui la réfutent ſans réplique.
Mais le faitdont il s'agit eſt trop impor
AVRIL 1768 . 173
tant , & l'accufation trop grave , pour
m'en repoſer ſur ces pièces , & fur les
témoignages de ceux qui peuvent en avoir
connoiffance. Je ne dois point d'ailleurs
laiſſer ſubſiſter après moi le moindre foupçon
ſur un remède dont la compofition
eſt depuis long- temps entre les mains de
mon neveu , qui l'adminiſtre quſſi bien
que moi , & qui peut défier toute la Chirurgie
de lui produire un ſeul malade qu'il
ait manqué par notre méthode.
Votre impartialité , Monfieur , m'eſt
auſſi connue qu'elle peut l'être au ſieur
Regnier ; je n'ai donc pas beſoin de l'invoquer
pour faire admettre ma réponſe
dans votre Journal , puiſqu'il eſt dans vos
principes de réſerver toujours une place
pour ceux qui ont à ſe défendre fur quelque
point de conteſtation dont vous êtes
faifi.
Mais M. le Docteur de Reims , qui
vient m'attaquer gratuitement , eſt luimême
bien éloigné de cette impartialité
qu'il applaudit , avec raiſon , dans les
autres ; car il me repréſente d'abord comme
un des plus déclarés envieux & jaloux du
fieur Keyser.
Que n'ajoutoit- il que j'ai été de même
envieux de tous les prétendus guériffeurs
qui ont paru & diſparu ſucceſſivement
: Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
long-temps avant le ſieur Keyfer; qu'enfin
c'eſt par envie & par jaloufie que j'ai écrit
contre les fumigations de Charbonnier,
contre la quinteſſence de Molée , la pommade
mercurielle de Torrés , &c. &c. &c.
On fait que j'ai bien difcuté tous ces prétendus
remèdes , que je n'ai pas peu contribué
à les faire tomber dans le diſcrédit ,
& que l'événement n'a que trop juftifié
l'idée que j'en avois conçue. Mais puiſque
perſonne n'élevoit la voix pour détromper
le public , puiſque les vrais praticiens laiffoient
établir & ſembloient même autorifer
, par leur filence , ces fauſſes & dangereuſes
pratiques , au préjudice des citoyens
, peut- on me faire un crime d'avoit
cu ſeul le courage de les combattre , de
m'être dévoué volontairement à la haine
de ces charlatans &de ceux qui les foutenoient
? Ne devroit-on pas , au contraire ,
m'en ſavoir au moins quelque gré ?
A l'égard du ſieur Keyser , j'ai fans
doute beaucoup écrit à l'occaſion de fon
remède , non pour le détruire , s'il étoit
bon , & pour faire préférer le mien , s'il
lui étoit inférieur , mais pour parvenir à
les faire examiner l'un & l'autre par la
Faculté de Médecine & le Collége de
Chirurgie. C'eſt toujours un concours
public , & fait ſous les yeux des Corps les
plus éclairés fur cette matière , que j'ai
AVRIL 1768. 175
propoſé , réclamé , follicité. Le ſieur Keyfer,
après avoir fait lui-même des défis
réitérés à d'autres , n'a jamais accepté les
miens ; il s'eſt retranché avec moi fur les
cures innombrables qu'il a faites , & m'a
laiſſé demander ſeul un concours que tout
le portoit à pourſuivre avec encore plus
d'empreſſement que moi. Je ſuis donc
bien en droit de prétendre que mon remède
eſt ſupérieur au ſien , puiſqu'il a
refuſé d'en faire une confrontation publiquebeaucoupplus
fûre , plus déciſive qu'un
million de certificats , &qui ne pouvoit
plus laiſſer aucun doute ſur la qualité de
nos remèdes.
Le ſieur Regnier ne me fait aucune
grace en ſuppoſant la cure de Verſailles
atteſtée par deux Officiers de la bouche
du Roi , & confignée dans le Mercure de
mai 1767 , auſſi véritable qu'elle l'eſt de
toute notoriété. Le Sujet eſt encore àVerfailles
; il peut vérifier ce fait par luimême
,& le faire vérifier par M. Gauthier,
Chirurgien des Pages de la petite Ecurie
du Roi , cité dans ſa lettre. Je m'en rapporte
à leur probité.
Venons à l'infidélité prétendue qu'il
reproche à mon remède.
J'ai manqué , dit-il , un Page du Roi
affligé de deux tumeurs aux aînes & d'un
Η iv
176 MERCURE DE FRANCE.
phymosis. Après l'avoir traité l'eſpace d'un
mois , je fis bien diſparoître les accidens ;
mais cette prompte cure , ajouta-t- il , n'a
été que palliative. Huit mois après les
mêmes ſymptômes ont reparu & ont été
vérifiés par M. Gauthier.
Voilà , fans doute , un fait très-précis ,
& qui fuffiroit pour détruire , ſans retour ,
la réputation de mon remède , ſi la principale
circonstance , c'est-à- dire , la vérité ,
n'y manquoit , & s'il n'étoit de la plus
grande fauffeté.
J'avois en effet traité ce malade & je
l'avois guéri radicalement. Cependant
cinq à fix mois après être forti de mes
mains , des ſymptômes très-évidensdu mal
vénérien reparurent. Il m'écrivit en conſéquence
, qu'il croyoit avoir été manqué. Je
devinai d'abord l'aventure. Ainfi , fans
chercher à mettre ſa diſcrétion à l'épreuve ,
je lui répondis ſimplement : que fi mon
reméde n'avoit pas réuſſi dans le premier
traitement il pourroit échouer dans le
Second , & que je lui conſeillois de s'adreſſfer
à quelque autre . Voici la lettre qu'il m'é
crivit le 21 août 1767 .
:
د
Première lettre du Page. A Versailles , ce
21 août 1767.
"C'eſt uniquement, Monfieur, la crainte
AVRIL 1768 . 177
>>que ma ſituation fût connue , & le mal
>> que je me voulois d'avoir ſi ſubitement
>> retombé dans ma première chûte , qui
>> me faifoient croire que je n'avois pas
» été bien guéri , n'ayant connu que des
>> perſonnes que je ne croyois point fuf-
>> pectes; mais j'ai vu depuis peu un exem-
>>ple fi apparent , que je ne doute plus d'un
>>moment, que ce ne ſoit la ſeule cauſe
>> de mon état préſent. J'attends de vous
>>ma guérifon , &vous prie de me renou-
>> veller vos bontés , dont je garderai le
>> ſouvenir éternellement , en vous affu-
>>rant que je vous en témoignerai la
> reconnoiſſance auſſi- tôt que je ferai à
» même. Je ſuis, Monfieur , &c » .
Sur cette confeffion ingénue je conſentis
à traiter le Page une ſeconde fois , & je
leguéris auſſi parfaitementque la première.
Cette ſeconde cure eſt conſtatée par la
déclaration du malade qui m'écrivit le
24 ſeptembre ſuivant , en ces termes , pour
me remercier.
Seconde lettre du Page. A Versailles ,
ce 24 Septembre 1767 .
« Je vous prie , Monfieur , de croire
» que c'eſt par pur oubli que je n'ai pas
>>répondu à la lettre que vous m'avez fait
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.

>> l'honneur de m'écrire. Comme il y a
>> encore de mes camarades qui partent
» pour chez eux , j'ai été charmé de les
>> voir tout autant que je le pouvois. Il
>> eſt vrai que Deftailleur est très-malade,
> pour moi je me porte toujours bien , &
>>>ſouhaite que vous en faffiez autant. Je
>>>fuis , Monfieur , &c » .
