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1766, 07, vol. 1-2, 08-09
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29.70 Mo
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879
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Texte
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
JUILLET 1766.
PREMIER VOLUME,
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
Cochin
Jitius inv
PapillonSculp
Chez.
A PARIS,
-JORRY , vis - à-vis la Comédie Françoife .
PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue du Foin.
CELLOT , Imprimeur, rue Dauphine .
Avec Approbation & Privilege du Roi.
THE NEW YOUR
PUBLIC LIBRARY
335332
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1905
AVERTISSEMENT.
LEE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer
francs de port , les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie littéraire ,
à M. DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols ;
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles
on enverra le Mercure par la Pofte ,
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront d'autres voies que
la Pofte pour le faire venir , & qui prendront
les frais du port fur leur compte ,
ne payeront comme à Paris , qu'à raison
de 30 fols par volume , c'est- à- dire , 24 liv.
d'avance , en s'abonnant pourfeize volumes.
A ij
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci - deſſus .
On Supplie les perfonnes des provinces
d'envoyerpar la Pofte , en payant le droit ,
leurs ordres , afin que le paiement en ſoit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis
refteront au rebus.
On prie les perfonnes qui envoient des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Les volumes du nouveau Choix des Pièces
tirées des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Cette collection eft compofée
de cent huit volumes. On en a fait
une Table générale , par laquelle ce Recueil
eft terminé ; les Journaux ne fourniſſant
plus un affez grand nombre de pièces pour
le continuer.. Cette Table ſe vend féparément
au même Bureau , où l'on pourra fe
procurer quatre collections complettes qui
reftent encore moyennant 130 livres chacune
brochée , d'ici au premier Août , paffé
lequel temps elles vaudront 170 livres s'il
en refte.
Lave
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET 1766.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
SUITE des Lettres originales de HENRY
IV, tirées des manufcrits légués par
M. le Comte D'ARGENSON , à M. le
Préfident HENAULT.
VINGT- CINQUIEME LETTRE.
Mon coeur , jay fayt un voyage de
huyt jours vers le Berry , où je né efté
ynutylle , ayant prys myraculeufement
le
château d'Arjanton , place plus forte que
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
de
Leytoure , desfayt une troupe de fynquante
hommes choyfys de la lygue quy la venoyent
fecourir , réduyt bien troy cens
Gentylshommes lygeurs , les uns à porter.
les armes avec moy , les autres promys
ne bouger , & ont pryns fauuegarde , les
autres contreyns ne bouger de chés eus
de peur qu'on leur prégne leur méfons ;
jai pryns auffy le Blanc au Berry , & dys
ou douze autres fors : cela fapelle cent
mylle efcus de revenu. Je me porte trèsbien
, Dieu Mercy , naymant ryen comme
vous au monde. Jay receu votre lettre ,
il na faylu guéres de temps à la lyre . Bon
foyr , mon ame , ie vous béfe un mylyon
de foys. Ceft le xvii me Mars. De Chateleraut.
VINGT-SIXIeme Lettre.
Vous antandrés de ce porteur l'heureus
fuccès que Dieu nous a donné , au plus
furyeus combat quy ce foyt fayt de cefte
guerre ; il vous dyra auffy , comme M. de
Longueuy lle,de la Noue & autres onttryonfé
pres de Parys. Sy le Roy ufe de dylygence ,
comme jefpere qu'il fera , nous voyrrons
bientoft les clochers Notre -Dame de Parys .
Je vous efcryuys il ny a que deus jours
par Petyjan ; Dieu veylle que cefte ceJUILLET
1766 .
mayne nous fefyons encore quelque chofe
dauffy fygnalé que lautre. Mon coeur ,
aymés moy tousjours , comme vous neſtes
à moy ny moy à vous , fur cefte véryté je
vous béfe les mayns. A Dieu , mon ame.
Ceft le xxi me May . De Boyjancy.
J
VINGT-SEPTIEME LETTRE .
ATANS votre fylz quy neft loyn ; toutes
foys ce quyl a afére eft le plus dangereus.
Il facompagnera de quelques troupes quy
me vyenent. Nous fommes devant Pontoyfe
, que je croys que nous ne prandrons
pas ; lon la attaqué contre mon opуnyon :
les plus vyeus ont eftés crus , jay peur quyls
révoyent. Hautefort fut tué hyer , quy eſt
perte pour la lygue. Les enemys & nous
avons efté an bataylle tout cejourd'huy
pêle mêle , la ryuyere antre deus , leurs.
troupes ne font éguales aus nôtres , ny an
nombre , ny an bonté. Lyfie - Adam ceft
randu auffy , qui cft un pont fur la ryvyere
d'Oyfe ; jy voys loger demayn- : il ny aura
plus deau antre M. Dumeyne & moy ; il
eft à St. Denys. Nous nous joyndrons aus
Souyces dans fys jours ; M. de Longuevyle
& de Lanoue les meynent. Bien que nous
foyons jour & nuit à cheval , fy et- ce que
nous treuvons cefte guerre bien plus douce ;
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
lefpryt y eft plus contant . Devantyer je fys
voyr mes troupes au Roy. Paffant fur le
pont de Poyffy , je luy montré doufe cens
mettres & catre myle Harquebufyers. Mon
coeur , janrage quant je voys que vous
doutés de moy , & de dépyt je ne tâche
poynt de vous ofter cefte opynyon ; vous
avés tort , car je vous jure que jamays je
ne vous ay aymée plus que je foys , &
aymeroys myeus mouryr que de manquer
à
ryen que je vous aye promys. Ayés cefte
créance , & vyvés affeurée de ma foy. Bon
foyr , mon âme ; je vous béfe un mylyon
de foys. Ce 14 me Juylet , du camp à
Pontoyfe.
M
VINGT-HUITIEME LETTre .
ON coeur , ceft merveylle de quoi je
vys au trauayl que jay ; Dieu aye pytyé
de moy & me face miférycorde. Bényfant
mes labeurs comme il fayt au defpyt de
beaucoup de gens , je me porte bien &
mes afayres vont bien , au prys de ce que
panffoyent beaucoup de gens. Je pryns
hyer Eus ; les enemys , quy font fort au
double de moy afteure , my panffoyent
atraper. Ayant fayt mon antreprynſe , je
me fuys raproché de Dyepe & les atans
à un camp que je fortyfye. Ce fera deJUILLET
1766. 9
mayn que je les voyrray , & efpere , avec
layde de mon Dieu , que fyls mataquent
ils fan treuueront mauués marchans. Le
porteur part par mer ; le vant & mes
afayres me font fynyr , an vous béfant un
mylyon de foys . Ce 9 me Septambre , dans
la tranchée à Arques.
VINGT-NEUvieme Lettre.
ON âme , depuis le partement de Lycerace
jay pryns les vylles de Cés , Argentan
& Falefe , où jay atrapé Bryffac, & tout ce
qu'il avoit mené de fecours pour la Normandye
. Je par demain pour aller ataquer
Lyfyeus , en maprochant du Duc de
Mayene , qui tyent affyégé Pontoyfe. Mes
troupes font crues depuys le defpart de
Lycerace de bien fys cens Gentylshommes
& deus mylle hommes de pied , de faffon
que par la grace de Dieu je ne crayns ryen
de la lygue. Jay fayt la fène anuyt , que
je ne panfoys pas fayre an Normandye il
y a un an. Je vous défpefcheré dans troys
jours un de mes laqués par mer , car je
fuys fur le bort. Certes je foys bien du
chemyn, & voys comme Dieu me conduyt,
car je ne fay jamays ce que je doys fayre
au bout ; cependant mes éfets font des
myracles , auffy font-yls conduyts du grand
Αν
10 MERCURE DE FRANCE.
Mettre. Je nayme ryen que vous , & am
cefte réfolutyon je mourray fy ne me donnés
ocafyon de changer. Je me porte trèsbien
, Dieu mercy , fort à votre fervyce.
A Dieu , mon coeur , je te béfe un mylyon
de foys. De Faléfe , ce 8 me Janvyer.
En achevant cefte lettre ceus de Bayeus
mont aporté les clés , quy eft une trèsbonne
vylle.
Mon
TRENTIEME LETTRE.
ON coeur , vous n'avez deygné defcryre
par Bycofe. Pancés-vous quyl vous
fyéfe bien dufer de ces froydeurs ? je vous
an leffe à vous- mefines le jugement. Jay
efté très -ayfe de fçauoir de lui le bon eftre
auquel vous êtes . Dieu nous y meyntyene
& me contynue fes bénédyxtyons comme
il a fayt jufques ycy. Jay pryns cefte Place
fans tyrer le canon que par móquerye , où
yl y auoyt mylle Soldats & cent Gentylfhommes
; ceft la plus forte ceft la plus forte que jaye réduyte
an mon obéyffance , & la plus utyle , car
jan tyreray foyfante mylle efcus: Je vys
bien à la Huguenote , car jantretyens dys
myle eftrangers , & mà méfon , de ce que
jaquyers chacunjour , & vous dyré que
Dieu me beny tellement quyl ny a que.
peu ou poynt de maladyes an mon armée ,
JUILLET 1766.
quy aucmante de jour à autre. Jamays je
ne fus fy feyn , jamays vous aymant plus
que je foys. Sur cefte véryté je te béfe ,
mon âme , un mylyon de foys. De Lyfyeus
, ce 16 me Janvier.
TRENTE - UNIEME LETTRE .
MON
ON coeur , jay achevé mes conquêtes
jufques au bord de la mer ; Dieu bényfe
mon retour comme il a fayt le venyr. Il
le fera par fa grace , car je luy raporte
tous les heurs quy marryuent. Jefpére
que vous oyrrés bien toft parler de quelquune
de més fayllyes : Dieu my affyfte
par fa grace. Le Léguat , l'Ambafadeur
d'Efpagne , le Duc de Mayene , tous les
chefs des enemys font affamblés à Parys.
Les oreylles me devroyent bien corner ,
car ils parlent bien de moy. Je receus hyer
de vos lettres par lhome de Revygnan . Je
fus trés-ayfe de fcauoyr votre bon eftat ;
pour moy , je me porte à fouhet , vous
aymant pluftoft trop qu'autremant. Jay
faylly à eftre tué trante foys à ce bor... ;
Dieu eft ma garde. Bon foyr , mon âme :
je man voys plus dormyr cefte nuyt que je
nay fayt depuys huyt jours . Je te befe un
myllyon de foys . Ce xxix Janvyer.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE .
TRENTE - DEUXIEME LEttre.
Mon coeur , ne doubtés pas que je ne
prégne bien guarde à moy ; mays ma pryncypalle
affeurance eft an Dieu , quy me
guardera par fa grace. Votre fylz cera ycy
anuyt du tout guéry. Nous fommes devant
Vandofme , que jefpére prandre denmayn ,
& veus nétoyer les anvyrons de Tours
devant quy aller. Il n'eft pas croyable les
menée quy ce font partout. Je dys dedans
moi - mefme , le Dyable eft défchéné ,
Dieu cera fur tout , par concéquant mes
afayres yront bien , car jay an luy toute
mna fyance. Soyés tousjours affeurée de ma
foy , elle eft ynvyolable. Bon jour , mon
âne ; je man voys aus tranchées . Je te
béfe un mylyon de foys. Nos Reytres font
antrés an Champagne , ceft à dyre , les
troys mylle , & fync mylle Lanfquenets ,
car la grande levée ny vyendra quan Juyn .
Dans deus jours jy anvoye le Marefchal
Daumont pour les amployer an Loreyne ,
jufques à ce qu'ayant fayt mes aferes à
Tours je les puyffe aller joyndre , quy fera
à la my Défambre ; & pancé-vous pouvoyr
affeurer que de la fyn de Janvyer je feray
dans Parys. A Dieu.
JUILLET 1766. 13
TRENTE-TROISIEME LETTRE.
MON
ON ame , je te prye de trouver bon
( fy le malheur voulloyt que M. de Turene
mourut ) que je ne donne l'eftat que demandés
à votre filz ; ce neft chofe propre, &
feroyt le randre ynutylle , car depuys quyls
font à ceſte charge , elle eft fy cagnarde
que ceft la perte dun jeune homme. Vous
me lavés donné , leffés le moy nourryr à
ma fantélye , & ne vous donnés peyne
de luy , jen auray tel foyn que vous connoytrés
combien je layme pour lamour de
vous . Jan ay parlé à La baffe , & de vos
autres afayres . Je fuys an colere quant ·
vous croyés quyl ne me faut que voulloyr.
Je vous jure queftant Roy de Nauarre je
nay poynt efprouvé les nécécytés que je
foys depuys un an. Je fuys devant Parys ,
où Dieu maflyftera. La prenant, je pourray
commancer à fantir des éfets de la
couronne. Jay pryns les pons Cheranton &
St. Mor à coups de canon , & pandu tout
ce quy eftoyt dedans. Hyer je pryns les faubours
de Parys de force. Les énemys y
perdyrent beaucoup & nous peu. Bien eft
vray que M. de Lanoue y fut bleffé , mais.
ce ne cera ryen. Je fys bruller tous leurs
moullyns , comme j'ay fayt de tous les
16 MERCURE DE FRANCE.
appercevoir quelques marques d'inquiétudes
fur le vifage de fon hôteffe : qu'eſt- ce
donc ( lui dit- il ) , Madame ? Vous cauferois-
je ici quelque embarras ? A mefure
que la nuit vient , je vous trouve moins
gaie ! Parlez-moi librement , & foyez füre
que mon intention n'eft pas de vous gêner
en rien.
Monfieur ( lui répondit la Dame ) , je
vous avouerai franchement l'efpèce d'embarras
où je me trouve . C'eft aujourd'hui
Jeudi ; pour peu que vous connoiffiez la
province , vous ne ferez point étonné de la
peine où je fuis pour pouvoir , auffi bien
que le voudrois , vous donner à fouper.
J'ai vainement fait parcourir la ville entière
; il ne s'y trouve exactement rien ,
& vous m'en voyez défefpérée ! .. Un de
mes voiſins feulement dit avoir à fon croc
une dinde grâffe, & qu'il me cédera volontiers
pourvu qu'il vienne en manger fa
part. Cette condition me paroît d'autant
plus dure , que cet homme n'eft en effet
qu'une efpèce d'artifan renforcé que je
n'oferois admettre à votre table , & qui
pourtant tient fi fort à fa dinde , que, quelques
offres que je faffe , il ne prétend la
lâcher qu'à ce prix. Tel eft , au vrai , le
fujet de mon inquiétude.
Cet homme (dit le Roi ) me paroît un
JUILLET 1766. 17
-
-
bon
compagnon. Oui , Monfieur
, c'eſt
le plaifant du quartier , honnête
homme
d'ailleurs
, bon François , très -zélé royalifte
, & affez bien dans fes affaires. — Oh ,
Madame
qu'il vienne : je me fens beaucoup
d'appétit
; & dût- il un peu nous ennuyer
, il vaut encore mieux fouper avec
lui que de ne point fouper du tout.
Le Bourgeois averti , arrive endimanché,
avec fa dinde ; & , tandis qu'elle rotifſoit,
tint les propos les plus naïfs , les plus gais ,
raconta les hiftoires fcandaleufes de la ville ,
affaifonna fes récits de faillies auffi vives
que plaifantes , amufa enfin le Roi , de
façon que ce Prince , quoique mourant de
faim , attendit le fouper fans impatience .
La gaieté de cet homme , quoiqu'il ne
perdît pas un coup de dent , fe foutint ,
augmenta même tant que dura le repas.
Le bon Roi rioit de tout fon coeur ; &
plus il s'épanouiffoit, plus le joyeux convive
étoit à fon aife & redoubloit de bonne
humeur. Au moment où le Roi quitta la
table , l'honnête Bourgeois , tombant toutà-
coup à fes pieds : Sire ( s'écria-t- il ) , pardon
ce jour eſt certainement pour moi
le plus beau de ma vie. J'avois vu paffer
Votre Majefté lorfqu'elle eft arrivée ici ;
j'étois affez heureux pour la connoître ;
je n'en ai rien dit , pas même à Madame ,
18 MERCURE DE FRANCE.
lorfque j'ai vu qu'elle ne connoiffoit point
notre grand Roi... Pardon , Sire ! encore
un coup , pardon ! ... je prétendois vous
amufer quelques inftans ; j'aurois fans
doute été moins bon , & Votre Majefté
n'eût pas joui de la furpriſe de ma voifine.
La Dame , en ce moment , étoit également
aux pieds du Roi , qui les fit relever
avec cette bonté qui fut toujours la bâfe
de fon caractère ainfi que de celui de fes
auguftes defcendans.
Non, Sire ! s'écria le Bourgeois , en s'obftinant
à rester à genoux , non , Sire ! je
refterai comme je fuis jufqu'à ce que Votre
Majefté ait daigné m'entendre encore un
inftant.
Eh bien , parle donc ( lui dit le Monarque
, vraiment enchanté de cette fcène ) .
Sire , lui dit cet homme , d'un air & d'un
ton également grave , la gloire de mon
Roi m'eft chère ; & je ne puis penfer
qu'avec douleur combien elle feroit ternie
d'avoir fouffert à fa table un faquin tel
que moi..... Et je ne vois qu'un feul
moyen de prévenir un tel malheur .
Quel eft-il ? répliqua Henry.- De m'accorder
des lettres de nobleffe . - A toi ? -
Pourquoi non, Sire ? quoique jadis artiſan ,
je fuis François ; j'ai un coeur comme un
autre je m'en crois digne , du moins par
JUILLET 1766. 19
-
mes fentimens pour mon Roi . - Fort
bien , monami ! .. mais quelles armes prendrois
-tu ? Ma dinde , Sire : elle m'a
fait aujourd'hui trop d'honneur . — Et
bien , foit , s'écria le Monarque , en éclatant
de rire ... ventre-faint-gris , tu feras
Gentilhomme , & porteras ta dinde en pal.
Depuis cette époque , foit que ce Particulier
fût déja affez riche , foit que par la
fuite il le fût devenu , il acheta dans les
environs d'Alençon une terre qui a été
érigée en Châtellenie , fous fon nom ,
qu'il ne voulut jamais changer. Ses defcendans
la pofsèdent encore , & portent
en effet pour armes une dinde en pal.
Envoi à M. DE LA PLACE.
Telle eft , Monfieur , l'anecdote que je
vous avois promife. Elle m'a été racontée
par une femme refpectable , dont le fils a
pris alliance dans cette même famille , où
l'on raconte volontiers cette hiftoriette ,
qui s'y eft confervée par tradition . Je vous
aurois nommé le héros de cette aventure ,
la terre & la famille exiftante ; mais il fe
trouve dans le Royaume plufieurs familles
nobles du même nom ; je fuis peu à portée
de vérifier le fait fur les lieux mêmes ,
& je craindrois de me tromper. Ce fait ,
22 MERCURE
DE FRANCE.
EPITAPHE de STANISLAS , Roi
de Pologne.
Cx git ,fous cette tombe , un Roi plein de
juftice ;
Qui protégea les arts , honora le talent ;
Qui foutint la vertu , qui fut l'effroi du vice ;
En un mot un Roi bienfaifant ..
EPITAPHE de FREDERIC V , Roi
de Danemarck.
Cy gît un Prince doux , compatiſfant , ſincère; Y
Le Salomon du Nord , Fréderic le Danois ,
Qui fut par fes vertus le niodèle des Rois ,
Et qui fit ſon bonheur d'être nommé le père
Des peuples que le fort foumettoit à fes loix.
JUILLET 1766. 23
TRADUCTION du Stabat Mater dolorofa.
LAA Mère du Sauveur du monde
Pleuroit dans fa douleur profonde
Sous la croix où fon fils pendoit
Là ſon âme d'effroi glacée
De part en part fut traverſée
Par le glaive qu'elle attendoit.
Dans quelle angoiffe épouvantable
Fut cette mère reſpectable
De l'Héritier du Roi des Cieux !
Combien de fanglots & d'alarmes ,
Combien lui coûterent de larmes
Les maux de ce fils glorieux !
Sans pleurer , quelle âme endurcie
Verroit la mère du Meffie
Souffrir ces tourmens infinis ?
Ah , fans la douleur la plus jufte ,
Qui verroit cette Mère augufte
En pleurs à côté de ſon Fils ?
Pour les péchés des créatures ,
Elle l'a vu dans les tortures ,
Sous le fouet des bourreaux gémir.
24 MERCURE DE FRANCE.
Elle a vu ce Fils cher & tendre
Mourir dans l'amertume , & rendre
Sous les yeux le dernier foupir.
Source d'amour & de tendreile ,
O Mère , que votre trifteffe
Paffe toute entière en mon coeur !
Faites qu'une divine flâme
Pour Jésus embrafe mon âme ,
Et que je plaife à mon Sauveur !
*
Sainte Mère , faites enforte
Qu'enfoncés dans mon coeur , je porte
Les cloux qui perçoient Jésus- Christ !
Son fang coula pour mes offences :
Donnez-moi ma part des fouffranfes
Que pour moi mon Sauveur fouffrit.
Que , répandant des larmes vrayes ,
Je m'attendriffe fur fes playes ,
Auffi long- temps que je vivrai !
A vos côtés fi je puis être ,
Sur la croix de ce divin -Maître ,
A vos foupirs je m'unirai !
Vierge des Vierges , Vierge Mère ,
Ne me foyez donc point amère ,
Qu'avec vous je pleure Jésus !
Je veux fentir fa mort affreuſe ,
Et fa paffion douloureufe :
Compter les coups qu'il a reçus.
Que
j
JUILLET 1766. 25
Que mon âme en foit déchirée !
Et que de la croix enyvrée'
Elle brûle du faint amour !
Quand je ferai devant mon juge ,
O Vierge foyez mon refuge :
Plaidez pour moi dans ce grand jour.
Que Jésus mourant me regarde ;
Que fa croix foit ma fauvegarde ,
Et fa gloire mon reconfort !
Que mourant d'une mort chrétienne ,
Par votre prière j'obtienne
Le paradis après ma mort !
Par M... abonné au Mercure. A Brive ;
le 28 Mars 1766 , jour du Vendredi Saint.
UNE Dame ayant l'équivalent de ce vers
d'Horace :
à
une
Naturam expellas furcâ , tamen ufque recurret.
quelqu'un le cita . Elle fut flattée d'avoir
eu la même penſée. On en fit part
jeune Demoifelle , qui fléchit le genou
devant elle & rendit ainfi fon hommage
à cette Dame & au Poëte . Cela donna
lieu à l'impromptu fuivant :
Vol. I. B
26 MERCURE DE FRANCE.
A Mde R.
Vous parlez comme Horace , il penfa comme
yous ;
Un rapport fi flatteur ajoute à fa mémoire:
Et l'encens que lui rend Lucinde à vos genoux
Eft encore un hommage au - deffus de fa gloire.
Par M. PALLU.
REMERCIEMENT de M. HARDUIN , Secrétaire
perpétuel de la Société Littéraire d'Arras , à
LEURS ALTESSES SERENISSIMES ELECTORALES
PALATINES , fur le préfent qu'Elles
ont daigné lui faire de leurs portraits , pour
mettre dans une tabatière dont elles l'avoient
précédemment gratifié , ainfi que d'une médaille
d'or portant d'un côté la tête de l'Electeur , &
de l'autre celle de l'Electrice.
ENTRE NTRE mes plus chers avantages
Je dois compter , fans doute , auguftes Souverains,
Cette riche médaille où brillent vos images
Et dont m'ont honoré vos bienfaifantes mains.
Mais l'élégante mignature
Qui vous offre encore à mes yeux ;
Eft un trésor plus précieux,
Puifqu'elle rend mieux la nature.
JUILLET 1766. 27
Vous femblez maintenant , dans ces nouveaux
portraits ,
A mes regards charmés vous montrer de plus
près .
Quelquefois entraîné , féduit par l'apparence ,
Je fuis l'impreffion d'un preftige flatteur ,
Et me crois admis à l'honneur
D'exprimer en votre préſence
Tout ce que la reconnoiffance ,
En traits vainqueurs du temps , a gravé dans mon
coeur.
ETRENNES à la SOURIS , petite chienne de
M. le Mquis DU CHATELET, Lieutenant-
Général , en lui envoyant des colliers .
BELLE & fage Souris , diftinguez , je vous prie ,
Mon hommage en ce temps fufpect ;
Le tribut de la flatterie
Pour vous ni pour moi n'eſt pas fait.
Mon préfent eft petit , fans être méprifable ,
Il eft forti des mains d'une Fée admirable ;
Mais il deviendra fûrement
A vos yeux plus confidérable ,
Lorsque vous apprendrez que c'eft le fentiment ,
(Quoi qu'en cette faiſon il marche rarement )
Qui vient pour vous l'offrir lui - même .
Du cas que vous ferez de mon petit préſent ,
Vos careffes feront un figne fuffifant ,
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Il n'eſt point équivoque au moins fur ce qu'on
aime .
Sachez que d'un tel compliment
Je ferois cent fois plus content
Que des harangues menfongères
Qui volent aujourd'hui fur les aîles du vent
Et qui font encor plus légères.
Pour mes voeux , ils font bien fincères ;
Vous connoiffez combien pour vous
J'ai toujours témoigné d'eftime ;
Souvent devant vous je l'exprime
Dans ces momens pour moi fi doux ,
Où votre illuftre maître , affis feul avec nous
De la philofophie agréable & fublime ,
Daigne me donner des leçons ,
En nous retraçant une image
De ces immortels Scipions
Qui fçurent , comme lui , par un rare affemblage ,
Réunir les vertus du fage
Et le goût du Dieu des beaux arts
Avec tous les talens de Mars.
Ses préceptes ont dû m'apprendre
A combattre l'erreur de notre vanité ,
Ce préjugé qui veut vous rendre
Méprifable à l'humanité :
C'eſt lui qui , m'arrachant le bandeau du vulgaire ,
M'a fait de votre efprit pénétrer les refforts ,
Et m'en expliquant le mystère ,
M'a découvert les grands tréfors
>
JUILLET 1766. 29
Cachés dans votre petit corps.
Tendreffe invariable & fûre ,
Egale dans fes mouvemens ,
Vérité dans les fentimens ,
Volupté douce , vive & pure ,
Sans dégoût , fans emportement ,
Toujours prife dans la nature ,
Et fans excéder la meſure
Prefcrite à nos amuſemens ;
Enfin point de coquetterie ,
Ni tout cet attirail de la frivolité ;
Point d'intrigue , de fourberie ,
D'ambition , de vanité ,
Rien enfin qui trouble une vie
Faite pour la félicité.
Voilà le portrait véritable
Que me traçoit de vous ce philofophe aimable:
J'applaudiffois , vous le favez ;
Couchée alors à nos côtés ,
Vous paroiffiez par modeftie
Dans le fommeil ensevelie ,
Et de ce trait encor nous étions enchantés.
Vous comprenez , Souris , qu'à tant de qualités
Il accorde fans peine une eftime infinie ;
Car vous favez qu'il apprécie
Les mortels au poids de leur coeur ,
Et qu'il fait écarter toute fuperficie
De rang , de nom & de grandeur ;
B iij
30
MERCURE
DE FRANCE
.
Qu'en un mot il a pour fyfteme
De chercher l'homme dans lui- même ,
Et de n'accorder fa faveur
Qu'à ces mêmes vertus dont il fait fon bonheur.
Auffi concluoit- il qu'à l'humaine foibleffe
Dans fon efprit vous faifiez tort ,
Et qu'auffi vous honoriez fort
Et votre fexe & votre eſpèce.
Sans réfiftance je foufcris
A cette équitable ſentence ;
Pour qu'on réfifte à ſon avis
Votre maître a trop d'éloquence
Et vous trop de vertus , Souris.
Pour preuve de ce que j'avance ,
Oui , je voudrois , fur mon honneur ,
Changer avec vous d'exiſtence ;
Je voudrois , pour jouir du fort le plus flatteur ,
Mériter , comme vous , de pofféder fon coeur.
VERS pour mettre au bas du portrait de
Mlle F....... qui en avoit fait préſent ·
le jour de fa fête à Mde fa mère.
J.EUNE beauté , charmante F.......
Dans ce tableau qui nous offre vos traits ,
Je reconnois des Grâces le modèle
Et de Vénus les féduifans attraits .
JUILLET 31 1766 .
Partout où l'on vous voit paroître ,
Le Dieu des vers le plaît toujours :
Sa lyre chante les amours ,
Et vous les faites naître .
Par M. D......
LETTRE à Mde D'EST......... fur les
DEVOIRS .
8 Mai 1766.
des
SANS ceffer , Madaine , de reſpecter
vos fentimens & votre façon de penfer ,
il me femble toujours que les devoirs font
des loix, & que , ni la perverfité des moeurs,
ni les intérêts perfommels , ne font pas
motifs fuffifans pour empêcher la probité
& l'équité de les obferver. La prudence
& la circonfpection
font des vertus , il
n'eft permis à perfonne de les braver ; mais
il ne l'eft pas non plus de les porter à l'excès
aux dépens du devoir. S'il y a cent
chofes fur lefquelles la prudence nous dicte
de garder le filence , il y en a mille où les
devoirs de l'humanité exigent que nous
parlions , même fans efpérance d'être écoutés.
La prudence confifte alors , non pas
fe taire , mais à unir à la fermeté des paà
Biv
32 MERCURE
DE
FRANCE
.
roles & du ton les ménagemens & les
bienféances que les chofes peuvent prefcrire.
N'envifager dans fa conduite que
fes avantages ou fes dommages perfonnels ,
c'eft n'aimer que foi- même , & manquer
au refte des hommes ; c'eft être dans l'occafion
perpétuelle de facrifier la vertu au
vice , & la probité au refpect humain . Des
perfonnes de ce caractère ne feront jamais ,
ni bons parens , ni amis vrais , ni citoyens
utiles . Dès qu'ils ne connoiffent de devoirs
que les maximes de l'intérêt perſonnel , il
eft impoffible qu'ils foient vertueux &
hon êtes gens .
Croyez - vous férieufement , Madame ,
que le fyftême de l'indifférence à l'égard
des hommes foit plus raifonnable & moins
vicieux que celui de l'intérêt perfonnel ?
Mais puifque cette indifférence eft ellemême
oppofée aux loix comme à l'instinct
de la nature , ne s'enfuit - il pas qu'elle ne
peut être adoptée par aucun bon coeur ,
pas même par un philofophe , s'il n'eft mifantrope
? Tant qu'il y aura des malheureux
à plaindre , des bons à eſtimer & à protéger
, des méchans à détefter , je ne conçois
pas qu'il foit permis à un honnête homme
d'être indifférent fur les uns ou fur les
autres.
Il y a fans doute des caractères indolens ,
JUILLET 1766. 33
qu'aucune paffion n'agite jufqu'à un certain
point , qu'aucun fentiment n'excite à
la pratique des grandes vertus , & qui ne
favent, ni compatir aux mifères de l'humanité
, ni fe réjouir de fes profpérités . Il
y a encore de prétendus philofophes qui
regardent la fociété comme un théâtre , &
qui , fe croyant à la Comédie , rient de
tous les événemens de la vie , & par conféquent
de tous les hommes. Mais quelle
idée la raifon nous donne - t - elle de ces
faux Démocrites ? Confidérons - les attentivement
, entrons dans le fond de leurâme
, qu'y voyons-nous d'eftimable & de
vertueux ? Quel peut être dans un coeur
le principe louable de l'infenfibilité ou de
la plaifanterie fur les vertus ou les vices ,
fur l'innocence ou l'oppreffion , fur les fuccès
ou les infortunes de fes concitoyens ,
de fes frères , de ſes ſemblables ? Si chacun
n'étoit né que pour foi ; fi l'intérêt commun
n'étoit pas le lien naturel de tous les
hommes ; fi les paffions , les befoins & les
foibleffes de chaque particulier ne formoient
pas les noeuds & les loix de la fociété
, on ne répondroit de foi qu'à foi - même ,
on feroit innocemment tout ce qu'on voudroit
être , on riroit , on pleureroit à fon
gré , chacun fe façonneroit une philofophie
bonne ou mauvaiſe , ce feroit feu-
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
lement tant pis pour les uns , & tant mieux
pour les autres ; mais les chofes ne font pas
ainfi . Tous les hommes , il eft vrai , doivent
fe procurer leur repos perfonnel ; la
tranquillité de l'âme eft un bien , un tréfor
, que chaque individu de la fociété
doit être jaloux d'acquerir & de conferver ,
aux dépens même de fes paffions : ce feroit
cependant fe tromper que de faire confifter
ce repos & cette tranquillité dans l'in--
différence dont je viens de parler. Plus
cette indifférence fera raifonnable & réfléchie
, plus elle fera blâmable , parce qu'elle.
répugnera davantage à la loi naturelle.
Il ne fuffit pas , pour être effentiellement
honnête homme , d'avoir des principes
de probité & de ne point faire de
mal il faut encore n'éviter aucune occafion
de prévenir le mal , de confeiller &
de procurer le bien . Alidor dansfa chaife,
ou ce folitaire tapi dans fa cellule , eft fuppofé
ne faire aucun mal à la fociété ; occupé
de lui feul , tout le refte du genre
humain femble ne plus exifter pour lui ;
il fe croit fage & heureux , & il n'en eft
rien. A le bien examiner , c'eft un lâche ,
un ingrat & un fou . Il fuit l'action pour
laquelle il étoit né ; il fe fépare d'une
fociété à qui il a des obligations de toute
efpèce , qu'il devroit reconnoître par fes
JUILLET 1766. '35
fervices ; il s'abandonne à fes propres idées ,
il s'énerve l'efprit , il s'enyvre , pour ainfi
dire , d'illufions , & il déraifonne néceffairement.
Quoi ! me direz - vous , cet
homme- là n'est pas heureux ? Non , Madame
; ou il ne l'eft qu'à la façon des loirs
& des marmottes . Si la paflion ne produit
jamais le bonheur , jamais non plus il n'eſt
le fruit de l'indifférence . Ce font les actions
de l'homme qui le rendent heureux , difoit
l'Empereur Marc- Aurele , & , pour les
faire bonnes, ilfaut favoir pourquoi l'homme
eft né , & quels font fes devoirs . Il y a donc
des devoirs à remplir pour parvenir au
bonheur ; & quels font- ils , finon ceux
de la fociété ? Ce folitaire , cet homme
retiré du monde , ce prétendu fage , qui
nous paroît fi vertueux , n'en remplit au
cun fa tranquillité n'eft que l'affoupiffement
de fon âme , le calme de fes paffions
n'en eft que le fommeil , il n'eft heureux
que parce qu'il dort ; mais eft- ce l'être en
effet ?
Puifque j'y fuis , je vous parlerai encore ,
Madame , de cette autre efpèce d'indifférens
, qui le font prefque fans le favoir
& que l'on nomme efprits complaifans.
Auffi inutiles à la fociété que les folitaires ,
ils y font beaucoup plus dangereux , parce
que la foibleffe de leur caractère les rend
B vj
36 MERCURE
DE FRANCE .
fufceptibles de tous les vices qui les environnent.
Je vous les ai déja peints dans ma
lettre fur la complaifance ; mais du côté
dont je les confidère ici , j'ai quelques traits
de plus à leur donner : il eft bon de les
connoître à fond .
Il faut , pour être utile à la fociété ,
qu'un homme ait des vertus & des paflions
qui lui foient propres ; qu'il ait le courage
de fe roidir contre l'ufage & l'exemple
; qu'il foit ferme dans fes principes ,
vertueux dans fes liaifons , incapable par
conféquent de fe prêter aux impreffions tes
plus féduifantes ; & c'eft ce que vous ne
trouverez pas dans le complaifant . Ses principes
, fes vertus , fes paffions , ne lui appartiennent
point; il les prend, tantôt chez l'un ,
tantôt chez l'autre . Son caractère reffemble
à ces terres mouvantes fur lefquelles on ne
peur fonder d'édifice ; vous ne pouvez
compter , ni fur fon eftime , ni fur fes
mépris. Tout lui eft égal . & indifférent.
La même chofe le fera rire avec celui- ci
& pleurer avec celui-là ; fi vous plaignez
un malheureux , il le plaindra avec vous ,
& il en plaifantera un inftant après , fi
l'occafion s'en préfente. Il n'a point d'autre
ton que celui qu'on lui donne ; fes
penchans & fes fentimens lui font étrangers
on diroit qu'il n'eft animé. que de
JUILLET 1766. 37
"
l'âme de ceux qui lui parlent. Sans ceffe
en contradiction avec lui-même , on ne
fait , ni ce qu'il penfe , ni ce qu'il fent ;
la vertu ne le touche pas plus que le vice ,
il paffe de l'une à l'autre avec autant de
facilité que de la table au lit : l'honnête
homme lui fera faire le bien , le méchant
le trouvera prêt à feconder fa malignité .
Facile à prendre toutes les formes qu'on
voudra lui donner , il eft , fouvent fans s'en
appercevoir , l'homme du monde le plus vicieux
& le plus méprifable , comme le plus
inutile au bien de la fociété. Il traite avec
ceux qu'il méprife & dont il eft méprifé ,
comme avec ceux qu'il eftime & dont il
croit être eftimé , il flatte ceux qu'il hait
comme ceux qu'il aime : c'eft à l'égard des
uns & des autres la même politeffe , le
même air gracieux, Peut- il mêine fe conduire
autrement ? Voudroit- on qu'il manquât
aux bienséances , qu'il témoignât fes
préférences ou fes mépris , & qu'il répondît
froidement aux prévenances & aux
politeffes qu'on lui fait ? Ne faut- il pas
dans la vie fe prêter aux circonftances ,
obferver les décences , & vivre avec les
hommes ? C'eft ainfi que ce perfonnage,
fans caractère , en croyant accomplir les
devoirs de l'humanité , n'en remplit effectivement
aucuns , & que , par fon empreffement
imbécille à vouloir tout ce que
38
MERCURE
DE
FRANCE
. veulent les autres , il affiche l'indifférence
la plus coupable fur les chofes les plus
effentielles au bonheur & à la gloire de
la fociété.
Mais quels font donc ces devoirs dont
un honnête homme ne doit ni ne fait
jamais fe difpenfer ? Les voici , Madame :
aimer tous les hommes; faire leur bonheur
par nos confeils , notre exemple & nos
bienfaits ; louer & encourager la vertu ,
fléttir & humilier le vice , plaindre & aider
les malheureux , démafquer & avilir les
méchans , les fuir au moins & leur faire
fentir toute l'indignation de la probité ;
être franc & défintéreffé dans fes avis ,
intégre dans fes jugemens , ami fidèle &
conftant , citoyen zélé & généreux : oui ,
Madame , ce font - là les devoirs indiſpenfables
d'un honnête homme. Il n'y a ni
complaiſance , ni intérêt perfonnel , ni refpect
humain , qui puiffe prefcrire contre
la pratique de ces devoirs ; ou , ce qui
répugne même à imaginer , il faudroit
avancer que la loi naturelle elle- même eft
fujette à prefcription .
Je ne veux pas dire que l'accompliffement
de ces devoirs n'ait pas lui - même
pour régles la prudence , la modération ,
& les circonstances des temps , des per
fonnes & des lieux ; je ne prétends point,
JUILLET 1766. 39
par exemple , que chaque honnête homme
juge prévôtalement les méchans , ou qu'il
s'érige en redreffeur public de tous les
torts il y a un milieu à toutes chofes ,
c'est ce point fixe de la vertu qu'il faut
chercher & faifir . Au refte les moeurs
du fiècle ont tellement défiguré la vertu ,
elle s'y trouve fi fouvent compromife avec
le vice , les bienféances modernes l'ont
rendue fi gothique , qu'un homme de bien
doit craindre auffi quelquefois d'être trop
prudent & trop mefuré dans fon zèle. S'il
ne choque que ce qui s'appelle le ton &
l'ufage du monde , fa probité n'eft pas
en faute ; les reproches qu'on lui feroit
retomberoient naturellement fur ce ton
même & fur cet ufage dont le ridicule & la
perverfité ne méritent évidemment que les
mépris du fage . Je conviens que l'on ne
doit pas imiter ces fpadaffins qui , fans
ceffe l'épée à la main , cherchent à ferrailler
, & à prouver leur adreffe ou leur bravoure
à des gens qui n'en doutent pas ;
mais que l'on n'oublie jamais les obligations
que l'humanité & la probité impofent
à tout homine , & que , felon les occafions
, on les rempliffe avec autant de
fermeté que de décence & de ménagement ;
c'eft , je crois , ne defirer que ce que
la
40
MERCURE DE FRANCE.
raifon & la confcience exigent, & je n'en
demande pas davantage.
Si l'on veut réuffir dans le monde , ou
feulement y vivre tranquille , il faut ,
dit-on , y ufer de politique. La maxime
eft bonne & j'y foufcris. Mais qu'est - ce
qu'un honnête homme doit entendre par
cette politique ? Sera- ce de flatter le vice ,
d'encenfer le méchant , d'admirer l'orgueil,
d'applaudir à l'impertinence , de fe prêter
à la calomnie ou à la médifance , de conniver
à l'injuſtice , de déguiſer la vérité ,
de n'ofer s'intéreffer pour un ami difgracié
, de fe taire quand il faut parler ? Ah!
Madame , je le fais , cette politique fert
aujourd'hui de loi générale à nos moeurs ;
mais quel eft le coeur bien fait qui y reconnoiffe
fes devoirs , qui puiffe y adapter fes
fentimens & s'y conformer dans fa conduite
? Je n'irai point infulter un méchant
qui ne me dira rien ; je ne chercherai pas
l'occafion d'humilier un coeur faux , ou
de faire rougir l'ingrat , le traître & le
perfide : mais ne croyez pas non plus qu'en
certains cas je fiffe bien de diffimuler avec
eux & de déguifer fous les couleurs de la
politeffe ou de la complaifance l'horreur
qu'ils m'infpirent.
Il n'eft jamais queſtion d'être civil &
JUILLET 1766 . 4t
poli avec le vice ; plus on lui témoigne
de déférence , plus auffi on l'encourage . Si
vous ne le traitez pas brufquement , que
'ce foit au moins avec froideur ; qu'il fache
que vous l'avez démafqué , que vous rougiriez
de vos attentions pour lui , & qu'il
ne doit qu'à fon rang ou à fa place l'ufage
que vous faites avec lui des bienséances
les plus fimples & les plus générales . II
oferoit rechercher vos égards & votre confidération
, & vous ne le punirez pas de
cet attentat à votre gloire ! Refpectezvous
, Madame ; foutenez la dignité de
vos fentimens , humiliez ce coeur faux , cet
hypocrite ; foyez froide avec lui , c'en eft
affez : il fe retirera perfuadé de votre mépris
, & peut-être il fentira qu'il le mérite.
D'où vient que le vice va tête levée
dans la fociété , & que la vertu , au contraire
, n'ofe y paroître qu'en coëffes rabattues
? C'eſt que , fans parler de l'irreligion
qui règne dans les efprits , on s'accoutume
depuis long-temps à oublier ce que l'on
fe doit à foi-même , aux hommes en général
& en particulier , à fa famille , à fes
concitoyens , à l'Etat. C'eft que le bel
efprit fe fubftitue tous les jours à la raiſon ,
& que le refpect humain , foutenu des
bienféances que l'amour- propre & la duplicité
ont établies , fe jette à la traverſe pour
42 MERCURE
DE FRANCE
.
empêcher l'honneur & la confcience de
jouir de leurs droits . On fent bien que
l'on manque aux premiers principes de la
probité & de l'humanité en faifant bonne.
mine à la perfidie , à la noirceur & à la
faufleté ; mais , pour s'étourdir fur cette
lâcheté , on réclame la politeffe & la bienféance
, & l'on en vient jufqu'à fe perfuader
que la prudence elle - même dicte cette
conduite & ces ménagemens.
Quelle erreur , Madame ! qu'elle eſt
préjudiciable à la fociété ! La prudence
peut- elle donc confeiller contre fes propres
intérêts ! Les fages ont - ils jamais appris
d'elle à fubordonner la vertu & la vérité
aux maximes & aux uſages du fiècle ? Si
elle permet de s'y prêter dans les chofes
indifférentes & de pure convention , elle
ne veut jamais qu'on les adopte aux dépens
de la raifon & du devoir. Voudroit-on la
rendre refponfable des abus , des ridicules
& des vices que ces ufages ont introduits
ou qu'ils ont mis en crédit ? Mais ce feroitlà
le comble de la dépravation des moeurs ;
ce feroit corrompre la vertu elle - même
& détruire l'homme , la religion & la
fociété.
N'en doutez pas , Madame , cette prétendue
prudence dont on ufe à l'égard du
vice & des vicieux , des hommes faux ,
JUILLET 1766. 43
méchans & perfides , n'eft exactement que
foibleffe de fentiment , facilité de caractère
, baffeffe d'âme ou petiteffe d'efprit.
Les méchans ne s'y méprennent pas , &
c'eft auffi ce qui les rend fi forts , fi hardis
& fi entreprenans . Leur force ne vient en
effet que de la foibleffe des bons. Vous
ne les voyez pas s'expofer aux yeux d'un
homme dont ils connoiffent la franchiſe ,
le courage & la fermeté ; à fon aſpect
feul ils feroient interdits. Ils favent que
l'intérêt de la vertu , de l'innocence & de
la vérité , eft l'âme de fes fentimens & de
fes procédés ; & ils font eux-mêmes trop
lâches pour hafarder le moindre choc avec
lui mais cet homme vertueux & fincère
eft-il donc un imprudent ? une âme d'argile
le dira & fe le perfuadera ; & malheureuſement
les âmes de cette trempe
forment les trois quarts du genre humain
civilifé , autant au moins qu'il eft permis
de juger des caufes par les effets. La preuve
en eft d'ailleurs que l'on foutit tous les
jours aux gens que l'on méprife , qu'on les
reçoit avec l'accueil de l'eftime , & que ,
par bienféance , on prend avec eux le ton
de la bonne compagnie . Un homme eftimable
furvient , on ne fait fi on lui doit
quelque chofe de plus , ou l'on n'ofe le
diftinguer, de peur de rendre un hom-
:
44 MERCURE
DE
FRANCE
.
mage imprudent à la vertu , & de manquer
aux bienféances en faifant rougir le vice.
Il faut en convenir de bonne foi , Madame
ce font ces fauffes bienféances qui
ont avili nos âmes & qui nous écartent
fans ceffe des règles de nos devoirs . Je
blâmerois un prétendu philofophe qui ,
trop ardent dans fon zèle & trop âpre dans
fa fageffe , refuferoit en toute occafion
d'obferver ,
Ces gards mutuels , dont la néceffité
A formé les liens de la fociété .
La raifon même a tort quand elle eft indifcrette
& fauvage . Je crois avec Moliere,
Qu'à force de fagelle on peut être blâmable ;
Qu'il faut parini le monde une vertu traitable……….
Qu'il eft mal , fur quoi que l'on fe fonde ,
De fuir obſtinément ce que fuit tout le monde.
Mais auffi , comme il est très - poffible
de ne point fronder bifarrement fon fiècle ,
& d'être cependant honnête homme , je
blâmerai toujours l'ufage inhumain de
faire honte à la vertu de fes couleurs naturelles
, & de n'ofer paroître avec elle en
public.
Nous ne fommes point à nous , c'eſt
une vérité conftante : nous avons donc des
devoirs à remplir à l'égard de la fociété
JUILLET 1766. 45
pour laquelle nous exiftons. Ces devoirs
relatifs nous deviennent perfonnels ; l'amour
- propre , qui femble nous en éloigner
, nous les prefcrit lui- même , puifqu'il
eft le premier auteur de la fociété civile.
Il s'agit de nos intérêts les plus précieux
lorfqu'il eft queftion de ceux de la vertu ,
de l'humanité & de la vérité ; c'eſt notre
coeur que nous défendons , ce font nos
fentimens que nous refpectons , c'eſt à nousmêmes
enfin que nous rendons hommage
toutes les fois que nous humilions le vice
& que nous faifons triompher. la vertu .
Toutes les fois que nous oppofons la candeur
à la fauffeté , la fidélité à la trahiſon ,
le zèle de l'amitié à l'indifférence de l'efprit
de la fociété , l'équité à la politique ,
la vérité à la complaifance , la froideur de
l'accueil aux baffeffes des bienséances , nous
nous conduifons alors avec dignité , nos
devoirs font notre éloge , l'eftime de la
fociété devient notre récompenfe , le méchant
même nous refpecte. Aurions - nous
donc encore quelque chofe de plus Aatteur
& de plus folide à defirer ? En s'afferviffant
au contraire à l'efprit du fiècle , &
aux loix dépravées de fa politeffe & de
fes bienséances , n'eft- il pas évident que
l'âme fe deshonore , que le coeur s'avilit ,
que l'homme n'eft plus rien de ce qu'il
46 MERCURE DE FRANCE.
J
doit être effentiellement , & qu'il augmente
le nombre des corrupteurs de la
fociété , bien loin de lui rendre le moindre
fervice ?
Voilà cependant ce que l'on peut dire
d'une infinité de perfonnes , & ce qu'on
ne dit
pas , quoiqu'on le penfe , parce
qu'il eft d'ufage de s'eftimer les uns les
autres fans fe foucier de fe rendre eſtimables.
L'eftime aujourd'hui n'eft plus un
fentiment , c'eft fimplement une façon
d'être poli les uns à l'égard des autres ,
une eſpèce de monnoie dont on eft convenu
qu'on fe paieróit réciproquement
fur l'étiquette des bienféances. On a l'air
d'eſtimer , & l'on méprife très - fincérement.
Voilà le bon ton , le ton à la mode , & ce
qui s'appellefavoir le monde .Quelle fcience,
bon Dieu ! quelles moeurs !
Ainfi tout eft bouleversé
Ainfi du monde renversé
Se tourne la tête falotte.
Pour vous , Madame , toujours fidelle à
vous - même , l'extérieur de votre vertu
n'en annoncera jamais que la folidité.
Puiffe votre belle âme former autant de
zélés imitateurs de fes principes & de fes
fentimens , qu'elle a d'admirateurs de fes
JUILLET 1766. 47
généreux procédés ! J'ai l'honneur d'être
avec le plus tendre reſpect , &c .
D. P. R. B.
A Madame DE P ****** , Abb... de...
en réponse à quatre couplets qu'on lui
avoit offerts , & dans lefquels on la comparoitfucceffivement
, fous le nom d'Iris ,
à Diane , à Vénus , à Minerve & à
Junon.
IRIS , Dieu me préſerve
D'en croire certaine chanſon !
Vous n'êtes point Vénus , Diane , ni Minerve ,
Encore moins Junon .
Moi , qui fuis équitable ,
Je vois , j'admire en vous leurs brillans attributs ;
Mais ces Déelles de la fable ,
Iris , n'avoient pas vos vertas .
Par le même.
MERCURE DE FRANCE.
ESSAIS d'une traduction en vers , de
P'Anti - Lucrèce , du Cardinal DE POLIGNAC.
Le Poëte exprime ainfi le defir
qu'il a d'égaler dans fes vers la beauté.
& la richeffe de ceux de LUCRECE . Vers
45 jufqu'au 67.
Q U E ne puis - je , en marchant dans ces routes
facrées ,
Des eaux de l'Hyppocrène arrofer ces contrées !
Changer d'épais buiffons en de rians vergers !
Faire éclorre les fleurs fous les pas des bergers !
Je n'ai point les accens ni la douce harmonie
Du Chantre des plaifirs qui charma l'Aufonie.
Le langage qu'il dut à fes premiers ayeux
Fournit à fes befoins des trélors précieux :
J'emprunte , pour répondre, une langue étrangère ,
Sa mufe , confacrée aux autels de Cythère ,
Ne chante que Vénus , les ris , la volupté :
Je préfente aux mortels l'auftère vérité ;
Et ma lyre févère enfante la trifteffe.
D'un naturel heureux l'abondante richeffe
Prodigue entre les mains les plus brillantes fleurs ,
Les grâces , les attraits , les charmes enchanteurs :
A
JUILLET 1766. 49
A fa voix l'aquilon n'eft plus qu'un doux zéphire ,
Sous un ciel plus ferein Philomèle foupire ;
Le jour eft plus brillant ; la fraîcheur des forêts
Invite au doux fommeil dans un bocage épais ;
Du fommet d'un côteau couronné de verdure ,
L'onde d'un clair ruiffeau tombe , fuit & murmure
;
D'un fleuve bienfaifant le cours majestueux
Engraiffe les guerèts , rend les peuples heureux.
Ecoutez ces oifeaux ; leur aimable ramage
Le difpute aux couleurs de leur riche plumage.
Voyez-vous dans ces prés ces bergers , ces troupeaux
?
Tout s'anime , tout danſe au fon des chalumeaux.
Ces lieux font enchantés : fur tout ce qui reſpire ,
La mère des amours exerce un doux empire.
Le même Poëte peint ainfi les funeftes
effets du fyftême épicurien dans un mauvais
naturel. Vers 144 jufqu'au 163.
ENIVRÉ des vapeurs de ce mortel breuvage ,
Que peut ne point ofer un naturel fauvage ,
Violent , plein de feu , de lui - même porté
A rejetter des loix la fage autorité ?
Qui , méprifant les Dieux , fans efſpoir & fans
crainte ,
Croira que pour goûter le bonheur fans contrainte,
Il doit livrer fon coeur aux attraits des plaiſirs ,
Et fatisfaire en tout l'ardeur de fes defirs ;
Vol. I. C
50
MERCURE DE FRANCE.
Que le néant précéde & termine notre être ;
Que le fort détruit tout , comme il a tout fait
naître ;
Que les chagrins cuifans font d'éternels vautours ,
Qui feuls peuvent troubler le calme de nos jours ?
Qui pourra retenir cette âme impétueufe ,
Si de l'obfcurité la faveur ténébreuſe
Peut jamais le cacher aux regards des humains ?
Le glaive , le poiſon , la flamme arme les mains ;
La vengeance eft fa loi ; la volupté l'ordonne .
Quelques brillans avis qu'Epicure lui donne
Par- tout où le conduit fon tranſport furieux ,
Là fe trouve fon bien , ſon plaifir & ſes Dieux.
Eh quoi s'il n'eſt au ciel ni bonté ni puiſſance ,
Qui peut forcer un coeur né pour la dépendance ,
De préférer la peine aux biens qui l'ont charmé ,
Et d'étouffer les feux dont il eft confumé ?
Il réfute de cette manière une réponse
d'Epicure. Vers 236 juſqu'au 250.
NON , dites -vous , l'effroi qu'infpire un châtiment
,
Qui da crime à la fin punit l'emportement ,
Des vengeances des loix le terrible ſpectacle
N'eft-il pas aux forfaits un fuffifant obſtacle ?
Quand on ne connoît plus le bras d'un Dieu
vengeur ,
Peut on être frappé d'une moindre terreur ?
JUILLET 1766.
st
Sourd à la voix des cieux , je brave le tonnerrei
Pálirois -je à l'afpect des juges de la terre ?
Mais fi ce foible objet peut gêner mes defirs ,
Je vois loin de mes yeux s'envoler les plaiſirs ;
Je rentre en gémiffant fous ce joug homicide
Que j'avois cru briſer en vous prenant pour guide :
Déchiré par les maux tremblant pour mon
bonheur ,
Je ne combats pas moins ; je combats fans honneur:
Devenu pour moi-même un critique fauvage ,
Si mes fers font nouveaux , c'eſt le même eſclavage
:
Je ne puis fans frémir me rappeller la loi ;
Et l'objet qui m'effraye , eft moins digne de moi.
Ah , laiffez-nous jouir d'un deftin plus propice !
S'il faut des voluptés faire le facrifice ,
C'eſt à vous feul , grand Dieu , qu'il les faut
immoler.
Des exemples tirés de la fable & de Phiftoire
prouvent quels défordres naiſſent
des principes d'Epicure. Vers 317 jufqu'au
457.
Il n'eft plus de repos pour l'inconftant Théfée ,
Dès que Phédre , plus chère à fon âme abufée
Que fa foeur malheureufe , a fait naître en fon
coeur
D'un criminel amour l'inceſtueuſe ardeur.
C ij
52
MERCURE DE FRANCE.
Traître à fes premiers noeuds , & devenu parjure ,
Il ravira l'objet de cette flamme impure.
Princeffe infortunée à quoi donc t'a ſervi
D'avoir fauvé les jours d'un perfide mari ,
Et dégagé ce bras vainqueur du Minotaure ;
Des détours d'un cachot plus redoutable encore ?
Quoi ! l'honneur , fes fermens , tes fervices , tes
pleurs ,
Ne pourront étouffer ces naiffantes ardeurs ?
Le héros en rougit : contre fon coeur il s'arme :
Mais combattra- t- il donc un penchant qui le
charme ?
• Céder à ſon amour c'eft l'art de l'amortir.
C'eſt ramener la paix par les mains du plaifir.
Principes qu'Epicure adopta dans la ſuite ,
Vous réglâtes alors du traître la conduite.
Il rompt tous les liens d'un hymen malheureux
Et laiffe fon époufe en des climats affreux .
Le barbare ! il la voit , tombant fur la pouſſière
Tourner encor vers lui fa mourante paupière.
Hyppolite de Phédre a- t- il charmé le coeur ?
Elle ne peut goûter ni repos ni douceur
Qu'elle n'ait triomphé de fa vertu ſauvage ,
Et fait à fon époux le plus fanglant outrage.
Sa mort , fa trifte mort , va donc être le prix
Des refus d'Hyppolite & de fes fiers mépris ?
Oui ; mais ce prompt trépas fervira fa vengeance.
Telle eft de les tranfports l'horrible violence ;
}
JUILLET 1766. 53
Dans fa perte elle entraîne un héros innocent.
Que d'horreurs , de forfaits ! que le crime eft
puiffant !
Né pour vaincre & régner , le bouillant Alexandre
Brûle de voir la Perfe & l'univers en cendre.
L'univers eft foumis , mais non pas fes defirs
Allez , confeillez-lui de goûter les plaifirs ,
De contempler en paix , du fein de fa patrie ,
Darius & Porus fe partager l'Afie ;
Dites- lui qu'un grand nom , au prix de tant de
maux ,
Ne vaut pas les douceurs d'un paiſible repos.
Du fuperbe Cefar l'ambition cruelle
Trouble le monde entier pour venger fa querelle ;
Que de peuples détruits ! que de murs renversés !
De quels fleuves de fang les champs font engraillés !
Sur les débris des loix , de Pompée & de Rome ,
S'élève le pouvoir dangereux d'un feul homme;
L'ancienne liberté pour lui n'eft plus qu'un nom .
Arrêtez ce vainqueur aux bords du Rubicon ;
Dites- lui d'abjurer cet orgueil tyrannique ,
De vivre en citoyen dans une république :
Goûte feul , diront- ils , ce repos , s'il t'eft cher :
Nos plaifirs font les feux , les combats & le fer.
On oppofe le portrait du chrétien vertueux
prétendu fage d'Epicure. Vers 825
" jufqu'au 852 .
De celui qui craint Dieu l'âme , toujours égale ,
Dans un honteux loifir ne met point fon bonheur ;
C.iij
54
MERCURE DE FRANCE .
N'étouffe point la voix des vertus dans ſon coeur ;
Nul travail pour l'Etat ne lui paroît extrême :
Patrie , amis , parens , jufqu'aux étrangers même,
Tous ont part aux bienfaits de ce coeur généreux :
Il mêle fes foupirs aux pleurs des malheureux :
C'eſt peu pour lui ; du fort , pour réparer l'injure ,
Il prodigue fes biens : docile à la nature ,
II chérit ces beaux noeuds que forment les beſoins :
Au barreau , dans les camps , il ſe livre à des foins
Dignes des grands objets confiés à fon zèle ;
Mais fon âme eft en paix : la raifon , fon modèle ,
L'anime & le conduit : le crime fuit fes yeux :
Du bien toujours avide , il voit écrit aux cieux
Ce qu'exigent de lui fon coeur & fes femblables ,
Et des Etats divers les droits inviolables.
Oui , la religion enfante des héros ;
Mais elle a des motifs plus puiffans & plus beaux ,
Que d'un renom douteux l'impétueuſe attente ,
De l'or ou des honneurs la foif impatiente ,
Implacables vautours , pères des grands forfaits ;
Pour déchirer nos coeurs les defirs font leurs traits.
Le Dieu que nous chantons veut le bien & l'ordonne
:
Son fceptre eft l'équité , les vertus fa couronne.
Jugez donc maintenant qui nous a mieux fervi ,
Ou ce Grec , du plaifir & l'efclave & l'ami ,
Ou celui qui de Dieu fait fa plus chère étude ?
1
JUILLET 1766. SS
LES TROIS BOSSUS.
NUL
CONTE *.
UL coup mortel , dit -on , fur male- bête ;
Souvent le fort perfécute les bons ,
Quand du bonheur un monftre atteint le faîte
Le meilleur grain ſe précipite au fonds
Dans le fluide où le mauvais furnage :
C'eſt vérité ; le fort comble de dons
Ceux qui du ciel en ont moins en partage
On vit jadis à Damas trois boffus ,
Monftres tous trois , nés d'une même couche
Dignes du fein qui les avoit conçus ;
Monftres hideux , au regard fombre & louche
Boiteux , de plus , & du même côté ;
Ayant enfin même difformité.
Quant à leur boffe , elle étoit fi femblable ;
Que chaque dos étoit numéroté ;
Sans quoi , pour eux & pour leur parenté ,
Aucun des traits n'eût été connoiffable ;
Sans quoi fouvent chacun eût confondu
Er chaque dos & chaque individu.
Tous trois ayant une même figure ,
Un même habit , une même parure ,
Imité des contes tartares de M. Gueulette.
Civ
56 MERCURE
DE FRANCE
.
Vivent enſemble & mettent en commun
Allez de fonds pour un petit négoce ;
Et , pour s'entendre , un fe nomme Fier-dos ,
L'autre Dos-fier , le dernier Riche- boffe.
Or , ce trio faifoit rire les fots
Et les enfans , affez méchante race .
Nos trois boflus fouffroient depuis long- tems
Force brocards , mais enfin on fe laffe.
Certain jour donc , fes deux frères abfens ,
Que Riche- boffe étoit feul fur la place ,
A fon comptoir une troupe d'enfans
Fond tout à coup , lui fait mainte grimace ,
L'excède , enfin , & lui tient tels propos ,
Qu'impatient , il poursuit les marmots ,
En atteint un , le renverfe & le bleſſe
D'un fer tranchant qu'il tenoit à la main ;
Puis , le coup fait , foudain fendant la preſſe ,
Rentre chez foi .... Le délit eft certain ;
Une famille en demande juftice ,
Et les boffus difent tout d'une voix
Qu'un des boffus mérite le fupplice ;
Mais nul ne peut dire lequel des trois.
Lors le Cadi fait venir chaque frère :
C'eſt à Dos-fier qu'il s'adreſſe d'abord.
Parle , eft- ce toi , dont l'aveugle colère
Met un enfant aux portes de la mort ?
Non , Monfeigneur ; c'eft un fait que j'ignore ,
Répond Dos-fier : Fier dos le nie encore.
JUILLET 1766. 37.
....
Pour Riche-boffe , il protefte à fon rang ,
Très-aſſuré qu'on ne peut le convaincre ,
Que du forfait il est très- innocent.
Le cas paroît au juge embarraſſant. . . . .
C'eft un complot, dit- il ; mais, pour les vaincre,
La loi nous offre un remède puiſſant.
A tous les trois donnons la bâtonnade ;
Peut-être enfin , pour s'épargner l'aubade ,
Que le coupable avoûra fon forfait.
Ce dur remède eft encor fans effet ;
Les deux premiers fouffrent avec courage ,
Et Riche-boffe , à fon tour bâtonné ,
Sans s'ébranler , voit fondre cet orage.
Que faire donc , dit le juge étonné ?
En punir trois feroit déraifonnable ;
Mieux vaut encor faire grace au coupable,
Deux au délit ne participent pas :
Mais comme enfin ce délit eft notoire
Pour prévenir par la fuite un tel cas ,
Banniffons -les de notre territoire.
Ainfi fut fait ; les trois boffus profcrits
Et bâtonnés , vuidèrent le pays
Se réfignant à la même fortune.
Tous trois enfin arrivent à Bagdat ;
Mais tout l'argent de la bourfe commune
Eft épuisé dans ce cruel état ,
Dit Riche-boffe , il feroit mieux de vivre
Séparément en différens climats ;
Cv
MERCURE DE FRANCE.
C'eft mon avis . Si vous voulez le fuivre ,
Je refte ici ; portez ailleurs vos pas :
Chacun de nous fera mieux fes affaires ;
D'un tas de fots les brocards ordinaires
Apporteront moins d'obſtacle à nos loins ,
Et , divifés , nous affecterons moins.
>

