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1765, 10, vol. 1-2, 11-12
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32.10 Mo
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Texte
MERCURE
DE FRANCE,
DÉDIÉ AURO I.
OCTOBRE 1765.
PREMIER VOLUME.
Diverfité , c'est ma devije. La Fontaine.
Cochin
Silve
ReillySculp 1276
Chez
A PARIS,
-CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis-à- vis la Comédie Françoife.
PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques .
CELLOT , Imprimeur rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
335229
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1905
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eſt chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Saime
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer ,
francs de port , les paquets & lettres ,
pour remettre , quant à la partie littéraire ,
àM. DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols ;
mais l'on ne payera d'avance , en s'ahonnant
, que 24 livres pour feize volumes,
à raison de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles
on enverra le Mercure par la Pofte ,
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recêvront
francs de port.
Celles qui auront d'autres voies que
la Pofte pour le faire venir , & qui prendront
les frais du port fur leur compte ,
ne payeront comme à Paris , qu'à raison
de 30 fols par volume , c'est - à- dire , 24 liv.
d'avance , en s'abonnant pour feize volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
A ij
trangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci-deffus.
-On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la Pofte , en payant le droit
leurs ordres , afin que le paiement enfoit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoient des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pieces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M. DE
LA PLACE , fe trouve auffi au Bureau du
Mercure . Cette collection eft compofée de
cent huit volumes. On en a fait une
Table générale , par laquelle ce Recueil
eft terminé ; les Journaux ne fourniſſant
plus un affez grand nombre de pieces pour
le continuer. Cette Table fe vend féparément
au même Bureau,
MERCURE
DE FRANCE.
OCTOBRE 1765.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
SUITE DES RÉFLEXIONS SUR LA
LITTÉRATURE , DE M. B ***.
CHAPITRE IV.
De l'orgueil dans les lettres.
POURQUOI OURQUOI me blâmeroit-on de me
Jouer ( difoit l'Orateur Latin ) s'il n'y a
rien dans l'univers d'auffi digne de mes
louanges ? Qu'à cet égard, fur - tout , Cicé
A iij
1
1
6 MERCURE DE FRANCE.
Ton , eft au-deffous du Prince des Orateurs
Grecs !
Démosthène avoit à repouffer les injures
d'un jaloux & cruel concurrent , ce qu'il
avoit à dire de lui - même étoit un des
moyens de fa défenfe ; avec quelle modeftie
cependant ne s'alarme-t-il pas de la
néceffité de parler de lui ? Il n'eft que trop
naturel aux hommes ( dit- il ) d'écouter
avec plaifir le mal qu'on dit d'autrui , &
avec indignation tout éloge perfonnel.
Mon adverfaire s'eft enyvré des charmes
de la fatyre qu'il vient de faire de moi
il me réduit encore au danger de me louer;
mais puifque c'eft lui qui m'en impofe la
dure loi , j'espère , ô Athéniens ! que vous
ne m'accuferez pas de vaine gloire s'il
m'échappe dans ma juftification des traits
qui , malgré moi , peuvent tourner à mon
honneur.
Il fentoit avec raifon qu'une fage mo- -
deftie donne un nouveau relief aux plus
grands talens, qu'elle en augmente la gloire,
qu'elle produit le magique effet des ombres
qui dans la peinture relèvent , arrondiſſent
chaque figure & rendent les couleurs plus
belles & plus douces , quoiqu'elles femblent
en vouloir diminuer l'éclat.
L'eftime fupérieure de foi-même , qu'on
pardonne à peine aux Poëtes , & qui conOCTOBRE
1765.
ferve quelque chofe de ridicule , même
chez Horace & Pindare , ne peut que bleffer
la fociété ; n'eft - il pas toujours moins.
fage de chercher à fubjuguer les hommes
qu 'à les perfuader , qu'à les entraîner avec
art ? Et ne s'expofe- t on pas à perdre les
avantages de la raifon , en l'annonçant trop
orgueilleuſement ?
A ce ton fuperbe & fatiguant que dans
tout les temps on a vu prendre à quelques
Ecrivains , peut-on méconnoître & la vive
confiance qu'ils avoient en leurs talens , &
le profond mépris qu'ils faifoient de leurs
lecteurs ? Quel obftacle plus grand peut-on
apporter foi-même à fes fuccès ? L'égoïfme
révolte toujours. Tel eft l'efprit humain
quelque avide qu'il paroiffe de lumières ) ,
qu'il voudroit les rejerter dès qu'on les luž
préfente avec trop de fafte & de fupériorité.
Chaque moi ( dit Pafcal ) eft l'ennemi
& voudroit être le tyran de tous les autres.
Caton l'Ancien fe louoir éternellement &
diſoit , en parlant des Romains de fon
temps , ils font excufables , ils ne font pas
des Catons. Qui croiroit qu'on peut aller
au- delà de cet orgueil ! c'eft pourtant ce
qu'ont fait quelques Ecrivains préfomptueux
; il falloit penfer comme eux ou
leur paroître méprifable. Point d'excufe
A iv
8. MERCURE DE FRANCE.
pour la plus légère réfiftance, ils fe croyoient
faits pour donner impérieufement le ton
à leur fiécle .
Cette haute eftime de foi - même , fi fort
reprochée jadis aux Poëtes , n'étoit guère
plus leur partage que celui des Philofophes
que Tertulien appelloit des animaux de
Superbe & d'orgueil. Ce Cardan , que la
Motte- le- Vayer trouve plus fenfé qu'élégant
, eur la bonne foi ridicule de conve
nir que les perfections de fa propre intelligence
la lui faifoient voir placée entre
les fubftances humaines & la nature divine.
Quelle pitié de voir Gallien fe comparer
à l'Empereur Trajan ! Paracelfe s'attribuer
la monarchie de la médecine &
foutenir platement qu'un de fes cheveux
eft phis favant que les Univerfités les plus
fameufes !
Eh , comment n'eft- on pas plus modefte
avec un auffi grand befoin de l'être ? La
modeftie fert fi utilement à protéger le
mérite attaqué ! Elle affocie tout le monde
à fa défenſe par l'intérêt infinuant & doux
qu'elle fait paffer dans l'efprit même des
indifférens. Elle peut être un art quelquefois
, mais c'est celui qui peut fe flatter
d'obtenir plus facilement grace aux yeux
de tous les lecteurs.
OCTOBRE 1765.
Les imprudens & faux confeils de l'orgueil
ne font pas toujours fuivis des fuccès
qu'on femble en attendre. Que ſert à Ménage
, qui difoit que non - feulement il eſt
permis aux Poëtes , mais qu'il leur fied
bien de fe louer , que lui fert ( dis -je )
l'étalage qu'il a fait de tous les vers que
lui ont adreffé les gens médiocres de fon
temps ? En eft- il aujourd'hui moins jugé
un des plus minces verfificateurs du beau
fiécle de la France ? Les orgueilleufes préfaces
des Pradons & de tant d'autres en
impofent-elles à leurs lecteurs ?
L'orgueil , il faut en convenir , n'eſt
pas toujours exclufif du talent , mais il le
dépare , il le rend quelquefois défagréable..
D'ailleurs , on peut plus que foupçonner
que le mérite qu'il accompagne cherche
par fon fecours à dérober quelques- uns de
fes défauts à nos yeux. C'est une espèce de
proteſtation contre la découverte qu'on
pourroit en faire ; c'eft fouvent le vain
bruit que fait un faux brave pour en impofer.
Nous fentons toujours notre impuiffance
de tant de côtés ( dit M. de la Motteque
fi nous étions raifor nables , nous ferions :
encore modeftes au milieu des plus grands
fuccès.
Le vrai génie , le talent fupérieur , s'an-
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
noncent avec modeftie , avec fimplicité ,
parce qu'ils font tranquilles fur l'opinion
que le temps fera prendre d'eux.
Quanto orgogliofi più , tanto più vili.
Conquinto di Granata , canto. 20 .
CHAPITRE V.
De l'amour du gain dans les lettres.
C'EST ' EST une des inconféquences humaines.
qu'un trop grand attachement aux fuper-
Auités de la terre , lorfqu'on s'enorgueillit
de lever les yeux vers les chofes les plus
élevées . Si l'avarice dégrade tous les hommes
, elle avilit encore plus ceux qui font
profeffion de penſer.
Qu'Hérodote , au rapport de Dion Chrifoftome
, aille trouver les Corinthiens pour
exiger des récompenfes de ce qu'il avoit
écrit fur eux ; que fur leur refus d'acheter
la vérité à prix d'argent , l'historien change
ce qu'il avoit dit du combat de Salamine,
& qu'il deshonore leur Général Adimanthus
en le faifant fuir dès le commencement
de la bataille : c'eft le peuple de Corinthe
qui penfe en philofophe , c'eft Hérodote
qui agit en homme du peuple.
OCTOBRE 1765 . It
On eft malheureufement forcé de convenir
que la négligence d'un homme de
lettres pour fes affaires domestiques ( 1 ) ,.
ou même fon peu de fortune , peuvent lui
permettre de retirer de fes talens un tribut
utile ; mais peut- on , fans rifquer de faire
injure à la profeffion la plus honnête , les ,
faire fervir de moyens pour s'enrichir ?
Eh , qu'importe à l'homme penfant ce
degré d'opulence fi dangereux pour la
vertu ? Deſtiné par état à fervir de modèle:
à la fociété , en ira- t- il partager le luxe &
la frivolité ? S'il ofe écrire pour leur défenfe
, fi fa voix profane s'élève en faveur
des ennemis du vrai bonheur ; qu'il trouble
à fon gré les eaux limpides du Parnafle
par le fédiment du Pactole , que les fons.
de fa lyre deviennent pour lui moins agréables
que le bruit de quelques portions métalliques
agitées par une main avare : on
n'a rien à lui dire , il eft conféquent..
Mais fi fa morale éclairée & pure ne:
voit dans les fauffes jouiffances de notre:
fiécle , dans les biens imaginaires qu'a produits
notre yvreffe , s'il n'y voit , dis - je ,
que la fource des erreurs qui nous trou-
( 1 ) Miramur fi Democriti pecus edit agellos ,,
cultaque , dum peregrè eft animus fine corpore velox..
Horat. Ep. 12 , lib. i ..
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
blent & des maux qui nous déchirent ;
qu'il fe refpecte & qu'il n'aille jamais dégrader
fon art par ces détails d'avarice &
d'avidité qui ont flétri la gloire de plusd'un
homme de lettres ; qu'on ne le voie
point chercher à engloutir toutes les graces ,
Toutes les récompenfes ; qu'il n'ait à fe
reprocher aucune manoeuvre obfcure pour
augmenter le produit de fes ouvrages ;
enfin , qu'il laiffe moins tomber fes regards
fur la terre , & qu'il ne faffe pas fes délices
d'une table abondamment fervie , d'une
vafte maifon , d'un riche & délicat fuperfu
, d'une foule de valets , & de tous les
fuperbes embarras de la haute fortune ( 2 ).
Qui eft - ce qui n'a pas été indigné de
voir chez Plutarque le philofophe Zénon
avancer dans un livre de fes offices qu'un
fage doit toujours être prêt à faire trois
culbutes , pourvu qu'il y ait un talent à
gagner? Cette groffière abfurdité deshonore
Ja philofophie à un excès incroyable :
étoit-ce du chef d'une fecte qui a produit
les plus grands hommes, que nos Ecrivains
devoient apprendre qu'ils feroient fagement
de faire leur cour aux Rois , &
d'aller même les chercher jufques dans la
(2 ) Omitte mirari beata
Tumum & opes , ftrepitumque Roma. Horat.
OCTOBRE 1765. 13
Cherfonèfe Taurique , ou jufques dans les
déferts de la Scythie , au cas qu'ils duffent
y faire leur profit (3 ) ?
La république des lettres , comme celle
de Sparte , ne peut fe foutenir que par le
pur amour de la gloire . L'intérêt & l'avarice
y porteroient tous les défordres : tel
on vit Lyfandre renverfer les fages loix de
Licurgue & caufer tous les maux de fa patrie.
en y apportant les richeffes corruptrices qui
étoient le prix de ſes victoires.
L'Ecrivain qui ofe fe montrer moins
jaloux de l'honneur que d'un gain fervile
dont il s'occupe , imite l'amante intéreffée
d'Hyppomène ; il retarde fa courfe. Ainfi
qu'elle (4) , il n'atteindra point au but .
auquel avec moins de cupidité il auroit pu
prétendre ; ou du moins s'il y touche , ce
ne fera point avec cette gloire brillante &
pure qui ne laiffe à l'impuiffante envie
aucun moyen de la ternir.
L'indigence ( on le fait ) a plus d'une
fois juftifié ce que l'on pourroit reprocher
à cet égard à quelques Ecrivains (5 ) , mais
(3 ) Pulchrum id quidem indulgentiam Principis
ingenio mereri , quantò tamen pulchrius fe ipfum
colere , fuum genium propitiare, fuam experiri liberalitatem.
De Orator.
(4) Declinat curfum aurumque volubile tollit:
Ovid.
(s ) En vérité l'on diroit que certaine fatalité
14 MERCURE DE FRANCE..
peut-être ne faudroit -il s'adonner aux let
res que lorfque fans leur fecours on peut
fubfifter honnêtement , parce qu'il peut
arriver qu'elles ne conduifent à rien d'utile
l'Auteur indépendant & qui ne fçauroit
pas ramper. Montagne étoit de cet avis
lorfque dans fon ftyle libre & plaifant il
veut qu'on raccommode fes chauffes avant
de faire des livres.
La plus ancienne de toutes les plaintes
( dit Scarron ) eft celle des Poëtes fur le
malheur des temps & fur l'ingratitude de
leur fiécle . Tout retentit encore des cris
de ces ambitieux , qui , femblables au Philofophe
Poffidonius , voudroient abailler
devant eux & les haches & les faifceaux:
de Pompée (6)..
Quels talens ne font pas aujourd'hui
fuffifammentheureux ! Je jette mes regards
fur le monde littéraire , & je n'y vois que
des honneurs à acquérir , des places utiles .
à remplir , des récompenfes à mériter (7 ) .
Le plus léger fuccès élève un homme ordinaire
; tout eft Mécène de nos jours , la
s'oppofe aux avantages temporels des gens de
lettres . La Menardiere.
(6) Poffidonius d'Apamie , ftoicien , qui écrivit
la vie de Pompée , dont il étoit contemporain ..
(7) Il y a , dit Balzac , une oifiveté que la
république paie. Lettre au Chancelier Séguier..
OCTOBRE 1765. 15 .
médiocrité même a les fiens , & , comme
l'a remarqué un de nos Critiques , les
mauvais Auteurs font plus aifément fortune
que les bons..
C'eft affurément une erreur de croire.
que la protection des Souverains foit le
germe des talens littéraires : Corneille ,
Moliere & la Fontaine étoient grands avant
d'avoir vu tomber fur eux les regards.de:
leur Maître..
Clotaire & Dagobert , au feptiéme fiécle ,
aimerent les lettres & fe plurent avec ceux.
qui les cultivoient ; ce feptiéme fiécle en
eft-il moins un temps perdu pour la poftérité
? Aucun Prince protégea-t- il plus les
arts que Charlemagne ? Il les eftima , les.
accueillit , les cultiva même pendant un
règne de quarante- fept ans : que produifirent
ces foins généreux ? & que nous en:
refte t-il ? On eft forcé de le dire , la faveur
ne crée point les talens , comme le prétendent
nos mendians littéraires ( 8) ..
(8) Ce font les faveurs des Princes & de leurs
Miniftres qui donnent la fécondité aux efprits ,
comme ce font les favorables influences des étoiles
qui donnent la fécondité à la terre ( dit Coftar ).
Erreurs phyfique & morale. Notre meilleur Peintre,
le Pouffin , fut perfécuté , & les bienfaits prodigués
aux Académies ont fait tout au plus un ou
deux bons Peintres qui avoient déja donné leurs
chefs-d'oeuvres avant d'être récompenſés. Voilà ce
16 MERCURE DE FRANCE.
Athènes rendoit les mêmes honneurs a
un excellent Peintre & à un habile Sculp
teur, qu'à Solon: tant pis pour Athènes. Nos
le Sueur , nos Pouffin , nos Pujet , nos
Girardon & nos Lemoine , fans avoir
joui d'un degré de gloire égale à celle de
nos Turenne & de nos d' Agueffeaux , n'ont
point éprouvé l'ingratitude de leur fiécle ,
& feront pour leur poftérité ce qu'ont été
les Phidias & les Praxitelles.
Ce qui doit fur- tout étonner , c'eft que
les plaintes les plus fréquentes partent trop
fouvent ou de gens qui ne méritent rien ou
de ceux qui ont beaucoup obtenu . Bavius
fe feroit plaint impunément de voir tous
les jours Horace & Virgile à la table de
Mécène . Cette diſtinction ( fi c'en eſt une )
étoit due à leurs talens immortels : l'ami
d'Augufte affocioit habilement fon nom
à des noms durables ; & fi fon goût eft
digne des plus grands éloges , les plaifirs
qu'il lui procura le font auffi de notre
envie.
A combien de gens de lettres ne peut - on
pas dire ce qu'écrivoit le Marquis de Dangeau
à l'Abbé de Chaulieu , qui , malgré
vingt-huit mille livres qu'il retiroit de fon
que dit M. de Voltaire & ce qui me paroît appro
cher bien plus de la vérité.
OCTOBRE
17 1765 1765..
Prieuré de Saint George , murmuroit encore
contre fon tiécle ?
N'avez - vous pas des jours qui doivent faire envie ?
Ces jours que vous pallez dans Anet , dans Evreux,
Ne font- ce pas les plus heureux
Qu'on puifle pafler dans la vie ?
Les feuls vers qu'on fouhaite moins de
voir dans le recueil que notre Ovide François
doit depuis long - temps à l'impatience
du Public , ce font ceux que l'on trouve
dans une épître à Mlle Sallé , où il dit :
Je fais que pour nous attirer ,
Le folide Anglois récompenfe
Le mérite errant que la France
Ne fait tout au plus qu'admirer.
Perfonne ne dut tant aux lettres que
Pilluftre Fontenelle . Richeffes , confidération
, récompenfes de toute eſpèce , il
jouit de tout pendant la vie la plus longue ,
& cependant fes écrits font pleins des murmures
les moins réfléchis.
A l'entendre , auffi bien que d'autres
Ecrivains , onne connoît le prix des grands,
hommes que chez les Anglois . Notre fanatifme
philofophique , en faveur de cette
nation penfante , a exagéré des faits dont
on auroit trouvé des exemples chez nous ,
18 MERCURE DE FRANCE .
fi l'on n'avoit affecté de les chercher ailleurs.
Il eft affez fingulier que les Anglois
eux mêmes ne paroiffent pas juger fi favorablementà
cet égard leur propre nation (9 ) .
Ecoutons M. Rowe dans la vie de Shakef
péare à l'occafion de la générofité de Milord
Southampton pour ce Poëte. Un trait de
libéralité fi rare ( 10 ) ( dit - il ) ne peut
prefque être comparé qu'à la perfection
avec laquelle les Seigneurs Anglois d'aujourd'hui
enrichiffent les Danfeufes Françoifes
& les Chanteurs Italiens.
Le célèbre M. Hume ne vient- il pas de
nous apprendre que Butler , auteur d'Hudybras
, poëme , qui , en ridiculifant le
fanatifme & les fauffes prétentions des
anciens Parlementaires , donna au parti du
Roi un avantage prodigieux ; que ce Butler,
(9 ) Montagne ( dit Swift ) étoit auffi riche que
cinquante Juifs , & les Poëtes qui lui faifoient leur
cour avoient à peine des fouliers .
Ep. au Dr. Delany .
Les grands ( dit Pope au fieur Arbuthnot )
fe réfervent toujours quelque libéralité à faire ;
ils ont grand foin de faire enterrer avec pompe
ceux qu'ils ont laiffé mourir de faim .
( 10) Abounty very great , and very rare at any
time , aut almost equalto that profufe generofity
the prefent age as Shevonto French dancers and
Italien eunuchs.
OCTOBRE 1765. 19
<
dis-je , eft mort dans l'obfcurité & dans
l'indigence ? N'eft- ce pas de lui que nous
favons que Dryden , qui par fon Abfalon
mit les Torys au- deffus des Wighs , paſſa
fes jours dans la néceflité d'écrire pour
avoir du pain ? Le même Philofophe ne
nous a- t-il pas montré Otway , quoique
ardent royaliſte , mourant de faim dans la
rigueur de ce terme ( ajoute-t-il ) ? Je le
demande , que peuvent offrir de plus fort
nos anecdotes injurieufes à la nation fur
ce chapitre (11) ?
Qui eft- ce qui n'a pas réfléchi d'ailleurs,
que dans une Cour fouvent agitée & factieufe
, comme celle d'Angleterre , un
homme de lettres , foit par l'utilité dont
il peut être par fes écrits , foit par la confidération
que fon nom peut jetter dans
tel ou tel parti , parvient quelquefois à des
places que fon influence dans les affaires.
publiques , fon ambition , & quelques circonftances
beaucoup plus que fes talens
purement littéraires lui décernent? On peut
s'en rapporter à cet égard à M. de Voltaire,
qui dans fes mêlanges de littérature , à l'ar-
(11) Voyez la Comédie du Petit-Maître de
robe du célèbre Fielding : c'eſt ( dit il ) une belle
chofe que d'être favant de ce temps ci , où du
petit nombre qu'on en voit , les trois quarts men
rent de faim . Act. fcen. 15
20 MERCURE DE FRANCE.
ticle Newton , vient de nous découvrir
la fource peur honnête de la grande élevation
de ce Philofophe.
Londres compte- t- elle autant d'Académies
, de places utiles & de penfions ( 12)
qu'en fournit Paris aux lettres & aux
fciences? Non , fans doute ; mais le ton de
plainte , contre lequel on s'élève ici , eft une
de ces chofes reçues , auxquelles on fe
livre fans examen & par une eſpèce d'efprit
de corps.
(12) Gay dies un-penfioned With a hundred
friends. Gay meurt fans penfion avec une cen
aine d'amis. Pope , dans fa Dunciade , liv.
Y. 3266
OCTOBRE 1765. 21
O DE ,
SUR LE CORPS DU GÉNIE.
Par M. F. D. L. J. ***
U fuir pour éviter un fort épouventable ?
N'eft- il donc plus d'afyle en ce jour déplorable ?
Ciel ! quel feu fouterrein dans les airs embrafes
Vomit en mille éclats tous ces remparts brisés ?
De tes bontés , grand Dieu , la fource eft donc
tarie ?
Ta vengeance s'apprête , & ces momens d'horreur
Annoncent les tourmens qu'à notre race impie
Prépare ta fureur,
Mais , non.... l'enfer fe tait , & mon âme étonnée
Voit
que l'homme fait feul fa trifte deſtinée.
A fes cruels projets le fer ne fuffit pas ,
D'un élément terrible il vient d'aider fon bras.
Du compas de Vauban je reconnois la
trace ,
De fon art deſtructeur ce coup étoit l'effort.
Trop aveugle affiégé , frémis de ton audace !
Ou n'attends que la mort.
Quand un autre Archimède , armé pour ta défenſe ,
Des plus favans refforts déploîroit la puiſſance ,
22 MERCURE DE FRANCE .
( 1 ) Ce Génie éclairé qui conduit nos guerriers
Ne leur en promettroit que de plus beaux lauriers.
(2 ) Il creuſe ton cercueil dans le fein de la terre,
( 3 ) Des fentiers de la mort il connoît les détours ,
Et brave tous les traits lancés par le tonnerre
Qui gronde fur les tours.
(4) Les abîmes profonds qui bornent ton enceinte,
A nos fiers bataillons inſpirent peu de crainte .
(5 ) Tes murs , tes propres murs , trahiffant leurs
fecours ,
3
Pour aller jufqu'à toi deviennent nos recours.
Ils s'écroulent ... déja renversés par la foudre ,
Sur leurs débris fumans nos terribles foldats
Vont , la flamme à la main , fous tes toîts mis
en poudre
T'apporter le trépas.
Dans ces momens affreux quel parti vas-tu prendre
?
Ton courage épuiſé ne peut plus te défendre.
Il en eft temps , crois - moi ..... tu peut tour
efpérer
D'un vainqueur généreux fi tu veux l'implorer.
Enfin , tu la reçois , Louis te la préſente
·
Cette olive de paix qui te met fous fes loix ;
1) Le Corps du Génie.
(2 ) Les mines.
( 3 ) Les tranchées .
( 4 ) Les foffés de la place
( 5 ) La brêche.
OCTOBRE 1765 . 23
Bientôt tu gémiras que fa main bienfaifante
Ait dû forcer ton choix.
Mais un peuple ennemi vient inonder nos plaines ,
Du ferment qui te lie il veut brifer les chaînes ,
Il attaque nos murs pour racheter les tiens .
Vas ! l'art qui les foumet fait défendre les fiens.
Quand même les efforts en romproient la barrière,
Se feroit- il flatté de dompter des Français ?
Je les vois prêts encore à fuivre la carrière
Des Héros de Calais.
Cet art manquoit jadis devant Troye aſſiégée ;
Quand pour venger l'affront de la Grèce outragée,
Le Xante vit dix ans enfanglanter fes bords.
On comptoit fes exploits par le nombre des morts.
Aujourd'hui la victoire , encor plus difficile ,
De fes brillans lauriers couronne peu de fronts
Si Pallas n'eft Minerve , & fi Mars , plus docile ,
N'écoute fes leçons.
La gloire méconnoît cet amour du carnage
Que prend Four l'héroïſme un aveugle courage :
La plus belle victoire a toujours aux grands coeurs
Sur le fort des mortels fait répandre des pleurs.
L'affaffin de Priam en vain mit tout en cendres ,
Un Héros de nos jours ne l'imiteroit pas :
La valeur fans talens n'offre point d'Alexandres
Dans de braves foldats .
Mais s'il marche au combat , certain de la victoire,
Par fes foins le Génie en partage la gloire :
24
MERCURE DE FRANCE.
Il veille fur les pas , & jufque dans la nuit ,
Sur fon camp endormi , c'eſt un aftre qui luit.
(6) Son flambeau le précéde , il éclaire fes marches ,
De fes fages projets lui démontre la fin ,
Er le jour qu'il répand fur les moindres démarches
Enchaîne le deftin.
Si dans les champs de Mars on a vu le Génie ,
La paix le voit encore utile à fa patrie .
Son bras relève ici des boulevarts détruits ;
Là de nouveaux remparts fous les yeux font conftruits.
7) Un fleuve impétueux menace nos rivages ;
Le peuple gémillant déferte nos cités ;
Arrête ! ... de ſes flots ne crains plus les ravages
Ils font déja domptés.
Environné des arts , il en devient le guide.
Même dans les loisirs l'utilité préfide.
Sous un brillant portique érigé de ſes mains
Il y médité encor des triomphes prochains , yi
Ouquittant pour un temps le compas de la guerre ,
Il prend celui d'Euclide , & planant jufqu'aux
cieux ,
Il en deſcend bientôt pour apprendre à la terre
Tous les fecrets des Dieux .
( 6 ) La levée des plans.
( 7 ) L'hydraulique appliquée ici particulierement aux
digues.
Tel
70
OCTOBRE 1765 . 25
Tel
que l'aftre du jour dans fa vafte carrière
Brille encore en hiver d'une vive lumière ,
Et jamais fatisfait de fes nobles travaux ,
Dans un repos honteux ne laiffe ſes flambeaux ;
Tel & toujours preffé du feu qui le dévore ,
Le Génie excité par la voix des talens ,
Se couvre de leur gloire en attendant encore
Un pénible printemps.
(8) O vous que réunit aux rives de la Meufe ;
De la guerre & des arts l'étude fi flateuſe ,
Nourriffons de la gloire , élèves de Louis ,
Du fort qui vous attend mes yeux font éblouis,
Tandis qu'on vous prépare une double couronne ,
Où Minerve aux lauriers entrelace des fleurs ,
Louis deſtine encore aux fronts qu'elle environne
Ses brillantes faveurs.
8 ) Les Elèves de l'Ecole Royale établie à Mezieres.
FABLES ORIENTALES ,
LE
QUEL
PAR M. B ***.
VOISINAGE.
UELQU'UN parloit de faire emplette
D'une maifon commode de tout point.
Un méchant l'entend & le joint :
J'en fais une , dit- il , toute neuve & parfaite ,
Vol. I. B
26 MERCURE DE FRANCE.
Telle enfin qu'on n'en trouve point :
C'eſt dans le beau quartier , près de ma maiſonnette
;
Pas le moindre défagrément ,
Et vous en conviendrez , je gage .
Et moi ( dit l'acquereur ) j'en connois un pourtant......
Celui de votre voiſinage ,
Me paroît affez important.
Ne foyez pas le voifin d'un méchant ;
C'eſt fort bien fait : mais fi vous êtes fage ,
Ne foyez pas celui d'un grand.
LE PERE AV ARE.
U N riche avare avoit fon fils malade ;
Il confultoit les Docteurs les amis.
L'un d'entre eux , pour guérir fon fils ,
Très gravement lui perfuade ,
Ou d'immoler deux taureaux fur le champ ,
( A fon avis pratique la plus fûre )
Ou d'aller lire , à côté du mourant
Six chapitres de l'Ecriture.
Ah , grand merci ! dit le père en fuyant ;
Je vais lui faire la lecture .
OCTOBRE 1765: 27
MAHMOUD.
DAME
AME Nature eft fingulière ;
Elle bâtit fonvent un Roi , fans réfléchir
Que c'eft le cas d'embellir la matière ;
Que le fujet , qui doit fléchir ,
Cherche dans l'oeil du Prince un rayon de lumière
Qui l'avertiffe d'obéir.
Elle en fait quelquefois de laids , outre mefure
Témoin Mahmoud , qui , par hafard
Voyant dans un miroir fa hideuſe figure ,
En alla bouder à l'écart.
De cette humeur on ignoroit la caufe ;
Son Grand Vifir veut en être informé .
Ecoutez-moi dit Mahmoud alarmé )
Voici naïvement la chofe....
Vous m'avez dit cent fois , dans vos confeils fecrets
Que la face du Prince au coeur de fes fujets
Portoit une allégreffe extrême ?
A l'inftant je ime fuis épouvanté moi- même ;
Je dois effrayer tous les yeux.
S1-
Qui ce malheur me décourage .
Vous m'avez donc trompé d'un bien fi précieux
Je ne puis donc obtenir l'avantage ?
Laiſſez ( dit le Vifir ) laiffez ces vains effrois ;
Songez à la vertu : c'eft la beauté des Rois.
Bij
28
MERCURE
DE
FRANCE
.
:
PARAPHRASE
DU PSE AUME
PAR
145.
AR de faints tranſports d'allégreffe
Mon âme élève tes concerts ;
Que toute la terre s'empreſſe
A louer le Dieu que tu fers :
V
Oui , Seigneur , tant que la lumière
M'éclairera dans ma carrière ,
Je te confacrerai mes chants ,
Je bénirai le Dieu que j'aime ,
Ce Dieu dont le pouvoir fuprême
Confond l'audace des méchans.
Ne fondez point votre efpéfance
Sur l'appui des grands & des Roiss
Cette magnifique puillance
Eft auffi foumiſe à des loix.
Que font-ils ces enfans des hommes ?
Ne font- ils pas ce que nous fommes ?
Sujets à la mort comme nous ?,
Non ! ceux qui vous étoient propices
Ne pourront par leurs artifices
Nous mettre à l'abri de fes coups.
OCTOBRE 1765. 29
"
Foibles débris de la nature ,
Quand , par l'arrêt commun du fort ,
Des vers ils feront la pâture ,
Triftes dépouilles de la mort !
On verra s'éclipfer les marques
Qui diftinguent ces fiers Monarques
Ils périront , ces Dieux mortels !
Et les projets vains & frivoles
De ces faftueuſes idoles
Tomberont avec leurs autels..
Sion , que ton efpoir le fonde
1
Sur le fecours du Tour - Puillant ;
Lui , dont la parole féconde
Tira l'univers du néant :
Il parle , il commande à l'abyme :-
L'être étonné , furpris , s'anime ;
Le Soleil embellit les cieux ;
La mer refpectant les limites
Que fur le fable it a prefcrites ,,
Courbe les flots audacieux.
A quelles indignes foibleſſes
Vous portez-vous dans vos befoins ?
Quoi fur la foi de fes promelles
Doutez-vous encor de fes foins ?
Le Seigneur guérit vos bleſſures ,
Vous nourrit , venge les injures
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
De l'innocent perfécuté :
Telle eft fa volonté fuprême.
Il ſe manqueroit à lui- même ,
S'il manquoit à la vérité .
Captifs , fous le poids de vos chaînes
Ceffez de pouffer des foupirs ;
Senfible à l'excès de vos peines ,
Le Ciel exauce vos defirs :
Un Dieu s'avance dans fa gloire ;
La trompette de la victoire
Annonce fes coups éclatans ;
Il vient délier vos entraves ,
Il brife les fers des efclaves ,
Il vient éclairer fes enfans.
Tes malheurs ne font qu'une épreuve ,
Peuple fortuné , le Seigneur
De l'orphelin & de la veuve
Se déclare le protecteur.
Du milieu d'un peuple barbare ,
Ignores -tu qui te ſépare ?
C'eſt moi , dit le Seigneur , c'eft moi ;
J'irai , dans ma jufte colère ,
Abattre le bras téméraire
Qui s'élevera contre toi.
Difparoiffez , clartés funèbres ;
Quel fpectacle s'offre à mes yeux !
Diffipez- vous , fombres ténèbres ,
Découvrez la face des cieux ;
OCTOBRE 1765. 37
Du brillant féjour du tonnerre ,
Ifraël , ton Dieu fur la terre
Vient , règne dans l'éternité ;
Immuable par fon effence ,
Il a pour fceptre la puiflance ,
Et pour trône la majesté.
Par M. DovLLAY l'aîné.
VERS à l'occafion de quelques critiques
amèresfaites contre les nouvelles GRACES
de feu M. C. VANLOO.
AU Peintre qui n'eft plus , rendez , rendez les
armes ,
Vils détracteurs ! eh quoi ! juíques fur fon tombeau
,
Vous outragez les arts ....• qui demandent vos
larmes !
Si les Grâces encore ont trahi fon pinceau ,
Il a fur la Suzanne épuifé tous les charmes :
Il faut fe taire ou vanter ce tableau .
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
LETTRES DE HENRY IV,
A JOACHIM DE SAINT - GEORGE ,
Seigneur de VÉRAC * Baron de
COUHÉ.
و
PREMIERE LETTRE.
MONSIEUR
ONSIEUR de Vérac , encore que je
foyes de cefte heure comme je croy bien
affeuré de mon deflogement de la Cours ,
defirant que chacun faiche la vérité de
mes intentions , & comme l'affection que
je porte au vrai fervice du Roy , au bien ,
repos & tranquillité de ce Royaume , &
particullierement à tous ceux de la religion,
in'a justement conuyé à ce faire , enuoyant
exprès le fieur de la Broiffeniere , préfentement
porteur à la Rochelle pour ceft
effect , j'ay eftimé que ceftoit chofe digne
de cefte louable affection d'en auertir pareillement
ceux qui font zélateurs & pour-
*
Septieme ayeul de M. le Marquis de Vérao,
aujourd'hui vivant. Elles ont été copiées avec
toute la fidélité & toute l'exactitude poffible fur
les originaux de ces mêmes lettres , qui font dans
les archives du Château de Couhé.
OCTOBRE 1765 33
fuiuans cefte mefme intention ; & pour
ce que je fuys de longuemain tout affeuré
qu'eftes de ce nombre , & que je defire
d'eftre bien accompagné , allant trouver
Monfieur , je vous prie bien affectueuſement
par cefte-cy me voulloir venir trou--
ver au plutoft qu'il vous fera poffible auec :
le meilleur nombre de vos amis que pou--
rez amener , fy ce n'eft que foyes lié à
charge de telle conféquence qu'elle vous :
oblige à faire réfidence , réferuant à vous :
dire que vous y ferez plufque le bien venu ..
Je priray le Créateur vous donner , Monfieur
de Vérac , fes faintes graces. De:
Beaufort ce xxiiij de Féburier 1576.
Votre bon ami , HENRY..
SECONDE LETTRE..
MONSIEUR de Vérac , je vous ay depuiss
quatre ou cinq jours efcript & faict entendre
le retardement de mon deflogement :
de la Court , & le defir que j'ay que me:
faciez ce plaifir que de me venir trouver..
Continuant cefte mefme vollonté , j'efcripts :
préfentement
à mon coufin , Monfieur de
Rohan , d'affembler toutte la nobleffe qu'il
trouuera affectionnée au fervice de Mon--
fieur & myen , & me venir trouver le pluss
B.v
34 MERCURE DE FRANCE .
diligemment qu'il pourra vers Saumur.
d'aultant que je fuis tout affeuré de votre
affection , je vous priray par cefte recharge
de vous ranger auec le plus de vos amis
qu'il vous fera poffible pres mond. couſin
pour cefte occafion . Vous attendans tous
enfemblement en bonne déuotion , je priray
le Créateur vous conferuer , Monfieur
de Vérac , fes faintes graces. De Saumur
ce Féburier 1576.
Votre bien bon amy HENRY.
TROISIEME LETTRE .
MONSIEU ONSIEUR de Vérac , m'eftant achemyné
pour aller audeuant de la Royene ,
mere du Roy , de Monfeigneur & de Monfieur
, jufques à Xainctonges , j'ay fçu que
la ville de Bourdeaux , où je debuois paffer
, ceft rendue à la fucitation d'aucuns
partifans de lad. ville , ennemys de tout
repos , mal difpofés à me donner paſſage
en icelle & prefte à s'efmouvoir ; & ne
defirant rien tant que maintenir les villes
de mon Gouuernement en toute pacification
, & empefcher qu'aucuns monopolles
& entreprifes ne fi facent , j'ai aduifé de
retarder mon voiage & ne m'efloigner
point encores de fes quartiers pour y pren--
A
OCTOBRE 1765. 35
dre garde de prez & y pouruoir , qui eft
caufe que vous ayant chargé & prié de
me venir trouuer , je n'ay voulu failir
de vous aduertir de retarder affin que
vous ne preniez cefte peine jufques à ce
que je vous mande de mes nouuelles
vous priant néanmoins de vous tenir toufjours
preft & me réferuer la bonne uolonté
que je me fuis promis de uous pour l'employer
quand je vous le manderay , comme
je feray la myenne ycy offrant l'occafion
en laquelle je prie Dieu , Monfieur de
Vérac , vous tenir en fa fainte & digne
garde. De Calelgeloux le vij de Octobre
1576.
De la main du Roi.
J'ai dépefché deuers le Roy pour l'ad
uertir de ce deffus & fçauoirfa volonté.
Votre bien bon amy HENRY.
QUATRIEME LETTRE.
MONSIEU ONSIEUR de Vérac , eftant tout
affeuré de la bonne volonté & afection
que portés , tant au party de la religion
que à moy particulierement , j'ay dépeſché:
le fieur de la Valliere , préfent porteur ,
a
B vj
36 MERCURE DE FRANCE .
lequel je vous prie croyre de ce qu'il vous
dira de ma part, & au furplus faire eſtat
de moy & de mon amityé . Tout fera touſjours
paroiftre les effets l'occafion s'offrant.
Du premier jour de Féurier 1580.
A Nérac.
Votre bien bon & affuré amy HENRY.
N. B. Cette lettre eft toute entiere de la main
d'Henry IV.
CINQUIEME LETTRE
MONSIEUR de Vérac , je defir tellement
vous faire part de mes nouvelles &
entendre des voftres , que je n'ai voulu
permettre que Palu , l'un de mes Valets
de Chambre , préfent porteur , s'en retournat
fans le charger de la préfente pour vous
affeurer tousjours de la continuation de
ma bonne volonté & affectyon en votre
endroit , les effets de laquelle je mettrai
peyne de vous faire paroître en toutes les
occafions qui s'en préfenteront jamais ,
d'aufli bon coeur que je prie Dieu vous
auoir , Monfieur de Vérac , en fa fainte
garde. A Nérac le xxij Féurier 1583.
Votre byen bon & affeuré amy HENRY.
OCTOBRE 1765. ST
SIXIEME LETTRE..
MONSIEUR
ONSIEUR de Vérac , j'ay efcrits un
paquet de lettres à mon frere , Monfieur
le Prince , & parce que je levous adreffe ,
je vous prie bien affectionnément les luy
faire tenir feurement. Si Monfieur de Cleruaut
ne paffe chez uous à fon retour de la
Cour pour vous faire entendre les réponces
qu'il aura obtenues du Roy Monfeigneur
aux articles & cahyers des églifes , je le
vous feray fçavoir fi toft qu'il fera ici ;
mais cependant affeurez - vous de ma bonne.
volonté & amytié en votre endroit , laquelle
je vous feray paroiftre lorfque les occafions
s'en préfenteront , d'auffi bon coeur que
je prie Dieu vous auoir , Monfieur de
Verac , en fa fainte & digne garde . Du
Mont de Marfay ce xiije Décembre 1583 .
Votre mylleur & plus affectyoné amy.
HENRY.
SEPTIEME LETTRE...
MONSIEUR
ONSIEUR de Vérac , attendant qu'à
la venue de mon Chancellier je puiffe faire
expédier l'adueu qui eft néceffaire aulx
foldats pour lesquels vous m'aués efcrit ,
MERCURE DE FRANCE.
je fay ung mot de lettre en leur faueur à
Meffieurs les Préfidiaulx , Lieutenant- Criminels
& Prevofts des Marefchaux de Poitiers
, affin qu'ils ne précipitent la pourfuitte
& le jugement de ces pauures hommes
, puifque ce n'eft que pour chofe aduenue
durant les troubles , vous pryant de
Croyre que j'apporteray volontiers tout le
fecours qui dépendra de moy pour toutz
ceulx qui me feront recommandez de
Votre part & de pareil coeur que je prie
Dieu , Monfieur de Vérac , vous tenir en
La garde. De Pau ce vnze Juillet 1584 .
Votre mylleur & affeuré amy HENRY.
HUITIEME LETTR R.
MONSIEUR de Vérac , par ce qu'il eſt
befoing que j'aye auprès de moy quelques.
Gentilshommes d'honneur de chaque Province
lorfque mon coufin , Monfieur de
Laval , retournera uers moy pour me rapporter
la réponſe du Roy Monfeigneur ,
& que je defir bien fort vous voir , comme
auffi j'eftime que les églifes pourront faire
élection de vous à caufe de votre vertu ,
piété & mérites , je vous prie bien fort
me faire le plaifir de venir promptement ,
& vous ferez autant bien venu que vous
le fçauriez defirer . Ce que m'affeurant que
OCTOBRE 1765. 39
vous voudrez faire , je ne vous en diray
dauantage fi ce n'eſt pour vous affeurer
de ma bonne volonté & prier Dieu qu'il
vous ait , Monfieur de Verac , en fa fainte
& digne garde . De Montauban ce xe jour
de Septembre 1584.
Votre mylleur & plus afectyoné amy
HENRY.
AUROI ,
Sur la cinquantième année de fon règne:
TU
U règnas dès ton premier luftre
Comme ton bifaïeul illuftre .
Eh pouvois- tu régner trop - tôt ni trop longtemps
?
Un Roi , l'eſpoir du monde , eft majeur à cinq ans.
Lorfque depuis dans Rheims tu reçus l'huile fainte,
Second baptême de nos Rois ,
Tu juras à l'autel de maintenir les loix ;
De règner par l'amour & jamais par la crainte :
Louis , tu n'as pas mis ton ferment en oubli
Tel fut le voeu public , ta vertu l'a rempli.
Ah ! te comblant de bonheur & d'années ,
Daigne , le Roi des Souverains ,
Et pour nous & pour toi , reculer de fes mains
Les bornes de tes deftinées !
MERCURE DE FRANCE.
J'ofe en ces foibles vers m'élever juſqu'à toi.
Je ne fuis rien au monde & rien für le Parnaſſe •:
Mais regarde mon zèle & non pas mon audace ; .
Je fuis Françoife , & Louis eft mon Roi !.
Par la MUSE LIMONADIERE.
KINCENDIE DE BOLBEC..
INFOR NFORTUNÉ Bolbec , dans tes débris fumans :
On ne retrouve plus que des monceaux de cendres !'
Les échos effrayés ne peuvent faire entendre
Que les fanglots , les cris perçans .
De tes malheureux habitans.
Déplorables humains , nés pour verfer dès lärmes :
Jufques au dernier de vos jours....
Qui pourra foulager vos mortelles alarmes ,,
Et vous donner quelque fecours ?.
Tous les coeurs attendris gémiffent fur vos pertes !!
Mais que peut la feule amitié ?
Les richeffes des grands doivent vous être offertes ›
Et par devoir & par pitié ..
Retirez , Dieu puiffant , mes frères des abymes ! ....
Dignes faveurs du Ciel , deſcendez en ce lieu !
Et toi , Lours , image de mon Dieu ,
Abaille tes regards fur ces triftes victimes.
DALLET l'aîné , Correfpondant de l'Aca
démie Royale des Sciences de Rouen.
A Valognes , 26 Juillet 1765.
OCTOBRE 1765. 41
VERS à M. FAVART , fur fa Comédie
D'ISABELLE & GERTRUDE.
PARAR quel preſtige heureux , par quel charme
nouveau ,
Peux-tu , de la nature interprête fidelle ,
Si bien en tracer le tableau ?
Sans doute qu'à tes yeux , découvrant fon bandeau,
Elle-même a pris foin de s'offrir pour modèle
Ou fi l'art quelquefois dirige ton pinceau ,
C'eft avec tant d'attraits qu'on le prendroit pour
elle .
Si pour charmer letemps , ou calmer fes chagrins,
Voltaire fe permet un tendre badinage ;
Abeille induftrieufe & fage ,.
Tu recueilles les fleurs qui tombent de ſes mains .
Paris entre vous deux balance fon fuffrage.
*.
On t'a vu du Diciple heureux imitateur ,
Embellir fes travaux , & les paffer peut -être :
Mais
, pour te couronner d'un immortel honneur,,
Il ne te manquoit plus que d'embellir le maître
* M. Marmontel , fi connu par fes contes . M. Favart e
a mis quelques - uns au théâtre avec le plus grand fuccès .
Le Prieur A. Ai Pà.
42 MERCURE DE FRANCE.
VERS fur la fête du premier Septembre
1765.
Lis Poëtes du jour vont prendre leur effor
Et conjurer la moins cruelle Parque
De filer fur un fuſeau d'or ,
Pour notre bien aimé Monarque ,
Les beaux & longs jours de Neftor *.
Les Dieux n'accordent plus cette faveur fi grande :
Je forme pour mon Prince un ſouhait plus borné ;
Mais il eft jufte & fage.... ô Ciel , je vous demande
Que mon Roi règne encore autant qu'il a régné !
Il vécut trois fiécles.
Par M. l'Abbé DE PONSOL
A Mademoifelle DANGEVILLE , pour le
jour defa fête , le 15 Août 1765.
SÉJOUR heureux * retraite des talens
Admirés à la Cour , applaudis à la Ville ,
Jardins chéris où Dangeville
Jouit en paix d'elle- même & du temps !
* Vaugirard , où Mlle Dangeville a une jolie maiſon
qu'elle fe plaît à embellir.
OCTOBRE 1765 . 43
Pour ce beau jour , quand tour s'apprête
A célébrer la plus charmante fête ,
Renouvellez vos parfums , vos odeurs ,
Faites fleurir le jafmin & la roſe ,
Et parez-vous des plus vives couleurs :
Que l'immortelle en tout temps foit écloſe !
Tendres ormeaux que fes mains ont plantés
Empreffez - vous d'épaiffir votre ombrage ,
Défendez- la des vents & de l'orage ,
Car vos beaux jours fur les fiens font comptés
Dans ces bofquets ornés par fa préfence ,
Que les oifeaux en chantant leurs plaiſirs ,
Leurs doux tranſports & leurs puiffans deſirs ,
Chantent auſſi votre reconnoiſſance.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
LE 25 Août, fête de Saint Louis , Meffieurs
les Officiers du Colonel - Général
Dragons donnerent dans l'Hôtel de Ville
un magnifique feftin à Meflieurs le Marquis
de Cruffol- d'Amboise & de la Portherie
, Maréchaux de Camps , à plufieurs
Colonels , à la plus grande partie de la
garnifon , & aux Officiers des détachemens
de tous les Régimens Dragons réunis
à Cambray pour l'Ecole d'Equitation .
44 MERCURE DE FRANCE.
Dans cette nombreuſe affemblée de Militaires
, on célébra , par cet impromptu ,
l'agréable époque du règne du Roi.
Air : De Joconde.
Voici le demi -fiécle , amis ,
Où nous vivons en France
Sous les douces loix de LoUIS
Notre unique eſpérance ;
Puiffent nos arriere - neveux
D'une tête fi chère ,
Célébrer au gré de nos voeux
Le règne féculaire !
Par M. PASCAL , C. de G. au R. de Piémont
Faites- nous le plaifir , Monfieur , d'inférer
ce petit détail dans le premier Mercure
, & vous obligerez un Corps d'Offi
ciers qui vous en prient.
A Cambray , le premier Septembre 17.65%.
OCTOBRE 1765. 45
MÉLUZINE ,
CONTE.
MELUZINE fut une grande Magicienne,
comme c'étoit l'ufage de l'être alors . Elle
habitoit il y a quelques mille ans près
des bords de la Marne , dans un château
où quelques bons Champenois
affirment
qu'elle revient encore de temps à autre ( 1 ).
C'eft la tradition du lieu , & l'on fait que
toute tradition eft bien refpectable ; mais
il s'agit de ce que Méluzine faifoit il y a
deux à trois mille ans.
Méluzine faifoit ce que font encore aujourd'hui
bien des grands ; elle s'amuſoit
aux dépens des petits . Elle s'amufoit même
quelquefois à leur être utile , & ce n'eft
pas en cela qu'elle trouve le plus d'imitateurs
.
Son château fe peuploit fouvent de nouveaux
objets. Elle y attiroit par fon pouvoir
magique tous ceux qu'elle vouloit y
( 1 ) Le château de Donjeux , où habitoit le
Sire de Joinville , qui , en partant pour la croifade,
le regardoit amoureufement en fentant grande
amarance au caur. Ce font fes termes. Mém.
du Sire de Joinville.
46 MERCURE DE FRANCE .
raffembler. Son grand plaifir étoit d'opérer
des métamorphofes. Elle changeoit tantôt
la figure , tantôt le caractère de ceux qui
le defiroient , & fouvent même fans qu'ils
le defiraffent ; mais comme elle- même étoit
belle , fort gaie , & par cette double raiſon
peu méchante , ces métamorphofes tournoient
prefque toujours à l'avantage de
ceux qui les éprouvoient .
Qu'un jeune Gaulois , par exemple
eût le malheur d'être fat , ignorant & préfomptueux
, qu'il fit grand cas de fa figure ,
peu de cas des talens , qu'il eût l'audace
de les juger fans les connoître ; Méluzine
alors faifoit enlever au milieu de la nuit
cet être importun , & après quelques jours
d'abfence , il fe retrouvoit chez lui avec
un teint brun , des traits plus mâles qu'agréables
, un regard modefte ou belliqueux ,
une tête mûre , des notions de tout & la
prudence de ne juger hautement de rien.
Méluzine , chofe affez remarquable dans
une femme qui peut tout , ne s'amuſoit
point à défigurer les femmes. Si une d'entre
elles fe croyoit fupérieure à toutes les autres
par fa beauté ; la Fée , pour la punir ,
lui donnoit feulement une autre manière
de voir. Alors elle fe trouvoit bien inférieure
en attraits aux femmes qu'elle
avoit d'abord méprifées , & cette punition
OCTOBRE 1765 47
en valoit bien une autre. Deux femmes
fe critiquoient- elles réciproquement fur
leur figure ? Méluzine favoit auffi les mettre
d'accord. Elle les forçoit à troquer de
vifage.
Tels étoient en partie les amuſemens
de la Fée. C'eft dire qu'elle ne manquoit
pas d'occupation. D'ailleurs , on venoit
la confulter du fein de toutes les Provinces
des Gaules , & fes réponſes étoient auffi
claires que fi elles n'euffent pas été des
oracles.
que
Un jeune Gaulois y vint comme bien
d'autres. Il étoit beau comme on dit
le fut Adonis. La Fée le contemploit &
l'admiroit. Que puis- je faire pour vous ,
lui dit- elle ? rien fans doute , la nature a
trop bien fçu y pourvoir. Grande Fée ,
répondit le jeune homme , vous pouvez
tout pour mon repos. Eh , qui peut le troubler
? lui demanda Méluzine , du ton de
l'intérêt... Hélas ! c'eft l'amour. - L'amour !
auroit- il pour vous des rigueurs ? - Ah ! je
fuis loin de m'en plaindre. - Ce n'eſt donc
pas pour en guérir que vous n'implorez ?
-Le Ciel m'en préferve ! -Eh , quel eft
l'objet de cette vive tendreffe ?
-
Madame
! c'eft Zulia. Nous nous aimions
avant que de favoir nous le dire ; & quand
nous nous le dîmes , nous le favions depuis
48 MERCURE DE FRANCE.
--
,
long- temps . Nos âmes fe cherchoient & ſe
dévinoient. Sans ceffe occupé de Zulia ,
tout ce qui n'eft pas elle n'eft rien pour
moi ; & fi j'en crois fes difcours ( peut- on
n'en pas croire Zulia ? ) , tout ce qui n'eft
point moi n'eft rien pour elle. Cependant
mon coeur eft troublé . Je ne jouis de mon
bonheur qu'avec inquiétude. Eh , qui peut
l'occafionner ? demanda la Fée. Ah
Madame ! que Zulia eft belle ! -Tant mieux!
reprit Méluzine. -Hélas , tant pis ! ajouta
le jeune Gaulois . Cette extrême beauté lui
attire des hommages de toutes parts . J'ai
autant de rivaux qu'il y a d'hommes qui
l'apperçoivent. Zuliam'eftenviée & pourra
m'être ravie. Jugez quel feroit mon défefpoir.
Mais que puis - je faire pour vous
raffurer ? ajouta la Fée. - Madame , cela
vous fera bien facile. Daignez employer
toute votre puiffance à diminuer les charmes
de Zulia. Dût- elle en perdre la moitié
, elle en confervera toujours affez pour
éblouir.
Cette propofition étonna beaucoup la
Fée. C'étoit la première qu'on lui eût fait
de cette nature . Plus d'un amant étoit venu
la prier d'embellir encore fa maîtrefle
mais aucun de la rendre moins belle.
Croyez-vous , dit-elle à Lifidor , ( c'eft
de nom du jeune Gaulois ) croyez - vous
que
OCTOBRE 1765. 49
que Zulia puiffe approuver la demande
que vous me faites ? en eft- elle même
prévenue ? Non , reprit Lifidor ; mais que
lui importe ? Mon coeur , fi elle m'aime ,
doit lui fuffire , & je cherche à m'afſurer
du fien .
Comme il parloit ainfi , il crut appercevoir
de loin Zulia qui s'avançoit avec
timidité. Quelle eft fa furprife ! Il regarde ,
il n'en peut plus douter. Ah , Madame!
c'eſt elle- même ; c'eſt Zulia ! Qui peut
l'amener en ces lieux ? Hélas ! peut-être
vient-elle vous prier de l'embellir encore !
Heureufement c'eft une chofe impoflible.
C'est ce qu'il faut voir , lui dit la Fée ....
Madame! vous pourriez exaucer fa prière ?
Il faut du moins l'entendre , ajouta Méluzine.
Cachez-vous derrière ce treillage , &
vous jugerez vous-même du motif de fa
démarche .
Il obéit , & fans pouvoir être vu il peut
tout entendre. La Fée admire elle- même
la beauté de Zulia . Venez , aimable enfant ,
lui dit- elle , & banniffez toute eſpèce de
crainte. Je ne demande qu'à vous être
utile . Hélas ! Madame , reprit Zulia , j'en
ai grand befoin ! C'est ce que je ne vois
pas , toute Fée que je fuis , ajouta Méluzine.
Vous n'avez qu'à vous louer de la
nature. Vous êtes , à coup für , bien traitée
Vol. I, C
50 MERCURE DE FRANCE .
la
par l'amour. C'est donc de la fortune que
Vous vous plaignez ? Non , Madame ,
fortune me traite affez bien ; je ne me
plains pas non plus de l'amour , mais je
crains d'avoir à m'en plaindre. - Cela ne fe
peut pas , vous dis -je ; mais enfin , que
faut-il faire pour vous raffurer ? - Cela vous
eft bien facile ... embelliffez - moi , Ah !
je fuis perdu difoit Lifidor derrière fon
treillage ; elle craint de n'être pas affez
belle. Je lui ai dit cent fois qu'elle avoit
trop de charmes. Ce n'eft donc pas moi
que ce voeu regarde ! Vous m'étonnez ,
difoit la Fée à Zulia , croyez - vous mon
art plus puiffant que la nature ? Elle a tout
fait pour vous, & ne pourroit faire mieux.
D'ailleurs , quel deffein vous fait defirer
Le deffein de plaire tou- ce prodige ?
jours à Lifidor. Ah , je refpire ! difoit
ce dernier fans fe montrer encore . Ne
craignez rien , reprit la Fée , vous avez
plus de charmes qu'il n'en faut pour fixer
le coeur d'un amant. - Je ne veux fixer
que Lifidor. Mais il vous refte encore un
moyen de me raffurer, - Quel eft - il ?
-
...
Rendez Lifidor un peu moins féduifant
, il le fera toujours affez pour moi.
Volontiers ; mais croyez - vous que Lifidory
confente ? Il y confentira s'il m'aime .
D'ailleurs , eft-il néceffaire de le confulter ?
-
OCTOBRE 1765. SI
-
non ,
je
-Et fi lui-même venoit me faire la même
demande à votre fujet , s'il me prioit de
vous rendre moins belle , y confentiriezvous
? - De tout mon coeur ! pourvu que
cette perte ne m'expofât pas à celle du fien.
- Non , s'écria Lifidor en fe montrant ,
rien ne peut vous effacer de mon
âme ; rien ne peut affoiblir mon amour.
Vous feriez mille fois moins aimable , que
ne vous en aimerois pas moins. Vous
dirai-je enfin ? Un defir tout pareil au
vôtre m'a conduit chez la Fée. Je la priois
de tempérer l'éclat de vos charmes. Je
l'implore moi même pour le changement
que vous exigez . Madame , reprit la jeune
perfonne , vous voyez que nous fommes
bien d'accord ; d'aignez nous fatisfaire
l'un & l'autre. Méluzine étoit fort furpriſe
de ce qu'elle entendoit. Mes enfans , leur
dit- elle , fongez - y bien. Je puis ſouſcrire
à votre demande , je puis détruire en vous
l'ouvrage de la nature ; mais fongez qu
bout de quelques jours il ne dépendra plus
de moi de réparer ce dommage . Nous ne
vous en prierons pas , reprirent les jeunes
amans.
Allez donc , leur dit la Fée , dès demain
vous appercevrez dans vos traits un changement
fenfible , & s'il ne fuffit pas , nous
y fuppléerons. Il eft plus facile de diminuer
Cij
32 MERCURE DE FRANCE .
en vous les dons de la nature , que d'y
ajouter.
Lifidor & Zulia s'éloignerent en rêvant.
Tous deux en avoient fujet . Lifidor craignoit
d'être moins aimé quand il auroit
moins de quoi plaire. Zulia éprouvoit la
même crainte. Ce fut elle qui s'en expliqua
la premiere. Avouez , mon cher Lifidor
, lui dit-elle , que l'épreuve à laquelle
je vous expoſe eſt bien dangereuſe . Je
vais perdre une partie de ce qui vous attache
à moi. Votre amour diminuera avec
ce qui l'avoit fait naître . Je ferai moins
belle que mes rivales , & peut- être vous
appercevrez -vous bien-tôt de cette différence
; peut-être m'en ferez- vous appercevoir
. Non , ma chère Zulia , interrompit
Lifidor , non , rien ne peut affoiblir ma
vive ardeur ; mon coeur fera plus tranquille ,
mais fans être moins épris . Je n'ai plus
qu'un fujet de crainte : c'eft que , malgré
tous les efforts de fon art , la Fée ne puiffe
altérer en vous les dons de la nature.
-
Ce n'étoit que le jour fuivant qu'ils
devoient s'en appercevoir. Zulia dormit
peu. Elle craignoit que le pouvoir de la
Fée ne fût trop efficace. Une telle crainte
eſt naturelle dans une jeune beauté , quelque
amour qu'on lui fuppofe. Zulia ne
revit le jour qu'avec une forte d'effroi.
OCTOBRE 1765.
་ ་
Elle redoutoit encore plus les regards de
Lifidor , & lui- même n'étoit pas fans inquiétude
. Qui fait , difoit - il , fi je n'aurai
pas trop perdu aux yeux de Zulia ? Elle
paroîtra toujours belle aux miens ; mais
puis - je me flatter que le changement de
mes traits n'en occafionnera point dans fon
coeur ?
Le premier foin de Zulia fut de courir
à une fontaine & de fe mirer dans fon crif
tal. Il n'y avoit guères alors d'autres miroirs
chez nos bons ayeux. Chez eux la beauté
ne fe cachoit ni fous les diamans ni fous
les ponpons
. Si les fleurs fe mêloient quelquefois
aux cheveux , c'étoit la main de
l'amant qui les y plaçoit. Ce ne fut donc
point pour
fe parer que Zulia courut à la
fontaine , ce fut pour voir fi elle pouvoit
encore négliger toute parure. Elle vit du
premier coup- d'oeil que la Fée avoit tenu
fa parole. Ah , Dieux ! que je fuis changée !
s'écria- t-elle avec effroi . Hélas ! Méluzine
a trop bien rempli fa promeffe. Je n'exciterai
plus la jaloufie de mes rivales. Me
voilà plutôt digne de leur compaſſion.
Quels yeux ! quel teint ! Vantera- t - on en,
core leur éclat ? Non , & Lifidor , Lifidor
lui-même va les méconnoître !
Lifidor parut à l'inftant même. Il venoit
auffi confulter la Naïade. A peine Zulia
C iij
14 MERCURE DE FRANCE.
l'apperçut qu'elle détourna fubitement la
tête & parut vouloir s'éloigner. Lifidor
n'approchoit qu'en héfitant. Il parvint
même à jetter un conp- d'oeil fur le miroir
liquide , & perdit tout-à- coup l'envie d'aller
plus loin. Ah ! difoit- il , je dois la
fuir plutôt que la chercher. Méluzine a plus
accordé qu'on ne lui demandoit . Zulia ne
tardera point à l'avouer elle - même.
En parlant ainfi il regardoit Zulia , qui
n'ofoit le regarder. Elle m'a déja vu ou
bien elle craint de me voir , ajoutoit Liftdor.
Ce ne peut être la diminution de fes
charmes qui l'oblige à fe cacher ; elle a
de quoi perdre fans qu'elle-même ni d'autres
s'en apperçoivent. Mais enfin , il faut
éclaircir mon fort. Zulia ! s'écria le jeune
amant , daignez m'enviſager , duffiez- vous
après me fuir. Ah ! vous fuirez bientôt
vous-même , répondit Zulia. Je n'ai plus
de quoi ni vous arrêter ni fixer vos regards.
Que l'amour en foit loué ! reprit Lifidor
notre deftin feroit tout femblable , mes
alarmes cefferoient , je ne craindrois plus
de vous perdre , & c'eft la feule crainte
que je puiffe avoir.
Hé bien , dit Zulia , en foupirant & fe
retournant vers Lifidor , voyez combien
Méluzine fe pique d'être exacte ; voyez.
ce qu'elle a fait pour vous ? N'ai - je pas
OCTOBRE 1765. SS
raifon d'éviter vos regards ? ... Ciel ! s'écria
Lifidor , jamais fes charmes n'eurent
plus d'éclat ! Je n'y trouve aucune différence.
Je crois même que la Fée s'eft encore
plu à l'embellir. Ah ! ne vous plaignez
d'elle , ajouta Lifidor , elle ne vous a
rien ôté c'eft fur moi feul que tombe
toute la métamorphofe !
pas
:
Vous ! reprit Zulia en le fixant , vous ,
changé vous , défiguré ! non , il n'en eft !
rien. La Fée a rejetté ma prière , elle n'a
écouté que la vôtre. Jettez les yeux fur
cette fontaine , elle vous l'apprendra. ...
Elle m'a tout appris , interrompit Lifidor;
mais fi le changement qu'elle m'a fait voir
dans mes traits vous échappe , il ceffe de
m'affecter. Il me plaira même , s'il peut
vous fatis faire. Daignez feulement enga
ger Méluzine à faire pour moi ce qu'elle
a fait pour vous. Je ne puis vous voir fi
belle & être tranquille.Regardez moi bien ,
lui dit triftement Zulia , & vous n'aurez
nulle demande à faire à Méluzine . - C'eſt
parce que je vous regarde que je lui en
fais. Vous-même rapportez- vous- en à cette
fontaine. Elle m'en a Elle m'en a déja trop dit ,
mais je veux bien avoir cette complaifance.
A ces mots elle s'approche & recule de
nouveau en appercevant fon image . Eft- ce
pour me railller , dit- elle à Lifidor ? Je ne
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
puis le croire. Vous craignez , fans doute
que je ne regrette un peu trop ce que j'ai
confenti à perdre . Je ne regrette rien , ſi je
n'ai rien perdu à vos yeux ni dans votre
coeur,
lé teint morne.
-
-
-
Vous n'avez rien perdu aux yeux de
perfonne , lui dit le jeune Gaulois , vous
êtes ce que vous étiez . Voyez les rofes &
les lys de votre teint ; n'ont- ils pas toujours
la même vivacité ? Point du tout , j'ai
Ces grands yeux noirs
fi brillans , fr expreffifs ..... Mes yeux ne
difent plus rien. - Cette bouche , moins
grande que vos yeux , ces lèvres qui effa
cent l'incarnat des fleurs les plus vives . -
Mes lévres font pâles & ma bouche eft
agrandie. -Et ces perles qu'on apperçoitquand
vous fouriez ? ....- Leur blancheur
n'eft plus la même , je ne dois plus fou
rire. Je ne parle point de ces tréfors
que la nature a placés d'un degré plus bas .
Hélas ! ce n'eft plus la peine d'en par--
ler.... Mais vous , pourfuivit Zulia ,
vous qui exagérez le peu d'avantages qui
me refte , pourquoi niez - vous fi injuftement
les vôtres ? Ah ! j'en ai trop fujer ,
reprit Lifidor ; mais , encore une fois ,
je m'en confole , puifque vous-même en
êtes fi peu affligée. Je ne les euffe regrettés
que pour vous . Je vais feulement me plainOCTOBRE
1765 57
dre à la Fée d'avoir été fi peu exacte. J'y
vais. J'y vais auffi , dit Zulia , & mes
plaintes ne lui paroîtront fans doute que
trop raifonnables.
Ni l'un ni l'autre n'avoit pourtant raifon.
Leurs traits à tous deux étoient changés
, mais leurs coeurs ne l'étoient pas , &
l'on fait que l'amour embellit tout. C'eſt
ce qui empêchoit Lifidor de trouver Zulia
déchue , & Zulia d'appercevoir le même
changement dans Lifidor.
Hé bien , leur dit Méluzine fitôt qu'elle
les apperçut , vous vous repentez , fans.
doute ; vous venez me prier de vous rendre
ce que je ne vous ai ôté qu'à regret ?
Avouez que je fuis fidelle dans mes promeffes.
Hélas ! Madame , reprit Lifidor ,
voyez Zulia , elle eft toujours la même..
Voyez Lifi lor , difoit à fon tour Zulia ,
il n'a point changé.
Méluzine , toute Fée qu'elle étoit , parut
furprife & le fut réellement . Il faut l'avouer,
difoit- elle , tout mon art eft en défaut
il céde à l'heureux inftinct de ces enfans..
Il leur est bien plus doux de méconnoître :
mes prodiges qu'à moi de les opérer . Eft- il
poffible , difoit-elle à Zulia , qu'aucune:
différence ne vous frappe dans les traits de
Lifidor ? Ni vous , Lifidor , dans ceux de
Zulia ?Non , aucune , répondoient Zulia
& Lifidor.
C.y.
58
MERCURE
DE
FRANCE
.
Ils la prièrent de faire pour eux ce qu'elle
n'avoit , difoient- ils , pas fait . C'eſt à regret
que j'y confens , reprit Méluzine , mais .
enfin , mon pouvoir s'y trouve compromis.
Allez , & demain vous ferez contens , puifque
vous enlaidir c'eft vous contenter .
Nouvelles inquiétudes de part & d'autre
. Cette nuit ne les trouva pas plus tranquilles
que la première , & le jour naiffant
les revit à la fontaine. Il faut tout dire ,
Zulia y devança Lifidor. Elle penfa s'évanouir
à l'afpect du nouveau changement
arrivé dans fes traits . Ah ! pour cette fois ,
difoit- elle , pour cette fois Lifidor ne s'y
méprendra plus ! Lifidor arrive & s'y méprend
de nouveau. Nos prières font fuperflues
, lui dit- il ; Méluzine le joue de mon
efpoir , ou plutôt il lui eft impoffible de
le remplir. La nature en vous eft plus forte
que tout fon art . Il ne lui eft pas plus.
poffible d'altérer vos charmes que de les
accroître.
fe
Son pouvoir n'eft que trop affuré contre
moi , reprit Zulia , mais elle ne l'exerce
point , ou du moins elle l'exerce mal contre
vous. Je ne remarque dans vos traits
aucun changement. J'ignore par quelle
raifon la Fée vous ménage ainfi lorfqu'elle
me ménage fi peu . Ne veut- elle que me
rendre hideufe à tous les regards ? VeutOCTOBRE
1765. 59
elle que vous puiffiez toujours plaire aux
fiens ? ...
Que dites - vous , ma chère Zulia , interrompit
Lifidor. Méluzine peut beaucoup;
mais me détacher de vous pafferoit tout
fon pouvoir. D'ailleurs , ajouta- t- il , en fe
mirant , l'état où elle m'a mis doit vous
raffurer. Pourriez - vous encore le méconnoître
? Suis- je encore fupportable à vos
yeux ?
Lifidor , interrompit à fon tour Zulia ,
ou cette eau vous trompe , on vous cherchez
à m'abuſer. J'ai des yeux , & ils ne
me trompent jamais. Jamais vous ne fûtes
moins changé que vous ne l'êtes . On diroit
que mes pertes vous enrichiffent. Je fuis.
du moins la feule de nous deux qui ait
perdu quelque chofe.
que
Belle Zulia , reprit le jeune Gaulois ,
nous fommes bien éloignés d'être d'accord
, mais il eft un moyen fûr de nous,
accorder. Interrogeons des yeux moins,
prévenus que les nôtres. Vous en rapportezvous
au galant Sténon ? Moi , je m'en
rapporte à la coquette Zélis. Y penfezvous
? reprit Zulia. De tels juges ne font:
rien moins que défintéreffés . Oubliez - vous
que Zélis vous aime , & que Sténon paroît:
m'aimer ? Tant mieux , répliqua Lifidor::
voilà des juges tels qu'il nous les faut. Ni
C vj,
60 MERUCRE DE FRANCE.
l'un ni l'autre n'aiment que par vanité.
C'eft peu de leur plaire , il faut encore
plaire à d'autres. Vous allez voir Zélis
me fuir , & Stenon plus que jamais s'attacher
à vous fuivre.
Depuis deux jours Sténon & Zélis ne
fe quittoient plus . Ils avoient obtenu de
Méluzine , l'un , qu'elle augmenteroit encore
les charmes de Zélis , l'autre , qu'elle
ajouteroit aux agrémens de Sténon . Leur
vanité fe trouvoit fatisfaite , & ils ne vouloient
que la fatisfaire. Lifidor les apperçut
le premier. Ils venoient à la fontaine pour
y jouir de leurs nouveaux avantages. Lifidor
fut frappé du changement qu'il remarqua
dans Sténon , & s'apperçut très- peu
de celui qui étoit arrivé dans les traits de
Zélis. C'eft qu'une efpèce de jaloufie l'éclairoit
à l'égard de l'un , & que l'amour ne
lui difoit rien pour l'autre par la même
raifon Zulia trouva Zélis plus belle encore
qu'elle n'étoit , & n'apperçut rien de nouveau
dans Sténon . Pour ceux- ci ils parurent
ne reconnoître ni Zulia ni Lifidor ,
& ils s'approchèrent de la fontaine . Lifidor.
& Zulia furent un peu furpris d'être ainfi
méconnus. C'eft , dit le jeune Gaulois ,
qu'ils ne font occupés que d'eux- mêmes ,
çar je ne les foupçonne pas d'être aſſez
heureux pour s'occuper l'un de l'autre.
1
:
OCTOBRE 1.765.
Les difcours de Sténon & de Zélis confirmèrent
bientôt cette conjecture. Les deux
amans les écoutoient. Je crois en effet ,
difoit Sténon en fe mirant , je crois être
encore mieux qu'à l'ordinaire. Méluzine y
met tant foit peu du fien , mais peu de nos
belles s'étoient apperçues que ce qu'elle y
joint me manquât.
Et moi , reprenoit Zélis , en avois- je
donc befoin ? Ai-je eu recours à Méluzine
pour moi ? Il eft vrai que fes dons ne gâtent
rien. Je ne redoute maintenant aucune
rivale , & toutes me doivent craindre.
Me fuis- je trompé ? difoit Lifidor à
Zulia. Vous voyez combien ce couple eſt
modefte , combien l'amour le pénètre &
l'occupe. Chacun des deux ne voit , n'aime
& n'admire que foi. Nous fied - il maintenant
de les prendre pour arbitres ?
Zulia n'eut pas de peine à répondre . Ils
s'éloignoient de Sténon & de Zélis quand
ceux- ci les apperçurent & s'approchèrent
d'eux, mais toujours fans les reconnoître.Ils
jugèrent que ces étrangers venoient prier
Méluzine de faire pour eux ce que n'avoit
point fait la nature. Je gage , dit Zélis à
Zulia , que vous venez implorer les fecours
de la Fée ? Elle eft bonne & elle peut tout.
Il ne lui fera donc pas impoffible de fuppléer
à ce qui vous manque ....Y fuppléer !
62 MERCURE DE FRANCE.
interrompit Lifidor avec indignation , ce
terme eft bien déplacé , bien impropre !
L'art d'une Fée ne peut rien où la nature
épuifa fon pouvoir.
Un grand éclat de rire fut toute la réponfe
de Zélis. Elle a raifon , difoit en ellemême
Zulia , j'ai trop perdu pour qu'on:
ne puiffe rien ajouter à ce qui me reſte.
Et
vous, difoit
Sténon
à Lifidor
, croyézvous
n'avoir
aucune
demande
à faire pour
vous-même
? Aucune
, reprit
affirmativement
Zulia
, & vous
le voyez
bien
! Autres
éclat de rire de la part de Sténon
; ce qui
n'offenfa
point
Lifidor
. On peut , difoit- il ,
trouver
la prévention
de Zulia
un peu fingulière
, mais
cette
prévention
me confole
du défaut de réalité.
:
Zulia voulut à fon tour queftionner
Zélis. Apparemment , lui dit - elle , que
vous croyez devoir beaucoup à la Fée ? -
Point du tout elle fit pour moi très -peu
de chofe , mais il n'y avoit rien à faire de
plus . Il me femble , interrompit Lifidor ,
piqué du premier difcours de Zétis , il me
femble que c'eft reftreindre un peu trop
le pouvoir d'une Fée fi puiffante. Cela
pourroit bien être , difoit Sténon en luimême
: Zelis eft belle , mais je foupçonnequ'elle
pourroit l'être encore davantage..
C'eft ce qu'il faudra voir..
OCTOBRE 1765. 63
--Pour Sténon , ajouta Lifidor , ſans doute
que la Fée le traira de fon mieux. Je vois
qu'il ne pense pas avoir à s'en plaindre..
Auffi ne m'en plaignai- je pas , reprit Sténon.
Je crois pourtant , difoit tout bas
Zélis , qu'il pourroit avoir davantage à
s'en louer. Je veux une feconde fois implorer
pour lui Méluzine.
Lifidor & Zulia s'éloignèrent pour fe
rendre auprès d'elle & furent fuivis par
l'autre couple. Meluzine fourit en voyant
ce concours. Elle jugea que des motifs
bien oppofés l'occafionnoient. Qu'exigezvous
encore de moi , leur dit- elle ? J'avois
cru vous mettre dans le cas de ne plus
rien defirer.
Sténon prit la parole , car il parloit volontiers
avant les autres . Grande Fée , lui
dit -il , vous voyez Zélis bien différente
de ce qu'elle vous parut d'abord . C'est une
fleur qui la veille avoit peu d'éclat , & qui
le jour fuivant charme tous les yeux . Zélis
eſt votre onvrage ; elle vous doit beaucoup
, mais elle pourroit vous devoir encore
plus. Je l'aime au point de vouloir
que ſa beauté ſoit fins défaut , & , s'il
faut parler vrai .... Que dites- vous ? interrompit
Zélis ? mes charmes ont fait
leurs preuves : d'autres que vous atteſteront
leur pouvoir : croyez-moi , parlez de vousmême
& pour vous - même ; je joindrai
34 MERCURE DE FRANCE.
ma prière à la vôtre. Grande Fée , pour
fuivit-elle , vous daignâtes beaucoup faire
pour Sténon , daignez encore y ajouter. Je
defire que mon amant faffe honneur à mon
choix.
Et vous , Zulia , demanda Méluzine ,
penfez- vous comme Zélis ? Que l'amour:
m'en préſerve , reprit Zulia ! Je voudrois
que mon amantne plût qu'à moi ; je regrette
qu'il conferve trop de quoi plaire à d'autres..
Et Lifidor , qu'en penfe - t - il ? ajouta
Méluzine. -Madame , je penfe comme
Zulia , mais vous n'avez pas détruit mes.
craintes. La caufe en fubfifte toujours ,
Zulia eft toujours la même , toujours propre
à m'attirer une foule de rivaux.
Ce difcours de Zulia & de Lifidor
amufa beaucoup & Zélis & Sténon . Le
joli couple ! difoient- ils d'un ton ironique ..
En vérité ils doivent craindre qu'on ne les
fépare !
Alors Méluzine parut tenant une coupeà
la main. Cette vue inquiéta Sténon &
Zélis . Raffurez - vous , leur dit la Fée ,
cette coupe eft celle de la fidélité . On ne
peut y boire fans acquérir pour jamais cette
vertu.... Pour jamais ! s'écria le Gaulois
volage. Entre nous , c'eft faire une affez.
trifte acquifition. Et Zélis , qu'en penfe - telle
? demanda la Fée . Je n'ai là- deffus ,.
OCTOBRE 1765. 65
répondit Zélis , que des idées bien confufes.
Voilà de quoi les développer , ajouta
Méluzine. Alors elle répandit fur Sténon
& Zélis quelques gouttes de la liqueur que
renfermoit la coupe. A l'inftant même leurs
nouveaux traits difparurent , leur vifage
reprit fa première forme , ils redevinrent
ce qu'ils avoient été . Ciel ! que vois - je ?
s'écria Zélis en regardant Sténon ; c'eût
donc été là l'éternel objet de mon attachement
? Il y a vraiment bien de quoi !
Fuyons pour éviter quelque nouveau piége.
En vérité , difoit Sténon en s'éloignant
comme elle , peu s'en eft fallu que je n'aie
cédé au preftige & fini par n'être qu'un
fot. J'avoue , puiffante Fée ! que votre
victoire eût été bien glorieufe ; mais difpenfez-
moi d'en être l'inftrument .
Mélazine , fans daigner lui répondre ,
s'adreffa au couple amoureux qui reftoit à
fes côtés . Refuferez- vous auffi , difoit- elle ,
de boire dans cette coupe ? Je faurai bien
être fidèle fans cela , répondit Lifidor. Et
moi auffi , ajouta Zulia ; mais fi la Fée
l'exige , rien n'empêche de la fatisfaire .
Elle parloit encore & déja fon amant avoit
bu dans la coupe myſtérieuſe. Elle en fit
de même , & regretta de ne l'avoir point
prévenu. A l'inftant même tous deux reprirent
leurs premiers traits. Regardez-vous
66 MERCURE DE FRANCE.
maintenant , leur dit Méluzine . Ils fe regardèrent
; mais ils n'apperçurent aucun changement
fur le vifage l'un de l'autre. C'eſt
que la caufe qui les en avoit d'abord empêchés
fubfiftoittoujours. La Fée leur donna
un miroir , le feul peut- être qu'il y eût
alors dans cette contrée . Tous deux s'y
reconnurent , & tous deux s'en alarmerent.
La Fée les raffura. Vous avez vu , leur ditelle
, que l'amour eft indépendant de la
beauté , mais la beauté ne peut nuire à
l'amour. Il vous fera cependant libre de
changer , car l'épreuve de la coupe n'étoit
que pour vous rendre ce que vous aviez
bien voulu perdre vous ne changerez
cependant point , car vous aurez mille
sujets d'être conftans ; mais apprenez qu'on
ne l'eft pour l'ordinaire ni par fyftême ni par
raifon. La meilleure de toutes , en pareil
cas , eft celle qu'on ne peut définir.
Par l'Auteur des Contes Philofophiques.
OCTOBRE 1765. 67
LETTRE à M. DE LA PLACE , en lui
envoyant une épître.
QUELQUES reproches d'un de mes amis ,
Monfieur , m'ont infpiré les vers ci joints .
Comme je les ai faits dans la bonne foi ,
j'ofe vous les envoyer & vous prier même
de les inférer dans le Mercure. On ne peut
fe diflimuler que parmi le nombre des
vers ingénieux qui rendent cet ouvrage
périodique le plus agréable de tous , il
ne s'en trouve de temps en temps quelques-
uns qui n'ont pas toujours été forgés
fur l'enclume du Partiafie , témoin ceux de
ma façon qui y ont paru ; mais les médiocres
doivent paffer à la faveur des bons.
C'eft d'après ce principe , Monfieur , que
j'ai fait la pièce que j'ai l'honneur de vous
envoyer je la défavoue , pour peu que
vous la trouviez trop contraire à l'idée que
les littérateurs doivent avoir du Mercure
relativement aux poéfies qu'on a fi rarement
l'ennui & fi fouvent le plaifir d'y trouver.
J'ai l'honneur d'être , &c.
:
Ce 17 Septembre 1765 .
MUGNEROT..
88 MERCURE DE FRANCE.
EPITRE à Monfieur *** fur ce qu'il blâmoit
l'Auteur d'avoir fait inférer des
vers dans le MERCURE .
VEERRSS le côteau facré d'où Boileau , dans fa
rage ,
Avec raifon pourtant fit déguerpir Cotin ,
Je n'ai jamais eu le courage
De me mettre feul en chemin.
En tout , mon cher , il faut prévoir la fin .
Or , confultant mes fonds & les frais du voyagej
J'ai compris que mon équipage
En cette occafion devoit être mefquin.
J'ai donc eu recours au Mercure ,
Douce & très - commode voiture ,
Où , depuis Moliere & Bourfault ,
L'efprit , riche en littérature ,
Du pauvre doit payer l'écot.
Apollon , à fes frais , l'a , dit- on , fait conftruire
Pour ceux qui ne peuvent voler ;
Soyez donc moins furpris , beau Sire ,
De m'y voir depuis peu rouler.
Gardez- vous cependant de croire
Que , comme moi , chacun y paroiffe éclopé ;
Plus d'un piéton difpos s'y place envelopé
Du brillant manteau de la gloire :
Souvent même on y voit ces fils de la mémoire
OCTOBRE 1765 .
Qui fur Pégafe ont long - temps galopé.
Sitôt qu'on eft rendu près du mont escarpé ,
Au bas la voiture s'arrête :
Alors chacun deſcend , bien ou mal équipé
Et monte qui peut vers le faîte.
Beaucoup n'y fçauroient parvenir ,
Tant la côte eft gliffante & roide !
Plus ceux- ci font d'efforts , plus ils fe font honnir !
Contre mille fifflets ils ne peuvent tenir ,
Et fur leurs pas , avec leur mine froide ,
Par la même voiture on les voit revenir.
Là , mon ami , ma muſe en eft logée
Depuis fon effor imprudent.
Ce petit malheur cependant
Ne l'a pas beaucoup affligée.
Si dans l'accès qui l'eft venu faifir
D'un peu de honte on l'a punie ,
Du moins a- t- elle eu le plaifir
De fe trouver en bonne compagnie.
Elle a pris tant de goût aux propos délicats
Dont les autres faifoient un brillant étalage
Qu'en honneur je ne jure pas
Que ce foit fon dernier voyage .
Quant à vous qui femblez outré
Qu'un rimeur de bon fens prenne place au Mercure
,
Apprenez que Voltaire y montra fa figure,
Et que Piron y chanta fa Chéré.
70
MERCURE DE FRANCE.
LE mot de la première Enigme du Mercure
de Septembre eft lancette. Celui de la
feconde eft cerf- volant . Celui du premier
Logogryphe eftfourire , où l'on trouve or ,
oie , rofe , os , Roi , foir , rue , ôtez les
trois lettres ire , & mettez l's après ce qui
refte , vous avez ours. Celui du fecond eft
magie ; en plaçant l'i avant l'm , on trouve
image. Et celui du troifiéme eft épaule :
ôtez la première & la dernière lettre , il
refte Paul.
SANS
ENIGM E.
ANS crainte & fans effroi tout - à - coup j'obfcurcis
La chofe la plus claire & la plus inconnue ;
Mais , en l'obfcurciffant , toujours je l'éclaircis
Et l'augmente toujours quand je la diminue,
OCTOBRE 1765. 71
J
AUTRE.
E brûle de l'amour d'une belle pucelle ;
Elle expire pour moi quand je brûle pour elle :
Nos defirs font pareils jufques à notre mort .
Elle entretient mon mal & fon amour en pleure :
Sitôt qu'elle n'eft plus , mon fort veur que je
meure.
Je furvis un inftant par un dernier effort.
LOGO GRYPHE.
JE fuis d'une ftructure un peu trop étendue
Pour te dire , Lecteur , comment eft fait mon
corps ,
Et je ne puis ici préſenter à ta vue
Que la divifion de mes divers rapports.
Par le fecours de l'art , marchant avec mefure ;
Je trouve dans les pieds qui forment ma figure
Ce qui peut compofer vingt êtres différens.
D'abord le tendre nom chéri par les enfans ;
Un arbre fort fameux ; deux notes de muſique ;
Un ornement d'Evêque ; un terme dogmatique ;
Le froid & vaſte ſein d'un fluide élément ;
Du Sénateur Romain l'antique vêtement ;
Ce que la langue enfante & que la bouche exprime;
Ce qui donne la vie , & par qui tout s'anime ;
72 MERCURE
DE FRANCE
.
Une maligne plante ; un jeu très - ufité
Qui fert d'amufement à la fociété ;
Un temps où le Soleil tourne fur le tropique ;
Un pays & fon peuple au Royaume d'Afrique ;
Ce qui , mâle ou femelle , a pris toujours fon
nom ,
De deux êtres unis formant le même fon ;
L'endroit où bien fouvent le chaffeur avec joie ,
Marchant en tapinois , va furprendre fa proie ;
Ce qu'un père à fon fils fait prendre en certain
tems ;
Le métal précieux qui perd beaucoup de gens ;
Plus , le terme fatal commun à tous les hommes ,
Auquel on penfe peu dans le fiécle où nous fommes.
Voilà , mon cher Lecteur , ce que je t'ai promis ,
Combine maintenant pour favoir qui je fuis.
Par M. FABRE , en Languedoc.
AUTRE.
SI tu veux , cher Lecteur , avec un peu d'aifance
Savoir ce que je fuis par ma divifion ,
Cherche en mon chef une interjection ,
Et dans mon corps ce qui fait mon effence.
Mais
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
.
81
Buvons amis a tasse pleine,Lamour or
donne par ma voix ,Que Bacus soumis à se
Loix Chante Thalie et Melpomene , Chante Tha
-lie et Melpome
ne,
OCTOBRE 1765. 73
Mais , pour me voir avec plus de clarté ,
Il faut trouver en moi cette jeune beauté
Que la fable nous dit n'avoir pas eu de père :
Enfin , fi ce n'eſt pas affez ,
Mes quatre derniers pieds étant bouleversés ,
Te feront voir une rivière ,
Ainfi qu'un métal précieux
Qui fait chanter l'aveugle & réjouit nos yeux.
Il faut encor , pour abréger tes peines ,
Chercher le vêtement qui peut nous garantir
D'un vent que je renferme , & qui fe fait fentir
Quand la rude faifon vient ravager nos plaines ;
Et fi tu peux trouver un pronom relatif,
Qui chez moi cependant n'eft pas mis en pratique,
Par une note de mufique
Mon nom fera définitif.
Par le même.
CHANSON.
RONDE *.
BUVONS ; UVONS , amis , à taſſe pleine ;
L'amour ordonne par ma voix ,
Que Bacchus , foumis à fes loix ,
Chante Thalie & Melpomène.
* Chantée à la Barrière blanche , dans un dîner o
étoient Mefdemoiſelles Dangeville & Dumefnil.
Vol. I. D
74 MERCURE
DE FRANCE.
Que Voltaire , de l'hypocrène ,
S'enyvre pour chanter les Dieux ;
Ce nectar nous fait chanter mieux ,
Vive Thalie & Melpomène !
Si l'une , en quittant notre ſcène ,
En fit éclipfer les attraits ;
Célébrons , malgré nos regrets ,
Chantons Thalie & Melpomene.
Si l'autre adoucit notre peine
Par fes talens toujours vainqueurs ;
Qu'à l'envi nos voix & nos coeurs
Chantent Thalie & Melpomène.
A l'amitié qui les enchaîne
Les Dieux toujours applaudiront
;
Et nos coeurs avec eux diront ,
Vive Thalie & Melpomène.
Quelle autre Muſe * arrive encore ? ...
Notre plaifir fera complet !
Pour former un trio parfait ,
Il ne manquoit que Terpficore.
Amis , bûvons à Terpficore.
Par un Bourgeois de Montmartre.
Mufique de M. MADROUX.
* Mile Camargo , qui furvint tandis que l'on chantoit
les précédens couplets .
OCTOBRE
17650 75
ARTICLE
II.
NOUVELLES
LITTÉRAIRES.
HISTOIRE du Duché de
Valois , ornée de
cartes & de
gravures ;
contenant ce qui
eft arrivé dans ce pays ,
depuis le temps
des
Gaulois , &
depuis
l'origine de la
Monarchie
Françoife ,
jufqu'en
l'année
1763. A Paris , chez
GUILLYN , Libraire
, quai des
Auguftins , au lys d'or
& à
Compiègne , chez Louis
BERTRAND
,
Libraire -
Imprimeur du Roi &
de la Vile ; 1764 : avec
approbation &
privilège du Roi. Trois vol. in -4º.
Nous
avons
annoncé cet
ouvrage lorfqu'on
en donna le
profpectus il y a
quelques
années.
Aujourd'hui
que le livre eft fini ,
& qu'il fe publie en entier , nous
faififlons
l'occafion du
troifiéme
volume qui
paroît
depuis peu , pour
mettre
fous les yeux de
nos
lecteurs
quelques
anecdotes qui
rendent
cette
grande
hiftoire
agréable &
intéreſ
Dij
76
MERCURE DE FRANCE.
fante , même pour les perfonnes qui ne
font point du Duché de Valois.
Henri II , Prince de Condé , père du
grand Condé , Seigneur de la terre & du
château de Muret en Valois , avoit promis
de l'affermer à deux particuliers qu'il protégeoit.
Pour s'épargner les importunités
& les follicitations , il voulut conclure fur
le champ & fecretement. Il partit feul &
incognito de Muret , & alla trouver à la
Ferté-Milon un Notaire , nommé Arnoul
Cocault , qui avoit la réputation d'exceller
dans fa profeffion. On le nommoit fur les
lieux M. Arnoul , pour le diftinguer d'un
frère qui exerçoit la même profeffion que
lui. M. le Prince arriva à la Ferté- Milon
fur le midi. Arnoul dînoit , & fa femme
attendoit à la porte qu'il eût dîné . C'étoit
une Picarde de la trempe d'efprit de ces
anciennes ménagères qui demeuroient peu
de temps à table, & qui ignoroient le cérémonial.
Le Prince lui demanda M. Arnoul.
Il daine , répartit la femme en fon patois ;
affayez-vous fur le banc : quand Arnoul
daine on ne lui parle point. M. le Prince
infifta ; la ménagère perfifta , & lui répondit
en fe fâchant , il faut bien qu'Arnoul
daine. Le Prince céda , & attendit à la
porte , affis fur le banc , que M. Arnoul
cût dîné. Le repas fini , on introduifit le
OCTOBRE 1765. 77
Prince dans l'étude du Tabellion . Arnoul ,
qui croyoit parler à un Intendant de Maifon
, ne lui demanda point fes qualités . Il
dreſſa le bail à loyer. Lorfqu'il fut question
de le mettre au net , le Notaire pria
M. le Prince de dire fes qualités , mettez,
dit le Prince , Henry de Bourbon , Prince
de Condé , premier Prince du Sang , Sei
gneur de Muret. Le Garde - notes fut faifi à
ces mors ; il fe jetta aux pieds du Prince ,
& lui fit fes excufes.de la réception de fa
femme & de la fienne. M. le Prince le
releva & lui dit : ne craignez point , brave
homme. Il n'y a pas de mal. Eh ! il faut
bien qu' Arnoul daine. Cette aventure divertit
beaucoup Son Alteffe ; ce Prince la racontoit
par- tout. Elle fut tant de fois répétée
dans le pays , qu'on dit encore d'une
perfonne de laquelle on a befoin , & qu'on
ne peut pas détourner de table , Arnoul
daine.
Un Maçon de Verberie, nommé Mahon,
obtint la permiffion d'élever une croix de
pierre à fes frais dans la place qui eft devant
l'églife des Mathurins , fur le grand chemin
de Compiègne à Paris. Il confulta fon
Pafteur fur la forme qu'il donneroit à cette
croix. Le Curé lui confeilla d'élever une
croix de réfurrection , fans Chrift , & lui
promit une infcription en vers latin , qui
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
feroit un ornement à fon ouvrage . Lorfque
la croix fut achevée , le Curé fit graver ce
vers latins fur une corniche du piédeſtal
de la croix.
Grandi , fava crucis paffi tormenta , triompho.
Le Maçon , qui defiroit perpétuer la
mémoire de fon préfent , demanda au
Curé un fecond vers où fon nom fût cité,
Le Poëte fe défendit d'abord , ne fachant
trop comment exprimer la penfée de cer
ouvrier . Il céda à la fin , & lui donna ce
mauvais vers :
Hanc dicavit , ftruxitque , deditque Mahon :
L'année où cette croix fut élevée , le
Poëte Santeuil paffa à Verberie en allant
à Compiégne , où étoit la Cour. Voyant
un vers gravé fur cette pierre , il s'appro
cha & le lur. Il le répéta plufieurs fois.
avec une forte d'extafe , ajoutant à chaque
fois le beau vers. Il demanda le nom
de l'Auteur ; on lui nomma M. Bourdon
, Curé de la Paroiffe. Il partoit
pour aller lui en faire compliment , lorf
qu'il apperçut le fecond vers fur le retour
de la carniche. Oh , le mauvais vers ! s'écria-
t- il ; c'eſt un vers de Mahon , faiſant
allufion au Mahon de la fable , qu'on repréfente
avec des attributs fi extraordinaiOCTOBRE
1765. 79
res. Il reprit la route de Compiègne , en
courant à toute bride ; en arrivant il répétoit
encore le nom de Mahon.
Les habitans du village de Puyfieux ,
lieu fitué au nord de Villers - Coterets , fur
le bord de la forêt , ont toujours été chargés
de payer annuellement au domaine de
Valois la redevance d'une mine d'avoine
par ménage , & d'un fouage , efpèce de
gâteau , qui eft ordinairement apprécié à
deux fols. L'avoine devant être rendue
par les particuliers aux greniers publics , le
village entier chargeoit le pâtre , ou gardebêtes
, de le porter fur fon dos dans le lieu
de fa deftination . Ce domestique public à
fon retour étoit traité à fouper dans la
maifon dont il avoit acquitté la dette.
L'avoine étoit dépofée alors à Villers-
Coterets. Henry IV, à qui il arrivoit de
fe promener feul dans la forêt , fur-tout
dans cette partie , qui n'eft pas éloignée
des jardins du château , rencontra un jour
ce député des habitans de Puyfieux chargé
d'un fac d'avoine , dont le poids l'incommodoit
beaucoup. Ce Prince lui demanda
ce qu'il portoit & où il alloit. Le pâtre
lai expliqua tout , & ajouta que fi le Roi
au long nez faifoit bien ( il défignoit par
cette expreffion Henry IV ) , dont l'époufe
Marguerite étoit alors Ducheffe de Valois ,
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
il lui éviteroit la peine de porter fur fon
dos tout les ans cette avoine avec tant de
fatigue. Le manant , qui ne connoifſoit
pas
le Roi , paffa outre , & Henry
IV continua
de fe promener
. Le lendemain
de la
rencontre
le Roi envoya
chercher
le pâtre , qui fut fort furpris
d'être
ainfi mandé
.
Celui
- ci fe préfenta
& reconnut
, en trem- blant , que la perfonne
à laquelle
il avoit parlé la veille
étoit le Prince
même
qu'il avoit
appellé
Roi au long nez , & crut
qu'on
l'avoit
fait venir
pour
le punir
.
Henry
IV le raffura
, & lui dit qu'il le
mandoit
pour
l'avertir
que déformais
il enverroit
chercher
à Puyfieux
l'avoine
de redevance
, pour lui éviter
la peine
de
l'apporter
fur fon dos . Ce que le Monar- que promit
fut exécuté
; & encore
aujourd'hui
la Communauté
de ces mêmes
habi- tans eft exempte
de l'obligation
de porter l'avoine
aux greniers
publics
de Valois
.
Ce corps d'habitans
fut ainfi délivré
d'une fervitude
dont
, fans cette aventure
, ils n'auroient
pas pu obtenir
la remiſe
.
Ce grand ouvrage eft rempli de pareils
anecdotes , qui , comme nous l'avons dit ,
en rendent la lecture intéreffante.
OCTOBRE 1765. Si
ABRÉGÉ chronologique de l'Hiftoire d'Ef
pagne & de Portugal , divifé en huit
périodes avec des remarques particu
lières à la fin de chaque période , fur le
génie , les moeurs , les ufages , le commerce
, les finances de ces Monarchies ;
la notice des Princes contemporains , &
un précis hiſtorique fur les favans & illuftres.
Deux volumes in - 8 ° , de plus defept
cents pages chacun . A Paris , chez JEANTHOMAS
HÉRISSANT fils , Libraire ,
rue Saint Jacques , à Saint Paul & à
Saint Hilaire ; 1765 : avec approbation
& privilége du Roi.
ON defiroit de voir traiter l'Hiſtoire
d'Efpagne & de Portugal fuivant la méthode
de M. le Préfident Hénault , c'eftà-
dire , avec cet art qui concentre les détails
des faits intéreffans , & les rapproche
dans un ordre commode , où le lecteur
peut les trouver & les confulter à fon gré.
L'Auteur de cette ingénieufe méthode
avoit entrepris d'en faire lui -même l'ap-
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
plication à l'Hiftoire d'Efpagne ; mais ne
pouvant donner affez de temps à un nouvel
ouvrage de cette nature , il s'eft contenté
d'en fournir le plan & le cannevas ,
& il en a confié l'exécution à des gens de
lettres , qui ont acquis de la célébrité dans
ce genre d'écrire.
Nous fommes perfuadés que le Public
applaudira à ce choix , & qu'il retrouvera
dans l'ouvrage que nous annonçons , nonfeulement
la méthode , mais même le
génie & la manière de M. le Préfident
Hénault . C'eft la même exactitude, la même
précision , la même attention pour ne rien
omettre d'intéreffant , la mêine fagacité
pour remonter aux fources & aux principes
des événemens , des moeurs , des ufages.
Pour en donner une idée , nous mettrons
fous les yeux de nos lecteurs le portrait
qui termine le tableau du long & glorieux
règne de Charles- Quint.
« Cet Empereur , difent nos favans
» Auteurs , avoit un génie vaſte , actif ,
» hardi , qui lui fit exécuter de grandes
» choſes. Brave dans les combats , profond
» dans les confeils , habile Général &
» favant politique , connoiffant les hom-
» mes , les faifant fervir à fes deffeins ,
fachant faire mouvoir à fon gré le carac-
» tère & l'efprit des nations , il porta fes
"
OCTOBRE 1765. 83
vues , comme Ferdinand , jufques fur la
" Monarchie univerfelle. Charles régnoit
fur vinge Royaumes , fur de grandes.
» Provinces dont il concilia les intérêts ,
» dont il prévint , arrêta ou punit les fou→
»levemens , employant , fuivant les circonftances
, la négociation , la douceur
» ou la force.
33
39
وو
35
» Les découvertes & les conquêtes des
Efpagnols étendirent fa domination fur
» l'Orient & fur l'Occident de l'ancien &
» du nouveau monde. Il avoit un Empire:
qui furpaffoit quatre fois en grandeur
» celui des anciens Romains , & deux fois:
"
33
30
وو
"
"
celui du Turc , du Roi de Perfe , du
" Mofcovite & du Tartare. Ce Prince ,
» le plus puiffant qui fut jamais , étoit
toujours en action ; il parcouroit fuc
» ceffivement l'Efpagne , la Flandre , l'Allemagne
, l'Italie. Il alloit commander-
>> fes armées & triompher de fes ennemis..
» Il venoir préfider les confeils des nations.
» foumifes à fon gouvernement. Il haranguoit
fes peuples : il défendoit fes inté-
» rêts & ceux de la religion devant les:
» Souverains affemblés dans les Dières de
l'Empire. Tout à fon ambition , il fit de
» fes fujets des guerriers & des politiques..
» Il aimoit & favorifoit les fciences & les:
» arts ; cependant il ne récompenfoit les;
99.
"
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
""
"
و د
33
» talens agréables que dans les étrangers :
» il fembloit avoir adopté , à l'exemple des
» Romains , la maxime de réſerver aux
Efpagnols l'honneur de vaincre & de
pardonner , & de laiffer aux autres peuÍl
ples la gloire des talens. Il encouragea
par fes faveurs les artistes & les négo-
» cians à venir s'établir dans fon Empire.
» Le Marquis d'Aftorga lui en faifant un
» jour le reproche : apprenez , lui dit Char-
» les , que la nobleffe me dépouille , mais
» que le commerce m'enrichit , & que les
fciences & les arts m'inftruifent & m'im-
» mortalifent. On fait que ce Prince com-
» bla le Titien d'honneurs & de bienfaits ;
il ramaffa lui -même le pinceau qui étoit
échappé des mains de ce Peintre illuftre :
il alloit fouvent le vifiter dans fon atte-
» lier. C'étoit un nouveau titre de gran-
» deur qu'il acquéroit , en honorant ainfi
» les hommes célèbres.
و د
"
>>
و ر
ود
"
""
» On eft fâché de voir que ce Souverain ,
qui avoit tant de belles qualités , de gran-
» deur d'âme , de talens , ait tout facrifié
à fa vanité , & qu'il fe foit peu occupé
» du bonheur de fes fujets pendant le cours
» d'un fi long règne . Ambitieux , jaloux ,
diffimulé , infidèle dans l'exécution de
» fes traités , emporté , vindicatif, terrible
» dans fa colère , il a rempli l'Europe de
» guerres , de fang & de calamités.
ود
ود
OCTOBRE 1765. 8.5
"
ود
» Il eut dans François I , Roi de France,
>> un rival qui retarda fes conquêtes , &
» qui mit un frein à fes vaftes projets.
» Charles le pourfuivit à outrance & l'ac-
» cabla de toutes fes forces ; il triompha
» de ce Monarque par fes Généraux , qui
» le mirent en fa puiffance. Charles perdit
» alors l'occafion de remporter fur lui-
» même la plus belle de fes victoires , en
» rendant généreufement la liberté à fon
» illuftre prifonnier ; au contraire , il le
» traita avec dureté & trafiqua de fa ran-
» çon. Il connoiffoit dans fon ennemi des
» fentimens plus généreux , lorfqu'il ofa
» fe confier à lui & féjourner dans fon
» Royaume , où il reçut les honneurs de
la fouveraineté.
"
و د
ود
و و »Charlesaimoitlagloirecommeun
» ambitieux & un conquérant ; François I
» la recherchoit comme un grand Roi &
» un Héros ; Charles protégea les fciences
» les lettres par oftentation ; François I
» les honora par goût ; Charles gouverna
en politique ; François régna en père.
» Charles & François , tous deux fpirituels,
» courageux , zélés pour la religion , magnifiques
, galans , furent les plus grands
» hommes de leur fiécle. Charles eut plus
de gloire & de puiffance , François I
"
86 MERCURE DE FRANCE.
» plus de véritable grandeur & de confi-
» dération.
W
99
"
>
» L'abdication & la retraite de l'Empe-
» reur ont été admirées & blâmées fuivant
» le point de vue dans lequel elles ont été
» confidérées ;. mais ce Prince , vieux
infirme , raffafié d'honneurs , fatigué par
» le poids de fa puiffance, faifoit-il un facri-
» fice bien grand de renoncer à un fardeau
qui l'accabloit ? Il defiroit voir remplir
" par fon fils le rôle dans lequel il avoit
» repréfenté avec tant d'éclat. Il vouloit
» être à fon tour fpectateur tranquille ,
» après avoir été long-temps en action ,
» & avoir recueilli les applaudiffemens de
» l'univers . Ce fut cette curiofité vaine qui
39 le porta auffi à fe faire repréſenter la
» pompe de fes funérailles ; il fe mit fous
» le drap mortuaire , & chanta pour lui-
» même les prières ordinaires . Le froid le
» faifit pendant le temps de ces triftes céré-
» monies & hâta la fin de fes jours . On
» lui éleva dans l'Europe trois mille fept
cens catafalques . Il fit un teftament que
Philippe II déféra à l'Inquifition ; on y
» délibéra même fi le teftateur ne devoit
» être condamné au feu ».
Nous defirerions pouvoir préfenter auffi
le portrait de ce Philippe II , qui futautant
OCTOBRE 1765. 87
craint que Charles-Quint fon père avoit
été admiré ; mais les bornes de notre Journal
ne le permettent pas ; on le verra avec
plaifir dans l'ouvrage même , où les Auteurs
ont fçu répandre à propos des morceaux
d'une lecture agréable , tant dans le
corps même de l'hiftoire que dans les remarques
particulières qui font diftribuées
à la fin de chaque période.
Cet abrégé chronologique de l'Hiftoire
d'Efpagne & de Portugal fera fuite avec
les autres du même genre , dont la réunion
peut former une hiftoire univerfelle
en un petit nombre de volumes , où tous
les événemens font préfentés avec préciſion
au lecteur qui veut s'inftruire & au ſavant
qui veut fe rappeller quelque événement,
38 MERCURE DE FRANCE.
TABLE générale des pièces contenues dans
les cent huit volumes du CHOIX DES
JOURNAUX , rangées par ordre des ma
tières & des volumes , avec un catalogue
par ordre chronologique de tous les ouvrages
périodiques qui ont paru juſqu'à ce¸
jour. Prix 36 fols brochée. A Paris ,
chez BAUCHE , Libraire , quai & attenant
les Auguftins ; 1765 : vol. in- 12.
A PRÈS avoir travaillé pendant plufieurs
années à former un recueil précieux , compofé
de pièces rares , curieufes , finguliè
res , agréables , amufantes ; après avoir
choifi dans plus de dix mille volumes d'ouvrages
périodiques les morceaux les plus
dignes d'être confervés , en les féparant
d'une infinité d'autres moins eftimables ,
nous avons cru , & le Public nous l'a confirmé
, qu'il étoit néceffaire de faire fuivre
cette immenfe collection , d'une table générale
, où , par ordre des matières , tous les
objets contenus dans ce recueil fe préſentaffent
à la première vue.
Ceux qui connoiffent le Choix des pièces
OCTOBRE 1765. 89
tirées des anciens Mercures & autres Journaux
, conviennent tous , que c'eſt à la fois
la collection la plus riche , la plus variée
& la plus utile qu'il foit poflible de fe
procurer. Par fa nature , elle eft non-feulement
un corps d'ouvrage indifpenfable
pour les grandes bibliothèques , mais encore
un répertoire précieux , inftructif &
amufant pour tout le monde. C'eſt une
bibliothéque univerfelle , où tous les lecteurs
trouvent également des matières qui
leur conviennent. Les amateurs de l'hiftoire
y liront des morceaux uniques dans
ce genre plus de deux mille pièces de
vers fatisferont le goût des partifans de la
poéfie ; les contes , les anecdotes , les
nouvelles , les romans contenteront ceux
qui fe plaifent à des lectures plus frivoles ;
& ce recueil leur en offrira un grand nombre
de cette eſpèce . Veut-on des fujets de
morale , de grands traits d'éloquence , des
découvertes dans les arts , dans les fciendans
l'hiftoire naturelle ? le Choix des
Journaux préfente , fur tous ces objets , des
pièces nombreuſes , rares , originales , &
prefque toujours compofées par des Auteurs
connus & de la plus grande réputation.
Nous avons dit que par le moyen d'une
table générale & très-méthodique , tous
MERCURE DE FRANCE.
les articles renfermés dans cent huit volumes
que contient cette riche collection ,
s'offrent au premier coup d'oeil ; & ce n'eft
pas le feul avantage que le Public peut en
retirer. Elle fervira encore d'indication
pour tous les ouvrages périodiques ; car ,
outre leur catalogue chronologique , elle
fait connoître auffi les meilleures pièces
qu'ils renferment , & qui en ont été extraites
pour former le Choix des Journaux.
Elle est donc , non - feulement d'une néceffité
indifpenfable pour les perfonnes qui
poffédent cette collection , mais encore
d'une très -grande utilité pour ceux même
qui ne l'ont pas , mais qui defirent favoir
dans quels Journaux font les morceaux
qu'elle indique.
Pour la plus grande facilité des perfonnes
qui feront dans le cas d'en faire
ufage , on a d'abord divifé cette table en
cinq parties principales ; favoir , l'hiftoire,
la poéfie , les pièces de littérature , les
fciences & les extraits. Chacune de ces
claffes fe fous- divife en différentes branches
; ce qui y jette autant d'ordre & de
clarté qu'il eft néceffaire pour procurer
aux lecteurs la recherche la plus facile .
Voici d'ailleurs une indication qui donnera
le tableau de ces divifions.
OCTOBRE 1765. 21
INDICATION des divifions , ou ordre de
cette table.
ARTICLE PREMIER.
MORCEAUX HISTORIQUES.
HISTOIRE générale
Antiquités ,
Médailles ,
Diverfes origines ,
Hiftoire des arts
Hiftoire Ecclefiaftique ,
page I
idem
.
4
Hiftoire de France,
973
8
12
Hiftoire Littéraire ,
19
Hiftoire Militaire , 24
Ambaffades & Négociations ;
26
Voyages & Relations 28
Arrêts notables ,
32
Crimes , Supplices
Hiftoire d'Angleterre ,
Hiftoire de Portugal & d'Espagne , 37
Hiftoire de Ruffie ,
Hiftoire d'Allemagne , 38
39.
Hiftoire de Turquie , &c.
idem.
44 Hiftoire de la Chine ,
333
33
36
92
MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II.
Pièces fugitives en vers & en profe.
S. I. POESIE S.
POEMES ,
Odes ,
page 42
43
Odesfacrées outraduites de pfeaumes, 47
Odes traduites ou imitées d'Horace , 48
Odes anacréontiques ,
Stances ,
Chanfons ,
Contes ,
idem.
49
52
57
58 Fables ,
61
Epîtres ,
Lettres en vers & en profe ,
64
Eglogues & Idylles ,
66
Elégies & Satyres ,
67
idem .
Sonnets ,
Rondeaux ,
69
Enigmes
idem.
Madrigaux ,
idem.
Epigrammes,
71
Epitaphes ,
72
Epithalames ,
73
Poéfies diverfes
idem .
"
Comédies ,
80
OCTOBRE 1765. 93
S. II. OUVRAGES EN PROSE.
NOUVELLES , Contes , Hiftoriettes , p. 81
Dialogues ,
Difcours oratoires ,
Galanterie ,
Morale & critique de moeurs ,
ARTICLE
IIL
PIECES DE LITTÉRATURE.
THEATRE ,
Littérature & critique littéraire ,
Grammaire ,
Religion ,
88
89
91
93
page
101
102
108
109
ARTICLE
IV.
SCIENCES ET ARTS.
MATHÉMATIQUES , page 111
Phyfique ,
idem.
Aftronomie ,
IIS
Méchanique
116

Peinture , Architecture & Arts , 118
Hiftoire naturelle , 119
Chymie ,
128
Médecine ,
129
94
MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE V.
EXTRAITS ET ANNONCES D'OUVRAGES .
HISTOIRE ,
Relations de Voyages ,
و Poéfie
Morale ,
Littérature & critique littéraire ,
page 133
139
141
142
144
Théâtre , 146
Grammaire , 137
Métaphyfique,
idem.
Peinture & Arts , 148
Phyfique & Mechanique ,
idem.
Aftronomie
ISI
Hiftoire Naturelle , 152
155
Médecine ,
Nous ajouterons encore ici deux mots
au fujet de la collection du Choix des
Journaux , compofée de cent neuf volumes
, en y comprenant la table que nous
venons d'annoncer. Les trente derniers
volumes n'ayant été imprimés qu'à un fort
petit nombre , & fe trouvant même difperfés
dans différens pays , très -peu de
gens pourront fe flatter d'avoir le recueil
en entier , & certainement les collections
qui fe trouveront complettes fe vendront
fort cher par la fuite.
OCTOBRE 1765. 95
Comme on a été informé que plufieurs
perfonnes , même parmi les gens de lettres
qui eftiment ce corps d'ouvrage , regrettent
de ne le point avoir , & fe le feroient
procuré on eût pu l'acheter à un prix fi
raifonnable , on a pris le parti d'offrir au
Public vingt-cinq exemplaires , les feuls
qui foient complets chez le Libraire , à
raifon de 120 liv. chaque exemplaire broché
, d'ici au dernier Décembre , paffé
lequel temps , s'il en refte quelques-uns ,
ils ne fe donneront abfolument pas à moins
de 170 liv.
On peur faire relier ces volumes deux
àdeux, & par ce moyen réduire la collection
à cinquante-cinq tomes , & le prix de
la reliure en veau à 33 liv.
On vend tous les volumes féparément
à raifon de 36 fols le volume ; mais fi
l'on avoit befoin d'un certain nombre des
quatre - vingt -douze premiers pour completter
quelque collection , on les donnera,
d'ici à la fin de l'année , à un prix raiſonnable
& proportionné à la quantité qu'on
en prendra.
96 MERCURE
DE FRANCE
.
1
ANNONCES DE LIVRES.
DISSERT ISSERTATION fur un nouveau reméde
anti - vénérien végétal. A Paris ; 1765 : avec
approbation & permiffion . Brochure in- 1 2
de quatre- vingt- douze pages.
Le reméde dont on entreprend de prouver
la fupériorité fur le mercure , eſt un
fyrop qui tient fa vertu anti -vénérienne
d'un certain nombre de plantes , dans lefquelles
on n'avoit pas même foupçonné
jufqu'ici la propriété de détruire le virus.
Il eft , dit-on , agréable au goût ; il paffe
aifément dans les fecondes voies : la fenfation
qu'il produit fur l'eftomach eft
douce , &c. Les effets de ce reméde , fa
méthode curatoire , les différens genres
de maux vénériens qu'elle guérit , forment
le fond de cette brochure dont les
gens
de
l'art font les feuls juges , & dont la lecture
peut intéreffer les perfonnes malades .
ÉLÉMENS & Traité de Géométrie , par
M. de Puyfieux , Architecte expert juré
du Roi , & Membre de la Société Académique
des Arts & Sciences. A Paris , chez
Jombert , rue Dauphine , & Robin , rue des
Cordeliers ;
OCTOBRE 1765. 97
:
Cordeliers , & chez l'Auteur , carré de
Sainte Genevieve ; 1765 : avec approbation
& privilége du Roi . Volume in- 8 ° ,
enrichi de quarante- trois planches. Prix
6 liv . broché.
Le jugement de M. de Parcieux , qui
a approuvé cet ouvrage , en donnera une
idée plus avantageufe que tous les éloges
que nous pourrions en faire. Nous allons
le tranfcrire ici , & c'eft par-là que nous
terminerons cette annonce. « J'ai examiné
» ce livre , dit le favant Académicien ; j'y
ai trouvé de l'ordre & de la clarté , &
و د
quoiqu'on ait imprimé depuis une tren-
» taine d'années plus de vingt ouvrages
» différens pour la même fin , fans parler
» des réimpreffions de ceux qui exiftoient
» auparavant , la matière ne peut que gagner
à l'impreffion de celui- ci ».
ود
"
NOUVELLE France , ou France commerçante
, par M. F. X. T. Juge de la V. de
C. A Londres , & fe trouve à Paris , chez
Hériffant fils , Libraire , rue Saint Jacques.
Brochure in- 12 de deux cents foixantequatre
pages.
L'Auteur de cet écrit eft citoyen & magiftrat.
Cette double qualité excita fon zèle
pour l'Etat , & l'engagea à porter fes vues
fur ce qui peut lui être utile. Un projet
Vol. I. E
8 MERCURE DE FRANCE.
de commerce lui a paru remplir cet objet ;
& pour cet effet , il fait d'abord connoître
les avantages du commerce en général , &
ceux qu'en peut retirer l'Etat qui veut le
pratiquer , la facilité qu'il y a de l'y établir
ou de l'y relever , & enfin les obftacles
qui peuvent lui nuire. Ces quatre
objets font comme les fondemens de l'établiffement
qu'on propofe , & les divifions
naturelles de l'ouvrage.
ESSAY hiftorique-critique fur l'origine de
la puiſſance temporelle des Papes : ouvrage
qui a remporté le prix de l'Académie
Royale de Pruffe ; par M. Sabathier , Profeffeur
au Collège de Châlons- fur- Marne ,
& Sous-Sécrétaire de la Société Littéraire
de la même Ville . Nouvelle édition , avec
cette épigraphe :
Pacatumque regit patriis virtutibus orbem. Virg.
A la Haye , & fe trouve à Châlons- fur-
Marne , chez Antoine Degaule , Libraire ,
proche Notre - Dame ; 1765 : brochure
in- 12 de deux cents foixante- dix pages.
Ce fut fous la domination de Charlemagne
que l'on vit Rome fortir de la dépendance
des Orientaux , paffer fous les
loix de ce Prince , & enfuite fous celle de
fon fils Louis le Debonnaire , & de leurs
OCTOBRE 1765. ༡༡
fucceffeurs dans l'Empire d'Occident ; enforte
que la fouveraineté de ces derniers
dans Rome , malgré les efforts réitérés des
Papes , ne ceffa proprement qu'en l'année
1355 , fous Charles IV , qui céda tous fes
droits au Pontife qui étoit alors affis fur
la chaire de Saint Pierre. Voilà , en peu
de mots , la plus grande partie de ce que
l'Auteur fe propofe de montrer, d'après
les Auteurs les plus dignes de foi. Pour
procéder avec méthode , M. Sabathier
traite en trois parties féparées , les queftions
propofées par l'Académie. Après
avoir examiné en quel temps a ceffé totalement
dans Rome la fouveraineté des
Empereurs Grecs , il fait voir quand commença
celle des Papes , & en dernier lieu ,
quel fut le gouvernement des Romains
depuis que les Grecs eurent entièrement
perdu leurs droits fur ce peuple , jufqu'au
temps où les Papes commencèrent à exercer
une autorité abfolue & indépendante
dans Rome. Il n'eft pas néceffaire de prévenir
le Public fur le mérite de cet ou
vrage. Curieux & intéreffant par fon objet ,
il le devient beaucoup plus ayant réuni les
fuffrages d'une des plus célébres Académies
de l'Europe . Cette nouvelle édition eft préférable
, à bien des égards , à celle de Berlin.
L'Auteur , avant qu'on reinît fon ou-
325629
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
J
vrage fous preffe , y a fait quelques changemens
, defirant le rendre le plus parfait
qu'il feroit poffible. Outre plufieurs corrections
, on y remarque encore des additions
; & comme dans la première édition
on trouve fréquemment d'affez longs textes
latins , quelquefois même des textes grecs ,
M. Sabathier a jugé à propos , afin de
mettre cet ouvrage à la portée de tout le
monde , de traduire en françois tous ces
textes , dont la plupart ont été cités au bas
des pages. Enfin , il a cru devoir ajouter
une table des matières pour la commodité
des lecteurs.
Le Temple de la Reconnoiffance , feu
d'artifice , élevé par les foins de Meffieurs
les Lieutenans , Gens du Confeil , Echevins
de la Ville de Reims , & tiré dans la
place de la Coûture pour la cérémonie de
l'inauguration de la ftatue du Roi , en
préfence de M. Rouillé d'Orfeuil , Intendant
de la Province & frontières de Champagne
, nommé
par Sa Majesté
pour pré- fider
à la cérémonie
de l'inauguration
; lequel
y mit le feu avec M. Coquebert
,
Tréforier
de France
, & Vice - Lieutenant des habitans
, le Lundi
26 Août 1765.
A Reims
, chez J. B. Jeunehomme
, Impri- meur , rue des deux Anges
, vis - à - vis
OCTOBRE 1765. 101
celle des Elus ; brochure in -4 ° de quarante
pages , compofée par M. de Saulx , Cha
noine de Reims .
La brochure que nous annonçons contient
la defcription de ce temple chargé
d'infcriptions , de devifes & d'emblèmes
en vers latins & en vers françois , qu'il
faut lire dans l'ouvrage même.
ÉLOGE de René Descartes , par l'Auteur
de CAMÉDRIS ; avec cette épigraphe :
Cujus gloria neque profuit quifquam laudando ;
nec vituperando quifquam nocuit. Tite- Live.
AParis , chez la veuve Duchefne , Libraire,
rue Saint Jacques , au temple du goût ;
1765 ; in- 8 de quatre- vingt- deux pages ,
en y comprenant les notes.
Će difcours n'a point concouru pour le
prix de l'Académie Françoife. L'Auteur a
donné fon manufcrit trop tard ; mais s'il
nous eft permis de juger par comparaiſon ,
nous croyons qu'il pouvoit balancer les
fuffrages de l'Académie. Nous oferions
d'autant plus l'affurer , qu'on fe rappelle
que l'Auteur de CAMÉDRIS avoit auffi
donné un éloge de Sully , où régnent à la
fois l'efprit & le fentiment . Nous nous
réfervons de donner dans un de nos premiers
Mercures l'extrait de l'Eloge de
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
Defcartes par Mademoiſelle Mazarelly ;
& nous penfons que cet ouvrage répondra
à l'idée avantageufe qu'a donnée de foi
l'Auteur de CAMÉDRIS & de l'Eloge de
Sully.
ELOGE de René Descartes , difcours qui
a remporté le prix de l'Académie Françoife
en 1765 ; par M. Thomas . A Paris , chez
Regnard , Imprimeur de l'Académie Françoife
, grand'falle du Palais , & rue baffe
des Urfins ; 1765 , in - 8 ° de cent vingthuit
pages avec les notes.
Lorfque nous donnerons l'extrait de ce
difcours , que nous ne faifons qu'annoncer
aujourd'hui , nous préfenterons à nos lecreurs
quelques-uns des beaux morceaux qui
y font répandus. Le mérité de M. Thomas
pour cegenre d'ouvrage eft fi généralement
reconnu , que nous le croyons fort au- deffus
de nos éloges.
ELOGE de René Descartes , propofé par
l'Académie Françoiſe, avec cette épigraphe :
L'éloge d'un grand homme ef mon premier ouvrage.
A Paris , de l'Imprimerie de Sébastien
Jorry , rue & vis- à- vis de la Comédie
Françoiſe ; 1765 : avec approbation. In-8 °
de foixante-dix pages .
OCTOBRE 1765. 103
L'Auteur est un jeune homme qui ,
comme il l'annoncepar l'épigraphe , n'avoit
encore donné aucun ouvrage au public.
C'eft annoncer des talens eftimables , que
de débuter par un difcours qui peut foutenir
la comparaifon avec un ouvrage couronné.
Nous aurons occafion de revenir
encore une fois fur cet éloge.
NOUVELLE Bibliothéque de Littérature ,
d'Hiftoire , & c . ou choix des meilleurs
morceaux tirés des ANA , par M. G ***.
A Lille , de l'Imprimerie de J. B. Henry,
grand'place , près la rue de Tenremonde ;
& à Paris , chez Durand le neveu , rue
Saint Jacques , à la Sageffe ; 1765 : avec
permiffion & privilége du Roi ; 2 vol.
in- 1 2.
Nous croyons devoir avertir ici le Public,
de ne pas fe laiffer tromper par le titre de
ce livre. Il annonce un choix de ce qu'il y a
de meilleur dans les ouvrages connus fous
le titre d'Ana ; mais ce choix , fi c'en eſt
un , paroît être précisément un recueil de
tout ce que ces fortes d'écrits contiennent
de plus faftidieux. On projette de donner
une fuite à cette nouvelle Bibliothéque ;
elle pourra être en effet très- volumineufe ,
fi on fe propofe de remettre fous les yeux
des lecteurs , fans choix , fans goût , fans
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
efprit & fans fel , toutes les rapfodies contenues
dans l'Art de défopiller la rate ,
dans l'Arlequiniana & autres ouvrages
de
cette efpèce. Nous ouvrons ce recueil à la
page 233 , & nous y trouvons un catalogue
de livres qui contient vingt deux pages;
voilà ce qu'on appelle un morceau choifi
parmi les Ana. Tout eft compilé dans le
même goût , & c'eft ce qui nous fait élever
la voix pour garantir nos lecteurs de ces
fupercheries littéraires dont on n'eſt que
trop fouvent la dupe .
IL a paru l'année dernière deux volumes.
in- 1 2 fous ce titre intéreffant : Droits de
la Religion Chrétienne & Catholique fur le
coeur de l'homme. Ils ont été imprimés à
Montauban , chez Jean - Pierre Fontanel ,
fe vendent à Toulouſe , chez Antoine
Biroffe , & fe trouvent à Paris , chez différens
Libraires.
On
peur dire que cet ouvrage eft neuf
par la manière dont l'Auteur y a mis en
uvre les riches matériaux qu'il a employés .
Des connoiffeurs ont loué la nobleffe &
la précifion de fon ftyle , la force de fes
preuves , la clarté de fes réponfes , & le
fpectacle auffi touchant que majeftueux
que préfententfous fa plume certains points.
de la Religion Chrétienne & Catholique.
OCTOBRE 1765. 105
Pour fe convaincre de la vérité de ce jugement
, il n'y a qu'à lire le premier difcours
fur la Religion Chrétienne en général , le
fecond , fur l'Eglife Catholique , le fixième,
fur les doutes élevés contre le dogme de la
réalité , fections deux & trois ; & le feptiéme
, fection trois , fur le facrifice de
l'Euchariftie ..
Comme l'Auteur ( M. l'Abbé Bellet,
de l'Académie des Belles- Lettres de Montauban
ne s'eft propofé que de faire entrer
la religion dans l'efprit par le coeur
il n'en défend la vérité qu'avec les armes
de la charité ; & c'eft ainfi qu'il feroit à
defirer qu'on traitât toujours les matières
de controverfe , quelquefois dégradées par
la féchereffe & par l'aigreur de ceux qui
les difcutent.
LE Panégyrique de Saint Louis , prononcé
au Louvre devant Meffieurs de
l'Académie Françoife par M. l'Abbé le
Cren , Licentié en Théologie , de la Faculté
de Paris , Chanoine & grand Chantre de
l'Eglife & Sainte Chapelle Royale de Mortain
; fe vend chez Regnard , Imprimeur
de l'Académie Françoife , grand'falle du
Palais & rue baffe des Urfins.
OEUVRES de Théâtre de Launa chez
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
la veuve Duchefne , Libraire , rue Saint
Jacques ; 1765 : un vol. contenant la Vérité
Fabulifte , le Complaifant & le Pareffeux
Comédies , dont la feconde eſt reſtée au
théâtre , & un recueil de cinquante fables.
On a mal à propos inféré le Complaifant
dans les OEuvres de Launai. Cette pièce
eft de l'Auteur du Fat puni.
LES nouvells marques de protection que
le Roi vient d'accorder à l'entrepriſe de
la Carte générale de la France en cent
foixante-treize feuilles , levée par fon ordre
, & les foins que continuent de fe
donner les Directeurs de ce grand ouvrage
pour le conduire à fa perfection , étant des
garans certains de fon mérite , & rendant
fon débit plus confidérable que jamais , le
fieur Dupain - Triel , Ingénieur-Géographe
du Roi , informe le Public qu'entr'autres
Ouvrages , on trouvera chez lui toutes les
feuilles de cette grande Carte qui ont été
publiées jufqu'à préfent. Il ſe chargera de
les faire enluminer & de les mettre fur
toile de la manière la plus commode. Il
fera auffi des envois en province . Sa demeure
eft dans la maifon de Me Perron ,
Notaire , fur le pont du petit Châtelet à
Paris.
PLAIDOYERS & Mémoires , contenant
OCTOBRE 1765. 107
des queſtions intéreffantes , tant en matières
civiles , canoniques & criminelles ,
que de police & de commerce ; avec les
jugemens & leurs motifs fommaires , &
plufieurs difcours fur différentes matières ,
foit de droit public , foit d'hiftoire. Par
M. Mannory, ancien Avocat au Parlement.
Tome XIV & xv . A Paris , chez Claude
Hériffant, Libraire Imprimeur, rue Neuve-
Notre -Dame , à la croix d'or ; in- 12 .
Cette collection , qui fe continue fous
les yeux de l'Auteur , eft digne de fa grande
célébrité. Peut - être eft il fans exemple ,
qu'un feul Avocat ait eu à traiter un auffi
grand nombre de queftions , auffi oppofées.
entre elles , auffi piquantes , auffi neuves ,
auffi curieufes que celles qui forment ce
recueil , dont nous avons annoncé dans le
temps les volumes précédens. Il réunit la
variété à la folidité. Chaque matière y eft
traitée à fonds , & plufieurs même ne l'avoient
jamais été auparavant. Chaque vo
lume offre une dédicace particulière. Le
xv , dédié aux Curés de Paris , renferme
plufieurs queſtions bénéficiales & canoniques
, approfondies & difcutées . C'eſt toujours
la manière de l'Auteur , c'eft à- dire ,
une éloquence vive & facile , un ſtyle.
pur & clair , des faits nettement expofés ,
des moyens heureufement offerts , & par-
E. vj
108 MERCURE DE FRANCE.
tout l'élégance de l'homme de lettres unie
à la fcience du Jurifconfulte.
que
TRAITÉ des Couleurs pour la Peinture
en émail & fur la porcelaine , précédé de
Part de peindre fur l'émail , & fuivi de
plufieurs Mémoires fur différens fujets
intéreffans , tels le travail de la porcelaine
, l'art du ftuccateur , la manière d'exécuter
les camées & les autres pierres figurées
, le moyen de perfectionner la compofition
du verre blanc & le travail des.
glaces, &c. ouvrage pofthume de M. D'ARCLAI
DE MONTAMY , premier Maître:
d'Hôtel de S. A. S. Monfeigneur le Duc
d'Orléans , premier Prince du Sang. A
Paris , chez G. Cavelier , Libraire , rue
Saint Jacques , au lys d'or ; 1765 : avec
approbation & privilége du Roi ; vol ..
in- 1 2 .
Cette production utile eft le fruit d'une
application de plufieurs années à des expériences
délicates & ingénieufes: elle prouve
combien il est intéreffant pour le progrès.
des arts que des hommes fupérieurs s'en
occupent. Ceux qui n'apportent que des
yeux & des mains dans l'exercice des différentes
profeffions , peuvent, par des talens
naturels , exécuter les chofes connues avec
plus ou moins d'adreffe & mériter la quaOCTOBRE
1765. 109
Lification d'habiles ; mais c'eſt aux lumières
de l'efprit , c'eſt à la raifon qu'on devra
toujours l'élevation des arts au- deffus du
niveau , où des travaux précédens les avoient
portés. Ici les procédés , les diverfes manipulations
font toujours éclairés par les principes
de la phyfique & de la chymie , qui
en eft une partie fi agréable & fi effentielle ;
la diction eft par-tout claire , précife , &
l'on croit opérer en lifant ce qui eft dit des
opérations. L'éditeur , M. Diderot , a mis
à la tête de l'ouvrage de M. de Montamy
une expofition abrégée de l'art de peindre
en émail, dont il avoit donné une fibelle defcription
dans l'Encyclopédie au motEmail:
on y traite de toutes les difficultés que l'on
rencontre dans cette peinture ; mais on n'y
fait pas mention du moyen de les applanir ,
parce qu'ils n'étoient pas encore trouvés
alors. Il convient , malgré toute fon attention
, qu'il n'a pu donner que les principales
manoeuvres de la peinture en émail.
Il y a des chofes qu'on ne peut point écrire,
& qui font une affaire d'expérience & de
génie ; c'eft à la defcription touchante que
M. Diderot a faite dans l'Encyclopédie ,
des peines & des embarras des artiftes ,
qu'on doit principalement la réfolution
qu'avoit prife M. de Montamy , de rendre
fes expériences publiques dans le traité
110 MERCURE DE FRANCE.
qu'on met aujour , après la mort de l'Au
teur, pour remplir fes dernieres volontés .
Son goût pour les fciences & fes qualités
perfonnelles font confacrés dans un court
éloge à la tête de cet ouvrage.
ر
OBSERVATIONS hiftoriques & géogra
phiques fur les peuples barbares qui ont
habité les bords du Danube & du Pont-
Euxin . Par M. DE PEYSSONNEL cidevant
Conful pour SA MAJESTÉ auprès
du Khan des Tartares , puis Conful
Général dans le Royaume de Candie , aujourd'hui
Conful à Smyrne , Correfpondant
de l'Académie Royale des Infcriptions
& Belles -Lettres , & Affocié libre de
celle de Marſeille . Volume in-4° , avec
carte & figures en taille -douce . A Paris ,
chez N. M. Tillard , Libraire ; 1765 : avec
approbation & privilége du Roi.
Cet ouvrage , qu'on préfente au Public ,
contienttrois parties également curieufes &
intéreffantes. La première eft une differtation
en forme de difcours préliminaire fur
l'origine de la langue Sclavone , de toutes
les langues vivantes la plus étendue , puifqu'elle
eft commune à plus de quarante
nations actuellement exiftantes ; on la parle
principalement en Mofcovie , en Pologne ,
en Bohême , en Siléfie ; & tous les favans
OCTOBRE 1765. 111
de ces divers pays prendront l'intérêt le
plus vif à la lecture de ce difcours. La
feconde partie eft ce qui donne le titre à
l'ouvrage. Il n'y a point de peuples en
Europe qui n'apprenne à connoître fon
origine en lifant ces Obfervations. Elles
contiennent des recherches profondes ,
mais lumineufes , fur des matières qui
jufqu'à préfent avoient été peu éclaircies.
Les commencemens de toutes nos hiſtoires
étoient couverts de ténébres ; ils femblent
fortir de cette obfcurité dans les Obfervations
hiftoriques ; & les lecteurs qui reviendront
fur cet ancien cahos , les Ecrivains
qui chercheront à le débrouiller n'auront
plus qu'à fe laiffer conduire par la lumière
que leur préfente M. de Peyffonnel. 11
marque à toutes ces nations le lieu de leur
naiffance & l'époque de leur origine ; &
nous n'avons aucun ouvrage qui offre des
connoiffances auffi certaines fur ces deux
points d'hiſtoire & de géographie. La troifiéme
partie eft un voyage fait à Magnéfie ,
à Thyatire & à Sardes , &c. avec une relation
de tout ce qu'il y a de plus curieux en
monumens antiques , infcriptions , médailles
, dont plufieurs n'étoient pas encore
connus. Cette partie eft une des plus intéreffantes
relations de voyages qui ayent
paru depuis très-long-temps , & en même
iz MERCURE DE FRANCE.
temps une des plus curieufes & des plus
favantes. Pour ne rien laiffer à defirer fur
cet article , on n'a négligé ni foins ni dépenfes
dans la partie typographique. L'ouvrage
eft enrichi de planches très - bien gravées
, qui repréfentent les monumens les
plus dignes de l'attention des voyageurs
& de la curiofité des lecteurs . Le livre eft
imprimé fur de très - beau papier & en
fort beaux caractères ; les foins de la typographie
répondent au mérite littéraire de
l'ouvrage.
LETTRE fur les voies Romaines de la Province
de Guyenne , & fur quelques parties
de ces anciens chemins que l'on y
trouve encore.
J'AI vu , Monfieur , avec plaifir ce que
vous avez raffemblé fur les voies romaines
des Provinces de la Gaule , traités particuliers
, morceaux détachés , pièces difperfées
, ouvrages académiques , où l'om
voit la direction de ces anciens chemins ,
& ce qui en refte encore . Comme vous n'avez
rien trouvé fur la Guyenne , je me fuis
chargé de vous procurer ce que je pouvois
OCTOBRE 1765. 11
à ce fujet. J'ai envoyé à MM. les Ingénieurs
des généralités de Bordeaux , de
Montauban & d'Auch , une indication
fuivie des voies romaines qui partoient
de ces trois Villes , & je les ai prié de vouloir
bien me dire s'il en reftoit encore quelques
veftiges. Ces indications que je vais
tranfcrire ( avant les réponſes de ces Meffieurs
) , font voir la correfpondance de
l'ancienne & de la nouvelle géographie par
rapport à la grande Province de Guyenne ,
nommée autrefois Aquitaine , laquelle
étoit , comme vous le fçavez , encore plus
étendue que la Guyenne ne l'eft aujour
d'hui .
De Bordeaux partoient quatre voies romaines
, deux vers le nord , & deux vers
le midi.
La première alloit par Burgus , Bourg
fur la Dordogne ; à Blavia , Blaye ; Tamnum
, Talmont ; Novioregum , Royan.
De ces deux dernières Villes , deux routes
conduifoient également à Mediolanum-
Santonum , Saintes.
La feconde voie de Bordeaux vers le
nord , alloit à Perigueux , par Varadetum,
Vaires ; Corterate , Coutras ; Ca .. o. ( La
table Théodofienne ou de Peutinger qui
marque ce nom eft ici complette , & l'on
croit que ce lieu répond à Counazat. ) En14
MERCURE DE FRANCE.
>
fin , on arrivoit de Vefunna - Petrocoriorum
, Perigueux . De cette Ville partoient
trois autres voies : l'une alloit au nord ,
à Auguftoritum ou Lemovices , Limoges.
La feconde vers l'occident, à Mediolanum-
Santonum Saintes , par Sarrum Charmans,
& Condate Coignac. La troifiéme ou la
quatriéme voie de Perigueux , en comptant
celle de Bordeaux , alloit au midi ,
& paffoit par Diolindum , le Linde près la
Dordogne ; Trajectus , Pontoux de là
une voie alloit à Divona - Cadureorum
Cahors ; & celle qui conduifoit plus directement
au midi palloit par Excifum
Ville neuve d'Agenois ; Aginnum , Agen ;
Lactora , Leictoure , d'où l'on alloit d'un
côté à Tolofa , Toulouſe ; & de l'autre à
Climberis- Aufciorum , Auch.
,
:
>
>
La troifiéme voie qui fortoit de Bordeaux
vers le midi & qui étoit le grand
chemin pour Touloufe , comme il paroît
par l'ancien Itinéraire de Bordeaux à Jérufalem
, paffoit par Stomata , débouchement
de quelque ruiffeau que les Grecs
appelloient Stoma ; par Sirio , le pont du
Siron ; Coffio-Vafatum , Bazas , tres Arbores
, qui étoit une mutation ou lieu de relais
; Ofcineium , Efquiés ; Oppidum-Sotiatum
, Sos , Elufa , Eaufe ; Vanefia , le
paffage de la Baife ; Climberis ou AuguftaOCTOBRE
1765. 115
Aufciorum , Auch , &c. jufqu'à Toulouſe:
cette dernière voie appartient en partie à
la généralité d'Auch.
Ön peut encore obferver que de Sirio ily
avoit une route à Aginnum , Agen ; par
Alingo , Langon ; Ufubium , Urs ; Fines
lieu inconnu . Cette voie étoit une fois plus
courte de Bordeaux à Agen , que celle qui
eft indiquée ci - devant.
La. quatriéme voie qui alloit encore de
Bordeaux vers le midi , paffoit par un lieu
inconnu que l'on croit avoir été aux en
virons du village de Seftas : de là il y avoit
deux voies qui fe croifoient pour aller toutès
deux à Aqua Tarbellica , Acqs ou Dax.
L'une paffoit par Boii ou Boates , tête de
Buch ; Lofa , Leche ; Segofa , Efcouffé
d'où l'on arrivoit par Mofconnum , lieu
aujourd'hui inconnu , à Aqua Tarbellica ,
Acqs ou Dax. L'autre voie de Bordeaux
à cette dernière & même ville , paffoit par
Salomacum , Sales ; Tellonum , lieu inconnu
à l'entrée de Marenfin , après quoi
cette voie croifoit l'autre pour aller gagner
plus près de la mer Cocofa , Capitale d'un
petit peuple dont Céfar a parlé , mais qui
eft aujourd'hui inconnu , d'où l'on gagnoit
enfuite Aqua Tarbellica , Acqs ou Dax.
Sur ces anciennes routes de Bordeaux ,
ou plutôt fur les reftes que l'on en peur
116 MERCURE DE FRANCE.
reconnoître 1800 ans après leur conftruction
, voici l'extrait de la lettre de M. Tardif,
Ingénieur en chef de la généralité de
Bordeaux , en date du 31 Mars 1765 .
Les reftes d'anciens chemins romains
qu'on peut trouver dans cette généralité ,
font bien peu confidérables , & en petit
nombre. Les plus remarquables font :
1. Le chemin de Lavie , qui ne peut
être dérivé que du mot latin Via , traverfe
en ligne droite le marais de Monferrand ,
dans la direction à peu près de Bordeaux à
Bourg & à Blaye. On ne le reconnoît qué
dans ce marais , où il peut avoir 700
800 toifes de longueur , fans aucune apparence
ni veftige devant & après : il eft
formé par un rapport de petits cailloux
ou graviers , & eft très - folide .
à
2°. Le chemin appellé dans le pays , la
Tenerefe , & qui conduit de Barbate &
de Lavardac fur la rivière de Baiſe , vers
la ville du Port Sainte- Marie , fur la Garonne
. Il n'en refte plus qu'une longueur
de 700 toifes après Lavardac , dont j'ai
profité pour faire partie d'un nouveau chemin
, que nous faifons actuellement pour
la communication des routes de Bordeaux
à Touloufe & à Auch. Cette partie d'ancien
chemin eft faite en graviers comme le
précédent.
3º, Le chemin de Céfar , appellé dans
OCTOBRE 1765 117
le pays le Carmine ferade ou chemin feré ,
qui va d'Eguillon fur la Garonne , à Villeneuve
d'Agénois , fur le Lot. Les reftes
de cet ancien chemin fe trouvent & fe font
remarquer facilement dans la plus grande
partie de la diſtance entre ces deux villes ;
& je compte en profiter pour la confection
d'un nouveau chemin demandé par les habitans
du Pays. Il a été auffi formé avec
du gravier , & il en refte encore des parties
très - conſidérables , que les voyageurs
fuivent.
4°. Près le commencement du baffin
d'Arcachon , dans les grandes Landes de
Bordeaux , j'ai remarqué des veftiges d'un
ancien chemin , qui fuit à peu près la direction
de Bordeaux à la tête de Buch. Les
habitans du pays que j'ai queftionnés ,
n'ont pu me rien dire fur l'ancienneté de
ce chemin , qui eft actuellement interfuivi
dans tourompu
, & que je n'ai pas
tes les parties qui en reftent , & fe perdent
de part & d'autre dans les landes .
Voilà tous les veftiges d'anciens chemins
qu'on retrouve dans cette généralité.
On y voit peu d'antiquités , fi ce n'eſt
à Perigueux une tour ancienne , nommée
la Vezune , & qu'on dit avoir été un Temple
dédié à Mats , & les reftes d'un Amphithéâtre.
On voit encore dans un des
fauxbourgs de Bordeaux les reftes d'un au118
MERCURE DE FRANCE.
tre ancien Amphithéâtre , étendu & fort
élevé , qu'on appelle le palais Galien .
APRÈS vous avoir donné , Monfieur, les
obfervations que j'ai reçues de Bordeaux ,
je paffe à ce qui regarde la généralité de
Montauban , dont dépend la partie orientale
de la Guyenne , & d'abord voici l'indication
des voies romaines avec les
noms des endroits d'aujourd'hui par où
elles paffoient.
,
Apeu de diftance de Montauban , ville
non anciennne , étoit une voie romaine
venantde Touloufe , & qui alloit par Cofa,
Coz , à Divona Cadurcorum , Cahors. De
cette ville partoient deux autres voies ;
l'une alloit au Nord- Ouest par Trajectum ,
le paffage de la Dordogne ; Diolindum ,
la Linde , Vefunna Petrocoriorum , Perigueux
, jufqu'à Auguftoritum ou Lemovices
, Limoges. L'autre voie de Cahors à
l'orient , paffoit par Varadetum, que M.
d'Anville croit répondre à Varaie , & Carentomagus
, lieu inconnu , jufquà Segodunum
Rutenorum , Rodès . De cette dernière
ville partoient deux autres voies ,
dont la premiere alloit à Anderitum Gabalorum
, Javols , capitale des anciens
Peuples du Gévaudan ; & la feconde alloit
à Lutera , Lodève ; en paffant par Condatomagus
, lieu inconnu , mais qui devoit
être peu éloigné des Monts CévenOCTOBRE
1765. 119
nes , & à quelque confluent de rivière ,
comme l'indique fon nom gaulois.
Voici à ce fujet l'extrait de la lettre de
M. Boefnier , Ingénieur en chef de la généralité
de Motauban , en date du 13 Mars
de cette année .
"
« Le Varadetum fe doit traduire par
» Varaire , au lieu deVaraie. Ce lieu eftun
village fur cette direction , qui porte en-
» core , ainfi que fon Seigneur , le nom de
» Varaire.Pour leCarentomagus de la même
» voie , rien n'indique actuellement fur les
» lieux celui qui peut le repréfenter au-
" jourd'hui.
"
» Le Javols
ancienne Capitale des
Peuples du Gévaudan , paroîtroit affez
» être la ville appellée actuellement Marvejols.
Jen'ai pas trouvé pour le Conda-
» tomagus plus de renfeignemens que pour
« le
Carentomagus.
29
, ג
ןכ
» Sur les directions de ces différentes
voies , on ne trouve actuellement aucun
veftige de voies romaines. Il y a bien
» encore un chemin qui fert même au paffage
des troupes , & qui de Cahors paffe
» à Varaire , & va gagner Ville Franche de
Rouergue. Mais le chemin aſſez mauvais
, ne préſente aucun refte de travaux
ر د
33
"
>> anciens.
22
» Tout ce que je connois dans la généralité,
eft la direction de Rhodès vers Albi ,
120 MERCURE DE FRANCE .
92
où l'on trouve dans plufieurs parties d'an-
» ciennes chauffées , qu'on croit être de
» même date que toutes celles appellées
Brune-haut. Encore n'en trouve - ton que
´de diſtance en diſtance , des morceaux
» de 100, 200 & 300 toifes. Dans un nou-
» veau projet que je viens d'être chargé
» de faire , je me fers de quelques - unes
» de ces parties de chauffées .
2)
30 Il y a encore d'autres anciens lam-
» beaux de chauffées anciennes fur le Lar-
» zac , qui eft une montagne entre Milhau
» & Lodève , dont le fommet de quinze,
» à vingt lieues de circonférence , eſt une
plaine aride , avec beaucoup de rochers ,
& cependant affez habitée. Les plus re-
» marquables de ces lambeaux font entre
la Cavalerie & Nant : on les appelle dans
le pays chauffées de Céfar. Elles font trop
» courtes pour deviner par elles feules à
quelles voies elles appartenoient» .
و د
»
Voilà , Monfieur , tout ce que je puis.
vous procurer pour le préfent , n'ayant en-.
core rien reçu de la généralité d'Auch , &
de Pau , qui comprennent la Guyenne méridionale
, ou la Gafcogne . Si vous faites
réflexion que ce qu'on nous a mandé de
l'état préfent des voies romaines de cette .
Province , fe réduit à peu de chofe , vous
aurez lieu de vous écrier avec Ovide , tempus
OCTOBRE 1765. 1er
pus edax rerum , & c. Votre curiofité faura
à quoi s'en tenir.
On efpére donner au mois de Décembre
une feconde lettre fur le même fujet.
Je fuis , & c.
LETTRE à l'Auteur du Mercure , fur un
prétendu plagiat.
IL a paru contre moi , Monfieur , dans iz
feuille de l'Avant - Coureur du 2 Septembre
un libelle de la façon du fieur Silvy . Cet
homme m'accufe avec une hardieffe fans
exemple d'avoir inféré par extrait dans
mes obfervations fur l'architecture un manufcrit
qu'il m'avoit confié , & dont il eſt
l'auteur. Je vais répondre à cette imputa
tion : voici le fait.
Il y afept ou huit ans que le fieur Silvy
me communiqua un manufcrit fur l'architecture
, en me priant de lui donner une
forme qui pût le rendre digne de l'impreffion.
Sa fituation étoit alors très - malheureufe
; la pitié que j'eus de fon état me
détermina à me charger de refondre fon
manufcrit , qui n'étoit pas préfentable. Il
s'agiffoit d'affimiler les proportions des
bâtimens aux accords de la mufique , je
Vol. I. F
122, MERCURE DE FRANCE.
trouvai un fyftême bifarre , inconféquent ,
noyé dans un cahos de phrafes inintelligibles
& d'expreffions impropres , comme il
arrive à tout homme qui n'eft pointen habitude
d'écrire ; il falloit non feulement
mettre du ftyle , mais changer prefqu'entiè
rement le fond.
Le Sr Silvy cratm'intéreffer en me préfentant
une convention qui m'attribuoit
une partie du produit de l'ouvrage. Je fignai
fans efpérances , & uniquement pour
ne le point mortifier par mon refus. Après
un mois ou deux de travail , je reconnus
que mes peines étoient inutiles , que la
ftérilité du fond l'emportoit fur mes efforts.
Je remis au Sr Silvy fon manufcrit avec
tout ce que j'avois effayé de compofer pour
lui faire plaifir , je l'exhortai à tirer de tour
ce fatras le parti qu'il pourroit , ne voulant
plus abfolument m'en mêler , & depuis
ce moment je n'avois plus entendu
parler du Sr Silvy.
Préfentement cet homme, à qui je n'avois
voulu que rendre fervice , & à qui j'ai
prouvé le peu de cas que je faifois de fes
papiers en les lui remettant , ofe foutenir
que dans mes obfervations fur l'architecture
, j'ai pillé fon manufcrit , ce manuf
crit dont un laps de temps de fept ou huit
années , & mille occupations qui font veOCTOBRE
1765 123
nues à la traverſe , m'avoient laiffé à peine
un fouvenir confus , cemanufcrit que perfonne
ne connoît , & auquel on eft bien le
maître de faire dire tout ce qu'on voudra ,
ce manufcrit qui, s'il valoit quelque chofe,
feroit imprimé il y a long- temps.