Si le Docteur de Reims ſoupçonne ces
lettres de colluſion ou de fauſſeté , il eſt
le maître de faire faire àVersailles toutes
les informations qu'il voudra , ou de s'infcrire
en faux contre ces pièces. Juſqu'à ce
qu'il ait fait la preuve du contraire , je
mérite infiniment plus de foi que lui lorf
que je perſiſte à foutenir que , depuis plus
de cinquante ans , mon remède n'a pas
manqué de malades ; &je ne ceſſerai de
faire des voeux pour l'exécution du concours
que j'ai propoſé tant de fois inutilement
au ſieur Keyser.
J'ai l'honneur , &c.
:
1
i
DIBON , Chirurgien-Major des Cent-
Suiffes de la garde du Roi.
Paris, le 9 mars هرون . 1768
AVRIL 1768 . 179
OBSERVATIONS recueillies des fuccès
qu'opère le remède de M. DE LARICHARDRIE
, contre les fleurs- blanches .
ILL faut tout le flegme de la raifon pour
découvrir ſainement la vérité des faits. II
ſeroit dans bien des cas imprudent de tout
croire fur parole ; ce n'eſt pas ce qui eſt
généralement cru qui doit nous décider ,
c'eſt ce qui est généralement vrai. La cupidité
emprunte le merveilleux , & celui-ci
entout temps a toujours eu trop de pouvoir
fur legrand nombre , dit M. Sazerac.
Pénétré de ces idées , continue- t- il , je mis
en oeuvre tout ce qui pouvoit m'aſſurer
de l'efficacité du remède en queſtion avant
de le faire éprouver à mon épouſe. Elle
avoit depuis des années un écoulement de
fleurs-blanches , qui la conduiſit d'un état
fâcheux à un déplorable , ayant perdu totalement
l'appétit , devenue maigre , décolorée
, ne dormant point , priſe à tout inſtant
de foibleſſe & de tiraillemens d'eſtomac
incroyables,ainſi qued'une hydropifie commençante
; exhalant par la bouche une
odeur fi fétide , qu'elle ne laiſſoit pas
douter un inſtant ceux qui en approchoient
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
de la mauvaiſe ſituation de ſes organes;
enun mot, ne ſe ſoutenant que comme
une ombre prête à difparoître..
L'expérience n'a démenti qu'en un point
l'opinion que m'en ont procuré mes recherches.
Tous les ſymptômes dont je viens
de faire l'énumération ont diſparu dans
l'uſage du remède , les fleurs - blanches
ſeules paroiſſent encore de temps en temps,
mais en petite quantité.
L'uſage doit ſe trouver lié à ce principe
, qu'il n'y a rien d'eſſentiellement
bon que l'utile ni rien d'utile que la
vérité.
SAZERAC , Receveur général ,
aux Sables d'Olone .
Quel art mérita jamais d'être étudié
avec plus d'amour & cultivé avec plus de
ſoin que celui de guérir , dit Mde Divoy ?
L'autorité des principes avec lesquels M.
de la Richardrie l'exerce n'eſt point équivoque.
La prudence qui paroît en être le ſoutien,
& plus encore les ſuccès avérés me
décidèrentà en faire uſage , en me raffurant
ſur les événemens que la crainte de
mon ſexe enfante trop facilement. Son
eſprit , toujours flottant entre le doute &
l'erreur , fans ceſſe renvoyé d'un écueilà
AVRIL 1768. 181
un autre , finit par être victime de l'inſtabilité.
Telles furent les motifs & les réflexions
, non principales , qui me déterminèrent
à lui communiquer la fâcheuſe ſituationdans
laquelle ſes remèdes me trouvèrent
; elle eſt maintenant ſi oppoſée , &
leurs effets ont été ſi intéreſſans , que je
ne puis me diſpenſerde les rendre authentiques.
Al'âge de vingt-deux ans , une ſurpriſe
me fit perdre l'évacuation périodique fans
laquelle mon fexe ne connoît point de
ſanté ; de cet accident s'enfuivit des obftructions
, la jauniſſe , des gonflemens
d'eſtomac , des peſanteurs inſupportables
dans le bas-ventre , la plupart deſquels ſe
diffipèrent à l'apparition d'une perte blanche
abondante , que j'enviſage avoir été
un ſecours de la Providence depuis les
effets des remèdes en queſtion. Je fupportai
cet écoulementquatre ans , n'en éprouvant
que des incommodités fort ordinaires.
Il n'en futpas toujours de même :
nâquirent à leur fuite des accidens , à la
violence deſquels il fallut promptement
oppoſer de puiſſans remèdes. Cette tempête
calmée , je fus déclarée ſcorbutique ,
j'eus des attaques de paralyfie ; celle-ci
étoit alternative.
Tant de ſymptômes effrayans en impo
182 MERCURE DE FRANCE .
fèrent à celui qui me gouvernoit ; prefqu'autant
affligé que moi de ne pouvoir
me retirer de cette maladie , il accéda à
la propoſition que je lui fis d'employer
les remèdes & les conſeils de M. de la
Richardrie.
La marche de leurs effets eſt trop longue
à rapporter ; je dirai ſeulement qu'ils ont
eu un ſi grand fucccès , que tous les accidensdont
je viens de parler ont été guéris ,
&que le flux périodique que j'avois perdu
depuis huit ans a repris fon cours régulier.
Signé , Divor , bourgeoise à Ecueille.
ARTS AGRÉABLES.
GÉOGRAPHIE - GRAVURE.
M.
1
le Rouge , ancien Ingénieur-géographe
du Roi , quai Saint-Bernard, à la
croix d'or , vient de rendre publiques trois
cartes , exécutées avec beaucoup de netteté
&de précifion , & qui repréſentent , l'une
-le quartier de Sainte Geneviève deParis ,
avec ſa nouvelle égliſe , & les nouvelles
rues qu'on doit y faire , pour donner à
cette partie de la capitale toute la beauté
dontelle peut être ſufceptible.
A
AVRIL 1768 . 183
La ſeconde carte contient le nouveau
,
plan de la ville de Nantes avec les
changemens & augmentations qu'on y a
faits depuis 1757 ; la troiſième , le plan de
la ville de Valognes , dédiée à la ville
même. Les talens de M. le Rouge ſont ſi
connus dans toute l'Europe , que nous
nous contentons d'annoncer ces trois nou
veaux ouvrages , où éclate l'amour patrio .
tique autant que la perfection de ſon arr.
* d'a-
M. Feffard , Graveur ordinaire de la
Bibliothèque & du Cabinet du Roi ,
vient de mettre au jour une eſtampe
nouvelle , d'un bel effet , repréſentant
Pfiché abandonnée par l'Amour ;
près le tableau original de F. le Moyne ,
premier Peintre du Roi , appartenant à
M. Watelet , Receveur Général des Finances
, &. de l'Académie françoiſe.
Ce morceau , digne à tous égards de
d'attention des connoiffeurs , a été commencé
à l'eau forte par M. Feffard , &
habilement terminé , ſous ſes yeux , par
Jean - Edme Nochet , fon élève.
L'eſtampe que nous annonçons ſe
trouve chez M. Feffard , à la Bibliothèque
du Roi , ou rue Sainte -Anne ,
butte Saint-Roch , à Paris .
A
* Pour fervir de pendant à Anthiope , dédié
àM. le Marquis de Marigny.
184 MERCURE DE FRANCE.
DIVERS habillemens ſuivant le coſtume
d'Italie , deſſinés d'après nature , par J.
B. Greuze , Peintre du Roi , ornés de
fonds , par J. B. Lallemand , & gravés d'après
les deſſeins tirés du cabinet de M.
l'Abbé Gougenot , Conſeiller au Grand
Confeil , Honoraire de l'Académie royale
de Peinture & de Sculpture ; par P. E.
Moitte, Graveur du Roi. A Paris, chez l'auteur
, à l'entrée de la rue Saint-Victor , la
troiſième porte cochère à gauche , en entrant
par la place Maubert.
