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1767, 07, vol. 1-2
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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
JUILLET 1767 .
PREMIER VOLUME .
Diverſité , c'est ma deviſe. La Fontaine.
Cochin
Filius inve
Papillon Sculg.
1755
A PARIS ,
-JORRY , vis- a-vis la Comédie Françoiſe.
PRAULT , quai de Conti.
Chez DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue du Foin.
CELLOT , Imprimeur, rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
:
Complisets
24009
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure est chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier - Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
د
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer ,
francs de port , les paquets & lettres ,
pour remettre , quant à la partie littéraire
àM. DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols ;
mais l'on ne payera d'avance en sabonnant
, que 24 livres pour feize volumes
à raiſon de 30fols piece.
و
د
Les perſonnes de province auxquelles
on enverra le Mercure par la Poste ,
payeront pour ſeize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront d'autres voies que
la Pofte pour le faire venir , & qui pren .
dront les frais du port fur leur compte ,
ne payeront , comme à Paris , qu'à raiſon
de 30 fols par volume , c'est à- dire , 24 liv.
d'avance , en s'abonnant pourſeize volumes.
A ij
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreſſe ci- deſſus.
On fupplie les personnes des provinces
d'envoyer par la Pofte , en payant le droit ,
leurs ordres , afin que le paiement en ſoit
fait d'avance au Bureau .
Les paquets qui neferont pas affranchis
refteront au rebus .
On prie les perſonnes qui envoient des
Livres , Estampes & Muſique à annoncer ,
d'en marquer le prix .
Les volumes du nouveau Choix des Pièces
tirées des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , ſe trouvent auffi au
Bureau du Mercure. Cette collection eft
compoſée de cent huit volumes . On en a
fait une Table générale , par laquelle ce
Recueil eſt terminé ; les Journaux ne
fourniſſant plus un affez grand nombre de
pièces pour le continuer. Cette Table ſe
vend ſéparément au même Bureau , où
l'on pourra fe procurer deux collections
complettes qui reſtent encore.
Coste
MERCURE
DE FRANCE .
JUILLET 1767.
ARTICLE PREMIER .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE .
DISCOURS fur la VERTU.
P
ARMI tous les objets dans l'univers épars ,
L'homme de la vertu me préſente l'idée.
Je vois de paſſions ſon âme poſſédée ;
Mais qu'il me paroît grand même dans ſes écartsi
Chef-d'oeuvre duTrès-Haut , connois tes avantages .
Tu n'occupes qu'un point dans ſes vaſtes ouvrages,
Et par un cercle étroit , borné de toutes parts ,
Tu portes loin de toi tes avides regards ;
Tu meſures les cieux ; tu rapproches les âges.
:
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Roi ſouverain du globe où repoſent tes piés
Tu vois ſes habitans t'obéir en filence.
Ton maître à tes deſirs toujours multipliés
Ouvre une ſource d'abondance.
Tous les tréſors de ſa clémence ,
Pour tes beſoins font déployés.
J'entends du préjugé s'élever le murmure.
«Prétendu chef de la nature !
>> De ton pouvoir , dit- il , où ſont donc les témoins?
>>Aflemblage étonnant d'orgueil & de mifère !
>>> Il ouvre fa carrière entouré de beſoins ,
>> Et mouillant de ſes pleurs ſa débile paupière ,
>>>Il croît , & dans ſon coeur , ivre d'ambition ,
» De cent contraires voeux fermente le tumulte ;
>> Toujours plus altéré par la poffeffion ,
>> Il élève , il détruit les objets de ſon culte.
>>> Lui-même reconnoît une foule de Rois :
La vanité , l'amour , l'intérêt , l'avarice ,
>> De ſes jours agités font l'éternel fupplice.
>> Eft-ce donc être heureux & font- ce- là ſes droits ?
Ainſi notre aveugle injustice
Confond l'oeuvre du Ciel & celle des humains.
Maîtres de nous former de plus rians deſtins ,
De nos égaremens nous le rendons complice,
O Dieu dont les prodigues ſoins ,
De l'ordre général embraſſant le ſyſtême ,
Tirent la paix du trouble même ,
Et font à nos plaiſirs concourir nos beſoins !
JUILLET 1767. 7
Tu créas l'homme foible , eſclave des ſouffrances ,
Pour ſerrer entre tous ce noeud de dépendances ,
De l'état ſocial le principe & l'appui .
Sources de biens , de maux , de deſirs & d'alarmes ,
Ses penchans des vertus portent le germe en lui.
Soumis à la raiſon , que leur joug a de charmes !
Eh ! qu'étoit- il ſans eux ? victime de l'ennui.
Je bénis tes faveurs , Providence ſuprême ,
Quand tu remplis ma volonté ;
Mais vers l'opinion , trop ſouvent emporté ,
Dans lechoix de mes voeux jepuis errer moi-même.
Sans doute tu prévois quand ta divinité ,
Par de prudens décrets , s'oppoſe à ce que j'aime ,
Que mon penchant peut nuire à ma félicité.
Eft- ce à moi de juger ſur ma vue incertaine
Du défordre apparent qui me frappe ici bas ?
Ta ſageſle immortelle a tout fait au compas ;
Le bien naît par le mal ; l'un à l'autre s'enchaîne.
Que devient le plaiſir ſi l'on ôte la peine ?
Et que peut la vertu libre de ſes combats ?
Dans chaque individu ton fouffle avec la vie
Allume du bonheur l'impérieuſe envie.
Ce beſoin inquiet de biens toujours nouveaux,
Ces élans que produit leur jouiſſance même ;
Tout lui dit qu'il est né pour tendre au bien fuprême
,
Et que la Vertu ſeule , arbitre du repos ,
Peut de ſon coeur déſert remplir le vuide extrême,
Aiv
MERCURE DE FRANCE.
Le fophifte étonné m'interrompt à ces mots.
* Qui m'offrira , dit- il , cette vertu que j'aime ?
>> L'intérêt des humains dicte les jugemens ;
>> Idolâtres de leur ſyſteme ,
>> Sur tous les autres ſentimens
>> Ils lancent de leurs loix le terrible anathême.
>> Sur l'aveugle univers je vois de toute part
>> Les traces que laiſſa l'opinion frivole
>> Quand de l'impureté Rome encenſoit l'idole ,
>> Quand du larcin , réduit en art ,
> Sparte oſoit établir une honteuſe école.
>> Ici je vois l'honneur aiguiſer un poignard;
>> Là , courbé par les ans , le ſauvage vieillard
>> Bénit les tendres ſoins de fon fils qui l'immole.
>> Par- tout fubordonnée aux loix , aux Magiſtrats ,
» Au caprice des temps , à l'eſprit des climats ,
> Sur nos conventions cette Vertu ſe fonde.
>> Faut- il interroger le Digeste du monde ?
>> Dans le bifarre amas de ſentimens reçus ,
► Quel contraſte en tous lieux abonde !
>>>Près de la loi fiége l'abus.
>> Reine des nations , en ſyſtêmes féconde ,
>>> L'erreur approuve ici ce qu'ailleurs elle fronde.
>>>Je vois , toujours livrée à de contraires flux ,
» Sur cette mer d'écueils nager l'incertitude.
>> Le jour que la Raiſon fait briller à nos yeux ,
► Sur nos communs devoirs nous éclaire - t- il
mieux ?
JUILLET 1767 . ,
»Quand l'éducation , l'exemple , l'habitude ,
>> De la foible nature impérieux tyrans ,
> Ont de leur joug ſur elle établi la contrainte ,
>>>Qu'aiſément de ſes traits ils ufurpent l'em-
>>>preinte !
>> Qu'on ſe méprend à leurs accens !
Si la raiſon nous trompe , il faut errer ſans guide.
La vertu n'eſt plus qu'un nom vuide ;
La ſeule illuſion fait les biens & les maux.
Quoi ! l'inſtinct lumineux chez les brutes préſide ,
Et nous pourrions gémir dans la nuit du cahos !
Dieu juſte & clement ! tu dois ( j'oſe le croire )
Tudois , en m'éclairant , me conduire au bonheur;
Mes jours font tes bienfaits , mes beaux jours font
ta gloire.
L'homme dès le berceau n'a-t- il pas dans ſon coeur
Le ſentiment ſecret du juſte & de l'injufte ?
Quel est le criminel qui ne rougit jamais ?
Qui , s'il conſerve encor ce ſentiment auguſte ,
Du méchant endurci goûte l'affreuſe paix
Nature ! dans les mains de la chaſte Lucrèce
Tu mis le fer vengeur qui déchira ſes flancs ;
Hercule , qui purgea la terre de brigands ,
Vit par toi ſes autels reſpectés dans la Grèce ;
Tes droits , malgré le vice , exiſtoient de tout
temps.
Il eſt une loi ſainte , éternelle , immuable ,
Que l'audace jamais n'enfreint impunément ,
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
Loi dont le Ciel a mis l'empreinte ineffaçable
Non fur un marbre périllable ,
Mais au ſein de l'homme naiſſant.
Dans ces viſibles tabernacles ,
Organe de ſon Créateur ,
La raiſon libre encore explique ſes oracles.
C'eſt- là qu'elle s'écrie : « adore ton auteur ;
» Aime & fers ton prochain ; fois juſte , humain ,
>> fincère ,
>> Fils pieux , tendre époux , ami zélé , bon père.
vertu , qui ſoumets tout ce qui peut fentir !
Que ton pouvoir eſt grand ! que ton rang eft
fublime !
Sur l'univers charmé tu règnes par l'eftime
Et le vice à ta gloire eſt forcé d'applaudir.
Ton regard affuré fait pâlir le coupable ;
Tandis que dans les fers le juſte reſpectable
D'un noble orgueil arme con front ;
Pour ſon perfécuteur que le remords accable ,
Sa vue eſt un reproche & fa peine un affront
Par- tout tu fais entendre une voix ferme & libre ;
D'une mâle éloquence elle lance les traits ,
Maintient les paffions dans un ſage équilibre ,
Etdans les coeurs troublés fait deſcendre la paix.
Qui pourroit balancer à t'offrir ſon hommage ,
Si le vice odieux , jaloux de tes autels ,
Pour te ravir l'encens & les voeux des mortels ;
N'eût oſé quelquefois emprunter ton langage ?
LEONARD.
i
JUILLET 1767. II
A Mde la Vicomteſſe DE C........ fur.
fon entorse *.
P
AR votre chûte malheureuſe ,
On vit tomber notre gaîté ;
Et tous les amours ont boité
Depuis que vous êtes boiteuſe.
Mais quand vous ſortez aujourd'hui ,
Nous fortons de notre triſteſſe :
Votre pied , belle Vicomteſſe ,
Traîne tous nos coeurs après lui.
U même à la même , ſur l'air de la
romance de RAOUL DE COUCI.
BELLE , ELLE , votre accident nous force
A vous voir plus aſſidûnment :
Vous pourriez bien , par votre entorſe ,
Perdre un pied , mais pas un amant.
Mais vous ſaurez , ſans être ingambe ,
A vos pieds nous enchaîner tous.
Eh ! vous faut-il plus d'une jambe
Pour faire courir après vous ?
* Les cinq pièces ſuivantes font de trois jeunes
anonymes qui fontconcevoirde grandeseſpérances.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
D'un autre à la même , ſur l'air : Ah !
vous dirai-je maman , &c.
VULCAIN ULCAIN a boité tout bas :
Sa femme ne boitoit pas.
Vous n'avez encor , Madame ,
Bien refſſemblé qu'à la femme.
Avez - vous fait le pari
De reſſembler au mari ?
:
Du même , à une autre *
CHAHACCUUNN de vos enfans , Lucile ,
Juſqu'ici fut par moi fêté.
Votre énorme fécondité
A la fin me rendra ſtérile.
Vainement vous me recherchez ;
Mon foible talent ſe refuſe :
Et par ma foi vous accouchez
Plus facilement que ma muſe.
* L'auteur s'étoit engagé à faire des vers à
chaque enfant qu'elle feroit ; & c'eſt à propos du
vingt-huitième qu'il a fait ceux- ci.
JUILLET 1767. T
D'UN autre , à une autre .
Vos fix enfans ,
Sont tous charmans ;
On nous l'aſſure
Publiquement ;
On en augure
Heureuſement ,
Et par le père ,
Et par la mère .
Moi , qui les vois ,
Ma foi je crois ,
Que dès l'enfance
Ils nous plairont ,
Qu'ils rempliront
Notre eſpérance ,
Qu'ils feront fous ,
Qu'ils ſeront doux.
Sans nulle peine
Ils s'inſtruiront
Se formeront
Sans nulle gêne .
De la ſanté ,
De la beauté ,
De la richefſe ,
De la ſageſſe
14 MERCURE DE FRANCE:
Ils jouiront
Tant qu'ils vivront.
Vos jeunes filles
Seront gentilles ,
Et leurs amans
Seront conftans ;
C'eſt que leur mère
Leur donnera
Le don qu'elle a
De toujours plaire.
Meſſieurs vos fils
Seront jolis ;
Toutes leurs belles
Seront fidelles ;
Et les amours
Vont avec joie
Filer leurs jours
D'or & de ſoie.
Vous les verrez
Quand vous voudrez ,
Dès leur jeune âge ,
Pleins de courage ;
Et tout Paris ,
Bientôt ſurpris
De leur audace
Et de leur grâce
Les aimera
Et les loûra.
Mais , quoiqu'eſpiégles
JUILLET 1767. 15
Je crois prévoir ,
Que le ſavoir ,
Et le devoir ,
Seront leurs règles .
Comme des aigles
Ils voleront ,
S'éleveront
Juſqu'au fublime ;
Joignant la rime
A la raiſon ,
Dans la ſaiſon .
Dans tous les âges
Ils feront ſages ,
Et même heureux ,
C'eft encor mieux.
Comme prophète ,
Je parle ainſi ,
Et comme ami ,
Je le ſouhaite .
MERCURE DE FRANCE.
PORTRAIT du Connétable DU GUESCLIN,
d'après la nouvelle hiſtoire que vient d'en
donner M. GUYARD DE BERVILLE.
C
E héros réunit le courage d'Hector ,
D'Ulyffe la ſageſſe & la valeur d'Achille :
Invincible guerrier , actif autant qu'habile ,
Pour la gloire il a ſcu vivre plus que Neftor.
Par M. DE LANEVERE , ancien Mousquetaire
du Roi ; à Dax , le 9 mai 1767.
VERS à Mde L. M. D. C.
Nous ous liſons qu'autrefois Apelles ,
Du fameux vainqueur de Porus ,
Pouvoit ſeul , par des traits fidèles ,
Sur la toile exprimer l'image & les vertus.
O vous que mon eſprit admire ,
Vous qui cachez à tous les yeux
L'heureux fruit des talens que vous tenez des
Dieux ,
Vous qui penſez ſi bien & qui craignez d'écrire ;
D'un philoſophe aimable , vertueux ,
D'un Miniftre éclairé , d'un chrétien plein de zèle ,
D'un oncle enfin dont le coeur généreux
JUILLET 1767 . 17
Jouit de la gloire immortelle ,
Vous pouvez ſeule , aux mortels malheureux ,
Décrire les beaux jours & donner un modèle
Du bonheur pur & radieux .....
Hélas ! pourquoi , d'une hiſtoire fi belle ,
Nous dérober tous les traits glorieux : ...
O temps infortunés où la noire impoſture ,
La malice , l'erreur , le déſordre effréné
Dans tous les coeurs ont ſéduit la nature ;
Où l'innocence en pleurs , loin de cette cité ,
Trouve à peine en nos champs repos & fûreté !
Vous trouveriez , humains , dans ce miroir fidèle ,
Dans cet écrit où l'aimable vertu
S'eſt peinte ſous les traits qui ne font que pour
elle,
Le chemin du bonheur qui ne ſemble perdu
Que parce que le coeur rebelle
Suit le ſentier le plus battu....
Que votre coeur , que votre âme attendrie
Oppoſe à nos malheurs ce remède nouveau.
Qui ne profitera d'un exemple ſi beau ?
Malgré le poiſon de l'envie ,
Dans les grandeurs un ſage a vu couler ſa vie ,
Et fut heureux juſqu'au tombeau .
T. D.
18 MERCURE DE FRANCE.
SUITE DES DEUX HERMITES,
CONTE HISTORIQUE.
L'H'HEEUURREE étant venue où le Pape devoit
être viſible , Ubalde ſe rendit au Vatican
avec les deux Hermites & fes deux Gentilshommes
. Etant entré tout ſeul dans la
chambre à coucher de fon oncle , le Pontife
lui demanda ce qu'il penſoit de l'épouſe
qu'il lui avoit choifie. Ubalde ne
put trouver d'expreſſions affez vives pour
le remercier des heureux jours qu'il alloit
devoir à ſes bontés. Après s'être entretenu
quelques momens avec le Saint Père fur
cet objet , il lui annonça qu'il avoit laiſſé
dans la chambre prochaine les deux folitaires
dont il lui avoit parlé la veille , &
qui brûloient du defir d'être admis à fon
audience . Urbain ordonne qu'on les faſſe
entrer. Ils ſe profternent devant lui le
viſage contre terre , & il leur permet de
lui baifer les pieds. Enfuite , ayant fait
retirer tous ceux qui l'environnoient , il
pria fon neveu de lui montrer celui des
deux qui lui avoit ſauvé la vie en tuant
le lion. Séraphin s'inclina profondément
JUILLET 1767 . 19
&fit connoître par ce ſigne que c'étoit lui.
Le Pape , en conſidération de ce ſervice ,
voulut qu'il parlat le premier. Loin de
s'intimider à la vue du Souverain Pontife ,
Séraphin prit un ton aſſure. L'affectation
de la crainte n'eſt pas toujours la marque
du véritable reſpect. Il prépara ainſi le
Saint Père à écouter l'aveu de ſes fautes.
Redoutable fucceſſeur du Prince des
Apôtres , vous qui êces aſſis dans la chaire
de vérité , vous dont le trône , affermi par
Dieu même , eſt élevé ſur les colonnes
inébranlables de la foi ; de quel oeil verrez-
vous en moi le plus zélé défenſeur de
la puiſſance temporelle contre l'autorité
fuprême du Saint Siege ? Malheur aux
nations que l'eſprit de parti diviſe ! Malheur
aux peuples factieux dont le fanatifme
ou l'irreligion briſe le lien qui les unit !
Bourreau de mes concitoyens , dans quels
maux j'ai plongé ma patrie ! Que d'horreurs
n'a- t- elle pas à me reprocher ? Mille
morts ne ſuffiroient pas pour expier tousmes
crimes ....& l'air eſt ſerein pour moi ! Mille
fois la terre eut dû m'engloutir , & je
fouille encore ſa ſurface , tel qu'un poifon
qu'elle rejettede ſes entrailles ! Dieu n'at-
il point aſſez de foudres pour m'accabler ?
ou ſa miféricorde eſt-elle affez étendue
pour defcendre juſqu'à moi ?
20 MERCURE DE FRANCE.
Né à Milan , l'amitié fut le premier
ſentiment dont mon âme goûta les délices .
La paix regnoit alors entre l'Empire &
l'Eglife. Elevé avec un Gentilhomme de
la ville de Como , qui étoit venu apprendre
, au lieu de ma naiſſance , les premiers
élémensdes ſciences&de l'art de la guerre ,
nos coeurs ſe lièrent de l'union la plus
intime. J'avois une feur en bas âge , &
je deſirois qu'elle devînt un jour le ſceau
de cette amitié que nous nous étions jurée
l'un à l'autre . Inſtruit de mes deſſeins , il
ne reſpiroit plus que le bonheur de refferrer
nos noeuds par cette alliance. L'envie
de connoître les différentes contrées de
l'Italie me fit entreprendre de les parcourir
; mon ami voulut m'accompagner dans
ce voyage. Nous allâmes d'abord à Como
viſiter ſes parens , à qui nous fîmes part
du defir que nous avions de ne faire plus
qu'une famille des deux nôtres ; ils en
témoignèrent la plus grande joie , & nous
partîmes avec leur plein conſentement ſur
cetarticle.
Ayant appris que l'Empereur faifoit le
fiége de Derrone qui , ainſi que Plaiſance ,
lui avoit refuſé le paſſage pour aller à
Rome , dont il vouloit réduire les habitans
révoltés contre la puiſſance eccléſiaftique,
nous dirigeâmes notre courſe de ce
JUILLET 1767. 21
côté , & nous arrivâmes au moment où la
ville ſe rendit. Le Pape Adrien , qui avoit
appellé Fréderic à ſon ſecours , étoit venu
au - devant de lui. Le caractère guerrier
de l'Empereur , la gloire qui accompagnoit
par-tout ſes armes victorieuſes , & dont
l'éclat répandoit ſur ſa phiſionomie un
charme intéreſſant , enfin cet air de héros
qui brilloit en lui , me prévinrent en ſa
faveur. Mais l'auſtère vertu d'Adrien emporta
le ſuffrage de mon ami. Cette différence
de ſentimens fut la ſource de
l'implacable haine qui nous diviſa par la
fuite. Bercé de l'hiſtoire des différends
furvenus entre les Papes & les Empereurs ,
je me rappellois toujours avec humeur
l'ignominieuſe pénitence que Grégoire VII
avoit impofée autrefois à l'Empereur
Henri IV( 1 ) , & qui eut pour ce Pape
( 1 ) Cet Empereur ayant été excommunié par
Grégoire , Hildebrand , pour crime de ſimonie , &
voulant obtenir ſon abſolution , paila les Alpes
au milieu de Phiver avec ſa femme & ſes enfans
pour aller trouver le Pape , qui étoit alors dans
la fortereſſe de Canoſſa. Grégoire , ayant refuſé
d'abſoudre Henri à moins qu'il ne ſe préſentât
devant lui en véritable pénitent , l'Empereur fut
contraint d'entrer tout ſeul dans la fortereſſe de
Canoſſa , qui étoit entourée de trois murailles.
Dans la première enceinte on l'obligea de ſe dépouiller
de ſes habits impériaux & d'en prendre un
12 MERCURE DE FRANCE.
des ſuites fi funeftes. Pluſieurs exemples
de cette nature m'avoient révolté contre
l'abus que les Souverains Pontifes font
quelquefois de leur autorité. Mon ami
triompha , & moi je fus outré de voir l'inflexible
opiniâtreté avec laquelle Adrien
fut réduire Fréderic à l'emploi humiliant
de tenir l'étrier lorſqu'il montoit ou defcendoit
de cheval ; j'applaudis vivement
à la célèbre répartie que lui fit l'Empereur
lorſque ce Pape lui reprocha de ne pas
bien remplir ſon office ( 2 ) .
detoile : enſuite on lui fit paſſer trois jours & trois
nuits dans cet habit de toile , nuds pieds , expoſé
àla neige& aux rigueurs de la ſaiſon , fans boire
ni manger. Enfin Grégoire appréhendant qu'il ne
mourût , ſe laiſſa fléchir & lui donna l'abſolution .
Ce traitement odieux révolta tout le Corps de
l'Empire contre le Pape , que Henri fit dépoſer &
chaila de Rome , après avoir fait élire Guibert
Archevêque de Ravenne , qui prit le nom de Clement
III , mais qui ne put ſe maintenir. Il fur
impoſſible auffi à Grégoire de rentrer dans Rome ,
& il mourut fugitif en 1085 .
( 2 ) C'étoit anciennement l'uſage , lorſque les
Empereurs ſe trouvoient avec le Pape , qu'ils lui
tinflent l'étrier toutes les fois qu'il montoit à cheval
, ou en deſcendoit. Frederic , obligé de déférer
àcette coutume à l'égard d'Adrien , qui ne voulut
pas l'admettre au baifer qu'il ne s'y fût ſoumis ,
lui préſenta enfin l'étrier . Mais le Pape lui remontrant
qu'il le devoit tenir de l'autre côté ,
l'Empereur lui fit cette réponſe plaiſante & qui
JUILLET 1767. 23
Nous fûmes témoins du traitement que
les Romains rebelles éprouvèrent de la
part de Frederic ; & nous aſſiſtâmes à la
cérémonie de fon couronnement. Nous le
ſuivîmes à Spoléte & à Vérone , dont il
châtia auſſi les habitans ; &, après qu'il ext
râfé leurs villes & pacifié ainſi toute l'Italie
, nous retournâmes à Milan, Mon ami ,
tout émerveillé de la conſtante fermeté
d'Adrien à foutenir ſes droits , & moi ,
plein d'admiration pour Frederic & d'averfion
pour l'orgueil du Pape.... Saint Père ,
pardonnez-moi ce mot ! un coupable qui
s'accuſe doit tout avouer.
Revenu dans le ſein de ma patrie , j'appris
que mon père & ma mère avoient
payé les droits à la nature , & que , par
leurs dernières volontés , ils me laiſſoient
fur ma foeur une autorité auffi abfolue que
la leur même , ladeshéritant &la chargeant
de leur malédiction ſi elle formoit un
engagement contraire à mes intentions.
Je ne doutai point qu'en s'expliquant ainſi
ils n'euſſent eu en vue le bonheur de mon
ami que je m'étois choiſi pour beau-frère.
Notre querelle s'étoit aſſoupie en même
temps que le petit différend du Pape &
marquoit en même temps ſon dépit : Saint Père ,
excufez mon ignorance ; c'est la première fois de
ma vie que je fais le métier de palfrenier.
24 MERCURE DE FRANCE.
de l'Empereur avoit été terminé, La mort
d'Adrien la réveilla avec une aigreur de
ma partqui n'eut peut- être jamais d'exemple.
Tout Milan élevoit juſqu'aux cieux le
nom de cet illuſtre chef de la chrétienté ;
on foutenoir qu'il avoit porté l'amour de
la vertu au-delà du degré poſſible de l'humanité
: en diſoit qu'il avoit tout fait
pour l'Egliſe & rien pour lui ; que , ſemblable
aux Apôtres , il avoit imité dans
toute ſa conduite la ſimplicité de leurs
moeurs & leur déſintéreſſement , & que
toute ſa vie n'avoit été qu'un tiſſu d'oeuvres
méritoires & d'actions charitables.
Mon ami , qui n'étoit que l'écho de toute
l'Italie , vantoit fans ceſſe devant moi
comme un prodige de piété envers Dieu
les ſentimens d'indifférence que ce Pontife
avoit montrés pour ſa mère ; l'état
d'aviliſſement dans lequel il avoit fouffert
qu'elle vécût pendant que la fortune l'élevoit
par degrés au faîte des grandeurs ; &
l'extrême mifère où il la laiſſoit encore
après ſa mort ſembloient ( 3 ) , aux yeux de
( 3 ) Adrien IV , nommé auparavant Nicolas
Breckſpéare , étoit Anglois & né de parens fort
pauv es . Il fut toute la vie ſi éloigné de la paffion
qu'ont eue de tout temps les Papes d'enrichir leurs
Farens , qu'il ne laiſſa pas une obole de revenu
fon
JUILLET 1767. 25
ſon panégyriſte , les infaillibles témoignages
de la plus pure intégrité. Il prétendoit
qu'Adrien , ne voulant point oublier l'obfcurité
dans laquelle il étoit né , ni bleſſer la
justice du Créateur en rougiſſant de fon
premier état , n'avoit maintenu ſa mère
dans le centre de l'humilité que pour ſe
retracer à toute heure un ſouvenir fait
pour étouffer en lui toute eſpèce d'amourpropre
: il foutenoit d'ailleurs que le Pape ,
devant regarder le patrimoine de l'Eglife
comme undépôt confié à la plus religieuſe
fidélité , ne pouvoit , ſans charger ſa confcience
, en rien dérober en faveur de ſes
parens, foit pour foutenir leur luxe , ſoit
pour adoucir leur pauvreté. Pour moi ,
qui n'ai jamais ſuivi d'autre règle que les
mouvemens de mon coeur , & qui ai toujours
cru que la voix de la nature étoit
l'organe le plus certain des volontés ſuprêmes
, je me fentois révolter contre ces
>
aux fiens , & qu'à ſa mort il ne donna pas la
moindre choſe à ſa mère qui , outre ſon grand
âge étoit dans une extrême pauvreté : il ſe
contenta de la recommander à l'Archevêque de
Cantorbéry pour ce qu'il eût la bonté de lui délivrer
tous les ans une petite penſion priſe ſur les aumônes
de l'Eglife ; ce qui fut exécuté affez ponctuellement.
OOnn prétend qu'en buvant, unmoucheron
lui entra dans la gorge& l'étouffa ; d'autres diſent
qu'il mourut d'une eſquinancie.
Vol. I. B
26 MERCURE DE FRANCE.
argumens que mon zèle pour l'humanité
me faifoit mettre au rang des paradoxes
infoutenables. Hé quoi ! lui difois -je ,
laiſſer ſes père & mère dans le beſoin
quand on peut les ſecourir , eſt- ce donc les
honorer comme Dieu l'ordonne ? Je ne
décide point entre fon opinion & lamienne .
L'expérience m'a appris à ne juger les
actions des hommes que par le motif qui
les dirige. Adrien , pour ſervir Dieu ,
oublia les droits de la nature ; ſa religion
lui preſcrivit cette loi ; il eut une ame
affez forte pour la remplir. Son courage
m'étonne & je me tais. L'homme véritablement
vertueux eſt au-deſſus des jugemens
de la terre .
Alors l'union de l'Egliſe fut troublée
par le nouveau ſchiſme qu'excita dans
l'Europe l'élection des deux Papes Alexandre
& Victor. Milan ſe partagea comme
les autres villes , &les factions des Guelfes
& des Gibelins y reprirent vigueur ; mais
le plus grand nombre des habitans ſe rangea
ſous l'obéiffance d'Alexandre. Il n'y
en eutque très peu qui ſe déclarèrent pour
Victor. Mon ami , que j'appellois d'avance
mon beau-frère , fut un des plus empreſſés
à reconnoître le premier, que les plus grands
Potentats de l'Europe, excepté l'Empereur ,
avoient auſſi reconnu. Il ſuffiſoit que le
....
JUILLET 1767 . 27
ſecond eût été proclamé par les ſoins de
Frederic , à qui le penchant m'avoit attaché
, pour que je le regardaſſe comme le
véritable chef de l'Eglife. Rebuté de trouver
par- tout mon prétendu beau - frère
oppoſé à mes ſentimens , je ceſſai de lui
donner ce nom que dès-lors je décidai
qu'il ne porteroit jamais. Je dois pourtant
cette juſtice à ſa probité que , malgré la
violence de la paffion qu'il reſſentoit pour
ma foeur , quelque ménagement qu'il dût
obferver à mon égard , l'intérêt de ſon
amour ne put le forcer à ſe démentir ni
à ſe détacher d'une obéiſſance où il croyoit
ſa confcience engagée. Mais ces confidérations
ne firent rien fur mon eſprit trop
échauffé du venin que le feu de la difcorde
faifoit fermenter dans mon âme. Je
défendis à ma ſoeur de le revoir davantage.
Elle commençoit à entrer dans l'âge où le
coeur , en maturité, devient un fruit propre
à être cueilli par l'amour.
Le plus zélé partiſan de Victor , après
moi , étoit un jeune homme nommé Mazello
; ſes parens lui avoient laiſſé une
très-riche ſucceſſion , & fa naiſſance égaloit
ſa fortune. Je le deſtinai pour époux
à ma ſoeur , & je ne tardai pas à le lui
préſenter en cette qualité.Al'accueil qu'elle
lui fit , je jugeai bien qu'elle n'approuvoit
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
pas ce nouveau choix , & qu'elle étoi
entièrement prévenue en faveur du premiermari
que je lui avois choifi. En effet ,
il avoit fu la gagner au point que , de
concert avec lui , elle réſolut de ſe ſouftraire
à mon autorité & de ſe pourvoir
par devant le Sénat de Milan contre les
obſtacles que j'apportois injuftement à leur
mariage. Tous mes Juges étoient dévoués
au Pape Alexandre. On n'eut pas de peine
à les indiſpoſer contre un fanatique de
l'Anti- Pape ( car c'eſt ainſi que l'on me
traitoit ) . On fit valoir les circonstances
pour interprêter , à l'avantage de mon adverſaire
, les dernières volontés de ines
père & mère. On objecta que , l'ayant
accepté pour leur gendre , & cela par mon
entremiſe , il étoit hors de doute qu'ils
n'entendoient , par les termes de leur teftament
, que de lui affurer la poffeffion
de ma foeur qu'ils lui avoient accordée
à ma prière.
: Sur ces motifs je fus déclaré déchu de
tous mes droits de tuteur , & condamné
à remettre à ma foeur la part des biens
qui lui appartenoient. On lui permit d'épouſer
celui qu'elle aimoit ; & ces nôces
ſe célébrèrent avec la plus grande pompe ,
palgré mes proteſtations & toutes les raifoas
que j'alléguois inutilement pour fon
JUILLET 1767. 29
der mes oppoſitions ; tous les grands &
tout le peuple y aſſiſtèrent comme à un
triomphe public. Il ſembloit que chacun
eût fait ſa propre cauſe de celle de mon
beau - frère ; les plus indifférens même
croyoient avoit tout gagné que de me voir
condamné ; tant il eſt vrai que l'eſprit de
parti confond tout & ne gatde point de
meſures. La plupart des homines ne jugent
que ſuivant les paſſions qui les animent.
Furieux de cet outrage , je ſentis ma plaie
s'aigrir encore par la douleur de voir la
faction des Gibelins diminuer inſenſiblement.
A peine reſtoit-il àVictor quelques
perſonnes conſidérables ; le reſte n'étoit
quedes gens fans conféquence.
Uni d'intérêt avec Mazello , je lui connoiffois
un génie très-propre à la diffimulation.
Je l'engageai dans ma vengeance ;
il n'y étoit déja que trop diſpoſé. Victor
ne lançoit point les foudres du Vatican ,
mais Alexandre en frappoit tout ce qui
lui étoit oppofé. Il oſa excommunier l'Empereur
lui -même , & je fus compris dans
l'anathême porté contre tous les Gibelins..
J'étois donc regardé comme un homme
profcrit du ſein de l'Eglife , & avec qui
nul chrétien ne pouvoit frayer ſans ſe
commettre avec le Ciel. Guidé par mes
conſeils , Mazello feignit de renoncer à
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
fon tour à l'obédience de Victor & de
rompre avec moi. Par ce manége il regagna
la confiancede ſes compatriotes , & il
parvint à les foulever contre l'Empereur.
La révolte fut prompte & générale. Les
Milanois ſe déclarèrent abſolument libres ,
& abolirent tout ce qui pouvoit marquer
leur dépendance de l'Empereur ; ils maltraitèrent
tous les Gitelins , & les proferivirent
fans diſtinction. C'eſt où je les
attendois .
Obligé de prendre la fuite , je fus porter
mes plaintes aux pieds de Frederic ,
qui me connoiffoit & qui avoit paru me
favoir gré de l'attachement particulier que
j'avois montré pour ſa perfonne pendant
qu'il étoit à Rome. Je m'étois fait auffi
de puiſfans amis auprès de lui. Je lui fis
part de mon exil & des mauvais traitemens
faits à tous ceux de mes concitoyens
qui lui étoient demeurés fidèles. J'appellai
au tribunal de ſa juſtice de l'arrêt rendu
par les Magiſtrats de Milan en faveur de
ma foeur & de fon mari , arrêt que je
ſoutins avoir été dicté par l'animoſité au
mépris de toutes les loix. Je lui peignis ,
des couleurs les plus affreuſes , le défordre
où les Milanois s'abandonnoient , & l'oubli
que l'on faifoit de fon autorité dans un
pays où l'on devoit s'eſtimer trop heureux
JUILLET 1767 . 31
یک
d'appartenir à un Souverain tel que lui .
J'employai tous les traits de la plus vive
éloquence pour lui repréſenter combien il
importoit à fon honneur & au bien de
l'Egliſe qu'il allât calmer , par ſa préſence ,
les troubles qui règnoient en Italie , &
châtier des peuples rebelles qui prétendoient
ſe ſouſtraire d'eux-mêmes au pouvoir
de leur Maître légitime. Mes diſcours
enflammèrent tellement ſa colère , qu'il
jura d'exterminer toutes les villes de fon
obéiſſance qui avoient eu l'audace de ſe
déclarer pour Alexandre. Les rapports que
l'on lui fit de jour en jour ayant confirmé
la vérité de ce que je lui avois avancé , il
ne balança plus à marcher contre la malheureuſe
ville où je reçus la vie.
La haute réputation de ce Prince remplit
le coeur des Milanois d'une terreur
panique. Ils ne trouvèrent d'autre expédient,
pour déſarmer ſa vengeance , que
de lui envoyer des députés qui l'aſſurèrent
de leur foumiſſion , & le conjurèrent de
ne point traiter en ennemis des peuples
qui lui étoient toujours dévoués , & qui
nedefiroient que de lui prouver , par leurs
reſpects & leurs hommages , la pureté de
leurs ſentimens , leur obéiſſance & leur
fidélité. Ils le fupplièrent de vouloir bien
n'entrer qu'en Maître pacifique dans une
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
ville dont toutes les portes lui étoient
ouvertes. Fréderic , touché d'une démarche
qui flattoit fa tendreſſe naturelle pour
tous ſes peuples , reçut ces aſſurances avec
bonté & déja fa colère étoit calmée . Le
glaive de la vengeance échappoit à ma
main fanguinaire. Saint Père , voici le
comble des horreurs qui ont fouillé ma
vie. Le déſeſpoir que je reſſentis en manquant
le coup dont je voulois accabler
ma patrie , me ſuggéra le plus odieux confeil
que la rage ait jamais dicté. Tout
l'enfer conſpira pour me rendre capable
de l'exécuter. Je frémis à vous le redire !
m'entendez-vous ſans que le cri de l'indignation
vous force à me fermer la bouche ?
L'entrée de Milan étant libre , je dépêchai
vers Mazello un fecret émiſſfaire qui
l'informade tout ce qui ſe paſſoit : il partagea
mon dépit , & ſe prêta , fans héſiter ,
au projet effroyable que je lui fis propoſet
pour venger nos affronts. Il ſe ſervit d'une
main inconnue pour faire écrire une lettre
dont je lui avois tracé le modèle , & dont
il fit mettre l'adreſſe , comme je le lui avois
indiqué , à Rodolphe de Wisberg , favori&
Miniſtre de l'Empereur. Par cette lettre
on invitoit ce Miniſtre à détourner Fré .
deric d'entrer fans armes dans Milan &
de ſe fier aux fauſſes proteſtations des
JUILLET 1767 . 33
habitans ; on l'avertiſſoit que leur foumifſion
n'étoit qu'une amorce pour attirer
P'Empereur dans leur ville fans défiance ,
& que l'on y avoit tramé l'infâme complot
de l'affaffiner au moment même qu'il
feroit occupé à recevoir leurs hommages.
Mon émiſſaire me remit cet écrit , & j'épiai
un moment favorable pour le jetter ,
ſans être vu , dans la tente de Rodolphe , où
je ſavois qu'il n'y avoit perſonne & qu'il
devoit bientôt rentrer. J'étois très -bien
dans fon eſprit , &, comme il fotoit de
chez l'Empereur , il me fit chercher , ayant
quelque ſecret à me dire. Je le joignis , &
cet événement me donna lieu d'entrer
avec lui dans ſa tente. Il y trouva à ſes
pieds le funeſte écrit qu'il ne me donna
pas le temps de ramaſſer. Il pálit , en le
lifant , & laiſſa échapper , malgré lui , ces
mots que j'entendis : Ciel ! un complot
auffi horrible ſe trameroit contre Frederic!
J'avois toute ſa confiance , il ne me cacha
point le myſtère. J'eus l'air de pâlir comme
lui. Il me recommanda expreſſément le
filence & courut informer l'Empereur de
cette conſpiration.
Fréderic avoit été d'autant plus ſurpris
de la prompte ſoumiſſion des Milanois ,
que la fiertéde leur caractère & leur amour
pour l'indépendance ne lui avoient pas
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
donné lieu de s'y attendre : ces circonftances
prêtèrent la plus grande apparence
de vérité à l'abominable ſtratagême que
j'avois imaginé. Saifi de la plus violente
fureur , mais toujours guidé par la prudence
, l'Empereur , après avoir pris l'avis
de ſes plus ſages Conſeillers , défend que
l'on répande le bruit du complot des Milanois
; il ne veut pas même que l'on faſſe
voir la noindre défiance aux députés , &
commande que l'on prépare tout fecrétement
pour marcher dès le lendemain d
Milan. Il ordonna à ſes principaux Officiers
de faire faire main-baſſe ſur tous les
habitans dès que ſes troupes feront entrées
dans la ville , & de n'épargner perfonne.
Malgré toutes les précautions dont on
uſa , cet ordre cruel tranſpira. Les députés
en furent épouvantés , ils s'enfuirent
du camp pendant la nuit & coururent
ſemer l'alarme dans la ville en y publiant
les barbares intentions de l'Empereur. On
ſe prépare de tous côtés à la plus courageuſe
défenſe ; & lorſque Frederic , qui
n'avoit pas voulu inquiéter les Milanois
pour les exterminer plus facilement , fe
préſenta à leur vue , accompagné ſeulement
d'un petit nombre de troupes qui
devoient s'emparer des portes en attendant
le reſte de l'armée , il fut aſſailli d'une
grêle de flêches & de pierres. La fuite
JUILLET 1767 . 35
des députés lui avoit fait ſoupçonner que
fon fecret avoit été mal gardé ; cette réception
le lui confirma & il ne cacha point
fon dépit.
Milan n'étoit point une place à emporter
d'emblée , & Frederic ne pouvoit s'en
emparer qu'en perdantbeaucoup de monde .
Les intelligences que j'y avois entretenues
ne me laiſſoientpoint ignorerque cette ville
manquoit de vivres. Je conſeillai donc à
l'Empereur de ne point l'attaquer à force
ouverte , mais ſeulement de lui interdire
toute communication avec les autres cités ,
lui perfuadant que bientôt la famine forceroit
les habitans de ſe rendre à diſcrétion.
Fréderic , fatisfait du zèle que je lui
montrois dans toutes les occaſions & de
l'intérêt que je prenois à ſa gloire & à
la confervation de ſes ſujets , me laiſſa
maître de choiſir ma récompenſe ſi ſes
Tuccès répondoient à mes promeffes. Je
lui répondis que je ne lui demandois
d'autre grace que de livrer entre mes
mains ma foeur & fon mari qui m'avoient
ſi grievement offenſé. Voulant les punir
d'un fupplice plus cruel que la mort en
les ſéparant , je ſuppliai l'Empereur de
les excepter du maſſacre général qu'il
avoit réſolu de faire de mes concitoyens ,
& de me laiſſer diſpoſer de leur fort.
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
J'implorai auſſi ſa clémence en faveur de
Mazello & des Gibelins qui reſtoient dans
la ville, & de la partde qui je lui fis entendre
que venoit fûrement l'avis falutaire au
ſujet du danger dont ſes jours avoient été
menacés. Il me jura de m'accorder tout ce
que je voudrois.
La perte de toute eſpérance rendit les
affiégés infolens ; à l'abri de l'épaiffeur de
leurs murailles , ils infultoient un Maître
qui ſembloit craindre de les attaquer. Plaſieurs
ſorties qu'ils firent avec ſuccès enflèrent
leur préſomption. Je voyois avec plaifir
la fierté de l'Empereur s'irriter à meſure
que leur infolence augmentoit , & je ne
doutai plus que fon courroux ne fût implacable.
En peu de temps le fléau de la
famine ſe fit ſentir rigoureuſement à ces
infortunées victimes de ma haine ; leur
arrogance diminua peu à peu , & ils furent
enfin contraints de venir ſe livrer à la difcrétion
de leur Souverain , devant lequel
les principaux ſe préſentèrent à genoux , le
poignard pendu au cou. Le reſte , les mains
étendues en croix , tâchoient , par leurs
fanglots & leurs larmes , d'émouvoir fa
pitié. Fréderic ne put voir, fans être attendri
, tous ces ſpectres deſſéchés par la faim ,
qui le preſſoient de révoquer l'arrêt de
mort qu'il avoit prononcé contr'eux.
JUILLET 1767. 37
Vaincu par ſa propre bonté , il ſe contenta
de confiſquer leurs biens & leur
accorda la liberté. Puis il leur reprocha
l'atrocité de leur perfidie. Tous ſe regardèrent
comme en ſe demandant quels pouvoient
être les auteurs de cette noire confpiration
qu'ils avoient ignorée ; un morne
filence fut leur réponſe , & Fréderic , prévenu
, le prit pour un aveu de leur crime.
Il ordonna que , pour éternifer la mémoire
de leur trahifon & de leur châtiment , leur
ville fut râſée de fond en comble , & que
l'on y ſemât du ſel ( 5 ) .
Dans l'inſtant Mazello , pouſſé par un
tranſport patriotique , confus , déſeſpéré
de l'état déplorable où nous avions réduit
nos concitoyens , s'avança vers moi tout
écumant de rage , & me plongeant fon
épéedans le ſein : meurs , traître ! s'écriat-
il , reçois la récompenſe qui t'eſt dûe.
Auſſi-tôt il retire le fer teint de mon fang ,
il s'en perce le coeur & tombe à mes côtés.
Il n'avoit frappé en moi qu'un ſcélérat ,
qu'un deſtructeur de ſa patrie ; on crut
qu'il ne me puniſſoit que pour avoir ſervi
( s ) Frederic , en faifant ſemer du ſel ſur le
terrein où la ville de Milan avoit été conſtruire ,
voulut imiter l'ancienne coutume des Romains
qui donnoient à entendre par- là que la ville
Séquite ne feroit jamais rebâtie.
>
38 MERCURE DE FRANCE.
l'Empereur. Je reſtai long temps évanoui ,
& Frederic s'imaginant , comme chacun le
préſumoit , que j'étois bleſſé à mort , ne
s'embarraffa plus de me tenir la parole
qu'il m'avoit donnée de remettre entre
mes mains ma foeur & mon beau - fière :
il les laiſſa partir avec les Milanois qu'il
avoit bannis & qui , privés de leurs biens
&de leurs aſyles , furent contraints d'errer
ſur la terre tels que des fugitifs abandonnés
aux caprices du fort ( 6 ) . :
Revenu du danger où ma vie avoit
chancelé pendant pluſieurs jours , je fus
fur le point de rendre inutiles tous les
ſoins que l'on avoit pris de moi , en apprenant
que mes victimes s'étoient dérobées
àma fureur. Je les fis chercher vainement ;
trois ans s'écoulèrent ſans qu'il me fût
poſſible d'en avoir des nouvelles. J'étois
( 6) Il est très - vrai que les Milanois gagnèrent
des ſcélérats pour aſfaſſiner l'Empereur ; c'eſt ce
qui leur attira de ſa part un châtiment ſi rigoureux.
Ces malheureux bannis , errans & vagabonds
par toute l'Italie , formèrent , dans la ſuite du
temps , un certain ordre de religieux qu'ils appellèrent
des Humiliés. Cologne ſe vante d'être
redevable à la deſtruction de Milan , du précieux
dépôt des corps des trois Mages , qu'elle garde
aujourd'hui dans ſa cathédrale , où ils furent apportés
, à ce qu'on dit , par les ſoins de l'Archevêque
Renaud , qui accompagnoit Fréderic à ce
fiége.
JUILLET 1767 . 39
toujours en Italie , au ſervice de l'Empereur
, pour qui je trouvois fans ceffe des
rebelles à dompter , lorſqu'altéré par les
fatigues d'une longue marche que j'avois
faite à la tête d'une troupe que je conduifois
, j'entrai dans une ferme pour y prendre
des rafraîchiſſemens. Quels furent mon
étonnement & ma joie de retrouver dans
les maîtres de cet aſyle champêtre ceux
que je pourſuivois ! Déguisés ſous des
habits de payſans , ils vivoient ainſi du
produit d'un champ qu'ils cultivoient &
qu'ils avoient acheté de l'or qu'ils ſauvèrent
à la priſe de Milan. Je les confiai
fur le champà la garde de mes foldats .
Je n'étois pas loin de Plaiſance : j'y fis
conduire mon beau - frère , & j'obtins de
l'Empereur que ma foeur fût enfermée ,
pour le reſte de ſes jours , dans la fortereffe
de Francfort avec ſes deux fils & une
fille qu'elle avoit miſe au monde depuis
peu de temps . Dès que cet ordre eut éré
mis à exécution , je fis relâcher ſon époux ,
à qui je laiſſai ignorer le fort de ſa femme
&de ſes enfans ; & je lui permis d'aller
où il voudroit , après m'être emparé du
bien qu'il avoit acquis & l'avoir vendu.
Le caprice des événemens a voulu depuis
que ma foeur recouvrât ſa liberté par la
foibleſſe du Gouverneur de la fortereſſe
40 MERCURE DE FRANCE.
ر qu'elle avoit ſéduit , & que Frederic
laffé du ſchiſme qu'il entretenoit tout feul ,
fit ſa paix avec le Pape. Devenu inutile
par cette réconciliation , & ma vengeance
étant aſſouvie par les tourmens des deux
époux que j'avois ſéparés , mon âme s'ouvrit
aux atteintes du remord. Frappé de l'anathême
, j'avois mépriſé la vapeur de ce
foudre ; le feu des paſſions qui m'avoient
aveuglé s'étant amorti dans mon coeur ,
j'eus horreur de moi-même. En vain mon
eſprit révolté contre Dieu voulut- il repouffer
la crainte de ſes jugemens , je ſentis
mon audace ſe briſer contre cet écueil où
la raiſon la plus ferme a toujours échoué.
Eh ! peut- on réfléchir ſur ſoi-même ſans
s'humilier devant fon Créateur ? Sur quelqueopinionque
l'impiété fonde ſes erreurs,
l'idée de Dieu confond tous les raiſonnemens.
Tout peint à nos yeux l'étendue de
ſa puiſſance ; rien ne raſſure nos coeurs
fur les myſtères de notre exiſtence. Nous
auroit- il donné tant d'envie de le connoître,
ſi ce bonheur ne nous étoit point réſervé
? & nous auroit-il fait naître avec la
crainte de ſa juſtice , s'il ne devoit pas un
jour récompenfer le bien &punir le mal ?
La foi que nous avons en lui & l'amour
dont il nous pénétre font le plus bel apar
nagede notre âme.Anéanti par ſes propres
JUILLET 1767 . 41
ſyſtêmes , l'homme incrédule détruit la
nobleſſe de ſon être.
J'avois vu Milan renaître de ſa cendre ,
& ſa nouvelle ſplendeur avoit déja fait
perdre le ſouvenir de ſa chûte. Non-feulement
les partiſans d'Alexandre avoient
relevé les murs de cette ville , ils en avoient
encore bâti une autre en l'honneur de ce
Pape , à laquelle ils avoient donné le nom
d'Alexandrie , & que , par dériſion & pour
plaire à Frederic , j'avois nommée Alexandrie
de la paille ( 7 ). Odieux à tous
les peuples de l'Italie à cauſe de mon attachement
pour l'Empereur , je n'oſai reparoître
dans Milan qu'avec précaution . J'y
avois un jeune parentdont j'étois le tuteur
naturel , & qui étoit héritier d'une fortune
immenſe que l'Empereur lui avoit
rendue à ma conſidération. Prétextant un
long voyage , je lui abandonnai la jouifſance
de mes revenus juſqu'à mon retour ,
que j'étois bien dans l'intention de ne
jamais effectuer , & la propriété en cas
que ma mort ſurvînt. Je le remis entre
les mains d'unde mes amis que je revêtis
du même pouvoir que j'avois ſur ce jeune
( 7 ) C'eſt en effet le nom que les courtiſans
de 1 Empereur donnèrent à cette nouvelle ville ,
qui l'a toujours gardé & le conſerve encore. Milan
fut ruinée en 1162 & rebatie en 1168.
42 MERCURE DE FRANCE.
homme ; & , réſolu de racheter mes fautes
paſſées par le jeûne , la prière , la pénitence
& la folitude , je fus me cacher
dans ce défert d'où l'illuſtre neveu de
Votre Sainteté m'a arraché malgré moi ,
& où je ne m'occupois nuit & jour qu'à
gémir ſur les maux dont j'ai affligé ma
patrie , &plus encore fur le barbare plaifir
que j'ai goûté à tourmenter deux époux
malheureux qui méritoient l'un & l'autre ,
par leurs vertus & leurs fentimens , de
fixer à jamais mon amitié. Hélas ! fi ce
frère que j'ai tant outrage me revoyoit un
jour , pourroit- il me pardonner... ?
Il te pardonne tout , reprend l'autre
Hermite , en lui ferrant la main avec l'air
de la plus tendre affection. Ah ! cruel Albini
, puis- je douter que ton repentir foit
fincère ?Tu es homme & tu as fait le mal.
Oui , je me fie à tes remords. Reconnois
en moi celui que tu as perfécuté ſi injuftement.
Le hafard nous conduiſit tous
deux dans la même forêt, toi pour y enfevelir
la honte de tes crimes , & moi pour
ypleurer mon infortune. Le tempsa changé
nos traits , il change enfin ton coeur. Le
mien fut toujours le même : accablé de ta
haine , il ne t'a jamais payé de ces noirs
fentimens.
Belmonte ! s'écrie Albini , quoi , c'eſt
JUILLET 1767. 43
toi qui m'écoutois en filence , & tu me
revois fans colère ? O mon ami ! mon cher
frère ! ... mais non , je ne mérite point
ces noms que ma rage a profanés. Vengetoi
d'un perfide ennemi que le Ciel livre
à tes imprécations ; que ta voix frémiſſante
invoque le courroux de l'Eternel ; que fon
tonnerre s'ébranle aux cris de l'innocence
outragée , & qu'en écrafant un coupable
indigne de grace , il meſure la force de
ſes coups au poids de mes iniquités !
Belmonte s'empreſſe à calmer ſon déſefpoir.
Arrête , malheureux ! lui dit- il , n'irrite
point , par d'inutiles fureurs , le Ciel
qui ſembloit prendre plaifir à nous rapprocher
malgré nous-mêmes. Va , le repentir
efface tout. Tu méconnois l'amitié;
elle oublie tous les maux que tu lui as
caufés. Mais , pourſuit il, en laiſſant couler
ſes pleurs , pardonne à la nature un
mouvement dont elle n'eſt pas maîtreffe ;
elle m'a fait père , elle m'en a donné les
entrailles ; pardonne ſi j'ai encore la foibleffe
de te reprocher le malheur de mes
enfans. Parle , que ſont-ils devenus ? Inftruis
moi de leur fort & de celui d'une
épouſe qui faiſoit les délices de ma vie.
Fais que je puiſſe les revoir ; que j'expire
dans leurs bras ; rend-les-moi , te dis-je ,
& tu ne m'as plus fait de mal.
44 MERCURE DE FRANCE.
Urbain , oubliant dans ce moment la
dignité de fon caractère , pour céder au
plaiſir de confoler un père infortuné ,
s'élance vers lui , l'embraffe & le raffure
par ces mots : généreux Belmonte , n'ayez
plus d'inquiétude & rendez grace à la
Providence qui veut réparer vos malheurs.
Votre épouse& vos enfans font ici. Echappée
de la prifon& craignant toujours l'implacable
vengeance de fon frère, la vertueuſe
conſtance de Miranda vint ſe réfugier
dans cette ville avec ſes fils & fa fille ,
&fous le nom de Léontine. Belmonte
l'interrompt par cette exclamation qui
peint ſa tendreſſe : ah ! la nature m'avertiſſoit
bien ; c'étoit mes fils que j'embraffois
hier !
...
Ces deux jeunes gens , qui étoient reftésdans
la chambre où les folitaires avoient
attendu que le Pape les fît entrer dans celle
où il étoit , curieux d'entendre le récit de
leurs aventures , écoutoient attentivement
à la porte. Alors ils ne purent ſe contenir
&, fans attendre les ordres du Pontife ,
ils entrèrent précipitamment , ſe jettèrent
aux genoux de leur père & lui rendirent
les plus tendres reſpects en s'écriant : ah !
mon père , ſi la nature vous parla ſi bien ,
elle n'étoit pas plus muette dans
coeurs. Une joie égale éclatoit dans leurs
DOS
JUILLET 1767. 45
yeux . Urbain , loin de blåmer leur indifcrétion
, applaudit aux tranſports d'un aufli
beau naturel, Le père étoit dans un ravifſement
qui lui ôtoit l'uſage de la parole,
O mes enfans ! mes chers enfans ! c'eſt
tout ce qu'il pouvoit dire en partageant
leurs embraſſemens , qu'il payoit des plus
vives careffes .
Il ne lui manquoit plus que de revoir
leur mère & ſa fille qui lui avoit été enlevée
dans un âge où elle ne pouvoit pas
encore le connoître. Il ſe rappella avec
regret le voeu par lequel il ſavoit que la
ſage Constance s'étoit engagée à Dieu.
Mais le Pape leva ſes ſcrupules ſur cet
article , en lui diſant que les premiers
qu'elle avoit faits à fon mari , étant aufli
facrésque lesderniers, détruiſoientceux- ci,
&qu'elle devoit retourner à lui, puiſqu'il
plaifoit au Seigneur de le ramener à elle.
En conséquence , & voulant être témoin
lui-même de la joie que ces époux auroient
à ſe retrouver , il fit appeller l'un de ſes
Camériers & lui ordonna d'aller chercher ,
de ſa part , Léontine & fa fille. Il lui donna
en même temps une lettre pour la ſupérieure
du couvent , à qui il mandoit ſes
volontés.
Cependant il confentit d'abſoudre le
criminel Albini en faveur du ſervice qu'il
46 MERCURE DE FRANCE.
avoit rendu à fon neveu , qui imploroit
pour lui cette grace. Mais Albini s'obſtinoit
à la refuſer. Il ſupplioit le Pape de
venger ſa propre patrie en faiſant un exemple
public du traître qui avoit cauſe ſa
ruine. Vos remords , lui répondit Urbain ,
font une preuve viſible de la clémence
de Dieu , qui ne touche que les coeurs à
qui il veut pardonner , ne vous a point
conduit vers moi comme à un juge de
ſang. Réparez déſormais , par vos bonnes
oeuvres , les crimes que vous avez commis
, & votre âme recouvrera devant luį
toute fa pureté. Sa juſtice ſe laiſſe fléchir.
Lorſque le Camérier du Pape entra dans
la chambre de Léontine , elle racontoit à ſa
fille dans quelle agitation elle avoit paffé
la nuit. Il ſembloit qu'un preſſentiment
l'avertiſſoit du fort que le Ciel lui réſervoit.
Elle ne ſavoit d'où venoient les fréquentes
palpitations de coeur qu'elle éprouvoit
depuis fon réveil. Son inquiétude
augmenta en recevant l'ordre du Pape de
ſe rendre ſans délai , elle & Léonore fa
fille , auprès de Sa Sainteté. Elle eut beau
interroger le Camerier ſur les intentions
d'Urbain ; comme il ne ſavoit rien de ce
qui ſe paſſoit , il ne put lui donner aucun
éclairciſſement. Ne pouvant ſe diſpenſer
d'obéir , elle fortit accompagnée de LéoJUILLET
1767. 47
nore. Une litière les reçut chacune dans
la cour du couvent , & elles ſe rendirent
ainſi au Vatican , où le Camérier monta
avec elles & les annonça au Souverain
Pontife.
Urbain , trop empreſſé d'apprendre à la
plus digne épouſe une nouvelle auffi flatteuſe
que ſurprenante , n'uſa point des
ménagemens néceſſaires dans une circonftance
ſidélicate. Dès qu'elle parut , il s'approcha
d'elle avec vivacité , & l'appellant
par ſon vrai nom : vertueuſe Constance ,
lui dit-il , il faut renoncer à votre dernier
engagement. Le Ciel, touché de vos ſouffrances
, les finit aujourd'hui. Rentrez dans
vos premiers noeuds ; votre époux vous eſt
rendu : il eſt devant vos yeux. L'amour
qu'elle avoit pour lui ne lui eût pas permis
de ſe méprendre. Mais le trouble de
Belmonte & les tranſports de ſes enfans le
lui firent reconnoître ſur le champ. Saifie
d'une joie imprévue , elle tombe ſans connoiffance
entre les bras de fon époux extafié
du bonheur de la revoir. Mais quels
furent ſesregrets lorſqu'il s'apperçut qu'une
pâleur mortelle étoit répandue ſur ſon
viſage , que la lumière s'étoit éclipſée de
ſes yeux , que fon corps refroidi reftoit ſans
mouvement , & que rien ne pouvoit plus
la rappeller à la vie. Ilſembloit que le Sei
48 MERCURE DE FRANCE.
gneur , jaloux de la foi qu'elle lui avoit
donnée , ne vouloit pas qu'une ſi belle
âme lui échappâr. L'habitude de ſouffrir
empêcha Belmonte de la ſuivre au tombeau
; il reſta comme immobile en la regardant.
Le ſentiment de fa douleur lui
arracha ces paroles déſeſpérées : ô Dieu !
ne ſavez - vous qu'affliger ceux qui vous
aiment ? Ses fils , aufli immobiles que lui ,
n'eurent la force ni de ſe plaindre ni de
le confoler , & la triſte Léonore fut plus
ſenſible au chagrin de perdre une mère
qu'elle adoroit , que de retrouver une père
qu'elle n'avoit jamais vu. On enleva le
corps de Constance , & le Pape ſe reprocha
fon indifcret empreſſement.
Ubalde remena chez lui le père & les
fils. Léonore ne voulut point quitter ſa mère
que l'on reporta au couvent , où l'on fit
fes obféques. Belmonte , privé pour jamais
d'une compagne qu'il avoit chérie ſi tendrement
, ſupporta ce nouveau tourment
avec la patience & la réſignation d'un
coeur parfaitement chrétien. La vue de ſes
enfans , les foins& les complaiſances qu'ils
eurent pour lui adoucirent de jour en jour
la perte qu'il avoit faite. Albini pleura
amèrement la mort de ſa ſoeur. Ayant
appris enſuite que le jeune Milanois qui
aimoit Léonore ſe nommoit Solani , &
qu'il
JUILLET 1767. 49
qu'il étoit ce même parent dont il étoit le
tuteur naturel , & à qui il avoit aſſuré
tout fon bien après ſa mort , il voulut
reprendre tous ſes droits fur lui pour le
marier avec ſa nièce : il écrivit à celui qu'il
avoit chargé de ſa tutelle pendant le temps
de fon abſence , de l'envoyer promptement
à Rome , où il lui avoit choiſi un parti convenable.
Cependant la cérémonie de l'inveſtiture
d'Ubalde & celle de fon mariage ſe célébrèrent
avec une grande magnificence. Et,
comme il réſolut de faire un long ſéjour
à Rome , cela donna le temps à Solani
d'y arriver. Depuis la mort de ſa mère ,
Léonore n'avoit point voulu quitter le
couvent ; elle la pleuroit fans ceſſe , & il
ne falloit pas moins , pour calmer ſa douleur
, que la nouvelle du mariage que l'on
venoit d'arrêter pour elle. Solani fut lui
porter lui-même cette nouvelle. Les affiduités
de cet amant chéri diſſipèrent peu
àpeu les chagrins de ſon aimable maîtreſſe.
Ils s'époufèrent enfin , & Solani , étant
affez riche par lui-même , conſentit de bon
coeur qu'Albini annullât la donation qu'il
lui avoit faite de tous ſes biens , & qu'il en
diſpoſat en faveur des fils de Belmonte ,
qui n'avoient rien , & dont il vouloit
réparer l'infortune par ce bienfait. Ces
Vol. I. C
30 MERCURE DE FRANCE.
jeunes gens n'en demeurèrent pas moins
attachés à Ubalde , qu'ils ſuivirent à Milan
lorſqu'il retourna. Albini ne fit point difficulté
d'y retourner aufli avec Belmonte ,
ſa fille , & fon. gendre. Les habitans de
Milan n'étoient plus les mêmes , & l'atro -
cité de ſes crimes n'étoit ſque que du Pape ,
qui l'avoit abſous , & d'Ubalde , qui lui
avoit juré là - deſſus un ſecret inviolable ,
demême que Belmonte , avec qui il vécut
par la fuite dans la plus étroite union.
Ainſi furent réconciliés deux hommes
qu'unfol eſpritdeparti , qu'un vain entêtement
, que la chimère des opinions avoient
rendu ennemis implacables d'amis ſinceres
qu'ils étoient : effet trop commun des
guerres de religion où le fanatiſme & le
préjugé ne connoiffent plus ni frein ni loi.
Et l'homme ſe glorifie de ſa raiſon ! quelle
vanité de s'énorgueillir d'un bien auffi
fragile !
Par M. BRUNET fils .
JUILLET 1767." S
VERS mis au bas de la belle estampe de
M. GREUZE , repréſentant le paralitique
fervi par ses enfans.
DE l'amour filial vos ſecours font le gage ,
O mes fils ! votre exemple inſtruira vos enfans ;
Par vous le Ciel m'a fait jouir long temps
Des fruits de la vertu qui fut mon héritage .
Ce bien eſt le tréſor du ſage ;
Puiſſiez,yous le tranſmettre à tous vos deſcendans !
Par l'auteur des fix vers adreſſes à M.DE
BAU MARCH AIS , fur Eugénie , dans le
premier vol . du Mercure d'avril , pag. 16,
BOUQUET à Mde DE *** fur l'air du
vaudeville de la Chercheuſe d'eſprit,
U
NE fleur est un foible hommage,
Si notre coeur ne le produit :
Le ſentiment a l'avantage
Lorſque le reſpect le conduit ;
C'eſt lui qui dicte men langage ,
Et la ſincérité le ſuit ,
D. L. M.
Cij ..
52
MERCURÉ DE FRANCE .
A M. le Comte DE *** , en lui envoyant
fon portrait en vers.
UN portrait eſt facile à faire ,
Quand il eſt orné des vertus
Qui forment un beau caractère ;
C'eſt en quoi vous brillez le plus.
Mais , pour embellir mon ouvrage ,
Favoriſez- le d'un coup-d'oeil ;
Si vous daignez leur faire accueil ,
Pour mes vers quel digne avantage !
Je me plais à vous y tracer
Ce que le ſentiment m'inſpire ;
Mon coeur l'a toujours ſcu penſer ,
Et ma plume oſe vous l'écrire.
Par le même.
JUILLET 1767. 53
A Madame.
D
• ....
EPUIS trois ans j'ai trois mots à vous dire.
Depuis trois ans l'amour a mon ſecret.
Depuis trois ans il dut vous en inſtruire.
Depuis trois ans le perfide eſt diſcret.
Depuis trois ans la gaîté m'eſt ravie.
Depuis trois ans vous captivez mon choix.
Depuis trois ans vous règnez ſur ma vie.
Depuis trois ans je languis ſous vos loix.
Depuis trois ans le repos fuit mon âme.
Depuis trois ans le ſommeil fuit mes yeux.
Depuis trois ans je gémis de ma flame.
Depuis trois ans je pourrois être heureux.
Par M. DE LA D ***.
C iij
54
MERCURE DE FRANCE.
VERS à LISE , le jour de ſa fête .
DuU
bon Pétrarque amour montoit la lyre ,
Aufſi , qui mieux ſcut doucement rimer !
Si comme lui je n'excelle en bien dire ,
Point ne lui céde en l'art d'aimer .
Il chantoit Laure & moi je chante Life.
D'où vient donc que mes vers n'ont pas même
agrément ?
D'où vient , hélas ! faut-il que je le diſe ?
Le bon Pétrarque étoit heureux amant.
Quand tu m'ainmois , ô ma Life chérie !
Tu le ſais bien , mes vers étoient plus doux :
Plus d'une fois je t'en vis attendrie ,
Et ma muſe & ton coeur m'ont fait plus d'un
jaloux.
Mais à préſent fais grace à mon génie :
Près de toi j'ai chanté l'amour & le bonheur ;
Il t'en ſouvient ! ce temps charmoit ma vie :
Aujourd'hui la mélancolie
A glacé mon eſprit & refferré mon coeur.
Permets qu'en foupirant j'oſe , de quelques fleurs ,
Parer ton ſein ; la faveur eft légère.
Mes rivaux t'offriront des bouquets plus flatteurs ,
Mais nul ne te rendra d'hommage plus fincère.
Par M. D'AVESNE,
JUILLET 1767.
55
LETTRE de Mde D*** , à M. CHOQUET,
contre le préjugé qui rendant les hommes
Solidaires pour le crime , couvre d'infamie
le vertueux ainſi que le criminel.

A 1 lu , Monfieur , dans le premierMercure
d'avril , une lettre de vous en faveur
du préjugé qui note d'infamie les parens
des fuppliciés. Vous prétendez que ce préjugé
arrête les forfaits & faffe germer les
vertus ; je penſe le contraire , & je vous
demanderai d'abord ſi ce préjugé adopté
en France a diminué le nombre des ſcélérats
, & s'il ne ſe fait pas beaucoup plus
d'exécutions à Paris qu'en Angleterre , où
le crime eſt perſonnel ? Une famille puifſante
& riche n'ignore pas les reſſources
que ſes tréſors lui procurent , dans le cas
où quelqu'une de ſes branches commettroit
un crime : les protections , ou l'argent,
ſçavent pallier les faures , aux yeux de
Juges intégres , qui ne peuvent juger que
fur le rapport qu'on leur fait. L'indigent
ſeul ſubit la peine dûe à ſon crime. S'il
étoit perſonnel , on le puniroit dans quelque
perſonne que ce fût , & l'on connoî-A
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
troit évidemment que l'impunité ſeule a
droit de perpétuer le crime. " Une famille
>> eſt reſponſable de tous ſes membres ;
>>elle doit partager l'infamie du crime
>> d'un ſeul , dites- vous » . Quelle injustice !
Quoi ! j'ai un neveu ou un coufin fur lequel
je n'ai aucune autorité ; je ferai refponſable
de ſa conduite à l'Etat , à la
ſociété ? Préjugé dangereux pour certains
caractères , & qui , bien loin d'exciter à
la vertu , feroit capable de la ralentir. En
effet , nos corps & nos biens font à l'Etat.
Notre honneur eſt à nous. Mais ſi , malgré
toutes mes vertus , diront- ils , je puis être
deshonoré , que me fert- il de me gêner
pour voir en un inſtant mes I uriers changés
en cyprès ſans que j'y aie contribué ?
" Qu'importe , dites- vous encore , qu'im-
» porte au Législateur qu'un père verſe
>>des larmes de fang fur le tombeau d'un
>> fils criminel , & qu'une famille traîne à
ſa ſuite les chaînes accablantes de l'infa-
>>mie ? Ses regards ne doivent tomber que
>> ſur le général » . J'en appelle au Légiflateur
ſuprême , dont ceux de la terre doivent
être l'image. Il ne punit ſes enfans
que pour leurs forfaits , & ne les rend
point reſponſables de ceux des autres lorfqu'ils
n'y ont point coopéré. Combien de
pères , vigilans ſur la conduite de leurs
JUILLET 1767. 57
enfans , n'ont recueilli , des fruits de leurs
peines , que l'infamie , qu'ils avoient d'autantmoins
méritée , que leur coeurpaternel
avoit fait les derniers efforts pour les rendre
vertueux. Le ſupplice d'un enfant
formé de notre ſang n'eſt- il pas affez cruel
ſans y joindre encore l'ignominie ? Etesvous
père , Monfieur ? non certainement ,
vous ne tiendriez pas un pareil langage ,
vous ſçauriez que la tendreſſe paternelle
fuffit pour veiller ſur ſes enfans. Et s'il
eſt des monftres à qui il faille un frein &
des menaces pour les aſſujettir à ce devoir ,
comme vous le prétendez , je ne crois pas
que ce remède ſoit bien efficace. Pour
craindre l'infamie , il faut avoir de l'honneur
,& je ne les en crois pas fufceptibles.