.. En vérité c'eft abufer de la crédulité
publique que d'avancer de pareilles
abfurdités. Je lui déclare donc qu'il eft
faux que j'aie fait aucun ufage de fon manufcrit
que j'avois entièrement perdu de
vue , & que fon accufation fans preuve ,
dénuée même de toute vraisemblance , eſt
une calomnie atroce.
Ce même homme s'aviſe à cette occafion
d'invectiver contre l'effai fur l'architecture
que je donnai il y a douze ans.
S'il étoit inftruit , il fauroit que cet eſſai
n'a point été pris dans M. de Cordemoi ,
quoique l'ufage de fes principes y foit annoncé
; il fauroit que j'ai répondu à M.
Frailier de fon vivant , & que ma réponſe
a l'écrit anonyme qu'il attribue à M. Brifeux
, ne fut retardée qu'autant de temps
qu'il en fallut pour l'imprimer.
Les gens de lettres feroient bien à plaindre
, fi leur réputation dépendoit d'imputations
auffi dépourvues de fondement que
témérairement hafardées.
J'ai l'honneur, &c. L'Abbé LAUGIER,
Fij
24 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADÉMIES.
Séance publique de l'Académie des Belles-
Lettres de MONTAUBAN.
L'ACADÉMIE des Belles- Lettres de Montauban
a célébré , fuivant fon uſage , la
fête de Saint Louis , en affiftant le matin
à une Meffe qui a été fuivie de l'Exaudiat
pour le Roi , & du Panégyrique du Saint ,
prononcé par M. l'Abbé de la Tour , l'un
des Académiciens.
L'après - midi l'Académie a tenu fon
affemblée publique dans la falle de l'Hôtel
de Ville ; & M. l'Abbé de Verthamont ,
Directeur de quartier , a ouvert la féance
par un difcours fur l'art de cultiver l'efprit.
M. de Bernoi a lu enfuite un difcours
fur les caractères odieux de la jaloufie.
M. de Saint -Hubert , Chevalier de Saint
Louis , a récité des vers , où il a ingénieufement
rétracté le ferment qu'il avoit fait
de ne plus s'adonner à la poéſie.
OCTOBRE 1765 125
M. l'Abbé Bellet , après avoir adreffé à
M. de Saint Hubert des vers deftinés à le
confirmer dans fa nouvelle réfolution , a
Ju des obfervations apologétiques fur les
Académies de Province.
M. de Bernoi a fait part à la Compagnie
de ftances morales envoyées pour tribut à
l'Académie par M. le Chevalier de Malar
tie , l'un des Académiciens .
M. l'Abbé de la Tour a lu une differta
tion , où il examine fi l'on peut ddiirree que
l'art dramatique purge les paffions , & il
s'eft décidé pour la négative.
M. de Bernoi a récité une épître aux
gens de lettres , & M. de Saint- Hubert des
vers adreffés aux Dames fur les dangers de
l'oifiveté.
Enfin , après la lecture du programme
fuivant , le R. P. Boſchus , de la Doctrine
Chrétienne , l'un des Profeffeurs de Philofophie
du Collège de Brive , & de la
Société Royale d'Agriculture du Limofin ,
s'étant trouvé préfent à l'affemblée , il s'eft
déclaré l'auteur du difcours couronné. ;
fon ouvrage a été lu par M. Tenlieres , &
Ie Public y a généralement applaudi.
L'Académie diftribuera , le 25 Août
prochain , fête de Saint Louis , un prix
d'éloquence fondé par M. de la Tour ,
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
Doyen de l'Eglife Cathédrale , l'un des
trente de la même Académie , qu'elle a
deftiné à un difcours , dont le fujet fera
pour l'année 1766 :
Eft - il utile à la fociété que le coeur de
l'homme foit un myſtère ?
conformément à ces paroles de l'écriture :
Pravum eft cor omnium & infcrutabile ;
quis cognofcet illud ? Jérém . xvII , 6.
Ce prix eft une médaille d'or de la va
leur de deux cens cinquante livres , portant
d'un côté les armes de l'Académie
avec ces paroles dans l'exergue : Academia
Montalbanenfis fundata aufpice Ludovieo
XV, P. P. P. F. A. imperii anno XXIX ;
& fur lerevers ces mots renfermés dans une
couronne de lauriers : Ex munificentiâ viri
Academici D. D. Bertrandi de la Tour ,
Decani Ecclef. Montalb. M. DCC. LXIII .
Les Auteurs fent avertis de s'attacher
à bien prendre le fens du fujet qui leur
eft propofé , d'éviter le ton de déclamateur
, de ne point s'écarter de leur plan ,
& d'en remplir toutes les parties avec jufteffe
& avec précifion.
Les difcours-ne feront tout au plus que
de demi - heure de lecture , & finiront par
une courte prière à Jesus - CHRIST.
On n'en recevra aucun qui n'ait une
OCTOBRE 1765. 127
approbation fignée de deux Docteurs en
Théologie.
Les Auteurs ne mettront point leur nom
à leurs ouvrages , mais feulement une marque
ou paraphe , avec un paffage de l'écriture
fainte ou d'un Père de l'Eglife , qu'on
écrira auffi fur le regiftre du Secrétaire de
l'Académie .
Ils feront remettre leurs ouvrages par
tout le mois de Mai prochain , entre les
mains de M. de Bernoi , Secrétaire perpétuel
de l'Académie , en fa maifon , rue
Montmurat , ou , en fon abfence , à M.
l'Abbé Bellet , en fa maifon , rue Courde-
Touloufe.
Le prix ne fera délivré à aucun qu'il ne
fe nomme & qu'il ne fe préfente en perfonne
, ou par Procureur , pour le recevoir
& figner le difcours.
Les Auteurs font priés d'adreffer à M. le
Secrétaire trois copies bien lifibles de leurs
ouvrages , & d'affranchir les paquets qui
feront envoyés par la pofte.
fentence :
Le prix d'éloquence de cette année a
été adjugé au difcours qui a pour
Va duplici corde . Eccl . 11 , 14.
Le difcours qui a pour fentence : Fraude
perit virtus , a eu l'acceffu de ce prix.
Fiv
28 MERUCRE DE FRANCE.
SÉANCE publique de l'Académie d'AMIENS.
L'ACADÉMIE des Sciences , Belles - Lettres
& Arts d'Amiens célébra le 25 Août
la Fête de Saint Louis , dont le Panégyrique
fut prononcé par M. l'Abbé Leger ,
Diacre du Diocèfe d'Amiens.
La féance publique fut ouverte par M.
Baron , Directeur & Secrétaire , qui parla
fur les difficultés générales & particulières
qui ont retardé lapublication du recueil des
ouvrages de l'Académie.
M. l'Abbé de Richery , Chanoine d'Amiens
, nouveau Récipiendaire , fit fon remercîment
par un difcours dont le fujer
principal étoit l'influence du fentiment fur
les vertus & les talens. M. Baron y répondit
au nom de la Compagnie.
Les autres ouvrages qui remplirent la
féance furent un effai fur le goût par M.
d'Efmery; la préface d'un ouvrage de M.
Marteau, fur lafiévre milliaire , & une obfervation
d'hiftoire naturelle de M. Sellier,
fur la pierre de Morte- mer , village entre
Mondidier & Compiegne.
L'Académie n'ayant reçu aucun ouvrage
fur le fujet qu'elle avoit propofé , annonce
OCTOBRE 1765 129
pour celui du prix qu'elle doit diftribuer
en 1766 :
Quel a été dans la Province de Picardie
P'état des fciences , des lettres & des arts
depuis le commencement de la Monarchie
jufqu'à l'inftitution de l'Académie ?
Comme ce fujet eft auffi vafte qu'important
, elle donnera deux médailles d'or,
chacune valant 300 l . à l'Auteur qui l'aura
mieux rempli dans toute fon étendue.
Les ouvrages ne feront reçus que jufqu'au
premier Juin exclufivement : ils feront
adreffés , franc de port , à M. Baron ,
Secrétaire perpétuel de l'Académie à Amiens.
M. Sellier , de l'Académie d'Amiens ,
qui tient dans cette ville une école des
arts , en a diftribué les prix qui ont été
remportés.
Pour la géométrie , par MM. de Meaux
Boquillon , Paubon & Parmentier.
Pour le deffein des étoffes , par M. le
Blond.
Pour l'architecture , par MM. Defma
rets & de Quarci.
Pour le deffein & le calcul , par MM.
Ducroc , Pédot & Jolibois.
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
SÉANCE publique de l'Académie des Sciences
, Belles-Lettres & Arts de BESANÇON
, dudu 24 Août 176.5 .
L'ACADÉMIE , après avoir affiſté le matin
dans l'Eglife des PP. Carmes à une Meffe
en Mufique , & au Panégyrique de Saint
Louis , prononcé par le P. Lamouille ,
Carme déchauffé , tint l'après-midi uneféance
publique pour la diftribution des
prix , à laquelle M. le Duc de Randan ,
M. de la Corée affiftèrent en qualité de Directeurs
nés de l'Académie.
Cette féance fut ouverte par un difcours
de M. Rougnon , Profeffeur en Médecine
de l'Univerfité de cette ville , & Vice-
Préfident de l'Académie , dans lequel il
expofa les motifs qui avoient engagé à
réferver le prix de l'éloquence & des arts.
annonça enfuite que le prix de l'érudi Il
tion avoit été partagé entre les differtations
n°. 2 & 3. Le P. Sornet , Bénédictin de
F'Abbaye de Saint Vincent de Besançon ,
fut reconnu l'auteur du n° . 2 ; & M. Perruiot
, Maire de la ville de Baume , du
3. M. Rougnon déclara que l'acceffit
avoit été adjugé à la differtation n °. pre- n°.
OCTOBRE 1765. 131
mier , dont le P. Coudret , Prieur des Béné
dictins de Saint- Ferjeux , près de Befançon,
fut reconnu l'auteur. Après la lecture des
differtations couronnées , on termina la
féance par l'annonce des fujets propofés
pour les prix de 1766.
L'Académie fera la diftribution des prix
le 24 Août 1766.
Le premier prix , fondé par M. le Duc
DE TALLARD , eft deftiné pour l'éloquence
il confifte en une médaille d'or
de la valeur de trois cents cinquante livres..
Le fujet du difcours fera :
Il importe autant aux nations qu'auxpar
ticuliers d'avoir une bonne réputation .
L'Académie ayant réfervé le prix d'éloquence
de 1765 , en aura deux du même
genre à diftribuer en 1766.
Le fecond prix , également fondé par
feu M. le Duc DE TALLARD , eſt deſtiné
pour l'érudition : il confifte en une médaille
d'or de la valeur de deux cents cinquante
livres. L'Académie propofe pour fujet de
la differtation :
Ce qu'étoient les anciens Preux ?
La differtation doit être d'environ trois
quarts d'heure de lecture , fans y compren
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
dre le chapitre des preuves. Les Auteursqui
emploieront des chartes non encore
imprimées , auront foin de les produire en
entier , pour mettre l'Académie en état de
mieux apprécier les preuves qui en réſulteront.
Le troifiéme prix , fondé par la ville de
Besançon , eft deftiné pour les arts : il confifte
en une médaille d'or de la valeur de
deux cents livres. Le fujet du Mémoire
fera :
La manière la moins onéreuse de fabriquer
dufalpêtre en Franche-Comté.
Les Auteurs qui fe prévaudront de la
pratique des pays voifins , font avertis d'en
détailler les procédés & d'en conftater les
réfultats avec exactitude .
L'Académie n'ayant pas trouvé fes vues
entièrement remplies dans la multiplicité
des ouvrages qui ont concouru fur le fujer
propofé pour 1765 , elle a jugé à propos
de réferver le prix de cette année , de même
que le prix déja réfervé de 1764. L'importance
du fujet l'a déterminée à le propofer
de nouveau avec plus d'étendue ; & ce
qu'elle defire pour l'intérêt des Citoyens
de Befançon , l'émulation des concurrens .
le lui fait efpérer. Elle demande donc
encore :
OCTOBRE 1765 134
La meilleure manière d'affarer ( par quelque
moyen que ce foit ) le flottage des bois
deftinés au chauffage de la ville de Befançon?
Les ouvrages qui ont concouru cette
année feront encore admis au concours
de l'année prochaine , avec les changemens
que les Auteurs eftimeront convenables :
on leur recommande de combiner avec
plus d'attention la poffibilité , la folidité
& l'économie ; & comme ils paroiffent
n'avoir pas affez connu ou obfervé le local ,
ils doivent confidérer ,
1°. Que le port de Rivotte a trois cens
toifes de longueur depuis le rocher qui fait
faillie dans la rivière de Doubs jufqu'au
glacis de la ville , où le port fe termine.
2°. Que le Doubs a cinquante - cinq tor
fes de largeur entre le port & la rivièreoppofée
, que l'on appelle les prés de Vaux,
vers lefquels le cours de cette rivière la
porte plus naturellement.
3 °.Qu'il faut fur- tout fe prémunir contre
le ravage des glaces & la violence des vents
refferrés par les montagnes près de Befançon.
4°. Que dans le lit de la rivière , entre
le port & les prés de Vaux , on découvre
une chaîne de rochers contigus , mais plus
fenfible du côté des prés de Vaux.
34 MERCURE DE FRANCE.
5°. Que ces rochers font recouverts :
d'une vafe affez mouvante , dont l'épaiffeur
eft de trois , fept ou huit pieds dans différens
endroits ..
Les Auteurs qui travailleront pour les
'différens fujets que l'Académie propofe ,
ne mettront point leurs noms à leurs ouvrages
, mais feulement une devife ou fentence.
Ils la répéteront dans un billet cacheté
& attaché à la pièce ; ce billet contiendra
leurs noms & leurs adreffes. Les
ouvrages feront envoyés , francs de port ,
M. Binetruy de Grandfontaine , Secrétaire
perpétuel de l'Académie , avant le
premier de Mai 1766. Les Auteurs qui feferont
connoître par eux-mêmes , ou par
leurs amis , feront exclus du concours..
OCTOBRE 1765. 135
ARTICLE IV.
BEAUX ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE.
LE fieur Rouffelot , Chirurgien Privilé
gié à Paris , après s'être long- temps appliqué
à la découverte d'un remède contreles
cancers & autres maladies cancéreufes ,
eft enfin parvenu , à force de travail & de
recherche , à découvrir le reméde annoncé
dans le premier volume de Juillet dernier
page 178. Les expériences qu'a fait le fieur
Rouffelot n'ayant eu pour objet que le bien
& l'utilité publique , il n'a plus craint de
traiter différens malades fous les yeux des
plus habiles Chirurgiens , auxquels il a de
bonne foi déclaré la compofition de fes
remédes ; mais quelques- uns d'entre eux
n'ayant pas généralement approuvé ſa méthode
, malgré les fuccès qu' elle a toujours
eus , le fieur Rouffelot s'eft déterminé à
demander à l'Ecole de Chirurgie des Com36
MERCURE DE FRANCE.
miffaires pour l'examen de fon reméde &
en même temps pour fa rectification' , s'il
en étoit fufceptible. Cette Ecole , fur la
requifition du fieur Rouffelot , lui a nommé
des Commiffaires , l'un defquels lui a confié
le foin d'une malade à l'article de la
mort , attaquée d'un cancer à la mammelle
le plus caractériſé ; le fieur Rouffelot l'a
entrepris , quoique, pour ainfi dire , expirante
le 4 Août dernier, & l'a traitée depuis
ce temps avec plus de fuccès qu'il n'ofoit.
ême l'efpérer : indépendamment de cette
première démarche , le fieur Rouffelot , par
ordre de la Cour , s'eft adreffé à la Faculté
de Médecine de Paris , à qui il a demandé ,
par un Mémoire préfenté à cet effet , des
Commiffaires pour l'examen du même
reméde & des malades de l'efpèce dont il
s'agit, pour faire authentiquement fes expériences
& profiter des lumières de fes
Juges , afin d'ajouter à ce reméde les degrés
de perfection dont il fera fufceptible.
La Faculté de Médecine de Paris , affemblée
le 19 Septembre 1765 , a vu avec plaifir
le zèle & la confiance du fieur Rouffelot ,
& lui a en conféquence nommé pour Com
miffaires cinq de fes Docteurs , favoir ,
MM. Dionis , Bellot , Dubourg , Grandclas
& Partier , lefquels ont été chargés
d'examiner avec attention le reméde pro-
2
OCTOBRE 1765. 137
pofé , de conftater l'état des malades attaqués
de cancer traités par le fieur Rouffelot ,
de voir les progrès de la cure , de fuivre
le traitement avec exactitude , pour du tout
être dreffé procès - verbal , & fur le compte
rendu à la Faculté de Médecine , être par
elle décidé ce qui feroit jugé convenable.
En attendant cette décifion , le fieur
Rouffelot donne avis au Public qu'il s'offre
de traiter indiftinctement , & toujours fous
les yeux de Meffieurs les Commiffaires de
la Faculté de Médecine , toutes les perfonnes
attaquées de cancers , ulcéres & de
toute efpèce de maladies cancéreuſes. Le
fieur Rouffelot ne prétends rien exiger de
fes cures jufqu'au moment de la décifion
de la Faculté. Son adreffe eft toujours rue
des Orties , bute Saint Roch , la première
porte- cochère en entrant par la rue Sainte
Anne.
LETTRE à M. de la Place , Auteur
du Mercure de France.
MONSIEUR ,
Je vous prie d'annoncer , dans l'article
de la Chirurgie du Mercure de France ,
138 MERCURE DE FRANCÈ.
l'article fuivant , concernant M. le Chevalier
Taylor , célèbre Chirurgien Oculifte
, vous offrant le même fervice dans
les Affiches de Lyon , dont j'ai la direction :
vous obligerez celui qui eft avec la plus
parfaite confidération ,
MONSIEUR ,
Votre très -humble ferviteur,
DELAROCHE , Imprimeur-Libraire du
Clergé , du Gouvernement , de la Ville ,
des Académies & des Colleges de Lyon,
aux halles de la Grenette.
Lyon , le 1 Août 1765 .
Depuis quelque temps toutes les Gazettes
Françoifes retentiffent du nom du Chevalier
Taylor , fi connu déja dans toutes.
les Cours de l'Europe , par fa pratique
conftante dans les maladies des yeux , &
par les fuccès multipliés qu'il a eus depuis
plufieurs années dans le talent qui le rend
cher à l'humanité. Les titres flatteurs dont
tant de Têtes couronnées l'ont honoré , les
marques de bienveillance qu'elles lui ont
accordées , & dernièrement le titre dont
l'a décoré le Roi STANISLAS de Pologne ,
comme ci-devant Augufte III , Roi de
Pologne , font un témoignage authentique.
de la fupériorité de fes talens . Ce qui augmente
beaucoup la confiance du Public en
Jui , c'eſt que les Membres les plus diftinOCTOBRE
1765. 139
gués des Facultés ne le quittent jamais , lui
font l'accueil le plus affectueux , & font
toujours témoins de l'excellence de fes travaux.
Sa manière particulière de rétablir la
vue eft fi fingulièrement heureufe , que
perfonne ne fe plaint de la moindre inquié
tude , les yeux étant libres vingt - quatre
heures après l'opération. Il part d'ici pour
Turin , & fe rendra au commencement de
l'hiver à Paris , qù il eft attendu avec le
dernier empreffement.
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
OBSERVATIONS fur les ouvrages de Pein
ture & de Sculpture , &c. expofés au
LOUVRE en 1765-
SUIVANT UIVANT un ufage , dont la nation a
tous les deux ans de nouveaux motifs de
fe glorifier , le théâtre de nos arts a été
ouvert au Public depuis le 25 du mois.
d'Août.
- Si cet éclatant fpectacle ( qui ne peut
avoir lieu qu'en France ) a fourni , cette
année , des occafions de regret , en expo140
MERCURE DE FRANCE
fant les reftes précieux du talent de deux
Artiftes , dont la perte eft récente , mais
dont la mémoire fera durable ( 1 ) ; il a
produit en même temps des garans certains
d'une émulation fructueufe , parmi tous les
Membres de l'Académie , & d'un espoir
brillant fur les jeunes Sujets ; efpoir déja
rempli dans quelques - unes de leurs productions.
Les bornes , que nous fommes obligés
de donner à cet article, në nous permettront
pas de le détailler autant qu'il le faudroit
pour rendre à chaque Artifte tout ce qui
Îuri eft dû, & à chacune de leurs productions
la juftice qu'elles méritent refpectivement.
Nous espérons que d'un côté , ces mêmes
Artiftes voudront bien avoir égard aux
obftacles qui nous retiennent , & que de
l'autre , nos lecteurs ne concevront pas tou
jours des préfomptions défavantageufes
contre tout ce que nous ferons obligés de
parcourir plus rapidement.
On ne nous fera point le reproche injufte
de ne pas trouver ici des cenfures
affez févères , fi l'on fait attention à la réferve
dans laquelle doivent fe contenir des
gens de lettres , qui ont à écrire fur des arts
( 1 ) MM. Carlo - Vanloo & Deshayes. On trouvera
à la fin de la première partie de ces obferva
tions des notes concernant ces deux Artiſtes.
OCTOBRE 1765. 14
dont ils peuvent connoître tout le prix par
fentiment , mais dont ils ne pourroient
également par difcuffion diftinguer le mérite
de la pratique , fans rifquer des erreurs
défagréables pour eux - mêmes , & affligeantes
pour ceux qui en feroient les victimes.
Faifons- nous juftice avant que d'entreprendre
de la faire aux autres. Dans
les productions des arts dont il s'agit ici ,
nous avons un droit inconteftable fur les
effets , nous pouvons en rendre compte ;
mais il n'en eft pas de même des moyens
pratiques. Cependant , comme ces arts ont
fouvent pour objet des compofitions combinées,
dans l'imitation de la nature , nous
croyons pouvoir légitimement hafarder
des opinions fur la partie morale ou poćtique
de ces fortes d'ouvrages. Malheur
alors à ceux qui s'irriteroient de nos réflexions
, plutôt que d'en profiter fi elles
étoient juftes. Nous ne pouvons en même
temps avoir trop de retenue fur la partie
technique, c'est un dépôt confié aux maîtres
de l'art : s'ils en abufent par paffion dans
leurs critiques , ou par impéritie dans leur
travail , ils en font affez punis par les fuccès
de leurs rivaux , ou par la honte de
leur chûte.
On pourroit nous oppofer que , malgré
nos principes, nous employons nous-mê142
MERCURE DE FRANCE.
mes quelquefois le langage & la connoiffance
des fecrets moyens de l'art , pour
fonder l'éloge de certains morceaux dont
on n'a pas été auffi frappé qu'on auroit
dû l'être , ou que l'on aura vus d'une manière
fort oppofée au rapport que nous
en faifons . Il faut confidérer que fi tout
le monde a , comme nous , ce droit de
juger par fentiment ,, tout le monde n'a
pas le même intérêt à éclairer fes impreffions
, à en établir les caufes , à les rectifier
fi elles font fauffes. On n'eft jamais
blâmable d'être affecté de quelque chofe.
d'une manière plus ou moins favorable ;
mais on l'eft toujours de déterminer d'après
cela fa valeur réelle. Pourquoi donc
condamner , fouvent fans autre raifon que
fon propre fentiment , les louanges qu'on
croit que nous prodiguons ; mais qu'en
effet nous ne donnons , que d'après des
jugemens plus fûrs que ceux d'un goût
arbitraire, & infpirés par l'attrait de quelques
relations particulières entre l'oùvrage
& les yeux de celui qui le juge , foit
dans le fujet , foit dans la manière de l'exécution
, & plus fouvent encore dans le
degré d'intérêt qu'on prend à l'Auteur ?
Nous n'écrivons que dans un temps où
les divers jugemens du Public font déterminés
& affezréunis pour enrendre compte .
OCTOBRE 1765. 143
Ce qu'il eft encore effentiel de confidérer ,
c'eft que nous ne confultons que la partie de
ce Public , compétente fur cette matière , &
non pas cette foule tumultùeufe , dont les
regards fuperficiels dictent tant de jugemens
indifcrets qui volent légèrement
dans la fociété , & auxquels elle attribue
force de loi univerfellement reçue . Serionsnous
pardonnables , fi par une vile complaifance
pour certains lecteurs mal prévevenus
, & par une lâche crainte d'être accufés
de partialité , d'adulation ou de foibleffe
, nous faifions un odieux facrifice
de la réputation de quelques Artiftes recommandables
, & de la portion de gloire
qui leur appartient ?
Sans vouloir affigner aucun rang de préférence
, foit aux ouvrages , foit aux Artiftes
, nous ne fuivrons pas toujours dans
nos obfervations l'ordre de l'explication
imprimée qu'on débitoit au falon . L'importance
& l'étendue des fujets , l'analogie
des genres fouvent nous fervira de guide.
Il eft d'ailleurs des noms diftingués par la
longue poffeffion d'attirer les premiers
regards du Public , nous croyons qu'ils
doivent être les premiers objets de la cu
riofité des lecteurs.
Dans le lieu le plus apparent du falon
en face des croifées , on avoit placé les ou144
MERCURE DE FRANCE.
vrages de feu M. CARLO VANLOO , premier
Peintre du Roi , &c. Ils environnoient
un portrait de ce célèbre Artifte
fait par M. MICHEL VANLOO , Chevalier
de l'Ordre du Roi , premier Peintre du
Roi d'Espagne ( 2 ).
Cet arrangement favorable à la décoration
du falon , & en même temps intéreffant
pour les gens de l'art , eft l'ouvrage
du goût & du fentiment de M. CHARDIN,
chargé de l'ordonnance dans l'expofition
des ouvrages de l'Académie. Cet Artifte ,
célèbre lui- même dans un genre qu'il a
élevé , & des ouvrages duquel nous aurons
coccafion de parler, a voulu ériger à fon illuftre
confrere un monument éclatant
( 2 ) Indépendamment de ce portrait , cher à
tout les Artiſtes & aux Amateurs , par la reflemblance
vive & animée d'un homme dont ils aimoient
la perfonne autant qu'ils en honoroient le
talent , il y en avoit un grand nombre d'autres du
même Peintre. En ajoutant de nouveaux éloges
aux nouveaux ouvrages de M. MICHEL VANLOO ,
nous ferions obligés de répéter ici ce que nous
avons dit , il y a deux ans , dans l'article du falon ,
& ce que tout le Public a dit avant nous . Dans
les feuls portraits de ce Peintre , le plus médiocre
connoiffeur a dû trouver le caractère du talent dans
le grand genre , qui a procuré à M. MICHEL
VANLOO la place de Directeur de l'Ecole des
Elèves protégés par le Roi , qu'il occupe actuellement
avec l'applaudiffement univerfel.
composé
OCTOBRE 1765. 145
compofé des feules productions du défunt ,
& dans le lieu de fes fréquens triomphes.
Il a été payé de ce foin refpectable par les
pleurs que cet afpect a fait répandre à tous
ceuxqui étoient particuliérement attachés
à feu M. CARLE VANLOO.
Dans le nombre des reftes précieux de
l'Artiste que nous regrettons , le morceau
le plus apparent repréfente Augufte , faifant
fermer les portes du Temple de Ja
nus ( 3 ) . La compofition de ce tableau eft
riche , bien ordonnée & répond à la grandeur
du fujet . Nous avons entendu
quelques reproches fur le nombre & le vo-
Tume des objets relativement à l'efpace de
la fcène. Cette critique eft- elle fondée fi
comme on ne peut le contefter , il paffe
affez d'air entre chaque figure , pour que
l'oeil puiffe y tourner facilement ? Dailleurs
il eft à confidérer que pour bien repréfenter
cette importante cérémonie , la multitude
de figures étoit indifpenfable , que
l'étendue de la toile étoit obligée , que le
choix du fujet ne l'étoit pas moins , & que
ce fujet eft de la plus heureufe analogie
( 3 ) Ce tableau eft de neuf pieds huit pouces de
haut fur huit pieds quatre pouces de large. Feu
M. Carle Vanloo y travailloit lorfque la mort eft
venu l'enlever à l'Ecole Françoile. Il a été fini par
M. Michel Vanloo ſon neveu,
Vol. I. G
146 MERCURE DE FRANCE.
au lieu pour lequel il eſt deſtiné , & au
Monarque qui l'habite ( 4) . Nous fommes
( ainfi que beaucoup de connoiffeurs confultés
) très-éloignés de trouver du froid
dans cette compofition , ainfi qu'on le
hafarde dans une brochure ( s ) . Tous les
perfonnages de cette fcène ont le mouvement
& l'expreffion qu'ils doivent avoir,
L'action des Prêtres qui ferment les portes
du Temple , eft fuffifamment animée;
celle de la foule des fpectateurs , eft relative
au fentiment de joie & d'admiration
dans lequel ils doivent être. La circonftance
que le Peintre avoit à mettre
fous nos yeux , étoit fans doute une des
plus auguftes & des plus confidérables
dans l'Empire Romain ; mais le cérémonial
extérieur ne comportoit pas plus de
jeu dans les figures , & l'Artiſte a même
ajouté des acceffoires qui l'animent &
l'enrichiffent. C'eft cette raifon qui doit
faire tolérer l'efpèce d'inaction qu'on reproche
dans la figure d'Augufie. Nous ne
voulons pas rifquer d'examiner s'il étoit
poffible de lui donner plus d'intérêt , &
de lier davantage fon expreffion à l'action
du fujet. On s'accorde unanimement fur
( 4) Ce tableau eft pour la galerie de Choiſy,
( s ) Cette brochure eft intitulée : Lettres
M **,fur les ouvrages de Peinture , &c,
OCTOBRE 1765. 147
la vérité & fur l'harmonie du coloris dans
ce tableau , ainfi que fur l'exactitude du
coftume. En général il a fixé l'attention des
fpectateurs , il attiroit les regards , & l'effet
en a paru très -fatisfaifant. On peut
avancer avec confiance que cette production
pofthume , d'un des meilleurs Peintres
de notre âge , ne dérogera jamais à la réputation
de fon Auteur , ni à l'honneur
de fa deſtination .
On fait que le tableau des Grâces avoit
fubi des critiques à la dernière expofition.
Elles avoient déterminé ce Peintre à facrifier
au jugement du Public les beautés
réelles du côté de l'art , qui fe trouvoient
dans ce morceau , & à en refaire un
autre. De pareils facrifices font familiers
aux grands talens . Affez riches de leur propre
fonds pour retrouver mieux qu'ils
n'ont perdu ; ils ne doivent compter l'emploi
du temps que par les progrès vers la
perfection , & par le profit pour leur gloire .
Un nouveau tableau des Grâces a été expofé
cette année ; il offre trois figures charmantes
, entre lefquelles on auroit peine
à faire un choix de préférence , foit pour
l'agrément des têtes , foit pour l'élégance
des formes , la beauté des contours , foit
enfia pour la fraîcheur & pour l'éclat du
coloris dans les carnations. Malgré tant de
Gij
T48 MERCURE DE FRANCE .
ne peut
parties recommandables en peinture , on
diffimuler le
que groupe a paru
penfé un peu froidement. Mais quelles
difficultés dans cette pofition de trois figures
de femmes debout , toutes trois égafement
belles , mais dénuées du fecours
des reflets , & du jeu des contraſtes ! C'eſt
ainfi , cependant , que l'antiquité a pour
ainfi dire prefcrit ce fujet. Pourquoi s'y
être conformé , dira- t- on peut être ? Mais
pourquoi auroit- on éludé une difficulté qui
n'a rien en foi de bizarre ni de contraire
à la belle nature ? Dans les arts ainfi que
dans les fciences , les erreurs des grands
hommes font fouvent des guides vers le
but qu'ils n'ont pas atteint eux - mêmes.
Un autre tableau du même Auteur & de
pareille grandeur que le précédent , repréfente
Sufanne expofée aux entrepriſes licencieufes
de deux Vieillards. Le caractère
de tête de la femme eft conforme à ſa fituation
; la crainte , l'indignation , & l'efpoir
dans les fecours du Ciel y font nettement
exprimés. Le corps eft d'une grande
beauté de carnations & de deffein. Les
deux vieillards groupent bien avec la figure
de la Sufanne ; ils ont auffi de l'expreffion
dans les têtes : nous avons entendu
dire que le Peintre lui- même y trouvoit
néanmoins encore à defirer & qu'il étoit
OCTOBRE 1765. 149
dans l'intention d'y retoucher , s'il eût
vécu plus long- temps.Telqu'eft ce tableau ,
il produit un effet qui a concilié tous les
fuffrages du Public , & qui l'a toujours
fait regarder avec une diftinction mar
quée.
Moins obfervés par la foule peut-être ,
mais plus précieux encore aux amateurs ,
étoient fept petits tableaux ou efquiffes ,
de la vie de Saint Gregoire , compofés
pour être exécutés en grand , dans une
Chapelle des Invalides. On y peut admirer
tout ce qu'on exige dans les différentes
parties de la peinture : l'ordonnance ,
le choix & la difpofition des groupes , l'entente
de lumières , l'éclat harmonieux du
coloris , &c. & dans tous ces tableaux
beaucoup de force , des expreffions vraies
& heureuſes : celui du plafond fur-tout ,
qui repréfente l'apothéofe du Saint , eft
l'une énergie vraiment fublime. Rien
n'étoit plus propre à ajouter aux regrets
univerfels de la perte d'un auffi grand
Peintre , fi ce n'eft un tableau allégorique,
compofé dans le temps qu'un vain eſpoir
avoit flatté de conferver les jours d'une
perfonne bien chère & bien utile aux lettres
& aux arts qu'elle protégeoit par goût ,
par l'attrait de fes lumières naturelles & des
connoiffances acquiſes , ainſi que par une
Gin
750 MERCURE DE FRANCE.
>
conftante inclination à la bienfaifance.Le
haut de ce tableau eft occupé par le Deftin
qui retient la main d'Atropos , prête à
couper le fil mystérieux ; les autres Parques
, dont l'une file & l'autre tient la
quenouille , font rangées fur des nuages ,
dans des plans variés ; autour du Deſtin
dans la partie terreftre , font des femmes
alarmées , chacune avec les attributs de
F'art qu'elle repréfente ; elles ont toutes les
mains élevées vers le Ciel pour implorer
la puiffance du Deftin , & fufpendre , s'il
eft poffible ,la fureur précipitée de la cruelle
Atropos. La difpofition & l'ordonnance
de toutes les parties de cette compofition
font admirables , & nous ne craignons
point d'être démentis par les connoiffeurs
, elles font prefque fupérieures à
J'Auteur même. Tout refpire , tout gémit,
rout preſſe , dans ce tableau , d'une émotion
à laquelle il n'eft pas poffible de fe
refufer : fi jamais la peinture a atteint au
don de parler à l'âme , de toucher d'un
fentiment vif& paffionné, c'eft dans cet ouvrage.
Il femble que la conjoncture & l'intérêt
qu'elle excitoit ayent donné auPeintre
un nouveaugénie & un degré de fublimité
que ne prêtent point les feules forces de
Fart. Si quelqu'un de ceux qui voient
fuperficiellement les tableaux , qui ne font
OCTOBRE 1765. 151
frappés que par leur grandeur , ou fenfibles
à proportion de la familiarité des fujets ,
font étonnés des éloges que nous donnons
à celui- ci , qu'ils daignent relire ce que
nous avons dità ce fujet au commencement
de cet article, qu'ils confultent eux - mêmes
les maîtres de l'art, avant que de prononcer
fur la jufteffe de notre obfervation ( 6) .
On avoit expofé dans une autre place
du falon une étude de tête d'Ange pour
la Chapelle de faint Gregoire , cet effai
fait préfumer quelle eût été l'exécution en
grand , & fait encore plus déplorer la
perte de l'illuftreArtifte qui en étoit chargé .
Nous avions obmis parmi les tableaux
de M. Carle Vanloo une veftale , tirée du
cabinet de Mde GEOFFRIN , qui eft d'un
très-beau fini & d'un caractère de tête
très-intéreffant par les grâces de la modeftie
jointes à celles de la beauté.
Il y avoit encore du même Maître un
fort beau deffein repréfentant une des actions
les plus remarquables de la Pièce
intitulée Anette & Lubin.
Par une fuite naturelle de l'efprit qui
( 6 ) Ce tableau appartient à M. le Marquis
DE MARIGNY , qui doit , a double titre , en être
poffeffeur. Cet ouvrage doit être précieux au
protecteur le plus éclairé des arts .
Giv
#52 MERCURE DE FRANCE .
avoit dirigé l'expofiton des morceaux de
feu M. VANLO0 , on avoit mis au même
endroit plufieurs morceaux de M. Bou-
CHER , fon fucceffeur dans la place de premier
Peintre du Roi , appellé à cet honneur
par le voeu général des connoiffeurs ,
& prefque défigné par la célébrité de fon
nom .
Une maladie confidérable , fuivie d'une
fort longue convalefcence , n'ayant pas
permis à M BOUCHER de s'occuper de
grands ouvrages , on n'a vu cette année
de lui que des fujets galans , tels que
Jupiter transformé en Diane pour furprendre
Califta. Angélique & Médor ( 7 ) , paftorales
( 8 ) d'une plus grande forme que
les précédens. On y avoit joint un tableau
d'environ deux pieds & demi de haut fur
deux pieds de large, repréfentant une femme
qui attache une lettre au col d'un pigeon ,
Dans ces divers morceaux on a reconnu
le génie fertile du plus bel efprit de ce
fiècle en peinture . Toujours fécond en
moyens de diverfifier de mille façons plus
agréables les unes que les autres une idée
galante & fpirituelle , cet Artiſte ne paroît
(7) Tableaux ovales d'environ deux pieds de
haut fur un pied & demi de large , du cabinet de
M. BERGERET DE GRANCOUR .
( 8 ) Tableaux de fept pieds fix pouces de haut
fur quatre pieds de large.
OCTOBRE 1765. 153
qu'agréable aux yeux vulgaires , tandis que
par l'art du deffein , le charme de fon faire
& les grâces de fon pinceau , il étonne , il
attache le connoiffeur & les Peintres , dont
il est toujours admiré. Ce font particuliérement
ces derniers qui ont fenti tout le
mérite de fix autres petits tableaux de paftorales
, où le Peintre s'eft plû à repréfenter
l'ancien ufage d'employer les pigeons
porter & à rapporter des lettres. Ces tableaux
font une eſpèce de prodige de l'art
pour la fineffe de la touche , & pour le
précieux du fini , fans molleffe , fans affoibliffement
; au contraire , tout pétille de
force & de grâces . On a peine à concevoir
par quelle forte de magie de l'art, un Artiſte,
accoutumé à ne travailler que dans le grand,
eft parvenu à fe réduire dans cet autre
genre , fans que fon pinceau en foit devenu
ni moins large ni moins libre. La nature
eft fans doute embellie par ce Peintre jufques
dans la fraîcheur & dans l'éclat des
payfages , mais elle n'eft point altérée . C'eſt,
pour ainfi dire , un autre principe de lumières
, plus pur , plus radieux qui la lui fait
voir , & fous l'afpect duquel il nous la préfente.
Ceux qui , par préjugé , croyent le
coloris de M. BOUCHER trop brillant pour
être toujours d'accord , n'ont qu'à confulter
les tableaux exiftans de lui après pluficurs
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
années , ils feront obligés de convenir que
ce qu'ils avoient cru papillotter ( pour fe
fervir du terme ordinaire ) eft devenu lemodèle
de la fonte & de union la plus
parfaite des tons . Ce qui arrive invariablement
ne peut être l'effet du hafard , il faut
donc que ce foit celui d'une entente particulière
à ce Peintre , dans l'emploi des
couleurs. Une expérience plus récente ferviroit
à détruire ce préjugé ( s'il pouvoit
avoir lieu ) . On avoit placé parmi ces petites
paftorales plufieurs payfages en petit
du fameux M. VERNET , & cet enfemble :
formoit , pour ainfi dire , une collection
de diamans précieux au milieu d'un grand
tréfor de richeffes . Perfonne affûrément ne
refufe aux ouvrages de ce dernier la plus
exacte & la plus pure vérité d'imitation ..
Plufieurs amateurs ont éprouvé qu'à certaine
diſtance les tableaux de ces deux
grands Maîtres produifoient un accord de
couleur auffi agréable que brillant. En fe
rapprochant on reconnoiffoit la diftinction
des ftyles ; mais il en réfulte toujours que
le principe de vérité étoit le même. Dans
tous les arts les grands hommes vont & parviennent
au beau , au vrai par des voies
différentes.
Ceci nous conduit aux autres ouvrages
de M. VERNET. Ils étoient en grand nomOCTOBRE
1765. ISS
bre. On doit concevoir, par l'empreffement
conftant & très-bien fondé du Public pour
les productions de ce Peintre , combien ils
enrichifoient le falon.
M. VERNET eft parvenu déja prefqu'à
la prérogative du petit nombre d'anciens
dont on recherche & dont on prife les.
ouvrages , mais dont il feroit fuperflu &
prefque ridicule aujourd'hui d'étendre &
de détailler les éloges. Il y avoit de lui une
repréſentation du port de Dieppe , qu'il a
artiftement animée par celle d'une grande
pêche & de tout ce qu'elle produit , ainfi
que des différens habillemens du pays.
Les figures qui agiffent dans ce tableau lui.
donnent un mouvement auquel on croit
participer en le regardant. C'eft un des.
caractères diftinctifs de tous les tableaux:
de cet ingénieux Peintre de la nature . Ce
morceau ne céde en rien aux autres du
même genre qu'on a vus précédemment ,.
& dont la gravure a déja multiplié une
partie des beaux effets .
Quatre tableaux des appartemens de
Choify , repréfentans les quatre parties du
jour , ont occupé agréablement le Public
& les connoiffeurs , tant par le génie qui
règne dans le choix des objets ou des cir--
conftances pour défigner chacune de ces par
G vj,
156 MERCURE DE FRANCE.
ties , que par l'admirable exécution de ces
quatre morceaux .
Un tableau d'une force & d'une énergie
diftinguée eft un naufrage , dans lequel
on voit , on reffent toute l'horreur de ce
terrible événement & des malheurs qu'il
Occafionne.
Nous ne pouvons décrire ici tout ce que
l'on a admiré dans fes clairs de lune , dans
fes tempêtes & dans tous fes autres payfages.
Les élémens , leurs effets , paſſent
fenfiblement fur la toile dans les productions
de ce Peintre. Nous abrégeons à fon
égard , parce que l'oeil ignorant comme
l'oeil connoiffeur en connoît & en fent
également le mérite . La difcuffion à cet
égard ferviroit peut-être de leçons à ceux
qui travaillent dans le même genre , mais
ne pourroit augmenter l'admiration du
Public. Nous n'avons ni le talent ni le
droit d'inftruire les Maîtres : heureux fi
nous parvenons à les bien apprécier !
En retournant aux grands fujets d'hiftoire
, nous avons à faire mention des
ouvrages eftimables de M. HALLÉ . Son
tableau repréſentant l'humanité de l'Empereur
TRAJAN , qui defcend de cheval
pour recevoir les plaintes & les prières
d'une pauvre femme , a des beautés marOCTOBRE
1765. 159
quées par le fuffrage public & confirmées
par les obfervations des connoiffeurs. Ce
tableau a de la profondeur ; il eft d'une
grande netteté , d'une belle couleur , &
très digne de décorer la galerie pour
laquelle il eft deftiné ( 8 ) . Le Peintre a eu
l'attention d'imiter d'après l'antique la tête
de Trajan. On doit être toujours fatisfair
de connoître les traits & la phyfionomie
des bienfaiteurs du monde. Ce n'eft pas
le cas où le vraisemblable foit préférable
au vrai.
Tout le monde a vu avec un égal plaifir
un autre fort grand tableau du même
Peintre , deſtiné à être exécuté en tapifferie
par la manufacture royale des Gobelins.
Il repréfente la courfe d'Hyppomène
& d'Attalante. Le fue de ce tableau eft
fort agréable , & l'ordonnance générale
d'une belle clarté malgré le grand nombre
des figures. Celles d'Hyppomène & d'Attalante
font d'une grande légereté & rendent
fort bien l'action de la courfe. Il y a
un groupe confidérable du côté du terme
de la carrière où font les Juges ; cegroupe
& fes acceffoires font riches & abondans
de compofition , fans être confus.Les
perfonnages qui fans doute font à la diftance
convenable , de grandeur naturelle ,
(8 ) La galerie de Choify.
58 MERCURE DE FRANCE.
perdent un peu par l'élévation où la forme
& l'étendue de ce tableau ont obligé de
le placer : cet ouvrage doit produire un
effet fatisfaifantdans l'exécution en tapifferie
.
Il y avoit auffi de M. Hallé deux petites:
efquiffes remarquables par l'ingénieuſe
difpofition des fujets , & par le faire de
ce maître très - digne d'éloges. L'une de
ces efquiffes repréfentoit l'éducation des
riches , & l'autre l'éducation des pauvres..
M.Vien a contribué auffi à la décoration
de la galerie de Choify , par un fujet trèsconvenable
au point moral de ce refpectable
enfemble. Il arepréfenté Marc-Aurele,
faifant en perfonne diftribuer au peuple.
des alimens , des médicamens & de
l'argent dans un temps de pefte & de famine.
>
La trifteffe néceffaire de l'afpect qu'offre
ce fujet , la févérité de la grande manière
du Peintre , font admirablement compenfées
par les excellentes parties de l'art qu'il
a employées . Ces parties plus recommanmandables
que le vulgaire ne penfe , ont
fait il y a déja long temps une réputation
diftinguée à cet Artifte; non feulement
elles la foutiennent , mais elles la
confirment ; mais elles doivent l'étendreencore
par ce dernier morceau. Cette opinion
eft celle de la plus faine partie des
OCTOBRE 1765. 15
amateurs & de fes confrères les plus célè
bres . Le Public , auquel le grand mérite
n'échappe jamais en entier , a vu auffi ce
Fableau avec attention , & en a paru fatiffait
en général..
Nous ne pouvons nous difpenfer , quoiqu'on
l'ait remarqué avant nous , d'obfer
ver la jufteffe & la beauté du choix des fujets
pour cette galerie. Quand on chérit
les convenances , quand on en fent vivement
le prix , qu'il eft doux de penfer que
la maifon de plaifance du meilleur des
Rois , du Père des fujets dont il eft adoré,
portera tous les caractères du temple de la
bienfaifance , en retraçant les principaux:
traits de bonté des Dieux de l'humanité !
On a regardé avec une prédilection
bien flatteufe les ouvrages de M. de la
Grenée , il a obtenu un rang très-diftinguć
dans cette expofition . On a remarqué beau--
coup de beautés dans fes deux grands tableaux
, dont l'un repréfentoit S. Ambroise
offrant à Dieu la lettre de Théodofe pendant
la Meſſe , & l'autre une apothéose de
faint Louis ; la beauté du pinceau , la correction
du deffein , la grande manière de
jetter les draperies y fat:sfont les connoiffeurs
tout le monde a généralement re
marqué avec un plaifir & une admiration
unanime , un tableau de moindre grandeur
180 MERCURE DE FRANCE.
;
du même Peintre, repréfentant laClémence
qui veut appaifer la Juftice . Rien n'eft plus
noblement penfé , plus dignement traité
que ce fujet ; les caractères des têtes des
deux femmes font d'un efprit qu'on ne
fauroit trop louer la fraîcheur du coloris
jointe à la force , à la beauté de la touche ,
produifent un grand & bel effet qui doit
imprimer dans tous ceux qui voient ce
tableau l'idée du premier & du plus beau
de tous les genres. Le pendant de ce tableau
, qui repréfente la Bonté allaitant un
petit enfant, & la Générofité jettant en l'air
des pièces d'or , ne produit pas un auffi
grand effet par la nature du fujet qui eft
moins pathétique & moins impofant; mais
il fait autant d'honneur au Peintre dans
les parties purement pratiques de l'art.
On a fait une remarque affez jufte à l'égard
de l'action de la Générofité qui jette
en l'air des pièces d'or , lorfqu'on dit que
cette action défignoit plutôt la prodigalité
que la vertu qu'on vouloit repréfenter :
mais on doit facilement mefurer de pareilles
méprifes , fi l'on peut les qualifier
ainfi , lorfque l'on penfera à l'extrême
difficulté de donner un corps à certaines
idées que l'efprit connoît facilement.
Un tableau du facrifice deJepthé, quoiqu'en
petit , a fourni matière à beaucoup
OCTOBRE 1765. 167
d'éloges des connoiffeurs ; mais ce qui les
a réunis tous,& fur quoi les Artiſtes comme
le Public ont eu les yeux attachés , ce
font plufieurs petits tableaux de Vierges ,
une Magdelaine & une Charité Romaine.
Le précieux , le fini & la fonte des touches
de ces morceaux font bien plus faciles à
remarquer , en voyant ces ouvrages ,
qu'à les bien décrire. Il y a dans ce petit
tableau de la Charité romaine une intelligence
d'expreffion fur le vifage de la fille
qui foutient avec fon lait la vie de fon
père , que nous ne devons pas obmettre.
L'idée d'avoir peint l'inquiétude de cette
fille fur ce fecret fi cher à fa tendreffe
en appercevant un Garde qui peut voir
fon action à travers les barreaux de la pri
fon eft infiniment heureuſe . Nous n'avons
pas connoiffance qu'elle eût été employée
avant M. DE LA GRENÉE. Il y avoit encore
au falon deux autres tableaux qui ont mérité
des fuffrages ; celui de Diane & Endimion
, & le retour d'Abraham au pays de
Chanaan. On a trouvé , fur-tout dans le
premier de ces tableaux , le corps d'Endimion
très-bien deffiné & très- bien peint ,
en général cet Artifte moderne marche fur
les traces des plus grands maîtres , & donne
lieu de dire qu'il atteint déja plufieurs des
162 MERCURE DE FRANCE.
parties qui ont confacré les noms fameux
dans cet art .
M. DE LA GRENÉE a rempli au falon
de cette année le rôle que les amateurs des
arts y avoient vu faire avec tant de plaifir
précédemment à feu M. DESHAYES , enlevé
à la fleur de fon âge & arrêté dans
un des plus beaux points de fa carrière.
Cette expofition a rappellé le regret de
cette perte , par les ouvrages dont nous alons
rendre compte.
Une Converfion defaint Paul & un Saint
Jérôme écrivant fur la mort , tandis qu'un
Ange avecune trompette en donne le terrible
fignal (9 ) . Ces deux tableaux font d'une
grande beauté ; le dernier fur-tout offre
d'une manière frappante les parties excellentes
du deffein & de la peinture que
poffédoit déja à un très -haut degré ce
jeune Artifte. Il règne dans l'autre ce bel
enthoufiafme & cette entente des lumières.
& des ombres qui dans fes compofitions
les plus pleines & les plus ferrées diftinguent
clairement les plans. Ces morceaux
portent tous les deux le caractère propre.
de ce Peintre , le grand , le mâle & le large
dans le faire.
Achille luttant contre les caux du Sca-
( 9 ) Ces deux tableaux font pour l'Eglife de
Saint Louis à Verfailles .
OCTOBRE 1765. 165
mandre & duSimois avec le fecours des feux
de Vulcain qui deffeche ces deux fleuves, eft
un tableau d'une force trop prononcée
pour être auffi agréable aux yeux du Public
, qu'utile & admirable à ceux des gens.
de l'art.
Un petit tableau repréfentant Jupiter &
Antiope eft une nouvelle preuve que le
caractère propre & fpécifique du talent de
M. DESHAYES ne l'éloignoit pas entiérement
du gracieux. La figure de la femme
laiffe voir le fruit que cet Artiſte avoit
déja recueilli de fon alliance avec M.Bou-
CHER ( 10) fon beau père; mais elle indique:
en même temps aux connoiffeurs le befoin
qu'il avoit encore de ce fecours pour la
fineffe de touche , pour une certaine élégance
& pour beaucoup de parties que:
pofféde éminemment ce grand maître en
ce genre.
Un autre petit tableau repréſentant l'Etude
a des parties admirables pour les amateurs
, & peut fervir à confirmer ce que
nous avions déja annoncé dans nos obfer
vations fur le dernier falon , que M. DESHAYES
prenoit à fon gré toutes les maniè
res des grands Peintres & le caractère de
toutes les écoles eftimées . Ce morceau eft:
dans un genre fombre & vigoureux qui
(10 ) Actuellement premier Peintre du Roi
484 MERCURE DE FRANCE.
rappelle celui de quelques célèbres Maitres
de l'école flamande , fans être cependant
fervilement imités.
On voyoit auffi trois deffeins du même
Artifte , l'un repréfentant la catastrophe du
drame tragique intulé le Comte deComminge;
l'autre , Artemife au tombeau de Maufole;
le troifiéme, un payfage. On y retrouve
le feu du grandPeintre dans la compofition,
la fermeté , la hardieffe & le moëlleux en
d'un favant crayon ,
crayon , qualités
qui ont donné tant de prix au petit nombre
de deffeins qu'on a trouvés de cet Ar
tifte après la mort ( 11 ) .
même
temps
I
L'heureux génie qui influe fur notre
école françoife a paru s'empreffer à réparer
ou du moins adoucir fes pertes , en
produifant au grand jour le talent de M.
FRAGONARD. Un tableau repréfentant le
Grand - Prêtre Coréfus qui s'immole luimême
pour fauver Callirhoë , étoit le morceau
préfenté par ce candidat , pour être
agréé à l'Académie . On fait que non- feulement
il obtint tous les fuffrages ; mais
que M. le Marquis de M ARIGNY ,
toujours attentif à l'encouragement des
Artiſtes , retint dès-lors ce tableau pour le
( 11 ) On trouvera dans ce Mercure des notes
fur la vie de feu M. Deshayes,
OCTOBRE 1765. 16
compte du Roi . Ce morceau parut un
phénomène de progrès digne d'être expofé
dans le moment à la vue & à l'èxamen
des curieux fous les yeux defquels il
refta quelque temps. C'eft le même qu'on
a vu au falon .
La feule compofition de ce tableau eft
importante par la richeſſe , par la netteté ,
& l'on pourroit dire par une forte de majeſté
qui règne dans l'ordonnance ; mais ce
qui le rend encore plus remarquable , eſt
une forte de magie de peinture , un emploi
des lumières & des ombres , une harmonie
des tons qui produit un effet dont
on ne peut donner d'idées bien précifes. Il
femble que ce jeune Artiſte ſe foit fait de
tous les genres , de toutes les manières des
plus excellens maîtres , une manière uniquement
à lui -même , & qui ne peut s'affimuler
à aucune de celles que l'on connoiffoit.
Nous ne fommes pas affez téméraires
pour tenter de bien expliquer d'où provient
cefuave dans le pinceau de M.FRAGONARD
qui flatte , qui fatisfait fi agréablement la
vue, cette netteté , cette décifion des objets
malgré une forte de vapeur qui femble un
peu répandue fur le ton général du tableau .
La figure de Callirhoë eft d'une grande
beauté ; on y diftingue à la première vue
l'état d'évanouiffement, la pâleur & les pre66
MERCURE DE FRANCE.
mières horreurs de la mort qui fe peignent.
fur le vifage de Coréfus dans l'inftant
qu'il vient de fe frapper . Qu'il nous foit
permis de faire , d'après notre propre expérience
, autorifée par celle de tous ceux
qui ont vu ce tableau , une remarque fur
l'équivoque que jette dans la repréfentation
du fujet , le caractère efféminé de la
tête de Coréfus. Equivoque qu'entretient
encore la forme des habillemens de ce
grand Prêtre , dont la drapperie bouffante
fur la poitrine , empêche la taille d'indiquer
la diftinction d'âge & de fexe qui
conviendroit entre un grand Prêtre de
Bacchus , & la jeune & belle Princeſſe qu'il
fe difpofoit à immoler. L'inattention de
convenance qui rend quelquefois les fujets
les plus connus , des énigmes inexplicables
, eft fans doute un défaut que les
meilleurs Peintres n'ont pas toujours affez
foin d'éviter , mais il n'enlève rien au
mérite de M. FRAGONARD dans les parties
effentielles de fon art. Il avoit expofé
auffi un petit tableau dans un genre
que , repréfentant des enfans villageois
qui jouent avec des animaux. Ce petit
ruftimorceau
feul donnoit une idée très avantageufe
de la couleur & de la manière de
ce Peintre en plufieurs genres.
M. FRAGONARD dès aujourd'hui donne
OCTOBRE 1765 . 167
un efpoir très-avantageux à l'honneur de
l'école françoife . Le petit nombre d'ouvrages
qu'a expofés cette année M. GREUZE ,
portent comme tous les autres le fceau de
la vérité la plus touchante , & d'une imitation
fi naïve & fi fidelle de la nature ,
qu'ils attachent tous les regards. Nous parlerons
d'abord de celui qui repréfente le
bufte d'une jeune fille , la tête appuyée fur
une main , & pleurant la mort d'un ferin
que l'on voit étendu fur une cage. Il n'eft
pas poffible d'imaginer toute la vérité
d'expreffion qui fe trouve dans ce tableau ,
& toute l'illufion qu'il produit. C'eſt un
mérite diftinctif du talent de M. GREUZE ,
que de favoir choifit dans le fujet le
plus fimple , tous les rapports de détails
qui peuvent le rendre intéreffant , & qui
concourent à la plus parfaite imitation,
C'eſt encore un art admirable que d'affortir
fi bien toutes les parties de fes repréfentations
, qu'il n'y en ait aucune qui décéle
l'induftrie de l'Artifte , & qu'elles paroiffent
toutes naturelles & néceffaires . On
n'a ceffé de faire foule auprès de ce morceau
précieux , beaucoup de fpectateurs
font retournés plufieurs fois au falon pour
le revoir , & la curioâté toujours fatisfaite
par cet objet a'en a jamais éprouvé
la fatiété.
168 MERCURE DE FRANCE.
Une autre petite fille jouant avec une
petite figure de Capucin , n'a pas fait
moins de plaifir pour la vérité d'imitation
& les grâces du pinceau ; mais le ſentiment
qu'il y a dans la petite fille à l'oifeau
, a eu la préférence. Nous nous plaifons
à admirer les feules perfections de
l'art ; mais quand elles contribuent à nous
affecter de quelque paffion , nous fommes
entraînés par une force irréfiftible vers
l'objet qu'elles nous repréfentent.
Le même Peintre a repréſenté l'Enfant
gâté par une mère qui regarde avec complaifance
fon enfant , s'amufant à donner
à manger de fa foupe dans une cuiller à un
chien qui eft auprès de lui . Ce petit tableau
eft du plus joli effet , il réunit tout ce qui a
rendu fi recommandable le pinceau de M.
GREUZE; mais nous ignorons quel motifl'a
déterminé à choisir cette action plutôt
qu'une autre pour bien caractériser l'indulgence
outrée de certains parens envers
leurs enfans .
On avoit à admirer auffi le rare talent
de cet Artifte dans plufieurs têtes de fantaifie
& dans un affez grand nombre de
portraits de la plus fidelle & de la plus
heureuſe reffemblance , ils font peints
avec l'art ingénieux que l'on lui connoît.
Nous croyons ne devoir plus entrer
dans
OCTOBRE 1765 169
dans les détails de cet art à fon égard , ce
feroit l'affoiblir ; & ceux qui en font frappés
par leur propre jugement , auroient à
nous le reprocher.
Nous ne devons pas obmettre trois excellentes
efquifles qui ont été généralement
admirées , & qui peuvent entrer dans
le corps de morale , ou de philofophie
du fentiment , que formeront quelque jour
les ouvrages de ce Peintre. Le fujet de
l'une eft la Mère bien aimée , de l'autre ,
le Fils ingrat.
On donnera dans le deuxième Volume de
ce mois la fuite des Ouvrages de peinture
& de fculpture , les deffeins & gravures.
NOTES concernant M. CARLE VANLOO ,
Chevalier de l'Ordre du Roi , premier
Peintre de SA MAJESTÉ , directeur de
l'Académie Royale & de l'Ecole des
Elèves protégés par le Roi.
CARLE VANLOO naquit à Nice en 1705. II
alla àTurin avec fon frèreJEAN BAPTISTE VANLOO
en 1712. De Turin il paflà à Rome en 1714. Il
prit chez fon frère les premiers élémens du delfein,
& par des études conftantes, qu'il fit d'après l'anti-
Vol. I. H
170 MERCURE DE FRANCE.
i
que & d'après les chefs- d'oeuvres des grands maitres
, il fe perfectionna dans l'art qui depuis l'a
rendu lui-même fi célèbre. Il vint à Paris avec
fon frère en 1719 , & gagna la première médaille
de deffein à l'Ecole de l'Académie en 1723. L'année
fuivante il remporta le premier prix de Peinture,
& partit pour Rome en 1727 , où , au bout
d'un an , il eut le premier prix du deffein. Il revinc
à Turin en 1732. Il y travailla avec ſuccès à plufieurs
ouvrages pour le Roi de Sardaigne , & il
époufa dans cette même Ville , en 1733 , Chriftine
SOMMIS , célèbre elle même , ſous le nom
de Mde VANLOO , dans la muſique & dans l'art
du chant Italien , talens dont elle n'a fait ufage
que dans la fociété , plus recommandable encore
par les vertus domestiques envers fon mari & fes
enfans , ainfi que par les qualités fociales . Elle
furvit à M. VANLOO. Il revint à Paris en 1734 , &
fut reçu à l'Académie l'année ſuivante. En 1736
il fut adjoint à Profeffeur, & Profeffeur en 1737. II
ne tarda pas à fe faire une réputation brillante , à
laquelle il facrifia toujours l'intérêt du produit de
fon travail. Il fut adjoint à Recteur en 1752 , &
devint Recteur en 1754. En 1749 il avoit été
choisi pour diriger l'Ecole des Elèves protégés par
le Roi, lorfque l'on inftitua cet établillement , témoignage
glorieux pour les arts de la protection
déclarée du Souverain , qui honora CARLE VANLOO
de l'Ordre de Saint Michel en 1751 , & le nomma
fon premier Peintre en 1762. Il fut dans la
même année Directeur de l'Académie . Il eft mort
le 15 Juillet 1765, à l'âge de foixante ans , pleuré
très- tendrement par fa famille & par les Elèves ,
regretté avec fincérité par les confrères & par
tous ceux qui aiment les arts & qui s'intéreſſent à
la gloire de notre Ecole , dont il faifoit depuis
OCTOBRE 1765. 171
long- temps un des principaux ornemens . Les ouvrages
de CARLE VANLOO Occuperont un rang
diftingué dans le nombre de ceux qui doivent honorer
notre âge.
Nous avons extrait ce que nous venons de rapporter
fur M. CARLE VANLOO d'un Mémoire fur la
vie de ce premiet Peintre du Roi par M. DANDRÉ
BARDON , qu'il a lu à une fèance de l'Académie
Royale de Peinture & de Sculpture,
NOTES concernant la vie de feu M. DESHAYES
, de l'Académie Royale de Peinture
& de Sculpture , Profeffeur.
JEAN-BAPTISTE DESHAYES naquit à Rouen
en 1729. Il reçut les premiers élémens du deflein
de M. DESHAYES , fon père , actuellement vivant
& réfidant dans cette même ville . Le jeune DESHAYES
fut adreffé par lui à M.COLIN DE VERMONT,
qui voulut bien s'en charger , quoiqu'il ne prît
point d'Elèves. Il fut placé enfuite chez fea
M. RESTOUT , où il puifa les grands principes qui
ont depuis conftitué fon talent. Il donna promptement
des preuves de fes difpofitions. Il obtine
plufieurs des médailles que l'on diftribue à l'Académie
pour les prix du deffein . Dans un voyage
qu'il fit à Rouen , il fut chargé de plufieurs tableaux
pour des Couvens des environs . Il en acheva quelques-
uns à Paris fous les yeux de M. RESTOUT.
Son tableau de la femme de Putiphar , qu'il fit àpeu-
près dans le temps qu'il concouroit pour les
prix de l'Académie , lui procura la bienveillance
de M. BOUCHER , aujourd'hui premier Pein-.
tre du Roi. Il n'eut befoin auprès de cet illuftre
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
Artiſte d'autre recommandation que le germe du
grand talent. Il accueillir le jeune DESHAYES avec
cette complaifance & ce zèle qu'il a toujours fait
voir à tous les Elèves qui promettent des progrès.
M. RESTOUT Confentit d'autant plus volontiers à
laiffer paffer le jeune DESHAYES fous la conduite
de M. BOUCHER , qu'il venoit de mettre ſon fils à
la même Ecole.
En 1751 il remporta le premier prix de Peinture
à l'Académie , & paffa en conféquence à l'Ecole
des Elèves protégés par le Roi , fous la direction
de feu M. CARLE VANLOO , où pendant trois ans
il profita très-utilement des confeils de ce grand
Maître . Il fit dans cette Ecole les tableaux qu'on
exige chaque année pour l'épreuve du progrès des
Elèves. Le premier étoit Loth & fes filles , le
fecond , Pfiché évanouie , & le troifiéme , Céphale
enlevé par l'Aurore. Il fit auffi dans cet intervalle
deux tableaux qui font à Rouen , dont l'un repréfente
l'Annonciation , & l'autre la Vifitation . On
en fut fi fatisfait , qu'on lui confia les tableaux
de l'églife de Saint André de cette ville , qu'il fe
propofoit de faire pendant fon féjour à Rome. II
éprouva l'ennui d'être éloigné de fa patrie. Il crut
devoir attribuer à cette cauſe l'affoibliffement de
fa fanté. Un de les camarades éprouva la même
chofe , ils follicitèrent leur retour. Ce projet ne
fut pas approuvé. Le mauvais état de la fanté de
l'autre Artifte le contraignit à revenir , mais
M. DESHAYES refta le temps prefcrit. L'amour
de fon art furmonta fes dégoûts , il reprit le travail
avec une nouvelle ardeur & fit des progrès rapides.
De retour à Paris, quelques mois avant qu'il fe préfentât
à l'Académie , M. BOUCHER lui donna fa
fille aînée en mariage ; il y fut reçu le 30 Septembre
1758 avec des fuffrages unanimes . Sur les
tableaux qu'il préfenta on le jugea deſtiné au plus
OCTOBRE 1765. 173
grand genre & fon pinceau capable des plus grands
effers. Il juftifia fucceffivement, à chaque expofition
du Louvre , cette favorable conjecture , & la répu- .
tation étoit déja établie fur les plus folides fondemens
, lorfqu'un accident attribué à une chûte ,
lui occafionna des douleurs dans une des plus délicates
parties du corps . On fe flattoit de fa guériſon
après plufieurs mois de traitemens , lorsque l'on
s'apperçut de la néceffité indifpenfable d'une opération
qui fut bien exécutée , mais toujours incertaine
dans le fuccès par les fuites fâcheufes auxquelles
fouvent on ne peut parer. M. DESHAYES
avoit un de ces caractères de feu qui fe livrent
facilement à l'inquiétude , & qui fe pénètrent vivement
du bien & du mal . Cette difpofition d'efprit
Iui fut funefte ; elle lui exagéra le danger d'une
légère hémorrhagie. La fièvre s'alluma , & il
fuccomba fous le poids de tant d'accidens réunis
le 10 Février de la préſente année 1765 , âgé de
trente ans . Les exemples de la rapidité avec laquelle
ce jeune Peintre montoit à la plus grande réputation
, ou plutôt y étoit déja parvenu , font fi rares,
que l'on doit préfumer le point éminent où il
auroit pu atteindre.
Indépendamment des tableaux dont nous venons
de parler , il y en a beaucoup d'autres de lui . Dans
nos obfervations fur les précédentes expofitions ,
nous avons parlé de plufieurs qui ont été admirés ,
& dignes de la plus grande confidération . On n'en
fera point mention ici , parce que l'on n'en pourroit
faire l'énumération auffi exacte & auffi raiſonnée
qu'elle fe trouve dans une lettre imprimée de
M. COCHIN , Secrétaire perpétuel de l'Académie
de Peinture & de Sculpture , intitulée , Eſſay ſur
la vie de M. Deshayes , de laquelle nous avons extrait
ce que l'on vient de lire concernant cetArtifte.
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
GEOGRAPH I E.
CARTE de la forêt de Fontainebleau &
de fes environs , divifée en fes huit gardes
, où font diftinguées les anciennes &
les nouvelles routes , croix , carrefours ,
chemins , hautes - futayes ,bruières , roches ,
&c. A Paris , chez Denys & Pafquier , rue
faint Jacques , vis - à - vis le Collège de
Louis le Grand. Et à Fontainebleau , chez
Chriftophe , dans la galerie de Diane .
Carte des routes de Paris & deVerfailles
à Fontainebleau , dédiée à Mgr le Duc de
Berry, chez les mêmes que la Carte précédente.
Ces deux Cartes peuvent être très - utiles
dans les circonftances préfentes , & nous
ontparu fort bien exécutées. On prie néanmoins
les perfonnes qui y remarqueront
quelques fautes , d'en faire part aux adreffes
indiquées ci -deffus. On avertit qu'on
a eu des corrections de la Carte de Compiegne,
qui par ce moyen rendra cette Carte
extrêmement exacte.
OCTOBRE 1765 175
ARTS AGRÉABLE S.
MUSIQUE.
Six Trio ' pour un Violoncelle ou un
Baſſon obligé , violon & baſſe , dédiés à
Mgr le Duc d'Aumont, Pair de France ,& c .
par M.Talon , Ordinaire de la mufique du
Roi. Quatrieme oeuvre. Prix 7 liv. 10 f.
La partie du Violoncelle pourra s'exécuter
avec une quinte. A Paris , chez M.
Venier éditeur de plufieurs Ouvrages
de mufique , à l'entrée de la rue faint
Thomas du Louvre , vis-à-vis le Château
d'eau , & aux adreffes ordinaires .
IL
paroît
GRAVURE.
une fuite d'eftampes au nombre
de fix qui ont de quoi piquer la curiofité
de nos amateurs. Ce font des imitations
fidelles d'excellens deffeins du Guerchin
Peintre Italien , dont l'habileté eft fuffifamment
connue . Le faire de ce fameux
maître y eft fi parfaitement rendu , qu'on
croit voir fa plume & fon lavis. Elles ont
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
été exécutées par le fieur Vanvitegli , Graveur
, & elles fe trouvent chez M. Wille
Graveur du Roi , quai des Auguſtins , à
l'image faint Benoît.
OCTOBRE 1765. 177
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
L'Académie Royale de Muſique a continué
les fragemens pendant tout le mois
de Septembre. Ils étoient même affez fuivis
pour que l'on eût pu les continuer plus
long-temps mais le fervice de la Cour
pendant le voyage de Fontainebleau
, a
exigé de remettre au théâtre Hypermnestre
,
tragédie - opera ; l'exécution
de cet ouvrage
pouvant mieux fe concilier avec
l'abfence néceffaire de plufieurs fujets pen
dant le voyage. On a dû donner la première
repréfentation
de cet opera le premier
du préfent mois d'Octobre . Nous en
parlerons dans le prochain Mercure.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE Mercredi 4 Septembre , M. VELLENE
débuta fur le théâtre , par le rôle d'Arviane
dans Mélanide , & par celui d'Olinde dans
Zéneïde. Il fut très -bien reçu , & la continuation
de fon début , dans divers rôles
du même emploi , a été vue favorablement.
Ce jeune acteur eft bien taillé ; il a beau
coup de feu , & montre une intelligence
qui doit en faire attendre des progrès. Il
feroit à defirer que l'organe de la voix fecondât
plus officieufemenr fes talens. Tel
qu'eft actuellement ce nouveau fujet , il
fert très-utilement à foulager dans le pénible
exercice de jouer tous les jours , un
acteur ( M. MOLÉ ) dont la fanté & la confervation
font précieufes au Public.
Le 9 du même mois , on remit au théâne
Adélaïde du Guefclin , tragédie de M.
DE VOLTAIRE , qui avoit reparu avec
fuccès, & étoit restée au théâtre fous le nom
de Duc de Foix , refondue de nouveau &
rétablie aujourd'hui fous fon premier titre.
Cette pièce a été vivement applaudie ;
elle attache , elle intéreffe depuis l'expofition
jufqu'au dénouement. Le coup de
OCTOBRE 1765. 179
fignal fatal du meurtre prétendu
d'un perfonnage intéreffant , a fait à cette
reprife un fort bon effet. Nous remarquons
avec plaifir que le goût du Public à fait
des progrès fur ces fortes d'acceffoires , fi
avantageux au fpectacle , en raifon de
ceux qu'on a faits dans la hardieffe à les
employer . On doit inférer de là , que nous
touchons au moment de voir expirer entièrement
cet efprit de vile poliçonnerie
qui faifoit faifir toutes les occafions de ridiculifer
, par de mauvaiſes plaifanteries ,
ce qui devoit fouvent accompagner le pathétique
, & contribuer naturellement à
fes grands effets. Le fujet de cette tragédie
a été travaillé avec fuccès ; la marche
de l'action eft devenue plus fuivie & plas
rapide. Les caractères de chaque role ont
chacunune portion d'intérêt très- bien combinée
avec l'intérêt principal du drame ..
Ils font tous foutenus réguliérement , &
avec le degré d'éclat proportionné à celui
de leur pofition dans l'enſemble du tableau.
Des noms plus chers à la nation.
ont été fubftitués à ceux des perfonnages
du Duc de Foix. VENDOME a remplacé ce
Duc de Foix ; NEMOURS Vamir ; ADELAIDE
Amélie, & Cover Lifois . On a furtout
admiré le ftyle de M. DE VOLTAIRE
dans cette repriſe. Quelques amateurs pré-
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
tendent que c'eſt un de fes drames le plus
également écrit avec fupériorité , & dont
la verfification
eft la plus conforme aux
loix de la poéfie dramatique.
Les principaux acteurs de cette pièce
étoient M. le KAIN dans le rôle de Vandôme
; M. MOLÉ dans celui de Nemours ,
& M. GRANVAL dans celui de Couci ; Mlle
DUBOIS a joué le rôle d'Adélaide d'une
manière très fatisfaifante . Cette tragédie
a été repréſentée avec la plus grande intelligence
& tout l'intérêt que peuvent produire
les grands talens. M. le KAIN furtout
, chargé du rôle principal dans l'action,
a eu occafion d'y développer un art &
un pathétique fupérieur encore à fes meil
leurs rôles , & à tout ce qui a depuis long,
temps conftitué fa réputation .
En rendant compte d'Adélaïde du Guefclin
, nous croyons obliger nos lecteurs de
leur faire part de quelques vers de M.
DORAT , par lefquels il rend hommage
à la célébrité & au génie de l'illuftre Auteur
de cette tragédie. Le caractère aimable
de la poéfie de M. DORAT eft en poffeffion
de plaire toujours , & nous nous
reprocherions de recéler dans le fecret les
vers de lui qui font tombés entre nos
mains ,
OCTOBRE 1765. 181
VERS extraits d'une lettre écrite par
M. DORAT à M***. voyageant.
« OUU te promène ton deftin :
>> Et quand finiffent tes voyages ?
›› Qu'as- tu vu ? des fous , des fages ,
» Et du plaifit & du chagrin ;
>>Nombre d'impertinens ufages.
>> Gravés fur le marbre & l'airain ,
>> Des clefs , des mortiers , des couronnes
» Hochets que la mort vient brifer ,
ל כ
>> Quelques vertus , mille foibleffes ,
» Et des dupes & des tyrans ,
» Et par- tout d'ennuyeux amans
" Qui fe plaignent de leurs maîtreffes.
» C'eft bien la peine de courir.
Tel eft pourtant cet aſſemblage
>> De fots qui naiffent pour mourir.
כ
· ·
>> Que penfes-tu de ces beaux lieux ,
>> De ce temple de l'induftrie ,
>> Berceau d'un Cinique fameux ,
>> Savourant loin de fa patrie
>> Le plaifir d'être malheureux ,
Et le tout par philofophie ?
132 MERCURE DE FRANCE.
» Quel eft ce Mont Jura vanté ,
» Où l'oeil , fous un ciel qui s'épure
>> Aime à contempler la nature ,
> Souriant avec majeſté ,

» D'où l'on voit la magnificence
» Du Dieu qui mûrit les moiffons
» Le mobile atour des faifons
» Et les gerbes de l'abondance ,
>> S'accumuler dans les vallons ?
Ce Mont , inacceffible aux vices
» Ne femble- t-il pas orgueilleux
>> De dominer fur les délices ?
>> Mais de quoi vais-je te parler
» Le Peintre adoré de Zaïre
A quité ce paisible Empire ,
و د >>C'eft à Formey qu'il faut voler.
A la Mecque en pélerinage ,
>> On va religieufement
» Y vifiter le monument
>> D'un impofteur foi difant fage ,
» D'un pâtre digne de mépris ,
» Malgré le culte qui lui refte ,
» N'étoient les vierges bleu- célefte ;
» Dont il meubla fon paradis.
» Or , ce Mahomet qu'on révère
» Tapi dans le creux d'un tombeau ,
Qu'est-ce au prix du divin Voltaire ,
» Riche Seigneur d'un bon château ?
כ כ
OCTOBRE 1763.
" L'un , content d'être formidable ,
» Fut un charlatan fans gaîté ,
» L'autre est un enchanteur aimable
Qui confole l'humanité.
COMÉDIE ITALIENNE.
MALGRE
ALGRÉ l'interruption d'Ifabelle &
Gertrude , occafionnée par l'indifpofition
de quelques Acteurs , cette jolie Pièce a
repris avec autant de faveur & avec autant
d'affluence que dans les premières repréfentations.
On la continue toujours avec
le même fuccès.
Il a paru fur ce Théâtre un jeune Danfeur
âgé de treize ans ( M. Fierville ) ,
élève de M. l'Epi , qui fait un plaiſir univerfel
, & que les Maîtres , dans ce talent ,
regardent comme difpofé à tenir par la
fuite un des premiers rangs dans le plus
beau genre
.
184 MERCURE DE FRANCE.
CONCERT SPIRITUÈ L.
Du 8 Septembre, Fête de la Nativité.
LE Concert commença par' Lauda Jeruſalem ;
Motet à grand choeur de M. l'Abbé HARDOUIN ,
Maître de Mufique de la Cathédrale de Rheims ,
qui fut applaudi , & dans lequel on remarqua des
traits qui font honneur à fon auteur. M. BALBATRE
exécuta fur l'orgue Pigmalion & les Sauvages.
M. BERTHEAUME , jeune enfant dont nous avons
parlé d'après le Public , comme d'un phénomène
rare, & élève de M. LEMIERE , exécuta un Concerto
de violon de la compofition de M. GAVINIÉS . Dans
le même Concert M. L'ARSONNIER chanta un nouveau
Motet à voix feule de M.l'Abbé GOULET, ci de
vant Maître de Mufique de l'Eglife de Paris . Nous
avons eu ſouvent occafion de parler avec éloges de
ce Compofiteur. Elle fe renouvelle aujourd'hui &
nous la faififfons avec plaifir . Mlle DUVAL , Ordinaire
de la Mufique de S. M. le Roi de Pologne ,
Duc de Lorraine & de Bar , chanta un autre petit
Motet de M. LE FEVRE . Le Concert finit par le
Diligam te Domine de feu M. GILLES .
, Mlle FEL , Mlle AVENEAUX , MM. GÉLIN LE
GROS & DURAND chantèrent dans les grands
Motets.
OCTOBRE 1765. 185
ARTICLE V I.
NOUVELLES POLITIQUES.
D'INSPRUCK , le s Août 1765.
L'ARCHIDUC 'ARCHIDUCHESSE Infante Dona Marie- Louife
eft arrivée ici le 2 de ce mois. L'Empereur & l'Archiduc
Léopold étoient allés au- devant d'elle juf
qu'à Bautzen , à plus de vingt - quatre milles d'Allemagne
d'ici ; c'eft dans cette Ville que s'eſt
faite la premiere entrevue des deux époux : le
Prince Clement de Saxe a fait hier la célébration
du mariage.
POMPE FUNEBRE.
DE PARME , le 27 Juillet 1765.
Le corps de l'Infant avoit été mis dans une
caiffe le 20 pour être tranſporté le même jour
d'Alexandrie à Château - Saint - Jean , efcorté par
les Gardes du Corps du Roi de Sardaigne , qui
furent relevés à leur arrivée par ceux de l'Infant .
Le lendemain , le convoi continua fa route vers
Plaiſance , où l'on avoit élevé , à quelque diſtance
de la ville, un pavillon , fous lequel il étoit attendu
par les Corps & Communautés & par les perfonnes
qui étoient accourues pour rendre leurs derniers
devoirs à leur Souverain . A l'arrivée du carroffe
qui renfermoit l'augufte dépôt , l'Evêque de cette
Ville lui jetta de l'eau bénite , & le convoi conti
186 MERCURE DE FRANCE.
:
Y
nua fa marche dans l'ordre fuivant . Les Confrairies
marchoient à la tête & précédoient immédiatement
le Clergé Régulier & le Clergé Séculier
portant tous des cierges ; la Nobleſſe , en habits de
grand deuil , le Corps de Ville & le Corps des
Officiers marchoient enfuite & précédoient un
carroffe drapé de noir qui étoit fuivi de celui où
étoit le corps efcorté par les Gardes du Corps &
quelques Officiers de la Chambre portant des
cierges les autres carroffes & les troupes de Milices
fermoient la marche . Ce convoi entra ainſi
dans la Ville au bruit du canon & au fon des cloches
, & alla dépofer le corps dans l'Eglife des
Capucins , où l'on avoit élevé un magnifique catafalque
, & où il refta jufqu'à cinq heures du foir.
Alors le convoi funebre ſe mit en marche dans le
même ordre pour ſe rendre le même foir à Fiorenzuola.
Enfin , le 22 , à neuf heures du foir , à
la lumiere d'un grand nombre de flambeaux , il
entra à Parme par la porte de Sainte - Croix , au
bruit du canon & au fon des cloches ; les rues
étoient bordées par les troupes de la Garnifon . Le
convoi marcha à pas lents vers l'Eglife des Capucins
dans l'ordre fuivant. Un carroffe occupé par
le Marquis Calcaglini , Colonel du Régiment des
Gardes à pied quatre Gardes du Corps à cheval :
le carroffe où étoit le corps avec deux Aumôniers :
un carrolle où étoit le Comte del Verme , Capitaine
des Gardes du Corps , & le Bailli de Rohan
Grand Ecuyer : tous les gens de livrée de la Cour ,
formant les aîles du convoi , portant des flambeaux
le refte des Gardes du Corps enfin , le
Régiment des Gardes à pied , une partie du Régiment
de Plaiſance , les Grenadiers des Milices &
le Régiment de Parme. On arriva dans cet ordre
aux Capucins , lieu de la fépulture des Ducs de
:
S
OCTOBRE 1765. 187
Parme , où les cachets de la caiffe furent reconnus
devant plufieurs témoins , & le corps fut remis au
Pere Gardien , qui le fit tranfporter immédiatement
après au lieu deſtiné . Le lendemain on célébra
dans cette Eglife un Service folemnel , auquel
affifta toute la Cour , ainfi que les Miniftres.
Etrangers & la Nobleffe de cette Ville ; on continue
dans plufieurs Eglifes à faire des Services &
des Prieres pour le repos de l'ame de ce Prince ,
dont la perte fera toujours pour cet Etat un fujer
de douleur & de larmes..
DE LONDRES , le 8 Août 1765..
Le Comte de Guerchy , Ambaffadeur de la
Cour de France auprès du Roi , prit congé de
Sa Majesté le 31 du mois dernier , & partit le
lendemain pour fe rendre à Paris.
Le Roi a nommé pour fon Ambaſſadeur Extraor
dinaire à la Cour de France le Duc de Richemond
qui remercia hier Sa Majesté à cette occaſion ..
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
DE COMPIEGNE , le 17 Août 1765.
Monfeigneur le Dauphin fe rendit , le 24 du
mois dernier à Jaufy , où étoient campés les Régimens
de Dragons du Colonel- Général , Mestre de
Camp- Général , Dauphin & Schomberg , ainſi que
le Corps des Grenadiers de France . Le lendemain ,
ce Prince fut au- devant de la colonne des Dragons
& fe mit à la tête de fon Régiment , qu'il conduifit
dans le camp. Le 27 , Monfeigneur le Dauphin fi
188 MERCURE DE FRANCE.
manoeuvrer devant lui le corps des Grenadiers de
France , qui manoeuvra devant le Roi & paſſa en
revue devant le Roi & la Famille Royale. Sa Majefté
donna des éloges à la manière dont ce Corps
eft tenu & compofé , & à la précifion avec laquelle
il exécuta les différentes manoeuvres . Le même
jour , Monfeigneur le Dauphin fit exercer à pied
les Régimens de Dragons . Le 29 , ils pafferent à
pied en revue devant le Roi après avoir exécuté le
maniement des armes ; Monfeigneur le Dauphin.
falua le Roi & la Reine à la tête de fon Régiment.
Le foir , les Dragons manoeuvrerent à cheval
devant ce Prince. Le 30 , ils manoeuvrerent féparément
devant le Roi ; Monfeigneur le Dauphin
commanda la manoeuvre de fon Régiment avec
une précision & une légèreté qui furent appplaudies
par Leurs Majeftés . Après les manoeuvres
particulieres , les quatre Régimens manoeuvrerent
enfemble & défilerent devant le Roi & la Famille
Royale Monfeigneur le Dauphin , à la tête de
fon Régiment , falua Leurs Majeſtés . Le ſoir , ce
Prince fit P'honneur au Duc de Coigny, Maréchal
de Camp , Mestre de Camp- Général des Dragons ,
& Commandant du Camp , de fouper chez lui
avec les Officiers de Dragons des quatre Régimens.
Sa Majefté a marqué fa fatisfaction aux troupes
qui ont paru devant elle cette année à Compiegne ,
& a accordé différentes graces aux Officiers , du
zèle & de l'application defquels on lui a rendu
compte.
Le 31 , Monfeigneur le Dauphin & toute la
Cour ont pris le deuil pour deux inois à l'occaſion
de la mort de Son Alteffe Royale l'Infant Duc de
Parme. Philippe , Infant d'Eſpagne & frère de
Sa Majefté Catholique , étoit né le 15 Mars 1720 :
OCTOBRE 189 1765 :
il avoit été marié le 20 Août 1739 avec Louiſe-
Elifabeth de France , morte de la petite - vérole à
Verfailles le 6 Décembre 1759 , & avoit eu le
Duché de Parme , Plaiſance & Guaſtalla en 1749.
Le Roi a accordé les entrées de fa Chambre au
Prince d'Anhalt , Lieutenant- Général de ſes Armées
; au Comte d'Egmont Pignatelli , Grand
d'Efpagne, & auffi Lieutenant- Général des Armées
de Sa Majeſté ; & au Duc de Coigny , Maréchal
de Camp & Meftre de Camp - Général des Dragons.
Sa Majefté a donné l'Abbaye de Migette
Ordre de Sainte Claire , Diocèle de Besançon , à
la Dame Franchel de Ranchot , Chanoineffe de
la même Abbaye ; & celle de Béniſſons -Dieu ,
Ordre de Cîteaux , Diocèle de Lyon , à la Dame
Damian de Vernegue , Religieufe Urfuline du
Monaſtère de Salon en Provence.
Le 15 de ce mois , Fête de l'Affomption de la
Sainte Vierge , Leurs Majeftés , accompagnées
de Madame la Dauphine , de Madame Adelaïde ,
& de Meſdames Victoire , Sophie & Louife , fe
rendirent en l'Eglife de l'Abbaye Royale de Saint
Corneille. Elles y affifterent à la Proceffion qui fe
fait chaque année , le même jour , dans tout le
Royaume pour l'accompliffement du voeu de
Louis XIII . Leurs Majeftés furent reçues & reconduites
, avec les cérémonies ordinaires , par Dom
Devis , Grand Prieur de l'Abbaye , accompagné
de fes Religieux.
Aujourd'hui la Reine eft partie de cette Ville
pour fe rendre à Commercy , auprès du Roi de
Pologne , Duc de Lorraine & de Bar. Sa Majefté ,
après y avoir paflé trois ſemaines , reviendra à
Verſailles,
Le 10 , l'Archevêque de Rheims , le fieur
$90 MERCURE DE FRANCE.
Rouillé d'Orfeuil , Intendant de Champagne ,
& le fieur Clignot de Blervache , Député de la
Ville de Rheims , ont eu l'honneur de préſenter
au Roi la médaille frappée à l'occafion de la ſtatue
qui doit être érigée dans cette Ville à Sa Majefté,
ainfi que les plans relatifs à ce monument. Ils
ont été conduits à cette audience par le fieur Bertin
, Miniftre & Secrétaire d'Etat ayant le département
de la Province de Champagne.
Le feur Hocquart , Confeiller d'Etat , ci devant
Intendant de la Marine à Breft , & actuellement
Infpecteur général des Claffes , a été préfenté le
même jour à Sa Majefté par le Duc de Choiſeul ,
Miniftre & Secrétaire d'Etat ayant le département
de la Guerre & de la Marine.
Le fieur Moreau de Beaumont , Intendant des
Finances , ayant été nommé Confeiller d'Etat , a
été en cette qualité préfenté au Roi le 9 par
Vice- Chancelier.
le
Le 21 du mois dernier le Bureau d'Adminiftration
du Collège de Louis le Grand a fait préſenter
au Roi un jetton d'or , qui eft le modèle de ceux
que les Adminiftrateurs ont fait frapper pour diftribuer
aux Membres du Bureau de Difcipline ,
ainſi qu'il eft ordonné par l'article XIV des lettres-
patentes du 16 Août 1764. Ce jetton , en
forme de médaille , repréfente allégoriquement
la réunion des Bourfiers des petits Colléges , faite
dans celui de Louis le Grand par les lettres - patentes
du 21 Novembre 1763. On voit d'un côté un
fleuve dont les eaux font groffies par nombre de
petits ruiffeaux qui fortent du fein d'une montagne.
La légende eft Major è confluvio ubertas.
Dans l'exergue on lit : Collegium Ludovici Magni
Academicum ex munificentiâ Ludovici Dile&iffimi.
*7763 . Sur les revers font repréſentés Louis XIV
OCTOBRE 1765. 197
& Louis XV, & pour légende : Collegiifundatores
augufti. Sa Majefté a paru très- fatisfaite de ce
jetton , & a fait affurer le Bureau de fa protection
& de fa bienveillance : elle lui en avoit déja donné
des marques en lui accordant au mois d'Octobre
dernier fon portrait pour être placé dans la falle
où le tiennent les affemblées du Bureau d'Adminiftration.
Le 8 de ce mois , il s'eft fait au Collège Royal
de cette Ville de Compiegne un exercice pour la
diftribution folemnelle des Prix accordés par Sa
Majefté . Le fieur Mathieu , Principal du Collége ,
eut l'honneur de préfenter la veille le Programme
de l'exercice au Roi & à Monfeigneur le Dauphin ,
ainfi qu'à Monfeigneur le Duc de Berry , a Monfeigneur
le Comte de Provence & à Monſeigneur
le Comte d'Artois. Ces jeunes Princes daignerent
affifter à cet exercice , dont ils furent très-fatisfaits;
les Ecoliers qui remporterent les Prix eurent l'honneur
d'être couronnés des mains de Monfeigneur
le Duc de Berry . Ce Prince eut la bonté d'accorder
un Prix particulier au fieur de Crouy , fils du
Procureur du Roi de la Maîtriſe de Laigne , qui ,
par les foins du fieur le Comte , Profefleur de
Seconde , foutint l'exercice . Le fieur de Lancry ,
fils du Lieutenant de Roi de cette Ville , termina
la léance par un remerciement au Roi . Monſeigneur
le Duc de Berry , Monfeigneur le Comte
de Provence & Monfeigneur le Comte d'Artois
furent reçus , à leur arrivée , par les Adminiftrateurs
du Bureau , ayant à leur tête l'Evêque de
Soiffons. Le lendemain , le Principal & les Ecoliers
couronnés furent préfentés aux Princes pendant
leur dîner.
Dans les premiers jours de ce mois le Père
Boiffier , Supérieur des Céleftins de Sens , a eu
192 MERCURE DE FRANCE .
T'honneur de faire devant le Roi l'effai d'une nouvelle
machine de fa compofition, avec laquelle , en
tournant fimplement une manivelle , on exécute
promptement différens portraits en bas - relief.
DE PARIS , les Août 1765.
On a reçu les détails fuivans des opérations de
l'Eſcadre Françoife qui croife fur les côtes de Salé
fous les ordres du fieur du Chaffaut.
Le Chevalier d'Apchon , commandant la Frégate
la Gracieufe , de Toulon , croifant fur la
Mamore , y a donné chaffe à un Corſaire Saletin
de dix canons qui n'a eu d'autre reffource que celle
de s'échouer fous le Fort , où il a été brûlé par un
détachement de cette Frégate , dont l'artillerie a
promptement diffipé la multitude des Maures
accourus pour empêcher l'incendie.
Le Comte de Graffe , commandant l'Héroïne ,
de Breſt , a fait auffi échouer & brûler près de la
Mamore le navire l'Union , de Saint- Malo , chargé
de fel & de quelques autres articles de peu de
valeur , lequel avoit été pris par un Saletin qui
rentroit.
Le 31 Mai , le fieur du Chaffaut , Chef d'Efcadre
, commandant le vaiffeau l'Utile , de cinquante-
fix canons , mouilla devant Salé avec la
plupart des bâtimens fervant fous les ordres- Les
2 , 8 & 11 Juin , il a canonné & bombardé le Fort
neuf & la Ville . On a détruit une Moſquée &
plufieurs maifons. Les Maures ont eu beaucoup
de gens tués ou bleſſés . Ils ont tiré fur l'Eſcadre
Françoife quatre cents coups de canon qui n'ont
produit aucun effet .
Le fieur du Chaffaut joignit le 22 un navire
Danois nommé le Bon Succès , de deux cents
vingt
OCTOBRE 1765. 19 %
yingt tonneaux , expédié de Conftantinople aut
commencement de Mai avec un chargement de
dix canons de bronze , cinq cents quintaux de
poudre à feu , quinze cents boulets , trois cents
cinquante rames & plufieurs mâts , que le Capitaine
avoua qu'il portoit à Salé. La deſtination de
ces munitions de guerre étant pour les Ports bloqués
de nos ennemis , ce navire eft évidemment
dans le cas de la confifcation , auffi-bien que fon
chargement. En conféquence , il a été envoyé au
premier Port de France fous l'escorte de la Frégate
La Biche.
Le 25 le fieur
du
Chaffaut
mouilla
devant
Larache
. Le
même
jour
, après
avoir
attiré
les
Maures
à la partie
du
Sud
de la Ville
par
une
canonnade
qui
annonçoit
une
defcente
, il détacha
neuf
Chaloupes
pour
brûler
une
Frégate
de vingtquatre
canons
, nommée
la Syrene
, mouillée
endedans
de la Barre
. La
mer
s'y
trouva
fi grolle
qu'il
fallut
revenir
. Le 26 , il canonna
& bombarda
avec
tant
de
fuccès
, qu'il
démonta
une
batterie
de dix-huit
canons
qui
défendoit
l'entrée
du port
. A dix
heures
du foir
il envoya
trois
Chaloupes
& un Canot
, commandés
par
le fieur
de
Kergariou
, Lieutenant
de Vailleau
, pour
brûler
ladite
Frégate
. Après
y avoir
mis
le feu
, le déta
chement
fit fa retraite
, & n'eut
que
quatre
hommes
bleffés
. On
s'apperçut
deux
heures
après
que
le feu
étoit
éteint
. La journée
du 27 fut
encore
employée
à canonner
& bombarder
avec
tant
de
vivacité
, que
le Fort
, le Gouvernement
& la
Ville
fe trouvent
entierement
renversés
ou confu
més
& abandonnés
. Vers
les cinq
heures
du
foir
le fieur
du
Chaffaut
fit partir
quatorze
Chalouper
ou Canots
armés
, commandés
par
le fieur
de l
Vol
. I.
194 MERCURE DE FRANCE.
Touche de Beauregard , Capitaine de Vaiffeau ;
pour aller de nouveau mettre le feu à la Syrene.
Elle fut bientôt embraſée & confumée. Le détachement
chargé de cette expédition ayant enfuite
apperçu fort avant dans la riviere , & dans un enfoncement
étroit , un Chebec de vingt - quatre
canons , le zèle & l'ardeur des Officiers les emporterent
au point qu'ils voulurent y aller mettre le
feu , ce qu'ils exécuterent malgré la réſiſtance des
Maures . Mais le nombre de ceux- ci ayant aug.
menté fucceffivement jufqu'à près de trois mille
hommes , le détachement fut coupé dans fon
retour par le feu de cette multitude. Six Chaloupes
ou Canots échouerent étant contrariés par le flot ,
& les coups de fufil qu'on tiroit fur eux de deffus
les deux rives ayant fait périr la plus grande partie
de leurs équipages , ces Bâtimens , avec ce qui
leur reftoit de monde , font tombés au pouvoir
des Maures , qui de leur côté ont perdu , tant dans
cette expédition que par le bombardement , envi-
Yon deux mille hommes. Larache eft abfolument
détruit . Nous avons eu trente Officiers , Gardes
de la Marine ou Volontaires , & cent foixantequatorze
Matelots ou Soldats tués ou pris.
Le fieur du Chaffaut ſe diſpoſe à aller avec les
Frégates l'Héroïne & la Licorne reconnoître le
Port de Mogador , que le Roi de Maroc travaille
à fortifier , & il relâchera au commencement
d'Août à Cadix pour y attendre les nouveaux ordres
du Roi. Il envoie les Chebecs le Singe & le Caméléon
croiſer devant les Ports que les Saletins ont
fur le Détroit de Gibraltar.
Les Ports de Salé , de Larache & de la Mamore
demeureront bloqués par un certain nombre de
nos Frégates jufqu'à ce que la faifon de tenir la
OCTOBRE 1765. 195
mer foit paflée. Ainfi il ne fortira aucun Corfaire
Saletin , & notre commerce jouira de la sûreté &
de la liberté qu'on peut defirer.
On vient d'apprendre que le Navire Danois le
Bon Succès , qui alloit à Salé , chargé de munitions
de guerre , & que le fieur du Chaffaut a
arrêté , eſt entré dernierement à la rade de Breſt
avec la Frégate la Biche qui l'efcortoit .
Le Dimanche , 14 Juillet , le feu prit à une
heure après-midi au Bourg de Bolbec , au pays ,
de Caux , dans la maiſon d'un Boucher. L'incendie
fit de fi grands progrès , qu'en trois heures
de temps tout le Bourg fut embrafé. Il y a eu huit
cents foixante- quatre maifons brûlées , & il n'en
reſte pas dix qui n'aient été endommagées. L'Eglife
, qui étoit extrêmement vieille , a été aufli
réduite en cendres. Un vieillard , & fa fille qui
étoit allé le fecourir , ont péri dans les flammes ;
& plus de trois mille perfonnes font réduites à la
dernière mifère par la perte de leurs maifons &
de leurs effets : la quantité de marchandiſes brûlées
eft immenſe.
1
Sa Majesté voulant remettre les habitans de ce
-Bourg en état de reconſtruire les maifons incendiées
& de rétablir leur commerce , vient de leur
accorder la remife de tout ce qui reftoit dû de
leur taille & des impofitions acceſſoires pour cette
année. Elle a ordonné en même temps que , pendant
vingt-cinq ans , à commencer du mois d'Octobre
prochain , chaque habitant de ce Bourg ne
feroit taxé qu'à cinq fols par an pour toute nature
d'impofitions , même pour les vingtiemes. Enfin ,
Sa Majesté leur a fait diftribuer deux cents métiers
& quatre cents rouets à l'ufage de leur fabrique ,
& l'on eſpére que la bonté de Sa Majeſté ne ſe
bornera pas à ces bienfaits,
【ij
196 MERCURE DE FRANCE .
Le 1s de ce mois , Fête de l'Allomption de la
Sainte Vierge , la Proceffion folemnelle qui fe fair
tous les ans , à pareil jour , en exécution du voeu
de Louis XIII , fe fit avec les cérémonies ordinaires.
L'Archevêque de Paris y officia , & le Parlement
, la Chambre des Comptes , la Cour des
Aides & le Corps de Ville y affifterent.
LOTERI E.
Les Août on a tiré la Loterie de l'Ecole Royale
Militaire. Les numéros fortis de la roue de fortune
font , 10 , 17 , 29 , 66 , 76.
MORT S.
Philippe- Claude de Montboiffier- Beaufort- Canilliac
, Marquis de Montboiffier , Lieutenant-
Général des Armées du Roi , ancien Commandant
de la feconde Compagnie des Moufquetaires
de la Garde de Sa Majefté , & Gouverneur des
Ifles Sainte - Marguerite & Saint - Honorat , eft
mort le 31 Juillet , dans fa terre du Pont du Château
en Auvergne , âgé de quatre-vingt- onze ans.
Paul - Jacques , Marquis de Lordat , Baron des
Etats de Languedoc & Gouverneur de Carcaffonne ,
eft mort le 3 Août , dans la quatre -vingt-feptieme
année de fon âge.
Pierre Poulletier , Confeiller d'Etat ordinaire ,
eft mort à Paris , le 9 du même mois , dans la
quatre- vingt cinquieme année de fon âge.
Catherine Louife , née Comteffe de Fiequel
mont , veuve de François , Comte des Salles &
de Rorté , Marquis de Bulgneville , Confeiller
d'Etat & premier Capitaine des Gardes du Corps
de Son Altelle Royale Léopold , Duc de Lorraine
OCTOBRE 1765. Th
& de Bar , Grand Bailli de Pont- à- Mouffon &
Confervateur des Priviléges de l'Univerfité de
cette ville , eft morte à Nancy le s du même
mois.
T
FÊTES PUBLIQUES.
Our ce qui a trait à l'amour que mérite le
meilleur des Princes , tout ce qui caractériſe la
fidélité & le patriotifme le plus épuré , a toujours
été analogue à la ville de Calais. Si fes habitans
ont imité dans toutes les circonftances l'héroïlme
d'Euftache de Saint- Pierre , ils le font également
furpallés dans tous les temps par leur attachement
& leur fidélité pour leurs Souverains : ils viennent
d'en donner une nouvelle preuve le jour du
Jubilé de l'avénement du Roi au trône , en portant
aux pieds des Autels les voeux les plus ardens
pour la précieufe confervation de LouIS L
BIEN -AIMÉ & de fon augufle Famille.
Le Corps de Ville a fait chanter à cet effet une
Meffe folemnelle , à laquelle furent invités , &
affiftèrent les Officiers - Généraux réfidens à Ca--
Lais , tous les Officiers du Régiment de Touraine
Infanterie , & de Belfunce Dragon , ayant à leur
tête les Comtes de Montmorency & de Bellunce
leurs Colonels , les Etats majors de la Ville , de
la Citadelle , du Courguain & des Forts : les
Corps de l'Artillerie & du Génie , la Juftice,
Royale , les Jurifdictions de l'Amirauté , des
Traites , des Eaux & Forêts , & des Confuls : les:
Officiers Municipaux préfidés par le Maire , le
Comte de S. Martin , Brigadier des Armées du
Roi , Capitaine- Général , Infpecteur de la Garde
I iij,
198 MERCURE DE FRANCE.
côte du Calaifis , & les Notables de la nouvelle
adminiftration.

On ne peut rien ajouter à l'ardeur & à l'unanimité
des prières qui furent préſentées au Ciel
pendant cette cérémonie. Pour les rendre plus efficaces
, le Magiftrat fit faire pendant la Meſſe
une diftribution générale de pains à tous les pauvres
de la Ville : cette claffe auffi précieuſe à
l'humanité chrétienne que dégradée aux yeux de
la fauffe grandeur , fe reffentit de l'allégreffe publique
& la partagea . Elle fut univerfelle toute cette
journée par les démonftrations de la joie la plus
pure :le fon des cloches , les pavillons , les illuninations
, la foule innombrable de Citoyens de
tout âge & de tout état , réunie par le même objet
; toute la ville enfin fembloit en ce moment
ne former qu'une feule & même famille, qui célébroit
dans le Jubilé de fon Roi , celui du Père
le plus tendre & le plus chéri.
le
Cette folemnité avoit été précédée huit jours
avant par une Fête très - brillante , donnée par
Prince de Croy , le jour de S. Louis , Patron du
Roi. Ce qu'il y avoit de plus diftingué dans cette
ville , fut invité à un repas fuperbe ; quarante
Dames occupèrent une des tables , la feconde le
fut par tous les Chevaliers de S. Louis ; un bal
qui dura jufqu'au matin , termina cette brillante
fête , où l'affabilité & les attentions du
Prince de Groy mirent le comble à la fatisfaction
des perfonnes qui y avoient été invitées .
OCTOBRE 1765. 199
EXTRAIT d'une Lettre de Clermont - Ferrand
du 24 Septembre 1765-
L'ARRIVÉE des chiens que le Roi a ea la bonté
d'envoyer pour chaffer la béte féroce , a produit
un effet heureux. M. Antoine a tué & a envoyé
avant- hier au foir en pofte une bête monftrueuſe
par fa groffeur & fa hauteur. Cette bête fut attaquée
à une chaffe que M. Antoine a faite le 19
de ce mois dans le bois de Pommier , dépendant
de la réſerve de l'Abbaye des Chazes , près de
Langeac en Auvergne. Différentes circonstances
& l'attestation de plufieurs perfonnes attaquées
par la bête féroce , donnent lieu de croire que
celle qui eft tuée , eft la même qui a exercé tant
de cruautés . Les Curés & les Confuls des Paroifles
les plus fréquentées par cet animal , ont préſenté
à M. Antoine les perfonnes qui l'ont vue de près ,
& qui ont déclaré qu'elles la reconnoilloient pour
être le même animal qui les avoit attaqués. La
nommée Jeanne - Marie Valette , qui le i Août
blefla cet animal avec une bayonnette dont cette
fille étoit armée , a auffi déclaré que c'étoit la
même bête , mais qu'elle ne pouvoit allurer en
quel endroit elle l'avoit bleffée . Par l'examen
que l'on en a fait , il a été reconnu que la bleffure
de la bayonnette étoit à l'épaule droite de cette
bere , qui d'ailleurs par fa taille & les couleurs
par lesquelles elle a été défignée , fait préfumer
qu'elle eft celle qui alarme depuis long-temps cette
Province.
&
On a pris le parti de la faire embaumer ,
on a penlé qu'en cet état elle pourra être confervée
pour être préfentée à Sa Majefté .
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Il résulte du procès verbal dreffé par M. Antoine
, que cet animal avoit 32 pouces de haut
& cinq pieds. 7 pouces & demi de long , & qu'il
pefoit 130 livres.
-
M. Antoine a affuré que cet animal avoit des
yeux très gros & très - étincelans , elle a 40
dents , ce qui n'eft propre qu'à l'Yenne , fuivant
'M. de Buffon.
Enfin , on a remarqué en ouvrant la bête morte
, que les muſcles du col font très - gros , & indiquent
une force extraordinaire ; fes côtes font
difpofées de façon que l'animal pouvoit fe plier
de la tête à la queue , ce que le loup ne peut
pas faire.
pour
LE Roi a nommé fon Miniftre Plénipotentiaire
auprès de Son Alteffe Royale l'Infant
Duc de Parme , le Baron de Baſquiat de la Houſe,
Chevalier des Ordres Royaux , Militaires & Hofpitaliers
de Notre- Dame du Mont- Carmel & de
S. Lazare de Jeruſalem , .Chevalier Honoraire de
l'Ordre de Malthe , & ci- devant Miniftre chargé
des affaires de Sa Majefté auprès du Roi des
Deux- Siciles , &. du Saint Siége.
La famille de Baſquiat établie depuis près de
rois fiècles dans la Province de Guyenne , où
elle a formé de bonnes alliances , & a produit
des fujets recommandables par leur zéle pour le
fervice du Roi , eft originaire d'Espagne , &
diftinguée dans l'Ordre de la Nobleffe de ce
Royaume.
Le premier auteur connu de cette famille , eft
Pierre de Bafquiat , Chevalier de l'Ordre de S..
OCTOBRE 1765 201
Jacques , établi à S. Sébastien dans la province
de Guypufcoa au milieu du quinziéme fiècle , lequel
eut deur fils , Jacques & Jean , qui formè--
rent chacun une branche : l'aîné s'attacha , en qualité
d'intime familier, à Charles d'Aragon , Princede
Viane , fils de Jean , Roi d'Aragon , & de-
Blanche , Reine de Navarre. Ce Prince que la
faveur des Navarrois avoit rendu trop redoutabie
en Espagne , ayant été obligé de ſe retirer auprès
d'Alphonfe le Sage , Roi de Naples , fon oncle
vers l'année 1456 , Jacques de Basquiat l'y fuivit ,.
& y épousa Victoire Bonifacio d'une famille de
Noblelle diftinguée de cette ville ; il en eut un
fils nommé Antoine , & ce mariage le fixa à la
Cour du Roi Alphonfe , dont il devint intime familier.
L'année 1483 , il fit avec fon fils un fidéicommis
perpétuel de leurs biens en faveur de leurs
enfans & defcendans mâles , & à leur défaut , en
faveur de ceux de Jean de Baſquiat , leur frère &
oncle dont on va parler ; & cette difpofition ,.
deftinée à perpétuer dans fa famille la certitude
de fon origine & la poffeffion de fon patrimoine
primitif , fut approuvée par lettres- patentes du
Roi Ferdinand , fucceffeur d'Alphonfe , du 16
Octobre de la même année ; mais fa poftérité
s'éteignit en la perfonne de Pierre de Baſquiat en
1586.
Noble Jean de Basquiat , frère puîné , eft l'au
teur de la tranfmigration de fa famille en France .
Ilquitta fa patrie & paffa à Saint- Sever enGuyenne,,
où il étoit domicilié lors du fidéicommis par lequeli
fon frère l'appella à la poffeffion de fes biens.
Jean de Bafquiat , Ecuyer , & fecond du nom ,
l'un de fes defcendans , fit quelques démarches en
by
202 MERCURE DE FRANCE .
1586 pour faire valoir cette difpofition en fa
faveur après la mort fans enfans de Pierre de
Baſquiat , chef de la branche établie à Naples
il demanda à Philippe II , Roi d'Espagne , qui
avoit uni la Couronne de Naples à fes autres Etats ,
la jouillance de les biens ; mais ce Prince , par
des lettres patentes datées d'Aranjués fur le Tage
le premier Mai de la même année 1586 , ne la
lui accorda qu'à la charge de tranfporter fon domicile
au Royaume de Naples. La condition appofée
à ce bienfait en empêcha l'effet , il préféra
les avantages qu'il avoit trouvés en France à l'éclat
incertain qui lui étoit deftiné dans un pays étran
ger , où les fiefs de la Maiſon étoient déja dévo
Jus au domaine de Sa Majefté par les ordonnances
du Royaume à caufe de l'éloignement du degré
de parenté , & il ne retira de cette fucceffion
qu'une fomme modique d'argent. I laiffa de
Dame Salis , fon épouſe , 1º. Jean , troifiéme du
nom , auquel quelques titres ajoutent le nom de
Bon , qui continua la branche aînée . 2º . Pierre
de Bafquiat , qui paroît être l'auteur d'une branche
, dont le chef actuel Pierre de Baſquiat , qua
triéme du nom , Chevalier , Seigneur , Baron de
Mugriet , Lieutenant- Général de la Sénéchauffée
des Lannes , au Siége de Saint- Sever , marié à
Demoiſelle de Bats , fille de . . . de Bats ,
Vicomte d'Aurice , & de feu Dame . ... de
Caupenne , foeur du Marquis d'Amon , Commandant
à Bayonne , a pour frère puîné Joſeph de
Bafquiat , Confeiller au Parlement de Bordeaux ,
marié à Demoiſelle
de Chimbot de
Fillot.

Jean de Baſquiat , Ecuyer, Seigneur d'Artigon,
époufa en 1600 Dile Marche d'Embidonnes , fille
OCTOBRE 1765. 203
de feu noble Damès d'Embidonnes , & de Jeanne
de Pauſadé. De ce mariage fortit Bernard de Bafquiat
, Ecuyer , premier du nom , auffi Seigneur
d'Artigon , qui facilita dans la ville de Saint -Sever
l'introduction de la réforme de l'Ordre de S.
Benoît , célébre fous le nom de la congrégation
de S. Maur , à laquelle lui & fes defendans ont
été affiliés à ce fujet par acte du 11 Juin 1647 .
Il laiffa de Dame Quitterie de Marrein , fille de
Noble Pierre de Marrein , & de Dame Madeleine
de Poyferré : 1 ° . Bernard , fecond du nom ,
Seigneur d'Artigon. 2. Jean Chevalier de Baf
quiat , Capitaine dans le Régiment d'Enghien
Infanterie , & 3. Odette de Basquiat , femme
de Matthieu d'Eftoupignan , Ecuyer , Capitaine
d'Infanterie.
>
Bernard de Baſquiat , Ecuyer , fecond da non ,
époufa , 19. Jeanne de Berbedat , 2 ° . Catherine
d'Arbo ; il eut de la première Matthieu , Seigneur
d'Artigon , dont on va parler , & de la feconde
Jean de Baſquiat , quatriéme du nom
Seigneur Baron de Touloufetre , Poy , Patin &
Miramont , mort Maire perpétuel de la ville
de Saint Sever , qui de Marie-Anne Dupoy , fon
épouſe , a eu deux fils , Bernard de Bafquiat
Chevalier, Baron de Touloufette , ci - devant Mouf
quetaire de la premiere Compagnie de la Garde
du Roi , lequel a époufé Dile Marie de Beaufort ,
fille du Comte dece nom & de ..... de la Camoyre
, & Benoît de Bafquiat , appellé Chevalier
de Bafquiat , ci - devant Lieutenant au Régi
ment du Roi Infanterie , lequel a époufé Dile
Marie-Anne de Lefpés.
Matthieu de Bafquiat , Ecuyer , Seigneur d'Ar
tigon & de Chicouton , époufa en 1688 Marie de
I vj
104 MERCURE DE FRANCE.
>"
Campet , fille de Noble Philibert de Campet ,
de Dame Cecile de Cloche. De ce mariage eft
iffu André de Bafquiat ,. Chevalier , Seigneus
auffi de Chicouton Baron d'Arthos & de Lahouze
, Seigneur de Bonnegarde & d'Efpaignes ,
Chef de nom & armes de fa famille ,,qui de fon
mariage avec Dame Marie - Anne du Vaquier.
d'Aubaignan. , fille de feu . Pierre du Vaquier
Ecuyer , Baron d'Aubaignan & de Lartigue , an+
cien Capitaine de Dragons ,, &. de feue Dame
Marie-Anne de Larrazet , a pour fils :.
2
1º . Matthieu de Baſquiat , Chevalier Baron da
Lahouze qui donne lieu au préfent article.
20. Matthieu de Bafquiat , Eccléfiaftique ;
Chanoine de Saint Pierre de Lille en Flandres
& Vicaire- Général de l'Evêché de Perpignan.
3º. Benoît de Baſquiat , appellé Chevalier de
Lahouze , Lieutenant au Régiment. de Bearn
Infanterie.
4. Magdeleine de Baſquiat..
ILa
AVIS DIVER. S..
L. a été annoncé vers le mois de Mai de l'an→
née pallée 1764 ,( par un avis imprimé ) un
recueil de 730 planches , contenant les figures
des plantes & animaux utiles en médecine
gravées en taille- douce , fur les deffeins d'après
nature de M. de Garfault.
Ce recueil a paru enfuite au mois de Juin
de la même année , divifé en cing tomes , & .
accompagné d'une table alphabétique imprimée,
OCTOBRE 1765. 20
contenant le nom latin & françois de chaque
figure.
Comme cette collection avoit été miſe en
ordre & raſſemblée , en fuivant exactement lat
matière médicale de M. Géoffroi , de manière :
qu'on ytrouve de fuite la figure de chaque plante
& animal , dont il donne la defcription & les
vertus ; M. de Garfault croyoit que cette explication
de M. Geoffroi feroit fuffifante pour
l'intelligence de ſes eftampes : mais plufieurs
perfonnes lui ayant repréſenté la néceflité d'en
donner lui -même une à part , qui puifle répondre
à fes figures & les accompagner , fans être :
d'une auffi grande étendue que l'ouvrage de
M. Géoffroi , qui a 16 volumes in - 12 , dont :
par conféquent le format ne pouvoit pas s'allier
aux eftampes qui font in- 8° ; qu'il falloit .
donc faire imprimer cette explication du même
format que les eftampes ; que le Public qui goû
toit déja beaucoup cette collection , feroit fort:
aife que cette explication y fût ajoutée ; toutes.
ces raifons l'ont déterminé non-feulement à la
faire , mais encore à la donner au Public . Ainfi
fon recueil fera vendu 48 livres , depuis le premier
Juillet , jufqu'au premier Janvier 1766 ,
après lequel temps , tout l'ouvrage coûtere I
fivres broché : il en a conduit l'impreffion de manière
qu'on peut , fi l'on veut , la féparer en
cinq , pour ajouter à chaque tome d'eftampes
la partie qui y répond.
Ceux qui ont jufqu'à préfent acquis le recueil
d'eftampes , trouveront l'explication , fans rien.
payer , chez MM. Defprez , Imprimeur du
Roi & du Clergé de France , rue Saint - Jacques ,
au coin de la rue des Noyers , & Defaint , Li
206 MERCURE DE FRANCE.
braire , rue Saint - Jean - de - Beauvais ) en rap
portant le premier tome , afin que celui qui délivrera
l'explication , écrive deffus le mot livré.
Par privilége du Roi.
L'ONGUENT du feu fieur Canet , Officier de
la Reine , connu depuis long - temps pour la
guérifon de toutes fortes de plaies , fe diftribue
chez le fieur Butti , à l'Hôtel de la Rochefoucault
, rue de Seine , Fauxbourg Saint - Germain
à Paris chez le fieur Gouffet , maiſon du feu
fieur Canet , rue Baffe , près la petite Place à
Verfailles , & dans les principales Villes & Ports
du Royaume .
:
Les propriétés de ce remède font reconnues depuis
long-temps par les cures qu'il a opérées &
qu'il opere journellement fous les yeux des gens
de l'art . Il guérit radicalement les humeurs-froides
, dites écrouelles , les cancers , les fiftules
lacrymales , celles de l'anus , les hémorroïdes
externes & internes , la teigne , les tumeurs intérieures
, même celles qui fe forment dans la
matrice avec ulceres , les fquirrhes , les hydrocéles
, les loupes , les épanchemens de lait qui
arrivent aux femmes quelquefois à la fuite de
leurs couches , les abcès ouverts ou non ouverts ,
de quelque nature qu'ils foient , les panaris
bubons , maux d'aventure & généralement
toutes fortes de plaies , foit qu'elles foient caufées
par chûtes , coups de fer ou d'armes à feu .
>
Pour l'avoir véritable & éviter les mauvais
effers qui pourroient réfulter de celui que quelques
Particuliers fe font immifcés de contrefaire , on
doit le prendre feulement aux adreſſes indiquées
ci-deffus.
OCTOBRE 1765. 207
ON vend chez le feur Chauvet , Chymifte ,
un fpécifique confiftant en une eau diftillée qui ne
s'altere jamais , dont la propriété eft de guérir
promptement les affections fcorbutiques des gencives
& les ulceres qui en proviennent , de détruire
le tartre & la carie des dents , de les blanchir , de
les raffermir dans leurs alvéoles , & de les incarner
fi elles font déchauffées. Au reste cette eau
dont l'odeur & le goût font agréables , laiffe dans
la bouche une fraîcheur qui fe foutient longtemps.
Ceux qui ont les dents belles & folides ,
& les gencives faines , s'ils veulent quelquefois
en faire ufage , ils les conferveront toujours dans
le même état. Prix 2 liv . la fiole.
La demeure du fieur Chauvet eft dans la cour du
Temple , au bâtiment neuf, dans l'allée du billard,
eu premier étage.
La Maiſon de Villegontier de la Villegontier ,
originaire de Bretagne , étant à la recherche de
plufieurs de les titres & alliances pour dreffer une
généalogie complette de l'ancienneté de fa Maifon
, prie les anciennes Mailons & Familles nobles
des Provinces de Bretagne , du Poitou , de la Normandie
, du Maine , l'Anjou , de la Tourraine &
autres de vouloir bien communiquer les alliances
qu'elles pourroient avoir contractées avec cette
ancienne & noble Mailon ; & s'il y a des frais à
faire pour avoir des copies des minutes qui inté
* Cet article a été inféré dans le Mercure d'Août
fur une copie infidelle. On le donne tel qu'il doit être.
08 MERCURE DE FRANCE.
refferont la Maiſon de Villegontier , on s'offre
d'en payer tout les débourlés : on les adreffera à
M. le Vicomte de la Villegontier , chez Madame.
de la Villegontier des Autieux de Marbrée , demeurant
en fon hôtel à Ernée , Bas - Maine ; on
pourra les adreffer auffi à cette même Dame.
L'ancienne & illuftre Maiſon de la Villegontier
a poffédé deux terres de fon nom , l'une eft fituée
à quelques lieues de la ville de Fougeres , Evêché
& reffort de Rennes ; cette terre fut vendue douze
cens livres en 1300 aux auteurs d'Ecuyer Pierre
Morel , Seigneur de la Villegontier , lefquels
Font poffédée jufqu'au temps qu'elle fut vendue
à Meffire Jean le Corvaifier , Confeiller au Parlement
de Bretagne , qui la poffédoit en 1565 .
Son fils , René le Corvaifier , Seigneur de la
Villegontier , & de Pelaine , auffi Confeiller à la
Cour , l'a poffédée depuis ; & , par le mariage
de fa fille aînée avec Ecuyer Pierre Frain , fieur
d'Ysfer , elle a paffé par fucceffion directe à la
famille Frain , dont l'aîné fe qualifie de Seigneur
de la Villegontier. Ce château est tombé en ruine
où on voit encore des marques d'antiquité. L'au
tre terre de Villegontier eft fituée dans la Province
d'Anjou , près la ville de Candé , fur les confins
de la Bretagne , du côté d'Ancenis : cette terre
appartient actuellement à M. Simon , qui eft Seigneur
de la Villegontier ; cette famille s'en rendit.
adjudicataire il y a cent ans , ayant auffi été poſſédée
par la Maifon de Saint-George en 1500 , &
par celle de la Marqueraye en 1668 : c'eft ce qui
à donné lieu à fes poffeffeurs de prendre le nom
de Villegontier , & les premiers Seigneurs du
nom & d'armes de la Villegontier , portent le
nom de Villegontier de la Villegontier , comme
A
OCTOBRE 1765. 20
propriétaires ci-devant des anciennes terres affec
tées à leur nom.
M. de Mongerbet eft de retour de la province ;
où il a fait la collection de fes plantes. Quelques
Particuliers s'étant plaint que le Baume Végétal
fe troubloit & s'épaiffiffoit en peu de temps , il a
obfervé que cela dépendoit de la qualité des vins
dont il n'étoit jamais affuré. Pour éviter cet incon--
vénient , il donnera à chaque Particulier les végé
taux dont il eft compofé , avec la méthode de
l'infufion dans le meilleur vin rouge ; & le Public ,
bien convaincu que ce Baume eſt un doux Elixir
& particulier à l'eftomac, y aura recours dans tant
de cas différens , où il eft bien décidé que l'eftomac
eft le véritable principe d'un très - grand nombre
de maladies , & dans tous ceux où il ne fauc
point échauffer & fatiguer les refforts de ce vifcère
. La baſe effentielle de ce Baume eft la poudre
balfamique ; cela dit affez qu'il eft doux & propre
à tout âge , & l'anti - fcorbutique le plus naturel
& le plus vrai. Ce Médecin loge toujours rue du
Gros Chenet , quartier Montmartre à Paris . I
faut affranchir les lettres..
Aux amateurs de leur chevelure.
LA Demoiſelle Germain continue toujours
débiter avec tout le fuccès poffible l'huile d'ours ,
qu'elle prépare avec l'huile de noilette & avec
plufieurs autres ingrédiens dont les vertus & propriétés
font fupérieures à tout ce qu'il y a de
mieux dans la nature pour faire croître , fortifier
& multiplier les cheveux en bien peu de temps..
210 MERCURE DE FRANCE.
Tous ceux qui depuis long - temps fe fervent
de cettehuile en ont été tellement fatisfaits , qu'ils
l'ont annoncée à leurs amis & aux perfonnes de
leur connoiffance , qui , d'une voix unanime , en
font de très-grands éloges , en forte que la plupart
en achètent tous les jours pour leur ufage &
pour en envoyer dans les provinces.
Obfervation.
La Demoiselle Germain croit devoir avertir
le Public qu'elle diftribue cette huile d'ours pure
, fidelle & préparée de bonne foi , & d'une
manière a eſpérer les bons effets que l'on en
peut attendre , & que pour bien connoître la véritable
graille d'ours , il faut obferver qu'elle
doit être de couleur gris - blanc à l'égard des
grailles des autres animaux , elles font ou blanches
ou un peu jaunes , & il n'en eſt point de vertes,
à moins qu'elles ne foient colorées avec le
verdet , ce qui eft très - dangereux , puifque cela
corrode peu à peu la racine des cheveux , au point
de les faire tomber par la fuite ; cela eft facile à
reconnoître par la décompofition d'une telle graiffe
. On obfervera auffi que c'eft une fourberie manifefte
que d'offrir au Public une graiſſe d'ours
prétendue , tirée de la feule crinière de cet animal
, puifque l'Ours qui a le plus de graiffe
dans les diverfes parties de fon corps , n'en a
pas tout au plus deux onces dans toute fa crinière.
On expofe ici les fraudes que l'on peut faire ,
afin que perfonne ne foit trompé. On donnera aux
perfonnes qui en viendront acheter des feuilles
imprimées pour annoncer la manière d'en faire
ufage : le prix de cette huile eft de trois livres la
fiole.
OCTOBRE 1765 . 211
Elle diſtribue auffi un baume ſpécifique pour
les maux de reins & les rhumatifmes , à trois liv.
la fiole.
La Demoifele Germain demeure à Paris , rue
de Buffi , fauxbourg faint Germain , dans la maifon
du fieur Colin , Pâtiffier , au fecond étage.
NOUVEAUX refforts de voitures , imaginés par
M. Rabiqueau , Ingénieur privilégié du Roi >
Auteur des lampes optiques , rue S.Jacques , visà
vis les Filles Sainte Marie .
Le Cabriolet de M. Rabiqueau eft fufpendu
fur deux arbaletes qui fe bandent & ferrent chacune
à la faveur de leur couroie ; d'autres petites
couroies diagonales prenant d'une arbalete à
l'autre , les rendent tellement dépendantes d'une
même vibration , qu'on peut dire qu'elles font
impériffables.Les effers qu'elles opèrent au Cabriolet
de M. Rabiqueau nous affurent de grands
avantages pour toutes autres voitures , dès qu'on
faura y donner les proportions . Le cabriolet de M.
Rabiquéau n'ayant que 3 pieds 5 pouces de dehors
de fon effieux , & n'étant monté que fur des
roues de 3 pieds de diamêtre , eft l'effai le plus
dur qu'on puiffe choisir.
12 MERCURE DE FRANCE.
J
APPROBATION.
' AI lu , par ordre de Monfeigneur le Vice-
Chancelier , le premier volume du Mercure du
mois d'Octobre 1765 , & je n'y ai rien trouvé (qui
puiffe en empêcher l'impreffion . A Paris ,
premier Octobre 1765..
GUIKOY.
ce
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSARTICLE
PREMIER.
SUITR UITE des réflexions fur la Littérature de
M. B *** Page s
ODE fur le Corps du Génie, par M. F. D. L. J*** 21.
FABLES orientales , par M. B *** . Le Voifinage. 25
LE Père avare:
MAHMOUD.
PARAPHRASE du Pleaume 145.
VERS à l'occafion de quelques critiques amères
faites contre les nouvelles Grâces de feu
M. Vanloos
LETTRES de Henry IV , à Joachim de Saint-
George , Seigneur de Vérac , Baron de
Couhé.
L'INCENDIE de Bolbec...
26
2.7*
28
31
320
4.00
OCTOBRE 1765. 219
VERS à M. Favart , fur fa Comédie d'Ifabelle
41
& Gertrude.
VERS fur la fête du premier Septembre 1765. 42
A Mademoiſelle Dangeville , pour le jour de
fa fête , le 15 Août 1765 .
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
MÉLUZINE , conte.
ibid.
43
45
LETTRE à M. de la Place , en lui envoyant
une épître.
67
ÉPÎTRE à Monfieur *** fur ce qu'il blâmoit
l'Auteur d'avoir fait inférer des vers dans
le Mercure .
ENIGMES.
LOGOGRYPHES .
CHANSON . Ronde.
ARTICLE II . NOUVELLES LITTÉRAIRES.
HISTOIRE du Duché de Valois , ornée de cartes
& de gravures , & c.
ABREGEC chronologique de l'hiftoire d'Eſpagne
68
70
7.1
73
75
& de Portugal , divifé en huit périodes , &c. 81
TABLE générale des pièces contenues dans les
cent huit volumes du Choix des Journaux ,
rangées par ordre des matières & des vol. 88
ANNONCES de Livres.
LETTRE for lés voies Romaines de la Province
de Guyenne & fur quelques parties
de ces anciens chemins que l'on y trouve
encore.
LETTRE à l'Auteur du Mercure , ſur un prétendu
Plagiat.
96
112
121
ARTICLE III . SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADÉMIES .
SÉANCE publiques des l'Académie de Belles-
Lettres de Montauban . X24
214 MERCURE DE FRANCE.
SÉANCE publique de l'Académie d'Amiens. 128
SEANCE publique de l'Académie des Sciences ,
Belles Lettres & Arts de Befançon , du 24
Août 1765.
ARTICLE IV . NOUVELLES POLITIQUES.
130
ARTS UTILES.
CHIRURGIE . 135
LETTRE à M. de la Place , Auteur du Mercure
de France.
137
ARTS AGRÉABLE S.
PEINTURE.
OBSERVATIONS fur les ouvrages de Peinture
& de Sculpture , &c . expolés au Louvre en
1765 .
NOTES Concernant M. Carle Vanloo , Chevalier
de l'Ordre du Roi , premier Peintre de Sa
MAJESTÉ , &c.
NOTES Concernant la vie de feu M. Deshayes ,
de l'Académie Royale de Peinture & de
Sculpture , Profeffeur , &c .
GÉOGRAPHIE.
ARTS AGRÉABLES.
139
169
171
174
MUSIQUE.
GRAVURE .
OPÉRA.
ART. V. SPECTACLES.
COMÉDIE Françoife.
175
idem .
VERS extraits d'une lettre écrite par M. Dorat
à M *** .
voyageant.
COMÉDIE Italienne .
177
178
181
193
OCTOBRE 1765. 21
CONCERT Spirituel , du 8 Septembre , fête
de la Nativité . 185
ART. VI. NOUVELLES POLITIQUES.
D'INSPRUCK , &c.
FETES publiques.
Avis divers.
18
197
104
De l'Imprimerie de Louis CELLOT , rue
Dauphine.

MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROL
OCTOBRE 1765.
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine .
Chez .
Cochin
Filiusin
PapillonSculp 1715
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis - à- vis la Comédie Françoife.
PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques .
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , Imprimeur rue Dauphine,
Avec Approbation & Privilége du Roi.
3
AVERTISSEMENT.
LEE Bureau du Mercure eft chez M..
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer
francs de port , les paquets & leures ,
pour remettre , quant à la partie littéraire ,
à M. DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes
à raifon de 30 fols piece.
.
Les perfonnes de province auxquelles
on enverra le Mercure par la Pofte ,
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les rece
vront francs de port.
Celles qui auront d'autres voies que
la Pofte pour le faire venir , & qui prendront
les frais du port fur leur compte ,
ne payeront comme à Paris , qu'à raison
de 30 fols par volume , c'eſt à dire , 24 liv.
d'avance , en s'abonnant pourſeize volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
A ij
Etrangers qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci- deffus.
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la Pofte , en payant le droit ,
leurs ordres , afin que le paiement en foit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoient des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pieces tirées des
'Mercures & autres Journaux , par M. DE
LA PLACE , fe trouve auffi au Bureau du
Mercure. Cette collection eft compoſée de
cent huit volumes. On en a fait une
Table générale , par laquelle ce Recueil
eft terminé ; les Journaux ne fourniſſant
plus un affez grand nombre de pieces pour
le continuer. Cette Table ſe vend ſéparément
au même Bureau.
Cove
MERCURE
DE FRANCE.
OCTOBRE 1765
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
SUITE DES RÉFLEXIONS SUR LA
LITTÉRATURE , DE M. B *** .
CHAPITRR V.
Des moeurs des Gens de Lettres
Vous meparlez d'un homme de lettres
(a dit quelqu'un ) parlez- moi de fes écrits.
Il le faut avouer , c'eft là fur-tout qu'ileft
A iij
MERCURE DE FRANCE.
comptable de la fageffe & de la pureteté
de fa morale .
L'art heureux ou funefte de l'Imprimerie
, felon l'uſage qu'on en fait , répand
au loin & pour les fiècles à venir nos productions
littéraires. Cette réflexion ne
devroit- elle pas nous rendre plus circonfpects
fur leur publicité , & nous empêcher
de nous livrer trop légèrement aux éga
remens & aux rêveries de notre imagination
?
Cet efprit philofophique dont on fait
tant d'honneur à notre fiècle , ne pourroit
- il pas nous entraîner trop loin ? Je
fais qu'en diffipant les ténèbres épaiffes de
l'ignorance , ila fait un grand bien à l'Europe
; mais Bayle lui- même m'intimide
Jorfque je lui entends dire , que la philo-
Sophie réfute d'abord les erreurs , mais que
Ti on ne l'arrête point là , elle attaque les
vérités que quand on la laiffe faire àſa
fantaiſie , elle va fi loin qu'elle ne fait plus
où elle en eft , ni ne trouve plus où s'affeoir.
Quel homme de lettres peut fans effroi lire
dans le même article , ( 1 ) que la philofophie
reffemble à des poudres fi corrofives,
qu'après avoir confumé les chairs baveufes
d'une plaie , elles rongeroient la chair vive ,
( 1 ) Article Acofta , remarq .
OCTOBRE 1765
carieroient les os , les perceroient juſqu'aux
moëlles ?
J'oferai le dire , l'efprit philofophique
compromettroit fon utilité s'il exagéroit
fa hardieffe , s'il franchiffoit toutes les limites
(2 ). Et en effet jettons les yeux fur
nous , & voyons s'il nous a rendus meilleurs
que nos pères moins philofophes.
Un ton de hardieffe & de liberté fans
bornes , l'oubli de toutes les formes anciennes
auxquelles tiennent l'ordre & la
tranquillité , une infatiable cupidité de l'or
qui a détruit infenfiblement l'efprit premier
de tous les corps , un luxe extravagant
, une licence imprudente en tour
genre , un facrifice entier de toute pudeur
& de toute honnêteté ; ce font là malheureufement
les principaux traits des moeurs
de ce fiècle , & l'on ofe vanter notre phi
lofophie , & cette raifon univerfelle qui
s'étend ( dit-on ) de proche en proche. Eh!
quoi , la faine philofophie n'a- t- elle plus
pour objet la plus grande félicité & la plus
grande fageffe poffible des hommes ?
Toute fociété policée a vu par la fucceffion
des temps s'accroître chez elle la
(2 ) C'eft une bonne drogue que la fcience ( dit
Montagne), mais nulle drogue n'eft affezfortepour
fe préferver fans altération & corruption felon le
vice du vafe qui l'efuye. Liv. 1 , chap. 24 .
A iv
& MERUCRE DE FRANCE.
fcience des moeurs, Les voies de fa fageffe
& de fon bonheur font déterminées , &
route innovation un peu confidérable peut
être au moins dangereufe pour elle.
Quelles actions honnêtes & décentes
quels prodiges de vertu ne peuvent pas
opérer , fans le fecours de la philofophie ,
les loix humaines & facrées qui nous gou
vernent ? Que veut-on de plus pour nous ?
S'il eft vrai qu'un trop grand nombre
échappé au frein refpectable de ces loix ,
que ne s'occupe - t- on à l'y ramener moins
par la confidération groffière de fon intérêt,
que par les charmes de la vertu ? C'eſt à
ce but que doivent tendre tous les efforts
des gens de lettres ; c'est à ce titre unique
qu'il peut être permis à un Citoyen de
s'ifoler ( pour ainfi dire ) de la fociété , &
de n'en pratiquer aucune des fonctions
pénibles.
се
Il feroit aife dit un Moralifte ) de
prouver qu'il eft telle folie qui vaut mieux
que telle fageffe. Il y a fouvent du danger
à guérir un peuple dé fes ridicules & de fes
travers. Cervantes l'a ofé , il y a réuſſi, il
a fait une révolution dans les efprits ; mais
elle n'a pas été peut- être à l'avantage de
fa nation : en abandonnant la chevalerie ,
m'a-t - elle rien perdu de l'idée de la valeur ?
Je fuppofe qu'un Lacédémonien eût
OCTOBRE 1765
effayé , par une appréciation philofophique,
de difcréditer le courage & l'héroïfme
patriotique ; n'eût-il pas été le plus grand
ennemi d'un Etat qui devoit fa confiftance
& fa gloire à ce fentiment élevé de
l'âme ?
C'eft un préjugé fans doute dans nos
habitations du nouveau monde que cette
haine & ce mépris des blancs pour les
créatures qui naiffent parmi eux du mêlange
impur des couleurs ; que le raiſonnement
philofophique détruife ce préjugé ,
& le plus grand défordre civil va fuivre
fa victoire.
S'il y avoit un fimple artifan qui ne
rougît plus de voir fa fille parmi les fem
mes du plus vil de nos théâtres ; s'il l'aidoit
au contraire à s'y placer , l'artiſan
feroit trop philofophe ; & fi fa conduite
étoit vue avec indifférence parmi fes
égaux , cette révolution feroit digne de
quelque attention de la part d'un Etat qui
veilleroit à fes véritables intérêts..
Si l'amant d'une de ces femmes perdues :
& deshonorées par le commerce infame:
de leurs attraits , fi cet amant ( dis-je ) ,
loin de rougir de fon choix , le confioit
infolemment au public en offrant l'image
de fa courtifanne dans les temples de noss
arts ; s'il aviliffoit ces arts mêmes en exi
A.w
10
MERCURE DE FRANCE .
geant d'eux qu'ils éternifallent fes traits
par le marbre ou par le bronze ; s'il don
noit enfin au vice le prix de la vertu ;
je m'écrierois : ô préjugés ! qu'étes- vous devenus
! quelle main indifcrette a pu vous.
détruire !
Dans le nombre des maximes utiles qui
circulent parmi les hommes, il en eft qu'une
douce perfuafion , une confcience prefque
générale , un fentiment difficile à vaincre
ont établis , & qu'il eft cruel de vouloir
nous enlever , parce qu'elles font au moins
les plus heureufes de nos erreurs.
Y auroit- il une entreprife plus téméraire
& plus dangereufe que celle d'attaquer
le culte reçu & confacré par les loix ,
fous le bouclier defquelles chaque citoyen
trouve fa tranquillité ? Ne feroit -ce pas dé
truire les fortifications d'une place qu'on
habiteroit ? Ne feroit- ce pas appeller par
cette deftruction tous les brigands qui voudroient
s'en emparér , & compromettre à la
fois fa propriété , fa liberté & fa fûreté ?
Chez les Ecrivains à jamais célèbres du
dernier fiècle , l'impiété ne cherche point
d'applaudiffemens dans leurs chefs - d'oeu•
vres dramatiques . Ils ne conftruifirent point
de fables théâtrales qui les miffent à portée
d'inquiéter la foi générale & la confcience
publique ; bornés à l'art de plaire & au bonOCTOBRE
1765.
heur d'inftruire , ils furent grands fans
devenir dangereux : qu'ils foient à jamais
nos modèles , & que l'impuiffance de les
atteindre ne nous écarte pas de la fageſſe
de les imiter !
Plus on examinera jufqu'où la probité
eft engagée à ne pas agiter avec effort les
fondemens du gouvernement dans lequel
nous a placés la Providence , plus on fe
tiendra dans les bornes d'une fage retenue.
La qualité de citoyen nous lie étroitement
à la chofe publique. Toute vérité prétendue
que rejette la conftitution de ce gouvernement
ne peut être propofée avec
quelque fageffe : Augufie , qui craignoit
fans doute les écarts de l'imagination &
de l'efprit , défendit de parler publiquement
& fans permiffion de la juftice & de
la piété.
Qu'on fe rappelle cette fublime Profopopée
du dialogue de Criton , où Socrate
fe peint les loix d'Athènes , qui lui parlent
avec tant de force & de vérité.
Ignorez-vous ( lui difent ces loix ) que
La patrie exige de vous plus de vénération
& de refpect devant les Dieux & les hommes,
que les auteurs de votre vie ; qu'il faut fe
plierfans murmure à tout ce qu'elle ordonnez
qu'ilfaut lui céder & la ménager plus qu'un
père en courroux ? Navons-nous pas per
A. vj
MERCURE DE FRANCE.
mis à chaque particulier , après un mur
examen des coutumes dela République , defo
choisir une retraite s'il ne pouvoit fe foumettre
à notre empire ? Mais , après avoir
confidéré ce que nous fommes , s'il ne fuis
point , s'll demeure parmi les citoyens que
nous gouvernons ; de quel droit ofe- t - ilfe
plaindre ou fe révolter contre nous ? Ne
fait- il pas ce que feroit un vil efclave qui
tâcheroit defe fouftraire aux conditions du
traité qu'il auroit figné ? Il n'a choifi ni
Lacédémone ni la Crête, quoiqu'il exalte tous
les jours leurs loix ; il eft moins forti d'A
thènes que les aveugles & les boiteux : qu'il
penfe donc , qu'il écrive , qu'il agiffe en
Athénien.
Tranquilles & paifibles au fond de leur
retraite , on n'a point.vu ( dit- on ) les phi ÷
lofophes fortir en pour aller troubler l'or
dre public ? Non, fans doute. Leurs moeurs
ant prefque toujours dû raffurer fur leurs
intentions ;, c'eft le bien de l'humanité
dont ils imaginoient s'occuper ( 3 ) . Ils
n'étoient pas faits pour groffir la troupe
des mécontens & des rebelles ; le fanatifme,
le fanglant fanatifme , c'eft- là ce qu'il a
toujours fallu craindre ce monftre eft
mille fois plus à redouter. Il faut appefantir
fa chaîne , foit qu'il paroiffe fous l'é
(3) Morbus eft quod virtutem putamysį.
OCTOBRE 1765 f
tendard du Grec ou du Troyen , il faut
l'anéantir. Mais parce qu'on n'a point vu
Spinofa , Hobbes , Lamétrie , Mandeville ;
Collins , &c. fecouer les torches des furies ,
falloit-il ne rien appréhender d'eux lorf
que le réfultat de leurs productions folli-
Gitoit les hommes à brifer de frein reçu des
loix ? L'ouvrier qui inventeroit des armes
nouvelles , terribles & deſtinées à la révolte,
feroit-il innocent parce qu'il ne les auroit
point préparées pour fes mains ? Arme-t-on
fans crime des furieux ou des enfans ?
La philofophie dont la fociété ait un
véritable befoin aujourd'hui , eft celle qui
peferoit fes devoirs & qui les lui. feroit
aimer ( 4) ; celle qui parleroit au fentiment,
à l'âme des hommes , & qui , loin de détruire
aucun des liens qui les réuniffent ,
les refferreroit encore . Heureufe cent fois
ma patrie f, par un accueil froid & dédaigneux
, elle oppofe toujours aux témérités
philofophiques qui pourroient fe préfenter
, un obftacle qui les arrête , comme elle
( 4 ) Depuis Socrate la vraie philofophie fe
tourna vers les devoirs des hommes. Gardons
nous de celle qui ne s'occuperoit qu'à en multiplier
les difpenfes . Eâ philofophiâ plus utimur ,
in quâ dicuntur ea que non multùm difcrepant ab
opinione populari de magnitudine animi , de conti
nentiâ, de morte, de omni laude virtutis, deDiis ime
mortalibus , de charitate patria , &c. Cicerc
14 MERCURE DE FRANCE.
a fait finir par fes dégoûts & fa laffitude
le vice & la licence de nos brochures lafcives
(5 )!
La fociété vient enfin de couvrir le
front de nos Ecrivains d'une pudeur falutaire
; & malgré la légèreté de nos principes.
à tant d'autres égards , on peut avertir tout
les jeunes gens qui s'adonnent aux lettres ,
que la licence de leurs effais ne peut plus
faire préfumer d'eux qu'un défaut d'éducation
, de goût & d'efprit ( 6 ) . Qu'ils
laiffent tomber de leurs mains cette lyre
molle & voluptueufe fur laquelle le frère
efféminé d'Hector ne chantoit , au rapport
d'Aélien, que des airs de débauche & faits.
pour féduire la beauté foible & fans défenfe.
Il eft peu d'hommes nés pour devenir
honnêtes , qui dans l'âge d'une raifon éclairée
n'aient rougi de la facilité avec laquelle
ils peuvent s'être prêtés dans leur jeuneſſe
à cette mode impudente d'écrire . Eh , comment
foutenir l'idée d'avoir empoifonné
les moeurs publiques ? Comment fe pardonner
d'avoir fans doute allumé dans un
coeur innocent encore , le feu des paffions
(s ) Qui obfcena patrant & illiberalia , hos latere
debere fcribit Plutarchus . Petrus Alcyoneus de
Exilio.
15. ) Ανδρός χαρακτήρ ἐκ λόγου γνωρίζεται
OCTOBRE 1765.
15
dangereufes , ou d'avoir au moins fourni
de l'aliment aux vices bas d'une multitude
déréglée ? Le don précieux de penſer &
d'écrire peut - il s'avilir davantage ? Et le
Parnaffe doit - il , comme la trop fertile
Egypte , produire confufément & les plantes
vénéneufes & celles qui nous font utiles ?
On l'a dit d'après M. l'Abbé Dolivet ( 7 ):
c'eft fur - tout par fes écrits qu'il faut
juger un homme de lettres. Mais fes moeurs
& fa conduite font- elles auffi peu effentielles
que quelques gens voudroient le
perfuader ? Quelle lâcheté de fuccomber
toujours les armes de la vertu à la main !
Eh , comment la croire aimable fur le rapport
de ceux qui la traitent fi légérement ?
Les moeurs des gens de lettres ne font donc
pas , comme on le voit , fi indifférentes :
elles compromettent la probité générale
qu'on eft bientôt tenté de prendre pour
une chimère en la voyant abandonnée &
trahie par fes défenfeurs & fes Prêtres.
Plus inftruits de leurs devoirs , ne font- ils.
pas plus coupables que les autres hommes ?
L'iniquité d'un Magiftrat n'eft point égale
à celle d'un particulier qui ne s'affied point
fur le trône de la juftice : & d'ailleurs il
eft un temps dans la vie ( dit l'Abbé Gédoin
) où l'on eft plus touché des moeurs
( 7 ) Hift. de l'Acad. Fr. art. Mézeray,
46 MERCURE DE FRANCE.
que de la beauté de l'efprit & des avantages
de la fcience , qui , après tout , ne feront
jamais la principale partie du mérite de
Phomme .
2
2
EPITRE à M. le Maréchal DUC DE
RICHELIEU , par M. DE LA FARGUE
en remercîment de fon affociation à l'A
cadémie Royale des Sciences , Belles-
Lettres & Arts de Bordeaux dont M. le
Maréchal DUC DE RICHELIEU eft le
protecteur..
HEROS ÉROS fameux que Mars , les Mules &
l'Amour
Ont de gloire & de fleurs couronné tour à tour ;
O toi dont le feul nom feroit un . titre illuftre ,
Si les grands noms eux feuls pouvoient donner
du luftre !
Digne du fang d'Armand , de ce grand Dupleffis .
Qui du brillant éclat de l'Empire des Lys
Jettant les fondemens par fes heureufes veilles ,
Du fiècle qui fuivit prépara les merveilles ;
Conquérant de Mahon qu'étonna ta valeur
Des Arts de ma Patrie illuftre. Protecteur
"
OCTOBRE 1765.
RICHELIEU , quelque effort que ma Minerva
falſe ,
Quand àmes voeux ardens tu marques une place
Dans leur temple facré qui s'eft ouvert pour moi ,
Je ne m'en puis jamais acquitter avec toi.
C'eſt un lien de plus par qui ta bienfaiſance
Vient d'attacher mon coeur aux lieux de ma
naiſſance ;
+
Et depuis qu'en ces lieux , confiés à ta foi ,
Tu fais , felon fon goût , aimer le meilleur Roi ,
Je t'offre , en citoyen , l'encens que tu mérites..
Mon pays m'eft plus cher depuis que tu l'habites ;
Et ce goût dans nos coeurs par la nature empreint
L'amour de nos foyers qui jamais ne s'éteint ,
Et des plus beaux climats au nôtre nous ramène ,
Doublement aujourd'hui m'attire en Aquitaine
J'y verrois des remparts que tu fis reſpecter ,
Des vaiffeaux qu'à ta voix les vents y vont porter ;
Jy verrois par tes foins circuler l'abondance
Et la tranquillité naître de ta préſence ;
J'y verrois le bonheur entrer de toutes parts ,
Le commerce fleurir , & régner les beaux arts ;
J'y verrois la beauté , fobrement fage & fière ,
Devenir plus aimable en s'occupant de plaire ;
Ainfi que tes bienfaits j'y verrois les plaifirs ,
De mes concitoyens prévenir les defirs ; ·
J'y verrois le rival du Mécène de Rome ;
Mes yeux fur toi fixés y verroient un grand
homme..
18 MERCURE DE FRANCE.
Pardonne , RICHELIEU ; pardonne , excufe moi,
Si ces vers fans génie ont peu d'attrait pour toi .
Le livre qu'avec eux je t'offre pour hommage,
Peut-être moins encor mérite ton fuffrage :
Mais les efprits brillans qui reffemblent au tien ,
Ont tous de l'indulgence , & ne critiquent rien
J'aurois voulu , du moins avec quelque élégance ,
Peindre à tes yeux l'excès de ma reconnoiffance
Pour le titre flatteur que je viens d'obtenir :
Mais comment exprimer ce que tu fais fentir
CHANSON
DES Manans & Habitans de la Ferté-fous
Joüarre ,fur le paffage de la Reine , le
12 Septembre 1765. Sur l'air : Nous
autres bons villageois.
COMPERE, OMPERE, réjouis - tol ;
Colas , la nouvelle eft certaine ;
J'aurons la femme du Roi ,
Je verrons notre bonne Reine :
Morgué pour la bien recevoir
N'oublions honneur , ni devoir.
L'on fait , quoique des payfans ,

Ce qu'on doit à d'honnêtes gens. ( bis. )
OCTOBRE 1765. 19

Mais j'avons quelque fouci ....
Imagine-toi que nos femmes
Voulons haranguer auffi
Cette Madame des Madames.
J'y rechignons tant qu'il fe peat ;
( Ce que femme veut Dieu le veut ) :
Elles difont qu'à ſes vertus
Chacun doit porter les tributs. ( bis. }
Faut bien en tomber d'accord.
Cependant , Colas , que t'en femble !
Je craignons qu'en leur tranſport
Elles parliont toutes enſemble ;
Qu'elles étourdiffions fans fujet
Notre Reine de leur caquet.
Car lorsqu'une fois c'eft leur tour ;
Elles jaferiont nuit & jour. ( bis. )
·
Tout du moins fi
prudemment
Elles abrégiont leurs antiennes ,
En lui difant fimplement ,
« Qu'elle eft la meilleure des Reines ;
» Son mari la perle des Rois ;
» Qu'heureux eft qui vit fous leurs loix...
«J'applaudirions affurément
A ce court & vrai compliment. ( bis. )
Je trouverions bon encor
Que leur caquet s'anime & brille
Par quelque joyeux effor
Sur toute fa belle famille.
MERCURE DE FRANCE.
Eh ! comment parler fans ardeur
De ceux que l'on aime de coeur ?
De plus , c'eſt flatter les parens
Que de caufer de leurs enfans . ( bis. )
J'agrérions , outre cela ,
Raifon le veut , & c'eft justice )
Leurs biaux dits fur fon papa ,
Roi fi propre à fon bel office :
Que pour les jours fi précieux
Nos femmes étalions leurs voeux . **
fur ce chapitre- là
Non , non ,
Je ne leur dirons point hola. ( bis. )
Mais fi j'oyons enfiler
Quelqu'inurile verbiage ;
Comme feroit de parler
De leur Curé , de leur ménage..
Colas , oh ! de tous ces diſcours
J'avifons de rompre le cours ,
En criant trétous fans relais ,
·
VIVE NOTRE REINE A JAMAIS ! ( bis. )
MILLIET..
OCTOBRE 1765 .
RÉCIT de ce qui s'eft paffé à l'arrivée de
la REINE à la Ferté-fous-Jouarre.
CHANSON fur l'air : Ton humeur eft
Catherine.
LUBIN,
UBIN, pendant ton abfence .
Quel événement heureux ! . . .
J'ons eu l'augufte préſence
De notre Reine en ces lieux.
Tien .... Si dans fes filles brille
L'aimable affabilité ( 1 ) ;
Ah ! c'eft vertu de famille ,
Leur mère est toute bonté .
Pour lui rendre un digne hommage ;
J'avons fait de notre mieux ;
J'ons mérité le fuffrage
Même de quelques Monfieux....
Il falloit de ce village
Ouir la belle rumeur ;
Sur-tout le joyeux tapage
Des éclats de notre coeur.
( 1 ) Voyez la chanfon Mefdemoiselles de France po
le paffage des Princeffes à la Ferté - fous- Jouarre , Mercure
de France, Juillet ou Août 1761.
MERCURE DE FRANCE
VIVE , VIVE NOTRE REINE !
Je l'ons dit cent & cent fois ;
L'un le finiffoit à peine ,
Que l'autre élevoit la voix :
Er cette grande Madame ,
Sembloit marquer de la main
Que, fi je l'ons dans notre âme ,
Elle nous porte en fon fein ( 2 ).
Elle voulut bien entendre
Nos ruftiques complimens ,
Et le langage fi tendre
De nos naïfs fentimens :
Telle qu'une bonne mère ,
Qui fe plaît aux doux accens
De l'amour pur & fincère
De refpećtueux enfans.
Mais , ô de fa bienveillance ,
Le comble & l'excès pour nous !
Lubin , quelle complaifance !
J'en raffoliront trétous . •
La Reine , fous nos feuillages ,
Daigne avec nous s'arrêter ,
Et du pain de nos ménages
Comme de nos fruits goûter ( 3 ).
( 2 ) Aux cris redoublés & multipliés de vive la Reine ,
5. M. étendoit les bras vers fon peuple , ou les approchoit
de fa poitrine avec une bonté qui charmoit tous les coeurs.
43 ) La Reine s'étant arrêtée sous une allée d'arbres
OCTOBRE 1765.
23
Que cette belle aventure
Soit chantée en ces hameaux ,
Et pour la race future ;
Ecrite fur nos ormeaux .. i
Qu'on y life qu'une Reine ,
Délices de fes Sujets ,
A nos yeux mangea fans peine
De notre pain , de nos mêts .
Nous que ravit & qu'étonne ,
Lubin , ce trait de bonté ;
Redoublons pour la perfonne
D'amour , de fidélité .
Ciel ! .. que dans ces lieux champêtres
Viennent malheurs fur malheurs ,
Si je manquions à des Maîtres ,
Tous fi dignes de nos coeurs.
à l'entrée de la petite ville de la Ferté-fous -Joüatre ,
préfenta , fuivant l'ufage , le pain & le vin à M. Cette
Princeffe prit un pain qu'elle rompit en deux , & en mangea
en riant très agréablement , ainfi que de quelques fruits
de la faifon. Tout le peuple a fenti vivement cet acte de
bonté , & en a été tranfporté de joie . La ville a configné
dans fes regiſtres cet événement fi´flatteur & fi honorable
pour elle.
4 MERCURE DE FRANCE.
QUATRIÈME Lettre fur l'AMITIÉ. A
Madame D.....
UNN ancien Poëte (1 ) difoit qu'il falloit
devenir malheureux pour favoir fi l'on
étoit aimé. Je ne fais , Madame , fi de
fon temps le malheur produifoit en effet
des amis ; mais de nos jours , il ne fait
éclore que des ingrats & des perfides. Il
n'eft plus de Lyfimaques ni de Daubignés ;
ces Phoenix là ne renaiffent point de leurs
cendres , ou du moins c'eft & rarement &
fi fecrettement , que depuis un fiècle , Peliffon
, Gourville , Voiture , Coftar & le
Chevalier de Soupat font prefque les feuls
dont l'amitié foit auffi devenue un exemple.
Non , Madame , l'intérêt ne fouffre.
pas qu'on lui devienne à charge . Quelle
reffource , dit- il , peut-on trouver dans un
homme dont la fortune eft renversée , &
qui n'a plus à vous entretenir que de fes
adverfités & de fes befoins ? Cependant ,
cet homme réduit aujourd'hui à la triſte
néceffité de folliciter votre amitié , ne le
cultiviez-vous pas hier ? Ne vous faifiez-
* Lucain.
vous
OCTOBRE 1765. 25
vous pas honneur d'être fon ami ? Ne
comptiez -vous pas
fon intimité avec vous
dans le cas où quelque accident vous l'eût
rendu utile ou néceffaire ? Oui , mais le
fort a voulu qu'il perdît fon rang & fes
biens ; on dit même qu'il n'a fait cette
chûre que par fon imprudence , & que
fon malheur eft fon propre ouvrage. Que
ferois-je donc pour l'en dédommager ?
Dans le fiècle oùnous fommes , on ne peut
être trop attentifà fes affaires , ni trop économe
du peu de fortune qu'on a. Et puis ,
que dire à un ami malheureux ? On le
plaint fans doute , on voudroit lui diminuer
les douleurs de fa chûte , le fecourir
, l'aider , le fauver de l'humiliante néceflité
dont il eft menacé ; mais le peuton
? Comment remplir cette bonne volonté
, fans qu'une femme ou des enfans
en fouffrent , fans en fouffrir foi- même ?
Eft- il jufte d'ailleurs de négliger fes autres
amis pour ne s'occuper que d'un feul ?
Ne fe doit- on pas aux uns & aux autres ?
N'a - t-on pas encore des bienféances à obferver
vis- à vis d'une famille , ou des ménagemens
à garder avec des protections ,
qui peut-être ne s'intéreffent en aucune
façon à l'adverfité de cet ami , ou qui même
ont leurs raifons pour le regarder d'un oeil
fec & ferein ?
Vol. II. B
26 MERCURE DE FRANCE .
Voilà , Madame , la morale de l'intérêt
perfonnel , & comme il fait faire uſage
des bienféances à la mode , & d'un faux
reſpect humain pour féduire
un coeur & y
étouffer le fentiment de l'amitié ; vous ne
le voyez enfin que trop évidemment , l'amitié
n'eft plus qu'une politique , dont
les bienféances & l'intérêt font les principes
toujours actifs. Ne foyez donc pas
étonnée , fi pour achever l'odieux portrait
de nos moeurs à cet égard , je vous dis encore
que l'on a pour maxime dans ce fiècle
pervers , qu'il faut vivre avec un ami
comme s'il devoitêtre un jour un inconnu :
maxime affreuſe , qui conduit néceffairement
à la ruine de toute intimité , parce
qu'elle en bannit la fincérité & la confiance
, mais conféquence naturelle de l'intérêt
des bienféances. Pour peu que l'on
ait le coeur droit & fenfible , peut - on réfléchir
fans indignation fur la maligne induſtrie
des hommes à corrompre le fentiment
le plus pur que la nature puiffe leur
infpirer , le feul même qui foit capable de
les rendre heureux dans cette vie ?
Il faut du difcernement , de la réſerve
& de la prudence dans les commencemens
d'une liaiſon ; l'amitié doit être réfléchie
& guidée par la raiſon ; il eft fage de vouloir
connoître avant que de s'attacher
OCTOBRE 1765. 27
,

d'éprouver pour mieux connoître , d'étudier
le coeur le caractère & les
moeurs de l'ami que l'on veut fe faire ,
de l'eftimer avant que de l'aimer ; en
un mot, on ne doit donner fon amitié
qu'avec une extrême précaution , & ne
fe hâter d'être ami que lentement. Mais
dès que l'union eft formée , que l'eftime
en a nourri le progrès réciproque ,
& que la confiance en a filé & refferré les
noeuds , il n'eft plus permis de fe défier
de fon ami , ce feroit manquer effentiellement
à l'amitié & commettre un facrilége
; car enfin , l'amitié eft une chofe
facrée , on n'en viole jamais les loix fans
offenfer en même temps le Ciel , dont elle
eft la fille. Je ne foupçonne jamais , difoit
le fage Marc - Aurèle , que mes amis
puiffent manquer d'amitié pour moi. La
Religion elle-même nous prefcrit la confiance
dans l'amitié ; & le Texte faint
qui fait en tant d'endroits l'éloge des vrais
amis , ne nous repréfente leur intimité
comme la chofe du monde la plus précieuſe
& la plus refpectable , que parce
qu'elle eft en effet le dépôt des fentimens
les plus fecrets de deux coeurs.
Ce n'eft pas que les amitiés d'aujourd'hui
s'accroiffent & fe foutiennent fans
confiance , cela ne feroit pas poffible ;
Bij
28 MERCURE DE FRANCE .
mais comme en formant une intimité
on combine d'avance les profits que l'intérêt
en retirera , la confiance fe trouve affujettie
à ce calcul ; & deux amis n'en ont
l'un pour l'autre qu'autant qu'il leur en
faut pour arriver au but qu'ils fe propo-
Tent . Ne s'eftimant pas affez d'ailleurs pour
compter fur la conftance de leur amitié
réciproque , toute leur confiance fe réduit
ou à des confidences factices , & qui ne
fignifient rien , ou aux feules ouvertures
capables de leur apprendre ce qu'ils doivent
efpérer d'utile l'un de l'autre ; fouvent
encore , fur-tout dans fes commencemens
, devient-elle le germe de cette indifférence
, de cet abandon & de ces perfidies
, par oùoù fe termine preſque toujours
une intimité politique.
S'il eft encore des coeurs de bonne
foi , & il y en a fans doute , ne voyonsnous
pas tous les jours qu'ils ne font que
des infideles , des ingrats & des traîtres ?
Ils croyent , comme Cicéron , jouir des
douceurs de la confiance & de l'amitié
mais ils ont auffi comme lui le fort cruel
de fe livrer à des Antoine , qui abuſent de
leur candeur ; & ces délices dont ils nourriffent
tranquillement leurs ames , deviennent
tôt ou tard le poifon de leur vie.
Leurs confidences , leurs fecrets , leurs letOCTOBRE
1765 29
tres mêmes , leur honneur enfin , tout eft
facrifié à l'intérêt & aux paffions de ces
lâches amis ; & il ne leur refte pour reffource
qne leur fatale expérience.
Que d'amis , Madame , vous connoiffez
qui ne le font que dans ce genre
odieux de politique ! Combien d'autres ,
qui n'entretiennent le ton & le commerce
de l'amitié que pour en abufer plus fûrerement
, & fermer les yeux à leurs crédules
amis fur les torts effentiels qu'ils ont
avec eux ! Cependant ils fe piquent d'honneur
& de fentimens , & à les entendre
parler probité , on les prendroit pour
des amis du fiècle d'or , & pour les reftes
précieux du peuple Troglodite ; je ne dirai
pas
d'eux ce que Gombaud difoit de
certains prétendus honnêtes gens de fon
temps :
Et les plus grands marauds du monde ,
S'appellent les honnêtes gens.
Mais ils le mériteroient de refte . Au furplus
, le même intérêt qui les rend faux dans
leur amitié , leur dicte le perfonnage que
nous leur voyons faire . Il eft d'ailleurs de
bienféance d'avoir au moins les dehors
d'un honnête homme ; & malgré la perverfité
des maximes que l'intérêt fait adopter
, on fent encore la néceffité de porter
B iij
30 MERCURE
DE
FRANCE
.
les couleurs de la vertu . Tel qui dupe fon
ami en particulier , & qui l'immole de
lui à lui à fa fortune ou aux caprices des
ufages, affecte de repréfenter dans un cercle
l'homme fincère , généreux & défintéreffé ;
& les bienféances nous rendent fi fimples ou
fi foibles , que nous le croyons fur fa parole .
Je dis plus , fouvent nous connoiffons les
mafques , & nous ne laiffons pas , parce
qu'ainfi , dit on , l'exigent les bienféanccs
, de leur faire un accueil gracieux , &
de leur témoigner de l'eftime. Et voilà auffi
ce qui encourage le vice , ce qui le multiplie
, ce qui lui donne un afcendant fi
général dans la fociété . Quand les bienféances
ne cauferoient que ce mal , &
c'en eft un dont les conféquences font infifinies
, ne devroient - elles pas être anéanties
par les loix ? Quiconque eût tenté de
les introduire à Sparte , on l'eût puni
comme un empoifonneur & un homicide.
Au refte , Madame , il feroit difficile
de concevoir l'amitié fans imaginer en
même temps un rapport d'intérêts entre
deux amis . Le peu d'exemples que nous
avons d'une amitié folide & fincère nous
apprennent même , comme le remarque
un célèbre Moralifte Anglois ( 2 ) , qu'elle
n'a jamais plus de force & d'activité , que
( 2 ) M. Hume.
OCTOBRE 1765. 3 *
lorfqu'un intérêt preffant ou la néceffité
unit deux perfonnes ensemble , & leur
donne un objet commun de befoins &
de recherches. Mais quelle différence entre
cet intérêt & l'intérêt perfonnel ! celui-
ci rompt toujours les noeuds de l'amitié
, celui-là au contraire les refferre de
plus en plus , parce qu'il naît lui - même de
la fenfibilité & de la confiance de l'amitié.
Deux vrais amis fe fentent néceffaires l'un
à l'autre , & cette néceffité les unit plus
intimement , parce qu'elle ne devient jamais
particulière ou perfonnelle , & que
le fentiment qui a formé leur liaiſon
leur rend communes & réciproques les adverfités
comme les profpérités du monde.
C'eft auffi en ce fens & par cette raifon
là , que la véritable amitié eft de toutes
les reffources de la vie la plus précieufe
& la plus abondante , qu'elle en
fait le bonheur moral le plus réel & l'agrément
le plus flatteur , qu'elle fournit
aux coeurs qui lui font dévoués les plaifirs
les plus délicats & les confolations les plus
efficaces , & qu'elle eſt
Des céleftes plaifirs le goût anticipé
Deux vrais amis n'ont rien à redouter
ni de la profpérité ni de l'adverfité : ils
partagent celle-ci avec la même tendreffe
B iv
32 MERCURE
DE
FRANCE
.
1
mutuelle dont ils ont joui de celle - là . La
différence de leur fortune n'en met aucune
dans leur façon de penfer ; l'intérêt
de leur amitié eft le feul qu'ils ayent à
coeur ; fe confoler , s'encourager , s'aider
réciproquement , fe conferver l'un pour
l'autre , voilà leur unique penfée : au milieu
de leurs peines & de leurs befoins
comme autrefois dans le fein du plaifir
& de l'abondance , ils fe fuffiſent toujours
à tous deux .
Mais en effet , Madame , qu'ils font
rares ces vrais amis ! & pour revenir à mon
texte , qu'il eft peu de Voitures & ḍe Cof-.
tars ! On cite pour leur copie M. de Fon- .
tenelle & M. Brunel ; mais la reffemblance
n'eft que de Brunel à Voiture , & nullement
de Fontenelle à Coftar. Ce Brunel ,
étant à Rouen , écrivit à fon ami vous
avez mille écus , envoyez - les - moi . Fontenelle
lui répondit : j'allois placer mes mille
écus , & je ne trouverois pas aifément une
auffi bonne occafion ; voyez donc. Toute
la réplique fut envoyez - moi vos mille
écus. M. deFontenelle les lui envoya en effet.
Brunel imitoit en cette occafion la
noble franchife de Voiture & Fontenelle
fe faifoit prier pour imiter l'active
générofité de Coftar cependant il diſoit
lui-même en parlant de fon ami , nous
د
OCTOBRE 1765. 53
ne faifons qu'un par l'efprit ainfi que par
le coeur .
Ne foyez pas ſi ſurpriſe , Madame
de cette différence , puifqu'il eft fi phyfi
quement vrai que nos moeurs depuis longtemps
font incompatibles avec la véritable
amitié . Ayez feulement l'attention la
plus décidée à ne point faire d'amis qui
ne foient dignes de vous , c'est- à - dire ,
qui ne penfent effentiellement comme
vous ; défiez-vous plus que jamais de ces
bienféances perfides , fi capables d'altérer
le caractère le plus heureux & le
plus droit ; & prenez garde que votre
complaifance naturelle , en vous faifant
ufer de ménagemens pour les faux amis ,
ne compromette vos principes avec leurs
maximes & leurs procédés.
S'il n'eft pas poffible de ne voir que
fes amis , s'il faut par conféquent vivre
avec fes connoiffances ; & cette néceflité
devient elle- même une leçon de prudence.
Avec fes amis , on fe livre aux épanchemens
de l'eftime , de la confiance & de
l'innocente familiarité ; avec fes connoiffances
on ne doit avoir que de la conver
fation , plus ou moins encore , eu égard
au caractère des perfonnes. Plus on a de
connoiffances , plus il y a fans doute de
variété dans le plaifir ou l'amuſement de
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
la converſation ; mais on rifque auffi davantage
, & ce font ces périls qu'un coeur
auffi fage & auffi vrai que le vôtre ne doit
jamais fe diflimuler en un mot , les
compagnies font compofées aujourd'hui
de tant de fots , de méchans , de tartuffes ,
& de prétendus philofophes à bel efprit ,
que fi , pour éviter l'ennui , ou fe diftraire
de l'abfence de fes amis , on eſt
néceffité de faire ou de recevoir des vifites
& de tenir converfation ; on ne peut
du moins fe mettre trop en garde pour
n'être ni féduit par les preftiges , ni entamé
par la malignité du faux efprit de fociété.
Il eft à propos de fe prêter à la fociété
; mais une belle ame fait fe préferver
de fes travers , de fes inconféquences.
& de fes vices ; jamais elle n'oublie , au
milieu même de l'illufion , ce qu'elle doit
à fes propres principes & à l'eftime de
fes vrais amis. Si je viens de m'écarter un
peu de mon fujet , l'amitié , Madame
dont vous m'honorez , excufera volontiers
le zèle plein d'attachement & de reconnoiffance
avec lequel je fuis à jamais
, &c.
DUP.... R. B.
OCTOBRE 1765. $5
'A Mde DE LA F *** . aux MoUNEROUX,
en Auvergne.
A TX
ux jeux d'une Mufe volage
Plus d'une Iris dut mon encens ;
L'efprit feul dans ce badinage
Echauffoit alors mes accens ;
Un goût léger , des feux naiſſans ,
Dictoient mon inconſtant hommage :
A peine avoient - ils l'avantage
D'effleurer mon coeur & mes ,fens.
Tel aux rians jardins de Flore ,
Sur l'aîle des Zéphirs porté ,
De chaque fleur qu'il voit éclore
Le papillon eft enchanté :
Sur leur fraîcheur & leur beauté
Tour à tour fon feu s'évapore ,
Sans que l'éclat qui les colore
Porte atteinte à fa liberté .
D'une ardeur fans ceffe nouvelle
Ainfi j'offrois à chaque belle
La paffagère activité :
Mon coeur avec légéreté ,
Voltigeant vers chaque étincelle ,
Ne prêtoit que le bout de l'aîle
B vj
36 MERCURE
DE FRANCE
,
Aux feux de la félicité ;
Et ma Mufe par habitude
Soupiroit fans inquiétude ,
S'attendrilloit fans volupté.
De cette erreur enchantereſſe
J'apperçois la frivolité .
C'étoit à la délicateffe ,
A la décence , à la gaieté ,
C'étoit à la fociété
Des Grâces & de la Sageſſe ,
Que le pinceau de ma tendreffe
Devoit un tribut mérité.
Emu par leur naïveté ,
Mon coeur fe réveille & foupire.
Je renaîs , & c'est à l'empire
De l'efprit , joint à la beauté ,
Que je dois d'un tendre délire
Les tranfports & la nouveauté..
Ma Mufe , avec vivacité ,
Se livre au beau feu qui m'inſpire ,
Et veut déformais ne fourire
Qu'aux attraits de la vérité.
Eglé , de fa fincérité
Recevez le premier hommage ;
Du fentiment il eft l'ouvrage ,
Puifque vos charmes l'ont dicté .
DESMARAIS , du Chambon en Limousin.
د
OCTOBRE 1765 .
CHANSON A LA GRECQUE.
A M. DE F.... le jour de fa fète , en
lui donnant une taſſe à la Grecque. Air :
Ne vla- t-il pas que j'aime.
PURRGGOONN nous vantoit l'autre jour
La diéte & l'eau chaude.
Vous aimez le vin & l'amour ;
Vous n'êtes pas fi Claude.
Sapho , favoit chanter l'amour :
Mais , en franche nigaude ,
Dans la mer elle but un jour.
Vous n'êtes pas & Claude.
Comme Anacréon , en amour,
Vous allez en maraude.
Tircis la nuit , Bacchus le jour ;
C'eft n'être pas fi Claude.
Par Me GUIBERT.
38 MERCURE DE FRANCE.
VERS au R. P. D'AIRE , Sous -Prieur
des Céleftins , defcendant de JEAN
D'AIRE , l'un des fix dévoués de CALAIS.
Sur mon départ pour la RUSSIE.
AM1 , je ne crains point les monts glacés
du Nord ;
Je vais vers un Soleil dont le feu vivifie
L'âme de fa froide patrie :
Vers CATHERINE enfin je vais fixer mon fort.
J'y joindrai la fortune à la philofophie.
Par fon génie & fa grandeur ,
Jugez quel fera mon bonheur !
Adieu, fenfible ami , renaiffez dans l'hiftoire ;
Vivez , digne fils d'un Héros
Dont Calais a tiré ſa gloire.
Je baiferai le ciſeau d'Atropos
Si je puis exifter , pour prix de mes travaux
Cinquante ans dans votre mémoire.
O reſte précieux d'un fang preſque perdu !
Je pleure votre état ; pourtant il m'autoriſe
A defirer que du moins dans l'Eglife ,
Vous occupiez le rang qui vous eſt dû .
Ah ! fi le Titus de la France
Peut entendre ma foible voix ,
Vos vertus recevront bientôt la récompenſe
Que d'Aire votre ayeul méritoit autrefois !
Par la même
1
OCTOBRE 1765. 39
A M. DE LA PLACE , en lui envoyant
une lettre de feu M. RAMEAU.
ONSIEUR ,
DEPUIS que le célébre M. Rameau mon
compatriote a tracé les principes d'un art
dont il eſt comme le créateur , & mis en
pratique ces mêmes règles , en enrichiffant
notre lyrique des chefs-d'oeuvres qui feront
à jamais la gloire & les délices de
la nation ; on a porté la mufique françoiſe
à un fi haut degré de perfection
que de tous les paradoxes du fameux M.
Rouffeau , le plus fingulier fans doute eft
l'ouvrage où il foutient que notre langue
n'eft pas lyrique & que nous n'avons
aucune mufique.
Ce fyftême étagé par la force de l'éloquence
, & orné de toutes les grâces du
ftyle , a fait tant de bruit & a été fi mal
réfuté , que l'Auteur a peut-être fini par
foutenir férieufement ce qu'il n'avoit apparemment
enfanté que comme un jeu d'efprit.
On eft d'autant plus porté à le croire ,
dans ce même temps & de la même que
40 MERCURE
DE
FRANCE
.
plume dont il avoit tâché de détruire
l'existence de cette mufique , on a vu
éclore le Devin du Village , ouvrage charmant
qui prouve d'une part que notre langue
eft très-lyrique , & d'une autre , que
nous avons une mufique qui nous eſt particulière
& propre , & qui eft dans le genre
excellent.
C'est peut-être d'après cet événement
que le fameux M. Rouffeau a pris du goût
pour les paradoxes ; la fortune qu'avoit
fait fon premier badinage , l'aura fans
doute engagé à foutenir dans la fuite , que
les arts & les fciences ont été nuifibles aux
maurs. Hafarderois- je beaucoup en avançant
, que ce n'eft encore que par un jeu
d'efprit qu'il a foutenu cette opinion , &
feulement parce qu'il avoit plû à notre
Académie de Dijon de la mettre en queftion
, & d'en faire un problême ? Auffi la
fcience dans nos Auteurs , l'étendue de
leurs talens , & la pureté de leurs moeurs ,
détruifent mieux ce nouveau fyftême que
toutes les longues & ennuyeufes differtations
qui ont paru fur ce fujet. C'eſt de
ce difcours couronné que je vois découler
les autres ouvrages de J. J. fur l'inégalité
des conditions , fur l'éducation , le
contrat focial , &c. Mais quelque fingu .
lières que foient les opinions répandues
OCTOBRE 1765 : 41
dans ces ouvrages , ils n'en font pas moins
refpectables par l'humanité qu'ils refpirent,
& ce feu dévorant de l'amour pour fes
femblables , qui doit l'emporter fur toutes
les autres vertus .
Si d'autres motifs ont éloigné M.
Rouffeau du chemin de la vérité, je reconnois
à ce trait l'humaine foibleffe : les génies
les plus fublimes ne peuvent entièrement
dépouiller le viel homme ; on fe
croiroit humilié de retourner fur fes pas
& on continue à fuivre des routes égarées
pour n'avoir pas à rougir de s'être écarté
du droit chemin : quand on à une fois
endoffé le manteau philofophique , on le
préfére à tout , & Diogène dans fon tonneau
ne fe donneroit pas pour Alexandre.
Mais quittons cet homme refpectable à
tant d'égards, pour revenir au célèbre Artifte-
Auteur , qui me procure l'avantage
de vous écrire.
J'ai vu dans vos Journaux avec la plus
grande fatisfaction , que notre nation commence
à imiter les Anglois dans les hom
mages que ce peuple éclairé rend aux Savans
& aux Artiſtes .
L'ancienne apothéofe des Héros ferviroit
à former des demi -Dieux en fourniffant
des exemples d'héroïfme au deffus
42 MERCURE DE FRANCE.
de l'humanité. Les honneurs rendus au
grand Newton , ont peut être mérité aux
glois , la palme philofophique ; les monumens
élevés en l'honneur de feu M. de
Crébillon, notre compatriote , ont peut-être
donné naiffance à la belle production du
Siége de Calais , fi utile à fon Auteur , &
propre à encourager fi les nouvelles tentatives.
La funébre faite
pompe
M. Rapour
meau le 16 Décembre
1764 , fait encore
plus d'honneur
au goût de la nation qu'à
celui qui en étoit l'objet ; & la préfence
de notre augufte Gouverneur
qui y affiftoit
enperfonne , élève le fucceffeur
du GRAND
CONDÉ même au deffus du Prince fi cela
eft poffible. La patrie de M. Rameau auroit
dû fuivre cet exemple , & lui confacrer un
maufolée qui auroit appris aux fiècles à
venir que ce génie étoit forti de fon fein ,
après avoir déja enfanté les Boffuet , les
La Monnoie , l'Auteur de Rhadamiſte , ce ·
lui de Guftave , & c. & c. & c. & c. & c.
comme elle pourra fe glorifier un jour .
d'avoir élevé dans fon fein le Pline moderne
qui rendra fa patrie & même fon fiècle
illuftre. « O Patrie ! prends part à la
gloire de tes enfans ; encourage & pro-
» tége les fciences , les arts & les talens
fi tu veux que ton nom foit célébre à
و و
OCTOBRE 1765. 43
99
jamais. Souviens -toi que cinq villes fe
» font vivement difputé la gloire d'avoir
» donné le jour à Homère , & épargne- toi
» la honte de voir des temples élevés &
» des autels dreffés à l'Appollon François,
» fans en avoir un feul dans ton en-
>> ceinte "".
Comme on doit être curieux de toutes
les productions d'un génie tel que feu
M. Rameau , je vois avec plaifir que votre
Journal raffemble des pièces fugitives ,
qui fans votre utile collection ne verroient
peut- être jamais le jour. Je fuis l'exemple
de M. Mongeot, en vous adreffant une lettre
de M. Rameau. Il feroit trop long de donner
l'hiſtoire de la difpute qui étoit entré
M. Rameau & moi au fujet des effets de la
Mufique des anciens , & fur fon ouvrage
intitulé l'origine des fciences . Le goût de
la littérature ancienne , n'eſt pas le
dominant ; d'ailleurs les occupations de
mon état & le refpect que j'ai pour le Public
, ne me permettent pas de vous envoyer
une differtation informe qui a occafionné
les deux lettres que M. Rameau
m'a écrites fur cette matière. Celle
dont je vous envoie copie eft d'autant
plus intéreffante qu'elle rend raiſon du
fyftême mufical de cet homme fameux :
c'en eft pour ainfi dire la clef.
44 MERCURE DE FRANCE.
Quelques correfpondances agréables
que j'ai eues , me mettroient à même
de vous fournir des anecdotes femblables ,
fi je ne craignois de vous importuner.
J'attends à ce fujet votre réponſe , &
fuis , & c .
A Dijon, le 31 Août 1765.
BEGUILLET , Avocat au Parlement ,
premier Notaire de la Province de Bourgogne
, place Saint Etienne , à Dijon.
COPIE de la lettre de M. Rameau à
M. BEGUILLET , Avocat à Dijon.
MONSIEUR ,
LES anciens & leurs fectateurs nous
ont repus de chimères dont on a peine à
revenir , quand on s'en rapporte à ce qui
eft écrit fans rien approfondir. L'oreille .
& le fentiment ont pu fournir à ces anciens
des chants heureux & expreffifs ;
mais le tout n'a pas été loin : on ne s'étoit
encore fondé que fur les effets , fans en
connoître la caufe , que j'ai enfin developOCTOBRE
1765. 43
pée. On a trouvé les rapports qu'ont entr'eux
les fons dans l'ordre infpiré : on a beaucoup
raifonné là deffus , & toutes les raifons
qu'on en a pu tirer , fe font évaporées
comme une fumée ; les Géomètres &
Philofofphes s'y font enfin rebutés . Croiroit-
on que cette feule infpiration a tellement
captivé l'homme jufqu'à préfent ,
qu'aucun ne s'eft encore avifé de chercher
la raifon pourquoi nous fommes forcés
malgré nous , de préférer certains intervalles
à d'autres , après certains fons, fur-tout
après lepremier ? Eprouvez fi , lorfque vous
laifferez agir en vous le fens naturel , fans
aucune préoccupation de réminifcence ,
vous pourrez jamais monter d'un démi
ton après un demi fon donné,&fi vous pourrezfaire
autrement après deux tons fucceffifs.
Pourquoi cela m'eft il fuggéré de la
forte ? D'où cette fenfation peut- elle naî
tre en moi , fi ce n'eft du fon même ? Il
falloit donc éprouver l'effet du fon , &
l'on y en auroit diftingué trois , fermant
cette harmonie enchantereffe ; & delà
on auroit marché à coup für comme je
crois l'avoir fait. Ce principe eft inépuifable
, &tient à la théologie comme à la géométrie
& à la phyfique : un homme plus
x6 MERCURE DE FRANCE.
éclairé que moi doit en tirer des conféquences
qui peuvent mener fort loin : j'y
vois déja l'origine de ces dernières ſciences
qu'on ne peut nierfans nier le phénomène
dont nous la tenons.
A Paris , ce 6 Octobre 1762 .
FABLES ORIENTALES ,
ar M. B ***.
LE TAILLEUR ET LE DEVIN.
UN Deyin , un Tailleur caufoient un jour
enfemble.
Je plains votre métier ( dit le premier ) , je
tremble
Que les hommes un jour , tentés d'aller tout
nuds ,
Ne rendent à jamais votre aiguille inutile :
Vous feriez fans pain , fans afyle ,
Et vous & vos enfans vous vous verriez perdus.
Vous me faites pitié , voifin , lorfque j'y penfe !
Contre les coups du fort , moi , je fuis raffuré.
Je fuppofe , fans vraisemblance ,
Sur un de mes fecrets que l'on fût éclairé ;
Eh bien , ma féconde Minèrve
OCTOBRE 1765. 47
Ne fera jamais en défaut ;
J'ai plus de cent tours en réfèrve
Que je fais valoir aufſi- tôt.
Si le revers qui caufe mes alarmes
Vous arrivoit , ayez recours à moi ,
Mon pauvre ami : par quelque utile emplo
Je tarirai la fource de vos larmes.
La famine , bientôt après ,
Sur les épics , fur les guerèts
Etendant fes funeftes aîles ,
Fit fentir fes horreurs cruelles.
Adieu les faux befoins ; il faut fonger aux vrais :
Plus d'argent pour les bagatelles ;
Jugez comme on payoit les tours de gobelets !
Notre Tailleur pourtant trouve ſa ſubſiſtance ,
Car il faut vivre & s'habiller .
Quant au Devin , il eut beau babiller
Et réchauffer fon éloquence ;
On le laiffa s'égofiller.
En vain il promit que fa bouche
Renfermeroit un tifon allumé ;
Le peuple eft fourd , rien ne le touche ;
Que le befoin dont il eft confumé.
Tant pérora , fans gagner une maille ,
Notre Devin , qu'il fallut recourir
Au Tailleur , qui d'abord le raille ,
Et puis finit par le nourrir.
48 MERCURE DE FRANCE.
De la frivolité le deftin eft mobile ,
N'en déplaife à ces charlatans .
Gardons-nous des petits talens ,
Et ne comptons que fur l'utile.
LE RENARD.
DANS les champsfablonneux d'Aſie¸
Que le Taurus va partageant ,
Un renard fuyoit en criant :
Sauve qui peut ! ... Par quelle fantaiſie ,
Lui dit quelqu'un , te vois -je fuir ainſi ?
Je n'apperçois chiens ni chaffeurs ici
Qui caufent la terreur dont ton âme aft ſailie.
Vous ne favez donc pas ( répond maître Renard ) ,
Que le Sophi , pour fon départ ,
De chameaux & mulets veut qu'on faſſe recrue ?
Que l'ordonnance en vient d'être rendue ?
Je le fçai comme toi ( dit l'autre ) ; mais , parbleu !
Tu n'es chameau ni muler. .. . Pauvre bête !
( Répond le Renard avec feu ) ,
Si le moindre Commis m'arrête ,
Et qu'il dife : c'eſt un chameau ;
J'aurai beau crier & beau faire :
Je périrai fous le fardeau ,
Avant qu'on ait jugé l'affaire.
L'OCULISTE.
OCTOBRE 1765 49
U
LOCULISTE.
N Perfan poffédoit un fecret pour les yeux
Il le vantoit , le difoit merveilleux ;
Et cependant il avoit l'oeil malade.
Quelqu'un prend le remède ; un afpre * en eft
le prix :
Il en donne deux & s'évade.
Le Marchand court après , croyant qu'il s'eft
mépris ;
Montre l'afpre de trop. Mais l'acheteur lui crie
Mon ami ! n'allez pas plus loin ;
L'afpre eft pour vous : gardez - le , je vous prie
Pour le paquet dont vos yeux ont befoin.
Petits cenfeurs dont ce monde pullule ,
Nous avons des défauts , & vous les corrigez.
Vous en avez auffi , mais vous les ménagez !
Avalez , croyez- moi , votre propre pillule .
* Petite monnoie .
Vol. II.
.2 7
30 MERCURE DE FRANCE.
EPITRE de M. POINSINET à M. CAILLOT,
en lui envoyant le rôle de Weftern ,
Idans la Comédie de Toм JONES.
WESTERN encor te veut devoir la vie .
Courage , ami ! que ces accords brillans ,
Que ce jeu naturel , qui plaît feul à Thalie ;
De nos François forcent l'âme ravie
A s'ouvrir à nos fentimens ;
Amufer eft le lot des artiſtes naiſſans ,
Mais fixer le fuffrage eft celui du génie ,
Et c'eft le tien. Tu règnes fur nos coeurs
Par tes talens ; fur toi , par ta philoſophie ;
Et fur les efprits , par tes moeurs.
Jamais tu n'entendis de moi fi doux langage ,
Je fuis novice en fait de complimens ;
L'homme malin eft le finge du ſage :
Ils n'ont pas l'art d'allumer cet encens
Dont s'enivre l'effain volage ,
D'un peuple de fots importans ;
La franchiſe eft leur doux partage.
La mienne fe permet fouvent trop d'âcreté ;
Mais j'aime mieux franchiſe un peu fauvage ,
Que doucereufe faufſeté :
Rétablis mon honneur , embellis mon ouvrage,
OCTOBRE 1765 .
SK
Pour m'arracher au dangereux accueil ,
Où deux fuccès affez brillans peut-être ,
Egaroient mon naiffant orgueil
De chaque ami je me fuis fait un maître
En cédant à fon goût j'ai brigué fa faveur.
Telle au matin la diligente abeille
Fuit le frélon pour careſſer la fleur :
Aux complaifans j'ai fermé mon oreille ,
J'ai de la vanité vaincu le cri flatteur ;
On m'a vu même , en écolier novice ,
Le matin chercher ma leçon ;
J'ai , pour m'aſſurer mieux de mon frêle édifice¿
Emprunté le compas de l'aimable maçon ,
Qui , fur un côteau du Parnaſſe ,
Lui-même fe conftruit un palais glorieux ,
Où je le vois déja placé par nos neveux
Auprès de Vitruve & d'Horace.
Il a guidé mes pas , & j'aime à l'avouer.
Sedaine eft à la fois ingénieux & fage ,
Et nous pouvons tous deux tirer quelqu'avantage ,
Moi d'être fon élève , & lui de s'en louer .
Puiffe un heureux fuccès confoler mon courage !
Mais je fens qu'il faudroit auffi , pour réuffir ,
Que mes acteurs , jaloux de me furprendre ,
Saififfent à l'envi ton art pour m'embellir ,
Et tous mes fpectateurs , mon âme pour t'entendre.
i
Cij
MERCURE DE FRANCE.
LES FANTAISIES ,
Ou précis de l'Hiftoire de LUCIE DE ***
Par elle- même.
L étoit minuit paffé. Le filence qui régnoit
autour demoi , la tranquillité de
mon efprit & de mon coeur , tout m'invitoit
à me livrer aux douceurs du fommeil
: mes yeux à demi fermés n'appercevoient
déja plus la foible lumière qui éclairoit
ma chambre ; je fentois les approches
de ce repos defiré , pendant lequel des fonges
confolans & d'aimables preftiges promènent
une ame honnête fur la route du
bonheur . Un bruit fourd dont je pénétrai
la caufe , m'arracha tout- à- coup de
cet état délicieux : on travailloit à forcer
ma porte ; on y réuffit ; & l'homme que
je craignois le moins dans une femblable
conjoncture, mon tuteur, dont la conduite
& les égards ne m'avoient pas préparée à
cette étonnante apparition , fut alors le
feul objet qui s'offrit à mes yeux. 11
s'affit au chevet de mon lit & je ne vis
rien ni dans fa phyfionomie ni dans fon
maintien qui dût m'alarmer. Je me prépaOCTOBRE
1765 : 53
rois à lui demander des éclairciffemens ;
il me prévint , en me tenant ce difcours.
Vous avez peine à revenir de la furprife
où vous a jettée ma préfence . Dans
le Couvent que vous avez habité fi longtemps
, on n'a pas inftruit votre inno-
'cence ; vous ignorez encore le pouvoir de
vos attraits. Les complaifances que j'ai
eues pour vous , le tendre intérêt que je
vous ai montré depuis la mort des auteurs
de vos jours , mes prévenances &
mes foins n'ont pas eu , je l'avoue , un
caractère affez décidé pour vous éclairer
fur mes véritables fentimens : mais l'heure
& le lieu que j'ai choifis pour vous les
expliquer , doivent vous en découvrir la
nature. Je vous aime , belle Lucie , j'ai
voulu vous le dire avec quelque avantage ;
ne cherchez pas à m'en punir , car mon
deffein n'eft pas d'en abufer. Si votre coeur,
eft infenfible , je n'entreprendrai pas d'obtenir
la victoire aux dépens de la probité....
J'ai quarante ans ; j'en ai paffé vingt dans
la diffipation du grand monde , & j'y ai
contracté une façon de penfer , & des
travers dont je connois moi même l'étrange
abfurdité . Il en eft un qui vous
paroîtra bien extraordinaire , & auquel
je tiens on ne peut pas plus fortement :
c'est lui qui m'empêcheroit d'aimer la
C iij
54
MERCURE DE FRANCE.
femme la plus accomplie , fi elle étoit la
mienne . Plaifante fantaifie ! écoutez- moi ,
cependant ; j'ai deux propofitions à vous
faire ce que je viens de vous dire a dû
vous y préparer en partie ...... Je vous
demande votre coeur > ou votre main . Si
ma paffion vous déplaît , c'eft dans le
Temple de l'Hymen qu'il faut l'éteindre ;
c'eft là où je puis recouvrer la liberté que
vous m'avez ravie : je ne cefferai d'être
votre amant qu'en devenant votre époux.
Il est aisé d'imaginer l'effet que ce difcours
produifit fur moi , jeune, fans expérience
& fans aucun engagement : pleine de
reconnoiffance pour les bontés deM.de *** ,
accoutumée à déférer à fes confeils , jefus
tentée d'accepter fa main fur le champ, malgré
la façon fingulière dont il me l'avoit
offerte . Une confidération m'arrêta : vous
avez quarante ans , lui dis-je , Monfieur ,
& je ii'en ai que feize ; à cette difproportion
d'âge vous joignez une bifarrerie qui
m'effraie. Non , je ne faurois me réfoudre
à devenir la femme d'un homme de
quarante ans , d'un homme qui ne me
promet que de l'indifférence. Quant à
l'autre propofition , elle eft trop au deffous
de moi pour y répondre . Que vos refus
me coûteront des pleurs ! Où trouverezyous
un amant plus tendre & plus vrai ?
OCTOBRE 1765. 55
Que ne tient- il à moi de ceffer de vous
aimer ! mais ne l'efpérez pas malgré vos
rigueurs je ne vous verrai qu'avec les yeux
d'un amant , à moins que vous ne m'accordiez
un titre que je vous demande à regret.
Je vous laiffe y penfer. Apprenez par mon
refpect & par ma retenue , que je ne veux
rien devoir qu'à vous- même.
Si je m'occupai toute la nuit de mon
tuteur & de fa fingularité. Si je pris la réfolution
de l'époufer pour fauver ma vertu
, cela étoit naturel. Mon mariage fut
célébré avec magnificence , quoiqu'en impromptu
. On ne voyoit pas briller fur les
vifages une joie naïve & pure ; mais grace
à l'art des cuifiniers , à la délicateffe
des mets , des vins & des liqueurs , à l'indécente
activité de l'imagination , on jargonna
je ne fais combien de plaifanteries ,
qui à la rigueur auroient pu paffer pour
des bons mots ; on montra la plus grande
envie de s'amufer. On fit des grands éclats
de rire en me regardant : les jeunes gens
fe parlèrent tout haut à l'oreille , les jolie :
femmes tirèrent un grand parti de leurs
évantails. On avoua que M. de ***`› par fa
belle dépenfe , avoit fait preuve d'un goût
exquis. Dans le vrai, il ne manquoit qu'une
chofe dans cette fête , c'étoit le plaifir.
Mais eft-on accoutumé à s'appercevoir de
Civ
36 MERCURE
DE FRANCE.
fon abſence dans ce qu'on appelle la bonne
compagnie ? J'avois cru jufqu'alors que
mon mari n'avoit voulu que m'éprouver ;
fa fantaisie me paroiffoit dépourvue de
motif, & mon miroir me raffuroit ; je me.
faifois un plan de vengeance affez bien
raifonné. Mais lorfque je m'attendois à
à le mettre en ufage , à voir tomber man
mari à mes pieds , on m'annonça qu'ayant
pris fantaisie d'une jeune & jolie marchande
, il l'avoit emmenée dans une
terre à foixante lieues de Paris . Ah ! Monfieur
, m'écriai-je , dans le premier accès
de mon dépit , fi j'ai eu la folie de vous
aimer , j'aurai fans doute affez de pouvoir
fur moi pour renoncer à un coeur
ufé qui ne fut jamais digne du mien .
Vous avez des principes , & la fotte vanité
de ne vouloir pas vous en écarter. Oh !
j'en aurai qui vous paroîtront peut - être
encore plus bifarres que les vôtres. Un
ami de mon époux , Dorval , m'entretenoit
dans ma colère avec une forte d'intérêt
qni ne m'étoit point du tout défagréable.
Cela eft inoui , me dit- il ! c'eft
une fantaifie où l'on ne comprend abfolument
rien ; tout mon ami qu'il eft , je
vois clairement qu'il vous autorife. On
peut le mener lain. Après tout , il n'eft pas
poffible qu'il vous ait aimée. Le nom de
OCTOBRE 1765. 57
fa femme , repouffant à la vérité , ne l'auroit
pas totalement changé. Je ferois au
défefpoir de vous faire concevoir une idée
qui lui fût défavantageufe ; votre fortune
étoit confidérable ; un autre que
moi s'imagineroit , en réfléchiffant fur les
procédés de mon ami ..... Mais j'écarte
un foupçon qui l'offenfe. Quoi ! me difois-
je , un lâche intérêt me rend la victime
de M. de *** ! Le perfide avec quel
art il m'a trompée ! Dorval étoit adroit ,
il parvint à me ramener fi fouvent au parallelle
d'un homme de quarante ans &
d'un homme de vingt- cinq , d'un époux
volage & d'un amant tendre & preffant ,
d'un coeur froid & d'un coeur rempli d'une
première paffion , que M. de *** me parut
un monftre en même temps que Dorval
me parut le plus aimable de tous les
hommes. Il ne voulut rien brufquer. En.
ennemi rufé , il attendit du hafard & de
fes foins une de ces circonftances décifives
, où ces grands mots je vous aime, produifent
immanquablement leur effet. Je
n'avois point eu des foupers depuis l'ab
fence de mon mari ; il me prit fantaiſie
d'en avoir deux toutes les femaines. Je
priai Dorval de m'aider à en faire les honneurs
; on peut facilement en prévoir les
fuites. Que l'inftruction du remords eft
C.v.
MERCURE DE FRANCE .
accablante ! Quel jour affreux il porte dans
une ame timide ! ce ne fut qu'à force de
diffipation que je parvins à recouvrer quelque
tranquillité. Je fus réduite à me fair
moi-même ; je ne connoiffois pas alors de
plus dangereufe compagnie.
J'eus des foupers ; je les avois payés
affez cher. J'y rafflemblois des femmes qui
paffoient pour être aimables , des Abbés
qui enfeignoient à le devenir , des Cléons:
qui vouloient l'être , & quelques gens de
lettres qui l'étoient. L'impreffion que Dor
val m'avoit faite diminuoit confidérablement
: cet homme n'avoit ni affez de naiffance
ni affez de célébrité pour Alatter mon
amour propre ; je prenois de l'efprit &
des manières , chofes prefqu'incompatibles
avec un coeur tout bonnement fenfible
. Voyant des femmes moins jolies que
moi , afficher de plus grandes prétentions ,
& faire de plus belles conquêtes , il me
prit envie d'acquérir de la gloire en fuivant
leurs pas. Un grand Seigneur tomba
bientôt dans mes fers ; mais je lui rendis
le joug filéger , que fon efclavage ne
dura qu'autant qu'il en falloit pour fatisfaire
mon caprice & ruiner ma réputation .
Dans le deffein de l'établir , je fis ce qu'on
appelle un éclat ; j'enlevai un acteur célèbre
à une femme trop jaloufe de ſes
OCTOBRE 1765. 59
talens pour me le céder de bonne grace :
nous nous le difputâmes avec toute l'indécence
poffible . Elle mettoit dans fes démar
ches l'adreſſe & l'habileté que lui donnoit
une longue expérience . Je conduifois les
miennes avecune chaleur qui n'auroit rien
opéré d'avantageux pour moi , fi le don
de mon portrait ou plutôt les brillans dont
il étoit entouré , n'euffent ébloui le nouvel
Orphée. Je jouis affez paifiblement de
ma victoire. Aleipe avoit de la phyfionomie
, une taille riche & élégante , une
jambe régulièrement belle , fa garderobe
faifoit honneur à fon goût; mais il étoit
fi complètement bête qu'il n'y avoit pas
moyen de paffer deux heures tête à tête
avec lui fans s'expofer à mourir d'ennui .
Je me repentis plus d'une fois de la fantaifie
qui me l'avoit fait prendre , & me
fus mauvais gré de le garder. Dans ces
momens d'humeur je le faifois chanter ,
& fa voix me racommodoit avec la ftérilité
de fon efprit . Ce fut alors que M.
de ***, après une abfence de fept mois , ju .
gea à propos de revenir à Paris. La néceffité
de feindre étoit une des plus honteufes
fuites de mes égaremens . Obligée
de voir mon mari & de lui cacher le changement
qui s'étoit fait en moi , je compofai
mon viſage ; j'affectai beaucoup de
"
C vj
60 MERCURE DE FRANCE .
réferve & mis la politeffe à la place de
l'empreffement. J'avois bien l'air d'une
femme outragée , mais non d'une femme
vindicative. Cependant je m'étois conduite
trop imprudemment pour en impofer
à un homme auffi pénétrant que l'étoit
mon mari . Vous me faites pitié ! me ditil
; vous ne jouez pas mal : c'eft dommage
que vous ayez pris un rolle fi fatiguant
& fi ingrat. Vous avez donc fait la
découverte de votre coeur , je vous en félicite
: vous prenez là un air moqueur qui
eft à ravir. Fort bien ! voilà juftement un
regard d'une affurance dédaigneufe , qui
prouve que vous avez fait des progrès.
L'illufion feroit parfaite , fi mes yeux clairvoyans
n'appercevoient l'actrice . Ecoutez
, Lucie vous vous faites un art de la
fauffeté , & cela eft inutile vis - à - vis de
moi , j'ai trop vécu pour être la dupe d'une
novice en ce genre : ne cherchons pas as
nous excufer ; traitons-nous comme finous
ignorions nos torts : ils n'ont de réalité
que celle qu'on veut bien leur donner,
De la décence , fur-tour ; je n'attenterai
jamais fur votre liberté : mais n'en abufez,
pas. Par exemple , vous avez fait une dépenfe
peu réfléchie , en m'endettant de
plus de vingt mille francs. Vous avez fix
chevaux bien appareillés , d'un bon âge ;
OCTOBRE 1765 6f
-
-
d'où vient les avez vous troqués contre
cet attelage de chevaux gris-pommelés ? -
Le noir eft fi trifte ! il ne m'en a coûté que
cent louis de retour. La fotte chofe que
des chevaux tout noirs ! cela ne convient
qu'à de certaines gens qui ont un ton fi
maufade.. Sans me mettre au nombre
de ces certaines gens , ne puis-je pas me
difpenfer d'approuver la nouvelle livrée
que vous avez prife ? - J'avoue qu'elle eſt
plus coûteufe : auffi vous conviendrez
qu'elle eft d'une élégance peu commune ;
d'ailleurs il y avoit dans l'ancienne des
galons d'un jaune foncé , vous connoiffez
ma répugnance pour le jaune. Cette
couleur étoit très-convenable dans ma livrée.
Mais, pourquoi avez - vous fait repeindre
votre fallon ? - Ah ! Monfieur ,
la Marquife ne pouvoit s'y fouffrir ; elle
a une répugnance pour le bleu , qui paffe
l'imagination. C'eft au point , qu'elle
mordit un laquais de la Préfidente , parce
qu'il avoit un habit de cette couleur: Allez
, Monfieur , foyez perfuadé que toutes
mes prétendues. fantaifies font des
chofes pensées & réfléchies . Au refte
épargnez-moi vos confeil ; cela appéfantit :
j'ai la tête pleine de ces chevaux gris-pomelés
que je commence à trouver un peu
fades ; il y a auffi un certain cocher qui
31 MERCURE DE FRANCE.
m'inquiete : c'eft un garçon d'une taille
& d'une groffeur extraordinaires ; il appartient
à une Provinciale qui ne connoît
pas fon mérite .... Cette converfation fut
la feule que j'eus avec mon époux pendant
plus de trois mois : je n'étois occupée
qu'à gagner le cocher de la Provinciale.
J'en vins à bout en lui offrant cinquante
louis de gage. Le jour de fon entrée fut
pour moi un jour de fête ; mais mon
triomphe dura peu. Le lendemain , comme
je finiffois ma premiere toilette , on m'annonça
la Baronne de ***. C'étoit une
femme de foixante ans qui n'avoit jamais
eu une beauté moderne; mais uneRomaine
qui lui eût reffemblé , eût pu paffer pour
une belle perfonne . A fon début, à fon accent
Breton , à fes premiers propos qui me
montrèrent fon dépit fur l'enlèvement de
fon cher cocher , il me prit une envie de
rire qui l'obligea de s'arrêter tout court :
je ne repris mon férieux qu'à l'aide du
fien. Ma chère petite , me dit-elle fur un
ton qui me fit trembler , vous ignorez le
reſpect que vous me devez , & vous l'apprendrez
à vos dépens. Vous êtes dans l'ufage
de contenter vos fantaiſies ; je me
livre aux miennes , & je punis l'impertinence.
En prononçant ces derniers mots
la furieufe Bretonne s'élança fur moi
OCTOBRE 1765 .
me terraffa d'une main vigoureufe , &
me chargea de coups. Elle fortit tranquillement
après cette action , fans que mes
domeftiques ofaffent l'arrêter. On me mit
au lit fur le champ. Là , mes réflexions
augmentèrent l'amertume de ma fitua
tion ; mon reffentiment me faifoit ima
giner je ne fais combien de projets , dont
l'exécution étoit impoffible . En prenant la
voie de la justice , je pouvois efpérer de
faire punir la Baronne , mais c'étoit me
déshonorer ; je n'avois d'autre reffource
que de trouver un vengeur qui engageât
fon mari à lui faire faire les excufes les
plus authentiques , ou à fe charger de défendre
fa caufe l'épée à la main. Je propofai
cet expédient à mon Muficien. Mais
il m'affura qu'il n'y avoit rien qui altérât
fi fenfiblement la voix , ni qui fût plus préjudiciable
à un homme de fon état que
la colère qu'on éprouve en pareille occafion
; il ajouta que d'en entendre parler ,
il fentoit déja une diminution confidérable
dans le volume de fa voix. En effet ,
il étoit fur le point d'en perdre l'ufage. Il
me dit cependant que fi j'y confentois ,
il me vengeroit à ravir par un petit vaudeville
dont il fe chargeroit de compofer
l'air & les paroles. A cette propofition ,
mon indignation éclata à tel point , que
44 MERCURE DE FRANCE.
1
L'auteur en eût porté des marques , fi unc
prompte fuite ne l'eûr dérobé à mon emportement.
Dès que mes fens furent un
peu calmés , j'envoyai chercher Dorval
comme l'ami de mon mari , comme le
mien. Vous devez , lui dis - je , prendre
part à l'injure que j'ai reçue ; l'honneur
vous y engage ; c'en eft affez pour un
homme qui en connoît les droits. A ce
difcours , Dorval ne répondit que par des
plaifanteries fur ma trifte aventure. Il fe
retira , en.m'affurant que je lui avois fait
trop des graces de compter fur fa vaillance
; qu'il admiroit ces preux Chevaliers
toujours prêts à rompre une lance en
l'honneur de leurs Dames & à réparer
les torts faits à leur réputation , mais que
cette profeffion étoit trop périlleuſe , &
qu'il me prioit de choifir un autre Champion.
Tant de duretés excitèrent mon
mépris & ma haine. L'agitation inquiete
& douloureufe que j'éprouvois alors
me rappella ce temps heureux , le fouvenir
de cette nuit délicieuſe , de ce fommeil
tranquille que M. de ... avoit jadis
fait évanouir par fa préfence inattendue.
Hélas ! me difois je , c'eſt depuis ce moment
fatal que l'innocence & la paix
ont fui loin de moi . Abandonnée à moimême
, contrainte à dévorer mes peines
OCTOBRE 1765 : GS
65
je n'ai pas même la douceur de m'atten
dre à être jamais vengée . Vous l'êtes , s'écria
mon mari en entrant dans ma chambre.
Ciel ! & de qui ? Et comment reconnoître
vos bontés ?Vous l'avouerai-je ?
Je ne penfois feulement pas à implorer
votre fecours , tandis que c'eft de vous
que je reçois la feule confolation qu'il
me foit poffible de goûter. Madame , reprit
froidement M. de ...Je vous la devois
cette confolation ; je me devois à
moi-même le foin de punir le Baron de
la témérité de fa femme. J'ai été le trouver
auffi -tôt que j'en ai été informé . Nous
nous connoiffons , & je n'ai pas eude peine
à le faire convenir qu'il falloit nous
couper la gorge. Il a fenti que ce parti
étoit indifpenfable. Nous venons de nous
battre ; je l'ai laiffé entre les mains de
fon Valet-de- chambre , & je le crois mortellement
bleffé : vous devez être fatisfaite.
Pour moi , je pars dans l'inftant ;
& je vous dis peut- être un éternel adieu . —
Qu'entends -je ! Quel trait de lumière a
percé dans mon ame ! qu'avez vous fait
pour une femme que vous n'aimez pas ?
Non , Monfieur , vous ne me quitterez
point. - Les momens font précieux ; la
famille du Baron eft puiffante ; voulezvous
m'expofer à porter ma tête fur un
66 MERCURE DE FRANCE.
échaffaud ? Il eft des fantaifies qui coûttent
cher. Ne me retenez plus. -Moi vous
retenir ! que j'ajoute l'imprudence au crime
! le pouvez - vous croire ? La feule grace
que je vous demande , c'eft de me permettre
de vous fuivre , de vous aider à
fupporter les malheurs que je vous ai caufés
; je connois mes devoirs , ils me deviennent
chers : ne m'enviez pas la fatisfaction
de les remplir ; je ne mérite
ni votre amour, ni votre eftime ; mais un
noeud facré m'unit avec vous. Vous voyez
couler mes larmes , mes yeux en répandent
pour la première fois ; une époufe autrefois
fi fière & fi coupable , eft maintenant
profternée à vos pieds ..... Que fa
douleur & fon repentir vous attendriffent !
Ah ! je commence à vivre , fi je parviens
àvous toucher. Oui , tout eft pardonné ,
ton époux eft plus coupable que toi ; la
manière dont je t'ai fait élever , mes erreurs
& mes égaremens , voilà ce qui t'a
trompée ; mais ton coeur étoit fait pour la
vertu tu la rappelles dans le mien. O
mon amie ! nous avons beaucoup perdu
par des imprudences ; nous avons cherché
le bonheur où il n'étoit pas... Partons
enfemble ; aimons-nous déformais ,
& nous nous appercevrons tous les jours
qu'il eft des plaifirs plus réels que ceux
OCTOBRE 1765. 67
que nous avons goûtés l'un & l'autre . Pen
dant cet entretien , on faifoit les préparatifs
de notre départ. Nous quittâmes Paris
; & quoique le Baron ne foit pas mort
de fa bleffure , & qu'il ne tînt qu'à nous
de revenir dans cette Capitale , nous avons
préféré le féjour d'une campagne riante ,
chez une nation eftimable par fa fimplicité
& par fes moeurs. Nos momens font
agréablemeut remplis , & nous trouvons
dans des occupations variées une reffource
fûre contre l'ennui & les regrèts.
Rédigé par M. DE C ***. à Lyon.
STANCES à Mlle DE B....
Tour à mes yeux me peint d'Adelaide,
L'aimable & féduifant portrait ;
Par-tout je la vois trait pour trait :
Mon efprit de plaifir avide ,
Voit fans ceffe ce qui lui plaît.
Lorsque je fors , les yeux d'Adelaide
Sont le Soleil qui me conduit.
Pendant les horreurs de la nuit ,
C'eſt l'aſtre brillant qui me guide ;
Par-tout fon image me fuit.
56 MERCURE
DE
FRANCE
.
Lorfque j'écris , le nom d'Adelaïde
Sous ma plume vient fe placer.
J'aurois beau vouloir l'effacer
Ma main que le tendre amour guide ,
Eft toujours prête à le tracer .
Lorfque je dors , je vois Adelaïde
Comme fi je ne dormois pas.
Je vois les grâces , ſes appas ,
Ses traits en qui l'amour réfide.
Quand je dors que ne vois- je pas !
Je vois encor ma chère Adelaide
Se rendre fans peine à mes voeux ;
Je la vois approuver mes feux ,
Et moi je deviens moins timide.
Quand je dors , que je fuis heureux !
Le Ch. DE B....
LE PORTRAIT DE GLYCERE ,
Couplets adreffés à elle-même. Air : De
fa modefte mère , d'Ifabelle & Gertrude.
L'AUTRE
'AUTRE jour , fous un hêtre ,
A l'ombre des buiſſons ,
Sur mon pipeau champêtre
J'effayois des chanfons.
OCTOBRE 1765. 69
L'amour s'offre à ma vue ,
Sans fon arc & fes traits :
Beauté , grâce ingénue ,
C'étoient-là fes attraits.
Il me préfente un verre ,
De l'or & ton portrait.
« Si ce choix peut te plaire ,
» Tu feras fatisfait..... >>
Hélas de ma Glycère.
Ce portrait que tu tiens
Sera , Dieu de Cithère ,
Mon tréfor & mes biens .
« C'eft me prendre mes armes ,
» Dit le petit vaurien .
>> Mais vois combien de charmes ! ...
>>Tu ne l'as pas pour rien »
J'ai payé ton image
De la plus vive ardeur.
Donne-t-on davantage ,
Quand on n'a que fon coeur ?
Par l'Auteur de la Lettre du Lord Velford,
70 MERCURE DE FRANCE.
LA NUIT.
L
TRISTE
RISTE nuit , qui détruis à nos yeux
l'Univers & fa beauté ! effrayante ébauche
du néant où doit retomber la nature ! tandis
que pour me ravir les bienfaits du
Dieu du jour , tu tiens abattues fur mes
paupières les ombres envieufes ; je veux
fur ton crêpe épais tracer dans l'obſcurité
l'image de tes horreurs.
I I.
Dans quel affreux défordre tu plonges
tout mon être ! Le tourbillon rapide de
mes penfées fe diffipe dans tes fombres
efpaces , comme au moment de la création
le feu élémentaire étoit épars dans le cahos.
Je ne fais plus fi je refpire , fi j'exifte ,
s'il eft une terre & des cieux pour moi . Il
femble que mon ame détrônée ait perdu
le corps vivant qu'elle gouvernoit à fon
gré elle fe croit dépouillée de fes fens
actifs , qui fervoient en efclaves fes befoins
& fes plaifirs.
:
OCTOBRE 1765: 7-
I I I.
Ton fein ténébreux forme fous mes
pas des gouffres fans fond , un vuide
immenfe où rien ne me foutient , ne m'étaye.
Je roule d'abyme en abyme ; je me
crois relegué dans ees tombeaux creufés
par les Rois faftueux du Midi , qui forçoient
la terre à leur ouvrir fes vaftes
flancs , pour loger pompeufement les reftes
infects de leur dépouille mortelle.
I V.
Errant dans les régions de la mort où
tu m'exiles , j'ai fans ceffe à lutter contre
les phantômes que tu préfentes à mon imagination
troublée . Sous tes noirs drapeaux,
veillent à mes côtés les foucis & les alarmes.
Tu fais ceffer autour de moi tout
bruit agréable , pour ouvrir à mon oreille
attentive toutes les bouches de la terreur
menaçante.
V.
En m'empêchant d'être diftrait par l'intéreſſante
diverſité des objets que la lu- '
mière colore , tu me livres en proie aux
plus affligeans fouvenirs. Mon coeur op71
MERCURE
DE FRANCE
.
preffé fous ton obfcurité comme fous un
poids énorme , ne me rend que des fentimens
de trifteffe : les bleffures profondes
qu'il a reçues du glaive de la douleur fe
r'ouvrent dans tes inquiétantes ténèbres.
V I.
A mes yeux fafcinés par tes illufions
nocturnes , fe préſente l'ombre fanglante
& défigurée de l'ami que j'ai perdu *.
Tes couleurs funèbres me le peignent
mourant à la fleur de fon âge , victime de
fon amour pour l'humanité , & pouffé dans
le tombeau par la foule importune qui
s'empreffoit autour de lui pour lui demander
fon fecours.
VII.
Hélas ! il leur tendit à tous une main
falutaire ; il les détourna des routes gliffantes
du trépas , foutint leur marche
chancelante dans la carrière de la fanté.
* L'ami dont l'Auteur déplore ici la perte ,
eft M. Hatté, Docteur- Régent de la Faculté de
Médecine de Paris , mort au mois d'Août 1762 .
Voyez fon éloge hiftorique dans la Gazette de
Médecine , du 29 Décembre 1762. Feuille 52 .
OCTOBRE 1765 75
Il s'appliqua fans relâche à faire renaître
dans les corps malades la force , le mouvement
, la vie , & fembla dans fa courfe
partager les fonctions bienfaifantes de
l'aftre du jour , qui par fa douce chaleur
ranime la terre languiffante.
VIII.
Affocié , pour ainfi dire , à la puiffance
du Créateur , il commandoit aux organes
altérés de reprendre leur premier reffort ,
rappelloit la féve nourricière dans des
plantes débiles , qu'un fouffle contagieux
faifoit fécher fur leur tige. Il rendoit le fils
à fa mère , la femme à fon époux , le
Magiftrat à fes fonctions , le favant aux
lettres . Il brifoit les dents cruelles de la
mort , & lui arrachoit fes victimes à demi
dévorées.
I X.
Pourquoi faut- il qu'en triomphant de
ce monftre pour le falut d'autrui , il ſe
foit vu fubtilement frappé lui - même du
plus envenimé de fes traits ? Pourquoi
faut- il que l'homme de bien n'ait pu fe
rendre utile à fes femblables , qu'en leur
immolant fa propre vie , comme un flambeau
ne nous éclaire qu'en fe confumant
fes flammes officieuſes ?
par
Vol. II. D
74
MERCURE DE FRANCE.
X.
Le jour affreux où s'éteignit cette lumière
de mon ame , le jour affreux où
je fermai fes yeux pour jamais , fut auffi
fombre pour moi que les noires ombres
de la nuit qui m'environnent en ce moment
.....Fille de la mort ! Nuit lugubre !
c'est toi qui redoubles le deuil de mon
coeur.
:
X I.
Tant que les rayons du jour éclairent
notre horifon , il m'eft permis du moins
de voir les lieux témoins de mon bonheur
paffé je reconnois tout ce qui appartient
mon fidéle Hatté ; je retrouve l'empreinte
de fes pas , & les monumens de
Les actions généreufes ; je vois , au fouvenir
de fon nom , les pleurs couler des
yeux de la Reconnoiffance . Voilà ce que
le foleil me montre , ne pouvant plus m'offrir
mon ami.
X I I.
Toi feule , Nuit implacable , ôtes à mes
maux de fi légers adouciffemens. Tu me
dérobes jufqu'aux traces de celui que je
pleure .... Que dis- je ? Nuit barbare ! tu
OCTOBRE 1765. · 75
renouvelles l'inftant fatal où il fut arra
ché d'entre mes bras. Si tu permets qu'au
fein de ton obfcurité la force de ma penfée
le rappelle à la vie , ton calme perfide
ne me le lanfe voir qu'environné des horreurs
du trépas . Tu me le rends , comme
l'amante d'Orphée , pour l'entraîner de
nouveau dans le féjour des morts.
X II I.
Divine amitié ! j'implore ton fecours ,
que ta flamme vive & pure perce les ténèbres
qui m'obfédent. Viens comme l'aftre
du matin , chaffer la nuit & fes funeftes
preftiges. Viens briller à mes yeux
fous les traits confolans de mon vertueux
ami : montre - le moi tel qu'il fut dans les
beaux jours de fa gloire , & tu rendras
à mon ame la clarté que le foleil tardif
refufe encore à la nature.
Par M. BEAUCOUSIN , Avocati
DI
76 MERCURE DE FRANCE.
REQUÊTE d'un petit POETE à un grand
PROTECTEUR.
SEIGNEU
EIGNEUR , lorfqu'à votre lever
L'intérêt me force à me rendre s
Après m'avoir bien fait attendre ,
Jamais je ne puis achever
Ce que vous ne pouvez entendre
( Dites-vous ) que le lendemain.
Le lendemain , dès le matin ,
Quand de nouveau je me préſente ;
Un Suiffe , d'un air aſſorti
A la voix la plus repouffante ,
Me dit : Monfeigneur eft forti.
Je reviens même politeffe !
Je vois pourtant entrer , fortir
De chez vous , gens de toute eſpèce ,
Et je brûle de démentir
Le Cerbère de Votre Alteffe. ....
Mais c'eft pour moi prefque un Seigneur,
Plaife donc à Votre Grandeur
Se tenir pour dit , qu'un Poëte ,
Soit bon , foit mauvais , aujourd'hui ,
A fon lever , ainfi que lui ,
Se verroit une Cour complette,
S'il en vouloit rifquer l'ennuis
OCTOBRE 1765
77
Et fi fa fervante Nanette ,
Qui hait les gens de tous métiers ,
Sur-tout lorsqu'ils font créanciers ,
Et qu'elles préfent leur requête ,
A l'aide d'un menfonge honnête ,
Ne les écartoit volontiers :
Non , pourtant , fans que la cohorte ;
Laffe enfin de bloquer ma porte ,
En s'en allant , faute de mieux ,
Ne nous donne au Diable tous deux ,'
Or , Seigneur , de deux chofes l'une...2
Ou , de leur vifite importune ,
Daignez m'affranchir dès ce jour.
Ou , fi vos brillantes promeffes ,
Au fond , ne font que gentilleffes ,
Qu'on nomme eau-bénite de Cour
Pour réparer cette injuftice ,
Et pour affurer le repos
De qui vous prônez les travaux ;
Donnez moi du moins.... votre Suiffe.

D. L. P.
E mot
mot de la première
Enigme du premier
volume du Mercure
d'Octobre
, eft
la mouchette
. Celui de la feconde
, eft la
mêche d'une chandelle. Celui du premier
D iij
-8 MERCURE DE FRANCE.
Logogryphe, eft Géométrie , où l'on trouve
mère , orme, mi , re , mitre , rit , mer,
toge , mot , germe , ortie , tri , été , morée ,
more , rime , gîte , métier , or & mort . Er
celui du fecond , eft Hellebore , où l'on
trouve hé !, herbe , Hébé , orbe , or , robe ,
Borée , elle & re.
ENIGM E.
E tiens du more & de l'hermine ;
Je fuis accompagné d'un grand nombre de foux ;
Aux uns je fuis cruel , aux autres je fuis doux :
Chacun me fait tomber afin que je chemine
FRUIT
AUTRE.
RUIT du défordre & de la prévoyance
Je fers l'homme à fa honte , & pour fon affurances.
Du pauvre je fubis la loi ,
Et les richeffes font fous moi.
La prudence eft ma mère , & le crime eft mon
père ;
J'ai la crainte pour foeur , & le repos pour frère.
Je caufe & j'interromps le bonheur des amans ;
Il faut , pour me former , tous les quatre élémens
OCTOBRE 1765. 75
A l'avare , au jaloux je fuis très - néceflaire ;
Et , pour tout dire enfin , avant que de me taire ,
Ami Lecteur , cherche- moi bien ;
Toute énigme avec moi n'eft rien.
LOGO GRYPH E.
TROIS membres compofent mon corps .
Si je vous mène à table , auffi-tôt je vous quitte ;
Et quand vous en fortez foudain je reflufcite.
Je fuis pourtant chez vous plus rare que dehors.
Ici je marque la meſure
Sans mouvement & fans refforts ;
Là , fans déranger ma ftructure ,
On me fait changer de nature :
Alors jamais pour oui , toujours pour non
C'eſt à nier que je fuis bon.
M'a-t- on coupé le chef ? autre métamorphofe !
Le hafard à fon gré de ma valeur difpofe.
Rappellez -vous ce jeu fi commun à Paris ,
Où , fans être nuifible , un tiers par fois le mêle ;
A ce beau jeu vous favez fi j'excèle !
Quel être couronné m'y difpute le prix ?
Par M. B....
Div
MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
IL eft peu de gens fur la terre
Qui puiffent fe paffer de mon petit ſecours ;
C'est moi qui termine la guerre
Entre plufieurs enfans qui ſe brouillent toujours
C'est encor moi qui , par adreſſe ,
Leur faiſant ſentir mon pouvoir ,
Les relève fouvent du péché de pareffe ,
Et chacun à la fin fe range à fon devoir .
Lecteur , fi tu ne peux à ces traits me connoître ,
Et fi tu veux me voir bientôt paroître ,
Sans même beaucoup t'efcrimer ,
Prend la plume & puis décompofe ,
Et changeant ma métamorphofe ,
Tu verras que je fuis très-facile à nommer.
Afin qu'en me cherchant d'abord tu ne te laſſes ,
Et que tu fois bientôt orienté ,
Apprends qu'en moi , tout bien compté ,
Le nombre de mes pieds double celui des Grâces.
Tu trouveras enſuite un arbre allez fameux ;
Un arbriffeau fort maigre , & même dangereux ;
Un préfent de l'hiver que le Soleil efface ;
Un membre de ferrure ; un oiſeau fort vorace ;
Plus , un rayon de la divinité ;
Ce qui déplaît à notre liberté ;
OCTOBRE 1765.
Ce qui fur le plaifir exerce un dur empire ;
Enfin , Lecteur , n'ayant plus rien à dire ,
Je termine ici mon propos ;
Et toi , cherche mon nom compris dans ces huit
mots.
Par M. FABRE , en Languedoc.
CHANSON.
L'EMBARRAS du choix , ou le Parti pris .
Air : C'est au pays de cocagne.
JE ne fais quel parti je dois prendre ;
L'embarras eft de choifir.
D'être heureux , & fans vouloir attendre ,
Je me fens un vrai defir.
Ne faiſons rien , mais que dira l'hiſtoire à
Et lon lan la
Ce parti-là
Ne vaut pas cela *.
Soyons fils du grand Grégoire.
J'ai vingt ans , cherchons en mariage
Plus de vertu que de bien.
Quel plaifir quand on voit fon image
Dans les fruits d'un doux lien !
* En montrant un verre plein.
D⋅v
82 MERCURE DE FRANCE.
Sans m'expliquer je crains certain déboire..
Et lon lanla
Ce parti- là
Ne vaut pas cela .
Soyons fils du grand Grégoire.
D'un Auteur ayons la noble audace :
Dès demain faifons des vers.
Sans quitter le fommer du Parnaſſe ,
Qu'ils étonnent l'univers .
Mille ont écrit fans profit & fans gloire .
Et lon lan la
Ce parti- là
Ne vaut pas cela .
Soyons fils du grand Grégoire.
Au Barreau l'on perce , l'on s'avance:
Quand le mérite a paru.
Par le feu l'aquis & l'éloquence ,.
Qu'on voie un nouveau Patru..
Trop d'Avocats endorment l'auditoire.
Et lon lan la
Ce parti -là .
Ne vaut pas cela.
Soyons fils du grand Grégoire.
Tournons -nous du côté de Bellone
Cherchons les heureux hafards .
Delauriers méritons la couronne
Pour être au rang des Céfars :
OCTOBRE 1765. 83
Mais dom brutal fait paffer l'onde noire .
Et lon lan la
Ce parti-là
Ne vaut pas cela .
Soyons fils du grand Grégoire.
Le commerce a des moyens faciles
Pour offrir un heureux fort .
Les vaiffeaux , en revenant des ifles ,
Font doubler le coffre fort.
Un coup de vent les brife au Promontoires.
Et lon lan la
Ce parti- là
Ne vaut pas cela .
Soyons fils du grand Grégoire-
Pour briller entrons dans la finance
Que de biens elle produit !
Les beaux arts reçus chez l'opulence ,
Embelliront mon réduit .
De mes ayeux je perdrois la mémoire
Et lon lan la
Ce parti -là
Ne vaut pas cela.
Soyons fils du grand Grégoire.
C'en est fait , je vais en philofophe
Vivre dans le célibat ,
Pour avoir , en gens de cette étoffe ,
Douce intrigue & fans éclat .
D vj
84 MERCURE DE FRANCE .
Grands yeux, teint frais , coloris , dents d'ivoire
Et lón lan la
Ces beautés- là
Jointes à cela ,
Remporteront la victoire.
Par M. FUZILLIER , à Amiens;
OCTOBRE 1765. 85
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTÉRAIRES:
LETTRE à M. DE LA PLACE , au fujet
des nouvelles additions faites à l'abrégé
du Commentaire de toutes les Coutumes
par M.JACQUET, Avocat au Parlement,
quife débite chez l'Auteur , rue des Boulangers
; chez M. DESAINT , Libraire ;
rue Saint Jean-de- Beauvais ; & chez
M. Samfon , Libraire , quai des Auguftins
, près la rue Gît- le-coeur , en deux
gros volumes in-4°. Prix 21 liv. reliés
en veau. Les additions fe vendent fépa
rément trois livres en feuilles.
MONSIEUR ,
Vous avez inféré dans votre Mercure
du mois de Juin dernier une lettre de
M. Lalaure , Avocat au Parlement , par
laquelle il femble en fa qualité d'Auteur
d'un Traité desfervitudes , vouloir défapprouver
l'obfervation que j'ai jugé à pro$
6 MERCURE DE FRANCE.
pos de faire fur la fentence rendue an
Châtelet de Paris le 8 Février 1759 , & fur
l'arrêt du 29 Mars 1760 , par lequel la
Cour infirme cette fentence , & la judicieuſe
remarque que vous avez cru devoir
y ajouter.
"
29
Pour démontrer que mon obfervation
étoit néceffaire , & que votre remarque
mérite l'approbation du Public , je vous
rappellerai ces termes de la lettre de ce Jurifconfulte
: « Il eft vrai qu'après avoir rapporté
à la page 248 de fonTraité desfervitudes
la fentence du 8 Février 1759 ,
qui ordonnoit que le fieur de Cazaubon.
»feroit tenu de fupprimer dans la huitaine.
» les vues qu'il avoit fur la maiſon retequ'
» nue par le fieur Bouret , j'ai foutenu
» page 249 , que Meffieurs les Officiers
du Châtelet n'avoient pu ni dû ju-
" ger autrement ; mais en même temps
j'en ai rendu raifon . C'étoit parce qu'on
ne leur avoit préfenté la queſtion que
fous le point de vue des art. 215 & 216.
» de la Coutume , lefquels , comme le
remarque fort bien M. Jacquet , n'a-
» voient aucun trait à la propriété que
» devoit invoquer le fieur de Cazaubon ,
» & ne ferviroit qu'à établir le peu de
» fondement de fa demande en fervi-
» tude ; & j'en conclurai que M. Lalaure
»
OCTOBRE 1765. 87
convient , en approuvant ma remarque ,
qu'il auroit dû la faire. N'eft- ce pas en
effet fe repaître de chimères que d'ajouter
que le fieur de Cazaubon avoit mis toute
fa confiance dans les deux articles de la
Coutume , dont les difpofitions font contraires
à fa prétention , puifqu'il n'avoit
pas d'autre intérêt que de faire valoir les
claufes de fon contrat , fuivant lequel il
devoit jouir de la maifon par lui acquife
du fieur Bouret , dans le même état &
de la même façon dont en jouiffoit le
vendeur ; d'autant que celui qui fait l'acquifition
d'un immeuble , n'a befoin que
de faire inférer dans le contrat qu'il l'achete
avec tel jour , tel paffage , tel égoût ,
&c. fur l'immeuble réfervé par le vendeur
, fans faire mention du droit de fervitude
, & ce pour pouvoir conftater
dans la fuite que l'immeuble a été vendu
avec cette faculté , & une pareille énonciation
ne produit pas d'autre effet à l'égard
de l'acquéreur vis- à - vis du vendeur ,
que celle de l'héritage vendu comme il
fe pourfuit & comporte , c'est - à - dire ,
avec toutes fes facultés ; j'ajoute même
que le vendeur d'une maifon ne feroit recevable
à demander la fuppreffion d'une
fervitude , qu'en prouvant que l'acquéreur
l'a introduite depuis la vente.
38 MERCURE DE FRANCE.
Les difpofitions des deux articles de la
Coutume ont trait à tout propriétaire , que
j'ai nommé père de famille , qui divife
fa maifon entre plufieurs coacquéreurs ,
n'importe à quel titre , fans en rien réferver
; car quand il en aura donné ou
vendu la moitié , ou telle autre partie que
ce puiffe être avec la claufe , comme elle
fe pourfuit & comporte , il ne fera pas
fondé à demander que les jours , l'égoût
ou le paffage qui exiftoit lors du don ou
de la vente , foient bouchés ou fupprimés
, parce que ce feroit détruire l'acte
qu'il vient de paffer ; d'autant que ce
que nous appellons fervitude , eft un droit.
que le propriétaire d'un héritage concède
à celui qui pofféde l'héritage voifin , qu'il
faut nommer propriété à l'égard de l'acquéreur
, & fervitude relativement au
vendeur. Il ne faut pas imaginer , comme
l'a voulu infinuer M. Lalaure , que le
vendeur de la propriété d'un jour , puiffe
dans la fuite offufquer ce même jour ,
parce qu'il n'eft pas fait mention de fervitude
; car que celui qui concède un
jour , une goutière , un paffage , & c . fur fon
héritage , au propriétaire de l'immeuble
voifin , lui tranfporte une véritable propriété
, & charge fon immeuble de la fervitude.
OCTOBRE 1765 . 89
Je dis donc que les articles de la Coutume
ne font pas relatifs au vendeur ou donareur,
qui concède une partie de fon héritage
& réſerve l'autre , qui eft néceſſairement
obligé d'exécuter les difpofitions
de fon contrat , quoique non détaillées ,
& qu'ils n'ont trait qu'aux héritages concédés
à différens propriétaires qui n'ont
fait aucun traité enfemble , ou aux héritiers
, ou fucceffeurs à tout autre titre , de
l'acquéreur & du vendeur , parce qu'ils
ne font plus en état de démontrer que
les jours , les égoûts , paffages , &c. exiftoient
lorfque l'héritage a été concédé ,
comme il fe pourfuivoit & comportoit ;
fur- tout depuis que de bonnes raifons
ont fait rejetter la preuve par témoins ,
ou même parce qu'il n'existe plus perfonne
du temps où l'immeuble a été divifé.
Au moyen de quoi je perfifte à dire
comme M. Lalaure en convient , que l'affaire
jugée par l'arrêt du 29 Mars 1760 ,
n'a aucun trait aux difpofitions de l'article
215 & 216 de la Coutume de Paris ; que
dans le cas où l'acquéreur d'un héritage
comme il fe pourfuit & comporte , &c.
voudroit faire conftater les propriétés de
fon immeuble , pour prévenir les contef
tations qu'on pourroit faire à fes fucMERCURE
DE FRANCE .
ceffeurs , il eft bien fondé de faire faire un
par
procès-verbal , par des experts choifis
lui & le vendeur , ou nommés d'office &
affermentés en Juftice , en préfence de celui-
ci , ou lui duement appellé , & de le
faire enfuite homologuer tant en abſence
que préfence ; qu'un pareil acte qui a la
même force que fi les propriétés de la
maifon avoient été détaillées par le contrat
, tient lieu de propriété à l'acquéreur
, & charge le vendeur des fervitudes
obfervant que les frais faits pour parvenir à
ce procès-verbal doivent être fupportés par
l'acquéreur ; & qu'une pareille propriété ,
nonobſtant la diftinction qu'en a voulu
faire M. Lalaure , eft une fervitude à l'égard
du vendeur , attendu qu'il eft obligé
de faire jouir l'acquéreur de la maifon
dans l'état où elle étoit lors de la vente ,
fans pouvoir mettre aucun obftacle aux
aifances qui font partie de la chofe acquife:
car le vendeur s'eft tacitement obligé ,
en vendant la maifon comme elle fe pourfuit
& comporte , fans en rien réferver
de laiffer jouir l'acquéreur de toutes les
propriétés dont il étoit lui- même en poffeflion
.
Mais M. Lalaure demande comment la
Cour auroit pu prononcer fur la demande
en entérinement des lettres de refcifion
OCTOBRE 1765. ST
qui dans ce cas devenoient fans objet ?
Elle auroit jugé , comme elle le fait dans
toutes ces fortes de demandes , quand il
n'y a pas de léfion d'outre moitié, en déclarant
le fieur de Cazaubon non - recevable
dans fa demande , & le condamnant aux
dépens à cet égard : & , faifant droit fur
fa demande en maintenue des aifances à
lui accordées par le fieur Bouret , elle
autoit ordonné que le procès-verbal , fait
comme il a été dit , avec fon arrêt , feroient
annexés au contrat de vente , pour
établir le détail de fes propriétés & des
fervitudes , dont le fieur Bouret , qu'elle
auroit condamné au furplus des dépens ,
devoit être tenu.
M. Lalaure qui a eu la complaifance
de répéter que la Cour avoit rendu fon
arrêt du Juillet 1763 , conformément à
ma confultation , contre l'avis des plus
célèbresJurifconfultes de Paris & deTours,
n'auroit pas dû omettre de vous marquer ,
que la Cour, par fon arrêt du 14 Mars 1765 ,
& MM. l'Herminier , Malard , Lamonnoie
& Doulcet , par leur fentence arbitrale
du 20 Mars fuivant , dépofée chez Boulard
, Notaire , le 2 Avril , ont adopté les
principes que j'avois établis par deux confultations
rapportées aux additions du pre92
MERCURE DE FRANCE .
mier volume de l'abrégé du Coutumier
général , page 5 , 7 & fuivantes .
Enfin , M. Lalaure devoit voir que jc
n'ai cité fon ouvrage , où il a répété les
faits & les moyens qui ont donné lieu à
l'arrêt de 1760 , que pour me difpenfer
d'en charger les courtes additions que j'ai
faites à mon abrégé du Commentaire général
, que le nom d'abrégé de la Coutume
de Touraine contenant le Commentaire
de la Coutume de Touraine , &c.
qui lui a d'abord été donné, n'a pas pu priver
des matières qu'il renferme , non plus
que de fon véritable nom .
Il demeure pour conftant , Monfieur ,
après ces courtes réflexions , que M. La-
Laure auroit pu fe difpenfer d'attaquer
mon obfervation qui n'a certainement
aucun trait à l'excellent traité dont cet illuftre
Auteur a enrichi la Jurifprudence.
Le Public qui en fait tout le cas qu'il me
rite , attend avec grande impatience le
fecond volume qui, fuivant la promeffe de
F'Auteur, completera le premier : votre importante
remarque ne l'intéreffe fans doute
pas davantage , puifqu'elle n'émane bien
certainement que de votre amour pour le
bien public.
J'ai l'honneur , &c.
OCTOBRE 1765. 9 ¢
༡ $
4
ANNONCES DE LIVRES.
RECHERCHES
ECHERCHES fur les beautés de la peinture,
& fur le mérite des plus célèbres
Peintres anciens & modernes ; par M. Daniel
Webb, ouvrage traduit de l'Anglois ,
par M. B *** ; avec une longue épigraphe
grecque , tirée de Philoftrate. A Paris , chez
Briaffon , rue Saint Jacques , à la Science
& à l'Ange gardien ; 1765 ; avec approbation
& privilége du Roi ; un vol . in 8 °.
petit format , de 244 pages.
L'Auteur Anglois a donné à ce traité la
forme de dialogue ; & tel eft le mérite
de cet ouvrage , qu'on y reconnoît partout
un goût délicat & exercé. Ce qui
nous refte des chefs- d'oeuvres de l'antiquité
, les idées que nous ont confervé les
Ecrivains anciens de ceux que les temps
ont détruits , & la manière dont les
uns & les autres font préfentés & difcutés
par notre Auteur , font également propres
non feulement à éclairer , mais
encore à échauffer , féconder , & agrandir
le génie des Artiftes. Il examine d'abord
la capacité que nous avons de juger
des arts imitatifs ; & pour cet effet ,
و
04
MERCURE DE FRANCE .
il détermine en quoi le goût différe de la
fcience . Il établit en fecond lieu le mérite
réel de ces arts , eftimables par leur
antiquité , par la confidération qu'ils ont
obtenue chez toutes les nations civilifées ,
& fur- tout par leur utilité. Il divife enfuite
la peinture , qui eft fon principal
objet , en fes quatre branches principales
; favoir , le deffein , le coloris , le clairobfcur
& la compofition . En examinant
chacune de ces branches , il en fait voir
la perfection & les effets ; jufqu'à quel
point les anciens y ont excellé , & quel rang
on doit leur affigner dans la comparaifon
avec les modernes.
FRAGMEN S extraits des oeuvres du
Chancelier Bacon , édition angloiſe de
P. Shaw . M. D. traduit par M. Mary du
Moulin ; avec cette épigraphe : redeo cujus
eft. A Amfterdam , & fe trouve à Paris ,
chez Duchefne , Libraire , rue Saint Jaeques
, & Desventes de la Doue , Libraire ,
vis -à-vis le Collége de Louis le Grand 15
1765 ; vol . in- 12 ; prix 1 liv. 16 fols broché.
Ces fragmens comprennent quatre fections
, qui ne font, pour ainfi dire , qu'une
analyfe de Bacon , telle qu'il en a paru déja
une il y a quelques années . Il n'y a entre
elles d'autre différence , que celle quife
OCTOBRE 1765
trouve naturellement entre deux analyfes
d'un même ouvrage , compofées par deux
différentes perfonnes , qui chacune ont
fuivi leur goût dans les morceaux & les
citations qu'ils offrent au Public.
LETTRES écrites de la campagne ; proi
che Genève ; 1765.
C'eft là le feul titre d'une brochure in- 8 °.
de 117 pag. qui fe trouve chez Ventes , &
dans laquelle on traite quatre queſtions prin
cipales : favoir , le jugement du Confeil de
Genève fur les livres de M. Rouſſeau , &
le décret fur fa perfonne. On demande
fi l'un & l'autre font réguliers ? On demande
en fecond lieu , fi un Citoyen de
Genève peut être emprifonné , fans avoir
été auparavant interrogé par les Syndics ?
Troifiémement : en matière criminelle ,
un tribunal qui n'a point un Syndic pour
Préfident , eft - il un tribunal legal ? Enfin ,
s'il y a du doute dans cette légalité , ainſi
que fur la forme des emprifonnemens ,
n'eft-ce pas au Confeil Général à en décider
? Ceux qui prennent encore quelque
part à cette ancienne querelle des Génevois
avec leur compatriote M. Rouffeau ,
pourront lire cette brochure avec intérêt.
La Belle au crayon d'or , conte ; à Amf
96 MERCURE DE FRANCE.
terdam, & fe trouve à Paris , chez Ventes
Libraire , Montagne de Sainte Génevieve ,
près les RR. PP. Carmes ; 1765 ; brochure
in- 12 de 115 pages.
Il y a dans ce petit conte autant d'intérêt
que peut en comporter ce genre
d'ouvrage , où le merveilleux l'emporte
toujours fur le naturel.
MÉMOIRE fur les abus du célibat
dans l'ordre politique, & fur le moyenpoffible
de le réprimer ; avec cette épigraphe :
ceux-ci font déloyaux à l'Eglife & au Roi.
Par l'Auteur de la phifique de l'hiftoire .
A Amſterdam ; 1765 ; brochure in- 12 de
58 pages.
L'Auteur a imaginé , pour engager tout
le monde à fe marier , d'impofer une taxe
particuliére fur tous les célibataires qu'il
divife en plufieurs claffes. Le produit annuel
de cet impôt rapporteroit près de
cinq millions , qu'on diftribueroit à ceux
qui s'étant mariés , auroient eu beaucoup
d'enfans . Voilà à- peu - près quel eft le but
de cette brochure, dont l'Auteur montre du
moins beaucoup de zèle pour la population.
L'ART de cultiver les pommiers , les
poiriers , & de faire du cidre felon l'ufage
OCTOBRE 1765. 97
fage de Normandie ; par M. le Marquis
de Chambray. A Paris , chez Ganeau , rue
Saint Severin , près de l'Eglife , aux armes
de Dombes , & à Saint Louis ; 1765 .
Avec permiffion ; brochure in- 12 de 66
pages.
On ne préfente ici que le réfultat des
réflexions & des épreuves journalières ,
faites par l'Auteur de cet écrit . Jaloux
d'être utile aux cultivateurs , il a fouvent
épié la nature , & l'a furprife quelquefois
dans fes opérations ; & comme M. de
Chambray n'a écrit que pour les agricoles ,
il s'eft moins attaché à l'élégance du
ſtyle , dont la matière étoit peu fufceptible
, qu'à leur donner un détail exact ,
joint à une expreffion claire , toujours accompagnée
de la vérité des préceptes , &
de la certitude des expériences.
VIE de Carle Vanloo ; à Paris , chez
Defaint , Libraire , rue Saint Jean de
Beauvais ; 1765 ; brochure in- 12 de 68
pages.
Un abrégé de la vie de ce grand Artifte
a déja occupé quelques pages de ce
Journal ; ceux qui defireront connoître
plus en détail tout ce qui concerne M.
Vanloo , pourront fe procurer ce nouvel
écrit , où ils trouveront , avec les agrémens
Vol. II. E
1
98 MERCURE DE FRANCE.
du ftyle & les connoiffances de l'art , une
lifte des principaux ouvrages de ce Peintre
célèbre .
EPÎTRE fur les voyages ; pièce qui
remporté le prix de l'Académie de Marfeille
en 1765 ; par M. l'Abbé de Lille
Profeffeur de feconde au Collège d'Amiens.
A Paris , chez la veuve Duchefne ,
& Durand , neveu , rue Saint Jacques ;
chez Panckoucke , rue de la Comédie françoife
; & à Amiens , chez Godard , Imprimeur
du Roi ; 1765 ; avec approbation .
in-4° . de 28 pages .
les
Il y a
dans cette épître de très - beaux
vers ; nous nous propofons de mettre fous
yeux du Public , dans un de nos prochains
Mercures , quelques fragmens de
cet ouvrage , juftement couronné par l'Académie
de Marfeille.
CASSANDRE , Aubergifte , parade ;
par l'Auteur de Gilles , garçon Peintre ;
prix 24 fols. A Londres ; 1765 ; in - 8 °. de
54 pages .
Nous exhortons les lecteurs modeſtes ,
à ne pas lire cette pièce trop chargée d'équivoques
indécentes.
DISCOURS prononcé aux écoles royales
de Chirurgie à Toulouſe , le jour de l'ouOCTOBRE
1765. 99
verture du cours des maladies des os , l'année
1763 , fur les progrès de l'anatomie ,
& les avantages de cette fcience . Par M.
Becane , P. R. A Toulouſe , chez Jean-
Pierre Faye, Imprimeur de l'Ecole Royale
de Chirurgie , rue Payras , près les Changes;
1764; avec permiffion . Brochure in- 1 2
de 30 pages.
L'importance de l'objet de l'anatomie ,
& l'excellence de fa fin , voilà ce que l'Auteur
a eu à traiter dans ce difcours qui mérite
l'attention des gens de l'art.
TRAITÉ complet des accouchemens
naturels , non naturels , & contre nature ,
expliqué dans un grand nombre d'obfervations
& de réflexions fur l'art d'accoucher
; par le fieur de la Motte , Chirurgien
& Accoucheur à Valogne ; nouvelle édition
, augmentée de beaucoup de remarques
intéreffantes , & mifes en meilleur
ordre , avec figures en taille - douce. A
Paris , chez Laur. Ch . d'Houry , Imprimeur
Libraire de Monfeigneur le Duc
d'Orléans , rue Vieille - Bouclerie ; 1765 :
avec approbation & privilége du Roi ;
2 gros vol. in- 8 °.
Le Traité complet des Accouchemens ,
par M. de la Motte , a toujours été regardé
comme un des meilleurs ouvrages qui aient
E ij
100 MERCURE DE FRANCE .
paru dans ce genre . Les plus célèbres Accoucheurs
en ont toujours fait beaucoup de
cas. La privation de cet excellent Traité
auroit été une perte pour le Public ; &
c'eft ce qui a fait entreprendre cette nouvelle
édition , bien fupérieure aux précédentes.
Elle raffemble fur un même fujet
les matières qui étoient répandues çà & là.
On les a rangées dans un meilleur ordre ;
on a ajouté des remarques auffi curieufes
qu'utiles , foit pour jetter un nouveau jour
fur celles qui en étoient fufceptibles , foit
pour confirmer la pratique de M. de la
Motte , foit enfin pour fuppléer à quelques
points fur lefquels on auroit defiré quelques
éclairciffemens. Comme on a enrichi
cette édition de figures en taille - douce
on y a joint plufieurs chapitres qui traitent
des matières qui regardent ces figures. On
a mis ce Traité fous un format plus commode
& plus portatif ; & il paroît que le
Libraire n'a rien négligé pour répondre à
l'excellence de l'ouvrage , & le rendre plus
intéreffant & plus utile.
ENTRETIENS de Cicéron fur la nature
des Dieux , traduits par M. l'Abbé ďOlivet
, de l'Académie Françoife ; quatrième
édition . A Paris , chez Barbou , rue &
vis -à- vis la grille des Mathurins ; 1765 :
2 vol. in- 12.
OCTOBRE 1765. ΙΟΙ
Tout le monde connoît le mérite & de
l'original & de la traduction de cet excellent
livre. Il fuffit de dire aujourd'hui ,
pour faire l'éloge de la partie typographique
de cette édition , qu'elle s'eft faite
par les foins & dans l'Imprimerie de Barbou
, fi connu par les éditions magnifiques
qui font forties de fes mains .
PRINCIPES généraux & particuliers de
la langue françoife , confirmés par des
exemples choifis , inſtructifs , agréables &
tirés des bons Auteurs ; avec des remarques
fur les lettres , la prononciation , la
quantité , les accens , la ponctuation ,
l'ortographe , & un abrégé de la verfification
françoiſe ; par M. de Wailly. Troifiéme
édition , revue & confidérablement
augmentée ; avec cette épigraphe :
Sur-tout qu'en vos écrits la langue révérée
·Dans vos plus grands excès vous foit toujours
facrée. Boileau.
A Paris , chez J. Barbou , rue des Mathurins
un vol. in- 12.
: Plufieurs Académiciens célèbres ont
donné des éloges à cet ouvrage ; la plupart
des Journalistes en ont rendu un compte
avantageux : quelques- uns l'ont critiqué ;
les amis de l'Auteur lui ont communiqué
E iij
102 MERUCRE DE FRANCE .
plufieurs obfervations. Encouragé par les
éloges des uns , éclairé par les critiques
des autres , M. de Wailly a retouché d'un
bout à l'autre cette nouvelle édition. On
y trouve quelques retranchemens & des
additions confidérables ; il a élagué certains
articles , il en a réuni d'autres. Il a fait
une forte d'extrait des remarques de Vaugelas
, de celles de l'Académie & de Corneille
fur Vaugelas ; de celles de Bouhours,
Ménage , Audry, Bellegarde , Gamaches ,
&c. & s'il lui arrive quelquefois de combattre
ces hommes célèbres , ce n'eft point
pour donner atteinte à leur réputation ,
mais il n'a pas dû les fuivre fans examen ;
& lorfqu'il n'eft pas de leur fentiment , il
expofe les raifons qu'il a de ne pas les.
adopter. Cette nouvelle édition eft dédiée
à Monfeigneur le Recteur de l'Univerfité de
Paris .
QUVRES d'Architecture , contenant différens
projets d'édifices publics & particuliers
& bâtiments conftruits par M. Peyre ,
Architecte & Infpecteur des Bâtimens du
Roi , auxquels il a joint les plans des
thermes de Dioclétien & de Caracalla
qu'il a levés à Rome lorfqu'il y étoit Penfionnaire
du Roi , vol. in fol. Prix 18 liv.
Se trouve à Paris , chez Prault , quai de
OCTOBRE 1765. 103'
Gefvres , & chez Jombert , rue Dauphine.
ELOGE de René Descartes , par M. l'Abbé
de Gourcy ; avec cet épigraphe :
Quanto rectius hic qui nil molitur ineptè !
Non fumum ex fulgore , fed ex fumo dare lucem
Cogitat , ut fpeciofa dehinc miracula promat.
Horat. Art . Poet.
A Paris , chez A. L. Regnard , Imprimeur
de l'Académie Françoife , grand'falle du
Palais , & rue baffe des Urfins ; 1765 :
in- 8 ° , de 48 pages fans notes .
Ce difcours eft divifé en deux parties.
L'Auteur entreprend de peindre dans Def
cartes l'homme & le favant , le philofophe
dans fes moeurs ainfi que dans fes ouvrages.
Il fut le père & le reftaurateur de la Philofophie
& de toutes les fciences humaines
; il fera à jamais la règle & le modèle
de tous les Philofophes. Voilà les propofitions
que M. l'Abbé de Gourcy a développées
avec beaucoup d'efprit & d'éloquence .
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
SUPPLÉMENT AUX NOUVELLES
LITTÉRAIRES .
ELOGE de RENÉ DESCARTES , par
l'Auteur de Camédris. A Paris , chez
la veuve DUCHESNE , rue Saint Jacques.
Brochure in- 8 ° ; 1765 .
UNE femme célèbre , à qui les fuffrages
du Public ont décerné des couronnes ,
vient d'en mériter une nouvelle par l'éloge
de Defcartes , qui a fait cette année le
fujet du prix de l'Académie Françoiſe. Si
l'on a reconnu dans l'Eloge de Sully les
vertus du coeur , & dans Camédris la main
des Grâces , on verra dans l'éloge de Defcartes
la force & la folidité de l'efprit. Ce
Difcours nous a paru digne du Philofophe
qui en fait le fujet. Si ce grand homme
n'a point recueilli pendant fa vie tous les
lauriers qui lui étoient dus , fon ombre
doit être aujourd'hui bien flattée de
ceux que moiffonne en fon honneur un
fexe charmant , dont l'agrément & les
charmes paroiffent prefque incompatibles
avec la philofophie. Mais , fans nous
arrêter à relever le mérite de l'Auteur ,
{
OCTOBRE 1765. 105
juftifions- le
ود
»
par les beautés de l'ouvrage.
« La Philofophie , cet amour de la
fageffe , qui nous élève jufqu'à l'Être
fuprême , qui nous rend fermes dans
les malheurs , modeftes dans la profpé-
» rité , fenfibles pour nos pareils , févères
» à nous - mêmes ; qui fait ménager les
foibleffes , régler les paffions , fecourir
» la mifère , confoler l'innocence , exciter
» la vertu , effrayer le vice : la Philofophie
prit naiffance au fein de la raifon ; gui-
33 dée par le defir du bien , elle connoît
» le vrai. Par elle l'homme fent toute la
fupériorité de fon être , en refpecte la
» fource , fait en prévoir la fin. Rempli
» du Dieu qu'il ofe concevoir , il le cherche
, s'en affure & l'adore. La nature
» dévoilée à fes yeux offre par-tout les
» traits divins de la bienfaifance ».
n
و ر
39
Après avoir préfenté la Philofophie
fous ces traits éclatans , & fait voir de
combien de nuages cette reine des fciences
étoit enveloppée jufqu'au feiziéme fiécle ,
l'Auteur préfente fon héros dans le point
de vue le plus frappant. C'eſt au lecteur
fui-même à en juger.
" On s'apperçut qu'il étoit encore des
vérités à connoître , une méthode plus
» fimple pour les trouver ; mais , pour
"
E v
106 MERCURE
DE FRANCE.
و د
ود
"
و د
ود
qu'elles paruffent dans tout leur éclat ,
il falloit un génie puiffant & lumineux ,
» doué d'une imagination prodigieufe
» d'un jugement profond , d'une tranf-
» cendance prefque furnaturelle , qui ,
joignant à la chaleur de Ramus , la
» douceur de Bâcon & l'adreffe de Gaf-
»fendi , portât le flambeau philofophique
» au- delà des routes ténébreufes de l'opi-
» nion ; un homme perfuadé que la na-
» ture & la vérité font foumifes à des
» loix immuables , & que rien n'eft incompréhenfible
pour l'efprit humain hors le
» Dieu qui , d'un mot , a créé l'univers :
» cet homme parut enfin ; Defcartes fem-
» bloit être formé par le Ciel même pour
ود
35
ود
ود
ور
éclairer , confoler & guider fes fembla-
» bles. Pour les accoutumer à faire ufage
» de leur raifon , il établit des doutes
» méthodiques , forma de nouveaux plans
» d'étude , attacha la phyfique à l'expé-
» rience , la métaphyfique au bon fens ,
répandit la lumière , deffilla tous les
yeux , & donna le premier ce coloris:
philofophique qui rend tout intéreffant ,
» utile & certain , lorfqu'on cherche moins
» à paroître favant qu'à procurer le bon-
» heur aux hommes , & qu'on ne les jette
point par des hypothèſes hardies dans
ود
37
OCTOBRE 1765. 107
» le dégoût de leur état , dans le refroidif-
» fement fur leurs devoirs , dans le doute
»fur les vrais biens .
و و
و ر » Vivre fans avoir examiné fon exif-
» tence dans un univers inconnu , dont
» on ignore les caufes & les effets , parut
» à Defcartes un crime envers Dieu & la
» nature. Après avoir fait ferment aux
ود
و ر
pieds des autels de ne jamais écrire que
» pour la gloire de l'Être fuprême & le
» bonheur du genre humain , il ofa pré-
» fenter aux hommes un plan général
» d'études : errans de fyftêmes en fyflêmes,
» ils n'avoient pu fe fixer fur aucun . Com-
» ment franchir l'efpace que l'ignorance ,
» toujours timide , mettoit entre eux & la
» vérité ? Ainfi , les premiers navigateurs ,
» hafardant de voguer fur les mers , s'effrayerent
de leur immenfité , & n'oferent
perdre de vue les bords qu'ils avoient
" eu le courage de quitter. La moitié de
"ce globe nous feroit encore inconnue fans
" le fecours de la bouffole . Defcartes fat
» celle des fciences ; il marqua tous les
" points qui peuvent y conduire fans fatiguer
l'efprit par de brillantes chimères ;
» il voulut feulement inftruire. La morale ,
qui fut toujours fon principal objet , eſt
» pure , fimple , digne d'un vrai philofophe
, c'eft- à- dire , d'un homme qui réu
"
»
"
E vi
108 MERCURE DE FRANCE.
»
و ر
و د
ور
nit toutes les fciences à toutes les vertus.
Celui qui facrifieroit les moeurs aux ufa-
" ges , le bon fens au bel efprit , la vérité
» aux fyftêmes , trouveroit , en reprenant
la route qu'il traça , les moyens dont il
fe fervit pour guider la raifon . Sa voix
» n'a point ces éclats trompeurs du faux
» favant qui veut féduire ; c'eſt un ami
qui confeille. Tout lui fembloit indiqué
, mais tout n'étoit pas connu ; & fi
» fa modeftie lui défendoit d'avancer des
» idées nouvelles , fon génie le portoit à
» chercher l'évidence des preuves. En vain
il s'étoit flatté d'acquérir par la lecture
» des anciens Philofophes une connoiffance
claire , affurée de ce qui peut être
» utile à la vie ; il apprit enfin que l'on
» ne trouve la vérité qu'en foi-même &
» dans le grand livre du monde. S'élevant
au-deffus des préjugés vulgaires , dédai-
" gnant de s'affujettir à la marche lente ,
» indéterminée des anciens , il ne fuivit
plus que les loix qu'il s'étoit faires , &
» voulut tout connoître par lui -même . Il
» n'eut pas la maladreffe cruelle de fe
» récrier contre l'ignorance de fon fiècle ;
" il fentoit que rien n'éloigne du favant
» comme l'afſurance qu'il vous donne de
>votre incapacité
23
"
و ر
"
"".
La fuite du difcours répond à ce début ;
OCTOBRE 1765. 109
mais après avoir montré au lecteur le Phifophe
& l'Orateur tout enfemble , nous
allons lui faire voir l'Orateur & le Phyficien.
Mademoiſelle Mazarelli continue :
"
" Avant lui tout étoit caché dans la
» nature ; par lui nous connoiflons l'u-
» nivers. Defcendant de la caufe aux ef-
» fets , des principes aux phénomènes ,
» fe plaçant à la fource de toutes chofes ,
» il vit la matière fous fes modifications ,
» divifée par l'impreffion circulaire que
» lui donna l'Auteur de la nature , former
» des élémens de différentes efpèces , dont
» les affortimens infinis donnent naiflance
» à tous corps.
"
ود
ود
» Les météores n'eurent plus rien d'é-
»tonnant ; en les fubordonnant à des loix ,
Defcartes les foumit à notre prévoyance.
» Les éclairs , la foudre & les volcans ne
» font plus des effets de la colère d'un
Dieu vengeur ; ce font des feux élémen-
» taires ou électriques , nourris des exhalaifons
fulphureufes de la terre. Ces
» comètes qui nous infpiroient tant de
crainte , dont les fanatiques , les mé-
» chans & les adulateurs ont trop fouvent
» abufé , rentrent fous les loix de la philofophie
, dans l'ordre des aftres ; & leurs
cours réguliers font annoncés dans le
» ciel qui nous environne , où le vulgaire
"
و ر
"
20
110 MERCURE DE FRANCE.
"
ود
و د
و ر
» ne voit qu'un foleil , mais où Descartes-
» en découvrit autant que d'étoiles. Les
» nues s'abaiſſant avec plus ou moins de
rapidité , compriment l'air , & font une
» caufe de ces vents doux ou furieux qui
rafraîchiffent nos plaines , ou les obfcur-
» ciffent par des tourbillons de pouffière.
» Preffées les unes fur les autres , elles fe
décompofent , répandent ces pluies qui
» fertilifent nos campagnes & qui fouvent
» les inondent. Comme le vent n'eft
qu'une agitation fenfible de l'air , Def
» cartes en trouva la caufe dans le mou-
» vement des vapeurs dilatées par l'action
» du foleil , chargées des glaces du pole
boréal , elle nous font fentir le froid le
plus piquant ; imprégnées des feux de
» la zone torride , elles portent la chaleur ;
» ce vent enfin , qui répand autour de
» nous cette humidité plus fatigante que
» la glace & les feux , a contracté fa molle
» confiftance en paffant fur l'étendue des
» mers , comme celui qui caufe la féche-
»reffe de la terre , & la deftruction de fes
plantes & de fes fruits , a parcouru l'im-
» menfité des plaines de fables
» ture abandonne à l'aridité ».
و د
و ر
"
que
la na-
L'expofition du fyftême de Descartes ,
quelque connu qu'il foit , fe fera lire
ici avec plaifir.
OCTOBRE 1765 .
ود
ود
2)
De la phyfique naturelle Defcartes
» s'élevant jufqu'à celle des cieux , porte
» fes regards dans l'immenfité ; le point
qu'il habite ne peut en être le centre ;
» la terre enfin , fuit comme les autres
planètes l'ordre qu'elle reçut à fa forma-
» tion. Pour ne pas être foupçonné d'avoir
» voulu réfuter ou fuivre les opinions
» anciennes qui ne l'avoient éclairé fur
» aucune des chofes fecretes qu'il defiroit
» connoître , il fuppofa tout ce qui pour-
» roit arriver dans une nouvelle création ,
» & , cédant à fon génie , il s'élança dans
l'efpace .
"
و د
وو
» Les formes premières fe préfentent à
Defcartes ; leurs parties dures & cubi-
» ques tournent fans ceffe fur leur centre ,
» tandis que plufieurs autres tournent au-
» tour du centre commun . Ces cubes ne
» peuvent fe mouvoir fans brifer leurs
angles , & deviennent des corps fphériques
; des brifures naîtra la matière irrégulière
& la matière fubtile ; de ces
» trois élémens Defcartes forme des tour-
» billons ; la matière fubtile comme la
plus déliée , reſte au centre & forme
» les corps lumineux ; l'irrégulière plus
» maffive , gagne la circonférence , & les
» corps fphériques nagent au milieu.
ود
ود
» Telles font les loix de la plus exacto
.
112 MERCURE
DE FRANCE.
ود
ود
méchanique ; chaque tourbillon , dont
» la vertu expanfive repouffe & foutient
» les corps qui fe meuvent autour de lui ,
» entretient cet accord & ce plein univerque
Defcartes voulut établir » .
ود
fel
On ne finiroit point fi l'on vouloit rapporter
tous les endroits frappans de ce difcours.
L'Auteur n'oublie rien de ce qui
peut contribuer à la gloire de fon héros ;
elle nous dépeint fes connoiffances fublimes
, fon attachement à la Religion , fa
patience dans fes difgraces , fon égalité
d'ame & fa conftance dans la profpérité
auprès d'une Reine illuftre , fa protectrice
& fon amie. Ce dernier morceau , qu'il
faut lire dans le livre même , eft l'ouvrage
du fentiment .
La lecture des notes qui font à la fuite
du difcours n'eft point indifférente : outre
qu'elles portent la lumière dans quelques
endroits du difcours , elles font écrites
avec autant d'efprit que de pureté &
de délicateffe . Qu'on en juge par ce portrait
de la nation françoife.
"Dans tous les temps on a repréfenté
» les François légers , inconftans , frivo-
» les , incapables des occupations philofophiques
, & cependant il eft prouvé
» par l'hiftoire même , qu'ils ont éclairé
toute l'Europe. Il n'en eftpas des fciences
30
OCTOBRE 1765. 113
و ر
ود
»
» comme des biens ; on ne les perd pas
» en les donnant. Ils font donc auffi fa-
» vans que les autres peuples ; ils n'ont
» pas la fombre tranfcendance des uns
» la ftudieuſe conftance des autres ; ils
» n'iront pas vivre dans les déferts pour
» s'inftruire , & renonceront bien vîte à
» ce qu'ils ne comprendront pas ; mais
» faut il devenir milantrope pour être inf
» truit ? Ou faut- il paffer fa vie aux éco-
» les ? Au fein des plaifirs les François cher-
» chent la raifon & la trouvent . Effrayés
» d'un travail pénible , ils ne fe livrent
qu'à ce qu'ils conçoivent aifément . Leur
» caractère de légereté les fert mieux que
» la ténacité des autres ; ils trouveront en
plaifantant des vérités échappées aux per-
» fonnes les plus graves ; ils cueilleront
» des rofes où les autres ne fentent que
» des épines . Je ne prétens point dire que
» tous les favans de cette nation foient ai-
» mables , mais prefque tous les François ai-
» mables font favans ; aimables dans toute
l'acception du mot ; il n'eft pas queſtion
» du mérite de convenance , de ces pe-
» tites grâces admirées dans un coin de
» la ville , & qui font pitié dans l'autre ,
» mais de ces hommes qui ont le talent
fingulier de réunir l'agréable & l'utile ,
qui parlent également bien dans les ou-
و د
و ر
و ر
114 MERCURE DE FRANCE.
ود
» vrages les plus oppofés , tel que Montefquieu
qui fit l'Efprit des Loix après
» avoir écrit les Lettres Perfannes & le
Temple de Gnide ».
ود
Nous bornerons ici nos remarques ou
plutôt nos éloges ; & fi notre jugement
ne nous trompe , le Public nous faura gré
des détails où nous fommes entrés fur un
ouvrage dont il s'empreffera de fe procurer
la lecture.
OCTOBRE 1765. 115
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
ACADÉMIES.
PRIX propofé par la Société Royale d'Agriculture
de PARIS .
LA Société Royale d'Agriculture a adjugé
, dans fon alfemblée du 16 Mai 1765 ,
le prix qu'elle avoit propofé au meilleur
Mémoire , contenant la defcription , les
caufes , les effets & la curation des maladies
épidémiques & contagieufes des beftiaux ,
les moyens de les prévenir & d'en empêcher
les progrès , à la pièce no. 35 , qui avoit
pour devife :
Ecce autem duro fumans fubvomere taurus
Concidit , & mixtum fpumis vomit ore cruorema
dont l'Auteur eft M. Barberet , Médecin
penfionné de la ville de Bourg , & de la
Province de Breffe , ancien premier Méde
cin des Armées , & Membre de l'Acadé
116 MERCURE DE FRANCE.
mie des Sciences de Dijon , demeurant à
Bourg en Breffe.
La Société , perfuadée que dans toutes
les fciences phyfiques la conoiffance des
faits doit toujours précéder la théorie , &
qu'elle feule peut conduire à une pratique
fûre , propofe aujourd'hui pour le fujet du
prix de l'année 1766 , qu'elle doit diftribuer
au mois de Juillet 1767 :
L'hiftoire de toutes les maladies épidémiques
des beftiaux & des animaux de toute
efpèce , qui fe trouvent décrites dans les
Auteurs anciens & modernes ; celle des
caufes qui ont pu les produire , & des remèdes
qui ont paru les plus efficaces pour les
combattre.
La Société defire que les Auteurs ne
bornent leurs recherches à celles des
pas
maladies qui ont été décrites dans les ouvrages
de Médecine , mais qu'ils raffemblent
auffi celles dont il eft fait mention
dans les Hiſtoriens , & même dans les
Poëtes ; qu'ils difcutent ces defcriptions ,
& qu'ils tâchent de les lier les unes aux
autres , afin d'en former un corps de doctrine
qui puiffe éclairer fur cette branche
importante de l'économie ruftique.
Comme M. Barberet , dans l'ouvrage
qu'elle vient de couronner , a déja donné
quelques unes de ces deferiptions , dont il
OCTOBRE 1765. 117
a fu tirer de très - grandes lumières pour
déterminer la nature de ce genre de maladies
, elle l'exhorte à étendre fes recherches
fur cette matière , & le verra concourir
avec plaifir à ce nouveau prix . Il
fera de douze cens livres , & fera adjugé
dans une affemblée de la Société au mois
de Juillet 1767 .
Les pièces qui feront envoyées pour
concourir doivent être remifes dans les trois
premiers mois de 1767 à M. de Palerne ,
Secrétaire perpétuel de la Société , autrement
elles feront rejettées.
Les Auteurs feront les maîtres de compofer
en françois ou en latin , & ne mettront
point leurs noms fur leurs ouvrages ,
mais dans un paquet cacheté , portant un
numéro pareil à celui de la pièce , avec
une même devife fur l'un & fur l'autre.
Ces paquets ne feront ouverts qu'après le
jugement du prix.
Toutes perfonnes feront admifes à concourir
, à l'exception des Membres & Affociés
qui compofent la Société Royale d'Agriculture
de Paris. Les pièces feront adreffées
à M. de Sauvigny , Confeiller d'Etat ,
Intendant ' de la Généralité de Paris , qui
fera pafler aux Auteurs les récépiffés du
Secrétaire de la Société . Le Secrétaire
délivrera le prix à celui qui lui repréſen
118 MERCURE DE FRANCE.
tera le récépiffé de la pièce couronnée ; il
-n'y aura point d'autre formalité.
RELATION de l'affemblée publique de
l'Académie des Sciences & Belles- Lettres
d'Avril 1765 . de BÉSIERS , tenue le 25
M. Defores , Directeur , ouvrit la féance
par un difcours où il fit d'abord remarquer
qu'il n'étoit point de profeffion qui ne fe
reffentît aujourd'hui plus ou moins de l'influence
des Mathématiques ; & après avoir
prouvé en peu de mots la néceffité abfolue
de cette même fcience dans la phyfique
, il fit voir qu'elle étoit extrêmement
utile non-feulement aux Médecins ,
mais encore aux Théologiens , aux Jurifconfultes
, aux Militaires , aux Politiques
, aux Agriculteurs , & c. en un mot ,
qu'il n'étoit point de ſcience ni d'art , où
le fecours des Mathématiques ne fût , finon
abfolument néceffaire , du moins trèsavantageux.
M. Bouillet , Secrétaire , dit : outre
les productions académiques dont mes
Confrères réfidens en cette ville font les
auteurs , & dont vous allez entendre la
OCTOBRE 1765. 119
lecture , je deis vous faire part des travaux
de nos Affociés abfens , & d'une
perfonne qui fans être d'aucune Académie
, n'a pas laiffé de travailler utilement
pour le Public , & de nous communiquer
fes réflexions .
M. l'Abbé Gros de Befplas , Docteur
de la Maifon & Société de Sorbonne ,
nous a fait part d'une favante differtation
fur l'art de la chaire , à la fin de laquelle
il fait remarquer les mauvaifes applications
que deux de nos plus célèbres
Prédicateurs ont faites de quelques textes
de l'Ecriture - Sainte ; mais comme
cette matière m'eft en quelque façon étrangère
, & que notre féance fe trouve d'ailleurs
fuffifamment remplie , je ne m'arrê
terai point à relever la beauté & l'utilité
de cet ouvrage.
Je m'étendrois davantage fur le tribut
académique que Madame Lepaute notre
affociée ne manque pas de nous payer
annuellement , fi toute l'affemblée devant
laquelle j'ai l'honneur de parler étoit
au fait de l'aftronomie , & des calculs
dont cette fcience fait continuellement
ufage ; mais comme cette matière ne fauroit
agréer au plus grand nombre de nos
auditeurs , je ne vous en dirai que deux
mots,
120 MERCURE DE FRANCE.
Après nous avoir communiqué les années
précédentes , 1 °. un favant mémoire
fur le paffage de Vénus devant le difque
du foleil : 2. la recherche de la parallaxe
du foleil par la fortie de Vénus , obfervée
à Béfiers & comparée à celle de l'Ifle Rodrigue
dans l'Océan Ethyopique : 3 °.
une table du lever & du coucher du fo-.
leil calculée exactement pour la hauteur .
du pole de cette ville ; Madame Lépaute
nous a encore gratifié d'une méthode détaillée
pour calculer avec précifion le lever
& le coucher de la lune fur notre horifon ,
avec une table exacte de la quantité de
minutes & des fecondes , dont la parallaxe
horisontale de la lune retarde fon
lever & fon coucher fous la latitude de
Béfiers , & d'une table du nonagéfime ,
pour fervir au calcul des éclipfes fous la
même latitude.
Ce font- là les titres des ouvrages que
nous avons reçus de nos affociés. Nous
ofons nous flatter que nous en recevrons
deformais un plus grand nombre , deux
autres favans ayant agréé que leurs noms
fuffent infcrits dans notre lifte .
Il ne me refte qu'à rapporter ce que nous
a communiqué la perfonne dont je vous
ai parlé au commencement. Après avoir
paífé plus de cinquante ans à la campagne ,
&
:
OCTOBRE 1765 127
& y avoir fait beaucoup d'obfervations &
d'expériences fur l'agriculture , qui lui ont
fort bien réuffi , ayant mis fon bien en état
de rapporter beaucoup plus à proportion que
celui qui n'eft pas travaillé felon fa méthode;
cette perfonne s'eft tranfplantée en cette
ville , & à bien voulu nous faire part de fes
écrits. L'un roule fur la culture des vignes , &
fur la meilleure façon de les planter : l'autre
a pour objet la culture des champs , & le
troifième contient des remarques fur les
maladies des oliviers , des amandiers &
des mûriers , le tout relativement à ce
pays- ci. Dans ces écrits on reconnoît un
homme qui a travaillé & qui a réfléchi ,
un homme capable d'inftruire fes compatriotes
, de leur apprendre à tirer le meilleur
parti poffible de leurs terres , & qui
mériteroit d'être encouragé par quelque
récompenfe ; ce que notre Académie ne
manqueroit pas de faire fi fes facultés le
lui
permettoient.
M. de la Rouviere , Chevalier de Saint
Louis , Commiffaire des Guerres , lut l'éloge
de M. Titon du Tillet , ancien Capitaine
de Dragons , ci - devant Doyen des
Maîtres d'Hôtel de feu Madame la Dauphine
, mère du Roi , Commiffaire Provincial
des Guerres , auteur du Parnaffe
François , exécuté en bronze en 1718 ,
Vol. II F
122 MERCURE
DE FRANCE.
Membre de prefque toutes les Académies
de l'Europe , & Honoraire de celle de
Béfiers , mort à Paris le 26 Décembre
1762 , âgé de quatre-vingt-fix ans moins
quelques jours.
Après avoir fait mention de la famille de
M. du Tillet , qui a donné plufieurs Magif
trats au Parlement & à la Chambre des
Comptes de Paris , & dont les defcendans
exercent encore aujourd'hui les mêmes
charges M. de la Rouviere parla du Parnaffe
François , monument plus digne de
la libéralité d'un Prince que de celle d'un
Particulier , & dont la dédicace fut faite
par l'Auteur à LOUIS LE BIEN-AIME , digne
arrière petit-fils du Héros ( Louis XIV ) ,
qui y occupe la première place.
11 paffa aux différens ouvrages & aux
dépenfes que ce Parnaffe occafionna à
M. Titon ; mais , à l'égard des ouvrages ,
il ſe borna à une courte analyſe , attendu
que tous les Journaliſtes les ont exaltés.
M. dela Rouviere n'oublia pas de faire
mention de la glorieufe , mais jufte récompenfe
que reçut M. Titon de la part des
vingt-fix Académies de l'Europe , qui lui
donnèrent fucceffivement une place dans
leur Lycée .
Celle de Béfiers , dit - il , quoique la
dernière à l'admettre au nombre de fes
OCTOBRE 1765. 123
Membres , n'en fut pas moins flattée que
celles qui l'avoient précédée ; & M. Titon
fe fentit fi honoré d'être affocié au Corps
Littéraire d'une ville auffi illuftre qu'ancienne
, & qui a fervi de berceau aux Péliffon
, aux Barbeyrac , aux Esprit , aux
Clapiès , aux Mairan , aux B... & à bien
d'autres favans , qu'il remercia cette Compagnie
( en 1756 ) , peu après fa réception
, d'une manière qui annonçoit & fa
modeftie & fa reconnoiffance .
M. de la Rouviere termina cet éloge par
le portrait du digne Académicien qui en
eft l'objet.
M. Titon , dit- il , ambitionnoit l'eſtime
des riches & des grands , fans méprifer
celle des pauvres & des petits. Les premiers
le mettoient dans le cas de faire ufage de
fa politeffe , & les feconds d'exercer fa
charité.
Ennemi de cet efprit de prétention que
l'amour-propre enfante , & que le ridicule
couronne , il mettoit tout le monde à fon
aife par fon affabilité ; & , quoiqu'il fçût
diftinguer parfaitement les diftances que
le fort met parmi les hommes , il ne laiffoit
pas de reconnoître dans les créatures
les plus abjectes le limon dont il avoit été
lui-même formé , ce qui l'avoit rendu
extrêmement populaire.
f ij
24 MERCURE DE FRANCE.
Il badinoit fouvent avec les grâces ,
mais il en cachoit toujours la nudité.
Enfin on peut dire de M. du Tillet qu'il
ne péchoit que par trop de fincérité , s'il
eft permis de mettre au rang des défauts
l'excès d'une qualité auffi eftimableque peu
commune dans le fiècle où nous fommes.
M. Foulquier fit part des réflexions qu'il
avoit faites fur l'agriculture à l'occafion de
la traduction en françois qu'il avoit entreprife
du poëme d'Héfiode , intitulé : les
Euvres & les Jours , ( égya ni žμépoes ) . Il
remarque d'abord que l'agriculture fut toujours
en honneur chez les Grecs & chez
les Romains. Nous avons encore , ajoutet
-il , outre le Poëme d'Héfiode , les ouvrages
de Caton , de Varron & de Columelle
, qui en traitent fort au long. Les
( deux derniers font mention de quatrevingt
- dix Traités tant Grecs que Latins
fur cer art , lefquels de leur temps étoient
entre les mains de tout le monde . Conf
tantin-Cefar , Empereur des Grecs , que
M. Foulquier croit être Conftantin IX ,
furnommé Porphyrogenète , qui vivoit.
dans le dixième ſiècle , a fait un recueil
de préceptes fur l'agriculture tiré d'une
vingtaine d'Auteurs qu'il nomme , & que
nous ne connoiſſons plus , à l'exception de
Varron.
1
J
OCTOBRE 1765. 125
Mais tous les préceptes d'Agriculture , demande
M. Foulquier , font - ils également
bons pour tous les pays ? Il s'en faut beaucoup
, répond- il. La diverfité des terres &
des climats demande une culture différente .
Ainfi , la plus utile expérience , en fait
d'agriculture , eft d'éprouver à quoi une
terre eft propre , & ce que permet la température
du climat. De plus , les inftrumens
du labourage ne doivent pas être les
mêmes dans tous les pays. Ainfi , chaque
pays & chaque terrein doit avoir fes préceptes
particuliers d'agriculture. Je paffe
quelques autres réflexions pour en venir à
ce que M. Foulquier a recueilli fur la vie
d'Héfiode.
Ce Poëte vivoit environ huit cens ans
avant JÉSUS - CHRIST : il nâquit à Cumes ,
ville d'Eolie fon père s'appelloit Dius ,
& fa mère Pycimède . Il avoit un frère ,
appellé Persés , à qui il adreffe fon Poëme
des OEuvres & des Jours. Dius étant devenu
pauvre , quitta fa patrie , & alla s'établir
avec fa famille dans un village de Réotie .
fitué au pied du Mont Hélicon , appellé
Afcra , d'où notre Poëte a tiré fon furnom
d'Aferaus , que lui donne Virgile . On fait
remonter jufqu'à Atlas l'origine d'Héfiode
& d'Homère , car ils étoient de la même
famille , quoique , felon la plus commune
Fiij
226 MERCURE
DE FRANCE
.
opinion , Héfiode n'ait vécu qu'environ
cent vingt ans après Homère. Suidas nous
apprend qu'Héfiode avoit compofé plufieurs
Poëmes , dont il ne nous en refte que trois.
Héfiode étoit berger , & cette profeffion
étoit alors très - honorable. Il étoit auffi
Prêtre du temple des Mufes , érigé fur le
Mont Hélicon , dans , les ruines duquel
Paufanias , dans fes Béotiques , dit avoir
trouvé une table de plomb , où étoit gravé
fon Poëme fur l'agriculture . Ce fut dans
ce temple qu'Héfiode dédia aux Mufes le
prix qui lui fut adjugé pour les vers qu'il
récita aux jeux anniverſaires d'Alcidamas ,
Roi d'Eubée dans l'Aulide .
Héfiode ne traite de l'agriculture que
dans fon fecond livre : fes préceptes , quoique
la plupart fupertitieux , furent adoptés
par Virgile dans fes Géorgiques. Son premier
livre n'eft prefque rempli que de
maximes de morale , qu'il débite à l'occafion
d'un procès que fon frère lui intenta
injuftement , lefquelles , à peu de chofes
près , ne feroient pas indignès d'un Chrétien
. Nous n'en rapporterons point d'exemples
pour ne pas trop groffit cet extrait.
Nous ajouterons feulement que M. Foulquier
défend Héfiode contre l'injufte cenfure
qu'en fait le P. Catrou , traducteur de
Virgile ; il ajoute même , d'après PaufaOCTOBRE
1765. 127
ر niasquelesTherpiernsluidrefferent
une ftatue d'airain dans la place de leur
ville. Enfin , il rapporte la fin malheureuſe
de ce Poëte , qui , felon Suidas , fut tué
par erreur par deux frères qui l'avoient
reçu dans leur maiſon .
Au refte , M. Foulquier avoit prefque
fini la traduction du Poëme d'Héfiode :
il nous en avoit du moins lu tout le premier
livre dans nos affemblées particuliè
res , lorfque nous apprîmes que M. l'Abbé
Garnier , de l'Académie Royale des Infcriptions
& Belles Lettres, étoit fur le point
de mettre au jour la traduction qu'il a faite
du même Poëte , ce qui empêcha M. Foulquier
de mettre la dernière main à la traduction
qu'il en avoit faite , & qu'il auroit
accompagnée des remarques qu'il auroit
cru néceffaires .
M. Barbier , Préfident au Préfidial de
Béfiers , lut l'éloge de M. Racolis ( Jean
Ignace ) , Avocat au Parlement de Touloufe
, & Juge en la temporalité de l'Evêché
de cette ville , né à Béfiers le 26 Juillet
1694 , & mort le 31 Décembre 1762 .
La famille de notre Académicien eft
très - ancienne & a toujours été chère à la
patrie.
Ses premières études furent brillantes
& fes fuccès excitèrent l'admiration de fes
Fiv
728 MERCURE DE FRANCE.
maîtres & l'émulation de fes condifciples ;
dans fes autres études , dans fes fonctions
d'Avocat & de Juge , il ne fit pas moins
admirer la jufteffe de fon efprit , que la
bonté de fon coeur & l'étendue de fes
connoiffances.
Les bornes prefcrites à nos extraits ne
me permettent pas de m'étendre fur les
louanges que M. Barbier donne à notre
Académicien ; M. Racolis les méritoit ,
& M. Barbier n'en mérite pas
moins par
le tour qu'il a fçu leur donner.
Jene parlerai pas non plus des ouvrages
dont M. Racolis a enrichi nos regiftres , &
dont M. Barbier a donné une analyfe fort
exacte. Je finirai par quelques traits qui
caractérisent notre Académicien , & dont
M. Barbier a été lui-même témoin , ainfi
que la plupart de fes autres amis. Un efprit
vif , pénétrant , rempli de faillies ,
rendoit M. Racolis très agréable dans la
converfation : fes lectures & fa mémoire
lui fourniffoient à tous momens de quoi l'y
faire briller. Il étoit verfé dans la mytholagie
, dans l'hiftoire , dans la géographie
& dans les autres fciences dont on fait un
ufage journalier , & il n'ignoroit pas l'Ecriture-
Sainte ; il faififfoit promptement
le noeud d'une affaire , & il fe trompoit
rarement dans fes décifions.
(
OCTOBRE 1765. 129
M. Racolis étoit ami chaud , mais fans
être fatteur : s'il foutenoit avec force le
parti de ceux qu'il aimoit , il ne déguifoit
point auffi en quoi ils pouvoient avoir tort :
s'il étoit empreffé de leur rendre fervice
il favoit auffi leur parler avec fermeté. Il
mourut fubitement regretté de tous fes
confrères & de tous fes concitoyens.
M. Bouillet , le fils , lut un mémoire
fur les maladies héréditaires . M. Louis de
l'Académie Royale de Chirurgie ayant
avancé , ainfi que le rapporte l'hiftorien
de cette fociété * , qu'en faifant des recherches
pour découvrir les motifs qui
avoient pu fi généralement perfuader les
Auteurs de la tranfmiffion des maladies
il n'avoit apperçu fur ce point que des allégations
vagues , qu'une tradition reçue
aveuglément & tranfmife de fiècle en fiècle
, fous l'autorité de quelques faits particuliers
dont les différentes circonstances
lui ont paru n'avoir point été affez exactement
obfervées. M. Bouillet a cru pou .
voir oppoferà cet Auteur, que c'eft donc fans
un fuffifant examen qu'Hypocrate & tous
les Médecins anciens & moderns ont été
perfuadés qu'il y avoit des maladies héréditaires
qu'en différens endroits de fes
ouvrages , le Père de la médecine attribue
* Tome 3, pag. 92.
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
conftamment certaines maladies au vice
de l'humeur féminale , lequel fe communique
au foetus , & qui le rend bilieux ,
fi le père étoit bilieux ; pulmonique , file
père l'étoit ; épileptique fi le père étoit
fujet à l'épilepfie , & c. La raifon qu'il en
donne , c'eft que cette liqueur porte avec
elle les qualités de toutes les parties du
corps d'où elle émane , & qu'elle eſt
par conféquent faine ou mal - faine felon
l'état des parties qui l'ont fournie.
C'eft encore envain , continue - t - il
que Zacutus dit avoir vu depuis plufieurs
années un Portugais épileptique ,
dont huit enfans & trois petits fils étoient
à la fleur de leur âge miférablement tourmentés
des fréquens accès de ce mal , qui
malgré tous les remèdes imaginables , les
accompagna tous jufqu'à la mort , à l'exception
d'un arrière-petit- fils , qui après
quelques attaques en fut délivré au moyen
d'un cautère appliqué à la nuque du cou,
& de quelques prifes de thériaque qu'on lui
fit avaler.
Enfin , ajoute M. Bouillet , c'eſt donc
fur une tradition reçue aveuglément ,
que les Boërhaave, les Hoffman , les Stahl ,
& tous les Auteurs qui ont écrit depuis
Hypocrate jufqu'à M. Louis , ont reconnų
des parens attaqués de certaines malaque
OCTOBRE 1765 rr
dies , il paffoit aux enfans une difpofition
aux mêmes maladies , difpofition qui , felon
Boerhaave , feroit auffi difficile à détruire ,
que d'empêcher la barbe de venir à un
jeune homme qui fe porte bien. Eft-il naturel
de penfer cela de gens fi éclairés ?
Mais quelles font les preuves dont fe
fert M. Louis pour nier un fait attefté par
autant de témoins qu'il y a eu de Médecins
jufqu'à lui ? Rapporte- t- il d'autres
-faits qui détruifent celui - là ? Point du
, tout. A quoi donc a- t- il recours ? A des
raifonnemens . La tranfmiffion des maladies
réputées héréditaires lui paroît impoffible
; donc , conclud- il , il n'y a point de
maladies héréditaires .
La diverfité des tempéramens , ajoute
cet Auteur , n'eft point héréditaire ; comment
les maladies qui en font les fuites ,
pourroient-elles fe tranfmettre ? Toutefois
, répond M. Bouillet , il n'eft rien de
plus ordinaire que de voir des enfans héritiers
du tempérament de leurs pères ; ce
qui fe vérifie auffi parmi les animaux. Fortes
, dit Horace , creanturfortibus & bonis •·
eft injuvencis , eft in equis patrum virtus ,
nec imbellem feroces progenerant aquile
columbam. Il eft même paffé en proverbe ,
que les bons chiens chaffent de race . On
fuppléera aifément aux raifons que je
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
fupprime , pour réfuter M. Louis ; & on
n'aura pas peine à comprendre que malà
propos cet Auteur contefte la poffibilité de
la tranfmiffion de certaines maladies , &
qu'il prétend que toutes font des maladies
individuelles & acquifes.
Pour M. Bouillet , il penfe qu'il y a
des germes & des fuites de germes originairement
épileptiques , d'autres originairement
phthifiques , & c. comme il y a
fuivant la penfée de faint Auguſtin , & ſelon
le fentiment de MM. Duverney ,
Winflow & Haller , des germes primitivement
monftrueux : fentiment qui , felon
Saint Auguftin n'eft nullement oppofé à
la juftice & à la bonté du Créateur , &
que M. de Mairan dans l'hiftoire de l'Académie
Royale des Sciences de l'année
1743 , a mis dans une évidence prefque
mathématique.
La poffibilité de la tranfmiffion de certaines
maladies , conclud M. Bouillet , a
donc été préfumée avec raifon par une
favante Académie , qui n'auroit pas vraifemblablement
propofé ce fujet , fi elle
n'avoit jugé qu'il y a réellement des maladies
héréditaires.
M. l'Abbé Baftard , Chanoine , Sacriftain
de la Cathédrale , lut l'éloge de
Henri Conftance Delort de Valtras , EvêOCTOBRE
1765. 134
que de Mâcon , Abbé des Abbayes de Valmont
& de Manfuy , fils de Noble Tertule-
Henri Delort , Marquis de Sérignan ,
& de Dame Marie- Antoinette d'Avene , né
à Béfiers le 10 du mois d'Août 1690 , &
mort à Paris dans la foixante- quatorzième
année de fon âge.
Sa phyfionomie heureufe fit préfager
dès fa naiffance qu'il joueroit un jour un
rôle confidérable fur la fcène du monde
& qu'héritier des vertus de fes ancêtres ,
il feroit revivre Garcias Delort , Archevêque
d'Auch , l'ami & le confeil du
Maître du Bearn , s'il entroit dans l'état
eccléfiaftique , ou bien Pierre Delort ,
Seigneur de Sérignan & autres lieux , Capitaine
de trente lances ; de même que
Guillaume Delort , qui repouffa fi vigoureufement
les ennemis qui l'avoient
affiégé dans Barcelonne , s'il prenoit le
parti des armes.
Il prit le parti de l'Eglife , & ne manqua
pas de vérifier ce qu'on avoit auguré
de lui.
Après fes études , il fut nommé Agent
du Clergé , & confirmé contre la coutume
dans ce glorieux , mais pénible emploi. Il
s'en acquitta fort bien , malgré la crife
où étoient alors les affaires de la Religion
& du Clergé , & mérita d'être recom#
34 MERCURE DE FRANCE.
penfé par deux Abbayes , & quelque temps
après par l'Evêché de Mâcon.
Nous ne répéterons pas ici tout ce que
M. l'Abbé de Baftard rapporte de M.
l'Evêque de Mâcon ; il nous fuffira de dire
qu'il ramena tous les efprits par fa douceur
, qu'il fecourut fon peuple dans les
befoins , & qu'il fit admirer fa conduite
tant à l'égard du fpirituel que du temporel.
Il foutint avec force les droits épifcopaux
contre une illuftre & redoutable
partie , & ce procès qu'il gagna , & fes infirmités
qui furvinrent enfuite, l'obligèrent
de paffer le refte de fa vie à Paris.
Sa mort , dit M. l'Abbé de Baftard ,
fit perdre à la Religion un de fes difciples
des plus zélés aux Autels , un Miniftre
fage & fidèle à ſon Diocèſe , un Pafteur
vigilant ; à l'Etat , un Citoyen vertueux;
aux pauvres , un Père tendre ; aux
Mufes , un Sectateur éclairé , & à cette
Académie , un Confrère chéri à bien des
titres , & très- digne de nos regrets.
M. de la Rouviere termina la Séance
par la fable ci-jointe.
T
OCTOBRE 1765. 135
LE PERROQUET ET LE ROSIGNOLI
FABLE.
UN Perroquet foigneufement inſtruit
Par une beauté de village ,
Babilloit tant , faifoit un fi grand bruit
Qu'un Roffignol du voisinage ,
Qu'un rigoureux deftin avoit réduit en cage ,
Ne pouvoit repofer ni le jour ni la nuit.
Que je fuis malheureux ! quel affreux eſclavage !
Difoit le Roffignol , quoi toujours fous mes.
yeux
>
Verrai-je un Perroquet , difcoureur ennuyeux
Dont le mérite eft le plumage
D'un plat & bruyant perfifflage
Couvrir mon chant mélodieux ?
Non , je ne puis fouffrir plus long-temps en ces
lieux
Un fi mauffade perfonnage י,
Et je veux , par mon doux ramage ,
Impofer au bavard & charmer tous les Dieux .
Mais c'eſt en vain que le Roffignol fronde
Du bel oifeau les propos indifcrets :
Combien ne voit - on pas aujourd'hui dans le
monde
136 MERCURE DE FRANCE.
De petits -maîtres à plumets ,
Même certains petits -collets ,
Qui , chez la brune & chez la blonde ,
Se diftinguent par leurs caquets * ?
Ce ne font que des Perroquets.
ACADÉMIE Royale de CAEN . Séance
du 2 Mai 1765.
LAA féance du 2 de Mai commença par
la lecture d'un Mémoire fur les defféchemens
& défrichemens de M. de la Fargue,
Académicien afſocié . Il nomme l'agriculture
le premier des arts & la première
des néceffités ; .... de toutes les bibliothèques
que les Romains trouvèrenz
dans Carthage , ils ne confervèrent que
les vingt- huit volumes du Capitaine Magon
fur l'agriculture.... Si , comme on ne
peut en difconvenir , elle eſt le véritable
moyen de multiplier les richeffes , chaque
nation a donc intérêt d'étendre fon terrein
, non par des guerres , des conquêtes
& des invafions , mais par le defféchement
de fes marais & le défrichement de fes
terres incultes..... Ces ouvrages feront
abandonner , dit- on , la culture des terres à
* Mauvais propos , rapports indiſcrets . V. Dia. de
Daner.
OCTOBRE 1765. 137
aufe de l'exemption des impôts , & parce
qu'en occupanttous les hommes à deflécher
& à défricher , on ne trouvera plus de bras
pour cultiver. M. de la Fargue détruit ces
objections par des moyens fans réplique :
il établit que les défrichemens enlèvent
moins de cultivateurs que l'excès des impôts
, les corvées , les milices , & fur- tout
e nombre révoltant de domeftiques de la
Capitale & des grandes villes du Royaume ;
genre de luxe d'autant plus pernicieux ,
que les maux qu'il occafionne ne font fentis
que par ceux qui ne peuvent y remédier....
Encouragez l'agriculture , vous augmenterez
vos richeffes ; étendez l'efpace , vous
multiplierez les hommes . ... Combien de
terres inutiles on rendroit à l'Etat par les
défrichemens ! Elles contribueroient aux
charges publiques : elles enrichiroient le
Souverain & fes peuples : elles opéreroient
l'augmentation des Manufactures : elles
feroient Heurir le commerce . . . . Depuis
l'acte de 1689 les landes de l'Angleterre
font couvertes de prairies & de beftiaux ,
de cultivateurs & de moiffons. C'eſt à cette
politique que les Anglois doivent leurs
fuccès , leurs Manufactures , leurs Colonies
& leurs richelfes .... On doit exempter
les nouvelles terres d'impôts & de dixmes
pendant un certain temps : on doit cultiver
les anciennes , par l'attrait du bénéfice ;
138 MERCURE DE FRANCE .
de plus fixer la perception des dixmes à la
cinquantième part du produit..... Les
terres defféchées , fur - tout , méritent un
plus grand privilége. Enfevelies fous les
eaux elles n'exiftent point : les deffécher ,
c'eſt les créer à force de dépenfes & de
travaux.... Ces exemptions ont été établies
par plufieurs Empereurs Romains. ...
Nos Rois les ont confirmées. Henry IV ,
qui fera l'admiration comme l'amour
de tous les âges , avoit ordonné les
defféchemens par fes édits de 1599 &
1607. Outre l'exemption de toutes charges
, le dernier accordoit la nobleſſe
aux douze principaux Entrepreneurs des
defféchemens. On ne dira pas qu'Henry IV
ait prodigué cette diftinction pour ne
pas la multiplier par des ufages abufifs
il venoit de fupprimer en 1600 L'annobliffement
qu'on obtenoit par le fervice militaire……….
Louis XIII & Louis XIV exemptèrent
les nouvelles terres de la dixme pendant
dix années , après lefquelles la perception
en étoit fixée à la cinquantième
gerbe. La déclaration de Juillet 1643 prolongea
l'exemption jufqu'à vingt années...
Notre augufte Souverain , qui réunit les
vertus de fes prédéceffeurs , vient de renouveller
ces admirables difpofitions par la
déclaration du 14 Juin 1764.... Que ne
lui doit pas l'agriculture ? Elle eft l'objet
ЛІЙ
OCTOBRE 1765. 139
de fon attention , de fes foins & de fes
bienfaits : jamais elle ne fut plus confidérée
, plus protégée , plus encouragée que
fous fon règne glorieux.... Le cultivateur
étoit le citoyen le plus eftimé parmi les
Romains. Les Licteurs , envoyés pour annoncer
à Cincinnatus que le Sénat venoit
de l'élever à la Dictature , le trouvèrent à
la charrue. Il la quitte avec regret , mais
le bien de la patrie l'exige , il vole à l'ennemi
, le combat & le défait. Il fe prête
à peine aux honneurs du triomphe que le
Sénat lui décerne , pour retourner cultiver
fon champ , & Cincinnatus eft l'idole des
Romains. Les Grands , dans l'état militaire
, comme dans la magiftrature , les
riches & les favans font les Cincinnatus de
la France. Tous ne devroient- ils pas s'occuper
de l'amélioration des terres & des
progrès de l'agriculture ? M. de la Fargue
n'avoit point oublié les remerciemens uſirés
dans les difcours de réception .... Les
fiens avoient cette précifion qui les rend
tolérables.
Le fujet de ce difcours , dit M. Dăperré
, Directeur de l'Académie , dans ſa
réponſe , affecte tous les citoyens. Le miniftère
eft inftruit de l'avantage des défrichemens
il ne ceffe de demander les
moyens de les opérer .... Le Phyficien &
140
MERCURE DE FRANCE.
>
l'homme de Lettres , comme le Jurifconfulte
& l'homme d'Etat , ont des principes
oppofés ... Cette vérité d'opinion
élève des obftacles que l'Académie tenta
d'applanir en 1762. Elle fe faifoit un devoir
de contribuer à faciliter les défrichemens
... L'Etat les defire , la raifon
les confeille , & le Souverain les ordonne
...Mais il femble que les moyens qu'on
emploie , les retardent..... Le Seigneur
eft étonné qu'on ofe lui ravir un bien dont
il fe croit le propriétaire : fes vaffaux font
confternés des prétentions d'un engagifte :
les habitans des campagnes fentent qu'on
leur enlève un bien qui fouvent eft leur
unique reffource , & tous élèvent la voix
contre les défrichemens ... Si cet engagifte
réuffit à fe faire adjuger les terres
vaines qu'il convoite , les défrichera- t- il ?
Il ne le tentera pas : même ceux qu'il a droit
de dépouiller , s'épuiferont pour fatisfaire
fon avidité ……….. Défricheront - ils à leur
tour ? Ils ne le peuvent plus : les fommes
qu'ils viennent de payer leur en ôtent tous
les moyens.Souvent ils n'ont plus ceux de fe
procurer le titre de la ceffion qu'on leur fait.
Dans cent ans , peut-être , on leur fera les
mêmes demandes ; & faute de titres, ils perdront
enfin ce qu'ils ont acheté plus d'une
fois. Nous en avons, l'exemple fous les yeux.
.....
OCTOBRE 1765 . 141
Les Etats de Normandie obtinrent de
Louis XIII en 1720 , la faculté de racheter
leurs marais de Madame la Comteffe
de Soiffons , à laquelle Sa Majeſté les
avoit cédés à titre de récompenfe : il eſt
probable que les peuples ont fait ce rachapt,
puifqu'ils poffèdent encore aujourd'hui
les marais & terres vaines , dont un nouvel
adjudicataire veut les dépouiller ;
mais faute d'en avoir confervé le titre , ils
ne peuvent juftifier la ceffion .
M. de la Fargue , en traitant ce ſujet
n'a point envisagé ces difficultés : peut - être
les ignore- t- il : il faut habiter dans les provinces
pour les connoître. ... M. de la
Fargue , déterminé par les fentimens de
l'Académie , & plus encore par fon amour
pour le bien public , expofe les avantages .
des défrichemens & des defféchemens ... Il
prévoit les objections morales ; il les réfoud
; il cite des exemples déterminans ;
il démontre la néceffité des priviléges ,
des encouragemens & des exemptions
Puiffe-t-il être inftruit des difficultés qui
les retardent ! Il s'occuperoit avec nous des
moyens de les vaincre. Son amour pour le
bien public nous en affure .... Il eft un
de nos affociés , & il mérite de l'être . Il
vient de faire imprimer deux volumes
d'oeuvres mêlées , qu'il a dédiées au fils de
...
#42
MERCURE DE FRANCE.
M. d'Ormeffon , Confeiller d'Etat & Intendant
des Finances. C'eſt un ouvrage
qu'on lit avec plaifir , parce qu'on y voit
régner ce ton de décence , cette fuite dans
les idées , ce patriotifme dans les fentimens
qui diftinguent le mémoire dont vous
venez , Meffieurs , d'entendre la lecture.
Ces qualités de l'efprit & du coeur ont
mérité depuis long- tems à M. de la Fargue
l'eftime de & la confiance de M. d'Ormef
fon , dans la famille duquel l'efprit & le
difcernement font héréditaires . Ce font
ces mêmes qualités qui , jointes au defir
que M. de la Fargue a témoigné de nous
être affocié , lui ont obtenu cette adoption
auffi avantageufe pour nous que flatteufe
pour lui. Il a reçu la même adoption dans
les Académies de Lyon & de Bordeaux .
M. Ygou , Sous- Prieur de l'Abbaye de
Troarn , & ancien Prieur de Royalpté ,
lur une pièce de vers , dans laquelle il
peint fes moeurs , fes fentimens & fon
goût pour la philofophie & pour la folitude.
Evitant des cités le bruit & l'impoſture ,
Je confulte en filence , & je fuis la nature .
Tout parle à mon efprit , à mon coeur , à mes
yeux.
Cette antique forêt , ces chênes fourcilleux ,
Qui de deux cents hivers bravent encor l'outrage ,
M'offrent de nos ayeux une fidelle image....
OCTOBRE 1765. 143
Tantôt avec Newton , m'élançant dans les airs ,
Je parcours avec lui cet immenſe univers....
Pais baiffant mes regards fur nos fertiles champs .
Je les vois cultivés par des époux amans.
Tout ce qui s'offre aux yeux de M.
Ygou dans fa folitude , affermit en lui l'idée
de l'existence d'un Être fuprême. Il
voit fa grandeur dans l'Univers , fa bonté
dans les productions de la terre ...Il trace
quelques tableaux de ces vices fi communs
dans les villes , & fi ignorés dans la
vie paftorale ....Il exhorte tous ceux qui
ont été les victimes de l'erreur , du crime
ou de la folie , à chercher le remède à leurs
égaremens dans la folitude .... Tout dans
cet ouvrage refpire l'amour des vertus qui
règnent dans le coeur de l'Auteur.
M. Dfmoueux , Docteur - Profeffeur en
Médecine & Botanique de l'Univerſité
avoit terminé la féance du fept de Mars
par le commencement de la relation du
voyage quil vient de faire en Italie ; il
termina celle- ci par la fin de cette relation.
Quelqu'intéreffante qu'elle foit , il n'a pas
voulu la communiquer : il fera valoir en
d'autres circonftances fes obfervations philofophiques.
Toujouts occupé de l'utile ,
il vit autant qu'il le put , les Savans & les
Philofophes. Le S. D. Giovani Maria della
144 MERCURE DE FRANCE.
Torre , C. R. Sommaque lui donna fon livre
intitulé : Nuove offervazioni intorio
la ftoria naturale , divifé en quatre chapitres
: il répéta en fa préfence les obfervations
contenues dans cet ouvrage , dont
il est peu d'exemplaires en France. Il doit
cependant y être connnu ainfi que l'Auteur.
On lit dans le chapitre 4 , §. 66 ,
qu'il avoit communiqué fes obfervations ,
nel 1754, al Sig. d'Alembert à Ginevra, nel
1760 al Signor Abbate Nollet , Academier.
dy Parigi , e di cui ho lonore deffere corif
pondente , & à beaucoup d'autres favans
de l'Europe entiere.
M. Defmoueux dans le nombre des favans
qu'il a vus , cite M. Veratli , Profeſ
feur en Médecine à Bologne , connu par
quelques ouvrages fur l'électricité médicinale
, & plus encore par la cébrité de
fon époufe. Madame Veratli mérita
les bontés de BENOIT XIV, dont l'Italie
respecte toujours la mémoire. Ce Pontife
donna une chaire de Profeſſeur en
Phyfique & Mathématique à cette Dame .
M. Defmoueux obferve que la langue françoife
& latine lui font auffi familières que
L'italienne ; & qu'on s'apperçoit aifément
qu'elle. eft très-favante , quoique la modeftie
ne lui permette pas de laiffer entrevoir
tout cequ'elle fait. M. Defmoueux,
jaloux
OCTOBRE 1765. 145
jaloux de s'inftruire , vient de partir pour
l'Angleterre , où il efpère recueillir les lumières
de cette nation fur l'agriculture ,
fur la phyfique , & fur tout ce qui occupe
les Savans.
Vupar l'Académie , figné , ROUXELIN,
Secrétaire.
MÉDECIN E.
LETTRE d'un Médecin Avignonois à
M. ROUSSELOT , Chirurgien de Paris..
J'AI ' AI vu , Monfieur , avec une fatisfaction
extrême dans le Mercure de Juillet , l'annonce
d'un topique dont vous avez fait
la découverte contre les cancèrs ulcérés &
autres . Depuis le temps que vous avez quitté
cette ville , je vous avois totalement perdu
de vue , j'ignorois où vous étiez ; & même
en lifant cet article du Mercure , je doutois
fi c'étoit de vous dont il s'agiffoit , ce
qui m'a fait tarder de vous écrire , & de
renouer plutôt notre vieille connoiffance.
Pour cet effet j'en ai écrit à mon corref
pondant à Paris , qui eft un de vos confrères
: j'ai reçu de lui , à cette occafion ,
plus d'éclairciffemens que je n'en defirois,
Vol. II. G
146 MERCURE DE FRANCE .
car j'ai appris toutes les tracafferies qu'on
vous a faites à ce fujet aux Ecoles de
Chirurgie ; mais cet événement , loin de
m'étonner , Monfieur , n'a fait au contraire
qu'augmenter en moi l'estime que
j'avois pour vos talens , & j'ai jugé delàmême
que votre remède devoit être bon.
Je vous en félicite du meilleur de mon
ame. J'ai fu néanmoins qu'après affez de
conteftations , les Chirurgiens avoient fini
par vous rendre juftice. J'en ai été ravi ;
recevez- en mon compliment. La maladie
pour laquelle vous avez découvert un remède
, eft très-commune dans ces cantons ,
& ce fera rendre à l'humanité le fervice
le plus grand , que de donner au Public
la compofition que vous promettez, Cette
promeffe eft digne d'un citoyen tel que
vous, & vos compatriotes fi jaloux de témoigner
leur reconnoiffance à l'Auteur
d'une pièce où ils font flattés , doivent
être encore plus empreffés de vous marquer
celle qu'ils vous doivent pour la générofité
que vous avez de découvrir un
fecret fi utile à tout l'univers , & dont
tout autre que vous fauroit mieux profiter
pour fon intérêt perfonel. Je vous reconnois
à ce trait de défintéreffement :
tenez-nous promptement parole , c'eſt le
fouhait même de ceux qui n'en ont pas
OCTOBRE 1765. 147
befoin. Je fuis flatté que cet événement
m'ait procuré le plaifir de renouer avec
un ami , pour lequel mon attachement durera
autant que les fentimens d'eftime
avec lefquels j'ai l'honneur d'être , &c.
Avignon , 10 Août 1765.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE .
GÉOMÉTRIE.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
PERSONNE ,
ERSONNE , Monfieur , ne fait plus
de cas que moi de l'utilité & de la certitude
des propofitions géométriques ; & je
fuis perfuadé que les objections que je vais
propofer contre leur certitude métaphysique
font mal fondées : cependant comme je
n'ai pu découvrir moi-même leur défaut,
je vous prie de me donner les moyens d'être
éclairci à ce fujet, en rendant cette lettre
publique ; je ferai charmé d'avoir tort.
On affure que les propofitions géométriquement
démontrées font métaphyfiquement
certaines , parce que , dit - on , elles
font entièrement fondées fur l'évidence ,
tant au fujet des principes ou axiomes ,
qu'à l'égard des conféquences qu'on en
déduit évidemment , & tout le monde fait
que l'évidence eft une règle de certitude
métaphyfique.
Ce raifonnement me paroît jufte dans
le cas où une propofition eft démontrée en
pofant un principe évident & en en tirant
évidemment une conféquence , de cette
OCTOBRE 1765. 149
première une feconde , & ainfi de fuite ;
inais cette façon de procéder n'eft ordinairement
poffible que dans les premiers
théorêmes de géométrie ; prefque toujours
on eft obligé , dans le cours d'une démonftration
, d'admettre des propofitions géométriques
étrangères qu'on fuppofe démontrées
fur le témoignage de la mémoire :
or , il ne peut plus alors y avoir de certitude
métaphyfique dans la démonftration ,
car fi le Géomètre eft obligé de s'en rapporter
à fa mémoire , qui lui affure que
la propofition dont il va fe fervir eft vraie ,
comme il l'a autrefois démontré , dès - lors
la certitude de la propofition qu'il démontrera
, avec l'aide de celle qu'il admet , ne
fera tout au plus qu'équivalente à celle qui
provient de la mémoire.
Si l'on dit que le Géomètre peut quitter
le cours de fa première démonftration pour
démontrer la propofition étrangère qu'il
veut admettre , alors la certitude de la
démonftration qu'il a quittée ne fera plus ,
lorfqu'il la reprendra , qu'équivalente à
celle qui provient de la mémoire ; & la
difficulté reviendra toujours , à moins que
la propofition à admettre ne foit affez fimple
pour qu'on puiffe raffembler fous le
même point de vue l'enchaînement d'évidences
d'où & par le moyen defquelles elle
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
a été déduite , fans perdre pendant cet inftant
le fentiment de l'évidence avec laquelle
a été déduite la dernière conclufion où l'on
a été obligé de s'arrêter dans le cours de
la démonſtration , ce qui n'arrivera que
dans un petit nombre de cas où la propofition
à admettre fera tiès - peu éloignée des
axiomes.
De tout ceci il faut conclure : 1 ° . en
fuppofant que la mémoire n'eft point une
règle de certitude métaphyfique , qu'il n'y
a point d'autres propofitions géométriques
métaphyfiquement certaines que celles qui
font démontrées par une fuite de conféquences
évidemment déduites d'un principe
évident , fans admettre dans le cours
de la démonftration aucune propofition
géométrique étrangère , à moins qu'elles
ne foient telles qu'on puiffe raffembler
fous le même point de vue l'enchaînement
d'évidences par le moyen defquelles elles
ont été déduites , & l'évidence de la dernière
conclufion , où l'on a été obligé de
s'arrêter dans le cours de la démonftration..
2º. Qu'il y a des propofitions géométriques
métaphyfiquement certaines pour
quelques perfonnes , qui ne font pas métaphyfiquement
certaines pour d'autres , quoique
ces derniers en aient une très-grande
certitude.
3º. En admettant que la certitude
OCTOBRE 1765. IS*
provenant de la mémoire diminue
(n'importe en quelle proportion ) lorfque
le nombre des témoignages de fa part ,
néceffaires pour la même certitude , augmente
, il fuit que la certitude des propofitions
géométriquement démontrées diminue
lorfque le nombre des propofitions
admifes dans le cours de la démonftration
fur le témoignage de la mémoire , augmente
; par conféquent que cette certitude
peut ne pas équivaloir à une certitude phyfique
& morale : que même les propofitions
admifes fur la foi de la mémoire peuvent
être en fi grand nombre qu'il y ait cent
mille & davantage contre un à parier , que
certaine propofition géométriquement démontrée
, eft fauffe. Au refte , je fais
abſtraction ici du témoignage des Géomètres
qui affirmeroient que cette propofition
feroit vraie ; il réfulteroit du concours
de leurs témoignages une eſpèce de
certitude d'un genre compliqué , mais qui
ne contribueroit en rien à former une certitude
métaphyfique
.
Quelqu'un qui allégueroit que toute certitude
qui vient de la mémoire eft métaphyfique
, quelque grand que foit le nombre
des témoignages néceffaires pour former
cette certitude , répondroit à tout ce
que j'ai dit ; mais je ne penfe pas que
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
perfonne fe ferve de cette réponſe. Je ne
fais fi on en a donné de bonnes à ce sujet ,
mais je ne les ai point vues.
Peut être aurois-je dû ajouter ici quelque
chofe au fujet de la certitude qui vient
du témoignage de la mémoire ; car vous
voyez bien , Monfieur , que j'ai fuppofé
qu'elle n'étoit pas métaphyfique . Si quelqu'un
me fait l'honneur de vouloir bien
éclaircir mes doutes & trouver à redire à
cette fuppofition , je m'expliquerai . Je refpecte
trop , Monfieur , vos occupations
pour continuer ma lettre , qui n'eft déja
que trop longue.
J'ai l'honneur , & c.
GAULTIER , Etudiant en
Philofophie , à Vannes.
OCTOBRE 1765. 153
GÉOGRAPHIE.
LETTRE de M. BELLIN , Ingénieur de
la Marine , à M *** . de la Société
Royale de Londres , en lui envoyant fa
Carte des variations de la bouffole.
MONSIEUR ,
Voici une Carte que je viens de publier,
à laquelle je travaille depuis long-temps :
c'eft une carte réduite qui contient la plus
grande partie du globe terreftre,fur laquelle
j'ai marqué les variations de la bouffole &
les vents généraux que l'on trouve dans
les mers les plus fréquentées.
La découverte de la propriété de l'aiguille
aimantée , d'indiquer le nord en fe
tournant toujours vers le pole arctique , eft
un des plus grands fecours que l'art ait pu
procurer à la navigation ; c'eft la bouffole
qui guide journellement le navigateur , en
lui montrant vers quelle partie du globe
il s'avance , & la route qu'il lui convient
de faire pour arriver au lieu de fa deftination
.
Gv
154 MERCURE DE FRANCE .
Un autre objet auffi important pour la
navigation , c'eſt l'invention des cartes
marines , nommées Cartes réduites', au
moyen defquelles on voit comment les
parties du globe terreftre font fituées entre
elles , les parties du ciel auxquelles elles
répondent, & la vafte étendue des mers
qu'il faut traverfer pour s'y rendre : c'eſt
fur les cartes marines que les pilotes tracent
journellement la route qu'ils font , & c'eſt
par leurs fecours qu'ils voient le chemin
qu'ils ont fait depuis leur départ & celui
qui leur refte à faire ; il eft donc également:
néceffaire , pour les navigations de long.
cours , d'avoir des bouffoles & des cartes.
L'exactitude & la jufteffe dans les cartes
marines eft d'une fi grande conféquence ,.
qu'on ne peut apporter trop de foins &
trop d'études dans leur conſtruction , puifque
des terres & des dangers mal placés.
ou obmis peuvent occafionner des naufrages
. Je n'entrerai dans aucun détail fur
cet article, que je réſerve pour un Mémoire
plus étendu que je compte publier dans
peu.
A l'égard des bouffoles , il ne s'agit
point ici de leur conftruction , mais feu→
lement de la direction de l'aiguille aimantée
vers le Nord : quoique nous diſions
que l'aiguille de la bouffole fe dirige vers
OCTOBRE 1765. 155
le pole arctique ou pole feptentrional ,
cela n'eft pas exactement vrai , on a obfervé
des changemens confidérables dans cette
direction ; & l'on a trouvé que l'aiguille
déclinoit , foit vers l'Orient , foit vers
l'Occident , de plus ou de moins de degrés,
fuivant les différentes parties du globe où
l'on fe trouvoit : on a encore obfervé que
la déclinaifon n'étoit pas conftamment la
même ; que dans beaucoup d'endroits elle
augmentoit affez uniformément & également
d'année en année , que dans d'autres
elle avoit paffé de l'Eft à l'Ouest ( 1 ) ; que
dans quelques- uns elle n'avoit pas changé
depuis cent ans ; enfin , qu'il y avoit desendroits
fur le globe où la bouffole marquoit
le vrai Nord , & ne varioit point du tout.
Ce font toutes ces variétés dans la marche
de l'aimant qui ont engagé plufieurs
hommes célèbres dans les fciences de chercher
à les connoître , de tâcher d'en découvrir
les caufes , & de les affujettir à une
théorie conftante & fuivie ; mais malgré
toutes leurs recherches & tous leurs travaux
, l'on n'a pas encore pu y réuffir ; on
eft bien parvenu à connoître l'état de la:
( 1 ) A Paris en 1710 l'éguille y déclinoit de 8
deg. vers l'Eft , & en 1750 la déclinaiſon étoit de
18. d. 20 m. vers l'Oueft , de forte que dans l'ef
pace de 150 ans elle a changé à Paris de 26 ° . 20 ' ...
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
variation par toute la terre : on fait les
changemens qu'elle a effuyés depuis plus
de cent cinquante ans , mais on ignore fes
loix , & fi les obfervations peuvent conduire
à un fyftême général qui en afſure
& fixe la théorie.
Ce n'eft pas cette théorie que j'ai eu
en vue dans la Carte que je vous envoie ;
j'ai feulement voulu mettre fous les yeux
des Navigateurs François l'état actuel de
la variation dans les mers les plus fréquentées
, ce qui eft extrêmement utile ; puifque
fi le Pilote n'y avoit point d'égard , &
fuivoit l'air de vent marqué par fa bouffole,
il n'arriveroit pas au lieu de fa deſtination
: & plus la diſtance feroit grande ,
ou plus il y auroit de variation , & plus
il s'écarteroit de fa route.
,
Un autre avantage que l'on peut tirer
d'une pareille Carte , c'eft de voir l'endroit
du globe où l'on fe trouve & de quelle
partie on s'approche , en comparant l'obfervation
de variation que le navigateur
doit faire chaque jour lorfque le temps
le lui permet , avec le nombre de degrès
que la carte lui indique pour le point de
latitude & de longitude où il s'eftime
être arrivé ; de forte que fi l'on avoit des
obfervations de variation bien faites pour
tous les degrés du globe , on auroit les
OCTOBRE 1765. 157
longitudes ceci demande une difcuffion
particulière , que je réferve pour un Mémoire
dont j'aurai l'honneur de vous faire
part.
Tout le monde fait que c'eft au célèbre
M. Halley que l'on doit la première carte
des variations ; depuis lui MM. Montagne
& Dodfon en ont publié deux , l'une en
1744 & l'autre en 1756 ; c'eft cette dernière
que j'ai prife pour modèle. J'avois
il y a long-temps raffemblé quelques milliers
d'obfervations de variations extraites'
d'un grand nombre de journaux de navigation
; & lorfque j'en ai voulu faire uſage,
j'ai trouvé que j'étois fort éloigné du nombre
dont j'avois beſoin ; mais la table que
ces Meffieurs ont dreffée & donnée comme
le réfultat de cinquante mille obfervations
de variation , m'a paru fuffifante pour remplir
mon projet. Je me fuis donc attaché
uniquement à la variation telle qu'elle étoit
en 1756 , & je l'ai rapportée au méridien'
de Paris au lieu du méridien de Londres ,
pour lequel elle étoit dreffée. On trouve
cette table dans le cinquantième volume
des tranfactions philofophiques , année
1757 ; elle renferme différentes périodes
de la navigation comparées entre elles depuis
1700 jufques 1756. Une remarque
faire , c'eft que , quoique ma carte marque
158 MERCURE DE FRANCE.
les variations pour l'année 1756 , elle fert
également pour l'année 1766 , en ajoutant
un degré trente minutes au nombre de
degrés marqués fur la carte ; de forte qu'à
l'endroit où elle marque dix degrès de variation
, il faut y compter onze degrés &
demi c'eft ce dont j'ai averti dans une
remarque que j'ai ajoutée dans un des
côtés de ma Carte. On peut fur ce fujet
voir les Mémoires de l'Académie des Sciences
, année 1761. M. Delalande y fait une
obfervation importante fur la régularité
avec laquelle la déclinaifon de l'aiguille
s'augmente depuis environ deux fiècles ( 2 ) :
« Les obfervations modernes , comparées
» tant entre elles qu'avec les plus anciennes,
≫ donnent une marche fuivie & uniforme ,
» & prouvent que cette augmentation eft
» conftamment de neuf à dix minutes par
» année » .
A l'égard des vents généraux que j'ai
marqués fur ma Carte comme conftans dans
( 2 ) Cette règle n'eft pas fans exception ; il y a
des endroits fur le globe où la variation n'a pas
changé depuis cent ans ; un exemple : en 1656 elle
étoit de 19 deg. à la côte orientale de l'Ile de
Madagaſcar; & en 1756, on trouve la même variation
de 19 deg. vers le milieu de l'ifle du côté de
l'Eft . En 1710 , au détroit de le Maire , la variation
étoit de 22 à 23 deg. aujourd'hui elle eft
encore la même,
OCTOBRE 1765. 159
certains parages ,c'est le réſultat d'un traité
fur les vents qui fe trouve dans le fecond
volume des voyages de Dampierre , & dont
MM. Bouguer & Delacaille ont fait ufage
dans leurs traités de navigation de 1753 &
1760 .
NOTICEfommaire d'un Baro - Thermomètre
nouvellement inventé à Londres en
1764 , & rendu public l'année fuivante ,
fous le nom de Aëroftathmion , ou vraie
Balance de l'atmoſphère.
IL y a long-temps que les Philofophes
fe font apperçus de l'impoffibilité d'examiner
le vrai poids de quelque corps que
ce foit , fans que les variations caufées dans
fon volume par l'action de la chaleur ou
du froid , y apportaffent quelques différences
réelles , d'autant plus confidérables
d'un temps à un autre , que les corps feroient
par eux mêmes plus fufceptibles de
ces variations dans leurs volumes . Ce que
nous appellons poids , gravité , ou tendence
vers le centre de la terre , étant une
force ou qualité effentielle à la matière en
général , on la conçoit également diftrit
160 MERCURE DE FRANCE.
buée dans toute fa maffe : & par conféquent
à proportion du plus ou du moins
de matière qu'il y a dans chaque corps ,
il faut qu'il foit plus ou moins peſant :
de façon que le plus compact , c'est- à- dire,
celui qui a le plus de matière , eft toujours
celui qui pefe le plus. C'eft de ce principe
que vient l'équilibre entre différens
corps , dont les grandeurs ou volumes font
inégaux. Un pied cube de dragées ( foit
de plomb ou de fucre candy ) eft toujours
plus léger qu'un pied folide de la même
matière. Pourquoi faut- il ajouter plus de
dragées du côté du premier , pour pefer
autant que le fecond ? On voit que ce
n'eft que parce qu'il y a une grande quantité
de vuides entre les grains dont il eft
compofé. Pourquoi de deux corps également
pefants , mais de différentes magnitudes
, celui qui eft de la plus grande , devient
toujours le plus léger lorfqu'on les
plonge dans l'eau ? C'eft parce qu'ayant
autant de force pefante que l'autre , il a en
même temps un plus grand obftacle à vaincre
, ayant une plus grande quantité d'eau
à déplacer du lieu qu'il doit occuper par
fon volume ; tandis que l'autre étant moindre
, n'a pas befoin d'en déplacer autant
pour s'y loger. Donc puifqu'il eft prouvé
par des expériences inconteftables , conOCTOBRE
1765. 161
tinuelles , & fenfibles à tout le monde ,
que les corps s'expandent , c'cft - à - dire ,
augmentent leur volume en devenant rarifiés
par l'action de la chaleur , & par
conféquent plus légers : il s'enfuit qu'il
n'eft pas poffible de connoître le vrai
poids d'un corps , fans avoir égard aux
effets que la chaleur ou le froid peuvent
caufer dans fes dimenfions ou volumes.
C'eft d'après ces principes qu'on eft parti
pour conftruire le nouveau Baro- thermometre
, afin de trouver toujours la quantité
de la vraie preffion de l'atmosphère ,
refpectivement à la moyenne température
de l'air envers le degré de chaleur ou
de froid qui peut arriver dans le temps
de l'obfervation . On a corrigé les défauts
des baromètres dont on s'eft fervi jufqu'à
préfent , & on a donné à ce nouveau tous
les avantages qu'on peut defirer ; de forte
que c'eft avec beaucoup de raifon qu'on
l'a appellé l'Aëroftathmion ( Argosalutor ) , ou
vraie balance de l'air. Cet inftrument par fa
propre conftruction montre les différentes
expanſions du mercure , qui lui fert auffi
bien que dans les autres barofcopes , pour
exprimer par la hauteur de fa colonne la
quantité de la preffion de l'atmofphère .
On voit par là que le nouveau baromètre
renferme auffi en foi - même un vrai ther162
MERCURE DE FRANCE .
momètre , où les circonftances de toutes
fes variations font les plus analogues à
celles des fluides de nos corps , étant
auffi bien que nous , également comprimé
par le poids total ou compreffion de l'atmofphère
d'où il s'enfuit que c'eft uniquement
avec cette eſpèce de thermomètre
, qu'on peut faire les plus utiles obfervations
pour la médecine.
:
Les avantages de cet inftrument philofophique
, avec les particularités de fa conftruction
, font décrites dans un mémoire
affez étendu , préfenté par l'Auteur (J. H.
de Magalhaens ) à la Société Royale de
Londres , dont une première partie fut lue
le 21 Février 1765 , & la feconde les 13 &
20 Juin fuivant. Pour contenter la curiofité
des amateurs , on donnera ici l'article
59 de ce mémoire , où l'Auteur a fait une
efpèce de récapitulation des qualités &
avantages de fon inſtrument.
"
"
»
« L'aëroftathmion ( dit l'Auteur ) étant
» bien exécuté felon les avis & les principes
donnés ci - deſſus , deviendra par
fa propre conftruction une complete
& vraie balance pour connoître la pref-
» fion ou le poids de l'atmosphère. Ce
» fera un inftrument philofophique tout-
» à- fait nouveau , quoique par fa figure
> il ne diffère pas beaucoup des autres baOCTOBRE
1765. 163
»
"
romètres , & que même quelques par-
» ties dont il eft compofé , font déja connues
depuis long - temps. Il réunit en
» foi- même le meilleur & le plus utile
thermomètre qu'on puiffe avoir pour
» les obfervations en médecine. On le
pourra tranfporter aifément , fans dan-
» ger & fans dérangement , d'un endroit
» dans un autre , quoiqu'éloigné , fans en
» vuider le mercure. Les divifions ou degrés
appartenans au baromètre , auffi bien
que ceux du thermomètre , pourront
» être agrandis autant qu'on le voudra . Les
» différences extraordinaires , qui fe trou-
» veront provenant de l'attraction ou influence
particulière entre le tube ou ſiphon
, & le mercure , feront connues ,
» & par conféquent corrigées. Toutes les
» autres quantités , qui par mépriſe ou par
» bévue étoient comptées en plus ou en
» moins jufqu'à préfent , provenant de
" prendre la mefure de la hauteur du
» mercure depuis fa furface dans le réfervoir
jufqu'au point de l'attouchement
» latéral de l'autre furface , laquelle eft
toujours un peu plus haute que fon bord ;
" ou de ne point compter les différentes
» hauteurs de la furface inférieure dans le
» réfervoir, caufées par la quantité du mercure
qui fort ou qui rentre dans le tube
36
و د
>>
164 MERCURE DE FRANCE .
» ſelon les différentes preffions de l'atmof-
» phère ; ou provenant de la mauvaiſe pro-
» portion entre la largeur du tube & celle
» du réſervoir ou de la difficulté que le
ور