Ce parti pris , les deux frères délogent ;
Mais au traité par amitié dérogent ,
Vivent enſemble & , d'un fort rigoureux ,
Font en commun la longue & rude épreuve.
Pour Riche-boe , il devient plus heureux ;
Il fait commerce , il épouſe une veuve ,
Belle , bienfaite , à- peu -près comme lui ;.
Mais opulente & d'abord fon appui
Qu'il apprivoife & qu'enfin il maîtriſe.
Le fort lui rit , & le plus prompt fuccès
De chaque jour couronne l'entrepriſe ..
En peu de temps il fait tant de progrès ,
Qu'au loin le bruit s'en répand à la ronde..
Ses deux jumeaux , las de courir le monde
De fots difcours fans relâche affaillis ,
Traînant par- tout une vie importune ,.
Et de mifère en tous lieux accueillis "
De Riche- boffe apprenant la fortune ,
Vont le trouver ; car tous deux comptent fort
Qu'à leurs befoins il ne peut faire faute ;
Qu'il ouvrira pour eux le coffre fort.
Mais les jumeaux ont compté fans leur hôre .
JUILLET 1766.
59
Qu'est-ce , dit-il ? que me demandez- vous ?
J'ai feul ici travaillé pour mon compte ;
N'étoit -ce pas marché fait entre nous ?
Adieu , bon foir , & qu'une fuite prompte
Demain matin vous dérobe à mes yeux.
La femme affifte à ces brufques adieux ,
Et la pitié s'empare de fon âme ;
Car elle étoit fenfible & bonne femme.
Mais Riche-boffe étoit maître au logis ,
Et la roffoit fouvent de bonne forte :
Femme , dit- il , quand pour cauſe j'agis ,
Quel vertigo ! quel zèle vous tranſporte ?
Et que peut - on gagner avec des gueux ?
Si vous rifquez de leur ouvrir la porte ,
Chez nous bientôt nous ne verrons plus qu'eux,
Je vous défends , fans quoi vous êtes morte
Abſent ou non , de les avoir chez vous.
Je pars bientôt fi , pendant mon abſence ,
Ils revenoient , une grêle de coups
:
Sur votre dos vengeroit cette offenſe.
Ses volontés étoient autant d'arrêts.
Pour le départ il n'en faifoit accroire ;
D'un long voyage il faifoit les apprêts. . ↓
Loin de Bagdat fe tenoit une foire ,
Que fa préfence honoroit tous les ans.
Les deux jumeaux font partis mécontens ;
Le ventre vuide & la bourſe affez platte ,
C vi
60 MERCURE
DE FRANCE
.
Ils font partis , mais ils n'iront pas loin :
La belle -foeur , dont la pitié les Aatte ,
Le naturel , l'inftinct & le befoin ,
De l'amour - propre étouffent le murmure 3
Tout les invite à tenter l'aventure .
Leur frère abfent , pour la feconde fois ,
Ils vont du fang faire valoir les droits.
La bonne foeur , que leur fort intéreſle ,
Et libre enfin , fe livre à fa tendreffe ,
Un même coeur les unit tous les trois ;
De fon époux oubliant la menace ,
Elle les garde , & pendant plus d'un mois
Joyeusement entr'eux le temps le palle.
Mais il revient , ce redoutable époux !
Sa rauque voix déja fe fait entendre.
Pour dérober fes frères à fes coups ,
Dans une cave elle les fait deſcendre ,
Puis les y cache , & reçoit fon mari
Comme on reçoit l'amant le plus chéri.
Lui , qui du cas peut - être fe défie ,
Exactement vifite tous les lieux ;
Mais c'eft en vain , deux pipes d'eau - de- vie
Font échapper les frères à les yeux.
Du fouterrein il referme la porte ,
Et fe faifit de la clef qu'il emporte.
Dans leur priſon , déja depuis deux jours ;
Les deux jumeaux languiffent fans fecours ;
JUILLET 1766. 6+I
!
La bonne foeur , plus libre le troisième ,
Veut les fauver de ce péril extrêine ;
Jufqu'à la nuit fon époux eft abfent :
Il doit fouper chez un correfpondant ;
Elle a les clefs qu'il a laiffé par grace :
Court à la cave ... Hélas ! il n'eft plus temps
Les deux jumeaux , étendus fur la place ,
N'ont plus ni voix , ni pouls , ni fentiment ...
Elle gémit du fort de fes beaux - frères .
Mais , pour mettre ordre à fes propres affaires ,
Elle en monte un , le porte far un ais ;
Sur fon féant le redreffe & l'ajuste ,
Puis court au port , accofte un porte- faix
Simple & naif, mais agile & robufte.
Viens , lui dit- elle , ona befoin de toi ;
Par accident un homme eft mort chez moi :
Pour éviter une cruelle épreuve ,
Si le Cadi vient à favoir le cas ,
Voi fi tu veux le jetter dans le fleuve :
Jufqu'au logis tu peux fuivre mes pas ;
Quatre fequins feront ta récompenſe ;
Des quatre deux feront payés d'avance ;
Pour le furplus , i te fera compté
A ton retour , lorsque je ferai fûre
De n'avoir plus à craindre d'aventure.
Le porte- faix foufcrit à ce traité .
A fon logis en hâte elle l'amène ;
De brandevin lui lefte la bédaine.
62 MERCURE DE FRANCE.
Lui cependant , qui la voit larmoyer ,
L'exhorte & dit , pour foulager ſa peine ,
Qu'un tel magot n'étoit bon qu'à noyer ;
Puis dans un fac , fur fon dos vous le charge
Choifit le bord où le fleuve eft plus large ,
Le précipite , & revient très-content ,
De cet exploit recevoir le falaire.
La belle - four , pendant qu'il eft abfent ,
du caveau , remonté l'autre frère ;
Attend fon homme & lui dit en colère :
Ce mort revient ! .. Comment donc as-tu fait ?
Comment ? je l'ai bien jetté , je vous jure ,
Lui répond- il.... mais il voit en effet
Devant fes yeux la hideufe figure ,
Giffant de même , en la même pofture ;
Et , convaincu , retourne fur fes pas ,
Se promettant de le jetter de forte
Que , cette fois il n'en reviendra pas .
Derechef donc , dans le fac il l'emporte ,
Va le jetter dans un lieu plus profond ,
Er du fuccès fon zèle lui répond ;
Il ne craint plus enfin qu'on le foupçonne
A la maiſon , joyeux & triomphant ,
Il accouroit , au moment qu'il entend
A fon côté une voix qui fredonne
D'un ton lagubre une hymne au Dieu du vin
Ce chantre étoit Riche- boffe en perfonne ,
>
JUILLET 1766. 63
Qui , clopinant , une lanterne en main ,
Charmoit ainfi les ennuuis du chemin ,
Qu'il fe fentoit quelque peine à pourſuivre :
Mais difons tout ; Riche- boffe étoit yvre.
Le porte-faix , à l'aide d'un fallor ,
L'envifageant : eh , quoi ? vilain magot ! ..
Maudit boſſu ! tu reviens donc au gîte ! ...
Va, ne crains pas m'échapper d'aujourd'hui
Fuffes -tu diable ou forcier ... au plus vite ,
Et furieux , il fe jette fur lui.
Or la partie entr'eux eft inégale.
Le Riche- boffe , en gros juron s'exhale ,
Mord , égratigne & fe défend en vain ;
Le porte-faix prend le petit mutin ,
De toutes parts dans fon fac l'enveloppe ;.
Comme un éclair jufqu'au fleuve galoppe ,
Et leftement , lui fait faire le faut
Avec le fac , puis revient chez fa Dame,
Impatiente , elle attend le ruftaud ;
De fon mari déja la pauvre femme
Craint le retour... Hé bien , dit- il , ce mort
Ne revient plus ? .. il auroit très-grand tort ,
Lui répond- elle ... A préfent j'en fuis fûre.
Ainfi foit- il... Çà , payez moi d'abord
Mes deux fequins ; auffi bien je vous jure
Que je les ai bien gagnés ! .. L'animal
Qu'à le noyer il m'a donné de mal !
C'étoit un fort .... ou bien c'étoit le Diable !
64 MERCURE DE FRANCE .
Ne l'ai- je pas rencontré près d'ici ,
Qui fredonnoit , qui faifoit l'agréable ? ...
Mais je l'ai bien reconnu , Dieu merci !
Sans quoi tout droit il revenoit encore ....
J'ai donc faili la maudite pécore
Qui réſiſtoit , & , fans tant de mic mac ,
L'ai fait aller enfin tout fon faoul boire ...
Bien eft- il vrai qu'il vous en coûte un fac ;
Mais vous voilà quitte de cette hiſtoire !
La bonne femme a pendant fon récit
Quelques foupçons ; & , lorfqu'il s'applaudit ,
Elle , cédant au remord qui l'accable
:
S'écrie enfin qu'as- tu fait , miférable ? . .
T'avois- je donc fi bien traité , nourri ,
Payé , de plus , pour noyer mon mari ?. ¿
Puis les fanglots lui coupent la parole...
Votre mari , dit- il ? ... Vous êtes folle ! ..
Je vous foutiens , moi , que c'eft le boflu
Qui , par trois fois , s'eft offert à ma vuë.
En revenant , je l'ai bien apperçu :
C'étoit lui-même.... Ai- je donc la berlue ?
Et , s'il revient , eft- ce ma faute à moi ?
Pour m'acquitter d'un fi pénible emploi ,
Vous me voyez bientôt tout hors d'haleine ...
Or , finiffons... vite ! Mes deux fequins.
La femme, en pleurs , hurle & l'entend à
peine ;
Au bruit , déja , s'affemblent le voisins ....
JUILLET 1766 . GS
1
Crainte de pis , le porte- faix détale ;
Maudit cent fois la rencontre fatale ,
La fauffe veuve , & fur- tout le corps mort.
En murmurant , il retournoit au port ,
Quand tout à coup trois hommes le faififfent ,
Doublent le pas , fans façon l'avertiffent ,
En lui montrant la pointe d'un poignard ,
Que de fa vie il court quelque hafard
S'il n'obéit à leurs ordres fuprêmes....
Les inconnus , déja chargés eux- mêmes ,
Au porte-faix livrent certain fardeau ,
Lourd & maſſif , fangeux , dégoutant l'eau.
Or ces quidams , que le ruftre foupçonne ,
N'étoient rien moins que des voleurs de nuit ;
L'un d'eux étoit le Calife en perfonne ,
Le grand Haroun ( 1 ) , par deux des fiens conduit
.
Affez fouvent il alloit fur la brune ,
Et déguifé , fans fuite , fans éclat ,
Dans tous les lieux fréquentés à Bagdat ,
Chercher ou bonne ou mauvaiſe fortune ,
Examiner tout ce qui fe paffoit ,
Savoir de lui ce que chacun penfoit.
Ce foir-là même , en côtoyant le fleuve ,
Il avoit fait rencontre d'un pêcheur ,
Qui , fatigué d'une inutile épreuve ,
De fon deftin déploroit la rigueur.
( 1 ) Haroun Rafchid , cinquième Calife de la race des
Abbaffides .
66 MERCURE DE FRANCE.
Le bon Sultan le plaint , & lui propoſe
Trente fequins d'un feul coup de filer.
Le pêcheur taupe , & c'eft un marché fait ;
A le remplir en hâte il fe difpofe.
Enfin il a réuffi cette fois ,
Tant & fi bien que , trompé par le poids ,
Il craint de perdre au marché qui le lie ,
Et qu'un fardeau fous lequel fon corps plie .
De ſes réſeaux ne rompe le titlu.
Il faut enfin produire fa capture....
Il n'a pêché que le corps d'un boſſu !
Le Prince rit d'une telle aventure.
Pefte , dit- il , foit du vilain magot !
Or voyons donc fi j'aurai meilleur lot...
Hé bien , Pêcheur , veux - tu toujours me vendre
Trente fequins ce que tu pourras prendre ? ...
Trouvant , pour lui , que c'eſt un marché d'or ,
Il y confent , s'éloigne , prend le large ,
Range fes plombs , les jette & fent encor
Dans fon filet même poids , même charge.
C'est un boffu qu'il met encore à bord...
Jufqu'à trois fois le Prince a même aubaine,
Pour le pêcheur , bien payé de fa peine ,
Il prend congé fans fcandale & fans bruit :
Pour lui , jamais pêche n'a tant produit.
Que ferons- nous d'une telle trouvaille ,
Dit à fes gens , le Calife ſurpris ? . . .
Quoi ? ... les remettre où nous les avons pris
Ou les laiffer ici ? Vaille que vaille ,
JUILLET 1766. 67
S'ils font bien morts , il n'importe en effer :
Mais fi l'on peut rappeller à la vie
Ces malheureux , c'eſt un rare bienfait ! ..
A le tenter du moins tout nous convie .
Peut-être auffi que de quelque forfait
Ils aideront à découvrir la trace...
Nous fommes trois , prenons -en chacun un
Or donc c'étoit de ce poids importun
Dont , par prière autant que par menace
S'étoit trouvé chargé le porte-faix.
Avec fa charge it arrive au palais :
De fon fardeau chacun fe débarraffe.
De fon boffu reconnoiffant les traits ,
Lors le ruftaud , que la fureur tranſporte ;
S'écrie : hé quoi ! tu fuis toujours mes pas ,
Maudit boffu ? .. que le Diable t'emporte !.
Puis au Calife il raconte fon cas :
Il m'a donné bien de la tablature ,
Seigneur dit- il ; ne vous y trompez pas ?
Je connois bien fa hideufe figure !
C'eſt un forcier .. Quoiqu'ils paroiffent trois
Ce n'en eft qu'un... Je l'ai noyé trois fois...
C'eſt un forcier , je vous le certifie ,
Qui , tantôt mort , & tantôt plein de vie ,
Suivant qu'il veut faire damner les gens ,
Gît tout à plat ou prend la clef des champs ;
Qui , comme il veut , croît & ſe multiplje.
68 MERCURE DE FRANCE.
Le bon Sultan , qui rit de tout fon coeur ,
Du porte-faix a foupçonné l'erreur ;
Et de nouveau , vifitant la conquête ,
Voit , par le corps ainfi que par la tête ,
Les trois boffus femblables en tout point...
A les fauver il donne tous fes foins ;
De cordiaux on redouble la doſe ,
Tant & fi bien qu'il leur prend un hoquet ,
Qui de leur mál indique enfin la caufe :
Aucun des trois n'étoit mort en effet.
De Riche-boffe on a pu voir la chance.
Les deux aînés manquant de fubfiftance
Dans le caveau , pour prolonger leurs jours ,
A l'eau - de - vie ils avoient eu recours.
Ce fpécifique étant en leur puiffance ,
Modeftement on en ufa d'abord ;
Mais on avoit redoublé la pitance ,
Et tant de fois , qu'enfin , fur l'apparence ,
La bonne feur jugea le couple mort ,
Lorfqu'il n'étoit que complètement yvre.
Aucun des trois ne paroît las de vivre ;
Déja chacun a confeffé fon tort
Autant qu'il peut , car leur féjour dans l'onde
A dérangé les fibres du cerveau :
Ils revenoient comme de l'autre monde.
Or il falloit éclaircir de nouveau
Toute l'hiftoire , en certain point obfcure.
JUILLET 1766. 69
Le porte- faix , dont d'abord on s'affure ,
Peut , pour fa part , y donner quelque jour.
La femme doit comparoître à fon tour.
Chez elle on va prendre la bonne Dame ;
Mais on lui tait , pour éprouver fon âme
Ou lui caufer plus de ravilement ,
Le merveilleux & prompt événement
Qui reproduir fon époux & fes frères :
Ses pleurs couloient pour des têtes fi chères,
Sur un fopha , placés également ,
Et revêtus d'une robe femblable ,
Les trois jumeaux attendent cependant
D'un fi bon juge un arrêt favorable.
A fes remords Riche- boffe cédant ,
Lui dit , Seigneur : je ſuis le feul coupable ,
Que fur moi feul tombe votre rigueur :
Le Ciel déja punit mon mauvais coeur
Qui dut caufer la perte de mes frères ,
En permettant que j'aie un fort égal :
Toujours aux leurs mes voeux furent contraires ;
D'un premier crime , à leur repos fatal .
Je ne me fens l'âme que trop chargée !
Sur tous les trois à Damas fut vengée
Certaine mort dont j'étois feul l'auteur ;
Injuftement j'abulai de l'erreur
Qui réfultoit de notre reffemblance ,
Et méchamment trahis leur innocence.
70 MERCURE DE FRANCE.
C'en eft affez , dit l'augufte Sultan ;
Réfignez-vous au fort qui vous attend.
Lors en fecret la femme eft introduite ;
Elle paroît affligée , interdite....
Çà rendez- moi compte de votre époux ,
Dit le Calife , & de deux de fes frères
La bonne femme embraffe fes genoux ;
Conte , en verfant les pleurs les plus amères ,
Tous fes malheurs avec naïveté .
Le porte-faix , à fes yeux préfenté ,
La déconcerte ; enfin elle s'accufe
D'avoir forgé cette méchante rufe,
Par contre-coup , funefte à fon mari.
Voudriez-vous voir cet époux chéri ,
Dit le Sultan ? - Seigneur , quelle apparence ?…..
Et , lorfqu'elle a conçu quelqu'eſpérance ,
On l'introduit dans l'autre appartement.
Le Prince veut jouir de fa furpriſe ;
Ses tranſports vont jufqu'au faififfement .
Quand de fon trouble il la juge remife :
Hé bien , lui dit le Sultan , votre époux
Eft- il ici le reconnoiffez - vous ? ..
Oui , lui dit-elle , un des trois eft mon maître ;
Mais je ne puis dire lequel des trois ,
Si de lui- même il ne fe fait connoître.
Souffrez , Seigneur , qu'il réclame fes droits.-
Non. Il vaut mieux pour lui que je l'ignore ;
Je me verrois forcé de le punir.
JUILLET 70 1766.
De notre erreur il peut jouir encore.
De fon forfait il vient de convenir ;
S'il n'eft pas feint , fon repentir l'efface 3 .
Mais c'eſt à vous , fur - tout , qu'il doit ſa grace.
Il eſt à moi : d'ailleurs , je l'ai payć
Plus qu'il ne vaut lorſqu'il étoit noyé.
Ainfi que lui font à moi fes deux frères.
Mais en tout point leurs cas font différens :
Il eſt coupable ; ils font très- innocens. I
Il eft riche ; eux , accablés de mifères ,
Imploreront l'affiſtance des gens ,
Si je ne mets quelqu'ordre à leurs affaires,
Si la nature , en formant ces jumeaux ,
Fit mêmes dons à ce trio biſare ;
Je prétens , moi , qu'en biens ils foient égaux.
Pour conferver une eſpèce fi rare ,
Je veux , de plus , s'il fe trouve à Bagdat ;
A leur égard , deux filles indulgentes ,
Des deux aînés rompre le célibat ;
Si l'on convient , riches comme indigentes ;
En leur faveur je groffirai le lot,
Et donnerai mille fequins de dot.
La bonne foeur fe charge de l'affaire ;
Avec franchiſe embraffe chaque frère :
Mais fans favoir lequel précisément
Eft fon mari. Déja très - largement
Le porte-faix a reçu fon falaire.
Ainfi , chacun ſe retire content.
72 MERCURE DE FRANCE.
ESSAI fur l'ajustement des ANGLOISES ,
traduit d'un Ouvrage périodique Anglois.
O
N a comparé ingénieufement une Angloife
à une ftatuë de Raphaël , dont la
draperie feroit d'un éléve fans goût & fans
connoiffances : elle eft peut - être la plus
belle femme des nations , mais auffi la
moins bien mife. Cette remarque appartient
à tous les étrangers qui viennent dans
notre ifle.
il
Un Poëte , en fe livrant ici à fon imagination
, chanteroit l'optimisme dans la
diftribution des biens de la nature
faudroit croire avec lui que cette fage difpenfatrice
, en donnant à nos Dames la
beauté en partage , leur a refufé , par réflexion
, le talent d'en tirer parti , afin
nous puiffions conferver , en les voyant ,
notre raifon . Mais laiffons des idées fi
fublimes.
que
Eft - ce faute de goût ? eft - ce par un
orgueilleux dédain pour tout ce qui peut
relever leurs charmes , que les Angloifes
négligent le foin des ajuftemens ? Hélas !
fi ce problême étoit approfondi , la folution
pourroit n'être pas flatteufe pour
elles
?
JUILLET 1766. 73
elles. Voit- on qu'elles aient plus d'éloignement
que leurs voifines pour le luxe ,
pour la décoration , pour la magnificence
dans les habillemens ? Eh ! la femme d'un
Marchand de Chéarfide n'a pas plus de
ménagemens pour la fortune de fon mari
qu'une Bourgeoife de Paris ; nos jeunes
penfionnaires , en entrant dans le monde ,
font tout auffi peu économes , autant amies
du fafte , auffi jaloufes de la fomptuofité
que les Françoifes au fortir du Couvent.
Dans l'Europe entière , il eſt vrai , Paris
eft regardé comme la fource des modes ;
leur empire cependant y eft plus doux ,
plus réfervé qu'ici . Là , l'étude du fexe eft
de les allier toujours avec les grâces . Telle
femme eft ridicule uniquement pour fuivre
une mode qui ne lui va pas , & ce
ridicule eft fans excufe : à fa toilette la
Françoife eft une habile Architecte ; une
ignorance gothique ne lui fait point con
fondre les différens ordres ; jamais on ne
la voit , par un contrafte bifarre , mêler à
la forme dorique un ornement corinthien :
elle ne fe livre au caprice d'une nouveauté ,
à la fantaisie d'une mode , qu'autant que
fes charmes n'en fouffrent point d'altération.
- Les Angloifes au contraire adoptent ,
en quelque forte , pour toutes grâces , les
Vol. I. D
7.4. MERCURE DE FRANCE.
ufages courans. Qu'une mode paroiffe ;
point de différences de traits , de tein
d'enſemble du vifage , de taille , qui puiffe
arrêter nos femmes , en queues traînantes ,
ou en bonnets à la Pruffienne ; toutes femblent
être rangées fous un même étendart ;
dans les jardins , dans le mail , aux fpectacles
, on croiroit que leurs habillemens
ont été ordonnés par un Colonel d'infanterie
, ou imaginés par celui qui fournit
ceux des trois bataillons des Gardes.
Cette extravagance d'étiquette eft de
tous les états , de tous les âges ; la bourgeoife
eft vêtue en femme de qualité ; la
fexagénaire comme fa petite fille.
:
Cela me rappelle l'aventure d'un vieillard
de mes amis en allant fe promener
au parc il s'étoit attaché à fuivre
de loin une Dame , qu'à fon habillement
élégant & léger il avoit jugée n'avoir
pas plus de quinze ans . Elle étoit feule
& , dans l'imagination de mon ami , ce
devoit être une divinité fous la figure
humaine. Déja le compliment le plus délicat
& le mieux tourné étoit tout prêt ,
& vingt petits amours placés dans chaque
pli de la robe de fa Déeffe , comme un
corps de réferve , devoient le fecourir au
befoin. Mais quelle furprife ! quelle confufion
! il fe préfente , & ne trouve dans
JUILLET 1766. 75
cette Vénus imaginaire qu'une coufine
Hannach , qu'il favoit être plus âgée que
lui .
Tant d'étalage & de recherche dans l'ajuf
tement de la Dame, n'étoit pas fans deffein .
Elle alloit ( dit- il ) comme moi au parc , où
nous arrivions quand je l'abordai : peutêtre
eût - elle balancé d'abord à m'agréer
pour fon écuyer ; mais à l'afpect de ma
belle perruque elle fe détermina à l'inftant
, prit mon bras & offrit de renvoyer
fon laquais : la propofition mé fit trembler;
je me figurois d'avance la réception qu'alloit
nous faire le public : mais comment
m'en fauver ! Il fallut foutenir la galanterie
jufqu'à la fin . Bientôt nos deux figures
antiques fixèrent tous les yeux ; nous excitions
la bonne humeur de tous ceux qui
nous environnoient : les uns ne faifoient
que
fourire , les autres éclatoient . La coufine
Hannach s'en apperçut ; mais elle étoit
trop perfuadée du bon goût de fon ajuftement
& de la décence de fon maintien
pour fe croire l'objet de la rifée publique ;
elle avoit la bonté de ne l'attribuer en fecret
u'à la fingularité du mien , tandis que
fort cordialement je rejettois tout fur fon
compte. En entrant au parc , nous étions
les deux meilleurs amis du monde ; dès le
premier tour , ce petit accident nous rendit
Dij
1
76 MERCURE DE FRANCE.
d'une humeur infupportable. En vérité ,
coufin Jeffray, me dit ma trifte compagne ,
je ne vous conçois pas ! n'obtiendrai - je
jamais de vous faire habiller d'une façon
moins ridicule ? Je me fuis toujours doutée
que votre énorme perruque , fi bien
frifée , avec un habit fi chétif, & ce trèsmonftrueux
manchon ne manqueroient
pas de nous attirer une fçène.
Qu'elle fe fût bornée à la critique de
mon habillement , je m'en fouciois peu ,
& je l'aurois fouffert patiemment ; mais
attaquer mon manchon favori .... oh ! je
n'y pus tenir Madame , lui dis-je , en
jettant fur fon fein découvert un regard
dédaigneux ; je fouhaiterois , pour le bien
de votre fanté , que ce même manchon
pût vous fervir de palatine,
6 Juin,
J. DE TROYES,
JUILLET 1766. 77
QUATRAIN fur le portrait de M. de
SARTINE , Lieutenant - Général de
Police , &c.
CETTE ETTE noble candeur
Que peignent à nos yeux les traits de fon vifage
Des folides vertus qui règnent dans fon coeur
Eft la fidèle image.
CHAPPOTIN DE SAINT-LAURENT , de
la Bibliothèque du Roi , de l'Académie
d'Auxerre , &c.
VERS propofés pour une eftampe qui doit
représenter l'amour réciproque du Roi
pour la FRANCE , & de la France pour
le Ror.
SPERAT
PERAT amando fuos Rex vincere , vincere
Regem
Gallia ; fic ftimulos mutuus addit amor .
Splendida fufpenfus fpectat certamina mundus ;
Sed palma dubium eft , par quia pugna , decus.
Par M. RouX DUCLOS .
D iij
78 MERCURE
DE FRANCE
.
LE
E mot de la première Enigme du Mercure
de Juin eft l'efprit. Ceux de la feconde
font , qui fe fait brebis le loup le mange.
Ceux de la troifième font , tout ce qui brille
n'eft pas or. Celui du premier Logogryphe
eft inoculation on y trouve ut , la , Luc ,
canon , col , latin , ( peuple ) latin , ( langue
) oui , non , union , Ino , Nil , Io ,
Inca. Celui du fecond eft cabriolet , dans
lequel on trouve Abel , Loire , crote ,
Lote , carlet , raie , Clio , air , abricot ,
col , tric- trac , Brie , écart , lit , table , lot ,
cire , rat , la , re , or , lait , Icare , ciel ,
Roi , bal , ble , crible , bâle , Caire , Tibre ,
car , carte , colet ou calote , taire.
ENIGMES.
J'EXERCE fur les coeurs un pouvoir abfolu :
Qui ne peut me fouffrir ne va point au ſpectacle.
Si je me gliffe ailleurs , ce n'eft pas un miracle ;
Je féduis ailément : ce droit m'eft dévolu .
Pour plaire & triompher, voici mes feules armes ;
J'excite la pitié , j'infpire la terreur ,
Je donne du plaifir , je cauſe la douleur ,
Et l'amour bien fouvent a regné par mes charmes.
JUILLET 1766. 79
ENIGME EN LOGOGRYPHE.
DANS ANS un fens , j'ai fouvent deux utiles lumières.
Dans l'autre je vous offre un fat , un plat bouffon.
Tel qui voudroit avoir trois membres de mon
nom ,
Donneroit bien à trois quelques coups d'étrivières.
LOGO GRYPHES.
O'N n'eût pas vu fans moi cette lame homicide
,
Inftrument des fureurs du foldat inhumain : |
Je forgeai le glaive d'Alcide ,
Et celle dont jadis Achille arma fa main.
Sept membres forment ma ftructure ;
Tu trouveras , en la décompofant ,
Des matelots la fépulture ;
Et des forçats le pénible tourment.
J'ai ce qui fait mouvoir un bâtiment fur l'onde ;
Le chemin d'une ville où paffe tout le monde ;
L'outil propre aux jardins ; plus , deux notes de
chant ;
L'animal qui du chat craint la griffe & la dent ;
Div
80 MERCURE DE FRANCE .
Et le nom de celui qui , par malheur infigne ,
Ne peut plus s'expliquer que par gefte ou par
figne.
Je t'offre encore un élément fougueux ;
L'africain à noire figure ;
De l'arbre une riche parure ,
Avec un chantre très - fameux .
N
AUTRE.
OURRISSIER des plaifirs , j'enfante la trifteffe;
La haine , le dépit , l'amour & la tendrelle ;
Je fuis du fentiment l'impérieufe loi :
A d'autres traits , Lecteur , reconnois mon emploi..
J'ai huit pieds différens , ou tu verras paroître
Deux titres que l'on donne à nos fouverains.
maîtres ;
Deux pronoms ; une ville , ou mont de grand
renom ;
1
Un chemin ufité ; une prization ;
Un vale deſtiné pour contenir des cendres ;
Ce que donne à l'enfant une mère bien tendre ;
Une fleur agréable ; un méchant animal ;.
Le contraire d'aller ; un précieux métal ;
Une eau ; la fin du jour ; une ville d'Afie ;
Une autre dans le Maine ; une autre en Normandie
;
Si d'enfaire unpareilj'avois l'heureuse pou
voir ,Crois moije n'iroispas
Majeur
le porter a Cy =
W
there .Themire :dit l'amourje connois
ra candeur Ma mère la formée à saplus
tendreimage:Tu l'aimes du retourpour t'assu
W
rer le ga ge : Donnes lui mon bouquet,je
répons de son coeur je répons de son coeur.
Lent.
W
Le petit Dieu charmant qui domte tous les
cours,A deserte Cythere etprévenu l'aurore:
+
Quefaitilsi matin dans lesjardins de Flore?
Il
compose un bouquet dont ilchoisit les fleurs,
Mineur
dont il choisit les fleurs . Hélas!
ilprendce soinpour l'offrir à sa me re : The-
- mire en ce beaujour sijepouvois l'a voir,
W
JUILLET 1766. 81
Deux rivières en France ; une Iſle du Poitou ;
La femme d'Athamas ; une vache... c'eſt tout.
Eu. M. à Lingevre, près bayeux, le 20 Juillet 1762.
BOUQUET A THÉ MIRE.
E petit Dieu charmant , qui dompte tous les
coeurs ,
A délerté Cythère & prévenu l'aurore.
Que fait- il , fi matin , dans les jardins de Flore ?
Il compoſe un bouquet dont il choifit les fleurs.
Hélas ! il prend ce foin pour l'offrir à ſa mère.
Thémire , en ce beau jour , fi je pouvois l'avoir ;
Si d'en faire un pareil j'avois l'heureux pouvoir ;
Crois -moi , je n'irois pas le porter à Cythère.
Thémire ! ( dit l'amour ) je connois fa candeur :
Ma mère l'a formée à ſa plus tendre image .
Tu l'aimes : du retour pour t'affurer le gage ,
Donne - lui mon bouquet ; je répons de fon
coeur.
Paroles de M. GERMAIN- DE CRAIN ,
Mufique de M. DUVAL , Maître de
Mufique , rue des Cordeliers.
DY
82 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE I I.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LETTRE des Auteurs du JOURNAL ENCYCLOPÉDIQUE
à M. DE LA PLACE ,
au fujet de celle de M. LINGUET ,
Avocat au Parlement , auteur de l'Hiftoire
des Révolutions de l'Empire Romain
, inférée dans le fecond volume du
Mercure du mois d' AVRIL dernier ,page
91 .
MONSIEUR ,
Nous avons lu , avec la plus grande
furprife , la lettre que M. Linguet vous a
écrite contre le Journal Encyclopédique
au fujet de notre annonce de fon hiftoire
des Révolutions de l'Empire Romain ; ce
qui nous a le plus étonnés , c'eft qu'il ait pu
yous en impofer. Nous ne repoufferons
pas l'injure par l'injure , mais il eſt néceſfaire
que nous juftifiyons notre jugement,
JUILLET 1766. 83
& il eft jufte que nous mettions au jour
les torts de cet Auteur , au fujet d'un
trait fatyrique qu'il ofe nous accufer
d'avoir pris pour un éloge. Cette double
juſtification nous oblige d'entrer dans des
détails peut-être un peu longs mais indifpenfables.
Dès que l'Hiftoire des Révolutions de
P'Empire Romain eut paru , notre exactitude
nous fit un devoir de l'annoncer.
En parcourant cet ouvrage nous trouvâmes
que l'Auteur , courant après le paradoxe
& le fingulier , affectoit à chaque page de
déprimer tout ce que l'hiftoire a célébré ,
& d'élever tout ce qu'elle a déprimé. Nous
dîmes , d'après un examen impartial ( 1) ,
( 1 ) Voici le jugement que M. Querlon porte
de l'Hiftoire des R. d. l'E . R. dans fon annonce
du 7 Mai . « On n'a jamais raiſon contre le public.
« M. Linguet paroît montrer un peu d'humeur.
>> Rebuté par quelques dégoûts inévitables dans la
" profeffion des lettres , il s'eft jetté dans la Jurifprudence....
Il femble avoir voulu feulement
» peindre à grands traits les temps dont il parle
»pour contredire toutes les idées reçues. Son
ouvrage tient plus auffi de la forme décou-
» fue des mémoires & prend fouvent l'air de
» differtation. M. Linguet , après avoir décrié les
» Hifloriens du temps , qu'il parcourt , pour ſe
» livrer plus à fon aife à fes idées fyftématiques ,
» à fes conjectures , fait un étrange portrait d'Au-
»gufte : il ne trouve aucune bonne qualité dans
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
qu'une critique amère de l'élégant Vertot,
des éloges proflitués aux Néron , aux Caligula
, des traits hardis , de la chaleur , un
Style mordant caractérifoient principalement
cet ouvrage , dont nous promîmes de rendre
compte. Nous n'avions pas encore fongé
à remplir notre engagement , lorfque fa
fatyre contre nous a paru dans le Mercure
: le peu de fuccès de fon livre avoir
rallenti notre empreffement. Au fond , un
Journaliſte feroit bien à plaindre s'il étoit
obligé de tirer de l'oubli les productions
de tous les Auteurs médiocres.
Pour mieux en impofer au public & à
vous , Monfieur , cet Auteur a eu l'adreffe
de rapporter dans fa lettre quelques phrafes
qu'il n'avoit pu , par bienféance , fe
difpenfer de répandre dans fon livre , foit
en faveur de l'Abbé de Vertot , foit contre
les deux Empereurs que nous avons cités :
mais il n'a pas eu même l'art de les rapporter
de manière qu'elles puffent contredire
notre jugement. Veut - il prouver ,
par exemple , que nous l'avons accufé injuftement
d'avoir mal parlé de Vertot ?
» ce Prince. Il ne voit en lui qu'un fcélérat qui
> joint au plus odieux caractère l'hypocrifie & la
faulleté Tibère , défiguré par Tacite & par
>> Suetonne , à ce qu'il prétend , lui paroît bien
>> plus honnête homme , & il défend fa mé-
» moire , &c. »>.
JUILLET 1766. 8.5
"
" On regrette , dit il , qu'il fe foit arrêté
» au milieu de fa carrière , & qu'il ait ter-
» miné fon livre par l'éloge d'un ufurpa-
» teur ,, ; ce qui eft faux , car cet Ecrivain
n'a eu d'autre deffein que d'écrire les
Révolutions de la République Romaine ,
jufqu'à la bataille d'Actium , & il a rem
pli fon objet en s'arrêtant à cette époque .
Il n'a jamais fait l'éloge de l'ufurpation
d'Augufte , mais il a loué cet Empereur
d'avoir fçu , par fes bienfaits , par fes vertus
civiles & politiques , par fon vafte génie
, accoutumer au joug un peuple fanatique
de fa liberté. M. Linguet continue ce
prétendu éloge par cette phrafe hériffée d'an
tithefes comme tout le refte . « Il a fçu , dit-
» il, renfermer en trois volumes la grandeur
» de Rome : on voudroit qu'il n'en eût pas
employé ſept à dévolopper la petiteſſe de
" Malthe ». Il ne manque à cela que de la
jufteffe. M. Linguet femble dire que c'elk
l'hiftoire de l'Ile de Malthe, que l'Abbé
de Vertot a écrite , tandis que ce qui concerne
Malthe n'eft que la moindre partie
de fon hiftoire.
و د
M. Linguet ne s'eft pas borné à la critique
de Vertot : aucun Hiftorien ancien
ne tombe fous fa main qu'il ne le déprime ;
il ne parle d'aucun Auteur moderne , quelque
refpectable qu'il foit , que pour le dé86
MERCURE
DE FRANCE.
chirer , comme on le verra par les exemples
que nous allons rapporter , qui juftifient
en même temps notre jugement fur
fon ouvrage , au fujet des éloges qu'il proftitue
aux tyrans les plus déteftables.
و
Il foupçonne que Tacite , dont le ſtyle ,
dit-il , eft naturellement amer , en difant du
mal de Tibère , de Néron , de Caligula ,
peut bien avoir cherché à faire fa cour aux
feuls Princes dont il a dit du bien. &
fous le règne de qui il a écrit. Les fatyriques
les plus outrés , ajoute - t- il, font fouvent
les flatteurs les plus adroits : en conféquence
de ce foupçon , ou plutôt de ce
rêve , fi Tacite dit , pour peindre d'un feul
trait le caractère d'Augufte & celui de Tibère
, qu'Augufte fembloit avoit choiſi ſon
fucceffeur , afin que les Romains , qui jugeroient
d'eux par comparaifon , le regrettaffent
encore davantage ; M. Linguet
ajoute que rien ne peut juftifier cette réflexion
. Au refte M. Linguet n'eft pas le premier
qui ait relevé cet endroit de Tacite ,
mais non pas dans le même fens. Si l'Hiftorien
latin rapporte que Tibère , avant de
prendre les rènes de l'Empire , fe fit prier
long- temps , fléchit peu à peu , & ne voulut
paroître ni accepter ni refufer le trône ;
« Tacite , dit M. Linguet , lui fait jouer une
» comédie ridicule ». Si Tacite peint avec
JUILLET 1766. 87
"
و د
»
indignation les excès auxquels Tibère le
livroit à Caprée , M. Linguet regarde ce
tableau comme un tiffu d'ordures abfurdes
qui deshonorent un Prince qui ne pouvoit
pas s'en rendre coupable , & il accufe cet
Hiftorien d'acharnement & de calomnie.
« Tacite , dit- il , ailleurs , en détaillant les
» cruautés de Tibère , y ajoute des cir-
» conftances fi affreufes , & Suetonne y en
joint de fi ridicules , qu'on fe foulève
malgré foi contre l'éloquence maligne
» de l'un & contre la crédulité imbécille
» de l'autre ». Quelles font ces circonftances
fi incroyables ? C'est que parmi les
complices de Séjan , que Tibère , ennuyé
de l'examen de leur procès , fit égorger en
prifon , il y en avoit , felon Tacite &
Suetonne , de tout âge , de tout fexe &
de toute condition ; qu'il n'étoit permis
à leurs parens ni à leurs amis d'approcher
de près ni de loin de leurs cadavres ; que
des gardes difperfés aux environs étoient
chargés de punir fur le champ le moindre
témoignage de trifteffe ; qu'on jetta ces
cadavres dans le tibre ; qu'on les voyoit
flotter fur la rivière , ou pourrir fur les
bords , fans qu'on ofât les enterrer. Ce
tableau , tout effrayant qu'il eft n'a
rien de merveilleux quand on fait attention
aux fureurs du tyran . Nous ne
88 MERCURE DE FRANCE.
ל כ
"
finirions point fi nous voulions rapporter
toutes les critiques que M. Linguet fait de
Tacite . Suetonne qui , par fa place de Secrétaire
du Cabinet de l'Empereur Hadrien
, avoit été à portée de s'inftruire ,
eft traité par M. Linguet avec encore plus
de dureté. « Il s'occupe , dit- il , à ramaf-
» fer des anecdotes bien plus qu'à les choifir
; il les raconte avec un ftyle auffi
» lâche qu'indécent ; il les entaffe fans
examen & fans diftinction ». M. Linguet
ne rencontre jamais cet Hiftorien fur fes
pas , fans l'accabler d'invectives. Suetonne
a décrit , ainfi que Tacite , les plaifirs de
Tibère à Caprée. « Suetonne , dit M. Lin-
» guet, laiffe voir ou une fureur bien mal-
» adroite , ou une crédulité bien groffière.
Je m'arrête à regret fur ces horreurs
dégoutantes dignes tout au plus du port
» d . C. » . Qu'elle expreffion indigne de
l'Hiftoire ! Ce Suetonne tant cité , dit- il
» encore , eft un Ecrivain méprifable » .
C'est dans ce même chapitre & dans le
fuivant que M. Linguet donne le dernier
coup de pinceau au portrait flatté qu'il
fait de cet Empereur. « Quiconque aura la
patience de lire dans le latin tout ce
qu'a écrit ce ridicule Hiftorien ( Suetonne)
» ne pourra s'empêcher de gémir fur le
» fort des Princes dont les fiècles fuivans
"
"
"
JUILLET 1766. 89
97
que
ور
ود
»
و ر
" férriffent la mémoire avec tant de légéreté.
Voilà l'Auteur qu'on n'a pas honte
» de citer , & c » . Nous ne rapporterons
le dernier trait de cet éloge. « Qu'a
donc fait de plus , dit M. Linguet , pour
» le bonheur des peuples , le petit nom-
» bre de Princes dont la poftérité chérit
» avec raifon la mémoire? Combien de
règnes décorés des titres les plus pom-
» peux font bien loin d'offrir de pareils
traits pour la reffource de l'adulation
qui les célèbre ! Combien de Souverains
» feroient mis par leurs flatteurs fur la
» même ligne que Trajan ou Henry IV,
» s'ils avoient montré la centième partie
» de la bienfaisance que ies plus cruels
» ennemis de Tibère ne peuvent lui re-
» fufer " ? Qui jamais , avant M. Linguet
s'étoit avifé de mettre Tibère à côté de
Henry? Il avoit dit auparavant que Tibère
& Louis XIV , ne mirent envers leurs
Miniftres , ( Sejan & Fouquet ) que de la
fineffe dans des entreprifes qu'ils auroient
pu fans rifque achever avec grandeur.
Tacite , Suetonne & Dion ont peint
Caligula des couleurs odieufes que méritoit
un tel monftre ; M. Linguet , après
XVII fiècles , fans autre autorité que la
fienne , prend la défenfe de cet Empereur
: mais comme il ne peut pas abfolu
୭୦ MERCURE DE FRANCE.
ment le déclarer innocent , il commence
par le foupçonner d'avoir été un peu
fou. D'ailleurs il ne penfe pas qu'il faille
croire de lui tout ce qu'en rapportent
Dion & Suetonne , ces deux compilateurs
d'anecdotes hafardées. En conféquence ,
il nie que Caligula fit fermer les greniers
de la ville pour annoncer la famine aux
Romains ; il nie que cet Empereur ait
condamné aux bêtes , ou à être fçiés en deux ,
de fort honnêtes gens , honefti ordinis , que
M. Linguet traduit par des gens obfcurs : il
ne nie ces faits que parce que Suetonne les
rapporte. Il donne pour raifon de fon
affertion, qué ces fupplices n'étoient point
en ufage chez les Romains. ii eft vrai que
M. de Voltaire a dit , en parlant des Hif
toriens Eccléfiaftiques qui ont écrit les
actes des Martyrs , & qui ont attribué à
Diocletien des condamnations femblables
, qu'elles n'étoient point en ufage
fous cet Empereur ; le mal - adroit plagiaire
n'apasfait attention que Suetonne parle des
vengeances fecrettes d'un tyran , de condamnations
arbitraires ; au lieu que M.
de Voltaire parle de condamnations juridiques
, de fupplices autorifés par les loix.
« Louis XI , ajoute M. Linguet , ne s'avifa
point de faire empaler perfonne ; le
» Cardinal de Richelieu ne faifoit point
JUILLET 1766. 91
» écorcher fes ennemis ». Il faut convenir
que M. Linguet fait d'étranges parallèles
! Caligula , difent les Hiftoriens ,
fit fon cheval prêtre , & vouloit le faire
Conful. Notre Zoile aime mieux croire
que les Hiftoriens font des imbécilles
que de prendre ce fait au pied de la
lettre. Au pis aller , il oppofe à Caligula
Charles XII qui , dans un moment
de dépit , menaçoit les Sénateurs Suédois
de leur envoyer fa botte pour les gouverner.
Mais c'est trop long- temps infifter
fur l'éloge de ces odieux tyrans ; auffi
ne rapporterons- nous qu'un feul trait de
celui de Néron ; il faut cependant avouer
que l'Auteur protége beaucoup moins celui-
ci que fes femblables. « Néron , dit
» M. Linguet , élevé dans une Cour volup
» tueufe & fanguinaire , devenu le maître
» de tout dans un âge où il eft auffi diffi-
» cile de fe connoître que de fe conduire ,
» entouré de flatteurs , dont l'intérêt eft
toujours d'avoir des Princes qui leur
» reffemblent , c'est - à - dire , foibles &
» méchans : Néron auroit eu befoin d'être
و ر
39
» le plus fage des hommes pour n'en pas
» devenir le plus corrompu ; malgré les
leçons fi vantées de Sénéque & de
» Burrhus , il n'a jamais connu peut - être,
ni la vertu , ni l'obligation de la prati-
"
33
}.2 MERCURE DE FRANCE .
» quer ». M. Linguet oublie à deſſein
tout le bien qu'on rapporte des premières
années de Néron.
C'est avec les mêmes ménagemens que
M. Linguet parle de Caracalla , d'Eliogabale
, &c. par - tout où les Hiftoriens en
parlent conformément à la vérité , il les
accufe de menfonge , d'extravagance , ou
d'exagération. Ce pyrronifie eft bien extraordinaire
! car enfin à qui s'en rappoter ,
fi nous commençons par jetter des foupçons
fur les premières fources de l'hiftoire ,
fur les Hiftoirens contemporains ?
Mais ne croyez pas , Monfieur , que M.
Linguet fe borne à dire du bien des tyrans
dont l'hiftoire
a dit tant de mal ; il s'attache
avec encore plus d'affectation
à dire
du mal des Princes dont ils ont dit du
bien. Le mot de Vefpafien mourant , rapporté
par Suetonne
: je pense que je deviens
Dieu , épigramme
contre les apothéofes
d'Augufte
& de Claude , & contre les flateurs
, eft une abfurdité
fuivant M. Linguet.
Le mot de Titus : j'ai perdu une jour
née , eft un apophtègme
ridicule
qui ,
s'il étoit vrai , ne prouveroit
tout au plus
que de la petiteffe
dans l'efprit de cet
Empereur
. Suetonne
rapporte
que Titus
difoit , qu'il ne falloitjamais que perfonne
fe retirat mécontent
des propos defon SouJUILLET
1766. ༡ ;
verain : M. Linguet trouve dans cet axiôme
tout ce qu'il eft poffible de raffembler de
plus odieux , l'infidélité , l'imprudence ,
la fourberie & la cruauté.
و د
و و
ود
Tacite , Suetonne , Dion , Vertot , ne
font pas les feules victimes qu'il facrifie
à fa petite vanité ; c'est encore Plutarque ,
qui fait toujours des réflexions & qui ne
fait jamais les placer à propos ; c'eſt Pline
le jeune , qui en impofe fur l'accident qui
lui enleva fon oncle , dont le panégyrique
qu'il a fait de Trajan eft une baffeffe &
une abfurdité comme le font en général
tous les panégyriques ; « c'eft M. de Montefquieu
, dont la réputation a autant
d'éclat que fes ouvrages ont quelquefois
d'obfcurité , qui a fait bien des méprifes
» dans tout ce qu'il a dit de la fageffe du
" gouvernement des Romains , de la per-
» fection de leur difcipline & de leurs
» armes . La preuve admirable qu'en
donne M. Linguet , c'eſt qu'on n'a jamais
bien expliqué la manoeuvre, ce que les
Romains appelloient la tortue , TESTUDO,
dont M. de Montefquieu n'a jamais
donné aucun d'étail ; c'eſt enfin tous ceux
qui n'ont pas penſé comme M. Linguet ,
& même fouvent ceux qui ont penfé comme
lui.
و ر
Notre jugement fur cet ouvrage eft affez
94 MERCURE DE FRANCE.
juftifié relativement à la critique amère
des Auteurs les plus célèbres & aux éloges
prostitués aux monftres qui occupèrent le
trône de l'Empire . Il nous refteroit à faire
voir que fon ſtyle eft mordant ; mais on
peut en juger par les traits que nous avons
rapportés qu'il y a de la chaleur ; mais
c'eft la chaleur d'un homme qui ne refpecte
rien enfin qu'il y a des traits hardis ;
mais
:
Nous ferions bien fâchés de les avoir redits ( * ).
Il ne nous refte qu'à nous juftifier de l'imputation
ridicule qu'il nous fait , d'avoir
pris un trait critique de M. de Voltaire
pour un éloge. Nous fommes obligés de
prendre les chofes de plus haut.
Un de nos collaborateurs , dont le public
fait combien nous avons eu à nous plaindre
, & qui ne l'a pas été long- temps ,
qui alors étoit Eccléfiaftique , avoit follement
avancé , fans doute pour s'en faire
un mérite auprès de fes protecteurs , que
M. Hume étoit auſſi célèbre par fon impiété
queparfon efprit . M. de Voltaire ne manqua
pas de relever ce trait dans la préface de
' Ecoffaife ; & fous le nom de Jérôme
Carré , il fit un éloge ironique du Journal
' Encyclopédique. Nous n'avions aucune
* Fontenelle. Egl.
JUILLET 1766. 95
part à l'accufation d'impiété faite à M.
Hume ; nous applaudîmes en fecret à l'épigrainme
de M. de Voltaire ; & plus vrais
que notre injufte collaborateur , qui ceffa
bientôt après de travailler à notre Journal ,
nous rendîmes juſtice à M. Hume dans
les extraits que nous fîmes de l'hiftoire
des Maifons de Tudor & de Plantagenet
, en le préfentant à nos lecteurs
tel que nous l'avions vu , fe dépouillant
de tout préjugé de nation , d'état , de
religion & de patrie , n'ayant pour guide
que la critique & pour objet que la vérité.
M. Linguet , pour prouver que nous
fommes difficiles aux éloges , comme il
dit , & que nous ne nous connoiffons pas
mieux en critique , affure que le Journal ,
peu de temps près que l'Ecoffaife eut paru ,
releva avec emphâfe le paffage de Jérôme
Carré , & qu'il s'en prévalut pour s'attribuer
la primauté fur les cent foixante &
treize Journaux qui paroiffent tout les mois
en Europe.
Nous rougiffons d'avoir à réfuter une
calomnie auffi groffière . Nous avons rendu
compte de l'Ecoffaife dans le Journal du
15 Mai 1760, page 102. Nous avons gardé
le filence fur la préface de cette comédie ,
& nous n'avons jamais relevé le trait de
Jérôme Carré.
MERCURE DE FRANCE.
Mais quelque temps après que l'Ecof
faife eut paru, M. de Voltaire publia fon
appel à toutes les Nations , &c. à la fuite
duquel il fait un parallèle entre Horace ,
Boileau& Pope. Dans l'un & l'autre de ces
ouvrages il fait l'éloge du Journal Encyclopédique
, l'un des plus curieux , dit- il ,
& des plus infructifs de l'Europe. Il en
parle fur ce ton dans plufieurs autres occafions
& dans plufieurs lettres qu'il nous
a adreffées , & qu'on trouve éparfes dans le
Journal. Senfibles à ces témoignges d'eftime
, nous nous empreffâmes de marquer
notre reconnoiffance à ce fublime Ecrivain
& nous nous félicitâmes , dans l'extrait
que nous fîmes de l'Appel aux Nations ,
(Journal du 15 Mars 1761 , page 89 ) ,
de ce que le Légiflateur de la littérature
& du goût nous combloit publiquement
de ces éloges flatteurs.
Voilà , Monfieur , ce qui a donné lieu
à ces égratignures , à ces coups de fouet ,
à cette comparaifon auffi fublime
que brillante
d'un Nègre de Saint-Domaingue avec
unJournaliſte, & à toutes ces invectives dont
le panégyriſte de Tibère & de Caligula a
parfemé fa lettre. Notre Journal eft fous
vos yeux , vous pouvez le confronter avec
le libelle de M. Linguet, & vous ferez
forcé de convenir qu'il eft , non-feulement
le
JUILLET. 1766 97
le détracteur le plus audacieux de l'antiquité
, le critique le plus amer de fes compatriotes
; mais encore un homme qui
n'a pas rougi de vous en impofer & d'en
impofer au ppuubblliicc ppoouurr fe venger d'une
critique qui l'offenfe parce qu'elle cft
juſte.
Nous avons l'honneur d'être , & c.
Les AUTEURS du Journal Encyclopédique.
POÉTIQUE de M. DE VOLTAIRE. Vol.
in- 8° , divifé en deux parties . A Paris,
chez LACOMBE, Libraire , quai de Conti.
Prix liv. relié. 5
M. de Voltaire n'a point compoſé de
corps d'ouvrage fur la poétique , mais ,
conduit par le goût dans toutes les productions
qu'a enfantées fon génie , il a fou
vent placé le précepte à côté de l'exemple .
Il a répandu dans fes ouvrages une multitude
d'obfervations fines & délicates fur
la verfification françoiſe , les différens
genres de poéfie & de ftyle poétique ;
le poëme épique , l'art dramatique , la
Vol. I. E
fur
98 MERCURE DE FRANCE.
tragédie , la comédie , l'opéra ; fur les
petits poëmes & les poëtes les plus célèbres
anciens & modernes. Un homme de lettres
a eu l'idée de former un enfemble de
tous ces morceaux épars ; & il en eſt réfulté
une poétique complette , lumineufe ,
pleine de ces traits agréables , brillans &
ingénieux , qui caractériſent fi bien tous
les écrits de M. de Voltaire."
Cette Poétique eft partagée en huit
livres , dans chacun defquels font réunies
toutes les matières qui ont le plus d'analogie
entre elles. C'eft un vafte & riche
parterre où nous cueillerons au hafard ,
perfuadés qu'en quelque endroit que puiffe
porter notre main , elle en rapportera de
belles fleurs.
Dans le premier livre , confacré prefque
entièrement à ce qui regarde la verfification
françoife , on voit , que M. de Voltaire
connoît mieux que perfonne les difficultés
extrêmes de l'art fublime dans lequel
il eft devenu un fi grand maître. J'ai fouvent
regretté , dit- il, cette heureuſe liberté
que les Anglois ont d'écrire leurs tragédies
en vers non rimés , d'allonger & furtout
d'accourcir prefque tous les mots , de
faire enjamber les vers les uns fur les autres
, & de créer , dans le befoin , des
termes nouveaux qui font toujours adopJUILLET
1766. 99
tés à Londres , lorfqu'ils font fonores ,
intelligibles & néceffaires. Un Poëte Anglois
eft un homme libre qui affervit fa
langue à fon génie ; le François eft un
efclave de la rime , obligé de faire quelquefois
quatre vers pour exprimer une
penfée qu'un Anglois peut rendre en une
feule ligne. L'Anglois dit tout ce qu'il
veut , le François ne dit que ce qu'il peut.
L'un court dans une carrière vafte , &
l'autre marche avec des entraves dans un
chemin gliffant & étroit.
Malgré toutes ces réflexions & toutes
ces plaintes , ajoute- t- il , nous ne pourrons
jamais fecouer le joug de la rime ;
elle eft effentielle à la poéfie françoife ....
C'eft même à cette contrainte de la rime.
& à cette févérité extrême de notre verfification
, que nous devons ces excellens ouvrages
que nous avons dans notre langue ;
comme M. Delafaye l'a fi bien exprimé
dans fon ode fur l'harmonie :
DE la contrainte rigoureuſe
Où l'efprit femble refferré ,
Il reçoit cette force heureuſe
Qui l'élève au plus haut degré.
Telle dans des canaux preſſée ,
Avec plus de force élancée
E ij
538332
100 MERCURE DE FRANCE.
L'onde s'éleve dans les airs :
Et la règle , qui , ſemble auſtère ,
N'eft qu'un art plus certain de plaire ,
Inféparable des beaux vers .
Le fecond livre traite uniquement de la
poéfie lyrique.
Le théâtre & l'art dramatique font l'objet
du troisième livre. Nos bonnes pièces
dramatiques n'ont pas produit une admiration
ftérile ; elles ont fouvent corrigé
les hommes : M. de l'oltaire en cite plufieurs
exemples frappans dont il a été
témoin. Si le peuple , dit- il , affiftoit à des
fpectacles honnêtes , il y auroit bien moins
d'âmes groffières & dures. C'eft ce qui fit
des Athéniens une nation fi fupérieure ....
Ce n'eft point le théâtre qui eft condamnable
, mais l'abus du théâtre. Or les pièces
étant approuvées par les Magiftrats , &
ayant la fanction de l'autorité royale , le
feul abus eft de les condamner.
Nous devrions faire réflexion que toutes
les chofes de ce monde dépendent de l'ufage
& de l'opinion. La Cour de France
a danfé fur le théâtre avec les acteurs de
l'opéra ; & on n'a rien trouvé en cela
d'étrange , finon que la mode de ces divertiffemens
ait fini. Pourquoi feroit- il plus
étonnant de réciter que de danfer en public
? Je le répéte encore , & je le dirai
·
ΤΟΙ JUILLET 1766..
toujours , aucun des beaux- arts n'eft méprifable
, & il n'eft véritablement honteux
que d'attacher de la honte aux talens .
Que de richeffes raffemblées dans le
quatrième & le cinquième livres qui traitent
de la tragédie ! Nous nous arrêterons
un moment fur l'article des bienféances
théâtrales . M. de Voltaire , après avoir
reproché à Dryden , célèbre Poëte dramatique
Anglois , d'avoir mis dans la bouche
de fes héros amoureux , ou des hyperboles
de rhétorique , ou des indécences , ajoute :
quelques Anglois ont beau dire , c'eſt là
la pure nature , on doit leur répondre que
c'eft précisément cette nature qu'il faut
voiler avec foin .
Ce n'est pas même connoître le coeur
humain , de penfer qu'on doit plaire davantage
en préfentant ces images licentieufes ;
au contraire , c'eft fermer l'entrée de l'âme
aux vrais plaifirs . Si tout eft d'abord à
découvert , on eft raffafié ; il ne reste plus
rien à rechercher , rien à defirer , & on
arrive tout d'un coup à la langueur en
croyant courir à la volupté. Les fpectateurs,
en ce cas , font comme les amans qu'une
jouiffance trop prompte dégoute ; ce n'eſt
qu'à travers cent nuages qu'on doit entrevoir
ces idées qui feroient rougir préfentées
de trop près. C'eft ce voile qui fait
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
le charme des honnêtes gens : il n'y a point
pour eux de plaifir fans bienféance.
Le Traducteur Anglois de Zaïre a refpecté
prefque par- tout ces bienféances
théâtrales ; mais il y a quelques endroits
où il s'eft livré encore à d'anciens ufages.
Par exemple , lorfque dans la pièce angloife
Orofmane vient annoncer à Zaïre
qu'il croit ne la plus aimer , Zaïre lui
répond en fe roulant par terre. Le Sultan
n'eft point ému de la voir dans cette pofture
, de ridicule & de défefpoir ; & le
moment d'après il eft tout étonné que
Zaïre pleure ; il lui dit cet hémiſtiche :
» Zaïre , vous pleurez
ود ا
il auroit dû lui dire auparavant :
» Zaïre , vous vous roulez par terre »> !
Auffi ces trois mots , Zaïre , vous pleurez,
qui font un grand effet fur notre théâtre
, n'en ont fait aucun fur le théâtre
Anglois , parce qu'ils étoient déplacés . Ces
expreffions familières & naïves tirent toute
leur force de la feule manière dont elles
font amenées. Seigneur , vous changez de
vifage , n'eft rien par foi- même ; mais le
moment où ces paroles fi fimples font
prononcées dans Mithridate fait frémir,
7
JUILLET 1766. 103
Si dans la plupart des tragédies angloifes
les héros font ampoulés & les héroïnes
extravagantes , en récompenfe le ftyle eft
plus naturel dans la comédie ( qui eft le
fujet du fixième livre de cette poëtique ).
Mais M. de Voltaire obſerve que ce naturel
nous paroîtroit fouvent celui de la
débauche plutôt que celui de l'honnêteté.
On y appelle chaque chofe par fon nom ...
Quelques cyniques , ajoute-t-il , prennent
le parti de ces expreffions groffières ; ils
s'appuyent fur l'exemple d'Horace , qui
nomme par le nom toutes les parties du
corps humain & tous les plaifirs qu'elles
donnent . Il faut confidérer que fi les
Romains permettoient des expreffions groffières
dans des fatyres qui n'étoient lues
que de peu de perfonnes , ils ne fouffroient
pas des mots deshonnêtes fur le théâtre.
Car , comme dit Lafontaine ; chaftes font
les oreilles , encore que les yeux foient
fripons.
Les Anglois ont pris , ont déguifé , ont
gâté la plupart des pièces de Molière. Ils
ont voulu faire un Tartuffe ; il étoit impoffible
que ce fujet réuffite à Londres :
la raifon en eft qu'on ne fe plaît guères
aux portraits des gens qu'on ne connoît
pas . Un des grands avantages de la nation
Angloife , c'eft qu'il n'y a point de tartuffe
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
chez elle ; pour qu'il y eûr de faux dévots ,
il faudroit qu'il y en eût de véritables..
pour nos
Londres , qui n'a point de tartuffe , eft
plein de Timons. Aufli le milantrope ou
'homme au franc procédé , eft une des
bonnes comédies de Wicherley. La pièce
angloife eft intéreffante , & l'intrigue en
eft ingénieuſe , mais trop hardie
moeurs , comme il eft aifé de le voir par
l'analyfe qu'on lit dans ce recueil. Wicherley
a encore tiré de Moliere une pièce non
moins fingulière & non moins hardie ;
c'eft une espèce d'école des femmes. M. de
Voltaire , après avoir donné une efquiffe
de cette comédie , finit en difant : cette
pièce n'eſt pas , fi vous voulez , l'école des
bonnes moeurs ; mais , en vérité , c'eſt
l'école de l'efprit & du bon comique.
Un Chevalier Van - Brugh a fait des
comédies encore plus plaifantes , mais
moins ingénieufes. Ce Chevalier étoit un
homme de plaifir , & par- deffus cela Poëte
& Architecte. On prétend qu'il écrivoit
avec autant de délicateffe & d'élégance
qu'il bâtiffoit groffièrement. C'eft lui qui
a bâti le fameux château de Blenheim
pefant & durable monument de notre
malheureuſe bataille d'Hochftet.
Celui de tous les Anglois qui a porté
le plus loin la gloire du théâtre comique
JUILLET 1766. 105
eft feu M. Congrève. Il n'a fait que peu
de pièces , mais toutes font excellentes
dans leur genre. Les règles du théâtre y
font rigoureufement obfervées. Elles font
pleines de caractères nuancés avec une
extrême finelle : vous y voyez par- tout le
langage des honnêtes gens avec des actions
de fripon ; ce qui prouve qu'il connoiffoit
bien fon monde , & qu'il vivoit dans ce
qu'on appelle la bonne compagnie.
On trouve dans le feptième livre ce
qui regarde l'opéra , c'eft-à- dire , les tragé
dies - opéra , les opéra- ballets & les pièces
où la mufique eft mêlée avec la déclamation.
Où trouver un fpectacle qui nous donne
une image de la fcène grecque ? C'eſt
peut- être , dit M. de Voltaire , dans les
tragédies italiennes nommées opéra que
cette image fubfiíte. Quoi ! me dira - t - on ,
un opéra italien auroit quelque reffemblance
avec le théâtre d'Athènes ? Oui.
Le récitatif italien eft précisément la mélopée
des anciens , c'eft cette déclamation
notée & foutenue par des inftrumens de
mufique ; cette mélopée , qui n'eſt ennuyeufe
que dans les mauvaifes tragédiesopéra,
eft admirable dans les bonnes pièces.
Les choeurs qu'on y a ajoutés depuis quelques
années , & qui font liés effentiel-
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
lement au fujet , approchent d'autant plus
des choeurs des anciens , qu'ils font exprimés
avec une mufique differente du récitatif
; comme la ftrophe , l'épode &
l'antiftrophe étoient chantées tout autrement
chez les Grecs que la mélopée des
fcènes.
Notre mélopée rentre bien moins que
l'italienne dans la déclamation naturelle ;
elle eft plus languiffante ; elle ne permet
jamais que les fcènes ayent leur jufte étendue
; elle exige des dialogues courts , en
petites maximes coupées , dont chacune
produit une efpèce de chanfon.
Malgré ces défauts j'ofe encore penſer
que nos bonnes tragédies- opéra , telles
qu'Atis , Armide , Théfée , étoient ce qui
pouvoit donner parmi nous quelque idée
du théâtre d'Athènes.... Il m'a paru en
général , en confultant les gens de lettres
qui connoiffent l'antiquité , que ces tragé
dies-opéra font la copie & la ruine de la
tragédie d'Athènes. Elles en font la copie ,
en ce qu'elles admettent la mélopée , les
choeurs , les machines , les divinités. Elles
en font la deftruction , parce qu'elles ont
accoutumé les jeunes gens à fe connoître en
fons plus qu'en efprit , à préférer leurs
oreilles à leurs âmes, des roulades à des penfées
fublimes, à faire quelquefois les ouvra
C
JUILLET 1766. 107
ges les plus infipides & les plus mal écrits
quand ils font foutenus par quelques airs
qui nous plaifent. l'Enchantement qui réfulte
de ce mêlange heureux de fcènes , de
choeurs,de danfes , de fymphonie, & de cette
variété de decorations, fubjugue jufqu'au
critique même ; & la meilleure comédie ,
la meilleure tragédie , n'eft jamais fréquentée
par les mêmes perfonnes auffi
allidament qu'un opéra médiocre... Dans
tous les genres les petits agrémens l'em-
'portent fur le vrai mérite.
l'Auteur de ce recueil a renfermé dans
le huitième & dernier livre les divers
genres de Poéfie dont il n'eft point parlé
dans les livres précedens, & plufieurs morceaux
intéreffans fur des matières détachées
, telles que l'imitation des anciens ,
les traductions des Poëtes , les comparaifons
poétiques , & c.
Il eft certain , dit M. de Voltaire , qu'on
ne devroit traduire les Poëtes qu'en vers.
Le contraire n'a été foutenu que par
ceux qui n'ayant pas le talent , tâchent de
le décrier ; vain & malheureux artifice
d'un orgueil impuiffant ! J'avoue qu'il n'y
a qu'un grand Poëte qui foit capable d'un
tel travail ; & voilà ce que nous n'avons
pas encore trouvé.
Nous n'avons que quelques petits mor
E vj
108 MERCURE DE FRANCE .
ceaux épars çà & là dans les recueils , mais
ces effais nous font voir au moins qu'avec
du temps , de la peine & du génie , on
peut parmi nous traduire heureufement
les Poëtes en vers. Il faudroit avoir continuellement
préfente à l'efprit cette belle
traduction que Boileau a faite d'un endroit
d'Homère :
L'enfer s'ément au bruit de Neptune en furie ,
Pluton fort de fon trône , il pâlit , il s'écrie :
Il a peur que ce Dieu , dans cet affreux léjour ,
D'un coup de fon trident ne faffe entrer le jour.
Mais qu'il feroit difficile de traduire
ainfi tout Homère !
>>J'eus toujours pour fufpects les dons des ennemis.
MEDEE de Corneille , acte IV, fcène IV.
1
Ce vers eft la traduction de ce beau
vers de Virgile :
Timeo Danaos & dona ferentes.
On trouve dans la Médée de Sénéque
ce beau vers :
Si judicas , cognofce ; fi regnas , jube.
M. de Voltaire le traduit ainfi :
» N'es-tu que Roi ? commande. Es- tu -juge ?
>> examine ».
JUIN 1766. 109
Cette Poétique eft une des plus complettes
qui ait paru jufqu'à préfent ; elle
embraffe , non - feulement la poéfie & fes
acceffoires , tous les divers genres de poëmes
depuis l'épopée jufqu'à l'épigramme , mais
encore tout ce qui concerne les Poëtes les
plus célèbres anciens & modernes , nationaux
& étrangers . Aucune langue n'étant
étrangère à M. de Voltaire , il a été à portée
de lire dans l'original les ouvrages dont
il parle. Il en a même fait paffer dans notre
langues des morceaux confidérables , qui
fe font embellis fous fes crayons & qu'on
dans ce recueil avec le plus grand plaifir.
On ne s'apperçoit prefque jamais que
ce foit un ouvrage de compilation . Les
matières y font traitées de fuite & avec
profondeur ; mais cette profondeur difpa
roît en quelque forte par la légéreté &
l'agrément de la plume de M. de Voltaire.
On n'y rencontre nulle part le differtateur
& le donneur de préceptes ; on y voit
tout l'homme de goût & de génie.
par-
Ce recueil fera néceffaire même à ceux
qui ont les ouvrages de M. de Voltaire.
Aucune édition des oeuvres de cet illuftre
Ecrivain n'eft complette , & parmi fes
productions il y a un grand nombre de
pièces fugitives qui ne font connues que
de peu perfonnes ; il falloit les raffem110
MERCURE DE FRANCE.
bler toutes pour en tirer ce qu'elles contiennent
fur la poétique , & cette recherche
n'eft pas , à beaucoup près , auffi facile
qu'on pourroit le penfer. D'ailleurs il eſt
aifé de fentir combien il doit y avoir de
différence entre des obfervations difféminées
en mille endroits , & ces mêmes obfervations
, liées entr'elles & raffemblées
en un corps dont toutes les parties s'étayent
mutuellement. Ce font des rayons qui
répandent la lumière , quoique difperſés ,
mais qui , réunis & rapprochés , forment
un foyer dont la chaleur égale l'éclat :
tantum feries junctura que pollet.
DICTIONNAIRE de Chymie , contenant la
théorie & la pratique de cette fcience , &c.
A Paris , chez LACOMBE , Libraire ,
quai de Conty ; 1766 : 2 vol. in- 8°.
LA Chymie n'eft bien connue en France
que depuis le commencement de ce fiècle .
Mais , à compter de cette époque , elle a
fait de fi grands progrès parmi nous, elle
a répandu tant de lumières fur la phyſique ,
l'hiftoire naturelle , la médecine , la pharmacie
; elle a jetté un fi grand jour fur
JUILLET 1766.
les arts & manufactures , dont elle a inventé
ou perfectionné les procédés , & dont
elle a développé les principes fondamentaux
, que le public a témoigné le plus
grand empreffement de connoître une
fcience fi utile. C'eſt ce qui nous a procuré
fur cette matière plufieurs excellens
ouvrages , parmi lefquels le Dictionnaire
de Chymie tiendra un rang diftingué .
Ce livre , qui eft en deux volumes in - 8 °,
d'environ fix cents cinquante pages chacun ,
& en caractére petit romain , eft un recueil
de differtations fur tous les objets les plus
importans , tant généraux que particuliers
de la Chymie. Il ne diffère d'un traité
fuivi de cette fcience que parce que toutes
les differtations dont il eft compofé , étant
difpofées dans l'ordre alphabétique , ne
font affujetties à aucun plan fyftêmatique ;
& il réfulte de- là que les lecteurs peuvent ,
non - feulement trouver facilement &
promptement toutes les matières qui les
intéreffent , mais encore , que ceux qui
voudront entreprendre la lecture de l'ouvrage
en entier , pourront faire cette lecture
dans l'ordre qui leur paroîtra le meilleur
& le plus lumineux ; c'eft une remarque
judicieufe que fait l'Auteur lui-même
dans fon avertiffement,
Comme l'étendue & la multitude des
112 MERCURE
DE FRANCE.
objets qui font traités dans ce Dictionnaire
ne nous permettent point de donner
une idée même fuccincte du tout, nous nous
bornerons , pour faire connoître la méthode
& la manière de l'Auteur , à un feul article
ce fera celui des fels . Cet article ,
avec toutes fes fuites , & malgré un nombre
très- confidérable de renvois , occupe à
lui feul foixante & feize pages , & nous
paroit être un traité des fels plus complet ,
à plufieurs égards , qu'aucune des differtations
qui ont paru jufqu'à préfent fur cette
matière.
L'Auteur commence celle - ci ,par la définition
da fel , ou de toutes les fubftances
falines en général ; mais l'efprit & la
marche conftante de la Chymie étant toujours
d'analyfer , de diftinguer les fubſtances
fimples d'avec celles qui font compofées
, enfin de reconnoître & de déterminer
les principes ou parties conftituantes de
ces dernières , l'Auteur , qui nous paroît
par- tour très- exact à obferver cette marche
analytique , appliquant fa définition aux
différentes claffes des fubftances que les
Chymiftes nomment fels , prouve facilement
que tous les fels ne font point également
fimples.
Les réflexions qu'il fait à ce fujet lui
donnent occafion de diftinguer les fels qui
JUILLET 1766. 113
ne font point tels effentiellement , ou qui
ne doivent leurs propriétés falines qu'à un
principe falin plus fimple qui entre dans
leur compofition , d'avec les matières plus
véritablement falines , & qu'il nommefalines
par elles- mêmes . Il ne range parmi ces
dernières que les acides & les alkalis falins
; les autres font toutes les combinaifons
de celles - ci avec les fubftances terreufes
, métalliques , & même huileuſes .
D'un autre côté toutes les matières ,
regardées comme falines par elles-mêmes ,
ne font point auffi fimples les unes que les
autres ; les plus grands Chymiftes , à la
tête defquels eft Stahl , ont penfé qu'il n'y
a qu'un feul principe falin dont les différentes
modifications & combinaiſons forment
le nombre prefque infini des fels
plus compofés ; & c'est l'acide vitriolique
que ces mêmes Chymiftes regardent comme
ce principe falin le plus fimple : ils l'ont
nommé à caufe de cela acide univerfel.
Enfin l'acide vitriolique lui - même ,
quoique plus fimple que tous les autres
fels , eft regardé par Stahl , & par tous les
Chymiftes qui ont embraffé fon opinion ,
comme compofé des principes aqueux &
terreux . L'Auteur du Dictionnaire de Chymie
adopte cette hiftoire comme la plus
conforme aux phénomènes , comme la plus
114 MERCURE DE FRANCE.
propre à les lier entr'eux , enfin comme
la meilleure & la plus lumineufe qu'on ait
donnée jufqu'à préfent. Il avertit cependant
qu'il ne la croit point encore prouvée
par un affez grand nombre de faits décififs
pour qu'on puiffe la regarder comme
démontrée. Il l'expofe d'une manière trèsclaire
, & l'appuie de toutes les obfervations
& expériences chymiques propres
lui donner la plus grande probabilité.
à
L'Auteur fait fuccéder à cette théorie
un tableau général de toutes les fubftances.
falines & fels neutres. Ce tableau , qui eft
dreffé fuivant l'ordre des acides , renferme
non-feulement les fels déjà connus , mais
encore ceux qui n'ont point été faits , &
qui ne font que peu ou point connus. Cette
énumération de fels , dans laquelle l'Auteur
propofe plufieurs réformes dans la nomenclature,
pour plus de clarté & de préciſion ,
nous paroît très- utile & très - commode ,
tant pour donner une idée générale de
tous les fels , que pour faire connoître
d'un feul coup- d'oeil , ceux fur lefquels la
chymie a befoin qu'on faffe de nouvelles
expériences.
"
" On voit , dit-il , par cette fimple énu-
» mération des combinaiſons falines , combien
il y en a qui ne font que très-imparfaitement
connues , combien il y en a
19
JUILLET 1766. 115
ود
» même qui ne le font point du tout &
» auxquelles on n'a jamais penfé. Les expériences
nombreufes qui restent à faire
» ſur cette vafte partie de la Chymie font
cependant de première néceflité ; elles
» font fondamentales & élémentaires . Il
» ne faut, pour les faire avec fuccès , que
» de l'exactitude , de la patience & la
» connoiffance des premiers principes de
» la Chymie. Tout homme intelligent &
de bonne volonté en eft capable. Il ne
s'agit que de prendre par ordre tous les
,, acides bien purs ; de les unir aux alkalis ,
,, aux terres , aux métaux auffi purs ;
وو
""
>>
d'examiner
les compofés falins réfultans de
,, ces unions ; de reconnoître leur faveur ,
leur diffolubilité dans l'eau , leur cryftallifation
, leur déliquefcence , la manière
de les décompofer , &c.
و و
""
""
"
""
"" Ces confidérations , ajoute- t- il , font
affurément bien capables d'exciter le
zèle de ceux qui veulent contribuer par
leurs travaux aux progrès de la Chymie .
,, Combien n'eft- il point agréable en effet
» pour quelqu'un qui ne fait que com-
,, mencer à s'occuper d'une fcience , de
voir les découvertes fe multiplier entre
fes mains dès fes premiers travaux ,
d'en compter le nombre par celui de fes
» expériences ! Cela prouve bien au refte
""
"
""
&
116 MERCURE
DE FRANCE
.
""
و د
""
و د
""
""
و د
""
""
""
""
combien la Chymie eft encore peu avancée
fur certains objets pour avoir été
mal prife . On s'eft engagé dans les recherches
les plus épineufes & les plus
difficiles , en laiffant derrière foi un nom-.
bre prefque infini de chofes néceffaires ,
fondamentales ou élémentaires , auxquelles
on n'a pas fait la plus légère
attention. C'eft affûrément le cas oùl'on
eft indifpenfablement obligé de revenir.
fur fes pas , fi l'on veut aller plus avant ,,..
Telles font les réflexions par lefquelles
l'Auteur expofe les befoins de la Chymie
fur l'objet préfent , & les vues qu'il donne
pour l'avancement de cette fcience . Il en.
a répandu de femblables dans beaucoup
d'autres articles de fon ouvrage quand
l'occafion s'en eft préfentée. Elles prouvent .
le zèle qu'a l'Auteur pour la fcience dont
il s'occupe ; & affûrément elles ne peuvent
être que très- utiles à ceux que leur goût &
leur talent peuvent exciter à s'engager dans
la même carrière .
Enfin après ces préliminaires fur les fels
en général , l'Auteur traite , fuivant l'ordre
alphabétique , de tout ceux qui n'ont
point d'autre nom particulier que celui de
fel, joint à une épithète qui les caractériſe .
Il nous paroît qu'il étoit difficile de
traiter , d'une manière plus claire & plus
JUILLET 1766. 117
méthodique , l'objet des fels , eu égard à
fon étendue , à fa complication & même
à fon obfcurité ; & ce que nous difons
fur cet article , que nous avons pris pour
exemple , nous croyons qu'on peut le dire
auffi fur tous les autres morceaux de ce
Dictionnaire. On ne fera point étonné d'y
trouver tant de profondeur réunie avec
tant de clarté quand on faura que cet
ouvrage eft de M. Macquer , de l'Acadé
mie Royale des Sciences , qui s'eft acquis
beaucoup de célébrité par fes traités fur
la Chymie & par les leçons qu'il a données
fur cette fcience.
Pour mettre ce Dictionnaire à la portée
du plus grand nombre d'acquereurs , furtout
des jeunes gens & des étudians , on
en a tiré fur papier ordinaire un nombre
d'exemplaires qui ne fe vendent que 8 liv .
reliés. Les exemplaires en papier fin fe
vendent 9୨ liv.
r8 MERCURE DE FRANCE.
LES SENS POEM E.
SECOND EXTRAIT.
DANS l'extrait que nous avons donné
de cet ouvrage dans le Mercure d'Avril
nous nous fommes contentés d'en rendre
un compte exact , en laiffant à nos lecteurs
le plaifir de porter un jugement , réglé par
le plus ou le moins de plaifir qu'ils auroient
reffenti. Nous fuivrons la même méthode
dans ce nouvel extrait.
Le Goût , chant quatrième du Poëme ,
eft celui auquel nous nous fommes arrêtés.
Il est peut- être de tous les chants de cet
ouvrage celui qui doit plaire le plus aux
âmes fenfibles. Tout y eft naturel , mais
délicat , mais bien fenti.
It eft dans les âmes fenfibles
Des tranfports délicats , de fecrets mouvemens ,
Qu'à l'afpect du vrai beau leurs fens plus fufceptibles
Expriment par d'heureux élans.
Ces fentimens fubtils , ces rapports invisibles ,
En font des juges infaillibles ,
Et des cenfeurs intelligens.
JUILLET 1766. 119
Connoilleurs fans étude , & favans fans fcience ,
Ce qu'au fer eft l'aimant , le beau l'eft pour
leurs fens :
Mille riens délicats font pour eux importans.
Leur vigilante intelligence
Sait connoître & jouir de tout :
Hélas dans chaque jouillance
L'effet c'eft le plaiûr , la caufe c'eſt le goût.
Ce fens heureux , à lui- même infidelle ,
Par une double effence agit différemment :
Cette effence fouvent n'eft qu'intellectuelle .
Et quelquefois fenfible feulement.
Il élève , il conduit l'effor de la penſée :
Par lui de l'ignorance ayant brifé les fers ,
Vers les cieux notre âme élancée ,
Sur des aîles de feu plane dans l'univers ,
Quand ce germe premier dont tout naît & s'enfante
,
Par le fouffle de l'Eternel ,
Reçut une chaleur active & fécondante ,
Tout jufques à l'efprit étoit matériel.
L'homme vécut long -temps fans ofer ſe connoître :
Ainfi que la nature il étoit au berceau.
Enfin au flambeau du génie
Le goût vivifia les âmes des héros.
Bientôt une auguſte harmonie
Affervit tout à fes heureuſes loix :
120 MERCURE DE FRANCE.
D'un Maître Créateur l'homme acquit tous les
droits ,
Et l'univers foumis à fa noble magie
Fut le temple des arts & le palais des Rois.
Ce goût du beau , ce fens métaphyfique ,
Eft un fixième fens dont l'ineffable prix ,
Pour tant de vulgaires efprits ,
N'eft qu'un être problématique .
C'eſt à la fois un fens particulier ,
Dont l'existence & phyfique & morale ,
Ne connut jamais de rivale
Dans l'art de tout apprécier ;
Et c'est un fens dont le pouvoir fuprême
Agit fur tous les autres fens ;
Ils ne font jamais bien que ce qu'il eft lui-même :
Tous allervis à fes heureux penchans ,
Connoiffent par les connoiffances ,
Jouillent de fes jouiſſances ,
Se meuvent par les mouvemens.
De tels vers font plus difficiles à faire
que les jolis madrigaux qui brillent dans
les ouvrages de mode. Quelques vers plus
bas l'Auteur ajoute ceux- ci , qui réfument
fon fyftême , qui l'expliquent , & que leur
vérité rend . fublimes.
La prudente nature a pour premier mystère
De ne tout varier qu'en fimplifiant tout :
Chaque fens eft un tact , chaque fens a fon goût.
Le
JUILLET 1766. 121
Le phyfique des fens eft un tact plein de flamme :
Et leur méthaphyfique eft le goût des penchans :
L'âme , dans le premier , doit fes plaifirs aux fens ;
Les fens , dans le fecond , doivent les leurs à l'âme.
L'Auteur , pour varier fon ouvrage
paffe enfuite à des peintures délicates , qui
échappent à ces hommes
Dont la vie est un fommeil léthargique ,
Dont l'existence méchanique
A pour fens des refforts & pour difcours des fons.
Il ajoute enfuite ces vers précieux par
·les vérités qu'ils contiennent,
Et- il quelques objets que fon pouvoir n'embraſſe ›
C'est par lui que chante
Apollon
,
C'eſt par lui que charme une Grâce.
A Cythère , au facré vallon ,
It couronne Greffet , avec Chaulieu foupire ;
Il chauffe le cothurne , il accorde la lyre
De Bernis & d'Anacreon.
C'eft dans les bras que compofoient Molière ,
Et le gentil Bernard , & la nerveux Piron.
11 infpiroit le mâle Crébillon ,
L'élégant Marmontel , & le docte Buffon.
Il a taillé la plume de Voltaire :
Racine fut fon nourriffon ;
Mais de Corneille il fut le père.
Vol. I. F
122 MERCURE DE FRANCE.
Ces aigles , voifins du tonnerre ,
Rivaux des Dieux pour la grandeur ,
Les deux Rouffeaux , ces maîtres de la terre ,
Doivent à fes leçons l'art de charmer le coeur.
Mais comme fous la main , par l'heureux don de
plaire ,
Tout s'annoblit , & tout devient faveur ;
C'eſt auffi lui qui place & dérobe une fleur
Dans le corfet de la fimple bergère.
O goût , tréfor de l'âme & de l'efprit ,
C'eſt par toi qu'il eft deux nobleffes ;
L'une , dûe au hafard , ou le prix des richelles ,
Qui fans illuftrer annoblit :
L'autre des potentats & des Princes rivale
S'élève & voit ramper leur précaire hauteur ;
Et des rangs éloignés rempliffant l'intervale ,
Donne au fang le pouvoir , aux talens la grandeur.
Après ces morceaux de raifonnement
fuit l'épifode des compagnons d'Ulyſſe
changés par Circé en différens animaux.
Les images y font vives & les contraftes
adroits. L'Auteur rappelle finement l'épifode
du chant de l'ouïe , où l'adreffe d'Ulyffe
a préfervé fes Compagnons du danger
d'entendre les Syrenes.
Aux accens de la volupté
Les Compagnons d'Ulyffe oppofoient la fierté.
Le goût les a vaincus. Quel bonheur eft le vôtre ,
Tendres bergers toujours un fens n'a réfifté
JUILLET 1766. 123
Que pour mieux illuftrer la défaite de l'autre.
Entrez tous avec moi dans un bocage frais ,
·
Temple de la volupté pure
Où l'amour fait la guerre , & le plaifir la paix.
Peinture anacréontique de ce bofquet.
Là , d'un repas charmant Glycère & fon Lycas
Goûtofent la volupté champêtre :
Le fafte eft apprêté , le plaifir ne l'eft pas .
Pour un coeur délicat, dont l'amour eſt le maître ,
Le Louvre est bien moins qu'un bosquet ;
Et le plaifir le plus parfait ,
Le plus durable enfin , eft le plus prompt à naître .
Leçon pour ces Créfus qui croient que
For donne un prix à tout : ils vantent leurs
poffeffions ;
Mais trop d'art vous trahit , vous m'en montrez
l'apprêt ;
Je pense à ce qu'il vous en coûte ,
Je calcule , & mon coeur fe tait.
Je veux plus de défordre & bien moins d'élégances
Des rameaux trop unis , contraints par la ſcience ,
Ne m'offrent point l'image d'un bofquet.
Glycère , dans le tien , la douce jouillance
Naît du défordre heureux qui pare chaque objets
Qu'une fimple noblefle a de magnificence !
Oui , ce féjour délicieux ,
Simple comme Lycas , comme fon innocence ,
Seroit moins bien s'il étoit mieux..
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
Defcription du repas des deux amans,
Ils preffurent le jus de la treille ; Lycas
chante une chanfon , dont ce couplet eft
charmant.
D'une fleur fous les pas éclofe
Une Eglé chérit la fraîcheur :
Elle effeuille à deffein fa rofe
Chaque feuille vaut une fleur.
Dans les biens qu'amour nous propofe
Le coeur doit tour apprécier ;
Celui qui mieux les décompofe
Sait par- là les multiplier.
Lycas , toujours délicat , différe fon
bonheur & refpecte l'obftacle que la nature
a mis à fes tranfports. Nos lecteurs
nous pardonneront cette dernière citation
à laquelle nous ne pouvons nous refuſer.
Cet obftacle imprévu que reſpecte leur flamme
Eft un charme de plus , chef- d'oeuvre du defir ;
Et ce qu'en eux les fens ont perdu de plaifir ,
S'ajoute au bonheur de leur âme.
Leçon de goût , nouvelle pour les coeurs !
Notre âme quelquefois s'arrête & le captive
Pour irriter les preffantes ardeurs .
Pour elle - même fugitive ,
Elle s'ôte fon bien , s'échappe , fe pourfuit ;
Se prive alors qu'elle jouit ,
Jouit alors qu'elle fe prive,
JUILLET 1766. 125
Rien ne doit être indifférent :
Ni le ruiffeau qui près de nous s'écoule ,
Ni ce lit de cailloux fur lequel il ſe roule ,
Ni le rideau du feuillage naiffant ,
Ni le moindre zéphir , ni le gafon qu'on foule,
Ni le bouton de fleurs , ni le jour , ni l'inſtant.
Un rien nous prive , un rien nous enrichit peutêtre
:
C'eft pour parler au coeur que tout parle à nos
yeux ;
Il ne fuffit point d'être heureux ,
Il faut fentir , il faut connoître
Pour quoi , pour qui , comment , & combien on
va l'être :
Tout importe , le choix de l'objet & des lieux.
L'Auteur termine ce chant en vantant
les plaifirs délicats & la beauté qui peutdire
fans menfonge ,
Je n'ai point de defics quand je n'ai point d'amant.
Les citations multipliées étoient néceffaires
dans un chant où tout eft fentiment .
L'odorat forme le fujet du cinquième
chant. On reconnoît toujours la même
touche ; c'est toujours le métaphyfique
des fens contrafté avec le phyfique. Voici
comme l'Auteur définit celui- ci :
Ce n'étoit point affez , pour l'augufte puiſſance ,
Qui ne nous fait jouir que pour mieux l'imiter ,
Fiij
726 MERCURE DE FRANCE.
De donner une intelligence
Au fens qui pour jouir nous apprend à goûter.
Comme dans tous les biens
tance ,
, par qui notre ſubſ-
En les décompofant , répare fa vigueur
Des fucs la volatile effence
De parfums délicats répand la douce odeur ;
Il nous fit un fens propre à cette jouiffance.
Avec ces corps fubtils , atômes fublimés
La volupté dans les airs fe balance ;
Comme il eft des cailloux dont les veines fidelles
Récèlent des feux inconnus ;
En les heurtant mille éclats imprévus
Cherchent où réunir leurs foibles étincelles .
Ces corps ignés naiffent en pétillant ,
Sans échauffer comme la flamme:
Comme elle dans les airs ils volent en brillant ,
La font naître & lui donnent l'âme.
Ainfi dans ces chocs violens
Qui naiffent dans un coeur timide , mais ſenſible ,
Du combat de l'âme & des fens ;
Sous les corps attractifs d'un pouvoir invifible
Des efprits animaux la brûlante vapeur
Se répand , fe fublime ; & fon tact infaillible
Cherche fans fe tromper l'objet de ſon ardeur .
Le fyftême de l'Auteur eft que les preffentimens
fecrets , les fympathies fubites
naiffent de cettte force attractive des efprits
animaux émanés de nos corps. Si ce n'eft
JUILLET 1766. 127
qu'un fyftême , au moins eft- il ingénieux.
L'Auteur paffe à une defcription de la différence
des fenfations qu'on éprouve en
refpirant l'air du matin , celui de midi ,
celui du foir. ·
Ainfi refpirer même eft un piége enchanteur !
Souvent d'une Nymphe fauvage
Un fimple cuillet a fléchi la rigueur ,
Qu payé les fers d'un volage ;
Le fceptre de l'amour n'eft fouvent qu'une fleur.
Deſcription d'une fête de village qui
amène naturellement l'épifode de ce chant,
toute de fiction. L'Auteur fuppofe que
deux amans ayant été un modèle de fidélité
pendant leur vie , leur chien s'eſt fixé
fur leur tombeau ; & que l'Amour a fait
de ce chien un oracle. Toutes les bergères ,
fuivies de leurs mères , venoient jetter
leur bouquet devant le chien ;
Et jamais , jamais une mère
Ne vit fon bouquet rapporté.
Tous les détails de cette épifode font
agréables.
Ce fut pendant long-temps un triomphe fuprême
D'avoir un für garant d'un tréfor confervé :
L'or craint- il le creufet ; Un coeur fûr de luimême
Gagne toujours quand il eft éprouvé.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
D'autres temps , d'autres moeurs. Jouir devint
baffeffe !
L'abus de la beauté fut un crime commun ;
Dès qu'on mit tout à prix , & plaifirs & tendreffe ,
Tout ceffa d'en mériter un ,
L'oracle devient importun . Le poifon
en délivre .
Le vice après la mort défiant la vertu ,
Des pertes de l'honneur enrichit la décence :
Comme s'il fuffifoit , pour preuve d'innocence ,
De n'être jamais conyainca .
Du mafque de la bienséance
La Phryné fut cacher l'oeil de fon impudence ,
Et de fon manteau fe couvrit ;
Dans ce fiècle trompeur votre vertu commence ,
Sexe volage , où l'épreuve finit .
Glycère n'a pas befoin de garant. Chaque
inftant développe fes fenfations &
celle de fon amant. L'Auteur décrit , d'une
manière curieuſe , les progrès de l'odorat ,
qui eft le plus tardif des fens. Il peint un
homme qui interroge fon être , qui effaye
fes forces par degrés ; il foupire , il eſt
inquiet.
Un jeune objet paroît... & déja ſa beauté
Par un charme fecret l'attire.
Il la pourfuit avec rapidité ;
Pour le foir elie cherche un bofquet écarté.
JUILLET 1766. 329
Dans ce bofquet Flore tient fon Empire ,
Ce qui n'étoit qu'un trouble eft bientôt un délire !
Sur ces tapis rians on tombe en fûreté ;
Mille naifantes fleurs , fur leur tige orgueilleufe ,
Soutiennent en tombant la bergère amoureuſe
Que fa fuite n'a pu fauver.
Cette chûte , peu dangereufe ,
Ne feroit- elle douloureuſe
Qu'à l'inftant de fe relever ?
Qu'ai- je dit qu'ai - je peint ? ... Ce boſquet ;
cette fuite ,
Cette yvrelle , cette pourfuite ,
Je ne les ai chantés que pour chanter Lycas.
Glycère , le foir de la fête du village ,
fuyoit vers fon bofquet chéri. Lycas l'y
pourfuit ; & l'Auteur raconte que Flore ,
alarmée de l'inconftance de Zéphire , avoit
ce jour même demandé à l'Amour un trait
für de fes coups. L'amour lui avoit accordé
fa demande , à condition qu'elle lui donneroit
en échange toutes les fleurs nées
dans fon Empire pendant le même jour.
Flore y avoit confenti , & en effayant le
trait , s'étoit bleffée elle-même.
Le petit Dieu , maître de la nature ,
Prodigue à Glycère les fleurs
Que Flore lui donna , pour fléchir fes rigueurs
Mais ne prêtant rien fans ufure ,
Fy
130
MERCURE DE FRANCE.
C
Pour les fleurs comme pour le trait ,
Il va dans ce fombre bolquer
Se payer par une bleſſure .
L'Auteur paffe enfin au chant de la
jouiffance. Nous n'en citerons aucun morceau
; & M. de Rofoi , qui fait que notre
Journal peut tomber entre les mains des
jeunes perfonnes , à qui il ne faut offrir
que des images modeftes , nous pardonnera
cette omiffion .
Plaiſirs des deux amans , leçons de délicateffe
, réunion de tous les fens , peinture
de la défaite d'un jeune coeur ; cris
de l'âme ; voilà ce que l'Auteur exprime
avec toute la chaleur de la Poéfie.
Par une tranfition naturelle il amène
l'epifode. Le Phoenix enfuite. Le fujet de
cette idée eft embelli par - tout de détails
intéreffans ; nous laiffons à nos lecteurs le
plaifir de les lire dans le Poëme. l'Auteur
termine en appliquant l'épifode aux deux
amans qu'il a célébrés , & finit en adreffant
l'ouvrage à Zélis, jeune beauté à qui
il donne des leçons analogues au fujet
qu'il a traité. Elles font écrites avec fineffe ,
avec fentiment. La difficulté du choix
empêche d'en rapporter des morceaux . Il
eft impoffible d'en adopter un à l'exclufion
de l'autre. Nous renvoyons donc encore à
l'ouvrage même.
JUILLET 1766. 131
Si nous nous fommes étendus fur cette
production , plus que nous n'avons coutume
de faire , nous croyons que le public
nous en faura gré. On y trouve pourtant
quelques inverfions forcées , des expreffions
quelques fois foibles ou peu propres,
mais il prouve du génie , de la combinafon
dans les idées. La marche en eft rapide ,
les images brillantes quoique fages , &
inultipliées fans être confufes ; la Poéfie
en eft naturelle : point trop d'efprit , point
de jeux de mots ; beaucoup de fentiment,
& fur-tout une belle ordonnance ; voilà
de quoi confoler l'Auteur des mauvaiſes
chicanes que la critique pourroit lui faire .
M. de Rozoi a les plus grands droits à la
bienveillance du public , & cet ouvrage eft
un engagement pour lui à faire de nouveaux
efforts pour mériter de nouveaux éloges.
INSTITUTS de Chymie , ou Principes élémentaires
de cette fcience , préfentés dans un nouveau jour
par M. DE MACHY , Me Apoticaire , Démonf
rateur de Chymie , & Membre de l'Académie
Royale des Sciences de Berlin ; deux vol. in- 12 :
1766 ; chez LOTTIN le jeune , Libraire , rue St.
Jacques , vis-à-vis celle de la Parcheminerie.
DE
Es qu'on eut réduit la fcience de la
Chymie en principes fuivis , les Profef-
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
feurs , Allemands fur- tout , fe font fait un
devoir de rédiger des cahiers pour les
dicter à leurs auditeurs ; ils imprimoient
enfuite fous le nom de Fundamenta , Prælectiones
, Inftituta , confpectus Chymia ,
leur doctrine ou celle qu'ils adoptoient,
Depuis Brendelius qui dans le commencement
du fiècle dernier publia fon petit
ouvrage intitulé , Chymia in artis formam
redacta , Kolfinek , Lemort , Barchufen ,
Boerhaavve , Rotts , Freind , Leckmeyer
Stabel , Gerike , Vogel , Cartheufer
Walerius , Hoffman , Spielmann , tous
Chymiftes célèbres & recommendables à
routes fortes de titres , ont fuivi cette courume
, chacun felon un plan particulier qui
lui paroiffoit ou meliieur ou plus commode.
Nos Chymiftes François ont imité
fort tard ces favans ; M. Macquer fe
hafarda le premier à rédiger la doctrine
fublime de Stahl & de Becker , enfeignée
depuis quelques années par un de nos
plus habiles artiftes: Sa première intention
fut de rendre cette doctrine plus à la portée
des étudians , en la débarraffant de certaine
obfcurité qu'y avoient jettée par excès de
favoir fes premiers Aureurs ; & en y
rapprochant des idées conféquentes , mais
abftraites & éparfes. Le fuccès couronna fon
entreprife , & jamais livre ne parut plus.
JUILLET 1766. 133
méthodique , mieux écrit , & ne fut mieux
accueilli. Voici des Inftituts de Chymie
d'un autre gente. M. de Machy , après
avoir étudié & travaillé pendant plus de
vingt ans , a pris courageufement le parti
de publier fes propres opinions. Nous diftinguons
dans fon ouvrage le plan , les
innovations dans la théorie , & le ſtyle . Les
phénomènes généraux , ceux qui ne dépendent
pas de la décompofition de tel ou
tel corps , tel's que les folutions , les diffolutions,
l'influence de l'air, l'application
du feu , la formation des corps , leur état
fluide ou folide , leur péfanteur , tiennent
fi fort à la phyfique , que l'Auteur a cru
devoir les traiter féparement dans fa premiere
partie , qu'il appelle Chymie phyfi-
» que ; foit , dit- il , parce que la phyfique
", n'explique ces phénomènes qu'à l'aide de
la Chymie, ou que celle-ci fait aux phyficiens
cette eſpèce de larcin , de s'approprier
ces phénomènes & de les expliquer
à fa guife
33
ور
و د
"" 3.3.
Tout ce qui tient à la décompofition
des corps , les produits de l'analyfe , les
réactions mutuelles de ces corps , ou de
leurs produits , occnpe la feconde partie ,
ou la Chymie analytique.
Enfin l'Auteur s'etant apperçu de bonne
heure , que la defcription des arts relatifs
134 MERCURE DE FRANCE.
à la Chymie , faite à meſure que l'occafion
s'en préfentoit , faifoit autant d'épiſodes
plus propres à faire perdre le fil des connoiffances
qu'à les conferver , il a pris le
parti de les reléguer à fa troifième partie,
' fort fuccincte à la vérité , mais bien traitée .
l'Ufage où l'Auteur eft depuis fix ans
de fuivre ce plan dans fes cours particuliers
prouve en fa faveur ; & en effet il
nous a paru jetter beaucoup de jour fur
cette fcience.
,
Il ne nous appartient pas de juger les
innovations de l'Auteur. Sa théorie en
une infinité de points , nous a paru neuve ;
& ce fera toujours un mérite pour cet ou
vrage , d'avoir préfenté de nouvelles vues
& d'offrir des moyens de frayer des fentiers
nouveaux ; on ne peut trop avoir de
chemins qui conduifent à la vérité.
Enfin le ftyle nous a paru concis , fe
comprenant aiſement & ayant l'efpèce d'eloquence
qui convient à un Démonftrateur
; ce qui annonce beaucoup de clarté
dans fon élocution & de facilité à écrire.
Cette aifance n'a cependant pas dégeneré
en négligence. Son ftyle eft correct.
JUILLET 1766. 135
LA PHARSALE de LUCAIN , traduite en
françois par M. MARMONTEL , de
l'Académie Françoife . A Paris , chez
MERLIN , Libraire , rue de la Harpe ,
vis -à -vis la rue Poupée , à l'imagefaint
Jofeph ; 1766 : avec approbation & privilége
du Roi ; deux volumes in- 8°, avec
de très-belles
gravures.
DANS le compte que nous allons rendre
de cette traduction , nous nous arrêterons
d'abord fur la préface qui a deux
parties , l'une critique & l'autre hiftorique .
La première regarde le Poëte Latin , auteur
de la Pharfale , duquel M. Marmontel porte
un jugement dont nous ne pouvons trop
louer l'impartialité
. " Lucain eft mort à
vingt- fept ans , avant même d'avoir fini
de tracer l'efquiffe de fon poëme. Ce
,, que la méditation & la maturité du goût
», peuvent feules donner à un ouvrage de
,, cette étendue , doit donc manquer à celui-
ci . Le bel ordre , cet heureux accord ,
cet enchaînement des parties d'où réſulte
un tout harmonieux
& accompli , fe
,, trouve quelquefois dans la première con-
», ception du plan d'un long poëme ; mais
و د
و ز
و د
و و
136 MERCURE DE FRANCE.
و ر
"
و ر
,, cela fuppofe un efprit confommé . Ici
,, c'eft un jeune homme impatient de pro-
,, duire , qui répand fes idées à flots tumul-
,, tueux , laiffant en arrière à la réflexion
le foin du choix & de l'ordonnance. Ce
n'eſt point une illufion que je me fais
,, en faveur de Lucain . Son âge annonce ,
,, & fon poëme attefte que ce n'étoit là
que la première ébauche ; & c'eft en quoi
s, il eft prodigieux : c'eft auffi ce qui m'a
fait voir quelque avantage à le traduire.
S'il étoit par-tout comme dans les mor-
,, ceaux qu'il a travaillés avec foin , s'il
avoit eu le temps de donner à fon ſtyle
l'élégance , le coloris , l'harmonie des
,, vers de Virgile , je n'aurois eu garde d'y
5, toucher ; mais prefque tout s'y reffent
, de la précipitation ; prefque tout y eft
fait à la hâte. On voit ce Poëte , quel-
,, quefois fi heureux dans la rencontre de
», l'expreffion forte , précife & jufte , fe
» contenter ailleurs d'indiquer fa penfee
,, en termes vagues & confus , dont on a
peine à démêler le fens . Sa poéfie eft
harmonieufe intervalles mais le
;
» plus grand nombre de fes vers font brifés
; & ces ruptures , qui , dans le dramatique
, font favorables à l'expreffion
des mouvemens paffionnés , privent l'é-
» pique de cette rapidité nombreufe qui
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par
JUILLET 1766. 137
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cc-
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,, enchante l'oreille & qui l'attache à la
,, narration . Son coloris eft fombre & mo-
,, notone , & il n'y a jamais employé la
magie du clair- obfcur. Il s'engage dans
des détails qui , en épuifant la defcription
, rendent l'impreffion du tableau
moins vive. Il les accumuloit pour avoir
à choisir. Après avoir atteint les bornes
,, du grand & du vrai , fa fougue l'em-
,, porte; il les franchit , & donne fréquemment
dans cette enflure qu'on lui reproche.
De plus , fon poëme a le défaut
de prefque tous les poëmes épiques ; il
manque d'enfemble ; il eft mal tiffu .
L'action en eft éparfe ; les événemens
ne s'y enchaînent pas ; toutes les feènes
font ifolées ; il a négligé l'art d'Homere ,
l'art des groupes & des contraftes , &
femble avoir oublié ce grand principe
,, d'Ariftote , que l'épopée ne doit être
qu'une tragédie en récit. La proximité
de l'événement ne lui ayant pas permis
de le manier à fon gré pour former le
noeud d'une intrigue , il a fuivi le fil de
l'histoire ; & fe bornant au mérite de
la peinture , il a prefque abfolument
,, renoncé à la gloire de l'invention . Enfin
le de merveilleux qu'il employe n'a
qu'un effet momentanée ; l'action du
,, poëme en eft indépendante ,,. Après cet
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peu
138 MERCURE DE FRANCE .
aveu je ne crois pas , dit avec raifon M.
Marmontel , qu'on me foupçonne de préférer
Lucain à Virgile . Mais que reste - t- il
donc à fon poëme , dénué des charmes de
l'élégance , de l'harmonie & du coloris ,
plein de langueur & de négligence , &
compofé prefque fans art ? Ce qui refte ,
répond M. Marmontel ? " Des vers d'une
,, beauté fublime , des peintutes dont la
„ vigueur n'eſt affoiblie que par des détails
qu'on efface d'un trait de plume , des
, morceaux dramatiques d'une éloquence
,, rare , fi l'on prend foin d'en retrancher
ود
quelques endroits de déclamation ; des
,, caractères auffi hardiment deffinés que
,, ceux d'Homere & de Corneille ; des penfées
d'une profondeur , d'une élevation
étonnante ; un fond de philofophie qu'on
,, ne trouve au même degré dans aucun
des poëmes anciens ; le mérite d'avoir
fait parler dignement Pompée , Céfar ,
Brutus , Caton , les Confuls de Rome ,
,, & la fille des Scipions ; en un mot le
plus grand des événemens politiques ,
préfentés par un jeune homme , avec une
majefté qui impofe , & un courage qui
,, confond
,,.
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Ce jugement de Lucain , que nous avons
appellé la partie critique de la préface de
M. Marmontel , eft fuivi d'un morceau
1
JUILLET 1766. 139
qui tient à l'hiftoire ; c'eft le développement
des caufes de la diffolution de la
République Romaine , & de la guerre qui
l'entraîna fous le joug. Ce tableau de la
tyrannie du Sénat , qui a réduit le peuple
à fe donner un maître , ne le cède à aucun
des écrits de Saint - Evremont , de Saint-
Réal & de Montesquieu fur cette matière ,
& l'emporte fur plufieurs. Nous ne croyons
pas que le public démente notre jugement.
Ce ne fut ni la jaloufie de Pompée , ni
ni l'ambition de Céfar qui perdit Rome;
ce fut l'orgueil , la dureté des patriciens :
& ce que Lucain n'a pas allez fait fentir ,
c'eft que la diffolution de la République
prefque dès fa naiffance , les guerres inteftines
élevées dans Rome depuis les
Gracches , & enfin celle de Pompée & de
,, Céfar prirent leur fource dans le Sénat ,
& eurent pour caufes premières fa dangereufe
politique & fon injufte domi-
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nation.
"" Rome , fous les Confuls , fut d'abord
,, ariftocratie . Le Sénat étoit Roi ; le peuple
étoit fujet. Avec un Sénat compofé
de vrais citoyens , ce Gouvernement
auroit eu le même avantage que la Monarchie
fous un Roi jufte & modéré ;
,, mais les Sénateurs n'étoient que Séna-
,, teurs , & l'efprit du corps fut toujours
"
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140 MERCURE DE FRANCE.
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,, d'abufer le peuple & de l'affervir ;
de fe regarder foi-même comme l'Etat
», par excellence , & de faire de la multitude
le jouet de fa politique & l'inf-
,, trument de fa grandeur. Dès le temps
,, même qu'on appelle les beaux jours de la
République , on voit le Sénat partagé
,, en trois opinions à l'égard du peuple.
L'une étoit celle d'un petit nombre
5, d'hommes fages , vertueux , pacifiques ,
», & fans autre ambition que le zèle du
bien public , tels que les Valerius , les
Servilius , les Ménénius Agrippa , les
Cincinnatus , & tous les vrais Romains
qui , après leurs victoires & leurs triomphes
, ne laiffoient pas en mourant de
quoi payer leur fépulture. Ces hommes
juftes , fimples & modeftes ne ceffoient
de représenter au Sénat que fon mépris
» pour le peuple étoit infenfé ; que c'étoit
par le peuple que l'Etat fubfiftoit ; qu'il
,, lui devoit la puiffance acquife & les biens
dont il jouiffoit ; que des hommes
,, libres , vaillans , fans ceffe fous les ar-
,, mes , fans cefle vainqueurs au dehors ,
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53
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fe lafferoient bientôt d'être efclaves au
,, dedans ; & que du moins , par prudence ,
,, on devoit les ménager. Une autre opinion
étoit celle des Appius des Coriolans
, de tous les jeunes patriciens ,
59
JUILLET 1766. 141
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Le
hommes violens & fuperbes , qui foutenoient
que la douceur étoit un parti
dangereux ; qu'en flattant la multitude
,, on la rendoit plus infolente ; qu'on ne
lui auroit pas plutôt cédé qu'il faudroit
lui céder encore , & qu'enfin le peuple
étoit fait obéir & pour fouffrir,
pour
gros du Sénat , plus modéré , fembloit
tenir le milieu entre ces deux
partis contraires ; mais , en ufant des
ménagemens auxquels l'obligeoit fa foibleffe
, il ne cédoit jamais au peuple
,, que lorsqu'il y étoit forcé , & ne fe relâchoit
, que pour le moment , de cette
domination abfolue & tyrannique qui
le perdit.
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93
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Si le Sénat n'eût rejetté que des demandes
exceffives , injuftes , nuifibles à
l'Etat , fa fermeté mériteroit les éloges
,, qu'on lui a donnés. Mais quelles étoient
les prétentions du peuple ? Qu'on retranchât
de fes dettes i'ufure qui le dévoroit ,
,, & qu'on lui donnât pour fubfifter avec
fes enfans & fes femmes , une portion
des terres qu'il avoit conquifes & arrofées
de fon fang. Voilà les fources intariffables
de tous les troubles élevés dans
Rome entre les pauvres & les riches
entre le peuple & le Sénat.
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?? Pour fentir toute la dureté du Sénat
142 MERCURE DE FRANCE.
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dans le refus conſtant de ſes demandes ,
il faut fe rappeller qu'à Rome , dans les
,, premiers temps , les incurfions fréquentes
des ennemis fur les terres de la République
, & l'interruption de la culture ,
occafionnée par des guerres continuelles ,
ruinoient le peuple & rendoient les débiteurs
infolvables ; que , livrés comme
des efclaves au pouvoir des créanciers ,
ils étoient détenus dans d'étroites prifons
, & réduits à un état cent fois pire
que la fervitude ; que , d'un autre côté ,
le peuple n'avoit d'autre métier que la
,, guerre & l'agriculture ; que les riches.
s'étant emparés peu à peu de toutes les
,, terres de la République , & les faifant
cultiver par leurs efclaves , à l'exclufion
des hommes libres , le peuple de la ville
& des campagnes fe trouva n'avoir pas
même pendant la paix la reffource de
fon travail. C'étoit lui faire une néceffité
d'être fans ceffe fous les armes ; mais la
,, guerre étoit un état violent qui demandoit
au moins du relâche ; & ce peuple ,
qui n'alloit aux combats
& par honneur , fentoit fort bien qu'il
avoit le droit de vivre en paix du fruit
de fes victoires. Il ne fouffroit pas fans
fe plaindre ; mais il fe plaignoit fans fe
prévaloir des forces qu'il avoit en main ;
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JUILLET 1766. 143
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& plus ce bon peuple fe montroit patient
, modéré , docile , plus le Sénat
s'enhardiffoit à le tenir dans l'oppref
fion. Non- feulement on fermoit l'oreille
à fes plaintes ; mais fi quelque patricien
en paroiffoit touché , on l'accufoit d'ambition
ou d'une lâche complaifance ; &
,, on alloit jufqu'à lui refufer le triomphe
après les victoires les plus fignalées.
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"" Un empire fi dur révoltoit le peuple :
,, il faififfoit le moment où l'ennemi étoit
aux portes , & déclaroit qu'il ne prendroit
les armes qu'après qu'on l'auroit
fatisfait. Alors on ufoit de condefcen-
,, dance ; on lui envoyoit un Dictateur ou
,, un Conful avec des paroles de paix &
des promeffes confolantes , qu'on ne
,, manquoit jamais de défavouer quand
il avoit fauvé l'Etat ,,.
"2
""
Nous voudrions pouvoir citer tout ce
morceau , où régnent à la fois une grande
connoiffance de l'hiftoire , de la philofophie
& de la politique. Les bornes de notre
Journal ne nous permettent pas de ſuivre
notre goût ; & pour cette fois nous nous
arrêterons à la préface de M. Marmontel ,
dont nous tirerons encore un parallèle de
Céfar & de Pompée , perfuadés que nos
lecteurs nous faurons gré de le leur avoir
.mis fous les yeux.
144 MERCURE DE FRANCE.
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des
Pompée n'étoit pas un homme à op-
, pofer à Céfar. Il y avoit entre eux cette.
différence que Balfac a heureufement
exprimée en difant : que l'un étoit l'ou-
,, vrage de fa fortune , & que l'autre en
étoit l'ouvrier. Ce que Pompée avoit en
oftentation& en apparence , Céfar l'avoit
,, en réalité. On voit Céfar , avant de paf
fer le Rubicon , modéré , patient , modefte
, & prefque fuppliant , demander
comme une grace de n'avoir que
égaux ; on voit Pompée rejetter avec
,, arrogance cette condition comme indi-
,, gne de lui. Mais Céfar paffa le Rubi-
,, con , & Pompée s'enfuit de Rome. En
reculant devant Céfar il ne ceffa de le
,, menacer ; & Céfar lui demande la paix
,, en le pourfuivant fans relâche. Pompée ,
avant la bataille de Pharfale , régle d'a-
,, vance dans fon camp le fort des vain-
,, queurs & celui des vaincus , nomme à
la charge de Souverain Pontife , défigne
les Confuls de l'année fuivante , & fair
préparer des feftins pour célébrer fa victoire.
Céfar , tout occupé de fes difpofitions
, exhorte , encourage fes troupes ,
,, en régle l'ordre & les mouvemens ; & ,
après avoir tout prévu pour l'attaque &
,, pour la défenfe , il marche à Pompée
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91
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&
JUILLET 1766, 145
,, & le bat. Voilà quels étoient ces deux
hommes , & c. ""
Nous commencerons dans le Mercure
prochain l'extrait de la traduction de Lucain
, à la tête de laquelle eft cette belle
préface , qui méritoit bien un article féparé
de notre Journal. C'eft tout à la fois un
excellent morceau de littérature , d'hiftoire
& de philofophie , & un modèle d'éloquence
& de goût.
ANNONCES DE LIVRES,
LE Voyageur François , ou la Connoiſfance
de l'ancien & du nouveau monde ,
mis au jour par M. l'Abbé de Laporte. A
Paris , chez Vincent , Libraire , rue Saint
Severin ; 1766 : avec approbation & privilége
du Roi ; in - 12 , les tomes III & IV ..
-
Nous avions prévu l'année dernière le
fuccès de cet ouvrage ; & nous avions invité
l'Auteur à continuer un genre de relation
dont le public paroît faire le plus grand
cas. Nous apprenons aujourd'hui avec plaifir
, non -feulement que l'ouvrage fe continue
, mais qu'au lieu de deux volumes
par an , M. l'Abbé de Laporte , uniquement
occupé de ce travail , doit déformais
Vol I G
146 MERCURE DE FRANCE..
en donner quatre . Nous n'avons fait que
parcourir les deux tomes qui paroiffent
nouvellement ; c'eft la même préciſion ,
le même intérêt , le même goût , la même
légéreté , le même agrément , le même
ton de philofophie qui ont fait le fuccès
des deux premiers volumes. Nous ne connoiffons
point de relations de voyages
plus variées , plus inftructives , & fur- tout
plus piquantes pour des Lecteurs François.
Nous juftifierons ce jugement lorfque nous
rendrons compte dans les Mercures fuivans
de cet ouvrage utile , intéreffant &
agréable .
LA Théorie des fonges ; avec cette épigraphe
:
Sibi quifque facit.
PETRONIUS.
Par M. l'Abbé Richard. A Paris , chez
les frères Etienne , rue Saint Jacques , à la
vertu ; 1766 : avec approbation & privilége
du Roi : un vol. in - 12 .
Il réfulte de cet ouvrage que les fonges
ne doivent être confidérés que comme une
répétition quelquefois exacte , plus fouvent
confufe & embrouillée , des images
des chofes dont on a été occupé antérieurement
, & qui n'ont d'autre rapport
avec l'avenir, que la liaiſon néceffaire qui
fe trouve dans la fuite des penfées & des
actions d'un inême individu. Le but de
JUILLET 1766. 147
l'Auteur eft de diffiper le préjugé vulgaire
& de porter le flambeau de la raifon fur
un fujet qui n'a jamais exifté que pour la
dégrader.
VARIATIONS de la Monarchie Françoife
dans fon Gouvernement politique ,
civil & militaire , avec l'examen des caufes
qui les ont produites : ou Hiftoire du Gouvernement
de France , depuis Clovis juf
qu'à la mort de Louis IV, divifées en neuf
époques ; par M: Gautier de Sibert. A
Paris , chez Saillant , rue Saint Jean - de-
Beauvais , vis-à- vis le Collége ; 1766 :
avec approbation & privilége du Roi ;
quatre volumes in - 12 , qui doivent être
fuivis de plufieurs autres.
Voici encore un abrégé de l'Hiftoire
de France , mais préfenté fous un nouveau
point de vue. Le deffein principal de M.
Gauthier eft de donner dans chaque époque
une connoiffance fuffifante du Gouvernement
intérieur & extérieur de la Nation
Françoiſe , de fes loix fondamentales ,
politiques & civiles , ainfi que des objets
qui y ont rapport , tels que les fciences ,
les arts , le commerce , &c ; de faire obferver
les variations & les progrès qui fe
font faits en bien ou en mal , relativement
à chacune de ces parties , avec l'examen
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
des caufes qui les ont produits : & pour
faire un enfemble qui réuniffe fous un
feul point de vue tout ce qu'il y a de plus
important dans cette carrière , il a embraffé
dans le corps même de fes époques l'hiftoire
générale de la Monarchie. Telle eft
à - peu - près la perfpective de l'ouvrage
qu'il offre à fes lecteurs . Il n'en est encore
qu'à la fixième époque qui termine le quatrième
tome,
HISTOIRE de Louis de Bourbon , fecond
du nom , Prince de Condé , premier Prince
du Sang , furnommé le Grand ; ornée de
plans , de fiéges & de batailles ; par M,
Déformeaux. A Paris , chez Saillant , rue
Saint Jean - de - Beauvais , la veuve Duchefne
, rue Saint Jacques , Defaint , rue
du Foin Saint Jacques ; 1766 : avec approbation
& privilége du Roi ; 2 vol . in- 12 .
La réputation qu'ont acquife à M. Déformeaux
dans le genre hiftorique , l'Hiftoire
d'Efpagne & celle de la Maifon de Montmorency
, eft un préjugé favorable pour
l'ouvrage que nous annonçons. Le mérite
de l'Auteur & le fujet important qu'il traite
avec autant de dignité que de talens , doivent
rendre l'impreffion de cette hiftoire
extrêmement agréable au public. Nous
reviendrons dans le Mercure prochain,
y
JUILLET 1766. 149
SERMONS prêchés devant le Roi , par
M. Leboux , Evêque de Périgueux , ci - devant
Prêtre de l'Oratoire ; dédiés à Mgr
de la Rochefoucault , Archevêque de Rouen ,
& Primat de Normandie , & c. & c. A
Rouen , chez la veuve Befongne , cour du-
Palais , & J. J. Befongne fils , au Palais ;
& à Paris , chez Durand , rue Saint Jacques
, à la fageffe ; 1766 avec approbation
& privilège du Roi ; deux vol. in - 12 .
Prix liv. 10 fols reliés .
5
Ces Sermons ont été prononcés il y a
près d'un fiècle , par un des plas refpectables
Prélats de l'Eglife de France . Les
fidèles y trouveront encore aujourd'hui un
grand fond d'inftruction , & les Prédicateurs
un modèle de cette éloquence noble
& fimple qui touche les coeurs en éclairant
les efprits.
TRAITÉ des fleurs blanches , avec la
méthode de les guérir ; par M. Raulin ,
Docteur en Médecine , Confeiller- Médecin
Ordinaire du Roi , de la Société Royale
de Londres , & c. A Paris , chez Hériffant
fils , Libraire , rue Saint Jacques ; 1766 :
avec approbation & privilège du Roi ;
deux vol . in- 12.
Ce livre eft divifé en trois parties & en
deux volumes. Les deux premières parties
Giij
150 MERCURE DE FRANCE .
forment le premier tome , & la troisième
le fecond. La première partie contient la
théorie des fleurs blanches , la deuxième les
caufes prochaines & immédiates de cette
maladie , & la troiſième la cure . Sur une
matière qui n'eft point de notre reffort ,
& que nous avouons ne point connoître ,
nous croyons devoir nous en tenir à cette
fimple annonce.
LES Frères, ou Hiftoire de Mifs Ofmond ;
traduit de l'Anglois par M. de Puifieux.
A Amfterdam , & fe trouve à Paris , chez
Prault le jeune , Libraire , quai de Conty ,
à la Charité ; 1766 : quatre parties in- i 2 .
- Le fuccès de ce livre à Londres a engagé
M. de Puifieux à le traduire en françois.
Il a cru , avec raifon , que les fituations
intéreffantes , les détails de moeurs , -lescaractères
, les aventures fingulières , les
événemens imprévus qui attachent dans
Poriginal , ne perdroient rien de leur prix
en paffant dans notre pays , traveftis dans
notre langue .
ESSAIS fur les principaux événemens
de l'hiftoire de l'Europe ; contenant des
confidérations politiques & hiftoriques
fur le règne d'Elifabeth , Reine d'Angleterre
. A Londres , & fe trouve à Paris ,
JUILLET 1766.
chez Grangé , Imprimeur- Libraire , pont
Notre - Dame , près la pompe , au Cabinet
Littéraire ; 1766 : in - 12 , en deux parties.
Ce petit morceau d'hiftoire nous paroît
forti d'une main habile ; & , s'il ne préfente
rien de nouveau pour le fond , il faut
convenir qu'il eft traité d'une manière à
fe faire lire avec intérêt.
ABRÉGÉ du Pilotage , divifé en deux
parties , où l'on traite principalement des
amplitudes , des loxodromies dans l'hypothèſe
de la fphère & du fphéroïde , des
marées , des variations de l'aiman , & de
la recherche des longitudes à la mer. A
Paris, chez Defaint, Libraire, rue du Foin ,
près la rue Saint jacques ; 1766 : avec
approbation & privilége du Roi ; un'vol.
in-8°.
La première partie de ce livre eft trèsélémentaire
, & connue des Hydrographes;
on y a fait feulement les additions qui ont
paru les plus effentielles. L'autre partie ,
quoique nouvelle & fort abrégée , n'en
pas moins être utile. Elle fuppofe , il
eft vrai , des connoiffances non vulgaires
dans les mathématiques & dans la phyfique;
mais on s'y eft rapproché autant qu'il a été
poffible des régles pratiques & des premiers
élémens.
doit
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
TARIF de la réduction des bois en pieds
cubes & pieds quarrés ; auquel on a joint
celui des proportions des pièces qui entrent
dans la conftruction des vaiffeaux , avec
les figures defdites pièces , pour l'intelligence
de ceux qui font ce commerce .
Autre titre : Traité de la mefure des bois,
contenant le Tarif de la réduction des bois
équarris en pieds cubes. Le Tarif de la réduction
des bois ronds en pieds cubes . Le
Tarif de la réduction du fciage des bois
en pieds quarrés . Par M. Segondat , Sous-
Commiffaire de la Marine , préposé aux
conftructions des vaiffeaux du Roi. Imprimé
par ordre de Mgr le Duc de Choijeuil
, Miniftre d'Etat , de la Guerre &
de la Marine. A Rochefort , chez P. Fage,
Libraire , à l'Encyclopédie ; 1765 : & le
trouve à Paris , chez les frères Étienne ,
Libraires , rue Saint Jacques , à la Vertu ,
& chez Vincent , rue Saint Severin : avec
approbation & privilége du Roi ; un vol .
in-8°.
La longueur de ce titre , & les matières
même traitées dans ce livre , fort étrangè
res à la plupart de nos lecteurs , nous d.fpenfent
d'une annonce plus détaillée.
бы RECHERCHES fur l'Art Militaire ,
Effai d'application de la fortification à la
JUILLET 1766. 153
tactique. A Paris chez . Defaint , Libraire ,
rue du Foin , près la rue Saint Jacques ;
1766 : avec approbation & privilége du
Roi ; un vol. in-8° d'environ 240 pages.
Ce n'eft ici ni un traité de tactique , ni
un traité de fortification , mais feulement
l'application des principes de la feconde à
la première ; & il ne peut y avoir de comparaifon
qu'entre des objets qui ont entre
eux de l'analogie & de la connexité. Ainfi
on a été obligé de fupprimer plufieurs
queſtions de fortifications , qui , quoiqu'effentielles
& intéreffantes par elles-mêmes ,
devenoient étrangères au deffein qu'on
s'étoit propofé , puifqu'il n'en réfultoit
aucune conféquence immédiate en faveur
de la tactique.
L'ILIADE d'Homere, traduction en vers ,
avec des remarques , par M. D. R. A Paris
chez Saillant , Libraire , rue Saint Jean de
Beauvais ; 1766 : vol . in- 8 ° . de 220 pages.
Il y a quelques années que nous annonçâmes
avec éloge le premier effai de
cet ouvrage . L'Auteur l'a perfectionné
& en donne aujourd'hui fix chants qui
font defirer la fuite avec empreffement.
Nous attendons que ce Poëme foit achevé
, pour en rendre compte.
Gy
134 MERCURE DE FRANCE.
THE AGENE , tragédie en cinq actes , repréfentée
par
les Comédiens François en
1762. A Paris, de l'Imprimerie de Sébastien
Jorry , rue & vis-à -vis de la Comédie
Françoife , au grand Monarque & aux
Cigognes ; 1766 : in- 8° avec tous les ornemens
de la typographie & du burin .
Nous renvoyons nos lecteurs à l'article
des fpectacles au fujet de cette tragédie de
M. Dorat , dans laquelle nous avons trouvé
des fituations frappantes , & des fcènes
pleines de force & de fentiment. Nous
avons fur- tout été charmés du difcours
préliminaire qui eft à la tête de cette pièce ;
on n'écrit pas avec plus d'efprit , de chaleur
& d'agrément.
RÉGULUS , tragédie en trois actes & en
vers , précédée d'une lettre au folitaire du
Guélaguet nouvelle édition . A Paris , de
l'Imprimerie de Sébastien Jorry , rue &
vis à vis de la Comédie Françoife ; 1766:
avec approbation : in- 8 ° avec des figures
en taille - douce , & les autres ornemens typographiques
qui diftinguent depuis quelques
années l'Imprimerie du fieur Jorry.
Nous avons rendu compte dáns fa nouveauté
de la première édition de cette tragédie
; l'Auteur a eu le tems de recueillir des
JUILLET 1766. 155
confeils & d'en profiter : c'eft d'après les
avis des gens du goût & des connoiffeurs ,
qu'il a corrigé fa pièce , qui a beaucoup
gagné dans cette nouvelle édition .
CODE Matrimonial , ou Recueil des
Edits , Ordonnances , & Déclarations fur
le mariage ; avec un Dictionnaire des déci-
-fions les plus importantes fur cette matière;
par M. le Ridant , Avocat au Parlement.
A Paris , chez Hériffant fils , rue Saint Jacques
; 1766 : avec approbation & privilége
du Roi, un vol. in - 12 ; prix , 3 liv . relié.
Ce recueil , depuis long- tems néceffaire
au public , eft divifé en deux parties . La
première comprend les Edits , Ordonnances
& Déclarations qui font depuis
long- tems en ufage dans le Royaume fur
le mariage . On les a placés dans l'ordre
chronologique. La feconde partie contient
plufieurs décifions curieufes & importantes
fur le mariage , qui font prefque toutes
confirmées par des Arrêts de la Cour , rendus
fur les conclufions du Ministère public.
On les trouve dans un ordre alphabétique ,
comine un eſpèce de dictionnaire. On ne
verra pas avec moins de fatisfaction ce qui
a été recuelli fur les naiffances tardives ; matière
qui a été vivement & contradictoirement
difcutée dans ces derniers temps
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
par les Médecins & les Chirugiens de Paris.
Ce Recueil peut être également utile aux
Curés , aux Vicaires , aux Avocats , aux
Magiftrats , & généralement à tous ceux
qui font chargés d'inftruire , de confulter,
& de décider fur le mariage. C'eft , en un
mor , la collection des loix du Royaune
fur une des matières les plus importantes ,
& néanmoins affez négligées. On lit à la
fin du volume , une table alphabétique ,
par le moyen de laquelle on trouve aifement
tout ce qui eft répandu dans la première
partie.
LES Vies des Femmes illuftres & célébres
de la France. A Paris chez Grangé ,
pont Notre-Dame , la veuve Duchesne ,
rue Saint Jacques , & de Lalain , rue Saint
Jacques ; 1766 avec approbation & privilége
du Roi. Cinq parties in- 12 ; prix ,
liv. 5 fols brochés , la quatrième & la
cinquième fe vendent féparément.
Nous avons déja annoncé cet ouvrage
lorfqu'il parut dans fa nouveauté. Ổn
met ici parmi les femmes illufires , la fameufe
Mde Tiquet , qui fit affaffiner fon
mari , & qui mourut en place de Grêve ;
c'eft bien abuſer du terme d'illuftre.
L'ART des Armes , ou la manière la
JUILLET 1766. 15.7
plus certaine de fe fervir utilement de
l'épée , foit pour attaquer foit pour fe
défendre , fimplifiée & démontrée dans
toute font étendue & fa perfection ,fuivant
les meilleurs principes de théorie & de pratique
, adoptés actuellement en France :
ouvrage néceffaire à la jeune Nobleffe &
ceux qui fe deftinent au fervice ; aux
perfonnes même , qui par la diftination
de leur état , ou par leurs charges , font
obligées de porter l'épée ; & à tous ceux
qui veulent faire profeflion des armes.
Dédié à S. A. S. Mgr le Prince de Conty :
par M. Danet , Ecuyer , Syndic Garde des
ordres de la compagnie des Maîtres en fait
d'armes des Académies du Roi, en la Ville
& Fauxbourgs de Paris ; vol. in- 8 ° , avec
35 planches en taille - douce ; prix , 9 liv.
relié. A Paris, chez Hériffant fils , rue Saint
Jacques ; 1766 : avec approbation & privilége
du Roi.
Nous donnerons dans le Mercure prochain
un extrait de ce livre utile , &
qui eft le fruit d'une expérience de vingt
années d'exercice.
ESSAI théorique & pratique fur les
maladies des nerfs . A Paris , chez De lalain
, rue Saint Jacques , à l'image Saint
Roch ; 1766 : avec approbation & privi158
MERCURE
DE
FRANCE
.
lége du Roi ; brochure in- 12 de 66 pages.
Les perfonnes fujettes à la maladie qui
fait le fujet de cet écrit , pourront , fans le
fecours des Médecins , mais avec l'aide de
cet ouvrage , fe guérir aifément ; c'eft du
moins ce que leur promet l'Auteur de cette
brochure.
HISTOIRE de Jacque Féru , & de valeureuſe
Damoiſelle Agathe Mignard ;
écrite par un ami d'iceux , avec des airs
notés. A la Haye , & fe trouve , à Paris ,
chez Cuiffart , fur le Pont-au-Change , à la
Harpe ; 1766 : brochure in- 12 de 66
pages.
On a voulu imiter le ftyle de nos vieux
romans ; c'eft un genre qui demande beaucoup
d'ingénuité. Il a déja paru un ouvrage
dans le même goût il y a quelque temps ,
intitulé Pierre Lelong , qui paroît avoir
fervi de modèle à l'Hiftoire de Jacques
Féru ,
LES Indifcrétions galantes , amufantes ,
& intéreffantes ; en deux parties in - 12 . A
Amefterdam , & fe trouvent à Paris , chez
Dufour , Libraire , Quai de Gefvres , au
bon Paſteur , & chez Defchamps , rue Saint
Jacques , vis- à- vis de la fontaine de Saint
Severin , aux Affociés : prix 1 liv . 10 fols.
JUILLET 1766. 159
On auroit dû prévenir le public dans un
court avertiffement , que les différens con .
tes qui forment ce recueil , font tirés des
contes moraux de Mlle Unfi , & d'autres
recueils qui ont paru depuis peu de temps.
Mais , non-feulement on a caché les fources
où le compilateur a puifé ces vieilles
hiftoriettes ; il a même cherché à tromper
le public , en déguifant les titres des contes
& les noms des perfonnages ; je n'en citerai
qu'un exemple . L'hiftoire qu'on intitule
ici L'enfant abandonné pour un temps,
fe trouve d'abord dans le Mercure de Janvier
1719 , puis dans le choix des Mercures
& autres Journaux , tome 41 , page 47 ,
fous le titre d'Hiftoire de Mlle Cathos ; de
là il a paffé dans le recueil de Mlle Unfi . Le
compilateur a métamorphofé le nom de Cathos
en celui de Reine ; le nom de Madame
Groffe Tête , en celui de Madame la Chapelle
; & fans faire aucun autre changement
dans le cours de l'ouvrage , il a donné
le vieux conte , comme une hiftoire neuve.
Nous ne pouvons trop nous élever contre
ces tromperies littéraires , auxquelles les
Libraires , faute de connoître les fources ,
participent fans le fçavoir.
LE Confervateur du fang humain , ou
la faignée démontrée toujours pernicieuſe,
160 MERCURE DE FRANCE .
)
& fouvent mortelle ; par M. de Malon :
avec cette épigraphe : Salus populifuprema,
lex. Cic. Que le falut public foit votre première
loi . A Paris , chez Antoine Boudet
Imprimeur du Roi , rue Saint Jacques ;
1766 : avec approbation & privilége du
Roi ; brochure in- 12 de 300 pages.
Ce petit ouvrage renferme un ſyſtème
qui combat l'ufage de la faignée reçu dans
la pratique de la Médecine. Il faut être
bien convaincu de la vérité de ce qu'on
avance , pour ofer attaquer une méthode.
anciennement établie , & généralement
foutenue , au moment même qu'elle femble
être dans fa plus grande vigueur.
MANUEL des Tapiffiers , contenant 1 °.
un état de la largeur & du prix de chaque
marchandiſe . 2 ° Ce qu'il entre de marchandife
dans chaque efpèce de meubles . 3 ° .
Le montant des pouces en en pieds & en aulnage.
4. Le montant des pieds en aulnage.
Par M. Bimont , Maître & Marchand
Tapiffier , rue aux Ours , vis- à - vis
la rue Quincampoix. 'A Paris , chez Nicolas-
Auguftin Delalain , Libraire , rue
Saint Jacques , à Saint Jacques ; 1766 : 1
avec approbation & privilége du Roi ,
brochure in- 12 de 100 pages.
Les perfonnes qui font faire des meu
JUILLET 1766. 161
bles , & qui veulent les avoir de la meilleure
qualité & de la plus belle forme , fans
craindre d'être trompées ou par les Tapif
fiers ou par les Marchands , ne peuvent
fe difpenfer de fe procurer ce petit ouvrage.
On y voit d'un coup d'oeil tout ce
qu'il en coute pour meubler un appartement
; & l'on ne fera plus dans le cas de
faire réduire des mémoires , ni de payer les
meubles au- delà de leur jufte valeur.
SUPPLÉMENT aux affiches de Lyon , des
mois de Janvier , Février & Mars 1766 ;
Journal des prières qui ont été faites dans
cette ville pour Monfeigneur le Dauphin ,
pendant fa maladie & après fa mort ; in-
4°. A Lyon chez Aimé de la Roche , aux
halles de la Grenette.
Tout ce qui s'eft paffé à Lyon à l'occafion
du trifte événement qui a plongé toute
la France dans le deuil , eft rapporté ici
dans le plus grand détail ; ces relations
font un monument éternel du tendre attachement
de cette ville pour feu Monfeigneur
le Dauphin , & toute la Famille
royale.
LETTRE en vers de Gabrielle de Vergy,
à la Comteffe de Raoul , foeur de Raoul de
Coucy , par M. Mailhol ; fuivie de la rc162
MERCURE DE FRANCE.
mance fur les amours infortunés de Gabrielle
de Vergy & de Raoul de Coucy ,
attribuée à M. le Duc de *** . A Paris ,
chez la veuve Duchefne , rue Saint Jacques
, au Temple du goût; 1766 : avec approbation
& privilége du Roi ; brochure
in- 8°. avec de très- belle gravure.
Cette lettre ornée de toutes les beautés
de la typographie & du burin , eft bien digne
d'entrer dans la belle collection des
poéfies eftampées , imprimées chez Jorry.
Les vers de M. Mailhol ne dépareront pas
la plupart de ceux qui compofent ce fu
perbe recueil.
PARALLELE entre Defcartes & Nevyton
; par M. L.... A la Haye , & fe trouve
à Paris , chez Lefclapart, Quai de Gefvres ;
1766 : feuille in- 8°.
Les deux grands hommes qui font le
fujet de cette brochure , nous paroiffent
affez bien caractérisés .
ODE à la Reine , fur fa convalefcence ;
par M. Duchemin de la Chenaye , avec
cette épigraphe : Infandum , Regina , jubes
renovare dolorem. Virg. Æneid . lib . 2. A
Paris , chez Dufour , Quai de Gefvres ,
au bon Paſteur ; 1766 : feuille in-4°.
Le zèle de l'Auteur , & fon talent pour
JUILLET 1766. 159
la poéfie fe manifeftent également dans
cette ode.
STANCES fur la mort de Mgr le Dauphin
; EPITRE à la Reine , fur l'heureux
rétabliffement de la fanté de Sa Majefté ;
EPITRE au Roi , fur la mort du Roi de
Pologne , de Mgr le Dauphin , & du Duc
de Parme : feuille in - 8 ° . Par M. Duvaucel
: 1766.
Nous réuniffons ici fous un même titre,
trois pièces détachées , faites par le même
Auteur , & dans lesquelles nons remarquons
des vers de fentiment.
ESSAY de l'éloge hiftorique de Stanif
las I , Roi de Pologne , Duc de Lorraine
& de Bar ; par M. M ***, avec cet épigraphe
: Aquam memento rebus in arduis
fervare mentem. A Bruxelles , & fe trouve
à Paris , chez Claude Hériffant , rue Neuve-
Notre- Dame , à la Croix d'or ; 1766 : in-
4° . de 98 pages ,
On ne s'eft propofé dans cet ouvrage ,
que d'ouvrir un champ à l'éloquence des
Orateurs qui pourroient être jaloux de répandre
des fleurs fur le tombeau de Staniflas.
C'est ce que nous apprend un petit
avertiffement qui eft à la tête de ce difcours
, divifé en deux points . Dans le pre164
MERCURE DE FRANCE.
mier , Staniflas lutte contre la fortune ; it
fe montre fupérieur à fes caprices , & la
force enfin par fes vertus à rougir de fon
injuftice. Dans le fecond , Stanislas déploie,
dans tous les inftans , la bienfaifance d'un
coeur magnanime.
ORAISON funèbre de très - haut & trèspuiffant
& excellent Prince Staniſlas I ,
Roi de Pologne , Grand Duc de Lithuanie
, Duc de Lorraine & de Bar , prononcée
en l'églife primatiale de Lorraine , le
10 du mois de Mai 1766 , au Service or
donné par le Roi , auquel les Cours Sou-,
veraines & autres Corps ont affifté : par lê
R. P. Elifée , Carme déchauffé , Prédicareur
du Roi. A Nancy , & fe trouve à
Paris , chez Lottin le jeune , rue Saint Jacques
, vis - à - vis de celle la Parcheminerie
; 1766 in-4°.
و ر
و د
Les deux parties de ce difcours font : 1°.
Dans une vie agitée , au milieu d'une
viciffitude de revers & de fuccès , ce
Monarque a reconnu la puiffance du
» Seigneur , & il a para fupérieur à tous
les événemens par une foumiffion conf-,
» tante à la volonté divine. 2 ° . Dans une
vie tranquille , & au milieu des douceurs
d'une longue profpérité , il ne s'eft
» montré que bienfaifant ; & il n'a uſe
ور
"
JUILLET 1766. 165
de fa puiffance que pour le bonheur des
» hommes ». Le nom du Père Elifée répond
d'avance du ſuccès de cet éloge .
DESCRIPTION du maufolée & de la
pompe funèbre, faite dans l'égliſe de Notre-
Dame le 12 Juin 1766 , pour très- haut ,
très-puiffant & très- excellent Prince Staniflas
Lefzczynski , Roi de Pologne ,
Grand Duc de Lithuanie , Duc de Lorraine
& de Bar. Cette pompe funèbre ,
ordonnée de la part de Sa Majesté par
M. le Duc d'Aumont , Pair de France ,
Premier Gentilhomme de la Chambre du
Roi , a été conduite par M. Papillon de la
Ferté , Intendant & Contrôleur général
de l'Argenterie , Menius- Plaifirs & Affaires
de Sa Majefté ; fur les deffeins du
feur Mic. Ang. Challe , Peintre Ordinaire
du Roi , & Deffinateur de fa Chambre &
de fon Cabinet. De l'Imprimerie de P. R.
C. Ballard, feul Imprimeur pour la mufique
de la Chambre & Menus-Plaifirs du Roi ,
& feul Imprimeur de la grande Chapelle
de Sa Majeſté ; 1766 : pat exprès comman ,
dement de Sa Majeſté ; in - 4 ° .
Toutes les infcriptions contenues dans
cet imprimé méritent d'autant plus l'attention
des lecteurs , qu'elles forment une
efpèce de gradation hiftorique de la vie de
166 MERCURE DE FRANCE .
Staniflas . On trouve de plus ici des détails
qui donnent une grande idée de la
magnificence de cette fête funèbre .
ORAISON funèbre de très - haut , trèspuiffant
& très - excellent Prince Mgr
Louis , Dauphin , prononcée dans l'églife
collégiale de Beaupréau , le Mardi 22
Avril 1766 , par M. l'Abbé Favereau
Docteur en Théologie , Doyen des Mauges
& Curé de Jallais en Anjou . A Paris , chez
Vente, Libraire , au bas de la montagne
Sainte Geneviève ; 1766 : avec approbation
& permiffion ; 1766 : in- 4 °.
و د
La première partie préfente « les vertus
» morales de Mgr le Dauphin , couronnées
par l'amour & la confiance des
» hommes. La feconde , les vertus chré-
» tiennes couronnées par l'amour & les
» faveurs de la bonté du Seigneur ».
EPITRE en vers à M. Keyſer , feuille
in- 8°.
On a imprimé en entier l'épître en
vers dont nous n'avons donné que quelques
fragmens dans un de nos derniers
Mercure. L'ouvrage de M. Keyfer , qui a
donné lieu à cette épître , jouit du plus
grand fuccès. On le trouve folidement ,
clairement & fortement écrit. Il renverse
JUILLET 1766. 167
d'une manière victorieufe & triomphante
toutes les objections de fes adverfaires.
TRAITÉ des droits de l'Etat & du Prince ,
fur les biens poffédés par le Clergé. A
Amfterdam chez Arkftée & Merkus ;
1766 : & l'on en trouve quelques exem
plaires à Paris , chez Vincent , rue Saint
Severin ; fix volumes in- 12 .
Cet ouvrage nous paroît mériter une
attention particulière ; il préfente à la réflexion
des lecteurs des matières très- importantes
& très - curieufes. En établiſſant fur
des preuves inconteftables les droits qui
font acquis à l'Etat & au Prince fur les
biens poffédés par les Eccléfiaftiques
l'Auteur rend au Clergé toute la juftice
qui lui eft due ; & en lui enlevant des ›
priviléges imaginaires , auxquels il ne s'eft
jamais véritablement intéreffé , il lui affûre
un droit plus réel , fondé fur les monumens
les plus certains de notre hiftoire.
Indépendamment de l'importance du ſujet,
cet ouvrage a encore le mérite de contenir
des faits qui peut - être n'avoient jamais
été préfentés fous leur véritable point de
vue ; & il n'y a perfonne , pour peu qu'on
veuille être inftruit de l'hiftoire de l'Eglife
& de la Nation , qui ne foit obligé d'y
avoir recours. Je ne parle pas de ceux qui
168 MERCURE DE FRANCE.
1
par état doivent connoître ces fortes de
matières ; il eft évident que la lecture de
ces fix volumes eft pour eux d'une néceffité
indifpenfable.
GUIDE des Corps des Marchands , &
des Communautés des Arts & Métiers ,
tant de la ville & fauxbourgs de Paris , que
du Royaume ; contenant , en forme de
dictionnaire , l'origine hiftorique de chaque
Corps , un abrégé de leurs ftatuts , la
manière dont ils fe gouvernent , avec les réglemens
pour l'adminiftration des deniers
communs des Communautés , & la reddition
des comptes ; la jurifdiction où ils
peuvent être traduits & traduire les autres ,
l'ufage des différentes places de commerce
, &c. Ouvrage utile aux négocians ,
banquiers , artifans . A Paris , chez la veuve
Duchefne , rue Saint Jacques , au temple
du goût ; 1766 : avec approbation & privilége
du Roi ; un vol. in- 12.
On voit par le titre de ce livre , qu'il y
a une infinité de gens auxquels il peut être
d'un ufage continuel & journalier. Ceux
qui ne le confulteront que par curiofité ,
y trouveront auffi de quoi fe fatisfaire .
Nous y avons lu des détails inftructifs fur
toutes les parties du commerce , & des
anecdotes intéreffantes fur les différentes
profeflions
JUILLET 1766. 169
profeflions dont il eft parlé dans ce volume.
HISTOIRE du fiége de Pondichéry , fous
le gouvernement de M. Dupleix , précédée
d'un journal du voyage fait aux Indes
en 1747 , & d'autres morceaux aufli curieux
qu'intéreffans ; nouvelle édition . A
Bruxelles , & fe trouve à Paris , chez la
veuve Duchefne , rue Saint Jacques ; 1766 :
vol. in- 1.2 .
Les perfonnes qui forment une collection
de ce qui concerne les affaires des
Indes , dont on a beaucoup parlé dans ces
derniers temps , ne peuvent fe difpenfer
d'y faire entrer le volume que nous annonçons.
Il contient des détails curieux , &
qui ne fe trouvent dans aucun autre livre.
La relation du fiége de Pondichéry eft l'ouvrage
d'un Officier François qui s'eft extrêmement
diftingué dans la belle défenſe de
cette Place. Le journal du voyage eft de
feu M. de Roflaing , Officier d'Artillerie
au ſervice de la Compagnie des Indes. On
voit donc que ceux qui parlent dans ce
recueil ont été témoins & parties dans tous
les événemens dont ils nous inftruiſent .
FABLIAUX & Contes des Poëtes François
, des XII , XIII , XIV & xvmes fiècles ,
tirés des meilleurs Auteurs. A Paris , chez
Vol. I. H
170 MERCURE DE FRANCE .
Vincent , Imprimeur - Libraire , rue Saint
Severin ; 1766 : avec approbation & privilége
du Roi ; trois vol. in- 12 , petit forinar.
On regrettoit depuis quelques années
de ne plus trouver chez le Libraire ces
agréables productions de nos premiers Poëtes
. L'édition faite en 1755 étoit épuifée ,
& la plupart des cabinets des curieux étoient
privés de ces anciennes poéfies , où les
grands hommes du fiècle paffé ont pris
les fonds d'un grand nombre de leurs
ouvrages. On lit encore avec un plaiſir
infini les defcriptions ingénieufes de nos
mours antiques ; & les poéfies modernes
les plus eftimées n'ont rien de fi agréable
ni de fi piquant. Elles forment comme la
bafe du Parnaffe François ; & , quoique
très -anciennes, elles n'ont encore rien perdu
de ce fel attique qui diftingue les ouvrages
degoût & d'agrément . C'eft un des premiers
livres doit avoir tout amateur de notre que
poéfie ; & il plaita également aux partifans
des anciens & des modernes. C'eſt
une fource intariffable de beautés pour
ceux qui aiment à faire refleurir dans un
nouveau langage , des plantes que le temps
a pu fléttir , mais qui ne laifferont pas
fe conferver éternellement .
de
HISTOIRE d'Izerben , Poëte Arabe , trai
JUILLET 1766. 171
duite de l'arabe par M. Mercier ; avec
cette épigraphe :
Felices errore fuo . Lucan .
A Amfterdam , & fe trouve à Paris , chez
Cellot , Imprimeur - Libraire , rue Dauphine
, & grande falle du Palais ; 1766 :
vol. in- 12. Trente fols broché.
"
و د
...
On comprend bien que fous le nom
d'un Poëte Arabe , c'est l'hiftoire d'un
Poëte François qu'on a voulu donner ;
nous ignorons quel eft ce Poëte : voici
quelques titres de l'hiftoire de fa vie qui
pourront le faire connoître. « Le drame
» d'Izerben lu , reçu , joué , applaudi .....
Izerben reçu dans le grand monde.
Il devient amoureux d'Almanzaïde.
» Il l'immortalife...S'arrache au monde...
Differtation du Poëte Izerben fur la poéfie
, les poëtes , l'art dramatique , & la
vénération due aux auteurs tragiques....
» Etat de la fortune du Poëte Izerben , les
» malheurs , fes revers... Mort d'Almanzaïde
; conftance & grandeur d'âme de
» notre Poëte. . .. Il va à la Cour.... It
» eft obligé de prendre la fuite... Il fe
refugie dans un Royaume voifin. . . . .
Vieilleffe du Poëte Izerben , & c. &c. ».
Cet ouvrage eft écrit de manière à piquer
la curiofité. Il eft agréable , ingénieux & .
amufant , & donne lieu à des applications.
"
83
"
ور
...
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.

CÉLIANE ou les Amans féduits par
leurs vertus ; par l'Auteur d'Elifabeth. A
Amfterdam , & fe trouve à Paris , chez
Lacombe , Libraire , quai de Conti ; 1766 ;
brochure in- 1 2 .
Madame Benoît , Auteur, du roman
d'Elifabeth , que nous avons annoncé avec
éloge dans un de nos derniers Mercures ,
fe hâte de répondre à l'empreffement du
public à lire fes ouvrages. Cette nouvelle
brochure fuit de très- près la précédente , &
mérite un extrait détaillé que nous promettons
de donner inceffamment.
MÉMOIRES du Marquis de Solanges. A
Amfterdam , & fe trouve à Paris , chez la
veuve Duchefne , rue Saint Jacques , &
Lefclapart le jeune , quai de Gefvres ;
1766 : deux parties in - 12.
Ce roman , écrit en forme de lettres .
eft de l'Auteur d'une autre brochure qui
parut l'hiver dernier fous le titre de Rofe ,
ou les Effets de l'Amitié , & que le public
a reçu avec plaifir. L'ouvrage que nous
annonçons aujourd'hui n'eft pas moins
digne de lui plaire ; on y voit la même
honnêteté , la même pureté de moeurs
qui attefte celles de l'Auteur. Nous en rendrons
compte plus amplement dans un de
nos prochains Mercures.
JUILLET 1766. 173
DICTIONNAIRE portatif des Eaux &
Forêts ; par M. Maffé , Avocat en Parlement.
A Paris , chez Vincent , Libraire ,
rue Saint Severin ; 1766 : avec approbation
& privilége du Roi ; un vol. in - 8 °
de Soo pages.
Le nombre des ordonnances & réglemens
faits en divers temps fur les eaux &
forêts eft confidérable ; & plufieurs Auteurs'
les ont recueillis en corps . MM. Gallon &
Pecquet fe font fur - tout illuftrés par les
conférences qu'ils en ont faites ; mais leurs
compilations , enrichies de commentaires
où brille une érudition profonde , laiffent
à defirer au lecteur un ordre plus précis
& plus clair qui l'inftruife au premier
coup -d'oeil. M. Maſſé a fuppléé à cet inconvénient
, en mettant par ordre alphabétique
toutes les difpofitions de l'ordonnance
du mois d'Août 1669. Perfonne ,
jufqu'à préfent , n'a traité cette matière
importante dans la forme où il la préfente ;
&, pour rendre fon livre portatif , il s'eft
feulement appliqué à faire des citations
exactes & de courtes définitions qu'il a
puifées dans de bons Auteurs ; tels que
les noms , qualités & propriétés des différens
bois , gibiers & poiffons ; les noms
des inftrumens de chaffe & de pêche , tant
permis que défendus , & les termes & cris.
H iij
174 MERCURE DE FRANCE .
>
de chaffe & de navigation . Ce travail ,
très- méthodique , très - clair , très - précis
très- exact , fera du plus grand fecours pour
ceux qui , par une étude férieuſe , defirent
de fe rendre utiles , dans cette partie , au
fervice de l'Etat , du Roi & de la Patrie .
ESSAI de traduction libre de Lucrèce ;
par un Libraire de Paris. A Paris , chez
les Libraires où fe diftribuent les nouveautés
; 1766 : brochure in- 12 de 54 pages.
Nous exhortons l'Auteur de cet Effai
à continuer un travail pour lequel il montre
ici un talent décidé . Si tout le Poëme
de Lucrèce étoit traduit dans le goût de
ce commencement , nous aurions certainement
une traduction de ce Poëte , qui ne le
céderoit à aucune de celles des autres Auteurs
latins.
CHOIX de Poéfies Allemandes , par
M. Huber. A Paris , chez Humblot , rue
Saint Jacques , près Saint Yves ; 1766 :
quatre vol. in- 12.
Nous avons annoncé ce livre comme
devant bientôt paroître , & nous n'en avions
vu que le profpectus . Aujourd'hui , que
Touvrage eft entre nos mains , nous ne
craignons pas de dire qu'il répond parfaitement
, dans fon exécution littéraire &
typographique , aux idées avantageufes que
JUILLET 1766. 175
nous en avions conçues. Nous en parlerons
plus amplement.
A VIS.
Defpilly , Libraire à Paris , rue Saint
Jacques , donne avis qu'ayant été obligé de
réimprimer les Panégyriques de M. l'Abbé
Ballet , il fe trouve en état de les fournir
au premier Juillet , aux perfonnes qui les
ont retenus. Cette réimpreffion lui complétant
des exemplaires , il offre de les donner
au même prix de 13 liv. 4 fols d'ici au
premier de Septembre.
A Meffieurs les Gens de Lettres , au sujet
d'une nouvelle édition de LA FRANCE
LITTÉRAIRE.
MESSIEURS ,
Je me propofe de publier au premier
de Janvier 1767 , une édition nouvelle
de la France Littéraire ; & comme - l'intention
de l'Auteur eft de la rendre auffi
exacte & auffi complette qu'elle peut l'être ,
j'ai efpéré que vous ne refuferiez pas de
concourir à la perfection d'un Livre , auquel
tous les Gens de Lettres paroiffent
devoir s'intéreffer. J'ofe donc vous prier ,
Meflieurs , de m'envoyer vos articles tels
Hiv
176 MERCURE
DE FRANCE.
une
qu'ils doivent être ; c'est - à - dire ,
note bien détaillée de tous vos ouvrages
imprimés , avec la date & la forme de leur
édition , vos qualités , votre nom de baptême
, le lieu de votre naiffance. Dans le
deffein où je fuis d'en commencer l'im-.
preffion au mois d'Août , il feroit à propos
, Meffieurs , que ces articles me fuffent
remis dans le courant de Juillet , afin d'avoir
le tems de difpofer les matières dans
l'ordre alphabétique , & de n'être point
obligée d'avoir recours à un fupplément
lorfque l'ouvrage fera imprimé. J'ofe
encore , Meflieurs , vous prier d'affranchir
vos lettres, fuppofé que vous me faffiez parvenir
ces articles par llaa pofte. Comme
l'Auteur n'a rien de plus à coeur que de
fatisfaire les gens de lettres , & de prévenir
leurs plaintes , il fe conformera
exactement aux notes que l'on m'aura envoyées
, perfuadé que c'eft l'unique moyen
de donner à l'ouvrage la perfection que
le public paroît defirer.
J'ai l'honneur d'être avec une parfaite
confidération ,
MESSIEURS ,
Votre très-humble & très- obéiffante fervante ,
Ve DUCHESNE , Libraire , rue S. Jacques.
JUILLET 1766 . 177
ARTICLE III .
SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADÉMIES.
SOCIÉTÉ Littéraire d'Arras.
CETTE Société tint le 22 Mars 1766 fa
féance publique ordinaire , que M. Dubois
de Foffeux , Ecuyer du Roi , Directeur en
exercice , commença par un difcours intitulé
de la Lecture , où il s'attacha , entre
autres chofes , à comparer l'utilité de l'hiftoire
à celle des bons romans. M. l'Abbé
de Gafton , Chanoine de l'Eglife d'Arras ,
Chancelier de la Société , lut un éloge
hiftorique du feu Roi de Pologne , Duc
de Lorraine & de Bar. M. Enlart de Grandval,
Confeiller au Confeil d'Artois , donna
enfuite des obfervations fur les foffiles de
cette province ; & M. l'Abbé de Lys ,
Bénéficier de la Cathédrale , lut des notes :
fur quelques perfonnes illuftres nées en
Artois , ou qui ont vécu dans le pays.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
On croit devoir rappeller ici , à l'occafion
de cette féance , que la Société Littéraire
d'Arras , qui s'étoit empreffée à
témoigner fon zèle pour le rétabliffement
de la fanté précieufe de feu Monfeigneur
le Dauphin , par une Meffe folemnelle
dans l'églife des PP. Dominicains , a aufli
fait célébrer le 26 Février , dans la même
églife , un Service pour
le repos de fon
âme. M. de Bonneguize , Evêque d'Arras ,
Affocié Honoraire de cette Compagnie ,
y officia pontificalement ; & l'Oraifon funèbre
du Prince fut prononcée par M.
l'Abbé de Gafton , dont on vient de parler.
Il prit pour texte ce paffage d'Ifaïe : pracifa
eft , velut à texente , vita mea : dùm
adhuc ordirer , fuccidit me ; & divifa fon
difcours en trois points , dans lefquels il
prouva que Monfeigneur le Dauphin poffédoit
éminemment 1 ° . l'efprit de fageffe
& d'intelligence , 2 °. l'efprit de confeil &
de force , 30. l'efprit de fcience & de piété .
Cet éloge funèbre a été imprimé à Arras
chez Nicolas.
JUILLET 1766 179
MECHANISME de l'Electricité continuelle
de notre globe , appliqué à la végétation
des plantes ; par M. GAUTIER DAGOTY
, Anatomifte penfionné du Roi.
L'ANNÉE dernière je lus une differtation
à l'affemblée de l'Académie de Dijon , du
25 Janvier , fur l'électricité de la terre par
fa rotation journalière . Cette idée neuve ,
qui tend à expliquer bien des météores &
des phénomènes , fut reçue avec plaifir des
favans de cette Académie ; mais comme
je n'avois pas eu le temps de donner l'ordre
convenable à ma differtation , je la
retirai des mains du Secrétaire , & je me
contentai d'annoncer cette nouvelle hipotèfe
dans la Gazette d'Amfterdam , me
réfervant un jour d'entrer dans un plus
grand détail pour démontrer la poffibilité
& peut- être la certitude de l'action électrique
de notre globe.
Ma differtation tendoit à prouver que
l'athmofphère fe forme par la force active
de la rotation de la terre , & que la lune
ne manque d'athmofphère que parce que
fa rotation eft lente & ne donne aucune
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
électricité , puifqu'elle ne fait le tour de
fon globe fur elle- même que dans environ
un mois ; de plus , parce qu'elle a une moindre
étendue de furface que la terre , & par
conféquent bien moins de vîteffe & de
frottement entre fa furface & l'air fubtil
& comprimant qui l'entoure.
L'élevation des nuages & des vapeursvient
de la même caufe. La formation du
tonnerre , les feux faint Elme , les volcans ,
les tremblemens de terre , les aurores boréales
, l'apparition des comètes , la végétation
des plantes , la lueur des phofphores ,
la flâme des chandelles , celle qui dévore
& s'attache aux matières combuftibles , & c .
tous ces météores & ces phénomènes ignés
& actifs fe démontrent par la feule électricité
journalière & continuelle de la
terre , & demandent des differtations particulières
& plus étendues que je n'avois
fait dans mon mémoire académique. Cependant
je ne traiterai ces matières que
l'une après l'autre , foit pour ne pas confondre
tant d'objets qui naturellement découlent
de cette fource , dans laquelle il
ne fera plus queftion que de puifer , fi une
fois elle eft bien établie.
Je crois jetter les fondemens de cet
hipothèſe en confidérant la forme , la fubftance
de la terre , compofée de tant de
JUILLET 1766 . 181
parties falines , vitrifiques , bitumineufes ,
fulphureufes , &c. & fon mouvement ; &
la comparant alors à la boule de foufre
en rotation , la vîteffe du mouvement de
notre globe & fon frottement fur l'air qui
la comprime font bien au-deffus de ceux
de la boule que nous lui comparons ; &
la force active du foleil qui l'impulfe &
l'échauffe par fes rayons ( 1 ) vaut bien la
chaleur de la main : ainfi rien ne s'oppofe
aux caufes de l'électricité du globe terref
tre. Le méchanifme de l'électricité n'étant
pas autre chofe qu'un mouvement rapide
d'un globe ou d'un tube de matière électrifante
pofés dans l'air & échauffés par
la frixion .
Les plantes qui font inanimées , & qui
n'ont befoin d'aucune activité qui leur
foit propre pour croître & générer , font
continuellement vivifiées par l'action de
l'électricité de la terre. Cela eſt ſi vrai ,
qu'elles périffent tout auffi-tôt qu'on les
fépare de cette âme végétale. En effet , la
terre eft l'âme des végétaux , ainfi que des
minéraux , & de tout ce qui croit & génére
dans fon fein & à travers fa furface. C'elt
par les pôres de leurs racines que cette élec-
( 1 ) Systême que je donnai au public & que
j'eus l'honneur de dédier au Roi en 1750 fous le
titre de Crogenefie ou Syftême de l'Univers.
182 MERCURE DE FRANCE.
tricité impulfe les parties de feu , & ces
parties ignées confervent toujours leur activité
au moyen de cette continuelle électrifation
pour dilater & augmenter les fibres
qui conftituent les tiges , les feuilles & les
Aeurs ; & d'une autre part , cette action
de la matière électrique ou du feu impulfe.
& entraîne les fels délayés , les fucs , la
fève , en un mot , les huiles , les parties
fulphureufes & bitumineufes que la terre
contient en abondance , & les porte dans
les glandes de la plante qui féparent à propos
, comme à travers des cribles , ces diverfes
particules pour former les diverfes
parties qui la compofent , & fur-tout pour
colorer leur fleur & leurs feuilles & donner
à leur fruit & à leur racine , le goût , la
faveur & les qualités qui leur font requifes .
C'eft pourquoi , dans la même terre & à
côté l'une de l'autre dans la claffe des herbes
, la laitue porte fa douceur , & la chicorée
fauvage fon amertume ; l'oranger ,
dans celle des arbres , porte l'acide agréable
de fes fruits , & le figuier , le miel
fucculent qui renferme fes graines : ce qui
arrive fouvent parmi ces végétaux en entres
laçant leurs branches & leur racines.
On a mal penfé lorfqu'on a cru que les
plantes avoient une âme végétale qui faifoit
les fonctions néceffaires de leur deve
JUILLET 1766 . 183
*
loppement , & de plus , de croire par contradiction
& en même temps que les animaux
étoient des machines qui ne fe
mouvoient que par l'action que les objets
imprimoient fur leurs fens ; mais l'une, &
l'autre de ces fuppofitions , contraires aux
obfervations les plus fimples & les plus
approfondies , n'ont aucune vraisemblance.
Les animaux fe meuvent & ont des forcesbien
fupérieures à l'action des objets . Un
cheval , par exemple , qui traîne un poids ,
s'il ne recevoit l'action de fes mufcles que
par la réflexion de celle des objets , & que
cette action ne fûr qu'ainfi réfléchie ,
comme on le prétend , les conducteurs
uferoient leur fouet fans fruit , & le cheval
ne bougeroit de la place ; l'impreffion
du fouet même ne pourroit fervir de fupplément
la feule intelligence ou l'appréhenfion
de la douleur qu'occafionnent les
coups redoublés le font avancer , parce
qu'il a une âme active qui commande à
fes mouvemens & dirige vers les mufcles
convenables les forces dont elle eft maîtreffe
. Une plante , au contraire , bien différente
d'un être vivant , d'où tireroit-elle
fes forces ? de fon âme végétale ? feroit- ce
par des mouvemens propres & fpontanés
qu'elle impulferoit fes fluides actifs qu'il
faudroit qu'elle eût , fi elle vivon par elle184
MERCURE DE FRANCE.
même , fi elle agiffoit comme les animaux ,
qui croiffent parce qu'ils ont des nerfs &
des vaiffeaux fanguins , mis continuellement
en action par la vie , c'eft- à - dire ,
par l'activité qui leur eft propre fans dépendre
aucunement de la terre ; phénomène
que nous voyons à tout inftant , ce que
nous ne faifons que fuppofer mal -à-propos
dans les plantes , qu'il faut attacher à la
terre pour les faire végéter.
La terre anime donc les plantes , & c'eft
dans fon fein que leur femence commence
à végéter ; il eft vrai que l'action du globe
s'élevant jufqu'à la hauteur de l'athmofphère
, les oignons végétent fans être enfouis
; mais il faut obferver qu'ils touchent
la terre par leurs fupports , & qu'ils
végétent dans la faifon tempérée jufqu'à
leurs fleurs , mais cette foible végétation
ne va pas jufqu'à la maturité du fruit ni
jufqu'à leur graine complette par conféquent
, & n'eft qu'une végétation imparfaite
nourrie de la pâte , ou pour mieux
dire , de la fubftance de l'oignon , dans
laquelle eft implanté le germe , comme s'il
étoit dans une portion de terre..
On ne s'eft pas contenté de donner une
âme végétale aux plantes , on a voulu les
faire participer du règne animal fous le
nom de zoophites. « Ces fubftances orgaJUILLET
1766. 185
ور
و ر
» nifées , dit - on , ont exercé de tout temps
» la fagacité des plus habiles naturaliſtes :
placées fur les limites des deux règnes ,
» elles femblent les réunir , & c.». Mais les
faits démentent toutes ces prétendues obfervations
; car le corail , fur lequel on fonde
des grandes conjectures , n'eft qu'une plante
marine attachée par fes racines fur les roches
; & les infectes qui l'habitent , & qui
en font leur pâturage , la pénètrent dans
l'intérieur de fes branches , comme les vers
qui font fur terre dans les fruits & même
dans les bois des végétaux. Souvent les
vers ou les polipes , attachés à d'autres
productions , ont été regardés comme la
partie animale de la plante.
Suite du projet de la collection des plantes
imprimées en couleur avec leur fleur.
leur fruit , leur graine , leur feuille &
leur racine ; par M. GAUTIER.
L'INTENTION de M. Gautier eft de donner
au public une collection de plantes
imprimées avec la couleur & la grandeur
naturelle des racines , des tiges , des feuilles,
des fleurs & du fruit , aifées à reconnoître
par les amateurs & les étudians fans beaucoup
d'application , en herborifant dans les
campagnes & dans les jardins , comme il
186 MERCURE DE FRANCE.
eft néceffaire quand on veut faire des progrès
dans la botanique & ne point prendre
le change fur les genres & les efpèces différentes
des végétaux , ce qu'on ne peut
prefque éviter quand on s'en rapporte aux
planches noires ou enfuminées par diverfes
mains.
Les planches de M. Gautier , qui repréfentent
les plantes imprimées en couleur ,
ont onze pouces de haut fur fept & demi
de large , fans compter la marge ; elles
font accompagnées d'une table de pareille
grandeur , fur beau papier & le caractère
encadré ces tables & les planches font
détachées pour donner aux amateurs la
facilité de les mettre fous telle claffe qu'ils
jugeront à propos. L'Auteur a fait imprimer
, au- deffus du cadre de chaque table ,
des caractères & des chiffres qui dénotent
1º. le ſyſtème de M. Tournefort , 2º. celui
de M. Lineus ; & comme ces deux fyftêmes
ne concernent que la fleur & la fructification
des plantes , où il n'eft queftion que
des pétales , des étamines , des piftiles , des
calices , des fruits & des graines , parties
très curieufes & très effentielles , mais inutiles
lorfque la plante eft privée de fa fleur
& de fon fruit , ce qui arrive la plus grande
partie de l'année , M. Gautier ajoute à l'indication
de ces deux fyftêmes des lettres
JUILLET 1766. 187
& des chiffres qui ferviront à celui qu'il
va établir pour connoître les plantes fans
leurs fleurs & fans leurs fruits. Ce fyftême
fera compoféde familles prifes des diverfes
configurations de racines , au nombre de
vingt-deux , qui auront leurs qualités par-.
ticulières dans leurs diverfes efpèces pour
les diftinguer ; & ces qualités feront prifes
fur la tige que produit la racine , & fur
la couleur de chaque racine.
Chaque famille fera fous - divifée en
vingt-deux claffes , & les claffes feront
prifes dans la forme des feuilles , & diſtinguées
de même que les racines dans leurs
genres différens , par leurs qualités prifes
du contour de la feuille , de fon attache à
la tige , & de la texture qui compofe la
feuille , ce qui forme un fyftême très- peu
compliqué , où il n'eft queftion que de
confidérer dans la divifion des familles ,
pour ne pas les confondre , leur couleur
& la tige qu'elles portent ; comme , par
exemple, fi la tige eft liffe ou poudreufe ,
velue ou cotoneufe , &c. & la couleur de
la racine , fi elle eft blanche ou jaune ,
rouge ou brune , &c. & après confidérer
la forme de la feuille de la plante , dont
on connoît déja la famille & fes qualités ,
pour connoître le nom qu'elle porte ce
qui fe détermine entièrement en faifans
158 MERCURE DE FRANCE.
attention auffi aux qualités attribuées à la
feuille que la forme a déja rangée dans la
claffe qui lui convient. Ainfi , en voyant
une plante fans fleur & fans fruit , dont
la racine eft nodeufe , & fa tige liffe , la
feuille commune , fes contours unis , fon
attache à queue follieufe , fa texture canelée
, on dira fur le champ , c'eft le Sceau
de Salomon , fur - tout ayant l'eftampet
imprimée en couleur , qui achève d'en
démontrer le caractère , & ainfi de toutes
les autres plantes en général , que l'on
reconnoîtroit cependant , fans le fecours
de la defcription & des fyftêmes , mais auxquels
il faut toujours avoir recours , afin
d'en imprimer bien dans l'efprit le port ,
le caractère & la forme de chaque partie
des plantes pour ne plus les confondre:
quand une fois on en a fait l'étude.
M. Gautier Dagoty demeure préfentement
place du quai de l'Ecole , en entrant
par le quai , à main droite , la maiſon
neuve , proche le Vinaigrier du Roi , au
troifième , où il a fon imprimerie..
Les autres adreffes où il diftribue font
toujours aux mêmes endroits qu'on a indiqués
dans le Mercure de Mars de cette:
année.
Lafuite du Méchanifme de l'Electricité au
Mercure prochain.
JUILLET 1766. 189
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
LE
ARTS UTILES.
GÉOGRAPHIE.
E fieur Denys , Géographe des Enfans
de France , rue Saint Jacques , près le
Collége de Louis le Grand , vient de mettre
en vente plufieurs cartes curieufes &
très-utiles , non-feulement à ceux qui apprennent
la Géographie , mais à ceux même
qui font déja avancés dans cette ſcience
& qui defirent s'y perfectionner. L'une eft
une nouvelle Mappemonde , dreffée pour
fervir d'intelligence aux cartes analytiques
de l'univers. Les quatre fuivantes repréfentent
l'Europe , l'Afie , l'Afrique & Î'Amérique
, & font diftinguées par leur netteté
& leur exactitude. La carte de France
fuit ces cinq premières , & contient toutes
les villes titrées , c'eſt à- dire , celles où il
y a Parlement , Archevêché , Evêché , Duché
, &c. Ce qui donne à cette carte un
190 MERCURE DE FRANCE .
mérite particulier ; outre la perfection avec
laquelle elle eft faite , c'eft une analyſe de
la France qui fait voir du premier coupd'oeil
de quelle Province eft une Ville ,
de quelle Généralité , de quel Parlement ,
de quel Diocèfe , de quelle Election , de
quel Préſidial , &c. Cette carte générale
du Royaume fe fous-divife enautant de
cartes particulières qu'il y a de Provinces
différentes , dans lefquelles on voit les
environs topographiques des Villes principales
: le tout eft dans le même format ,
& compofe un atlas bien détaillé , bien
exact , & qui tiendra lieu de tout ce que
nous avons de plus complet fur cette matière.
ARTS AGRÉABLES.
ÉCOLES GRATUITES DE Dessein.
L'IMPOSSIBILITÉ où font plufieurs Bourgeois
& Artifans de faire donner à leurs
enfans les principes qui font la bafe des
Arts méchaniques , a fait naître le projet
d'ouvrir plufieurs Ecoles de Deffein dans
différens quartiers de la ville de Paris , où
feroient enfeignés gratuitement les jeunes
JUILLET 1766. 191
gens , chacun dans le genre d'éxercice
qui lui conviendra.
Le Sieur Bachelier , Peintre du Roi ,
Adjoint à Profeffeur de fon Académie
Royale de Peinture & Sculpture , a été
chargé d'annoncer cet établiffement , dont
l'étendue fera porportionnée aux befoins
du Public .
Il fera fous l'infpection de M. le Lieu
tenant Général de Police . Chaque Ecole
contiendra cent Eleves ; l'éxercice durera
deux heures , fous les yeux d'un habile
homme dans chaque genre.
Tableau de la journée.
100 Elèves entrans à 7 heur. fortans à 9 h.
100 autres entrans à 9
100 autres entrans à 12
100 autres entrans à 3
100 autres entrans à 6
fortans à
fortans à
II /
252
fortans à
fortans à 8
500 jeunes gens enfeignés dans la journée
en chaque Ecole.
Tableau de la femaine.
500 Eleves feront inftruits le lundi ;
500 autres le feront le mardi, ainfi alternati
vement de trois jours l'un , ce qui produira
le nombre de 1500 jeunes gens éxercés
deux fois par ſemaine dans chaque Ecole.
192 MERCURE DE FRANCE .
L'on enfeignera les principes élémentaires
de la Géométrie pratique , de l'Architecture
, de la Figure , des Animaux ,
des Fleurs & de l'Ornement. Les Eleves
feront chauffés & éclairés
Il fera délivré une marque à la fin de
chaque éxercice : elle fera pour les Parens
ou pour les Maîtres une preuve de l'éxactitude
des Eleves .
Il fera tenu une note exacte de l'abfence
des Eleves , pour , pour fervir dans les concours
à faire pencher la balance en faveur de l'affiduité
, à mérite égal d'ailleurs .
Pour exciter l'émulation , il y aura des
diftinctions de places ; on diftribuera aux
jeunes gens 126 prix tous les ans.
Plufieurs maîtriſes & apprentiffages ſeront
payés à ceux qui fe feront diftingués
des fuccès réitérés
par
Les Parens & les Maîtres de la jeuneſſe
font invités d'envoyer le nom , l'âge , la
demeure & la profeffion de ceux qui voudront
profiter de l'inftruction des Ecoles
gratuites , pour être enclaffés dans les différens
genres d'étude fur la lifte du jour & de
l'heure des éxercices , chez le Sieur Bachelier
, cour des Princes aux Tuileries , qui
recevra jufqu'au 15 Juillet , toutes les lettres
qui lui feront adreffées à ce fujet par
la petite Pofte , & il fuffira de les contrefigner
fans en payer le port : on aura l'attention
JUILLET 1766. 193
tention de ne les mettre qu'aux Bureaux
de chaque quartier , ou entre les mains
des facteurs .
Le Public fera averti par des affiches
de l'ouverture des Ecoles , & des lieux
où elles fe tiendront.
GRAVURE.
LE Gieur Patour , jeune Graveur , demeurant
rue Saint Jacques , vis- à- vis le
Collége de Louis le Grand , vient de donner
au public le doux fommeil , qu'il a
gravé d'après un tableau de M. Hallé , &
qu'il a dédié à M. le Marquis de Villette.
Ce morceau donne une idée très-avantageufe
des talens du jeune Artifte. Prix 1 liv.
4 fols.
IL paroît une très- belle eftampe , repréfentant
J. C. crucifié , gravé d'après J. Jordaens
, par Schettius , célèbre Graveur , &
celui qui a le mieux gravé Rubens & Vandick.
Cette eftampe étoit fi rare , qu'elle
étoit fouvent portée à un prix exorbitant
dans les inventaires ; & le fieur Lebas ,
Graveur du Cabinet du Roi , rue de la
Harpe , vis- à-vis la rue Percée , dans les
mains duquel elle eft heureufement tombée
, s'empreffe de l'annoncer au public au
Vol. I. I
194 MERCURE DE FRANCE.
prix modique de 6 liv . Cette eftampe eft
on ne peut plus légitimement dédiée ,
Mgr. l'Archevêque de Paris.
MUSIQUE.
RECUEIL d'Ariettes & Romances , de
M. Moline. A Paris , chez Dufour , Libraire
, quai de Gefvres , au bon Pafteur ,
& aux adreffes ordinaires de Mufique,
Prix 12 fols.
Les paroles en font lyriques & la mufi..
que agréable,
SEI Trio , par due violini & baffo. Compofti
d'all Signor Melchior Chiefa , Maeftro
di Capella della Cita di Milano , novamente
ftampati. A fpece di G. B. Venier.
Opéra feconda.
Ces trio font d'un chant nouveau , agréable
, & de la plus grande facilité. La partie
du violon pourra s'exécuter avec un hautbois
ou une flute. La baffe eft régulièrement
chiffrée pour la commodité des perfonnes
qui apprennent l'accompagnement.
A Paris , chez M, Venier , éditeur de plufieurs
ouvrages de mufique , à l'entrée de
la rue Saint Thomas du Louvre , vis- à- vis
le château d'eau , & aux adreffes ordinaires,
Prix 6 liv,
JUILLET 1766. 195
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPÉRA.
L'ACADÉMIE Royale de Mufique
a continué le Ballet de la Reine de Golconde
; vingt - fix repréfentations
de fuite.
Mile DURANCI aremplacé Mlle ARNOULD
dans le rôle d'Aline , fur la fin de cet
Opéra. Le fieur TIROT , duquel nous
avons déja parlé dans le précédent Mercure
à l'article du Concert Spirituel , a
débuté au théâtre , par un air détaché ,
pendant les trois dernières repréfentations
de cet Opéra. Non - feulement nous n'avons
point à nous démentir de tout ce que nous
avons dit de favorable de cette jeune hautecontre
, mais beaucoup à ajouter fur ce que
ce fujet donne lieu d'attendre. Il feroit
difficile de trouver une voix plus flexible
à tous les accens du fentiment & des grâces ;
Te fon clair & argentin de cette voix en
fait entendre diftin&tement toutes les articulations
; le volume en a paru généralement
plus confidérable
au théâtre qu'au
I ij
196 MERCURE DE FRANCE .
Concert , & l'on a fenti par-- là que la
crainte en altéroit beaucoup la force. On
defire avec empreffement voir exercer fur
la fcène ce nouveau Débutant dans des
rôles proportionés à fa capacité actuele ;
feul moyen de former plus promptement
des fujets d'efpérance , & moyen auquel
fe prêtera toujours avec indulgence le
public amateur des talens. L'âge & la figure
agréable de M. TIROT concourront fans
doute à lui concilier des fuffrages.
Le Mardi 17 Juin' on a mis fur ce
théâtre des FRAGMENS Compofés des actes
de l'Italie & de la Turquie , de l'Europe
Galante & de Zélindor , Roi des Sylphes.
Dans l'Italie , dont le poëme eft de LA
MOTHE & la mufique de CAMPRA , le rôle
d'Octavie , Seigneur Vénitien, eſt très -bien
chanté & très- bien joué par M. PILLOT ;
celui d'Olimpia ou la Dame du Bal , par
Mlle DUBRIEUL , à la place de Mlle Du-
RANCI , qui s'eft trouvée indifpofée aux
premières repréſentations. On fait que
l'intrigue de cet acte conſiſte dans la jalouſie
du Vénitien contre un François qui danfe
dans le grand Bal mafqué où la fcène fe
paffe. Ce François , acteur muet , mais
acteur principal dans cette petite action ,
ne pouvoit être mieux repréfenté que par
M. VESTRIS , qui , indépendamment
du brillant & des grâces de fa danfe ,
JUILLET 1766. 197
fa
prête beaucoup au jeu du jaloux par
taille, fa figure , & par l'action pantomime
convenable à la fituation ; ce qui concourt
à rendre toute cette fcène auffi agréable
qu'amufante.
Les troupes ou quadrilles de mafques ,
qui forment le Ballet , font des mafques
galans , des Polonois & Polonoifes , à la
tête defquels M. & Mlle LIONNOIS danfent
enfemble une entrée du caractère national
de leur déguiſement ; enfuite des Espagnols
& Efpagnolettes. La fraîcheur & la galanterie
des divers habillemens de tous ces
mafques offrent un tableau fort agréable .
La décoration de cet acte eft un vafte
& riche falon très-convenable pour un Bal
de fête.
La Turquie , deuxième acte des Fragmens
, eft des mêmes Auteurs que l'acte
précédent.
Mlle L'ARRIVÉE y chante avec un goût
& une préciſion admirable le rôle de
Zaïde , Sultane favorite , & les talens aimables
de cette actrice y font applaudis
avec vivacité. Mlle DUBOIS a chanté , les
deux premières repréſentations , celui
de Roxane , autre Sultane. Elle a été renplacée
par Mlle DURANCI dont nous
avons , conjointement avec le public , loué
& applaudi tant de fois l'action théâtrale ;
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
"
elle reçoit dans ce rôle des applaudiffemens
univerfels & dûs au feu , à l'âme ,
avec lefquels elle fait fentir tout ce que
le Poëte & le Muficien ont prétendu
mettre de pathétique dans une fcène de
Ballet , qui doit fervir de modèle en ce
genre , & dont l'Auteur a eu l'honneur de
la création. Tout le monde connoît l'Europe
Galante. On ne connoît pas moins aujourd'hui
les talens de M. L'ARRIVÉE. Ainfi
les lecteurs imagineront facilement le bon
effet que produifent dans le rôle du Sultan
la voix , la figure & le jeu de cet Acteur.
Le divertiffement de cet acte réunit avec
la pompe afatique la variété , la galanterie
& l'amufement , faits pour plaire à
toutes les nations. On ne fçauroit imaginer
rien de plus brillant & de plus agréable
en fpecctale , que de voir ces troupes de
Sultanes, toutes vêtues le plus galamment
dans le coftume exact du pays , defcendre
de leurs appartemens , par des perrons élevés
de plufieurs degrés , dans l'endroit des jardins
du Serrail , où les raſſemble l'ordre du
grand Seigneur & l'empreffement de contribuer
à fes plaifirs. Mlle GUIMARD
entièrement rétablie de l'accident dont
nous avons parlé précédemment , a reparu
à la tête des Sultanes , & a recu du public
par de nombreux applaudiffemens,la preuve
JUILLET 1766. 199
La plus flatteufe de l'intérêt qu'il a pris
à elle & du prix qu'il met à fes talens.
Le fecond divertiffement, qui termine cet
acte, fait le plaifir le plus vif aux fpectateurs.
Il eft compofé de Boflangis , d'Ieoglans ,
& de plufieurs autres Officiers domeftiqus
du Serrail. On en a multiplié le nombre
par une quantité de Compars habillés ;
enforte que cette multitude de Turcs ,
dont les vêtemens manifiques , & caractérifés
fùivant leurs diverfes fonctions ,
transporte , pour ainfi dire , au milieu du
Serrail.
M. CASSAIGNADE , baffe - taille , chante
les paroles franques fi connues : vivir ,
vivir , gran Sultana , &c. qui donnent le
ton & animent toute cette fête ; il s'en
acquitte avecl'applaudiffement général. On
a fort goûté , fur- tout , dans la façon dont
il joue le rôle de grand Boftangi , la
fuppreffion du bas comique dont on étoit
dans l'ufage de le charger autrefois . Le
même efprit a dirigé les figures & les
pas du Ballet , qui conferve le caractere
étranger qui lui convient , mais qui ne
retient plus rien de la farce employée à
propos dans le Bourgeois - Gentilhomme ,
& qui étoit fort déplacée dans cer acte
d'Opéra. Nous remarquons ces progrès du
goût dans le temps même où il court
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
tant de rifques fur d'autres théâtres foi-difant
lyriques , avec autant de plaifir qu'un
moralifte releveroit une grande & vertueuſe
action parmi un peuple qui avanceroit
à grands pas dans la perverfion . M.
LANI , M. LAVAL & M. DAUBERVAL
danfent dans ce Ballet , ainfi que M. BEATE
& M. MALTER . Chacun d'eux mérite
des éloges ; mais nous croyons les devoir
tous à M. DAUBERVAL qui , dans des pas
fort finguliers & d'un caractère qui paroît
tout-a- fait étranger , fait briller une adreffe
& une légèreté inconcevables . Non- feulement
il plaît , il éveille & foutient le plaiſir
du fpectateur par le jeu fpirituel qu'il
met dans fa danfe , mais il anime encore ,
il égaye tout le refte du divertiffement
auquel il femble ne ceffer de prendre part.
C'est le mérite , en ce genre , de l'acteur qui
joue la fcène muette. Nous croyons mal
fondée la remarque critique de quelques
gens qui accufent ce Danfeur de trop charger
, en cette occafion , le caractère de fa
danfe : ils ignorent fans doute que chaque
nation a , pour exprimer les chofes , des
manières & des geftes particuliers , auffi
naturels que fon ftyle & fon langage ; que
malgré ce que cela peut avoir de bizarre
ou de comique à des yeux étrangers , cela
ne fort point de la bienféance tant que cela
JUILLET 1766. 201
eft placé en fon lieu original ; & que tout ce
que fait ici ce Danfeur auffi ingénieux
qu'adroit , a pour bafe la manière de danfer
des gens du peuple parmi les Turcs.
Ainfi il feroit fort mal de céder au penchant
deceuxqui cherchent toujours quelque chofe
à retrancher fur le fentiment du plaifir ,
pour le donner à celui du petit orgueil de la'
cenfure. L'acte fe trouve bien terminé . Le
Sultan & la Sultane favorite fe retirent au
milieu des acclamations répétées de tout
ce qui a formé le divertiffement. C'eft
une remarque que nous devons à l'honneur
du Compofiteur de ce Ballet , en ce que
cela n'étoit pas auffi réguliérement arrangé
dans les précédentes repriſes.
Zélindor, ou le Roi des Silphides , troifième
partie de ces Fragmens , eft la plus
applaudie , & , fans contredit , celle que
le poéme & la muſique doivent faire regarder
comme le crayon du génie entre
les mains des grâces. Le choix & la conduite
du fujet , le ton des détails dans la
poéfie , le caractère aérien de la mufique
je ne fçais quoi de mystérieux dans la
mélodie & dans l'harmonie , tout enfin
fépare & diftingue des autres genres , celui
de cet ouvrage vraiment enchanteur.
Il eft trop connu pour en replacer ici l'extrait.
Lepoëme eft de M. DE MONCRIF, Lec
Iv
202 MERCURE DE FRANCE .
teur de la Reine , l'un des Quarante de
PAcadémie Françoife , &c. La mufique de
MM. REBEL & FRANCOEUR , Chevaliers de
l'Ordre du Roi , Surintendans de fa mufique
, & Directeurs de l'Académie Royale.
Mlle ARNOULD , qui chante le rôle de
Zirphé , femble être en effet une mortelle
diftinguée par tant de charmes , qu'elle
mérite d'enflammer un être célefte . On ne
peut pas chanter ni jouer ce rôle avec plus
de goût , de delicataffe , d'art & de fentiment
, en un mot , avec une expreffion
plus délicieufe & plus féduifante . Ce
n'eft point ici notre feule impreffion
ou celle de quelques partifans enthoufiaf
tes , qui nous dicte des éloges exagérés
c'est l'impreffion univerfelle des fpectateurs
, & c'eft la voix publique que nous
atteftons hardiment contre le foupçon de
T'hyperbole. On croyoit avec crainte que
cette actrice précieufe au théâtre , avoit
perdu de fa voix & de fes forces ; on en eft
agréablement détrompé dans ce rôle . Nous
avons dit précédemment qu'en général ,
fur tous les théâtres , les grands rôles faifoient
les grands acteurs. Je ne fais fi l'on
ne peut pas dire avec autant de vérité ,
particulièrement pour le théâtre de l'Opéra
, que ce font fouvent les rôles qui
font ou détruifent les voix . Un certain enJUILLET
1766. 203
chaînement heureux & analogue à l'action
la plus naturelle de l'organe , ne contribueroit-
il pas lui conferver fes forces ,
& à lui fournir les moyens de les foutenir,
même de les multiplier ? Si cela eft, la pratique
des modulations disjointes , des fons
efcarpés , auxquels il faut plutôt fauter que
monter ou defcendre , doit donner un effet
tout contraire au premier. On n'a pas befoin
de dire avec quelle efpèce de tranfport
Mlle ARNOULD eft applaudie dans
cet opéra. M. LE GROS partage l'honneur
du fuccès brillant de cet acte . Si l'on confidère
le peu de temps qu'il y a que cet
acteur eft dans l'ufage du théâtre , le
point d'où il eft parti , on doit trouver en
effet très -honorable pour le progrès de fes
talens , d'avoir pu fe faire applaudir dans
un rôle infpiré , pour ainfi dire , par l'art
du célèbre M. GELIOTE , qui l'a chanté le
premier , & auquel on n'imaginoit pas
pouvoir fuppléer . Les nuances fines & déficates
qu'exige le chant de ZELINDOR ,
& dont M. LE GROS a faifi une grande
partie , donnent les préfomptions les plus
favorables fur fon talent , s'il eft , comme
il y a lieu de le croire , affez fage pour
ne pas fe figurer que les éclats d'une belle
voix font tout le mérite d'un acteur de
l'Opéra ; & les plats éloges des petites co
I vj
204 MERCURE DE FRANCE .
teries de fociété , tout le prix qu'il doit
fe propofer d'obtenir.
Mlle DUBRIEULLE chante les airs déta
chés dans cet acte.
Dans le premier divertiffement , Mlle
GUIMARD danfe la principale entrée des
Nimphes. Dans celui des génies élémentaires
, Mlle PESLIN danfe les principales entrées
des Silphides, caractère dans lequel fe
diftingue auffi la jeune Mlle DUPERREI ,
'dont le Public continue d'encourager , par
fes applaudiffemens , les talens qu'elle offre
à fon admiration & ceux que fes rares difpofitions
promettent encore à l'avenir .
M. GARDEL , dont nous aurons toujours
à faire l'éloge , danfe dans les Gnomes;
M. LAVAL , dans les Salamandres.
LES Ballets du premier acte font de M.
LANI , ceux du fecond de M. LAVAL , &
ceux du troifième de M. LAVAL & de
M. LANI.
Quoique les décorations des fragmens
foient en général affez bien , quoique dans
d'autres tems elles euffent pu même mériter
des applaudiffemens de notre part , cependant
, relativement à la façon dont font
aujourd'hui décorés les opéras que l'on
met fur cette fcène , nous ne pouvons
nous difpenfer de reprocher quelques négligences
à cet égard dans celui - ci , notamment
dans les premieres fcènes de ZelinJUILLET
1766. 205
dor , où le payfage du fond n'eft nullement
d'accord avec celui des aîles du théâ
tre , ni pour le ton de couleur , ni même
pour l'efpèce des arbres qui paroiffent de
foles très- étrangers l'un à l'autre. On eft
étonné que l'on n'ait pas mis plus d'accord
entre le local de cette fcène & le
charme qu'elle préfente d'ailleurs. Le Palais
du Roi des Silphes eft plus conforme à
la grande & brillante image que préfente
le fujet ; il paroît néanmoins que l'idée en
a étéfuperieure à l'exécution , en quoi cet
Opéra différe beaucoup de celui qui l'a précédé
, puifque rien ne pouvoit être mieux
rempli que cette partie, dans laquelle on excelle
depuis quelques années fur ce théâtre.
Malgré ces légers défauts , les Fragmens
ont eu le plus grand fuccès & un concours
de fpectateurs, très - extraordinaire , dans la
faifon où ils font remis fur la fcène.
COMÉDIE FRANÇOISE.
ON a donné fur ce théâtre , dans le
courant du mois de Juin , en Tragédies ,
Héraclius de P. CORNEILLE , Adelaide du
Guefclin de M. DE VOLTAIRE , Phédre &
Hippolite de RACINE , Didon de M. LEFRANC
DE POMPIGNAN , Iphigénie en Aulide
de RACINE , l'Orphelin de la Chine de
206 MERCURE DE FRANCE.
M. DE VOLTAIRE. En grandes Comédies ,
Turcaret de LESAGE , l'Etourdi de Mo-
LIERE , le Philofophe fans le favoir ( redemandé
) de M. SEDAINE , l'Avare , de
MOLIERE , le Mifantrope , le Dépit amoureux
& le Tartuffe du même , le Diffipateur
de NÉRICAULT DESTOUCHES , le Légataire
de REGNARD , l'Irréfola de NÉRICAULT
DESTOUCHES , Amphitrion de Mo-
LIERE .
>
On a redonné fouvent auffi , avec de
grandes Pièces , celle de Dupuis & Def
ronais ( par M. COLLE ) , pour laquelle la
fenfibilité des fpectateurs & le talent des
acteurs paroiffent également inépuifables .
Sans en regretter moins Mademoiſelle
PREVILLE qu'un long & fâcheux
affoibliffement de fanté rend abfente du
théâtre , & du rétabliffement prochain de,
laquelle on a lieu de fe flatter , Mademoifelle
D'ESPINAY a donné des efpérances de
progrès qui ont été applaudies du Public ,
& qui doivent lui infpirer l'honnête & -
modefte émulation qui , loin de faire trop
préfumer , encourage à redoubler d'efforts
pour corriger les défauts qu'on peut
avoir, & acquerir les qualités qui manquent.
JUILLET 1766. 107
COMÉDIE ITALIENNE.
ON a donné fur ce théâtre les Pêcheurs ,
Comédie nouvelle en un acte , mêlée d'ariettes
. La mufique de cette Pièce , qui a
été continuée pendant plufieurs repréfentations,
eft de M. F. G. GoSSEC . On trouve
cette Pièce imprimée à Paris , chez Vente ,
Libraire ,, montagne Sainte Geneviève
le prix eft de 24 fols avec la mufique .
On a toujours continué avec un égal
fuccès les réprefentations de Tom Jones.
;
CONCERT SPIRITUEL,
LE Concert Spirituel du 29 Mai , jour de la
Fête - Dieu , a commencé par Exultate Deo ,
nouveau Motet à grand choeur de M. l'Abbé
Dugué , Maître de Mufique de l'Eglife Royale
de Saint Germain - l'Auxerrois. Ce Motet a été
fort bien exécuté & a eu un véritable fuccès ,
d'autant plus flatteur pour M. l'Abbé Dugué , que
cette production a réuni les fuffrages des gens de
l'art , des connoilleurs & des perfonnes qui ne
peuvent juger que par fentiment . Des chants
également heureux & propies aux verlets du
pfeaume que l'Auteur avoit choifi ; des choeurs
208 MERCURE DE FRANCE.