Ces fix morceaux forment un cahier
qui ſera ſuivi de trois autres , auſſi de
chacun fix morceaux , ce qui fera en tout
vingt-quatre morceaux & un frontifpice.
Les figures font du coſtume d'Italie. M.
l'Abbé Gougenot ayant einmené M. Greuze
avec lui dans ſon voyage , lui a fait faire
les deſſeins d'après nature ; M. Moitte y a
fait ajouter des fonds par M. Lallemand,
dontla réputation eſt connue pour les vues
dans les fires d'Italie.
Le ſecond cahier paroîtra dans un mois ,
& les deux autres les ſuivront à-peu -près
àmême diſtance.
Ces morceaux font gravés d'après les
deſſeins tirés du cabinet de M. l'Abbé
Gougenot , & formeront une collection
on ne peut plus agréable , ni mieux exécutée.
AVRIL 1768. 185
Le prix fera de 7 liv. 10 fols chaque
cahier.
M. Bonnet , ſeul Graveur dans la manière
du crayon noir , rehautſé de blanc ,
vient de mettre au jour trois planches
de ce genre , faiſant les nº 13 , 14 & 15
de fon fonds. La première planche , du
prix de 30 fols , eſt une Baigneuse , légèrement
drapée , d'après le deſſein de M.
Boucher , premier Peintre du Roi. La ſeconde
planche, du prix de 15 ſols , eſt une
figure nue d'Adolescent , d'après le deſſein
de feu M. Bouchardon . La troiſième , du
prix de 30 fols , eſt compoſée de deux
Têtes d'études defemmes , d'après les defſeins
de M. le Prince ; la première Tête
eſt celle d'une femme de chambre Finoiſe ,
l'autre eſt celle d'une ſervante Mofcovite.
L'adreſſe de M. Bonnet , eſt rue
Galande , entre la rue du Fouare & la
rue des Rats , la porte cochère attenant au
Layetier.
On trouve chez M. Lattré , Graveur
ordinaire de Monſeigneur le Dauphin ,
rue Saint - Jacques , près la fontaine Saint-
Severin , à la ville de Bordeaux , une carte
du paſſage de Vénus ſur le diſque du
ſoleil , qui s'obſervera le 3 juin 1769 ,
186 MERCURE DE FRANCE.
avec les réſultats du paſſage obſervé en
1761 ; par M. Delalande , Lecteur royal
en mathématiques , Membre de l'Académie
royale des Sciences de Paris , de
la Société royale de Londres , de l'Académie
impériale de Pétersbourg , de l'Académie
royale des Sciences de Pruſſe , de
l'Académie des Arts établie en Angleterre
, &c. Cenſeur royal.
Avec le mémoire , prix 3 liv. :
Un recueil de pierres gravées antiques
ne ſemble- t- il pas completter la précieuſe
collectiond'antiquités Etruſques,Grecques
& Romaines que nous devons à feu M. le
Comte de Caylus ?
On fait qu'avec tous les beaux-arts , le
talent de graver ſur les pierres fines a paſſé
desGrecs aux Romains , dont la ſupériorité
du goût & la fineſſe de l'exécution feront
toujours des modèles pour les ſiècles à
venir. Les morceaux de ce genre d'antiquité
, plus folides par leur nature , dont
la petiteſſe les dérobe aiſément aux injures
du temps , qui font parvenus juſqu'à nous ,
nous prouvent l'uſage & le cas que l'on
en atoujours fait : & véritablement l'hiftoire
, la fable , les habillemens , les cérémonies
religieuſes , les exercices militaires ,
tout s'y préſente à nous ;& cette forte de
AVRIL 1768 . 187
médailles , ( à l'exception de la légende )
moins ufée par le frottement , nous donne
ſouvent les traits du viſage & l'air de refſemblance
plus caractériſés que dans les
médailles elles-mêmes .
Pluſieurs ſavans ont publié en différens
temps des collections de pierres gravées ,
& y ont joint des explications. Les connoiſſeurs
n'eſtiment pas également toutes
ces productions. Feu M. Lévêque de Gravelles
, après beaucoup de foins , de peines
&de recherches dans le cours de ſes voyages
, en donna , en 1732 , un recueil en
un volume in- 4°. qui en contient cent
une. Le ſuccès qu'eut ce volume engagea
fon auteur à en donner un ſecond cinq ans
après. Il y annonce lui-même dans ſa préface
que dans les cent quatre pierres gravées
dont ce volume eſt compoſé , il a
évité d'y mettre ſous les yeux celles que
l'on connoiſſoit déja , & dont les figures
fe trouvoient ailleurs .
Les deux cents cinq planches , non compris
les deux titres gravés dont ces deux
volumes ſont compofés , ont été toutes
deffinées & gravées par cet amateur , qui
a eu l'attention de mettre au bas de chaque
eſtampe la grandeur diamétrale & la forme
de la pierre repréſentée dans la figure.
C'eſt de cette collection dont Mufier
188 MERCURE DE FRANCE.
fils , Libraire , quai des Auguſtins , au coin
de la rue Pavée , vient d'acheter le reſte
de l'édition : il propoſe l'exemplaire à 121.
en feuilles juſqu'à la fin de juillet pour
tout délai ; paffé lequel temps il les vendra
24 livres s'il lui en reſte.
MUSIQUE.
L'AVEUGLE de Palmyre , partition miſe
en muſique par M. Rodolphe , Ordinaire
de la Muſique de S. A. S. Monfeigneur
le Prince de Conty ; prix 12 livres , y
compris les parties ſéparées. A Paris , chez
M. de la Chevardiere , Marchand de muſique
du Roi , & aux adreſſes ordinaires.
ΤΟΙΝΟΝ ΤΟΙΝETTE , partition miſe
en muſique par M. Groffet : prix 12 liv.
AParis , chez M. de la Chevardiere , &c ;
à Lyon , chez le ſieur Caſtaud.
La Jaloufie , l'Epreuve , & la Bergère
inquiette , trois ariettes avec accompagnement
; miſes en muſique par M. Légat de
Furcy : prix 1 liv. 16 fols chacune. A
Paris , chez le même , &c ; à Lyon , chez
le ſieur Caſtaud.
AVRIL 1768. 189
:
Le Portrait de Climène , ariette avec
accompagnement ; compoſée par M. Daveau
, auteur des Charmes de la liberté,
autre ariette qui a été ſi favorablement
accueillie du public : prix 1 liv. 16 fols.
A Paris , chez le même Marchand ; à
Lyon , &c.
Six trio pour deux violons & baffe ;
compoſés par Chriftiano Stumpff : prix 7 l.
4 f. A Paris , &c. Idem.
RECUEILdejolis airs à violon ſeul , avec
des variations : prix 3 livres ; compofés
parM. Chardon , Ordinaire de la Muſique
du Roi. A Paris , Idem.
Six trio pour deux flûtes ou violons ;
compoſés par Jofeph Toëschi , Maître des
Concerts de Mgr l'Electeur Palatin à Manheim
: prix 6 liv. A Paris , &c. Idem.
Six fonates à violon ſeul ; compoſées
par M. Chardon , Ordinaire de la Muſique
du Roi : prix 7 1. 4f. A Paris , &c. Idem.
Six trio pour deux violons & baffe;
dédiés à S. A. S. Madame l'Electrice Palati /
ne : compofés par Charles Stamitz : prix 7
liv. 4 f.A Paris , &c. Idem.
Six trio pour deux violons ; compoſés
190 MERCURE DE FRANCE.
par M. Gommar Kennis : prix 7 liv. 4ſols.
AParis , &c. Idem.
On trouve encore chez lui les articles
ſuivans :
Six quatuors dialogués ; compoſés par
M. Hayden : prix 9 liv. OEuvre quatrième.
A Paris , &c .
RECUEIL d'allemandes à la mode , de la
compoſition de M. Lahante : prix 1 liv.
4 fols. A Paris , &c .