« Le Législateur ne doit ſon attention
» qu'au général ». Quelle erreur ! le bienêtre
du plus petit ſujet intéreſſe & éprouve
fa bienfaiſance , & vous voudriez qu'il fût
inſenſible à fon malheur ! C'eſt un paradoxe.
Je connois une famille dont le père
a eu trente-deux enfans. Cet homme , d'une
parfaite probité , n'eſt pas un favori de
Plutus ; dans cette claffe le nombre ne doit
pas excéder deux. Seroit- il impoffible ,
dans ces trente-deux , qu'il s'en trouvât un
qui ne fût pas honnête homme ? Doit- on
s'en prendre à un père qui fait également
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
:
pour tous ſes enfans , & est- il juſte que ;
pour un malheureux , trente-un innocens
foient punis ? Cela révolte l'humanité. Ne
croyez pas , Monfieur , qu'aucun intérêt
perſonnel m'ait fait mettre la main à la
plume. Je fuis d'une famille nombreuſe ,
imais dont les moeurs font la gloire . Je
ſuis mère de famille , mais mes enfans font
ma félicité. C'eſt donc ſeulement en qualité
de citoyenne , de Françoiſe , dont
l'honneur & le bien public intéreſſent le
coeur. Mariez - vous , Monfieur , & vous
verrez qu'où l'amour ne peut rien, la crainte
eſt une foible digue. Et fi vous avez des
enfans , fongez à veillet ſur eux avec bien
de l'activité pour éviter la punition que
vous follicitez vous même dans votre lettre .
J'ai l'honneur , &c.
A l'Auteur du Mercuré.
Je vous prie , Monfieur , de vouloit
bien faire inférer cette lettre dans le prochain
Mercure ,&d'ajouter en note , qu'en
parlantde l'argent ou de la protection , qui
change de face à fon gré une mauvaiſe
affaire , je n'entends parler d'aucuns Membres
de Themis , mais bien de ces âmes
viles , toujours prêtes à fervir de faux téJUILLET
رو . 1767
moins , & qui ne font que trop communes
dans notre fiècle. Vous obligerez parfaitement
, &c. **
E
EPITRE à M. DORAT.
NFANT du goût ! inſpire- moi
Cette élégance naturelle ,
Que Chaulieu , la Fare & Chapelle
Avoient fait briller avant toi ;
Dont Bernard devint un modèle ;
Que l'art contrefait vainement ,
Et que ta muſe , en ſe jouant ,
Orna d'une grâce nouvelle.
En vain du profane Tabor
Je te vois atteindre la cime ;
Je dois , renonçant au fublime ,
Diriger plus bas mon eflor.
Dans un drame * , fait pour la ſcène ,
Crayonne l'âme d'un héros ;
Moi , que la gaîté feule entraîne ,
Je te laiſſe avec tes rivaux
A la fuite de Melpomene :
Heureux file Dieu de Delos
Vouloit me tranfmettre ta veine
Pour chanter l'amour & Climène ,
Et borner la tout mes travaux !
Pieurele Grand,
}
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
Mais mon eſpoir n'eſt que chimère ,
Et je demande un trop beau prix :
Je reſpecte le ſanctuaire
Où les grâces , ſur tes écrits ,
Ont verſé l'heureux don de plaire .
Sans déſeſpoir , ſans air boudeur ,
Je lis tes vers & me confole
D'être fi loin de leur fraîcheur .
Dorat ! ta muſe eſt mon idole ,
Et non l'objet de mon humeur.
On t'impute à forfait énorme
Un de tes plus heureux accès.
*
J'ignore le fonds du procès ,
Mais j'ai beaucoup ri de la forme.

.
Laiſſe à de certains amateurs ,
Sur le giron même des Muſes ,
Ravir ſecretement tes fleurs ,
Et fanant leurs belles couleurs
Au protocole des excuſes ,
Joindre le ton de nos cenſeurs ;
* Nous avons cru devoir ici retrancher quel
ques vers qui , malgré les bonnes intentions du
moins critique des auteurs , euſſent pu être mal
interprétés.
*
JUILLET 1767. 6
Pourſuis ta carrière charmante ,
Donne toujours à tes bons mots
Ce ton badin qui nous enchante ,
Et qui ſcandaliſe les ſots.
En vain ils te feroient la guerre ;
L'épître où tu chantes C.
..
...
...
Ni celle où , ſur un autre ton ,
Tu peins les talens de L.
De leur couronne , encore entière
Ne perdront pas un ſeul fleuron.
L'épôtre même qu'en perſonne
Reçut de toi notre Apollon ,
N'en ſera pas moins un bouton
Des fleurs que ta muſe moiſſonne
Dans les prés du ſacré Vallon.
Dorat , je voulois ſur tes traces
Marcher avec légéreté ;
Mais dans tes bras j'ai vu les Grâces
Rire de ma fimplicité.
Joue avec ces jeunes Déeſſes ,
Foule le duvet de leur lit ;
Profcrit par ces enchantereſſes ,
Je ſaurai borner mon dépit
A t'applaudir de leurs careſſes.
Par M. MUGNEROT.
MERCURE DE FRANCE.
SUITE DES CHANSONS ANCIENNES.
CHANSON D'AUTREAU .
PAR
AR ce beau premier de mai ,
Sur la verdure , allons gai.
Laifſez- moi cueillir un bouquet ,
Ma tourelourette ,
Par amourette ;
Laiſſez-moi cueillir un bouquet
Dans votre jardinet.
Cueillez - y roſe & muguet ,
Mais cueillez - les en ſecret ;
Il eſt clos pour tout indiſcret ,
A la ferrure ,
Je vous le jure :
Pour vous , il ne l'eſt qu'au loquet ,
Mon gentil jardinet.
+
Autreau ſaiſilſoit très-heureuſement le caractère
de naïveté. On peut en juger par ſa comédie ,
intitulée : la Magie de l'Amour , où Mile Gauſin
remplit le rôle de Sophilette avec ſes grâces naturelles
& toute la vérité du perſonnage.
Autreau avoit plus de génie que d'efprit , &prefque
point de goût. Ily avoit toujours d'excellentes
choses dans ses compoſitions , mais il falloit l'en
JUILLET 1767 . 63
avertir pour l'empêcher de préfurer ce qui étoit inférieur
on mauvais. C'est par de tels Secours que la
Magie de l'Amour , de défectueuse qu'elle étoit à
plusieurs égards , est devenue une des plus aimables
pièces de ce genre. Aureau doit ce ſuccès aux
confeils d'une illustre actrice * , qui est actuellement
auffi accueillie & recherchée dans le monde qu'elle
a été applaudie au théâtre,
* Mademoiselle Quinaut la cadette .
CHANSON de M. DE MONCRIF.
AUTURTEREFFOOIISS un temple étoit ,
La fête en eſt patice ;
Chaque amant y récitoit
Sa plus douce peníće.
Si ce temple ſe r'ouvroit
Pour ce tant doux myſtère ,
Que de fois on entendroit ,
J'adore La Vallière !
On nous a envoyé cette chanſon fans nom
d'auteur ; nous avons été bien aiſes de l'employer
: nous recherchons avec zèle les ouvrages
qui renferment des éloges mérités. Lé fiècle eſt
inondé d'écrits qui ne tendent qu'à dégrader ; il
eſt juſte que les gens qui aiment mieux applaudir
que dédaigner , trouvent des occafions de ſe ſatiffaire.
Les vers ſuivans nous ont été adreſſés avec cette
chanfon ; nous les employons par les motifs que
nous venons d'expoſer.
64 MERCURE DE FRANCE.
D'où vient que ce lieu champêtre
Ne nous plaît que foiblement ?
Il est vrai qu'il est charmant ,
Mais Boufflers * y pourroit être.
Une troupe d'amours à ſes ordres foumiſe ,
Dans ce bois l'autre jour ſe plaiſoit à chanter :
Si vous la connoiſſex , voici votre devise a
Ou la voir ou la regretter.
Quand parmi nous quelqu'un dans ſon langage
Fait éclater les grâces de l'esprit ,
Même , en applaudiſſant en secret , on se dit :
Boufflers en a bien davantage.
Que fa présence eft fecourable !
Un eſſain de plaiſirs inceſſamment la fuit.
Elle paroît , l'eſprit en devient plus aimable ,
Et le ridicule s'enfuit.
* Aujourd'hui Ducheſſe de Luxembourg .
N'en déplaise a la note ci - deſſus , cette chanson
& les vers font de M. de Moncrif. Il en afait l'aveu
aux Dames qui enfont l'objet . Il a , nous a t - il dit,
gardé l'anonyme , parce que ces éloges ne lui ont pas
paru auffi bien qu'ils auroient dû l'être . Nous en
conviendrons peut- être avec lui ; mais il n'y a point
d'auteur qui ne pût les avouer.
JUILLET 1767 . 65.
CHANSON du GRAND - PRIEUR *.
C
QUI connoît bien le fort des grands ,
Du tout ne leur porte d'envie.
Leur faut trop de biens différens
Pour paffer un jour de la vie.
J'habite un champêtre ſéjour ,
Et j'ai pris ma mie au village.
Je la vois , comme au premier jour ,
Qu'amour forma notre ménage.
Le faſte a bien un grand attrait ,
Mais attrait qu'emporte l'uſage.
La fimplicité qui nous plaît ,
Nous plaira toujours davantage.
* Chevalier d'Orléans .
Le Grand- Prieur , au milieu de cette variété de
goûts qui l'entraînoient quelquefois tous enſemble
, & qui contribuoient avec ſes diſtractions &
les grâces de ſon eſprit à le rendre fort aimable ,
avoit quelquefois celui de la retraite. Dans un de
ces momens il avoit loué une petite maiſon, eſpèce
de cabane , ſur les bords de la Marne ; ſon projet
étoit l'étude de l'hiſtoire naturelle , & il avoit
commencé par le règne animal. Il s'étoit formé
une balle-cour , remplie de quadrupedes & d'oiſeaux
domeſtiques , comme chevres , dindons , &c.
6 MERCURE DE FRANCE.
tous de la plus grande beauté . Il les nourriffoit de
ſa main; & cette baſſe- cour il l'appelloit fa mie.
Voilà le ſujet de cette chanson , qui eſt ſimple
comme le ſujet , & affez jolie.
RONDEAU.
LOIN
de la Cour , loin de la ville ,
De tout fat , de tout imbécille ,
Et de tout être ſoupçonneux :
Auprès de ma chère Lucile
Je vis content , je vis heureux ,
Loin de la Cour , loin de la ville.
Mes ſoins , mes égards amoureux
La rendent gaie , & plus ag le .
Toujours tendre , toujours docile ,
E'le m'embratſe quand je veux ,
Loin de la Cour , loin de la ville.
Aucun pédant , aucun fâcheux ,
• Dans ce délicieux aſyle ,
Où tout joint l'aimable à l'utile ,
Ne viennent point troubler nos feux.
L'amour , qui préſide à nos jeux ,
A banni d'ici tout Zoile ;
Et rien ne s'oppoſe à nos voeux ,
Loin de la Cour , loin de la ville.
Par M. DE FOUQUET DE CHATONVILLE ,
ancien Officier de Cavalerie ; de Montpellier.
JUILLET 1767. 67
A une mère qui allaite fon enfant.
NFIN , en dépit d'un uſage
Par la nature déteſté ,
Tu veux , achevant ton ouvrage ,
Nourrir l'enfant que tes flancs ont porté.
Ce trait manquoit à ton éloge ;
Ta vertu brave tous les goûts
D'an fiècle à qui ton coeur déroge ,
En ofant ainer ton époux.
En vain les plaiſirs en alarmes
Croyant ton coeur foible & léger ,
De la perte de quelques charmes ,
Te font entrevoir le danger.
Pour t'arrêter à cet obstacle ,
,
Tu connois trop l'époux dont tu fais le bonheur.
Pour ce mortel ſenſible est- il plus beau ſpectacle
Qu'une épouſe qui ſuit la nature & fon coeur ?
Et de quel droit , mères cruelles
Pour ſauver vos appas de l'outrage des ans ,
A des mains ſouvent infidelies ,
Abandonnez-vous vos enfans ?
Voit- on la lionne meurtrière ,
De ſon ſang oubliant le droit ,
Du ſein d'une bête étrangère
Emprunter l'aliment qu'à fon fruit elle doit ?
68 MERCURE DE FRANCE.
La nature gémit , ſans doute ,
En vous accordant des plaifirs
Dont le foible attrait vous dégoûte:
Du ſoin de remplir ſes defirs ,
Vous la voyez auſſi , pour punir cet outrage ,
Se ſervir contre vous de vos propres rigueurs.
D'une foule de maux la déſolante image
Devroit au moins changer vos coeurs ,
Vous fouffrez de l'indifférence
Dont vous accueillent vos enfans !
N'en accuſez que vous : de la reconnoiſſance ;
L'amour & l'amitié ſont les plus fûrs garans.
Voyez cet innocent auprès de ſa nourrice :
Il ne voit qu'elle , il n'entend que ſa voix.
Ce n'eſt jamais que l'artifice
Qui vous fait rentrer dans vos droits.
O toi , qu'ici mon âme admire ,
Toi , reſpectable Lenormant ,
Du deſſein que ton coeur t'inſpire
Rends- lui graces à chaque inſtant.
Au-deſſus de ton ſexe élevant ton courage ,
Sois mère à plus d'un titre ; & par des foins fi
doux ,
Juſtifie encor davantage
Le digne choix de ton époux.
JUILLET 1767. 69
IMITATION d'un ancien conte , ou fabliau ,
intitulé le Convoitox & l'Envieus , extrait
d'un manuscrit de Saint Germaindes-
Prés , nº. 1330 .
AuU temps jadis deux voyageurs , l'un
fort envieux , l'autre fort convoiteux * ,
ſe rencontrèrent un jour en chemin &
ne tardèrent pas à pénétrer mutuellement
toute la perverſité de leur caractère.
La crainte des voleurs entretint pourtant
leur intelligence juſqu'au moment où
le chemin , qui ſe partageoit en deux , fit
naître entre eux la défiance , au point que
ni l'un ni l'autre ne vouloit adhérer à
l'avis de fon compagnon ſur celui qu'il
falloit choiſir.
Non loin de là étoit une chapelle dédiée
à Saint Martin ; & nos voyageurs , laſſés
* Un convoiteux ( dit M. de Barbazan ) eſt un
homme qui ſouhaite avec ardeur , déſordonnément
; & la convoitiſe a toujours été miſe au
nombre des vices , parce qu'elle s'entend d'une
ardeur criminelle de poſſéder des biens & de parvenir
à ſes fins à quelque prix que ce puiſſe être. Il
regrette , ainſi que nous , qu'un mot fi expreſſif ne
ſoit plus employé dans la langue , & n'ait été
remplacé par aucun autre.
70 MERCURE DE FRANCE.
de conteſter , ſe déterminèrent enfin à le
prendre pour juge de leur différend.
J'y confens , dit, à leur grand étonnement,
une voix qui partit du fond de la chapelle
; & pour preuve du bien que je vous
veux , j'exige , avant que je prononce ,
que l'un de vous forme un ſouhait , que
je m'engage d'accomplir dans le moment.
Qu'il donne donc une libre carr ère à ſes
defirs ; & quelques biens , quelques talens ,
quelques honneurs qu'il puiſſe ſouhaiter
foyez certains qu'il les obtiendra. Mais
foyez fürs également que celui qui n'aura
rien ſouhaité aura le double de ce qu'aura
obtenu l'autre .
La fin de ce diſcours fut moins agréable
pour eux que ne l'avoit été le commencement.
Quoi ! diſoit intérieurement
l'envieux , je formerois un ſouhait dont
l'effet ne feroit autre que de rendre ce
méchant homme une fois plus riche ou
plus heureux que moi ? ... Non , M. le
Saint.... j'en mourrois de douleur,
Le Convoiteux , qui faifoit tout bas le
même monologue , après avoir vainement
preffé ſon camarade de ſouhaiter quelque
choſe , & fûr de ne pouvoir rien obtenir
de lui par la douceur , tire ſa dague du
fourreau , l'attaque & le menace de la
mort s'il ne fait un ſouhait dans l'inſtant
même.
,
JUILLET 1767. 71
J'y confens , puiſqu'il le faut ( dir
l'Envieux ) ; mais , pourque mon fouhait
ſoit plus mûrement réfléchi , renferme ton
poignard , & mets entre nous deux au
moins trente pas de diſtance,
A la bonne heure ! ( dit le Convoiteux
enchanté de ſa victoire ) mais parle vite ;
il ſe fait tard ; finon , tu n'as pas un moment
à vivre.
Grand Saint Martin ! ( s'écrial'Envieux ,
dès qu'il ſe crut en fûreté ) daigne entendre
ma voix , & dans l'inſtant me rendre
borgne !
Le voeu fut exaucé dans la minute.
L'Envieux ſe trouva borgne , & goûta le
plaisir de voir ſon camarade aveugle.
Malheur ( s'écrie , en finiſſant , Tancien
auteur ) à qui s'afflige de cette aventure ,
car ces deux hommes étoient de mauvais
aloi.

• • • Mal daher ait
De moie part qui il en poise ,
Que ils furent de mal defpoife .
D. L. P.
72 MERCURE DE FRANCE.
د
Le mot de la première énigme du Mercure
de juin eſt Arlequin . Celui de la ſeconde
eſt la galère. Celui du premier logogryphe
eſt bouteille ; dans lequel on trouve
ouie , Elie , Tobie , bol , été , vie , bout
boulet , elle , le , belle , bête , vite , bille
boule , bile , Eole , oeillet , oeil , lot . Et
celui du ſecond eſt guirlande: où l'on trouve
le , la , Galien , aider , dire , nier , lire ,
nuire , lier , Gerau , le gui , Lia , Lude ,
eau , air , la Rie , Inde , Ain , gale , angle ,
Gien , rue , lure , aigle , aire , digne , Die,
dun , eu , Gandie , guarde , Urgel , Giula ,
Lindau , aile , langue , ré , la , Ula , Guiane,
grand , aigre , ire , ré , Rié , Rugen , Nera ,
Egina , Irlande , Dieu , lie , an , laid,
ane , rang , faint , lin , Lire , ail , lunai ,
liard , grain , lune , rien, age , ange ( poiffon
) , lande , nid , lien .
ENIGME.
JUILLET 1767. 75
OUS
ENIGME.
ſommes des milliers de frères ,
Et preſque tous de divers caractères ;
Dans les cercles brillans nous faiſons du fracas :
Près des femmes ſur-tout nous ſommes fort de
mife,
Et ſouvent les beautés ſe jettent dans nos bras:
Duffions-nous même être en chemiſe.
Pour exercer d'allez nobles emplois ,
L'on nous a placés chez les Rois ,
Mais on ne peut , en préſence du maître ,
Ufer de nos tendres ſecours ,
Les doux liens du ſang peuvent ſeuls le permettre
Telle eſt l'étiquette des Cours .
Nous avons par-tout des aſyles,
Dans les temples , dans les palais ,
Et dans cent autres domiciles .
Quelques- uns d'entre nous ont les honneurs de
dais.
Pour foutenir l'acteur dans l'art qu'on idolâtre ,
Nous paroiffons au milieu du théâtre ,
Mais des fifflets nous ſommes à couvert,
Devinez done , vous , hommes de génie :
Nous ſommes neuf au grand couvert ,
Et quarante à l'Académie,
ParMile COSSON DE LA CRESSONNIERE
Vol. I. D
74 MERCURE DE FRANCE
:A
AUTRE.
i
Ssez ſouvent , quoique je fois femelle .
On m'apperçoit aux pieds de quelque belle
Qui , malgré toute ſa froideur ,
Devient ſenſible à mon ardeur ;
Et d'autres fois aufſi , ſoit raiſon , ſoit caprice ,
Eile ſe rit de tous mes feux.
Preſque autant qu'Argus j'ai des yeux ;
Mais j'ai beaucoup moins de malice
Et du ſecret gardant les loix ,
Je ne dis point ce que je vois.
,
Isabelle & Thérèse , & Life & Fanchonette
Aiment fort mon humeur difcrette ;
Souvent à ces objets charmans
J'adoucis de rudes momens .
Mon talent à Paris fait fortune affez groſſe ,
Puiſqu'enfin , depuis peu , l'on m'a donné carroſſe ;
L'homme obligeant , qui m'en fit don ,
A voulu qu'il portât mon nom ,
Pour que la race & préſente & future
Puifle au moins profiter d'une telle aventure.
Par la même.
JUILLET 17676 75
LOGOGRYPHE.
Air : Réveillez- vous , belle endormie.
JE ſuis objet déſagréable ,
Mais pas toujours en certains cas ,
Aux filles je parois aimable ,
L'amour donne à tout des appas.
Sans chef un être le préſente ,
Ah ! c'eſt le plus affreux de tous !
Quelquefois la femme méchante
L'a dans le coeur avec l'air doux.
Mon tout offre un frère homicide ,
Il fait voir un pays fameux ;
Un animal qui ſert de guide
l'être aveugle & malheureux.
Par M. B... à Montdidiera
Di
76 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
Air : Par-tout où règne le chagrin , &c.
PAARR des travaux multipliés ,
Qu'inſpire le Dieu du génie ,
Sous les traits les mieux variés
Sans ceffe on me diverfifie.
;
Sans trop m'exalter par ma voix ,
Chacun me donne ſon ſuffrage :
Le plus grand , le plus cher des Rois
Accepte même mon hommage.
En moi ſe trouvent réunis
Le beau , l'utile , l'agréable ;
L'ami des arts connoît le prix
Des biens dont on m'eſt redevable.
Tantôt , ſous des noms différens ,
Mon rang eſt dans la mécanique ;
Contre les plus fâcheux tourmens ,
Tantôt je ſuis un ſpécifique.
Quelquefois , c'eſt parmi les Dieux ;
Dans l'Olympe , qu'on me révère ;
Et quelquefois , du haut des cieux
Je lance mes feux ſur la terre.
Louis XV.

rre,Lesmortels sont ilsdes
mon verre Leurpouvoir est
+
lantsuit les bracesDe l'enjou
hus folatre, avec
les
+
ela beauté . L'oeil enchan.
Dans cet agréable se...
+
ageà sa mere,Noscoursy
JUILLET 1767.17
Si l'on fait la diviſion
Des ſept pieds qui forment mon être ,
Par une autre combinaiſon
On peut encor mieux me connoître.
D'une part s'offre un élément
Dont on redoute la furie ;
Après un triſte épuiſement ,
L'autre prolonge notre vie !
Mais fi le lecteur curieux
Veut dévoiler toute l'emblême ,
Il lui ſuffit d'ouvrir les yeux ,
Je ſuis au-devant de lui-même.
Par M. F **. N ** . à Amiens.
RONDEAU.
L'OLYMPE est- il fur laterre ?
Les mortels ſont- ils des Dieux ?
Leur nectar eſt dans mon verre
Leur pouvoir eſt dans vos yeux.
Le plaifir brillant ſuit les traces
De l'enjoûment , de la gaîté ;
Bacchus folâtre avec les Grâces
Dans l'empire de la beauté.
L'Olympe, &c,
Dij
MERCURE DE FRANCE.
L'oeil enchanté croit voir Cythère
Dans cet agréable ſéjour :
Et , pour rendre hommage à ſa mère
Nos coeurs y conduiſent l'amour.
L'Olympe , &c .
Les paroles de M. MANTELLE , Inspecteur à
L. R. M. de l'Académie de Rouen , &c . La
muſique de M. LE GROS , de l'Académie
Royale de Musique.
JUILLET 1767. 79
:
ARTICLE IL.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Le grand Vocabulaire François , contenant
1º. l'explication de chaque mot confidéré
dans ses diverſes acceptions grammaticales
, propres , figurées , fynonymes &
relatives. 2. Les loix de l'ortographe ;
celles de la profodie , ou prononciation ,
tant familière qu'oratoire ; les principes
généraux &particuliers de la grammaire ;
les règles de la versification , & généralement
tout ce qui a rapport à l'éloquence
&àla poésie. 3º . La géogrophie ancienne
& moderne ; le blason , ou l'art héraldique
; la mythologie ; l'histoire naturelle
des animaux , des plantes & des
minéraux ; l'exposé des dogmes de la
religion , & des faits principaux de l'his
toire facrée , ecclésiastique & profane.
4°. Des détails raisonnés & philofophiques
fur l'économie , le commerce ,
marine , la politique , la jurisprudence
civile canonique & bénéficiale ; l'anatomie
lamédecine, la chirurgie,la chymie ,
la
Div
MERCURE DE FRANCE.
la physique , les mathématiques , la musi
que , la peinture , lasculpture , la gravure
, l'architecture , &c . &c . par une
Société de Gens de Lettres : proposé
par ſouſcription. A Paris , chez PANCKOUCKE
, Libraire , rue & à côté de la
Comédie Françoise ; 1767 : avec approbation
& privilège du Roi ; in- 4° .
LEs dictionnaires ( diſent les auteurs
-dans le profpectus que nous allons rapporter
) font répandus en foule dans le
public ; nous en comptons plus de cent
dans notre langue : mais fi tous ont eu
l'utilité pour objet , il en eſt bien peu qui
aient atteint le bat. La plupart ne font
qu'une compilation informe de matières
accumulées ſans choix& fans ſtyle. Quelques-
uns portent , il est vrai , l'empreinte
du génie qui a préſidé à leur rédaction ;
mais aucun n'a encore embraſſé l'univerfalité
des objets dont chacun s'eſt occupé
ſéparément ; aucun ne parle de tous les
mots de la langue avec cette juſte étendue
qui, en ſauvant l'ennui d'une differtation
trop prolixe , offre pour chaque mot des
définitions claires & inſtructives , en expoſe
tous les ſens différens , en développe
toutes les acceptions , donne des règles
fûres pour laprononciation lente ou rapide
JUILLET 1767 . SE
:
des fyllabes , apprend , comme dit Boileau ,
la valeur d'un mot mis en ſa place , en
indique le choix , l'arrangement & les
nuances , foit pour l'énergie ou l'harmonie
du diſcours , foit pour la pureté du
langage.
Il nous manque donc un dictionnaire ,
où l'on trouve ainſi réuni tout ce que les
autres ont dit de curieux , d'intéreſlant &
d'utile , & qui offre de plus une méthode
nouvelle , & des obſervations propres à
:faciliter la bonne prononciation, &l'étude
de la langue. Ce ſeroit ſans doute bien
mériter des lettres que d'en donner un qui
pût tenir lieu de tous les autres , & qui
ſuppléât à toutes leurs omiffions . Tel eſt le
grand Vocabulaire François que nous annonçons.
Son titre feul fait voir d'un
coup-d'oeil fon univerfalité & fon utilité .
Avant d'en détailler le plan , nous allons
donner une notice & des obfervations fur
quelques-unsdes livres dont celui- ci pourroit
d'abord ne paroître que la copie ou
la répétition. Nous ne prétendons point
par-là élever le grand Vocabulaire François
au-deſſus des dictionnaires avec lefquels
nous allons le comparer ; nous voulons
ſeulement mettre tout lecteur à portée
de mieux juger & d'apprécier plus fûrement
l'ouvrage qu'on lui préſente , &
Dv
2 MERCURE DE FRANCE.
nous defirons fur-tout de convaincre le
public qu'on ne lui redonne pas précifément,
fous un titre nouveau , ce qu'il a
déja ſous des titres anciens.
Sans parler des dictionnaires particuliers
qui font reſtreints à une ſcience ou à
un art , & dont pluſieurs ne vaudroient
pas la peine d'être nommés , nous avons
dans notre langue , trois grands dictionnaires
connus : le dictionnaire de Trévoux
celui de l'Académie Françoise & l'Encyclopédie.
Les éditions du premier ſe ſont
fuccédées les unes aux autres avec la plus
grande rapidité ; il eſt dans preſque tous
les cabinets , & il eſt encore quelques gens
qui le confultent. Ce ſuccès général &
foutenu ſemble le mettre à l'abri de la
eritique : qu'on nous permette cependant
de dire ici , fans amertume , ce que nous
penfons de ce livre ſi répandu.
Quand le dictionnaire de Trévoux parur,
la nation l'accueillir fans doute à cauſe
de l'univerſalité qu'il paroiſſoit embraſfer ..
Son titre fit ſa vogue & fa fortune. On
le crut dictionnaire universel ; & il ne l'étoit
pas , comme il ne l'eſt pas encore ,
après les corrections & les augmentations
confidérables , & fouvent peu judicieuſes ,
qui ſe trouvent dans la huitième & dermière
édition. Nous avons un grand nom
JUILLET 1767. 83
brede mots connus dont il ne fait aucune
mention. Les mots qui ont rapport aux
ſciences , & fur-tout aux arts & aux métiers
, ne font ni clairement définis , ni
fuffiſaminent développés . L'hiſtoire , de
l'aveu même des éditeurs , y eſt totalement
négligée ; on n'y parle d'aucun de
ces faits qui piquent la curioſité , ou qui
inſtruifent fur les moeurs des différens
fiècles ; on n'y fait connoître aucun de
ces hommes fameux qui ont bien mérité
des lettres ou de la patrie , ou dont les
vices & les paffions ont été funeſtes aux
Empires & à l'humanité. Comment la
géographie y eft- elle traitée ? C'eſt ſouvent
une differtation faftidieuſe ſur l'étymologie
du nom d'un hameau , tandis
que l'on n'y dit rien d'une ville confidérable
, ſituée dans le voisinage. On n'y
fait preſque jamais connoître les moeurs ,
la religion , les loix , le commerce des
peuples , ni les productions des pays qu'ils
habirent, quoique toutes ces choſes entrent
effentiellement dans la définition de certains
articles de géographie. L'hiſtoire naturellede
l'homme, celle des animaux , &
particulièrement la connoifance , l'uſage:
& la vertu des plantes & des minéraux ,
doivent être traités avec foin dans un
dictionnaire qui s'atroge le titre d'univer
Dvj
$4 MERCURE DE FRANCE.
:
:
fel. Celui de Trévoux n'a fur ces matières
intéreſſantes qu'une nomenclature incomplette
: en le comparant fur ce point avec
le grand Vocatulaire François , on pourra
juger de ſes omiffions .
Un dictionnaire univerſel devroit être
un code de littérature & de belles- lettres ;
celui de Trévoux , plus occupé à copier les
phraſes de nos bons auteurs , qu'à recueil-
Iir & à expofer les principes & les préceptesde
la nature &de l'art , n'enſeigne preſque
rien fur des objets ſi intéreſſans : c'eſt ce
qu'on remarquera à tous les articles qui
ont rapport à l'éloquence , à la poéſie , &
aux différens ſtyles qu'exigent les differens
genres d'écrire. On n'y trouve aucune
règle pour la bonne prononciation , ni
pour la quantité profodique des ſyllabes :
se point étoit cependant effentiel dans un
livre fait pour apprendre l'uſage de la
langue ,& pour montrer l'emploi des mots
qui la compoſent. Cette ſeule omiffion
doit être une fource d'erreurs pour les
étrangers , & pour la plupart des nationaux
qui , n'étant point à portée de connoître
les loix ou les caprices de l'uſage , prononcent
les mots comme ils les trouvent
écrits. Ce dictionnaire , dit univerſel ,
n'indique point les nuances fines & délicates
qui différencient un même mot placé
JUILLET 1767 .
:
différemment , ou pluſieurs mots erus fynonymes
. On n'y voit point cette gradation
philofophique qui fait appercevoir
d'un coup- d'oeil l'origine , la filiation , les
fens différens, la vraie valeur ,&le meilleur
emploi d'un mot pris ſéparément ou réuni
avec d'autres. On n'y dit que très-peu de
choſes ſur le régime des verbes , fur la
manière de conjuguet ceux qui font irnéguliers
, & fur quantité d'autres détails de
grammaire , dont la connoiſſance eſt indifpenſable
pour écrire & pour parler avec
pureté.
Outre tant d'omiſſions , on peut encore
feplaindre avec fondementde l'ambiguité,
de l'obſcurité même , & fur- tout de l'infuffifance
& de l'inexactitude de la plupart
des définitions. Le principal& le ſeul mérite
de ce livre , ſi ce n'est pas un vice ,
eſt d'avoir accumulé une foule d'exemples
tirés d'auteurs connus : mais ces exemples
ainſi entaflés fatiguent bien plus le lecteur
qu'ils ne l'inſtruiſent ; & , comme le remarque
très - bien l'Académie Françoiſe
dans ſon dictionnaire , des phrafes compoſées
exprès pour rendre ſenſible toute
l'énergie d'un mot , & pour marquer de
quelle manière il veut être employé , donnent
une idée plus nette & plus préciſe
de la juſte étendue de ſa fignification , que
$6 MERCURE DE FRANCE.
des phraſes tirées de nos bons auteurs , qui
n'ont pas eu ordinairement de pareilles
vues en écrivant. Ce font tous ces défauts
du dictionnaire de Trévoux , qui ont fait
naître l'idée du grand Vocabulaire Fran
çois .
Le dictionnaire de l'Académie Françoife
digne à tous égards de la réputation des
hommes célèbres qui y ont travaillé , n'eſt
point un dictionnaire univerſel. Il ne s'y
trouve aucun nom propre , & il y en a
beaucoup de négligés qui ont rapport à la
médecine , à l'anatomie , à la botanique ,
à la chymie , à la marine , au commerce, &c.
On n'y parle ni d'hiſtoire ni de géographie
; on n'y donne aucun enſeignement
fur la littérature , ſur les ſciences , les arts
& métiers ; on n'y expoſe point les fignifications
relatives , & les nuances de certains
mots appellés ſynonymes ; on n'y
trouve point de règles détaillées fur la
grammaire , fur la prononciation , & fur
la quantité profodique des fyllabes. Son
unique objet eft de fixer & de déterminer
le vrai ſens & la vraie fignification des
mots de la langue les plus uſités. Ses définitions
font juſtes , claires , courtes & préeiſes;
&nous publions avec reconnoiffance
les ſecours que nous avons trouvés dans ce
livre fi eftimable. Le plan du grand Vota
JUILLET 1767. 87
bulaire a été préſenté à l'Académie Françoiſe
, & pluſieurs de ſes Membres ont
encouragé les auteurs à l'exécuter.
L'Encyclopédie , comme fon titre l'annonce
, eſt un dictionnaire raiſonné des
fciences , des arts & des métiers. Cette
collection immenſe , à laquelle des mains
habiles ont imprimé le ſceau de la célébrité
, renferme des differtations ſavantes
& très- détaillées , des traités approfondis ,
des vues neuves & philoſophiques : ce qui
concerne la partie mathématique y eft expoſé
avec cette méthode claire , préciſe&
lumineuſe qui annonce le génie de fon
auteur , & qui caractériſe ſes eſtimables
écrits.
Malgré cet amas de connoiſſances utiles
que renferme l'Encyclopédie , ce livre , à
en juger par fon exécution , ne paroît pas
avoir été fait en vue de tenir lieu de
tous les autres dictionnaires. Les faits.
hiſtoriques n'y font pas rapportés ; la géographie
n'y eſt , pour ainſi dire , qu'indiquée
; on n'y fait connoître que la fituation
d'un lieu , ſans parler de la nature du
fol , des moeurs , des loix & des uſages des
nations. L'Encyclopédie n'entreprend pas
même de définir tous les mots de la langue
françoiſe ; ce quirend ſa nomenclature
beaucoup moins complette que celle du
38 MERCURE DE FRANCE.
grand Vocabulaire : un très grand nombre
de termes uſités y font ou totalement omis ,
ou bienon ne les définit que ſous certains
rapports ; il ne s'y trouve fur- tout que la
moindre partie des verbes & des adjectifs .
On peut regarder l'Encyclopédie comme
un grand amas de très - bons matériaux
propres à conftruire. Tout lecteur y trouve ,
pour ainſi dire , fous ſa main , les dépouilles
de preſque tous les génies créateurs ; mais
les étrangers & les nationaux n'y apprendront
jamais , ni la ſignification de tous
les mots françois , ni toutes les nuances
d'un même mot , ni la manière de parler
purement , & de prononcer correctement.
Il eſt à préſumer que tous ces détails de
grammaire n'entroient point dans le plan
d'un ouvrage , où l'on s'eſt particulièrement
attaché à raſſembler les connoiffances qui
pouvoient le plus contribuer aux progrès
de la raiſon : l'Encyclopédie d'ailleurs n'eſt
point entre les mains de tout le monde ;
-&il est très-peu de particuliers qui foient
en état de fe procurer une collection fi
confidérable,
Par la comparaiſon que l'on pourra faire
de quelques articles du grand Vocabulaire
François avec ceux de l'Encyclopédie , on
s'appercevra que , ſans être ni plagiaires , ni
préciſémentimitateurs, nous avons ſounous
JUILLET 1767. 89
approprier quelques - unes des richeſſes de
cettemine abondante. Nous avouons hautement
que dans le cours de notre travail ,
nous avions tous les dictionnaires ſous les
yeux , & que , fans en copier aucun , nous
avons profité de tout ce qu'ils contenoient
d'intéreſſant. Le plan détaillé que nous
allons tracer , mettra tout lecteur à portée
de connoître plus particulièrement notre
ouvrage , & de voir ce qui le diſtingue de
tous les livres que nous avons en ce genre.
Le grand Vocabulaire François renferme
généralement tous les mots uſités de la
langue françoiſe , & la plupart de ceux du
vieux langage. Chaque mot y eſt d'abord
ſuivide fon qualificatif , de ſa ſignification
latine , & même de fon étymologie , lorfque
celle- ci mérite la peine d'être indiquée.
On preſente enſuite le mot ſous tous les
ſens différens , & avec toutes les acceptions
diverſes dont il peut être ſuſceptible . On
donne , pour tous les ſens , une définition
courte & préciſe , fuivie d'exemples relatifs
au ſens expliqué , & une expofition plus
détaillée , lorſque la matière le demande.
Outre le ſens propre & le ſens figuré ,
nous diftinguons , avec M. d'Alembert ,
dans la plupart des mots , un troiſième
ſens , qu'il appelle le ſens par extenfion ,
lequel tient le milieu entre le ſens propre
9. MERCURE DE FRANCE.
& le ſens figuré ; ainſi , dit ce célèbro
Académicien , quand nous diſons l'éclat
de la lumière , l'éclat du fon , l'éclat de la
vertu : dans la première phraſe , le mot
éclat eſt pris dans le ſens propre & primitif
Dans la feconde phrafe , le mot éclat eft
tranſporté par extenſion de la lumière au
bruit, du ſens de la vue auquel il eſt propre
, au ſens de l'ouie auquel il n'appartient
qu'improprement. On ne doit pourtant
pas dire que cette expreſſion , l'éclat
dufon , foit figurée , parce que les expreffions
figurées ſont proprement l'application
qu'on fait à un objet intellectuel d'un mor
deſtinéà exprimer un objet ſenſible, comme
on peut le voir dans la troiſième phrafe ,
où éclat eſt pris dans un ſens figuré.
Le ſens propre des mots , dit toujours
M. d'Alembert , à qui nous devons cette
manière ſi philofophique de les enviſager ,
a un uſage fixe , déterminé , unique ; enforte
qu'il n'y a jamais qu'une feule eſpèce de
phraſe où l'on puiffe employer ce fens
propre , au lieu que le ſens par extenfion ,
&le ſens figuré , peuvent avoir différentes
acceptions , différentes nuances , ſe diverfifier
plus ou moins dans ces nuances &
ces acceptions , & par conféquent entrer
dans différentes fortes de phraſes. Pour
diftinguer ces nuances & ces acceptions ,
JUILLET 1767. 9I
hous commençons,comme l'enſeigne l'illuſ
tre auteur dont nouscopions ici les expreffions
, par définir les mots dans leur fens
propre le plus reſtreint& le plus rigoureux;
nous parcourons enfuite par degrés toutes
les nuances que ce premier ſens a produites
-pour exprimer d'autres idées : par-là on
rapporte toutes ces différentes acceptions
àunpremier ſens propre & primitif , &
l'on voit cominent ce ſens primitif s'eſt
enquelque forte dénaturé par des nuances
& des gradations ſucceſſives.
C'eſt ainſi que nous avons tâché de réalifer
, pour cette partie de la grammaire , le
dictionnaire dont M. d'Alembert a tracé
leplan dans ſes élémens de philofophie ,
&dont il defiroit l'exécution. Il a bien
voulu nous permettre de nous approprier
là-deſſus ſes idées ; il nous a même aidé
de fes conſeils ; & fi nous avons bien ſaiſi
ſon plan , l'ouvrage , comme il le dit luimême
, ne peut manquer d'être très-philofophique
& très-utile.
:
Après cette expoſition & cette explication
de tout les ſens d'un mot , on le
compare avec les mots qui peuvent lui
être ſynonymes , & l'on s'attache à développer
toutes les nuances qui différencient
les uns des autres. Les ſynonymes de M.
l'Abbé Girard nous ont fervi de guide &
MERCURE DE FRANCE.
de modèle : on doit ſentir combien de
telles obſervations peuvent contribuer à la
pureté & à l'énergie du ſtyle.
Si le mot eſt un adjectif , on dit s'il
doit précéder ou ſuivre ſon ſubſtantif ,
felon les règles du goût & de l'uſage. Si
c'eſt un verbe , on indique la manière de
le conjuguer ; on le conjugue s'il eſt irrégulier
; on affigne fon régime ſimple &
fon régime compoſé ; on enſeigne quels
auxiliaires forment les temps compoſés des
verbes neutres ; & lorſque deux verbes ſe
fuivent dans une phrafe , on apprend comment
on doit les lier & les unir , pour he
pas pécher contre la langue.
L'exacte prononciation des mots eſt ſi
eſſentielle à l'agrément d'une langue , &
fur-tour à fon harmonie , qu'on doit être
étonné da filence de nos dictionnaires fur
une partie fi importante : il n'eſt pas indifférent
de prononcer telle ou telle ſyllabe
avec rapidité ou avec lenteur . Toutes nos
fyllabes , comme l'a très - bien remarqué
M. l'Abbé d'Olivet , font ou longues ou
brèves , ou très-brèves ou moyennes. Le
grand Vocabulaire François offre fur cer
objet , & à la ſuite de chaque mot , des
règles détaillées qui , combinées d'après le
phyſique du mot , & d'après l'uſage reçu ,
donnent la quantité proſodique de toutes
JUILLET 1767. 93
les fyllabes , & apprennent à les prononcer
correctement.
L'ortographe eſt encore parmi nous une
fource continuelle d'erreurs & de mépriſes
fur la prononciation. Il feroit naturel de
parler comme on écrit , puiſque l'écriture
n'a été inſtituée que pour être l'image de
la parole : le même ſon devroit être marqué
par lesmêmes lettres ; mais à comparer
la langue écrite avec la langue parlée , on
ſeroit ſouvent tenté de croire que ce font
deux langues tout--à fait différentes , tant
eſt grande la bizarrerie de notre orthographe.
Ces bizarreries trop fréquentes multiplient
les obſtacles qui s'oppoſent aux
progrès de notre langue parmi les étrangers
, & même parmi les nationaux : la
méthode ſuivie dans le grand Vocabulaire
doitfaire ceffer ces obſtacles. Pour ne point
choquer les zélés partiſans de l'étymologie,&
ne rebuter perſonne par une orthographe
nouvelle , nous écrivons les mots
tels qu'ils font écrits dans le dictionnaire
de l'Académie Françoiſe ; nousdiſons comment
le mot ſe prononce , nous l'écrivons
enfuite d'après la prononciation , & nous
propoſons les changemens qu'il conviendroit
de faire pour ramener l'écriture à fon
inſtitution primitive.
Les ſyllabes finales ſe prononcent dif94
MERCURE DE FRANCE.
féremment , ſelon qu'elles rencontrent une
voyelle ou une conſonne ; les unes ſe font
ſentir dans le diſcours foutenu , & deviennent
muettes en conversation ; d'autres ſe
font fentir également dans l'une & l'autre
circonstance ; nous avons des expreffions
qui font diphtongues en profe , & qui
forment deux fyllabes en poéſie : le grand
Vocabulaire fait ces obſervations ſur tous
les mots qui en ſont ſuſceptibles.
On n'a fur- tout rien épargné pour rendre
l'ouvrage intéreſſant du côté des objets
qu'embraſſe la littérature : on peut même
le regarder comme un code très-détaillé
&très- complet dans ce genre. Tout ce qui
concerne l'éloquence , la poéſie , la mythologie
, &c. y eſt traité avec une juſte étendue
, d'après les maîtres de l'art , & les
modèles qu'ils nous ont laiſſes : on s'eſt
particulièrement attaché dans cette partie ,
àdonner des remarques de goût , & à joindre
par- tout l'agréable à l'utile.
Nous croyons n'avoir rien laiſſé à deſirer
ſur la géographie , tant ancienne que moderne.
On a confulté , pour cet objet , les
meilleurs géographes , les voyageurs les
plus eſtimés , les cartes les plus connues &
les plus exactes . On trouvera fur les quatre
parties du monde , ſur les empires , les
royaunies , les provinces , les villes.& les
JUILLET 1767. 95
Tieux remarquables , des obſervations curieuſes
& inſtructives. On fait connoître
la nature & les productions du climat, les
moeurs & les uſages d'une nation ; fes
forces, ſon commerce , ſa religion , ſa politique
& fes loix ; les cauſes de ſon aggrandiſſement
, de ſa foibleſſe ou de ſa chûte.
Ce n'eſt pas dans un dictionnaire qu'on
peut faifir cette chaîne de cauſes & d'événemensque
préſente l'hiſtoire ſacrée, eccléſiaſtique
ou profane: mais il eſt des traits
frappans , des faits curieux & intéreſſans
qui forment époque dans un ſiècle ; il y a
des noms d'hommes fameux , connus par
leurs vertus ou leurs vices , leurs talens ou
leurs travaux ; & ce ſont ces traits , ces
faits& ces noms que nous avons recueillis
avec foin.
1
Sous chaque mot qui peut avoir trait à
P'hiſtoire naturelle de l'homme &des animaux
, nous donnons les deſcriptions &
les explications des plus célèbres naturaliftes
: M. deBuffon eſt ſouvent notre guide.
Qui , mieux que lui , a ſu réunir à la vaſte
étendue des recherches les plus profondes ,
l'énergie & l'aménité d'un ſtyle toujours
harmonieux & éloquent? On trouvera de
même la deſcription , les vertus , &l'uſage:
des plantes & des minéraux.
La définition & l'explication de tous les
$ 6 MERCURE DE FRANCE.
termes qui ont rapport aux ſciences , aux
arts & aux métiers , entrant néceſſairement
dans le plan du grand Vocabulaire , on a
tâché d'éviter également , & la ſéchereffe
d'une expofition trop fuccinte , & la prolixité
d'une differtation trop chargée.
Dans les objets qui ont rapport à la
théologie , on s'eſt fait un point capital
de ne s'écarter en rien de la doctrine de
l'égliſe. On a cru pouvoir ſe diſpenſer
d'entrer dans les diſcuſſions de l'école ;
on expoſe avec ſimplicité & avec exactitude
les dogmes & les vérités de la religion
révélée ; on rapporte tout ce qui eſt fondé
fur l'écriture , la tradition & les décrets
des conciles oecuméniques. On parle auſſi
des héréſies qui ont ſi ſouvent déchiré le
ſein de l'égliſe , & qui , en troublant la
tranquillitédes Empires , ont excité le feu
de la ſédition & de la révolte.
La philofophie enſeigne tout ce qui tend
à exercer la raiſon & à la perfectionner. La
logique apprend à penſer , à juger & à raifonner.
La métaphyſique traite , 1º. de
l'exiſtence de Dieu , de ſon eſſence , de
ſes attributs , de ſa providence , &c. 2º,
Elle traite de l'âme , de ſon eſſence , de
ſes facultés , &c. La morale apprend ce
que nous devons à Dieu , ce que nous
devons aux hommes avec qui nous vivons ,
&
f
JUILLET 1767 . 87
*ceque nous nous devons à nous-mêmes;
& c'eſt ſous ces points de vue que nous
avonspréſenté les articles qui font du reffort
de la philofophie.
Dans les matières de phyſique nous nous
contentons d'indiquer certaines cauſes que
l'on croit communément les plus vraies ,
ou les plus vraiſemblables. Nous en détaillons
plus ou moins les effets , ſelon que
les objets nous ont paru plus ou moins
utiles, Dans tout ce qui concerne les mathématiques
, nous nous ſommes ſpéciale.
ment attachés à mettre ces objets abſtraits
à la portée de tout le monde , en donnant
des définitions & des explications faciles
à ſaiſir par ceux mêmes , qui ne font point
verſés dans ces ſciences épineuſes, Les
mémoires de l'Académie des Sciences que
nous avons allidumentconſultés , ont fourni
la plupart des matériaux employés dans les
articles de phyſique & de mathématiques ,
pour y jetter plus d'intérêt & plus d'utilité,
Tout ce qui regarde le droit civil &
canonique , le droit Romain & le droit
François , y eſt traité d'après nos plus habiles
jurifconfultes & canoniſtes , d'après les
édits de nos Rois , les arrêts des Cours
ſouveraines , & les différentes coutumes
du royaume.
Nous avons développé , avec la plus
Vol. I. E
88 MERCURE DE FRANCE.
ſcrupuleuſe attention , les objets qui ont
rapport à la ſanté des hommes , tels que la
médecine , la chirurgie , l'anatomie , &c.
Nous diſons les ſignes diagnoſtiques , &
les pronoſtics des maladies ; & nous en
indiquons les cures d'après les médecins
les plus célèbres.
Nous n'avons point oublié la médecine
vétérinaire , dont la connoiffance eſt un
objet fi importantd'économie. Nous avons,
en la traitant , fait un uſage particulier des
ouvrages de M. Bourgelat , qui a répandu
tant de lumières ſur cette partie.
Nous ne nous étendrons point ici fur la
méthode que nous avons ſuivie dans les
autres parties de notre ouvrage ; on pourra
mieux en juger par la lecture même du
grand Vocabulaire.
D'après ces obſervations , ileſt facilede
voir en quoi le grand Vocabulaire diffère
des dictionnaires dont nous avons parlé.
Il renferme lui ſeul la totalité des mots
qui ſe trouventdans tous les autres dictionnaires
, ſoit généraux , ſoit particuliers. II
dit fur chaque mot tout ce que les uns&
les autres ont d'intéreſſant ; & il y ajoute
une méthode nouvelle & des règles füres
pour perfectionner la prononciation , &
apprendre la manière d'écrire avec plus
de correction & d'énergie. Sans être ni
*
JUILLET 1767 . 89
auſſi vaſte que l'Encyclopédie , ni plus
étendu que le dictionnaire de Trévoux ,
il évite les défauts de ce dernier , & fupplée
aux omiffions de l'un & de l'autre.
Pour achever de donner du grand Vocabulaire
François l'idée avantageuſe que
nos lecteurs doivent en avoir conçue fur
cette annonce , nous ajouterons ici l'approbation
du Cenſeur Royal , qui s'exprime
ainſi : « Le titre modeſte de cet ouvrage
>>> tient plus qu'il ne promet. Les auteurs
>> ont ſu renfermer dans un juſte eſpace tout
>> ce que la grammaire , la géographie ,
>> l'hiſtoire , la mythologie , les ſciences&
>>les arts ontdeplusexact, de plus curieux
>&de plus intéreſſant. Cet ouvrage eſt
„ faitdemanière àmériter un accueil favo-
>> rable : il me ſemble qu'on n'en peut deſi-
>> rer la ſuite avec trop d'empreſſement » .
Le grand Vocabulaire François ſera compoſé
de dix-huit à vingt volumes in-4 ° ,
dont chacun contiendra au moins fix cents
pages. Le prix du volume relié ſera de
douze livres , & de dix livres en feuilles.
On délivrera gratis aux ſouſcripteurs , le
cinquième , le dixième , le quinzième &
le dernier volume. Les ſouſcriptions ne
ſeront reçues que juſqu'au premier ſepte mbre,
& l'on n'en recevra que fix cents. La
conditionde la ſouſcription eſt ſimplement
E ij
9. MERCURE DE FRANCE.
de s'obliger à prendre l'exemplaire , & d'en
payer les volumes en les recevant.
Il ſera aiſé d'appercevoir , par le premier
volume qui eſt en vente , qu'avec les
parties qui font propres au grand Vocabulaire
François, & qui n'exiſtent dans aucun
autre livre , ou aura pour une ſomme madique
d'environ deux cents francs , la fubftance
épurée & utile, non-feulement de tous
les dictionnaires qui ont paru juſqu'ici ,
mais encore des ouvrages qui ont ſervi à
les compoſer , tandis que ces dictionnaires
ſeuls , achetés en détail, coûteroient plus
de deux mille écus,
Comme le nanufcrit eſt fort avancé ,
on publiera au moins quatre volumes par
année.
JUILLET 1767. 91
CLARY , ou le Retour à la vertu récom
pensé , histoire angloiſe in - 8 ° ; par M.
D'ARNAUD , Conseiller d' Ambaſſade de
la Cour de Saxe , des Académies , & c .
A Paris , chez LESCLAPART , Libraire ,
quai de Gêvres , & la veuve DUCHESNE,
rue Saint Jacques : enrichie d'eſtampes ;
1767 : -in- 8 °. prix 36 fols.
a ILL n'y riende plus fimple & en même
temps d'aufli intéreſſant & d'auſſi dramatique
, que cette nouvelle production de M.
d'Arnaud. Le Baronnet Borſton , né avec
un coeur ſenſible & prompt à s'enflammer ,
avoit été la victime d'une paſſion malheureuſe
; il s'étoit retiré à la campagne avec
le Lord Dorfet ; le ſpectacle de la nature
leur offroit des diffipations & des occupations
effentielles pour les homines qui ſavent
réfléchir. Unjour , dans une promenade
, le hafard les conduit à une ferme ,
où ils trouvent cette hoſpitalité reſpectable ,
dont on ne connoît preſque plus que le
noun ; dans le voiſinage de la ferme ils
rencontrent une jeune fille , aſſiſe auprès
d'une fontaine , qui gardoit des moutons ;
E iij
92 MERCURE DE FRANCE.
elle lifoit ; & à leur approche elle ferra ſon
livre avec précipitation. Le Baronnet ne
peut voir Clary , c'eſt le nom de cette
bergère , ſans l'aimer avec violence ; les
difcours qu'elle lui tint lui firent fentir
qu'elle étoit née au- deſſus de l'état dans
lequel il la trouvoit. Le lendemain il ne
manque pas de chercher Clary ; il la retrouve
dans le même endroit ; le livre
qu'elle liſoit étoit Clarice. Il ne peut s'empêcher
de lui déclarer les fentimens qu'elle
lui a inſpirés. C'eſt ainſi qu'elle lui répond
après plusieurs converſations. « Il feroit
>> inutile , Monfieur , de vous diffimuler
>>que je ferois fenfible, ſi je pouvois l'être ,
» à cette tendreſſe dont vous m'honorez ;
>> j'aime à croire que l'eſtime & l'honnêteté
>> ont excité cet amour qui me flatte ; une
e
âme , qui s'annonce comme la vôtre ,
» ne fauroit avoir d'autres ſentimens.
>>>Mais, Monfieur, oubliez moi ; puiflé-je
vous oublier ! Il ne m'eſt pas permis
>>d'être à vous , à perfonne ... Laiffez-moi
>> toute entière à cette douleur qui me fui-
>> vra juſqu'au tombeau ; & fi j'ai mérité
>>quelque égard de vous , ne vous obſtinez
>> pas àvous éclairer fur le fort d'une infor-
>>tunée que vous humilieriez , pourfuivit-
>>>elle , avec un torrent de larmes , ſi vous
>> ſaviez tous ſes chagrins. » Le Baronner
(
JUILLET 1767. 93
voudroit les connoître pour la conſoler ,
pour réparer ſes malheurs ; Clary le conjure
de ne pas la preſſer de lui apprendre
ce qui la fait ſouffrir ; il ſe détermine à
ne plus lui parler de ſon amour , parce
qu'il voit qu'il l'afflige : c'eſt avec des
efforts violens qu'il y parvient ; mais cette
contrainte qui l'accable altère ſa ſanté ; il
tombe malade ; Clary vient le voir , &
pour le guérir s'il eſt poſſible , lui apprend
les ſecrets qu'elle vouloit lui cacher. Elle
eſt née d'un laboureur pauvre , mais honnête
; elle faifoit l'eſpérance & la confolation
de ſon père & de ſa mère ; elle
étoit née avec de la beauté : le Lord Mevil,
amené par le hafard dans le canton , la vit
&l'aima : il cachoit ſous le plus bel extérieur
l'âme d'un ſcélérat ; il avoit toutes
les grâces qui font faites pour réuſſir auprès
du ſexe ; Clary répondit à ſa tendreſſe.
Elle luidonne unrendez-vous , dans lequel
il la détermine à le ſuivre à Londres. Le
jour choiſi pour ce départ effraye Clary ;
l'honneur , la vertu , le devoir ſe repréſentent
à ſes yeux ; elle regarde ſon père &
ſamère dans le ſein deſquels elle va porter
le poignard ; elle s'évanouit ; le Lord profite
de ce moment pour la faire enlever
par fes gens ; il la conduit à Londres ;
elleyvitdanslesplaiſirs, reſſentantquelque
E iv
94 MERCURE DE FRANCE.
ود Lord,
fois le regret d'avoir désolé ſes parens ;
le fracas du monde détruiſoit bientôt ces
mouvemens. Un jour le Lord la conduit
au ſpectacle ; on jouoit une pièce nouvelle.
« Dans une des ſcènes de cedrame , paroît
» un vieillard en cheveux blancs , un
>> hoyau à la main , l'image de la pauvreté
>> reſpectable , qui dit à une jeune perſonne
>> parée& couverte de diamans : ah , ma
» fille , je vous vois des richefſſes ! où font
» vos vertus ? Je m'écrie : ah , mon père !
»& je m'évanouis. On m'a rapporté que
>> ce cri frappa tous les ſpectateurs. J'ouvre
lesyeux , je me trouve à l'hôteldu
>> environnée de quelques- uns de ſes amis ,
»qui s'efforçoient de me rappeller à la
» vie ; je m'échappe de leurs bras , je vais
>> tomber échevelée & mourante aux pieds
» de Mevil. Mylord , lui dis-je , toute en
>> larmes , je viens d'entendre au théâtre
>> mon arrêt & mon devoir. Ayez pitié
>> d'une malheureuſe fille dont vous avez
>>égaré les premiers pas. Pour prix de mon
>> amour je vous demande la réparation de
>>m>onhonneur ; que je puiſſe revoir mes
>> parens , foutenir leurs regards , m'hono-
>> rer encore de leurs pauvreté ! ... Que
>> j'aille me cacher & mourir avec le nom
>de votre femme dans leur chaumière ;
• dans cette chaumière où je retrouverai
JUILLET 1767. 95
mon berceau qui m'a vue vertueuſe... in-
>>nocente... Mevil, ce ne font ni votre rang
>>>ni vos biens que j'implore de votre géné-
>> rofité, de votre humanité , c'eſt , je le ré-
>> péte, le nom, le ſeulnomde votre épouſe.
>> Vous n'avez point à rougir de moi ,
>>>ajoutai-je , en lui embraſſant les genoux ;
>>qu'aveccenomj'aie la confolarionde pleu-
> rer un jour , un ſeul jour , dans le ſein
» de mon père & de ma mère , & enſuite
>>>enfeveliffez -moi dans quelque demeure
>> obfcure ; jettez - moi dans un cachot ,
>>>déchirez mon ſein , donnez moi lamort ,
je vous bénirai. Songez , Mylord , que
>> c'eſt la promefſſe de me reconnoître pour
>> votre femme qui m'a ſéduite , qui m'a
>perdue. Voudriez vous abuſer de la foi-
>>bleſſe d'une infortunée , qui n'a fur la
>> terre de protecteur que vous ? » Mevil
n'eſt point touché. Clary s'échappe de
cette maiſon où l'on veut la retenir malgré
elle: en fortant elle rencontre le Chapelain
du Lord ; efle intéreſſe ſa religion à ſauver
ſon innocence ; le Chapelain la conduit
dans ſa maiſon , & oubliant ce qu'il doit
à cette infortunée , ce qu'il ſe doit à luimême
, oſe tenter ſa vertu , employer la
violence : Clary appelle à ſon ſecours ; un
jeune Officier vient la délivrer ; il la refpecte
, la conduit à la campagne auprès de
Ev
MERCURE DE FRANCE.
Lady Brown fa mère ; après qu'elle ya
paſſe quelque temps pour ne pas tetomber
entre les mains de Mevil qui , fans doute
faifoit des perquifitions pour la retrouver ,
il la mène dans fon village : en la quittant
il lui apprend qu'ill'aime , maisque comme
fa mère avoit des vues pour une alliance
qu'elle fouhaitoit , ilrenonce à elle & s'en
fépare pour jamais. Clary ne trouve plus
fes parens dans le lieu de ſa naiſſance ; ne
fachant où les chercher , s'accufant de leurs
malheurs , elle eſt entrée dans la ferme où
Le Baron l'a vue..
Elle le quitte après l'avoir inſtruit ; ces
fumières ne font pas l'effet qu'elle avoir
craint& fouhaité en même temps. Borston
admire Clary ; fon retour à la vertu efface
fes premières foibleſſes ; elle le fuit, quitte
le pays . Borſton la cherche , la retrouve
dans les bras de ſes reſpectables parens,
& fe détermine à l'époufer : il écrit au
Chevalier tout ce qui s'eſt paffé , & le
confulte fur ce qu'il doit faire. « Epoufer
» Clary, mon ami , lui répond le Cheva-
>> lier ; faire ce qu'un être au-deffus de
>> l'eſpèce humaine feroit à ta place ; ren-
>>dre à cette infortunée tout fon honneur
» en la couvrant du tien. Puiſque tu es
>>affuré qu'elle t'aime , qu'elle pleure fin-
>> cèrement ſes fautes , qu'elle ne cherche
JUILLET 1767. 97
pas à te tromper , il faut la récompenfer
> de fon courage à s'être arrachée au vice
» dans un âge où elle pouvoit lui prêter
> des charmes. Crois-moi , Clary eſt une
> véritable honnête femme ; ſon âme n'a
» jamais été fouillée ; c'eſt ſur le perfide
» qui a féduit ſon innocence , que doit
>> retomber le mépris public. Voilà la
créature réellement puniſſable & livrée
àl'opprobre éternel. Tu parles de t'enfevelir
avec ta femme & tes nouveaux
>> parens à la camppgne ; prends y garde ;
crois-tu faire une mauvaiſe action ? Ta
>>domptes le préjugé , tu le foules aux
> pieds ; viens donc l'infulter à Londres ,
>& montrer ton âme fublime dans tour
>> ſon éclat ; viens apprendre aux hommes
qu'on fait s'élever au- deſſus d'eux en
» s'éloignant de leurs routes communes &&
>> battues par l'ignorance & l'imbécillité ".
Nous nous fomnes étendus avec plaifir
fur cette hiſtoire , qui étoit fufceptible
d'un extrait plus détaillé : nous voudrions
pouvoir citer toute la lettre du Chevalier
Digby , elle eſt pleine de force & de raifonnement
; c'eſt cette philoſophie vraie
qu'enſeigne l'humanité qui l'a dictée : elle
termine , on ne peut pas mieux , cette
hiſtoire pleine de chaleur &de fentiment.
Cet ouvrage eſt abſolument différent des
EEvvij
98 MERCURE DE FRANCE.
autres que M. d'Arnaud vient de nous
donner ; il montre combien il fait varier
fon ton & fa manière. On ne fauroit affez
admirer l'art avec lequel Clary eſt rendue
intéreſſante au milieu de ſes foibleſſes.
On voit une âme tendre , naïve , née pour
la vertu , que l'amour égare & qu'un vrai
repentir ramène. Nous obſerverons que ces
divers morceaux font autant de drames où
tous les ſecretsde l'art ſont développés. Riern
de ſi théâtral & fi déchitant fur- tout que la
ſituation qui ſe trouve à la fin de Clary; elle
ſera ſuivied'autres productions en ce genre ,
annoncées dans le catalogue ; ce qui formera
une collection des plus intéreſſantes ,
& néceſſaire principalement aux jeunes
auteurs qui ſe livrent à l'étude du théâtre ,
&qui veulent connoître le jeu & les effets
despaffions.
JUILLET وو . 1767
TRAITÉ des prêts de commerce , ou de
L'intérêt légitime & illégitime de l'argent ;
Docteur de la Faculté
:
par M. •
de Théologie de Paris : nouvelle édition
augmentée . A Amſterdam , &fe vend à
Paris, chez VINCENT, Imprimeur-Libraire
; 1767 : quatre volumes in- 12.
Nous ne connoiffons point de livres
plus utiles que celui- ci, ni dont l'uſage
puiſſe être plus univerſel , plus pratique ,
plus journalier , ni plus commode pour
tous ceux qui ont de l'argent à prêter ou
à emprunter , à placer ou à recevoir , à
négocier enfin & à faire valoir fans crime ,
ſans injustice , fans honte & fans riſque ,
foitdans lecommerce , foit dans la banque ,
foit dans les fermes générales , foit dans
les affaires particulières. La Bruyere diſoit :
« il y a depuis long-temps dans le monde
» une manière de faire valoir fon bien ,
>> qui continue toujours d'être pratiquée
>> par d'honnêtes gens , & d'être condam-
>>née par d'habiles Docteurs ». C'eſt un
de ces traits bifares que le Théophrafte
François avoit remarqués dans les moeurs
100 MERCURE DE FRANCE.
des hommes. On conçoit qu'il parle des
obligations & des ſimples billets , par lefquels
on ſe fait un revenu fans aliéner fon
fonds. Il étoit choqué du contraſte de la
doctrine , & de la conduite à ce ſujet. Il
eût voulu qu'on eût opté , s'il étoit poffible.
Il falloit ou réformer l'uſage ou ceſſer
de le condamner ; car il n'y a point de
milieu fans doute. Ou les docteurs que le
judicieux cenſeur avoit en vue , font dans
P'erreur , ou quantité d'honnêtes gens vivent
dans l'injustice. Il eſt triſte que les opinions
foient ſi partagées ſur cette alternative
; & rien ne feroit plus avantageux
la fociété , que de pouvoir fixer les doutes
fur unpoint dont l'indéciſion laifle le falur
ou la fortune de tant de perſonnes dans
Pincertitude. Des républiques entières ,
une infinité de familles dans tous les
Etats y font intéreffées. Les veuves , les
pupilles , ceux qui n'ont qu'un bien modique
, n'ont ſouvent point d'autre reffource
affurée , pour ſubſiſter , que deprêter leur
argent à des négocians, à d'autres débiteurs
folvables , qui leur en paient le denier fixé
par les loix civiles pour les rentes conſtituées.
Cette pratique ſeroit-elle donc per
miſe ou non ? Le grand nombre des doc
teurs de l'école la réprouve ; mais , quoique
d'accord en apparence fur ce point , ils
JUILLET 1767. 101
ne conviennent pas entr'eux des principes
de leur décifion. Ceux même qui paroiffent
adopter des principes communs font
ſouvent partagés ſur les eſpèces particuliè
res qu'ils examinent. On ne trouve dans
les differtations de la plupart , qu'embarras
& confufion. On y rencontre à chaque pas
des difficultés qu'on n'éprouve ſur aucun
autre point de la morale. A quoi faut-il
en attribuer la caufe ?
L'auteur du traité que nous donnons ,
auginenté de quelques articles importans ,
prétend, avec pluſieurs grands théologiens
qui l'ont précédé , que c'eſt parce qu'ils ſe
font écartés de la ſimplicité des principes ;
qu'au lieu de confulter la véritable fource
des devoirs de l'homme , ils ſe ſont abandonnés
à des raifonnemens abſtraits , que
leseſprits judicieux& déſintéreſſés ne trouvent
nullement convaincans. Le premier
écart , felon qu'il le prouve , les a précipités
dans d'autres. N'ayant point puiſé la
notion du prêt & de l'uſure dans ſes véritables
fources , ils ont d'un côté ajouté
la loi de Dieu , pendant que de l'autre ,
leurs maximes tendent à l'anéantir .
Cet auteur a pris une route différente
decelle qui a été ſuivie par les théologiens,
contre leſquels il forme cette accufation.
Il rappelle ſes lecteurs à la véritable règle
102 MERCURE DE FRANCE.
de leurs devoirs. Il examine ce que la
loi naturelle & la loi de Dieu , contenue
dans l'écriture & la tradition de tous les
fiècles , permettent ou défendent ſur la
matière de l'uſure. Il diſſipe , avec une
lumière qui ſemble ne rien laiſſer à deſirer
, tous les nuages que les diſputes de
l'école ont répandus ſur cette queſtion.
ATLAS historique , chronologique & géographique
; par M. BUY DE MORNAS,
Géographe du Roi & des Enfans de
France.
Des perſonnes mal intentionnées , &
guidées peut- être par l'envie , la malignite
&l'intérêt , avoient répandu dans le public
littéraire , que l'Atlas de M. de Mornas ,
cet ouvrage excellent , que nous avons tant
de fois annoncé avec les éloges qu'il mérite
, ne feroit jamais conduit à ſa fin ; &
beaucoup de gens avoient ajouté foi à ces
fauxbruits. Voici cependant quarante nouvelles
cartes qui terminent le troiſième
volume , & qu'il a eu l'honneur de préſenter
à Leurs Majeſtés & à la Famille
Royale le 7 du mois dernier. Ces quarante
cartes renferment l'hiſtoire du genre huJUILLET
1767. 103
main depuis Cyrus juſqu'à la mort d'Ale
xandre le Grand , & comprennent tout ce
qu'il y a d'intéreſſant pendant cette époque
fur le peuple Juif, ſur les Perſes , les Egyptiens
, les Macédoniens , les Grecs , les
Romains , les Carthaginois , les Siciliens
les Bithiniens & les Héracléotes ; & ce qui
démontre l'injustice de ces bruits , c'eſt que
M. de Mornas annonce un quatrième vol.
qui ſera entièrement fini dans quatorze
mois. L'avis que nous rapporterons ci- après
prouveque l'on nepeutluiimputet le retard
de fon ouvrage ; il ne provient que de deux
cauſes qu'il ne pouvoit ni ne devoit prévoir
; ſçavoir , ſon défaut de vue occaſionné
par un trop grand travail , & les obftacles
preſqu'inévitables dans une ſociété ,
qui ontretardé ſes opérations pendant plus
de fix mois : mais aujourd'hui toutes ces
difficultés font levées ; & l'on doit tout
eſpérer de fon exactitude & de ſon zèle ,
pourvu que ſes ſouſcripteurs rempliffent
les conditions juſtes & raisonnables qu'il .
propoſe , comme on va le voir dans l'avis
fuivant.