favans & mélodieux ; un enſemble agréable , har
monieux & concis : tel eft le nouvel ouvrage qui
confirme l'idée avantageufe que l'on avoit déja
des talens de M. l'Abbé Dugué , qui nous procurera
fans doute d'autres occafions de rendre juſtice
à fon métite .
Après ce Motet les Muficiens de S. A. S. Mgr.
le Prince de Condé exécutèrent différens morceaux
choifis du célèbre Rameau.
Enfuite Mlle Rozet chanta Diligam te Domine ,
Motet à voix feule de M. d'Auvergne , qui n'avoit
point été entendu depuis plus de deux ans , & qui
fut très- vivement applaudi , comme il le mérite.
M. Hochbrucker , de la Mufique du Prince
Louis de Rohan , exécuta fupérieurement plufieurs
pièces de harpe , dont le public fut on ne peut
pas plus content.
M. Tirot , de l'Académie Royale de Mufique ,
chanta , pour la feconde fois , Coronate flores ,
avec cette voix aimable dont nous avons dernièrement
rendu compte , & qu'il eut encore occafion
de faire entendre dans un récit du charmant
Motet de M. l'Abbe d'Haudimont , Memento Domine
David , qui termina ce Concert ,
où une
affemblée brillante & nombreuſe pour la faifon
fit l'accueil le plus favorable , fingulièrement à
M. Tirot , dont en conçoit beaucoup d'efpérance
& qui certainement répondra , par fes progrès
dans la mufique & dans l'art du chant , aux encou
ragemens qu'il a reçus , & qui doivent le faire
redoubler de zèle & de cette émulation bien entendue
qui conduit aux grands fuccès.
JUILLET 1766. 209
SPECTACLES DE PROVINCE.
AVIS de l'Auteur de l'Article des Spectacles
.
LE defir d'étendre , autant qu'il eft poffible ;
d'une part , l'émulation dans ceux qui cultivent
les talens dramatiques , d'autre part , l'intérêt du
Public pour ces mêmes talens , nous avoit engagés
à inviter les perfonnes de Province , en état de
rendre compte des divers théâtres établis dans
quelques Villes principales , à nous faire part de
leurs obfervations ; mais nous avions fait conditionnellement
cette invitation, en priant de vouloir
bien 1. ne prendre ce foin que pour des choſes
qui puffent faire objet de curiofité & d'intérêt
au-delà du lieu où elles fe paffent & du cercle
qu'elles occupent . C'eft une des raiſons qui ne
nous ont pas permis fouvent d'inférer les lettres
que l'on nous a fait l'honneur de nous adreſſer ;
nous prions les Auteurs de ces diverfes relations
de n'imputer notre filence en ces occafions ni à
négligence ni , encore beaucoup moins , à aucune
forte de dédain .
2. Nous avons plufieurs fois répété dans nos
Journaux que nous ne ferions aucun ufage des
lettres , ou entièrement anonymes pour nousmêmes
, ou , ce qui revient au même , fignées
feulement de lettres initiales . C'est ce qui nous
empêche d'inférer ici un avis adreffé à mon
Confrère , M. DE LA PLACE , quoiqu'il pût être
d'une très- grande utilité , par l'exemple qu'on y
210 MERCURE DE FRANCE.
préfente de la conduite honnête , des moeurs réglées
& de la concorde qui règnent parmi des
Comédiens établis dans une de nos Villes de Province
; mais dans cette même lettre , on y apprécie
des talens on les compare , on les balance avec
quelques- uns de ceux de la Capitale. Seroit- il
prudent de ne pas exiger de garant en pareil cas ?
Nous avons été fidèles à conferver l'anonyme
pour le public , à ceux qui nous en prefcrivent la
condition ; nous le ferons toujours également
mais nous demandons que l'on le faffe connoître à
nous fans équivoque , afin d'être en état de prouver
au moins , dans les occafions forcées , aux perfonnes
intéreffées à certains articles , que nous n'avons
point emprunté le mafque de l'anonyme pour
hafarder des faits conteftés ou notre propre jugement
fur les objets dont on auroit a fe plaindre.
Nous mettrons au jour , avec plaifir , une autre
lettre , datée de Lyon , qui remplit les conditions
requifes , & qui fert à relever la gloire d'une des
plus eftimables productions du théâtre moderne .
Cette Lettre fera dans le Mercure prochain.
SUPPLÉMENT à l'Article des Théâtres.
I L paroît une feconde édition de la
Tragédie de Régulus en trois actes par M.
DORAT. Nous avons fait connoître cer
ouvrage , qui n'a point été répréfenté , dans
le temps que parut la première édition .
Comme elle fut promptement enlevée ,
cela a donné lieu à l'Auteur de profiter
JUILLET 1766. 211
dans cette feconde , qu'il a retardée , des
confeils qu'il a recueillis pour corriger ce
que les obfervations de fes amis & les
fiennes propres lui ont indiqué de défectueux
; enforte que les beautés qui étoient
déja dans cette Pièce , & qui lui avoient
mérité le fuccès d'un auffi prompt débit ,
font actuellement dans un bien plus beau
jour. Nous de doutons pas de l'empreffement
des lecteurs , à fe la procurer & de
T'applaudiffement qu'ils donneront au foin .
que nous prenons de leur en donner avis.
On retrouve auffi dans cette édition la
lettre de l'Auteur au Solitaire du Guélaguet
, qui a été & qui doit être toujours fort
goûtée des amateurs de cette littérature
qui affortit les fleurs des Mufes à la folide
vérité de la philofophie & de la faine critique.
Le même Auteur , pour fatisfaire au
voeu de beaucoup de gens qui defirent &
follicitent vivement une collection complette
de fes oeuvres , a fait imprimer
Théagène , Tragédie en cinq actes , repréfentée
fur le théâtre françois en 1762 .
Il faut lire le difcours préliminaire qui
eft à la tête de cette Pièce pour bien. connoître
la façon de penfer de M. DORAT
fur lui-même & fur les autres . Ce difcours
eft écrit dans ce ton léger & uniquement
propre à cet Auteur , dans ce ftyle qui ,
212 MERCURE DE FRANCE .
fans négliger la plus délicate élégance ,
refpire la molle & agréable facilité de
l'homme du monde inftruit & éclairé , &
de l'homme de lettres le plus aimable. II
eft bien éloigné de vouloir défendre fa
Pièce contre le jugement de ce qu'il appelle
les cinq cents Arifiarques , quijugent debout
les productions théâtrales . Il n'en appelle
point , il fe croit bien jugé & ne veut
point oppofer des raifons qu'il croiroiť
trop foibles au torrent de la multitude.
Le dépit d'un Ecrivain , ajouteM. Dorat,
immolé au goût , ou fi fouvent au caprice
des fpectateurs , reffemble affez à la fureur
d'un amant quitté qui murmure &
s'emporte contre la perfide qu'il regrette.
Commefi le Public & une jolie femme devoient
ou pouvoient rendre compte de leur
conduite. C'est un crime de leur déplaire ,
& les droits de leur fouveraineté ne font
point fujets à difcuffion. L'Auteur que l'on
fiffle & l'amant que l'on chaffe font plus
fots de moitié quand ils fe plaignent.
Tel eft le ton qui règne dans tout ce
difcours , de dix- huit pages in- 8° , & que
certainement tout lecteur regrettera de voir
finir.
Cet Auteur convient de bonne foi qu'il
s'eft trompé fur le choix de fon fujet , en
le prenant dans un roman où il convient
que la prévention lui ferma les yeux fur
JUILLET 1766. 213
l'échafaudage des aventures , l'invraifemblance
des moyens , & fur - tout fur cet
enfantillage de fentimens qui reffort mal
dans le grand cadre du théâtre. Il demande
grace pour cette Pièce en faveur des détails
, & nous , nous demandons juftice à
cet égard , perfuadés que les lecteurs auront
grand plaifir à fe mettre à portée de la rendre
; car il eft tout autrement de l'effet
d'une Pièce au théâtre à celui du repos &
du filence du cabinet . Celle - ci eft précifément
dans le cas de ces parures de pierres
de couleurs qui , malgré leur afſortiment ,
perdent beaucoup de leur effet aux grandes
affemblées & confidérées en maffe , mais
qui deviennent infiniment agréables à l'oeil
qui les détaille tranquillement:nous croyons
au moins que c'eft l'effet que produira fur
les autres la lecture de cette Tragédie, ainſi
qu'elle a fait fur nous .
Les deux Pièces dont nous venons de
parler font in- 8° , c'eft -à-dire , du même
format , du même caractère & avec les
mêmes ornemens typographiques qui enrichiffent
l'agréable collection des oeuvres
de M. DORAT & quelques autres ouvrages
imprimés dans ce goût chez SÉBASTIEN
JORRY , Imprimeur - Libraire rue & visà-
vis la Comédie Françoife.
Il doit paroître inceffamment du même
Auteur un Poëmefur la déclamation. Nous
214 MERCURE DE FRANCE.
(
nous emprefferons d'en donner avis aux
lecteurs. Notre impatience fur cette production
eft d'autant mieux fondée , qu'il
ne peut réfulter que d'excellentes leçons ,
dans l'art de rendre le fentiment , de la
main d'un Poëte qui paroît en fentir fi
vivement toutes les délicateffes , & qui le
fait toujours préfenter fous des couleurs
auffi agréables qu'elles font en même temps
yraics & touchantes.
N. B. Il nous paroît important pour le Public
qu'il foit informé d'une Ordonnance de Mgr. le Duc
de Choifeul , du 13 Avril dernier , qui renouvelle ,
fuivant l'intention du Roi , d'anciennes difpofi
tions touchant lés poftes , c'eſt - à - dire , qui défend
aux Maîtres des Poftes de la Ville de Paris &
des lieux où le Roi fera fon féjour , & de celles des
environs de ladite Ville & lieux , à douze lieues à
la ronde , de donner des chevaux aux Couriers
extraordinaires fans un ordre du Roi , ou unè
permiflion du Grand - Maître & Surintendant
général des Poftes ; & aux Maîtres des Poftes
des Villes frontières du Royaume & autres , à
douze lieues à la ronde , de donner pareillement
des chevaux à aucun Courier fans une permiffion
fignée du Gouverneur , Commandant où Lieute
nant de Roi deſdites Villes , frontières & autres
Places les plus proches de la Pofte où le Courier
fera dans le cas de prendre des chevaux , &c .
ERRATA DU MERCURE DE JUIN 1766...
Page 129 , ligne 17 , la préface , qui eft de
M. Cavary , Médecin de Rochefort : lifez , de
M, Savary, Médecin du Roi à Breft,
JUILLET
1766.
215
APPROBATIO N.
J'AI lu
' AI lu , par ordre de
Monfeigneur le Vice-
Chancelier , le
premier
volume du
Mercure du
mois de Juillet 1766 , & je n'y ai rien
trouvé
qui puiffe en
empêcher
l'impreffion . A Paris , ce
Juillet 1766.
GUIROY,
TABLE
DES
ARTICLES,
ARTICLE
PREMIER,
PIECES
FUGITIVES EN VERS ET EN
PROSE,
ARTICLE II.
NOUVELLES
LITTÉRAIRES .
SUITE UITE des
Lettres
originales de Henry IV. P. f
ANECDOTE de
Henry IV.
: 1
Les deux chiens , conte imité de
l'Allemand. 20
MADRIGAL à Mlle d'Abr***.
EPITAPHE de
Stanislas , Roi de
Pologne,
EPITAPHE de
Frederic V , Roi de
Danemarck.
TRADUCTION du
Stabat
Mater
dolorofa.
21
22
Ibid.
23
27
UNE Dame dit
l'équivalent de ce vers
d'Horace : 25
REMERCIEMENT de M.
Hardouin ,
Secrétaire
perpétuel de la Société
Littéraire
d'Arras . 26
ETRENNES à la Souris , petite
chienne.
VERS pour mettre au bas du
portrait de Mlle F.3
LETTRE. à Mde d'Ef......... fur les
devoirs.
A Mde de P****** Abb... de... & c.
ESSAIS d'une
traduction en vers de
l'Anti-
Lucrèce , du
Cardinal de
Polignac,
3I
47
48
216 MERCURE DE FRANCE .
LES trois Boffus , Conte en vers.
ESSAI fur l'ajustement des Angloifes.
55
72
QUATRAIN fur le portrait de M. de Sartine. 77
VERS propofés pour une eftampe .
ENIGMES.
LOGOGRYPF ES.
Ibid.
78
79
8I BOUQUET à Thémire.
ARTICLE II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LETTRE des Auteurs du Journal Encyclopédique
à M. de la Place.
POÉTIQUE de M. de Voltaire.
DICTIONNAIRE de Chymie .
LES Sens , Poëme . Second extrait.
82
971
110
118
131
135
155
INSTITUTS de Chymie , ou Principes élémentaires
de cette fcience .
LA Pharfale de Lucain , traduite en françois
par M. Marmontel.
ANNONCES de Livres .
ARTICLE III . SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
SOCIÉTÉ Littéraire d'Arras .
ACADÉMIE S.
177
MECHANISME de l'Electricité continuelle de
notre globe . 179
ARTICLE IV. BEAUX ARTS.
ARTS UTILE S.
GÉOGRAPHIE .
1.89
ARTS AGRÉABLE S.
ECOLES gratuites de deflein. 190
GRAVURE.
193
MUSIQUE.
170
ARTICLE V. SPECTACLES
OPÉRA .
195
COMÉDIE Françoiſe.
205
COMÉDIE Italienne .
207
CONCERT Spirituel .
Ibid.
De l'Imprimerie de LOUIS CELLOT , rue,
Dauphine.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU RO I.
JUILLET 1766.
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
Cochin
Silius inv
Papillon Sculp
A
PARIS ,
JORRY , vis- à-vis la Comédie Françoife.
PRAULT , quai de Conti.
Chez DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue du Foin.
CELLOT , Imprimeur, rue Dauphine,
Avec Approbation & Privilege du Roi.
י ו
AVERTISSEMENT. J
LEE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
J
2.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer
francs de port , les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie littéraire ,
à M. DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols ;
mais l'on ne payera d'avance en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols piece.
>
Les perfonnes de province auxquelles
enverra le Mercure par la Pofte ,
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront d'autres voies que
la Pofte pour le faire venir , & qui prendront
les frais du port fur leur compte
ne payeront comme à Paris , qu'à raison
de 30 fols par volume , c'est- à- dire , 24 liv.
d'avance , en s'abonnant pourfeize volumes.
A ij
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci - deffus.
On Supplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la Pofte , en pay ant le droit,
leurs ordres , afin que le paiement en foit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis
refteront au rebus .
On prie les perfonnes qui envoient des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix .
Les volumes du nouveau Choix des Pièces
tirées des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Cette collection eft compofée
de cent huit volumes. On en a fait
une Table générale , par laquelle ce Recueil
eft terminé les Journaux ne fourniffant
;
plus un affez grand nombre de pièces pour
le continuer. Cette Table ſe vend fépa rément
au même Bureau , où l'on pourra fe
procurer quatre collections complettes qui
reftent encore moyennant 130 livres chacune
brochée , d'ici au premier Août , paffé
lequel temps elles vaudront 170 livres s'ilen
reſte .
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET
1766.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
SUITE desLettres originales de HENRYIV,
tirées des manufcrits légués par M. le
Comte D'ARGENSON , à M. le Préfi
dent HENAULT.
TRENTE-CINQUIEME "LETTRE *.
Mon coeur , il n'eft ryen furvenu de
nouveau depuys le partement de Maraval ,
fynon que ce quy reftoyt de l'alons , fan
font rerournés an Flandres fans que le Duc
* En 1590.
A iij
6 MERCURE
DE FRANCE.
Dumeyne ayt eu pouvoyr de les arrefter ;
les Reytres an ont fayt de mefmes , quy
ont efté prefque tous dévalyfés par les leurs
mefme. Le Léguat veut tréter afteure de
la pays ; il ne ce parle plus des coumunycatyon
; croyés que je ne mandormyré pas
an fantypelle. Je me porte très-bien , Dieu
mercy , vous aymant comme le pouryés
fouhéter. Vous auryés pytyé de moi fy me
voyyés , car je fuys fy acablé dafayres ,
que jan fucombe fous le fays. Aymés moy
comme celuy quy ne changera jamays de
volonté anvers vous . Ceft affes dyt. Je béfe
un mylyon de foys vos beaus yeux.
TRENTE- SIXIEME LETtre .
MAD
ADAME , jay byen reconneu que vous
aués efté par dela où vous vous eftes employée
pour mon ceruyce , auffy je fauoys byen
que votre préfance y eftoyt très-néceffere.
Defpuys quynfe jours au ca les forces de
France & d'Efpagne fe font afrontées &
Dieu a voullu que ces brauaches fan font
retournés auec honte. Le Cardynal uynt
pour cecouryr cefte Place finyeufemant
& yl fan eft retourné honteufemant fans
ryen fére. Demayn nous antrons dans la
JUILLET 1766
Place , & yncontynant après je me remés
aus chams avec mon armée pour amployer
ce reſte de moys & le prochayn. Sy Dieu
benyt mon labeur , comme je lefpère &
lan prye , nous aurons de quoy les brauer.
Je mande à Gramont , puys quyl n'eft plus
néceffere par dela , de me venyr trouver ,
car yl peut tousyours aprandre près de moy,
& mon naturel eft de laymer. Jay une
eſtreſme anuye daller fére un tour an Anjou
& Bretagne pour ranger le Duc de Merqueur
à la réfon. A Dieu , Madame , je
vous béfe les mayns. Ce xxi me Cétambre
au camp Damyens.
HENRY.
Au dos à Madame la Comteffe
de Guyfche.
JAY
TRENTE SEptieme Lettre.
AY receu tout ce que maués anuoyé ,
que je tyendrés comme je le doy. Dieu
ceft auec quelle joye jay receu votre lettre .
Afteure conféfés -vous que vous auyés anvye
de maflyger. Je vous ay tousjours
aymé auec toute perfectyon ; mon amour
eftøyt fondée ſur vous & fur vos vertus
A iv
8 MERCURE DE FRANCE .
ces deux pylyers anfamble font hors de
ruyne. Leffons ceft dyfcours , le fort en eft
jeté , il ny doyt plus auoyr de doubte antre
nous. Je me porte très bien du cors , trauerf
fé de lefpryt comme la féfon le veut , ayant
affyegé un chateau au commancemant par
faym , puys la contraryeté de tems ayant
préjudycyé à mon défeyn . Quoique votre ....
vous a dyt , jay efté contraynt de my ambarquer
à bon efyant , je doubte de lyfue ,
la fefon meft fort enemye , & les enemys ,
fefant tous leurs efors de fafambler pour
macabler ; ce quy an reufyra vous fera toftmandé
par la voye de Marfan puyfque le
voulés. Ayfyn , Dieu quy a tousjours bény
mes labeurs , me donnera peut eftre meylleure
yfue que je ne lefpére , ceft pourquoy
voyés ma feur plus fouuant que ne felyés.
Je fayt quyl ny a poynt de danger de luy
dyre tout , elle vous an aymera myeus ,
luy ayant dyt quyl faut quelle le face. Le
Conte de Soyfon dyt que lon parle fort
de fon mariage auec Mademoyfelle .....
Il nye davoyr efté amoureus d'Effa ; bien ,
dytyl , quon la eſté de luy . Les Etas neftoyent
poynt ouuers hyer xvii me doctobre.
Lon parle dyuerffemant de leur tenue.
Hyer catorfe cheuaus de la troupe de Boullée
, menés par fon Lyeutenant , rancontrerent
la meylleure compagnie de CheJUILLET
1766.
vaus- Légers de Merqueur, la defyrent & ne
fan fauua que troys de trante lances quyls
eftoyent. La plupart des notres eftoyent
défarmés, ne panffant aucunemant à enemy.
Leur chefeft pryns.Des notres le... eſt bleſſé
& huyt Jantylshomes ; le moyndre a catre
coups tous dépée, més nul nan mourra . Dans
deus jours je vous defpêcheré un couryer
& feré auffy fogneus de fcauoyr de vos. . ..
que je defyre fcauoyr des votres. Je manuoys
à la tranchée. A Dieu, monâme, je te
béfe & rebéſe un myllyon de foys . Ce xviii.
Jay refté à Arfac deus jours depuys la
lettre efcryte , panffant aprandre quelque
chofe de nouueau.
TRENTE- HUITIEME LETTRE * .
ON MON Mon cher coeur , je fus tout hyer ampefché
à la réception de M. le Duc de Mantoue
, quy eft certes un honefte Prynce &
le plus courtoys du monde . Je pance le
mener Mardy à Saint- Germain. Nos brouylons
font bien alertes & me font fonder
de tous côtés . Ces fames font fort mauuéfes
; mes elles ne treuue plus doreylles à
ma fame pour eus , quy me demande des
nouuelles de notre filz auec foyn , & quelle
A la Marquife de Verneuil en 1608 .
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
croyoyt que uous an auyés etté bien an
péne. Yl y a long- tamps quelle ne vous
auoyt nommée fans rougyr que ce coup-là ,
car elle ne montra nulle émotyon & parlames
long tamps de toutes ces brouylleryes.
Je me porte bien , Dieu mercy , vous
aymant plus que vous ne fétes à moy , car
ceft fans reftrynctyon , ny modyfycatyon ,
comme vous. Bon jour , mon tout , je te
béfe un mylyon de foys. Je te prye ne me
parle plus de demayns.
TRENTE- NEUVIEME LETTRE .
MON
ON cher coeur , ce ne font poynt les
dévotyons quy mont ampefché de vous
efcryre , car je ne pance poynt malfére de
vous aymer plus que chofe du monde ,
mays ceft que je ne fuys treuvé fy mal ,
quan fortant des fervyces yl me fayloyt
mettre au lyt demy mort ; & pour achever
de me peyndre , le jours de Paques * je
touché douſe cens fynquante malades , &
hyer je preyns médecyne , quy ne ma pas
ce me famble fort profyté , car yl y a huyt
jours que je ne dors poynt , & le fanc fy
échaufé , que je fuys an perpétuelle yn-
* Pâques fur le Avril l'an 1608.
JUILLET 1766. If
quyétude. Demayn je feré fégné . Dès le
foyr je vaus manderé de mes nouvelles ;
bien dès afteure vous puys dyre que vous
êtes mon cher coeur , que je béfe un mylyon
de foys.
Q
QUARANTIEMe Lettre .
U ANT vous refufés de faire ce que
je vous prye , toutes vos belles paroles ne
me fatisfont poynt ; je les treuve tousjours
contréres aus éfets. Ce neft pas dafteure
que jay cette opynyon ; mais vos defportemans
my confyrment de plus an plus.
Pour le jubylé vous le pourrés auffy bien
fayre auec votre Curé qu'ycy , car yl eft
général. Je vous donne le bon foyr & vous
béfe les mayns.
*
QUARANTE - UNIEME LETTRE.
MⓇEs chers amours , je ne vous voyré
poynt donc qu'après lacouchemant de ma
fame. Jauoys desja pourveu aus aféres
dont mavés efcryt pour Labé de Clugny.
Yl neft poynt malade. Je manuoys demayn
* Paul V publia un jubilé le Septembre 1608.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
courre le ferf. Mon filz d'Orléans a efté
fort mal aujourd'huy d'un fort vyolant
accès de fyeure , quy luy a fyny par un
grand vomyfemant. Yl ce porte fort bien ,
Dieu mercy , afteure , comme auffy fayt
tout le refte de mon ménage. Bon foyr ,
mon cher menon ; je te donne le bon foyr ,
& te béfe & rebéfé un mylyon de foys.
QUARANTE-DEUXIEME Lettre.
M
ON cher coeur , je montré arfoyr
votre lettre à ma fame , luy demandant
aduis de ce que je vous refpondroys . Je
la reguardoys au vyfage pour voyr fy jy
voyrrés de l'émotyon quant elle lyfoyt
votre lettre , comme dautres foys javoys
veu quant lon parloys de vous. Elle me
répondyt , fans aucune altératyon , que
jétoys le mettre , que je pouvoys ce que
je vouloys , mays quyl luy fambloyt que
je devoys vous contanter an cela. Tout le
refte du foyr elle fut fort joyeufe & par-
James par reprynfes de vous , & me dyt ,
ryant , que fy la Prynceffe de Conty luy
avoyt veu lyre votre lettre elle feroyt bien
anpéne , car elle fe tourmantoyt tellemant
de tout , quelle ne s'esbayfoyt fy elle
JUILLET 1766. 13
eftoyt auffy mefgre. Anuoyés donc votre
carroffe & ce quyl faut pour les mener.
Yls feront Mercredy à Chalyot , nayant
voulu quyls demeuraffent à Parys pour les
flus de fanc quy y courent. Januoyeré
quelqun de mes Jantylshomes auec eus.
Le Duc de Mantouë nous vyent voyr yncognyto
auec carante chevaus de pofte ;
yl cera le vynteunyeme de ce moys ycy .
Comme nous retournerons à Parys , je le
vous manderé pour ranuoyer nos marmots
à Saint - Germayn. Aymés- moy bien , mon
cher coeur , & je vous jure que vous l'ettes
de moy autant que vous le fûtes jamays.
Je vous donne le bon foyr , & un mylyon
de béfers.
QUARANTE-TROISIEME Lettre .
VOU
la
Ous dytes que vous ne fcavés plus
que fayre pour me contanter , & uous ny
aués pas feulemant éſayé , ny reſpondu à
premyere playnte que porte ma lettre .
Vous ettes une moqueufe , & au partyr
de là , vous dytes que vous me connoyffés
bien. Vous vous ettes fy mal treuvé de
me voulloyr mener à la baguéte que vous
vous devryés eftre fayte fage. Vous me
14
MERCURE
DE FRANCE.
menaffés de vous an aller à Verneuyl
Faytes ce quyl vous pléra ; fy vous ne maymés
pás , je feré fort ayfe de ne vous poynt
voyr fy vous dytes maymer , fan eft un
mauués témoygnage que de fan aller quant
jarryue. Je voyrré donc par cette actyon
quelle vous étes. Je feray Jeudy à Parys ,
auffy mal fatisfayt de vous , fy vous ne
changés de ftylle , que je fus jamays . Sur
cette véryté , je vous béfe les mayns.
QUARANTE -QUATRIEME LEttre.
Vous vouseftes mefpryſe dans votre letde
ne
tre , car vous dytes que je fuys votre cher
coeur & que vous nétes pas le myen. Je ne
vous otys jamays ryen , & vous maués pryvé
de tout ce que vous pouuyés ; voylà une
réfon où yl ny a poynt de refponce. Nalanbyqués
poynt votre efpryt à an chercher
, car yl vaut myeus ce tére que
dyre ryen quy vaylle. Pour moy , je vous
ayme fy chéremant , que moy- mefmes ne
me fuys ryen au prys . Je le vous jure , mes
chers amours ; mays me pancer nourryr
de pyerres , après mauoyr donné du payn ....
jugés mon âge , ma calyté , mon efpryt
& mon afectyon , & vous ferés ce que
JUILLET 1766 . 15
ne faytes poynt. Bon jour , mon tout , &
un mylyon de béfers.
IMITATION des penfées de Sainte THERÈSE
, fur le jour de la naiſſance de la
REINE.
C'éroir dans ce beau jour , qu'aux accords de
leurs voix ,
De célestes efprits , une troupe choisie ,
Sur l'autel des parfums , pour la première fois ,
A confacré le nom de l'augufte Sophie.
Ainfi , notre bonheur a commencé fon cours ;
Favorables efprits , étendez- en la chaîne :
Que vos divins concerts éternifent les jours
De la plus chère & la plus digne Reine.
MONCRIF, Lecteur de SA MAJESTÉ.
16 MERCURE DE FRANCE.
COUPLET chanté en préfence de S. A. S.
Mgr. le Prince DE CONDÉ, à lafin du
Maréchal Ferrant , à Valenciennes.
Α VEC ardeur , braves guerriers ,
Moiffonnez toujours des lauriers ;
Vous favez qu'aux champs de la gloire ,
Tout Bourbon eft Chef & Soldat.
Si Condé vous mène au combat ,
Sûrs , avec lui , de la victoire ,
Tôt , tôt , tôt ,
Battez chaud ,
Tôt , tôt , tôt ,
Bon courage ,
Ayez toujours coeur à l'ouvrage.
F. DE LÀ PERRİERE:-
1
JUILLET 1766 . 17
COMPLIMENT des Grenadiers de la Gar
nifon de LILLE , à leur Général , Mgr.
le Prince DE CONDÉ , àfon paffage le
24 Juin 1766.
Si la langue étoit un outil
Qu'on pût monter comme un fufil
Mon Général , en beau langage ,
Je vous ferions un compliment ;
Mais je n'avons pas ce talent.
Nature , pour notre partage ,
A bien voulu nous accorder
L'obéillance & le courage ,
2
Comme à vous l'art de commander.
Pour mériter votre fuffrage ,
Pendant l'été , pendant l'hiver ,
Dans la plaine , ou dans la cazerne
En vrais enfans de la giberne ,
Nous allons patiner le fer .
Bourbonnois , Piémont , Normandie ,
Les Dragons , la Cavalerie ,
A l'envi nous nous efcrimons :
Mon Général , je pelotons ,
Mais c'eſt en attendant partie.
Lorfque CONDÉ nous mènera ,
Nous offrons bifque à qui voudra
>
18 MERCURE DE FRANCE.
Sous les ordres vienne la guerre ;
Vive CONDÉ nos Grenadiers ,
Toujours exercés à lui plaire ,
Ajoûteront à fes lauriers.
Par M. PASCAL , Capitaine de Grenadiers
au Régiment de Piémont.
A M. DE LA PLACE , auteur du Mercure
de France.
L'INTÉRÊT qu'il y a , Monſieur , de conferver
dans toutes fa pureté le vrai goût
de la faine littérature , & une utile critique,
n'eft pas fans doute l'unique objet
du Mercure de France : la manière , dont
cet ouvrage eft fait par vous , nous annonce
de votre part un but encore plus noble ,
& plus relevé : je me perfuade que tout ce
qui peut tendre à l'entretien de ce feu facré
,
, que l'amour de la gloire rendoit fi
précieux à nos pères , eft un titre pour y
être admis .
Ce n'eft , Monfieur , qu'à ce titre feul ,
que j'ofe vous demander dans le Mercure
une petite place pour la lettre & la pièce
françoife qui fuivent : ouvrage d'un Militaire
, qui fans avoir de prétention à la
JUILLET 1766. 19
poéfie , a toujours cru , contre l'exemple
de fon fiècle , devoir à la langue latine
une partie des momens de loifir que fon
métier lui laiffe . Diſpenſé malgré lui , de
fervir fon pays , par une réforme que le
bien de l'état lui fait fubir fans murmurer ;
ce Militaire ne croira jamais l'être de fervir
la vertu & les moeurs.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Paris , ce 16 Juin 1756 .
D ***
A M. le Comte DE MONTMORENCYLAVAL
, âgé de treize ans.
MONSIEUR ,
LA gloire qui vous regarde comme
fon bien propre , goûta une joie bien douce
en voyant vos fuccès dans l'exercice
militaire , que vous avez foutenu à treize
ans avec tant de talent & de grâces devant
une affemblée auffi illuftre que nombreufe
.
Les leçons qu'elle vous donna ce même
20 MERCURE DE FRANCE.
jour dans la langue des Horaces & des
Scipions, par la main de M. l'Abbé Guyot,
me parurent dignes d'elle , & de vous.
J'ofe prêter aujourd'hui la mienne pour
vous les rendre dans notre langue natu
relle ; mais je ne me croirois pas digne de
fon fuffrage , fi j'en étois copiſte fervile .
Voici , Monfieur , la pièce la latine , & la
françoife : jugez vous - même , fi tout au
deffous que je fuis de l'élégant ouvrage de
M. l'Abbé Guyot , j'ai mérité ce reproche.
Trop heureux , Monfieur , fi dans ce
petit hommage que je rends aux muſes ,
bien moins encore qu'à vous , vous voulez
bien voir une foible marque de l'amitié
, & de tous les fentimens qu'il eſt impoffible
de vous refufer pour la vie , avec
lefquelles j'ai l'honneur , &c .
Paris , ce 16 Juin 1766 .
Par le même,
JUILLET 1766. 21
A M. le Comte DE MONTMORENCYLAVAL
, âgé de treize ans , fur un exercice
foutenu par lui au College Mazarin
le 6 Février 1766.
O DE ,
IMITEE de l'Ode latine de M. l'Abbé Guyot ,
Profeffeur audit Collège , compofée fur le même
fujet , & diftribuée dans l'affemblée qui affifta
audit exercice.
SAVANTES filles de mémoire ,
Accourez ; & vous , Dieu des vers ,
Pour affurer votre victoire ,
Préparez vos brillans concerts.
Par les doux fons de votre lyre ,
En ce jour foutenez la voix
D'un tendre Elève qui n'afpire
Qu'à faire triompher vos loix.
A fes voeux , de votre fuffrage ,
Mufes , tout promet les douceurs ;
Ses talens , fa grâce , ſon âge ,
Sont le gage de vos faveurs.
Du docte laurier du Parnaſſe
Venez ceindre fon jeune front ,
Et , d'avance , marquez fa place
Sur le fommet du double Mont.
22 MERCURE
DE FRANCE
.
Mais fur la cîme menaçante ,
De mille rochers fourcilleux ,
Quel palais pompeux le préfente
Et touche la voûte des cieux ?
Quelle redoutable cohorte ,
Des monftres les plus inhumains ,
Sans ceffe veillant à la porte ,
Par-tout en défend les chemins ?
Je vois l'infâme calomnie ,
L'amour ( écueil des plus grands coeurs ) !
Le trépas , la haine , l'envie ,
En faire un théâtre d'horreurs .
Par eux , dans les profonds abymes ,
Pour prix d'incroyables travaux ,
Je vois des milliers de victimes
Périr fur les pas des héros .
N'en doutons point , de tels fpectacles
Annoncent la gloire à mes yeux ;
La vertu feule , fans obftacle ,
S'ouvre ce temple radieux ;
Ce temple où , près de la Déeffe ,
Et fur mille lauriers affis ,
Entre Bellone & la Sageffe ,
Brillent tous les Montmorency.
Séjour , où bientôt fur la trace
De tes magnanimes ayeux ,
Laval , digne en tout de ta race ,
Tu vas t'élever avec eux.
JUILLET 1766. 23
Déja de la fage Minerve
Ton coeur docile entend la voix ;
Le haut rang qu'elle te réſerve
Peut honorer les plus grands Rois.
Déja de ta tendre jeuneſſe
Secondant les nobles tranſports ,
Je vois tous les Dieux du Permeſſe
Vers elle guider tes efforts ;
Que dis-je , avides de l'étendre ,
Des cieux j'apperçois fur tes pas
Tous les Dieux en foule defcendre ,
Excepté le Dieu des combats.
Ainfi donc , frémiffant de rage ,
( Dit-il une ingrate maiſon ,
Quand la grandeur eſt mon ouvrage ,
Dédaigne mon culte & mon nom !
Ainfi d'un Enfant , l'efpérance
D'un peuple fier & belliqueux ,
Les plus beaux jours vont pour la France
Se perdre en ces frivoles jeux !
L'art de renverfer des murailles
Fut- il jamais l'art d'Apollon ?
Celui de gagner des batailles
S'apprend - il au facré vallon ?
De leur pays fi tes ancêtres ,
O mon fils , furent les remparts ,
Ils n'eurent jamais de tels maîtres ;
Tous leurs exploits font dûs à Mars.
24
MERCURE
DE FRANCE.
Que par fes frivoles ramages
Le timide Chantre des bois ,
Au fein des tranquilles bocages ,
Faffe briller fa foible voix ;
Mais l'aigle fuperbe & rapide
Doit porter la foudre des Dieux ,
Et par fon courage intrépide ,
Etonner la terre & les cieux.
Crois - moi , laiffes - là cette lyre ,
Les chaftes Soeurs , & leurs appas :
Prens mes traits ; un puiffant Empire
T'appelle... & réclame ton bras ;
Avec Mars vole à la victoire ,
Monte fur mon char , à ton tour ;
Efface , s'il fe peut , la gloire
Des héros dont tu tiens le jour.
O mon fils au nom de mes larmes ,
Répondit Minerve à ces mots ,
De l'inflexible Dieu des armes
Fuyez les dangereux drapeaux.
Il peut , à travers mille orages ,
Rendre vos jours plus glorieux :
Mais fi Minerve a vos hommages
C'est pour les rendre plus heureux.
Condé , Fréderic & Turenne ,
Céfar , & tant d'autres guerriers ,
Ont fouvent des eaux d'Hyppocrène
Arrofé leurs fanglans lauriers,
Si
JUILLET 1766. 25
}
Si jamais la main de Bellone
Donna des honneurs immortels ,
C'eſt quand la mienne la couronne
Des guirlandes de mes autels.
Des traits de fa foudre enflammée ,
Le Dieu qui régit l'univers
N'a pas toujours la main armée ;
Le printemps renaît des hivers.
Enfin la nature refpire ;
· Et l'aquilon , fuyant les mers
Céde au doux fouffle de zéphire
Le paisible empire des airs.
Vils mortels , dont l'âme Alétrie
Sous le poids d'un honteux repos ,
Opprobre de votre patrie ,
Frémit au feul nom de travaux ;
C'eft à vous de craindre les Mufes
Et leurs immortelles chanfons :
Votre honte vous fert d'excuſes ;
L'avenir apprendroit vos noms.
Mais vous , mon fils , qui de la France
Etes né pour fixer les yeux ;
Vous , dont la noble impatience
Brûle de fuivre vos ayeux ;
Vol. II. B
26 MERCURE DE FRANCE.
Pourriez -vous des dons du génie
Dédaigner la célébrité ?
Eux feuls mettront à votre vie
Le fceau de l'immortalité. ·
L'aveugle & féroce courage ,
Seul , a perdu bien des Etats.
Le plus grand héros le partage
Avec le moindre des foldats.
Mais une valeur éclairée ,
Dont je régle tous les deffeins ,
De l'Europe en vain conjurée
Peut braver tous les Souverains.
Faut- il aux annales obfcures
De la fufpecte antiquité ,
Rechercher les preuves trop fûres
De cette grande vérité ?
Non.... Voyez ce Roi qu'en mon temple
Tous les beaux arts ont couronné ,
Dans le Nord en donner l'exemple
Aux regards du monde étonné.
Voyez dans les plaines fanglantes
De Laufeldt & de Fontenoy ,
Par moi trois nations tremblantes
Fuir à l'aſpect de votre Roi.
Du François , quand je fuis fon guide ,
Yoyez la valeur , en trois mois ,
JUILLET 1766. 27
Soumettre en fa courfe rapide
L'Elbe & le Wefer à fes loix.
Mais , hélas de votre patrie
Retraçant ici les fuccès ;
Dois- je dans votre âme attendrie
Réveiller de juftes regrets !
Faudra-t- il toujours voir la gloire
Coûter des larmes aux vainqueurs ?
Et dois - je peindre une victoire ,
Source éternelle de vos pleurs
Dieu trop fatal à cette race !
Ta main , pour la gloire des lys ,
Ne fera-t-elle jamais laffe
D'immoler des Montmorencis ?
Mon fils , que rien dans la carrière
N'arrête vos pas généreux ;
Cueillez la palme héréditaire ,
Prix des travaux de vos ayeux.
Sur ce temple , immortel partage
De tant de héros glorieux ,
Que leurs vertus , que leur courage
Attachent fans ceffe vos yeux !
Apprenez de ces grands modèles ,
Que pour jouir de tant d'honneurs ,
Vers ces demeures éternelles
Il n'eft aucun chemin de fleurs.
Bij
MERCURE DE FRANCE.
Mon fils , interrogez l'hiſtoire ,
Les temps , les peuples & les moeurs ;
Vous apprendrez d'eux que la gloire
Toujours vendit cher fes faveurs :
Qu'on ne fixe point fa tendreſſe
Entre les bras du doux repos ,
Et que du fein de la mollelle
Jamais ne nâquit un héros.
Si dans la France confternée ,
O Mars ! rallumant tes fureurs ,
Ta main , de la paix fortunée
Venoit lui ravir les douceurs :
Que Laval te prenne pour guide ,
Dieu cruel ; mais dans les combats ;
Permets que ma puiffante égide
Par-tout le couvre fur tes pas.
Par M. D *** . Capitaine au Régiment
de Cavalerie de Conty.
JUILLET 1766. 29
1
DIALOGUE DES MORTS.
SCIPION L'AFRICAIN , LE CONNETABLE
DU GUESCLIN.
Du Guefclin.
Il y a long- temps que je vous cherche ;
j'ai toujours été votre admirateur : de tous
les héros que célèbre l'hiſtoire , vous êtes
le feul à qui j'aie fouhaité de reffembler ,
& j'ai toujours tâché , quoique de trèsloin
, de fuivre vos traces.
Scipion.
Je reçois avec reconnoiffance ce que
vous me dites de flatteur ; la vanité fuit
les hommes jufques dans la nuit du tombeau
; elle tient à leur être : les louanges
qu'on ne recherche pas plaiſent toujours ,
fur-tout lorfque celui qui les donne a luimême
un mérite fupérieur. Mais comment
le peu que j'ai fait eft- il parvenu juſqu'à
vous ?
Du Guefclin.
Quel Général ne connoît pas vos campagnes
d'Espagne , & vos difpofitions dans
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
cette célèbre journée , qui , par la deftruction
de Carthage , affûra à Rome la conquête
de l'univers ? Quelle gloire pour
vous d'avoir vaincu ce fameux Annibal ,
la terreur du nom Romain ! Et quelle
audace à lui , dans la conférence que vous
eûtes enfemble en Afrique , d'avoir ofé
prendre le pas fur vous ! La poftérité en a
jugé bien autrement ; elle vous a vengé.
Il fuffit de nommer Scipion , pour donner
l'idée de celui qui pofféde au plus haut
degré toutes les vertus civiles & tous les
ralens militaires.
Scipion.
Mon étonnement redouble ; on m'avoit
affuré que la France étoit plongée dans les
ténébres de la barbarie , & Annibal y eft
connu on y étudie notre langue ! on y
a réduit en principes l'art de la guerre !
voilà qui ne s'accorde point avec les rapports
qu'on m'a faits.
Du Guesclins
Charles V , furnommé le Sage , à fi
jufte titre , mon maître , mon bienfaîteur ,
a fenti de quelle importance étoit la culrure
des lettres dans un grand Royaume ;
il les a appellées dans le fien.
JUILLET 1766. 31
Scipion.
Il eft certain que les talens naturels ne
rendent qu'autant qu'on les cultive ; je
n'ai jamais compris qu'on pût être quelque
chofe , & bien moins encore Général , fans
étude . L'art de la guerre tient à tant d'autres
, fuppofe & demande tant de connoiffances
, qu'il ne fera jamais le partage de
la feule bravoure . Alexandre, lifoit & relifoit
Homère ; Pyrrhus étoit favant ; quelles
connoiffances ne poffédoit pas Annibal ?
Et Céfar ?
Du Guefclin.
Scipion.
J'ai appris depuis que je fuis ici , qu'il
avoit été le deftructeur de fon pays. Le
glaive que la patrie avoit mis dans fes
mains , il l'enfonça dans le fein de cette
même patrie ; tout fut immolé à fon ambition
effrénée. Il faut pourtant convenir
qu'il eft & fera toujours le modèle de
l'homme de guerre. Les commentaires qu'il
a laiffés font une fource inépuifable d'inftructions
il y a développé avec autant
d'élégance que de précifion ces principes.
A iv
3,2
MERCURE DE FRANCE.
féconds & lumineux qu'il favoit fi bien
mettre en pratique.
Du Guefclin.
Si je profitai de quelques-unes de fes
leçons à la bataille de Cocheret , je fus
moins heureux à celle d'Auray & en Efpagne.
Scipion .
Nos malheurs ne font fouvent que nos
fautes ; vous combattiez en Efpagne pour
un rebelle qui vouloit détrôner fon Roi :
le ciel devoit-il bénir une pareille entreprife
?
Du Guefclin.
Mais n'avez-vous pas remarqué comme
moi , que les guerres injuftes font prefque
toujours couronnées du fuccès ? C'étoit une
raifon pour efpérer la victoire. Quels droits
avoit Sémiramis fur l'Afie , Alexandre fur
les Etats de Darius , les Romains fur ces
nations innombrables qu'ils ont foumifes
à leurs loix , Mahomet fur l'Arabie , Guillaume
I fur l'Angleterre , les deux Edouards
fur l'Ecoffe , les Arabes fur l'Efpagne ?
Scipion .
Cette réflexion eft très jufte. Je pourrois
JUILLET 1766. 33
pourtant objecter en faveur des Romains ,
que leurs victoires ont apporté par degrés
la lumière dans l'univers. Ils ne fubjuguoient
les peuples que pour les policer.
Du Guefclin.
Dites pour les corrompre. Les Gaulois ,
nos ancêtres , ces peuples fi vaillans , fi robuftes
, fi pleins de franchife & d'honneur ,
une fois fubjugués , ne furent plus que de
miférables fi efclaves , fans force , fans
vigueur dans l'âme , ne délibérant que fur
le choix des maîtres. Toujours prêts à tendre
les mains aux fers dont on vouloit les
charger , ils furent tour à tour la proie des
Gots , des Vifigots , des Francs & des Normands.
Scipion.
J'ai pourtant oui dire qu'ils furent l'inftrument
des victoires de Céfar ; rien n'eft
d'ailleurs plus naturel. Les Romains perdirent
leurs vertus avec la liberté. Les
nations prirent les moeurs de leurs maîtres ,
cela devoit être. Mais revenons à mon
principe : la guerre que vous fîtes en Eſpagne
étoit injufte ; elle fut malheureufe.
Les exemples que vous avez cités prouvent
feulement que les événemens ne fe règlent
B V
34 MERCURE
DE FRANCE .
pas fur l'équité ; mais certainement quand
les chofes ne font que ce qu'elles doivent
être , tout n'en va que mieux. Ce Pierre
premier pouvoit être cruel ; mais convenez
qu'on l'avoit furieufement outragé.
Une furie implacable qui arboroit partout
l'étendard de la rebellion , une femme
infidèle dont les amours étoient publics ,
les fils de la maîtreffe de fon père cabalant
ouvertement , & pris les armes à la main
contre leur frère , leur Roi , leur Souverain
Seigneur , ne méritoient-ils pas la mort ?
Le Prince de Galles ne me paroît jamais fi
grand que lorfqu'il rétablit fur le trône cet
infortuné Monarque. L'héroïfine peut- il
s'allier avec l'injuſtice ?
Du Guefclin.
D'accord ; mais nous autres fujets , que
pouvons- nous lorfque le Monarque commande
? L'obéiffance eft notre première
vertu. Quand la République vous ordonnoit
d'aller faire la guerre à un Roi à qui
on ne reprochoit fouvent que fes richeffes
& l'étendue de fes Etats , vous obéiffiez
fans réplique.
Scipion.
Sans doute ; auffi n'ai - je garde de vous
JUILLET 1766..
35
blâmer. Il me fuffit de vous avoir fait convenir
que les chofes fortent de leur cours
naturel , lorfqu'une guerre injufte eft couronnée
du fuccès .
Du Guefclin.
Quel bonheur pour l'humanité , fi l'avenir
pouvoit ne voir que des guerres
juſtes !
Scipion.
La chofe eft malheureufement impoffible
. Etabliffez fur la terre l'empire de
l'équité , vous détruirez le germe de la
guerre .
Du Guefclin .
Laiffons donc aller le cours des chofes ,
auffi-bien tous nos defirs feroient fort inutiles.
Les guerres , d'ailleurs , ont par fois
leur utilité : ce font des médecines violentes
qui rétabliffent le calme dans la
fociété , en la délivrant des efprits inquiets
& féroces qui ne la troublent que trop
fouvent.
Par M. DE MONTAGNAC , Capitaine
au Régiment de recrues de Riom.
B iv
36 MERCURE DE FRANCE.
A S. A. S. Mgr. le Prince DE LOVENSTEIN
, Prince régnant de VERTHEIM ,
Honoraire de l'Académié des Sciences.
D ' U NE main libérale & chère ,
Je reçois un précieux don.
C'eſt une belle tabatière :
Tout autre que moi diroit , bon!
Je l'ouvre , je cherche , j'efpère-
Y voir le portrait fouhaité
De l'ami de la vérité ,
D'un Prince chéri dont l'image ,
Les connoiffances , la candeur ,
L'efprit & les vertus du fage
Sont gravés au fond de mon coeur.
Du fini de ce riche ouvrage
Quel oeil ne feroit fatisfait ?
Je treffaille ; mais quel dommage !
Je n'y vois point votre portrait.
O mon Prince ! ce feul bienfait ,
( En traçant ces mots , ma main tremble )
Pour moi des mines du Pérou
Eût valu les tréfors enſemble,
Ce defir , dira- t- on , eft fou.
JUILLET 1766. 37
1
Il eft fage en toute manière ;
Et mon bonheur feroit complet. ...
Je conferve la tabatière ,
Et j'irai chercher le portrait.
L ***. F***.
COPIE de l'Epitaphe qui fe trouve gravée
fur une tombe dans le choeur de l'Eglife
Paroiffiale de COURTAVON , Village
appartenant à MM. les Comtes DE
WIGNACOURT , en Haute- Alface , du
côté de l'évangile du maître autel.
"
MIRA hic vide, viator ( 1 ) ,
-Septem mundi miraculis
Majora in terra'
Calum feptem ftellas
Sub hoc lapide latentes
In celo micantes
Liberi funt ,
Hamana carne liberi
- Septem filii & filia perilluftrium Domini
ANTONII A WIGNACOURT & Domina LUDOVICE
DE VARS.
Laudate pueri Dominum.
* On a fuivi dans cette copie la meſure des lignes de
l'original
38 MERCURE DE FRANCE.
Nous François - Jofeph - Antoine Hell,
Bailly du Comté de Montjoye , certifions
d'avoir collationné & trouvé la préfente
épitaphe conforme à ce qui eft gravé fur
la tombe ci -deffus.
le
Fait à Courtavon , en l'églife paroiffiale,
Mai 1766. D'HELL .
23
ANECDOTE traduite de l'Anglois .
VERS la feconde année du gouvernement
de Richard II , Roi d'Angleterre ,
qui régna fi malheureuſement , c'est- àdire
, en 1383 , il ſe paffa dans ce Royaume
un événement qui préfente un beau
trait d'honneur & de fidélité . Le voici
tel qu'il eft configné dans l'Hiftoire :
Dans les guerres que les Anglois eurent
à foutenir contre les Efpagnols , fous la
conduite du fameux Edouart ,, furnommé
le Prince Noir * , deux braves Ecuyers ,
nommés Robert Haule & Jean Scakel ,
avoient eu le bonheur de faire prifonnier
le Comte de Dena , Grand d'Espagne..
Il leur avoit rendu les armes de bonne
foi , & les avoit fuivis en Angleterre..
* C'eſt le même qui gagna la bataille de
Poitiers & qui facilita la prife de Calais.
JUILLET 1766. 39
Peu de temps après il traitá avec eux de
fa rançon , partit pour aller chercher en
Efpagne de quoi y fatisfaire , & leur laiſſa
fon fils aîné pour ôtage. De retour en fa
patrie, le père ne fongea plus à fa rançon ,
& mourut peu de temps après. Sa mort
fit paffer tous les honneurs & toutes les
charges dont il étoit revêtu fur la tête du
jeune ôtage , qui étoit toujours en Angleterre.
Le Roi Edouard , qui régnoit alors ,
& le Prince fon fils , folliciterent vivement
les deux Gentilshommes de relâchér cet
Eſpagnol , par le moyen duquel on eſpéroit
que le Duc de Lancaftre , troisième fils
d'Edouard , trouveroit des facilités pour
parvenir à la Couronne de Caftille , fur
laquelle il avoit des prétentions. Mais
les deux Gentilshommes , loin de laiffer
partir leur prifonnier , ne voulurent pas
même découvrir l'endroit où ils le tenoient
caché. Le Roi , indigné de leur refus , les
fit refferrer dans la tour de Londres , d'où
ils trouverent le moyen de s'échapper , &
de fe refugier dans l'Abbaye de Weftminf
ter , qui , comme toutes les autres maifons
religieufes , étoit alors un afyle inviolable.
Ils y refterent jufques à ce que le Duc de
Lancaftre, ayantappris le lieu de leur retraite
, forma le deffein de les en faire fortir.
Il envoya pour cette effet cinquante
40 MERCURE DE FRANCE.
hommes d'armes , qui s'emparèrent de
Scakel , & le traînèrent pour la feconde
fois à la tour. Quant à Robert Haule , il
s'étoit retiré au fond de l'Eglife vers l'autel
,, où il étoit entouré & défendu par'
les religieux ce qui n'empêcha point les
foldats , après l'avoir fommé inutilement
de les fuivre , de l'attaquer & de le poignarder
au pied de l'autel même .
graves
L'Archevêque de Cantorbery , averti
de ce qui s'étoit paffé , lança fur l'heure
les foudres de l'excommunication tant contre
ces violateurs du fanctuaire que contre
le Roi même , la Reine - mère , les oncles
duRoi, & notamment le Duc de Lancaftre.
Cette affaire , au bout d'un an , ayant pour
tant été arrangée par le crédit de
& vénérables perfonnages , il fut convenu
que Scakel fortiroit de la tour ; qu'il découvriroit
où étoit le Comte de Dena &
le nettroit en liberté fous condition
que le Roi lui donneroit des terres pour
la valeur de cent marcs de revenu annuel ,
lui paieroit cinq cents marcs comptant pour
tenir lieu de la rançon fi long-temps attendue
; & qu'en outre , Sa Majefté , pour
réparation du tort fait à l'Eglife , fonderoit
à perpétuité une Communauté de fix
Prêtres , chargés de prier pour le repos de
l'âme du martyr que fes Officiers avoient
JUILLET 1766. 41
la
maffacré. Mais lorsqu'il fut queftion , de
part de Scakel , de repréfenter fon prifonnier
, on fut bien étonné de le retrouver
dans la perfonne du domeftique qui fervoit
depuis long-temps ce même Gentilhomme
Anglois , & qui malgré la dureté
"de fon maître , non feulement n'avoit
point voulu manquer à la parole qu'il lui
avoit donnée , mais l'avoit conftamment
& fuivi & fervi , tant dans la tour de
Londres que dans l'Eglife , où il avoit été
forcé de chercher un afyle conjointement
avec Robert Haule.
LAS
PORTRAIT.
As de ne vous offrir que de foibles couplets ,
Pour vous chanter , ô ma Thémire !
D'un ton plus haut je veux monter ma lyre ,
Et ce n'eft rondeaux ni fonnets .
Que même ici j'entreprends de vous faire ,
Mais de tracer votre portrait.
Ma foi c'eft être téméraire :
En y penfant je renonce au projet.
Si vous étiez un objet ordinaire ,
Peut- être , frottant mon cerveau ?
Je pourrois à la fin efquiffer le tableau,
42 MERCURE
DE FRANCE.
Mais vous chanter , c'eft chanter tous les charmes,
Tous les talens unis à la vertu :
C'est trop pour moi , j'abandonne les armes,
Mais je fens relever mon courage abattu ;
Un Dieu vient m'inſpirer.... c'eſt l'Amour....
il m'ordonne
De ranimer mes timides accens.
Je t'obéis , Amour ! Soutiens mes chants ,
Et fais que Thémire pardonnet
Si mon pinceau , par de trop foibles traits ,
Va plutôt profaner que peindre les attraits .
Pour la former , l'Amour & la Nature
Employèrent tous leurs talens :
L'Amour lui donna la figure ,
Les tendres agrémens ,
Air gracieux , beau teint & belle bouche ,
Regards faits pour tout enflammer ,
Bras faits au tour , enfin tout ce qui touche ;
Rien n'épargna le Dieu qui fait aimer
Pour orner fa beauté nouvelle.
A l'aimable Thémire ayant donné le jour ,
Amour , ravi de la trouver fi belle ,
Dans les yeux fe logea . Sur les pas de l'amour ,
Les jeux , les ris , accoururent près d'elle.
Pour habiter cet aimable féjour ,
Grâces bientôt délogèrent Cyth ère ;
Si bien qu'on crut que de fa mère
JUILLET 1766. 43
Amour vouloit abandonner la cour.
De fon côté , Nature orna fon caractère
D'efprit , de douceur , d'enjoûment ;
Et , pour rendre l'ouvrage encore plus charmant ;
Lui fit un coeur plein de droiture ,
Où règne la fimplicité ,
En défendit L'entrée à l'impofture ,
Lui donna la vertu moins farouche que pure ,
Que femble encor accroître la gaîté ,
Lui .... mais en vain je prétendrois décrire
Tout ce qui plaît en ma Thémire ;
Mon efprit étonné du nombre des objets ,
Jamais n'épuifera d'auffi riches fujets.
Par M. B. D. B....
EPITRE fur l'utilité de la fatire. Par
M. MATON.
Ego fi rifi quod ineptus
Paftillos Rufillus olet , Gorgonius hircum ,
Lividus & mordax videor tibi.
PAR
Horat.
AR quel abus les méchans & les fots.
Font - ils le mal , errent - ils en repos ?
N'ófe -t-on plus , ami de la droiture
Des moeurs du temps hafarder la peinture?
44
MERCURE DE FRANCE .
Et rougit- on d'entretenir l'honneur
Qui d'un état confirme la grandeur ?
C'eſt donc depuis qu'avec l'art de médire
Les médifans confondent la fatire ,
Et que le vice , au plus haut point porté ,
S'accroît encor de fon impunité ?
O fiècle ! ô jours ! fi féconds en maximes ,
En théorie , en documens fublimes
Pour qui le nom d'honneur ou de vertu
N'eft que trop vague , & fouvent rebattu ;
Permetttez - vous qu'une Mufe ftoïque
Monte fa lyre au ton de fa logique?
Qu'il foit banni de la fociété ,
Qu'il foit , dit- on , à jamais d'éteſté ,
Le bel-efprit qui , fâcheux par fyftême ,
Nous décrira pour fe louer lui-même.
Quoi qu'on en dife , intégre & citoyen ,
Un fatyrique eft un homme de bien :
S'il fe pouvoit qu'un peuple en fon enfance
Cherchât au loin fa frêle fubfiftance ,
Qu'avec tranfport il béniroit la main
Qui , féparant le baume du venin ,
Lui marqueroit tout ce que la nature
Sage & conftante offre à fa nouriture !
Tel eft l'objet du cenfeur éclairé ;
Un'eft fervent que pour l'homme égaré :
JUILLET 41
1
1766.
D'un mot plaisant , ou d'un trait fatirique ,
Il force au bien que la morale indique ;
Se faifant craindre , il éclaire nos pas :
La loi commande , & ne raifonne pas.
Chez des humains yvres de flaterie ,
De tous les temps la fatire avilie
Range le fage à côté du méchant ,
Lorfque fon oeil veut percer trop avant.
Qu'une leçon dans le fecret nous pique ,
Elle révolte alors qu'elle eft publique.
Comment peut - on , jaloux de fon erreur
Baiſer la main qui nous perce le coeur ?
Le bel emploi (de l'orgueil dont nous fommes)
Que de reprendre , & d'inftruire les hommes !
Témoins les fruits que moiffonne Rouffeau ,
De fon Vitam impendere vero.
Eft-on toujours pour y voir mieux qu'un autre,
De la raiſon le martyre & l'apôtre ?
L'humanité demande des heureux ,
Et l'art d'en faire eft un préfent des Cieux
Mais on a beau terraffer l'impofture ,
On jouit peu du bien que l'on procure :
Il eft d'ingrats un nombrè illimité ,
Et mille erreurs pour une vérité.
Quoique ces vers admettent la fatire ,
La bienséance en rétrécit l'empire.
Qu'est-il befoin , pour la gloire des fots ,
Qu'un Ecrivain fe ruine en bons mots ?
46 MERCURE
DE FRANCE
.
Ou qu'un forfait , abhorrant la lumière ,
Soit par humeur tiré de la pouflière ?
La voix publique aime la chaſteté ,
Et le vrai zèle atteint l'utilité :
De Juvenal les portraits font infâmes ;
Ne fouillons pas dans les replis des âmes :
Il eft des coeurs juſques là corrompus ,
Que n'émeut point l'exemple des vertus ;
Mais effayez de leur créer des vices ,
Les voilà prêts d'en faire leurs délices.
Un crime occulte eft prefque indifférent 3
Qui fe perd feul , eſt à peine un méchant.
Pour peu qu'un mal devienne épidémique ,
Pour l'arrêter , il n'eft qu'un fatirique ;
Un ennemi de l'ordre , un impofteur ,
S'il eft puiffant , doit exciter l'horreur ;
Il faut fur lui déployer le farcafme
Et le glacer dans fon enthouſiaſme :
De fes noirceurs vient- il à fe
parer ,
C'est un Typhon qu'il faut d'éfefpérer.
Tel d'un arrêt s'ofe targuer & rire ,
Brave le Ciel , qui craindra la fatire .
Elle a produit de furprenans effets ;
Elle a de Guife arrêté les excès ( 1 ) ;
( 1 ) On fait que la multiplicité des écrits répandus dans
la Sicile , par les partifans du Roi contre le Duc de Guife ,
mirent un frein puiffantaux entreptifes or gueilleufes de cet
homme,
I
JUILLET
47 1766.
Et Maffei , par ſa forte ironie ( 2 ) ,
D'affreux duels a purgé l'Italie.
Que mon coeur s'ouvre aux pleurs des malheureux
,
Sentant leur fort , je parlerai comme eux :
Leurs maux divers m'arracheront des larmes ;
Leur défeſpoir me fournira des armes :
Je ne verrai
qu'oppreffeurs & tyrans ;
Que des petits les victimes des grands ;
Que l'ingocence & l'orphelin timides
Triftes jouets de juges trop avides ;
Que la faveur couronnant de ſes mains ,
De vils flateurs , l'opprobre des humains :
Ce ne fera que haine & préfidie ;
Qu'ambition de flots de fang nourrie ;
Que novateurs , que de faux citoyens ,
Que des docteurs s'égorgeant pour des riens ;
Que des favans , dont la philoſophie
Verſe en leur fein le poiſon de l'envie.
Ils font , hélas ! ces oracles du temps ,
Peu lumineux , & jamais confolans.
Lorſqu'un héros qui reſpire la guerre ,
De fes fujets fe fait nommer le père ;
Qu'un autre érige en maxime d'état ,
Qu'un trône ouvert excufe l'attentat ;
( 2 ) Il eft certain que le ridicule amer jetté par le
Marquis Maffei , fur l'ufage barbare des duels , dans fon
traité Della Scienza Cavalleresca , produiſit en Italie des
effets furprenans.
MERCURE DE FRANCE.
Que s'uniflant à des femmes perdues ,
Des grands encor fe placent dans les nues ;
Que tel aux fiens refufe des fecours ,
Qui rifque au jeu fa fortune & fes jours ;
Qu'aux yeux de ceux qui ne favent l'attendre ,
L'or n'avilit que quand il le faut rendre :
Le Ciel m'eût- il départi fa douceur ,
Le fiel alors furnage dans mon coeur :
Il faut du moins qu'en bonne politique ,
Faute de loix , la fatire s'explique :
Dans un Etat il eft contagieux
Qu'à ces tableaux s'accoutument les yeux.
Quelque rumeur que la fatire excite ,
On ne la craint que lorsqu'on la mérite .
Malheur à ceux qui la comptent pour rien :
L'horreur du mal fait l'éloge du bien.
Alcide expire & les monftres renaiſſent :
Boileau n'eft plus , & les fots reparoiffent.
Mais de cenfeur , pour s'arroger le droit ,
Il faut , dit - on , foi- même marcher droit ,
Et qu'innocent des vices qu'on réprime ,
De victimaire on ne foit pas victime.
Eft- ce aux Lays à nous parler d'honneur ?
Aux Arétins , d'un Dieu jufte & vengeur ?
Soit & mon but , en me mêlant d'écrire ,
Eft qu'on m'eftime,& non pas qu'on m'admire.
Si je nommois , je veux l'être à mon tour.
J'ai deux acteurs ; c'eft le peuple & la cour.
Que
JUILLET 1766. 49
Que dis-je encor ? Il faut , pour être juſte ,
Blâmant Cinna , s'enrouer pour Auguſte
Et compofer , d'un ftyle fec & dur ,
En temps & lieu des odes fur Namur:
Que rifque- t- on ? Pour une apologie
Mille fujets dérident mon génie ;
Etre à l'affut de l'orgueil & du fat ,
C'est ce qu'obferve un Auteur par état .
Mais il faut rire ; ennemi de la joie ,
Aux vers rongeurs on est toujours en proie ;
Tout eft chaos quand le ciel eft obfcur ;
Tout le corrompt quand le vale eft impur,
Ami lecteur , j'ai banni mon fcrupule ;
Pour peu qu'un vice offre de ridicule ,
Il n'eſt pour lui , ni trêve ni traité :
Salvien , dit- on... . Dieu même a plaifanté (3 ) .
Boileau nommoit & bravoit la tempête s
Boileau pourtant avoit une âme honnête.
Dans leurs palais , s'il vifitoit les grands ,
Se piquoit - il d'y brûler de l'encens ? '
Moins protégé fans doute & moins fertile ,
En d'autres mains fon art peut être utile .
Mais quant aux morts , ils ne rougiffent plus .
Et les tombeaux regorgent de vertus .
Des torts vivans parcourons la carrière ,
Sans nous morfondre à rimer en arrière ;
Examinons , l'optique eft fous nos yeux .
( 3 ) Les Ecritures & les Saints Pères font pleins de traite
plaifans & d'ironies , qui l'emportent , pour la force , fur
la déclamation on me difpenfera de les citer , il y en a trop.,
Vol. II.
MERCURE DE FRANCE.
Tout eft pigmée & veut atteindre aux cieux ;
A fa befogne on met tant d'importance ,
Qu'on croit feul être un perfonnage en France :
Auffi ne vois -je en nos jours dépravés
Qu'artiſtes peints & que magots gravés.
Contre les grands jour & nyit on déclame ;
En vain ils font fans principes , fans âme :
Leurs détracteurs , ces frondeurs éternels ,
Mourant de faim pour fe rendre immortels )
Sont les premiers , féduits par des carreffes ,
'A s'adoucir , à chanter leurs foibleffes.
Il faut d'un grand , en diffamant les traits ,
Défefpérer de le louer jamais.
Mais c'en eft trop , Mufe , pour un chapitre ;
Et fouviens-toi que tu fais une épître :
Des maux réels de ce monde moral
Nous n'avons pas entrepris le journal ,
Dis feulement , avec quelque juftice ,
Que la fatyre eft le fléau du vice ;
Qu'en fait de moeurs & de bons réglemens ,
Dix vers heureux font plus que vingt pédans ;
Qu'un Juge inftruit ne fauroit la profcrire ;
Que fous Trajan on permit de tout dire s
Et que depuis loix , édits & fermons
Sont à-peu-près tirés du même fonds.
Dans un moment où l'eſprit de vertige
Renverfe tout & s'écrie au prodige ,
1
JUILLET 1766. SE
Que ferviroit un Moliere nouveau ,
Si , refferrant fon génie au berceau ,
On l'aftreignoit au mérite affez mince
De mettre en jeu des défauts de province ?
Du plus grand homme on feroit un flatteur ,
Et... Je me tais pour n'avoir pas d'humeur.
LE mot de la première Énigme du premier
volume du Mercure du mois de
Juillet eft l'illufion . Celui de la feconde
Enigme Logogryphe eft falot , qui , d'un
côté , eft une lanterne où l'on met deux
chandelles pour éclairer pendant la nuit ,
& qui , dans un autre fens , fignifie un
fat , un ridicule , un mauvais plaifant , un
plat bouffon. Les trois membres de ce
nom , qu'on voudroit avoir , c'eft le lot ,
& les trois qu'on voudroit étriller eft le fat.
Celui du premier Logogryphe eft marteau :
on y trouve mer , rame , mât , rue , rateau,
ut, ré , rat , muet , eau , Maure , rameau
& Rameau ( Muficien ) . Celui du ſecond
eft fouvenir , dans lequel on trouve Sire ,
Roi , nous , vous , Sion , ruë , bien , urne
fein , rofe , ours , venir , or , urine , foir ,
Sion , Ville d'Afie, Evron , Ville du Maine,
Rouen en Normandie , Oife , rivière en

C ij
52 MERCURE DE FRANCE .
France , Rie , ifle du Poitou , Ino , Io . Ses
huit pieds font différens , puifque la prononciation
de l'u & de l'v eft différente.
ENIGME S.
Air : Réveillez - vous belle ', &c.
JE fuis d'une taille légère ;
J'ai le corps prefque tranſparent ;
Je paffe pour être la mère
Et du plaifir & du tourment.
Je ne fuis guères fans compagnes ;
Chacune d'elles vaut fon prix.
On me voit peu dans les campagnes :
De moi les grands font plus épris.
Me livrer à qui me defire
Eft mon ordinaire façon :
Mes amans font comme en délire ,
J'en tire de l'or à foifon.
Pour jouir de ce que l'on aime
On rifque , & fouvent il en cuit ;
Je cauſe joie ou peine extrême
A qui palle avec moi la nuit.
Par M. le CH. H...
JUILLET 1766.
53
BOUTS - RIMÉS EN ÉNIGME.
JE fuis composé de deux
Je fais l'amuſement des
Quelquefois celui du
mot's ·
· •
fots ,
· •
génie.
• manie
Eh dans quelle étrange
N'ai - je pas plongé l'
Je fuis une aimable
Sinonyme de mauvais
C'est moi qu'un Poëte
Par une piquante
Joua dans une
·

· •
univers ?
folie
vers.
• •
pervers,
• · • ironie
Comédie ;
Paiffe-t-il être après fa .
Pour avoir montré mes
Bien houfpillé dans les .
vie
. travers

enfers !
Par le même.
J
LOGOGRYPHES.
' ÉTOIS membre d'abord d'un animal glouton ,
Utile aux payfans de plus d'une manière ;
Mais des cruels humains la rage carnacière
M'a fait perdre & la vie & ma forme & mon nom.
C iij
$4 MERCURE DE FRANCE .
"
Ma dépouille aux auteurs eft d'un très- grand ufage,
Et je fuis en ragoût un mêt fort délicat .
De tout mon compoſé je te donne l'état :
C'est tout ce que je puis . Pour t'aider davantage ,
Je comporte un légume , & cette paffion
Qui jadis fit périr le fils de Télamon ;
Item des Procureurs le ruineux grimoire ;
Un titre glorieux fouvent porté fans gloire ;
Ce qu'on ne feroit point fans le fecours des yeux ;
Une invifible maffe ; un jour bien précieux ;
Trois rivières en France ; un fleuve dans l'Afrique ;
Un Pape fort célèbre & fameux politique ,
Qui frappa d'anàthême & Luther & les fiens ;
Ce qui fait des Etats le plus grand des foutiens ;
Le féroce animal qui feul manque à la Chine ;
Un poiſſon ; une vache ; un oifeau de cuifine ;
Deux articles ; deux tons ; une bête à chaffer ;
Et ce que fans effort le froid ne peut percer ;
Tu trouveras auffi le gourmet Patriarche
Qui nous planta la vigne en fortant de fon arche .

AUTRE.
POUR mille fins on m'interpoſe :
> Tantôt , aidé de mon concours
Un coeur trop enflammé difpofe
Du cher objet de les amours.
JUILLET 1766. ss
Tantôt mon art eft nécellaire
Au bien de la fociété ,
Et de mon talent mercénaire
Par fois le prix eft limité..
Si d'un autre ceil on m'envifage ,
On ne peut un plus beau féjour ;
Mais il faut que l'on me partage
Sans employer aucun détour,
D'une telle métamorphofe ,
Pour trouver la folution ,
Cherchez les plaines que j'arrofe ,
Et vous favez quel eft mon nom.
Par M. F.... à Amiensi
CHANSON.
LE MOMENT DE GATE TÉ. GAIETÉ.
Air : Que je chéris mon cher voifin , &c.
RIANS
propos & liberté ,
Que rien ne vous arrête.
La bonne chère , fans gaîté ,
Ne fait pas une fête.
C iv
MERCURE DE FRANCE.
Faites les honneurs de l'écot ,
Enfans de la faillie.
Si la raison profére un mot
Qu'elle foit affaillie.
La fageffe a beau s'oppoſer ,
Au plaifir qui nous lie ;
Tout nous défend de refufer
Une aimable folie.
T
Fais boire , & tu verras foudain
Ce que tu te propoſes.
On dit qu'une pointe de vin
Avance bien les chofes.
Momus , viens nous donner des loix ;
Pars du féjour céleste :
On n'y voit point de ces minois ,
Ces grâces & le reſte .
Faifons un bail d'aimer toujours ,
Faut- il tant de mystères ?
Bacchus, & le Dieu des amours
Seront les deux Notaires.
Par M. FUZILLIER , à Amiens.
JUILLET 1766. 57
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
DICTIONNAIRE portatif des Arts &
Métiers , contenant en abrégé l'hiftoire ,
la defcription & la police des Arts &
Métiers , des Fabriques & Manufactures
de France & des Pays Etrangers ; deux
volumes in 8°. A Paris, chez LACOMBE ,
Libraire , quai de Conty ; 1766 : avec
approbation & privilège du Roi. Prix
9 liv. relié.
LES
Es arts & métiers font d'une fi grande
utilité dans la fociété ; nous en retirons
tous les jours tant d'avantages & tant
d'agrémens ; nous avons fi fouvent befoin
de leur fecours , qu'il n'eft perfonne qui
ne defire connoître leur origine , leurs
progrès , leurs divers établiffemens , les
procédés qu'ils emploient pour fatisfaire
nos goûts & nos befoins , & même les
réglemens qui ont été faits pour affurers
CY
58 MERCURE
DE FRANCE
.
une bonne fabrication & mettre les acheteurs
à l'abri de la fraude. Tels font les
motifs qui ont donné naiffance à ce Dictionnaire
, qui renferme les defcriptions
de plus de deux cents arts , traités avec
plus ou moins d'étendue , fuivant leur
importance ou leur utilité , ou fuivant la
nature des fecours qu'on a été à portée de
fe procurer.
On trouve dans la préface une indication
des ouvrages qui ont été confultés ,
ainfi que les noms de plufieurs favans &
amateurs qui ont contribué à l'exécution
de ce Dictionnaire . Nous ne pouvons nous
arrêter fur la multitude de chofes auffi
curieufes qu'utiles qu'il renferme ; ainfi
nous nous bornerons à tracer une efquifle
de l'art de faire la Porcelaine , par où l'on
pourra juger de la marche générale de l'ouvrage.
Cet article eft de la compofition
de M. Baumé , Apothicaire à Paris , qui
a eu occafion de faire des travaux particuliers
fur cet art & fur beaucoup d'autres.
Ce Savant a fourni tous les arts qui dépendent
de la Pharmacie & une grande
partie de ceux qui tirent leur origine de la
Chymie ; les excellents ouvrages qu'il a
donnés fur ces deux fciences , & qui ont
été fi bien accueillis du public , font de
fürs garans de l'exactitude qui doit régner
dans fes defcriptions .
JUILLET 1766. 59
Les Orientaux , dit M. Baumé , font
depuis très -long- temps en poffeffion de
l'art de faire la vraie Porcelaine, qui fuivant
la définition qu'on en trouve ici , doit être
regardée comme une poterie de terre
blanche & demi - tranſparente. C'eſt au
Japon que l'on a excellé dans cet art ;
c'eft de là qu'eft fortie la plus belle Porcelaine
; & en effet , ;- l'ancienne Porcelaine
du Japon eft celle qui eft encore la plus
eftimée .
On a été long-temps à travailler en
Europe , pour imiter la Porcelaine des
Indes ; mais on a d'abord formé des poteries
qui n'avoient que l'apparence de la
Porcelaine. Ce n'eft que depuis environ
un fiècle qu'on eft parvenu , dans certaines
parties de l'Europe , à former de la Porcelaine
auffi belle & auffi bonne que celle
des Indes.
Il paroît que ce font les Saxons qui ,
en Europe , ont fait les premiers de la
vraie Porcelaine , mais qui néanmoins
eft d'un autre genre que celle des Indes ,
quoiqu'aufli bonne. Dans certains endroits
de l'Allemagne oonn en fait qui
imite affez bien celle de Saxe , quoique
fouvent inférieure en beauté . A leur imitation
les François ont établi plufieurs
manufactures de cette magnifique poterie.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE .
à
Jufqu'à préfent , il n'en exifte aucune dans
laquelle on faffe de la Porcelaine qui foir
femblable pour la folidité à celles de la
Chine , d'Allemagne & de Saxe . Celles:
qui fe frabriquent à Saint - Cloud ,
Chantilli , à Villeroi , à Orléans , ne font
que du verre tendre , mêlé de matièresterreufes
blanches , difperfées & mal combinées
dans le verre fondu ; elles font
d'une très -grande fufibilité au feu. Mais
les nouvelles expériences que M. Macquer ,
de l'Académie Royale des Sciences , a faites
par ordre du Roi , dans la manufacture.
Royale de Porcelaines de France , établie à
Sévres , donnent la certitude que cette
manufacture , dont les ouvrages furpaffent
en beauté tout ce qui a été fait jufqu'à
préfent , aura dans peu une Porcelaine
égale en folidité à celles du Japon , de la
Chine & d'Allemagne
.
Après ce détail hiftorique fur les manufactures
de Porcelaine , M. Baumé exainine
les qualités intérieures & extérieures
qu'elle doit avoir pour être réputée parfaite .
Il remarque que les qualités intérieures
ne font fenfibles qu'au vrai connoiffeur..
Il faut , pour les appercevoir , dépouiller
pour ainfi dire , la Porcelaine de tout ornement
extérieur , & en examiner les frag
mens dans leur caffure . La plus eftimée ,
JUILLET 1766. 61
& qui mérite la préférence à jufte titre,
eft celle dont la caffure préfente un grain
très- fin , très - ferré , très- compact , qui s'éloigne
autant du coup d'oeil plâtreux
& terreux que de l'apparence de l'émail
fondu..
La belle Porcelaine doit avoir une demitranfparence
nette & blanche , fans cependant
être trop claire ; il faut qu'elle s'éloigne
totalement de l'apparence du verre
& de la girafole. Elle doit avoir un enduit
dur & brillant , que l'on nomme couverte ,
& qui n'est qu'un cryftal net , pur &
tranfparent.
Les qualités extérieures qu'on defire
dans la Porcelaine font une blancheur
éclatante & agréable , des couleurs vives
fraîches & bien fondues , des peintures
élégantes & correctes , des formes nobles ,
bien proportionnées & agréablement variées
; enfin de belles fculptures , dorures
& gravures & autres ornemens de ce genre.
Les Porcelaines de la manufacture Royale
de France poffédent ces qualités fupérieurement
à toutes les autres..
La bonne Porcelaine doit foutenir alternativement
, fans fe caffer ni fe fèler , la
fraîcheur de l'eau prête à geler , & le dégré
de chaleur de l'eau bouillante , du
caffé , du bouillon , du lait bouillant qu'on
62 MERCURE DE FRANCE.
y verfe brufquement. Elle doit rendre ,
quand on en frappe des pièces entières ,
un fon net & timbré qui approche beaucoup
de celui d'un vafe de cuivre ou d'argent.
Ses fragmens jettent fous les coups
de
briquet des étincelles vives & nombreuſes ,
comme le font les pierres à fufil. Enfin elle
foutient le plus grand degré de feu , celui
d'un four de verrerie , par exemple ,
fans fe fondre , fans fe bourfouffler , fans
y devenir féche & friable , en un mot , fans
être altérée d'une manière fenfible.
Ainfi la Porcelaine diffère effentiellement
de la faïance , 1. par fa dureté & fa
folidité ; 2 °. par fa pâte qui eft parfaitement
blanche & demi- vitrifiée ; 3 °. par fa tranſparence
; 4°. par fa couverte qui eft criftalline
& tranfparente , au lieu que celle de la
faïance n'eft que de l'émail blanc , comme
on peut le voir dans ce Dictionnaire , au
mot Faïancier , où l'art de fabriquer la
faïance eft expliqué dans toutes fes parties.
Il n'entre qu'un petit nombre de matériaux
dans la bonne Porcelaine ; celle de la
Chine n'eft compofée que de deux fubftances,
l'uneque l'on nomme kaolin & l'autre
petunt-fe. Ainfi , pour pouvoir fabriquer ici
de la Porcelaine femblable à celle des Indes,
il falloit commencer par étudier la nature
JUILLET 1766. 63
de ces deux fubftances & examiner s'il s'en
trouve de femblables en France . Les Naturaliftes
ont été là - deffus fort partagés
d'opinions. M. Baumé fait voir , d'après
les expériences , que le kaolin de la Chine
eft femblable en tout aux argilles blanches
que l'on trouve en France , mais qui font
rarement aflez exemtes de matières étrangères
pour demeurer très-blanches malgré
l'action du feu. Le petunt-fé eft un vrai
Spath fufible , de même nature que ceux´
qu'on trouve en quantité dans différens
endroits du Royaume. Ainfi nous avons
en France les vrais matériaux de la Porcelaine
des Indes ; mais pour imiter parfaitement
la tranfparence de la Porclaine
du Japon & de la Chine , il faut ajouter
à ces matériaux une certaine quantité de
fable , de caillou , ou de quartz. La pâte
de Porcelaine doit être faite de la manière
fuivante.
Pour débarraffer l'argille blanche de
fon fable & des autres matières étrangères
, on la délaye dans un baquet avec
une grande quatité d'eau , en l'agitant
avec un bâton ; on la laiffe repofer un moment
, afin que le plus groffier tombe au
fond du baquet : on paffe l'eau trouble &
comme laiteufe au travers d'un tamis de
foie moyen on reverfe de l'eau fur le
64 MERCURE DE FRANCE.
4
marc qui refte dans le vaiſſeau , & on l'agite
comme la première fois. On paffe
enfuite la liqueur de la même manière ,
& on continue ainfi de fuite jufqu'à ce
que l'on ait tiré toute la partie fine de
Fargille ; alors on laiffe repofer toutes ces
liqueurs troubles : on rejette l'eau comme
inutile lorfqu'elle s'eft bien éclaircie. On
ramaffe enfuite l'argille qui s'eft déposée, &
on la fait fécher.
On broye le Spath-fufible ou pétunt -fé
dans un moulin , entre deux meules de
grès , avec de l'eau ; lorfqu'il eft fuffifamment
broyé ou le lave comme l'argille ,
afin d'en féparer les portions groffières qui
auroient pu échapper à la meule , & on le
fait fécher.
On prépare le fable , les cailloux & le
quartz de la même manière que le pétuntfé
, fi l'on veut faire entrer de ces matières
dans la Porcelaine.
Lorfqu'on a ainfi toutes les matières lavées
& broyées , on les mêle enfemble
dans des proportions convenables , le plus
exactement qu'il eft poffible , & on en
forme avec de l'eau une pâte qui doit
avoir une confiftance propre à pouvoir fe
pêtrir commodément entre les mains fans
s'y attacher. C'eft avec cette pâte qu'on
fait les pièces qui fe fabriquent au tour ou
JUILLET 1766. 6.5
dans les moules . Le tour à faire la Porcelaine
eft femblable à celui du faïancier &
du potier de terre , & les pièces s'y traitent
de la même manière ; il faut voir dans
l'ouvrage la defcription de ce travail , dont
tout le détail eft curieux.
Les pièces qui font d'une forme à ne
pouvoir être tournées , fe moulent par le
procédé fuivant.
On prend uue certaine quantité de pâte ,
on l'étend fur une peau de mouton qui
a été mouillée & bien exprimée ; on étend
cette pâte avec un rouleau de bois à une
épaiffeur convenable . Si l'on veut faire un
plat , on met cette pâte dans un moule de
plâtre , compofé de deux pièces , dont
l'une doit former l'intérieur du plat &
l'autre l'extérieur . On arrange la pâte dans
une des pièces , le plus exactement qu'il
eft poffible , & on remet la feconde pièce
par- dellus. On appuie d'abord légérement ,
& enfuite on ferre le moule davantage
par le moyen d'une preffe , pour en faire
fortir le fuperflu de la pâte , qu'on a ſoin
couper à mefure. de
Lorfque la pièce eft affez féche pour
qu'on puiffe la tirer commodément fans
La brifer , on en répare les petits défauts
avec de la barbotine qui fe fait avec de
la pâte de Porcelaine délayée avec de l'eau
66 MERCURE DE FRANCE.
en confiftance de bouillie claire ; on la
polit enfuite avec un pinceau de poil de
liévre trempé dans l'eau.
Les figures , les ftatues , les buftes dont
on orne les appartemens , font faits également
dans des moules de plâtre ; on les
travaille auffi à la main avec divers ébauchoirs
, de la même manière que les modeleurs
en terre glaife ou en cire exécutent
les ouvrages de ce genre .
Quand les pièces font parfaitement féchées
& bien réparées , on les fair cuire
dans des étuis ou efpèces de creufets
deftinés à garantir les pièces , en cuifant ,
des gouttes de verre & de la flamme du
bois qui ternit la blancheur de la Porcelaine
; ces étuis fe nomment gazettes.
Nous ne pouvons entrer ici dans le détail
des diverfes eſpèces de fours chinois &
françois dont l'Auteur donne la defcription
.
Les pièces étant cuites au degré convenable
, on laiffe refroidir le four pendant
deux ou trois fois vingt - quatre heures ;
on retire les pièces de leurs gazettes , &
en cet état , on les nomme bifcuits . C'eſt
fur ces pièces ou bifcuits que l'on met la
couverte de cryſtal . On broye ce cryftal
dans des moulins pour le réduire en poudre
impalpable , & dans cet état de fineffe
JUILLET 1766. 67
il forme avec l'eau une bouillie très - claire.
On verfe de cette bouillie fur toutes les
pièces de porcelaine , en ayant foin qu'il
y en ait également par-tout , & on laiffe
fécher cet enduit ; alors on les met , comme
la première fois , dans un four , où le
cryftal fe fond fur toutes les pièces & y
forme la couverte.
Lorfque la porcelaine eft dans cet état ,
on l'orne de peintures & de dorures par
des procédés femblables à ceux de la peinture
fur émail , qui eft traitée à fon article
dans ce Dictionnaire .
L'Arrêt du Confeil du 17 Février 1760
étant le principal réglement qui ait paru
jufqu'à préfent fur la fabrication de la
Porcelaine en France , on en a inféré l'extrait
à la fin de cet article , dont nous
ne faifons qu'indiquer fommairement les
principaux objets : mais c'en eft affez pour
faire voir que les arts & métiers fon traités
dans cet ouvrage d'une manière trèsfatisfaifante
; que les defcriptions font
d'une étendue convenable ; qu'elles font
faites avec beaucoup de clarté & de précifion
, & par des perfonnes très- inftruites.
Ce Dictionnaire des Arts & Métiers eft
deſtiné à faire fuite avec le Dictionnaire
raifonné d'Hiftoire Naturelle , par M. Valmont
de Bomare , imprimé du même for68
MERCURE DE FRANCE.
mat & du même caractère. L'un met fous
les yeux du lecteur toutes les richeffes de
la nature dans leur fimplicité primitive
& originale ; l'autre les lui montre enbellies
, perfectionnées , appropriées à notre
ufage par les efforts du génie & par
les travaux de l'induftrie . Le Dictionnaire
de Chymie , qui paroît en même temps
chez le même Libraire , peut être regardé
comme le complément de l'hiftoire de la
nature & des arts , puifqu'il en explique
les agens fecrets , les refforts & les principes.
C'eft dans cet ouvrage que l'on
trouve l'analyfe de la nature , qui , dans
le Dictionnaire d'Hiftoire Naturelle , eft
préfentée telle qu'elle fe montre à nous ,
& dans le Dictionnaire des Arts & Métiers
telle que nous l'affujettiffons & façonnons
pour nos befoins & pour nos plaifirs.
JUILLET 1766. 69
HISTOIRE des progrès de l'efprit humain
dans les Sciences exactes & dans les Arts
qui en dépendent ; par M. SAVERIEN :
-in- 8 ° de près de 600 pages. A Paris ,
chez LACOMBE , Libraire , quai de
Conty : prix s liv. relié.
M. Saverien s'eft preſque uniquement
occupé , depuis plus de vingt années , de
l'étude de l'hiftoire des Sciences exactés.
Il a déja publié en 1753 , un Diction
naire univerfel de Mathématique & de
Phyfique , en deux volumes in - 4° , qui
contient l'origine & les progrès de ces
fciences , & les révolutions qui leur font
arrivées jufqu'à nos jours . Nous avons annoncé
dans notre Mercure du mois de Février
dernier , le cinquième tome de fon
hiftoire des Philofophes modernes , dont il
fait imprimer tous les ans un volume . Et
voici aujourd'hui une hiftoire des Sciences
exactes , dont l'objet paroît être principalement
d'infpirer le goût de ces fciences
aux jeunes gens & aux gens du monde.
Rien n'eft plus propre en effet à remplir
ce deffein , qu'un ouvrage où l'on
70 MERCURE DE FRANCE.
prend les fciences dans leur fimplicité pri
mitive , & pour ainfi dire , dans leur berceau
, pour fuivre enfuite leur développement
& leur accroiffement fucceffifs
leurs applications aux différens ufages de
la vie , & où on les voit enfin parvenir
au degré d'élévation où elles ont été portées
par les travaux des modernes . Pour
donner une idée de la manière dont ce
travail eft exécuté , nous choififfons l'Arithmétique.
L'origine de cette fcience des nombres,
fe perd dans l'antiquité la plus ténébreufe ;
on en attribue l'invention aux Indiens ;
mais on ne fait point en quoi confiftoit
cette invention. Les Grecs puisèrent chez
eux les connoiffances qu'ils avoient fur l'arithmétique
, & leurs Philofophes ajoutèrent
à ces connoiffances leurs réflexions
particulières. C'eft une chofe étonnante
que les Hiftoriens ne nous aient pas inftruits
de ce que l'arithmétique étoit entre
les mains des Philofophes. On fait feulement
que Pithagore , cinq cens ans avant
Jésus- Chrift , cultiva particuliérement cette
fcience ; il inventa une table contenant la
multiplication des nombres depuis 1 jufqu'à
10 , & qui eft connue aujourd'hui
fous le nom d'abaque. Enfuite au lieu de
s'attacher à fuivre les vrais progrès de l'aJUILLET
1766 . 71
rithmétique , il s'appliqua à chercher dans
les nombres de prétendus rapports myftérieux.
Et cette doctrine fuperftitieufe eut
tant crédit parmi fes difciples & fes fectateurs
, qu'on en a retrouvé des traces juf
qu'à nos jours dans le préjugé fur les ſeptièmes
années de l'âge de l'homme , qu'on
a appellées années climatériques .
Platon & Euclide qui parurent un fiècle
après Pithagore , connoiffoient les quatrē
règles de l'arithmétique ; ils extrayoient
les racines quarrées & cubiques , & formoient
des proportions. Nicomaque , qui
parut enfuite , inventa le nombre poligone ,
c'eft- à-dire , une progreflion arithmétique
qui commence par 1 , & dont les unités.
peuvent être rangées en figures géométriques.
Cette belle découverte paffa pour
une remarque ftérile , dans un temps où
tous les efprits ne s'occupoient qu'à de vaines
fpéculations fur les propriétés des nombres.
Enfin cent quatre - vingt-fept ans avant
Jésus- Chrift , Archimede , le plus grand gé
nie de l'antiquité , s'attacha férieufement
aux progrès du calcul arithmétique. Il connut
fans doute l'invention de Nicomaque
fur les nombres polygones ; il poffédoit
auffi tout l'art des progreffions , art tellement
ignoré de fon temps , que quelques
72 MERCURE DE FRANCE.
Savans ne croyoient pas qu'on pût exprimer
en nombres une quantité confidérable . Dans
une converfation qu'ils eurent avec lui , ils
parlèrent de cette prétendue impoffibilité .
Archimède répondit qu'il n'y avoit point
de quantité , fût- elle compofée d'un nombre
infini de parties , qu'on ne pût exprimer
par des nombres . On n'ofa pas rire de
cette réponſe , quoiqu'on la trouvât abfurde
; mais un mauvais plaifant crut avoir
bien répliqué , en lui demandant s'il évalueroit
le nombre des grains de fable qui
font au bord de la mer. Ce railleur ignorant
s'applaudiffoit de fa demande : il fut
bien étonné quand Archimède s'engagea
à trouver un nombre , qui non - feulement
exprimeroit le nombre des grains de fable
qui peuvent être au bord de la mer , mais
encore celui des mêmes grains dont on
pourroit remplir l'efpace de l'univers juf
qu'aux étoiles fixes ; & il prouva ce qu'il
avançoit , en faifant voir que le cinquantième
terme d'une progreffion décuple
croiffante fatisfaifoita fon engagement . Ce
fait peut donner lieu de préfumer qu'Archimède
a inventé les progreffions ; car fi
on en eût fait avant lui la découverte , on
en trouveroit quelque ufage ou quelque
application.
Douze fiècles s'écoulèrent enfuite fans
qu'on
JUILLET 1766. 73-
qu'on parlât des progreffions ; ce ne fut
qu'au commencement du onzième ſiècle
qu'on les vit renaître à l'occafion de l'invention
du jeu de tric -trac & du jeu d'échecs
, dont il faut voir l'hiftoire dans l'ouvrage
de M. Savérien . Il eft certain , ditil
en finiffant , que c'eſt à un Arithméticien
qu'on doit le jeu d'échecs ; car il ne
faut compter pour rien le témoignage des
Poëtes , qui en font honneur à Palamède ,
lequel l'inventa , dit- on , pour délaffer les
Grecs rebutés des longueurs du fiége de
Troye.
Quoiqu'il en foit , la connoiffance des
progreffions fournit la folution de plufieurs
problêmes qui paroiffent infolubles.
Tel étoit celui qu'avoit propofé Zénon ,
qui par un raifonnement très - captieux ,
paroiffoit prouver qu'il n'y a point de mouvement;
& celui par lequel on d'étermine
l'efpace que doit parcourir un corps qui fe
meut & fe mouvera éternellement par un
mouvement retardé .
Un Arithméticien Grec , nommé Maunel
Mafcophule , fit en 1400 un autre ufage
des progreffions. Il rangea des nombres
dans un quarré en progreffion , & trouva
que les fommes des colonnes horisontale
& verticale & celle de la diagonale étoient
égales. Cette curiofité arithmétique qu'il
Vol. II. D
74 MERCURE DE FRANCE .
nomma quarré magique , a été depuis
l'objet des recherches de MM. de Meziriac
, Stifel , Freniele, Poignard , la Hire ;
& dans cet exercice on découvrit une règle
pour trouver en combien de manières on
peut varier diverfes quantités , en les prenant
une à une , deux à deux , trois à trois ,
&c. c'eft par le moyen de cette règle , que
le P. Preftel , géomètre , a fait voir que
ce vers latin
Tot tibi funt dotes Virgo , quod fidera calo ,
peut être varié en trois mille trois cent
foixante & treize manières , fans ceffet
d'être vers. Voilà de ces chofes fingulières,
qui fuivant la remarque de l'Auteur , peu
vent nous donner une idée de ce que peut
la nature , par la combinaiſon de ce nombre
infini d'êtres qui la compofent.
Mais quels étoient les caractères dont
on faifoit ufage pour exprimer les nombres
? Ce point curieux de l'hiftoire a été
fuivi avec affez de foin par les écrivains.
On voit dans cet ouvrage que les chiffres
dont nous nous fervons aujourd'hui , font
tous originairement formés de lignes droites
& du cercle ; ils reffembloient d'abord
un peu aux caractères grecs , mais à mefure
que l'art d'écrire s'eft perfectionné ,
ils ont acquis la forme que nous leur
yoyons actuellement.
L
JUILLET 1766. 73

4.
L'ufage de ces caractères fi fimples , fa
cilita beaucoup les opérations de l'arithmétique
; & cette facilité donna lieu à de
nouveaux artifices dans le calcul.Vers 1460 ,
Regiomontan introduifit une méthode d'éviter
les inconvéniens des fractions ou
nombres rompus , en fe fervant de fractions
de 10 100 1000 parties , qu'il appella
arithmétique décimale . Cette manière
de calculer paroiffoit à peine , que le Baton
Neper publia une nouvelle arithmétique
, à laquelle il donna le nom de rabdologie
. Elle confifte à faire les calculs avec
de petites baguettes en forme de pyramides
rectangulaires , dont chaque face contient
une partie de la table ordinaire de
la multiplication . C'eft de cette idée qu'eft
dérivée la machine arithmétique du grand
Pafcal , que MM. Grillet & Perrault ont
voulu fimplifier depuis .Mais malgré leurs
recherches , la machine arithmétique eft
reftée fans ufage. Il faut , dit M. Savérien ,
laiffer ces fecours à ceux qui veulent compter
fans avoir des yeux , comme l'a fait
M. Anderfon , lequel a rempli avec diftinction
une chaire de Profeffeur de Mathématiques
à Cambrigde, quoiqu'aveugle
dès l'âge de douze mois.
Pendant qu'on perfectionnoit la rabdologie
de Neper , le Docteur Wallis mit
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
au jour l'arithmétique des infinis , qui eft
l'art de trouver la fomme d'une fuite compoſée
d'une infinité de termes , & Paſcal
imagina en 1664 , de joindre les deux progreffions
arithmétique & géométrique . Il
forma par cette réunion un triangle qu'il
appelle triangle arithmétique , lequel a plu
fieurs belles propriétés , dont la principale
eft de donner la combinaiſon des nombres
toute faite.
Ces fuccès engagèrent plufieurs Mathé,
maticiens à étudier les rapports des nombres
, pour faciliter l'art du calcul . M. Weigel
crut pouvoir le fimplifier , en n'y employant
que trois caractères ; & il publia
en effet en 1687 fon arithmétique tétractique
, ainfi nommée parce qu'on n'y employe
que les caractères 1 , 2 , 3 & 0.
Mais l'illuftre Leibnitz pouſſa cette recherche
encore plus loin. Il inventa au commencement
de ce fiècle une arithmétique
binaire , dans laquelle il ne fit ufage que
des caractères 1 & o , pour exprimer tous
les nombres.
On n'a pas fuivi cette idée de Leibnitz;
& l'arithmétique binaire n'a pas fait d'autres
progrès. Les Mathématiciens fe font
contentés de faire diverfes applications de
l'arithmétique commune. De - là font nées
deux arithmétiques ; l'une qu'on a appelJUILLET
1766. 77
lée arithmétique calculatoire , n'eft autre
chofe que l'art de calculer avec des jettons
; l'autre a été appellée arithmétique
divinatoire , parce qu'en déguifant certaines
opérations , on paroît par fon moyen
deviner plufieurs chofes. M. Savérien en
donne quelques exemples , qui confiftent
à deviner le nombre qu'un homme a penfé
; où eft le nombre impair des jettons
dont on auroit pris une certaine quantité
dans chaque main ; nommer la perfonne
qui aura pris une bague en fecret & même
déterminer la main , le doigt & la jointure
où cette bague aura été mife. Ces détails
font curieux , mais il feroit trop long
de les rapporter ici , & nous fommes obligés
de renvoyer nos lecteurs à l'ouvrage
même. Il nous a paru bien écrit & auffi
amufant qu'inſtructif. L'Auteur y a ajouté
deux tables très-amples ; l'une des matières ,
l'autre des Auteurs , pour qu'on puiff
trouver tout d'un coup les chofes qu'on
defire connoître.
L'édition eft très- belle , tant pour le caractère
que pour le papier , & enrichie
d'une eftampe deffinée par M. de Seve ,
auquel nous devons toutes les belles planches
du grand ouvrage de M. de Buffon.
Cette eftampe , placée au frontispice , repréfente
l'hiſtoire vêtue avec une noble
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
fimplicité , qui grave fur le marbre les
noms des favans Mathématiciens , dont
un génie lui préfente les portrait. Elle eſt
gravée par M. Maffard , & fait honneur
à ces deux Artiftes.
LES Mémoires du Marquis DE SOLANGES;
avec cette épigraphe :
Mon fils , à vos vertus faites - vous reconnoître.
Mélanide , fcène dernière.
Chez l'Esclapart , quai de Gefvres , & la
veuve DUCHESNE , rue Saint Jacques ;
deux parties in- 12.
LA
A première partie de ces Mémoires
eft divifée en lettres , entre le jeune Marquis
de Solanges , Saint - Félix , fon camarade
, le Baron , fon oncle , & M. de Juliers
, ami du Baron .
Le Marquis de Solanges eft demandé à
Bruxelles par fon oncle. Il part , laiffe
Saint Félix à Paris & lui écrit les particu
larités de fon voyage: La feconde lettre ,
qui eft de Saint- Félix , contient une petite
defcription d'un autre voyage qu'il a fait
à la campagne. Elle finit par une réflexion
qui annonce fon caractère.
JUILLET 1766. 79
« Cher Solanges .... ménages un peu
" ton oncle. C'eft un honnête homme qui
» t'aime de tout fon coeur , & que j'aime
» de tout le mien à caufe de cela. Il tire
» vanité d'une haute naiffance ; c'eſt un
93
préjugé ridicule fans doute , mais fou-
" vent néceffaire. Un homme qui parle
fans ceffe de la gloire de fes ayeux , ne
» voudroit pas devenir la honte de fa
postérité ».
ود
"
Solanges trouve chez fon oncle M. de
Juliers , dont l'air refpectable & intéreffant
le prévient. Il brûle d'être fon ami ,
ce n'eft plus qu'à lui qu'il veut plaire ; ik
jette en ce moment les premiers regards
fur fon coeur pour le rendre digne de
M. de Juliers.
Son oncle le préfente à cet homme eftimable.
L'amitié eſt jurée de part & d'autre
, & Solanges invite Saint - Félix à venir
la partager. M. de Juliers apprend à fon
jeune ami tous les malheurs du Marquis
de Solanges fon père.
Dans un voyage que le Marquis fait à
la cour du Prince de ... il devient amoureux
de la Comteffe Caroline , fille du
Comte de Wan ... Les deux familles confentent
à leur union , excepté le grandpère
de Caroline , qui l'a promife à un
favori du Prince Adolphe. Ce déteſtable
Div
80 MERCURE DE FRANCE.'
Prince l'a demandée lui - même dans le
deffein de la pofféder du confentement
de ce lâche miniftre de fes plaifirs. Une
circonftance malheureufe fépare les deux
amans pour quelque temps. Ils fe revoient
enfin à Paris , théâtre ordinaire des avantures
romanefques. Leurs pères confentent
à les unir , mais fecrétement , à cauſe de
l'ayeul de Caroline.
La veille du jour où le mariage doit
être célébré les deux amans fe trouvent
enfemble. Ils n'ont avec eux que leurs
defirs ; l'amour les trahit , ils fuccombent
& goûtent des plaifirs anticipés qui doivent
leur coûter bien des larmes . La porte étoit
reſtée ouverte. « Ils avoient oublié les pré-
» cautions qu'ils auroient dû prendre pour
» rendre leur faute fecrette . S'ils euffent
pû y fonger " , ils ne l'auroient
» mife ».
pas com-
Le Prince Adolphe les furprend & fe
retire fans être apperçu. Le foir même il
trouve Caroline au bal. D'après ce qu'il a
vu il ne la regarde que comme la maîtreffe
de Solanges & fe permet les derniers outrages.
Le Marquis accourt à fes cris ; il
devient furieux , demande inutilement
fatisfaction à ce Prince , le frappe de fon
gant au vifage , & eft obligé de fe fauver
éviter les fuites de cet emportement.
pour
JUILLET 1766. 81
Adolphe , par la mort de fon père
prend poffeffion de fes Etats ; il fait enlever
Caroline. Le malheureux Solanges apprend
cette nouvelle , & meurt de chagrin.
Cette trifte hiftoire , racontée avec intérêt
par M. de Juliers , remplit le coeur du
jeune Solanges d'une mélancolie fombre
qu'on ne croit pouvoir diffiper qu'en le
faifant voyager, Ils partent accompagnés
de Saint-Félix.
M. de Juliers veille à l'éducation de fon
jeune ami fans qu'il puiffe s'en appercevoir.
Ils font à La Haye. Il le fait manger
à table d'hôte , parce qu'il eft bien aife de
voir comment Solanges fe comportera au
milieu d'un fi grand nombre de perfonnes
inconnues. Un des convives montre beaucoup
. d'efprit , mais il profite trop de la
liberté du pays pour parler ouvertement
fur les gouvernemens & fur la religion .
و ر
"Comment voulez - vous , difoit- il , que
» je me détermine fur ce que je dois croire ?
» Je trouve prefque par- tout la religion
confondue avec le cérémonial , les Mi-
" niftres avec la doctrine. ... Si j'examine
» les Docteurs de toutes les fectes , la
» fourbe & l'aftuce couvrent tous les piéges
qu 'ils me préparent.... Ce n'eft pas mon
» falut , c'eft leur gloire qu'ils cherchent...
» Si je vais confulter les Philofophes , l'un
ود
و د
D v
MERCURE DE FRANCE.

» me parlera de forces , l'autre de chan-
» ces , & c. chacun fe mocquera des autres ,
je me mocquerai peut- être de tous , mais
» je n'en ferai pas plus avancé.
ود
co
ود
و د
Eh quoi , dis je , ( M. de Juliers ) à ce
fceptique , vous pouvez refter un inftant
» dans une incertitude fi cruelle fur la chofe
qu'il vous importe le plus de favoir....
L'inftinct moral fuffit pour repouffer les
» idées que les hommes veulent nous don-
,, ner de la Divinité . Ne confultez que
votre coeur , il eft plus fait
» que l'efprit n'eft fait
""
و د
pour
le fentir
pour le comprendre....
Ce que vous dites , répond le
convive , touche le coeur mais n'éclaire
,, point l'efprit. S'il me convainc de la
néceffité d'une religion , il ne m'enſei-
,, gne point celle que je dois préférer
Il faut voir la réponſe de M. de Juliers ,
& même toute la lettre dans l'original.
23
La lettre fuivante contient une des premières
erreurs de Solanges . C'eft encore
dans l'ouvrage même qu'il faut lire les
moyens dont fe fert M. de Juliers pour le
ramener à fes devoirs. Les tendres foins ,
la douce perfuafion , les fuites funeftes du
crime , les magnifiques récompenfes de la
vertu vivement repréſentées , tout eft
employé avec une adreffe extrême & une
parfaite connoiffance du coeur humain .
JUILLET 1766. 8'3
Saint-Félix , qui voyoit en ce moment
avec douleur les fautes de fon ami & la
perte entière de fa confiance , prend la
trifte réfolution de le quitter après lui avoir
laiffé une lettre remplie des plus tendres.
reproches. Le Baron , qui eft inftruit de
fa fuite , blâme l'excès de fa fenfibilité.
k
L'amitié, dit- il , doit avoir plus de force
& de générofité. C'eſt un état continuel
d'épreuves & de patience.... C'eft un
bien trop précieux pour qu'il ne foit pas
mêlé de quelques peines. Lorfqu'un ami
s'eft dévoué à l'ami que fon coeur a choifi ,
dès ce moment il ne doit rien excepter des
facrifices qu'il eft toujours prêt à lui faire.
Sa fortune , fes penchans , fon amourpropre
, fon bonheur .... Son bonheur !
Eh ! peut- il en connoître d'autre que celui
de fon ami ? Il s'en occupe fans ceffe , il
y travaille fans relâche , malgré tous les
obftacles , malgré lui -même. Il fait effuyer
fes froideurs , fes injuftices , fes mépris ,
fes injures , fon ingratitude même , plutôt
que de renoncer à l'efpoir de le rendre
heureux ; ce qu'il ne peut gagner par ſes
confeils , il l'obtient par fes larmes ; ce
qu'il ne peut empêcher par fes reproches,
il l'arrête par fes cris. Il fe jette à fes pieds ,
s'attache à fes habits. . . . Ah ! qu'un ami
eft grand dans cette pofture humiliée .....
...
D vj
34 MERCURE DE FRANCE.
Si quelque vertu peut opérer des miracles ,
c'eft à l'amitié qu'ils font réfervés elle
ne tranfporte pas les montagnes , mais elle
les applanit , & c. ».
Saint Félix , marchant la nuit , & trop,
occupé de fes triftes réflexions , fe laiffe
tomber dans une mine de tourbe & fe
caffe le bras. Quelques ouvriers le tranfportent
dans un château voifin. Il y reçoit
toutes fortes de fecours. M. de Maubrai
maître de ce château , n'accueille pas moins
M. de Juliers & Solanges , qui fe rend
aux charmes , & plus encore aux belles
qualités de l'aimable Sophie , fa belle-fille.
Cette paffion développe toute la vivacité
du caractère de Solanges. Le mariage eft
propofé & accepté avec joie. Il faut voir
encore dans l'original avec quelles grâces ,
quelle aimable fimplicité toutes les circonftances
de cet amour font préfentées.
Il y a fur - tout une lettre où les jeux innocens
des deux amans font peints avec une
naïveté pleine d'intérêt.
Un obftacle préfenté par l'Auteur de la
manière la plus touchante s'oppoſe à la
conclufion du mariage.
La feconde partie de ces Mémoires n'eft
point en lettres ; mais l'Auteur fe juftifie
de l'avoir mife en récit. On ne fait fi cette
façon ordinaire de conter n'eft pas plus
JUILLET 1766 85
favorable que le ſtyle épiftolaire à la rapi
dité des événemens que contient cette
feconde partie.
M. de Juliers paroît à Solanges la feule
caufe de fon malheur. Il court à lui réfolu
de lui ôter la vie ou de perdre la fienne.
Son oncle arrive . ... Malheureux ... c'eſt
ton père.... Solanges tombe évanóuï. M.
de Juliers difparoît , le Baron le fuit de
près ; Solanges refte abandonné à fon défefpoir.
Saint - Félix arrive. Il effaie de le
confoler. Entre autres moyens il lui propofe
de fe rendre à la cour d'Adolphe &
d'obtenir la liberté de Caroline à quelque
prix que ce foit.
Solanges apprend que fon père a été
enlevé. Il ne doute point que ce ne foit
encore par l'ordre de ce Prince cruël . Il
part fur le champ , même fans voir fa
chère Sophie ni M. de Maubrai , qui a
promis à Saint- Félix de ne prendre aucun
engagement avant leur retour . Les deux
amis arrivent au château de K.... Ils apprennent
qu'Adolphe eft dans une forêt
voifine , ils s'y rendent & le trouvent traîné
par fon cheval ; mais leur générofité trahit
leur vengeance ! Ils ne peuvent fe réfoudre
à lui ôter la vie de fang froid . La fuite
du Prince arrive. Il reprend fes fens ; il
28
MERCURE DE FRANCE .
ordonne qu'on ait toutes fortes d'égards
pour fes libérateurs.
Ils lui font préfentés le lendemain . Solanges
fe découvre , il demande la liberté
de fa mère. Le Prince , après un inftant
de filence , la lui accorde . Elle le reçoit avec
aflez d'amitié , mais elle lui avoue qu'elle
a renoncé au Marquis de Solanges pour
céder à la tendreffe d'Adolphe . Le Prince
les renvoyé défefpérés . Ils reviennent chez
le Baron , y trouvent M. de Juliers . Quelle
affreufe nouvelle il leur apprend ! Leur
douleur eft peinte avec les couleurs les
plus fortes ; elle fe change en une fombre
mélancolie qui pénétre jufqu'au fond de
leur coeur.
Ils forment le deffein de finir leurs
jours dans la retraite & de laiffer tous
leurs biens à Saint- Félix. Il découvre leur
projet & fait tous les efforts pour les en
détourner. Il apprend en ce moment que
le Prince Adolphe eft dépofé , que fon
neveu eft fur le trône . Il eft connu de ce
Prince. Il efpère ramener Caroline à fon
devoir . Il communique cette idée au Baron ,
qui ne paroît pas l'approuver. Il part feul.
Le Prince le reçoit avec bonté. Il voit la
coupable à peine lui a- t- il expofé le ſujet
de fon voyage que le Baron , qui l'avoit
fuivi de près , entre & plonge fon épée
JUILLET 1766. 87
dans le fein de cette malheureuſe... Quel
eft fon étonnement ! Ce n'eſt pas fa foeur.
Cette femme vit encore affez pour leur
apprendre qu'Adolphe l'a engagée à tromper
Solanges en paffant pour fa mère. Elle
donne les moyens de délivrer la véritable
Caroline , que l'on trouve dans un cachot
affreux prefque morte de faim . Un Médecin
habile prend foin de la rappeller à la
vie. Après avoir recouvré fes forces elle
part pour aller rejoindre fon époux & font
fils. Saint- Félix l'engage de prendre Sophie
en paffant , mais en arrivant à Bruxelles
elles apprennent que les deux Solanges
font retirés dans un couvent & qu'ils doivent
prononcer leurs voeux le lendemain .
Ils ont recours à la protection du Gouverneur
, qui leur procure le moyen d'affifter
à cette cérémonie . Cette fituation eft bien
peinte. Caroline fe juftifie pleinement , &
les deux mariages fe célèbrent avec la plusgrande
fatisfaction.
En général cet ouvrage eft écrit avec une
élégante fimplicité , des penfées fortes &
des expreflions délicates. Les événemens
font peut - être trop précipités , mais le
lecteur avide ne regardera pas cette rapidité
comme un défaut. On eût peut- être
auffi defiré une plus grande variété dans
les caractères , mais des caractères unifor88
MERCURE DE FRANCE.
mes peuvent auffi concourir à un intérêt
varié. On pourroit demander compte de
quelques perfonnages ; mais vraifemblablement
l'Auteur fe prépare à donner une
fuite à ces Mémoires .
L'ART DES ARME S.
QUOIQUE UOIQUE l'exercice de l'épée , connu
fous le mot d'efcrime , ait toujours été plus
pratiqué en France qu'en aucun autre
Royaume depuis François I , & qu'il ait
déja paru fur cet art beaucoup de traités
italiens & françois , l'on peut dire qu'il en
manquoit encore un qui fût complet , méthodique,
intelligible & de facile exécution.
Celui que nous annonçons ici fous
le titre de l'Art des Armes , en un volume
in - 8 ° , orné de trente - cinq planches , &
dédié à S. A. S. Mgr. le Prince de Conty ,
chez HÉRISSANT fils , Libraire , rue Saint
Jacques, prix 9 liv. relié , & 8 liv . en feuilles,
femble ne laiffer rien à defirer fur ce qui
peut fervir à développer & démontrer parfaitement
les règles de cet art , depuis fes
premiers élémens jufqu'à fon dernier période.
Nous ne porterons point de jugement
fur le fond des principes dont l'ex-

JUILLET 1766. 89
pofition paroît claire pour une matière
abftraite , non plus que fur les parties d'exécution
, qui ne font pas de notre compétence.
C'eft aux connoiffeurs & aux amateurs
, invités par l'Auteur dans fa préface ,
à lui faire part de leurs réflexions critiques.
Nous nous bornons feulement à rendre
compte de la conduite de cet ouvrage ,
& de l'utilité qu'il femble promettre au
public.
L'Auteur , après avoir indiqué dans une
intéreffante introduction , la caufe des progrès
des Maîtres François dans l'enſeignementdes
faits d'armes, fait connoître l'origine
de fon art , fon utilité pour la défenſe ,
fes avantages pour former la conftitution ,
le tempéramment & le caractère d'un jeune
homme. Puis il divife fa matière en trois
parties d'exécution , fubdivifées en quarante-
trois chapitres ; dans la première il
traite du jeu fimple , dans la feconde du
jeu double , & dans la troifième du jeu
décifif. Il a foin de donner à fon élève la
définition du nom & de la chofe fur laquelle
il doit l'exercer ; & les réponfes qu'il fait
aux queſtions qu'il lui permet , deviennent
tantôt un point de remarque , de comparaifon
ou d'inftruction , tantôt d'avertiffement
, de confeil ou de critique contre les
abus à réformer, ou qui font prêts à naître.
90 MERCURE DE FRANCE .
L'idée que l'Auteur tâche de nous don
ner d'un bon maître nous apprend affez
ce qu'il eft lui - même ; & fi en général fon
ouvrage doit mériter des éloges , il lui en
fera dû encore pour avoir fu concilier les
régles de fon art avec celles qu'il donne
à fon élève fur le vrai point d'honneur ,
la conduite qu'il doit tenir , & les nobles
fentimens de paix , de prudence & de fageffe
qu'il s'efforce de lui infpirer . C'eſt
ainfi qu'en lui apprenant à fe vaincre pour
vaincre les autres , il lui imprime tout à la
fois , avec la vraie bravoure , la douceur ,
la politeffe , la modération & la circonfpection.
Une réflexion même qui femble
avoir toujours animé l'Auteur, eft celle par
laquelle il finit. Puiffai - je , dit - il , concourir
, avec les ordonnances de notre augufte
Monarque , à forcer les ferrailleurs & les
perturbateurs du repos public d'abandonner
leur fureur meurtrière , à éteindre les
duëls fecrets , étouffer les rixes , tempérer
les violences , concilier l'honneur des armes
avec la raifon , l'humanité & la religion !
Nous ne faurions trop confeiller la lecture
de ce livre inftructif aux jeunes gens qui
fe diftinent à la perfection des armes . Les
planches repréfentent , avec la plus grande
netteté , les différentes attitudes les plus
nobles & les plus naturelles , foitpour tirer,
foit pour parer.
JUILLET 1766.
TRADUCTION de la Pharfale de LUCAIN
par M. MARMontel.
SECOND EXTRAIT.
Nous avons eu la fatisfaction d'apprendre
que le public a penfé comme nous de
l'excellente préface qui eft à la tête de cette
traduction , & qu'il a confirmé le jugement
que nous en avons porté dans le
Mercure précédent. Nous allons parcourir
l'ouvrage même ; & en fuivant toujours
notre méthode , nous placerons fous les
yeux de nos lecteurs plufieurs morceaux
de l'ouvrage , d'après lefquels il fera aifé.
d'apprécier le travail du traducteur , dont
nous faifons le plus grand cas.
Nous commençons par un endroit qui
a été imité par Corneille dans la Tragédie
des Horaces. « Les deux armées campent
en préfence , feulement féparées par
» un étroit vallon . Dès qu'elles fe virent
» de près , & que de l'un à l'autre camp
», le frère reconnut fon frère , le fils fon
père , le père fes enfans , la fureur des
partis fut étouffée dans leurs larmes.
» D'abord la crainte leur impofa filence .
» & chacun d'eux ne falua les fiens que
و د
92 MERCURE DE FRANCE.
» d'un figne de tête ou d'un mouvement
» de l'épée. Mais bientôt leur amour mu-
» tuel devenu plus preffant , leur fait ou-
ןכ
و د
93
blier la difcipline auftère ; ils ofent
» franchir le vallon & courir s'embraffer
» l'un l'autre . L'ennemi s'entend nommer
» par l'ennemi ; le parent répond au parent
qui l'appelle : tout ce qu'il ya de Romains
» dans les deux camps fe reconnoiffent.
» Ils fe rappellent leur enfance , leur liaifon
, leur ancienne amitié ; leurs armes.
font baignées de pleurs ; des fanglots
entre -coupés fe mêlent à leurs embraf-
» femens ; & , quoique leurs mains n'ayent
pas encore trempé dans le fang , ils fe
reprochent avec effroi tour celui qu'ils
» alloient répandre ».
20
La harangue de Pétréius à fes foldats ,
lorfqu'il apprend que la paix eft jurée ,
& qu'il eft trahi & livré à César , eft un
autre morceau très - éloquent. « Peuple infidèle
à la patrie , & déferteur de fes
"
23
drapeaux , fi le Sénat ne peut obtenir
» de vous d'attendre que Cefar foit vaincu ,"
» attendez du moins qu'il foit vainqueur.
Il vous refte une épée & du fang dans
les veines ; le fort de la guerre eft
» encore incertain ; & vous irez tom-
» ber aux pieds d'un maître ! & vous irez
porter fes étendards ! Il faudra fupplier
JUILLET 1766. 93
"
"
Cefar de daigner fans péril accepter des
» efclaves ! Ne lui demanderez vous pas
» aufli la grace de vos chefs ? Non , perfides
, jamais notre vie ne fera le prix
» d'une lâcheté. Ce n'eft pas de nos jours
qu'il s'agit , & que doit décider la guerre
» civile. Votre paix infâme n'eft qu'une
» trahifon. Ce ne feroit pas la peine d'ar-
» racher le fer des entrailles de la terre ,
» d'élever des remparts , d'aguerir des
» courfiers , d'armer & de lancer des flottes ,
» fi l'on pouvoit fans honte acheter la paix
» au prix de l'honneur & de la liberté . Un
» coupable ferment fuffit pour attacher
» vos ennemis au parti du crime ; & vous ,
» parce que votre caufe eft jufte , la foi qui
» vous lie eft plus vile à vos yeux ! Ils font
» fidèles , & vous êtes parjures. Mais ,
» direz- vous , on nous permet d'efpérer
» notre pardon , O ruine entière de la
pudeur ! O Pompée , dans le moment
même , hélas ! ignorant ten malheur , tu
» léves des armées par toute la terre ; tu
» fais avancer des extrêmités du monde
les Rois ligués pour ta défenſe ; & l'on
traite ici de ta grace ! & peut- être Céfar
la promet ! ,,
"
>>
"
23
>>
"
Voici une autre fituation : c'eft celle de
Vulteïus, & fa harangue à fa troupe pour
l'engager à fe détruire elle même . Ce Ro
94 MERCURE DE FRANCE .
""
23
و د
و د
22
main , commendoit un navire ; il fe réfolut
au combat fans aucun efpoir de falut ,
fans favoir même de quel côté il feroit face
à l'ennemi . Cependant tout ce que peut
la valeur environnée de périls fut éxécuté
dans ce moment terrible . Le choc , il
eft vrai , ne fut pas long ; la nuit qui furvint
ramena le calme, Ce fut alors que ;
d'une voix magnanime , Vulteius releva les
efprits abattus. " Romains , nous n'avons
plus à être libres que le court efpace d'une
nuit. Employez donc ce peu d'inftans
à voir , dans cette extrêmité , quel eſt
le parti que vous devez prendre . La
vie n'eft jamais trop courte quand il en
refte affez pour choifir fa mort. Et ne
,, croyez pas qu'il y ait moins de gloire à
,, prévenir la mort , quand on la voit de
près nul homme en abrégeant fes jours ,
ne fait le temps qu'il eût pu vivre . Il
faut le même courage pour renoncer à
des momens , ou à des années ; l'honneur
en eft à difpofer de foi , & à prévenir
fes deftins . On n'eft jamais forcé à vouloir
mourir ; & c'eft à le vouloir
vertu fe montre. La fuite nous eft interdite
; nous fommes environnés d'ennemis
prêts à nous égorger. Décidons
,, nous ; loin d'ici la crainte ; cédons à là
néceflité , mais en hommes libres , &
و د
و د
و د
"
و د
و د
و د
que
la
JUILLET 1766 . 99
""
""
""
5, non pas en efclaves. Ce n'eft pourtant
», pas dans l'obfcurité qu'il faut périr , &
,, comme des troupes qui , dans les ténébres
s'accablent de traits lancés au hafard
fur un champ de bataille & dans un tas
de morts le plus beau trépas fe perd
dans la foule ; la vertu y reſte enfevelie
,, & fans honneur ; il n'en fera pas ainſi
de la nôtre. Les Dieux ont voulu l'expofer
fur ce théâtre aux yeux de nos
amis & de nos ennemis. Ce rivage , cette
,, mer , les rochers de l'iſle
""
"
"
""
""
""
"
و د
que nous avons
quittée , feront couverts de fpectateurs.
,, De l'un & de l'autre rivage les deux
partis vont nous contempler. O Fortune!
,, tu te prépares à faire de nous je ne fais
quel exemple , grand & mémorable à
,, jamais. Tout ce que la fidélité , le dé-
,, vouement des troupes , a laiffé de monumens
illuftres dans tous les fiècles , cette
brave jeuneſſe va l'effacer . Oui , Céfar
c'eſt faire peu pour toi , nous le favons ,
,, que de nous immoler nous - mêmes ;
,, mais , affiégés comme nous le fommes ,
,, nous n'avons pas de plus grand témoi-
,, gnage à te donner de notre amour. Le
fort envieux a fans doute beaucoup retranché
de notre gloire , en ne permettant
pas que nos vieillards & nos enfans
fe foient trouvés pris avec nous , & dans
و ر
""
"
96$6 MERCURE
DE FRANCE
.
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"
"
le nombre de tes victimes ; mais que
,, ton ennemi fache du moins qu'il eft des
hommes qu'on ne peut dompter ; qu'il
,, apprenne à craindre des furieux réfolus
& prêts à mourir , qu'il béniffe le Ciel
de n'en avoir retenu dans fes piéges
qu'un petit nombre ! Il effayera de nous
tenter en parlant de paix & d'accord ;
il tâchera de nous corrompre par l'offre
d'une vie honteufe. Ah ! plût aux Dieux
qu'il nous fît grace & que le falut nous
,, fût affuré notre mort en feroit bien
plus belle ; & en nous voyant nous la
donner nous-mêmes , on ne croiroit pas
,, que ce fût la reffource du défefpoir . Il
,, faut , amis , il faut mériter , par un cou-
,, rage fans exemple , que Céfar , entre
,, tant de milliers d'hommes qui lui ref-
,, tent , regarde la perte de ce petit nombre
comme un vrai défaftre pour lui.
Non , quand le fort m'offriroit le moyen
de m'échapper , je le refuferois , tant le
péril m'élève l'âme . Romain , j'ai rejetté
,, la vie ; mon coeur n'eft plus éguillonné
,, que du defir d'un beau trépas. Ce defir
va jufqu'à la fureur. Il n'y a que ceux
,, qui touchent à leur terme qui fentent
combien il eft doux de mourir . Les
Dieux ont foin de le cacher à ceux qu'ils
condamnent à vivre , afin qu'ils fubiffent
leur
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JUILLET 1766. 97
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leur fort & qu'ils , daignent fouffrir la
vie
,,.
-Le combat d'Hercule avec Antée est un
morceau de la plus grande force. " Quand
la terre enfanta les Géans , ce fut dans
les antres de la Libye qu'elle conçut le
formidable Antée . Elle en eut plus d'orgueil
que d'avoir engendré les Géans
même de la Theffalie ; & il fut heureux
,, pour le Ciel que ce ne fût pas un des
Titans. Dès que fon corps touchoit la
,, terre fes forces fe renouvelloient. Il avoit
,, un antre profond , pour demeure ; un
vafte rocher lui fervoit de toît ; les lions
étoient fa pâture ; il fe couchoit , non
fur leurs dépouilles , ni fur les débris
des forêts , mais fur le fein nud de fa
mère . D'abord tout périt fous fes coups ;
,, & les habitans des campagnes de l'Affrique
, & les foldats que les flots jet-
,, toient fur ce funefte bord . Long- temps
même la valeur du Géant dédaigna le
fecours de la terre. Quoiqu'il fe tînt
debout fa vigueur naturelle le rendoit
feul infatigable . Enfin le bruit de fes
fureurs attire en Libye le magnanime
Alcide , Alcide qui purgeoit le monde
des monftres qui le ravageoient . Ils s'abordent
; le héros fe dépouille de la
», peau du lion de Némée , le Géant de
Vol. II.
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33
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98 MERCURE
DE FRANCE
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celle d'un lion de Libye . L'un , felon
l'ufage des jeux olympiques , arrofe
d'huile fes membres nerveux ; l'autre ne
fe croyant pas affez fort s'il ne touchoit
du pied fa mère , prend foin de fe
rouler dans un fable brûlant. Leurs bras
& leurs mains s'entrelacent ; ils en for-
,, ment de pefans noeuds autour de leurs
cols inflexibles. Leur tête reſte inébranlable
; leur front fuperbe n'eft point incliné
; chacun d'eux s'étonne de trouver
fon égal. Alcide, en ménageant fes forces ,
épuife celles du Géant ; il le voit hors
d'haleine & couvert de fueur ; il lui
;
fecoue la tête , il lui preffe le fein , il
le fent déja qui chancelle ; déja ſe
», croyant le plus fort , il enveloppe &
ferre dans fes bras le dos & les flancs du
Géant ; & du pied , qu'il enfonça dans
l'aîne , forçant les jambes à s'écarter , il
le pouffe & le jette étendu ſur le ſable.
La terre boit la fueur de fon fils , & il
fent fes veines fe remplir d'un fang dont
l'ardeur le ranime. Ses muſcles s'enflent ,
fes nerfs font tendus , fon corps renouvellé
fe dégage des noeuds dont l'enve-
, loppe Alcide. Alcide eft interdit de voir
qu'il ait repris tant de vigueur . L'hydre
,, & fes têtes menaçantes l'avoient beaucoup
moins étonné , quoi qu'il fût jeun
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JUILLET 1766. 99
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que
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alors & bien moins aguerri . Ils luttent
long-temps , l'un avec les forces , l'autre
avec celle de la terre , & le combat eft
,, douteux. Jamais Junon ne s'étoit flattée
,, avec plus d'apparence de voir Alcide fuccomber.
La fueur inonde ce corps infa-
,, tigable , & cette tête qui , fans fléchir
a foutenu le poids du ciel. Dès
fils du Jupiter veut de nouveau ferrer
Antée entre fes bras , celui- ci fe laiffe
tomber lui-même & fe relève plus affermi.
Tout ce que la terre a de vie & de
force paffe dans le corps de fon fils :
elle fe laffe à lutter contre un homme.
», Alcide enfin s'étant apperçu qu'Antée
alloit puifer dans le fein maternel une
vigueur à chaque inftant nouvelle ; tu
,, n'auras plus , dit - il , cet avantage . Je
,, t'enchaînerai dans mes bras ; c'eft dans
l'air qu'il faut que tu meure . A ces
», mots il enlève de terre le Géant qui fe
débat en vain retomber. La terre ,
féparée de fon fils expirant , ne peut lui
redonner la vie. Alcide le tint fufpendu
loin d'elle ; & , quoi qu'il le fentît glacé,
il fut long- temps fans ofer le lui rendre
de de le voir ranimé ,,.
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"" peur
pour
Dans l'impoffibilité où nous fommes de
citer tous les beaux endroits de cette traduction
, il y en a que nous ne ferons ,
Eij
100 MERCURE DE FRANCE .
qu'indiquer ; telle eft , par exemple , dans
le cinquième livre , la harangue des Soldats
de Céfar à leur Chef, avec la réponſe
de Céfar. La defcription de la tempête
que Céfar effuie eft un exemple de la manière
dont M. Marmontel a adouci les
défauts de l'original , & réduit fes defcriptions
à leurs beautés effentielles . Les adieux
de Pompée & de Cornélie terminent le
cinquième livre & le tome premier ;
c'est par eux que nous finirons cet article
pour le Mercure de ce mois ; nous réfervant
à rendre compte dans le volume prochain
, du fecond tome de cette traduction .
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" Pompée voyant que Céfar avoit raffemblé
toutes fes forces , & qu'ils touchoient
au moment fatal d'une bataille
fanglante & décifive , réfolut de mettre
en fûreté ce qu'il avoit de plus cher au
monde , en envoyant chercher Cornélie
à Lesbos , loin du tumulte affreux des
armes. Ah ! qu'un faint amour a de pouvoir
fur les âmes vertueufes ! Oui ,
Pompée , le danger de ton époufe te
rendoit timide & tremblant à l'approche
des combats. Ce fut elle qui te fit craindre
de t'expofer au même coup du fort
,, qui menaçoit Rome & le monde. Ton
,, âme eft préparée à de triftes adieux ,
mais ta voix s'y refufe encore. Tu te
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JUILLET 1766. 191
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plais même à les différer , à dérober du
moins quelques inftans au fort cruel qui
vous fépare.
"" Ce fut vers la fin de la nuit , quand
le fommeil quittoit leurs yeux , & que
la tendre Cornélie preffoit contre fon
fein le coeur de fon époux , ce coeur
plein de trouble & de peines ; ce fut alors
», qu'elle s'apperçut que , fe refufant à fes
chaftes baifers , il détournoit , en foupi-
,, rant , fon vifage inondé de larmes . Frap-
,, pée jufqu'au fond de l'âme , elle n'ofe
paroître l'avoir furpris verfant des pleurs ,
mais il lui dit en gémiffant : époufe plus
chère pour moi que la vie , je ne dis pas
aujourd'hui que la vie m'eft odieufe
,, mais dans mes jours les plus heureux
voici le moment que j'ai trop différé.
Et que ne puis - je le différer encore !
Céfar avec toutes fes forces vient me
préfenter le combat. Il faut s'y réfoudre ;
rendez - vous à Lesbos : pour vous Lesbos
eft un fûr afyle. Epargnez- vous d'inutiles
prières. Ce que vous me demanderiez ,
,, je me le fuis refufé à moi-même. Vous
,, n'aurez pas long -temps à fouffrir de mon
abfence ; tout va bientôt fe décider..
,, Quand les chofes font à leur comble , le
renverſement en eft rapide & prompt.
,, Quoi qu'il arrive , c'eft affez pour yous
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102 MERCURE DE FRANCE:
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du bruit de mes dangers fans en être
témoin vous - même. Si vous pouviez en
foutenir la vue , j'aurois mal connu votre
,, coeur.. Le dirai -je enfin , j'aurois honte
de paffer avec vous de douces nuits fur
», un champ de bataille , & que les trom-
» pettes qui donneront l'alarme & le fignal
,, au monde me furpriffent entre vos bras.
Pompée auroit trop à rougir d'être feul
heureux au milieu des calamités de la
» guerre. Allez m'attendre loin des périls
qui menacent tant de peuples & tant de
,, Rois. Si je fuccombe , foyez affez loin
» pour ne pas reffentir tout le poids de
» ma chûte. Si je péris dans ma défaite ,
"
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""
1
que la plus belle partie de moi - même
», furvive à mon malheur ; & fi le fort
m'oblige à fuir , preffé par un cruel.
vainqueur, qu'il me refte au moins un
refuge .
39
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33 Cornélie eut à peine la force de l'entendre
& de foutenir l'excès de fa douleur.
D'abord , frappée comme de la
foudre , elle perdit l'ufage de fes fens.
Enfin dès que fa voix put fe faire un
paffage , je ne me plains , dit- elle , ni
des Dieux ni du fort ; ce n'eft ni leur
rigueur , ni celle de la mort , qui rompt
les noeuds d'un faint amour ; c'eft mon
,, époux lui-même qui me chaffe comme
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JUILLET 1766. 103
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""
""
,, une femme répudiée ; c'eft la loi du
divorce que je parois fubir. Oui , hâtons-
,, nous de nous féparer à l'approche de
l'ennemi ; appaifons par - là ton beau-
,, père. O Pompée ! eft - ce ainfi que ma
foi t'eft connue ? Crois - tu qu'il y ait
›› pour moi au monde d'autre fûreté que
la tienne ? Mon fort n'eſt - il pas dès
long - temps inféparable du tien ? Tu
,, veux , cruel , qu'en m'éloignant de toi
,, je laiffe ta tête expofée à la foudre & à
,, cette mine effroyable dont l'univers eft.
,, menacé ! Tu parles d'un afyle affuré
,, pour moi dans le moment même où
,, je t'entends faire des voeux pour ceffer
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""
""
de vivre. Quelque réfolue que je fois à
,, ne pas me voir l'efclave de tes ennemis ,
& à te fuivre dans la nuit du tombeau ,
,, ne vois- tu pas qu'en m'éloignant de toi
,, tu me forces à te furvivre , au moins le
,, temps d'apprendre ton trépas ! Tu fais
plus ; tu m'accoutumes à fouffrir la vie .
,, tu as la cruauté de m'apprendre à vain-
,, cre ma douleur ! Pardonne , je crains d'y
réfifter & de fupporter la lumière. Que
fi les Dieux daignent m'entendre , fi le
fuccès répond à mes fouhaits , veux- tu
», que ta femme foit la dernière à fe réjouir
,, du bonheur de tes armes ? Tu feras vain-
», queur , & moi , tremblante encore fur
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E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
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le rivage de Lesbos , je frémirai de voir
arriver le vaiffeau qui m'en portera la
nouvelle ! Que dis- je , ta victoire même
,, pourra- t-elle me raffurer ? N'aurai-je pas
à craindre encore que dans un lieu ifolé ,
fans défenſe , Cefar , en fuyant , ne
" vienne m'enlever ? Le rivage qui fervira
d'exil à la femme du grand Pompée
,, ne fera que trop célèbre. Qui ne faura
», que c'est à Lesbos que tu auras voulu me
cacher ! Ah ! je t'en conjure pour dernière
grâce , fi le fort des armes ne te
laiffe d'autre reffource que la fuite , en
cherchant ton falut fur les mers , éloigne
toi des bords où je ferai & choifis un
plus fûr afyle . En parlant ainsi , elle fe
lève éperdue ; & , pour ne pas prolonger
le tourment de fon départ , elle s'arrache
,, des bras de Pompée & fe refufe à la
douceur de le preffer encore une fois
dans les fiens. Ce dernier fruit d'un fi
,, conftant amour fur perdu pour l'un &
,, pour l'autre. Ils abrégent leurs plaintes ;
ils étouffent leurs foupirs ; & aucun des
,, deux , en s'éloignant , n'a la force de
dire adieu. Ce fut le plus trifte jour de
leur vie ; car leur âme , endurcie au malheur
, foutint courageufement tout le
,, refte. Cornélie tombe en foibleffe entre
les bras de fes efclaves. Ses efclaves la
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JUILLET 1766. 105
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, portent jufqu'au bord de la mer ; mais
là , fe jettant fur le fable , elle embraſſe
», en pleurant ce rivage chéri & ſemble
vouloir s'y attacher . On l'entraîne enfin
fur le vaiffeau' , & à l'inſtant le vaiſſeau
s'éloigne. Hélas ! ce n'étoit pas ainfi
,, qu'elle avoit quitté fa patrie dont Céfar
s'étoit emparé. Fidèle compagne de
Pompée , tu t'en vas feule ; tu le laiffes ;
,, lui - même il t'oblige à le fuir. O quelle
nuit va fuivre fon départ ! Pour la première
fois feule & fans fon époux dans
,, un lit baigné de fes larmes , peut - elle
» y trouver le repos qu'elle goûtoit à fes
côtés ? Combien de fois dans le fommeil
fes mains errantes & trompées , croyant
,, l'embraffer , n'embrassèrent qu'une ombre
! Combien de fois , oubliant fa fuite ,
,, elle le chercha vainement ! Elle ne prévoit
que les maux de l'abfence ; elle
,, ne craint que de fe voir long - temps
féparer de fon époux . Ah ! malheureufe
Cornélie ! les Dieux ne vont que trop
preffer l'inftant doit te réunir à lui ,, !
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-
E
106 MERCURE DE FRANCE.
LE Voyageur François , ou la Connoiffance
de l'ancien & du nouveau Monde ; mis
au jour par M. l'Abbé DE LA Porte .
A Paris , chez VINCENT , Imprimeur- .
Libraire , rue Saint - Severin , vis- à- vis
de l'Eglife ; 1766 : avec approbation &
privilége du Roi ; tomes 111 & IV , in - 12 .
Nous ne ferons que parcourir aujourréfervant
pour
d'hui le troisième , tome , réfervant
un de nos Mercure fuivants l'extrait du
quatrième volume.
Au fortir de l'Egypte , le voyageur traverfe
la mer rouge , & arrive à Ormuz ,
à Diü , à Surate. Il y a deux fortes de
pilotes fur le Golphe Arabique ; les uns
pour la navigation du milieu ; les autres
pour guider les vaiffeaux entre les bancs
de fable. Ceux - ci avertiffent par des cris
continuels du changement qu'il faut faire
à la manoeuvre. Il règne fur la même
mer en certains temps , temps , un vent brulant
& enflammé , qui coupe la refpiration &
porte dans les entrailles une chaleur que
tous les rafraîchiffemens ne font pas capables
d'éteindre.
JUILLET 1766. 107
Dans l'Ile de Socotra , les hommes qui
ont tous le nom d'un Apôtre , font doux ;
& les femmes qui portent toutes celui de
Marie , font fières & martiales . Autrefois
elles alloient à la guèrre ; & comme les
amazones , elles prenoient les étrangers qui
arrivoient dans leur ifle pour en avoir des
enfans. Elles ufoient pour cela de fortilége
; & conféquemment elles ne devoient
pas être jolies.
Malgré la ftérilité & les chaleurs exceffives
qui donnent à Ormuz l'apparence
d'une fournaife ardente , fa rade eft néanmoins
fi bonne , & fa fituation fi avantageufe
, qu'il étoit paffé en proverbe parmi
les Arabes , " que fi tout l'univers étoit
,, une bague , Ormuz en feroit le dia-
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1
mant 39.0
Jamais la nation Portugaife n'a montré
plus de force & de bravoure que durant
les fiéges de la ville de Diü . Un nommé
Pacheco ayant été bleffé dangereufement ,
commençoit à fe faire panfer , lorfqu'il
entendit le bruit d'une nouvelle attaque ;
il s'échappa d'entre les mains des Chirur
giens pour retourner au combat , où il reçut
une feconde bleffure. La même chofe
arriva jufqu'à trois fois ; & l'ennemi s'étant
retiré , il fe fit panfer de toutes fes
bleffures en même temps. Un foldat man-
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
'
quant de balles , fe fervit de fes dents pour
charger fon fufil. Un autre prit un baril
de poudre entre fes bras , en criant à fes
compagnons : gare , je porte ma mort
& celle d'autrui ,, . Il fe jetta au milieu des
ennemis avec une mêche allumée , & mit
le feu à la poudre . Le baril fauta en l'air,
& fans faire aucun mal à celui qui le portoit
, fit périr plus de cent Turcs .
""
A Surate, les fenêtres ne font pas de verre
comme en Europe ; ce font des écailles de
crocodile , de tortue , ou des nacres de
perles , dont les différentes couleurs rendent
la lumière plus agréable . Les murs ,
les plafonds , les parquets font revêtus de
porcelaine ; & une infinité de vaſes de la
même matière , donnent aux chambres
qu'ils décorent , un air de grandeur , d'opulence
, de propreté & de fraîcheur . Un
Indien ayant eu la curiofité d'affiſter à un
repas d'Anglois à Surate , fut extrêmement
furpris , à l'ouverture d'une bouteille , de
voir fortir la liqueur avec force , auffitôt
qu'on en eût ôté le bouchon . On lui demanda
le fujet de fon étonnement : " ce
n'eft pas , répondit - il , de voir fortir la
liqueur de la bouteille ; c'eft comment
on a pu l'y faire entrer
و و
39
و د
33.
On voit aux environs de Surate , plufieurs
hôpitaux fondés pour les vaches ,
JUILLET 1766. 109
les chevaux , les chèvres , les chiens , les
puces , les poux , les punaifes , &c. Pour
régaler de temps en temps la vermine , en
lui donnant la nourriture qui leur convient
, on paye un pauvre pour paffer une
nuit fur un lit dans un de ces hôpitaux ;
& dans la crainte qu'il ne gêne la réfection
de ces animaux en les écartant avec
les mains , ou que la douleur ne l'oblige
à fe retirer , avant qu'ils ne foient raffafiés
, on a la précaution de l'attacher de
manière que rien ne puiffe les troubler
dans leur repas.
Le vafte empire du Mogol fait le fujet
de plufieurs lettres. Un Gouverneur de la
ville d'Amadebat , capitale d'une des provinces
de l'Indoftan , avoit demandé une
troupe de courtifannes pour l'amufer après
fon repas , en danfant toutes nues devant
lui , comme c'est l'ufage dans le Mogol .
On vint lui dire qu'elles étoient malades ,
& qu'elles ne pouvoient paroître ce jour
là. Il ordonna de les amener dans l'état
où elles étoient. Et fes gens lui répétant la
même excufe , il tourna contre eux toute fa
colère.Alors ces malheureux qui craignoient
la baftonnade , lui avouèrent que ces femmes
n'étoient pas malades ; mais qu'étant
employées dans un autre endroit où elles
gagnoient de l'argent à un autre exercice
110 MERCURE DE FRANCE.
que celui de la danfe , elles refufoient de
venir , parce qu'elles fçavoient bien qu'il ne
les payeroit point. Il en rit ; mais en même
temps il les envoya prendre par un détachement
de fes gardes. Elles ne furent pas
plutôt entrées dans la falle , qu'il commanda
qu'on leur tranchât la tête. Elles demandèrent
la vie avec des cris épouvantables ;
mais il voulut être obéi ; & cette exécution
fe fit , fans qu'aucuns des affiftans ofât
intercéder pour ces miférables , qui étoient
au nombre de huit. " Quel contraſte cet
excès de cruauté forme avec la douceur´
de notre gouvernement ! En France une
danfeufe ou une actrice manque impunément
au public fous le plus léger pré-
,, texte de maladie , & quelquefois même
,, fans prétexte ,,. Comme cet horrible
fpectacle caufoit de l'étonnement à des
étrangers qui en furent témoins , le Gouverneur
fe mit à rire & leur dit : Si j'en
ufois autrement , je n'aurois bientôt plus
d'autorité ; & vous verriez , ajouta- t- il ,
,, en montrant ceux qui étoient autour de
lui , que ces fils de P... feroient les
maîtres & me chafferoient de la ville
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93
Les femmes de ce pays , ainfi que les
hommes , mâchent continuellement
de la
feuille de bétel ; ce qui leur noircit extrêmement
les dents & les gencives. Mais
JUILLET 1766 . II
elles font parvenues à croire elles- mêmes
& à perfuader aux hommes , qu'il eft beau
de les avoir de cette couleur. Elles raillent
à ce fujet les Européens " qui ont , difentelles
, les dents blanches comme les
chiens & les finges ,, ; c'eſt qu'elles ne
connoiffent pas tous les Européens.
Un divertiffement qui accompagne fou
vent les fêtes qui fe donnent à la Cour
du Mogol , eft une efpèce de foire qui fe
tient dans le Serrail par les plus jolies femmes
de la Cour . Elles étalent diverfes étoffes
d'or , d'argent & de foie , des ouvrages de
broderie , de riches turbans , & toutes fortes
d'autres marchandifes. L'Empereur parcourt
toutes les boutiques , & marchande
ce qu'il trouve fous fa main , comme pourroit
faire un fimple particulier . On difpute
de part & d'autre fur les prix ; & fouvent
on en vient aux injures . Quelquefois on
y admet des danfeufes , des actrices , des
femmes galantes. Il y en a d'auffi riches
qu'en France , & qui ont fur elles , comme
à Paris , pour plus de vingt mille écus de
diamans. Les Seigneurs s'en amufent &
les traitent d'ailleurs avec beaucoup de
dureté témoins ce Gouverneur d'Ama-
;
dabat dont nous venons de parler . Le
trait fuivant , quoique moins férieux ,
prouve également le trifte fort de ces créa112
MERCURE DE FRANCE.
tures , qui jouiffent en France d'une plus
heureufe deftinée . Un Empereur avoit un
favori qui s'étoit rendu fi agréable par fon
efprit & la gaîté de fa converfation , qu'il
ne fe paffoit pas de jour , que le Monarque
ne le fît venir. Un jour que ce Seigneur
avoit pris médecine , l'Empereur , qui vouloit
fe réjouir , lui envoya une troupe de
danfeufes , & leur commanda de fe découvrir
le derrière & de ch .... en fa préfence.
Le courtifan , à qui elles fignifièrent
l'ordre du Monarque , & qui vouloit à
fon tour tirer parti de cette plaifanterie
pour divertir fon maître , leur demanda
fi c'étoit là tout ce que l'Empereur leur
avoit ordonné. Il ne nous a point commandé
autre chofe , répondirent les danfeufes
, qui fe mirent en devoir d'exécuter
les ordres du Prince . Suivez - les ponctuellement
, reprit le courtifan , mais prenez
garde d'en faire plus qu'il ne vous a dit.
S'il vous arrive de piffer en faiſant vos
ordures , je vous ferai fouetter jufqu'au
fang. Il n'y en eut pas une qui voulût
s'expofer à ce danger. Elles retournèrent
donc à la Cour , & rapportèrent au Prince
la réponſe de fon favori. Le Monarque
s'en divertit , & fut le reste du jour de fort
bonne humeur.
Dans un petit village près de Cambaye
JUILLET 1766. 113
on voit un temple célèbre par le genre des
pélerinages qui s'y font. La plupart des
courtifannes de l'Inde y apportent leurs
offrandes. Il eſt rempli de nudités , entre
lefquelles on remarque particulièrement
une grande figure d'homme dans un état
indécent. C'eſt l'idole la plus révérée des
vieilles courtiſannes . Celles qui ont amaffé
une fomme d'argent pendant leur jeuneffe ,
l'employent à acheter de petites filles qu'elles
forment à tous les exercices de leur
profeffion. Ces jeunes efclaves , que leurs
maîtreffes mènent à la pagode à l'âge d'onze
ou douze ans , regardent comme un bonheur
d'être offertes à l'idole , & lui promettent
qu'après avoir vieilli dans le métier
, elles formeront à leur tour de jeunes
élèves qui perpétueront fon culte.
On fait dans la ville de Sérange une
forte de gaze ou de toile fi fine , qu'étant
fur le elle le laiffe voir comme à
corps ,
nud. Le tranfport n'en eft pas permis aux
Marchands. Le Gouverneur les prend
toutes pour le Serrail de l'Empereur . Les
Sultanes en font des chemifes & des robes
que le Prince , par un rafinement de volupté
afiatique , aime à leur voir porter. Il jouit ,
fous l'apparence du vêtement , de tout le
plaifir de la nudité.
Dans un pays où bien des femmes fe
114 MERCURE DE FRANCE.
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"" ;
brûlent après la mort de leurs maris , il
étoit difficile que notre voyageur ne
fût fouvent témoin de pareilles cataftrophes.
"Je n'avois point encore vu ,
dit- il ,
cette cérémonie ; & je vous avoue que ,
malgré l'éloignement qu'on éprouve
à voir périr fon femblable , je me livrai
à ma curiofité , & voulus être témoin de
,, ce fpectacle. Comme le Grand Mogol ,
les Vice- Rois , les Gouverneurs de l'Inde
font profeffion de la religion Mahomé-
,, tane , ils tâchent d'abolir , autant qu'il
leur eft poffible , cette coutume payenne
& barbare mais c'est un préjugé fi
bien établi dans quelques contrées , qu'on
n'en voit encore que trop fouvent des
,, exemples . Plutôt que de ne pas faire ce
,, facrifice , plufieurs femmes paffent dans
,, un autre pays où la religion des Gentils
a plus de liberté. Si elles ne fuivent
» point cette pratique odieufe , elles font
expofées à mille outrages. Il faut qu'elles
fe coupent les cheveux , ce qui eft la
peine la plus honteufe qu'elles puiffent
,, éprouver ; qu'elles fe livrent aux emplois
lesplus vils , & qu'elles foient diftinguées
,, par une efpèce d'habillement rouge, confacré
à l'humiliation. On croit que l'origine
de cet ufage cruel vient d'un pays
» où les femmes qui fe laffoient de leurs
33
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JUILLET 1766. 115
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"
"
.33
,, maris , ne faifoient pas difficulté de les
empoifonner. L'obligation de fe brûler
vives après leur mort fut regardée comme
le moyen le plus efficace de les contenir .
On leur a même perfuadé que celles
qui ont le courage de ne point furvivre
à leurs maris , vont jouir avec eux d'une
vie délicieufe. Une femme jaloufe de
ce bonheur obtint , à force d'argent , du
Gouverneur de Ragimohol , la permiffion
d'être brûlée avec le corps de fon
époux qu'elle avoit perdu depuis quel-
,, ques jours. J'allai à une demi-lieuë de
la ville , fur le bord du Gange , qui en
baigne les murs , dans un lieu où les
Indiens ont coutume de brûler les corps
morts. On y voyoit celui d'un homme
dont les pieds trempoient dans la rivière.
Vis-à- vis de lui , à trois pas fur le rivage,
il y avoit une petite hutte de fix pieds
en quarré , conftruite avec du bois & de
la paille . En dedans étoit un bûcher à
l'élevation d'un fiége ordinaire. Tandis
que je confidérois ce funefte appareil , ·
la femme du mort s'avança couverte
d'un drap , fuivie d'une foule de peuple ,
,, & précédée de la mufique du pays ,
,, compofée de hautbois & de tymbales.
Des filles & des femmes chantoient &
danfoient devant la veuve , qui étoit .
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116 MERCURE DE FRANCE.
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parée de fes plus beaux habits , & avoit
les doigts , les bras & les jambes chargées
de bagues , de bracelets & d'autres
,, ornemens précieux. Lorfqu'elle fut arrivée
à cent pas du lieu où j'étois , elle
,, entra dans l'eau avec plufieurs autres
femmes de fes parentes & de fes amies
qui l'accompagnoient. Elles y firent quel-
" ques prières qu'elles répétérent à cin-
», quante pas de là . Comme elle approchoit
,, du corps de fon mari , on alla le prendre
,, & le porter fur le bûcher ; & pendant
» ce temps -là elle entroit dans l'eau pour
la troifième fois. Elle y refta un peu plus
"3
""
"
و ر
""
""
"
""
""
"
""
""
de
temps que les deux premières ; & elle
marcha enfuite vers la petite hutte , dont
elle fit trois fois le tour. Ses parentes &
fes amies vinrent l'embraffer , la félicitèrent
en lui difant le dernier adieu ; &
elle diftribua parmi elles tous fes joyaux.
Il parut alors un jeune homme d'environ
feize ans qui , s'étant jetté à fes pieds ,
témoigna par fes foupirs & par fes larmes
, combien il étoit fenfible au mal-
,, heur de perdre dans le même bûcher les
deux perfonnes qui lui avoient donné
la vie , & qui lui étoient les plus chères.
,, Mais la mère , toujours ferme , & fans
donner la plus légère marque d'émotion ,
», entra dans la petite loge , s'affit fur le
ور
"
ود
""
و ر
JUILLET 1766. 117
ود
99
ور
""
""
fes
,, bûcher & mit le corps de fon mari ſur
Alors on lui préſenta un
genoux. Alors on lui
flambeau allumé ; & elle le prit pour
,, mettre le feu elle- même aux fagots . En
même temps on boucha l'entrée de la
loge avec du bois & de la paille ; après
quoi huit ou dix hommes prefque nuds ,
,, beaucoup plus hideux que nos forgerons
,, de France , mirent le feu de tous côtés
,, en dehors , afin d'aider celui du dedans.
Ils y jettèrent de l'huile & firent des
hurlemens épouvantables , fans doute
» pour empêcher que cette femme ne fut
entendue des affiftans , en cas que la douleur
lui arrachât quelques cris. Je vous
,, avoue que ce fpectacle me caufa une
peine que je fens fe renouveller en moi
toutes les fois que j'y penfe ; & je fus
bien puni de ma curiofité ,,.
22
""
و د
و د
و ر
و د
Nous ne finirions pas fi nous voulions
rapporter ici tout ce qu'offre de fingulier
chaque page de cette relation . On compte
plus de vingt mille femmes publiques dans
la capitale de Golconde . Voici un fait qui
prouve jufqu'où va la foupleffe de ces
créatures. Le Roi voulant aller à Mafulipatan
, neuf d'entre elles ufèrent de cet
expédient pour lui fervir de monture . Elles
repréfentèrent la figure d'un éléphant :
quatre faifoient les quatre pattes ; quatre
118 MERCURE DE FRANCE.
autres formoient le corps de l'animal &
une la trompe. Le Roi , monté fur ce groupe
indécent & grotefque , fit , dans une eſpèce
de trône , fon entrée dans la ville.
Ce qui diftingue principalement le
Royaume de Golconde des autres contrées
de l'Afie , c'eft la richeffe de fes mines
de diamans . Elles font ici un article curieux
& inftructif ; il faut le lire dans l'ouvrage
même.
On trouve fur la côte de Coromandel
un peuple dont le culte eft le comble de
l'impudicité. Les Prêtres adorent folemnellement
le Dieu Priape , qu'ils appellent
Lingan , & ils portent au cou une figure
obfcène à laquelle ils donnent le même
nom , & qui eft le fymbole impur de ce
Dieu. En vertu d'une loi établie par les
Prètres Linganiftes , il faut que les jeunes
filles leur proftitue leur virginité .
L'hiftoire de la Compagnie des Indes
Françoife , Angloife , Hollandoife & Portugaife
eft écrite avec beaucoup de clarté
& dé précifion. Ce morceau eft un des
plus inftructifs. On y trouve en particuliefdes
détails curieux & intéreffans fur
Pondichéry.
L'Ifle de Ceylan offre d'autres objets de
curiofité. On fait une garde fort exacte
fur tous les chemins qui conduifent à la
JUILLET 1766. 119
Cour. Il n'y paffe perfonne fans un fceau
que l'on reçoit des Officiers établis pour
cette diftribution. Ces fceaux font différens
, fuivant la qualité ou la profeffion
de ceux qui les demandent . Celui d'un
foldat repréfente un homme armé. Pour
un laboureur , c'eft la figure d'une perfonne
qui porte deux facs attachés aux deux extrêmités
d'un bâton « Comme Européen
dit notre voyageur , on me donna pour
,, mon paffeport , le portrait d'un homme
qui avoit l'épée au côté & le chapeau
fur la tête """
""
""
Les Ceylanois donnent à leur Prince des
titres qui l'égalent à leurs Dieux ; & , lorfqu'ils
lui parlent d'eux- mêmes , c'eſt avec
un excès d'humiliation qui les rabaiffe au
rang
des animaux. Ainfi , au lieu de dire ,
j'ai fait , ils difent : le membre d'un chien
a fait telle chofe.
La paffion pour le jeu eft une fureur
chez ces infulaires. Quand ils n'ont plus
rien à perdre , ils jouent jufqu'à leur membres
; c'est-à-dire , que celui qui a perdu
La partie , pofe fa main fur une pierre , &
on lui coupe le bout du doigt , qu'il treme
auffi - tôt dans de l'huile bouillante toute
préparée pour cautérifer la plaie. Quelquesuns
s'opiniâtrent de telle forte , qu'ils n'a120
MERCURE DE FRANCE.
bandonnent le jeu qu'après avoir eu tous
les doigts coupés.
La complaifance eft extrême pour le
fexe dans l'Ile de Ceylan . Il eſt reſpecté
jufques dans les animaux ; & , par une loi
qui eft peut- être fans exemple , non-feulement
les terres dont les femmes héritent
ne doivent rien au Roi , & font exemptes
des droits de la douane , mais on ne paiè
rien non plus pour ce que porte une bête
de charge femelle .
Dans le Royaume de Calicut , fur la
côte de Malabar , il eft permis aux femmes
d'avoir plufieurs maris. On prétend que
lorfqu'un d'eux rend fecrétement vifite à
fa femme , il laiffe à la porte ou ſes armes
ou quelque figne qui avertit fes rivaux de
ne pas entrer. Ceux- ci refpectent fes plaifirs
, dans l'efpérance d'en prendre à leur.
tour qu'il refpectera également. « Je ne
,, garantis pas ce fait , qui fans doute eſt
exagéré ; à moins qu'on ne prenne pour
union conjugale ce qui n'eft qu'un fimple
commerce de galanterie ; & , dans
,, ce cas , les moeurs Malabares fe rapprochent
en ce point des ufages de certaines
,, rues de Paris. La voie du divorce eft
*,, permife aux femmes ainfi qu'aux hommes.
Ces féparations font fréquentes ,
, د
و د
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و د
و د
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mais
JUILLET 1766. 121
و د
""
mais elles fe font à l'amiable & fans aucune
plainte ni procès de part ni d'autre . Une
femme naturellement inconftante fait
cinq à fix divorces dans fa jeuneffe. Une
,, autre , fans fe féparer de fon mari , vit
,, en même temps avec plufieurs amans ;
,, & c'eſt encore un point fur lequel quelques
Françoifes différent peu des femmes
و د
de Calicut
33°
L'article de Goa commence par une
relation curieuſe fur le tribunal de l'Inquifition
; il faut la lire dans l'ouvrage même .
Le reste de la lettre , ainfi que toute la
fuivante , préfente les détails les plus piquans
, & qui ne fe trouvent raflemblés
en fi grand nombre dans aucun voyageur.
Voici ce qui regarde les efclaves de l'un
& de l'autre fexe. Ils fe vendent publiquement
à Goa avec plus d'indécence qu'en
Turquie. On les conduit en troupes dans
une place , & chacun a la liberté de les
examiner curieufement , & de les vifiter
même dans les endroits du corps les plus
fecrets. Les plus chères ne coûtent que
vingt écus , quoiqu'il s'y trouve des hommes
bien faits & des femmes charmantes .
On voit dans les inêmes marchés des efclaves
qui ne font point à vendre , mais qui ,
par ordre de leurs maîtres , cherchent des
Occupations convenables à leurs talens pour
Vol. II.
F
12222 MERCURE
DE FRANCE
.
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groffir leurs revenus. " Les plus belles
filles font employées à la vente des fruits
& autres denrées , afin que leur beauté
attire les marchands , ou que , par un
double commerce , elles apportent un
double profit. Elles fe parent avec foin
,, pour plaire aux fpectateurs ; & le genre
d'occupation qu'elles ont en ville , n'eſt
pas d'un médiocre produit pour les Portugais
,
و ر
""
,
Outre les efclaves & les moines , qui
compofent la plus grande partie des habitans
de Goa , on y diftingue encore différentes
claffes de citoyens . Les Caftices , qui
font nés de père & de mère Portugais ; les
Métis , dont le père eft Portugais & la
mère Indienne ; & les Indiens naturels ,
nés de père & de mère Indiens . Parmi les
caftices , les uns font employés dans les
principales charges : " les autres font Gentilshommes
ordinaires de la Maiſon du
Roi , Gentilshommes nouvellement ennoblis
, Gentilshommes valets de chambre
, Gentilshommes marchands , Gentilshommes
artifans , Gentilshommes foldats
. Ils ont tous l'épée au côté , font
vêtus de foie , & paroiffent en public
,, avec la même gravité & prefque la même
fuite que les véritables nobles. A la réferve
de quelques- uns qui coupent le
و د
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>>
و د
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""
JUILLET 1766. 123
99 cuir pour les fouliers , tous ces Maîtres
Gentilshommes font faire leur métier
,, par des efclaves
و د
Nous avons pris au hafard les différens
traits que nous avons rapportés ; c'eſt partout
la même manière de voir , d'écrire
& de raconter. Nous continuerons nousmêmes,
dans le prochain Mercure, la même
façon de parcourir ce qui nous refte à connoître
.
LA RAMÉIDE , poëme , par M. RAMEAU;
1766.
NOUS
ous avons promis , dans un de nos
Mercures précédens , de faire voir , par des
détails tirés de fon Poëme , que M. Rameau
, neveu du grand Muficien de ce
nom , a encore d'autres titres qui doivent
le rendre intéreffant au public. Ces titres
font fes talens pour la poéfie & pour la
mufique.
J'ai fait plus d'une fois bruit des fruits de ma
verve ;
Et je fuis fûr encor que dans bien plus d'un lieu
J'ai fait parler auffi de Rameau le neveu .
Sur- tout en Bourgogne par des airs du
pays , qu'on appelle fauteufes ; par celle
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
entr'autres fur laquelle on chante les paro
les de M. Favart , la petite Life , & c . Enfuite
à Lyon , à Metz , à Nevers , en Champagne
& chez les Grifons . M. Rameau le
neveu a depuis fait imprimer de nouvelles
pièces de clavecin , diftribuées en ſix fuites
d'airs de différens caractères , & intitulées :
la Voltaire, les trois Rameaux , le Général
d'Armée , le François aimable , la Toujours
nouvelle , &c. &c. &c.
J'entonnai le clairon & la fierre trompette ;
Je fis pour le hameau raifonner la mufette.
• ·
Avant Rameau peut-être on auroit pu me voir
Paroître avec éclat dans le rang du favoir.
M. Rameau fe plaint de ce que , malgré
les talens qu'il a montrés dans la double
carrière de la poéfie & de la mufique , il
ne vit pas dans l'aifance que devroient lui
procurer fes fuccès.
Moi , dont jamais le gain n'égala la dépenſe ,
Et qui connois encor la parfaite abſtinence.
Mais de loin qui croira qu'un Auteur de mon nom
Ne tient pas dans Paris la meilleure maiſon ?
L'Auteur fe croit en droit de demander
la récompenfe de fes talens & de ceux de
JUILLET 1766. 125
fon oncle , dont il fait par- tout un juſte
éloge ; c'eft à - peu - près le fujet du premier
chant , qu'il appelle fes Objections .
Dans le fecond , intitulé la Défenfe du
goût , M. Rameau combat le fyftème de
M. Rouffeau de Genève fur la mufique . Il
revient à fes objections dans le troiſième
chant , c'est - à - dire , à fon peu d'aifance
que le nom qu'il porte devoit faire difparoître.
Il faut , felon les fiens , une honnête retraite ;
Le Ciel qui nous fit naître en contracte la dette .
Ce n'eft pas la faute de M. Rameau fi
fon étoile ne lui a pas été plus favorable.
Fils & neveu de deux hommes à talens ,
il a cherché de bonne heure à s'avancer
dans le monde par la même voie.
A l'âge de vingt ans , ayant perdu ma mère ,
Je me trouvai contraint fous les loix de mon père,
Pour les autres fi bon , de moi trop exigeant ,
De quitter la maifon fur la foi du talent.
Il femble que le Ciel m'ait fait pour les revers ;
Connoiffant mon devoir je les ai tous foufferts.