RECUEILde menuets àdeuxmandolines;
compoſés par M. Gaëtan , & dédiés à M.
*de Fontanieux : prix 1 liv. 16 fols, A
Paris , &c.
FANFARES pour deux cors de chaſſe :
prix 1 liv. 4 fols , &c.
RECUEIL d'airs choiſis dans les opéracomiques
, avec des accompagnemens de
guitarre ; compoſés par M. Cardon , Ordinaire
de la Muſique du Roi : prix 6 l. &c.
QUATRIÈME recueil d'airs avec accompagnementde
violon , de guitarre , & des
pièces de guitarre ; par M. Albanese : prix
9 liv. &c.
Six fonates pour un violon ſeul&baſſe ;
AVRIL 1768. 191
compoſées par M. Vanmacder : prix 7 liv,
4 fols. A Paris , &c.
,
3 SINFONIE per due violini alto e ballo ,
con obboe e corni da caccia ad libitum ,
compoſte da Carlo Stamitz , il filio , Virtuoſo
di Camera di S. A. S. l'Elettor
Palatino ; opera ſecunda novamente
ſtampata a Speſe di G. B. Venier : prix
7 liv. 4 fols. A Paris , chez M. Venier ,
Editeur de pluſieurs ouvrages de mufique ,
rue Saint-Thomas du Louvre , vis-à- vis
le château d'eau. A Lyon , chez M,
Çafteau , place de la Comédie,
i
MENUETS nouveaux pour le violon ,
flûte , hautbois , par-deſſus de viole , violoncelle
, & baſſon , avec la baſſe continue
, & c ; par Mlle Blondel : prix a liv.
4 fols. A Paris , chez l'Auteur , rue Auxfers
, à la renommée , & aux adreſſes ordi.
naires de muſique, A Lyon ; & à Rouen ,
chez les Marchands de Muſique.
PIECES de canons lyriques , à deux , trois
& quatre voix. La plus grande partie des
paroles de ces canons eſt tirée des proverbes
tant ſérieux que comiques , par M.
Corrette : livre 2. Prix 1 liv. 4 fols. Chez
l'Auteur , rue des Prouyaires , à côté de la
192 MERCURE DE FRANCE.
rue des Deux- Ecus , & aux adreſſes ordinaires
de mufique.
PNEUMACORDE ou Clavecin vertical
organisé , unique dansſon eſpèce & dans
Sa compofition.
0N trouve chez M. Obert , Organiſte
de la cathédrale de Boulogne fur-mer , un
Clavecin qui a huit pieds quatre pouces de
hauteur tout compris , monté ſur des roulettes
, deux pieds de profondeur , trois
pieds ſept pouces de largeur , c'est-à-dire ,
la grandeur d'une moyenne table à jouer.
Il a pour regiſtres deux uniſſons , une
petite octave , un luth ou fourdine , &
une pédale , le tout compoſant cinq regiſtres
pour le clavecin ; de plus , un tympanon
dans le haut d'un des côtés du clavecin
: le clavier a l'étendue des grands clavecins
anglois avec ravalement.
Composition de l'orgue.
Unbourdon dehuit pieds dans tout ſon
deſſus , juſqu'à la clef de c ſol ut, une
flûte acheminée juſqu'à la clef d'f ut fa , &
le reſte de ladite flûte eſt bouché pour fa
baffe ,
AVRIL 1768 . 193
baſſe , une voix humaine fonnante en huic
pieds de haut en bas,
Je ne dis rien de la communication des
deux inſtrumens , elle eſt ſimple, mais compoſée
avec art ; cette pièce n'eſt pas la
moindre de l'inſtrument, & fera toujours
[admiration des gens de l'art , & a toutes
les commodités que je crois être poſſible
d'y placer. Les deux inſtrumens compofent
deux regiſtres.
Variétés des deux instrumens .
Le clavecin , qui eſt parfait dans ſes
fons , fait le forte piano fans déranger les
mains pendant l'exécution ; tout à coup
l'orgue ſe joint au clavecin ; l'orgue ſeul ,
le clavecin ſeul , les deux enſemble ; piano
leclavecin... forte l'orgue ; piano l'orgue...
forte le clavecin... piano tous les deux...
forte tous les deux enſemble.
..
Toutes ces variétés ſe font ſans le ſecours
de perſonne , ni ſans déranger les mains
du clavier; le pied fait toute cette beſogne
avec une facilité ſi grande , que les ſpectateurs
ne s'en apperçoivent pas ; cet inſtrument
eſt capable de remplir dans les plus
grands concerts.
Autres avantages.
Si quelques Dames vouloient jouer fur
Vol. II. I
194 MERCURE DE FRANCE.
le clavecin feul , c'est-à-dire , fans avoir les
ſoupapes de l'orgue à baiffer , ce qui fait
toujours un petit point d'appui de plus ;
cette ſéparation ſe faitfubito , & la réunion
ſe fait de même ; vous avez l'avantage
de ſubſtituer un fouffleur de l'autre
côté avec la même baſcule , &quand même
il fouffleroit pendant que le joueur exécu
tera , & que les ſoupapes ouvriront , l'orgue
n'ira pas pour cela ; elle n'ira qu'à la
volonté du joueur , ce qui fait une ſurpriſe
admirable : auſſi les forte ſe font ſubito ,
les piano de même ; en un mot , l'inftrument
eſt au - deſſus de tout le détail
qu'on en peut faire ; il ne faut que le
voir & l'entendre pour en être ſurpris.
Le ſuſdit clavecin organiſé eſt tout en
bois d'acajou & noyer des ifles. Figurant
une grande commode ou bibliothèque
proprement garnie , il peut être
placé dans la ſalle la plus belle , & fera
toujours un très-bel ornement , &c.
AVRIL 1768. I195
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPÉRA.
L'OUVERTURE de ce théâtre s'eſt faite le
mardi , 12 avril , par l'opéra de Silvie ,
dont le fuccès n'a point varié.
MlleArnouldy a obtenudenouveaux applaudiſſemens
, &d'autant mieux mérités ,
qu'après nous avoir déja montré toutes les
grâces&les fineſſes , tant dans l'action que
dans le chant , dont le rôle de Silvie eſt
fufceptible , elle a paru ( & même aux
yeux des connoiffeurs ) en avoir encore
offert de nouvelles.
Nous aurions grand tort de paſſer ſous
filence avec quelles grâces , & ( ſi l'on peut
le dire ) avec quelle maligne ingénuité
Mlle Rosalie a joué & chanté , dans cet
opéra , le rôle de l'Amour.
On répéte actuellement la Vénitienne ,
poëmede Lamotte , remis en muſique par
M. d'Auvergne , Surintendant de laMuſi
quedu Roi.
Lij
196 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE de M. D'AUVERGNE , Surintendant
de la Musique du Roi , à M. DE LA
PLACE , auteur du Mercure de France.
J'AI vu , Monfieur , dans votre Mercure
du mois de mars dernier , un article qui
me concerne. Quoiqu'il ne ſoit pas tel
que vous l'avez annoncé , je n'y ai point
répondu , parce que la choſe à laquelle je
répugne le plus , c'eſt de faire inférer dans
les Journaux les choſes dont les auteurs
ſeuls peuvent rendre compte. Je ſuis cependantforcédelefairedans
cemoment-ci ,
parce qu'ilm'eſtrevenu qu'ils'étoitrépandu
des bruits injurieux pour moi au ſujet de
l'affaire en queſtion ; je me trouve donc
obligé de rendre compte publiquement de
la manière dont la choſe s'eſt paſſée,
Dans les premiers jours du mois de
décembre dernier , une perſonne de confidération
me demanda , de la part de MM,
les Directeurs de l'opéra , pour la rentrée
de Pâques 1768 , la Vénitienne , comédieballet
, poëme de feu la Motte , que j'ai
remis en muſique, Je répondis que je
n'étois pas dans l'intention de donner cer
opéra fi-tôt , pour des raiſons dont j'eus
AVRIL 1768 . 197
l'honneur de lui faire part , & qu'elle
trouva bonnes. Quelques jours après d'autres
perſonnes , qui ont de l'amitié pour
moi , & à qui je dois la plus grande reconnoiſſance
, ſe joignirent à elle pour me
faire de nouvelles inſtances. J'y cédai ,
mais à une condition qui étoit , que MM.
les Directeurs obtiendroient du Miniſtre
l'agrément de m'accorder une penfion de
mille livres ſur l'opéra. Ma propofition
leur fut communiquée ,& ils l'accepterent.