104 MERCURE DE FRANCE.
AVIS du ſieur DE MORNAS , Géographe
du Roi & des Enfans de France , auteur
de l'Atlas hiſtorique , chronologique &
géographique , dédié à M. le Président
HENAULT ; à MM. les Soufcripteurs
dudit ouvrage.
L'ACCUEIL favorable dont le public
" a honové les deux premiers volumes de
> mon Atlas, ne pouvoit qu'exciter en moi
>> les ſentiniens d'une vive & juſte reconnoiffance,
& redoubler mes foins & mon
» zèle. Si le public n'a pas joui plutôt des
> foixante dernières cartes que je viens de
>> faire paroître, &qui compoſent le troifième
volume , on ne peut attribuer ce
> retard qu'à ce même zèle , qui m'a mis
> dans l'impoſſibilitéde remplir mes enga
» gemens. J'ai été à la veille de perdre
- totalement la vue , pour avoir trop forcé
>> mon travail ; & je n'aurois jamais pu
>> terminer ma carrière littéraire , fi je n'a
> vois , de l'avis des Médecins , ſuſpendu
> pour un temps mes extraits. Le repos
>> que j'ai pris me met en état de confom-
> mer mon entrepriſe , en ne forçant plus
> mon travail , d'autant plus que je ne
→ ſerai point arrêté par des cauſes étran
JUILLET 1767. 109
>> gères , qui ne ſubſiſtent plus depuis la
>> diffolution de ma ſociété ; mais le repos
>> que j'ai pris n'a pas été inutile ; il m'a
>> donné lieu de m'appercevoir que pour
>> donner à mon Atlas toute l'utilité dont
>> il eſt ſuſceptible , je ne pouvois , ſans
>> tromper le public , m'empêcher d'aug-
> menter le nombre de mes cartes ; car
>> en propoſant , comme j'ai fait , de don-
>> ner l'hiſtoire du genre humain en foi-
>>>xante-dix cartes, avec quelques augmen-
>> tations, comme je l'avois infinué dans
>> mon dernier proſpectus , je ne prévoyois
»pas le nombre d'additions que le public
>>éclairé m'a engagé de faire pour la per-
>> fection de l'ouvrage , telles que la géo-
>>graphie ancienne & un tableau chronologique
des plus grands hommes de
>>l'antiquité en tous les genres. Ainfi
>> c'eſt plus de cinquante cartes d'augmen-
>>tation. De-là vient que je n'ai pu juf-
>> qu'ici, donner les détails de l'hiſtoire que
>> juſqu'à la mort d' Alexandre le Grand. II
>> me reſte donc à parcourir les trois cents
> vingt-quatre dernières années du fixième
>>âge du monde. C'eſt ce que je me propoſe
>> de terminer avant la fin du mois d'août
>> de l'année prochaine ; & , pour ne pas
>>faire languir le public , je donnerai mon
106 MERCURE DE FRANCE.
>> quatrième volume en quatre livraiſons
>> chacune de vingt cartes ; la première
» au 15 novembre prochain ; la ſeconde
» au 15 février 1768 ; la troiſieme au is
>> mai , la quatrième & dernière à la fin
»d'août.
>>Ce quatrième volume contiendra les
>> plus beaux morceux de l'hiſtoire . On y
>> trouvera ce qui eſt arrivé d'intéreſſant
>>chez le peuple Juif,& les traits les plus
>> frappans de l'hiſtoire profane depuis là
» mort d'Alexandre le Grand juſqu'à l'ère
>> chrétienne. On y traitera de l'hiſtoire des
> fucceſſeurs d'Alexandre , des nouveaux
» Royaumes d'Egypte , de Syrie , des Par-
>> thes , d'Arménie , de Cappadoce , de
>> Pont , de Bithinie , de Pergame , de
» Macédoine , de Sparte , de Sicile , &des
» Républiques d'Héraclée , d'Athênes
>> d'Achaïe , d'Etolie , de Carthage & de
» Rome.
» Par le moyen de ce quatrième volume
>>on aura un cours complet d'hiſtoire , de
>> géographie & de chronologie ; cours
>>plein de détails inſtructifs & fuffifans
» pour les dix-neuf vingtièmes du genre
» humain ; & fans cette augmentation ,
» que je n'ai faite que de l'avis de gens
éclairés, je n'aurois pu donner , pour
JUILLET 1767. 107
ainſi dire , que des tables raiſonnées pour
> le ſixième âge du monde le plus fertile
› en événemens,
>>Quoique l'honneur ait été le principal
>> mobile de mon entrepriſe , j'aurois dû ,
>> ſuivant les termes de mon dernier prof
>> pectus , augmenter le prix de mes cartes ;
>> je ne l'ai point fait juſqu'ici , en faveur
>> de ceux qui n'avoient pu ſe les procurer
>> dans le temps que la ſouſcription étoię
>> ouverte. Je me conduirai encore ſuivant
» le même principe de déſintéreſſement
>>juſqu'au premier ſeptembre prochain ; &
>> il eſt conſtant qu'après cette époque , on
»ne livrera les cartes que ſur le pied de
>> ſeize , de quatorze & de douze ſols la
» feuille , au lieu de douze , de dix & de
>>>huit ſols , prix de la ſouſcription , ſans
>>quoi je ne pourrois retirer de long- temps
>> mes avances. Cette différence de prix eſt
> affez conſidérable pour déterminer le pu-
>> blic à en faire l'acquiſition avant ce
> temps- là,
>> Je termine cet avis en prévenant MM.
>> les Souſcripteurs , qu'il ne dépendra que
>> d'eux de jouir du quatrième volume au
>> temps indiqué. Mes cartes ſont prêtes à
>> être gravées : mais , vu les avances de
> plus de vingt mille livres que je ferai
>> obligé de faire , il ne me fera pas pofli
108 MERCURE DE FRANCE.
,ble de mettre mes cartes entre les mains
„ des ouvriers qu'à deux conditions juſtes
»& raisonnables. La première , qu'ils fe
,, ront retirer ſans délai les cinquième &
ود fixième livraiſons qu'ilsn'ont pas encore
» priſes. La feconde , qu'ils paieront , en
„ recevant la ſixième livraiſon , vingt-
„ quatre livres pour le grand papier , vingt
ود livres pour le moyen, & feize livres
» pour le petit ; moyennant cette petire
» avance ils font fürs de recevoir les livrai
و د
4
ſons aux temps indiqués : enfin j'ofe
>> aſſurer que le public n'aura rien àdefirer,
» ni pour le fond , ni pour l'exécutionde
» ce quatrième volume , par les précau-
„ tions que je prendrai vis- à- vis des ou-
» vriers, dont je m'aſſurerai de l'exactitude
»& des ſoins tant pour la gravure , l'im
>> preffion , que pour les enluminures , qui
>> ne feront pas inférieures à celles des trois
> premiers volumes. Mon adreſſe eſt tou-
>> jours rue Saint Jacques , à côté de Saint
» Yves , dans la maiſon neuve de l'Unis
>>verſité ».
JUILLET 1767. 109
ANNONCES DE LIVRES.
TRAITÉ des maladies des gens de mer ;
par M. Poiffonnier Defperrieres , Confeiller-
Médecin Ordinaire du Roi , Cenſeur
Royal , & Médecin de la grande Chancellerie.
A Paris , chez Lacombe , Libraire ,
quai de Conti ; 1767 : vol. in- 8 °.
L'objet de cet ouvrage eſt digne de l'attention
du public, puiſqu'il s'agit de la
conſervation des gens de mer , & par conféquent
d'une grande partie du genre humain
, depuis que la navigation nous a
ouvert la porte du Nouveau-Monde. L'auteur
ſe propoſe de montrer comment l'air
&le climat, ces deux grands refforts de
l'univers , influent puiſſammens ſur l'économie
animale , ſur les cauſes des maladies
, & fur l'action des remèdes . Comme
nous ne ſommes pas juges compétens dans
les matières de ce genre , nous rapporteronsici
le jugement qu'ont portédu livrede
M. Poiffonnier , trois Médecins de l'Académie
Royale des Sciences , qui ont été
chargés de l'examiner. " Chacune des ma-
>>ladies dont il eſt parlé dans cet ouvrage ,
>> eſt expoſée d'une façon très-claire. Tout
IO MERCURE DE FRANCE.
>> ce que l'auteur avance pour en dévelop
>> per les cauſes , en découvrir la nature ,
>> en expliquer les ſymptômes , eſt puiſé
> dans les vrais principes de phyſique &
» de médecine. Tout ce qu'il écrit ſur les
> prognoſtics& fur les traitemens eſt exac-
>> tement déduit des principes établis ; & ,
>> ce qui vaut encore mieux , eſt fondé ſur
l'expérience, D'ailleurs , l'ouvrage eſt
>> écrit d'un ſtyle pur , très-clair , & du ton
• convenable,
» M. Defperrieres ne s'eſt pas contenté
>> de mettre en ordre , de bien expoſer &
. de rappeller à un même principe ce que
» les auteurs avoient penſé ou obſervé
>> avant lui ; on trouve dans ſon ouvrage
>>pluſieurs choſes neuves & fort intéreſ-
>> ſantes ; pluſieurs phénomènes expliqués
»d'une façonheureuſe, & qui ne l'avoient
> point été juſqu'à préſent ; enfin , des
>> vues nouvelles , qu'il feroit à ſouhaiter
>> qu'on ſuivit pour lebien de l'humanité » ,
OEUVRES ſpirituelles & paſtorales de
M. Carrelet , Docteur en Théologie , &
Curé de la première paroiſſe de Dijon :
contenant une collection choiſie de difcours
variés ſur les plus grands monumens
de l'hiſtoire ſacrée , ſur les dogmes de la
foi , fur les plus beaux traits de la morale ,
fur
*
JUILLET 1767 . 12
Tur les différentes folemnités & cérémonies
de l'égliſe , &c. &c. A Dijon , chez François
Defventes , Libraire. A Paris , chez
Defaint , Libraire , rue du Foin ; Defventes
de Ladoué , Libraire , rue Saint Jacques;
1767 : avec approbation & privilége
du Roi ; trois vol. in- 12 .
C'eſt ici un recueil choiſi de ce qu'il y
a de plus neuf , de plus intéreſſant , de
plus utile parmi les différentes productions
du miniſtère que M. Carrelet exerce
dans l'Egliſe depuis près de quarante ans ,
enqualité de paſteurde la première paroiffe
d'une ville capitale. Un pareil choix annonce
quelque choſe de plus parfait & de
plus curieux en ce genre , que ce qu'on
entend ordinairement dans les prônes ;
puiſque cet auteur en a retranché preſque
toutes les matières communes , que tant
d'autres ont traitées avant lui , & qu'on
trouve ailleurs aſſez abondamment. Il a
ſupprimé de même ſes panégyriques , &
d'autres difcours d'appareil ; parce que fi
ces fortes de ſujets brillans peuvent faire
quelque honneur à l'élégance du prédicateur,
ils ferventpeu à l'inſtruction , & font
moins propres à produire du fruit , ce qui
doit être par- tout l'unique objet du véritable
zèle.
Vol. I. P
722 MERCURE DE FRANCE .
: HISTOIRE abrégée des Empereurs Ro
mains. & Grecs , des Inipératrices , des
Céfars , des tyrans , & des perſonnes de
familles impériales pour leſquelles on a
frappé des médailles , depuis Pompée jufqu'à
la priſe de Conſtantinople par les
Turcs fous Constantin XIV, dernier Empereur
Grec ; avec les légendes que l'on
trouve autour des têtes des Princes & Princeſſes
, la liſte des médailles connues de
chaque règne en or , en argent& en bronze ,
le degré de leur rareté , & la valeur des
têtes rares ; par M. Beauvais , de l'Académie
de Cortone. A Paris , chez Debure
père , Libraire , quai des auguſtins , à l'iimage
Saint Paul ; 1767 : avec approbation
& privilége du Roi ; trois vol. in - 12 :
prix liv. relié.
Ce livre a été fait principalement en
faveur de ceux qui ſouhaiteront d'amaſſer
des médailles. On a penſé qu'en leur donnant
le catalogue le plus exact que l'on ait
fait juſqu'à ce jour , concernant la rareté
des têtes des perſonnes à la gloire deſquelles
on a frappé des médailles , dans les Empereurs
de Rome & de Conſtantinople , il
ſeroit à propos d'y joindre un abrégé de
leur vie. Ainfi , après avoir tracé les légendes
des têtes des Princes , & le mérite
JUILLET 1767. 123
de ces mêmes têtes , ſoit qu'elles fuſſent
en or , en argent ou en bronze , on a paffé
à l'hiſtoire de chaque Empereur.
Les avantages qu'il y a pour un Etat
d'être éclairé ſur les objets de ſa politique :
difcours qui a remporté le prix à l'Académie
des Jeux Floraux ; par M. l'Abbé de
Mourlens ; avec cette épigraphe :
Il n'est pas auſſi indifférent qu'on le pense que
le peuple foit inſtruit. Préf. de l'Eſp. des Loix.
A Paris , de l'imprimerie de Sébastien
Jorry , rue & vis- à- vis la Comédie Françoiſe
; 1767 : & chez la veuve Duchesne ,
rue Saint Jacques : avec approbation ;
in- 8°. de cent pages.
Nous avons trouvé dans ce diſcours des
traits qui juſtifient le jugement de l'Académie
des Jeux Floraux , qui lui a affigné
le prix.
VIES des Hommes & des Femmes illuftres
d'Italie ; par une Société de Gens de
Lettres . A Paris , chez Vincent , rue Saint
Severin ; 1767 : in- 8°. tomes 1 & 2 .
Plutarque a compoſé la vie des hommes
illuftres ; & , à l'imitation de Plutarque ,
on a recueilli celles des hommes & des
femmes illuftresde la France. Ces ouvrages
ont eu du ſuccès , parce que , dans des vies
Fij
24 MERCURE DE FRANCE.
particulières , on apprend des anecdotes
piquantes qu'on trouve rarement ailleurs,
La vie des hommes & des femmes illustres
d'Italie en préſente beaucoup en ce genre ,
& la lecture en eſt auſſi agréable qu'intéreſſante
& inſtructive. Nous ne tarderons
pas à en rendre compte dans un de nos
prochains Mercures ,
HISTOIRE générale , critique & philoſophique
de la Muſique , dédiée à Mde
la Ducheſſe de Villeroy ; par M. de Blainville.
A Paris , chez Piſſot , Libraire , quai
de Conti , à la defcente du pont neuf ; &
aux adreſſes ordinaires de muſique ; 1767 ;
avec approbation& privilége du Roi ; vol.
in-4°
L'origine de la mufique , ſes progrès ,
ſes variations , font le ſujet d'un diſcours
préliminaire qui décéle dans l'auteur
des connoiffances ſur l'hiſtoire ancienne,
Quant à l'ouvrage même , il eſt diviſé
en quatre parties. La première traite de
Ja muſique de nos premiers pères , & fpécialement
de celle des Hébreux , & de leurs
inftrumens. Le ſeconde , de la muſique des
Grecs , des Romains , & des Orientaux .
La troiſième , de la muſique des Latins ,
&ce qu'elle étoit dans les premiers temps
de l'Eglife. La quatrième , du ſyſtême
moderne , avec l'hiſtoire particulière de
JUILLET 1767. 125
notre muſique , même du temps des Gaules .
En général l'application , l'analyſe , les différences
entre eux & avec la nôtre , & particulièrement
du ſyſtême des Grecs & des
Latins avec celui que nous avons adopté
aujourd'hui ; voilà ce qui fait le ſujet de
cette hiſtoire , qui nous a patu très -bien
exécutée , tant du côté de la typographie
que dans la partie littéraire. Nous en rendrons
compte plus amplement.
ABRÉGÉ chronologique de l'hiſtoire de
Lyon , contenant les événeniens de l'hiftoire
de cette ville , depuis ſa fondation
par les Romains , juſqu'à nos jours ; les
divers gouvernemeus ſous lesquels elle a
paffé , avec une chronologie des Archevêques&
du Corps Municipal ; par M. Poullain
de Lumina. A Lyon , chez Aimé de la
Roche, Imprimeur- Libraire de Mgr le Duc
de Villeroy,duGouvernement&de l'Hôtel
de Ville ; 1767 : avec approbation & privilége
du Roi ; vol . in- 4°. On en trouve
des exemplaires à Paris , chez Durand ,
rue Saint Jacques , vis-à-vislárue du Plâtre.
Cette hiſtoire eft très- intéreſſante , foit
qu'on la confidère par fa liaiſon avec les
événemensgénéraux, aux quels cette grande
ville a eu à faire , ſoit qu'on l'examine
dans ſes rapports particuliers avec les dif
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
férens peuples , ſous la puiſſance deſquels
elle a paffé depuis ſa fondation. Nous ne
diſons rien de la part qu'y prendront ſpécialement
les Lyonnois , en faveur defquels
, fans doute , on a recueilli avec
la plus fcrupuleuſe exactitude les noms
de tous les Echevins qui ont occupé , pendanttrois
cents ans, les charges municipales.
Ces noms propres forment une liſte de
plus de cinquante pages , à deux colonnes ,
dont la lecture ne peut manquer de toucher
les habitans. de Lyon.
CORNELII Schrevelii lexicon manuale
grace- latinum , in ſtudioſe juventutis gratiam
, cum ab ipfo autore , tum ab aliis
eruditis viris fæpè jam excuſum ; editio
noviffima , fuperioribus Batavicis , Anglicanis
, Parifinisque editionibus locupletior
& emendatior . Lutetia- Parifiorum ,fumptibus
vidue Pierres , ejuſque filii , Bibliopolarum
, via San . Jacobaa , fub infigni
S. Ambrofi ; 1767 : cum privilegio Regis ;
vol. in - 8 °. de quatorze cents pages .
Le dictionnaire grec& latin , dont nous
annonçons une nouvelle édition , eſt un
ouvrage trop connu & trop eſtimé des littérateurs
, pour qu'il foit néceſſaire d'entrer
dans aucun détail à ce ſujet. Il ſuffit de
dire que l'édition qu'on en vient de faire ,
JUILLET 1767. 127
2
eſt infiniment ſupérieure aux précédentes.
Ce volume , qui étoit très-incommode pour
les perſonnes de cabinet , à cauſe de fon
épaiſſeur , peut actuellement ſe partager en
deux tomes. Son prix eſt de ſept livres dix
ſols relié en baſane ; prix aſſurément trèsmodique
, vu la groſſeur deux des volumes .
MÉLANGES de maximes , de réflexions
& de ſentences chrétiennes , politiques &
morales , fur la religion , la morale & la
nature ; par M. l'Abbé de la Roche. A Paris ,
chez Ganeau , rue Saint Severin , près l'églife
, aux armes de Dombes & à Saint
Louis ; 1767 : avec approbation & privilége.
Ce corps de penſées , de maximes , de
fentences & d'axiomes eſt diſtribué en centuries
& en paragraphes alternatifs , &
diverſifiés , pour le repos de l'eſprit , en
changeant d'objets , en parcourant , à pas
meſurés & comptés , le monde chrétien
morale & phyſique , en formant de tous
ces objets une forte de tableau changeant
dans des traits vifs , nets & précis , & peint
plus en raccourci qu'en grand , avec des
couleurs naturelles & inſtructives .
LETTRES ſur l'électricité , dans leſquelles
on trouvera les principaux phénomènes
د
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
qui ont été découverts depuis 1760 , avec
des difcuffions fur les conféquences qu'on
en peut tirer , avec figures en taille- douce ;
par M. l'Abbé Nollet , de l'Académie
Royale des Sciences , &c. &c. A Paris
chez Durand neveu , Libraire , rue Saint
Jacques , à la ſageſſe ; 1767 : avec approbation
& privilége du Roi ; vol. in- 12 .
Tout ce qui porte le nom de M. l'Abbé
Nollet , en matière d'Electricité , doit êtse
recherché par tous les amateurs de cette
ſcience. Ce troisième tome , fur un ſujet
que cet habile Académicien s'eſt rendu fi
familier , ne peut manquer d'avoir le même
fort que les deux précédens , que le public
a reçus avec tant d'empreſſement. On y
trouve , comme dans les premiers , une
quantité de faits curieux , que M. l'Abbé
Nollet expoſe & explique avec cet ordre ,
cette clarté , cette préciſion qu'il fçait donner
à tout ce qu'il traite. Le même Libraire,
Durand neven , rue Saint Jacques , eſt
poffeffeur de tous les autres ouvrages du
même Académicien , c'est-à-dire , de fes
Leçons de Physique Expérimentale , fix vol.
in- 12, avec figures , qui ſe vendent , reliés
21 liv. en feuilles 15 liv. brochés 15 liv.
15 fols ; de ſes Effaisfur l'Electricité , un
vol. in 12 : prix 3 liv. reliés , en feuilles
2 liv. 5 fols , brochés 2 liv. 7 fols ; des
Recherches fur les caufes particulières des
JUILLET 1767. 129
phénomènes électriques , avec figures , un
vol. in- 12 : prix 3 liv. to fols relié ; en
feuilles 2 liv. 10 fols , broché 2 liv. 12 fols;
des Lettresfur l' Electricité, 3 volumes : prix
9 liv. reliés ; en feuilles 6 liv. 15. fols ,
brochés 7 liv. 1 fols.
Nous faififfons cette occafion pour annoncer
un autre ouvrage qui traite de la
même matière , & dont M. l'Abbé Nollet
aaccepté ladédicace, parce qu'il l'a trouvée
digne d'être avouée par tous les phyſiciens
de l'Europe. Il eſt intitulé Recherches fur
les différens mouvemens de la matière électrique
; par M. du Tour , Correspondant de
IAcadémie Royale des Sciences. A Paris
chez Vincent , rue Saint Severin ; in - 12 .
L'objet de l'auteur , dans cet écrit , eſt
de développer , d'une manière encore
plus préciſe qu'on ne l'a fait juſqu'à préfent,
les divers mouvemens de la matière
électrique , & d'appliquer aux principaux
phénomènes de l'électricité , une théorie
déduite du principe des effluences & affluences
fimultanées , dont nous devons la
découverte à M. l'Abbé Nollet : ainſi l'ouvrage
de M. du Tour peut être mis à la
fuite de ceux de ce ſçavant Académicien..
LETTRE de Jean Calas à ſa femme & a
ſes enfans , précédée d'une épître à Mde
Ev
130 MERCURE DE FRANCE.
De ***. fur le fentiment; par M. Blin de
Sainmore. A Paris , de l'imprimerie de
Sébastien Jorry , rue de la Comédie Françoiſe
, au grand monarque & aux cigognes ;
1767 : avec approbation & privilége du
Roi ; in- 8 °. de quarante- fix pages , grand
papier , avec eſtampe , vignette & cul-delampe
: prix 1 liv. 16 fols.
Cet intéreſſant ouvrage termine la collection
des héroïdes de M. Blin de Sainmore.
La troiſième édition de Biblis à Caunus
, & de Gabrielle d'Estrées à Henry IV
eſt actuellement fous preſſe & fe trouvera
chez Jorry , Libraire.
NOUVELLES réflexions ſur la pratiquede
l'inoculation ; par M. Gatti , Médecin
Confultant du Roi , & Profeffeur en Médecine
dans l'Univerſité de Pife. A Bruxelles
, & ſe trouve à Paris , chez Mufier
fils , Libraire , quai des Auguſtins ; 1767 ,
in- 12.
L'auteur de cet excellent écrit a trop
de célébrité dans l'hiſtoire de l'inoculation
, pour ne pas mériter l'attention du
public , lorſqu'il parle ou qu'il écrir fur
cette matière intéreſfante. Sans entrer , par
rapport à cet ouvrage , dans des détails qui
nous font interdits par les bornes de notre
Journal , nous dirons , en peu de mots ,
que l'auteur le partage en trois parties. La
JUILLET 1767 . 131
première traitede la préparation, la ſeconde
de l'inſertion , la troiſième du traitement
de la maladie : il s'abſtient de toute recherche
qui ne tend pas directement à fon
objet , qui eſt de montrer la meilleure
méthode d'inoculer. Pour ne pas trop groffir
ce volume , il a cru devoir ne rien
répéter de ce qu'il a dit dans un autre
écrit qu'il avoit déja publié ſous le
titre de Réflexions fur les préjugés qui
s'oppoſent aux progrès & à la perfection de
l'inoculation , & dont celui- ci n'est qu'une
ſuite. Ces deux ouvrages nous paroiffent
former un traité complet & néceſſaire
pour quiconque prend un intérêt à cette
matière importante pour l'humanité.
INSTRUCTIONS pour la confirmation ,
diſtribuées pour chaque jour , pendant fix
ſemaines avant la réception de ce facrement
, à l'uſage des jeunes gens qui ſe
diſpoſent à le recevoir ; & rédigés par
demandes & réponſes , en faveurdes jeunes
enfans ; avec des exhortations pour deux
jours de retraite , des inſtructions fur les
douze fruits du Saint Eſprit , & l'examen
des péchés ; par M. l'Abbé Regnault , Prêtre
du Diocèſe de Paris. A Paris , chez
J. B. Despilly , Libraire , rue Saint Jacques
, à la croix d'or ; 1767 : avec appro
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
bation & privilége du Roi ; vol. in- 12
petit format.
Quoique cet ouvrage ait principalement
en vue les jeunes gens , il peut être aufli
très-utile aux perfonnes qui reçoivent la
confirmation dans un âge avancé ; ainfi
nous exhortons les uns & les autres à le
lire exactement chaque jour , en commençant
fix femaines avant que de recevoir le
facrement.
DEUX Cours publics, l'un de mathéma
riques , l'autre des ſciences phyſico-mathé--
matiques. M. l'Abbé Sauri , ancien Profef
feurdephilofophie, commencera lers juin,
Imidi & un quart , un Coursde mathématiques
, qui comprendra l'arithmétique , la
géométrie , l'algébre , & l'application de
Falgébre à la géométrie de M. Bezout ; il
fera fuividu calcul différentiel & intégral ,
&de la méchanique du même auteur.
Le fecond Cours , qui commencera le
lendemain, à une heure & demie , embraffe
la phyſique céleſte & terreftre : on
ytraitera de la nature &des loix du mouvement,
de la réſiſtance des milieux , de
l'existence du vuide , des loix de l'attracrion
dans les grandes & petites diſtances ,
du mouvement projectile combiné avec
une force centrale , du mouvement des
abſides & des noeuds , de la figure & des
JUILLET 1767 . 133
variations des orbites planétaires , & principalement
de l'orbe de la lune , de fa
libration tant en longitude qu'en latitude ,
de la préceſſion des équinoxes , de la nature
& du retour des cométes , de la figure des
aftres , & principalement de celle de la
terre , de l'hydroſtatique & de l'hydraulique,
de la nature du feu , des effets chymiques
, qu'on appelle diſſolutions , précipitations
, coagulations , &c. de l'élaſticité ,
du fon , de la lumière & des couleurs ; on
prendra pourguides Neuton & les plus célèbres
phyfico-mathématiciens : on ajouterauntraitéde
phyfiologie, qui comprendra
lesqueſtions les plus intéreſſantes de cette
fcience ; fçavoir , la refpiration , la digeftion
, la circulation du fang , le méchamifine
de la parole , de l'ouïe & de la vue ,
les ſecrétions , le ſommeil , les caufes:
méchaniques des fonges, la ſueur & la
tranſpiration inſenſible.
L'Abbé Sauri a des ſyſtèmes particuliers
fur différens points de phyſique.
Enfin on terminera le Cours par l'expofition
du fameux ſyſtême de Boscovich »
très-peu connu en France , dans lequel on
réduit toutes les loix de la phyſique à une
ſeule& unique loi , qui fournit une explication
faciledepluſieurs phénomènes qu'on
n'a pu expliquer dans les autres ſyſtemes
d'une manière fatisfaifante.
134 MERCURE DE FRANCE.
..
Pour la fatisfaction de ceux qui ne font
pas verſés dans la géométrie & l'algébre ,
on joindra les raiſons phyſiques aux démonſtrations
mathématiques. Afin que
les progrès foient plus rapides , on ne recevraqu'un
certainnombre d'auditeurs ; mais
M. l'Abbé Sauri donnera des leçons particulières
ſur la phyſique & les mathématiques
, ſur le calcul différentiel & intégral.
On prie les amateurs qui ſouhaiteront
aſſiſter auxdits Cours , de ſe faire infcrire
inceſſamment ; le prix des leçons du premier
eſt de 12 liv. par mois ; & le prix
du Cours entier des ſciences phyſicomathématiques
ſera de trois louis.
M. l'Abbé Sauri demeure rue du Foin
Saint Jacques , à l'hôtel de Carignan , au
premier.
AVIS INTÉRESSANT.
DÉCOUVERTE de la langue primitive.
ON annonce aux habitans de l'Europe
la découverte la plus précieuſe pour la
religion & l'humanité : la langue primitive
, éclipſée pendant quarante ſiècles ,
& retrouvée entière après quatre mille
ans. Cette langue , clefgénérale des autres ,
JUILLET 1767 . 135
compoſée des élémens les plus ſimples , de
mots tous d'une ſyllabe , deſquels ceux de
toutes les autres langues ne font que des
combinaiſons ou des dérivés ; capable d'abréger
de plus des trois quarts l'étude des
arts & des ſciences , & d'y opérer tout
d'un coup la plus heureuſe révolution ,
n'attend , pour ſe reproduire , que des aufpices
dignes d'une invention ſi ineſpérée.
L'auteur , qui ne ſe ſent comptable que de
ce qui eſt en lui , offre à ſon ſiècle cette
découverte qui peut rendre à jamais mémorable
, & éternifer la mémoire de
ceux qui n'auront pas dédaigné de contribuer
à la reſtauration du plus beau des
dons que Dieu fit à l'homme , & du plus
admirable des monumens qui eurent rapport
à l'humanité.
Si quelque perſonne y prend intérêt , il
pourra faire part de ſes intentions , ſoit
en écrivant directement , franc de port ,
ou en remettant de même ce qu'il voudra
mander , chez M. Briaffon , Libraire , rue
Saint Jacques , à Paris , pour M.le Brigant
Avocat à Pontrieux , en Bretagne , 1767.
136 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
ACADÉMIES.
EXTRAIT de laséance publique de l'Académie
des Sciences , Arts & Belles-
Lettres de DIJON , tenue dans la grand-
Salle de l'Univerſité , le 2.1 décembre
1766..
M. Maret , Secrétaire , a ouvert la féance
par l'annonce du ſujet du prix que l'Acadé
mie diſtribuera en 1768 ( 1) ; il a lu enfuite
P'hiſtoire littérairede l'Académie pour l'année
1766 .
Une notice de tous les ouvrages qui
ont été lus ou préſentés à l'Académie pendant
le cours de l'année fait le fonds de
cette hiſtoire ; mais l'honneur que S. A. S.
Mgr le Prince de Condé a fait à cette Compagnie
, en la préſidant le 18 du mois de
( 1 ) Le programmee du prix a été inféré dans
les ouvrages périodiques .
JUILLET 1767. 137
juillet , rendra cette année à jamais mémorable
; & l'hiſtorien avant d'entrer en
matière , a rappellé cet événement glorieux
& a justifié la digreſſion qu'il faifoit par
l'exemple de M. de Fontenelle. On fait
que Pierre le Grand , Czar de Mofcovie ,
aſſiſta à une des ſéances de l'Académie des
Sciences de Paris , & qu'il lui fit l'honneur
d'accepter le titre d'académicien .
ود
<<<Le Secrétaire de cette illuſtre Com-
>> pagnie paſſa - t - il cet événement ſous
>>filence ? a dit M. Maret , s'en tint- il à
>> donner les lumineux extraits qui l'ont
immortaliſfé ? Non , il ſcut , pour un
>> moment , s'écarter du plan qu'il a tou-
>>>jours ſi glorieuſement ſuivi ; il configna ,
>>dans les faſtes de la Compagnie , dont
>>il étoit l'organe , un événement qui
>>couvroit de gloire & le Monarque qui
> ſçut eſtimer les ſçavans , & les ſçavans
>> qui dans le Monarque découvrirent
>> l'homme de génie.
>> Non moins heureux que l'Académie
„ Royale des Sciences de Paris , cette
>> Compagnie a vu le héros de nos jours ,
>>l'eſpoir de la France , l'amour de cette
>>Province , le petit- fils du grand Condé,
>> couvert des lauriers de Mars , ſe plaire
» à diſtribuer ceux de Minerve..
»Pourrois-je donc ne pas rappeller cet
138 MERCURE DE FRANCE.
» événement dans l'hiſtoire littéraire de
> cette Académie ? Pourrois - je ne pas
>> chercher à en perpétuer la mémoire ? ....
Après cettedigreffion M. Maret a donné
unprécisde tous les ouvrages de médecine ,
de phyſique , de métaphyſique , de morale
& de belles - lettres que renferment les
porte - feuilles de cette année. Il feroic
impoffible de donner une idée ſuffifante
de tous ces ouvrages en réduifant les
extraits de l'hiſtorien. Il y auroit de l'injuſtice
à en faire connoître par préférence
quelques - uns d'entr'eux ; & pour éviter
l'un& l'autre inconvénient , on n'entrera ,
de même que les années précédentes , dans
aucun détail fur cet objet , & l'on ſe contentera
de rapporter un ſeul trait de cette
hiſtoire qui , étant relatif à un morceau
unique en fon genre , peut être détaché
des autres fans bleſſer la délicateſſe de qui
que ce foit .
L'Académie , qui embraſſe dans ſes travaux
les ſciences , les belles lettres & les
arts , s'eſt aſſocié deux artiſtes célèbres ,
dont les talens font honneur à la Bourgogne
, l'un eſt M. Venevaut & l'autre M.
Greuze , tous deux de l'Académie Royale
de Peinture.
Le premier , voulant donner à l'Acadé
mie une preuve de fon zèle , lui a fait
JUIN 1767. 139
préſent d'un tableau en mignature , de dix
pouces de hauteur ſur huit de largeur. Ce
tableau n'eſt pas moins précieux par l'élégance
, la fineffe & le brillant de l'exécu
tion , que par le choix du ſujet que le
peintre y a traité. Voici comme M. Maret
s'eſt exprimé en parlant de ce tableau .
« Au mérite de rendre les traits de Mgr
» le Prince de Condé ce tableau joint celui
>> de perpétuer le ſouvenir du moment où
» S. A. S. daigna accorder ſa protection à
› cette Académie.
» Ce fut dans les premiers inſtans de la
» paix que ce héros voulut bien fixer fur
>> cette compagnie des regards paternels .
» Et , quoique le tableau dont je parle
>> n'ait qu'un champ peu vaſte , M. Vene-
» vaut y a raſſemblé tout ce qui eft capable
> de caractériſer & la grace que Mgr le
» Prince de Condé a faite à l'Académie ,
» & l'inſtant où elle a reçu cette grace.
>> Ce tableau devoit néceſſairement être
>> goûté par le héros qui en étoit le ſujet
> principal; auffi parut-il lui plaire , &
>> notre reconnoiſſance nous fit un devoir
>> dele lui offrir. Mais , en attendant que la
>> gravure remette en quelque forte ce pré-
>> cieux tableau ſous nos yeux , une def-
» cription de ce monument doit , autant
» qu'il eſt poſſible , nous le rendre préſent.
140 MERCURE DE FRANCE.
ود Au centre de ce tableau & dans un
» plan un peu reculé s'élève une pyramide
> poſée ſur un piédeſtal , chargé de tro-
> phées d'armes . Le ſommet de cette pyra-
>>mide ſe perd dans les nues , & fur une
de ſes faces on lit ces mots : bataille de
> Freidberg.
>> En avant de cette pyramide eſt aſſiſe
» Minerve drapée à l'antique , le caſque
>> en tête , & portant fur fon bouclier , en
>>médaillon , le buste du Prince cizélé en
>>or. Deux petits génies jouent à ſes côtés ;
>> l'un montre du doigt la deviſe de l'Aca-
> démie gravée ſur une table d'airain ,
>>l'autre préſente pluſieurs couronnes à la
>>déeſſe qui paroît ne les recevoir que
>> pour les diftribuer avec l'agrément du
> Prince. Des inſtrumens de toute eſpèce ,
> des outils & des livres répandus aux
» pieds de la déeſſe dans ce défordre, qui
- eſt un effet de l'art , déſignent le. genre
>>de travaux auxquels ſe livre l'Académie.
>> D'un autre côté on découvre dans
- l'éloignement une campagne fertiliſée ,
> dont l'aſpect riant rappelle l'idée de la
» paix. De l'autre on voit le temple de la
>>gloire , placé ſur une montagne eſcarpée
>>& vers lequel pluſieurs ſçavans dirigent
- leur marche , mais par un chemin très-
•difficile.
JUILLET 1767. 141
L
L'eſpoir de parvenir à ce temple ſous
les aufpices du grand Condé , ajoute
► M. Maret , auroit pu nous éblouir ;
>>mais en mettant ſous nos yeux & les
>> motifs de nos eſpérances & ceux de nos
> craintes , M. Venevaut prévient les écares
❤ qui nous éloigneroientde ce temp le fa-
>> meux , objet des voeux de tous lesgens de
- lettres ; c'eſt ainſi qu'entre les mains d'un
>> peintre philoſophe le pinceau devient la
>>plume de Socrate , s'il eſt permis de ſe
>> ſervir de cette expreffion » .
M. Bouillet d'Aizerey fit un diſcours
fur les dangers de l'amour-propre , principalement
dans l'homme de lettres.
Il eſt beaucoup de perſonnes qui regardent
l'amour-propre comme « le fonde-
> ment de tout commerce , le lien de la
>> ſociété , l'âme des grandes actions & la
>>> fource de toutes les vertus.... Mais
M. Bouillet fait voir que ce portrait eſt
flatté & que bien ſouvent l'amour-propre
fait naître « une vaine complaiſance
رد
pour ſoi-même , une opinion préſomp-
>> tueuſe de ſon propre mérite... Sources
>>fécondes des égaremens de l'eſprit& du
>> coeur de l'homme de lettres » , & qui
le rendent non ſeulement infupportable
dans la ſociété , mais nuiſent encore à la
découverte de la vérité,
142 MERCURE DE FRANCE.
Pour montrer l'amour - propre ſousun
point de vue favorable à ſon projet , M.
Bouillet le fuit « dans l'irrégularité de ſes
» mouvemens , la biſarrerie de ſes pen-
» ſées , l'impétuofité de ſes defirs , la varia-
» tion de ſes deſſeins , ſes ſoupleſſes , ſes
> raffinemens & ſes métamorphofes » . ,
Un tableau des devoirs de l'homme de
lettres mis en oppofition avec celui des
écarts auxquels ſe livrent ceux d'entr'eux
qui ſuivent ſans réſerve l'impulſion que
leur donne l'amour-propre , fait fortir les
traits qui caractériſent les dangers de cette
paffion ; & pour prémunir contre les illuſions
d'un ennemi d'autant plus redoutable
qu'il eſt plus cher & plus ſouple ,
l'orateur remonte à la ſource de l'amourpropre
& indique les moyens capables de
le ſoumettre à l'empire de la raiſon.
Quelques morceaux détachés donneront
une idée de la manière dont l'auteur a exécuté
les différentes parties de fon plan , &
feront connoître le ſtyle de cet académicien.
« Favori des Muſes , s'écrie M. Bouil-
» let , en développent l'origine des que-
>>> relles littéraires , favori des Muſes , vous
>> avez donc oublié ces règles d'honnêteté,
>>de bienséance & de modération qui
> diftinguent & caractériſent l'homine de
JUILLET 1767. 145
lettres ! Un léger trait de critique , un
» mot équivoque a bleſſé votre amour-
» propre ; dès- lors vous vous croyez en
>> droit de ne rien ménager. Ce n'eſt
» plus ce poëte des grâces , dont la lyre
>> rendoient les fons les plus touchans ;
>> c'eſt un eſprit agité par les furies qui
>> embouche la trompettede la diſcorde...
>> Ce n'eſt plus cet orateur dont l'éloquence
>> grave & folide charme , ravit , enlève
>> tous les eſprits ; c'eſt un déclamateur
>> outré , violent , emporté , dontla bouche
>>diſtille le fiel le plus amer. Ce n'eſt plus
>> ce philoſophe qui , maître de ſes paf-
>>>ſions , confervoit ſon âme dans le calme
>> & dans le repos ; c'eſt un vile fophifte
>> que la haine tranſporte & que la ven-
» geance enflame . ",
Ailleurs , pour éclairer ſur le danger de
fuccomber à la féduction des louanges ,
M. Bouillet dit : " Etre l'interprête ou l'or-
>> gane de la vérité , le diſpenſateur des
>> lumières; eſt-il une occupation plus digne
>> de l'homme , un état plus eſtimable ?
>> Mais qu'il eſt rare , qu'il eſt difficile ,
> lorſque tout nous distingue , de ne pas
>> nous diftinguer nous-mêmes ; lorſque
>>tout nous élève , de ne pas nous élever
>> au- deſſus des autres; lorſque tour flatte
44 MERCURE DE FRANCE
notre amour-propre , de réſiſter ſans ceſſe
> àſes complaiſances & à la vanité qu'elles
- inſpirent » !
Voici comment , dans un autre endroit ,
cer Académicien dépeint les effets de la
prévention.
« Les plus frivoles conjectures devien
» nent des certitudes pour un homme pré-
„ venu ; il voit toutes les raiſons qui favo-
>> riſent ſes préjugés , & les voit dans toute
ود leur force , mais il ne voit qu'elles. Il
» s'aveugle dans le ſein de la lumière....
>>L'amour- propre lui déguiſe ſes erreurs ,
ود il a même l'art de les lui juſtifier , mais
> ildevient ſon ſupplice.Aquelles épreuves
>> ne le réduit- il pas ? il le met continuel-
» lement à la gêne. Que de veilles qui le
>> fatiguent pour éguiſer la pointe d'une
» épigramme, quede triſtesnuits employées
» à compoſer des écrits indécens & fatyri-
> ques contre des rivaux imaginaires ! A
» l'entendre , il ne fait que ſe défendre ,
» il fait les juſtes bornes dans lesquelles il
>> doit ſe renfermer , il ne voudroit pas les
>> franchir , ni ſe permettre le moindre
>> écart ; il a des vues innocentes , des
>> intentions légitimes. Vains projets ! la
> paffion , qui fait le ſecret du coeur , n'en
>>eſt pas alarmée , & elle confommebien-
» tôt fon ouvrage ,, .
Cette
JUILLET 1767. 145
Cette lecture a été ſuivie de celle d'un
diſcours à M. Perret , fur l'amitié.
Les hommes ont toujours regardé l'amitié
comme un ſi grand bien , qu'il n'eft
peut - être point de ſujer ſur lequel les
philoſophes & les orateurs ſe ſoient plus
exercés , & l'on pourroit croire , au premier
coup- d'oeil , que la matière eſt épuiſée
; mais , depuis quelques années , pluſieurs
écrivains célèbres , abuſant des plus
beaux talens , ſemblent avoir pris à tấche
d'iſoler l'homme & de rompre tous les
liens quil'attachentàla ſociété. Pour ſuivre
même une partie de ce barbare projet , on
n'a pas craint de mettre " la parfaite ami-
» tié au rang de ces vertus idéales enfan-
>> tées dans le délire d'un ſonge philoſo-
>> phique ; on n'a pas craint de la dégrader
>>juſques dans ſon principe , dans ſes mo-
>> rifs & dans ſes effets , & de prétendre
» que dans nos moeurs elle n'eſt ni poffi-
>> ble ni utile ».
Tout homme ſenſible , tout homme qui
connoît le prix de l'amitié , & qui ſçait en
remplir les devoirs , doit être révolté par
de ſemblables paradoxes. Auffi M. Perret
en a-t- il été vivement affecté , & s'il élève
encore la voix en faveur de l'amitié , c'eſt
pour diffiper l'illufion que pourroient faire
les fophifmes de ces écrivains dangereux,
Vol. I. G
146 MERCURE DE FRANCE.
« La parfaite amité eſt poſſible dans nos
>> moeurs ; elle nous eſt auſſi néceſſaire
>> qu'elle le fut jamais » . Voilà les deux
vérités que M. Perret établit dans ce difcours
, & dont le développement en remplit
ſucceſſivement les deux parties. Comme
il n'eut pas le temps de lire la ſeconde
dans cette féance , je ne donnerai ici que
l'analyſe de la première.
« C'eſt en exagérant la pureté des prin-
>>cipes de la parfaite amitié & l'étendue
>>de ſes devoirs , qu'on cherche à perfuader
>>de l'impoffibilité de fon exiſtence » ; mais
en réformant les fauſſes idées qu'on en
donne , M. Perret prouve que « l'amitié
>> peut être vive , conftante , courageuſe ,
>> parfaite , en un mot , fans ceſſer d'être
>> ſoumiſe à la religion , fubordonnée aux
>> loix, & proportionnée aux forces de l'humanité
; que cette amitié eſt donc poffi-
» ble dans nos moeurs ».
ود
Un parallèle des traits les plus remarquables
d'une parfaite amitié , confervés
dans les faſtes de l'hiſtoire ancienne , &
de ceux que nous offrent les annales du
ſiècle précédent & de celui- ci , achève de
donner à cette vérité la plus grande évidence.
La générofité du Capitaine Algérien qui,
pendant le bombardement d'Alger , s'exJUILLET
1767. 147
poſa àmourir avec un François , ſon ami ,
dont il ne pouvoit fauver la vie.
La fermeté inébranlable du Chevalier
Bourdin , que le crédit & les menaces des
ennemis du Chevalier Rey de Soupat ne
purent détacher de cet infortuné ; qui ſe
laiſſa même charger de fers & traîner dans
an eachot plutôt que de l'abandonner , &
qui eut la gloire de faire triompher l'innocence
de fon ami & punir ſes calomniateurs
.
La retraite à laquelle , au rapport de
M. Freron , un de mes contemporains ſe
livre pour trouver , par ſon économie , les
moyens d'élever les enfans de ſon ami &
de pourvoir à leurs établiſſemens , font
des faits que M. Perret oppoſe avec avantage
, dans ce parallèle , au célèbre combat
d'Oreste & de Pilade , au dévouement gé .
néreux de Démétrius , de Zunion pour
ſauver Antiphile , & à la fidélité d'Aréthus
dans l'exécution du teſtament d'Eudamidas
.
Je fupprime à regret la plupart des
détails de ce parallèle ; mais , gêné par les
circonſtances , je dirai ſeulement qu'on y
voit Montagne & la Boetie , Voiture &
Coftar , comparés avec ſuccès aux amis les
plus célèbres ; & que ſi l'antiquité admira
« Lifimaque allant viſiter Calisthène , ren-
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
» fermé dans une cage de fer & condainné
» à mort par Alexandre ; on a vu , ſur la
>> fin du ſiècle précédent , Peliſſon écrire
» pour justifier M. Fouquet , & cet Acadé-
>> micien aller ſouvent , avec Sarazin ,
>> pleurer ſur le tombeau de ce Miniſtre
» malheureux.
» On a vu le Comte d'Aubigné conti-
> nuer ſon commerce d'amitié avec M.
» de la Trémouille , même malgré les re-
>> proches d'Henry IV » .
Des preuves de faits auſſi frappantes ,
réunies aux raiſonnemens employés par
M. Perret , l'autoriſent bien ſenſiblement
à prétendre que la parfaite amitié eſt poffible
dans nos moeurs,
La féance a été terminée par M. Guenaud
de Montbelliard , qui a lu un mémoire
fur l'inoculation .
On a déja pluſieurs fois , mais inutilement
, élevé la voix dans cette Académie
en faveur de l'inoculation ( 2 ) ; les préju-
( 2 ) M. Maret , Docteur en Médecine , Secrétaire
perpétuel de l'Académie , après avoir fait un
voyage à Genève en 1756 , pour joindre à la théorie
de l'inoculation les lumières que la pratique
peut donner , lut , dans la ſéance publique de la
rentrée, au mois de décembre de la même année ,
une differtation où il établiſſoit l'importance de
Pinoculation , par l'expoſition des riſques que la
petite-vérole naturelle fait courir aux habitans de
JUILLET 1767. 149
gés ſe ſont toujours oppoſés , en cette province
, à la pratique de cette importante
découverte. Tiendront-ils contre la force
des raifonnemens & de l'exemple de M.
Guenaud ? Ne faiſons pas à nos concitoyens
l'injustice de le préſumer. On ne peut
prêter à cet Académicien aucunes vues
d'intérêt , on ne peut lui ſuppoſer aucune
prétention. C'eſt un père tendre qui , après
s'être convaincu de la bonté , de l'utilité
de l'inoculation , a porté lui - même la
petite- vérole dans le ſein de ſon fils unique.
C'eſt un citoyen zélé qui , s'applaudiffant
d'avoir ainſi écarté de cet enfant
chéri les dangers d'une maladie cruelle ,
veut engager ſes concitoyens « à ſe procu .
>> rer bientôt le bonheur dont il jouit » ,
& qui , par l'hiſtoire de l'inoculation de
ſon fils , par l'expoſition des motifs qui
l'ont décidé à prendre le parti de l'inoculer
, cherche à inſpirer à ſes compatriotes
de la confiance pour une méthode auffi
facile à pratiquer qu'elle eſt ſalutaire.
Quelle impreffion ne doit donc pas faire
cette ville , & par les avantages qu'on trouvéroit
dans la pratique de l'inſertion. En 1759 & en
1760 il lut encore différens mémoires ſur le même
ſujet , & il a inoculé lui-même ſon fils en 1764 .
Cet enfant venoit d'avoir une petite vérole volante,
Tinſertion fut fans effet , & la plaie guérit en auſſi
peu de temps qu'une plaie fimple .
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
fon ouvrage fur ceux qui cherchent de
bonne foi la vérité , & dont l'oreille n'eft
point fermée aux cris de l'humanité !
On n'entrera ici dans aucun détail fur
ce qui est arrivé au fils de M. Guenaud
la fuite de l'infertion , on ſe contentera
de dire que cet enfant fut inoculé pendan
qu'il dormoit , & qu'il eut une petitevérole
très -difcrette & de la meilleure efpèce.
L'on citera ſeulement quelques raifonnemens
de l'auteur.
« Le fort de mon enfant eſt dans mes
>> mains , s'étoit-il dit à lui-même , & je
>> dois en diſpoſer , non felon mon goût ou
>> ma foibleſſe , mais felon fon intérêt &
» l'équité , & felon une équité d'un ordre
>> bien ſupérieur , puiſque les devoirs ne
>> font jamais remplis parfaitement entre
>> un père & un fils , que lorſqu'ils ſe ſont
ود fait l'un à l'autre tout le bien qu'ils
>> pouvoient ſe faire. Or , quel plus grand
>> bien puis-je faire à mon fils que d'écar-
>> ter ou diminuer les dangers qui l'envi-
>> ronnent ? & file riſque d'attendre la petite
>>vérole eſt beaucoup plus grand que celui
>> de la prévenir par l'inoculation , je vois
>>mon devoir & je le ferai.
>>Pluſieurs m'ont retenu le bras , ajoute
» M. Guenaud, & m'ont dit : qu'allez -vous
>> faire ? en inoculant votre fils vous
>
JUILLET 1767. 191
ود
vous chargez de l'événement : & s'il
>> étoit malheureux ! ... Ce raifonnement ,
>> d'une politique froide , m'a toujours dé-
>>chiré le coeur ſans jamais influer fur ma
réſolution. Je ſentois trop qu'un père ,
» qui voit un grand bien à faire à fon fils ,
>>n'hésitera jamais par la crainte de ſe
>> compromettre ; que c'étoit ma qualité de
» père & la néceſſité d'opter entre deux
>>dangers,qui me chargeoit de l'événement;
>>que la témérité dans ce cas ne confiftoit
» point à agir , mais à préférer le parti le
>> plus hafardeux , fût-ce celui de ne rien
>> faire , & que toutes les inſpirations de
> la prudence s'uniſſoient aux cris de l'a-
> mour paternel pour me porter à exami-
>>ner les faits , à peſer les probabilités &
>> à ſuivre courageuſement le parti qui me
>>paroîtroit le meilleur à l'enfant , dût-il
>>être le plus pénible pour le père » .
M. Guenaud entradans cet examen avec
toute la bonne foi & l'application que demandoit
une queſtion auſſi intéreſſante
pour lui. Il donne ici le réſultat de cet
examen , & l'on voit qu'après avoir apprécié
les riſques auxquels la petite vérole
naturelle expoſe , après les avoir oppofés
à ceux que la factice fait courir, il reconnut
que , même dans la ſuppoſition la
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
moins favorable , tout étoit à l'avantage de
celle-ci .
Tout le monde ſait avec quelle complaiſance
les adverſaires de l'inoculation
ont ſaiſi l'objection que M. Dalembert a
faite contre la manière dont juſqu'à préſent
on a procédé pour faire fentir la
différence des dangers auxquels la petitevérole
naturelle & la factice expoſent.
Mais en convenant , avec ce célèbre géomètre
, " que ſi l'on veut faire un parallèle
>> exact des deux riſques , il faut que les
>> temps foient égaux » ; M. Guenaud a pris
le parti , d'après l'idée de M. Daniel Bernoulli
, de comparer la vie moyenne des
inoculés à la vie moyenne de ceux qui
attendent la petite vérole , & il a trouvé ,
toujours en partant de la ſuppoſition la
plus défavantageuſe , que " l'inoculation
>> rendroit plus à la vie humaine par le
>>grand nombre de perſonnes préſervées ,
» qu'elle n'en retrancheroit par la briéveté
>> des jours du peu de perſonnes qui fuc-
» comberoient » .
Une table calculée d'après celles de M.
de Saint-Maur le conduit à cette conféquence.
Quant aux autres objections qu'on a
faites , & que les perſonnes peu inſtruites
JUILLET 1767. 153
ou mal intentionnées ne ceſſent encore de
faire contre l'inoculation ; comme tout a
été dit & redit fur cette matière , M.
Guenaudfe borne à un raiſonnement bien
fimple qui , felon cet Académicien , répond
à toutes « les difficultés qu'on a faites
ou que l'on pourra faire , & qui terraſſe
>> d'un ſeul coup l'hydre des objections
>> renaiffantes.
>>L'inoculation rejettée aujourd'hui par
>> quelques perſonnes qui ne la connoiffent
>> ni ne la veulent connoître , a été admiſe
>> juſqu'ici par- tout où elle s'eſt préſentée ,
>> chez une multitude de peuples ignorans
» ou lettrés , libres ou eſclaves , policés ou
>> barbares , des zônes brûlantes ou des
>> climats glacés. Tous l'ont reçue plutôt
>> ou plus tard , tous l'ont adoptée comme
>> une pratique ſalutaire , aucun n'y a
> renoncé après en avoir connu l'uſage.
>>Le médecin , le philoſophe , l'homme
» d'Etat , ont penſé , ont agi ſur ce point
>> comme le peuple. Cependant les objec-
>> tions qui ſe reproduiſent de nos jours
>> avoient éré faites & pouffées fort vive-
>> ment en pluſieurs de ces mêmes pays où
l'inoculation règne aujourd'hui ; donc ,
>> fuis-je en droitde conclure, que ces objec-
>> tions ont été démenties par les faits . II
>> n'eſt donc pas vrai que l'inoculation bien
ود
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
>> adminiſtrée ſoit meurtrière ; que la pe-
>>tite vérole qu'elle donne ſoit ſujette à
>> retour , qu'elle communique des dartres ,
>> le ſcorbut , les écrouelles& tant d'autres
» maladies honteuſes ou terribles dont le
>> catalogue ſemble faitexprès pour effrayer.
>>Elle n'augmente donc ni la contagion
>> ni la mortalité de la petite vérole natu-
>> relle. Il eſt donc enfin démontré , par
>> la plus forte des preuves , par celle qui
>> ſe tire de l'expérience de pluſieurs na-
» tions , de moeurs , de loix , de climats
» & de cultes différens , que l'inoculation
>> eſt une bonne choſe. ... ”.
A Dijon , ce 8 juin 1767. MARET.
JUILLET 1767 . 155
ACADÉMIE de LA ROCHELLE.
L'ACADÉMIE Royale des Belles- Lettres
de la Rochelle tint ſon aſſemblée publique
le 6 Mai dernier. M. Mercier Dupaty,
Tréſorierde France, ouvrit la ſéance
en qualité de Directeur. Il débuta ainſi :
<< Meffieurs , en me permettantde venir
» penſer au milieu de vous , & de mêler
» mon âme avec la vôtre , vous m'avez
>> préſenté des obligations ; car vos bien-
ود faits font comme ceux de la nature , des
>> devoirs que vous donnez à remplir. Pour
» m'y conformer , je mis ſous vos yeux , il
» y a un an , le portrait d'un grand homme
» qui fut utile ; combien n'ont été que de
ود brillans fléaux ! Onpourroit preſque cal-
>> culer les malheurs des Etats par leurs
>> grands hommes , comme les degrés de la
>> corruption morale par les vertus....
M. Dupaty fait une analyſe ſuccincte
de la première partie de l'éloge du Chancever
de l'Hôpital. Il dit , en parlant de
fon éducation : " ſon âme fut de bonne
>> heure à lui toute entière , il ne dut
" rien à ces hommes trop ſouvent merce-
>> naires où lâches qui vendent leurs pré
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
>>jugés &leur ignorance, fontmétier d'éf-
>>facer les premiers traits de la nature dans
» les jeunes âmes , & les preſſent de mû-
>> rir & de penſer avant le temps ; ſembla-
ود bles à ces jardiniers qui forçent des ger-
» mes raffemblés dans des ferres , d'éclore
>> malgré la nature , veulent par une cha-
>>leur factice ſuppléer au folcil , & faire
» eux mêmes la ſaiſon qui leur con-
» vient » .
Paffant au plan de ſa ſeconde partie ,
l'auteur montre l'Hôpital dans la folitude.
<<C'eſt là, dit- il, que fonâme,loin des préju-
>>gés qui la fouloient dans lemonde,s'éten-
>> doit & s'élançoit... Dans le monde, l'Hô-
>> pital connut les hommes quoique fon
» coeur fût bon ; il n'y a guères , en effet ,
>>que les malheureux & les méchans qu
>> puiffent les connoître » .
M. Dupaty expoſe les principes de l'Hô
» pital fur la légiflation , la réformatio
qu'il y mit , ſes idées ſur le gouverneme
féodal. « Ce gouvernement , dit l'auteur
» qui fut long- temps celui des François
>> gouvernement le plus aucien ſans doute
» & le plus naturel , ſe précipitant d
>> l'anarchie ; gouvernement auſſi légitime
>> qu'aucun autre , & qui n'eſt , à le bien
>>prendre , que le malheur de régner , par-
>> tagé entre un plus grand nombre.
JUILLET 1767. 157
Après quelques réflexions ſur la nécefſité
des loix , qu'il appelle le fondement &
les garans néceſſaires des propriétés , M.
Dupatys'excuſe ainſi , de n'avoirpu mettre
la dernière main à cet ouvrage. « La ma-
>> ladie , Meſſieurs , fit tomber mes pin-
>> ceaux. J'éprouvai cet état indéfiniſſable
» & terrible , où tout- à-coup les roues de
>> la machine ceſſent de jouer enſemble ,
" où les yeux rejettent la lumière, où l'âme.
>> ne fent plus ſon reſſort , où la glace de
>>l'imagination ſe ternit & ne réfléchit
>>plus à travers des organes languiſfans que
>> des images vagues & décolorées.... Je
>> réſervai , dit l'orateur , la dernière partie
ود de l'éloge du Chancelier de l'Hôpital à
>>de plus heureux temps , & j'entrepris un
>>diſcours plus analogue à mes forces , con-
>> tenantdes réflexions ſur la littérature Al-
>> lemande ».
M. Dupaty trace d'abord les progrès des
Allemands dans les ſciences , il fait voir
ceux qu'ils ont faits dans la poéſie. « C'eſt
ود denos jours , dit-il, que les poëtes Alle-
>> mands ont cueilli les plus belles fleurs .
>> Leurs âmes brulantes ont verſé dans
ود l'ode & l'épopée le délire le plus fu-
>>blime. Ils ont ſçu mettre avec adreſſe ſur
>>la vérité la gaſe légère de la fable. Ils
>> ont aiguiſé des épigrammes , ils ont
I198 MERCURE DE FRANCE.
>> chauffé le cothurne & le brodequin ;
» mais leur théâtre a produit juſqu'ici peu
>> de chefs - d'oeuvres àcauſe de Racine&de
>> Corneille; leurs ridicules attendentencore
>> un Molière . Le genre qui leur fait le plus
>> d'honneur est le genre paſtoral. Leurs idy-
>> les , ſemblables à ces verres qui font def-
>> cendre fous nos yeux les aftres , rappro-
>> chent le bonheur le plus à la portée du
>> coeur humain qu'il eſt poſſible. Ces
>> poëmes charmans,où la nature eſt ſi belle,
>> fi douce & fi ſimple , font oublier Théo-
» crite & Virgile. Leurs bergères font re-
>>gretter l'âge d'or. Ces poëtes ont auffi
>> chanté dans des vers immortels , ce qu'il
» y a de plus brillant , de plus léger & de
>>>moins durable dans la nature , les fleurs ,
>>le plaifir & les belles. Leurs chanfons
>> reſpirent une facilité molle , une mélan-
> colie douce qui décelent les grâces. La
» plus jeune pourroit les entendre toutes
>>ſans baiffer les yeux. L'irreligion & le
>> cyniſine n'ont jamais fouillé leurs pin-
>> ceaux. La volupté qu'ils ont chantée eſt
>> cette volupté recueillie & de ſentiment
» qui tient au calme du coeur , & à cette
>> naïveté d'innocence qui n'eſt preſque
>> plus à notre uſage.... Pluſieurs de leurs
>>poéſies légères rendroient jaloux ce Grec
aimable , qui s'eſt rendu ſi célèbre avec -
JUILLET 1767. 159
> ſa lyre , ſa coupe & fon coeur, but & aima
>>en philoſophe , badinoit en cheveux
>>blancs avec les amours , & laiſſa la vie
>>ſurdes rôſes à quatre-vingtsans; Anacreon
>>dont les jolies hymnes méritent d'être
>>chantées par l'énus à ſon réveil , lorſque
>>>les Grâces treſſent ſes cheveux & met-
>> tent des rôſes fraîches dans fa ceinture »
L'auteur ſe propoſoit de traduire pluſieurs
morceaux dans divers genres qu'aucun
traducteur n'a fait connoître ; il devoit
finir en comparant le géniede la littérature
allemande avec celuide la littérature
françoiſe & italienne. Il n'a pu remplir fon
plan tout entier ; la mort de ſon père à fufpendu
ſon travail. « La nature , dit- il , en
>> finiſſant , m'a demandé des larmes ; le
>> premier devoir de l'homme eſt d'avoir
» un coeur. L'interruption de mon travail
» auroit-elle beſoin d'excuſe ? Vous avez
>> Meſſieurs , partagé ma douleur & ma
>>perte ; ce n'eſt pas pendant l'orage qu'on
» va cueillir des fleurs : la meſure de vos
>> regrets doit être la meſure de votre in-
» dulgence ».
M. de la Faille , Chancelier de l'Académie
& premier Sécretaire , lut enſuite
un discours , dans lequel il examine lefentiment
des anciens & des modernesfur l'ori
gine des macreuſes.
160 MERCURE DE FRANCE.
\
Après avoir jetté un coup- d'oeil rapide
ſur les ſyſtèmes ridicules de quelques anciens
, fur les générations qu'ils ont cru
fortir des règles ordinaires de la nature ,
l'auteur décrit le coquillage , généralement
connu fous le nom de conque anatifère ,
dont l'étymologie annonce affez le prétendu
privilege. On l'appelle en Bretagne
Sapinette , parce qu'il s'attache au ſapin ,
clakis en Angleterre , & cravan en Amérique.
« C'eſt , dit- il , le coquillage ſur lequel
>> l'aveugle antiquité a débité tant de fa-
» bles , & dont les ſavans ont écrit tant de
>> choſes incroyables , foit en le regardant
>> comme l'origine & le principe d'une gé-
>> nération contraire à l'ordre naturel , foit
>> en le métamorphoſant lui - même en ma-
>> creuse. Nos modernes, fans admettre en
>> entier ces rêveries , ont cru éclaircir le
>> myſtère , en diſant que cette forte d'oi-
>> ſeaux pouvoit fort bien pondre ſes oeufs
>> dans ces coquilles , & les ſubſtituer à la
>>place du poiffon qu'ils becquettent à cet
>>effer. Ce qu'on lit à ce ſujet dans le re-
>> cueil de différens traités de phyſique
>& d'hiſtoire naturelle , par M. Deflandes
, Membre de l'Académie , im-
- primé à Paris en 1736 , eſt plus curieux
» que fondé en vérité ».
JUILLET 1767.. 161
Ce phyſicien dit avoir vu juſqu'à deux
fois fur des débris de vaiſſeaux , des embrionsd'oiſeaux
plus ou moins développés ,
enfermés dans des moules & des cammes ;
il y a même trouvé des oeufs enveloppés
d'une matière viſqueuſe &gluante.
M. de la Faille avoue qu'une aſſertion
auſſi forte de la part d'un phyſicien de réputation
, feroit bien capable d'accréditer
l'erreur ; c'eſt pourquoi il s'attache à faire
voir le peu d'exactitude de M. Deflandes .
Nous allons laiſſer parler M. de la Faille
lui-même.
" De tous les auteurs qui ont traité cette
>> matière , il eſt le ſeul qui faſſe fortir des
> oiſeaux des moules & des cammes. Tous
>>les autres écrivains n'ont accordé ce pri-
>>vilége qu'à nos fapinettes . Pourquoi des
>>milliers de moules qui couvrent nos côtes
» & nos bouchots , n'ont- elles jamais four-
>> ni un pareil exemple ? Ces coquillages
>>s'attachent , il est vrai , par un gluten ,
>>quelquefois par leur biſſus , aux bois ,
>> aux rochers & aux corps marins ; mais
> on ne peut pas dire qu'il en ſoit ainſi des
>> cammes qui ne vivent jamais que dans
>>le fable , dans le limon ou dans la pierre.
>> Cette coquille , d'ailleurs , non plus que
>> fon poiſſon , n'a rien qui puiſſe la coller
» à la carenne de nos vaiſſeaux. Auſſi n'y
162 MERCURE DE FRANCE.
>> trouve- t- on le plus ſouvent adhérens que
>> des glands , des pouffepieds , des huitres
>> à bec & à raſteau , des paquets de mou-
>> les & preſque toujours des conques ana-
>>tifères. Voyons à préſent ſi cette ponte
» de la part de nos macreuſes, dans un nid
>> auffi extraordinaire , a quelque fonde-
» ment , ou plutôt ſi elle eſt poſſible » .
M. d'Argenville, auffi Membre de notre
Académie , a prévu l'objection & fa difficulté.
Pour y répondre , il avance à la
pag. 317 de fa Conchil. édition de 1757 ,
« qu'il ſe pourroit faire que , comme la
>> conque anatifère s'ouvre dans la mer , elle
>> laiffât entrer l'oeuf de la bernache qui eſt
>> très-petit , mollaffe , & environné d'un
>>mucilage par lequel il ſe colle aux dif-
>>férens corps qu'il rencontre. Cet oeuf,
>> ainſi attaché au poiffon de la conque ana-
» tifère , en tire fa nourriture en vrai pa-
>>rafite , ainſi que de l'eau de la mer. Cette
>>folution hafardée a tout l'air d'un para-
>> doxe , dit M. de la Faille : l'auteur qui
>>ne cite pas ſon garant , s'eſt livré tout
>> entier à l'eſſor d'une imagination pré-
>> venue. Comment prouver que les oeufs
>> de la macreuse font , contre l'ordre na-
>> turel , petits , mollaffe & fans coque » ?
M. de la Faille fait la defcription de la
macreuse , eſpèce de canard dont le mâle ,
JUILLET 1767 . 163
à cauſe de la noirceur de fon plumage , eſt
appellé à Paris , diable de mer , & dit que
dansune femelle vivante qu'il eut en 1756 ,
il trouva l'ovaire tout à fait ſemblable à
celui des autres oiſeaux ; il y vit des oeufs
dont les plus avancés égaloient en groffeur
ceux de la poule , & avoient la coque
liffe , ferme & très-fèche. " Comment ,
ajoute- il , un pareil volume , qui n'eſt pas
>> flexible , pourroit- il être dépoſé ou s'in-
>> troduire dans l'intérieur d'une coquille
>> naturellementplate, qui n'a pas la moitié
>> de cette groſſeur , & dont l'ouverture ne
>> fauroits'étendre au delà des à ó lignes ?..
>> Le Docteur de Graind'orge eſt le
>> feul qui , malgré la prévention de fon
>>fiècle , ait cru que les macreuſes ſe repro-
>>duifoient comme les autres oiſeaux ;
>> mais iln'ena fourni aucunes preuves: auſſi
>> fon ouvrage poſthume , quoique com-
>> menté & mis au jour par une main ha-
»bile, (le célèbre Malouin) n'a rien changé
dans les eſprits » .
Aux objections que M. de la Faille propoſe
contre le ſentiment de MM. Deflandes
& d'Argenville , il joint le témoignage
non fufpect & fans intérêt de Girard de
Weer, Hollandois , dans ſa troiſième navigation
en 1596 , dont il rapporte ces termes
: " Nous trouvâmes grand nombre
164 MERCURE DE FRANCE.
>> d'une forte d'oiſons ou de canards .....
>> Nous en avons fait cuire un avec environ
» ſoixante oeufs .... On n'avoit pu ſavoir
>>juſqu'à préſent où ils pondent & où ils
>> couvent leurs oeufs , ce qui avoit porté
>>pluſieurs anciens auteurs à affurer qu'ils
> croiffoient en Ecoſſe , à des branches
d'arbre qui pendent au-deſſus de l'eau ,
dont les fruits qui y tombent deviennent
de petits oifons nageans. Ce n'eſt
>> donc pas merveille qu'on n'ait pas ſçu
>>juſqu'à préſent où ces oiſeaux pondoient
>> leurs oeufs , vu qu'il n'eſt perfonne qu'on
> ſache qui ait encore pénétré ſous la hau-
> teur du quatre- vingtième degré..... &
>> encore moins que les rot-gans y couvent
>> leurs petits ».
ود
ود
.... ود
Un curieux militaire a obſervé pendant
dix-huit mois , fur les côtes de Bretagne ,
les conques anatifères ; l'auteur les a examinées
bien des foisdans l'anſede Coreille,
près la Rochelle , mais fans y voir jamais
ni oeufs ni oiſeaux ..
« Quelle peut donc être la ſource d'une
>> mépriſe aufli accréditée ? Je la trouve ,
>> dit, en finiſſant , M. de la Faille , dans
>>le plumaſſeau de la conque anatifère ,
>> dont les filamens ont quelque reſſem-
>> blance avec l'aîle d'un oiſeau couvert
>> de ſon premier duvet ; reſſemblance imJUILLET
1767. 165
> parfaite , qui ne peut féduire que des
>> yeux inattentifs ou prévenus » .