Sans difputer de rang aux neveux des Corneilles
Ne puis-je rien devoir aux Rameaux , à leurs
veilles ,
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
1
Et par quelques bienfaits en reffentir les fruits ,
A titre de neveu comme à titre de fils ?
Peut-être qu'échauffé d'une faveur légère ,
Je chanterois encore après l'oncle ou le père ,
Eprouvant la fortune & des jours tout nouveaux ,
Mes chants pourroient s'accroître & devenir plus
beaux.
Le quatrième chant eft intitulé , Honneur
aux grands , Hommage à l'amitié.
Ici M. Rameau rappelle à fes lecteurs le
nom des perfonnes illuftres qui l'ont protégé
& accueilli .
J'ai fous l'habit du Roi paru fix fois en lice ;
L'on fait combien je fus aimé du grand Maurice.
La plupart des autres protecteurs de
M. Rameau ne font pas d'un rang moins
diftingué.
Le cinquième chant eft appellé Réponse
à tout. L'Auteur propofe à l'Etat divers
moyens de lui faire le bien qu'il femble
avoir mérité par fes talens &
par fon nom .
Il eft plufieurs moyens par où l'on peut m'en faire.
Sur la caiffe lyrique * ; ou bien qu'on délibère ,
Sur quelque bénéfice ; on me vit en rabat ;
J'ai la tonfure enfin ; j'en aime encor . l'état.
1
* Penfion fur les fonds de l'Opéra .
JUILLET 1766. 127
Mais il fut marié , dira quelque bonne âme ;
Il eut vraiment beau fils, & toute aimable femme.
J'en ai porté le deuil ; on vit couler mes larmes ;
D'une fi digne épouſe , en rappellant les charmes ,
C'eft pour louer ici qui mérita ma foi.
Mais au fervice encor , fi Dieu ne lui pardonne
Eh bien, qu'eſt-ce , Meffieurs ? je n'ai tué perfonne.
Quand je montrai du coeur , quand j'eus de la
vertu ,
Je fus jaloux d'honneur , non de fang répandu .
Pour l'églife ( il n'eft rien qu'ici je doive taire ) ;
J'ai fait depuis l'épée un an de féminaire .
Senfible à la faveur , en court ou long manteau ,
L'on verroit déformais le neveu de Rameau ,
Sous cet habit pieux , renonçant à la gloire ,
Qu'on accorde à mon nom ,
du moins que je
veux croire ,
Je ferai tout entier à mes dix luftres faits ,
A l'étude du fage , où je me livrerois.
Attentif & foigneux à donner bons exemples ,
Plus qu'en tout autre lieu l'on me verroit aux
temples.
Mais fi , pour cet état nulle porte ne s'ouvre ,
Je ne vois point l'abus d'un logement au Louvre,
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
3
Nous defirons ardemment que les
voeux de M. Rameau foient remplis : ce
qui s'eft paffé il y a quelques années à l'égard
d'un parent de Corneille , eft fait pour
donner de la confiance au neveu du grand
Rameau.
ANNONCES DE LIVRES.
ESSAIS Anatomiques contenant l'hiftoire
exacte de toutes les parties qui compofent
le corps de l'homme , avec la manière
de les découvrir & de les démontrer ;
ornés de figures : par M. Lieutaud , ancien
Profeffeur Royal d'Anatomie , Médecin
ordinaire de Monfeigneur le Dauphin &
des Enfans de France , Membre de l'Académie
des Sciences de Paris ; nouvelle édition
, revue & augmentée. A Paris , chez
d'Houry , Imprimeur- Libraire de Mgr . le
Duc d'Orléans ; Guillyn & Didot , quai
des Auguftins ; 1766 : avec approbation
& privilége du Roi ; in - 8° .
Les Médecins & les Chirurgiens connoiffent
le mérite de cet ouvrage , imprimé
& connu depuis long- temps . Les additions
faites dans cette nouvelle édition lui donJUILLET
1766. 129
nent une grande fupériorité fur les précédentes.
L'AMI de la concorde , ou Effai fur les
motifs d'éviter les procès , & fur les moyens
d'en tarir la fource ; par un Avocat au
Parlement. Londres ; 1765 : brochure in 8 °.
Cet ouvrage a deux parties : dans la première
l'Auteur nous offre un tableau de la
manière dont les procès font inftruits &
jugés ; des abus & malverfations qui s'y
commettent ; des foins , des peines , des
inquiétudes & des dangers auxquels on
s'expofe en plaidant , & des frais immenfes
qu'on ne peut éviter. Comme il eft raifonnable
de fuppofer que la volonté des hommes
s'accordera toujours avec leurs intérêts
, il y a lieu de préfumer que ce tableau ,
comme un abyfme effrayant , détournera le
plus grand nombre de l'envie de plaider.
Dans la feconde partie on propofe un
moyen de prévenir les occafions de procès ,
qui eft de rendre les hommes bons & juftes
en les inftruifant jeunes des devoirs qu'ils
doivent remplir les uns envers les autres ;
de graver de bonne heure dans leur coeur
les principes d'une bonne morale- pratique,
qui doivent être la règle d'une bonne conduite.
Un Avocat qui veut empêcher les
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
procès eft un Médecin qui defire qu'il n'y
ait point de malades .
HISTOIRE de l'Orléannois , depuis l'an
703 de la fondation de Rome jufqu'à nos
jours ; par M. le Marquis de Luchet. A
Amfterdam , & fe trouve à Paris , chez
Guefier fils , au bas de la rue de la Harpe ,
prefque vis -à vis celle de Saint Severin , à
la liberté ; 1766 : in-4°.
On ne donne encore qu'un volume de
cette hiftoire ; nous rendrons compte de
F'ouvrage entier lorfqu'il fera fini . On
trouve dans ce qui paroît jufqu'à préfent
de l'impartialité , de l'amour du vrai , du
refpect pour la vertu & de la connoiffance
des hommes.
LES Pêcheurs , Comédie en un acte ,
mêlée d'ariettes , repréfentée fur le théâtre
des Comédiens Italiens ordinaires du Roi ,
le Juin 1766. La mufique eft de M. F. J.
Goffec. Prix 1 liv . 4 fols avec la mufique.
A Paris , chez Vente , Libraire , montagne
Sainte Geneviève ; 1766 : avec approbation
& permiffion ; in - 8 °.
Nous renvoyons nos lecteurs à l'article
des fpectacles d'un des Mercures précédens,
où il a été fait mention de cette Pièce.
ÉLOGE hiftorique de Jean de Gaffion ,
JUILLET 1766.
Maréchal de France ; difcours préfenté à
l'Académie de Peau en Béarn ; par M.
Moline. A Pau ; & fe trouve à Paris , chez
Dufour , Libraire , quai de Gêvres , au
bon Paſteur ; 1766 : in- 8 °.
L'éloge de M. de Gaffion avoit fans
doute été proposé pour le fujet du prix
d'éloquence à Pau ; & fi M. Moline` n'a
pas été couronné , il faut du moins convenir
que fon difcours mérite des louanges.
DE fatellite Veneris , à Maximiliano
HELL , è S. J. Aftronomo Cafareo Regio
Univerfitatis Vindebonenfis. Vienna, typis &
fumptibusJOANNIS -THOME DE TRATTNERN
, Caf. Reg. Maj. Aula Typographi
& Bibliopola ; 1765 in- 8 ° .
Cette differtation fur le fatellite de
Vénus eft d'un Jéfuite Allemand , favant
Aftronome , qui eft en correfpondance
avec quelques François qui nous ont fait
tenir un exemplaire de fon ouvrage , dont
ils font le plus grand cas .
OBSERVATIONS fur le Traité hiftorique
& critique de M. Fournier le jeune , fur
l'origine & les progrès des caractères de
fonte pour l'impreffion de la mufique ; par
MM. Gando père & fils . A Berne , & fe
trouve à Paris , chez Moreau , Libraire-
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
Imprimeur de la Reine & de Mgr. le
Dauphin , rue Galande ; 1766 : in- 4° .
Dans le Traité de M. Fournier , qui
parut au mois d'Octobre dernier , il y a
quelques traits dont MM. Gando' croient
avoir à fe plaindre : & c'eft ce qui leur a
fait prendre la plume. Mais il y a dans
cet écrit des chofes qui ne font pas purement
perfonnelles , & dont les curieux feront
très - fatisfaits , fur - tout par rapport
à la manière d'imprimer la mufique.
ORAISON funèbre de très - haut , trèspuiffant
& excellent Prince , Monfeigneur
Louis , Dauphin ; prononcée le quatrième
de Mars 1766 , en l'Abbaye d'Abecour ,
Ordre de Prémontré , près Saint- Germainen-
Laye ; & depuis en la principale égliſe
de Chambly , & en l'Abbaye des Dames
Bénédictines de Saint- Paul , près de Beauvais
; par Dom de Belloy , Chanoine Régulier
de l'Ordre de Prémontré , Prieur
de l'Abbaye d'Abecour. A Paris , chez
Aug. Mart. Lottin , l'aîné , Libraire , rue
Saint Jacques , près Saint Yves ; 1766 :
avec approbation & permiffion ; in- 8 ° .
>>
" Vous verrez dans ces traits un grand
Prince felon Dieu & felon le monde .
Un Prince qui fait triompher de tout
,, ce que le monde a de plus enchanteur,
,, & fe concilier en même temps l'amour
"
JUILLET 1766. 135
, de toute la nation par les vertus même
,, de fon état ; un Prince qui fçut triompher
de toutes les adverfités de la vie ,
,, & même de la mort , en fouffrant patiemment
, en mourant en prédeftiné
39
ORAISON funèbre de très - haut , trèspuiffant
& très- excellent Prince Staniſlas I,
Roi de Pologne , Grand Duc de Lithuanie
, Duc de Lorraine & de Bar ; prononcée
dans l'églife de Paris le 12 Juin 1766 ;
par Meffire Jean de Dieu Raymond de
Boifgelin de Cucé , Evêque de Lavaur. A
Paris , chez Hériffant fils , Libraire , rue
Saint Jacques ; 1766 : avec approbation &
permillion ; in-4°.
""
"
"
""
66
Après avoir donné de grandes leçons
à tous les hommes dans les viciffitudes
de fa vie , Staniflas donne à tous les
Souverains de grands exemples dans la
douceur & la fageffe de fon règne ,,. On
a admiré dans ce difcours la jufteffe du
texte appliqué au Roi Stanifas . Voici les
paroles françoifes , traduites d'un verfet du
fecond livre des Rois. Seigneur , vous me
fauverez dumilieu des contradictions de mon
peuple ; vous conferverez mon rang parmi
Les chefs des nations ; un peuple qui m'eft
inconnu me fera foumis.
134 MERCURE DE FRANCE.
JOURNAL de Rome , ou Collection des
anciens monumens qui exiftent dans cette
Capitale & dans les autres parties de l'Italie
, repréfentés & gravés en taille - douce ,
& expliqués fuivant les obfervations faites
fur les lieux , par des Profeffeurs & des
amateurs de la belle antiquité, actuellement
à Rome : dédié à MM. Robert & Jacques
Adam , Architectes Ecoffois. Proposé par
foufcription. A Paris , chez Nyon , Libraire,
quai des Auguftins , à l'occafion ; 1766 :
avec approbation & privilége du Roi ;
in-4°.
Dans le courant d'une année , à compencer
par la publication du premier volume
, on donnera quatre Journaux plus
ou moins étendus , mais qui feront toujours
au moins de vingt feuilles d'impreffion ,
fans compter les planches. Le prix annuel
des quatre Journaux fera de quarante - huit
livres , monnoie de France ; les foufcripteurs
paieront toujours deux Journaux d'avance
, c'eft- à- dire , vingt- quatre livres en
foufcrivant , & les autres vingt - quatre
livres en recevant le fecond Journal ; &
ainfi de même pour les années fuivantes.
On pourra foufcrire chez les Imprimeurs
& Libraires des principales villes de l'Europe.
Toutes les lettres écrites à ce fujet
JUILLET 1766.
135
doivent être affranchies par les foufcripteurs
qui également paieront le port des Journaux.
On foufcrit à Paris , chez Nyon ,
quai des Auguftins.
LA Religion Chrétienne prouvée par
un feul fait , ou Differtation où l'on démontre
que des Catholiques à qui Hunneric
, Roi des Vendales , fit couper la langue ,
parlèrent miraculeufement le refte de leur
vie ; & où l'on déduit les conféquences
de ce miracle contre les Ariens , les Sociniens
& les Déiftes , & en particulier contre
l'Auteur d'Emile , en répondant à leurs
principales difficultés . A Paris , chez Barbou,
rue & vis-à-vis de la grille des Mathurins
, & à Villefranche - de- Rouergue , chez
Pierre Videlhié , Imprimeur ; 1766 : avec
approbation & privilége du Roi ; in 12.
Le titre de cet ouvrage fera fentir de
quelle importance peut être un pareil écrit ,
& l'impreffion qu'il doit faire fur l'efprit
des lecteurs. Le miracle dont il eft ici
queftion eft appuyé de toutes les preuves
qu'il a été poffible de raffembler ; & il eft
difficile de fe refufer aux témoignages des
plus graves hiftoriens.
PLAIDOYERS & Mémoires contenant
des queftions intéreffantes , tant en matières
136 MERCURE DE FRANCE.
de
civiles , canoniques & criminelles , que
police & de commerce , avec les jugemens
& leurs motifs fommaires ; & plufieurs
difcours fur différentes matières , foit de
droit public , foit d'hiftoire ; par M. Man
nory , ancien Avocat au Parlement : tome
dix-feptième. A Paris , chez Claude Hériffant
, Imprimeur- Libraire , rue Neuve-
Notre - Dame , aux trois vertus ; 1766 :
avec approbation & privilége du Roi ;
in- 1 2.
Les différentes matières contenues dans
ce volume font , 1º . une épître dédicatoire
aux citoyens notables de Paris , admiffibles
à l'échevinage de cette ville. 2 °. Un difcours
fur le commerce du Languedoc pour
le Levant par le port de Cette . 3 ° . Un
la
mémoire fur une extrême mauvaiſe foi de
part d'un homme que l'on avoit ceffé
d'obliger. 4°. Un autre mémoire fur des
accufations graves & en partie juftifiées
dans la fameufe affaire du Canada de l'année
1763. 5. Des lettres fur la queſtion
générale de l'admiffibilité des citoyens notables
à l'échevinage de Paris. 6 ° . Un
mémoire fur une accufation de vol . 7 ° .
Deux autres mémoires fur les affaires criminelles.
C'est toujours le même genre
d'éloquence de M. Mannory , qui plaît ,
qui touche & qui perfuade.
JUILLET 1766. 137
FABULE felecta è gallico in latinum
fermonem converfa , in ufumftudiofajuventutis.
Authore Petro*** , Presbitero Congregationis
O. D. J. Rothomagi , typis
Steph. Vinc. Machuel , Bibliopola , viâ
fancti Laudi , è regione palatii ; 1765 :
cum approbatione & privilegio ; in- 12 .
Ceuxpour qui la latinité collégiale peut
encore avoir des charmes , & qui croyent
que les fables de Phédre ne fuffifent pas
pour l'ufage de la jeuneffe , approuveront
fans doute cette traduction de fables françoiſes
, mifes en vers latins par un Père
de l'Oratoire.
ESSAIS hiftoriques fur les Régimens
d'Infanterie , Cavalerie & Dragons ; par
M. de Rouffel. A Paris , chez Guillyn , Libraire
, quai des Auguftins , au lys d'or ;
1766 : in- 12 .
Nous avons annoncé cet ouvrage lorfqu'on
en donna les premiers volumes , &
nous en avons fait connoître l'objet & le
plan . Il eft queftion aujourd'hui des Régimens
de Navarre & de Piémont. Infenfiblement
on aura l'hiftoire de tous les Régimens
de France ; & ces morceaux hiftoriques
ne contribueront pas peu à la
à la perfection
d'une Hiftoire Militaire générale
du Royaume.
138 MERCURE DE FRANCE.
LES Cris de la nature & de l'humanité ,
dédiés au beau fexe ; par M. Valli , Chirurgien
de Florence. A Paris , chez la veuve
Duchefne , rue Saint Jacques , & Molini
Libraire , quai des Auguftins ; in- 8 ° de
30 pages.
L'Auteur de cette brochure eft un Chirurgien
Accoucheur qui exhorte les femmes
à ne pas fe fervir de Sages-femmes dans
leurs couches , ou du moins à ne pas mettre
aveuglément leur confiance dans des
Matrones peu éclairées , qu'elles rendent
trop facilement les arbitres de leur destinée
& de celle de leurs enfans.
M. TULLII CICERONIS ecloga ad ufum
juventutis collecta , à D. D'OLIVET , Academia
gallice XL viro . Parifiis , apud BARBOU
, viâ Mathurinenfium ; 1766 : in- 12.
Nous avons annoncé il y a peu de temps
le choix des penfées de Cicéron par M.
l'Abbé d'Olivet , avec la traduction françoife
à côté. On a defiré d'avoir cette même
collection fans la traduction , pour la faire
apprendre par coeur aux jeunes gens dans
les claffes , & la rendre plus facile à acquerir.
C'eſt le but de cette nouvelle édition ,
qui ne forme pas un volume de plus de
150 pages.
METAMORPHOSES d'Ovide , traduction
JUILLET 1766. 139
nouvelle , avec le latin à côté. A Paris ,
chez J. Barbou , Imprimeur- Libraire , rue
& vis- à-vis de la grille des Mathurins ;
1766 2 vol. in- 12.
Un fcrupule fondé fur le refpect qu'on
doit à l'innocence des enfans , a paru d'abord
faire profcrire cet ouvrage de toute
inftitution publique & particulière . Dans
la fuite, des hommes laborieux & zélés pour
l'inftitution & pour les moeurs , en donnèrent
des éditions purgées de tout ce qui
pouvoit présenter à l'efprit des images dangereufes
& hâter le progrès des paffions.
Ceft fur ce plan qu'on a travaillé dans
cette nouvelle traduction. On a pris le
Père Juvenci pour guide , en ne traduifant
exactement que ce qu'il a jugé à propos
de faire imprimer pour l'ufage des Colléges
; & l'on s'eft aftreint au fens littéral
autant que le génie de notre langue l'a
permis ; & quand il a fallu avoir recours
à des équivalens , on a donné la traduction
littérale en forme de notes. Le même
Libraire , Barbou , rue des Mathurins ,
débite une édition toute latine des Métamorphofes
d'Ovide avec des notes françoifes
, à l'ufage des claffes ; in- 12 . On
trouve auffi chez lui la Diplomatique-
Pratique , ou Traité de l'arrangement des
$40 MERCURE DE FRANCE.
archives & tréfor des chartes , par M. le
Noine ; in-4°. Prix 16 liv.´
ORDONNANCE du Roi , concernant la
Marine , du 25 Mars 1765. A Paris , de
l'Imprimerie Royale ; 1766 : vol . in- 12 ,
d'environ 600 pages ; avec une table raifonnée.
Cet ouvrage , qui fe vend chez Panckoucke
, rue & à côté de la Comédie Françoife
, eft partagé en feize livres , & traite
des objets fuivans. Des pouvoirs , fonctions
& devoirs des Officiers de Marine ;
de la garde & fûreté des ports ; du leftage
& déleftage , du confeil de conftruction
des dimenſions des vaiffeaux ; de la four- ;
niture des marchandifes , de leur adjudication
, réception , arrangement , confervation
& convertiffement ; des appointemens
des Officiers dans le port , de leur
diftinction fur les vaiffeaux ; des canons
& armes & du fervice de l'artillerie relatif
aux vaiffeaux ; de la fourniture des vivres ;
des hôpitaux & des Médecins à la fuite de
l'efcadre ; du confeil de marine , juſtice
de guerre , & c.
Le même Libraire , Charles Panckoucke ,
rue & à côté de la Comédie Françoife ,
continue de donner juſqu'à la fin du mois
JUILLET 1766. 141
d'Août , au prix de 700 liv. les Mémoires
complets de l'Académie des Sciences , &
à 210 liv. ceux de l'Académie des Infcriptions
au lieu de 360 liv .
Il a ceffé de donner au rabais les volumes
de ces deux collections pris féparément ,
qui fe payeront 12 liv. comme à l'ordi- .
naire.
Il a mis en vente depuis quelques jours
l'année 1763 de l'Académie des Sciences.
Si quelques curieux vouloient des exemplaires
de l'Académie des Sciences de l'édition
originale , les figures de bonnes
épreuves , & toutes tirées fur la demifeuille
, il avertit qu'il lui en refte une
douzaine d'exemplaires qu'il donnera à
750 liv. en un feul paiement comptant
jufqu'à la fin d'Août prochain.
Le même Libraire vient de mettre en
vente le cinquième cahier des planches
enluminées par MM . de Buffon & d'Aubenton
.
Les Frères Ofmont , 4 parties brochées.
Hiftoire naturelle des Fraifiers, 1 v. in - 12 .
L'ami des jeunes gens , 2 vol . in - 12 . '
Anecdotes de Médecine , 2 vol . in - 12 .
Amuſemens de Littérature , 1 vol. in- 12 .
PROSPECTUS d'un Atlas Général ,
civil , eccléfiaftique , militaire , métho142
MERCURE DE FRANCE.
(
dique & élémentaire ; dreffé pour l'étude
de la géographie & de l'hiftoire ; divifé
en fix volumes , grand in- 4° , dans lefquels
on trouve les Elémens de la géographie
, une defcription méthodique &
fuivie de toutes les parties de l'univers ,
les Evêchés , les Patriarchats & les Siéges
des Eglifes Schifmatiques ; le Tableau
de la France dans tous les fiécles , depuis
la fondation de ce Royaume , juſqu'à
LOUIS LE BIEN - AIMÉ ; les anciens Gouvernemens
Généraux & Militaires , les
Parlemens , les Confeils Supérieurs , les
Chambres des Comptes , les Cours des
Aides & des Monnoies ; les Principautés ,
les Duchés - Pairies , les Préfidiaux , Bailliages
, Prevôtés , Sénéchauffées , Châtellenies
, Univerfités , Académies , & c. l'Intendance
de Paris , fes Villes , Bourgs ,
fes Palais , fes Châteaux , &c. les Routes
de France , d'Angleterre , d'Efpagne , de
Portugal , d'Italie , de Suiffe , d'Allemagne
, & généralement de toute l'Europe.
Ouvrage utile à la Jeuneffe , aux Négocians
, aux Militaires , & aux hommes de
tous les états ; adapté également aux
meilleurs Hiſtoriens , tels que Mézerai ,
le P. Daniel , le Préfident Hénault , MM.
Velly & Villaret ; & les meilleurs Géographes
, tels que Í'Abbé Lenglet- DufrefJUILLET
1766. 143
noi Dom Veffet , Le François
, dédié
à Mlle Crozat , & l'Abbé Nicole
de la Croix. Par une fociété
de gens de
Lettres. Dirigé & mis au jour par le fieur
Defnos. A Paris , chez le fieur Defnos
Ingénieur
Géographe
pour les Globes &
Sphères & Inftrumens
de Mathématiques
; rue Saint Jacques , à l'enfeigne
du Globe
& de la Sphère : avec approbation
& privilége
du Roi , 1766.
"
Les profpectus des ouvrages ont ordinairement
pour but une foufcription ; cette foufcription
est toujours un argent que l'Auteur
demande au public comme un fecours , &
que le public finit fouvent par reclamer
comme une dette ; la foufcription que l'on
propofe ne reſſemble en rien à celle- ci ; cer
ouvrage n'eft point de ceux que l'on projette
& auxquels on ne donne fouvent qu'une
exécution difficile & tardive. C'eft un
ouvrage terminé dans toutes les parties
qui regardent l'impreffion & la gravure.
Une fimple promeffe de la part des Soufcripteurs
, de prendre les volumes à mefure
qu'on les mettra au jour , fera tout
leur engagement ; & cette promeffe , fi
néceffaire pour éviter la fatigue des détails
, fe fera chez le fieur Defnos , & chez
fes correfpondans , dans la forme fu ante .
Jepromets, & m'engage à payer.omme
» de 128 liv. pour les fix volumes brochés
<<
1
144 MERCURE DE FRANCE.
و ر
93 blic
de l'Atlas général du fieur Defnos , lorf-
» que ces volumes feront donnés au Pu-
; favoir , de payer en recevant le
so premier volume 30 livres ; en recevant le
» fecond , 15 livres ; en recevant le troiſiè-
» me , 26 livres ; en recevant le quatrième ,
» 26 livres ; en recevant le cinquième , 15
livres ; en recevant le fixième , 16 livres.
» A... ce... 1766.Le prixpour ceux qui auront
foufcrit de cette manière , fera de 128 livres
broché ; & de 178 livres pour ceux qui
n'auront pas foufcrit. Comme quelques parties
détachées de cet ouvrage fe font déja
répandues dans le public , nous offrons aux
poffeffeurs de leur completter le tout , au
prix de la foufcription , & même de leur
tenir compte
du furplus des volumes acquis
, pour leur faire une diminution fur
le total ; de manière que ceux qui , par
exemple , auront acheté 31 liv . le volume
de l'hiftoire de France , reprendront 6 liv.
pour les verfer fur la foufcription ; il en
fera de même des autres volumes par proportion.
Ceux qui voudront s'affûrer par
le témoignage de leurs yeux , que les fix
volumes font entièrement gravés , pourront
les voir chez le fieur Defnos. Les
foufcriptions font du premier Juiller , au
premier Août , pour Paris , & un mois
plus tard pour la Province ; paffé ce terme
on
JUILLET 1766. 145
on ne les recevra plus. On diftribuera régulièrement
deux volumes de deux en
deux mois , à compter du jour de l'ouverture
de la foufcription ; & ceux qui
defireront les acquérir plutôt, ou même tous
à la fois , auront la bonté d'en inſtruire le
St. Defnos : on peut leur procurer dès à préfent
quelques exemplaires des fix volumes.
Le premier volume , compofé de 54
cartes , fera de 30 liv. broc.
Le deuxième , de 44 cartes, 15 liv. broc.
Le troisième , de 60 cartes , 26 liv . broc.
Le quatrième, de 60 cartes , 26 liv. broc.
Le cinquième, de 25 cartes, 15 liv. broc.
Le fixième , de 44 cartes , 16 liv. broc .
Les perfonnes des Province recevront
les volumes francs de port , moyennant une
livre au- deffus du prix de chaque volume.
Les foufcripteurs font priés de retirer leurs
volumes dans le temps de la livraiſon , ou
au plus tard un mois après ; toute négligence
de leur part les expoferoit à n'avoir
que les dernieres épreuves . On s'eſt
impofé la loi de ne pas porter le tirage
cette année au - delà de cent exemplaires
, par l'impoffibilité de trouver des
mains qui fuffifent pour ce travail, On
foufcrit à Paris , chez le fieur Defnos
Ingénieur Géographe , rue Saint Jacques
à l'enfeigne du Globe & de la Sphère. Chez
Vol. II. G
"
146 MERCURE DE FRANCE .
Saillant , Libraire , rue Saint Jean- de - Beauvais
; Tilliar , Libraire , quai des Auguftins
, Saint Benoît ; Defaint , Libraire ,
rue du Foin ; Delalain , Libraire , rue Saint
Jacques. Nous fommes portés à croire
que les amateurs & les gens éclairés fe
montreront empreffés de faire l'acquifition
de cet ouvrage , & nous fondons notre
opinion autant fur leur goût , que fur la
bonté de la choſe même. Les efforts que
le fieur Defnos a faits jufqu'ici pour leur
plaire , doivent être pour eux une preuve ,
ou du moins un augure des foins qu'il a
apportés pour la perfection de cet Atlas
général , rien n'a été épargné ; l'argent
même a été répandu avec profufion pour
fe procurer les deffeins de la main des
meilleurs Maîtres & des Artiftes les plus
diftingués . Il paroît que l'intérêt a moins
été le mobile de cette entreprife , que l'utilité
du public & l'amour de la Patrie.
On trouve chez ledit fieur Defnos , toutes
fortes de Cartes de Géographie , tant
générales que particulières ; Atlas méthodiques
& élémentaires de Géographie ,
à l'ufage des Colléges pour l'étude , tant
anciens que modernes ; d'autres pour l'intelligence
des quatre principaux Hiftoriens
de la France. Le nouvel Atlas préfenté à
M. le Préfident Hénault , en 1765 , pour
JUILLET 1766. 147
l'intelligence de fon hiftoire ; broché 18
liv. L'Analyfe de la France , depuis l'établiffement
de la Monarchie jufqu'à Louis
XV. Tableau de l'Allemagne ; Recueils
'complets de Cartes de tous les Auteurs ;
grands Plans de Paris , Archevêché &
environs de Paris , colés fur toile , montés
fur gorge , de toute grandeur , & pour la
poche ; Banlieue & environs de la Capitale
; Généralité de Paris , celles de Soiffons
& d'Amiens , ou Atlas de Picardie ; Cartes
particulières des Elections du Royaume ;
Routes particulières de la France
d'Angleterre , d'Efpagne , de Portugal ,
de Suiffe , d'Allemagne , & généralement
tout ce qui concerne les Sciences. Il procurera
aux amateurs qui s'adrefferont à
lui , non - feulement la connoiffance de ce
qui paroît en ce genre , mais encore la
facilité de l'acquifition par un prix modique.
Le même donnera cette année un
affortiment de cent nouveaux Ecrans , fur
toutes les parties de l'Aftronomie & de
la Géographie , pour l'étude de ces Sciences ;
prix 1 liv. 4 f. Il diftribue le Catalogue des
nouveaux Ouvrages de fon fonds , qu'il
vient de faire paroître , & autres qu'il a
acquis depuis.
INSTRUCTION Paftorale de Monfeigneur
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
J
l'Evêque Duc de Langres , fur la religion .
A Paris chez Humblot , Libraire , rue Saint
Jacques , près Saint Ives ; 1766 : in-4 ° .
de 64 pages.
ود
90
و د
M. l'Evêque de Langres fait connoître
en ces termes le fujet de fon inſtruction
Paſtorale. « Notre deffein n'eft point d'établir
toutes les
preuves de la religion
» annoncée par tant de prophéties , atteſtée
» par tant de miracles , cimentée par le
fang de tant de martyrs , & pour laquelle
nous - mêmes nous verferions
» le nôtre , s'il en étoit befoin. Nous
parlons à des Chrétiens convaincus que
» leur croyance eft également raiſonnable
» & néceffaire ...... Ce n'eft donc pas
préciſement votre efprit que nous entre-
» prenons d'éclairer ; c'eft fur-tout votre
» coeur que nous voulons intéreſſer , en
» remettant fous vos yeux ce qui doit vous
rendre votre religion chere & précieufe .
Ses ennemis , pour vous détacher d'elle ,
affectent de vous la répréfenter comme
oppofée à tous vos fentimens les plus
naturels , comme une route étroite &
obfcure , par-tout hériffée de ronces &
d'épines , comme une fource éternelle
de difputes & de divifions parmi les
hommes ; tandis qu'au contraire elle eſt
,, l'unique principe de vos confolations
و د
""
99
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>>
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99
JUILLET 1766. 149
""
"
"
"
>>
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& de vos efpérances , la fauvé garde de
vos biens , de votre réputation , de votre
vie même , qui , fans elle , feroit à la
merci de quiconque autoit intérêt de
vous la ravir , & le pourroit avec fûreté ;
qu'elle eft le lien le plus fort de la fociété
humaine , & la bafe de tout gouver-
» nement bien réglé ; en un mot , qu'elle
" eſt pour chacun de vous en particulier ,
» & pour tous les hommes en général , le
plus für garant de la paix & du bon-
» heur ; qu'on ne peut dès lors s'élever
» contre elle fans fe rendre coupable de
l'attentat le plus caractérifé contre l'in- .
» térêt des particuliers & contre l'ordre
"
"
public . C'eft le développement de ces
vérités qui fait le fujet du difcours paftoral
de M. l'Evêque de Langres , dont la
lecture infpire une jufte horreur pour tous
les difcours & les écrits qui fe répandent
dans le deffein de détruire notre fainte
religion.
MEMOIRE fur les maladies épidémiques
des beftiaux , qui a remporté le prix propofé
par la Société Royale d'Agriculture
de la Généralité de Paris , pour l'année
1765 ; compofé par M. Barberet , Méde
cin Penfionnaire de la Ville de Bourg en
Breffe , ancien premier Médecin des Ar-
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
mées , Membre de l'Académie des Sciences
de Dijon , & imprimé par ordre de la
Société avec des notes inftructives . A
Paris , chez la veuve d'Houry, Imprimeur-
Libraire de Mgr. le Duc d'Orléans , & de
la Société Royale d'Agriculture , rue Saint
Severin , près la rue Saint Jacques ; 1766 :
avec approbation & privilége du Roi ;
brochure in - 8 ° de 170 pages.
La Société Royale d'Agriculture , en
donnant le prix au Mémoire de M. Barberet
, a couronné celui qui , de tous ceux
qui lui ont été préfentés , a le plus appro
ché des vues qu'elle a eues dans fon premier
programe. Elle a été perfuadée que
l'impreffion de cet ouvrage pourroit fatiffaire
le public ; & , pour le rendre encore
plus utile , elle a cru devoir nommer un
de fes Membres pour y ajouter des notes ,
dont l'étendue & l'érudition le feront aifément
reconnoître de ceux qui compofent
cette Société. Perfuadée que dans toutes
les fciences phyfiques la connoiffance des
faits doit toujours précéder la théorie , &
qu'elle feule peut conduire à une pratique
fure , la Société Royale d'Agriculture de
Paris propofe aujourd'hui , pour le fujet
du prix qu'elle doit diftribuer au mois de
Juillet 1767 , l'hiftoire de toutes les maladies
épidémiques des beftiaux & des animaux
JUILLET 1766. ISP
de toute eſpèce , qui fe trouvent décrites
dans les Auteurs anciens & modernes ; celle
des caufes qui ont pu les produire , & des
remèdes qui ont paru les plus efficaces pour
les combattre . La Société defire que les
Auteurs ne bornent pas leurs recherches
à celles des maladies qui ont été décrites
dans les ouvrages de médecine ; mais
qu'ils raffemblent auffi celles dont il eſt
fait mention dans les Hiftoriens & même
dans les Poëtes ; qu'ils difcutent ces defcriptions
, & qu'ils tâchent de les lier les
unes aux autres , afin d'en former un corps
de doctrine qui puiffe éclairer fur cette
branche de l'économie ruftique. Le nouveau
prix fera de 1200 liv.
LASecchia rapita , Poema héroï comico ,
di Alejandro Taffoni. Le Sceau enlevé ,
Poëme héroï- comique ; deux volumes ,
grand in- 8° , beau format , beau papier
beau caractère , avec des eftampes du meilleur
goût , deffinées par M. Gravelut , &
gravées par les meilleurs Artiftes.
Cette magnifique édition , que l'on doit
au zèle & au foin de M. Conti , Profeffeur
à l'Ecole Royale Militaire , & déja
connu par fon goût pour la bonne littérature
, fait également honneur aux talens
typographiques du fieur Laurent Prault.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
Elle fe vend chez le fieur Pierre Durand ,
Libraire , rue Saint Jacques ; 25 liv . brochée
, & 30 liv. dorée fur tranche.
L'ESPRIT de Sully , avec le Portrait
de Henry IV , fes Lettres à M. de Sully ,
& fes converfations avec le même. Par
Mlle de Saint Vaft ; dédié à Madame la
Marquife de ***. A Cologne ; 1766 : &
fe trouve à Paris , chez Defpilly, Libraire ,
rae Saint Jacques.
Tout ce qui concerne Henry IV a
tellement droit de plaire à la Nation Françoife
, que nous fommes fâchés de ne pouvoir
, dès cet inftant , parler plus amplement
de cet ouvrage .
GERARDI de Méerman , origines typographica.
Haga Comitum ; 1766 : 2 vol.
in- 4 , chez Guill . de Bure , le jeune , quai
des Auguftins .
23. "
pr
4 V I S.
Le fieur Merlin , Libraire , rue de la
Harpe , vis - à- vis de la rue Poupée , a reçu
le quatrième & dernier volume du grand
Cabinet du Céba , qui traite généralement
de toute l'Hiftoire naturelle. Ceux qui
defirent des exemplaires complets , en
JUILLET 1766 153
trouveront chez lui de très - bien reliés.
Le même Libraire vend les Coutumes
de Lorraine , & le nouveau cours de
Tactique théorique , pratique & hiftorique
qui applique les exemples aux préceptes
, développe les maximes des plus
habiles Généraux , & rapporte les faits les
plus intéreffans & les plus utiles : avec les
defcriptions de plufieurs Villes anciennes .
Par M. Joli de Meizeroi , Lieutenant-
Colonel d'Infanterie , enrichi de plans ;
2 vol . in- 8° .
avis au
Enfin le fieur Merlin donne encore
public , qu'il eft poffeffeur du plus
bel Atlas , du plus complet qu'il y ait
peut - être en Europe. Il a été recueilli par
feu M. de Buchelet de Savalette , Fermier
Général , qui a employé plufieurs années
de foins & de recherches , & n'a épargné
ni peines ni dépenfes our completter
cette rare collection. Elle, ntient treize
cens quatre -vingt dix - hu urtes les plas
recherchées & les plus cur & forme
un receuil de feize volumes très-grand infol.
magnifiquement relié . Les curieux qui
defireront le voir ou l'acheter , le trouveront
à toute heure chez le fufdit Libraire.
"
ILL
>
G ▼
154 MERCURE DE FRANCE.
Avis au fujet d'une penfion de MM. les
Profeffeurs du Collège d'Amiens.
CETTE penfion , établie depuis quinze
mois par les Profeffeurs réunis , et aujourd'hui
compofée de plus de foixantedix
Ecoliers.
Les régles , les études , font les mêmes
que dans les meilleurs Colléges de l'Univerfité
, dont les Profeffeurs font élèves.
(
La nourriture la même pour les Ecoliers
& pour les Profefleurs , qui mangent
à la même table .
Ce font les Profeffeurs eux -mêmes qui
préfident aux études & corrigent les devoirs.
De plus il y a trois fous - maîtres , &
foit à la promenade , foit en récréation
jamais les enfans ne reftent feuls.
>
Les moeurs , la religion , le langage , la
politeffe , la propreté font l'objet d'une
attention particulière.
Deux femmes ont foin du linge &
peignent les enfans tous les jours.
Il y a des Maîtres de toute eſpèce , de
Danfe , d'Armes , d'Ecriture , de Def
fein , d'Anglois & de Mathématique , &c.
Le prix de la Penfion , pour nourriture ,
bois , chandelle , papier , plumes , encre ,
JUILLET 1766. ISS
perruquier , eft de trois cents trente liv. &
jamais de mémoires.
La Penfion eft dans le plus beau quartier
& le meilleur air de la Ville , & tout
près du College.
On s'adreffera à M. Caboche , Bachelier
en Théologie , Profeffeur & Procureur
de la Penfion.
Les Profeffeurs fe font déja diftingués
dans la littérature. M. Goffart , qui eft
pour la Rhétorique , eft un des meilleurs
humanistes que nous ayons eus à l'Univer
fité ; il eft connu par un ouvrage fur l'Ode ,
qui eft très - eftimé. Perfonne n'ignore les
talens de M. l'Abbé de Lifle , Profeffeur
de feconde , pour la verfification françoife
; il a fait fes preuves ; & il jouit
déja d'une réputation méritée .
Avis aufujet des Mémoires pour l'Hiftoire
des Sciences & des Beux - Arts , connus
fous le nom de JOURNAL DE TRÉVOUX.
LA longue maladie du fieur Chaubert ,
Libraire , propriétaire du privilege de cet
ouvrage , a beaucoup nui à la diftribution
des volumes. Pendant les derniers mois
qui ont précédé la mort de ce Libraire
Meffieurs les Soufcripteurs n'ont pas été
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
fervis exactement ; & la fituation fâcheufe
des affaires du défunt a empêché qu'ils ne
le fuffent mieux depuis , quoique la compofition
du livre ait été continuée , de
la part de l'Auteur , avec le même zele &
la même exactitude. Tout dorénavant eft
arrangé par rapport à cet ouvrage périodique.
P. F. Didot , le jeune , Libraire ,
propriétaire actuel du privilége , vient de
prendre les mefures les plus efficaces pour
la continuation de ce Journal , & fur - tout
pour l'exacte diftribution des volumes.
Ledit propriétaire defirant ardemment
entretenir les fentimens d'eftime que le
public n'a ceffé de montrer pour cet ouvrage
malgré les traverſes différentes qu'il
a effuyées & les faux avis répandus dans
certain Journal , il avertit que déformais
chaque volume paroîtra avec la plus grande
exactitude , & que c'eft à lui qu'il faut s'adreffer
pour tout ce qui a trait à ces mémoires.
Le feufieur Chaubert , dont l'inté
grité a toujours été & eft encore généralement
reconnue , n'ayant manqué à fes engagemens
que par l'impuiffance abfolue de
les remplir, fon fucceffeur , tant pour répondre
aux vues équitables du défunt , que
pour fatisfaire le public , avertit tous les
Soufcripteurs à qui les volumes de 1768
JUILLET 1766. 157
ou ceux de 1766 n'ont pas été fournis ,
qu'ils peuvent fe préfenter chez lui , avec
leurs quittances de foufcription , & qu'il
leur délivrera gratis lefdits volumes.
En donnant cette preuve de défintéreffement
, il avertit Meffieurs les Soufcripteurs
des Provinces qui peuvent n'avoir
pas reçu leurs volumes , d'avoir la bonté
de le lui faire connoître par une autre voie
que celle de la pofte ; parce qu'il n'eft pas
jufte que l'offre qu'il fait de fon propre
mouvement & par pure envie de fatisfaire
le public , lui foit trop onéreufe.
Le Libraire venant d'apprendre que
quelques perfonnes ont payé fans avoir
pris de foufcriptions , il les prie de fe préfenter
, ou d'envoyer leurs noms , afin qu'ils
puiffent être vérifiés fur le regiftre des foufcriptions
; dans ce cas , il ne leur fera rien
refufé.
Nouveau plan d'abonnement.
Lorfque le Journal de Trévoux parue
en 1701 , pour la première fois , chaque
année n'étoit compofée que de douze
volumes. En 1735 , on donna un , deux ,
& même quelquefois trois volumes de fupplément
, qui difcontinuerent en 1741
jufqu'en 1745 inclufivement ce ne fut
158 MERCURE DE FRANCE.
enfin qu'en 1753 que l'on publia feize volumes
par année. Il y a lieu de croire que
l'abondance des matières ou que les vues
du Libraire furent caufe de cette augmentation.
Quoi qu'il en foit , notre defir étant
de remettre ce Journal fur l'ancien pied ,
nous nous bornerons à ne donner que
douze volumes par année , qui paroîtront
régulièrement au commencement de chaque
mois. Cependant nous avertiffons que
chaque volume n'ayant été , depuis l'origine
jufqu'à préfent , .que de huit feuilles
ou de 12 pages d'impreffion par mois ,
nous n'hésiterons pas , lorfque nous le jugerons
néceffaire , de donner neuf feuilles ou
216 pages : le mois de Juin , qui a neuf
feuilles , & que nous avons diftribué le
premier de ce mois , en eft la preuve.
Les Abonnés de cette année ne devant
recevoir que quatorze volumes au lieu de
feize , pour lefquels ils ont foufcrit , il leur
fera remis l'argent de deux volumes.
Nouvelles con litions de l'abonnement.
Le prix de la foufcription pour les feize
volumes de ces Mémoires étoit pour les
Abonnés à Paris , de 12 liv. 16 fols ; & de
17 liv. 12 fols rendus , francs de port , dans
la Province.
JUILLET 1766.- 159
L'abonnement actuel fera , pour les
douze volumes , de 10 liv . pour Paris , rendus
francs de port & brochés , & de 1 , liv .
12 fols pour la province , où ils feront rendus
fans frais par la Pofte . La modération
du port de chaque Journal à fix fois n'a été
continuée d'être accordée par MM . les
Adminiftrateurs des Poftes que fous la
condition expreffe qu'il n'en fera expédié
aucun fans être affranchi à Paris.
On pourra foufcrire pour les 14 vol. de
cette année au prix ci - deffus annoncé , &
pour les fix volumes reftant de cette année ,
au prix de la moitié de l'abonnement .
Le prix de chaque volume , pour ceux
qui n'auront pas foufcrit , fera de vingt
fols broché , & de dix-neuf fols en feuilles.
Nous nous croyons obligés de vendre chaque
volume à ce prix , parce qu'il n'eft pas
jufte que ceux qui ne fe font point abonnés
jouiffent du même privilége que les
Abonnés. Nous ferons obferver en pallant
que le nouveau prix de chaque volume eft ,
à
peu de chofe près , lemême que l'ancien
prix ; & que peu de Journaux font à auffi
bon compte. Le Public peut être perfuadé
que nous n'épargnerons rien pour le fatif
faire , & que nous ferons tous nos efforts.
pour qu'il n'ait rien à nons reprocher.
Le Bureau d'adreffe pour les abonne160
MERCURE DE FRANCE.
mens eft chez P. Fr. Didot , le jeune ,
Libraire , rue du Hurepoix , à l'entrée du
quai des Auguftins , près du Pont Saint
Michel , à Saint Auguftin , chez lequel
l'on voudra bien adreffer tous les avis concernant
cet ouvrage & les livres que l'on
fouhaitera faire analyſer. On aura la bonté
d'affranchir les ports des lettres & des
paquets.
Le même Libraire avertit que le Lundi ,
7 du préfent mois de Juillet 1766 , il y
aura chez lui une vente à l'amiable , compofée
de livres fur toutes fortes de matiè
res. Les prix feront marqués fur chaque
livre.
M. l'Abbé Goujet , Chanoine de Saint
Jacques-l'Hôpital, prefqu'entièrement privé
de la vue , s'eft déterminé à vendre fa bibliothèque
, elle eſt compofée de plus de
dix mille volumes choifis dans tous les
genres. Outre les corps de livres qui font
ordinairement la bafe des bibliothèques ,
elle eft fur tout recommandable la
par
partie littéraire. Depuis plus de cinquante
ans ce Savant s'eft appliqué à raffembler
beaucoup de morceaux qu'il eft très - difficile
de réunir. On y trouve entr'autres
une collection des Poëtes Latins anciens
& modernes , prefque tous les Poëtes François
, plus de 120 volumes d'épiftolaires
-
JUILLET 1766. 161
latins , depuis le quinzième ſiècle jufqu'à
préfent , dont la plupart font très- rares ;
une fuite précieufe de vies particulières de
gens de lettres & autres. La claffe des Bibliographes
généraux & particuliers eft
une des plus abondantes que l'on ait encore
vue. La partie hiftorique eft auffi très - complette
, fur-tout pour l'hiftoire générale &
particulière du Royaume. Il y a plufieurs
manufcrits originaux , dont quelques-uns
font très-importans , & un porte- feuille
qui contient des pièces curieufes & rares
en eftampes & en portraits.
Cette bibliothèque eft à vendre en totalité
: ceux qui voudront l'acquérir pourront
s'adreffer à M. l'Abbé Goujet luimême,
ou à M. Thomas , Tréforier de la
même églife , cloître Saint Jacques- l'Hôpital
à Paris.
INSTRUCTION facile fur les conventions ,
ou Notions fimples fur les divers engagemens
qu'on peut prendre dans la fociété ,
& fur leurs fuites . Ouvrage utile aux gens
d'affaires , bourgeois , négocians , à tous
chefs de famille , & aux jeunes gens qui
fe deftinent au Palais. Troifième édition
revue , corrigée & confidérablement augmentée
in- 12 . A Paris , chez Leclerc ,
au Palais , à la Prudence . 1766 .
Le mérite de cet ouvrage eft généralement
connu .
162 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES LETTRES.
ACADÉMIE S.
EXTRAIT de la féance publique de l'Académie
des Sciences , Arts & Belles Lettres
de DI1ON , tenue en la grand'falle
de l'Univerfité, le 15 Décembre 176 ),
M. Maret , Docteur en Médecine , Secrétaire
perpétuel , ouvrit la féance par
l'annonce du fujet du Prix que l'Académie
diftribuera au mois d'Août 1767 ( 1 ) . Et ,
après avoir fait fentir toute l'importance
du problême dont elle demande la folution
, il dit :
" En choififfant ce problême , l'Acadé-
» mie a donné une nouvelle preuve de
» fon attention à porter toujours fes vues
» fur des objets de la plus grande utilité ,
» & à ne point s'écarter du plan que fon
» zèle pour le bien public lui a tracé.
و ر
( 1 ) Le programme de ce Prix eft inféré dans
Je volume du mois de Mars 1766 .
JUILLET 1766. 163
" C'eft fans doute l'attachement de cette
Compagnie à l'exécution d'un fi beau
plan , qui a engagé plufieurs perfonnes
diftinguées par leur naiffance & par leur
» mérite littéraire , à s'affocier à fes tra-
93
"}
» Vaux » .
M. Maret cita à cette occafion M. le
Comte de Biffy , Lieutenant Général des
Armées du Roi , un des Quarante de l'Académie
Françoife ; M. Chifflet , Préfident
à Mortier du Parlement de Befançon ,
Membre de l'Académie de la même Ville ;
M. Dégaret , Lieutenant - Colonel du Régiment
de Bourbonnois , M. l'Abbé Laureau
, & M. l'Abbé Bullet , de l'Académie
de Befançon . Ces Savans auroient- ils defiré
d'être admis dans cette Compagnie, fi cet
établiffement ne leur eût pas paru capable
de rendre au public des fervices effentiels ?
"(
Vous vous rappellez , Meffieurs , ajouta
» M. Maret , que c'eft fous ce même point
» de vue que M. le Marquis de la Tour-
» du- Pin , Maréchal des Camps & Armées
» du Roi , Commandant en chef pour Sa
Majefté dans cette Province , avoit envifagé
l'Académie lorfqu'il s'eft fait un
plaifir d'y prendre place.
ود
33
13 Et fi M. Amelot de Chailloux , Maître
des Requêtes , Intendant des Provinces.
de Bourgogne , Breffe , Bugey , &c. a
164 MERCURE DE FRANCE.
» fouhaité d'être reçu dans cette Société
» Littéraire , pouvons - nous méconnoître
» les motifs qui l'y ont déterminé ?
ور
» Aux qualités du coeur les plus belles ,
» ce Magiftrat réunit le goût des belles-
» lettres & le plus vif amour du bien public
; goût & amour héréditaires dans
» fon illuftre famille , & qui fe tranf-
» mettent de père en fils depuis plufieurs
» fiècles. Mais pourquoi me hafarder à
interprêter fes fentimens , puifqu'il va
» lui - même les faire connoître ? Ne dois- je
» pas plutôt me hâter de lui donner occafion
de les exprimer ? Je fufpends par
cette confidération la lecture que je dois
faire de l'hiftoire littéraire de l'Acadé-
» mie pour l'année 1765 ».
و د
M. Amelot prit alors la parole & juftifa
ce que M. Maret venoit d'avancer , en faifant
voir
Сс
>
Qu'il étoit prévenu de la plus forte
" eftime pour les gens de lettres qui appli-
» quent leurs études & leurs recherches au
profit de la Société . Qu'il étoit perfuadé
» de l'utilité que les perfonnes en place
pouvoient retirer de leur commerce , &
qu'il avoit defiré d'être admis dans cette
» Académie , parce qu'il efpéroit , à l'aide
des fecours qu'il y trouveroit, mieux rem-
" plir les fonctions dont le Roi l'a honoré.
و ر
"
1
JUILLET 1766. 165
""
Qui fait mieux que vous , Meffieurs ,
» a dit ce Magiftrat , l'influence des fcien-
» ces & des belles- lettres fur le bonheur
» des peuples & fur la profpérité des Etats ?
ور
Qui connoît mieux ce qu'elles prêtent à
» la force des loix , à l'autorité des Sou"
verains ou à celle de leurs Miniftres?
"
Chargé par état de veiller fur tout ce
qui intéreffe notre patrie , il ne pouvoit
» rien m'arriver de plus heureux que de
» me voir affocié à des concitoyens toujours
occupés de ce qui peut en perpé-
» tuer & en augmenter les avantages.
ス23
"9
30
» L'agriculture , les arts & le com-
» merce , .... font les objets de vos fpéculations
, ils le font également de ma
furveillance.... Nous pouvons en com-
» mun mériter envers l'Etat & la Province;
» c'eft ce qu'il m'eft permis de préfumer
de mon zèle ; c'eft ce qui juftifie l'indul-
" gence que vous avez eue de m'admettre
» en votre compagnie littéraire & l'ambi-
» tion que je vous ai montrée d'y avoir
place ».
20
39
M. Amelot , parlant de M. de Ville- (
neuve , qu'il a remplacé à l'Intendance , &
qui étoit Académicien honoraire , ajouta :
" Auffi heureux que l'a été mon prédé
» ceffeur , dont l'aménité des moeurs , dont
les talens & les qualités les plus rares p
166 MERCURE DE FRANCE.
ود
» ont perpétué la mémoire dans tous les
» coeurs ; qu'il eft flatteur , qu'il eft agréable
pour moi , de me trouver déformais
» à portée de connoître tous les titres que
vous avez de mériter les bontés du meilleur
des Souverains , de voir de plus
près les heureux efforts que vous faites
pour vous rendre dignes de la protection
» d'un Prince , d'un héros , l'efpoir de la
» France , qui , couronné des mains de la
» victoire , dans le fein de la paix que
fon
ور
co
2
و د
art & fa valeur nous ont procurée , fait
» fe couvrir d'une gloire bien flatteuſe
» pour les coeurs fenfibles , de la gloire
d'encourager les talens !
20
Quelle fatisfaction , de juger par moi-
» même avec quel , fuccès vous répondez
» aux vues philofophiques du célèbre Magiftrat
dont la générofité vous a raffemblés
, & avec quelle ardeur vous fecon-
» dez le zèle des illuftres Membres du Sénat
» de cette Province , auxquels M. Pouffier
» a confié la direction de cette Académie »> !
و د
M. Amelot caractérifa enfuite , par des
traits auffi délicats que vrais , M. l'ancien
Evêque de Troye , Chancelier de
l'Académie , M. le Préfident de Ruffey ,
Vice -Chancelier ; & , après avoir dit ,
au fujet des Magiftrats qui donnent aux
lettres les momens que leur laiffent les
{
JUILLET 1766. 167
..
fonctions éminentes qu'ils rempliſſent :
C'eft ainfi que les Lamoignon , les Talon ,
les d'Agueffeau , fe délaffoient avec les
» Mufes , après avoir fauvé la fortune des
» familles du labyrinthe tortueux de la
chicane , ou les avoir vengées des furprifes
faites à l'autorité » . Après avoir
donné des preuves de fon eftime aux Académiciens
des différentes claffes dont l'Académie
eft compofée , il dit :
ور
و ر
"
« Je n'ambitionne que les occafions de
coopérer aux fuccès déja affurés d'un
établiffement auffi utile & de feconder
» vos vues pour le bien public ».
C'eft ainfi qu'après avoir fait briller
dans fon difcours les lumières d'un homme
d'Etat , M. Amelot prouva que la fenfibilité
de fon coeur & la modeftie de fon
âme lui donnoient autant de droit à l'eftime
publique que la folidité de fon jugement
, l'étendue de fes vues & la délicateffe
de fon efprit : auffi M. l'ancien Evêque
de Troye , dans fa réponſe au difcours
de M. Amelot , confidéra- t- il ce Magiftrat
comme homme d'Etat & comme citoyen.
Ce Prélat, rappellant d'abord la mémoire
des événemens de la féance du 25 Août
dernier , jour de la réception de M. de ta
Tour - du - Pin , Commandant en chef de
168 MERCURE DE FRANCE.
cette Province , & adreffant la parole à
M. Amelot , lui dit :
"
C6
Quand vous avez commencé votre
diſcours , Monfieur , cette affemblée re-
» tentiffoit encore des applaudiffemens
» donnés à celui que nous entendîmes il
» y a quelques mois ; & , loin de faire
» obftacle à ceux qui vous font dus , Mon-
» fieur , ils les avoient en quelque forte
préparés par cette difpofition heureuſe
» que le vrai beau met en fa faveur dans
» les efprits : il s'étoit montré , nous ve-
» nons encore de l'appercevoir.
» Le premier de ces difcours exprimoit ,
» avec une éloquence noble & aifée , le
» caractère du guerrier & de l'homme de
» cour : ainfi Céfar écrivoit après avoir
» combattu. Le fecond , plein de traits
» réfléchis & ingénieux , peint l'homme
» d'Etat & de focié : ainfi , dans les
beaux jours de la littérature , parloient
» aux affemblées académiques des Magif-
» trats célèbres , qui , aux confeils ou dans
» le barreau , avoient balancé les plus
grands intérêts..... Ils portoient dans
les fonctions publiques les fruits d'un
» travail utile , mais ils en femoient l'in-
» tervalle des fleurs d'un loiſir agréable.
» C'eſt à leur exemple que , fans inter-
"
»
» rompre
JUILLET 1766. 169
»
""
rompre le cours des affaires importantes
qui vous occupent , Monfieur , vous
» venez goûter avec nous & augmenter
» les douceurs d'un commerce intéreffant ,
» dont le prix va croître à nos yeux par
» celui qu'il recevra encore de vous ».
M. de Troie , continuant à s'adreſſer à
M. Amelot , fit une énumération rapide.
des titres littéraires dont la famille de ce
Magiftrat peut fe glorifier , & des fervices
importans qu'elle a rendus à l'Etat dans
les fonctions du miniſtère , fonctions aufli
difficiles & laborieufes qu'elles font hono-
Tables.
Il fit obferver que le nom d'Amelot
étoit également cher aux bons François &
aux gens de lettres.
99
33
« Une place diftinguée , ajouta M. de
Troie , le rend encore refpectable dans
» vous , ce nom ; mais c'eſt vous , oui ,
» Monfieur , c'eft vous feul que nous avons
envifagé dans le defir que nous avons
» eu de vous voir affis parmi nous . Nous
» louons les Mécènes , nous admettons les
» talens. Les places & les titres font un
luftre , ils ajoutent au mérite , mais ils
» ne le font pas. Vous pourriez être avec
» eux un des protecteurs des lettres , vous
» ne feriez pas un de ceux qu'elles cou-
"
» ronnent » .
Vol. II. H
170 MERCURE DE FRANCE.
M. de Troie jette un coup- d'oeil fur
l'ufage que M. Amelot fait de l'autorité
qui lui eft confiée fur la bienfaiſance qui
caractériſe fon coeur. Il le félicite de l'avantage
qu'il a de pouvoir fuivre fon penchant
& faire le bien à fon gré ; puis ,
revenant à ce qui concerne l'Académie ,
il dit :
"3
" A cet avantage , Monfieur , vous join-
» drez celui d'un commerce honorable
» pour les Mufes & précieux pour nous.
» Vous nous apporterez cette pureté de
langage , cette douceur d'efprit & de
» fociété qui , jointe à la nobleffe des fentimens
, à la probité du coeur , à la droi-
» ture des actions & de la conduite , hono-
» rent plus que les places , & rendent les
» hommes qui les occupent d'autant plus

dignes d'être aimés , qu'ils font eux-
» mêmes plus fenfibles au plaifir de l'être .
" Vous verrez à votre tour, parmi nous ,
Monfieur , des efprits cultivés.... jaloux
de contribuer aux progrès des lettres ...
occupés de la gloire d'un Roi
و د
"
و د
ود
ور
que
la
bonté de fon coeur doit rendre maître
» de celui de fes fujets , de la gloire d'un
» Prince qui , après avoir repréfenté par fa
» valeur le grand Condé dans les batailles ,
» vient quelquefois le repréfenter par fa
» bonté dans cette Province ; rend comme
و د
JUILLET 1766. 171
وو
ور
» lui fon nom auffi chèr à nos peuples que
» redoutable à nos ennemis ; joint les lauriers
dont les Mufes couronnent les
» Princes éclairés , à ceux que la victoire
» met fur la tête des conquérans ; honore,
» cette Académie de fa protection & n'eft
» pas moins Condé par l'amour des lettres
» que par la gloire des armes.
» Vous trouverez , dans nos difputes
» littéraires , une émulation fans rivalité ;
» une critique fans jaloufie ; la politeffe
qu'infpirent les lettres avec la chaleur
qui les anime ; un concert des efprits
» & des coeurs dont vous affermirez les
» accords ; des richeffes que vous augmen-
» terez par celles que vous y apporterez
» vous- même , & une vérité d'éloges dont
» ceux que vous recevez aujourd'hui , Mon-
» fieur , font une preuve & un exemple ".
lut
M. Maret , Secrétaire Perpétuel ,
enfuite l'hiftoire littéraire qu'il avoit annoncée
; il y donnoit une notice de tous
les ouvrages qui ont été lus à l'Académie .
pendant le cours de l'année 1765 : cette
notice n'étant point fufceptible d'être abrégée
, & une énumération féche des différens
ouvrages que M. Maret fit connoître M,
ne pouvant être intéreffante , on fe contentera
de dire que , par les extraits qui
compofoient cette hiftoire littéraire , le
1
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
public reconnut avec fatisfaction que , toujours
animés du véritable efprit académique
, les Académiciens , chacun dans leur
genre , n'avoient ceffé de s'occuper à rendre
leurs veilles utiles au public ; & que
le difcours de remerciement fait à l'Académie
par M. François , & qui a été inféré
dans le Mercure de France pour le mois
de Février de cette année , faifoit partie
des morceaux renfermés dans l'article de
la poéfie.
La féance a été terminée par M. de
Morveau , Avocat Général , qui a lu la
feconde partie de l'éloge du Préfident
Jeanin.
&
Dans la première cet Académicien avoit
montré que Jeanin , Citoyen & Magiftrat ,
avoit fervi la patrie dans fes revers ,
avoit contribué à les faire ceffer. Il a fait
voir dans celle - ci que , « Négociateur &
» Miniftre , il l'avoit fervie dans les jours
deprofpérité , & avoit travaillé à en affu-
» rer la durée ».
>>
M. de Morveau débute par l'expofition
de l'état floriffant où parvint la France
lorfque Henry IV régna paiſiblement ;
mais il fait obferver que a les Gouverne-
» mens doivent toujours leur bonheur au
» choix heureux de ceux que l'eftime du
Prince appelle auprès du trône pour l'aiJUILLET
1766 . 173
» der àfupporter le fardeau de fa puiffance ,
» pour partager avec lui les travaux de la
fouveraineté ».
و د
و ر
33
Il entre enfuite dans le détail des qualités
néceffaires à un Miniftre , & , après les avoir
expofées , il met enparallèle un favori & un
homme d'état & fait fentir par ce moyen
la différence remarquable qui fe trouve
entre l'un & l'autre. « Un intervalle immenfe
fépare le favori & l'homme d'état;
leur attachement même n'a rien qui fe
reffemble. Le premier ne voit que la
» perfonne du maître , le fecond ne con-
" noît que la perfonne du fouverain . L'un ,
" efclave des premiers mouvemens de fa
» volonté , met fon étude à fatisfaire fes
caprices ; l'autre , organe fidèle de la
vérité , juge avant que d'applaudir , &
» remontre avant que d'exécuter : il réveille
» fa juftice ou défarme fa prévention ; il
» combat fes penchans par la voix de la
» raifon & de l'équité : celui - là eft le
» miniftre des plaifirs de l'homme , celui -ci
» eft le miniftre de la gloire & des intérêts
» du Prince.
39
33
ל
"
» Alexandre aima Epheftion , parce que
» Epheftion aimoit Alexandre : il aima
» Cratere , parce que Cratere aimoit le
Roi & l'Etat. Tous les deux lui furent
>> chers ; mais que le retour dont il
و د
paya
H iij
174 MERCURE DE FRANCE .
"3
» leur affection fut différent ! Il admit
Epheftion à la familiarité de fes foibleffes ;
» il honora Cratere de la confidence de fes
projets. Quelle gloire pour le Monarque
qui fait diftinguer la complaifance fer-
» vile du zèle courageux ! quel bonheur
»pour les peuples qui vivent fous fa loi !
و د
و د
ود
ود
Un Prince à qui la poftérité , toujours
jufte , a confervé le nom de père de fes
fujets , ne pouvoit confondre ces deux
» fentimens.... Auffi une capacité reconnue
, une applitation infatigable , une
» droiture éprouvée , enfin un vif amour
» pour la patrie.... voilà quels furent les
droits de Jeanin à la confiance de Henry
» le Grand ».
Confiance fans bornes , dont il reçut.
dans toutes les occafions des preuves fignalées.
M. de Morveau rappelle à ce fujet
le fouvenir de ce moment où l'un des
Membres du Confeil avoit laiffé percer un
fecret important. On cherchoit à découvrir
l'indifcret , ou plutôt le traitre , on oſoit
foupçonner Jeanin . « L'indignation eſt auffi
» muette que la conviction ; Jeanin ſe tait ,
» mais Henry parle & le venge. Je répond
» de Jeanin , dit ce Prince avec cette affu-
» rance qui confond la calomnie , voyez
» entre vous autres qui a révélé ce fecret
Une autre preuve de la confiance que
JUILLET 1766. 175
ce Monarque avoit en lui , eft le pouvoir
illimité qu'il lui donne pour négocier la
paix entre l'Espagne & la Hollande.
La nature avoit donné à Jeanin le génie
propre aux négociations . Ce Miniftre avoit
fait plus d'une fois à la Cour d'Henry
l'épreuve de ce précieux talent ; mais ,
pour concevoir jufqu'à quel point il poffédoit
l'art des négociations , il faut le fuivre
à La Haye .
<<
Quarante ans de guerre n'avoient pu
» arracher aux Hollandois le facrifice de
» leur liberté , mais l'épuifement étoit à
» craindre ». Il étoit important pour la
France d'empêcher la ruine d'un allié , &
de s'oppofer à l'augmentation de la puiffance
de la Maifon d'Autriche ; la paix
feule étoit capable de détourner les maux
que la continuation de la guerre pouvoit
occafionner , & de maintenir entre tous les
Etats de l'Europe cet équilibre fi defiré ,
l'objet dés voeux de tous les politiques de
ces derniers fiècles . Mais lorfque Jeanin
arrive à La Haye , il trouve qu'on a prévenu
les Hollandois contre Henry en lui prêtant
des vues ambitieufes. Il voit « que l'Angleterre
eft entièrement dévouée à la Mai-
» fon d'Autriche.... Que les Archiducs
par leur préfence , gênent les fuffrages
qu'ils n'ont pû gagner ... Que l'ennemi
و د
H iv
176 MERCURE DE FRANCE .
» ne fe prête à fufpendre les hoftilités que
» pour avoir le temps de réparer fes pertes
» & de raffembler de nouvelles forces.... ور
"
Que la religion fert encore d'inftrument
» à l'ambition & à la politique.... Enfin ,
» que jufques dans l'intérieur des Etats ,
» l'intérêt perfonnel s'oppofe à l'intérêt
général
ود
"".
Le génie de Jeanin furmonte tous ces
obftacles , & la tréve eft conclue à la
» fatisfaction de toutes les Puiances.
» Jeanin met le fceau à ce grand ouvrage
» en conciliant les Princes divifés , en réglant
les intérêts des grandes maifons....
» Une confiance réciproque le rend le mé-
» diateur de ces longues querelles , & ceux
qui avoient pofé le glaive à la voix du
politique , foumettent le partage de leurs
» domaines aux lumières du Jurifconfulte».
"
و د
"
Il reftoit encore une fource de divifions ,
le fanatifme pouvoit encore troubler la
paix. « Les Etats voyoient dans leur fein
» deux églifes élevées au même Dieu ,
» mais d'autant plus acharnées à fe perfé-
" cuter , que fe glorifiant toutes deux de
» fuivre fa parole , elles lui offroient une foi
» différente. La tolérance ne fut point une
» vertu dans le fiècle de Jeanin », Mais ce
grand homme , ce zélé catholique, prévient
les troubles & affermit la paix , en faisant
و د
JUILLET 1766 . 177
·
connoître aux citoyens le véritable efprit
de la religion , & toute l'étendue du précepte
de la charité.
ود
M. de Morveau montre enfuite Jeanin
quittant les Provinces- Unies avec le titre
glorieux de Fondateur de cette Républi-
» que ; ne recevant de tous les p é ens qui
5 lui étoient offerts de toutes parts que
» ceux que fon Roi lui ordonna expref-
» fément d'accepter ; & goûtant à fon ar-
» rivée à la Cour cette douce fatisfaction
» que la préfence du Maître produit dans
» l'âme du Sujet qui vient de le fervir.
و د
""
Henry s'avance au devant de Jeanin ,
» il l'embraffe , & prenant la main de la
Reine » lui dit ce Prince , : vous voyez ,
l'un des plus hommes de tien de mon
Royaume , le plus affectionné à mon fervice
, le plus capable de fervir l'Etat ; &
s'il arrive que Dieu difpofe de moi , je
vous prie de vous repofer fur fa fidélité &
fur la paffion que je fai qu'il a pour le bien
de mes peuples.
le mo-
Henry favoit que la religion de Sulli
le rendoit fufpect ; que la haine que lui
portcient les grands fe déclareroit plus
ouvertement après fa mort , & que
ment où il defcend oit au tombeau feroit
l'époque de la difgrace de ce Miniftre :
heureux de trouver le même génie , is
L
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
93
"
la
» même zèle , dans un homme que
religion ne leur rendoit pas fufpect
dans un homme dont la vertu plus mo-
» dérée & moins fière leur avoit infpiré
» moins de prévention & d'éloignement ;
il prefcrivoit ce choix parce qu'il le voyoit
» plus poffible fans le croire moins avan-
و د
""
"
» tageux » .
L'événement juftifia la prévoyance du
Roi. A peine une main parricide eut- elle
enlevé à la France le plus grand de fes
Monarques , que Sulli fut écarté du trône ,
& la Régente remit entre les mains de
Jeanin le dépôt des finances du Royaume ;
dépôt précieux & qui répandit fur la vertu
de Jeanin un éclat d'autant plus vif , que ,
par l'intelligence & l'économie de l'adminiftration
la plus délicate , ce Miniſtre ,
« fans ceffer d'entretenir les mêmes trou-
» pes pour la fucceffion de Juliers , fans
» difcontinuer les entreprifes intérieures ,
fans diminuer cet éclat qu'il importe de
conferver à la couronne d'une main
répandit les richeffes pour défarmer les
» mécontens & attacher tous les grands
» à la fortune de l'état , de l'autre allégea
» le poids des impofitions & fupprima
"toutes celles que les peuples n'avoient
fupportées patiemment que dans la confiance
de voir accomplir les glorieux
و ر
33
و د
و د
>
JUILLET 1766. 179
33
» deffeins du règne précédent. Prodigue
» envers tous ceux dont la fidélité attend
quelque prix , & pour lui feul avare de
» ces mêmes biens , il partage un pouvoir
» qu'il peut fe réferver en entier. Il s'af-
» focie des coopérateurs , non pour couvrir
» des abus par l'autorité , mais pour pré-
» venir le foupçon par la publicité ; il lève
» lui-même le voile qui couvre trop fou-
» vent une geftion auffi étendue ; il diffipe
» les ténébres dont il eft fi facile de s'envelopper
; il fuit l'ombre qui feule tra-
» hit le befoin de celui qui la cherche.
» C'eft à l'affemblée des États Généraux
» du Royaume qu'il foumet le compte de
» fon adminiftration ».
و د
"
C'eſt ainfi que M. de Morveau développe
fucceffivement , & par des faits , la
grande âme de Jeanin , & que dans la
pureté des motifs de toutes fes actions , il
fait appercevoir la caufe de la tranquillité
de ce grand homme dans fa difgrace &
dans le retour de la fortune , lorfque le
Maréchal d'Ancre étant tombé dans l'abîme
que fes crimes avoient ouvert fous fes pas ,
il fut rétabli dans toutes fes charges avec
le titre de Surintendant des Finances .
L'amour de la patrie étoit la feule paffion
qui anima Jeanin . C'elt cette paflion
qui , fubordonnant fon intérêt perfonnek
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
à celui de l'Etat , l'engagea à facrifier au
bien général , fon repos , fa vie & jufqu'aux
mouvemens de la nature les plus impérieux.
Sans rapporter d'après M. de Morveau
tous les traits qui caractériſent le dévouement
de ce grand homme , je n'en citerai
qu'un feul qui à mon avis donne une bien
grande idée de fon patriotifme ; « il pré-
» fida au Confeil le jour même qu'il perdit
» fon fils ». De quel effort n'étoit-il donc
pas capable ?
ور
Aufli ne peut - on , fans admiration ,
fuivre le tableau de fa vie par lequel M. de
Morveau termine cet éloge , & dans lequet
on voit que « Jeanin eut toutes les vertus,
» & que fes vertus firent toujours le fort
» de fes concitoyens ».
A Dijon , ce 10 Mai 1766.
MARET , M. Secrétaire perpétuel.
«
Ce qui fuit nous a été communiqué par
un ani de M. CLAIRAUT.
M. SAVERIEN , qui vient de nous
donner une Hiftoire des Sciences exactes ,
devoit fentir qu'ayant à répondre au public
de tout ce qu'il alloit avancer , il étoit
JUILLET 1766. 181
peut- être de fon devoir de ne rien hafarder
fans l'examen le plus fcrupuleux . L'Arricle
de M. Clairaut eft une preuve de
la négligence de M. Saverien dans une
partie fi effentielle à la Biographie. Ce
morceau nous préfente des faits auxquels
l'Auteur n'a pas même pris la peine de
donner un air de vraifemblance .
D'abord il nous dépeint M. Clairaut
comme le génie le plus prématuré qu'on
air vu depuis Pafcai : il dit d'après le témoignage
public , qu'à douze ans ce
Savant écrivit comme le Géomètre de Port-
Royal , fur les fections coniques , & qu'à
feize il publia des recherches curieufes
fur les courbes à double courbure dans
ce dernier ouvrage il fit ufage avec fuccès du
calcul des infiniment petits. Il connoiffoit
donc ce calcul avant que d'aller à Bâle chez
M. Jean Bernouilli ; il ne fit donc pas ce
voyage pour s'en inftruire auprès de ce
grand Géomètre , comme le dit l'Hiftorien .
Je ne fais fi M. Saverien a fenti cette contradiction
, mais elle me paroît palpable ..
S'il avoit bien voulu confulter les perfonnes
inftruites , il n'eût pas ignoré que dès ce
temps M. Clairaut forgeoit à perfectioner
le fyftême du monde d'après les idées du
Chevalier Newton ; que fachant que Jean
Bernoulli étoit alors le rival le plus re182
MERCURE DE FRANCE.
doutable de ce célèbre Anglois , il n'alla
chez lui que pour apprendre les objections
qu'il pourroit faire contre ce fiftême , pour
fe mettre en état de les prévenir & d'y répondre
, & qu'en effet il revint de Bâle
plus Newtonien qu'il n'avoit été juſqu'àlors.
A fon retour il ne s'occupa plus que
de l'Aftronomie Phyfique : la lune fixa le
plus fon attention , parce qu'après le foleil ,
c'eſt celle de toutes les planettes qui nous
intéreffe davantage & dont le mouvement
eft altéré par des inégalités plus nombreuſes
ou du moins plus fenfibles . La théorie de
Newton avoit fait naître des tables de
cet aftre plus exactes que toutes les précédentes
; mais il s'en falloit bien que cette
matière fût entièrement épuifée : on n'avoit
point encore déterminé l'orbite que
la lune décrit en vertu de l'action que la
terre & le foleil exercent fur elle . Dans
cette théorie le mouvement de l'apogée
a donné lieu à bien des difcuffions Géométriques
& Philofophiques : ce point
n'eft pas fixe dans le ciel on en trouve la
variation par une fuite infinie , dont le
premier terme ne lui donne qu'environ
la moitié de fon mouvement réel. M.
Clairaut & les deux autres Géométres (1 )
(1 ) MM. Dalembert & Euler.
Voici une lettre de M. de Voltaire , datée
JUILLET 1766. 183
qui ont réfolu en même temps que. lui le
problème des trois corps , penferent que les
autres termes de cette fuite pris enfemble ,
devoient être beaucoup plus petits que le
premier. Ils crurent donc avoir trouvé que
le mouvement de l'apogée déterminé
le calcul , étoit la moitié plus lent que les
aftronomes ne l'ont établi , & tirerent de - là
du 27 Août 1759 & adreffée à M. Clairaut , fon
ami , au fujet de cette prédiction , qui a fait tant
d'honneur à ce grand homme.
par
« Votre lettre , Monfieur , m'a fait autant de
>> plaifir que votre travail m'a infpiré d'eftime.
>> Votre guerre avec- les Géomètres , au fujet de
la comète , me paroît la guerre des Dieux dans
» l'Olimpe , tandis que fur la terre les chiens fe
> battent contre les chats .
כ כ
"
>>
» Je fuis effrayé de l'immensité de votre travail;
» je me fouviens qu'autrefois , quand je m'appl
quois à la théorie de Nevvton , je ne fortois
» jamais de l'étude que malade : les organes de
» l'application & de l'intelligence ne font pas
bons chez moi que chez vous vous êtes né
Géomètre , & je n'étois devenu votre difciple
que par hasard . Votre dernier travail doit certainement
honorer la France : les Anglois ne
» peuvent pas avoir tout dit ; Nevvton avoit fondé
> en partie fes loix fur celles de Kepler , & vous
> avez ajouté à celles de Nevvton . C'est une chofe
>> bien admirable d'être parvenu à reconnoître les
» inégalités que l'attraction des groffes planètes
opère fur la route des comètes . Ces aftres que
nos pères , les Grecs , ne connoiffoient qu'en qua-
» lités de chevelus , felon l'étimologie du nom & en
ל כ
ور
184 MERCURE DE FRANCE.
quelques conféquences contre la loi de la
gravitation en raifon inverfe du quarré
des diftances. Il eft vrai que M. Clairaut ,
fe hâta trop de publier cette prétendue
découverte ; mais auffi fut-il le premier à
s'appercevoir , qu'il ne fuffifoit pas de s'en
tenir au premier terme de cette fuite ; &
que ce n'eft qu'au quatrième terme , quelle
, כ
» qualité de méchans , comme nous connoiſſons
>> Clodion le Chevelu, font aujourd'hui foumis à vo→
» tre calcul , auffi bien que les aftres du fyſtéme
» folaire ; mais il faudroit être bien difficile pour
exiger qu'on prédît le retour d'une comète à lami-
»› nute , de même qu'on prédit une éclipfe de Soleil
>> ou de Lune : il faut fe contenter de l'à peu près
>> dans les diſtances immenfes & dans les compli-
» cations de caufes qui peuvent accélérer ou re-
>> tarder le retour d'une conète d'ailleurs la
» quantité préciſe de la malle de Jupiter & de
» Saturne peut- elle être connue avec précifion ?
» Cela me paroît impoffible . Il me femble que
» quand on vous accorde un mois d'échéance pour
>> le retour d'une comète , comme on en accorde
» pour les lettres de change qui viennent de loin
> on ne vous fera pas grande grace : mais quand
» on m'avouera que vous faires honneur à la
» France & à l'efprit humain , on ne vous rendra
» que juftice . Plât à Dieu que notre ami Moreau
» de Maupertuis eût cultivé fon art comme vous
و ر
ود
>
qu'il eût prédit (eulement le retour des comètes ,
>> au lieu d'exalter fon âme pour prédire l'avenir ,
» de difféquer des cervelles de géint pour connoî-
» tre la nature de l'âme , d'enduire les gens de
JUILLET 1766. 185
devient allez convergente , pour que ceux
qui font au de - là puiffent ètre n'égligés
fans crainte. Ce travail eft immenfe ; mais
notre Géométre en fut bien récompenfé
par le réfultat , qui fe trouva tel qu'il
devoit être pour confirmer entièrement le
fyftême de la gravitation univerfelle.
M. Saverien femble avoir négligé tous
ces faits ; mais comment peut-il être tombé
dans une erreur plus confidérable ? M.
Clairaut, dit - il , fixa le retour de la comète
ور
poix-réfine pour les guérir de toute eſpèce de
>> maladie .
» Au refte je fuis fâché que vous défigniez par
» le nom de Nevv oniens ceux qui ont reconnu la'
» vérité des découvertes de Nevvton ; c'est comme
fi on appelloit les Géomètres Euclidiens. La vé-
» rité n'a point de nom de parti ; l'erreur peut
>> admettre des mots de ralliement : les fectes ont
>> des noms , & la vérité eft vérité .
>> Dieu bénille l'Imprimeur qui a mis les alters
cations au lieu d'altérations ; il a eu plus de
» raifon qu'il ne croyoit toute vérité produit
>> altercation. Je pourrois bien aufi me plaindre à
>> mon tour de ceux qui ne m'ont pas rendu juf-
» tice , quand j'ai mis le premier en France le
و د
fyitême de Nevvton au net ; mais j'ai elfuyé
» tant d'injuſtices d'ailleurs , que celle là m'a
» échappé dans la foule. Je fuis enfin parvenu à
>> ne plus meſurer que la courbe que mes nou-
>> veaux femoirs tracent au bout de leurs
rayons
» le réſultat eſt un peu de froment. Mais quand
> je me fuis tué à Paris pour compoſer des poemes
186 MERCURE DE FRANCE.
de 1682 & 1759 à trois mois plus tard
qu'elle n'a paru en effet. M. Dalembert ,
dit , dans fa théorie de cette comète , article
5, qu'au mois de Novembre 1758 ,
plus de 76 ans après la dernière apparition
de la comète , M. Clairaut annonça , qu'en
vertu de l'action de Jupiter & de Saturne ,
elle ne repafferoit à fon périélie que vers le
15 Avril 1759 : elley apaffé le 12 Mars ;
ce qui fait 33 jours de différence entre le
calcul & l'obfervation .
On feroit tenté de croire que M. Savérien
regarde M. Clairaut comme un fimple
calculateur , & va lui refufer un rang parmi
les hommes de génie. Quoi ! celui qui a
fait de fi belles recherches fur les loix de
la pefanteur , fur la figure des planètes , fur
l'équilibre des fluides ; celui qui a traité
avec tant de fineffe , de l'élévation ou de
l'abaiffement des liqueurs dans les tuyaux
capillaires ; celui qui a donné tant d'étendue
à la découverte de Bradley , de l'aberépiques
, des tragédies & des hiftoires , je n'ai
>> recueilli que de l'ivraie ; la culture des champs
» eft plus douce que celle des lettres . Je trouve
» plus de bon fens dans mes laboureurs & dans
» mes vignerons , & fur- tout plus de bonne foi
>> que dans les regrattiers de la littérature , qui
>> m'ont fait renoncer à Paris & qui m'empêchent
>> de le règretter. Je mets en pratique ce que l'ami
» des hommes confeille ; je fais du bien dans mes
JUILLET 1766. 187
ration des étoiles fixes ; celui enfin à qui
l'Aftronomie phyfique eft fi redevable ,
n'étoit qu'un fimple calculateur ? Quoi
qu'il en foit, M. Clairaut n'étoit pas feulement
un grand Géométre & un grand
Phyficien , il étoit encore homme'de goût.
On trouve dans la dernière édition des
Euvres de M. de Voltaire des vers de cet
illuftre Géométre adreffés à ce grand Poëte
( 2 ) . Il a travaillé long- temps au Journal
des Savans ; & fes extraits , quoique trèsprofonds
, font agréablement écrits.
> terres aux autres & à moi ; je fais naître l'abon-
>> dance dans le pays le plus agréable à la vue &
» le plus pauvre que j'aye jamais vu . C'eſt une
>> belle expérience de phyfique , de faire croître
» quatre épis où la nature n'en donnoit que trois :
>> l'Académie de Cerès & de Pomone vaut bien les
>> autres >>.
Felix qui potuit rerum cognofcere caufas !
Fortunatus & ille Deos qui novit agreftes !
J'ai l'honneur d'être avec tous les fentimens de
la plus refpectueufe eftime ,
Monfieur ,
Votre très-humble & très- obéiffant ferviteur.
V .....
Au Château de Tourney , pays de Gex ,
par Geneve , ce 27 Août .
(2 ) LAISSE à Clairaut tracer la ligne
Des rayons qui frappent tes yeux ;
188 MERCURE DE FRANCE.
Il feroit difficile de juftifier intention
de M. Savérien , lorfqu'il avance , fans fondement
, que M. Clair aut eft mort de chagrin
de ce que la Société Royale n'avoit
pas jugé fes nouvelles tables dignes de
concourir au prix des longitudes . Le fait
eft que le prix étoit donné lorfque les tables
de M. Clairaut arrivèrent à Londres . Les
favans Anglois , frappés de leur exactitude ,
ne purent que lui écrire des lettres de félicitation
, qui ont été entre les mains de
tous fes amis. Il n'a pas joui long- temps.
du plaifir de voir que les Aftronomes fe
fervoient de fes tables préférablement à
Armé d'un verre audacieux ,
Qu'il aille au cercle radieux
Chercher quelque treizième figne ;
Qu'il donne fon nom glorieux
A la première tache infigne
Qu'il découvrira dans les cieux .
Toi , d'un plus aimable délire ,
Ecoute les tendres leçons ;
D'une autre Muſe qui t'inſpire
Ne dédaigne point les chanfons ;
Quitte le compas , prends ta lyre .
Je donnerois tout Pemberton ,
Et tous les calculs de Newton ,
Pour un fentiment de Zaïre.
JUILLET 1766. 189
.
toutes les autres. Une fièvre maligne l'enleva
vers le milieu de fa carrière . Sa maladie
& fa mort ont été accompagnées de
circonftances fi honorables aux lettres ,
qu'il eft étonnant que M. Savérien les ait
fupprimées. Quel tableau intéreffant n'auroit
pas offertl'Hiftorien s'il avoit peint cette
foule d'amis illuftres qu'une grande modeftie
jointe à beaucoup de douceur de
moeurs avoit acquis à M. Clairaut , défolée
de le perdre fitôt , venant avec empreſſement
& les larmes aux yeux à toutes les
heures du jour & de la nuit s'informer des
viciffitudes de fa maladie ; s'il nous avoit
repréfenté un des hommes les plus diftingués
par fon rang & par fon efprit ( 3 )
affidu auprès du lit d'un favant , y paffer
les nuits entières , recevant les derniers
épanchemens d'un ami , dont il apprécioit
le mérite mieux que perfonne , & dont il
a fi dignement honoré la mémoire en
prenant foin de tout ce qui lui refte.
... (3 ) M. de M. T..... le digne ami
de M. Clairaut , qui a obtenu de Sa Majesté une
penfion de 1200 liv. pour la foeur de ce Savant .
190 MERCURE DE FRANCE .
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE.
EXTRAIT des Mémoires lus à la féance
publique de l'Académie Royale de Chirurgie
, le Jeudi , 10 Avril 1766.
IL
L n'eft pas rare de trouver fur un
champ de bataille des hommes tués , auxquels
on n'apperçoit aucune marque qui défigne
l'endroit où ils ont été frappés . On
a attribué cet effet malheureux à l'impreffion
de l'air ébranlé par le boulet de canon ,
qui a paffé dans le voisinage. On a dit ,
que la commotion générale qui accompagne
les bleffures par le canon , venoit de
cette caufe ; & que l'air étant comprimé ,
condenfé & pouffé très - promptement par
un boulet mu avec une très-grande vîteffe ,
agiffoit fur le corps avec plus de force , &
y produifoitune contufion plus forte , que
2
JUILLET 1766. 191
·
ne le pourroit faire aucun corps contondant
, même des plus péfans.
M. le Vacher s'eft propofé de detruire
cette erreur , adoptée par tous les Auteurs
quiont écrit fur les plaies d'armes à feu . Elle
ne mériteroit pas , dit-il , d'être rélevée ,' fi
elle étoit de pure fpéculation ; mais elle
jette dans la pratique des incertitudes fort
préjudiciables. L'Auteur prouve d'abord
par les principes de Phyfique , que le boulet
qui parcourt un efpace quelconque dans un
air libre ne peut en aucune façon comprimer
une portion de cet air , pour qu'il devienne
capable de faire le moindre choc
contre nos parties. Uu boulet de canon , en
parcourant un espace égal à fon diamétre ,
ne peut déplacer qu'une portion d'air égale
à fon volume . La colonne obligée de céder
le paffage au corps mis en mouvement , fe
divife en tous fens , en haut , en bas , à
droite , à gauche. Or de toutes les parties
de la colonne divifée , il n'y a que celle
qui eft jettée du côté du membre , qui
pourroit le bleffer ; on peut donc fans
crainte d'erreur préjudiciable à cette preuve
, affurer que le volume d'air qu'on fuppofe
capable de bleffer , eft quatre fois plus
petit que celui du boulet. La vîteffe avec
laquelle cette portion d'air frappe , eft aifée
à déterminer ; elle ne peut être plus
192 MERCURE DE FRANCE .
grande que celle du boulet même. Jamais
un corps folide qui divife un fluide , ne
peut donner à ce fluide une vîtelle plus
grande que la fienne . Il ne s'agit donc plus
pour apprécier l'intenfité du choc , rélativement
à celui qui fe feroit par le boulet ,
que d'avoir égard aux denfités refpectives
de ces deux corps. Le boulet compofé d'atomes
de fer eft au moins 1200 fois plus
denfe que l'air : donc , fuivant la loi invariable
des chocs , la maffe d'air frapperoit
avec une force 4800 fois plus petite que
celle avec laquelle le boulet frapperoit.
Comment donc feroit-il poffible qu'un
choc auffi petit produifît d'auffi grands défordres
que ceux qu'on obferve dans les
contufions profondes , fans aucune trace
extérieure de l'impreffion du corps contondant
, & qu'on a attribués jufqu'ici à l'air
mu par un boulet de canon ?
Suivant M. le Vacher , c'eft l'action
immédiate du boulet même qui produit ces
contufions, lorfqu'il ne frappe , fuivant une
direction oblique , que par un tiers , ou par
un quart de fon épaiffeur ; l'effet alors eft
de nature à ne faire aucune impreffion fur
la peau , capable de céder , & qui en outre
eft garantie par les vétemens. L'os feul réfifte
, & les maffes mufculeufes intermédiaires
ont porté tout l'effort du coup . Elles
font
JUILLET 1766 . 193
font froifées , triturées & dilacerés , les
vaiffeaux qui entrent dans leur texture font
meurtris& écrafés ; de-là ces depôts énormes
formés de fang & du débris des chairs,
fous une peau qui paroît dans l'état naturel
: bleffures qu'on a fauffement attribuées
au choc de l'air , manifeftement incapable
de produire un pareil défordre.
De ce qu'on aura ouvert plufieurs bleffés
tués fur le champ par un boulet de canon ,
& à qui l'on a trouvé pour caufe de mort
le foie comme broyé , peut- on en conclure
que les parties extérieures n'ont pas été
touchées? Il n'y avoit aucune marque extérieure
à la vérité ; mais cela n'exclut pas
une impreflion réelle du boulet même fur
les parties contenantes . M.le Vacher penfe
que ceux qu'on a cru avoir été fuffoqués
par le paffage d'un boulet de canon devant
la bouche, ont été frappés violemment à la
poitrine , & que faute de fymptomes au
dehors , on n'a pas imaginé qu'il pût y
avoir de défordre dans l'intérieur. Le boulet
, dit-il , paffe avec tant de rapidité ,
qu'on ne peut pas attribuer la mort à la
fufpenfion de la refpiration pendant un
tems fi court ; mais en fuppofant que le
bleffé furvécût , tant que l'exclufion des
marques extérieures ne fera foupçonner
que les effets de l'air ébranlé par le boulet,
Vol. II. I
194 MERCURE DE FRANCE.
,
la Chirurgie n'aura d'autres fecours à offrir
que ceux qu'elle oppofe en général à toute
commotion . Ces fecours ne donneront pas
iffue à une quantité de fang épanché dans
la poitrine ou dans le bas- ventre , ou
dans l'interſtice des parties : au lieu que fi
le Chirurgien , éclairé par une meilleure
théorie , dirigeoit fes vues curatives du
côté d'un épanchement qu'il a tout lieu de
foupçonner , & que la nature des fymptomes
lui indiquera , lorfque de fauffes notions
fur la caufe du mal ne les déroberont
point à fon intelligence ; on pourroit encore
efpérer le falat du bleffé par les fecours
utiles qui lui feroient adminiftrés.
Le préjugé où l'on eft que l'air peut
bleffer comme caufe contondante, eft donc
réellement contraire aux progrès de l'art
& au bien de l'humanité ; puifqu'il obfcurcit
le diagnoftic des contufions faites
par le boulet , & qu'il prive les bleffés des
fecours capables de leur conferver la vie .
M. Pipelet l'aîné lut en fuite un mémoire
fur la réunion de l'inteftin qui a
fouffert déperdition de fubftance dans une
hernie avec gangréne. Il expofe d'abord
les principes généraux de l'Art fur cette
maladie , à la guérifon de laquelle la nature
fe fuffit à elle -même dans certains cas ,
& qui dans d'autres a befoin du fecours de
l'Att. L'Auteur obferve que c'eft préciféJUILLET
1766. 195
ment lorfque le Chirurgien a le moins à
faire , qu'il eft obligé d'être plus éclairé.
Les occafions où il faut opérer font affez
ordinairement foumiſes aux yeux , l'expérience
y fert de guide ; mais les cas les plus
difficiles font ceux où l'on doit être conduit
par les lumieres de l'efprit , & où le
parti décifif pour la vie d'un malade dépend
d'une combinaiſon rationelle , & de
l'induction qu'on tire de plufieurs faits ,
dont l'intelligence eft liée à diverfes branches
de connoiffances , fans la réunion defquelles
il n'y a ni fcience ni art.
Dans le fait de pratique , que M. Pipelet
rapporte, il eft queftion d'une femme
qui fut opérée en 1740 , à l'âge de 56.
ans , d'une hernie dans laquelle il fe trouva
une affe de boyau gangréné , de la
longueur de 5 à 6 pouces. Les matieres
ftercorales prirent pendant long - tems
leur route par la plaie ; on ne prévoyoit
rien de plus avantageux pour la malade
que la confervation de ce nouvel ânus .
Cette femme commit une faute dans le régime
févère qu'on lui avoit preferit , &
cette faute lui fut falutaire ; elle indiqua
l'ufage d'une purgation douce . On croyoit
que les matières fortiroient par la feule
voie qu'elles renoient depuis 4 mois :
ilar va au contraire que dès ce jour , elles
prirent leur route vers le rectum , & la plaie
I ij
196 MERCURE DE FRANCE .
fut cicatrifée parfaitement en 12 ou 15
jours. La malade avoit 72 ans , lorfque
M. Pipelet communiqua cette obfervation
à l'Académie & elle jouiffoit depuis 16
ans d'une bonne fanté; il ne l'a point perdue
de vue : elle eft morte le 5 Février dernier
âgée de 82 ans , d'une caufe tout à - fait
étrangère à l'opération qui lui avoit été
faite il y a plus de 25 ans .
Le corps a été ouvert , & la portion inteftinale
réunie a été montrée à l'Académie:
fi elle fait voir les grandes reffources
de la nature , on ne manque pas de re
connoître comment l'art peut lui aider!, &
à quels dangers les malades feroient expofés
, s'ils n'étoient pas fecourus convenablement
fuivant la diverfité des circonftances.
Il eft étonnant, que jufqu'à nos jours il
y ait eu fi peu d'obfervations fur les hernies
avec gangrène : cette maladie a toujours
dû être fréquente ; on donne ici les
caufes qui ont pu la faire méconnoître.
Nous devons aux Hiftoriens de la primitive
Eglife à Antioche , le récit d'une hernie
avec gangrène affez bien caractériſée , des
fuites de laquelle eft mort le Comte d'Orient
, oncle de l'Empereur Julien en 363 .
» Il fut attaqué un foir d'une colique vio-
» lente , & frappé bientôt après dans les
entrailles , d'une plaie incurable : les´
JUILLET 1766. 197
27
» chairs extérieures les plus voifines fe cor-
» rompirent & engendrerent une quantité
prodigieufe de vers. Il s'en formoit
» auffi en dedans qui le rongeoient peu -à-
» peu malgré tous les fecours de la médécine
, & fortoient par la bouche avec les
» alimens , qui ne trouvoient plus d'autre
» iffue : cette maladie dura environ deux
" mois. "
»
وو
و ر
Ce fait eft tiré de la vie de l'Empereur
Julien par M. l'Abbé de la Pletterie. Il
remarque que les Chrétiens perfécutés par
ce Prince regarderent fa mort comme un
effet de la vengeance divine. Oribaze
homme de grand fçavoir , le Médecin &
l'ami de Julien, a dû être témoin de cette
maladie : les recherches les plus exactes
dans fes ouvrages nombreux n'en ont donné
aucune notion. C'eſt à la prière de
'Empereur qu'il avoit compilé des oeuvres
de Galien & de tous les Auteurs précédens ,
es livres qu'il a publiés fur l'Art de guérir
; mais on ne voit pas qu'il y ait ries
ajouté de ce qu'il avoit appris de fa propre
expérience.
La féance a été terminée par la lecture
d'un mémoire de M. de la Martiniere ,
premier Chirurgien du Roi & Préfident
de l'Académie , fur l'opération du trépan
au fternum. Il établit les cas , où elle eft
I iij
198 MERCURE DE FRANCE .

convenable ; à fes obfervations particulieres
fur cette matiere intéreffante , il a joint
celles qui ont été communiquées à l'Académie
; rapprochées fous le même point
de vue , elles forment un corps de doctrine
qu'on ne peut obtenir réellement que
des travaux réunis de ceux qui cultivent
utilement la Chirurgie, & qui pour le bien
de l'humanité s'occupent de fes progrès.
Un foldat bleffé en 1734 au fiège de
Philisbourg, eft le fujet de la premiere obfervation
; M. de la Martiniere le vit à
T'Hôpital de Spire , ayant à la poitrine
deux plaies produites originairement par
l'entrée & la fortie d'une balle , dont le
trajet tranfverfal répondoit à la partie
moyenne du fternum. Il n'y avoit point eu
d'accidens primitifs ; vers le 15. jour M.
de la Martiniere s'apperçut que les plaies
n'avançoient pas comme elles l'auroient
du ; le malade fentoit un malaiſe dans
l'intervalle des deux plaies ; il éprouvoit
un poids qui lui rendoit la refpiration un
peu moins libre qu'à l'ordinaire. Un examen
attentif & fuivi fit connoître une légère
dépreffion , laquelle, quoique très - peur
marquée,parut fuffi ante pour déterminer à
une incific Dar laquelle on découvrit une
fracture denum en étoile. M. de la Martiniere
fe fut bon gré de n'avoir pas attendu
plus long -tems à fe décider : les rayons de la
JUILLET 1766. 199
fracture laifoient fuinter un peu de matière
purulente , dont le foyer étoit fur le
médiaftin. On enleva d'abord la pièce
d'os qui parut tenir le moins , on en ôta
enfuite trois autres, dont l'extraction parut
auffi néceffaire que facile ; l'abfcès intérieur
fut détergé & cicatrifé fans accident.
On fait ici un parallele inftructif entre les
fractures du fternum & celles du crâne , d'où
l'on conclut que celles- ci étant non - feulement
une caufe , mais un figne qui indique
l'opération du trepan , il doit en être
de même dans celles du fternum . Les bons
Auteurs ont été de cet avis ; M. du Verney
ajoute , après l'avoir adopté , qu'il eft bon
de remarquer que les Auteurs qui traitent
cette matiere , ne donnent aucuns fignes
caractéristiques pour connoître l'épanchement
de fang ou de pus , qu'on fe propofe
d'évacuer; & qu'ils gardent également le filence
fur le fuccès de l'opération . D'après
le mémoire de M. de la Martiniere , il ne
reftera plus aucun doute fur la poffibilité
de ce fuccès , & fon objet principal eft de
déterminer les divers cas où l'opération
eft précisément indiquée. La néceffité &
le fuccès font également prouvés dans une
obfervation de feu M. Mefnier , Chirur
gien à Angoulême,dans le cas d'une fracture.
Après le récit du fait , M. de la Mar-
I iv
1200 MERCURE DE FRANCE.
pour
n'être
pas
y a
Liniere remarque que l'indication étoit
trop fenfible faifie par
tout Chirurgien méthodique ; mais il
d'autres circonstances où cette opération
peut être pratiquée utilement,fans qu'il y
ait ni fracture ni carie ; & il le prouve par
fa propre expérience .
Le nommé Baudry , cocher de la petite
Ecurie du Roi, avoit une tumeur à la partie
antérieure du col , immédiatement audeffus
du fternum ; elle reffembloit à un
goëtre , elle fuppura difficilement ; & l'ouverture
faite par feu M. Alary , Chirurgien
de l'Infirmerie Royale de Verſailles ,
ne fournit qu'une matière indigefte . Le
foyer de l'abfcés fut traité felon l'art ;
on croyoit marcher à la guérifon ; mais
on s'apperçut que quand cet homme touffoit
, il fortoit de deffous le fternum une
matière purulente ; & quand il étoit debout
, il fouffroit d'une oppreffion affez
confidérable , caufée par la matière retenue
dans le bas fond de l'abfcès caché fous le
fternum. On prit le parti de faire garder
au malade la fituation horisontale dans le
lit , & pour la déterfion du fac , on pratiqua
les injections convenables , qu'on continua
affez long-temps fans fuccès : on étoit
privé dans ce cas de la reffource fouvent
efficace des bandages expulfifs. Les foins
qu'on s'étoit donnés ayant été en pure perte,
JUILLET 1766. 201
->
il ne reftoit que la contre-ouverture à tenter,&
elle prefcrivoit l'opération du trépan
à la partie declive du foyer.Le malade défignoit
l'endroit où il fentoit la plus forte
gêne, lorfqu'il étoit debout , & que la
matière n'avoit pas été évacuée. M. de la
Martiniere le détermina à confentir qu'on
fui trépanât le fternum. L'application d'une
feule couronne procura au pus une libre
iffue la plaie fupérieure fe cicatrifa
promptement , & la déterfion du fond de
fabfcès caché fous le fternum, n'a pas tardé
à fe faire. La guérifon n'a pas
duré plus
de deux mois ; la fanté s'eft très-bien foutenue
depuis . C'eſt le fuccès du traitement
fait au foldat bleffé par un coup du fufil
au fiège de Philisbourg , qui donna l'affurance
de promettre la réuffite qu'on a obtenue
de l'application du trépan au Cocher
du Roi .
L'indication étoit pofitive & ne parut
point équivoque ; elle n'eft pas toujours
auffiprécife .C'eft une remarque d'Ambroise
Pare , qui dans fon Anatomie , au chapitre
du mediaftin , rappelle le précepte de Columbus
fur la perforation du fternum. Cer
Auteur la confeille pour donner iffue à l'amas
d'humeurs qui peut fe faire entre les
deux membranes dont le médiaftin eft:
formé ; mais je lui voudrois volontiers
Ιν
202 MERCURE DE FRANCE .
demander , dit Paré , comment nous connoîtrons
que tel humeur y oit contenu ?
Cette question ne doit pas paroître une cenfure
contre la néceflité ou la poffibilité de
l'opération ; n'exprime - t- elle pas plutôt le
defir d'avoir des fignes diagnoftics , d'après
lefquels on puiffe l'entreprendre avec
raifon ?
M. Freind entre dans un affez grand détail
à ce fujet dans fon hiftoire de la Médecine
, à l'article d'Avenzoar ; il loue la
defeription que Salius Diverfus a donnée
des fymptomes de l'inflamation du médiatin
, propofe d'après Columbus l'opération
du trépan dans le cas d'abfcès en cette
partie ; & il reproche à Paré d'avoir trouvé
ridicule qu'on la propofât.
M. de la Martiniere , venge ici la mémoire
d'un de fes illuftres prédéceffeurs ;
Freind prête ici gratuitement à Paré ce
qu'il n'a pas dit : il ne rejette pas l'opération
; il n'a pas avancé qu'il étoit inutile
& ridicule de la tenter ; il auroit fouhaité
que Columbus eût donné des fignes de
Fexiftence de l'abfcès au médiaftin , pour
lequel il veut avec raifon qu'on trépane le
fternum. Une propofition auffi judicieufe
méritoit d'être applaudie , & non d'être
aufli injurieufement interprétée qu'elle l'a
été par M. Freind.
Après une ample & intéreffante difcufJUILLET
1766. 203
fion fur les fignes de l'abfcès formé par
caufe interne entre les lames du médiaſtin ,
M. de la Martiniere remarque que fon
exiſtence n'exigeroit pas toujours qu'on trépanât
le fternum : s'il s'étendoit vers les
parties latérales de cet os , on pourroit
fouvent préférer l'incifion des parties molles
dans l'efpace intercoftal , & ce feroit le
cas de l'empyeme dans le lieu de néceffité .
,
La carie du fternum eft une des caufes
qui exigent le trépan fur cet os , & même
qu'on en multiplie les couronnes afin
d'enlever tout ce qui eft corrompu . Plufieurs
obfervations communiquées à l'Académie
expriment la douleur des Chirurgiens
, qui ont eu la noble affurance d'ayouer
qu'ils ont vu périr leurs malades
après un traitement long & infidèle , faute
d'avoir ofé tenter l'opération : un pareil
abandon du fecours le plus efficace eft prévenu
, en publiant les faits de pratique ,
qui montrent avec quel fruit il a été adminiftré.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de mufique continue
, avec le plus grand fuccès , les Fragmens
dont nous avons rendu compte dans
premier volume de ce mois. le
Le dimanche 6 de ce mois , M. Gar-
DEL remplaça M. VESTRIS dans l'acte du
Faloux ou de l'Italie ; ce qu'il a continué
depuis , toujours avec beaucoup d'applaudiffemens.
Le Public paroît goûter de plus
en plus les talens de ce danfeur , qui s'eſt
fórmé fous les yeux , & qu'il voit avec
plaifir parvenir au premier ordre dans for
genre .
M. & Mile LARRIVÉE , dans leurs rôles
de l'acte Turc , femblent avoir redoublé de
talent , & le Public d'empreffement & de
chaleur à leur en marquer fa fatisfaction .
M. D'AUBERVAL , dans ce même acte , ne
peut épuifer le plaifir & les applaudiffemens.
des fpectateurs , par les grâces & l'efprit
dont il embellit le comique de la danfe.
Le vendredi, 11 de ce mois , Mlle Du-
ނ
JUILLET 1766. 305
RANCI joua le rôle de Zirphé dans Zélin
dor. Quoique ce rôle femble exclufivement
adapté au caractère de voix , de chant
& de figure de Mlle ARNOULD ; quoique
le Public eût chaque jour été entraîné dans
une forte de raviffement pour elle , il a
néanmoins vu avec plaifir l'art , l'intelligence
& le fentiment de Mlle DURANCI,
fe prêter à un genre d'expreffion tout oppofé
a celui qui peut- être lui eft plus favorable,
& dont elle a tiréun fi grand avantage
dans le petit rôle de Roxane. Mlle
ARNOULD , qui n'avoit été que légèrement
indifpofée , a repris ce rôle le dimanche
14 , avec un nouveau degré de
J
force dans la voix & dans le charme de
l'expreffion ; enforte qu'elle n'a jamais paru
plus admirable. Nous fommes avec
grand plaifir les échos de la juftice éclatante
& flatteufe que le fpectateur rend.
journellement aux progrès de perfection.
que M LEGROS a faits dans le rôle de Zé-
Lindor depuis la première repréfentation ,
ainfi qu'au mérite unique de cet acte qu'on
ne fe laffe point ni d'entendre ni d'applaudir.
Mlle DURANCE , qui n'avoit ceffé de
chanter & d'être applaudie avec tranſport.
dans le rôle de Roxane , s'étant trouvée
indifpofée, Mlle DUPLAN chanta à faplace.
le
14
206 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE FRANÇOISE .
LES tragédies repréfentées fur ce théâtre ,
depuis le précédent Mercure , font , Médée
, Rodogune , Zaïre , les Horaces . Les
comédies en grande piéces , le Médifant,
comédie en cinq actes , remife au théâtre
le 29 Juin ; l'Important de cour , les Dehors
Trompeurs , l'Ecole des Femmes
Avare , les Femmes Sçavantes . Entre les
petites pièces , on donne fouvent l'Aveugle
clairvoyant , que l'on a remis au théâtre
, où elle n'avoit pas paru depuis longtemps
, mais qui devient nouvelle & trèsagréable
, par la manière dont M. BELLECOUR
joue l'aveugle.
Le mercredi , 9 du mois , on donna
' Ecoffoife & le Legs ; deux piéces dans
lefquelles Mlle PRÉVILLE n'avoit point été
doublée pendant fon abfcence , & où elle
vient de reparoître avec des marques d'intérêt
de la part du Public , qui ont rendu
cette repréſentation extrêmement intéreſfante.
Tout le monde avoit été informé de
l'état fâcheux dans lequel étoit tombée la
fanté de cette actrice ; tout le monde en
avoit été touché , fes talens , applaudis ,
JUILLET 1766. 207
& devenus néceffaires à notre théâtre, fembloient
en être devenus plus précieux encore
par la crainte qu'on avoit eu de la
perdre . Lorsqu'elle parut , mercredi , dans
la première pièce , le bruit continué des
applaudiffemens univerfels de toute la
falle , l'empêcha long- temps de pacer . Cet
applaudiffement avoit un caractère qu'on
ne peut décrire , diftingué de ceux que le
feul talent arrache fouvent au fpectateur ,
& dont il paie le plaifir qu'il en recoit ,
fans aucune relation à laperfonne de l'Auteur.
C'étoit , en cette occafion , pour ainfi
dire , un concer : d'acclamations du coeur ,
qui entraîna bientôt la fenfibilité de celle
qui en étoit l'objet . L'abondance de fes
larmes fut le premier figne de la reconnoiffance
que lui infpiroient les bontés du
Public. On jugera aifément combien cela
ranima le fentiment dont il étoit déja affecté
. Enfin on la laiffa commençer ; mais
à chaque couplet de fon rôle , elle fut applaudie
comme jamais ne l'a été aucune
des plus célèbres actrices.
Dans la comédie du Legs , où l'on fçait
que Mile PRE VILLE avoit déja eu la
gloire de plaire & d'être fort applaudie
après l'incomparable Mlle DANGEVILLE
les applaudiffemens eurent encore , s'il
étoit poffible , plus de vivacité. Chaque
208 MERCURE DE FRA NCE.
endroit du rôle qui avoit quelque relation
à la cruelle fituation de fa fanté ou à
fon rétabliffement , excitoit un mouvement
impétueux & général. Animée apparemment
par une circonftance auffi touchante
, aufli flatteufe pour elle, Mlle PREVILLE
joua de manière à juſtifier l'eſpèce
d'excès dont l'affemblée , fort nombreuſe ,
fe trouvoit tranfportée.
C'eft , dans ce moment , une choſe fort
avantageufe à la Comédie que le retour de
cette Actrice , dont le rétabliffement paroît
affermi ; fa grande intelligence lui donnant
les moyens de remplir divers emplois dans
lefquels on la voit toujours avec plaifir &
où elle feroit difficilement remplacée au
gré du public.
COMÉDIE ITALIENNE.
ON a continué les repréſentations de
Tom Jones , ainfi que des Pêcheurs . Nous
avons précédemment parlé de ces deux
Pièces.
JUILLET 1766. 203
SPECTACLES DES PROVINCES.
DE LYON. '
Nous inférons ici la Lettre dont nous avons
parlé à la fin de l'article des Spectacles
du précédent volume qui n'avoit pu y
trouver place .
MONSIEUR ,
Je fors du fpectacle de Lyon. On vient
d'y repréfenter pour la première fois le
Philofophe fans le fçavoir . Cette pièce qui
mérite fi bien les applaudiffemens continuels
que Paris lui a prodigués , a été
reçue dans cette Ville avec les fuffrages de
tous les négociants. La diftinction honorable
que M. Sedaine a faire du commerce,
en le rapprochant des plus nobles états de
la vie , & les ménagemens qu'il a gardés
avec la nobleffe & le militaire , feront enfin
connoître à la nation l'intérêt & la néceffité
de l'union entre ces trois états , qui
forment la bafe & le foutien des empires.
Puiffions nous , à l'exemple de nos voifins ,
fecouer entierement l'indigne préjugé de
l'orgueil , & ramener chez nous l'abondance
210 MERCURE DE FRANCE.
en révérant dans fon comptoir le fils ou le
frère d'un Duc & Pair du Royaume ! Une
profeffion qui fait la grandeur d'un Etat ,
mérite , ce me femble , que le citoyen qui
s'y dévoue , participe aux honneurs & aux
dignités. Tel a été le fentiment de tous.
les peuples qui ont exifté . Le François feul ,
par une inconféquence fans exemple , a
pu jufqu'à préfent attacher au commerce
une dégradation avilliffante. L'orgueil enfanta
ce fyftême inoui ; tous ceux qui nous
entourent ont ri de nos fottifes & en ont
profité. Le fiècle enfin plus éclairé , ramène
aujourd'hui la raifon. Notre imagination
s'épure , les préjugés difparoiffent , & nous
verrons bientôt les arts & l'état le plus effentiel
de la vie civile , reffortir du néant
où l'erreur de nos pères les avoit plongés .
On ne peut refufer aux principaux acteurs
de cette ville les fuffrages que méritent
leurs talens diftingués. La pièce a
été portée à fa perfection , tant pour le jeu ,
que pour l'enfemble & la décoration du
fpectacle. Le rôle de Vanderk père , a été
rempli par M. Camelli , celui de Vanderk
fils , par M. Dalainville . Les fcènes touchantes
entre ces deux acteurs , ont été
receuillies avec beaucoup d'attendriffement.
La neuvième fcène du quatrième
acte , entre Vanderk père & Antoine
JUILLET 1766. 211
joué par M. de la Ribardiere , a fait une
fenfation très - vive fur tous les fpectateurs.
Mais nos plus grands éloges font réfervés
pour l'excellente actrice qui a joué le rôle
de Victorine. Madame Camelli joint à
la figure la plus heureufe , une ingénuité
touchante & toutes les grâces de l'expreffion.
Un fourire enfantin , des modulations
de voix , une flexibilité d'organe
où l'art ne s'apperçoit point , un grand jeu
de phyfionomie , beaucoup de naturel , un
ufage confommé & la fcience certaine de
fon art. Toutes ces qualités réunies à la
plus brillante jeuneffe , en font , fans contrédit
, une des premières actrices de l'Europe
, & peut - être la feule comparable à
l'illuftre Mlle Doligny , tant pour les talens
, que pour la fageffe & le caractère .
Je termine cet apologie , en vous
priant de me croire , &c .
Lyon , ce 22 Mai 1766 .
HITIES.
N. B. Nous avions déja vu des lettres
de Bordeaux qui faifoient mention du fuccès
brillant qu'a eu la Comédie de M.
COLLÉ , intitulée , la Partie de Chaffe de
Henry IV. Nous favions déja que la fcène
du premier acte avoit tellement affecté les
fpectateurs , que leursfangiots étoient Pho

# 12 MERCURE DE FRANCE.
des Acteurs. Nous avons reçu depuis une.
lettre détaillée à ce fujet . Nous croyons
que nos lecteurs verront avec plaifir & un
grand nombre avec regret & envie l'impreffion
que fait au théâtre un ouvrage que
la feule lecture avoit déja rendu fi célèbre .
A Bordeaux , le 28 Juin 1766.
MONSIEUR
LES invitations que vous faites dans vos
Mercures m'engagent à vous écrire les
obfervations que j'ai faites fur le fpectacle
de Bordeaux : il me paroît mériter
une diftinction particulière. J'ofe dire qu'il
eft parvenu à être un des meilleurs de l'Europe
: il réunit prefque au même point les
talens des François & des Italiens . J'ai
fréquenté les fpectacles de Paris pendant
douze ans , & j'ai vu répréfenter ici des
pièces qu'on n'y auroit pas mieux rendues.
C'eft principalement à Monfieur le
Maréchal de Richelieu que nous devons
les talens des acteurs , dont plufieurs font
de fon choix ; c'eft à lui que nous devons
la décence , l'ordre , la tranquillité dont
nous jouiffons au fpectacle . Il eft tellement
fuivi & fi bien varié qu'il ſemble
devenir infenfiblement la fource du goût
JUILLET 1766. 213
pour
le genre dramatique dans ce pays- ci.
On a préfenté aux acteurs plufieures pièces
nouvelles. Pour encourager les talens
naiffans , ils en ont répréfenté quelques
anes ; celles qui ont eu quelques fuccès ,
les doivent moins à la bonté de l'ouvrage
qu'au zèle & aux talens des acteurs.
Le Philofophe fans le favoir a fait un
grand plaifir aux Bordelois . Les endroits
fur- tout où le commerce eft mis dans un
beau jour les a vivement frappés , je crois
pouvoir dire , autant que le point d'honneur.
Ils jouent avec fuccès le Tonnelier
Opéra - Bouffon.
La Partie de Chaffe de Henri IV qu'ils
jouent à préfent , & qui eft à la cinquième
répréfentation , enlève tous les fuffrages.
Depuis environ trois ans que je fuis
fpectateur très - affidu , je n'ai rien vu de
fi applaudi & de fi conftamment fuivi . La
falle qui n'eft pas petite , l'eft trop ces
jours- là , malgré la chaleur.
Le plus grand intérêt régne dans toutes
les fcènes où paroiffent Henri IV & Sully ,
fur - tout dans celle ou fe fait le racommodement
: c'eft le tableau le plus parfait ,
& le plus touchant de l'amitié réciproque
d'un grand Roi , pour un grand Miniftre,
dont le fouvenir fera toujours cher à la
214 MERCURE DE FRANCE .
France. La fcène du repas & celle de la
reconnoiffance du Roi , ont fait aufli la
plus vive impreffion . Les autres fcènes
dans le genre plaifant ont fait plaifir .
Les Acteurs ont fi bien pris l'efprit de
l'Auteur , qu'ils méritent de participer
à fa gloire. M. Dubois , que nous avons
vu avec plaifir dans tous les rôles dont il
s'eft chargé , n'a point trompé l'attente du
public dans celui de Henri IV. Il a trèsbien
allié la dignité avec le ton du fentiment
le plus paffionné , & fur- tout de la
bonté & de la candeur qui convenoient à
fon rôle. M. Dalainval a joint dans le
rôle de Sully la fermeté & les égards , le
refpect & la familiarité. M. Celignan a
très-bien rendu Michau , ce bon payfan
plein de franchife , d'amour pour fon
Prince , qu'il a infpiré à toute fa famille ,
vrai miroir du bonheur. On a vu avec
une grande fatisfaction dans le rôle de
Catau Mile Dugué joindre le talent du
chant a celui de la comédie enjouée . M.
Romainville a joué Lucas avec ce naturel
que Paris a admiré , & que la Province
n'altère pas , & qui fait valoir les plus
petits rôles.
Il feroit trop long de détailler les autres
perfonnages qui ont été bien rendus , &
de faire l'analyfe de la Pièce que l'imJUILLET
1766. 215
preffion a miſe entre les mains de tout
le monde .
Je faifirai avec empreffement les occafions
que notre fpectacle me fournira de
vous affurer que je fuis, &c. BUENnours.
AP PROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monſeigneur le Vice- ' AI
Chancelier , le fecond volume du Mercure du
mois de Juillet 1766 , & je n'y ai rien trouvé
qui puiffe en empêcher l'impreffion . A Paris , ce
22 Juillet 1766. .
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE
SUITE
UITE des Lettres originales de Henry IV. P. 5
IMITATION des penfées de Sainte Thérèſe. 15
COUPLET chanté à S. A. S. Mgr. le Prince de
Condé,
COMPLIMENT des Grenadiers de la Garniſon
de Lille , à leur Général , Mgr. le Prince de
Condé
16
17
A M. de la Place , Auteur du Mercure de France . 18
A M. le Comte de Montmorency-Laval.
DIALOGUE des Morts .
A S. A. S. Mgr le Prince de Levenftein.
19
29
36
EPITAPHE qui eft dans l'églife de Courtavon. 37
216 MERCURE DE FRANCE.
ANECDOTE traduite de l'Anglois.
PORTRAIT.
EPITRE fur l'utilité de la fatyre.
ENIGMES.
LOGOGRYPHES.
CHANSON.
ARTICLE II . NOUVELLES LITTÉRAIRES.
DICTIONNAIRE portatif des Arts & Métiers .
HISTOIRE des progrès de l'efprit humain dans
les Sciences exactes & dans les Arts.
LES Mémoires du Marquis de Solanges.
L'ART des Armes .
TRADUCTION de la Pharfale de Lucain.
LE Voyageur François , ou la Connoiffance
de l'ancien & du nouveau Monde.
LA Raměïde , poëme , par M. Rameau,
ANNONCES de Livres.
ARTICLE III . SCIENCES ET BELLES- LETTRS.
ACADÉMIE S.
38
.
41
43
52
53
55
57
69
78
83
91
106
123
128
EXTRAIT de la féance publique de l'Académie
des Sciences , Arts & Belles Lettres de Dijon.162
Ce qui fuit nous a été communiqué par un
ani de M. Clairaut.
ARTICLE IV. BEAUX ARTS.
ARTS UTILES.
EXTRAIT des Mémoires lus à la féance publique
de l'Académie Royale de Chirurgie.
ARTICLE V. SPECTACLES
OPÉRA.
COMÉDIE Françoife .
COMÉDIE Italienne .
SPECTACLES des Provinces .
De l'Imprimerie de LOUIS CELLOT ,
Dauphine.
180
190
204
206
208
209
rue.
MERCURE
DE FRANCE,
DÉDIÉ AU ROI.
A OUST 1766.
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine .
MS
Cochin
Siliusine
A PARIS,
-JORRY , vis- à- vis la Comédie Françoiſe,
PRAULT , quai de Conti .
Chez DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue du Foin .
CELLOT , Imprimeur, rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilege du Roi,

AVERTISSEMENT.
LEE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer
francs de port , les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie littéraire ,
à M. DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols ;
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes,
à raifon de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles
on enverra le Mercure par la Pofte ,
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant & elles les receront
francs de port.
د
Celles qui auront d'autres voies que
la Pofte pour le faire venir , & qui prendront
les frais du port fur leur compte
ne payeront comme à Paris , qu'à raifon
de 30 fols par volume , c'eft- à dire , 24 liv.
d'avance , en s'abonnant pourfeize volumes .
A ij
Les Libraires des provinces ou des pays
'étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreſſe ci - deffus .
On Supplie les perfonnes des provinces
d'envoyerpar la Pofte , en payant le droit ,
leurs ordres , afin que le paiement en foit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis
refteront au rebus.
On prie les perfonnes qui envoient des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
d'en marquer le prix.
Les volumes du nouveau Choix des Pièces
tirées des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Cette collection eft compofée
de cent huit volumes. On en a fait
une Table générale , par laquelle ce Recueil
eft terminé les Journaux ne fourniſſant
plus un affez grand nombre de pièces pour
le continuer. Cette Table fe vend féparément
au même Bureau , où l'on pourra
procurer quatre collections complettes qui
reftent encore moyennant 130 livres chacune
brochée , d'ici au premier Septembre ,
paffé lequel temps elles vaudront 170 livą
s'il en refte.
plus
fe
Cove
MERCURE
DE FRANCE.
A OUST 1766 ..
ARTICLE PREMIER .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LETTRE à M. DE LA PLACE , Auteur
du MERCURE , fur l'Anglomanie.
NOTRE fiècle , Monfieur , eft fait pour
accréditer le ridicule ; je ne fais quel efprit
de vertige féduit nos prétendus raifonneurs.
C'étoit peu fans doute pour eux
d'avoir adopté le pyrronifme , d'avoir détruit
des principes fages en les traitant de
préjugés ; il falloit encore qu'ils fiffentnaî-
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
tre une eſpèce de refroidiffement pour la
patrie , qui femble dédaigner tout ce qui
porte le nom François . Sur les débris du
patriotifme s'élève une manie dont tout.
reffent de la contagion ; les immortels
ouvrages de nos ancêtres feroient dans
l'oubli , fi leur gloire dépendoit de ces
novateurs. Il faut , dit- on , donner à nos
harangues , à nos écrits publics , une teinte
de cette vigueur qui anime les difcours
anglois. Sublime & nerveux Boffuet ! élégant
Fléchier! & vous , l'ami des hommes,
aimable Fénelon ! vous n'êtes que des
Orateurs froids & languiffans ; cédez les
couronnes dont nous ornons vos ftatuës :
vos juges font des François.
Chaque peuple a fes moeurs , fes loix ,
fes préjugés , fes ridicules . Si le droit des
gens veut qu'on les refpecte , la loi de la
nature exige que l'on aime ce qui tient à
fon pays. C'eſt le propre d'un for de ne
tirer de confidération que du préjugé heureux
qui peut faire eftimer fon pays ; c'eft
le propre d'un traître d'abandonner la caufe
de fa patrie pour lui préférer celle des étrangers.
François ingrats , qu'une aveugle prévention
rend indignes du nom que vous
portez ! Quelle mère vous nourrit dans
fon fein ? Pour qui luit ce Soleil qui dore
vos campagnes ? Pour qui cette terre féconde
"
A OUST 1766.
fe couvre- t- elle de végétaux excellens qui
portent dans vos veines leur fuc & la vie?
Pour qui coulent ces vins délicieux qui
réparent vos forces & diffipent vos chagrins
?
Veut-on citer une action héroïque , on
feuillette des annales étrangères. Veut- on
parler d'un pays fertile en reffources , il
faur l'aller chercher chez nos voisins.
Veut- on louer de bons citoyens , on loue
nos ennemis. Tel eft le ton du fiècle ; &
l'homme impartial qui prétendra défendre
la caufe de fa patrie , fera regardé
comme un être fingulier qui n'a rien vu ,
comme un homme fans expérience.
J'étois un jour dans un de ces cercles
frivoles où la fingularité raffemble quelques
jeunes étourdis qui vont y payer en
ridicules le tribut qu'ils croient devoir à
la nouveauté. Vous imaginez fans doute
qu'on y parla de modes , de pompons , de
nouvelles du jour ? Point du tout , on y
traitoit les queftions les plus abftraites.
Ennuyé de ce jargon méthaphyfique , je
m'adreffai au plus fenfé de ces Meffieurs.
Mais , lui dis-je , le ton de la bonne compagnie
eft- il maintenant celui- ci ? .. Eh,
de quel monde venez- vous ? me dit l'un
de mes voisins. Ne voyez - vous pas que
ces trois Meffieurs reviennent de Londres ?
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Qu'ils doivent , du moins pendant quelques
mois , afficher la folidité , arborer
l'air & le ton de penfeur , & ne voir en
nous que des fots ?
Mais que reprochent un peu férieufement
à leurs compatriotes ces déterminés
Anglomanes ? notre légéreté , notre inconftance,
... Confultons les Jurifconfultes ,
ils conviendront que les loix conftitutives
de notre Monarchie fe font bien mieux
-confervées que les leurs parcourons nos
hiftoires , toujours le François , ami de fes
Princes , ennemi généreux des étrangers
qui veulent ufurper fes droits , plein de
refpect pour les loix , fidèle à fa religion ,
préfente l'image d'un peuple conftant dans
fes vertus. Notre légèreté eft , dit- on , dans
nos goûts , dans nos ufages , dans nos modes....
Qu'importe ? Ces ridicules , s'ils
exiftent , font des preuves de la tranquillité
dont nous jouiffons , de nos reffources.
La terre eft- elle inculte ? les manufactures
oifives ? notre commerce altéré ? cent mille
généreux citoyens ne font- ils pas toujours
prêts à verfer leur fang pour la patrie ? ...
Vous nous rendez plus de juftice , fages
étrangers ! Si nous vantons votre fermeté ,
votre induſtrie , votre politique ; vous nous
accordez le courage , la douceur , la délicateffe
.
AOUST 1766 .
>
Citoyens prévenus , jettez les yeux fur
les images facrées de vos ancêtres ; compfi
vous le pouvez , les hommes généreux
qui ont bien mérité de la patrie.
Miniftre populaire dont une plume éloquente
a célébré les vertus , généreux Sully,
vertueux citoyen dont la tombe eſt tous
les jours arrofée de nos larmes ! Refpecta-.
ble Turenne , apprêtes - vous des étrangers
à mériter l'admiration de l'univers & nos
regrets ? Négocians laborieux qui faites
circuler nos richeffes , & portez à nos voifins
les preuves de nos reffources ; eft- ce
d'eux que vous tenez l'art de réalifer l'idée
d'une république univerfelle ? Ecrivains
illuftres dont les leçons , en charmant nos
loifis , nous font aimer la vertu , n'êtesvous
pas nòs compatriotes ? Artiftes induftrieux
qui multipliez nos plaifirs , eft - ce
chez l'étranger que vos maîtres vous ont
appris à donner aux plus durs métaux ces
formes heureufes qui nous préfentent
l'image de la nature ennoblie par l'art ?
On nous reprochoit autrefois de juger les
étrangers avec trop de prévention ; que
nous fommes changés ! Ne méprifons point
la vertu quand elle fe trouve même dans
notre ennemi , mais aimons notre pays :
un Philofophe ancien remercioit le Ciel
d'être né Grec & non Barbare ; je le remer
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
cie d'être François : ce titre eft refpectable
pour moi. Il est encore des amis de la patrie
qui favent apprécier les raifonnemens de
ceux qui la méprifent , de généreux citoyens
qui la fervent de leurs bras , de leurs confeils
, de leur induftrie. Le fophifte raifonne
, s'égare dans des chimères ; le bon
citoyen agit : lui feul eft fage , philoſophe ,
honnête homme.
Je fuis , Monfieur , votre , & c.
L****** abonné au Mercure.
Juillet 1766.
و
LA SCRUPULEUSE
JE
CONTE *.
A Mde la Comteffe DE M.....
E veux conter , d'un fcrupule a"ffez rare
Et les effets , & le motif bifarre... X
Vous qui favez , fans altérer fon prix ,
Soumettre aux loix de l'auftère fagelle
L'aimable effain des grâces & des ris !
Sur mon récit daignez , belle Comteffe
Laiffer tomber vos regards indulgens.
Quand nous contons , nous autres bonnes gens
Par l'Auteur du Conte des trois Bollus
A OUST 1766. YI
Nous allégeons le fardeau de la vie ;
Ce chétif lot ne vaut pas qu'on l'envie.
Point n'envions , nous , le fort plus heureux
De ceux auxquels la fortune conftante
Départ fes dons . Au comble de leurs voeux ,
Satiété , dégoût , tout les tourmente.
Nous avons moins , mais nous jouiffons mieux :
Tout eft , pour nous , matière à jouiffance.
Du doux plaifir que la fimple apparence ,
Dans le lointain , vienne luir à nos yeux ;
Voilà nos coeurs livrés à l'efpérance.
Si rien ne luit , de la réminifcence ,
Nous empruntons encore le fecours ;
Car qui jamais n'eut que de triftes jours ?
Ainfi , des biens , fi l'inégal partage
Paroît fouvent un caprice du fort ;
De fes faveurs le différent ufage
Dépend de nous & répare fon tort.
Nous occupons tous un petit eſpace ;
Le mal l'étend , l'aife le rétrécit :
En action , chez les uns , tout fe paſſe ,
Lorfque la fcène , ailleurs , n'eft qu'en récit.
>
Quand nous contons , fi le public approuve ,
Voilà pour nous , conteurs ou romanciers
Notre falaire. Un feul mal que j'y trouve
Affez cuifant , c'eſt que nos créanciers
A vj
1 2 MERCURE DE FRANCE,
Ne donnent pas cours à cette monnoie.
Oh Maître Jean * ce cruel rabat-joię
De votre vie altéra le repos ;
On vous citoit , on admiroit vos oeuvres ;
Mais ce n'étoient que ftériles propos :
Vous avaliez , comme moi , des couleuvres.
Bien eft - il vrai qu'il en refte le los ,
A vos neveux tranfmis jufqu'à notre âge ,
Et force dons qu'un Prince bienfaisant
Verſe fur eux. Si glorieux partage

Ne
peut m'écheoir
; mon
lot eſt ſuffiſant
Si quelque
jour
de moi
l'on
dit en fomme
,
Comme
de vous
, que j'étois
un bon homme
Ainfi
foit- il Je reviens
à préfent
,
Par le plus court au fil de mon hiftoire.