mercure trouve dans fon paffage en for-
» tant ou rentrant dans le tube , dont l'em-
» bouchure eft communément à plat pofée
» fur le fond du réfervoir ; ou des inéga-
" lités intérieures du tube ; ou de la mau-
» vaiſe poſition de l'oeil de l'obfervateur ,
» qui rarement le met perpendiculaire-
» ment à la ſurface du mercure ; & en-
» fin toutes les erreurs qui peuvent arri-
» ver à cauſe de la différente gravité ſpé-
» cifique du mercure , dont on fait ufage
» en divers inftrumens , feront aisément
» corrigées avec beaucoup d'exactitude
D
ود
» .
Les erreurs & méprifes qui peuvent arriver
dans les obfervations ordinaires
faites avec les baromètres dont on s'eft
fervi jufqu'à préfent fur le fommer des
montagnes , ou dans des caves & mines
très- profondes , ainfi que dans le temps
des grandes chaleurs & des plus grands
froids , vont bien au delà de deux pouces
& demi ; & celles des obſervations ordinaires
, à trois demi-pouces , comme on
le voit clairement par le calcul des notes
A. B. D. Q. &c. du Mémoire cité. Mais
comme le nouveau thermomètre à l'ufage
OCTOBRE 1765 .
165
de la médecine , effentiellement contenu
dans l'Acroftathmion , eft une de fes plus
excellentes quantités , on croit flatter la
curiofité du Lecteur , en ajoutant ici les
propres paroles de l'Auteur à cet égard
dans le paragraphe 37 & fuivans de fon
Mémoire .
« Je n'ai confidéré ce nouveau thermo-
» mètre jufqu'ici ( dit l'Auteur ) que com-
» me une fimple curiofité , dont on peut
feulement attendre quelques notions
» utiles pour la théorie de la phyfique
expérimentale , puifque par les raifons
» alléguées dans le §. 9 , ce thermomètre
» ne peut s'accorder avec celui de Frahenheit
, auquel il n'eft plus analogue , &
» encore moins avec aucun des autres
"
~
و و
و د
que dans le temps
où la preffion
de l'atmofphère
fe trouve
à 30 pouces
( meſure » d'Angleterre
) felon la conftruction
que » je viens d'en donner
dans le §. précé-
» dent. Mais
fi on confidère
attentivement
» la difpofition
ou nature
de ce thermo- » mètre , on remarquera
qu'il n'y en a pas
» d'autres
qui foient
aufli avantageux
que » celui- ci , pour
faire
les obfervations » dont nous avons
le plus de befoin » c'eſt-à-dire , celles
qui concernent
nos
» propres
corps. Dans
ce thermomètre
» quoique
toutes
les expanfions
& conden
رد
ور
ود
و د
766 MERCURE DE FRANCE .
fations du mercure provenant de la
quantité de chaleur ou de froid , font,
» faites librement fans la moindre réfif-
» tance dans le vuide qui refte au haut du,
tube , néanmoins elles font au même
» temps réellement affectées par la pref-
» fion de l'atmoſphère , dont le même
» mercure fupporte tout le poids , moyen-
>> nant la communication de l'autre bran-
» che du fiphon qui eft toujours ouverte :
» & par conféquent elles font les plus ref-
» femblantes & analogues avec le plus
grand rapport à celles que ces deux mê-
» mes caufes produifent dans nos corps :
» d'où il s'enfuit que ce nouveau ther-.
» momètre eft plus propre qu'aucun autre
pour les obfervations qui regardent la
» médecine .
"
»
» Les meilleurs thermomètres com-
» muns font toujours fcellés hermétique-
» ment ; & par la figure qu'on tâche de
» leur donner , ils font prefque tout à- fait
» exempts d'être affectés par la preffion
» de l'atmosphère. Quelle petite compa-
» raifon y a- t- il avec les effets produits
» en nos corps , qui plongés entièrement
» dans le fluide qui nous environne im-
» médiatement , ne peuvent manquer de
participer aux différentes preffions de ce
, même fluide , combinées avec les dif-
ود
כ
OCTOBRE 1765. 167
férens degrés de la température ? J'avoue
qu'en lifant les excellentes remarques
-de Boerhaave dans fa chymie fur les dif
férens effets que la chaleur produit
dans les fluides fous diverfes preflions
de l'atmosphère , je n'ai pu m'empê
cher d'être étonné que ce grand hom-
→ me n'eût pas été conduit par ce même
=> difcours à préférer pour les ufages de
» la médecine quelque thermomètre , où
> la preffion de l'atmosphère cût une gran-
» de influence , à tout autre quelconque
qui n'en eût aucune.
>>
Ce grand Philofophe nous dit , comme
je l'ai déja cité ailleurs , qu'il y a en-
» viron neuf degrés de différence dans
le thermomètre de Fahrenheit , entre la
» chaleur de l'eau bouillante fous une
» grande preffion de l'atmosphère , & celle
» de l'eau bouillante de même fous une
» autre plus légère preffion .... ( l'Auteur
ג כ
cite ici les différentes expériences du
» Doct . Martine . & de Meff. le Monnier
» & S. de Montefquieu ; fur le même ſu-
» jet ) .... Ce principe d'une plus grande
compreflion , pour augmenter la cha-
» leur dans les fluides , eft fi puiſſant
qu'à lui feul eft attribuée par Mufchen-
» broek ( §. 731 Elem Phyfic. ) & par
d'autres Philofophes , la grande chaleur
30
ود
ود
>
168 MERCURE DE FRANCE.
"
13
"3

ود
» que l'eau obtient dans la machine de
Papin, où elle devient fi chaude , qu'elle
fait fondre l'étain ; c'eſt- à - dire , qu'elle
» arrive au 408 degré de Fahrenheit
» felon Martine ou même au 422
degré , felon Mufchenbroek cité
par le
» même Martine ( page 362 de fes médicales
& philofophes effais ) : d'où il
» faut conclure deux chofes : 1 °. que les
fluides de nos corps doivent être confi-
» dérablement altérés par les différentes
preffions de l'atmosphère , felon que les
grandes chaleurs font combinées avec
» les plus grandes preffions , ou les plus
grands froids avec les moindres preffions
de l'atmosphère . 2 ° . Que les mêmes
fymptômes provenant d'une certaine
quantité d'expanfion dans nos fluides ou
» humeurs , doivent néceffairement arri-
» ver fouvent , quand les plus parfaits
thermomètres ordinaires indiqueront
différens degrés .
""
»
و د
ود
30
و د
39
avantages
obte-
" J'ai parlé à plufieurs Médecins des
» obfervations du thermomètre à l'égard
» des maladies ; & la plupart ont avoué
ingénûment
que les
» nus dans la Médecine - pratique par le
» moyen de ces inftrumens , ne font réel-
» lement que très- peu de chofe . Mais com-
» ment pourroit-il arriver autrement , fi
les
OCTOBRE 1765 169
2
و ر
"
» les expériences & obfervations faites avec
» ces inftruments , doivent être bien fou-
» vent contradictoires les unes aux autres
puifque, comme je l'ai déja dit , les mê-
» mes fymptômes provenants d'une même
? caufe , c'est- à- dire , du même degré
d'expanfion ou de condenfation , fouf-
» fertes par nos humeurs à caufe de la
chaleur ou du froid , doivent arriver un
grand nombre de fois , quand les meilleurs
thermomètres communs marquent
» différens degrés , mais dont les effets
» fur nous font réellement les mêmes par la
différente combinaiſon des diverſes pref-
» fions de l'atmosphère ? Donc quelles
conféquences ou quel grand fecours a- t-
» on pu tirer jufqu'à préfent des meilleurs
» thermomètres dont on a fait ufage dans
» ce genre d'obſervations ?
*
"
**
J'ai lieu d'efpérer que les Médecins
» & les curieux voudront bien s'appliquer
plus férieufement à l'avenir à obferver
» les changemens & fymptômes qui arri-
» veront dans le genre animal , avec ces
>>
nouveaux thermomètres , fi analogues
» & fi conformes à la vraie conftruction
» ou difpofition que le fage Auteur de
❤la nature a bien voulu donner à nos
corps. Qui peut douter que de vraies
machines hydrauliques , quoique mer-
Vol. II. H
170 MERCURE DE FRANCE.
"
93
"
» veilleufement organifées comme elles
» le font , doivent fouffrir de très-confi
» dérables altérations & changemens cau
» lés par les différentes expanſions & condenfations
de leurs fluides , combinées
avec les diverfes compreflions de leurs
» vaiffeaux ? Que ce principe eft fertile
» & abondant pour inveftiguer les vraies
caufes de plufieurs maladies & leurs
fymptômes , auffi bien que de plufieurs
changemens auxquels nos corps font fu →
" jets ! ( Voyez les Prolegomena du pre-
" mier & fecond volume des excellentes
obfervations de ære & morbis epidemi-
» cis , du D. Huxam , Lond. 1752 ) . Ce
» nouvel inftrument étant bien conſtruir
fuivant les avis & indications donnés
» dans ce mémoire , eft fans doute le plus
» propre pour ce genre d'inveſtigations
utiles. C'eft pour cette raison qu'on lui
» a donné le nom de médical thermometer
» ou thermofcope deftiné aux obfervationsde
» la médecine. Je conçois les plus grandes
" efpérances des découvertes que l'on fera
à l'avenir avec ce nouvel inftrument :
elles deviendront très - importantes en
faveur du genre humain .... &c » 0 «
Quoiqu'entre plufieurs autres bonnes
qualités de l'aeroftathmion , il a auffi celle
'être fufceptible de diverfes formes ou fi→
"
OCTOBRE 1765. 170
gures , & de différentes augmentations ,
améliorations , & décorations ou ornemens
, de manière qu'un chacun pourra
choifir à fa fantaifie celui qui lui plaira
le mieux : cependant l'entrepreneur ne fe
propofe quant à préfent que d'en conſfruire
de cinq efpèces , qui font les fuivantes
diftinguées par ces noms le complet
aëroftathmion , le commun , le philofophi
que , le thermo- médical ( ou medico - ther
mometrique ) , & l'univerfel.
I. Le principal avantage du complet
Aeroftathmion , eft celui de montrer en
grand les petites différences & variations
du baromètre , auffi bien que celles appartenantes
au thermomètre , de façon
qu'on peut juger de chacune très- diftinctement
& avec facilité par une fimple
opération. Il renferme les autres qualités
& circonftances ci- deffus , & on peut le
décorer & l'embellir de différentes manières.
- II. Le Commun Aëroftathmion a prefque
les mêmes avantages , excepté celui de
montrer en grand les petites variations
mais auffi n'eft-il pas fi cher que l'autre.
III. Le Philofophique fait voir les mê
mes variations felon leur propre grandeur
én décimales & centéfimales d'un pouce : ce
qu'il a d'avantageux fur les autres , eft que
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
toutes fes mefures font prifes & pour ainfi
dire examinées à chaque opération par la
main de l'obfervateur , fans qu'il puiffe
refter le moindre doute ou fcrupule à
l'égard de l'exactitude de l'inftrument.
IV. Le Thermo-médical eft comme la
feconde efpèce ; mais ce qui l'en rend différent
, c'eft la forme de fon tube ou ſiphon
qui fait voir en grand les degrés de la température
de l'air. Il n'a pas l'appareil appartenant
aux obfervations de la pefanteur de
l'air.
..N. B. Tous les autres Acroftathmions
peuvent aufli être conftruits avec cette
effèce de tube, & renfermer leurs propres,
avantages.
N. B 2. L'Entrepreneur conftruit auffi
fur le même principe ( de la combinaiſon
des expanfions & condenfations du mercure
avec les différentes preffures de l'atmof
phère ) des Thermomètres d'une médiocre
grandeur , & même affez petits pour être
portés dans la poche. On les appelle Thermomètres
analogues pour les raifons de
l'Auteur rapportées ci -deffus. Leur échelle
eft la même que celle des Aeroftahmions ,
qui ont le o à la moyenne température , ou
55 degrés de Fahrenheit , ce qui ne différe
feulement que de deux degrés de plus de
la température des caves de l'Obfervatoire
OCTOBRE 1765. 173
de Paris , qui eft à 53 , felon D. Martine ,
( pag. 225 du traité ci - deffus ) . Réellement
cette échelle eft de toutes les autres
la plus facile à être comprife par toutes
fortes de capacités ; puifque , felon les
notions générales qu'on a de la chaleur &
du froid , il eft bien plus fimple de comprendre
que l'air eft v. g. à 12 degrés de
chaleur , ou 20 de froid , ou qu'on eft dans
un air tempéré , que d'entendre d'abord
ce que veut dire être à 67 ou 35 , ou enfin
às de Fahrenheit , ou à 15 , 1 , & 10
degrés de Réaumur , &c.
V. Enfin l'univerfel ne différe des précédens
que feulement dans la proportion
des tubes , par laquelle il devient plus propre
pour les obfervations fur les plus hautes
montagnes & dans les caves ou mines les
plus profondes.
Chacun de ces inftrumens peut être
transporté d'un lieu dans un autre & envoyé
à tel diſtance que ce foit , rempli de
mercure ou tout - à - fait vuide , felon qu'il
plaira , fans crainte que l'inftrument foit
dérangé ni endommagé. On donnera avec
chacun de ces inftrumens les inftructions
& directions néceffaires pour en faire
ufage. A l'égard du prix , il n'eft pas aifé
de le fixer : le prix de chacun devant être
proportionné à la qualité des matériaux &
Hiv
174 MERCURE DE FRANCE.
des ornemens qu'on y emploiera ; cependant
on peut dire en général que depuis le
moindre de la quatrième eſpèce jufqu'au
plus excellent des autres , leurs
prix feront
entre les termes de deux louis & demi
jufqu'à douze , à moins qu'on n'y ordonne
expreffément quelques autres additions ou
ornemens de plus : mais le prix des Thermomètres
analogues à l'ufage de la Médecine
ne fera que feulement entre un &
deux louis d'or.
M. Henry Pyefinch , Opticien & faifeur
d'inftrumens de Mathématiques , eft le ſeul
qui a le privilége de faire les vrais Aëroftathmions
& de les vendre & débiter par
lettres patentes du Roi. Il demeure à Lon
dres , rue Cornhill , entre celle de Gracechurch
& le Royal - Exchange. Toutes les
commiffions qui lui feront données feront
faites promptement , & parfaitement exécutées,
On trouvera auffi dans fa boutique , à
un prix raiſonnable , toutes fortes d'inf
trumens pour l'Aftronomie , la Phyfique ,
les Mathématiques , l'Optique & la Navigation
, exécutés avec tout le foin poffible.
Il travaille lui- même les Télefcopes Newtoniens
& Grégoriens de toute grandeur ;
& on eft bien affuré des refpectives bontés
OCTOBRE 1765. 178.
de chacun de ces inftrumens par les expériences
qui en font faites par des perfonnes
favantes & habiles dans la pratique de
chaque fcience où ils doivent être employés
avant d'être envoyés aux acquereurs ou de
les expofer en vente.
PLAN d'Education particulière.
Vous defirez , Monfieur , que je mette
fous vos yeux le plan d'éducation que j'exécute
, ce qu'il renferme , & l'ordre qui s'y
garde. L'intérêt que vous voulez bien
prendre à mon établiſſement à Paffy , eft
une preuve de vos bontés pour moi , à laquelle
je fuis affurément très-fenfible. Je
me hâte d'y répondre par mon empreffement
à fatisfaire votre curiofité par un
exposé auffi fimple que fidèle.
Je ne parlerai point ici du principe ,
& pour ainfi dire de la bafe de l'éducation
; je ne parlerai que des connoiffances
qui cultivent & perfectionnent l'efprit ,
& mettent un jeune homme à portée d'embraffer
les différens états de la Société , &
d'en semplir convenablement les devoirs.
Telles font les langues françoifes , latine &
grecque , la géographie & l'hiftoire.
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
Toutes les langues ont des principes
communs , & la nôtre eft tellement liée à
la langue latine , qu'il eft prefqu'impoffible
, fans la connoiffance de la dernière ,
d'appercevoir l'étymologie & la force de
la plupart des termes qui ont pale dans
notre langue , & qui la compofent prefque
toute entière.
Mais enfeigner à un enfant les deux
langues à la fois , c'eft confondre fes idées
& le furcharger , c'eft deffécher fon imagi
nation , & en éteindre le feu qu'il faut ménager
auffi combien fe trouve- t- il de
jeunes gens qui après neuf ou dix ans d'étude
, ne favent pas s'énoncer , foit en
parlant , foit en écrivant , & pèchent continuellement
contre les regles de la langue
& celles de l'ortographe. Ils ne répa
rent le défordre de leurs idées , & ne remédient
à leur ignorance qu'avec bien de
la peine , & qu'en fuivant une nouvelle
méthode d'étudier.
C'est pour prévenir cet inconvénientque
je fais apprendre très exactement les principes
de notre langue : fes principes préparent
& conduifent à l'étude de la langue
latine , à laquelle mon élèvel s'appli
que avec d'autant plus de plaifir & defuccés
, qu'il y trouve moins de difficultés .
Apprendre la langue latine n'eft en quel
OCTOBRE 1765. 177
que forte
que répéter
les principes
de la
nôtre
. L'expérience
m'a enfeigné
que le difciple
doit refter quelque
temps
à l'entrée
du pays
latin pour y marcher
enfuite
plus fürement
& plus vite.
+
La raifon eft , que des écoliers avancés,
dans les claffes font fouvent obligés de
revenir à leurs premiers principes : je les
fais donc apprendre imperturbablement
enfuite les concordances , fur lefquelles je
donne de temps en temps quelques thèmes
pour en affurer la mémoire : cependant je
fais prendre à mon élève un Auteur latin
le plus propre à lui former le coeur & l'efprit
, c'eft le Selecte prophania hiftoria.
C'eſt un recueil de morceaux choifis des
meilleurs Auteurs de l'antiquité , d'un
ftyle pur , clair & élégant. Mon Elève , en
F'expliquant , prend infenfiblement le goût
de la belle latinité ; les hiftoires intéreſfantes
qui y font rapportées piquent fa curiofité
& le rempliffent d'admiration , de
voir que des païens , qui n'avoient ni les
mêmes exemples de vertus , ni les mêmes
motifs que nous avons de les pratiquer ,
ni enfin les mêmes fecours , aient néanmoins
fait des actions furprenantes en
toute forte de vertus. Les réflexions que
nous faifons ne peuvent laiffer dans fon
coeur que d'heureufes impreffions.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
>
Cet Auteur eft trop difficile , dira -t- on
pour des commençans ? Cette objection
n'eft rien. Il ne leur paroît point tel.
lorfque l'on ne leur en explique qu'une
ou deux phrafes , qu'on les difféque en
leur préfence , en rendant raifon de toutes
les parties du difcours , en les inculquant.
Chaque jour ajoute à leur fcience .
par
Quelque temps après je fais répéter au
Difciple fon Auteur , afin que fentant
lui- même fes difficultés , fon efprit foit
préparé & rendu plus attentif aux remar
ques que je fais, & qu'il répète plufieurs
fois , afin qu'elles lui reftent dans la mémoire.
Lorfqu'il eft un peu avancé dans l'explication,
il écrit la traduction de l'Auteur;
il me la montre pour connoître , tant les.
fautes de françois que d'ortographe : a -t- il
fait quelques pas de plus dans la latinité
il rend en latin fa traduction françoife.
Le fuccès eft facile à concevoir.
Quant à la géographie , on fait que
la
connoiffance en eft non-feulement agréable
& utile , mais encore néceffaire au
moins dans fes notions générales , tant
pour la converfation que pour l'intelligence
de la lecture. Cette fcience , dans le
dérail , demanderoit trop de temps & ennuyeroit
les enfans : je m'en tiens donc,
OCTOBRE 1765 鶯
179
aux notions générales , mais de façon à
leur faire defirer de la favoir plus particulièrement.
Je pense que c'eſt affez
des jeune gens.
:
pour
Pour l'hiftoire , qui ne fait pas fur l'efprit
des enfans la inêine impreffion que
la
géographie , je me borne à l'ouvrage qu'à
fait M. de Vertot fur les révolutions romaines
les perfonnages , les actions , les
événemens intéreffent , frappent vivement
F'imagination des jeunes gens. Je mets
enfuite fous leurs yeux l'abrégé de l'hiftoire
de France , qu'il nous eft autant glo
rieux qu'intéreffant de favoir..
J'ai l'honneur , & c..
{
BLIER , Maître ès Arts & de penfion:
des quarante & de l'Univerfité.
Ma maiſon eft dans la grande rue de
Paffy , près la porte du bois ; elle eft commode
pour mon objet , fituée très -ayantageufement
pour le bon air : on y trouve:
Pagréable & l'utile ; elle comprend deux:
beaux corps- de- logis , cours , terraffe &
jardin , avec une très-belle avenue couverte
; la maifon eft celle qu'occupoit
ci- devant. M. le Duc d'Usès .
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE..
ARTICLE IV.

BEAUX ARTS.
ARTS. UTILES.
LETTRE d'un Fabriquant de, chapeaux ,
l'Auteur du Mercure..
MONSIEUR ,
PEU fatisfait , ainfi que beaucoup d'at
tres , de la manière dont a été traité l'art
de faire le chapeau dans le Dictionnaire
Encyclopédique , il y a quelque temps que
j'avois formé le deflein de retravailler cer
article , & d'expofer plus clairement qu'il
n'a été fait , le méchanifme fingulier de cet .
ouvrage . Mais ayant confulté mes forces ,
& ne m'étant pointtrouvé les lumières fuf
fifantes pour en traiter la partie phyfique.
de façon à me faire entendre , je réfolus
de n'y plus fonger. Il étoit réfervé à un
Savant de remettre cette matière au jour,
& c'eft ce qui vient d'être exécuté par M..
OCTOBRE 1765 . 184
FAbbé Nollet , dans un ouvrage qui
pour titre l'Art du Chapelier.
Il ne s'agit donc maintenant
que d'exa
miner comment l'Auteur a rempli fon objet
: il n'y avoit peut- être qu'un fabriquant
qui pût le faire: c'eft en cette qualité que
je vais hafarder quelques réflexions.
Mais avant , je crois à propos d'établir
la question fuivante : favoir , fi l'Auteur
en traitant de nouveau cet art , a dû le
faire d'une manière raifonnée & fatisfaifante
pour le curieux , & même inftructive
pour le fabriquant , ou fe contenter
fimplement d'en expofer mot à mot la
routine , bonne ou mauvaife , fans approfondir
ni rendre raifon de rien. Il fem
ble que c'eft à cette dernière façon que M.
l'Abbé Nollet a donné la préférence. A- tchoifi
la meilleure ? Pour moi je crois
que non , & voici mes raifons. Comme
article de Dictionnaire , on n'eût peut- être
rien defiré de plus , la manière fuperfi
cielle dont il eft fait , convenant allez à ce
genre de livre ; mais il s'agit ici d'un traité
, dont le plan doit être bien différent
puifqu'il eft fenfé fait pour inftruire à
fond , & donner des connoiffances plus
particulières aux véritables curieux . De
plus , la perfection de l'art qui devoit en
réfalter , étoit pour l'Auteur un motif
182 MERCURE DE FRANCE.
& un encouragement fuffifant à faire tou
tes les expériences & les recherches néceffaires
, fur-tout dans les parties qui font
relatives aux connoiffances profondes qu'il
a de la phyfique. N'ayant rien fait de tout
cela , M. l'Abbé Nollet n'a donc point
fenti l'étendue de fon engagement
; ou a
eu des raifons particulières pour ne le
point remplir , de manière que j'ofe
dire que fon ouvrage devient prefque
inutile. Pour le prouver , il me fuffira
d'en citer quelques endroits effentiels. M..
l'Abbé Nollet , après avoir rendu compte.
des différentes méthodes des fabriquans
dans la compofition dufecret ( 1 ) , conclut
ainfi :
«
Rien ne prouve mieux que cette va-
→ riété , combien les Chapeliers font encore
éloignés de favoir en quoi confifte
» l'état actuel du poil fécrété , & combien
il eft à fouhaiter pour eux qu'on les
» éclaire fur cet article » . Pourquoi done
lui -même n'a t- il point effayé de le faire ?
Convaincu , comme il l'eft , du befoin
réel que nous en avons , a-t- il pu s'atten
dre que fans des lumières particulières ,
( 1 ) Mêlange d'eau -forte , du mercure & autres
drogues ditioutes enfemble , dont on frotte le poil
de la peau de caftor & autres ; ce qui s'appelle
fecret ou préparation.
OCTOBRE 1765. 183
& entièrement étrangères à notre état ,
nous puffions jamais acquérir cette connoiffance
; ou bien s'imagine- t- il , que
celui qui fe deftine à être fabriquant , regarde
comme un préliminaire effentiel
L'étude de la phyfique & de la chymie?Non,.
il fecontentera des lumières bornées qu'un
autre lui aura acquifes par une longue pra
tique ; s'en tenant à une connoiffance mé
thodique des effets , il s'inquiétera peu
des caufes. Il n'a ni le temps ni le deſir
d'en favoir davantage , & fon but eft rempli
dès qu'il a trouvé le moyen de débiter
beaucoup ( raifon bien fenfible de la lenteur
des progrès dans les arts méchaniques )..
Il est vrai que , quelquefois par difette de
certaines matières , il pourra être obligé de
s'écarter de la route ordinaire , mais ce
fera toujours en côtoyant : il s'égarera moinsavec
plus de favoir , mais jamais il n'ira
fûrement .S'il a le bonheur de faire quelques
découvertes fingulières ; tant pis pour le
public , parce qu'il court grand rifque d'en
être la dupe. En voici la raifon : n'ayant
point une manière fûre d'opérer lorfqu'il
quitte la voie ordinaire , furquoi peut- il
fe fonder d'avoir réuffi , puifque la preuve
dépend d'une longue expérience ? Eft- ce
au Public à la faire à fes dépens ? Il la fera
cependant tant que le Fabriquant ne pourra
184 MERCURE DE FRANCE.
point démontrer clairement la caufe phyfique
des procédés du fecret ; s'il la démontre
, alors l'homme éclairé fera à portée de
juger lui-même de la découverte , & par
conféquent d'empêcher la fraude.
Mais il paroît évident que fans un fecours
étranger il n'y a point lieu d'efpérer
que nous puiflions jamais en favoir davantage
fur cet article.
M. l'Abbé Nollet devoit- il donc fe contenter
de faire connoître notre ignorance ;"
& fi fon favoir étoit moins connu , ne
pourroit- on-pas l'en taxer lui -même quand
il dit ? les chapeaux de laine prennent
le noir bien plus aifément que ceux de
poil , parce qu'il y a apparence que le
Secret qu'on donne au poil & qu'on ne
» donne point à la laine contribue à cet
» effet ».
"
Ne fembleroit- il point par- là que l'Auteur
ignoreroit que de toutes les étoffes
la laine eft celle qui fe teint le plus facilement
? De plus , un chapeau fabriqué de
caftor qui n'a point été fecrété , expérience.
faite , prend encore plus difficilement le
noir qu'un de laine , où il n'entre jamais
de préparation. Cette différence provient
donc de la nature des matières , & non ,
comme le croit M. l'Abbé Nollet , de la
préparation. Refte à favoir fi elle n'y ajoute
OCTOBRE 1765. 185
pas une nouvelle difficulté . C'eft ce dont
il devoit s'affurer.
Pour réfoudre cette question , il feroit
effentiel de favoir fi le chapeau fortant
des mains de l'ouvrier , conferve encore
quelque partie du fecret qui a fervi à fa
fabrication , ou s'il eft entièrement évaporé
par le travail : le mercure qui entre
dans cette compofition me paroîtroit
un moyen de le découvrir, C'étoit à un
Phyficien d'en faire l'expérience pourquoi
M. l'Abbé Nollet ne l'a -t- il point
faite ? Cependant cette queftion décidée
feroit pour la teinture un avantage d'au
tant plus grand qu'elle pourroit être portée
par-là au dernier degré de perfection.
Je ne finirois point , fi je citois tout
ce que l'Auteur a négligé d'intéreffant ,
pour fe livrer à des détails minutieux , &
fouvent auffi peu digne de lui qu'ennuyeux
pour le lecteur ; il me fuffit d'avoit prouvé
, même par fon témoignage , le beſoin
que nous avons d'être éclairés , & en
même temps qu'il n'a point effayé de le
faire , quoique perfonne ne fût plus en
état que lui , foit par fes lumières & l'oc
cafion qu'il a eue de s'inftruire de la fabrication
totale du chapeau ( 2 ) . Je con-
ر
( 2 ) M. l'Abbé Nollet a été nommé pour voir
fabriquer le chapeau où il entre de la foie.
186 MERCURE DE FRANCE.
viens que cela l'auroit jetté dans un bien
plus grand travail ; mais ce travail auroit eu
un but très- utile , puifqu'il tendoit à per.
fectionner une manufacture intéreffante ,
dont la réputation dans le pays étranger
a été un objet d'envie. C'est pourquoi je
ne défefpère point de voir M. l'Abbé
Nollet fe remettre à l'ouvrage , & feconder
, en nous inftruifant , l'intention de
l'illuftre Compagnie dont il eft Membre ,
qui femble ne cultiver les fciences que
pour les adapter à des objets d'une utilité
reconnue , & d'où fortent fans ceffe ces
écrits fi inftructifs fur l'agriculture , la
fabrique & le commerce . Objets d'au
tant plus intéreffans qu'ils font le bonheur
des Peuples & la gloire du Prince
Bien- aimé qui les gouverne , dont la
mour pour eux mérite fi bien d'être com
paré à celui de ce bon Roi Siracufain ,
qui , pour la fûreté de fes fujets , fit du
père des Mathématiques un fimple Mécha
nicien.
THIERRY.
OCTOBRE 1765. 187
ARTS AGRÉABLE S.
GRAVURE.
و
MONSIEUR Ouvrier vient de mettre
en vente une Eſtampe qu'il a gravée d'après
J. E. Schenau intitulé la Lanterne
magique. Elle eft agréable , du plus
grand effet , & ne fera pas moins accueillie
que les autres ouvrages de cet eſtimable
Artifte.
Sa demeure eft Place Maubert , chez
M. Bellot , Marchand Bonnetier , au foleil
d'or.
On trouvera auffi chez lui , deux autres
Estampes gravées fous les yeux , d'après
M. Eifen le père , par M. Halbou ;
l'une intitulée ta jolie Charlatane ,
l'autre
le beau Commiffaire. L'une & l'autre font
beaucoup efpérer des talens du Graveur.
188 MERCURE DE FRANCE.
SUITE des obfervations fur les ouvrages
de peinture , fculpture , gravure , &c.
expofés au Louvre en 1765. Le commencement
de ces obfervations eft au premier
volume du Mercure de ce mois.
LE haut de la face d'une des extrêmités
du falon , du côté de l'efcalier , étoit occupée
par un très -grand tableau de M.
L'EPICIÉ , Agréé ( 1 ) Il repréſente la defcente
de Guillaume le Conquérant fur les
côtes d'Angleterre , dans le moment qu'il
fait brûler fa flotte en préfence de fes
foldats , pour les déterminer à vaincre ou
à mourir.
Il y a dans ce tableau ce que les gens de
l'art appellent de la machine ; nous croyons
que l'on doit entendre par là de l'intelligence
dans la diftribution d'un grand nombre
d'objets d'une certaine force ; mais les
expreflions des arts font comme celles des
langues étrangères dont on ne peut rendre
par la traduction ni la précifion ni
la totalité des idées qu'elles expriment.
Le jugement des Artiftes & des meilleurs
Maîtres fur cet ouvrage d'un jeune homme
, a été très- avantageux à fon talent actuel
& à ce qu'il y a lieu d'en attendre .
( 1 ) vingt-fix pieds de large fur douze de haut.
OCTOBRE 1765. 189
Ils ont loué la grandeur d'entreprife & approuvé
beaucoup de parties de l'exécution.
Si quelques perfonnes du Public n'ont pas
été auffi favorablement frappés de l'effet
de ce tableau , c'eft qu'elles ne l'ont pas
enviſagé fous le même afpect , & n'étoient
pas en état d'avoir les mêmes confidérations.
Il y avoit encore de M. L'EPICIÉ deux
autres tableaux d'une moindre grandeur ,
l'un , repréfentant Jésus - Chrift baptifé par
Saint Jean , & l'autre , deux Saints qui
diftribuent leur argent aux pauvres. Ces
derniers tableaux ont paru bien deffinés ,
& l'on a été content de la compofition.
Ils ont , ainfi que le premier , mérité des
fuffrages honorables à leur auteur , de la
part de fes juges naturels , c'est - à - dire ,
de fes confrères.
M. CHALLE , Profeffeur de Perspective ,
avoit expofé un tableau d'une plus grande
étendue encore que celui de M.L'EPICIE ( 2 ) ,
Il repréfente HECTOR entrant dans fe palais
de Paris , qu'il trouve affis auprès
d'Hélène, & lui reproche fa fuite du combat
qu'il venoit d'engager contre Menelas.
Les femmes de la fuite d'Hélène s'occupent
à divers ouvrages & à former des concerts ,
que la préfence d'Hector paroît fufpendre ,
On ne peut difconvenir qu'il y a dans ce
( 2) Vingt-huit pieds de large fur douze de haut.
190 MERCURE DE FRANCE.
tableau une grande & belle ordonnance
d'architecture , des plans bien entendus &
bien développés , en un mot , de fort bons
principes. Nous avons pour garans de ce
fuffrage des juges que la raifon ne permettroit
pas de récufer. Les yeux ftrictement
pittorefques ne verroient peut - être
pas favorablement le choc des diverfes cou
leurs dont cette architecture eft chargée.
M. CHALLE eft nouvellement Deffinateur
du Cabinet du Roi, en conféquence chargé
des décorations pour les théâtres de la
Cour ; il devoit donc faire voir en cette
occafion un effai des talens relatifs à fa
place. Il a donc pu , par la même raiſon ,
facrifier les figures de fon tableau à la
magnificence de la fcène qu'il repréſente ;
ainfi l'on ne doit pas critiquer cette dernière
partie de fon ouvrage.
M. BOIZOT , Académicien , avoit expoſé
deux tableaux de moyenne grandeur ; l'un ,
repréfentant les Grâces qui enchaînent
l'Amour ; l'autre , Mars & l'Amour qui
difputent fur le pouvoir de leurs armes .
L'âge avancé de cet Académicien doit rendre
refpectable fon zèle & fon amour pour
la pratique de fon art
M. PAROCEL , Agréë , deux tableaux
dont les fujets font tirés de la fable de
Céphale & Procris .
1
M. DESCAMPS , Académicien , quatre
OCTOBRE 1765. 191
petits tableaux , l'un , un jeune Deflinateur;
l'autre , un Elève qui modèle ; le troifième,
une jeune fille qui donne à manger à un
oifeau ; une Payfanne Cochoife dans fa
maifon environnée de fes enfans , tableau
de réception de l'Auteur. Il y a dans tout
ce qu'a expofé M. DESCAMPS une intention
heureuſe , & l'on y remarque une
connoiffance des bons principes de l'art.
Il y avoit deux grands morceaux de
M. BRIARD , Agréé ; l'un , repréſentant la
réfurrection de Jefus - Chrift , l'autre , le
Samaritain ; tous les deux d'une bonne
compofition , d'une grande manière &
d'un pinceau ferme & mâle. Il y a furtout
dans le Samaritain des beautés remarquables.
Ce même Peintre a fait voir qu'il
n'étoit pas incapable de traiter avec expreffion
des fujets moins forts & d'un genre
plus fufceptibles d'agrémens. Il avoit expofé
plufieurs petits tableaux , favoir , deux
de la fable de Pfiché , une faintefamille
& le Devin duVillage. On a introduit dans
ce dernier une vieille femme , entre le
Devin & Colin ; cette vieille femme eft
un perfonnage étranger au fujet , & qui le
déguife , de manière à ne pas reconnoître
d'où le Peintre l'a tiré. C'eft une licence
fur laquelle les Artiftes doivent avoir beaucoup
de modération . Si quelquefois elle'
fert à embellir leur compofition aux yeux
194
MERCURE
DE FRANCE.
des connoiffeurs , elle les expofe à des critiques
fort juftes de la part du plus grand
nombre , parce qu'en effet , en peinture;
comme en poéfie , l'ignorant & le ſavant
ont un droit égal de juger fur cette partie ,
& fouvent le premier s'en prévaut pour
refufer à l'Artifte tout ce que l'autre lui
accorde.
On a remarqué plufieurs chofes dignes,
d'attention , & qui font attendre encore
davantage du talent de M. BRENET, Agréé ,
dans un grand tableau qui repréfente le
baptême de Jefus - Chriſt. Il y avoit du
même un petit tableau repréfentant l'Amour
qui careffe fa mère pour obtenir
qu'elle lui rende fes armes. L'idée de ce
fujet eft agréable.
M. AMAND , Agréé , avoit plufieurs
tableaux fur divers fujets de l'hiftoire &
de la fable , & quelques efquiffes . Les ouvrages
de ceux qui n'ont pas encore atteint
Les premiers rangs dans la confidération
publique au falon , ont toujours pour le
vrai connoiffeur quelque partie qui attire
la fienne ; mais nous ne pourrions entrer
dans ce détail fans craindre de fatiguer
les lecteurs.
M. MONNET , jeune,Agréé donne lieu
a des efpérances flateuſes , par fon tableau
de Saint Auguftin écrivant fes conjefions
tilledao i par
OCTOBRE 1765. 195
par un Chrift expirant fur la croix , dont
l'effet eft digne d'une attention particulière
, & par un petit tableau de l'Amour
dont le coloris eft agréable.
Les ouvrages qu'on a vus de M. TARAVAL
, autre Agréé, font honneur à ſes études
& promettent des progrès heureux. Ils
confiftoientdans une apothéofe de S. Auguf
tin, Vénus & Adonis ; une Génoife dormant
furfon ouvrage, & plufieurs têtes d'idée, & c.
Après avoir rendu compte du grand
genre de l'hiftoire , paffons à d'autres dans
lefquelles notre Académie de France compte
d'excellens Artiftes , & l'homme de goût
des ouvrages dignes de fes attentions. La
première doit fe porter fur M. CHARDIN ,
dont nous avons déja parlé au commencement
de nos obfervations ( 3 ) ; ce Peintre
eft célèbre depuis long- temps , & l'ancienneté
de fa réputation n'en a point
affoibli les fondemens dans fes nouvelles
productions. On a généralement admiré
de lui , au falon , des tableaux pour Choify,
repréſentans divers attributs des fciences &
des arts , & d'autres des rafraîchiffemens ,
des fruits & des animaux , &c. On ne peut
donner trop d'éloges à la tranfparence , au
palpable , fi l'on peut dire , à la belle vérité
(3 ) Voyez le Mercure du premier de ce moist
Vol. II, I
194 MERCURE DE FRANCE .
des objets & à la favante induftrie dans la
manière de les grouper : en un mot , quand
ce genre eft traité , comme nous l'avons
vu dans fes tableaux , il juftifie ce que nous
avons dit de M. CHARD N dans le volume
précédent. La perfection de l'art met tout
genre au - deffus de la diftinction des rangs.
Plufieurs tableaux de fleurs & de fruits
foutiennent la réputation que M. BACHE
LIER améritée & qu'il s'eft acquife dans ce
genre. Un entr'autres cù l'on voit un
panier de fruits , éclairé par la lumière d'une
bougie, eft d'un effet très piquant & prouve
l'entente du Peintre. Il fuffit , pour autorifer
l'éloge de ce petit tableau , de favoir
que M. le MARQUIS DE MARIGNY ne l'a
pas trouvé indigne d'entrer dans la collection
exquife qui compofe fon cabinet.
Nous ne nous arrêterons pas fur le tableau
de réception de M. BACHELIER , pour le
genre de l'hiftoire , qui reprefente une
Charité Romaine , parce que cetre matière
eft traitée plus haut , & feroit déplacée ici .
Mde VIEN , Acad micienne , en expofant
un de fes tableaux qui repréfente un
pigeon , de groffeur naturelle , couvant
dans un panier , nous a fourni une nou❤
velle occafion d'admirer le talent qu'elle
poffède , d'attirer le grand , le beau faire ,
au fini , au précieux , à la patience du tra-
}
·
OCTOBRE 1765. 195.
vail de la miniature. Le plumé de ce pigeon
céderoit à peine à la nature même . Chacune
des parties de ce tableau mériteroit
un éloge particulier , & l'art de l'imitation
n'a jamais mieux faifi la vérité de fon
modèle que dans l'effet de cet ouvrage.
D'autres tableaux de Mde VIEN , indiqués
dans le livre du falon , n'ont pu y être expofés
cette année ( 4 ) .
( 4 ) L'Auteur d'une brochure fur le falon ,
intitulée : Lettres à M ** , a détaillé & admiré
d'autres tableaux de Mde VIEN , des fleurs , un
oifeau qui vient attraper un papillon ( pag. 15 de
la feconde lettre ) . Cet oifeau , ce papillon , &c.
ont été pour les fpectateurs qui les cherchoient ,
précisément les papillons de l'Avocat Patelin.
Cette méprife feroit peu importante en foi , &
nous n'aurions jamais penſé à la relever ; mais ce
qui la rend allez plaifante , c'eſt que ce même
Auteur nous reproche d'avoir parlé dans le Mercare
de Septembre 1763 d'un portrait de M. WA
TELET , qu'il prétend avoir cherché vingt fois dans
tous les coins du falon ( pag. 8 de la troisième
lettre ) , Nous fommes d'autant plus fâchés de la
peine qu'il prit alors pour ce portrait , que l'oifeau
& le papillon ne nous ont coûté aucune fatigue
cette année ; nous favions qu'ils n'étoient que fur
le catalogue , attendu que le terme prefcrit par
la nature , pour les accouchemens , avoit obligé
Mde VIEN à mettre un enfant au monde au lieu
de mettre ce tableau au falon . La brochure critique
fe récrie ironiquement à l'occafion du portrait
de M. WATELEr , fur la confiance qu'on doit avoir
en la plupart des Ecrivains. Sur qui porte aujour
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Il y avoit d'autres tableaux d'animaux ,
de gibier & de fruits par M. DESPORTES .
Ďes fleurs & des fruits par M. BELLANGÉ.
On a trouvé de la vérité , de la
d'hui l'amertume de cette remarque ? En 1763
nous avions vu ce portrait fort avancé chez le
Peintre ou ailleurs ; on pouvoit dès - lors juger de
la reflemblance . L'Auteur de cette brochure cite
le Mercure de Septembre : on fait que ce temps
eft le commencement de l'expofition ; ce portrait
étoit deſtiné à y paroître ; nous pûmes donc alors
en parler en avance , pour ne pas rifquer d'obmertre
dans notre deſcription un portrait que la célébrité
du Peintre & celle de la perfonne qu'il repréfentoit
devoient rendre intéreflant au Public . La
feconde lettre , où il eft parlé cette année du tableau
de Mde VIEN , fur la fin du catalogue , n'a
paru que vers la fin du falon , & ce tableau n'y
étoit pas ; il n'y étoit pas davantage lorfque , dans
fa troisième lettre , l'Auteur nous a accufé de parler
des tableaux fans nous donner la peine de les
der , & en parcourant feulement le catalogue. Qui
de nous ou de lui femble ufer le plus de la conmodité
de cette méthode ? Qui fait le mieux connoître
la grande confiance qu'on doit prendre en la
plupart des Ecrivains , ou de celui qui a parlé avec
connoiffance de caufe d'un ouvrage qui exiftoit
mais que des circonftances fubféquentes ont empêché
d'être expofé dans le temps ; ou de l'Ecrivain
qui , fur les trois paires de lunettes dont il
prétend que fe fervit feu CARLE VANLOO les dernières
années de fa vie , fuppofe , contre l'évidence
publique & le fentiment de tous les gens de l'art ,
l'affoibliffement de la manière d'un Peintre qui
regarOCTOBRE
1765. 197
fraîcheur & du goût dans le choix des objets.
Quelqu'accoutumés que nous fuffions
déja par M. ROLAND DE LA PORTE aux
preftiges de fon art , il nous a furpris cette
année : il a trompé nos yeux ainfi que ceux
de tout le Public fur un médaillon en peinture
repréfentant la tête du Roi , & imitant
fi parfaitement un bas - relief fali pár
la pouffière , dans un vieux cadre doré ,
brifé en certains endroits , que même , en
s'en approchant , on avoit peine encore à
fe défendre de l'illufion . Il eſt fort douteux
que les prodiges de cette efpèce , tant vantés
dans l'antiquité , foutinffent la comparaifon
de celui-ci , & très - probable que
l'hiftoire a confacré certains miracles de
la peinture , qui ne font de nos jours que
les jeux de cet aft.
M. ROLAND DE LA PORTE avoit au falon
un tableau, entr'autres , de légumes & d'uftenfiles
de cuifine , où l'imitation étoit auffi
vraie & eût été auffi illufoire fi la forme du
tableau n'eût préſervé de l'erreur.
M. BAUDOIN , qui a , pour ainfi dire ,
n'a jamais été auffi grand , auffi fublime que dans
fes efquiffes de Saint Grégoire & dans fon tableau
allégorique ( pag. 9 de la première lettre )
Fiction pour fiction , celle de l'expofition d'un
portrait en 1763 eft au moins plus tolérable que
celle qui tend à déprimer les dernières productions
d'un grand homme en 1765.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
formé le genre dans lequel il a tant de fuccès
aujourd'hui , avoit mis au falon plufieurs
tableaux peints à goüaffe , qui ont
attiré & occupé fort agreablement les
regards du Public . La partie du falon où
ils étoient placés étoit un des endroits où
l'on faifoit foule. Celui de la plus nombreufe
compofition repréfentoit les enfans
trouvés qu'on expofe dans l'églife de Notre-
Dame à la charité publique . Nous fommes
fâchés que le temps ne nous permette pas
de détailler tous les autres fujets. Il y en
avoit de très piquans , fort fpirituellement
penfés & rendus avec autant d'intelligence
que d'agrément. Il y avoit plufieurs miniatures
du même Peintre qui méritoient de
fixer l'attention des curieux en ce genre.
Le choix des fujets , l'emploi fpirituel de
leurs circonftances , l'entente de la compofition
, la grande manière dans le petit , la
fineffe & le piquant de la touche , enfin
tout fait reconnoître dans M. BAUDOIN le
gendre & l'élève affidu de M. BOUCHER.
Quelque laborieux qu'il foit , il a peine à
fuffire à l'empreffement que l'on a pour
fes
ouvrages
.
N.B. L'article intére fant aujourd'hui des Spectacles
de la Cour ne nous permet pas d'employerplus
d'espace pour celui ci ; nousfommes obligés d'en
remettre lafin au Mercure prochain.
OCTOBRE 1765 .
ARTICLE V.
SPECTACLES.
SPECTACLES de la Cour à FONTAINEBLEAU
, ordonné par M. le MARÉCHAL
DUC DE RICHELIEU , Pair de France,
premier Gentilhomme de la Chambre du
Roi , en exercice , &c . &c . Conduits par
M. PAPILLON de la FertÉ , Intendant
des Menus- Plaifirs & Affaires de
la Chambre de Sa Majesté.
M. FRANCOEUR , Chevalier de l'Ordre du Roi ,
Surintendant de fa Mufique en femestre.
LE
E Mardi , 8 du préfent mois , les
Comédiens François repréfentèrent , fur
le théâtre du Roi , Cinna , Tragédie de
PIERRE CORNEILLE. Les principaux Acteurs
étoient le fieur AUFRESNE pour le
rôle d'Augufie. Les fieurs LE KAIN &
MOLÉ pour les rôles de CINNA & de
MAXIME. La Dlle DUMESNIL pour celui
d'EMILIE. Cette Tragédie fut en général
très- bien-jouée , & l'on parut fort fatisfai
du talent des Acteurs.
Après la Tragédie on joua l'Amour
Diable , Comédie en un acte , du feu fieur
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
LE GRAND. Les Acteurs de la Comédie
étoient les fieurs BONNEVAL , MOLÉ , BOURET
, PRÉVILLE. Les Actrices , les Dlles
DROUAIN , D'EPINAY , LE KAIN.
Le Jeudi 10 , on exécuta fur le même
théâtre , en préfence de Leurs Majeftés ,
Thetis & Pélée , Tragédie- Opéra , poëme
de feu M. DE FONTENELLE , mufique nouelle
de M ***.
Le poëme de cet Opéra eft trop conņu
& trop célèbre pour nous y arrêter. La
nouvelle mufique que M*** , a fubftituéo
à celle de COLASSE , juftifiera les éloges que
nous avons fouvent donnés avec juftice
au génie & aux talens de ce favant amateur
d'un art dont il n'eft devenu praticien
que pour joindre à l'honneur d'exercer
auprès de fon Souverain un fervice intime ,
l'avantage flatteur de contribuer à ſon amufement.
Il y a de très-beaux morceaux , tant
dans la vocale que dans la fymphonie. Cet
Auteur a donné une preuve de goût en
confervant , au troisième acte , l'ancienne
mufique du beau choeur : 0 Deftin ! &c . &
ce que chante le Miniftre du Deftin , auquel
il a très-bien rejoint la mufique de la ſcène
qui fuit entre Pélée & les Prêtres . On avoit
aufficonfervé le monologue:Ciel, en voyant
ce temple redoutable , &c.
Tous les Sujets chargés de remplir les
OCTOBRE 1765. 201
rôles de cet Opéra ont fait leurs efforts
pour répondre à l'honneur de repréfenter
devant une auffi augufte affemblée. Le fieur
GÉLIN chanta le rôle du Deftin , & celui
du Miniftre de cette divinité au troifiéme
acte. Le fieur L'ARRIVÉE celui de Neptune
& d'une Eumenide. Le fieur LE GROs le
rôle de Pelée , le fieur MuGUET Mercure
& Protée , la Dlle ARNOUD le rôle de
Thétis , la Dlle L'ARRIVÉE celui de Doris
& d'Hébé , la Dile AVENEAUK Cidippe ,
une Afiatique & une des trois Sirènes
les deux autres par les Diles DUBOIS cadette
& DUBRIEUL.
Les ballets ont été auffi ingénieufement
compofés que bien exécutés . Celui des
Vents & des Euménides , entr'autres ,
au quatriéme acte , formoit un tableau
énergique & frappé des plus grands traits
qu'on ait encore vus au théâtre. La Dlle
ARNOUD qui , dans le rôle de Thétis , devenoit
le principal fujet de la fituation ,
prêtoit par l'action vive & toujours variée
de fon jeu , à l'intérêt & à la force de cette
grande image. Nous ne devons pas omettre
le facrifice du troifiéme acte , exécuté dans
toutes les circonftances , fuivant le coſtume
antique. On doit au zèle & à l'intelligence
de M. LAVAL , fils , ces heureuſes innovations
fur la scène lyrique , qu'il enrichit
I v .
202 MERCURE DE FRANCE.
journellement du fruit de fes recherches.
La Dlle GUIMARD dan foit dans le premier
acte en Sirène , dans le fecond en Afiatique
, & au cinquiéme en pas de deux dans
la fuite d'Hébé.
La Dile LANI , époufe du fieur GéLIN ,
danfoit au cinquiéme acte ; la Dlle ALLARD
danfoit au fecond acte en Africaine ,
& dans les Euménides au quatriéme acte ;
la Dile LYONNOIS , dans le fecond acte ,
en Européenne , & dans le quatrième en
Euménide ; la Dlle VESTRIS , dans le
cinquième avec le fieur VESTRIS , fon
frere ; le fieur GARDEL , dans le premier
acte , en Triton , au quatriéme dans les
Vents , & au cinquième avec la Dlle
GUIMARD ; le fieur LYONNOIS , dans le
fecond acte , en Européen , au quatrième
dans les Vents ; le fieur D'AUBERVAL ,
dans la même entrée , avec les fieurs LAVAL
, ROGIER & LÉGER ; la Dlle PESLIN ,
dans les Euménides.
Le Samedi 12 , par les Comédiens Italiens
, Arlequin Valet étourdi , Comédie
Italienne , fuivie de Renaud d'Aft , Opéra-
Comique. Paroles de M. LE MONIER
mufique de MM. TRIAL & VOCHON.
Repréfenté pour la première fois. On donnera
dans le Mercure prochain une analyfe
du drame de cet Opéra- Comique.
OCTOBRE 1765. 203
SPECTACLES DE PARIS.
L'ACADEMIE Royale de Mufique continue
les repréſentations d'Hipermneftre >
Tragédie- Opéra , poëme de feu M. DE LA
FOND , mufique de feu M. GERVAIS .
Elle remit cet Opéra au théâtre le Mardi,
premier du préfent mois d'Octobre. Il
avoit été donné pour la première fois
en Novembre 1716 , repris en Mai 1728 ,
& au mois d'Aouſt 1746 .
M. GELIN chante le rôle de Danaüs ;
M. PILLOT celui de Lincée ; M. CASSAGNADE
Arcas , confident de Danaüs , &
l'ombre de Gélanor ; M. DUPAR , le grand
Prêtre d'Ifis, & un Coriphée , au quatrième
acte ; la Dlle DURANCI le rôle d'Hipermnefire
; la Dlle DUBRIEUL & la Dile Du-
PLANT chantent dans les divertiffemens.
Nous ne donnons point l'extrait de ce
poëme , qui doit être connu pour un des
meilleurs de la fcène lyrique par tous les
amateurs de ce théâtre. La première repréfentation
de cet Opéra fut bien reçue du
Public. Il feroit difficile de citer des applaudiffemens
plus vifs , plus redoublés que
ceux que l'on donna à Mlle DURANCI
dans le rôle d'Hermineftre , & particuliè
rement dans les belles fcènes du troifiéme
204 MERCURE DE FRANCE .
& du quatriéme acte. Il feroit difficile
auffi d'en mériter davantage , & nous
n'avons pas connoiffance que l'on ait porté
plus loin l'art de l'expreffion dans le jeu
fur ce théâtre . MM . PILLOT & GÉLIN méri
tent auffi des éloges chacun dans leurs rôles.
M. VESTRIS , malgré le fervice de la
Cour , a danfé dans la paffacaille du quatriéme
acte avec l'applaudiffement ou plutôt
l'admiration des connoiffeurs , qui fentent
tout le prix & toute la difficulté d'un
genre de danfe , fimple en apparence , mais
qui réunit toutes les perfections de ce
talent. M. LANI , M. & Mlle LIONNOIS ,
Mlle PESLIN & Mlle ADELAIDE danſent
dans ce même Opéra.
Le Public voit avec un très - grand plaifir
le fuccès des Elèves de cette Académie
dans les talens applaudis du fieur SIMONET,
des Dlles VERNIER & LE ROI , tous jeunes
enfans , qui ont fuppléé à l'abfence des
premiers Sujets de ce Spectacle , employés
actuellement au fervice de la Cour.
COMEDIE FRANÇOISE.
LEE Lundi , 30 Septembre , au lieu de
la Tragédie de Phédre , qui avoit été
annoncée & affichés , on donna la première
repréſentation du Tuteur dupé ,
Comédie nouvelle en cinq actes & en
OCTOBRE 1765. 205
profe , qui fut très - applaudie & qui a été
toujours continuée depuis avec un égal
fuccès. Cette Pièce eft du genre de l'ancienne
& de la vraie Comédie. Un Valet
intriguant en fait le principal mobile ,
& ce Valet eft joué par M. PRÉVILLE :
circonftance heureufe pour faire valoir &
pour rétablir fur notre fcène la Comédie ,
proprement dite , que des genres agréables
, mais étrangers à Thalie , fembloient
en avoir bannie depuis long-temps. On
donnera dans les Mercures fubféquens une
analyfe de cette Pièce , dont l'extrait feroit
trop étendu.
COMÉDIE ITALIENNE.
ON a donné fur ce théâtre , le 7 de ce
mois , la première repréſentation du Petit
Maître en Province , Comédie en un acte
& en vers , mêlée d'ariettes. Paroles de
M. HARNI , mufique de M. ALEXANDRE.
Cette Pièce eft fuivie avec un grand fuccès.
On y applaudit fingulièrement le jeu des
Acteurs , & l'agrément d'une mufique ,
plus analogue au goût françois que dans
quelques ouvrages de ce genre.
Le jeune FIERVILLE , dont nous avons
déja parlé , & dont on ne peut trop louer
les talens , danfe après ce fpectacle une
chaconne , dans laquelle il ne laiffe pas
206 MERCURE DE FRANCE.
même à defirer les progrès qu'on exigeroir
d'un âge plus avancé.
Avis àl'Auteur d'une Lettrefignée TH1***
qui nous a été adreffée par la voie de la
Pofte de Paris.
Nous croyons que l'Auteur de cette
Lettre ne nous faura pas mauvais gré de ne
l'avoir pas inférée dans ce Mercure, comme
il paroiffoit le defirer. Nous avons été
informés que MM. les Comédiens Italiens
avoient déja prévenu les plaintes qu'elle
contient fur une petite incommodité que
l'on n'avoit pas pu d'abord éviter dans une
partie du parterre de leur falle , & qu'ils
ont pris des mefures pour donner inceffamment
fatisfaction à cet égard à ceux qui
peuvent en être défagréablement affectés.
FÊTES PUBLIQUE S.
DESCRIPTION des fêtes données à REIMS
pour l'inauguration de la ftatue du Roi ,
au mois d'Août 1765 ; à Reims , chez
J. B. JEUNE HOMME , Imprimeur , rue
des deux Anges , vis à vis celle des Elus :
in-4° , de 22 pag. Par M. DESAULX.
POUR donner une juſte idée de tout ce
que la ville de Reims vient d'exécuter
pour la gloire du Roi , nous ne pouvons
OCTOBRE 1765. 207
rien faire de mieux , que de nous fervir des
propres expreffions de M. l'Abbé Defaulx,
Chanoine de l'Eglife de Reims , Chancelier
de l'Univerfité de cette ville , & Membre
des Académies de Rome , de Nancy
& de Châlons. Nous avons eu déja plus
d'une fois occafion de parler , dans notre
Journal , des talens poétiques de cet ingénieux
& délicat Ecrivain , & de l'empreffement
avec lequel il faifit toutes les circonftances
où il s'agit de célébrer les événemens
publics , & en particulier ceux où
il eft queftion de la gloire du Roi & de la
Famille Royale Nous avons déja fait
mention dans notre dernier Mercure ,
d'un autre ouvrage relatif à celui qui fait
le fujet de cet article. Il eft intitulé le femple
de la Reconnoiffance , & fait , pour ainfi
dire partie de la defcription que nous
annonçons. Auffi alions - nous les réunir
l'un & l'autre dans un feul & même extrait.
·
Reims , dont le privilége eft de voir fes
auguftes Maîtres monter au trône de leurs
Ayeux fous les aufpices de la Religion ,
n'avoit rien de plus à defirer pour fagloire ,
que de pouvoir contempler tous les jours ,
dans un moment durable , le meilleur de
nos Rois. Ce defir formé par l'amour d'un
peuple fidèle , & fecondé par le zèle des
Magiftrats , vient d'être rempli. Louis , ce
que
208 MERCURE DE FRANCE.
Monarque bien-aimé a permis que la ville
de fon Sacre fût illuftrée par une diftinction
qui l'égalât en quelque forte à la
capitale. Reims , pour éternifer la mémoite
de cet événement glorieux , a voulu
, par un Temple élevé à la Reconnoiffance
, annoncer à la France , à l'Europe
entiére & à la poftérité , les bienfaits d'un
Roi , l'amour & le bonheur de fon peuple.
Ce Temple d'ordre ïonique , élevé
fur fept degrés de marbre , a foixante
pieds d'élévation , & quarante pieds de
face , fur un plan octogone , a quatre
faces
principales , & quatre retours . Dans les
grandes faces s'ouvrent quatre portiques
en plein ceintre , ornés de leur impofte
& archivolte. Ces portiques découvrent
l'intérieur du Temple.
Nous n'étendrons pas davantage cette
deſcription , dont les détails nous meneroient
trop loin , & qu'il faut lire dans
l'ouvrage même . Nous ajouterons feulement
ici quelques - unes des infcriptions &
des emblêmes dont M. Defaulx a enrichi
ce fuperbe monument.
La Reconnoiffance , figurée par une
femme , dans les yeux de laquelle brille
une joie mêlée de refpect , enviſage le portrait
du Roi , & adreffe ces paroles à la
ville de Reims.
OCTOBRE 1765. 209
Reims pour égaler l'honneur que tu reçois ,
Tu devois à la France offrir un grand exemple ;
A ton amour falloit - il moins qu'un temple
Pour placer le meilleur des Rois ?
La Fidélité , repréſentée par une femme
aux regards nobles & affurés , une main
fur le coeur , & dans l'autre un lys , envifage
le portrait du Roi que lui montre
un jeune Amour , & exprime ainfi les fentimens
de la ville de Reims.
Sur ce bronze , où notre ceil avec tranſpor
s'attache ,
Nos coeurs iront pour toi s'embraſer chaque jour
Déja nous égalons l'amour
Des braves Calaifiens & du célèbre Eustache..
L'Hiftoire, défignée par une femme majestueufe
& magnifiquement habillée , tenant
un livre d'une main , & de l'autre
une plume , s'adreſſe au Génie de la ville
de Reims.
Dans un puiffant Monarque & des Sujets foumis
Voir & tranfmettre à la mémoire
Un Père bienfaifant & des fils attendris >
C'est le triomphe de l'Hiftoire.
La Religion , caractérisée par une femme
augufte & modefte , portant d'une main
le livre de fes loix , & de l'autre une
couronne , s'exprime ainfi :
#10 MERCURE DE FRANCE.
Fidèle appui du Trône & Gardienne des Rois ,
C'eſt à moi d'honorer les offrandes publiques
Que les âmes patriotiques
Portent aux Souverains qui protègent més droits.
Au-deffus du Portique où eft le bufte
de M. Colbert , on lit l'infcription fai
vante :
Zélés Concitoyens , que j'aime à reparoître
Dans ces lieux fortunés où je reçus le jour !
Je vous vois pour Louis épris du même amour
Dont je fus animé pour mon auguſte Maître :
Le fpectacle que vous donnés ,
(1 ) Je l'offris jadis à la France ;
De fon éclat pompeux les Peuples étonnés
Admirerent mon Roi , mon zèle & ma prudence.
Au fecond portique où eft le bufte de
feu M. l'Evêque de Pouilly, Tréforier de
France , Lieutenant des habitans de Reims,
& auteur d'un livre intitulé : la Théorie
des fentimens agréables :
Philofophe profond , Citoyen vertueux ,
Pouilly dans ce beau jour , fi cher à ta patrie ,
Ah , puifle ton âme attendrie
(2) Voir tes projets remplis au gré de tous tes
voeux !
(1 ) M. Colbert infpira à Louis XIV le deffein du magnifique
Caroufel , dont le fpectacle attira en France an
nombre infini d'étrangers qui y répandirent beaucoup d'argent
, & qui remportèrent du Roi & du Royaume les plus
hautes idées dans un temps où l'on croyoit l'Etat épuisé .
( 2 ) M. l'Evêque de Pouilly, eette âme vraiment patrioOCTOBRE
1765. 211
Faire honorer les Rois , éternifer leur gloire ,
C'eſt dans le temple de Mémoire
Mériter d'être à côté d'eux.
Au troifieme portique , au- deffous du
bufte de M. Rogier :
Dépolitaire des projets
Dont le fage Pouilly ( 3 ) me traça le modèle ,
Infpiré par fon âme & guidé par fon zèle ,
De fes nobles deffeins j'afurai le fuccès.
Au quatriéme portique , au deſſous du
bufte de M. Godinot:
Que n'ai- je pu prévoir l'éclat d'un fi beau jour !
J'aurois , chers Citoyens , rival de votre amour ,
Par de nouveaux bienfaits ( 4 ) devancé votre
exemple ;
Par un hommage folemnel
Ma main eût enrichi ce temple
Après celui de l'Eternel.
tique , dont la fage philofophie fut toujours occupée des
plaifirs de la vertu & du bien de fa patrie , elt I auteur du
projet d'ériger dans Reims une Яtatue à la gloire de SA Ma-
JESTÉ
(3 ) M. de Pouilly fit, en mourant, M. Rogier, Conſeiller
en la Cour des Monnoics , dépofitaire de tous les grands
deffeins , & voulut par- là annoncer à fa patrie qu'elle ne
pouvoit lui donner un fucceffeur plus capable de les remplir.
En effet M Rogier en commença l'exécution avec un zèle
qui en affura le fuccès , & laitla à M. Coquebert , fon fucceffeur
, la gloire de le confommer.
(4 ) La Renommée a publié par tout les bienfaits du
célèbre Chanoine de Reims , qui a copfacré plus de qua
rante mille écus à la décoration intérieure de l'Eglife Métropolitaine
, & quatre cens mille livres à différens objets du
bien public.
212 MERCURE DE FRANCE,
Toutes les parties du Temple de la Reconnoiffance
font enrichies de defcriptions
& d'emblèmes dans le goût des précédentes.
Elles font en très - grand nombre , &
font honneur au talent de M. l'Abbé Défaulx
pour ces fortes de productions , à la
jufteffe de fon efprit , & à la délicateffe
de fon goût.
Les fêtes données par la ville de Reims ,
& dont lemême Auteur afait une fi agréable
defcription , ont répondu à la magnificence
de ce Temple. Mais cette defcription
eût été infidelle & imparfaite , fi elle
n'eût pas annoncé auffi la joie univerfelle...
qu'a répandu dans les coeurs le paffage de
la Reine allant à Commercy. Cette circonftance
inattendue , qui touchoit à la
fête publique , a ouvert la fcène des plaifirs
que promettoit la cérémonie de l'inauguration.
Ici M. l'Abbé Defaulx fait le
récit de la réception faite à Sa Majesté par
M. l'Archevêque de Reims , par l'Intendant
de la Province , les Officiers Municipaux
& tout le Peuple de la ville . De là
il revient à la cérémonie de l'inauguration
; ce font encore des détails dont on
ne peut rien fouftraire à la curiofité des
lecteurs , & qu'on ne doit pas cependant
rapporter en entier dans un Journal où
l'on ne s'attend à trouver que de fimples
notices. Nous renvoyons donc les
OCTOBRE 1765. 273.
perfonnes curieufes à l'ouvrage de M.
l'Abbé Defaulx ; & nous finirons comme
par le morceau fuivant :
lui
La ville de Reims , fingulièrement confacrée
à fes Souverains par l'onction
royale qu'ils viennent recevoir dans fes
murs , a cru devoir fe livrer à toute l'étendue
de fa reconnoiffance & de fon
aniour envers un Roi qui y perpétue en
quelque forte fa préfence par le monument
qui retrace fon image. Reims a
voulu en cette occafion épuiſer toutes les
reffources de fon zèle , pour donner la
plus grande célébrité à cette fête de la Patrie.
Les efforts , dans ces circonstances
illuftrent le Peuple qui a le mérite de les
faire , & honorent le Souverain qui les
infpire par fon amour . Auffi la ville de
Reims a - t - elle la glorieufe fatisfaction
d'apprendre que Sa Majesté a daigné agréer
ces témoignages de reconnoiffance ; qu'ils
ont mérité les éloges de fes Miniftres
les applaudiffemens des peuples voiſins
& les fuffrages des vrais Citoyens , qui
fentent tout le prix qu'on doit mettre
à l'honneur que reçoit la Patrie par le
monument qui la comble d'une gloire
immortelle.
Reims a auffi le plaifir d'annoncer que
ces fêtes qui ont attiré dans fes murs plus
d'étrangers qu'elle ne renferme d'habi14
MERCURE DE FRANCE.
tans , fe font paffées fous les yeux de la
police la plus vigilante , avec un ordre &
une tranquillité que n'ont troublé ni les
vols ni les querelles meurtrières , ni aucune
efpèce de licence .
On a cru devoir embraffer dans cette
defcription toutes les circonftances relatives
a la cérémonie de l'inauguration ;
ces détails font faits , moins pour ceux qui
ont pu en être les témoins , que pour la
poftérité ; ils deviennent quelquefois pour
elle des époques précieufes & intérellantes
on a donc fans peine facrifié les agrémens
de la narration à la fimple expofi-.
tion des faits. La magnificence que la
ville de Reims a donnée à la célébration
de ces fêtes , n'a pas befoin des ornemens
de l'art ; les couleurs feules de la vérité
fuffiront pour étonner encore nos derniers
neveux. Cette fête ne paffera point pour
les Rémois ; elle fe renouvellera chaque
jour par le plaifir de contempler l'image
du meilleur des Rois : ils liront dans fes
traits le gage de leur bonheur & l'objet
de leur vénération , en y admirant cet heureux
accord , qui offre enfemble & l'amour
d un Père tendre & la Majefté d'un
grandRoi,
Quam benè conveniunt & in una ſede morantur :
Majeſtas & Amor. Imit, d'Ovid,
OCTOBRE 1765. 215
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monſeigneur le Vice-
Chancelier , le fecond volume du Mercure du
mois d'Octobre 1765 , & je n'y ai rien trouvé qui
puifle en empêcher l'impreſſion . A Paris , co
15 Octobre 1765 .
GUIROY,
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSI,
ARTICLE PREMIER.
SUUIITTEE des réflexions fur la Littérature de
M. B *** . Page
16 EPITRE à M le Maréchal Duc de Richelieu.
CHANSON des Habitans de la Ferté-fous -Jouarre.18
AUTRE chanson des mêmes Habitans .
QUATRIEME Lettre fur l'Amitié.
21
24
AMde dela F*** aux Mouneroux en Auvergne. 35
CHANSON à la Grecque, 37
VERS au P.d'Aire , Sous Prieur des Céleftins . 38.
LETTRE à M. de la Place. 39
COPIE d'une lettre de M. Rameau à M.Beguillet, 44
FABLES Orientales par M. B ***.
EPITRE de M. Poincinet a M. Caillot,
Las Fantaifies.
STANCES à Mile B....
32
67
LE Portrait de Glycère.
La Nuit.
REQUÊTE d'un Poëte à un grand Protecteur. 76
KNIGHER. 78
#16 MERCURE DE FRANCE.
LOGOGRYPHES.
CHANSON.
ARTICLE II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LETTRE à M. de la Place.
ANNONCES de Livres.
SUPPLEMENT aux nouvelles Littéraires.
79
81
85
93
104
ARTICLE III . SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADEMIES. Prix propofé par la Société Royale
d'Agriculture de Paris.
ASSEMBLÉE publique de l'Académie des Sciences
& Belles- Lettres de Béfiers.
ACADÉMIE Royale de Caen.
118
136
146
MEDECINE. Lettre d'un Médecin Avignonois
a M. Rouffelot , Chirurgien de Paris .
GÉOMÉTRIE. Lettre à l'Auteur du Mercure. 148
GÉOGRAPHIE. Lettre de M. Belin , Ingénieur
de la Marine , à M***. de la Société Royale
de Londres.
NOTICE fommaire d'un Baro-Thermomètre .
nouvellement inventé à Londres en 1764. 159
PLAN d'Education particulière.
ARTICLE IV . BEAUX ARTS.
ARTS UTILES. Lettre d'un Fabriquant de cha-
+ peaux , à l'Auteur du Mercure.
ARTS AGRÉABLES . Gravure .
153
175
180
187
SUITE des obfervations fur les ouvrages de peinture
, fculpture , & c. expofés au Louvre. 188
"
ART. V. SPECTACLE S.
SPECTACLES de la Cour à Fontainebleau. 199
SPECTACLES de Paris. 203
Avis à l'Auteur d'une Lettre fignée Thi*** , 206
FÊTES publiques de Reims.
207
De l'Imprimerie de LoUAS. CELLOT , INC
Dauphine.
MERCURE
DE FRANCE,
DÉDIÉ AURO I.
NOVEMBRE 1765.
Diverjite , c'est ma devi, e. La Fontame.
Cachin
Silves on
Pep1i7n1S5.eulp.
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix .
JORRY , vis- a - vis la Comédie Françoife.
Chez. PRAULT , quai de Conti .
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , Imprimeur rue Dauphine .
Avec Approbation & Privilège du Roi.
1
AVERTISSEMENT.
LEE Bureau du Mercure eft chez M
LUTTON , Avocat Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
"
C'est à lui que l'on prie d'adreffer
francs de port , les paquets & lettres ,
pour remettre , quant à la partie littéraire ,
à M. DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols ;
mais l'on ne payera d'avance. en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols piece.
2
Les perfonnes de province auxquelles
on enverra le Mercure par la Pofte ,
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront d'autres voies que
la Pofte pour le faire venir , & qui prendront
les frais du port fur leur compte ,
ne payeront comme à Paris , qu'à raison
de 30 fols par volume , c'eſt- à dire , 24 liv.
d'avance , en s'abonnant pourſeize volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
A ij
t
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci- deffus.
On Supplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la Pofte , en payant le droit ,
leurs ordres , afin que le paiement en foit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoient des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pieces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M. Dɛ
LA PLACE , fe trouve auffi au Bureau du
Mercure. Cette collection eft compofée de
cent huit volumes. On en a fait une
Table générale , par laquelle ce Recueil
eft terminé ; les Journaux ne fourniſſant
plus un affez grand nombre de pieces pour
le continuer. Cette Table fe vend féparément
au même Bureau.
MERCURE
DE FRANCE.
NOVEMBRE 1765.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
SUITE DES RÉFLEXIONS SUR LA
LITTÉRATURE , DE M. B *** .
CHAPITRE V I I.
De l'efprit de nouveauté dans les Lettres.
HOOUUDDAARD DE LA MOTTE eut
affez d'efprit pour s'effayer dans tous les
genres , mais point affez de talent pour
s'immortalifer dans aucun , & fur - tout
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
>
pour s'y fixer. Delà ſes inquiétudes & fes
mouvemens pour nous faire détourner les
yeux des chefs- d'oeuvres que nous admirions
, & qu'il s'étoit en vain efforcé d'égaler.
Delá ces paradoxes littéraires
promeffes de nouveautés piquantes , d'ouvrir
des routes inconnues , où nous avons
vu la multitude des Ecrivains médiocres
fe jetter en foule & courir s'égarer fans aucun
fruit
pour
Trop delle & pour nous .
gens font nés comme Lamotte,
avec cet inftrument qu'ils croient univerfél
, mais qui malgré leur confiance ne tient
pas lieu du talent qui ne doit jamais ſe
confondre avec l'efprit , & qui peut encore
moins fe fuppléer par lui.
A- t-on ofé marcher fur les traces des
Corneille & des Molière ; on a bientôt
fenti que fans le talent de la chofe , on les
laiffoit trop loin devant foi . Dès- lors l'efprit
s'eft tourmenté pour tracer une autre
ligne où l'on pût fe montrer à la tête d'un
nouveau corps d'imitateurs .
Les tragédies en profe , les tragédies
bourgeoifes , les comédies romanefques
les drames à machines fe font offerts ;
la fecte a paru s'établir ; on a prefque
ofé méprifer les entraves que le bon fens
& la raifon avoient fait accepter à nos
premiers modèles ; des poëtiques nouvelNOVEMBRE
1765.
7
les , de nouvelles loix fe font répandues.
Qu'en est-il réfuté ? Quelques fuccès éphemères
que la cabale & l'intrigue ont produits
mais fans doute le Public , qu'il
eft difficile de tromper toujours , fentira
qu'on dénature fes plaifirs , en cherchant
à les varier .
Les arts ont leur jeuneffe ; c'eft le temps
de leurs imperfection . Ils s'élèvent , ils acquièrent
des forces , ils opèrent des prodiges
:ce qu'ils enfantent dans cet âge de
leur maturité & de leur grandeur en fixe
l'étendue. Les fiècles d'Alexandre , d'Augufte
& des Médicis n'ont pu être furpaffés
: celui de Louis XIV, malgré tous nos
efforts , ne fera point effacé ; unplus haut
degré de perfection eft une des chimères ,
un des fonges de l'efprit.
Quelques tentatives qu'ait faites fous le
règne précédent l'art de l'architecture , at-
il pu créer un ordre François ? Il eût été
bien accueilli & bien récompenfé par un
Prince qui aimoit à charger la terre des
monumens de fon fafte & de fes richeffes
; aucun moment ne pouvoit être plus
favorable à cet art : cependant il marche
toujours fur fes anciens veftiges , on
n'a produir que des monftres en voulant
s'en écarter , parce qu'il n'appartient plus
fans doute à l'efprit humain d'aller au-
J
A iv
MERCURE DE FRANCE.
delà de fes anciens chefs-d'oeuvres en ce
genre .
Si cet art eft forcé de reconnoître des
bornes , par quelle tournure d'imagination
n'appréhende t- on point que l'art de
la fcène ( par exemple ) ne foit auſſi limité
? Qu'on nous laiffe plus de liberté ,
( s'eſt- on écrié ) & bientôt on l'a prife :
où font les miracles que cette aifance nous
a fournis ? Nous avons vu prefque partout
l'abus d'un mouvement fans vraifemblance
& fans ordre. L'entaffement &
la complication des machines prendre la
place de ce beau fimple qui feul eft fait pour
étonner l'efprit fans offenfer la raifon.
Seroit-ce par caprice que le Public toujours
fi éclairé , quand il a
eu le temps
de la réflexion , entraîné d'abord par l'amour
de la nouveauté , fe feroit infenfiblement
dépouillé de fon enthouſiaſme
pour un genre de comédies inconnu aux
anciens , pour le comique larmoyant enfin
? Non , affurément , & l'on croit ap- -
percevoir les raifons de ce changement.
La comédie ne doit être qu'une repréfentation
de la vie humaine , conſidérée
ou par fes défauts , ou par fes ridicules , ou
par fes extravagances ; au lieu que ce
genre hermaphrodite de la comédie romanefque
ne femble l'examiner que par
NOVEMBRE 1765. 9.
fes malheurs , & prefque toujours par certaines
bifarreries trop rares pour que l'imitation
puiffe en être de quelque utilité.
Il eft prefqu'impoffible qu'aucun des
fpectateurs y reconnoiffe l'hiftoire de fon
voifin , ni celle de fon temps ; les événemens
en font fi extraordinaires , que la
combinaiſon fortuite qui les produit , peut
en mille ans ne s'offrir jamais dans un
Royaume entier : & c'eft en cela que confifte
prinpalement fon inutilité , parce que
ce n'eft point fon objet que de promener
ftérilement l'imagination dans le vafte pays
des chimères .
Pourquoi ( dit-on ) fommes nous plus
difficiles que nos voisins qui offrent fur
leur théâtre comique des tableaux fi frappans
& fi terribles ? Tel que celui du Marchand
de Londres , par exemple ( 1 ) . Quelle
comparaiſon ( ajoute- t- on ) entre le nouveau
Joueur Anglois & celui de Regnard ?
On en convient , il n'y en a point à faire ,
elle feroit injurieufe & pour Regnard &
pour nous.
(1 ) M. de Chabanon , dans la préface de fa
Tragédie de Priam au camp d'Achille , a bien
connu l'art du théâtre , lorsqu'il a dit que nous
pourrions avoir deux fortes de drames , les uns
repréſentés , les autres écrits , & que mille fujets
incompatibles avec les convenances de notre fcène,
pourroient attacher & plaire fur le papier.
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Qu'auroit eu de difficile pour le fucceffeur
de Molière de raffembler fans ordre &
fans lien toutes les horreurs de la paffion
du jeu portée à tous fes excès ? Regnard
n'a fûrement ignoré aucune des infamies
fubalternes de ces efcrocs que la vigilance
de la Police eft chargée de retrancher de
la Société ; mais il n'ignoroit pas que dans
fa nation la mufe du théâtre n'avoit droit
de faire juftice que des chofes fur lefquelles
la légiflation ne prononçoit rien ; qu'il
n'y avoit que les ridicules & les vices fupportés
& impunis qui dûffent exciter fa
raillerie ; que tout criminel odieux étoit
au-delà de fa cenfure , & que c'eft à des
bourreaux à les marquer du fer vengeur
dont la Juftice eft armée contre eux.
Il n'avoit vu fon maître rifquer de préfenter
à nos yeux un félérat qu'une feule
fois. Mais qu'on prenne garde au génie
de Molière dans le dénouement du Tartuffe
, toujours fi légérement critiqué. Une
lettre de cachet l'enlève au fort plus flétriffant
qu'il auroit mérité. On dira plus ,
quelque horreur que nous infpirât la réafité
du perfonnage de Tartuffe , il feroit
poffible , par des raifons faciles à deviner ,
qu'il pût échapper à la vindicte publique ;
& Molière a fait le plus grand honneur
à fon Prince , de lui fuppofer affez de ferNOVEMBRE
1765. II
meté
pour ofer punir un coupable
de cette
efpèce , qu'une cabale puiffante & redoutable
auroit à coup für entrepris de jufſtifier.
Cette impunité trop vraisemblable renfermoit
donc le caractère dans le cercle
de ceux que Thalie pourfuit au défaut des
loix , tels que ceux de l'Avare , du Menteur
, du Glorieux , &c. contre lefquels
la Société n'a d'autres armes que celles du
ridicule .
D'ailleurs il eft aifé de voir que Molière
, en n'offrant l'impofteur à nos yeux
que le plus tard qu'il lui eft poffible , a
eu beaucoup plus en vue de nous faire
rire aux dépens de la ridicule confiance
d'Orgon & de Madame Perenelle que
de nous indigner contre l'abus criminel'de
la dévotion.
ر
Ce n'eft donc point un reproche à faire
à Regnard , d'avoir évité de nous peindre
les dernières horreurs où peut précipiter
la funefte paffion du jeu , c'étoit même
rifquer beaucoup d'avoir imaginé le perfonnage
de Tout- abas , qui vient enfeigner
l'art de fripponner. Et ce n'eft pas une
des moindres habiletés de l'Auteur , de
n'avoir point mis en fcène le filou avec
le joueur , qui en eût été trop avili , &
qui dès-lors n'auroit plus été fait pour
vir de leçon à des gens qui croient avoir
fer-
A vj
12 MERUCRE DE FRANCE.
affez de moeurs pour ne pas laiffer craindre
de leur part des femblables lâchetés .
Le Peuple n'affiége point nos théâtres
comme il peut faire chez nos voifins , &
il n'y a que cette raifon qui puiſſe juſtifier
la groffiéreté des moyens qu'ils emploient.
Le dernier ordre des citoyens, qui
n'a d'éducation nulle part , a befoin que
tout foit marqué avec plus de vigueur &
de fermeté ; mais il fuffit à une affemblée
de gens élevés , de les mettre fur la voie ;
un mot , une fimple indication en di
fent affez à nos fpectateurs qui fe révolteroient
qu'on ofât les inftruire des premières
règles de la probité.
Ce qu'ont étalé de regrets fur la pantomime
théâtrale quelques Littérateurs qui
prétendent que nous la négligeons trop ,
n'eft guere plus réfléchi . Les accents de
la douleur , du défefpoir ou de la joie
chez les gens qui fréquentent nos fpectacles
, ne font pas les mêmes que chez le
Peuple qui ne les voit point. Ils doivent
donc conferver leur différence , & fi l'éducation
parmi nous impofe quelque décence
à nos affections même les plus vives,
comment un Auteur indiquera - t - il des
mouvemens forcenés tels que ceux d'une
nature brute & prefqu'animale ? Avonsnous
eu befoin, pour que Mérope attendrit
NOVEMBRE 1765. 15
nos coeurs , qu'elle fe traînât par terre ,
ou qu'elle déchirât fes vêtemens ?
Pourrions-nous fouffrir que Philoctete
fe roulât fur fes plaies en criant à perdre
haleine ? quelle image pour nous que celle
d'un homme qui fouffre des douleurs incroyables
& qui y fuccombe lâchement !
ce font les bleffures de l'ame , ou les tour
mens de l'efprit auxquels nous allons nous
intéreffer dans nos jeux fcéniques : l'art
de nous émouvoir par des peines corporelles
eft trop fimple , il n'a rien d'éton
nant , & l'Auteur qui embrafferoit un pareil
moyen , découvriroit par là l'impuiffance
où il feroit d'atteindre aux talens
de fes Maîtres . Il eft impoffible qu'une
autre raifon lui faffe préférer une route
auffi facile au fentier pénible du génie (2).
Lorfqu'un Bâceleur appelle à fes treteaux
la lie des hommes qui veut toujours
moins entendre que voir , il ne manque
jamais d'employer tous les refforts
communs de la pantomime. La joie
eft toujours une yvreffe , la douleur
une convulfion ou un fupplice extérieur
le Bâteleur a raifon : , ilfaut
(2 ) Aucun chemin de fleurs ne conduit à la
gloire ,
Je n'en veux pour témoins qu'' Hercule
& fes travaux.
La Fent . fabl. liv. 4 .
14
MERCURE DE FRANCE.
bien parler au peuple fon langage ; c'eft
ainfi qu'il fe plaint ou qu'il s'amufe. Les
cris & les geftes multipliés ne peuvent lui
déplaire , il s'y reconnoît , c'eft lui- même .
Mais où veut - on qu'un Acteur deftiné à
notre premier théâtre , & qui n'a dû
chercher fes modèles que parmi les hommes
d'un ton moins bas ; parce qu'il
ne fe préfentera que devant lui , & que
c'eft à leur utilité feule qu'il s'eft confacréé
; où veut- on ( dis -je ) qu'il ait appris
ce qu'il n'a point vu dans cet ordre de
citoyens ? Et comment en feroit - il fouffert
s'il leur paroiffoit exagérer , défigurer
même leurs ufages & leur manière habituelle
d'être & de fentir ?
Défendons- nous donc de l'illufion de
ces préceptes modernes & de ces nouveautés
qu'on veut mettre à la place du génie ou
du talent qu'on n'a point ; c'eft fuppofer
un changement trop confidérable dans nos
efprits. Notre avantage dramatique eft
peut-être le feul en matière de littérature ,
que nous ayons fur nos voisins , gardonsnous
de le compromettre en les imitant ;
& que notre théâtre conferve toujours fa
prééminence fur ceux de l'Italie , de l'Ef
pagne & même fur celui d'Angleterre. Les
défordres qu'on appelle , qu'on invoque ,
qu'on cherche à introduire fur notre ſcène
NOVEMBRE 1765. 15
n banniroient bientôt la fageffe , la raion
& le goût ; nous n'avons déja que trop
craindre de nos moeurs actuelles , comme
on va le voir dans le chapitre fuivant.
CHAPITE VIII.
De l'influence des moeursfur le goût théâ
tral.
Vous irez voir cent fois le Prince de
Salerne , ( a dit au Public le petit Prophee
) , parce que vous êtes un imbécille.Je voudrois
dire aujourd'hui à ce même Public : il
eft un théâtre noble qui honore votre nation,
dont vos voifins ne peuvent s'empêcher d'êare
jaloux , qui peut vous être utile en éclai-
Tant votre efprit & en intéreffant votre
ame ; & vous abandonnerez ce théâtre
pour courir en foule vers les tréteaux de
la foire , parce que vous êtes fans moeurs.
Le petit Prophète alloit trop loin . Le
Public eft rarement un imbécille ; mais ,
je n'exagère point , le Public généralement
pris eft fans moeurs aujourdhui ( 3 ) ,
( 3 ) . • Interim mores mali
Quafi herba irrigua fuccreverunt uberrumè.
Plaut.
16 MERCURE DE FRANCE.
& c'eft une des fources de la décadence
actuelle du goût théâtral, ainſi que de tant
d'autres chofes.
Une haine conftante du vice , un refpect
foutenu par la vertu , un amour de
l'ordre & des bienféances ; voilà ce qu'ont
fait briller à nos yeux les génies puiffans
qui fe font confacrés à la fcène françoife.
Eh comment fe pourroit - il que l'infenfé
Battus , que la criminelle Laure , que
l'impudente Fatmé puffent foutenir encore
ces éternels reproches qu'ofe leur
faire la Mufe du théâtre !
Argyre , que ni les larmes ni les cris de
fa nation n'ont pu jamais émouvoir, l'épais
Argyre évite & fuit l'embarras où
telle fcène le mettoit fur une profeffion
qu'il eftime par fon utilité & qu'il voudroit
faire confidéret par une chimérique
importance , dont perfonne ne convient.
Crifpus , ce faux libéral , qui reprend
fur fes gens ce quil diftribue à fes flatteurs
; qui dans un palais qu'il vient d'élever
à la campagne , au fortir d'un dîner
où toutes les folies de la diffipation & du
fafte fe font fait remarquer , va voir fesouvriers
, dont les fueurs & les fatigues ne
l'excitent pas à la plus petite générosité ;
qui rencontre fur fes pas le pauvre & le
NOVEMBRE 1765. 17
vieillard infirme , fans être touché de leurs
douleurs & de leurs befoins ; Crifpus eft indigné
qu'on puiffe un jour avoir la hardieffe
de l'offrir aux yeux du Public : il n'y a
plus de fpectacle trop plat pour Crifpus
pourvu qu'il foit für qu'un acteur infolent
ne lui préfentera point fon mafque ridicule
(4 ).
Notre jeuneffe effrayante par tous fes
excès , & fur-tout par la baffeffe de fes
goûts , ne peut pas plus fupporter la pédantérie
de la fcène françoife que celle de
la bonne compagnie qu'elle fuit. Une
courtifanne , une ariette , voilà ce qu'il
lui faut ira - t- elle s'expofer à rougir cent
fois de l'image de fes petiteffes & de fes
défordres ? Eft- elle capable d'ailleurs d'une
attention fuivie ? Eft- elle affez inftruite
pour juger fainement des efforts du génie ?
Encore un coup , une ariette , une courtifanne
, c'eft affez pour qui n'a que des
fens ou qui ne confulte qu'eux ; & ce trait
peint notre jeuneſſe .
Adolefcens de tous états , qui frédonnez
quelquefois dans les fonctions les plus
férieufes un air nouveau de L... C……….
Eft- ce pour vous que font préparés ces
délaffemens ingénieux qui nous rappellent
(4) Omnis hi metuunt verfus , odere Poëtas.
Hor. fat. lib.
I
18
MERCURE
DE
FRANCE
.
les charmes de tous les devoirs ? Ils vous
couvriroient de confufion . Une fcène vui .
de , une action même indécente vous conviennent
mieux : la frivolité vous appelle ;
allez groffir la foule qu'elle attire fur fes
pas.

Des Grands fans dignité & fans confiſtance
font trop heureux de voir abandonner
un théâtre où leur fuperbe néant
devoit fans doute fe montrer un jour. Ils
ont le plus preffant intérêt à appuyer cette
défertion par leurs fuffrages & leurs exemples
ne les attendons plus qu'à nos intermèdes
bouffons , où ils efpèrent qu'on
n'ofera pas leur manquer de refpect.
Adonis furannés , qu'un des élèves de
Thalie a fi bien défignés fous le nom de
Vétérans de la fatuité , coupables oififs
qui dans nos jardins ne connoiffez de charmes
que ceux d'y trouver raſſemblés nos
Phrines & nos Lais ; fuivez ce char impudemment
faftueux qui vient d'offrir.
Rhodope à vos regards. L'amufement le
plus groffier eft ce qui l'appelle ; il va vous
réunir.
Ajoutons aux divers originaux qu'on
vient d'efquiffer , ces gens que la multitude
entraîne machinalement , ces frondeurs
du goût national , ces amans ftupides
de toute nouveauté , & nous auNOVEMBRE
1765. 19
rons à peu près les trois quarts & demi de
ceux qui fréquentent nos fpectacles. Comment
s'étonner après cela que la bonne &
feule comédie foit déferte, & que le temple
du faux goût foit tous les jours rempli , à
la grande honte de notre nation ?
Il faut en convenir , ce bon goût théâ
tral qui femble être perdu dans le Public ,
n'eft plus même dans fa pureté chez les
gens de lettres qui fe font confacrés à le
maintenir. Le ton des moeurs générales
gagne jufqu'à ceux qui devroient ê :re le
moins fufceptibles de corruption ; & plus
d'un intérêt potte aifément les efprits vers
ce qui leur promet plas fûrement la faveur
du Public. Ainfi les grands principes que
nous ont laiffés nos maîtres s'altèrent &
s'oublient par degrés . Melpomène & Tha
lie font aujourd'hui prefque méconnoiffables.
Il eft vrai qu'on peut rejetter encore fur
les moeurs le principal défaut de la dernière
de ces Mufes. Thalie n'a plus ce rire
naïf & vrai qui faifoit tous fes charmes.
Eh , comment l'auroit - elle ? L'Auteur qui
jette fes regards fur la Société , au lieu de
ridicules , n'y voit plus que de fombres vices
ou de triftes défauts qui follicitent fa
cenfure & qui l'aigriffent. Il apperçoit
par- tout l'humanité bleſſée , la fagelſe &
20 MERCURE
DE FRANCE.
la raifon éteintes , les devoirs oubliés ;
tout caractère ou toute profeffion qu'il
cherche à développer eft un abyme de baffeffe
ou d'infamie.
Le fameux rieur de l'antiquité avoit le
plus mauvais coeur , ou les défordres de
fon temps étoient moins férieux & moins
réels que les nôtre. Le fiècle d'Horace permettoit
encore la gaité de la fatyre , mais
celui de Juvenal exigeoit fa véhémence.
Qu'on fe peigne un Médecin , qui , dans
la crife d'une contagion publique , annonceroit
une recette contre les vapeurs : tel
feroit le Mime à qui notre fituation actuelle
n'arracheroit que des rires ; nous ferions
trop heureux de les mériter encore.
Nos befoins préfens ne font peut -être
plus du reffort de Thalie ; c'eſt à la voix
du Légiflateur à nous rappeller à notre caractère
ancien : l'honneur & l'amour de
la patrie en étoient la bafe ; l'intérêt , l'orgueil
& l'amour perfonnel ont pris leur
place , & l'on fait trop les funeftes effets
qu'ils ont produits. Avec des moeurs , la
République aura des défenfeurs redoutables
, le Sénat des Juges incorruptibles ,
la Patrie des Citoyens zélés , & la Société
de véritables hommes.
NOVEMBRE 1765. 21
+
ODE au Roi , fur la ftatue érigée par la
Ville de REIMS , le 26 Août 1765.
Tog o que fur le Trône on adore ,
Divinité de l'univers ,
Vérité fainte , je t'implore ,
Daigne préfider à mes Vers :
Loin de tout frivole délire ,
Aux foibles accens de ma lyre
Seule tu dois donner des loix ;
Sous quelle Muſe plus chérie
Puis -je , au zèle de ma Patrie ,
Accorder ma timide voix ?
Citoyens quel Dieu tutélaire ;
Ecoutant les voeux des mortels ,
Quitte l'Olympe pour la terre ,.
Et vient mériter des autels ?
C'eft le BIEN- AIMÉ de la FRANCE ,
C'eft Louis , qui de fa puiflance
Fixa le moment glorieux ,
Lorfque dans votre temple augufte
Il fit ferment d'être Roi jufte ,
Et de rendre fon Peuple heureux.
Tout ici prend un nouvel être :
Annoncé par mille concerts.?
122. MERCURE DE FRANCE.
Quel jour brillant va donc paroître ?
Quels cris 'joyeux frappent les airs ?
Enfin , cette chère ftatue ,
Heureux RÉMOIS , eſt donc rendue
A vos defirs , à vos regards !
Digne émule de Praxitèle ,
Pigal vous offre le modèle
Des Rois , des Héros & des Arts.
Ce bronze animé vous préſente
Les traits & l'âme de LovIS :
Ce Roi , de fa main bienfaisante ,
Protège l'Empire des lys :
Le front ornéd'une couronne ,
Pour fon peuple qui l'environne ,

Son regard eft plein de bonté.
Là , ce lion libre , docile ,
D'un règne immortel & tranquille
Exprime la félicité..
Le Citoyen , fous tes aufpices ,
Grand Roi , content de fes travaux ,
Eprouve à la fois les délices
De la fortune & du repos.
Confacrant les jours au commerce
Cet art utile qu'il exerce
Eft pour lui le plus noble état :
Il nous procure l'abondance ,
E favorise l'opulence
Dont Colbert enrichit l'Etat
1
NOVEMBRE 1765. 23
Pour défendre les droits du trône
Ton bras feconde ta valeur :
Le feu meurtrier de Bellone
Enflamma-t-il jamais ton coeur ?
Non. Là vanité des conquêtes ,
Agitant de fuperbes têtes ,
Ne fait que de fameux tyrans ;
Mais un Roi fenfible , équitable ,
Se promet un nom plus durable
Que l'on refufe aux conquérans.
Tandis qu'aux plaines de la Flandre ,
Conduifant de braves guerriers ,
Grand Roi , comme un autre Alexandre ,
Tu moiffonnois tant de lauriers ;
Peu flatté d'une telle gloire ,
On t'a vu borner la victoire
Au defir de rendre la paix ;
Et , déplorant le fort des armes ,
Verfer de généreufes larmes
Sur les cadavres des François ......
Grands de la terre ! la clémence
Eft la première des vertus ;
Elle annoblit votre puillance ,
Elle fit adorer Titus :
A vos loix fans donner atteinte ,
Yos Sujets , exemts de contrainte
1
24
MERCURE DE FRANCE .
Bénillent votre autorité :
Chaque Souverain`qu'elle inſpire
Eft le père de fon Empire ,
Et l'honneur de l'humanité.
Dans les ruines de l'Attique
Je vois de farouches foldats ,
Fiers de revivre au Céramique ,
Jaloux de mourir aux combats :
De l'Egypte j'ouvre les faftes ,
J'y compte des Royaumes vaftes
Soumis au fer de Séfoftris ;
Et , pour prix de tant de ravages ,
Ce Roi demande des hommages ,
Et fe divinife à Memphis.
Le feul amour de la patrie
Arma- t- il leurs fanglantes mains ?
Guerriers votre aveugle furie
Souvent fait le fort des humains :
Il n'eft qu'un fiècle qui vous loue ;
La poftérité défavoue
L'erreur de fes foibles ayeux ;
Plus équitable en ſon ſuffrage ,
C'eſt le Héros paifible & fage
Qu'elle place à côté des Dieux.
Si , des Rois fe nommant l'arbitre ,
L'avenir affigne leurs rangs ,
Ce
NOVEMBRE 1765. 25
Ce chef- d'oeuvre fera le titre
Qui te rendra vainqueur des temps ;
Grand Roi , fous ton apothéofe ,
A fes defcendans Reims expole
L'amour , le bonheur des François ;
Et ce monument de ta gloire
Devient la plus fidelle hiftoire
De ton règne & de tes bienfaits.
Que l'allégreffe fe déploie.
De Louis , Sujets fortunés ,
Citoyens , goûtez avec joie ,
Les beaux jours qui vous font donnés :
Au pied de fa divine image
Venez préfenter en hommage
L'effor fincère de vos coeurs ;
Satisfait de ce bien fuprême ,
Ce Roi de fon peuple qu'il aime
N'exige point d'autres honneurs.
Grand Dieu de ce Monarque illuftre
Conferve les précieux jours ;
Il règne , & du dixiéme luftre
Déja fe termine le cours.
Dans les tranfports de fa tendreffe ,
Aux voeux que la France t'adreſſe ,
Réponds en faveur de Louis.
Roi BIEN- AIME , Roi vraiment père ,
Quel mortel peut mieux fur la terre
Occuper le trône des Lys ?
B
26 MERCURE DE FRANCE.
J'ignore les routes fublimes
Qui mènent au facré Vallon ;
La vérité dicta mes rimes ,
Et mon coeur fut mon Apollon :
L'un & l'autre font mon excufe .
Cher Prince , fouffre que ma Muſe
Ole pénétrer juſqu'à toi ;
C'eſt la faveur que je demande ;
Traçant tes vertus , quelle offrande
Seroit plus digne de mon Roi ?
INSCRIPTION préfentée le 19 Juillet 1764
pour la ftatue de SA MAJESTÉ .
CITOYENS , LOUIS eft fidèle
Au ferment qu'il fit dans vos murs :
Tranfmettez aux fiècles futurs
Votre bonheur & votre zèle .
HAVE , Avocat en Parlement.
NOVEMBRE 1765. 27
ADIR ET ZIMAR .
Apologue Oriental.
IL eft donc vrai qu'au fond de ſa retraíte
Adir va déformais cublier les humains ?
Bien du plaifir je lui fouhaite.
Mais cependant la loi de notre faint Prophète
Dit « fers le monde & du coeur & des mains .
>> Sans cela point de foi , point de vertu parfaite ».
Ainfi parloit Zimar au philofophe Adir ,
Lequel dans un défert venoit d'enlevelir-
Avec fes préjugés fa légère perfonne.
Ami , dit ce dernier , ton langage m'étonne.
Je te croyois judicieux !
Tu connois le monde & tu veux ? ...
Je veux feulement qu'on raiſonnė ,
Interrompit Zimar , avec quelque chagrin.
Sur quoi peux-tu former un fi brufque deffein ?
« Sur le monde & fon injuftice .
» On voit régner la fraude , & triompher le vice :
›› C'eſt une horreur ! les hommes corrompus ...
Quoi ! ce n'eft que cela ?
de plus>>?
66 Que te faut-il
Commencer par quitter cette fombre tannière '
Bij
28
MERCURE
DE
FRANCE
.
>> Ne point heurter de front les préjugés reçus ;
» Dans chaque Muſulman voir ton ami , ton frère ;
>> Et fongeant qu'aux humains les exemples font
dus ,
Dire Sans leurs défauts que feroient mes :
vertus ? >>
Par l'Auteur de la Lettre de Velford.
MADRIGAL d'ALEXIS PIRON , à Mlle'
DE POIX.
AMMANS des onze mille vierges ,
Vous êtes d'infenfés mortels ;
Vous n'avez pas pour tant d'autels ,
Allez d'offrande ni de cièrges.
Dix pucelles en tout , de mes voeux épurés ,
Seules font & feront les objets révérés .
De Poix eft la plus jeune , & j'en fais ma Corine ;
Les neuf autres , on les devine ,
A ces vers amoureux qu'elles m'ont infpirés .
Le Berger ALEXIS,
NOVEMBRE 1765. 29
RÉPONSE de Mlle DE POIX * .
SI ,, grace au Berger Alexis ,
J'étois au rang des neuf Pucelles ;
Le front ceint de lauriers choifis ,
Je me croirois au- deffus d'elles .
Si , formant un tendre lien ,
Je bravois le temps qui nous mine ,
Je l'emporterois fur Corine ,
Son amant deviendroit le mien.
Mais l'incomparable Julie
N'en devroit prendre aucun fouci :
Mon fort eft plus digne d'envie ,
Mon Ovide eft mon Alexis.
* Mlle de Poix à près de quatre-vingts ans , joint a
un goût fin & délicat , l'efprit le plus agréablement orné.
Le portrait qui fuit , embelli des traits fimples & naïfs
de la vérité , eft un hommage qu'elle rend à la reconnoiffance
, à la beauté & à la vertu .
PORTRAIT de Mde L. C. DE B.... fous
le nom d'EGLE.
ÉRITER l'hommage de tous ,
Ne chercher celui de perfonne ;
Aux plaifirs que l'amitié donne ,
Borner fes defirs & fes goûts ;
B iij
30
MERCURE DE FRANCE .
Avec un coeur tendre & fincère ,
Montrer au fein de la gaité ,
De la vertu la plus févère
La décence & la dignité ;
Songer à fe rendre eſtimable
A fes yeux feuls & fans témoins ;
Eviter de paroître aimable
Sans pouvoir le devenir moins ;
Reprocher prefqu'à la nature
Le don de fes attraits puillans ,
Source ordinaire d'un encens
Que craint une fagelle pure :
Eglé , voilà votre portrait.
Mais , que vois- je ! En vous il fait naître
Un fincère refus de vous y reconnoître ? ...
Vous y mettez le dernier trait.
1
NOVEMBRE
1765. 32
COPIE d'un manufcrit dont l'original eft
confervé dans les archives de la Maiſon
DE LA FORCE ; concernant la façon dont
le Maréchal DE LA FORCE a été ſauvé
du maffacre dela SAINTBARTHELEMI,
en 1572.
De Caumont , jeune enfant , l'étonnante aventure,
Ira de bouche en bouche à la race future .
Henriade , chant 2.
CETTE délivrance provenant ( 1 ) toute de
la Providence de Dieu , mérite qu'on en
déduife les particularités , pour en donner
la gloire à fon faint nom.
>
Un chacun fait comme advint la bleffure
de feu M. l'Admiral de Coligny , &
peu de jours après comme on le fut
affaffiner la nuit dans fon logis , & jetter
les fenêtres de fa chambre dans fa
baffe- cour.
par
Il y avoit près de là un macquignon de
chevaux , de la Religion , qui avoit fait
acheter à feu M. de la Force , le père ,
( 1 ) Nous avons cru devoir reſpecter le ſtyle &
même l'ortographe de cette relation.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
neuf ou 10 chevaux ; lequel prévoyant le ›
mal qui s'en pouvoit en fuivre à tous
ceux de la Religion , partit foudainement
pour venir advertir ledit fieur de la Force ,
de ce qu'il avoit veu , & fe rendit au devant
du Louvre , pour paffer l'eau , droit
à la rue de Seine , où il étoit logé. Mais
il trouva tous les bateaux retenus , ce qui
P'obligea de defcendre jufqu'au droit des
Tuileries , où pour l'ordinaire il y en
avoit toujours. Mais il ne put non plus
en obtenir. De forte que porté d'affection
, il fe dépouille , & mettant fes
habits fur fa tête , paffa à nage , & fe
rendit droit au logis de M. de la Force ;
où , ayant adverti ledit fieur de ce que
deffus , foudain il fe leva , & s'en alla trouver
le fieur de Caumont , fon frère aîné ,
pour lui faire favoir ce grand accident ;
ce qui l'obligea de fe lever , & d'aller
donner avis à tous les principaux de la
nobleffe de la Religion , qui étoient logés
au fauxbourg Saint Germain , affin
de s'affembler & d'advifer aux remèdes
qu'ils avoient tous à prendre pour fe garantir
du mal qu'ils prévoyoient leur- pouvoir
arriver: Etant tous enfemble , ils
féfolurent , par l'avis du fieur de Caumont,
qui croyoit toujours cet acte être advenu
contre la volonté du Roy , qu'il étoit
1
NOVEMBRE
1765.
33
raifonnable de fe ranger auprès de Sa
Majefté ; & pour cet effet , s'acheminèrent
tous enfemble droit à la rivière , par
la rue de Seine . Mais cherchant les moyens
de paffer au Louvre , ils virent tous les
bateaux avoir été menés du côté delà.
Ce qui donna lieu à toute l'affemblé de
faire mauvais jugement de leurs affaires
& de penfer qu'il étoit tems de fonger à
leur fûreté.
>
C'étoit le Dimanche au marin , 24
Aouft 1572 , une heure avant le jour.
La réfolution fut prife de retourner
rous à leurs logis ; de fe préparer promptement
; de monter à cheval , & de fe
rendre au Pré- aux- Clercs , en état , fi
on les venoit attaquer , de bien défendre
leurs vies ; & , s'ils en avoient le tems ,
de gagner la campagne pour fe retirer
chez eux .
Sur le point du jour , on leur donna:
avis que tous les batteaux de la Seine
étoient pleins de foldats , qui , foudain
qu'ils étoient abordés , couloient le long
de la rue de Seine .
Les plus diligens exécutèrent le deffein
qui avoit été pris de s'affembler au
Pré- aux-Clercs , d'où ils prirent leur retraite
. Les fieurs de la Force , frères , étant :
à cheval , le premier fe retira avec les
B.v.
34 MERCURE
DE FRANCE
.
autres. Le fieur de la Force , fon frère ,
voyant que fes enfans n'étoient encore
montés à cheval , ne les voulant abandonner
, retourna dans fon logis , en fit fermer
les portes , & fe retira dans fa chambre .
Soudain la porte étant faifie par plufieurs
foldats , lefquels crioient puiffamment
: ouvre , ouvre , avec beaucoup de
blafphêmes ; il envoya une fervante de la
maifon pour l'ouvrir , & fe réfolut d'attendre
dans fa chambre patiemment ce
qu'il plaifoit à Dieu lui envoyer.
Soudain la baffe - cour fut pleine de foldats
, conduits par un Capitaine nommé
Martin. Lequel, monté à la chambre avec
nombre de foldats , l'épée à la main ,
`criant : tuë , tuë , fit faifir les épées de
tous , & les fit arranger dans un coin de
la chambre , en leur difant : prie Dieu
fi tu veux , car ilfaut mourir.
+6
Ledit fieur de la Force , père , avec
une grande conftance , lui dit : Monfieur ,
faites ce qu'il vous plaira , auffi - bien je
n'ai plus guères de tems à vivre. Mais
ayez égard à ces jeunes enfans qui n'ont
jamais offenfé perfonne , & à la mort
defquels vous n'aurez pas grand acquêt.
J'ai moyen de vous donner une honnête
rançon , qui vous fera plus profitable .
Ainfi leur amoliffant le coeur , ils ſe réNOVEMBRE
1765. 35
folurent au pillage de tout ce qu'il y
avoit dans le logis. Mais ne trouvant point
les clefs des coffres ( à cauſe. que le Valet-
de - chambre s'étoit évadé avec preſque
tous les gens de la maiſon ) , ils trainèrent
lefdits coffres au milieu de la place , &
les enfoncèrent avec les chenets de la
cheminée. Ainfi tout ce qu'il y avoit , foit
d'argent monnoyé , foit de vaiffelle d'argent,
meubles & habillemens, fut tout pillé.
Cela fait ils reprirent leurs premiers difcours
, criant avec blafphêmes , qu'il falloit
mourir , & qu'ils avoient commandement
de tous tuer , fans épargner perfonne.
Mais Dieu , qui en avoit ordonné autrement
, fléchit tellement leur coeur par
les bons difcours que leur tenoit inceffamment
ledit fieur de la Force , & enfuite
par l'efpérance qu'il leur donna d'une
rançon de 2000 écus , qu'enfin le Capitaine
Martin leur dit : fuivez- moi tous .
Etant defcendus au bas du logis , &
avant que de fortir , il leur fit rompre
leurs mouchoirs , pour les mettre en croix
fur leurs chapeaux & bonnets , & retrouffer
la manche du bras droit , juſqu'au
haut de l'épaule , qui étoit le fignal donné
à tous les malfacreurs.
ノIl n'y avoit alors que le père & les
deux enfans , le Valet - de - chambre def-
B vj
༣༦
MERCURE DE FRANCE.
dits enfans , nommé Gaſt , & leur Page
nommé la Vigerie , qui faifoient cinq en:
tout. Ils les menèrent le long de la rivière
de Seine, qu'ils pafferent devant le i ouvre .
C'eft alors qu'ils crurent bien que l'on
les duft dépefcher , car ils virent quantité
de ceux de la Religion que l'on tuoit &
jettoit dans la rivière , qui étoit déja en
beaucoup d'endroit rouge de fang. Néanmoins
le Capitaine Martin continua de
les mener à fon logis ; & paffant devant
le Louvre ils virent quantité de corps
morts , entr'autres celui du fieur de Piles.
Et étant arrivés à fon logis , Martin ,
pour retourner à pareil pillage , dit au
fieur de la Force , que fi il vouloit donner
fa parole & lui promettre de ne bouger
point de- là , non plus que fes enfans ,
il les laifferoit en la garde de deux Suiffes ;
& que cependant il fift diligence pour fe
procurer fa rançon .
Ledir fieur de la Force , fans perdretems
, envoya ledit Gaft , Vallet - dechambre
de fes enfans , à l'Arfenal , chez
Madame de Brifembourg , qui étoit fa
belle - foeur , pour lui faire entendre l'état
auquel étoient lui & fes enfans ; & comme
le Capitaine Martin , duquel ils étoient
prifonniers , leur avoit fauvé la vie ,
moyennant la rançon qu'il lui avoit promife
de deux mille écus ; & que s'afféuNOVEMBRE
1765. 37
rant de fon affection , il s'adreffoit librement
à elle , pour la prier de les fecourir
à ce befoin ; que cela requéroit diligence ,
& le fecret.
Elle lui manda qu'elle efpéroit le fecond
jour , qui étoit le Mardi , lui faire
tenir ladite fomme , & lui fit fçavoir
que le bruit étoit qu'on les avoit fait prifonniers
, & craignoit fort que fi cela venoit
aux oreilles du Roy , on ne les fift
mourir..
Du Gaft , à fon retour , leur confirma
cette nouvelle , & leur dit qu'il étoit
du tout important , puifqu'ils avoient le
moyen de fortir de là & de fe fauver ,
qu'ils devoient au plutoft le faire. Et en
effet , les Suiffes auxquels ils avoient été
commis en garde , leur difoient inceffamment
qu'ils les meneroient où ils voudroient
, & que volontiers ils hafarderoient
leur vie pour les fauver tous . Mais
le fieur de la Force , qui avoit donné fa
parole , leur répondoit toujours : j'ai engagé
ma foi , je ne la faufferai point ,
étant réfolu d'attendre la providence de
Dieu , qui difpofera de nous fuivant fon
bon vouloir.

Ledit Gaft preffoit pourtant toujours,
pour qu'il vouluft permettre que fes enfans
, ou du moins l'un d'eux , puffent fe
38 MERCURE
DE
FRANCE
.
fauver , puifqu'il voyoit les advis qu'on
lui donnoit , & que les Suiffes s'offroient
fi volontiers à les conduire où il voudroit.
Mais demeurant toujours ferme en fa
parole , il dit qu'il n'en feroit que ce que
Dieu avoit ordonné.
Le foir que la rançon promife devoit
être délivrée , arriva au logis le Comte
de Coconas , avec quarante ou cinquante
Soldats Suiffes & François. Tous montèrent
à la chambre ; & commença à dire
audit fieur de la Force , que Monfieur , le
frère du Roi , avoit été adverti comme
ils étoient détenus prifonniers , & l'avoit
envoyé là pour le chercher , defirant de
parler à lui ; & foudain leur dépouillèrent
les manteaux , chapeaux & bonnets :
de forte qu'ils cognurent bien
que c'étoit
pour les faire mourir. Ledit fieur de la
Force fe plaignit alors de ce manquement
, attendu que l'argent qu'il avoir
promis pour fa rançon étoit preſt.
Eft à noter , que le plus jeune des enfans
( 2 ) parloit inceffamment , leur reprochoit
leur perfidie , & confoloit fon père.
Uneautre particularité notable , que je lui
ai fouvent ouï dire , eft , qu'il voyoit
bien que leur deffein étoit de les aller
( 2 ) Il s'appelloit Jacques Nompar.
NOVEMBRE 1765. 39
cuer mais qu'il s'affeuroit que lui n'en
mourroit point.
Les malfacreurs ne trouvant que quatre
perfonnes , demandèrent où étoit la cinquieme
? C'étoit ledit Gaft , qui , voyant
leur mefchante délibération , s'étoit allé
cacher en haut dans le galetas. Mais ils
cherchèrent fi bien qu'ils le trouvèrent ;
& lors commencèrent à les faire marcher
tous , & les mener à la tuërie.
Etant arrivés au fond de la rue des
Petits - Champs , près le rempart , ils
crièrent , tuë , tue. L'aifné des enfans fut
le premier bleffé ; & chancelant , fe mit
à crier , en tombant : ah , mon Dieu ! je
fuis mort, Le plus jeune , fans doute inf
piré du Ciel , en fit tout de mefme
fans avoir aucun coup , & fe laiffa tomber
comme fon frère.
Son père & fon frère , bien que par
terre , eurent encore force coups , & le
jeune n'eut jamais feulement la peau percée
; & bien qu'ils fuffent à l'inſtant dépouillés
tous nuds & fans chemifes , les
malfacreurs ne recogneurent jamais qu'il
n'avoit aucune bleffure.
Comme ils crurent les avoir achevés , &
qu'ils fe retiroient de là , ceux des maifons
voisines , vifitant les corps par curiofité
; un certain pauvre homme , s'approchant
du jeune homme , commença
à
40 MERCURE DE FRANCE.
dire : hélas ! celui- ci n'eft qu'un pauvre enfant.
Ce qu'ayant entendu , le jeune homme
leva la tête & lui dit : je ne fuis pas mort ;
je vous prie , fauvez - moi la vie ! Soudain
le bon -homme lui mit la main fur la tête
& lui dit : ne bougez , car ils font encore
là ! Et ledit homme fe promenant
par là , peu de tems après s'en revint à lui ,
& lui dit : levez - vous vîte , car ils s'en
font allés . Et foudain lui mit un méchant
manteau fur lui ( car il étoit tout nud >
& les voifins lui ayant demandé , qui
menez - vous là ? Il répondit : c'eft mont
petit neveu , qui eft yvre , que je fouëtterai
bien. Puis le mena en une petitechambre
tout en haut de la maifon , & lui
bailla de méchans habits de ce dit nepveu.
Cet homme étoit un marqueur de jeu depaulme
* , & fort pauvre , qui en lui appercevant
quelques bagues au doigt , les
lui demanda pour aller chercher chopine
de vin. Il le retint toute la nuit , & avant
jour lui demanda où c'eft qu'il voulloit
qu'il le menât ? A quoi , il répondit , au
Louvre , où il avoit une foeur , qui étoit
à la Reine. Mais le bon-homme allégua
qu'il ne pouvoit le mener là , attendu
qu'il y avoit force corps de garde à paffer ,
où poffible on le reconnoîtroit , & qu'on.
les feroit mourir tous deux.
* De la rue Verdelot
NOVEMBRE 1765. 41
Le jeune homme , alors , lui propofa
d'aller avec lui à l'Arfenal , où il avoit une
tante. L'autre lui dit que le chemin étoit
fort long ; cependant qu'il le meneroit
plutôt là qu'au Louvre , car il iroit tout
le long des remparts , où il ne rencontreroit
perfonne. Mais il faut , ajouta-t-il ,
( car je fuis pauvre ) que vous juriez de
me faire donner trente écus .
Ce marché conclud , tous deux partirent
dès la pointe du jour , le jeune
homme avec un méchant habit du nepveu,
& un bonnet rouge , où étoit attachée
une croix de plomb. Ils arrivèrent de
bonne heure , & il dit au pauvre homme
: demeurez ici , je vous renverrai votre
habit avec les trente écus que je vous ai
promis.
Le jeune homme demeura pourtant
long-tems à la porte , n'ofant heurter ,
de crainte qu'on ne lui demandât qui il
étoit. Mais quelqu'un étant venu à fortir,
il s'avança dextrement , & entra fans
qu'on en vift rien. Il traverſa toute la première
baffe - cour , & s'en alla jufqu'au
droit du logement , fans voir perfonne de
fa connoiffance . Enfin il apperçut le Page
qui étoit à eux , & qui s'étoit auffi ſauvé
par le moyen d'un Suiffe qui l'avoit faiɛ
retirer chez lui , en lui' difant : fauvez42
MERCURE DE FRANCE.

vous , car l'on va dépefcher ceux- ci . Il
demanda à ce Page qui s'étoit rendu à l'Arfenal
la même nuit , mais qui ne reconnoiffoit
pas le jeune homme fous ces
mauvais accouftremens , où étoit Monfieur
de Baulieu , Gentilhomme de feu fon
père ? Le Page le mena parler à lui , lequel
fut merveilleufement étonné de le
revoir , croyant bien qu'ils fuffent tous
morts , ainfi que ledit Page l'en avoit
affeuré , qui avoit veu de loin comme on
les avoit tous maſſacrés , & pria le marefchal
de Madame de Brifembourg , qui
étoit alors avec lui , de le mener à ladite
Dame , laquelle étoit au lit grandement
affligée de tant de fi cruels malheurs.
Arrivés qu'ils furent en fa préfence ,
foudain elle l'embraffa toute baignée de
larmes , croyant qu'on les euft tous dépefchés
; & louant Dieu de le voir , lui
demanda par quel miracle il s'étoit fauvé ?
Après quelques difcours , elle le fit conduire
à fa garderobe , & mettre au lit.
Mais avant que de fortir d'auprès d'elle ,
il la fupplia de faire au plutôt délivrer les
trente écus promis au pauvre homme qui
l'avoit fauvé & retiré chez lui , ainfi que
les habits de fon nepveu , dont il l'avoit
couvert.
Environ deux heures après , on le revefNOVEMBRE
1765. 43
tit d'un habit d'un des Pages de M. le Marefchal
de Biron , qui étoit lors Grand-
Maistre de l'Artillerie ; & pour le tenir
mieux caché , on le mit dans le propre cabinet
duditMareſchal, où pour l'empefcher
de s'ennuyer , on lui bailla auprès de lui
le Page dont a été fait mention.
Il fut là deux jours ; au bout defquels
on donna avis au fieur Marefchal , que l'on
avoit fait entendre au Roy qu'il s'étoit retiré
plufieurs Huguenots dans l'Arſenal ,
& que Sa Majesté avoit réfolu d'envoyer
vifiter par - tout. De forte que craignant
cette vifite , on l'ofta du cabinet , & le
fit-on conduire à la chambre des filles , où
il fut mis entre deux lits , couvert de vertugadins
que l'on portoit en ce temps- là ,
& où il demeura bien trois ou quatre heures.
Environ d'une heure après minuit , on
le ramena dans le même cabinet ; & Madame
de Brifembourg , fa tante , qui en
avoit un très- grand foin , n'eut patience
ni repos , qu'elle ne l'euft fait changer de
lieu , à caufe que le bruit étoit qu'il s'étoit
fauvé & retiré là.
Le lendemain matin , le fieur de Born ,
Lieutenant- Général de l'Artillerie , le vint
prendre dans ledit cabinet , habillé en
Page à la livrée dudit fieur Marefchal ;
44
MERCURE DE FRANCE.
:
le mena déjeuner en lieu particulier
& après cela , lui dit fuivez- moi. Il
le fortit de l'Arfenal , le conduifit chez
M. Guillon , Contrôleur de l'Artillerie
qui étoit de fes amis , & lui donna inftruction
fi on s'enquerroit qui il étoit ,
qu'il fe nommaft Beaupuy, qui étoit Lieutenant
de la Compagnie des Gendarmes
de mondit fieur de Biron ; l'exhortant expreffément
de ne point fortir du logis où
il le menoit , & de ne rien faire ni dire
qui le puſt faire connoître .
Etant arrivé à la maifon dudit Contrôleur
, il lui dit : vous êtes de mes amis.
je vous prie , faites moi ce plaifir , que
de me garder ici ce jeune homme , qui
eft mon parent , fils de Monfieur de Beaupuy,
qui commande la Compagnie de
Gendarmes de M. le Marefchal. Je l'ai
fait venir ici pour le mettre Page ; mais
j'attends que tout ce tumulte où voyez que
nous fommes , foit paffé . Ce que ledit Guillon
lui accorda très - volontiers .Mais encore
qu'il fuft de fes amis , il ne voulut jamais
lui donner connoiffance qui étoit le jeune .
homme , quoique Guillon fe doutaft bien
qu'il ne lui difoit pas tout ce qui en étoit.
Après avoir demeuré là fept ou huit
jours , ledit Contrôleur qui alloit tous les
jours à l'Arfenal , pour favoir ce qu'il avoit
NOVEMBRE 1765. 45
à faire , ne manquoit pas avant difner ,
de fe rendre chez le fieur de Born . Il arriva,
au bout de ce temps là , qu'à l'heure où
Guillon avoit accouftumé de revenir pour
difner , le jeune homme entendit heurter
à la porte , y courut croyant que ce fuſt
lui ; mais que voyant autre perfonne , il
la repouffa vivement. Sur quoi , la perfonne
dont il s'agit , lui avoit dit : ne vous
effrayez pas ; c'eft Madame de Brifembourg
qui m'envoie & veut favoir de vos
nouvelles ; puis s'en eftoit allé. Le Contrôleur
s'en revenant pour difner , lui demanda
comme il avoit toujours accouftumé
, fi quelqu'un étoit venu au logis ? Le
jeune homme lui raconta ce qui s'etoit
paffé ; ce qui donna l'alarme à Guillon
qui laiffant là le difner , monta foudain à
cheval pour aller trouver M. de Born
lequel pour s'éclaircir de ce qui en eftoit
alla trouver Madame de Brifembourg
qui fur auffi fort eftonnée , n'ayant envoyé
perfonne au logis de Guillon..
S
Quelques jours auparavant , l'on avoit
moyenné de tirer un paffeport du Roy
pour le Maiftre d'Hoftel de M. de Biron ,
& un fien Page qu'il envoyoit pour faire
venir fa Compagnie de Gendarmes , &
porter fes ordres . De forte que , fans perdre
temps , ledit fieur de Biron s'en revint au
1
46 MERCURE DE FRANCE .
logis , lui fit porter des bottes & amener
un cheval , fur lequel il lui dit de monter
& de le fuivre.
Il eut ce mauvais rencontre , qu'ayant
trouvé par la rue une fort grande Proceffion
, fa haquenée , qui eftoit ombrageufe
, fit de fi grands défordres , qu'il
eftoit en grande peine , d'autant que les
chofes paffées le tenoient en telle deffiance
qu'il lui fembloit que tous ceux qui le
voyoient le devoient reconnoiftre.
Dieu pourtant permit qu'il fe rendit
heureufement à la porte de la ville ; où
eftant , le fieur de Born qui le conduifoit
, appella celui qui commandoit aù
corps - de- garde , & lui dit : mon Capitaine
, c'eſt le Maiftre d'Hoftel de M. le
Marefchal de Biron qui a commandement
d'aller faire venir fa Compagnie de Gendarmes
; & j'envoie ce Page , qui eft mon
parent , avec lui . Voilà le paffeport du Roy.
Le Capitaine lui dit : c'eft affez , Monfieur
, ils peuuent paffer quand vous voudrez
.
Eftant hors la porte , M. de Born dit au
jeune homme : voilà le fieur de Fraiſſe
qui a commandement de vous conduire ;
& lui s'en retourna.
Lors , le jeune homme demanda audit
fieur de Fraiffe , où c'eft qu'il le menoit ?
Il lui répondit : au Pays , s'il plaiſt à Dieu .
NOVEMBRE 1765. 47
Je le fupplie qu'il nous en faffe la grace ,
répondit le jeune homme.
Au bout de deux journées , ils arrivèrent
à une hoftellerie où eftoit déja arrivé
un homme de condition , qui avoit
fept ou huit chevaux de fon train. Tous
fes difcours eftoient , que l'on avoit bien
attrappé ces méchans Huguenots , louant à
merveille la généreufe refolution du Roy.
Ils firent le lendemain la journée enfemble
. Quand celui - ci eftoit arrivé au
logis , il prenoit fa robe de chambre ; &
le jeune homme le voyant , reconnut
fort bien que c'eftoit celle de fon frère.
Auffi le difcours continuel de celui - là
eftoit du déplaifir qu'il difoit avoir reçeu
de n'avoir pû attrapper le fieur de Caumont
; d'autant qu'ayant donné droit à
la porte de fon logis , il s'eftoit évadé par
celle de derrière. Que pour le fieur de la
Force , fon frère , il avoit efté dépeſché
lui & fes enfans . Cet homme avoit la fiévre
quarte , & répéta plufieurs fois , en
préfence dudit jeune homme , que s'il·
euft pû attrapper ledit fieur de Caumont
il y euft paffé comme les autres . Mais eux
marchans en plus grande diligence que lui ,
gaignèrent le devant : auffi cette compagnie
ne leur eftoit guères agréable.