M. Arcere , de l'Oratoire , ancien Secrétaire
perpétuel , lut des Réflexions fur les
vertusfociales. On ne donne point l'extrait
de cette pièce , l'auteur ſe propoſant de la
donner inceſſamment à l'impreſſion.
M. Seignette, Avocat, ſecond Secrétaire,
donnaenſuite l'applicationdedeux médailles
ou jettons frappés en 1632 , par la ville
de la Rochelle , enl'honneur de M. de Villemontée
, Intendant des provinces entre
Loire & Garone. M. Seignette invita ſes
concitoyens à la recherche des ces jettons
confondus avec la monnoie , &qui , quoique
de peu d'utilité , dit- il , pour l'hiſtoire
générale , font cependant précieux pour les
deſcendans de ceux qui les ont fait frapper,
M. Bernon de Salins , Avocat , lut enſuite
l'éloge hiſtorique de MM. Valin ,
de Chaffiron & Dupaty , que l'Académie
a perdus depuis peu. Quoiqu'elle ne ſoit
pasdans l'uſage de faire l'éloge de ceux que
la mort lui enlève , elle n'a pas cru devoir
s'oppoſer au deſſein formé par M. Bernon ,
de payer ce tribut à leur mémoire. Il n'eſt
pas poſſible de donner un extrait bien exact
de ces trois diſcours , on ne peut que préſenter
des morceaux détachés ; on préfé-
:
166 MERCURE DE FRANCE.
rera ceux qui peuvent faire connoître les
perſonnes dont il parle.
Le premier éloge eſt celui de M. Valin ,
Avocat au Préſidial , Avocat & Procureur
du Roi à l'Amirauté , & Secrétaire perpétuel
de l'Académie pendant environ trente
années ; il eſt auteur du commentaire fur
l'ordonnance de la marine , de celui de la
coutume de la Rochelle , &c.
« Il a vécu parmi nous , dit l'auteur ,
>> il a rempli tous les devoirs d'un bon
>> citoyen , il a enrichi la jurisprudence du
" fruit de ſes veilles. Ses ouvrages porte-
>>ront fon nom à la poſtérité la plus recu-
>> lée , ils ſubſiſteront autant que nos loix
>>auprès deſquels il a placé le flambeau
» de ſon génie. Dans quelques fiècles les
>> villes voiſines ſe diſputeront la gloire de
" lui avoir fervi de berceau , les ſavans
» feront des recherches ſur ſon origine ,
» ignorée de ſes concitoyens , qui ont recueilli
les premiers fruits'de ſes travaux ....
M. Valin prêta le ferment d'Avocat ; il
» apporta à cette profeſſion toutes les dif-
>> poſitions néceſſaires , une mémoire ornée
ود
و د
de belles connoiſſances , un eſprit droit
» &un coeur pur...... La confiance publique
» fut la récompenſe de ſes travaux : un
>> homme moins laborieux eût à peine ſuffi
JUILLET 1767 . 167
> aux affaires dont il fut chargé ; l'ordre
» & l'affiduité , ces deux économes du
>>temps , lui permirent encore d'entrepren-
>> dre & d'exécuter de grandes choſes » .
Après avoir parlé des ouvrages de M.
Valin , qui avoient la juriſprudence pour
objet , l'auteur ajoute : " on attribue à
>> l'étude des loix comme à celle des ma-
>> thématiques de deſſécher l'eſprit en le
>> rectifiant , mais il ſemble que le deſtin
>> de M. Valin fut d'acquerir toujours &
>> de ne rien perdre. Son amour pour les
>> lettres ſauva ſes écrits de cette ſéche-
>> reſſe qu'euſſent excuſée l'importance &
>> la gravité des ſujets. Il lui mérita encore
>>d'être déſigné par le Roi pour remplir
>> une place à l'Académie lors de fon éta-
>> bliſſement. M. Valin n'enviſagea que
>> les nouveaux devoirs qu'on lui impo-
>> foit : il fut plus affidu que l'on n'avoit
>>droit de l'eſpérer à nos féances particu-
>> lières , & parut aux féances publiques
>> avec l'éclat auquel on s'étoit attendu.
>> Nos recueils font enrichis de pluſieurs
>> de ſes difcours. Le choix des ſujets fai-
>> ſoit autant d'honneur à fon coeur que le
>> ſuccès en faiſoit à fon eſprit. M.
Valin fut donc jurifconfulte , magiftrat ,
académicien ; il fut plus , il futbon citoyen
&père tendre,
....
168 MERCURE DE FRANCE.
L'auteur , parlant de M. Martin de
Chaffron , Tréſorier de France honoraire ,
dit : ... " il n'avoit fait ni rhétorique ni
>> philofophie , il fut homme de lettres &
>> philoſophe.... Il occupa ſucceſſivement
• deux places de migiſtrature au Préfidial
» & au Bureau des finances » .
M. Bernon le confidère ſous ces différens
points de vue : quand il le confidère
comme homme de lettres.... « Homme
>> de lettres , il fut un des fondateurs de
>> cette Académie , il en fut auſſi l'ornement,
» Tant que ſa ſanté lui a permis de paroî-
>> tre à nos féances publiques , il ne s'y eſt
>>point préſenté les mains vuides. Il a com-
>> poſé un grand nombre d'ouvrages ; la
>> partiedes théâtres eſt celle qui luia fourni
» le plus d'obſervations. Ses réflexions fur
» le comiqne larmoyant font un chef- d'oeu-
>>vre. Nous avons pour garant l'éloge qu'en
» a fait * ce beau génie qui , ayant réuni
>>>toutes les couronnes de la littérature ,
>> n'en détache qu'avec précaution quel-
>> ques feuilles qu'il diſtribue d'une main
» économe » .
Le confidérant comme philoſophe....
" M. de Chaſſiron fut philofophe : il ſcut
vivre & mourir. Dans fa jeuneſſe il pro- ১১
ود fitadetous les avantages qu'il avoit reçus
Préface de Nanine,
"
de
JUILLET 1767. 169
ود
ود
ود
de la nature pour trouver le bonheur au
milieud'une fociété dont il fit lesdélices.
,, Quand les infirmités l'avertirent qu'il
devoit ſe retirer des cercles , il ne lutta
,, point contre la néceſſité ; il ſe renferma
dans fon cabinetoù l'Académie le ſuivit;
>> pluſieurs de nos féances particulières ſe
tinrent chez lui. Ses dernières paroles
furent celles d'un homme juſte qui a
» parcouru la carrière ſans remords & la
,, termine fans crainte. Le 18 mars M. de
→ Chaſſiron diſoit à ſes amis qu'il n'auroit
, pas cru que l'on pût mourir auffi tran-
,, quillement , & le ſoir du même jour
M. de Chaſſiron n'étoit plus ,, .
"
ود
هد
Le dernier éloge eſt celui de M. Mercier
Dupaty , Tréſorier de France honoraire ,
mort premier Secrétaire perpétuel de l'Académie
, & Membre de la Société
d'Agriculture..... Après avoir parlé des
études que M. Dupaty fit au collége
de Beauvais , ſous MM. Coffin & Crevier,
&des leçons utiles qu'il prit de M. Rollin ,
l'orateur ajoute : " il s'appliqua à l'étude
,, de cette fcience bienfaiſante qui pro-
,, longe la vie de ceux même qui l'accufent
de l'abréger ,, . ود
Il rend compte des circonſtances qui lui
firent abandonner l'étude de la médecine
& prendre un charge de Tréſorier de
Vol. I. H
170 MERCURE DE FRANCE.
France.... Il parle des ouvrages que M.
Dupaty a compoſés pour l'Académie. " Les
,, Newton,les Caffini ſe ſont élevés juſqu'au
ود
ود
ود ود
ciel pour obſerver d'un oeil curieux le
,, cours des aftres & deviner leurs loix.
M. Dupaty a cherché à en corriger les
influences M. Bernon donne une
courte analyſe des ouvrages de M. Dupaty,
qui ont rapport à l'agriculture , confidérée
relativement au pays d'Aunis , & fait voir
l'importance de ſes expériences & de fes
découvertes ; il ajoute : " pourquoi ne
m'eût - il pas été permis de comparer
l'aſtronome qui ſuit d'un oeil hardi la
marche rapide des corps célestes , & le
,, phyſicien qui , fixant ſes regards fur la
,, terre , l'échauffe par ſon génie & la force
de ſe couvrir de productions nouvelles
» & utiles ,, .
ود
ود
ود
"
>> Ce n'eſt pas de la terre ſeule que M.
>> Dupaty a exigé des reffources pour ſes
>> concitoyens; il nous a donné une fa-
>> vante differtation ſur les moules : il ſuit
>> ce coquillage dans tous les états, depuis
> ſon frai juſqu'au moment de la récolte.
>> Comme ſon but étoit toujours l'utilité ,
>> il ne s'appeſantit pas ſur des détails con-
>> cernant la coquille & l'admirable ſtruc-
>> ture de l'animal : il s'attache principale-
*>> ment au moyen de conſerver les bouchots
JUILLET 1767. 171
» à moules. Juſqu'ici on n'a trouvé aucun
>>bois qui pût réſiſter à la dent funeſte du
» ver tarière ; il indique de nouveaux
» effais ».
>>Nous ne citerons parmi ſes autres ou-
>>vrages que celui où il traite du marcher
>> des infectes ſur les corps durs & polis ,
>>placés verticalement. Il a ofé combattre
>>l'opinion de M. Pluche , fur le marcher
>> desmouches,&la cauſe des tachesqu'elles
>> laiſſent ſur les glaces. Le ſyſtême de M.
>> Dupaty a prévalu parmi les praticiens ».
On citera encore le morceau ſuivant ,
d'autant plus volontiers qu'il peint les vertus
, qui rendirent M. Dupaty cher à tous
ceux qui le connurent.
« M. Dupaty étoit né riche: cet obſta-
» cle ordinaire au progrès des ſciences , ſe
>> tourna dans ſes mains en reſſources pour
» étendre ſes recherches. Ses moeurs furent
>> douces , fon extérieur modeſte ; on eût
>> dit que la fortune eût pris à tâche de té-
>> duire ſon coeur ; elle le combla de tou-
>> tes ſes faveurs ſans lui enlever une veru .
» Ses ſupérieurs , ſes égaux, les pauvres
>>fur-tout , virent avec plaifir l'accroiffe-
» ment de ſes biens ; lui ſeul y eût été in-
,, ſenſible , s'il n'eût pas eu des enfans
» qu'il aima tendrement.
Après avoir parlé de la maladie de M.
172 MERCURE DE FRANCE.
Dupaty , l'auteur dit : « les eaux de bare
>>ges le foulagèrent , & fon eſprit s'oc-
>> cuppa dès ce moment du projet de faire
>> une fondation , qui procureroit tous les
>> ans à deux malheureux le moyen de faire
>> le voyage. Il vouloit auſſi établir un hô
> pital dans ſes terres ; il ſentit que les ma
>>ladies qui ne font que des afflictions
dans la maiſon d'un homme riche , font
» dans la chaumière du pauvre une cala-
>>mité de plus...
M. de la Faille termina le ſéance par la
lecture du programme ſuivant.
PROGRAMME de l'Académie Royale des
Belles-Lettres de LA ROCHELLE.
UN Membre de l'Académie voulant
donner une marque de fon amour pour la
Patrie & les Lettres , lui a remis les fonds
néceſſaires pour une médaille d'or de la
valeur de ſix cens livres, qui doit êtreadjugée
par l'Académie au meilleur difcours
dont le ſujet ſera l'éloge d'Henri IV. Cette
médaille doit être frappée exprès ; ellerepréſentera
d'un côté le portrait de ce Roi ,
ſi cher à la nation Françoiſe , qui en fut
auſſi le père . Le revers ſera décoré de cette
JUILLET 1767 . 179
deviſe: le bien bon ami des Rochellois , paroles
que ce grand Prince avoit adoptées
& qui font autant d'honneur à fon coeur
qu'elles font précieuſes & facrées pour les
habitans de la Rochelle . On lira dans l'exergue
, prix adjugépar lAcadémie Royale
de la Rochelle en 1768. Les étrangers ſeront
admis au concours comme les régnicoles
. Les Académiciens Titulaires &Affociés
en ſont ſeuls exceptés. Les diſcours
écrits en françois feront d'une demie heure
de lecture au moins . L'Académie voulant
laiſſer un temps ſuffifant pour traiter un
fi beau ſujer, ne diftribuera le prix qu'en
Décembre 1768 .
Elle tiendra dans ce mois une aſſemblée
publique , pour lire l'ouvrage couronné :
les paquets doivent être adreſſés , francs
de port , avant le 15 d'Octobre 1768 , à M.
de la Faille , Secrétaire perpétuel de l'Académie.
Les auteurs qui fe feront connoître
directement ou indirectement , ne
concourront point. Chaque difcours portera
en tête une deviſe répétée ſur unbillet
cacheté qui contiendra le nom & la demeure
de l'auteur.
Hiii
174 MERCURE DE FRANCE.
SUPP. AUX PIECES I UGITIVES.
LETTRE à l'Auteur du Mercure ,fur feu
M. le Maréchal DE NOAILLES .
LA mémoire d'un grand homme intérefle
trop tout citoyen françois, Monfieur,
pour que le public ne foit pas inſtruit des
honneurs que le corps éccléſiaſtique de
notre ville vient de rendre aux cendres de
feu M. le Maréchal de Noailles , mort l'année
dernière.
Des prières , des larmes , des fleurs &
des éloges , font les tributs dont nous avons
orné ſa tombe le 30 du mois de Mai dernier
, dans l'égliſe Prieurale & Collégiale
de cette même ville, patrie des Seigneurs
de Noailles. Ce titre ſeul eût ſuffi pour
exciter les ſentimens de mes concitoyens ;
mais les/vertus & les talens d'un héros qui
fut fi célèbre dès le règne de Louis XIV,
& qui ſoutint avec autant d'éclat que de
folidité la gloire d'une carrière auſſi vaſte
que celle qu'il a parcourue , méritoit , ſans
doute , des hommages particuliers.
L'égliſe collégiale de notre ville offre
un monument du plus ancien gothique ,
très- exhauffé & très- vaſte , fufceptible par
conféquent d'être décoré ſelon le coſtume
ordinaire des catafalques.
JUILLET 1767. 175
Le portique du temple paroiſſoit orné
de caractères lugubres , d'écuflons & chiffres
de la Maiſon de Noailles. La nef,
diſpoſée de façon à y recevoir le corps de
la nobleſſe de la province , les différens
ordres eccléſiaſtiques , & ceux de la Juſtice
invités à cette cérémonie.
Les colonnes de la nef & du choeur
étoient en blanc , leurs chapiteaux & architraves
ornés d'attributs caractériſant la
mort & attributs du défunt.
Sur le milieu de la croix de l'égliſe ,
entre la nef & le choeur , étoit poſé un
focle très- ſpacieux élevé de huit pieds en
gradins : fur le focle dominoit un cénotaphe
ou repréſentation , couvert d'un voile
funéraire herminé. A la tête du cercueil
étoient pofés la couronne ducale , l'épée
& le bâton de Maréchal de France , couverts
d'un long crêpe. Quatre colonnes
torſes d'une belle élevation , figurant le
marbre noir & blanc , foutenoient un baldaquin
richement décoré en draperies lugubres.
Un globe environné de nuages terminoit
le deſſus du dais ou baldaquin ; & la
mort aux trois quart drapée , les aîles déployées
, tenant ſa faux , s'élançoit d'un
air menaçant du haut des airs pour ravager
fur leglobe tout ce qu'alloit rencontrer
fon tranchant. Hiv
:
476 MERCURE DE FRANCE.
Quatre génies , de grandeur naturelle ,
peignant la douleur, occupoient les angles
du cénotaphe , & paroiffoient appuyés fur
les attributs défignans la naiſſance , les
dignités & les honneurs. Sur le devant
étoient placées deux grandes figures , dans
une attitude majestueuſe ; l'une exprimoit
la Justice & l'autre la Bienfaiſance environnées
de leurs ſymboles .
Le luminaire répondoit à l'ordonnance
du catafalque.
La maréchauffée de la province , fous
les armes , faifoit obſerver l'ordre & entouroit
, à une certaine diſtance , le cénotaphe ,
dont les angles étoient gardés par des pénitens
bleus * avec leurs bâtons d'argent aux
armes de Noailles .
Mgr l'Evêque de Limoges fit le ſervice ,
& le Chapitre l'affiſta à l'autel. Le Chapitre
de la Collégiale du château de Noailles
ſe rendit auffi à cette folemnité.
Le ſervice fut terminé par une oraifon
funèbre qui attira l'attention de tous les
auditeurs. Nous attendons avec empreſſement
l'impreſſion de ce diſcours. Le texte
parut heureux : mortuus eft infenectute bonâ
plenus dierum & gloriâ : il est mort dans
une heureuſe vieilleſſe , comblé d'années &
de gloire : L. des para. La diviſion dudif-
Feu M. le Maréchal étoit aggrégé à la Cong
frérie des Pénitens bleus.
*
JUILLET 1767. 177
...
cours ſembla également remplir le ſujet
qui étoit à traiter : Sa vie publique ne fut
que grandeur & gloire pour l'honneur defa
nation . Sa vie privée ne fut qu'exemples
defageſſe pour le bonnheur de laſociété.
L'orateur a offert , dans ſa première
partie, les caractères de la vraie grandeur
&de la vraie gloire que fon héros a ſçu
mériter dans le métier des armes par ſes
talens, dans les objets de politique par ſes
négociations ſçavantes , dans les fonctions
difficiles du miniſtère par la ſageſſe & la
pénétration de fon génie. Il a développé ,
dans ſa ſeconde partie , les principes & les
cauſes de la ſageſſe de ce grand homme ,
ſes vertus pacifiques , les caractères de fon
âme , les facultés de ſon eſprit , la douceurde
fon gouvernement dans l'intérieur
de fa famille , fon zèle patriotique , fon
amour pour ſes maîtres , & fur-tout fon
attachement à la religion de ſes pères.
Enfin , Monfieur , le diſcours funèbre
nous a paru en quelque forte marcher de
front avec les talens & les vertus de ce
ſage , que la nation a trop chéri de fon
vivant pour ne pas le placer au nombre
des hommes célèbres qu'elle a produits.
J'ai l'honneur , &c .
D. G... Citoyen de la ville de Brive
A Brive en Limofin , le 6 juin 1767 .
1 Hv
78 MERCURE DE FRANCE.
L
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE .
PRIX de l'Ecole - pratique.
Es quatre médailles d'or de la valeur
de 100 livres , fondées à perpétuité parM..
Houftet , ancien Directeur de l'Académie
Royale de Chirurgie , pour être diſtribuées
annuellement aux quatre élèves quiauroient
le plus profiré des exercices & des inftructions
de l'école- pratique , ont été adjugées
cette année à MM. Duchanois , du
Diocèſe de Besançon ; Sedillot , du Diocèſe
d'Evreux ; Moreau , de Vitry-le- François
, & Chauffier, de Dijon. Les ſujets admis
pour cette école ſont ſeulement au
nombre de vingt, qui , natifs de quelques
villesdu royaume , ſe deſtinent à y retourner
pour s'y établir. Chaque Profeffeur
Royal des écoles , a la nominatian de deux
élèves qu'il choiſitaprès un examen public,
JUILLET 1767 . 179
qui conſtate le fruitqu'ils ont tiré des leçons
théoriques ; & pour obtenir le prix ,
il faut justifier par de nouveaux examens
le ſcavoir & l'habileté qu'on a acquis
dans les opérations anatomiques & chirurgicales.
Les médailles portent d'un côté le
buſte du Roy , & de l'autre eſt cette inf
cription :
STUDIORUM
ET
PERITIA
PREMIUM
IN SCHOLA
CHIRURGO - PRACTICA
in perpetuum affignabat-
M. F. HOUSTET.
M. DCC. LXV.
ARTS AGRÉABLES.
GRAVURE .
RECUEIL de toutes les variétés des animaux
fauvages & domeſtiques , deffinés
d'après la plus belle nature ,& gravés par
le ſieur Claude Feffard. Il en paroît vingtquatre
planches raſſemblées en quatre cahiers
de fix planches chacun. Le cahier
eft de 1 liv. 4 ſols.AParis , chez l'auteur ,
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
quai d'orléans , ifle Saint Louis , maiſon
de M. Chambette , père , Procureur ; &
chez fon affocié , rue des Noyers , maifor
d'un Coutelier .
Juſqu'à préſent perſonne ne s'eſt appliqué
à graver les animaux fur des deſſeins
d'après nature ; ce ne font que des animaux
empaillés qui ont fervi d'originaux
aux deſſinateurs. Il eſt bien certain que ,
dans cet état de ſéchereſſe , ils perdent
confidérablement de leur force ; d'où il
s'enfuit que la gravure , conforme aux
deffeins peu corrects , ne peut être parfaite
comme les deſſeins d'après nature.
C'eſt cette eſpèce de correction que les
auteurs ont cru néceſſaire ; c'eſt ce défaut,
qui naît de l'oubli des différens caractères
de chaque animal , qui les a engagés à
deſſiner l'animal d'après lui-même , & dans
les attitudes qui ſemblent caractériſer ſon
génie , ſes moeurs & , pour ainſi dire , fon
eſpèce.
Pour rendre l'acquiſition de ce recueil
moins onéreuſe , & plus à portée des artiſtes
, on l'a fixé à un prix inférieur de
moitié de ce que ſe vendent communément
ces fortes d'ouvrages.
Chaque cahier de fix planches ſera ,
comme celui- ci , de vingt-quatre fols. On
continuera d'en publier un cahier chaque
JUILLET 1767.. 181
mois, en mêlangeant les ſujets,de manière
à éviter la monotonie qui en réſulteroit fi
l'on vouloit donner fix animaux de la
même famille dans une ſeule livraiſon .
Nous ajouterons ſeulement que cette
entrepriſe nous paroît auſſi utile que foigneuſement
& agréablement exécutée.
Le ſieur Lattré , Graveur ordinaire de
Monſeigneur le Dauphin , rue Saint Jacques
, près la fontaine Saint Severin , à la
ville de Bordeaux , vient de mettre au jour
les nouvelles évolutions de la cavalerie françoiſe
, ſuivant l'ordonnance du Roi , du
premier juin 1766 ; volume in 8 ° , broché :
prix 6 liv . On trouve chez le même les
évolutions de l'infanterie françoiſe , ſuivant
l'ordonnance du Roi , du premier janvier
1766 : même prix & même format.
MUSIQUE.
LE fieur Godard , encouragé par les
bontés du public , dont il a été honoré
tant à l'opéra qu'au concert ſpirituel , n'a
ceſſé de perfectionner ſon talent par des
recherches théoriques & pratiques. Les
voyages qu'il a faits dans différentes Cours
d'Allemagne l'ont mis à portée d'entendre
182 MERCURE DE FRANCE.
les premiers virtuoſes en tout genre ,
c'eſt d'après leurs lumières & leur goûr
qu'il a fenti qu'on pouvoit adapter au
chant françois une quantité de nuances &
de fineſſes dont il ne paroiſſoit pas fufceptible
; il a joint , à cet examen , un travail
réfléchi à l'aide duquel il eſt parvenu
au point d'approfondir les vrais principes
de la muſique & de former les meilleurs
écoliers.
C'eſt à la follicitation de pluſieurs per
fonnes de la plus grande diſtinction , aurant
confidérées par la haute naiſſance que
par le goût général pour les talens , que
le ſieur Godard , renonçant à toutes les
places avantageuſes qui lui ont été offertes
dans différentes Cours étrangères , préfére
de réſider à Paris &d'y donner ſes leçons ,
dont il réduit le prix , au lieu de 72 liv.
par mois en allant en ville , à 24 liv. em
venant chez lui.
Il donnera ſes leçons depuis huit heures
du matin juſqu'à midi , & depuis trois
de relevée juſqu'à huir du foir , les mardi ,
jeudi & famedi de chaque ſemaine.
Le ſieur Godard ne donnera de leçons
chez lui qu'à des hommes , & n'y admettra
aucunes femmes .
Indépendamment des leçons de principe
& de goût qui ſe donneront féparéJUILLET
1767. 183
ment , il fera répéter les morceaux &
rôles que les amateurs voudront exécuter
en ſociété.
Le ſieur Godard ſe flatte que le public
voudra bien accorder quelque diſtinction
à une école montée de cette manière ; il
en a fait imprimer le projet plus étendu :
il y a joint différentes réflexions fur le
goûtdu chant , le vrai moyen de l'apprendre
, celui de folfier avec fruit , de fe
procurer la fûreté de l'intonation & la
hardieſſe pour l'exécution ; il y parle em
outre des inconvéniens qui retardent les
progrès des écoliers ; il y promet , avant
qu'il foit peu , une méthode de muſique
aufli claire que bien démontrée , & d'y
dérailler tout ce qu'il ſe propoſe pour le
prompt avancement de ſes élèves.
Ce petit imprimé ſe délivrera , gratis
aux amateurs qui le defireront , en ſa demeure
, rue Saint Honoré , près celle du
roule , en une maiſon neuve , vis-à-vis le
fieur Leclerc , marchand de muſique.
Nous ne pouvons qu'applaudir à l'entrepriſe
du ſieur Godard , dont le goût &
les connoiffances dans l'art & les fineſſes
du chant l'ont, depuis long-temps, diſtintingué
dans cette Capitale.
184 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à M. DE LA PLACE
duMercure.
د
auteur
SOUFFREZ , Monfieur , qu'un Allemand
abonné à votre Mercure, vous adreſſe quelques
obſervations ſur un ouvrage qui a
pour titre : Traité général des Elémens du
chant , par M. l'Abbé Lacaſſagne , & dont
vous avez fait , avec éloge , l'analyſe la
plus détaillée. L'auteur , que je ne connois
que par fon livre , voudra bien me pardonner
les réflexions que j'oſe lui communiquer
dans votre journal , ſi vous jugez à
propos de les rendre publiques. Je crois
avoir trouvé dans ſon traité trop de laconiſme
dans l'expoſition des principes , &
trop de choſes ſavantes pour des commençans.
On diroit qu'il s'eſt autant propoſé
d'inſtruire les maîtres que les écoliers. J'étois
initié dans cettte ſcience dès mon enfance
: je parle de cette muſique que l'oreille
& les yeux faifiſſent par l'habitude
journalière. Mais il me reſtoit à ſavoir développer
certains principes que je ne voulois
point ignorer. Je les ai enfin trouvés
ces principes , graces à une lecture bien
réfléchie de cet ouvrage.
JUILLET 1767. 185
Je voudrois encore ſavoir , Monfieur,
pourquoi l'auteur , ſans expliquer ſes raifons
, a fait des changemens dans les différens
ſignes qu'il a d'abord employés pour
réduire toutes les clefs à une ſeule , fans
diminuer l'étendue des uniffons. La curioſité
me fit lire avec empreſſement cet article
nouveau ſur les clefs ; & j'avoue que
je fus bientôt convaincu de la bonté du
ſyſtême. La clef de fol , comme la plus
familière à tous les muſiciens , eſt celle que
l'auteur a adoptée , au moyen des fignes
fort ſimples qu'il ajoute pour trouver les
deuxextrémitésdes fons, c'est-à-dire, pour
aller fans changer de clef ni de pofition ,
du ton le plus grave au ton le plus aigu.
Le ſigne qui indiquoit les fons graves, tels
que font ceux de la baſſe , étoit déſigné
par la même clef de fot renverſée de haut
en bas ; & dans les nouveaux exemplaires
que j'ai vu , j'y ai trouvé la clef marqué
comme à fon ordinaire , mais coupé avec
deux petites barres. Pourquoi cette bigarrures
dans les ſignes qui doivent être invariables?
J'ai l'honneur d'être , &c.
VOGEL,
186 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
OPÉRA.
LE vendredi , sjuin , on joua pour la
dernière fois Silvie , ballet héroique qui ,
depuis qu'il a été mis au théâtre , a eu quarante-
trois repréſentations .
Le mardi 9 , on reprit Hippolyte & Aricie
, tragédie opéra , muſique de RAMEAU,
poëme de PELLEGRIN , qui avoit été remiſe
au théâtre les dernières ſemaines du
carême , & que l'on a réduite en quatre
actes pour cette dernière repriſe , en ſupprimant
des ſcènes des deux derniers actes,
&faiſant entrer dans le quatrième la cataftrophe
, le dénouement & le ballet qui
étoient dans le cinquième. Le public a
paru approuver cette réduction ainſi que
les changemens&quelques additions d'airs
qu'on a faits dans les divertiſſemens avec
goût& difcernement , employant toujours
des morceaux du célèbre auteur de cet
ouvrage , empruntés de ſes autres opéra ,
JUILLET 1767. 187
excepté une ariette placée au quatrième
acte , & une chaconne au dernier divertifſement.
L'ariette, chantée par M. LE GROS ,
eft compofée pour un accompagnement de
cors de chaffe , exécuté par M. RODOLPHE ,
avec cette fineffe , cette préciſion& ce degré
de perfection qui ont établi fa célébrité ,
que confirment , en cette occafion, le plaifir
infini & les applaudiſſemens avec lefquels
ce morceau eſt entendu. La muſique
de cette ariette eſt de M. BOYER ,
jeune homme né avec d'heureuſes difpoſitions,
& la plus grande ardeur pour la
compofition dans cet art. La chaconne ,
danfée parM. GARDEL, dont il eſt ſuperflu
aujourd'hui de louer la belle exécution ,
eſt de M. GAVINIÉS .
M. CUVILLIER, qui avoit chanté il y
a pluſieurs années fur ce théâtre , vient
d'y reparoître , à cette repriſe d'Hippolyte,
dans le rôle de Pluton , que chantoit précédemment
M. LARRIVÉE. Loin d'avoir
rien perdu du côté de l'organe : la force
&le fonore de ſa voix , dans les tons les
plus bas , ont étonné encore davantage ;
& il eſt applaudi avec d'autant plus de
juſtice & de vivacité , qu'il eſt très - rare
de rencontrer dans les plus belles baffestailles
qu'on ait entendues juſqu'à préſent ,
un timbre auſſi fort dans le plus bas de la
voix.
188 MERCURE DE FRANCE.
M. TIROT , jeune haute - contre , qui
avoitcommencé à ſe faire connoître avantageuſement
au concert ſpirituel , malgré
ſa timidité & fon peu d'expérience dans
l'art du chant , donne des preuves fort
agréables au public de ſes progrès par
l'air qu'il a chanté dans un divertif
ſement. Cette voix , dont nous avons
déja parlé plus d'une fois avec éloges , &
qui eſt d'une qualité charmante , ſemble
avoir pris de la force &de l'éclat, en même
temps que ce jeune chanteur a acquis plus
de méthode , plus de goût & de perfection
dans l'art. Il eſt payé de ſes ſoins&
de fon application par des applaudiſſemens
fi flatteurs , qu'il n'eſt preſque pas poſſible
que cela ne l'engage à en mériter encore
de nouveaux dans des morceaux plus confidérables
, & à devenir , par la fuite , un
des premiers ſujets de ce théâtre.
Dans le cours des repréſentations de cet
opéra on a fait débuter une haute-contre
des choeurs par le même air ; c'eſt la plus
forte& la plus haute des voix de ce genre
qu'on ait entendu au théâtre. Le public a
applaudi à cette fingularité , & a paru
content de ſa manière de chanter pour le
moment préfent *.
La voix de ce jeune homme ( nommé M.
JUILLET 1767. 189
Les acteurs , dans cette repriſe d'Hippo-
Lyte , font les mêmes que lorſque nous
en avonsrendu compte. Les ſpectateurs ont
fort applaudi l'exécution, àtous égards, ainſi
que les nouveaux ballets, dans un deſquels
Mile ALLARD , toujours de plus en plus
furprenante , fait un effet le plus vif& le
plus agréable ; elle a été ſecondée , aux
premières repréſentations , par M. DAUBERVAL
; mais un accident , arrivé en
danſant , a empêché ce Danfeur de continuer
dans les repréſentations ſuivantes.
Les repréſentations de cet opéra , qui
doivent être continuées juſqu'à la fin du
mois , ont été aſſez ſuivies relativement
à la ſaiſon. On ſe diſpoſoit à remettre
ſur ce théâtre , le mardi 30 juin , le
Carnaval du Parnaſſe , de l'exécution
duquel on rendra compte dans le ſecond
volume de ce mois.
HUET ) fut entendue &remarquée , il y a quatre
ans , par des perſonnes de la première diſtinction ,
dans un hôtel , à Paris , où il travailloit aux ouvrages
de ſculpture; ils engagèrent les anciens Directeurs
de l'opéra à le prendre & à lui donner des
maîtres: ainfi , c'eſt un élève de l'Académiedepuis
les premiers élémens de l'éducation . M. Husra
éé placé enſuite ailleurs , & les nouveaux Directeurs
l'ont rappellé pour le faire chanter dans les
choeurs , & pour perfectionner ſon talent , s'il es
poffible,
190 MERCURE DE FRANCE.
Nous ne devons pas obmettre de parler
du début de Mlle GARDEL , foeur du danfeur
de ce nom , chéri du public , & qui
a mérité tous ſes ſuffrages. Elle a danſé ,
avec applaudiſſement , dans le quatrième
acte de cette repriſe d'Hippolyte. Son genre
dedanſe eſt dans le noble & le gracieux :
"on doit tout eſpérer d'un jeune ſujet qui
a pour ce genre un auffi bon maître dans
fon frère.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE 6 juinonaa remis au théâtre le Philofophefans
leſavoir , comédie de M. SEDAINE.
Nous avons rendu compte de cet eftimable
ouvrage & nous en avons donné
l'analyſe cet hyver , dans le temps de fa
nouveauté. Il n'a rien perdu de fa réputation
& de ſon ſuccès dans cette remife ,
ayant été joué encore plus parfaitement ,
quoique cela parût preſqu'impoffible alors.
On a donné de ſuite ſept repréſentations
de la repriſe de cette comédie.
Le jeudi 1 1 , un acteur nouveau, nommé
M. MONFOULON, débuta par le rôle d'Harpagon
dans l'Avare. Il fut extrémement
applaudi , & avec juſtice. Il mit dans cet
JUILLET 1767. 191
admirable rôle , toute la chaleur dont il
eft fufceptible , & le naturel ſi recommendable
au théâtre & fi néceſſaire aujourd'hui
pour y réuffir. Après cette comédie ,
il joua le rôle de Paysan dans l'Esprit de
contradiction , dans lequel il eut encore un
ſuccès très - marqué & des plus unanime.
Le même acteur joua le lendemain le rôle
de Francaleu , dans l'excellente comédie
de M. PIRON , intitulée la Métromanie ;
enſuite le Paysan , dans la petite piece intitulée
le Tuteur. Il eut encore beaucoup
de ſuccès dans ce dernier rôle , ainſi que
dans le Paysan de Nanine. Il a repris enſuite
ſon premier début dans l'Avare &
dans l'Esprit de contradiction. Il a continué
depuis ce début par le rôle de Sganarelle
dans l'Ecole des maris , par celui de
Liſimon dans le Glorieux , le 22 juin , &c.
Ce débutant a des qualités naturelles &
acquiſes , qui le rendent agréable au public
dans pluſieurs rôles ; un maſque expreffif,
beaucoup d'intelligence , une connoiſſance
& une pratique de l'art qui , perfectionnées
& foumiſes au goût épuré du
théâtre de la Capitale , ne peuvent que
produire un fort bon acteur , non ſeulelement
pour l'emploi des payſans , mais
encore pour certains caractères du comique;
c'eſt au moins le jugement qui nous
192 MERCURE DE FRANCE.
paroît réſulter des opinions de pluſieurs
connoiffeurs , & des fuffrages du public.
Nous devons ajouter , en rendant juſtice
aux acteurs modernes , que l'on n'avoit vu
depuis long- temps le Molière joué, comme
l'a été la comédie de l'Avare dans ce début.
Les ſcènes entre l'acteur nouveau ,
MM. MOLE & PREVILLE , ont été admirablement
rendues.
Le débutant a encore continué ſon début
par le rôle du Paysan , dans le Deuil,
le 25 juin , & par celui du Mari , dans le
Mari retrouvé , le 25 du même mois .
Le 22 juin , on donna la ſeconde repréſentation
d'Hirza ou les Illinois , tragédie
nouvelle de M. DE SAUVIGNY , qui avoit
été repréfentée , pour la première fois , le
27 mai dernier , & fort applaudie , ainſi
que nous l'avons dit dans le Mercure de
juin. Cette pièce avoit été interrompue ,
depuis ce jour , par la maladie de Mile.
DUBOIS ; & cette interruption a donné la
liberté à l'auteurd'y faire quelques changemens
utiles. Le ſuccès de cette ſeconde repréſentation
a été un des plus décidés que
puiſſe procurer la brillante & dangereufe
carrière du théâtre . On a demandé avec
vivacité l'auteur ; mais trop honnête & trop
digne de cettediſtinction , fiellen'avoitété
trop ſouvent proſtituée , pour s'y prêter aczuellement,
JUILLET 1767 . 193
tuellement , M. DE SAUVIGNI S'eſt diſpenſé
de paroître. Il y a lieu d'eſpérer que cet
exemple déja donné par pluſieurs anteurs
couronnés , fera fidélement ſuivi , & fera
ceffer un uſage qui , par corruption , a dégénéré
en une eſpèce de poliçonnerie , dont
on ne peut plus être flatté, dans les occaſions
mêmes où l'on mérite le plus ce cri
de l'enthouſiaſme. Nous eſpérons juſtifier ,
dans l'eſprit de nos lecteurs , ce que nous
rapportons actuellement du ſuccès de la
tragédie nouvelle , au moins autant que
les bornes d'un extrait peuvent le permettre
, par celui que nous ſommes obligés
de remettre au ſecond volume du préſent
mois , attendu que nous avons cru devoir
attendre les changemens de l'auteur , &
que n'ayant reparu que tard , le temps
néceſſaire à l'impreſſion de ce journal ne
nous permet pas de fatisfaire plutôt à ce
devoir. Si nous rendons avec plaiſir toute
la juſtice due à M. DE SAUVIGNI , ſur les
beautés multipliées dans ſa nouvelle tragédie
, nous ne devons pas refuſer aux acteurs
celle de remarquer le talent avec lequel
les principaux rôles font rendus. Nous
en parlerons avec plus de détail dans le
prochain Mercure.
Les pièces repréſentées ſur ce théâtre ,
depuis le dernier Mercure , ont été en tra-
Vol. I. I
194 MERCURE DE FRANCE.
gédies , Semiramis, de M. DE VOLTAIRE ;
Phèdre, de RACINE ; Hipermnestre , de
M. LE MIERE ; Hirza ou les Illinois , de
M. DE SAUVIGNI . En comédies , pour première
pièce : le Légataire , de REGNARD ;
Avare , de MOLIÈRE , trois fois ; l'Ecole
des meres,de LACHAUSSÉE ; Eugénie , de
M. DE BEAUMARCHAIS ; le Diftrait, de REGNARD;
l'Enfantprodigue', de M. DE VOLL
TAIRE ; le Tartuffe , de MOLIÈRE , deux
fois; le Philofophe fans le ſavoir, de M.
SEDAINE , ſept fois , l'Etourdi , de Mo
LIÈRE ; la Métromanie , de M. PIRON ; le
Glorieux , de M. NERICAULT DESTOUL
CHES; Turcaret , de LESAGE. On a conti
nué pluſieurs fois , en ſeconde pièce , pen
dant le mois de juin , l'agréable comédie
des Grâces , de M. DE SAINFOIX , remiſe
au théâtre en mai , toujours à la fatisfaction
& avec les plus grands applaudiffe
mens du public.
COMÉDIE ITALIENNE
Les deux nouveaux acteurs italiens ,
pour le rôle d'Amoureux & pour celui
d'Arlequin , ont continué leurs débuts dans
Pantalon amoureux , dans les deux AnJUILLET
1767. 195
neaux magiques , dans la Femmejalouse ,
dans Arlequin , valet de deux maîtres , &
dans le Voyageur inconnu.
Leſieur NAINVILLE, acteur,dans le françois
, a continué fon début dans la Fére
du Château , dans le Cadi dupé , dans le
Maréchal , dans les Chaſſeurs & la Laitiere,
dans Mazet , dans le Soldat magicien , comédies
mêlées d'ariettes.
Le ſamedi , 20 juin, on donna lapremière
repréſentation de Toinon & Toinette ,
comédie nouvelle en deux actes , mêlées
d'ariettes. Les fentimens parurent fort
partagés le premier jour , & le fuccès
douteux ; mais elle fut applaudie à la
feconde repréſentation , au moyen de
quelques légers changemens dans le dénouement
, lequel n'avoit pas été goûté
par la plus nombreuſe partie des ſpectateurs.
Il y a cependant des détails agréables
dans le drame , & qui ſe font applaudir
avec plaifir. On en eftime beaucoup la muſique
, que pluſieurs connoiffeurs trouvent
très- ſavante , & de laquelle on fent mieux
les beautés à mesure que l'on l'entend
plus ſouvent. Comme cette pièce ſe continue
& eſt écoutée favorablement , nous
croyons devoir en inférer ici une courte
analyſe , pour donner au moins à nos lecteurs
une idée de cette nouveauté.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
ANALISE de TOINON & TOINETTE ,
comédie en deux actes mêlée d'ariettes.
PERSONNAGES. ACTEURS.
* LA ROCHE , père de TOINETTE, M. CAILLOT.
tenant hôtellerie fur un pont
de Flandre ,
TOINETEE , fille de LA ROCHE. MIle LA RUETTE.
ANTOINE BERTRAND , vieux M. LA RUETTE.
ufurier ,
TOINON , fon neveu , amant de M. CLERVAL.
TOINETTE ,
SABOR , Capitaine Corfaire , M. NAINVILLE.
Un Officier du Capitaine ,
L
M. DESBROSSES.
A ROCHE a autrefois * placé deux mille
écus fur la frégate la Belle Marguerite , qui faiſoit
voile pour les Indes ; n'en ayant point de nouvelles
, il a été obligé d'emprunter mille francs à
ANTOINE BERTRAND , qui les lui a prêtés à condition
que cette ſomme lui ſeroit rendue dans un
an , ou que ledit ANTOINE BERTRAND épouſeroit
TOINETTE.
Le Capitaine SABORD , informé par LA ROCHE
de cette convention & de l'embarras où il ſe trouve ,
pour éviter les perfécutions de ſon créancier , lui
*Trois ans avant le commencement de la pièce,
JUILLET 1767. 19
ditqu'il a rencontré à Cadix la frégate en queſtion ,
qu'elle revient richement chargée , & que c'eſt
fûrement un des vaiſſeaux qui ſont en rade & qui
attendent la marée pour entrer dans le port. La
Roche eſt charmé de cette nouvelle , parce qu'il
eſpère être bientôt en état de rembourſer les mille
livres qu'il doit , &de marier librement ſa fille à
TOINON , qu'elle aime & dont elle eſt aimée.
Le vieux Ufurier fait ce qu'il peut pour brouiller
les deux amans &, par de fauts rapports , cauſe
entre eux une diſpute de jalouſie que le père
LA ROCHE appaiſe bientôt. ANTOINE BERTRAND
refte confondu, & fort dans le deſſein de ſe venger.
Pendant que le père LA ROCHE & les deux
amans ſe livrent à la joie , il ſurvient une tempête
qui fait périr le vaiſſeau que l'on attendoit ; pour
furcroît de malheur , ANTOINE BERTRAND fais
mettre LA ROCHE en priſon faute de paiement .
TOINON , n'ayant plus d'eſpérance , & craignant
que TOINETTE ne ſoit obligée d'épouſer ANTOINE
BERTRAND pour obtenir la liberté de ſon père ,
va trouver le Capitaine SABORD , s'engage avec
lui pour cent piſtoles qu'il en reçoit , & dont il ſe
fert pour délivrer le père LA ROCHE. Le Capitaine,
inftruitde ce procédé , rend à TOINETTE l'engagementde
ſon amant, détermine lepère LA ROCHE
àles marier , & fe charge de leur établiſſement.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
CONCERTS SPIRITUELS.
Du dimanche , 27 juin .
,
GELELUUII dujour de la Pentecôte a commencé
par Domine audivi , &c. motet à grand choeur ,
tiré du cantique d'HABACUC , de la compofition
de M. DAUVERGNE : enſuite M. BARTHELEMON ,
premier violon de l'opéra de Londres a exécuté
un concerto de violon de ſa compofition , & plein
de traits heureux. Mlle DURANCI a chanté , pour
Ja ſeconde fois , un motet de MOURET , Uſque
quo , &c. dans lequel elle a reçu des applaudiſſemens
fort vifs , & d'autant plus flatteurs , qu'ils:
étoient mérités. Mile LECHANTRE a exécuté ſur
l'orgue , & d'une manière brillante & diftinguée ,
unconcerto de la compofition de M. SÉJAN . Mile
FEL & M. RICHER ont chanté , avec toute la perfection
qui leur eft familière , Exultate juſti in
Domino , motet à deux voix de M. DAUVERGNE ,
qu'on est toujours enchanté d'entendre , & dont
Leffet eſt toujours également agréable & piquant..
M. BARTHELEMON a exécuté une fonate de ſa
compoſition . Tout ce que nous avons dit dernièrenent
de ſes talens a été pleinement confirmé
par les fuffrages des gens de l'art & des connoiffeurs
, de même que par le public, fur qui le vrai
JUILLET 1767 . 199
zalent ne manque jamais de produire tout fon
effet . Ce Concert a été terminé par Diligam te
Domine, &c . motet à grand chooeur de GILLES, for
bien exécuté , & dans lequel Mde RAICH , en parziculier
, a été beaucoup applaudie.
Du jeudi , 18 jain.
LE Concertdujour de la Fête- Dieua commencé
par Benedic anima mea , &c . motet à grand choeur
de M. l'Abbé GIROUST , Maitre de Muſique de
F'Egliſe d'Orléans : ce motet , qui lui fait vraiment
honneur , a été entendu avec un très-grand plaifir ,
& a été rendu comme il mérite de l'être . M. DURAND
a chanté enſuite Diligam ,&c. moter à voix
ſeule de M.l'Abbé JOLLIER, où il a reçu du public
un accueil agréable. M. GARDEL , de l'Académie
Royale de Muſique , ſi diſtingué dans la danſe , a
exécuté ſur la harpe un trio de ſa compoſition.
Quoique l'art muſical ait les plus intimes rapports
avec le talent qui renddepuis long temps M. GARDEL
précieux au public , on n'avoit pas lieu de
s'attendre aux preuves qu'il vient de donner de
fon goût& de ſon application en ce genre ; auſſi
a- t- il été reçu avec tous les témoignages de la
ſatisfaction la plus marquée. Une exécution fûre
&précile a ajouté à l'agrément des morceaux qui
formoient fon trio , écouté avec la plus grande
attention , & applaudi enſuite à pluſieurs repriſes
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
avec beaucoup de vivacité. Mlle DUPLANT a chante
encore mieux qu'elle n'avoit fait juſqu'à préſent au
Concert , Quemadmodum , motet à voix ſeule de
MOURET , & a reçu le prix de ſes efforts foutenus
pout perfectionner ſon talent , & juftifier la bienvillance
qu'on n'a jamais ceſſé de lui marquer.
M CAPRON a exécuté , avec une ſupériorité frappante,
un nouveau concerto de violon , qui a
réuni les fuffrages des connoiſſeurs. Le Concert
a été terminé par Confitemini , &c. motet à grand
choeur de LALANDE .
Nous ne devons pas omettre qu'on eſt généra
lement fatisfait du Concert , & que ceux donnés
depuis pâques ont été plus nombreux qu'ils ne le
ſont ſouvent dans cette ſaiſon ; ce qui prouve à la
fois le mérite des talens qui le compoſent , & les
ſoins de ceux qui le dirigent.
2
JUILLET 1767. 201
DÉCLARATION de JEANNE VIGUIERE ,
ancienne domestique des Sieur & Dame
CALAS , de Toulouse , touchant les bruits
calomnieux qui sefont répandus fur fon
compte.
و
L
AN mil ſept cent ſoixante-ſept , le dimanche
vingt- neuf mars , trois heures de relevée , nous
Jean FrançoisHugues , Conſeiller du Roi , Commiſſaire
au Châtelet de Paris , ſur la requifition
qui nous a été faite de la part de Jeanne Viguiere ,
ci -devant domeſtique des Sieur & Dame Calas
de nous tranſporter au lieu de ſon domicile pour
y recevoir ſa déclaration fur certains faits , nous
nous ſommes en effet tranſportés rue neuve &
paroille Saint Eustache , en une maiſon appartenant
a M. Langlois , Conſeiller au Grand Conſeil ,
dont le troiſième étage eſt occupé par la Dame
veuve du ſieur Jean Calas , Marchand à Toulouſe
& étant montés chez ladite Dame Calas , elle
nous a fait conduire dans une chambre au quatrième
étage , ayant vue ſur la rue , où étant
parvenu , nous avons trouvé ladite Jeanne Viguiere
dans fon lit , par l'effet de la chûte dont va être
parlé , ayant une garde à côté d'elle , que nous
avons fait retirer; laquelle Jeanne Viguiere , après
ferment par elle fait & prêté en nos mains dedire
vérité , nous a dit & déclaré que le lundi 16
février dernier , fur les quatre heures après-midi ,
étant fortie pour aller rue Montmartre , elle eur
le malheur de tomber dans ladite rue , & de ſe
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
caffer la jambe droite ; que pluſieurs perſonnes
étant accourues à ſon ſecours , elle fut tranſportée
fur le champ chez ladite Dame Calas, fon ancienne
maîtreffe , où elle a toujours conſervé ſa demeure
depuis qu'elle eſt à Paris, laquelle envoya chercher
le ſieur Botentuit , oncle , Maître en Chirurgie ,
qui lui remit la jambe ; que ladite Dame Calas
lui a donné une garde , qui eſt celle qui vient de
ſe retirer , laquelle ne l'a point quittée depuis cet
accident ; que le ſieur Botentuit a continué de
venir lui donner les foins dépendans de ſon état ,
lesquels ont éte fi heureux , qu'elle n'a eu aucun
accès de fiévre ; qu'elle est actuellement à fon
quarante- uniéme jour , fans qu'il lui ſoit ſurvenu
aucun autre accident ; qu'elle a reçu de ladite
Dame Calas tous les ſecours qu'elle pouvoit eſpérer
d'une ancienne maîtreſſe dont elle a éprouvé
dans tous les temps mille marques de bonté ;
qu'elle a appris avec la plus grande ſurpriſe qu'on
avoit débité dans le monde qu'elle, Jeanne Viguiere,
étoit morte , & que dans ſes derniers momens
elle avoit déclaré devant Notaires , qu'étant chez
le feu fieur Jean Calas , fon maître , elle avoit
embraffé la religion Proteftante , & que par un
prétendu zèle pour cette religion , elle avoit ,
conjointement avec ledit freur Calas , ſa famille
& le fieur Lavaiſſe , donné la mort à Marc-
Antoine Calas ; qu'enfuite ayant été conftituée
priſonnière , elle avoit feint d'être toujours catholique
afin de n'être pas ſoupçonnée , de ſauver ſa
vie , & par ſon témoignage , celle de tous les
autres accufés ; mais que ſe trouvant au moment
de mourir , elle étoit rentrée dans les ſentimens
de la foi catholique , & qu'elle s'étoit cru obligée
de déclarer la vérité qu'elle avoit cachée , dont
elle étoit , dit-on , fort repentante. Que , pour
JUILLET 1767 . 203.
atrêter les ſuites que pourroit avoir cette impofture
, ladite Jeanne Viguiere a cru devoir recourir
à notre miniſtère & requérir notre tranſport pour
nous déclarer , comme elle le fait préſentement
en fon âme & confcience , que rien n'eſt plus fauxque
lebruit dont elle vient de nous rendre compte ;
que ſon accident ne l'a jamais miſe dans aucun
danger de mort : mais que quand cela auroit
été , elle n'auroit jamais fait la déclaration qu'on
oſe lui attribuer , puiſqu'il est vrai , ainſi qu'elle
l'a toujours foutenu , & qu'elle le ſoutiendra jufqu'au
dernier inſtant de ſa vie , que le feu ſieur
Jean Calas , la Dame ſon épouſe , le ſieur Jean
Pierre Calas & le ſieur Lavaiſſe n'ont contribué
en aucune manière à la mort de Marc-Antoine
Calas ; qu'elle ſe croit même obligée de nous
déclarer que le feu ſieur Jean Calas étoit moins
capable que perſonne d'un pareil crime , l'ayant
toujours connu d'un caractère très-doux , & remplide
tendreſſe pour ſes enfans ; que d'ailleurs le
motif qu'on a donné à la mort de Marc- Antoine:
Calas & à la prétendue haine de ſon père eſt
faux , puiſque ladite Jeanne Viguiere a connoiffance
que ce jeune homme n'avoit pas changé de religion
, & qu'il avoit continué juſqu'à la veillede ſa
mort les exercices de la religion Proteftante.Que
pour ce qui concerne elle Jeanne Viguiere , elle
n'a pas , graces à Dieu , cellé un ſeul inſtant de
faire profeflion de la Religion Catholique , Apoftolique
& Romaine , dans laquelle elle entend
vivre & mourir , qu'elle a pour confeffeur le Révérend
Père Irénée, Auguſtin de la place des Victoires
; que ledit Révérend Père Irénée ayant éré
inftruit de fon accident , eft venu la voir le dimanche
, 8 du préſent mois de mars ; qu'il peut rendre
Vompte de ſes ſentimens & de ſa créance. De
Ivj
204 MERCURE DE FRANCE.
laquelle déclaration ladite Jeanne Viguiere nous a
requis & demandé acte , & lecture lui ayant été
faite par nous Conſeiller - Commiſſaire , elle a
declare contenir vérité , & a déclaré ne ſavoir
écrire , ni figner , de ce interpellée , ſuivant l'ordonnance
, ainſi qu'il eſt dit en la minute des
préſentes.
Et à l'inſtant eſt ſurvenu & comparu pardevant
nous en la Chambre , où nous ſommes , fieur
Pierre - Louis Botentuit , Langlois , Maître en
Chirurgie,& ancien Chirurgien Major des Armées,
demeurant rue Montmartre , paroiſſe Saint Euftache
; lequel nous a atteſté & déclaré que le 16
février derniér , entre ſept & huit heures du ſoir
il a été requis , & s'eſt tranſporté chez ladite Dame
Calas , au ſujet de l'accident qui venoit d'arriver
à ladite Jeanne Viguiere ; qu'ayant viſité ſa jambe
droite , il a remarqué fracture complette des
deux os de la jambe ; qu'il a continué de la voir
&de la panſer depuis ce temps , & lui a adminiſtré
tous les ſecours relatifs à ſon état , qu'elle n'a
jamais été en danger de perdre la vie par l'effet
de ladite chúte ; qu'il n'y a eu qu'une excoriation
ſur la crête du tibia , & que la malade a toujours
été de mieux en mieux ; qu'il eſt à ſa connoillance
que ledit Père Irénée a confeffé ladite Viguiere
depuis ledit accident ; laquelle déclaration il fait
pour rendre hommage à la vérité , & figué en la
minute des préſentes .
Eſt auſſi ſurvenu & comparu par-devant nous
en la Chambre , où nous ſommes , Pierre - Guillaume
Garilland , Religieux , Prêtre , de l'Ordre
des Auguſtins Réformés , de la province de France,
établis à Paris, près la place des Victoires , nommé
en religion Irenée de Sainte Thérése , Définiteur de
la fuídite province , demeurant audit couvent ;.
-
:
JUILLET 1767 . 205
lequel nous a dit , déclaré & certifié que ladite
Jeanne Viguiere vient à lui ſe confeffer depuis
trois ans ou environ ; que chaque année elle s'eſt
acquittée du devoir paſchal ; & que diverſes fois
dans le courant deſdites années , pour fatisfaire à
fa piété , vu ſa conduite régulière , il lui a permis
la fainte communion ; qu'enfin , depuis le fâcheux
accident qui eft arrivé à ladite Viguiere , il eſt
venu la confeffer , & a continué de remarquer en
elle les mêmes ſentimens de religion & de piété
comme par le paffé ; laquelle déclaration le Révérend
Père Irenée nous a faite pour rendre hommage
à la vérité , & a ſigné en la minute. Sur quoi
Nous , Conſeiller du Roi , Commiflaire ſuſdit &
ſouſſigné , avons donné acte à ladite Viguiere ,
audit ſieur Botentuit & audit Révérend Père Irenée
de leurs déclarations ci - deſſus , pour ſervir &
valoir ce que de raiſon , & avons ſigné en la
minure des préſentes , demeurée en nos mains.
1
Signé , HUGUES.
106 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE VI
NOUVELLES POLITIQUES
SA
De Warfovie , le premier avril 1767.
Majesté ayant été inſtruite qu'on étoit ſur
le point de former une confédération dans la
Pruffe Polonoiſe , a chargé ſes Miniſtres d'exhorter
tous les Sénateurs & les Palatins de cette province'
àprévenir l'exécution de cette démarche & à mettre
en uſage tous les moyens poſſibles pour y
maintenir la tranquillité.
Onaſſure qu'il ſe tiendra inceſſamment en certe
Ville pluſieurs aſſemblées ſur des affaires de la plus
grande importance. Le Maréchal de la Couronne
y a fait publier , à ſon de trompe , que chaque
particulier a't à ſe pourvoir de vivres pour fix
mois. Tous les ſpectacles publics font très-défen--
dus ici juſqu'à nouvel ordre. Indépendamment
des troupesRufles qui font entrées dans ce Royaume
pir la Courlande, huit mille hommes des mêmes
troupes ſe ſont portés en-deçà de Smolensko , fous
le commandement du Général Nummers. Le
Général Kreczetrikow s'avance au-delà de Czernichow
depuis pluſieurs jours , à la tête d'un
corps encore plus confidérable. L'autre partie
des troupes Ruffes , qui cantonnoit dans notre
voifinage en Lithuanie , eſt actuellement àThorn ;
mais la Cour a reçu avis qu'il eſt entré en Lithuanie
cinq régimens des mêmes troupes , commanJUILLET
1767. 207
dés par les Généraux Dunter & Apraxin. Elle a
été auffi informée qu'on a affiché dans pluſieurs
endroits de la Pruſſe Royale un placard de l'Impératrice
de Ruffie , par lequel Sa Majeſté Impériale
avertit qu'elle prend ſous ſa protection les Diffidens
confédérés , & qu'elle fera punir par ſes troupes
quiconque ofera inquiéter ou moleſter aucun
d'eux à raifon de leur confédération .
Le Prince Repnin , Ambaſſadeur de Ruſſie ,
préſenta au Roi , le 26 du mois dernier , une
lettre du Comte Panin , Conſeiller intime , accompagnée
d'une déclaration ultérieure de l'Impératrice
, portant en ſubſtance que Sa Majesté
Impériale n'ayant pu , conjointement avec d'au
tres Puiſſances garantes du Traité d'Oliva , effectuer
le rétabliſſement des Diſſidens par ſes repréſentations
amicales , elle s'eſt vue forcée de faire
entrer dans la Pologne trente mille hommes de
ſes troupes , leſquels y reſteront juſqu'à ce que les
Diffidens foient rétablis dans la jouillance de leurs
droits & dans une parfaite égalité avec les autres
citoyens ; & que , pour remplir cet objet avec
ordre & dans les formes légales , Sa Majesté
Impériale juge expédient que le Roi convoque
inceſſamment une Diete extraordinaire.
Le ſieur Benoît , Miniſtre de la Cour de Berlin ,
préſenta auffi le même jour au Roi , au ſujet de
la même affaire , une déclaration qui porte que ,.
Sa Majefté Pruffienne ayant agi juſqu'à préſent de
concert avec l'Impératrice de Ruffie dans tout ce
qui concerne les affaires de Pologne , elle regarde .
le rétabliſſement des Diffidens comme le cas de la
garantie du Traité d'Oliva , dont elle eft chargée ,
ainſi que de l'alliance qui ſubſiſte entre elle &
l'Impératrice de Ruſſie , & qu'elle ne fauroit s'empêcher
de prendre en conféquence les meſures
208 MERCURE DE FRANCE.
avec Sa Majesté Impériale . Cette déclaration a
pour objet , ainſi que celle de l'Impératrice , d'inviter
la Nation Polonoiſe à s'aſſembler en diete
extraordinaire .
Le Sénat tient de fréquentes aſſemblées , dans
leſquelles un des principaux objets des délibérations
eſt de ſavoir s'il convient ou non que Sa
Majefté convoque une diete extraordinaire.
Onmande de Lithuanie que les Diffidens qui
y font établis ont tenu quelques aſſemblées dans
la ville de Sluck , & ont auſſi formé une confédération
dont le ſieur Grabowski a été élu Maréchal.
On ajoute que l'Archevêque DiffidentdeMohilow
ſe propoſe de convoquer inceſſamment un ſynode.
De Stockolm , le 17 avril 1767 .
Le ſieur Duhamel du Monceau , de l'Académie
Royale des Sciences de Paris , a été nommé , le
I de ce mois , Membre de celle de Stockolm .
De Vienne , le 25 avril 1767.
L'Envoyé de Ruſſie a communiqué au Miniſtère
les motifs qui engagent l'Impératrice , fa Souveraine
, à protéger efficacement les Diffidens de
Pologne , & à faire entrer dans les terres de la
République un corps de troupes Ruiles pour ſoutenir
leur confédération .
On mande de Chemnitz , en Hongrie , que des
particuliers de Frauenmarck , dans le Comté de
Honten , ayant chaſſe quelque temps un gros
ours , & s'étant enfoncé dans les montagnes ,
plus avant peut- être qu'on n'y avoit encore pénétré
juſqu'ici , virent ſur la neige des veſtiges
humains qu'ils ſuivirent & qui les conduifirent
JUILLET 1767 . 2.0
dans une caverne où , à leur grand étonnement ,
ils trouvèrent une jeune fille toute nue , très -graffe,
ayant le teint d'un brun foncé , & paroiffant âgée
de quinze à dix- huit ans . D'abord elle jetra des
cris , mais ne pleura point ; elle regarda enſuite
avec ſurpriſe ceux qui l'environnoient , & ſe laiſſa
enfin emmener par eux. On la tranſporta à l'hôpital
de Carpfen , petite ville Royale dans le
Comté d'Altſal , près de Chemnitz ; on lui mit
des habits , & on lui fit prendre de la nourriture.
Juſqu'à préſent elle a conſtamment refuſé tous les
mets cuits qu'on lui a propoſés , & elle ne ſe nourrit.
que de viande crue , d'écorces d'arbres , de
racines & d'autres choſes ſemblables qu'elle mange
avidement. Il eſt difficile de deviner comment
el'e s'eſt trouvée dans la forêt où elle a été décou
yerte& comment elle y a vécu .
De Cologne , le 14 avril 1767.
Nous ſommes informés qu'Elifabeth-Sophie-
Marie , née Princeſſe de Holſtein - Norbourg ,
veuve d'Auguſte Guillaume , Duc de Brunswick-
Lunebourg , eſt morte à Brunswick , le 3 de ce
mois , àgée de quatre - vingt-quatre ans . On apprend
auſſi que la Princefle Charlotte-Guillelmine
de Saxe - Cobourg Saalfeld , veuve de Philippe
Reinhard , Comte de Hanau , eſt morte à Handu
le 6 de ce mois , dans la quatre- vingt-deuxième
année de ſon âge.
De Cadix , le 3 avril 1767 .
Hier , entre onze heures & minuit , le Gouver
neur de cette place , en conféquence des ordres
Gcrets qu'il avoit reçus de la Cour , fit prendre
:
I vj
210 MERCURE DE FRANCE .
les armes aux troupes de la garnison , & fit mar
cher quelques piquets & compagnies de grenadiers
qui inveftirent le collige des Jésuites. Le
Gouverneur s'en étant fait ouvrir les portes , il
notifia au Recteur ſes ordres , en vertu deſquels il
fit affembler fur le champ & dans le même lieu
tous les Religieux de cette maiſon , qui étoient
au nombre d'environ cinquante . Il poſa enſuite
une ſentinelle à la porte de chacune des chambres
des Jéſuites ; après quoi on procéda à l'inventaire
du tout ce qui fe trouva dans le collége. Aujourd'hui
, dans l'après midi , on a dû faire fortir
tous ces Religieux pour être conduits , ſous bonne
efcorte , à Xerès , où l'on dit que tous leurs
confrères de cette province feront pareillement
sonduits pour être tranſportés en Italie.
De Rome , le 25 mars 1767 .
Hier le CardinalGalli , grand pénitencier , eft
mort preſque fubitement. Cet événement fait
vaquer un cinquième chapeau dans le Sacré College
, en comprant celui qui eſt réſervé à la nomimation
du Roi de Portugal.
Du 15 avril.
Le Prince Doria Panfili , qui partira inceſſamment
pour Turin , où il doit épouſer une Prin
ceſſe de Cariguan , alla le 13 , en grand cortége,
prendre congé du Saint Père.
De Florence , le 10 avril 1767.
Hier on célébra , dans la chapelle du palais
Ritte, un ſervice ſolemnel pour le repos de l'ame
JUILLET 1767 . 20
de Madame la Dauphine , & la Cour a pris le
deuil pour cinq ſemaines.
De Parme, le 28 mars 1767.
L'Infant , qui avoit ordonné , le 23 de ce
mois , des prières publiques pour le rétabliſſement
de la ſanté de Madame la Dauphine , a été vive
ment affligé en apprenant la mort de cetre Princelle.
Son Alteſſe Royale prendra demain le
deuil à cette occafion pour vingt-quatre jours.
De Grenoble , le 12 mars 1767.
Le ſieur de Moydieu , Procureur général du Parlement
de Dauphiné , ayant demandé à ſe retirer,
le Roi , en approuvant la retraite , lui a accordé
fir mille livres de penfion , & a nommé , pour
leremplacer, le Geur Vidaud de la Tour , Avocat
général au même Parlement , qui a été reçu , ens
fanouvelle qualité , le 7 de ce mois.
FRANCE
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
DeMarly, le 28 mars 1767.
LEURS Majeſtés & la Famille Royale ont ſigné,
le 22 àMarly , le contrat de mariage du Marquis
d'Hautefeuille , Colonel du Régiment de Normandie
, avec Dempiſelle fille du ſieur d'Eſcoville
, Chambellan du Roi de Prufle & ancien
Capitaine au ſervice de ce Prince .
Le Roi a nommé Dame de Meſdames Victoire ,
Sophie & Louiſe la Comteſſe de Montmorin , qui
212 MERCURE DE FRANCE.
a eu l'honneur de remercier , à cette occafion
Leurs Majeſtés & la Famille Royale , à qui elle a
été préſentée , le 26 de ce mois, par la Ducheſſe
deBrillac.
Hier le Comte du Châtelet- Lomont , Chevalier
des Ordres du Roi & Maréchal de Camp , a eu
l'honneur de prendre congé de Leurs Majetés &
de la Famille Royale , ainſi que le Comte de
Conflans & le Comte de Chabrillant Morreton ,
Maréchaux de Camp , pour ſe rendre en Angleterre
, où ils ſe propoſent de ſéjourner quelque
temps.
De Versailles , le premier avril 1767 .
Le Roi a conſervé la Maiſon de feue Madame
laDauphine.
Le Prince Héréditaire de Brunswick eſt arrivé
ici le 24 du mois dernier , & le Duc de Deux-
Ponts le 28 ; les mêmes jours ces deux Princes
ont été préſentés à Leurs Majestés & à la Fantille
Royale.
Du 4 avril.
LeVicomtede Choiſeul , Brigadier des Armées
du Roi , ſon Ambaſladeur Extraordinaire auprès
du Roi des Deux-Siciles , & ci-devant Menin de
feu Monteigneur le Dauphin , eut hier l'honneur
de prendre congé de Leurs Majeftés & de la Famille
Royale pour ſe rendre à la Cour de Naples.
Il fut préſenté au Roi par le Duc de Choiſeul
Miniftre & Secrétaire d'Etat des Affaires Eerangères
& de la Guerre. Le Comte de Roquefeuille ,
Lieutenant- Général des Armées Navales , eft arrivé
ici de Breſt , le premier de ce mois , & a été
préſenté à Sa Majesté par le Duc de Duras , preJUILLET
1767. 213
mier Gentilhomme de la Chambre , en l'abſence
du Duc de Praflin , Miniſtre & Secrétaire d'Etat
de la Marine.
Le Chevalier de Flers , Exempt des Gardes du
Corps de la Compagnie Ecoſſoile , a été nommé
par le Roi a la brigade vacante dans la même
compagnie , par la mort du Marquis des Barres.
:
AVIS.
La ſieur Péronard , Facteur d'orgues à Reims ,
a entrepris, fait & poté , dans l'excellent inftrument
de l'égliſe métropolitaine de cette ville ,
deux tuyaux d'anches , l'un de vingt deux pieds
& l'autre de trente-deux ; ce dernier n'exiſte dans
aucune égliſe du Royaunie. MM. Hardouin , Maître
deMuſique de cette Métropole, Turpin, Baron
Organiſte de Saint Remi , nommés , parMM. du
Chapitre , pour juger du mérite de ces tuyaux ,
ont trouvé qu'ils faitoient l'effet le plus noble &
le plus majeſtueux , &ne laiſſoient à deſirer que
lecomplément de l'étendue du clavier de pédalles,
ſuivant leur certificat du 12 janvier 1767.
Ce dernier avantage pouvant avoir lieu dans
les nouveaux orgues , doit exciter l'émulation des
Facteurs qui ſeront chargés de leur conſtruction .
AVIS AU PUBLIC.
N.B. Il nous parvient journellement quantité
de lettres qui nefont point affranchies. Afin d'obvier
aux frais conſidérables dans lesquels on nous
jette à cet égard, nous déclarons de nouveau que
214 MERCURE DE FRANCE.
nous renverrons à leurs auteurs toutes e lles qu'on
nous adreſſfera désormais, concernant le Mercure ,
Sans en payer le port ; & que rien de ce qui y fera
contenu n'entrera dans notre Journal.
Faute à corriger dans ce volume .
Page 65 , chanson du Grad Prieur , lifez du
Grand Prieur.
APPROBATION.
Ja'AI lu , par ordre de Monſeigneur le Vice
Chancelier , le premier volume du Mercure du
mois de juillet 1767 , & je n'y ai rien trouvé qui
puiſſe en empêcher l'impreſſion. A Paris , ces
juillet 1767.
GUIROΥ.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE
DISCOURS fur la verru.
AMde la Vicomteſſe de C........
Pages
II
Dự même à la même. Ibid.
D'un autre à la même. 12
Du même à un autre. Ibid.
D'un autre à une autre . 13
PORTRAIT du Connétable du Guesclin.
VERS d Mde. L. M. D. C.
16
Ibid.
SUITE des Deux Hermites, Conte allégorique. 18
JUILLET 1767. 215
VERS mis au bas de la belle eſtampe de M.
Greuze SE
BOUQUET à Mde DE***. Ibid.
A M. le Comte DE ***. 52
A Madame.
.....