Le poffeffeur d'un vafte territoire
Eut fille unique , & voulut qu'à Paris
Elle trouvât la perle des maris .
2
Que ne peut-on trouver quand l'or fourmille?
Or ce mari , peut- être que la fille ,
Pour le trouver , n'eût fait tant de chemin ;
Car , en Bretagne , elle avoit fous fa main
2.
Certain parent portant même nom qu'elle,
Amant foumis , difcret , tendre , fidèle ,
Bien fait , enfin de tout point à fon gré
Et fon parent dans un jufte degré
Qui n'empêchoit de former alliance.
Mais ce parent avoit peu de finance
* Jean Lafontaine.
A OUST 1766 .
Et ce défaut le fit congédier.
Ainfi c'étoit pour le faire oublier
Que le patron dépayfoit fa fille .
Mais qui peut faire oublier un amant
S'il eſt aimé ? La fille étoit gentille ;
Riche , de plus ; on manque rarement ,
Avec ces dons , d'un époufeur en ville .
La preffe y fut ; il s'en préfenta mille ;
Un fuffifoit ; un feul fut préféré .
Un revenu bien clair , bien affuré ;
Partage égal de biens & de naiſſance ,
Firent les droits fans plus de connoiffance ;
Il n'importoit qu'il fût ou noir ou blond ,
Heureufement c'étoit un homme rond ,
Et qui , peut-être , eût plû par fa franchife
S'il n'eût trouvé la place déja priſe .
On fe voyoit , on étoit en accords ,
Quand la future ayant certains remords ,
Au prétendu parla de cette forte:
cr
« J'ai , lui dit- elle , une raiſon très- forte ,
>> Raiſon , fcrupule , ainfi qu'il vous plaira ,
» Pourquoi jamais entre nous ne fera
>> Conclu l'hymen que mon père , projette ,
» Si certains points que de vous je fouhaite
» Ne foient d'abord entre nous convenus.
» Seront , primo , vos defirs contenus
>> Et n'en viendrez à confommer l'affaire,
» En fecond lieu , j'exige que la terre
14 MERCURE DE FRANCE.
» Où je ſuis née , & qui porte mon nom
» Reſte toujours en ma poffeffion ,
» Sans que jamais y puiffiez rien prétendre.
» Toutes les fois que je voudrai m'y rendre ,
» Vous n'y mettrez aucun empêchement.
» Item , je veux y refter librement
» Tant & fi peu que j'en aurai l'envie ;
» En diſpoſer encore après ma vie.
» Quant à mon nom , point ne le changerai ,
» Et , juſques - là , fi vous voulez me plaire ,
» Ce nom chéri que je conferverai
» Será le vôtre & celui de ma terre....
» Quant au furplus , terres , contrats , maiſons ,
» Argent comptant , acquêts , fonds & très-fonds ,
>> Tout eft à vous , je n'y retiens obole....
» Sur tous ces points je veux votre parole.
» Ce que l'on peut ftipuler au contrat ,
» Y fera mis dans le meilleur format ;
» Pour ce qui n'eft d'ordinaire rubrique ,
» Je veux de vous un ferment authentique.
» Mariés donc , nous ferons , bons amis ,
>> Et rien de plus. » ...Tous ces points font promis,
Hors le dernier , fur lequel on contefte....
Changer de noms ? ... De celui qui lui refte ,
Sans qu'il périffe il peut le départir :
Il eft cadet , & de la branche aînée ,
Il fort déja vingt autres rejettons.
Quant à la terre où la future eft née ,
L'objet eft mince , & pour les penſions
A OUST 1766.
19
Il peut quadrer. Mais avoir une femme
Jeune , gentille & n'en pouvoir jouir !
Déja , pour elle , il fe fent tout de flamme ;
C'eſt un talent qu'il ne veut enfouir.
Mais fur ce point la future tient ferme ;
Le futur croit , comme tout a fon terme
Que ce fcrupule , à fon tour , paffera ;
Qu'à l'ordinaire , à la fin tout ira ;
Puis le galant fait , autant que perfonne ,
Si fa moitié perfifte en fes refus ,
~
Pour y pourvoir , combien la ville eft bonnes
Il jure donc & ne contefte plus ,
Très-fatisfait , au prix d'une mifère ,
D'avoir acquis une riche héritière .
Au père on tient ce beau fecret caché ;
C'étoit encore une claufe au marché.
On conclud donc... Le jour du mariage ,
Le mari , moins en époux qu'en amant',
Voulut uſer des faints droits du ménage.
Il le tenta , mais ce fut vainement ;
A fes defirs s'oppofa le fcrupule ,
Et du ferment la terrible formule
Revint toujours , & toujours l'arrêta .
Le bon époux , quelque temps , par morale,
Ou par refpect pour la foi conjugale ,
Sur cet article encore s'entêta ,
Puis tout-à-fait enfin s'en défifta..
16 MERCURE DE FRANCE.
>
Le vieux papa vit fon heure fatale
Suivre de près la pompe nuptiale ;
Ainfi la Dame , ufant de tous fes droits
Se trouva libre & vécut à fon choix . .
Pas ne manqua de voler en Bretagne
Et d'y refter un peu plus de neuf mois ..
Pas ne manqua le mari de compagne :
Il en eut donc , & plus d'une à la fois...
Le couple heureux vivoit avec décence ;
On s'écrivoit toujours pendant l'abſence :
Avec plaifir on chomoit les retours ,
Hors que l'époux , peu conftant en amours
De fa moitié , d'humeur moins inégale ,
Souvent reçut bonne mercuriale.
Depuis vingt ans on vivoit fur ce ton ,
Lorſqu'un beau jour , au château de la Dame į
Vint débarquer certain Seigneur Breton ,
Ami commun & parent de la femme.
Au mariage il avoit aſſiſté ;
Depuis étoit paffé dans l'Amérique ,
Où , jufqu'alors , toujours étoit refté .
Bien le reçut la Dame méthodique.
Très-fatisfait , il revint à Paris
Pour s'équiper & revoir fes amis.
Du nombre étoit l'époux de fon hôtelle
Auffi fut- il vifité des premiers.
Propos d'abord , de pure politeffe ,
Puis généraux , enfin particuliers....
I
A OUST 1766. 11
« Vous avez donc , dit l'époux débonnaire ,
>> De ma moitié vifité les états ?
>> Qui peut fi fort l'occuper dans fa terre ?
>> Quels font enfin fes travaux , fes ébats ? ...
» Vous avez vu tous les petits fcrupules ?
>> Vousfemblent- ils , comme à moi , ridicules ? ...
>> On ne peut moins dit l'honnête marin .
» J'en ai vu dix tous en très - bon chemin ,
» Aimable tous d'efprit & de figure ;
» Leſtes , bien faits ... « Par ma foi je vous jure
» Que ce récit me paroît hors de ſens ,
» Répond l'époux ! -moi ? .. c'eft de vos enfans
Que j'ai voulu parler , je vous affure. —
>> De nos enfans ? .. nous n'en eûmes jamais ;
>> De votre part , c'eft erreur toute pure....
» Nous nous trouvons trop contraires en faits .
» Un de nous deux eft très - loin de fon compte ,
Réplique encore le nouveau débarqué ;
>> Sur le lieu même une vifite prompte
» Vous fera voir ce que j'ai remarqué ;
>> Dix beaux garçons ; la chofe eft affez claire:
>> Vous la verrez vous-même par vos yeux.
» S'ils font de vous , ceci n'eft mon affaire »
le mari furieux
A ce propos ,
Jure , tempête & part pour la Bretagne .
De fon projet fa modefte compagne
N'a nul foupçon & ne compte fur lui :
Il eft reçu comme on l'eft chez autrui.
18 MERCURE DE FRANCE.
En arrivant , il voit la nape miſe :
Quinze couverts excitent fa furpriſe....
« Quels font ici les hôtes qu'on reçoit ,
» Dit- il aux gens ? ... « Perfonne de furcroît
» N'eft attendu ; c'eft la table ordinaire ,
» Lui répond- on... « Quoi... « Le père , la mère,
» Les dix enfans avec le Gouverneur >
» Le Chapelain , enfin le Précepteur ;
» C'eſt compte rond... Qu'on appelle Madame...
Elle paroît ; fon augufte maintien
Le déconcerte & de fureur l'enflamme...
Par où , comment entamer l'entretien ?
Il ne le peut.... Elle , bien plus raffife ,
Lui tend la main , l'embraffe avec franchiſe.
« De quel nuage eft couvert votre front ,
Dit-elle ? « Hé , quoi ! vous gardez le filence! . ¿
« Joindre l'infulte au plus cruel affront ;
» C'eſt me traiter avec trop d'infolence !
» Dit - il enfin ……. «‹ Quand votre trahiſon
D'un trouble affreux empoifonne mon âme ;
» Vous fied-il bien d'en demander raifon ?
» Moi , vous trahir ! interrompit la Dame.
>> Mon coeur jamais n'en forma le deffein.
>> Rappellez -vous un moment , je vous prie ,
Quand & comment je vous donnai la main.
» Je ne voulois être que votre amie ,
» Vous le favez ; à peine notre hymen
» Fut-il conclu , que je proteſtai contre ;
» Et conſommé , vous favez s'il le fur ! ..

A OUST 1766. 19
» D'un faux hymen je voulois faire montre :
» Tromper mon père étoit l'unique but
» Où je viſois en fignant la formule.
>> Il étoit vieux ; je n'ofai , par fcrupule ,
» Ouvertement choquer fa volonté.
» Votre franchiſe & votre probité ,
>> M'aidoient encore à conduire l'affaire.
>> Or , un fecret qu'il ne faut plus vous taire ;
» C'eft qu'en ces lieux un hymen clandeftin
>> Depuis long-temps affuroit mon deftin.
» C'eſt à ce noeud que je reſtai fidelle ;
>> Et les doux fruits d'une union fi belle ,
» Dans le moment vont paroître à vos yeux...
>> Je vous promis de refter votre amie ;
» Pour vous alors pouvois-je faire mieux ?
» Et fur ce point me fuis - je démentie ?
>> Si l'intérêt au doux noeud qui nous lie
>> Préfida feul ; en vous donnant mon bien
» Ce fut payer affez cher ce lien ....
>> Notre amitié , jamais l'ai - je trahie? ...
» On reconnut toujours pour mon époux ,
>> Celui qu'ici vous allez voir paroître.
En fa préfence en grace calmez- vous :
» Il fait qu'ailleurs vous feul paroiffez l'être ,
>> Et de vos droits ne fe montre jaloux ..
>> Larfqu'à Paris je vous le fis connoître ,
» Il occupa chez vous le fecond rang ;
» Souffrez chez lui qu'à fon tour il ſoit maître.
20 MERCURE DE FRANCE.
>> Comment ! .. c'eſt donc avec votre parent 2.
» Que vous avez conclu cet hymenée ?
Je croyois bien qu'il étoit votre amant ;
Pour votre époux , je ne vois nullement ,
Après la foi que vous m'avez donnée ,
>> Comment foufcrire à cet arrangement :
>> Mais ne craignez aucun emportement » .
ود
On a fervi ; tout paroît en bon ordre.
Quoique fur rien l'on ne veuille démordre ,
Le nouvel hôte eft accablé d'égards ;
Il peut à peine affouvir fes regards :
De ces enfans la candeur , l'innocence ,
La beauté même excitent fa pitié ;
De la maifon le goût , l'ordre , l'aiſance ,
Lui font encore admirer fa moitié ;
Tout dans ces lieux l'accueille , le carreffe ;
Le maître même à le fervir s'empreffe :
S'il n'obtient pas encor fon amitié ,
Pour lui du moins fon coeur n'a plus de haine,
SC
Le repas fait , dans le parc on l'entraîne .
Voyez , lui dit la Dame au doux maintien ,
>> Si l'on peut mieux faire valoir fon bien ! ..
>> Ces lieux font beaux, nous les verrons enſemble;
>> Vous me direz tout ce qu'il vous en femble;
>> Depuis vingt ans , j'ai bâti , j'ai planté ;
Mon revenu du double eft augmenté.
AO UST 1766
En vos talens j'ai grande confiance ,
» Dit- il , Madame , & tout ce que je penfe
" Sur l'expofé , c'eft que depuis vingt ans ,
Vous avez bien employé votre temps.
›› Mais revenons à notre grande affaire .
» Vos fils font bien ; l'aîné fur- tout me plaît
" Or , comme vous , Madame , je fuis père
>> Vous le favez. Tout reftant comme il eft ,
» A votre fils je donnerai ma fille ;
>> Nous ne ferous qu'une même famille.
Je fai quel nom ma fille portera ,
3 » Lorfque pour mien votre fils paſſera.
> Pour éviter l'éclat le plus funefte ,
>.
3
Et des procès , fur - tour , que je détefte ;
>> Je ne vois pas de plus jufte milieu.
Je voudrois bien que ce projet eût lieuș
» Etant de vous , votre fille m'eſt chère ,
Reprend la Dame : il faudroit que la mère
" Pût obtenir même droit fur nos coeurs ;
" A-t- elle enan naiſſance , efprit & moeurs ?
>> Car que mon fils s'allie à la crapule ,
En vérité je m'en ferois fcrupule » !
>> Oh ! dit l'époux , je ne vous conçois pas
و د
Et de fcrupule à la fin je fuis las !.
Le voulez -vous ? c'est une affaire faite ;
Ou bien d'ici je fais prompte retraite ,
Et nous plaidons... Pour fortir d'embarras
22 MERCURE DE FRANCE:
La Dame enfin confent à l'alliance ;
Le fils , le père en demeurent d'accord,
Et dans les coeurs renaît la confiance.
La fille arrive ; à tout elle plaît fort :
Elle eft admife , & la nôce s'achève
Bien à propos , car le trépas enlève
En peu de jours celui des deux maris
Qui feul avoit les faveurs de la Dame
Qui fe rejoint à celui de Paris ,
Pour appaifer la douleur de fon âme.
Pendant fix mois elle pleure le mort
Puis du vivant la tendrelle la touche ;
Tant qu'à la fin , maîtreffe de fon fort ,
Elle l'admet à l'honneur de la conche.
Les dix enfans , bien vêtus , bien nourris ;
Des deux époux également chéris ,
Très- noblement vécurent en Bretagne.
La Dame vit fes- defirs circonfcrits :
Elle n'eut plus de coufin en campagne ,
Ni fon époux de maîtrelle à Paris .
N. B. On comprend bien que le Poete n'a pu
entrer dans tous les détails de l'aventure qu'il raconte.
Preffé par fon récit , il n'a pu dire que le
mariage avec le Parifien fut déclaré nul , & qu'il
en contracta un nouveau après la mort du mari
véritable .
A OUST 1766. 23
LE PÉLERINAGE D'AMOUR.
DANS
ANS Lifle de Paphos eft un bois de
myrthes confacré à la Reine des Amours ;
les fidèles colombes & les tendres tourterelles
font les feuls oifeaux qui ofent en
approcher : la Déeffe s'y eft fait élever un
autel des mains des bergers voisins ; le
plus vertueux habitant de la contrée en eft
le prêtre , & elle veut bien fe fervir de fon
organe pour apprendre fes volontés aux
bergers qu'elle protége. On n'y voit jamais
couler le fang des jeunes chevreaux ;
jamais un avide facrificateur ne cherche
dans les entrailles palpitantes des victimes
le fort ignoré des foibles mortels ; une
couronne de fleurs cueillie dans les plaines
émaillées où les jeunes bergères vont folâtrer
avec leurs amans , ou les plus beaux
fruits, font les feuls préfens qu'on lui offre.
On n'y entend jamais le bruit de la foudre';
l'audacieux Borée n'ofe ravager cette contrée
paifible , les feuls zéphirs rafraîchiffent
l'air de leurs aîles , une eau toujours
pure arrofe & fertilife ces campagnes
chéries de la Reine de Paphos. Tous les
ans les jeunes bergères vont offrir à la
14 MERCURE DE FRANCE.
Divinité bienfaifante le don de leur coeur ,
& les préfens que leur fournit une terre
prodigue ; la Déeffe reçoit leurs offrandes ,
& les comble de fes faveurs. La belle
Amaryllis faifoit l'ornement de cette contrée
; Vénus avoit préfidé à ſa naiſſance ,
& lui avoit accordé fes plus précieux dons.
Comme la rofe brillante s'épanouit aux
regards bienfaifans du Soleil , de même
la jeune bergère croît en beauté par la
protection de la Déeffe. Elle a déjà accompli
fon troifième luftre. Sur fes lèvres
vermeilles on voit errer le fourire enfantin ;
la blancheur de fon teint efface l'éclat des
lys ; une blonde chevelure defcend en
ondes fur fes épaules ; elle eft prefque
auffi belle que Vénus.
La Déeffe , en la formant , lui a accordé
le plus beau de fes dons , un coeur tendre.
les jeunes bergers oublient leurs maîtreſſes
pour venir foupirer auprès d'elle ; fes
compagnes defirent fes charmes pour rappeller
leurs volages amans . La jeune beauté
reçoit ces voeux avec indifférence ; aucun
berger ne peut lui plaire : elle ne connoît
pas encore Lycas. Cependant elle commence
à foupirer, elle fent déja les douces
émotions que donne l'amour , fon coeur
palpite ; fon troupeau feul objet autrefois
de fes foins , languit de fa négligence ;
l'ennui ,
1
A OUST 1766. 25
Fennui , la langeur font difparoître les
rofes de fes joues , fes yeux fe mouillent
de larmes , elle ne connoît pas la fource
de fes inquiétudes.
O Vénus, que j'adore ! toi , qui protéges
ces habitans qui te font chers , apprends
moi le fujet de mes ennuis : telle étoit la
prière qu'Amaryllis adreffoit un jour à la
Reine des Amours. La Déeffe écoute fes
veux : elle ne pourroit voir périr une fleur
fi belle c'eft la compatiffante Aurore qui
rend la vigueur à la douce violete. La
Reine des coeurs va fecourir l'aimable bergère
. Elle commande à Morphée de répandre
fur elle fes pavots . Le Dieu des
fonges obéit ; Amaryllis eft plongée dans
un profond fommeil. l'énus fe montré
à elle , non telle qu'elle eft à la cour du
maître des Dieu , mais fous la forme d'une
jeune & charmante bergère . Amaryllis ,
lui dit la Déeffe , Vénus a entendu tes
plaintes ; elle exauce tes veux ; tu peux
aller confulter fon oracle. La jeune bergère
éveillée , docile à la voix de fa bienfaitrice
, prend le chemin du bois facré,
Les tourterelles, par leur chant , annoncent
fon arrivée ; les fleurs qu'elle foule renaiffent
fous fes pas ; le zéphir ſe joue
dans les plis de fa robe légère ; des fleurs
ornent fa belle chevelure : telle on nous
B
26
MERCUR
peint la charmante parte des tréfors
du printems ! Les myrthes écartent
leurs branches pour lui laiffer un libre
paffage. Elle eft faifie de refpect à la vue
de l'autel facré ; fon coeur , qui n'a jamais
connu la crainte , trifte enfant du crime ,
frémit d'une fainte horreur. Vénus , qui
s'eft rendue invifible pour obferver fes
pas , conduit par un autre chemin le
berger Lycas ; il eft auffi protégé de la
Déeffe : le coeur pur du vertueux Palémon
méritoit une récompenfe ; elle lui a donné
ce fils avec la promeffe de le rendre heureux
; il vient prier la Déeffe de lui accorder
le bonheur dont elle l'a flatté . Lycas
eft le plus fage des bergers ; fon âme eft le
fiége de la candeur ; fur fon front eft
peinte la douce ingénuité ; fon fouris annonce
le plaifir ; jamais il n'a connu l'artifice
. Semblable à ces utiles arbriffeaux
qui croiffent dans un verger fertile , Lycas
docile aux leçons du vieux Palémon , avoit
hérité de fa fageffe . Tel eft l'amant que
Vénus deftine à la belle Amaryllis. Lycas
apperçoit la bergère ; leurs yeux fe rencontrent
, l'effroi de la protégée de Vénus
fe diffipe , mais une rougeur aimable
couvre fon vifage ; elle foupire ; le berger
croit voir Vénus . Sage Palémon ! s'écrie-
-il , tu avois raifon de m'affurer que Vénus
A OUST 1766. 27
&
étoit la plus belle des Déeffes. Puiffante
Divinité , daigne accorder à mon coeur le
bonheur que tu lui a promis ! Amaryllis
eft interdite. Je ne fuis pas , répondit -elle
en tremblant , une Divinité , mais une
foible mortelle qui vient confulter l'oracle.
Le berger , furpris , ne peut croire que tant
de beauté n'appartienne pas à une Déeffe.
Si c'eft une bergère , difoit- il en lui même ,
que Vénus veuille me l'accorder , il n'y
aura pas de berger plus heureux que Lycas.
Auffi tôt la voix de l'oracle fe fait entendre ;
c'eft Vénus elle-même qui dicte fes volontés
: Lycas & Amaryllis doivent s'unir enfemble
, ainfi l'ordonnent les . Dieux qui récompenfent
toujours l'innocence & la vertu.
Lycas ignore fi la bergère qu'il voit eft
celle dont parle l'oracle ; un foupir d'Amaryllis
lui apprend fon bonheur. Il fe
jette à fes pieds ; elle partage fes tranfports ;
leurs coeurs palpitent enfemble ; Lycas eſt
heureux ; Amaryllis oublie fes chagrins ,
ils s'en retournent contens. Les bergers
apprennent bientôt le bonheur de ce couple
fortuné & célèbrent par des fêtes.
l'union des deux amans.
>
Par un Abonné au Mercure.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE .
RÉPONSE à des vers où l'on reproche à
Mde la Comteffe D *** . fon amour fi
naturel pour le CAVAGNOLE .
Q
UAND , pour ſe conſoler de l'abfence du jour ,
Zaide , aflife au bord d'un autel circulaire ,
Du Soleil de midi attendant le retour ›
Un rateau dans la main , paſſe la nuit entière ;
Si du fond d'un ciel obfcurci ,
Dans la plus chaude nuit le plus fimple tonnerre
Vient à rouler d'un bruit tout ordinaire ;
Si d'un hibou l'ignoble cri
S'eft produit par la cheminée ;
Si le coq n'a chanté qu'après minuit fonnée ,
On murmure , on vous dit « C'eſt que Madame
>> auffi
» Au Cavagnole eft par trop adonnée ».
Malebranche & Pafcal raifonnoient- ils ainfi ?
Hé quoi ! d'un doux eſpoir ſaiſie ,
On ne pourroit innocemment ,
En proie à la trifte infomnie ,
De quelqu'heureux tableau chercher l'enchante
ment ?
Rendez - moi le repos , ou flattez ma chimère.
Un vieux plein répété , le gros plein qu'on efpère ,
A OUST 1766. 10
Sont plus doux qu'un fommeil attendu vainement .
Hélas ! dans le cours de la vie ,
A combien de tableaux que l'orgueil vient offrir ,
Notre foible raiſon fe fie !
Cet art de nier tout pour ne rien découvrir ;
Ces qualités du coeur qu'au mépris on immole ;
Sublimes négateurs , croyez - moi , venez tous
Métaphyfiquement jouer au Cavagnole :
Vous nous paroîtrez bien moins foux.
Par M. D. M.
LE PAPILLON ET LE VER A SOIE,
FABLE.
DANs les bofquets de Flore , au gré de ſes defirs,
Un jeune papillon varioit fes plaifirs .
Plus loin , fur le rameau d'un mûrier folitaire ,
Un vermiffeau
Lugubrement conftruifoit fon tombeau.
De fon travail obfcur la pécore étoit fière :
Malheureux difoit - il à fon heureux voifin ,
Le fage en fes projets confidère la fin.
Nos jours à tous les deux s'écouleront bien vite :
Pour moi , grace à mes foins , voici mon dernier
gîte ,
Et j'attends l'heure du deftin.
Bij
30 MERCURE DE FRANCE.
Mais toi , pauvre inſenſé ! qu'un feu léger dévore ,
As -tu fait ce matin tes adieux à l'aurore ? ...
Tandis qu'il péroroit , le rival des zéphirs
Leur donnoit à fes yeux de nouveaux déplaifirs...
Bref il en fait tant & tant que l'hermite ,
Dont la vertu n'y pouvoit plus tenir ,
Dans fon . tombeau fe renferme au plus vite.
Cependant , un beau jour , fatigué de dormir ,
Pour revoir la lumière il fort de fa cellule ...
Dieux ! .. qu'eft- ceci , dit- il ? . . j'ai des aîles ! ..
volons ,
Je ferois idiot fi j'en faifois fcrupule ;
: Je n'ai que trop rampé vive les papillons !
Papillon , mon ami , finiffons nos querelles ;
Jouiffons du préfent ... voltigeons , j'ai des aîles.
ÉPITAPHE de M. le Maréchal DE
NOAILLES.
CY gît le vainqueur de l'envie ,
Par elle - même regretté ;
Et fi Noailles n'eût été , '
On ne connoîtroit point une fi belle vie.
W.
A OUST 1766 . 3x
ÉPÎTRE à une mère qui a allaitéſes enfans.
PARIS retentit de ta gloire :
Thisbé , tout vante tes attraits ;
Faut- il , qu'au temple de mémoire ,
Ma main grave auffi quelques traits ?
Faut- il m'ériger en copiſte ,
De quelqu'intrépide rimeur ,
Qui , fuivant les gens à la pifte ,
Les endort pour leur faire honneur ;
Et , dans ces rimes éternelles ,
Du mauvais goût triftes enfans ,
Chante tes charmes plus piquants .
Et tes appas plus nouveaux qu'elles ?
Ces belles reffemblent aux grands :
Chacun a le droit homicide .
De leur préfenter fon encens :
Encor , au concert infipide
Faut- il que le Dieu qui préfide ,
Prête l'oreille fans dégoût ;
Et fans grimace , jufqu'au bout ,
Avale le nectar perfide.
Tel eft le deftin qui t'attend ;
Mais ne t'en prends qu'à l'immortelle
Qui rendit ton fort éclatant :
Si Vénus t'avoit fait moins belle ,
Phabus ne t'ennuiroit pas tant .
Biv
32 MERCURE
DE FRANCE
.
Qu'un autre , adorateur vulgaire ,
Autour de toi , fous tes lambris ,
Nous peigne , d'un air de mystère ,
L'amour errant avec les ris !
On fait , qu'à tes côtés affis ,
Ces enfans ont quitté leur mère :
Qu'épris de ton humeur légère ,
Ce couple d'aimables bannis ,
S'eft refugié dans Paris ,
Et t'a fait le ferment fincère
De ne ne plus revoir de Cythère
Les bolquers déformais flétris .
Refte- t- il quelque fleur nouvelle ,
Dont on puille te couronner :
De mes rivaux la main cruelle
N'a que trop fçu les moiffonner :
De rendre à ta beauté les armes ,
Ils m'ont tous envié l'honneur ;
Mais je n'en conçois pas d'alarmes ;
J'en prends même un espoir flatteur :
Ils ont tous parlé de tes charmes ,
Et nul n'a parlé de ton coeur.
Tous ont peint l'amante volage ,
Ses jeux , fon charmant badinage ,
Et fon plus aimable courroux.
Qu'ils prifent bien leur avantage ;
Mon coeur n'en fera point jaloux.
Moi , de la mère tendre & fage ,
A OUST 1766. 33
Je peindrai les tranſports plus doux :
J'aime bien autant mon partage.
Ce n'eft point au temple des arts
Séjour d'agréables preſtiges
1
Où tout étonne mes regards ,
Que tu fais les plus grands prodiges .
Là tu ne fais que nous charmer ;
Mais quand , moins augufte & plus belle ,
Tu redeviens fimple mortelle ,
Tu fais plus tu te fais aimer.
Thélaire me plaît , m'enchante :
Je reflens toute fa douleur .
Cependant , fi j'en crois mon coeur ,
Thisbé me paroît plus touchante.
Tes charmes féduifent mes yeux ;
Tes accens flattent mon oreille ;
La fable te pare à merveille ,
Mais la vérité te fied mieux.
Oui , lorsqu'à tes enfans rendue
Tu les careffes dans tes bras ;
-Lorfque pour s'offrir à ta vue ,
Ils fe hâtent à petits pas ,
Et vont , d'une main ingénuë ,
Preffer tendrement tes appas :
C'est alors que l'âme eft émuë !
Alors , dans mes fens éperdus ,
Je ſens naître un tranſport fincère ,,
Et , dans mon trouble involontaire ,
BY
1.
34 MERCURE DE FRANCE.
Je doute qui j'aime le plus ,
Ou des enfans ou de la mère .
>
Abjurez enfin votre erreur ,
Vous qui d'un monde féducteur
Portez les chaînes arbitraires ;
Qui , victimes d'un faux honneur ,
Sacrifiez à des chimères
Vos jours , fouvent votre bonheur :
Lorfque peut -être , au fond du coeur
Vous avez honte d'être mère ;
Qui , fur vos fils , gages profpères
Du noeud qui vient de vous unir ,
Ne jettez que des yeux févères ;
Qui laiffez à des mains groffières
Ce tendre foin de les nourrir ;
D'un devoir qui vous fait rougir
Chargez d'obfcures mercénaires ,
Et les payez pour les remplir.
Rapprochez-vous de la nature :
Tisbé vous trace le chemin !
D'un monde méprifable & vain ,
Que vous importe la cenfure !
Là tout fe fuccéde & fe fuit :
Les moeurs , les habits , le langage ,
L'un par l'autre tout eft détruit .
Ce n'eft qu'un éternel paffage
De l'enthousiasme au dédain ;
A OUST 1766 . 35
Les airs du jour , le ton , l'ufage ,
Ne font plus ceux du lendemain.
La nouveauté c'eft fa méthode :
Sans elle rien n'auroit d'appas ;
Mais la vertu ne vieillir pas ;
La nature eſt toujours de mode.
Croyez-moi , ce peuple d'amans ,
Qui fe plaint fans ceffe & defire ,
Et ce tourbillon d'importans
Qui vous adore & vous déchire :
Leurs foupirs & leurs complimens ,
N'ont pas le droit de vous féduire ...
Que font-ils au prix d'an fourire
Et d'un baifer de vos enfans ?
Pourfuis , Thisbé , de l'impofture ;
Et du préjugé qui murmure ,
Ofe enfin étouffer la voix :
Il te fied de donner des loix :
Tu les reçois de la nature .
Ce préjugé n'eft qu'un tyran ,
Qu'ont accrédité nos foibleffes ;
Un méprifable charlatan ,
Qui berce les fots de promeffes.
Ce n'est point par des dons trompeurs
Que la nature nous attire :
Ses chaînes font de oeuds de feurs
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
L'un nous veut arracher l'empire ,
L'autre le tenir de nos coeurs.
Pourfuis hélas ! c'eft avec larmes
Que je perce dans l'avenir :
Un jour nous ravira tes charmes ,
Peut-être jufqu'au fouvenir.
Tu perdras l'heureux don de plaire ,
Fout , excepté ton coeur de mère ,
Le temps ne peut te le ravir .
Ces traits , à qui l'on rend hommage
Ne font qu'un fragile avantage
Où ton âme n'a point de part :
Tu dois tes charmes au hafard ;
Mais tes vertus font ton ouvrage .
Par M. L....... g. o . d. l . c. d. ri
VERS adreffés à M. J... de Troyes par
Mde la Marquife DE L. F. ... en lui
faifant remettre un cahier de mufique.
JEE renvoie à J.... le fage ,
Non , comme on croiroit , un image
Mais mufique où fe lit mon nom ,
Quoiqu'il ne foit une chanfon
A OUST 1766. $2
Réponse.
TROIS notes forment votre nom ,
Et trois Grâces votre vilage :
Ma fagelle feroit chanfon ,
Si vous me donniez votre image.
VERS attachés fur le berceau d'un enfant
dont la mère est très - belle & le père un
fage d'un vrai mérite.
AUU lieu de fleurs fur ton berceau ,
Ma main , heureux enfant , attache ce préfage à
Comme l'amour , tu feras beau.
Et plus que lui tu feras fage..
DE SAULX .
L'AMOUR TEL QU'IL EST.
CONTE TIRÉ DU GRec.
A THENES , la favante , pouvoit être auffi
appellée la voluptueufe.Elle uniffoit le goût
des plaifirs à celui des arts ; elle maintenoit,
elle perpétuoit les uns par les autres. Vainement
quelques ftoiciens débitoient d'aufz
8 MERCURE DE FRANCE.
tères maximes ; vainement Timon prodiguoit
les farcafmes : un couplet d'Anacréon
ramenoit tout dans l'ordre naturel. On
fiffloit la morale & par - tout on chantoiť
le couplet.
La grande affaire des Athéniens étoit
de badíner toutes les affaires. Il n'y avoit
que l'amour qu'on y traitât quelquefois
férieufement. On parloit cependant beaucoup
dans Athènes d'une veuve qui , pouvant
aimer encore , faifoit profeffion d'infenfibilité
, la vantoit comme une vertu ,
& prétendoit que cette vertu fe retrouvât
dans fa fille. Fuyez l'amour ! lui difoit- elle ;
il feroit pour vous une fource d'erreurs ,
de tourmens & de regrets ! Il vous promet
des plaiſirs , il vous trompera : fes biens
font chimériques , fes maux font réels.
On frémit en parcourant la lifte de fes
victimes : quel eft jufqu'à préfent le nombre
des heureux qu'il a faits ? Ainfi parloit
Céphife , & malheureufement elle
ne moralifoit que d'après fon expérience .
Elle avoit aimé fon époux avant que de
le haïr : fon époux l'avoit haïe après l'avoir
aimée. On dit même que depuis fon veuvage
elle avoit eu de nouveaux griefs contre
l'amour. Pouvoit- elle nele pas croire
dangereux ?
Il fallut bien auffi que Flora ( c'eſt le
A OUST 1766. 39
nom de fa fille ) le crût tel à force de l'entendre
dire. Cinthie avoit foin d'éloigner
d'elle tout ce qui pouvoit la détromper.
Elle s'empara de fon efprit avant que rien
pût éclairer fon coeur. Flora n'avoit guères
alors plus de quatorze ans . Elle étoit belle
& promettoit de l'être encore davantage.
Elle réuniffoit tout ce qui étoit le plus
propre à détruire dans un jeune homme
& même dans un vieillard , cette indifférence
que fa mère vouloit nourrir en elle.
Cinthie ne fe diffimuloit point la difficulté
de fon entrepriſe : elle jugeoit que Flora
feroit bien des captifs parmi tous ceux qui
l'appercevroient ; elle jugeoit en même
temps que Flora ne refteroit pas toujours
libre fi elle pouvoit tous les appercevoir.
Quel parti prendre ? difoit cette veuve
inquiette. Faut- il reléguer ma fille parmi les
Prêtreffes de Minerve ? L'afyle n'eft point
inacceffible aux traits de l'amour aux
ftratagêmes des amans. De plus , une Prêtreffe
n'ignore pas toujours ce qu'elle devroit
ignorer. Celles qui font inftruites
inftruifent les autres ; & de- là ces ennuis ,
ces regrets , que leur eût épargnés un heureux
défaut de lumières. Je ne veux pas
même que ma fille foit malheureufe en
idée : je veux la fouftraire à toutes celles
qui peuvent nuire à fon repos , & je no
40 MERCURE DE FRANCE.
dois confier un pareil foin qu'à moi-même
D'un autre côté , le féjour d'Athènes
pouvoit rendre ce foin fuperflu. Quelque
jeune féducteur pouvoit être mieux écouté
que Cinthie. Il étoit même à croire qu'il
le feroit. C'en fut affez pour déterminer
cette mère prévoyante à fuir cette ville:
dangereufe : elle choifit pour fa retraite &
pour celle de fa fille une maifon qu'elle
pollédoit à la campagne , à quelques lieues
d'Athènes. C'étoit un féjour ifolé & prefque
ignoré. Une chaîne de côteaux & de
bofquets l'enfermoit , pour ainfi dire , de
toutes parts ; mais ces côteaux , ces bofquets
& cette valée formoient le plus riant:
payfage. On y jouiffoit en repos des tréfors
& des ornemens de la nature . Elle s'y
jouoit & s'y reproduifoit fous mille formes.
Voyez , ma fille , difoit Cinthie à
Flora , voyez fi jamais Athènes vous offrit
un pareil fpectacle ? A la ville tout eft
prodige , ici tout eft vérité : rien n'y trompe
l'âme ni les regards . Ecoutez le ramage de
ces oiſeaux ; il charmera votre oreille
mais votre coeur n'en doit rien redouter.
A la ville , à peine l'oreille eſt flattée que
déja le coeur eft féduit.
Flora écoutoit les oifeaux & fa mère.
Il faut bien , difoit elle , que l'amour foit
dangereux , puifque ma mère en dit tant
A OUST 1766. 41
de mal. Il faut bien que les oifeaux ne
foient point amoureux , puifqu'ils paroiffent
fi contens .
Ses idées ne s'étendoient pas plus loin ;
mais Cinthie jugea qu'elles pourroient s'étendre
. Cela n'eft même pas douteux ,
difoit cette mère éclairée . Hé bien ! je veux
moi-même en hâter le moment : je veux
les faire éclorre , mais pour les détourner.
Elle crut en avoir trouvé un moyen fort
fimple & d'autant meilleur que fa fille
étoit fort ingénue.
Elle affecta de décorer l'intérieur de
fa retraite. Flora poffédoit le defſein ,
mais jamais elle n'avoit deffiné que des
objets indifférens , des fleurs , des oifeaux ,
la figure de quelques Deeffes , &c. Il eft
temps , difoit Cinthie , d'offrir à fes yeux
d'autres images. Ce qui frappe vivement
les regards pénètre fans peine jufqu'à l'âme.
Dès ce moment elle affecta de raffembler
chez elle divers morceaux de peinture &
de fculpture. Elle prenoit pour prétexte le
foin d'embellir fa retraite ; mais ces tableaux
, ces ftatues , ne préfentoient que
des images lugubres ; c'étoient par- tout
des amans perfides ou malheureux . La fable
, l'hiftoire de tous les temps , de tous
les peuples , avoient fourni aux traits de
cette collection , Ici, un grouppe repréfentoit
42 MERCURE DE FRANCE .
Thisbé expirante à côté de Pirame , mort
avant elle & pour elle. Plus loin on voyoit
Didon , le poignard dans le fein , & mourante
fur fon bucher . Là , un Peintre avoit
repréſenté fur la toile une ſcène plus étendue
on voyoit au bord d'une iſle Ariane
délaiffée & tendant les bras vers le vaiſfeau
qui emportoit fon parjure amant . On
voyoit dans un autre tableau Médée jalouſe
& furieufe égorgeant fes deux fils. Les
autres objets n'étoient ni moins atroces ,
ni moins effrayans. La trifte Flora ne
pouvoit lever les yeux fans rencontrer de
quoi affliger fon coeur. Et c'eft l'amour !
difoit - elle , c'eft l'amour qui a caufé tant
d'infortunes ! ... Je l'avoue , on ne peut
ni aſſez le fuir , ni aſſez le craindre.
Chaque jour fortifioit en elle cette prévention
& rien ne s'offroit pour la combattre.
Je crois avoir déja dit que Céphife
gardoit une retraite févère ; aucun homme.
n'y pénétroit. La lecture contribuoit encore
moins à égayer cette folitude. On n'y trouvoit
que de gros livres de morale & de
métaphyfique. Ils ennuyoient Flora , &
Flora le croyoit uniquement faite pour
s'ennuyer.
La feule efpèce d'amufement qui lui fût
permife , étoit de deffiner & de peindre.
Elle y réuffiffoit parfaitement , & c'est tou
A OUST 1766. 43
jours une confolation que de réuffir à quelque
chofe. Il eft vrai que cette occupation
n'avoit rien qui pût égayer fes idées . Elle
n'avoit pour objets d'imitation que des
fcènes tragiques , des catastrophes fanglantes
, les peines , les difgraces de l'amour ,
& jamais fes confolations ni fes douceurs.
Ma fille , lui difoit Cinthie , n'oublie pas
de bien exprimer le défefpoir d'Enone
trahie par l'infidèle Paris tu peindras
enfuite la fin défaftreufe d'Hélène , féduite
par ce parjure amant. Flora peignoit &
frémifloit.
Un an s'étoit écoulé depuis fa retraite.
Au bout de ce temps , elle perdit fa mère
qu'une maladie violente mit en peu de
jours au tombeau. Cinthie eut à peine le
temps de recommander à fa fille l'obfervation
des principes qu'elle lui avoit tracés
; mais il étoit fuperflu qu'elle lui en
parlar ils étoient profondément gravés
dans fon âme ; & , devenue libre , elle fe
trouvoit moins difpofée que jamais à faire
ufage de fa liberté.
On parloit beaucoup d'une réfolution fi
bifarre . Elle fit la nouvelle du jour dans
Athènes & n'y trouva point d'approbateurs.
Sténor , jeune Athénien , s'en affligeoit
encore plus qu'il ne la blâmoit . Il avoit
apperçu Flora dans le temps qu'il étoit
44 MERCURE DE FRANCE.
encore poflible de l'appercevoir , c'eſt- ddire,
avant que fa mère la dérobât aux murs
d'Athènes. Il avoit tout employé , mais
inutilement , pour pénétrer dans fa folitude
, & il s'occupoit alors des moyens de
l'en arracher.
Mais comment y réuffir ? Flora étoit
plus que jamais inacceffible . Elle n'admettoit
auprès d'elle qu'une Athénienne célèbre
dans l'art de peindre & qui la dirigeoit
dans cet art . Chérea ( c'étoit le nom de
cette dernière ) n'approuvoit point du tout
la fingularité de fa jeune élève. Elle eût
defiré pouvoir la guérir de fa prévention ,
de fes craintes mal fondées. Sténor
qui
la connoiffoit , n'eut donc pas de peine à
la mettre dans fes intérêts . Il avoit luimême
ce qu'il falloit pour la bien feconder
; une figure noble , intéreffante , faite
pour féduire ; ce qu'on appelloit alors de
l'efprit , & qui en étoit vraiment : enfin ,
ce qu'il falloit pour intéreffer l'âme & les
yeux de toute femme capable de voir &
de fentir.
Que ferons-nous ? difoit Sténor à Chérea?
comment parvenir à la détromper ?
comment me préfenter à fes yeux ? Ne
vous y préfentez pas encore , lui dit fa
confidente. Ne lui montrons d'abord que
votre image. Eh ! mon image elle-même ,
A OUST 1766. 45
reprit Sténor , va l'eflaroucher ! - Laiffezmoi
faire , elle s'y accoutumera . Mettons
feulement la main à l'oeuvre. Je vais commencer
par vous peindre . Ah ! j'entends ,
vous m'allez repréfenter fous l'emblême
de quelque ancienne victime de l'amour.
L'allégorie eft très - juſte. Non , je vais
faire de vous le héros de l'indifférence
un Hyppolite. Je ne lui reffemble en
rien , je ne veux point lui reffembler. -
N'importe, laiffez - vous peindre , & laiffezmoi
le foin du refte.
--
Sténor donna plufieurs féances à Chérea.
Elle fit de fon portrait un fort grand tableau.
Il y étoit repréfenté en chaffeur &
avec tous les attributs , tout l'attirail que
fuppofe cet exercice. Il paroiffoit en avoir
toute l'ardeur. Changez l'objet de cet empreffement
, difoit Sténor , & jamais reffemblance
n'aura été plus complette. Je
veux , reprit Chérea , que notre infenfible
defire elle- même ce changement lorfqu'elle
connoîtra le modèle du tableau ; & , en
attendant , je veux qu'elle regrette que ce
modèle n'existe plus.
Dès le jour fuivant , Chérea fit tranfporter
fon ouvrage chez fa jeune élève. IIIl
vous manquoit , lui dit- elle , ce morceau.
Est-ce encore un amant perfide , reprit
Flora ? Non , ce ne fut pas même un g
40 MERCURE DE FRANCE.
amant ; ce fut un modèle d'infenfibilité.
Il eft bon d'avoir plus d'un exemple fous
Volontiers ; mais fon nom ?
les yeux .
-
-
---
C'eft l'infenfible fils du galant Théfée.
Jamais fils ne fuivit moins les traces de
fon père. Thésée aima toutes les fois qu'il.
en eut occafion , & il la cherchoit. Hyppolite
n'en chercha , ni n'en faifit aucune. Hyppolite
, reprit Flora , dut s'en trouver bien ,
& Thésée fort mal . - Pardonnez - moi ; la
fin de celui- ci fut moins trifte que celle de
l'autre. Thésée mourut vieux entre les bras
de Phèdre : Hyppolite mourut jeune , emporté
& meurtri par fes chevaux. Ah
Ciel ! ah la cruelle deftinée ! en vérité le
fort eft bien injufte ; car enfin Hyppolite
n'étoit point amoureux ? Hélas ! non .
Thésée , au contraire , l'avoit prefque
toujours été ? Hélas ! oui . — Que fert-il
donc de ne l'être pas ? - Je n'en fais rien .
-N'importe , reprit Flora , c'eft une exception
à la règle qui ne tire point à conféquence.
En parlant ainfi , elle regardoit
l'image du prétendu fils de Théfée. Elle
plaignoit l'infortune d'un héros fi modeſte
& fi bien fait. Je veux , dit- elle , copier
ce tableau ; j'en aurai plus fouvent occafion
de réfléchir fur la fermeté du Prince
qu'il repréfente ; j'apprendrai mieux à
l'imiter.
-
-
A OUST 1766. 47
N'en doutez point , lui dit Chérea , qui
en doutoit beaucoup elle -même : c'eſt par
les exemples que l'on s'inftruit , que
Pon
fe fortifie. Dès le jour fuivant , la jeune
folitaire mitla mainà l'oeuvre. Elle efquiffa
le fond du tableau & s'attacha à copier la
principale figure. Il étoit naturel de paffer
enfuite aux acceffoires : prefque tous méritoient
une forte d'attention ; mais Flora
n'en donnoit qu'à la figure du Chaffeur.
Elle aimoit à trouver des fautes dans fon
ouvrage pour le recommencer. Elle aimoit
auffi à croire que la vue de cet objet devenoit
pour elle une excellente leçon. Que
pouvoit- elle craindre en s'y arrêtant ? L'objet
réel n'exiftoit plus. Sans doute qu'il
eût été plus dangereux de le contempler ;
car enfin , ajoutoit Flora , tout cet extérieur
eft frappant ces yeux offrent un
heureux mêlange de douceur & de fierté ;
ces traits font réguliers & nobles ; on voudroit
voir fourire ou entendre parler cette
bouche ; on eft forcé d'admirer cette taille.
Il faut l'avouer , ce fut un bonheur pour les
beautés de ce temps - là qu'Hyppolite ſe plût
à les fuir : elles ne l'euffent pas fui , s'il les
eût cherchées ; & je rends grace à Minerve
de n'avoir pas moi -même un pareil combat
à foutenir.
Ainfi parloit Flora , & tantôt elle reMERCURE
DE FRANCE.
retouchoit une main , tantôt un oeil. Chérea
s'appercut qu'elle adouciffoit de jour
en jour les regards du jeune Chaffeur.
Elle crut devoir la contredire à ce fujet.
Voilà , difoit- elle , des yeux où il règne
trop d'aménité. On fait qu'Hyppolite
étoit fier & même un peu farouche .....
Farouche ! interrompit Flora , le mot eſt
dur : paffe encore pour indifférent. Vous
avez raifon , reprit Chérea ; mais farouche
eft le mot propre. Hyppolite ne fe bornoit
point à ne pas aimer , il avoit prefque
l'air de hair. La chaffe l'occupoit
feule & lui parut feule digne de l'occuper.
Je ne conçois point , reprit vivement Flora
, quels attraits fi puiffans peut avoir la
chaffe . Il faut qu'elle en ait beaucoup.
Voyez , dans un de ces tableaux , Adonis
mourant ; il s'étoit arraché des bras de
Vénus pour chaffer.- Vénus dut être
bien piquée ! auffi , pourquoi l'aimoit elle ?
mais lui même , rien ne l'excufe. Attaquer
des animaux féroces eft un amuſement
dangereux : en maffacrer d'innocens eft un
plaifir barbare. - C'eft toujours un plaifir.
Que vouliez vous que fit Hyppolite ? qu'il
aimât ? -Non : mais fans aimer , on peut
avoir des amuſemens plus paifibles . - Pardonnez-
moi ; il faut qu'un jeune homme
foit amant ou chaffeur. La chaffe eft l'unique
AOUST 1766. 45
nique préfervatif contre l'amour. - J'avoue
que la chafte Diane en eft un exemple
. Il eft pourtant vrai que Diane
eut quelques bontés pour Endimion ; mais
une Déeffe qui n'aime qu'une fois n'en
doit pas moins paffer pour infenfible. -
Il n'en doit pas être ainfi d'une mortelle ;
mais expliquez- vous mieux. Tout chaffeur
eft- il indifférent ? -Oui , lui dit
Chérea qui avoit fon deffein , tout chaſfeur
cherche à perdre des momens que
l'amour cherche à remplir. — J'ai donc eu
tort d'éviter de les voir ? -Sans doute ; on
peut les voir fans conféquence , à - peu-près
comme vous regardez ces tableaux .
La jeune folitaire en crut Chérea qui
de fon côté , préparoit un ftratagême. Elle
en inftruifit Sténor qui fut prompt à la
feconder. Il étoit devenu voifin de Flora.
Il avoit , à force de foins & de dépenfes ,
acquis une maifon peu éloignée de celle
qu'elle habitoit. Il parut aux environs ,
jour nommé & vêtu en chaffeur.
Ses habits , fon attirail étoient les mêmes
que dans fon portrait ; la reffemblance en
tous points étoit frappante. Flora fe trouvoit
alors fur une terraffe qui dominoit
la plaine . Quelle fut fa furpriſe de voir à
trente pas l'original de fon tableau chéri !
Elle jetta un cri d'étonnement & peut-
C
50 MERCURE DE FRANCE .
être de joie. Il feroit difficile de bien peindre
ce qu'elle éprouva . Elle n'eût pu le
définir elle-même . Toutefois , cette fenfation
n'avoit rien que d'agréable ; & Flora
en éprouvoit la douceur fans en connoître
ni en rechercher la caufe.
Pour Sténor , il connoiffoit mieux fes
propres mouvemens ; il ne doutoit pas que
ce ne fût de l'amour , & de l'amour le
plus vif. Cependant il falloit jouer l'indifférence
: il falloit marquer plus d'empreffement
pour fuivre un Daim que d'attention
à contempler Flora . Il falloit la regarder
fans paroître ni ému , ni flatté , ni
furpris. C'étoit pour Sténor un rôle difficile
, & qu'il joua un peu à faux . Toute
femme tant foit peu expérimentée ne s'y
fût point méprife; mais Flora s'y méprit.
Elle vit Sténor la fixer & s'éloigner quelque
temps après , en ne paroiffant occupé
que des fuites & du fuccès de fa chaffe .
Vous ne m'avez point trompée , dit- elle ,
à Chérea , un chaffeur eft un homme toutà
- fait indifférent. Il n'eft pas plus dangéreux
d'en être apperçue que de l'appercevoir.
Celui qui s'éloigne ne paroît empreffé
qu'à faire la guerre aux animaux.
Il a pour cet exercice la même ardeur que le
fils de Théfée. Il eft vrai qu'il lui reffemble
auffi par les traits. Il lui reffemble ?
A OUST 1766 .
1
peu
demanda négligemment Chérea. Quoi !
reprit vivement fa jeune élève , cette reflemblance
ne vous a point frappée ?-J'y ai fait
d'attention. - Vous étiez , fans doute ,
occupée d'autre chofe : jamais rapport ne
fut plus parfait dans tous fes points ! -
J'en doute ; il y a bien peu d'hommes faits
comme l'Hyppolite de votre tableau . --
Et moi je vous foutiens que celui - ci eſt .
encore mieux fait. - Songez que cette figure
d'Hyppolite eft d'une régularité frappante.
Cela peut être. Et vous voulez que la
nature l'emporte fur tous les efforts de l'art ?
Pourquoi non ? l'art n'a- t-il pas été
imaginé d'après elle ? Au refte , nous
allons mieux en juger : notre chaffeur ne
manquera pas de reparoître. -Je n'en .
crois rien , dit Flora , avec une eſpèce de
dépit ; il s'eft éloigné trop fubitement
pour avoir deffein de revenir.
-
-
Il ne revint pas , en effet ; on l'attenditen
vain. Chérea lui avoit préferit cette con-.
duite ; mais qu'il lui en coûta pour s'y conformer
! Quoi difoit- il , j'ai vu Flora ,
celle que j'aime , celle qui m'eft cachée
de puis fi long-temps ; fes regards fe font
fixés fur moi , ils s'y font arrêtés ; elle a
paru me voir fans répugnance , peut- être
même avec intérêt : & je la fuis ! & je me
dérobe à fa vue que j'ai cherchée tant de
Cij
5232
MERCURE
DE
FRANCE
. fois inutilement , que je chercherai peutêtre
auffi inutilement par la fuite ! Mais
il n'importe , ajoutoit Sténor , fuivons la
route qui m'eft tracée : j'ai besoin des
fecours de Chérea ; ne paroiffons point
méprifer fes confeils.
Il s'éloignoit toujours en parlant ainfi.
Flora , de fon côté , ne quittoit pas encore
la terraffe. Vous voyez que j'avois raifon ,
difoit-elle à Chérea , rien ne reparoît. Il
eft furprenant , ajouta - t - elle , avec une
eſpèce de chagrin , il eft bien furprenant
que ma pénétration l'emporte aujourd'hui
à tant d'égards fur la vôtre!
Le jour fuivant parut à Flora délicieux
pour la promenade , & fa terraffe l'endroit
le plus commode pour fe promener,
Chérea n'en convint que foiblement. Elle
fentit que le moyen de l'exciter étoit de
la contredire. C'eft un moyen dont l'ufage
n'eft pas moderne , mais il fera toujours
efficace. Flora fe promenoit depuis près
d'une heure , quand Sténor parut au pied
des murs de fon jardin ; fon attirail &
fon occupation étoient les mêmes que la
veille fa conduite fut peu différente . Le
hafard lui fournit même l'occafion d'étaler
fon adreffe aux yeux de Flora. Il s'applaudit
de fa victoire ; mais , fur- tout , parce
qu'elle lui offroit un prétexte de s'éloi
A OUST 1766. $3
gner moins fubitement. Flora elle - même
avoit pris part à fon fuccès . Elle croyoit
ne s'y intereffer qu'en faveur de fa reffemblance
avec Hyppolite. Cette extrême
reffemblance l'étonnoit toujours mais
plus elle examinoît Sténor , plus la comparaifon
lui devenoit favorable. Il lui paroif
foit , en tout point , très fupérieur à la figure
du tableau,
Il s'éloigna enfin , & Flora ne put
rien voir dans fes yeux qui prouvât que
ce fût avec regret . Il avoit encore fçu fe
vaincre pour cette fois. C'en eft affez ,
difoit-il , c'en eft même trop : je ne pourrai
jamais feindre plus long- temps , ni furtout
cacher ma feinte. Comment fe peut-il
que Flora s'y méprènne ?
Flora s'y méprenoit cependant. Il faut ,
difoit- elle , que la chaffe ait bien des
attraits. Elle fait diverfion à toute autre
chofe ; nulle autre choſe ne peut diftraire
un chaffeur. Ma retraite , au contraire ,
n'eft point inacceffible à l'ennui ; je n'y
fuis point à l'abri des diſtractious. Quel
dommage qu'ilfoit encore plus dangereux
de la quitter !
C'étoit à Chérea qu'elle adreffoit ce
difcours il ne refta point fans réponſe.
Eh ! qui vous empêche , reprit cette dernière
, d'égayer votre folitude ? je ne vous
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
whe
-
parle pas d'y renoncer. Vous la croyez
néceffaire à votre repos : tant mieux ! je
prie Minerve d'y veiller toujours ; mais
faut- il être éternellement claquemurée ?
Tout ce qui avoifine votre retraite eft
prefque auffi folitaire qu'elle- même; ofez
parcourir cette efpèce de défert. C'eft le
plas grand hafard du monde fi vous y ap
percevez quelque trace de figure humaine.
Et le chaffeur? lui dit Flora , en rougiffant
un peu. Le chaffeur n'y reviendra
peut être plus. Vous le croyez ? - Je le
préfume. Un chaffeur n'adopte jamais un
canton plutôt qu'un autre ; il ne confulte
que l'intérêt de fa chaffe. Mais enfin ,
s'il y revenoit ? Le grand malheur ! -
Oh! je crains fa rencontre. Eh bien , attendez
quelques jours , vous verrez durant
cet intervalle s'il reparoît ou non ; mais
encore une fois , peut- être a- t- il déja perdu
toute idée de revenir. Cette réflexion déplut
à Flora fans qu'elle pût bien ſe dire
pourquoi. Cependant elle fuivit le confeil
qu'on lui donnoit ; mais intérieurement
elle fouhaitoit que le doute de Chérea pût
être démenti.
-
Il ne le fut point. Chérea prit les mefures
nécéffaires pour l'empêcher. Gardez- vous
bien , dit elle , à Siénor , de reparoître
d'ici à plus de huit jours. Huit jours !
A OUST 1766 . 55
s'écria Sténor , huit jours font mortellement
longs ! croyez - vous qu'un amant ? ...
Tout amant extravague ; ayez de la
prudence , autrement Flora ne ceffera
point d'en avoir . Alors elle lui détailla
les raifons qui exigeoient de lui cette contrainte.
Il n'en falloit pas moins pour
maîtrifer fon impatience. Il confentit à
ne reparoître de quatre jours.
Le lendemain Flora étoit fur la terraffe
. Voyons , difoit- elle , fi Chérea devine
bien jufte. Ce fut avec regret qu'elle s'en
appercut. Mais , enfin , il pouvoit n'en
être pas ainfi le jour fuivant. Flora revint
à fon pofte plutôt que la veille & avec auffi
peu de fruit . Je commence à croire , difoitelle
, que Chérea ne s'eft point trompée;
après tout que m'importe ? j'en ferai plus
libre & moins inquiette. Je pourrai parcourir
ces lieux qu'il abandonne ; je ne
pourrois les fréquenter , s'il n'y renonçoit
pas.
Dès le troisième jour Chérea fit venir
quelques inftrumens de chaffe. Que voulez
vous faire de cet attirail ? lui demanda
fon élève. Je n'en fais rien , répondit- elle ;
nous verrons. Qui fait fi l'envie de chaffer
ne nous viendra pas ? La chaffe n'eſt pas
plus interdite à un fexe qu'à l'autre. Un
arc , un javelot , peuvent très-bien figurer
C iv
$6
MERCURE DE FRANCE.
dans nos mains. Il eft vrai , reprit Flora,
que des armes peuvent nous être utiles.
Vous dites que la chaffe eft un préfervatif
contre l'amour : des armes peuvent en être
aufli un contre les attentats des chafleurs .
Chérea prévoyoit ce que ne pouvoit
prévoir Flora : elle fentoit , dis- je , que
cette jeune folitaire n'ayant encore éprouvé
aucun penchant , n'ayant même eu
aucune occafion de les voir fe développer ,
elle réfifteroit d'autant moins aux premières
impreffions. Elle étoit donc perfuadée
que la chaffe lui plairoit ; elle doutoit
encore moins que ce genre d'amuſement
ne favorifât les vues de Sténor. La chaffe
pouvoit lui fournir mille moyens de rencontrer
Flora , qui de fon côté , n'auroit
pas toujours les moyens ni , fans doute ,
la volonté de le fuir. Car enfin , difoitelle
, il faut bien que ces pauvres enfans
fe rapprochent & s'expliquent. Mais je
veux que Sténor fe montre plus tard qu'il
ne fe le propofe ; je veux qu'il m'accorde
' le délai qu'il m'a refufé .
C'est à quoi Sténor ne confentit qu'avec
répugnance ; mais enfin il l'accorda . Rien
ne parut diftraire les nouvelles chaffereffes
les trois premiers jours de leur exercice.
Flora , durant cet intervalle , exerçoit fon
adreffe. Je fuis heureufe , difoit - elle ,
AOUST . 1766. 57
que perfonne ne foit témoin de mon inexpérience.
On ignore toutefois fi , en
parlant ainfi , elle redoutoit réellement
toutes fortes de témoins. Ce qu'on n'ignore
pas , c'eft que toutes les fois qu'elle manquoit
fon coup , elle s'écrioit avec une
forte de complaifance : que diroit notre
chaffeur !
Lui-même entendit cette exclamation
dès le premier jour qu'il fe permit de
reparoître. Flora alors ne l'appercevoit
point ; mais elle en étoit apperçue. Il
parut tout - à - coup à fes yeux , traînant
un jeune faon qu'il venoit de percer
d'une flèche. Il eft à vous , cria -t- il à Flora ,
c'eft de votre main qu'eft parti le coup qui
l'a terraffé. Flora , furpriſe de l'apparition
& du difcours , peut-être même flattée
de l'une & de l'autre, parut cependant
vouloir s'éloigner : mais elle ne fuyoit
pas , & Chérea , qui furvint à propos ,
n'eut pas de peine à la retenir. Qu'elle eft
belle difoit Sténor en lui - même. Ces
armes , cet habit , donnent encore plus de
jeu aux grâces de fa perfonne. On la
prendroit pour Diane , ou plutôt Diane
voudroit elle- même être prife pour Flora.
Sténor fut tout prêt d'oublier le rôle qui
lui avoit été prefcrit. Il alloit parler d'a-
Cv
$ 8
MERCURE DE FRANCE.
mour à celle pour qui il devoit paroître
indifférent. Un coup- d'oeil de Chérea le
remit fur la voie. Il ne parla qu'en chaffeur
déterminé. Cet exercice eft donc bien
délicieux difoit Flora. Quoi ! reprit
Sténor , vous le fuivez & vous ignorez fes
plaifirs ? Je n'ai jamais connu de plaifirs ,
ajoutoit naïvement Flora. Mais , reprit
Sténor , la chaffe a les fiens. Par exemple ,
quels délices de devancer l'aurore , de la
voir fe lever dans fa parure la plus brillante
, de refpirer la fraîcheur que le zéphire
féme autour d'elle , de voir les fleurs s'embellir
des larmes délicieufes qu'elle répand ,
d'écouter les oifeaux chanter leurs amours.
à l'inftant même de leur réveil ! ... Leurs
amours ! interrompit Flora ; on m'a dit
qu'un chaffeur devoit inéprifer l'amour :
celui des oifeaux peut- il donc l'intéreffer ?
Il eft vrai , reprit Sténor ; mais on aime à
contempler de loin les périls dont on eft.
exempt. Je vous fuppofe affife paifiblement
fur les bords du Pyrée cette vafte mer
qui s'offre à vos regards les étonne & les
effraie , mais le fpectacle en lui - même
vous intéreffe. Un vent léger fillonne à
peine la furface des eaux ; on diroit que
Thétis a choifi cette journée pour fon
triomphe, ou que Vénus doit célébrer le
* Port d'Athènes.
*
:
A OUST 1766 . $9
jour de fa naiffance. Vous voyez dix vaiffeaux
s'empreffer à fuir le rivage ; la voile
s'enfle par degrés ; on entend les cris de
joie des matelots ; ils chantent les louanges
de Neptune & de Bacchus. Ils fe croyent
déja poffeffeurs des tréfors que renferment
les plus lointains climats ; ils penfent avoir
enchaîné les vents & la fortune. J'avoue ,
reprit à fon tour Flora , qu'un tel fpectacle
peut intéreffer. Il en eft de même du chant
des oifeaux , ajouta Sténor , mais ne quittons
pas le Pyrée . Le tableau change. Ce
ciel , auparavant fi pur , fe voile & s'obfcurcit
; le tonnerre gronde , l'air fiffle avec
fureur , la mer s'enfle & mugit. Les vaiffeaux
qui la couvrent font tantôt portés
vers les nues , tantôt précipités au centre
de l'abîme. L'air , l'eau & le feu fe les
difputent. L'effroi , la confternation , remplacent
les cris d'allégreffe . On fait des
voeux , mais on n'attend que la mort....
Arrêtez donc interrompit Flora , vous
me faites frémir ! je vois bien que par
cette peinture vous figurez les périls où
l'amour nous expofe. On me les a toujours
dépeints fous de pareilles couleurs ! Il eft
vrai , dit alors Chérea , en s'adreffant à
Sténor , il eft vrai qu'on ne lui fit jamais
enviſager l'amour que fous un afpect effrayant.
Tout ce qui l'environne dans fa
C vj
Go MERCURE DE FRANCE .
retraite lui rappelle cette idée rebutante ,
& vous cherchez encore à l'aggraver ? Moi!
reprit l'Athénien , en faisant un nouvel
effort fur lui -même , je ne fais que peindre
d'après nature ; mais voici un exemple
tout récent & dégagé de tout emblême.
Peut- être on vous a parlé de Sapho la Lefbienne.
On en a fait une dixième Mufe
& , comme les neuf autres , elle fe piquoit
d'infenfibilité. Les ans de Sapho ſe ſont
accrus avec fa gloire. On adiniroit toujours
fes ouvrages , mais on négligeoit fa
perfonne. Elle n'a pu fe réfoudre à être
négligée. Elle a voulu fixer le jeune
Phaon; fes liens n'ont pu le retenir. Vainement
elle chantoit fon nom dans fes
vers & lui affuroit l'immortalité. Phaon
difparut & mit les flots de la mer entre
Sapho & lui. Mais Sapho vient de fe précipiter
dans ces mêmes flots qui avoient
facilité l'évafion de fon amant.
Ah , Ciel s'écria Flora , voilà un trait
qui manque à ma collection. Que je plains.
Sapho d'avoir cédé à l'amour ! que de
maux il entraîne à fa fuite ! Ah ! puifque
la chaffe nous en préferve , je veux chaſſer
tout le temps de ma vie.
Cette réfolution n'effraya point Siénor.
Il la préféroit à celle que Flora eût pu
prendre de garder la folitude. Tout va
A OUST 1766. Gr
bien , lui difoit à demi voix la bonne
Chérea , vous avez bien fait de charger
le tableau. Vous verrez Flora defirer ellemême
que les couleurs s'affoibliffent.
Sténor eût voulu pourfuivre l'entretien ,
dût -il encore parler contre l'amour. II
avoit du moins l'avantage de parler à
Flora ; mais il fallut fe féparer. Ce qui le
confola beaucoup , c'eft que Flora dit tout.
haut à fa compagne qu'elle efpéroit chafſer
le lendemain dans le même canton .
Ce n'étoit pas une de ces chofes qu'il
pût oublier. Le jour fuivant il étoit au
rendez - vous avant que Flora y vînt , &
cependant elle y vint plutôt qu'à l'ordinaire.
Il l'aborda avec ménagement , mais
il n'eut recours à aucun prétexte. Savezvous
bien , lui dit-elle , que toute la nuit
j'ai rêvé de tempêtes , de naufrages & de
noyés ? Cette pauvre Sapho ne me fort pas
de l'efprit ! J'avoue , répondit Sténor , que
Ia catastrophe eft affreufe . Comment avec
tant de génie , ajoutoit Flora , comment
Sapho n'a - t - elle pu ni prévoir ni prévenir
cette fin déplorable ? -C'eft que le génie
nous aide à diriger les autres & nous égare
fouvent nous-mêmes. Mais Sapho avoit
long- temps vécu fans s'égarer ? - Trop
long - temps peut - être . - Comment ? -
C'eft que vingt ans plutôt on ne l'eût

pas
62 MERCURE
DE FRANCE
.
――

fuie , & qu'elle ne fe fût pas noyée.
Quoi ! vous euffiez voulu qu'elle aimât ?
-Je ne veux rien . Je dis feulement qu'ellemême
voulant finir par aimer , elle devoit
s'y prendre plutôt. Mais dans tous les
temps l'amour eft à craindre. Ne vous
fouvient - il plus de l'avoir comparé à la
plus horrible tempête ? Belle Flora !
une tempête n'engloutit pas toujours le
vaiffeau. Le plus fouvent il fournit fa
courfe & rentre au port chargé de richelles ,
orné de banderolles , & au milieu des cris
de joie de ceux qui l'ont dirigé. Ainfi ,
ajouta Flora , votre comparaifon n'étoit
pas jufte ? Pardonnez - moi. Je n'ai jamais
voulu dire que l'amour fit le malheur
de tous ceux qu'il foumet. Je crois
même que le nombre des amans fortunés
l'emporte fur celui de fes victimes.
Quoi ! s'écria - t- elle avec embarras , vous
ne cherchez donc point à l'éviter ? Jufqu'à
préfent , reprit Sténor , j'ai fait de mon
mieux pour y réuffir. En comparant fes
dangers aux périls que court un vaiffeau ,
je me fuis tenu au rang des fpectateurs ;
je n'ai contemplé le vaiffeau que du rivage.
Cette réponſe pouvoit tranquillifer Flora,
mais on ignore fi elle la fatisfit . On reprit
la chaffe , qui ne fur pas des plus heureufes.'
Sténor étoit diftrait , Flora rêveufe , &
A OUST 1766. 63
Chérea plus attentive aux mouvemens
qu'éprouvoit fa jeune élève qu'à ce qui fe
paffoit dans la plaine. Elle ne doutoit point
que la prévention de Flora ne s'affoiblit
de jour en jour . Elle recommanda à Sténor
de mettre autant de réferve dans fa con-
- daire que dans fes difcours. De fon côté ,
il lui fit part d'un deffein qu'il jugea plus
efficace les difcours les mieux préparés
& la conduite la plus circonfpecte.
que
On fe rencontra encore les trois jours
fuivans, & l'entretien roula toujours à -peuprès
fur la même matière . Il arriva ſeulement
que Stenor parloit contre l'amour en
homme qui n'en veut pas être cru fur fa
parole , & que Flora penchoit beaucoup
à ne plus le croire .
Deux jours après elle chaffoir avec fa
compagne. Le temps s'écouloit , & Sténor
ne paroiffoit point. Flora, au fond , en
étoit furprife , & Chérea feignoit de l'être.
La jeune chaffereffe étoit infatigable ; elle
voulut fe retirer plus tard qu'à l'ordinaire.
La nuit étoit proche quand elle rentra ,
mais Sténor n'avoit point paru.
Il ne parut pas non plus le jour fuivant.
Pour Flora , elle fe trouva plutôt fatiguée
que la veille. Le foleil n'étoit pas encore
prêt à difparoître , & déja elle avoit quitté
la plaine.
64 MERCURE DE FRANCE.
Qu'est-il donc arrivé à notre chaffeus ?
difoit -elle à Chérea. Je ne puis le deviner
, répondit cette dernière . Je préfume
qu'il aura voulu effayer fi la chaffe n'eft
pas plus avantageufe dans un autre canton ,
& que nous pourrons le revoir demain
dans celui que nous venons de parcourir.
Et moi , reprit Flora avec vivacité , j'en
veux demain parcourir un autre : j'ai auffi
quelque envie de juger s'il me fera plus
favorable.
Chérea ne fe méprit point au ton de
cette réponſe. Elle avoit même prévu cette
réfolution , & elle étoit bien éloignée de
la combattre. Flora dormit peu la nuit
fuivante. Quelle eft donc cette inquiétude
que j'éprouve ? difoit- elle : pourquoi m'oc
cuper ainfi de l'abfence d'un inconnu ?
J'aurois dû moi -même éviter fa préſence.
Mais que dis - je ? pourquoi le fuir ? fa
conduite prouve que j'aurois eu tort de le
craindre.
Elle perfifta néanmoins dans fa réfolution
. Il est vrai qu'en préférant un nouveaucanton
à l'ancien , elle ne faifoit aucun
facrifice décidé. Le hafard pouvoit occafionner
une rencontre avec Sténor , & Flora
ne fongeoit point à prévenir cet effet du
hafard, Chérea la conduifoit & elle fe laiffoit
conduire. Infenfiblement elles arrivé
A OUST 1766. 63
rent auprès d'un petit bofquet très -agréable.
Une fontaine en occupoit le centre & y répandoit
une fraîcheur délicieufe. Une cafcade
naturelle procuroit à l'eau un doux
murmure. Un gafon , des fleurs , tapiffoient
les bords de la fontaine d'autres fleurs
étoient éparfes dans le bofquet , & quelques
buiffons heureufement placés ne permettoient
point aux yeux d'en parcourir
toute l'étendue. Divers o feaux y formoient
à leur manière un combat mufical . Tout
à coup ils furent interrompus par les fons
d'une flûte , auxquels fe joignirent l'inſtanɛ
d'après ceux d'une voix très- fonore & très-
Alexible . Elle chantoit les douceurs de l'amour
& de la conftance. « Aimable fils de
» Vénus , difoit- elle , tu répands tes bien-
" que
faits fur tous les humains ; tous les hu-
» mains font égaux à tes yeux. Du palais
» tu paffes dans la chaumière. Elle te pof-
» fède même plus fouvent les palais.
» Chez les bergers l'on fe dit je vous
» aime ; & c'est un ferment ; rien n'en
» peut dégager. Le feul ferment qu'on ofât
rompre parmi eux feroit celui de n'ai-
» mer jamais ».
"
Ces mots frappèrent vivement Flora.
Un mois plutôt elle n'eût fongé qu'à fuir :
elle ne fongea qu'à s'approcher. Cette voix ,
dit -elle à Chérea , et bien digne d'être
66 MERCURE DE FRANCE.
entendue. Ecoutons de plus près pour n'en
rien perdre ; mais évitons d'être apperçues
pour ne point effaroucher la chanteufe . La
chanteufe pourfuivit en ces termes :
-∞
Coeurs indifférens ! ne vantez plus la
paix dont vous jouiffez : elle eſt un ſom-
» meil ; ce fommeil eft un trépas . Pour
vous tout eft mort , & vous l'êtes pour
tout ce qui exifte. Et vous que l'amour
fouer à fon empire ? la nature entière
» eft foumife au vôtre . C'eſt vous feuls
» que l'aftre du jour éclaire : vous feuls
5 qui connoiffez le prix de fes bienfaits.
Que le jour est beau quand on aime !
" Comine l'amour fait tout embellir ! Le
parfum de ces fleurs en devient plus
» délicieux , l'émail des prairies plus vif ,
le cryftal des eaux plus pur , le chant des
» oifeaux plus harmonieux. Ce ruiffeau
qui s'éloigne & fe précipite vers fa pente ,
» invite les amans à fe rapprocher ; ce lierre
» & cet ormeau leur prefcrivent d'être inféparables
; tout leur parle dans la nature ,
& par- tout ils reconnoiffent le langage
» de l'amour
33
59
"
Chaque inflexion de cette voix pénétroit
jufqu'à l'âme de Flora . Elle oublioit même
de fe défendre contre ces impreffions . Elle
oublioit jufqu'aux difcours de fa mère ,
& difoit à Chérea : je voudrois que notre
A OUST 1766 . 67
inconnu entendît ces accens & ces paroles :
j'épierois avec foin l'effet que produiroient
fur lui les unes & les autres.
Jugez-en donc ! lui dit- il , cet inconnu
eft à vos genoux. Sténor y étoit effectivement.
Flora jetta un cri de furprife ; mais
-fes yeux ne marquoient nul couroux , nulle
envie de fuir. Que faites - vous , difoitelle
à Sténor ? Cette attitude ne va point à
un chaffeur , à un ennemi de l'amour. Je ne dois pas moi- même
....
Ah ! interrom- pit Sténor
, oubliez
une prévention
injufte
& fi peu naturelle
! N'êtes
- vous
née avec
tant
de charmes
que pour
les fouftraire
à
notre
admiration
? Nous
eft- il poffible
de
ne leur
pas rendre
hommage
? Cer hommage
doit-il vous
irriter
? Flora
ne trou- voit point
de réponse
à ces queftions
. Mais
enfin
, dit- elle , vous
favez
que l'amour
sa caufé
bien
des malheurs
; on m'en
a
toujours
entretenue
, & je n'ai pas encore
vu
d'exemple
démentir
ces maximes
. Vous
en verrez
, lui dit Sténor
, en collant
fa bou-
.che
fur une de fes mains
; vous
ferez
vousmême
cet exemple
. En attendant
, le hafard
vous
en offre
un autre
. Interrogez
ce cou-
-ple dont
les accens
ont mérité
votre
attention
.
Ce couple ne chantoit plus , mais il ne
s'étoit pas éloigné. De grace , dit Flora ,
68 MERCURE DE FRANCE .
en s'adreffant à la jeune perfonne qui avoit
chanté , délivrez-moi d'un doute : croyezvous
à tout le bien que vous difiez de
l'amour il n'y a qu'un inftant ? Il nous en
a plus fait , répondit- elle , que jamais nous
n'en pourrons dire. Quoi ! reprit Flora ,
vous en parlez d'après vous -mêmes ? →→
Nous ne faifons que peindre ce que nous
éprouvons. Et depuis quand l'éprouvezvous
? Depuis que nous nous fommes
-
aimés. Etes- vous unis ? demanda Chérea.
Oui , pour jamais , répondit le jeune homme.
Chaque jour nous béniffons nos chaînes
, & nous prions l'amour de les refferrer.
Chaque jour accroît notre bonheur , & tant
que rien ne nous féparera , il ne ceffera
point de s'accroître.
Vous les entendez , belle Flora , difoit
Sténor ; ils ont en effet le langage du bonheur
& de la vérité. Flora commençoit
à le croire & , qui plus eft , elle n'affectoit
plus d'en douter ; mais les images
lugubres qui avoient fi long - temps affligé
fes regards , occupoient encore fon efprit.
Vous en jugerez , difoit- elle à Sténor ,
vous verrez fi je dus en être vivement
frappée. Sténor ne demandoit pas mieux
que d'être pris pour arbître dans cette
matière. On abrégea le temps de la chaffe ;
on fe rendit chez Flora. Voyez , difoitA
OUST 1766. 69
elle à Sténor , en l'introduifant dans un
fallon , voyez fi de tels exemples ont dû
m'intimider... Mais , ô Ciel ! que vois- je
moi-même? Quel changement inattendu!
Comment ces tableaux ne font- ils plus ce
qu'ils étoient ? D'où provient cette métamorphofe
?
Qu'on juge en effet fi Flora dût être
furprife ? Un fpectacle tour nouveau s'offroit
à fa vue. Au lieu de ces catastrophes
terribles qui l'avoient effrayée jufqu'alors ,
elle n'appercevoit plus que des fcènes tendres
& propres à la raffurer. Tout dans ces
tableaux annonçoit l'amour paifible & fortuné.
Rien n'y bleffoit les regards , mais
tout y intéreffoit l'âme . Celle de Flora
étoit vivement émue . On préfume bien
cependant qu'elle n'attribuoit à nul pouvoir
magique le changement arrivé dans
fa retraite . Elle ne doutoit point que Chérea
n'y eût contribué ; mais elle ne s'en
plaignit pas amèrement. Vous me trompez !
lui dit-elle d'un ton qui prouvoit qu'elle
ne regrettoit pas de l'être ainfi , vous me
trompez ! Quel est votre deffein ? De vous
rendre heureuſe , lui répondit Chérea ,
fouferaire votre âme à une réfolution peu
réfléchie , à un préjugé funefte. Vous voyez
Sténor , ajouta - t - elle ; fon indifférence
n'étoit que fuppofée ; fa tendreffe pour
de
70 MERCURE DE FRANCE.
vous m'étoit connue je le connois luimême
à tous égards , & à tous égards il
eft digne de vous.
Durant ce difcours Sténor étoit aux
genoux de Flora. Oui , lui difoit- il , je
vous avois vue avant que Cinthie vous
enterrât dans cette folitude : je vous adorai
toujours depuis , même en défefpérant
de jamais vous revoir. C'eft l'amour feul.
qui m'a infpiré la conduite que j'ai tenue ;
il doit être mon excufe. D'ailleurs mes.
vues font auffi légitimes que mon amour
eft fincère.
On a pu voit Flora perdre fucceffivement
de fa prévention contre l'amour. Le
changement des tableaux devenoit même
à - peu - près fuperflu . Il acheva pourtant
d'anéantir une crainte qu'un ftratagême
équivalent avoit fait naître ; mais il n'en.
fallut déformais aucun pour déterminer '
Flora en faveur de Sténor. En peu de temps
il devint fon époux & ne ceffa point d'être
fon amant. Chaque jour elle s'étonnoit
d'avoir pu craindre l'amout. Ses idées fe.
fortifioient & s'étendoient de plus en plus..
Vous m'avez bien jouée , difoit - elle à
Sténor & à Chérea , mais je le méritois
& je vous le pardonne. Je regrette feulement
que le couple chantant du bofquet
n'ait eu qu'une félicité factice. Il jouoit
A OUST 1766. 71
affez bien fon rôle pour mériter qu'il lui
fût naturel . Raffurez - vous , lui répondit
Sténor , ce rôle n'étoit point joué. Apoftés
là pour me fervir , ces jeunes gens n'en
exprimoient pas moins leurs fentimens
propres . On affure qu'ils font encore les
mêmes. Vous , ma chère Flora , confervez
toujours les vôtres. Cet amour , qui caufoit
votre effroi , caufera votre bonheur & le
mien. Ce n'eft pas cet amour frénétique ,
impérieux & jaloux , cette paffion qui déchire
l'âme au lieu de la confoler ; c'eft
cette charmante union des coeurs , aufli
éloignée de la tiédeur que de l'emportement
, auffi douce que fenfible , qui occupe
fans tourmenter ; qui ne néglige ni
n'obféde ; en un mot , ce n'eft point l'amour
tel qu'on fe plaît fouvent à le peindre
ou plutôt à le défigurer : c'eſt l'amour
tel qu'il eft , tel qu'il doit être .
Par l'Auteur des Contes Philofophiques.
72 MERCURE
DE FRANCE .
EPITRE A MON ESPRIT.
DEUX
EUX mots : un inſtant , mon eſprit ;
J'ai des reproches à vous faire.
Mais déja votre orgueil s'aigrit !
Tâchez cependant de vous taire .
Mille fois je vous ai ſurpris ,
Dans la plus fombre rêverie ,
Timide , non par modeftie ,
Sans chaleur & fans coloris ;
Tandis qu'un fot , plus intrépide ,
A d'autres fots dicte fes loix ,
Et femblant viſer au folide ,
Sans goût , fans fineffe , fans choix ,
Approfondit , tranche , décide.
Pourquoi cette ſtupidité ?
Pourquoi , fur le haut ton monté ,
Tantôt vous livrant à l'emphâfe ,
Prodiguez-vous ces mots favans.
D'hyperbole , d'antonommâle ,
Et leurs compagnons affomans ?
Tantôt , finge de Démosthène ,
Tenant le dez effrontément ,
Pourquoi compofez -vous fans peine
De
A OUST 1766. 73
дё
Des phrafes à perte d'haleine ,
Où la raifon péche ſouvent ?
Pourquoi , dans un autre moment ,
Plus étourdi qu'un jeune Page ,
A l'infipide perfifflage
Vous livrez -vous aveuglément ?
Ne faut- il pas fuivre l'ufage ? -
Eh doit- on rifquer follement
Tout ce que la chaleur de l'âge
Peut infpirer à l'enjoüement ?
Ami , tâchez d'être plus fage :
Plus de réferve à l'avenir ;
Sentez ce qui peut convenir
Aux temps , aux lieux , ainfi qu'au monde :
Quand le for rit , la raifon gronde.
Je vous connois d'autres défauts .
En pointes , comme en jeux de mots ,
Chacun vous dit intariffable.
Cher efprit , pour un trait paffable ,
Et qui le préfente à propos ,
Il en eft mille qu'il faut taire .
Croyez- moi , n'en lâchez aucun
Duffent- ils charmer le vulgaire ,
C'eft le tombeau du fens commun.
Il me revient fouvent encore ,
Que par fois un peu trop badin ,
Vous plaifantez fur le prochain ...
Fuyez ce genre , il déshonore.
D
74 MERCURE DE FRANCE
L'on s'amufe d'un trait méchant ;
L'auteur eft noté pour la vie .
Il eft deux êtres qu'en tremblant
Reçoit la bonne compagnie ,
La coquette & l'efprit mordant.
Mais raffûrez - moi , je vous prie :
Voulez -vous garder ce vieux ton ,
Cette fade galanterie
Que l'on reproche à Céladon ;
Et ces tournures empelées
Que l'antique Ergaſte applaudit ?
Ah ! laiffez ces phraſes uſées ,
Où l'amour ne fait ce qu'il dit.
On prétend qu'aux jeux de la rime
Quelquefois vous réuffiffez ;
Je ne veux point vous faire un crime
D'eflayer ce genre d'eſcrime :
Il a des charmes , je le fais .
Mais foyez difcret ; prenez garde !
Une bleüette , un rien féduit ;
On fe livre , le regret fuit ,
Et la Mufe , un peu trop bavarde ,
A la Baftille ya fans bruit .
Le fiel amer la raillerie

Bien moins encor la flatterie ,
Triftes fruits des fiècles pervers ,
N'empoifonnent jamais vos vers ;
A OUST 1766 71
Avec plaifir je vous en loue.
Mais ici , mon efprit , j'avoue
Que j'ai très - fouvent remarqué
Trop de recherche en vos pensées ,
Je ne fais quoi d'alembiqué ,
Nombre d'épithètes forcées ,
Par fois vifant au précieux.
Pourquoi le mettre à la torture ?
Le plus fimple eſt toujours le mieux ;
Laiffez la plume à la nature ."
> Souvent , en l'accablant de fleurs
Le faux goût offufque les traces ,
Er fous fes perfides couleurs
Vainement on cherche les grâces .
Ce que je vois , non fans douleur ,
C'est votre inconftance ordinaire ;
Vous dévorez , avec chaleur ,
Ce qui dans l'inftant peut vous plaire ;
Vous vous occupez à la fois
D'hiſtoire , de philofophie ,
De politique , de chymie ,
De vers , de phyfique , de loix ,
De problêmes , d'anatomie ;
Vous voulez enfin tout favoir.
Si vous commencez un ouvrage
Souvent , dès la vingtième page ,
Il n'eft plus en votre pouvoir
De vous y livrer davantage.

76 MERCURE DE FRANCE.
N'approfondirez - vous donc rien ?
Vous ne reflemblez que trop bien
A cette abeille vagabonde ,
Qui , fur mille fleurs à la ronde ,
Dès l'aurore jufqu'à la nuit ,
Voltige , les pique & s'enfuit .
Je juge par votre filence
Qu'ici vous vous reconnoiſſez ;
Voilà mon but , ma récompenfe .
Adieu , mon efprit , c'eft affez.
LE mot de la première Énigme du ſecond
volume du Mercure du mois de
Juillet eft carte à jouer . Celui de la feconde
eft bouts-rimés . Celui du premier Logogryphe
eft aileron ; dans lequel on trouve
ail , ire , rôle , Roi , lire , l'air , Noël ,
l'orme , la Loire , le Loir , le Nil , Léon ,
loi , lion , raie , rale , le , la , ré , là , laie,
laine , Noé. Celui du fecond eft courtage ,
confidéré par rapport à la Déeffe des
plaifirs , & au négoce ; & dans la fimple
divifion duquel il y a Cour , & Tage,
Aeuve.
A OUST 1766. 77
JE
ÉNIGME S.
E porte le nom magnifique
D'un certain bien des grands Seigneurs
Mais je fuis bien plus pacifique
Quand je jouis de mes honneurs .
Auffi le fort fi bien me cache ,
Que mon maître ne me peut voir ,
Si fortement il ne s'attache
Devant la glace d'un miroir.
Tout le monde fait que je touche
A tout ce qui paffe chez moi :
Mais je fuis de fi bonne foi ,
Que j'en retiens moins qu'une mouche.
DE
AUTRE.
EPUIS long- temps on me met en uſage ,
A la ville , à la cour , je trouve de l'emploi ,
Quelquefois même on m'en donne au village ,
et toujours on fe plaît à fe fervir de moi .
Victime de la mode & jouet du caprice ,
On fait me transformer comme un caméléon .
Jci du corps humain j'orne le frontispice ;
Là je fuis à fes pieds : puis en changeant de nom
Je fuis des Rois l'ornement ordinaire .
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
Que je fois laid ou beau , je fuis certain de plaire
A celui que je ſers , qui , libre dans ſon choix ,
Parmi cent compagnons me prend de préférence.
Près du beau fexe enfin j'ai d'affez jolis droits.
Mais telle eſt de mon fort la maligne influence ,
Quoiqu'utile en tout temps , jour , nuit , matin
& foir ,
Quand je perds mon éclat , on eft las de me voir ,
Et fouvent le dédain devient ma récompenſe.
LOGO GRYPHE.
PARMI ARMI les commerçans je fuis d'un grand
ufage ,
De la Tamife au Nil , du Volga juſqu'au Tage ,
Comment favoir , fans moi , que tel vaifleau
marchand
Vient d'arriver ici des bords du Saint Laurent!
Ami , quatorze pieds compofent tout mon être:
Combine , & tu pourras bientôt me reconnoître ;
J'offre prefque à tes yeux ce Général Troyen
Qui porta fur fon dos le refte de fon bien ;
Le nautonier d'enfer ; des ifles de l'Afrique ;
Deux prépofitions propres à la logique ;
Un inftrument de chaffe ; un ftupide animal ;
De mufique une note ; un précieux métal ;
1
A OUST 1766. 75
Une Ville en Bretagne ; une autre en Picardie ;
Une pièce de guerre ; un pays en Afie ;
Ce qui croît au Liban ; qui plus eſt , un oiſeau
Dont le propre eft de vivre , & fur terre & dans
l'eau ;
Le vainqueur de Pompée ; & l'un des douze
Apôtres ;
Ce qu'on tire des inftrumens ;
Si je voulois t'en nommer d'autres ,
Je t'occuperois plus long - temps.
Par M. L. C. DE C.....
EN
AUTRE.
N confidérant fur la terre
Son aimable variété ,
On voit que mon corps eft ôté
Du fein de cette bonne mère.
Si par mon rang , dans la nature
Je parois ignoble à vos yeux ;
Songez combien eft précieux
L'avantage que je procure.
Vantez ici mon excellence ,
Vous qui , de langueur abattu ,
Dans la plaine , par ma vertu ,
Oubliez votre défaillance .
Div
80 MERCURE DE FRANCE ,
De la matière de mon être
Aifément on en forme deux ;
L'un eft fonore , hormonieux ;
L'autre ... c'eft dire trop peut- être .
Mais à quoi bon tant de mefure ,
Pour la dernière affertion ?
L'autre , par fon infertion ,
Confolide l'architecture.
Par M. FERET , Notaire à Amiens.
ROMANCE TENDRE.
Ан ,
A Me. D ***.
1
H, que ma Cloris fait plaire !
Que les yeux font féduifans !
D'un regard doux & févère ;
Elle fixe les amans.
Dans un cercle , la plus belle
Et jaloufe de fes traits .
Tout languit éloigné d'elle ,
Tout renaît par fes attraits.
Non , ce n'est plus à Cythère ,
Que Vénus fait ſon féjour ;
Amoroso.
Ah quema Cle - vereEl lefixe les
a =
A
COL
mans Dans un cer but renaitpar ses attraits.
Mineur.
W
Non ce n'estplgere
sotle trone de la-
+
m.Tous les c. dun mieux chanter ses apas.
T
'HE NEW YORK
'UBLIC LIBRARY.
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
A OUST 1766.
8E
Les beaux yeux de ma bergère
Sont le trône de l'amour.
Tous les coeurs , d'un vol rapide ,
Vont à l'envi fur fes pas.
Que ne fuis-je un autre Ovide
Pour mieux chanter fes appas !
Je peindrois fi bien fes charmes ,
Par la douceur de mies vers >
Que l'on verroit à mes larmes
S'intereffer l'univers.
Plus amoureux que poëte
Plus tendre qu'ingénieux ,
L'amour est mon interprète ,
Il m'infpire par les yeux .
Paroles & mufique de M. D. L. S...
Gv
82 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LETTRE à M. DE LA PLACE , fur un
livre intitulé : Hiftoires & paraboles ,
par
le Père BONAVENTURE .
MONSIEU ONSIEU. R ,
J'AI lu un prétendu Père Bonaventure ,
& ce que vous avez dit dans le Mercure
de Mai * , fur fon ouvrage intitulé , Hiftoires
& Paraboles. Je ne fais s'il a prétendu
plaifanter , comme vous l'en foupçonnez ;
mais ce que je fais , c'eſt qu'il entend parfaitementla
plaifanterie. Ila trouvé la vôtre
ingénieufe & en a beancoup ri . Si vous
avez cru que ce fût un jeune auteur , qui
voulant donner du férieux , n'auroit donné
que des plaifanteries déplacées , je crois ,
Monfieur , que vous ne ferez pas fâché
que je vous tire de cette erreur. Vous
faurez donc que l'auteur de cette brochure
Page 121.
A OUST 1766 . 83
n'a voulu que fe délaffer ; que c'eft un
komme fort connu dans la littérature
par beaucoup de bons ouvrages ; qui a
donné plufieurs méthodes pour apprendre
le grec, & qui ont été trouvées fi fupérieures
à celles qu'on avoit déja , que l'Univerfité
de Paris a abandonné les anciennes pour
prendre les nouvelles ; qui a donné un Dictionnaire
hébreux & une grammaire pour
apprendre cette langue fans le fecours des
points maflorétiques , cependant avec plus
de facilité ; qui a compofé un grand ouvrage
fur l'écriture fainte , avec des réflexions
critiques , hiftoriques & morales ,
mais qui n'a pas encore vu le jour. Je crois
que le défigner de cette forte , c'eft affez
le nommer : & s'il falloit le défigner par
d'autres traits , on ajouteroit , homme
eftimé & aimé de tous ceux qui le connoiffent,
& même des gens de différentes
robes & de différentes opinions , comme
lui - même eftime & aime la vérité & le
mérite par- tout où il les trouve.
J'ai l'honneur , & c.
MASSÉ DE LA RUDELIERE ;
Abonné au Mercure..
Aux Sables , le 26 Juin 1766 .
D vj
84 MERCURE DE FRANCE .
HISTOIRE de LOUIS DE BOURBON , fecond
du nom Prince DE CONDÉ
premier Prince du Sang , furnommé le
GRAND ; par M. DESORMEAUX,
IL eft des noms & des exploits fi glo- Left
rieux qu'ils n'ont befoin que de leur propre
éclat pour arriver fûrement à l'immortalité
; mais comme ces noms & ces
actions illuftres acquiérent , pour ainfi
dire , une nouvelle vie , & fourniffent
aux hommes de continuelles leçons , lorfqu'ils
font confacrés par la Mufe de l'Hiftoire
, on ne peut trop fouvent les retracer
aux yeux de la poftérité. Quelles
obligations ne devons - nous donc pas avoir
à l'Ecrivain qui vient de nous donner les
deux premiers volumes de l'Hiftoire du
Grand Condé. Elle doit être d'autant plus
grande , qu'il s'eft furpallé dans cette nouvelle
production , & s'y eft montré fupérieur
à l'Auteur des Révolutions des Indes ,
des. Hifioires a' Efpagne & de la Maifon de
Montmorenci.
Nous voyons avec plaifir que le jugement
du public fur la nouvelle Hiftoire
A OUST 1766 . 84
de M. Deformeaux paroît affez conforme
au nôtre l'accueil favorable qu'il lui a fait,
prouve en même temps combien lui eft
chère la mémoire d'un des plus grands
hommes que la France ait produits. Cette
excellente Hiftoire fe vend à Paris , chez
Saillant , rue Saint Jean - de- Beauvais ;
Defaint, rue du Foin Saint Jacques ; &
la veuve Duchefne , rue Saint Jacques.
Elle eft dédiée à Monfeigneur le Prince
deCondé. A qui M. Deformeaux pouvoit- il
mieux en faire l'hommage qu'à celui qui
marche de fi près fur les traces de l'illuftre
Duc d'Enguien ? L'Epitre que l'Auteur lui
adrelle eft écrite avec cette noble fimplicité
qui caracteriſe la vérité.
""
""

" J'ofe préfenter à V. A. S. l'Hiftoire
d'un des Héros les plus célèbres qui ait
», paru en Europe ; fa grande âme refpire
dans la vôtre , Monfeigneur , & vous
n'êtes moins l'héritier de fa valeur
pas
& de fes talens que de fon nom. Puiffe
le fang augufte & généreux qui a coulé
dans fes veines , & qui coule dans les
vôtres , produire à la patrie des défenfeurs
auffi long-temps que le nom de Con-
""
و د
""
و د
و د
ود
dé vivra ! ,,
Cette épître dédicatoire eft fuivie d'un
avertiffement , où l'Auteur annonce que les
deux autres volumes de fon Hiftoire font
86 MERCURE DE FRANCE.
actuellement fous preffe , & qu'ils ne
doivent pas tarder à paroître. Suit un
difcours préliminaire qui eft une espèce
d'introduction . M. Deformeaux y fait en
peu de mots l'éloge du fiècle de Louis
XIV , auquel il donne avec raifon la
prééminence fur tous les fiècles qui l'ont
précédé ; il part de là pour tracer un portrait
de fon Héros qu'il compare à Alexandre.
L'Auteur fe plaint enfuite que le
Grand Condé n'ait pas , ainfi que Cefar,
laiffé des mémoires , qui euffent été une
fource intariffable de glorieufes leçons
pour tous nos militaires & nos hommes
d'état. Il fe livre après à quelques réfléxions
fur la difficulté de fon entreprife ,
dont il ne s'eft chargé que fous les aufpices
de Monfeigneur le Prince de Condé , &
paroît douter d'un fuccès que le fujet feul
qu'il a traité auroit dû lui faire efpérer ,
quand bien même il n'eût pas été fecondé
par les talens dont il a donné des preuves .
11 fe propofe enfin de ne pas s'écarter un
moment de l'exacte vérité , & de parler
également des vertus & des défauts de
celui dont il écrit la vie. Telle eft la règle
que devroit fe prefcrire quiconque embraffe
la profeffion d'Hiftorien ; il feroit .
à fouhaiter que tous ceux qui écrivent
s'en montraffent aufli fidèles obfervateurs
A O UST 1766. $7
que M. Deformeaux. On verroit moins
de livres d'Hiftoire fe métamorphofer en
romans.
L'Ouvrage dont nous allons rendre
compte eft , comme nous l'avons déja
annoncé , divifé en deux volumes : le
commencement du premier de ces volumes
contient plufieurs détails fort curieux fur
la naiffance , l'enfance & l'éducation du
Héros de cette Hiftoire . Nous nous conrenterons
de parcourir les principaux.
Louis de Bourbon , fecond du nom ,
nâquit à Paris le 7 Septembre 1621 ; il
fut titré Duc d'Enguien ; nom heureux ,
dit M, Deformeaux , qui rappelloit la
mémoire de François , Comte d'Euguien ,
vainqueur de Cérifolles , & grand- oncle
du jeune Prince.
La naiffance du Duc mit le comble
aux voeux du Prince de Condé fon père .
A peine avoit- il vu le jour , qu'on le fit
transporter en Berry , au château de Montrond.
Sa conftitution parut d'abord fi foible
& fi délicate , qu'elle fit craindre pour
fa vie. Le Prince cependant qui , au lieu de
confier la première éducation de fon fils
à des femmes de qualité , le mit entre les
mains de bourgeoifes pleines d'expérience ,
de fageffe & d'attention , eut la fatisfac
88 MERCURE DE FRANCE .
tion de voir le jeune Duc fe fortifier peu
à
peu.
Lorfqu'il fut parvenu à l'âge de quitter
les femmes , fon père fe réferva à lui -même
les tendres & pénibles fonctions de gouver
neur : il nomma feulement pour le feconder
M. de la Bouffière , fimple Gentilhomme
, & choifit pour les précepteurs
du jeune Duc les P. P. le Pelletier & le
Maitre Gonthier , Jéfuites. Le Prince compofa
en même temps à fon fils une maifon
de quinze ou vingt officiers & domeftiques
choifis parmi les fujets les plus fages &
les plus vertueux. C'eft avec cette fuite
peu nombreufe que le Duc d'Enguien alla
s'établir à Bourges dans le plus bel hôtel
de la ville. Il alloit matin & foir au Collége
des Jefuites , où il fit en peu de temps
des progrès conſidérables .
"" 330
" Il eut le même fuccès à l'Académie
qu'au Collége ; perfonne ne manioit
,, un cheval , ne faifoit des armes , ne
danfoit , ne jouoit à la paume , avec
plus de grâces , d'adreſſe & d'agilité
Le jeune Duc n'eut pas plutôt paru
la Cour , où il fit en peu de temps l'admiration
de tout le monde , " que la Princeffe
fa mère , qui n'avoit pas moins de
charmes dans l'efprit que dans la figure ,
,,
A OUST 1766. 89
""
ود
""
و د
""
22
voulut fe charger de la feconde éducation
de fon fils . Elle n'oublia rien pour
lui former le coeur & les fentimens , &
lui donner cette fleur de politeffe &
d'agrément , certe urbanité exquife , la
,, fuite & l'appanage des beaux temps d'Athènes
& de Rome , qu'on n'acquièrre
aujourd'hui que dans le commerce des
femmes Françoifes ,, . Elle s'empreffa de
le conduire à l'hôtel de Rambouillet , où
il lui fat facile de perfectionner les connoiffances
profondes & étendues qu'il
avoit déja acquifes dans prefque tous les
genres . Nous fommes fâchés de ne pas
mettre fous les yeux du lecteur l'éloge
que fait M. Deformeaux de cette fameufe
école qui étoit alors le rendez- vous
de tout ce que la France avoit de plus
illuftre , de plus éclairé dans l'un & l'autre
fexe. Il eft probable que dans le cours de
cet extrait nous éprouverons fouvent de
femblables regrets , mais nous fommes
obligés de nous renfermer dans les bornes
ordinaires d'une analyſe.
Le Duc d'Enguien fe plaifoit certainement
beaucoup dans la fociété éclairée des
Sarrafin , des Voiture , des Benferade &
des plus beaux efprits de ce temps : mais
fon courage l'appelloit ailleurs. Le bruit des
armes , qui retentiffoit dans toute l'Europe ,
89 MERCURE DE FRANCE.
rempliffoit principalement fon âme ; H
ne foupiroit qu'après le moment où il lui
feroit permis de fignaler fes talens. Auffi
rien n'égala fa joie lorſqu'il put obtenir
du Prince de Condé de faire fa première
campagne en qualité de volontaire dans
F'armée commandée par le Maréchal de
la Meilleraie.
:
Ce fut dans cette campagne , pendant
laquelle les François prirent la ville d'Arras
, que le Duc d'Enguien commeriça par fa
valeur , fa conduite , & une application
infatigable , à jetter les fondemens de cette
haute réputation qui lui mérita à vingtdeux
ans le commandement d'une armée
dont dépendoit le falut de l'Etat. A fon
retour il alla vifiter à Ruel le Cardinal
de Richelieu ce Miniftre , qui étoit alors
au comble de la grandeur & de la profpérité
, l'entretint pendant plus de deux
heures des matières les plus fublimes &
les plus épineufes. Etonné du génie , des
connoiffances & de l'éloquence du Prince ,
il ne put s'empêcher de dire à M. de Chavigni
, lorfque le Duc fut forti : je viens
d'avoir une converfation de deux heures
avec M. le Duc fur la religion , la guerre ,
la politique , les intérêts des Princes
Eadminiftration d'un Etat ; ce fera certai
nement le plus grand Capitaine de l'Europe's
AOUST 1766. ༡ ་
& le premier homme de fon fiècle , &
peut - être des fiècles à venir en toutes
chofes.
le
Quelque temps après cette entrevue ,
Duc d'Enguien époufa Clair- Clémence de
Maillé - Brézé , fille d'Urbain de Maillé-
Brézé, Duc- Pair & Maréchal de France ,
& de Nicole du Plefis- Richelieu . Il ne
confentit à ce mariage qu'avec beaucoup
de répugnance & uniquement par complaifance
pour fon père . Une telle allianceflattoit
trop la vanité de Richelieu pour
qu'il ne fit pas éclater fa joie ; elle fut
fans bornes ainfi que fa magnificence ; il
en coûta à ce Miniftre ambitieux un million
, qui en vaudroit deux aujourd'hui ,
pour folemnifer fa gloire & fa puiffance ..
Mais le Héros de ces fêtes étoit le feul
qui n'y prenoit aucune part : il n'y avoit
pas long - temps que fon mariage avoit été
célébré , lorfqu'il fut attaqué d'une maladie
férieufe qui le conduifit prefque au
tombeau. A peine en eut - il triomphé ,
que fon ardeur le fit voler à l'armée de la
Meilleraie , où il commanda les volontaires.
Cette feconde campagne ne fut pas
moins glorieufe pour le jeune Duc que la
première. La prife d'Aire , à laquelle il
contribua baucoup , lui valut de nouveaux
triomphes. Cette Ville malheureufement
92 MERCURE
DE FRANCE
.
retomba peu de temps après fous la puiffance
des Espagnols.
La campagne fuivante fçut bien dédommager
les François de cette perte : Louis
XIII , qui avoit porté lui - même le théâtre
de la guerre en Rouffillon , eut l'avantage
de faire la conquête entière de cette province.
Le Duc d'Enguien fit à fon ordinaire
des prodiges . Il fe diftingua fur- tout
aux fiéges de Colioure , de Perpignan &
de Salces. Le Roi , témoin de fes fuccès , ne
put s'empêcher de dire tout haut que le
Prince fon filleul livreroit & gagneroit
bientôt des batailles. Jamais oracle ne fut
juftifié avec plus d'éclat.
A la fin de cette campagne le jeune Duc
revint à Paris . La mort de Richelieu fuivit
de près fon retour ; Mazarin fuccèda à ce
Miniftre. Le Roi alors , accablé de chagrin
& confumé de langueur , paroiffoit devoir
bientôt terminer fa trifte & pénible
carrière un nouveau règne annonçoit un
nouveau plan , de nouvelles vues ,
de
nouveaux événemens. M. Deformeaux
entre ici dans le détail entier de ce qui
accompagna la mort de Louis XIII : nous
invitons le lecteur à lire ce morceau intéreffant
; l'Auteur paffe en revue toutes les
intrigues & les cabales des Princes & des
grands de ce temps ;, il n'étoit rien qu'ils
A OUST 1766.
93
-
ne miffent en ufage pour tâcher de gouverner
le Royaume fous la minorité de Louis
XIV. Le Duc d'Enguien , au contraire ,
n'afpiroit qu'à le défendre..
Ce Prince ayant fait demander au Roi
mourant le commandement de l'armée
deftinée à couvrir la Champagne & la
Picardie , il l'obtint , & fe prépara auffi→
tôt par des fuccès fans nombre à s'immortalifer
dans les plaines de Rocroi . On fera
fans doute charmé de voir le difcours
qu'il tint à fes foldats peu de temps avant
la fameufe bataille de ce nom . Les voici
ces vieux ennemis , ces fuperbes Efpagnols ,
contre lefquels nous difputons depuis fi
long-temps , de la gloire & de l'Empire ;
ils ne prétendent pas moins que de s'ouvrir
les chemins de la capitale : c'est à nous à
leur oppoſer toute notrefierté & notre valeur;
j'ai promis à la Cour de ne revenir que
victorieux. Il faut remplir aujourd'hui mon
engagement rappellez- vous la bataille
de Cérifolles , gagnée par un Prince de
monfang & de mon nom : imitez le courage
de vos ayeux ; je ne dégénérerai point de
celui de mon prédéceffeur ; que le même
ennemi qui fervit en Italie , de trophée à fa
gloire , honore aujourd'hui notre triomphe
dans les plaines de Rocroi . Il n'eft pas néceffaire
de dire quelle impreffion dut faire
94
MERCURE DE FRANCE.
splus
une pareille harangue prononcée par un
Prince du Sang. Enguien eut à peine fini
de parler , qu'une intrépide ardeur s'empara
dé toutes fes troupes. Elles ne defirèrent
plus que d'en venir aux mains : leurs
voeux furent bientôt fatis; faitsle jeune Duc
les conduifit enfin à une des actions les
mémorables dont-il foit mention dans
l'hiftoire . Une victoire complette fut la
récompenfe du zèle & de la valeur avec
lefquels elles combattirent. Mais ayant à
leur tête un chef qui pour fon coup d'effai
furpaffa les plus grands Capitaines de
fon fiècle , étoit-il étonnant qu'elles
fiffent des actions prodigieufes ? La defcription
de cette journée remarquable eſt
pleine de chaleur ; l'âme des combattans
y refpire toute entière .
Ce qui fuit cette defcription , préfente
une image bien touchante : l'Hiftorien
parle du moment qui fuccéda au carnage
& à la fureur , & dans lequel le jeune
Prince ſe montra auffi généreux qu'il avoit
paru formidable pendant le combat. « Les
Efpagnols , frappés de la grandeur d'âme
du Duc d'Enguien , fe refugient auprès
de lui , & jufques , pour aindire , dans
fon fein , comme dans un afyle facré
qui pût feul les dérober à la mort . Son
,, exemple toucha enfin les fiens : ils con-
و د
""
""
و د
و د
A OUST 1766. 95
و و
و د
""
fentirent à faire quartier. Bientôt les
vainqueurs & les vaincus fe raffemblent
,, autour de lui & le regardent avec
admiration & attendriffement. La vic-
,, toire, & fur- tout la clémence, fembloient
prêter un nouvel éclat à la haute conte-
„ nance de ce Prince , plus grand , plus
fortuné en ces momens fi chèrs à l'hu-
,, manité , que lorfqu'au péril de ſa vie ,
il enfonçoit les efcadrons & les batail-
,, lons ennemis ,..
35
M. Deformeaux , après avoir peint fon
Héros , moiffonnant les palmes de la gloire
dans les champs de Rocroi , le repréfente
faifant le fiége de Thionville , & s'y dif
tinguant de nouveau. La prife de cette
Ville coûta beaucoup de fang & d'argent à
la France . Cene fut qu'après l'avoit réduite
& s'être rendu maître du cours de la Mofelle
, que le Duc d'Enguien vint fe délaffer
dans les bras de fa famille des fatigues
de la campagne . Il ne fut pas moins fenfible
aux témoignages d'amour & de reconnoiffance
que chacun à fon arrivée s'empreffa
de lui donner. Mais dans des circonftances
fi capables d'enivrer l'âme la
plus modérée , il fçut conferver une modeftie
& une retenue égales à fes exploits . Il y
avoit à peine quinze jours qu'il goûtoit
les douceurs du repos , lorfque les befoins
96 MERCURE DE FRANCE .
de l'Etat l'appellèrent fur les bords du
Rhin. Sa préfence fauva la Lorraine &
l'Alface de l'invafion dont elle étoit menacée
par le Feldt Maréchal Comte de Merci,
Commandant de l'armée de Bavière . Après
avoir établi la paix dans ces Provinces , il
fe rendit à Paris , où il demeura jufqu'à
ce que la campagne de 1644 l'obligeât à
s'en éloigner.
Ce jeune Prince ne quitta la Capitale
que pour voler à des conquêtes non moins
brillantes que celles de l'année précédente.
La ville de Fribourg venoit d'être affiégée
par le Maréchal de Merci, auquel elle s'étoit
rendue. Il y avoit déjà quatre jours que
ce Général étoit en poffeffion de la place ,
lorfque le Duc d'Enguien arriva for les
bords du Rhin. Il ne put apprendre fans
une extrême affliction la nouvelle d'une
pareille perte , & conçut dans l'inftant
le deffein de la venger. Ayant concerté.
avec le Vicomte de Turenne les moyens
propres à favorifer fon deffein , il ne penfa
plus qu'à attaquer l'ennemi .
Ce fut alors que fe livra le triple &
célèbre combat de Fribourg : le premier ,
le 3 Août , l'autre le 5 , & le 3 le 9. La défaite
de Merci valut au Duc d'Enguien &
à Turene la réputation des plus grands
Capitaines de l'Europe. La fameufe retraite
de
A OUST 1766. 97
de Merci ne lui acquit pas moins de gloire
qu'à fes vainqueurs. Il effuya dans la déroute
un échec fi confidérable , que de
quinze mille hommes à la tête defquels il
avoit combattu, il n'en ramena pas plus
de fix mille. On ne peut rien voir de
plus fierement deffiné que le tableau de
ces fatales journées. La force & la rapidité
avec lefquelles les moindres circonftances
font rendues font aifément reconnoître
le pinceau du peintre de Rocroi .
Les fuccès qui venoient de couronner
les efforts du Duc d'Enguien ne l'engagèrent
point à reprendre Fribourg. Quelque
facile que lui parût une telle expédition
, il préféra d'aller affiéger Philifbourg.
La conquête qu'il fit de cette Ville
importante fut accompagnée de la prife de
quatorze autres Places fortes . Il termina
cette campagne par fubjuguer toute l'étendue
du pays qui eft entre la Mozelle & le
Rhin , le Palatinat entier à l'exception de
Frankendal , & tout le cours du Rhin
depuis Philisbourg jufqu'à Hermeftein ,
c'eft-à- dire , plus de quatre- vingt lieues de
pays.
Si la campagne de 1644 fut heureuſe
pour les François , les commencemens de
celle qui la fuivit ne laifsèrent pas de
leur être défavantageux. Le Vicomte de
E
98 MERCURE DE FRANCE.
Turenne , qui eut le malheur d'être furpris
& battu à Mariendal par le Comte de
Merci , jetta la France dans la plus vive
confternation . Le défaftre qu'elle éprouva
étoit fi grand , qu'il ne falloit rien moins
que le Duc d'Enguein pour le réparer .
On le vit triompher dans les plaines de
Nordlingen des armées de l'Empereur &
de l'Electeur de Bavière. Ce fut dans ces
plaines que périt l'intrépide Merci. Sa
mort excita des regrets univerfels . On
peut dire avec juftice qu'il s'en étoit rendu
digne .
99
30
"
« Le nouvel éclat du Duc d'Enguien lui
» valut un tribut d'éloges & de félicitations
de tous les Souverains alliés de la France ;
» les femmes , fur- tout , fe diftinguèrent.
La Ducheffe de Savoye , la Landgrave
so de Heffe , la Reine de Suede , lui écrivi-
» rent de leurs propres mains les lettres les
plus flatteufes. Chriftine , qui faifoit une
profeffion particulière d'honorer le Duc
d'Enguien , jufqu'à dire que lui feul rempliffoit
dans toute fon étendue l'idée
qu'elle s'étoit formée du héros & du grand
homme , lui mandoit qu'il avoit eu le
fecret de lui rendre par fa victoire le
» nom de Nordlingen auffi cher & auffi
agréable qu'il lui avoit paru jufqu'alors
odieux & exécrable : elle le remercioit
20
»
2
35
33
و د
A OUST 1766. 99
d'avoir vengé le fang de tant de braves
» Suédois qui avoient péri dans les mêmes
ود
lieux 35.
Des plaines fanglantes où d'Enguien
venoit de fe fignaler , il fe porta devant
Nordlingen : cette Place fe rendit fans
aucune réfiftance ; d'autres Villes imitèrent
fon exemple , & déja le jeune Prince avoit
invefti la fortereffe d'Hailbron , & elle
alloit augmenter le nombre de fes exploits ,
lorfqu'il tomba dangereufement malade .
Les progrès de fa maladie augmentèrent
bientôt au point qu'on défefpéra de fa
vie. « A cette funefte nouvelle la France
» entière donne des marques de la plus
» vive douleur ; les troupes , fur- tout
» étoient inconfolables d'un accident qui
» afloit leur ravir un Chef, fous les aufpices
duquel les armes françoifes étoient
» parvenues au comble de la gloire. On
» le comparoit à Alexandre arrêté au mi-
» lieu de la plus brillante carrière la
jaloufie de la fortune ; mais ce conquérant
François eut ce nouveau trait de
» reffemblance avec le conquérant de Macédoine
, que l'art des Médecins le ren-
» dit enfin aux voeux de la patrie
ود
"
"
"".
par
Dès qu'il fut rétabli & que fes forces
l'eurent mis en état de faire la campagne
de 1646 , il fe chargea de commander
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
l'armée de Flandre fous les ordres de
Gafton , Duc d'Orléans. Sa foumiffion à
accepter ce commandement fubalterne ,
après avoir eu dans toutes les campagnes
précédentes la qualité de Généraliffime ,
ne le rendit pas moins recommandable que
les conquêtes rapides de Courtrai , de
Bergues- Saint-Vinox , de Mardick , & furtout
de Dunkerque , qu'il réduifit en treize
jours. « Il faut remonter , pour ainsi dire ,
jufqu'aux Romains pour trouver tant de
" grandeur d'âme & d'élévation . C'eſt Sci-
" pion qui , après avoir vaincu Annibal ,
fubjugué l'Efpagne , dompté l'Afrique ,
confent de fervir en qualité de Lieute-
» nant fous les aufpices de fon frère » .
و ر
و د
Lorfque la campagne de 1646 fut terminée
, le Duc d'Enguien tourna fes pas .
vers la Capitale , où , peu de temps après.
fon arrivée , il eut la douleur de voir mou- .
rir le Prince de Condé fon père. Le jeune
Duc fuccéda dès - lors aux titres de premier
Prince du Sang , de Chef du Confeil de
la Régence , de Grand - Maître de France ,
& de Gouverneur de Bourgogne & de
Berry. On ne l'appella plus dès -lors à la
Cour & dans tout le Royaume que Monfieur
le Prince.
M. Deformaux , après avoir donné de
juftes éloges à la mémoire de l'illuftre père.
A OUST 1766. JOI
de fon héros , fait un portrait de Condé
aufli impartial qu'admirable . S'il y élève
avec force les rares qualités de ce grand
homme , il n'y déguiſe pas non plus fes
imperfections. « Il ne lui manquoit , dit
l'Hiftorien , que les vertus d'un homme
médiocre pour être le premier de tous
" les hommes ».
"3
"
"
"
"
""
Condé eut à peine pris féance au Confeil
, qu'il alla recueillir en Catalogne de
nouveaux lauriers. " La campagne de cette
,, Province lui procura des plaifirs qu'il
, n'appartient qu'à un grand Capitaine de
goûter. Il fe voyoit dans ces mêmes
lieux où Jules Céfar , par la fcience des
», campemens , la connoiffance des poftes ,
,, la fupériorité de l'art , avoit forcé une
,, armée égale à celle qui lui obéiffoit , &
compofée de vieilles & excellentes trou-
,, pes , commandées par des Généraux expérimentés
, à mettre les armes bas fans
combattre. Condé fut reconnoître plufieurs
fois , les commentaires de Céfar à
la main , les rivières & les montagnes
qui fervirent de théâtre à ce fameux
événement. Il fuivoit les opérations du
,, Général vainqueur , & les expliquoit en
détail avec tant de clarté & de précifion
, qu'on eût cru qu'il étoit l'auteur
lui -même de cette manoeuvre : tant il
ود
""
و د
""
و د
""
""
"
23
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
eft vrai qu'il n'y a guères que les grands
hommes à qui il foit permis de faifir le
génie les uns des autres ,,.
و و
ود
Nous terminerons ici l'extrait du premier
volume de l'Hiftoire de Condé. Nous
nous occuperons du fecond tome dans le
Mercure fuivant ; nous ofons d'avance
affurer nos lecteurs qu'il en fera plus fatiffait
encore que de celui dont nous venons
de l'entretenir .
SUITE de l'extrait de la traduction de la
Pharfale de LUCAIN , par M. Mar-
MONTEL ; deux vol . in - 8 ° avec des
figures : chez MERLIN, rue de laHarpe,
vis- à- vis la rue Poupée.
LE fecond volume de cette traduction
n'offre pas de moindres beautés , que ce-
Jui que nous avons déja parcouru . Nous
croyons que la meilleure façon de les faire
connoître , eft de fuivre notre même méthode
, & de continuer à citer les divers
endroits qui nous ont le plus frappés. Nous
commencerons aujourd'hui par la contagion
qui défole le camp de Pompée .
« Un foin plus preffant que celui de la
A OUST 1766. 162
guerre, occupe les Chefs, & leur ôte l'en-
» vie de mefurer leurs armes . Dans l'en-
ود
و د
» ceinte du camp
camp de Pompée , la terre épuifée
ne donne plus d'herbages ; les prai-
" ries foulées aux pieds des chevaux , &
endurcies fous leurs pas rapides , refu-
» foient de les nourrir. Ces courfiers bel
liqueux périffoient de langueur dans des
» campagnes dépouillées ; leurs jarrèts
» tremblans fléchiffoient ; ils s'abattoient
» au milieu de leur courfe , ou devant des
craiches pleines d'un chaume aride
» ils tomboient mourans de foibleffe , la
» bouche ouverte , & demandant en vain
un herbage qui leur rendît la vie . Lacorruption
fuivit la mortalité ; l'air in-
» mobile & croupiffant fe remplit de mor-
" telles exhalaifons , qui condenſées en
» nuages , couvrirent le le camp de Pompée.
» Telle eft la vapeur infernale qui s'éleve
des rochers fumans de Néfis , des caver-
» nes d'Inarimès , d'où Tiphée exhale fa
و د
"
"
rage. Les foldats tombent en langueur ;
» l'eau plus facile encore , & plus prompte
» que l'air à contracter un mêlange im-
» pur , porte dans les entrailles un poifon
» dévorant. La peau fe féche & fe noircit ;
» le feu jaillit à travers les prunelles ; un
» rouge ardent colore les joues ; le fang.
E iy
104 MERCURE DE FRANCE.
"
و ر
و د
و ر
و ر
qui brûle dans les veines brife fes ca.
» naux & s'exhale en tumeurs ; la tête
laffe & appefantie refufe de fe foutenir.
Le ravage que fait le mal , eft à chaque
» inftant plus rapide ; il n'y a plus aucun
» intervalle de la pleine vie à la mort.
Dès qu'on fe fent frappé , on expire. La
contagion fe nourrit & s'accroît par le
» nombre de fes victimes ; car les vivans
» font confondus avec les morts privés de
fépulture ; & l'unique devoir funèbre
» que l'on rend à ces malheureux , c'eſt
» de les traîner hors des tentes , & de les
laiffer épars dans les champs ».
و ر
و د
2%
و ر
Céfar avec les débris de fon armée ayant
piffé dans la Theffalie , Pompée y marcha
après lui. Les armées font en préfence ;
& tandis que des deux côtés on eft dans
l'attente d'une action décifive , Sextus , le
le plus jeune des fils de Pompée , en veut
prévoir l'événement. Il va au milieu de la
nuit confulter une Enchantereſſe. Dans le
charme de cette magicienne il y a une poéhe
prodigieufe ; & c'eft fur - tout dans ces
morceaux difficiles à rendre noblement &
décemment dans notre langue , qu'il a
fallu une adreffe admirable. Celui - ci a
trop d'étendue , pour pouvoir le citer en
entier ; cependant la réponſe du cadavre
A OUST 1766. ros
que la magicienne interroge renferme tant
de beautés , que nous ne croyons pas devoir
le paffer fous filence .
"
و د
l'on
" Alors le cadavre accablé de trifteffe ,
» & le vifage baigné de pleurs , lui répon-
» dit : quand tu m'as rappellé du féjour
» du filence , je n'ai pas eu le temps d'exa-
» miner le travail des Parques. Mais ce
» que j'ai pu fçavoir des ombres , c'eſt
» qu'une difcorde effroyable agite celle
» des Romains , & que la fureur qui les
» anime encore , trouble le repos des en-
» fers. Les uns ont quitté l'Élifée ; les au
tres ayant brifé leurs fers , fe font échappés
du tartare ; & c'est par eux que
», a fçu ce que les deftins préparoient. Les
ombres heureufes paroiffoient confternées
; j'ai vu les deux Décius , les vic-
» times de la Patrie ; j'ai vu Camille &
» Curius pleurer fur le malheur de Rome.
» Le favori de la fortune , Sylla , fe plaint
qu'elle trahit fon fils . Scipion donne des
larmes au fien qui va périr dans la Ly-
» bie. Le vieux Caton , l'ennemi de Carthage
, prévoit en gémiffant le fort de
» l'héritier de fes vertus . Il ne vivra point
» fous un maître . Toi feul , ô Brutus , ô
généreux Conful ! qui chaffas nos pre-
» miers tirans , toi feul , entre les juftes ,
و ر
33
"
ود
و ر
ود
â
E v
106 MERCURE DE FRANCE
n
ور
"
"
» tu montres de la joie. Mais le cruel Ma
rius , le fier Catilina , & fon complice
» Céthégus triomphent. J'ai vu auffi les
Drufus , ces hardis partifans du peuple ,
» & les Gracques , ces fiers Tribuns dont
» le zèle outré ne connut aucun frein , je
» les ai vus fe réjouir enſemble. Des mains
chargées d'éternelles chaînes font re-
» tentir d'applaudiffemens les noirs cachots
du Dieu des morts . Ce Monarque
du fombre empire fait élargir les
prifons du Tartare ; il fait préparer des
» rochers aigus , & des chaînes de dia-
» mans , & des tortures pour les vain-
» queurs. O jeune homme , emporte avec
toi la confolation de fçavoir que les mâ-
» nes heureuſes attendent Pompée & fes
» amis ; & que dans le climat le plus paiſible
» & le plus ferein des enfers , on garde une
» place à ton père. Qu'il n'envie point à
fon rival la foible gloire de lui furvivre .
» Bientôt viendra l'heure où les deux partis
» feront confondus chez les morts. Hâtezvous
de mourir ; & d'un humble bucher
defcendez parmi nous avec de grandes.
âmes , en foulant aux pieds la fortune
" & l'orgueil de tous ces demi - dieux de
» Rome . Ce qu'on agite à préfent fe borne
» à fçavoir entre les deux Chefs lequel pé-
"
ود
A O UST 1766 . 107
» rira fur le Nil , lequel périra fur le Tibre.
Pompée & Cefar ne fe difputent
que le lieu de leurs funérailles » !
»
Ciceron vient demander à Pompée au
nom du Sénat & de l'armée , de marcher
à l'ennemi. Pompée cede à fes inftances .
Les apprêts de la bataille dans fon camp
offrent une comparaifon fuperbe. « Le tu-
» multe & le bruit règnent dans tout le
» camp ; des mouvemens oppofés fufpen-
» dent & précipitent tour à tour les batte-
» mens de ces coeurs féroces ; plufieurs
» portent fur le vifage la pâleur de la mort
» & fur leur front fe peint leur deſtinée.
» On ne peut fe diffimuler que les armes
vont régler le deftin du monde , & dé-
» cider , pour l'avenir , fi Rome eft libre ,
» ou fi elle eft efclave. Chacun oublie fes
» propres dangers , frappé d'un objet plus
» terrible. Rome & Pompée les occupe
» tous ce n'eft pas pour foi , c'eſt pour
» eux qu'on tremble. Pour être plus für
» de fes coups , on aiguife la lance & l'é.
» pée ; on renouvelle la corde de l'arc ;
» on remplit le carquois de flèches acérées ;-
» ceux qui doivent combattre à cheval ,
effayent le mord & les rênes , & fe mu
» niffent d'aiguillons. Ainfi quand les
Géans attaquèrent les Dieux , s'il eft pers
mis de comparer y les travaux des hom
E vi
108 MERCURE DE FRANCE.