Il arriva encore un fort mauvais rencontre
au bout de deux jours. Eftant à l'hoſtellerie,
48 MERCURE
DE FRANCE.
comme les difcours ordinaires pour lors
eftoient de ce grand maffacre qui avoit
été fait par toute la France ; il y avoit
trois ou quatre hommes à cette hoftellerie
, avec lefquels s'efchauffant en paroles
fur ce fujet , il efchappa au fieur de
Fraiffe , de dire : que c'eftoit un meſchant
acte , & une grande perfidie & cruauté.
A quoi ceux- ci répliquant hardiment , it
il
reconnut avoir tort & s'eftre trop efchappé
, & que ces gens qui avoient remarqué
fon dire , pouvoient foupçonner qu'ils
fuffent des Huguenots efchapés du maffacre
de Paris.
En effet , eftant partis le lendemain de
grand matin & à deffein de cette hoftellerie
, ils trouvèrent déja les autres au
fauxbourg , montés fur de bons chevaux ,
tous armés de bons piftolets , qui faifoient
femblant de s'amufer à la porte d'un cabaret.
De forte qu'ils n'eurent pas fait un
quart de lieue , qu'ils virent venir ces drôles
après eux ; ce qui leur donna l'alarme ,
à bon efcient , ne pouvant douter qu'ils
ne les fuiviffent pour leur faire du déplaifir.
Mais Dieu permit qu'heureufement
& au même temps ils rencontrèrent en
leur chemin un petit vallon , qui les mettant
à couvert , & hors de la vue de leurs
ennemis ,
NOVEMBRE 1765. 49
ennemis , ils femirent au galop , pour tafcher
de fe garantir de leurs mauvais deffeins
, & arrivèrent dans un grand bourg
avant que les autres les euffent pu joindre .
>
Ils s'arrêtèrent donc là , faifant femblant
de vouloir boire. Les autres en firent de
mefine , & les accoftèrent . Mais ledit fieur
de Fraiffe qui avoit reconnu leur mauvaife
intention s'advifa de leur faire
changer l'opinion qu'ils avoient euë qu'ils
fuffent Huguenots , & commença à leur
faire connoiftre comme il avoit commandement
de M. le Marefchal de Biron
de faire venir fa compagnie de Gendarmes
, & qu'il alloit exprès pour cela , avec
bon paffeport du Roy , attendu que Sa
Majefté alloit mettre fur pied une grande
armée , pour détruire entièrement ce qui
reftoit de Huguenots.
Ce difcours achevé , ils continuèrent
leur chemin & apperceurent bientôt
après , que ces gens qui fans doute n'étoient
venus que pour leur mal faire , s'en retournoient
fur leurs mêmes pas. Ainfi ils
continuèrent leur voyage ; & le huitieme
jour de leur départ de Paris , fe rendirent
à Caftelnaut des Mirandes , où ledit fieur
de Caumont s'eftoit retiré , & qui reçut ce
fien nepveu , qu'il croyoit mort , avec une
C
so MERCURE
DE
FRANCE
.
fi grande joie & contentement , qu'il n'eft
pas croyable.
En effet , bien qu'il euft un fils unique ,
il témoigna à ce fien nepveu une fi tendre
amitié , qu'il difoit librement qu'il
avoit plus d'efpérance en lui qu'en fon
propre fils , & lui faifoit fouvent réciter
ce qui s'étoit paffé ; comment fon père
avoit été tué ; & lui , par quels moyens
il s'étoit fauvé : admirant cette Providence
divine qui l'avoit fi heureuſement délivré
d'un fi grand péril ; & prit grand foin de
fa conduite , & de l'adminiftration de fes
biens , en fe chargeant de fa turelle.
Je ne dois obmettre ici le foin qu'il
prenoit de l'appeller de temps en temps
en fon cabinet , pour , par fes bonnes
inftructions , l'affermir toujours en la
crainte de Dieu , à qui il devoit inceffamment
rendre graces de cette fingulière
affiftance , & l'exhorter en toutes fes
actions à fuivre le chemin de la vertu.
Mais il n'eut guères la jouiffance de fi
faintes & fi falutaires inftructions ; d'autant
qu'au bout de quatorze ou quinze
jours , le fieur de Caumont fon oncle décéda
; de forte que ce jeune homme fe
trouva en fort bas âge deftitué de père ,
de mère , & de fondit oncle.
NOVEMBRE 1765 st
N. B. Cemême de Caumont , qui échappa
à la Saint Barthélemi , eft le fameux
Maréchal de la Force , qui depuis fe fit
une fi grande réputation , & qui vécut
jufqu'à l'âge de 84 ans. Il a laiffe des mémoires
qui n'ont point été imprimés , &
qui doivent être encore dans la maiſon
de la Force.
Notes de la Henriade.
-
.
VERS à l'occafion de ceux qui ont été préfentés
au Roi , au fujet de la cinquantième
année de fon règne , par Mde de
MAISON-NEUVE , auteur du Journal
des Dames.
J. AI vu briller ce jour propice ,
Où le Monarque BIEN - AIMÉ ,
D'une main toujours protectrice ,
Reçut l'écrit que ton zèle a formé.
Je l'avourai , ma jaloufe tendrelle
Prévint la tienne , envia ton bonheur.
Mon âme reffentit la plus vive allégreffe ,
Et je penfois jouir d'un précieux honneur.
J'avois même tenté de tracer fon image ;
Mais trop fublime , hélas ! pour mes pinceaux
Tant de vertu , des traits fi beaux ,
Ne demandent que mon hommage.
Cij
2
MERCURE DE FRANCE.
Ainfi , tout couverts de fplendeur
Les Dieux , que l'univers implore ,
Au lieu d'éloge , ont le tribut du coeur ;
Ils font contens qu'on les adore.
D'un téméraire empreffement
Sauvons-nous par le fentiment :
Le fentiment me donne un nouvel être ;
Lui feul m'inſpire , il règne fur mes fens :
A mon coeur il commande en maître.
Mon coeur eft mon autel , mes voeux font mon
encens.
Par Mde THIERRY DE FONDPRÉ.
A un GRAND , affez modeſte pour refuſer
les témoignages publics des fentimens les
plus légitimes. Air : Du Prevót des
Marchands.
Du
généreux U
Harpagon plaignoit le deftin.
Je lui dis voulez - vous apprendre :
Ce qui doit bien le chagriner ?
Il vous refte deux mains pour prendre ;
A lui plus qu'une pour donner.
DE LA PLACE,
NOVEMBRE 1765. 93.
VERS à M. GREUSE fur fon tableau ,
entre autres
de la jeune Fille qui
pleure un ferin mort , & fur fon efquiffe
de la Mère bien- aimée.
ATEC VEC ta naïve Pleureufe
Je pleure , inimitable Greufe !
Je vois l'âge & les moeurs de tes originaux
Ta Mère bien - aimée eft un chef-d'oeuvre encore !
Quelfujet plus touchant pour tes riches pinceaux !
D'un beau foleil c'eft une belle aurore :
Le fentiment ordonne tes tableaux ,
Et la nature les colore .
LA TOURTERELLE ,
T..
Idylle.
01 qui fans ceffe dans nos bois
Forme un accent plaintif & tendre ,
Souffre que j'unille ma voix
Aux plaintes que tu fais entendre. |
Si ton portrait n'eft point flatté ,
Avec toi quelle reffemblance !
On vante ta fidélité ,
Et rien n'égale ma conſtance.
C iij
{4
MERCURE
DE FRANCE
.
!.
Le filence de nos forêts
Charme ta douce inquiétude ;
Au bruit des cours , à leurs attraits
Je préfére la folitude .
Pour exprimer ta vive ardeur ,
Tu fuis l'innocente nature ;
De l'art qui bleffe la candeur
Mon coeur ignore l'impoſture.
>
L'amour fait ta fuprême loi ,
C'est lui que ton âme ſoupire ;
Tendre & fidèle comme toi ,
C'eft pour aimer que je refpire.
<
On ne t'entend point murmurer ,
Si ta compagne eft infidelle ;
Tu fais gémir & foupirer ,
Mais fans jamais te plaindre d'elle.
Envain mes rivaux font d'accord
Pour animer ma jaloufie ;
Si je me plains , c'eft de mon fort
Sans jamais accufer Silvie.
Ta gloire éft dans ta liberté
Et tes foupirs font ta richeffe ;
Les grandeurs ne m'ont point tenté ,
Et mes tréfors font ma tendreffe .
Par M. le Prevôt d'Exmes...
NOVEMBRE 1765. ss
VERS à Mlle R.... fervant de réponse
à fa queftion : Si l'impreffion que la
beauté fait fur les fens eft de l'amour ,
il est donc deux fortes d'amour ?
UNN bel enfant brillant comme un beau
jour ,
Frais comme Hébé , vermeil comme l'aurore ,
Plus careflant & plus aveugle encore
Que ce fripon , dont Cithère eft la Cour ,
( Perfide enfant que l'univers adore )
Au temps paffé s'avifa d'un bon tour,
Sur fon bandeau fa main foible & novice
Traça ces mots Mortels , je fuis l'Amour.
On s'y méprend , on s'empreffe , on accourt ;
Chipre & Paphos n'ont plus de facrifice.
Or , devinez , l'auteur de la malice ?
Un trait , un mot , vont vous le définir.
Fils de l'inftant & de la jouiffance ,
Hôte léger qu'on ne peut retenir ,
Et plus volage encor que l'inconſtance
,
11 eft par-tout. Son nom c'eſt le Plaifir.
L'Amour parut pour démafquer le traître ,
Ce Dieu croyoit rentrer dans tous les droits
Mais quoi , les coeurs avoient changé de
maître ,
Civ
16 MERCURE
DE
FRANCE
.
Et prefque tous , foit foibleffe , foit choix ,
S'étoient buttés pour les nouvelles loix.
Que fit l'Amour ? Il admit à l'Empire
Un fier rival qui l'en eût dépouillé :
( C'étoit agir en Dieu bien confeillé ) .
Depuis ce temps , l'Amour par le délire
Commande à l'âme , & le plaifir aux fens.
Mais ce dernier faifit mieux les inftans ,
Et dans les coeurs moins tendres que le vôtre
Moins délicats , dans des yeux moins décens ,
Life , le nouveau Dieu fe fait paſſer pour l'autre.
'AUTRES à la même pour juftifier le fentiment
de l'Auteur , qui avoit foutenu
qu'on pouvoit admettre deux amours.
LISE me difputoit un jour
La naiffance du Dieu d'Amour.
Croyez - moi , Damis , difoit-elle :
Chacun tient que c'eſt dans mes yeu
Que nâquit ce Maître des Dieux.
Pour avoir tort Life eft trop belle ,
Mais nous avons raiſon tous deux.
A Life enfin j'ai fait comprendre
Qu'on peut admettre deux amours ;
L'un , lui dis - je , fourit toujours ,
L'autre , plus grave , eft bien plus tendre.
NOVEMBRE 1765. $ 7
Tu ne connois que le vainqueur
Qui dans tes yeux brillans préfide ,
Parce que l'autre eft trop timide
Pour fortir jamais de mon coeur .
SIDNEY.
ANECDOTE ANGLOISE.
QUE
UELLE eft donc la trifte condition
de l'homme ! Il eft environné d'êtres fenfibles
& périffables comme lui . Un instinct
puiflant & fecret le porte vers eux . Né
dans la fociété , il fent que fon coeur a
befoin d'elle . S'il ofe fuir fes femblables ,
il est malheureux & coupable à la fois.
S'il fe livre aux douceurs de la vie civile ..
il s'expofe à mille dangers. L'amitié le
trahit fouvent , l'amour le défeſpère , ou
la mort vient tout-à- coup brifer des liens
chéris. Avec une ame noble , fimple &
vraie , on eft prefque toujours à plaindre.
Vous ne devineriez pas qui pouvoit
faire de pareilles réflexions ? C'étoit le
jeune Lord Sidney. Né à Londres avec une
fortune brillante , & des qualités aimables
, fes moeurs étoient douces , quoiqu'auftères
, & fa figure faifoit tourner la
C v
$8 MERCURE DE FRANCE.
tête aux femmes. Son air férieux le ren
doit plus intéreffant. On ne pouvoit voirfans
furprife & fans émotion , cette fleurde
jeuneffe embellir une raifon prématurée
; car il n'avoit pas vingt ans , & l'on.
ne parloit à Londres que du fage & beau
Sidney.
Il cherchoit fouvent la folitude. Il aimoit
la chaffe & les plaifirs champêtres.
Un jour , à trois milles de Londres , excédé
de fatigue & de chaleur , il erroitfur
les bords de la Tamife , lorfqu'il découvrit
une petite maifon ifolée & couverte
d'un bouquet d'arbres qui l'ombrageoient.
Le jeune Lord eut envie d'y enrer
pour fe repofer. Il jugea qu'elle étoit
habitée par des villageois , & il préféroit
leur naïve franchife à l'empreffementtrompeur
des gens du monde. Quelle fut:
la furprife de Sidney de trouver dans
cette humble retraite , dont la porte étoit
ouverte , les meubles de la philofophie:
& des beaux arts ! Des livres de morale
des inftrumens de géométrie , & quelques-
uns de mufique. Du refte , une extrême
fimplicité ; la propreté feul orncit
cet afyle folitaire. Sidney fort , impatient
de trouver le maître du logis. Il fait le
tour de la cabane , il parcourt des allées irrégulières
de jeunes ormeaux , d'où l'on
NOVEMBRE 1765. 59
découvroit la mer & la campagne la plus.
riante. Il apperçoit enfin un veillard encore
frais , dont l'afpect infpiroit la vénération.
Il fe promenoit lentement. Une
forte imprefiion de trifteffe altéroit la
beauté févère de fes traits , & laiffoit voir
l'empreinte d'une ame fenfible & profondément
affectée . Le jeune Lord l'aborde
avec toutes les marques du refpect , & le
vieillard ne put fe défendre d'une prévention
favorable à Sidney. Jeune inconnu
, lui dit - il , que cherchez - vous ici ?
Le repos , fans doute , & la fraîcheur
après un violent exercice . Vous voyez ma
demeure , il ne tient qu'à vous d'y entrer.
Venez & difpofez de moi .
2
Ils entrent. Sidney , ravi de plaifir &
d'admiration , parla ainfi à cet homme
extraordinaire. J'ai déja vifité votre habitation.
Je ne comptois pas rencontrer
un fage en ce défert ; mais fouffrez que
je vous le demande , pourquoi ces nuages:
à travers la férénité de votre ame ? Daignerez-
vous m'apprendre à qui je dois un
accueil fi flatteur ? Peut - être ne fuis - je
pas indigne de votre confiance . Je fais
du moins refpecter votre âge & votre
vertu .
Hélas ! répondit le veillard , ce que je
vais vous raconter pourra vous inftruire ,
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
& ce motif me détermine autant que fa
fenfibilité que vous m'infpirez . D'ailleurs
dans l'excès de mon affliction , je faifis.
avidement la moindre lueur d'efpérance..
Puiffiez - vous ne pas démentir la bonne
opinion que j'ai conçue de vous ! Vous
pourrez peut être terminer mes maux..
Que fais-je ? L'extrême infortune touche
quelquefois au bonheur , & la Providence:
peut vous conduire ici pour m'être utile..
Quoi qu'il en foit , profitez de mes difgraces
: votre ame ne fait que commencer
à fe développer. Apprenez de mes:
malheurs , à commander à vos affections .
les plus pures , à les fubordonner à l'amour
que vous devez au grand Être ; carrien
n'eft durable ici bas.
J'avois à - peu- près votre âge lorfque je
vis Mifs Murray. Elle étoit belle & vertueufe
, née comme moi dans la médiocrité
, mais d'une famille noble ainfi que
la mienne. Je l'aimois éperduement , &
je feus lui plaire . Ne vous attendez pas .
ici à des événemens extraordinaires . Nos
fortunes étoient égales. Nos amours ne
trouvèrent point d'obftacles , & n'en furent
que plus conftans. La conformité de nos:
moeurs & de nos fentimens , le même
goût pour la vertu nous unirent à jamais.
Le Ciel bénit notre mariage. Ma chère:
·
NOVEMBRE 1765. Gr
Murray me donna deux fils & une fille .
Mes fils fervirent comme moi avec diftinction
dans les dernières guerres , &
furent la gloire & la confolation de leurs
parens. Ma fille ne nous fut pas moins chère
par fon excellent naturel . Croiriez - vous ,
aimable inconnu , que je duffe éprouver
la plus affreufe deftinée ? Tant de profpérités
s'écoulèrent comme un fonge , &
je fuis un exemple déplorable de l'inftabilité
des chofes humaines . Jugez fi vous
pouvez prétendre à mon eftime ; je me
fais violence , & j'aime néanmoins à me
retracer auprès de vous des fouvenirs
cruels ! Mes deux fils moururent prefque
en même temps d'une maladie violente ;
& pour comble d'infortunes , ma chère &
tendre Murray ne tarda pas à les fuivre..
Tous périrent dans mes bras .
Tant de revers m'accablèrent. Je fus
long- temps incapable de fonger à l'éducation
de ma fille , refte unique & précieux
de ce que j'avois de plus cher au
monde
Mais , que dis- je , malheureux que je
fuis ! ...Je vais vous étonner , mon jeune
ami. Je devois fouffrir davantage encore ,.
& le comble du défefpoir m'étoit réfervé..
Sidney , très- affecté , conjuroit le vieillard
d'interrompre un fi trifte récit . Non,,
62 MERCURE DE FRANCE.
mon enfant , dit- il , vous me plaindrez ,
fans doute , & je ne dois vous rien cacher..
Vous vivez à Londres , vous faurez peutêtre
quel eft le fort d'un objet infortuné
.... Hélas ! elle me confoloit , & fa
mère fembloit revivre pour moi .
Quoi ! s'écria Sidney , quoi ! vous auriez
auffi perdu cette aimable fille ? Et par
quelle fatalité ? ... O fort ! quels coups réferves-
tu donc aux méchans ?
"
Mon enfant , n'accufons point la Providence
, reprend le veillard très ému. Je
commençois à fupporter mes maux , &
je faifois tous les jours le facrifice de ma
femme & de mes fils . Je me retirai dans.
ce féjour tranquille. L'étude & quelques
talens agréables , une vie obfcure , mais
libre & douce , commençoient à tempé
rer l'amertume de mes douleurs. Le
malheur & la perverfité des hommes
m'ont pourfuivi jufqu'en ces lieux. Ma
foeur , qui demeure dans le voifinage
& qui m'avoit demandé Sophie , vint me
voir à l'ordinaire , il y a trois femaines.
Elle étoit feule , & je fus allarıné. Une
légère indifpofition avoit retenu ma fille
au logis. Ma foeur , à fon retour , ne la
retrouva plus chez elle. Tout ce que nous:
pûmes apprendre d'une feule temine à qui
ma foeur l'avoir confiée , c'eft que cette
>
NOVEMBRE 1765 64
domestique , dont la fidélité nous étoit
connue , ayant été obligée de fortir un
inftant , elle avoit entendu le bruit d'une
chaife de pofte qui fembloit fortir de la
maifon . Elle y courut , vit en effet la
chaife qui s'éloignoit avec rapidité , &
chercha vainement ma chère Sophie. Jugcz
de l'horreur de notre fituation ! J'ai
fait jufqu'à préfent des recherches inutiles.
Grand Dieu ! l'ai- je perdue pour
jamais , & ne permettras tu pas que je
découvre fon infame raviffeur ? O mon
jeune ami ! je ne connois plus le repos ;;
le jour , comme la nuit , n'offre à mes.
yeux que les plus funeftes images. Je ne
puis pourtant renoncer à l'efpoir qui me
flatte. Ah ! fi vous aimez la vertu , vous:
m'aiderez fans doute par vous - même , ou
par vos amis , dans la recherche du feul
bien qui me fait tenir à la vie.
Sidney ne lui répondit que par fes.
larmes. Je vous quitte avec regret , lui
dit il ; mais j'ofe efpérer que le Ciel fecondera
mes foins . Je tiens à des perfonnes
en crédit , & je m'en félicite , puifque
par leur moyen je puis concevoir l'efpérance
de mettre fin à vos douleurs .
Milord *** étoit l'oncle maternel de
Sidney , & l'aimoit beaucoup. Ce jeune
komme ardent & vertueux , fit le tableau
64 MERCURE DE FRANCE.
;
le plus touchant & la plus pathétique des
infortunes & de l'affliction du vieillard .
Mon oncle , difoit- il , c'eft un citoyen
refpectable qui reclame votre autorité
c'eft un père de famille qui a fervi l'Etat
par lui - même & par fes fils ; il eft plus
recommandable encore par fes vertus que
par fon nom. Il lui reftoit une fille , feul
appui de fa trifte & larguiffante vieilleſſe
; un homme vil ofe l'en priver indignement
, & porter la mort dans le
coeur du plus digne & du plus tendre des
pères. Ainfi donc l'honneur même eft
maintenant à la merci de la brutalité , &
le plus fanglant outrage pourroit demeurer
impuni ? Vous ne le fouffrirez
Milord ; votre équité , votre humanité ,
la nobleffe de votre caractère répareront
cette horrible injuftice .... Milord ***
changeoit de vifage . Il garda long-temps
un morne filence. Enfin , regardant fixement
fon neveu : Sidney , dit-il , allez
demain , dès le matin , chez ce reſpectable
infortuné. Dites - lui de ma part qu'il
ceffe de pleurer fa fille , qu'il l'embraffera
dés ce jour même , & que je me charge
de la lui remettre. Laiffez - moi , j'ai des
arrangemens à prendre , & comptez fur
ma parole. Sidney ne favoit comment interpreter
un difcours fi laconique , & ne
pas
NOVEMBRE 1765. 25
concevoit pas comment fon oncle , avec
tout fon crédit , pouvoit fi légèrement fe
flatter de retrouver fitôt Sophie.
,
Le lendemain & avant le lever de
l'aurore , il vole chez Sir Manly ( c'étoit
le nom du folitaire ) , il l'embraſſe &
le ferre dans fes bras. A la joie qui brille
dans les yeux du jeune homme Sir
Manly livre fon coeur à l'eſpérance. Vous
allez la revoir ! s'écria Sidney ; Milord
*** mon oncle , me fuit , & va vous
l'amener lui-même. Le bon vieillard penfat
s'évanouir . Peu de momens après , le bruit
d'un carroffe annonce Milord *** . Il paroît
avec Sophie, qui fe précipite dans les bras de
fon père , & jette enfuite fur fon conducteur
un regard timide , mêlé de ſurprife
& d'admiration.

Sir Manly , lui dit Milord *** Votre
foeur eft- elle ici ? J'ai befoin de fa préfence.
Sidney courut la chercher. Dès
qu'elle fut arrivée , Milord *** les pria
tous de s'affeoir ; puis , adreffant la parole
à Sir Manly , qui vouloit fe lever :
je vous fupplie tous , dit Milord , toujours.
debout , & faifant affeoir Sir Manly , de
ne pas m'interrompre.
Mon neveu, pourfuivit- il , je vous doisle
plaifir inestimable de faire une bonne
action , & d'effacer , s'il eft poffible , le
66 MERCURE DE FRANCE.
fouvenir d'une injure dont je fuis auffi
pénétré que Sir Manly même. Je fuis
libre , Sidney : vous êtes monfunique héritier
... ce contrat vous affure dès ce
jour la jouiffance de la moitié de mes
biens , & les provifions d'une charge que
je ne veux plus exercer.
Quant à vous , Sir Manly , reprenez
tous vos droits fur une fille , dont la vertu
n'a point d'égale , & dont je prétendrois
en vain récompenfer les nobles fentimens.
Si mon neveu pouvoit lui plaire , & lui
faire oublier mes torts , j'oferois peut-être
me flatter de lui montrer un véritabe
ami , dans celui qui génit à vos yeux d'avoir
été fon raviffeur.
A ces mots il fe jette aux pieds de
Manly ; puis , en fe relevant & en le re-i
gardant avec confiance : Sir Manly , lui
dit-il , fi la réparation n'eft pas complette ,
ordonnez , je fuis prêt à tout. Ce qui me
refte à dire pour ma juftification , fi tant
eft qu'il en foit en pareil cas , c'est que
j'ignorois que vous fuffiez le père " de'
cette adorable & refpectable fille . Sa douceur
& fa beauté me féduifirent ; je me
livrai trop au plaifir de la regarder plus
d'une fois dans le parc à côté de fa tante .
Je vous la rends du moins toujours digne
de vous ; ma foeur pourra vous en réponNOVEMBRE
1765. 67
dre: elle n'eft fortie de chez elle que pour
venir ici. Jugez-moi maintenant.
...
Milord , dit Manly éperdu , vous avez
été foible , & vous étiez puiffant ...
Vous avouez vos torts : rien ne pouvoit
vous y forcer .... Embraffons - nous.
Les tendres carreffes dont Sophie acca ·
bloit fon père , la reconnoiffance & l'embarras
que lui caufoit la générofité de
Milord *** , la pudeur & la fenfibilité
de cette aimable fille animoient les grâces
naïves que
lui avoit prodiguées la nature.
Milord *** obligea fon neveu d'accepter
fes préfens. Là mélancolie de Sidney ne
partoit que du befoin d'aimer ; elle fe
tourna bientôt en fentiment auprès de
l'aimable Sophie , qu'il époufa peu de
jours après. Tous deux furent heureux
& tous deux méritoient de l'être.
EPITRE à M. LORRY , Docteur en Médecine.
SAVANT AVANT rival de Galien ,>
Tu lui difputes notre eftime :
Reçois le tribut légitime
Que ton efprit impofe au mien
68 MERCURE DE FRANCE.
De Paris , où ton zèle éclate ,
Tu dois être à jamais chéri :
La Grèce adoroit Hippocrate ,
Et la France admire Lorry.
On a vu l'Espagne attendrie
Pour un de fes plus cher enfans ( 1 )
Implorer tes foins bienfaifans.
Déja la Mort , qui te défie ,
Triomphe dans les yeux éteints !
Mais fa faulx fe brife en tes mains !
Bientôt le fouffle de la vie
Dans la victime eft ranimé :
Envain le monftre défarmé
Sent aigrir fa rage trahie ;
Ton art , qui lui donne la loi ,
Le force d'aller loin de toi
Porter fa hente & fa furie ;
Et F ***. de fa patrie
T'offrant les voeux reconnoillans ,
Y fait pour toi brûler l'encens
Que ne peut t'arracher l'envie .
Aux cris des mortels languiffans
Avec ardeur volant fans celle ?
Leur confiance ne te laiffe
Goûter nul inftant de loifir.
( 1 ) M. le Comte de F *** . A. d'E étant à l'extrê
mité & hors de toute efpérance , fut rappellé à la vie
par les foins de M. Lorry.
NOVEMBRE 1765.
*
Tu ne dois point à la pareffe
La jouiffance du plaifir .
Ton âme , exemte de foibleffe ,
Cherche & trouve la volupté
Dans la douce tranquillité
Qu'en nos fens produit la fageffe.
Quels prodiges frappent mes yeux !
Sans s'étonner ( 2 ) qui pourroit lire
Ces chefs - d'oeuvres faits pour inftruire ,
De ton favoir fruits précieux ?
Au talent rare & falutaire
Par qui revit l'humanité ,
Ta brillante fécondité
Sait joindre encor le don de plaire .
Les Nymphes du facré Vallon
Dans leur temple ont gravé ton nom .
A tes lumières rien n'échape ,
Et , comme un nouvel Efculape ,
Chacun te croit fils d'Apollon.
De la fombre mélancolie ( 3 )
Quand tu nous peins les noirs effets ;
Par les charmes de ton génie ,
Tu préferves de fes accès.
(2 ) Il est étonnant , en effet , que M. Lorry ait trouvé ,
malgré fes continuelles occupations à rendre la fanté , le
temps de nous donner les ouvrages que l'on a de lui , qui
font très -étendus & écrits en latin.
( 3 ) Le Traité de la Mélancolie. Il paroît aujourd'hui
du même Auteur un volume nouveau qui traite des moyens
de guérir cette maladic .
70 MERCURE DE FRANCE,
#
Dans tes écrits tout intéreffe .
Du plus méthodique fujet ( 4 ) ,.
Fertilifant la féchereffe ,
L'art ne nous voile aucun fecret
Qui fe dérobe à ton adreffe .
Les lauriers aux bords du Permeffe
Semblent croître pour t'embellir
Sans effort tu fais les cueillir.
Mais fi tu daignes de ma lyre
Ecouter les foibles accords ,
Permets que le Dieu qui m'infpire
Célèbre , en mes nouveaux tranſports ,
Ces deux Mortels ( 5 ) que la nature
Unit à toi des plus doux noeuds :
Sans doute , à ton amour pour eux
Mon filence feroit injure.
L'un , par de fublimes leçons
Des loix éclaircit le dédale ;
De Démosthènes qu'il égale
L'autre a reçu les heureux dons.
Dans vos coeurs la Vertu raffemble
Tout l'éclat de fa pureté ;
La Gloire vous décore enfemble
Des traits de l'immortalité.
(4 ) Le Traité des Alimens.
(5 ) Meffieurs Lorry , fes frères , dont l'un enfeigne
fe Droit & l'autre eft Avocat au Parlement & des Finances.
NOVEMBRE 1763. 7%
Fixez toujours notre fuffrage ,
Doctes enfans du Dieu du jour ;
Ses faveurs font votre partage :
Vous lui rendez un triple hommage
Dont il vous honore à fon tour.
Par M. BRUNET.
A Mde la Maréchale DE LUXEMBOURG ,
fur la mort de M. le MARÉCHAL.
JA1 refpecté votre douleur ,
Je partageois en fecret vos alarmes ;
Le digne objet de tant de larmes ,
En a fait couler de mon coeur.
Je le vis , je chéris cette âme ſecourable ,
Senfible , jufte , fimple , affable
Parmi l'éclat de la grandeur.
Vous , en qui fa vertu nous charine & vit encore ,
Agréez ce tribut que votre nom décore ,
Souffrez que ma candeur le célèbre aujourd'hui ,
Luxembourg ! .. Si mes vers font peu dignes d'un
fage ,
Mes fentimens font un hommage
Immortel comme vous , immortel comme lui.
M.
72 MERCURE DE FRANCE.
A Mlle MAZARELLY.
J'AT lu Defcartes & Sully :
Que leur portrait m'enchante !
Que ne puis-je , Mazarelli ,
Etre ta concurrente !
J'oferois tracer un tableau
'D'un autre objet que j'aime ,
Et le portrait feroit plus beau.
Je te peindrois toi - même.
Par Mlle DE LA PORTE.
LEE mot de la première Enigme du
fecond volume du Mercure d'Octobre eſt
le toton . Celui de la feconde eft la clef.
Celui du premier Logogryphe eft le pas
que l'on forme en marchant ; on y trouve
auffi le pas géométrique & négatif, & as ,
qui eft la plus haute carte du piquet. Et
celui du fecond eft peigne , où l'on trouve
pin , épine , neige , péne , pie , génie , gêne
& peine.
ENIGME.
NOVEMBRE 1765. 7 %
ENIGM E.
Si t'on
I l'on coupe mon nom en deux ,
Je fuis aux champs comme à la ville ;
Mais mon nom le plus férieux
N'eft qu'aux champs inftrument utile .
Ma queue eft un chemin battu
Où l'on a vu paffer ma tête
Au retour de quelque conquête
Où fe fignala la vertu.
Ma queue eft par- tout exiftante ;
Ma tête , autrefois triomphante ,
Ne fert plus dans le champ de Mars i
Joignons ma queue avec ma tête ,.
Et l'on verra , fi l'on m'apprête ,
Quels biens ici bas je dépars .
Je prépare ta nourriture ,
Lecteur , qui peut- être murmure ,
De me voir cacher à tes yeux .
J'entre dans le fein de ta mère ,
Et ne fuis pas plus meurtrière
Qu'au temps de tes premiers ayeux.
Mon état , à préſent ignoble ,
Eft pourtant l'état le plus noble ;
L'honneur n'eſt qu'un palliatif
Que notre ambition invente ,
D
74 MERCURE DE FRANCE.
Par une pudeur indécente ,
Pour mafquer l'état primitif.
Tu me tiens , Lecteur , je le gage ;
Mais conviens donc avec candeur , ·
Que tu pâtirois davantage´
Si tu me tenois comme acteur.
Par le Chantre de Blaifon , de Laval.
A UTR E.
FEMELL
EMELLE maffive , intraitable ,
Je n'ai jamais trouvé d'amans ;
Sans fuer je danſe long-temps
Ou fur le roc ou fur le fable ,
Et mes fauts groffiers & bruyans ,
Au lieu d'effrayer les paffans ,
Sont d'un augure favorable .
NOVEMBRE 1765. 75
LETTRE à M. DE LA PLACE , auteur
du Mercure de France.
ME trouvant , Monfieur , il y a quelques
jours dans une affemblée où on s'amufoit
à deviner les Logogryphes du
Mercure de Juillet , on me défia d'en
faire fix autres fous les mêmes conditions
que celles qui furent impofées à M. Fabre.
Je joins ici ceux que je fis. Je ne fais fi
vous les trouverez dignes de trouver place
dans votre Journal.
Permettez moi , Monfieur , de faifir
cette occafion pour vous renouveller les
affurances , &c.
A Amiens 1765 .
LAGACHE fils.
LOGO GRYPHE S.
JE fuis le char flottant d'une beauté chérie ,
dont la couronne même eft fouvent embellie
Mes diveries couleurs enchantent les regards
Et me font admirer des amateurs des arts .
Faut- il , ami Lecteur , t'en dire davantage ?
Je peux de la chaleur garantir ton vifage ;
Dij
76 MERCURE DE FRANCÈ.
Je fuis l'arme d'un Indien ;
J'offre le chantre d'Arcadie ;
Je fuis ville de Picardie ;
Dans un âge avancé l'on me prend pour ſoutien ;"
Je deviens inutile au fort de la tempête ;´
Si ce n'eſt point affez , cherche moi dans ta tête,
Second.
Envain , pour découvrir mon être
Chercheroit-on dans les cités ,
Ce n'eft point dans ces lieux où l'on me voit
paroître ,
Je chéris les réduits les plus inhabités.
Si l'on veut maintenant faire mon analyſe ,
De la chafte Déeffe on trouve l'inftrument ;
Le métal amoureux de la fille d'Acrife ;
Un corps que le Nocher évite prudemment ;
* Un attribut de la richeffe ;
Et le beau jour qui doit t'unir à ta maîtreſſe.
Troiséme.
Jadis aux champs de Mars j'étois très- néceffaire ,
Des plus braves guerriers j'accompagnois les pas ,
Et Pélée autrefois m'accepta de Pallas.
Si ce début n'a point de quoi te fatisfaire ;
Je préfente l'endroit le plus bas des vaiſſeaux រ
Une lente monture ; un ton dans la muſique ;
Une Abbaye en France ; un oifeau domeſtique ;
Unfauvage animal enfin un amas d'eaux.
De leur sombre
clarteje ne vois que
Mineur
l'hor
reur
. Les
pres
sont
sans
email
, lesjar
Le soleil
sans
é
dins
sans
pa- rure
, Le soleil
W
clat, les vallons
sans
fraicheur
.
'ai perdu
Laure
, helas
! après
J'ai
W
un tel malheur
,je ne vois plus
que
deuil
dans
toute
la nature
.
tw
Récit.
Separe pour toujours de tout ce qu'il ai-
-moit,Petrarque inconsolableAuxechos des ro-
-chers sans cesse répétoit Cediscours lamentable.
Tout estchangépour moi , toutafflige
mon
coeur Les ruisseaux argen
- tés
W
n'ont plus leur doux murmure :Je ne vois
plus des bois la riante verdure,
NOVEMBRE 1765. 77
Quatrième.
On me donne très - aifément ;
Il est vrai que je fuis de peu de conféquence.
Je contiens un beau titre en France ;
Un figne de plaifir , & deux notes de chant.
"
Si tu veux , cher Lecteur , me prendre toute
entière ,
La chofe eft très - aifée , ouvre ta tabatière.
A Cinquième.
Des lieux où je parois je chaffe la triſtelſe ;
Mon feal but eft de divertir :
Coupez moi tête & queue , & je vais vous offrir
L'arme du Dieu de la tendreffe.

Sixième.
Je fuis un compofé de mille être divers.
Mets ma tête à mes pieds , j'habite les enfers
Par M. LAGACHE fils.
LE Tombeau de LAURE , ou les Regrets de
PETRARQUE , Romance nouvellement
mife en mufique par M. DE Lusse.
RECIT
ÉPARÉ pour toujours de tout ce qu'il aimoit
Pétrarque inconfolable ,
Aux échos des rochers fans ceffe répétoit
Ce difcours lamentable :
D iij
78 MERCURE DE FRANCE..
Majeur.
Tout eft changé pour moi , tout afflige mon
coeur.
Les ruiffeaux argentés n'ont plus leur doux mur-
Conjure ;
Je ne vois plus des bois la riante verdure :
De leur fombre clarté je ne vois. que l'horreur.
Mineur.
Les prés font fans émail , les jardins fans parure,
Le Soleil fans éclat , les vallons fans fraîcheur.
J'ai perdu Laure , hélas ! Après un tel malheur ,
Je ne vois plus que deuil dans toute la nature.
Quelquefois pénétrant au fond de fon tombeau ,
J'ofe encor la chercher dans les crêpes funèbress
Je perce en frémiffant les horreurs des ténèbres
Guidé par la lueur d'un lugubre flambeau,
Dans un trifte cercueil , de linceuls entourrée 3
Ses beaux yeux font fermés à la clarté du jour :
Les miens cherchent en vain l'objet de mon amour;
Mon coeur feul y retrouve une amante adorée,
Mais bientôt accablé du poids de ma douleur ,
Je couvre de baifers fa bouche inanimée :
Dans fon livide corps mon âme renfermée
Veut en vain l'échauffer par fá brûlante ardeur .
NOVEMBRE 1765. 79
Je remplis de mes cris ces voûtes téné
breuſes ,
Et , prêt à voir finir les horreurs de mon fort ;
Pour la pleurer encor je retarde ma mort ,
Et quitte en foupirant ces demeures affreufes.
11 eft temps de céder à mon cruel tourment.
Laure , ma chère Laure , à la fin je fuccombe ;
Pour la dernière fois je vais ouvrir ta tombe ,
Et dans ton noir fépulchre enfermer ton amant.'
Au fond du monument mon corps que je
dépoſe ,
Trouvera près du tien un remède à fes maux ;
Et s'il peut être encor pour moi quelque repos ,
Ce n'eft que dans les lieux où ma Laure repofe.
Div
to MERCURE DE FRANCE.
C
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
DISSERTATION pour prouver l'identité
des mots Savegium & Suciacum : Sucy
en Brie , terre feigneuriale , ou fief qui
fut anciennement donné par CLOTAIRE
III , fous la dénomination de Savegium
, à Péglife Saint Pierre ou Saint
Maur- lès-Foffés , à préſent Saint Louis
du Louvre. Contre l'opinion de quelques
Savans , & principalement contre celle
de l'Abbé LEBEUF , inférée dans fon
Hiftoire du Diocèfe de Paris , article de
Sucy & de Belleville.
CLOTHAIRE III méditoit depuis quel
ques années le pieux & généreux deffein
de faire fentir fes libéralités & fa bienfaifance
à l'églife connue alors fous le nom
de Saint Pierre- les - Foffés , près Paris , &
depuis fous celui de Saint Maur .
Il avoit en fon prédéceffeur , un exemNOVEMBRE
1765. 81
noit, par
ple aufli vertueux & féducteur que récent
, puifque Clovis II , fon père , vedes
lettres datées de l'an 646 ,
d'accorder à un Diacre , que d'autres difent
Archidiacre de l'Eglife de Paris , nommé
Blidegifilde , fon parent & fon parrain ( 1 ),
l'ancien Château des Bagaudes & tout ce
qui en dépendoit , pour y fonder un Monaftère
, que Saint Babolein devoit , en
qualité d'Abbé diriger felon la Règle
de Saint Benoît.

Le fils , non moins religieux que le
père , & à fon imitation , pour exécuter le
louable deffein qu'il avoit projetté , donna
donc à cette églife , par forme de fupplément
de fondation , de l'avis de fon Confeil
& de la Reine Bathilde , un lieu confidérable
dominé par une montagne , que
dans fes lettres datées de l'an 16 de fon
règne , le S des calendes de Mai , il
nomme Savegium , & que je rends par
le mot de Sucy , malgré l'opinion de plufieurs
favans. Voici le contenu de ces
lettres. Anno igitur XVI regni fui defuncto
Chlodoveo ( 2 ) , filius ejus Clotharius regni
fufcepit habenas qui fanctum virum Babolenum
& levitam Blidegifilum nimio diligebat
( 1 ) Cartulaire de Saint Maur en papier , du
15 au 16e fiécle , fol . 3 recto & verfo.
(2 ) Cartul. de Saint Maur en papier , fol, 10,
Dv
82
MERCURE
DE
FRANCE
.
amore , quos perfeverantes videbat in Chrifti
dilectione. Levita verò venerabilis , non im-,
memor fua falutis , innotuit ei , quomodo
pater ejus Chlodeveus ad edificandum Cano-,
bium ei fape factum Caftrum contulerit &
qualiterfub regulari normâ Monachos Deo
Jervientes illi adunaverit , Abbatemque
fanctum Baboleinum nomine eis præfecerit ;
retulitque ei quomodofuper illud Canobium
pater fuus regale teftamentum ob ejus perhennem
defenfionemfecerit, quibufque donis
magnificè exaltaverit , quibus manifeftatis :
Rexinquit ad eum , & noftra regalis donatio
Deo propitio , non deerit Canobio . Dedit
ergo Rex ad ipfum , LOCUM VICUM, cujus
nomine gaudet mons fupereminens dictum
Savegium. Juffitque fuper hoc fieri preceptum.
C'eft ainfi que cette Charte fe
trouve rapportée dans un manufcrit original
de la vie de Saint Babolein , du treiziéme
fiécle , qui , après la fécularifation
de Saint Maur , a paffé dans la bibliothèque
( 3 ) de l'Abbaye Saint Germain- des-
Prés.
Il eft certain que , par une foule de raifons
, toutes plus fortes les unes que les
autres , on doit avoir tout au moins lieu
de préfumer que le Savegium donné par
(3 ) On le trouve à la bibliothèque Saint Germain,
fous les numéros 270 & 509 , 2 pag. 2, & 3.
NOVEMBRE 1765. 83
Clothaire n'eft pas autre chofe que la terre
de Sucy en Brie , proche Chenevieres
Boiffy & les Piples. En effet , à n'en juger
d'abord que par la racine du mot , qui eft
Save , on voit que le pays en queſtion.
devoit être originairement un pays inculte..
Les Etymologiftes nous apprennent que
ce mot latin fignifie en notre langue des
roches , des landes , des bruyeres , & les
Hiftoriographes anciens difent d'ailleurs
pofitivement que tout l'efpace de pays qui
prend depuis Vincennes , & qui s'étend
jufques vers la Brie , ne formoit pofitivement
prefque par-tout qu'un fol , à peu de
chofe près , égal à celui de la forêt de
Fontainebleau , c'eft - à -dire , de roches &
de bois , de bruyeres & de landes. On voit
encore même à préfent fur la hauteur de
la montagne de Sucy , du côté des Piples ,
de Boiffy , de Grosbois , & en defcendant
par le Petit Val au chemin qui conduit à
Paris , une très- grande étendue de pays
inculte en bruyeres , & tout meublé par
canton de roches monftrueufes . De l'autre
côté , yers Noiſeau, Chenevieres , & en
defcendant au Grand Val & au pré de Bretigny
, fur le bord de la Marne , quoique
les terres aient été il y a déja long - temps
défrichées & mifes en vignes ou en grains ,
on y trouve même encore à préfent des
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
quartiers de roches fi énormes , que les
propriétaires de ces poffeffions font fouvent :
obligés de faire jouer la mine , foit pour
les divifer , foit pour les retirer des entrailles
ou de deffus la furface de la terre.
D'autres Hiftoriographes ( 4) affurent pofi
tivement que tout le pays de Saint- Maur
& des environs étoit primitivement couvert
de bois & faifoit partie de la forêt
appellée Vilcenia , qui dans la fuite fue
coupée en grande partie ( 5 ) , & dont le
nom a été , par ffuucccceeffffiioonn ddee temps , altéré
en celui de Vincennes.
Si on veut fe placer fur la cime de la
montagne , & s'avancer en ligne directe
vers la Brie , du côté de la Queue , Gournay
, Grosbois & Marolles , on verra une
chaîne de bois & de forêts affez étendue
enforte que ces confidérations réunies
peuvent très- bien faire préfumer que le
Savegium de Clothaire ne doit s'entendreque
de lui.
Cette opinion fe rapporte on ne peut
pas mieux avec ce qui fe lit dans la notice
des Gaules ( 6 ). Savegium fortè eft
Sucy. Clotharius , Chlodovei junioris filius ,
( 4 ) Première liaffe des Chartes des archives
de Saint Louis du Louvre , numéro 18 .
( s ) Baluze , tom. 2 , colomn . 1457.
( 6 ) Adrien de Valois , pag. 430 & 431.
NOVEMBRE 1765. 89
deditMonafterio Foffatenfi VicumSavegium
cujus nomine gaudet mons fupereminens
ut legimus in vitâ Sancti Baboleini Abbatis.
Suciacum in veteri poliptico dici
tur (7 ) . C'eft fans doute de notre Cartulaire
de Saint Maur en velin , que le célèbre
Adrien de Valois entend parler dans
la notice par ce veteri poliptico , où il eſt
dit d'abord en titre.... Suciacum.... &
enfuite in quâ villâ ficut & in aliis locis ,
c'eſt- à-dire , des autres poffeffions énoncées
auparavant dans ce cartul. Habet dicta
Abbatia ( Saint Maur ) hofpites & homines
de corpore , &c..
Donnons des preuves encore plus fortes
de l'identité de Savegium & de Suciacum.
Perfonne n'ignore que dans l'ancienne
géographie , beaucoup de noms
de lieux latins ne fe rapportent nullement
avec ceux que nous connoiffons à préfent
par leurs dénominations actuelles , & que
cependant ils font identiques avec eux ;
par exemple , Andegavum, Andegava , An
gers ; Andoverpum , Antuerpia , Anvers.
Ce n'eft pas là tout, il y en a d'autres qui
paroiffent encore avoir bien moins d'analogie
l'un avec l'autre . En effet , ces mots.
Cafarodunum , pour fignifier Tours ; No-
( 7 ) Cartul . de Saint - Maur , en velin , conno
fous le nom de livre noir.
86 MERCURE DE FRANCE.
viodunum , le Maine ; Vidunum , le Mans ;
Gennabum , Orléans ; Helvetii , les Suiffes
; Lutetia , Paris ; & bien d'autres que je
pourrois rapporter , foutiennent évidemment
mon opinion.
En confulant le Père Simon -Martin ,
Religieux de l'Ordre des Minimes à Paris
, dans la traduction françoiſe de la vie
de Saint Babolin ( 8 ) ; on lit que Clothaire
III donna à l'Eglife des Foffés un
lieu appellé Savigny , voifin du Château
des Bagaudes & de Boiffy -Saint- Leger . Il
eft vrai que cette dénomination de Savigny
pourroit détruire la préſomption de
l'identité du mot Savegium , avec celui
de Suciacum , fi on ne favoit pas que le
Savigny eft à plus de 3 lieues de Sucy ,
& à plus de 4 de l'ancien Château des
Bagaudes , en remontant du côté de la
Brie ; que tous les Savignis qu'il y a en
France font connus de tous les temps fous
le nom de Saviniacum , & que s'il y en
a quelques- uns dont les premières fyllabes
ne font pas exactement les mêmes ,
les terminaifons au moins le font.
Si on examine encore de plus près , d'après
un Poulier qui fe trouve à la fin
( 8 ) Se vend à Paris , chez Hure , rue Saint
Jacques , au coeur bon 1650. A la Bibliothèque
du Roi fous la lettre H , pàg. 64 , 65 , 66 & 67.
NOVEMBRE 1765. 87
d'une bible du neuviéme fiècle , connue
fous le nom de Codex Annaworetha (9)
on verra qu'il paroît encore très-probable
que le mot de Savegium doit indiquer
le lieu de Sucy.
En effet , il eft aifé de remarquer que ce
Poulier( 10) ( que le favantBaluze a extrait).
en donnant le dénombrement de plu
fieurs des biens de l'Eglife de Saint Maur
fitués autour de la Marne en dedans & en
dehors du côté de la Brie , & même du
côté de la Champagne, après avoir parlé de
diverfes poffeffions de ce Monaftère , &,
en dernier lieu de Savegium , en ces termes
: habet Monafterium Foffatenfe in Savegias
, manfos VII . parle tout de fuite
& fans interruption , de Rency, Renciacum,
qui eft un fief fis à Sucy.
Enfin , il faut néceffairement faire une
obfervation qui me paroît être de quelque
importance , c'eft que ce n'eft qu'en nous
éloignant de la haute antiquité , & en
nous rapprochant un peu de notre fiècle ,
que nous voyons le Colon s'être plus appliqué
à acquérir , à défricher & à culti
ver les terres. Cela eft fi vrai , que le Do-
( 9 ) Numéro 3 , des manufcrits latins de la
Bibliothèque du Roi , & 3562 numéros de l'ancien
fonds.
( 10 ) Baluze , tom . 2 , pag. 387.
88 MERCURE DE FRANCE.
maine de Sucy eft actuellement bien plus
confidérable que dans le treiziéme fiècle ,
temps où Pierre de Chevery , Abbé des
Foffés , fit commencer notre Cartulaire de
Saint Maur , en velin : & lors de la confection
de ce Cartulaire , il devoit par la
même raiſon l'être bien davantage que du
temps de ce Poulier rapporté à la fuite de
la bible en queftion.
Si d'un autre côté , en pouffant plus
loin les recherches , on confidère qu'il n'y
a pas plus de trois fiècles que le Village
de Sucy avoit une autre forme que celle
qu'il a à préfent , & qu'on en apprécie
les raifons , on aura ce me femble fuffifamment
de quoi tirer avantage pour le
Savegium. La grande rue de Sucy commençoit
alors fur le fommet de la montagne
, & defcendoit à ce qu'on appelle
le Grand Val. Il y avoit alers 33 maifons
ou travées couvertes de chaume en la cenfive
& juftice de SaintMaur ( 11 .) Plufieurs
de ces maifons , par le laps des temps , ont
été les unes détruites , & les autres enclavées
dans le parc que fit faire M. le Préfident
Lambert : les habitans dont les mai-
( 11 ) Voyez un Ceuilléret & des Cenfiers de
Saint- Maur , qui , lors de l'aliénation de la terre
de Sucy , ont été donnés par le Chapitre à l'acquereur
, à préfent MM. de la Live.
NOVEMBRE 1765. 89
fons furent détruites , fe domicilièrent
alors par-tout fur les hauteurs du côté de
l'Eglife. Et qui d'après cela pourra affurer
pofitivement que le Savegium , cujus nomine
gaudet mons fupereminens , n'eſt pas
précisément Sucy , où tout au moins cette
partie là qu'ils avoient primitivement habitée
? C'étoit un lieu de bois , de roches
de landes , de bruyères ; il étoit dominé
par la montagne , & d'ailleurs voifin de
l'ancien Château des Bagaudes , de Bretigny
& de Boiffy.J'avoue de bonne foi que
je ne regarde que comme conjectures ce
que j'ai dit jufqu'à préfent pour prouver
l'identité des mots Savegium & Suciacum ;
mais j'avoue auffi que je les imagine fon
dées & difcutées.
Il en fera bien autrement , fi l'on veut
porter l'oeil rigoureux de la critique fur
l'hiſtoire du diocèfe de Paris de l'Abbé le
Bauf: & on verra que tout ce que je n'ai
rapporté jufqu'ici que comme conjectures,
prendra, d'après ce qu'il dit lui -même, toute
la forme de la certitude ,& demeurera prou
vé pour toujours.
Čet Académicien , d'après cette bible du
neuviéme fiècle , dont j'ai déja parlé plus
haut , & où eft inféré le Poulier de Saint
Maur rapporté dans Baluze aux mots Sagium
, Savia , Savia , Savegius , Mar
90 MERCURE DE FRANCE.
fos , foutient que ces expreffions fignifient
Belleville ; & l'Eglife de Saint Maur , affure-
t- il avec la plus ferme confiance , y
tenoit de Clothaire III. la ferme de Savie ;
il fait là deffus une fort longue differtation
, fans s'appercevoir qu'il donne dans
les conjectures les plus hafardées , & qu'il
s'écarte même tout -à- fait de l'apparence
de la vraisemblance : cependant il avoit
fouillé à fon aife & prefque toute fa vie
dans les archives de Saint Maur , & il a
dû être certain que ni les Chartes , niles
Bulles , ni les deux Cartulaires de Saint
Maur , ni enfin aucuns des actes ou titres
que nous avons dans nos archives , ne
nous donnent rien à Belleville avant l'année
1107 : temps où Philippe , premier
Roi de France , nous unit les biens du
Prieuré de Saint Eloi , de concert avec le
Pape Pafchaze II ( 9 ) . Lorfque pour raifon
d'inconduite & de fcandale on
en chaffa les Religieux qui y étoient , ces
biens n'étoient autre chofe que ce qui eft
actuellement connu fous le nom de Culture
ou Couture Saint Eloi , & ont été, depuis
notre fécularifation , poffédés par les Archevêques
de Paris , en qualité de Doyens
de Saint Maur.
>
( 12 ) Cartul . de Saint- Maur en papier , pag.
15 , verſo & 56 recto .
#
NOVEMBRE 1765. 98
Cependant l'Abbé le Bauf connoiffoit
ette Couture Saint Eloi , puifque dans fes
recherches il avoit travaillé fur cet objet
; & comment a -t - il donc pu avec tant
d'oppofitions , avancer fi décidément que
la ferme de Savie ou Belleville nous eût
été donnée par Clothaire III. fous les dénominations
de Savegium , Savegias , Savia
ou Savia ? Belleville d'ailleurs eſt aſſez
éloigné de Saint Maur , & n'eft point voifin
, ni du Château des Bagaudes , ni de
Bretigny , ni de Boiffy , comme l'indiquent
le manufcrit de la vie de Saint Ba
bolin , fon traducteur , Adrien de Valois,
& notre Cartulaire en papier. Cette contradiction
manifefte , & cette abfurdité
énorme fervent on ne peut pas plus heureufement
à faire valoir l'identité que je
voulois établir entre Savegium & Suciacum
, & on peut certainement en conclure
qu'il eft prouvé que le Savegium
eft une donation faite à notre Eglife par le
fils de Clovis , fort peu de temps après
notre fondation.
Il ne rette plus qu'à combattre une objection
qui fe préfente naturellement fur
les termes de Locum Vicum , qui fe lifent
dans la Charte de Clothaire III. par laquelle
il donne Savegium en ces termes
dedit ergo Rex ad ipfum Locum Vicum dic
12 MERCURE DE FRANCE.
tum Savegium , cujus nomine , &c. A cela
je réponds que ce mot vicum eft l'abréviation
de vicinum , & qu'autrement la
phraſe feroit trop barbare , car il faudroit
fuppofer que locum fignifie le Monaſtère
des Foffés , & eft le fubftantif d'ipfum ;
& que vicum fignifie le village ou le territoire
donné ; & il eſt bien plus naturel
de dire que Blidegifilde ayant exposé à
Clothaire les libéralités faites par fon
père , le Roi lui répondit qu'il vouloit
auffi lui donner des marques de fa bienfaifance.
Rex inquit ad eum , & noftra regalis
donatio non deerit , & qu'en conféquence
il lui donna un lieu voifin appellé
Savegium; dedit ergo Rex ad ipfum : ce
pronom ipfum fe rapporte & tombe fur
eum qui eft le donataire , & locum eſt le
fubftantif qui indique le lieu qui fut don
né, & dont vicinum écrit par l'abréviation
vicum eft l'adjectif , & défigne la
proximité du lieu dont le nom étoit Savegium.
Ce tour de phrafe eft beaucoup
plus clair , plus vrai , plus naturel , plus
fimple , tout-à-fait dans l'ordre grammatical
, & démontre évidemment que Dom
Bouquet & Duchefne entr'autres ont eu
tort de rendre dans leurs collections cette
expreffion de la Charte , lettre pour lettre
comme elle fe trouve dans le manuf
NOVEMBRE 1765: 91
cript de Saint Babolein , & dans le Cartulaire
de Saint Maur en papier , peut -être
mênie auffi dans l'original de la Charte ,
qu'ils auront eu entre les mains.
LETTRE à l'Auteur du Mercure de France
fur un PLAGIAT.
COMME le fieur Abbé Laugier , Monfieur
, ne s'eft pas contenté de faire infcrire
dans la feuille de l'Avant-Coureur du 16
Septembre dernier , fa réponſe à l'attaque
que je lui avois faite dès le 2 du même
mois , fur la réclamation de la théorie
inférée dans l'ouvrage d'Architecture
qu'il vient de faire imprimer tacitement
fous fon nom , & que je viens d'apprendre
qu'il a eu le crédit de faire inférer
cette même réponſe , à la page 1 21 duMercure
d'Octobre , premier volume ; je me
flatte qu'en ufant du même privilége ,
yous voudrez bien auffi dans votre Mercure
fuivant faire part au Public de la ré
plique que voici.
La réponſe du fieur Abbé Laugier eft
trop indulgente pour me difpenfer de
l'en remercier comme elle le mérite ,
réfutant les foibles moyens qu'il allégue
en
$944 MERCURE DE FRANCE.
pour fa défenſe , n'en ayant pas de plus
forts à oppofer contre un fait auffi certain
que celui du plagiat dont je l'accuſe .
Il a figné fans efpérance , & uniquement ,
dit - il , pour ne pas me rebuter une convention
qui lui atttribuoit une partie du
produit de l'ouvrage , confiftant en 130
pages d'écriture & 26 deffeins en profils
y joints d'ordre Dorique ; & c'eft encore
par un furcroît de pitié , fans doute
qu'il a figné quelques jours après la communication
de quatorze pages & neuf
deffeins en profils , de bafes , chapiteaux &
colonnes , auffi d'ordre Dorique, que je lui
remis , & autres notes à ce fujet , qu'il
a retenues en fes mains , & dont il s'eft
fervi dans fon ouvrage , intitulé : Obfervations
fur l'Architecture , où j'y développe
l'efprit de mon fyftême qu'il s'approprio
impunément , fans , me repentir , dit - il
d'une bonne action que j'ai eu le bonheur
'de faire. Cet excès de charité eft remarquable.
Je ne m'arrêterai point aux indignes
impreffions qu'il veut d'abord infinuer
dans le Public , & de mon ouvrage , &
de la pitié , dit-il , qu'il eut de ma fituation
très- malheureuſe , qui le détermina &
fe charger de donner fonftyle à mon manufcrit
, pour le rendre , dit- il encore , di
NOVEMBRE 1765. 99 ༡
gne de l'impreffion , & qu'il taxe aujourd'hui
de fyflême bifarre , inconféquent
noyé dans un cahos de phrafes inintelligibles
& d'expreffions impropres. Il y a dans ces
épithetes de la mauvaiſe foi de la part
du fieur Laugier : car je lui défie de pouvoir
concilier ce qu'il vient fi mal à propos
de dire , avec l'éloge qu'il a fait de
ce fyftême , dans le profpectus qu'il en a
lui-même dreffé en ces termes : Profpectus
d'un ouvrage qui a pour titre , l'Architecture
des Anciens , développée dans les
vraies proportions , ou découverte d'une méthode
qui en détermine avec précifion toutes
les diverfités poffibles : le tout accompagné
d'exemples & de figures au fimple trait ,
appliqués aux ouvrages de Vitruve & de
Vignole. Par M. Silvy , Architecte.
Ce n'eft qu'en connoiffance de caufe &
l'examen réfléchi que le fieur Laugier a fait
réfléchique
l'éloge de la bonté de cet ouvrage , qui lui
a fait dire enfuite : c'eft une mine des plus
abondantes que nous avons ouverte . Plus
on yfouillera , plus on y découvrira de ri
cheffes. On ferafurpris qu'un tréfor , cefemble
, fi facile à trouver , ait été caché fi
long- temps. Ce font les mêmes expreffions
qu'il répete dans le fecond chapitre , page
20 de fon ouvrage , où il n'a pu fe diffimuler
, ainfi qu'en plufieurs autres cirMERCURE
DE FRANCE.
conftances , dont le réfumé feroit ici de
trop long détail. Au furplus , ce que le
fieur Laugier n'a qu'efquiffé, fera inceffamment
développé dans toute fon étendue ,
& avec plus de clarté . Il n'a fait que lever
un coin du rideau , dit- il , pag 4 ; pour
moi je vais le lever tout entier , & foumettre
au jugement du Public le procédé
du fieur Laugier , à qui je déclare que
c'est ici la dernière réponse que je ferai à
tout ce qu'il pourroit dire ou écrire.
J'ai l'honneur , &c.
SILVY .
LETTRE à l'Auteur du Mercure , fur un
épigramme de ROUSSEAU.
MONSIEU ONSIEUR
Je n'ai jamais été enthoufiafiné de
cette fameufe épigramme du grand Rouffeau
, contre les Journaliſte de Trévoux ,
« Petits Auteurs d'un fort mauvais Journal ,
Qui d'Apollon vous croyez les Apôtres ,
Pour Dieu tâchez d'écrire un peu moins mal ,
>> Ou taiſez-vous fur les écrits des autres.
>> Yous
NOVEMBRE 1765. 97
>> Yous vous tuez à chercher dans les nôtres
» De quoi blâmer , & l'y trouvez très- bien :
» Nous , au rebours , nous cherchons dans les
>> vôtres
» De quoi louer , & nous n'y trouvons rien »
il me femble qu'elle pèche en quelques
endroits , & par l'expreffion , & par la
penſée même je foumets avec plaifir à
vos lumières , mes petites obfervations.
1°. Les Apôtres d'Apollon : ne pourroit-
on pas dire , en employant les propres
termes de notre célèbre Poëte , que
ces mots heurlent d'effroi de fe voir accouplés
? Le goût ne condamne- t-il pas
l'apoftolat des enfans d'Apollon , comme
il rejetteroit la verve des Difciples du
Melfie.
2°. Pour Dieu tâchez : dit - on , tâcher
pour quelqu'un , d'écrire bien ? Pour Dieu ,
fignifie fans doute pour l'amour de Dieu ;
en ce cas l'énonciation n'eft- elle pas un
peu trop familière ?
3° Et l'y trouvez très - bien : de quoi
blâmer , ne revient- il pas à des défauts ?
Or , après des défauts , n'eft- ce pas en
trouvez qu'on mettroit , non les trouvez ?
Y a - t - il conféquemment une certaine
exactitude dans le pronom , le joint à l'adverbe
y ?
E
"
MERCURE DE FRANCE.
4°. Au rebours : cette diction adverbiale
, ne préfente - t - elle pas je ne fçais
quoi de défagréable & de louche ?
5 Et l'y trouvez ... & nous n'y trouvons
trouvez fans le fujet de la propofition
qui eft vous , & trouvons avec nous
exprimé , ne formeroient- ils pas une difconvenance
de ſtyle ? D'ailleurs & l'y trouvez
eft foible ; il l'eſt d'autant plus , qu'il
vient après vous vous tuez , qui eft trèsénergique.
60. Nous cherchons dans les vôtres de
quoi louer , & nous n'y trouvons rien :
Quoi rien dans les Tournemines , dans
les Souciets , dans les Ducerceaux , dans
les Brumeis , & c ! N'est - ce pas ne rien
prouver à force de prouver trop ?
Je trouve bien plus de vérité dans ce
que dit le Poëte Jean Owen de fes épigrammes.
Tous les Auteurs , les Journalifes
, ainfi que les autres , les autres , doivent
s'appliquer fon diftique latin que je me
fuis amufé à traduire . Vous connoiffez ,
& vous aimez fûrement le texte , je fouhaite
vous honoriez de votre fuffrage
que
la verfion.
Qui legis ifta , tuam reprehendo , fi mea laudas
Omnia ftultitiam : fi nihil , invidiam,
NOVEMBRE 1765. 99
Dans votre ouvrage tout est bien ;
Ainfi parle la flatterie .
Tout votre ouvrage ne vaut rien ;
C'eſt le langage de l'envie.
Je fuis , &c.
D'Açarq , le 11 Septembre 1765.
ABRÉGÉ de la Morale Chrétienne & des
principales vérités de la Foi , contenues
dans les Saintes Ecritures , & principa
lement dans le nouveau Teftament , en
latin & en françois , &c . en faveur de la
Jeuneffe & des Claffes du moyen ordre ;
ouvrage approuvé & adopté par l'Univer-
Juté ; petit in- 12 , d'environ cent quatrevingt
pages. A Paris , chez BROCAS ,
rue Saint Jacques ; DESVENTES , proche
le College de Louis le Grand , &
AUMONT , près celui des Quatre Ŋations
; 1756 avec approbation & privilége.
ARGUMENTA quibus innititur Chriftiana
Religio , hoc eft , loca ex facris Scripturis
petita , que hanc folam veram effe® Reli- ·
gionem demonftrant . Accefferunt Prophetarum
objurgationes & monita , necnon
E ij
100 MERCURE
DE FRANCE.
imagines fublimi genere dicendi ab iifdem
exarata, qua eloquentia divinitùs afflata
Specimen exhibent : cum notis adobfcuriorum
intelligentiam . Opus in gratiamfcholarumfuperiorum
. Petit in- 12 de 238 pag.
Et fe trouve chez les mêmes Libraires .
Ces deux ouvrages , partis de la même CES
main , viennent de paroître à l'ouverture
des claffes.
Quant au premier , l'Auteur infruit
de l'ufage immémorial obfervé dans les
Colléges de l'Univerfité , felon lequel on
fait apprendre tous les jours aux écoliers
quelques verfets de l'Ecriture - Sainte , &
fur - tout des SS . Evangiles , avoit remarqué
que les petits livres dont on fe fervoit
à ce deffein étoient faits fans aucun ordre
ni goût , ce qu'il prouve évidemment dans
fa préface . Il a donc imaginé de faire un précis
des regles de la Morale & de la Doctrine
Chrétienne , d'après les propres paroles du
Fils de Dieu , celles des Apôtres , & celles
même des livres fapientiaux de l'ancien
Teftament , qui viennent à l'appui des
mêmes vérités. Il a commencé fon ouvrage
par l'expofition des myftères de la Foi
Chrétienne : de - là il a paffé aux regles de
la morale : celles- ci font la majeure partie.
NOVEMBRE 1765. 101
Toutes ces vérités raffemblées compofent
chacune un article féparé , & qui eft formé
de tous les paffages qui les établiffent de
la manière la plus expreffe . Le tout préfente
un petit corps de Doctrine en latin
& en françois , qui a fa marche , fes divifions
: il paroît que l'ordre , le plus naturel
& le goût règnent dans la manière
d'expofer ces mêmes vérités .
Quant au fecond , il contient les preuves
de la vériré de la Religion Chrétienne
, puifées dans les SS. Ecritures. Le
même Auteur a mis en tête un précis raifonné
, & en françois , de l'authenticité de
ces mêmes Ecritures : il fait voir que cette
authenticité eft fondée fur les caractères
de Divinité , qu'elles portent avec foi :
fçavoir , 1. les miracles dont tant de
milliers d'hommes ont été témoins ; 2 °.
les prophéties qui ont eu leur accompliffemont
dans le tems ; 3 °. la fainteté de la
morale qui y eft enfeignée. Cet analyſe ne
peut qu'être très- utile à tous les jeunes
gens dont l'efprit eft déja formé , comme
font les Rhétoriciens & les Philofophes.
De-là , l'Auteur entre en matière , II expofe
tout ce que les SS. Ecritures difent de
plus précis touchant l'existence de Dieu
& fes divins attributs : il rapporte en fubftance
: 1 ° . les miracles éclatans qui arri-
E iij
102 MERUCRE DE FRANCE.
:
vèrent dans l'ancienne loi , le tout d'après
les propres paroles de l'Ecriture ; 2 °. les
oracles des Prophetes qui ont annoncé l'avenue
du Meffie , les circonstances de fa
vie , fa mort , fa réfurrection , & c. L'Auteur
a inféré dans le même ouvrage la
partie morale des Prophetes , il a tiré de
leurs livres les morceaux les plus admirables
ce font autant de tableaux qui
peuvent donner aux jeunes gens des idées
du vrai fublime , autant de morceaux trèsanalogues
à l'objet de leurs études : car
on y voit avec quelle magnificence l'Efprit-
Saint fait parler fes oracles , quelle
chaleur règne dans leurs difcours , lorf
qu'ils dépeignent aux Rois & aux Peuples ,
tantôt la puiffance , tantôt la colère & la
vengeance de Dieu , avec des expreffions
qui portent dans les efprits l'étonnement
& la terreur on voit , en un mot , que
la force de leur pinceau eft fupérieure à
toute l'éloquence humaine.
A la tête de l'un & de l'autre ouvrage ,
eft une délibération , ou conclufion de l'Univerfité
, par laquelle on comprend d'abord
que l'Auteur les a préfentées en manufcrit
au Tribunal de ce Corps , & qu'il
a demandé des Examinateurs , ce qui lui
a été accordé ; 20. on y voit le rapport
Qu le compte rendu des mêmes Examina
NOVEMBRE 1765. 103′
teurs , qui par l'éloge qu'ils font de cet
ouvrage , & de la perfonne même de l'Auteur
, font augurer de leur utilité . 3 ° . La
délibération du Tribunal , qui , vu le rapport
qui lui a éte fait , a ordonné qu'ils
feroient mis au rang des livres qui doivent
entrer dans le plan d'études de l'Univerfité
.
Il eft fenfible que cette conclufion eſt
un titre authentique pour ces deux ouvrages
, & une recommandation aux Profeffeurs
d'en faire ufage. Auffi , dès qu'ils
ont vu le jour , la plupart des Profeffeurs
des plus grands Colléges les ont adoptés ,
& les ont prefcrits à leurs écoliers ; au
refte , ces deux petits livres , & fur- tout
celui de la Morale Chrétienne , qui eft
en latin & en françois , nous ont paru
mériter l'attention de tous les Maîtres qui
élèvent la jeuneffe , non - feulement dans
les penfions , mais on peut dire , dans toutes
les écoles de la Chrétienté..
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
COURS d'Hiftoire & de Géographie univerfelle
, par M. LUNEAU DE BOISJERMAIN
, in - 8 ° , premier volume. A
Paris , chez PANCKOUCKE , Libraire,
rue & à côté de la Comédie Françoife.
Nous avons annoncé dans le temps le
Profpecus de cet Ouvrage diftribué feuille
à feuille comme les ouvrages périodiques ,
& nous avons attendu , pour rendre compte,
que le premier volume fût fini. Il comprend
les vingt-un premiers fiècles qui fe
font écoulés depuis la création : c'en eft
affez pour nous mettre en état d'affurer
ceux de nos lecteurs qui feront curieux
de fe le procurer , qu'indépendamment du
goût , de la clarté & de la précifion qui
règnent dans cet ouvrage , fon caractère
diſtinctif eſt l'utilité , & qu'à ce titre ſeul
il feroit digne de tout l'accueil qu'on lui
a déja fait & qu'on peut apprécier par le
grand nombre de ceux qui fe trouvent
compris dans la lifte imprimée des Soufcripteurs.
Perfonne n'ignore combien l'étude de
l'hiftoire , cette partie fi effentielle de
NOVEMBRE 1765. 105
l'éducation , eft négligée de nos jours.
Qu'apprend-on à cet égard dans les colléges
? Et que refte-t- il dans la mémoire
lorfqu'on en fort ? Quelques lambeaux
découfus d'hiftoire romaine ou grecque ;
on y joint par la fuite ce que des lectures
guidées par le caprice ou par le hafard ,
offrent d'anecdotes frappantes & fingulières
tout au plus lit- on avec une attention
fuivie l'hiftoire de fon pays , & l'on
s'en tient là.
fit
Le moyen , avec des connoiffances auffi
fuperficielles , de tirer de l'hiftoire le proque
l'on doit en attendre , de faifir cet
enfemble merveilleux , fource infinie de
morale & de réflexions , cette chaîne admirable
qui lie la créature à l'Etre fuprême
dont elle dérive , ' qui doit fans ceffe s'élever
jufqu'à lui.
Ces fublimes idées ne peuvent fe puifer
que dans l'étude réfléchie de l'hiftoire
univerfelle ; mais pour y faire des progrès
, il faut un guide , & ce guide manque
à ceux qui n'étant pas deftinés à courir
la carrière des lettres , n'ont ni le loifir
, ni la patience de puifer dans les fources
mêmes car le difcours du grand Boffuet
, tout élégant qu'il eft , ne prête à cet
égard aucun fecours à des commençans .
On ne peut l'envifager que comme une im-
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
pétueufe & fublime récapitulation , moins :
faite pout inftruire que pour entretenir la
qui fait déja.
mémoire de celui
&
L'ouvrage que nous annonçons , eft plus
à portée d'aider les commençans qui yêu
lent s'initier dans tous les élémens
même jufqu'à un certain point dans tous
les détails de l'hiftoire. La nouvelle méthode
qu'il propofe a par deffus toutes
celles qui l'ont précédées ; & dont l'Auteur
paroît avoir profité , l'avantage de
convenir à la fois aux deux fexes , à tous
tes âges , d'inviter par fa facilité , de pré
fenter plutôt une efpèce de récréation ,
qu'un objet d'étude pénible.
Le but que s'eft propofé M. Luneau
dans fon cours d'hiftoire & de géographie :
univerfelle , eft de préfenter l'hiftoire de
l'Univers fous les différens points de vue
que lai prêtent la politique , la morale &
la religion , & d'éviter également le faf
tidieux d'une lifte de faits , & l'ennuyeux .
d'un traité de philofophie. Jufqu'ici l'Au
teur nous a paru remplir fon objet , &
s'acquitter de cette importante entrepriſe ,
de manière à mériter l'attention & piquer
la curiofité des perfonnes même les plus
inftruites en ce genre. Un ftyle pur ,.
une narration facile , affez préciſe pour
que l'on ne perde.pas un inftant de vue :
NOVEMBRE 1765 107
l'enchaînement des faits , & cependant
affez étendue pour lui laiffer le loifir d'indiquer
tout ce qui s'appelle époques intéreffantes
, telle que l'origine des loix ,
des moeurs , des arts , & c. voilà ce que
nous avons cru appercevoir dans cet ouvrage
. Nos Lecteurs en jugeront eux-mêmes
par ce premier extrait que nous en allons
donner.
Dans un court avertiffement , l'Auteur
rend compte des raifons qui l'ont déterminé
à préférer le calcul de la vulgate au calcul
famaritain , qu'il eft , dit- il , plus aifé de
concilier avec les anciennes traditions des:
Egiptiens , des Chaldéens , & des Chinois ,
& qui femble même auffi convenir avec la
nature & les circonftances de l'hiftoire contenues
dans l'ancien Teftament. Les raifons >
de cette préférence fe réduifent à la remarque
qu'on lui a fait faire , que la plus grande
partie des livres qui traitent de l'hiftoire :
& qui font entre les mains de la jeuneſſe ,
ayant fuivi le calcul de la vulgate , cette
manière de compter jetteroit dans de continuels
embarras ceux de fes lecteurs qui ,
intruits par fa méthode , feroient dans la
fuite ufage de ces livres . Nous ne contredirons
pas ces raifons qui font au moins
bonnes par le motif le motif;; mais nous ne laif--
Evj .
MERCURE DE FRANCE.
ferons pas de demander à M. Luneau comment
on pourra parvenir à établir la meilleure
chronologie , fi l'on craint d'en expliquer
les élémens à la jeuneffe ; ce fera
donc toujours , difoit l'Auteur du Journal
de Trévoux en 1760 , routine d'imperfections
& continuité d'enfeignement foible
qu'on entretiendra dans l'éducation publique.
On doit regretter avec d'autant plus
de fondement que l'Auteur du Cours d'Hif
toire ne fe foit point livré à fes premières
idées , qu'il étoit capable de redreffer notre
fiècle , & par conféquent les fuivans , fur
ce point : il faut bien que quelqu'un commence.
Eh , qui pouvoit le mieux faire
que lui , puifqu'il en a eu la volonté &
l'occafion?
Avant d'entrer dans l'hiftoire de l'univers
, M. Luneau a fait précéder fes premières
leçons hiftoriques d'une introduction
, où l'on trouve beaucoup de définitions
indifpenfables , toutes faites avec
autant de clarté & d'ordre , que de précifion
& d'exactitude.
Définitions de l'hiftoire en général , &
en particulier de l'hiftoire facrée , de l'hiftoire
profane , & de l'hiftoire naturelle ,
des olympiades , des luftres , des époques ,
& des différens fyftêmes de chronologie.
NOVEMBRE 1765. 109
Divifions de l'hiftoire.
1º. En hiftoire ancienne & en hiftoire
moderne.
2º. En fept âges marqués par des événemens
fameux pris dans l'hiftoire facrée.
3. En dix-neuf époques prifes indiftinctement
dans l'hiftoire facrée & dans
l'hiftoire profane.
4° . En différentes eres , qui font des
époques déterminées par plufieurs nations ,
& adoptées par elles pour fixer l'éloignement
des faits qui ont fuivi les événemens
mémorables, d'après lefquels elles ont commencé
à compter leurs années.
5 ° . En trois grandes périodes ; favoir ,
le premier jufqu'au déluge , temps prefqu'inconnu.
Le fecond jufqu'à la première
olympiade , temps fabuleux ou héroïque.
Le troisième jufques à préfent , temps hif
torique.
6º. En fix millenaires , compofés chacun
d'un efpace de mille années , & en fiècles ,
compofés chacun d'un efpace de cent ans ;
chaque fiècle diftingué par des dénominations
particulières prifes des événemens les
plus remarquables , des découvertes & des
inftitutions les plus utiles à l'humanité.
L'Auteur entre enfin dans l'hiftoire de
rro MERCURE DE FRANCE.
l'univers , & c'eft ici qu'on commence à
appercevoir la méthode qu'il s'eft prefcrite
, & le fond d'inftruction qu'il prétend
tirer des faits différens fur lefquels il doit ,
s'arrêter.
Les peuples , dit M. Luneau , qui ont
été le plus loin dans la recherche du principe
de tout ce qui exifte , n'ont pu fe
former fur la nature du fouverain être des
idées aufli relevées que celles que nous
en a données Moife ; ils ont cru que la
matière étoit éternelle , qu'elle exiftoit par
elle-même , & que celui qui l'avoit mife
en oeuvre avoit été contraint , par la matière
elle-même , à lui donner la forme
que nous lui voyons . C'eft pour nous faite
remarquer la dépendance où la matière a
été de l'action du Créateur , que Moife
nous apprend que Dieu créa le monde en
fix repriſes différentes .
Sur ce plan d'expofition , qui porte avec
lui fa moralité , l'Auteur développe enfuite
l'hiftoire du débrouillement du cahos , de
la création de tous les êtres animés & inanimés
, de l'homine , enfin , deſtiné à exércer
fur toutes les créatures un domaine
facré. On ne peut rien voir de mieux
Fabrégé des événemens de la première
époque qu'on trouve à la fin du premier
volume. « Combić , dit l'Auteur du Cours › 66
que
NOVEMBRE 1765. 111 IIT
"
39
» d'Hiftoire , des faveurs de fon Dieu , is
» premier homme oublie le néant dont il
» fort : il défobéit. Dès ce moment un
» nouvel ordre de chofes commence. Adam
» & fa criminelle époufe , condamnés à là
» mort , fortent du paradis terreftre. Les
» deux premiers enfans qui naillent d'eux
» donnent les premiers exemples de ce
» funefte fentiment de jaloufie qui divife
les hommes , que leur foibleffe & leurs
» befoins mutuels devroient unir. Le bar
» bare Cain immole fon frère. Après ce
premier crime il s'éloigne de fes parens
» & va dans des lieux inconnus produire
» les premiers rejettons d'une race impie ,
» déftinée à corrompre le genre humain.
» La naiffance de Seth confole en quelque
» manière Adam de la mort d'Abel. La
» postérité de ce fils vertueux marche fur
,, les traces de la juftice , pendant le temps
» qu'elle s'éloigne de tout commerce avec
» les defcendans vicieux de Caïn . Les
habitans de la terre fe trouvent ainfi
partagés pendant les premiers fiècles du
» monde en deux efpèces ; les enfans de
» Dieu & les enfans des hommes. La piété
» & l'innocence des moeurs caractériſent
les premiers , tandis que les derniers
» accumulent leurs iniquités de générations
en générations. L'univers cepen
وو
"
و د
112 MERCURE DE FRANCE.
ود
" dant fe peuple infenfiblement. Les focié-
» tés s'étendent jufqu'aux extrêmités du
globe. Que d'Empires formés , dont les
» noms 'n'exiftent plus ! Les arts portés au
plus haut degré de perfection , une infi-
» nité de connoiffances dont il ne nous
>> refte pas même la moindre idée ; les
» vertus , les vices , les lumières , les erreurs
» éclairent & corrompent le genre humain .
" Un rempart éternel eût du féparer à ja-
55
و ر
"3
" mais les bons d'avec les méchans : mais
» la foi s'affoiblit , la piété languit dans les
coeurs ; bientôt les traces de la vertu fe
perdent , la corruption devient prefque
générale. Vainement l'équité fe fait en-
» tendre par la voix & l'exemple de quel-
» ques Patriarches fidèles : le Créateur irrité
"fe prépare à punir. Les hommes , loin de
» reconnoître leurs fautes , comblent la
mefure de leurs iniquités : enfin , dans
» cette foule innombrable d'hommes qui
couvrent la terre , il ne fe trouve plus
» qu'une feule famille , compofée de huit
perfonnes , qui ne foit pas coupable du
» débordement général. Dieu laiffe un
libre cours à fa juftice. Le genre humain
» n'eſt plus. Le jufte Noé , renfermé dans
» l'arche avec tous fes enfans , échappe
» feul au terrible châtiment qui extermine
» tous les hommes. La plupart des connoif-
"
ود
NOVEMBRE 1765. 113
» fances & tous les monumens font perdus
» dans la deftruction générale , &c . »
و د
On peut juger par ce précis des événemens
qui fe font paffés avant le déluge ,
de la manière dont cet ouvrage eft traité.
Nous nous propofons de faire connoître
dans un autre extrait l'ordre fous lequel
M. Luneau a préfenté les événemens qui
fe font paffés dans la feconde époque.
On peut fe procurer cet ouvrage en
s'abonnant. Le prix de l'abonnement eft
de 25 liv. 4 f. pour Paris , & de 3 1 liv . 4 ſ. 4f.
pour la province. L'on reçoit , en s'abonnant
, tout ce qui a déja paru de cet ouvrage
remis , port franc , à l'adreffe des
abonnés.
114 MERCURE DE FRANCË .
DICTIONNAIRE du vieux langage françois
, enrichi de paffages tirés des manuf
crits en vers & en profe des anciens
Auteurs , des actes publics , des ordonnances
de nos Rois , &c. ouvrage utile
aux Légiftes , Notaires , Archivistes ,
Généalogiftes , & c. propré à donner une
idée du génie , des moeurs , & de la tournure
des idées des Auteurs de chaque
fiècle , & abfolument néceffaire pour l'intelligence
des loix d'Angleterre , publiées
en françois depuis Guillaume le Conquérantjufqu'à
Edouard IH ; un vol. in - 8 ° .
Par M. LACOMBE. A Paris , chez
PANCKOUCKE , Libraire , rue & à
côté de la Comédie Françoife ; 1765 :
avec approbation & privilége du Roi.
Il manquoit à notre langue un Dictionnaire
dans lequel on pût trouver la fignification
d'un très- grand nombre de mots
que l'on rencontre dans les anciens ,manufcrits
, ou les anciens Auteurs , & qui
en rendent la lecture défagréable par l'im
NOVEMBRE 176s. Ins
puiffance où l'on fe trouve de les interpréter.
M. Lacombe a pris le foin de
réunir fous un même point de vue tous
les mots dont l'intelligence eft perdue
pour le plus grand nombre de lecteurs . Il
ne s'eft point borné à une nomenclature
fèche & décharnée qui n'auroit préfenté
qu'une utilité paffagère , il a enrichi fon
ouvrage d'un très- grand nombre de fragmens
, tirés de nos meilleurs Poëtes anciens
, & des manufcrits qui lui ont préfenté
des morceaux propres à piquer la
curiofité. Ce Dictionnaire n'eft pas fufceptible
d'extraits , auffi ne nous fommesnous
pas propofés d'en faire un : ce n'eft.
pas non plus un ouvrage qu'on life de
fuite , on y verra cependant avec plaifir
des morceaux qui en fervant d'exemples
aux mots dont il eft compofé , y répandent
un agrément & un intérêt qui en feroient.
fupporter une lecture fuivie.
Au mot tarier , qui fignifie preffer , fatiguer
, folliciter , M. Lacombe nous apprend
d'après l'Auteur du Poëme de la
Mère de Dieu , que dans un Couvent dont
l'Abbeffe recevoit grande compagnie , une
jeune Religieufe avoit plû à un jeune:
Chevalier qui la venoit fouvent voir , &
qui n'avoir pu cependant rien obtenir d'el--
116 MERCURE DE FRANCE.
le ; que ce Chevalier qui ne fe rebutoit
point ,
Jour & nuit tant la taria ,
Tant la blandi , tant la pria ,
Tant y alla & tant y vint
Que l'acier eftaim devint ,
Et la gouta lava la pierre.
Mes il me femble par Saint Pierre
Que s'abéelle jout grant coupes ,
Car qui le feu met ès étoupes ,
N'eft pas merveillés fe s'efprennent ,
Moult font de Dames qui m'efprennent
Qui molt le font contre le cuer &c.
>
>
Au mot trover qui fignifie trouver ,
on trouve une jolie comparaifon
d'une
femme charmante avec les fleurs qui naiffent
dans les prés.
La florette qui naît & pré
Rofe de Mai , ne flor de lis
N'eft tant belle , ce m'eft avis ,
Comme la beauté de la Dame eſtoit :
Qui tot le monde chercheroit
Ne porroit en trover plus bele .
Nature qui faite l'avoit ,
Qui tote jentente y mettoit ,
NOVEMBRE 1765. 117
Yot mife & tot fon fens
Tant qu'il en fu poure lonc-tems.
Nous bornerons nos citations à ces deux
morceaux , & nous croyons que le Public
aura obligation à M. Lacombe des facilités
qu'il lui donne pour lire un très-grand
nombre d'ouvrages , qui , quoique écrits
dans un langage furanné , ne font pas pour
cela fans mérite,
ANNONCES DE LIVRES,
DIEU , ode , par M. Feutry. A Paris ,
chez Durand , neveu , rue Saint Jacques ,
à la Sageffe : 1765 ; avec permiffion ; in- 4°.
de huit pages ,
Il nous a paru que cette pièce contenoit
d'excellentes ftrophes . C'eft , à proprement
parler , l'hiftoire de la création , & enfuite
celle de l'homme tel qu'il fut d'abord en
fortant des mains du Créateur , & tel qu'il
cft devenu enfin par la fucceffion des temps,
ELOGE de René Descartes , par M. Mer
cier ; avec cette épigraphe :
Tu pater , & rerum inventor , tu patria nobis
Suppeditas præcepta... Lucret . de rer . nat . lib. 3.
118 MERCURE DE FRANCE.
A Genève , & fe trouve à Paris , chez la
veuve Pierre , Libraire , rue Saint Jacques,
près Saint Yves , à Saint Ambroife & à la
couronne d'épines ; 1765: in- ° , de quatre-
vingt- quatre pages.
Voici encore un nouvel éloge de Def
cartes. Le Public eft actuellement en état
de juger le jugement même de l'Académie .
Il a fous les yeux tous les difcours qui ont
concouru pour le prix de cette année . Ce
font des pièces juftificatives qui confirmeront
ou qui affoibliront l'idée avantageufe
qu'on s'eft formé du jugement fans appel
de MM. les Académiciens,
HISTOIRE Critique du Gouvernement
Romain , où , d'après les faits hiftoriques ,
on développe fa nature & fes révolutions ,
depuis fon origine , jufqu'aux Empereurs
& aux Papes. A Paris , chez Guitlyn , Libraire
, quai des Auguftins , au lys d'or ;
1765 ; avec approbation & privilége du
Roi . Un volume in - 12 ; prix 2 liv . broché.
On a tant écrit fur les Romains , qu'il
feroit difficile de rien dire de neuffur cette
matière. Les amateurs de l'hiftoire & les
politiques pourront néanmoins trouver encore
à s'inftruire dans cet ouvrage , où
l'Auteur s'attache à donner une connoiffance
exacte de la conftitution civile de 1
NOVEMBRE 1765. 119
Rome dans fon berceau. Il la fuit dans fes
différens âges , & fait remarquer l'enchaînement
prefque néceffaire des diverfes révolutions
qui les ont partagés. Enfin après
avoir vu la liberté naître & expirer à
Rome , il jette un coup - d'oeil fur fes fers.
Les horreurs du defpotifme le plus cruel ,
& la baffeffe du plus vil efclavage l'arrête
peu , & il court rapidement jufqu'à ces
jours où des Pontifes furent aflis fur le
trône des Céfars.
"
LES Avantures de Loville , entremêlées
de plufieurs intrigues galantes & véritables,
arrivées parmi les perfonnes du beau
monde. Traduites fur la feconde édition
angloife , par M *** . A Amfterdam , &
fe trouve à Paris , chez Robin , Libraire
rue des Cordeliers , près la Fontaine ; 1765 :
quatre parties in- 12 , formant enfemble
deux volumes reliés.
?
Le but que l'Auteur fe propofe dans ces
Mémoires , c'eft d'infpirer aux perfonnes
de l'un & l'autre fexe les précautions dont
elles ont befoin dans cette partie de la vie ,
où l'amour & le mariage occupent toutes
leurs penfées. Il fe fert de la voie de l'exemple
, & il écrit l'hiftoire d'un homme
intriguant qui a joui de tous les plaifirs de
l'amour , quoiqu'âgé feulement de vingt120
MERCURE DE FRANCE.
quatre ans. Cette hiftoire commence à l'entrée
que ce jeune homme fait dans le monde
, & finit à fon mariage. A en croire
l'Auteur , qui fe donne pour une femme ,
il n'a prefque écrit que des faits véritables ,
& qui doivent être connus de quelques
Anglois. Quoi qu'il en foit , cette hiftoire
eft fimple , ingénue , touchante , & plus
propre à agir fur le coeur que fur l'imagination
.
ELÉMENS d'Hiftoire univerfelle ; à Paris
, chez Charles-Jofeph Panckoucke , Libraire
, rue & à côté de la Comédie Francoife
; 1766 : avec approbation & privilége
du Roi : 2 liv. broché ; in- 8 ° .
Tous les livres qui peuvent fervir d'introduction
à l'hiſtoire méritent d'être ac-`
cueillis , & ne peuvent être trop connus ;
nous ferons connoître celui - ci dans un
extrait particulier : il nous a paru digne
de l'attention du Public.
FANNY , ou l'Heureux Repentir , roman
nouveau. A Londres ; 1765 : & fe trouve
à Paris , chez Panckoucke , Libraire , rue
& à côté de la Comédie Françoife ; in- 1 2 .
On a fait très - grand accueil à tous les
Contes de M. Marmontel , parce qu'ils
intéreffent & qu'ils plaifent ; celui - ci ,
qu'on
NOVEMBRE 1765 . 121-
qu'on attribue à M. d'Arnaud , n'est point
au - deffous de ces modèles d'efprit , de
naïveté & d'élégance : nous nous propofons
de donner un extrait de celui- ci.
TRAITE hiftorique & critique fur l'origine
& les progrès des caractères de fonte
pour l'impreffion de la mufique , avec des
épreuves de nouveaux caractères de mufique
, préfentés aux Imprimeurs de France.
Par M. Fournier le jeune. A Berne , & fe
trouve à Paris , chez Barbou , Imprimeur-
Libraire , rue & vis- à- vis la grille des
Mathurins ; 1765 in - 4° . de cinquante
pages.
L'impreffion typographique de la muſique
paroiffoit interdite depuis long- temps
à tous les Imprimeurs de France , à l'exception
d'un feul pour qui il fembloit
qu'elle étoit réfervée. M. Fournier le jeune
vient de rendre un fervice à l'Imprimerie ,
en lui procurant l'exercice d'une partie de
cet art , dont elle ne jouiffoit plus. Les
nouveaux caractères de mufique qu'il a
inventés & exécutés à cet effet font propres
à augmenter l'art typographique & à donner
une branche de commerce de plus aux
Imprimeurs, dont il défend les droits . L'Auteur
a donné différens traités fur l'origine
de l'Imprimerie , dont nous avons rendu
F
122 MERCURE DE FRANCE.
compte dans le temps . Dans celui - ci , qui
concerne les caractères de mufique , il en
fait monter l'ufage à l'an 1525. Pierre
Hautin , Graveur , Fondeur & Imprimeur
à Paris , en fit les premiers poinçons. Il fait
connoître les différens artiftes qui fe font
exercés dans cette partie , & fuit les progrès
des caractères de mufique jufqu'à préfent.
Un autre objet de ce Traité eft de
prouver le droit des Imprimeurs pour l'impreffion
de la mufique. M. Fournier entre
dans des détails à cet égard , & fournit des
preuves qu'il faut voir dans l'ouvrage
même , à la fin duquel on trouve des épreuves
de deux caractères de muſique ; l'un ,
deſtiné pour les ouvrages de fymphonie &
grands livres de mufique , a imprimé une
ariette avec accompagnement de harpe , mife
en mufique par M. l'Abbé Dugué , Maître
de la Mufique de Saint Germain-l'Auxerrois
; l'autre , plus petit , eft propre pour
les recueils portatifs , comme l'Anthologie,
qui a été imprimée cette année avec ce
caractère.
TABLEAU Périodique du Monde , ou
la Géographie raifonnée & critique, accompagnée
de cartes & de plans ; par M. Brion ,
Ingénieur - Géographe du Roi : ouvrage
qui fe diftribuera de mois en mois , à
commencer après les vacances , par ſoufNOVEMBRE
1765. 123
༡ > cription de 9 liv. pour fix mois. A Paris ,
rue Saint Jacques , chez Delalain , Libraire ,.
& Defnos , Ingénieur- Géographe pour les
globes & fphères , grand in- 8 ° .
Cet ouvrage fe diftribuera par cahiers ,
& chaque cahier fera divifé en deux fections.
Dans la première , on confidérera
fuccinctement la Géographie dans fon origine
& dans le temps de fon enfance : on
la fuivra dans fes accroiffemens , que l'on
verra s'éclipfer de temps à autre par différentes
caufes. L'on s'attachera fur tout à
l'analyse des ouvrages qui font aujourd'hui
le plus accrédités , ainfi que de tout ce qui
paroîtra de nouveau dans le reffort de cette
Icience , foit cartes , foit livres , y compris
ceux de voyages. Le fujet de la deuxième
fection ( après y avoir donné les principes
& les définitions les plus étendus de la
Géographie ) fera la defcription de quelques
pays , en defcendant , comme nous
l'avons déja dit , de l'antiquité aux temps
modernes. Les Etats feront repréſentés
dans les cartes fous toutes les divifions &
fous-divifions dont ils font fufceptibles.
Cette fection pourra fe détacher de l'autre
quand on voudra, pour que les parties d'une
même matière puiffent être raffemblées &
ne former dans la fuite qu'un tout , fuivant
l'ordre le plus naturel & la contiguité des
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
pays :
ordre au lieu duquel on rencontre ,
dans les ouvrages appellés méthodiques ,
des fauts auffi fréquens que prodigieux
d'une contrée à une autre. A mesure que la
matière de la fection précédente deviendra
moins étendue , celle - ci le deviendra davantage
; & dans l'efpace de cinq à fix ans
le corps de Géographie fera complet.
Les cartes & les plans ( de la compofition
& du deffein de l'Auteur ) feront
gravés d'une manière nouvelle & fupérieure
, par le fieur Chambon : cet Artifte
eft d'autant plus animé à fe faire honneur
de toute la beauté & de la délicateffe de
fon burin , qu'il eft lui-même affocié dans
cette entrepriſe , ainfi que le fieur Defnos ,
dont l'activité & l'intelligence répondent
des autres détails qui la concernent . Les
ornemens & le lavis des cartes & des plans
feront également d'un goût diftingué. Au
refte , leur nombre ne fauroit être limité
au jufte , ni pour chaque cahier , ni pour
la totalité , à caufe des fujets qui peuvent
naître , & du plus ou moins de détail qu'exigent
les différens Etats du monde ; mais
on peut affurer que ce nombre de cartes
ou plans fera au moins de trente chaque
année. Il eft de notre honneur de ne laiffer
rien à defirer de ce que nous annonçons
devoir inftruire & piquer la curiofité.
Les foufcriptions ont été ouvertes du
NOVEMBRE 1765. 125

premier Octobre de cette année au 31
Décembre pour Paris , & un mois de plus
pour la province , paffé lequel temps elles
feront fermées. Elles feront fignées du Libraire
, de l'Auteur & de fes deux Affociés.
Il fe diftribuera un cahier broché de mois
en mois , contenant au moins foixantepages
, de même format , même papier &
même caractère que le profpectus : & aucun
ne fe délivrera fans cartes ou plans ,
lefquels feront de même format qu'un
cahier ouvert , & imprimés fur le plus beau
papier. On paiera 9 livres en foufcrivant ,
& autres livres fix mois après , en recevant
le fixième cahier , ainfi de fuite : ce
qui fait liv. 10 fols pour chaque cahier ;
au lieu
que le prix fera de 2 liv. 8 f. pour
ceux qui n'auront pas foufcrit. Les perfonnes
de province prendront fur leur
compte tous frais de port. Les foufcripteurs
font priés de retirer leurs cahiers à
mefure qu'ils paroîtront , ou au plus tard
trois mois après le terme de chaque livraifon
, faute de quoi ils perdront les avances
qu'ils auront faites : fans cette clauſe on
ne pourroit s'engager , comme on fait ,
avec le Public. En tête du premier cahier
paroîtra la lifte des foufcripteurs , comprenant
leurs noms avec leurs qualités tels
qu'ils les auront déclarés. L'on s'eft fixé à
I ΤΟ
Fiij
26 MERCURE DE FRANCE.
ne pas tirer au- delà de mille exemplaires
de l'ouvrage : c'eft aux amateurs à prendre
en conféquence les mefures qu'ils jugeront
à propos. Le premier cahier fe diftribuera
immédiatement après les vacances , & ( va
que la plus grande partie des matériaux
eft raffemblée ) tous les autres cahiers fe
fuivront de mois en mois avec toute la
régularité que mérite la confiance publique.
Des foufcripteurs ayant fait obferver
que les conditions du profpectus étoient
fufceptibles de quelques changemens de
convenance au Public , les Editeurs , pour
mieux mériter fon approbation , s'engagent
à faire parvenir l'ouvrage , franc de
port , dans toutes les provinces avec la
plus prompte régularité , moyennant 2 liv.
en fus du prix marqué dans les conditions ;
& à le faire diftribuer aux foufcripteurs
de Paris , également franc de port , à leurs
adreffes & fans augmentation de prix ,
avec l'attention de fournir les premières
épreuves à ceux qui fe feront le plutôt
empreffés à foutenir l'exécution de cet
ouvrage , auffi utile que curieux . Quelque
nombreux que foit déja le concours des
amateurs , on ne tirera pas au- delà de mille
exemplaires.
HISTOIRE générale des Auteurs SaNOVEMBRE
1765. 127
crés & Eccléfiaftiques , qui contient leur
vie , le catalogue , la critique , le jugement,
la chronologie , l'analyfe & le dénombrement
des différentes éditions de leurs ouvrages
; ce qu'ils renferment de plus intéreffant
fur le dogme , fur la morale &
fur la difcipline de l'Eglife ; l'hiftoire des
Conciles , tant généraux que particuliers ,
& les actes des Martyrs. Par feu Dom
Remy Ceillier , Religieux Bénédictin
Prieur Titulaire de Flavigny , & Préfident
de la Congrégation de Saint Vannes
& de Saint Hidulphe. Vingt- trois volumes
in-4°. qui renferment l'hiftoire complette
des Saints Pères , & autres Auteurs Eccléfiaftiques
des douze premiers fiècles de
l'Eglife , & l'hiftoire des Conciles du même
temps , propofée par foufcription . A
Paris , rue Saint Jacques , chez la veuve
Pierres , Libraire , vis- à- vis Saint Yvres ,
à Saint Ambroife & à la Couronne d'épines
; Butard , Libraire & Imprimeur
près la rue de la Parcheminerie , à la Vérité.
1765.
*
L'hiftoire des Auteurs Sacrés & Eccléfiaftiques
, compofée par feu Dom Remy
Ceillier , fe trouve aujourd'hui amenée
jufqu'à la fin du douzième fiècle ; enforte
que maintenant elle renferme un corps
complet d'hiftoire , qui embraffe tous les
1 Fiv
128 MERCURE DE FRANCE. "
Saints Docteurs , depuis les Apôtres jufqu'à
Saint Bernard , le dernier des Saints
Pères ; & tous les Auteurs Eccléfiaftiques
du même temps jufqu'au célèbre Pierre
Lombard , qui a recueilli dans fon livre
des Sentences la doctrine des Saints Pères
fur tous les points principaux de la théologie
; enfin jufqu'à Guillaume d'Auvergne ,
Evêque de Paris , mort au milieu du treizième
ſiècle ; avec l'hiftoire des Conciles,
depuis celui des Apôtres à Jérufalem jufqu'au
quatrième de Latran douzième
oecuménique , tenu en 1215 : enforte
qu'à tous égards l'hiftoire de ces douze
premiers fiècles , qui forme la partie la
plus belle & la plus intéreffante , fe trouve
entièrement finie par Dom Ceillier.,
>
On connoît toute l'exactitude avec laquelle
ce favant Bénédictin a rempli le
plan intéreffant qu'annonce le titre de fon
livre le fuccès , qui feul a pu foutenir
une entrepriſe auffi confidérable , prouve
l'eftime que les lecteurs éclairés & judicieux
ont toujours fait des travaux de
l'Auteur. Dire qu'un ouvrage auffi difficile
& auffi difpendieux eft néanmoins
parvenu jufqu'au vingt- troifième volume ,
c'eft avoir affez montré combien il a mérité
la faveur du Public ; & il ne faut que
jetter un coup d'oeil fur l'étendue & l'imNOVEMBRE
1765. 129

portance des matières que renferme ce
livre , pour en fentir tout le mérite .
En effet, ce n'eft point ici la feule hiftoire
des Auteurs Eccléfiaftiques,ni le fimple dé,
nombrement de leurs ouvrages & des édi- ,
tions qui en ont été faites : c'eft outre cela
l'analyfe même de ces ouvrages ; & l'on
comprend aiféinent combien de telles analyfes
font utiles pour le plus grand nombre
des lecteurs , qui n'ont pas le loifir de voir
dans les fources mêmes un fi grand nom
bre d'écrits . C'est enfuite un Précis méthodique
de la doctrine contenue dans
ces ouvrages fur les principaux points du
dogme & de la morale ; il n'y a perfonne
qui ne fente combien doit être intéreſſant
ce tableau , qui préfente en abrégé la tradition
des douze premiers fiècles de l'Eglife
fur ces points importans. C'eft enfin
non-feulement l'hiftoire des Conciles >
mais un précis , une analyſe , & fouvent
une traduction de leurs décrets fur le
dogme , fur la morale & fur la difcipline ,
qui eft le principal objet d'un fi grandnombre
de canons , foit de l'orient , foit dé
l'occident. Le foin que l'Eglife a toujours
eu de rappeller du moins le fouvenir de
fes anciens canons , fait affez fentir combien
cette dernière partie eft encore intéreffante.
F v
130 MERCURE DE FRANCE.
11 eft aifé de comprendre que tant de :
matières traitées avec une étendue convenable
, ne pouvoient produire moins devolumes.
Si la multiplicité de ces volu
mes fait aujourd'hui defirer une table générale
, qui en réuniffe les objets & en
facilite l'ufage , c'eſt encore un avantage
que l'on a deffein de procurer au Public ,.
afin de ne rien laifler à defirer pour la
perfection d'un ouvrage qui a mérité fon :
eftime. On y travaille ; & ce fera l'objet
d'un 24 volume , dont on ne peut :
point encore déterminer le temps , parce
que ce volume exige un travail long &
difficile . On peut feulement annoncer que:
cette table fera de la main de celui qui
a fait la table générale de l'Hiftoire Eccléfiaftique
de Fleury, table qui a été fi bien.
reçue.
Mais , fans attendre que ce travail foit
achevé , on fe propofe de faciliter dès à
préfent au Public l'acquifition des vingttrois
volumes qui forment l'ouvrage entier
de D. Ceillier. Dans cette vue on a
formé cent exemplaires complets de l'é--
dition en grand papier , & deux cents :
en petit papier , fur lefquels on offre une
diminution du prix ordinaire , qui a été
jufqu'à préfent de 2 30 livres pour le grand
papier , & 172 liv. 10 f. petit papier en
NOVEMBRE 1765. 131
feuilles. Pour favorifer ceux qui voudront
s'affurer des exemplaires de l'un ou de
l'autre , on a réduit le prix du grand
papier à 186 livres , & celui du petit papier
à 126 liv..
DICTIONNAIRE Pittorefque &
Hiftorique , ou defcription d'architecture,.
peinture , fculpture , gravure ,
hiftoire na--
turelle , antiquités , & des établiffemens:
& monumens de Paris , Verfailles , Marly,
Trianon , Saint Cloud , Fontainebleau ,
Compiegne , autres Maifons Royales &
Châteaux à environ quinze lieues autour '
de la Capitale ;; & difcours fur ces quatre
arts , avec le catalogue des plus célèbres
Artiftes anciens & modernes , & leurs vies :
utile auxArtiſtes amateurs des beaux arts &
Etrangers. Par M. Hubert , Amateur ; deux:
volumes in- 12. A Paris , chez l'Auteur
rue neuve S. Euftache , & chez Claude
Hériffant , Libraire- Imprimeur , rue neuve
Notre - Dame , à la Croix d'or , 1765 ;;
avec approbation & privilége du Roi..
Le premier tome de ce livre contiendra
l'antiquité , la date des monumens &
établiſſemens ; l'énumération des meilleurs
ouvrages en architecture , peinture , fculpture,
gravure ; la defcription des cabinets ›
d'hiftoire naturelle , & généralement tout:
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
ce que la ville de Paris renferme de curieux
.
:
On trouvera dans le fecond un détail bien
circonftancié des beautés & des principaux
ouvrages qui ornent les Maifons Royales
& Châteaux à plus de quinze lieues de
cette Capitale à la fuite defquels font
quatre difcours fur chacun de ces arts ,
dont l'origine & les progrès font traités
à fond & d'une manière concife ; enfin
quatre catalogues ou tables alphabétiques
des plus célèbres Artiftes anciens & mo.
dernes en architecture , peinture , fculpture
& gravure , où le Lecteur apprendra
fans doute avec plaifir , non - feulement
les fiècles que ces grands hommes
ont illuftrés , mais encore il y verra la
vie de la plupart d'entre eux , avec des
anecdotes pittorefques , hiftoriques & intéreffantes
. Tel eft le fruit des veilles du
fieur Hebert , qu'il préfente au Public
qui pardonnera fans doute le peu d'élégance
de fon ftyle en faveur de fon zèle
patriotique & de fon amour pour les
beaux arts & les talens.
NOVEMBRE 1765. 133
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES -LETTRES.
ARCHITECTURE.
Avis aux Artiftes & aux Amateurs en
Architecture.
Les proportions de l'Architecture font la
partie de cet art la plus effentielle , & qui a
paru jufqu'à préfent la moins connue . Cette
importante queftion , fi néceſſaire à éclaircir
, a excité l'émulation du fieur Silvy ,
Architecte , à s'y attacher uniquement
pour en développer le point mystérieux.
Les profondes études qu'il a faites à ce fujet
pendant vingt années de perfévérance
d'un travail opiniâtre , lui ont enfin acquis
la connoiffance du fyftême des loix de la
proportion qui déterminent les vrais beau
tés architectoniques des trois ordres dont
les Grecs font créateurs , & les variétés
dont ils font en général & en particulier
fufceptibles dans les diverfes conftitutions
& caractères d'ordonnance que les diffé34
MERCURE DE FRANCE.
rens cas exigent. Ce fyftême fera démon
tré par une méthode qui , par une opération:
de calcul très -fimple , & à la portée des
efprits ordinaires , produit les réfultats de
toutes les proporrions dont l'Architecture.
peut faire ufage. Les perfonnes qui fouhaiteront
être inftruites de la théorie de ces.
connoiffances , pourront s'adreffer à l'Auteur
de cette découverte , qui prendra les.
arrangemens convenables à la commodité:
de chacune fa demeure eft fur le 'quai
de la porte S. Bernard , près des Miramionnes
, vis - a - vis le Port au foin
chez M. Daing ,. Marchand de Bois.
21
FORMULE pour la conduite des Elèves de
L'Ecole d'Architecture du fieur SILVY,
Architecte Démonftrateur..
ture
Première claffe.
ON fuppofe d'abord que celui qui veut
être inftruit des proportions de l'Architec
fache bien les quatre principales .
règles de l'Arithmétique ; s'il les ignore ,
on commencera par les lui apprendre..
Cette feule connoiffance lui fera fuffifante
pour fixer les réfultats des opérations
de calcul qu'il aura befoin de faire par la.
fuite fur les proportions..
NOVEMBRE 1765 135
7
2. On fuppofe en fecond lieu
qu'il fache tirer des lignes affcz paffablement
bien pour tracer les profils .
au fimple trait , des colonnes , entablemens
& leurs parties , bafes , chapiteaux ,.
impoftes , de même que leurs moulures
& les règles qui prefcrivent leur forme ;.
& s'il fe trouve dans cette infuffifance , il
en fera diligemment inftruit , ainfi que
de la manière méthodique la plus approu
vée , pour déterminer la proportion & diftribution
de toutes les parties qui en font :
fufceptibles..
3. Et en troifième lieu , on fuppofe encore
que l'élève fache affez paffablement
bien deffiner les ornemens néceffaires en
architecture , comme ceux qui font confacrés
aux chapiteaux Ioniques & Corinthiens
, aux modillons & autres acceffoires
qui ont pour objet la richeffe que la bienféance
de certaine décoration d'édifice
exige , & dont on inftruira ceux des élèves
qui ne feront pas affez en état de pofféder
cette partie & le lavis..
Ces trois objets occuperont , dans cette
première claffe préparatoire , l'élève commençant
, en lui donnant quelques profils :
en grand , tels qu'ils puiffent être , à copier
, pour l'accoutumer à la précision &
136 MERCURE DE FRANCE.
propreté requife ; & il paffera enfuite de
cette premiere claffe à la feconde .
Et quant à ceux qui fe préfenteront ,
pourvus de la pratique de ces trois conditions
, ils feront exempts de paffer par
cette premiere claffe , pour être admis
tout de fuite à la feconde , dont le détail
va fuivre.
Seconde claffe.
Comme dans tous les arts il y a des
bornes extrêmes jufqu'au poffible , au- delà
defquelles les produits perdent du mérite
de leur agrément , & l'Architecture
n'étant point exceptée de la règle de cette
loi conftante , nous commencerons par
frayer les routes différentes , & de montrer
la carrière immenfe que chacun des
trois ordres d'inftitution des Grecs offre à
parcourir , en commençant par le Dorique
à colonnes ifolées ,
, que la folidité peut
permettre , comme le premier qui pofe le
fondement de la proportion .
4. Le premier objet de cette claſſe ſera
de préfenter à l'élève les profils exactement
cottés de deux colonnes feulement ,
à même diametre , comme les extrêmes
de cet ordre , pour lui faire connoître
NOVEMBRE 1765. 137
quelles en font les longueurs fixées , de
même que la hauteur totale de leurs entablemens
, faillies & épaiffeur de leur
partie , comme de l'architrave , de la frife
ou hauteur de triglyphe & métopes , & de
la corniche , exprimées feulement en
maffe , dont il fera une copie exacte
pour lui faire comprendre qu'entre ces
extrêmes , tous les intermédiaires quelconques
, tant en longueur de colonnes ,
qu'hauteurs totales d'entablemens , y font
comprifes , en paffant d'une longueur à
l'autre , foit par diametres , parties alicotes ,
alicantes ou fractionnaires de la quantité
contenue au diametre , dont on préfentera
quelques exemples correctement cottés.
5. On montrera enfuite à l'élève la
manière d'opérer par calcul , pour réduire
ces longueurs de colonnes extrêmes , &
leur diminution à même hauteur fous architrave
de diametres différens en étendue
& quantité , de même que leurs entablemens
& parties. Cette forme de calcul lui
indiquera quelle doit être l'étendue &
quantité que le diametre des longueurs
de colonnes intermédiaires doit contenir ,
ainfi que leur hauteur totale d'entablement
& épaiffeur de leur partie ; ce qui
fera comprendre que les colonnes ne font
dites longues que par raifon du plus ou
138 MERCURE DE FRANCE.
moins d'étendue & quantité de leur diametre.
Ces opérations feront par la fuite
néceffaires à notre élève , lorfqu'il fera en
état de former des ordonnances à plufieurs
filées de colonnes , foit de même
ou différens ordres & longueurs , dans
l'intérieur d'un édifice , comme les anciens
pratiquoient aux Pronaos ou entrées
de leurs temples , & à leurs portiques.
6. On entrera enfuite dans la théorie
des efpaces ou vuides d'entre les
colonnes qui les forment par leurs différentes
pofitions ; on développera à l'élève
quels font les efpaces extrêmes que
chacun des différens genres d'ordonnances
ont pour limites , foit monotriglyphes
, de deux & de trois triglyphes
d'entrecolonnement ; d'où il lui fera
facile d'entrevoir l'étendue des variétés
en caractères differens , qui peuvent être
produits dans chacun de ces genres , par
l'emploi des efpaces intermédiaires : quelques
queftions à réfoudre qu'on propofera:
à l'élève , lui en démontreront la certitude.
7. On conduira l'éleve fur la route
qu'il doit fuivre pour fixer les parties.
contenues dans la hauteur totale des entablemens
, on l'inftruira du calcul conftant
& uniforme qui en détermine nonNOVEMBRE
1765. 139:
feulement l'épaiffeur d'architrave , de
même que de la frife , proportion & diftribution
régulière des triglyphes & métopes
, mais encore de l'épaiffeur de corniche
il fera éclairé des proportions extrêmes
où la hauteur des triglyphes &
métopes doit être fixée dans chaque genre,
& qu'entre ces extrêmes il doit naître
plufieurs & différentes proportions intermédiaires
que le calcul détermine . Et à
cet effet , on propofera à l'éleve quelque
queftion à réfoudre .
8. Ces préliminaires feront fuivis de la
doctrine des rapports qu'il doit y avoir
entre les efpaces & la longueur des colonnes
que les Grecs appelloient fymmétrie
, pour répandre dans l'enſemble cette
harmonie que Vitruve appelle eurythmie
la beauté qui résulte de l'arrangement èxact
de toutes les parties . On y développera à
l'élève quels font les rapports primitifs &
les fecondaires ou fubalternes ; les premiers
, comme ayant plus d'agrémens que
les feconds , & les raifons de leurs différences
: il y verra l'efpèce de perfection
que cette doctrine peut produire dans.
tous les détails de différens
genres
donnances , en diftinguant celles qui font
exactes , & celles qui font vicieufes ; delà
il fera aifé de faire comprendre à notre
d'or140
MERCURE DE FRANCE.
éleve , par un calcul fuivi & uniforme
dans tous les cas , qu'un même rapport
peut produire plufieurs conftitutions &
caractères différens dans chaque ordonnance
, quoique de même ordre , & luj
fera voir les bornes juſqu'où la vaſte étendue
de cette doctrine peut produire de
poffible en agrémens entre elles ; & à
cet effet on propofera des queftións à réfoudre.
Ces variétés qui font le mérite &
la richeffe de l'art , étant néceffaires au
choix qu'on doit faire de leur application ,
felon que l'ufage auquel l'édifice doit être
deftiné , & les circonftances où il doit
être caractérisé , le requièrent.
9. On mettra enfuite l'éleve à la portée
de connoître quels font les efpaces & rapports
de choix qui peuvent remplir l'objet
des ordonnances fuftyles ou entrecolonnemens
inégaux , plus rares cependant dans
le Dorique , à caufe de la proportion &
diftribution régulière de fes triglyphes &
métopes , que dans l'Ionique & le Corinthien
, qui ne font pas contraints par
de
pareils fuggeftions ; delà il comprendra
que le terme d'euftyle dont Vitruve fe fert ,
ne fignifie autre chofe qu'un enfemble
compofé du mêlange d'efpaces & rapports
différens , que l'analogie des parties rend
fufceptibles d'agrément , tant en ordonNOVEMBRE
1765. 141
1
nances de diftribution régulière de triglyphes
& métopes , que d'irrégulières , dont
le choix n'eft pas indifférent dans les cas
de fuggeftions ou circonftances qui l'exigent.
10. Après avoir fuffifamment inftruit.
l'élève de tout ce qui concerne les ordonnances
doriques à colonnes ifolées ,
on l'introduira à la connoiffance de celles
à colonnes engagées fur un mur , foit uni
ou percé d'arcades. On lui développera
par une opération géométrique très-fimple
, la règle précife qui détermine cet
engagement différent de celui que l'uſage
ordinaire a jufqu'à préfent introduit , &
des avantages qui réfultent de cette différence
: il fera éclairé de la fuite progref
five de la largeur des efpaces qui leur appartiennent
, & des rapports que ces fortes
d'ordonnances exigent , pour répandre
dans l'enfemble les proportions qui rendent
& l'efpace des colonnes , & le vuide
de l'arcade agréables dans les conftitutions
& caractères différens des diverfes
ordonnances : il y verra la règle générale
& conftante de la pofition des impoftes
qui determine la largeur de ce vuide , &
celle des alettes ou pieds droits que
conftitution ou caractère de l'ordonnance
exige, foit
la
que les colonnes foient pofées
#42 MERCURE DE FRANCE .
fur rez de terre , retraites , foubaffemens
ou piédeftaux , de profil & forme telle
que Vitruve femble prefcrire par le terme
de fcamilli impares. Et on préfentera à l'élève
une manière de fixer la hauteur de
la pointe des frontons , & l'épaiffeur de
leur corniche.
11. Après avoir parcouru tout ce qui
peut dépendre des ordonnances applicables
aux édifices de forme cadrangulaire ,
on entrera dans la manière de pratiquer
les circulaires , plus épineufes dans le dorique
, à caufe de la proportion & diftribution
des triglyphes & métopes que l'altération
de la courbe de la frife dérobe à
la diftance des axes des colonnes ; on
communiquera à l'éleve les moyens d'en
furmonter les obftacles pour rendre l'en
femble fufceptible d'agrément. Delà on
paffera aux ordonnances à colonnes l'une
fur l'autre , foit de même ou de différens
ordres , tant de formes quarrées que circulaires
, dont les difficultés les rendent
encore plus rares , & d'une maniere trop
éloignée de l'ordre de la nature.
12. Tous les détails qu'on vient d'annoncer
concernant l'ordre Dorique doivent
s'entendre des ordres Ionique & Corinthien
, puifqu'il ne s'agit dans l'art
architectonique que de la théorie d'un
NOVEMBRE 1765 143
P
fyftême qui ne fait que s'étendre entre fes
limites , par l'enchaînement de la fuite
progreffive des efpaces & longueur de
colonnes qui paffent non - feulement d'un
genre à l'autre de chaque ordre , mais
encore d'un ordre à l'autre , ce qui nous
difpenfe d'en dire davantage : il fuffic
feulement réfenter encore à notre
élève un pro. d'exemple de deux colonnes
de diametres différens en étendue &
quantité , à même hauteur fous architrave
, & même diftance de l'une à l'autre ,
pofées pour extrême , en confidérant la
première comme la plus grave ou forte
qui foit à l'ordre Dorique , & la feconde
comme la plus foible ou légère qui puiffe
être à l'ordre Corinthien , afin de lui faire
comprendre de quelle manière la hauteur
totale de leurs entablemens & parties paffe
de l'une à l'autre par une proportion progreffive
qui détermine la hauteur totale
de tous les entablemens & parties des longueurs
de colonnes intermédiaires de l'ordre
Ionique, & même les intermédiaires de
chacun de ces ordres ; & à cet effet on pourra
enfin préfenter à l'élève une figure lignéale
& géométrique de tous ces réſultats. On
fentira delà , que ceux qui prétendent que
l'Architecture n'a d'autre principe que le
goût, pourroient comme moi fe tromper,
144 MERCURE DE FRANCE .
puifqu'il ne fauroit être restreint à aucune
règle. Le goût , quoique néceffaire dans
tous les arts qui font du reffort des fens ,
n'eft autre chofe qu'un fentiment du beau
que la nature a mis en nous , fans connoiffance
phyfique de la profondeur de fes
loix.
13. Notre école fera ouverte les lundi ,
mercredi & vendredi de chaque femaine ,
à l'exception des jours de fêtes folemnelles
, fçavoir :
Du premier Avril au dernier Septembre
, depuis huit heures du matin jufqu'à
onze ; & l'après- dinée , depuis trois heures
jufquà fix.
Et du premier Octobre au dernier
Mars , depuis neuf heures du matin jufqu'à
onze ; & l'après- dinée , depuis deux
heures jufqu'à quatre.
Chacun des élèves fera tenu de fe fournir
de compas , règles , crayons , papiers ,
plumes , encre de la Chine , & pinceaux
néceffaires.
J.
MÉCHANIQUE.
NOVEMBRE 1765. 141
MECHANIQUES.
MONSIEUR Berthelot , appliqué depuis
long- temps à la Méchanique , vient
d'inventer un nouvel affut de canons pour
la défenſe des côtes & des places maritimes
, mais dont l'ufage pourra s'étendre
aux places de terre & aux vaiffeaux
du Roi , & les épreuves en ont été faites
avec fuccès à Strasbourg. Les avantages
que cet affut a fur tous les autres , confifte
1º. dans la facilité de trouver partout
des bois propres à leur conftruction ,
attendu qu'on peut employer indifféremment
tout bois de charonage & autres , ce
qui fait d'abord une épargne confidérable.
2º.En ce qu'ilcouvre & garantit les hommes
employés au fervice du canon . 3 °. Qu'il
épargne encore les frais des plates - formes
que
fa conftruction rend totalement inutiles.
4 ° . Qu'il n'y entre aucune ferrure
que pour les affemblages des pièces . 5º.
Qu'il n'exige pour le fervice des pièces
de 36 & même de 24 , que trois hommes
fur chaque pièce , tandis que les autres
affuts en exigent au moins fix pour chacune.
6°. Qu'il met ces trois hommes en
G
145 MERCURE DE FRANCE.
état de tirer cinq coups , pendant qu'avec
les affuts ordinaires on en tire deux ou
trois au plus. 7°. Le pointeur peut ajuſter
& fuivre un objet mouvant fans aucun
danger pour lui-même. 8. Cet affut a
encore l'avantage que dès qu'il eft ajuſté ,
l'on peut battre de nuit comme de jour
un objet fixe , vu que la pièce retombe naturellement
fur la même direction.
L'Auteur a eu pour cette invention une
gratification de la Cour & une penſion de
600 liv. Le fieur Berthelot eft occupé maintenant
à trouver les moyens de faire fervir
fon affut pour les vaiffeaux de guerre , &
il espère réuffir.
E fieur Dufour , Maître Menuifier ,
demeurant rue de Vaugirard , vis - à - vis
l'Hôtel de Carignan à Paris , vient de perfectionner
les chaifes roulantes à l'ufage
de ceux qui ont eu le malheur de perdre
leursjambes , ou à qui elles font devenues
inutiles. Il a fupprimé tous les engréna
ges dont on s'eft fervi jufqu'à préfent. La
perfonne infirme peut fe promener affez
vite fur une furface horizontale , & tourner
à droite ou à gauche auffi prompteNOVEMBRE
1765. 147
ment qu'elle le defire. La chaife du fieur
Dufour peut , par l'addition de quelques
pièces , fe changer en un lit plus commode
que les autres ; il fe trouve fous le malade
une chaife percée , & il peut fe placer
fous la lunette fans le fecours de perfonne
; le tout fe referme quand on le defire
, par un méchanifme fort fimple. Cette
dernière invention eft très utile pour les
infirmes , qui ne font que trop fouvent
abandonnés des domeftiques. La chaife
n'a rien de défagréable dans fa forme ,
& la fimplicité de fa conftruction la met
au deffus de toutes celles qui ont été imaginées
à cet ufage . Les perfonnes de Province
à qui cette découverte peut être utile
, font priées de lui écrire franc de port ,
il leur en fera de petits modèles avec une
échelle ; elles auront la bonté de lui adref
fer quelqu'un à Paris pour toucher fes
fonds , & à qui il pourra remettre ce modèle.
Comme cette chaife peut être plus
ou moins compliquée & felon le goût des
perfonnes , on ne fauroit en fixer le prix
au juſte.
Ledit fieur Dufour , inventeur des tables
pliantes propre à la campagne & à la
ville , & fur- tout à l'armée , exécute toutes
fortes de modèles de machines &
d'architecture civile & militaire
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE I V.
BEAUX ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE.
OBSERVATION fur une fiftule lacrymale
occafionnée par un coup de feu . Par
M. JANIN , Oculifte du Collège de
Chirurgie de Paris , & Affociés Corref
pondant de l'Académie des Sciences Arts
& Belles-Lettres de Dijon,
Il y a vingt ans que M. le Chevalier
d'Hériei fut bleffé d'un coup de feu au
vifage , la bale entra vers le grand angle
de l'oeil gauche , traverfa obliquement la
cloifon offeufe du nez , rompit une portion
de l'os de la mâchoire fupérieure du
côté droit , notamment vers le milieu de
la partie poftérieure du conduit nafal , &
les parties latérales du finus maxillaire
enfin fortit un peu au deffus des derniè
NOVEMBRE 1765. 149
res dents molaires fupérieures. Il ne furvint
point d'accidens à cette plaie , on ne
la traita que par des panfemens très- fimples
; on n'en vit fortir aucune efquille
d'os , & elle fut guérie en fix femaines .
L'oeil gauche étoit perdu par l'effet du
coup : l'oeil droit a été larmoyant & trèsfenfible
aux impreffions de la lumière
pendant les quatre premieres années qui
ont fuivi cette bleffure , après lefquelles
le larmoiement a ceffé de lui- même.
Il y a environ quatre ans que cet écoulement
de larmes fe renouvella : mais
alors il étoit accompagné d'une dilatation
du fac lacrymal ; d'abord il fuffifoit au
malade de comprimer cette tumeur avec
le doigt , pour que le fac fe vuidât dans
le nez mais dans la fuite la compreffion
ne le dégorgea plus dans cette cavité , la tumeur
qu'il formoit augmenta , & le larmoiement
fut plus confidérable. L'application
indifcrète d'un colyre aftringent ,
occafionna une inflammation à l'oeil &
aux parties voifines : il fe forma dans le
fac lacrymal , un abcès qui s'ouvrit de
lui-même. Un Chirurgien dilata cette
ouverture. Tous les accidens ceffèrent ; la
cicatrifation fe fit bientôt , & la guériſon
parut parfaite.
Cependant l'abcès ne tarda point à ſe
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
Ś
former de nouveau , & à s'ouvrir à l'endroit
de la cicatrice. Les bords de l'ulcère
devinrent calleux , & les vaiffeaux de
la conjonctive s'engorgèrenr. Un Oculiſte
dont la réputation eft établie , fut appellé :
il ouvrit le fac lacrymal dans toute fa
longueur , ce qui donna iffue à beaucoup
de matière purulente fétide : de jour en
jour fa fource paroiffoit fe tarir : mais
quand il fembla que la cicatrice étoit
prête à fe former , l'écoulement du pus
devint plus abondant. Cet Oculifte fit
une nouvelle incifion ; & dans la fuite
les mêmes circonftances le déterminèrent
à en faire encore deux autres plus étendues
que les précédentes : elles ne furent
pas fuivies d'un plus heureux fuccès : au
contraire il s'éleva de plus quatre petites
tumeurs fur les bords de l'ulcère , déja
calleux. Trois de ces tumeurs furent extirpées
, & pendant quelque tems la fuppuration
fut moins abondante ; après quoi
la quantité du pus augmenta encore.
MM. Demours , Laforeft & moi , furent
confultés par écrit & féparément : nous
préfumâmes tous trois qu'il y avoit dans
le canal nazal , dont on n'avoit pas encore
cherché à reconnoître l'état , un obftacle
qui s'oppofoit à la guérifon du malade
; & notre fentiment fut qu'on ne
NOVEMBRE 1765. 151
la procureroit qu'après avoir levé l'embarras
de ce conduit.
Cette uniformité dans trois avis , donnés
fans que les confeils fe fuffent affemblés
, détermina M. le Chevalier d'Hérici
à fe rendre à Paris. M. Demours l'y
examina le premier ; il perfifta dans fon
opinion qu'il falloit faire paffer une mèche
dans le conduit nazal. J'en fus chargé.
Peu de temps après que j'eus commencé
de donner mes foins au malade
j'apperçus à différentes fois , trois petits
finus , dont je fis fortir par des injections
une efpèce de matière plâtreufe. Un
jour , en fondant le conduit nazal , je
crus y fentir quelques afpérités ; mais
elles n'étoient pas affez diftinctes , tant
ce conduit étoit rempli de chairs fongueufes
, pour que M. Bourbélin , qui
penfoit avoir auffi touché avec la fonde
uncorps chargé d'inégalités , pût affurer ,
non plus que moi , qu'il y avoit carie en
ce canal.
Les fongues s'affaiffèrent , le pus devint
louable & ne s'écoula plus qu'en petite
quantité. Le conduit nazal donna un libre
paffage à une mêche plus groffe que je
n'avois coutume de l'employer. Par là je
me crus fondé à rejetter abfolument l'idéé
de carie que j'avois eue. Plus d'un mois
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
1
après , MM. Dufouart & Goulard fondèrent
la fiftule , & n'y reconnurent point
de carie : la mêche fut retirée d'un avis
unanime , afin qu'un panfement à plat
terminât plus promptement la cure.
Le temps de la guérifon étoit encore
éloigné , le pus & les larmes inondèrent
l'oeil ; on reconnut par la fonde qu'il y
avoit de nouvelles chairs fongueufes &
de la carie dans le conduit nazal. Les
efcarrotiques & les exfotians furent mis
en ufage , des parcelles de l'os altéré fe
détachèrent & fortirent par la fiſtule :
mais une pièce offſeuſe , d'un volume plus
confidérable que les autres , & qui s'étoit
auffi détachée par l'exfoliation ,
fut arrêtée par la bride ligamenteufe du
conduit nazal , enforte qu'il n'étoit plus
poffible de faire paffer , comme de coutume
, le bout de la fonde jufques dans
la narine ; des injections d'eau de Bareges ,
confeillée par MM. Moreau & de la Faye,
débarraffèrent de la pièce offeufe le canal
nazal , & fon trajet redevint libre.
Il s'en falloit de beaucoup qu'il ne fût
fain : il y avoit dans la portion de la gouttière
nazale qui s'étoit exfoliée , une ouverture
qui communiquoit avec le finus
maxillaire ; & la mucofité , qui eft naturellement
fournic par celui - ci , refluoit
NOVEMBRE 1765. 153
t
dans le conduit nazal , & fe répandoit fur
la joue. Je reconnus de plus qu'une autre
portion du même canal étoit cariée : les
exfoliatifs furmontèrent ce nouvel obftacle
: mais la plus grande difficulté à vaincre
, étoit celle que formoient le paffage
de la mucofité du finus maxillaire dans le
conduit nazal , & le regorgement de cette
tumeur par la fiftule .
Plufieurs Médecins & Chirurgiens de
Paris furent confultés. Toutes les voix fe
réunirent , pour qu'avec une efpèce de
trois- cart , on pratiquât une ouverture artificielle
dans l'os ungris , par laquelle la
mucofité fe dégorgeroit dans la foffe nazale
, au lieu de couler fur la joue . J'étois
très - difpofé à faire cette opération ,
quand j'imaginai d'en préferver le malade.
Sur ce que j'avois obfervé que l'étranglement
ligamenteux du conduit nazal de
M. le Chevalier d'Hériei- étoit placé au
bas de ce canal , je penfai que fi je rendois
fon orifice inférieur plus évafé , le
mucus fortiroit facilement par cette voie :
dans cette intention , & à la faveur d'une
canule , placée de la plaie dans le conduit
nazal , je portai de l'huile glaciale
d'antimoine fur la bride ligamenteufe : je
fus obligé d'employer cinq fois en vingt-
>
G v
154 MERCURE DE FRANCE.
cinq jours une petite quantité de cet efcarrotique.
Ce moyen réuffit au point de
déterminer la guérifon du malade , au
commencement d'Octobre 1764. Depuis
ce tems -là il jouit de la meilleure fanté..
Les lettres que M. le Chevalier d'Hériei a
écrites à M. Antoine Petit , Docteur
Régent de la Faculté de Médecine de Paris
, l'un des Confultans , à Meffieurs
Dufouart , de la Faye & Moreau , font
un témoignage de fa fatisfaction . Je ne
puis joindre ici la lettre que M. Petit a
eu la bonté de me remettre , parce qu'elle
eft pleine de louanges que je voudrois
mériter.
L'Auteur demeure à Paris , rue Saint
Honoré , en face de celle de l'Arbre - fec
NOVEMBRE 1765. 155
SUITE des obfervations fur les ouvrages
de peinture , fculpture , &c. expofés au
Louvre en 1765 ( 1 ).
MONSIEU
ONSIEUR GUERIN qui s'eft auſſi
formé & qui a perfectionné un genre particulier
, avoit expofé plufieurs de fes
tableaux , que nous croyons pouvoir nommer
des miniatures à l'huile . Cette manière
a cependant plus de touches , plus
d'effet que les miniatures ordinaires .. Les
compofitions en font agréables , & beaucoup
de parties concourent à rendre les
petits tableaux de ce Peintre , précieux &
recommandables. La variété qui règne
dans les genres , & leur fuccès proportionel
, procurent une grande richeffe dans
notre Ecole Françoife , & promet à fes
diverfes productions l'empreffement des
curieux .
Des productions aimables, paffons à l'énergie
& même à la terreur , qui règne
dans celles de M. CASANOVA. Le genre
qu'il a adopté avoit difparu depuis la mort
(1 ) Voyez ce qui précède dans les deux vol .
du Mercure d'Octobre.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
d'un grand homme. M. Cafanova avoit
déja fait remarquer aux précédens fallons
une grande manière de peindre les combats
& tout ce qui eft relatif à ce genre .
Il s'eft fait diftinguer , cette année , dans
quelques tableaux , particulièrement dans
la compofition d'une marche d'armée .
Quelques critiques croient avoir trouvé
lieu d'y reprendre quelque chofe dans
le ton général du coloris. Nous n'examinerons
pas la jufteffe de cette cenfure .
M. Cafanova montre trop de talent pour
ne la pas fentir lui-même , fi elle eſt
bien fondée , & pour en faire fon profit ;
finon pour la braver , fi elle n'eft que le
cri de la fatyre & de l'envie.
Il y auroit beaucoup de chofes flatteufes
à dire fur les tableaux de M. LOUTERBOURG
, Agréé , fi nous pouvions nous
permettre de nous étendre fur les preuves
de progrès qu'ont fait voir cette
année , les jeunes Artiftes. Celui - ci avoit
paru au dernier fallon avec un éclat qu'on
n'attend pas ordinairement dans un premier
début. Il remplit les efpérances qu'on
en avoit conçues. Un des tableaux de M.
LOUTERBOURG , qui a été regardé avec
le plus d'empreffement, par l'intérêt que
le Public prend au principal perfonnage du
fujet , eft un rendez - vous de chaffe de
NOVEMBRE 1765. 157
>
S. A. S. M. LE PRINCE DE CONDÉ dans un
endroit de la forêt de Chantilli nommé
le rendez-vous de la table. Malgré le défavantage
du fymmétrique qui fe rencontre
dans ces fortes de parties de forêts , malgré
l'uniformité des habits d'équipages
M. LOUTERBOURG , par la difpofition de
la perfpective , par la combinaifon des
groupes de perfonnages , de chiens & de
chevaux , a donné à ſon tableau tout le
pittorefque dont il étoit fufceptible. Il a
ajouté l'agrément de l'art , pour les yeux
connoiffeurs , au plaifir que le Public a
pris dans les reffemblances des figures , &
dans la vérité avec laquelle il a rendu la
nature de toutes les circonftances de ce
fujet.
On a vu avec fatisfaction les divers
effets du talent du même Peintre dans
plufieurs tableaux ; entr'autres , dans celui
qui repréfentoit la fituation de la nature
fur un paysage après une pluie du matin ;
dans un autre , où il a exprimé deux fortes
de lumières , celle de la lune fur
un payfage , & celle du feu qu'ont allumé
des payfans dans une partie fombre ;
& dans plufieurs autres payfages & fujets
de figures de diverfes fortes de compofitions.
M. LE PRINCE, agréé, a , pour anfi dire ,
158 MERCURE DE FRANCE.
trranfporté au fallon de cette année , toute
la Ruffie ; fa capitale , fes habitans , &
fes ufages : ce qui ajoutoit , pour les curieux
, un agrément de plus à la fatisfaction
qu'ont dû leur procurer les talens de
ce nouvel Artiſte , en plufieurs genres de
Peinture. Il avoit expofé une vue de Saint-
Petersbourg , d'après nature , prife du Palais
qu'occupoit l'Ambaffadeur de France .
On voit fur le devant , M. l'Ambaſſadeur
, des François de fa fuite , & des
habitans du pays. Un autre tableau_repréfentant
un parti de Cofaques , Tartares
, qui raffemblent leur butin . Les préparatifs
pour le départ d'un Horde . Une
Paftorale Ruffe. La pêche aux environs
de Saint Petersbourg. Des voyages , des
Haltes , des modes , des habillemens de
diverfes nations ; en un mor , c'eſt un
voyage curieux , intéreffant & fort agréable
, que M. LE PRINCE a fait faire aux
Spectateurs dans un grand nombre de tableaux
& dans plufieurs deffeins. Il y a
dans chacun , des parties pittorefques qui
méritent des éloges , & qui font honneur
au jeune Peintre. On a remarqué fur-tout
un tableau du grand genre , d'une bonne
manière pour la compofition & pour le
coloris , qui repréfente un Baptême Ruffe ,
par immerfion , fuivant le Rit Grec..
NOVEMBRE 1765. 159
1
Il y avoit d'autres tableaux , uniquement
payfages , par MM. JULIART , LE
BEL & MILLET FRANCISQUE , lefquels
ont tous quelques parties eftimables en ce
genre. M. SERVANDONI a rappellé au Public
le fouvenir du talent qui l'a rendu.
célebre.
M. DE MACHY , dont les talens ne font
pas bornés à l'Architecture , dans la compofition
& dans l'imitation de laquelle il
excelle , a repréſenté avec une vérité frappante
, la cérémonie de la poſe de la première
pierre de Sainte Genevieve , dans
un tableau qui contient une multitude
innombrable de figures. La difpofition
de toutes ces figures , celle des autres
objets qui défignent le local & l'exécution
pittorefque , font également dignes:
de tous les fuffrages. Le même Peintre
avoit au fallon des points de vues de quelques
parties du Louvre , des ruines , &
un deffein à gouaffe de la conftruction de
la nouvelle halle. Dans tous ces différens
morceaux , la fidélité la plus fcrupuleufe
ne nuit point à l'agrément , & même à la
chaleur convenable de l'effet. Nous n'avons
pas befoin , au refte , de nous étendre
fur les talens d'un Artiſte auffi univerfellement
connu & auffi généralement
+4
>
160 MERCURE
DE FRANCE.
eftimé que l'eft aujourd'hui M. DE MACHY
, pour les ouvrages de ce genre .
› où
Parmi le grand nombre de portraits
qu'on a expofés , il y en avoit un de famille
qui étoit remarquable par plufieurs
confidérations : 1 ° . par le rang & le mérite
perfonnel de ceux qu'il repréfente ;
2º. par fa grandeur & par la compofition ;
3. par la réputation & les talens du Peintre
( M. ROSLIN ) . Ce tableau repréſentoit
un père qui arrive dans fa terre
il eft reçu par fa famille. Il eft intéref
fant par les reffemblances & par beaucoup
de belles parties de l'art. M. ROSLIN
avoit encore une affez grande quantité de
fort beaux portraits. Il a expofé une tête
peinte depuis deux ans avec les nouveaux
pastels préparés à l'huile , pour
faire juger
de l'effet du tems fur ce nouveau moyen ,
qui eft une reffource de plus pour défendre
d'une trop prompte deftruction , les
ouvrages qui méritent de paffer à la poſtérité.
On a vu & admiré avec une fatisfaction
générale les portraits de deux des
Dames de France, très - reffemblans , & dont
les étoffes font traitées avec tous les preftiges
de l'art & dans le meilleur goût . Ces
portraits n'ont été expofés que quelque
temps après l'ouverture du fallon,
NOVEMBRE 1765. 161
Quoique nous foyons dans l'ufage de
ne pas rendre compte des portraits , nous
devons en excepter quelques- uns , tels que
celui d'un jeune Ecolier Anglois , & plufieurs
autres de M. DROUAIS. La manière
agréable , fraîche & brillante de ce
Peintre , donne à toutes fes productions
un charme qui embellit fes modèles fans
que ce foit aux dépens de la reffemblance.
M. DROUAIS eft en poffeffion de plaire
à tous les yeux .
M. NONOTTE , très - bon Peintre de
portraits , enavoit expofé un qui ne dément
point fa réputation .
M. PERRONEA U en avoit mis plufieurs
tant en huile qu'en pastel , & tous.
méritoient de juftes éloges.
Nous ne parlons point d'une quantité
d'autres , dont il faudroit connoître mieux
les modèles pour juger du principal mérite
, quieft la vérité dans la reffemblance ;
mérite qu'ils doivent avoir chacun , &
qui fans doute eft joint à celui de la bonne
couleur & du deffein , qu'ils ont à divers
degrés proportionnellement. Tels étoient
ceux qu'avoient expofés MM. V ALADE
& DESHAYES , frère du célèbre Peintre
dont nous regrettons la perte.
On ne rapelle pas ici les ouvrages excellens
en ce genre de M. MICHEL Van162
MERCURE DE FRANCE.
LOO & de M. GREUZE , parce que l'on a
déja fait mention de ces deux Artiftes.
M. DE LA TOUR & M. Tocqué nous
laiffent le regret de n'avoir pas à leur payer
cette année le tribut d'éloges fi juftement
dus à leurs ouvrages ; ils n'ont rien expoſé
à ce fallon , ainfi que MM. PIERRE &
DOYEN, dans le genre de l'hiſtoire . Nous
faifons mention de cette circonftance , afin
que nos Lecteurs éloignés , ne nous foupçonnent
pas d'avoir obmis dans l'énumération
de tant d'Artistes célèbres dont nous
avons parlé , des noms que fans doute ils
attendoient avec impatience.
Il nous refte une remarque à faire
d'après tous les amateurs éclairés , fur le
degré de force & d'élévation où l'on a
vu cette année le ton général de couleur
de notre Ecole Françoife. Il étoit fi fenfible
, que pour les yeux connoiffeurs , il
frappoit au premier afpect du fallon , avanɛ
que d'avoir porté fes regards fur aucun
tableau en particulier. Ceci feul décide
la fupériorité de cette expofition fur
toutes les précédentes , pour le degré des
progrès de l'art. Si l'on a donné quelque
attention à des propos inconfidérés de
gens qui vont au fallon par pur amufement ,
fans goût , fans réflexion , & encore plus
fans aucune connoiffance , ou à certaines
NOVEMBRE 1765. 163
critiques éphémères qui fe compofent à la
hâte , & dont la partialité ou les motifs
d'un prompt debit règlent les prétendus jugemens
; on foupçonnera d'adulation ce
que nous venons de dire. Mais fi l'on
veut bien confidérer que , comptables à la
postérité , encore plus qu'au temps actuel ,
dans un Journal qui eft & doit être le
dépôt le plus fidèle des faits concernant
les lettres & les arts , nous rougirions visà-
vis de nous - mêmes de hafarder des
affertions auffi importantes fans toute la
certitude exigible en pareil cas ; de ce
que nous taifons quelquefois par bienféance
des vérités défobligeantes , on ne
doit pas conclure que nous nous permettions
jamais d'affirmer par flatterie des
menfonges dont nous pouvons toujours
nous difpenfer fans aucun rifque de repro
ches.
Sculpture.
PARMI les plus belles productions de
cet art , on doit compter les ouvrages de
M.LE MOINE : quoiqu'il n'ait expoſé
que des portraits , ils portent tous le caractère
des talens de l'Artifte dans le grand
genre. On a diftingué fingulièrement le
bufte en marbre de Madame la Comteffe
de Brionne. La beauté de la nature eft dans
164 MERCURE DE FRANCE.
beaucoup de portraits l'écueil de l'art ; dans
celui- ci , loin d'avoir été altérée par fes
efforts , elle n'a fervi qu'à lui prêter des
graces , & à faire admirer le preftige de fes
effets.
,
Il y avoit encore du même Artifte le
portrait de Madame la Marquise de Gléon,
celui de M. le Comte de la Tour d'Auvergne
, & en médaillon celui de Madame
Beaudoin , époufe du Peintre de ce
dont nous avons parlé dans l'article
de la peinture au volume précédent. Aux
portraits ont avoit joint celui de M. ROBÉ ,
connu par l'énergie & par le caractère
fingulier de fa poéfie , & celui de M. GARIK
, le plus célèbre Comédien de l'Angleterre.
Ces derniers portraits étoient en
terre cuite.
Nous avons à parler des morceaux tou
jours, précieux , toujours admirables de
M. FALCONET , de l'Auteur du groupe de
PIGMALION. Nous prions de revoir ce que
nous en avons dit il y a deux ans , dans le
précédent falon , ou beaucoup mieux encore
de recourir à la voix publique , fur
l'éloge dû à cet Artifte , lequel eft peutêtre
un de ceux qui a le plus ajouté de
grâces aux célèbres chef d'oeuvres de l'antiquité
, dont il n'a négligé aucune des
perfectious qui les immortalifent. Les
morceaux qu'il a offerts cette année à la
NOVEMBRE 1765. 165
pour
curiofité du Public & à l'admiration des
amateurs , étoient la douce Mélancholie, repréſentée
par une femme debout , careffant
languiflamment une tourterelle , ( figure
de marbre d'environ 3 pieds de hauteur) ,
admirable par la pureté ,, par les grâces
naïves des contours , & par tout ce qui
caractériſe le beau dans cet art. Une autre
figure , compofée pour le milieu d'un
bofquet de plantes à fleurs d'hyver , laquelle
doit être exécutée en marbre
le Roi , de la proportion de 6 pieds de
haut. C'eft une femme affife qui femble
garantir avec le pan de fes vêtemens , des
rigueurs de la faifon , des plantes qu'elle
chérit , & par fes foins les faire fleurir.
Un vafe caffé par l'effort de l'eau glacée
, & les fignes du capricorne & du verfeau
, défignent clairement l'hiver. On ne
fait ce qui mérite le plus d'éloge , dans cet
ingénieux ouvrage , ou la partie allégorique
dans l'invention du fujet , ou la
partie pratique dans l'exécution de la figure
, qui ne céde en rien à tout ce qu'a
déja fait d'excellent ce célèbre Artiſte.
Un très-beau modèle de Saint Ambroife
, de 4 pieds 6 pouces de hauteur .
Une figure repréfentant l'Amitié , dans
laquelle il y a pour les yeux favans des
chofes remarquables à obferver , mais
dont l'attitude néceffitée par le fujet n'a
166 MERCURE DE FRANCE.
peut- être pas été auffi agréable
aux autres que les précédentes
.
M. FALCONET a fait imprimer il y a
quelques années des réflexions fur la
fculpture , dans lesquelles il donne d'excellens
préceptes & des idées lumineuſes
fur les bas- reliefs , partie de l'art dans
laquelle les anciens ont laiffé beaucoup à
ajouter pour les modernes. Il vient de
donner un très-bon exemple de ces mêmes
préceptes par celui qu'il a expofé , repréfentant
le moment où Alexandre céde à
Appelle , Campafpe qu'il faifoit peindre par
cet Artifte .
M. VASSÉ avoit expofé le bufte de
Pafferat , une tête d'enfant & un modèle
en terre cuite , repréſentant la comédie .
M. PAJOU, plufieurs portraits en bufte ;
une Bacchante qui mérite l'attention des
connoiffeurs qu'elle a fixée , & les fuffrages
qu'ils lui ont donnés. Un modèle
fort bien compofé & très -ingénieuſement
difpofé d'une pendule pour le Roi de Danemark,
&c. Cet Artifte déja connu & déja
digne de l'être , donne à chaque expofition
de nouvelles preuves de fes progrès.
Il en eft de même de M. CAFFIERI ,
dont nous avons vu avec le plus grand
plaifir , ainfi que beaucoup d'amateurs ,
un Triton. Il y a dans la difpofition &
NOVEMBRE 1765. 167
dans l'exécution de cette figure des parties
qui fatisfont infiniment fur le mérite
actuel de cet Artifte , diftingué par
des ouvrages agréables au Public dans les
précédens falons , & qui font augurer
encore beaucoup davantage pour fa
gloire.
M. CAFFIERI femble avoir difputé à
fon illuftre confrere , M. LE MOYNE ,
l'honneur de mettre fous nos yeux les portraits
des gens célèbres , en expofant ceux
des deux plus grands Muficiens de la
France , on peut dire ( malgré la prévention
pour l'Italie ( de l'Europe Lulli &
Rameau. Qui pouvoit-il mieux joindre à
ces illuftres morts que l'Auteur vivant du
Siége de Calais , qui nous a tant intéreffé
& qui mérite à tous égards les attentions
des vrais citoyens . M. DE BELLOY dans ce
bufte animé parle à fes amis , ils le reconnoiffent
& ne peuvent s'y méprendre ,
& le Peuple de Paris a dû lui adreffer
les mêmes tranfports qu'il avoit témoignés
à l'Auteur en perfonne , le jour de la repréſentation
gratis de fa tragédie à la Comédie
Françoife.
M. CAFFIERI eft un des exemples qui
démontrent l'avantage que trouveront
toujours les Artiftes à cultiver les gens
de lettres & les grands talens en di168
MERCURE DE FRANCE.
vers genres. Cette communication eſt aux
arts ce qu'eft à une nation l'étendue de
fon commerce extérieur.
bien com-
M. ADAM , dans, un groupe
pofé & d'une bonne exécution , a repréfenté
Uliffe qui fe fauve de la caverne
de Polypheme , en fe tenant attaché fous
le ventre d'un bélier. C'eft un grand morceau
de fculpture par la combinaiſon des
différents objets dont il eft compoſé &
dont on a eu lieu d'être fatisfait .
M. CHALLE , ( frère du Peintre de ce .
nom ) avoit expofé deux figures de marbre
couchées , dont les fujets font le feu
& l'eau. Ces deux figures de deux pieds
fix pouces de proportion font fort belles ,
& contribuent avec tous les autres ouvrages
connus de cet Artifte à faire regretter
fa perte. M. CHALLE eft mort quelques
jours après la clôture du falon . Cet Artifte
eftimable avoit beaucoup de talents ;
pour l'honneur de fa mémoire , nous n'aurions
qu'à citer fes productions , fi l'étendue
de cet article le permettoit ; mais la
réputation qu'il avoit déja dans le Public
& ce que lui accordoient fes confrères
fuffit à fon éloge. L'Académie le compte
au nombre des véritables pertes qu'elle a
faites depuis un certain temps.
On avoit joint aux deux figures de M.
CHALLE
NOVEMBRE 1765. 169
CHALLE des portraits en bufte & le def
fein des nouvelles Chapelles de Saint
Roch .
Un Saint Auguftin ( par M. D'Hués ) ,
modèle d'une figure qui fera exécutée en
grand pour l'Eglife de Saint Roch , le
modèle d'une Nayade en bas - relief exécutée
à la fontaine des Audriettes , par M.
MIGNOT , & un martyre de Saint Barthelemi
par M. BRIDAN ( groupe en plâtre de
3 pieds de haut) dépofoient en faveur des
talens de ces trois Sculpteurs. M. BERRUER
a donné des idées très - favorables
des fiens & de ce qu'on doit en attendre ,
par un bas-relief en marbre , repréfentant
Celobis & Biton , attelés au char de leur
mère pour la conduire au temple. Un vafe
de marbre orné d'un bas relief d'enfans.
Et le projet d'un tombeau , dont le fujet
eft ingénieufement traité. L'Amitié appuyée
fur une urne cinéraire s'abandonne.
à la douleur ; la Pureté orne ce vafe d'une
guirlande de lys. Ces différens morceaux
font faits pour rendre leur Auteur recommandable
à tous ceux qui s'intéreſſent au
progrès des arts.
Gravure.
M. COCHIN , Secrétaire de l'Académie ,
a procuré cette année aux Amateurs des
H
170 MERCURE DE FRANCE.
lettres & des arts un fpectacle des plus
intéreffans , en prévenant par l'expofition
de fes deffeins allégoriques fur les règnes
des Rois de France , l'impatience avec
laquelle on attend la magnifique édition
de M. le Préfident HENAULT .
Ces deffeins ont été également admirés
par les gens de lettres & par les gens de
l'art. Les allégories font penſées avec efprit
, toutes juftes , toutes clairés , & en
même temps difpofées pour prêter à la richeffe
, à l'agrément , & aux plus beaux
effets de la compofition pittorefque. Nous
ne difons rien de la beauté de l'exécution ,
parce que le nom feul de l'Auteur fuffit
pour l'annoncer. Il ferviroit de point de
comparaifon , fi nous avions la plus haute
idée à donner de quelque ouvrage en ce
genre d'un Artifte qui ne feroit pas encore
connu. On peut affurer que M. Co-
CHIN n'a jamais rien fait de plus beau que
ces deffeins : C'eft dire qu'il eft impoffible
de mieux faire. Ce jufte éloge , ou plutôt
ce léger expofé du mérite fupérieur des
deffeins dont nous venons de parler , doit
s'appliquer à un autre qu'on a vu du
même Artifte , deftiné à fervir de frontifpice
au livre de l'Encyclopédie. Les
Sciences y paroiflent occupées à découvrir
la vérité . La Raiſon & la Métaphyfique
"
NOVEMBRE 1765. 171
cherchent à lui ôter fon voile. La Théologie
attend falumière d'un rayon qui part du
Ciel près d'elle font placées la Mémoire
& l'Hiftoire ancienne & moderne ;` à côté
& au deffous font les Sciences. D'autre part,
l'Imagination s'approche avec une guirlande
, pour orner la Vérité. Au deffous
d'elle, font les diverfes Poéfies & les Arts.
En bas , font plufieurs Talens qui dérivent ,
des Sciences & des Arts
3
7 4ch
On conçoit bien que nous ne pouvons
pas entrer dans le détail de tout ce qu'il
y auroit à louer, foit dans le deffein , ſoit
dans le travail du nombre d'eftampes
des habiles Graveurs que nous allons
-nommer. Par M. LE BAS , 4 eftampes de
la troisième fuite des Ports de France ,
gravées d'après M. VERNET , en ſociété
avec M. COCHIN. Par M, TARDIEU &
xpar M. Durush, chacun un portrait.
Par M. WILLE les Muficiens ambulans.
Une Allégorie de M. SALVADOR ROSA.
Une Tempête d'après M. VERNÉT , &
deux Sujets d'après M. VIEN , par M.
FLIPART. Le monument érigé au Roi par
-la ville de Reims , & les deux figures
qui accompagnent le Piédeſtal , d'après M.
-PIGALLE. Le Donneur de férénades & la
Pareffeufe d'après M. GREUZE , deux portraits
, le tout par M. MOITTE. Un pe
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
"

tit Sujet d'après M. DROUAIS le fils ;
un autre d'après M. VIEN , & deux deffeins
d'après deux tableaux célébres de
feu M. CARLE VANLOO , l'un la Converfation
Eſpagnole , l'autre la Lecture , qui
doivent être gravés par M. BEAUVARLET.
Le Triomphe de Silène d'après feu M.
CARLE VANLOO.Titon & l'Autore d'après
M.PIERRE, & unPortrait d'après un deffein
de M. WATELET : le tout par M. L'EMPEREUR
. Un autre Portrait par M. Mɛ-
LINI . Plufieurs fujets différens par M.
ALIAMET. Deux fujets , l'un d'après RAPHAEL
, & l'autre d'après LE GUIDE , par
M. STRANGE. M. ROETTIERS le fils
Graveur général des monnoies en furvivance
, & M. DU VIVIER , graveur des
Médailles , avoient expofé chacun des
Cadres qui renfermoient plufieurs Médailles
& Jettons fur différens fujets. Ceux
qui font en état , par des connoiffances
particulières de bien apprécier ce genre
de talent , ont donné leurs fuffrages aux
productions de ces deux Artiftes , & les ont
jugés très-capables de foutenir & d'élever
encore la célébrité des noms qu'ils portent.
>
Nous nous reprocherions d'avoir obmis
, pour l'honneur de la Manufacture
Royale des Gobelins , les éloges , l'éton-
>
NOVEMBRE 1765 17
nement & l'admiration de tous ceux qui
ont vu au fallon le portrait de M. PARIS
DE MONTMARTEL , d'après le tableau de
M. DE LA TOUR , & la peinture d'après
feu M.CARLEVANLOO , exécutés en haute-
liffe par M.- COZETTE.
>
La perfpective où cet art prodigieux eft.
monté , fait en même temps la gloire
de la nation qui le pouffe exclufivement
, & celle des Artiftes
Artiftes que l'émulation
a élevés jufqu'à ce degré fublime,
qui a procuré à leurs productions l'honneur
de concourir avec celles de l'Académie
de Peinture.
Fin des obfervations fur les ouvrages de.
peinture , fculpture , gravure , &c. expofes
au Louvre en 1765.
H
174 MERCURE DE FRANCE.
C ITK MAMOMes
ARTL! € , LOE AVC LA
-und me coupèra corka VaяOM - F
SPECTACLES
SUITE des Spectacles de la Cour à FONTAINĘBLEAU.
ms