53
VERS à Life , le jour de ſa fête. 54
LETTRE de Mde D *** , à M. Choquet , &c. 55
EPITRE à M. Dorat . 59
SUITE des chanfons anciennes . 62
RONDEAU. 66
A une mère qui allaite ſon enfant.
IMITATION d'un ancien Conte.
69
69
ENIGMES. 73
LOGOGRYPHES. 76
RONDEAU . 77,
ARTICLE II . NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Le grand Vocabulaire François , &c. 79
CLARY , ou le Retour à la vertu récompenfée. 91
TRAITÉ des prêts de commerce , ou de l'intérêt
de l'argent. 99
ATLAS hiſtorique , chronologique & géographique
102
Avis du ſieur de Mornas , Géographe du Roi &
des Enfans de France.
104
ANNONCES de livres.
109
ARTICLE III . SCIENCES ET BELLES LETTRES.
ACADÉMIES.
EXTRAIT de la ſéance publique de l'Académie des
Sciences , Arts & Belles- Lettres de Dijon. 136
ACADÉMIE de la Rochelle.
155
SUPPLÉMENT à l'article des pièces fugitives.
LETTRE à l'auteur du Mercure , ſur feu M. le
Maréchal de Noailles. 174
216 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE IV. BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES. CHIRURGIE.
PRIX de l'Ecole-pratique. 178
ARTS AGRÉABLES.
GRAVURE. 179
MUSIQUE. 181
ARTICLE V. SPECTACLES.
OPÉRA . 186
COMÉDIE Françoiſe. 190
COMÉDIE Italienne. 194
CONCERTS Spirituels. 198
domeſtique des Sieur & Dame Calas.
DÉCLARATION de Jeanne Viguiere , ancienne
ARTICLE VI. NOUVELLES POLITIQUES.
200
DE Warſovie , &c.
Avis au public.
206
213
Del'Imprimeriede LOUIS CELLOT, rue Dauphine.
MERCURE
DE FRANCE,
DÉDIÉ AU ROI.
JUILLET 1767 .
[ SECOND VOLUME.
Diverſité , c'est ma deviſe. La Fontaine.
Cochin
Siliusinv
Papilla Seulp
1715
A PARIS ,
JORRY , vis- à- vis la Co médie Françoiſe
PRAULT , quai de Conti.
Chez DUCHESNE , rue Saint Jacques .
CAILLEAU , rue du Foin.
CELLOT , Imprimeur, rue Dauphine .
Avec Approbation & Privilege du Roi.
:
1
1.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier - Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch à côté du
Sellier du Roi,
د
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer ,
francs de port , les paquets & lettres ,
pour remettre , quant à la partie littéraire ,
à M. DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
د
Le prix de chaque volume eſt de 36fols ;
mais l'on ne payera d'avance en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raiſon de 30 fols piece.
Les personnes de province auxquelles
on enverra le Mercure par la Poſte ,
payeront pour ſeize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront d'autres voies que
la Pofte pour le faire venir , & qui prendront
les frais du port fur leur compte ,
ne paye ont , comme à Paris , qu'à raifon
de 30 fols par volume , c'est à-dire , 24 liv.
d'avance , en s'abonnant pourſeize volumes .
A ij
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreſſe ci- deſſus .
On fupplie les personnes des provinces
d'envoyerpar la Poste , en payant le droit ,
leurs ordres , afin que le paiement en ſoit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis
refteront au rebus.
On prie les personnes qui envoient des
Livres , Estampes & Muſique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Les volumes du nouveau Choix des Pièces
tirées des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , ſe trouvent auſſi au
Bureau du Mercure. Cette collection eſt
compoſée de cent huit volumes. On en a
fait une Table générale , par laquelle ce
Recueil eſt terminé ; les Journaux ne
fourniſſant plus un affez grand nombre de
pièces pour le continuer. Cette Table ſe
vend ſéparément au même Bureau , où
l'on pourra ſe procurer deux collections
complettes qui reſtent encore.
t
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET 1767 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE .
Epitre à un ami, contre le SUICIDE.
ESSTT -- CCEE toi que j'entends ? .... âme foible&
commune !.
Quoi , déja les revers fatiguent ta vertu ?
Déja , las de traîner une chaîne importune ,
Tu parles de mourir & tu n'as pas vécu !
Mais toiqui de l'honneur me vantes les maximes ,
Apprends- moi s'il en eſt qui commandent des
crimes;
Qui faffent un devoir de braver à la fois
La raifon , l'amitié , la nature & les loix ?
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Malheureux : abruti par ta douleur profonde ,
Tu voudrois ne plus vivre & déja tu n'es rien .
Sans l'eſpoir du ſecours dont tu peux être au monde
Je dirois : qu'attends-tu ? meurs & tu feras bien .
> Qu'est- ce qu'un homme oifif à ſon centre im-
>>>mobile ?
>> Aſſez d'autres fans toi , créés pour le tombeau ,
>> Occupent far la terre une place inutile ;
Délivre- la de ton fardeau » .
N'eſt- il donc ici bas aucun noeud qui te lie ?
Ne tiens-tu pas à ra patrie
Par les devoirs facrés d'homme & de citoyen?
Dois-tu , fans ſon aveu , diſpoſer de ta vie ?
Et n'est-ce pas un vol que tu fais de fon bien?
Si du moins ſes regrets honoroient ta mémoire....
Eh bien , pour elle un jour faut- il ſe dévouer ?
Vas rougir de ton fang les palmes de la gloire ;
Alors , avec éclat , je pourrai t'avouer .
Mais laiffer à la terre une cendre flétrie ;
Mais , lâchement courbé ſous le poids de ſes maux,
Finir par un forfait fa mépriſable vie ,
Eſt- ce donc-là mourir de la mort du héros ?
Non , je ne conçois pas cet abſurde ſyſtême ,
De vouloir effacer , par un remède extrême ,
Des douleurs que le temps emporte dans fon
cours ;
Le ſage attend leur terme & reſpecte ſes jours.
Lasde ſouffrir , tu meurs.... un lâche eût fait de
même.
JUILLET 1767. 7
Jeune homme! il te ſied bien de prétendre au
repos.
Pour jouir de ce droit n'as-tu plus rien à faire ?
L'athlète ſe repoſe au bout de ſa carrière ,
Et peut aller cueillir le prix de ſes travaux.
Devant l'Étre vengeur paroîtras-tu ſans honte ?
Obſerve le préſent , rapproche le paffé ;
Qu'as- tu fait dans le poſte où ſon choix t'a placé
De quelle oeuvre aujourd'hui peux- tu lui rendre
compte ?
Ofes-tu t'arrêter quand tu prends ton effor ?
Diſſipe le ſommeil dont la vapeur t'enivre.
Ami! c'eſt en vivant que l'homme apprend à vivre .
Regarde autour de toi ; ne vois tu pas encor
Des devoirs à remplir , des modèles à ſuivre ?
Tu te plains du malheur, mille autres l'ont connu;
Mille autres à ton fort pourroient porter envie :
La joie & le chagrin partagent notre vie ,
Et le bien par le mal eſt toujours combattu.
Dans tes ennuis cruels tu dois dire à toi-même :
Je ſuis mal aujourd'hui ; je ſerai mieux demain ;
Tout doit rentrer dans l'ordre , & le moteur fuprême
Ne peut s'écarter de ſa fin.
Mais , pour te diſpenſer de vivre avec tes frères ,
Tu n'apperçois chez eux que foibleſſes , qu'erreurs ,
Et tes pinceaux atrabilaires
Peignent l'humanité des plus noires couleurs.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
<<<Un deuil univerſel couvre ce vaſte abîme ;
>> tout eſt dans ſon enceinte ou tyran , ou victime.
» L'honnête homme y baiſſe les yeux ;
>>>De la pitié le ſoûrire l'accable ;
>>>Les roſes du plaiſir couronnent le coupable ,
>>& le vice lui ſeul a le droit d'être heureux.
>> Que ferai-je au milieu d'un vil peuple d'eſclaves,
>>> Que je vois à genoux mendier des entraves ,
>> à des hommes de fer plus mépriſables qu'eux ,
>> Et , dans leur baſſeſſe importune ,
>> Proſtituer l'encens qu'ils brûlent pour ces Dieux
>> Que forge à ſon caprice ou détruit la fortune ?
>> Dans la poudre, comme eux, dois-je baiffer mon
>> front
>> Heureux fi d'un coup-d'oeil le ſalutaire affront
>> Me diſtingue un moment de la foule commune!
Non ; ce honteux emploi n'eſt pas fait pour ton
coeur;
Omon ami ! l'opprobre eſt le premier ſupplice.
Fuis juſqu'à l'ombre du bonheur ,
S'il faut , pour être heureux , que ta vertu roug iffe.
Mais fois , par tes travaux , le maître de ton ſort ;
Ofe embraſſer l'indépendance ;
T'élever fans appui , par un fublime effort ,
Et laffer te malheur à force de conftance .
Quel triomphe durable ! O combien il eſt grand
D'avoir ſou ſe donner la fortune , fon rang ,
Et de dire , enivré de cet honneur ſuprême ,
Je ne tiens riend'autrui;je me ſuis fait moi-même !
JUILLET تو . 1967
Que de noeuds au bonheur t'attacheront un jour ,
Quand , digne d'être époux & père ,
Tu te reproduiras dans les fruits de l'amour ;
Quand ſur l'aîle de l'âge , emporté ſans retour ,
Tu verras tes enfans entrer dans la carrière
Et , rivaux de ta gloire , y briller à leur tour!
Nom reſpectable ! o doux nom d'homme !
S'il peut en être un ſeul qui balance le tien ,
De quelque titre vain que la fierté ſe nomme ,
Le plus beau , le plus noble eſt d'être citoyen.
Nousdépendons des loix en commençant à vivre ,
Et nos premiers fermens ont été de les ſuivre.
Qui de nous méconnoît ces liens immortels ?
Qui de nous , s'il ne fort de ce juſte équilibre
Qu'établiſſent ſur tous les rapports mutuels ,
Peut , en jettant le joug , s'écrier : je ſuis libre ?
Eh ! qu'est- ce que la liberté ?
Son privilége ſi vanté
N'eſt par tout que le droit de choiſir ſes entraves.
Que les nôtres du moins honorent notre choix ;
De nos devoirs ſoyons eſclaves ;
Mais fur nos coeurs , amis , réſervons-nous des
droits.
Qu'importe que Midas , automate imbécile ,
Traîne dans le tombeau le poids de ſon argiles
Que , féparé du monde , à lui-même livré ,
Le farouche Timon vive & meure ignoré ;
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
S'apperçoit - on de leur abſence ? ....
D'un père de famille on déplore la mort ;
Mais quel bien a produit leur ſtérile exiſtence ?
En paílant au néant ont- ils changé de fort ?
Loin du tronc deſſéché d'un arbuſte ſauvage ,
Vois cet orme touffu , l'ornement des forêts ,
Etendre autour de lui. ſon ſalutaire ombrage.
Le voyageur afſis y reſpire le frais ;
Son front victorieux garantit de l'orage
Les nombreux rejettons qui s'élèvent auprès ;
Les oiſeaux vont en foule habiter ſon feuillage ,
Et l'inſecte à ſes pieds partage ſes bienfaits.
Viens ! eſt- tu pénétré de ces brûlantes flammes
Que l'amour de la gloire allume dans les âmes ?
Mes bras te ſont ouverts ; ton fort ſera le mien.
Du cercle où nous vivons franchiffons les barrières
Et prêtons-nous tous deux le plus ferme ſoutien;
Conſacre au genre humain tes talens , tes lumières;
Je bénirai le jour où j'aurai fait du bien.
Qu'imprimés dans les coeurs en profonds caractères
,
Nos noms ſoient à l'abri de la rouille des ans.
En mouillant nos tombeaux de leurs larmes
amères ,
Les malheureux diront : ils ont aimé leurs frères ;
Ils auroient mérité de vivre plus long-temps.
LÉONARD.
:
JUILLET 1767 . II
ESSAI de moralités .
CONTRE les torts d'autrui , que le monde publie,
S'élève- t- on ſévérement ?
On croit condamner ſeulement ;
Le plus ſouvent on calomnie.
I.
Tel ſe croyant détaché de ſoi -même
Dirige des âmes qu'il aime
Avec un empire inhumain.
Quel contraſte dans ſa conduite !
Il met ſa vertu favorite
A tourmenter celle de ſon prochain.
2.
Comment l'homme voluptueux ,
En ſacrifiant tout au plaiſir qui l'enflamme ,
N'eſt- il pas conſtamment heureux ?
C'eſt qu'il reſte toujours dans le fond de notre âm
Un beſoin d'être vertueux.
3.
Avez-vous ( quel rare partage ! )
Un eſprit garanti d'erreur ?

Pour expier cet avantage ,
Ayez raiſon avec douceur .
Mais , loin la láche politeſſe
Qui ſourit à tous les objets ;
Ces gens qui careſſent ſans ceſſe
Et qui ne vous fervent jamais !
Par M. DE MONCRIP
12 MERCURE DE FRANCE.
CHANSON pour la fête de la charmante
CELESTE .
D'UN ' UN fort heureux charmant effet ,
Dans ma jeuneſſe extrême ;
Je vois le plus celeste objet :
Voilà d'abord que j'aime.
Eſt- il , dès la jeune ſaiſon ,
Un plus heureux partage ?
Par le progrès de ma raiſon
J'aimerai davantage.
Je vais connoître à tout moment
Quelque vertu nouvelle ;
Tout ce qui rend l'eſprit charmant ,
Je l'aurai pour modèle.
Si l'on m'offroit , pour être amant ,
Tout ce qu'Ovide adore ,
Je répondrois ingénument :
Non , j'y perdrois encore.
Par le même.
JUILLET 1767. 13
LES ÉPOUX AMANS ,
A M. le Vicomte & Mde la Vicomteſſe
DE R ... fur l'air : Monſeigneur , vous
ne voyez rien .
ZÉLIS trouve un fidèle amant
Dans les bras d'un époux qu'elle aime ;
Et Lindor , toujours plus charmant ,
Defire au ſein du bonheur même.
Quand le devoir eſt un plaiſir ,
On est toujours ſûr de jouir.
L'hymen eft heureux ,
Quand l'amour en ferre les noeuds.
Met- il un bouquet ſur le ſein
De ſa maîtreſſe qui l'embraſſe ,
Il brûle & l'arrache ſoudain ,
Et par un baiſer le remplace.
Lui ſeul il veut un ſort fi doux ;
L'amant tendre eſt toujours jaloux.
L'hymen , &c.
Lorſque dans leurs chants amoureux
Les oiſeaux peignent leurs tendreſſe ,
Zélis dit : ah , qu'ils font heureux !
Ils me retracent mon yvreſſe.
*4 MERCURE DE FRANCE.
:
2
:
Mais non , leurs feux les plus ardens
N'expriment pas ce que je ſens.
L'hymen eft heureux , &c.
Comment ne verroit-elle pas
Son époux l'adorer ſans ceſſe ?
Le coeur qu'attirent les appas
Eſt retenu par la ſageſſe.
La ſageſle qui fait charmer
Eſt ſoeur du Dieu qui fait aimer.
L'hymen eſt heureux , &c.
L'amour est un enfant badin ,
Il faut bien que l'hymen le guide ,
L'hymen eſt quelquefois chagrin ,
11 faut que l'amour le déride.
C'eſt l'art de marier les fleurs
Qui rend plus vives leurs couleurs .
L'hymen eſt heureux
Quand l'amour en ferre les noeuds.
ParM. SABATIER.
JUILLET 1767. 15
PORTRAIT d'un fage..
ISSOOLÉ dans un coin da monde
Loin du tumulte des cités ,
Je jouis d'une paix profonde ,
Je vis au ſein des voluptés ;
Non de ces voluptés factices
Qui font les délices des fots ,
Et que la mode & les caprices
Sçavent varier à propos ;
Mais au ſein de plaiſirs ſolides
Que rien ne me ſçauroit ravir.
Vous qui ſuivez vos ſens pour guides ,
Ne vous flattez pas d'en jouir.
Tout votre bonheur n'est qu'un rêve.
Vous entrevoyez des objets ;
L'inſtant d'après vous les enlève ;
Que vous reſte- il ? des regrets .
A l'école de la ſageſſe ,
Formé dès mes plus tendres ans ,
Je la ſuivis dans ma jeuneſſe ,
Elle m'éclaire à mon printemps ;
Puiffe t-elle de ma vieilleſſe
Guider encor les pas tremblans !
Que ſes préceptes ſont ſublimes !
Heureux qui ſçait les écouter !
Qui fait méditer ſes maximes ,
16 MERCURE DE FRANCE.
Les remords qui ſuivent les crimes
Ne viennent point le tourmenter.
Non , jamais le moindre nuage
Ne trouble ma félicité ;
Sur ma tête gronde l'orage
Et mon coeur n'eſt point agité.
Eſcorté des plaiſirs qu'il aime ,
Souvent le monde corrompu ,
Employa plus d'un ſtratagême
Pour déconcerter ma vertu ;
Mais ſon erreur étoit extrême :
Alors qu'on s'eſt vaincu ſoi-même ,
Peut- on craindre d'être vaincu ?
Vivez , vivez dans l'opulence ,
Heureux favoris de Plutus ,
Je préfère mon indigence
A tous vos tréſors fuperflus .
Contemplez ces tas de richeſſes
Et le faux éclat de cet or ;
Je ſuis riche par mes largeſſes ;
Qu'un bienfait eſt un beau tréſor !
Humanité , vertu du ſage ,
Quel plaifir je goûte avec toi !
D'un Dieu je reſpecte l'image ,
Tout homme eſt un frère pour moi ;
Je ſuis l'appui du miférable ,
Je verſe mes biens dans ſon ſein.
Aimer , fecourir ſon ſemblable ,
JUILLET 1767 . 17
Voilà le plaiſir véritable ,
Vous l'ignorez , âmes d'airain !
En vain l'incrédule & l'impie ,
D'une vaine philoſophie ,
Me débitèrent les erreurs ;
Pour perfuader leur folie
Il leur faudroit changer de moeurs .
Quoi ! des ſens , ſuivant le ſyſtême ,
Je nîrois des dogmes ſacrés
Que mes ayeux ont révérés !
Non , j'adore un Étre ſuprême .
Qui règle tout dans l'univers ,
Et qui , du vertueux qu'il aime ,
Sçaura diftinguer le pervers .
Chaque jour mon eſprit s'élance
Au ſein de ſa divinité ;
C'eſt pour admirer ſa puiſſance ,
Ou pour implorer ſa bonté :
Mais jamais mon oeil téméraire
Ne veut pénétrer d'un myſtère
L'impénétrable obſcurité :
C'eſt la foi ſeule qui m'éclaire ;
A la lueur de ce flambeau
D'un Dieu je reconnois le ſceau ,
Je crois , adore & fais me taire .
Par M. l'Abbé LEJEUNE , Profeffeur de
Rhétorique au Collège de Sèes en Normandie.
18 MERCURE DE FRANCE.
De l'Opéra , de QUINAULT , & de la
musique.
ON a avancé dans un ouvrage periodique
( 1) , que les ſujets véritablement tragiques
font ceux qu'il faut choisir pour faire
des opéra ; que la poésie forte est celle qui
convient à la musique ; que Quinault n'a
point excellé dansson genre , & qu'il a manqué
de la vigueur néceſſaire pour le bien
traiter. Ces paradoxes , préſentés par un
homme de beaucoup d'eſprit , qui voit finement
, & qui écrit avec chaleur , ont dû
faire impreffion ; mais comme il eſt déraifonnable
& même dangereux d'adopter
quelque opinion que ce foit, & de quelque
part qu'elle nous vienne, ſans l'avoir
examinée & fans vouloir écouter les objections
qu'on y peut faire , j'ai pensé
que les partiſans les plus déclarés des propoſitions
qui m'ont paru fauſſes , me verroient
fans peine tâcher de les détruire ;
fi je n'y parvienspass,, mes efforts ne feront
pas au moins fans utilité. Les obſervations
( 1 ) Voyez un ſupplément à la Gazette Littéraire
, du 2 décembre 1764 , page 337 ; il renferme
le lettre qui a donné lieu à cette dillerration .
JUILLET 1767 . 19
fur les arts ne peuvent être affez revues ,
développées , remaniées : la matière battue
dans tous les ſens acquiert une ſoupleſſe
qui follicite l'homme de génie ; la voyant
ainſi préparée , il la faiſit , & ce que les autres
ont dit , il le fait. Mais pour établir quelques
principes dont il puiſſe réſulter une
exécution fatisfaiſante , il ne faut pas differter
froidement ſur des preſtiges enchanteurs.
Trop d'écrivains ſe ſont placés hors
des arts lorſqu'ils en ont parlé, & ont ainſi
donné des conſeils impraticables & prononcé
des déciſions ridicules. Malheur à
ces raiſonneurs privatifs qui apperçoivent
tous les abus , qui ne vous préſentent jamais
que les défauts d'un genre , qui n'y
trouvent de remède que ſa deſtruction , &
qui analyſent avec une ſagacité ſtérile ce
qu'il faut fentir avec tranſport. Plus ils
ont d'adreſſe , plus on doit les fuir ; ils ne
voudroient pas même qu'il reſtât aux infortunés
mortels quelques- unes de ces chimères
agréables qui adouciſſent les peines
réelles dont ils font ſurchargés.
Souvent , en s'attachant à des fantomes vains ,
Notre raiſon ſéduite avec plaiſir s'égare ,
Elle-même jouit des objets qu'elle a feints ,
Et cette illuſion pour quelque temps répare
Le défaut des vrais biens que la nature avare
N'a pas accordés aux humains.
20 MERCURE DE FRANCE .
Ce n'eſt point pour ces logiciens cruellement
exacts que je cite ces vers , ils répéteroient
ce mot fi triſte : qu'est ce que cela
prouve ? En effet, cela ne prouve pas , mais
perfuade : l'un vaut bien l'autre.
Je ne fais pas s'il eſt poſſible que la poéfie,
la muſique , la peinture& la danſe , prodiguant
tous leurs charmes pour un ſeul ſpectacle
, ſe lient affez parfaitement pour ne
compoſer qu'un tout régulier , & s'il deviendra
jamais vraiſemblable que des expreſſions
ſi diverſes ne tendentqu'au même
but , & ne produiſent qu'un ſeul effer ;
mais je ſuis bien convaincu que l'homme
amoureux des arts , ne les trouvera pas rafſemblés
ſans raviſſement , & que leur concours
lui en impoſera au point de l'empêcher
de s'offenfer des bifarreries & des
inconféquences qui ne font peut-être que
des conditions abfolues des beautés qui
touchent le plus. Il eſt donc indiſpenſable
pour le plaifir , & il n'eſt ici queſtion que
de lui , de laiſſer entrer dans un opera des
vers , de la muſique , des décorations , &
des ballets ; ce qui ne pourra ſe faire qu'autant
que l'on excluera le grand tragique ,
que l'on conviendra qu'en général la poésie
forte eſt incompatible avec la muſique ,
que Quinault a excellé dans ſon genre , &
qu'aucun poëte n'a été plus énergique que
JUILLET 1767. 21
lui lorſqu'il a ſçu l'être ſans nuire au muficien.
Si vous admettez le grand tragique ,
vous proſcrivez les fêtes , le pathétique
les repouſſe : comment les fondre dans
une action terrible ? La danſe ſéche les
larmes , & les contre- fens , pour être forcés ,
n'en ſont pas plus excuſables. Le reproche
que l'on fait aux Italiens de négliger les
ballets me ſerviroit preſque de démonftration
: pourquoi auroient- ils rejetté un plaifir
, ſi la nature de leurs productions n'y
avoit pas réſiſté ? S'ils n'avoient pas conçu
qu'il feroit monftrueux de faire danſer au
tour du tombeau où Mérope va facrifier
fon fils , & qu'il n'y auroit plus de douleur
à éprouver lorſqu'il y auroit des pas ,
des fauts & des attitudes à regarder ?
Une fois déterminé à exiger du grand
tragique pour l'opéra , il a fallu demander
auſſi que les acteurs ne fuſſent préſentés
que dans des ſituations violentes , & dans
l'excès de la paſſion : c'eſt ce que l'on a
fait , fans réfléchir que s'il étoit poffible
que l'émotion fût continue , elle deviendroit
preſque nulle ; que ce ſeroit manquer
à la loi judicieuſe qui preſcrit des
repos dans toutes les compoſitions ; que
ce ſeroit contraindre nos muficiens , qui
n'y ont que trop dediſpoſition, à multiplier
22 MERCURE DE FRANCE.
les éclats ; que ce ſeroit exiger plus qu'un
artiſte confommé ne peut rendre , & plus
que l'art lui -même ne comporte , puiſque
les expofitions , la marche des ſcènes , les
récits , les gradations qu'il faut ménager
dans le jeu des paflions , occupentnéceffairement
une grande partie du drame ; qu'un
premier acte , qui feroit auſſi déchirant
que le cinquième , altéreroit l'effet principal
, & qu'on ne remue le ſpectateur
qu'après l'avoir inftruit & diſpoſé. Si la
tragédie eſt parlée auſſi rapidement qu'elle
doit l'être , les développemens , les conférences
, les détails des ſentimens qui précédent
les fituations , fortifient , motivent ,
& déterminent l'énergie & la vérité de
l'action ; mais la déclamation notée de nos
opéra , quelque prompt qu'en ſoit le débit ,
ne peut fouffrir la même étendue , autrement
le ſpectacle ne finiroit pas , & l'intérêt
ne s'accorde point avec les longueurs.
Cela eſt encore démontré par les Italiens
qui , n'écoutantjamais les plus belles ſcènes
de leurs meilleurs poëtes , ne donnentd'attention
qu'à des airs d'autant plus pathétiques
, qu'ils ne font ni trop longs ni trop
fréquens.
Čes difficultés ſont ſi fortes qu'elles
ont inſenſiblement conduit les amateurs
du grand tragique à s'écarter de leur fyf-
4
JUILLET 1767 . 23
que cette
tême & à rentrer dans le mien , ou plutôt
dans celui du genre , en n'affignant d'autre
fond , pour nos opéra , que la féerie , &
la mythologie : voilà donc le grand tragique
banni. Ne diſputons pas fur des mots ,
n'alléguons pas des ſituations lorſqu'il s'agiroit
de rapporter une pièce entière , &
nous prononcerons que le grand tragique
repoſe ſurune confiance abfolue ,
confiance ne peut naître que de la vérité ,
ou de cette vraiſemblance rigoureuſe qui
en eſt l'équivalent ; qu'ainſi le fabuleux ,
ſi propre d'ailleurs à toutes les parties de
l'opéra , eſt , par ſa nature , abſolumens
étranger au mouvement qu'excite la pitié
ou la terreur , & qu'il eſt incapable de
produire l'intérêt puiſſant qui nous attache
quelquefois ſi ſincérement au fort d'un
perſonnage de tragédie , que ſes craintes
intimident notre âme , &que fes malheurs
la tourmentent. Ces perfécutions , ces fers ,
ces poignards , qui font l'ouvrage des dieux
& des forciers , ne font pas certainement
mieux prouvés ni plus dignes de foi ; &
la cauſe eſt trop évidemment fauſſe pour
queles effets obtiennentun inſtant de conviction
, ni conféquemment le plus fo ble
degré de ſenſibilité ; mais cela même n'eſt
point un mal , & il eſt fort heureux que
la néceſſité poſe entre deux ſpectacles une
24 MERCURE DE FRANCE.
borne que la fantaisie ne peut franchir.
Nous n'aurons plus de diſparates à redouter
ni de difformités à voir : nous ferons dans
le pays des chimères , &ayant pris fur nous
denousy tranſporter, nousyreſterons pourvu
qu'aucune mal-adreſſe ne nous avertiſle
d'en fortir. C'en ſeroit une impardonnable
que de vouloir introduire une ſeule vérité
au milieu d'un cortége d'erreurs qui ſe
justifient & s'autoriſent les unes par les
autres. Soyez conſtamment magiciens , &
nous vous aiderons nous-mêmes à nous
tromper ; alors le tiſſu fait pour unir le
poëme , la muſique & les danſes pourra ſe
réaliſer : il fera probablement délicat , mais
quel eſt le profane qui ira le brifer entre
les mains des grâces ? Plongés dans une
yvreſſe voluptueuſe , nous ne demanderons
qu'à augmenter le charme de la fiction qui
le procure ; le plaifir ſurprendra tous les
fens , & ne nous laiſſera ni le temps de
raiſonner ni la volonté de nous défendre ;
&nous réſerverons , pour un autre théâtre ,
les frémiſſemens de la terreur & les cris
dudéſeſpoir.
Je dis qu'en général la poéfie forte eft
incompatible avec la musique ; & , pour en
convenir , il n'eſt beſoin que d'obſerver
quelques faits , les conféquences ſe préſenteront
enſuite d'elles - mêmes. Lorſque je
compare
JUILLET 1767.
25
compare une langue à une autre pour
ſavoir quelle eſt la plus muſicale , ſans
prendre d'autre précaution que d'écarter
le préjugé , je prononce en faveur de celle
qui a les fons les plus doux & les plus fléxibles,
dans laquelle ils font en plus grande
quantité , & d'un uſage affez commun ,
pour que le peuple , qui la parle , puiffe
les employer fréquemment. Il ſeroit ridicule
de compter pour quelque choſe , dans
l'examenque je me ſuis propoſé , l'énergie
des termes : ce n'eſt pas mon eſprit que
j'interroge , ce ſont mes oreilles que je
confulte , & l'euphonie ſeule a des droits
fur leur fuffrage. Il ne faut pas s'imaginer
qu'on puiffe faire de la poéſie forte avec
des fons doux ; l'harmonie imitative des
mots n'eſt pas ſi rare qu'on le croit , &
ordinairement ce n'eſt pas une expreſſion
molle qui rend une penſée vigoureuſe ,
c'eſt cette ſeule euphonie qui détermine les
muficiens Italiens à revenir ſans ceſſe ſur
Métaſtaſe & à négliger Apoftolo-Zéno : ce
dernier a de grandes beautés , comme on
le verra lorſqu'un de ſes drames aura été
arrangé pour notre opéra ; mais il eſt trop
fier & trop nerveux pour ne pas éloigner
le muſicien que le ſtyle moëlleux de Métaf.
tafe attire. Ce poëte même , dès qu'il a
voulu prendre un ton plus élevé , s'eſt
Vol. II. B
26 MERCURE DE FRANCE,
refuſé au chant ; on n'en a point encore
trouvé un dont on pût être content pour
ces paroles fublimes de Titus :
Vendetta ! ah Tito ! e tu farai capace
D'un fi baſſo defir , che rende eguale
L'offenso all' offenfor ! merita in vero
Gran lode una vendetta , ove non costi
Piu che il volerla ! il torre altrui la vita ,
Efacolta commune
Al piu vil della terra ; ildarla , è folo
De numi , e de regnanti.
Je ferois très - furpris ſi l'on parvenoit à
mettre en muſique une ſcène de Corneille ,
jen'endirai pas autant de celles de Racine;
&les morceaux de ce poëte délicieux , dont
l'artiſte s'emparera , fortifieront mon fentiment
: il ne s'arrêtera pas aux plus forts ,
mais aux plus tendres, On cite ſouvent
ces quatre vers pour leſquels Lulli trouva
une harmonie fi vraie , qu'il effraya ceux
qui les lui entendirent réciter ( 2 ) .
Un prêtre environné d'une foule cruelle
Portera fur ma fille une main criminelle,
Déchirera ſon ſein , & d'un oeil curieux ,
Dans ſon coeur palpitant , conſultera les dieux !
Mais où trouve-t- on des vers aufli bien
(2) Acte 4, ſcène 4 d'Iphigenic,
JUILLET 1767. 27
préparés pour la muſique ? Le ſentiment
yeſt en image , les rimes féminines font
coulantes , l'aprêté des r s'évanouit par la
répétition des 1 : il n'y a point de danger ,
pourunhommehabile , à faire des épreuves
ſur de tels paſſages. En voici un dont on
ne me conteſtera pas l'énergie ( 3 ) :
Ce coloſſe effrayant dont le monde est foulé,
En preſſant l'univers , eſt lui-même ébranlé;
Il penche vers ſa chûte, & contre la tempête .
Il demande mon bras pour ſoutenir ſa tête.
Fera- t- on de la muſique même paſſable
pour ces vers ? Ils ne peignent point la
paſſion , me direz-vous. Eh bien , je vous
en indique une très-violente dans la quatrième
ſcène du quatrième acte de Semiramis.
Muficien , je ne vous prie point
d'ajouter à fon effet ; ne l'altérez pas , &
votre ſuccès ſera décidé.
Je n'appréhende point d'être réfuté par
des raiſonnemens ſolides , &encore moins
par des faits , en affirmant que Quinault
a atteint le but de la carrière qu'il a ouverte
; qu'il a laiſſé très-peu de choſe à
deſirer ; qu'il a créé une langue muſicale
dont , ſans lui , on n'eût peut-être jamais
ſoupçonné l'existence,&qu'ayant embraſſe
(3) Acte , ſcene 4de la Mort de César,
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
:
toutes les parties de fon genre , il a difpoſé
ſes productions avec un tel art ,
qu'elles appellent tous les ornemens dont
un opéra eſt ſuſceptible. Maisde ſon temps
quel fut l'homme en état de contribuer
dignement à fon entrepriſe ? Ses contemporains
le négligeoient, il étoit l'objet des
ſarcaſmes ſans goût d'un juge redouté que
lapoſtérité amis au-deſſous de lui. Lulli ,
fait pour lui obéir , le dominoit , & la
pſalmodie du compoſiteur écraſoit la mélodie
du poëte. Vous lui refuſez la force
parce qu'il n'en employa que dans les circonſtances
où elle étoit placée. Pour vous
convaincre combien ſon faire étoit mâle
& reffenti , lifez ces vers :
Eſprits malheureux & jaloux ,
Qui ne pouvez ſouffrir la vertu qu'avec peine ,
Vous , dont la fureur inhumaine ,
Dans les maux qu'elle fait , trouve un plaifir a
doux:
Démons , préparez-vous à ſeconder ma haine ,
Démons , préparez-vous à ſervir mon courroux.
Et ceux-ci :
Sortez , ombres , ſortez de la nuit éternelle ,
Voyez le jour pour le troubler ;
Que l'affreux déſeſpoir , que la rage cruelle ..
Prennent ſoin de vous raſſembler.
JUILLET 1767. 29
Avancez , malheureux coupables ,
Soyez aujourd'hui déchaînés s
Goûtez l'unique bien des coeurs infortunés ;
Ne ſoyez pas ſeuls miſérables.
Ma rivale m'expoſe à des maux effroyables ;
Qu'elle ait part aux tourmens qui vous ſont deftinés
:
Non , les enfers impitoyables
Ne pourront inventer des horreurs comparables
Aux tourmens qu'elle m'a donnés .
Goûtons l'unique bien des coeurs infortunés ;
Ne ſoyons pas ſeuls miférables.
Encore ce couplet de Méduse.
Je porte l'épouvante & la mort en tous lieux ;
Tout ſe change en rochers à mon aſpect horrible :
Les traits que Jupiter lance du haut des cieux
N'ont rien de ſi terrible
Qu'un regard de mes yeux.
Les plus grands Dieux du ciel , de la terre &de
l'onde ,
Du ſoin de ſe venger , ſe repoſent ſur moi ;
Si je perds la douceur d'être l'amour du monde ,
J'ai le plaifir nouveau d'en devenir l'effroi.
Ce ſeul vers de Cérès , il fait friſſonner :
J'entendrai ſans pitié les cris des innocens.
Le dirai-je ? Ce n'eſt pas à l'opéra qu'il
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
faut entendre ce lyrique divin , c'eſt dans
fon cabinet qu'il est bon de l'étudier ; dans
Persée , Renaud , Atis , Armide , &c. II
parcourt tous les tons de l'âme : il eſt bouillant
, hardi , tendre , voluptueux & continuellement
nombreux & fonore : ſa poéſie ,
riche en images & en ſentimens , alloit
au-devant de la mélodie , les fêtes étoient
préparées par des ſujets brillans , il provoquoit
ledécorateur par la variété , l'oppofition
& le pittoreſque de ſes ſcènes. Sans
doute qu'il ſe diftingue par le coulant , la
molleſſe& la ſenſibilité de la diction ; mais
ce caractère n'eſt le ſien que parce qu'il eſt
celui du genre dont il connoiſſoit l'étendue
&leslimites.
Ne le diffimulons point : ce ne ſont pas
les opéraqui nous manquent, ils font prêts,.
qu'il paroiſſe un muſicien ; encore n'aurat-
il pas tout à faire : l'homme de génie ,
que nous avons perdu , nous a dévoilé les
ſecrets de l'harmonie , il en a prodigué les
plus beaux & les plus ſavans effets , il a
poſé le fondement , & nous a mis en état
de conſtruire l'édifice. Pour y parvenir , il
faut , ſans adopter le récitatif ſimple , des
Italiens qui , je crois , ne nous convient
pas , réformer le nôtre dont la langue françoiſe
ne s'accommodera jamais ; il faut
comprendre tout l'aſcendant que gagne fur
JUILLET 1767. 31
l'âme le récitatif obligé de ces mêmes Italiens
; il faut méditer ſur les grands effets
qui réſultent de la hardieſſe des modulations
& de l'unité de la mélodie ; il faut
abandonner les demi - connoiffeurs à la
vanité de leurs diſputes & travailler à nous
donner une muſique expreſſive , puiſqu'il
eſt évident qu'il ne peut y en avoir ſans
expreffion. Cette expreſſion , quelque parfaite
qu'elle foit , ſera toujours , je l'avoue ,
moins déterminée que celle de l'éloquence
&de la peinture , mais elle ne ſera cependant
jamais équivoque pour des organes
que la nature n'aura pas mal diſpoſés , ou
que le préjugé n'aura pas endurci lorſque
le compoſiteur aura fait tout ce qu'il eſt
poſſible de faire dans ſon att , & que l'exécution
ſera vraie. Otez les paroles de plufieurs
endroitsdu Stabat de Pergoleze, de la
Servapadrona , de Castor& de Tom Jones ;
demandez aux gens les moins inſtruits ce
qu'ils fignifient , & vous verrez s'ils ſe
méprennent.
Je ne puis finir , ſans exhorter ceux qui
veulent contribuer au triomphe d'un ſpectacle
délicieux , à s'exercer ſur les poëmes
de Quinault ; ils y découvriront une ſource
féconde de moyens : le parti qu'ils en tireront
, & les changemens qu'ils feront obligés
de faire , leur affureront un mérite
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
égal à celui de l'invention. Il faudra , ſans
doute , qu'un grand nombre de morceaux ,
deſtinés aux airs , ſoient refaits , afin que ,
non- feulement ils offrent des ſentimens ,
mais qu'ils foient encore moins variés ,
moins recherchés & moins découfus. Je
ne defire pas qu'un air n'ait qu'un ſeul
motif , parce que je craindrois que cette
unité ne fût un obſtacle à des tranſitions
qui doivent procurer un plaifir très-vif ;
mais je demande qu'il y ait un motif prédominant,
ſimple , facile à ſaiſir , & que
l'on proſcrive les idées vagues , les épigrammes
& les antithèſes. Il faudra encore
toucher à la meſure des vers , car , s'ils ne
ſont pas de meſure égale , il faut qu'ils
foient de meſure ſymmétrique , & qu'ils
s'adaptent ainſi à la période muſicale au
lieude la rompre. J'obſerverai , àce ſujet ,
qu'il eſt bien étonnant qu'on ait négligé la
ſymmétrie pour des vers qui ſont deſtinés
à un chant périodique & phrafé , & que
l'on s'y ſoit aſſervi pour les odes qui ne ſe
chantent point. Il faudra encore que le
rithme , étant uniforme pour un air , ne
le foit pas pour tout un opéra , parce que la
langue des paſſions eſt libre , qu'il eſt néceffaire
que la marche du vers réponde à
l'impétuofité , à la tendreſſe , au lugubre
du fentiment , &que le muficien trouvera
JUILLET 1767. 33
un grand germe de variété dans la différence
des meſures , pourvu qu'elles ſe ſuccédent&
ne ſe mêlent point. Mais qu'importent
tous ces changemens , & de beaucoup
plus confidérables encore ? N'eſt- on
pas très-avancé quand on a le fonds , qu'il
ne s'agit que de travailler ſur la forme , de
ſubſtituer certains procédés à d'autres , &
de perfectionner ce qui a été créé ?
LETTRE à M. DE LA PLACE , auteur du
Mercure de France.
J'AI A I vu ſouvent avec plaifir , Monfieur ,
votre exactitude à inférer , dans votre Journal
, les traits qui honorent nos Rois.
L'anecdote que j'ai l'honneur de vous
communiquer m'a paru y mériter une
place , parce qu'elle peint la générofité de
François premier. On ne peut trop offrir
à la nation des exemples de bravoure &de
fidélité dans les ſujets , ainſi que de reconnoiſlance
dans le Souverain. Le fait que
vous trouverez détaillé est très - authentique;
il eſt configné dans les archives du
Sénat de Chambéri. Je tranfcrirai mot à
mot l'extrait qui en garantit la vérité.
Citer de grands exploits , c'eſt affez les orner.
P. Corneille.
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
Ce fait eſt muni du ſeing de pluſieurs
témoins , & en particulier de noble Louis
Lurieu, Gentilhomme de la ville d'Yenne ,
en Savoye , dont vous verrez la dépoſition.
J'ai l'honneur , &c .
Le Chevalier DE ***.
Beaucaire , le premier juin 1767.
EXTRAIT des regiſtres du Sénat de Chambéry,
aux enquêtes de nobleſſe de Michel
de Courtois d'Arcoliere , du 4 janvier
1597.
« Ledit Seigneur de Lurieu dit & dépoſe
> avoir connu ledit Michel d'Arcoliere ,
>> petit - fils de François - Louis , dont il
>> auroit bien vu & connu un ſien frère ,
>> nommé Etienne , &communément l'Ar-
> cher d'Arcoliere , parce qu'il auroit eſté
>> archer de la garde du Roi François
> premier de ce nom ; lequel eftoit tenu
>>>pour un grand & vaillant homme d'ar-
>>m>es , beau , grand perſonnage & gra-
>> cieux ; & a oui dire , lui qui dépoſe , à
> feu noble François de Lurieu , ſon père ,
>> lequel , en ſes meilleures années , eſtoit
>>Ecuyer , d'heureuſe mémoire , de Mgr
>> Charles, ayeul de S. Alteſſe, actuellement
JUILLET 1767. 35
....
» régnant ; que , ayant eſté fait prifonnier
>>>ledit Roi François devant Pavie , lorf-
>>qu'il eſtoit en bataille , ledit noble
» Etienne d'Arcoliere , autrement appellé
» Courtois , du nom de leur famille.
» auroit icelui Courtois fort fait vaillam-
>>>ment en ladite bataille ; & eſtant ledit
» Seigneur Duc allé viſiter la Majefté
>> dudit Roi audit lieu de Pavie , ledit
> père de lui dépoſant l'auroit ſuivi comme
>> ſon Ecuyer ſuſdit , & illeceſtant auroit vu
» comme le Roi mémoratif & parlant de
» ce qui s'eſtoit paſſé en ladite bataille ,
» auroit certifié , comme ledit Etienne
» Courtois combattant vaillamment auprès
> de ſa perſonne avec une épée à deux
» mains , auroit relevé par deux fois Sa
» Majesté qui avoit été mis bas de fon
» cheval ; tellement que , pour ſauver la
>> perſonne du Roi , ledit Courtois auroit
>>eſté bleſſé en pluſieurs endroits de ſon
>> corps , & meſme auroit reçeu un coup
>>de pique qui lui traverſoit les deux
>>joues & mâchoire , d'où & oncques &
» pour quelque tems après ſon emprifon-
>> nement , en ayant fait faire la recherche ,
→& eſtant adverti que ce vaillant foldat
» n'eſtoit point demeuré ſur la place , ains
>> eſtoit retiré en certain monaſtère audit
> Pavie où on le faiſoit panſer , ſe trouvant
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
>> fur les lieux & pour cauſe que deſſus ,
>> ledit ſieur de Lurieu , père dudit dépo-
>> fant , auroit eſté commandé d'aller viſi-
>>ter & appeller ledit Courtois , s'il eſtoit
>> en eftat , ce que les Chirurgiens auroient
• dit , il auroit eſté apporté ſur une chaiſe
>> à bras dans la chambre du Roi , où
>> eftant , Sa Majesté lui auroit demandé
>> fon nom , & lui répondu qu'il s'appel-
>>>loit Courtois ; lui auroit leditRoi Fran-
> çois dit qu'il l'eſtoit véritablement de
>> nom & de fait , parce qu'il l'auroit bien
>& vaillamment ſecondé : & entre autres
>> fignes de fa bonne volonté , ayant ſcu
> qu'il eſtoit Gentilhomme & portoit pour
>> ſes armories un grifon de gueules en
>> champ d'or , auroit déclaré qu'il vouloit
>>qu'il changeât leſdites armories en deux
>> fleurs- de-lys d'or , qu'il l'auroit relevé
>> par deux fois , avec une épée d'argent
» entre deux en champ de gueules , occa-
>> fion de ſes bleſſures & fang qu'il auroit
>> répandu ce faiſant ; & voulut ledit Sei-
>>gneur Roi que tel changement d'armo-
>>ries fût fait tant en faveur dudit Etienne
>>que de François - Louis & Louis , fes
>> frères , & poſtéritésnés &à naître, &c. » .
Il exiſte encore pluſieurs branches de cette
Maiſon tant en Yenne en Savoye , qu'à
Beaucaire en Languedoc.
JUILLET 1767. 37
LA TORTUE ET LES CANARDS,
U
FABLE.
NE Tortue étoit qui ſe plaignoit aux Dieux :
Quelle néceflité de traîner en tous lieux
Mes lares & mon toît ? las ! je rampe à grand
peine ;
Le ferpent bien plus vite arpente cette pleine :
Aufſi , dans mon obſcur canton ,
Je fais , en haletant , une ennuyeuſe ronde ;
J'ignore ce que l'on fait dans le reſte du monde.
Hélas ! peut- être même ailleurs ignore-t-on
Si Jupiter fit des Tortues !
Tandis que d'un clin-d'oeil , s'élevant juſqu'aux
nues ,
Tant d'oiſeaux parcourant les vaſtes champs des
airs,
Pénètrent au-delà des mers ,
Portent leur renommée aux terres inconnues
Et de leur exiſtence empliſſent l'univers !
O toi ! qui fis les Canards & les Grues ,
Es-tu le père des Tortues ?
Au moment que l'Infante aſſourdit les échos ;
Elle voit maint Canard qui faisoit la culbutte
Du haut des airs au fond des flots.
1
38 MERCURE DE FRANCE.
Acent traits meurtriers , les voyageurs en butte ,
De leur ſang rougiſſoient les eaux.
Quelle chûte ! ... O Jupin! ces machines mortelles,
S'écria- t - elle alors , ont deſfillé mes yeux :
Se donner en ſpectacle est par trop périlleux :
Conſerve-moi mon toît , je n'ai plus beſoind'aîles .
Par M. BOISSARD , étudiant en Droit.
Impromptu à Mlle B *** , aimée &
admirée de trois ſujets de différentes
nations en même temps.
LE Dannemarck , l'Angleterre & laFrance ,
Aimable B *** , vous préſentent leurs voeux ,
Nourriſſant à l'envi la flatteuſe eſpérance
De vous voir couronner le plus digne d'entr'eux.
Mettez- les tous dans la balance :
Le Danois eſt poli , il eſt ſage , il eſt doux ;
L'Anglois eſt jeune & riche , il a de la naiſſance ;
Le François vous adore & ne vit que pour vous.
Aqui donner la préférence ?
L. D.
JUILLET 1767. 39
A Mde DE *** , qui avoit joué le rôle
de la Pupile dans la pièce qui en porte
le nom.
CONTRE
ONTRE les traits qui vont au coeur ,
La raiſon eſt un foible aſyle.
Chacun , en voyant la Pupile ,
Sent qu'il a beſoin d'un tuteur.
Par M. le Marquis DE M***.
QUE
VERS amoureux.
UEL charme inconnu me ſaiſit ?
D'où vient ce trouble , ce délire ?
Toute la nature me rit ;
Le coeur me bat , le coeur me dit ;
C'eſt ici que Zelmire
A choiſi ſon empire.
Cet émail , ce boccage frais ,
Tout brille encore de ſes attraits :
Tout m'intéreſſe , tout m'inſpire
Ce que je ſens & ne puis dire.
C'eſt-là qu'elle vient au matin
40 MERCURE DE FRANCE.
Cueillir des fleurs , rêver ou lire.
Zéphire , tu baiſas ſon ſein ;
Et c'eſt toi que je reſpire
Avec les roſes & le thym !
,
Ici je reconnois ſes traces....
Voilà cet élégant contour....
Méconnoît-on le pied des grâces
Lorſqu'on voit des yeux de l'amour ?
Là , j'apperço's l'herbe preffée ;
C'eſt la qu'elle ſe repoſa ;
Là , peut- être , l'amour ofa
L'entretenir de ma penſée.
1
Mais. .. j'entends... ſeroit- ce une erreur ?
Non , c'eſt elle... c'eſt ma Zelmire...
Ah ! pourrai- je jamais ſuffire
A tout l'excès de mon bonheur !
:
:
تا
JUILLΕΓ 1767 . 41
LES QUATRE CONTENS ,
CONTE GALANT * .
DAMIS & Lifidor , de même âge &
de même condition , s'étoient liés dès
l'enfance ; le voiſinage de leurs parens ,
certain rapport d'inclination avoient commencé
cette union , que le temps & la
réflexion augmentèrent. Mais l'amitié ,
ce ſentiment pur & délicat , qui fait le
vrai bonheur de l'homme , n'occupoit
qu'une partie de leurs coeurs ; & l'amour ,
cet autre ſentiment plus vif &plus tumultueux
, s'empara bientôt du reſte. Comme
ils ne ſe quittoient preſque jamais , ils
avoient les mêmes ſociétés. Ananir
homme de mérite & l'un de ceux qu'ils
fréquentoient le plus ſouvent , avoit deux
filles , que la nature & l'éducation avoient
pris plaitir à former. Les voir & les aimer
fur pour Damis & pour Lifidor l'ouvrage
,
* Ce Corte , qui vient de ſe retrouver dans le
dépôt du Mercure , a été fait ſur la queſtion propotée
: ſçavoir s'il eſt plus flatteur pour un amant
d'être aimé au point qu'on deſirât de l'aimer
moins ; ou d'être moins aimé , mais qu'on deſirâr
de l'aimer davantage ?
42 MERCURE DE FRANCE.
d'unmême inſtant ; ils s'en apperçurent par
l'empreſſement réciproque qu'ils ſe témoignoient
pour aller chez Ananir. Chacun
d'eux en particulier en fut alarmé , &
craignit de devenir le rival de ſon ami.
Cette idée , qui les occupoit vivement ,
leur fit prendre le parti de ſe confier mutuellement
leur amour , & de ſe délivrer
de l'incertitude où ils étoient. Damis ,
dont le caractère étoit impatient , fut celui
qui parla le premier. Un foir , en revenant
de voir ces deux aimables filles : je ne
fais , dit- il à Lifidor , ſi je me trompe ;
mais j'ai eru m'appercevoir que tu as pris
du goût pour Hortense ( c'étoit l'aînée ) ;
fi cela étoit je ne t'en ferois point un
crime, mais j'exigerois que tu me parlaſſes
franchement. L'aimes-tu , mon ami ? Cette
queſtion , prononcée d'un ton animé , fit
comprendre à Lifidor que Damis lui-même
-en étoit épris. Tu te trompes , lui répondit
en riant Lifidor , Hortense mérite aſſurément
de captiver tous ceux qui la verront ,
&je l'aurois ſans doute adorée ſi Julie ,
ſa cadette , ne l'avoit prévenue dans mon
coeur. Ainfi , raffure - toi ; tu l'aimes , tu
peux te livrer tout entier à ton amour pour
elle : car , je te l'avouerai , je redoutois
fort la conformité de nos goûts ! Mais le
•Ciel nous aime , ſans doute , il a diſpoſé
JUILLET 1767. 43
tout au gré de nos deſirs. Mais t'es-tu
déclaré , mon ami ? - Pas encore. - Ni
moi non plus : je craignois un rival en
toi. Moi de même. Eh bien , allonsles
voir demain, &, s'il ſe peut , tâchons
de ſavoir à quoi nous en tenir avec elles.
- -
Le lendemain nos deux amans arrivèrent
enſemble chez les deux foeurs. Elles ſe
quittoient rarement. La converſation fut
d'abord générale. Damis s'en ennuya bientôt
, & , ſous prétexte de quelque bruit que
l'onentendoitdans la rue , ilattiraHortense
à la fenêtre. Lifidor , qui le pénétroit , ne
quitta point Julie. On s'expliqua de part
&d'autre , & l'on ſe ſépara enfin , ſuivant
l'uſage en pareils cas , avec des lueursd'efpérance.
Ces premières ouvertures de coeur en
amenèrent d'autres. Damis enfin , au bout
de quelques jours , obrint un aveu favorable.
Il en fit part à Lifidor , qui l'en
félicita , mais froidement , parce qu'il
étoit moins heureux : Julie , plus réſervée ,
le tenoit encore en ſuſpens. Quelques
jours ſe paſsèrent ainſi. Hortense , toujours
franche&tendrement épriſe, Julietoujours
taciturne & preſque indifférente. Lifidor ne
ceſſoit de s'en plaindre à fon ami , &
croyant n'être point aimé , s'étoit prefque
déterminé à abandonner la partie ,
44 MERCURE DE FRANCE.
lorſqu'un incident fingulier le rengagea
plus que jamais.
Ananir avoit été obligé de changer de
demeure ; la diſtribution de ſon nouveau
logement étoit abſolument inconnue aux
deux amis. La première fois qu'ils y vinrent
, ils entretent par la première porte
qu'ils trouvèrent ouverte , dans la maifon;
c'étoit un petit veſtibule qui ſervoit d'antichambre
, & dans lequel il y avoit deux
portes. La clef étoit à l'une des deux ;
Damis l'ouvre , & , au lieu de l'appartement
où il contoit entrer , il ſe trouve dans
une eſpèce de garderobe , d'où il entend
quelqu'un parler. Il prête l'oreille , s'entend
nommer , & reconnoît la voix d'Hortenſe
qui s'entretenoit avec Julie, Cette
converfation pique fa curiofité , & , ſe
doutant bien qu'il pourroit auffi y être
queſtion de Lifidor, il lui fait ſigne de le
fuivre.
C'eſt quelque choſe d'indéfiniſſable que
mon amour pourDamis , difoit Hortenfe!
Dès la première fois que je l'ai vu , les
grâces répandues dans ſa figure & dans fon
maintien , les agrémens de ſa converſation ,
ſa tournure d'eſprit , fi conforme à mon
caractère & aux idées que je m'étois formées
de celui d'un galant homme , lui ont
JUILLET 1767. 45
acquis&mon eſtime &ma tendreſſe. Ce
n'étoit pourtant point cet étonnement qui
nous faiſit à l'aſpect de choſes rares ou
uniques dans leur genre , étonnement qui
ſouvent ne produit qu'une admiration ſtupide
; ce n'étoit pas non plus ce plaifir
vif qui nous tranſporte & nous ſubjugue
à l'inſtant même : c'étoit une douce langueur
, une joie ſecrette de trouver tant
dequalités aimables dans un même objet ,
un deſir ardentde gagner un coeur dont la
poſſeſſion me paroiſſoit le bien ſuprême.
Ah , ma chère ! qu'il me tardoit d'apprendre
, de la bouche de Damis , ce que je
croyois lire dans ſes yeux ! car , lorſqu'il
les fixoit fur moi , je les trouvois ſi tendres
& fi reſpectueux , qu'il me ſembloit
lui entendre dire : c'eſt vous ſeule que
j'aime , & je n'oſe pourtant l'avouer.
Lorſqu'au contraire ils me ſembloient
errans & fans objet déterminé , c'étoit
la crainte de me déplaire qui l'agitoit
& lui faiſoit détourner ſes regards : il
avoit peur de trouver dans mes yeux ce
qui certainement n'y étoit pas ! Si ( ce
qui lui arrivoit aſſez ſouvent ) après t'avoir
regardée avec complaiſance il revenoit
à moi , je croyois leur entendre dire :
votre ſoeur eft charmante , elle a tout ce
qu'il faut pour plaire; mais cependant je
n'aime & n'aimerai jamais que vous !
46 MERCURE DE FRANCE.
L'événement a juſtifié ma pénétration ,
&l'aveu qu'il m'a fait de fon amour a fait
naître dans mon coeur les plus douces eſpérances
; car je t'avouerai , Julie , qu'à travers
toutes les idées flatteuſes dont je me
repaiſſois l'imagination , je n'étois pas fans
inquiétudes. Il eſt bien digne de moi , me
diſois-je , mais fuis-je affez digne de lui ?
Mais fans doute qu'il m'a trouvée telle ,
puiſqu'il me l'a dit. Auſſi depuis ce bienheureux
inſtant mon amour s'eſt accru
pour lui au point que j'en ſuis effrayée.
Je l'aime trop , Julie ; oh oui ! je l'aime
trop. Sa tendreſſe ne pourra jamais furpaſſer
la mienne. Que dis-je ? pourra-telle
feulement l'égaler ? je ne ſçaurois le
croire , & c'eſt précisément ce qui me
déſole, Ah , Julie ! je voudrois l'aimer
moins , je craindrois bien moins de le
perdre.
Mais , répondit Julie, ne ſe peut - il
point faire qu'il t'aime avec autant d'ardeur
&de conſtance que toi ? Toutes les
apparences le promettent ; &, quant à moi,
j'en fuis perfuadée.-Ce que tu dis- là ,
Julie , ne me raſſure pas. Je ſuis la première
femme que Damis ait aimée. Qui
ſçait s'il n'a pas tiré vanité de la facilité
avec laquelle il a obtenu l'aveu de ma
tendreſſe ? &s'il ne voudra pas tenter ſur
JUILLET 1767. 47
uneautre une ſemblable épreuve ? .. Hélas !
cette penſée m'accable , & je crains fort
de l'avoir trop aimé, Plus prudente que
moi , tu as ſçu réſiſter aux qualités admirables
de Lifidor ; ton indifférence , toute
injuſte qu'elle eſt , te fait goûter une tranquillité
dont je ne jouirai plus.
Mon indifférence ? reprit vivement
Julie.... tu n'as point lu dans le fond de
mon coeur. Ah ! qu'il s'en faut, ma chère
foeur , qu'il ſoit indifférent pour Lifidor !
Je ne vois rien , je ne ſçais rien de
plus parfait que lui ; plus je le connois
& plus je l'admire. Sa perſévérance ,
fur-tour , met le comble à mon étonnement
; car ma conduite , en vérité , n'a
pas droit de le ſatisfaire. Je ſens cependant
que je l'aime , mais pas , à beaucoup
piès , autantqu'il le mérite ; &, ce qui me
confond, c'eſt que j'ai beau chercher d'où
peut naître tant de froideur , je ne ſcaurois
m'en rendre compte. Tout me plaît &&
me charme en lui ; ſa tille eſt élégante , ſes
traits font gracieux , ſa démarche eſt aifée ,
ſa voix eſt auſſi douce que fonore , fon
eſprit eſt liant , il parle avec facilité , ſa
converſationeſtenjouée, toutes ſes actions,
en un mot, font accompagnées d'une no
bleſſe&d'une décence qui m'enchantent
&, malgré tout cela, je ne ſens point pour
lui cequedevroientnaturellementm'inſpi
48 MERCURE DE FRANCE.
rer tantde qualitésaimables.C'eſt cequim'a
fait héſiter juſqu'à préſent à lui faire l'aveu
qu'il voudroit m'arracher ; aveu qui l'auroit
ſans doute flatté , mais dont j'aurois
été peu fatisfaite , parce qu'il n'auroit exprimé
que ce que je ſens , & que j'aurois
voulu qu'il exprimát bien davantage. Je
conçois , ma chère ſoeur , je vois tout ceque
je perdrois s'il venoit à ſe rebuter ; jamais
je ne pourrois m'en conſoler , & cependant
je ne ſens point en moi tout le courage
qu'il faudroit pour empêcher un tel malheur
! Combien de fois, en ſon abfence ,
me ſuis - je reproché de l'aimer foiblement
! Pourquoi donc la nature ne m'a-telle
pas formée auſſi tendre , auſſi ſenſible
que toi? Mes ſentimens , fans doute ,
auroient été auffi vifs que les tiens. Ainſi
tu vois , ma chère Hortense , que mon
âme n'eſt pas plus tranquille que la tienne.
Mais ſi je pouvois aimer comme toi , mon
coeur ne feroit point troublé par toutes les
chimères qui tourmentent le tien. Je croirois
outrager mon amant en le ſoupçonnant
de la moindre légéreté. Et , s'il étoit pofſible
qu'il manquât ou de ſincérité ou de
conſtance, je ſerois infinimentplus affectée
de le ſavoir coupable que de la perte de
fon coeur. A ces mots Lifidor , tranſporté
deplaiſir , laiſſa échapper une exclamation
d'autant
..
1.
JUILLET 1767 . 49
d'autant plus vive , qu'il avoit fouffert
plus long- temps pendant le cours de cet
entretien. Les deux foeurs accoururent au
bruit , & furent extrêmement ſurpriſes de
trouver-là Damis & Lifidor. Très-fûres
d'avoir été entendues , elles rougirent ,
Julie de l'aveu de ſa défaite , Hortence de
ſes tranſports. Nos deux amans , de leur
côté , laiſsèrent éclater , l'un l'excès de ſa
reconnoiſſance , l'autre les plus tendres
reproches ſur des ſoupçons qu'il étoit
fûr de n'avoir point mérités. Mais leur
cauſe étoit trop pardonnable pour que la
paix ne ſe fît pas bientôt entre eux. Les
promeſſes mutuelles d'une conſtance &
d'une fincérité à toute épreuve achevèrent
l'union des quatre amans qui , quelques
jours après , fut rendue indiffoluble de
l'aveu de leurs familles , & combla leur
félicité.
Vol. II, C
sa
MERCURE DE FRANCE .
ODE couronnée au jugement de l'Académie
des Jeux Floraux de TOULOUSE , 1767 .
LA GRANDEUR DE L'HOMME.
QAND Dieu , du haut du ciel , a promené
ſa vue
Sur ces mondes divers ſemés dans l'étendue ,
Sur ces nombreux ſoleils brillans de ſa ſplendeur ;
Il arrête ſes yeux ſur ce globe où nous ſommes ,
Il contemple les hommes ,
Etdans notre âme enfin va chercher ſa grandeur.
Apprens de lui , mortel , à reſpecter ton être.
Cet orgueil généreux n'offenſe point ton maître :
Sentir ta dignité c'eſt benir ſes faveurs ,
Tu dois ce juſte hommage à ſa bonté ſuprême;
C'eſt l'oubli de toi-même ,
Qui , du ſein des forfaits , fit naître tes malheurs.
Mon âme ſe tranſporte aux premiers jours du
monde. ... 1
Eſt-ce là cette terre aujourd'hui ſi féconde ?
Qu'ai-jevu ? des déſerts , des rochers , des forêts .
Ta faim demande au chêne une vile pâture ;
Une caverne obſcure ,
Du Roi de l'univers , eſt le premier palais.
JUILLET 1767. Στ
Tout naît , tout s'embellit ſous ta main fortunée :
Ces déſerts ne ſont plus , & la terre étonnée ,
Veit ſon fertile ſein ombragé de moiſſons .
Sous, ces vaſtes remparts quel pouvoir invincible ,
Dans un calme paiſible ,
Des 'humains réunis endort les paſſions ?
Le commerce t'appelle au bout de l'hémisphère .
L'océan , ſous tes pas , abaiſſe ſa barrière ;
L'aiman , fidèle au Nord , te conduit ſur les eaux.
Tu fais l'art d'enchaîner l'aquilon dans tes voiles ;
Tu lis fur les étoiles
La route que le Ciel preſcrit à tes vaiſſeaux.
Séparés par les mers , deux continens s'uniſſent ;
L'un de l'autreétonnés , l'un de l'autre ils jouiflent.
Tu forces la nature à trahir ſes ſecrets :
De la terre au ſoleil tu marques la diſtance;
Et des feux qu'il te lance ,
Le priſme audacieux a diviſé les traits.
Tes yeux ont meſuré ce ciel qui te couronne;
Ta main peſe les airs qu'un long tube empriſonne ;
Sa foudre menaçante obéit à tes loix.
Un charme impérieux , une force inconnue ,
Arrache de la nue
Le tonnerre indigné de deſcendre à ta voix .
O prodige plus grand ! ô vertu que j'adore !
C'eſt par toi que nos coeurs s'ennobliffent encore
1
Cij
52
MERCURE DE FRANCE.
Quoi ! ma voix chante l'homme! &j'ai pu l'oublier;
Je célèbre avant toi ... pardonne , beauté pure ,
Pardonne cette injure ,
Inſpire-moi des fons dignes de l'expier.
Mes voeux ſont entendus ; ta main m'ouvre ton
temple :
Je tombe à vos genoux , héros que je contemple ,
Pères , époux , amis , citoyens vertueux .
Votre exemple , vos noms , ornement de l'hiſ
toire ,
Conſacrés par la gloire ,
Elèvent juſqu'à vous les mortels généreux.
Là , tranquille au milieu d'une foule abattue ;
Tu me fais , ô Socrate , envier ta ciguë .
Là , c'eſt ce fier Romain , plus grand que fon
vainqueur ,
C'eſt Caton , ſans courroux , déchirant ſa bleſſure;
Son âme libre & pure
S'enfuit , loin des tyrans , au ſein de ſon auteur.
Quelle femme deſcend ſous cette voûte obſcure ?
Son père , dans les fers , languit ſans nourriture ;
Elle approche ... ô tendreſſe ! amour ingénieux !
De fon lait. ſe peut- il ? oui , de ſon propre
1
..
père
..
Elle devient la mère ;
La nature trompée applaudit à tous deux.
JUILLET 1767. 53
Une autre femme , hélas ! près d'un lit de triſteſſe,
Pleure un fils expirant , feul bien de ſa vieilleſſe
Il légue à ſon ami le droit de la nourrir :
L'ami tombe à ſes pieds , & , fier de ſon partage ,
Bénit ſon héritage ,
Ét rend grace à la main qui vient de l'enrichir.
Et fi je célébrois , d'une voix éloquente ,
La vertu couronnée & la vertu mourante ,
Et du monde attendri les bienfaîteurs fameux ,
Et Titus , qu'à genoux tout un peuple environne ,
Pleurant aux pieds du trône
Le jour qu'il a perdu ſans faire des heureux !
Oui , j'oſe le penſer , ces mortels magnanimes
Sont honorés , grand Dieu , de tes regards ſublimes.
Tu ne négliges pas leurs illuſtres deſtins.
Tu daignes t'applaudir d'avoir formé leur être 3
Et ta bonté , peut-être ,
Pardonne , en leur faveur , au reſte des humains.
Ciij
34 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à Mile THOMASSIN.
J'AI
AI lu , Mademoiselle , avec un ſingulier
plaifir , votre lettre à M. Déformeaux ,
inférée dans le Mercure de Mai , en remerciement
de l'hommage qu'il vous a
fait des tréſors de ſa plume. Cet hommage,
quoi que vous en diſiez , Mademoiselle ,
vous étoit dû à plus d'un titre. Vous êtes
tout à la fois une Muſe & une Amazône.
Ah ! fi jamais la France admet des femmes
ſous ſes étendards , fûrement , Mademoifelle
, vous aurez le commandement de
ce beau corps de troupes ; ce grade eſt
bien dû à votre courage & à l'ancienneté
de votre Maiſon. Alors je vous demanderois
l'honneur de ſervir ſous vos ordres ,
& je vous dirois :
O nymphe de haut parentage ,
Point n'ai le brillant avantage
De fortir , comme vous , d'une illuſtre Maiſon,
Mais n'en prenez aucun ombrage :
Avec du zèle & du courage ,
Le bras n'est- il pas toujours bon ?
Cependant , Mademoiselle , pour que
ma valeur ne vous fût pas ſuſpecte , je
JUILLET 1767. 55
vous dirois que je fuis née dans une ville
de guerre ( 1) qui n'a jamais été priſe , que
le Chevalier Bayard a défendue , & dont
les habitans font affez braves pour fe garder
ſouvent eux-mêmes. Je vous dirois
encore que je ſuis née dans une ville voifine
des plaines de Rocroi ; que j'ai été
bercée avec le nom du grand Condé , & du
Chevalierfans peur &fans reproche ; que
manourrice égayamon enfancedes chants
conſacrés à leurs victoires ; & qu'enfin la
bravoure s'eſt gliffée dans mes veines avec
le lait. Je dirois , fur-tout , qu'un Chevalier
Cauffon ( ainſi s'écrivoit notre nom
par les auteurs Bretons du temps ) s'eſt ſi
fort ſignalé dans une defcente en Angleterre
, que le Père Daniel en a conſervé
la mémoiredans les faſtes de la patrie. Je
n'oublierois pas non plus de vous raconter ,
pour dernière preuve de mon humeur
martiale , qu'un C.... moins célèbre ,
mais autant orateur que le Père Fidele ,
nous diſoit un jour , en prononçant le
panégyrique de notre illuſtre défenſeur ,
qu'il étoit agréable pour lui d'avoir à
décrire des exploits militaires en préſence
d'un auditoire dont les hommes étoient
des Bayards , les femmes des Bayardes ,
& les enfans des Bayardaux .
( 1 ) Mézières , fur Meuſe.
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
J'eſpère , Mademoiselle , qu'avec ces
titres , tous foibles qu'ils font, vous me
permettriez de ſuivre vos traces& de cueillir
une feuille de vos lauriers. Déja je
vous fuis dans une autre carrière ; vous
faites de bons vers , &je m'amuſe à rimer
foiblement.
Ma voix , ma foible voix ofa pourtant un jour
Chanter des noms ( 2 ) fameux & chers à notre
amour.
Vous m'inſpirez votre zèle ,
O nouvelle Talefiris !
Donnez-moi , Sapho nouvelle ,
La grâce touchante & beile
Qui décore vos écrits.
Pardonnez , Mademoiselle , la témérité
que j'ai de vous écrire ſans avoir l'avantage
d'être connue de vous. Mais votre
lettre a fait fur mon imagination la même
impreſſion qu'a faite ſur la votre l'hiſtoire
du grand Condé.
J'ai l'honneur , &c.
( 2 ) Des vers ſur le mariage de M. le Prince
de Lamballe.
COSSON DE LA CRESSONIERE.
A Paris, le 25 de mai 1767.
JUILLET 1767. 57
1
LE mot de la première énigme du premier
volume du Mercure de juillet eſt
les fauteuils. Celui de la ſeconde eſt la
chaufferette. Celui du premier logogryphe
eſt la chaîne ; dans lequel on trouve haine,
Caïn, la Chine& Chien. Et celui du ſecond
eft Mercure , conſidéré ſous ſix divers rapports
; ſçavoir , comme Mercure de France;
enfuite, parmi les minéraux , comme vifargent
, ou autrement mercure , & comme
remède : de plus , comme dieu de la fable;
comme unedes ſept planettes ; & , en diviſant
le mot , on ytrouveencore, d'une part ,
mer , & de l'autre , cure , guériſon .