La même perſonne , qui fut chargée de
me rendre réponſe , me fit part en même
temps de l'idée que cela leur avoit fait
naître d'en demander une ſemblable pour
M. Mondonville. Je lui répondis que rien
ne me paroiſſoit plus juſte ; &j'appris, peu
de temps après , que M. le Comte de Saint-
Florentin avoit accordé ces penſions avec
la bonté dont il accompagne toutes les
graces qu'il accorde.
J'aurois pu vous faire part de tout cec
pour l'inférer dans votre Mercure de février
, mais je ne l'ai pas fait par les raiſons
quej'ai eu l'honneur de vous dire ci-deſſus.
J'ai celui d'être avec la plus parfaite
conſidération , Monfieur , votre , &c.
D'AUVERGNE.
A Paris , ce 15 avril 1768 .
I iij
: 198 MERCURE DE FRANCE.
!
i
COMÉDIE FRANÇOISE.
0N a donné , pour l'ouverture du théatre
, la tragédie d'Athalie , où Mile Dumeſnit,
dans le rôle d' Athalie , & M. Brifard,
dans celui du grand Prêtre , ont reçu
les applaudiſſemens les plus vifs & les plus
réitérés . M. Vélaine , dans celui d'Abner ,
a auffi éprouvé combien le public eſt juſte
&fait tenir compte des efforts qu'on fait
pour lui plaire. Cette admirable tragédie
a été fuivie du François à Londres .
2
DISCOURS prononcé à l'ouverture du theatre
, parM. DAUBERVAL , le lundi 11
avril.
MESSIEURS ,
L'ART de la déclamation eſt peut- être
un des plus difficiles. Saifir & rendre tous
les caractères , les animer de toutes les
paflions , les faire fuccéder l'une à l'autre
avecrapidité, mais fans violence,en fondant
pourainſidire leurs paſſages dans des teintes
légères &graduées qui détruiſent la diſſoAVRIL
1768. 199
;
nance ; avoir l'âme affez fouple & l'intelligence
aſſez vive pour tirer , fur le champ,
parti de la foibleſſe ou de la mépriſe , &
former un nouvel enſemble que l'on n'avoit
pas prévu , être toujours vrai enfin ,
&dans l'inſtant même tel eſt le but où
ſe propoſe d'atteindre le Comédien. Qui
de nous ne feroit tenté de retourner en
arrière,à l'aſpect de cette carrière effrayante,
fans l'appui de l'indulgence dont vous
honorez les arts & ceux qui les cultivent ?
c'eſt dans cette confiance , Meſſieurs , que
nous allons paroître ſur la ſcène.
Après avoir tracé l'eſquiſſe du vrai
Comédien , ſouffrez , Meſſieurs , que je
place , dans une claſſe inférieure , celui
qui , brûlant du deſir de vous plaire , eſt
toujours agité par la crainte de n'y point
parvenir. A cette crainte , ſi bien fondée,
vous reconnoiſſez , Meſſieurs , celui qui
eſt aujourd'hui chargé de vous annoncer
l'ouverture du théatre françois. Pénétré
des faveurs dont vous m'avez comblé ,
je ſens plus vivement encore ce qui me
reſte à faire pour m'en rendre digne.
Je dois vous aſſurer , Meffieurs , qu'il
n'eſt aucun de nous qui ne faſſe les plus
grands efforts pour mériter vos bontés. I1
n'eſt pas de ſoins que nous ne nous donnions
pour vous convaincre , Meſſieurs ,
1
I iv
100 MERCURE DE FRANCE.
que nos voeux les plus ardens tendent
toujours à la gloire de mériter vos ſuffrages.
LETTRE à M. P ***.
PERMETTEZ - moi , Monfieur , de me fervirde
la voie du Mercure pour me plaindre
à vous-même d'un petit oubli auquel
votre volonté n'a ſûrement aucune
part. Vous dites dans une de vos lettres
inférées dans ce Journal , en faiſant l'éloge
de M. François , qu'il eſt auteur
d'une comédie imitée de Goldony , que
les Comédiens ont refuſée & qui ,peutêtre
, méritoit un meilleur fort. C'eſt
précisément ce refus qui vous attire ma
lettre. Il n'eſt pas juſte que,M. François
ait lui ſeul la honte d'un ouvrage
auquel j'ai eu moi-même une très-grande
part. Vous favez , Monfieur , que lorfque
nous eûmes l'honneur de vous lire
cette pièce dans votre retraite , M. François
ne diſconvint pas qu'elle avoit été
faite en commun. Elle eſt actuellement
entre vos mains , & vous pouvez juger
par vous-même de celui qui a le plus
contribué à ce malheureux drame. Souffrez
donc qu'aujourd'hui j'en revendique
une partie , & que comme j'aurois parti-
1
AVRIL 1768 . 201
cipé au ſuccès s'il en eût eu , je participe
auſſi à ſon mauvais fort.
J'ai l'honneur , & c. M. D. D.
D.... ce 27 février 1768 .
COMÉDIE ITALIENNE,
ΟN a donné , le jour de la rentrée ,
Tom Jones , précédé du Retour d'Arlequin ,
pièce italienne.
DISCOURS composé & prononcé à l'ouver-
: ture du théâtre , par M. LEJEUNE.
MESSIEURS ,
LES bontés dont vous avez eté ſi ſouvent
prodigue à notre égard , deviennent
les aufpices favorables , ſous leſquels nous
ofons reprendre le cours de nos travaux.
Nous vous quittâmes avec les ſentimens
de la reconnoiſſance ; c'eſt avec ceux de
l'ambition la plus réſervée que nous reparoiſſons
devant vous. Comblés de ces
mêmes bontés pendant l'année dernière ,
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
permettez-nous , Meſſieurs , de les recla
mer encore pour celle que nous commençons.
S'il étoit poffible de peindre le fentiment
, jamais la vérité ne vous eût rien
offert de plus pur que celui dont nous
ſommes pénétrés ; mais le langage de
l'eſprit eſt rarement celui de la reconnoiffance.
Vous retracer le ſouvenir de vos
propres bienfaits , rougir d'en avoir été
ſi peu dignes , c'eſt le ſeul hommage que
nous ſoyons en état de vous rendre : employer
tous nos ſoins pour justifier nos
fuccès à l'avenir ; c'eſt le ſeul tribut que
nous puiſſions vous prometrre.
Tels font , Meſſieurs , les voeux que
nous ofons vous préſenter ; trop heureux
s'ils ſuffiſent à fixer toujours fur nous les
regards favorables d'un public , auffi juſte
que reſpectable , auſſi indulgent qu'éclairé.
Le 12 avril on a donné les Anneaux
magiques , pièce italienne.
2
..
:
AVRIL 1768. 2103
COPIE d'une lettre écrite àM. AUDINOT.