Si
la
Pere
N avoit annoncé dans le fecond vol
lume du mois dernier un extrait de
Renaud d'Aft , comédie en deux actes ,
mêlée d'ariettes . Paroles de M. LE MOTER
, muffique de M. M. TRIAL &
VACHON ,
fois le 12 Octobre , en prefence de Leuts
Majeftés ( 1 ) . Comme on croit que l'Auteur
du drame eft dans l'intention d'y faire
quelques changemens qui pourroient rendre
la conduite du fujet différente , nous
penfons devoir fufpendre l'extrait que
nous nous étions propofé d'en donner.
Le mardi 15 Octobre , les Comédiens
François repréfemèrent Adélaïde du Guefclin
, tragédie de MADE VOLTAIRE , qui
( 1 ) Voyez le fecond volume d'Octobre , dans
lequel on a parlé de la repréfentation de cette
Pièce,
NOVEMBRE 1765. 175
a eu au moins autant de fuccès qu'à la
ville . Cette tragédie & le jeu des Acteurs
firent une impreffion continuelle fur tous
les fpectateurs. Le fieur LE KAIN joua fu
périeurement le rôle du Duc de Vendôme!
Le fieur MOLÉ , celui du Duc de Nemours.
Le fieur GRANDVAL, le Chevalier deCouci.
Le fieur D'AUBERVAL Dangefte. La
Dlle DUBOIS , Adélaide , & la Dlle Dé
PINAI , fa Confidente . On a remarqué en
core plus de perfection dans la manière
dont les principaux rôles ont été rendus ,
que celle qu'on avoit fi vivement & fr
juftement applaudie dans toutes les repréfentations
précédentes à Paris.
,
L'intervalle de la tragédie à la petite
pièce , fut rempli par des concerts qu'exé
cuta le fieur BESOZZI , célébre Hautbois
d'Italie , ci -devant attaché à la Cour de
Naples , actuellement au Roi . Il étoit accompagné
du baffon par le fieur JoDIN
Ordinaire de la Mufique du Roi , dont
le talent , qui jufqu'à cette occafion n'avoit
pas été connu , étonna agréablement
& eut part aux fuffrages qu'on donna a
cet agréable concert de chambre . Le jeu
du fieur BESOZZI occupe , attache , & intéreffe.
Il eft auffi agréable , auffi fenfible
par le caractére touchant des fons , que
H iv
176 MERCURE DE FRANCE ..
furprenant par l'adreffe & par la fineffe de
l'exécution .
On joua enfuite l'Inquiet , comédie en
un acte , & en profe , de feu M. FAGAN ,
qui amufa jufqu'au dénouement que l'on
fait être un peu forcé , & qui ne termine
pas agréablement cette pièce , dans laquelle
il y a d'ailleurs de l'efprit , de l'art , du
bon comique. On fut très-fatisfait de la
manière dont le fieur BELLECOUR rendit
le caractère de l'Inquiet , rôle affez difficile
, par la complication foutenue des
fingularités raffemblées fur un feul perfonnage
, qui caractérisent l'inquiétude ,
défaut ou plutôt maladie de quelques efprits.
Le fieur DAUBERVAL jouoit le rôle
de l'ami de l'Inquiet . Le fieur AUGER
le Valet , & c. La Dlle PREVILLE , celui
de Lucie ; & la Dlle BELLECOUR , celui
de Marton.
Le jeudi 17 , on exécuta l'Opéra de
Silvie en 3 actes , précédé d'un prologue.
Poëme de M. LAUJON , Secrétaire des
Commandemens de S. A. S. M. le Comte
de CLERMONT. Mufique de MM. LI
BERTON & TRIAL.
NOVEMBRE 1765. 177
EXTRAIT DU POEM E.
PROLOGUE.
Perfonnages
Acteurs chantans.
VULCAIN , Le fieur LARRIVÉE.
DIANE' ,
L'AMOUR ,
La Dlle AVENAUX…~
La Dlle LARRIVÉE.
Suite de Diane. Suite de l'Amour. Choeur de
Cyclopes. Choeur de Ris & de Jeux. Les Plaifirs .
Les Grâces, &c..
Le théâtre reprefente l'antre de Vulcain.
TANDIS que les Cyclopes s'excitent mu
tuellement au travail en préfence de Vulcain
, une fymphonie annonce la defcente
de l'Amour. Ce Dieu , qui vient d'en
flammer Jupiter pour Hébé , a épuiſé fon
carquois fur ces deux coeurs. Diane veut
fouftraire une jeune Nymphe à fes loix
il demande à Vulcain un trait dont l'atteinte
foit fûre , pour le venger de cet ou
trage. Vulcain ordonne aux Cyclopes de
quitter tout & de travailler pour l'Amour.
Les Cyclopes lui répondent par un trèsbeau
choeur:.
Hv
1781 MERCURE DE FRANCE...
σε
ور
Que l'Olympe en vain en murmure
» Cellons. tout, quittons tout , Itravaillons pour
>> l'Amour.
DO10T
VULCAIN.
» Pour punir les mortels qui bravent la puiſſance
2153 Jupiter s'arme de nos traits ;
>> Pour le bien des mortels ceux de l'Amour font
» faits
VODA I
» On eft, toujours trop prompt à fervir la ven-
לכ
geance
» L'eſt- on jamais affez pour hater, les bienfaits ?
e
Les Cyclopes répèrent le choeur précédent
débarraffent leurs enclumes des
ouvrages qu'ils fabriquoientpour les Dieux,
&ne's'occupent qu'a forger des traits pour
l'Amour. Vulcain applaudit à leur zèle : 1
il invité les Ris & ides Jeux à animer le
feu dés forges . Cette troupe légèrer forineb
um baller en tournant autour des fourneaux
, & patoft aider les Cyclopes
dans leur travail Amour schanteue
ariette, par laquelle il encourage les Plaiffs !
& les Jeux à continuer de le fervir àtriom ^
pher pour le bonheur du monde. Pendant
cette ariettes Vulcain viitelescoap
vaux des Cyelopes, & donne la dernière i
main à leurs ouvrages.
NOVEMBRE 1765 179
Diane furvient , elle eft alarmée de trouver
l'Amour dans l'antre de Vulcain ; elle
venoit lui demander un Egide qui pâr
défendre un coeur des traits de ce Dieu
qu'elle nomme perfide. ...
« .
1
» C'eſt trop ('dit - elle ) céder au Dieu qui nous
>> outrage ,
» Défendons notre liberté.
A quoi Vulcain répond ,
» J'arme Bellone & le Dieu de la guerre
» C'eft dans cet antre ténébreux

» Que je prépare au Souverain des Dieux
→ La foudre dont il fait épouvanter la terre.
( Montrant l'Amour ).
» Cet Enfant , dont les Dieux révèrent le pouvoir ,
›› De ma main tient les traits qui fervent ſa ven-
» geance ;
>> Mais , en défendre un coeur n'eft pas en ma
>> puillance.
ל כ
L'AMOUR en fouriant.
Tout l'Olympe doit le favoir.
Dans le ballet qui fuit , un Cyclope
difpute à une Suivante de l'Amour, l'hon
neur de lui préfenter festraits ; il s'y bleffe
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
lui-même , & la preffe de reprendre le trait
qui l'a bleffé , & d'exécuter l'ordre de
l'Amour. Diane s'en irrite.
• A quels exploits deſtines-tu ces traits &
L'AMOUR.
A triompher des coeurs que tu foumers.
L'Amour , Diane & Vulcain chantent
un duo croifé fur la victoire que fe difputent
les deux premières Divinités . Vulcain
veut faire entendre à Diane qu'on ne
réfifte point à l'Amour.
DIANE à VULCAIN.
» Sans le fecours de ton pouvoir
» Je faurai me fervir moi-même .
L'AMOUR en fouriant.
Je pourrois tromper votre espoir.
Ainfi finit le prologue , emblême des
forces de l'Amour fur les coeurs , & des
fecours que lui fournit toute la nature
pour en triompher.
Le fieur D'AUBERVAL danfoit dans les
Cyclopes. Les Dlles GUIMARD , PETITOT
& GODEAU dans les Grâces. Les Plaifirs
formoient un corps de Baller..
NOVEMBRE 1765. 18 %
Perfonnages. Afteurs chantans dans les trois attes
de l'Opéra..
SILVIA, Nymphe de DIANE . La Dlle ARNOULD.
AMINTAS , jeune Chaffeur. Le fieur LE GROS..
HILAS , Faune.
DIANE ,
Le fieur LARRIVÉE.
La Dlle AvEN AU X.
PremièreNymphede DIANE.La Dlle DUBOIS , L.:
Seconde Nymphe ,
L'AMOUR ,
Un Chaffeur
La Dlle DuBRIEUL.
La Dlle l'ARRIVÉE.
Le fieur DURAND.
De Nymphes de DIANE..
Choeurs De Faunes.
De Chaffeurs.
ACTE PREMIER.
Le théâtre repréfente une Forêt confacrée
à DIANE. On voit dans le lointain
le Temple de cette Déeffe.
D.ANS la première fcène , Amintas félicite
Silvie fur la gloire qu'elle acquiert
à la fuite de Diane & fur les maux que
fes charmes font à l'Amour. Silvie déclare
qu'elle fait tout fon bonheur de fe
défendre des traits de l'Amour , & d'i--
miter la fierté de la Déeffe qui la tient
fous .fes loix,
182 MERCURE DE FRANCE.
AMINTAS à Silvie.
» Vous n'avez point de reproche à vous faire .
» L'Amour fans celle éprouve vos rigueurs ;
>> Ce Dieu lit fi bien dans les coeurs ;
>> Devoit- il donc vous donner l'art de plaire .
SILVIE.
» Pour fe venger du mépris de fes feux
» Il offre à mes regards , fous des traits dan-
>>> gereux ,
» Notre amitié dont la douceur le bleſſe ;
» Il me dit qu'il eft dans vos yeux :
» Pour ne pas me livrer à ces foupçons fâcheux
>> J'ai besoin de vous voir fans celle .
Amintas feconde l'erreur de la Nymphe
, en convenant qu'elle ne pourroit
répondre à fa tendreffe , fi l'Amour l'enflammoit,
fans s'expofer à l'inexorable colère
de la Déeffe . Il ajoute , pour mieux
tromper fa confiance ,
» Loin de voir à ce prix combler tous mes defirs
>>A vaincre mon penchant je trouverois des char-*
mes ;
J'aimerois mieux cent fois perdre tous mes
>> 'plaifirs , -
و د
>> Que de les payer de vos larmes
NOVEMBRE 1763. 183 .
La Nymphe flattée de cette captieufe
juftification , fe promet de livrer fon âme .
fans alarines aux douceurs de l'amitié.
>> Non , ( dit- elle à Amintas ) vous n'êtes point
>> amoureux ,
» Je ne vois point en vous l'air fombre & dan-
و ر
55 gereux
"
Que l'Amour donne à ce Faune qui m'aime.
» Mon coeur , qui connoît bien le danger de fes
6
>> feux
» Me dit qu'il faut le fuir avec un foin extrême :
» De ce coupable amour , fi vous brûliez , hélas !
» Mon coeur me diroit bien qu'il faut vous fuir
de même,
33 Et mon coeur ne me le dit pas,
Amintas , fe prêtant toujours à l'illufion
de Silvie , fe joint à elle , dans un
Duo , pour reprocher à l'Amour les peines
qu'il caufe , & pour abjurer fes loix . Les
Nymphes vont fe raffembler dans cet endroit
de la forêt . Amintas veut s'éloigner
de leurs fecrets myſtères , mais Silvie l'aṛ- a
rête, en lui difant que l'Amour feul peut :
les troubler, Les Nymphes arrivent en
danfant , & s'arrêtent en voyant Amintas, ¦.
Silvie les raffure. 1
» Chantez, Nymphes , ( leur dit-elle ) fans crainimdre
la préfence.
Du mortel qui s'offre à vos yeux
184 MERCURE DE FRANCE.
ور
II peut affifter à nos jeux ,
Il brave , comme nous , l'Amour & fa puiffance:
Les Nymphes forment , par différens:
exercices , le ballet le plus agréable & fort
ingénieufement figuré. Les unes mettent
leurs armes en faifceaux , pour danfer au
fon du cor de leurs compagnes ; d'autres
fe défient à la courſe , au javelot ; d'autres
s'exercent à tirer de l'arc : Silvie préfide
à leurs exercices , & fait admirer à
Amintas leur adreffe & leur légereté.
Dans tout le reſte de ce divertiffement ,
Silvie & les Nymphes chantent alternativement
, en duo & en choeur , les avantages
de vivre fous les loix de Diane , &
de fuir celles de l'Amour. Elles invoquent
la Déeffe pour favorifer leurs laborieux
exercices , elles s'arment & partent pour
la chaffe.
La Dile VESTRIS , les Diles ALLARD &
PESLIN exécutoient les entrées les plus
diftinguées de ce divertiffement , qui étoit
rempli d'ailleurs par le corps du baller.
Amintas , dans un monologue , fe plaint
à l'Amour du tourment cruel de dévorer
fes feux en fecret. Il apperçoit Hilas ; il
fe cache pour l'obferver.
Hilas , avec fa fuite , murmure de gémir
depuis long-temps dans les fers des
NOVEMBRE 1765. 185
inhumaines qui ne payent leufs defirs que
d'un fier dédain. Il exhorte fa troupe à
finir leur commun fupplice.
રે
»Que la rufe nous ferve at défaut de l'Amour,
Avec le Choeur.
» C'est trop gémir , c'est trop nous plaindre ;
» Le dépit & l'amour doivent nous animer :
» Nous n'avons fçu nous faire aimer ,
>> Sachons du moins nous faire craindre.
Ce choeur eft particulièrement un de
ceux dont l'effet , en mufique , a été le
plus marqué , & qui ont eu un fuccès général.
Hilas propofe à fes compagnons d'employer
la violence pour enlever à Diane
des coeurs qui font dus à l'Amour.
Lorfqu'Hilas & fa fuite font retirés
Amintas en fottant de l'endroit où il s'étoit
caché , dit :
» Téméraire , tur périras ,
>> Sers un amant fidèle , Amour , arme mon bras.
La fymphonie de l'ent'racte peint une
chaffe interrompue par le bruit des armes.
86 MERCURE DE FRANCE.
A CTE SECON D.
Le théâtre repréfente la forêt de Diane.
Le fond eft occupé par des rochers efcarpés
, entre lefquels roulent des torrents.
Dediftance en diftancefont des grottes confacrées
aux Nayades.
Les Nymphes defcendent précipitamment
des rochers : elles font pourfuivies par des
Faunes qui le font eux - mêmes par des
Chaffeurs qu'anime le foin de fecourir les
Nymphes. Les Faunes font occupés alternativement
à défarmer les Nymphes & à
faire face aux Chaffeurs .
Pendant cette action , qui produit un
tableau animé , les Nymphes , les Faunes
& les Chaffeurs chantent en choeur cha→
cun des paroles analogues à leurs fentimens
& à la fituation , Silvie s'échappe pour
dire ( à part ).
» Veillez fur Amintas , protégez- nous , grands
>> Dieux.
Des Faunes attaquent vivement AMINTAS
, & l'empêchent de joindre HILAS
contre lequel Silvie lance fon trait fans
le bleffer. Le Faune defcendu des rochers
joint Silvie" , elle lui adreffe cette
imprécation.
NOVEMBRE 1765. 187 .
» Mon bras a mal fervi la fureur qui m'anime ,
» Mais ne t'applaudis point , le Ciel , vengeur
» du crime ,
» Aux traits que j'ai lancés ne t'a fait échapper;
Que pour mieux frapper fa victime ;
>> On peut-braver les Dieux , on ne peut les trom-
>> per.
Le reste de la fcène fe paffe en reproches
menaçans de la part d'Hilas , en pro- ,
teftations de haine & d'horreur de la part :
de Silvie , qui implore les Dieux pour
la protéger. Les Faunes ont amené.un char :
attelé de tigres , pour enlever cette Nym-,
phe , qu'un nuage épais dérobe à leur pourfuite.
La terre engloutit le char.
Amintas arrive en ce moment , il a cru
voir Hilas , il croit avoir perdu Silvie &
le fruit de fa victoire , puifque la fuite,
a dérobé le Faune à fes coups..
Hilas reparoît , Amintas lui redemande
Silvie avec fureur. Ils fe rencontrent l'un ,
& l'autre dans un duo. Ils menacent , &
Amintas précipite le Faune du haut des
rochers.
Les Nymphes & les Chaffeurs amenent
fur la fcène les Faunes enchaînés , & célèbrent
enfemble leur commune victoire.
Ce qui forme un divertiffement de chants
& de danfes, entrecoupés , auquel vien188
MERCURE DE FRANCE .
nent fe joindre les Nayades , qui fortent
de leurs grottes , & les Dryades du creux
des arbres , où elles s'étoient renfermées
pendant le combat.
Les Chaffeurs profitent de la circonftance
de leur triomphe & du fecours qu'ils
ont donné aux Nymphes , pour tâcher
de les intéreffer au fuccès de l'Amour.
Diane , irritée des chants qui ont retentis
jufqu'à elle , defcend des airs , pour
reprocher aux Nymphes la foibleffe qu'elles
ont de les écouter , & pour menacer
les Chaffeurs du poids de fon courroux.
Ceux-ci fe retirent.
Diane veut , par un nouveau ferment ,
ranimer le zèle de fes Nymphes. Amintas
appelle Silvie trompé par la voix qu'il
entend , il accourt à celle de la Déeffe
qu'il prendpour Silvie. Il reconnoît Diane,
il est justement effrayé. Nous tranfcrirons
la fin de cette fcène , pour l'intelligence
de l'acte fuivant.
DIANE & AMINTAS
» Tu l'appelles en vain , elle échappe à tes veeur.
>> Contre le Faune & toi j'ai fervi l'innocence.
AMINTA S.
» Croyez-vous que l'Amour ...
NOVEMBRE 1765. 189
DIANE.
» Crois-tu tromper mes yeux ?
» Je ne connois que trop l'ennemi qui m'offenſe :
>> Ce Dieu veut par tes feux triompher en ce jour.;
» Mais je vais te forcer à fervir ma puiſſance :
Nymphes , commencez ma vengeance ,
Dans le coeur d'un amant faiſons gémir l'A
و ر
mour ;
›› Jurez une éternelle haine
» A l'Amour ainfi qu'aux amans.
Les Nymphes répétent les deux derniers
vers & ajoutent :
>> Les douceurs que l'on goûte en évitant fa
chaîne
>> T'affurent de nos coeurs ( à Diane ) bien mieux
» que nos fermens.
DIANE À A MINTAS.
Apprends qu'à mes autels la mort la plus cruelle
» Funiroit la Nymphe rebelle
Qui de fes voeux pourroit fe dégager.
Silvie eft dans mon temple , & tu peux l'
chercher.
>> Sûr des périls où tu l'expoſes ,
Cherche à l'enflammer , fi tu l'ofes .
Diane remonte au Ciel & les Nymshes
répétent le choeur du ferment .
1
190 MERCURE DE FRANCE.
*
ACTE TROISIEM E.
*
Le théâtre repréfente l'intérieur du Temple
de Diane.
L'Amour ,fous la figure d'unjeune Chaffeur.
L'AMOUR à part.
› Diane , des mortels reçoit ici les voeux ,
» Pour y trouver accès je fuis réduit à feindre ;
>> Sous ce déguiſement dérobons à fes yeux
33
›› Le Dieu qu'elle a raiſon de craindre ..
ASPLV1 E ).….
Qu'avec plaifir je me vois en ces lieux !
>> Sans vous j'aurois été victime de la rage
ور
›› De ces audacieux ,
Qui portoient dans nos bois le trouble & le
5 ravage.
» La chaffe occupe mes loisirs ;
>> J'ai fignalé mes, traits par plus d'une victoire ;
» J'ai trouvé l'épouvante où je cherchois la
כ כ
gloire ;
» On s'égare aifément fur les pas des plaifirs.
SILVIE. 7910 :
Jeune enfant , c'eſt l'amour up caufe nos allarmes.
Da of nobl
NOVEMBRE 1765. 191
و ر
L'AMOUR.
L'amour ? eh ! nos plaifirs ont pour lui tant de
>> charmes .
SILVIE.
Puiffiez-vous à jamais ignorer fes rigueurs !
» Quand l'amour a bleffé nos coeurs
» Il fourit en voyant nos larmes :
Le cruel badine avec les armes
» Qui nous font verfer des pleurs.
L'AMOUR.
>> On me l'avoit dépeint fous des traits plus flat
>> teurs .
ŠILVIE.
» Il fait fe déguifer pour tromper l'innocence :
» Nous fommes dans un temple où ce Dieu dan-
"
›› gereux.
>> N'ofa jamais fignaler fa puiffance.
L'AMOUR.
Qu'avec plaisir je me vois en ces lieux ?
» Souffrez que ma reconnoiſſance
» Confacre à ces autels mon offrande & mes
>> voeux. !
( Il porte fes armes en offrande fur l'autel de
DIANE
192 MERCURE DE FRANCE,
» Reçois , Déelle turclaire ,
و ر
» Les armes que j'offre à tes yeux ;
>> Si mon hommage peut te plaire
02
Que je vais être glorieux !
SILVIE.
» Du deftin d'Amintas ne pourriez-vous m'inf
>> truire ?
L'AMOUR.
>> Plaignez cet amant malheureux.
و د
SILVIE.
» Que dites- vous ? l'Amour a-t - il pu le féduire ?
L'AMOUR.
» L'ignorez-vous encore ?
SILVIE.
>> Amintas amoureux !
L'AMOUR.
» Il aimoit une ingrate , il adoroit .... Silvie.
SILVIE
Ciel !
L'AMOUR.
» J'ai vu cet amant généreux
» Pour elle immoler fa vie ;
» J'ai
NOVEMBRE
1765. 19
» J'ai vu fon rival furieux
Le joindre , l'accabler.... Vous frémiſlez ! ..
SILVIE.
Oh ! Dieux !
L'AMOUR.
» Je dois de ce récit vous épargner le refte ,
» Et m'arracher au fpectacle funeſte
» Des larmes qu'il coûte à vos yeux.
| Il fort ).
Silvie déplore le fort d'Amintas. Elle
s'en accufe ; elle veut le venger , elle
prend le trait que l'Amour a dépofé ſur
l'Autel , pour immoler le rival de ce fidèle
amant. Une foibleffe fubite accable
& anéantit fes forces. Puifqu'elle ne peut
venger Amintas , elle fe propofe de le
fuivre , & veut fe frapper du même trait.
Amintas , qui arrive , l'arrête & lui ар-
prend que le Faune eft tombé fous fes
coups.
Dans cette fcène , Amintas dévoile a
Silvie tout l'amour dont il eſt enflammé ;
mais il lui jure en même temps que fa
mort la vengera d'un fentiment fi coupable.
SILVIE.
...
» Ta mort ! Quelle aveugle furie ?
» Tu vengerois Diane & punirois Silvie.
I
194 MERUCRE DE FRANCE .
Le tonnerre gronde , la terre tremble
les deux amans implorent la Déeffe. On
entend un choeur de Nymphes derrière le
théâtre qui demande aux Dieux de les
épargner . Silvie ouvre elle- même les portes
du temple. Elle-même apprend au
Choeur qu'une Nymphe a trahi fes voeux,
LE CHOU R,
» Périffe l'infidelle !
A MINTA S.
>> O Dieux !
SILVIE.
>> Diane la pourfait
LE CHEUR.
Sa haîne eft légitime ,
» Nommez cet objet odieux,
SILVIE.
Vengez -vous. Le remords ne trouble point
>> mes feux :
Plus je vois Amintas , plus j'augmente mon
>> crime .
Il eft temps que j'offre à vos yeux
» Et la coupable & la victime.
Elle prend le trait fur l'Autel , & veut
s'en frapper ; mais le trait ne peut pénétrer.
Silvie est étonnée du prodige. Des
NOVEMBRE 1765. 191
concerts mélodieux en annoncent un autre.
C'eft l'amour qui vient diffiper le
trouble des deux amans. Le Temple de
Diane eft auffi -tôt remplacé par celui de
' Amour , au fond duquel on voit divers
groupes allégoriques & relatifs à ce Dieu.
Les Dieux s'y raffemblent. Les Bergers
& les Bergères y accourent. Apollon y
trouve Iffe. Vénus y rencontre Adonis.
Bacchus , Ariane , Zéphire , Flore , &c.
Tous enfemble forment le divertiſſement
général , dans lequel les danfes font interrompues
par le chant des choeurs , &
par deux airs que chante l'Amour.
Les principaux perfonnages danfans
dans ce ballet , étoient VENUS , la Dlle
GESLIN ( ci- devant ) LANI . ADONIS , le
fieur VESTRIS. APOLLON , le fieur DAUBERVAL
, pour le fieur GARDEL , auquel
il étoit arrivé la veille , à la répétition ,
un accident qui lui a occafionné des bleffures
à une jambe , & que le Roi a eu
la bonté de gratifier à cette occaſion,
Issé , la Dlle GUIMARD. BACCHUS , le
fieur DAUBERVAL . ARIANE , la Dlle
ALLARD. ZEPHIRE , le fieur LEGER. FLORE
, la Dlie PETITOT . NEPTUNE , le fieur
ROGIER . AMYMONE , la Dlle REY. Les
Plaifirs , les Grâces , les Bergers & les Bergères
étoient figurés par le corps du ballet.
Tij
196 MERCURE
DE FRANCE.
Nous avons donné un extrait du poëme
aſſez étendu & aſſez détaillé , pour mettre
le lecteur en état de l'apprécier par
lui-même . Qu'il nous foit permis feulement
d'obſerver , en faveur de l'idée ſpirituelle
du Poëte , qu'il paroît avoir eû
l'intention de peindre dans fon premier
acte l'amour caché fous le voile de l'amitié.
Dans le fecond , l'amour téméraire
& puni. Dans le troifiéme , l'amour déimafqué
, & dont la conftance eft couronnée
.
On a donné des fuffrages bien mérités
à beaucoup de parties dans la mufique du
prologue du premier & du troifième acte.
Il a paru que l'on n'a pas été auffi fatisfait
du fecond acte en général , quoiqu'il
y ait des beautés , & que particulièrement
dans le ballet qui termine cet Opéra ,
on a trouvé l'enſemble des airs pour la
danfe trop nombreux & trop étendu , quoique
le mérite de chaque air ait été fenti ,
& feroit goûté , s'ils n'étoient pas , pour
ainfi dire , en foule , & ne fe détruifoient
pas mutuellement.
Cet Opéra eft le même , pour le titre
& pour le fond du fujet , que celui qui
avoit été donné en 1750 , fur le théâtre
des petits appartemens , par M. LAUJON
pour le poëme , & par M. DE LA GARDE ,
NOVEMBRE 1765. 197
%.
pour la mufique. Il a été changé très- confidérablement
dans le pocine ; & M. DE
LA GARDE , que d'autres occupations
avoient diftrait néceffairement de retravailler
à la mufique , l'avoit cédé à MM.
TRIAL& LE BERTON , de la compofition
defquels , il vient d'être exécuté à la
Cour.
Le mardi 22 Octobre , les Comédiens
François jouèrent le Tuteur dupé , comédie
en vers , ens actes ( par M. CAILHAVA
DESTANDOUX ) donnée à Paris pour la
première fois le 30 Septembre dernier , &
continuée avec fuccès & beaucoup d'applaudiffemens.
On a parlé de cette nouvelle
comédie dans le précédent Mercure
. Les Acteurs étoient les mêmes à la
Cour que ceux qui jouoient cette pièce
à la ville.
Pour feconde pièce , le Philantrope ,
comédieen un acte , en profe , du feu ſieur
LE GRAND
Le fieur BELLECOUR joua Philandre ,
ou l'ami de tout le monde. Le fieur FROMENTIN
, Lifimon , amant d'Hortenfe. Le
fieur MoLt , Faftidas , prodigue. Le
fieur BOURET , l'Avare. Le fieur PREVILLE
, Rondin & le Cocher yvre. Le fieur
DAUBERVAL, Douillet. La Dlle DROUIN
jouoit la femme de Philandre. La Dile
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
DOLIGNY , Hortenfe , & la Dlle BELLE
COUR la fuivante.
Cette pièce a été jugée à la Cour comme
elle l'avoit été à la ville. Tous ceux qui
font en état de fentir le prix du vrai genre
de la comédie & du travail de l'intrigue ,
ont rendu juftice au génie de l'Auteur
& au courage avec lequel il s'eft exposé à
faire reparoître l'ancien genre comique
fur la fcène françoife , un peu énervée par
le larmoyant romancier, ou par le clinquant
des épigrammes & des madrigaux dialogués.
Le jeudi 24 , les mêmes Comédiens
jouèrent la jeune Indienne , comédie en
un acte & en vers , par M. de CHANFORT.
Les Acteurs étoient ainsi qu'à Paris , le
feur PRÉVILLE dans le rôle de Mowbray,
le fieur DAUBERVAL dans celui de Mylfort.
Le fieur Moré , celui de Belion.
Le fieur BOURET , le Notaire. Betti ou
la jeune Indienne , par la Dlle DoLIGNY.
Nous avons rendu compte de cette pièce,
dans le temps de fa nouveauté , & de la
juftice qu'on avoit accordée à fon jeune
Auteur , tant à la Cour qu'à la ville . Quoiqu'elle
ait fouvent reparu au théâtre ,
l'effet en eft toujours auffi agréable. Le
plaifir qu'elle a fait , en dernier lieu , confirme
les premiers fuffrage

NOVEMBRE 1765. 199
Cette comédie fut fuivie d'un ballet
héroïque en un acte , intitulé Palmire
exécuté comme tous les autres Opéras ,
par les fujets de la mufique du Roi , réunis
à ceux de l'Académie Royale.
On a imprimé le poëme de cet Opéra
fous le nom du même M. de CHANFORT,
Auteur de la comédie précédente , lequel
n'a pû refufer cette complaifance au refpectueux
dévouement qu'il doit à un
Seigneur de la Cour , dont il eft particulièrement
aimé & protégé depuis longtemps
( 1 ).
La mufique de M. DE BURY , Surintendant
de la Mufique du Roi en furvivance.
( 1 ) M. DE CHANFORT , dont le talent pour la
pochie eft fuffisamment reconnu , a cru qu'il ſeroit
d'aurant moins compromis en cette occafion , que ,
par déférence pour le même Seigneur , il a réellement
travaillé à quelques parties d'un autre poëme
d'Opéra , qui doit être exécuté à la Cour le 2 du
préfent mois de Novembre.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
EXTRAIT du Poëme de PALMIRE , Ballet
héroïque , en un Acte.
Perfonnages.
LE GRAND PRETRE de l'Amour.
Ateurs chantans.
Le fieur LARRIVÉE.
ZÉLÉNOR , Prince de Chypre. Le fieur JÉLIOTE.
PALMIRE , Reine d'Amathonte.
L'AMOUR ,
UNE VOIX , prononçant l'OLa
Dlle ARNOULD.
La Dlle DUBOIS, L.
Le fieur DURAND. racle.
Choeur de Prêtres. Peuples , Bergers & Bergères.
La Scène eft à Amathonte...
On voit au fond du théâtre un Temple
de l'Amour , dont les portes font ouvertes.
LE Grand- Prêtre de L'AMOUR , fortant
feul du Temple , expofe le fujet du drame
dans le monologue fuivant.
» Zélénor va paroître annoncé par la gloire
›› Sa valeur à fauvé le temple de l'Amour.
» Hélas ! faut - il voir en ce jour ,
>> La Reine devenir le prix de ſa victoire .
On enten d de loin le Peuple
brer en cho ur , la gloire & l'amo trd
de
NOVEMBRE 1765. 201
ZÉLÉNOR. Ces chants irritent la douleur
du Grand -Prêtre. Obligé d'admirer & de
célebrer lui - même le triomphe de fon rival
, il fe promet au moins d'en troubler
le bonheur.
» Fatal Hymen , funeſte jour ,
>> Pour mon coeur déchiré , ta pompe eft un ou →
>> trage !
>> J'éteindrai tes flambeaux dans les bras de
>> l'Amour ,
» Ils ne s'allumeront que du feu de ma rage.
Palmire & Zélénor viennent au temple
de l'Amour , au milieu des chants
d'allégreffe du Peuple qui les fuit . Ils s'adreffent
au Grand- Prêtre , pour préfenter
leurs voeux à Amour. Palmire luidemande
de confulter l'Oracle de ce Diet ,
fur le choix qu'elle a fait de Zélénor..
Les Peuples implorent l'Amour , pour
la félicité des deux Amans . Le Grand-
Prêtre , feignant de fe joindre au voeu ge
néral , fe rétire , avec les Miniftres du
temple , en leur difant :
» Allons prier ce Dieu d'approuver leur ardeur
Qu'il les unifle l'un & l'autre ;
»
>> Lui demander de faire leur bonheur ,
>> C'eſt former des voeux pour le vôtre..
Zélénor & Palmire , reſtés feuls ,, fo
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
livrent au plaifir de s'exprimer leur mutuelle
tendreffe.
Z ÉL É NO R.
» L'excès de ma félicité
» Répend l'yvreffe dans mon âme.
» Mes yeux vous expriment ma flamme ;
» Les vôtres font garants de ma fidélité.
PALMIR E.
» Au plus tendre penchant je me laiſſai con-
» duire ,
Quand je vous vis , je commençai d'aimer.
»J'ignorois le bonheur ; mais mon coeur fut
» m'inftruire,
» Vous avez le don de charmer ,
»Et les autres mortels n'ont que l'art de fé-
>> duire , &c.
Le refte de la fcène eft écrit avec cette
même délicateffe.
Après un duo, très - tendre & très - agréable
en mufique , une fymphonie champêtre
annonce des bergers qui viennent
rendre leurs hommages à la Reine.
}
» L'Amour , ( dit- elle à Zélénor ) , fe plait à les
>> entendre ,
>Pour notre hymen c'eſt un préfage heureux.
NOVEMBRE " 1765. 20.3
ZÉLÉNOR.
» Pour un coeur embrafé de l'ardeur la plus
» tendre,
» Le vrai préfage eft celui de fes feux.
Les Bergers & les Bergères entrent fur
la fcène en danfant. Zelénor les invite à
chanter la beauté de leur Reine. Celle- ci .
la gloire de ZELENOR ; ce qui donne lieu
à un choeur & à de nouvelles danfes ,
interrompues par une très-jolie ariette que
chante Zélénor.
Le Grand-Prêtre revient avec fes Miniftres.
Il adreffe à l'Amour cette invocation
équivoqué.
» Viens , Amour , dicte tes arrêts ,
» Fais le bonheur d'un amant qui t'implore :
» Ne triomphe d'un coeur & n'y lance tes.traits
>>Que pour l'unir à l'objet qu'il adore.
Le choeur des Prêtres répete cette in-
Vocation. Le Grand- Prêtre affecte l'infpiration.
Une voix , qui paroft fortir du
temple , déclare que Palmire ne peut être
unie qu'au Miniftre du Dieu. Cet oracle
défefpère les deux amans. Le Grand-
Prêtre interrompt leurs plaintes , pour leur
faire entendre que chaque inftant les
rend plus coupables. Il veut emmener
I vj
MERCURE DE FRANCE.
Palmire aux autels , pour fatisfaire fur le
champ aux volontés du Dieu . Zélénor
excite les Peuples à s'oppofer, avec lui , à
cette violence.
»
ZÉLÉNOR avec le CHOEUR .
SJe ne fouffrirai
Non , non , Nous ne
fouffrirons
?
pas..
» Quelle
Ş
{
me
foit ravie.
te
&fa fuise..
mes
fes
:}
droits..
LE GRAND - PRETRE
Soutiens ta puillance &
» Amour , on méprife tes loix. ,,
>> Viens effrayer la terre
b. Du fouverain des Dieux emprunte le tonnèrre
Le tonnèrre fe fait entendre . Palmire &
Zélénor , effrayés , croyent fe voir pour
la dernière fois . Le Grand - Prêtre , étonné
, attend avec inquiétude l'événement
d'un prodige qu'il n'attendoit pas. L'AMOUR
paroit.
L'AMOUR,
> En vain à mes projets vous voulez mettre
>> obftacle .
35 Pour les faire accomplir je defcends en ces
>> lieux.
» Tremblez Mortels audacieux
Et fou mettez- vous à l'oracle.
NOVEMBRE 1765. 209
Palmire & Zélénor font plongés dans
la douleur , par cette menace générale ..
Le Grand- Prêtre , au contraitre , en conçoit
un efpoir qui l'étonne.
» Qu'entends -je ? ( dit-il )
PALMIRE & ZÉLÉNO r.-
>> Jufte Ciel !
L'AMOUR au grand Prêtre..
>> Et toi de mes Autels
".
» Miniftre coupable & parjure ,
» Je vais faire éclater tes complots criminels ;
» Je vais punir ton impofture..
Tu trompas ces amans par un oracle faux ;;
» Il va fervir à faire ton fupplice.
» Pour augmenter ta honte & terminer leurs
›› maux ,
» Je veux que l'hymen les uniffe.
» Zélénor , préfidez dans ce Temple facré ;
> L'oracle eft accompli , je vous joins à Pal-
>> mire.
à
Les deux amants fe félicitent d'un
bonheur fi imprévu , & rendent graces
l'Amour , par un duo qui termine cette:
fcène. Le Grand - Prêtre fuit. L'AMOUR..
adreffe aux jeunes époux les vers fuivans ..
206 MERCURE DE FRANCE
» Vousqui brûlez d'une fi belle flamme ,
» Tendres amans , livrez -vous aux defirs ;
» Vous reffentirez dans votre ame
» Que je fuis le Dieu des plaifirs ;
» Le bonheur vous rendra fidèles.
» Formez des voeux , je les remplirai tous.
» Je fuis le tyran des jaloux ,
» Mais je fuis l'esclave des belles .
L'Amour ordonne aux plaifirs de fe
tranfporter à l'inftant pour retracer_dans
leurs jeux fa victoire fur la Déeffe des
forêts.
Le théâtre change fur le champ , & les
plaifirs exécutent , en préſence de Palmire
& de Zélénor , le ballet dont nous allons
tranfcrire le programme.
ACTEURS DANSANS dans la
Pantomime.
AMOURS.
Le fieur Simonet.
Les feurs Francifque , Beaulieu , Céfar , Durand,
Lefevre , Alexis .
Les Diles Leclerc , Leroy , Adelaide , Chevrier ,
Dervieux , Odinot , Pichard.
DIANE.
La Dlle Veftris.
MYMPHES DE DIANE
Les Diles Geflin , Allard
NOVEMBRE 1765. 207
Les Dlles Petitot , Saint- Martin , Godeau , La
fond , Lacroix , Baffe.
ENDIMION.
Le feur Veftris.
AMANS HEUREUX.
Le fieur Dauberval. La Dlle Guimard.
BERGER'S & BERGERES.
Les mêmes du Divertiffement de l'Acte d'Opéra
SONGES.
Les Sieurs Béat , Cezeren , Grenier , Gongi
Les Diles Lahaye , Cornu , Pagès , Rey
Les Heures de la Nuit.
Le Silence , le Myſtère , &c.
LA VENGEANCE de L'AMOUR, ou
DIANE & ENDIMION
Héroïque , en trois actes.
Pantomime
ACTE PREMIER.
Le théâtre repréfente une forêt. Plufieurs forges
galamment ornées font placées dans des buiffons
UNE troupe d'amours entre fur la scène fous
la conduite de leur chef. Les uns travaillent fur
Zo8 MERCURE DE FRANCE .
>
des enclumes à forger des fers de fêches ; d'autres
les aiguiffent ; d'autres arrondiffent des
arcs quelques - uns les tendent , & effaient
leurs traits en tirant à des blancs fufpendus
aux arbres . La fatigue aloupit fucceffivement
les Amours. Ils tombent les uns après les
autres , fur le gazon, pour y prendre du repos.
Lorfqu'ils font endormis , on voit paroître
quelques Nymphes de Diane. Elles marquent de la
crainte en appercevant les Amours . Quelquesunes
avancent avec timidité ; elles fuient au
moindre bruit qu'elles croient entendre , au
moindre mouvement que font quelques Amours .
en dormant.
Enfin elles font figne à leurs compagnes d'approcher
, elles vont au devant d'elles & reviennent
toutes enſemble pour s'encourager mutuellement..
Peu-à-peu elles s'enhardiffent ; elles approchent
& profitent du fommeil des Amours pour les dé
farmer & pour brifer leurs arcs & leurs flêches.
Devenues encore plus hardies par ce fuccès , une
d'entr'elles va allumer une torche de branchages
au feu des forges , tandis que les autres font un
monceau des armes brifées auquel elles mettent
le feu , & fe retirent précipitamment.
C+
Les Amours le reveillent , ils voient avec douleur
le ravage que les Nymphes ont fait . Un
d'entre eux trouve un trait échappé à leur fureur ,
il s'en faifit , il le remet à l'Amour principal ,
qui le montre à la troupe comme l'inftrument
d'une vengeance prochaine. Ils fortent tous de la
fcène , pour le mettre en embuscade dans différens
endroits de la forêt.
Diane vient avec fes Nymphes , qui lui font
remarquer les débris des armes qu'elles ont brifées.
La Déeffe leur ordonne d'aller tendre des filets
aux environs. Les Nymphes s'éloignent pour
NOVEMBRE 1765. 209
exécuter cet ordre. Quelques - unes reſtent auprès
de Diane pour la féliciter de l'avantage qu'on
vient de remporter fur les Amours .
On apperçoit un grand mouvement dans les
filets ; tou es les Nymphes y courent . Diane attend
avec impatience qu'on lui amene fa proie. Les
Nymphes reviennent & conduifent Endimion
enchaîné avec des guirlandes de feuilles . Il paroît
leur demander grace. Il follicite en vain leur pitié
, fes prières ne font qu'irriter leur barbarie .
Une d'entre elles veut le percer de fon javelot.
Diane le faifit & fait entendre qu'elle veut ellemême
punir le téméraire. Les Nymphes fe retirent.
Diane fe difpofe à immoler la victime : Endimion
implore faclémence. La Déeffe paroît inexorable.
Il ſe jette à les pieds , elle détourne ſes regards
, & cependant fufpend le coup fatal . Enfin
, elle fixe les yeux fur Endimion , & lui tend
la main pour le relever ; il lui témoigne fa reconnoiffance
; elle paroît le voir avec plaifir
ils danfent un pas de deux , & les regards de la
Déelle expriment au jeune berger les fentimens
les plus flatteurs .
Les Nymphes reviennent ; elles paroiffent furpriſes
de la clémence de Diane. Un nuage dérobe
Endimion à leur colère .
ACTE SECON D.
Le théâtre repréſente une grotte au fond de la
forêt.
L'Amour porté par des Faunes fur'un trône de
fleurs , entre en triomphe fur la ſcène ,
accompagné
d'une troupe d'Amours , de Bergers &
Bergères , qui célèbrent par leurs danfes
ictoire de ce Dieu .
210 MERCURE DE FRANCÉ.
La grotte s'ouvre aux ordres de l'Amour. On
y voit Endimion endormi. Le Silence , le Myftère
& les Songes l'environnent.
Les Songes forment des danfes d'enchantement.
Un pas de deux amans , que l'Amour enchaîne
& que le Mystère couronne , peint à Endimion
la gloire qui lui eft deftinée.
Diane furvient. A fon approche toute la troupe
fe retire , & les Amours le cachent dans les environs.
Diane touche Endimion de fon arc ; il
s'éveille ; il court avec empreſſement à la Déeſſe
qui , dans un pas de deux , exprime toute fa tendreffe
& annonce le rang glorieux auquel elle va
l'élever .
ACTE TROISIE MÉ.
Le théâtre repréfente le palais de la Lune , préparé
pour célébrer l'hymen de Diane & d'Endimion.
La Déeſſe eſt ſur un trône brillant avec Endimion
, & environnée de toute fa Cour , à laquelle
s'eft jointe la Troupe des Amours & les
fuivans d'Endimion , unis aux Nymphes de
Diane. Tous enſemble célébrent par leurs danfes
la victoire de l'Amour & le bonheur d'Endimion
; ce qui forme le divertiffement général
, à la fin duquel la Déeffe vient elle-même
fe joindre , pour danfer avec Endimion , qu'elle
couronne d'une guirlande d'étoiles brillantes.
Les diverfes parties du fpectacle combiné
de ce jour , ont produit en général
un effet fort agréable , varié & terminé
avec la pompe & l'éclat convenables au
théâtre de la Cour.
NOVEMBRE 1765. 211
Le poëme de l'Opéra , qui fuccedoit à
la jolie Comédie de la Jeune Indienne ,
eft élégament écrit & avec efprit ; il a le
degré d'intérêt , que peut comporter un
fujet renfermé dans l'efpace d'un feul
acte & affez court. On a dû voir , par
l'extrait , qu'il eft coupé avec beaucoup
d'art , de manière à ne point fatiguer par
une longue fuite de choeurs & de mufique
travaillée , ni à languir dans l'étendue
de fcènes trop prolongées.
Le Muficien a fecondé l'objet du Poëte.
La mufique de fon recitatif déclame bien ;
elle eft expreflive & allez correctement
Scandée , mérite qui devient plus rare
de jour en jour ) , naturelle fans monotonie
, chantante facilement , & favorable
aux beaux tons des voix .
Les rôles de cet Opéra furent parfaite
ment exécutés. La Dile ARNOUD employa
dans celui de Palmire tout l'intéreffant
de fon chant & de fon jeu , avec
la précifion & le foin qui décident l'excellence
de l'exécution. Quant au fieur
JELIOTTE , il feroit difficile de donner
une idée jufte de fa voix & de fon art ,
au petit nombre de nos lecteurs qui ne
l'ont pas entendu ; il fuffira d'apprendre
aux autres que , très- exactement & fans
aucune illufion , il chanta le rôle de ZÉLÉ-
NOR comme il l'auroit joué & chanté
*
212 MERCURE DE FRANCE.
il y a 15 ans , dans un des jours où il
auroit été le mieux difpofé. Le fieur
LARRIVÉE fit dans le rôle du Grand-
Prêtre , le plaifir que le Public eft accoutumé
à prendre toutes les fois qu'il entend
cet acteur dans des rôles favorables au
beau timbre & à l'agrément de fa voix
& de fon talent. Le Rôle de l'Amour peu
étendu , mais agréable , acquit encore un
nouveau mérite par la belle voix de la
Dlle DUBOIS . Il y avoit des choeurs d'un
fort bel effet , & qui furent bien exécutés
, ainsi que les duos & autres morceaux
de mufique , auxquels il eſt dû ,
à bon titre , une diftinction honorable:
La Pantomime offroit une multitude
de tableaux fucceffifs , agréables & inté
reffans. Elle a été ingénieufement dirigée
par le Maître de ballet , & exécutée avec
une précifion furprenante , fi l'on a égard
au détail infini de tous les foins & de l'exercice
répété qu'éxige cette forte de
ballets , en même tems au petit nombre de
répétitions que peut laiffer un fervice auffe
continuellement varié que celui des fpectacles
de ce voyage , au peu de pratique ,
en ce genre , de la plupart des fujets du
ballet en France , & fur- tour à l'embarras
d'un local refferré dans lequel on a à
faire jouer une foule de perfonnages , &
beaucoup de machines. Cependant , tous
NOVEMBRE 1765. 213
les principaux fujets de la danfe , tels que
les Dlles GESLIN & ALLARD , ont rendu
avec autant de grâces que de jufteffe la
vérité d'action dans les parties où elles
étoient employées , fans rien faire perdre
aux Spectateurs de leur talent ordinaire
dans la danfe. Le fieur VESTRIS & la
Dlle fa foeur ont exécuté en acteurs , &
peint avec beaucoup de vérité l'action de
DIANE voulant immoler ENDIMION,
Nous avons cru inutile de répéter que
tous les ballets qui s'exécutent fur le
théâtre de la Cour font de la compofition
de MM. LAVAL , père & fils , Compofiteurs
des Ballets du Roi. Celui - ci eft un
de ceux qui doit faire le plus d'honneur
au talent de M. LAVAL le fils . Le genre
de ia Pantomime héroïque eft pou ou mal
connu ici. Il mériteroit d'être encouragé
, attendu les reffources qu'il fourniroit
pour la variété des fpectacles . C'eſt
d'ailleurs , peut- être , la véritable & la
feule danfe théâtrale . D'autres l'ont remarqué
avant nous ; & pour foutenir ce
fentiment on trouveroit de puiffantes autorités
dans tous les Auteurs anciens , &
dans plufieurs des modernes qui ont écrit
fur les fpectacles.
La dernière décoration du ballet pantomime,
étoit du plus grand effet. Le palais
de la Lune en étoit le fujet . On a
214 MERCURE DE FRANCE .
peu vu au théâtre de décorations , dont
les plans & les percés fuffent mieux enrendus
& mieux développés. Ce palais pafoît
être établi dans les airs . De diſtance
en diſtance , on voit le Ciel parfemé d'étoiles
à travers les vuides des plafonds ,
& accompagner les colonnes ifolées des
côtés. Toute l'ordonnance eft d'ordre
ionique , bleu célefte , cannclures d'argent
brillant ; ornemens des bafes , des
chapiteaux, des archivoltes, de même métal
, avec des étoiles brillantes. Sous une
coupole du fond , étoit le trône de la
Déeffe , furmonté d'un pavillon argent , &
rideaux de même . Le trône , fés marches ,
la calotte du pavillon , & les retrouffés des
rideaux , étoient entièrement couverts de
diamans blancs , montés en fin , & en
imitant tout l'effet. Un grand croiffant
de cryſtal , éclairé en tranfparent , paffoit
fous le fiége du trône & paroiffoit le foutenir.
Les heures de la nuit , les fonges
& les amours étoient pittorefquement
groupés autour du trône, fur lequel étoient
affis DIANE & ENDIMION au moment du
changement.
L'ornement de ce trône , du pavillon ,
& de fes acceffoires , étoit du goût & de
l'exécution de M. LÉVÊQUE , Garde-Général
des menus Plaifirs du Roi ( 1 ) .
( 1) A l'occafion de M, LEVESQUE , auquel
NOVEMBRE 1765. 215 .
On donnera l'article des Spectacles de
Paris dans le prochain Mercure.
feul appartient cette qualité de Garde général des
Menus- Plaifirs du Roi , par Brevet , un Particulier
, nommé le fieur LACOTE , a pris , très -indifcrétement
& fans titre , cette même qualité dans
un avis inféré dans la feuille des petites affiches
du Lundi 28 Octobre.
APPROBATION,
J'Ax lu , par ordre de Monſeigneur le Vice-
Chancelier , le Mercure du mois de Novembre
1765 , & je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion. A Paris , ce premier Novembre
1765. GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE,
ARTICLE PREMIER.
SUITE UITE des réflexions fur la Littérature de
M. B *** . Page
21
26
ODE au Roi , fur la ftatue de Reims.
INSCRIPTION pour la ftatue de Reims.
ADIR & Zimar , Apologue Oriental .
MADRIGAL d'Alexis Pyron , à Mlle de Poix. 28
RÉPONSE de Mlle de Poix,
PORTRAIT de Mlle L. C. de B....
27
29
ibid.
COPIE d'un manufcrit dont l'original eft confervé
dans les archives de la Maifon de la Force 3x
VERS à l'occafion de ceux qui ont été préſentés
au Roi , au fujet de la cinquantième année
de fon règne, 15
216 MERCURE DE FRANCE.
VERS à M. Greufe , Peintre.
A un Grand.
52
f3
ibid.
VERS à Mile R.. 55
56
$ 7
LA Tourterelle , Idylle .
...
AUTRES à la même .
SIDNEY. Anecdote Angloife.
EPÎTRE à M. Lorry , Docteur en Médecine . 67
A Mde la Maréchale de Luxembourg.
A Mile Mazarelly.
ENIGMES.
LOGOGRYPHES .
LE Tombeau de Laure ou les Regrets de Pétrarque
, Romance .
ARTICLE II , NOUVELLES LITTÉRAIRES .
DISSERTATION pour prouver l'identité des
mots Savegium & Suciacum.
71
72
73
75
77
80
LETTRE à l'Auteur du Mercure fur un Plagiat . 93
LETTRE à l'Auteur du Mercure fur une épigramme
de Rouffeau.
ABRÉGÉ de la Morale Chrétienne , &c.
96
COURS d'Hiftoire & deGéographie univerfelle.104
DICTIONNAIRE du vieux langage françois .
9.9
114
ANNONCES de Livres. 117
ARTICLE III . SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ARCHITECTURE. 133
MÉCHANIQUES .
145
ARTICLE IV. BEAUX ARTS.
ARTS UTILES . Chirurgie. 148
ARTS AGRÉABLES . Suite des obfervations fur
les ouvrages de peinture , ſculpture , &c .
expofés au Louvre.
ART. V. SPECTACLES.
SUITE des Spectacles de la Cour à Fontainebleau.
161
174
De l'Imprimerie de LOUIS CELLÓT , rue
Dauphine.
MERCURE
DE
FRANCE,
DÉDIÉ AURO I.
DÉCEMBRE 1765.
Diverfité , c'est ma devije. La Fontaine .
Chez.
Cosisin
Sitesin
A PARIS,
-CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis -à-vis la Comédie Françoife.
PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Sain: Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques .
CELLOT , Imprimeur rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilége du Roi

AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer
francs de
port , les paquets & lettres ,
pour remettre , quant à la partie littéraire ,
à M. DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols ;
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
a raifon de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles
on enverra le Mercure par la Pofte
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront d'autres voies que
la Pofte pour le faire venir , & qui prendront
les frais du port fur leur compte ,
ne payeront comme à Paris , qu'à raison
de 30 fols par volume , c'est-à- dire , 24 liv.
d'avance , en s'abonnant pourſeize volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
A ij
'étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreſſe ci- deffus.
On Supplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la Pofte , en payant le droit ,
leurs ordres , afin que le paiement en foit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoient des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix,
Le Nouveau Choix de Pieces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M. DE
LA PLACE , fe trouve auffi au Bureau du
Mercure. Cette collection eft compofée de
cent huit volumes. On en a fait une
Table générale , par laquelle ce Recueil
eft terminé ; les Journaux ne fourniffant
plus un affez grand nombre de pieces pour
le continuer. Cette Table fe vend féparément
au même Bureau,
1
Coste
MERCURE
DE FRANCE.
DÉCEMBRE 1765.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN. PROSE.
SUITE DES RÉFLEXIONS SUR LA
LITTÉRATURE , DE M. B ***.
L
CHAPITRE VIII.
Sur l'Humeur.
HUMEUR eft fouvent une maladie
accidentelle de l'efprit , elle altère notre
manière d'être , elle nous modifie , pour
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
ainfi dire , à fon gré , en variant brufquement
nos goûts & nos volontés ; en un
mot , elle détend le reffort de notre exiftence
habituelle lorfqu'elle ne fait pas ellemême
le fond de notre caractère .
Les fources principales de l'humeur chez
les hommes font le mécontentement , l'amour-
propre bleffé , la ruine des organes
& la mauvaiſe difpofition du corps. De
toutes les humeurs celles qui font produites
par cette dernière caufe font les plus excufables
, parce qu'il n'appartient pas à tous
les hommes d'avoir ce degré fupérieur de
philofophie qui oſe aſpirer à triompher
même des douleurs.
Il ne faut pas confondre l'humeur avec
la trifteffe ni avec la mélancolie. Cette
dernière fur-tout eft une habitude plus
conftante des efprits , compatible avec
l'héroïfme & même avec la fageffe , puifque
Platon , Hercule & Socrate , au rapport
d'Ariftote , furent d'un tempéramment
mélancolique .
L'humeur , au contraire , dans l'acception
commune , n'eft qu'un dégoût intermittent
, une déplaifance paffagère des
mêmes chofes qui précédemment à l'accès
étoient & peuvent devenir encore les objets
du defir & de la fatisfaction.
Ce mécontent , dont le bonheur de l'Etat
DECEMBRE 1765
ne produit point la joie , fut citoyen tant
qu'on laiffa quelque efpoir à fes vues
ambitieufes. Il fronde aujourd'hui.ce qu'il
élevoit hier , il fut efclave de ce Miniftre
qu'il infulte , il le fera demain fi les regards
mêmes équivoques de la faveur
viennent à retomber fur lui.
Cléarque n'étoit ce matin de l'humeur
la plus riante que parce qu'il n'avoit encore
eu à plaire qu'à lui- même ; mais il quitte
des gens qui n'ont point été frappés de
fon mérite , & fur lefquels a gliffé rapidement
tout l'efprit qu'il a cru mettre en
ufage; convenezavec lui que la fociété n'eft
plus tenable , qu'elle n'eft compofée que
de ftupides & d'envieux. Si Cléarque ,
écoutant les cris de fon orgueil offenfé ,
prend la plume , quels tableaux il va faire
de nos moeurs ! Il n'y auroit qu'une choſe
à craindre , c'eft que l'activité de fon humeur
ne le rendît fupérieur à lui - même &
qu'il n'étendît par- là fa réputation ; Cléarque
alors feroit incorrigible , il fe voueroit
à une humeur éternelle.
On remarque ( dit - on ) plus d'humeur
chez les femmes que chez les hommes :
c'eft que ceux- ci ne peuvent pas toujours
s'y livrer avec autant d'impunité . D'ail
leurs le caractère doit être en général plus
A iv
MERCURE DE FRANCE.
décidé chez eux ,
d'éducation ,
à raifon de la différence
Les femmes ne favent pas plus fe contraindre
avec les hommes que les grands
avec leurs inférieurs , parce que la politeffe
ou pour mieux dire la foupleffe de nos
moeurs les laiffe croire qu'elles font faites
pour donner la loi . On peut foupçonner
comment les femmes peuvent le penſer.
Mais pourquoi les grands le croiroient- ils ?
L'humeur chez les femmes varie quelquefois
à l'infini ; il en eft d'une eſpèce
incroyable. Lindor eft aimé , on a tout
quitté pour lui , on quitteroit tout encore ,
on n'eft heureux & que par lui & qu'avec
lui ; les brillantes diffipations du monde
ont perdu leurs attraits , le feul Lindor tient
lieu de tout , l'âme a réuni tous fes rayons
fur lui ; comment fe fait- il que Lindor
efluie des inégalités , des humeurs auffi
multipliées qu'imprévues ? C'eft qu'on fe
fe venge du joug qu'il a fçu trop bien
impofer. C'eft qu'on le punit de la dure
néceffité où il a réduit un coeur de n'aimer
que lui , de ne fonger à plaire qu'à lui &
de renoncer aux droits qu'on pourroit avoir
d'en enchaîner quelqu'autre. Etonnante inquiétude
de l'efprit humain , auffi induſtrieux
à empoifonner fon propre bonheur
qu'avide de fe le procurer !
DECEMBRE 1765.
Pourquoi vouloir adoucir l'expreffion ?
L'humeur eft une efpèce de folie. Plus il
y de raifon & de bon fens dans une tête ,
moins elle eſt fufceptible de cette fiévre.
CHAPITRE I X.
Sur le joli.
Si quid enim placet ,
Si quid dulce hominum fenfibus influit ,
Debentur lepidis omnia gratis. Horat.
IL eft affez étonnant que nous ayons
dans notre langue plufieurs traités eftimés
fur le Beau, tandis que cette idole à laquelle
on nous accufe de facrifier fans ceffe n'a
point encore trouvé de panégyriftés parmi
nous. La plus jolie nation du monde n'a
prefque rien dit encore fur le joli.
Ce filence ne reffembleroit- il pas au
faint refpect qui défendoit aux premiers
Romains d'ofer repréfenter les Dieux protecteurs
de la patrie , ni par des ftatues , ni
par des peintures , dans la crainte religieufe
de donner de ces Dieux des idées trop foibles
& trop humaines ? Car on ne fauroit
penfer que nous rougiffions de nos avantages
; le plaifir d'être le peuple le plus.
aimable, doit nous confoler un pea du ridicule
dont on taxe les foins que nous prenons
de le paroître.
Av
MERCURE DE FRANCE.
Quels juges d'ailleurs que des rivaux !
L'étranger , dont les moeurs & l'efprit n'ont
ni le liant ni l'aifance des nôtres , eft fait
pour juger affez mal de nous. Eh , qu'importe
aux François l'opinion fauffe qu'on
peut fe faire de leurs charmes ? Heureux , fi
par une légèreté trop peu limitée , ils ne
détruifoient pas cette efpèce d'agrémens
qui leur font propres , en croyant les multiplier
! L'affectation eft à côté des grâces ,
& toute exagération fait franchir les bornes
qui les féparent.
Les Philofophes les plus célèbres ont
approuvé le culte de ces divinités riantes ,
leur image enchantereffe fortit des mains
du plus fage de tous les Grecs ; il eſt vrai
que le cifeau de Socrate les avoit enveloppées
d'un voile que peut - être nous avons
laiffé tomber , comme firent les Athéniens.
Speufippe , difciplę & fucceffeur de Plazon
, embellit auffi du portrait des grâces ,
la même école où fon maître avoit éclairé
le paganifie par les lumières de la plus
haute fageffe humaine. Eh , qui ne fait le
confeil que donnoit Platon lui- même à
Zénocrate , dont il ne pouvoit fouffrir la
pédante & triſte ſévérité ?
Voilà bien de l'aménité pour des Philofophes
tels qu'on fe les peint fans les
connoître , & pour des fiècles que nous
DECEMBRE 1765. II
croyons fi différens des nôtres ; mais qu'on
réfléchiffe que la nature nous a donné dans
tout les temps l'idée des grâces , en nous
offrant des tableaux qui femblent être leur
ouvrage. Elle ne veut pas toujours nous
affervir fous le joug de l'admiration ; cette
mère tendre & careffante cherche fouvent
à nous plaire.
Si le beau qui nous frappe & nous tranfporte
annonce fa richeffe & fa magnificence
, le joli n'eft- il pas un de fes plus
doux bienfaits ? Elle femble quelquefois
s'épuifer ( fi je l'ofe dire ) en galanteries
ingénieufes pour agiter agréablement notre
coeur & nos fens , & pour leur porter
fentiment délicieux & le germe des plaifirs.
le
L'éclatante aurore , le cours réglé des
aftres , de grands phénomènes , la majeſté
du firmament , voilà ( dit M. Cartaut de la
Vilate ) ce qui à le pouvoir de fixer nos
hommages ; mais qui peut peindre le fecret
& tendre intérêt qu'infpire le riant afpect
d'un tapis émaillé par le fouffle de Flore
& la main du printemps ? Que ne dit point
aux coeurs fenfibles ce bocage fimple &
fans art , que le ramage de mille amans
aîlés , que la fraîcheur de l'ombre & l'onde
émué des ruiffeaux favent rendre fi délicieux
?
Il faut être de bonne foi : notre goût ,
A vj
12 MERCURÉ DE FRANCE.
trop général pour le joli , fuppofe parmi
nous un peu moins de ces âmes gigantef
ques & tournées aux brillantes prétentions
de l'héroïfme , que de ces âmes naturelles ,
délicates , molles & fenfibles , à qui l'efprit
de fociété doit fes enchantemens . Les raifons
du climat & du gouvernement que
le Platon de notre âge , dans la plus urile
de fes productions , donne fouvent pour la
fource des actions des hommes , font peutêtre
les véritables caufes de nos avantages
fur les autres nations par rapport au joli.
Cet Empire du Nord , enlevé fous nos
yeux à fon ancienne barbarie par les travaux
& le génie du plus grand de fes Rois ,
pourroi il arracher de nos mains & la cou
ronne des Grâces & la ceinture de Vénus ?
7. Le phyfique y mettroit trop d'obſtacles
cependant il peut naître fur les rives du
Wolga quelqu'un de ces hommes infpirés
courageufement , qui nous difpute un jour
la palme du génie, parce que le fublime
& le beau font plus indépendans des caufes
dont on vient de parler.
T
Ce phantôme fanglant de la liberté , qui
avoit caufé tant de troubles chez les Romains
, avoit difparu fous l'héritier & le
neveu de Céfar la paix ramena l'abondance
, & celle - ci ne permit de fonger au
Bouveau joug que pour en recueillir les
DECEMBRE 1765. If
fruits . L'intérêt de la chofe publique ne
regardoit plus qu'un feul homme , & dèslors
tous les autres purent ne s'occuper que,
de leur bonheur & de leurs plaifirs . Orez
les grands intérêts , les vaftes paflions aux
hommes , vous les ramenez à des fentimens
plus
doux
l'art
de
jouir
devient
de tous
les arts
le plus
précieux
; de là naquirent
bientôt
le goût
& la délicateffe
; il falloit
:
cette
révolution
aux
vers
que
foupira
Tibulle
.
Tel eft à peu près le tableau de ce qui
fe paffa fous Louis le Grand. Tandis que
Corneille étonne & ravit , les Grâces & le
Dieu du goût préparent les jours fereins
de leur raiffance . Voiture paroît les annoncer
; fes contemporains fourient à l'efpérance
de les voir ; mais les jours heureux
des plaiſirs délicats , les jours de l'urbanité
françoife n'étoient encore qu'à leur crépufcule.
Le rétabliffement de l'autorité ,
d'où dépend la tranquillité publique , les
vit enfin dans tout leur éclat..
Les François perfectionnèrent leurs fens
ou plutôt en acquirent un fixième. Ils virent
ce qui jufques- là n'avoit que foiblement
frappé leurs yeux. Une fenfibilité plus fine ,
fans être moins profonde , remplit leurs
âmes ; leurs talens de plaire & d'être heureux
, une douce aifance dans la vie , une
14 MERCURE DE FRANCE.
aménité dans les moeurs , une attention
fecrète & fuivie à varier leurs amufemens
& à diftinguer les nuances diverfes de tous
les objets , leur firent adorer les Grâces ; la
beauté ne fut plus que leur égale , ils fentirent
même que les premières les entraînoient
avec plus de douceur , ils fe livrèrent
à leurs chaînes de fleurs. Bachaumont &
Chapelle firent affeoir les Grâces à côté
des Mufes les plus fières , tandis que la
bonne compagnie de ce' temps heureux
faifoit de tout Paris le temple que ces
Divinités devoient préférer au refte de la
terre.
C'est à de certaines âmes privilégiées
que femble être confié le foin de polir celles
des autres. Tous les fentimens , tous les
goûts de ces premières fe répandent infenfi
blement & donnent bientôt le ton général .
Telle étoit l'âme de cette Ninon fi vantée ;
telles étoient celles de plufieurs autres per
fonnes qui vécurent avec cette fille éton→
nante , & qui l'aidèrent à dépouiller les
paffions , les plaifirs , les arts , le génie , les
vertus même (1 ) de ce refte de gothique
qui nuifoit encore à leurs attraits.
L'intérêt du plaifir vient - il fe joindre
au befoin d'imiter qu'apportent tous les
( 1 ) On n'entend parler ici que des vertus dans
Fordre civil & non dans l'ordre religieux,
DECEMBRE 1765. is
hommes en naiffant ? tout leur devient
facile & naturel , tout s'imprime aifément
chez eux , il ne leur faut que des modèles.
On ne doit pas être furpris que les François
qui vivoient fous Henri II, aient été fi
différens de nous ; les Grâces pouvoientelles
habiter une cour qui pendant l'hiver
s'amufoit, comme dit Brantome , à faire
des baftions &combats à pelotes de neige , ou
à glifferfur laglace ? Où pouvoit être alors
l'idée du joli ?
Le germe de cette qualité diftinctive
pour nous étoit fans doute dans le fein de
la nation , elle s'y étoit annoncée quelquefois
fous la plume de quelques - uns de fes
Ecrivains mais le feu d'un éclair n'eſt pas
plus prompt à difparoître ; ce gerine étoit
bientôt enfoui fous les obftacles que lui
oppofoient fans ceffe & l'ignorance & la
barbarie l'influence du climat cédoit à
cet égard aux circonftances.
:
Tout concouroit au contraire,fous Louis
le Grand , à répandre fur fes fujets cette
férénité d'efprit , cette Aeur d'agrément qui
en firent la plus jolie nation du monde.
Quelle rage aux Melfinois ( dit le modèle
du plus joli ftyle épiftolaire ) d'avoir tant
d'averfion pour les François qui font ſi aimables
& fijolis !
Ils euffent pouffé trop loin fans doute
16 MERCURE DE FRANCE.
cette qualité , s'ils euffent ofé mettre le joli
généralement pris en concurrence avec le
beau ; l'avantage doit demeurer au dernier .
Nous voyons cependant qu'il ne fait pas
toujours fon effet , parce qu'il n'eft pas
toujours aifé de s'élever jufqu'à lui . Il eft
plus rare au contraire qu'on nous préfente
quelque chofe de joli qui manque de nous.
affecter & de nous émouvoir agréablement ;
on court à ce qui va le plus au coeur. Eh ,
le moyen de ne pas recueillir toute fa fenfibilité
fur les objets qui la follicitent !
2
C'eſt à l'âme que le beau s'adreffe , c'eſt
aux fens que parle le joli ; & s'il eft vrai
que nous nous laiffions un peu conduire
par eux , c'eſt par- là qu'on verra chez nous
le plus grand nombre des yeux attachés
tendrement fur les charmes d'un joli jardin
deffiné & planté avec goût , tandis
qu'ils feront lentement furpris des beautés
courageufes du Louvre ; c'eft par-là qu'un
chanfonnier aimable , un rimeur plaifant
& facile , un écrivain léger d'hiftoriettes
ou de contes, feront courus & careffés plus
que l'homme de génie ; c'eft enfin par - là
que le je ne fai quoi dans les femmes effacera
la beauté , & qu'on fera tenté de croire
qu'elle n'eft bonne qu'à aller exciter des
jalousies & des fcènes tragiques dans un
férail.
DECEMBRE 1765. 17
Quelqu'un a dit , que l'agrément eft
comme un vent léger & à fleur de furface ,
qui donne aux facultés antérieures une certaine
mobilité , de la foupleffe & de la viva
cité. Mais cette définition précieufe & péni
ble , donne - t- elle de fon objet une idée
fatisfaifante ? Le joli ne fe définit point ;
c'eft le fecret de la nature riante.
Les oracles de la langue ont dit que
c'étoit un diminutifdu beau . Mais où eft le
rapport du terme primitif avec fon dérivé ?
L'un & l'autre ne font-ils pas exactement
diftincts ? Leur efpèce , leurs loix & leurs
effets ne font-ils pas entièrement différens ?
On nous préfente une tempête fortie des
mains d'un Peintre médiocre ; à quel degré
de diminution ce tableau , qui n'a pas atteint
le beau qu'il cherchoit , pourroit-il
defcendré au joli ? Eft - il de fon effence
de pouvoir y arriver ? Qu'on fe rappelle
le fot qui trouvoit la mer jolie , & le fat
qui traitoit le grandTurenne de joli homme.
Le joli a donc fon empire féparé de celui
du beau. L'un étonne , éblouit , fubjugue ;
l'autre occupe , amufe & fe borne à plaire.
Ils n'ont qu'une règle commune : c'eft celle
du vrai. Si le joli s'en écarte , il fe détruit ,
il devient maniéré , petit , mefquin ou
grotefque. Nos arts , nos ufages & nos
18 MERCURE DE FRANCE.
modes fur- tout font aujourd'hui pleins de
fa fauffe image.
CHAPITRE X.
Sur l'honnête ( 2 ).
CE mot pris fubftantivement , comme
lorfqu'on dit , le fage préfère l'honnête à
P'utile , eſt toujours ce qu'il y a de plus
conforme à la raifon & à la faine légiflation
de la fociété dont on fait partie.
Plus les loix confervent de leur vigueur
première , plus ce qu'on entend par l'honnête
a d'étendue ; mais dans une nation
où les liens de la fociété fe feroient relâchés
, où l'intérêt inal entendu de cette
fociété l'auroit portée à fe faire indifféremment
des plaiſirs de tout , l'honnête fe
(2 ) L'opinion la plus générale eft , que nous
devons cette expreffion à la philofophie des anciens
, qui avoient diftingué trois fortes d'offices ,
l'honnête,l'utile & l'agréable; mais Saint Ambroife
le réclame pour le Prophète Roi , qui dans le
plaume LXV a dit : Te decet himnusDeus inSion. Il
eft honnête , ô Dieu , de te louer en Sion. Ce même
Père de l'Eglife ajoute encore dans fon Traité des
Offices quelques paffages de Saint Paul , où il eft
parlé du décent & de l'honnête.
DECEMBRE 1765. 19
verroit réduit prefque à rien. Il pourroit
même fe faire que ce mot n'échappât point
au ridicule dont on couvriroit tout ce qui
auroit l'air de fageffe & de retenue.
L'amour de l'honnête ne pourroit s'y
conferver que chez le petit nombre de
citoyens qui penfent & qui réfléchiffent ;
ils feroient les feuls qui ne fuffent point
enyvrés de tant de petits trophées , de tant
de gloriolles , de tant de pénibles plaifirs
& de tant d'illuftres embarras qui feroient
les objets des defirs & des foins de la multitude
.
L'intérêt , ce vil ennemi de l'honnête ,
ne pourroit les corrompre ( 3 ) . Rien ne
les détermineroit à fe procurer une fitua
tion plus brillante par les moyens qui communément
y feroient parvenir. La pauvreté
même qui ne pourroit les faire rougir
dès qu'elle ne feroit pas la fuite d'une
négligence coupable ou d'une mauvaiſe con
duite , feroit préférable pour eux à ce pofte,
à cet emploi qu'il faudroit acheter par la
baffeffe & par l'intrigue , & qui peut-être
les aviliroit à leurs propres yeux , parce
qu'ils ne jugeroient de la décence de cet
emploi que par le rapport qu'il auroit avec
(3 ) L'eftime ( dit Balfac ) eft quelque chofe
de plus noble que le paiement , & l'honnête me
confolera toujours de la perte de l'utile.
20 MERCURE DE FRANCE.
le bon ordre , le repos & le bonheur général
, & non par l'utilité qu'ils en pourroient
retirer.
Le citoyen , ami de l'honnête , ne place
point fon bonheur dans un vain éclat
dans une dépenfe folle , dans de ftériles
amufemens , dans un abus continuel du
temps ; il ne le cherche & ne le trouve
que dans fon coeur : la fimplicité , la vérité
& la vertu l'y retiennent.
L'honnête , ce principe de fes actions ,
ce doux tempéramment de la fageffe, l'éloigne
également & de l'orgueilleux excès
du Cynifme & des vices délicats de fon fiècle.
Il ne voit, comme Horace, que le décent
& le vrai ; il eft tout à ces deux objets,
Quid verum atque decens curo & rogo , & omnis in
hoc fum.
DECEMBRE 1765. 21
STANCES à M. DE
SOIXAN OIXANTE-QUATRE hivers ont blanchi votre
tête ,
Arifte ; mais votre âme , encore en fon printemps,
De leur fouffle cruel a bravé la tempête ,
Et furvit toute entière aux outrages du temps,
C'est toujours ce coeur tendre , obligeant , magnanime
;
Toujours même douceur , même férénité.
C'eft ce génie ardent , impétueux , fublime ,
Qui des plus fombres nuits perçoit l'obſcurité,
Il eſt une faifon , écueil de l'innocence ,
Où l'inftinct du plaifir réveille tous les coeurs.
Aux loix de la Raiſon , ſoumis dès votre enfance ,
Ces loix furent toujours la règle de vos moeurs.
J'ai vu dans les palais qu'habite la mollefe ,
Ses coupables enfans de maux environnés.
Ils fouffroient à trente ans tout ce que la vieilleffe
Fait à peine fouffrir aux plus infortunés.
Le vice fur leur front imprimoit les ruines ;
C'étoit des yeux éteints , des organes flétris :
Pour mouvoir les refforts de ces triftes machines ,
Il falloit affembler les Docteurs de Paris .
22 MERCURE DE FRANCE.
·
Mais vous des paffions fuyant la folle yvreſſe ,
Appliqué fans relâche à d'utiles travaux ,
Vous avez ignoré cette délicateſſe
Quitransforme en befoins les fources de nos maux.
D'un efprit cultivé , d'une conduite fage ,
Vous cueillez maintenant les fruits délicieux.
Sur vos jours fortunés il n'eſt point de nuage ;
Vous touchez par vos mains , vous voyez par vos
yeux.
En vain , pour rappeller fes forces fugitives ,
Damis aux Médecins prodigue fes tréſors.
Dans un corps énervé fes facultés oifives
S'épuifent vainement en ftériles efforts .
Sibaryte plongé dans l'yvreffe du crime ,
Il vouloit être heureux aux dépens du devoir 3
De l'abus des plaifirs , déplorable victime ,
Il meurt avant le temps au fein du déſeſpoir.
Qu'il traîne en gémiſſant ſes reſtes inutiles ;
Que fon coeur fe confume en impuiffans defirs :
Dans un corps libre & fain vos organes dociles
Se prêteront encore à d'innocens plaifirs .
Citoyen généreux , de votre bienfaiſance
Combien de malheureux ont fenti les effets !
C'eſt ainfi que le fage étend fon exiſtence ;
Il vit , il est heureux de fes propres bienfaits.
DECEMBRE 1765. 23
Loin des cercles bruyans , où tant de petits êtres
Verfent l'ennui mortel de leurs fades propos ,
Fidèle imitateur & rival des grands maîtres ,
Vous mettez à profit jufqu'à votre repos.
Dans vos arrière-fils , que votre exemple en◄
traîne
Vous voyez de vos foins éclorre les doux fruits.
Tels on voit s'élever à l'ombre d'un vieux chêne
Les jeunes arbriffeaux que lui-même a produits .
Quelfort dans l'univers eft plus digne d'envie !
Tout femble confpirer au bonheur de vos jours.
Le premier de mes voeux , le voeu de ma patrie ,
Ce feroit d'en pouvoir renouveller le cours.
Par M. l'Abbé D'AULNY , abonné au Mercure.
A M. BOUCHER , Premier Peintre du
Roi , en lui envoyant une couronne de
fleurs , avec un bandeau en broderie.
SII c'eft aux Mufes à donner
Des lauriers à Voltaire ,
C'est aux Grâces à couronner
Le Peintre de Cythère.
24 MERCURE DE FRANCE .
ORIGINE du Rouge.
CERTAINE ERTAINE affaire d'importance
Qu'au confeil de Vénus on devoit décider ,
Un jour , dit- on , y fit mander
Tous les Amours de conféquence ,
Et la Déeffe y devoit préfider.
A Meffieurs les Grands de Cythère ,
Quoique avec de divins appas ,
Elle craignit de ne point plaire :
Son miroir ne la flattoit pas.
Ses roſes étoient diſparues ,
Et fur fon teint de la trifte pâleur
Elle voyoit les ombres étendues ;
Fatal effet de la douleur !
Un des moineaux de la Déeffe ,
Depuis trois jours fans appétit ,
Ne mangeoit plus , crioit fans ceffe :
Pour de moindres ſujets une beauté pâlit.
De fes chagrins il faut cacher les traces ;
Comment s'y prendre & quel moyen ?
On fait venir , on confulte les Grâces ,
On propofe beaucoup & l'on ne réfoud rien.
Cependant la vive Euphrofine ,
Après avoir quatre momens révé ;
Sauté trois fois , fait la lutine ,
S'écrie
DECEMBRE 1765. 28
S'écrie , enfin je l'ai trouvé !
Pour notre aimable Reine on peint une calèche ,
J'y vais voler un peu de vermillon ,
Et de cette poudre bien fèche ,
Avec l'aile d'un papillon ,
Nous poferons une teinte légère .
Le projet plaît , il eſt exécuté ;
Le naturel , qui feul a droit de plaire ,
Eft par les Grâces imité :
Vénus reprend fa première beauté .
Elle étoit bien ; mais bien peut- il fuffire ?
Que l'amour-propre eft peu judicieux !
Il veut toujours courir après le mieux ,
Et ce mieux - là trop fouvent eft le pire.
A l'infçu des charmantes Soeurs ,
Elle veut augmenter les roles ,
Et de la poudre applique maintes dofes.
Mais que fait la reine des coeurs ?
De vermillon les couches trop chargées ,
Lui donnent un air dur , effronté , peu flatteur ;
En un pivoine épais fes rofes font changées :
Enfin elle eft à faire peur.
Au confeil aflemblé la Reine fe préfente ,
Et croit que de fon teint l'inimitable éclat
Doit enchanter tout l'amoureux Sénat.
Qu'arrive-t-il ? Elle y met l'épouvante.
Pour avoir trop de l'art emprunté le fecours ;
Vénus fait fuir tous les Amours.
B
16 MERCURE DE FRANCE.
ENVOI.
RIVALE de Vénus , vo
vous que parent les Grâces ,
Craignez un fort pareil au fien.
Courir après le mieux , lui coûta des diſgraces :
Ah ! contentez - vous d'être bien.
Par M. DE LA TROUSSE.
SUR la flatue du Roi de DANNEMARCK,
régnant.
RENDRE heureux fes Etats & favoir les défendre , -
Eft bien plus glorieux que d'être conquérant.
Frédéric , lé Danois , fait haïr Alexandre :
Le Prince le plus fage eft encor le plus grand.
Par M. FEUTRY.
DECEMBRE 1765. 27
EPITRE à M. & à Mde GERBIER , étant
à leur terre d'AUNOI.
COUPLE charmant que mon génie
Aime à célébrer chaque jour ,
Loin du palais de la folie ,
Vous habitez donc ce féjour
Où le plus tendre hymen vous lie
Avec les chaînes de l'amour.
Vous vivez dans vos bois champêtres
Heureux fans faire de jaloux ,
Et je fens qu'il doit être doux
De ſe repoſer fous des hêtres ,
Lorsqu'on eft affis près de vous.
Qu'avec plaifir votre ceil contemple
Ces jardins embellis par- tout ,
Où refpire le Dieu du goût ,
Où Minerve a placé fon temple !
Souvent égarés dans vos champs
Vous en admirez la parure :
Ah bientôt au fouffle des vents
Vous verrez flétrir leur verdure ,
Et vos bolquets fi floriffans
Perdront leur belle chevelure.
"
Bij
28 MERCURE
DE FRANCE
.
Ainfi j'ai vu l'aile du Temps
Emporter ma jeuneffe obfcure,
Mais lorsque le pâle Orion
Viendra , d'une vapeur impure ,
Couvrir votre ſombre horiſon ,
J'y verrai fourire Manon * ,
Er je croirai voir la nature
Sourire en fa belle faifon.
Près d'elle je voudrois fans ceſſe
Habiter l'afyle enchanté ,
Embelli par la politeffe ,
Où le Plaifir & la Gaîté
Prennent des mains de la Sageſſe
La coupe de la Volupté ;
Où l'amitié , qui nous careffe ,
Préfide avec la Liberté ,
La Liberté , fière maîtreffe ,
Pour qui mon coeur a tout quitté.
Voilà les Dieux à qui le fage
Confacre fes jours innocens :
J'irai leur porter mon hommage ;
Leur adreffer mes doux accens
Et , comme leur plus noble image ,
Manon recevra mon encens.
Sur fes traces , dans un bocage
J'irai femer le fel piquant
Mde Gerbier,
DECEMBRE 1765. 21
De quelque léger badinage ;
Et quelquefois , en fabriquant
Le plan facile d'un ouvrage ,
Près du Cicéron de notre âge ,
J'apprendrai l'art d'être éloquent ;
Tandis que fa femme adorable
Qui finement me fourira ,
Avec fes filles m'inftruira
Dans l'art plus heureux d'être aimable;
Par M. LEGIER.
EPITAPHE de FRANÇOIS PREMIER ,
Empereur d'Allemagne,
CI git un Empereur , qu'une illuftre Com
pagne
Rendit plus fortuné qu'Augufte & Charlemagne
Et dont le rang fuprême eut pour lui moins
d'attraits
Que l'honneur de gagner les cours de fes Sujets
Par M. DE LANEVERE , ancien
Moufquetaire du Roi.
A Day
B iij
to MERCURE DE FRANCE.
VERS pour mettre au bas des portraits de
Mdela C. DE BR.... tant en peinture ,
fculpture , que gravure.
ALLEZ , admirables portraits ,
De BR. ..... portez les traits ;
Allez la faire aimer de l'un à l'autre pôle.
Mais , croyez - moi , reſtez toujours muets ;
Quel feu dans l'univers produiroient les attraits ,
Si vous alliez foudain y joindre - la parole !
Par M. DAIZERAY.
L'ÉPREUVE DANGEREUSE,
CONTE MORAL.
CLARVILLE & DORVAL , jeunes & fairs
pour plaire , étoient intimes amis. L'intérêt
, ce funefte écueil des plus beaux fentimens
, ne les avoit jamais divifés , & ,
quoique leurs fortunes fuffent à- peu -près
égales , quelques circonftances les avoient
mis à des épreuves réciproques , dont ils
avoient été mutuellement fatisfaits . ClarDECEMBRE
1765. 31
ville cherchoit à fe foumettre aux loix de
l'yhmen. Un objet fait pour plaire fixa fon
choix.Luzéide avoit une de ces phyfionomies
prévenantes , où l'examen trouve toujours
de nouveaux charmes ; un efprit vif &
orné les rendoit encore plus féduifans . Elle
aimoit Clarville : ce tendre époux l'adoroit
; & depuis un an qu'ils étoient époux ,
ils jouiffoient du bonheur le plus rare.
Dorval n'avoit cependant rien perdu de
l'amitié de Clarville , & ce principe de
fympathie qui les uniffoit fembloit être
fixé pour jamais ; lorfqu'une fatale circonftance
détruifit en un moment l'ouvrage de
plufieurs années.
Le bonheur chimérique d'un fat feroit
quelquefois préférable à la félicité réelle
d'un homme de mérite . En effet , plus on
aime une femme , moins on peut fe perfuader
d'en être aimé de même. Clarville crut
voir dans les yeux de Luzéide des nuages
de froideur , & dans les careffes mêmes
dont elle l'accabloit il crut remarquer de
l'ennui . Cette cruelle idée le plongea dans
une trifteffe affreufe. Luzéide , la tendre
Luzéide s'en apperçut & la partagea bientôt.
Clarville fe confirma de plus en plus
dans fon opinion , & , loin de chercher
l'explication que fembloit demander Luzéide
, il fuyoit même les occafions de lui
B iv
32 MERCURE DE FRANCE.

parler. L'expreffion la plus pathétique ne
peindra jamais l'état déplorable où fe
trouva réduire cette femme fenfible . Plus
elle fe cherchoit des torts , plus elle fe
trouvoit irréprochable ; & c'eſt dans cette
fituation que la perte d'un coeur eft vraiment
affreufe. Elle perifa qu'une rivale
étoit la caufe de fon malheur ; elle voulut
s'en inftruire : fa peine fut inutile. Bien
des femmes fe confolent aisément , lorſque
leur vanité n'eſt point offenfée ; mais pour
un coeur comme celui de Luzéide , cette
confolation n'étoit pas fuffifante . Elle abandonna
prefque toutes fes fociétés. Les cercles
bruyans , loin de la diffiper , augmentoient
fa mélancolie , & fa triſte reſſource
étoit de s'entretenir fecrétement de fes
peines. Enfin, comptant'fur Dorval, qu'elle
eftimoit beaucoup , elle réfolut de fe confier
à lui pour arracher le fecret de fon
époux.
Cependant Clarville ne voyoit aucun
nouvel objet qui eût captivé Luzéide ; mais
il lui foupçonnoit un befoin de changer ,
& ce foupçon feul fait le malheur d'un
coeur délicat. Il forme enfin un projet moins
nouveau que fingulier , & pour le mettre
à exécution , il vole à l'inftant chez Dorval.
Le jour des femmes du bel air étoit à
peine fini ; il étoit fix heures du matin.
DECEMBRE 1765. 33
Dorval fe réveille à la voix de fon ami.
Quoi ! Clarville de fi bonne heure ? Cette
vifite m'inquiete . Te feroit- il arrivé quelqu'événement
fâcheux ? - Non , mon cher
Dorval , aucun accident fenfible en apparence
ne m'est arrivé ; mais on ne doit
juger du malheur que fur la fituation de
l'âme avant que je t'en dife plus , jure
moi fur notre amitié de me rendre le fervice
que je vais exiger de toi . - Je le jure ,
mon cher Clarville ; & d'un doute offenfant
pour un ami , ce ferment eſt la vengeance
. - Eh bien , pardonne au tranfport
qui m'agite. Ecoute moi tu fais que
j'adorois Luzéide , que j'en étois aimé.
Combien de fois as-tu remarqué ma félicité
dans fes yeux ! Ce bel organe , ce miroir
du fentiment , fembloit affurer à jamais
mon bonheur . Hélas , Dorval ! ces inftans
étoient trop beaux pour être durables ; ils
n'exiftent plus Quoi , Clarville ! Ta
femme , Luzéide infidelle ? - Non , Dorval;
en vain ai -je cherché des convictions ; je
rends juftice à fa vertu , mais ..... Peutêtre
en ferois- je moins malheureux . Lorfque
le fentiment eft le mobile du plaifir ,.
on fe détache aifément de ce qu'on n'eftime
plus. C'eft fa froideur feule qui caufe:
tous mes maux ; fans affoiblir mon eftime ,.
elle irrite mon amour , & je ne fais même
By
-
34
MERCURE DE FRANCE.
fi elle ne l'augmente pas . Sers-moi donc
dans le projet que j'ai formé. Il eſt certain
que parmi ceux qui font cercle chez
moi, tu es le feul que Luzéide ait remarqué .
Cent fois je l'ai entendu rendre juftice à
ton mérite & s'applaudir de ta fociété. II
faut que tu tâches de la féduire. Si tu ne
réuffis pas , j'irai tomber auxpieds de Luzéide.
Au cas contraire, le mépris me confolera
bientôt. Mais je prévois ta réponſe : cette
fourberie te révolte. Songe pourtant qu'il
n'en eft point , quand il s'agit de fervir l'amitié
pour une caufe légitime.
Dorval, malgré fes repréfentations , fe
vit forcé de céder à la fantaiſie de fon ami .
Dès le jour même , il parut chez Clarville.
Il fut plus gracieux , plus attentif auprès
de Luzéide . Elle en fut flattée ; & en partant
du deffein où elle étoit de fe confier
à Dorval , elle n'en fut que d'autant plus
fenfible à fes prévenances. Clarville s'en
apperçut , & les efforts qu'il fit pour cacher
fon trouble le rendirent encore plus rêveur.
La faifon étoit belle ; la fraîcheur d'une
foirée agréable invitoit à la promenade.
Dorval la propofe ; Luzéide l'accepte.
Clarville , fous un prétexte frivole , refuſe
d'en être ; mais , en refufant , il ordonne
que l'on mette les chevaux au carroffe.
Luzéide n'infiſte point fur le refus de ClarDECEMBRE
1765. 35
ville. Pouvoit- elle trouver une occafion
plus favorable pour parler librement à
Dorval ? L'ordre eft bientôt exécuté. Ils
partent.
En vain prétend- on fe guérir de l'amour,'
en cherchant à ne plus eftimer ce qu'on
aime. Clarville compte fur fon ami ; mais
il croit voir Luzéide céder aux feux féducteurs
de Dorval. Ce cruel foupçon redouble
fes tranfports . Il fe repent déja de fon
épreuve. Il voudroit n'avoir jamais conçu
ce funefte projet.
Cependant Dorval & Luzéide font portés
au boulevard. Ce théâtre des bigarrures,
fembloit gêner leurs idées en effet , le
tumulte n'eft ami que des converfations à
la mode , où la diftraction joue le premier
rôle. Celle de Dorval & de Luzéide avoit
pour eux un intérêt particulier. Ils arrivèrent
au cours en moralifant. Ils agitoient
cette queſtion fi ancienne & toujours nouvelle
quel eft le fouhait le plus avantageux
que l'homme puiffe former ? Luzéide
prétendoit que le vrai bonheur feroit de
lire dans les coeurs. Cette idée étoit analogue
à fa fituation . Oui , Dorval , difoitelle
, lire dans les coeurs , voilà ce qui me
rendroit heureufe. Une fortune éclatante
fait fouvent le malheur de celui qui la pofféde.
Il reçoit en aveugle les careffes qu'on
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
lui prodigue. Ne foupçonne t-il pas toujours
que fa profpérité en eft l'objet ? Un
homme d'une fanté à toute épreuve n'auroit
à la vérité. befoin de rien ; mais en lux
fuppofant même des richeffes , ne feroit- il
pas expofé en amour ou en amitié à être
trompé comme un autre ? & ce font les
maux de l'âme qui nous affectent le plus !
Un autre auroit defiré de prévoir l'avenir ,
ce fouhait accompli l'enrichiroit à fon gré
& le feroit jouir également d'une ſanté
parfaite , mais il prévoiroit la mort d'une
maîtreffe , celle d'un ami , la fienne propre,
& cette connoiffance fatale feroit feule fon
malheur. Au lieu , qu'en lifant dans les
coeurs , & n'y lifant que le préfent ; je
m'attacherois de plus en plus à un objet
dont les fentimens feroient analogues aux.
miens ; fi je venois à lui déplaire , je verrois
dans fon coeur la caufe de fon infidélité
. Je tenterois des remèdes ; j'étudierois
leur action , & en continuant l'ufage de
celui qui feroit le plus de progrès , je ferois
toujours heureufe. Je ne lirois point un
avenir perfide ; & quel plaifir n'aurois - je
pas auffi dans le choix de mes amis ? Qu'il
eft rare , mais qu'il eft beau d'être affurée
que des âmes généreufes s'intéreffent pour
nous-mêmes à notre félicité ! Par exemple ,
Dorval , je vous crois mon ami , mais j'en
DECEMBRE 1765. 37
aurois la conviction ; mon eftime en feroit
plus grande encore , mon amitié plus parfaite,
& ces fentimens élevés ajouteroient
à mon bonheur.
Ah , Madame ! reprit Dorval , avezvous
befoin de cette connoiffance pour
être perfuadée de mon attachement ? Le
fouhait même que vous formez révolte
ma délicateffe à cet égard & me détermine
à le défapprouver. Combien verriez- vousde
coeurs malheureux & qui ne méritent
peut- être pas de l'être ? A ce fpectacleattendriffant
, une âme comme la vôtre ſeroit-
elle tranquille ? Non , Madame , vous
fouffririez avec eux. Par exemple , faite
comme vous l'êtes pour infpirer un fentiment
que l'on cache avec peine , & qu'on
ne peut détruire ; que deviendriez vous en
reconnoiffant que vous - même feriez la
caufe de leur malheur ? Un homme enfin
que vous estimericz , pour lequel vous auriez
même de l'amitié , porteroit dans fon
coeur l'amour le plus vif & le plus tendre ,
fans efpoir d'être heureux ......Quel fentiment
éprouveriez -vous ? - Il eft vrai ,
je le plaindrois . -Eh bien , Madamet
plaignez-moi donc.... Oui ! mon coeur
ne peut fe contenter du feul titre d'ami.
Belle Luzéide , dès l'inftant où Clarville
me préfenta chez vous , je vous adoraï
38 MERCURE DE FRANCE.
l'habitude de vous voir ne fit qu'augmenter
la vivacité de mes fentimens , & mille
fois je balançai . - Ç'en eft affez , Dorval;
un homme qui manque auffi effentiellement
à un ami , ne mérite pas qu'on le
plaigne. J'aime Clarville ; il me fera toujours
cher ; & cet aveu fuffit pour répondre
à vos prétentions. Luzéide , auffi” furprife
que défefpérée d'une déclaration fi
imprévue , & voulant mettre fin à des propos
qui lui plaifoient fi peu , donna ordre
à fon cocher de retourner promptement à
l'hôtel.
Clarville , furpris d'un retour fi précipité
, en demanda la caufe , & tâcha de la
lire dans les yeux de Dorval. Luzeide
donna pour prétexte un mal de tête violent
qui exigeoit du repos , monta à fon
appartement & fe livra à toute l'amertume
de fes réflexions .
di
Eh bien , dit Clarville à fon ami, apprends-
moi donc ma deftinée ? - Ta deftinée
et d'être l'homme du monde le plus
heureux. Ah ! cher Dorval , tu me ramènes
à la vie. Oui , belle Luzéide , tu
vas revoir ton Clarville à tes pieds : il va
te demander un pardon qu'il ne mérite
pas. Mais dis - moi , cher ami , dis- moi
donc promptement tout ce qui s'eft paffé
entre elle & toi. Dorval alors lui en rend
DECEMBRE 1765. 39
compte , recommande à fon ami de détromper
Luzéide , & le laiffe en liberté .
Clarville vole à l'appartement de Luzéide.
Elle étoit à peu près immobile &
plongée dans la douleur la plus attendriffante.
Clarville tombe à fes pieds , fe
faifit d'une de fes mains & la preſſe dans
les fiennes. Luzéide , lui dit - il , vous
voyez un coupable , mais un coupable qui
ne ceffa jamais de vous adorer. Oui , trop
d'amour a caufé mon malheur . Je vous ai
crue refroidie à mon égard , & ce fatal
foupçon , en faifant mon malheur , fans
doute fait le vôtre , & mes chagrins ont
dû vous offenfer. ... Je ne mérite aucun
pardon..... Mais Luzéide eft généreufe ,
& je fuis trop heureux , fi Luzéide m'aime
encore. ...
Quel retour imprévu ! quel inſtant pour
une femme tendre ! ... Oui , mon cher
Clarville , reprit vivement Luzéide , cette
furpriſe raviffante me fait oublier tous
mes maux. Le devoir n'eft pour le coeur
qu'un être chimérique : en choififfant un
époux , j'ai cru prendre un amant , un ami ;
& je croyois avoir perdu chez -vous ces
titres précieux ! Ne pas vous pardonner ce
feroit me punir moi - même. Ah ! je fuis

donc vraiment heureux ! s'écrie Clarville
en tombant dans les bras de Luzéide .....
40 MERCURE DE FRANCE.
Que l'hymen a d'appas , quand l'amour
eft à fes côtés !
Après ces momens fortunés , où le fentiment
trop actif ôte l'ufage de la parole :
ma tendre amie ! dit Clarville à Luzéide ,
je te vais faire un aveu ; je le dois à ton
repos & à la gloire de mon ami . Cet aveu
eft aufli une réparation pour ta délicateſſe
offenfée.... Mon ami t'a parlé d'amour.
Eh bien , c'étoit malgré lui ; c'étoit à ma
feule follicitation & uniquement pour
éprouver ton coeur. Ce foupçon injurieux
ne méritoit pas un retour fi tendre , & je
ne reffens que trop ma faute ; mais tes
reproches n'égaleront jamais ceux que je
me fais ; & fouviens -toi que tu m'as pardonné.
Clarville , tu m'étonnes ! Au
furplus je ne t'en veux pas ; je ne vois
dans cette démarche que l'aveuglement
d'un amour au défeſpoir ; je ne blâme
la légéreté des motifs qui ont pu t'y déterminer
; mais la conduite de Dorval ne me
furprend que d'autant plus. Dorval , ton
ami , le mien , ne devoit- il pas me connoître
? - Dorval a long- temps combattu ,
& il ne s'eft rendu qu'aux marques touchantes
de ma douleur. Eh bien , que
ne me faifoit- il part de tes peines , & du
projet que tu avois formé ? C'eſt dans un
cas de cette eſpèce où l'on peut , où l'on
-
-
que
DECEMBRE 1765. 41
-
doit tromper un ami pour le mieux fervir.
Devoit- il tâcher réellement de me féduire?
Quel rôle affreux ! Quoi qu'il en foit ,
ma chère Luzéide , daigne lui pardonner
en ma faveur. A la bonne heure , mon
ami ; mais je demande une condition, Tu
viens d'éprouver l'amour ; il faut que tu
éprouves l'amitié . Feins auprès de Dorval
de n'être pas tout-à - fait ralfuré par cette
feule épreuve. Exige qu'il continue fon
rôle je lui paroîtrai moins févère , & nous
verrons s'il eft effectivement ton ami.
Clarville , en homme certain des fentimens
de Dorval , fourit du projet de
Luzéide. Il ne pouvoit lui refufer cette
légère fatisfaction ; il la lui promit. On
trouvera peut-être affez peu de générofité
dans ce projet de Luzéide ; mais dans les
coeurs les mieux formés , l'amour - propre
bleffé peut conduire à quelques foibleffes ;
& l'on fent bien que ce motif , fupérieur
à celui d'éprouver l'amitié de Dorval¸ fiɛ
agir Luzéide.
Cependant Dorval lui-même éprouvoit
que nous naiffons tous avec l'envie de
plaire. Il réfléchit , il eſt rêveur. Les réponfes
de Luzéide lorfqu'il lui a parlé
d'amour , révoltoient fon amour- propre . Il
F'écoute , & l'écoute malgré lui . Déja l'amitié
fe tait . Cette amitié fi tendre , que
42 MERCURE DE FRANCE.
l'intérêt n'avoit jamais pu refroidir , céde
à cette dernière épreuve. Dorval reffent
un trouble dont il cherche la caufe : il la
trouve bientôt. Luzéide eft toujours préfente
à fes yeux. Son efprit , fa beauté
lui paroiffent dans un jour plus frappant,
& il finit par envier le fort de fon ami.
Quelques remords lui donnent cependant
encore la force de chercher des défauts
chez Luzéide ; mais ce trifte moyen , qui
réuffit à peine vis-à -vis d'un objet méprifable
, enfonce encore le trait plus vivement,
lorfque les recherches font vaines .
Dorval enfin n'écoute plus que fon penchant
; & l'amitié , comme une ombre
légère , s'évanouit au flambeau de l'amour.
Le lendemain , Dorval vole chez fon
ami. Clarville l'embraffe , le mène dans
fon cabinet & lui dit : mon cher Dorval ,
à peine hier étois - tu forti de chez moi ,
qu'au lieu d'aller trouver Luzéide, je fis des
réflexions fur l'épreuve que tu as tentée.
Te l'avouerai- je , mon ami ? mon coeur ne
peut s'en contenter. Daigne donc compatir
à ma foibleffe & continuer notre épreuve.
Dorval , charmé d'un caprice qui fattoit
fes efpérances , eut l'air de céder avec peine
aux inſtances de fon ami , confentit enfin
à fes defirs , & fe préfenta chez Luzéide
avec cet air contrit & refpectueux que les
DECEMBRE 1765. 43
yeux démentent toujours. Luzéide feint
d'en être touchée . Une difparition momentanée
de Clarville , favorife fon jeu : elle
fait des reproches à Dorval , mais avec ce
ton qui femble inviter à s'en attirer encore.
L'amour & l'efpoir brillent dans les yeux
de Dorval , & Luzéide entrevoit fon triomphe.
Quelques perfonnes invitées arriventpour
dîner. On defcend dans le fallon,
Dorvaldonne la main à Luzéide ; il la ferre
doucement ; on n'y répond pas , mais on
le laiffe faire.
Le repas fut charmant. La joie répandue
fur les moindres actions de Luzéide étoit
partagée par les convives , & Clarville
en jouiffoit doublement. Dorval auroit dû
lire fon malheur fur la phyfionomie de fon
ami ; mais il étoit trop occupé de Luzéide.
Il propofe à la compagnie de venir paffer
deux jours à fa terre : on accepte , & le
départ eft fixé au lendemain.
Clarville fit promettre à Luzéide de finir
fon épreuve avant la fin du jour. Le rendez-
vous pour le départ avoit été fixé chez
lui. La jeune Fatmé , avec Déricourt fon
oncle & Dormilly, arrivèrent peu de temps
après Dorval. Luzéide ne parla que des
yeux ; mais ils étoient éloquens : ils annonçoient
avec vivacité le dénouement de la
fcène. Dorval , qui croyoit fon bonheur
44
MERCURE DE FRANCE.
certain , n'afpiroit qu'après l'inftant d'un
tête à tête avec Luzéide. Un repas fin &
bien fervi , attira des louanges & des reproches
à Dorval; & l'on fe mit au jeu
en attendant l'heure de la promenade . Le
parc étoit charmant ; & après l'avoir parcouru
enfeinble , chacun infenfiblement fe
fépara du gros de la compagnie , occupée
à differter fur différens fujets.
Dorval, occupé d'objets plus intéreffans,
ayoit engagé Luzéide à fe promener avec
lui. Ils entrèrent infenfiblement dans une
efpèce de labyrinthe & fe repoferent dans
une petite grotte tapiffée de verdure. Le
jour étoit fur fon déclin ; & après un moment
de filence : voyez , dit en foupirant
Dorval, à quel point je fuis fage ! depuis
un quart-d'heure que nous fommes feuls ,
je n'ai point prononcé le mot d'amour. Ah,
belle Luzéide ! faudra- t- il toujours reſpecter
la cruelle loi du filence auquel vous
m'avez condamné ? Oui , Dorval, il
le faut, pour mon bonheur & pour le vôtre.
Renoncez à une paffion que . je tremble
d'écouter , & dont les fuites pourroient à
tous les deux être funeftes. Ah , Madame !
n'envifagez qu'un avenir heureux ; ma
difcrétion , ma prudence vous en font les
garans. Mais dites- moi , Dorval ; fi je
fentois pour vous quelque retour , fi je
DECEMBRE 1765. 45
vous. -
-
>
- vous l'avouois , vous ne feriez donc pas
encore content ? Et vous exigeriez ?
Oui , belle Luzéide , j'exigerois ... tout
ce que l'amour le plus tendre. - Mais
Clarville eft votre ami. Oui , mais en
fuis- je moins le vôtre ? Et d'ailleurs fa
conduite envers vous-même , auffi cruelle
qu'envers moi. Sa conduite ! Expliquez-
Apprenez donc , Madame , que
votre époux , peu digne d'une époufe auffi
charmante , & cédant à d'affreux foupçons ,
m'avoit chargé de vous parler d'amour &
d'éprouver fi votre coeur.... Il ignoroit
combien depuis long - temps je vous adorois
en fecret ! L'occafion de vous le dire
pouvoit- elle être plus favorable ? Ai - je eu
tort d'en profiter ? Et pouvez- vous , & luimême
, en ce cas , pourroit- il me trouver
coupable ? C'est l'être moins fans doute.
Mais , qui put vous forcer , fi vous m'aimez
autant que vous le dites , à me cacher
fi long- temps ce fecret ? Et que fais -je ,
après tout , fi ce que j'entends maintenant ,
fi votre confidence même n'eft pas une
fupercherie pour m'éprouver ? Ah ,
Madame , quels fermens , quels garans
exigez - vous de l'amour le plus tendre ? Je
vais les faire à vos genoux ; parlez.
Je n'en exige aucuns , Dorval ; il eft temps
de ceffer un jeu qui m'humilie . Détrom-
-
46 MERCURE
DE FRANCE
.
pez -vous enfin. J'ai voulu voir fi Clarville
pouvoit compter fur fon ami ; ne craignez
pas que je le défabuſe : ce feroit l'affliger .
Je vous verrai toujours ; mais n'oubliez
jamais combien je l'aime. A ces mots
Luzéide fe lève & fe hâte de rejoindre la
compagnie.
Un coup de foudre auroit moins accablé
Dorval. Il fuit à peine Luzéide , &
n'arrive qu'après elle dans l'allée où le
gros de la compagnie differtoit encore .
Luzéide , en s'approchant de fon mari ,
le tire à part. Tu avois raifon , lui dit-elle,
mes prétentions ont échoué vis - à-vis de
Dorval , & je le crois ton ami . Ah , Luzéide
! s'écrie Clarville , je reconnois à ce
trait la beauté de ton âme . Tu crains de
m'affliger ! Va , j'ai tout entendu ; une
charmille m'a caché : mon ami n'eft qu'un
traître. Mais je trouve dans Luzéide &
l'amante & l'ami ; je ne regrette rien. Diffimulons
tous deux. Demain nous partirons
au point du jour : un billet de ma
main lui fera nos adieux.
fut
La compagnie fe raffembla. Le fouper
ennuyeux , la còntrainte en faifoit les
honneurs. Dorval, fous le mafque de l'enjoüement
, laiffoit entrevoir tout fon trouble
, & l'heure du coucher mit fin à cette
partie de fon fupplice.
DECEMBRE 1765 .
47
Dès le matin du lendemain , Clarville &
Luzéide s'éloignèrent du château ; & Dor
val reçut ce billet.
« Je fus témoin , hier , de votre conver-
» fation avec Luzéide. Ainfi , Dorval , je
» vous connois . J'eus tort , fans doute , en
» vous chargeant d'une épreuve dont je
rougis ; mais les torts d'un ami n'excu-
» fent pas les vôtres . Adieu , Dorval ; je
» laiffe à votre coeur le foin de me venger ».
»
Par M. D. L. F. L. de Rouen .
LETTRE de M. DE VOLTAIRE à
M. l'Abbé DE VOISENON. Du 18
Octobre 1765.
J'AVOI AVOIS un arbuste inutile
Qui languiffoit dans mon canton ;
Un bon Jardinier de la ville
Vient de greffer mon fauvageon.
Je ne recueillois de ma vigne
Qu'un peu de vin groffier & plat ;
Mais un gourmet l'a rendu digne
Du palais le plus délicat .
Ma bague étoit fort peu de choſe ;
On la taille en beau diamant .
Honneur à l'ent hanteur charmant
Qui fit cette métamorphofe .
48
MERCURE
DE
FRANCE
.
Vous fentez bien , Monſieur , à qui font
adreffés ces mauvais vers. Je vous prie de
préfenter mes complimens à M. Favart
qui eft un des deux confervateurs de la
gaieté françoife . Comme il y a dix ans
que vous ne m'avez écrit , je n'oſe vous
dire , oh , mon ami ! Ecrivez - moi ! Mais
je vous dis : ah , mon ami , vous m'avez
oublié net .
RÉPONSE de M. l'Abbé DE VOISENON .
Vos
os jolis vers , à mon adreſſe ,
Immortaliferont Favart :
C'eft Apollon qui le careſſe ,
Quand vous lui jettez un regard.
Ce Dieu l'a placé dans la claſſe
De ceux qui parent les jardins ;
Sa délicateffe ramaffe
Les fleurs qui tombent de vos mains.
Il vous a choifi pour fon maître ;
Vos richeffes lui font honneur.
Il vous fait refpirer l'odeur
Des bouquets que vous faites naître.
Il n'auroit pas manqué de vous offrir ſa
Comédie de Gertrude ; mais il a la timidité
d'un homme qui a du talent il a
craint
:
DECEMBRE 1765. 49
craint que l'hommage ne fût pas digne de
vous.
Vous ne croiriez pas , malgré les preuves
qu'il a données des grâces de fon efprit ,
qu'on a l'injuftice de lui ôter fes ouvrages
& de me les attribuer. Je fuis bien für que
vous ne tombez pas dans cette erreur : &
quand il fe fert de vos étoffes
pour faire
fes habits de fêtes , vous n'avez garde de
l'en dépouiller.
Il vous enverra inceffamment la Fée
Urgelle , qui a réuffi à la Cour , d'où j'arrive.
Mais vous avez fourni le fond de l'ouvrage ;
voilà fa caution la plus fûre . Adieu , mon
plus ancien ami : je ne cefferai de l'être , &
je ne vous oublierai que lorfque j'aurai
oublié à lire.
PORTRAIT de M. PRÉVILLE , Comédien
du Roi.
LE morceau fuivant eft tiré d'un papier
périodique Anglois , intitulé : The S. James's
Chronicle ; nous avons cru que nos
Lecteurs en verroient avec plaifir la traduction
. C'eſt affurément l'ouvrage d'un
homme d'efprit & de goût , & il eft inté-
C
so MERCURE DE FRANCE.
reffant de voir ce que penfe un Etranger
des talens d'un des plus agréables Comédiens
qui fans doute ait paru fur aucun
théâtre.
Extrait de la Lettre d'un Anglois , écrite de
Paris à fon ami à Londres , en date du
7 Juin 1765 .
Quand je retournerai en Angleterre ,
» je publierai ce que je penfe du Théâtre
» & des Acteurs François ; en attendant ,
» je vais vous tracer une légère ébauche
» du caractère de Préville. Lorfque vous
» êtes venu à Paris il y a treize ans , vous
» n'avez pas pu voir cet Acteur , dont les
» talens comiques méritent bien l'empref-
» fement que vous marquez de les con-
و ر
» noître .
» Préville eft d'une taille petite , mais
» bien proportionnée ; il eft blond & a
», fur le théâtre un air fingulièrement pro-
» pre ces détails font bien minutieux ,
» mais je veux tout dire. La forme de fon
vifage eft ronde ; fes traits , lorfqu'ils ne
» font pas animés par la verve comique ,
» n'ont aucun caractère de plaifanterie.
» C'eft un des plus gais Comédiens que
j'aie vus ; cependant la nature lui a donné
» un tour d'efprit affez férieux , & fi vous
n
D
DECEMBRE 1765. 51
voulez en croire Garrick , il a de l'efprit
» indépendamment de fon talent, & entend
très-bien fon art. Il a naturellement le
regard endormi , & il exprime très heureufement
par l'élévation de fes fourcils
* & l'ouverture de fa bouche l'imbécillité ,
» l'embarras , l'étonnement , & c. Quand
», il fe met en colère , il fait donner à fes
> yeux une vivacité très - plaifante , & peint
» à merveille un poltron qui veut prendre
» une réfolution qu'il ne fauroit foutenir ,
» & ſa colère s'appaife aufli plaiſamment
qu'elle s'eft allumée ; ajoutez à cela , que
lorfque fon rôle demande une expreffion
contraire il met dans fa phyfionomie
tant de fineffe , de fourberie , de viva-
» cité ! c'eſt le Dave même de Térence.
ןג
33

» Il joue cinq rôles différens dans une
affez mauvaife Comédie , intitulée : le
» Mercure Galant . Le dernier eft celui
d'un petit Abbé bien fade , bien minaudier
, bien ridicule , qui fait de mauvais
petits vers ; la manière dont Préville
» rend ce rôle eft peut-être égale à tout ce
» que vous avez jamais vu fur aucun théâtre.
Il n'y a point de paffion comique
qu'il ne puiffe faifir & imiter. Ce n'eſt
s pas feulement dans la bouffonnerie qu'il
excelle ; vous le voyez dans le Legs de
Marivaux repréfenter un homme de
و ر
qua
Cij
52
MERCURE DE FRANCE .
A
" lité amoureux , gauche & timide , & ren-
» dre ce perfonnage avec autant de fineffe
» que de naturel.
"
»
"
99
Vous ne trouvez rien , dites-vous ,
» de bien piquant dans le rôle du Méde-
» cin de la petite Comédie du Cercle , rôle
où je vous ai marqué que Préville étoit
fi agréable ; mais cela même prouve le
grand talent du Comédien ; c'eft qu'il
fait donner de la couleur , de la chaleur &
de la force à l'efquiffe la plus imparfaite.
»Vous me demanderez fi je l'aime également
dans tous les rôles ; je vous répon
» drai que non. L'ufage du Théâtre François
l'oblige à prendre ce qu'on appelle
» les rôles de charge ; & je fuis auffi fâché
de les lui voir jouer qu'il en eft honteux
» lui-même. Préville eft hors de ſa ſphère
» toutes les fois qu'il eft hors de la nature ,
» & ce n'eft pas un petit éloge ; cependant
quelque rôle qu'on lui donne , il a une
plaifanterie fi piquante & fi originale ,
qu'il plaira toujours au grand nombre
» des fpectateurs .
و د
ور
ן כ
و د
» Jamais Comédien n'a eu une manière
plus heureufe de dire des chofes communes
, qui deviennent intéreffantes par
» la fineffe de fes tons & l'excellence de
fa pantomime. Son talent ne fe montre
jamais avec plus d'avantage que lorfque
DECEMBRE 1765. 53
"
» l'Auteur le laiffe à lui - même ; alors il
fupplée aux vuides du rôle & y jette une
fingularité & des traits dont l'Auteur
» n'a pas eu l'idée.
"
"
» Enfin ce n'eft pas un Acteur purement
local , dont les talens ne peuvent réuffic
» qu'à Paris ; ils plaifent également aux
» Etrangers & aux François ; & comme
"» il y a des vertus particulières qui font
» d'un homme un citoyen du monde , il
» y a auffi des talens comiques qui font
» d'un Acteur un Comédien du monde ,
» & Préville en eft un exemple ».
و د
VERS fur le portrait de M. le M. DU C...
Lieutenant- Général.
СЕE tableau nous préſente un lage
Digne du fiècle regretté ,
Où la candeur , la probité ,
Des Romains retraçant l'image ,
Offroient la gloire fans nuage ,
Le vrai mérite fans fierté ,
Et les vettus fans étalage.
Tel fut le deftin des Coucis ,
Ces héros de la courtoisie ,
Ciij
54
MERCURE DE FRANCE.
Et tel brille à nos yeux ravis
L'heureux du C.... affis
Entre l'honneur & le génie.
Loin des préjugés féducteurs
Son efprit dans l'indépendance ,
Plane fur ces amas d'erreurs
Où rampe la fombre ignorance.
Dans des entretiens enchanteurs
Le goût lui prête fes couleurs
L'imagination fa flamme ,
L'aménité toutes les fleurs .
Il eft ( répétent bien des coeurs }
'Au- deſſus de tout par fon âme ,
Au niveau de tout par fes moeurs,
D'une reinte philofophique
Il fait colorer les difcours ;
Elégant fans art , méthodique ,
Par lui la vérité s'explique
Il nous l'offre dans fes atours.
>
Ainfi , parlant avec jufteffe ,
Penfant avec folidité ,
11 ne met point la dignité
Dans l'orgueil ou dans la richeſſe..
Grace à la plus douce gaîté ,
A cette fleur de politelle ,
On lui pardonne la nobleffe
Et fa fupériorité.
DECEMBRE 1765. 55.
La grandeur fe plaît à defcendre.
Tel près des Rois , tel en tout temps ,
Simple au- dehors , pourpre au- dedans ,
Se montra l'ami * d'Alexandre.
CINQUIEME Lettre fur l'AMITIÉ , &c.´
à M. l'Abbé J......
Vous avez bien raifon , mon cher Abbé :
s'il eft vrai qu'entre amis tout doit être commun
, ce principe , quelque naturel qu'il
foit , a cependant fes exceptions. Le grave
Caton en abufa certainement , lorſqu'il
l'étendit jufqu'à prêter fa femme à fon
ami Hortenfuus , qui defiroit d'en avoir
des enfans ; & je fuis auffi mal édifié que
vous & Mde D....... de ce trait d'amitié.
Ce qu'il y a d'heureux , c'eſt que
l'exceffive complaifance de ce Romain n'a
tité à conféquence , ni pour les maris de
fon fiècle , ni pour ceux du nôtre.
La queftion feroit peut-être de favoir ,
fi les femmes n'auroient pas defiré que
cette générofité devînt une bienféance ,
:
* Parménion , de qui Alexandre difoit qu'il étoit
fimple à l'extérieur , mais tout pourpre au-dedans par les
vertus de fon âme.
Civ
56 MERUCRE DE FRANCE .
& fi cette bienséance eût été plus bifarre
cn effet que mille aurres dont on s'affole
depuis filong-temps : mais je n'entreprendrai
point cette difcuffion . Quelles que
puiffent être à cet égard les idées des femmes
, fi elles n'ont pas l'agrément de leurs
époux pour être généreufes ou complaifantes
jufques- là , il en eft qui ne laiffent
pas de s'en donner le plaifir , & nos bienféances
n'y trouvent prefque point à redire.
Les maris François font à peu près aujourd'hui
comme les maris Parifiens , que Boileau
appelloit
Gens de douce nature & maris bons chrétiens.
Revenons au fait de Caton. Etoit- ce
dans ce grand homme un excès de générofité
, ou de philofophie ? Céſar , qui ne l'aimoit
pas , attribuoit cette conduite extraordinaire
à l'avarice ; je crois plus équitable
de l'attribuer au ftoicifme . Caton , felon fes
principes , devoit être affez indifférent ,
même à l'égard de fa femme , & fa vertu
le mettoit fans doute au-deffus du ridicule
qu'un Public malin pouvoit jetter fur la
preuve de cette indifférence. Il couvroit
d'ailleurs fon action du manteau de l'amitié
, & peut-être encore croioit- il devoir
être ami jufques- là .
Quoi qu'il en foit , car je ne prétends
pas le juſtifier , je penfe comme vous , mon

DECEMBRE 1765. 57
cher Abbé , que la vertu de ce Romain
célèbre ne devoit pas exclure de fon âme
cette délicateffe , fi naturelle dans les époux ,
& que , fuppofé qu'il ait été en effet auffi
généreux envers Hortenfius , que peu délicat
à l'égard de Martia , il excéda en cette
occafion les principes du ftoïcifime & de
la générofité. Mais cette Martia elle- même,
ne donna- t- elle pas auffi dans un excès
fingulier de complaifance ? Je croirois
volontiers qu'Hortenfuus lui plaifoit plus
que Caton , & que fon acquiefcement aux
intentions de fon mari fut l'effet de fon
inclination pour fon amant. Il n'y a pas
d'autre moyen d'excufer fa docilité , encore
ne feroit-ce pas moi qui l'excuferoit.
A
propos
de cette
hiftoire
, permettezmoi
, mon
cher
Abbé
, de vous
dire
l'origine
du fobriquet
de cocu
, & de vous
apprendre
qu'on
le donne
très- improprement
aux
maris
à qui
leurs
femines
font
des
infidélités
.
C'eſt le nom d'un oifeau fort commun
que l'on appelle aujourd'hui coucou , &
qui , il n'y a guères plus de cent ans , s'appelloit
cocu. Les Naturaliſtes ont débité
que cet oifeau a l'inſtinct d'aller pondre
dans le nid des autres , & par préférence ,
dans celui de la fauvette , où il abandonne
fes oeufs , que celle- ci couve & élève avec
Cv
$ 8 MERCURE DE FRANCE.
plus de tendreffe encore que les fiens . Si
cette obſervation eft exacte & fidelle , il
s'enfuit que le nom de cocu ne convient
nullement aux maris que leurs femmes
déshonorent.
Je ne fai pourquoi nous avons pris ce
nom fi à contre-fens. Les anciens Poëtes
Latins , qui en avoient fait auffi un fobriquet
, nous ont cependant appris à en faire
une application exacte. Juvenal appelle
fauvette un homme dont la femme paffe
dans le lit d'un autre ; & Plaute , le plus
élégant des comiques de l'ancienne Rome ,
donne le nom de cocus aux maris que leurs
femmes furprenoient en adultère. La fable
grecque , qui raconte que Jupiter prit la
forme d'un coucou pour faire fa première
déclaration d'amour à Junon , prouveroit
encore que nous nous fommes équivoqués
dans cette allufion . Au refte , des que nous
nous entendons , il n'eft plus queftion de
recourir aux anciens pour favoir fi nous
nous entendons bien,
Puifque l'occafion en eft fi belle , je
veux encore vous dire , mon cher Abbé ,
que les cornes n'étoient point dans l'antiquité
le fymbole du cocuage , & que nous
interprétons très -mal l'hiftoire & la fable ,
en leur donnant cette fignification comique.
Si Jupiter étoit quelquefois repréfenté
DECEMBRE 1765. 59
avec des cornes , c'eft qu'on l'adoroit en
Egypte & dans la Lybie fous la forme d'un
bélier. Si l'on en donnoit à Bacchus , Dieu
du vin , c'eft que l'ufage étoit alors de
boire dans des cornes. Pan en portoit ,
parce qu'il étoit révéré comme le Dieu
des troupeaux & des animaux à cornes.
En général les cornes étoient l'emblême
de l'abondance , ou de l'audace , ou de la
puiffance , ou de la force. Mais une preuve
fans réplique qu'elles ne fignifioient pas ce
ridicule qu'on leur fait fignifier aujourd'hui
, c'eft que , au rapport de Cicéron
les Déeffes & Vénus elle même en avoient
auffi .
Notre hiftoire fuffit d'ailleurs pour nous
défabufer à cet égard. Si les cornes euffent
de tout temps fignifié le cocuage , les Paladins
des fiècles de Charlemagne & de
Hugues Capet , à l'exemple du brave Pyrrhus
, Roi des Epirotes , les auroient - ils
prifes pour cimiers ? C'étoit cependant l'un
des plus beaux ornemens de la chevalerie
dans les jours de bataille. Les Ducs de
Bretagne en portoient deux grandes fur
leur cafque , & c'eft fans doute à cer ufage
que la Maifon de Banne -Cabiac rapporte
les cornes qui chargeoient autrefois & qui
chargent peut- être encore fon écuffon . II
y a lieu de s'étonner que cet ufage de nos
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
anciens Chevaliers ait été fi peu refpecté
depuis , & que ce qui faifoit autrefois une
diftinction honorable pour la nobleffe , foit
aujourd'hui un fignè de dériſion & de
mépris. Vous voyez au refte qu'il n'y a
point la moindre analogie entre le cocuage
& les cornes.
Je finis par cette queftion que fe fait
M. de Saintfoix , & à laquelle il répond :
pourquoi s'eft-on accoutumé à méprifer un
cocu , quoiqu'il n'y ait pas de fa faute ?
Je crois , dit-il , en avoir trouvé la raiſon.
C'eft que le cas indiquoit particulièrement
un homme de condition fervile , attendu
que plufieurs Seigneurs prétendoient qu'ils
avoient le droit de coucher la première
nuit des nôces avec les époufées de leurs
Serfs ou hommes de corps. Cette réponſe
fatisfait affez à la demande ; & , fi je ne
me trompe , ce feroit encore une raiſonpour
que le nom de fauvette fût fubftitué
à celui de cocu . Meffieurs les maris ne
feroient pas fi mal d'y penfer férieuſement.
Vous ne vous attendiez pas , mon cher
Abbé , que le grave Caton me feroit differter
fur les cocus & fur les cornes ; mais
voilà comme les idées & les chofes viennent
à la file les unes des autres pour peu
qu'il y ait de rapport entr'elles. Amufezvous
de mes réflexions , elles n'ont rien de
DECEMBRE 1765. Gr
dangereux. Si quelqu'un de vos amis en
glofe , ce fera mauvais figne ; regardez-le
bien entre deux
yeux.
Je fuis , & c.
DUP... R. B.
L
LE mot de la première Enigme du Mercure
de Novembre eft charrue , où l'on
trouve char & rue. Celui de la feconde eft
la demoiſelle de Paveur. Celui du premier
Logogryphe eft nacre , dans lequel on
trouve écran , arc , Ancre ( ville ) , cane
ancre de navire ) , & crâne. Celui du
fecond eft ronce , dans lequel on trouve
cor ( inftrument de Diane ) , or , roc ,
corne , & nôce. Celui du troisième eft
lance , dans lequel on trouve cale , âne ,
la , Elan ( Abbaye Saint Germain ) , cane
( femelle du canard ) , élan , & lac. Celui
du quatrième eft prife , dans lequel on
trouve Sire , ris , ré , fi. Celui du cinquième
eft farce ; ôtez l'f & l'e , il refte
arc. Celui du fixième eft monde ; mettez
la première fyllabe après la feconde , &
vous aurez démon.
62 MERCURE DE FRANCE.
PLUS
ENIGM E.
LUS redouté que le tonnerre ?
Je porte dans les coeurs l'épouvante & l'effroi :
Mais l'on trouve fouvent en moi
Le remède aux malheurs que j'annonce à la terre.
Le plus impérieux , le plus puiffant des Rois ,
Sur les fujets a moins d'empire ;
Grace à la terreur que j'inſpire ,
Je fais en un ſeul jour ce qu'il fait en fix mois :
En un jour j'affemble une armée.
Je nais & je meurs dans les airs ;
La Déeffe aux cent voix , l'agile Renommée
D'un vol moins prompt mefure l'univers.
Mais , en parcourant ma carrière ,
Telle est la rigueur de mon fort ,
Que le repos que l'on donne à ma mère
Eft toujours caufe de ma mort.
Par M. l'Abbé d'AULNY , abonné au Mercure.
NOVEMBRE 1765. 63
Dr
AUTRE
UNE famille déteftable ,
Et toujours trop confidérable ,
Ami , quelque foit votre choix ,
Je fuis le moins mauvais , je crois
Répandus fur toute la terre ,
On les fuit , on leur fait la guerre.
Chaque fexe peut ailément
Se fervir d'eux également :
Mais vous voyez en moi l'unique
De notre abominable clique ,
Dont dût- elle s'en avifer )
La femme ne pourroit ufer.
Par. Mad.... D. L. B. M. D. C. D. D.
1
LOGO GRYPHES.
O N trouve dans mes quatre lettres ?
Un mot connu des Géomètres ;
Un Patriarche ; un petit poids ;
Ce qui réunit les familles ,
Qui fait danfer garçons & filles ,
Et les divife quelquefois.
Par M. de V... A Barry , proche
Clairac, en Agénais.
}
64 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
JE ne fuis qu'un corps élaſtique.
Mon nom fur cinq pieds repofé ,
Eft de plufieurs mots compofé.
On y trouve d'abord une note en mufique ;
Une Ifle que l'Aunis entoure de fes eaux ;
Un grain que très - fouvent on donne aux animaux ;
Un métal néceffaire à la paix , à la guerre ;
Trois Anges , qu'un efprit orgueilleux & perv ers
Précipita jadis dans le fond des enfers .
Si pour me déviner il t'en faut davantage
Apprends que ma beauté difparoît avec l'âge ;
Que je prête à Cloris un nouvel agrément
Pour captiver le coeur de fon volage amant ;
Que l'on m'aime fur-tout quand je commence à
naître.
Lecteur , àtant de traits peux- tu me méconnoître
Par S. C... DE L.......
JE
AUTRE.
E fais difpenfer de lunette ;
Et je mets fous vos yeux , par des tranfports divers ,
Un habitant des bois ; le bout de l'univers ;
Et la fource d'une omelette.
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
,
Romance.
Au tems jadis , un Chevalier
,
Trouvant au bois gente ber berge re
W
Lui dit : il faut nous mari er ,
o
Sans Curé,
Mineur
parens , ni no -
no - taire

Quand on brule de franche ardeur,
Quel besoin est- il d'autre , chose?
Pour gage, je t'offre t'offre mon coeur,

Pour dot,je ne
veux que ta rose .
DECEMBRE 1765. 69
LE CHEVALIER ET LA FILLE DU BERGER
ROMANCE ANCIENNE
ΑνU temps jadis , un Chevalier ,
Trouvant au bois gente Bergère ,
Lui dit il faut nous marier ,
Sans Curé , parens , ni Notaire.
Quand on brûle de franche ardeur ,
Quel befoin eft- il befoin d'autre chofe
Pour gage , je t'offre mon coeur ;
Pour dot , je ne veux que ta roſe.
Votre coeur n'eft pas fait pour moij
Si ma rofe fait votre envie ;
Nul galant , dût - il être Roi ,
Ne l'obtiendra qu'avec ma vie.
Malgré les cris , au même inſtant
Il ravit cette fleur chérie ;
Puis il lui dit , en la quittant :
Ne craignez rien pour votre vie.
Life , au comble de la douleur ,
De l'oeil en vain fuit le coupable ;
Et fent d'autant mieux fon malheur ,
Que fon vainqueur étoit aimable.
* Imitée de l'anglois.
66 MERCURE DE FRANCE.
Mais fût- il Vicomte , ou Baron ,
Life lui déclare la guerre..
Pourvu qu'elle fache ſon nom ,
Son rang ne l'inquiette guère.
Car , fans ce nom , quel Dieu pourra
Seconder les voeux qu'elle forme ? ...
Un Hermite , qui prioit là ,
Le connoilloit , & l'en informe .
Ah , Ciel ( dit- elle ) j'entrevoi
Ce que ta bonté me prépare ....
Edgar eft jufte ; il eft mon Roi
Il m'entendra.... Tremble , barbare
Life vole ; arrive à la Cour ,
Et de voir le Prince attend l'heure,
Qui l'aidera dans ce féjour ...
Mais Life eft belle , & Life pleure.
Jeune , aimable , comme au printemps
Plaît à tous les yeux la nature ;
Les moins fenfibles Courtiſans
Partagent les maux qu'elle endure.
Edgar , qui s'avance à l'inftant ,
Parmi la foule la remarque.
La Bergère approche , en tremblant ;
Et le traîne aux pieds du Monarque.
DECEMBRE 1769 67
Sa voix s'épuife en longs fanglots ;
Et la pauvre Life troublée ,
Articule à peine ces mots :
Sire , juftice ! .... On m'a volée.
--
Quoi? Ce que je gardois le mieux
Ce que par force il a fçu prendre :
Mon tréfor le plus précieux ,
Et qu'envain il voudroit me rendre ! --
Eft- ce velours , eft - ce drap d'or ,
Qui de tant de larmes font caufe ?
Ah , Sire c'eft bien plus encor.—
Que yous a-t-il donc pris ? Ma rofe !
Si le raviffeur eft garçon ,
Pour époux ton Roi te l'accorde.
S'il ne l'eft , quel que foit fon nom ;
Il mourra fans miféricorde.
On l'appelle ..... C'étoit Mainfroi ,
Frère de la Reine Myccée....
J'en fuis fâché , lui dit le Roi ,
Mais la fentence eft prononcée .
Mainfroi l'appaile , vainement :
Le Roi fort & les laiffe enfemble.
Terraffé par ce jugement ,
Mainfroi le tait , & Life tremble.
68 MERCURE DE FRANCE.
Par crainte & par orgueil plus doux ,
Bientôt il la flatte , il s'excufe ,
Il offre argent , or & bijoux :
Mais la Bergère tout refuſe.
Garde ton or & tes bijoux ,
Mainfroi ; ton erreur eſt extrême .
Si du Roi tu crains le courroux ;
Je ne veux de toi ... • que toi-même.
Cruelle c'est trop m'outrager.
Quoique je mérite de blâme ,
La fille d'un chétif Berger
Jamais ne deviendra ma femme.
De mès biens choifis les plus beaux
Viens , & partage ma richeſſe ;
Prens le premier de mes châteaux ,
Et de Mainfroi fois la maîtreffe ..
Non tu dois être mon époux :
Le Roi le veut , l'honneur l'ordonne.
Life , pour un titre fi doux ,
Refuferoit une couronne .
Duffé- je , dès le lendemain ,
Comme efclave me voir vendue ;
Duffé-je périr de ta main ,
Je la réclame : elle m'eft due.
DECEM BRE 1765.
A ce difcours , le fier Mainfroi
Connoît l'amour , céde à fes larmes ....
Viens au temple je fuis à toi :
Viens , Life rends grace à tes charmes.
Déja , par les mains de l'amour ,
La jeune Bergère eft parée ,
Et du Roi même , avec fa Cour
A l'autel fe voit entourée.
C'est à vous dit- elle , grand Roi ,
Que je dois ce bonheur fuprême ! ... )
Mais , quand tu veux bien être à moi , {
Mainfroi .... je te rends à toi - même.
Chez moi l'honneur eft fatisfait :
Qui me l'ôta , fçut me le rendre ;
Et chez moi l'amour gémiroit ,
Si plus long- temps j'ofois l'entendre.
Tandis que je vais dans les bois ,
Garder les troupeaux de mon père ;
Puiffe- tu , du moins quelquefois ,
Te fouvenir de ta Bergère !
Mainfroi s'écrie avec tranſport :
Arrête !. Daigne être ma femme....
Si la beauté forma ton corps ,
Le Ciel même a formé ton âme !
70 MERCURE DE FRANCE.
Edgar lui-même avec la Cour
Se joint à Mainfroi , qui fupplie....
Et Life enfin céde à l'amour ,
Qui fit le charme de leur vie.
ENVOI à M. L. C. C. D. G. C.
Si des bonnes gens d'autrefois ,
Pour toi la fouvenance eft chère ;
Ami , ces fentimens Gaulois ,
Sans doute , auront de quoi te plaire.
Paroles de M. D. La P ....
Mufique de M. DE LUSSE.
DECEMBRE 1765. 71
ARTICLE I I.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ESSA1 fur les erreurs & les fuperftitions,
par M. L. C ***. A Amfterdam , chez
ARCSTÉE & MERKUS , & fe trouve à
Paris , chez PANCKOUCKE ; un vol.
in- 12 : 1765..
L'AUTEUR , en traitant cette matière
abftraite , avoit deux écueils également
dangereux à éviter ; un pyrronifme condamnable
, & un excès de crédulité plus
condamnable encore. Il les a vus & s'en
eſt garanti avec adreffe. Il n'a point touché
au voile facré de la Religion ; & quelles
que foient les conféquences qu'on voudra
tirer de fes principes ; quelles que foient
les allufions qu'on voudra faire des traits
épars dans fon ouvrage , il n'a point à
craindre qu'on puiffe l'accufer d'être tombé
dans aucun genre de fuperftition. Il
s'eft placé dans ce point de vue où Milton
s'étoit placé lorfqu'il écrivoit , en parlant
72 MERCURE DE FRANCE.
de l'enfer , qu'il n'y a de clarté qu'autant
qu'il en faut pour appercevoir les ténèbres .
En fait de métaphyfique , c'eft à peu près
la fituation où nous fommes encore & où
nous ferons toujours , que m'ont appris ,
dit l'Auteur de cet Effai , dans le premier
chapitre , tant de grands hommes , tant
d'écrivains , tant de differtateurs , qui depuis
plus de deux mille ans agitent les
mêmes queſtions , à m'égarer , à adopter ,
à rejetter , à careffer & à détruire tour- àtour
, les opinions des autres & les fantômes
de mon imagination. Depuis Thales
qui voulut expliquer la nature des êtres
intellectuels , & qui n'expliqua rien , juſqu'au
profond & favant Mallebranche, qui
a tenté de pénétrer dans les mêmes profondeurs
, qu'ai-je appris ? que perſonne
encore n'a donné une définition exacte ,
une idée diſtincte de Dieu , de l'ame , de
l'efprit , de l'inſtinct même , &c. Je me
fuis convaincu que l'homme qui croit
voir & penfer , eft tout auffi aveugle à cet
egard & tout auffi borné que la taupe &
l'onagre.
L'Auteur cherche à travers les ténèbres,
l'origine des erreurs & des fuperftitions
il la trouve , 1 ° . dans l'incertitude de nos
jugemens. Eh comment parvenir à quelque
certitudes morale ou phyfique ? nous n'avons
DECEMBRE 1769. 73
vons que des moyens peu sûrs & évidemment
incertains , pour juger des objets qui
nous environnent ; nous n'avons que des
idées confuſes , imparfaites & très -mal
déterminées fur les objets intellectuels ;
pivots fur lefquels roulent la Philofophie
& toutes les fciences : 2 ° . dans l'ignorance
invincible ( ou tout au moins invaincue)
où nous fommes de nous- mêmes ou de la
nature de l'ame , l'Auteur rapporte toutes
les définitions qu'en ont données les anciens
Philofophes , & aucune n'eft fatisfaifante;
il s'arrête à l'opinion la plus raifonnable ,
celle de Ciceron , qui dit que c'eft dans la
nature même des Dieux que nos âmes
font puifées. A naturà Deorum hauftos animos
& libatos habemus Humanus autem
animus decerptus eft mente divinâ. Je ne
vous demande point , ô Ciceron , s'écrie
l'Auteur , d'où fortent les ames je fais
tout comme vous , qu'elles viennent de
Dieu ; mais dites - moi ce que c'eft que
Dieu , & comment fe fait cette émanation
? Les définitions des modernes ne
font pas plus concluantes. Seroit - on fatisfait
d'un Philofophe qui définiroit la lumière
, la faculté d'éclairer ? Cependant
nous n'avons pas de meilleure définition
de l'âme.
....
Ces opinions anciennes & modernes