0
ENIGME.
N me trouve fort bon pendant un certain
temps t
Alors je ſuis fêté des petits & des grands ;
Mais lorſque le printemps ramène l'hirondelle
Ils me laiſſent tous là , pas un ne m'eſt fidelle :
Mon biſarre tempérament
Eſt cauſe de ce changement..
Quandtour le monde achaud, je ſuis froidcomme
glace ;
Mais lorſque du zéphir Borée a pris la place>
C
38 MERCURE DE FRANCE.
Je me ſens tout d'un coup ſaiſi d'une chaleur
Qui de mes courtiſans me ramène le coeur.
Par M. l'Abbé DUMAS.
J
AUTRE.
E ſuis un bien ineftimable ,
Qui ne paroît pas defirable
A ceux qui ne m'ont pas reçu ,
Ni même à ceux qui m'ont perdu.
Par M. BAUCHERON DE L'ECHEROLLES.
ÉNIGME-LOGOGRYPHIQUE.
Nou's ou's ſommes pluſieurs Demoiselles
Qui rimons à ce premier vers .
Cinq filles bien d'accord entre elles
* D'étonnement frapperoient l'univers ;
Aufſi ne le ſommes-nous guères :
Ce qui ſuit vous le fera voir,
Car ſi l'une veut blanc , deux autres veulent noir
Pour contrequarrer la première ;
Une autre verd , le brun auſſi
Par la cinquième eſt choiſi.
JUILLET رو . 1767
Mais , fans doute , feu notre père
Voulut , en nous formant ainfi ,
Nous faire diftinguer en notre caractère.
Malgré notre déſunion,
Trois de nous gardons la maiſon ,
Et nos foeurs , au bout de la rue
Sans ceſſe font le pied de grue.
Nous n'en dirons pas la raiſon
Car trop jaſer n'eſt ici de ſaiſon .
En un mot , pour nous voir enſemble ,
En Touraine allez -nous chercher ,
Ou bien tâchez de rencontrer
Le genre d'animal qui toutes nous raſſemble.
JE
AUTRE.
Evais, mon cher lecteur, te donnerdelapeine,
Etmettre , pour le coup , ton eſprit à la gêne ;
Car , pour dire le fond de ce que je parois ,
Me montrant même à nud , oui je te tromperois.
Voici pourtant la voie où tu pourrois connoître
Qui je ſuis , d'où je ſors & mon véritable être.
Mon genre eſt décidé , par Reſtaut , féminin ,
Quoiqu'au grand apparat il y ſoit maſculin.
J'ai neuf pieds bien complets que tu peux , à ta
guiſe ,
Séparer , retourner ſans qu'on s'en ſcandaliſe.
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
Mon nom te fournira un être glorieux ,.
Qui nous fuit , nous dit-on, en tout temps, ens
tous lieux;
Je défigure tout , j'embellis , je tranſpoſe,
Et mon goût favori c'eſt la métamorphoſe.
Tu trouveras dans moi un cri qui te fait peur
Unmal qui vient d'un chien ,& mortel, par malheur
;
Un agrêts de marine ; une note en muſique ;
Un réſervoir dont l'eau peut donner la colique ;;
Le mot qu'a leur nourrice adreſſent les enfans;
Les principes d'un art qui flatte un de nos fens
Un ſujet peu connu des. matérialiſtes ,.
Et qu'ont les Proteftans & les Anabaptiftes ;
Un magaſin mi-clos , utile aux campagnards ,
Qui leur met à l'abri harnois , bois , paille&
chars
Ce qui t'indiquera ce qu'il faut d'abord faire
Si , par malheur , tu viens àchoir dans la rivière
Cequi , detous les temps , fut perfide aux humains,
Undes noms que portoient trois pieux Souverainsy
Ce que tu vois en blanc à gauche de la page
Ce qui du roſſignol enchante ſous l'ombrage
Ce qui fleurit ton tein & te fait exiſter ;
Ce qu'on voudroit pouvoir à jamais oublier
Ce qu'on fait quelquefois en jouant au cadrille
Une ville de France , une autre de Caſtille
Une drogue qu'on dit produire un grand effet,
Qui nous vuide le corps ainſi que le gouffer ,
JUILLET 1767.
19
Le nom d'un quadrupede illuſtre dans l'hiſtoire ,
Et dont les Philiſtins maudirent la mâchoire.
J'ai retourné , je crois , & retourneras-tu
Mes neufpieds en tout ſens, autantque je l'ai pu
C'eſt à toi maintenant de ereuſer ta cervelle
Pour deviner le mot d'après ma kirielle.
Par M. J. D..L.
LA BERGERE CRUE INFIDELLE ,
PASTORALE.
Air : Quoi, vous partezſans que rien , &c.
A mon deſtin ne portez plus envie,
Nymphes des bois , apprenez mes malheurs
Non , mon berger n'a point perdu la vie
Mais il me quitte , & ſe rit de mes pleurs !
A mon deſtin ne portez plus envie
Nymphes des bois , apprenez mes malheurs
Jamais douleur ne fut plus légitime ,
Mes chers moutons , tout eſt changé pour nous
Quoiqu'innocens , nous ferons la victime ,
Moi , de l'amour , vous , peut- être des loups.
Jamais douleur ne fut plus légitime , -
Mes chers moutons, touteſtchangé pour nous.
62 MERCURE DE FRANCE.
T
Sur un ſoupçon mon amant me délaiſſe ;
En me fuyant l'ingrat veut donc ma mort :
Pour lui jamais je n'eus plus de tendreſſe ;
Trop tard , peut être , il connoîtra ſon tort.
Sur un ſoupçon mon amant me délaiſſe ;
En me fuyant l'ingrat veut donc ma mort.
•A fon retour , loin d'eſſuyer mes larmes ,
Il ne ſe plaît qu'à combler ma douleur.
Tircis , abſent , me cauſoit mille alarmes ;
Tircis , préſent , me déchire le coeur.
A fon retour , loin d'eſſuyer mes larmes ,
Il ne ſe plaît qu'à combler ma douleur.
Peut- il me croire infidèle & parjure ,
Quand de mes feux tout l'aſſure en nos bois ?
Quand de mes cris j'attriſte la nature ,
Lui ſeul eſt- il inſenſible à ma voix ?
Peut- il me croire infidèle & parjure ,
Quand de mes feux tout l'aſſure en nos bois ?
Quelle eſt l'ardeur que la mienne n'efface ?
Jamais , amour , ſuivit-on mieux ta loi ?
Jeunes beautés , oſez briguer ma place ;
Mais apprenez à l'aimer comme moi.
Quelle eſt l'ardeur que la mienne n'efface ?
Jamais , amour , ſuivit-on mieux ta loi ?
L'ingrat déja chante une autre maîtreffe ;
Sans le hair , je déteſte l'amour,
JUILLET 1767. 65
Ah ! puiſqu'enfin j'ai perdu ſa tendreſſe ,
Sans doute encor je dois perdre le jour !
L'ingrat déja chante une autre maîtreſſe ;
Sans le hair , je déteſte l'amour.
Par Mile THOMASSIN.
MADRIGAL fur la pastorale précédente.
HIER IER , en lifant ces beaux vers
A deux amis : deux ſentimens divers
Les partagèrent ſur l'ouvrage.
L'un s'écrioit : Il eſt divin ;
C'eſt de Deshouliere , je gage.
Ah ! dit l'autre ; j'en fais hommage
A l'aimable de Thomaſſin.
Moi , qui ſçavois tout le myſtère ,
Les juge ainſi : Meſſieurs , le débat eſt heureux 5
L'un dit ,c'eſt Thomaſſin : l'autre , c'eſt Deshoulieres
Vous avez gagné tous les deux.
Par M. DE ROSOI.
4 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ÉLOGE hiſtorique du Révérend Père
MARIN, Minime.
LER. P. Michel Ange Marin vit le jour
à Marfeille , le 23 décembre 1697 , d'une
bonne famille , qui ſe prétend noble & originaire
d'Italie , qui joignoit les dons de
la grâce aux avantages de la fortune.Ses
parens n'oublièrent rien pour former fon
eſprit dans les ſciences & fon coeur dans la
vertu. La pénétration de ſon génie & un
instinct ſecret qui le portoit au bien , le
rendirent fufceptible de toutes les inftructions
qu'on lui donna. Il aima la vertu dans
un âge où c'eſt beaucoup de la connoître.
د
Il connut de bonne heure les égaremens
du monde ; & pour s'en préſerver , il entra
à ſeize ans dans l'ordre des Minimes. Il fit
fon noviciat à Ax , avec une ferveur angél
que ; & après l'année d'épreuve , il promonça
ſes voeux, non en eſclave qui ſe lie ,
JUILLET 1767. 6
mais en ſoldat courageux , qui ſe prépare
au combat. D'Aix il fut envoyé à Avignon
pour y faire ſes études de philofophie &
de théologie. Il y donna des preuves non
équivoques de ſa piété & de ſes talens.
Dans les différentes thèſes qu'il ſoutint en
public , il fit admirer ſa modeſtie autant
que la ſoliditéde fon eſprit. Il fut beaucoup
applaudi & n'en fut que plus humble.
A peine eut- il été élevé au facerdoce ,
quela Provence fut affligée de la peſte. Pendant
le temps que dura ce fléau , les Minimes
d'Avignon furent enfermés dans le
couvent des grands Carmes , le leur fervant
d'hôpital aux peſtiférés. Ce fut pendant es
jours de défolation , que le Père Ma in
jouiſſantde tout fon loiſir , ſe perfectionna
dans la ſcience des Saints. il médita ΙΕ-
criture Sainte ; il lut les Pères ; il étudia le
droit canonique , la théologie morale & la
chronologie facrée. Pour ſe diſtraire de l'idée
des malheurs qui l'environnoient , il
s'amuſa à verſifier en françois & en provençal
; mais il attachoit ſi peu d'importance
aux fruitsde fon génie poétique , qu'à
l'exception de quelques-unes de ſes pièces
qui ont été imprimées , les autres ont été
totalement anéanties .
Lorſque la peſte eut ceſſé ſes ravages, il
fut chargé d'enſeigner à ſes jeunes confrè66
MERCURE DE FRANCE.
res la philofophie & la théologie. Il remplit
cet emploi épineux pendant pluſieurs
années avec le zèle d'un faint & le ſuccès
d'un théologien conſommé. L'étude des
belles- lettres avoit pour lui des charmes
touchans. Il fut tenté pluſieurs fois de les
cultiver , pour s'ouvrir un chemin à une réputation
plus brillante , que celle que l'on
acquiert dans les écoles ; mais il rougit
bientôt de cette foibleſſe . Il fit une retraite
dans laquelle il demanda àDieu d'éloigner
de lui tout ce qui pouvoit mettre obſtacle
à fon falut. Sa prière fut exaucée; il n'eut
plus de goût pour le bel eſprit ; & dès - lors
il écrivit avec la même modeſtie qu'il
penſa. Sa maxime étoit de ne mettre dans
ſes paroles & dans ſes écrits , que le degré
d'eſprit qui étoit néceſſaire pour le but
qu'il s'y propoſoit. Il craignoit toujours
que les fleurs n'étouffaffent les fruits
Les exercices de la mortification joints
aux travaux du cabinet & de la chaire , altérèrent
de bonne heure un tempérament
naturellement délicat. Il fut affligé d'un
vorniſſement de ſang , qui lui dura dixhuit
ans. Il ſentit plus que jamais qu'il falloit
renoncer à toute gloire paflagère , pour
travailler à mériter l'immortelle. Il ſe con
facra à l'étude de la langue hébraïque , &
ſe mit en étatde prêcher la controverfe aux
JUILLET 1767 . 67
Juifs d'Avignon . Il en ramena quelquesuns,
& il ſe fit reſpecter & aimer de tous.
Sa foible poitriné ne pouvant fournir cette
carrière , il forma un Capucin de ſes amis
pour le remplacer.
Ayant auſſi renoncé à la prédication , il
fe dévoua entièrement à la conduite des
âmes. L'éclat de ſa piété affectueuſe & tendre
, la douceur de ſon caractère , l'éten
due de fes lumières , lui méritèrent bientôt
la confiance des grands & des petits ,
des gens du monde & des perfonnes religieuſes.
Ce fut fur-tout dans la direction
des couvens , dans cette direction ſi pénible
& fi délicate , qui demande le caractère
le plus conciliant & l'humeur la plus
patiente , qu'il réuſſit le mieux. Mais il ne
négligeoit aucun des autres devoirs du miniſtère.
Il répandoit ſécrettement lepain de
la parole ; il affiſtoit les veuves & les orphelins
; il conſoleit les malades & les mourans
; il inſtruiſoit les riches & il nourriffoit
les pauvres. Ce fut pour les différentes
perſonnes qui s'adreſſoient à lui de tout
état& de toute condition , qu'il compoſa
la plupart des ouvrages qui ont illustré ſa
vieilletfe.
I. Conduite de la foeur Violet , décédée
en odeur de fainteté à Avignon ,
Ivol. in-12.
68 MERCURE DE FRANCE.
II. Adelaide de Vitzburi , ou la pieuſe
Penfionnaire , I vol. in- 12.
111. La parfaite Religieuſe , 1 vol . in- 12.
IV . Virginie , ou la Vierge chrétienne ,
2 vol. in- 12,
V. La vie de Solitaires d'Orient ,
9 vol. in- 12. ou 3 in- 4 .
VI . Le Baron de Van - Hefden , ou la
république des incrédules , vol. in- 12 .
VII. Théodule, ou l'enfant de bénédiction
, I vol . in- 16.
VIII . La Farfalla, ou la comédienne
convertie , I vol. in- 12.
IX. Agnès de Saint-Amour, ou la fervente
novice , 2vol. in- 12 .
X. Angélique, ou la Religieuſe ſelon le
coeur de Dieu , 2 vol. in- 1 2.
XI. La Marquiſe de Loſvalientes, ou la
Dame chrétienne , 2 vol. in- 12 .
XII. Retraite pour un jour de chaque
mois , 2 vol. in- 12 .
Ces différens ouvrages compoſés dans l'efpace
d'environ 20 années , dépoſent en faveur
de l'heureuſe facilité d'imagination
qui animoitleP. Marin. Elle étoitextrême.
Plein de l'eſprit de Dieu , né avec un coeur
ſenſible & un eſprit ſolide , nourri de la
lecture des livres ſaints , les penſées& les
ſentimens couloient de ſa plume comme
d'une fource abondante. La plupart de ſes
JUILLET 1767. 69
livres ont l'avantage inestimable de rendre
les préceptes piquans en les joignant à des
faits agréables. La morale y eſt en action :
la vertu y eſt preſque toujours intéreſſante.
L'auteur ſait préſenter les vérités de la religion
d'une manière qui frappe & qui
touche le lecteur , & qui porte la lumière
dans l'eſprit & l'onction dans le coeur. On
lui a reproché d'être trop diffus ; mais on
ne fait pas attention que ce qui ſeroit un
défautdans un ouvrage philofophique , où
il faut être précis , n'en eſt pas un dans un
ouvrage afcétique , qui demande un ſtyle
plus abondant. Fénelon ne s'aviſa jamais de
prendre la Bruyère pour modèle dans ſes
livres de dévotion .
Le Père Marin avoit craintd'être connu ,
& il eut malgré lui un nom auſſi célèbre
que chèr & refpectable. Ses confrères lui
rendirentjuſtice ; il fut élu quatre fois provincial
, & tout ſon ordre inſtruit de la
douceur de fon gouvernement & affemblé
à Lyon en 1758 , le defiroit pour chef :
mais il ne voulut jamais ſe rendre à ſes
empreſſemens. Sa mauvaiſe ſanté fut le
prétexte de fon refus & le voile de fon humilité
: vertu d'autant plus grande en lui,
que fon nom étoit plus répandu. Il étoit
en commerce de lettres avec la plupart des
Evêques & des Archevêques de France ,
70 MERCURE DE FRANCE.
dumoins avec ceux qui ſçavent eſtimer la
vertu. Les Vice-Légats d'Avignon lui don
nèrent des marques d'une conſidération
particulière. M. Lercari ayant honoré ſa
vice-légation en établiſſant une Académie
dans ſon Palais , y mit à la tête le Père
Marin.
Enfin ſa réputation fut portée juſqu'au
pied du trône apostolique. Clément XII
l'honora de trois Brefs en différens temps ,
foit pour applaudir à ſes travaux , foit pour
encourager ſes talens , foit pour l'engager
à recueillir en un ſeul corps d'ouvrage les
actes des Martyrs. Ilymit lamain en 1765,
& il en avoit déja écrit de quoi faire 2 vol.
in- 12 . Mais une fluxion de poitrine ayant
mis ſes jours en danger , il fut obligé de
ſuſpendre ce travail juſqu'à ce que ſa ſanté
fût rétablie. Dans ſa convalefcence , il s'amuſa
à écrire des lettres aſcétiques ſurdifférens
ſujets. Il ſe propoſoit d'en faire 200
pour former 2 vol. in- 12. Il étoit à la cent
quatrevingt-quinzième , lorſqu'il eut une
fauſſe attaque de paralyfie. Ilne penſa plus
qu'à ſe préparer à la mort. En effet , fa ma
ladie dégénéra en une hydropiſie de poitrine
, qui l'enlevaaux gensde biens , après
quinze jours de maladie , le 3 Avril 1767 ,
dans la foixante-dixième année de fon
âge. Il avoit ſçu vivre ; il ſçut mourir , &
JUILLET 1767. 71
ce fut principalement dans les derniers momens
que fa patience & ſa douceur éclatèrent.
On ſe propoſe de donner au public les
lettres aſcétiques qu'il a laiſſées. On y ajoutera
enſuite une collection de celles qu'il a
écrites aux différentes perſonnes qu'il conduiſoit.
Ceux qui en poſſéderont quelquesunes
, voudront bien les communiquer aux
Minimes d'Avignon .
Le Père Marin a laiſſé un parent de
même nom , qui , dans une carrière différente
, cultive les lettres avec ſuccès. Il eſt
principalement connu par l'hiſtoire de
Saladin ; & il ſe fait aimer & eſtimer des
gens de lettres , dans ſa place de Sécretaire
général de la Librairie de France , qu'il
remplit avec la plus grande diſtinction .
NOUS
A l'Auteur du Mercure.
ous vous prions , Monfieur , de vouloir
bien inférer dans votre journal , ces
quatre vers d'un poëte ſatyrique , qui vivoitdans
le treizième ſiècle , &qui a prétendu
tracer le caractère des Anglois. On
deſireroit ſavoir de quelle langue ſont les
deux mots ſoûlignés , & en avoir l'explication.
72 MERCURE DE FRANCE.
Dona pluant populis , & detestantur avaros.
Fercula multiplicant , & fine lege -bibunt.
DUERCUL ET DUNCHAIL , nec non perfona
fecunda ,
Hæc tria funt vitia que comitantur eos.
Nous avons l'honneur , &c.
L. D ***.
ABRÉGÉ de l'Histoire Eccléſiaſtique , en
treize volumes in-4° ; nouvelle édition ,
augmentée de notes & deſupplémens. A
Cologne , aux dépens de la Compagnie ;
1767 .
Nous ous ne pouvons pas mieux faire connoître
cet important ouvrage , qu'en plaçant
ici fous les yeux de nos lecteurs , l'avis
qui concerne la nouvelle édition qu'en
viennent de donner les Libraires.
Depuis long- temps on defiroit un abrégé
de l'hiſtoire eccléſiaſtique de M. l'Abbé
Fleury, qui ayant acquis l'eſtime du public',
furpaſſe , par la quantité des volumes,
le loiſir & les facultés d'un grand nombre
de ceux àqui elle pourroit être utile. Dom
Gervaise , ancien Abbé de la Trappe , en
ayoit
JUILLET 1767 . 73
avoit conçu le projet , & l'avoit même
exécuté : mais ſon ouvrage eſt reſté manufcrit.
On ſe propoſoit d'en faire uſage ,
lorſque M. l'Abbé Racine commença de
mettre au jour un abrégé de l'histoire éccléſiaſtique
, où il a ſu combiner les ſecours
que lui offroient M. l'Abbé Fleury, le
P. Fabre , fon continuateur , M. du Pin ,
Dom Cellier , & autres auteurs dont les
ouvrages ont été favorablement accueillis.
Le ſuccès des premiers volumes de ce nouvel
abrégé fit abandonner celui de Dom
Gervaise, qui n'ayant pas les mêmes avantages
, n'auroit pas pu le contrebalancer.
M. Racine ſuivit donc ſon entrepriſe , &
la termina heureuſement peu de temps
avant ſa mort. Il a réduit à neuf volumes
les trente- fix de M. Fleury & du P. Fabre,
qui ne contiennent que les ſeize premiers
ſiècles , & il y a ajouté quatre volumes
pour le dix- ſeptième ſiècle ; enſorte qu'on
ade ſa main l'hiſtoire de ces dix-sept fiecles
en treize volumes in- 12 .
Nonſeulement il a ainſi abrégé ce grand
corps d'hiſtoire , mais il y a mis un ordre
qui ne ſe trouve pas dans le plan de M.
Fleury, fuivi par le P. Fabre. Ceux-là fe
font attachés non-ſeulement à l'ordre des
temps , mais à la ſucceſſion même des an .
nées ; enſorte que ſans ceſſe ils tranſpor-
Vol. II. D
74 MERCURE DE FRANCE,
tent leurs lecteurs de l'Orient à l'Occi
dent , & du Midi au Nord , ſelon que l'exigent
les divers événemens de chaque année
: celui-ci , en confervant l'ordre des
temps , s'attache plus particulièrement à la
liaiſon des événemens. Il diviſe ſon ouvrage
par fiècles : mais dans chaque ſiècle ,
il diftingue les grands objets auxquels ſe
rapportent les principaux événemens : chaque
objet forme un article ſéparé , & le
dernier article de chaque ſiècle contient
des réflexions qui renferment pluſieurs
traits des diſcours de M. Fleury, & qui
embraffent unplus grand nombre d'objets,
C'eſt donc foncièrement un abrégé de
l'hiſtoire eccléſiaſtiquedeM. Fleury,mais
préſentée dans un autre ordre , augmentée
du dix- ſeptième ſiècle entier , & de plufieurs
réflexions nouvelles .
La néceſſité de ſe renfermer dans un
petit nombre de volumes , a obligé de les
imprimer d'abord du même caractère que
l'édition in- 12 de M. Fleury, & en chargeant
encore plus les volumes. Il en a réſulté
que pluſieurs perſonnes ont trouvé le
caractère trop menu pour leur vue , & les
volumesincommodes parleur groffe it. On
a donc projetté une édition in-4º, conforme
à celle qui a été faite pour l'ouvrage
de M. Fleury , c'est-à- dire , d'un caractère
JUILLET 1767 . 75
plus gros que l'in- 12, & dans le même
nombre de volumes.
Diverſes perſonnes ont propoſé leurs
avis pour perfectionner cette édition. Les
uns ont demandé que les dates fuſſent plus
fréquemment marquées , du moins fur les
marges. D'autres ont defiré que l'on ajoutât
aufli ſur les marges , au moins les citations
des principaux ouvrages où M. Racine
avoit puiſé. Or a repréſenté que le
plan de M. Racine s'étant perfectionné
Yous ſa main, les derniers volumes étoient
beaucoup mieux que les premiers ;&que fans
toucher au fond de l'ouvrage , on pouvoit
par desfupplémens bien diſtingués du texte
, ramener les premiers volumes au plan
des derniers. On a indiqué des fairs à ajouter
, des difficultés à éclaircir , des fautes à
corriger : on a obſervé que tout cela pouvoit
ſe faire fans changer le fond de l'ou
vrage , mais en yajoutant feulement quelques
mots , quelques phrases , quelques
paragraphes enfermés entre deux crochets,
ou quelques notes au bas des pages. On a
penſé que les tables chronologiques ſeroient
plus utiles fi , comme celles de M. de Til
lemont , elles indiquoient l'endroit de
Phiſtoire , où se trouvent les faits énoncés ,.
& qu'enfin une table des fommaires en
forme d'analyſe ſeroit plus avantageuſe
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
qu'une table alphabétique , qui , en divifant
les objets , les confond,
C'eſt ſur ce plan que l'on a formé le
projet de l'édition in - 4º , dont les fix
premiers volumes ont commencé de paroître
dans la précédente année , & dont
on préſente aujourd'hui la totalité. Le
fond de l'ouvrage eſt donc ici conſervé
tel qu'il eſt ſorti des mains de l'auteur.
Les ſoins que l'on a prisde cette nouvelle
édition , ſe réduiſent à ces quatre objets :
dates , citations , notes & fupplémens ; &
tout cela regarde plus encore les premiers
volumes que les derniers. C'eſt ce qu'il
faut ici plus amplement expliquer pour
faire connoître cette édition.
Lesfupplémens ont principalement pour
objetde ramener les premiers volumes au
plan des derniers ; & voici en quoi cela
conſiſte.
Dans les premiers volumes M. Racine
ne s'étoit attaché qu'aux grands événemens ,
tels que les persécutions , les hérésies , les
conciles ; & aux principaux perſonnages ,
tels que les Apôtres, les Martyrs , les plus
faints Evêques , les plus célèbres Docteurs ,
les premiers Solitaires. Ce ne fut qu'au
fixièmesiècle qu'ilcommençade diftinguer
les principales branches qui avoient produitces
faints perſonnages , c'est-à-dire ,
JUILLET 1767. 77
les principales portionsde l'Egliſe : l'Eglise
d'Orient & l'Eglise d'Occident , & dans
celle- ci l'Eglise d'Italie , de France , d'Efpagne
, d'Afrique , &c. Depuis ce temps , il
a continué de ſuivre ainſi l'hiſtoire de
chaque portion de l'Eglife. Mais ſi l'on
vouloit remonter plus haut pour reprendre
l'hiſtoire de chaque Egliſe depuis fon
origine , on ne trouvoit , dans les précédentes
éditions , que des traits épars , enforte
que lafucceſſion même des Papes n'y
étoitque comme un acceſſoire le plus fuccinct
, & placé tantôt dans l'article des
conciles , tantôt dans celui des Empereurs :
l'origine de nos Eglifes Gallicanes , la célèbre
miſſion de Saint Denis & de ſes
collégues n'y tenoient aucun rang dans
P'hiſtoire ; on ne la trouvoit que dans les
réflexions. Ici l'on reprend ces traits difperfés
; on leur donne plus d'étendue , on
en forme un corps d'hiſtoire qui vient
s'unir au plan que M. Racine commence
d'exécuter au ſixième ſiècle : mais tout
cela bien diſtingué du texte de l'Auteur.
Ainſi , dès le premierfiècle , après avoir
recueilli ce que M. Racine dit de la fondation
des ſièges de Jérusalem , d'Antio
che, de Rome & d'Alexandrie , on préſente
P'histoire de ces quatre principaux fiéges , en
marquant la ſucceſſion de leurs Evêques.
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Dans le ſecond ſiècle on conſerve ce que
M. Racine dit de laſucceſſion des Evêques
de Rome ; mais on y donne plus d'étendue :
on marque l'origine des autres Eglifes
d'Occident , & particulièrement de celle
des Gaules : on continue l'histoire des trois
grands fiéges de l'Orient. De même , dans
lesfiècles fuivans , on étend l'hiſtoire de
ces trois patriarchats d'Orient , Alexandrie,
Antioche & Jerufalem , juſqu'au commencement
du ſeptième ſiècle , où ils s'obfcurciffent
en tombant fous 1 puiſſance des
Mahométans. Au troiſième ſiècle la miſſion
de Saint Denis occupe le rang qui lui
convient dans l'histoire de l'Eglise des
Gaules. Au quatrième siècle on montre
l'origine du ſiège de Constantinople ; & l'on
marque la fucceffion de fes Evêques , jufqu'au
milieu du quinzième ſiècle , où
cette Egliſe même s'obſcurcit en tombant
ſous la puiſſance des Turcs. Les supplémens
qu'on ajoute à l'histoire des Papes,
contiennent juſqu'au douzième ſiècle, c'eſtà-
dire , juſqu'au commencement du cinquième
tome , où ils ceſſent entièrement ;
parce qu'alors M. Racine y donne luimême
toute l'étendue que l'on peut defirer.
Quelques perſonnes ont auſſi obſervé
que M. Racine , ayant terminé chaque
fiècle par un article de réflexions, cet ar
JUILLET 1767 . 79
ticle manquoit dans le premier fiècle. A
cela nous répondons que les réflexions de
M. Racine fur ce ſiècle font répandues
dans le corps de l'hiſtoire : on auroit pu
les en détacher , ſans toucher au fond de
de l'ouvrage ; c'eſt ce que l'on n'a point
voulu ſe permettre. On a été fingulièrement
attentif à ne rien changer ni
ajouter aux réflexions de M. Racine fur
chacun des dix - sept fiècles. Ceux qui
feroient curieux de connoître les changemens
ou fupplémens que l'on auroit pu y
faire, peuvent confulter l'édition qui en a
été donnée en deux volumes in- 12 en 1759 .
En comparant cette édition avec celle que
l'on donne aujourd'hui , on verra combien
on a été attentif ici à ne point altérer
le texte de M. Racine. En voici encore
une nouvelle preuve.
Les notes ſont ſouvent quelquesfupplémens
moins conſidérables que les précédens
, &moins eſſentiels au corps de l'hiftoire
; mais elles font encore plus particulièrement
destinées à conferver toute l'intégrité
du texte dans les cas même , où il
ſembleroit exiger quelques corrections que
l'auteur auroit pu faire , mais que l'on n'a
pas ofé ſe permettre. On distingue deux
fortes de corrections : les unes ne conſiſtent
qu'à ajouter quelques mots au texte fans
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
y rien changer ; enforte qu'on peut même
renfermer ces mots entre deux crochets pour
montrer qu'ils ne partent pas de la main
de l'auteur ; & c'eſt ce que l'on a fait partout
où les corrections n'exigeoient rien
de plus. Mais lorſque les corrections étoient
telles qu'on ne pouvoit corriger le texte ,
ſans le changer , on a préféré de conferver
le texte , en mettant ſeulement au bas des
pages les notes néceſſaires. Ainſi le public
eſt aſſuré d'avoir , dans cette édition , le
texte fidèle de l'Auteur ; & , s'il s'y étoit
gliſſé quelques négligences ou quelques
fautes dans les éditions précédentes , on
reconnoîtra que du moins la plupart &
les plus eſſentielles ſont corrigées dans
celle- ci par des supplémens ou par des notes.
Les citations que l'on donne font principalement
celles de l'hiſtoire eccléſiaſtique
de M. Fleury & de fon continuateur :
car c'eſt fut-tout dans cet ouvrage , que
M. Racine a puiſé l'hiſtoire des ſeize
premiers ſiècles. Dans le dix - ſeptième
M. Racine a cité lui-même ſes auteurs ,
autant qu'il l'a cru convenable ou néceffaire.
Les dates , ajoutées ſur les marges ,
font particulièrement auſſi celles des événemens
des premiers ſiècles ; ces dates
n'entroient pas dans le premier plan de
JUILLET 1767. 81
M. Racine ; c'eſt pourquoi il les avoit
négligées dans les premiers volumes : car ,
pour les derniers ſiècles , il avoit pris foin
de les marquer aſſez exactement dans le
corps même de l'hiſtoire .
Quant aux tables chronologiques , on y
a indiqué , autant qu'on l'a pu , les endroits
de l'hiſtoire qui y répondent. Il ſe trouve
quelquefois , dans ces tables , certains faits
qui ne font pas dans le corps de l'hiſtoire ;
c'eſt alors une eſpèce de ſupplément donné
par l'Auteur même. D'un autre côté il
rapporte , dans le corps de l'hiſtoire , un
affez grand nombre de faits qui ne ſe trouvoient
pas dans ces tables : on a choiſi les
principaux , pour les ajouter à ces tables ,
en les renfermant entre deux crochets .
Enfin chaque volume eſt terminé par
une table analytique des matières , c'est- àdire
, par une récapitulation des ſommaires
en forme d'analyſe ; en forte que ces treize
tables forment l'analyſe de tout l'ouvrage.
On a appris que quelques perſonnes
defiroient de trouver , dans cette édition ,
la vie de l'auteur ; on la donne à la tête
du dernier volume.
Les Libraires , pour faciliter l'acquifition
de cet ouvrage , propoſent les treize
volumes in- 4° à 66 liv. en feuilles , depuis
le premier juin juſqu'au premier octobre
Dy
8. MERCURE DE FRANCE.
prochain , paflé lequel temps , s'il en reſte
encore des exemplaires , ils feront vendus
104 liv.
On a tiré , pour les amateurs , un trèspetit
nombre d'exemplaires en grand papier
, que l'on accordera , dans le même
eſpace de temps , à 10 liv. le volume en
feuilles , paffé lequel temps , ils feront
vendus 15 liv. chaque volume .
On pourra s'adreſſer à Paris , chez la
veuve Savoie , rue Saint Jacques ; Nyon ,
quai des Auguſtins ; Saillant , rue Saint
Jean de Beauvais ; Vincent , rue Saint
Severin ; Defaint , rue du Foin Saint Jacques
; Durand neveu , & Hériſſant fils , rue
Saint Jacques.
DICTIONNAIRE historique des moeurs ,
usages & coutumes des François , & c.
trois volumes in- 8 ° , avec cette épigraphe :
Facta patrum , ſeries longiſſima rerum.
..... Antiquæ ab origine gentis.
chez VINCENT , Libraire rue Saint
Severin ; 1767 : avec privilége du Roi.
SUR
د
ur cet ouvrage , annoncé dans le Mersure
de juin dernier , par la préface que
nous en avons extraite , pour le faire connoître
d'abord au public, voici le jugement
qu'a porté le Cenſeur Royal :
JUILLET 1767 . 83
« L'auteur (M. de la Chenaye Desbois )
>>auquel , nous devons le dictionnaire gé-
>>néalogique , le calendrier des Princes &
>> de la nobleſſe de France & pluſieurs au-
>> tres travaux littéraires , auffi curieux
» qu'intéreſſans & utiles , a parfaitement
>> rempli l'objet de ſon titre ; ſes recher-
>> ches les plus profondes, la préciſion des
>> faits hiſtoriques , leur exactitude & fur-
>> tout leur réunion , doivent faire recher-
>> cher cet ouvrage avec le plus grand em-
>> preſſement ; & nous ne doutons point
>> qu'il ne foit auſſi utile qu'agréable au
public .”و ود
En effet , en le parcourant , nous avons
vuqu'on peut paffer d'un article à un autre,
fans s'ennuyer ; & qu'il a même le mérite
de pouvoir ſe faire lire de ſuite ; avantage
qu'ont tous les bons dictionnaires hiſtoriques.
Il contient grand nombre de faits remarquables
& intéreſſans , arrivés depuis
'le commencement de la monarchie juſqu'à
nos jours ; les époques de pluſieurs établiſ
femens & fondations; des anecdotes fur
les moeurs , coutumes & uſages de nos ancêtres
; & une notion exacte des progrès fucceffifs
que les ſciences & les beaux-arts
ont faits en France .
Par exemple , au mot abbaye, l'auteur
dit : les abbayes d'hommes furent fon
D vj
$ 4 MERCURE DE FRANCE.
>> dees en France , ſans qu'il en coutâtbeau-
>>coup à la nation. On cédoit à des moi-
>>nes autant de terres incultes qu'ils en
>> pouvoient cultiver : ces troupes péniten-
>>tes s'étant conſacrées à Dieu , travail-
>>loient de toutes leurs forces à défricher ,
>> à bâtir , à planter , non pour être plus à
>>leur aife , (car ils vivoient alors , c'eſt-a-
>> dire dans les premiers temps de la mo-
>> narchie, dans une grande frugalité) mais
>> pour foulager & faire ſubſiſter les pau-
>>>vres. Le ciel favoriſa de ſes douces in-
>> fluences ces lieux arides & déſerts , qui
>> devinrent bientôt agréables & fertiles
>> par le travail de ces pieux moines ; &
»voilà l'origine de tant de monaſtères
» qui, dans la ſuite des temps , devinrent
ود ſi riches , que les Abbés pouvoient met-
> tre une petite armée ſur pied ; c'eſt ce
>> qui fit que ſous la première & la feconde
>> race de nos Rois , ils étoient invités à l'af-
> ſemblée du champ de Mars avecles Ducs,
>> les Comtes , les Barons & les Prélats » .
Au mot d'académie , on litqu'il y en avoit
de fort célèbres en France ; & , tandis
que ſous nos premiers Rois , la nobleſſe
apprenoit le métier des armes , d'autres
François cultivoient les ſciences , à Autun ,
Bordeaux , Marſeille , Tours , Treves , &
dans pluſieurs autres villes.
JUILLET 1767 . 85
Au mot de baifer , l'auteur dit que la coútume
en est très- ancienne : on ſe le donnoit
dans les épouſailles , les inſtallations
ou réceptions dans un corps , & en recevant
l'hommage d'un vaſſal , comme il
paroît par les titres . Le baiser , ajoute-t- il ,
a été dans tous les temps un acte de religion.
La Reine-Blanche , mère de Louis IX,
ayant reçu le baiser de paix dans l'égliſe ,
le rendit à une fille publique , dont l'habillement
annonçoit qu'elle étoit mariée
& d'une condition honnête. La Reine ,
offenſée de la mépriſe , obtint du Roi
une ordonnance qui défendoit à ces fortes
de perſonnes , dont le nombre étoit alors
( comme aujourd'hui ) très- conſidérable ,
de porter robes à queues à collets renversés,
qu'avec ceintures dorées. Ce réglement fut
mal obſervé : les honnêtes femmes s'en
confolèrent par ce proverbe , encore en
uſage parmi nous : bonne renommée vaut
mieux que ceinture dorée.
L'auteur donne , ſur le mot de clémence,
des anecdotes curieuſes & édifiantes de
pluſieurs de nos Rois : " qu'il eſtbeau, dit- il,
>> de trouver cette vertu dans ceux qui
>> gouvernent ou qui font au - deſſus des
>> autres par leur naiſſance ou par leur
>> rang ! C'eſt à eux , en puniſſant le crime ,
>> d'excufer & de pardonner les foibleſſes » .
86 MERCURE DE FRANCE .
1
" Imma , fille de Charlemagne , aimoit
>> éperduement Eginarhd, un des Secré-
>> taires de fon père. Ce Prince s'apperçut
>>de leurs entretiens particuliers ; Egi-
» narhd , qui ſçut que l'Empereur avoit
» découvert ſes intrigues avec la Princeſſe ,
>> demanda à l'Empereur la permiffion de
>> ſe retirer. Charlemagne répondit qu'il y
>> penferoit & qu'il lui feroit ſçavoir fes
>> intentions ». Il aſſembla fon conſeil ;
& on alla aux voix ſur ce qui s'étoit paffé.
Les uns furent pour une punition exemplaire
, les autres pour un châtiment plus
doux , s'en rapportant d'ailleurs à la ſageſſe
de l'Empereur. Ce Prince , auſſi bon père
que bon Roi , au lieu de le faire punir ,
lui dit : à cause de tous les bons ſervices
que vous m'avez rendus , je vous donne
Imma , ma fille , pour femme. La dot fut
proportionnée à l'épouſe. Quel jugement !
quelbonté ! quel exemple pour des pères !
Par ce procédé Charlemagne conſerva l'honneur
de ſa fille , & reconnut les ſervices
de ſon ſujet.
Des courtiſans conſeillèrent à Philippele
Belde ſe venger de l'Evêque de Paris ,
qui étoit en partie l'auteur de ſes démêlés
avec le Pape Boniface VIII ; il leur répondit
: je le ruis ; mais il est beau de le pouvoir
& de ne le pas faire. Si quelque choſe
JUILLET 1767. 87
peut ternir ſon règne , c'eſt la deſtruction
des Templiers que , par ſon ordre & celui
du Pape , on fit cruellement mourir.
On a de Charles VIII une belle réponſe
qu'il fit , n'étant encore âgé que de dixſept
ans , aux Envoyés du Duc de Bretagne
, qui fut forcé de ſe ſoumettre à fon
légitime Souverain. Elle eſt digne du plus
ſage & du plus grand des Monarques :
je puis ufer , dit-il aux Députés du Duc ,
du droit que Dieu m'a donné fur mes
fujets , & les punir ; mais je veux que tous
les Princes de la terre ſcachent que les
Rois Très-Chrétiens ſe contentent de vaincre
leurs ennemis . Je remets à Dieu la
rebellion du Duc de Bretagne , vaſſal de
ma couronne ; & je veux bien lui faire
grace.
Louis XII avoit une liſte de tous ceux
qui s'étoient déclarés contre lui , ſous le
règne de ſon prédéceſſeur , & leurs noms
étoient marqués d'une croix. C'eſt ce qui
fit que quelques- uns , qui craignoient d'être
la victime de ſon reſſentiment , s'éloignèrent
de la Cour ; il les rappella tous &
leur dit : vous avez eu tort de vous abfenter
; la croix jointe à vos noms ne devoit
pas vous annoncer une vengeance ; elle marque
, ainſi que celle de notre Sauveur , le
pardon & l'oubli des injures . Ce beau mot
88 MERCURE DE FRANCE.
fut conſacré par une médaille , où ſe trouve
cette croix , avec une légende conforme
à la penſée de ce Prince.
On parloit à Henry IVd'un brave Officier
, qui avoit été de la ligue , à qui Sa
Majesté avoit pardonné ; &cependant elle
n'en étoit point aimée. Je veux, ditle Roi ,
lui faire tant de bien , que je le forcerai de
m'aimer malgré lui. Il répondoit à ceux
qui s'étonnoient de ſes bontés pour des
perſonnes qui ne le méritoient pas : on
prendplus de mouches avec une cuillerée
de miel , qu'avec vingt tonneaux de vinaigre.
Sur les remontrances que l'on faiſoit au
même Monarque , que tant de clémence
qu'il faifoit paroître envers ſes ennemis
& les ligueurs , offenſoit les vrais François
& les bons ſujets , il fit cette belle réponſe
à ceux qui lui parloient : fi vous , & tous
ceux qui tenez ce langage , diſiez tous les
jours votre patenotre de bon coeur , yous
parleriez autrement. Puis-je attribuer tant
defuccès qu'à Dieu , qui étend fur moi fa
miféricorde , encore que j'en fois indigne ?
Il me pardonne , je dois pardonner ; il
oublie mes fautes , je dois oublier celles de
mon peuple ; que ceux qui ont péché se
repentent ; & que l'on ne m'en parle point.
Belle leçon pour tous les hommes en général
, de quelque état & condition qu'ils
JUILLET 1767.
لو
foient. Les anciens avoient fait une divinité
de la clémence ; mais ils n'en avoient
ni tableau ni ſtatue , parce que , ſelon eux ,
cette déeſſe ne vouloit habiter que dans
les coeurs. Elle a été la vertu favorite des
plus grands Rois de notre Monarchie';
& elle diftingue bien particulièrement
Louis XV le Bien-Aimé , qui nous gouverne.
Les recherches de l'auteur fur la nobleſſe
ſont des plus curieuſes. Lorſque les hommes
, dit- il , formèrent une ſociété , les
diſtinctions qu'on leur accorda , furent la
récompenſe du mérite , ou du moins des
ſervices rendus à la patrie & généralement
reconnus de tous. Par - là l'amour de la
gloire produifit fans ceſſe d'excellens citoyens.
Dans la ſuite l'enthouſiaſme ayant
fait paffer la diſtinction de l'homme qui
avoit bien mérité de la patrie, juſques fur
les fils , dans l'eſpérance d'exciter davantage
leur émulation , ils formèrent ce que l'on
appelle la nobleffe d'origine ; mais il arriva
ſouvent que , jouiſſant de ces honneurs
par la naiſſance , ils négligèrent de rendre
à la ſociété les ſervices qu'ils lui devoient.
Cette nobleffe d'origine étoit inconnue
aux François ſous les Rois de la première
race , & long- temps ſous ceuxde laſeconde.
Cependant il y avoitdans l'Etatdeux claſſes
90 MERCURE DE FRANCE.
différentes; mais les familles étoient toutes
du même ordre : les prérogatives étoient
perſonnelles& n'étoient point héréditaires.
Si quelque citoyen ſe diftinguoit par des
actions éclatantes à la guerre , ou par un
mérite ſupérieur , alors le Roi le faiſoit
Leude ouAnstruction , ce qui ſignifie fidèle...
Le Leude , continue l'auteur , prêtoit fermentde
fidélité entre les mains du Prince;
ſa nobleffe , qui ne ſe tranſmettoit point
par le fang , laiſſoit ſes enfans dans la claſſe
commune des citoyens , juſqu'à ce qu'ils
enffent mérité , par des ſervices perfonnels ,
d'être eux-mêmes admis à prêter le ferment
de fidélité au Roi , pour être reçus au
nombre des Leudes. Cette ſage politique
excitoit l'émulation &donnoitde l'ardeur
aux moins actifs .
Mais l'amour de la gloire commençoit
à s'affoiblir , lorſque la dignité de Leude ne
fut plus attachée au mérite , & que les
plus riches & les plus adroits à plaire y
furent affociés. Toute émulation même
fut éteinte , quand des esclaves , que leurs
maîtres venoient d'affranchir , y furent
ſcandaleuſement élevés .
Le don d'une épée & d'un cheval que
le nouveau Leude recevoit autrefois du
Prince , & qui flattoit infiniment fon coeur
en lui rappellant les ſervices éclatans qui
JUILLET 1767 . 91
lui avoient mérité ce préſent ou cette
marque de diſtinction , ne toucha plus ſa
cupidité ; & le Roi ſe trouva contraint d'y
ſubſtituer une partie de ſes domaines....
Peu à peu on s'accoutuma à penſer que
les fils des Leudes tenoient de leur naiffance
les mêmes droits dont leurs pères
avoient joui ; & , depuis le traité d'Andely
de l'an 687 , & celui de Paris de l'an
695 , on cominença à diſtinguer dans
1'Etat deux ordres , celui des François nobles
& celui des François qui n'étoient pas
nobles.
On lit dans tous les auteurs généalogiftes
, qu'il y a quatre degrés de nobleſſe ,
celuides Princes dufang, celui de la haute
nobleffe , celui de la nobleſſe ordinaire &
celui des annoblis ; qu'il y a de la différence
entregentilhomme , homme de qualité,
& homme de condition ; que le fils d'un
annobli eſt gentilhomme , &fa fille demoifelle
; que les enfans de la haute nobleffe
fontdes gens de qualité , & que ceux d'ancienne
race font gens de condition .
Notre auteur , après avoir rapporté ces
quatre degrés de nobleſſe , & la différence
que l'on met entre gentilhomme , homme
de qualité , & homme de condition , ſe conrente
de diviſer la nobleſſe , en nobleſſe de
race & nobleffe de naiſſance. Il dit que ceux
92 MERCURE DE FRANCE.
dont les ancêtres ont toujours paffé pour
nobles , & dont on ne peut découvrir l'origine,
font nobles de race ; que ceux , dont
les ancêtres ont été annoblis , font nobles
de naiſſance ; car l'acte d'annobliſſement
prouve qu'ils ont été roturiers . La nobleffe
de race n'eſt fondée que ſur la poſſeffion ;
& , ſi les titres paroiſſoient , ils la détruifolent.
Nous renvoyons , pour le reſte de cet
article curieux , à l'ouvrage même , tom. 3 ,
pag. 175 , & fuivantes.
C'eſt d'après les mémoires de M. de
Sainte- Palaye & de nos meilleurs hiſtoriens
, que M. D. L. C. D. B. parle de l'ancienne
chevalerie , de l'adoption ou fraternité
d'armes , des tournois , rois , hérauts,
ſergens d'armes, des duels, des croifades,&c.
11 ne pouvoit puiſer dans de meilleurs
fources. Il n'y a point , dans cet ouvrage ,
d'articles qui ne foient , les uns curieux
par leurs anecdotes , les autres inſtructifs
par leurs faits hiſtoriques , les autres amufants
par leurs fingularités. Nous laiffons
au lecteur à en juger par lui-même. L'auteur
n'a pas épuiſe la matière , & , comme
il le dit dans ſa préface , notre hiſtoire de
France eſt un vaſte champ où il y a toujours
à glaner fous quelque aſpect qu'on
le confidère ou qu'on l'étudie. Il ſe promet
JUILLET 1767 . 93
.
dedonner une ſuite à cet ouvrage , qui ne
peut être qu'auſſi curieuſe & auffi intéreſfante
que les trois premiers volumes qui
paroiſſent.
JULIE , ou l'Heureux Repentir , anecdote
historique ; par M. D'ARNAUD , Confeiller
d'Ambaſſade de la Cour de Saxe,
des Académies , &c . A Paris , chez
L'ESCLAPART , Libraire , quai de Gêvres
; & la veuve DUCHESNE ,
Saint Jacques ; 1767 : in-89,
rue
IL n'y a rien de plus moral que le ſujet
de cette petite hiſtoire ; on ne peut l'avoir
préſenté avec plus d'intérêt & de vérité.
M. de Gourville avoit perdu ſa fortune par
la révolution qu'à entraînée le ſyſtême : il
s'étoit retiré dans une province éloignée
de la capitale avec ſa femme & deux enfans
, un fils& une fille , qui le conſoloient
de ſes malheurs. Un ami , ſenſible à ſes
peines , ſe charge de ſon fils , qu'il ſe propoſe
de pouſſer dans la carrière des armes ;
M. & Mde de Gourville s'occupent de
l'éducation de Julie , leur fille , dont les
grâces naturelles ſe développent ; ils s'at
94 MERCURE DE FRANCE.
tachent fur-tout à fairegermer des ſemences
de vertu dans ſon âme. Mde de Subligni ,
parente de Mde de Gourville , offre de
prendre ſoin de cette aimable fille ; fon
père & ſa mère n'acceptent qu'avec peine
cette propoſition. L'intérêt de Julie les y
fait confentir ; elle va joindre ſa parente
à Paris ; c'eſt une femme qui depuis qua .
rante ans laſſe le monde , s'y ennuye & ne
peut le quitter ; elle conduit Julie dans les
cercles les plus frivoles & les plus brillans;
les grâces de la nièce font fupporter la
tante. Comme elle n'eſt pas riche , elle ne
peut pas mettre Julie ſur le ton de la plupart
des femmes qu'elle voit ; Julie eſt
humiliée de fa mauvaiſe fortune ; elle ne
voit autourd'elle, que l'éclat & la magnificence.
Beaucoup de celles qui en jouif
ſent l'ont achetée au prix de l'honneur ;
onfait ſans ceſſeretentir à ſes oreilles , que
les richeſſes tiennent lieu de tout ; peu à
peu les principes qu'elle a reçus de ſes parens
s'affoibliſſent. Une certaine Madame
de Sauval eſſaye de les effacer ; elle ne ſe
propoſe que la perte de Julie. Le Marquis
de Germeuil , qui jouiſſoit d'une grande
fortune , en étoit devenu amoureux. Mde
de Sauval s'étoit engagée à le ſervir ; elle
employe tous les refforts qu'a inventés la
féduction. Julie céde , elle conſent à ſe
JUILLET 1767 . 95.
laiſſer enlever ſur l'eſpoir d'un mariage ;
cet eſpoir l'engage plus loin ; elle s'apperçoit
trop tard qu'elle a été trompée : le
Marquis l'abandonnequelques tempsaprès.
Mde de Sauval la confole, & lui procure
un autre amant plus riche. Mde de Subligni
avoit d'abord été fâchée de ce qui
arrivoit à ſa nièce ; elle avoit fini par
faire un ſoupé agréable avec elle : elle lui
avoit confeillé de cacher ſa naiſſance , &
elle-même avoit écrit à M. & Mde Gourville
que leur fille étoit morte. Elle meurt
bientôt elle- même ; Julie ſe livre au tourbillon
du monde. Un jour on lui préſente
un jeune Officier qu'on nommoit Daumal,
Elle le voit avec intérêt, fait fur lui la
même impreſſion ; ils defirent mutuellement
de ſe revoir : la vertu eſt le texte
ordinaire des converſations du jeune homme.
Julie l'écoute avec attendriſſement &
pleure ſur ſon état. Daumal applaudit à
fes pleurs , lui montre la voie du repentir
qui lui eſt ouverte , la contemple en lui
diſant qu'elle n'eſt pas la ſeule criminelle;
il lui confie ſes chagrins ; il a une foeur
quile deshonore , qui l'a forcé de changer
de nom. Julie , étonnée , lui demande
quel eſt celui qu'il doit porter réellement ,
il nomme Gourville. Les larmes de Julie
redoublent ; elle eſt ſa ſoeur ; elle apprend
96 MERCURE DE FRANCE.
que ſon père a été inſtruitde ſa conduite ;
qu'il eſt venu à Paris pour la ramener à la
vertu ; que ſa mère eſt morte de douleur.
Elle ſe défait des préſens honteux qu'elle
a reçus de ſes amans , va rejoindre ſon
frère. Au moment qu'ils font prêts à ſe
rendre auprès du vieillard qui leur a donné
le jour , un eccléſiaſtique vient les ſupplier
de venir raſſurer une perſonne mourante ,
déchirée de remords ; ils vont dans une
eſpèce de grenier , & trouvent Mde de
Sauval qui expire ſur un grabat, & qui
frémit de ſe voir ſur le point de paroître
devant ſon Juge ſuprême , chargée d'une
vie criminelle, ſans avoir un ſeul inſtant
qui ne s'élève contre elle. Elle s'accuſe
d'avoir égaré Julie; elle meurt dans le
déſeſpoir. Ce tableau effrayant eſt peint
avec les couleurs les plus fombres. Julie ,
rendue à la vertu , retrouve ſon père , qui
lui pardonne : elle le voit auſſi mourir,
Cette mort contraſte avec celle de la Sauval
: c'eſt un juſte qui s'endort d'un ſommeil
paiſible. Julie ſe retire dans un couvent
auſtère , où elle fait pénitence de ſa
vie paſſée , & où elle goûte les plaiſirs
que donne le retour à la vertu.
Nous n'avons pu détacher aucun morceaude
cette production intéreſſante ; c'eſt
une ſuitede ſcènes enchaînées les unes aux
autres
JUILLET 1767 . 97
autres qu'il ne faut pas lire ſéparément: toutes
les ſituations font vives , animées , &
naiſſent du fonddu ſujet. La manière dont
Mde Sauval ſéduit Julie , eſt peinte avec
beaucoup d'art & de vérité. La reconnoifſance
de Julie avec ſon frère fait le plus
grand effet. On ne peut la lire fans verfer
des larmes. La mort de Mde Sauval offre
des détails fombres & terribles qui rempliſſent
l'âme d'une fecrette horreur , &
contraſte avec celle de M. de Gourville .
Ce roman eſt encore un petit drame qui
préſente l'hiſtoire naïve de la vie humaine.
La ſuite de ceux que M. d'Arnaud a donnés
juſqu'à préſent, forme un cours complet
de morale. On ne sçauroit trop les
mettre entre les mains des jeunes perfonnes
; tout y reſpire l'amour du bien &
l'horreur du mal. La morale ſe préſente
d'elle-même , ſans faſte & avec tout ce qui
peut la faire goûter.
Vol. II. E
98 MERCURE DE FRANCE.
LES SENS , poëme en fix chants , avec
estampes & vignettes ; seconde édit on :
chez CUISSART , Libraire , quai de Gêvres
; in- 8 ° : 1767 .
PREMIER EXTRAIT.
E chante le pouvoir de nos ſens ſur notre âme ,
Et les rapports de notre âme & des ſens .
D'autres chantent l'amour & fes biens ſéduiſans ;
Moi , je décris les cauſes de ſa flame ,
Les principes ſecrets de ſes feux enchanteurs.
D'autres célèbrent ſes myſtères ,
Maisne remontent point à leurs caules premières :
Ils chantent les bienfaits , & moi les bienfaiteurs.
C'eſt par cette expoſi ion du ſujet , que
commence ce poëme , dont nous avons
déjadonné pluſieurs extraits dans le temps
de lapremière édition. L'auteur , avant que
de permettre qu'on en donnât une ſeconde,
y a fait des changemens & des additions
conſidérables. Cet ouvrage heureux par fon
fujet feul , dit l'auteur , m'a offert une
galerie de tableaux galans , & une analyfe
raisonnée de la plus douce & la plus excufable
des paffions. D'ailleurs ce poëme diJUILLET
وو . 1767
dactique , en lui même, est devenu , par les
épisodes dont je l'ai varié , par l'unité d'action
que je lui ai donnée , par les détails
recherchés fur tous les arts auxquels chaque
fens tient par des rapports intimes , l'histoire
du coeur humain & des artistes célèbres
qui ont honoré l'humanité. On trouve dans
cette préface , écrite avec chaleur , une
fable du ſens le plus moral & le plus vrai .
Elle finit par les mêmes vers que celle de
la première édition. Après avoir combattu
le ſyſtême de Zénon , l'auteur nous dit
quelle eft cette Glicère , aimable héroïne
du poëme. Il la ſuit dans tous les mouvemens
du coeur qui ont rapport à l'ouïe. II
dit à ce ſujet :
Pour juger un amant on doit d'abord l'entendre :
L'expreſſion décèle le penchant.
On fuit ſon âme ; on aime à la ſurprendre ;
On l'étudie.... Eh ! quel bien plus touchant
Que l'art de lire en un coeur tendre ?
C'eſt un mot , c'eſt un rien piquant ,
Obſcur pour tout indifférent ,
Mais que l'amour ſçait bien comprendre .
C'eſt un diſcours ſi ſimple , ſi preſſant !
L'expreſſion ne s'y fait point attendre :
Un déſordre naïf le rend ſeul éloquent.
Loin d'avertir le coeur de ſe défendre ,
Ce coeur lui reproche ſouvent
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
De n'ofer point ſe faire entendre ;
Il devine l'énigme & prévient le ferment.
Voir un objet , & brûler pour ſes charmes ,
Sans connoître ſon coeur , ſes diſcours , ſon eſprit ,
C'eſt de l'amour proſtituer les armes :
Le bon uſage honore , & l'abus avilit.
Les yeux ſont un miroir dont la glace infidelle
Tour à tour embellit , enlaidit les objets :
Il eſt deux points de vue aux regards d'une belle ,
Un pour le coeur , un pour les traits .
Qui voit les charmes de trop près ,
Voit de trop loin les qualités de l'âme :
L'amour devient beſoin; & fa rapide flâme
N'eſt qu'une fiévre en ſon accès .
L'auteur décrit enſuite tous les bienfaits
de ce ſens , tous les effets de fon pouvoir.
Il cite alors des noms célèbres & chers à
tous les coeurs.
Que de coeurs attendris , charmés ,
Dans ce temple , palais d'Armide ,
Où tous les Renauds défarmés
De Pallas , mais en vain , emprunteroient l'égide.
De l'élégant Mouret , & du chantre d'Iffé ,
Les Graces tour à tour répétent les ouvrages :
On entend ſoupirer les Neftors les plus ſages
Au ſeul nom des nouveaux Chassé.
JUILLET 1767 . 101
Que vous exprimez bien& l'amour & fa flamme ,
Rivaux , amis , dont le génie heureux
Chanta les malheurs de Pirame ,
Et le deſtin injuſte & rigoureux
De la Thisbé qui règnoit ſur ſon âme !
Entendez- vous célébrer les plaiſirs ,
Cette Lemaure à la voix de tonnerre ,
Cette Fel à la voix légère ,
Interprête de nos defirs ,
Et leur rivale en l'art de plaire ,
Ce joli rofſignol , la touchante Lemiere ,
Qui , dans ſon chant , ſuit le vol des zéphirs ?
Et toi , charmante Cantatrice ,
Divine Arnouudd , que tu donnes de fers
Quand , déployant encor les talens de l'actrice ,
Tu rappelles fi bien ton Caſtor des enfers !
On reconnoît ſur le théâtre
Cet eſprit fin , tréſor du boudoir de l'amour ;
L'univers de nouveau deviendroit idolátre
Si l'univers pouvoit ſe trouver à ta Cour.
Des dons humains tu paſſes les limites :
Ton être ſeul , dans ſes ſuccès brillans
1
Joint tous les genres des talens
A tous les genres de mérites.
Après avoir détaillé galamment l'épifode
d'Uliffe & des Sirènes , l'auteur annonce
fon fecond chant par ces vers :
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
Licas a triomphe du coeur de ſa bergère ,
Sa voix méritoit cet honneur .
Hais , hélas ! pour lui ſon bonheur
Eſt encore un ſecret myſtère.
Hâte-toi de les raſſembler ,
Amour : il eſt , pour une âme ſincère ,
Des aveux que jamais on ne fait ſans trembler ;
Trop d'éloquence alors ſeroit contraire ;
On n'en a pas beſoin . Quand les yeux vont parler ,
La voix , l'eſprit doivent ſe taire.
L'auteur paſſe au ſecond chant ; l'inté
rêt s'accroît ; la chaleur s'augmente ; les
détails en font précieux. Mais le poëte y a
ajouté un morceau nouveau , que nous
ne pouvons nous diſpenſer de citer ici ;
c'eſt le rapportde ce ſens avec la peinture ,
la ſculpture , & l'art de la perſpective.
De tous nos ſens la vue eſt le plus infidèle ;
Sans ceſſe il faut s'en défier :
Pour la mieux croire , être en garde contre elle ;
Voir , ce doit être étudier.
Un oeil que le plaiſir attire
Sur les divers points préſentés ,
Par la rondeur des corps qu'il fixe ou qu'il admire,
Iroit ſans doute voir , par un ſecret délire ,
L'action qu'il ſe donne en cherchant leurs beautés.
Les accidens différens de lumière ,
Les démi -jours , l'éloignement ,
JUILLET 1767. 103
Tout égare fon jugement :
Par un preſtige involontaire ,
Sans le ſavoir , la rétine nous ment ;
Les objets , en ſe renverſant ,
S'y peignent toujours de manière
A féduire , à tromper même le plus ſçavant.
N'en croyons jamais l'apparence :
Voir , n'eſt point ſeulement diſtinguer les objets ,
C'eſt meſurer leurs rapports , leur diſtance :
Bien voir , c'eſt comparer les ombres , les réflets,
C'eſt joindre à l'art de l'oeil l'art de l'intelligence :
Bien voir , c'eſt raiſonner ; raiſonner c'eſt juger.
Ne nous rendons jamais qu'à l'évidence.
Quand l'oeil veut décider , qu'avant notre eſprit
penſe:
L'oeil doit toujours l'interroger .
:
Les erreurs de nos ſens font les travaux de l'art,
Et font la gloire de l'artiſte .

Coustou , le Gros , Girardon , & Puget ,
Et le Pautre , & le Moyne égalent la nature :
Ils renouvellent l'impoſture
Dont ils ont volé le fecret.
L'air roule autour des corps : de ſages demiteintes
,
Des fineſſes , d'aimables feintes
Aſſurent le repos , & le charme des yeux
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
Tout fait tableau dans leurs ouvrages ;
Tout s'anime de leur eſprit :
Le coloris n'a point plus d'avantages ;
Pigal ne ſculpte point , il peint par fon outil.
L'auteur paffe enfuite aux principes de
l'optique , quant à la peinture ; éloge des
peintres célèbres , des Boucher , des Wanloo
, des Pouffin , des Lebrun , des Lesueur,
des Vernet ; tous les plaiſirs que la vue
peut procurer font décrits enfuite avec une
force , une chaleur d'expreſſion , une délicateſſe
de ſentiment qui rendra toujours
cet ouvrage cher aux vrais connoiffeurs .
Glicere & fon amant , après avoir éprouvé
tous les plaiſirs de la vue , après avoir
goûté tous les tranſports qu'elle fait naître ,
touchent au moment du triomphe des ſens.
Glicere , raffurée par la délicateſſe de ſon
amant,
S'abandonnoit au plaifir ſuborneur
De regarder & d'être regardée.
Son oeil cauſeur diſoit à ſon amant :
Quand ta pitié m'épargne , éloigne ma défaite ;
Je le ſens avec toi , je contracte une dette :
Mais je l'acquitterai , l'amour est mon garant.
Vas , fi ton âme eſt délicate ,
J'en connois le prix en ſecret.
JUILLET 1767. 105
Je ſçais ce qui t'eſt dû , j'adore ton bienfait ,
Mais tu l'éprouveras , je ne ſuis point ingrate ,
Je t'en payerai l'intérêt.
Les deux amans ſe ſéparent contens
l'un de l'autre , en ſe promettant de ſe
revoir.
Ils conviennent d'un jour ; heureuſe impatience !
D'un tendre coeur c'eſt le premier devoir :
Quand on eſt bien d'intelligence ,
Avant de ſe quitter , on penſe à ſe revoir.
Cet ouvrage charmant fait le plus grand
honneur à M. de Rozoi.
ÉLÉMENS de la Philofophie Rurale. A
La Haye , chez les Libraires afſſociés ;
1767 : petit in- 8 ° , de plus de quatre
cents pages , en comptant le discours préliminaire.
C'E'ESSTT ici un abrégé clair& précis du
grand ouvrage de M. le M. de M***, qui
parut en 1763 , ſous le titre de philofophie
rurale, ou économie générale & politique de
l'agriculture , réduite à l'ordre immuable
des loix physiques & morales , qui affurent
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
la prospérité des Empires. On peut d'autant
plus compter ſur l'exactitude de cet
abrégé , qu'il eſt fait par l'Auteur luimême.
La philofophie rurale n'eſt point , comme
quelques- uns l'ont cru ſur les premiers
mots du titre , un livre d'agriculture pratique
, tel qu'il s'en publie tous les jours.
C'eſt un cours complet de la ſcience politique
& morale , qui développe méthodiquement
tous les principes d'un bon & fage
gouvernement , & qui les fait dériver des
loix physiques , éternelles & irréſiſtibles ,
qui régiſſent l'agriculture , premier fondement
de la proſpérité des Empires , de la
grandeur&de la puiſſance des ſouverains ,
de la richeſſe &de l'honnêteté des peuples.
Le but de cet ouvrage eſt de montrer la
voiela plus naturelle, la plus fimple, la plus
infaillible pour parvenir au grand objet
que doit ſe propoſer toute adminiſtration ,
c'eſt-à-dire la paix , la juſtice, l'abondance,
la proſpérité : on y indique les vraies fourcesde
la population,de l'induſtrie, du commerce
, des arts ; le ſeul moyen efficace de
lier intimement les intérêts des Princes
avec ceux des ſujets, les intérêts privés de
tous les citoyens avec les intérêts publics
de chaque Empire ,&de toutes les ſociétés
politiques.
JUILLET 1767. 107
Rien n'eſt plus favorable à l'humanisé
que la doctrine renfermée dans la philofophie
rurale, puiſqu'elle traite du bonheur
de tous , ou de l'ordre physique & moral ,
le plus avantageux aux hommes réunis en
fociétés , & qu'elle prend pour baſe les
droits facrés des propriétés , des libertés ,
d'accord avec ceux de la puiſſance tutélaire
ou de la puiſſance ſouveraine.Elle forme
un corps de ſcience , dont les principes &
les conféquences font enchaînés les uns aux
autres comme les vérités géométriques.
Ceuxqui ſe fentiront aſſez de zèle pour defirer
d'y être initiés , trouveront ces principes
développés très-clairement , & mis à
la portéede tout le monde dans un ouvrage
périodique intitulé : éphémérides du citoyen,
ou bibliothèque raiſonnée desſciences morales
&politiques, dont il ſe publie tous les mois
un volume in - 12 , chez Lacombe , Libraire,
quai de Conti , au bureau des journaux.
Nous avons annoncé pluſieurs fois cet
ouvrage. Mais il devient chaque jour plus
intéreſſant pour les citoyens curieux de
s'inſtruire ſur tous les objets qui concernent
le bien public & la proſpérité des nations.
Chaque volume des éphémérides eſt diviſé
en trois parties ; la première eſt com
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
poſée des pièces détachées de l'auteur & de
pluſieurs autres ; on y trouvera dans le
quatrième & cinquième volumes de cette
année , une analyſe des élémens de la philofophie
rurale , faite par M. le M. de ***.
lui même. La ſeconde partie des éphémérides
, contient des critiques raiſonnées des
livres étrangers ou nationaux , qui traitent
des matières politiques. La troiſième
renferme des réflexions patriotiques à l'occafion
des grands événemens publics , qui
méritent le plus d'être remarqués. On y lira
fur-tout avec grand plaiſir , dans le premier
volume de cette année , une bonne differtation
ſur le luxe & fur les loixſomptuaires
, relativement à celles de la dernière
diéte de Suède . On ne ſera pas moins content
des deux morceaux qui ſe trouvent ,
l'un dans la ſeconde partie du troiſieme ,
ſous le titre de vrais principes du droit naturel
; l'autre , dans la ſeconde partie du
quatrième , où l'auteur critique un ouvrage
anonyme , intitulé : principes de tout
gouvernement .
JUILLET 1767 . 109
Lettre d'Ovide à Julie , précédée
d'une lettre en profe à M. DIDEROT,
in- 8°. avecfigures , chez JORRY
à côté de la Comédie Françoise .
د
rue&
M. de P. Capitaine de Dragons , connu
pardes poéſies charmantes , & fur- tout par
le poëme de Zélis aux bains , eft auteur
de cette lettre , dans laquelle Ovide parle
d'après l'idée que nous avons de ſon eſprit
& de fes amours .
Que je ſuis loin de vous , Julie , ô ma Julie !
Quelles immenfes mers & quels gouffres affreux
Ont ſéparé de moi la moitié de ma vie !
Que j'étois fortuné , que je ſuis malheureux !
Tu connus mes plaiſirs , juge donc de mes peines ;
Mais ne crois pas qu'Ovide exhale ſur ces bords ,
D'un trop vain déſeſpoir les fureurs bienplus vaines;
Ton amant fouffre trop pour avoir des tranſports.
Plus tu m'as fait heureux , plus je ſuis miférable ;
Pour tant de maux , hélas ! de quoi ſuis-je coupable,
D'avoir oſe t'aimer , d'avoir brûlé pour toi !
Te voir c'eſt devenir coupable comme moi.
Si de tous les mortels que ma Julie enfamme
Son inflexible père a prétendu punir
iro MERCURE DE FRANCE.
Celui qui réunit tous leurs feux dans ſon âme,
Ton père jugea bien , il devoit me choiſir .
Ovide rappelle le tempsde ſonbonheur ,
&le peint avec les traits du ſentiment.
Sous ces fombres tilleuls , émus par le zéphire ,
Sur ce trône de fleurs où je t'ai vu ſourire ,
Où nous avons offert tant d'hymnes à Vénus ,
Au moins alors , Julie , à l'écho fais redire
Le nom de ton amant qui loin de toi ſoupire ;
Dis - leur , à ces échos , à ta voix ſuſpendus :
Bien ſouvent mon Ovide , aux accords de ſa lire ,
Echos , vous réveilla ; vous ne l'entendrez plus.
Ovide s'applaudit enſuite , d'habiter des
lieux fauvages , puiſqu'il eſt condamné a
ne plus voir ſa maîtreſſe.