ور
ور
"
"30
» mes à ceux des immortels , le glaive de
» Mars fut remis brûlant fur les enclumes
de Lemnos ; le trident de Neptune rougit
dans la fournaife ; Apollon fit trem-
» per de nouveau les flèches dont il avoit
» bleſſé Pithon ; Pallas étala fur ſon égide
» les cheveux de la Gorgone ; & le Cyclope
forgea de nouvelles foudres à Jupiter
Pompée & Céfar s'avancent dans la plaine;
l'un & l'autre harangue fon armée . Ces
deux difcours font écrits avec une éloquence
pathétique , qui femble avoir acquis une
nouvelle force en paffant par les mains de
M. Marmontel. Nous regrettons encore que
leur étendue ne nous permette pas de les
citer. Nous nous contenterons de rapporter
les réflexions de Lucain fur la bataille
qui va fe donner. « Leurs mains meur-
ود
trières vont caufer au monde des pertes
» que jamais le temps ni la paix ne peut
réparer. Dans le carnage feront enveloppées
même les nations futures ; & les
âges qui auroient dû voir la race hu-
» maine fe reproduire , perdent aujourd'hui
cet efpoir. Dans l'avenir , la puif
39
و ر
» fance romaine fera mife au nombre des
» fables. De tant de villes floriffantes , à
peine l'Italie confervera- t- elle quelques
» ruines qu'on cherchera fous la pouffière ;
» & nos campagnes ne feront plus qu'un
"
A OUST 1766. 100
و د
ود
immenfe & trifte défert . Mais nous qui
» avons fous les yeux les reftes de gran-
>> deur que le temps n'a pas achevé de détruire
, nous voyons le crime de la guèrre
» civile. Nos villes folitaires , nos campa-
» gnes incultes , tout nous retrace fes fu-
» reurs. Et dans quel épuifement n'a- t- elle
» pas laiffé le genre humain ? Tout ce que
» la nature a fait depuis pour le renouvel-
» ler , n'a pas même fuffi pour repeupler
» nos villes ; Rome feule nous contient
tous ; l'Hefperie n'eft cultivée que par des
efclaves ; Rome elle-même feroit en-
» core une effrayante folitude , fi elle n'a-
" voit que fes citoyens . Elle eft remplie
» de la lie du monde ; & cette calamité l'a
» réduité au point de ne pouvoir un fiècle
ود
après avoir une guèrre civile . Cannes ,
» Allia , noms funeftes , les revers que
» vous rappellez font peu de chofe auprès
» de celui- ci . Rome vous a inferits dans.
» fes faftes ; mais Pharfale n'y fera point
" nommée : Rome veut pouvoir l'oublier.
" Il n'eft point de fléau dont le monde.
» n'eût pu réparer les ravages , avec le
fang que ce jour vit couler. La fortune ,
" ô Rome , femble avoir voulu étaler à tes
" yeux tous les dons qu'elle t'avoit faits ,
» & raffembler dans un même champ les
ور
Peuples & les Rois qu'elle t'avoit fou110
MERCURE DE FRANCE .
» mis , pour te faire voir en tombant toute
» la hauteur de ta chûte , & contempler
» dans tes ruines , l'étendue de ta gran
» deur. Elle femble même n'avoir élevé
وون
95
"
rapidement ta puiffance , que pour la
» renverfer avec plus d'éclat , tous les ans
» la guèrre avoit étendu tes conquêtes &
» ton empire ; les deux pôles du monde
» avoient vu la victoire fuivre tes aigles;
" peu s'en falloit que tous les climats que
» le foleil éclaire & que le ciel embraffe ,
» ne fuffent à toi . Mais un jour fait rétrograder
tes deftins ; & feul il renverfe
» & détruit tout l'ouvrage de tant d'an-
» nées. Ce jour affreux eft caufe que l'In
» dien ne redoute point nos faiſceaux ; que
» le Scythe & le Sarmate errant n'ont point
» vu la charrue de nos Confuls leur tracer
» l'enceinte des villes où ils devoient fe
» renfermer , & que le Parthe reſte impuni
de la défaite de Craffus. Le même
jour a vu la liberté épouvantée de la
guèrre civile , s'éloigner de nous , & ſe
» retirer au delà du Tanaïs & du Rhin.
» Le Scythe , le Germain en jouiffent ; &
» nous qui tant de fois avons voulu la ra-
» cheter au prix de notre fang , nous avons
» beau la rappeller , elle ne daigne pas
» même tourner les yeux vers l'Italie
ر د
و د
33
"
» & c. »
-
A OUST 1766.
> Ce
morceau dont je fupprime une
bonne partie , eft un exemple de cette déclamation
qu'on a reprochée à Lucain ; mais
il est très-beau en lui - même , & il faut
avouer que les défauts d'un homme de
génie font fouvent refpectables
pour les
hommes vulgaires. La defcription
de la
bataille de Pharfale eft trop longue pour
être citée. Mais c'eſt un des beaux endroits
du poëme. Ce que nous rapporterons
ici eft
La defcription
du fommeil des foldats de
Céfar , & de Céfar lui- même fous les tentes
de Pompée & du Sénat après la bataille.
« Des cohortes impies & fanguinai
"
ود
ود
res dorment fous les tentes des Séna-
» teurs ; de vils fcélérats occupent les pa-
» villons des Rois ; le foldat parricide repofe
fur le lit de fon père & de fes frères
égorgés ; mais leur repos eft un affreux
délire , leur fommeil un accès de fureur.
» Les malheureux roulent dans leurs efprits
toutes les horreurs de Pharfale ; le
» crime atroce veille au fond de leur âme ;.
» ils fe battent en fonge ; & leur main
» ferre à vuide la poignée du glaive qu'elle
» croit tenir. On diroit que ces campagnes
gémillent , que cette terre coupable
» enfante des ombres , que l'air eft fouillé
par les mânés , que l'effroyable nuit des.
" enfers s'eftrépandue dans le ciel. La vic-
»
112 MERCURE DE FRANCE.
"
و د
و د
que
le
» toire tourmente & punit les vainqueurs.
» Le fommeil ne leur fait entendre
» fifflement des ferpens des furies , ne leur
» fait voir que leurs flambeaux. L'ombre
du citoyen qu'ils viennent d'égorger ,
» leur apparoît ; chacun a fur lui fa vic-
» time qui le preffe . L'un reconnoît les
tras d'un vieillard , l'autre ceux d'un
jeune homme immolé de fa main . L'un
eft pourfuivi par le cadavre de fon frère ;
» l'autre a fon père dans le coeur ; & tous
» ces fpèctres réunis affiégent l'âme de Céfar.
Orefte , Penthée , Agavé n'étoient
» pas plus effrayés de l'afpect des Eumé-
» nides vengereffes . Tous les glaives qu'a
» vu tirer Pharfale , tous ceux que
"
n
le jour
de la vengeance
verra briller
dans le Sénat
, Céfar les voit cette nuit en fonge ,
toujours
dirigés
contre
fon fein . Il fe fent
» comme
déchiré
par les fouers
vengeurs
» des furies. Ah ! fi du vivant de Pompée
» tel eft pour lui le tourment
du remord
;
» s'il a déja tout l'enfer
dans le coeur ; quel
»fera bientôt
fon fupplice
» ?
Un beau morceau de poéfie & de philofophie
, eft une apoftrophe du poète à
Cefar qui laiffe les morts fans fépulture.
« Cruel ! nous ne demandons pas au-
» tant de buchers qu'il y a de morts ; mais
» un feul qui confume à la fois tous ces
A OUST 1766. 113
23
""
peuples. Fais feulement entaffer fur eux
» les forêts de l'Eta ou du Pinde ; & fi
» tu veux encore ajouter au malheur de
Pompée , qu'il en découvre la flamme
» du milieu des mers. Quelle vengeance
» veux- tu tirer des morts ? Il eſt égal pour
» eux que ce foit l'air ou le feu qui les con-
» fume. Tout ce qui périt eft reçu dans
» le fein paifible de la nature ; & les corps
» fubiffent d'eux-mêmes la loi de leur diffolution.
Si ce n'eft pas aujourd'hui qu'ilsbrûlent
, ce fera quand la terre & les
» eaux brûleront , dans cet embrâfement
» du monde , où la pouflière de nos of-
» femens & la cendre des globes céleftes
" fe mêleront dans un même bûcher. Les
» mânes de tes ennemis & les tiens n'au-
» ront qu'un même afyle ; tu ne t'éleveras
» pas plus haut vers le ciel ; tu n'auras
» pas une meilleure place que les vain-
» cus dans l'éternelle nuit ; la mort n'eft
point efclave de la fortune ; la terre engloutit
tout ce qu'elle engendre ; & ce-
» lui des morts qui n'a point d'urne , repofe
fous la voûte du ciel . Mais toi , d'où
« vient que tu t'éloignes ? que ne demeu-
» res - tu dans ces champs empeftés ? Bois ,
» fi tu l'ofes , de ces eaux fanglantes ; refpire
cet air , fi tu le peux ; ces cadavres
» te forcent à leur céder Pharfale. Le champ
"
"2
ور
و د
"
114 MERCURE DE FRANCE.
» de bataille leur refte ; ils en ont chaffe
le vainqueur ».
"
"
33
Pompée va trouver Cornebie à Lesbos.
C'eft de cet endroit du poëme de Lucain,
que Corneille a tiré fa tragédie de la mort
de Pompée . La belle harangue des Lesbiens
à Pompée prouve que Lucain étoit capable
d'une éloquence duce & fimple.
" Alors le peuple de Mitilène accourant
» en foule au rivage , environne Pompée
» & lui dit : fi notre ifle fait à jamais fa
gloire d'avoir eu en dépôt la digne moi-
» tié d'un fi grand homme , daignez auffi
» Pompée , nous vous en conjurons , dai-
» gnez vous - même , ne fût - ce qu'une
nuit , prendre pour afyle nos murs , &
» vous repofer au fein de nos dieux domeftiques
, fur la foi fainte & inviola-
» ble d'un peuple qui vous eft dévoué.
» Faites de Lesbos un lieu mémorable &
» facré , qu'on vienne voir dans tous les
» fiécles , & qui excite la vénération de
tous les voyageurs romains . Vous n'avez
' pas de refuge plus affuré dans votre fuite .
» Toute autre ville peut efpérer de trouver
grace auprès du vainqueur ; celle-
" ci ne peut plus s'attendre qu'à fa haine.
D'ailleurs Céfar n'a point de flotte , &
nous fommes entourrés de mers . Le plus
grand nombre de vos amis fachant où
"
"
A OUST 1766.
vous êtes , viendront vous retrouver ; il
» faut un lieu connu pour rallier vos for-
» ces . Nos richeffes , les tréfors même de
» nos temples vous font offerts ; & que
» ce foit fur mer ou fur terre que vous
» vouliez employer notre brave jeuneffe ,
elle eft prête à vous fuivre. Difpofez de
» Lesbos & de tout ce qui eft en fon
pouvoir. Acceptez ce foible fecours , de
» peur que Cefar n'en profite. Enfin épar-
» gnez à un peuple qui croit avoir bien
» mérité de vous , l'humiliation de laiſſer
» croire que vous n'avez compté fur lui , que
lorfque vous étiez heureux , & que vous
» avez douté de fa foi dès que le fort vous
» a été cóntraire ».
"
و د
ور
Pompée ne fut point infenfible à la joie
de trouver dans les Lesbiens un zèle fi pur
& fi noble. Il s'applaudit , pour l'humanité
, de voir que l'honneur & la foi n'étoient
pas encore exilés du monde . « Je
» crois , leur dit - il , avoir affez prouvé
qu'il n'eft aucun lieu de la terre qui me
» foit plus cher que Lesbos. C'est à Lef-
» bos que j'ai confié toutes les affections
» de mon ame ; c'eft ici que j'ai retrouvé
» ma maiſon , mes dieux , une feconde
» Rome ; auffi n'ai - je pas cherché à gagner
» un autre rivage ; & quoique vous euffiez
à craindre le reffentiment de Céfar ,
33
و د
116 MERCURE DE FRANCE.
"
و د
33
» je n'ai pas héfité à vous livrer en moile
" moyen
le plus für d'appaifer
fa colère. » Mais c'eft affez , généreux
Lesbiens
, de » vous avoir rendu coupables
une fois ; je » dois aller chercher
ailleurs
de quoi réparer
» ma ruine. Adieu , Lesbos
, peuple
à jamais » heureux
d'avoir
acquis par ta vertu une » renommée
éternelle
; foit que ton exemple
engage
les nations
& les Rois à me
» fecourir
, foit que tu ayes la gloire d'être » le feul qui dans mon malheur
me foit "Tefté fidèle : car j'ai réfolu d'éprouver
en
quel lieu de la terre la juftice règne , & » en quel lieu le crime fait la loi . Dieu , qui veille fur mes deftins , s'il en eſt en- » core un feul qui me protége
, reçois le
» dernier
de mes voeux ! Fais - moi trouver
" par - tout des peuples
comme
le peuple
» de Lesbos , qui , tout malheureux
que » je fuis , aiment
mieux s'expofer
à la co- » lère de Céfar , que d'infulter
à ma dif- grace , ou d'attenter
à ma liberté ».
"
"
»
Pompée affemble le Sénat fur la côte
de Cilicie , à l'embouchure du Celinus ,
& tient confeil pour décider s'il doit fe
refugier chez le Parthe , en Egypte , ou
chez le Numide. Cette délibération nous
offre une fcène digne de Corneille , & dans
fon genre. La harangue de Lentulus dans
cette ſcène , eft un des plus beaux morA
OUST 1766. 117.
ceaux de l'antiquité . Que de richeffes nous
fommes forcés de fouftraire aux yeux de
nos lecteurs ! On détermine Pompée à paffer
en Egypte. Dès qu'il fe préfente devant
Pélufe , les Miniftres de Ptolomée s'affemblent
pour délibérer fur le parti que ce
Roi doit prendre. Photin , pour acheter la
faveur de Céfar , opine à la mort de Pompée.
Le Confeil du jeune Ptolomée avec
fes Miniftres a été imité par Corneille ; &
Corneille eft fort au- deffus de Lucain. Dans
l'impoflibilité où nous fommes de citer
tous les beaux endroits de cette traduction ,
nous ne pouvons du moins nous difpenfer
de rapporter la mort de Pompée. Ce Romain
touchoit à fa dernière heure . En
paffant dans la barque , il étoit tombé
au pouvoir de fes ennemis. Les affaffins
» tirent l'épée ; & le héros voyant le fer
» levé fur lui , s'enveloppe le vifage de fa
robe ; il est trop indigné contre le fort ,
و د
"3
Сс
» pour lui préfenter
fa tête à découvert
. Il
» ferme les yeux , & contient
fon âme ,
» de peur qu'il ne lui échappe
en mourant
quelques
plaintes
ou quelques
larmes qui
» terniffent
l'éclat immortel
de fon nom .
» Mais fi - tôt que le perfide
Achillas
lui
» a enfoncé
l'épée dans le fein , il fe laiffe
» tomber
fous le coup , fans pouffer
un
gémiffement
, fans daigner
fe plaindre
"
118 MERCURE DE FRANCE.
23
و د
» du crime . Immobile & muet , il s'éprouve
, il s'affermit contre la mort , & s'occupe
» de ces penfées : tout l'univers a les yeux
» fur toi ; l'avenir même eft attentif à ce
qui fe paffe dans cette barque ; prens foin
» de ta gloire , Pompée. Ta longue vie s'eſt
» écoulée dans les profpérités ; le monde
ignore , à moins que ta mort ne le prou-
" ve , fi tu fçais foutenir les revers. Ne
» conçois ni honte ni regrets , de périr
" fous les coups d'un lâche ; de quelque
» main que tu fois frappé , crois que
» la main de Céfar. Que ces traîtres dé-
» chirent mon corps ; qu'ils difperfent mes
» membres ; je fuis heureux . Oui , grands
» Dieux ! je le fuis ; ma vertu me refte ;
» & il n'eft au pouvoir d'aucun de vous
» de m'enlever ce bien. Le malheur n'eft
» attaché qu'à la vie ; le trépas va m'en
» délivrer. Cornélie & mon fils Sextus font
» temoins de ce meurtre... O ma douleur ,
و د
"
و د
c'eft
garde toi d'éclater ! laiffe-les jouir de
» toute ma conftance . S'ils admirent ma
» mort ; ce qu'elle aura d'illuftre leur fera
fupporter ce qu'elle a d'affreux ».
La fin à l'ordinaire prochain.
A OUST 1766. 119
SUITE de l'extrait du VOYAGEUR FRANçois
, par M. l'Abbé DE LA PORTE ;
à Paris , chez VINCENT , rue Saint
Severin les tomes 111 & IV,
Nous en fommes reftés où les femmes ,
extrêmement adonnées au plaifir de l'amour
, aiment particulièrement les Européens
. Comme elles font fort obfervées
il n'y a point de rufes dont elles ne s'avifent
pour leur faire connoître la paffion
qu'elles ont pour eux . Un des excès qu'on
leur reproche principalement , c'eft de faire
avaler à leurs maris un breuvage qui les
plonge dans une efpèce de démence . Ils
chantent , ils rient , ils s'abandonnent à
mille extravagances , fans favoir ce qu'ils
font , ni ce qui fe paffe fous leurs yeux ,
quoiqu'ils les aient toujours ouverts . Ils
s'affoupiffent enfuite pour quelques heures
; & cet état achève de favorifer les deffeins
de la femme , qui jouit ainfi librement
de fes amours. Lorfque le mari fe
réveille il croit avoir toujours dormi , &
n'a aucune idée de ce qui vient de fe
paffer en fa préfence,
120 MERCURE DE FRANCE.
Dans les lieux les plus profanes , dans
les exercices même les plus oppofés aux
bonnes moeurs , tous les Chrétiens de la
domination Portugaife à Goa , fans en excepter
les courtifanes , ont fans ceffe entre
les mains un grand chapelet de bois qu'ils
portent à leur cou . A la Meffe , dans le
temps que le Prêtre montre la fainte hoftie ,
ils lèvent tous les bras & crient de toutes
leurs forces mifericordia !
Tous les Vendredis de Carême , après
un Sermon qui fe fait le foir , on expoſe , à
la faveur de quantité de lumières , plufieurs
figures de la paffion conformes au fujet du
Sermon, qu'on vient d'entendre. Si c'eſt ,
par exemple , le moment de la flagellation ,
on préfente au peuple un ecce homo , qu'on
fait mouvoir & tourner de côté & d'autre.
L'étoffe dont il eft couvert tombe à fes
pieds , & la figure , toute chargée de plaies ,
tire des larmes & des foupirs de tous les
fpectateurs. Les femmes fe diftinguent
principalement dans ces occafions ; elles
commencent par crier de toutes leurs forces,
font enfuite crier leurs fervantes;;; & fi elles
ne pleurent pas au gré des maîtrelles , celles
-ci , en les frappant , les font crier malgré
ellés.
Depuis que la fplendeur de Goa a difparu
avec la fortune des Portugais , des
1
familles ,
AOUST 1766 .
familles , autrefois très opulentes, font tombées
dans une mifère extrême , fans rien
perdre de leur fierté . On voit des femmes
& des filles de condition venir le foir demander
l'aumône en cachette . Elles demeurent
à la porte , tandis qu'un domeftique
, qui les accompagne , vient faire un
compliment de leur part au maître du
logis. On leur envoie ce qu'on veut leurs
donner ; ou bien , fi on a la curiofité de
voir fi elles font jolies , on va foi - même ,
porter fon aumône. Alors elles montrent
un billet de quelques Religieux qui atteftent
leurs richeffes paffées & leur mifère ,
préfente . Quand elles font d'une figure qui
plait , on les invite d'entrer pour faire la
collation , & cette collation dure ordinai
rement jufqu'au lendemain ...
La diminution de la puiffance Portugaife
dans les Indes a été attribuée par les
dévots au peu de zèle des Portugais pour
la religion , & par d'autres à leur extrême
avidité. Voici de quelle figure on s'eft
fervi pour exprimer cette double caufe de
leur décadence . On a dit qu'étant entrés
dans les Indes le crucifix d'une main &
l'épée de l'autre , lorfqu'ils eurent trouvé
beaucoup d'or , ils mirent le crucifix par
terre pour remplir leur bourfe tenant
toujours l'épée levée pour la défendre ;
F
122 MERCURE DE FRANCE .
mais ne pouvant plus la contenir d'une
main , à caufe de fon trop grand poids ,
ils firent de l'épée comme de la croix ,
pour emporter plus aifément ce précieux
métal. Il ne fut plus difficile alors aux
autres nations de les vaincre & de les
dépouiller .
:
Dans quelques royaumes voifins de
Goa , les enfans apprennent ainfi à lire &
à écrire ils s'affemblent dans le veſtibule
du temple & apprennent du maître la
même leçon . De peur de l'oublier , un
d'eux en pfalmodie une ligne fur un certain
ton mufical , & l'écrit en même temps
fur le plancher , où ils font tous affis en
rond , & qu'ils ont couvert pour cela d'un
fable très - délié. Après que l'un de ces
enfans a écrit cette première ligne en la
chantant , les autres la redifent & l'écrivent
tous enſemble. Il récommence enfuite
une autre ligne que fes camarades répétent
de même , & toujours ainfi alternativement
jufqu'à la fin de la leçon. Quand il
n'y a plus de place fur le plancher pour
écrire , ils paffent la main deffus & y
répandent d'autre fable , s'il eft néceffaire ,
pour y tracer de nouvelles lettres , & continuent
de la forte pendant tout le temps
qui leur eft donné pour étudier. De cette
manière les enfans apprennent à lire &
A OUST 1766. 123
ecrire fans livre , fans papier , fans plume
& fans encre .
L'ufage de frotter les planchers & d'enduire
les murs de fiente de vache eft fort
commun dans le royaume de Vilapour.
Les habitans n'ont en vue que la durée ,
F'ornement & la propreté de leurs habitations.
Comme ils ne fe fervent pas comme
nous de carreaux folides , ils travaillent leurs
planchers fi légèrement , que pour les faire
durer davantage & les rendre plus unis &
plus polis , ils les enduifent de cette fiente
détrempée avec de l'eau , fi elle n'eft pas
liquide , & fans eau fi elle eft fraîche. En
l'appliquant avec la main ou avec une
truelle , ils rendent leurs appartemens foli--
des , luifans & d'une couleur verte , parce
que les vaches de ce pays- là ne fe nourriffent
que d'herbes . Cer enduit a cela de
commode , qu'il fe féche promptement ,
& qu'on peut marcher deffus incontinent
après qu'il y eft appliqué . Il eft vrai qu'il
faut le renouveller au moins toutes les
femaines ; mais c'eft une chofe facile &
de peu de dépenfe. Des planchers polis
de la forte ont d'ailleurs de merveilleufes
qualités contre la peſte.
44 Le
pays dont nous parlons eft principa
lement remarquable par le nombre de fes
pagodes , où l'on ne voit que
des figures
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
ou monftrueufes ou lafcives. On voit entre
autres celle d'une femme qui relève fes
habits pardevant , & montre aux paffans ,
avec une forte d'affectation , ce que la
pudeur commande à tout le monde de
couvrir. On en voit une autre d'un homme
& d'une femme qui s'embraffent dans l'attitude
la plus indécente . L'Auteur fait auffi
mention d'une fête compofée d'une troupe
de jeunes filles fort bien vêtues à leur
mode , c'eft-à- dire , d'une pièce de toile
à fleurs , qui defcend de la ceinture jufqu'aux
pieds , & d'une autre induſtrieufement
arrangée fur les épaules. Leur tête
eft ornée de fleurs jaunes & blanches , qui
paroiffent comme autant de pierreries fur
leurs cheveux , & donnent beaucoup de
grâce à ces jeunes nymphes. Elles tiennent au
moins chacune deux petits bâtons qu'elles
frappent l'un contre l'autre de concert &
avec mefure , au fon des tambours & de
plufieurs inftrumens qui les accompagnent.
Une de la troupe chante feule un couplet
de chanfon , dont le refrain eft répété par
toutes les autres enfemble & du même
ton fept ou huit fois. Elles avancent dans
cet ordre jufqu'au temple , fuivies de leurs.
mères & de leurs vieilles parentes qui ne
les perdent pas de vue . Après avoir encore
danfé devant le temple en l'honneur d'une
A OUST 1766. 125
Déeffe que le fexe regarde comme fa patrone
, elles fe rendent dans une eſpèce de
jardin public. Là elles fe féparent en différentes
bandes & fe remettent à danſer.
Ces danfes ne confiftent qu'à tourner doucement
, jouant toujours de leurs petits
bâtons en guife de caftagnettes , & à fe
baiffer en élargiffant les jambes , comme
fi elles vouloient s'affeoir , chantant fans
ceffe le même refrain. Chaque compagnie
choifit enfuite les endroits du jardin les
plus agréables pour y fouper.
Comme il n'y a point de barbiers publics
dans les ifles Maldives , les uns ſe râfent
eux-mêmes , d'autres fe rendent ce ſervice
mutuellement. Le Roi & les principaux
Seigneurs fe font faire le poil par des gens
de qualité qui s'exercent à être barbiers ,
dit un homme d'efprit , comme en France
à être cochers .
L'ufage eft aux Maldives de ne manger
jamais qu'avec fes égaux ; & , comme
il eft difficile d'établir cette égalité dans
chaque ordre , il arrive que les Maldivois
fe régalent rarement entre eux. Mais il
eft une autre manière de traiter fes amis ,
qui n'eft peut- être pas moins galante . On
arrange proprement fur une table couverte
d'une nappe très- fine , un fervice compofé
Fiij
26 MERCURE DE FRANCE.
de plufieurs mets , & on l'envoye à la
perfonne qu'on fe propofe de régaler.
1
Aucune loi ne condamne aux Maldives
la fimple fornication ; & les femmes s'y
livrent avec autant de liberté que les hommes.
Le jour elles reftent chez elles ; ce
n'eft que de nuit que fe font leurs vifites
de galanterie. Quand elles fortent le foir ,
elles doivent toujours avoir un homme à
leur fuite. Celui- ci les accompagne dans
les maifons où elles favent qu'on les attend
, & dont les portes ne fe ferment
jamais. Elles touffent à leur arrivée ; & le
figne qui eft entendu fait connoître à
l'amant qu'il touche au moment de fon
bonheur.
Les Rois d'Achem , dans l'ifle de
Sumatra , font les plus voluptueux des
Princes Afiatiques. Ils ont plus de huit
cents femmes dans leurs palais . Les unes
demeurent fans ceffe auprès de leurs
perfonnes , foit pour agiter & rafraîchir
l'air avec de grands éventails , foit pour
les amufer par leurs difcours , les réjouir
par leurs chants , ou pour fatisfaire
leurs defirs. Les autres montent la garde
alternativement jour & nuit dans l'intérieur
du palais. D'autres font dans les
cuifines ou dans les offices , où elles font
AOUST 1766. 127
tout ce qui regarde immédiatement la perfonne
du Roi. L'occupation des plus jeunes
eft d'apprendre le chant , la danfe , &
d'autres exercices qui peuvent les rendre
agréables au Souverain. La modeftie & la
foumiffion font des vertus fi néceffaires
pour celles même qui ont fçu lui plaire ,
qu'un faute légère eft quelquefois punie
de mort. Une efclave qui a été exposée en
vente dans les bafards du Royaume ne
peut être admife au lit du Monarque ; &
le marchand qui oferoit la préfenter fe
rendroit coupable d'un crime capital.
Voici à ce fujet un trait de jalousie &
de cruauté qui ne doit pas être oublié.
On vantoit à un Roi d'Achem les charmes
d'une jeune efclave qui fervoit depuis
quelques années aux plaifirs d'un de fes
courtifans. Le Prince demanda à la voir;
& comme il la trouva en effet très - jolie ,
il conçut pour elle une vive paffion , &
exigea que fon maître lui en fit préfent.
Celui-ci s'enpriva, par complaifance; mais,
loin de lui favoir gré de ce facrifice , il
le fit empaler quelques jours après , parce
qu'il avoit eu les prémices de cette femme.
Enfuite le dégoût ayant fuccédé à fa paſfion
, il fit punir l'efclave elle-même , pour
la punir de l'afcendant qu'elle avoit pris
fur lui,
Fiv
728 MERCURE DE FRANCE.
Le Roi d'Achem eft exceflif dans fes
récompenfes comme dans fes châtimens.
Quand un courtifan a mérité fa faveur
il lui fait préfent d'un poignard orné de
pierreries ; & dès ce moment le favori a
le droit de prendre toutes fortes de vivres
& de provifions où il les trouve fans
rien payer , & de traiter tout le monde en
efclave .

Une circonftance bien remarquable dans
les châtimens dont on punit les criminels
à Sumatra , c'eft l'efpèce de traité qui fe
fait entre le coupable & l'exécuteur de la
juftice. Celui - ci demande aux malfaiteurs
combien ils veulent lui donner pour être
mutilés proprement ; pour avoir le nez ou
les oreilles coupés d'un feul coup ; & fi la
fentence ordonne la peine de mort pour
recevoir le coup fans languir. Après avoir
un peu marchandé fur le prix , l'affaire fe
conclut à la vue des fpectateurs ; & la
fomme eft payée fur le champ. Celui qui
refuferoit de prendre ce parti , s'expoferoit
à fe voir emporter la joue avec l'oreille,
ou couper le nez fi haut que le cerveau
feroit à découvert.
La lettre fur l'ifle de Java contient des
détails extrêmement curieux fur la Ville
de Batavia & le Gouvernement des Hollandois
dans les Indes Orientales. On
A OUST 1766. 129
trouve dans la même Ifle de Royaume
de Bantan qui a cela de fingulier , que
les femmes qui vivent chez elles dans un
continuel défoeuvrement , font néanmoins
obligées , dans les incendies , d'ap
porter les fecours néceffaires pour éteindre
le feu. Ces accidens arrivent très - fouvent ;
& ce font les femmes qui fourniffent l'eau ,
qui la verfent fur les flammes , pendant
que les maris font fous les armes pour
empêcher le pillage.
Un des beaux fpectacles de l'ile de
Borneo , font les marchés qui fe tiennent
deux fois par jour dans de grandes places ,
le matin avant le lever , & le foir après le
coucher du foleil . On n'y rencontre
jamais que des femmes ; les hommes fe
croient deftinés à des occupations plus
importantes. Toutes les jeunes filles des
villages voifins y arrivent chargées de
denrées que les femmes de la ville achetent
à meilleur marché que fi c'étoit les
maris qui fiffent les emplettes : la complaifance
d'une part , la galanterie de l'au
tre renchériroit la marchandiſe.
Dans toutes les Villes & dans les gros
Villages des ifles Moluques il y a des hommes
dont l'emploi eft de battre la caiffe
dans les rues à la pointe du jour pour éveil
130 MERCURE DE FRANCE .
ler les petfonnes mariées & les exciter d
remplir le devoir conjugal.
Quand un étranger arrive à Mindanao ,
une des ifles Philippines , les infulaires ſe
rendent à bord & lui demandent s'il n'a
pas befoin d'un camerada ou d'une pagali.
Ils entendent par l'un un ami familier ,
& par l'autre une intime amie. Soit qu'on
refufe ou qu'on accepte cette politeffe ,
on eft obligé de la payer par un préfent.
Si on fe rend à leur invitation , ce qui
n'arrive que trop fouvent , la nouvelle
Connoiffance fe cultive par la même voie.
Chaque fois que l'étranger defcend à terre,
il est bien reçu chez fon camarade & chez
fa maîtreffe. Il y mange , il y couche pour
fon argent ; & l'unique faveur qu'on lui
accorde gratis eft le bétel qui ne lui eft
pas épargné. On efpère que la vertu de
cette plante voluptueufe , en ranimant les
feux de l'amour , rappellera plus fouvent
F'étranger , & que fes vifites multipliées
angmenteront le revenu. Les femmes du
plus haut rang ont la liberté de faire le
rôle de pagali ; & très - peu s'en difpenfent..
La vice-royauté des Indes à Goa ne proeure
ni autant d'honneur ni autant de
facilité de s'enrichir qu'en a le Gouver
neur de Manille. Pendant tout le temps
1
>
A O UST 1766. Fr
de fon adminiftration , perfonne n'eft en
droit de rechercher fa conduite ; mais
fitôt qu'il eft hors d'exercice , chaque particulier
peut porter des plaintes à fon fucceffeur
durant l'efpace de foixante jours.
S'il s'eft rendu coupable de vexation ou
d'autres fautes dont il ne prévoit pas pouvoir
fe juftifier , il tâche de féduire le
nouveau Gouverneur à force d'argent , &
il eft rare que ce dernier y réfifte . On affure
que ces fortes d'accufations valent au
moins cent mille écus à celui qui fuccéde ,
& que le prédéceffeur eft obligé de les
tenir prêts pour fe mettre à l'abri d'un
traitement plus rigoureux.
Rien n'eft plus trifte que les enterremens
des habitans des ifles Marianes. Ils
font accompagnés de chants plaintifs , de
fanglots , de larmes , de cris perçans , &
de tous les fignes de la plus grande défolation
. Si le mort eft un chef de peuplade ,
ou fi c'eſt une femme de diftinction , l'expreffion
de la douleur n'a plus de bornes.
On arrache les arbres , on brûle les édifices
, on brife les bateaux , on déchire les
voiles , & les lambeaux s'attachent au devant
des maifons. L'affliction des mères
fe manifefte par des marques encore:
plus touchantes. Elles coupent les cheveux
del 'enfant qu'elles pleurent & les confer-
F vj
132 MERCURE
DE FRANCE.
86
vent précieufement. Elles portent au cou
une corde , à laquelle elles font un noeud
toutes les nuits pour s'occuper fans cele
de l'objet de leur douleur. On ne fera
peut- être pas fâché de lire ici quelquesunes
des expreffions vives , éloquentes &
figurées que leur fuggère la perte qu'elles
ont faite. Il n'y a plus de vie pour moi ;
» ce qui m'en refte ne fera qu'ennui &
qu'amertume. Le foleil qui m'animoit
» s'eft éclipfé , la lune qui m'éclairoit s'eft
» obfcurcie ;
l'étoile qui me conduifoit
» a difparu je vais être enfevelie dans
» une nuit profonde & abymée dans une
mer de pleurs & d'amertume. Hélas !
j'ai tout perdu ; je ne verrai plus ce qui
faifoit le bonheur de mes jours & la
joie de mon coeur ! Quoi ! la valeur de
» nos guerriers , l'honneur de notre race ,
» la gloire de notre pays , le héros de
» notre nation n'eft plus. Il nous a quittés ;
» qu'allons - nous devenir ? & comment
» pourrons- nous vivre fans lui ,, ?
ور
و د
""
Les femmes jouiffent aux ifles Marianes
des droits qui ne font ailleurs réſervés
qu'aux maris. Ceux- ci n'ont aucune autorité
fur elles , & ne peuvent les maltraiter
en aucun cas , même pour caufe d'infidélité.
Mais s'ils manquent eux-mêmès à la
foi conjugale , l'époufe en tire une venA
OUST 1766. 131
geance fignalée , elles en informent toutes
les autres femmes du canton qui fe rendent
à l'habitation du coupable , la lance à
la main & le bonnet de leurs maris fur la
tête ; elles ravagent fes maifons , coupent
fes arbres , & font mille dégâts dans fes
poffeffions ; de pareils ufages donnent à
l'époufe un empire abfolu dans la maiſon ;
& le mari n'y peut difpofer de rien fans
le confentement de fa femme. S'il n'a
pas pour elle toute la déférence qu'elle
croit pouvoir en exiger , elle le maltraite ,
le quitte , & rentre dans tous les droits de
la liberté. Cette fupériorité des femmes -
éloigne quantité de gens du mariage : la
plupart prennent le parti d'entretenir des
filles qu'ils achetent de leurs parens.
Au fortir des ifles Mariannes , l'Auteur
fait voile vers le Royaume de Siam. Les
Siamois placent au rang des Dieux leur
premier Légiflateur. Cet homme, à les en
croire , a fait des chofes extraordinaires.
Premièrement il a abdiqué la couronne
pour fe faire hermite ; cela encore a- t- il
eu des imitateurs. Mais , ce qui eft fans
exemple, c'eft fon exceffive charité. N'ayant
rien à donner à un pauvre qui lui demandoit
l'aumône , il s'arracha un oeil & le
lui mit dans la main. Il fit préfent à un
* 14 MERCURE DE FRANCE.
autre de fa femme , pour ne pas le renvoyer
les mains vuides ..
On trouve dans l'hiftoire de Siam un
Roi qui fut condamné à perdre la vie par
fes propres fujets , cette révolution concourt
précisément avec le temps où les
Anglois conduifoient Charles I fur un
échaffaut ; avec cette différence que les
Siamois n'étoient encore que des barbares.
L'Auteur n'a rien négligé pour nous
inftruire des particularités intéreſſantes
concernant les liaiſons de Louis XIV avec
un Roi de Siam , & les troubles que les
Siamois appellent encore aujourd'hui la
tracalferie des François . Après cette digref
fion , qui n'eft point déplacée , il raffemble
dans plufieurs lettres très - curieufes tout
ce qui peut donner une entière connoiffance
de ce peuple.
La principale rivière du Royaume de
Siam a fes débordemens réglés comme le
Nil. Lorfqu'ils tirent à leur fin , le Roi
fe rend fur le fleuve dans une gondole ,
non pour époufer , comme à Venife , un
élément infidèle , & ufurper fur lui une
domination faftueufe & puérile , mais pour
le prier modeftement d'abandonner la
plaine & de rentrer dans fon lit. Pendant
la cérémonie le peuple , à qui les Prêtres
A OUST 1766. 135
font croire qu'il n'y a que le Roi qui puiffe
arrêter le cours des eaux , demeure prof
terné fur le rivage , ne pouvant affez admirer
la puiffance du Monarque.
Le Roi de Siam n'a qu'une femme a
qui l'on donne le titre de Reine. Elle gouverne
fa maifon en fouveraine ou plutôt
en defpote , elle tient confeil fur toutes fes
affaires avec les femmes & rend juftice à
fes fujers. Elle a même fes châtimens ; &
quand on lui fait des plaintes de quelque
femme accufée de médifance , de faux
rapports ou d'indifcrétion , elle la punit
en lui faifant coudre la bouche..
Le nombre des maîtreffes du Roi de:
Siam n'eft point limité. La grandeur du
Monarque confifte , au contraire , dans la
multitude des Sultanes. Les Siamois étoient
étonnés qu'un auffi grand Prince que
Louis XIV n'eût qu'une femme & point :
d'éléphans.
Une des pratiques des Médecins Siamois
confifte à fouler aux pieds le corps :
du malade , en montant fur lui amolpour
lir les parties ; & , ce qu'il y a de fingulier
, c'eft que dans la groffeffe même on
a recours à cette opération pour obtenir
un accouchement plus facile."
Les Talapoins ou Moines Siamois fe
divifent en quatre ordres qui forment une
3
136 MERCURE DE FRANCE.
efpèce de hiérarchie eccléfiaftique. Le pre
mier eft celui de Sancrats , qui font comme
nos Abbés réguliers . On nomme Tchaovats
les Prieurs , Picous les fimples Religieux
, & Nem les novices. Un Siamois
qui veut embraffer cette profeffion , s'adreffe
au Supérieur de quelque couvent , qui
affigne le jour de la cérémonie. Les parens
& les amis accompagnent le poftulant au
fon des inftrumens ; il entre dans le monaftère
; on lui râfe la tête , les fourcils &
la barbe : le Supérieur lui préfente l'habit
; il doit s'en revêtir lui-même & laiffer
tomber le fien par- deffous. Pendant qu'il
eft occupé de ce foin , le Supérieur récite
: quelques prières ; & , après d'autres form1
lités , le novice fe rend au couvent qui lui
eft deftiné fa demeure. Ses parens
donnent un repas à tous les Religieux ; &
depuis ce jour- là il doit être privé de tour
fpectacle profane. Ces Moines font obligés
, fous peine du feu , de garder le célibat
; on ne leur fait jamais grace fur cet
article , parce qu'ayant de grands priviléges
, leur profeffion deviendroit nuifible
à l'Etat , fi les Siamois , naturellement pareffeux
& indolens , n'avoient un frein
qui les empêchât de fe faire religieux. Un
des derniers Rois voulant en diminuer le
nombre , les foumit à des examens rigoupour
1
A OUST 1766. 137
reux. Ceux qui ne donnoient point de
preuves fuffifantes de capacité , étoient
réduits à la condition laïque ; & l'on
réforma ainfi plufieurs milliers de Religieux.
Cet expédient réuffroit infailliblement
en France , où l'on fe plaint encore
plus qu'à Siam de l'exceffive multitude des
cénobites. De quelque qualité que foit un
féculier à Siam , un Moine ne l'appelle
jamais Monfeigneur ; titre que prennent
tous les Prélats du Royaume. Injurier un
Talapoin , le battre , faire le plus léger
larcin dans fa cellule , c'eft un blafphême ,
c'est une profanation , c'eft un facrilége
qu'on punit par le feu , comme parmi nous
quand on frappe un crucifix ou qu'on vole
des vafes facrés. Les Talapoins prêchent
deux fois par mois dans les temps ordinaires
, & tous les jours tant que durent les
inondations. Si les auditeurs font contens
à un certain point , ils applaudiffent à la
doctrine qu'on leur prêche & à l'éloquence
de l'Orateur, en criant : fort bien , Monfeigneur
! Le Prédicateur . defcend rarement
de chaire fans recevoir des préfens de ceux
qui l'écoutent. Un Moine qui prêche fouvent
ne manque guère de s'enrichir. Si
d'un côté les Talapoins ont de grands priviléges
, ils font tenus à des pratiques bien
gênantes. Il ne s'agit pas feulement du
1
1
138 MERCURE DE FRANCE.
voeu de chafteté , dont les Moines fe dif
penfent plus facilement en Europe , où
l'on ne brûle pas ceux qui le violent ; ceux
de Siam font encore affujettis à une infinité
d'autres devoirs. Ils doivent fuir les
chants , les danfes , les affemblées ; n'avoir
fur eux ni or ni argent , ne parler que
de chofes qui regardent la religion ; n'avoir
fur foi aucune odeur , ne jouer d'aucun
inftrument , ne pas regarder de femmes
ni leur parler dans un lieu fecret. C'eſt
un péché de fonger en dormant qu'on
voit une perfonne du fexe , & de s'éveiller
dans l'agitation de fon rêve. C'en eft un de
trop dormir, de ne pas fe lever tout d'un coup,
de fe tourner auparavant de côté & d'autre
dans fon lit. C'en eftun fur-tout , en voyant
de jeunes filles , de touffer ou de faire du
bruit pour leur faire tourner la tête , &c.
Il eſt défendu de fe lever avant le jour ,
parce qu'ils pourroient tuer dans l'obſcurité
quelque infecte qui fe trouveroit fous leurs
pieds. Ainfi quoique , la cloche les éveille
avant le lever du foleil ; ils ne s'en lèvent
pas plus matin ; & ils ont encore ce trait
de reffemblance avec plufieurs de nos Religieux.
Dans ce tableau on reconnoît l'efprit
& on croit prefque lire l'hiftoire de tous
nos ordres monaftiques ; mais pour ache
A OUST 1766. 39
ver la comparaifon , l'Auteur ajoute qu'à
Siam comme en Europe , quoique la journée
d'un Moine paroiffe remplie par la
variété d'exercices que la règle preferit ,
ces Religieux ne laiffent pas de trouver
le temps de fe promener dans la ville , où
l'on ne traverſe pas une rue que l'on ne
rencontre quelques Moines .
Il y a auffi des Talapoïnes à Siam , mais
beaucoup moins que de Religieufes dans
nes pays catholiques. Il eft vrai qu'elles
doivent être plus âgées que les nôtres quand
elles prennent l'habit de l'ordre . Auffi
n'ont- elles point d'autres habitations que
celles des Talapoins. Comme elles ont au
moins cinquante ans lorfqu'elles prennent
le parti de renoncer au monde , onregarde
cet âge comme une caution fuffifante pour
leur chafteté. S'il arrive néanmoins qu'elles
s'en écartent , foit par un refte de penchant
à la volupté , foit pour céder aux
importunités de quelques jeunesTalapoins,
on ne les brûle pas pour cela ; on fe contente
de les renvoyer à leurs parens qui
leur font donner la baftonnade .
Ce qui doit paroître fingulier de la part
des Siamois , fi refpectueux envers les Ta-.
lapoins , c'eft leur façon de penfer au fujet
des mariages. On fuit alors les eccléfiaftiques
; & l'on prendroit à mauvais augure
140 MERCURE DE FRANCE.
qu'ils y fuffent préfens . C'eft que la religion
n'entre pour rien dans ces fortes de
cérémonies ; & la médiation des Prêtres ,
fi zélés ailleurs à fe mêler de pareilles
affaires , feroit à Siam ou une caufe de
refus , ou une raifon de divorce. Bien des
gens penfent encore en France comme à
Siam. Un ufage qui diftingue ces deux
pays , c'est la rareté de ces fortes de féparations
parmi les perfonnes de qualité . Le
divorce n'a prefque lien que dans le peuple.
Les voitures de terre ne font pas les plas
communes à Siam , parce que les voyages
les plus fréquens fe font par eau dans des
efpèces de barques qu'on nomme ballons .
S'il arrive que celle du Roi paffe fur la
rivière , tous les autres bateaux s'arrêtent ;
les perfonnes les plus qualifiées fe profternent
, & tout l'équipage en fait de même
jufqu'à ce que le Monarque ait difparu :
comme fi c'étoit une marque de grandeur ,
a dit quelqu'un , de tenir des milliers
d'hommes dans une pofture indécente &
contrainte. En France on fe tient debout ;
cette attitude nous diftingue des animaux ;
& c'eft être véritablement grand' , véritablement
Roi , que de commander à des
hommes.
Os homini fublime dedit , columque tueri.

A O UST 1766. 141.
Dans les caufes où l'on manque de preuves
contre les criminels , outre la queſtion ,
les Siamois ont recours à tous les moyens
féroces dont ufoient nos ancêtres dans ces
temps de barbarie , où celui des deux accufés
qui avoit le plus d'habileté , ou le plus
d'artifice , c'eft- à- dire , le plus malhonnête.
homme , étoit regardé comme le moins .
coupable. On y ajoutoit même l'épreuve
du duel , autre trait de barbarie françoife ,
dont les Siamois ne fe font point encore
avifés.
Les Siamois élèvent des coqs pour les
faire battre enfemble , efpèce de divertif
fement qui amufe fort les Indiens. C'eſt
l'unique fpectacle que les Prêtres voudroient
abolir. Les nôtres ne déclament
pas avec plus de.force contre la comédie ,
que les Talapoins contre ces fortes de combats.
Ils ont une fort mauvaife opinion du
caractère & de la façon de penfer d'une.
perfonne qui fe plaît à ce fpectacle cruel ..
Un de nos Rois , qui avoit le même goût ,
fit titer le même préfage , qui malheureufement
ne s'eft que trop vérifié.
Les divers fpectacles font employés à
Sjam , non - feulement aux réjouiffances
publiques , mais encore dans toutes les
fêtes particulieres , fouvent même aux cérémonies
funéraires , & font mis au rang
1 .
1
142 MERCURE DE FRANCE.
des ufages religieux. L'opinion confacre
dans ce pays , comme un acte de piété ,
ce que nos Cafuiftes condamnent en
France comme un figne de réprobation. A
l'égard des acteurs & des actrices , ce n'eft
ni le préjugé de la Nation , ni le genre
des Pieces qu'ils repréfentent , qui jette
une forte de mépris fur leur état ; ce font
leurs moeurs , leur conduite , leur de
genre
vie, plus dépravés que dans les autres claffes
de citoyens.
Un amufement qui eft fort du goût des
Siamois , & même de la Cour , c'eft ce
que nous appellons le cerf- volant. Celui
du Roi refte en l'air toutes les nuits pendant
deux mois de fuite ; & l'on nomme
de graves mandarins qui fe relevent fucceffivement
pour en tenir la corde ; ce
qui nous paroîtroit incroyable , fi nous
n'avions vu de fages Magiftrats , faire
mouvoir avec un fil des figures de carton.
Les breuvages de ces femmes de Goa ,
qui caufent au moins une ftupidité de
plufieurs heures , & infpire de l'amour
aux amans , ne font point ignorés de quelques
Dames Siamoifes ; il faut convenir
néanmoins qu'elles n'en font pas beaucoup
d'ufage. On les dit fi attachées à
leurs maris , que dans une ville emportée
A OUST 1766. 143
d'affaut , il n'eft point d'honnête femme
qui n'aime mieux que fon mari la tue ,
que de tomber au pouvoir d'un vainqueur
qui pourroit lui manquer de refpect.
Au royaume de Camboye , voifin de
Siam , on a une fi haute opinion de la
fainteté des Eccléfiaftiques de la premiere
claffe , qu'il leur eſt défendu de fe mêler ,
comme dans quelques Cours de l'Europe ,
des affaires d'état , ni d'entrer dans le miniftère.
Ils ont à la vérité la confiance du
maître ; mais lorsqu'il eft queftion du
gouvernement temporel , on eftime que
c'eft une eſpèce de facrilége dans un
homme d'Eglife , d'impiéter fur les droits
des laïques.
Les Péguans laiffent leurs femmes
quand ils s'en dégoutent , & les vendent
quand elles font infidelles . Les plus confidérables
du pays abandonnent leur épouſe
à un autre la premiere nuit du mariage ,
afin , dit un homme d'efprit , qu'il les débarraffe
d'une peine qui fait ailleurs l'am
bition de tous les maris. Les Péguans
louent leurs filles aux étrangers pour de
l'argent. Le prix fe règle fur la durée du
commerce qu'on fe propofe d'entretenir
avec elles. Le bail fini , la fille retourne
chez fes parens , jufqu'à ce qu'elle trouve
$44 MERCURE DE FRANCE .
l'occafion de fe rengager. Si l'étranger
part avant le terme expité , elle peut fe
louer à d'autres ; mais à fon retour , il
eft en droit de la reprendre. On la lui
rend pour le tems de fon féjour ; & elle
revient enfuite au fecond poffeffeur , pour
achever avec lui le refte de fon bail . Un
mari qui veut emprunter de l'argent , ne
fait point de difficulté de mettre fa femme
en gage. Si le créancier en jouit , il fe
paye par fes mains , & le débiteur s'açquitte.
Dans nos pays policés , on s'acquitte
de même ; mais le gage refte toujours
chez le mari.
Dans les montagnes du Royaume de
Bouton , il y a des paffages fi difficiles ,
qu'on eft obligé de fe faire porter fur le
dos des habitans ; & ce qui doit paroître
fingulier , ce font les femmes & les filles
qui s'acquittent de cette corvée. A la vue
d'une caravane , elles defcendent de leurs
habitations , ayant fur leurs épaules un
bourelet auquel eft attaché un gros couffin
qui fert de fiége. Elles font trois qui ſe
relayent tour à tour pour chaque homme ,
& le bagage eft chargé fur le dos des
boucs. Ces femmes qui portent les hommes
, ne gagnent qu'une roupie en cinq
jours , on paye le même prix pour chaque
bouc.
Le
AOUST 1766. 145
Le Supérieur général , ou le chef des
Eccléfiaftiques du Boutan fe nomme le
grand Lama. Les peuples font perfuadés
que l'efprit de Dieu réfide en lui , & ils
lui donnent le titre de Saint. Ils croyent
que toutes fes décifions en matiere de
culte , font vraies , & même infaillibles.
Il n'eft pas feulement adoré des peuples
du Boutan ; une multitude prodigieufe
d'étrangers vont lui offrir leurs hommages
, & recevoir fa bénédiction . Cette fuperftition
va fi loin , qu'ils révèrent jufqu'à
fes excrémens. On les ramaffe avec foin
chaque fois que cet homme fatisfait aux
befoins de la nature. On les fait fécher
on les met en poudre , on en compofe
des fachets que les Grands porte à leur col
en forme de reliques , & auxquels ils attribuent
la vertu de prévenir ou de guérir
les maladies . Les Prêtres retirent un profit
confidérable de la diftribution de ces
ordures pulvérisées. Ils en rempliffent de
petites boîtes qu'ils font vendre dans les
marchés , & dont les dévots affaifonnent
leurs viandes. Le grand Lama a deux cents
Prélats du premier ordre , répandus dans
l'étendue de fa jurifdiction , & qui
exercent fous fon autorité toutes les fonctions
paftorales & eccléfiaftiques. Ce
Clergé a beaucoup d'afcendant fur l'eſ-
G
146 MERCURE DE FRANCE.
prit des peuples , il gouverne les Grands
avec le même empire , & toutes les richeffes
du pays font entre fes mains . L'extrême
pouvoir du grand Lama s'eft accru
infenfiblement comme celui du Souverain
Pontife de Rome . Des Princes Tartares
firent pour lui ce qu'ont fait Charlemagne
& d'autres Souverains en faveur du Saint
Siége. L'autorité temporelle des grands
Lamas fut d'abord referrée dans des bornes
fort étroites ; mais elle s'étendit fi
confidérablement , qu'elle fe fit redouter
des Princes mêmes à qui ils étoient rede→
vables des premiers fondemens de leur
puillance. Le pouvoir fpirituel de ces Ponifes
s'étend fur des royaumes fort éloi
gnés ; mais il y en a toujours quelquesuns
qui fe détachent de leur obéiſſance ,
& cet empire eccléfiaftique a éprouvé de
fréquentes diminutions .
Ön diftingue deux fortes de religions
au Tonquin & à la Cochinchine . Celle
du Roi , des mandarins & des gens de
lettres ; celle des Eunuques , des femmes
& du peuple, La première fe réduit à honorer
intérieurement un Dieu Souverain
à pratiquer les vertus morales & les préceptes
de la loi naturelle, On ne connoît
dans cette religon , ni prêtres , ni temples ,
ni forme établie pour un culte extérieur ,
A OUST 1766. 147
& par conféquent ni difputes , ni perfécu
tion. La feconde a fes idoles , fes pagodes
, & des Miniftres pour les deffervir,
La groffièreté de ces temples , le mépris
qu'on a pour les prêtres , prouvent que ce
n'eft ni la religion des grands ni celles des
riches.
Entraînés par la variété des matières
nous avons paffé les bornes ordinaires d'un
extrait en rendant compte de cet ouvrage
agréable & inftructif. Nos lecteurs actuellement
en état de juger par eux-mêmes de
la manière dont l'Auteur a traité fon fujet,
applaudiront fans doute au foin qu'il a pris
de rapprocher continuellement de nos
mours celles des différentes nations. Il
juftifie par-là le titre de fon livre , en rend
aux lecteurs François la lecture plus intéreffante
, & répand fur l'ouvrage un air
d'obfervation & de philofophie qui ne fe
trouve dans prefque aucun autre voyageur,
Nous avons déja fait remarquer avec quelle
attention M. l'Abbé de la Porte écarte
tout ce qui ne porte point avec foi le caractère
de l'inftruction , de l'agrément &
de l'intérêt. Il évite par-là cette prolixité
qu'on reproche aux autres relations de
voyages , & réduit à un petit nombre de
volumes ces collections nombreufes , dans
G ij
148 MERCURE DE FRANCE .
lefquelles on ne trouve pas même une
infinité de chofes curieufes & piquantes
que préfente à chaque page le Voyageur
François. Il eft vrai qu'il ne détaille pas
le temps qu'il fait chaque jour , le vent qui
fouffle , les oifeaux qui volent , le pain
qu'il mange , la nourriture qui fe gâte , les
paffagers qui tombent malades , & mille
autres accidens de la route qui rempliffent
les relations de la plupart des voyageurs .
Il ne s'occupe que de ce qui lui paroît
mériter une jufte curiofité ; & comme fon
but eft d'intéreffer & d'inftruire , tout ce
qui ne produit point ces deux effets ne lui
femble pas digne de fes remarques . Jamais
ni les préparatifs du voyage , ni tous ces
petits événemens qui arrivent néceffairement
, fe devinent & fe fuppofent , ne
prennent la place d'un récit plus effentiel .
En portant dans fes voyages le flambeau
de la philofophie & de l'obfervation ,
l'Auteur y puife des connoiffances utiles
qu'il communique à fes concitoyens. Tous
les objets faits pour exciter l'attention d'un
lecteur philofophe font la matière de tou- .
tes fes lettres. Voilà ce qui mettra toujours
le l'oyageur François au - deffus de tant
d'autres relations , & en particulier d'une
certaine collection compofée de foixanteA
OUST 1766 . 149
huit volumes in- 12 , & qu'on doit , dit- on ,
augmenter encore de quarante , pour achever
d'inftruire agréablement les lecteurs .
CÉLIANE , ou les Amans féduits par leurs
vertus ; par Mde BENOIST. A Amfterdam
, & fe trouve à Paris , chez LACOMBE
, Libraire, quai de Conti ; 1766:
vol. in- 12.
CE roman eft précédé d'une épître dédicatoire
& d'une préface , dans laquelle
l'Auteur expofe les motifs de fon ouvrage .
Le but qu'il s'y eft propofé eft de montrer ,
par l'exemple de fes héros , le danger d'une
amitié trop intime entre des perfonnes
engagées , conçue même avec les intentions
les plus pures & formée fous les
aufpices de l'innocence. Ce fujet délicat
& intéreffant eft difficile à traiter ; il exige
beaucoup de talens & une grande connoif
fance du coeur & des paffions : l'Auteur en
a fenti les difficultés fans en être rebuté ;
voilà comment il rend compte des raifons
qui l'ont déterminé à l'entreprendre. « Le
plus grand nombre des femmes , dit - il ,
,, celles les
que parens marient par des vues
و د
ود
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
"
» d'intérêt ou de convenance , n'aïment
point celui à qui on les unit , & font trop
» jeunes pour avoir jamais connu l'amour:
» de forte que fi , ce qui n'arrive que trop
fouvent , elles ne prennent du goût pour
» leur mari , il vient un moment où l'in-
» différence cft pour elles un fardeau infup-
» portable ; & le vuide du coeur leur fait
» chercher , à leur infçu , un objet propre
» à l'affecter.
»
>>
» C'est dans cet inftant redoutable pour
» le repos , c'eft dans cette crife de l'âme
qu'il eft important d'éclairer de jeunes
»perfonnes fur les piéges que l'amour leur
tend chaque jour fous les féduifans de-
» hors de l'amitié leur inéxpérience , la
» pureté de leurs intentions , tout concourt
» à leur perte. Comment éviter un écueil
» dont on n'a pas d'idée ? &c. ».
มง
و د
:
Dans la vue de garantir du naufrage les
jeunes perfonnes fenfibles & vertueufes ,
on veut leur infpirer une fage défiance , &
leur faire connoître cet écueil que la confiance
en leur vertu & une aveugle fécurité
leur dérobent trop fouvent. « Combien
» n'ont été criminelles , ajoute- t-il , que
»pour avoir ignoré l'illufion qui les éga-
» roit » !
Malgré le plus fincère attachement å
fes devoirs , l'héroïne de cette fiction a
A OUST 1766.
failli devenir victime de cette dangereufe
difpofition d'efprit ; & c'eft comme par
un miracle fur lequel il ne faut pas trop
compter qu'elle échappe à fa défaite.
Céliane , jeune , belle , fenfible , ver→
tueufe , mais coquette , avoit , fans s'en
douter , un penchant extrême à l'amour :
l'habitude de réfléchir & un fyftême de
conduite , fondé fur fes remarques plus
que fur fes inclinations , lui faifoit maî
trifer fes paffions.
N'efpérant pas trouver un engagement
felon fes idées , Céliane , après avoir longtemps
, fous divers prétextes , éludé le
mariage , reçoit , des mains de fes parens ,
un époux qui , n'étant pas du choix de fon
coeur , n'obtint que fon eftime. Accoutu
mée à marcher dans le fentier de la vertu ,
les premières années de fon mariage fe
paffent dans une fituation paifible : fes
devoirs feuls régloient fa conduite. En
bute aux féductions , environnée d'une
foule d'adorateurs dont aucun n'avoit fu
toucher fon coeur ; les triomphes qu'elle
remportoit ne lui paroiffant pas affez méritoires
, elle defire d'aimer pour avoir des
facrifices à faire à la vertu . Céliane s'occupe
de ce projet , le médite. En examinant
les difpofitions de fon coeur pour
l'amour, elle fe perfuadoit pouvoir en goû-
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
ter les douceurs fans devoir en redouter les
tourmens & les erreurs. La difficulté de
trouver un homme dont les fentimens fuffent
auffi vifs & auffi purs que les fiens
pour courir cette nouvelle carrière , fon
infenfibilité jufqu'à ce jour , tout lui faifoit
croire qu'elle n'étoit pas propre à l'amour
, elle fe flattoit pouvoir toujours lui
échapper ; & défefpéroit de voir accomplir
fon fouhait , lorfque fon mari lui préfenta
Mozime , jeune homme eſtimablë
dont il lui fit un brillant éloge. La modeftie
de celui- ci fut la première qualité que
Céliane remarqua & admira en lui ; mais
il étoit d'une timidité fi grande qu'elle fe
crut obligée de lui donner des confeils :
elle l'engagea en conféquence à venir fréquemment.
Elle s'informe avec tant de
zèle & d'intérêt de fes goûts , de fes principes
, de fes inclinations ; Mozime goûtoit
tant de douceurs à lui confier l'état de fon
âme , qu'ils fe félicitent d'avoir trouvé
l'un en l'autre ce bien précieux dont leur
coeur étoit fi avide , une amitié pure , fincère
& défintéreffée ; ils fe livrent à fes
charmes , dont les douceurs deviennent fi
effentielles à leur félicité , qu'ils ne peuvent
paffer un feul jour fans fe voir. Les talens
agréables qu'ils cultivoient & pour lefquels
ils avoient le même goût font l'objet de leurs
A OUST 1766. 153

premières entrevues ; mais cette amitié
dont ils fe diffimulent le véritable caractère
, devient fi vive & fi preffante que le
befoin de s'en entretenir les force d'abandonner
ces innocens amufemens Céliane ,
qui s'en apperçoit la première, un jour que
tout lui paroît infipide , pour fortir de cet
état , propofe à Mozime de lui faire , fous
le fecret de la confeffion , le détail de ce
qui lui étoit arrivé depuis fon entrée dans
le monde. Elle craignoit , fans fe l'avouer,
que Mozime ne lui fît la confidence de
quelque penchant fecret ; & cela arriva.
Mozime avoit eu des engagemens ; mais
dans l'idée , dit-il à Céliane , que le véri
table amour confiftoit dans l'intelligence
des coeurs , il s'étoit conduit dans ces liaifons
d'après ce principe ; ce qui ne lui
avoit pas réuffi : la fageffe avoit déplu , ou
s'étoit laffé de fes foins. Céliane , étonnée
de fon peu de fuccès , le plaint & defire le
confoler. " O Dieu ! s'écrie- t- elle , eſt - il
de félicité plus parfaite que celle de
deux coeurs unis par la vertu ? ... Ah ,
,, Mozime , s'il étoit vrai ! ... & c. » . Mozime
s'alarme de ce doute , s'efforce de
le diffiper par les proteftations les plus
fincères , avoue à Céliane qu'il l'aime ,
que , par égard pour fa délicateffe & fa
vertu , il s'étoit condamné fur cet objet a
33
""
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
un filence que les foupçons qu'elle faifoit
paroître le forçoient de rompre.
Sincèrement perfuadés qu'ils n'étoient
chers l'un à l'autre que par un goût égal
pour la vertu & la même ardeur à la prariquer
; il y avoit fix mois qu'ils jouiffoient
des douceurs de cette charmante fituation
fans defirer & même foupçonner rien de
plus. " Trop heureux amans , s'écrie leur
Hiftorien , fi une fi douce illufion avoit
33
? pu être éternelle .. ! mais l'amour faifant
des progrès , fes douceurs font mêlées d'inquietude.
C'eft ce qui arrive à nos amans :
1abfence leur devient infupportable ; féparés
l'un de l'autre ils ne font fufceptibles
d'aucun plaifir , ils ne voyent dans la fociété
que des travers : cet effet fi naturel
de l'amour eft on ne peut mieux repdu
dans cet ouvrage. Un trait de coquetterie
de la part de Céliane fait concevoir de la
jaloufie à fon amant & allume des defirs
dans fon coeur : il gémit : il en écrit à Célia-
`ne, Tui peint avec force l'état de fon âme ,
Ton trouble , fes agitations , fes perplexités
dont il eft humilié & qu'il fe reproche.
Celiane eft effrayée de cette lettre , s'en
offenfe ; mais en y réfléchiffant , elle croit
devoir des confolations à fon amant , tâche
de ranimer fa vertu & fon courage. "Réellement
Mozime , lui dit- elle , vous pre-
"
14
A OUST 1766. 155
,, nez trop au grave une illufion paffagère :
,, s'il falloit ainfi analyfer tous fes fentimens
fecrets , on feroit perpétuellement en
difcorde avec la raifon , & on ne feroit
» jamais content de foi .
و و

53°
,, Depuis l'heureux inftant où je vous
, ai vu , chaque jour m'a fait développer
de nouvelles vertus en vous ; irai- je
croire que vous les avez perdues en une
heure ? & c. Elle termine cette lettre
par engagner Mozime à venir auprès d'elle...
"Venez donc , non pour vous affliger avec
moi , car vous devez voir clairement
›› que vous n'en avez pas de juftes ſujets ,
mais pour vous réjouir de ce que vos
,, maux n'étoient qu'imaginaires
">
330
Cette lettre , en comblant de joie Mozime
, rend fi bien le caline à fon coeur ,
qu'il fe perfuade que Céliane avoit eu
raifon d'appeller fa fituation une illufion
paffagère. Plein de ces fentimens il vole
aux pieds de Céliane , qu'il trouve fur
le point d'aller faire des vifites dans le plus
Gimple négligé elle avoit pris la réfolution
de faire le facrifice de fa parure pour
réparer le défordre que fa coquetterie avoit
produit. Elle rencontra beaucoup de monde
dans une des maifons où elle alla . On
n'avoit point coutume de la voir dans un
habillement fi fimple & fi lugubre. On
:
G vj
156 MERCURE DE FRANCE .
veut expliquer la caufe de ce changement ,
& l'Auteur fait voir avec beaucoup de
fineffe & d'intelligence qu'en cherchant à
en pénétrer le motif, chacun des interlocuteurs
développoit bien mieux fon
caractère & peignoit fon âme.
propre
Céliane , à qui l'effet qu'avoit produit
fur les efprits fa métamorphofe , n'étoit
point échappé , en eft humiliés ; elle craint
même que l'amour de Mozime n'en foit
affoibli. Mozime eft bien éloigné de ce
fentiment. En réfléchiſſant ſur l'intention
de Céliane , il en découvre le véritable
motif ; fa reconnoiffance & fon admira- .
tion font fi grandes , que l'effet que Cé
liane s'étoit propofé n'a point lieu , &
que fes defirs , loin de s'affoiblir , aug .
mentent. Il en rougit , & écrit à Céliane
qu'il a pris le parti de fuir pour ne plus
la rendre témoin de fa foibleffe . Dans la
réponse qu'il reçoit de Céliane il croit
appercevoir qu'elle approuve fon deffein ; il
s'en irrite & le lui confirme par une feconde
lettre , ce qui caufe un fi grand
trouble à Céliane qu'elle tombe malade.
Revenue de cet accident , elle écrit à Mozime
& lui défend de partir. Cet ordre le
comble de joie & il s'y conforme. Les
parens de Mozime l'obligent de les fuivre
à la campagne. Avant de leur obéir il prend
A OUST 1766. 157
confeil de Céliane , qui l'invite à fe rendre
aux defirs de fes parens. Ce n'eft pas
fans de généreux efforts qu'ils fe déterminent
à cette dure féparation . Pendant cette
abſence une lettre de Mozime s'égare : huit
jours s'écoulent fans que Céliane reçoive
de fes nouvelles. En proie aux plus
affligeantes idées , tourmentée des plus
vives inquiétudes , elle paffe tout ce temps
dans les gémiffemens & les larmes ; & ,
pour s'autorifer à en répandre fans compromettre
fa gloire , elle fe perfuade que
la mort lui a enlevé dans Mozime un ami
eftimable. Toujours ingénieufe à fe tromper
, ce malheur , en lui laiffant la liberté
de donner cours à fa douleur , lui paroît
moins affreux que de fe livrer à des foupçons
injurieux pour fon amant & humilians
pour eile. Il y avoit trois jours qu'elle
étoit accablée de ce chagrin lorfque Mozime
arrive tout s'éclaircit. Après une
explication , nos deux amans font obligés
de fe féparer pour quelques inftans : Céliane
profite de ce temps pour fe livrer au fommeil
, dont elle n'avoit pu goûter les douceurs
depuis plufieurs jours. Mozime , à
fon retour chez Céliane , pénètre dans fon
appartement , la furprend endormie fur fa
duchelfe ; l'amour l'excite , le refpect le
retient. Au milieu de cette agitation il
158 MERCURE DE FRANCE .
& abufé
veut prendre un baifer ; un foupir lui
échappe & éveille Céliane , qui , charmée
de fon exactitude , lui prodigue les noms
les plus doux. Mozime , tranfporté d'amour
par les tendres témoignages qu'il
reçoit de Céliane , la follicite , la preffe ;
il devient entreprenant & téméraire . Cé
liane arrête fes tentatives & échappe au
péril. Dans ce moment critique le mari
de Céliane entre. Effrayée du danger
qu'elle vient de courir , elle lui dit qu'après
T'épreuve qu'elle vient de faire , il ne lui
eft plus permis de fe confier en fes propres
forces ; qu'elle lui doit l'aveu d'une illufion
qui a manqué la perdre. Elle exige de
Mozime , en préfence de fon mari , qu'il
foit une année fans la revoir. Elle l'engage
à fe conformer aux voeux de fa famille en
fe mariant ; & confent de le revoir après
ce temps comme un homme digne de fon
eftime. Mozime quitte Céliane le défeſpoir
dans le coeur ; mais il ne tenta point de
s'affranchir de la loi qu'elle lui avoit prefcrite.
La fage précaution de Céliane , d'ôter
à fon amant les moyens de la voir , eur
l'effet qu'elle en attendoit ; le temps , qui
triomphe de tout , affoiblit leur paffion .
Mozime fe marie : le terme de l'exil
Céliane avoit prononcé contre lui arrivé ,
il fe préfente chez Céliane , qui lie con
que
AOUST 1766.
159
noiffance avec fa femme . Ces deux amans
ne fe revoient pas fans émotion ; mais
également attachés à la vertu & à leurs
devoirs , ils ne fe livrent point à de cou
pables fentimens , & paffent le refte de leur
vie dans la paix & les douceurs d'une amitie
pure & parfaite.
Ce roman eft plein de chaleur & d'intérêt
le ftyle en eft facile , agréable &
enjoué. Il y a des fituations piquantes.
L'amour y eft analyfé avec fineffe ; les
fentimens & les mouvemens de deux jeunes
perfonnes que cette paffion égare fans
qu'ils s'en apperçoivent , malgré la pureté
de leurs intentions , font développés avec
art : le but en eft honnête. Il paroît que
l'Auteur a atteint celui qu'il s'y eft propofé ,
& qu'il étoit en droit de dire, comine il
l'a fait en terminant fa préface : " que l'on
,, peut , fans trop préfumer de l'humanité ,
efpérer que les exemples qu'il préfente
ferviront au moins d'avertiffement à
celles qui ont un fincère defir de refpecter
leur devoir 33.
""
"
160 MERCURE DE FRANCE.
ANNONCES DE LIVRES.
TRAITÉ des principaux objets de médecine
, avec un fommaire de la plupart
des thèses foutenues aux écoles de Paris ,
depuis 1762 jufqu'en 1764. On y a joint
des obfervations de pratique ; par M. Robert,
Docteur Régent de la Faculté de Médecine
de Paris. Avec cette épigraphe :
Opinionum commenta delet dies , natura judicia
confirmat.
A Paris chez Lacombe , Libraire , quai de
Conti ; 1766 : avec approbation & privilege
du Roi ; z vol. in - 12 .
Nous n'indiquerons qu'en gros fes différentes
parties de ce livre utile , dont
nous promettons un extrait dans un de
nos Mercures fuivans. Comme la méde
cine eft partagée en deux branches principales
, qui font la théorie & la pratique
, l'auteur a divifé fon ouvrage en
deux parties ; dans la première il difcure
quelques points de théorie les plus importans
; dans l'autre il s'occupe de l'hiftoire
& de la guérifon des maladies. I
renferme dans une feule fection , tout ce
qui concerne la théorie ; il en fait deux
A OUST 1766. 161.
de la pratique , l'une pour la claffe des
maladies aiguës , l'autre pour la claffe des
maladies chroniques. Le premier chapitre
de la théorie roule fur le tiffu cellulaire
& fes propriétés. Enfuite l'auteur confidère
l'homme depuis l'inftant de ſa formation
, jufqu'au moment où toutes fes
fonctions font développées , & ne fuit:
d'autre ordre que celui de leur développement
fucceflif. Il s'étend beaucoup fur
la circulation ; après quoi il entre dans
le détail de plufieurs fortes de maladies.
INSTRUCTION des Négocians , ouvrage,
utile aux Juges & Confuls , & à tous ceux
qui font le commerce ; par P. J. Maffon,
Imprimeur - Libraire ; nouvelle édition . A
Blois , chez l'Auteur ; & à Paris , chez
Saugrain le jeune , Libraire , rue du Hurepoix
; 1766 : avec approbation & privilege
du Roi ; un vol. in - 12 , petit format.
Il n'y a point de Marchand en gros &
en détail , à qui ce livre ne puiffe être
d'un ufage prefque continuel. Tout ce
qui concerne le change , la banque , les
commiffions , les regiftres , les fociétés ,
les billets , quittances , mémoires , lettres
de crédit , jurifdiction confulaire , lettres
de change , & c. eft préfenté ici avec des
162 MERCURE DE FRANCE.
définitions courtes & claires , & rendues
plus claires encore par des exemples.
DISCOURS fur l'hiftoire ancienne , pour
faciliter aux jeunes perfonnes de l'un &
de l'autre fexe l'intelligence des auteurs
anciens & modernes , pour fe former un
fyftême géneral du gouvernement des
peuples de l'Afie , de l'Afrique & de l'Europe
; dédié à S. A. S. Monfeigneur l'Archiduc
Ferdinand ; par M. l'Abbé C ***.
A Paris , chez Saugrain , Libraire ordinaire
de Monfeigneur le Comte d'Artois ,
quai des Auguftins ; 1766 : avec approbation
& privilége du Roi ; vol. in - 12 .
La plupart de ceux qui , depuis M.
Boffuet , ont préfenté des plans d'hiftoire ,
fe font tous écartés de ce grand modèle.
Ils ont offert des recueils de faits , de
noms & de dates inutiles ; & au lieu de
fimplifier leur tableau , ils l'ont rendu
monftrueux. L'auteur de ce livre s'eft propofé
une voie beaucoup plus courte , plus
aifée , & plus analogue au génie de tous
les états & de tous les âges . Tout fon ouvrage
n'eft qu'un difcours fur les Nations
les plus célèbres de l'univers , & principalement
fur le fyftême de leur gouver
nement , de leur politique , de leur ambition
, & de leur énorme puiffance . Ce
A OUST 1766. 163
livre eft divifé en deux parties : l'une
comprend l'hiftoire des Egyptiens , des
Carthaginois , & des Affyriens , & fe termine
à la conquête de Babylone par Cyrus.
La feconde embraffe ces événemens fameux
qui ont mis aux mains les Perfes &
les Grecs , & finit au renversement du
trône des Séléucides par Pompée. Chaque
peuple a fon hiftoire partagée en trois
époques principales , qui fervent comme
d'autant d'appuis pour fe fixer dans l'examen
des chofes les plus capables d'intéref-
Ter quiconque veut réfléchir , raifonner &
s'inftruire .
La Reine de Benni , nouvelle hiftorique.
A Amfterdam , & fe trouve à Paris ,
chez Grange , Imprimeur - Libraire , Pont
Notre- Daine , près la Pompe , au Cabinet
Littéraire ; 1766 : in- 12 de 114 pages.
*
Nous n'avons pas trouvé dans ce petit
roman des fituations affez intéreffantes ,
ni des détails affez piquans , pour nous
engager à en donner un extrait ; c'eft pourquoi
nous nous contentons de cette fimple
annonce.
HISTOIRE générale & particulière de la
Ville de Calais & du Calaifis , ou- pays
reconquis, précédée de l'hiftoire des Mo164
MERCURE DE FRANCE .
rins , fes plus anciens habitans. Par M. le
Febure , Plêtre de la Doctrine Chrétienne ; "
avec cette épigraphe :.
Vita ufus , D:0 , Patria & Regi.
Deux volumes in- 4° . Paris ; 1766 : chez
G. F. Debure , le jeune , Libraire , quai
des Auguftins avec approbation & privilége
du Roi .
:
Ce favant & intéreffant ouvrage , depuis
long- temps attendu , vient dans l'inftant
de nous être remis ; & nous nous propofons
d'en rendre compte dans les Mercures
prochains.
GÉOGRAPHIE abrégée , par demandes
& par réponfes , divifée par leçons , pour
l'inftruction de la jeunelle ; avec une idée
de l'ancienne Géographie , & des fyftêmes
du monde ; par M. l'Abbé Langlet Du
frefnoy ; feptieme édition , revue , corrigée
& augmentée . A Paris , chez N. M.
Tilliard , Libraire , quai des Auguftias ,
S. Benoît ; 1766 : avec approbation &
privilége du Roi ; un vol . in - 12 , avec des
cartes. Prix , une livre 16 fols , rélié .
L'accueil que ceux qui s'intéreffent à l'éducation
ont fait aux éditions multipliées
de cet Abrégé de Géographie , a engagé le
Libraire , avant que de le réimprimer , à
A OUST 1766. 165
le faire revoir avec foin pour profiter des
avis de diverfes perfonnes chargées d'éducation.
C'est toujours l'ouvrage de M.
l'Abbé Lenglet ; mais on y a fait des corrections
, foit pour le ftyle , foit pour le
fond . De plus , on y a ajouté diverfes chofes
qui ont paru néceffaires & relatives aux
changemens qui font arrivés depuis les
premières éditions ou aux nouvelles connoiffances
. Le plus grand changement qu'on
yait fait regarde la defcription de la France ,
au fujer de laquelle on fuit ici l'ordre des
Gouvernemens ou des Provinces , au lieu
de celui des Généralités que l'Abbé Lenglet
avoit employé. Ce dernier ordre a paru ,
par l'expérience , fujet â bien des inconvéniens
pour la jeuneſſe . Qu'on demande à
un enfant , par exemple , où eft Vezelai ;
il ne pourra dire , que cette Ville eft dans
le Nivernois . Il ignoroit ainfi les noms de
plufieurs Provinces & des Villes qui s'y
trouvent , &c. On efpère que les coFFEC
tions faites à ce petit ouvrage le rendront
de la plus grande utilité , même aux perfonnes
avancées en âge. Cet abrégé eſt
l'extrait de la Méthode pour étudier la
géographie du même Auteur , dont une
quatrième édition , revue , corrigée & augmentée
, eft actuellement fous preffe , Elle
fera en neuf volumes in - 12 , & paroîtra
166 MERCURE DE FRANCE.
dans les premiers mois de l'année 1767;
MÉMOIRES du Chevalier de Gonthieu ,
publiés par M. Delacroix. A Amfterdam ,
& fe trouve àParis , chez Durand, Libraite,
rue Saint Jacques , à la fageffe ; 1766 : deux
parties in- 12 . Prix 2 liv . 8 fols.
On ne trouve point ici des événemens
qui étonnent ; tout y eft conduit avec fim
plicité. C'eft le plus grand éloge que nous
puiffions faire d'un roman qui tire de fa
fimplicité même fon plus grand intérêt &
fon principal mérite.
MÉMOIRES d'une Religieufe , écrites par
elle-même, & recueillis par M. de L....
A Paris , chez la veuve Duchesne , rue Saint
Jacques , & chez l'Efclapart , quai de Gef
vres deux parties in- 12 ; 1766 .
Nous nous propofons de donner un ex+
trait de ce roman intéreffant & plein de
chaleur.
LETTRE de feu M. l'Abbé l'Avocat
Docteur & Bibliothécaire de Sorbonne ;
dans laquelle il examine fi les textes ori
ginaux de l'écriture font corrompus , & fi
la vulgate leur eft préférable. A Amfterdam
, & fe trouve à Caen , chez G. le Roi,
Imprimeur - Libraire , rue Froide rue , &
A OUST 1766. 167
à Paris , chez Defpilly, rue Saint Jacques ,
à la croix d'or ; 1766 : in- 8 ° de 140 pages.
Prix 1 liv. 4 fols.
Il réfulte de cette lettre que les fautes de
copiſte ou de traducteur , lorfqu'elles ne
font pas contraires à la foi catholique &
aux bonnes moeurs , n'empêchent pas un
texte ou une verfion d'être intègre ; que
le texte hébreux de l'ancien teſtament &
le texte grec du nouveau n'ont aucunes
fautes de copiftes contraires à la religion ,
à la foi catholique & aux bonnes moeurs ,
& c. & c.
-
DISCOURS prononcé dans l'Académie
Royale des Sciences & Belles Lettres de
Berlin , le 5 Juin 1766 , jour de la récep
tion de M. Bitaubé. A Paris , de l'Imprimerie
de Prault ; 1766 : feuille in- 8 °. ?
Outre les complimens d'ufage dans ces
fortes d'occafion , M. Bitaubé examine fi
l'établiffement des Académies eft utile aux
fciences. La négative feroit déplacée dans
une féance académique ; on s'attend dọnç
que M. Bitaubéconclura pour l'affirmative ,
LA Logique , ou l'Art de Penfer , dégagée
de la fervitude de la dialectique ; par
M. l'Abbé Jurain , Correfpondant de l'A-.
cadémie Royale des Sciences. A Paris ,
168 MERCURE DE FRANCE.
chez Defventes & Compagnie , Libraires ,
rue Saint Jacques , près le Collége de Louis
le Grand ; 1766 : avec approbation & privilége
du Roi ; vol . in - 12 ou in- 8 ° , petit
format de 279 pages. Prix 2 liv. 14 fols.
Le titre de cet ouvrage annonce affez
une logique très- différente de celles qui
ont paiu jufqu'à ce jour , & qui ne doit
rien contenir qui ait la moindre apparence
des fubtilités , des détours , des chicanes
de la dialectique.
ODE à Son Alteſſe Séréniffime Monfeigneur
le Prince de Condé fur fon entrée à
Lille , le 23 Juin ; par M. le Tellier , Profeffeur
de Rhétorique au Collège de Saint
Pierre à Lille . Feuille in- 8°.
. Il y a dans cette Ode quelques ftrophes
qui prouvent que l'Auteur peut s'exercer
avec fuccès dans ce genre de Poéfie.
AVIS
aux Soufcripteurs pour l'édition du Corps
du Droit Civil , avec la traduction des
textes.
LA rareté des bonnes éditions du Corps
du Droit Civil avoit engagé le fieur Hérif
fant , Imprimeur du Cabinet du Roi , à
en propoſer une nouvelle .
M.
A OUST 1766. 169
M. Hulot , Editeur , avoit cru qu'elle
feroit plus complette & plus utile s'il joignoit
aux textes une traduction qui pût à
la fois fervir de commentaire ; mais des
lumières fupérieures ayant jugé que cette
traduction feroit fujette à des inconvéniens
, on avertit le public que cette édition
projettée n'aura pas lieu.
Cependant l'ardeur que l'on a témoignée
dans le royaume & dans les pays
étrangers , pour la publication de cet ouvrage
, peut faire croire qu'une nouvelle
édition du Texte des Loix Romaines eft
devenue une entreprife abfolument néceffaire.
On a , il eft vrai , les éditions de Vitré
& d'Elzevir , qui font reconnues pour les
plus belles & les plus exactes parmi celles
qui ont paru jufqu'à préfent. Mais , outre
la fineffe des caractères qui en rend la lecture
fatiguante , on fait qu'elles font trèsrares
, & que les Jurifconfultes font obligés
d'avoir recours à d'autres éditions qui ,
fans être plus favorables à la vue , ſont encore
remplies de fautes effentielles.
Le fieur Hériffant fe propoferoit donc
aujourd'hui de réimprimer les feuls Textes
des I oix , & d'exécuter fon édition fur
celles de Vitré & d'Elzevir comparées enfemble.
Elle contiendroit trois volumes , à
H
170 MERCURE DE FRANCE.
caufe de la forme des caractères , qui flatteroit
la vue en la foulageant , & des augmentations
importantes qu'on y joindroit
d'après l'avis des perfonnes éclairées.
Outre les notes de Godefroy & celles
d'autres Jurifconfultes qui fe trouvent dans
l'édition donnée par Elzevir en 1663 , on
y trouveroit des remarques tirées des meilleurs
Auteurs qui ont paru depuis cette
époque tels font Noodt , Heineccius , M.
Pothier, &c.
Cette addition ne feroit pas la feule.
Pour enrichir l'édition de tous les avantages
qui peuvent contribuer à l'étude des
loix , on y ajouteroit encore , 1 ° . un argument
latin à la tête de chaque livre . 2º. Un
fommaire , auffi en latin , pour annoncer
les principales queftions traitées dans chaque
titre. 3 ° . Des notes marginales latines
qui puiffent faire faifir au premier coupd'oeil
le paffage du texte qu'on voudra
confulter. 4° . Une table des matières étendue
& raifonnée pour renvoyer aux différens
textes , & qui contiendroit auffi la
folution de toutes les queftions de la Jurifprudence.
5 ° . Une feconde table intitulée ,
Collatio Legum. Celle - ci feroit deftinée à
rapprocher fur une même matière toutes
les loix fugitives qui ont entre elles quelque
rapport , & que Tribonien a placées
A OUST 1766. 171
fous des titres qui leur font étrangers.
De telles additions rendront infailliblement
cette nouvelle édition fupérieure
aux précédentes. Les premiers Magiftrats
auxquels l'Imprimeur s'eft fait un devoir
d'en communiquer le projet , ont honoré
d'un fuffrage unanime cette entrepriſe dont
ils connoillent l'utilité. Mais comme elle
exige un travail confidérable & de fortes
dépenfes , on ne peut la commencer qu'autant
que le public témoignera y applaudir.
On pourroit cependant affurer dès - à - préfent
, que le prix des trois volumes en feuilles
ne paffera pas foixante livres pour les
foufcripteurs.
Si les perfonnes qui ont déja foufcrit
pour l'édition avec la traduction adoptent
le nouveau projet , elles font invitées à
faire connoître leurs difpofitions à cet
égard on leur remettra une nouvelle foufcription
, fur laquelle on rappellera les
affurances qu'elles ont déja données .
Quant à ceux qui ne feront pas dans le
deffein d'y foufcrire , ils font priés de s'adreffer
directement aux perfonnes de qui
ils tiennent leur première foufcription ,
afin qu'en la leur remettant , on leur rende
leurs avances.
Tous les préparatifs néceffaires à l'édition
ci- devant projettée , en papiers , ca-
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
ractères grecs & autres , étant déjà faits ,
I'Imprimeur fera en état de les mettre en
oeuvre pour la nouvelle édition dès qu'il
fera affuré de mille foufcriptions : il n'y
en aura d'ouvertes que jufqu'à ce nombre.
Il efpère que le public fera connoître
fes intentions , pour le plus tard , avant le
premier Janvier 1767 ; à ce terme il lui
rendra compte s'il aura reçu le nombre
fuffifant l'exécution de cet ouvrage. pour
Ordre des paiemens de la nouvelle foufcription.
En affurant l'ouvrage on paiera 18 liv.
En retirant le premier tome , en
Décembre 1767 ,
-Le fecond tome, en Décembre
1768 ,
-Le troiſième & dernier tome ,
en Décembre 1769 , •
18
12
I 2
60 liv.
On trouve à Paris , chez G. Defprez,
Imprimeur du Roi & du Clergé de France ,
rue Saint Jacques , au coin de la rue des
Noyers , un ouvrage pofthume de M. Louis
Boullenois , ancien Avocat au Parlement ,
qui a pour titre, Traité de la Perfonnalité
& de la Réalité des Loix , Coutumes & Statuts
, parforme d'Obfervations ; deux vo
A OUST 1766. 173
lumes in-4° , le premier de 896 pages ( fans
compter l'avertiffement de l'Editeur , un
précis de la vie de M. Boullenois , & la
préface ) , & le fecond , de 700 pages.
M. Boullenois s'étoit déja fait connoître
par deux Traités excellens , l'un fur les
queftions mixtes , & l'autre fur les démiffions
de biens (*) . Son ouvrage fur les ftatuts
eft le fruit de plus de trente années du
travail le plus affidu & le plus conftant.
Auffi peut- on affurer que l'Auteur ya épuifé
toutes les queftions qui naiffent de la contrariété
des loix ; & que cette vaſte matière
eft traitée avec autant de netteté que
d'érudition . On a donc tout lieu d'efpérer
que l'ouvrage de M. Boullenois fera bien
reçu au Barreau , où depuis long - temps
l'on attendoit un traité méthodique &
complet fur les ftatuts. L'Auteur a travaillé
pour tous les Parlemens du Royaume , &
le Traité qu'on annonce au public contient
autant de differtations fur les difficultés de
Droit écrit que fur des points de Coutumes .
M. Boullenois a traduit l'ouvrage fi
eftimé de Rodenburg fur les ftatuts . C'eſt
là le fonds fur lequel il a travaillé , & le
guide qu'il a fuivi. On trouvera à la fin
(*) Le même Imprimeur a quelques exemplaires
des Démiffions de Biens , in- 8 ° . qu'il donnera
à 3 livres reliés .
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
du fecond volume ce Traité latin. On a
cru que le Barreau feroit bien aiſe de lire
l'ouvrage même de Rodenburg, qui d'ailleurs
eft infiniment rare aujourd'hui , &
ne fe trouve prefque chez aucuns Libraires
de France.
On avertit qu'on a tiré un affez petit
nombre d'exemplaires , & qu'on les vendra
24 liv. reliés , & 21 liv. brochés.
EXAMEN d'un difcours de M. Thomas ,
qui a pour titre , Eloge de Louis , Dauphin
de France ; avec cette épigraphe tirée
d'Horace :
Non ego ventofa plebis fuffragia venor . ..
Non ego nobilium feriptorum auditor & ultor.
A Paris , chez H. C. Dehanfy , le jeune ,
Libraire , rue Saint Jacques , à Sainte Thérèfe
; 1766 : brochure in- 8° de 62 pages.
ور
ود
« M. Thomas a- t- il rempli l'attente des
» vrais connoiffeurs ? a -t- il peint fon héros
» tel qu'il étoit ? reconnoît - on Mgr. le
" Dauphin dans tout ce difcours ? Le portrait
M. Thomas nous en donne ,
que
» l'a-t-il tracé avec la vérité des couleurs ,
» la correction du deffein , l'enfemble que
» l'on apperçoit de fon génie ? ... Le plan
» de l'Auteur eft- il vrai , eft - il jufte , eft- il
nouveau ? Ses penfées font- elles fages ,
A OUST 1766. 175
و د
"
33
font-elles exactes & judicieuſes ? Ses
expreffions font - elles claires , préciſes ,
» naturelles ? Ses principes font - ils fûrs &
» raiſonnables ? ... C'eſt , continue l'Au-
» teur de l'examen , ce que je me propofe
d'examiner ; les obfervations que j'ofe
faire au public pourront peut-être fixer
» fon attention & diminuer le préjugé.
» Une critique jufte & fenfée fait appré-
» cier un ouvrage à fa jufte valeur ». Nous
ne pouvons difconvenir que cet examen
ne foit très bien , & ne puiffe même fervir
de modèle pour les écrits de ce genre.
M. de Sainte - Albine , Cenfeur Royal ,
chargé de rendre compte , fuivant l'ufage ,
au Magiftrat de la Librairie , de cette critique
, déclare que , quoiqu'elle foit en
général honnête & judicieuſe , elle peut paroître
févère en quelques endroits ; mais
que l'humeur ne s'y laiffe appercevoir nulle
part ; & que l'Auteur s'y montre animé par
fonfeul zèle pour la religion .
H iv
176 MERCURE DE FRANCE
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES LETTRES.
ACADÉMIE S.
PRIX propofés par la Société Royale
d'Agriculture de LIMOGES.
LAA Société perfuadée qu'elle ne peut
contribuer plus efficacement à étendre les
connoiffances d'Agriculture & d'Economie
Rurale , qu'en encourageant par des
Prix les particuliers à multiplier les recherches
& les effais & à les communiquer au
public , a refolu ( à l'exemple des autres
Corps Académiques ) de diftribuer un Prix
chaque année au meilleur mémoire qui
fera donné fur le fujet indiqué. Elle a
fixé la première diftribution au mois de
Janvier de l'année prochaine 1767.
- Ce Prix fera une médaille d'or de la
valeur de 300 liv. ou la même fomme en
argent , au choix des Auteurs .
La Société propofe pour fujet du Prix
de cette première année : la manière de
A OUST 1766 . 177
brûler ou de diftiller les vins la plus avantageuſe
relativement à la quantité & àla qua.
lité de l'eau-de- vie , & à l'épargne des frais.
M. l'Intendant de Limoges , pour feconder
les vues de la Société , a bien voulu
promettre un autre Prix de pareille valeur
fur un fujet de théorie au choix du Bu
reau d'Agriculture de Limoges , & ce
Prix fera délivré dans le même temps que
le premier,, au mémoire dans lequel on
aura le mieux démontré & apprecié l'effet
de l'impôt indirect fur le revenu des Propriétaires
des biens fonds.
Il paroît néceffaire de donner quelques
éclairciffemens fur le fujet de ce fecond
Prix , & de fixer avec exactitude l'état
de la queſtion.
"
Les perfonnes les plus éclairées dans la
Science de l'Economie Politique favent
depuis long - temps que tous les impôts ,
fous quelque forme qu'ils foient perçus ,
retombent néceffairement à la charge des
propriétaires des biens fonds , & font
toujours en dernière analyfe payés par eux
feuls ou directement ou indirectement.
L'impôt que le propiétaire paye immédiatement
fur fon revenu eft appellé
impôt direct. L'impôt qui n'eft point affis
directement fur le revenu du propriétaire ,
mais qui porte ou fur les frais productifs.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
durevenu , ou fur les dépenfes de ce revenu,
eft appellé Impôt indirect.
L'impôt indirect , malgré la variété
des formes dont il eft fufceptible , pent
fe reduire à trois claffes. L'impôt fur les
cultivateurs , l'impôt fur les profits de
l'argent ou de l'induftrie , -l'impôt fur les
marchandifes , paffantes , vendues ou confommées.
Ces trois claffes & les différentes
formes d'impofitions dans lefquelles elles
fe fubdivifent , peuvent retomber fur les
propriétaires par un circuit plus ou moins
long , & d'une manière plus ou moins
onéreuſe.
Les propriétaires payent l'impôt indirect
de deux façons ; en augmentation de dépenfe
& en diminution de revenu. Si
l'augmentation de la dépenfe ne tombe pas
uniquement fur le propriétaire , mais fur
le cultivateur , elle devient , quant à la
partie fupportée par celui- ci , augmentation
de frais de culture, & par confequent
diminution de revenu . Si par les variations
que les befoins de l'Etat amenent dans la
quotité de l'impôt , la dépenſe des cultivateurs
augmente d'une manière imprévuë,
la condition du cultivateur deviendra plus
mauvaiſe , il ne pourra plus remplir les
engagemens qu'il a contractés antérieurement
avec le propriétaire des fonds , fans
A OUST 1766 . 179
prendre ou fur le falaire de fes peines affecté
à fa fubfiftance & à l'entretien de fa famille ,
ou fur fes avances affectées à la reproduction
de l'année fuivante ; laquelle fera
diminuée à proportion : ce qui le forcera
de chercher un fecond fupplément toujours
plus fort fur le fonds de fes avances . Ainfi
tandis que la charge croîtra d'année en
année, les produits diminueront toujours ,
& le cultivateur marchera à grands pas
vers fa ruine totale , jufqu'au moment où
le terme de fes engagemens lui permettra
( s'il peut encore les renouveller de faire
fupporter la totalité de la charge au propriétaire
en lui donnant un moindre prix
de fa terre. L'impôt qui eft ainfi prélevé
fur le revenu eft appellé par quelques
Ecrivains Impot anticipé .
>
De très - grands génies ont cru que
la forme des impôts indirects mis fur l'induftrie&
les confommations, pouvoit avoir
beaucoup d'avantages-en ce que le partage
apparent des charges publiques entre
tous les membres de la Société en rend le
poids moins fenfible-en ce qu'une partie
de cette charge eft payée volontairement
-en ce qu'elle fe proportionne même
à la fortune des contribuables , qui ne
paient qu'à porportion de leurs dépenfes , &
qui ne dépenfent qu'en proportion de leurs
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
-
richeffes, enfin en ce que ces impôts font
quelquefois dans la main du gouvernement,
un moyen d'écarter de certaines branches
de commerce la concurrence des étrangers ,
& d'en réferver le profit aux nationaux.
D'autres prétendent au contraire que
l'impôt indirect non-feulement retombe
en entier fur les propriétaires des fonds ,
mais qu'il y retombe d'une manière beaucoup
plus onéreuſe , qui même a été évaluée
dans quelques écrits au double de ce qu'on
paieroit , fi l'état avoit demandé directement
aux propriétaires la même fomme
que le tréfor public retire de l'impôt indirect
.
Une queftic. dont les conféquences
font auffi étendues & auffi intéreffantes , a
paru à la Société digne d'être propofée aux
recherches des perfonnes éclairées.
La Société voulant donner à l'avenir aux
Auteurs plus de temps pour les recherches
& les effais qui leur feront néceffaires ,
croit devoir propofer en même temps les
fujets pour les Prix qui feront diftribués
au mois de Janvier 1768 .
Celui du Prix de la Société eft : l'Hif
toire du Charanfon & les moyens d'en
préferver les grains.
Cette hiftoire doit comprendre 1 °. l'hif
toire de l'individu , c'est-à- dire , la defcripA
OUST 1766. 181
tion de cet animal , fon origine , fa manière
de vivre & de s'établir dans les grains ,
fes différentes métamorphofes , la manière
dont il fe multiplie. 2 ° . l'hiſtoire de l'efpèce
; c'est- à- dire , la différence qui fe
trouve dans la marche des transformations
& des générations de cet infecte fuivant
la différence des faifons , l'ordre dans lequel
ces générations fe fuccedent d'une
faifon à l'autre & d'année en année . 3 °
Les moyens les plus fürs & les moins couteux
d'empêcher la multiplication de cet
infecte & de préferver les grains de fes
ravages.
La Société penfe que ceux qui voudront
travailler fur ce fujet , ne pourront mieux
faire que de prendre pour modele l'hiftoire
que MM. du Hamel & Tillet ont donnée
du papillon des grains , fi commun dans
l'Angoumois & le Poitou .
Le fujet du Prix donné par M. l'Intendant
eſt : la manière d'eftimer éxactement
les revenus des fonds dans les différens
genres de culture.
On entend par le revenu des biens
fonds , non le produit total des récoltes ,
mais ce qui en revient de net au propriétaire
, déduction faite des frais de culture ,
charges , profits , & reprifes du cultivateur
, en un mót , ce que le cultivateur
peut & doit en donner de ferme .
182 MERCURE DE FRANCE.
La Société voudroit qu'on indiquât des
principes furs pour faire avec précifion
les calculs que fait néceffairement d'une manière
plus ou moins vague , plus ou moins
tâtonneufe , tout fermier qui paffe le bail
d'un fonds de terre qu'il entreprend d'exploiter
, ou tout homme qui veut l'acheter,
Ces deux Prix feront délivrés au mois
de Janvier 1768 .
Toutes perfonnes feront admifes à l'exception
des Membres de la Société qui
compofent le bureau d'Agriculture de
Limoges.
Les piéces pourront être écrites en fran
çois ou en latin , & les Auteurs feront
libres de leur donner toute l'étendue qu'exigera
le développement du fujet.
Ils ne mettront pas leur nom fur leur
ouvrage , mais un numéro & une devife ,
& ils y joindront un billet cacheté , fur
l'extérieur duquel feront écrits le n° , &
la devife de la pièce , & dans lequel ils
écriront leur nom & leur demeure. Ces
paquets ne feront ouverts qu'après le jugement
des Prix.
Les piéces feront adreffées à M. l'Intendant
de la Généralité de Limoges
lequel fera paffer aux Auteurs les récépiffés
du Sécretaire de la Société . Il eft
néceffaire qu'elles parviennent au SécreA
OUST 1766. 183
taire au plus tard dans le courant de
Décembre 1766 pour les deux Prix de
1767 : & avant le premier Décembre
1767 pour les deux Prix de 1768 .
Le Sécretaire délivrera les Prix fans
autre formalité à ceux qui lui repréſenteront
les récépiffes des Piéces couronnées.
SUITE du Méchanifme de l'Electricité
continuelle de notre globe appliquée à la
végétation desplantes,par M. GAUTIER
DAGOTY, Anatomifte penfionné du Roi.
LA terre , par fon électricité , anime les
plantes , mais elle ne produit pas leurs
femences , elle ne fait végéter que celles
que Dieu a dépofées dans fon fein ; elle ne
fauroit , par exemples , former une amande
fans un amandier ; c'eft pourtant de,
l'amande feule qu'a été produit le premier,
amandier , & ainfi de toutes les plantes &
de tous les arbres qui multiplient par
graines fur fa furface. Les champignons
qui naiffent avec des formes régulières ,
mais fans organe , & dont quelques Auteurs
difent avoir obfervé les graines fans fleurs ,
184 MERCURE DE FRANCE.
& fans utérus , & les étamines femblables
à la pouffière , ne font que des végétations
tirées des racines des végétaux ordinaires ,
comme les biffus dont les filets impercep →
tibles tiennent à celles des arbres ou à celles
des plantes ; & ces végétations fe forment
par la force active de la terre qui les dirige
felon les corps qui fervent à leur production.
Ces végétations ne portent aucune graine ;
on a confondu peut - être avec les graines
ordinaires certaines parties globuleufes
que l'on voit au microfcope ou à la loupe ,
difperfées dans la fubftance du champignon
, & des gouttes infenfibles de rofée
fur les petits filamens des biffus , qui
peuvent auffi être des gommes légères &
en petites larmes arrondies.
Les germes de la génération dans tous
les individus du règne végétal , ont des
parties féparées dans la plante où ils fe
forment , & s'attachent par le moyen
de diverfes organes , & ne font jamais
confondus avec fa fubftance entière
comme on le pretend dans les champignons ;
ni femés fur la furface des corps comme
on veut le faire accroire dans les biffus.
On fait auffi naître les champignons fur
des couches de fumier de cheval, où les parties
végétales ne font pas entièrement digé
A OUST 1766. 185
rées, & qui par ce moyen , fervent d'organes
à leurs productions ; leur prétendue graine
n'a jamais exiſté en les faifant tremper
dans l'eau pour les ramollir & en extraire
les graines,comme plufieurs perfonnes ont
effayé , en arrofant enfuite les couches de
cette eau ; on n'a pas plus augmenté leur
végétation qu'en les arrofant avec de l'eau
toute pure.
Les mouffes qui naiffent fur terre , font
différentes entre elles ; les unes ne font que
de l'efpece des champigons , & font plattes
& de plufieurs couleurs ; elles font fans
organes , & fortent des vieux bois , fur des
murs, fur des roches & des pierres humides,
mais à l'ombre : elles croiffent fur la terre
& fur les corps qui en dépendent par l'action
éléctrique de notre globe ; comme les
cheveux viennent aux hommes , les poils
aux animaux , & les plumes aux oiſeaux.
Mais celles qui ont des tiges , des racines ,
& des feuilles , ont leurs graines impercep
tibles à l'oeil nud , & qu'on obferve au
microſcope , qui voltigent après leur maturité
& fe repandent en divers lieux . Elles
génèrent comme les plantes ordinaires , &
entrent dans leurs claffes. M. Adanfon en
admet dans fa 58e famille des plantes .
treize fortes , dont il nous donne un trèsgrand
détail . Ces plantes ne font chez
>
186 MERCURE DE FRANCE.
nous , prefque d'aucun ufage ; mais en La
ponie , où la terre ne produit ni fruit ni
arbres , elles fervent de pâturage aux Rennes
qui forment les feuls troupeaux & les feules
bêtes de fomme de ce pays ; & ces peuples
malheureux , qui ne jouiffent que de la
plus petite portion des biens de ce monde ,
n'ont pas d'autre feu que celui qu'ils tirent
de ces plantes , qu'il font feicher foigneufement
, & dont ils font leur provifion
avant d'être enfermés par les neiges dans
les prifons auxquelles la nature les condamne
pendant fix mois de l'année .
Lestruffes d'Afrique, teftes Africanorum,
font auffi des plantes , comme les mouffes
dont nous venons de parler, qui fervent à leur
tour d'aliment dans les lieux brûlés par l'ardeur
du foleil , où rien ne végéte hors de la
terre. Elles croiflent dans les deferts de
Numidie, au milieu des fables, elles ont une
écorce qui porte leur graine , auffi difficile
à appercevoir que celle des mouffes ; elles
multiplient dans ces lieux en abondance ,
font d'ungoût excellent, fortifient l'eftomac,
& réparent les forces abattues, ce qui arrive
fouvent par les exeffives chaleurs de ce pays.
Nos truffes forment de même leurs graines
dans les tubercules de leur peaux . On en fait
ufagedans leur entiere maturité fi on veut les
multiplier. Voyez le Journal Economique
A OUST 1766. 187
d'Aouft 1765 , & le Dictonnaire de Lemery.
Les végétations pierreufes , & les ruches
marines qui viennent fur des rochers au
bord des écueils , au milieu des mers & à
leurs rivages , ne font pas des plantes ; ces
dernieres , que l'on voit dans les cabinets
des amateurs , ne font que des nids d'infectes
marins , comme nos ruches d'abeilles
maffones , formés en éventails , en gâteau ,
ou en cônes ; les autres font des particules
de diverfes matières impulrées & accumulées
par l'électricité & la force active de
la terre , comme celles qui vont former
les cornes des cerfs , par le fecours de
l'impulfion deleur fang & de leurs efprits.
Ces impulfions font végéter , & arboriſent
des parties tendres & fluïdes , qui deviennent
enfuite folides fur le crâne des taureaux
, des beliers , & c. De même l'impulfion
, dont nous venons de parler , fait
croître fur des rochers de ces fortes de
végétations. La terre ne manque d'aucun
fel; les eaux lui fourniffent les parties fluides
qui les lient , fur - tout celles de la mer
qui la pénètrent dans les endroits que
nous venons d'indiquer. Ces végétations
font autant de preuves de l'activité de la
terre , que je démontre aujourd'hui. On
peut comparer fon action à celle du feu
des chymiftes , qui par fon activité & le
158 MERCURE DE FRANCE.
fecours du mercure , fait végéter les mé
taux qui s'arborifent alors de la même
façon que les parties pierreures , & formentdes
branches , des efpèces de feuilles ,
& des fruits fort imparfaits , qui n'ont
comme les végétations , dont nous venons
de parler , aucune organifation , & que
l'on regarde vainement comme des ébauches
& des pierres d'attente. Il faut au
contraire confidérer dans les végétations
pierreufes d'une part , l'activité de la terre,
& de l'autre , les bornes de fes forces.
Toutes ces productions en général ne
prouvent rien contre la génération conftante
des plantes organifées. Elles ne détruifent
pas l'idée générale qu'ont que les
hommes jufqu'aujourd'hui , que les ſemences
& les graines ne peuvent fortir de
la terre fans le fecours des plantes qui les
produifent & parconfequent qu'elles
doivent avoir été créés & déposées dans
fon fein. Le Créateur fans fe fervir d'une
caufe feconde , comme quelques uns le
prétendent fous le nom d'atomers ou de
molécules , pour produire les êtres & établir
l'ordre de l'univers , n'a jamais eu
befoin de faire préalablement des particules
de matière actives & paffives , c'eft- a - dire ,
de deux façons , ou de deux fubftances
différentes en même temps , pour enfuite
A OUST 1766. 189
douer l'une des deux d'une qualité &
puiffance , qui ne peut
émaner que directement
de fa feule volonté : ce feroit alors
faire des outils pour former fon ouvrage.
On veut comparer en ceci fa toute puiffance
à la foibleffe des hommes ; & fi on
abandonne à la matière entière le pouvoir
de s'arranger elle même par l'ordre de
Dieu , on tombe dans la même erreur.
Car il eft égal à un être qui peut tout de
ranger tout lui même directement , ou
d'ordonner que tout s'arrange de foi même ;
& il eft certain que Dieu n'a pas refufé de
fe montrer dans fes oeuvres ; nous voyons
en effet par-tout l'efprit de jufteffe & de
prévoyance qu'il faudroit que la matière
eût fi cela n'étoit point. Le fexe des plantes,
ou les parties mâles & femelles , qui
fervent à leur génération , pofées dans un
feul individu , en font des preuves , parce
quelles ne peuvent pas chercher leur accoupplement.
Une ou deux plantes font
exceptées de cette loi , comme le chanvre
& le dattier ; mais ils n'ont jamais été féparés
depuis leur création . D'une autre part les
hommes , les animaux , les oifeaux & les
poiffons qui peuvent chercher à produire ,
font tous féparés en d'eux fexes , foit
le befoin particulier de leur foetus nouveaux
nés , ou pour fervir à l'union & à
pour
190 MERCURE DE FRANCE .
la confervation de ce regne . Rien ne civilife
plus & n'adoucit plus les moeurs,
Les infectes vénimeux & nuifibles génerent
feuls. Toujours remplis de fiel & d'amertume
, ils fe font fouvent mourir eux - mêmes
comme le fcorpion lorfqu'il n'a plus d'ef
poir de fe fauver. Les autres utiles aux
hommes , comme l'abeille , le ver à foie ,
s'accouplent ; & ceux bons à manger ,
comme l'efcargot , s'accouplent doublement
; ils font hermaphrodites & les feuls
vrais hermaphrodites : car ceux que l'on
a fuppofés parmi les hommes & les animaux,
ne font que des monftres dont les
parties font reftées à moitié de leur dévéloppement.
Sice que l'on vient de dire des infectes n'eſt
pas général , & s'il y en a qui s'accouplent ,
ou qui générent feuls , avec des qualités
différentes de celles que nous venons de
leur attribuer , il y a des raifons que nous
n'avons pas encore pénétrées , qui en font
la caufe. Il eft certain que tout & prévu ,
que le hazard & le concours des atomes
font des chimères , & que les bons mots
de ceux qui n'ont pas d'autre raifonnement
à mettreaujour pour détruire cette vérité ,
ne perfuaderont perfonne , pour peu qu'on
veuille refléchir.
A OUST 1766. 191
Suite du projet de la collection des plantes
imprimées en couleur, de M. GAUTIER.
Les botaniftes anciens ne fe font attachés
qu'aux plantes utiles à la Médecine
& aux Arts. Théophrafte , Diofcoride
& Pline , ont traité de toutes celles qui
étoient connues de leur temps , & les ont
divifées pour l'étude de la Médecine; mais"
leurs divifions ne font pas capables d'apprendre
à les connoître ; elles ne fervent
qu'à étudier leurs vertus. Il y a trois fortes
d'études dans la botanique : 19. celle de
la connoiffance des plantes , 2 ° . celle de
leurs vertus , 3 ° . l'étude phyfique de leur
génération : celle- ci fait la partie curieufe
des plantes ; les premières parties de leur
étude font les parties utiles.
L'étude médicale des plantes eft affez
connue. M. Tournefort & M. Linnéus ont
parfaitement développé l'étude curieufe
de leur fructification , ils en ont formé des
claffes pour apprendre à diftinguer les
plantes par la forme de leurs fleurs & le
nombre de leurs étamines. On ne peut
rien ajouter à leurs recherches . Mais les
plantes ne font pas toujours en fleurs , & il
faut néceffairement les connoître par les
autres parties qui les compofent. L'étude
192 MERCURE DE FRANCE.
de leur connoiffance eft fondée fur la plante
totale ; de forte que cette étude ici reſte
toujours imparfaite ; & le peu qu'en ont
écrit les Auteurs en les décrivant , eft fans
ordre & fort confus. Si on en excepte les
fleurs & le fruit , comme nous venons de
dire , on n'a du moins formé aucun ſyſtème
pour connoître indépendamment des fleurs,
les plantes en toutes faifons ; car décrire
des plantes , ou former un' fyftême général
des plantes , font deux chofes bien différentes.
C'eft ce que l'on va obferver.
Systême pour connoître les plantes fans
leurs fleurs & fans leurs fruits , par
leurs racines , leurs tiges & leurs feuilles .
RACINES.
Familles des plantes , confidérées par la
forme de leurs racines .
1ere. Nodeufes ; l'iris , le rofeau , le gramen
, & c.
2e. Tronçonées ; l'angélique , la grande
confoude , & c.
3e. Branchues ; la lavande , le thin , & c.
4. Spinacées; l'épinard , la levaifche, & c.
5e. Barbues ou chevelues ; les fromens ,
la corteufe , & c.
6e. Frangées ; l'afarine , l'élléboré , &c.
7e.
A OUST 1766. 193
7e. Bulbeufes ; le fafran , les oignons.
Bulbeufes & cuvées ; l'ornitolagum. Bulbeufes
& gouffeufes ; l'ail , & c.
8e. Tubéreufes ; le glayeul , la tubéreuſe ,
le léontopétalon , & c.
ye . Rapontiques & barbues , ou branchues
; la rhubarbe. Rapontiques & nodeufes;
le nunéphar , & c .
10e . Raphanes ; les raves ,
la pivoine mâle , &c.
les navets ,
11e. Diaraphanes ; le gincin , le behen
la mandragore , & c.
12e . Poliraphanes ; le faux aconit de
Matthiole , l'afphodèle , & c.
13e. Tefticulaires ; le fatirion , le nard
de montagne , l'orchis , & c.
14e. Glanduleufes ; la filipendule , la
petite chelidoine , l'ananthé.
15e. Ventriculaires ; la fève d'Egypte ,
le cyclamen , & c.
16e. Traffiques ; le fouchet , le topinambourg
, &c.
179. Dentaires & écailleufes ; la dentaire
, l'orobanche , l'herbe mufquée , &c.
18e. Serpentines ; la falcepareille , le
glicirrhiza de Matt. & c.
19e. Vermiculaires ; le tuffilage , la coridale
de Matt. &c.
20 Aragneufes &fcorpicufes ; l'aconit
mineur de Matt. l'aconit de Pline , &c .
Ι
194 MERCURE DE FRANCE .
21e. Pédiculaires ou palmipedes ; en
forme de patres , & ayant des pattes ; le
palma- chrifti de Matt. le glayeul , & c.
22e. Ridées ; la pédiculaires des prés ,
la bouquetine frifée , & c.
Toutes les plantes découvertes juſqu'à
préfent peuvent être rangées fous ces vingtdeux
familles ; & , pour déterminer entièrement
leur caractère & les diftinguer
entre elles dans chaque famille , on ajoute
aux racines les qualités fuivantes.
Subftance des racines en général.
1e. Ligneufes ; le thin , la méliffe de
jardin , la méliante , le cifte , & c.
2e. Nerveufes, qui ont un centre ligneux;
le chardon , la chicorée , & c.
le
3e. Charnues ; la rubarbe , les raves ,
nunéphar , le panicaut de mer , &c.
4e. Fongeufes & poreuſes ; le meum, la
barbe de renard , & c.
se . Molles ; le lazer , le cerfeuil mufqué
, & c.
6e. Laiteufes ; l'afcammonée , l'épine
jaune , le peplus , le condrille , &c.
7e. Glutineufes ; la grande confoude ,
la fougère commune , & c.
Couleurs extérieures des racines .
1e. Blanches ; le fenouil , le radix blanc,
le pied de veau , &c.
A OUST 1766. 199
2e. Grifes ou cendrées ; le léontopétalon,
l'ariftoloche , le chardon étoilé , &c.
3e. Jaune pâle oujaune foncé ; le fceau
de Salomon , l'afphodèle , la brione , & c .
4e . Rouges , rougeâtres ou rouffes ; la
garance , la bétoine de montagne, le caillelait
, & c.
se. Brunes ou noirâtres ; la biftorte , le
caméléon blanc , la galliore , &c.
6e. Violettes ; la hyacinte , & c.
7e. Verdâtres ; l'oreille de liévre , la
filicula , & c .
8e. Noires ; la branc-urfine , l'arifarum ,
le terrenoix , & c.
Couleurs intérieures des racines.
1e. Blanches ; le caméléon blanc , la
branc-urfine , l'afpergès , &c.
2. Grifes ou cendrées ; la buglofe , l'ellébore
noir , le meum , &c.
ze. Jaune pâle ou jaune foncé ; l'arifloloche
, la rubarbe , & c.
torte ,
4e. Rouge vif ou rouge foncé ; la bif
la quintefeuille , la garance , &c .
se. Cramoifi ; la béterave , & c.
6e. Verdâtre , le léontopétalon , le poli
pode , & c.
L'on voit qu'une racine n'eft pas égale
ment colorée extérieurement & intérieurement
; la branc- urfine eft noire en dehors
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
& blanche en dedans , la biftorte eft noirâtre
en dehors & rouge en dedans , & ainfi de
plufieurs autres , ce qui fert beaucoup à les
caractérifer.
LES TIGES.
Les tiges attachées aux racines fervent
auffi à la connoiffance des plantes : après
les avoir féparées par leur racines , comme
l'on vient de voir , on les foufdivife par
la forme des tiges , & on en compofe les
claffes de chaque famille.
Claffes des plantes confidérées par leurstiges,
1. Rondes &fiftuleufes ; l'ail , la tulipe ,
l'orobanche , & c.
2e. Rondes , nodeufes , ébranchées ; le
rofeau , les fromens , le calamus odora¬
tus , & c.
ze. Rondes , rameufes & demi- rondes ;
la faulle guimauve , l'aconit , le coqueret ,
le fabago belgarum , &c.
4e . Anguleufes , ébranchées ; le narciffe
de Conftantinople , le fouchet rond , le :
fouchet odorant , & c.
se . Anguleufes , rameufes ; le glouteron
aigu , la veffe , la biſtorte , &c.
6e. Quarréés , ébranchées ; la garance
cultivée , le chanvre , la bétoine , la ban.
que, &a
A OUST 1766. 197
4e. Quarrées & rameufes ; le grateron ,
le caille-lait , le marrube , & c.
8e. Canelées , ébranchées ; le nariffe ,
le long plantin , & c.
ge . Canelées , rameufes ; le fouci , l'angélique
, l'ache de marais , & c .
10e . Rampantes & grimpantes ; le lierrè ,
la vigne vierge , &c.
Les tiges ont auffi d'autres qualités qui
les caractériſent , outre leurs formes qu'on
a choifies pour compofer les claffes ci - def
fus, & ces qualités ferviront à marquer
les diverfes efpèces dans chaque différente
claffe.
Qualités extérieures des tiges.
1e. Unies ; l'ornitolagum , le fceau de
Salomon , l'angélique , &c.
2. Poudreufes ; la flambe , le lepidium
latifolium , & c.
3e. Velues ; la lunaire , la méliffe romaine
, & c.
4. Apres ; la
jardin , & c.
garance , la méliffe de
se. Cotoneufe ; la jufquiame , la fauge ,
le phyllum , & c.
6e. Epineufes ; la verge à berger , le
-rozier , la brugane , &c .
7e. Perforée ou tachetée ; la ferpentaire ,
la petite éfule , l'arifarum , &c .
I iij
98 MERCURE DE FRANCE.
8e. Folliées & écailleufes ; l'afphodèle ,
l'achillea , & c.
9e. Enveloppées ; l'orcis , le rofeau , & c .
10e. Nodeufes & boffelées ; le choux
rouge , l'agilops , le panis.
Qualités intérieures des tiges.
1e. Creufes ; le rofeau , l'angélique , la
guimauve , &c.
2º. Ayant une moëlle ; le napel , le fu--
reau , & c.
ze. Tendres & pleines ; l'ornitogale , La
pariétaire , &c.
4e. Charnues ; la triquemadame , &c.
je. Ligneufes ; le pfillum , la garderobe
, &c.
6e. Spongieufes ou poreufes ; le jonc , la
maffe d'eau , & c.
79. Laiteufes ; le plexus, le péripocla , &c
FEUILLE S.
Les feuilles des plantes leur donnent
le caractère le plus remarquable , & c'eft
par le port & la forme des feuilles que ,
fans balancer , les Botaniftes diftinguent
ces plantes en tout temps. Les feuilles ne
varient point dans leur forme & ne fortent
pas de leur caractère général. Les
variétés qu'elles peuvent avoir fe trouvent
A OUST 1766. 199
+
2
dans les feuilles de la plante naiffante &
fur celles qui accompagnent les tiges dans
quelques- unes des efpèces de plantes feulement
, mais non pas fur toutes ; & en
obfervant ces variétés , on tranche toute
difficulté : ce qu'on aura foin de faire dans
le détail de ce fyftême.
Après avoir divifé les plantes par leur
racines en feuille , & les ayant fous- divifées
en claffes par leurs tiges , on les partage
enfuite en genres par la forme de leurs
feuilles.
Genres des plantes pris dans la forme &
port de leurs feuilles. le
1e. Communes ; faites comme la feuille
de laurier , d'olivier , de fauge , & c.
2e. Rondes & lunaires ; comme les feuilles
du cifte mâle , du fuftet , du faux dictame
, la petite lunaire , &c.
3e . Spatulaires ; la beta rubra vulgaris ,
l'hormin , le paftel , & c.
4. Linguales ; l'fcolopandre commune,
le lapatum aquaticum , le cochlearia folio
cubitali , & c.
se. Auriculaires ; la patte d'oye , l'arroche
, la flèche d'eau , & c .
6e. Cardiales ; la toutebonne , l'ortie
morte , la lunaria major , le filiqua rotundiora
, le marrube noir , &c.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
7e. Lancelées ; le cenopodium , l'épifleuri
, la méliffe , & c.
la
8e. Découpées ; la feuille de moutarde ,
roquette , l'agrimoine , &c .
ge. Frifées &freffurées ; la rhubarbe , le
choux frifé , la laitue frifée , & c.
10. Cépacées ; l'ognon , la jonquille, &c.
119. Accuffes ; l'herbe aux puces ,
fafran , le fétu , &c.
le
120. Gladieufes & rubanées ; l'iris , le
narciffe , le gladiolus , l'algue marine , &c.
13e. Ombelles , la capucine , le nombril
de Vénus , l'acetabulum , & c.
14. Perfordes , la perfoliata de Matt.
le dipfacus , & c.
15e . Bifollieufes ; le tabago belgarum ,
le clýmenum , la veffe fauvage , le laurier
alexandrin , & c.
16. Trifollieufes ; les tréfles fauvages ,
celles des prés , l'ancolie , &c.
17e. Cruciferes , le quadrifolium , l'herbaparis
, & c.
13c. Quinquefolieufes ; la quinte- feuille ,
le chanvre , le peutaphylon album de
Matt. & c.
19. Polifollieufes ; le régliffe , le bagnadier
, le mille -feuille , & c.
20e. Palmeufes ; le fecuridaca de Matt.
le lonchitis , la fougère , & c.
21e. Verticillées ; l'hépatique des bois ,
la croifene, le galium arvenfe , & c.
AOUST 1766. 201
22. Panachées ; le tithymalus paralius ,
la petite éfule , le thymelæa , & c.
23e. Filamenteufes , funiculaires , tubulaires
; le fenouil , la férule , le meum , le
ciprès , le tamaris , la fabine , & c.
24. Epaiffes ; la joubarbe , l'aloës , le
tragum , & c.
25e . Epineufes ; la branc- urfine , le chardon
beni , & c.
26e. Hériffonées ; le genievre , & c.
Les feuilles divifées par leurs formes &
leur port en vingt-fix genres , ont en outre
des qualités comme les tiges & les racines
qui les diftinguent.
Contours des feuilles.
1e. Unies ; le fceau de Salomon , l'iris ,
le mufle de veau , & c.
2e. Dentelées ; la méliſſe , l'épifleuri , le
rofier , & c.
3e. Feftonées ; le pied de poule , la moutarde
, la cymbalaire , &c.
Attaches des feuilles .
1. Caudacées ; la toutêbonne , la fauge ,
le marrube , & c. .00
2º. Queuefollieufes ; la roquette , le creffon
d'eau , le fifymbrium aquaticum , & c.
39. Excaudacées ; le fceau de Salomon ,
le millepertuis , l'efpatule , & c.
I v
202 MERCURE DE FRANCE
Texture des feuilles.
14. Unies ; la couronne impériale , l'iris,
la tulipe , &c.
2. Cotoneufes & lanugineufes ; la jufquiame
, l'oeil de boeuf , &c.
3e. Veloutées ; le bouillon blanc , la
digitale , &c.
4e. Veluës ; l'épi fleuri , la méliffe romaine
, & c.
se. Apres le pfyllium , la crapau
dine , & c.
6e. Grainues & graffes ; la fauge , l'eruca
maritima , & c.
7e. Poudreufes; le pavot , la fougère , & c..
8. Tachetées ; la pulmonaire , le chardon
argentin , le cyclamen , & c,
9e. Canelées ; le plantin , le fceau de
Salomon , & c .
10e. Boffelées ; la primevere , Ffcolo
pendre commune , & c.
11e. A groffe côte ; la bette , le choux
blanc , & c ..
12e. A dos aigu ; le fouchet odorant, &c .
M. Gautier a déja annoncé que fes planches
imprimées en couleur , qui forment
la collection qu'il donne au public , &
pour lesquelles on foufcrit , feroient ac
compagnées d'une table explicative dont
le caractère fera encadré , & qu'au - deffus
A OUST 1766. 203
du quadre , au lieu de chiffres , feront les
notes qui indiquent le fyftême de M. Tournefort
& celui de M. Linéus en ce qui
concerne les fleurs & les parties de la
fructification , pour faciliter les amateurs
de fuivre le fyftême qui leur fera plaifir ;
& de plus , il annonce qu'il ajoutera les notes
qui marquent les familles , les claſſes
& les genres de celui que l'on vient d'expofer
, pour connoître les plantes en toute
faifon.
Comme ce nouveau fyême peut faire
plaifir , & que les Amateurs & les Etudians
feroient bien aife de l'avoir féparément de
la collection annoncée , en forme d'agenda ,
accompagné d'une feuille feulement de chaque
plante , felon l'ordre de leurs formes
avecune courtedefcription des qualités de la
feuille , de la racine & de la tige de chaque
plante , on a confeillé à M. Gautier de le
donner en même temps que fa collection ..
C'est ce qu'il va faire. Il fera in- 4°. Les :
feuilles feront couchées à plat , avec leur
couleur de grandeur naturelle. Il y aura
plufieurs feuilles dans la même planche ,
& les grandes feuilles occuperont une
feuille double de papier.
Pour mettre ce projet en exécution
l'Auteur propofe une petite foufcription à
la portée de tous les Etudians , qui fera du
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
prix de 2 liv. pour quarante planches , qui
formeront un cahier où il y aura quantité
de feuilles de diverfes plantes , mifes
en ordre , fuivant le fyftême ci- deffus ,
pour pouvoir les trouver aifément en herborifant
dans les campagnes . Le tout formera
quatre cahiers de quarante planches
chacun.
1
,
L'Auteur demeure actuellement place du
quai de l'Ecole , à côté de M. Lecomte
Vinaigrier du Roi , en entrant par le quai ,
à main droite , la première maiſon neuve.
ERRAT A.
A la differtation de M. Gautier Dagɔty , page
186 , teftes africanorum , lilez , terfez aff icanorum . "
Page 187, impulrées , lifez , impulfées. Page 190 ,
après le mot moeurs , ajoutez , que l'amour des
fexes . Même page , que tout & prévu , lifez , que
tout eft prévu.
A OUST 1766. 205
ARTICLE IV.
BEAUX-ARTS.
ARTS UTILE S.
CHIRURGIE.
FONDATION nouvelle de quatre Prix aux
Ecoles de Chirurgie.
M. Houflet , ancien Directeur de l'Académie
Royale de Chirurgie , chargé de
l'infpection des Ecoles , touché de l'émulation
des Etudians , & rempli du defir de
faire éclore des talens utiles à la patrie ,
vient de fonder à perpétuité quatre médailles
d'or de la valeur de 100 livres chacune
, pour être diftribuées annuellement
aux quatre Elèves qui auront le plus profité
des exercices & des inftructions de l'Ecolepratique.
Cette Ecole , établie par Arrêt
du Confeil , du 4 Juillet 1750 , a reçu- fa
dernière forme par un Réglement du Roi ,
du 19 Mats 1760. Sa Majefté , pour rendre
ces exercices plus utiles & éviter la
206 MERCURE DE FRANCE.
confufion , ordonne qu'on n'y admettra
chaque année que vingt Sujets , deux à la
mination de chaque Profeffeur , du nombre
des Elèves feulement qui , natifs de
quelques - unes des Villes des Provinces du
Royaume , fe deftineront à y retourner
pour y exercer leur profeffion . L'Ecolepratique
fe tient pendant les mois de Décembre
, Janvier , Février & Mars. On n'y
eft admis qu'après des examens publiques
qui conftatent le fruit qu'on a retiré de
la fréquentation des Ecoles. Il faut enfuite
juftifier par de nouveaux examens qu'on a
mérité le prix du favoir & de l'habileté
dans les opérations anatomiques & chirur
gicales .
Les quatre Elèves couronnés l'année
dernière 1765 font : MM. Baillant , diocèfe
de Befançon ; Eiquem , diocèſe de
Bordeaux ; Figuet , diocèfe de Vienne ;
Terras , diocèfe de Valence.
Ceux qui ont eu les prix cette année
1766 font : M. Francart , diocèfe de
Reims , Terrel , diocèfe de Mâcon ; Def
champs , diocèfe de Chartres ; & Bourbier,
diocèfe de Laon.
A OUST 1766. 207
ARTS AGRÉABLES.
GÉOGRAPHIE.
ROUTE OUTE de Paris & de Verfailles à Com
piegne , dédiée à Mgr le Comte de Provence
; par le fieur Denis , Géographe des
Enfans de France. Cette carte a cela de
curieux , qu'elle indique non- feulement
toutes les maifons & palais qui fe voient
lorfqu'on va de Paris ou de Verfailles à
Compiegne , mais elle apprend auffi quels
font les propriétaires actuels de ces mêmes
maifons. C'eft un amufement pour ceux
qui font obligés de faire ce voyage ;
carte à la main , ils n'ont aucune queftion
à faire , pour fatisfaire leur curiofité fur
les différens objets qui s'offrent à leur
vue.
la
LES environs de Compiegne , par le
même Geographe. Les perfonnes qui ai
meront à fe promener dans le voisinage
de cette ville , trouveront de grands fecours
en faisant l'acquifition de cette nou
velle carte , où l'on ne laiffe rien à defirer
pour la parfaite intelligence du pays.
CARTE topographique de la forêt & des
environs de Compiegne , où font très - exac203
MERCURE DE FRANCE.
tement placées les nouvelles routes , avec
le jardin du Roi ; corrigée fur les lieux ,
par Denis , même Géographe. Ces trois
Cartes fe vendent à Paris , chez l'Auteur ,
& chez Pafquier , rue Saint Jacques , visà-
vis le collège de Louis le Grand , & à
Compiegne , chez Chriſtophe , Marchand ,
au Château.
GRAVURE.
M. de Loutherbourg , Peintre Agréé de
l'Académie Royale de Peinture , a gravé
à l'eau - forte une fuite de foldats , une
fuite de payfans , & une troiſième de payfages
: ceux qui voudront s'en procurer des
exemplaires , s'adrefferont chez l'Auteur ,
rue du Bacq, près les Miffions étrangères.
On trouve chez le fieur Lattré , Graveur
, rue Saint Jacques , à la Ville de
Bordeaux , un joli portrait du Grand Nevyton
, gravé par M. Gaucher , peint par M.
le Chevalier Kneller. Il eft de la même
grandeur de ceux de Montefquieu & Def
cartes , qui fe trouvent chez le même Artifte
; le prix de chacun de ces portraits ,
eft de i liv . 4 fols.
A OUST 1766. 209
D
MUSIQUE.
ICTIONNAIRE Lyrique portatif , ou
Choix des plus jolies Ariettes de tous les
genres , difpofées pour la voix & pour les
inftrumens ; le tout recueilli & mis en
ordre par M. Dubreuil , Maître de Clavecin
: deux vol. in- 8 ° . Prix 15 liv. broché
en carton.
Des conteftations mal fondées avoient
fufpendu depuis deux ans la publicité de
cet ouvrage , qui enfin a été mis en vente
depuis quelque temps. Nous l'annonçons
avec confiance , non- feulement aux amateurs
déclarés de la mufique , mais à tous
ceux qui en font le plus légérement leur
plaifir. Ce Recueil , dans lequel on a réuni
prefque tous les airs du genre françois
& du genre italien , one le Public a goûté
& applaudi , particulièrement dans ce qu'on
appelle les Comédies à ariettes , ne peut
qu'être infiniment agréable à tous ceux qui
apprennent ou qui s'amufent à chanter
puifque le genre dominant dans la fociété
eft celui qui fait le fond de cette collection .
L'exécution de ce projet ne peut qu'en
favorifer beaucoup le fuccès. Tous les airs
210 MERCURE DE FRANCE.
font difpofés fur la clef de géré-fol fur la
feconde ligne , ou la clef d'f-ut -fa fur la
quatrième, comme les plus connues; enforte
que ce Recueil convient également à toutes
fortes de voix & d'inftrumens , ainſi qu'aux
perfonnes les moins habiles à la lecture de
la mufique. L'ordre alphabétique que l'on
a fuivi eft très-commode , puifque la recherche
du morceau que l'on defire eft auffi
prompte que la volonté ; pour affurer encore
& faciliter cette recherche , on a imprimé
à la tête de chaque volume une table des
airs contenus dans le Dictionnaire, lefquels
font défignés par les premiers mots des paroles
qui font deffous.
Une confidération qui doit encore mul
tiplier & perpétuer le débit du nouvel ouvrage
, c'eft qu'il n'y en a point de ce genre
d'un prix plus modique proportionellement
à ce qu'il contient , fi l'on confidère le prix
ordinaire des livres de mufique . On trouve
dans celui- ci plus de quatre cents airs avec
les paroles , le tout gravé avec toute la
netteté & le foin poffible.
Ce Dictionnaire Lyrique fe trouve à
Paris , chez l'Auteur , rue de Poitou an
Marais , & chez Lacombe , Libraire , quai
de Conty .
A OUST 1766. 211
ARTICLE V.
ΟΝ
SPECTACLES.
O PÉRA.
N continue les repréfentations des
Fragmens qui ne ceffent point d'être agréables
au public. Mlle DURANCI a repris
le rôle de Roxane dans l'acte turc : elle
y est toujours fort applaudie , ainfi que
M. & Mile LARRIVÉE , qui n'ont pas difcontinué
un feul jour de jouer dans ce
même acte .
La délicateffe de la fanté de Mlle ARNOULD
l'a forcée de prendre du repos.
Mile RIVIERE Chante à fa place dans l'acte
du Sylphe. M. LEGROS , dont le public
avoit été privé par une indifpofition , a
repris le rôle de Zelindor , Mardi 29 , avec
un nouveau fuccès & tous les applaudiffemens
qu'il y mérite.
Par une diſtinction très- méritée , le rôle
de Zirphé a excité l'émulation des principales
Actrices. Mlle DUBOIS fe chante
actuellement avec beaucoup de fuccès : la
force & l'étendue de fa voix Y font journellement
applaudies.
212 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE
FRANÇOISE.
LE
E Lundi , 14 Juillet , on donna une
autre repréfentation de l'Ecoffoife & du
Legs. Ces deux Pièces avoient été redemandées
elles furent encore extrêmement
applaudies , & Mlle PREVILLE y reçut de
nouvelles preuves du véritable intérêt dont
elle a affecté le public & du cas qu'il
fait de fes talens. Occupés de ce même
objet dans le précédent volume , nous
avons obmis de faire mention du plaifir
que tous les autres Acteurs ont fait dans
l'Ecoffoife ; notamment Mlle . DOLIGNI
toujours & plus que jamais admirable dans
l'expreflion du fentiment & dans les grâces
naïves dont elle le pare. Mlle FANNIER ,
dont nous avons déja annoncé les difpofi
tions & les progrès , a joué dans cette repréfentation
le rôle de foubrette avec
beaucoup de grâces & d'intelligence. Le
public voir avec fatisfaction cette jeune
Actrice fe former de jour en jour ; il y a
tout lieu de préfumer qu'elle confirmera ,
par le talent , la prévention agréable qu'elle
infpire par fa figure.
Les tragédies repréfentées fur ce théâtre
depuis le 12 du mois ont été Phedre &
A OUST 1766. 213
Hyppolite, Brutus, Tancrede, dans laquelle
Pièce Mile DUBOIS a joué avec beaucoup
de fuccès & d'applaudiffemens le rôle
d'Amanaïde , Mahomet & Hypermnestre.
Les comédies , en grande Pièce , ont été.
le Muet , le Jaloux défabufé , le Mifantrope
, Turcaret , le Diftrait , le Chevalier
à la Mode , le Menteur , Dupuis & Def
ronais , l'Esprit Folét.
Mlle LIVRY , Actrice nouvelle , a débuté
par les rôles de caractères. Le fuccès
de ce début ayant paru douteux , on en
rendra compte lorfque cette Actrice l'aura
continué dans plufieurs Pièces.
On attend dans quelques jours la première
repréfentation d'Artaxerce , Tragédie
nouvelle de M. LE MIERRE .
COMÉDIE ITALIENNE.
D EUX nouvelles Actrices Italiennes
ont débuté fur ce théâtre le 22 de ce mois ,
l'une par le rôle de mère & l'autre par
celui d'amoureufe dans les Amours d'Arlequin
& Camille. Elles continuent leur
début les jours deſtinés à repréſenter des
Pièces italiennes.
Le Jeudi 14 on donna la première re214
MERCURE DE FRANCE.
préfentation de la Clochette , Comédie
nouvelle en un acte & en vers mêlée d'ariettes
. Les paroles de M. ANSEAUME , la
mufique de M. DUNI. Cette Pièce , dont
les Auteurs font connus d'une manière à
en faire préfumer favorablement , n'ayant
été donnée encore que deux fois lorfque
nous écrivons cet article , nous ne fommes
pas en état d'en rendre un compte détaillé
dans ce volume. Ce que nous pouvons
attefter , c'eft qu'elle a fait plaifir à beaucoup
de fpectateurs dès la première repré
fentation , qu'elle a encore été plus goûtée
à la feconde , & qu'à préfent le fuccès n'en
paroît pas douteux pour les fubféquentes
Le titre de cette Pièce annonce la fource
où l'on a puifé l'idée du fujet. C'eſt un
ouvrage à- peu- près dans le genre des deux
Chaffeurs & la Laitière , que l'on revoit
fouvent fur ce théâtre & toujours avec
fatisfaction. Nous hafarderons de dire
s'il eft quelques drames dans lefquels on
puiffe concilier ce mêlange d'ariettes , fans
bleffer le goût & la raifon , ce font ceux
de l'efpèce de celui - ci , dont les ſujets
font légers & uniquement tournés à l'amufement;
fans prétention à la force d'intrigue
, de caractères & des autres grandes
parties de l'art.
que
A OUST 1766. 215
APPROBATION.
J'AI lu , par ordre de Monſeigneur le Vice-
Chancelier , le Mercure du mois d'Août 1766 ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion . A Paris , ce 11 Août 1766 .
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
LETTRE ETTRE à M. de la Place.
LA Scrupuleufe , conte .
LE Pélerinage d'amour .
Page S
10
23
RÉPONSE à des vers où l'on reproche à Mde la
Comteffe D *** . ſon amour ſi naturel pour
le Cavagnole.
LE Papillon & le Ver à foie , fable .
28
29
EPITAPHE de Mgr le Maréchal de Noailles . 30
EPITRE à une mère qui a allaité ſes enfans . 3
VERS adreffés à M. J... de Troyes par Mde
la Marquife de L. F....
VERS attachés fur le berceau d'un enfant.
36
37
L'AMOUR tel qu'il eft , conte tiré du grec. Ibid.
EPITRE à mon efprit.
ENIGMES.
LOGOGRYPHES .
ROMANCE tendre. A Mlle D
72
77
78
So
216 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II . NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LETTRE à M. de la Place. ·
HISTOIRE de Louis de Bourbon , ſecond du
nom , Prince de Condé , &c.
SUITE de l'extrait de la traduction de la Pharfale
de Lucain par M. Marmontel.
SUITE de l'extrait du Voyageur François ,
par M. l'Abbé de la Porte.
IANE , ou les Amans féduits par leurs
vertus ; par Mde Benoît.
ANNONCES de Livres .
82
84
102
109
149
160
ARTICLE III . SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADÉMIES.
PRIX proposés par la Société Royale d'Agriculture
de Limoges. 173
SUITE du Méchaniline de l'Electricité continuelle
de notre globe appliquée à la végé̟-
tation des plantes.
186
ARTICLE IV. BEAUX ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE . Fondation nouvelle de quatre
prix aux Ecoles de Chirurgie.
ARTS AGRÉABLES.
GEOGRAPHIE.
GRAVURE .
MUSIQUE.
ARTICLE V. SPECTACLES
OPÉRA.
COMÉDIE Françoife .
COMÉDIE Italienne .
205
207
208
209
211
212
213
Le retard de ce Mercure provient entièrement
de l'Imprimerie. On en demande excufe au Public.
On a pris des mesures pour y mettre orare.
De l'Imprimerie de Louis CELLOT , rue
Dauphine.
MERCURE .
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
SEPTEMBRE 1766.
Diverfite , c'est ma devife. La Fontane.
12/2
A PARIS,
JORRY , vis- à-vis la Comédie Françoiſer
PRAULT , quai de Conti .
Chez DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue du Foin.
CELLOT , Imprimeur, rue Dauphine
Avec Approbation & Privilege du Rois

AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer
francs de port , les paquets & lettres ,
pour remettre , quant à la partie littéraire ,
à M. DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols ;
mais l'on ne payera d'avance en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles
on enverra le Mercure par la Pofte
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront d'autres voies que
la Pofte pour le faire venir , & qui prendront
les frais du port fur leur compte ,
ne payeront comme à Paris , qu'à raiſon
de 30 fols par volume , c'eft à dire , 24 liv.
d'avance , en s'abonnant pourfeize volumes.
A ij
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreſſe ci - deſſus.
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyerpar la Pofte , en payant le droit,
leurs ordres , afin que le paiement enfoit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis
refteront au rebus.
On prie les perfonnes qui envoient des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
d'en marquer le prix.
Les volumes du nouveau Choix des Pièces
tirées des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Cette collection eſt compofée
de cent huit volumes. On en a fait
une Table générale , par laquelle ce Recueil
eft terminé ; les Journaux ne fourniſſant
plus un affez grand nombre de pièces pour
le continuer. Cette Table fe vend féparément
au même Bureau , où l'on pourra fe
procurer quatre collections complettes qui
reftent encore moyennant 130 livres chacune
brochée , d'ici au premier Septembre ,
paffé lequel temps elles vaudront 170 liv.
plus
s'il en refte.
1
LOUR
MERCURE
DE FRANCE.
SEPTEMBRE 1766.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
4
VISION MORALE.
II eft un vafte enclos , autrefois deftiné
à recevoir les reftes de notre exiſtence , où
les corps dépofés & privés des feux céleftes
qui les animoient ne différent plus de la
terre qui les enferme . Quelques marbres
antiques , des arbres qui pouffent vers le
ciel de triftes rameaux, un filence éternel
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
entretiennent l'horreur & la folitude de
ces lieux .
ود
و د
Un jour qu'abforbé dans une rêverie
profonde j'errois à l'aventure , le hafard
conduifit mes pas dans ce trifte féjour.
Fatigué , je m'affis fur le gafon , & déja
mon âme appefantie cherchoit dans quelques
inftans de fommeil l'oubli d'ellemême
, lorfque j'entendis ces paroles : « tu
» t'abandonnes , & cependant le temps ne
» rallentit point fa courfe ; ces momens
» donnés à l'ennui , où ton coeur eft
incapable de former aucunes bonnes
réfolutions , ces momens font perdus
» pour toujours » . Eh qui eft- tu , répon
dis - je , toi qui lis dans ma penfée ; quelle
région habites-tu ? « J'ai vécu comme toi ,
répondit la voix , dans un monde cor-
» rompu & ingrat : mon âme habite actuel-
» lement ce cyprès dont l'ombre defcend
fur ta tête . Comment pourrai je croire ,
lui dis - je , un prodige fi furprenant ?
Ecoute , repartit- elle : je parus privé de la
vie , on me defcendit au tombeau , le
» hafard enferma avec moi quelques femences
de cet arbre , elles fe nourrirent
» de ma fubftance ; les efprits vitaux trou-
» vant ce corps organifé , s'y portèrent en
foule de mon fang il fe forma une
nouvelle liqueur qui fe répandit dans
0)

33
29
;
SEPTEMBRE 1766 ร
עג
"3
toutes fes parties , & mon âme étonnée
" y paffa avec elle . J'exifte darís chaque
» feuille de cet arbre , dans chaque racine ;
des fiècles fe pafferont avant que le temps
m'ait détruit. Cependant je regrette celui
que j'ai paffé avec les hommes. Les Dieux
» ne m'ont point ôté la penſée , mais je
» ne puis la communiquer aifément ; mes
» feuilles me fervent d'organes , mais il
» faut qu'un vent modéré les agite ; alors ,
» combinant leurs mouvemens , je forme
des paroles. Je t'ai vu quelquefois en ce
lieu ; le chagrin où tu m'a paru plongé ,
» la vérité des mouvemens qui fe peignoient
fur ton vifage m'ont intéreffé
» pour toi. J'ai formé le deffein de t'inf-
» truire ; je veux t'apprendre l'art d'affu
jettir les defirs à la raifon , de modérer
la fenfibilité du coeur & de vaincre les
caprices de l'efprit . Tu foupires ? .. Tu
» doutes de l'effet de mes leçons ? il ne
» tiendra qu'à toi d'en profiter... Reviens
» dans ce lieu folitaire , je t'inftruirai à
jouir du bien préfent fans l'empoifon-
» ner par le regret du paffé & la crainte
» de l'avenir. Je te donnerai des armes
» contre l'amour , contre l'ingratitude des
» hommes , contre leurs mépris mêmes.
» J'ai vécu fous le règne de François I ,
» au milieu d'une cour galante. Perfécuté
و ر
"
و ر
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
"
ور
» par la Ducheffe d'Angoulême , je furr
relégué dans ce pays. J'y trouvai le bonheur
qui m'avoit fui à la cour ; on peut
» trouver dans fon coeur la fatisfaction que
» les hommes nous refuſent »... Dans ce
moment un frémiffement plus violent agita
toutes les branches de l'arbre & me rappella
entièrement à moi-même. Oui , lui
dis - je , arbre divin ! je viendrai près de
vous chercher la fageffe ; je fens déja le
courage renaître dans mon coeur. J'écoutai
encore quelques momens , mais en vain;
l'arbre fe tut , & la nuit qui s'avançoit
me força de m'arracher de ces lieux , plein
du doux efpoir de commander à moi
même & d'acquérir ce vrai bonheur.
Anti -tôt que les rayons du midi eurent
ceffé de brûler la terre je volai à mon
cypres philofophe. Cette langueur qui m'aecabloit
la veille n'étoit plus dans mon
maintien ni dans mon coeur. Preffé du
defir d'acquérir une nouvelle fcience , je
me hâtai de l'interroger. Mais , ô douleur !
je n'entendis aucuns accens. Déja je craignois
d'avoir été trompé par quelqu'illufion
, lorfque le calme profond de l'air me
rappella ce que l'arbre m'avoit dit la
veille. O zéphir ! m'écriai - je , ce n'eft point
pour faire naître des fleurs que je t'appelle ,
c'eft pour me faire entendre la voix de la
SEPTEMBRE 1766. 9
fageffe. Un fouffle léger fe glifant alors
entre les feuilles , j'entendis la voix de
mon cyprès. " A voir , me dit- il , la joie
qui brille dans tes yeux , la tranquillité
» de tes actions , ne croiroit- on pas que
» les maux qui t'accabloient hier font ap-
85
paifés ? & cependant rien n'a produit en
» toi ce changement que la furpriſe & le
» charme de la nouveauté. Ses effets font:
prompts , ils féduifent notre âme , mais
» ils durent peu , le fecours du raifon-
» nement eft néceffaire pour foutenir ce
» qu'elle a commencé. Ainfi tu goûteras
aujourd'hui mes leçons ; tu croiras fans
doute les appliquer fi l'occafion s'en trou-
» ve , mais ce ne fera peut- être que le mer-
» veilleux de ton aventure qui remplira ton
coeur. Bientôt le bruit de mes feuilles
» te paroîtra femblable aux fons d'une
» voix ordinaire. Si ce n'eft pas le defir de
régner fur toi - même qui te conduit ,
» tu retomberas dans le befoin des chofes
» étrangères , & tu feras très - malheureux..
» Ainfi dans l'amour le coeur & les fens
» font féduits , tout eft enchantement ;
» mais fi ce n'eft pas la vertu qui nous
» attache à la perfonne aimée , bientôt les
plus beaux yeux paroiffent languiffans ;
» ces grâces de détail, qui plaifoient tant , né
apper çoivent plus , & l'on ceffe d'aimer.
33.
A v
10 MERCURE DE FRANCE .
"
و و
و د
» Pour mériter l'eftime des hommes , il
fuffit de favoir régler fes actions fuivant
,, les loix civiles & de la fociété. Pour en
être aimé , il fuffit d'y répandre de la douceur
& de l'agrément. Les actes d'hu-
» manité , de bonté & de grandeur d'âme
» nous en attirent le refpect , mais ce n'eft
point affez pour être heureux : le bon-
» heur eft un échange continuel du bien
qu'on donne & du bien qu'on reçoit ,
» il pourroit fe trouver dans un repos con-
» tinuel de l'âme , dans le talme des fens ::
ces fituations peuvent fe comprendre ,
» mais fe réalifent peu. Cependant on y
parvient à force de les chercher . Semblable
au Peintre qui , pour imiter la
› nature , efface eent fois fon premier trait ,
» confulte , examine fous différens jours.
» l'objet qu'il veut copier , & , lorfqu'il
,, l'a faifi dans le véritable point de vue ,
» le rend facilement : ainfi l'homme s'af-
» fecte vivement de ce qui l'entoure ,
» occupe , s'en inquiete , mais peu à peu il
l'approfondit , s'il s'accoutume à le confidérer
, il en devient le maître.
و و
99)
93
s'en
" Les principales caufes de nos malheurs
» naiffent de la vivacité des defirs , de la
» fenfibilité du coeur & des caprices de
» l'efprit. Le feul & important ouvrage
de modérer cette fenfibilité ; bientôt les
999
eſt
SEPTEMBRE. 1766. II
defirs feront moins vifs & les caprices
moins fréquens. Es- tu difpofé à entreprendre
cet ouvrage ? à détruire des ido-
» les élevées par tes mains , dont l'amour-
" propre & la parure foutiennent les autels ?
» où la foibleffe facrifie chaque jour » ...?
Oui répondis - je alors ; fi je dois trouver
le bonheur que je cherche. Mais que
vous m'effrayez Faudra- t-il me piquer
d'une morale bien auftère ? faudra- t-il
renoncer aux plaiſirs du fentiment ? à la
douceur d'être aimé ? Tout cela eft il foibleffe
? ... Non , reprit auffi -tôt la voix ,
je ne veux point t'apprendre à méprifer
tous ces biens , mais à pouvoir t'en paffer
lorfque la malignité & l'inconftance des
hommes t'en priveront , fur - tout à ne point
les chercher où ils ne peuvent fe trouver...
Alors un profond filence règna dans ce:
boccage. Rêveur , mais fans trouble , j'écri
vis ces divines leçons , dont je craignois
& defirois le fruit.
Par M. B. D. G..
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
A Mde DE.
teur
qui a demandé à l'Au-
, pour fa fête , ds vers comme tant
de gens en font.
PAR un goût très- particulier ,
Vous exigez , pour votre fête ,
Des vers bien plats , un compliment bien bêtes
A vous permis ; mais il eft fingulier
Que vous vous mettiez dans la tête ,
Que ce fait moi qui falle un tel bouquet-
La préférence a droit de me furprendre ,
Et vous auriez tort de prétendre
Que je veuille en remplir l'objet.
A mon refus vous deviez vous attendre ,
Il naît de l'impuillance & non pas de l'humeur
En vivant avec vous je ne pouvois apprendre
Que ce qui charme & l'efprit & le coeur ;
Et lorfqu'on jouit du bonheur
De vous voir & de vous entendre ,
On n'écrit rien que de flatteur ,
Et l'on ne fent rien que de tendre.
1
SEPTEMBRE 1766. 13
VOUS
MADRIGAL.
ous voulez à la fois être infenfible & belle;
Et donner fans eſpoir les plus ardens defirs.
Pouvez-vous ignover , adorable Ifabelle ,
Que le Dieu de l'amour eft le Dieu des plaifirs ?
VERS d'un Etudiant en Droit , en dédiant
fa thefe de licence à un de fes oncles.
DεE mes foibles effais recevez les prémices ,
Cher oncle ; c'eſt le moins que doit à vos bontés
Mon âme dont toujours vous fîtes les délices.
Dans un étroit fentier je marche à pas compés ,
Je vous y vois de loin , je vous fuis à la trace
Et veux hâter res pas trop lents ;
Mais un prompt fouvenir artête mon audace :
C'est qu'il me manque vos talens.
Par l'Auteur du Madrigal
14 MERCURE DE FRANCE.-
L'AMANT MALHEUREUX
O D E.
To : fur qui le foible vulgaire
N'ofe lever les yeux tremblans :
Toi qu'affronte le téméraire ,
Pour cueillir des lauriers fanglans
O mort triftement fecourable
De la lumière qui m'accable ,.
Que tardes- tu de me priver ?
Viens finir ma peine cruelle
Laffé de vivre je t'appelle
Sans te craindre & fans te braver
La jeune & charmante Silvie
Embrâfa mon fenfible coeur :
Dieux je ne tenois à la vie
Que par l'objet de mon ardeur,.
Une trop flatteufe eſpérance
Montroit à ma perfévérance
Le prix que méritoit ma foi :
Dans mon allégrefe fuprême-
J'aurois quitté le diadême ;
Heureux , j'étois bien plus qu'un Roi
Chère illufion , doux menfonges
Eixez l'erreur de mon fommeil.
SEPTEMBRE 1766.
i
Que dis -je ? fur l'aîle des fonges
Le bonheur fuit à mon réveil.
Lorfque du feu qui me dévore
Je fais à celle que j'adore
L'aveu dans mon ſein renfermé z
Fière de fon indifférence ,
Sa vertu s'allarme & s'offenfe
Du fentiment qu'elle a formé.
C'en eft fait. En vain tout Cithère ,,
Par l'attrait puiffant des plaifirs
S'efforceroit de me diftraire :
Mon coeur fidèle eft fans defirs..
La nature en deuil me préfente
Une folitude effrayante ,
Et l'horreur fombre des hivers.
Beauté , fortune , honneur , patrie ;
Vous n'êtes rien fans ma Silvie ,
Pour moi Silvie eft l'univers.
Philofophie , illuftre idole ,
Dont j'ai long- temps groffi la cour
Vantes- moins ton fecours frivole :
Que peut la raifon fur l'amour ?
Hélas ! plongé dans l'an ertume ,
Du poifon lent qui le confume
Mon coeur fe plaît à fe nourrir ;
Et , victime de ma tendreffe ,
Je ne déplore ma foibleffe ,
Qu'avec la crainte d'en guérir.
93
&
16 MERCURE DE FRANCE.
Befoin du fage , amitié tendre ,
Divmité du malheureux !
Dans ton fein ne puis- je répandre
Les pleurs qui coulent de mes yeux ?
Je vis ifolé fur la terre :
Le funefte jour qui m'éclaire
M'offre des objets déteftés ;
Et la nuit déployant les ombres ,
Ne peint que des images fombres
A mes efprits épouvantés.
N'ai- je point épuisé la rage
Du fort cruel qui me pourfuit ?
Faut- il dans un climat fauvage
Chercher le repos qui me fuit ?
Seuls compagnons de l'infortunę ,
L'ennui , la trifteffe importune ,
Volent fur mes pas égarés ;
Et la jaloufe défiance ,
Du fer aigu de la vengeance ,
Arme mes bras déſeſpé rés.
J'irai dans ce lieu formidable
Qu'habite la pâle douleur ,
Et j'apprendrai de mon ſemblable
A porter le poils du malheur.
Hélas ! couchés fur la pouffière ,
Deux époux qu'unit la mifèrè
SEPTEMBRE 1766. 17
S'offrent à mes triftes regards ;
Je vois la faim au teint livide ;
Je vois la nudité timide
Couverte de lambeaux épars.
Mais quoi ce couple né fenfible ,
Dans les bras de l'adverfité ,
S'abandonne au fommeil paifible
Qu'effarouche un coeur agité !
La nature , indulgente mère ,
Verle ce baûme falutaire
Sur les bleffures des mortels :
Les peines du corps pallagères
Portent des atteintes légères ;
L'âme feule a des maux réels .
ENVOI à M. le Marquis DE S...
Au plus fortuné des amans ,
A l'aimable Neftor , dont l'enfant de Cythère
Seme l'hiver des rofes du printemps ,
J'abandonne ces vers ; mais pourront- ils lui plaire ?
Eh ! qui fait compatir aux maux qu'il ne fent pas
J'aurois vaincu les rigueurs de ma belle
Si j'avois la figure & l'efprit de S ...
A- t- il jamais rencontré de cruelles ?
Par M. DE G.......... abonné au Mercure
A Bolene , au Comté Venaiffin.
-18 MERCURE
DE FRANCE
.
VERS fur un portrait de M. DE CH....
deffiné en 1765 par M. VASSÉ , Sculp
teur du Roi .
' AIR brave d'un guerrier , l'air bienfaisant d'un
fage ,
C'eft ton portrait , Ch..... & nul ne s'y méprend
Si ton coeur n'eût pas été grand ,
Qu'il eût fait mentir ton vilage !
CHANSON fur l'air : Le penchant a fixé
mon choix.
Q
UAND de vous mon coeur a fait choix,.
Hélas ! favois - je que votre âme ,
Senfible à la plus vive flâme "
De l'amour eût reçu les loix ?
L'amant qui vous les fit entendre
Tout à vos yeux fait l'embellir.
Pour moi je ne puis vous offrir
Qu'un coeur moins heureux, mais plus tendre
Quel fort , hélas ! de vous aimer
Sans eſpérance de vous plaire !
SEPTEMBRE 1766. 19
Eglé , ne foyez plus févère ,
Ou bien cellez de m'enflammer .
La voix du coeur eft la moins fûre ;
Mais , pour oublier fa leçon ,
J'ai beau confulter la raifon ,
Je ne puis tromper la nature .
ENVOI à Mademoiselle ** *
EN vous faisant l'aveu du feu qui me dévore ,
De l'amour je fuis la leçon..
Eglé , quand je vous dis que mon coeur vous adore .
Ce n'est rien moins qu'une chanfon .
2
VERS adrefes à Mde DE P *** en lai
envoyant un bouquet de fleurs artificielles
le lendemain defes nôces . Par M. B ***.
Capitaine au Régiment de ***.
PARAR la plus heureuſe impoſture ,
Le pinceau le plus délicat
N'imitera jamais l'éclat
Que vous devez à la nature ,
20 MERCURE DE FRANCE.
RÉPONSE par Mde DE P *** . à l'Auteur
des vers précédens.
Aus fleurs dont l'hymen me couronne
Vous ajoutez celles de l'amitié.
Quand c'eft le fentiment qui donne ,
Mon coeur eft toujours de moitié.
VERS à Mademoiselle....
Las ris , les plaifirs , les grâces ,
Jeune & charmante Iris , vous fuivent en tous
fieux .
L'aimable enfant du plus vaillant des Dieux,
L'amour, le tendre amour aime à fuivre vos traces;
Avec vous il fommeille , il règne dans vos yeux.
Une cour brillante , folâtre ,
Sans ceffe rend hommage aux attraits enchanteurs
Qui vous captivent tous les coeurs
D'un cercle qui vous idolâtre ..
Le Ciel qui vous mit parmi nous ,
Le Ciel , qui vous forma fi belle ,
Joignit à des appas fi doux ,
Le don flatteur d'être immortelles
SEPTEMBRE 1766. 21
Non , jeune Iris , jamais , au grand jamais ,
Vous ne finirez dans l'hiftoire ;
Malgré le temps , l'envie & tous les traits ,
On ira lire au temple de mémoire :
Iris , qui plut tant à nos yeux ,
Fut plus brillante qu'une roſe ;
Son efprit & fon coeur l'ont mife au rang des
Dieux ,
Et l'amitié fit fon apothéofe .
VERS qui ont été gravés, au-deſſus d'une
fontaine que S. A. S. Mgr le Prince
DE CONTY afait conftruire à Pougues ,
où il étoit venu pour prendre les eaux
au mois de Juin dernier.
SANS ANS ornement j'errois dans la contrée :
CONTY parut & je fus décorée.
Ma fource ne tarit jamais :
C'est l'image de fes bienfaits,
Par M. Bours , Préfident
en l'Election de Nevers.
22 MERCURE
DE FRANCE
.
ADELAÏDE , ou Mémoires d'unejeune
Sauvage.
A MI Lecteur ( en fuppofant que quelqu'un
daigne me lire ) , ne comptez pas
trouver ici , ni les grâces du ftyle , ni l'élégance
recherchée des termes. J'ai été éievée
par des Sauvages ; ainfi j'ai besoin de
beaucoup d'indulgence. Vous me blâmerez
fans doute de m'expofer à votre cenfure ;
vous n'aurez pas tort. N'importe , je me
flatte que la raifon pourra fuppléer aux
talens qui me manquent. Je me trompe ;
elle n'eſt chez- nous qu'un inftinct. Peuples
policés , vous feuls la poffédez ! Mais
parlez ; quel eft le moins barbare ,
D'une raison qui vous égare ,
Ou d'un inſtinct qui nous conduit.
J'étois encore dans l'enfance lorfqu'un
naufrage me jetta fur les côtes d'une ifle
du Canada , habitée par des peuples encore
fauvages , avec ma nourrice & un vieux
ferviteur de mes pères. Ils nous reçurent ,
& fixèrent notre habitation dans un endroit
affez agréable. Ma nourrice & mon

SEPTEMBRE 1766. 23
vieux gouverneur me donnèrent des principes
folides de vertu , & quelque légères
notions de vos fçiences , de vos fyftêmes ,
& même de vos préjugés . Mon jeune coeur
concevoit alors difficilement les derniers.
Il y avoit déja feize ans que je vivois dans
une tranquillité profonde, jouiffant du préfent
, oubliant le paffé , & fans nul curiofité
pour l'avenir. Etat heureux ! fécurité
parfaite , & dont aucun mortel n'a peutêtre
jamais joui ! Lorfqu'un jour , après
une tempête affreufe , nous vîmes nager
fur le rivage deux hommes & une femme
que nous jugâmes avoir befoin de fecours,
Mon gouverneur Silvius raffembla à l'inftant
fes voifins & y courut avec eux. L'on
parvint heureufement à les garantir du
péril qui les menaçoit. Je ne fais quel
fentiment me guidoit vers eux & me faifoit
partager leur fort ; mon coeur palpitoit
& reffentoit des mouvemens qui lui
avoient été jufqu'alors inconnus. C'étoit
probablement la curiofité qui les faifoit
naître , ou la joie de voir des êtres qui me
fuffent femblables : car , énivrée de la
fupériorité de mon exiſtence , je refufois
fouvent à mes Sauvages l'avantage qu'ils
avoient de pofféder en moi une créature
d'un ordre infiniment fupérieur au leur.
Mais revenons à nos nouveaux hôtes. Ils
24 MERCURE DE FRANCE .
parurent étonnés de nos généreux foins .
Quel génie favorable nous a conduits fur
ces heureux bords ? s'écria l'un d'eux ( que
j'appellerai Dorimont ) , avec le ton de la
plus vive reconnoiffance. Quel fon de voix
enchanteur ! quelles expreflions ! Mes Sauvages
ne m'avoient jamais rien offert de
femblable . Vous avez des droits inconteftables
fur nous , lui répondit Silvius :
les infortunés en ont toujours fur les coeurs
fenfibles heureux de pouvoir fignaler...
Eh bon Dieu , dit ma bonne nourrice
Marcelle ; tréve aux complimens , ces
étrangers ont fans doute befoin de repos,
Venez , Madame , notre demeure champêtre
ne vous offrira pas les mêmes commodités
que les lieux d'où vous êtes partie
; mais la franchife & la tranquillité
habitent fous nos toîts ruftiques... Allons ,
Silvius , conduifons - les dans notre cabane.
La bonne Marcelle difoit tout cela avec
ce ton de vivacité que donne la candeur
de l'âme . Arrivés dans notre habitation ,
je fus le premier objet qui fixa leurs regards;
je n'avois pas encore parlé : mes yeux les
parcouroient avec cette timidité inféparable
de la folitude. Mainvile fut le premier
qui me fixa ; j'en fut déconcertée en regardant
Eléonore, ( c'eſt le nom de la
Dame ) , au point de le voir rire de mon
trouble ;
SEPTEMBRE 1766. 25
trouble
-
; mon amour - propre en fut of
fenfé ; c'étoit le premier écueil qu'il eût
jamais rencontré. Se plaire à humilier
la fille de fes bienfaiteurs ! Je trouvois de
l'ingratitude dans ce procédé . La fimplicité
de mes moeurs , mon inexpérience me
rendoient injufte .... quel terme pouvoisje
réſerver aux ingratitudes dictées par le
coeur ? L'art de concentrer au dedans de
foi- même les divers mouvemens de fon
âme , fans laiffer lire dans fes yeux le trouble
de fon coeur , n'étoit pas venu jufqu'à
moi ; les miens étoient mes interprètes :
ils peignirent mon dépit à ceux de Dorimont
, que je rencontrai , & j'entendis
quelques reproches qu'il fit à fon ami.
L'art , difoit- il , ne l'a pas formée , fes
charmes font l'ouvrage de la fimple nature ,
pourquoi l'embarraffer par vos railleries ?
Ah ! mon ami , refpectons la fimplicité de
fes grâces. Sans trop comprendre ce langage
, l'inftinct me fuggéra qu'il étoit flatteur
: il fit renaître dans mon efprit cette
tranquillité délicieufe qui y avoit toujours
régné , & que cette fcène avoit penfé détruire.
Mon coeur avoit été fufceptible
d'intérêt , de pitié pour ces étrangers ;
mais ma vanité offenlée avoit prefque
anéanti tout ces fentimens. Le calme renaiffoit
enfin dans mon âme , le change
B
26 MERCURE DE FRANCE.
ment de mes traits achevoit de le déce-
Jer. Quelle heureufe aventure ! s'écria
Mainville ; quoi ! vous entendez notre
langue ? Oui , lui dit Dorimont , & je
n'en veut point d'autre preuve que cette
rougeur charmante qui l'embellit encore ,
Comment , belle Dame , vous êtes Françoife
, & l'on n'aura pas befoin d'interprète
pour exprimer combien l'on eſt enchanté
de vous voir embellir des lieux fi
fauvages ? La réponſe au brillant de ce
compliment étoit au- deffus de mes forces ;
mes idées n'alloient pas au- delà du bon
fens je répondis tout fimplement que
j'ignorois le nom du pays qui m'avoit vu
naître , mais que leur langue étoit la
mienne. Nous nous félicitâmes mutuellement
d'une rencontre fi flatteufe . Elle me
faifoit enviſager un bonheur dont juk
ques- là je n'avois connu que le nom,
Mon efprit errant & fans pouvoir fe fixer
fur aucune idée n'imaginoit pas que ce
terme défignât quelque chofe de réel,
C'étoit à mon coeur à apprécier cette prétendue
réalité, mais il n'étoit encore qu'une
matière informe ; les refforts deftinés à le
faire mouvoir étoient encore trop neufs.
Mais pourquoi cette Eléonore , dont je
vous ai parlé , mon cher Lecteut , ne me
Témoignoit- elle pas la même franchiſe &
SEPTEMBRE 1766. 27
la même vivacité dans fes félicitations
que Mainville & fon camarade ? Pourquoi ,
forcée de fe mêler à la joie univerfelle , n'y
apportoit- elle que froideur & qu'indifférence
? Sa conduite étoit pour moi un myftère
impénétrable , mon inexpérience étoit
un voile qui m'aveugloit totalement ; mais
votre pénétration , Lecteur , voit fans
doute au travers : l'amour feul faifoit tout
ce vacarme. Vous l'avez dit. Eléonore
étoit adorée de Mainville , elle l'aimoit ,
il le favoit ; un amant fûr de fa victoire
eft fouvent prêt d'être inconftant : l'amour
capricieux & bifarre éteint fouvent fon
Aambeau dans le calme heureux & paisible
d'une tendreffe mutuelle. Mainville étoit
jeune , peut-être volage ; j'étois jolie la
fingularité de mon fort , les grâces de la
nouveauté ( attraits féduifans pour un François
! ) tout fembloit à l'envi me prêter des
charmes. Que de fujets de s'alarmer , &
quels droits inconteſtables n'avois - je pas
à la haine d'Eléonore ! car la haine & la
rivalité font compagnes inféparables . Mais
cette haine m'inquiétoit- elle ? non ! que
m'importoit fes fentimens , moi ? Cependant
elle me fuyoit , & je ne la cherchois
point. Elle abhorroit , difoit - elle , ces
affreux déferts ; ils lui infpiroient un ennui
mortel : elle pleuroit fans ceffe & ne
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
quittoit pas le rivage , dans l'efpérance d'y
découvrir quelques vaiffeaux. Mainville ,
fidèle confident de fes ennuis , les partageoit
; fes tendres confolations paroiffoient
quelquefois la calmer. Dorimont s'en occupoit
peu ; & , tandis que nos amans fe
défoloient , lui , grand admirateur des
ouvrages de la nature , fe plaifoit à la
contempler en moi , à la réformer & à
l'embellir. Mon âme lui offroit le principe
& le germe de toutes les vertus & de
tout les vices ; il fallut les féparer , anéantir
les uns & cultiver les autres. Vrai fage
& vrai philofophe , quoiqu'encore dans
l'âge où les erreurs de la jeuneffe l'emportent
trop fouvent fur la févère raiſon ,
il parfemoit de fleurs le chemin qui conduit
à la vertu : bien différent de nos
faftueux philofophes , qui fouvent ne prennent
ce titre que pour devenir plus impunément
nos cenfeurs. La vertu eft douce
& compatiffante , me difoit- il ; c'eſt un
tréfor qu'on renferme dans fon fein , &
qu'on doit rougir d'employer pour accabler
ceux qu'on en croit moins partagés
que nous. Un fantôme gigantefque , enfant
de l'amour- propre , prétend en vain fe parer
de fes traits ; fon arrogance , l'aigreur ,
le fiel que diftillent fes difcours , la malignité
de fes comparaifons le démafquent
SEPTEMBRE 1766. 29
à chaque inftant. C'étoit ainfi que Dorimont
m'applaniffoit les voies qui conduifent
à la vertu , par conféquent au vrai
bonheur. Mais l'amour , jaloux de fes
droits , ne tarda pas à le percer de fes
traits dans le fein même de la fageffe.
Nos converfations , autrefois fi férieufes
& fi approfondies , perdirent infenfiblement
de leur fublimité. Je vis bientôt à
mes pieds cette aimable philofophe me
parler un langage qui m'étoit inconnu.
Nos entretiens jufqu'alors n'avoient été
fondés que fur la morale , fur la phyfique ,
fur la théologie ; mais étoit- ce ainfi qu'on
devoit employer un temps fi précieux , &
fur- tout à notre âge ? Un jour que Dorimont
me paroiffoit plus trifte & plus rêveur
que d'ordinaire , je lui en demandai la
caufe ; un foupir fut toute fa réponſe . Un
peu plus d'expérience m'auroit aidée à entendre
ce langage ; mais j'imaginai que
Dorimont commençoit à s'ennuyer d'habiter
fi long- temps ces déferts. Ce foupçon
étoit naturel & fondé fur le changement
que je croyois appercevoir dans fon caractère.
Cette idée m'anéantiffoit , & je réſolus
de favoir à quoi m'en tenir : cela m'étoit
facile , car , loin de m'éviter , il paroiffoit
encore plus affidu auprès de moi . Je
voulus donc lui témoigner mes craintes ;
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
mais , prête à les révéler , & mon courage
& ma raifon me refufèrent leurs fecours ;
je ne pouvois plus m'exprimer que par
mes larmes. Il me trouva un jour dans cet
affreux accablement : je lui caufai les plus
vives inquiétudes , & il me fallut fubir
de tendres interrogations auxquelles je ne
répondois que par des pleurs. Enfin je me
calmai & ofai parler de mes alarmes. L'amour
me rendit éloquente , il étoit mon
juge & ma partie. Dorimont s'offença de
mes foupçons , m'en prouva l'injuftice ,
jura par moi-même que la mort feule pouvoit
déformais nous féparer ; mes propres
defirs aidèrent à me convaincre qu'il difoit
vrai , & je repris bientôt ma gaieté naturelle.
Je voulus alors favoir la caufe de l'ennui
où il m'avoit paru plongé ; mais je ne
pus y réuffir. Quel eft donc ce fecret ( m'écriai-
je avec douleur ) , que ma vive amitié
, qu'un coeur auffi fincère que le micn
ne foit pas digne de partager avec le vôtre ?
Son embarras , fon émotion , fes foupirs ,
tout auroit dû le révéler à toute autre
femme
que moi ; mais je n'en avois encore
que la forme. Forcé enfin de s'expliquer
plus clairement , il me peignit l'amour
fous les traits les plus enchanteurs , ou
plutôt tel que je le fentois fans le connoître .
Mes yeux fe deffillèrent dans l'inftant ; je
SEPTEMBRE 1766. 31
connus que j'aimois , & n'en aimai que
d'autant plus l'objet de ina tendreffe ; mais
ce fentiment délicieux fut bientôt combattu
par la crainte d'une rivale , & je
laffai tranfpirer cette crainte. Dorimont
qui s'en apperçut, me marqua peu d'empreffement
pour la calmer ; fur quoi je le
quittai , fans lui rien dire , avec le défefpoir
dans le coeur , & gagnai affez fur moi.
même pour chercher à l'éviter pendant
tout le reftant de la journée. Après m'avoir
cherchée & retrouvée le foir dans le même
bofquet vous montrez bien de l'indifférence
, me dit- il , charmante Adelaïde , fur
celle que vous me foupçonniez tantôt d'aimer
? L'intérêt que vous aviez l'air d'y
prendre ceffe donc de piquer votre curicfité
Sans doute , lui dis- je , avec un air
d'humeur dont je crus le voir fourire , &
qui acheva vraînent de me fâcher : à quoi
me ferviroit cette connoiffance , puifque
cet objet de votre tendreffe n'eft probablement
point dans ces déferts ? Vous pour
riez vous tromper ( s'écria tendreinent
Dorimont ) , & vous la verriez dans l'inftant
fi j'étois fûre que mon choix pût vous
plaire. Ici ? lui dis-je , en frémiffant. Ah!
c'eft donc Eléonore ; je m'en étois toujours
doutée . - Non , belle Adelaïde , non , ce
n'eft point elle. Un autre objet plus digne
Biv
32 MERCURE DE FRANCE .
encore de mes voeux.- Un autre objet? ...
ici ? .. dans ces déferts ? Ah c'eft trop &
trop long - temps me tromper ! Voyez ,
dit- il , en fortant de fa poche une boëte
qu'il me remit entre les mains : ouvrez ;
voyez fi je me trompe , & fi celle que
j'adore eft ici auffi bien peinte de ma main
qu'elle l'eft dans mon coeur. Le Lecteur
fera fans doute moins furpris que je ne
le fus alors , à la vue de mon portrait
peint par les grâces mêmes. Mon amant
étoit à mes genoux , l'amour même étoit
dans fes yeux ; j'ignorois l'art de déguiſer
mes fentimens , il les lut dans les miens ,
& dans cet inftant d'yvreffe mutuelle
j'ignore encore maintenant ( car je fuis
toujours franche ! ) j'ignore , dis - je , où
nous auroit conduit la vérité de nos tranfports
, fi la bonne Marcelle , qui fans doute
nous avoit fuivis , n'étoit fortie tout-àcoup
de derrière une haie , & ne m'avoit
pas ramenée , en grondant , dans notre
cabane.
Je voulus en vain revoir mon amant ;
non- feulement on me le défendit , mais
on m'ôta tous les moyens de le rencontrer.
Cette conduite , qui me paroiffoit
bifarre , me revoltoit cruellement . Il fallut
pourtant m'y foumettre , du moins en apparence
, mais fans oublier ni mon amant
SEPTEMBRE 1766. 33
ni mon amour. Je paffai ainfi quelques
jours dans une folitude que je trouvois
affreufe , quoi que depuis long temps j'y
fufle accoutumée. Dorimont employ oit
tout les moyens poffibles pour l'abréger,
& rien n'égaloit fon défefpoir , lorfque
Eléonore vint terminer heureufement nos
maux. Après avoir ceffé de craindre le
pouvoir de mes charmes für Mainville ',
elle avoit formé le projet de m'affranchir
de ma prifon en trompant la vigilante Marcelle,
& pendant fon fommeil mes trois
amis devinrent mes libérateurs. Je ne
peindrai pas la joie que nous reffentîmes
Dorimont & moi , de nous revoir. Eléonore
devint mon confeil & mon guide : elle
m'apprit à diftinguer l'honneur proprement
dit d'avec les préjugés dont m'avoit
accablée Marcelle. Nous devinmes inféparables
& j'y gagnois beaucoup , quand un
jour , en me pramenant avec elle , je laiffai
tomber un petit portrait en émail que
je portois , fans favoir pourquoi , dans
ma poche ; & nous en admirions les charmes
de la perfonne qu'il repréfentoit , lorf
que Mainville , qui vouloit auffi le voir ,
pouffa tout-à- coup un grand cri , en s'écriant
: Ciel ! c'eft ma mère . Silvius &
Marcelle , qui arrivent dans l'inftant ,
confirmèrent ce qu'avoit dit Mainville.
By
34 MERCURE DE FRANCE .
Vous êtes donc ma foeur , s'écria- t - il , en
m'embraffant avec tranfport ? Vous êtes
cette foeur dont mon père déploroit fi
vivement la perte , ainfi que celle de votre
malheureufe mère ? Mon gouverneur lui
en donna les affurances les plus pofitives ;
nous nous embrafsâmes mille fois tous les
quatre , & Dorimont n'eut rien de plus
preffé que de fupplier Mainville de combler
tous fes voeux en lui accordant ma
main. Le Ciel , propice aux nôtres , ne
tarda pas à faire paroître un vaiffeau , qui
voulut bien nous recevoir , & qui , pour
comble de bonheur , nous débarqua en
France , où nous avons retrouvé nos parens
& nos biens , & où Mainville eft auffi heureux
avec Eléonore , que je le fuis & ai
toujours lieu d'efpérer de l'être avec le
plus tendre & le plus fidèle des époux.
Par une Demoiselle de dix-huit ans , de la
Province d'A..... abonnée au Mercure.
SEPTEMBRE 1766. 35
SUR le portrait de Mde la Comteffe DE
F..... préfenté par elle àfon amie Mde
DE M......
UN certain jour que dans Paris ,
L'amour malin faifoit fa ronde ,
Pour faire enrager les maris ,
Sur- tout les maris du beau monde ;
Il vit avec étonnement
Clarice , au fein de fon ménage ,
Bravant les traits , vivant en fage ,
Près d'un époux tendre & charmant.
Comment dit l'amour en colère ,
Cette beauté qui de ma mère
Prit la ceinture & les atraits ,
Près de mon imbécille frère ( * )
Ofera braver tous mes traits ?
Il faut que ma inain l'en puniffe.
Au bout de quelque temps Clarice
Fit peindre les divins appas.
( Ce fut dans l'ombre du myftère ).
L'amour , inftruit de cette affaire ,
En rit beaucoup , & dit tout bas :
La voilà dans mon féminaire !
L'Hymen , fils de Vénus.
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Et , puifque c'eft dans le fecret ,
Qu'elle fait faire fon portrait ,
C'est pour un amant qui l'enchante.
Auffi - tôt que le Peintre eut fait,
Cette miniature charmante ,
L'amour vint , d'un air fatisfait ,
Offrir fon adroit miniſtère ,
Pour la porter en grand fecret
A cet amant imaginaire.
Mais l'amitié pure & fincère ,
Devant les yeux , le même jour ;
Courut en faire un tendre hommage
A la Minerve de notre âge....
Qui fut bien fot ce fut l'amour.
Par M ***
-
A M. l'Abbé DE B... nommé à l'E..... ¿
de N....
Toi qui nâquis d'un fang fi fecond en héros → ΟΙ
Docte Abbé , tes vertus , tes pénibles travaux
Viennent de recevoir leur jufte récompenſe :
Mais tu n'eft point le feul que ce jour rend
heureux ;
LOUIS couronne moins tes voeux.
Qu'il n'exauce ceux de la France .
Par M. B. C. D. P. proche Bernays
en Baffe - Normandie
SEPTEMBRE 1766.
ODE anacréontique à Mlle ***
A quinze ans , charmante Glycère
Je te vis , je fus amoureux ;
L'enfant qui commande à Cythère
Etoit caché dans tes beaux yeux.
C'eft de cette aimable retraite
Que ce Dieu me perça le coeur.
Que je gagnai dans ma défaïte !
Amour vainquit ; je fus vainqueur.
Timide , même en mon délire ;
J'aimois, fans efpoir de bonheur :
Mon coeur parla , j'ofai le dire ;
Amour vainquit : je fus vainqueur.
C
Je te fis l'aveu de ma flamme ,
Tu voulus t'armer de rigueur ;
Ton vifage trahit ton âme ;
Tu rougis , & je fus vainqueur.
* Cette rougeur que je fis naître
Fut- ce alors amour ou pudeur ?
Ce fut l'un & l'autre peut - être
Mais l'amour tout feul fut vainqueur
38
MERCURE
DE
FRANCE
. Chaque jour , nouvelles tendreffes ;
A tout inftant , nouvelle ardeur :
Je t'accables de mes careffes :
Tu les reçois je fuis vainqueur.
Pouvois-tu bien être cruelle ?
Pouvois- je ne pas m'enflammer ?
Vénus te fit pour être belle :
L'amour m'avoit fait pour t'aimer. '
A. V. à Aix.
A M. DE COLONIA , Avocat Général au
Parlement de Provence.
POUR Pour toi , cher Colonia ;
Je méditois une épître ;
Apollon , fur ce chapitre ,
Auffi- tôt le récria ,
Et ce fut à juste titre
Que ma Mule s'oublia.
Au fein même de mon yvreffe
Ma voix a refufé de prêter les accens.
J'ai convenu de ma foibleffe ;
J'ai vu mes efforts impuiffans ;
Et dans le regret qui me preffe
J'ai fait bien des raifonnemens.
SEPTEMBRE 1766. 39
Comment , me fuis-je dit , avec fi peu d'adreffe ,
Pouvoir peindre en même temps ,
Les grâces d'une Déeffe ,
Le duvet de la jeunelle ,
Et les roles du printemps
Peut-on louer le mérite ?
Peut- on chanter le talent ?
Ah le projet que je médite
Eft un projet bien infolent.
Dans un deffein fi téméraire
Le Dieu des vers lui - même eût échoué ;
Le digne fils d'un fi grand père
A- t-il befoin d'être loué ?
D'Aix , le 29 Juin 1766.
Par le même
FABLES NOUVELLES.
LA FORTUNE ET LE BONHEUR .
Deux antis , quoique de caractères fort
oppofés , s'entretenoient un jour de leurs
occupations & de leurs projets. L'un , vif
& ambitieux , raconta avec chaleur à fon
ami tout ce qu'il avoit tenté , tous les
voyages qu'il avoit faits , tous les expédiens
qu'il avoit imaginés pour remplir le
40 MERCURE DE FRANCE.
vuide immenſe de ſes defirs , & il conclut
par ces triftes paroles : « ah ! mon ami ,
qu'il eft difficile de faire une grande
» fortune »> !
"
L'autre , plus modéré , plus fage & qui
avoit été inftruit par le malheur , lui conta
à fon tour comme il s'étoit accoutumé à
vivre de peu ,
à cultiver fon jardin , à bien
gouverner fa famille , à mettre des bornes
à fes defirs , & lui dit en finiffant ces mots
qu'il accompagna d'un regard tendre ! « Ah!
» morami , qu'il eft aifé d'être heureux ( 1)
"
LA ROSE , LE PAPILLON ET LE MOI
NEAU.
APRès avoir voltigé autour d'une rofe ,
un Papillon vint fe repofer fur elle. La
rofe , qui fe croyoit outragée , refferra fes
feuilles & fe ferma . Le Papillon , piqué
d'un procédé fi mal honnête , s'obſtina à
refter fur la rofe . Un Moineau , auffi avide
qu'étourdi , vint prendre le Papillon , & ,
du même coup de bec , déchira le fein de
la fleur ... Ah ! dit- elle , que n'ai- je fouffert
un inftant fon importunité ! il n'eût
( 1 ). J'ai pris l'idée de cette fable dans une de
celles de l'inimitable la Fontaine.
SEPTEMBRE 1766. 4 .
fans doute point tardé à s'envoler. . . J'ai
à me reprocher à la fois la mort du Papillon ,
ma fierté , ma coquetterie qui en eft la
caufe , & le malheur perfonnel qui m'en
arrive.
LA SAUTERELLE ET LE GUÊPIER ( 1 ).
PLUS
LUSIEURS Sauterelles empâlées par des
épingles , dont la pointe étoit recourbée.
en hameçon , étoient attachées à de longs
fils , en plufieurs endroirs d'une prairie ,
& devoient fervir d'appas à des guêpiers.
L'une des Sauterelles , généreufe & bienfaifante
, dit à celui qui alloit fondre fur
elle « Arrête ! vois cette épingle qui me
» traverſe... Tu peus à préfent me pren-
» dre fans périr avec moi , puifque je te
» montre le danger. Je fouffrirai un peu
plus que fi tu m'avalois tout d'un coup ,
» mais j'aurai , en mourant , le plaifir
» d'avoir fait une belle action. Toi ,
» mourir toi , fi bonne , fi généreuſe !
» non , tu ne mourras point ; j'en jure par
">
---
( 2 ) Le Guêpier , que l'on nomme auffi Merops
ou Apiafter, eft un oifeau de l'ifle de Chypre..
Il eft de la grandeur d'tin Merle , & à - peu - près
de la figure d'un Martin- Pêcheur,
42 MERCURE DE FRANCE.
" ma compagne & par mes enfans » . Auffitôt
il redrelle l'épingle avec fon bec , il
retire doucement la fauterelle , la va pofer
fur une herbe falutaire qui guérit fa bleffure
, puis il la porte à fon nid. Ceci n'eſt
pas une proie , dit- il à fes enfans , c'eſt une
divinité. Il leur raconte ce qui vient de
lui arriver ; on accable de remerciemens
& de careffes la bonne Sauterelle ; toute la
famille , jufqu'aux petits fans plumes qui
bégaioient encore , lui promettent qu'ils la
refpecteront & la chériront comme leur
mère.
LEE
mot de la première Énigme du Mercure
d'Août eft le palais de la bouche.
Celui de la feconde eft ruban . "Celui du
premier Logogryphe eft correfpendance ;
dans lequel on trouve Enée , Caron , les
Açores , or , donc , cor , âne , re , or ,
Rennes, Péronne , canon , Perfe , cèdre ,
canard , Cefar , André & fon. Celui du
fecond Logogryphe eft calebaffe , cucurbita
; dans la divifion duquel on trouve
baffe , inftrument de mufique , & cale
morceau de bois ou de pierre fort mince
qu'on met entre deux pierres pour les affermir
, affula.
SEPTEMBRE 1766. 43
ÉNIGME S.
JE fuis une machine en eſpèces féconde ,
Utile aux petits comme aux grands ,
Pour les fervices que je rends .
On me porte par- tout , fur la terre & fur l'onde ;
Tout ce que je trouve d'immonde
Doit toujours redouter mes dents.
Sur toi-même , Lecteur , j'exerce mes talens
Comme fur le refte du monde.
Q
AUTRE.
UE je fuis éloigné de l'humeur de mes
frères !
Ils n'abhorrent rien tant que d'être ſolitaires ;
C'est là de leur deftia l'impitoyable loi :
Il faut , pour fubfifter , qu'ils foient en compagnie;
J'ai pour elle , au contraire , une haine infinie ,
Et quand j'y fuis , c'eſt fait de moi.
44 MERCURE
DE FRANCE.
LES
LOGO GRYPH E.
Es peines , les travaux n'ont rien qui m'épouvante
,
Je réfifte aisément aux plus fâcheux revers ;
Et celui que j'anime affronte fur les mers ,
Avec un air ferein , le calme & la tourmente !
Egalement tranquille au milieu des combats ;
Il voit à fes cotés la mort qui le menace ,
Semble braver fes coups ; & , tout rempli d'audace
,
Il l'attend , ou bien vole au- devant de fes pas
Un autre trait , Lecteur , me fera mieux connoître:
En me coupant le cou , je deviens dangereux ;
Tâche alors d'éviter mes tranſports furieux :
Quiconque en eſt atteint , de lui n'eft plus lo
maitre.
SEPTEMBRE 1766. 4
AUTRE.
A M. FABRE , à Strasbourg.
L'AMANT auprès de fa maîtreſſe
Fait fouvent ufage de moi ;
Le courtisan avec adreſſe ,
Sait auffi me mettre en emploi.
Chloé , préfomptueufe & vaine ,
Me reçoit d'un air dédaigneux ;
Si l'on me donne à Célimène >
Elle baiffe auffi-tôt les yeux.
Dans ma petite contexture ;
Vous trouverez facilement
Une patiente monture ;
Une baguette ; un élément :
De plus , ce qui nous fait defcendre
Dans le fombre empire des morts ;
Le cri qu'un fiacre fait entendre ;
Un être qui n'a point de corps ;
Ce qui fert à certaine chaffe
Que l'on fait toujours dans les bois ;
Enfin je vous offre une place
Où l'on s'amufe quelquefois .
46 MERCURE DE FRANCE .
ENVO I.
De cet ennuyeux verbiage
Vous ne pouvez , cher Fabre , ignorer le fujets
Je l'ai trouvé de trop dans votre badinage :
Il ne convient qu'à vous, je vous en fais hommage,
Daignez l'agréer , s'il vous plait.
Le 14 Mai 1766 .
Par M. LAGACHE , fils .
LES EFFETS DE LA FIDÉLITÉ.
ARIETT E.
D Es fidèles amans
Rien ne trouble les chaînes ;
Ils n'ont jamais de peines
Ni de tourmens .
Le Dieu de la tendreffe
Comble tous leurs defirs ,
Leurs âmes fans ceffe ,
D'une aimable yvreffe
Savourent les plaifirs.
f
Des fideles amans Rien ne trouble les
+
ines,Ils n'onjtamais depeines Nidetour -
Ni de tourmens,Ni de tourmens,LeDieu de
a tendresse Comble tous leurs de sirs ,Leurs
mes sans cesse , D'une douce ivresse Sa-
W
urent les plaisirs, Savourent les plaiP
Fin
sirs. Si ce Dieu plein de charmes, Fait
répandre des larmes.Non ce n'estjamais
1 des amans parfaits, Mais pour un vo
lage Dont le coeur s'engage
Dans des nouds nouveaux , L'amourn
W
que des maux; Des fideles
a-mans
SEPTEMBRE 1766. 4%
Si ce Dieu plein de charmes
Fait répandre des larmes ,
Non , ce n'eft jamais
A des amans parfaits.
Mais pour un volage
Dont le coeur s'engage ,
Dans des noeuds nouveaux ,
L'amour n'a que des maux,
Par M. LAGACHE , fils , à Amient
La Mufique de M. DES , .....
-448 MERCURE DE FRANCE.C
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
EXTRAIT du tome quatorzième de l'His-
TOIRE NATURELLE. A Paris , de
l'Imprimerie Royale ; 1766.
L'HISTOIRE Naturelle de M. de Buffon
eft dans une fi haute eftime par toute
l'Europe , que nous pourrions nous borner
à en annoncer les différens volumes à mefure
qu'ils paroiffent ; mais s'il eft des
Ouvrages qui demandent qu'un Journalifte
les faffe connoître , il en eft d'autres
dont lui- même il a fouvent befoin pour
enrichir le travail dont il eft chargé . Ceux
de M. de Buffon font de cet ordre fupérieur
on peut les regarder comme le
commentaire le plus complet & le plus
exact que nous ayons du grand livre de
la nature , de ce livre négligé depuis tant
de fiècles , à la honte de l'efprit humain ,
& que le nôtre du moins peut fe glorifier
de commencer à confulter. Quelles facilités
pour
SEPTEMBRE 1766. 49
pour l'entendre & pour y faire de nouvelles
découvertes , ne trouvera pas la postérité
dans le quatorzième volume de cette Hiftoire
! La philofophie qui y règne n'a point
l'air fauvage & rebutant de celle de l'école ;
elle n'eft point non plus défigurée par
cette parure frivole qu'il n'y a pas longtemps
on avoit cru néceffaire pour l'introduire
dans le monde : plus impofante ,
plus effrayante même par le feul charme
qui lui eft propre , elle ne fe montre nulle
part dans les écrits de cet illuftre Acadéinicien
qu'avec toute la majeſté digne d'elle.
Perfonne n'a plus contribué que lui , nonfeulement
à répandre le goût de l'Histoire
Naturelle , mais à aggrandir la fphère des
connoiffances humaines , parce que perfonne
n'a mieux ni plus clairement écrit
que ce Philofophe fur les fciences même
les plus abftraites. On adopte fes idées
parce qu'il pofsède le grand art de les rendre
auffi claires qu'elles font ou vraies ou
vraisemblables. Et combien eft- il de fujets
où l'efprit le plus pénétrant & le plus jufte
eft forcé de s'en tenir au vraisemblable
dans l'impoffibilité d'atteindre au vrai ?
Quel avantage n’a pas alors M. de Buffon
pour établir l'opinion qu'il embraffe , lui
qui poſsède à un degré fi éminent ce , qu'au
rapport de Quintilien , Ariftote appelle
C
MERCURE DE FRANCE.
vim dicendi quid in quâque re poffit effe
perfuafibile ; ce qui eft le caractère de la
véritable éloquence .
Parmi les philofophes anciens ou modernes
il en eft qui ont affecté le myſtère ou
l'obfcurité ; d'autres n'ont pas eu le talent
de fe faire entendre , & nous ne craignons
pas de l'avancer , combien ne fe font pas
entendus eux-mêmes ! M. de Buffon , tou
jours clair , toujours lumineux parce qu'il
eft toujours maître de la matière qu'il traite ,
donne fur toutes les parties de la phyfique
les connoiffances les plus approfondies à
ceux qui font faits pour y atteindre. Quelles
preuves n'en trouve-t-on pas dans les difcours
fublimes intitulés : de la nature , première
&feconde vues , imprimés à la tête.
des deux volumes précédens , & dont nous
avons rendu compte dans un de nos Mercures
? La nomenclature desfinges , qui fert
d'introduction à leur hiftoire dans le quatorzième
tome , & la differtation fur la
dégénération des animaux qui le termine
font du même genre & de la même force,
Par l'extrait que nous allons donner du
premier de ces difcours , & par quelques
morceaux que nous allons mettre fous les
yeux du Lecteur , on verra que ce Philofophe
y traite encore de la nature en grand ,
& que
c'en eft en quelque façon une troifième
vue.
SEPTEMBRE 1766 .
L'Auteur commence par expofer & faire
fentir la folidité des raifons qui l'ont déterminé
à rejetter toutes les méthodes qui
ont été imaginées jufqu'ici pour entaffer
fous le nom de finges une multitude d'animaux
d'efpèces différentes & même trèséloignées.
Il eft à remarquer qu'il a eu en
fa poffeffion quarante de ces animaux , la
plupart vivans.
Après avoir défini le finge avec cette
précifion qui lui eft familière , il examine
combien il exifte d'efpèces auxquelles on
doive donner ce nom . Il en admet trois ,
& prouve que les anciens n'en ont connu
qu'une feule , que les Grecs ont appellée
pithecos & les Latins fimia. C'eft fur cet
animal qu'Ariftote , Pline & Gallien ont
fondé toutes les relations phyfiques
du finge à l'homme : il en diffère néanmoins
, fans parler des autres diffemblances
, par un attribut qui , quoique relatif
en lui-même , n'en eft pas moins effentiel ,
c'eft la grandeur. La taille de l'homme en
général eft au-deffus de cinq pieds ; celledu
pithèque n'atteint guère qu'au quart de
cette hauteur. L'orang- outang , c'est- à - dire ,
l'homme fauvage , nom que les Indiens lui
ont donné , a cet attribut de grandeur. Cet
animal eft auffi haut, auffi fort que l'homme,
il fait porter des armes ; il fe fert de pierres
C ij
52
MERCURE
DE FRANCE.
pour attaquer & de bâtons pour fe défendre
; il a de plus des traits approchans de
ceux de l'homme , des oreilles de la même
forme , de la barbe au menton & du poil
ni plus ni moins que l'homme dans l'état
de nature.
Après les finges fe préfente une autre
famille d'animaux que M. de Buffon indique
fous le nom générique de babouins ,
& dont il donne les caractères diſtinctifs.
Il les fixe auffi à trois efpèces. Ariftote
paroît feul avoir défigné la première par
le nom de fimia porcaria. L'animal que
nous appellons magot forme une efpèce
intermédiaire entre le genre du finge &
celui du babouin , attendu , comme le dit
l'Auteur , que la nature ne connoît pas nos
définitions , qu'elle n'a jamais rangé les
êtres par genres , & que fa marche, au contraire
, va toujours par nuances. Cet animal
étant de la haute Egypte , les anciens
l'ont connu. Les Grecs & les Latins l'ont
nommé cynocéphale, parce que fon muſeau
reffemble affez à celui d'un dogue.
Les guenons ou finges à longue queue
forment encore une autre famille également
différente des deux premières. Les
Grecs leur ont donné le nom de kebos ou
keros. M. de Buffon en cite neuf eſpèces ,
qu'il indique par un nom particulier à
SEPTEMBRE 1766. 53
chacune. De ces neuf efpèces deux feulement
ont été connues des anciens , la mone
& le callitriche , qui font originaires de
l'Arabie & des parties feptentrionales de
l'Afrique. Les fept autres devoient néceſſairement
leur être inconnues , puifqu'elles font
natives & exclufivement habitantes des terres
où les voyageurs Grecs n'avoient pas encore
pénétré du temps d'Ariftote.
Voilà les animaux de l'ancien Continent
auxquels on a donné le nom commun
de finge on l'a donné auffi aux bêtés qu'on
a trouvées en Amérique avec des mains
& des doigts , fans faire attention quepour
transférer un nom , il faut au moins que le
genre foit le même ; & , pour l'appliquer
jufte , il faut encore que l'espèce foit identique
or ceux- ci , dont M. de Buffon fait
deux claffes fous les noms de fapajous &
de fagoins , font très - différens de tout les
finges de l'Afie & de l'Afrique : & de la
même manière qu'il ne fe trouve dans le
nouveau Continent ni finges , ni babouins ,
ni guenons ; il n'exifte auffi ni fapajous ,
ni fagoins dans l'ancien. Ces deux nouvelles
familles , non - feulement différent
effentiellement des guenons , les feules
auxquelles on puiffe les comparer , mais
elles différent encore l'une de l'autre par
un caractère remarquable. Tout les fapa-
C iij
54
MERCURE DE FRANCE.
jous fe fervent de leur queue comme d'un
doigt pour s'accrocher & même
pour faifir
ce qu'ils ne peuvent prendre avec la
main. Les fagoins , au contraire , ne peuvent
fe fervir de leur queue pour cet ufage.
M. de Buffon , à qui il n'échappe aucune
des erreurs des Naturaliſtes qui l'ont précédé
, & que rien ne peut fatisfaire que le
vrai , remarque encore que c'eft fans raiſon
fuffifante que l'on a donné à toutes ces
bêtes le nom de quadrupèdes , nom qui
fuppofe que l'animal ait quatre pieds.
Pour qu'il y ait , dit - il , de la précifion
dans les mots , il faut de la vérité dans les
idées qu'ils repréfentent . En faisant pour
les mains un nom pareil à celui qu'on a
fait pour les pieds , il faudroit nommer
le finge quadrumane ; & l'on diroit alors
avec vérité & précifion que l'homme eft le
feul qui foit bimane & bipède , parce qu'il
eft lefeul qui ait deux mains & deux pieds.
En appliquant ces nouvelles dénominations
générales à tous les êtres particuliers auxquels
elles conviennent , il fe trouve que
fur environ deux cents efpèces d'animaux
qui peuplent la furface de la terre , &
auxquels on donne le nom de quadrupèdes,
il en faut retrancher prefque un tiers , &
la lifte des quadrumanes eft au moins
de quarante efpèces. En effet , les vrais
que
que
SEPTEMBRE 1766. $5
quadrupèdes font les folipèdes & les pieds
fourchus . De l'examen détaillé de tous ces
différens animaux il réfulte qu'il y en a
réellement plus d'un quart auxquels le nom
de quadrupède difconvient , & plus d'une
moitié auxquels il ne convient pas dans
toute fon acception .
L'Auteur trouve dans tout ces faits une
nouvelle preuve qu'il n'y preuve qu'il n'y a aucun de nos
termes généraux qui foit exact , lorsqu'on
vient à les appliquer en particulier aux
chofes ou aux êtres qu'ils repréfentent :
ce qui provient de notre impuiffance de
combiner & de voir à la fois un grand
nombre de choſes. En comparant les cuvres
de la nature aux ouvrages de l'homme ,
il
prouve que l'efprit , quelque actif, quelque
étendu qu'il foit , ne peut aller de pair
& fuivre la même marche fans fe perdre
lui-même , ou dans l'immenfitité de l'espace ,
ou dans les ténèbres du temps , ou dans le
nombre infini de la combinaiſon des êtres.
C'est ici que commence cette partie
fublime du difcours où M. de Buffon femble
avoir pénétré , & nous dévoiler réellement
les fecrets de la nature. Comme dans
fes ouvrages tout eft tellement lié , qu'on
n'en peut rien retrancher qui n'y foit effentiel
, nous nous garderons bien d'altérer
fes idées en voulant fur chaque objet en
Civ
$6. MERCURE DE FRANCE.
donner le précis ( 1 ) : nous avons indiqué
la fource ; ceux qui aiment la vérité , l'ob.
jet de tant de recherches philofophiques ,
auront plus de plaifir à y aller puifer euxmêmes.
Ainsi , pour remplir nos engagemens
, nous nous contenterons , en fuivant
le plan de cet excellent difcours , d'en
rapporter quelques endroits détachés , qui
fuffiront pour juftifier ce que nous avons
avancé .
Nous croyons devoir commencer par le
morceau qui nous trace , d'une manière fi
lumineufe , l'origine & le progrès de toutes
nos connoiffances. L'efprit , dit M. de
Buffon , quoique refferrépar les fens , quoi.
que fouvent abufé par leurs faux rapports
n'en eft ni moins pur ni moins actif.
L'homme qui a voulu favoir , a commencé
par les rectifier , par démontrer leurs erreurs
; il les a traités comme des organes
méchaniques , des inftrumens qu'il faut mettre
en expérience pour les vérifier & juger
de leurs effets marchant enfuite , la balance
à la main & le compas de l'autre , il a mefuré
& le temps & l'efpace , il a reconnu
tout les dehors de la nature ; & ne pouvant
en pénétrer l'intérieur par les fens , il l'a
deviné par comparaiſon & jugé par analo-
( 1 ) Abfit ut tam illuftrem materiam familiari
dicendi genere & extemporaneitate noftrâ violemus.
SEPTEMBRE 1766. ST
gie ; il a trouvé qu'il exiftoit dans la matière
une force générale , différente de celle
de l'impulfion , une force qui ne tombe point
fous nos fens , & dont par conféquent nous
ne pouvons pas difpofer , mais que la nature
emploie comme fon agent univerfel : il a
démontré que cette force appartenoit à toute
matière également , c'est - à-dire , proportionnellement
àfa maffe ou quantité réelle ; que
cette force ou plutôt fon action s'étendoit à
des diftances immenfes , en décroiffant comme
les efpaces augmentent . . .. . La chaleur eſt
une autre force néceffaire à la production
des êtres vivans. ... La lumière eſt une
matière vive douée d'une élasticité &
d'une activité fans bornes .... La formation
& le développement des êtres organifes
fe font par le concours de toutes ces forces
réunies ; l'extenfion , l'accroiffement des
corps vivans ou végétans fuit exactement
les loix de la force attractive , & s'opère
en effet en augmentant à la fois dans les
trois dimenfions.
Ce ne font point ici des raifonnemens
ce font des faits découverts & confirmés
par l'expérience : il faut en démontrer la
fauffetéavant que d'ofer prononcer, comme
font quelques Ecrivains , que la philofophie
moderne ou le Neutonianifme francife ,
comme il leur plaît de l'appeller , paſſera
C▾
58 MERCURE
DE FRANCE
.
avec la mode à laquelle il doit fon prin
cipal mérite. Nous fommes très-éloignés
de vouloir nous -mêmes nous donner pour
juges d'aucun fyftême , mais nous croyons
ne pouvoir trop fouvent attaquer & combattre
ces préjugés nationaux dont les philofophes
eux - mêmes ne font pas exempts.
Qu'importe que Nevvton foit Anglois s'il
explique mieux qu'un autre les effets d'une
première caufe qu'il n'eft pas donné à
l'homme de connoître !
M. de Buffon prend enfuite le corps
humain pour le module phyfique de tout
les êtres vivans ; & les ayant mefurés , fondés
, comparés dans toutes les parties , il
fait voir que la forme de tout ce qui refpire
eft à peu - près la même ; qu'en difféquant
le finge on pourroit donner l'anatomie
de l'homme ; qu'en prenant un autre
animal , on trouveroit toujours le même
fond d'organisation , les mêmes fens ,
les mêmes vifcères , les mêmes os , les
mêmes chairs , le même mouvement dans
les fluides , le même jeu , la même action
dans les folides . Ce plan , toujours le
même , toujours fuivi de l'homme au finge
du finge aux quadrupèdes , aux cétacées
aux oifeaux, aux poiffons , aux reptiles,
eft , dit M. de Buffon , un exemplaire fidèle
de la nature vivante , & la vue la plusfimple
& la plus générale fous laquelle on puiſſe
·
SEPTEMBRE 1766. 59
la confidérer. Nous croyons devoir ajouter
qu'aucun philofophe ne l'avoit encore
préfentée dans cette généralité , dont l'efprit
ne peut faifir fans admiration l'enfemble
& les rapports .
De ce grand tableau des reffemblances
dans lequel l'Auteur nous repréfente l'univers
vivant comme ne faifant qu'une même
famille , il paffe à celui des différences où
chaque efpèce réclame une place ifolée , &
fait voir , qu'à l'exception de quelques efpèces
majeures , telles que l'éléphant & le
rhinocéros , &c. tous les autres femblent
fe réunir avec leurs voifins ; que ceux
même dont l'efpèce nous paroît la plus
parfaite , c'eft-à dire , la plus approchante
de la nôtre , les finges fe préfentent enfemble
& demandent déja des yeux attentifs
pour être diftingués les uns des autres ,
parce que c'est moins à la forme qu'à la
grandeur qu'eft attaché le privilége d'efpèce
ifolée. En effet , dans l'hiſtoire de
l'Orang- outang , fi l'on ne faifoit attention
qu'à la figure , on pourroit regarder
également cet animal comme le premier
des finges , ou comme le dernier des hommes
; parce qu'à l'exception de l'âme , il
ne lui manque rien de tout ce que nous
avons , & parce qu'il diffère moins de
l'homme pour le corps , qu'il ne diffère des
C vj
60 MERCURE DE FRANCE. ·
autres animaux auxquels on a donné le
même nom de finge.
L'âme , la penfée , la parole ne dépendent
donc pas de la forme ou de l'organifation
du corps : rien ne prouve mieux que
c'est un don particulier & fait à l'homme
feul , puifque l'Orang- outang , qui ne parle
ni ne penfe , a néanmoins le corps ,
membres , les fens , le cerveau & la langue
entièrement femblables à l'homme ..
....
les
Il est bien vrai que fi l'on ne devoit
juger que par la forme , l'efpèce de ce
finge pourroit être prife pour une variété
dans l'efpèce humaine. C'eft pour faire
fentir toute la fauffeté de cette idée que
l'Auteur entre dans des détails qu'il faut
lire dans l'ouvrage même. Il y diftingue
parfaitement l'homme du finge ; il prouve
que celui- ci n'eft qu'une fimple brute dont ,
malgré la conformité extérieure qui nous
étonne , toutes les actions font purement
' animales ; que dans l'homme , au contraire
, tour annonce une intelligence qui
le fait agir. Le Créateur a comprisfaforme ,
comme celle de tout les animaux , dans un
plan général ; mais en même temps qu'il lui
a départi cette forme matérielle , femblable
à celle dufinge , il a pénétré ce corps animal
de fonfouffle divin : s'il eût fait la même
faveur , je ne dis pas au finge , mais à l'ef
SEPTEMBRE 1766. 61
J
pèce la plus vile , à l'animal qui nous paroît
le plus mal organifé ; cette espèce feroit
bientôt devenue la rivale de l'homme ; vivifiée
par l'efprit , elle eût priméfur les autres
elle eût penfe , elle eût parlé. Quelque reffemblance
qu'il y ait donc entre l'homme le
plus fauvage & le finge , l'intervalle qui les
Sépare eft immenfe , puifqu'à l'intérieur il
eft rempli par la penfée & au dehors
par la
parole.
Pour développer tout les moyens qu'a
l'homme de perfectionner les facultés
qu'il tient de la nature , M. de Buffon fait
une remarque bien judicieufe , bien digne
de l'attention du Lecteur , & que nous
croyons qu'aucun philofophe n'avoit faite
avant lui. Il y a , dit- il , deux éducations
qui doivent être foigneufement diftinguées ,
parce que leurs produits font fort différens ;
Péducation de Pindividu , qui eft commune
à l'homme & aux animaux ; & l'éducation
de l'espèce qui n'appartient qu'à l'homme.
Un jeune animal , tant par l'incitation que
par l'exemple , apprend en quelques femaines
d'âge à faire tout ce que fes père &
mère font il faut des années à l'enfant ,
parce qu'en naiffant il est beaucoup moins
avancé , moins fort & moins formé que ne
lefont les petits animaux . L'enfant eft done
beaucoup plus lent que l'animal à recevoir,
62 MERCURE DE FRANCE.
l'éducation individuelle ; mais par cette
raiſon même il devient fufceptible de celle
de l'espèce. Lesfoins continuels qu'exigependant
long- temps fon état de foibleſſe , entretiennent
• augmentent l'attachement des
pères & mères : & en foignant le corps ils
cultivent l'efprit.... L'éducation , quifeule
peut développer fon âme , veut donc être
Suivie long-temps & toujours foutenue. Si
elle ceffoit , je ne dis pas à deux mois
comme celle des animaux , mais même à
un an d'âge , l'âme de l'enfant qui n'auroic
rien reçu feroit fans exercice , & , faute
de mouvement communiqué , demeureroit
inactive comme celle de l'imbécille , à laquelle
rien n'eft tranfmis....
و
Dans l'état le plus fauvage de l'homme ,
la première éducation , l'éducation de néceffité
, exige autant de temps que dans
l'état civil , parce que dans tout deux l'enfant
eft à- peu- près également foible , également
lent à croître , & qu'enfin il périroit
s'il étoit abandonné avant l'âge de
trois ans. Or , cette habitude néceffaire ,
continuelle & commune entre la mère &
l'enfant pendant un fi long temps , fuffit
pour qu'elle lui communique tout ce qu'elle
pofsède ; & quand on voudroit fuppofer
fauffement qu'elle ne pofsède rien , pas
même la parole , cette longue habitude
SEPTEMBRE 1766. 63
avec fon enfant ne fuffiroit- elle pas pour
faire naître une langue ? Ainfi cet état de
pure nature , où l'on fuppofe l'homme fans
penfée , fans parole , eft un état idéal , imaginaire
, qui n'a jamais exifté. La néceffité
de la longue habitude des parens à l'enfant
produit la fociété au milieu du défert ; la
famille s'entend & par fignes & par fons ,
& ce premier rayon d'intelligence entretenu ,
cultivé, communiqué , a fait enfuite éclorre
tout les germes de la penfée. Comme l'habitude
n'a pu s'exercer , fe foutenir fi long
temps fans produire des fignes mutuels &
des fons réciproques , cesfignes ou cesfons ,
toujours répétés & gravés pen à peu dans
la mémoire de l'enfant , deviennent des expreffions
conftantes ; quelque courte qu'en
foit la lifte , c'eft une langue qui deviendra
bientôt plus étendue , fi la famille augmente ,
& qui fuivra toujours dans fa marche tout
les progrès de la fociété . Dès qu'elle commence
à fe former , l'éducation de l'enfant
n'eft plus une éducation purement individuelle
, puifque fes parens lui communiquent
, non -feulement ce qu'ils tiennent de
la nature , mais encore ce qu'ils ont reçu
de leurs ayeux & de la fociété dont ils font
partie.
Quelque long que foit ce morceau, nous
nous flattons que le Lecteur nous faura gré
64 MERCURE DE FRANCE.
de l'avoir tranfcrit tout entier. Combien
avons-nous fur cet objet de volumes de
métaphyfique qui ne font qu'égarer ceux
qui cherchent à s'inftruire ? Ici la marche
de la nature fe voit , fe comprend ; on
fent qu'elle ne peut être autre : difons
mieux , ici la vérité eft portée au degré
d'évidence dont elle eft fufceptible.
M. de Buffon obferve de plus que parmi
les animaux même , quoique tous dépourvûs
du principe penfant , ceux dont l'éducation
eft la plus longue , font auffi ceux
qui paroiffent avoir le plus d'intelligence.
L'éléphant , qui de tous eft le plus longtemps
à croître , & qui a beſoin des fecours
defa mère pendant toute la première année ,
eft auffi le plus intelligent de tous. Le
cochon d'inde , auquel il ne faut que trois
femaines d'âge pour prendre tout fon aceroiffement
&fe trouver en état d'engendrer,
eft peut-être , par cette feule raifon , l'un
des plus ftupides.
Quant au finge , dont il s'agit de décider
la nature , quelque reffemblant qu'il
foit à l'homme , il a néanmoins une fi
forteteinture d'animalité , qu'elle fe reconnoît
dès le moment de fa naiffance ; il eft
à proportion plus fort & plus formé que
l'enfant , il croît beaucoup plus vîte &
ne reçoit qu'une éducation individuelle ,
SEPTEMBRE 1766. 65
-
& par conféquent auffi ſtérile que celle
des autres animaux. Il eft donc animal ;
& malgré fa reffemblance à l'homme , bien
loin d'être le fecond dans notre espèce , il
n'eft pas le premier dans l'ordre des animaux
, puifqu'il n'eft pas le plus intelligent.....
A l'égard de l'imitation , qui
paroît être le caractère le plus marqué
de l'efpèce du finge , & que le vulgaire
lui accorde , comme un talent unique ;
tout ceux qui ont obfervé cet animal fans
prévention , conviendront qu'il n'y a rien
de libre , rien de volontaire dans cette
imitation. Le finge ayant des bras & des
mains , s'en fert comme nous , mais fans
fonger à nous: la fimilitude des membres
& des organes , produit néceſſairement des
mouvemens & quelquefois des fuites de
mouvemens qui ressemblent aux nôtres :
étant conformé comme l'homme , le finge
ne peut que fe mouvoir comme lui ; mais
fe mouvoir de même , n'eft pas agir pour
imiter...... Cette parité qui n'eft que le
phyfique de l'imitation n'eft pas auffi complette
que la fimilitude , dont cependant
elle émane comme effet immédiat. Le
finge reffemble plus à l'homme par le
corps & les membres , que par l'ufage
qu'il en fait..... Toutes les actions du
finge tiennent de fon éducation qui eft
66 MERCURE DE FRANCÉ.

il
purement animale ; elles nous paroiffent
ridicules , inconféquentes , extravagantes ,
parce que nous nous trompons d'échelle
en les rapportant à nous , & que l'unité
qui doit leur fervir de bâfe eft très- différente
de la nôtre ..... Toutes fes habitudes
font exceflives & reffemblent beaucoup
plus aux mouvemens d'un maniaque
, qu'aux actions d'un homme , ou
même d'un animal tranquille..... Il eft
infenfible aux careffes & n'obéit qu'au
châtiment.... L'efpèce n'a jamais été domeftique
nulle part ; & par ce rapport ,
eft encore plus éloigné de l'homme que
la plupart des animaux. La docilité fuppofe
quelque analogie entre celui qui donne
& celui qui reçoit..... Or , le paffîf du
finge a moins de rapport avec l'actif de
l'homme , que le paffifdu chien ou de l'éléphant
, qu'ilfuffit de bien traiter pour leur
communiquer les fentimens doux & même
délicats de l'attachement fidèle , de l'obéif
fance volontaire , du fervice gratuit & du
dévouement fans réferve ..... Le finge diffère
auffi beaucoup de l'homme par le tempéramment.
L'homme peut habiter tous les
climats ; il vit , il multiplie dans ceux du
Nord & dans ceux du Midi . Le finge a de
la peine à vivre dans les contrées tempérées
& ne peut multiplier que dans les
SEPTEMBRE 1766. 67
pays les plus chauds........ Ainfi ce finge,
que les philofophes avec le vulgaire ont
regardé comme un être difficile à définir ,
dont la nature étoit au moins équivoque
& moyenne entre celle de l'homme & celle
des animaux , n'eft , dans la vérité , qu'un
pur animal , portant à l'extérieur un maf
que de figure humaine , mais dénué à l'intérieur
de la pensée & de tout ce qui fait
l'homme ; un animal au - deffous de plufieurs
autres par les facultés relatives , & encore
effentiellement différent de l'homme par le
naturel , par le tempéramment & auffi par
la mesure du temps néceſſaire à l'éducation ,
à la geftation , à l'accroiffement du corps ,
à la durée de la vie , c'est- à dire , par toutes
les habitudes réelles qui conftituent ce qu'on
appelle nature dans un être particulier.
La queftion fur la nature des finges
étoit une caufe majeure portée depuis
long- temps au tribunal de la philofophie ,
mais qui n'y reftoit indécife que parce
qu'elle n'avoit jamais été bien inftruite.
La voilà déformais fi parfaitement difcutée
, & le jugement que nous venons de
rapporter eft fi fagement motivé & fi folidement
établi , que nous ne doutons point
qu'il ne foit pleinement confirmé par le
Public éclairé , à qui feul il appartient de
prononcer en dernier reffort. Nous ne
68 MERCURE DE FRANCE.
prétendons pas donner notre témoignage
pour une autorité : nous fentons même ,
quelque plaifir que nous ayons pris à rendre
juftice à M. de Buffon , combien nos
foibles éloges font au - deffous de ceux qui
lui font dûs ; mais un ancien l'a dit : careret
fama magnorum virorum celebritate , fi
etiam minoribus teftibus contenta non effet .
Symmachus , lib. VIII , epift. 2.
HISTOIRE des Révolutions de l'Empire
Romain , pour fervir de fuite à celle
des Révolutions de la République , par
S. N. H. LINGUET , Avocat au Parlement.
Nous avons annoncé cet ouvrage dans
l'un des Mercures précédens. Nous avons
dit qu'il méritoit d'être placé à côté de
celui de M. l'Abbé de Vertot . Nous ne
rétractons pas ce jugement que le Public
paroit avoir confirmé : & nous eſpérons
que l'extrait que nous en allons donner ,
ne détruira point cette idée dans l'efprit
des perfonnes qui n'auront pas lu l'ouvrage
en entier.
Il est précédé d'une épitre à un ami de
SEPTEMBRE 1766. 69
l'Auteur , où celui - ci rend compte des motifs
qui l'ont engagé à entreprendre la
continuation d'un ouvrage auffi célèbre
que les Révolutions de la République. IL
parle modeftement de lui-même , & de
I'Abbé de l'ertot avec les plus grands éloges.
Il marque du regret de ce que cet
habile Ecrivain n'a pas lui-même pouffé
fon livre jufqu'à la chûte de l'Empire , de
ce qu'il a préféré d'écrire l'hiftoire des
Grands Maîtres de Malthe plutôt que celle
des Empereurs. Ici il eſt échappé par inadvertance
à M. Linguet une expreffion peu
mefurée à l'égard de l'Ordre de Malthe..
Nous l'exhortons à profiter des avis fages
que lui a donnés à cette occafion M. le
Chevalier de R. & à faire difparoître cette
faute dans une feconde édition .
M. Linguet donne une idée du ſujet
qu'il va embraffer. « C'eft , dit- il , un des
plus beaux que puiffe traiter l'hiſtoire. C'eſt
d'abord le fpectacle de la première République
de l'univers , changée par un ufurpateur
en une monarchie immenſe . Celleci
dégénère bientôt en une tyrannie cruelle .
On voit les Romains , après avoir été fi
long - temps le plus fuperbe de tous les
peuples , devenir les plus bas de tous les
efclaves ; l'orgueil de ces fiers tyrans des
Rois aboutit à une fervitude telle qu'il
70 MERCURE DE FRANCE .
ne s'en retrouvera peut - être jamais d'e
xemple .
Cette efpèce de prodige fe confomme
dans l'intervalle qui fépare Augufte &
Domitien. Rome alors , trop occupée de
fes maux , laiffe en paix les parties du
monde qu'elle n'a point envahies. Ses
armées ne fe répandent prefque plus audelà
de fes limites. Elle fe couvre de barrières.
Elle cache , pour ainfi dire , à la
faveur de cet abri , des troupes qui ne font
plus deftinées qu'à la défendre . C'eſt un
lion dangereufement bleffé qui retire ſes
griffes affoiblies. S'il les laiffe encore quelquefois
reparoître , c'eft plus pour écarter
fes ennemis que dans l'efpérance d'en
faire fa proie.
Elle recouvre de temps en temps quelque
efpèce de vigueur , mais elle l'emploie
à déchirer fes entrailles. Elle la fait
fervir à rendre plus pefant le joug qui
l'écrafe & la deshonore . Ses citoyens ne fe
diftinguent prefque plus que dans les guer
res civiles . Leur ambition fe réduit déformais
à entrer pour quelque chofe dans le
choix d'un tyran ,
Elle fe ranime un peu fous les règnes
des Trajans , des Adriens , des Antonins
des Marc- Aureles . Ces génies bienfaifans
ramènent par leurs vertus quelque ombre
SEPTEMBRE 1766. 71
de calme fur la terre. Ils effacent un peu
la honte du trône , long-temps fouillé par
des infamies fanguinaires . La Providence
place cette fuite d'hommes vertueux entre
la tyrannie de Domitien & celle de Commode
, pour donner à l'Etat épuifé le temps
de refpirer , comme un Médecin habile
ménage les forces de fon malade , & prend
foin de féparer par quelque intervalle de
repos le commencement & la fin d'une
opération douloureuſe.

>
Ce moment de la félicité de l'Empire
n'eſt pas le plus favorable pour l'hiftoire,
Mais fes larmes , effuyées un inſtant
recommencent bientôt à couler, La couronne
la plus brillante qu'il y ait eu dans
le monde n'eft prefque plus portée que
par des fcélérats dignes des plus honteux
fupplices. Les crimes font punis par des
crimes. Le trône toujours fouillé eft toujours
fanglant. Les honneurs , les dignités
, tous les prix de la vertu font prodigués
aux excès les plus abominables en
tout genre,
Vient enfuite le fiècle de Conftantin ,
qui finit le troisième & commence le quatrième
de notre ére. Ce fiècle à jamais
mémorable donne au gouvernement une
forme nouvelle. Rome ceffe alors d'être
la Capitale du monde . Un caprice politi72
MERCURE
DE
FRANCE
.
que lui oppofe tout-à- coup une rivale qui
parvient bientôt à l'éclipfer. Les Dieux
qu'elle a cru les auteurs de fa fortune
tombent humiliés devant un Dieu qu'elle
a méconnu . Avec un nouveau culte elle
voit s'établir de tous côtés dans fon fein
d'autres magiftratures , d'autres maximes ,
une adminiſtration toute différente.
Cependant malgré les grandes qualités
de plufieurs de fes Princes , malgré l'éclat
de leurs règnes , l'Etat , miné depuis longtemps
, n'en penche pas moins évidemment
vers fa chûte. Les indignes héritiers de
Conftantin de Julien , de Théodofe fuccédent
à leurs places & non pas à leurs talens.
Leurs divifions & leur molleffe ouvrent un
chemin à des peuples fauvages que la nature
femble produire alors exprès pour le
malheur de l'Empire Romain . Des nations
féroces & inconnues jufques-là viennent
l'affaillir avec acharnement comme une
proie digne de leurs efforts. Sa foibleſſe
leur tient lieu de forces. Après une vaine
réfiftance il fuccombe enfin ; & de cette
maffe énorme , divifée par fa chûte en une
infinité de parties , fe forment tous ces
petits Etats qui occupent & défolent aujourd'hui
le monde , comme faifoit autrefois
celui dont ils font les débris ».
Tel eft le tableau que M. Linguet fe
propofe
SEPTEMBRE 1766. 73
propofe de peindre à la poſtérité. Il examine
enfuite les matériaux que lui fourniffent
les anciens Hiftoriens. Il en fait
une critique févère & qui paroîtra même
outrée aux amateurs de ces reftes précieux
de l'antiquité. Cette épître , très -bien écrite,
comme le reste de l'hiftoire , contient beaucoup
d'idées nouvelles . M. Linguet ne fait
grace à aucun des objets qui le choquent
il
apporte toujours des raifons pour juftifier
fes jugemens ; & fi quelquefois elles
ne paroiffent pas affez folides pour convaincre
, l'adreffe avec laquelle elles font
préfentées , & fur- tout la manière dont
elles font rendues , fuffit pour intéreffer
vivement le Lecteur. Nous allons tirer de
l'hiftoire même quelques morceaux qui
nous paroîtront les plus propres à en faire
connoître le ſtyle.
AUGUSTE , premier Empereur:
in Caractère d'Augufte.
« Octave Cépias , connu depuis & révéré
fous le nom d'Augufte , ne fut point une
de ces âmes vigoureufes , qui fuivant fans
ménagement un penchant décidé pour le
vice ou pour la vertu , font le mal avec
audace & le bien avec fenfibilité , & qui
D
74 MERCURE DE FRANCE.
ne fe démentant jamais dans le cours
d'une longue vie , emportent fans partage
au tombeau la haine ou l'eftime des
hommes .
C'étoit un efprit délié , indifférent à
tout , hors fon feul intérêt , prenant fans
répugnance toutes les formes qui lui pouvoient
être utiles , capable d'ordonner des
crimes fans remords & de les réparer fans
plaifir. Bienfaifant fans bonté , guerrier fans
courage , inhumain fans paffion , né, pour
tromper les hommes , & par conféquent
pour devenir leur maître , il eut l'art d'al- ,
lier tous les vices avec l'apparence de toutes
les vestus.
#
On a pu voir dans l'Hiftoire de la République
comment il parvint , à force de
cruautés & de perfidies , à fupplanter fes
rivaux , à abattre toutes les relfources de
l'Etat. Il fit couler fans pitié dans les profcriptions
& dans les batailles , le plus qu'il
put , de ce fang généreux tranfmis aux
Romains par leurs ancêtres , & qui nourriffoit
dans tous les coeurs l'averfion contre
là tyrannie . Il traita la République comme
ces chevaux fougueux à qui l'on ôte une
partie de leurs forces pour s'affurer un ufage
paifible du refte...
Quand il la crit affez affoiblie , il ferma
fes plaies. Après lui avoir enlevé le prinSEPTEMBRE
1766. 75
cipe de fa vigueur , il lui permit de vivre,
mais avec le frein dont il eut foin d'empêcher
qu'elle ne pût fe défaire. Alors il
la ménagea : il affecta pour elle une bonté ,
une douceur , qui n'avoient rien d'étonnant,
puifqu'elle étoit devenue fon bien.
Son nom n'eft point parvenu jufqu'à
nous avec l'horreur qu'il mérite. Il eut
l'adreffe de protéger & de paroître chérir
les grands Ecrivains dont la nature honora
fon fiècle. Les louanges que leur reconnoiffance
lui a prodiguées ont adouci les
reproches que lui fait la févérité de l'hiſtoire
.
D'ailleurs , à féparér fes actions du motif
qui le conduifoit , il eft digne d'une
partie de leurs éloges. Quand il fe vit au
comble de la grandeur , il fentit qu'il falloit
s'y foutenir par l'amour des peuples , après
s'y être élevé par la crainte. Il changea de
conduite fans changer d'efprit. Il devint
clément parce qu'il crut avoir beſoin de
l'être , & le bien que fon intérêt lui fit
faire pendant fes dernières années effaça
prefque le fouvenir des maux que le même
intérêt lui avoit fait commettre pendant
les premières.
*
Augufte reconnu Empereur.
Augufte , vainqueur d'Antoine , fe fit
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
reconnoître fans difficulté par le Sénat &
par le peuple ..... Il éteignit le feu des
guerres civiles. Il'calma ces fecouffes terri-
Bles qui avoient pendant quarante ans
ébranlé l'Europe & l'Afie. A la liberté ,
qui n'étoit plus qu'un nom , un prétexte
dont les hommes puiffans fe fervoient pour
tout renverfer , il fubftitua un pouvoir
jufte & modéré , dont les Romains ne
tardèrent pas à fentir tout l'avantage.
Il n'exiftoit plus de ces vieux Républicains
dont le courage opiniâtre préféroit
la mort à la fervitude. Les plus furieux
avoient péri dans les combats ou par les
profcriptions. Prefque tous ceux qui vivoient
alors avoient paffé leur enfance au
milieu des périls & des difcordes civiles.
Témoins de ce qu'avoit coûté à leurs
pères l'amour de la République , & de
leurs efforts infructueux pour la foutenir ,
ils craignoient de voir à la fin de leurs
jours reparoître les fcènes fanglantes de
leur jeuneffe. Ils aimoient mieux une foumiffion
paifible que les orages de l'ancienne
liberté. Dans l'obligation de recevoir
un maître , ils prenoient fans choix &
fans regret regret celui leur donnoit la victoire.
que
Les citoyens que la naiffance , le mérite
ou les richeffes appelloient aux premières
places , & qui perdoient le plus à la révoSEPTEMBRE
1766. 77
lution , fembloient la defirer avec plus
d'empreffement. Ils appréhendoient avec
raifon que la tiédeur ne parût un crime ,
& que le nouveau Prince ne regardât un
hommage tardif comme une marque de
rivalité.
Les plus fages d'entr'eux fe réjouffoient
même de voir s'élever une autorité fixe ,
capable de réparer les défordres de l'ancien
gouvernement. L'ambition , l'avidité d'un
maître leur paroiffoient moins redoutables
que les caprices d'un peuple indocile &
quelquefois furieux.
Les Provinces éloignées fe félicitoient
de l'établiffement de cette nouvelle adminiftration.
Elles étoient laffes de dépendre
d'un Empire agité depuis deux fiècles par
les querelles des grands. Elles efpéroient
trouver plus facilement fous une Monarchie
quelques reffources contre l'avarice
des Magiftrats Romains , toujours nourrie
la néceffité où ils étoient de retourner
riches à Rome pour y acheter de nouvelles
dignités, & vainement combattue du temps
de la République dans une ville où la violence
, la brigue & l'argent étouffoient le
pouvoir des loix.
par
Enfin le peuple même , à qui il ne reftoit
guère de fes anciens droits que celui de
les vendre tous , y renonça volontiersquand
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
il vit Augufte travailler à lui affurer fa
fubfiftance & des amuſemens de fon goût,
Ce Prince s'établit donc , fans oppofition ,
Chef & Magiftrat fuprême de la République
.
Mort d'Augufte.
L'inftant de la mort d'un ufurpateur
fait toujours une époque remarquable pour
la nation fubjuguée , fur-tout quand il ne
lille point d'enfans. L'ordre de la fucceffion
n'eft pas encore établi . Les loix qu'il
a violées , délivrées enfin de la main qui
les tenoit renverfées , femblent faire quelque
effort pour fe relever. Il s'agit alors ,
ou de leur rendre un nouvel être, ou d'en
confirmer à jamais l'anéantiffement. Or
l'un & l'autre ne pouvant fe faire fans
bleffer ou fans favorifer les intérêts d'une
partie des citoyens , il en résulte des vues
& des difcours très - variés.
C'est ce qui arrivoit à Rome, L'affoibliffement
vifible d'Augufte y devenoit un
fpectacle intéreffant. Il donnoit lieu à bien
des réflexions. Tant que fa fanté lui avoit
permis de diriger avec vigueur les rênes
de l'Empire , les peuples façonnés au joug
n'avoient pas même eu l'idée de le fecouer.
Mais quand la caducité patut annoncer un
changement prochain , il fe fit dans les
efprits une très - grande fermentation.
SEPTEMBRE 1766. 79
Quelques citoyens en petit nombre fe
demandoient inutilement s'il ne feroit pas
poffible de faire revivre cette liberté que
-la molleffe de leurs pères avoit laiffé périr.
Les efprits factieux fouhaitoient que la
vacance du trône pût faire naître des dé-
-fordres dont ils efpéroient profiter de façon
ou d'autre. Ils fe fouvenoient encore de
ce qu'avoit valu la mort de Céfar à fes
vengeurs. Celle d'Augufte ne pouvoit pas
fournir les mêmes prétextes. Mais c'étoit
affez pour eux que le changement de Chef
les autorifât en quelque forte à remuer ,
foit
pour s'élever eux-mêmes à des places
diftinguées , foit pour fe faire payer plus
cher par ceux qui auroient befoin de leur
fecours pour y parvenir.
Les gens modérés , accoutumés au gouvernement
arbitraire , fe bornoient à fouhaiter
que la puiffance fouveraine pafsât
fans trouble entre les mains d'un nouveau
Prince , & qu'il en ufât avec autant de
ménagement que fon prédéceffeur ; mais
ils n'ofoient fe le promettre en voyant qui
étoient ceux qui pouvoient y prétendre.
L'Empire regardoit néceffairement
Agrippa ou Tibere. L'un avoit pour lui
les droits du fang , l'autre le crédit de Livie
& l'inclination d' Augufte . Mais Agrippa
né avec un caractère féroce , aigri
aigri par fon
DAV
80 MERCURE DE FRANCE.
exil , ne paroiffoit avoir ni l'âge ni l'expérience
néceffaire pour foutenir un fi
grand fardeau.
On trouvoit dans Tibere ces deux avantages.
Malheureufement il étoit d'une famille
où l'orgueil & la cruauté fembloient
héréditaires. Il en laiffoit fouvent échapper
des preuves , quoiqu'il s'appliquât à les
cacher. La reconnoiffance qu'il ne pourroit
s'empêcher de marquer à fa mère faifoit
craindre qu'elle ne voulût s'en prévaloir
avec la hauteur naturelle à fon fexe . Il faudra
donc , difoient ceux qui fe livroient à
ces réflexions , plier fous une femme &
deux ambitieux , qui vont accabler l'Etat
& peut-être le déchirer.
Cependant la foibleffe d'Augufte redoubloit,
& avec elle les précautions de Livie.
Elle afliégeoit le vieillard mourant. Elle
rappella avec précipitation fon fils qui étoit
parti pour fe mettre à la tête d'une armée .
Elle s'empara de tous les paffages. S'étant
ainfi rendue maîtreffe abfolue des derniers
momens du vieil Empereur , elle eut le
temps de prendre toutes les mefures qu'elle
jugea indifpenfables . Alors le peupleapprit
tout à la fois qu'Augufte ne vivoit plus &
que Tibere régnoit
" .
SEPTEMBRE 1766. 81
TIBERE , Ile EMPEREUR.
« Tibere , adopté par Augufte , fentit
bien qu'il falloit légitimer fon élevation ,
au moins par le confentement du Sénat.
Cette Compagnie , comme on l'a vu , avoit
confervé l'apparence de fes anciens droits.
Augufie avoit bien voulu tenir d'elle la
confirmation de la place que les armes lui
avoient donnée.
Tibere s'étoit , comme lui , faifi fur le
champ de la réalité du pouvoir. Il n'avoit
attendu aucun décret pour donner l'ordre
à la garde , pour écrire aux armées , pour
fe rendre maître du tréfor & de toutes les
parties de l'adminiftration. Mais , en exerçant
l'autorité fuprême , il étoit bien aife,
pour l'affermir folidement , de paroître la
recevoir d'un Corps qui , après avoir eu
autrefois la puiffance de faire des loix ,
fembloit conferver celle de les interpréter.
Tacite lui fait jouer dans cette vue une
comédie auffi dangereufe au moins que
ridicule. Il le repréfente au milieu des
Sénateurs profternés à fes pieds , infultant
à leur baffeffe par une incertitude fimulée ,
feignant de fe croire indigne du trône
qu'on lui offroit , & amenant enfin les
chofes au point , qu'en s'y plaçant , il ne
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
:
paroiffoit ni le refufer ni l'accepter. Feffus
clamore omnium , dit cet Ecrivain , expoftulatione
fingulorum , flexit paulatim , non
ut fateretur fufcipi à fe imperium , fed ut
negare , & rogari defineret.
Il eft bien probable qu'il affecta de fe
faire prier long- temps pour fe mettre à la
tête du gouvernement ; mais il ne l'eſt
point du tout que ce fût , comme Tacite
le prétend , pour fe jouer du peuple & du
Sénat. Il ne l'eft pas davantage , que ce
Prince artificieux fe propofât de fonder
les efprits par des refus apparens , & de
s'affarer des prétextes pour punir un jour
ceux qui n'auroient pas affez combattu fon
irréfolution. Il l'eft encore moins qu'il ait
confentià laifferfon acceptation enveloppée
d'un nuage qui auroit pu rendre fes droits
douteux & enhardir les mécontens .
Sa politique l'obligeoit à ne montrer
que de la répugnance pour la couronne, afin
de rendre la démarche du Sénat qui la
lui offroit plus inconteftable & moins fufpecte.
Mais , loin de paroître l'accepter
d'une façon obfcure , fon intérêt exigeoit
qu'il en rendît l'offre & l'acceptation également
éclatantes , afin qu'il ne reftât aucun
doure fur l'authenticité de l'une & fur la
légitimité de l'autre.
C'eft aufli probablement ce qu'il fit .
SEPTEMBRE 1766. 83
Dans les révoltes qui fuivirent de près fon
avénement , les foldats ne fongèrent point
à reprocher à fon élection le moindre défaut
de formalité . Ils ne parlèrent jamais
de lui que comme du véritable Empereur ,
du feul Chef de la République.
Si cependant il y avoit eu le moindre
foupçon d'illégitimité , fi les chofes en
étoient demeurées au point que marque
Tacite , qu'on eût pu reprocher au nouveau
Prince de ne l'être que par une tolérance
fecrette , fans aucun acte public , n'auroit-
on pas fait valoir hautement ce moyen
contre lui ? Les troupes , pour l'intimider
ne l'auroient- elles pas traité d'ufurpateur
Dans la licence qu'occafionnoit une rebellion
ouverte , ce reproche n'auroit - il pas
trouvé fa place parmi tous ceux que l'hiftoire
nous a confervés ?
"
C'eft en tremblant que j'ofe contredire
Tacite d'une façon fi précife : mais enfin,
je demande qu'on oublie , fi l'on peut ,
les Auteurs , & que l'on péfe feulement
les raifons.
Portrait de Séjan.
Sejan avoit une phyfionomie heureufe ,
un caractère fouple , un efprit adroit , avec
le coeur le plus faux. Perfonne ne favoit
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
ramper avec plus de noble!fe ni étaler avec
des manières plus polies un fafte infultant.
Il n'y a point de façon d'attirer de l'argent
& le dépenfer qu'il ne mit en ufage.
D'ailleurs il étoit infatigable en tout
genre. Il apportoit au travail une pénétration
fingulière avec une affiduité opiniâtre.
Une fanté robufte lui permettoit de
fe livrer à tous ces excès qu'on honore du
nom de plaifirs dans les Cours polies ; mais
il confervoit jufques dans la chaleur de la
débauche le fens froid de l'ambition.
Il calculoit en homme habile l'utilité
de l'amour plutôt que fes douceurs. Sachant
combien les femmes font en état de fournir
des reffources puiffantes au vice , quand
elles lui confacrent des attraits deftinés par
la nature à orner la vertu , il.n'oublioit
rien pour féduire celles dont il avoit befoin ,
& il y réuffiffoit. Enfin il avoit toutes les
qualités qui rendent ce qu'on appelle un
grand Seigneur dangereux , méprifable &
puiffant ».
Il faut voir dans l'ouvrage même le
récit de la puiffance énorme de cet ambitieux
favori & celui de fa catastrophe
imprévue. L'un & l'autre font peints avec
une rapidité , une force qui prouvent ce
qu'a dit l'Auteur dans fon épître , qu'il
s'eft rempli de l'efprit de Tacite. C'eſt le
SEPTEMBRE 1766. 85
tableau le plus terrible des travers & des
infortunes que peut produire l'éblouif
fement de la grandeur. Voici comme il
le termine.
2.)
<<
Telle fut la fin déplorable d'un
» des plus puiffans Miniftres dont l'hiftoire
faffe mention. Il avoit rempli pen-
» dant une affez longue fuite d'années le
poſte de Souverain fubalterne , & dans
cet intervalle il vit à fes pieds tout ce
qu'il y avoit alors de plus grands fur la
» terre. Il étoit parvenu à la fortune par
des moyens criminels ; il en jouit avec
» audace & la perdit avec ignominie .
1.7
ور
ود
"
Quand on vient à compter depuis lui ,
jufqu'au Maréchal d'Ancre , tous les
» malheureux qui , après avoir occupé des
places auffi brillantes , en font tombés
» par une chûte auffi funefte , quel eft let
particulier fage qui ne rende pas grace
» à la Providence de fon obfcurité ? Quel
» eft l'homme capable de réfléchir , qui n'éprouve
pas plus de compaffion que d'en-
» vie , pour ces efclaves de la grandeur ,
» & qui ne dife , en jettant les yeux fur
fa médiocrité , je n'ai pas leurs hon-
" neurs , mais je ne crains pas leur fort !
Une chofe qui caractérife l'ouvrage de
M. Linguet , c'eft qu'il étincelle ainfi de
réflexions philofophiques & touchantes ,
12
86 MERCURE DE FRANCE.
& qu'on y trouve en même temps les évé
nemens frappans de notre hiftoire moderne
rapprochés avec art de ceux de l'ancienne
, ce qui ne peut manquer d'opérer
un contrafte très - piquant pour le Lecteur.
M. Linguet , d'après des traits que lui
fourniffent les Hiftoriens anciens euxmêmes
, révoque en doute les horreurs
dont ils ont chargé la mémoire de Tibere.
Les raifons qu'il en apporte méritent d'être
pefées. Ce n'eft pas que l'Auteur veuille
être le panégyrifte de ce Prince fi décrié.
M. Linguet ne fonge qu'à trouver la vérité.
C'eft par égard pour elle qu'il dit : « Tibere
fut un mauvais Prince , fans contredit. I
fe fit détefter de la nobleffe , il facrifia les
têtes les plus élevées à fa tranquillité ; mais
il ne paroît pas que les peuples fuffent à
plaindre fous fon gouvernement.
eft für que l'implacable Tibere entretenoit
l'ordre & la paix dans fes vaſtes Etats. II
vouloit , comme un moderne célèbre l'a
dit de Louis XI , avoir feul le droit d'être
injufte. Parmi les barbaries qu'exigeoit fon
defpotifme fanguinaire , il fe rencontroit
fouvent des punitions qui fauvoient aux
peuples bien des injuftices.
و
. . II
C'est lui qui dit à un Gouverneur avide
& foupçonné de fe prêter trop aifément
aux exactions des financiers : Je veux bien
SEPTEMBRE 1766. 87
qu'on tonde mes brebis , & non pas qu'on les
écorche. Ce mot , digne fans doute d'une
autre bouche , prouve un fond d'amour
pour les hommes dans le Prince qui l'a
prononcé. Ses Hiftoriens , malgré leur
acharnement à le noircir , ont la ffé échapper
des traits d'où l'on peut conclure qu'il
méritoit des Juges plus équitables.
Augufte , tant loué par les Ecrivains
qu'il payoit , ne put refter uni jufqu'à la
mort avec deux amis à qui il devoit tout.
Agrippa & Mécène fe virent dans la difgrace
; & , malgré les flatteries l'hif
toire prodigue au Prince , il eft clair que
le tort étoit de fon côté..
que
Tibere , au contraire , conferva des amis
jufqu'à la mort . La plume amère de Tacite
ne reproche à aucun de ceux qui occupèrent
ce pofte , fi périlleux en apparence ,
d'avoir employé des moyens honteux pour
fixer la bienveillance du tyran. Il falloit
bien que fa cruauté admît quelques diftinctions.
Cette âme féroce n'étoit point fermée
à tous les fentimens humains , puifqu'elle
s'ouvroit à ceux de l'amitié.
pour
Dans les calamités publiques on lui voit
montrer le plus grand zèle le foulagement
des particuliers. Il faifoit prêter de
Pargent fans intérêt pour prévenir les manoeuvres
des ufuriers. Il y eut des famines
88 MERCURE DE FRANCE.
fous fon règne ; mais il s'en faut bien qu'on
puifle les lui reprocher. Au contraire , il
n'épargna rien pour rendre moins fenfible
ce fléau dù , ou à des ftérilités imprévues ,
ou à des orages qui faifoient périr en
mer les vaiffeaux chargé d'approvifionner
I'Italie. I prodiguoit fon argent , ainfi
que fes foins , pour que la partie la plus
indigente & la plus nombreufe de la nation
n'en fouffrit pas. Plebes quidem acri
annonâ fatigabatur , dit Tacite , fed nulla
in eo culpa ex Principe , quin infeconditati
terrarum , aut afperis maris obviam iretur ,
quantum impedio diligentiâ que poterat.
Il s'appliquoit fur- tout à réprimer les
vexations dans les provinces. Il veilloit
pour empêcher qu'on ne les accablât de
nouveaux impôts. Il vouloit que l'avarice
fût bannie de la recette des anciens . Il
défendoit même d'employer les coups &
les faifies pour contraindre au paiement.
Les places qui donnent le droit de les
recueillir font ordinairement remplies par
des hommes dont l'avidité fait tout le
mérite. Tibere y élevoit des particuliers
qu'il ne connoiffoit que par la réputation
de leurs vertus , & que le peuple lui- même
y appelloit comme incapables d'en abuſer.
Il les y laiffoit vieillir ; & , quoique Taciti
SEPTEMBRE 1766. 89
femble blâmer cette politique , il eft aifé
de fentir combien elle étoit fage.
Enfin il ne jouiffoit en Italie même que
d'un domaine fort borné. Ses domeftiques
n'avoient pas cet air infolent que les grands
ont prefque toujours la foibleffe de favorifer
, & qu'ils regardent peut-être comme
une preuve de leur fupériorité , parce qu'ils
fe voyent fervis par des hommes qui méprifent
tous les autres. S'il avoit quelque
intérêt à difcuter avec les particuliers , la
Juftice ordinaire en décidoit. Il laiffoit aux
Tribunaux une liberté entière , même con-.
tre lui.
Qu'a donc fait de plus , pour le bonheur
des peuples , le petit nombre de Princes
dont la poftérité chérit , avec raiſon , la
mémoire ? Combien de règnes , décorés
des titres les plus pompeux , font bien
Join d'offrir de pareils traits pour la reffource
de l'adulation qui les célèbre !
Combien de Souverains feroient mis par
leurs flatteurs fur la même ligne que Trajan
ou Henry IV, s'ils avoient montré la
centième partie de la bienfaifance que les
plus cruels ennemis de Tibere ne peuvent
lui refufer !
Tacite ajoute , il eft vrai , qu'il ne faifoit
point ces actions généreufes avec l'ex90
MERCURE DE FRANCE.
térieur affable qui leur donne un nouveau
prix. Il les affoibliffoit en quelque forte ,
fuivant cet Ecrivain , par l'air repouffant
dont il les accompagnoit. En multipliant
les preuves de bonté , il ne fembloit curieux
que d'infpirer la crainte .
Mais que prouve cette remarque , même
en la fuppofint vraie ? Deux chofes tout au
plus.Premièrement, que Tibere à une grande
générofité joignoit une certaine rudeffe de
caractère qui dépare fouvent cette vertu
fans la détruire. Secondement , que l'Hif
torien hors d'état de diffimuler cette vérité
contraire à fon plan , mais connue de tout
fon fiècle , s'attachoit à en diminuer la
force par fes obfervations malignes ; &
que fe fentant obligé de lui rendre un
hommage involontaire , il employoit pour
l'éluder toute la fagacité de fon efprit.
Si , depuis l'ufurpation des Céfars , les
dignités n'avoient pas été le prix de la
baffelle , A. Vitellius & fon père , auroient
pu paffer pour des hommes illuftres . Ils
étoient parvenus à tous les honneurs , mais
par des voies qui , fous un bon gouver
nement , les en auroient écartés . C'étoient
les flatteurs les plus rampans qu'on eût
vus dans une Cour où les exemples d'une
flatterie révoltante n'étoient pas rares,
Le père s'étoit prêté à la cruauté de
SEPTEMBRE 1766. ༡ ༔
Tibére par des accufations , & le fils à fes
plaifirs par des complaifances criminelles.
Sous Caligula ils avoient continué ce métier
, devenu lucratif & même honorable
par les charges & les autres récompenfes
qui y étoient attachées.
"
Sous Claude, Vitellius fe trouvant , par
la mort de fon père , le principal héritier
des talens de fa famille , les développa avec
éclat. Il s'étoit rendu néceffaire aux débauches
de Meffaline . Sa foupleffe lui avoit
confervé la faveur de l'impéricufe Agrip.
pine , & les affranchis même voyoient fans
jaloufie un courtifan docile , attentif à ne
choquer perfonne & à ménager tout le
monde .
Il s'étoit montré le premier idolâtre de
la belle voix de Néron. Il s'étoit mis a
la tête d'une députation qui fut faite en
cérémonie , pour vaincre les fcrupules de
l'Empereur , & l'engager à monter en public
fur le théâtre. Le muficien , par reconnoiffance
, donna au Député des Confulats
& des gouvernemens. Ainfi yers le
temps où nous femmes , Vitellius ancien
Conful , étoit un perfonnage confidérable
aux yeux de ceux qui ne confidérent que
les titres.
D'ailleurs il n'avoit aucun talent. Une
vie paffée dans la molleffe de Rome , lui
92 MERCURE DE FRANCE.
auroit ôté le courage , quand même la
nature ne le lui auroit pas refufé. On lui
reprochoit même des défauts qui ne font
pas toujours attachés à l'état de courtifan.
Par exemple , il étoit d'une gourmandife
inconcevable . S'il faut en croire les
Hiftoriens , il ne vivoit que pour manger.
La table étoit fon unique plaifir : & quoique
ce penchant indigne d'un homme ,
ne foit pas toujours incompatible avec de
grandes qualités , il paroiffoit chez Vitellius
abforber tous les autres.
C'étoient pourtant ces défauts , cette
incapacité qui lui avoient valu la nomination
de la Cour pour le commandement
des armées fur le Rhin . Comme on connoiffoit
leurs difpofitions , on avoit cra
en prévenir les fuites en leur donnant un
Chef qu'on croyoit à tous égards hors d'état
d'en profiter.
On ne fongeoit pas que l'éclat des dignités
ne manque jamais d'en impoſer an
peuple , & que celui qui en eft décoré lui
paroît toujours un homme fupérieur. Le
vulgaire ne réfléchit ni aux vices qui les
deshonorent ni aux moyens qui les procurent.
C'est à la place qu'il adreffe fes
refpects , & rarement à celui qui l'occupe
On oublioit encore que tous ceux qui entouroient
Vitellius ne lui reffembloient
SEPTEMBRE 1766. 93
pas ,
& que fouvent l'ambition des Grands
n'eft que l'effer & l'inftrument de celle des
fubalternes ».
Portrait d'Othon , rival de Vitellius à
lEmpire.
« Othon étoit d'une famille peu connue
avant lui. La conformité de fes goûts avec
ceux de Néron , & l'amitié de ce Prince ,
qui en fut le fruit , l'avoient élevé au pre-.
mier rang de l'Etat. Il ne s'étoit encore
prefque diftingué que par les qualités que
qui font réuffir dans les Cours. Il poffedoit
fur-tout cet art de fe ruiner avec nobleffe ,
qui pafle pour générofité dans un grand
Seigneur , & qui deshonore un particulier,
Sa dépenfe & fes dettes étoient incroyables.
Dans le plus brillant éclat de fa fortune,
il la détruifit lui - même par un moyen qui
affermit ordinairement celle des autres. Il
avoit une belle femme . Au lieu de jouir
en filence de fon bonheur , il ne put s'empêcher
de le publier. Le Prince , ennuyé
de ces tranfports qui lui paroiffoient exagérés
, voulut voir la beauté qui les caufoit.
Il en coûta au mari indifcret fon.
crédit & fa femme.
Celle- ci , avec les agrémens de fon fexe ,
94 MERCURE
DE FRANCE.
en avoit l'ambition & la légèreté. Elle
oublia bientôt , dans les bras d'un Empereur
tout-puiffant , un mari qui ne pouvoit
pas lui donner la même confidération.
Elle conduifit infenfiblement Néron jufqu'à
l'époufer, Alors , pour ſe débarraffer
d'un témoin importun , on relégua Othon
dans l'Espagne avec le gouvernement d'une
province qui s'appelloit alors Lufitanie , &
qui comprenoit avec le Portugal , une partie
de l'Andaloufie , de l'Eftramadoure , & c.
Il ne faut pas diffimuler ici que Tacite
raconte ce trait différemment dans fes
hiftoires & dans fes annales. Dans les premières
il dit que Néron n'ofant encore fe
défaire de fa femme Octavie , & ne fachant
où placer la belle Poppaa , qui dès- lors
étoit fa maîtreffe , il la fit époufer à Othon ,
comme au miniftre de fes plaifirs. Je fais
bien qu'un fervice de cette efpèce étoit un
moyen fûr de s'avancer rapidement à la
Cour ; mais il n'auroit pas été naturel
qu'une prompte difgrace en fût le fruit.
'ai fuivi le récit des annales , non fans
obferver que cette contradiction eft un peu
choquante au refte ce n'eft pas la feule
que l'on trouve dans Tacite.
qu
Un exil honorable ne parut pas à Othon
un dédommagement fuffifant de ce qu'il
lui faifoit perdre. Il regrettoit probabl
SEPTEMBRE 1766 75
;
ment fa faveur encore plus que fa femme
mais il ne pardonna jamais à Néron de lui
avoir ôté l'une & l'autre. Après dix ans
d'unevie obfcure dans fon gouvernement ,
il fut un des premiers & des plus zélés à
foutenir Galba dans la révolution qui renverfa
Néron. Il l'accompagna à Rome ; &
prévoyant dès-lors la fucceffion de ce
vieillard ne tarderoit pas à être difputée ,
il travailla fecretement à fe mettre en état
d'y prétendre.
que
II
gagna facilement le peuple & les foldats
, qui trouvoient en lui les manières ,
& fur - tout la prodigalité de l'ancienne
Cour. Il avoit de plus pour lui un des
principaux Miniftres , dont il fe propofoit
d'époufer la fille . C'étoit à la vérité un
homme décrié , fans talens , fans moeurs ,
détefté de tous les honnêtes gens ; mais il
avoit trouvé moyen de fe rendre tout puiffant
auprès de Galba. Son alliance & fa
protection pouvoient être auffi utiles qu'elles
paroiffoient honteufes ».
Situation des Romains au milieu des préparatifs
qui fe faifoient pour la guerre
entre Othon & Vitellius.
« Othon avoit pour lui la Capitale &
ies noms du Peuple & du Sénat Romain ,
96 MERCURE DE FRANCE.
Ils ne faifoient rien fans doute à la justice
de fa caufe , puifqu'ils n'en devoient la
poffeffion qu'à un crime ; mais ils lui fourniffoient
du moins un prétexte honnête
pour attaquer fon rival . Dans un temps
où l'on ne voyoit dans les deux partis
qu'une ufurpation manifefte , celui qui
avoit fçu s'approprier ces noms facrés pouvoit
paroître un peu moins odieux.
Vitellius , de fon côté , fe donnoit pour
le vengeur de Galba , qu'il auroit détrôné
fi ce Prince avoit vécu. Il marquoit un
grand reffentiment contre un crime qu'il
auroit voulu commettre. Aux décrets du
Sénat , par lefquels Othon le faifoit condamner
, il oppofoit les décrets de ce
même Sénat , qui affûroient l'Empire au
Prince tué par fon ennemi. Tous deux
combattoient ainfi de loin par des raifons
dont ils fe foucioient peu , en attendant
qu'ils puffent faire combattre leurs armées ,
qui feules fondoient leurs droits & leurs
efpérances.
La guerre fe préparoit de part & d'autre
avec vivacité. Elle fourniffoit de triftes
réflexions à ceux qui étoient capables d'en
faire. Ils rougiffoient de voir par quels
rivaux l'Empire alloit être difputé. En
effet , s'il en avoit coûté du fang aux anciens
Romains pour acquérir le droit de
vendre
SEPTEMBRE 1766. 97
vendre leur liberté , au moins ceux à qui
ils la vendoient paroiffoient être dignes
de s'élever fur fes ruines.
Silla & Marius, César & Pompée étoient
les premiers hommes de leurs fiècles . Ils
avoient pouffé trop loin la vengeance &
l'ambition ; mais ces défauts ne détruifoient
point leurs grandes qualités. C'étoit
à force de mérite qu'ils étoient parvenus
d'abord à éblouir & enfuite à écrafer leurs
compatriotes.
Ce citoyen refpectable dont on ne pouvoit
prononcer le nom fans gémir , Bru-.
tus , avoit été vaincu par Augufte. Cependant
ce dernier , déshonoré d'abord par
des excès , s'étoit enfuite montré digne de
fa fortune . Quarante ans d'une vertu feinte,
mais auffi foutenue , auffi favorable que
fi elle avoit été fincère , lui avoient valu
le pardon de fes anciens vices.
Galba lui-même , en attaquant Néron ,
avoit fait efpérer aux Romains un Prince
digne de les commander . S'il n'avoit pas
foutenu fa réputation fur le trône , il falloit
s'en prendre à la foibleffe de l'âge ,
& peut-être à celle de l'humanité. Au
moins tous ceux qui avoient combattu
pour ou contre ces hommes illuftres , pouvoient
fans honte avouer leur choix . Ils
E
8 MERCURE
DE FRANCE.
trouvoient leur excufe dans le mérite du
Maître, à qui ils ſe donnoient.
Mais ici quel parti prendre ? Pour qui
fe déclarer , quand les deux concurrens
n'étoient célèbres que par leur infamie ?
Tous deux élevés dans des Cours corrompues
, s'y étoient 'diftingués par une corruption
plus profonde . Vitellius , au caractère
rampant d'un flatteur , joignoit les
vices d'une âme crapuleufe . Pour être auffi
haï que méprifé , il ne lui falloit que la
cruauté : encore étoit- il à craindre que ce
ne fût le pouvoir de la développer , qui
lui eût manqué , plutôt que l'inclination.
Othon cachoit fes défauts fous un exté
rieur plus brillant. Il étoit au moins plus
actif. Mais fans parler de l'horrible événement
auquel il devoit la fouveraine
puiffance , cette activité employée autrefois
à féduire , à égarer Néron , ne devoitelle
pas faire trembler pour l'avenir ? On
lui connoiffoit , on lui voyoit tous les
goûts qu'il avoit autrefois tant loués dans
le tyran.
Il venoit encore d'en donner une preuve
effrayante. Le premier ufage de fon pouvoir
avoit été d'ordonner qu'on achevât le
Palais d'or, ce monument des malheurs de
Rome & des larmes de fes habitans
D'ailleurs le bruit s'etoit répandu , qu'i
SEPTEMBRE 1766. 99
fongeoit à contraindre le Sénat de réhabiliter
la mémoire de Néron . Le peuple
& les foldats n'avoient pas craint plufieurs
fois , dans leurs acclamations , de
lui donner le nom de ce Prince dérefté . Il
n'avoit paru ni le recevoir ni le refufer :
mais l'incertitude même en pareils cas devenoit
une acceptation . On craignoit qu'un
Prince capable de s'entendre fans horreur
donner le nom de Néron , ne le fût un
jour d'imiter les excès qui l'avoient déshonoré.
Tels étoient donc les deux hommes
, pour la querelle de qui le fang Romain
alloit couler encore.
Ceux qui raifonnoient ainfi , étoient
des citoyens obfcurs , de cet ordre médiocre
, le feul où fe trouvent quelquefois
le bonheur & la fageffe , le feul auffi qui
juge toujours fainement , & qu'on ne
confulte jamais. Le bas peuple, très -indifférent
fur le fort ou le mérite de fes Princes
, ne regrettoit que l'interruption des
jeux & des fpectacles publics.
Les grands, uniquement frappés de leurs
intérêts , ne s'occupoient qu'à cacher leur
façon de penfer. Si quelque chofe les
touchoit , ce n'étoit pas la néceffité humiliante
d'élever fur le trône un de ces
indignes concurrens ; mais la néceffité pé-
}
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
rilleuse de faire un choix qui pouvoit
être démenti par la fortune .
Vitellius s'engagea à fe démettre authentiquement.
Il ne fe réferva que des
biens confidérables fur la côte délicieufe
de la Campanie , avec dix millions de
revenu annuel. Il comptoit bien ne pas
perdre à cet échange. Il n'avoit connu de
la grandeur fuprême que l'abondance &
les plaifirs , & il ne croyoit pas que la
pourpre impériale en fît un affaiſonnement
néceffaire: Cette façon de penſer
étoit jufte. Elle auroit pu lui faire honneur
, fi elle n'étoit pas partie de l'abbrutiffement
, plus que d'une fermeté éclai
rée.
Il ne manquoit pas de Confeillers qui
tenant à fa fortune , plus qu'à fa perfonne ,
vouloient lui perfuader que la fûreté de
l'une dépendoit abfolument de l'éclat de
l'autre. Ce qui lui reftoit de foldats voyoit
avec indignation détruire fon ouvrage .
Soit attachement réel , foit efpoir d'obtenir
des conditions meilleures par une
longue défenſe , ils auroient voulu que le
Prince précipitât moins fon abdication.
Ils laiffoient échapper contre lui des plain,
tes vives & même des menaces .
Il ne les écouta point. Déterminé
SEPTEMBRE 1766. 1ot
une démarche qu'il croyoit néceffaire aur
moins pour lui , il fe rendit lui - même
fur la place publique , pour y accomplir
la cérémonie de fon défiftement. On en
avoit été prévenu d'avance ; & le jour où
elle fut marquée , la curiofité y avoit conduit
une prodigieufe foule de fpectateurs.
C'étoit en effet un événement bien fingulier.
Il faut parcourir toute l'hiftoire
jufqu'à nos jours , pour en retrouver dans
la Perfe moderne un nouvel exemple:
Les Aghuans , maîtres d'Hifpahan , forcèrent
le dernier des Sophis de fe démettre
auffi publiquement de fa couronne . Mais
le foible Scach- Huffein , en fe dégradant ,
étoit à la difcrétion de fes Maîtres. Il ne
rencontroit par-tout que des yeux enné
mis , & les mains qui l'avoient vaincu.
Le fier Mahmoud , politique autant que
féroce , fongeoit bien moins à avilir fon
captif, qu'à s'affurer une efpèce de droit
fur la conquête.
Ici c'étoit un Empereur Romain qui
alloit au milieu de fon peuple , entouré
de fes foldats , quitter volontairement
l'Empire. On le voyoit debout dans la
place , couvert d'un habit de deuil , fuivi
de toute fa famille en larmes. On portoit
même derrière lui fon fils encore au ber-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
ceau. Sa garde l'accompagnoit avec un filence
d'abattement & de colère.
Cet air de confternation , cet appareil
de défefpoir faifoit fur tous les coeurs une
impreflion douloureufe . Quand on venoit
à penfer à l'éclat qui l'avoit précédé , on
oublioit combien Vitellius avoit peu mérité
la pourpre on n'étoit occupé que de
la réfolution funefte qu'il prenoit de s'en
dépouiller .
On connoît le peuple : on fçait quel pouvoir
ont fur lui les objets qui frappent
fes yeux. Il finit prefque toujours par s'intéreffer
vivement en faveur de ceux dont
l'infortune ne lui offroit d'abord qu'un
fpectacle amufant. C'eft ce qui arriva ici .
Ôn fut ému au premier coup d'oeil , &
bientôt attendri .
Vitellius déclara en peu de mots ce qui
l'amenoit . Il implora la compaflion publique
pour lui , pour fa famille , pour
fon fils qu'il prit dans fes bras , & qui
partageoit ainfi le défaftre de fa maiſon ,
avant que d'en avoir connu la grandeur.
Jufque- là il n'arracha que des gémiffemens
& des larmes . Mais quand on le vit
baigné de pleurs lui - même , porter la
main à fon épée & la préfenter au Confal
, pour confommer fa renonciation , il
s'éleva de toute l'affemblée un murmure
d'improbation.
SEPTEMBRE 176 103
Le Conful déconcerté refufa de la recevoir.
Des applaudiffemens fuivirent ce
refus. Comme le Prince paroiffoit plus
embarraffé que fatisfait , la place retentit
de mille cris qui l'exhortoit à prendre cou-
II parut vouloir fe retirer : mais en
lui voyant prendre un autre chemin que
celui du palais , les cris redoublèrent. Le
peuple lui ferma toutes les rues , & ne
laiffa de libre que celle par où il étoit
rage.
venu .
Ce malheureux Prince toujours foible ,'
toujours indécis , fe laiffa plutôt conduire
qu'il ne retourna lui- même. Il arriva au
palais il y rentra fans fonger aux fuites
qu'alloit avoir fon manque de foi , ou
même fe flattant peut- être que fon fort
alloit changer , il jugeoit de la puiffance
du parti qui lui reftoit , par les forces des
cris qu'il venoit d'entendre . Il ne penſoit
pas que le peuple n'a point d'autres armes
, & que ce ne font pas celles -là qui
font le deftin de fes Maîtres.
Il eft difficile de le plaindre. Sa naiffance
, fa conduite , & même fa perfonne,
contribuoient également à le rendre méprifable.
Son principal défaut , comme je
l'ai dit , étoit d'aimer la table. Il paroît
qu'il s'y livroit avec une indécence outrée.
Mais il faut bien fe garder de croire ,
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
d'après Suétone , qu'il pouffât la gourmandife
jufqu'à dévorer dans les facrifices
des morceaux de pâte brulans , ou de
la viande à demi- cuite & toute couverte
cendres , ni qu'en paffant dans les rues il
s'arrêtât à la porte des cabarets , pour y
manger avec avidité des reftes froids &
à demi -rongés , qu'on y étaloit , comme
parmi nous , pour le petit peuple. La faim
réduit à peine l'indigence à en faire ufage.
Il est évident qu'un Empereur Romain
qui faifoit quatre grands repas , n'en pouvoit
pas être tenté.
Finiffons ce volume à la chûte de Vitellius
, & au récit des malheurs publics ,
qui ne fe déterminèrent que par la mort..
Nous avons vu combien ils furent déplorables
: mais fans nous arrêter aux infortunes
des peuples , qui par les Loix établies
fur la terre , font toujours facrifiés ,
rejettons un coup d'oeil fur celles des Princes
que nous avons vu s'élever & tomber
fucceflivement. Elles font bien plus juftes,
fans doute , & cependant elles excitent
plus de compaffion , parce que leur rang
fembleroit devoir les en défendre.
Des huit premiers Empereurs Romains,
depuis Augufie jufqu'à Vitellius , en voilà
donc au moins fix qui périffent d'une
mort violente. Caligula eft égorgé par fes
SEPTEMBRE 1766. 109
Officiers. Claude eft empoifonné par fa
femme . Néron fe tue pour éviter le fupplice.
Galba eft maffacré par fes foldats .
Othon renonce à la vie par le défeſpoir.
Son vainqueur périt à fon tour d'une façon
aufli funefte & plus ignominieuſe . Si
quelque chofe eft capable de nous défabufer
fur la vanité des titres & des honneur
, n'est - ce pas de voir le trône des Céfars
, le comble des grandeurs humaines ,
ne procurer à fes poffeffeurs qu'une vie
inquiette , une mort prématurée, avec une
répuration fléttiffante » ?
Nous nous fommes trop étendus fur le
premier volume pour pouvoir citer aucun
morceau du fecond . Nos Lecteurs y perdent.
Nous regrettons que les bornes d'un
extrait ne nous permettent pas de parler
des règnes fages , fortunés , des Vefpafiens ,
des Trajans , des Adriens , & des règnes
orageux des Commodes , des Caracalla ;
des Hélagabales. Tous fe trouvent peints
dans l'ouvrage de M. Linguet avec les couleurs
qui leur conviennent. Chaque événement
dont il fait le récit lui fournit des
allufions heureuſes & des réflexions fortes,
dont l'abondance ne domine point l'intérêt.
C'est une toute autre manière que celle de
l'Abbé de Vertot , mais qui a fes grâces &
fon caractère propre.
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
Cet effai doit encourager M. Linguet à
ne point s'écarter d'une carrière qu'il paroît
cependant avoir deffein d'abandonner. II
doit fonger que le Barreau n'eft point incompatible
avec la Littérature. L'efprit de
difcuffion , qui femble lui être naturel
convient également à l'un & à l'autre , &
le coloris brillant qu'il a l'art de répandre ,,
même fur les objets les plus fecs , eft un
gage des fuccès qu'il peut efpérer en réuniffant
ces deux genres d'occupation . Nous
l'inviterons feulement avec fes amis à fe
défier quelquefois de la hardieffe de fes
idées , à prodiguer moins les comparaifons ,
qui font plus placées dans un ouvrage de
pur agrément , que dans une hiftoire férieufe
, & à fe fouvenir que dans cette
partie il ne fuffit pas que
que
le ftyle foit toujours
pur , mais qu'il doit encore être toujours
noble.
1
SEPTEMBRE 1766. 107
MÉMOIRE.
LE Lundi , 21 Juillet 1766 , M. l'Abbé
MARTENOT , Chanoine d'Avallon ,
Orateur des Chambres des Etats de
BOURGOGNE, intéreſſa vivementſes auditeurs
par les difcours qu'ilyprononça ,
& que l'on defire de voir imprimés. On
fe contente d'inférer ici l'éloge qu'il fit
du Roi dans la Chambre de la Nobleffe.
«J› AI prononcé le nom de notre Maître
( LOUIS LE BIEN-AIMÉ ) , & j'ai vu ,
Meffieurs , la tendre émotion de vos
» coeurs . Illuftres defcendans des conqué-
"
rans de la Gaule , vous lifez dans les
» annales de vos Maifons que vos braves-
» ayeux , fous ces chênes antiques que le
» temps a refpectés , élevoient à leurs Rois
» des trônes de gafon on voit encore
» dans quelques- uns de vos châteaux ces
pavois fi renommés fur lefquels ils portoient
refpectueufement leurs Souverains.
» dans les grandes folemnités ; & nos ne-
» veux verront avec admiration dans les
faftes de ce fiècle le modèle que vous
ر د
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
33
"
"
"
» leur avez tracé d'un trône plus digne
» des Rois François ; ils liront que par
» nos nouvelles moeurs nous leur avons
appris l'unique moyen d'être heureux
» en plaçant nos Rois dans nos coeurs.
» Avouons- le , Meffieurs , l'autorité &
la dépendance ne furent jamais appuyées
fur des bafes plus folides ; la
puiffance abfolue eft maintenant rete-
» nue par la bonté. Notre fidélité est liée
si par l'amour ; nos coeurs entre les mains
» du Roi font le gage tendre de notre
dépendance : le coeur du Roi entre les
» mains de fes peuples eft pour eux le gage
affuré de fa bienfaifance : difons mieux ,
» l'amour a appris au Roi à defcendre
» avec bienveillance jufqu'à fes peuples ,
» & il nous a appris à monter jufqu'à lui
» avec une refpectueufe confiance. O
qu'une couronne jette un éclat bien
» doux lorfqu'elle orne la tête d'un Prince
» qui mérite d'être chéri , & lorfque les
peuples l'envifagent avec les yeux de la
» tendreffe ! Voilà , Meffieurs , ce que les.
» fiècles à venir admireront , & ce qui fera
» un fujet particulier de l'éloge du nôtre.
»Nenous en glorifions pas pourtant comme
» de notre propre ouvrage. Ce prodige ne
» doit nous flatter que parce qu'il a pris
» naiffance dans le coeur du meilleur des
» Rois ».
"
53

SEPTEMBRE 1766. 109
P. S. L'on attend de ce laborieux Chanoine
des notes utiles pour l'hiftoire ; il
rendra publiques fes découvertes curieufes
fur les antiquités de fa ville & de fon
églife , fur l'agriculture du territoire ; il
prouvera tout ce qu'il avancera par les
expériences qu'il a vues ou faites , & par
les monumens les plus authentiques ; il enrichira
les cabinets des curieux de la connoiffance
des foffilles , des minéraux qu'il
a découverts en grand nombre & peu connus
; il donnera auffi la lifte de plufieurs
médailles & médaillons rares & anciens
qui démontrent l'antiquité des bâtimens
dans lefquels il les a trouvés ; il dira en
peu de mots ce qu'il fait de louable de fes
anciens compatriotes..
ANNONCES DE LIVRES.
DISSER
ISSERTATION hiftorique & critique
touchant l'état de l'immunité eccléfiaftique
fous les Empereurs Romains. A Soiffons
, chez les frères Waroquiner , & à
Paris , chez Defprez, rue Saint Jacques ;
1766 avec approbation & privilége du
Roi ; un vol. in- 12 . Prix 2 liv. broché.
Cet ouvrage eft une réfutation d'un au
110 MERCURE DE FRANCE
tre livre qui a paru fur la même matière
fous le titre d'Examen impartial des immunités
du Clergé , & dans lequel ces mêmes
immunités font combattues fort au long.
C'est au public à juger fi ces immunités
ont été bien attaquées , & fi elles font ici
bien défendues.
L'AмI des pauvres , ou l'Econome politique
; ouvrage dans lequel on propofe
des moyens pour enrichir & pour perfectionner
l'efpèce humaine ; avec deux Mémoires
intéreffans fur les maîtrifes & fur
les fêtes. On a effayé des fignes ou caractères
nouveaux pour l'impreffion du dernier.
A Paris , chez Moreau , rue Galante ,
Piffot , quai de Conti , Knapen , au Palais,
Brocas , rue Saint Jacques ; 1766 : in- 12 ,
Prix 1 liv. 4 fols broché , & 1 liv. 10 fols
relié .
L'Auteur de ces divers écrits s'eft fervi
dans le dernier Mémoire d'une ortographe
& d'une forme de caractère qui en rend
la lecture prefque impoffible. C'eft ce qui
nous a le plus frappés dans ce Recueil.
GUIDE du Maréchal , ouvrage contenant
une connoiffance exacte du cheval ,
& la manière de diftinguer & de guérir
fes maladies ; enfemble un traité de la
ferrure qui lui eft convenable par M.
SEPTEMBRE 1766. 11
Lafoffe , Maréchal des petites Ecuries du
Roi ; avec des figures en taille - douce . A
Paris , chez Lacombe , Libraire , quai de
Conti ; 1766 : avec approbation & privilége
du Roi ; vol. in 4° .
Ceux qui favent jufqu'où M. Lafoffe a
porté les connoiffances de fon art , & la
réputation dont il jouit dans fa profeffion ,
feront le plus grand cas de cet ouvrage
utile , néceffaire inême , & reconnoîtront ,
après l'avoir lu , que l'Auteur , fi célèbre
dans la pratique de la maréchallerie , ne
fe diftingue pas moins dans la théorie de
cette fcience . Nous donnerons bientôt un
extrait de cet excellent livre.
PREMIER Rapport en faveur de l'inoculation
, lu dans l'affemblée de la Faculté
de Médecine de Paris , en l'année 1764 ,
& imprimé par fon ordre ; par M. A.
Petit , Docteur Régent de la Faculté de
Médecine en l'Univerfité de Paris ; Membre
des Académies Royales des Sciences
de Paris & de Stockholm ; de la Société
d'Agriculture , & ancien Profeffeur public
d'Anatomie & de Chirurgie , & de l'Art
des Accouchemens. A Paris , chez Defaint
junior , quai des Auguftins , près la rue
Gît le coeur ; avec approbation & privilége
du Roi brochure in - 8 ° de 150 pages.
112 MERCURE DE FRANCE.
SECOND Rapport en faveur de l'ino
culation , lu dans l'affemblée de la Faculté
de Médecine de Paris , au commencement
de l'année 1766 , & imprimé par fon ordre
; par le même Auteur que le précédent ,
& fe vend chez le même Libraire qui l'a
fait imprimer fous le même format . Prix
4 liv. 4 fols les deux volumes brochés.
Nous avons averti plufieurs fois que,
vu la quantité prodigieufe de brochures
qui s'impriment tous les jours fur l'inoculation
, nous nous contenterions d'en annoncer
les titres uniquement pour ne pas
toujours répéter les mêmes choſes.