74 MERCURE DE FRANCE .
conduiffent l'Auteur à examiner fi les anciens
étoient plus favans que nos pères , &
fi nos pères étoient plus ignorans que nous.
Après avoir difcuté le fyfteme de Pythagore,
qui lui paroît approcher le plus de la vraifemblance
, après avoir répondu à l'objection
de l'oubli où tomboient les âmes ,
en paffant d'un individu dans un autre ,
il conclut que les Grecs , contemporains
de ce Philofophe , dès- là qu'ils connoiffoient
tout ce qui avoit été dit & écrit fur
l'âme, depuis la création jufqu'à eux
comme on connoît aujourd'hui ce qui a
été écrit & dit depuis Pythagore juſqu'à
étoient crédules , comme nos pères
l'ont été , & qu'il y auroit de la folie à
nous de nous croire plus éclairés que nos
pères , & qu'enfin fe feroit rendre aux
hommes le plus cruel des fervices , que
de
détruire des erreurs qui ne font pas moins
néceffaires au bonheur de chacun d'eux
qu'elles font effentielles à la tranquillité
générale & à la sûreté des gouvernemens
qui les ont adoptées.
nous ,
>
L'Auteur en vient à fon fujet : il demande
ce que c'eft que la fuperftition ? mais
avant que de la définir , il rapporte deux
anecdotes fingulières . L'une eft la mépriſe
d'un obfervateur mal-adroit , qui crur
voir de l'or germer dans des grains de
DECEMBRE 1765. 75
raifin d'un vignoble hongrois. Il propofa ce
phénomène à l'Europe favante , qui examina
de bonne foi , comment il fe pouvoit
faire que des feps ordinaires diftilaffent de
l'or. Quand la difpute fut bien animée
un homme qui n'étoit ni favant ni naturalifte
, ni phyficien , alla examiner cette
production , & trouva que ce qu'on avoit
pris pour une végétation nouvelle , n'étoit
autre chofe que quelques fables d'or que
le vent détachoit d'une mine du voifinage
& tranfportoit dans cette vigne. L'autre eft
d'un Philofophe grec qui expliquoit par
des raifons phyfiques , pourquoi des figues
qu'il venoit de manger , avoient le goût
de miel ; lorfque fon efclave lui dit que
le vafe dans lequel ces figues avoient été
fervies , avoit auparavant été rempli de
miel : d'où l'Auteur conclut qu'avant d'éxaminer
les erreurs ou les avantages des fuperftitions
, il eft bon de s'affurer s'il y a des erreurs
& des fuperftitions; propofition moins
abfurde qu'il ne le femble d'abord; car quoiqu'il
foit vrai qu'il y a des erreurs , on
donne trop légèrement le nom de fuperftitions
à certaines opinions & à certains
ufages. Il définit la fuperftition , un culte
de religion minucieux , bizarre , mal dirigé
, mal ordonné , rempli d'une infinité
de préjugés. Les uns regardent tous les
Dij ,
76 MERCURE
DE FRANCE .
ufages reçus , toutes les cérémonies religieufes
, comme autant de fuperftitions
folles ou deshonorantes ; tandis que les
autres les obfervent avec vénération. Quels
font ceux qui font dans l'erreur ? Dira t- on
que ce font ceux qui s'éloignent de l'opinion
générale ? Mais quoi de plus général
que les préjugés populaires ? tout ce qui
paroît bien dirigé , bien ordonné aux uns,
paroît bizarre & puérile aux autres . La
lumière naturelle m'apprend à douter fans
tourment , à pefer fans partialité , à conclure
fans audace ; mais dois je la confulter
? C'est encore un problême.
L'Auteur entre dans le détail de différentes
eſpèces de fuperftitions. Il trace avec
ironie fes regrets fur la décadence de l'aftrologie
judiciaire en Angleterre & en
France , tandis qu'elle fe foutient encore
chez prefque tous les autres peuples de la
Terre , qui depuis tant de fiècles , & dans
tous les temps , ont confulté le Ciel
pour
y lire l'avenir. Cette idée eft comme innée
à tous les hommes ; & pourquoi , dit l'Auteur
, céderois- je au torrent des opinions
nouvelles ? Pourquoi , trop facile à me
laiffer perfuader , irois- je facrifier une fi
belle fcience à quelques argumens ? Il rapporte
en faveur de l'Aftrologie & de l'influence
des Aftres , des autorités & des
DECEMBRE 1765. 77
faits finguliers , qui doivent bien faire rougir
l'humanité. Il fait l'hiftoire de la magie
, & prouve auffi par les faits , que depuis
Zoroastre jufqu'au fiècle de Louis
XIV . la magie s'eft foutenue avec éclat ,
& que la forcelerie , depuis Orphée & Tirefias,
tantôt opprimée , tantôt triomphan-
› exifte encore en France , en dépit des
bourreaux qui ont fouvent enfanglanté la
fcène. L'Auteur fe trompe en affurant qu'il
n'y a pas de forciers à Paris ; plufieurs
femmes vivent de ce métier , parce qu'elles
font trop décrépites pour en faire un autre.
Il feroit à defirer qu'elles vouluffent donner
la lifte des dupes qui les confultent ,
& des queſtions qu'on leur fait ; ce feroit
peut-être les meilleurs mémoires qu'on pût
avoir pour fervir à l'hiftoire des moeurs du
1 Se. fiècle . Les enchantemens dont l'Auteur
fait enfuite l'hiftoire , font encore en
vogue parmi nous ; ils ne font pas à la vérité
auffi abominables , auffi affreux que du
temps des Egyptiens , de Médée , de Canidie
, de Philippe de Valois , de Henri III ;
mais ils font à peu près les mêmes que ceux
dont parle Virgile , ceux que Pline décrit ,
&c. L'Auteur entre dans le détail des enchantemens
, comme il l'a fait en parlant de
la magie & de la forcellerie , de l'aftrologie
judiciaire ; ces chapitres font remplis des
Diij
78 MERCURE
DE FRANCE
.
anecdotes les plus intéreffantes & les plus
curieufes. C'eft une vérité conftante en
Efpagne , affirmée par les Moines , qu'il y
à des enchanteurs dont la vue fait périr
ceux fur qui ils la fixent ; que d'autres ,
d'une rue à l'autre, d'un feul regard, caffent
les vîtres. L'Auteur conclut des faits qu'il
rapporte , que , quoique le nombre des
Docteurs foit plus grand en Espagne , que
celui des Derviches & des Kalenders en
Turquie , on y penfe à peu près la même
chofe fur les enchantemens ; qu'en Perſe ,
chez les Grecs & en Arabie on a la même
idée des enchanteurs , qu'on en avoit en
France il y a deux fiècles , & qu'on en a
encore dans quelques villages. Qu'enfin
peut-être y a - t - il quelque chofe d'utile
dans cette fuperftition , puifqu'elle eft fi
ancienne & fi fortement accréditée chez
tous les Peuples policés ou fauvages , ftupides
& inftruits. L'Auteur termine cé
détail de fuperftitions par l'hiftoire des
fonges , des fantômes & des revenans ; il
excufe , ou pour mieux dire , il cherche
les caufes phyfiques de la crédulité de tous
les fiècles fur ces fuperftitions , mêlant de
temps en temps l'ironie au ton dogmatique
& férieux.
Ilfait deux queſtions : les erreurs , dit- il ,
& les fuperftitions font - elles toujours perDECEMBRE
1765. 79
niciéufes ? Les plus cruelles ont- elles été
toujours auffi , & font- elles encore les plus
généralement répandues ? fur la première ,
il s'attache à prouver qu'il ne feroit pas impoffible
de tirer du fein des abus mêmes &
des maux que caufe la fuperftition , le plan
d'un nouveau culte mieux dirigé , mieux
ordonné , plus raifonnable & plus avantageux
à la fociété . Il combat le fentiment
de Lipfe & de Bayle , qui prétendent que
la fuperftition eft plus pernicieufe que
l'athéisme. Il fait voir qu'ils ont confondu
la fuperftition avec le fanatifme. Il prétend
que les erreurs font fouvent néceffaires
; il le prouve par l'unanimité de tous
les Peuples de la Terre à les admettre , à
les autorifer , à les refpecter ; par les avan- .
tages que la fuperftition a procurées à la
République Romaine , par l'importance
des perfonnages auxquels étoient confiées
les fonctions d'augures , &c. Il rapporte
des anecdotes curieufes des fuperftitions
de différens Peuples , & prouve par les
faits , qu'heureufement les plus cruelles
ne font pas les plus générales. Mais la fuperftition
offre de grandes reffources pour
réunir les hommes divifés , pour rétablir
l'ordre & les loix où régnoient l'anarchie
& la confufion ; elle prépare elle- même
les voies à fa propre deftruction , quand le
Div
So MERCURE DE FRANCE.
culte qu'elle a inftitué eft dégénéré en
pratiques totalement abfurdes : heureuſe
la Nation , dit-il , qui , lorfque fon ignorance
, fes préjugés , fes fuperftitions font
parvenus à leur plus haut degré d'aveuglement
& de ftupidité , produit un impofteur
, un ambitieux , un homme de
génie , qui par des erreurs moins groffières
& moins aviliffantes , tire fes compatriotes
de l'abyme où ils étoient tombés ;
quand même , par la féduction de l'impofture
& de l'enthouſiaſme , il les conduiroit
dans un précipice nouveau , mais
moins profond & moins affreux que celui
dans lequel ils ont été enfevelis ! Tels
étoient les Arabes , & tel fut Mahomet
lorfqu'il leur donna des loix & une doctrine
fort fuperftitieufes à la vérité , mais
plus élevées , plus nobles & moins abfurdes
que le culte bizarre & le gouvernement
infenfé des Tribus qu'il fe propoſa
d'affervir. Mahomet , éloquent , ingénieux
& ferme comme il l'étoit , eût pu éclairer
l'Arabie du flambeau du Catholicifme ;
nais les Arabes abrutis par la groffièreté
de leurs vieilles fuperftitions , euffent- ils
eu la force de foutenir l'éclat de l'augufte
vérité ? c'eft ce que l'Auteur examine. Il
trace l'efquiffe des préjugés reçus chez les
Arabes , de leurs ufages , de leurs loix. Ily
DECEMBRE 1765. 8 %
en avoit une qui mérite d'être rapportée.
Elle éxigeoit que dès que le Roi avoit été
élu , il fe renfermât dans fon palais , fans
qu'il lui fût plus permis d'en fortir. Cette
loi étoit fi facrée , que les fujets fe
croyoient dans la néceffité de le lapider fi
dans quelque circonftance que ce fût ,
méditée où fortuite , il entreprenoit de
l'enfreindre . Leurs moeurs étoient un mêlange
de vices & de vertus ; leur religion
fe bornoit à adorer les étoiles & les anges ,
mais de la manière la plus abfurde & la
plus groffière.
L'Auteurprouve que Mahomet avoit toutes
les qualités néceffaires pour fubjuguer
cette Nation, foit par fes dogmes appuiés de
fon éloquence, foit par la force de fon génie
& par fon courage. Il détruit au fujet de cet
homme extraordinaire , une foule de préjugés
dont on a nourri notre enfance. On
lui donne une naiffance commune , il étoit
iffu de parens très- diftingués ; il ne favoit,
dit-on , ni lire ni écrire , il avoit reçu une
éducation honnête pour le fiècle où il vivoit
; Bayle dit qu'il fut conducteur des
Chameaux de Kadija , l'Auteur fait voir
que cela n'eft ni ne peut être vrai . C'eft
d'après une étude réfléchie des moeurs &
du caractère des Arabes que Mahomet
forma fa Religion ; ils étoient voluptueux,
DV
82 MERCURE DE FRANCE.
& il leur promit la jouiffance de tous les
plaifirs des fens dans fon paradis , après
leur avoir permis fur la terre de fe livrer à
la volupté ; ils étoient crédules & fuperftitieux
, & il imagina les miracles les plus
extraordinaires & les moins vraisemblables.
Le luxe & la licence , dit l'Auteur
avoient jetté les Spartiates dans la plus
honteufe anarchie , quand Licurgue entreprit
de leur donner une fage légiflation
& de les ramener à la veru ; il y parvint :
fes loix même étoient très févères ; mais
elles permettoient le vol ; elles permettoient
aux jeunes filles de Lacédémone
l'indécence des vétemens ; il falloit bien
pour réuffir , que Lycurgue fe rapprochât
par quelqu'endroit des moeurs des anciens
Spartiates . Ce fut ainfi que Mahomet laiffa
fubfifter quelques ufages des Arabes , en
leur impofant des loix nouvelles . L'Auteur
après un détail curieux fur la vie de Mahomet
, après avoir difculpé cet impofteur de
l'accufation de fanatifme , contre . M..
Deleyre , & après avoir prouvé que Mahomet
fut profiter du caractère fuperftitieux
des Arabes en homme de génie , pour
leur infpirer le fanatifme dont il avoit
befoin pour venir à bout de fes projets ,
demande dans quels pays Mahomet , s'il
étoit né de nos jours , pourroit fe flatter
DECEMBRE 1765. 83
de fonder fa Religion. Il croit que c'eft à
Lao dans le Maduré , où il produiroit un
grand bien en délivrant les Laojans de la
tyrannie des Talapoins , & de la fuperftition
qui afflige ce Peuple , abruti par la
friponnerie des Prêtres ; mais qu'il ne feroit
nulle part en Europe plus de progrès
que n'y en a fait le Comte de Zinzendorff,
dont il rapporte les folies , à peu près telles
qu'on les a lues dans le Journal Encyclopédique
, & dans le choix des anciens Journaux
, d'après l'Auteur de cet Effai.
Cet ouvrage eft écrit avec feu , la grande
quantité d'anecdotes curieufes qui y font
répandues y jette un agrément qui pique
& qui réveille le Lecteur. On y voit des
principes , mais peu de conféquences. Il
paroît que l'Auteur a été gêné dans la
compofition ; il ne dit pas tout ce qu'il
eût dit , s'il eût eu fes coudées franches ;
certains chapitres paroiffent tronqués , &
l'on s'apperçoit quelquefois des coupures
qui ont été faites après coup. En général
cet ouvrage eft amuſant & inftructif ; il
femble quelquefois que l'Auteur y prenne
le parti de la fuperftition ; mais c'est pour
la combattre avec plus d'avantage.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
LA BELLE BERRUYERE , ou les Avantures
de la Marquife DE FIERVAL ;
avec cet épigraphe OMNIA VINCIT
AMOR. Virg. Où ? chez le Grand EditeurJEAN
NOURSE . A Londres ; 1765 ÷
2 vol. in- 12..
PAR le titre de ce roman , on voit que
les événemens fe paffent en Berry. Le
Comte & la Comteffe de Longueil le promenant
dans leur parc , voyent venir un
homme qui mène un cheval chargé de
deux paniers. Ils le prennent pour un
Marchand forain , & lui propofent d'acheter
fes marchandifes. Le Marchand fait
le tour du parc , entre dans la cour , y
laiffe fon cheval & difpatoît. On ouvre.
les paniers ; dans le premier on voit un
enfant qui avoit à fon cou une agraffe de
diamant , & dans le fecond les langes qui
doivent lui fervir , & parmi lefquels étoit
une lettre à l'adreffe du Comte , écrite par
le père de cet enfant. Il lui dit que le connoiffant
pour le Gentilhomme de la
vince le plus généreux , il ofe lui confier le
feul bien qui lui refte. La mort d'une époufe
proDECEMBRE
1765. 85
adorée le force à fe féparer de fa fille chérie.
Il finit par les affurances d'une éternelle
reconnoiffance pour les foins qu'il
daignera donner à fa chère & infortunée
Sufanne.
Le Comte & la Comteffe fe rendent
dignes de cette confiance ; les fentimens
qu'ils prennent pour la petite Sufanne font.
vraiment paternels. Ils n'ont point d'enfants
; Sufanne aura & leur tendreffe &
leur bien. Son enfance n'offre rien de remarquable
; elle arrive à l'âge de quatorze.
ans ; elle foumet tous les coeurs de la province
, & particulièrement celui du Baron,
de Saint-Alban & du Chevalier fon fils ;.
mais le coeur de Sufanne paroît peu flatté
de leur hommage ; il fe décide pour
l'heureux Marquis de Fierval ; il trouve
des obſtacles de la part de la mère du
Marquis , qui ne veut point entendre parler
d'union avec une fille fans nom. Le
Chevalier de Saint- Alban défefpèré de
l'indifférence de Sufanne , projette de l'enlever
; elle l'apprend , & pour s'y fouftraire
elle eft décidée à fe retirer dans un Couvent.
Elle part avec une des femmes de
Madame de Longueil , & laiffe une lettre
pour la Comteffe , par laquelle elle lui fait
part des raifons qui la forcent à quitter fa
bienfaitrice. Elle lui demande le fecret
86 MERCURE DE FRANCE.
même vis-à- vis du Comte fon mari. Elle
eft attaquée dans fa route par trois hommes
mafqués. Le cheval que montoit notre
héroïne eft épouvanté des coups de piſtolets
. Elle tombe évanouie & fe trouve
dans la baffe -cour d'une ferme , étendue
fur un tas de fumier , emportée par l'ardeur
de fon cheval. Secourue par un homme
qu'elle reconnoît pour fon amant , elle n'a
pás le temps de lui témoigner fa joie.
Saint- Alban paroît , veut arracher Suſanne
des mains du Marquis ; ils fe battent ; le
Chevalier eft percé de coups : Fierval &
Sufanne fe rendent à Avignon ; le Marquis
obtient fa grace , rejoint fon régiment , &
laiffe fa maitreffe feule pour peu de temps
.
Elle revient elle - même en France accompagnée
de Montdor , ancien ami de Madame
de Longueil. Montdor tombe malade
à Moulins ; Sufanne lui donne fes foins ;
il fe rétablit : mais un jour voulant prendre
l'air , elle fort avec fa femme de chambre .
A peine eft- elle à cent pas de la ville, qu'elle
fe trouve encore enlevée par Saint-Alban.-
Il l'a conduit en Hollande , & la tient
dans une eſpèce d'efclavage. Sufanne trouve
le moyen d'en fortir par la générofité d'un
Juif, honnête homme ; & elle revient avec
lui à Paris , où elle rencontre le Comte de
Longueil , Montdor & Fierval. Ils font
DECEMBRE 1765. 87
enchantés de cette réunion , & fe rendent
tous à la terre de Longueil. Madame de
Fierval confent enfin au mariage de fort
fils ; il étoit prêt à fe conclure ; mais , fur
une lettre que le Marquis reçoit de fon
oncle le Commandeur , qui le conjure de
venir conclure fon mariage à Malte , on fe
difpofe pour ce voyage. Ils arrivent à
Gênes , y féjournent quelque temps pour
attendreun vent favorable. Tout paroiffoit
favorifer leurs defirs ; le temps étoit beau :
ils fe mettent en mer. A peine ont- ils gagné
le large, qu'ils font pourfuivis par un corfaire
qui les atteint , les bat , & , malgré leur
réfiſtance , les fait prifonniers. Les voilà
à Alger ; Fierval & Sufanne font féparés ;
ils font cependant traités avec bonté : le
Marquis , parce qu'on en cfpère une forte
rançon , & Sufanne , parce qu'elle étoit
belle & que fon Patron la deftinoit pour
le ferrail du Grand Seigneur. En effet elle
y eft menée ; mais un nouvel incident l'en
tire. Fierval & Saint- Alban s'étoient réconciliés
& c'eft aux foins de cet ami
converti , que Sufanne a dû fa liberté. Par
lui elle retrouve fon père qui gémiffoit
depuis dix- fept ans dans la plus dure captivité
ce père eft le Comte de Maribourg ,
qui avoit en fecret époufé la fille du Baron
d'Hernière. Sufanne eft enchantée de n'être
38 MERCURE DE FRANCE.
pas indigne de l'alliance de fon amant . Ils
reviennent tous en France recevoir les embraffemens
de leurs parens & de leurs amis.
Sufanne devient Marquife de Fierval ; elle
eft heureuſe par cet hymen , & c'eſt ainſi
que finit le roman , qui nous a paru en
général affez mal écrit. Nous y avons remarqué
des expreffions trop recherchées &
peu françoiſes . Les événemens y font communs
& mal amenés , & produifent des
fituations peu intéreffantes , parce qu'elles
font toutes prévues ou mal rendues. Ce
roman reffemble à mille autres , & en particulier
aux Mémoires de M. de Kermalec ,
qui paroiffent en avoir fourni tout le fond ,
que l'Auteur a gâté par le vice du ſtyle.
FANNI , ou l'HEUREUX REPENTIR ,
Roman nouveau . A Londres ; 1765 : &
Je trouve à Paris , chez PANCKOUCKE ,
Libraire , rue & à côté de la Comédie
Françoife : in-12.
NOUS ous avons annoncé dans le Mercure
précédent , que nous parlerions de cet
ouvrage fi intéreffant dont M. d'Arnaud
eft l'Auteur. C'eft l'âme même de la fenfiDECEMBRE
1769. 89
و د
bilité qui l'a compofé. Les Editeurs qui
ont publié ce morceau touchant , l'avoient
choifi avec raifon pour paroître à la tête
d'une collection de productions de ce genre.
« On a donné , difent ils , cette année au
» Public une collection de tous les chefs-
» d'oeuvres de nos Poëtes modernes , fous
» le titre d'Elite de poéfies fugitives . L'ac-
» cueil que tous les gens de lettres ont fait
» à cet excellent ouvrage, nous a fait adop-
» ter le plan qu'on y a fuivi pour former
» un choix des plus jolis romans répandus
» dans un très - grand nombre d'ouvrages.
qu'on ne connoiffoit plus, ou qu'on auroit
» toutes les peines du monde à fe procurer.
» Nous ofons nous flatter que ce recueil
» d'hiftoriettes amufantes ne fera point
» inférieur au modèle que nous nous propofons
de fuivre. Nous n'avons pas cru
pouvoir le commencer par une hiftoire
plus intéreffante que celle de Fanni ou
» l'Heureux Repentir.
و د
و د
ور
و د
ر د
Le Lord Thatley entroit dans cet âge
» que l'on peut nommer l'orage des paf-
,, fions ; il étoit né avec des vertus , avec
beaucoup de fenfibilité ; le tact , s'il eft
» permis de parler ainfi , de ce qui eft juſte
Vingt- deux ans , de la richeffe , de la
» naiſſance , une fociété de gens corrompus
, c'eft-à-dire , la fociété du grand
و د
MERCURE DE FRANCE.
» monde , la facilité de céder à fes pen-
" chans , tous ces ennemis du fentiment &
de la raifon étouffèrent en lui la nature ,
➡ qui , pour peu qu'on l'écoute , nous ramène
toujoursà la vérité. Il brilloit parmi
» les étourdis qui vont fe créver aux courfes
» de Nevvmarket ; le modèle en un mot
des beaux dujour. Thatley fe diftinguoit
par tous les agrémens & les travers . Il
poffédoit une très- belle terre dans le
» Comté de Salop "".
Ce Lord avoit un ami corrompu ,
nommé Thovvard , qui faifoit mourir les
remords dans le coeur de Thadley & lui
applaniffoit le chemin du vice: Le hafard
offre à la vue du dernier une fille de fon
fermier , nommé Adanel. « L'Irlande , fi
» vantée pour fes beautés , n'a point à nous
» oppofer une créature auffi raviffante.
Fanni , c'eft fon nom , étoit un ange
» defcendu fur la terre ; la dignité même
» de l'âme éclatoit fur fon front ingénu ,
» & la pudeur rougiffoit fur fes joues de
ور
rofe. Toutes les grâces fe réuniffoient
» autour de fa bouche vermeille. Elle avoit
la peau d'une blancheur éblouiffante ,
» les cheveux d'un chatain parfait. Le
» chatme de fes yeux ne fauroit fe repré-
» fenter. Il fuffit de dire qu'on ne pouvoit
» voir Fanni fans éprouver deux fentiDECEMBRE
1765. gr
» mens fouverains , celui de l'admiration
» & le feu même de l'amour. Ce dernier
و د »fitdepromptsravagesdanslesfensdu
,, Lord ».
Thatley , éperdument amoureux , fait
part de fa nouvelle paffion au féducteur
Thovvard , qui le badine fur l'objet de fa
tendreffe. Il l'accompagne chez le fermier ;
il a une converfation particulière avec ce
refpectable vieillard , & lui propoſe de
vendre au Lord l'honneur de fa fille . L'indignation
de cet honnête homme à une
offre fi peu faite pour une famille vertueufe
, qui s'honoroit de cultiver la terre
& de vivre du travail de fes mains. Thatley
défavoue ce fcélérat ; fon amour s'accroît.
Adams a une converfation particulière avec
fa fille . Il découvre enfin qu'elle aime le
Lord , fans trop favoir ce que c'est que
l'amour. Cependant l'honnêteté eſt la baſe
de ce penchant fecret. Son père lui apprend
quels étoient les vues de Thatley ; elle en
conçoit une jufte horreur.
"
و د
« Le Lord rencontre un jour Fanni qui
lui parut plus belle , plus féduifante
qu'il ne l'avoit jamais vue ; un joli chapeau
fur la tête , des fleurs de prés qui
» tomboient négligemment à fon côté , fes
» cheveux dans un défordre préférable à
l'élégance de l'arrangement , fon fein
»
"
22 MERCURE DE FRANCE.
ود
"
"
agité , quelques larmes qui s'échappoient
» de fes beaux yeux fur les deux rofes de fes.
» joues.C'eft fous cet afpect enchanteur que
» s'offrit la maîtreffe de fon âme ; elle étoit
affife au pied d'un arbre , & l'on voyoit
aifément que quelque grand chagrin
rempliffoit ce jeune coeur. Thatley s'é-
» lance à fes pieds. Vous pleurez , bel
ange , lui dit-il ! Auffi tôt Fanni fe lève
» en s'écriant : mon Seigneur ! ... Il veut
» lui prendre la main , elle la retire avec
précipitation , s'efforce de s'éloigner &
» de regagner la ferme . Non , chère divi-
» nité , vous ne me quitterez pas .... Eh
» que vous ai - je fait , belle Fanni , quel
» crime ai - je commis ? Ah , Monfeigneur,
» laiſſez moi , laiffez , que je coure à mon
père ; il m'a défendu de vous parler , de
» vous voir.... Monfeigneur , cela eft
» bien affreux , ajoute- t-elle , en laiffant
» échapper fes larmes , d'avoir voulu abusfer
de notre pauvreté..... Vous avez
"
و د
23
ود
chagriné mon père , tous mes parens ;
» je n'ai pas mérité cet affront de votre
grace . En prononçant ces dernières
paroles elle pleuroit & en étoit plus belle .
Son père arrive ; Thatley , enflammé d’amour
, lui déclare qu'il veut époufer fa
fille. Adams , en homme fage & connoiffant
la diftance des rangs , rejette cette
propofition.
DECEMBRE 1765. 93
Il faut lire tous les détails de ce charmant
ouvrage , il n'en eft point à négliger ,
qui ne faffe couler de ces douces larmes
qui entretiennent & nourriffent cette mélancholie
délicieufe , la plus chère des
impreflions de l'âme.
Thatley perdu par les confeils de l'abominable
Thoward , trompe l'innocente
Fanni , abuſe du nom facré du mariage
& par un feint engagement qui paroifloit
revêtu de toutes les formes des loix , trouve
le moyen de pofféder tout ce qu'il aime .
Le Lord , déchiré de remords qu'étouffoit
fon indigne ami , quitte Fanni , va à Londres.
Son oncle , le Lord Dirton , apprend
de Thoward ce qui empêchoit fon neveu
d'accepter un mariage brillant qu'il lui
propofoit. Fanni de fon côté fe défoloit ,
elle étoit affligée de l'abfence d'un perfide
qu'elle croyoit fon époux . Dirton , nourri
& vieilli dans la dureté & dans les crimes
de la ville , traite cet engagement de Thatley
d'aventure galante , qu'une fomme
d'argent peut terminer ; il fait venir
Adams. Difcours pathétique & fublime
de cet honnête fermier ; c'eft la dignité
même de la nature outragée ; c'eft dans
ces morceaux que le coeur eft déchiré &
que l'intérêt de ce roman excite des fanglots.
La lettre d'Adams eft un modèle
94
MERCURE DE FRANCE .
telle que
و د
de cette éloquence naïve & majeftueuse ,
l'ont eue les Scythes , & que l'ont
encore les Sauvages . » Homme barbare
( écrit il à Dirton ) c'eft au nom du Maî-
» tre fuprême de l'humanité , que je t'écris
; il eft notre juge . Tu fais enfoncer
» mes derniers pas dans l'opprobre & dans
» la fouillure ; pour récompenfe des travaux
d'un vieux ferviteur qui mangeoit
» au prix de fes nobles fueurs un mor-
» ceau de pain , tu mets la défolation dans
» fon coeur , tu flétris dans fon fein même
» l'honneur de fa fille .... ah , cruel ! le ciel
» vous redemandera compte des larmes
» de fang que vous me faites répandre ....
Votre déteftable neveu .. je le cite
déja au tribunal de Dieu , à ce tribunal
» qu'on ne corrompt point ; il nous ven-
» gera , Mylord , il nous vengera .... Vous
» aurez un jour des remords d'un crime fi
» abominable , il ne fera plus tems , vos
» triftes victimes feront toutes dans la
» foffe ; c'eft de cette foffe
ور
ور
و ر
....
que s'élèvera
» mon cri jufqu'au ciel .... vous avez deș-
» honoré ma vieilleffe , vous avez couvert
» de la boue de l'infamie un homme , une
ם כ
famille entière , qui vous fervoit , qui
» vous aimoit , qui croiffoit à l'ombre de
»votre protection . Vous avez opprimé la
" foibleffe & l'innocence.... Je vous rends
DECEMBRE 1765. 95
» à vous & à votre neveu la ferme & les
» biens qui m'étoient confiés . Que l'enfer
» s'ouvre pour vous engloutir , vous & vos
و ر
"
pareils ! nous irons arrofer de nos larmes
» une autre terre , nous y deffecher de mi-
» fère & de douleur , y pouffer nos der-
» niers foupirs . Puiffe ma lettre , porter
» dans votre ame tous les traits dont vous
» m'affaffinez ; un homme réduit à l'ex-
» trêmité où je fuis , eft au- deffus de toute
crainte ; faites-nous donner la mort ; ce
crime doit fuivre néceffairement celui
» que vous venez de commettre ; il fera
» moins affreux fans doute , & c'est tout
» ce qu'Adams veut vous devoir. «
»
Adams quitte Londres ; défefpoir de
Fanni. Le Lord époufe une fille de qualité
qui l'accable de dettes , de chagrins &
d'opprobres . Grandeur d'âme d'un inconnu
qui veut fe battre avec Thailey pour
l'honneur & pour Fanni. Il met l'épée à
la main contre l'infâme Thow ard & le
tue. Ce vrai Philofophe devient l'ami &
le confeil de Thatley qui venoit de perdre
fa femme. Ils voyagent enfemble. Rencontre
que fait le Lord d'un joli enfant. Scène
attendriffante déchirante. Thatley fe
trouve dans les bras de la malheureufe
Fanni ; cet enfant étoit fon fils : il reconnoît
fes égaremens , les pleure , les répare ,
ر
96 MERCURE
DE FRANCE .
s'honore d'offrir fa main à Fanni , & d'ap
peller Adams fon beau-père. Il doit enfin
à un amour honnête le retour à fes devoirs,
à la vertu & au bonheur.
Ce Roman délicieux pour l'intérêt ,
l'attendriffement , le ftyle , les caractères ,
pour tous les charmes réunis de la belle
nature , eft bien digne du pinceau éner
gique & enflammé qui a confacré à jamais
le Comte de Comminge , & qui a fait verfer
tant de pleurs dans l'hiftoire de M. de
la Bedoyere. Pour revenir à Fanni , jamais
ouvrage de cette eſpèce n'a merité d'être
plus accueilli. Il feroit à fouhaiter que M.
d'Arnaud fît paroître , comme on s'en
étoit flatté , fa collection de femblables
`morceaux. Il ne peut qu'attendre le fuccès
le plus brillant , & d'autant plus marqué,
que fes Contes font d'un genre nouveau ,
& que leur Auteur n'a imité perfonne.
Il eft inutile de répéter , à propos des
Ouvrages de M. d'Arnaud , que le fupplément
de la tragédie du Comte de Comminge
fe vend chez Lefclapart , quai de
Gefvres.
BIBLIOGRAPHIE
DECEMBRE 1765. 97.
BIBLIOGRAPHIE inftructive , ou Traité
de la connoiffance des Livres rares & finguliers
, contenant un Catalogue raiſonné
de la plus grande partie des Livres précieux
, qui ont paru fucceffivement dans
la république des lettres , depuis l'invention
de l'Imprimerie jufqu'à nos jours
avec des notesfur la différence & la rareté
de leurs éditions , & des remarques fur
l'origine de cette rareté actuelle & fon degré
plus ou moins confidérable : la manière
de diftinguer les éditions originales
d'avec les contrefaites ; avec une defcription
typographique particulière du compofé
de ces rares volumes , au moyen
laquelle il fera aifé de reconnoître les
exemplaires mutilés en partie , ou abfolu
ment imparfaits qui fe rencontrent journellement
dans le commerce , & de les
diftinguer fûrement de ceux qui feront
exactement complets dans toutes les parties.
Difpofé par ordre de matières & de
•facultés , fuivant le fyftême bibliographique
généralement adopté ; avec une table
des Auteurs , & un fyftême de bibliographie
choifie. Par Guillaume- François de
Bure le jeune , Libraire de Paris , &c.
1765.
E
de
98
MERCURE DE FRANCE.
Belles- Lettres , tomes I & II.
QUELQUE célèbre que foit aujourd'hui
l'ouvrage de M. de Bure , nous avons cru
en devoir remettre le titre entier fous les
yeux du Public , parce qu'il nous difpenfe
en quelque façon d'un extrait , dont les
Catalogues de tout genre ne font aucunement
fufceptibles.
Le volume qui a pour objet la Théologie
, parut en 1763 ; il effuya quelques
critiques , mais fi mal fondées qu'elles ne
fervirent qu'à mieux conftater la grande
connoiffance que M. de Bure a des Livres
rares .
Il publia l'année fuivante le fecond volume
, qui contient la Jurifprudence & les
Sciences & Arts. De ce moment , tant en
France que dans le Pays étranger , & même
chez ceux de nos voifins , qui ne nous
accordent que ce qu'ils ne peuvent abſolument
nous refufer , ce Livre eft regardé
comme le premier de ce genre , ou plutôt
comme un Livre qui avoit manqué juſqu'ici
a la Littérature .
Les deux tomes que nous annonçons ,
font encore plus intéreffans pour le plus
grand nombre de nos Lecteurs. Les Belles-
Lettres font l'article privilégié du MerDECEMBRE
1765. 499
cure. En examinant ces deux nouveaux
volumes avec attention , pour nous mettre
à portée d'en rendre compte , nous y
avons trouvé beaucoup d'articles dont
l'hiftorique fait difparoître la féchereffe ,
& où le plaifir eft joint à l'inſtruction . Ce
feroit fuffifamment faire l'éloge de M. de
Bure, & ce ne feroit cependant que lui
rendre juftice, que de dire qu'il continue à
être exact à tenir ce qu'il promet par le
titre de fon ouvrage. Nous devons ajouter
que , quoiqu'il ait la modeftie de vouloir
fe contenir dans ce qui eft du reffort du
Bibliographe , on s'apperçoit dans les difcuffions
des Gens de Lettres qu'il rapporte,
qu'il connoît auffi bien ce dont traitent
certains livres , que la manière dont ils
font imprimés. Il termine communément
ces articles particuliers , par les réflexions
les plus judicieuſes . Nous nous bornerons
à en citer deux exemples pris au hafard .
Au fujet d'une édition latine & trèsrare
, des Facéties du Pogge , qui étoit Secrétaire
Apoftolique , édition où l'on ne
trouve ni le nom de l'Imprimeur , ni celui
de la Ville , ni même l'année où elle a
paru , & que l'on ne peut attribuer qu'à
Vindelin de Spire , ou à Nicolas Jenfon ;
voici la remarque de M. de Bure. Cesfortes
d'éditions , exécutées fans indication de
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
ville , nom d'Imprimeur & fans date , nous
paroiffent avoir un grand rapport avec lès
ouvrages publiés fans l'aveu du Miniſtère ,
ou imprimés tacitement ; & il y a d'autant
plus lieu de conjecturer que celui- ci eft de
ce nombre, que la matière dont il traite eft
de nature à devoir être moins approuvée
publiquement. *
Les Songes Drolatiques de Pantagruel ,
&c. Paris , le Breton 1565 , font un petit
recueil de figures fingulières & originales,
gravées en bois , que plufieurs perfonnes
eroient avoir fervi de modèle aux figures
grotefques de Callot , gravées en tailledouce
, & dont il paffe pour l'inventeur.
Que de prétendues découvertes , ajoute M.
de Bure , n'enléveroit- on pas aux Modernes
, fi l'on fe donnoir la peine de fouiller
dans les ouvrages qui ont paru avant eux ?
Ony trouveroit bien des originaux qu'ils
s'attribuent , & dont ils ne font que les copiftes
. Nous nous fommes apperçus qu'il
eft plus au fait que perfonne , des Auteurs
qui fe font permis cette efpèce de brigandage
littéraire. Nous ne fommes pas furpris
qu'il n'ait point dénoncé ceux qui font
vivans ; il y auroit eu de quoi foulever
contre lui une partie de la République ;
mais il eût été à fouhaiter qu'il n'eût
* Tome 1 , page 25.
DECEMBRE 1765. TOI
épargné aucun de ceux qui font morts
paifibles poffeffeurs d'une réputation ufurpée.
A la fin du fecond tome on trouve un
relevé des articles de la Bibliographie inftructive,
qui font à la Bibliothèque du Roi ,
avec la concordance des numéros à l'ufage
de cette Bibliothèque attention de la
part de l'Auteur dont tous les amateurs .
fui fauront gré. Il s'eft fait auffi un devoir
de faire connoître à ceux des Pays étrangers
, les riches collections de livres rares
qui font à préfent à Paris , telles que
celles de M. le Duc de la Valliere , de M.
le Président de Cotte , de M. le Comte de
Lauraguais , & c . notamment le CABINET
de M. Gaignat , le plus précieux de tous.
Quant à celui - ci en particulier , dans un
avertiffement qui eft à la tête du premier
tome , par lequel il promet de donner en
1767 la partie de l'Hiftoire , auffi en deux
ou trois volumes , il ajoute qu'elle fera
immédiatement fuivie d'un catalogue
exact de ce riche Cabinet , & que ce travail
pourra être regardé comme le fupplément
de fa Bibliographie.
Quicquid infuo genere fatis effectum eft
valet. QUINT.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE .
UNE Société de Citoyens s'eſt formée
en Suiffe il y a quelques années répour
pandre la connoiffance des vérités les plus
utiles aux hommes & pour propofer des
queftions relatives à ce but. Parmi les Mémoires
adreffés à la Société, il s'en eft trouvé
plufieurs qui avoient un certain mérite
académique , mais aucun qui , par la précifion
de la forme & l'étendue des vues ,
fatisfit aux defirs des Juges . Dans ces circonftances
la Société prit en 1763 la réfolution
d'adjuger fon prix à l'Auteur des
Entretiens de Phocion , reconnu depuis
dans la perfonne de M. l'Abbé de Mably.
D'après les mêmes motifs elle prend le
parti d'offrir une médaille de vingt ducats
à l'Auteur anonyme d'un traité publié en
italien fur les délits & les peines , & l'invite
à fe faire connoître & a agréer cette
marque d'eftime dûe à un bon Citoyen, qui
ofe élever fa voix en faveur de l'humanité
contre les préjugés les mieux affermis.
L'Auteur eft prié de faire parvenir fa déclaration
à la Société des Citoyens par
adreffe de la Société typographique de
Berne en Suiffe. En même temps cette
Société renonce au deffein de propofer de
DECEMBRE 1765 : 103
nouvelles queſtions ; elle fe contentera
d'encourager l'efprit philofophique & la
philantropie par des témoignages d'approbation
donnés publiquement à des ouvrages
véritablement utiles à la grande
fociété des hommes.
ANNONCES DE LIVRES.
DICTIONNAIRE des antiquités Romaines
, ou Explication abrégée des cérémonies ,
des coutumes & des antiquités facrées & profanes
, publiques & particulières , civiles
& militaires , communes aux Grecs & aux
Romains. Ouvrage traduit & abrégé du
grandDictionnaire de Samuel Pitifcus , & enrichi
de remarques curieufes & intéreffantes.
A Paris , chez NIC. AUG. DELALAIN ,
Libraire , rue Saint Jacques , à l'Image
Saint Jacques ; 1766 : avec privilége du
Roi. Trois volumes in- 8 °.
L'ouvrage de Samuel Pitifcus , dont
nous annonçons la traduction , étoit reléguée
dans les bibliothèques , où il ne fervoit
qu'à un petit nombre de favans. C'eſt
avec raifon qu'on a cru qu'il feroit utile
de le mettre à la portée de tout le monde.
On y trouvera tout ce qui eft néceffaire
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
pourn'être jamais arrêté dans la lecture des
Auteurs Grecs & Latins. Nous pouvons
même ajouter que la partie qui concerne
les Grecs , eft plus complette dans cet abrégé
que dans le grand ouvrage de Pitifcus , qui
s'eft plus étendu fur les Romains. Pout
fuppléer à cette omiffion , le traducteur &
auteur en même temps dans cette partie ,
a puifé dans différentes fources , & furtour
dans le livre de M. Ménard , d'où il
a tiré tout ce qui pouvoit convenir à fon
plan. Il a auffi fait ufage , pour ce qui
concerne les Romains , de Nieuport , &
de l'ouvrage de M. Lefevre de Morfan.
Un livre de la nature de ce Dictionnaire
n'eft point fufceptible d'analyſe ; il ſuffira
de dire qu'il eft fait avec beaucoup de
goût , & qu'il préfente des idées claires
& diftinctes fur tous les points de l'antiquité
qu'il importe le plus de connoître ,
& fur ceux même qui font de pure curiofité.
EPHÉMÉRIDES du Citoyen , ou Chronique
de l'efprit national ; avec cette épigraphe
:
Quid pulchrum , quid turpe , quid utile , quid
non. Hor.

A Paris , chez Nicolas - Auguftin Delalain
Libraire , rue Saint Jacques , à l'image de
Saint Jacques ; 1765 : avec approbation
& permiffion : in- 8 ° . petit format.
DECEMBRE 1765. 105
Cet ouvrage , qui fe diftribuera périodiquement
par cahiers , eft un écrit moral
& critique à peu près dans le goût du Spectateur
Anglois. Les feuilles fe diftribueront
deux fois par femaine ; & , à juger par
celles que nous avons déja fous les yeux ,
elles ne pourront manquer de plaire &
d'inftruire. Elles feront toujours femblables
aux premières pour le format , le papier &
le caractère. On les enverra , franches de
port , par la petite ou par la grande pofte ,
aux perfonnes de Paris ou de province qui
le defireront , en payant les feuilles de
quatre mois , à raifon de 7 liv. pour Paris ,
& de liv. pour la province. Chaque
feuille féparée coûtera cinq fols. Les cinq
qui paroiffent ont pour objet les feuilles
périodiques , les vendanges , le retour des
vendanges , l'efprit agricole & les procès.

HISTOIRE de France , depuis l'établiſſement
de la Monarchie , jufqu'au règne
de Louis XIV ; par M. Villaret. A Paris ,
chez Saillant , rue Saint Jean- de - Beauvais,
Defaint , rue du Foin , la première portecochère
en entrant par la rue Saint Jacques ;;
1765 avec approbation & privilége du
Roi. Les tomes xv & XVI. Prix 3. liv..
chaque volume relié.
La réputation de cet ouvrage fi connu
Ev
106 MERCURE DE FRANCE .
eft au- deffus de nos éloges. Les deux vólumes
nouvaux ne le cédent point aux
tomes qui ont précédé ; il femble au contraire
qu'à mesure que l'Auteur fe rapproche
de notre temps , il cherche à fe rendre
toujours plus intéreffant. Ces deux tomes
comprennent l'efpace de trente – deux à
trente - trois ans , où fe trouvent le règne de
Charles VII & une partie de celui de
Louis XI.
-
Le Génie d'Alphonfe V, Roi d'Arragon
& de Sicile , ou fes Penfées , avec les traits
remarquables de fa vie ; par M. l'Abbé
M....de la Can.... Prêtre & Licencié
en Théologie. A Bruxelles , & fe trouve
à Paris , chez H. C. Dehanfy, Libraire, rue S.
Jacques , près les Mathurins , à Sainte Thérèfe
; 1765 : vol. in- 12 , petit format ,
240 pages.
de
Le deffein de cette brochure eft de repréfenter
Alphonfe , Roi d'Arragon & de
Sicile , agiffant , parlant & inftruifant ; de
faire voir dans ce Prince un Philofophe
ami de l'ordre , & toujours fidèle à la raifon.
Voilà le contenu de ce petit ouvrage ,
où l'on trouvera quantité d'exemples &
de maximes propres à former le fentiment
& l'efprit de ceux qui voudront fe les rendre
utiles. Ils font tirés des Mémoires de
DECEMBRE 1765. 107
la vie d'Alphonse , écrits par Antoine de
Palerme , fon Hiftoriographe.
De tout un peu , ou Amuſemens de la
campagne , par l'Auteur de Rofe ; avec
cette épigraphe :
Prandeo , poto , cano , ludo , lego , cano , quiefco,
A Amfterdam , & fe trouve à Paris , chez
l'Esclapart le jeune , quai de Gefvres , &
la veuve Duchefne , rue Saint Jacques , au
temple du goût ; 1766 : brochure in- 12 de
220 pages.
Cinq Contes en profe , intitulés les
Deux Vertus , le Mari qui a tort & qui a
raifon , le Triomphe du Talent , les Sept
Merveilles , le nouveau Pigmalion ; une
lettre à l'Editeur , des couplets , des envois ,
des épigrammes , des fables , des impromptus
, un fonge , une épître à un Prince , &
des pensées détachées ; voilà ce que renferme
ce recueil , où l'on trouve en effet
de tout un peu. Il y a quelques- uns de ces
contes dont la lecture nous a amufés.
Le Petit Maître en Province , Comédie
en un acte & en vers , avec des ariettes :
par M. Harny ; la mufique eft de M. Alexandre
; repréfentée pour la première fois
par les Comédiens Italiens ordinaires du
Roi le 7 Octobre 1765 : in- 8°. A Paris ,
chez la veuve Duchesne , au temple du
E vi
108 MERCURE DE FRANCE.
goût , rue Saint Jacques : avec approbation
& privilége du Roi ; 1765 : prix 24 fols
avec la mufique.
Comme il a été queſtion de cette Comédie
dans l'article des Spectacles , nous
n'en faifons mention dans celui- ci , que
pour apprendre à nos Lecteurs qu'elle n'eft
pas moins agréable à la lecture qu'à la
repréſentation, où elle a été vue avec plaifir
& jouée avec fuccès..
ADELAIDE DU GUESCLIN , Tragédie ,
repréfentée pour la première fois le 18
Janvier 1734 , & remife au théâtre le . 9
Septembre 1765. Donnée au Public par
M. Lekain , Comédien ordinaire du Roi.
A Paris , chez la veuve Duchefne, rue Saint
Jacques , au temple du goût , 1765 : in - 8 °.
avec approbation & privilége du Roi. Prix
30 fols.
Nous renvoyons encore à l'article des
Spectacles ceux qui defireront de favoir
avec quel fuccès cette Pièce a été repréſen
tée dans fa reprife. Nous nous contentons
d'en annoncer l'impreffion.
LE TUTEUR DUPÉ , Comédie en cinq
actes & en profe , fujet tiré de Plaute ;
acte deuxième , du Soldat fanfaron : par
M.Cailhava d'Eflandoux; repréfentée pour
la première foispar les Comédiens François
DECEMBRE 1765. 109
ordinaires du Roi le 30 Septembre 1765 .
A Paris , chez la veuve Duchefne , rue Saint
Jacques , au temple du goût , 176 ,, in - 12:
avec approbation & privilége du Roi . Prix
30 fols.
Le fuccès de cette Pièce mérite bien
qu'on en falle un extrait étendu & détaillé
, mais ce n'eft point ici le lieu ; il
doit tenir une place diftinguée dans l'article
des Spectacles..
LA Bonne Fermière , ou Elémens écono
miques , utiles aux jeunes perfonnes deſtinées
à cet état ; avec cet épigraphe :
Travaillez , prenez de la peine ;
C'eſt le fond qui manque le moins.
Lafontaine.
Par M. L. R. ancien Ech . de B... A Lille ,
de l'Imprimerie de J.. B. Henry , fur la
grand'place , près la rue Tenremonde ;
1765 avec approbation & privilége da
Roi. Brochure in 12.de 260 pages.
L'Auteur a fait un travail utile & commode
, en traçant par ordre tous les devoirs
d'une bonne fermière ; & fon livre pourra
fur- tout fervir aux jeunes filles deſtinées
à cet état, Ce fera comme leur côde économique
; elles y apprendront de bonne
110 MERCURE DE FRANCE.
heure tout ce qu'elles doivent favoir pour
devenir habiles. M. L. R. convient qu'il
doit quelque chofe à plufieurs grands livres,
Dictionnaires & autres , où ces matières
font éparfes. Il les a réunies pour la commodité
des fermiers & des fermières qui
voudront s'inftruire , & qui n'ont guère le
temps de feuilleter beaucoup de livres , ni
le goût, ni les moyens de les avoir. Il ne
s'en eft pas tenu aux ouvrages qui traitent
de ce fujet ; il a confulté des gens de la
campagne très - entendus , & qui vivent
dans des fermes qu'ils font valoir. Voici
les différens objets que l'on développe dans
cette nouvelle production. La bonne fermière
, dans fon domeftique , dans fa cuifine
, dans fa baſſe - cour , dans ſa volaille ,
dans fa boulangerie , fa laiterie , fa fruiterie
, fon potager , dans fon bétail , &c. &c.
Cette brochure hous paroît très-utile &
d'un ufage prefque univerfel .
HISTOIRE du Pontificat de Paul V. A
Amfterdam , par la Compagnie ; 1765 :
deux volumes in- 12.
Les événemens qui fe font paffés fous
le pontificat de ce Pape , ont paru à l'Auteur
fi importans , qu'il a cru devoir les
raffembler & en faire part au Public . Parmi
ces événemens les principaux font la Con-
4
DECEMBRE 1765 .
grégation de Auxiliis , le démêlé de ce
Souverain Pontife avec la République de
Venife , & plufieurs conteftations concernant
les Jéfuites. Ce font autant d'articles
très-curieux qu'il faut lire dans l'ouvrage
même.
DESCRIPTION hiftorique & critique de
l'Italie , ou nouveaux Mémoires fur l'état
actuel de fon gouvernement , des fciences ,
des arts , du commerce , de la population
& de l'hiftoire naturelle . Par M. l'Abbé
Richard ; avec cette épigraphe :
Hac olim meminiſſe juvabit ,
Per varios cafus , per tot difcrimina rerum .
Æneid. 1 .
>
A Dijon , chez François Defventes , Libraire
de Monfeigneur le Prince de Condé
& fe trouve à Paris , chez Saillant , rue
Saint Jean de Beauvais ; 1766. Prix 15 liv.
broché.
On voit par le titre de ce livre que l'on
y trouvera , non-feulement ce qui a rapport
à l'état actuel du gouvernement en Italie ,
aux moeurs & aux ufages de chaque peuple
en particulier , objet qui avoit été extrêmement
négligé , & que l'on ne connoiffoit
point ; mais encore tout ce qui peut
intéreffer la curiofité , foit par rapport aux
beaux arts , foit par rapport aux ftatues ,
tableaux , édifices & autres monumens an12
MERCURE DE FRANCE.
' tiques , découverts jufqu'à ce jour , avec
ce qui regarde l'hiftoire naturelle , les productions
propres à chaque pays , la manière
de les cultiver , & le commerce qui en
réfulte. Le difcours préliminaire qui eft à
la tête , & qu'il eft important de lire , eſt
deftiné à donner une idée générale de ces
différens objets , & de l'ordre que l'Auteur
a conftamment obfervé. Son livre eft
diftribué en fix volumes de fix cents pages.
chacun au moins , en petits caractères , avec
des notes hiftoriques & critiques. Le Public
doit à l'attention du Libraire d'y avoir
ajouté des cartes géographiques , rectifiées
fur les obfervations les plus exactes & les
plus nouvelles , relatives à ces Mémoires ,
& vraiment utiles aux voyageurs.
RESSOURCE COntre l'ennui , ou l'art de
briller dans les converfations ; à la Haye ,.
& fe trouve à Paris , chez la veuve Duchefne
, rue Saint Jacques , au temple du
goût ; 1766 : deux volumes in- 1 2 .
Nous ofons affurer que le Public diſtinguera
ce recueil de toutes les autres collections
imprimées fous le titre d'Ana. On
s'eft attaché à ne rien inférer dans celle-ci
qui ne méritât d'être retenu , cité & appliqué
fuivant les circonftances. Ce font des
traits piquans , ou par des faillies heureuDECEMBRE
1765. 113
fes , ou par quelques fingularités. Il n'y a
pas une fociété , pas une converfation où
l'on ne puiffe en faire ufage. Ces petits
récits y répandent du fel , de l'efprit & de
la gaité. Il y a mille occafions où l'on peut
les placer à propos , & acquérir ainfi la
réputation d'un homme agréable , enjoué
& fpirituel. Ils font fur - tout deftinés à
chaffer l'ennui de la folitude. On lit le
livre , on le quitte , on le reprend fans être
obligé d'y apporter une certaine attention.
Chaque page préſente un ou deux traits
qui récréent & peuvent être lus fans préparation
& fans fuite. Plufieurs font connus
& méritent de l'être ; c'eft un choix de
ce que les Ana ont de plus faillant , & où
l'on trouve une foule de traits qui ne font
point dans les Ana.
PRÉCIS de la méthode d'adminiftrer les
pilules toniques dans les hydropifies. A
Paris , de l'Imprimerie de la veuve Thibouft
, Imprimeur du Roi , place Cambray;
1765 .
Nous avons déja annoncé dans plufieurs
de nos Mercures le remède excellent qui
fait le fujet de cette brochure. Nous avons
rapporté des preuves authentiques de fon
efficacité , & ces preuves fe font répétées
& multipliées depuis à l'infini . Nous n'a114
MERCURE DE FRANCE.
vons pas toujours pu nous étendre auffi
long-temps que nous l'aurions voulu fur
cette matièreimportante
& intéreffante pour
l'humanité ; pour y fuppléer , on a fait
imprimer ce précis , dont nous confeillons
la lecture à tous ceux qui font malheureufement
dans le cas d'en avoir befoin. Nous
avons dit plufieurs fois que M. Bacher ,
Médecin de la ville de Thann , dans la
haute Alface , eft l'inventeur & le poſſeſfeur
de ce remède . Ses grandes connoiffances
dans la Chymie , qu'il cultive depuis
plus de trente- cinq ans , lui ont mérité
l'estime générale de fa province ; & nous
crovons que fes pilules contre les hydropifies
le placeront parmi les bienfaiteurs de
l'humanité . M. fon fils , qui eft à Paris , a
déja fait des cures très- heureufes avec cet
excellent remède.
ALMANACHS pour l'année 1766 , & qui
fe trouvent chez Langlois fils , Libraire ,
au bas de la rue de la Harpe , à la couronne
d'or .
Les Almanachs que nous annonçons
pour l'année prochaine font intitulés : les
Papillores , ou extrait du recueil de M.
de *** ; amuſemens lyriques , & Almanach
nouveau pour la préfente année ; par
M. Coppier.
DECEM BR. E 1765. ris .
LE Perroquet , ou les Mafques levés ,
étrennes chantantes , contenant des maximes
, fentimens , preuves & préceptes d'amour
, avec une loterie de queftions amoureufes
pour les amans , mifes en vaudevilles
fur des airs choifis & connus , avec un
elendrier pour la préfenté année , par
M.T.
CALENDRIER des Amis , dédié à Platon,
fur des airs connus & choifis , pour la préfente
année , par M. D.....
LA Grécanicomancie , ou l'Amufement
des belles , étrennes à la grecque , fur des
airs choifis & connus , pour la préfente an-
M. D...
née , par.
CHIFFON , ou la Chiffonnière de Vénus
êtrennes à ce que j'aime ; Almanach nouveau
, fur des airs choifis & connus , par
M. D....
- L'AMUSEMENT à la mode , ou les Minuties
chantantes , étrennes agréables , fur
des airs connus & choifis , pour la préfente
année ›, ppaarr M. D...
BADIN , ou le Badinage amufant , étrennes
folichonnes , fur la préfente année ,
par M. D...
16 MERCURE DE FRANCE.
L'INVENTAIRE du Pont Saint Michel ,
Pièce nouvelle & en un acte , repréſentée
fur le grand théâtre des Boulevards , avec
un calendrier pour la préfente année , par
M. Coppier.
LES Caractères , ou la Pure Vérité , Almanach
fans fard , récréatif & divertiffant,
fur des airs nouveaux & connus , pour la
préfente année ; par M. Coppier.
>
L'APRÈS - SOUPER des Dames , ou les
Amuſemens, d'Egl , étrennes joyeuſes ,
fur des airs connus & choifis , pour la préfente
année ; par M. D...
Je ne faurois me taire , ou le Cercle
Amufant , Almanach récréatif, par demandes
& par réponſes , pour la préfente anée ;
par MM.. CC.... Le tout fur des airs connus.
DICTIONNAIRE des Fiefs & des Droits
feigneuriaux , utiles & honorifiques , contenant
la définition des termes , & un
ample recueil de décifions choifies , fondées
fur la jurifprudence des Arrêts ,
la
difpofition des différentes Coutumes , &
la doctrine des meilleurs Feudiftes. Ouyrage
très-utile & très-commode à tous.
Seigneurs , Juges & Avocats. Par Me
DECEMBRE 1765. 117
J. Renauldon , Avocat au Bailliage Royal
d'Iffoudun. Chez Knapen au Palais , &
Cellot au Palais & rue Dauphine in - 4°.
Paris , 1765 : avec approbation & privilége
du Roi : 10 liv . relié.
TRAITÉ , hiftoire & pratique des Droits
feigneuriaux .
ouvrage ,
On s'eft fur-tout appliqué , dans cet
à découvrir , dans l'hiftoire
féodale de France , l'origine de tous les
Droits feigneuriaux , tant de ceux qui
dérivent de la conftitution des fiefs & de
la haute Juftice , que de ceux qui doivent
leur établiffement à la conceffion des héritages
, à la fervitude , & aux affranchif
femens .
On a encore recueilli avec le plus de
précifion qu'il a été poffible , dans les
Auteurs Feudiftes , anciens & modernes ,
faire
pour
tous les principes néceffaires
connoître la nature de chaque droit , pour
en régler la perception , & pour réfoudre
les principales difficultés qui peuvent ſe
préfenter fur cette matière ; avec cette
épigraphe :
in
Hic eft fructus legendi, amulari ea quæ in aliis probes
, & quæ maximè inter aliorum diēta mireris ,
aliquem ufum tuum opportuná derivatione convertere.
Macrob. Saturnal . lib . 6 , chap . 1 .
118 MERCURE DE FRANCE.
Par Me J. Renauldon , &c. Paris , chez
Defpilly , rue Saint Jacques , Knapen &
Cellot au Palais & rue Dauphine : avec
approbation & privilége du Roi ; 1765 :
in-4°. 10 liv. relié .
TRAITÉ des Teſtamens, Codicilles, Donations
à caufe de mort & autres difpofitions
de dernière volonte , fuivant les
principes & les décifions du Droit Romain
, les ordonnances , les coutumes &
maximes du Royaume , tant des pays du
Droit écrit , que coutumiers , & la Jurifprudence
des Arrêts. Par Me Jean - Baptifte
Furgole , Avocat au Parlement de Touloufe.
A Paris , chez Louis Cellot , Libraire-
Imprimeur , Grand'Salle du Palais , à l'Ecu
de France & à la Palme , & rue Dauphine ;
1765 : avec approbation & privilége du
Roi ; 4 vol. in- 4°. 42 liv. relié .
LES Soupirs du Cloître , ou le Triomphe
du Fanatifme , épitre de feu M.
Guymond de la Touche , à M. D. M. ****.
A Londres , chez les Libraires affociés ;
1765.
Nous nous propofons de donner un
' extrait de cet ouvrage.
NOVEMBRE 1765. 119
ARTICLE II I.
SCIENCES ET BELLES LETTRES
ACADÉMIE S.
PRIX Littéraire , fondé par l'Académie
Royale des Infcriptions & Belles- Lettres
en l'année 1733 .
L'Académie Royale des Infcriptions &
Belles- Lettres avoit propofé , pour le concours
au prix qu'elle devoit diftribuer à´
Pâques de cette année 176 ,, l'examen de
cette queſtion : Par quelles caufes & par
quels degrés les loix de Licurgue fe fontelles
altérées chez les Lacédémoniens jujqu'à
ce qu'elles ayent été anéanties ? Comine
les Mémoires qui lui ont été envoyés
ne lui ont pas paru remplir toute l'éténdue
de ce fujet , elle a jugé à propos de
remettre le prix , & de propofer la même
queftion pour l'Affemblée publique de Pâques
1767.
Le prix fera double ; il confiftera en
120 MERCURE DE FRANCE.
deux médailles d'or , chacune de la valeur
de quatre cents livres.
Toutes perfonnes , de quelque pays &
condition qu'elles foient , excepté celles
qui compofent l'Académie , feront admifes
à concourir pour ce prix , & leurs ouvrages
pourront être écrits en françois ou en latin,
à leur choix .
Les Auteurs mettront fimplement une
devife à leurs ouvrages ; mais , pour ſe
faire connoître , ils y joindront , dans un
papier cacheré , & écrit de leur propre
main , leurs nom , demeure & qualités , &
ce papier ne fora ouvert qu'après l'adjudication
du prix .
Les Pièces , affranchies de tout port ,
feront remiſes entre les mains du Secrétaire
de l'Académie , avant le premier Décembre
1766.
PRIXproposépar l'Académie des Sciences ,
Belles- Lettres & Arts de LYON , pour
Pannée 1768.
L'ACADÉMIE des Sciences , Belles-
Lettres , & Arts de Lyon , propoſe pour
le prix des Arts , fondé par M. Chriftin ,
qui fera diftribué à la fête de Saint Louis
1768.
DECEMBRE 1765. 120
1768 , le fujet fuivant , déja annoncé en
l'année 1763.
Trouver le moyen de durcir le cuir ,
& de lui donner une forte d'apprêt qui le
rende impénétrable aux balles de moufquet
, & aux atteintes du fer le plus tranchant
, & le plus affilé .
Quelques Auteurs rapportent que les
Soldats Romains s'armoient de larges bandes
de cuir pour fe garantir des traits . On
prétend auffi que les Péruviens avoient
le fecret de préparer le cuir , pour lui
donner cette impénétrabilité . Quoi qu'il en
foit de ces faits hiftoriques , l'Académie
fachant que les cuirs de France font trèsinférieurs
à ceux des pays étrangers , demande
qu'on effaie d'apprêter les cuirs
pour les rendre propres à faire des armures
, & à fervir à plufieurs autres ufages.
L'Académie de Lyon n'ayant pas eu
lieu de donner le prix de l'année 1765 ,
a jugé à propos de le renvoyer pour le
diftribuer double en l'année 1768. Cette
Compagnie invite de nouveau les Sçavans
à travailler fur le même fujet , en
confidération de fon utilité.
Toutes perfonnes pourront afpirer à ce
prix. Il n'y aura d'exception que pour les
Membres de l'Académie , tels
que les
Académiciens ordinaires , & les Vété-
F
122 MERUCRE DE FRANCE .
rans. Les Affociés réfidant hors de Lyon ,
auront la liberté d'y concourir.
Ceux qui enverront des Mémoires , font
priés de les écrire en françois ou en latin ,
& d'une maniere lifible.
Les Auteurs mettront une devife à la
tête de leurs ouvrages. Ils y joindront un
billet cacheté , qui contiendra la même
devife , avec leurs nom , demeure & qualités.
La pièce qui aura remporté le
prix , fera la feule dont le billet fera ouvert.
On n'admettra point au concours les
Mémoires dont les Auteurs fe feront fait
connoître , directement ou indirectement ,
avant la décision.
Les ouvrages feront adreffés francs de
port à Lyon :
Chez M. Bollioud Mermet , Secrétaire
perpétuel de l'Académie pour la claffe des
Sciences , rue du Plat :
Ou chez M. le Préſident de Fleurieu
Secrétaire perpétuel pour la claffe des Belles-
Lettres , rue Briffac :
Ou chez Aimé de la Roche , Libraire-
Imprimeur de l'Académie , aux Halles de
la Grenette.
Les Sçavans étrangers font avertis qu'il
ne fuffit pas d'acquitter le port de leurs
paquets jufqu'aux frontières de la France
DECEMBRE 1765. 125
mais qu'ils doivent commettre quelqu'un
pour les affranchir depuis la frontière jufqu'à
Lyon : fans quoi leurs mémoires ne
feront pas admis au concours.
Aucun ouvrage ne fera reçu après le
premier Avril 1768. L'Académie dans
fon affemblée publique , qui fuivra immédiatement
la fête de S. Louis , proclamera
la pièce qui aura mérité les fuffrages.
Le prix eft une médaille d'or , de la
valeur de 300 liv. Elle fera donnée à celui
qui , au jugement de l'Académie , aura
fait le meilleur mémoire fur le fujet
propofé.
Cette médaille fera délivrée à l'Auteur
même , qui fe fera connoître , ou au porteur
d'une procuration de fa part , dreffée
en bonne forme. La médaille fera double
pour l'année 1768..
2
ACADÉMIE DE DIJON.
LETTRE à M. DE LA PLACE .
MONS ONSIEUR
DANS le programme que l'Académie
publia en 1764 pour annoncer le fujet du
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
prix qu'elle devoit diftribuer en 1765 ,
la Compagnie , après avoir expofé qu'il
eft d'ufage en Bourgogne de femer fuivant
trois différentes méthodes , après
avoir dit que l'on feme dans les mêmes
terres :
Premièrement la premiere année du
bled , la feconde des mars , & fucceffivement
ainfi d'année à autre :
Secondement , qu'on y feme alternativement
une année du bled , l'autre des
mars , & que pendant la troisième on
laiffe la terre en jachere :
Troifiemement, qu'on y feme une année
du bled , la terre reftant la feconde année
en jachere ;
La Compagnie , dis- je , demandoit :
Quelles font les raifons phyfiques , qui
doivent engager , relativemeut aux différens
terroirs , à préferer l'une de ces trois méthodes
?
Elle efpéroit que la folution de ce problême
préviendroit les écarts auxquels la
routine livre tous les jours les cultivateurs
, leur ouvriroit les yeux fur leur
véritable intérêt , contribueroit enfin à
perfectionner l'agriculture , le premier &
le plus néceffaire de tous les Arts.
Mais avant que d'entreprendre de ré-
Loudre un problême d'une auffi grande
DECEMBRE 1765. 125
importance , les Auteurs auroient dû commencer
par juger le motif qui avoit engagé
l'Académie à le choifir , ils auroient
vû que fon intention n'étoit pas que l'on
s'arrêtât à des fpéculations vagues, & qu'on
s'attachât feulement à faire connoître quel
étoit le principe de la fécondation ; mais
qu'après avoir révélé les fecrets de la nature
fur cet objet , on fixât d'une façon
invariable la méthode que dans des circonftances
données le cultivateur devoit
fuivre.
S'il étoit donc néceffaire que les Auteurs
déterminaffent quels font les agents
phyfiques , auxquels la terre doit la fécondité
, & conféquemment quelles font
les raifons phyfiques par lefquelles on
peut décider la préférence que l'on doit
donner à une des trois méthodes énoncées
; iill nnee l'étoit pas moins qu'ils dédui
fiffent de leurs principes , des conféquences
claires , précifes , par forme de corollaire
, dont l'application fût fi facile
que le cultivateur le moins intelligent
eût pa prendre , à l'afpect feul de fes
terres , le parti le plus convenable à fes
intérêts.
Mais aucun des Auteurs , dont les ouvrages
ont été admis au concours , n'a faili
le véritable efprit du problême , & l'Aca-
Fiij
26 MERCURE DE FRANCE.
démie n'a pas eu la fatisfaction d'adjuger
le prix qu'elle avoit proposé.
Cependant , Monfieur , parmi les dif
fertations qu'elle a reçues , il en eft qui
renferment de bonnes vues , qui font
remplies d'excellens détails , & qui annoncent
dans leurs Auteurs de très- grandes
connoiffances. De ce nombre eft celle
qui a pour devife fcribimus indocti , doctique.
L'Auteur de cette pièce eft de tous
ceux qui ont concouru , celui qui a le plus
approché de la folution que l'Académie
demandoit. Mais il n'a fait qu'effleurer
la plupart des objets ; la partie phyfique
de fon Mémoire eft traitée trop fuperficiellement
, & les conféquences qu'il déduit
des principes qu'il a pofés , ne font
pas préfentées dans un jour affez favorable
pour être faifies par les cultivateurs. ,
La feconde des pièces que l'Académie
croit devoir citer avec éloge , eft la differtation
qui porte pour devife ne quid nimis.
Elle et écrite avec méthode , avec
clarté , avec préciſion & avec force . Son
auteur eft un homme très- inftruit , un
très bon Phyficien ; mais il heurte de
front prefque toutes les idées reçues ; &
fi la vérité s'eft fouvent préfentée fous
l'afpect d'un paradoxe , la prudence veut
qu'avant d'approuver un nouveau fyſtême ,
DECEMBRE 1765. 127
on exige que les expériences les plus multipliées
& les plus authentiques en conftatent
la bonté. Celles que l'Auteur a apportées
en preuves , n'ont point le caractère
néceflaire pour décider la révolution qu'il
defire. Il ne réuffira jamais à faire adopter
la réforme qu'il propofe , à moins
que , par le concours d'une infinité d'expériences
faites par différentes perfonnes ,
dans différentes années , & dont il produife
des certificats , il ne donne aux
chofes neuves que fon Mémoire renferme
, une force à laquelle on ne puiffe
réfifter .
L'Académie a encore décidé , Monfieur
, que l'on feroit une mention honorable
de deux autres differtations qui
ont pour épigraphe , l'une ce vers de
Lucain : defuntque manus pofcentibus arl'autre
cette efpece d'axiome : vivere
eft continuò rigefcere.
vis ;
L'Auteur de la première a fait un
ouvrage immenfe par les détails dans lefquels
il eft entré fur la culture qui eſt en
ufage dans les différens Bailliages de cette
Province. Mais il a fouvent travaillé fur
des mémoires peu fideles. Les fols font
d'ailleurs fi prodigieufement variés dans
la plupart des villages des mêmes contrées
, que malgré les fous- divifions que
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE .
l'Auteur a faites , les confeils qu'il a donnés
font trop généraux , & feroient fouvent
pernicieux. Cependant ce Mémoire
contient beaucoup de chofes bien vues ,
beaucoup de remarques importantes. Le
peu de fruit que fon auteur a retiré des
recherches les plus laborieufes , fait ſentir
qu'il eft néceffaire de traiter ce problême
en grand , & de remonter aux principes
pour le réfoudre. L'on doit craindre pourtant
de prendre les chofes de trop haut.
C'eft l'éceuil contre lequel a échoué l'Auteur
de la dernière des differtations , dont
je dois vous parler.
Si , quittant les hautes régions de la
métaphyfique , il fe fût plus rapproché des
cultivateurs en faveur defquels l'Académie
interrogeoit les Philofophes , il eft
à préfumer qu'il auroit marché avec plus
d'avantage dans la carrière qu'il fe propofoit
de parcourir. Mais en prenant trop
de
détours , il a manqué abfolument le but.
Il s'en eft même apperçu , puifqu'il regrette
que le terme fixé pour le concours
n'ait pas été plus reculé ; & il apprendra
fans doute avec joie , que l'Académie
propofe le même problême pour le fujet
du prix qu'elle diftribuera en mil fept cent
foixante - huit.
En éloignant ainfi le nouveau concourc
DECEMBRE 1765. 129
la Compagnie efpère que les Auteurs multiplieront
les expériences , qui font feules
capables d'autorifer les préceptes qu'elle
leur demande. Et quoique la gloire du
fuccès foit le plus puiffant motif qui puiffe
exciter l'émulation des Sçavans , l'impor
tance de l'objet a engagé à doubler let
prix . Il confiftera donc en deux médailles
d'or de la valeur de trois cens livres cha
cune ; ou une médaille , & la valeur de
l'autre , au choix de l'Auteur..
Dans le cas où ceux qui afpireront au
prix , apporteroient en preuves de leurs
fyftêmes , des expériences qui leur feroient
particulières , ils auront attention
de faire certifier le réfultat de ces expé
riences par des perfonnes dignes de foi ;
& dans un paquet cacheté différent de
celui où ils auront écrit leur nom , mais
également fufcrit de la devife du mé--
moire , ils renfermeront les certificats qu'ils
auront reçus , & qu'ils auront fait léga
lifer. Ce paquet , de même que celui dans
lequel le nom de l'Auteur . fera infcrit
ne fera ouvert que dans le cas où la pièce:
mériteroit la couronne.
Quant aux autres conditions que l'Académie
impofe à ceux qui afpirent aux
prix qu'elle donne , elles font trop connues
pour que je fois obligé de les rap
F v
130 MERCURE
DE FRANCE.
peller ici . Vous voudrez bien feulement ,
Monfieur , en donnant inceffainment avis
au Public du parti que l'Académie a pris , »
avertir les Auteurs qu'ils aient attention.
de ne pas fe faire connoître ; il y a eu
une pièce cette année qui n'a point été
admife au concours , parce que fon Auteur
avoit fait & figné une lettre d'envoi,
L'événement doit lui faire trouver la ri
gueur de l'Académie moins défagréable ,
il pourra concourir en 1768. Mais je crois.
devoir l'inviter à refondre prefque en entier
fa differtation..
1
J'ai l'honneur , &c.
MARET , Docteur en Médecine , Secré
taire perpétuel de l'Académie..
Dijon, ce 10 Octobre 1765.
DECEMBRE 1765. 131
MÉDECINE ,
Ou l'on prouve combien la rechûte d'une
perfonne inoculée doit faire peu d'impreffion
, fi cet événement eft dans l'ordre
des chofes d'une rareté prodigieufe.
EST - IL de vérité morale ou phyſique qui
n'ait d'exceptions , & a t- on pu s'imaginer
que quand on a dit que l'inoculation préfervoit
de la petite vérole naturelle , on entendoit
que dans la fuite infinie des tems ,
jamais une perfonne inoculée ne rattraperoit
cette maladie ? Ce ne feroit pas connoître
la nature que d'avoir penfé de cette.
forte ; qu'on jette les yeux fur fes ouvrages
, qu'on examine les événemens qu'elle
produit , on en verra fûrement paroître de
tems en tems , qui femblent fortir des loix
qu'elle s'étoit prefcrites. Dira - t-on qu'une
femme n'engendre pas toujours un enfant ,
parce que quelques - unes ont donné le jour
à des monftres ? Dita t-on que le flux &
reflux de la mer n'eft pas un évènement
régulier , parce que quelquefois on voit
des mafcarets ? Quand , contre une vérité
phyfique , on ne pourra rapporter que des
E vj
132 MERCURE
DE FRANCE
.
exemples extrêmement rares du contraire,
elle ne perdra rien de fa certitude , & elle
n'en fera pas moins une vérité , & ce ne
feroit plus une vérité phyfique fi elle étoit
fans exception , mais une vérité métaphy
fique ou mathématique. Si cette diftinction
des différentes efpèces de vérités a toujours
été admife , pourquoi refuferoit on de
Padmettre pour l'inoculation ? Il faudroitdonc
être de bien mauvais compte pour ne
pas regarder comme une vérité phyfique ,
cette propofition : l'inoculation préferve
de la petite vérole naturelle , fr depuis
quarante ou cinquante ans qu'elle eft pratiquée
en Angleterre , fi depuis quinze ou
vingt ans qu'on la pratique en France , en
Suède , en Dannemark: & autres lieux ,
on n'a pu cirer qu'un exemple d'une perfonne
inoculée à qui foit furvenue la pe
tite vérole. Non- feulement un feul exemple
ne détruira pas une pareille . vérités
mais quand on en auroit vingt & trente à
apporter , cela ne l'ébranleroit pas dans l'efprit
desgens qui favent apprécier les chofes;
car qu'eft ce que vingtou trente dans la multitude
d'inoculés qu'il y a eus dans l'Europe
depuis qu'on y pratique cette opération ?
J'ai prouvé par un calcul * que je n'ai
* Voyez lettre à la tête de l'ouvrage intitulé :
Défenfe de la Doctrine des combinaiſons , du Mercure
de Juillet 176.1...
DECEMBRE 1763. 133
vu contredire par aucun géomètre , mais
trouver jufte par tous ceux qui l'ont fuivi
, & même par plufieurs Membres de
L'Académie des Sciences ; j'ai prouvé , disje
, par un calcul , que l'avantage ou le fort
de l'inoculation étoit à celui de la petite
vérole comme trente à un. Me dira t- on
que quand j'ai fait ce calcul , je fuppofois
tacitement avec tout le monde , que , lorfqu'une
fois on avoit eu la petite vérole
par infertion , on en étoit excepté pour
toujours ; ce qui ne fe trouvant plus vrai
puifqu'on a un exemple du contraire , doit
rendre mon calcul défectueux ? J'avouerai
que l'exemple d'une feule rechûte apporte
quelque diminution à l'avantage trouvé
par le calcul ; mais fi je démontre que
cette diminution dans la pratique , doit
être regardée comme un infiniment petit
ou zéro , mon calcul doit tefter dans toute
fa force , & la pratique de l'inoculation
n'en être pas réputée moins falutaire.
>
On a fuppofé , d'après les obfervations ,
que de trois cents inoculés il en mourroit
un : fi on eût fuppofé auffi qu'un autre de
ces trois cents inoculés ne feroit pas
exempt de la petite vérole , & qu'on eût
fuppofé de plus qu'il fuccomberoit lorfqu'il
en feroit atteint , il eft clair que l'avantrouvé
par notre calcul , diminueroit
de la moitié & ne feroit plus que de trento
tage
134 MERCURE DE FRANCE.
à deux au lieu de trente à un ; mais comme
on ne doit pas fuppofer que cet inoculé
qui rattrapera la petite vérole en meure ,
& que la plus défavantageufe fuppofition
qu'on puille faire , eft qu'il tombe dans le
cas de ceux qui ont la petite vérole fans.
avoir été inoculés , de huit inoculés retombés
dans la petite vérole , il n'en doit fuccomber
qu'un : l'avantage de l'inoculation
ne doit donc pas diminuer de , mais feulement
de l'avantage de l'inoculation
fera donc encore de trente à un . Mais fi ,
au lieu de fuppofer que de trois cents inoculés
il en retombe un , on fuppofe que
cet événement n'arrive qu'entre 3000 ,
l'avantage de l'inoculation fera de trente à
un ; & fi cet événement n'arrive qu'entre
30000 ( ce qui approche plus du vrai )
l'avantage fera de trente à un . Or je
demande fi cette différence du rapport de
trente à un , à celui de trente à un ne
doit pas être regardée comme zéro dans la
pratique.
I
80
800
Les Inoculateurs qui fe laifferont effrayer
par cet exemple de rechûte , ou de
ceux qui pourront arriver auffi rarement ,
montreront une foibleffe extrême , & on
ne tiendroit plus à aucun ufage bon &
utile , s'il falloit l'abandonner pour d'auffi
foibles raifons. J'oferois bien affurer que
DECEMBRE 1765. 135
cet exemple , qui fait tant de bruit parmi
nous , ne fera pas la moindre fenfation.
chez les étrangers , & qu'ils iront toujours
leur chemin. Il est bien triste pour ceux
qui aiment leur Nation , de voir que tout
ce qu'on propofe de plus utile , ait toujours
tant de peine à s'y introduire , &
qu'il fe forme toujours un parti contraire
qui inonde le Public d'écrits , & qui cher
che à donner plus de force à un fait qui
favorife leur opinion , qu'à mille qui la
détruifent. Ici ce n'eft pas un fait fur mille,
c'eſt un fur peut- être plus de cent mille
qui ne feroit , ou au moins ne devroit
faire la plus petite impreffion , s'il n'étoit
pas arrivé à une perfonne d'une auffi grande
confidération..
pas
JE dois faire part au Public des lettres
T
qui m'ont été écrites en leut tems au fujet
du talent de M. de Mongerbet , & de.
celle écrite à M. de Sénac , premier Médecin
du Roi , dont l'auteur m'a adreffe
la copie qu'il a fignée.
Premiere Lettre à M. DE LA PLACE.
Faites - moi le plaifir , Monfieur , d'inférer
ma lettre dans votre Journal. Je fuis.
13.6 MERCURE DE FRANCE..
bien- aife d'inftruire le Public des effets
que je reffens de l'ufage de la tifane balfamique.
Je fuis fort affligé de la goutte ,
un ami me propofa ce remède. M. de
Mongerbet vint me l'adminiftrer , & j'ai
trouvé les foulagemens qu'il annonçoit :
je le continue avec le même fuccès , & je
rends juftice au vrai . Je fuis , Monfieur
&c. Le Comte DE FENELON.
A Paris , ce z Mai 1765.
Seconde Lettre au même.
Mon camarade & moi vous adreffons
la même lettre , Monfieur , pour être inférée
dans votre Journal. Nous fommes
amis , & régulierement attaqués chaque
année d'accès de goutte longs & violens..
Sur la foi des Journaux , nous avons eu
recours à la tifane balfamique , & nous y
avons trouvé tous deux les mêmes effets ,
foit dans l'adouciffement & la brieveté
des accès , foit dans leur éloignement :
nous en ufons depuis deux ans avec une
confiance que les effets augmentent. Cette
attestation ne peut être qu'avantageufe au
Public & à l'Auteur , qui la méritent..
Nous fommes , Monfieur , &c.
A Dunkerque , le 4 Juillet. 1765 .
DEMONS , Capitaine au régiment de PenDECEMBRE
1765. 137
thievre , infanterie ; & ROBINAUT DUPLESSIS
, Capitaine au même régiment.
Copie de la Lettre écrite à M. le premier
Médecin du Roi.
Monfieur ,
Les Journaux nous ayant inftruits des
vertus de la tilanne balfamique , j'en confeillai
l'ufage au Prieur des Carmes de
cette ville , qui étoit retenu dans fon fauteuil
depuis plus de huit mois par un violent
accès de goutte , n'étant jamais fans
douleur depuis ce tems. Je lui ai adminiftré
ce remede , qui a non - feulement
diffipé cet accès & les douleurs , mais qui
lui a rendu la liberté de marcher. M. le-
Comte de Chozan de la Ferriere , témoin
du fait , y a recours pour fa goutte avec le
même fuccès. J'en ai inftruit M. Richard ,
Médecin de la Correfpondance de Paris ,
& je me fais un devoir , Monfieur , de
vous faire part de ce fait , parce que vous
protégez les talens utiles ; & M. de Mongerbet
, qui annonce publiquement qu'il
vous doit la gloire de la perfection dudit
remede , ce qui le rend encore plus précieux.
Je fuis avec refpect , & c.
GRAVIER , Chirurgien du Roi.
Affirmé , C. DE MONGERBET.
A Joffelin en Bretagne , ce 3 Novembre
1765.
1
138 MERCURE DE FRANCE.
PHYSIQUE ET ASTRONOMIE.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
MONONSIEUR ,
J'ai donné dès 1761 l'extrait d'un nouveau
fyftême général de Phyfique & d'Aftronomie
, ou Méchanifme électrique de
l'univers , que je fais actuellement imprimer
fous le titre de Nouvelle Phyfique cé
lefte & terreftre , à la portée de tout le
monde. J'établis , pag. 53 & 54 de cet
extrait , les réfractions que la lumière du
foleil éprouve dans les atmoſpheres de la
June & de la terre pour caufe des grandeurs
apparentes de cet aftre , tant à l'horifon
& fur le méridien que dans les éclipfes;
& ces réfractions, que j'y appelle écliptiques
, & qui rendent raifon de tous les
phénomènes obfervés dans les éclipfes du
foleil des 12 Mai 1706 , 3 Mai 1715 ,
25 Juillet 1748 & premier Avril 1764
( tout autrement inexplicables ) , font la
bafe & le principal caractère de ma nouvelle
Phyfique du ciel , actuellement fous
preffe. Je préfentai dès - lors des exemDECEMBRE
1765. 139
plaires de mon extrait à plufieurs Membres
de l'Académie des Sciences , & entre
autres à MM. Clairault , Dalembert , la
Caille , Maraldi , Daubenton & le Monnier
, & il en fut diftribué plus de deux
cents exemplaires dans Paris.
obfervée
Nonobftant la notoriété & l'authenticité
de cette date , M. le Monnier , dans
l'affemblée de l'Académie d'après pâques
1765 , a préfenté & lu un Mémoire où , à
l'occafion des éclipfes annulaires du foleil
de 1748 & 1764 , il a expofé que la lune
pourroit bien avoit une atmoſphere done
la réfraction feroit courber les rayons qui
paffent près de la lune , en la rapprochant
de l'axe du cône , & que cet effet a dû
rendre la durée de l'anneau
en 1764 , plus grande que la durée calculée
; & M. Delalande , qui tient , livre
To de fon Aftronomie , que la lune ne
fauroit être la caufe de ces phénomènes ,
croyant rendre hommage & faire fa
cour à fon confrere aux dépens de fon
propre ouvrage , convient dans l'analyſe
qu'en donne le Journal des Savans du
mois d'Octobre 1765 , pag. 1985 , qu'on
ne peut attribuer le phénomène de l'inflexion
des rayons du foleil , qui en prolonge
les éclipfes annulaires & en abrège
les éclipfes totales , qu'à l'atmoſphère de
140 MERCURE DE FRANCE.
la lune ; mais qu'étant mille fois plus rare
que celle de la terre , elle n'y eft que de
quatre fecondes feulement , & on y annonce
qu'il établira cette nouvelle doctrine
réfractionnelle dans fa Connoiffance
des mouvemens célestes de 1767.
Or cette nouvelle doctrine réfractionnelle
m'appartenant & faifant la bafe de
ma nouvelle Phyfique célefte , il eft de
mon honneur & de l'intérêt de mon Libraire
de la réclamer ; & comme mes lecteurs
la trouvant dans le Mémoire de M.
le Monnier , dans la Connoiffance des
mouvemens célestes de M. Delalande &
ailleurs , pourroient , ignorant l'antériorité
& la notoriété de mes dates , me faire
le reproche de n'en être que le copiſte &
l'écho moi-même , & fur cette trompeufe
étiquette porter le même jugement fur
tout le refte ; & que vous - même , Monfieur,
juge compétent & établi pour févir
contre ces fortes de délits littéraires , m'en
accuferiez peut -être le premier , à la vue
de mon ouvrage , que je préfenterai inceffamment
à votre tribunal : j'ofe , fur
ces juftes & preffantes confidérations , me
flatter que vous voudrez bien inférer ma
préfente réclamation dans votre prochain
Journal , pour la rendre auffi notoire qué
le larcin qu'on m'a fait.
DECEMBRE 1765. 141
Je dois cependant , Monfieur , obferver
ci qu'en affociant mes réfractions éclipiques
à une denfité de l'atmoſphere de la
une mille fois moindre que celle de la
erre , qui en croife & contrarie le fyftême
& l'idée , on les a mifes dans une trèsmauvaife
compagnie , que je renie &
défavoue. En effet , convenir d'un côté
qu'on ne peut attribuer qu'à l'atmoſphere
de la lune l'inflexion des rayons du foleil,
qui en prolonge les éclipfes annulaires
& abrège les éclipfes totales , & que les
phénomènes obfervés dans les éclipfes de
1706 , 1715 , 1748 & 1764 portent jufqu'à
une minute quinze fecondes ; & tenir
de l'autre , en conféquence de la férénité
continuelle de l'hémifphère de la
lune éclairé par le foleil , que fon atmofphère
étant mille fois plus rare que
celle
de la terre , l'inflexion qui y a lieu n'eft
que de quatre fecondes feulement : c'eſt
affocier deux idées incompatibles , difcordantes
, réciproquement deftructives
l'une de l'autre , & dont l'antipathie ou
méfaffinité eft manifefte & invincible . Si ,
comme on en convient d'un côté , on ne
peut attribuer le phénomène qu'à l'atmofphère
de la lune , elle a donné néceſſairement
la denfité requife pour le produire
; & fi , comme on le prétend de
142 MERCURE DE FRANCE.
l'autre , elle n'a pas la denfité requise pour
produire le phénomène , on ne peut conféquemment
pas le lui attribuer.
En réclamant donc ma doctrine écliptique
& réfractionnelle , j'en excepte trèsexpreffément
la mauvaiſe compagnie à
laquelle on l'a affociée , en l'affiliant &
fe l'appropriant ; & pour l'appuyer des
preuves & des raifons qu'elle exige &
dont elle a befoin , je tiens , fur un principe
incontestable , que , nonobftant la férénité
continuelle de l'hémifphère de la
lune éclairé par le foleil , fon atmosphère
peut être autant & plus denfe , & autant &
plus refreingente que celle de la terre , &
par conféquent très - capable de produire
les phénomènes en queftion ; & ce principe
eft , que le diamètre de la lune étant
quatre fois plus petit que celui de la terre ,
& le foleil en éclairant continuellement
le même hémisphère pendant quinze de
nos jours , les exhalaifons & les vapeurs
qu'il en élève , vont continuellement s'affembler
, fe corporifier & fe répandre fur
l'hémisphère oppofé , comme celles qui
fur la terre s'élèvent de la partie de la
zone torride fur laquelle le foleil eft imminent
, portées par en haut de toutes
parts au loin , autour de lui & à fon
oppofite
, en rendent les jours clairs & fe-
-
DECEMBRE 1765. 143
reins & les nuits pluvieufes , & vont fe
répandre fur l'autre partie & dans l'autre
latitude .
Les applaudiffemens qu'elle a reçus
étant préfentée avec des reftrictions dérogatoires
& deftructives , me font eſpérer
qu'en l'en dégageant & l'appuyant des
preuves que les bornes de mon extrait ne
m'avoient pas permis d'y joindre , elle.
n'en méritera & recevra pas moins , & ils
me font de bon augure pour les nouvelles.
vues que je propofe fur toutes les parties
de la Phyfique & de l'Aftronomie. J'at
tends avec confiance la juftice & la grâce
que je vous demande. Je joins à la pré--
fente un exemplaire de l'extrait y énoncé
pour pièce juftificative.
J'ai l'honneur d'être , & c.
DE LA PERRIERE DE ROIFFÉ .
A Paris , le 12 Novembre 1765.
144 MERCURE DE FRANCE.
GÉOGRAPHIE.
AVIS
VIS fur le Tableau périodique du
monde , ou la Géographie raiſonnée &critique,
accompagnée de carres & de plans ; par
M. Brion , Ingénieur- Géographe du Roi :
ouvrage qui fe diftribuera de mois en mois,
à commencer après les vacances. Par ſoufcription
de 9 liv . pour fix mois. A Paris ,
rue Saint Jacques , chez Delalain , Libraire,
& Defnos , Ingénieur- Géographe pour les
globes & fphères.
Des Soufcripteurs ayant fait obferver
que les conditions. du proſpectus étoient
fufceptibles de quelques changemens de
convenance au Public , les Editeurs , pour
mieux mériter fon approbation , s'engagent
à faire parvenir l'ouvrage , franc de
port , dans toutes les provinces avec la plus
prompte régularité , moyennant 2 liv. en
fus du prix marqué dans les conditions ;
& à le faire diftribuer aux Soufcripteurs
de Paris , également franc de port , à leurs
adreffes , & fans augmentation de prix :
avec l'attention de fournir les premières
épreuves à ceux qui fe feront le plutôt empreffés
àfoutenirl'exécution de cet ouvrage,
auffi
DECEMBRE 1765. 145
auffi utile que curieux . L'on avertit encore
que , quelque nombreux que foit déja le
concours des amateurs , on ne tirera pas
au- delà de mille exemplaires.
L'INDICATEUR fidèle , ou Guide des voyageurs
, qui enfeigne toutes les grandes
routes de la France , avec les chemins
de communication , levées topographiquement
dès le commencement de ce fiècle ,
& affujetties à une graduation géométrique
; ainfi que les grandes routes de
Paris aux Capitales & autres Villes des
Royaumes d'Angleterre , d'Espagne
Portugal , frontières d'Afrique par Gibraltar
, Italie , Suiffe & Allemagne dans
toute fon étendue , &c . &c. &c. Dreffé
par M. MICHEL , Ingénieur- Géographe
du Roi , & dirigé par le fieur DESNOS
COMOMMMEE il y a long-temps que l'on fe
plaint de ne pas avoir affez de fecours
pour faciliter le commerce & les voyages ,
des gens inftruits ont fenti cet inconvénient
; & comme c'eft aux Sciences à
G
146 MERCURE DE FRANCE.
fournir aux befoins de la fociété , ils ont
imaginé de réunir la Géographie & le
compas géométrique , pour donner aux
Commerçans & aux Voyageurs les lumières
qui leur ont manqué jufqu'ici . On
préfente donc au Public un Guide des
Voyageurs , ou Indicateur Fidele , qui met
fous les yeux les routes qu'il faut tenir
pour aller d'une ville à une autre , & les
diſtances qui fe trouvent entre chacunes de
ces villes .
Afin de pouvoir partir d'un point fixe ,
on a choifi Paris pour centre ; c'est- à- dire
que l'on fuppofe un Voyageur qui veut fe
tranfporter de Paris dans les différentes
villes du Royaume , & de ces villes à
Paris ; on lui a tracé avec exactitude tous
les lieux qui fe trouvent für fon paffage ,
& , s'il faut le dire , on a compté fes
pas.
>
Chacune de ces routes eft une carte féparée
, dont le prix eft fort modique , &
chaque carte eft deffinée de maniere que
l'on y connoît les limites des provinces
les villes , les bourgs , les villages , les
montagnes , les prés , les bois . On a même
porté l'exactitude jufqu'à faire diftinguer
à l'oeil les chemins plantés d'arbres fous
lefquels on peut marcher à couvert . Communément
celui qui entreprend une route ,
DECEMBRE 1765. 147
confulte ceux qui l'ont faite avant lui . S'il
eft en chemin , il s'informe , à mesure
qu'il avance , du nombre des lieuës qui
lui restent à faire , des endroits où il
peut prendre fes repas , ou paffer le temps
de la nuit , & rarement on lui donne làdeffus
des réponſes préciſes. Avec une
de nos cartes , le Voyageur n'a aucun befoin
de toutes ces demandes; il voit tous
les endroits par lefquels il doit paffer ,
& une jufte meſure de leur éloignement
refpectif ; il connoît en même temps
les
bourgs , les villages , les hameaux , les
fermes , les Maifons religieufes , les bois ,
les prés , les avenues , les rivieres , les
ponts , les gués , les ruiffeaux , les étangs
& les marais , enfin jufqu'aux mon tagnes
& aux plaines qu'il a à traverfer.
Veut-il fe fervir des voitures établies
pour le Public , comme diligences , coches
par eau , carroffes & meflageries , & c ? Il
voit à côté de la Carte un itinéraire inf
tructif & raifonné qui indique le jour ,
l'heure du départ , la dînée , la couchée
de ces voitures & le nombre de lieuës
qu'elles font par jour ; fouvent plufieurs
routes mènent à un même endroit ; on
les a miſes à côté l'une de l'autre , & le
Voyageur trouvera dans toutes une exactitude
égale.
G ij
148 MERCURE DE FRANCE.
Les cartes de ces routes fe vendent enfemble
ou féparément par feuilles détachées
, & leur forme eft portative . Le
Voyageur peut aifément en enfermer une
dans un porte-feuille , & la confulter au
befoin . Elles éclairent , elles dirigent , &
elles mettent celui qui en eft poffeffeur
dans le cas de fe paffer de tous les renfeignemens
que l'on recherche dans les
voyages ; enfin elles font entièrement
confacrées à l'utilité publique & au befoin
de tous ceux qui voyagent. C'eſt le
feul but que l'on s'eft propofé en les mettant
au jour. Pour nous conformer au
goût de tous les Particuliers qui voudront
faire l'acquifition de cet Ouvrage
comme Voyageurs , ou fimplement comme
Amateurs , nous l'avons mis fous plufeurs
formes différentes , dont voici le prix.
Grand in-4° . relié en veau , 15 livres.
Relié en carton , 14 liv. Broché d'une
maniere commode & portative , pour être
pis dans la poche , 13 liv. En feuilles , 12
liv. Et chaque route détachée fur une
feuille particuliere , i . f. A Paris , chez
le fieur Defnos , Ingénieur Géographe
pour les Globes , Sphères & Inftrumens
de Mathématiques , rue Saint-Jacques , à
l'enfeigne du Globe & de la Sphère ; 17655
avec privilége du Roi,
DECEMBRE 1765. 146
A VIS.
On trouve chez ledit fieur Defnos toutes
fortes de Cartes de Géographie , tant
générales que particulieres ; Atlas méthodiques
& élémentaires de Geographie &
d'Hiftoire d'autres pour l'intelligenee
des quatre principaux Hiftoriens de la
France ; le Tableau Analytique de la
France , depuis l'établiſſement de la monarchie
jufqu'à Louis XV ; tableau de
l'Allemagne , Recueils complets de Cartes
de tous les Auteurs ; Plans de Paris , collés
fur toile , montés fur gorge , de toute
grandeur , & pour la poche ; Banlieue &
environs de la Capitale ; Généralité de Paris
celles de Soiffons & d'Amiens , ou
Atlas de Picardie ; Carte particulière des
Elections du Royaume ; Routes particulières
de la France ; nouveaux Globes
'célefte & terreftre , & Sphères pour les cabinets
& bibliothèques ; inftrumens de
Mathématiques , & généralement tout ce
qui concerne les Sciences. Il procurera aux
Amateurs qui s'adrefferont à lui , nonfeulement
la connoiffance de ce qui paroît
en ce genre , mais encore la facilité
de l'acquifition par un prix modique. Il
diftribue le catalogue de fes nouveaux
ouvrages.
C iij
* 50 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE IV.
BEAUX ARTS.
ARTS UTIL E.S.".
CHIRURGIE.
LETTRE de M. ROUSSELOT , Chirurgien
de Paris , à M. D.... Médecin d'Avignon
.
L'INTERÊT
' INTERÊT que vous avez pris à mes
fuccès , Monfieur , & les marques généreufes
que vous m'avez données de votre
attachement
pour mai , méritent un égal
retour de ma part ; & je ne puis vous en
donner de plus fûrs témoignages qu'en
vous rendant un compte exact des fuites
& des progrès de ma découverte
fur la
guérifon des cancers & ulcères .
Vous avez fû dans le tems , Monfieur
les difficultés que j'ai eu a furmonter ; je
vous fais part aujourd'hui de l'accueil &
de la bienveillance qui leur ont fuccédé.
Depuis la nomination de Meffieurs les
DECEMBRE 1765. ist
Commiffaires de la Faculté de Médecine
de Paris , ma découverte a commencé à
devenir intéreſſante , & dès- lors l'Académie
Royale de Chirurgie a cru que fon attachement
au bien public exigeoit d'elle de
participer également à la connoiffance & à
l'examen d'une découverte dont les conféquences
bonnes ou mauvaiſes touchoient
de fi près au bien des Citoyens ; en conféquence
elle a nommé dans la féance du
10 Octobre dernier , des Commiffaires au
nombre de fept , qui font MM. Ruffel ,
de la Faye , Fabre , Brafdor , Thevenot ,
Difdier& Deftremau: indépendamment des
Commiffaires nommés tant par la Faculté
de Médecine , que par l'Académie Royale
de Chirurgie , plufieurs Membres de l'un
& de l'autre Corps fe font fait un plaifir
d'affifter à mes panfemens en qualité de
furnuméraires , & j'ofe allurer même que
leur zèle n'a pas cédé à celui de Meffieurs
les Commiffaires.
L'effet de mes remèdes a paru fous
leurs yeux dans la plus grande évidence ,
& les éloges dont ils m'ont honoré ont
été pour moi le témoignage le moins équi
voque de leur fatisfaction ; je n'attends
plus déformais que l'entière guériſon des
malades que j'ai entrepris fous les yeux de
la Faculté de Médecine & de l'Académie
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
de Chirurgie , pour en rendre un compte
exact au Public , ainfi que des autres cures
que j'ai opérées , toujours fous les yeux de
la Médecine ou de la Chirurgie avant la
nomination des Commiffaires. Je ne doute
point que les précautions que j'ai priſes
n'infpirent aux malades de l'efpèce dont
il s'agit , une jufte confiance dans des remèdes
à la découverte & compofition def
quels j'ai employé la plus grande partie de
mon tems , & fi j'ofe le dire , de ma fortune.
Quantité de perfonnes , tant de la
Ville que de la Province , m'ont déja honoré
de leur confiance , & je me flatte
qu'elles n'en auront aucun fujet de repentir.
Telle eft actuellement , Monfieur , la
pofition où je me trouve relativement à
cet objet ; j'ai cru , pour mieux vous confirmer
la réalité de mes fuccès , devoir joindre
à cette lettre quelques-uns des certificats
de Médecins ou Chirurgiens qui ont
vu l'efficacité de mes opérations . Le tems
me mettra à même de vous inftruire plus
amplement , en attendant je vous prie de
me croire , &c.
ROUSSELOT , Chirurgien .
Paris 12 Novembre 1765.
DECEMBRE 1765. 153
1
Copie des Certificats de guérifon.
Je fouffigné , certifie avoir vu & connu
depuis plus de quatre ans , le fieur Mellier ,
Cifeleur du Roi , demeurant chez M. Roëtiers
, Orfèvre du Roi , & qu'il m'a fouvent
confulté fur un ulcère cancereux qu'il
avoit à la jouë droite , lequel occupoit la
majeure partie du nez , & s'étendoit à l'os
zigomatique , au ſphincter des lèvres & à
l'os maxillaire ; & j'avoue que ma furprife
a été très grande lorfque le fieur
Rouffelot m'a repréfenté ledit fieur Mellier
parfaitement guéri le 23 Septembre de la
préfente année , que je me rendis par ordre
de la Faculté , chez ledit fieur Rouffelot
avec mes Confrères nommés auffi Commiffaires
avec moi , pour y conftater les
maladies cancéreufes que le fieur Rouffelot
a continué jufqu'aujourd'hui de traiter
fous nos yeux , & dont les progrès journaliers
nous font efpérer la réuffite la plus
parfaite ; en foi de quoi j'ai figné. A Paris,
ce 14 Novembre 1765.
ST
Signé , DIONIS , Docteur- Régent de la
Faculté de Médecine de Paris , ancien
Profeffeur defdices Ecoles , & Commiſſaire
nommépar la Faculté pour fuivre les mala
des traités par le fieur Rouffelot.
G. v
154 MERCURE DE FRANCE .
Nous fouffigné , Ecuyer , Docteur en
Médecine , & Médecin ordinaire de Son
Alteffe Séréniffime Monfeigneur le Duc
d'Orléans , certifions avoir vu ledit fieur
Mellier attaqué d'un ulcère cancéreux à la
joue droite , ainfi qu'il eft dit dans le certificat
ci- deffus , & nous l'avons vu avec
furprife, guéri , la place bien cicatrifée ,
& fe portant bien. A Paris , ce 16 Novembre
1765. Signé , PETIT.
Je fouffigné , Maître en Chirurgie du
Collége de Paris , certifie que M. Rouffelot
, Chirurgien privilégié, m'a préfenté
dans le mois d'Octobre 1764 , le fieur
Jean- Baptiste Mellier , Cifeleur du Roi,
attaqué d'un ulcère cancéreux à la narine
droite , & qu'il me l'a repréſenté au mois
de Juin dernier , bien guéri . A Paris , ce
premier Juillet 1765.Signé , MORAND.
Je fouffigné , Maître en Chirurgie du
College Royal de Paris , & Chirurgien
Major de l'Hôtel Royal des Invalides ,
certifie que le fieur Rouffelot , Chirurgien
privilégié , a parfaitement guéri par fes
remèdes , deux ulcères cancéreux ; l'un ,
dont le fieur Bourgeois , marchand de
tabac , demeurant rue du Colombier
étoit affligé depuis dix-huit années ; l'au,
tre , que la Dame Barat , demeurant rade
la Harpe , portoit depuis quinzeans
NOVEMBRE 1765. 155
entre l'oeil & le nez . Je certifie de plus ,
que j'ai fait employer les mêmes remèdes
dans les infirmeries de l'Hôtel avec fuccès.
En foi de quoi j'ai figné le préfent. Fait à
Paris, ce 22Janvier 1765. Signé, Morand.
EXPOSÉ d'un nouveau traitement fur les
rétentions d'urine des hommes , confidérées
fimplement comme dérivant d'écoulement
virulent. Par lefieur DELAFONT,
fils de Maitre en Chirurgie , Chirurgien
bréveté du Roi pour cette partie.
>
IL eft reconnu que la plupart des retentions
d'urine chez les hommes ne font
produites dans le cas d'écoulement virulent
, que par trois caufes principales : la
première , par la contraction des fibres du
canal de l'urèthre .
La feconde , par le gouflement des excroiffances
fongueufes & variqueufes , qui
fe font formées à la fuite des ulcères qui
ont exifté dans cette partie, & qui peuvent
y exifter encore.
La troifiéme enfin , par l'engorgement
fquirreux , foit de la proftate ou du
verumontanum.
Gvi
156 MERCURE DE FRANCE.
Ces trois caufes qui forment obftacle
aux paffages de l'urine , ne devant donc
être confidérées que comme dérivant d'écoulement
virulent , il s'enfuit qu'il faut
regarder les unes comme fpongieufes , &
autres comme calleufes & rigides . Elles
doivent être regardées comme fpongieufes
lorfque fe trouvant affaiffées , elles
permettent la fortie des urines , & lorfqu'étant
tuméfiées , elles s'oppoſent à leur
paffage. Il eft à obferver que cette forte
d'excroiffance eft toujours accompagnée
ou fuivie d'un fuintement ycoreux .
Elles doivent être qualifiées de calleufes
& rigides , lorfqu'elles préfentent toujours
obftacle , & qu'elles ne facilitent
pas plus dans un temps que dans un autre
le paffage de l'urine ; la réfiftance totale
qu'elles apportent , foit à l'introduction
d'une bougie , foit à celle de l'algali , eſt
l'indication ordinaire de cette dernière
forte d'excroiffance qui fe trouve ordinairement
fans écoulement.
Ces caufes ainfi reconnues & établies ,
il s'agit d'apprécier les moyens curatifs
qui ont été employés jufqu'à préfent dans
tous les cas.
Les remèdes dont on s'eft fervi jufqu'ici
pour cette maladie , font divifés en internes
& en topiques : les internes n'éNOVEMBRE
1765. 197
des
tant que des moyens acceffoires à la cure ,
on n'en dira rien . Pour ce qui eft des topiques
, ils fe trouvent renfermés dans les fabrications
de bougies emplaftiques que
quelques praticiens ontrendu plus ou moins
corrofives & fuppuratives , parce qu'ils ont
cru fans doute qu'elle ne pouvoit fe détruire
que par la voie de corrofion ; mais il
faut avouer , d'après l'expérience , que
remèdes de cette nature font toujours plus
infructueux , pour ne pas dire plus dangereux
, que falutaires , par la raifon qu'é
tant portés dans une partie membraneufe ,
& d'un tiffu nerveux , fufceptible de
grande irritation , l'ample fuppuration qui
réfulte de l'effet de ces bougies , fuppoſe
abfolument l'inflamation qu'elles ont por
tée dans toute l'étendue du canal de l'urèthre.
Eh , comment pourra- t-on douter de
cette vérité , fil'on examine en détail l'état
des malades pendant & après un pareil
traitement ? Pourra- t- on nier que les uns
pendant les premiers jours , les autres pendant
tout le temps de l'adminiftration de ces
fortes de bougies , ont reffenti une chaleur
brûlante & lancinante dans tout le canal
, qui fe communiquoit aux bourſes ,
s'étendoit jufquà la région des reins ,
& étoit accompagnée de fréquentes érections
involontaires très douloureufes
-
158 MERCURE DE FRANCE.
d'où il leur réfultoit des accès de fièvre
fuivis d'un écoulement de matière purulente
des plus abondant ? En effet , eſt - il
naturel de penfer que ce ne foit que l'obftacle
feul qui puiffe produire un tel écoulement
, en fuppofent même le canal obftrué
dans la plus grande partie de fon calibre
? Quelle néceffité y a - t - il donc ,
lorfqu'il n'eft bien fouvent queftion que
de détruire un feul point de réſiſtance qui
aura cinq à fix lignes d'étendue , & qui
peut feul arrêter le cours de l'urine , d'é
tablir une fi grande fuppuration , & cela
aux dépens des parties qui compofent l'urèthre
?
Il en eft de même par rapport à la première
caufe d'urine occafionnée par la
contraction d'une portion des fibres du
canal , ci - devant énoncée , car dans ce cas
il ne s'agit fimplement que d'adoucir &
de détendre les parties contractées.
La preuve de ce que l'on vient d'avancer
ne peut fouffrir de contradiction
l'état actuel de certains malades qui ont
effuyé les triftes effets d'un pareil traitement
, l'établit d'une manière démonf
rative ; en effet , il en eft réfulté aux uns
des dépots phegmoneux , qui faute d'avoir
été ouverts à temps , ont percé les
membranes de l'urèthre , & ont formé des
NOVEMBRE 1765. 651
ulcères fiftuleux , & carcinomateux , par la
dépradation que ces fortes de bougies
avoient faite fur le tiffu cellulaire &
fpongieux de l'urèthre , par l'irritation &
l'étranglement qu'elles y avoient produit.
D'autres enfin ont eu le canal plus rétréci
qu'ils n'avoient auparavant , & cela par
le nombre des cicatrices qui fe font formées
à la fuite de nouveaux ulcères que
ces mêmes bougies y avoient caufés ;
de- là des retentions plus fréquentes fe font
fait fentir.
D'après de pareils accidens , ne feroit-
il pas plus à fouhaiter pour les malades
qu'ils n'euffent employé que de fimples
corps dilatables pour fe foulager dans
leurs retentions , que d'avoir eu recours à
de tels moyens ?
Ce n'est pas que l'on veuille prétendre
abfolument que toutes les bougies com
pofées & que l'on emploie , foient de nature
à produire de tels inconvéniens ; il
en eft de moins irritantes & de plus bénignes
les unes que les autres : on le fait
mais il faut convenir qu'elles léfent toujours
les parois du canal , & que la douleur
eft inféparable de leurs effets , puiſqu'elles
laiffent pour l'ordinaire après elles
une cuiffon qui eft permanente aux uns ,
& momentanée aux autres ; elle eftmême
160 MERCURE DE FRANCE.
>
le plus fouvent accompagnée d'un écou
lement que l'on traite affez volontiers de
relâchement ou foibleffe de vaiffeaux
mais qui n'eft ordinairement que la fuite
ou la deſtruction des valvules qui recouvrent
l'embouchure tant des vaiffeaux
féminaires que des canaux excréteurs de
la proftate qui avoifinent les mêmes vaiffeaux
, lefquels dépourvus chacun de leurs
foupapes , qu'une longue fuppuration a
détruites , foit par un ulcère gonorrhoïque
qui aura fiégé dans cette partie , foit par
l'application des bougies cathérétiques
fe trouvent expofés dès lors aux impreffions
des fels urineux. De-là s'enfuit cette
cuiffon que les malades reffentent foit dans.
le premier jet de l'urine ou fur fa fin ,
qui eft plus ou moins douloureux à proportion
que l'urine a acquis un degré
d'acrimonie , & laiffe échapper cette hu
meur vifqueufe & gélatineufe qui fe
trouve tantôt entraînée par cette même
urine , & qui forme la plupart de ces filandres
qu'on y apperçoit , tantôt fe dépofe
& fait tache fur le linge. Il eſt une
autre eſpèce d'écoulement qui ne fournit
chaque matin avant la première urine ,
qu'une ou plufieurs petites gouttes de
matière épaiffe , qui dépofe fur le linge
& d'une couleur jeaunâtre ; elle ne vient
NOVEMBRE 1765. 161
que d'un ulcère finnueux qui occupe le
tiffu cellulaire & fpongieux de l'urèthre ;
il est peu de malades dont les gonorrhées
aient été opiniâtres , à qui il ne refte de
pareils finus. Les remèdes internes font
dans ce cas la plupart infructueux , il
eft d'ufage d'y appliquer les bougies , qui
bien fouvent n'atteignent pas plus à la
confolidation que les précédens.
Le remède que le fieur Delafont emploie
dans tous les cas fufdits , eft d'une
nature toute différente à la pratique ordinaire
dont on vient de parler , tant par
l'aifance & la douceur de fon adminiftration
qui la rend préférable à ceux ufités
jufqu'à préfent , qu'à raifon de fon, efficacité.
Premièrement il ne s'applique que fur
l'endroit de l'embarras , le refte du canal
fe trouve libre , & ne produit aucune
fenfation douloureufe ni pendant ni après
fon opération.
Secondement , il n'attire de fuppuration
que celle que l'embarras peut fournir
; par ce moyen il déterge & confolide
les ulcères ou finus qui font bien fouvent
la cauſe exiftante de l'embarras ; enfin ,
il facilite aux malades les moyens de vaquer
à leurs affaires , fans qu'ils s'apper162
MERCURE DE FRANCE.
çoivent , pour ainfi dire , qu'ils aient un
corps étranger dans cette partie .
İl ofe affurer qu'il n'eft point d'éco ulement
fi ancien & fi invétéré qu'il puiffe
être , qu'il ne tariffe .
Ce remède , qui réunit tous les avantages
que l'on peur defirer en pareil cas ,
fe trouve appuyé par un grand nombre
d'atteftations les plus authentiques des
gens de l'art qui certifient fon efficacité.
La demeure du fieur Delafont , eft
rue Beauregard , Ville-Neuve , la porte carrée
entre les deux portes cochères à
droite , en entrant par la rue Poiffonnière
, vis - à - vis le Vitrier , au premier.
ARTS AGRÉABLES.
RÉFLEXION fur la Peinture.
LA Peinture trouve dans l'expreffion
du gefte des muets ,
un modèle pour
vaincre par l'action des figures l'oifiveté
de la toile ; mais dans certaines figures
plus animées , ne pourroit - on pas mieux
prendre modèle fur ces actions fubites
vives & fingulieres , qu'on apperçoit quelNOVEMBRE
1765. 165
quefois dans la fociété, toujours frappantes
par leurs grâces naives & par leur inattente
?
Il entre dans la beauté des airs de tête ,
que le Peintre les conçoive & les rende
décidées , qu'il les crée en quelque forte ;
outre cela qu'ils paroiffent pris dans une
variété infinie où l'on voit que le Peintre
a choifi judicieufement. Que d'airs de têtes
ne font formés que par le haſard des
traits ! chofes difficiles qui fuppofent l'art
de manier des refforts cachés des chofes ,
& un génie créateur. Au refte , la nature
ne nous offre rien en ce genre , qu'une
variété étonnante , mais prefque bifarre
en tour , & fans autre beauté que celle
d'un rapport des moeurs direct à la phyfionomie
, & du déguifement que le vice ,
qui a intérêt de paroître la vertu ,
jetter.
fait у
On a demandé s'il ne feroit pas mieux
de ne point employer tout le caractère
d'une tête pour lui donner davantage
l'expreffion actuelle : charge fauffe & contraire
à la nature , & qui excluroit des
beautés. Changeons nous de phyfionomie
pour paffer d'une paflion à l'autre , & ne
feroit - il pas ridicule que la févérité de
l'air de tête d'un pere tendre ordonnant
la mort de fon fils , fût changée , pendant
164 MERCURE DE FRANCE .
que fon air de tête ordinaire pourroit repréfenter
la clémence contraftant avec la
févérité forcée ?
Je crois décidé impoffible d'être enfemble
grand colorifte & grand deflinateur.
Raphaël & le Pouffin ont - ils
colorié ? Rubens & les Peintres Flamands
qui le lui ont quelquefois difputé , ont- ils
deffiné ? Rubens n'a deffiné que de grand
goût. Quand il lui a fallu des délicateffes
& des caractères , comme Apollon
ou Mercure , il en a formé les beautés dans
la pâte de fa couleur , & ne les a produites
que par le pinceau ; d'ailleurs la
févérité du trait & le moelleux de la couleur
font deux chofes incompatibles.
Les arts ont un point fixe qui en détermine
la perfection ; celui de la métaphyfique
eft la connoiffance la plus claire
du rapport de la caufe à l'effet ; celui de
la phyfique eft cette connoiffance par les
faits , &c. C'eft cette connoiffance bien
fentie de fon but qui y fait parvenir. La
peinture en a plufieurs qui fembleroient
fe difputer on croiroit d'abord que c'eft
l'harmonie ; mais fans qu'elle en foit moins
effentielle , nous croyons que c'eft la propriété
, & du coup d'oeil général on en
peut douter ,, parce que la peintute étant
une jufte imitation cette jufte imi- >
DECEMBRE 1765. 165
tation de l'art à la nature , peut s'appeller
autrement propriété. Nous prouverons
mieux ce que nous avançons , fi nous
montrons la fécondité de ce principe :
cette propriété eft obligée entre le coloris
gai ou trifte , & le caractère du fujet ;
elle eft néceffaire felon l'âge , la paffion
actuelle & l'action phyfique ; cette propriété
doit être auffi entre l'air de tête &
l'attitude , & elle eft fi grande qu'il faudroit
deviner l'attitude d'après l'air de
tête , parce que tout fe tient dans la nature
, propriété de la marche , au ſujet de
chaque figure , à celle qui lui eft voifine ,
& à toutes les autres , & c. Comment un
principe qui oblige à tant de chofes ne
feroit - il pas celui de la perfection ?
On néglige trop les impreffions de la
toile: celles de Rubens étoient toujours blanches
, & ce fontles meilleures ; leur éclat
oblige à prendre un ton de couleur haut ,
& il le foutient par fon brillant ; mais ne
pourroit - on pas trouver encore d'autres
moyens ? Sans doute , & même les faire
fervir à réparer les défauts : à une couleur
d'un brillant faux , on impoferoit une impreffion
mate & fourde ; à une couleur monotone
& trifte , une impreffion variée
de couleurs brillantes. En un mot , ne pourroit
- on pas corriger par ce moyen ce
166 MERCURE DE FRANCE.
ton particulier qui règne toujours dans
un tableau ? Un autre feroit , d'après l'efquiffe
arrêtée , de jetter dans l'impreſſion
les maffes d'ombres & de lumieres qui
doivent compofer le clair - obfcur du tableau.
Le troifieme feroit , après une efquiffe
finie , de compofer fon impreffion
de tous les tons qui doivent entrer dans
le tableau : par- là l'harmonie ſe doubleroit
& fe foutiendroit elle- même.
Il faudroit que le Peintre fût tout ,
parce qu'il eft feul contre tous fes juges.
Si , par exemple , il n'a pas fçu faifir
l'inftant précis & le plus favorable de
l'action , celui qui eft le noeud de tous
les autres par fon plus d'intérêt , quel
plaifir procureroit- il à l'homme né fenfible,
en qui une idée en réveille mille autres ?
Les ombres donnent aux Peintres bien
plus de difficultés que les lumieres , à les
repréfenter. Suppofons une grande maffe
blanche , comme un mur ombré & re-
Aleté par le terrein ; que dans fon étendue
il fe trouve des tons encore plus
obfcurs , & qu'il s'eft produits par l'art ;
que des objets placés entre le mur & le
reflet du terrein leur prêtent l'air des fecondes
ombres ; on ne fe trompera jamais
fur ces ombres vraies & fauffes , &
la raifon en eft que la nature nous fair
DECEMBRE 1765. 167
fentir entre l'objet très - lumineux &
notre oeil , une portion d'air agitée & raréfiée
par la réaction continuelle des
rayons ; au lieu que nous fentons dans
l'ombre un air plus denfe & plus tranquille.
Ces réflexions vont nous fervir.
La nature , quoique dans l'ombre , nous
y préfente les objets très - diftinctement ,
parce que l'oeil , quoique privé de lumiere,
tourne toujours autour de la forme ; & le
Peintre , dans l'ombre , fe trouve réduit
à mettre très - peu de couleurs , & des
tons fourds. Or , dans le clair , c'eft le
brillant de la lumière oppofée à la demiteinte
, & l'empâtement libre & volontaire
de cette même lumière , oppofée à
la fraîcheur & à la légereté de la demiteinte
& le ton local , qui produit plus
puiffamment la forme : fi bien que l'ombre
pittorefque reflemble plutôt à ces taches
obfcures dont nous avons déja parlé
qu'au vrai de la nature ; & fi certains
objets & certains grouppes tournent , c'eft
que la vérité des lumieres en prête à
l'ombre,
>
168 MERCURE DE FRANCE.
GRAVURE.
ESTAMPES nouvelles gravées d'après
M. VERNET , propofées par foufcrip.
de
tion.
LE fieur Cathelin , Graveur , a entrepris
graver quatre tableaux M. Vernet,
que
Peintre du Roi , de l'Académie Royale
de Peinture & Sculpture , vient de faire
pour Sa Majefté , & qui ont été expofés
au fallon du Louvre.
Ces tableaux qui ont cinq pieds de
largeur fur trois pieds de hauteur , repréfentent
les quatre parties du jour exprimées
, tant par des accidens naturels ,
que des marines & des payfages rendent
plus fenfibles.
> Le matin ou le lever du foleil , caractérisé
par la vue d'un beau ciel , préfente
un paysage où font réunis une rivière
, un pont , des rochers d'un effet
très - pittorefque , & des pêcheurs.
Le midi , indiqué par un orage &
par un vent impétueux , offre encore
un fond de payfage , où l'on voit une
églife , un moulin à eau , & des blanchif
feufes.
Le
DECEMBRE 1765. 169
Le foir , ou le foleil couchant , eft exprimé
par un ciel ferein , & tous les objets
y retracent la féchereffe & la chaleur du
jour expirant. Le paysage eft compoſé ,
dans le lointain , d'un aquéduc & d'un
amas de rochers , avec des chûtes d'eau.
Sur le devant , eft une rivière , un
homme qui pêche à la ligne , & une
femme fur un mulet accompagnée d'un
payfan.
-
La nuit , défignée par un clair de lune ,
a de très beaux effets de lumière . La
fcène est un port de mer où l'on voit
un vaiffeau mouillé ou à l'ancre , & fur
le bord , des matelots qui font leur cuifine.
Les quatre eftampes , qui feront pendans
, auront 22 pouces de largeur fur 17
de hauteur , & la gravure en fera conduite
par M. Vernet.
Comme par les foins & par le travail
qu'exige néceffairement la beauté des originaux
, les frais de cette agréable entrepriſe
feront affez confidérables , le fieur
Cathelin , pour en affurer le fuccès , eft
obligé de recourir à la voie de la foufcription.
Il offre en conféquence aux Amateurs ,
& il s'oblige de leur livrer les quatre ef
campes gravées dans deux ans , à compter
H
170 MERCURE DE FRANCE .
depuis le premier Octobre 1765 , juſqu'au
premier Octobre 1767 .
La foufcription fera ouverte pendant
tout le reste de l'année , à commencer du
dix Octobre prochain , jufqu'au 10 Janvier
1766.
Le prix de cette foufcription eft fixé à
16 livres , dont on payera moitié en foufcrivant
, & les 8 livres reftant à la réception
des eftampes
.
Ceux qui n'auront pas fouferit , les
payeront 24 1. fans aucune diminution
ni remife.
Les Soufcripteurs auront de plus les
premieres & les meilleurs épreuves.
Les foufcriptions feront reçues' chez le
fieur Cathelin , Graveur à Paris , Quai de
l'Ecole , dans l'allée entre les deux Caffés.
LE fieur Gaillard , Graveur en tailledouce
, qui s'eft diftingué par plufieurs ouvrages
d'après M. Boucher , vient de mettre
au jour une eftampe d'après un des beaux
tableaux de M. Jeaurat. Ce morceau eit
très- fini & d'un effet piquant : il a pour
titre Vénus & Adonis . Cette eftampe eſt
deſtinée à faire pendant aux Bacchantes ,
d'après M. Boucher , que l'Auteur a mifes
au jour au mois de Juin 1764.
Elle fe vend chez l'Auteur, rue Saint
1A4
DECEMBRE 1765. 171
Jacques , au - deffus des Jacobins , entre
un Perruquier & une Lingère.
ر
On trouve chez le fieur Danzel , Graveur
rue d'Enfer , à côté du Séminaire
de Saint Louis , trois eftampes qu'il a
gravées : l'une intitulée Vénus & Adonis,
d'après J. Bethon , & tirée de la gallerie
royale de Dreſde ; l'autre , Vénus & Enée ,
d'après A. Boizot ; & la troifiéme , la
Charité Romaine , d'après N. N. Coypel.
Le prix de chacune eft d'une livre dix fols .
LE fieur Buldet , Marchand d'Eftampes
, rue de Gefvres ; vient de mettre en
vente une Eftampe , gravée par le fieur
Henriquez , repréfentant un joueur de balalaye
, Paftorale Ruffe , d'après le tableau
original de M. le Prince. Cette
Eftampe eft très-agréable , & la délicateffe
du burin répond à celle du pinceau du
Maître , que le Public a admiré dans les
différens fujets Ruffes qu'il a expofés cette
année au falon.
On trouve chez le fieur l'Evefque , Graveur
, rue du Jardinet , une eftampe qu'il
a gravée d'après M. F. A. Caftelle , repréfentant
le fieur le Kain , célèbre Comédien
du Roi , dans le rôle de Gengis - Kan
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
Elle ne peut que faire honneur aux talens
du Deffinateur & du Graveur , chez lequelle
elle fe vend , rue du Jardinet. Le
prix eft d'une livre quatre fols ,
La jeune femme , qui lave du linge ,
eftampe gravée par le fieur Danzel , d'après
le tableau de M. Greuze , réunit
tout ce que les amateurs ont droit de defirer
dans la copie d'un fi agréable & fi
précieux original .
à
On la trouve chez l'Auteur , rue de
Sorbonne , la première porte cochère ,
gauche ,, en entrant par la rue des Mathurins.
LE portrait de Henri IV , Roi de France
, d'après le portrait original de Porbus ,
appartenant au Roi , & gravé par le fieur
Chenu ; fe vend chez l'Auteur , rue de
la Harpe , vis - à - vis le Caffé de Condé.
C'est la même eftampe qui a paru au
frontifpice de l'hiftoire de ce grand Roi ,
par M. de Bury, mais retouchée & perfectionnée
par le Graveur.
Le fieur Moitte , Graveur du Roi , rue
Saint Victor , la troifieme porte cochère
à gauche
, en entrant
par la Place Maubert
, vient
de mettre
en vente
le portrait
de
DECEMBRE 1765. 173
M. l'Abbé Chauvelin , Confeiller de
Grand'Chambre , d'après M. Roflin , Suédois
, Peintre du Roi.
Ce portrait gravé , qui a été vu au dere
nier fallon , eft digne , à tous égards , de
fervir de pendant à celui de feu M. l'Abbé
Pucelle .
MUSIQUE.
LETTRE de M. D. L.... à M...fur une
nouvelle dénomination des notes de la
Gamme.
MONSIEUR ,
MALGRÉ le préjugé général dans lequel
on eft depuis plus de fept cents ans fur la
merveilleufe découverte de la dénomination
des notes de la gamme , que l'on doit
à l'ingénieux Bénédictin d'Arezze ( 1 ) , &
de laquelle vous prîtes fi fort le parti der-
( 1 ) C'eft- à dire , quant aux fix premières , car
la feptième eft dûe à un nommé Lemaire , vers
l'an 1620 , & ne fut adoptée des Muſiciens , foit
entêtement ou jaloufie de leur part , que vers l'an
1650. Cependant , felon l'Auteur d'une Lettre
inférée dans le Mercure du mois de Juillet 1743 ,
Guy d'Arezzo n'a pu fe difpenfer de donner une
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
nièrement , jai cru devoir vous faire part
des réflexions que m'ont fuggérées vos débats
avec M. *** à ce fujet. Voici comme
je penfe qu'il feroit à propos d'enviſager
la chofe. Il eft un langage commun à tous
les hommes , par lequel ils peuvent exprimer
leurs befoins , les diverfes paffions qui
les agitent , &c. Ce langage eft celui des
fons de la voix ; j'entends ici par les fons
de la voix , l'articulation des voyelles
feulement , & non celle des confonnes ,
qu'il ne faut confidérer que comme des
articulations de pure convention , avec
lefquelles l'art a formé des idiômes différens
: car il s'enfuit de cette distinction
un conféquence par rapport aux expreffions
mélodiques , très-fingulière en apparence
, & très- vraie quant au fait ; la voici .
Les rapides fucceffions de nos idées ne
dénomination fixe à cette feptième note ; que lorfqu'il
s'agiffoit de folfier le chant , il dût la faire appeller
du nom de la lettre ou clef qui la défignoit ,
& cette dénomination étoit bé ou be ; ainfi l'octave
par ce moyen le trouvoit remplie des dénominations
fuivantes c , d , e , f, g , a , b , b , c ,
ut , re, mi , fa , fol, la , bé ou be,
Ce fait ne paroît pas abfolument bien conftaté ;
mais , quoi qu'il en foit , fa vraiſemblance & le
rapport qui fe trouve entre cette dénomination &
le caractère qui défigne cette feptième note , femblentmériter
attention & autorifer cette conjecture
ut.
DECEMBRE 1765. 179
pouvant être rendues par les expreffions
les plus précifes , démontrent l'impoffibilité
d'union entre la mélodie & toutes les
langues en général ; ces expreffions , quelques
concifes qu'elles foient , font toujours
en retard eu égard à la vivacité de
l'imagination , ou pour mieux dire , du
fentiment ( 2 ) . La mélodie naturelle ( 3 )
rendue par l'organe vocal , fans paroles ,
ou par des inftrumens , eft la feule capable
d'affecter l'âme , vu les rapports identiques
qui font entr'elle & nos fenfations (4) ;
d'où l'on peut conclure que de toutes
mufiques , celle qui pourra offrir des images
intéreffantes , fenfibles , fera la mélodique
fans paroles. Quelque préférence
d'ailleurs , qu'on donne par prédilection
à un idiome fur un autre , & quelques
moyens qu'onpuiffe employer pour en former
un favorable à la mélodie , il ne fauroit
jamais être auffi vif que les fons ont
de préciſion à exprimer le fentiment ( 5 ).
( 2 ) Voyez la Lettre fur les fourds & muets ,
pag. 106-111 , & 120 125 .
( 3 ) J'entends le chant implement , & non
l'harmonie.
( 4 ) L'harmonie ne parle jamais qu'à l'efprit ;
la mélodie , au contraire , parle toujours au fentiment
.
(5 ) Ceci , comme on voit , s'étend un peu plus
H iv
176 MERCURE
DE FRANCE
.
Or , revenant à l'objet duquel je parois
m'être écarté , je demande s'il ya quelques
rapports entre les fons pris en particulier
& les confonnes ? S'il n'y en a aucuns ,
les voyelles font donc les feules en propriété
du privilége d'être les repréfentatrices
de ces mêmes fons ? De-là on peut
donc inférer que , par la différente modification
des fons de la voix , on exprimera
divers fentimens ; en voici un exemple.
De combien de manières différentes n'exprime-
t- on pas cette exclamation , Ah ? Ne
caractérife-t- elle pas les cris de joie , de
douleur , d'admiration , d'étonnement ?
&c. Cela ne fe fait- il pas par les diverfes
modifications du même fon ? Un fecond
exemple rendra la chofe encore plus fenfible
& fera concluant ; c'eft celui qu'offre
la mufique vocale. Vous obferverez ,
Monfieur , qu'entre les expreffions mélodiques
, celles qui nous affectent le plus
fenfiblement , ne font pas celles qui portent
fur des confonnes ; que c'eft au contraire
celles qui établiffent fur une voyelle
une fucceffion modulée de différens fons.
Le fait d'ailleurs eft aifé à vérifier , fi vous
n'y avez pas encore fait attention .
Join
que ce qu'a avancé M. R. dans fa Lettre fur
la Mufique Françoife , par rapport à la différence
du rhythme italien & du rhythme françois.
DECEMBRE 1765. 177
Réfléchiffant donc fur ces obfervations ,
J'ai remarqué que les fyllabes ut , re , mi ,
fa , fol , la , fi , defquelles on fait ufage
en folfiant , étoient totalement contraires
aux intonations naturelles de la voix ,
qu'elles retardoient le fon & l'étouffoient
même par leurs articulations ; en voici
l'analyfe.
1º. L'articulation d'ut eft dure , la lettre
dentale étouffe le fon qui fe foutient fur la
voyelle u.
2. Celle de re eft plus favorable au fon
en ce que la confonne précède la voyelle
fur laquelle le fon fe foutient.
3 °. L'articulation de mi eft nazale ,
étouffée , la lettre labiale ferme le paffage
au fon de la voyelle i.
4°. Celle de fa eft plus éclatante par
rapport à la voyelle a ; mais elle eft toujours
en retard par l'étouffement de la
lettre labiale & dentale qui la précède .
5°. Ceile de fol a deux inconvéniens ; le
premier caufé par le fifflement de l', &
le fecond par l'articulation de la lettre palatiale
& linguale , qui entraîne la compofition
d'une fyllabe ; en forte que le fon
de la voyelle o fe trouve enfermé de cette
façon , ' o le.
6. L'articulation de la n'a rien d'in
H. v
178 MERCURE DE FRANCE.
fupportable , gracè à la voyelle a , quoique
la confonne en retardé encore le fon.
7°. Celle de fi enfin eft fifflante comme
celle defol , l'fen eft la cauſe.
Or , pour remédier à tous ces inconvéviens
& rendre l'intonation muficale conforme
au principe vocal le plus naturel
poffible , il ne faudroit que mettre en ufage
un moyen très- fimple que je propofe : le
voici. C'eſt de dénommer les fept notes de
la gamme par les fix voyelles fimples & la
voyelle compofée ou diphtongue ou , dans
cet ordre fucceffif.
A , É , Ê , I , Q , U , OU [ 6) .
De ce fyftême il réfulteroit un avantage
inconteftable , tant pour la formation
des fons , la facilité d'intonation , que
pour l'expreffion des phrafes mélodiques
qui font communément affectées aux
voyelles dans la mufique vocale.
2
Ainfi je crois , Monfieur , que cette
nouvelle dénomination des notes pourroit
avoir quelque mérite fur l'ancienne , fi
parvenoit un jour à être aufli univer- elle
(6 ) La diphtonque ou pourroit encore être
repréfentée par le double W pour ſimplifier fa
figure , & on ne s'éloigneroit point en cela de la
valeur qu'a cette lettre à bien des égards dans dif
férens alphabets.
a
DECEM BRE 1765. 179
fellement adoptée (7 ) . D'ailleurs , je penfe
qu'on pourroit tirer encore un double
avantage de cette manière de nommer les
notes , fi ces mêmes voyelles étoient employées
par une fubftitution aux notes
mêmes en les écrivant en leur place . On
diftingueroit celles qui repréfenteroient
les rondes par des lettres majufcules , celles
qui repréfenteroient les blanches par des
minufcules , comme toutes les autres ,
mais à la différence qu'elles feroient furmontées
d'un trait horifontal femblable
à celui dont on fait ufage dans la grammaire
pour défigner les fyllabes longues ;
du refte toutes repréfenteroient également
les noires. Quant à celles qui devroient
repréſenter les croches fimples , doubles
&c. on ne feroit que tirer au- deffous des
barres fimples , doubles , &c. parallélement
à ces mêmes lettres , tout devenant égal
pour le reſte aux caractères en ufage . Co
moyen ne feroit pas plus impraticable que
celui dont on ufe pour les inftrumens à
tablature , comme luth , théorbe , guittare,
( 7 ) C'eſt- à-dire en France , car en Italie , en
Efpagne , en Angleterre , en Allemagne & au - delà,
on ne fait ufage que des fept premières lettres de
l'alphabet , & nullement des fept dénominations
précédemment énoncées.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
&c. (8 ) Je m'arrête enfin ; car plus j'y ré̟-
fléchis , plus j'entrevois matière à m'étendre
fur les avantages qui réfultent naturellement
de ce fyftême ; ce que je me réferve
de vous communiquer dans la fuite
avec un développement plus circonftancié .
Voilà , Monfieur , ce que j'avois à foumettre
à vos lumières : je. fouhaite que
cette nouveauté puiffe occuper un inftant
votre loifir ; ce fera toujours pour elle &
fon Auteur un réfultat très - avantageux ..
J'ai l'honneur d'être , &c..
A Paris , ce
(8 ) J'ajoute encore , que ce fyftême devenantpar
ce moyen à la portée de tous en général , feroit
encore le plus clair & le plus facile qu'on puiße
employer vis -à-vis des enfans mêmes , eux dont
l'intelligence bornée s'éloigne toujours des intonations.
L'expérience m'en a fourni des preuves ;
j'ai vu des enfans qui , quelque moyen qu'on mît
en oeuvre pour leur faire entonner la gamme ,
ne pouvoient y réuffir , & qui , fans balancer un
inftant , en ont rendu jufte l'intonation par le
fecours de cette nouvelle dénomination notée .
DECEMBRE 1765. 18%
ISABELLE & Gertrude en partition ,
Comédie par Me. Favart , & la mufique
par M. Blaife ; prix 12 liv. y compris les
parties féparées. A Paris , chez le fieur de la
Chevardiere , Marchand de Mufique du
Roi , rue du Roule , à la Croix d'Or .
*
Six Symphonies à plufieurs parties , ou
en quatuor , dédiées à Monfeigneur le-
Prince Duc régnant des Deux -Ponts , par
M. Toëfchi , Maître des Concerts de Son
Alteffe Séréniffime Monfeigneur l'Electeur
Palatin , à Manheim . A la même
adreffe ; prix 12 liv.
Cinquième Recueil de petits airs ,
choifis dans les nouveaux operas comiques,.
accommodés pour deux fluttes ou violons,
par M. Granier, prix 6 liv. A la même
adrefle..
Six Quatuors pour une flutte , violon ,
alto & baffe , par M. Toëfchi , prix 9 liv..
Idem, chez le fieur de la Chevardiere , Editeur
. Ce même Editeur continue toujours
fon Journal hebdomadaire..

Phaon , Cantatille , à voix feule & fym--
phonie. Par M. Pouteau , Organiſte de
182 MERCURE DE FRANCE.
Saint Jacques de la Boucherie , & de Saint
Martin des Champs. Paroles de M. le Chevalier
de Juilly Thomaffin. Prix une liv.
16 fols ; chez l'Auteur , rue de la Planche-
Mibray , chez une Lingère , à l'Image
Notre- Dame ; & aux adreffes ordinaires
de mufique.
Le Ruiffelet , ou le Clic , Clac , Clouc ,
premiere Ariette , avec fymphonie , qui
fera fuivie de onze autres pour l'année
entière , par M. Légat de Furcy , Maître
de Chant , Organifte de Saint Germainle-
Vieux , & de Sainte Croix - de- la- Bretonnerie
; chez l'Auteur , Parvis Notre-
Dame , chez M. Courlefvaux ; & chez
la Chevardiere , rue du Roule , à la Croix
d'or.
On pourra foufcrire pour les douze
Ariettes , chez l'Auteur & chez tous les
Marchands de Mufique , jufqu'aux premier
Février , que paroîtra la feconde.
DECEMBRE 1765. 183
ARTICLE V.
SPECTACLES DE LA COUR.
SUITE des
Spectacles de la Cour à FONTAINEBLEAU
.
LE famedi , 26
Octobre , les Sujets du
Théâtre Italien
jouèrent la FEE
URGELLE,
comédie en vers , en quatre actes , mêlée
d'ariettes , qui
n'avoit point encore paru
fur le
Théâtre. Cette pièce eft un des jolis
Contes de M. DE
VOLTAIRE , intitulé :
Ce qui plaît aux Dames , mis en action .
Les paroles font de MM . **( 1 ) ; la mufique
de M. DUNI ,
Compofiteur de
mufique ,
&
Penfionnaire de feu S. A. R. l'Infant
DOM PHILIPPE , Duc de PARME.
Il est peu de fuccès plus évidemment
& plus
unanimement décidé que celui de
( 1 ) L'un de ces anonymes eft connu . C'eſt
M. FAVART , Auteur primitif de la difpofition &
de la diftribution du fujet. Il feroit difficile de
méconnoître auffi fon agréable coloris dans les
détails charmans dont cet ouvrage eft rempli
L'autre Auteur apparemment a defiré d'être
ignore.
184 MERCURE DE FRANCE.
ce drame à la Cour. Il a réuni les fuffrages
de tous les ordres de fpectateurs , qu'il
a également amufés.
Le fpectacle qu'il produit eft ingénieufement
varié , & compofé de tout ce qui
doit plaire au Théâtre , en confervant
néantmoins cette forte d'unité & d'enfemble
, fans lefquels le goût n'admet jamais
la multiplicité des agrémens les plus brillans.
Dans la mufique , on a remarqué avec
plaifir quelques ariettes : entre autres on
en diftingue une de chant imitatif , exécutée
par le fieur CAILLOT , avec ce talent
& ce naturel qui donnent tant de grâces
à tout ce qu'il exécute .
Nous aurions bien voulu fatisfaire la
curiofité de nos Lecteurs fur l'empreffement
qu'ils ont fans doute de connoître la
Fée Urgelle : mais nous fommes obligés
d'en différer l'extrait , parce que nous ap
prenons que M. FAVART , qui doit mettre
inceffamment cette pièce au Théâtre
de Paris , y fait des additions & quelques
légers changemens aux paroles ; le véritable
talent n'étant jamais fatisfait de fes
productions , même après le plus grand
fuccès .
Les fieurs CLAIRVAL , CAILLOT , DEHESSE
, CHAMPVILLE , BALLETI , LAUDECEMBRE
1765. 18
BREAU & BEAUPRÉ ont joué & chanté
dans la repréfentation de cette pièce à la
Cour , ainfi que les Demoiſelles FAVART ,
LA RUETTE , COLLET , DESGLAND , RIVIERE
, LÉONORE , ADELAIDE . On a été
très-fatisfait de l'exécution , en général
de la part de tous les Sujets qu'on vient
de nommer.
MM. CAILLOT , CLAIRVAL , les Demoifelles
LA RUETTE & DESGLANDS ont
particuliérement mérité les fuffrages dont
ils ont été honorés , chacun dans le rôle
dont ils étoient chargés : mais il n'eft
point de termes pour bien faire entendre
avec quelle perfection la Demoiſelle FAVART
a faifi & rendu la vérité & la fineffe
du comique agréable qui règne dans
tout le rôle de la Vieille , le plus important
& le plus faillant de la pièce. Nous
ofons conjecturer que lorfque le Public
en jugera à Paris , on nous accufera d'avoir
plus affoibli qu'exagéré cet éloge.
Le fpectacle , d'ailleurs , a été très - bien
décoré , & habillé dans le coftume du
tems où l'on fuppofe s'être paffée l'action :
ce qui produifoit un tableau intéreffant ,
curieux & agréablement varié . On conçoit
que telle devoit être fur-tout la repréfentation
de la Cour d'Amour , préfidée
par la Reine Berthe , & efcortée
186 MERCURE DE FRANCE.
des Troubadours . Nous aurons occafion de
reparler encore de cet agréable ouvrage
dans le Mercure prochain , en rendant
compte du fuccès que probablement il
aura eu à Paris.
Le mardi , 29 du même mois , on donna
deux ouvrages nouveaux , favoir , EGLÉ ,
comédie en vers , en un acte , précédée
d'un prologue avec des intermèdes de
chant & de danfes , laquelle fut fuivie
du TRIOMPHE DE FLORE , opéra -ballet en
un acte.
Les paroles de la comédie , du prologue
, des intermèdes & de l'opéra - ballet
font de M. VALLIER , Colonel d'Infanterie
, de l'Académie des Sciences & Belles-
Lettres d'Amiens , de la Société Royale
des Sciences & Belles -Lettres de Nancy.
La musique de tout ce même fpectacle
eft de M. DAUVERGNE , Surintendant de
la Mufique du Roi.
Nous allons donner ici connoiffance à
nos lecteurs des fujers , & de quelques détails
de ces deux ouvrages par les extraits
de la comédie & du poëme de l'opéra.
NOVEMBRE 1765. 187
EXTRAIT DU PROLOGUE D'ÉGLÉ.
Perfonnages.
L'AMOUR ,
Acteurs.
La Dlle LuZI.
MERCURE ,
Le SENTIMENT .
SUITE DE L'AMOUR,
SUITE DU SENTIMENT ,
Le fieur AUGER
Le fieur MOLE.
Le théâtre repréfente des campagnes arides telles
qu'elles étoient encore peu de temps après ledéluge.
J
UPITER avoit détruit le genre humain cor
rompu , & avoit choifi Deucalion pour repeupler
la terre . Les hommes nouveaux ne connoiſſent
point encore l'Amour. Ce Dieu entreprend de les
animer de fes feux. Mercure craint qu'il n'en
réfulte des malheurs femblables à ceux qui ont
perdu la race humaine . Il exhorte l'Amour à ne
pas la replonger dans de nouveaux abîmes. Le
fentiment paroît ; il veut engager l'Amour à s'entendre
avec lui & à s'unir enfemble pour purifier
le coeur des hommes & augmenter leurs plaifirs.
Cette union déplaît à l'Amour , qui n'en fent point
la néceffité. Il eft perfuadé que la figure & l'efprit
fuffifent fans le fecours du fentiment. Celui- ci expofe
fes avantages fur l'efprit & fur la figure , mais
Î'Amour perfifte dans fon opinion. Alors les Bergères
du monde nouvellement créées paroiffent
errantes dans la campagne. Les fuivans du fentiment
viennent danfer autour d'elle , & par des
danfes tendres & touchantes , femblent chercher
188 MERCURE DE FRANCE.