MONSIEUR ,
Le plaiſir que je m'étois promis à voir
cet hyver votre troupe à Verſailles , a de
beaucoup furpaffé mon attente & , j'ofe
le dire , celle de tous les connoiffeurs. Il
ne falloit rien moins qu'un auteur vigilant
&conſommé , tel que vous , pour diriger
une troupe dans laquelle , à la vérité , il
ſe trouvoit d'heureuſes diſpoſitions , mais
il falloit une main habile pour les dégroffir
, les mettre en état de paroître , & leur
mériter les fuffrages du public. Vous avez
donc fait éclorre les talens des uns & briller
ceux des autres. Outre les obligations
eſſentielles que ceux- ci vous doivent avoir,
les amateurs vous ont encore celle de leur
avoir procuré une fatisfaction entière
qu'aucune troupe , depuis la réunion de
Popéra- comique aux Italiens , n'avoit été
dans le cas de leur faire goûter. Mlle
Eulalie , votre fille , ce jeune prodige de
grâces & de talens, a totalement effacéde
notre eſprit le ſouvenir agréable qui lui
étoitreſté des enfans de Baron , & l'on
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
peut , fans flatterie , affurer que la nature
a réuni en elle ſeule , à l'âge de huit ans ,
tout ce qu'il faut pour être une jolie danſeuſe
, une agréable muficienne , & une
actrice fine , délicate , & ſenſée . C'eſt ſurtout
dans le Bouquet, petite pièce que tout
Versailles a pris tant de plaifir à voir , &
dont, malgré votre difcrétion , nous avons
fû que vous étiez l'auteur , que cette aimable
enfant a déployé ces heureuſes qualités.
Je ne fais ici que vous rappeller une vérité
dont tout le public vous a donné plus d'une
fois les marques les moins équivoques. Il
feroit à ſouhaiter que ceux qui vous fuccéderont
ſe modelaſſent ſur vous ; directeurs
, acteurs , & ſpectateurs , à coup für
chacun feroit content.
J'ai l'honneur d'être , &c.
CONCERT SPIRITUEL.
Ο
Du mercredi , 30 mars.
N a d'abord exécuté une ſymphonie nouvelle
de M. Moulinghem , dont les effets harmoniques
ont été applaudis. Enſuite un nouveau
motet à grand choeur , de M. l'Abbé Giroust ,
Maître de Muſique de la Chathédrale d'Orléans ,
AVRIL 1768 . 205
&auteurdes deux motets Superflumina Babylonis,
qui ont remporté les deux prix du concours :
c'eſt faire préſumer l'accueil que l'on a fait à
celui- ci . Mile Deſcoins chanta très-bien un motet
à voix ſeule de M. Dollé. M. Gardel , de l'Académie
Royale de Muſique , exécuta avec goût &
préciſion , une ſonate de harpe de ſa compoſition.
M. Touvois , de l'Académie Royale de Muſique ,
chanta Inclina Domine , &c . motet à voix ſeule de
M. Martin . M. Frantzel , dont nous avons déja
parlé avec éloge , exécuta une fonate de violon de
ſa compofition ; & le Concert fut terminé par
le Stabat mater de Pergolèze , dont l'exécution ne
lailla rien à deſirer .
Du jeudi , 31 mars.
Le motet à grand choeur , Miferere mei Deus ,
de M. d'Auvergne , Surintendant de la Muſique
du Roi , ouvrage de génie , & dont les diférentes
beautés ont été vivement ſenties , a fait l'ouverture
de ce concert. De là M. Duport , le jeune ,
a exécuté avec le même ſuccès qu'il a eu ci-devant ,
une fonate de violoncelle. Mlle Chenais a été
applaudie dans le Paratum , &c. motet à voix
feule de M. Mouret. M. Séjan , Organiſte de
Saint Severin , & de Saint André-des -Arts
exécuté ſur l'orgue un nouveau concerto de ſa
compofition , & le public a rendu autant de juſtice
àfonjeu brillant qu'à ſa muſique. Mile Dubrieulle
a chanté Quàm bonus , &c . motet à voix ſeule de
M. Lefebvre. M. Frantzel exécuta un nouveau
concerto de ſa compoſition ; & le Stabat de Pergolèze
a terminé le Concert.
Du vendredi , premier avril.
,
a
Le Concert a commencé par une ſymphonie ,
1
206 MERCURE DE FRANCE.
qui a été ſuivie par le DeProfundis , motetà
grand choeur de M. Rebel , Surintendant de la
Muſique du Roi , dont les talens ont été & feront
long-temps chers au public. M. Salentin fils , a
reçu les mêmes applaudiſſemens qu'il avoit déja
eus ci-devant , dans un concerto de Toeski , qu'il
aexécuté ſur la flûte . Mlle Defcoins & M. Narbonne
ont chanté Jubilate Deo , &c. motet trèsagréable
de M. d'Auvergne. M. Frantzel a exécuté
une ſonatede ſa compoſition. M. Durand,
dont le bel organe eſt connu , a chanté avec autant
d'intelligence que de goût , Diligam te , &c . motet
à voix ſeule de M. l'Abbé Jollier. Le Concert a
fini par le Stabat Mater de Pergolèze , toujours admirablement
rendu par Mile Fel & par M. Richer.
Du Samedi , 2 avril.
Après une ſymphonie , on chanta leRegina
Cali , &c. motet de M. d'Auvergne. Mlle Chenais,
de l'Académie Royale de Muſique , chanta,
pour la ſeconde fois , Paratum , &c . motet à
voix ſeule de M. Mouret. M. Berthéaume fut ap
plaudi dans un concerto de violon. Mile Morizet,
de la Muſique du Roi , chanta très-bien Confitebor
tibi , &c. motet d'un chant très-agréable de
M. Milandre. Mlle le Chantre , dont nous avons
célébré les talens , exécuta ſur l'orgue un concerto
de Vaghenſeil ; & le Concert fut terminé par
Super flumina , &c. motet de M. l'Abbé Giroust
qui a gagné le ſecond prix.
Dimanche , 3 avril, jour de Pâques.
Il commença par une ſymphonie , enſuite
Domine audivi , &c. beau motet à grand choeur
de M. d'Auvergne. Mlle Morizet chanta Diligam
AVRIL 1768. 107
se,&c. motet à voix ſeule , &d'un chant gracieux,
de M. Milandre. M. Balbâtre exécuta ſupérieure-,
ment , ſur l'orgue , un concerto de ſa compoſition.
Mlle Fel & M. Narbonne chantèrent Exultate
jujti in Domino , motet à deux yoix , & d'un trèsbel
effet , de la compoſition de M. d'Auvergne.
M. Frandzel exécuta un concerto de violon de ſa
compoſition , & mérita encorede nouveaux éloges.
Le Concert a fini par Super flumina Babylonis
motet de M. l'Abbé Giroust , qui a remporté le
premier prix du concours.
Du lundi., 4 avril.
Après la ſymphonie ordinaire on a chanté
Omnes gentes , &c. motet à grand choeur , &
très-bien fait , de M. d'Auvergne. M. Tirot ,
dont la timidité très-peu fondée nous a longtemps
caché une partie des beautés de ſon organe ,
afait le plus grand plaisir dans Afferte Domino ,
motet à voix ſeule de M. Lefebure. M. Manfredi
exécuta, ſur le violon , un concerto de ſa compoſition
; & le Concert fut terminé par Noli
amulari , &c . motet à grand choeur & d'un grand
effet de M. l'Abbé Dugué , Maître de Muſique de
l'égliſe royale de Saint Germain l'Auxerrois,
Du mardi , avril.
Il commença par une ſymphonie , enſuite Miferere
Deus, Miserere mei , &c. motet à grand
choeur de M. l'Abbé Giroust. M. Durand chanta
Diligam te , &c. motet à voix ſeule de M. l'Abbé
Jollier. M. Capron exécuta , avec l'applaudiſſement
de l'auditoire , un concerto de violonde ſa
compoſition. Mile la Madeleine fut entendue avec
208 MERCURE DE FRANCE.
plaiſir dans Conferva me , &c. motet à, voix ſeule
deLefebvre. Mlle le Chantre , élève de M. Romain ,
exécuta ſur l'orgue, avec autant de précifion quede
goût , un concerto de la compoſition de M. Bac ,
de Londres. Le Concert a fini par Confitebor , &c.
motet à grand coeur , de la compofition de M.