ESSAI fur le rapport des poids étrangers
avec le marc de France ; lu à l'affemblée
publique de l'Académie Royale des
Sciences le 9 Avril 1766 , par M. Tillet ,
de la même Académie . A Paris , de l'Imprimerie
Royale , & fe trouve chez Panckoucke
, rue de la Comédie Françoife ;
1766 : in- 4° de 70 pages.
Il eft difficile de lire fur cette matière
rien de plus clair , de plus précis & de plus
inftructif que ce Mémoire. L'Auteur joint
aux connoiffances propres du fujet une facilité
d'écrire , une élégance qui le fait lire
agréablement de ceux même à qui ces
fortes de matières font peu familières.
SEPTEMBRE 1766. 113
SECONDE diftribution des planches qui
doivent entrer dans le Traité hiftorique
des plantes de la Lorraine .
Cette diftribution contient trente-fept
planches nouvelles qui feront bientôt
fuivies d'une troifieme diftribution . On
joint ici tant la lifte des nouvelles que l'on
diftribue , que de celles qui ont déja été
diftribuées. La foufcription de l'ouvrage
eft toujours de 60 liv. payables en trois
termes. Les planches qu'on donne aux
foufcripteurs font très - bien gravées , &
font honneur à la libéralité de ceux qui
en ont fait les frais & qui y font nommés
, & à l'habileté des Artiſtes qui les
ont éxécutées.
ORAISON funebre de très- haut , trèspuiffant
& très - excellent Prince Monſeigneur
Louis Dauphin , prononcée dans
l'églife du féminaire de Toul , le z
Mars 1766 ; par M. l'Abbé la Cour , Chanoine
de l'églife cathédrale de Toul. A
Toul , chez Jofeph Carez , feul Imprimeur
de la Ville & de Monfeigneur l'Evêque
; 1766 in- 4° .
و و
و د
La religion eft vengée par les vertus
politiques du Dauphin ; fes vertus politiques
font fanctifiées & récompenſées
par la religion »
114 MERCURE DE FRANCE.
PROSPECTUS d'une hiftoire générale
& philologique de la mufique ; par M.
C. H. de Blainville. Feuille in-4° .
Prendre la fcience de la mufique dès
fon origine , la parcourir , en développer
les différens genres , tel eft le plan qu'on
fe propofe dans l'ouvrage dont on ne
donne aujourd'hui que le profpectus. Le
prix pour les foufcripteurs fera de 12
livres en feuilles , dont ont paiera moitié
en foufcrivant , & moitié en retirant l'exemplaire.
On foufcrira jufqu'au premier
Octobre prochain , paffé lequel tems , le
prix fera de 24 liv. pour ceux qui n'auront
pas foufcrit . On foufcrira à Paris chez
l'Auteur , rue des Quatre Vents , au bureau
de la petite pofte , & chez Piffot ,
Libraire , quai de Conti. L'Ouvrage fera
imprimé in- 4°.
PROSPECTUS fur une nouvelle édition
des OEuvres de Mefire Jacques - Benigne
Boffuet , Evêque de Maux ; 1766 : in-4°.
de 20 pages.
Cette édition fe fera in- 4° . & l'on promet
qu'on y réparera les fautes des éditions
précédentes . Le profpectus que nous
annonçons contient plufieurs particularités
remarquables qu'il faut lire dans l'ouvrage
même. On le trouve chez Boudet ,
rue Saint Jacques ,
SEPTEMBRE 1766. 115
DEFENSE de l'Agriculture expérimentale
, ou Réfutation de l'extrait de cet ouvrage
, inféré dans le Jourual Économique
du mois de Juin 1765 , pag. 251 ,
255 ; par M. de Sarcey de Sutieres , ancien
Gentilhomme fervant du Roi , précédé
d'une lettre écrite à l'Auteur , & de
fa réponſe . A Paris , chez Claude Hériffant
, Imprimeur & Libraire , rue neuve
Notre-Dame ; 1766 : avec permiffion ;
brochure in- 12.
C'eft ici un de ces écrits dont il fuffit
de rapporter le titre en faveur de ceux
que ces fortes de matières & de difcuffions
peuvent intéreffer.
LA Clochette , Comédie en un acte
en vers , mêlée d'ariettes , repréſentée
pour la premiere fois par les Comédiens
Italiens ordinaires du Roi , le Jeudi 24
Juillet 1766 ; par M. Anfeaume : la mufique
de M. Duny. A Paris , chez la veuve
Duchefne , rue Saint Jacques , au Temple
du Goût ; 1766 : avec approbation & privilege
du Roi , in - 8 °. prix une liv. 4 fols
avec la mufique.
On a déja parlé de cette pièce dans
le Mercure précédent ; on en parlera encore
dans l'article des fpectacles ; c'eſt
pourquoi on fe contentera de cette an116
MERCURE DE FRANCE.
nonce qui apprend où elle fe trouve imprimée.
ESSAI fur les maladies qui attaquent
le plus communément les gens de mer ,
contenant une méthode courte & facile
pour les connoître , les guérir , & même
en préferver ; ouvrage utile aux Chirur
giens navigans , & même à tous les
marins qui fe trouvent dans des bâtimens
où il n'y a point de Chirurgiens.
On y a joint quelques obfervations fut
la méthode la plus fûre de fecourir les
noyés , & de traiter les fièvres de l'Ifle
Saint- Domingue , & des autres Colonies
Françoiſes aux Antilles . Par G. M. Maîtreès-
Arts & en Chirurgie. A Marfeille ,
chez J. Moffy , Libraire , au parc. On en
trouve quelques exemplaires à Paris chez
Lacombe , Libraire , quai de Conti ; 1766:
un vol. in- 12 .
En attendant que nous donnions un
extrait de cet ouvrage utile , ce titre peut
fuffire pour en donner une idée .
ORAISON funèbre de très-haut , trèspuiffant
& très- excellent Prince Monſeigneur
Louis Dauphin , prononcée dans
l'églife des Carmes Déchauffés de la ville
de Marfeille , en préfence de l'AcadéSEPTEMBRE
1766. 117
mie des Belles - Lettres de la même ville
le 22 Mars 1766 ; par M. l'Abbé d'Eymar
, Chanoine de la Cathédrale , &
Membre de ladite Académie. A Marfeille
, chez J. Moffy , Libraire , au parc ;
1766 avec privilége ; & fe trouve à
Paris chez Lacombe , quai de Conti , in-4º.
" La grandeur de l'ame de Mgr le
" Dauphin , la bonté de fon coeur , en
» ont fait le héros de l'humanité ; pre-
» mier point. Ses vertus & fa piété en
» ont fait le héros de la religion ; fecond
point, C'est tout le plan de cet éloge » .
>>
ORAISON funèbre de très- haut , trèspuiffant
& très - excellent Prince Mgr Louis
Dauphin , prononcée par M. l'Abbé Amphoux
, dans l'églife des Religieux de
Notre-Dame de la Merci de la ville de
Marſeille , le 7 Février 1766. A Avignon ;
& fe vend à Marfeille chez J. Molly ,
Libraire , au parc , & Antoine Favet , Libraire
, fur le pont ; & à Paris , chez Lacombe
, quai de Conti ; 1766 ; in- 8 ° .
cc
Voyons dans Mgr le Dauphin une
» vie courte , mais réglée par la fageffe ;
» une longue mort , mais fanctifiée par
» la patience ».
ود
MELANGES intéreffans & curieux , ou
118 MERCURE DE FRANCE.
Abrégé d'Hiftoire naturelle , morale , civile
& politique de l'Afie , l'Afrique ,
l'Amérique , & des terres polaires , tomes
VI , VII, VIII , IX & X. A Paris , chez
Lacombe , Libraire , quai de Conti ; 1766 :
avec approbation & privilége du Roi ;
in- 12 .
Nous avons annoncé avec éloge les
cinq premiers volumes de cet ouvrage qui
mérite l'accueil que le Public lui a fait
Les cinq tomes fuivans qui viennent de
paroître , ne démentent point nos éloges ,
& méritent , comme les précédens , que
nous en donnions un extrait détaillé dans
un de nos prochains Mercures.
MEMOIRES fecrets , tirés des archives
des Souverains de l'Europe , depuis le regne
de Henry IV ; feptième & huitième
parties. A Amſterdam , & ſe trouvent à
Paris , chez Saillant , Libraire , rue Saint
Jean-de -Beauvais ; 1766 : in- 12
Nous rendrons compte inceffamment
de ces deux volumes , comme nous avons
déja fait des fix qui ont précédé . Les
matieres renfermées dans les deux parties
qui paroiffent nouvellement , font deſirer
de plus en plus que l'Auteur ne ſe
laffe point de fon travail.
SEPTEMBRE 1766. 119
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
LA famille noble de Fiennes , originaire
du Boulonois , vous prie de rendre public ,
par votre Mercure , qu'elle defcend de
Furfy de Fiennes , dit de la Planche ,
Ecuyer , fieur de Monthamel , & qu'elle
ne provient pas , comme il eft dit dans
P'Hiftoire de Calais , tome 11 , page 397 ,
d'une branche bâtarde de l'ancienne &
illuftre Maifon de Fiennes .
J'ai l'honneur , &c.
LEFBVRE.
Le 21 Août 1766.
120 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES -LETTRES.
ACADÉMIES.
PRIX d'Eloquence pour l'année 1767.
LE vingt cinquième jour du mois d'Août
1767 , fère de Saint Louis , l'Académie
Françoiſe donnera un Prix d'Eloquence ,
qui fera une médaille d'or de la valeur de
fix cents livres *.
Elle propofe pour fujet , l'Eloge du Roi
Charles V furnommé le Sage .
Il faut que le difcours ne foit que de
trois quarts d'heure de lecture tout au plus ;
& l'on n'en recevra aucun fans une approbation
fignée de deux Docteurs de la Faculté
de Théologie de Paris , & y réfidans
actuellement.
Toutes perfonnes , excepté les Quarante
de l'Académie , feront reçues à concourir
pour le Prix .
* Le Prix de l'Académie eft formé des fondations
réunies de Meffieurs de Balzac , de Clermont-
Tonnerre , Evêque de Noyon , & Gaudron,
1
SEPTEMBRE 1766. 12t
Les Auteurs ne mettront point leur nom
à leurs ouvrages , mais ils y mettront une
fentence ou devife telle qu'il leur plaira.
Ceux qui prétendent au Prix font averque
s'ils fe font connoître avant le jugement
, foit par eux-mêmes , foit par leurs
amis , ils ne concourront point.
tis
Les ouvrages feront envoyés avant le
premier jour du mois de Juillet prochain ,
& ne pourront être remis qu'à A. L. Regnard
, Imprimeur de l'Académie Françoife
, rue baffe de l'Hôtel des Urfins , ou
grand'falle du Palais , à la Providence : &
fi le port n'en eft point affranchi , ils ne
feront point retirés.
LETTRE à M. DUPUI , de l'Académie
Royale des Infcriptions & Belles- Lettres,
anfijet de la folution par lui donnée de
la queftion propofée aux Phyficiens dans
le JOURNAL DES SAVANS du mois de
Mai dernier.
PERMETTEZ , Monfieur , qu'un Phyficien
de Kérénoalt en baffe Bretagne ait
l'honneur de vous faire part de quelques
obfervations auxquelles la queſtion pro-
F
122 MERCURE
DE FRANCE.
pofée aux Phyficiens dans le Journal des
Savans du mois de Mai dernier , & la
folution que vous en avez donnée , ont
donné lieu . Ce problème m'a paru fi
important que j'ai cru qu'il feroit permis
à un Philofophe bas Breton de s'en
occuper ; l'efprit de calcul & de géométrie
étant de tous les états & de tous les
pays.
Voici la queftion telle qu'elle a été
propofée aux Phyficiens.
و د
و د
« On fuppofe qu'un corps A , mû par
» la force F , parcourant l'efpace AB fini ,
» dans un tems T fini , rencontre à chaque
inftant de fon trajet AB , un obftacle
uniforme qui termine fon mouve-
» vement au point B ; on demande de
» déterminer le tems que le même corps ,
la même force F , emploieroit
par
» pour parcourir le même intervalle AB ,
» dans le cas où il n'auroit aucun obftacle
» à vaincre , pas même celui de la pefanteur
dont on fait abftraction ».
ور
30

Pour parvenir à la réfolution de ce
problême , vous appellez R la fomme de
tous les obftacles que le corps , mû par la
force F, doit vaincre pour arriver du point
A au point B , & vous obfervez que la
force motrice fe diftribue à la fomme de
tous les obftacles , & qu'ainfi le corps s'ar
SEPTEMBRE 1766. 123
Tête en B , parce que la force qu'oppofent
tous les obftacles eft égale à la force motrice
, ou FR.
4 2º . Vous obſervez que , fi l'espace AB
eft fans obftacle quelconque , la force motrice
F refte entiere , fans partage , fans diftribution.
doit
3º. Appellant enfuite X le tems que
employer le corps dont il s'agit , pour parcourir
l'efpace AB , dénué de tout obftacle
, & établiſſant que les tems font entr'eux
en raifon inverfe des deux états de la
force F. Après avoir exprimé l'état de la
force F dans le premier cas , qui eft
celui de l'obftacle uniforme , par &
F
R
dans le fecond , qui eft celui de l'exclufion
de tout obftacle , fimplement par
F. Vous en tirez cette analogie : F ::
X : T. Donc , concluez - vous
& X =
T
R
=
T
F
FT
F
R
R
R.
, puifque F =
FX ,
Telle eft , Monfieur , votre folution .
Vous finiffez par dire que l'auteur du
problême eft tenté de croire que X eft un
infiniment petit de T; fentiment que vous
ne paroiffez pas adopter.
Qu'il me foit permis de vous faire
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
trois obfervations fur la folution que
vous propofez de la queſtion donnée .
Je demande en premier lieu pourquoi
F
exprimant par , l'état de la force F ,
pour le cas de la réfiftance , vous n'exprimez
pas par
F
R- R
= l'état de la
=
même force pour le cas de non réfiftance
vu que
R
-
>
R
3 ,
-
l'on peut fuppofer une
fuite de réfiftances R , R1 , R2 ,
4 .... &c. décroiffantes
à l'infini , pour arriver enfin à une réfiftance
R- R= 0 , qui eft la réſiſtance
propofée pour le fecond cas de la queftion.
Ainfi , fuppofant que la réfiftance R
décroiffe à l'infini jufqu'à devenir nulle ,
il en résulte que létat de la force
F
change néceffairement en R- R
F
R
fe
Et dès - lors votre analogie devient R
F ::: T. Qui prouve que X F
R- R O
eft un infiniment petit de T ; de même
F
que
R
F
1eft un infiniment petit de
SEPTEMBRE 1766. 125
J'obferve en fecond lieu que l'état
réel d'une force qui doit vaincre, une réfiftance
, doit , relativement au mouvement
qu'elle produira , être exprimée
par cette force moins cette même réfiftance
, & non point par la force divifée
F
par la réfiſtance. L'expreffion n'ex-
>
R
prime point le mouvement que la force
F imprimera au corps A , fur lequel elle
exercera fon action : fi l'on nomme , v ,
la réfiftance uniforme que la force F devra
vaincre dans chaque moment , l'expreffion
de cette force , relativement au
mouvement qu'elle devra produire , fera ,
à la fin du premier inftant , F- v , à la
fin du fecond inftant , F
ceffivement F - 3v , F 4 v & c . dans
chaque inftant fuivant ; & quand enfin la
fomme de toutes les réfiftances fera
égale à R , c'est-à-dire , quand . S. , R ,
dès- lors l'expreffion du mouvement fera
F - Ro . Expreffion bien différente
F
-
2v , & fuc-
-
de = 1 , qui résulte de vos principes .
R
Votre méprife ici eft d'exprimer par l'unité
, ce qui doit être exprimé par zéro ,
parce qu'il vous plaît très - gratuitement
de divifer la force F , par la réfiftance R ,
B iij
126 MERCURE DE FRANCE.
que vous lui faites égale , pour exprimer
l'état de la force F dans le cas de la réfiftance
, au lieu de fouftraire R de F , qui
eft le véritable état de cette force dans
le moment où RS . v = F. Si donc
vous voulez exprimer les deux états de
cette force pour l'inftant où R == S. , v = F,
votre analogie fera F - R - O : F :: X : T,
qui démontre encore que X eft un infiniment
petit de T. L'analogie précédente
:: X : T; ou
F
donne =1:
R
F F
R- R
F
I : :: X : T. L'on aura donc , en di-
0
vifant , =
O X
F T Et comme la préfente
analogie donne O : F :: X : T ; & en
X
divifant › il en résulte que ces
F Τ
deux analogies ne font au fond que la
même analogie , & en conféquence que
X est un infiniment petit de T.
J'obferve enfin en troifieme lieu que
l'expreffion même X = réſultante de
F
T
votre propre analogie , entendue comme
il convient , défigne toujours que X eft
un infiniment petit de T , vû que F , qui
divife T , eft infiniment grand par rapport
à T. Et en effet le tems Teft une
SEPTEMBRE 1766. 127
quantité purement linéaire , & la force
F une grandeur de deux dimentions ; car
foute force motrice F produit toujours
deux chofes 1 ° . un tems T : 2 ° . une
vîteffe V , & eft par conféquent toujours
égale au tems multiplié par la vitelle .
Ainfi F- TV , & TV étant toujours égal
à l'efpace E parcouru , il s'enfuit que
F-TV- E , puifqu'en effet l'effet ultérieur
de la force étant de produire l'efpace
, l'efpace qui eft toujours le produit
du tems par la viteffe , fera donc toujours
égal à la force , comme la cauſe eſt
égale à fon effet. Or que le tems T foit
fuppofé exprimé par une ligne , & la
vîteffe V par une autre ligne , il eft clair
que TV fera une furface . Mais toute
furface eft infinie par rapport à une ligne
droite . Donc
T
F
T
-
TV
eft une quantité
infiniment petite ; puifque TV , qui eft
une furface , une grandeur de deux dimentions
, eft infiniment grande par rapport
à T qui eft purement linéaire . Pofons
, pour rendre ceci plus fenfible , que
la même ligne exprime le tems T & la
vîteffe V , ou , ce qui revient au même ,
que le tems foit égal à la vîteffe ; alors
T
TV
T
TT
T
= Si l'on fait actuelle-
F
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE .
ment le tems T égal à 1 moment , dès
Τ
-
lors == 1. Si le tems fini T , TT
qui eft fufceptible de divifion à l'infini ,
elt divifé en deux momens égaux , alors
T
T= 2 , & par conféquent == ÷
TT
Or eft moindre que 1. Si l'on divife le
le même teins T en trois momens égaux ,
T= 3 , & alors — ==;, qui eſt
T
moindre que . En continuant de divifer
ainsi , le même tems fini T en un
plus grand nombre de momens égaux ,
T fera fucceffivement égal à une quan-
TT
tité toujours moindre ,,,, ... &0.
& fi enfin le tems T étoit divifé en un
nombre infini de momens égaux , ainfi
qu'on doit le concevoir divifé , pour
avoir la fomme des élémens du tems ,
il eſt clair alors que l'expreffion T
T fe-
TT
roit une quantité infiniment petite. Donc
T
=
F
T
TV
=
T
TT
eft une quantité infiniment
petite. Car vous remarquerez ,
Monfieur , qu'il ne vous eft point libre
ici de divifer le tems fini T dans un
nombre arbitraire de momens égaux ,
SEPTEMBRE 1766. 129
Votre folution ne vous donnant que
T
F
T
TV

TT
T ( dans le cas où l'on
fuppofera TV, ) vous ne pouvez déterminer
arbitrairement le nombre de
momens égaux dans lequel il conviendra
de divifer le tems T; car fi vous vous
fixiez à deux , à trois , à quatre .... & c .
momens , il ne tiendroit qu'à moi de divifer
le même tems T dans un plus
grand nombre de momens égaux , & de
trouver en conféquence le tems x cherché
toujours plus petit . Ce qui démontre
T
que votre expreffion x = ne renfer-
F
me rien de déterminé , ni de fini , puiſque
vous ne pouvez déterminer , même
arbitrairement , aucun nombre fini de
parties du tems donné T , qu'on ne puiffe
en affigner un autre beaucoup plus grand ,
& trouver en conféquence le tems cherché
toujours plus petit. Vous voilà donc
forcé à divifer le tems T dans un nombe
infini de momens égaux , & dès-lors
T devient un infiniment T
TT
T
F
--
VT
petit. C. Q. F. D.
J'ajoute que dès qu'il eft démontré ,
comme il vient de l'être , qu'une force F
appliquée à un corps qui n'oppofe au
Fv
130 MERCURE DE FRANCE .
, que
cune réſiſtance , lui fait parcourir une
efpace E fini dans un tems X infiniment
court il s'enfuit la vîteffe V de ce
corps doit être infinie ; & attendu que
cet état eft impoflible dans la nature , où
l'on ne voit nulle viteffe infinie , il en réfulte
encore que tout corps , quel qu'il
foit , réfiftera toujours , foit dans le
plein , foit dans l'efpace pur , à l'action
de toute force motrice qui feroit établie
pour le mouvoir. Qu'en conféquence
la réfiftance R fera toujours en rapport
fini avec la force F donnée pour la vain
cre . Et comme la fomme de toutes les
réfiftances R doit toujours être égale à la
force F , il s'en fuit que tout mouvement ,
tant célefte que terreftre , doit toujours
finir dans un tems plus ou moins éloigné
, puifqu'il y aura toujours un tems
fini Toù S. RF & où par conféquent
F-S.RO.
SEPTEMBRE 1766. 131
NOUVELLE folution de ce problême important
fur le jet des bombes ; par le fils de
M. TRINCANO , Profeffeur de Mathématiques
de l'Ecole Royale des Chevaux-
Légers de la Garde Ordinaire du Roi ,
Maître de Mathématiques en furvivance
des Pages de la Chambre de Sa Majesté, &c.
PROBLÊ ME.
Déterminer l'angle fous lequel on doit pointer
le mortier pour atteindre un but fitué
au- deffus , ou au- deffous , ou au niveau
de la batterie avec une charge de poudre
donnée.
L
A premiere folution de ce problême
propofé à l'Académie des Sciences par M.
Blondel, Maréchal des Camps & Armées du
Roi , eft de M. Buot , la feconde de M.
Romer , & la troifieme de M. de la Hire ;
M. Blondel dit en avoir trouvé une quatrième
qu'il ne donne pas ; j'ai tenté la
réfolution de ce problème par le calcul
algébrique , il m'a donné pour réfultat
une folution complette qui détermine
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
tous les cas. Voici mon procédé en faveur
des Géometres de mon âge , & particulierement
en confidération de MM.
les Eleves du Corps Royal de l'Artillerie
; cette matiere fait un point capital de
ce qu'ils doivent favoir , &c.
Solution. Soit le fommet O d'une montagne
fitué au- deffus du niveau ABE de
la batterie A ; la force du jet ou la moitié
de l'amplitude horifontale fous l'angle
de 45 degrés avec la charge donnée , repréfentée
par AT ; on fçait que cette
droite AT eft le quart du parametre du
diametre AM de la parabole à décrire
ainfi ce parametre fera AR-PAT=4.
Cela pofé , fi je fuppofe le problême réfolu
, & que AD y eft la ligne de
projection , la verticale corefpondante
DOX fera la ligne de chûte égale à
l'abciffeAM de la parabole cherchée AVO,
correfpondante à l'ordonnée OM AD
=y: mais dans toute parabole le quarré
d'une ordonnée à un diametre eſt égale
au rectangle de l'abfciffe par le parametre
de ce diametre , on aura donc
AD - MO DO X ARAM × AR
ou px-yy.
- 2
Dans ce problême , la diftance horifontale
de la batterie à l'objet O , exprimée
par AB b eft donnée de même que
SEPTEMBRE 1766. 133
la hauteur de la montagne BO = a , où
il eft facile de déterminer ces deux lignes
par la trigonométrie ; on aura donc
DB= a+x , & dans le triangle rectangle
2 2
- -aa
done
ABD , on a AB + BD = AD ou bb
+ zax + xx =yy , mais pxyy
»
bb + aa + 21x +xx px , d'où , tranfpofant
px dans le premier membre de l'équation
& bbaa dens le fecond , on
aura xx 2ax ww
px =
-bb-- aa ', & fi
pour rendre le premier membre un quarré
parfait on ajoute le quarré de la moitié
du coefficient za - p , du fecond
terme 2ax -px , on aura xx + 2ax- px
+ aapppaa- ap + pp - bb
аа › ou xx + 2ax

px + aa ap
+ 1pppp - bb - ap , & fi on tire la
racine quarrée de part & d'autre on
aura xa - ip = √pp - ap-- bb , ou
faiſant paffer ap dans le fecond membre,
on aura xp - a√pp - ap -bb ;
formule qui renferme tous les cas pour
les jets au - deffus de l'horifon de la batterie
Elle fait voir 1 ° . que le problême
eft impoffible toutes les fois que pp fera
plus petit que ap +bb ; car , dans ce cas ,
on auroit une racine imaginaire , puifqu'il
faudroit tirer la racine quarrée d'une
134 MERCURE DE FRANCE .
grandeur négative , racine qui n'exiſte
pas ; 2 °. il faut ici que a foit moindre
que p ; car fi a = p , l'équation dep±√
bb , valeur imaginaire ;
-
vient x
3 °. il faut donc dans tous les cas poffibles
que 4pp ap + bb , & que beli
car fi bp , on auroit bb = pp , & l'équation
deviendroit
xp -a -ap ,
valeur imaginaire
; 4° . enfin , fi a = o
l'équation
devient x = p ± √pp - bb
qui eft la formule
pour les portées horifontales
; elle fait voir que le problème
n'eft poffible que lorfque la portée horifontale
b eft égale ou plus petite que
p , double de la force de la charge
C. Q. F. R.
Conftruction de l'équation
= 記
Vpp-bb , ou de la formule pour les
portées horisontales .
*
P Je décris fig. 3. fur la verticale BL
un demi - cercle BKL ; je porte la diftance
horifontale ABb du point B où la
bombe doit tomber fur la circonférence
en K ; je tire la corde BK - AB = b &
LK:- bb par la propriété du
triangle rectangle BKL du point L, comme
centre & pour rayon LK = √pp —bbi
fig.1.
R

L
D
P
T

D
D
H
N
R
A bBEZ
K
Z
B
T
M
fig3 .
136 MERCURE DE FRANCE.
je décris le demi cercle dKD , ce qui dé
termine les directions AD , Ad , ou les
angles DAB , dAB , fous lefquels on doit
pointer le mortier pour atteindre le but
B; car , par cette conftruction x = DB
= p + √₁pp — bb & x = dB = { p
-
✔pp -bb. Les droites DB , dB étant
déterminés , les angles DAB , dAB fous
lefquels on doit tirer le font auffi ; puifque
dans les triangles rectangles DAB ,
dAB , on connoît les côtés AB , DB ;
AB , dB , qui forment l'angle droit DBA ;
on trouvera donc la valeur des angles
DAB , dAB , par ces deux analogies de
trigonométrie.
1 °. Le côté AB eft au côté BD comme
le finus total eft à la tangente de l'angle
cherché DAB.
2º. Le côté AB eft au côté Bd comme
le finus total eft à la tangente de l'angle
cherché BAd. C. Q. F. 1 °. D.
-
Fig. 1. Conftruction de l'équation x = 'p
a +
— a ÷ V pp — ap — bb , formule pour
les portées au- deſſus du niveau de la batterie
.
Je décris fur AR=p= 4AT un demicercle
; je fais AH-AT -BO= ¦p —a ;
je tire l'ordonnée HG & la corde AG
SEPTEMBRE 1766. 137
√ppap , par la propriété du cercle
, du point A comme centre avec une
ouverture de compas = AG = √÷ pp - ap ;
je décris une portion de cercle LNEF
qui coupe la verticale indéfinie BO en
N & en F , ce qui donne BN FN
moyenne proportionnelle entre LB =
✔pp - ap + b & BE = √pp - ap - b ;
conféquemment BN = BF = √4pp — ap
=
-bb ; je fais ND = p , on a donc
BDP+ √pp - ap - bb & OD
= { pa + √ pp - ap - bb = x ; je
fais Fdp conféquemment od = x
- g. p . a ✓pp - ap - bb , ce qui
donne les directions cherchées AD , Ad ,
ou les angles DAB , dAB , fous lefquels
on doit pointer le mortier pour atteindre
le but O , fitué au - deffus du niveau
de la batterie A ; les angles DAB , dAB
fe déterminent par les analogies ci - deffus
. C. Q F. 2 ° D.
Quoique la formule précédente, fig . 2 .
pour les portées au deffus du niveau de la
batterie
, peut fervir
pour les portées audeffus
du niveau , je vais en faire le calcul
. En nommant DO = x , BO = a ,
AB=b , on aura DB—x—a , AD =y ;
138 MERCURE DE FRANCE.
le triangle rectangle DBA donne AD
DB + ABDO x AR ou yỳ = xx
-2ax + aa + bb = px , d'où xx - 2ax
— px ―― aa - bb , d'où xx- 2ax - px
+ aa + ap + pp = aa + ap + ppaa
bb = ppap - bb , tirant la racine
quarrée , & tranfpofant , on aura enfin,
x= a + p ± √ ₁ pp + ap —bb ; équation
pour les portées portées au deffous du niveau de
la batterie qui fe contruit comme la
figure 2 l'indique ; on fait A AAT
+ BO = 1p + a; on a de même BN
=
✔pp + ap - bb , ND = p &
x = DO = a + p + √pp + ap — bb ;
enfin fi on fait Fd = p , on aura do = x
= a + p −√ √ppap - bb ; le reſte
comme ci - deffus C. Q. F enfin D.
I
-
J'ai dis que j'étois un jeune Géometre
; ceux qui feront curieux de favoir
mon âge , la folution du problème fuivant
leur apprendra. Je ferois flatté que
Meffieurs les Eleves de l'artillerie & du
génie vouluffent employer un moment
de leur loifir à la réfolution de ce problême
, c'est une conféquence à déduire
du principe dont M. le Cames a fait
ufage dans la conftruction de fon proSEPTEMBRE
1766. 139
blême des trois points N , O , A ; ou fi
ce principe que M. le Camus paroît avoir
omis à deffein , leur eft inconnu , ils le
trouveront dans ma folurion de ce problème
fur le jet des bombes ; ils me
donneront par là des preuves certaines
que manouvelle folutionleureftagréable..
Problême. Si on ajoute quinze ans à
l'âge que j'aurai le 19 Septembre 1766 ,
& qu'on multiplie ce nombre d'années
par l'âge que j'aurai alors , on aura un
produit qui furpaffera autant 320 , que
l'âge que j'aurai pour lors excédera huir
ans .
EXTRAIT * d'un Mémoire lu à l'Académie
des Sciences au mois d'Août 1765 , au
fujet des Eclipfes de Soleil des 16 Août
1765 , & 5 Août 1766. On ne donne
ici que ce qui concerne l'Éclipfe de cette
année 1766. Par M. DUVAUCEL.
LES éclipfes de foleil ont été de tout
temps des phénomènes intéreffans , foit
qu'elles fuffent partiales ou totales. Et leur
* Cette Pièce auroit paru plutôt , fi les bornes du
Mercure l'euffent permis.
140 MERCURE DE FRANCE.
révolution périodique , qui eft environ de
dix -huit ans onze jours , faifant qu'une
obfervation faite d'une éclipfe peut procurer
plus de précifion dans l'annonce que
l'on fera lors de fon retour en corrigeant
l'erreur des tables , il arrive qu'il eft nonfeulement
néceffaire de les calculer , mais
encore on ne peut employer trop d'exactitude
dans leurs calculs ; c'eft auffi à quoi
l'on a eu égard . Et ce n'eft que d'après
un calcul rigoureux qu'on a tiré les réfultats
qui fuivent ; & ceci eft d'autant plus
néceffaire pour l'éclipfe de cette année
qu'elle fe trouvera être vifible à Paris dans
plufieurs de fes retours périodiques , comme
on le verra ci - après . On a marqué auffi en
quels endroits cette éclipfe doit paroître
annulaire.
La conjonction a été calculée avec les
tables de M. Clairaut ; il fe trouve qu'elle
arrivera à Paris le 5 Août , à cinq heures S
cinquante -deux minutes , cinquante - cinq
fecondes du foir ; la latitude au temps de
la conjonction fera de trente - deux minutes
quarante - deux fecondes. Enfuite ayant
fait les calculs néceffaires , j'ai cherché de
quelle grandeur l'éclipfe fera à Paris
Louisbourg , Quebec , Boſton & à Saint-
Yago, une des ifles du Cap -Verd.
SEPTEMBRE 1766. 14r
A Paris.
5
heures 43
L'éclipfe commencera à
minutes 30 fecondes ; le point du contact
du bord inférieur du foleil , faifant
avec fon vertical un angle de 37 degrés
24 minutes. La plus grande phaſe arrivera
à 6 heures 36 minutes 4 fecondes ,
la grandeur de l'éclipfe étant alors de
12 minutes 33 fecondes , ou 4 doigts &
de doigt. Le foleil fe couchera à 7
heures 25 minutes , éclipfé d'une minute
58 fecondes.
То
®
A Louisbourg.
La plus grand phaſe arrivera à 2 heures
9 minutes 24 fecondes du foir , la grandeur
de l'éclipfe étant alors de 30 minutes
23 fecondes. Le foleil débordera du
côté du nord d'une minute 13 fecondes ,
& du côté du midi de 37 fecondes . La
durée de l'anneau fera de 6 minutes 10
fecondes.
A Québec.
La plus grande phaſe arrivera à une
heure 40 minutes 28 fecondes du foir , la
grandeur de l'éclipfe étant de 27 minutes 30
fecondes, ou 10doigts & de doigt . Le foleil
débordera du côté du midi de 4 minutes
$ 42 MERCURE DE FRANCE.
9 fecondes. Il ne s'en faudra que de 2
minutes 20 fecondes que la lune ne foit
tout à fait fur le foleil.
A Bofton.
La plus grande phafe arrivera à une
beure 13 minutes du foir , la grandeur
de l'éclipfe étant alors de 24 minutes 20
fecondes , ou 9 doigts & de doigt.
A Saint-Yago .
La plus grande phaſe arrivera à 6 heures
du foir , la grandeur de l'éclipfe étant
alors de 29 minutes so fecondes . Le foleil
débordera du côté du midi d'une
minute 36 fecondes , & du côté du nord
de 20 fecondes . La durée de l'anneau fera
de 3 minutes 15 fecondes . Le foleil fe
couchera éclipfé de 18 minutes 25 fecondes.
Les différens endroits de la terre où
cette éclipfe fera annulaire feront dif
pofés ainfi qu'il fuit , fçavoir au lever du
foleil à 4 heures 15 minutes du matin ,
fous la latitude 55 degrés 41 minutes 40
fecondes , & 197 degrés 19 minutes 30
fecondes de longitude ; à huit heures
du matin , fous la lat. de 65 degrés 30
SEPTEMBRE 1766. 143
minutes , & 255 degrés de longitude . Ce
fera ici le lieu où la centralité fera la
plus proche du pole , enfuite elle ira en
s'éloignant ; cette pénombre traverfera la
baye d'Hudfon , le pays méridional de la
terre des Efquinaux , l'embouchure du
fleuve S. Laurent , l'ifle Royale & la partie
boréale de l'Acadie , traverfera l'océan
, & fera annulaire à 5 heures du
foir , fous le 21 degrés 53 minutes de
latitude , & 343 degrés 24 minutes de
longitude ; endroit remarquable en ce
que c'eft un point où l'éclipfe du premier
Avril 1764 fut auffi annulaire fur les 7
heures environ du matin ; enfin elle aura
lieu aux Ifles du Cap-Verd , & finira au
coucher du foleil fous le 14 degrés 13 minutes
10 fecondes de latitude & o degré
minutes 15 fecondes de longitude. 32
Cette éclipfe fut obfervée à Paris le
11 Juin 1676 ; fa plus grande phaſe fut de 6
doigts environ fur les 9 heures du matin ;
on l'obferva auffi en 1694 le 22 Juin.
Sa plus grande phaſe fut auffi de 6 doigts ,
& arriva à 4 heures après midi . En 1730 ,
de 14 Juillet , on l'obferva à Paris vers
fa fin , le foleil s'étant levé , éclipfé de 3
doigts ; & en 1748 , le 25 Juillet , elle fut
de 9 doigts 25 fur les 10 heures 55 minutes
du matin ; & elle fut annulaire en
144 MERCURE DE FRANCE .
Ecoffe , où M. le Monnier s'étoit tranf
porté exprès pour l'obferver. En 1802 ,
le 27 Août , à 5 heures 37 minutes du
matin , le foleil ſe levera éclipfé de 4
doigts 55' ; & en 1820 , le 7 Septembre à
11 heures 40 minutes du matin , le ſoleil
fera éclipfé de 9 doigts 10 minutes . Elle
aura encore lieu à Paris en 1874 le 10
Octobre fur les 10 du matin , elle fera
d'environ 4 doigts 15 minutes ; mais ce
tems fe trouve fi éloigné , qu'il ceffe de
nous intéreffer.
SÉANCE publique de la Société Littéraire
de CHALONS - SUR - MARNE.
CETTE Société a tenu le 19 Février
1766 une féance publique , dans laquelle
a été lu un Mémoire de M. de
Chulette , fur le gouvernement des troupeaux
, & les moyens de multiplier les
prairies en mettant à profit les ufages des
communautés.
M. de Chulette réduit à trois chefs les
inconvéniens qui fe trouvent dans la façon
ordinaire de gouverner les troupeaux.
Premier inconvénient : les troupeaux
ne font point affez nourris , & la plupart
SEPTEMBRE 1766. 145
part de leurs alimens font mal fains. Les
meilleurs font deſtinés au cheval ; les
beftiaux & autres troupeaux pendant un
hiver de cinq à fix mois , font nourris
des pailles les plus chétives , fouvent gâtées.
Si on les mène en pâture , ils font
forcés de fe remplir d'herbages gelés ,
corrompus & pourris . Après l'hiver , ces
animaux exténués n'ont d'autre reffource
que l'herbe qui commence à fe reproduire
, & qui eft détruite auffi- tôt qu'elle
paroît. Après la récolte , qui eft le meilleur
tems , les troupeaux ont confommé en
deux mois les herbes qui pouvoient leur
fournir une nourriture convenable ; il ne
refte de reffource pour les deux autres
mois que les pouffes des grains qui , étant
tombés fur terre pendant la récolte , ont
germé & fourniffent une herte pernicieufe
pour les bêtes à laine.
Pour procurer aux beftiaux & autres
troupeaux une nourriture faine & abondante
, il n'eft pas de moyen plus efficace
que de changer en prairies artificielles
toutes les prairies naturelles , à commencer
par celles qui font ingrates & ftériles.
Telles font en particulier ces étendues.
immenfes connues fous le nom de pâtis ,
ufages ou communes terreins qui ne
font d'aucun rapport , & ne fervent qu'à
>
G
146 MERCURE DE FRANCE.
entretenir l'abus ; une communauté y jer
tant fes troupeaux, fans s'embarraffer s'ils
peuvent s'y nourrir ou non . L'expérience
a démontré que ces terreins étant cultivés
, produiront huit fois plus de fourages.
Les beftiaux pourront fe nourrir
dans les étables ; la population de l'eſpèce
devenue plus faine & plus vigoureufe
, fera des progrès fenfibles ; l'Agriculture
y gagnera par la qualité des engrais
qui feront infiniment meilleurs .
Second inconvénient les troupeaux
font les trois quarts du tems épars dans
les campagnes. On ne peut douter que
l'intempérie & les viciffitudes des faifons ,
les diverfes propriétés & abus des alimens
, ne foient les caufes les plus prochaines
des maladies qui attaquent ces
animaux. D'ailleurs , ces courfes nous font
perdre les engrais qu'on en pourroit tirer,
Troifième inconvénient : les troupeaux
gouvernés comme ils le font ordinairement
, gênent l'agriculture , & s'oppofent
à fes progrès. Les troupeaux conduits
dans les endroits écartés fur les bords
des grains enfemencés , y cauſent des dégâts,
foit avec leurs pieds , foit en broutant
les lifieres des grains , en abattant
les berges des foffés & les comblant , en
rongeant les haies , & forçant les clotures.
SEPTEMBRE 1766. 147
On ne devroit les mener aux champs
que pour les exercer une heure ou deux
par jour aux heures les plus favorables
& non pour y chercher leur fubſiſtance.
>
Il réfulte de ce Mémoire que les beftiaux
gouvernés fuivant la méthode y indiquée
, fe multiplieront , les engrais par
conféquent , ce qui conduit à une double
abondance .
Enfuite ont été lues de nouvelles obfervations
de M. Vanier , D. M. à Vitri ,
fur la culture du froment & du feigle ordinaires.
Premiere obfervation fondée fur l'expérience.
Le froment & le feigle femés
après l'hiver au temps qu'on feme les
mars , donneront un beau fannage , mais
point d'épis. Le feigle & le froment font
des plantes bifannuelles qui ne fleuriffent
& ne fructifient que la deuxième année
, quelque chofe qu'on faffe pour
obtenir
leur fruit plutôt.
Mais ces deux efpèces de grains femés
au temps des mars foutiendront l'hiver
fuivant , quelque rude qu'il puiffe être ,
donneront leurs épis quelques jours avant
les autres , mais beaucoup plus nombreux
& plus forts.
Seconde obfervation . Du froment femé
le premier Août , a levé parfaitement ,
G
148 MERCURE DE FRANCE.
& a rendu l'année fuivante une belle
moiffon qui s'eft trouvée mûre quinze
jours avant celle des fromens femés en
Octobre. Cette avance de récolte peut
être regardée comme un avantage , fur-tout
dans les années froides & pluvieuſes .
Troifieme obfervation . Le froment femé
au mois d'Août 1763 , étoit de la récolte
de 1762 , ce qui prouve que le froment
germe bien , quoique femé après une
année de récolte.
On a expérimenté avec fuccès de ne
femer du froment que de l'année précédente
. On ménage la paille , n'étant point
obligé de battre le froment de l'année
pour la femence. Le grain de l'année précédente
eft exempt de mille & de charbon
; mais il faut femer par journal un
demi boiffeau plus qu'à l'ordinaire , peutêtre
à caufe des infectes & des fouris qui
auroient pu altérer un peu le bled dans
les greniers.
La féance s'eft terminée par la lecture
que M. Deleftrée a faite de quelques obfervations
fur un phénomène qui s'eft
préfenté à lui dans une plante de mays.
Il est conftant que les épis qui portent
le grain ne font pas les mêmes qui poɛtent
les fleurs. Cependant il s'est trouvé
fur un épi à fleurs une branche qui porSEPTEMBRE
1766. 149
toit en même temps & des fleurs & des
embryons garnis de leurs filament ; ces
embryons font devenus des grains plus
petits à la vérité que ceux des autres épis
à fruits. M. Deleftrée après avoir rendu
compte de cette découverte , a effayé d'en
découvrir les caufes , auxquelles il fe ptomet
de donner plus d'étendue.
SÉANCE publique de l'Académie de LA
1. ROCHELLE .
Extrait d'une Lettre écrite à M. D. L. P.
JE vous envoie , Monfieur , l'extrait de
la féance que l'Académie a tenue le 21 de
ce mois. L'ouverture s'en fit par M. Mercier
Dupaty , Tréforier de France honoraire
, en fa qualité de Directeur. Il lut
des obfervations fur le Commentaire du
Théâtre de Corneille par M. de Voltaire ,
fujet également épineux & délicat. Comme
cet ouvrage eft deftiné à l'impreffion , il
fuffira , pour vous donner une idée du
ftyle de l'Auteur , de vous tranfcrire ici
quelques traits détachés ; voici l'exorde :
« Le temps fixe la réputation des Auteurs
» & le degré de gloire dont ils doivent
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
27
ود
30
و د
jouir. Tandis qu'il voit fe perdre dans
» les abîmes de l'oubli la réputation ufurpée
& éphémère d'une foule d'Ecrivains,
» il lit au temple de mémoire , gravés en
caractères ineffaçables , les noms de Corneille
& de Racine. Là , ces deux illuftres
créateurs de la fcène françoife , affis
plus haut rang fur le même trône ,
plongent leurs regards fur la troupe des
» Auteurs qui ont effayé de marcher fur
» leurs traces & de courir la carrière dramatique.
La place éminente dont ils
» font en poffeffion depuis un fiècle ne
les a pas mis hors des atteintes de la
» critique , que l'envie accompagne pref
» que toujours. Victimes de la jaloufie de
» leurs contemporains , ils l'ont encore été
après leur mort.... Pour moi , Meffieurs,
lorfque je lis les fublimes ouvrages du
grand Corneille , & ceux du tendre Racine
, que fa douceur & fon exactitude
n'empêchent pas d'être auffi fublime ,
» mes idées s'étendent & s'ennobliffent ,
» je les regarde dans la république des
» lettres avec autant d'admiration que je
contemple dans la nature deux chênes
antiques , qui , pouffant leurs racines.
jufqu'au centre de la terre , élèvent leurs
3 têtes altières au deffus du tonnerre , & c »..
גכ
22
"
35.
22
32
20
La fin de ce difcours fit une impreffion
SEPTEMBRE 1766. 15t
Hatteufe fur l'auditoire , qui en marqua fa
fatisfaction. « Permettez- moi , Mellieurs ,
» dit l'Orateur , de vous rendre des témoi
gnages publics de la reconnoiffance dont
» je fuis pénétré. En accordant parmi vous
» une place à mon fils , quelles obligations
» ne vous aurons- nous pas l'un & l'autre ?
» Il prendra de vous , Meffieurs , des leçons
» de cette véritable philofophie , qui ,
» cherchant fans ceffe à connoître & a
» pratiquer la fageffe & la vertu , ne tra-
» vaille qu'à en infpirer l'amour aux autres
» hommes. Il apprendra que la première
» loi de la philofophie , & la première
و
qualité d'un homme de lettres , eft de
» fe rendre utile & agréable à la fociété ;
» utile , en lui faifant part avec modeftie
» du fruit de fon travail ; agréable , par
» une douceur de moeurs & de, caractère
qui en font tout le charme : il en pui-
» fera des exemples dans vos écrits & dans
» votre commerce , & les progrès qu'il
» fera feront la meilleure manière dont
» il pourra juftifier votre choix » .
ود
و ر
M. de Montaudouin , Affocié de l'Académie
, fi célèbre par l'étendue de fon
commerce , & par - là même le bienfaiteur
de la patrie , joint aux connoiffances les
plus profondes de fon état , un goût éclairé
des belles lettres. Le Lycée Rochelois a
-
A iv
152 MERCURE DE FRANCE.
fouvent retenti de fes ouvrages ; je ne
veux rien ôter du Mémoire qu'il avoit
envoyé à l'Académie , & qui fut lu par
M. de la Faille. Il n'y a pas aujourd'hui
un feul homme de génie dans toute l'Europe
qui ne s'intéreffe aux matières da
commerce , fur- tout quand elles font traitées
par les maîtres.
Obfervations fur le commerce.
Il eft des préjugés utiles que l'on doit
refpecter , il en eft de nuifibles que tous
les bons efprits doivent s'efforcer de détruire.
Il n'en eft point de plus capable
d'affecter la puiffance réelle & relative
d'une nation , que l'indifférence pour une
profeflion aufli néceffaire que celle du
commerce. En vain la légiflation s'eft
efforcée de répandre fur les négocians la
confidération qui eft dûe à tant de titres
à leurs travaux ; en vain nos meilleurs
écrivains ont concouru au même but , en
faifant connoître leur utilité. Par quelie
fatalité la raifon humaine , qui a fait tant
de progrès depuis quelque temps , & qui
commence à préférer l'utilité au frivole ,
& le travail honorable à la honteufe oifiveté
, n'a - t- elle pas encore pu déraciner
les profondes préventions qui s'efforcent
SEPTEMBRE 1766. 153
depuis fi long- temps d'avilir le commerce ?
Déja l'agriculture , fi honorée par les fages
& fi dédaignée par la multitude , commence
à recouvrer fes anciens honneurs.
Déja l'on reconnoît que cette laborieuſe
claffe d'hommes qui s'occupe fans ceffe de
la fubfiftance des autres , & qui la prépare
par les travaux les plus pénibles , a des
droits fur l'eftime comme fur la reconnoiffance
publique. Mais il ſemble que les
éloges que l'on ne peut s'empêcher de faire
d'un art qui a pour objet le premier des
befoins , feroient incomplets fi on ne les
accompagnoit d'une fatyre toujours amère ,
fouvent indécente du commerce ; & l'on
peut dire en général que les plus grands
panégyriftes de l'agriculture font en même
temps les plus grands détracteurs du commerce.
Il ne s'agit plus d'examiner fi cette
dernière profeffion peut être exercée par
la nobleffe : on lui fait des reproches bien
plus graves ; c'est , dit- on , une claffe ftérile
& même nuifible . Cependant le commerce
eft à l'agriculture & aux arts ce que
le mouvement eft à toute la nature . Arrê
tez le mouvement , la vie ceffe ; & la terre ,
réduite à l'état d'inertie , ne préfentera plus
que le palais vafte & lamentable de la mort,
& de la défolation qui l'accompagne. L'effence
du commerce eft la circulation entre
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
les hommes des différentes productions de
la terre , de l'eau & de l'induftrie. En vain
une nation aura un grand nombre de cultivateurs
: fi ellen'a pas des négocians occu
pés fans ceffe à calculer les befoins de l'univers
& à ouvrir des débouchés aux fruits
de cette culture , au fein de l'abondance
elle fe trouvera dans la mifère , elle manquera
de tout, excepté de ce qui eft néceffaire
pour fatisfaire le premier des befoins..
Elle fera fans finances , par conféquent fans:
puiffance & fans confidération au dehors..
Ses cultivateurs feront découragés par la richeffe
même de leurs moiffons , & la récompenfe
de leurs travaux fera d'autant plus bor
née qu'ils font plus fructueux en apparence."
Confidérez , au contraire , une nation fans.
fol propre à la culture , mais adonnée à la
navigation & au commerce , elle faura fe:
faire de vaftes campagnes de la mer même :
elle fera plus ; elle aura fans ceffe d'amples:
provifions de grains , & elle pourvoira aux
befoins même des peuples qui les ont cultivés.
Tel eft l'empire du commerce , qu'il
peut réparer tout , jufqu'à l'oubli de la
nature , & que
fans lui tout languit , &
l'abondance eft une ruine. C'eft donc une:
grande erreur de croire que l'agriculture
feule eft la bafe de la puiffance. Il n'y a
que l'agriculture , fécondée par l'induftrie
SEPTEMBRE 1766. 155
&
-
par le commerce , qui puiffe revêtir un
corps politique de toute la force dont il
eft capable. La méprife des Ecrivains qui
ont traité cette importante matière , vient
de ce qu'ils ont confidéré une nation
comme ifolée , & n'ayant aucune relation
avec les autres . Mais les peuples de l'Europe
ne font pas dans ce cas : ils font dans
une rivalité continuelle , & des befoins:
mutuels les mettent dans une forte de dépendance
réciproque. Il eft évident que le
peuple qui fera le commerce le plus étendu
prendra l'afcendant fur les autres, & deviendra
avec le temps le peuple dominateur.
L'avarice des nations , dit le fublime Montefquieu
, fe difpute les meubles de tout
l'univers. Le peuple qui pofsède le plus
d'effets mobiliers eft le plus riche. Il réfulte
de ces vérités inconteftables , que la puif
fance des nations ſe meſure fur le nombre
de fes négocians , de fes matelots , de fes
navires , &c. En 1600 l'Angleterre avoit
en argent monnoyé fix millions cinq cents
mille livres fterlings. En autres effets mo--
biliers , dans lefquels on comprend les
navires & les maifons , 130 millions .
En fonds de terres . 80 mill . 166 m. 666%
216 millions
Total ,
En 1660 elle avoit plus
2
du double..
& vi
156 MERCURE DE FRANCE.
En 1688 elle avoit près
du triple .
En 1749 l'argent monnoyé
montoit à ..
Les autres effets mobiliers
à . . . .
30 millions
.
600 millions.
Les fonds de terre à • 370 millions
.
1000 millions ſterl.
Ainfi , dans moins d'un fiècle & demi , la
richeffe de l'Angleterre s'eft accrue à peu
près dans la progreffion de 1 à 5. Ce fait
feul fuffit pour prouver les grands avantages
que le commerce procure. Il fe trouve
lié à un autre fait qui donne à cette preuve
l'évidence la plus complette . On évaluoit
en 1660 la marine marchande angloiſe à
500 mille tonneaux , en 1688 à 800 mille ,
& en 1749 à 1600 mille. Ainfi la navigation
angloife a doublé en foixante - un ans..
On peut juger de- là fi les négocians font
une claffe ftérile & nuifible , & fi le commerce
extérieur eft peu important. Mais
pourquoi combattre férieufement des erreurs
auffi vifibles ? Pourquoi s'amufer à
démontrer des vérités qui font des axiomes
? Quand on eft obligé , dit un grand
homme , de prouver des vérités aufli claires
, on court rifque de perdre fa peine .
Terminons ces obfervations avec un Poëte :
» Averfus mercaturis delirus , & amens » .
SEPTEMBRE 1766. 157
Vous croirez difficilement , Monfieur ,
que le difcours qui fuit foit l'ouvrage d'un
homme qui n'a pas vingt ans accomplis.
C'est l'éloge du Chancelier de l'Hopital ,
par M. Mercier Dupaty fils , Tréforier de
France , qui paya ainfi le tribut de fa réception
. J'ai pensé que pour vous faire mieux
connoître le mérite de ce difcours il falloit
vous en donner , non pas l'analyfe , mais
différens morceaux qui euffent entre eux une
forte de liaiſon . On ne voit guère dans un
extrait que ce que l'analyfte veut montrer ,
mais on découvre l'Auteur en entier dans
les citations de fon ouvrage ; celui - ci commence
par ce tableau :
""
ނ
ود
" Le feizième fiècle produifit en même
temps toutes les vertus & tous les crimes ;
» femblable à ces climats où l'on voit les
» différentes faifons à côté l'une de l'autre .
» On diroit que la nature ait choisi ce
» temps pour fe donner à elle - même le
fpectacle de toutes fes forces . Je la vois
» d'abord allumer chez tous les peuples le
génie , le fanatifme & l'ambition ; étendre
les bornes des fciences & des empi-
» res ; & pour rendre la fermentation plus
générale , ouvrir des routes inconnues
plus près du foleil , & remettre à quelques
» hommes hardis la clef du Nouveau Mon-
» de enfuite,pour donner & communiquer
"
93
29
"
158 MERCURE DE FRANCE.
30
23
l'impulfion , elle diftribue fur le globe
un certain nombre de refforts , c'est -à-
» dire , quelques âmes fortes & vigoureu-
" fes dont les circonftances feront des hé
" ros ou des fcélérats. Elle enfante au
» milieu des glaces du nord Chriftierne &
» Guſtave ; elle met Soliman à Conftan-
""
tinople , Charles - Quint en Espagne ,
» Léon X en Italie , fur les bords de la
» Seine François I, fur ceux de la Tamife:
Henry VIII ; elle fait de plus trois fem-
" mes , Elifabeth , Marie Stuard & Médicis
, & femble attendre après cela les
» événemens ».
"
99
22
L'Orateur parle ainfi de la naiffance
de fon héros. « La fortune n'approcha
point de fon berceau , & l'Hopital , en
» entrant dans la vie , n'y trouva aucun
privilége pour être inutile ; il ne fut ni
» noble , ni riche. Ses ancêtres ne furent
» fans doute que vertueux , car l'hiftoire
» les a paffés fous filence .
و ر
ور
La
» pauvreté , l'exil , les prifons , furent fes
premiers maîtres . Le malheur & la per-
»fécution s'emparent de fa jeuneffe &
» l'entraînent hors de la France fous un
climat étranger. C'eft loin de fa patrie
qu'il va apprendre à lui être utiles
» un jour. Il parcourt toute l'Italie , fuyant
» devant la guerre , & cherchant la vérité
27
SEPTEMBRE 1766. 159
99
» & l'inftruction : il la demande à tous les
objets , à tous les événemens qui fe ren-
» contrent. Sur un champ de bataille , cou
» vert de morts , il vient mettre le prix à
» la vie des hommes. Au milieu des épreu--
» ves & des périls fon âme fe développe
ןכ
"
& fe fortifie ; cependant le plus grand,,
» le plus impérieux , le plus preffant de
" tous les befoins , celui de connoître &
d'apprendre , le domine fans ceffe. C'eft
» à Padouë qu'il viendra fe recueillir avec
» lui - même & forcer la méditation de
» faire éclore le germe de la vérité dans
» fon coeur. La méditation ! ce fupplément
pénible de l'expérience ; cette habitude
fi fatigante & peut - être fi funefte à
» l'homme , qui afe & vieillit l'âme
» comme le temps ufe le corps ».
ود
כ
· •
L'Italie étoit devenue le temple des
» arts & l'afyle des mufes. Plus féduifant,
plus tendre que la lyre d'Orphée , qui
» ne charma que des tigres , le chalumeau
» de Pétrarque , en célébrant Laure , avoit
» adouci les hommes , & ce fut au Aam-
» beau de l'amour que fe ralluma celui des
» fciences . La nature étoit alors , ou décou-
» verte , ou devinée , ou preffentie , ou décrite
par les plus grands Ecrivains ;;.. && les
plus habiles Artiftes l'imitoicnt . L'Ariofte
traçoit toutes les bifarreries de l'imagina160
MERCURE DE FRANCE.
ود
» tion , Guichardin prouvoit la morale par
» des exemples ; Machiavel s'occupoit à ex-
» traire de l'hiftoire tout le poifon qu'elle
» contient , à réduire la tyrannie en principes,
& à apprendre aux hommes tous les
» moyens de ceffer de l'être ; Le Taffe
» chantoit Armide ; Michel- Ange peignoit
» la Divinité
Les études de l'Hopital font préfentées
fous ces traits : « Muni d'une raifon qu'au-
» cun inſtituteur n'avoit corrompue , il fe
" livre à l'étude & aux fciences. Il
"

», voit en ouvrant les annales & comparant
» le paffé avec le préfent , la force remuant
» tout dans l'univers phyfique comme dans
» le monde moral ; les âmes même mifes
» à la chaîne & fous le joug , les autels &
» les trônes enfanglantés , toutes les infir-
" mités à l'entrée de la vie & durant fon
» cours , les peftes , le fanatifime & les
conquérans la guerre , fouvent moins
cruelle que la paix , pendant laquelle
» l'efclavage germe avec les moiffons , cir-
» cule avec le luxe ; prefque par-tout &
prefque toujours l'or , la feule vertu , la
juftice un vain nom , l'honneur un préjugé
ou un prétexte , & c . » .
ןכ
"
"
99
و د
ود
A fon retour d'Italie l'Hopital entre
dans le Parlement de Paris. « Dans ces
» malheureux temps de difcorde & de
SEPTEMBRE 1766. 161
59
trouble tout corrompoit ou étoit cor-
» rompu. Le Parlement ne voyoit guère
parmi fes Membres que des jeunes gens
» ignorans ou frivoles , ou des hommes
proftitués à la crainte ou à la Cour. Le
» relâchement dans les devoirs , l'avilif-
» fement des âmes étoit exceffif & général ;
» car on remarqua les vertus.de l'Hopital ,
» on les loua , & on les craignit..
» La loi , ce lien néceffaire de la fociété ,
» cet heureux dédommagement des facri-
» fices de notre liberté , remplaça ſous lui
» la nature , en montrant encore de l'égalité
parmi les hommes. Le noble & le
puiffant connurent que le blazon n'eſt
» pas le code des loix , le riche s'étonna
» que la juftice ne fût plus à prix , le pau-
» vre ne put croire que fans ayeux & fans
pain on pût être vertueux & avoir raifon
, &c. ".
و د
و د
"
و د
"2
"
Quelque temps après l'Hopital eft chargé
des intérêts de Henry II au Concile de
Trente . Ce Prince laiffe la couronne
» & la vie dans un tournois : fa mort eft
» le fignal d'une guerre civile de trente
» années . Je ne ferai point ici le portrait
» de ce Prince , il eft confondu dans la
» foule de ces hommes dont le nom feul
» a régné. D'ailleurs il y a des âmes fans
» phyfionomie & fans caractère qui échap-
و د
162 MERCURE DE FRANCE.
pent aux pinceaux. François II , âgé de
» feize ans , dont l'efprit étoit auffi foible
» que le corps , ramaffe le fceptre ; & Catherine
de Médicis , fa mère , faifit les
» rênes du Gouvernement. Cette âme
» ardente & cruelle , comprimée pendant
» long- temps , va prendre l'effor & aſſou-
» vir à loifir fon ainbition.
ود »Deuxétrangers,leCardinaldeLorraine
& le Ducde Guife , que la politique
» fauffe & inquiette de Médicis avoit fait
» Miniftres pour les oppofer aux Princes du
Sang , veulent engloutir toute l'autorité.
"
"
» Ils écartent du trône le Roi de Navarre
par des affronts ; le Prince de Condé, par
» une ambaffade ; le Connétable de Montmorency
, par un exil , s'emparent du
peuple par l'hypocrifie & par des promef
"
» fes , captivent Médicis en fe faifiſſant
» des noeuds de toutes les affaires , & François
II, en préfentant à fon coeur Marie
» Stuard, leur nièce & Reine d'Ecoffe ,
» Princeffe pleine d'efprit , de grâces & de
» talens, dont les malheurs ont fait pardon-
» ner les crimes ; fatale à fes amans , à fes
» amis , à fes maris ; l'inftrument & la vic-
» time de la politique dans trois Royau-
» mes ; maltraitée de la fortune & fur - tout
de la nature , car elle fut affez malheureufepour
êtreplus belle qu'Elifabeth, &c.
SEPTEMBRE 1766. 165
Sur ces entrefaites le Chancelier Olivier
eft ravi à la France : il manque aux Prin
» ces Lorrains un homme fans crédit , fanst
intrigue & fans fortune, que la reconnoif-
» fance puiffe engagerà vendre fa confcien-
"
ce. Médicis , de fon côté , qui fent fa faute
» & fes maîtres , veut un homme dont l'intégrité
, l'attachement à fes devoirs & à
fa patrie , ferve de contrepoids à l'autorité
de fes Miniftres : l'Hopital eft nom-
» mé chancelier de France ....... Affis au
gourvernail de l'Etat , tandis que le fer
» de Damocles eft fufpendu fur fa tête , il
» nevoit que la patrie & la postérité.... Une
affemblée des Etats à Orléans , un Synode
national , le Colloque de Poiffy, fi fameux
» par les efforts que firent l'Hopital & la
raifon , pour ramener les efprits : voilà les
» monumens de fon amour pour l'humanité
& pour la paix. Mais la révolte in-
» difcrete des proteftans , mais la conjura-
» tion d'Amboife, mais une Reine qui n'eut
» que des caprices , jamais de volontés, tra-
» verfent continuellement fes projets , &c .
"
"
30.
"
"
Cependant le fang couloit de toutes
» parts , & la licence effrénée du fanatifme
» faifoit regretter la guerre. L'Hopital n'a-
» voit point d'autres armes qu'un édit ;, ce
» remède , pour être falutaire , devoit êtres
» prompt. Il envoie fur le champ l'Edit ,
184 MERCURE DE FRANCE.
" aux Gourverneurs des Provinces & at
Juridictons inférieures avant que de l'avoir
fait enregistrer au Parlement .....
Cet événement ne découragea point les
» Guifes. Pour rendre la mort du Prince
» de Condé plus folemnelle & plus fûre ,
و
ils font figner fon Arrêt par toute la
» Cour ; l'Hopital refuſe conftamment de
» fe deshonorer. Vous ne ferez point ou
» bliés ici , généreux amis de ce grand hom-
» me , Dumortier & Sancerre , qui vou-
» lûtes , comme lui , que votre nom allât
" pur à vos neveux. Le glaive eft aiguifé ,
» les échaffauds font prêts ; les Guifes ,
ور
impatiens , comptent les foupirs qui
» reftent encore au malheureux Prince ;
une révolution fubite vient arrêter tout :
la mort fond comme un éclair fur François
II. Les Guifes , craignant de perdre
le fruit de leurs intrigues , volent à linf-
» tant chez Médicis...... Ils la conjurent
» de leur abandonner les Princes du Sang ;
» ils font parler la patrie , le bien public ,
» fon intérêt perfonnel , & fur- tout la reli-
" gion . Le mot fatal eft fur fes lévres , mais
fon irréfolution accoutumée l'y retient ;
» elle demande quelques momens de ré-
» flexion & envoie chercher l'Hopital. Le
» Chancelier accourt , & trouve la Reine
» fondant en larmes. Il profite de cette
و د
22
ود
ود
SEPTEMBRE 1766. 165
crife de fenfibilité , non pour difcuter
» fes remords , mais fes intérêts : il lui
» montre les Princes du Sang comme une
» barrière qui éloigneroit toujours du trô-
» ne les Princes Lorrains , lui découvre les
» moyens de fe fervir d'eux & de n'en rien
» craindre ; il ajoute un portrait des Gui-
»fes , le calcul exact de leur crédit , & de
» leurs forces , un détail de leurs mancu-
» vres , le fommaire de leurs projets , de
» leur crainte & de leur efpérance. Médicis
» dut encore à l'Hopital quelque temps
» après la Régence , &c. »
و د
و د
ور
ود
ود
""
Voici , je crois , un des meilleurs portraits
que vous ayez vu de Philippe II.
" Tel que ces feux cachés , qui fermentant
» enſemble , ébranlent à plufieurs milliers
» de lieuës les bornes du monde ; Philip-
» pe II, Roi d'Efpagne , du fond d'un
cabinet , agitoit toute la terre. Son efprit
répandu par - tout comme la ya-
» peur qui produit la foudre , troubloir
» fucceffivement le globe par des orages.
» Ses yeux infatigables veilloient nuit &
» jour fur les filets que fa politique avoit
» tendus depuis le Méxique jufqu'au fond
» de la Sicile. La grandeur de fes Etats ,
» le nombre de fes Sujets , fes Miniftres,
» les troupes de Charles - Quint , l'or du
Pérou , & l'Inquifition l'avoient rendu
ور
"
و ر
66 MERCURE DE FRANCE.
"
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"
le plus mauvais & le plus redoutable
des Princes. La postérité , juge incorruptible
des Rois & vengeur des peuples ,
» après avoir fait le dépouillement de cet
homme , ne lui laiffa en propre qu'une
fuperftition bifarre & cruelle , le génie
» & le phlegme des crimes , des inftans
» de juftice , une diffimulation profonde,
un peuple efclave , des débauches outrées.
Ce fleuve impétueux fe débordoit
continuellement dans l'Europe .
» Prefque dans le même temps il veut détrôner
Elifabeth qui avoit refufé fa
main, foumettre la Hollande & s'em-
» parer de la France après l'avoir troublée
» par la religion . Il envoye des vaiſſeaux
à Londres , des armées dans les Pays-
Bas , le Duc d'Albe & des Fanatiques
» en France ; mais tous fes projets furent
traverfés ou rompus par des obftacles
qu'un homme comme lui ne pouvoit
prévoir , & que tout fon or ne pouvoit
» détruire la mer , l'amour de la liberté
» & l'Hopital , & c. »
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Co
"
D
"
:
Après ce grand morceau je dois finir rapidement
la première partie de cet extrait :
l'Hopital s'oppoſe aux cabales du Duc
d'Albe , rend des fervices qui empêchent
les fuccès de l'Espagne , & cependant perd
la confiance de Charles IX , abandonne
SEPTEMBRE 1766. 164
la Cour & fe retire à la campagne pour
pleurer le malheur de furvivre à fa patrie,
Nous l'avons vu jufqu'ici , dit l'Orateur
» avec des courtifans & avec des Rois ;
» voyons - le maintenant à fa véritable
place , dans la folitude & avec des hom-
» mes. Ce ne furent point fes dignités qui
» firent fa grandeur , elle étoit dans fon
» âme , fimple , pure & libre. La perte de
» fa fortune ne lui coûta pas un regret ,
» ne lui ôta pas une vertu. Faifons voir
» maintenant l'influence que l'Hopital eut
dans notre légiflation ; entrons dans fon
» coeur , délaffons nous à la fource de fes
» vertus ; & fi un grand génie & de grands
talens nous paroiffent mériter un éloge ,
nous finirons , par le lui donner » . Cette
feconde partie fut réfervée à une autre
féance , & c.
"
Je fuis , &c,
A la Rochelle , le 29 Avril 1766;
168 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE IV.
BEAU X- ART S.
ARTS UTILE S.
CHIRURGIE.
LETTRE du Frère COSME à M. MERTRUD
, Chirurgien Démonftrateur au
Jardin du Roi à Paris.
MONSIEUR , quoique la réputation
dans votre art me foit plus à charge qu'à
profit , & qu'elle doive paroître étrangère
à mon état , le bien public me force néanmoins
d'en défendre les bréches lorsqu'il
paroît qu'elle eft attaquée à fon préjudice .
Vous vous rappellerez fans doute qu'ea
1761 ( Mercure de Juillet , fecond volume ,
page 155 ) , je me plaignis à vous-même
qu'il m'étoit revenu que vous aviez débité,
dans un cours public d'opérations de Chirurgie
, des faits à la charge du lithotome
caché qui étoient vifiblement contraires à
la vérité , je vous priois de me détromper
par
SEPTEMBRE 1766. 169
par vous-même , & qu'à ce défaut , je ferois
obligé de prendre quelqu'autre voie. Le
délai fixé pour cette réponſe étant fini , je
rendis ma lettre publique , & , malgré cette
repréſentation dont vous ne vous êtes jamais
juftifié , il m'eft encore revenu que
vous avez de nouveau avancé au Jardin
du Roi publiquement le 10 Mars de la
préfente année , fans aucunes preuves qui
puiffent vous fervir de cautions : premièrement
, que je n'étois pas l'auteur du
lithotome caché , &c . Si vous vous fuffiez
donné la peine de lire mon premier recueil ,
chez d'Houry fils , rue de la Vieille - Bouclerie
, page 3 & 4 , vous y auriez trouvé
que je n'y prétend d'autre mérite que celui
d'avoir approprié le biftouri caché attribué
à M. Bienaife , pour faire l'incifion dans
l'opération de la taille , pour laquelle opération
je l'ai nommé lithotome caché ; vous
y auriez vu avec tout
le genre humain que
je n'ai rien ufurpé.
Secondement , que vous avez beaucoup
déclamé contre la défectuofité de cet inftrument
; entr'autres défauts , qu'il ouvre
la rectum , le fond de la veſſie , & qu'il
coupe l'artère honteufe ; que , de plus , il
ne peut fervir que d'inftrument inutile ,
puifqu'il ne fait qu'achever une incifion
commencée avec un autre qui peut la finir
H
170
MERCURE
DE FRANCE
.
toute entière , & que la multiplicité d'inf
trumens eft toujours un défaut dans cette
opération , &c. On ne m'a point rapporté
que vous ayez cité de preuves , ce qui mè
difpenfe de les détruire . Mais , s'il eſt vrai
que vous ayez fuppofé ces faits , la multitude
des opérations faites & guéries , dont
vos Confrères & tout Paris pourroient vous
inftruire , ne vous auroit- elle pas détrompé ?
Permettez- moi de vous repréfenter , que
contefter préfentement les avantages du
lithotome caché pour faire l'incifion de la
taille plus facilement & complettement
qu'avec aucun autre inftrument connu' ,
c'eft contefter qu'il faffe clair en plein midi.
Quelles ne doivent donc pas être les précautions
d'un Profeffeur public , tant pour
conferver fon propre honneur , qui lui doit
mériter la confiance , que pour préſerver
fes Elèves d'être induits en erreur ?
Troifièmement , que je prétendois me
donner la gloire d'être l'auteur du banniffement
des panfemens dans l'opération de
la taille , pendant que la pratique de plufieurs
grands maîtres , & celle du Frère
Jacques m'avoient précédé , & c.
Outre que je ne prétends qu'à la gloire
de me dire un ferviteur inutile , je n'ai
fait qu'expofer dans le recueil déja cité
les raifons de convenancé pour bannir les
SEPTEMBRE 1766. 171
panfemens de l'opération pratiquée avec
le lithotome caché. J'en ai appuyé les
avantages par des preuves fuffifantes , fans
égard ni critique des opérations faites par
d'autres opérateurs & d'autres inftrumens.
& même fans m'informer ni chercher fi
aucuns gens de l'art l'avoient pratiqué ,
s'ils en avoient donné des règles par écrit
avant la difertation que j'ai publiée fur ce
fait , & c. Si d'ailleurs vos allégations font
vraies n'auroit - il pas fallu prouver le
vice de ma propofition , & citer en même
temps les écrits qui ont donné ces règles
avant le mien ? Ce feroit donc là encore
une fuppofition, purement gratuite.
Quatrièmement , le 12 fuivant , dans
la leçon que vous avez faite fur la paracenthèse
, on affure que vous avez rapporté
qu'une femme hydropique à qui vous aviez
fait cette opération plufieurs fois , laquelle
vous donnoit fix livres chaque fois , s'étoit
adreffée par la fuite à moi , afin fans doute
d'épargner la dépenfe ; mais qu'elle avoit
payé cette économie d'un prix bien différent
; que vous vous étiez informé un jour,
en paffant chez elle quelque temps après ,
-ce qu'étoit devenu fon mal ; que l'ayant
trouvée morte , vous aviez demandé comment
cet accident étoit arrivé ; qu'on vous
avoit affuré qu'il avoit fuccédé à l'inſtant
H ij
72 MERCURE DE FRANCE.
de la dernière ponction que je lui avois
faite ; qu'ayant pouffé vos questions jufqu'à
favoir comment je m'y étois pris pour
manoeuvrer , vous aviez connu par la réponfe
, que j'avois percé le foyer , qu'en
conféquence vous n'aviez point été furpris
de la promptitude de cette cataſtrophe. Il
ne manquoit à ce rapport que de citer le
nom , l'adreſſe de la malade , & l'époque
du temps auquel ce fait étoit arrivé.
Quoique cette dernière hiſtoire me foit
auffi étrangère qu'inconnue , & fans aucun
rapport à l'effet du lithotome caché ; comme
elle tend néanmoins à la dégradation indirecte
de cet inftrument , en infinuant aux
Elèves que fi je fuis incapable des règles ,
& encore plus de l'exécution de la paracenthèse
pour laquelle le moindre fens
commun en chirurgie fuffit , à plus forte
raiſon , pour conftruire quelque chofe d'utile
pour des opérations beaucoup plus
difficiles : c'eft là l'unique raifon de ma
furpriſe & de ma réclamation fur ce fait.
Car , quoique je doive , par état , comme
tout bon citoyen , m'irriter contre l'impoſ
ture , je protefte que la confervation d'une
réputation perfonnelle dans l'art de guérir
n'y eft pour rien .
En conféquence de ces rapports faits
par gens qui afſurent avoir afliſté à vos
SEPTEMBRE 1766. 17

leçons , ayez agréable de me détromper
ou d'articuler les preuves que vous avez
de ces faits , afin que je puiffe vous détromper
vous- même , & qu'à votre tour
vous en faffiez autant aux Elèves dans vos
leçons . Si vous y manquez, ne ferai - je pas
en droit de dire : jufqu'à quand ne pourraron
plus inftruire des Elèves dans un art
fi précieux , fans y mêler quelque germe
étranger dont on eft infecté foi- même ?
Si vous me refufez une réponſe , comme
vous l'avez fait en 1761 , fous huit jours de
la préſente date ci- deffous , je n'y compterai
plus.
Je fuis , & c.
Envoyée à M. Mertrud le 2 Juin 1766 ,
à fept heures du matin , avec cette note :
je ne l'affranchis point afin d'être affuré
qu'elle vous eft parvenue.
Envoyée au Mercure vingt -un jours après fa
date , douze jours après le terme du délai donné.
HM
$74 MERCURE DE FRANCE.
ARTS AGRÉABLES.
LES
GRAVURE.
Es glorieux travaux du Maréchal de
Saxe & la reconnoiffance publique pour
tant de fervices fignalés qu'il a rendus à fa
patrie adoptive , étoient des titres plus que
fuffifans pour engager M. de Marcenay de
Ghuy , à placer fon portrait dans la fuite
qu'il grave des homines les plus illuftres
de la France depuis François premier.
Ce nouveau portrait eft le quatrième de
cette fuite qui a commencé par ceux de
Henri IV, Sulli, & le Chancelier de l'Hôpital.
C'eft d'après l'original que M. le
Comte de Turpin a bien voulu communiquer
à l'Auteur , qu'il a gravé le portrait
qui rappelle aux militaires l'ami des Officiers
& le père des foldats.
M. de Marcenay va graver immédiatement
celui du Maréchal de Turenne , ce
grand Général qui fçut tempérer l'éclat
de fes vertus héroïques , par une bonté
dont il y a peu d'exemples.
Cette eftampe fe trouve chez l'Auteur ,
rue d'Anjou , Dauphine , la dernière porte
SEPTEMBRE 1766. 175 .
cochère à gauche , & chez M. wille, Graveur
du Roi , quai des Auguftins , à côté
de l'Hôtel d'Auvergne. Elle eft la vingtfeptième
de l'oeuvre.
LE fieur Breffon de Maillard , Graveur
& Privilégié pour les ouvrages de deffein ,
& vignettes des Enfans de France , enfeigne
l'art de peindre fans maître & d'exécuter
fur le champ différentes fortes d'ou
vrages , deffeins à la grecque & autres , tant ,
en fleurs , que figures d'animaux , ornemens
, cartouches , rubans , armoiries , & la
façon de les colorier , & d'exécuter foimême
des fujets tant en meubles que.
pour peindre fur foie.
On trouvera chez ledit fieur en fa nouvelle
demeure , rue Saint Jacques , près &
adoffée à l'églife des Mathurins , même,
boutique qu'occupoit le fieur Neuveux
aux Armes de Bourgogne , à Paris , un affortiment
de deffeins , caractères en cuivre,
& ce qui eft néceffaire pour s'en fervir.
Comme auffi une fuite de petites eftampes
, devifes , emblêmes , fentences choi-
Ges , fables & autres très - proprement gravées
& enluminées , bouquets , fouhaits de
bonnes fêtes & étrennes , papiers peints
en vignettes , étiquettes & enveloppes de la
Hiv
178 MERCURE DE FRANCE.
M. Péters , Peintre de S. A. R. Mgr fe
Prince Charles de Lorraine , Gouverneur
des Pays - Bas , gravée par J. G. Wille
Graveur du Roi, & dédiée à l'Impératrice
Douairière , Reine de Hongrie , de Bohême
, & c.
Cette eftampe , qui , par la magie du
burin de M. Wille , nous repréfente tout
le fini du tableau original , ne peut que
beaucoup ajouter à la réputation juftement
méritée de fon Auteur.
On trouve chez M. Greuze , à l'adreffe
ci - devant indiquée , une autre jolie eftampe
gravée par le fieur P. C. Ingouf, & repréfentant
une petite fille avec un capucin de
carton dans fes bras . Cette eftampe , d'après
le tableau de M. Greuze , tiré du
cabinet de M. de la Live , Introducteur
des Ambaffadeurs , eft bien gravée & d'un
grand effet.
LE fieur Patour , Graveur , vient de
mettre en vente une eftampe intitulée le
doux repos , d'après un tableau de M.
Noël Hallé , & dédiée à M. le Marquis
de Villette , Maréchal des Logis & Camps
de la Cavalerie. C'eft une mère qui a les
yeux tendrement fixés fur un enfant dormant
fur fes genoux ; ce qui forme un
SEPTEMBRE 1766. 179
tableau auffi naturel qu'intéreffant , & qui ,
par le talent du Graveur , ne pourra manquer
de plaire aux amateurs d'un art dont
les progrès n'ont jamais été auffi rapides
qu'ils le font aujourd'hui . A Paris , chez
l'Auteur , rue Saint Jacques , vis- à- vis le
Collége de Louis le Grand,
COMMERCE.
RAPPORT & comparaifon des différens
poids & mefures , tant de continence que
d'étendue des pays étrangers , avec les
poids , mefures & aunages de Paris ; fuivis
d'une table des pays & villes par ordre
alphabétique : ouvrage très- bien exécuté
& très-utile à tous Marchands & Négocians.
A Paris , chez Defnos , Géographe
& Ingénieur pour les globes & fphères ,
rue Saint Jacques , à l'enfeigne du globe.
Prix une livre 4 fols.
DESSE I N.
LE fieur François , Graveur du Cabinet
du Roi , inventeur de la manière de
graver des cftampes qui imitent toutes
fortes de deffeins , & en conféquence penfionnaire
de Sa Majefté , annonce qu'il
vient de graver un très - beau croquis au
·H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
crayon noir de Parocel , repréfentant une
marche de cavalerie qui va joindre une
armée. Cette gravure n'a point été faite
au marteau & au cifelet , comme il en a
montré la manoeuvre aux autres Graveurs
dans le goût du crayon , mais de la manière
qu'il s'eft confervée fecrette pour la perfectionner.
C'est un travail qui n'eſt point
du tout méchanique , & qui fe fait comme
fi on deffinoit , & dont il ne communiquera
le fecret qu'aux Artistes de l'Académie
Royale de Peinture. Et s'il a été honoré
d'une penfion pour avoir procuré au
Public des copies de Graveurs pour leçons
de deffein , il marque du moins fa reconnoiffance
en cherchant à lui procurer des
originaux par les plus grands hommes.
Ceux qui ont vu cette gravure conviennent
qu'on ne peut imiter plus parfaitement
le deffein ; & les plus habiles Deffinateurs
fe font trompés en la comparant
avec le deffein même. Le prix de
cette eftampe eft de 40 fols.
Le même fieur François invite les Savans
à lui communiquer les Mémoires
qu'ils pourront avoir fur la vie de Defaguliers
, Profeffeur de Phyfique expérimentale
à Londres , & de Muffchenbrock , Profeffeur
de Phyfique en Hollande , & AuSEPTEMBRE
1766. 18f
teur des Effais de Phyfiques , en deux vol.
in-4°. Il attend des inftructions à cet égard
pour mettre fous preffe le fixième volume
de l'Hiftoire des Philofophes Modernes
par M. Saverien ; ce volume comprend la
claffe des Phyficiens . Il témoignera publiquement
& en particulier fa reconnoiffance
à ceux qui voudront bien lui donner
les inftructions qui font néceffaires à
l'Auteur de cette Hiftoire.
Sa demeure est toujours à la vieille
pofte , rue Saint Jacques.
AUTRES GRAVURES.
L'APPROCHE du Camp , & les Soldats
en repos , eſtampes très- bien gravées d'après
Dietricy , par C. le Vaffeur ; fe trouvent
chez l'Auteur , rue des Mathurins
vis-à- vis celle des Maçons.
>
LE Bacha en promenade promenade , d'après P.
Metay & gravée par l'Empereur ; ainfi
que le Petit Napolitain de M. Greuze
gravé par F. P. Ingout , fe vendent chez
L'Empereur , Graveur du Roi , rue & porte
Saint Jacques , au- deffus du petit Marché,
LE Public eft averti que le portrait de
M. de Voltaire & celui de M. Rouſſeau
182 MERCURE DE FRANCE .
de Genève qui fert de pendant au premier
, gravés tous les deux par M. Michel ,
d'après les deffeins qui font dans le cabinet
de M. le Marquis de Villette , font
préfentement entre les mains de M. Duret ,
Graveur , rue du Fouare , qui , pour en
procurer plus facilement l'acquifition , a
réduit le prix de ces deux portraits à 15
fols pièce , qui , auparavant fe vendoient
chacun 3 livres.
Annonce des douze Ports de France , avec
leur numéro , à quatre pour chaque fuite
qui nefe féparentpas . Prix 9 livres chaque
eftampe , & trente livres chaque fuite de
quatre eftampes.
Première fuite.
Numéro 1. Le port neuf , ou l'arfenal
de Toulon , vu de l'angle du parc d'artillerie
.
N°. 2. L'intérieur du port de Marfeille ,
vu du pavillon de l'horloge du parc.
No. 3. La madrague , ou pêche du thon ,
vue du golphe de Bandol.
Nº.
N°. 4. L'entrée du port de Marfeille ,
vue de la montagne appellée tête de mort,
SEPTEMBRE 1766. 18
(
Seconde fuite.
No. 5. Le port vieux de Toulon , vu
du côté des magafins aux vivres.
No. 6. La ville & la rade de Toulon ,
vues à mi- côte.
No. 7. Le port d'Antibes en Provence ,
vu du côté de la terre .
Nº. 8. Le port de Cette , en Languedoc
, vu du côté de la mer , derriere la
jettée.
Troisième fuite.
No. 9. Vue de la ville & du port de
Bordeaux , prife du côté des Salinieres .
No. 10. Vue de la ville & du port de
Bordeaux , prife du Château -Trompette.
No. 1. Vue de la ville & du port de
Bayonne , prife à mi - côte fur le glacis de
la citadelle.
No. 12. Vue de la ville & du port de
Bayonne , priſe de l'allée de Boufflers ,
près la porte de Moufferolle.
Suite des eftampes d'après M. Vernet ,
gravées par Lebas , Graveur du Cabinet
du Roi , rue de la Harpe , dans la portecochère
enfacede la rue Percée, à Paris ,
1766 .
Départ pour la Pêche ,
Port de mer d'Italie ,
3 liv .
3
184 MERCURE DE FRANCE.
Troisième vue d'Italie ,
Quatrième vue d'Italie ,
Quatrième vue d'Italie ,
Cinquième vue d'Italie ,
Sixième vue d'Italie ,
3 l.
1 Isf
I IS
8
'8
La Dlle Lemaire , & les Affociés de
Hiftoire Univerfelle , dont l'ouvrage eft
au jour en fix volumes , quatre de l'hiftoire
facrée & deux de l'hiftoire profane ,
demeurent rue Saint lacinte , porte Saint
Michel , maifon de M. Pichon , Préfiden:
au Parlement de Paris , & chez le fieur
Legas , rue de la Harpe à Paris.
MUSIQUE.
2
LEE
retour du printems , cantatille à
voix feule , & fymphonie , dédiée à M.
de Voltaire. Par M. Légat de Furcy
Maître de chant , Organifte de Saint Germain
le vieux , & de l'Eglife Royale de
Sainte Croix de la Bretonnerie . Prix 3 liv.
12 fols . Les parties font gravées féparément
pour la facilité de l'exécution . Les
paroles font de M. le Brun. A Paris , chez
l'Auteur , Parvis Notre - Dame , près la
porte du Cloître , & aux adreffes ordinaires.
1
SEPTEMBRE 1766. 189
Ariettes périodiques , à voix feule , avec
accompagnemens de violons , — alto baſſo ,
haut -bois & corps - de - chaffe ; avec un
fimple accompagnement de violon & baffe,
différent du premier pour la facilité de
l'exécution, gravé au - deffus & au - deffous
de la partie chantante ; dédiées à Mgr le
Duc d'Ayen ; par MM . Philidor & Trial ,
Compofiteur & Directeur de la Muſique
de S. A. S. Mgr. le Prince de Conti , nº . 13.'
Prix 3 livres. A Paris , chez M. la Chevardiere
, Marchand de Muſique du Roi ,
rue du Roule , à la croix d'or.
IL paroît une arriette nouvelle tous les
15 jours. L'abonnement eft de 48 livres
pour Paris , & de 54 livres pour la Province
, à caufe du port franc , & l'on fouf- crit à la même adreffe.
Cet ouvrage , digne des deux Affociés
qui l'ont entrepris , continue de fe débiter
avec fuccès.
ON vient de mettre en vente des trio
pour deux violons & baffe avec des corsde-
chaffe ad libitum ; par M. Bonneau.
Ils font compofés dans un genre , moitié
de chambre , moitié d'orcheftre ; le Muficien
, comme l'Amateur , y trouvera du
travail qui pourra le fatisfaire. L'Auteur
186 MERCURE DE FRANCE.
eu foin de marquer par des liaiſons ;
&c. le coup d'archet , & d'y placer les
notes de goût dont il les a cru fufceptibles
; ce qui , étant obfervé , en rendra
l'exécution plus facile , plus nette & plus
agréable. Il feroit à fouhaiter que tous
les Auteurs en fiffent de même.
Ils n'auroient pas le défagrément d'entendre
déguifer leur mufique par des
coups d'archets oppofés , ou des additions
fouvent nuifibles à l'ouvrage,
Ces trio fe vendent chez Mlle Caftagnery
, rue des Prouvaires , à Paris..
ARIETTES du combat de fentiment ,
compofées par M. Pouteau , Organiſte de
Saint Jacques de la Boucherie , & de Saint
Martin des Champs : prix , 1 liv . 4 fols. A
Paris , aux adreffes ordinaires de mufique
}
SEPTEMBRE 1766. 187
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPÉRA.
LES
Es mêmes fragmens
, dont nous avons
'parlé dans chacun des Mercures
précédens
,
ont été continués
pendant
tout le mois
d'Août. Mlle DUBOIS
a toujours
été fort
applaudie
dans le rôle de Zirphé , qu'elle
a chanté fans interruption
jufqu'au 22 du
mois , & qu'elle n'a quitté que pour laiffer
entendre une Débutante
dont nous parlerons
. Nous ne laifferons
jamais échapper
les occafions
de rendre juſtice au zèle &
à la conftante
affiduité
de fervice de tous
les fujets qui en donneront
autant de preuves
que Mlle DUBOIS , aux talens de laquelle
on doit auffi des éloges , particuliè-
<rement en cette occafion .
M. SLINGSBI , Danfeur étranger , a pare
dans les entrées de M. D'AUBERVAL , au
fecond divertiffement de l'acte turc , pendant
quatre repréfentations ; il y a fait
grand plaifir & a reçu toujours des applau
t88 MERCURE DE FRANCE.
diffemens fort vifs & fort nombreux. Ort
fur- tout remarqué fon agile légèreté ,
une grande précifion & une variété de pas
fort agréable, quoiqu'ils paruffent difficiles.
Dans le brillant de fon exécution on a
reconnu affez de fini & une grande difpofition
à contracter , en peu de temps ,
l'habitude de foumettre aux graces moëleufes
du goût françois les moyens avantageux
que la nature & l'exercice lui on
donnés.
Mlle Rofalie , jeune Chanteufe des
choeurs , a débuté dans le même acte par
le rôle de Zaïde. Une honnête affurance
lui a laiffé , dès le premier jour , la liberté
de faire entendre une jolie voix , une affez
bonne manière de chant , & en même
temps de développer fes bras fans difgrace
& fouvent à propos. Elle a de l'adreffe
dans le chant , & joint à de l'intelligence
des indications de fentiment. Elle a été
fort applaudie & toujours de plus en plus
à chacune des repréfentations où elle a
joué , ce qui paroîtra naturel quand on
faura que cette jeune Actrice réunit à des
difpofitions fi heureufes pour le talent ,
une figure agréable , une taille élégante ,
légère & fort bien deffinée pour le théâtre .
Le Vendredi , 22 Août , Mlle Beauvais ,
dont nous avions , avec autant de juftice
SEPTEMBRE 1766. 184
que de vérité, beaucoup loué la belle voix
en rendant compte de quelques Concerts
Spirituels , a tenté de chanter le rôle de
Zirphé dans l'acte de Zélindor. Il s'en faut
bien que le fort de cette dernière Débutante
ait été auffi heureux que l'autre . Une
timidité , un trouble plus confidérables encore
à la feconde repréſentation qu'à la première
, ont fi pleinement abforbé toutes fes
facultés , qu'il a paru ne lui être pas poffible
de jouir un moment des organes de la voix
& de ceux de l'oreille. On avoit eu les
plus grandes espérances fur clle pour le
grand genre , mais il ne nous refte malheureufement,
aujourd'hui, qu'à la plaindro
& à defirer que l'obſtacle , qui s'oppoſe opiniâtrement
à aucun progrès de fa part, puiffe
n'être pas toujours invincible.
Le même jour M. D'AUBERVAL repris
fes entréés avec un nouvel éclat , de nouvelles
grâces & une perfection de moëleux
& de liant dans les pas les plus comiques ,
qui lui procurèrent les plus grands applaudiffemens
qu'on puiffe recevoir au théâtre.
On doit donner les Fêtes Lyriques. Ce
Ballet eft compofé de fragmens ou de trois
entrées de différens Aureurs. La première ,
intitulée Lindor & Ifmene , est une entrée
d'un Ballet intitulé les Romans , dont on a
pris les paroles de feu M. DE BONNEVAL ,

150
MERCURE
DE FRANCE
. avec quelques
changemens
& quelques corrections
pour les remettre
en mufique
.
L'Auteur
de cette nouvelle
mufique
eft M. FRANCEUR
, Ordinaire
de la Mufique du Roi & de l'Académie
Royale
, neveu de M. FRANCEUR
, Surintendant
& Che- valier
de Saint Michel
. Nous ne donnerons
point d'extrait
de cet acte , parce qu'il
doit fe trouver
dans un de nos Journaux du temps
où a été repréſenté
le Ballet
des
Romans
. M. PILLOT
chantera
le rôle de Lindor
, jeune
Prince
, amant
d'Ifmene
. Mlle DUBOIS
celui d'Iſmene
, jeune Princeffe
, amante
de Lindor
. M. GELIN
celui
de Grand
Prêtre
des Sauvages
. Mlle FON- TENAY
le rôle de l'Amour
. La muſique
de cet acte est bien compofée
au gré des connoiffeurs
, & d'un très bon genre.
La feconde
entrée , intitulée
Anacréon
, dont la mufique
eft du célèbre
RAMEAU
, a été repréfentée
fur le théâtre
de la Cour à Fontainebleau
en 1754 , & ne l'avoit
pas encore
été fur le théâtre
de l'Opéra à Paris. L'extrait
du poëme de cette entrée doit fe trouver
dans le Mercure
du temps où il a été repréfenté
à la Cour. Ce n'eſt pas l'ouvrage
qui a été donné à Paris fous
le même
titre il y a quelques
années
, dont la mufique
étoit auffi de RAMEAU
.
Dans celui- ci M. LARRIVÉE
chantera
le
SEPTEMBRE 1766. 191
rôle d'Anaci éon , ainfi que Mlle LARRIVÉE
celui de Chloé , jeune fille élevée par les
foins d'Anacréon , avec Batlle ; M. LE
GROS chante ce dernier rôle & complettera
l'agrément avec lequel cet acte doit
être exécuté par les Acteurs. La mufique
avoit été retravaillée par le célèbre RAMEAU
; elle eſt digne de toute fa réputation
.
La troifième entrée , intitulée Erofine ;
paftorale héroïque en un acte , a été repréfentée
fur le théâtre de la Cour , à
Fontainebleau , devant Leurs Majeſtés , en
Novembre 1765. C'eft un des ouvrages
donnés à la Cour pendant ce voyage , qui
a fait le plus de plaifir , relativement au
poëme & à la mufique. Nous prions de
voir ce qui en a été dit , avec moins d'exagération
que de retenue , dans nos Mercures
de ce tems . Le poëme eſt de M. DE
MONTCRIF , de l'Académie Françoife ; la
mufique de M. BERTON , Maître de Ma- .
fique de l'Académie Royale.
Le rôle d'Erofine devoit être chanté
par Mlle ARNOULD , mais fa fanté ne
lui ayant abfolument pas permis de
l'entreprendre , il le fera par Mlle Du-
BOIS qui a donné en cette occacafion
une nouvelle marque de zele. Celui de
Zameris , amant d'Erofine , par M. LE
192 MERCURE DE FRANCE.
GROS ; Zelima , compagne d'Erofine
par Mlle DU BRIEULLE .
On conçoit bien qu'il ne nous eft pas
poffible de rendre un compte plus détaillé
de ce nouvel Opéra.
Tous ces différens actes feront remis
avec foin , dépenfe & beaucoup de goût ,
en habits & en décorations. Il y en a une
toute nouvelle pour la fin du dernier acte
qui repréfente le palais du Dieu des richeffes.
Cette décoration qui réunit la
beauté des plans , la richeffe , le goût, la
galanterie , l'accord & l'éclat , eft du ton
le plus lumineux , & mérite à tous égards
des applaudiffemens univerfels.
Nous aurons occafion de reparler & de
reprendre avec plus de détail l'exécution
de cet Opéra dans le prochain Mercure.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LES Tragédies repréfentées ſur le théâtre
françois depuis le dernier Mercure , ont
été Zaïre , de M. DE VOLTAIRE ; Edipe ,
du même ; le Cid , de CORNEILLE ; Britannicus
, de RACINE ; les Horaces , de
CORNEILLE ; Medée , de LONGEPIERRE.
Le
SEPTEMBRE 1766. 199
Le mercredi 20 Août , la premiere repréfentation
d'Artaxerces, Tragédie nouvelle
, par
, par M. LE MIERE . Cette Tragédie
a été fort bien reçue & très- applaudie ;
il y a un fecond acte d'une grande beauté ,
qui laiffoit craindre que les actes fubféquens
ne puffent fe foutenir ; mais les
Spectateurs furent agréablement furpris en
trouvant encore juſqu'à la fin de nouveaux
motifs de fatisfaction & d'applaudiffemens.
A la troifieme repréfentation , elle
a été encore plus applaudie qu'à la premiere
; on y demanda l'Auteur avec une
efpèce d'enthoufiafme & la plus longue
obftination . Nous citons cependant avec
quelque forte de peine , dans les vrais fuccès
, cette bruyante formule de fuffrages ,
trop dégénérée aujourd'hui en poliçonnerie
dans nos parterres , & à laquelle commencent
, ainfi qu'a fait M. LE MIERE , à
ne fe plus prêter les Auteurs qui cherchent
une diftinction plus folide & qui
évitent de fe compromettre.
A la première repréfentation d'Artaxerces
, le dénouemenr ne fit pas tout l'effet
qu'il a produit depuis , faute de
concert dans l'action ; ce qui a été rectifié
dès la repréſentation fuivante. Nous
ne fommes pas en état de donner de
plus grands détails actuellement fur cette
I
194 MERCURE DE FRANCE. ·
Tragédie , ayant à peine été jouée trois !
fois dans le moment où cet article eft
à l'impreffion. Nous ne pouvons néanmoins
nous refufer de publier déja ce qu'a
mérité & obtenu d'applaudiffemens le talent
de Mlle DUBOIS , qui n'avoit pas encore
paru avec autant d'honneur pour elle
& de fatisfaction pour le Public que dans
le rôle qu'elle y remplit. On n'a pu même
fe refufer à y reconnoître des traits de
maître en plufieurs endroits ; ce que l'on
ne peut attribuer à aucune imitation dans
un rôle qu'elle joue la premiere. Nous
aurons occafion de rendre aux autres prin
cipaux acteurs la juftice qu'ils méritent ,
lorfque nous donnerons l'extrait de cette
pièce ; ce que le peu de tems & le peu
d'efpace qui nous reftent nous obligent de
remettre au prochain Mercure. C'est avec
d'autant plus de regret , que nous fommes
perfuadés des nouveaux fuffrages que nos
Lecteurs accorderont à l'Auteur en prenant
une connoiffance approfondie de cet
ouvrage.
Les principales Comédies données fur
le théâtre à la fin de Juillet & dans le courant
, font les Femmes Savantes ; l'Ecoffoife
, & le Cercle , fpectacle demandé ; les
Menechmes , les Bourgeoifes à la mode , le
Tartufe , la Surprife de l'Amour , dans
SEPTEMBRE 1766. 195
laquelle Mlle PREVILLE a fait le plus
grand plaifir & a eu les plus grands applaudiffemens
; ce rôle étoit nouveau pour
cette actrice. On y avoit joint Dupuis &
Defronais. Ce fpectacle avoit été demandé
; la Gouvernante & l'Oracle , fpectacle
encore demandé ; le Légataire , le Préjugé
à la mode , les Dehors trompeurs ,
l'Avare , une repriſe de la furpriſe de l'A
mour , le Diftrait , Démocrite , le Chevalier
à la mode ; une feconde repréſentation
de Démocrite.
COMÉDIE ITALIENNE.
LES
Es repréfentations de la Clochette ,
( Comédie en un acte & en vers , mêlée
d'ariettes , par M. Anfeaume , mufique de
M. DUNI ) fe continuent encore avec une
affez grande affluence de fpectateurs . &
beaucoup d'applaudiffemens.
Tout le monde connoît le Conte qui
fait le fujet de ce petit drame. Voici à peu
près comme on l'a traité pour le tranf
porter au théâtre.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
ANALISE DE LA CLOCHETTE.
TROIS perfonnages feulement forment l'intrígue
& l'action légère de cette Comédie . Colinette
, jeune bergère , jouée par Mile LARUETTE.
Colin , berger , amant de Colinette , par M. CLAIRVAL.
Nicodeme, vieux Fermier, par M. LARUETTE.
Nicodeme eft riche ; il vient d'acquerir la ferme
du canton on n'a pas beſoin de dire que la
fcène eft près d'an village ) ; à force d'argent
il a fupplanté Colin , qui étoit en concurrence
pour le fermage. Nicodeme feroit heureux fans
l'amour , mais il aime Colinette ; elle n'a rien
il voudroit cependant l'époufer , cela la tourmente.
Le vieux Fermier & Colin fe font confidence
réciproquement de leurs fentimens pour
la jeune Bergère fans prévoir leur rivalité ; celle - ci
aime Colin , mais ils font brouillés depuis quelques
jours ; Colin n'en peut deviner la cauſe , il
en eft au déſeſpoir . Toute ridicule que paroiffe
la pourfuite de Nicodeme , elle lui fait naître
cependant quelques foupçons fur la conftance de
fa Bergère , qui , par dépit & pour piquer fon
Berger , feint un moment de ne pas rebuter les
voeux du vieux Fermier ; mais quand elle eſt
feule avec celui- ci , elle finit par lui déclarer net_
tement qu'il n'y a rien à faire.
SEPTEMBRE 176 197
Colin , perfuadé que la fortune a féduit Colinette
, veut s'expliquer avec elle , mais elle fe
refufe à cette explication . Dans les reproches
qu'ils fe font , on connoît que la Bergère a conçu
de la jaloufie d'une Lifon à laquelle elle croit que
Colin , dans la dernière fête , a fait des agaceties.
Le Berger , de fon côté , reproche vivement
à Colette la préférence qu'elle affecte pour
Nicodeme. Ils le féparent donc fans s'être entendus
& auffi brouillés qu'ils étoient auparavant ;
Colin refte perfuadé que Colinette a réſolu de ſe
donner à Nicodeme ; mais ce bon homme le diffuade
, en convenant franchement qu'il a été
pleinement éconduit : cependant il lui reste une
reffource , qu'il confie obfcurément à Colin . La
Bergère eft refponfable de tous les moutons qu'elle
garde. Colin entrevoit quel eft le ftratagême
du Fermier , il veut le punir . Colinette a élevé
un agneau qui fait fes délices ; il porte au col
une petite clochette fufpendue à un ruban que.
Colin avoit donné à la Bergère ; il ne lui eſt pas
difficile de prévoir que c'eft cet agneau que
Nicodeme a détourné afin de faire fes conditions
pour le rendre. En effet , la jeune Bergère eft
défolée de la perte de fon agneau , dont elle
craint la mort. Nicodeme affecte d'ignorer la
caufe de fa douleur & de l'apprendre d'elle - même.
Il promet d'employer tant de foins à chercher
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
f'agneau perdu , qu'il promet affirmativement de
je retrouver & de le rendre . Sur cet espoir Colinette
le fatte & lui promet de fon côté qu'à cẻ
prix elle l'aimera bien . Colin rencontré Nicodeme ;
il fait femblant de ne pas favoir ce que c'eft que
le mouton perdu : ils ſe raillent mutuellement ;
c'est un perfifflage villageois , dans lequel le Berger
a tout l'avantage. Il a trouvé l'agneau dans
la cachette où Nicodeme le recéloit ; il s'en eſt
faifi & revient muni de la clochette qu'il a déta-
Chée. Il fe tient dans un buillon . Le vieux Fermier
revient au défefpoir de n'avoir plus retrouvé l'agneau
où il l'avoit caché . Colin fait entendre la
clochette ; ce bruit trompe le bon homme , qui
croit que c'eft l'agneau perdu : en fe retirant ainfi
de buiffons en buiffons , Colin le fait courir longtemps
, jufqu'à ce qu'enfin , par ce ſon trompeur ,
il l'ait conduit dans une cabane où il l'enferme
par dehors. Cette fcène produit un petit jeu de
théâtre fort agréable.
Colinette revient fur la scène où elle fe croit
feule. Colin s'eft caché dans un bofquet & Nicodeme
eft enfermé dans la cabane . Colinette déplore
l'inutilité de ſes recherches ; elle ne compte
plus fur la promelle de Nicodeme ; elle penfe que
fon peu de fuccès l'empêche de réparcîtië' , pendant
qu'il l'appelle de dedans la cabane. La Ber-'
gère ne fait ce que cela veut dire ; le Fermier lut
SEPTEMBRE 1766. 199
crie qu'il eft en prifon , & la conjure de venir le
délivrer. Lorsqu'elle y va , Colin , toujours caché ,
fait fonner la clochette ; elle court du côté d'un
bruit fi intéreſſant ; elle fait un cri de ſurpriſe en
trouvant Colin au lieu de l'agneau. Il veut engager
la Bergère à l'écouter , mais elle ne veut rien
entendre qu'on ne lui ait rendu ſon cher agneau.
Le Berger le lui promet . Elle s'affied fur le gaſon
en lui tournant le dos , mais elle l'écoute , & il la
conjure fi tendrement de croire les proteftations
de fa conftance & de fa fidélité , que la Bergère
commence à entrer en explication ſur Lifon. Le
Berger fe juftifie facilement . Cette Lifon & Lucas,
prêts d'être mariés , avoient eu querelle ; tout le
Village l'avoit preffé de les réconcilier , c'eſt ce
qui avoit donné lieu à fa converſation avec cette
Bergère & aux foupçons de Colinette. Elle en croit
fon Berger ; fa colère eft défarmée .
Pendant cette fcène , intérellante pour les deux
amans , le pauvre Nicodeme , toujours enfermé ,
fe croyant abandonné de tout le monde , avoit
pris le parti de fauter plutôt par la fenêtre que de
refter dans cette retraite . Il defcend comme il
peut par deffus le toît , & il approche lorsque le
Berger & la Bergère , enchantés l'un de l'autre ,
fe renouvellent les plus vives affurances de leur
tendreffe. Il arrive aflez tôt près du bofquet pour
être témoin d'un baifer furpris par Colin à Coli-
I iv
200
1
MERCURE DE FRANCE.
nette , & pardonné avec plaifir par celle - ci . Ils
apperçoivent Nicodeme , qui leur dit qu'il eſt affez
inftruit de leurs fentimens pour s'appercevoir qu'il
ne manque plus à leur affaire que le Tabellion ;
ils en conviennent , & lui fe confole par l'idée
du dédommagement qu'il trouvera dans le produit
de la ferme .
Cette Pièce eft terminée par un vaudeville
dont nous tranſcrirons le dernier couplet adreſſé
au Parterre.
<< Meffieurs , cette Pièce nouvelle
» N'eft en foi qu'une bagatelle ;
» C'eſt à vous d'y mettre le prix .
Daignez en cette circonftance >>
» Nous prouver par votre indulgence
» Que vous nous traitez en amis ;
» Et chaque jour quand la clochette
» En ces lieux fait drelin , drelin , drelin 3
>> Accourez dans cette retraite ,
» Et n'en fortez qu'avec deffein
» D'y revenir le lendemain.
Telle eft le précis de ce petit ouvrage ,
fur lequel nous répéterons ce que nous
avons déja dit dans le précédent Mercure,
Le petit nombre de perfonnages , la fimplicité
de l'intrigue & des caractères , les
petits jeux de théâtre , tels que dans celui-ci
SEPTEMBRE 1766. 201
& dans la Pièce des Chaffeurs , nous paroîtront
toujours plus convenables à ce
genre de théâtre & plus propres à faire
fupporter le mêlange , peu naturel & trèsirrégulier
dans les drames , de l'arriette
avec le dialogue parlé . Nous devons ajouter
que dans cette Pièce la mufique vocale
offre des chants fort agréables & qui
n'ont point le ridicule mérite de mettre
la langue & fa profodie à la torture fous
les efforts de la mufique foi -diſant ſavamment
& richement travaillée.
CONCERT SPIRITUEL
LE Concert du 15 Aofit , fête de l'Aſſomption
, a commencé par Lauda Jerufalem, nouveau
Motet à grand choeur de M. l'Abbé d'HAUDIMONT,,
Maître de Mufique de l'Eglife des SS. Innocens .
Certe nouvelle production d'un Auteur en poffef
fion de plaire au public a été reçue avec plaifir.
M. BALBASTRE en a fait un vif dans le Concerto
d'orgue de fa compofition qu'il a enfuite
exécuté , & dont nous avons récemment parlé
avec les éloges qu'il mérite .
Après ce Concerto Mile THIBAUT , de la Mufique
de feu S. M. le Roi de Pologne , Duc de
Lorraine & de Bar , a débuté par Conferva me , &c.
Motet à voix feule de LEFEBVRE. On lui a trouvé
la voix étendue & d'une qualité agréable , deg.
I v
201 MERCURE DE FRANCE
cadences heureuſes & un chant d'aſſez bonne manière
: elle a été très -vivement applaudie.
M. FRITZERI , privé de la vue dès la naiſſance ,
a exécuté un Concerto de violon de la compofi →
tion de M. GAVINIES. Cet Artiſte a été accueilli
de la façon la plus flatteuſe , & méritoit de l'être.
ainfi , en écartant même ce que la fituation a
d'inconcevable par rapport à ſes talens .
Mlle PRIEUR a auffi débuté dans ce Concert par
un Motet à voix feule de LEFEVRE , Quam bonus
Ifrael , &c. Elle a de la voix , des cadences &
allez de méthode : la qualité de fon organe n'eſt
peut-être pas auffi Aatteute qu'il feroit a fouhaiter :
peut-être auffi a t- elle été altérée par l'émotion
inféparable de tout débur. Quoi qu'il en foit , lė
Public a été bien aife de l'entendre , & le lui a
marqué de manière à l'encourager beaucoup .
Le Concert a été terminé par Diligam te Domine
, nouveau Motet à grand choeur de M. G1-
BERT. C'eft fon premier ouvrage connu dans ce
genre , & il lui fait honneur. On a généralement
rendu à M. GIBERT toute la juftice qui lui eft dûe ;
fon Motet annonce' un Artiſte formé par l'étude
des maîtres de l'art . On auroit defiré que les
chants des récits , fans rien perdre du pathétique
euffent été d'un genre plus analogue au goût du
grand nombre des auditeurs , qui préférent aux
efforts de l'art une mélodie heureufe & fimple
dans fa
parure.
Ce Concert , où Mlle FEL & M. RICHER le font
encore fingulièrement diftingnés , a été fort nombreux
& très - brillant . On a fu gré aux Directeurs
de leurs foins à y raffembler autant de nouveautés ,
& de la manière fatisfaifante dont elles étoient
diftribuées , ce qui a concouru à le rendre agréable
& piquant.

SEPTEMBRE 1766 203
ARTICLE V I.
NOUVELLES POLITIQUES.
LE
DE Paris.
E Roi a bien voulu , pour le foulagement
de fes peuples , fufpendre , pendant plufieurs
années , la levée des Milices ; mais , jugeant
qu'un plus long délai pourroit être nuifible à un
établiffement auffi utile à la fûreté qu'à la gloire
de fes Etats , Sa Majesté s'eft fait repréfenter les
différens moyens qui peuvent faciliter la levée de
ces Milices , en les rendant moins onéreufes aux
Provinces ; & , après les avoir examinés , elle a
réfolu de faire connoître fes intentions fur la manière
dont lefdites Milices feront levées & entretenues
à l'avenir ; & , en conféquence , Elle a
rerdu une Ordonnance , datée du 27 Novembre
dernier , & contenant cinquante deux articles
dont voici l'extrait :
·

Par le premier article , les cinq bataillons de
Milice des Provinces & Généralités du Royaume ,
y compris les quatre des Duchés de Lorraine & de
Bar , & celui de la Ville de Paris ,
feront compofés
de fept cents dix hommes chacun , pour former
un Corps de foixante-quatorze mille cinq
cents cinquante hommes . Le fecond article & les
fuivans , jufqu'au douzième inclufivement , déterminent
la compoſition des bataillons & des com-
I vj
204 MERCURE DE FRANCE .
pagnies , leurs noms , leur rang & leur uni
forme , les appointemens & la folde. Suivant les
autres articles , il ne fera levé chaque année qu'un
quart des hommes néceflaires pour compléter
les bataillons de Milice. Le premier quart fera
levé dans le courant des mois de Février & Mars
prochain. Les garçons , ou hommes veufs fans
enfans , demeurant actuellement dans les villes &
villages dépendans des Provinces & Généralités ,
de l'âge de dix -huit ans & au- deffus jufqu'à quarante
, de la taille de cinq pieds au moins fans
chauflure , & de force convenable à fervir , tireront
au fort ; & , au défaut de garçons , les jeunes
gens mariés , de l'âge de vingt ans & au - deffous ,
& de préférence ceux qui n'auront point d'enfans ,
feront affujettis à tirer au fort. Aucun paflager &
vagabond ne pourra être admis dans les bataillons
de Milice , & aucun ne pourra ſubſtituer un autre
homme à fa place. La même Ordonnance contient
les précautions à prendre contre les engagemens
fimulés , défend de donner retraite à aucun
garçon fujet à la Milice , d'établir aucune contribution
ou cotilation en faveur des Miliciens , &
d'enrôler les hommes affujettis à tirer. La manière
de tirer au fort , de divifer & d'examiner les hommes
fujets à la Milice , avant de procéder au
zirage , eft indiquée dans les vingt-deuxième &
vingt-troifième articles . Le vingt -quatrième , qui
contient près de dix pages , défigne ceux que.
Sa Majesté exempte de tirer à la Milice & ceux
qui y feront alujettis . Le temps du fervice des
Miliciens eft fixé à fix années : on fera des recherches
fur les Miliciens qui paroîtront fans congé
dans leurs Paroiffes pendant le temps de leur fervice.
Le reste de l'Ordonnance concerne l'affemblée
des bataillons , l'examen des Miliciens en
SEPTEMBRE 1766. 203
Etat de fervir , la livraifon de l'habillement , équipement
& armement , l'affemblée des Régimens
des Grenadiers Royaux , les appointemens & folde
au quartier d'affemblée des bataillons , les gratifications
pour le départ , le décompte du linge &
chauffure pendant la route , à l'arrivée des bataillons
dans les Places , les appointemens & folde
des Régimens des Grenadiers Royaux au quartier
d'affemblée , le remplacement des Grenadiers qui
viendront à manquer , le rappel des Officiers des
bataillons de Milice dans les revues des Régimens
de Grenadiers Royaux , le renvoi des Miliciens
infirmes , le choix des Officiers , leur traitement ,
les défenfes faites aux Miliciens de s'engager dans
les troupes & aux Officiers de les recevoir , le
nombre des congés accordés aux Miliciens pendant
l'hiver , les revues des Commiffaires des
Guerres , l'admiffion des Miliciens aux Invalides,
leurs priviléges & exemptions , &c. Par le dernier
article , Sa Majefté entend que les Miliciens aient
la liberté d'aller travailler où bon leur femblera
pendant la paix , & que les Communautés qui
pourront leur fournir de l'occupation les emploient
de préférence à tous autres.
LOTERIES.
Le foixante- deuxième tirage de la Loterie de
T'Hôtel de Ville s'eft fait le 25 Février , en la
manière accoutumée . Le lot de cinquante mille
Livres eft échu au numéro 89698 ; celui de vingt
mille livres au numérɔ 83294 , & les deux de dix
mille livres aux numéros 81551 & 91881 .
Le tirage de la Loterie de l'Ecole Royale Militaire
s'eft fait les Mars . Les numéros fortis de la
roue de fortune font , 79 , 63 , 86 , 83 , 55 .
206 MERCURE DE FRANCE. ¬
MORTS.
Charles de Rokan , Prince de Montauban ,
Comte de Rochefort , Gouverneur des Villes &
Citadelle de Nifines & de Saint- Hippolite , Lieutenant-
Général des Armées du Roi , eft mort à
Paris le 25 Février , âgé de foixante - douze ans.
François , des Comtes de Bafchi , Comte de
Cayla , Lieutenant- Général des Armées du Roi ,
Gouverneur de Saint Omer en Artois , & ci devant
Infpecteur général de Cavalerie & de Dragons
, & Colonel du Régiment de la Reine , eft
mort à Montpellier le 27 Février , dans la foixantedix
- huitième année de fon âge.
Charles - Adrien , Comte de Ligny , Meftre de
Camp de Cavalerie , eft mort le 19 Février , âgé
de cinquante & un ans.
Henry Jantfen , Chevalier , Baron de la Grande-
Bretagne , & ancien Capitaine aux Gardes Angloifes
, elt mort à Paris le 20 Février , âgé de foixante-
cinq ans.
Jean Hellot , de l'Académie Royale des Sciences
, & de la Société Royale de Londres ,
eft mort
à Paris le 15 Février , âgé de quatre- vingt ans . Il
avoit été chargé de la compofition de la Gazette
de France depuis 1718 jufqu'en 1732 .
Louife-Thérefe de Menou , veuve de Henry-
François de Lambert , Lieutenant - Général des
Armées du Roi , & Gouverneur d'Auxerre , eſt
morte le 28 Février , dans la cinquante deuxième
année de fon âge.
Marie Françoile de Montagny , épouſe de
Christophe- Léonar , Comte de Mornay , Brigadier
des Armées du Roi , eft morte le 2 Février
au Château de Montchevreuil.
SEPTEMBRE 1766. 207
SERVICE S.
Le fieur Dezanglis , Brigadier des Armées du
Roi , ancien Ecuyer de main de Sa Majeſté , a¸
fait célébrer un Service pour Mgr le Dauphin dans
l'églife des Récollets de Sezanne en Brie .
vau ,
Les fieurs Thomaflin , Gentilshommes de Bourgogne
, au nombre de cing frères , dont trois font
Gardes du Corps du Roi , Compagnie de Beau-
& les deux autres anciens Officiers de Cavalerie
, ont fait célébrer auffi , conjointement avec
la Demoiſelle Thomaffin , leur four , un Service
folemnel pour le même objet dans l'églife paroiffiale
d'Arc en Barois , & ont fait diftribuer du pain
& du vin à cent pauvres qui avoient afliſté à cette
cérémonie.
L'Evêque de Bazas a fondé à perpétuité , dans
fon Eglife Cathédrale , un Service annuel pour feu
Monfeigneur le Dauphin.
3
François Julien , Vicomte de Blois , Chevalier
Seigneur de Calande , Chevalier de l'Ordre
Royal & Militaire de Saint Louis , Capitaine des
Vailleaux de Sa Majefté au département de Breft ,
y eft mort fubitement , dans la quarante - huitième
année de fon âge . Il étoit fils de jean Timothée ,
Comte de Blois , mort de fes bleffures fur le dernier
Vailleau qu'ait commandé le célèbre du Guaytrouin
, & frère Pûiné de N.... Comte de Blois ,
auffi mort fur mer au commencement de la dernière
guerre. Le Vicomte de Blois , illu d'une
ancienne mailon originaire de Champagne étoit
entré au ſervice dès l'âge de douze ans , & s'étoit
diftingué dans plufieurs occafions. Il avoit Epoufé
en 1760 Demoiselle Thérèle Françoiſe - Agathe,
de Boisbilly , unique fille de feu Laurent - Fran208
MERCURE DE FRANCE.
çois Chevalier Seigneur de Boisbilly , Préfident à
la Chambre des Comptes de Bretagne , mort a
Nantes , en 1753 , généralement regretté pour la
fapériorité de les talens , de fes vertus & l'aménité
de les moeurs.
AVIS DIVER S.
AVEC privilége du Roi , & permiffion de
M. le Lieutenant - Général de Police de
Paris ,figné FEYDEAU.
Le
E fieur Benoift , connu des grands du Royaume;
pour faire l'Elixir de Garrus dans toute fa
pureté , continue depuis la mort de la veuve Garrus
à le faire à la fatisfaction de la Cour & du
public , & notamment de la Reine , dont Sa Majefté
fait ufage.
M. Senac , Confeiller d'Etat , premier Médecin
du Roi , voulant que le public jouiffe des avantages
d'un fi parfait Elixir , a engagé le fieur Benoit à
donner au public , rendu à Rouen , frais de Caiffe ,
d'Emballage & de Voiture , à huit livres , ce que
la veuve Garrus vendoit douze livres , & à quatre
livres ce qu'elle vendoit fix livres.
Les bouteilles feront cachetées .
Le Bureau établi en la Ville de Rouen pour la
diftribution dudit Elixir , eft chez M. Leroi ,
Marchand Vinaigrier , fur le port.
Le Public eft averti qu'il y a plufieurs particuliers
à Rouen qui contrefont ledit Elixir , &
trompent le public.
SEPTEMBRE 1766 209
Le fieur Benoit , Officier de la Reine , a fon
laboratoire hors la Barrière de Grenelle , fauxbourg
Saint Germain , en fa maiſon , proche les
Invalides .
Le Mémoire de la proprieté dudit Elixir & la
manière de s'en fervir font ci - après , avec permiffion
de Monfieur le Lieutenant de Police. L'Elixir
de Garrus , trouvé a la fucceffion du fieur Benoist ,
fe vend chez la veuve Hommet , fa nièce , rue du
Sépulchre , fauxbourg Saint Germain , près la
Croix rouge.
Propriétés de cet Elixir.
Quoique l'on ait déja annoncé dans différens
Journaux les vertus , proprietés & effets de cet
Elixir , on fe croit encore obligé de les détailler
ici , & d'expliquer en peu de mots que fes principales
actions confiftent à fortifier la nature , conferver
la fanté , la maintenir & la rétablir.
On s'en fert avec fuccès dans toutes les maladies
contagieufes , particulierement dans les fiévres
malignes , la petite vérole , la rougeole ,
bubons peftilentieux , & diffenteries.
Il guérir toutes fortes de coliques , tous maux
d'eftomac , l'afthme , & appaife les vomiflemens .
C'eſt un des meilleurs balzamiques , des plus
fürs cordiaux , & le ftomachique le plus efficace
qu'on ait encore trouvé pour toutes les maladies
qui attaquent le genre nerveux , comme léthargie,
apoplexie , paralyfie , & fixe tous les mouvemens
irréguliers , foit tremblans , palpitans , concuffifs ,
ou convullifs .
Cet Elixir , à proprement parler , eſt un remede
univerfel , puifqu'il fortifie la nature, purifie
le fang, fait faire une parfaite digeftion , détruit la
haleur contre nature, rétablit la chaleur naturelles
ro MERCURE DE FRANCE.
& fa principale opération eft d'aider la nature , &
de lui donner la force d'évacuer fans violence.
C'est un spécifique affûré pour toutes les indigeftions
, les foibleſſes d'eftomac & pour toutes les
maladies qui attaquent le cerveau.
Cet Elixir eft encore un remede fouverain dans
les fuppreflions aux femmes en couches , & aux
fuppreffions du flux menftruel , d'où dérivent tant
de fâcheux accidens . Et pour la fuppreffion des
régles , il en faut prendre tous les matins une
cuillerée avec une cuillerée d'eau , à jeûn , pendant
un mois ; deux heures après un, bouillon.
Manière de fe fervir de cet Elixir.
La dofe de ce remede eft d'une cuillerée à bouche
avec autant d'eau mêlée enſemble ; & l'ọn
peut l'augmenter & diminuer , felon l'âge & le
temperament des perſonnes ; & la manière de s'en
fervir eft différente , ſuivant l'état de la maladie.
Dans les fiévres malignes & diffenteries , on en
prendra de fix heures en fix heures , & dans l'intervalle
un bouillon. Si les quatre premières prifes
ne guérillent point la fivre & les accidens qui
l'accompagnent , on continuera la même doſe ;
fi la fiévre eft diminuée , on en prendra deux fois
par jour feulement.
Dans les fiévres tierces & quartes , il le faut
prendre au commencement du frillon , & pur.
Dans la petite vérole , jufqu'à ce que l'éruption
foit entièrement faite , il en faut prendre de ûx
heures en fix heures , & dans l'intervalle un bouik
len ; cependant quoiqu'elle foit bien fortie , &
que tous les accidens foient diminués , on ne laiffera
pas d'en prendre une prife par jour pendant
les quatre ou cinq jours fuivans . Comme il arrive
SEPTEMBRE 1766. 217
quelquefois , & trop fouvent , que ce qui avoit
paru au-1-dehors rentre , il faut en cette occafion
prendre l'Elixir pur de quatre heures en quatre
heures .
Dans les vomiffemens , on doit s'en fervir au!
tant de fois que le vomitlement reprendra , juſqu'à
ce qu'il cetle .
Dans la douleur des coliques , il en faut prendre
de deux heures en deux heures , jufqu'à ce qu'elle
foit entièrement paflée ; & fi la douleur eft violente
, il le faut prendre pur.
Lorfque l'on eft fujet aux indigeftions , maux
& foiblelles d'eftomac & l'afthme , il eft effentiel
de prendre de l'Elixir , foit avant foit après le
repas , c'eſt - à - dire en quelqu'état que l'on fe
trouve , & à l'heure de la journée qu'on le juge à
propos.
A l'égard des maladies qui attaquent le cerveau ,
comme apoplexie , & c. on le prendra pur d'heure
en heure , jufqu'à ce que l'on foit foulagé ; après
quoi on continuera de quatre heures en quatre
heures , ou de fix heures en fix heures : en un mot,
il faut doubler ou diminuer fuivant que le mal eft
preflant , ou qu'il diminue ou celle .
Il arrête la gangrene , qui arrive très-fouvent
à la fin des fièvres malignes , & eft efficace contre
toutes fortes d'ulceres , bledures & contufions ; il
faut en ces occafions en baffiner les parties affligées
deux fois par jour , & en prendre à l'ordinaire
par la bou.he.
Il eft exempt de corruption , & il ne diminue.
jamais rien de la vertu , en quelque temps qu'on
le garde.
Après la mort du fieur Garrus , M. le Maréchal
de Villars fit donner par la veuve au Roi le fecret
de cet Elixir & Sa Majeſté , en .confidération des 3
212 MERCURE DE FRANCE.
effets merveilleux & extraordinaires qu'il fait , lal
a promis qu'il ne feroit pas mis au jour pendant
qu'elle vivroit , & lui a donné par brévet du 21
Mai 1723 , une penfion de 200 livres , avec permiflion
de le vendre & débiter.
Cet Elixir eft une liqueur des plus agréables à
prendre : on ne citera pas toutes les perfonnes à
qui ce remede a confervé & même fauvé la vie ;
on fe contentera feulement de dire que les Rois ,
les Princes & les perfonnes de qual é & autres en
font ufage ; ce remede eft le principal de tous ceux
qui peuvent le plus contribuer à la confervation de
Ia fanté.
Le prix de la bouteille contenant demi - feptier eft
de douze livres , & la demie bouteille de fix livres.
Pomade fouveraine pour la guérifon radicale des
hémorrhoides.
MARIN , Valet de chambre de Madame
d'Argenlieu , donne avis qu'il poffède le fecret immanquable
de compofer une Pomade fouveraine
pour la guérifon radicale de ceux qui font incommodés
des Hémorrhoides. L'expérience qu'il
a déja faite , lui fait eſpérer que le public lui accordera
fa confiance , fondée fur le nombre des
certificats qu'il a des perfonnes qu'il a traitées.
On s'adreffera au Suiffe de l'Hôtel , rue Sainte
Anne , la troifiéme porte à droite , en entrant
par la rue des Petits-Champs , près les nouvelles
Catholiques.
Avis à Meffieurs les Gens de Lettres .
COMME il y a encore plufieurs Auteurs qui
n'ont point envoyé leur article à la veuve Du
EPTEMBRE 1766. 213
,
chefne , pour être inféré dans la France Littéraire
on différera l'impreflion de cet ouvrage
jufqu'au premier Octobre. On prie Meffieurs les
Gens de Lettres de vouloir bien ne pas différer
d'envoyer la lifte de leurs ouvrages .
>
LE fieur CAILLOT , ancien Chirurgien - Valet-de-
Chambre de feu M. le Riche de la Pouplinière ,
Fermier Général , débite depuis dix - huit ans
avec le plus grand fuccès une teinture balfamique
, pour les coupures , coups à la tête , les
plaíes fimples & récentes , pour les brûlures récentes
, pour les piquures des mouches à miel ,
des guêpes , des coufins , pour les douleurs de
rhumatifme , pour les entorfes , pour les efforts
dans les poignets & autres parties du corps , &
pour les maux de tête ; & le beaume qu'on appelle
d'Arabie , pour les coups de feux , pour
les vieux ulcères , pour les brûlures anciennes ,
pour les panaris.
&
I Il y a des bouteilles à 3 livres , à 1 liv . 4 fols ,
& à 12 fols. Son adreſſe eft , rue Montmartre ,
à la pointe Saint Euftache , chez la Marchande
Lingère , à la Picarde , vis - à- vis les boucheries
, au troisième fur le devant .
A Monfieur DE LA PLACE , auteur du Mercure.
Il y a , Monfieur , une faute d'impreſſion L
dans votre Mercure , fecond volume de Juillet
1766 , page 38 , ligne fept. C'eſt le davec
apostrophe au devant de mon nom je vous
fupplie , Monfieur , de m'en fauver le ridicule.
en faifant inférer ce billet dans le premier Mer
cure.
214 MERCURE DE FRANCE.
Moins j'ai de droit au de , plus ma grati
tude fera vive pour cette grâce ; daignez , Monfieur
, recevoir d'avance l'hommage de ce fentiment
, & celui de la confidération très - diftinguée
avec laquelle je fuis , &c.
Hirfingen , proche Altkirch en
·haute Alface , ce 2 Août 1766.
HELL , Bailly du Comté de Montjoye & du
Département du haut Bailliage de Landze.
AP PROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Vice-
Chancelier , le Mercure du mois Septembre 1766 ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion . A Paris , ce 27 Septembre 1766 .
GUIROY..
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIE R.
I
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PRose.
ISION morale. VISION
A Madame de ***
MADRIGAL.
VERS d'un Etudiant en Droit.
L'AMANT Malheureux , Ode.
VERS fur un portrait de M. de Ch....
Pages
12
13
Ibid.
14
18
SEPTEMBRE 1766. 215
CHANSON fur l'air : Le penchant a fixé mon
choix.
VERS adreflés à Mde de P ***,
RÉPONSE par Mde de P ***,
VERS a Mademoiſelle...

Ibid.
VERS qui ont été gravés au - deffus d'une
fontaine.
ADELAÏDE , OU Mémoires d'une jeune Sauvage.
19
20
Ibid.
21
VERS fur le portrait de Mde la Comteffe de
F .....
A M. l'Abbé de B...
ODE anacreontique à Mlle ***
A M. de Colonia , Avocat Général au Parlement
de Provence .
22
35
36
37
38
FABLES nouvelles . La Fortune & le Bonheur. 39
LA Rofe , le Papillon & le Moineau.
ÉNIGMES .
LA Sauterelle & le Guépier.
LOGOGRYPHES.
1
LES EFFETS de la fidélité . Ariette.
ARTICLE II . NOUVELLES LITTÉRAIRES .
EXTRAIT du tome quatorzième de l'Hiſtoire
Naturelle.
HISTOIRE des Révolutions de l'Empire Romain.
MÉMOIRE lus à l'affemblée des Etats de
Bourgogne par M. l'Abbé Martenot , Chanoine
d'Avallon .
ANNONCES de Livres .
LETTRE à M. de la Place.
4.0
4I
43
44
46
68
107
109
119
ARTICLE III . SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADÉMIE S.
PRIX d'Eloquence pour l'année 1767 .
LETTRE à M. Dupui , de l'Académie Royale
120
216 MERCURE DE FRANCE.
des Infcriptions & Belles - Lettres , & c. 121
EXTRAIT d'un Mémoire lu à l'Académie des Scien
ces au mois d'Août 1765 .
SEANCE publique ' de la Société Littéraire de
Châlons fur Marne .
SEANCE publique de l'Académie de la Rochelle.
ARTICLE IV. BEAUX ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE . Lettre du Frère Cofme à M. Mertrud
, Chirurgien - Démonftrateur.
139
144
149
ARTS AGRÉABLES.
GRAVURE.
MUSIQUE .
ARTICLE V. SPETACLES
OPÉRA.
COMÉDIE Françoife.
COMÉDIE Italienne .
CONCERT Spirituel.
168
174
184
187
195
201
ARTICLE VI . NOUVELLES Politiques. 203
AVIS divers.
208
De l'Imprimerie de LOUIS CELLOT , rue Dauphine .
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le