Que me font des jardins , quand je n'ai plus d'a-
:
mante ?
Qu'ai- je beſoin de fleurs & d'onde murmurante ?
Je ne veux de bouquets que pour t'en couronner ,
Et des flots tranſparens que pour t'y voir baigner.
Eh , que dis-je ! s'il eſt encor pour ton Ovide
Quelques foibles douceurs,quelquesplaiſirs ſecrets,
Qui de ſes jours fi longs puiſſent remplir le vuide,
C'eſt de faire gémir au fond de leurs forêts
Ces farouches mortels qui n'ont gémi jamais.
JUILLET 1767. im
Ma Julie , à préſent lorſque ma main foulève
Mon luth pour l'accorder à mes foibles accens;
Pour moduler mon air , je cherche en vain des
chants ;
Et c'eſt , faute d'accords , un foupir qui l'achève.
Ovide , défolé de ne pouvoir faire paffer
à fon amante les ſentimens de ſon âme:
lui dit :
Ton père n'a-t- il plus à jetter ſur ce bord
Un Romain qu'il hait trop pour lui donner la mort?
Il rappelle tous les ſervices qu'il a rendus
à Venus : combien il a étendu ſa gloire
par ſes vers.
Mais j'ai plus fait encor , ô Vénus ! Julie aime.
Viens m'en récompenſer ; envoie en ces déſerts
Ton plus fidèle oiſeau pour lui porter mes vers ;
Je le verrai planer au-deſſus de ma tête ;
Je lui crierai : colombe , un ſeul moment arrête ,
Et tu ſeras l'objet de mes plus tendres airs.
Ah ! daignes juſqu'à moi te frayer une route.
Ces dévorans frimats t'épouvantent ſans doute ;
Mais Ovide , en ſon ſein , conſerve aſſez de feux
Pour réchauffer ton aîle & ton bec amoureux.
Mais pars , pars à l'inſtant , prens dans ce bec de
roſe,
Prens ce tendre billet où mon amour dépoſe
112 MERCURE DE FRANCE .
Tout ce qu'amour jamais eut de ſentimens chers
Et va trouver Julie au bout de l'univers .
Qu'elle te paiera bien du mal que je te cauſe !
Quand Julie apprendra que cent fois ſon amant
Arroſa de ſes pleurs ton plumage d'argent ,
Elle te baifera ; c'eſt moi qui te l'annonce ;
Mais , pour prix du baiſer , rapporte la réponſe.
Ontrouvedanscette lettre , ce ton agréable
& ce ſentiment doux qui règne dans
les autres poéfies de M. de P. Les vers ne
font pour lui qu'un amusement qui fait
celui des ſociétés dans leſquelles ils eſt répandu.
Son métier ſeul l'occupe. L'article
valeur , qu'il a fait pour le dictionnaire de
l'encyclopédie , prouve qu'il connoît les
principes & les refſources de l'art militaire.
Il ne nous eſt pas poſſible d'analyfer
la lettre adreſſée à M. Diderot. Nous
y renvoyons nos lecteurs. M. de P. y combat
avec beaucoup d'eſprit le genre de
l'héroïde. M. Dorat l'a défendu ; il devoit
ſon appui à un genre dans lequel il a
cueilli des lauriers. Au lieu de profcrire
abſolument ce poëme , ne vaudroit- il pas
mieux condamner les défauts qui le rendent
languiſſant , comme a fait M. Sabatier
, dans ſes réflexions ſur l'héroïde , qui
font à la fuite de ſes odes ? Il a attaqué ,
avec raiſon, les comparaiſons ingénienfes
JUILLET 1767 . 113
&les deſcriptions brillantes que des amans
malheureux ne font point dans le cas de
faire. Si l'héroïde ſe repoſe , dit M. Sabazier
, que ce ſoit ou fur des tombeaux ou
fous des cyprès.
ANNONCES DE LIVRES.
LE Voyageur François , ou la Connoisfance
de l'ancien & du nouveau Monde ,
mis au jour par M. l'Abbé DELAPORTE ;
tomes V & VI . A Paris , chez Vincent ,
rue Saint Severin ; 1767 : avec approbation
& privilége du Roi.
Le 25 de ce mois on diſtribuera ces
deux volumes qui traitent de la Chine ,
du Japon , de la Corée & de la grande
Tartarie. Le ſuccès des quatre premiers
tomes de cet ouvrage intéreſſant , & les
diverſes éditions qui en ontdéja été faites ,
quoiqu'il n'ait commencé à paroître que
depuis deux ans , nous diſpenſent de tout
éloge ; mais , comme les détails en font
extrêmement piquans , nous en donnerons
quelques extraits dans nos prochains Mercures.
TOINON & Toinette, comédie en deux
actes ; repréſentée , pour la première fois ,
114 MERCURE DE FRANCE.
par les Comédiens Italiens Ordinaires du
Roi, le 20 juin 1767. A Paris , chez la
Veuve Duchefne , Libraire , rue Saint Jacques
, au temple du goût ; 1767 : avec
approbation & permiffion ; in - 8 °.
Comme il a été fait mention de cette
pièce dans l'article des ſpectacles du précédent
Mercure , nous n'en parlons aujourd'hui
, que pour en annoncer l'impreſſion ;
&nous croyons qu'elle ne peut que gagner
à être lue.
La Sympathie , hiſtoire morale ; par
M. Mercier ; avec cette épigraphe :
Virtus virtuti placet. Sén .
A Amſterdam , chez Zacharie , Imprimeur
; & ſe trouve à Paris , chez les
Libraires qui vendent les nouveautés ;
1767 : brochure in- 12 , de cent huit pages.
Deux choſes nous ont également touchés
dans la lecture de ce petit roman :
l'honnêteté qui y règne ſans interruption ,
& la ſimplicité du ſtyle , analogue aux
fentimens de vertu répandus dans toutes
les pages du livre. L'un & l'autre font
également honneur au coeur & à l'eſprit
de l'auteur , déja connu par de petits ouvrages
favorablement accueillis.
Les Décius François , ou le Siége de
JUILLET 1767. 115
Calais , tragédie ; par M. de Rozoi : ſeconde
édition , revue & corrigée par l'auteur
; chez Cuiſſart , Libraire , quai de
Gêvres , à l'Eſpérance : in- 8 ° ; 1767 .
L'impartialité ne nous permet pas de
paſſer ſous filence cette tragédie , remplie
de morceaux du plus bel effet. La marche
de la pièce eſt ſimple , mais rapide & intéreffante
; nous promettons d'en donner un
extrait. Les lecteurs aimeront à voir la
différence que deux auteurs ont miſe dans
la manière de traiter la même ſujet. En
général dans les Décius François , on eſt
plus attendri qu'étonné. L'auteur avoue
lui-même combien la jeuneſſe de l'âge lui
avoit fait commettre de négligences dans la
première compoſitionde fon ouvrage ; il
eſt preſque entièrement refondu : on peut
affurer que la catastrophe eſt d'un effet
frappant, neuf& pittoreſque. Cette pièce ,
telle qu'elle eſt maintenant , jointe au fuccès
du poëme des Sens , doit dédommager
fon auteur des diſgraces qu'elle lui a fait
éprouver.
TABLES des monnoies courantes dans
les quatre parties du monde , avec leur
valeur réduite aux eſpèces de France ; par
M. Abot de Basinghen , Conſeiller en la
116 MERCURE DE FRANCE.
Cour des Monnoies de Paris ; avec cette
épigraphe :
Simulacra gentium & aurum.
A Paris , chez Lacombe , Libraire , quai de
Conti ; 1767 : vol. in- 16 , grand format :
prix 1 liv. 4 fols broché.
Ces tablettes , que l'auteur a diſpoſées
par ordre alphabétique , pour la commodité
des recherches , préſentent à la fois
les noms des eſpèces , les lieux où elles
ont cours , leur poids , leur titre & leur
valeur en argent de France , avec des obfervations
relatives aux articles qui ont paru
mériter une explication plus étendue . M. de
Bafinghen , par la place qu'il occupe & par
le travail qu'il a fait pour la compofition
de ſon grand dictionnaire des monnoies ,
étoit plus à portéeque perſonne , de donner
fur ces objets des connoiffances préciſes &
certaines. Pour la valeur des eſpèces il s'eſt
fixé à celle que l'uſage & la volonté des
Souverains leur donne plutôt qu'à leur
valeur intrinféque ; pour le poids & le
titre , il parle d'après des eſſais authentiques,
faits fous ſes yeux par des perſonnes
de l'art ; & pour les eſpèces étrangères ,
il a puiſé dans la meilleure ſource , c'eſtà-
dire , dans l'ouvrage de M. Macé de
Richebourg , Inſpecteur des Elèves de l'Ecole
Royale Militaire. A l'égard de la
JUILLET 1767 . 117
valeur des anciennes monnoies de France ,
elle eſt annoncée ſous le prix qu'on en
donne aux Hôtels des Monnoies. Trois
tables compoſent tout l'ouvrage ; l'une
des monnoies d'or , l'autre des monnoies
d'argent & de billon , la troiſième des
noms de villes , Provinces & Royaumes
cités dans les deux précédentes : & à la
fuitede ces tables , on trouve un petit traité
de la proportion de l'or avec l'argent. Nous
croyons que toute l'utilité d'un pareil
ouvrage ſe fait appercevoir d'elle- même ;
comme il deviendra néceſſairement une
eſpèce de manuel pour les négocians , les
banquiers & les voyageurs , on l'a imprimé
dans un format commode & portatif. L'édition
eſt très- correcte , & flatte les yeux
par la propreté & la préciſion de l'exécution.
HISTOIRE naturelle de l'homme confidéré
dans l'état de maladie , ou la Médecine
rappellée à ſa première ſimplicité ;
par M. Clerc , ancien Médecin des Armées
du Roi en Allemagne , &de l'Hetman des
Coſaques ; Membre de l'Académie Impériale
des Sciences de Pétersbourg , &c. deux
vol. grand in- 8°. reliés : prix 9 liv. A Paris ,
chez Lacombe , Libraire , quai de Conti ;
1
18 MERCURE DE FRANCE.
1767 : avec approbation & privilége du
Roi.
Il n'y a guères d'objet plus grand & plus
utile, que celui que l'Auteur s'eſt propofé
dans cet ouvrage , dont le but eſt de nous
montrer que la nature travaille pour notre
bien- être , dans les maladies mêmes dont
elle nous afflige , & que tout l'art doit ſe
réduire à l'obſerver dans ſa marche , à
écouter ſes conſeils & à la ſeconder dans
ſes efforts .
>>
<<Pendant un grand nombre de ſiècles ,
» dit M. Clerc, les hommes , privés des
connoiſſances& des reffources que nous
>> avons acquiſes , ontvécu auſſi long temps,
■ pour le moins , que nous vivons. Pendant
>> le cours de leur vie ils ont été ſujets
>> aux mêmes intempéries de l'air & des
>> ſaiſons , à des infirmités , à des maladies
» inévitables. Il faut néceſſairement que
>> la nature ſeule ait été leur médecin
>> ou que l'art ait agi de concert avec elle.
» Si l'art y a contribué , il étoit ſimple &
> ſemblable à celuidont ſe ſervent encore
>>les peuples ſauvages. Il ne conſiſtoit done
>> que dans la connoiſſance d'un petit nom-
>>bre de plantes , de remèdes naturels em-
>>ployés à propos.... L'office de l'art ne
> conſiſte qu'à donner dans le temps &
,
JUILLET 1767. 119
ود
>> dans une quantité convenables, des remè-
» des que la nature puiſſe mettre en oeuvre
de la même manière qu'elle emploie les
alimens pour la nourriture du corps ».
Telle fut la méthode du père de la
médecine , du célèbre Hippocrate. Après
avoir bien & long- temps obſervé , il tira
de l'expérience les excellentes règles de
pratique qu'ils nous a tranſmiſes. Aufſi ,
>> dit l'Auteur , ſa doctrine , quoique né-
» gligée , mépriſée & obfcurcie par l'ignorance
, n'a pas eu le ſort de celle de tant
>> d'hommes célèbres , dont il ne nous reſte
>> que des fragmens confondus par le laps
>> des ſiècles. La ſtatuede ce grandhomme
>> eſt reſtée debout au milieude ces ruines »,
Pour nous fervir de l'expreſſion figurée de
l'Auteur , nous direns qu'on retrouve cette
ſtatue toute entière dans l'ouvrage de M.
Clerc , qui contient un précis très-détaillé
de la doctrine d'Hippocrate , & fes applications
aux divers objets de la médecine.
Ce livre eſt de nature à ne pouvoir être
jugé , pour le fonds , que par les gens de
l'art; mais nous pouvons affurer qu'il doit
plaire à toutes fortes de lecteurs , nonſeulement
par l'agrément du ſtyle , mais
encore par l'intérêt des choſes. Ne connoître
l'homme que dans l'état de ſanté ,
c'eſt ne le connoître qu'à demi ; il eft
120 MERCURE DE FRANCE.
intéreſſant ſans doute, de ſçavoir quelles
font les vues & les reſſources de la nature
dans la maladie , & combien peu il reſte
à faire à l'art pour la ſeconder dans le
travail qu'elle fait pour ramener la ſanté.
Cet objet est vraiment philofophique ;
mais , pour le traiter avec les lumières
convenables , il falloit avoir étudiél'homme
dans les différens climats , comme a fait
l'auteur , qui en même temps , a eu occafion
de conférer avec tous les maîtres de
l'art les plus expérimentés. La doctrine
qu'il annonce eſt celle de tous ces grands
hommes ; c'eſt celle d'Hippocrate , celle
de l'expérience &de la nature : au reſte ,
elle eſt ſi ſimple & fi confolante pour l'humanité
, que nous adoptons volontiers l'épigraphe
de fon ouvrage :
Utinam prafentibus & pofteris.
د
ÉLÉMENS de fortification contenant
les principes & la deſcription raiſonnée
des différens ouvrages qu'on emploie à la
fortification des places , les ſyſtèmes des
principaux Ingénieurs , la fortification irrégulière
, &c. fixième édition , réimprimée
fur la quatrième , pour ſervir d'abrégé à
la cinquième ; par M. le Blond , Maître
de Mathématique de Monſeigneur le
Dauphin , &c. A Paris , chez Charles-
Antoine
JUILLET 1767 . 121
Antoine Jombert , Libraire du Roi pour
l'artillerie & le génie , rue Dauphine , à
l'image Notre-Dame ; 1766 : prix 3 liv.
10 fols relié.
M. le Blond ayant fait une eſpèce d'ouvrage
nouveau de la cinquième édition de
ſes Élémens de Fortification , qui eſt in- 8 ° ,
pluſieurs perſonnes ont deſiré d'avoir l'édition
in- 12 , comme plus portative. C'eſt
ce qui a engagé le Libraire à réimprimer
laquatrième , qui peut être regardée comme
l'abrégé de la cinquième. Elle a été revue
par l'Auteur ; & elle ne diffère de la quatrième
, que par quelques additions & quelques
notes. Le Libraire y a joint un petit
récit de M. le Blond , contenant un expofé
fuccint des connoiſſances & des qualités
les plus néceſſaires à un Ingénieur. Il feroit
aſſez inutile d'entrer dans aucun détail fur
cet ouvrage ; il eſt ſuffisamment connu &
eftimé du public.
RECHERCHES fur les altérations que la
réſiſtance de l'éther peut produire dans le
mouvement moyen des planètes ; par M.
l'Abbé Boffut , Profeſſeur Royal de Mathématiques
aux Ecoles du Génie , Correfpondant
de l'Académie Royale des Sciences
, & c . 1767. ACharleville , de l'imprimerie
de Pierre Théſin ; 1766 : & fe
Vol. II. F
122 MERCURE DE FRANCE.
trouve à Paris , chez Nyon , quai des Auguſtins
: in-4º de ſoixante - fix pages avec
des planches gravées,
Laphyſique céleste , fondée ſur le ſyſteme
Newtonien , a fait de nos jours des progrès
immenfes. On eſt parvenu à expliquer &
à prédire les mouvemens des aſtres avec une
préciſion qui étonne. Cependant comme
l'imperfection actuelle de l'analyſe ne permet
pas de réfoudre en toute rigueur les
problèmes concernant le mouvement des
planètes , & qu'on est obligé de changer
un peu , après un certain temps , le lieu
moyen des planètes pour faire quadrer parfaitement
les obſervations avec les tables
conſtruites d'après la théorieNewtoniene ,
on a douté s'il falloit attribuer ces légères
altérations du mouvement moyen uniquement
aux petites quantités négligées dans
le calcul , ou s'il ne faudroit pas en rejetter
une partie fur la réſiſtance d'un milieu
dans lequel nageroient les planètes. C'et
pour éclaircir ces doutes que l'Académie
Royale des Sciences de Paris propoſa ,
pour ſujet du prix de l'année 1762 , 1
queſtion : fi les planètes ſe meuvent dans
un milieu dont la réſiſtance produiſe quelque
effetfenfiblefur leur mouvement. La pièce
que nous annonçons remporta le prix. Elle
eft diviſée en trois parties. Dans la pre
JUILLET 1767. 123
mière M. l'Abbé Boſſut donne la théorie
générale du mouvementdes planètes principales
& des comètes dans un milieu peu
réſiſtant. Dans la feconde il détermine le
mouvement des ſatellites dans un milieu
peu réſiſtant. Ce ſecond problême , indépendamment
de la difficulté générale du
ſujet, avoit fa difficulté particulière ; car
comme la réſiſtance de l'éther eſt proportionnelle
au quarré de la vîteſſe du ſatellite
dans l'eſpace abfolu , &non au quarré
de ſa vîteſſe autour de la planète principale,
il falloit une grande fagacité & une
profonde ſcience du calcul pour évaluer
exactement l'effet de la réſiſtance fur le
mouvement du ſatellite, Enfin , dans la
troiſième partie , l'Auteur compare ſa théorie
avec les obſervations. Il fait voir , par
des raiſons qu'on peut preſque regarder
commedes démonſtrationsrigoureuſes, que
l'accélération du mouvement moyen de la
lune , dont les obſervations ne permettent
pas de douter , & dont le ſyſtème Newtonien
n'a pas encore pu rendre raiſon , eſt
produite par la réſiſtance de la matière
éthérée. Ce point d'aſtronomie phyſique
étoit d'une diſcuſſion très - importante &
très-difficile . En admettant, avec M. l'Abbé
Boffut , cette cauſe phyſique de l'accéléraration
du mouvement moyen de la lune ,
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
on doit conclure , comme il le fait voir ,
que la réſiſtance de l'éther ne peut altérer
qu'inſenſiblement le mouvement moyen
des planètes principales , fur- tout celui de
la terre. Les géométres ne ſçauroient donc
trop s'attacher à perfectionner la théorie
Newtoniennedes mouvemens célestes , pour
s'affurer ſi en effet l'attraction peut produire
quelque altération dans les mouvemens
moyens , & pour ſéparer ces altérations
d'avec celles qu'il faut attribuer à la
réſiſtance de la matière éthérée.
OEUVRES dramatiques, ou diverſes pièces
de théâtre & de ſociété , avec des obſervations
critiques & littéraires ; par M. Marin ,
de l'Académie de Marseille & de la Société
Royale de Nancy , Cenfeur Royal& de la
Police , & c . vol. in- 8 ° , broché 2 liv. A
Paris , chez Lacombe , Libraire , quai de
Conti.
Ce recueil dramatique a un mérite qui
n'eſt pas ordinaire ; c'eſt que l'Auteur y
juge lui-même chacune de ſes pièces avec
une ſévérité qu'il n'auroit vraiſemblablementpas
trouvéedans le critique le plus auf.
tère. On pardonne volontiers les petits défauts
en faveur des beautés eſſentielles d'un
ouvrage ; mais l'auteur ne ſe pardonne
rien. Aureſte , ſes obfervations étant toutes
JUILLET 1767 . 125
fondées ſur le goût & fur une connoiffance
parfaite de l'art dramatique , elles ſe font
lire avec autant d'utilité que de plaifir.
Les pièces qu'offre ce recueil ſont au
nombre de cinq , dont une feule a été
repréſentée. Les autres auroient pu paroître
avec avantage ſur le théâtre , fi des raifons
particulières n'en avoient apparemment
détourné l'Auteur , qui , dans la compofition
de ces pièces , paroît n'avoir cherché
qu'un délaſſement à ſes travaux . L'effet
qu'elles font à la lecture nous fait préfumer
qu'elles feroient très - propres aux
théâtres particuliers des ſociétés , où l'on
veut que l'intérêt des moeurs & de la vertu
foit toujours d'accord avec celui des drames
qu'on y repréſente. Ceux que contient
ce recueil peuvent fervir de modèles à cet
égard , en même temps qu'ils en peuvent
fervir pour l'agrément & la pureté du
ſtyle , foit en proſe ſoit en vers.
NOUVELLE théorie des plaiſirs ; par
M. Sulzer , de l'Académie Royale des
Sciences & Belles- Lettres de Berlin ; avec
des réflexions ſur l'origine du plaifir , par
M. Kaeftner , de la même Académie :
1767 .
Il ſemble que le plaifir ſoit plutôt fait
pour être ſenti que pour être analyſé , dif
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
cuté , raiſonné. Cependant quand on a lu
cetouvrage , on reſte convaincu qu'il y a
unevraie fatisfaction àdécouvrir les ſources
d'où découlent les ſentimens agréables , &
fur-tout les moyens de les faire naître à
propos, de les perpétuer , de les ménager ,
&même ceux de ſçavoir s'en paſſer lorfqu'il
eſt néceſſaire. Cet ouvrage , auffi
agréable que philofophique , forme un volume
in- 12 , qui ſe vend 1 liv. 16 fols
broché. A Paris , chez Lacombe , Libraire ,
quai de Conti.
CONSIDERATIONS fur le génie & les
moeurs de ce ſiècle ; avec cette épigraphe :
Cujus ftudium qui vituperat , haudfanè intelligo ,
quidnam fit , quod laudandum putet. Cic. de off.
A Paris , chez Vincent , Imprimeur - Libraire
, rue Saint Severin ; 1767 : avec
approbation & privilége du Roi ; petit
in- 8 °. de deux cents cinquante pages.
Les perſonnes qui aiment les penſées
détachées , dans le goûtde celles de MM.
de la Rochefoucault , Pascal, la Bryere , &c.
trouveront de quoi fatisfaire leur goût ,
leur eſprit & leur coeur dans l'ouvrage
que nous annonçons. Tous les ſujets qui
peuvent donner lieu à d'excellentes maximes
de morale y font traités avec cerre
fineffe , cette clarté , cette force d'exprefJUILLET
1767 . 127
fion , & cette juſteſſe qui font le caractère
propre de ces fortes d'écrits. Cette brochure
mériteuneplace parmi ceux des philofophes
moraux, dont les eſprits penſans enrichifſent
leurs cabinets.
ESSAIS ſur l'hiſtoire du coeur humain,
on y a joint les caprices poétiques d'un
philoſophe. A Amſterdam , & le vend à
Paris , chez Vincent , rue Saint Severin ;
1767 : petit in- 12 de deux cens douze pag.
La première partie de ce livre , c'est-àdire
, celle qui porte le titre d'Effais fur
l'histoire du coeur humain , eſt dans le goût
de l'ouvrage précédent , & peut , à bien
des égards , lui être comparé. C'eſt un vrai
traité de morale , dans lequel il y a d'excellentes
choſes à apprendre & beaucoup
à profiter. Nous y avons trouvé fur-tout
des caractères & des portraits très -bien
faits, & une peinture du monde qui peut
inſtruire utilement les jeunes perſonnes qui
n'ont point encore eu le temps de le connoître.
Les Caprices Poétiques , qui font
la ſeconde partiede cette brochure , offrent
des morceaux de poéſies qui feroient honneur
à nos meilleurs poëtes. Enfin ce
recueil , quoique ſous des titres affez modeſtes
, mérite une attention particulière
de la part des lecteurs.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
Le même Libraire vient de faire l'acquifition
des livres ſuivans :
OEUVRES diverſes de Racine fils , in- 12 ,
trois vol. petit format.
VIES & Lettres de Racine & de Boileau ,
in- 12 , deux vol . petit format.
POEMES de la Religion & de la Grace ,
in- 12 , petit format.
LETTRES de Mde de Sévigné , in- 12 ,
huit vol. dernière édition .
-Supplément in- 12 , deux vol .
CATÉCHISME de Montpellier en latin ,
in-4°. fix vol. 1765 .
HISTOIRE des Drogues , par Pomet ,
in - 4° , deux vol . fig.
Il mettra inceſſamment en vente les
Lettres familières de M. le Préſident de
Montesquieu , in- 12 .
Ces Lettres qu'on a imprimées, il y a un
mois , en Italie , feront augmentées de
quelques pièces de M. de Montesquieu ,
qui n'ont pas encore été inférées dans ſes
oeuvres.
De l'adminiſtration des chemins ; par
JUILLET 1767 . 129
M. Dupont , des Sociétés Royales d'Agriculture
de Soiffons & d'Orléans , & Correſpondant
de la Société d'Emulation de
Londres . A Pékin , & ſe trouve à Paris ,
chez Merlin , Libraire , rue de la Harpe ;
1767 : brochure in- 8°. de quatre- vingt
pages ; prix 15 fols.
Les Intendans des Provinces , leurs Subdélégués
, les Chefs des villes & des villages
trouveront , dans la lecture de cette
brochure utile & importante , toutes les
lumières néceſſaires pour cette partie de
l'adminiſtration publique. L'auteur y préſente
des vues nouvelles , & qui ne peuvent
manquer de faire impreſſion ſur l'efprit
de ceux qui veillent à cette même adminiſtration.
Cours de Tactique , théorique , pratique
& hiſtorique, qui applique les exemples
aux préceptes , développe les maximes
des plus habiles Généraux , & rapporte les
faits les plus intéreſſans & les plus utiles ;
avec les deſcriptions de pluſieurs batailles
anciennes. Par M. Joly de Maizeroy ,Lieutenant
- Colonel d'Infanterie. A Nancy ,
chez J. B. Hyacinthe Leclerc , Imprimeur-
Libraire ; & ſe trouve à Paris , chez J. Merlin
, Libraire , rue de la Harpe ; 1766 : avec
approbation & privilége du Roi ; deux vol.
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
in- 8 °. avec figures ; prix to liv. broche.
Dans le nombre des livres que nous
avons ſur la guerre, les uns ne renferment
que des maximes générales , d'autres font
trop volumineux ,&d'autres trop ſyſtématiques.
L'Auteur de celui-ci apenſé qu'un
ouvrage , partie dogmatique & hiſtorique ,
qui réuniroit ſous un même point de vue ,
les ſyſtêmes de tous les temps , où l'on expoſeroit
les principes de l'art mis en pratique
, & développés par le détail des
faits , qui feroit , avec cela , d'une juſte
grandeur , pourroit être auſſi curieux qu'inftructif
, & n'auroit rien de rebutant pour
ceux qui n'ont pas le goût d'une longue
lecture , ou qui manquent de loiſir . M. de
Maizeroy s'eſt plus attaché à rapporter des
faits , qu'à donner des raifonnemens ; il
met ſous les yeux de ſes lecteurs les méthodes
des anciens &des plus fameux Capitaines,
comparées à celles d'aujourd'hui ,
afin qu'ils foient plus en état de porter fur
ces matieres unjugement éclairé. Sans rien
décider nous-mêmes ſur un ouvrage qui
n'eſt point de notre reffort , nous ne craignons
cependant pas d'avancer , qu'il eſt
écritd'une maniere qui prévient en faveur
des choſes qu'il contient; &que des principes
ſi clairement développés , des faits
fi nettement expoſés,des préceptes rendes
JUILLET 1767 . 134
:
avec tant de méthode & de préciſion , annoncent
un homme très - inftruit de l'art
qu'il traite.
TRAITÉ des ſtratagêmes permis à la
guerre , on remarques fur Polyen & Frontin
, avec des obſervations ſur les batailles
de Pharſale & d'Arbelles. Par M. Joly de
Maizeroy , Lieutenant-Colonel d'Infanterie.
A Metz , chez Jofeph Antoine , Imprimeur
du Roi ,&c.; 1765 : avec privilége
duRoi.
On en trouve des exemplaires chez Joseph
Merlin , rue de la Harpe ; brochure
in-8 °. de 120 pages , avec des planches
très-bien gravées.
Le defir de réuſſir à la guerre ne doit
faire employer d'autres moyens que ceux
de la valeur & de l'adreſſe. Les principes
de l'honneur doivent éloigner de toutes
voies perfides & méchantes. Guidés par le
ſeul motif de la gloire , la haine ou l'animoſité
ne doivent pas entrer dans les coeurs,
& les pouffer à des barbaries & des deftructions
inutiles , que le ſeul droit de repréfailles
peut quelquefois autoriſer. Voilà
en ſubſtance ce que contient ce petit ouvrage
, qui peut être regardé comme un
code abrégé des loix de la guerre , écrit
dans le même goût , &avec la même clar
Fvj
132 MERCURE DE FRANC
té , le même ordre , la même préciſion que
le précédent.
TRAITÉ des armes défenſives ; par M.
Joly de Mezeroy , Lieutenant- Colonel
d'Infanterie. ANanci , chez J. B. Hyacinthe
Leclerc , Imprimeur- Libraire ; & fe trouve
àParis , chez J. Merlin , Libraire , rue de
la Harpe ; 1767 : brochure in - 8 ° . de 80
pages.
Cet ouvrage , du même Auteur que les
deux précédens , nous a paru compofé par
un Officier intelligent , qui a ſçu faire des
recherches dont les militaires peuvent tirer
très-un grand avantage.
DISSERTATION ſur les miracles , dans
laquelle onréfute lesprincipes avancés par
David Hume , dans ſon Effaifur les miracles
; par M. George Campbell , Docteur
en théologie , Principal du collége Maréchal
, & un des Miniſtres d'Aberdeen :
traduites de l'anglois par M. E... A Amfterdam
, & ſe trouve à Paris , chez Merlin ,
Libraire , rue de la Harpe ; 1767 : vol .
in- 12 ; prix 2 liv. broché.
Le deffein de l'auteur n'eſt pas ſeulemens
de réfuter les raiſonnemens & les
objections de M. Hume , mais de mettre
-les preuves du chriſtianiſme dans toutleur
JUILLET 1767. 133
jour. Quoique cette matière ait déja été
traitée pluſieurs fois, nous ofons cependant
affurer que l'ouvrage que nous annonçons
fournit encore quantité de nouvelles obſervations
, & que la religion chrétienne trouve
un défenſeur très - éclairé dans la perſonne
de M. Campbell.
L'ORDRE naturel&eſſentiel des ſociétés
politiques ; avec cette épigraphe :
:
L'ordre est la loi inviolable des esprits ;
& rien n'est réglé s'il n'y eft conforme .
Maleb. tr . de Mor . ch . 11 , part . XI .
A Londres , chez Jean Nourse , Libraire ;
& ſe trouve à Paris , chez Desaint , Libraire
, rue du Foin-Saint-Jacques ; 1767 :
in-4°.
Dans cet ouvrage , qui fait déja une
forte de ſenſation & de bruit dans le
monde , l'auteur dit : « J'écris pour les
>> intérêts des Rois , j'écris pour les inté-
>>rêts des propriétaires , j'écris pour les
>>intérêts des miniſtres des autels , j'écris
>>pour les intérêts des commerçans , j'écris
>>pour les intérêts du corps entier de la
>> ſociété » . Tant d'intérêts divers ne peuvent
manquer de piquer la curiofité des
lecteurs ; & nous croyons qu'elle fera
fatisfaite dans ce livre important, faitpour
tant de fortes de gens.
134 MERCURE DE FRANCE.
Du plaifir ; par M. Alp. L*** A Lon
dres ; & fe trouve à Paris chez Dufour ,
Libraire , quai de Gêvres , au bon Pasteur ,
laquatrième boutique à gauche , en entrant
par le pontNotre- Dame ; 1767 : brochure
in- 12 de 130 pages.
L'accueil que le public a fait au traité
du Bonheur & à celui de l'Education des
anciens , que nous avons annoncés ,, a engagé
l'Auteur à en donner un troiſième fur
Je Plaisir , dans lequel , comme dans celui
du Bonheur , il y a beaucoup d'idées abftraites.
VIEdu vénérableDom Jean de Palafox ,
Evêque d'Angélopolis , & enfuite Evêque
d'Oſme , dédiée à Sa Majesté Catholique ;
à Cologne , & ſe trouve à Paris , chez
Nyon , Libraire , quai des Auguſtins , à
l'occafion ; 1767 : in- 8 ° , prix 6 liv. relié.
Les démêlés que Dom Jean de Palafox
a eus avec les Jéſuites , rend la lecture de
cet ouvrage affez piquante. D'ailleurs on y
trouve des recherches qui ne peuvent manquer
d'intéreſſer les lecteurs qui aiment à
s'inſtruire des détails particuliers de la vie
desgensdebien.
JAC. Reimbaldiſpielmaun Phil. &Med.
D. Chemiac. Botanic, reliquaque mat. med.
JUILLET 1767. 135
prof. p. o. Capit. thom. Canonic.acad. Cefar.
nat. Curiof. & petropolit. regia berol.
Eleil. Mogunt. & Palati.fodalis , colleg.regii
med. Nancejani honor.membri,inflitutionnes
Chimia pralectionibus academicis accommodala.
Argentaurati , apud JohannemGodefridum
Baverum ; 1766 : in - 8 " .
Ce livre qui ſe vend 6 liv. relié , à Paris ,
chez Durand , rue Saint Jacques ; & chez
Didot , Libraire , contient des principes
de chymie , dont le jugement eſt du reffort
des amateurs de cette ſcience.
AVIS.
En faveur de ceux qui ſe ſont abonnés
auMagaſin Littéraire du ſieur Quillau , rue
Chriſtine ,& qui vont y confulter les livres
nombreux qui forment ſa collection , nous
croyons devoir annoncer au public , que
cette même collection vient d'être augmentéedes
mémoires de l'Académie des Sciences
&de celle des Belles-Lettres. Comme
ce font les deux recueils que les ſçavans
&les gens de lettres ont le plus à confulter ,
il leur fera d'une très-grande utilité de les
avoir ſous la main quand ils en auront
beſoin. Cette acquiſition prouve les efforts
que fait le ſieur Quillau pour fatisfaire
toujours de plus en plus le public & fes
abonnés.
136 MERCURE DE FRANCE.
Lettre à M. D..... ſur les mépriſes de
quelques hommes célèbres en matière
d'histoire.
MONSIEUR,
VOICI une note que j'ai trouvée dans
dans mon porte- feuille , & qui fervira de
nouvelle preuve à ce que nous diſions ces
jours derniers ſur les mépriſes que commettent
les gens de lettres les plus habiles.
Celles- ci concernent l'hiſtoire .
MM. Rollin & Freret me femblent s'être
trompés. Le premier ſur Anaxagore de
Clazomenes , le ſecond dans ſon mémoire
fur les Affyriens.
M. Rollin ( hiſt. anc. tom. 11 , pag . 109 )
dit , d'après Diogenes de Laerte , hiftorien
des philoſophes quelquefois peu attentif,
qu'Anaxagore de Clazomenes s'écria , en
voyant le fameux tombeau de Mausole :
voilà bien de l'argent changé en pierres.
( Objection. ) Anaxagore floriffoit tout
au plus tard vers l'an 470 avant Jéfus-
Chrift , & M. Rollin place même ſa naiffance
environ l'an soo de la même ère.
Le maufolée ne fut commencé au plutôt
JUILLET 1767 . 137
que l'an 855. Il eſt donc impoffible qu'Anaxagore
l'ait jamais vu. Cette exclamation
n'eſt donc point du maître de Périclès
& j'en fuis charmé , car il ſeroit rayé de
mon catalogue des grands hommes .
Ce qui a trompé Diogènes , c'eſt qu'il
y a eu deux Reines de Carie , nommées
Artémiſe. La première vivoit environ 480
ans avant Jéſus-Chrift , & ſe trouva au
combat de Salamine ; mais ce n'eſt point
la fameuſe veuve de Mausole, qui ne vivoit
que 120 ans après. Ainſi ou le fait eſt
abfolument faux , ou il faut l'attribuer à
à un autre Anaxagore.
Cela poſé , ſi le Sculpteur Scopas a enrichi
le maufolée de ſes ouvrages , il ne peut
point avoir fleuri dans la 87º olympiade ,
qui répond à l'an 430 avant Jeſus -Chrift.
Il fautque ce ſoit vers la 105 0 1066 olym
piade ; c'eſt encore une mépriſe de Pline
&de M. Rollin. ( Pline , 1.36 , chap . 5 .
Roll. t. 11 , p. 107. ) Auroit- on encore
confondu le Sculpteur Scopas avec l'athlète
du même nom , qui refuſa de payer à Simonide
le prix de ſa pièce de vers , & fut
écrafé par la chûte de fon plancher ? Il étoit
antérieur à Artemiſe premiere , mais la différence
eſt moins conſidérable , & peutêtre
que Simonide , dans une grande vieilleffe
, auroit pu la voir.
138 MERCURE DE FRANCE.
De M. Fréret.
On trouve dans les mémoires de l'Académie
des Inſcriptions , un mémoire
fur les Affyriens , vers la fin duquel M.
Fréret , fon Auteur, fixe la première année
du règne de Ninus , Roi d'Affyrie , à l'an
1968 avant l'ère chrétienne. Il eſt peu important
que ce Ninus ait régné dans ce
temps-là ou dans un autre ; mais il l'eſt
davantage de ſavoir ſi c'eſt une conféquence
des autorités dont M. Fréret s'appuie
: c'eſt ce que je vais examiner..
V. Paterculus cite un paſſage d'Emilius
Sura , qui dit qu'il y a 199 ; ans depuis
Ninus , premier Roi des Affyriens , juſqu'à
la victoire des Romainsfur Philippe & Antiochus
, qui tiroient leur origine desMatédoniens
, un peu après que Carthage eut été
foumise ( 1 ). Ce paſſage , dit M. Fréret
eſt très- important , parce qu'il fert a déterminer
la premiere année du règne de Ninus
, à l'an 1968 avant Jeſus- Chrift .
( Objection. ) Mais la paix avec Philippe
11 , Roi de Macédoine , eſt de l'an
,
( 1 ) V. Paterc. liv. 1 , ch. 6 ou 7 dans
beaucoup d'éditions. Je ne rapporte que l'extrait
dupallage : on peut le voir tout entier dans l'original.
JUILLET 1767 . 139
196 avant Jeſus - Chriſt. Celle avec Antiochus
, Roi de Syrie , eſt de l'an 190 , &
par conféquent à peu près du même temps.
Le traité avec Carthage eſt à peu près de
l'an 200 ; aucune de ces dates , ajoutée à
1995 , ne pourra faire 1968 .
L'erreur ſeroit évidente , auſſi M. Fréret
prétend- il 1º. que ſi on lit ordinairement
dans V. Paterc. 1995 , c'eſt la faute
des éditions ; qu'il faut lire 1905. 2 ° . Que
par la conquête de la Syrie il faut entendre
l'année de la défaite de Mithridate , Roi
de Pont & de Tygrane 63 ans avant Jeſus-
Chriſt , ce qui fait ſon compte ;& par conſéquent
Antiochus , dont parle Sura , fera
Antiochus l'Asiatique , & non pas Antiochus
leGrand.
Accordons l'article des éditions ( 2 ) ,&
voyons la deuxieme partie de la propoſition
de M. Fréret.
(Object.) Sura ne ditpoint que la Syrie fut
entièrement foumiſe , réduite en province
romaine ; mais ſeulement que les deux
Rois furent vaincus ( duobus Regibus Philippo
& Antiocho devictis ) ; auffi M. Doujat
dit- il dans ſa traduction : après la dé-
( 2 ) C'eſt peut- être accorder beaucoup ; car
je n'ai vu aucun édit. qui portât 1905. Celles que
j'ai ſous les yeux font Ger. Voff. p . 5 , ch. 7. J.
Grut. p. 11 , ch. 7 , V. Acidal. p. 8. Ald. Manut.
p. 10. Celle des Varior. ch. 6: toutes portent
1995.
140 MERCURE DE FRANCE .
faite des deux Rois qui furent dépouillés
d'une partie de leurs Etats. Il n'indique
donc pas la victoire de Pompée ſur Antiochus
l'Aſiatique.
2º . L'Auteurneditpasnon plusque ce fut
après la deſtruction de Carthage , mais un
peu après ſa ſoumiſſion ; il est vrai que
l'expreffion de Carthage foumife , peut indiquer
le dernier événement de cette ville ;
mais la défaite de Mithridate eſt poſtérieure
'de plus de 80 ans. Sura auroit- il pu dire :
un peu après , pour indiquer un temps fi
éloigné ? Qui oferoit dire que notre derniere
guerre eſt arrivée un peu après celle
de 1667 , pour les droits de Marie Therese ,
Reine de France ?
3º. Ce qui a pu tromper M. Fréret ,
c'eſt l'expreſſion(Summa imperii adPopulum
Romanum pervenit ) qu'on traduit ordinarrement
par la ſouveraine puiſſance , paffa
au Peuple Romain. Mais d'abord je
crois qu'on traduit mal ( fumma imperti
ne me paroît pas devoir être ſynonyme
avec fummum imperium ) . 2. Si on en
doit conclure que les Etats d'Antiochus ,
que la Syrie a été entièrement foumiſe
, réduite en province romaine ( 3 ) , il
( 3 ) Il ſemble que M. Doujat , dans ſa trad,
de V. Paterc. ait voulu prévenir la mépriſe , puifqu'il
commente l'original en diſant des deux Rois,
qu'ils furent dépouillés d'une partie de leurs Etats.
JUILLET 1767. 141
en faut conclure la même choſe des Etats
de Philippe , de la Macédoine ; or on ſçait
que c'eſt après la défaite de Perfée , fils de
Philippe , plus de trente ans après la mort
de Philippe , que la Macédoine fut réduite
en province romaine.
Sura me ſemble indiquer deux Princes
contemporains , Philippe & Antiochus qui
firent avec les Romains la paix la plus onéreuſe
, preſque dansle même temsque Carthage
ſubit le même fort. Or c'eſt ce qui arriva
à Philippe, ſecond Roide Macédoine, à
Antiochus,Roide Syrie,& aux Carthaginois
après la ſeconde guerre Punique. D'où il
fuit que M. Freret n'a pas pu mettre d'accord
les chronologiſtes ſur l'hiſtoire d'Afſyrie
, comme il ſe le propofoit dans fon
mémoire. M. Fréret étoit bien habile ,
mais fon projet me paroît au deſſus de
toute habileté & de toute ſcience.
Il y a dix ans que je me ſuis apperçu
de ſes mépriſes quand je travaillois à une
table univerſelle ſynchronimique dont je
vous ai parlé. La première partie vient jufqu'à
J. C. & eſt achevée depuis bien
des années . Les matériaux de la ſeconde
font preſque tous raſſemblés ; peut - être
qu'un jour je donnerai l'ouvrage au public
quand je ſerai vieux & que mes amis
auront feuilleté & refeuilleté l'ouvrage.
142 MERCURE DE FRANCE.
Les grands hommes ont le privilége
excluſifdes fautes légères ; ainſi , Monſieur
, je pense que vous ne diminuerez
rien de l'eſtime que vous avez toujours
eue pour MM. Rollin & Freret.
J'ai l'honneur , &c.
JUILLET 1767. 143
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
ACADÉMIES.
ACADÉMIE Royale des Belles-Lettres de
CAEN.
M. Moifand , Profeffeur d'Eloquence ,
fit l'ouverture de la ſéance publique du 4
décembre 1766 par un diſcours fur le
génie , dans lequel il fit entrer l'éloge de
LOUIS LE GRAND , fondateur de cette
Académie.
M. Viallet , ingénieur du Roi en chef
pour les ponts , les chauffées & les ports
maritimes de commerce de la Généralité
de Caën , de la Société littéraire de Châlons
, & reçu nouvellement Académicien ,
lut enſuite un mémoire fur les moyens de
fupprimer la mendicité. Comme ce mémoire
fervoit en même tems de difcours
de réception , M. V. après avoir parlé de fa
reconnoiſſance , fit ſentir que la qualité
d'Académicien n'eſt point unvain titre qui,
144 MERCURE DE FRANCE.
ور
n'oblige à rien. « Si votre illuftre protec-
>> teur , ( 1 ) Meſſieurs , cultive encore plus
- les ſeiences qu'il ne les protege , fi celui ,
>> dont le rang ſeul ( 2) eſt un titre pour pré-
" fider à vos affemblées , montre l'exemple
>> en rempliſſant avec autant de zele que de
>>diſtinction les devoirs de ſimple Acadé-
>> micien , que ne doiventpoint ceux qui ne
>> peuvent mériter que par leur travail » ?
Après fon remerciement , M. V. infinue.
qu'ila été conduit à traiter la matiere qui
fait l'objet de ſon mémoire , parce que
l'honnête homme ne ſe croit jamais libéré
par une légere aumône : la vue des malheureux
laiffe en ſon cænt une plaie profonde
, dont l'effet eſt de le ramener à la
recherche des moyens de pourvoir efficacement
aux beſoins des pauvres. En s'élevant
contre l'infenfibilité & les dépenſes
fuperflues des riches , il remarque que le
luxe fupplée quelquefois à la charité , pour
arracher à l'avarice ſes tréfors. Il fait une
peinture touchante de la triſte ſituation des
orphelins , des vieillards & des infirmes
qui manquent de tous ſecours. « Ils font
les vrais pauvres , contre leſquels l'in- ود
( 1 ) Mgr le Cardinal de Luynes , Protecteur de
l'Académie.
( 2 ) M. de Fontette , Intendant de la Généralité
, & Vice- Protecteur , préſidant à la ſéance.
>> ſenſibilité
JUILLET 1767. 145
>>ſenſibilité ne peut faire valoir ſes ſophif-
• mes. Auſſi n'est- ce que contre ceux qui
و د
font d'âge & de force à travailler , qu'elle
> triomphe. Il ne manqueroit à ce triom-
» phe , pour qu'il fût juſte , qu'il y eût tou-
>> jours & par-tout de l'ouvrage à fournir
» à ceux qui en manquent » .
"
Après une énumération détaillée des
choſes utiles qui reſtent à faire , M. V. obſerve
que les travaux qui intéreſſent l'État ,
ouuneprovince , ou même une partie con--
ſidérable de province , quoique très-propres
à prévenir la mendicitépar le grand nombre
des ouvriers qu'on y emploie , ne peuvent
ſervir à ſa fuppreffion. " C'eſt dans la
banlieue de chaque ville , c'eſt ſur leter-
>>roir de chaque bourg ou village qu'il faut
>> un attelier de charité toujours ſubſiſtant.
>> L'ouvrage s'y borneroit à la tâche ; &
>> ceux auxquels ces tâches ſeroient diftri-
» buées , pourroient y travailler avec leurs
> femmes & leurs enfans , lorſqu'ils n'au-
> roient rien de mieux à faire.... Ce travail
> ne devant être qu'une reſſource , le prix
>> en ſeroit inférieur au prix courant du
>>pays. Sans cette précaution on préféreroit
>>toujours ces atteliers ſûrs ; ils exigeroient
>>alors des fonds immenfes ; & le prix des
>> journées monteroit inſenſiblement à un
Vol. II. G
146 MERCURE DE FRANCE.
>> taux préjudiciable à l'agriculture & au
» commerce » .
En propoſant d'établir en chaque lieu
des atteliers de filature & de tiſſure en laines
ou chanvres , pour occuper par- tout les
femmes & enfans qui ne font point en état
de manier la pelle ou la pioche , M. .
n'oublie point que fans une nouvelle bran.
che ou extenfion de commerce étranger , on
n'éleve une nouvelle manufacture qu'aux
dépens des anciennes. C'eſt le cercle vicieux
dont ne s'apperçoivent point la plûpart
de ceux qui propoſent des établiſſemens
dans la vue de ſupprimer la mendicité....
« Quelles étoffes conviendroit-il
>> donc de fabriquer dans ces ouvroirs de
>>charité , & quelle ſera la deſtination de
ces étoffes ? Il faut faire la charité com-
>>plette , & les employer à vêtir ceux qui
>> ſont nuds. Les infirmes , les vieillards &
>> ceux qui ont effuié de longues maladies ,
>> ont toujours be oin d'être affiftés . On
>> leur, diſtribuerois ces étoffes groff eres....
>>diſtinguées par des marques ou rayeures ,
>> qui empêcheroient qu'on ne pût les ven-
>>dre , parce qu'elles feroient faiblables
chez tous ceux qui ne feroient point
>> a ia charge de la charité publique ».
M. V. ne pouvant épuiſer ſa matiere
dans un mémoire académique , fait eſpé
JUILLET 1767. 147
rer qu'il approfondira dans un ſecond tout
ce qui concerne les hôpitaux , les enfans ,
les malades , les infirmes & les vieillards.
M. de Fontette , Intendant de la Généralité
, vice-protecteur de l'Académie &
préſidant à cette féance , répondit au difcours
de M. Viallet. " Occupé de ſes de-
>>voirs , dit- il , il leur facrifie ſon goût
>> pour les ſciences d'agrément. Dans ſes
>> fréquens voyages, il confidere les hom-
>>mes , les terreins , les communications ;
» & fon zele citoyen cherche les moyens
>>de fertiliſer la province , pour l'avantage
>> de fes habitans .... Il vient de tracer le
>>deſſein du projet le plus utile au bonheur
>> de l'humanité : le plan en eſt ſimple ,
>juſte dans ſes proportions , & dénué de
> la frivolité des ornemens ; il n'en aura
>>que plus de prix aux yeux des connoif-
>>feurs .... Il y a tant de plaifir à fecourir
>>les pauvres , & il faut ſi peu de choſes
>>pour faire leur bonheur , qu'il ſemble
>> qu'il ne devroit plus y en avoir : mais le
» luxe , en multipliant les beſoins des ri-
>>ches , endurcit leur amé.... On ne pourra
>> donc ſecourir les pauvres que par une
>>contribution proportionnelle de tous les
> biens. Cette impofition , en procurant les
>>moyens d'occuper les malheureux qui
>>manquent de travail, deviendroit juſte ,
Gj
148. MERCURE DE FRANCE.
"
ود
ود
» ſi l'ouvrage étoit de quelqu'utilité
>> pour les contribuables. Tel feroit celui
»de la réparation des chemins vicinaux ;
» perſonne n'ignore combien ils ſont en
mauvais état , fur- tout dans les pays
les moins fertiles. Comme le terrein y
eſt moins précieux , chacun entoure ſes
>> propriétés de foſſés couverts d'arbres qui
„ ombragent les chemins , auxquels onn'a
„ laiſlé que la largeur preſcrite, Faute d'écoulement
, les eauxy ſéjournent ; elles
» y forment une boue précieuſe , & dans
„ laquelle on fait pourrir les pailles de farazin
, unique engrais de ces pays miférables.
Le chemin ſe creuſe , & bientôt
il ne peut plus y paſſer que des chevaux.
Les hahitans privés du ſecours des com-
,,munications , ne peuvent plus ni vendre
leurs denrées , ni ſe procurer des engrais.
Ils tombent néceſſairement dans les hor-
» reurs de la miſere & de la ſtérilité .... Il
ود
دد
১১
ود
ود
"
ود
feroit donc d'une extrême importance ,
» autant & plus pour les propriétaires
>>que pour les voyageurs , de rendre ces
fortes de chemins pratiquables.... & les
>> officiers des bureaux des Finances ſe font.
» fcrupule , ſouvent avec raiſon , de faire
exécuter ces ordonnances..... On ne ré-
>>parera point ces chemins par corvées ,
>>qui ſuffiſent à peine pour les grandes
>> routes.... Il n'y adonc que les poſſédants
1
JUILLET 1767 . 149
fonds qui puiſſent faire faire ce travail
>> par les pauvres. Ces chemins les inté-
" reffent en proportion de leurs propriétés :
>>lorſqu'ils les auront conftruits à neuf ,
» les bordiers ne feront plus aſſujettis qu'à
» un entretien qui ſeroit peu de choſe.....
» Ce genre de travail eſt dans toutes les paroifles
à la portée des pauvres , qui ſeroient
afſurés de gagner de quoi ſubſiſter ,
>> lorſque les particuliers ne pourroient plus
ود
رد les occuper, ce qui n'iroit peut-être qu'au
5 tiers de l'année. Une impofition pour
>> quatre mois , & de laquelle les proprié-
ود taires feroient dédommagés par le réta-
>> bliſſement des communications , ne peut
>> paroître onéreuſe.
"
ور
ود
ود
>> Les moyens que vous venez de pro-
>> poſer , Monfieur , pour fournir du travail
aux pauvres valides , font naître le
defir de les mettre en pratique.... Pour le
>> pouvoir , il faudroit des formalités autorifées
par la loi. Ce ſont des difficultés
dont il eſt triſte d'attendre l'événement
dans un tems où le bled devient fort
>> cher.... Ne pourroit- on pas tenter l'eſſai
>> de votre méthode , par quelqu'ouvrage
>>qui feroit indiqué dans la premiere af-
>> ſemblée de notables ? Cet eſſai demande
>> des fonds , & comme il n'est pas quef-
» tion aujourd'hui de faire contribuer , je
ود
)
A Gije
150 MERCURE DE FRANCE.
3>donnerai mille écus que j'eſpere obtenir
» des bontés du Roi ; & fuppofé que je
> ne réuffiffe pas, contre mon attente , il
» ne faut pas que celle des pauvres foit
>> trompée , je m'y engage perſonnelle-
» ment ».
SÉANCE publique de la Société Littéraire
d'ARRAS , tenue le 25 avril 1767 .
M. l'Abbé de Gaston , Chanoine de la
Cathédrale , Directeur en exercice , ouvrit
cette ſéance par une differtation fur la différence
de l'efprit acquis & de l'eſprit
naturel .
M. Enlart de Grandval , Conſeiller au
Conſeil d'Artois , lut des réflexions fur
l'emploi de l'amour dans les tragédies.
M. Harduin , Avocat , Secrétaire perpéruel
, donna des obſervations détachées
fur divers points de grammaire .
On lut enfaite , pour M. Wartel, Chanoine
regulier de l'Abbaye du Mont-Saint-
Eloi , Affocié honoraire , une addition à ſes
mémoires ſur les foſſiles d'Artois , imprimés
à Arras chez Nicolas en 1765 .
M. Harduin termina la ſéance par la
lecture de pluſieurs contes en vers .
Le 4 juillet dernier, la même Société fit
célébrer un ſervice dans l'égliſe des DomiJUILLET
1767 .
nicains , pour le repos de l'âme de M. le
Maréchal Prince d'Ifenghien , Lieutenant-
Général de la province d'Artois , Gouverneur
d'Arras , & protecteur de cette Coinpagnie
, décédé le 6 du mois de juin.
ARCHITECTURE .
CATALOGUE de l'ouvre entier de M.
DUMONT ; augmenté & fini en 1767 :
**avec privilège du Roi , & approuvé par
1Académie Royale d'Architecture .
SÇAVOIR :
Nº 1. Les élévations , coupes& Nombre prix
profils entiers de la basilique desfeur
feuilde
Saint Pierre du Vatican à chaque
Rome.
fuite.
de
chaque
fuite.
17910
72 18
2. Les détails des plus intéreſſantes
parties d'architecture
de la bafilique de SaintPierre
de Rome ; dédiée à M. le
"Marquis de Marigny.
3. Suite de profils & détails de
la facriſtie de Notre-Dame
de Paris de M. Soufflot ,
Architecte du Roi , &c. &c. 14 3
4. Divers morceaux d'architecture
du ſieur Dumont....
5. Manière d'accoupler les co-
83
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
lonnes & pilaſtres de l'ordre
dorique du même.
6. Parallèle de grands entablemens
& de charpente à l'italienne.
7. Un projet de diftribution
bourgeoiſe , à bâtir ſur un
emplacement de la rue Saint
Louis à Verſailles .
6. 11.16€.
93.
6 I 16
8. Un projet de belveder ou
cazin à l'italienne , compofition
du fieur Dumont... 7 3
9.Etudesd'architecture de différens
maîtres . 0
12 3
10. Suite de plans, coupes , profils
, élévations géométrales
& perſpectives de trois temples
antiques de Pæſto & autres
parties d'Herculanum.. 10 30
• 35 12.0
11. Parallèle de plans des plus
belles falles de ſpectaclesd'Italie
& de France .
12. Suite de divers morceaux
d'architecture compofés par
M. Dumont.
13. Suitede ruines & vues perfpectives
de divers édifices
antiques.
7 3
24 6
14. Vaſes& fontainesde feu M.
Challes , Sculpteur du Roi. 3 I 4
Total général de l'oeuvre entier. 230 70116
JUILLET 1767. 153
:
Cet oeuvre ſe trouve à Paris , chez l'auteur
, rue des Arcis , maiſon du Commiffaire
, & chez Joulain , père & fils , quai de
la Mégiſſerie , à la ville de Rome.
J
AGRICULTURE.
LETTREfur les Courtillières.
:
'AI lu , Monfieur , avec attention , la
lettre que vous avez inférée dans le Mercure
du mois d'avril dernier , ſur le moyen
de détruire les Courtillieres. Depuis 1753 ,
j'ai ſuivi cet animal dangereux de ſi près ,
que je peux vous en dire des choſes qui ont
pu échapper à d'autres : vous les rendrez
publiques ſi vous le jugez à propos.
i
L'huile de toute eſpèce eſt le poiſon le
plus vif qu'on puiſſe employer contre les
infectes ; la craſſe même en eſt bonne ,
pourvu qu'on en mette un peu plus quede
la bonne huile. La maniere de s'en ſervir
eſt celle que vous preſcrivez ; j'uſe néanmoins
de ces précautions :
Si je veux arrofer une planche entiere
avec de l'eau où il y a un verre ou deux
d'huile , je le fais à midi , parce que pour
lors les Courtillieres font dans leurs retraites;
le matin & le foir , elles courent à
travers les planches. Je ne me contente pas
Gv
$ 54 MERCURE DE FRANCE.
d'un feul arrofoir , j'en verſe cinq ou fix
ſans y mettre d'huile ; par ce moyen ,
l'huile du premier arroſoir,qui demeure en
partie ſur la terre , s'imbibe mieux , & fait
fortir plus de Courtillieres.
Il n'eſt pas néceſſaire , Monfieur , de
remplir d'eau tous les trous que l'on découvre
; il s'en trouve beaucoupde vuides;
on perd fon temps & fon huile. Il faut les
laiſſer tous ouverts pendant quelques minutes
, on les viſite après ; ceux qui reſtent
ouverts font vuides infailliblement : ce
feroit en pure perte qu'on y verſeroit de
l'eau avec de l'huile. Ceux qui font bouchés
renferment des Courtillieres qui , ne
pouvant fouffrir l'air dans leurs retraites ,
les bouchent dès qu'elles font ouvertes. On
les débouche avec une petite baguette , &
pour lors on verſe l'eau & l'huile. L'animal
vient en un inſtant , moircit & meurt.
Quelquefois néanmoins il ne ſe montre
pas ; alors il faut creuſer avec une pêle , &
on le trouvera plus ou moins bas ; on remarquera
que , pour éviter le goût d'huile ,
il a percé à côté de fon trou pour placer ſa
tête ſeulement , &ſe préſerver de la fuffocation.
Ces moyens font utiles , mais l'eſſentiel
eſtdedétruire les nids. Il fautdonc obferver
ſur la fin de mai , &dans le courant
JUILLET 1767 135
de juin , dans le terrein de plus folide du
jardin , les traces multiplées de l'animal.
On les leve doucement avec un farcloir ,
& fi on apperçoit un cercle , on eſt ſûr d'y
trouver un nid au milieu. C'eſt une motte
dure , ronde , creuſe en dedans , & fermée
très- exactement , qu'on ne prendroit pas
pour le nid de la Courtillière. On la caffe ,
on y trouve juſqu'à deux cents & trois
cents oeufs. Hs fontronds&jaunes comme
des grains de pins ou des oeufs de brochet.
Ils deviennent blancs en groſſiſſant ;
la Courtillière conſerve cette couleur
blanche pendant quelques jours , & devient
brune après.
د
د
Quand off a pris lenid , il faut laiſſer le
itrou quienteſt proche ouvert , c'eſt la retraîte
de la femelle; elle en fort bientôt
on la tue aifément; ſi elle y rentre , on l'en
fait fortir avec de l'huile & de l'eau . J'ai
eſſayé de ne pas prendre la femelle
-trois jours après je trouvois dans le même
endroit un autre nid & la même quantité
d'oeufs , je l'enlevois , j'en trouvois une
-autre après quelques jours ; la femelle ne
quitte jamais la place , & elle fait des nids
àmeſure qu'on les dérrut.
J'ai obfervé que le nadeſt ouvert d'un
côtéipendant qu'elle poſe les oeufs ; elle le
ferme quand ils font tous faits. Quand les
Gvj
136 MERCURE DE FRANCE.
petits font éclos ( ce que je préſume être
auboutdequinzejours ) elle perce la terre ,
&les petits ſe retirent dans la retraitede la
femelle.
Voilà , Monfieur , ma pratique & mes
obſervations. Si vous croyez que le public
ytrouvera quelque intérêt , faites -lui en
part , je vous prie. J'ai l'honneur ,&c.
N. Curé du Duché de Bourgogne.
)
Avis aux amateurs de l'histoire naturelle.
M. Davila , qui poſsède à Paris une des
plus riches collections d'hiſt. naturelle qui
ait encore été formée paraucun particulier ,
ſe voyant ſur le point de repaſſer au Pérou
pour des affairesde famille qui le rappellent
en ce pays-là , donne avis aux curieux
que la vente publique de fon cabinet commencera
le lendemain de la faint Martin ,
jeudi 12 novembre de lapréſente année 1767 ,
pour être continuée ſans interruption jufqu'à
ſa fin.
Mais , comme M. Davila ne voit
qu'avec peine le démembrement d'une
collection , qui , par le foin avec lequel
elle a été faite , peut contribuer aux progrès
JUILLET 1767. 157
de l'hiſt. naturelle , il prévient ici le public
qu'il ſe prêtera volontiers aux propoſitions
de ceux qui voudroient faire l'acquiſition
totale de fon cabinet , pourvu néanmoins
qu'on l'en inſtruiſe avant le 15 octobre
prochain. Ce terme écoulé fans
que perſonne
ſe foit préſenté , M. Davila eſt abſolument
décidé à commencer la vente publique
de ſon cabinet le 12 novembre
fuivant.
Ceux qui defireront connoître en quoi
confifte ce cabinet , pourront confulter la
deſcription qu'on en vientde publier , fous
le titre ſuivant : Catalogue systématique &
raifonné des curiofités de la nature & de l'art
qui compofent le cabinet de M. DAVILA ,
avec figures en taille- douce de plusieurs morceaux
qui n'avoient point encore étégravés.
Paris , Briaffon , 1767 , 3 vol. in- 8 ° . d'environ
600 pages chacun ; prix 1s livres
broché.
Le premier volume contient 1º. les co
raux , madrépores , éponges , alcyons , &
autres productions de la claſſe des polypiers.
2°. Les coquilles de mer , fluviatiles
&terrestres , diſpoſées ſuivant la méthode
de M. d'Argenville, mais fur un plan nouveau.
3 °. Les étoiles de mer & autres
zoophytes . 4 °. Les crustacées. 5°. Les poiffons.
6°. Les amphibies. 7°. Les infectes.
138 MERCURE DE FRANCE.
8° . Les oiſeaux. 9°. Les quadrupèdes.
10º. Les pièces d'anatomie , les bézoards
& autres calculs . 11º. Les végétaux .
Le ſecond volume traite uniquement des
terres , des pierres & des minéraux , difpoſés
dans un ordre méthodique , avec le
nom des endroits d'où ils ont été tirés.
Le troiſième comprend les pétrifications
&les curiofites de Part. Toutes ces parties
font plus ou moins nombreuſes : les plus
complettes, quant àl'hiſtoire naturelle, font
les polypiers , les coquilles , les étoiles de
mer, les bézoards , les pierres , les minéraux
&les pétrifications.
Les curiofités de l'art font 1º. les habillemens
, armes & uftenfiles de diverſes
peuples anciens & modernes. 2°. Pluſieurs
beaux vafes d'agate , de cristal & autres
ouvrages curieux. 3º. Quelques porcelaines
& anciens laques de la Chine&du Japon .
4°. Des modèles & divers instrumens de
Mathématiques. 5º. Une ſuite intéreſſante
de pierres gravées , antiques & modernes .
6. Pluſieurs beaux bronzes antiques ,
bustes ,bas reliefs & médailles. 7°. Une
collection affez conſidérable d'eſtampes &
de peintures à gouache , avec quelques tableaux
& deffeins originaux des maîtres des
trois écoles , des miniatures , peintures en
email & autres curiofités ſemblables.
JUILLET 1767 . 159

8 °. Une ſuite affez complette des meilleurs
livres qui ont paru ſur l'hiſtoire naturelle.
On s'adreſſera , pour l'acquiſition du
cabinet , à M. Davila , rue de Richelieu ,
près de la fontaine : ou à M. Remy , Peintre
de l'Académie de Saint Luc , rue Poupée
, la deuxieme porte cochere à gauche
en entrant par la rue Haute-Feuille.
Le catalogue ſe diſtribue à Paris chez
Briaffon ; à Amſterdam , chez Changuion ;
à Rotterdam , chez Beman ; à Londres ,
chez Paul Vaillant ; & à Bafle , chez
Schweighauser.
1
:
160 MERCURE DE FRANCE.
:
ARTICLE IV.
BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE.
Nous ous avons préſenté , dans un de nos
mercures précédens , la liſte de tous les foldats
des Gardes Françoiſes & des Gardes
Suiſſes , qui ont été traités par la méthode
de M. Keyfer dans l'Hôpital royal & militaire
, ſitué rue Saint Dominique auGros-
Caillou , depuis le 11 Mai 1766 , juſqu'au
premier Janvierde cette année. Pour vérifier
& conſtater la parfaite guériſon detous
ces malades , il a été ordonné qu'ils ſe rafſembleroient
dans ledit Hôpital le 10 de
Février dernier , afin d'y être viſités par des
Médecins & des Chirurgiens nommés à
cet effet. En conféquence , M. Berche ,
Doyen de la Faculté de Médecine de Paris ,
M. le Thuillier , ancien Doyen de la même
Faculté , M. Guerin , Chirurgien-Major de
la deuxieme compagnie des Mouſquetaires
JUILLET 1767 . 161
de la garde du Roi ; M. Faget , MM. du
Fouar l'aîné & le cadet , Chirurgiens-Majors
des Gardes Françoiſes , & M. Keyfer
s'y ſont trouvés aujour indiqué , pour voir ,
vérifier & confirmer la ſuſdite guérifon.
Ils y examinèrent les foldats François &
Suiſſes , qui s'y étoient rendus au nombre
de plus de cent ; & tous , à l'exception de
cinq ou fix , qui , de leur propre aveu ,
avoient contracté de nouveau la maladie ,
ont été déclarés parfaitement guéris. C'eſt
ce que MM. les Chirurgiens & Médecins
ci- deſſus nommés , ont certifié ; nous avons
vu l'état qui en a été dreſſé audit Hôpital
le 10 février 1767 , ſigné de tous ces
Meffieurs , de la maniere & dans l'ordre
ſuivant.
BERCHER , Doyen .
LE THUILLIER , ancien Doyen .
FAGET .
DUFOUAR , l'aîné .
DUFOUAR , cader.
Pluſieurs foldats , traités par la méthode
de M. Keyfer , n'ont point paru à l'aflemblée
indiquée , parce que leur ſervice ou
des affaires particulieres les retenoient aillears
; & fur l'état ſigné par MM. les Médecins
& Chirurgiens , on apporte les raifons
de leur abfence , qui ne laiſſent aucun
162 MERCURE DE FRANCE .
ſoupçon ni contre l'efficacité du remede ,
ni contre la certitude de la guérifon . S'il
reſtoit encore quelque doute ſur la bonté
d'une méthode ſi généralement adoptée
dans toute la France , l'Hôpital Royal des
Gardes Françoiſes , & tous les Hôpitaux
militaires du Royaume dépoferont en fa
faveur. Le nombre des guérisons qui s'y
opèrent , les certificats des Médecins & des
Chirurgiens qui y préſident , les malades
eux-mêmes qui y ont été traités & guéris
font autantde voix qui s'élevent pour exalter
la ſouveraineté de ce remede , le plus
fûr , le plus utile , le plus efficace de tous
ceux qui s'emploient dans la même maladie.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
PRÉCIS de l'histoire générale de la Mufi
que , vol. in- 4 ° ; par M. DE BLAINVILLE.
A Paris , chez Pissor.
LE but que l'Auteur s'eſt proposé dans
cet ouvrage , eſt de préſenter ſous un même
point de vue les genres de muſique , dont
les peuples , par ſucceſſion de temps , ont
JUILLET 1767. 163
été affectés ſelon leurs moeurs , & les accents
de leur langue , & felon le plus ou
moins d'art qu'ils ont été à même d'y apporter
, afin que les amateurs , comme les
gens de l'art , puiffent voir plus aifément
juſqu'où peuvent aller les extenſions de la
muſique.
Nos premiers peres , qui n'eurent ni art
ni rafinement , n'eurent par conféquent
qu'une muſique ruſtique & relative à leurs
moeurs.
Les Egyptiens furent les premiers qui
cultivèrent les arts& les ſciences ; la poéſie
leurſuggéra une muſique plus relevée, mais
fimple , conforme à leurs moeurs ; c'est-àdire
, une déclamation lyrique.
Les Grecs venant à leur tour , appuyés
des lumières des Egyptiens , & cultivant
les arts avec amour , leur poéſie beaucoup
plus variée & plus étendue , dut influer
fur la muſique , laquelle animée tant des
charmes de la poéſie que de la douceur de
leur langue , ne put manquer de produire
des effets merveilleux.
Pythagore , fur-tout , acheva de fixer à
jamais les principes de cet art par l'heureuſe
invention des diviſions de la corde;
invention qui endécouvrant le principe de
la mélodie , devoit un jour développer
celui de l'harmonie.
164 MERCURE DE FRANCE.
Pour comparer plus facilement le ſyſtême
des Grecs avec le nôtre , l'Auteur a cru
devoir mettre toute fon étude à expofer ce
ſyſtême d'une maniere méthodique ; d'où
il eſt aiſé d'appercevoir , par les définitions
de leurs Auteurs, que la mélodie ſucceſſive
faifoit la baſe du ſyſtème , & les délicatefles
des intervalles les beautés de cet art.
Par fucceffion de temps , ces nuances
*délicates & légères s'éclipſent , & femblent
reparoître chez les orientaux ; mais les
moeurs & la langue de ces peuples venant
à changer par l'invaſion des Turcs , ces
nuances qui faifoient l'âme d'une poéfie
pleine d'élévation , ne ſe retrouvent que
foiblement dans quelques chanſons tendres
&paffionnées.