Gibert, &dont le public a paru ſatisfait.
Du vendredi , 8 avril.
Après la ſymphonie on exécuta de nouveau le
Miferere mei Deus de M. d'Auvergne , qui fut
reçu , s'il eſt poſſible , avec encore plus de plaifir
que la première fois. M. Balbatre en fat untrèsſenſible
àl'auditoire , dans une ſuite de ſymphonies
du célèbre Rameau , qui fut applaudie avec tranfports
. M. Tirot chanta auſſi bien que ci-devant ,
Afferte Domino , &c. motet à voix ſeule de Lefebvre.
M. Frantzel exécuta un concerto de violon
de ſa compoſition. Mlle Morizet chanta unmotet
à voix ſeule de M. Milandre , qui fut très-bien
reçu , & le Stabat de Pergolèze termina le Concert.
,
Du dimanche , 10 avril.
Il commença par Te Deum , &c. moter à grand
choeur de M. d'Auvergne , l'un des plus beaux
motets que nous connoiffions , & dont le ſeul
verſet Judex crederis , d'un effet auffe grand que
terrible auroit ſuffi pour faire la réputation
d'un compofiteur de muſique. Auſſi fit- il , ainfi
que les autres morceaux de cet ouvrage , toute
Pimpreffion qu'il méritoit de faire. On revitenfuite
avec plaifir le jeune & très-aimable artiſte
M. Salentin fils , élève de M. Bureau , exécuter
un concerto fur la flûte. M. l'Abbé le Vaffeur
AVRIL 1768 . 209
chanta un motet à voix ſeule de la compofition
de M. l'Abbé Giroust. M. Capron exécuta , ſur le
violon , un nouveau & ſavant concerto de ſa compoſition
, qui fut fort applaudi. Mlle Duplant ,
dont l'organe & les talens ſont connus , ne les
démentit point dans Quemadmodum , motet à voix
ſeule de Mouret. Le Concert fut terminé d'une
façon brillante & avec l'applaudiflement général
de l'aſſemblée, par Deus venerunt gentes , motet à
grand choeur de M. Fanton.
Ο
AVIS DIVERS.
Nne fauroit trop faire d'éloges d'un remède
ſimple , facile à prendre , qui guérit radicalement
une maladie pour laquelle elle est indiquée , par
une longue expérience. M. Bernard a trouvé le
moyen de tirer des plantes ſimples , une poudre
qui guérit en peu de temps les maladies cauſées
par le lait répandu ou grumelé , ſoit qu'il ait
produit des abſcès au fein ou ailleurs , foit qu'il
ſe ſoit porté à la tête , qu'il ait caufé des douleurs
aux membres , &c. Enfin toutes les maladies
qui ont un principe laiteux ſont guéries par la
poudre dont nous parlons. Eile eſt préférable
au fel de duobus après les couches .
Le ſuccès qu'elle a depuis long-temps lui a
mérité l'approbation de la Commiſſion Royale de
Médecine ; & l'auteur , certain de ces mêmes
ſuccès , deſire qu'on en falle uſage ſous les yeux
de MM. les Médecins.
Combien ne doit on pas être redevable à un
tel remède , puiſque par les effets il diſpoſe les
210 MERCURE DE FRANCE.
organes de la génération , chez les femmes qu'un
principe laiteux reſté d'une première couche ,
avoit affoibli & empêcheroit d'avoir d'autres
enfans.
Il faut obſerver que les femmes qui ont des
abſcès ou dépôts laiteux , n'ont beſoin ni d'opération
ni de panſements ;il faut ſeulement qu'elles
baffinent une fois par jour avec de l'eau tiéde ,
les abſcès ouverts. L'ulage de quelques jours de
cette poudre føndra les abſcès & conſolidera les
plaies s'il y en a , fans le ſecours d'aucun onguent
ni emplâtre. Les femmes du tentpérament le
plus délicat n'ont jamais été incommodées par
l'uſage de cette poudre .
On a fait les paquets de fix priſes , dôſe fort
ſouvent ſuffifante pour guérir une perfonne quoique
les accidents foient compliqués ; cependant
il eſt des circonstances où on eft obligé d'en
prendre quelques priſes de plus. Ces paquets de
fix priſes qu'on vend 12 livres , contiennent
chacun une inſtruction imprimée ſur la manière
de s'en ſervir qui est très-aiſée.
Le ſeul endroit où on la vende eſt à Paris ,
chez M. Bernard , rue du Bouloy , maiſon de
M. Duhamel , attenant le jeu de paume , au
ſecond étage fur le derrière , où l'on trouvera
dumondedepuis 9 heures du matin juſqu'à midi ,
&depuis 3 heures juſqu'à 6 heures du ſoir : on
prie les perſonnes qui lui feront l'honneur de
lui écrire , d'affranchir les lettres .
On vend dans le même endroit ,par privilége,
une poudre tirée de ſimples ( dans laquelle il
n'entre point de quinquina ) pour la guériſon des
fiévres , d'accès , ſoit tierces , doubles tierces , &
quartes ; 2 ou 3 priſes ſuffiſent pour guérir un
fébricitant. On la vend par paquets de trois
AVRIL 1768 . 211
priſes livres , dans chacun deſquels eft jointe
une inſtruction imprimée ſur la manière d'en
faire uſage.
Le ſieur Onfroy, Diſtillateur ordinaire du Roi ,
qui demeuroit ci-devant à la deſcente de la place
du pont Saint- Michel à Paris , a annoncé , par les
feuilles du mois de juillet dernier , qu'il alloit
occuper le rez de chauffée de l'hôtel d'Aligre ,
rue Saint Honoré ; mais comme bien du monde
étoit dès-lors à la campagne , il nous a engagés
dedonner encore cet avis & d'y joindre , qu'indépendamment
du grand allortiment de liqueurs
qu'il avoit dans fon ancienne demeure , qu'il a
beaucoup augmenté en nouvelle compoſition ,
particulièrement en crême de caffé , qui en porte
la couleur & le parfum auſſi agréable que le caffé
récemment brûlé & moulu , il a compofé de nouveau
l'huile de Batavia & la crême du Pérou , qui
ſont également délicieuſes. Ilvient de joindre à
fon commerce une collection de la plus grande
partie des meilleurs vins de liqueurs qu'il a eu
L'attention de faire venir des lieux de leurs nailfances
, il les débite enauſſi petite quantité qu'on
veut , juſqu'à demi-bouteille de chopine. Les prix
en ſont modiques , ledit fieur Onfroy ſe reftreignant
à un perit bénéfice. On trouvera chez lui
un aſſortimentd'eaux d'odeurs ſpiritueuſes , compoſćes
avec les parfums les plus agréables,de même
que toutes les quinteffences , odorantes & auſſi les
vinaigres odorans de propreété , à la lavande , au
thim , au romarin , au ſerpolet , au cedra , à la
bergamotte & au citron. Les acides du vinaigre
en ſont émoufles avec des eſprits analogues à leurs
compoſitions. Il continue toujours de fabriquer
ſonchocolat travaillé à la façon d'Italie , dont if
23 MERCURE DE FRANCE.
s'eſt mérité la confiance générale. Sa liqueur ſpiritueuſe
pour les dents , qui enarrête ſur le champ
&fans retour les plus vives douleurs , qui les nettoye
& préſerve les accidens de la bouche en ſe
la rinçant avec cette liqueur mêlée avec de
l'eau ordinaire , ſe débite toujours avec le même
ſuccès. Les 'perſonnes , ſoit en province ou
étranger , qui auront beſoin de fon miniſtère ,
peuvent s'adreſſer directement à lui ; il ſe charge
de faire rendre toutes les marchandiſes qu'on lui
demandera , & même celles qui ne ſeroient point
de ſa compétence , dont il ſe chargera de l'achat ,
par-tout où on voudra , pourvu que ce ne ſoit
point dans des endroits de traverſes , & qu'on lui
faffe des remiſes ſur Paris en lui donnant des
ordres. Comme ſa réputation eſt très bien établie ,
on ſera afſuré de ſon exactitude & de la fûreté
des fonds qu'on luiremettra. Il continue toujours
à vendre l'eau de Cologne du ſieur Jean-Antoine
Furine , dont lui ſeul al'entrepôt à Paris .
Le ſieur le Gris , ſucceſſeur du ſieur Clément ,
continue de vendre la liqueur dont le ſieur Clément
avoit acquis la connoiſſance par ſes grandes
recherches , propre à la deſtruction totale des punaiſes
; & une pâte pour celle des rats , laires &
mulots. Les perſonnes qui s'en trouverout incont .
modées , peuvent ſe ſervir hardiment de ces ſpécifiques
, & pour peu de choſe elles ſe verront débarraffées
de ces inſectes incommodes.
Façon de se fervir de la liqueur pour la deftruction
des punaises .
Vous prendrez une affiette pour mettre ladite
liqueur , enſuite vous vous ſervirez d'une plume
oud'un pinceau , & vous en introduirez dans les
AVRIL 1768 . 213
endroits apparens où il peut y avoir de ces inſectes.
Pour les lits , il faut en frotter les mortaiſes &
les jointures , & même les murailles où elles peuvent
ſe refugier , & l'on eft für de n'en jamais
revoir où la liqueur aura pénétré , attendu qu'elle
en fait périr juſqu'aux oeufs.
Cette liqueur n'a point de mauvaiſe odeur.
La bouteille de chopine ſe vend trois livres , &
celle de demi - ſeptier 30 ſols. Il y a auſſi de petites
bouteilles à vingt ſols pour ceux qui en veulent
faire épreuve.
Manière de ſe ſervir de la pâte pour les rats ,
laires , fouris& mulots,
Ce ſecret eft compoſé d'une pâte , qui , par
fon goût , attire ces fortes d'animaux , &lesfait
crever ſur le champ,
Le ſieur Legris n'exige rien du public qui voudra
ſe ſervir de ladite drogue , qu'après avoir vu
les effets qu'elle fait ſur tous ces inſectes : elle
ne peut nuire en aucune façon aux animaux domeſtiques.
Ildébite toutes ces drogues avec grand
fuccès & applaudiſſement : il en a de très-bons
certificats.
Pour les rats , on partagera les bols en quatre
parties, que l'on diſperſeraoù l'on ſe doute de leurs
paſſages. Pour les ſouris & mulots , laires , taupes
&autres animaux qui mangent les fruits dans
lesjardins , les bols ſe partageront en fix morceaux,
Cettedrogue ſe nomme noix tophenix ; la douzaine
de bols ſe vend une livre quatre fols.
Comme elle ſe met en poudre pour les greniers
à bled , il y a des paquets à une livre &
à dix fols . On ſe ſert de la poudre comme de
la pâte ci- deſſus , en faiſant des petits paquets
d'une bonne pincée, que l'on mettra fur telle choſe
que l'on jugera à propos,
214 MERCURE DE FRANCE.
Ledit ſieur Legris le tranſportera dans les maifons
où il fera mandé. Il demeure dans la boutique
où étoit ci-devant M. Bazolle , Marchand
de bière , rue Zacharie , à la renommée , près
la rue de la Huchette & celle Saint-Severin.
L'on trouvera des drogues en tout tems chez
ledit ſieur .
Les perſonnes qui lui écriront de province ſont
priées d'affranchir leur lestre.
Pareils billets ſont ſur la porte.
Le ſieur Rouffel , demeurant à Paris , rue
Jean-de-l'Epine , chez M. Marin , Grènetier , près
de la Grève , donne avis au public qu'il débite avec
permiſſion des bagues , dont la propriété eſt de
guérir la goutte. Ces bagues qu'il faut porter au
doigt que l'on veut , ſont un antidote & une adouciſſant
pour la goutte ; elles guériſſent les perſonnes
qui ont la goutte aux pieds & aux mains ,
&enpeu de temps , celles qui en font médiocrement
attaquées. Quant à celles qui en font fort
affligées , elles doivent les porter avant ou après
l'attaque de la goutte; pour lors elle ne revient
plus. En les portant toujours aux doigts , elles
préſervent d'apoplexie & de paralyfie. Pluſieurs
Princes , Seigneurs & Dames ont été guéris ; &
l'on en donnera les noms .
Le prix de ces bagues , montées en or , eſtde
36 livres. Celles en argent ſont de 24 livres.
J
APPROBATION.
'AI lu , par ordre de Monſeigneur le Vice-
Chancelier , le ſecond volume du Mercure du
mois d'avril 1768 , & je n'y ai rien trouvé qui
puiſſe en empêcher l'impreſſion. A Paris , le 19
avril 1768. GUIROY,
AVRIL 1768 . 215
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE,
Es
SSAI ſur l'art de traduire en vers. Pages
ODE.
13
LES Saiſons de l'Amour. 14
FABLE .
15
A M. Fenouillot de Falbaire. 17
VERS à Mde ***. ſur la promotion de M. le
M. de B ***. Ibid.
LES Comptes du grand Capitaine , comédie de
Don Joseph de Canifarès... 19
La Pipée. Fable. 38
COUPLETS ſur l'air : Dans un boisfolitaire , &c. 40
LEGERE eſquiſſe du bonheur. A mon Ami. 41
MADRIGAL à Mde de...
A M. P***. Médecin .
SUITE de l'Amitié trahie. Conte.
A Mlle de R. R.
42
Ibid.
43
63
A un Ami de l'Auteur ſur le même ſujet. 65
LETTRES écrites de la main de Henri IV. 66
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
70
VERS à Egle. 74
RÉPONSE à la même. Ibid.
LETTRE de Milady***. à M. de la Place. 75
ENIGMES . 79
LOGOGRYPHES. 81
COUPLETS de table.
83
ARTICLE II . NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ABRÉGÉ chronologique de l'Hiſtoire de France. 87
206 MERCURE DE FRANCE.
TRAITÉ de Morale , ou devoirs de l'homme envers
Dieu , envers la ſociété , & envers lui- même. 90
RÉPONSE à la lettre de l'Hermite de Sainte-Marguerite
, en Bourgogne. 98
LES effets des Paffions , ou Mémoires de M. de
Floricourt, 102
DICTIONNAIRE portatif de faits & dits mémorables.
118
Cours d'Hiſtoire & de Géographie univerſelle. 127
MES Fantaisies , & la Déclamation , poëme. 131
ANNONCES de Livres .
133
ARTICLE envoyé par M. de Voltaire. 148
ARTICLE III . SCIENCES ET BELLES LETTRES.
ACADÉMIES .
SUITE de l'aſſemblée de l'Académie Royale des
Sciences & Belles - Lettres de Béſiers . ISO
PROGRAMME de l'Académie Royale des Belles-
ARTICLE IV . BEAUX - ARTS .
Lettres de La Rochelle.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
LETTRE à M. de la Place,
ARTS UTILES . CHIRURGIE.
166
168
172
OBSERVATIONS, concernant les fleurs-blanches . 179
ARTS AGRÉABLES.
GEOGRAPHIE GRAVURE .
MUSIQUE.
182
188
PNEUMACORDE QuClavecin vertical organiſé , uni.
quedans fon eſpèce &dans ſa compofition . 192
ARTICLE V. SPECTACLES.
OPÉRA.
COMÉDIE Françoiſe.
COMÉDIE Italienne.
CONCERT Spirituel,
Ayıs divers.
195
198
201
204
209
Del'imprimerie deLOUIS CELLOT,rueDauphine.
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