Ce même ſyſtême des Grecs , ce principe
de Pythagore ſe tranſmet chez les Latins
; mais ne reprenant vie ( ſi l'on peut
dire ) que pour être employé aux louanges
duTrès-Haut, & pour mettre en action une
langue , une poéſie pleine de nobleſle &de
majesté , ces chants eurent une aifance &
ane dignité d'expreſſion qui fait encore
l'admiration de nos jours.
Acette mélodie ſuave & onctueuſe , on
joint enfin les effets puiſſants de l'harmonie
, ce que Gui d'Arrezzo appella contre-
point , genre que l'Auteur s'eſt efforcé
JUILLET 1767 . 165
de développer tant par des regles ſimples
quepar des morceaux choiſis de cette vraie
muſique d'Eglife , article intéreſſant furtout
pour les maîtres de chapelle.
Ce contre-point , cette muſique naiſſante
venant peu à peu à ſe polir , à ſe façonner ,
commença à ſe montrer ſous une forme
plus riante & plus agréable : les ſpectacles
fur-tout étant venus à s'établir , ce futalors.
que les paſſions qu'il fallut peindre achevèrent
par ce dernier effort de nos ſens de
donner à la muſique tout l'effor & l'éclat
dont elle étoit fufceptible.
Le contre-point faiſoittoujours labaſedu
ſyſtème , c'eſt à- dire , qu'on le guidoit par
une regle ſimple & exacte de la proportion
& du rapport qu'il doit y avoir dans la
marche des fons pris entr'eux ou féparément.
A ce ſyſtême , le grand Rameau ajoute
celuide la baſſe fondamentale , ſyſtême admirable
quant à l'invention & au développement
des premieres notions de l'harmonie
ſpéculative , mais que l'on prétend faux
à bien des égards quant aux inſtitutions de
l'harmonie pratique.
Le ſieur de Blainville , dans le traité
d'harmonie qui fait la quatrieme de fon
ouvrage , a cru ne pouvoir mieux rendre
à l'harmonie un véritable équilibre , & la
166 MERCURE DE FRANCE.
retirer d'unemarche monotone , vicieuſe &
obfcure , qu'en conciliant les deux ſyſtêmes
, & ne ſe ſervant de celui de la baſſe
fondamentale que pour les premieres notions
de l'harmonie ſpéculative , & rendant
au contre point tous ſes droits lorfqu'il
s'agit de la fimple pratique.
Pour achever de faire ſentir combien
font précieuſes les délicateſſes de la mélodie
, on pourra voir dans le précis de la
traduction du livre de Tartini , que la nature
jalouſe de ſes droits , ne veut d'autre
harmonie que celle qu'indique l'organe de
l'ouie par le fon affentant , & que l'enhar
monique eſt poflible vu le quart de ton qui
ſe trouve naturellement dans le paſſage de
la ſeptieme afcendante.
JUILLET 1767. 167
GRAVURE.
La Devotion au Sacré Coeur de Jésus ,
établie en France par le Clergé afſſemblé
en 1765 ; estampe dédiée & préſentée à
la Reine le 6juin 1767 , par J. J. PASQUIER.
ΟN voit au milieu la Religion , avec
ſon attribut principal , majestueuſement
portée ſur des nues , offrant àla vénération
de l'univers , & particulièrement à la dé- ,
votion de la France , les Sacrés Coeurs de
Jeſus & de Marie ; l'un entouré d'une
couronne d'épines , l'autre percé d'un
glaive ( 1 ) . Ces deux coeurs , que la Reli-
( 1 ) Le coeur de Jéſus eſt préſenté ſous des
couleurs plus vives & plus fortes ; des nuances
plus douces & plus légères , peignent celui de
Marie. L'artiſte a ménagé cette différence dans
les traits pour exprimer , autant qu'il étoit en lui ,
la ſupériorité du Sacré Coeur adorable de Jéſus
fur le Coeur de Marie.
On n'a pas voulu téparer des coeurs ſi étroitement
unis . La dévotion au Sacré Coeur de Mare
eſt undes établiſſemens les plus reſpectables ; elle
a été approuvée par pluſieurs Souverains Pontifes
&par un grand nombre de Prélats ; on en fait
office dans pluſieurs endroits , &dans d'autres ,
168 MERCURE DE FRANCE.
gion tient de la main gauche &montre de
la droite , font dans une gloire qui répand
du jour ſur le reſte de l'eſtampe. On apperçoit
, à gauche de la Religion , la Foi ,
l'Eſpérance & la Charité , chacune avec
les attributs qui lui ſont propres. Sous
l'emblême de ces trois vertus , qui font le
cortége inſéparable de la Religion , on a
voulu exprimer les ſentimens dont tout
chrétien doit être animé pour le Sacré
Coeur de Jeſus. Au plus haut des nues font
le Pere Eternel &le Saint-Eſprit , qui , par
différens ſignes d'approbation , marquent
combien cette dévotion leur eſt agréable.
On voit aux environs les neuf choeurs des
Anges.Chacunde ces Anges porte ſur ſon
viſage l'expreſſion des ſentimens dont il
eſt pénétré.
La France , revêtue de tous ſes attributs ,
paroît ſur le devant ſous la figure d'une
femme ; la Religion lui montre avec complaiſance
le Sacré Coeur de Jeſus , parce que
c'eſt dans ſon ſein que cette dévotion a pris
naiſſance. Dans ſa poſture reſpectueuſe ,
fur fon viſage animé , dans tout fon mainfur-
tout en France , on en fait mémoire dans
l'office imprimé en l'honneur du Sacré Choeur de
Jésus. Il ſemble qu'il ne manque à cette pieuſe
inſtitution que le ſceau d'une approbation plus
folemnelle.
tien ,
JUILLET 1767. 69
tien , on voit reſpirer à la fois la vénération
la plus profonde , la foi la plus vive ,
l'eſpérance la plus ferme , la plus ardente
charité.On apperçoit dans le lointain quatre
figures qui repréſentent les quatre
parties du monde , où la dévotion au Sacré
Coeurde Jeſus a déja pénétré.
Cette eſtampe eſt dédiée àla Reine ; Sa
Majesté mérite cet hommage à toute forte
de titres ; ce n'eſt pas affez pour cette auguſte
Princeſſe de reſſembler à la pieuſe
Esther , en alliant , comme elle , l'humilité
de coeur & la grandeur d'ame , elle
imite encore les vertus de Sainte Clotilde :
ceque fitcette fainte Reine pour foumettre
toute la nation françoiſe au joug de la
foi , notre auguſte & vertueuſe Reine l'a
entrepris avec le même zèle pour faire
fleurir dans tout le royaume l'empire de
la charité (2) . On ſçait que pour exécuter
ce faint projet , elle voulut qu'on fît part
au Clergé , affemblé à Paris en 1765 , du
defir qu'elle auroit de voir répandre dans
tous les diocèſes la dévotion & l'office du
( 2 ) Tel eſt l'éloge mérité que lui a donné ,
dans ſon mandement pour établir dans ſon Diocèſe
la dévotion au Sacré Coeur de Jéſus , un digne
& ſcavant Prélat * , qui appelle le coeur de notre
auguſte Reine le ſanctuaire des vertus.
* M. l'Evêque de Boulogne-fur-mer.
Vol. II . H
170 MFRCURE DE FRANCE.
Sacré Coeur de Jeſus.Tous les Evêques qui
compoſent cette auguſte aſſemblée , voulant
, autant qu'il étoit en eux , ſeconder
un zèle auſſi édifiant , délibérerent unanimement
d'établir dans leurs diocèſes ref
pectifs la dévotion & l'office du Sacré
Coeur de Jeſus , & d'inviter , par une
lettre circulaire , les autres Evêques du
royaume à les établir dans les diocèſes ,
où ils ne l'étoient point encore.
M. Littret , dont les connoiffeurs eſtiment
le burin , vient de faire paroître une
nouvelle estampe, repréſentantleportraitde
Madame la Dauphine , avec une allégorie ,
dont l'eſprit ſaiſit la vérité. Ce portait fert
de pendant à celui de feu Monſeigneur le
Dauphin ; par le même artiſtę. On doit les
plus juſtes éloges au moëlleux & à la force
duburin qu'on remarque dans les ouvrages
de M. Littret. Le portait de Madame la
Dauphine , ne peut que lui faire beaucoup
d'honneur. On lit au bas de l'eſtampe les
deux vers , dont la force & la vérité nous
ont frappé :
Sur elle envain le fort déchaîna ſon courroux ;
Il ne put l'accabl r qu'en frappant ſon époux .
Ces deux vers , qui renferment une
belle idée , ſont de M. Sabattier , AuJUILLET
1767. 171
teur des odes que nous avons analyſées.
Il faut que nous donnions une explica-
-tion de l'allégorie répandue dans ce portrait.
La France tient le portrait de Madame
la Dauphine , ſur un autel antique ,
entouré de cyprès. Cloton regarde la France
avec triſteſſe. Atropos , qui a coupé le fil ,
fuit avec Lacheſis . L'Amitié vient réunir
fur un obéliſque le portrait de la Dauphine
à celui du Dauphin. Sur le devant eſt la
Saxe en pleurs , appuyée ſur l'écuſſon de
ſes armes ; à côté le génie de la Princeſſe
éteint le flambeau , & arroſe de ſes larmes
l'urne qui renferme ſes cendres. Nous exhortons
les amateurs à ſe procurer cette
belle compoſition.On la trouve chez l'Auteur
, rue de la vieille Bouclerie , au bas du
pont Saint-Michel , chez un Ceinturier.
AVIS ſur l'Hiſtoire de Dunkerque, diviſée
en douze plans , gravés d'après les
deſſeins originaux faits avec un ſoin extrême
, & la plus grande exactitude , par le
ſieur P. F. Carpeau, Deffinateur des places
de la Flandre maritime à Dunkerque , &
par le ſieur Oger.
Saugrain le jeune , Libraire , quai des
Auguſtins , près le pont Saint- Michel ,
vientd'acquérir du ſieur Carpeau la totalité
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
de ces plans de Dunkerque. Comme il de
fire répondre aux motifs des repréſentations
qui lui ont été faites par diverſes perſonnes
, &dans cette vue procurer plusaifément
au public l'acquiſition de ces plans ,
ledit ſieur Saugrain s'oblige de les donner
pendant le cours de ſix mois , à compter
du premier juin 1767 , à raiſon de vingt
ſols chaque plan , quoiqu'ils ſe ſoient vendus
juſqu'à préſent quarante fols ; & même
pour plus grande facilité ledit ſieur Saugrain
donnera les fix premiers plans en
payant fix livres , & une reconnoiffance
pour retirer les ſix autres dans le cours des
fix
mois ; & paffé le terme indiqué , il les
fera payer vingt-quatre livres , qui eſt le
prix auquel ils ſe ſont toujours vendus.
AVERTISSEMENT du ſieur FESSARD ,
: Graveur du Cabinet du Roi , aux Soufcripteurs
pour les Fables de la Fontaine.
S LORSQUE j'ai propoſé par ſouſcription
les Fables de la Fontaine gravées , j'étois
bien éloigné d'étendre cette entrepriſe à
d'autres ouvrages du même Auteur : mais
depuis que le ſecond volume a paru , pluſieurs
ſouſcripteurs ont deſiré que les Fables
fufſent ſuivies de Pſyché , &j'ai fenti
JUILLET 1767 . 173
en effetque cet ouvrage ingénieux pouvoit
préſenter des tableaux intéreſſans. D'ailleurs
la reconnoiſſance que je dois au
public fuffit ſeule pour me déterminer. Je
lui demande la même indulgence pour cette
fuite à laquelle je mettrai toutel'application
dont je ſuis capable ; je n'ai d'autre
but que de mériter ſon eftime. Animé par
une récompenſe auſſi flatteuſe , je ſuivrai
le projet que j'ai formé depuis long- temps
d'une édition de Télémaque. Ce n'est pas
ſans raiſon que j'ai donné la préférence à
cet ouvrage , l'un de ceux qui fait le plus
d'honneur à la nation. Il offre , pour ainfi
dire , à chaque page des ſujets admirables ,
& je m'y fuis préparé de loin pour profiter
demes fautes & les éviter.
Les Fables de la Fontaine & Psyché
font , ſi je ne me trompe , les deux premiers
livres de quelqu'étendue , qui auront paru
en lettres gravées. Un ſemblable effai ne
pouvoit être porté tout-à-coup à un certain
point de perfection ; cependant j'efpere
que le Télémaque , auquel je me bornerai
, pour les entrepriſes de cegenre , n'en
fera pas éloigné.
Pour fatisfaire entièrement aux defirs
des ſouſcripteurs qui m'ont déterminé à
entreprendre Pſyché , je m'arrangerai de
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
en recevant
manièreque cet ouvrage , qui formera deux
volumes du même format que les Fables ,
foit achevé en même temps , c'est- à- dire
àla fin de 1768 .. Mais comme cette addition
augmente ſenſiblement lesavances que
je ſuis obligéde faire , les ſouſcripteurs qui
le demanderont paieront ,
chacun des quatre derniers volumes des
Fables , 4liv. d'augmentation , au moyen
de quoi ils pourront retirer à la fin de l'ouvrage
les deux volumes de Pſyché , en
payant à chaque volume 4 livres , qui ,
avec les quatre premiers paiemens , feront
la fomme de 24 livres pour ces deux volumes
, qui contiendront au moins cent
cinquante pages pleines ( le diſcours étant
en profe ) & vingt-quatre grands ſujets ,
douze vignettes & culs-de-lampe , tant
pour le corps de l'ouvrage que pour quelques
odes anacreontiques du même Aureur
, qui ſemblentſe placer naturellement
à la fuite de Pſyché , & qui termineront le
fecond volume.
Pour obvier à tout inconvénient , j'avertirai
dans les journaux , du jour où je
délivrerai mon troiſieme volume , ainſi des
autres.
LES métamorphoses d'Ovide , gravées
JUILLET 1767 . 105
fur les deſſeins des meilleurs Peintres Fran
çois ; par les ſoins des fieurs Lemire &
Bafan , Graveurs ; in-4°, Paris , 17671
chez Bajan , rue du Foin Saint Jacques ,
& chez Lemire , rue SaintEtienne-des-Grès.
La premiere livraiſon des trente-huit
premieres eſtampes de cet ouvrage , dont
nous avons donné le profpectus, ſe fait aux
adreſſes ci- deſſus. On paye , en les recevant
, 36 livres ; on payera 24 livres pour
la livraiſon des trente- cinq eſtampes fuivantes
; & 18 livres à chacune des troiſième
& quatrième livraiſons : en tout
96 livres.
N. B. Les amateurs qui auront négligé
de ſouſcrire payeront ce même ouvrage
120 livres : ſçavoir , 72 livres en recevant
les deux premières livraiſons , & 24 livres
àchacune des deux dernières .
Le public paroît très- tatisfait des eſtampes
qui compoſent cette premiere livraifon
, & nous y applaudiſſons avec plaiſir.
LA Curiofue punie ; eſtampe nouvelle ,
gravée par Schwab , d'après le tableau de
M. Schenau , & fervant de pendant à celle
du Moulin d'attrape , annoncée ci- devant ;
ſe trouve à Paris chez Joullain , quai de la
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
Mégiſſerie , & aux adreſſes ordinaires. Prix
40 fols.
Cette eſtampe ne peut que figurer trèsagréablement
avec la première.
Le ſieur Cocquelle , Graveur , vient de
mettre au jour un petit plan de Paris , &
une carte de France , en forme de médaillon
de 25 lignes de diamettre , dont la
grande régularité , l'exactitude & la délicateſſe
de la miniature méritent l'attention
des amateurs & des curieux. Ces efpèces
de miniatures peuvent être miſes
fous verres , en rond , ou en quarrés , dans
des tabatieres de grandeur ordinaire. L'on
trouve chez le même des almanachs de
toutes grandeurs que l'on peut employer de
même . A Paris , chez l'Auteur , rue du
Petit- Pont , au coin de la rue de la Huchette
, chez un Limonadier ; chez M. Defchamps
, Libraire , rue Saint Jacques ;
M. de la Chevardiere , Marchand de muſique
, rue du Roulle , à la Croix d'or ;
& chez M. Fournier , Libraire , à Verfailles.
JUILLET 1767. 177
JOU AILLERIE.
RECUEIL de deſſeins de jouaillerie , par
Augustin Duflos , Marchand Jouaillier à
Paris , & gravé par Claude Duflos ; dédié
à Monſeigneur le Comte de Saint-Florentin
, Miniſtre & Secrétaire d'État ; grand
in-4°. oblong. Prix 15 livres , ſe vend chez
l'Auteur , rue de la Monnoie , & chez le
Graveur , rue Galande , proche la place
Maubert.
Quoiquenous ayonsdéja quelques ouvrages
de cette eſpèce , celui - ci nous a paru ,
ainſi qu'aux connoiffeurs dans ce genre ,
l'un des plus ingénieux & des mieux
exécutés.
GÉOGRAPHIE .
M. L. Denis , à qui l'on a fait obſerver
que la petite carte des environs de Compiegne
, qu'il a donnée au public , il y a
environs trois ans , étoit trop peu érendue
pour un endroit auſſi intéreſſant , s'est déterminé
à faire celle-ci qui renferme une
HvV
178 MERCURE DE FRANCE.
affez grande étendue de terrein pour y
trouver toutes les villes voiſines , les châteaux
remarquables , ainſi qu'une infinité
d'autres , appartenants aux perſonnes qui
font obligées de ſuivre la Cour. S'il a réuſſi
dans ce qu'il s'eſt propoſé , qui eſt d'être
utile au public , il exécutera la partie méridionale
, qui s'étendra juſqu'à Fontainebleau
, ce qui formera un objet de topographie
de quarante lieues du nord au midi .
On la trouvera chez l'Auteur & chez
les Marchands d'Eſtampes ; le prix eſt de
I livre 10 fols.
JUILLET 1767. 179
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPÉRA.
L'ACADEMIE Royale de muſique a remis
au théâtre , le mardi 30 juin , le Carnaval
du Parnaſſe , ballet héroïque en trois actes ,
précédé d'un prologue , poëme de FUSELIER
, muſique de M. MONDONVILLE .
Ceballet a été repréſenté pour la premiere
fois en ſeptembre 1749 , & repris
en mai 1759.
La premiere repréſentation de la nouvelle
remiſe a été fort bien reçue par le
public , & ce ballet eſt continué avec un
ſuccès qui doit également Batter l'auteur
de la muſique & les directeurs du
ſpectacle
Les rôles de Clarice dans le prologue ,
& de Licoris dans le corps du ballet font
remplispar Mademoille BEAUMENIL. Nous
devons applaudir avec le public à la conftante
affiduité de cette jeune actrice , qui
depuis ſon début au théâtre a joué preſque
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
fans aucune interruption tous les rôles de
ſon genre.
Florine dans le prologue & Thalie dans
la piece , font repréſentées par Mlle LARRIVÉE
, avec tout le talent , l'art & les grâces
que l'on eſt accoutumé à trouver dans
l'exécution de ſon chant ; M. CASSAGNADE
chante dans le prologue le rôle de
Dorante, &dans le ballet celui d'un fuivant
d'Euterpe , que devoit chanter M. Du-
RAND , qui exécute avec une belle voix &
de maniere à fatisfaire les ſpectateurs , le
rôle de Momus dans le ballet , à la place
de M. LARRIVÉE , qu'une indifpofition a
empêché juſqu'à préſentde prendre ce rôle.
qui lui étoit deſtiné. M. LE GROS , dont la
voix mérite & recueille toujours de vifs
applaudiſſemens , chante le rôledu Berger,
dans le prologue , & dans la pièce celui
d'Apollon. Les petits airs d'une ſuivante
de Terpsicore , font chantés par MHe Du-
BRIEULLE , & celui d'une Vieille dans le
dernier divertiſſement du ballet par Mile
ROSALIE. M. CUVILLIER fait beaucoup de
plaifir en chantant avec goût & intelligence
un air de vieillard dans le même
divertiſſement , au milieu d'un ballet de
petits enfans.
La danſe , qui eſt une partie dominante
dans cet opéra , répond par le goût , l'in
JUILLET.1767. 18F
telligence & la variété , àl'agrément des
airs.
Le ballet du prologue , formé par des
Jardiniers , &des Jardinieres, eſtde la plus
agréable galanterie. Mlle GUIMARD, dont
on connoît & dont on aime les grâces , en
fait un des principaux ornemens. La jeune
Mile DUPERRAI & M. SIMONIN Y danfent
en pas de deux avec applaudiſſement.
Celui du premier acte où l'on repréſente
tous les caractères de la pantomime & ceux
des comiques de la comédie Françoiſe &
de la comédie Italienne , offre , par ſa variété
& par la gaieté des actions & des
mouvemens , un mouvement continuel
qui ſoutient l'attention du ſpectateur , &
dans lequel les yeux font amuſés par les
objets qui compoſent ce ſpectacle. Les
ſieurs ROGIER. & LE BRUN danſent dans
la partie pantomime de ce ballet les caractères
de Bastien & de Jannot ; les Dlles
PITROT & MION-REY ceux de Bastienne
&de Jeannette.
Au ſecond acte , les Dilles DERVIEUX ,
AUDINOT & LE ROI , très-jeunes ſujets ,
deſquelles nous avons eu depuis quelque
temps ſi ſouvent occafion de parler , ainfi
que de Mile DU PERREI , avec autant d'éloges
pour elles que pour M. HYACINTHE
dont elles ſont élèves , danſent enſemble
182 MERCURE DE FRANCE.
lesgrâces , de façon à donner une juſte idée
de ces charmantes divinités ; Mlle AUDINOT
fe diftingue particulierement& fe fait
applaudir dans ce pas , où elle danſe ſeule
un certain nombre de meſures. Le public
voit avec plaiſir , dans toutes ces jeunes
élèves , des talens déja formés & qui donnent
le plus grand eſpoir de nouveaux progrès
, pour foutenir la gloire & l'agrément
d'un Théâtre , que ſans contradiction on
peut qualifier le premier & même le ſeul
théâtre de l'Europe pourla danſe . L'Amour,
Zephir, des dieux , des bergers , des chafſeurs
& des déeſſes de la fable , font les
perſonnages dece divertiſſement , dans lequel
M. LIONNOIS danſe celuide Mars.
Au troiſieme acte Mile ALLARD furprend
, enchante dans le perſonnage de
Terpficore, dont on n'a jamais mieux réaliſé
le caractère & la puiſſance. Dans le
même divertiſſement. M. LANNI danſe,
en berger galant , un pas de deux , dans
un genre oppoſé en quelque forte à ceux
dans leſquels il a toujours brillé. Toutes
les grâces , toute la ſoupleſſe de la belle
adolefcence , embelliſſent l'exécution de
cet ancien maître de l'art. Dans le même
acte on applaudit le talent de M. GAR-
, toujours accueilli du public & qui
remplit aujourd'hui la première place dans
lesballets.
DEL
JUILLET 1767. 183
Le concours des ſpectateurs & leurs applaudiſſemens
dépoſent le plus favorablement
pour le mérite du Muſicien , &
pour la façon dont fon opéra eſt remis au
théâtre. La dépenſe conſidérable que l'on
a faite en habits eſt ſenſible &remarquée ,
ainſi que le goût & la galantetie qui règnent
dans l'emploi de cette dépenſe.
COMÉDIE FRANÇOISE.
ON a continue, toujours avec beaucoup
de ſuccès , la tragédie nouvelle de M. de
SAUVIGNI , de laquelle nous avons déja
parlé&dont nous nous empreſſons de donner
à nos lecteurs une idée qui , quelque
foible qu'elle puiſſe être par les bornes que
nous ſommes forcés de mettre à nos extraits
, pourra au moins fatisfaire la premiere
curioſité , en attendant la lecture entiere
de l'ouvrage.
184 MERCURE DE FRANCE.
EXTRAIT D'HIRZA , OU LES ILLINOIS ,
tragédie nouvelle , interrompue par l'indiſpoſition
d'une actrice, depuis le 27
mai jusqu'au 22 juin dernier , jour de
laseconde repréſentation .
PERSONNAGES.
HIASKAR , Illinois ,
OUKEA , autre Illinois ,
ACTEURS.
M. le KAIN.
M. D'AUBERVAL
HIRZA , fille de THAMAR , ancien
Chefdes Illinois , tué dans
la guerre contre les François , Mile DUBOIS.
MONTRÉALfils, jeune François
réfugié chez les Illinois ,
MONTRÉAL père , Officier François
, persécuté par le Gouverneur
du Canada ,
M. MOLÉ.
M. BRIZARD .
Action antérieure à celle de la tragédie.
FONTALBAR , Gouverneur du Canada , jaloux
de la grande réputation de MONTRÉAL père , Officier
François , l'avoit noirci à la Cour par des
imputations calomnieuſes & l'avoit fait empriſonner.
Le jeune MONTRÉAL , fils de ce brave &
malheureux Officier , en arrivant de France , avoit
pris le parti de fon père & avoit voulu venger fon
:
JUILLET 1767. 189
innocence. FONTALBAR l'avoit condamné à la
mort. Le jeune Officier François s'étoit refugié
chez les Illinois. THAMAR , grand Chef de guerre
de cette nation , l'avoit reçu ave: la générofité
naturelle à ces ſauvages , & , dans l'eſpace de cinq
ans , le jeune MONTRÉAL , qui avoit formé ce
peuple à l'art de la guerre , s'en étoit fait aimer
autant qu'il s'étoit concilié la confiance de leur
chef & la tendreſſe de ſa fille HIRZA . MONTRÉAL ,
éperdu d'amour pour HIRZA , s'étoit fait adopter
par les Illinois , avoit embraſſé leur culte ſuperſtitieux
, afin de pouvoir épouſer cette belle Sauvage
au retour de la guerre qu'il étoit allé faire contre
les Anglois & les Iroquois. Pendant ſon abſence
FONTALBAR avoit attaqué les Illinois , & leur Chef,
le grand THAMAR , avoit été tué.
ACTION de la tragédie.
Le théâtre repréſente des cabanes , des arbres ,
des rochers , & le fameux faut de Niagara. On
voit d'un côté le tombeau de THAMAR élevé fur
quatre piliers ; au- deſſus , des chevelures en forme
detrophée ; au - deſſous un autel ſur lequel ſont ſes
flêches , fon caffe-tête , fon manitou , &c. A l'ouverturede
la ſcène, HIASCAR , le premier chef de
guerre après THAMAR , eſt au pied du tombeau
appuyé ſur l'autel , dans l'attitude d'un homme
conſterné. Tous les guerriers forment , du même
186 MERCURE DE FRANCE.
côté , différens groupes diſperſés dans les rochers ,
&paroiffent dans le même abattement. De l'autre
côté ſont les vieillards , à la tête deſquels eſt
OUKEA , chef du conſeil. HIRZA , fille de THAMAR
, eſt au milieu. Les autres femmes ſont derrière
elle dans l'enfoncement .
ACTE I.
HIASKAR rappelle les exploits du grand Chef
&déplore fa perte. HIRZA ne reſpire que la vengeance
& invite les guerriers à retourner au combat.
OUKEA en fait enviſager le danger. HIASKAR
prie OUKEA , au nom de tous les Illinois , de faire
les fonctions de THAMAR juſqu'à ce que Hirza
ait fait choix d'un époux qui le remplace. OUKIA
s'en défend en alléguant la rudeſſe inflexible de
Son caractère. HIRZA elle- même l'y invite ; il ſe
rend dans l'eſpérance qu'elle fera tomber ſon choix
furHIASKAR. Celui- ci , piqué de ce que répond
HIRZA , lui reproche d'aimer un François ; ce qui
donne lieu à l'expoſition , laquelle eſt en action.
Elle convient de fon amour pour MONTRÉAL &
fait voir les raiſons qu'il ade la venger. OUKBA
lui déclare qu'il tuera le François plutôt que de
fouffrir qu'elle s'uniſſe à lui & qu'il devienne leur
Chef. Les Sauvages conviennent de faire la paix
avec les Anglois pour ſe venger plus fûrement.
HIRZA voit enfin arriver ſon amant vainqueurdes
1
JUILLET 1767. 187
Iroquois ; elle lui apprend la mort deTHAMAR
& le ferment qu'elle a fait d'appailer ſes mânes
par le ſang de ſon meurttier ou par celui de quarante
François . MONTRÉAL vient d'être informé
chez les Iroquois , que FONTALBAR eſt prêt à ſe,
voir diſgracié ; mais la vengeance lui ſemble trop
lente , & , tandis qu'il promet à HIRZA de combattre
les François , HIASCAR vient lui apprendre
qu'ils paroiſſent en armes. Ils fortent réſolus de
vaincre ou de mourir.
ACTE II.
MONTRÉAL a remporté la victoire. Les jeunes
Illinois , charmés de fa gloire , l'ont élevé ſur
un bouclier. Cette action généreuſe , & ce nouveau
ſuccès du jeune François , redoublent les
inquiérudes d'OUKEA , il les communique à HIASKAR
& ſe détermine à le faire périr.
Un bras fûr ( dit-il ) cette nuit à mes pieds doit
l'abattre .
HIASKAR.
Pourquoi l'aſſaſſiner quand on peut le combattre?
En s'oppofant à cet aſſaffinat, HiASKAR rappelle
les exploits & les ſervices de MONTRÉAL ; il s'offre
à lui parler & à tenter de le détourner de ſes
projets trop ambitieux. Des cris guerriers annon
188 MERCURE DE FRANCE .
cent l'arrivée du jeune vainqueur ; Hirza paroît
avant lui , & fe félicite de la gloire de ſon amant ,
auquel elle compte s'unir dans ce lieu & au momentmême.
OUKEA l'éloigne enluiréprochant que
toute à ſon amour , elle a oublié ceux de ſes frères
qui font morts dans le dernier combat ; elle fort
pour leur élever un trophée. HIASKAR Ouvre ſon
coeur à MONTRÉAL ; il lui parle des projets dont
il eſt ſoupçonné en lui déclarant que lui- même
l'en punira.
Tu fus traître envers eux , tu dois l'être envers
nous.
:::::::::
Le bonheur d'un Sauvage eſt dans ſa liberté,
Elle eſt d'un prix pour nous que tu n'as pu connoître
,
Du jour que tu naquis tu rampas ſous un maître ,
Tu n'as ſçu qu'obéir , tu ſerois un tyran .
MONTRÉAL lui répond qu'un coeur tel que le
fien
Peut obéir aux Rois & commander au fort.
Né ſujer , il n'a point la farouche rudeffe ;
Mais , comme il eſt ſans crainte , il fléchit ſans
baffefſe .
Il fort. Arrive auſſi tot OurÉA ſuivi du Génétal
François & d'un Soldat portant le calumet de
JUILLET 1767. 189
paix. Le Général , en leur montrant ce figne ,
leur offre la paix. QuKÉA , qui craint tout d'un
Européen , la refuſe ; le jeune HIASKAR ſe promet
de venger ſon pays ; il accuſe l'ambition des Fran
çois en adreſſant à leur Général ces beaux vers :
Que nous veux- tu ? Pourquoi déſoler ces climats !
Cette terre eſt à nous , creuſes-la ſous tes pas ;
Vois-y les oſſemens de nos braves ancêtres ,
Ils atteſtent affez qu'ils en ſont les vrais maîtres;
:
, Enfans de l'Océan, élevés ſur ſes ondes
De vos bras étendus vous preſſez les deux mondes.
Le général inſiſte , leur rappelle l'ancienne alliance
qui les uniſſoit , & les conjure de ne pas confondre
un peuple entier dans la juſte horreur qu'ils
ont de FONTALBAR , lequel , ſeul , avoit excité la
guerre, & qui vient de mourir au champ de l'honneur.
Le ſouvenir de FONTALBAR réveille dans le
coeur de l'Officier François , le ſentiment de tour
cequ'il a fouffert lui-même de ſa tyranie. Non
content , dit- il , de l'avoir retenu cinq ans entiers
dans les fers , il a immolé ſon fils à ſes reſſentimens.
OUKÉA , qui craint toujours que la mortde
MONTRÉAL , par la main d'HIASKAR , ne porte
le trouble & les horreurs d'une guerre civile entre
les Illinois , déclare au Général qu'un François eſt
celui qui a fixé la victoire dans leur parti. Il
190 MERCURE DE FRANCE.
:
1.
:
accepte la paix fi le Général veut l'en punir luimême.
Ce brave & fidèle Officier , indigné de
cette perfidie , le promet vivement. OUKÉA lui
montre l'autel où le traître doit ſe rendre à l'entrée
de la nuit. HIASKAR félicite le Général ſur la
gloiredont cecombat va le couvrir , & lui apprend
que la tyrannie de FONTALBAR eſt la cauſede la
vengeance que le jeune François pourſuit ſur ſes
frères.
: •
LE GÉNÉRAL.
Le lâche ! le parjure !
Quel est-il ce guerrier qui prompt à murmurer ,
Pour fervir fon pays ne ſçait rien endurer !
Ofaux inſtinct de gloire ! ô France , ma patrie !
Faut-il , par tes enfans , te voir ainſi trahie
Hélas! que leur conſtance égale leur valeur ,
Tout fléchira bientôt ſous ta vaſte grandeur.
Il fort en promettant de nouveau de venger
fon pays & fon Roi.
ACTE III.
La nuit eſt venue ,la lune éclaire les montagnes.
MONTRÉAL arrive ſeul aux pieds de l'autel ;
il ſe plant des obſtacles qui arrêtent Hirza ; il
ne conçoit pas quelle horreur l'environne dans ce
moment , qui devroit être le plus beau de ſa vie.
la fin du monologue on voit , ſur la cimedes
JUILLET 1767. 191
,
monts , paroître OUKEA , & le Général François
qui deſcend pour combattre MONTRÉAL. Celui-ci
qui entenddes menaces , ne doute pas que ce ne
ſoit à lui qu'elles s'adreſſent. Il s'avance, Un pouvoir
inconnu ſemble le retenir . La voix du Général
le trouble encore ; il croit la reconnoître .
LE GÉNÉRAL mettant l'épée à la main..
Afon horreur pour toi reconnois un François ,
Ton Général.:
:
MONTRÉAL,
Ciel! tu combles mes ſouhaits.
Il tire fonfabre,
:
Ama juſte fureur rien ne peut te ſouſtraires
Indigne FONTALBAR , qu'as -tu fait de mon père?
Le Général paroît étonné. MONTRÉAL, furieux,
lève le bras ; il va le percer. Le vieillard vient de
lereconnoître.
Arrête.
De FONTALBAR en moi reconnois-tu les traits ?
MONTRÉAL égaré,
Non.... Mais mon coeur frémit , cruel.., de tes
forfaits.
Sans doute... qui peut donc retenir ma colère ?
Toi-même tu gémis,
192 MERCURE DE FRANCE.
La GÉNÉRAL.
O trop malheureux père !
Ai-je pu mettre au jour un ſi coupable fils ?
Il l'accable de reproches. Les remordsde MONTRÉAL
déſarment la colère de ſon père . Le malheu
reux jeune homme lui demande la mort. Il lui
dévoile ſon ſort & la paſſion effrenée dont il eſt
dévoré pour une jeune Sauvage. Il lui avoue que
ſur cet autel même il a abjuré ſon culte & ſa patrie.
La ſituation eſt déchirante . Son père le conſole
, cherche à le relever à ſes propres yeux. Il
lui parle avec les expreſſions de la plus vive tendreſſe.
Le jeune infortuné , rempli de ſa paſſion ,
tente de faire condeſcendre ſon père à ſon union
avec Hirza par des motifs de politique. Le père ,
plein de reſpect pour ſa religion , rejette fortement
cette idée qui le bleſſe , inſtruit ſon fils que
dans ce pays même on le voit avec horreur , &
que ſa perte y eſt jurće . MONTRÉAL rougit de ſa
foibleſſe& promet d'obéir à ſon père.
OUKÉA , inquiet du fort des deux François ,
deſcend des rochers avec HIASKAR. Ils connoifſent
que le Général eſt le père de MONTRÉAL , &
qu'ils ſe préparent l'un & l'autre à les quitter. Le
Général , en partant , leur réïtère l'offre de la
paix. HIASKAR , pour répondre à ſa franchiſe ,
promet de ſouſtraire à la mort les priſonniers
François ;
JUILLET 1767. 193
François ; mais en même temps il informe le
Général du ſerment irrévocable d'HIRZA , & , en
conféquence , il lui demande le meurtrier de
THAMAR. Les François feront libres à ce prix ?
répond MONTRÉAL père. Eh bien THAMAR va
s'appaiser. Qu'HIRZA paroiſſe , je lui livrerai
ſa victime. Cette victime , c'eſt lui -même qui ,
dans un combat , a donné la mort au grand Chef.
Le fils s'oppoſe violemment à ce ſacrifice ; il
menace , tonne. Son père , avec tranquillité , lui
ordonne de reſpecter ſa volonté.
Quoi ! tu veux donc , toujours perfide à ta patrie ,
Que tes concitoyens pour moi perdent la vie ?
MONTRÉAL fils.
Quoi , pour un fang obfcur. .....
MONTRÉAL père.
Qu'entends - je , juſte Cieux !
Un ſang cher à la France eſt obſcur à tes yeux ?
Quoi , le fang des ſoldats ? quand j'en dois être
avare ,
Je le prodiguerois ! Malheur à tout barbare
Qui ne voit dans les fiens , quand ils ſont ſous
ſes loix ,
Qu'un inſtrument ſervile & fait pour ſes exploits.
Ils fortent pour aller au conſeil.
I
194 MERCURE DE FRANCE.
ACTE IV.
HIRZA vient ſur la ſcène avec HIASKAR , qui
lui revéle que le meurtrier de THAMAR eſt père
de MONTRÉAL. HIRZA eſt déſeſpérée ; mais ell
ſe conſole par l'eſpoir de ſauver le père de fon
amant en ſacrifiant les priſonniers François à la
vengeance. MONTRÉAL fils arrive , la mort dans
les yeux ; il tombe aux genoux d'HIRZA & lui
demande la grace de ſon père. HIRZA le relève &
lui parle avec la tendreſſe la plus ingénue. Elle lui
fait part du moyen que ſon amour lui inſpire pour
accomplir ſon ſerment fans immoler ſon père.
MONTRÉAL , que le Conſeil a déclaré ne pouvoir
✓jamais devenir chef des Illinois , implore la pitié
d'HIRZA pour les priſonniers , & lui diſſimule
leur fuite qu'il a préparée. HiRzA , pour affurer
davantage le ſalut de MONTRÉAL père , propoſe
àſon fils de former à l'inſtant un éternel lien . Cet
amant est déſeſpéré de ne pouvoir acquiefcer à
une propofition ſi flatteuſe pour ſa paffion. Son
embarras redouble l'inquiétude d'HIRZA. Enfin
ſondéſeſpoir éclate. Elle ne doute plus que MONTRÉAL
ne l'ait trompée. Il n'a feint un amour fi
tendre que pour cacher ſes vues ambitieuſes,
MONTRÉAL veut lui jurer que la tendreſſe eſt ſinère.
Ah ! ( dit- il ) J'en atteſte....
JUILLET 1767 . 195
HIRZA .
Qui ?
Tes ſermens ? tu les romps ! ton Dieu ? tu l'as
trahi.
HIASKAR vient annoncer la fuite des priſonniers
François. Il eſt bientôt ſuivi d'OuKÉA , qui ,
de la part du Conſeil , apporte à HIRZA l'ordre
de remplir ſon ſerment. Elle fort en jurant de
l'exécuter. La douleur de MONTRÉAL eſt à ſon
comble, Il réclame un droit inviolable chez les
Illinois. Avant de s'expliquer il reçoit , des mainsd'OUKÉA
, un colier pris ſur l'autel où ſont les dépouilles
de THAMAR , comme gagede la parole
qu'on lui donne pour l'exécution de ce droit *.
Alors il s'offre à la mort au lieu de ſon père , &
il dépoſe ſes armes entre les mains d'OUKEA .
Celui- ci le loue de ſa piété filiale. HIASKAR , dont
l'âme eſt touchée par ce trait de vertu , ne veut
pas laiſſer périrun héros par la main d'une femme,
ce qui eſt le comble de l'humiliation pour un ſauvage.
Il lui promet de lui procurer les moyen
d'éviter un tel affront.
ACTE V.
C'eſt dans la première ſcène de cet acte que ſe
paſſe entre HIASKAR & MONTRÉAL fils une ſcène
Ufage national.
Lij
196 MERCURE DE FRANCE.
qui achève de développer la belle âme disa vage,
Il rappelle au jeune François ſon amit é pour qui ,
fon admiration fincère pour les hauts fai ; il lui
déclare qu'il eût volontiers tout ſacrifié pour lui ,
hors ſa liberté. Il a découvert l'aſyle des priſonniers
, & pour ſauver ſon ami , il va les chercher.
MONTRÉAL l'arrête ; il eſt déterminé à mourir.
Alors HIASKAR accomplit ſa dernière promeſſe.
Ami , prends ce poignard tu redeviens ton maître.
MONTREAL , en prenant le poignard , remercie
lę Sauvage& , après lui avoir encore ecommandé
le falut de ſon père , il veut ſe frapper. Le pèrę
arrive en ce moment , retient ion bras & lui arrache
le poignard. HIASKAR ¡ laint ſon ami & accuſe
de cruauté le Général , qui le prive , ſelon lui ,
du droit de mourir en héros .
C'eſt à moi de mourir , dit le vieillard.
J'ai retrouvé mon fils , mon unique eérance ,
Un fils mort aux vertus , qui renaît pour la rance,
Tu vainquis une fois en ofant la trahir ,
Ne t'en ſouviens jamais que pour la mie ſervir,
Conſerve cet eſpoir , & fi tu fus rebelle
Tu pourras mieux mourir en combattant pour elle,
MonraÉAL fils répand ſa douleur dans le fein
de ſon père. Il lui peint l'excès de la paffion qu i
Le déchire & perſiſte conſtanıment dans le projet
1
JUILLET 1767. 197
de mourir pour ſon père. Il apperçoit Hirza .
QUKÉA la fuit , tenant le poignard pour le ſacri
fice. Le fond du théâtre ſe remplit de la foule des
guerriers Sauvages. OukÉA rappelle à HIRZA ſom
ferment & dépoſe le fer ſur l'autel. MONTRÉAL
fils ſe préfente à la mort. Son père s'adreſſe à
HIRZA , atteſte une loi du pays pour dégager la
parole que ſon fils a donnée de mourir pour lui
fans fon aveu. HIRZA , abſorbée par une douleur
morne , laiſſe voir le déchirement de ſon coeur .
Elle accable enſuite ſon amant de reproches ; mais
la plus forte tendrelle éclate toujours à travers ſes
plaintes. MONTRÉAL père répéte courageuſement
àHIRZA que rien ne peut changer le coeur de ſon
fils dont il diſpoſe actuellement. HIRZA , ne ſe
connoillant plus , pour punir plus ſenſiblement
fon parjure amant , lui dit que c'eſt ſon père
qu'elle va immoler. Elle prend le poignard & le
lève ſur le Général , qui la voit d'un oeil tranquille
MONTRÉAL fils ſe précipite au devant de fon père ,
&le couvrant de fon corps , reçoit le coup mortel
de lamain d'HIRZA, éperdue de fureur & d'amour.
Après ce coup elle reſte ſaiſie & tombe dans un
abattement ſtupide . Le jeune MONTRÉAL ſe traîne
àſes pieds & expire en lui jurant qu'il l'a toujours
aimée. Les dernières paroles de fon amant raniment
la douleur d'HIRZA ; elle en fait éclater
toute la violence & ſe frappe du même poignard
I iij
MERCURE DE FRANCE.
pour le rejoindre dans le tombeau. La toile tombe
en ce moment.
C'eſt avecpeine que nous avons été forcés
de dérober aux lecteurs le plaifir que
leur auroit procuré la multitude de beaux
vers répandusdans cette tragédie & qui en
fait un des principaux mérites ; mais on
conçoit bien qu'obligés de préſenter la
contexture de ce drame dans un extrait ,
nous n'aurions pu remplir ces deux objets
également , ſans excéder de beaucoup les
bornes que l'étendue des matières impoſe
à notre Journal. Nous nous trouvons
même dans la néceſſité de remettre au vol.
prochain les obſervations que nous avons
faites fur cette nouvelle tragédie. Comme
le public en voit toujours les repréſentations
avec unnouvel intérêt , nous n'avons
pas à craindre que l'on nous reproche ,
quand nous en parlerons encore , de rappeller
une matière ſurannée.
Ceux qui n'ont point vu les repréſentations
d'Hirza , quelque légères que foient
les connoiffances qu'ils pourroient avoir
du théâtre , doivent ſe figurer qu'il faut un
talent diftingué pour faire fentir & pour
exprimer avec cette juſteſſe frappante qui
faifit l'auditeur , tous les différens mouvements
du rôle de cette héroïne fauvage ,
JUILLET 1767. 199
dans l'âme de laquelle ſe diſputent avec
tant de violence les paffions , ſi oppoſées
dans le coloris , de la vengeance la plus furieuſe
& de l'amour le plus tendre . C'eſt
ce que , d'un aveu général , Mile DUBOIS
exécutedans cette nouvelle tragédie , pour
laquelle on ne peut lui ſuppoſer aucun modèle
ni prochain ni éloigné. Il faut ajouter
à ce mérite du talent , les avantage d'une
figure que la nature a favoriſée des moyens
les plus propres àpeindre le fentiment&la
nobleffe . Selon beaucoup d'amateurs du
théâtre , rien n'a fait juſqu'à préſent autant
d'honneur à cette actrice & n'a mieux
prouvé ſes progrès que la façon dont elle
rend le rôle d'Hirza ; celui de MONTREAL
fils , fi rempli des paffions violentes de la
jeuneſſe , portées au plus haut période ,
entraîne , enflamme le coeur & ſoutient
l'eſprit dans un feu continuel par la façon
dont le rend M. MOLÉ .
Ce caractère , très neuf au théâtre& particulièrement
dans la ſcène tragique , ce
fauvage , héros & philofophe , cet eftimable
HIASCAR eſt repréſenté dans ſon plus
beau jour , par M. le KAIN. Nous prendrions
un ſoin fuperflu de renouveller les
idées que tout le monde a des grands talens
de cet acteur ; mais comme ce rôle-ci
n'a point de rapport à aucun de ceux
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
dans lesquels on l'a ſouvent admiré ,
comme il ne peut même être ſenti &
rendu avec la préciſion qu'il y met que par
quelqu'un de ſupérieur à l'art ordinaire da
théâtre , nous croiriens commettre une injuſtice
de n'en pas faire ici une mention
particulière. Le rôle d'Oukea , que joue
M. d'AUBERVAL , n'est pas fans doute
auſſi ſuſceptible que les autres des grands
effets; mais on n'en doit pas moins reconnoître
dans cet acteur le mérite de l'intelligence&
encourager le zèle qui le rend
aujourd'hui ſi utile à notre théâtre. On ſe
plaint , à cette occafion , de ce que l'on
n'adopte pas affez ſur notre ſcène l'uſage,
inviolablement pratiqué par les acteurs des
autres théâtres de l'europe , de ſe procurer
artificiellement les caractères d'âge ou d'état
des perſonnages que l'on repréſente. Il
eft certain , par exemple , que dans cette
pièce, l'état de chefdes vieillards que l'auteur
a donné au perſonnage d'Oukea , &
qui est néceſſaire à la place qu'il occupe
dans la marche de l'action du drame , eft
tellement démenti par la figurede l'acteur ,
qu'il n'eſt guère poſſible de s'en douter à la
repréſentation. L'obmiffion de ces ſoins ,
que les gens fuperficiels qualifient de petits
détails , nuit toujours aux vues de
l'auteur & à l'objet que doit ſe propofer
JUILLET 1767 . 201
l'acteur. La chaleur de fentiment à laquelle
ſe livre M. BRIZARD,dans les ſcènes admibles
entre MONTREAL pere & fon fils , arrache
l'âme & rend les ſituations de
cette tragédie dans toute l'intention du
poëte & à la plus grande fatisfaction du
ſpectateur.
La tragédie d'Hirza étoit , le 11 de ce
mois à ſa dixieme repréſentation.
ÇOMÉDIE ITALIENNE.
ONNa continué Toinon & Toinette ,
comédie nouvelle en deux actes , mêlée
d'arriettes , de laquelle nous avons donné
le précis dans le dernier Mercure.
Cette nouvelle pièce , qui étoit le 11 de
ce mois à la neuvième repréſentation , eſt
imprimée & ſe vend à Paris chez la veuve
Duchesne , rue Saint Jacques. Prix 24 fols
avec les airs norés .
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
SUPP. A L'ART. DES SPECTACLES.
A M. DELAGARDE , auteur du Mercure
pour la partie du théâtre.
MONSIEUR ,
Jar lu quelque part, dans vos précédens
Mercures , que vous promettiez au public
de parler des Spectacles de Province & des
fêtes qui s'y donneroient. J'eſpere que
vous voudrezbien inférer dans le prochain,
la deſcription d'une fête qui n'a été que
l'effetdel'amitié&dela reconnoiſſance.Elle
a été donnée à l'occaſion de la fête de M.
leMARQUIS DE MONTMORIN , Lieutenant-
Général des Armées du Roi , Gouverneur
de Fontainebleau , plus grand&plus chéri
par fes qualités perſonnelles , que par fon
rang&fa naiſſance.Pluſieursjeunes gens ,
dont Madame la MARQUISE DE MONTMORIN
connoiſfoit les ſentimens & le zèle
pour fon digne époux , furent choiſis par
elle pour lui aider àremplir ſes vues. Elle
leur propoſa de jouer la Comédie , &jetra
lesyeux fur la Partie de chaſſe d'Henri IV,
par M. COLLÉ. Malgré les difficultés que
cette piece exige , les acteurs choiſis applaudirent
au choix de leur aimable direc
JUILLET 1767. 203
trice ,& firent tous leurs efforts pour répondre
aux bontés qu'elle leur a toujours
témoignées & mériter les fuffrages dupublic.
Elle-même ſe déroba ſouvent au plaifir
d'être avec ſon époux pour affifter à
toutes les répétitions ; elle couvroit même
ſes démarches de quelque prétexte ſpécieux,
pour écarter toute apparence du projet
qu'elle exécutoit. Enfin le 23 juin dernier ,
veille de Saint Jean , elle l'engagea à venir
à la falle de Spectacle où elle lui dit qu'on
étoit venu le prier d'honorer de ſa préſence
uneComédie bourgeoiſe qu'on y donnoit;
il s'y rendità quatre heures.On commença
par un prologue qu'on dit être de la compofitionde
M. THIERRY DE MAUGRAS fils.
Ce jeune homme , connu par ſes lumieres
& fon efprit , & par quelques petits ouvrages
qui lui font honneur * , harangua
M. DE MONTMORIN & le parterre. Un
demes amis m'a fair avoir le compliment
fait à ce Seigneur. C'eſt tout ce que j'ai pu
en avoir. Le prologue eſt en général trèsjoli
& très- analogue àla fête :vous en ju
gerez par ce morceau.
Vous que nos coeurs , votre nom , vos vertus
Élèvent parmi nous à la grandeur ſuprême ,
* On en a vu pluſieurs , avec plaifir , dans le
Mercure ...
Ivj
204 MERCURE DE FRANCE.
Que d'honneurs en ce jour vont vous être rendus!
Chacun en vous va fêter ce qu'il aime.
Dans ce moment délicieux
Pour mieux célébrer votre fête ,
Notre ſociété s'apprête
Et va faire à l'inſtant éclater à vos yeux
Les deſirs empreſſés , les ſoins ingénieux
D'une épouſe charmante , affable , douce , & faite
Pour rendre ſon époux heureux.
Je ne ſuis que l'écho , l'interprête fidelle
Des tendres ſentimens , du ſenſible retour
Que fans ceſſe lui peint , fans ceſſe lui rappelle
Le Dieu qui les fait naître : & ce Dieu , c'eſt
:
l'amour.
La prologue fini , on donna pour premiere
pièce la Partie de chaſſe d'Henri IV.
Vousne ſçauriez croire combien cette pièce
a eu d'applaudiſſemens. Les acteurs en général
ont rempli leurs rôles avec des talens
ſupérieurs ,&les éloges dontles ſpectateurs
les ont couronnés , n'ont été que l'effetde
leur justice & non d'une politique mal
entendue. M. THIERRY DE MAUGRAS وت
qui a rempli le rôle d'Henri IV. mérita
un éloge diſtingué de tous ſes confreres.
Il a ſçu allier à la dignité du Prince qu'il
repréſentoit , cette bonhomie adorable qui
étoit ſon caractère particulier. On peut
JUILLET 1767 . 209
même dire qu'un acteur conſommé n'auroit
pas rendu ce rôle avec plus de talens ;
auſſi dans les ſcènes attendriſſantes a-t-il
ſçu tirer les larmes des yeux de la plupart
des ſpectateurs. Dans les rôlesde Lucas , de
Catau , de Richard , du Bucheron , ( M.
PICAULT , Mile LABRIERE , M. MARECHAUX
le jeune , & M. AUBINEAU le
jeune ) ont été fort applaudis . Michau ( M.
MORTIER ) a fait beaucoup de plaifir.
Après la chanson de Michau : vive
Henri IV. & c. il ajouta avant de boire à
la fanté du Roi : buvons à celle de notre
Gouverneur , & chanta ,
Buvons enſemble
A notre Gouverneur ;
Car il raſſemble
L'eſprit & la valeur :
Et par- là reſſemble
A ce Roi plein d'honneur.
Vous devez imaginer quels applaudiſſemens
eut ce dernier couplet; on applaudit
facilement quand le coeur eft de la
partie. Ce ſpectacle a été ſuivi de l'Amant
Auteur & Valet , comédie en un acte ,
qui a fait auſſi quelque plaiſir. La ſymphonie
a eu tout le ſuccès qu'elle méritoir.
Cette fête fut terminée par un très-beau
206 MERCURE DE FRANCE .
bal que Mde de Montmorin donna en fon
hôtel. Les invités s'ytrouvèrent vers minuit
dans des habits où l'art avoit épuiſé
tout ce qu'il avoit de plus galant. Rien de
plus agréable que le coup d'oeil de cette
affemblée qui n'étoit compoſée que de la
jeuneſſe la plus aimable. Il ſembloit ,
Monfieur , que l'Hymen donnoit cette
fête à l'Amour , pour le féliciter du choix
qu'il avoit fait des deux coeurs dont il avoit
lui-même , par un lien ſacré , couronné la
tendreffe. On ne peut s'empêcher d'applaudir
au zèle qui animoit les acteurs &
les ſpectateurs. Il feroit à defirer , par les
avantages qui en réſultent , que la jeunelle
s'adonnât à ce genre d'amusement. On fe
formeroit le coeur , on s'orneroit l'eſprit ,
on cultiveroit ſa mémoire , & même ce
feroit un bien de plus pour la ſociété.
J'ai l'honneur d'être , &c.
MONSIEUR ,
:
1.
۱۲
21
D * l'aîne.
Fontainebleau , le premier juillet.
13
JUILLET 1767. 207
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES.
SUITE des nouvelles politiques du premier
volume du Mercure de juillet.
Du 8 avril.
LE Roi a accordé au Marquis du Chillear , cis
devant Capitaine dans ſon régiment d'infanterie ,
Tagrément d'un Guidon des Gendarmes de la
Garde , vacant par la retraite du Vicomte de
Mérinville.
Sa Majeſté a donné l'Abbaye de Hautevilliers ,
Ordre de Saint Benoît , Diocèſe de Reims , à
l'Archevêque de Trajanople , Coadjuteur de l'Arclievêque
de Reims .
Le 3de ce mois le Comte d'Havrincour , Colonel
à la ſuite des Grenadiers de France , & le
Chevalier d'Havrincour , Capitaine de Cavalerie ,
tous deux fils du feu Marquis d'Havrincour ,
Amballadeur du Roi auprès des Etats Généraux ,
ont été préſentés à Sa Majesté par le Duc de
Choiſeul, Miniſtre & Secrétaite d'Etat de la
Guerre & des Affaires Etrangères.
Leurs Majeſtés & la Famille Royale ſignèrent
le 4 le contrat de mariage du Comte de Cuſtine ,
Meſtre de Camp d'un Régiment de Dragons de
fon nom , avec DemoiſelleGagnat de Longny.
Hier le Prince Héréditaire de Brunswick prit
208 MERCURE DE FRANCE.
congé de Leurs Majestés & de la Famille Royale,
àqui il a été préſenté , ſous le nom de Comte de
Blakenbourg , pour ſe rendre à Londres .
Du tt .
Le y de ce mois le ſieur de Sainfoix , Hiſtoriographe
des Ordres du Roi , eut l'honneur de préfenter
à Sa Majefté , dans le cabinet , en préſence
duMarquis de Marigny, Secrétaire- Commandeur
deſdits Ordres , les deux premières parties de
l'Histoire de l'Ordre du Saint Esprit , qu'il vient
depublier.
Du 15.
- Dinianche dernier , immédiatement après les
vêpres , qui furent entendues par Leurs Majestés
& la Famille Royale , Monſeigneur le Comte de
Provence reçut le Sacrement de Confirmation des
mains de l'Archevêque de Reims , grand Aumônier
de France .
Avant-hier Monſeigneur le Dauphin , en manteau
court de deuil , revêtu du collier de l'Ordre
du Saint Eſprit & de celui de la Toiſon d'Or , ſe
Tendit en cérémonie à l'égliſe royale & paroiſſiale
de Notre Dame pour y faire les pâques. Il étoit
accompagné de Monſeigneur le Comte de Provence
, qui devoit faire le même jour ſa première
communion. Après la meſſe , qui fut célébrée
par l'Archevêque Duc de Reinis , ces deux Princes
reçurent la communion des mains de ce Prélat.
La nappe étoit foutenue par l'Abbé de Sainte
Aldegonde , Aumônier Ordinaire de Sa Majesté,
l'Abbé de Fenelon , Aumônier de quartier ,
Comte de Noailles , Grand d'Eſpagne de la première
claiſe & Chevalier de la Toulon d'Or , & le
**Duc de la Vauguyen , Pair de France , Chevalier
Ie
JUILLET 1767 . 209
des Ordres du Roi , & Gouverneur de la perſonne
de Monſeigneur le Dauphin & de Meſſeigneurs
les Enfans de France .
La Comteile de Coigny & la Marquiſe de Montlezun
furent préſentées à Leurs Majeſtés & a la
Famille Royale le 12 de ce mois , la première
par la Cointeffe de Coigny , douairière , & la
ſeconde par la Comteile de Ligny.
Du 18 .
Le 16 de ce mois , jour du jeudi ſaint , l'abſoute
fut faite par l'Archevêque de Trajanople , Coadjuteur
de l'Archevêque de Reims , & il y eut un
fermon prononcé par l'Abbé de Vammale , grand
Vicaire de Toulouſe ; après quoi le Roi , ſuivant
l'uſage , lava les pieds à douze pauvres & les
fervit à table . Le Prince de Condé , grand Maître
de la Maiſon de Sa Majeſté , étoit à la tête des
Maîtres d'Hôtel & précédoit le ſervice , dont les
plats furent portés par Monſeigneur le Dauphin ,
Monſeigneur le Comte de Provence & Monfeigneur
le Comte d'Artois , ainſi que par le Duc
d'Orléans , le Duc de Chartres , le Prince de
Condé , le Duc de Bourbon , le Prince de Conty ,
le Conite de la Marche , le Duc de Penthievre &
le Prince de Lamballe , & par les principaux
Officiers de Sa Majefté.
Le même jour la Reine entendit le fermon de
la cêne , prononcé par l'Abbé Bernard , Curé de
la paroiſſe de Saint Jacques- la- Boucherie . L'Archevêquede
Trajanople fit enfuite l'abſoute , après
laquelle Sa Majesté lava les pieds à douze pauvres
filles qu'Elle fervit à table. Le Marquis de Talaru ,
fon premier Maître d'Hôtel , & le Chevalier de
Talaru , Premier Maître a'Hôtel en ſurvivance,
210 MERCURE DE FRANCE.
précédoient le ſervice. Les plats furent portés par
MadameAdelaïde , & Meſdames Victoire , Sophie
& Louiſe , & par la Comtefle de la Marche & la
Princefle de Lamballe , ainſi que par les Dames
du Palais de la Reine & les Dames de Meſdames .
La Comtefle de Mellet a fait la quête pendant la
grand'mefle , à laquelle Leurs Majestés & la
Famille Royale ont afſiſté.
Le Roi vient d'accorder à la Princeſſe de Guiméné
la ſurvivance de la place de Gouvernante
des Enfans de France.
Du 22.
Hier le Baillide Fleury , Ambaſſadeur Extraor
dinaire de la Religion de Malte , eut une audience
particulière du Roi , dans laquelle il préſenta ſa
lettre de créance. Il fut conduit à cette audience ,
ainfi qu'à celle de la Reine & de la Famille Royale ,
par le ſieur la Live de la Briche , Introducteur des
Ambafladeurs.
Le Roi vient d'accorder un brévet d'Honneur
au Marquis de Saint-Megrin , fils du Duc de la
Vauguyon , Pair de France , Chevalier des Ordres
du Rooii ,, Gouverneur de laPerſonne de Monſeigneur
le Dauphin& de Meſſeigneurs les Enfan
de France.
Sa Majeſté a donné le Gouvernement d'Heſdin ,
vacant par la mort du Marquis d'Havrincour , au
Marquis d'Havrincour, fon fils aîné , Colonel
dans le Corps des Grenadiers de France ; le grade
deMaréchal de Camp au Marquis d'Eſcouloubre ,
Brigadier , Meſtre de Camp du régiment Royal-
Normandie ; celui de Brigadier d'infanterie au
Comte le Camus , Colonel d'un Régiment de
Grenadiers Royaux ; celui de Brigadier de cava
JUILLET 1767. 211
lerie au ſieur de Brunet d'Evry , Lieutenant-
Colonel du Régiment Royal - Champagne avec
rang de Mestre de Camp , & au ſieur de Villers ,
Lieutenant-Colonel du régiment de cavalerie de
Condé ; la charge de Colonel du régiment de
Piémont , vacante par la démiſſion du Comte de
Grave , au Comte de Peyre , Colonel du régiment
de la Sarre ; celle de Colonel de ce dernier
régiment au Duc de la Rochefoucault , Lieutenant
dans le régiment d'infanterie du Roi ; la place
de Colonel - Conımandant du régiment Royal-
Suédois , vacante par la retraite du ſieur de
Maës , au Baron d'Elbecq , Major du régiment
de Bouillon , avec rang de Colonel ; le régiment
de Grenadiers - Royaux , vacant par la démiſſion
du Comte le Camus , au ſieur de la Barthe , Major
du régiment de cavalerie de Berry ; la charge de
Meſtre de Camp du régiment Royal Normandie
au Prince de Solre , Capitaine de cavalerie ; le
Guidon desGerdarines Bourguignons , vacant par
la démiſſion du Chevalier de Coigny , au Chevalier
de Choiſeul Meuſe , Capitaine dans le régiment
de Dragons de Caſtine; celui des Gendarmes
de la Reine , vacant par la démiſſion du Marquis
de Surgeres , au Chevalier de Cuſtine , Guidon
réformé de laGendarmerie ; & une place de Commandeur
dans l'Ordre de Saint Louis au ſieur de
la Graulet , Brigadier , Lieutenant pour le Roi
au Château Trompette.
Sa Majesté ayant donné le commandement du
Soiflonnois au Marquis de Barbançon , Lieutenant-
Général & Inſpecteur général de la Cavalerie
Elle a diſpoſé de la place d'Inſpecteur général en
faveur du Chevalier de Sarsfield , Maréchal de
Camp. Les ſieurs de Saint-Sauveur & de Valliere
Maréchaux de Camp , ont été auſſi nommés Inf
pecteurs généraux.
212 MERCURE DE FRANCE.
Le Roi a accordé le grade de Lieutenant-
Général an ſieur Pestalozzi , Maréchal de Camp ,
commandant la compagnie générale des Suitles
&Grifons , & le commandement de cette com
pagnie , vacant par la démiſion du ſieur Peſtalozzi
, au Chevalier d'Erlach , Capitaine de Grenadiers
au régiment des Gardes Suifles ; la contpagnieduChevalier
d'Erlach au ſieur de laThanne,
premier Lieutenant de la même compagnie ; celle
des fufiliers , vacante dans le même régiment par
la retraite du Bat on Demont , au ſieur de Salis de
Séevis , Capitaine de grenadiers au même régiment
, & celle de Salis de Séevis au ſieur de
Caftella-Montagny , premier Aide Major de ce
corps.
Sa Majeſté a nommé à l'Archevêché d'Embrun
l'Abbé de Leyffin , Vicaire général du diocèſe de
Troyes , à l'Evêché d'Autun l'Abbé de Marbeuf ,
Vicaire général du diocèſe de Rouen ; à celui du
Mans l'Abbé de Grimaldi , Vicaire général du
diocèſe de Rouen ; à celui de Saint- Malo l'Abbé
du Laurent , Vicaire général du même diocèſe ,
&àcelui de Dol l'Abbé de Hercé , Vicaire général
du diocèſe de Nantes. Sa Majesté a donné en
même temps l'Abbaye de la Couture , Ordre de
Saint Benoît , diocèſe du Mans , à l'Archevêque
d'Embrun ; celle de Saint Aubin , Ordre de Saint
Benoît , diocèse d'Angers , à l'Evêque d'Angers ;
celle de Saint Nicolas , même Ordre & même
diocèſe , à l'Evéque de Chalons - fur- Saone ; cel'e
de Joſaphat , même Ordre , Diocèſe de Chartres ,
à l'Abbé de Sabran , Vicaire général du même
diocèſe ; celle de Septfontaines , Ordre de Pré
montré , diocèse de Reims , à l'Abbé de Saint-
Val , Vicaire général du Diocèſe de Poitiers ; celle
de Saint Jacut , Ordre de Saint Benoît , diocèse
JUILLET 1767 . 213
de Dol , à l'Abbé de Rays , Vicaire général du
diocèſe de Tréguier , & celle de Saint Maurin ,
même Ordre , diocèſe d'Agen , à l'Abbé de Crefmaux
d'Antragues , Vicaire général du diocèſe de
Bordeaux,
Avant-hier la Princeſſe de Guémené a prêté
ferment entre les mains du Roi pour la charge de
Gouvernante des Enfans de France & Surintendante
de leurs Maiſons , dont Sa Majesté a bien
voulu lui accorder la ſurvivance. Le même jour
le Chevalier de Tavannes , fils du Comte de Saulx ,
Lieutenant Général des Armées du Roi , Chevalier
de ſes Ordres , & Chevalier d'Honneur de la
Reine , a été préſenté à Leurs Majestés & à la
Famille Royale, Le même jour la Comteſſe de
Raftignac a été préſentée à Leurs Majeſtés , ainſi
qu'à la Famille Royale , par la Comteile de Lillebonne
; & le ſieur de Calonne , Intendant de
Metz , a pris congé du Roi , a qui il a eu l'honneur
d'être préſenté par le Duc de Choiſeul ,
Miniſtre & Secrétaire d'Etat ayant le département
des Affaires Etrangères & de la Guerre,
Du 25 .
Madame Louiſe eſt aujourd'hui dans le quatrième
jour de l'éruption d'une rougeole trèscoatidérable
; mais les accidens ayant commencé
d'aujourd'hui à diminuer ſenſiblement , on a lieu
d'eſpérer une guériſon auſſi prompte que parfaite.
Du 29 .
Leurs Majestés & la Famille Royale ſignèrent
le 26 de ce mois le contrat de mariage duMarquis
de Moges -Beron , Cornette du régiment du Colo
:
1
214 MERCURE DE FRANCE.
nel Général de la Cavalerie , avec Demoiſelle
fille du ſieur d'Hariagues , Baron d'Annau .
Avis intéreſſant : voyez le Mercure de juin dernier
, page 212 .
J
APPROBATION.
'AI lu , par ordre de Monſeigneur le Vice-
Chancelier , le ſecond volume du Mercure du
mois de juillet 1767 , & je n'y ai rien trouvé qui
puiffe en empêcher l'impreſſion. A Paris , ce 18
juillet 1767.
GUIROΥ.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
EPITRE contre le ſuicide . Pages
ESSAI de moralités. II
CHANSON pour la fête de la charmante Céleste. 12
LÉS Epoux amans. 13
PORTRAIT d'un Sage. IS
De l'opéra , de Quinault , &de la muſique . 18
LETTRE à M. de la Place , auteur du Mercure
de France.
33
La Tortue & les Canards , fable. 37
IMPROMPTU à Mile B *** , aimée & admirée
de trois ſujets de différentes nations en même
temps. 3
JUILLET 1767. 215
A Mde de *** , qui avoit joué le rôle de la Pupile
dans la pièce qui en porte le nom.
VERS amoureux .
Les quatre contens , Conte galant.
39
Ibid.
41
ODE couronnée au jugement de l'Académie des
Jeux Floraux de Toulouſe.
50
LETTRE de Mile Coffſon à Mlle Thomaſſin. 54
LOGOGRYPHES .
ENIGMES. 57
58
La bergère crue infidelle , paſtorale.
MADRIGAL fur la paſtorale précédente.
61
63
ARTICLE II . NOUVELLES LITTÉRAIRES,
ÉLOGE hiſtorique du R. P. Marin , Minime. 64
A l'Auteur du Mercure . 71
ABRÉGÉ de l'Hiſtoire Eccléſiaſtique. 72
DICTIONNAIRE hiſtorique des moeurs , uſages &
coutumes des François , &c. 82
JULIE , ou l'Heureux repentir , anecdote hiſtorique.
93
LES Sens , poëme en ſix chants , avec eſtampes
&vignettes. 78
ÉLÉMENS de la Philoſophie Rurale . 105
LETTRE d'Ovide à Julie , précédée d'une lettre
en proſe de M. Diderot. IO
ANNONCES de livres . 113
LETTRE de M. D ..... ſur les mépriſes de quelques
hommes célèbres en matière d'hiſtoire. 136
ARTICLE III . SCIENCES ET BELLES LETTRES.
ACADÉMIES.
ACADÉMIE Royale des Belles -Lettres de Caen. 143
SÉANCE publique de la Société Littéraire d'Arras.
ARCHITECTURE .
ISO
CATALOGUE de l'oeuvre entier de M. Dumont.1st
216 MERCURE DE FRANCE.
AGRICULTURE.
LETTRE ſur les Courtillières .
153
Avis aux amateurs de l'hiſtoire naturelle. 156
ARTICLE IV . BEAUX - ARTS.
CHIRURGIE .
ARTS UTILES .
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
160
PRÉCIS de l'hiſtoire générale de la Muſique. 162
GRAVURE.
La Dévotion au Sacré Cour de Jéfus , établie en
France par le Clergé aſſemblé en 176 5 .
ARTICLE V. SPECTACLES .
167
176
177
JOUAILLERIE .
GÉOGRAPHIE .
OPERA.
COMÉDIE Françoiſe .
COMÉDIE Italienne .
SUPPLÉMENT à l'article des ſpectacles.
179
183
201
202
ARTICLE VI. NOUVELLES POLITIQUES.
SUITE des nouvelles politiques du premier volume
du Mercure de juillet, 207
Del'Imprimerie de LOUIS CELLOT, rue Dauphine,
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le