à leur plaire. D'abord les Bergères , attirées par la
nouveauté du ſpectacle , s'aflemblent autour d'eux ;
mais enfuite ennuyées par la lenteur de leurs danfes
, elles fe retirent dans le fond du théâtre ,
elles s'endorment : les fuivans de l'Amour & les
Plaisirs arrivent fur un air gai , danſent autour des
Bergères , les réveillent , leurs préſentent des fleurs ,
en mettent dans leurs cheveux , leurs apprennent
l'ufage de fe mirer dans les fontaines ; les Bergères
danfent avec eux , leur donnent la préférence ;
& les Suivans de l'Amour & les Plaifirs les enimènent
avec eux , après que les Suivans du Sentiment
fe font retirés , fur un air qui exprime leur douleur.
Ces danfes étoient coupées par divers mor
ceaux de chant.
EXTRAIT DE LA COMÉDIE
Perfonnages.
MERCURE ,
Acteurs.
L'AMOUR ,
LE SENTIMENT vêtu en Berger ,
L'ESPRIT fous la figure d'un
les mêmes du
Prologue.
Robin , le fieur VELENNE,
LA FIGURE , par un homme
richement vêtu ,
Bergères
du monde
nouvellementcréées.
le fieur PREVILLE.
CÉPHISE , la Dlle Hus .
FINETTE ,
FLORISE ,
LISE ,
EGLÉ ,
la Dlle DÉPINAY.
la Dlle FANNIER.
la Dlle LE KAIN.
la Dlle DOLIGNY,
DECEMBRE 1765. 189
Le fond du théâtre change . Les arbres qui n'avoient
que des troncs paroillent reverdis & chargés
de guirlandes de fleurs. Les campagnes font plus
riantes . Mercure reprend la converfation fur la
matière qui a fait le fujet du prologue . Il exhorte
de nouveau l'Amour à fe joindre au Sentiment ; &
l'Amour perfifte à le refufer , bien perfuadé qu'il
peut plaire fans lui .....
>> La plus froide vieilleffe & l'âge le plus tendre ,
>> Au doux plaifir d'aimer fe plaifent à fe rendre.
Je règne fur la terre , & je commande aux
>> cieux ;
» On ne réfifte point aux charmes de mes yeux ;
A tous les coeurs ma voix fe fait entendre.....
Il ordonne aux petits Amours d'embrafer tous
les coeurs & de les réduire fous fon empire. L'Efprit
& la Figure doivent le feconder il donne au
premier le mafque d'un Robin , & comme Mercure
en paroît étonné , il lui dit :
» Je fais tout le reſpect qu'on doit à la Juſtice, &c
L'Amour ne veut point faire prendre à fon perfonnage
la figure de ces Magiftrats , qui tout entiers
à leur devoir , négligent toute autre gloire ,
tout autre intérêt que d'être utiles à leurs concitoyens
; mais , ajoute - t - il ,
Je puis , fans m'expofer au rifque d'une affaire,
» Dérober à Thémis un jeune Magiftrat
>> Qui n'en aura que la fuperficie ;
Tout plein d'efprit , inftruit au mieux .
190 MERCURE DE FRANCE.
» Mais qui , Docteur dans l'art de minutie
•› Ne fera dans le fond qu'un petit merveilleux.
• .
L'homme que l'Amour déguife fous le maſque
de la Figure eft ....
➜ Un de ces beaux qu'à la ville , à la Cour ,
» On prend de même qu'on les quitte , "
» Sans leur trouver d'autre mérite
»
Que l'éclat qui naît d'un beau jour :
Qui , quand il eft paſlé , n'a rien qui le rappelle;
» Et fait après rougir la belle ,
Qui le rendit l'objet de ſon amour.
Voilà avec quelles armes l'Amour entreprend
de triompher de ſon rival . On va voir avec quel
fuccès.
Céphife ajuftant fa coëffure , & tout occupée
de fa purure , répond toujours d'un air diſtrait
fans regarder Finette , qui fait la même chofe ,
& elles le font l'une à l'autre la confidence que le
but de cette parure eft de plaire ; l'une a l'homme
à la belle figure , l'autre à l'homme d'efprit. I
paroît qu'elles y ont réuffi , & elles font toutes
deux fort contentes de leurs conquêtes.
La jeune Florife , qui fent naître dans fon coeur
les premiers feux de l'amour , vient demander
à Life , fa foeur , des confeils fur cette nouvelle
fituation de fon âme. Elle fe retire dans l'efpérance
que fa foeur lui accordera bientôt les fecours quelle
demande. Life , plus inftruite , réfléchit fur l'arrivée
des trois étrangers. Nous avons déja peint
les deux premiers , voici fous quels traits l'Aureux
nous trace le Sentiment.
DECEMBRE 1765. 195
La crainte eft fur fon front , les foucis fur les
>> traces ;
C'eſt d'un air interdit qu'il nous ofe aborder ;
Il a toujours ce ton qui demande des grâces ,
Quand les autres ont l'air de nous en accorder ...
Finette , qui fe croyoit très - afſurée de fa conquête
, apprend avec dépit que le Robin , ou , pour
mieux dire , l'Elprit qui fe cache fous ce mafque , a
trahi fes feux . Elle en fait la confidence à Céphife ,
qui de fon côté a les mêmes plaintes à faire de fon
amant. Suit une fcène entre les deux hommes
infatués , l'un de fon efprit , l'autre de fa figure.
Ils relèvent chacun en particulier leurs avanta
ges ; mais ils conviennent tous deux qu'ils n'ont
pu encore toucher le coeur d'Eglé , quoiqu'ils fe
promettent bien d'y réuffir . Ils s'uniffent même
pour l'enflammer. Eglé parcît , leur déclare que
ni l'un ni l'autre ne peut faire fon bonheur , mais
elle fort en foupirant . L'Amour triomphe de la
victoire qu'ont remportée fur les deux Bergères
l'Efprit & la Figure , & brave fon rival le Sentiment
; celui- ci s'en plaint à Mercure , & déplore
les malheurs qui vont de nouveau affliger le genre
humain.
Mercure lui reproche fon air timide & plaintif;
il lui confeille d'y fubftituer la gaieté , & même
un peu de fatuité.
LE SENTIMENT.
Mercure en ce moment votre erreur eft extrêmes
» Figure , efprit , grâces , talent ;
>> On trouve tout dans ce qu'on aime ,
در
Quand on aime par fentiment .
492 MERCURE DE FRANCE.
Dans le moment Eglé reparoît ; elle eft abîm
dans fes réflexions & ne voit perfonne. Le Sentiment
en devient épris , & Eglé elle- même fe fent
attirée vers lui par un charme quelle ignore ; ils
font enchantés l'un de l'autre , mais Eglé a toujours
de la défiance des hommes.
» Ma façon de penſer
6 Vient du mépris qu'ici j'ai pour les hommes ; ...
>> Ils autorifent mes refus ,
» Leurs procédés à chaque inſtant m'inftruiſent.
› Ce que fur mon efprit ils gagnent en vertus ,
Leurs défauts bien plus grands auffi - tôt le dé
» truifent.
Je n'apperçois en eux qu'orgueil & vanité :
» Sans nous aimer , jaloux par fantaiſie.
>> Nous aiment - ils fans jalousie ?
Leur amour- propre feul fait leur tranquillité.
Moins flattés des faveurs que lorsqu'on les
>> publie ,
د ر
Se difent- ils heureux ? fouvent c'eſt calomnie ;
» Pour qui chez eux règne l'impunité ,
C'eſt un jeu de l'efprit , une heureuſe faillie ;
>> Ils encenfent la perfidie ,
Et font une vertu de la légéreté . . . .
LE SENTIMENT.
› Eglé , ce n'eſt pas là ma façon de penfer.
» Mon
DECEMBRE 1765. 193
> Mon amour me remplit , il fuffit à mon coeur.
Malheureux , il en fait fouvent la peine extrême,
» Mais toujours par lui-même il en fait le ben-
>> heur.
, כ
› Près de l'objet qui m'a fçu plaire
» Le monde entier n'eft rien pour moi ;
» Abfent rien ne peut me diftraire ,
» Ses moindres defirs font ma loi :
د و
» Les déviner fait mon étude ,
» Les fuivre en tout font mes objets ,
» Les prévenir me devient habitude ,
» Les ignorer font mes regrets ....
Tandis que ces deux amans fe félicitent de leur
bonheur mutuel , Life & Florife viennent le plaindre
de l'Amour qu'elles conduifent fur la fcène ;
tous les Bergers & les Bergères de la contrée
amènent la Figure , & l'Efprit comme prifonniers
au milieu d'eux , avec les petits Amours
enchaines avec des guirlandes de fleurs . L'Amour
fent enfin combien il a befoin que le Sentiment
s'unille avec lui , & il confent avec joie à cette
union , qui fait le triomphe de fon rival. Life
finit par ces vers .....
>> Je ne crains point l'Amour , mais fes flammes.
» légères .
Florife , jeune encore , vous le voyez en beau ,
>> Il flatte votre âme innocente ;
» L'enfant eft charmant au berceau ,
En grandiflant il épouvante ,
I
194 MERCURE DE FRANCE.
» Et fait fouvent verfer des pleurs fur fon tom-
›› beau .
Le Ballet eft la réunion de l'Amour & du Sen
timent.
Ariette de l'Amour.
» Je fuis l'enfant du Plaifir ,
>> Je donne l'être à la plus douce îvreffe ,
» Je règne fur les coeurs , j'infpire la tendrelle ,
›› Et du ſein du bonheur naît encor le defir,
>> Jaloux de ma victoire
» Le Sentiment croit l'obscurcir :
» Ce Dieu n'a fait que l'embellir ;
» C'eſt en la partageant qu'il ajoute à ma gloire.
Vaudeville de l'Amour.
» Si l'inconſtance vous fait peur ,
>> Et vous empêche de vous rendre ,
» Sexe charmant , & le plus tendre ,
» Pardonnez un inftant d'erreur ,
Partagez les maux que vous faites ,
>> Et ne craignez point d'inconftant,
>> Toujours le Sentiment
>> N'est-il pas où vous êtes ?
La Dlle Luzi , qui jouoit le rôle de l'Amour,
chanta l'ariette avec la plus jolie voix , embellie
encore par les grâces de fa figure , & tout l'art
qu'on attendroit d'une très -bonne Muficienne ,
dont le talent principal feroit celui de Cantatrice,
La Dile LANI ( femme du fieur GESLIN ) danfoit
DECEMBRE 1765. 195
en pas feul dans les Bergères des intermèdes , &
la Dlle GUIMARD dans les fuivans du Sentiment.
On ne peut diffimuler qu'il eft trèsdifficile
d'éviter bien des momens de langueur
, dans un drame dont l'allégorie fait
l'unique fond , & devient tout le mobile
& tout l'objet de fon action : non pas
que l'Auteur lui- même n'ait applaudi aux
foins & aux talens des Acteurs . On conçoit
, par exemple , que le Sentiment ayant
été repréfenté par le fieur MoLÉ , & la
Bergere qui cède à fes impreflions par la
Demoiſelle DoLIGNY , cet organe aimable
de la nature & de l'ingénuité , ces
fcènes ont dû devenir intéreffantes . Les
autres perfonnages ont été fort bien rendus
par les Acteurs qui en étoient chargés,
& dont le Public connoît les talens ; mais
nous croyons être fondés à penfer que
pour ces fortes d'ouvrages il faut , de la
part des auditeurs , plus de réflexion , plus
de familiarité , pour ainfi dire , avec l'ef
prit de l'ouvrage , qu'on n'en peut efpérer
à une première & unique repréfentation
. Il nous eft donc permis de conjecturer
que celui - ci , écrit & penfé comme
il eft avec délicateffe , revu févèrement
par l'Auteur , dégagé peut- être de quelqueslongueurs
, qu'on ne peut appercevoir
qu'à l'exécution , concerté long- tems en-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE .
tre les mêmes Acteurs , & joué avec cette
chaleur & ce preftige dont ils favent fi
bien affaifonner leur jeu , pourroit plaire
en d'autres occafions & foutenir l'honneur
d'un genre qui a fes grâces , & dont
la Scène Françoife a plus d'une fois enrichi
la variété de fon fond .
EXTRAIT du Poëme du TRIOMPHE de
FLORE , Opéra- Ballet , par les mêmes
Auteurs en paroles & en mufique , &
repréfenté à la fuite d'EGLE.
Perfonnages.
Acteurs.
LIPARUS , Roi de Liparie , le fieur GÉLIN. -
LIPARIS , fille de Liparus , la Dlle ARNOULD.
ANDROCLÉE , Prince des Ifles
Eoliennes , amant de Liparis
, & Général des Armées
de Liparus , le fieur LE GROs .
LE GRAD PRESTRE D'EOLE , le fieur LARRIVÉE.
FLORE , la Dlle LARRIVÉE .
UN GUERRIER • le fieur LARRIVÉE.
CHOUR DE VENTS.
CHOEUR DE PEUPLES.
1
La feène est au bord de la mer , à la vue du
palais de Liparus , qui eft dans l'éloignement . Le
fond du théâtre repréfente une mer glacée , fur
DECEMBRE 1765. 197
laquelle font des vaisseaux qui femblent fixés par
Les glaçons. Les voiles feules paroiffent agitées par
les vents. Sur le bord de la mer eft un temple confacré
à Eole , aux pieds d'une montagne , d'où
fortent des volcans. Le reste est une campagne aride,
des arbres couverts de neige , de glaçons , & à
moitié rompus ; tout annonce un hyver affreux.
L'OPER
' OPÉRA commence par un coeur de vents ,
qu'Eole a déchaînés pour exercer la vengeance
contre le Roi de Liparie , & voici ce qui caule
fa fureur contre ce Monarque.
Le fils d'Eole a demandé en mariage la fille
de Liparus. Cette Princelle lui a refuſe ſon coeur
& fa main ; elle aime Androclée ; & cette préférence
irrite tellement le Dieu des vents , qu'il
porte la défolation dans les états de Liparus . Les
vents impétueux déracinent les arbres , agitent
les voiles des vaiffeaux , redoublent les flammes
du volcan , & les portent fur le temple qui
eft réduit en cendres dans un inftant . Il n'en
refte que l'autel. Le palais de Liparus eſt détrait.
Ce Prince infortuné veut fe facrifier pour fon
peuple la Princeffe fa fille , qui fe regarde
comme l'unique caufe de tous les malheurs , veut
l'accompagner dans les combats ; mais Androclée
demande qu'on lui confie le foin de la vengeance.
Liparus lui répond :
» Allez , que rien ne vous arrête ;
›› Vous aurez mes fujets , & ma fille à venger ;
» Suivi de mes guerriers diffipez la tempête :
>> C'eſt regner avec moi que de les protéger.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE .
Tandis qu'Androclée fe difpofe à combattre ,
Liparus offre à Eole un facrifice , & confulte le
Grand Prêtre. Androclée dit à la Princelle ,
En combattant pour vous , je puis être invin-
>> cible
Si vous approuvez mes feux ;
Et le guerrier trouvera tout poffible
» Pour vous prouver qu'il méritoit vos voeux,
» L'Amour armé par la vengeance ,
Sur fa victoire encor fouvent répand des pleurs 3
>> L'Amour conduit par l'efpérance ,
» En triomphant du rival qui l'offenſe ,
Se livre fans regret à toutes les douceurs.
Androclée obtient de la Princeffe l'aveu de
fon amour. Il exprime ainfi fa reconnoillance .
>> L'Amour affure ma victoire ,
» Ainfi que Mars , il enflamme mon coeur.
>> Ah ! qu'il eft doux de lui devoir fa gloire ,
>>Quand près de ce qu'on aime , il fait notre
>> bonheur.
Il part , & Liparis fait des voeux pour l'heureux
fuccès de fes armes ; elle dit , en s'adreffant
à l'Amour dans un monologue :
Pour triompher de moi , tu lui prêtas tes charmes,
Tu lui dois ton fecours .
De nos fiers ennemis fais triompher fes armes
La gloire des Héros embellit les amours.
DECEMBRE 1765. 199
Le temps du facrifice arrive ; le Roi & le
Grand Prêtre adreflent au Ciel leurs prières. L'oracle
fe fait entendre en ces mots :
و د
و د
Peuples , lafin de vos malheurs
Eft accordée aux dons de Flore ;
» Quanddufeindes frimats vous les verrez éclorre ,
» L'abondance & la paix vous rendront leurs
» douceurs.
Le Roi & la Princeffe , confolés par cet oracle ,
élèvent leurs voix vers la Déeffe , qui doit terminer
les malheurs qu'ils déplorent ; ils invoquent
fon fecours. Dans l'inftant , les vailleaux qui depuis
l'ouverture avoient paru immobiles , s'ébranlent
; on entend les glaçons le brifer , les
flots s'élèvent , le tonnère gronde , on voit des
nuages , à travers lefquels on apperçoit quelques
rayons du foleil. Les peuples , à l'imitation du
Roi & de la Princelle , en témoignent leur jcie
par de vives acclamations . Les nuages remontent
lentement , & laillent voir dans l'éloigne
ment le foleil le plus pur qui fort de la mer.
Elle eft couverte de vailleaux qui apportent des
richelles. A la place du temple d'Eole , dont le
feul autel a réfifté a la fureur du feu & des vents
paroît le temple de Flore , d'où la Déelle fort
avec fa fuite , en répandant des fleurs. A la
place du volcan , on voit une campagne où les
Aeurs & la verdure annoncent le printemps. Au
moment où Flore félicite Liparus & fa fille du
bien qu'elle leur procure , on entend un bruit
de guerre qui annonce l'arrivée & le triomphe
d'Androclée & de fes guerriers.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
>>
ANDROCLÉ E
Seigneur , la liberté fur les mers eſt rendue ;
>> De nos fiers ennemis l'audace eft confondue ,
>> Leur fang rougit ces bords épouvantés ;
» Dans la nuit éternelle ils font précipités ,
>> Et la tranquillité par- tout eft rétablie.
Le Roi & la Princeffe applaudiffent au fuccès
du vainqueur qui dit à Liparis ,
و د » La gloire eût craint de priver ma valeur ,
» D'un laurier dont l'Amour embelliffoit les
>> charmes.
LIPAR I S.
» Il m'a coûté de bien vives allarmes ;
» Il en eft plus cher à mon coeur.
On rend graces à la Déeffe Flore , qui ellemême
couronne la flamme des deux Amants ;
& le Roi charmé de cette heureufe union , dit :
» L'Amant aimé quitte tout pour la gloire :
>> Il s'élance au bruit des tambours
» Sur les ailes de la victoire ;
» Il revient fur celles des Amours .
Ici le prépare une fête que l'Amour & Zéphir
viennent embellir par leur préfence ; ils apprennent
aux peuples que c'eft à leur amour pour
leur Roi qu'ils doivent la fin de leurs malheurs.
Les peuples , la Princelle , Androclée , les guerDECEMBRE
1765. 201
riers , & Flore qui s'y joint , en témoignent leur
joie , par un choeur qui termine l'ouvrage , &
dont il eft facile de faire une jufte & heureuſe application.
ככ
Que l'Ennemi redoute fa puiſſance :
>> Adorons fa clémence ,
» Nous jouiffons de fes bienfaits.
» Que dans la guerre
د و
» Il foit le vainqueur de la terre ;
>> Qu'il vive , qu'il triomphe . & qu'il règne à
>> jamais.
Les ballets des intermedes & de cet Opéra ,
étoient , ainfi que tous les fpectacles repréten
tés fur les théâtres du Roi , de la compofition de
MM. LAVAL , pere & fils , Maîtres des ballets de
Sa Majesté.
Le fieur VESTRIS danfoit feul dans l'entrée
des guerriers . Dans celles des peuples , le feur
LEGER & la Demoiſelle GRANDI ; la Demoiſelle
LECLERC repréfentoit en danſant Zéphir ; la Demoifelle
ODINOT , l'Amour. A la tête des fuivantes
de Flore , danfoit la Demoiſelle GESLIN
( ci-devant LANI ) .
On voit par l'expofé que nous venons
de faire du Poëme , qu'il eft difpofé pour
produire des effets de fpectacle variés , &
fournir à la mufique des contraftes dans
une fucceffion d'images terribles & touchantes
, enfuite riantes & fleuries.
Le peu de morceaux que nous avons
rapportés , fuffit pour faire juger à nos Lec-
I v
202 MERCURE
DE FRANCE .
teurs du ftyle de cet ouvrage. Pour leur
faire mieux connoître encore le motif qui
anime l'Auteur dans l'ufage agréable qu'il
fait de fon efprit & de fes talens , nous
employerons l'épigraphe qu'il avoit mis à
la tête du livre qui fe diftribuoit à la Cour.
>> Pour penfer , pour agir , le Ciel nous a fait
» naître ,
» La fenfibilité fait honneur à notre être ,
5. Ce fentiment nous dit de tout ofer ;
» Ne peut-on plus combattre pour fon maître ,
>> Il faut chercher à l'amufer .
Le Muficien ( M. DAUVERGNE ) , a mis
à profit les occafions que lui fourniffoit le
Poëme de M. DE VALLIER , pour dévelop
per les grands moyens d'un art dans lequel
fes ouvrages précédens avoient conftitué
fa réputation. Il femble qu'il fe foit particulièrement
appliqué dans celui - ci , à faire
fervir les refforts les plus compliqués de la
fcience de l'harmonie, à donner à fes chants
& à fes fymphonies le ton de la facilité , &
cette clarté de deffein , qui feule , quoique
le fanatifine en puiffe dire , caractériſera
toujours le vrai beau dans les productions
de l'art , & le grand homme dans l'artiſte .
Cette mufique , tant des intermèdes que de
Tate d'Opéra , eft belle , grande , du meilleur
genre , forte dans les images qui l'exiDECEMBRE
1765. 203
gent , & ornée de grâces convenables dans
celles qui y donnent lieu. En un mot , les
choeurs du plus grand effet , les airs de fymphonie
, ceux de la vocale , tout caractériſe
dans cet ouvrage le favant Compofiteur ,
dont le génie & le travail font guidés par
le goût .
Le Jeudi , 31 Octobre , il n'y eut point
de fpectacle à caufe de la veille de la Fête
de Tous les Saints.
Le Samedi , 2 Novembre , après la repréfentation
du Médecin Volant , par les
Comédiens Italiens , on exécuta ZÉNIS &
ALMASIE , Ballet héroïque en un acte .
Le poëme de ce Ballet a été imprimé
encore fous le nom de M. DE CHAMPFORT,
par les mêmes confidérations que l'on a
expliquées dans le Mercure précédent ( 1 ) ,
en rendant compte du poëme de PALMIRE .
Dans celui- ci M. DE CHAMPFORT a été
employé à travailler à quelques parties , par,
le même Seigneur qui l'avoit engagé à
prendre ces deux poemes fous fon nom .
La mufique de Zénis & Almafie eft de
M. DE LA BORDE , Premier Valet de Chambre
du Roi , excepté quelques morceaux
( en petit nombre ) de M. DE BURI , Surintendant
de la Mufique de Sa Majesté ,
(1 ) Voyez le vol . de Novembre , art- des Spectacles
de la Cour , pag. 199.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
qui avoit commencé autrefois cet ouvrage
& qui l'avoit cédé à M. DE LA BORDE . Če
dernier , dont nous avons eu fouvent occafion
de parler avec éloges , fous la défignation
très -jufte , d'amateur praticien , eſt
auteur en totalité de la nouvelle mufique
de Thétis & Pélée , repréfenté à la Cour le
10 Octobre dernier ( 2 ) , & de plufieurs
autres ouvrages exécutés avec fuccès fur les
théâtres du Roi , ou applaudis à Paris fur
les théâtres publics . Nous n'avions juſqu'à
préfent fait connoître cet Auteur qu'en
rappellant aux Lecteurs le génie favant &
fertile qui l'a rendu célèbre dans un art
dont il ne fait ufage que pour confacrer
fes momens de loifir à l'amufement de fom
augufte Maître. Nous penfons qu'un emploi
fi honorable d'un grand talent , nous
permet de nommer aujourd'hui M. DE LA
BORDE , en publiant fes nouveaux fuccès
dans ce dernier ouvrage , dont nous allons
donner une idée du fujet.
(2 ) Voyez le fecond vol . d'Octobre , art . des
Spectacles de la Cour.
NOVEMBRE 1765. 105
EXTRAIT du Poëme de ZENIS &
ALMASIE , Ballet Héroique en un acte.
Perfonnages.
ZENIS ,
ALMASIE ,
LE SOUVERAIN GENIE ,
Acteurs.
Le fieur GELIOTE.
La Dlle ARNOULD:
Lefieur LARRIVÉE.
LA VOIX d'un Génie inviſible, Le fieur LECUYER.
Fées & Génies.
La Scène eft dans un defert hérité de
rochers efcarpés fur la cime defquels eft un
volcan qui jette desflammes .
ZENIS ignore fa naiffance ; il a ſauvé les jours
de la Reine de Memphis , dont il eſt vivement
amoureux . Elle avoit promis de couronner par
l'hymen & fa valeur & fon amour ; mais une
puiflance inconnue lui a ravi cet objet fi cher à
fa tendreffe ; toujours de nouveaux obftacles s'op
pofent à fes recherches . Une voix qu'il a entendue
l'a fixé dans ce defert , en le flattant d'un plus
heureux fuccès . Il craint que ce ne foit un piège
où l'on veuille l'engager. N'importe ; il eft difpofé
à tout entreprendre , à tout rifquer.
D ) ..... Fallût-il combattre les enfers ,
» L'excès de mon amour fervira mon courage.
C'eſt ainfi que Zenis termine le monologue de
cette expofition . En ce moment paroiffent des
206 MERCURE DE FRANCE.
monftres prêts à s'élancer fur lui . On entend une
voix qui avertit de n'être épouvanté d'aucun
danger , s'il veut être inftruit de fa naiſſance. Il
combat les monftres & les met en fuite. Un aigle
plane dans les airs au celius de là téte . La meme
voix lui ordonne de fuivre le vol de cet aigle ,
pour revoir l'objet de fon amour. L'aigle s'aby me
dans les feux du volcan ; Zenis y vole avec tranfport
, en difant :
>> .... Je m'expoſe au fort le plus affreux ;
Un coeur qui fait aimer eſt toujours intrépide.
Il monte,il gravit de roches en roches , il parvient
à la bouche du volcan , qui vomit des torrens de
feux. Il s'y précipite . A l'inftant , les rochers , le
volcan , difparoillent comme un éclair , & Zenis
fe trouve dans un palais éclatant , où l'on voit la
Princelle Almafie endormie fous un magnifique
pavillon. A quelque diftance d'elle eft un fceptre
brillant pofé fur un riche carreau.
Zenis , étonné de tout ce qui fe préſente à ſa
vue , apperçoit Almafie. Elle s'éveille , elle reconnoît
Zenis. Elle elt allarmée de le voir dans ce
Palais . Elle s'informe avec empreflement , quel
pouvoir le lui a fait découvrir? à quoi Zenis répond:
Puifque j'y revois Almafie ,
>>
«je dois ce miracle à l'Amour .
La Princeffe demande à fon amant , s'il a fléchi
le fouverain Génie qui la retient dans ce palais. It
apprend par- là , avec douleur , qu'elle eft en la
puillance d'unGnie dont elle eſt aimée . Elle gémit
de cet amour : mais elle tremble pour Zenis . C'eſt
ainfi qu'elle lui peint le pouvoir de ce Génie :
» Il peut vous réduire en poudre :
» Il veut , & tout obéit,
DECEM BR E 1765. 207
>> Sur les aîles des vents il fait voler la foudre.
regarde la terre , & la terre frémit .
» De fes foupçons craignez la violence .
»
ZENIS à ALMASIE.
>> Je ne crains que votre inconftance Y
» Et je méprife ſon courroux.
ALMASI E.
» Que dis- tu ? ... fuis , Zenis , fuis fes tranſports
jaloux ;
» Il y va de tes jours , fuis des momens terribles
» Le pouvoir du Génie est prêt à t'accabler .
» Dans ce palais des efprits invifibles
» Veillent fans celle , & peuvent t'immoler.
» S'ils touchoient feulement ce fceptre redou
table ,
» Tu le verrois , lui- même , au milieu des éclairs,
›› Sur un char enflammé , paroître dans les airs ,
ور
» Et tu ferois l'objet de fa haine implacable.
ZENIS.
>> Vous cherchez vainement à me faire trembler ;
« Je vous adore , & brave ſa puiſſance .
ALMASI E.
» Je fens à chaque inftant mes craintes redoubler....
» Tout femble s'animer pour venger fon of
fence ....
208 MERCURE DE FRRAANNCE.
» Ces colonnes , ces murs paroiffent s'ébranler ;
» Peut-être il n'eft plus tems d'éviter fa vengeance.
ZENIS.
» Non je ne le crains point ,
( en brifant le fceptre . )
qu'il paroiffe.
Auffi-tôt le tonnèrre fe fait entendre. Almafie
éperdue, tombe dans les bras de Zenis. Un choeur
d'efprits invifibles annonce la préſence du Génie
& la vengeance. Il paroît au milieu d'un grouppe
immenfe de nuages enflâmés. Il voit fon fceptre
brifé . Il menace de punir d'un fupplice affreux le
mortel audacieux qui a ofé le braver . Il ordonne
aux efprits qui lui font foumis de fe rendre vifibles
& d'enchaîner le coupable. Almafie revient
de fon accablement ; elle cherche à écarter les
foupçons du Génie. Celui - ci continue :
>> Je te foupçonne , j'en gémis.
Mais s'il n'eft pas l'objet de ton amour extrême ,
(en lui montrant Zenis . )
» Prens ce fer , frappe.... tu frémis ....
( il lui donne un poignard. )
>> Ah ! perfide , tu me trahis.
ALMASIE.
>> M'ofes -tu propofer un forfait que j'abhorre ?
>> Pour calmer ta fureur , j'immolerois Zenis 2 ...
›› J'immolerois ce que j'adore ?
ZENIS.
>> Ah ! cet aveu me venge , & je brave le fort.
DECEMBRE 1765. 209
Le Génie lève le poignard fur Zenis . Almafie
fe jette au-devant du coup .
>> Barbare , arrête :
כ כ
›› S'il faut du ſang pour t'appaiſer ,
» Donne , ma main eſt toute prête.
(elle veut arracher le poignard pour s'en frapper);
Le Génie lui refufe , & termine cette action
par les vers fuivans.
>> C'eft affez . Il eft tems de me faire connoître.
>> Tendres amans , vos tourmens font finis ;
» J'ai fçu vous éprouver. Ton courage , Zénis ,
>> Annonce à l'Univers le fang qui t'a fait naître.
( à Almafie. )
>> Et vous , de votre coeur je connois tout le prix.
> Soyez heureux enfin , vous méritez de l'être.
» Pardonnez -moi vos maux : je vous donne mon
fils.
ALMASI E.
>> Votre fils !
ZENIS.
Vous , mon père !
>> Ah ! pourquoi fi long- tems m'en avoir fait
myſtère ?
LE GENIE.
>> Ma tendreſſe , mon fils , m'en impofa la loi ;
» La nature toujours rend la naiſſance égale.
>> Ce n'est qu'en s'illuftrant , qu'on met un inter
vale
>> Entre tous les mortels & foi.
210 MERCURE DE FRANCEÉ.
>>S'ils ne gravent leurs noms au temple de mémoire
,
Les enfans des héros font dans l'obfcurité :
» C'eft par fa propre gloire
» Que l'on détruit l'égalité.
Le Génie a dicté tous les oracles qui avoient
fait agir Zenis. C'eft en reconnoillant fon intrépidité
qu'il l'a trouvé digne de partager avec lui
l'empire. Zenis regarde ce partage comme infé
rieur au bonheur de polléder Almafie . La scène
eft terminée par un Duo entre les deux Amans ,
après lequel la fete du Divertitlement commence.
Le fouverain Génie qui y préfide , fait faire l'inauguration
de fon fils , par les Efprits de fa dépendance
, auxquels il ordonne de le reconnoître pour
leur Roi. Le premier ufage que fait Zenis de fon
pouvoir , eft de rendre Almafie immortelle. Elle
y répond ainfi :
>>
>> Si vous m'êtes fidèle ,
Que mon bonheur fera parfait !
» Mon immortalité ne peut être un bienfait ,
Qu'en vous voyant brûler d'une ardeur éternelle.
ZENIS.
2 ""
Partagez mes fuprêmes droits ,
Et régnez dans les cieux , fur la terre & fur
l'onde .
» Il eft plus doux d'obéir à vos loix ,
>>Que d'en pouvoir donner au monde.
La fête eft terminée par des morceaux de
chant , dont les vers forment des ftrophes ou couplets
alternatifs entre le choeur , Zenis , Almafie
DECEMBRE 1765. 211
& le fouverain Génie. Nous tranfcrirons celui de
ce dernier , adreflé aux deux jeunes Amans .
» Que l'enfer déchaîné , que de cruels Génies
>> Soulèvent contre vous leurs fureurs réunies.
» Vous vous aimez , vous bravez leur courroux
» Et malgré leur jaloufe rage ,
ور
» Il n'eft de plus heureux que vous ,
Que les amans qui s'aiment davantage.
REMARQUES fur le Poëme , fur la Mufique
& fur l'exécution de ZENIS &
ALMASIE .
Un extrait ne peut pas préfenter le brillant
& la chaleur d'un Poëme ; il fuffira
cependant , pour nous autorifer à annoncet
celui - ci , comme une féerie fort ingénieuſement
théâtrale. Il est très peu de
Poëme qui , dans un auffi court efpace ,
contienne tant d'action & de fpectacle
que celui- ci . L'intérêt y eft toujours preffant
& foutenu , fans la moindre interruption.
Nouspouvons faire remarquer encore
que le genre de Féerie eft caractérifé juf
ques dans le ftyle ; & c'eft un mérite de plus
dans l'art dramatique , comme dans celui
de la peinture , que ce rapport judicieux
du coloris à la nature du fujet. Si ce mérite
eft fouvent trop peu fenti , fi , plus fouvent
encore , il eft trop négligé , il n'échappe
212 MERCURE DE FRANCE.
jamais à la conſidération du goût & de la
faine critique. Le peu de vers , que nous
avons tranfcrits de ce petit poëme , peut
fervir de preuve à l'éloge que nous en
faifons.
La Mufique a eu engénéral beaucoup
de fuccès. Le premier monologue eſt bien
rendu. Il y a fur tout un duo entre Zenis
& Almafie , qui peut être regardé comme
un des morceaux , de cette efpèce , de la
plus grande diftinction . Tout le divertif
fement eft charmant. Les airs en font tous
agréables & favans , variés de caractères ,
& marqués au coin du génie , & d'un génie
entièrement neuf. En un mot , nous
croyons pouvoir conjecturer que cet acte
eft un de ceux qui pourra paffer au Public
avec fuccès ; lorfque l'on aura revu
avec attention , dans la mufique , quelques
parties de la fcène , pour en rendre le chant
plus naturel & plus facile.
Nous avons peu de chofe à dire de l'exécution
des rôles ; nos Lecteurs
doivent
préfumer
tout l'éloge que nous aurions
à
faire , en leur ayant nommé
les fieurs JELIOTE
, LARRIVÉE
& la Dlle ARNOULD
.
La machine & la décoration de ce
fpectacle méritent une attention particalière.
On n'exagère point , en difant que
la rapidité du changement des rochers en
DECEMBRE 1765. 213
palais magnifique , & de la préfence de
l'Acteur en ce palais , lorfqu'il fe précipite
dans le volcán , étoit prefque inférieure
à la rapidité du mouvement de
l'oeil pour s'ouvrir & fe fermer. Il eft certain
que jamais on n'avoit vu jufques -là ,
rien d'auffi illufoire au théâtre , & par des
moyens plus fimplifiés que cette machine ,
qui doit faire honneur aux grands & rares
talens de M. ARNOULD. La décoration du
palais , dont la belle & favante difpofition
des plans , eft du même décorateur
étoit du plus brillant & du plus riche effet.
Les matières , les ornemens & l'ordonnance
des pilaftres intérieurs de cette décoration
étoient en partie les mêmes que
dans le palais éclatant de la Lune , dont
nous avons parlé précédemment ; c'eſt- àdire
, d'ordre ionique , en lapis & argent ;
mais les portiques intérieurs , les tables &
panneaux étoient en marbres de diverfes
couleurs , & tous les ornemens en or.
Rien d'auffi riche , d'auffi bien deffiné &
d'un meilleur ton de couleur , que les fujets
de peinture qui rempliffoient les
grands compartimens des plafonds. Un
objet riche & intéreffant frappoit d'abord
& réuniffoit les regards dans ce palais ,
c'étoit le fopha d'étoffe d'argent , dans un
encadrement d'or , garni de diamans , fur
214 MERCURE DE FRANCE.
lequel repofoit Almafie. Ce fopha étoit
élevé fur plufieurs gradins dorés , & furmonté
d'un pavillon d'étoffe d'or , foutenu
par quatre cariatides d'argent , & de
ronde boffe. Ce pavillon étoit auffi enrichi
de diamans.
A la defcente du Génie , une vafte
étendue de nuages venoit remplir tout
le fond de ce palais . L'art de la peinture
avoit communiqué à ces nuages toute la
chaleur d'un feu , que ranimoit fans ceffe
celui des éclairs. L'idée qui l'on peut fe
faire de ce fpectacle , d'après notre defcription
, ne doit , à beaucoup près , être
fupérieure à la vérité de fon effet ; d'où
nous conjecturons qu'il furprendroit &
qu'il plairoit beaucoup fur le théâtre de
Paris , dont le local , fufceptible de plus
grands développemens , lui procureroit
encore plus de pompe & plus d'illufion.
Le mardi Novembre les Comédiens
François, jouèrent pour la première fois
l'Orpheline léguée, Comédie en trois actes ,
en vers libres , par M. SAURIN , de l'Académie
Françoife , dons nous donnons ici
un extrait.
DECEMBRE 1765. 215
EXTRAIT de l'ORPHELINE LÉGUÉE
Comédie en trois actes ; par M. SAURIN,
de l'Académie Françoife.
Perfonnages.
ERASTE ,
Acteurs chantans.
le fieur PREVILLE
SOPHIE ,, parente d'ERASTE , la DlleDOLIGNY.
BELISE , foeur d'ERASTE ,
LISIMON , ami d'ERASTE ,
la DllePREVILLE.
le fieur BRIS ARD ,
DAMIS , neveu de LISIMON ,
fous le nom de BLACMORE. le fieur MOLÉ.
FINETTE , Suivante , la Dlle Luzi .
L'OLIVE , Valet d'ERASTE , le feur AUGer.
La feène eft dans un fallon de la maison de cam
pagne d'ERASTE.
L'ACTION du Citoyen de Corinthe qui légue à
fon ami fa femme & fa fille à nourrir eft l'original
du fond de cette Pièce. M. SAURIN a transporté la
feène en France , & paroît avoir eu moins intention
d'étendre & de faire ufage de ce fond , que
d'en former un prétexte pour mettre en jeu le
caractère d'un homme enthoufiafiné des moeurs
de l'efprit & des ufages des Anglois .
Quoi que la feène foit en France , tous les
Aleurs de cette Comédie , de l'un & de l'autre
fexe , font vêtus à l'angloife. On voit dès l'ouver
216 MERCURE DE FRANCE.
ture de la fcène ane table ronde avec des talles ,
préparée pour le déjeûner de thé.
Finette voit avec furprile Damis . Il a connu
cette Suivante avant que d'aller faire un tour en
Angleterre dans une autre maifon où elle fervoit.
Il compte qu'elle fera dans les intérêts . Il l'interroge
fur le caractère d'Erafie , Maître de la Maifon
, où elle fert actuellement. Finette eſt étonnée
qu'il le connoifle fi peu , étant l'ami intime de
Lifimon , fon oncle ; mais DAMIS étoit abfent lorfque
cette liaifon s'étoit formée. Finette commence
ainfi le portrait d'Erafte , dans lequel entre , par
contrafte , celui de cet oncle du jeune homme.
» .... Votre oncle eſt un ſage en effet :
›› S'il eſt pourtant permis à quelqu'homme de
>> l'être.
و د
Erafte l'eft bien moins qu'il ne le veut paroître ;
» Lifimon a fur lui le plus fort afcendant , & c.
Cet afcendant de Lifimon fur Erafte eft artiftement
expofé ici par l'Auteur , parce qu'il fert
beaucoup au dénouement. Finette pourfuit , en
difant que ce Lifimon , ce vrai lage , condamne
la fingularité dont Erafte eft affecté . Elle commence
cependant par expofer ce caractère du beau
côté,en expofant la nobleffe & l'humanité de l'âme
d'Erafte ; elle en apporte pour preuve , le trait de
générofité qui lui a fait accepter , comme un legs
utile , le foin d'entretenir Sophie , fille d'un de ies
parens , & de pourvoir à ſon établiſſement. Il eſt
donc devenu le tuteur de Sophie , & c'eft d'elle
que Damis eft vivement épris , depuis qu'il l'a vue
au Couvent avec une de fes parentes qu'il alloit
vifiter. Finette crayonne en pallant le caractère de
la focur d'Erafle , qui habite dans cette maifon.
→ C'eſt
DECEMBRE 1765. 217
C'est un compofé rare , & qui par fois allie
» Un bon fens étonnant à beaucoup de folie , & c .
Finette revient au caractère d'Erafte. Après
avoir dit qu'il chérit fa Pupille comme la propre
fille , en quoi Damis le trouve fort refpectable ,
elle continue ainfi :
>> Voyez à préfent le revers :
Il s'eft fait fingulier pour être philofophe ;
» C'eft la fource de cent travers ,
Qui , de tout le public , lui valent l'apostrophe
» Du plus grand fou de l'univers.
Commie Magiftrat , Erafte eft obligé d'en porter
l'habit à la ville ; mais dans cette maiſon de
campagne on s'habille , on fe coeffe , on tofte à
l'angloife..
» . · Il n'eft rien
» Qui d'Erafte obtienne l'eftime ,
>>
>> Si venu d'Angleterre il n'en porte le fceau.
» Chez ce peuple tout eft fublime ,
» Et chez-nous il n'eft rien d'utile ni de beau.
Damis convient que cette nation eft reſpectable ;
mais il ajoute qu'Erafte à tort de tout admirer
d'un côté & de tout blâmer de l'autre .
Tout peuple a les défauts ( pourfuit - il ) , &
tout peuple a fon prix , #
Mais à des préjugés , s'il faut que l'on fe livre ,
» Par préférence un Citoyen doit fuivre
Ceux qui lui font aimer fon Prince & fon pays.
K
218 MERUCRE DE FRANCE.
En conféquence, Erafte veut que Sophie apprenne
l'anglois. Damis s'eft fait choifir pour lui enfeigner
cette langue qu'il ne fait pas ; n'importe.
Enfeigner ce qu'on ignore n'eft pas chofe nouvelle,
& tant de gens vivent de cette induſtrie ! D'ailleurs.
Erafle , qui fait tant de cas des Anglois & de l'Angleterre
, ne fait pas un mot de la langue . Ainfi , à
l'aide d'une grammaire , fecondé par la fortune &
par l'amour , notre jeune amoureux compte (e
tirer d'affaire . Ce n'eft pas pour lui la plus grande,
difficulté. LeTuteur blâme les foibleffes de l'amour
& méprife les foins qu'entraîne le mariage ; il a
for né le projet de difpofer Sophie à une perpétuelle
indifférence & à vivre dans le célibat. C'eſt
ce que Damis veut empêcher , & pourquoi il implore
les fecours de la fuivante . Il n'a point eu
occaſion encore de fe déclarer à Sophie ; mais il ſe
flatte , s'il a bien interprêté les regards de la jeune
Pupille , qu'elle a lu dans les fiens , & qu'elle n'eſt
pas contraire à fes voeux . Erafte vient , Finette
laiffe Damis avec lui & va préparer Sophie à l'entrevue
de fon Maître de Langue angloife.
Erafle s'excufe d'avoir fait attendre Damis ;
qu'il n'a point encore vu , fur ce qu'il étoit allé
faire un tour de jardin . Damis ne peut s'empêcher
d'en marquer fa furprife , attendu qu'il tombe
alors beaucoup de pluie. C'eft le temps qu'Erafte
dit choisir de préférence pour la promenade, parce
qu'il a befoin de tempérer les fougues du génie
qui , quelquefois , enflamment fa tête , & il a
befoin de prendre de la pluie comme un autre de
prendre l'air.
>> A la bonne heure , ( répond Damis ) en Angle-
>> terre ,

* On n'étonne perſonne en étant ce qu'on eſté
DECEMBRE 1765. 219
Damis s'annonce pour être le Maître d'anglois
dont on a dû lui parler fous le nom de Blacmore.
Celui-ci dit que l'ami qui le lui a propoſé , en fait
beaucoup d'éloge , qu'à fon accent on le croiroit
François. Le faux Blacmore prévient cette objection
, en difant qu'il a été élevé en France dans fa
jeuneffe . Erafte ajoute qu'il n'auroit pas befoin de
recommandation , & que fa phyfionomie lui en
tiendroit lieu. Il fe pique , fur-tout , de ne s'en
rapporter qu'à ce garant , fur la foi duquel il
avoit pris un jour un domeftique qui lui emporta
fa vaiflelle ; mais , en y réfléchiflant depuis , il
avoit trouvé qu'il auroit dû remarquer dans la
vue incertaine de ce valet , ce qu'il étoit capable
de faire .
» On fe peint dans fes traits comme dans un
» miroir ,
>> Loke l'a dit. & c.
Pour prouver fes connoiffances en phyfionomie,
il préfume que M. Blaemore eft un penfeur. Il
veut parier de plus que le beau fexe a fur lui trèspeu
de pouvoir , & qu'il regarde l'amour comme
une folie.
Suis-je pénétrant ? Admirez- vous à
Je n'admire.
DAMIS.
>> Jamais
ERASTE à part.
>> Cet homme eft diablement anglois.
Il voit entrer fa foeur Bélife accompagnée de la
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
jeune Sophie. Il préfente à cette dernière le Maître
qu'il lui a choifi. La jeune perfonne , quoique
prévenue par Finette , ne peut fe défendre de fon
trouble. Bélife trouve que la figure de ce Maître
ne doit pas faire peur à fes écolières. Erafte failit
cette occafion pour engager fa foeur à apprendre
l'anglois avec Sophie , mais elle s'en défend avec
vivacité. Damis trouve le moment de dire bas à
Sophie , que fi elle le découvre elle lui donnera la
mort. On s'approche de la table pour déjeûner
avec du thé. Sophie le verſe. On lui fait la guerre
fur l'air de trifteffe qu'on lui remarque , & qui ne
lui eft pas ordinaire. Damis lui demande fi c'eſt
fa préfence qui la gêne ?
> Oh ! vous n'en pouvez pas douter ,
( répond - elle avec ingénuité ) . Erafte demande
excufe pour elle au faux Blacmore de cette franchife
. Il veut qu'elle fe place près de fon nouveau
Maître , fur quoi Sophie hifite , en diſant :
" Mais , Monfieur , il n'eft pas befoin....
L'Actrice ( Mlle Doligny ) , par laquelle étoit
rendu ce jeu d'embrras naïf , doit faire préſumer
de fon effet.
Pendant le déjeûner , un laquais apporte à Eraft
une lettre venant de Londres , de Milord Cobbam
fon ami. Cette lettre eft en anglois , parce que ce
bon Milord , fâché de ce que la langue françoile
s'étend trop dans l'Europe , ne veut pas l'écrire ,
quoi qu'il la parle fort bien . Erafte s'adreffe tout
naturellement à Damis pour lui traduire cette
lettre en la lifant. Damis cherche inutilement
tous les prétextes qu'il peut inventer pour s'en
difpenfer. Il finit enfin par en compofer une de
DECEMBRE 1765 . 227
tête. Les quiproquo dans lefquels il tombe fur des
faits qui ne peuvent avoir lieu par rapport au Milord
, les repliques d'Erafte , les détours du faux
Maître de Langue pour le rapprocher du probable,
tout cela preduit des plaifanteries d'un très- bon
comique , mais qu'il faut voir dans l'ouvrage
même. Il auroit fallu tranfcrire une fcène entière
pour les mettre fous les yeux du Lecteur . Notre
Anglomane finit, àpropos du Milord , par réfléchir
fur la différence des hommes de Londres aux
colifichets de France.
• • Je le verrai , de
>> Ce pays où l'on penſe.
DAMIS.
par
Newton ,
>> Monfieur , on penfe en tout pays ;
» Je ne fais fi le mien l'emporte fur un autre ,
Mais voyez-le ; & je vous prédis
Que vous en reviendrez meilleur juge du vô-
>> tre ( 1 ).
On vient avertir Erafte qu'il lui arrive un cheval
anglois . Il veut engager fa foeur Bélife à le
venir voir. Celle - ci refufe net , en difant que
charbon de terre , chevaux , philofophes , tout lui
déplaît de ce pays- là . Elle refte feule avec Finette ,
à laquelle elle confie qu'elle a le projet de fe remarier
pour la quatrième fois. Son choix eft déja
fait & fes conventions arrêtées. Ce choix tombe
fur un homme de province d'un âge formé , mais
qu'on ne peut regarder encore comme hors de
la jeuneffe. A l'égard de l'efprit , elle convient
( 1 ) Damis parle ici comme Anglois.
Kiij
212 MER CURE DE FRANCE.
qu'il eft d'allez mince étoffe , mais elle ne l'a pas
choifi , dit- elle , pour faire une épigramme.
» Quand un époux aime fa femme ,
ל כ
» Et l'aime bien , ce n'eft jamais un fot. -
Son embarras étoit de déclarer ce projet à fon
frère , dont elle craignoit les reproches , & furtout
l'amertume des farcafmes . Elle apprend à
Finette , qu'elle eft bien plus à ſon aife à cet égard
depuis qu'elle a découvert qu'Erafie adore en fecret
, & prefqu'en l'ignorant lui-même , fa pupille
Sophie. L'une & l'autre fe préparent à bien rire
de Monfieur le Philoſophe , & à repouffer contre
lui-même les traits de fa morale auftère fur
l'Amour.
Erafte commence le fecond acte par des réfléxions
fur la fituation de fon coeur. Elles ne lui
confirment que trop fa flamme fecrette pour Sophie.
Il en rougit ; & veut abfolument n'y plus
penfer. Belife & Finette viennent alors relancer
fa philofophie. Il le prête de lui -même au piége ,
par fes queftions , par les inquiétudes fur l'humeur
mélancolique dont fa jeune pupille eft récemment
affectée . L'une & l'autre s'efforcent de lui faire
entendre , chacune dans le langage de leur érat ,
que c'eft l'amour qui occafionne ce changement.
Nous ne pouvons nous refufer de tranſcrire quelques
- uns des jolis vers que l'Auteur fait dire à
Belife , en parlant de Sophie à ce ſujet.
ן כ
» Je me trompe , ou déja Sophie éprouve en
foi ,
» Cette agitation fecrette ,
DECEMBRE 1765. 223
>> D'une àme qui ſe ſent fourdement inquiette ,
>> Sans bien favoir encor pourquoi ,
A quoi Finette ajoûte :
Il faudroit à Sophie autre choſe qu'un livre.
>> A fon âge , Monfieur , le coeur a fes befoins :
>> Un époux , par les tendres foins ,
» Fait fentir qu'il eſt doux de vivre .
Erafie en prend occafion de faire une vive cen
fure , de ce qui forme aujourd'hui les noeuds du
mariage & de la façon dont on vit dans le monde.
Sa foeur en prend la défenfe, & lui reproche de voir
tout du côté le plus noir ; ce qui donne lieu à des
peintures affez faillantes. Enfin elle lui déclare
qu'elle fe remarie . Erafte fe récrie , fur ce projet ,
qu'elle n'eft donc pas contente d'avoir déja fait
mourir de chagrin trois maris. Cela fournit à Finette
une plaifanterie que Belife ne trouve pas
bonne & qui la fait retirer de la ſcène . Seule avec
fon frère , Belife convient que la Philofophie la
fait mourir de vapeurs , & que c'eft une des principales
caufes du parti qu'elle a pris
Et qu'en un mot , dans fon ménage , elle aime
micux un mari qu'un fage. Elle pourſuit ainſi :
· ·
Premiérement ,
>> On gronde fon mari , c'eft un amuſement.
·
» Mais , je vous prie , à quels uſages
» Mettre ces triſtes foux , qui , fous le nom de
fages ,
K iv
224 MERCURE DE FRANCE.
>> Dans la fociété n'apportent aujourd'hui ,
ور
Que de l'orgueil & de l'ennui ?
Belife propofe à fon frère en badinant , de le
marier. Elle plaifante de l'empire que prend fou
vent l'amour fur les âmes les plus philofophes.
Elle rameine adroitement la converfation
fur Sophie. Elle l'inquiette , elle finit par lui déclarer
fes foupçons. Il hésite à convenir de fa foibleffe
; enfin il avoue que , dans le deffein où il eſt
de quitter la Magiftrature , il ne fait pas .... Belife
alors l'interrompt fur ce defiein de quitter fon,
état. Elle lui fait promettre qu'il ne fera rien fur
cela fans l'aveu de fon ami Lifimon. Eraſte ſe promet
d'en être approuvé. •
>> A l'amour des beaux arts , à l'étude livré ,
( en parlant de Lifimon . )
» Pour l'Hélicon lui- même a quitté le Pactole ;
» Et Lifimon s'eft illuftré
» Par un fi rare facrifice ,
8
» Qu'en ce fiècle avili de luxe & d'avarice ;
» On a cependant admiré.
Sophie , que l'on voit arriver en rêvant , interrompt
cet entretien. Belife fe retire pour lailler
la philofophie aux prifes avec l'amour & la
beauté.
Sophie , qui , en entrant , ne voit perfonne ,
fe parle tout haut à elle-même , & prononce le
mot d'amour. Erafte n'a entendu que ce dernier
mot ; il ne fait comment lui chanter la pakinodie
, fur cet article intérellant . La Pupille craint
DECEMBRE 1765. 225
de s'être trahie elle - même . Le Tuteur ne fait par
où commencer & comment amener fa déclaration
; il la commence plufieurs fois & ne peut
pourfuivre . L'un & l'autre s'embarraflent réciproquement
. Cette fcène fournit un jeu fort amufant
, & qui porte une foule d'intérêts agréables.
Erafte la finit en fe dépitant contre lui - même . Sa
brufque fortie fait croire à Sophie qu'elle s'eft décélée.
Elle rougit de fon côté , du penchant qui
l'entraîne , & forme la réſolution d'y réſiſter ;
pour le conformer aux maximes qu'elle a tant de
fois entendu débiter à fon Tuteur , fur le danger
des paffions. Finette alors vient lui annoncer fon
amant , qu'elle refufe de recevoir ; mais il a
prévenu la permiffion ou le refus ; il eft à fes
pieds avant qu'elle foit déterminée. Cette fcène
eft auffi délicatement conduite qu'écrite avec
élégance & dans le vrai coloris de la nature. La
pudeur & l'ingénuité d'une jeune perfonne fenfible
, dont les efforts ne fervent qu'à mieux découvrir
ce qu'elle voudroit cacher du fecret de
fon âme ,font peintes , fous les traits les plus intéreffans.
Tout attache à la jeune Sophie , tout.
parle en fa faveur dans le développement de ce
coeur refpectable. Elle confent que Damis rende
fon oncle Lifimon favorable à leur union . Sur ce
que Sophie marque de la défiance , parce qu'on
lui a fait craindre le langage flatteur des amans;
Damis termine cette fcène par les vers fuivans ,
qui peuvent à jufte titre être appliqués à la jeune
Actrice qui jouoit le rôle .
כ..
Eh ! peut on vous flatter ?
› Avez-vous un regard , un fouris qui ne touche ?
>> Sort- il un mot de votre bouche
ور
Qui n'aille de l'oreille au coeur ?
Κν
226 MERCURE DE FRANCE.
» Le fon de votre voix n'eft- il pas enchanteur
« Quelle autre a comme vous , cette grace
naïve ,
>
» Plus rare encor que la beauté ,
» Et qui mieux qu'elle captive ? ....
Les deux amans font fur le point d'être furpris
par Erafte ; mais , grâce à la vigilance de Finette,
le jeune Maître eft averti affez à propos , pour
feindre d'expliquer à fon écolière un paflage
d'OTHоUAL , Poëte dramatique Anglois . Cela
donne occafion àErafte de parler de SCHAKESPEAR
Damis obferve 3, que avec un air impor
tant devoir être prononcé CHESPIR . Voici comme
afte s'explique fur le mérite de ce célèbre tragique
Anglois :
1.
• En tout j'aime fa manière ;.
» J'aime des foffoyeurs , qui , dans un cimetière,,
» Moralifent gaîment fur des têtes de morts.
» Nous n'avons rien chez nous de plus philofo-.
phique ;
Nos efprits pour cela ne font pas affez forts.....
» OTнOUAI , dit- on , eft pathétique .
>> Je voudrois bien entendre ce morceau ,
, כ
Que tout à l'heure....
Nouvel embarras pour Damis , prefque auffi.
fort que celui de la lettre ; mais dont il ſe tire
encore mieux ; parce qu'il lui donne le prétéxte
de dire à Sophie les chofes les plus tendres , en
préfence de fon tuteur , & de mériter encore de
Ini des complimens . Nos Lecteurs ont à regretDECEMBRE
1765. 227
rer ici que les bornes d'un extrait ne nous permettent
pas de rapporter tous les détails agréables
dont M SAURIN fait orner fes piéces . Le refte
de la fcène roule fur quelques Auteurs anglois , &
concoure à mettre de plus en plus en évidence
la manie d'Erafte . Il envoye le jeune maître tenir
compagnie , dans la promenade , à Sophie & à
Finette. Il refte feul à rêver fur le mérite de ce
jeune homme , qu'il croit Anglois . Ce qui le rameine
à penfer à Sophie ; il en témoigne fa honte
& fon chagrin. Belife interrompt la rêverie de fon
frère , pour lui faire part d'une nouvelle qui l'afflige
jufqu'aux larmes . L'homme qu'elle avoit deftiné
à faire fon quatrième mari , eft tombé dangereufement
malade en route . Son frère étale à cette
occafion les grandes maximes de la fagetle , fur
l'impaffibilité d'une âme qui n'a rien à fe reprocher.
Il lui recommande la patience ; mais pour
Belife , la patience eft la vertu des fots. Elle finit
par impofer filence aux triftes confolations de fon
frère. Dans cet inftant , le Valet d'Erafte vient
en tremblant lui annoncer que fon cheval anglois
s'eft noyé . Notre prétendu fage entre dans la
plus violente fureur , & veut étrangler ce valet ..
Belife alors faifit l'occafion de le moralifer à fon
tour . Elle finit la mercuriale par ce trait :
, כ
>> De vous & de tous vos pareils ,
Que voilà bien , mon frère , le langage !!
» Vous abondez en beaux confeils ,
53
Qui ne font point à votre ufage.
>> Le fage eft , nous dit on , toujours maître de
lui :
>> en vient- on à l'expérience ?
Kvjj
MERCURE DE FRANCE.
» On voit qu'il n'a de patience ,
دد
1
Que pour fouffrir les maux d'autrui.
Erafte eft confus de fon emportement , & Belife
triomphante . On entend une voiture. Erafte
attend Lifimon , il préfume que c'eft lui qui arrive .
Ils fortent de la fcène pour aller le recevoir , &
terminent par là le fecond acte.
Il feroit difficile de bien rendre toute la beauté
de la fcène qui ouvre le troiſième acte , entre Lifimon
& Erafte , fans la copier en totalité ; ce que
nous ne pouvons faire. Nous allons feulement ,
non pas choifir , car ce feroit un nouvel embarras
, mais prendre quelques traits des vérités précieufes
qu'elle contient. Après les premiers complimens
d'Erafte fur la haute fagelle de Lifimon
ce vrai Philofophe en rejette le titre , il ajoute :
و
" La chofe eft aujourd'hui plus rare que le mot.
>> C'eft un nom que chacun s'arroge :
» Auffi c'étoit jadis éloge ,
C'eft injure à préfent.
ERASTE.
Dans la bouche d'un fot.
LISIMON .
>> Il eft vrai ; mais , mon cher Erafte ,
›› Savez-vous ce que c'eſt qu'un philofophe ?
ERASTE.
"
Quoi...
"
1
DECEMBRE 1765. 229
LISIMON.
" Vous croyez le favoir .... Si je vous diſois moi ,
Que vous- même fouvent en offrez le contraſte.
» Le philofophe fuit la fingularité ;
ود
» Il n'est jamais rien avec fafte ,
» Même en le condamnant il fuit l'ordre arrêté ;
>> Et , fans fe diftinguer , vêtu fuivant l'uſage ,
> Croit la feule vertu l'uniforme du fage.
» Il ne mépriſe point la foible humanité :
» Sévère pour lui feul , indulgent pour les autres ;
» Le philofophe voit fes défauts dans les nôtres.
» S'il attaque le vice & s'oppofe à l'erreur ,
» Ses leçons aux humains ne font point des ou
>> trages :
» Simple en fes actions , modefte en fes ouvrages ,
» Il inftruit fans orgueil & blâme fans aigreur.
در
Voyez fi ce portrait , Erafte , vous reffemble.
Le prétendu philofophe Erafte réclame contre
la dure néceffité de fuivre avec les autres le torrent
des abus , pour éviter l'air de fingularité. Lifimon
prétend qu'il eft fort peu de cas où l'on doive fortir
des routes frayées , & c . Après un dialogue
difcuté dont on préfume facilement la folidité du
fond & les excellentes maximes qui en réſultent ,
Erafte enfin déclare à fon ami qu'il va quitter fa
charge pour fe livrer tout entier à l'étude & à la
pratique de la fageffe . Cet ami fage & prudent
reçoit cette confidence avec une espèce d'indignation.
Rien n'eft mieux penfé , mieux vu & plus
230
MERCURE DE FRANCE.
énergiquement énoncé que tout ce qu'il dit contre
les gens qui ont la vanité de vouloir éclairer les
hommes , au lieu de leur être utiles dans les états
honnêtes de la fociété . Toutes les chimères , tout
le vain orgueil de la faulle philofophie font raffemblés
dans les efforts que fait Erafte pour juſtifier
fon projet. Lifimon foutient que c'eſt quelquefois
la faute des grands talens même s'ils font
en bute aux traits de ceux qu'ils humilient. Il
employe ingénieufement l'image du jardin des
Helpérides.
( I ) " • • • · · Les pommes d'or ,
C'eſt la gloire ; & l'envie eft le monftre terrible
>> Qui veille aux pieds de ce tréſor.
» Pour rendre fa rage alfoupie ,
» Il n'eft qu'un feul fecret encore ;
» Gens à talens , fachez que c'eſt la modeſtie.
Il indique vivement à Erafte des moyens plus
honorables de parvenir à la célébrité dans l'exercice
même de fon état. Celui -ci touché , ému , des
pathétiques remontrances de cet ami , reconnoît
fes erreurs & promet de garder fa charge . Lifimon
l'embrale avec tranfport , lui demande pardon
de fa vivacité , & pour revenir à quelque chofe
d'obligeant il lui parle de fon procédé à l'égard de
Sophie ; il s'informe à lui- même de fes deffeins
fur l'établiffement de cette Pupille . Erafte rougit ;
fon ami s'en apperçoit . Erafte embarralle convient
qu'il ne fait comment lui avouer qu'il eft amoureux
, parce qu'il penfe qu'il condamne l'amour
comme une foiblelle . Lifimon fe hâte de le défabufer.
La philofophie felon lui doit régler & non
(1) Ces vers n'ont point été dit aux repréfentations.
DECEMBRE 1765. 238
pas détruire la nature . Mais fe marier , infifte
Erafte. Eh qui donc donnera l'exemple de bon
citoyen , de bon père & de bon mari ,
fi ce
n'eft le philofophe ? Enfin , ajoute Lifimon ,
১১ .
>>
·
Erafte , vous deviez à Sophie un époux ; .
» J'approuve fort que ce foit vous ;
» Et cela m'impofe filence .
» Sur quoi ? ( réplique vivement Erafte ) .
LISIMON.
• ...
» J'avois deffein de vous la demander
» Pour mon neveu , jeune homme d'eſpérance
לכ
Qui doit un jour à mes biens fuccéder.
Erafte témoigne que cette alliance l'eût flatté.
Il revient aux propos qu'occafionnera le bruit de
fon mariage. Il craint fur-tout ce qu'en penfera
ce Milord COBBAM. Ce nom rappelle à Lifimon
qu'il en a reçu des nouvelles. Erafte en a reçu
auli , & c'eft la lettre qui a tant embarraílé
Damis au premier acte . Traduifant cette lettre
au hafard , Damis faifoit dire au Milord qu'il
venoit de marier fon fils à une riche héritière..
Au contraire , cette le tre , ainfi que celle qu'a
reçu Lifimon , faifoit part de la mort de ce fils.
C'eft ce qui fe vérifie par la traduction que celui-ci .
fait à Erafte de cette lettre . Cela inquiéte fortfur
le compte de Blacmore , le prétendu Maîtred'anglois
; il le fait appeller : Damis approche &
fe trouve confondu en voyant fon oncle avec
Erafte. Lifimon apprend à celui - ci que M. Blacmore
eft fon neven. Damis n'héfite point à convenir
que l'amour violent dont il brûle pour Sophie
232 MERCURE DE FRANCE.
lui a fait jouer ce rôle. Lifimon ne reçoit pas bien
cette excuſe.
>> L'amour ( dit - il ) ne ſert d'excuſe à rien
De notre caractère il emprunte le fien :
›› Dans un coeur vertueux l'amour ſe plaît à l'être.
» Du vôtre , Monfieur , fongez à triompher.
Damis réplique à fon oncle qu'il faudra qu'il
expire. Cet oncle répond froidement :
>> On ne meurt point , Monfieur , & l'on fait fon
>> devoir .
Pour lui ôter toute efpérance , il déclare pofitivement
à ce neveu , qu'Eraſte a choifi & deſtiné
un époux à Sophie. Le jeune Amant fe jette aux
pieds d'Erafte ; il demande où eft ce rival qu'on
lui oppofe ?
לכ · •
LISIMON à DAMIS.
Damis , n'en dites point de mal ;
> Vous étiez à fes pieds..
Erafte , qui pendant le dialogue de l'oncle &
du neveu a paru profondement occupé , convient
que ce rival eft lui -même. Il ordonne que l'on
faffe venir Sophie. Lifimon lui demande à quoi il
fe détermine. Erafte fufpend adroitement le dénouement
, & rend la fituation encore plus intéreffante
en répondant :
» Vous allez entendre & juger.
Sophie entre accompagnée de Belife & de Finette.
Son Tuteur commence par lui rappeller
DECEMBRE 1765. 233
tous les foins qu'il a pris d'elle depuis fon enfance :
il en a été payé par fes vertus. Il ne fe compte
pas quitte envers elle s'il ne lui donne un mari.
Sophie rougit ; nous paffons fur les intermédiaires
de cette fcène. Erafte reprend & ne cache plus à
fa Pupille , qu'en lui faifant un portrait effrayant
de l'amour , il en éprouvoit pour elle la plus
forte atteinte. Sophie reprend ingénuement :
>> Vous aimez ? .... Mais , Monfieur , ce n'eſt
>> donc point un mal ?
DAMIS vivement.
» C'eſt un bien qui n'a point d'égal.
SOPHIE à ERASTE.
>> Vous me trompiez !
Erafte convient qu'il fe trompoit lui -même. Il
réitére à Sophie les proteftations de fa tendreſſes
mais il la laiffe maîtreffe de fon choix, en la dotant
de cinquante mille écus. On ne peut rien de plus
touchant que les expreffions de reconnoiffance de
la jeune Pupille , & d'un autre côté les raiſons
qu'apporte le Tuteur pour la difpenfer de ce fentiment.
Loin de fe prévaloir de ce bienfait , il
lui répéte qu'elle eft abfolument libre de choisir
entre Damis & lui . Quel trouble ne conçoit- on
pas que doit jetter cette propofition , dans l'âme ,
auffi tendre qu'honnête , de la jeune Sophie ! Pendant
qu'elle rêve , qu'elle foupire , l'impétueux
Damis redouble fes efforts pour la déterminer en
fa faveur , malgré les fages & vives remontrances
de fon oncle . Il fe précipite enfin aux pieds de
Sophie , qui exige qu'il fe lève s'il veut qu'elle
prononce.
234 MERCURE DE FRANCE .
ERASTE à part.
» Ils s'aiment , je le vois.
לכ
SOPHIE à part.
Que vais -je prononcer ?
Erafte , vos bienfaits ont des droits fur moɛ
>> âme ,
د ر
» Que rien jamais ne pourra balancer.
» Vous avez beau vouloir y renoncer ,
» Et ne laiffer parler que votre flamme ;
» Plus vous les oubliez , & plus je m'en fouviens.
» Mais pourquoi vous montrer fous des dehors
>> auftèrés ?
» Pourquoi contre l'amour ces difcours fi févères ?
M'ont ils dû difpofer à ce tendre lien ?
» Et lorfque votre amour éclate ,
Pourrai -je ? .... Oui , je puis tout plutôt que
>> d'être ingrate ;
>> Et dût votre bonheur me coûter tout le mien ,
>> Je fuis prête. • •
BELISE .
כ ,»Qu'ellefolie?
ERASTE.
Daignez donc achever....Vous vous troublez ,
Sophie.
SOPHIE avec effort.
as Non , Monfieur.
DECEMBRE 1765. 235
ERASTE.
>> Eh bien donc .
SOPHIE Soupire , regarde Damis & préſente fa
main à ERASTE.
>> Mon devoir eſt ma loi
» Voici ma main , Erafte.
DAMIS.
>>> O Ciel !
ERASTE .
( après une paufe ).
›› Je la reçois-
..
>> .... Mais , Damis , c'eft pour vous la rendre
>> Qu'entends-je ?
DAMIS.
SOPHIE.
» Quoi , Monfieur ?
ERASTE.
>> Je fais ce que je dois , &e.
La furpriſe & la reconnoillance des jeunes
amans font exprimées avec ce ton pénétrant du
fentiment & de la vertu , qui caractériſent & l'âme
& le talent de l'Auteur. Erafte interrompt les
actions de grâces de Damis & de Sophie , pour
exiger de la dernière , qu'en aimant Damis comme
1 MERCURE DE FRANCE. 236
fon époux , elle aime fon tuteur comme fon père.
SOPHIE & DAMIS fe jettent à fes pieds en difant :
>> Nous fommes vos enfans.
BELISE.
Il faut pourtant le dire :
>> Les Philofophes font des fous ,
Que malgré foi quelquefois on admire .
LISIMON, à Erafte.
>> C'eſt avoir fur vous- même , Erafte , un grand
empire.
>> Ce fublime effort de raifon ,
» Eft d'un rare & pénible ufage.
Ne foyez fingulier que de cette façon ,
>>Et le Public en vous , refpectera le fage..
C'eſt ainfi que fut terminée cette Comédie.
Elle eut d'autant plus de fuccès à la Cour , que
l'on y a moins de temps pour le prévenir d'après
le titre d'un ouvrage , pour arranger fes idées ,
conféquemment à ce que l'on s'imagine devoir
en résulter ; & fur- tout beaucoup plus d'attention ,
à caufe du filence qu'on obferve , aux moindres
parties des détails. Il fuit néceffairement de cette
feconde circonftance , qu'il n'échappe à l'Auditeur
aucun de ces mots , peu confidérables en apparence
, mais fi importans à l'Auteur , qui les a
placés pour pofer des fils au tiffu de fa pièce , qui ,
faute d'être apperçus , y laillent croire fouvent des
fautes qui n'y font pas.
DECEMBRE 1765. 237
Il ne fera pas difficile à ceux qui auront lu cette
Comédie , de préfumer , combien on dut être
attaché & agréablement affecté des traits de la
faine philofophie & de la judicieufe morale qui
y font répandus. On eft encore plus fenfible à la
Cour que par-tout ailleurs , à cette élegance de
ftyle , à cette expreffion noble & fleurie fans affectation
, que l'on remarque dans cet ouvrage ,
parce que ce ftyle eft , fi l'on peut dire , la langue
du Pais.
Auffi Monfieur SAURIN , après le ſpectacle ,
reçut de la part des perfonnes les plus diftinguées
de la Cour , des complimens , dont la vérité ne
pouvoit être équivoque , parce qu'ils portoient
le caractère de l'impreffion qu'on venoit de recevoir.
Quel que foit fon fuccès à Paris , nous croyons
être fondés à foutenir que cette piéce fera toujours
un témoignage honorable des moeurs , de
l'efprit , du jugement & des talens de fon Auteur.
Si M. SAURIN fait quelques changemens
à cette Comédie , dans le cours des repréſentations
de la Ville , nous en rendrons compte , à
l'article des Spectacles de Paris.
Le même jour on donna pour feconde
piéce le Lot Suppofé , Comédie en trois
actes de DUFRENI. Elle amufa & plut à
beaucoup d'égards , autant qu'une piéce
d'un comique auffi éloigné de celui qu'on
a adopté depuis , peut laiffer percer le
mérite du genre d'efprit de fon Auteur.
Elle fut tres -bien jouée par tous les
Acteurs,
238 MERCURE DE FRANCE .
Le jeudi 7 Novembre , on exécuta
Théfée , Tragédie- Opera , Poëme de Qui-
NAULT , Mufique de M. MONDONVILLE ,
fubftituée à celle de LULLI.
On lit à la tête du livre de paroles ,
imprimé pour cette repréfentation , un
Avertiffement de M. Mondonville , que
plufieurs de nos Lecteurs ne feront pas
fâchés de connoître . Nous le tranfcrirons
en entier.
Avertiffement de M. MONDONVILLE.
On fait qu'en Italie , les Muficiens font en poffeffion
de mettre en mufique le même Poëme.
On ne les foupçonne pas de travailler dans la vue
de déprimer ceux qui les ont devancés .
Nous avons la même liberté en France pour
les Motets . Si nous penfons comme eux dans le
genre latin , pourquoi n'aurions- nous pas le même
privilége pour les Poëmes françois Cet ufage.
encourageroit les talens , exciteroit l'émulation ,
& contribueroit peut-être à l'amulement du Public.
Ces motifs , que j'ai cru raiſonnables , m'ont
déterminé à choisir le Poëme de Thésée , non
comme un téméraire qui veut atraquer Lulli ;
mais comme un Enthouſiaſte des Opéras de Quinault.
Il eft vrai que , pour me conformer au
goût préfent du théâtre , j'ai été contraint d'abréger
les fcènes , & d'accroître les divertiffemens ; ce
qui m'a obligé pour les liaiſons , d'ajoûter quelques
vers , qu'on reconnoîtra sûrement pour n'être
pas de Quinault.
A l'égard de la musique de Lulli , ma délicaDECEMBRE
1765. 239
teffe & mon admiration pour ce célèbre Auteur ,
m'ont défendu de l'employer. J'ai cru que n'en
pas faire ufage , c'étoit la refpecter.
C'eft dans ce fentiment , que j'ai ofé ouvrir une
carrière nouvelle & avantageufe à tous les Compo
fiteurs. Heureux ( 1 ) fi l'on veut bien pardonner
mon entrepriſe en faveur du motif.
و
( 1 ) La fin de cet avertiffement ayant paru
quelques perfonnes annoncer M. MONDONVILLE
, comme le premier qui ait entrepris defaire
la mufique d'anciens Opéras : nous ne pouvons re-.
fufer place ici à une réclamation fondée fur la
notoriété publique. En 1758 , on repréfenta pendant
affez long- temps fur le théâtre de l'Opéra ,
Enée & Lavinie, Poeme ancien de feu M. de
Fontenelle , avec la musique nouvelle de M.
DAUVERGNE , fubflituée à celle de COLASSE.
En 1760 , l'Opéra de Canente , Poëme de feu
M. de la MOTTE , avec une nouvelle mufique de
M. DAUVERGNE , à la place de celle de Co-
LASSE. On pourroit citer encore l'acte de Pigmalion
remis en musique par RAMEAU . Antérieurement
auxprécédens ; un acte d'Arrhétufe , remis en
mufique par M. DAUVERGNE. Jufqu'à préfent ,
on n'avoitfait de ces fortes d'entreprifes que pour
des Opéras fans fuccès . M. de la BORDE a
porté & exécuté ce projet , fur un Ouvrage
de réputation ( Thétis & Pelée ) repréfenté à la
Cour le 10 octobre dernier , & dont nous avons
rendu compte. Il est vrai qu'ayant cru , apparemment
, devoir moins de refpect à COLASSE , que
M. MONDONVILLE à LULLI , cet Amateur a
fortjudicieufement confervé lefond & tout le chant
d'un monologue , d'une fcène & d'un choeur admirable
, dans l'acte du Deftin. Si ces fortes d'entre2-
49 MERCURE DE FRANCE.
Ce n'eft pas ici le lieu d'examiner , fi
la parité , que veut établir l'Auteur de
cet Avertiffement , eft bien fondée . Il
pourroit éprouver quelques conteſtations
fur la comparaifon des Drames d'Opéra
italien & des Motets latins , avec les
Poëmes d'Opéra françois.
Il nous appartient encore moins de prononcer
fur le fort de cette entrepriſe.
Nous ne fommes pas même en état de
rapporter fur cela , rien de favorable ou
de défavorable ; parce que dans l'une
comme dans l'autre affertion , nous ne
ferions point autorifés par cette unanimité
d'opinions , qui peut feule nous donner
le droit d'annoncer des fuccès heureux
ou malheureux. Celui de l'ancien
Théfée , quel qu'il foit , que l'on va remettre
au théâtre , avec les feuls vers de
QUINAULT & avec la vocale de LULLI ,
décidera la queftion ; attendu qu'un
affez grand nombre de Spectateurs auront
entendu l'un & l'autre ouvrage , pour
prifes font un mérite , la priorité de date n'en appartiendra
à M. MONDONVILLE qu'à l'égard
des Opéras de QUINAULT & de Luili , dans le
cas où il auroit des fucceffeurs de fon fyftême.
Nous n'aurions pu , fans infidélité , fouftraire
cette explication dans un Journal qui eft , & qui
fera probablement toujours le dépôt le plus affuré
desfaits hiftoriques des Théâtres nationaux.
porter
DECEMBRE 1765. 241
porter un jugement de comparaiſon . Nous
nous bornerons donc à l'exécution qui
mérite véritablement des éloges dans toutes
les parties qui concourent au bon effet
d'un Opéra . Il n'y a eu rien à reprocher
à celle des choeurs & de l'orchestre . Celle
des rôles n'a pas été moins bien remplie ,
malgré les difficultés qu'oppofoit un
chant étranger au fens , qu'avoit faifi
LULLI , qui étoit dans la mémoire des
Acteurs , & à des tours fouvent peu naturels
pour des oreilles acccutumées à l'analogie
des fentimens , de la fituation & du
caractère des interlocuteurs . Le fieur LARRIVÉE
chantoit le rôle d'Egée avec une
voix admirable , & à laquelle le Muficien
avoit prêté les occafions de faire éclater
toute la force & tout l'agrément de la
jeuneffe. La Dile LARRIVEE a d'autant
plus brillé dans le rôle d'Eglé , qu'il étoit
plus analogue à la légéreté & aux agrémens
de fa voix. Cette Actrice a eu un mérite
de plus dans l'exécution de ce rôle ; c'eft
que ne lui ayant pas été deftiné d'abord ,
elle fut obligée de l'apprendre prefqu'auffitôt
qu'elle fut obligée de le jouer . La belle
voix de la Dlle DUBOIS la fervit officieufement
dans le rôle de Médée , que le
Compofiteur a tenu , ainfi que les autres
rôles de cet Opéra , dans le haut de l'or-
L
1
1
242 MERCURE DE, FRANCE.
gane. Malgré le volume de cette voix ,
elle exécuta très - bien tous les morceaux
vifs , brillans & légers , dans le tour de l'ariette
, qui fe rencontrent dans ce tôle . Indépendamment
de la voix & du chant , la
DileDUBOIS mérite encore des éloges, pour
le jeu , dans la manière dont elle a rendu
ce grand rôle. Il eft facile de préfumer
que celui de Thésée a été très- éclatant
dans la voix du fieur LE GROS , & il a paru
d'ailleurs avoir faifi l'efprit de fon rôle de
façon à laiffer beaucoup efpérer du plaifir
qu'il fera avec le récitatif en déclamation
de l'ancien genre.
La Dlle AVENAUX , de la Mufique du
Roi , chanta avec précifion , une fort belle
voix & une belle repréfentation , plufieurs
des rôles fecondaires ; entr'autres , celui de
la grande Prêtreffe & celui de Minerve. La
Dile DUBRIEUL chantoit auffi plufieurs
autres rôles acceffoires. Le fieur MUGUET
chantoit dans la Bergerie.
Les connoiffeurs & amateurs ont diftingué
dans ce grand ouvrage de mufique plufieurs
morceaux auxquels ils ont rendu
juftice , fur- tout quelques-uns des choeurs ,
& des airs de fymphonie. Ceux de la magie
entr'autres faifoient beaucoup d'effet.
Ils nepouvoient en même temps être mieux
fecondés que par les effets neufs , variés ,
DECEM BRE 1765. 243
rapides & énergiques du Ballet de M.
LAVAL le fils.
Ce jeune & ingénieux Compofiteur de
Ballets ne s'étoit pas moins diftingué dans
les tableaux d'un genre différent des autres
divertiffemens de cet Opéra. Nous prévoyons
tous les éloges qu'il méritera &
tous les fuffrages avec lefquels feront reçus
ceux qu'il va expofer fur le théâtre de Paris.
L'émulation & la fertilité du génie qu'on
lui connoît ne permettent pas de douter
qu'il ne profite de tous les avantages d'un
local bien plus propre aux grands effets.
Pour abréger ; nous ne particulariferons
point ici le mérite & les fuccès des premiers
talens de la danfe. Tous ceux que
nous avons nommés dans les articles précédens
étoient employés avec avantage
dans cet Opéra , où chacun d'eux s'eft
plus diftingué que jamais. Ils font connus
fuffifamment , & d'ailleurs nous aurons
occafion de détailler davantage en rendant
compte des repréfentations du Théfée de
Paris .
Quoique nous foyons déja au - delà des
bornes ordinaires de nos articles , nous ne
pouvons nous difpenfer de donner au
moins une légère idée de la magnificence
du fpectacle & de fa prodigieufe exécution .
Nous ne parlerons point des décorations
Lij
244 MERCURE DE FRANCE.
des premiers actes , quoiqu'il y eût celle
de l'antre , où Médée évoque les enfers ,
qui méritât attention , par le bon gente de
difpofition & le bon ton de couleur d'un
antre , qui rendoit un effet jufte & vigoureux.
A la fin de l'Opéra , le palais que
Médée a conftruit pour l'himen de Théfée
étoit détruit ; & cette deftruction , opérée
par le feu , s'éxécutoit en reliefdans le fond
du théâtre qui , dans le même inftant , fe
trouvoit rempli en totalité par des nuages au
centre defquels on voyoit Minerve. Ces
nuages étoient groupés & peints avec un art
qui a mérité & qui doit toujours mériter
l'éloge même des connoiffeurs les plus difficiles.
A cette efpèce de gloire fuccédoit
rapidement un palais élevé par Minerve
garni de diamans. Ce palais occupoit toute
l'étendue du théâtre , infiniment prolongée
aux yeux par l'art de la perfpective.
Non-feulement les colonnes , les bafes ,
les chapiteaux , & toutes les parties de
l'architecture étoient en diamans , mais
encore de fort grandes parties de plafonds ,
en fujets de figures , traités & exécutés de
manière à produire l'effet des meilleurs
tableaux de nos plus grands maîtres ,
étoient encadrés dans des compartimens
chargés de diamans . Cette décoration ,
exécutée fur les deffeins de M. CHALLE,
DECEMBRE 1765. 245
Peintre du Roi , Profeffeur de perſpective ,
Deffinateur du Cabinet, avoit été difpofée
pour y placer les pierreries , qui devoient
en faire le principal objet . L'emplacement,
la diftribution , l'affortiment de ces pierreries
, d'où dépend entièrement l'effet &
l'éclat de cette brillante matière , étoient
l'ouvrage de M. L'EVÊQUE , Garde général
des Menus Plaifirs du Roi , duquel
nous avons eu fi fouvent occafion de relever
avec juftice le goût & le talent en ce
genre , mais jamais dans aucune circonftance
qui l'ait autant mérité jufqu'à préfent
, & qui lui ait fait plus d'honneur.
·
Rien n'eft plus digne d'éloges , rien n'a
part
paru & n'a dû paroître fi prodigieux que
la précifion du fervice des trois grands
effets de changemens dont nous venons
de faire mention , quand on a été témoin
des difficultés de ce fervice , de fon incroyable
prefteffe , & des embarras qui y
portoient à chaque inftant les plus grands
obftacles ; tels étoient ceux d'une multitude
de perfonnes dans les efpaces les plus
refferrés. Nous revenons toujours avec
plaifir à cet égard , & jamais néanmoins
aurant que la juftice l'exige , au mérite de
M. ARNOULD , qui a eu à combiner & à
exécuter une auffi grande quantité de machines
, que
celle qu'exigeoit le nombre &
L iij
246 MERCURE DE FRANCE. ·
la variété des fpectacles qui fe font fuccédés
journellement en auffi peu de temps.
Le Jeudi , 9 Novembre , après une
repréſentation de la Comédie des Perdrix
par les Italiens , on exécuta un Opéra nouveau
, intitulé Erofine , paftorale héroïque ,
qui a été honorée des fuffrages les plus
defirables. Nous en rendrons compte dans
le Mercure prochain . Le poëme eft de
M. de MONCRIF , Lecteur de la Reine ,
la mufique de M. LEBERTON , Maître de
Mufique de l'Académie Royale .
En attendant que nous puiffions entrer
dans un plus grand détail fur le poëme de
çe Ballet , nous annoncerons avec vérité la
mufique de M. LEBERTON, comme une des
chofes qui , dans le cours de ces nombreux
fpectacles , a eu l'approbation la plus générale
& la plus décidée . Tout y porte les
caractères d'un génie brillant qui ne tient
qu'à lui - même ; fans aucune tache de
bifarrerie , on reconnoît toujours l'Auteur
de la fameufe chaconne d'Iphigénie dans
la manière dont fon chant , dont fes airs
s'enrichiffent de tours nouveaux , en fe renfermant
toujours dans le genre de l'Opéra
François . Il ne déguife point par des ornemens
de caprice l'idiôme national de notre
mufique. Il n'eft que trop de Compofiteurs
modernes , qui, peut-être , à l'exemple de
DECEMBRE 1765. 247
RONSARD, au défaut de génie , ayant chargé
la langue muficale d'un fatras d'expreffions
étrangères qui s'y trouvent déplacées , ont
fait de leur mufique précisément ce que ce
Poëte ridicule avoit fait de la langue françoife
de fon temps . Nous croyons au contraire
pouvoir préfenter ce Muficien à cet
égard comme les grands Ecrivains du milieu
du fiècle dernier jufqu'à nous , qui
ont fçu donner à notre langue un nouvel
effor & de nouveaux moyens , en l'ornant
fans la défigurer. Il eft fâcheux que nous
ne puiffions mettre fous les yeux les ouvrages
de mufique comme nous faifons
les poëmes par nos extraits. Nous laifferions
parler en leur faveur leur feul mérite ;
nous n'aurions pas befoin de folliciter la
confiance de nos Lecteurs pour nos éloges ;
mais le témoignage prefqu'univerfel des
connoiffeurs nous tiendra lieu en cette
occafion du genre de preuve que nous ne
pouvons produire. S'il en falloit encore ,
nous rappellerions les regrets ,
les reproches
univerfels du peu d'ufage qu'il a fait
jufqu'à préfent d'un talent auffi précieux ,
Le fpectacle de ce Ballet étoit du meilleur
goût, & finiffoit par un palais où l'on
voyoit des monceaux de richeſſes de diamans
& de pierreries diftribuées avec art ,
en pyramides , en confoles , en tables , & c.
Liv
248 MERCURE DE FRANCE .
C'eſt par cette répréfen'ation d'Erofine
qu'ont été terminés les fpectacles agréables
& pompeux qui avoient été déterminés
pour remplir le temps ordinaire du voyage.
Ils étoient , comme nous l'avons déja
dit , ordonnés par M. le Maréchal Duc DE
RICHELIEU , Pair de France , Premier Gentilhomme
de la Chambre en exercice , &c.
& conduits par M. PAPILLON DE LA FERTÉ ,
Intendant des Menus-Plaifirs & Affaires
de la Chambre de Sa Majesté.
Tout ce qui concerne l'exécution des
ouvrages en, mufique a été dirigé par M.
FRANCOEUR, Chevalier de l'Ordre du Roi,
Surintendant de la Mufique , de femeftre ,
fecondé par M. Rebel , auffi Chevalier de
l'Ordre du Roi , & Surintendant de l'autre
femeftre , & par M M. BURI & DAUVERGNE
, Surintendans de la Mufique en furvivance.
Les Ballets , par MM. LAVAL père &
fils , Compofiteurs des Ballets du Roi.
Nous ne faurions trop répéter les éloges
dus à M. ARNOULD , Ingenieur pour les
Théâtres du Roi. Il étoit fecondé , dans
l'exécution , par M. GIRAUD , en furvivance
au même titre.
L'invention & les deffeins des habits ,
par M. BOQUET père , qui a donné depuis
long- temps & donne encore journellement
DECEMBRE 1765. 249
des preuves de fon goût & de fes connoiffances
pour ce genre , & qui eft connu dans
plufieurs Cours de l'Europe . L'exécution
de ces mêmes habits a été dirigée par le
fieur DELAÎTRE , Maître Tailleur de l'Académie
Royale de Mufique , l'un des
hommes le plus intelligent & du meilleur
goût que l'on eût encore eu dans cette
partie.
Tous les ouvrages de peinture & de
décorations , à l'entrepriſe du même M.
BOQUET père , ont été exécutés avec le
plus grand fuccès. Il eft jufte de nommet
ici quelques - uns des habiles Artiftes qui
ont été employés à cette exécution . Nous
avons eu déja occafion d'en parler plufieurs
fois ci -devant , en rendant compte de l'Opéra
de Paris.
M. BOQUET le fils avoit peint tous les
fujets de figures des plafonds , dont on
peut fe rappeller ce que nous en avons dit
dans le cours de notre article. Tant de
talent dans un âge auffi jeune doit faire
attendre beaucoup de cet Artifte.
La gloire de feu du GENIE , dans Zenis
& Almafie , par M. CANOT. Le Palais de
la Lune & celui de Zénis , par M. Spour
NY , ou L'ALLEMAND ..
Le défert , le volcan & la décoration de
L v
250 MERCURE DE FRANCE.
Silvie , par M. CRESPIN . La décoration de
la forêt de Diane & des forges , dans la
Pantomime , & celle du retour du Printems
, par M. BEAUDON. Le palais brillant
de Théfée , par M. SARRASIN.
SPECTACLES DE PARIS,
OPÉRA.
ON a continué à Paris , pendant l'abfence
pour le fervice de la Cour , l'Opéra
d'Hypermneftre , dont nous avons rendu
compte dans le fecond volume d'octobre.
Chaque jour qu'on a repréſenté cette tragédie
, a ajouté aux applaudiffemens & à
l'admiration que mérite le talent de Mlle
DURANCY.
3.M. GELIN , néceffaire pour quelquesuns
des Spectacles de la Cour , a été remplacé
à Paris , dans le rôle de Danaüs ,
par M. DURAND. On a remarqué principalement
dans la feene du troifième acte ,
quelques traits de la part de M, DURAND ,
qui annoncent une étude utile des vrais talens
, que nous avons fous les yeux , dans
le grand tragique . Le même rôle a été
DECEMBRE 1765. 251
.
rempli quelquefois par M. CASSAGNADE ,
qui n'avoit pas eu encore occafion de
paroître dans des rôles d'une certaine importance.
Le Public a vu avec fatisfaction
qu'il avoit gagné déja beaucoup du côté
de l'articulation & du développement
au théâtre ; qu'il débitoit avec chaleur
& , ce qu'il y a d'effentiel , qu'il obfervoir
affez exactement , cette attention intelligente
à ce que difent les autres Interlocuteurs
; attention fi néceffaire à la vérité
& à l'intérêt du dialogue. Le fieur Mu-
GUET , & le fieur DUPARC ont alternativement
remplacé le fieur PILLOT , dans
Je rôle de Lincée.

Le 3 Novembre M. CAVAILLER, haute
contre , élève de l'Académie , débuta
dans le grand Prêtre , au troifième acte
& dans la Paffacaille , au quatrieme ; la
crainte & l'extrême embarras d'un début
n'avoient pas empêché , dès le premier
jour , de trouver dans ce nouveau fujet
une fort belle voix. L'accueil favorable du
Public ayant un peu diminué de fa timidité
, aux repréfentations fuivantes , on
conçut de lui des efpérances fondées fur
la flexibilité d'organe , jointe à un volume
& à une étendue de voix confidérable.
Les jeunes enfans , qui avoient paru
avec tant d'avantage , dans les balets d'Hy-
L vj
252 MERCURE DE FRANCE.
permnestre , aux premières repréfentations,
en ont foutenu tout l'agrément pendant
l'abfence des fujets principaux de la danſe.
On doit leur en faire honneur , en les
nommant ici . Mlle DER VIEUX & M. SIMONET
ont remplacé M. & Mlle Lyonnois
dans le pas de deux du divertiffement
des Matelots . La jeune Mlle Dervieux
marque les plus grandes difpofitions à la
précifion & au brillant de l'exécution.
Mile DUPERREY ( annoncée d'abord
fous le nom de Mlle LEDOUX ) qui danfoit
feule & en pas de deux avec M. SIMONET
, au divertiffement de la Bergerie
, paroît avoir déja un talent formé dans
la danfe , à un degré de perfection qui
n'eft pas ordinaire à fon âge . On applaudit
particulièrement dans ce fujet les difpofitions
les plus décidées pour le genre
gracieux & fans affectation .
Une figure noble & agréable diftingue
le talent de la jeune Demoiſelle LEROY ,
qui danfoit au quatrième acte , en pas de
deux avec M. SIMONET. Ce jeune Danfeur
, dans tous les différens pas de deux ,
& dans toutes les entrées où il a été employé
, a fait voir beaucoup de précifion ,
& le caractère d'exécution convenable à
celui de chaque pas.
C'eft aux talens & aux foins affidus de
DECEMBRE 1765. 253
M. HYACINTHE , maître de l'école de
Danfe de l'Académie royale de Munique ,
que l'on doit tous ces élèves , dont les
progrès ont furpris autant que fatisfait le
Public.
Le 14 Novembre on remit les Fragmens
, compofés de l'acte d'Hégémone , de
l'acte du Bal des Fêtes de Thalie , & du
Devin du Village , que l'on a continués
juſqu'à préſent. On y a vu avec un nouvel
étonnement Mlle DURANCY , transformée
d'un jour à l'autre , d'une Princeffe du
plus grand tragique , en Colette , & en
Colette meilleure encore & plus naturelle
s'il eft poffible , qu'elle n'avoit été cet été
dans le même rôle.
COMÉDIE FRANÇOISE.
Na continué fur ce Théâtre , les
repréſentations du Tuteur dupé , jufqu'au
3Novembre inclufivement.
Le 6 on y donna la première repréfentation
de l'Orpheline Léguée , Comédie
en vers en trois actes de M. Saurin , dont'
nous venons de donner l'extrait , dans
l'article des Spectacles de la Cour.
M. SAURIN a fait imprimer cette pièce
254 MERCURE DE FRANCE.
à Paris chez la veuve Duchefne , prix 24
fols , & l'on trouvera dans cette édition ,
quelques changemens qu'il a cru devoir
afa déférence pour les arrêts du Public ;
entr'autres celui qu'il a fubftitué à l'incident
du cheval noyé. A la tête de cette
édition est une Préface auffi judicieuſe
que modefte , dans laquelle l'Auteur convient
qu'il a eu tort de donner à fa Pièce
le titre d'Orpheline Léguée plutôt que celui
de l'Anglomanie , fous lequel en effet elle
devoit être écoutée & jugée. M. SAURIN
a dédié cette Pièce à une épouſe chérie &
digne de l'être à toutes fortes de titres.
On attendoit avec impatience au théâtre
la première repréſentation du Philofophe
fans le favoir , Comédie en cinq actes , par
M. SEDAINE. On ne pourra en rendre
compte que dans le Mercure prochain .
COMÉDIE ITALIENNE.
ON a continué , depuis notre dernier
article des Spectacles de Paris , l'agréable
Comédie d'Ifabelle & Gertrude. On attend
du même Aureur inceffamment la Fée
Urgelle. Nous en avons donné une légère
notice dans l'article des Spectacles de la
DECEMBRE 1765 255
Cour. Nous nous propofons d'en parler
plus amplement dans celui des Spectacles
de Paris au Mercure prochain. Nous nous
hâtons d'en annoncer l'édition. A Paris ,
chez la veuve Duchefne , rue Saint Jacques.
Prix 30 fols avec la mufique.
CONCERT SPIRITUE L.
LEE Concert Spirituel du jour de la TOUSSAINT
a commencé par la MESSE de feu M. GLLLES ,
Motet à grand choeur , dont la réputation eft trop
bien établie pour avoir befoin de nouveaux éloges.
Enfuite Mile PLANTIN , jeune Muficienne attachée
au Concert de RHEIMS , a chanté un joli
Motet à voix feule , dans lequel on a également
applaudi aux agrémens de l'organe & à la précifion
de cette Débutante.
M. JANNSON , de la Mufique de S. A. S. Monfeigneur
le Prince DE CONTI , a exécuté une nouvelle
Sonate de fa compofition , & a reçu des
applaudillemens .
M. GODARD , qui depuis long- temps n'avoit
pas été entendu au Concert , y a chanté avec les
talens qu'on lui connoît , Conferva me Domine
Moret à voix feule de M. LEFEVRE.
S
M. CAPRON a joué un nouveau Concerto de
violon , compofé d'airs connus , arrangés par M.
ALEXANDRE. Séparément de la belle exécution de
M. CAPRON , ce Concerto a fait plaifir par le
nombre des chants agréables qu'il réunit & l'art
256 MERCURE DE FRANCE.
avec lequel ils font raffemblés. Nous croyons
devoir faifir encore cette occafion de répéter aux
Artiftes , qu'en s'occupant effentiellement de l'harmonie
, ils ne doivent pas négliger la mélodie , fi
intéreffante & fi propre à leur concilier tous les
fuffrages.
1
Mile FEL a chanté , comme on fait qu'elle
chante , un Motet à voix feule , & un récit dans
Exurgat Deus, Motet à grand choeur de LALANDE .
Ce Motet a terminé le Čoncert , dont l'aſſemblée
étoit nombreuſe & brillante.
SUPPLÉMENT à l'Article des Spectacles .
MALGRÉ la réfolution que nous avions
prife , par déférence pour les craintes modeftes
de l'Auteur du Siége de Calais , de
ne plus inférer rien qui y eût rapport , nous
ne pouvons réfifter à la nouveauté d'une
circonftance uniquement & pour la première
fois relative à ce célèbre ouvrage :
nous voulons parler de l'édition qui en a
été faite au Cap François en Amérique ,
& que nous avons fous les yeux , par les
ordres & aux frais de M. le Comte d'Es-
TAING , Gouverneur général , pour être
diftribuée gratis. Le titre de cette édition
porte l'épigraphe ſuivante :
Veftigia Graca
Aufi deferere , & celebrare domeftica gefta. Hor.
DECEMBRE 1765. 257.
Au Cap François , chez MARIE , Imprimeur breveté
du Roi pour toute l'Ile Saint - Domingue à
l'exclufion de tous autres : 1765 .
On lit à la tête de cet imprimé , ENVOI
fait à M. DE BELLOY , en lui faifant paffer
la préfente édition de fon ouvrage.
cc
L'Amérique à fon tour couronne cet ouvrage :
» Un Auteur patriote a fon premier hommage ;
>> Et dans tous les climats notre amour pour le
>> Roi
>> Dans les coeurs nés François doit graver deBelloy.
Tous les amateurs des arts & du patriotifme
verront avec plaifir la lettre adreffée
à M. de Belloy qui accompagnoit un nombre
d'exemplaires de cette édition. Nous
fommes certains que la copie de cette lettre
que nous tranfcrivons eft fidelle .
C'E'S
A M. DE BELLOY.
'E's T avec plaifir , Monfieur , que nous vous
donnons , au nom de Citoyens qui ont confervé
long- temps le droit glorieux de fe défendre euxmêmes
, une marque de l'eftime & de la reconnoillance
que vous méritez . La repréſentation du
Siége de Calais a produit , dans une des affemblées
les plus nombreufes qui fe foient vues en Amérique
, la fenfation la plus flatteufe pour le Patriote
258 MERCURE DE FRANCE.
& pour l'Auteur . Vous avez réuni , Monfieur ,
d'une façon également honorable pour vous , ces
deux titres dans votre ouvrage. Le tribut de zèle
que nous devons à Sa Majefté s'eſt trouvé confondu
avec les applaudiffemens que l'efprit & le
génie vous ont allûrés .... Le coeur des François
a été entraîné , & le cri de l'âme a été général....
Nous vous ferons paller plufieurs exemplaires
du Siége de Calais : c'eft le premier ouvrage de
théâtre imprimé dans l'Amérique Françoife ; vous
êtes digne à tous égards de cet hommage unique
.
Nous avons l'honneur d'être très - parfaitement ,&c.
Signé , Brion , Capitaine des Volontaires . Jolly ,
Capitaine de Dragons . Jolly , Capitaine d'Infan
terie. De Gournay , Lieutenant d'Infanterie .
L. Lallemant , Lieutenant des Gendarmes . Du
Tilly , Lieutenant de Dragons. Lallemant de la
Neuville , Lieutenant d'Infanterie. Dupérier ,
Aide-Major de la Colonie. De Court dela Tonnelle,
Aide-Major des Gendarmes. De Court des Farts,
Capitaine des Gendarmes .
Au Cap François , ifle & côte de Saint - Domingue
le 12 Juillet 1765 .
LE
LOTERIES.
E cinquante-fixième tirage de la Loterie de
l'Hôtel de Ville s'eft fait le 23 Août en la manière
accoutumée. Le lot de cinquante mille
livres eft échu au numéro 62651 ; celui de vingt
mille livres au numéro 74538 , & les deux de dix
mille livres aux numéros 600c4 & 74754.
*
Les Septembre on a tiré la Loterie de l'Ecole
DECEMBRE 1765. 259
Royale Militaire . Les numéros fortis de la roue
de fortune font , 44 , 88 , 45 , 16 , 51 .
Le cinquante feptième tirage de la Loterie de
l'Hôtel de Ville s'eft fait le 25 Septembre en la
manière accoutumée. Le lot de cinquante mille
livres eft échu au numéro 85081 ; celui de vingt
mille livres au numéro 89432 , & les deux de
dix mille livres aux numéros 83033 & 89849 .
Les Octobre on a tiré la Loterie de l'Ecole
Royale Militaire. Les numéros fortis de la roue
de fortune font , 36 , ƒ1 , 35 , 37 , 62 .
MARIAGE.
DE WISENT , près de Ratisbonne , le 27 Août
1765 .
Avant-hier Louis- Gabriel , Comte du Buat , Seigneur
du Buat & des Fontaines , Miniftre de la Cour
la France auprès de la Diète générale de l'Empire ,
& ci- devant Chevalier Novice de l'Ordre de Saint
Jean de Jérufalem , a déclaré fon mariage avec
Thérèfe , née Baronne de Craffe , Baronne Douairière
de Falckemberg , Dame deWifent, Heilfberg
Efferfdorff. La bénédiction nuptiale leur fut donnée
, le premier de ce mois , dans l'églife paroiffiale
, en prétence du Curé de ce lieu .
BAPTÊME.
Le 12 Octobre 1765 Madame la Marquife de
Lévis , épouse de M. le Marquis de Lévis , Lieutenant
Général des Armées du Roi , Gouverneur
général de la Province d'Artois , eft accouchée
d'une fille.
SERVICES.
Le 2 Septembre on a célébré , dans l'égliſe
paroiffiale de Notre -Dame à Versailles , un Ser260
MERCURE DE FRANCE.
vice pour Louis XIV. Le fieur Allart , Curé de
la Paroiffe , y officia.
Le mème jour on célébra , dans l'églife de
l'Abbaye Royale de Saint Denis , le Service annuel
pour le repos de l'âme de Louis XIV . L'Evêque
de Tulle y officia . Le Duc de Penthièvre & le
Prince de Lamballe y affiftèrent.
MORTS.
Robert Ignace de Sohr de Breille , Chevalier ,
Grand'Croix de l'Ordre de Saint Jean de Jérulalem
, ci devant Capitaine des Galères de la Religion
, & Amballadeur Extraordinaire de Malte à
Rome , Commandeur des Commanderies de
Sai te Marie de Salice , de Saint Jean de Nazario,
& de Sunt Jean del Morturvo , du grand Prieuré
de Lombardie , Grand Bali d'Arménie , Abbé
Commendataire de l'Abbaye de Saint Jean des
Vignes , Ordre de Saint Auguftin , Diocèfe de
Soitfons en France , Gentilhomme de la Chambre
du Roi de Sardaigne , & fon Ambaſſadeur
auprès du Roi , eft mort en cette Capitale le 11
Septembre , dans la cinquante - unième année
de fon âge. Il a été enterré le 13 , dans l'égliſe
de Sainte Marie du Temple , lieu de la fépulture
des Chevaliers de l'Ordre de Saint Jean de Jérufalem
, avec la pompe convenable à ſon caractère.
François-Jofeph de Brunes de Montlouet , Evêque
de Saint-Omer , eft mort à Compiègne le
23 Août , dans la cinquante- troisième année de
fon âge. Il s'étoit rendu à la Cour en qualité de
Député des Etats d'Artois auprès du Roi pour
l'Ordre du Clergé , fonction dans laquelle il avoit
été continué pendant trois ans , fur la demande
réunie de tous les Ordres de la Province.
Louis-Antoine - François de Durfort , Vicaire
DECEMBRE 1765. 261
Général du Diocèle d'Evreux , Abbé Commendataire
de l'Abbaye Royale de Fontaine - lès - Blanches,
Ordre de Câteaux , Diocèfe de Tours ,
eft mort
en cette Capitale le 14 Octobre , âgé de quarante
ans.
Dom Frédéric Colonne , frère de l'Archevêque
de Coloffe , Nonce Ordinaire du Pape auprès du
Roi , & du Connétable Colonne , eft mort en cette
Ville le 18 Août , âgé de vingt- fept ans.
Anne- Claude de Thiard , Marquis de Billy ,
Lieutenant - Général des Armées du Roi , Gouver
neur des Ville & Château d'Auxonne , & ci - devant
Miniftre Plénipotentiaire du Roi auprès de Sa
Majefté Sicilienne , eft mort le 2 Octobre , dans
fon château de Pierre en Bourgogne , dans la
quatre-vingt- quatrième année de fon âge.
Nicolas Magon , Marquis de la Gervafair ,
Lieutenant- Général des Armées du Roi , eft mort
le 6 Août dans fon château de la Gielair , en
Bretagne , âgé de quatre - vingt - fix ans.
Anne -Claude - Philippe de Thubières , de Grimoard
, de Peſtel , de Levy , de Caylus , Chevalier
, Comte de Caylus , & c. Confeiller d'Honneur
né au Parlement de Toulouſe , & Membre
Honoraire de l'Académie Royale des Infcriptions
& Belles Lettres , & de celle de Peinture & Sculpture
, eft mort en cette ville le 5 Septembre , âgé
de foixante- treize ans .
Anne -Marie de Montmorency , fils unique du
Marquis de Foffeufe , Maréchal de Camp , &
Menin de Monfeigneur le Dauphin , & de feu
Marie- Judith de Champagne , eft mort le 20 Septembre
au château de la Brolle en Brie , âgé de
trois ans.
Marie- Genevieve de la Roche Aymon , Abbeſſe
d'Andrecy , Diocèle de Châlons - lur- Marne ; eft
262 MERCURE DE FRANCE .
morte le 16 Septembre , âgée de foixante feize ans.
Gabrielle - Françoife d'O , Marquife de Clermont
Gallerande , Dame d'Atours de Meſdames
Victoire , Sophie & Louiſe , veuve de Pierre Gafpard
de Clermont , Marquis de Gallerande , Lieutenant-
Général des Armées du Roi , Chevalier de
fes Ordres , & Commandant pour Sa Majefté à la
Rochelle & dans les Provinces de Saintonge &
Aunis , eft morte en cette ville le 30 Septembre ,
âgée de foixante - feize ans .
Marie Anne Dubruelh , veuve d'Emeric- Emmanuel
de Timbrune , Marquis de Valence , Brigadier
des Armées du Roi , & Colonel Meſtre de
Camp du Régiment du Maine , Infanterie , eft
morte à Agen le premier Octobre , dans fa quatrevingt-
fixième année.
DE GENEVE , le 12 Septembre 1765.
>
Le Baron de Montperoux , Réfident de Sa Majefté
Très- Chrétienne auprès de cette République ,
eft mort ici le 9 à la fuite d'une maladie peu
longue , mais très-aigue , caufée par un ulcère
au diaphragme. Ses funérailles ont été faites hier
avec toute la décence convenable au caractère
dont il étoit revêtu . Le corps a été tranſporté au
village de Saconney fur le territoire de France
à une lieue d'ici il y a été inhumé dans l'églife ,
à côté du Chevalier Tiepolo , Ambaſſadeur de la
République de Venife auprès du Roi de France ,
qui mourut ici l'année dernière . Les Comtes d'Har
court & de la Bourdonnois ont mené le convoi ,
qui étoit accompagné de tous ceux des Officiers
Genevois au fervice de France qui fe trouvent ici.
L'Etat y a envoyé cinq carrolles de deuil avec une
députation qui a complimenté la Famille fur la
frontière.
DECEMBRE 1765. 263
DE CADIX , le 27 Août 1765.
Le fieur de Mellet , Enfeigne des Vaiffeaux du
Roi de France , & ci devant embarqué ſur la Frégate
la Licorne , eft mort ici le 21 des fuites de
la bleflure qu'il reçut le 27 Juin dernier à l'affaire
de Larrache. Il a été enterré le 24 dans la Chapelle
nationale des François. Le Gouverneur de
cette ville lui a fait rendre les honneurs militaires
par un détachement de la garnifon de cette Place.
Anne-Marguerite de Gantès , fille de feu Jean-
François de Gantès , Chevalier , Seigneur de
Valbonnette , Confeiller du Roi en ſes Conſeils ,
& fon Procureur Général au Parlement de Provence
, & de Gabrielle de Clapiers , des Marquis
de Vauvenargues , époule de feu Pierre de Gaillard-
Longjumeau , Chevalier & Baron , ancien
Commandant un efcadron de Dragons dans le
Régiment de la Reine , fils de Céfar , Chevalier ,
Baron de Saint- Efteve , & de Marguerite de Jarentes
Senas. LaDame de Gantès avoit été mariée
le 17 Juin 1703 , & eft décédée à Aix en Provence
le 30 Septembre 1765 , âgée de plus de quatrevingts
ans.
AVIS DIVER S.
Avis fur l'abonnement pour le Nécrologe.
Crux qui ont foufcrit pour cet ouvrage , qui
eſt une fuite de l'annonce des deuils de Cour ,
font priés de renouveller leur abonnement. Le
Necrologe des Hommes célèbres le diſtribuera au
commencement de l'année . Il contiendra les Vies
de Meffieurs Roi , Clairaut , le Clerc , Slodtz
264 MERCURE DE FRANCE.
Balechou , Carles - Vanloo, Deshayes , & de M.
le Comte de Caylus , avec des renfeignemens curieux
fur les ouvrages de ces célèbres Artiſtes , &
fur les caractères qui les diftinguent . Ces Mémoires
font deſtinés , comme on l'a dit , à fervir de
matériaux a l'hiſtoire de la Littérature & des Arts .
Comme l'on n'en tirera qu'autant d'exemplaires
qu'il y aura d'abonnemens , on voudra bien
avoir l'attention d'envoyer fa foufcription au
Bureau d'Indication , rue Saint - Honoré , à l'Hôtel
d'Aligre , où l'on ſouſcrit auffi pour les annon-
'ces des deuils de Cour.
Le prix de l'abonnement eft de trois livres
pour chacun des deux objets.
BÉCHIQUE fouverain , ou fyrop pectoral approuvé
par biever du 24 Août 1750 , pour les
maladies de poitrine , comme rhume , toux invétérées
, oppreffion , foibleffe de poitrine & afthme
humide. Ce Béchique , en tant que balfamique ,
a la propriété de fondre & d'atténuer les humeurs
engorgées dans le poulmon , d'adoucir l'acrimonie
de la limphe ; & , comme parfait reſtaurateur , il
rétablit les forces abattues , rappelle peu à peu
l'appétit & le fommeil , produit en un mot des
effets fi rapides dans les maladies énoncées , que
la bouteille , taxée à 6 livres , fcellée & étiquetée
à l'ordinaire , fuffit pour en faire éprouver toute
l'efficacité avec fuccès . Il ne fe débite que chez la
Dame veuve MOUTON , Apothicaire , rue Saint-
Denis , à côté des Filles - Dieu , vis - à - vis le Roi
François, à Paris.
Azor, Elixir anti - apoplectique , ftomachique
carminatif , le plus parfait qui ait encore paru ,
tant par fon efficacité que par fa fineffe & fon parfum
, qui rendent cet Elixir agréable.
Comme
DECEMBRE 1765. 265
Comme ftomachique , il favorife infenfiblement
la digeſtion , dont la mauvaiſe qualité eſt la
fource ordinaire de l'apoplexie , & ce , fans aucunement
échauffer. Comme carminatif , il calme
les vapeurs , fur-tour celles occafionnées par les
vents qu'il diffipe , ainfi que les coliques qu'ils
occafionnent.
Les bouteilles font de demi-feptier , à raiſon
de 3 livres. Une cuillerée à bouche eft fuffifante
pour en conftater l'efficacité.
On n'en trouvera que chez le fieur Rouffel ,
Epicier- Droguifte dans l'Abbaye Saint Germaindes-
Près , à côté de la fontaine , vis - à-vis Madame
Duliége , Marchande Lingère à Paris.
SUR l'examen que la Commiffion Royale de
Médecine , affemblée le premier Juillet 1765 , a
fait du Vinaigre Romain , M. Senac , premier
Médecin de Sa Majefté , par brevet du 12 Juillet
fuivant , figné de lui & enregistré le 5 Août au
Greffe de la Prevôté de l'Hôtel du Roi & grande
Prevôté de France , a permis au fieur Maille
Marchand Vinaigrier - Diftillateur , comme feul
auteur de ce Vinaigre , de le compofer & le
1 vendre dans Paris & dans toute l'étendue du
Royaume , y ayant reconnu des qualités infinies
pour la confervation de la bouche & des dents ;
d'en avoir même un dépôt dans les endroits où il
jugera être nécellaire pour la facilité du Public ';
ledit brevet eft confirmé par Lettres de la Prevôté
de l'Hôtel , avec défenfes aux Maîtres & Gardes
des Apoticaires de la ville & fauxbourg de Paris ,
des autres villes du Royaume & toutes autres perfonnes
, de le troubler ni inquiéter dans l'exercice
d'icelui, à peine d'amende & de tous dépens , dommages
& intérêts. Le Vinaigre Romain eft fpiri-
M
266 MERCURE DE FRANCE.
tueux , pénétrant , defficatif , ballamique & antifcorburique
. Il a la vertu de guérir les affections
fcorbutiques qui s'attachent principalement aux
gencives. Il raffermit les dents dans leurs alvéoles
& les blanchit , empêche la carie & en arrête les
progrès , rend l'haleine douce & rafraîchit les
lévres. Les propriétés du Vinaigre Romain font
reconnues & confirmées de jour en jour par les
plus heureux fuccès , ce qui prouve qu'on n'a point
encore trouvé de compofition fi parfaite pour la
confervation des dents . Ce Vinaigre eft principa-
´lement nicellaire aux perfonnes qui font obligées
de faire des voyages de long cours par mer , ou de
refter long- temps fur l'eau. Le fieur Maille eft le
feul qui le compofe ; & pour empêcher qu'on ne
foit trompé par les contrefactions , toutes les bouteilles
qu'il diftribue font cachetées de fon cachet
où font empreintes les armes Impériales , ainfi
que fur l'ériquette de la bouteille . On trouve
encore chez le fieur Maille un Vinaigre de Turbie
qui guérit le mal de dents & qui en appaiſe fur le
champ la douleur ; un Vinaigre de Storax qui
blanchit , unit , affermit la peau , donne un teint
clair , frais & très-vif , & garantit des rides ; un
Vinaigre de fleurs de citron , pour ôter toutes
fortes de boutons au vifage ; un Vinaigre de racines
, qui ôte toutes les taches ; un Vinaigre d'écaille
, qui guérit les dartres ; un Vinaigre contre
les vapeurs ; un Vinaigre de cyprès , immanquable
pour noircir les cheveux & les fourcils blancs ou
roux & pour conferver les cheveux un Vinaigre
fcellitique , pour la voix , & le vrai Vinaigre es
quatre Voleurs , qui eſt le préſervatif le plus fûr
contre toures eſpèces de contagion & de mauvais
air. Le prix des plus petites bouteilles de ces différeus
Vinaigres , ainfi que du Romain , eft de 3, liv.
1
DECEMBRE 1765. 267
Le magafin du fieur Maille eft d'ailleurs alforti de
toutes fortes de Vinaigres , au nombre de deux
cens espèces , foit pour la table , font pour les
bains & la toilette. Ces fortes de Vinaigres peuvent
fe transporter par mer dans les parties du
monde les plus éloignées , fans craindre que le
temps ni le tranfport puiffent en altérer la qualité
, qui devient plus parfaite en vieilliant. Les
perfonnes de provinces qui voudront s'inftruire
plus particulièrement des qualités de ces différens
Vinaigres , auront foin d'affranchir les lettres
qu'elles écriront audit fieur Maille ; & en mettant
l'argent à la pofte , auffi franc de port , on leur
fera tenir exactement les Vinaigres qu'elles de-
'manderont avec la manière d'en faire uſage. La
demeure de l'Auteur eft rue Saint André des Arts
à Paris , la troisième porte cochère à droite , aux
armes Impériales . L'on continue de vendre en
fon magafin à Sève , près Paris , route de la Cour ,
le Courier de Cy :hère à 8 livres la pinte , & le
ratafia des Sultanes à 6 livres aufli la pinte ,
liqueurs nouvelles , & généralement toutes fortes
de liqueurs & eaux d'odeur.
BEAUME Ophthalmique pour la guérison des
yeux , par M. BABELIN , Oculiste , à
M ****** . Docteur en Médecine.
L'ART de guérir m'ayant toujours paru un des
objets qui intéreflent le plus particulièrement le
Public , je me fuis dévoué depuis quarante années
au traitement des maladies des yeux.
Cet art ne fe réduit pas , comme tant de gens
l'imaginent , à l'application empirique de quelques
collyres recueillis çà & là , qui font fouvent
plus de mal que de bien , & à des opérations auffi
témérairement entreprifes qu'adroitement exécu
Mij
258 MERCURE DE FRANCE.
tées par de jeunes Oculiftes qui aveuglent pour
jamais les malheureux qui tombent entre leurs
mains. Je ne ferois pas embarraflé de citer beaucoup
d'exemples de ce dernier genre , fi le Public
pouvoit en recueillir quelque utilité.
Quant a l'abus des collyres , je compte de donner
avant la fin de cette année des obfervations
étendues à ce fujet . Si j'ai différé fi long- temps à
les mettre au jour , c'eft qu'il falloit une longue
fuite d'expériences pour rendre ces obſervations
utiles ; & vous favez , Monfieur , vous qui pratiquez
la Médecine avec fuccès depuis fi long-temps,
combien la carrière eft difficile pour parvenir à
bien traiter toutes les maladies de cet organe.
Antoine Maitre Jan , dans la troisième partie
´de fon Traité ſur les maladies des yeux , chap. 17 ,
rapporte d'après les Auteurs Grecs , Latins & modernes
une quantité de remèdes pour les maladies
des paupières , & conclut que les vieiliards n'en
guérillent point , ou que très- difficilement.
Les difficultés innombrables & prefqu'infurmontables
à la guériſon de ces maladies méritent
donc des attentions particulières.
J'ai examiné avec tout le foin poffible nos Auteurs
anciens & modernes , & je n'y ai rien trouvé
de fatisfaisant une multiplicité de remèdes , une
incertitude de guériſon , un afſujétiſſement à ſe
fervir de ces remèdes quantité de fois par jour ,
plus gênant , & plus fouvent contraire à la guérifon
, que fi on n'appliquoit à l'oeil que de l'eau
chaude ; cela m'a déterminé à chercher des moyens
plus fürs & plus prompts pour traiter ces incommodités
, qui quelquefois deviennent incurables ,
ou fi opiniâtres , que les malades fe livrent au
charlataniſme , & d'un mal fimple en font une
maladie compliquée .
DECEMBRE 1765. 259
Enfin je fuis parvenu à découvrir ce que Maître-
Jan avoit inutilement cherché , des moyens plus
ailés , plus allurés , & moins difpendieux pour
les malades .
Feu Monfieur de Woolheufe , mon prédéceffeur,
avoit ébauché cette découverte ; mais il n'eut pas
le temps de la perfectionner , malgré près de
cinquante années qu'il a pratiqué à Paris l'art
ophthalmique. Cet homme illuftre a été affez
connu de toute l'Europe par un très -grand nombre
d'obfervations fur les différentes maladies des
yeux , & fur leurs différentes opérations , & les
moyens les plus efficaces pour leur guérison ; ce
qui lui avoit procuré d'être aggrégé dans prefque
toutes les Académies de l'Europe .
M. Senac , premier Médecin du Roi , qui a
toujours fait grand cas de fes talens , l'a connu
très particulièrement , & lui marquoit une confidération
diftinguée.
Il y a plus de quinze années que j'ai perfectionné
le Baume Ophthalmique que mon prédéceffeur
avoit commencé ; & fi j'ai différé li lontemps
à le publier , c'eft la répugnance que tour
le monde me connoît à débiter des remèdes.
Enfin la confidération du bien public , la bonté
du remède , ont exigé de moi ce facrifice de ma
façon de penfer.
Ce Baume redonne aux parties le ton & le reffort
affoibli par l'humeur peccante qui s'y porte :
il'emporte en peu de jours les légères ulcérations
qui viennent aux bords des cartilages des paupières,
qui fe jettent le plus fouvent au grand & au
petit angle des yeux.
Il guérit les ulcères prurigineuſes ou gratelles
des paupières , la chaffie ou lippitude : il guéric
M iij
270 MERCURE DE FRANCE.
même l'humeur dartreufe qui fe porte fur les
paupières , & fait revenir les cils.
Il prévient le renversement de la paupière inférieure
, la rélaxation ou foibleffe de la paupière
fupérieure , & empêche les cils de rentrer en
dedans de l'oeil ; maladie très- incommode , &
qui entraîne quelquefois la perte de la vue de
l'oeil qui en eft affecté.
Il diminue les taches qui viennent fur la cornée
tranfparente de l'oeil , qui empêche les malades
de voir , lorfqu'elles font placées fur le pertuis de
la prunelle.
Ce Baume eft auffi doux qu'innocent , & ne
caule jamais aucune irritation : il occafionne feulement
dans le commencement une cuiſſon paſfagère.
La manière de s'en fervir eft des plus fimple ;
on en prend au bout du doigt index , on en oint
l'intérieur des paupières plufieurs fois le foir en
fe couchant ; le lendemain on lave l'oeil avec une
légère décoction de fleurs de fureau tiéde en été
& chaúde en hiver : ce remède ne tache point le
linge.
Dans les cas où la maladie feroit fort ancienne ,
& où les ulcères feroient devenus profonds , calleux
, cela demande d'employer préparatoiiement
les remèdes généraux , un régime doux & humectant
, la faignée , la purgation , s'il y a plénitude
, ou que les malades foient fanguins.
Mais fi les ulcères font profonds , & que la callofité
réfifte à ce remède par quelque vice particulier
, il faut employer la main d'un habile
Artifte , dont l'expérience réponde de la guériſon
radicale c'est l'affaire de quinze ou vingt jours
pour terminer cette cure. Dans tous les autres
cas ce feal remède guérit fans aurre fujétion. Il
:
DECEMBRE 1765. 171
eft bien rare que les malades foient obligés d'en
ufer plus d'un pot.
On trouvera ce Bauine tous les jours à toute
heure chez le fieur Babelin , Oculifte , rue Dauphine
, dans la maifon de M. Dulion , Notaire.
Le prix du pot eft de fix livres , & dellus chaque
pot eft une infeription fignée du fieur Babelin.
On ne recevra point les lettres de province
qu'elles ne foient franches de port.
On trouve chez Hériffant , Imprimeur , rue
neuve Notre Dame , à la Croix d'or & aux trois
Vertus , la Pharmacopée des Pauvres , accompapagnée
d'obfervations fur chaque formule , par
le Docteur W ** . Médecin du Collège Royal
des Médecins de Londres , avec des notes fur
l'application des mêmes remedes , & une table
des maladies ; de M. M*** in- 12 . relié , 2 l . 10 f
Nouvelle Méthode curative des maladies vénériennes
; de M. Lefcarde de Guenneville , Chirurgien
des Hôpitaux en Artois , & des troupes
de Sa Majefté ; in- 12. broch. 1 1 .
I 4 f.
Médecine des chevaux , à l'ufage des laboureurs,
tirée des écrits des meilleurs Auteurs , & confirmée
par l'expérience , à laquelle on a joint
des obfervations fur la clavée des bêtes à laine
de M. M*** in- 12 . relié , 2 l . 10 f.
Avis du fieur PIROTTE , Ferblantier , Garnilleur
ordi aire de 1 Hôtel- de-Ville de Paris
& des Spectacles , rue Saint Antoine , vis - à-vis
les Dames Sainte Marie .
Les bons effets de ma machine à engraiſſer la
volaille ont été annoncés dans le Mercure , mais
Miv
172 MERCURE DE FRANCE.
fans nom , & fans défigner chez qui on pouvoit
en faire l'achat.
A l'aide de cette machine , on évite la corrup
tion que fouvent des jeunes gens mal -fains communiquent
à la volaille , en l'empâtant avec la
bouche.
Depuis ce premier effai , dont le fuccès n'a pas
été douteux , j'ai travaillé à perfectionner cette
machine utile . Elle eft maintenant plus folide ,
plus facile à tranfporter , à nettoyer , le principal
tuyau de conduit fe démontant en deux parties ,
& ne laiffant , moyennant un peu de foin , aucune
priſe à la rouille.
Defcription de la machine , & maniere de s'en
fervir.
quatre
Cette piece a la forme d'une fontaine de
pieds de haut , & communique à la volaille par
fon robinet ou tuyau , la pâte préparée de la
maniere fuivante :
Prenez de la farine d'orge bien fine , délayez-la
dans du lait bien chaud ou bouilli , jufqu'à ce qu'elle
devienne comme de la crême nouvelle , afin que
rien ne bouche le tuyau ; mettez - la enfuite dans
la machine elle fert de boire & de manger. :
Prenez la volaille par les pattesou ailes , ouvrezlui
le bec , & infinuez le tuyau fur la langue , en la
tenant ferme , de crainte qu'elle ne ſe retire.
Pour un dindon , infinuez le tuyau environ
trois pouces ; pour chapons & poulets , deux pouces
; pour un pigeon , à proportion . Pour un dindon
, donnez fur le marche - pied deux coups de
pied pour un pigeon , un demi - coup , & autres ,
fuivant leurs forces . Cette opération ſe fera deux
fois par jour & aux mêmes heures . Si l'on veur
1
DECEMBRE 1765. 273
mettre plus de tems à engraiffer , il faut couper,
le lait avec de l'eau chaude , & avoir foin de
laver en tout tems la machine avec l'eau chaude.
On trouve dans fes nagafins , luftres , bras ,
girandoles , volières , jets d'eau , lanternes garnies
à feuilles & fleurs de porcelaine , pour la
décoration des appartemens & des jardins .
Cabarets à liqueurs , plateaux pour les tables ,
compotiers , corbeilles à fruits , tabatieres imitant
le lacq d'Angleterre & de la Chine.
!
Cailles à gradins , & carrés décorés .
Vafes de cryftaux pour fleurs & oignons.
Vaiffelle blanche , matiere de Suede , exempte
de vert- de- gris , en un mot tout ce qui concerne
l'architecture , la phyfique , la mécanique , l'office
, la cuifine : le tout dans le dernier goût , &
à juíte prix.
・LE fieur FAGONDE , Marchand de parfums ,
rue Saint Denis , près de la rue des Lombards , à
la Toilette , tient chez lui toutes fortes d'eaux de
fenteur de la premiere qualité , tant des anciennes
compofitions que des nouvelles : comme Millefleurs
, Chipre , Cedra , Jaſmin d'Eſpagne , Pompadour
, admirable Violette , Mystérieuse , & c.
&c. à 6 livres la pinte : l'eau de lavende parfaite ,
2 livres la pinte , & 2 livres រ fols avec la bouteille
Savonnettes de Provence , à 15 , à 20 &
30 fols . L'on trouve chez lui toutes fortes de
poudres de fenteur , de pommades , d'effences ,
de quinteffences , & généralement tout ce qui
concerne les plus agréables parfums , à un prix
fort raisonnable , quoique le tout foir des premières
qualités . C'eft auffi le fieur Fagonde qui.
débite depuis long - tems l'excellente & agréable
pâte de propreté , connue fous le nom d'Ekmecq,
à
M v
274 MERCURE DE FRANCE.
ou Gurellik , nom arabe , qui lui vient de l'ufage
qu'on en fait au Serrail & dans toute l'Afie. Elle
a toutes les propriétés les plus defirées. Les painsvalent
24 fols pièce , & durent environ trois
mois ils ont une odeur très - agréable , & qui
s'évapore peu , mais pour la conferver toujours ,
il faut les ferrer dans un petit coffret doublé
d'étain , qui le trouve chez le même Marchand ,
& vaut également 24 fols .
>
؟
Encre d'une compofition nouvelle , qui , quelque
tems qu'on la garde. ne produit aucun
champignon . Eile fe vend dans. des bouteilles de
verre blanc de pinte & de chopine , ſavoir , les
bouteilles de pinte , 2 livres fois . On reprend
les bouteilles.vuides pour fols ; & les demibouteilles
i liv. 4 fols , que l'on reprend vuides
pour quatre fols . Le magazin eft , rue Quincam-.
poix , en entrant par la rue Aubry-le Boucher ,
près la rue de Veniſe , chez Madame DUBOIS
au Magafin de Montpellier.
I
CHAUMONT , Perruquier , fait non - feulement
des perruques dans les plus nouveaux goûts,
fpécialement celles qui font nouées , & celles en
bourfe ; mais le deflein dont il fait uſage , lui
donne une facilité pour bien prendre l'air du
vifage & coeffer le plus avantageufement qu'on
puifle le defirer. Il fait voir fes deffeins en plu-
Geurs genres d'accommodage , & variés fuivant
les goûts les plus nouveaux. Il les exécute au
choix & à la fatisfaction des perfonnes qui les lui
demandent. De plus il vient de trouver l'invention
d'un nouveau reffort pour fes perruques >
bien fupérieur à tous ceux qui ont paru jufqu'à ce
jour , lequel eft d'autant plus avantageux , qu'il
DECEMBRE 1765. 275
maintient l'ouvrage dans fa premiere forme , &
l'empêche de fe retirer , & que fon élasticité qui
eſt très- douce , ne fe relâche jamais par l'ufage ;
enforte que durant tout celui de la perruque , elle
joint également bien le contour du viſage , &
aufli parfaitement , pour ainfi dire , que le pourroit
faire le naturel des cheveux . Il demeure rue
Saint Nicaife , au Mont Véfuve .
Le fieur CHAUVET , Chymifte , a établi um
bureau pour la diftribution d'un ſpécifique confiftant
en une eau diftillée qui ne s'altere jamais ,
dont la propriété eft de guérir promptement les
affections fcorbutiques des gencives & les ulceres
qui en proviennent , de détruire le tartre & la
carie des dents , de les blanchir , de les raffermir
dans leurs alvéoles , & de les incarner fi elles font
déchauffées. Ceux qui ont les dents belles & folides
, & les gencives faines , s'ils veulent quelquefois
en faire ufage , les conferveront par - là tou
jours dans le même état. Au reste cette eau
dont l'odeur & le goût font agréables , laiffe dans
la bouche une fraîcheur qui fe foutient longtems
. Elle fe vend chez le fieur MANSON , Marchand
Orfévre- Joaillier , rue Saint Honoré , au:
coin de celle de Richelieu . On trouve chez lui des
imprimés qui indiquent la manière de s'en fervir.
Prix , 2 liv. la fiole .
MEMOIRE abrégé des vertus & effets du STOMACHIQUE
LIQUIDE du fieur RAY , privilé
gié du Roi , de la Commiffion Royale de Médecine
, affemblée le premier du mois de Juillet
1765.
L'INTENTION du fieur Ray , qui depuis vingt
ans a travaillé a perfectionner fon Stomachique ,,
M vj
276 MERCURE DE FRANCE .
n'eft point de le donner au Public comme un remède
univerfel & propre à toute forte de maladies
, mais feulement pour toutes celles qui proviennent
de l'eftomac , & il ne l'offre au Public
qu'après l'avoir foumis aux fages lumières de
Mellieurs les Docteurs & Profelleurs de la Faculté
de Médecine de la Ville de Paris , devant lefquels
il en a fait la compoſition au mois de Décembre de
l'année dernière 1764. D'après quantité de cures
faites fous les yeux defdits Docteurs , dont il joint
ici quelques certificats feulement , parce que le
grand nombre qu'il pourroit inférer , deviendroit
ennuyeux .
Il débarraſſe , purge l'eftomac de toute matiere
fuperflue , comme vents & matiere vifqueufe,
bile , flegmes , humeurs noires , crudités , glaires
, &c. Il précipite les eaux qui s'y forment par
les mauvaites digeftions ; il le nettoie parfaitement
, il le difpofe à recevoir les alimens & à les
digérer ; il procure à la mafle du fang un bon
chyle qui le purifie & le raffraîchit , & en challe
l'acrimonie qui s'y eft introduite ; il guérit tous
les maux d'eftomac , indigeftions eftomac
froids , malades , douloureux , chargés de pituites ,
faibles , trop pleins , & eftomachs enflés au fortir
d'une grande maladie , ou hydropifie naillante ,
toutes coliques venteules , en très -peu de temps ,
& arrête les vomiffemens les plus invétérés fur le
champ ; il fupprime le dévoiement provenant dự
relâchement des fibres de l'eftomac , auquel il
rend la chaleur naturelle , & éteint la fuperflue.
Il remédie promptement aux maladies de la
lymphe , à fon acrimonie , à ſon épaiffiflement &
à la diflolution , qui provient de la diftribution
des fucs âcres & mal digérés par l'eftomac .
Il est très bon pour les poitrinaires , & dans
DECEMBRE
1765. 277
toutes fortes d'affections du poulmon , en en prenant
une cuillerée ou deux dans un verre de lait
qui le fait paller facilement & empêche qu'il ne fe
caille dans l'eftomac ; il conferve à la vieillefle
le peu de chaleur qui la fait fubfifter , & dont elle
n'est toujours que trop tôt dépourvue ; dans ce cas
on en prend tous les matins une cuillerée à jeun.
Cette liqueur produit de très bons effets , &
fortifie les inteftins , en en délayant deux ou trois
cuillerées dans un lavement.
Certificats.
Je certifie avoir été guérie d'un afthme , dont
j'étois affectée depuis 12 ans , lequel provenoit de
mauvaiſe digeftion qui me faifoit rendre les alimens
après 48 heures , tels que je les avois pris ;
pendant tout ce temps - là je n'ai pu avoir de foulagement
, & par l'ufage que j'ai fait du Stomachique
du fieur Ray , je me trouve totalement
rétablie . A Paris , ce 15 Juillet 1762. Signée , La
Marquife de MONTMELAS , préfentement en fa
Terre en Beaujolois .
Je certifie avoir été guérie par l'ufage du Stomachique
du fieur Ray , d'un grand mal d'eftomac,
qui , depuis quatre mois , m'avoit privée
des alimens , & m'avoit caufé une inflammation
aux amygdales , qui m'empêchoit d'avaler , &
même me rendoit fourde ; & au bout de deux
fois vingt quatre heures de l'ufage du Stomachique
, les fymptômes ont diminué , & par l'ufage
que j'en ai continué pendant deux mois , j'ai recouvré
la fanté la plus parfaite . A Paris , ce premier
Octobre 1763. Signé , DELATOUR , Comtelle
de LONGUEVAL , rue du Hafard , près celle
de Richelieu.
Je fouligné , François- Hubert Aubert , Avocar
278 MERCURE
DE
FRANCE
.
aux Confeils du Roi de Pologne , Duc de Lorraine
& de Bar , certifie qu'étant à Paris , l'année derniere
, tourmenté depuis dix ans d'une digeſtion
mal faite ou péniblement achevée , fans avoir pu
trouver aucun foulagement dans tout ce qui m'avoit
été ordonné par les plus habiles Médecins ,
comme de prendre les eaux de Buflencg , celles
de Plombieres , de voyager , monter à cheval ,
&c. On m'indiqua le fieur Ray , Auteur du Stomachique
, qui m'en fit faire ufage de deux doubles
bouteilles , lefquelles me rétablirent parfaitement
l'eſtomac ; & depuis un an , je n'ai reſſenti
aucune incommodité. Fait à Paris , ce 27 Mai
1765. Signé , AUBERT , rue de Seine , vis- à- vis
celle des Marais .
9
Omnibus quorum intereft aut intereffe poterit
atteftor ftomachum à tribus annis fic laborantem
qui cibos omnes in humores frigidos converteret
mihi fanatum fuiffe medicamentibus duabus minimis
lagenis Remedii DD. Ray , quibus duntaxat
ufusfum , in cujus fidem fufcripfi. Parifiis , 4 Augufti
1762. GOESNEAU , Baccalaureus ex Far
cultate Parifienfi . A l'Hôtel de Soubife
Je fouffigné , certifie avoir été guéri de grands
maux d'eftomac & de poitrine , caufés par une
quantité de vents qui me faifoient fouffrir depuis
long-temps , ce qui préjudicioit beaucoup à ma
voix; & depuis que je fais ufage du Stomachique
du fieur Ray , les douleurs ont ceflé dès les premiers
jours , & ma voix eſt toujours égale & a
la même force qu'elle avoit à vingt ans ,
fans aucun
dérangement . A Paris , ce 4 Juin 1764. Signé,
le MAURE de MONTERUEL , rue Traverſiere
ancien Hôtel de Naflau .
,
Je certifie avoir été guérie à la fuite d'une couche
, de grands maux d'eſtomac , qui m'occaſionDECEMBRE
1764. 279
noient des vapeurs à la tête ,& m'ôtoient l'ufage des.
alimens , & me mettoient hors d'état de vacquer
à mon commerce , & me faifoient fouffrir cruellement
; & par l'ufage que j'ai fait pendant quinze
jours du Stomachique du fieur Ray , dont j'ai été
parfaitement guérie. A Paris , ce 15 Août 1762 .
Signé , GREGY , rue Bourg- l'Abbé , à la Flotte Hol-
Lindoife.
Je certifie avoir été guéri d'un vomiffement &
d'un grand mal d'eftomac , & des douleurs les.
plus aiguës , qui ne me permettoient de garder
aucun aliment ; & par l'ufage du Stomachique
du fieur Ray , j'ai été parfaitement guéri , & cela
en très -peu de jours . A Paris , ces Août 1762 .
Signé , DE VERILLY , rue baſſe Saint - Denis , culde-
fac des Babillards .
Je certifie avoir été guéri d'une maladie convulfive
, que je gardois depuis un an , fans aucune
efpérance de guérifon ; & par l'ufage du Stomachique
du fieur Ray , que j'en ai fait pendant
quinze jours , je n'en ai point eu la moindre attaque
depuis quatre ans . A Paris , ce 15 Juillet:
176. Signé , DESER:, rue Phelippeau , à la Ville
de Montereau .
Je certifie avoir été guérie par l'ufage du Stomachique
du fieur Ray , de fi grands maux d'ef
tomac , que je fouffrois depuis plus de dix ans , qui
m'occafionnoient des infomnies quiduroient des fix
mois entiers , & des vapeurs mélancoliques qui
m'avoient fait paffer la bile dans le fang , & jetté
dans un vrai marafme. A Paris , ce 20 Octobre
1763. Signé , Veuve BASILE , rue du Fauxbourg
du Temple , chez M. le Commandeur d'Aigrieu.
Nous foulignés , certifions avoir été guéris des
coliques venteufes & nervales , qui faifoient fouffrir
depuis douze ans mon époufe , & moi depuis
280 MERCURE DE FRANCE.
environ fix mois , fans avoir jamais pu y apporter
aucun foulagement , après avoir mis en ufage toutes
les drogues qui nous avoient été ordonnées
par plufieurs Médecins ; on nous indiqua le fieur
Ray , qui n'a point voulu nous adminiftrer fon
remède , qu'après avoir fait conſtater notre état
par un célèbre Médecin de la Faculté de Paris ;
après quoi nous avons fait ufage de fon Stomachique
, & avons été parfaitement guéris , moi en
huit jours , & ma femme en cinq femaines ; &
quatre mois après la guériſon , nous nous fommes
tranfportés chez le même Médecin , devant lequel
nous avons fait le préfent certificat . A Paris , ce 7
Mai 1764. Signé , BIZET , Chapelier ; Elifabeth
MICHELLE , femme Bizet , à la Fabrique de Caftors
, rue Git- le -Coeur.
Le fieur Ray débite fon Stomachique chez lui ,
rue Chapon au Marais , la premiere porte cochere
en entrant par la rue Saint Martin , à Paris.
On le vend chez le fieur Chaffey , Marchand
Bonnetier , Receveur de l'Ecole Militaire , rue
Saint Denis , au coin de la rue Thévenot.
Chez M. Ropra , Suifle de S. A. M. le Prince
de Soubife , du côté de la Mercy .
Chez M. Dermour , rue des Follés Saint Germain
l'Auxerrois , au coin de la rue du Roule ‚ ·
chez M. Deu , Marchand Mercier , au deuxieme .
Chez M. Vaugray, Limonadier , Receveur de
l'Ecole Militaire , au Caffé Dauphin , rue du Four,
près la rue des Canettes , Fauxbourg S. Germain .
A Verſailles . Il y a une perfonne qui le diftribuera
chez M. Fournier , rue Dauphine , maiſon
de M. Ménager , au- deffus du Confiteur .
A Montpellier. Chez Mlle Jourdan , vis - à- vis
les Capucins.
A Amfterdam . Chez M. Laitrey , chez M.
DECEMBRE 1765. 181
Boitte & Compagnie , Libraires , fur le Cingle.
A Verviers , près Liége , chez M. Bayard , chez
Madame Colin , hors la porte d'Hufy .
L'on donnera un imprimé avec chaque bouteille
, pour indiquer la maniere d'en faire ufage ;
ledit imprimé , ainfi que les étiquets fur lefdites
bouteilles , feront fignés par le fieur Ray , & contre-
fignés par les Buraliftes , pour éviter que fon
remede ne foit contrefait ; il a vendu juſqu'aujourd'hui
fix liv. la bouteille de ſon Stomachique ;
mais pour que tout le monde puiffe fe rellentir
des effets admirables qu'il produit , on l'a taxé à
trois liv .
Ceux qui voudront lui faire l'honneur de lui
écrire , auront la bonté d'affranchir les lettres.
Le fieur Ray continue à débiter avec fuccès fon
Topique pour les entorfes & foulures , de quelque
nature qu'elles foient. On ne le trouve que
chez lui. L'on peut s'informer aux deux adrelles
ci-jointes.
M. Foffard , Confeiller du Roi , qui a été deux
ans fans marcher , rue du Temple , à l'Hôtel
Montbas .
Mde Seapre , Marchande Bijoutiere , quai
de Gefvres , au Laurier , qui a été ſept mois
fans marcher , & guérie en trois jours.
ELECTU AIRE contre la morve des chevaux.
ON a déja annoncé dans quelques écrits périodiques
le précieux remède contre la morve
des chevaux , inventé par M. le Baron de Sindt ,
premier Ecuyer de l'Electeur de Cologne. L'ufage
de ce remède , dont la propriété fut approuvée
avec éclat en Allemagne il y a trois ans , ne s'eſt
introduit que depuis peu dans les campagnes
282 MERCURE DE FRANCE.
autour de Paris , & les bons effets qu'il y a produits
méritent qu'on ne le laifle ignorer à perfonne.
L'Auteur du remède ne le donne que comme
un préfervatif qui garantit infailliblement de la
maladie morveufe , tous les chevaux fains , à
quelque degré de contagion qu'il foient exposés.
Cette propriété du médicament a été conftatée
par une foule d'expériences qui ont toutes éré
courronnées du plus grand fuccès ; celle qui , en
particulier , fe fit il y a trois ans , à la Cour de
Bonn , par ordre du Roi & fous les yeux de fon
Miniftre , eft de nature à diffiper tous les doutes.
On mit vingt chevaux fains dans une écurie avec
un cheval malade de la morve ; on avoit adminif
tré le préſervatif à dix - huit de ces chevaux , & les
deux autres furent expofés à la contagion fans préfervatif.
Qn eut foin de faire manger tous ces
chevaux dans la même auge , & de les faire boire
dans le même fceau avec le cheval morveux , &
on ne négligea rien pour étendre à tous la com
munication du venin ; les dix- huit chevaux préfervés
fortirent de l'épreuve fains & faufs , les deux
non préfervés furent atteints de la morve & en
moururent ; ce fait eft conftaté par un procèsverbal
figné par l'Electeur de Cologne , & par le
Miniftre de France ; on le trouve imprimé dans
la Gazette du Commerce au mois de Février de
cette année , • 9%
Quand la propriété de ce remède fe borneroit à
préferver infailliblement les chevaux de toute
contagion de morve , il n'en faudroit pas davantage
pour engager tout le monde à fe le procu
rer , puifque par- là on feroit affuré de garantir les
chevaux d'une multitude d'accidents que toutes
les autres précautions rendent inévitables : mais
les mêmes expériences, qui ont affuré à ce remède
la propriété de préferver de la morve , ont prouvé
DECEMBRE 1765. 28 %
qu'elle en guérilloit toutes les fois que la maladie
n'étoit pas parvenue à fon dernier période ;
c'eft à dire , que fi ce remède eft adminiſtré à
un cheval atteint de morve , avant qu'il fe foit
formé un ulcère au poulmon , le cheval eft infailliblement
guéri.
* On a fait fur cela une obfervation qui peut fervir
de règle . Lorsque le cheval malade conferve
bien fon embonpoint , qu'il a l'oeil vif , que fon
poil eft luifant & naturellement couché fur la
peau , on peut être affuré que le virus n'a point
encore attaqué les vifceres dangereufement , &
alors le remède le guérira. Si les fignes contraires
fe manifeftent dans le cheval malade , ce fera une
preuve qu'il y a ulcère dans le poulmon ; & alors
le remède ne guérira point , la maladie ayant fait
trop de progrès.
De plus ce remède , dont l'effet principal eft
d'épurer la malle du fang , guérit les gourmes &
toutes les maladies du cheval qui font occafionnées
par la mauvaiſe qualité du fang : ainfi on ne
peu trop en recommander l'ufage , qui eft infiniment
falutaire dans la plûpart des maladies des
chevaux.
che
On a engagé M. le Baron de Sindt à établir un
dépôt de fon remède , à Paris chez M. Giroft , rue
S. Dominique , la deuxième porte cochère à gaupar
la rue d'Enfer ; il feut s'adreffer au Sieur
Moreau , qui délivrera le remède qui eft dans des
pors d'une livre & demie chaque , moyennant la
fomme de quinze livres ; & afin que le Public ne
foit pas trompé par un Electuaire faux & contrefait
, le pot du véritable & feul avoué par l'Auteur
, eft cacheté avec une empreinte particulière ,
& on aura foin au dépôt de tenir un regiſtre exact
de tous les pots vendus & numérotés.
284 MERCURE DE FRANCE..
Voici de quelle manière ce remède doit être
adminiftré. On prendra avec une eſpatule de
bois une portion de l'Electuaire de la groffeur
d'une noix , on l'appliquera à la racine de la langue
, & le cheval l'avalera fans difficulté . Pour préferver
de la maladie , on le donne au cheval tous les
matins pendant trois ou quatres jours confécutifs ,
& cela fuffit pour le mettre a l'abri de la maladie ,
quand même il feroit logé dans une écurie infêteé
ayec plufieurs chevaux morveux. Si cependant l'écurie
eft infectée à un certain dégré, le plus fûr eft
de donner de l'Electuaire tousjles matins au cheval
pendant qu'il habitera ladite écurie . Si l'on le propofe
de guérir un cheval nouvellement atteint de morve
, il faudra lui adminiftrer le remède tous les
jours , le matin , à midi & le foir , & continuer jufqu'à
la guérifon parfaite : on reconnoîtra l'effet
du remède à une augmentation confidérable d'écoulemens
de matière par les nafeaux. Le cheval
malade jettera pendant quelques jours une matière
vilqueule par les narines , l'enflure des glandes
entre les ganaches fe diffipera infenfiblement. La
matière qui fartira des nafeaux deviendra plus
fluide & plus blanche , elle fera quelquefois comme
du petit lait , & paroîtra enfin comme une
férofité blanchâtre. Il faut continuer le remède &.
ne point le rebuter juſques à ce que l'écoulement
ceffe. Le régime pendant la cure fera de retrancher
au cheval toute eſpèce de verd . Il ne faut ni
faignée , ni purgation ; vous lui donnerez du fon
avec de la farine d'orge & fort peu d'avoine , arroſée
d'eau , du foin bien fec , de l'eau blanche avec
un peu de miel. Voilà toute la nouriture du cheval.
La guérifon eft plus ou moins lente ; les uns
font guéris au bout de fix femaines , tel autre en
deux ou trois mois ; cela dépend de la malignité
DECEMBRE 1765. 285
du virus plus ou moins grande , & de la difpofition
du fang plus ou moins balfamique.
Il eft à obferver que l'ufage de ce remède pour
les chevaux fains ne produit jamais que de bons
effers ; il les rend plus alertes & plus vigoureux , il
leur facilite la digeftion , purifie le fang , & diflout
toutes les férofités des tuyaux pulmonaires . Comme
ce remède eft compofé de miel , & que le miel
eft fujet à engendrer des vers dans l'eftomac des
chevaux , pendant qu'ils font ufage de ce remède,
il eft bon tous les huit jours de leur faire prendre
de la poudre fuivante .
R. Otiops minéral , fix`onces.
Cinabre minéral , quatre onces.
Farine de Fèves , huit onces ,
Réduifez le tout en poudre très - fine , mêlez
bien enſemble ; prenez une once de cette compofition
, que vous mêlerez avec une portion d'avoine
, & détrempez le tout enſemble avec un peu
d'eau . Donnez cette doſe au cheval pendant deux
jours de fuite toutes les fois que vous lui donnerez
fa portion d'avoine , & vous verrez les vers fortir
morts avec les excréments .
N.B. L'augmentation extraordinaire au volume de
ce Mercure , qui n'eft point à la charge de M M. les
Abonnés , leur fer a fentir qu'il n'a pû être imprimé
& diftribué dans le temps preferit. Celui de Janvier
prochain paroîtra fans faute dans les premiersjours
du mois.
J'AI
APPROBATION.
' AT lu , par ordre de Monfeigneur le Vice-
Chancelier , le Mercure du mois de Décembre
1769 , & je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion. A Paris , ce fix Décembre
1765 . GUIROY
MERCURE DE FRANCE.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
SUITE UITE des réflexions fur la Littérature de
M. B ***•
STANCES à M. de * * **.
A M. Boucher , Premier Peintre du Roi.
ORIGINE du rouge.
Page 5
21
23
24
SUR la ftatue du Roi de Danemarck , régnant. 26
EPITRE à M. & à Mde Gerbier , étant a leur
terre d'Aulnoi.
27
'EPITAPHE de François Premier , Empereur d'Allemagne.
VERS pour mettre au bas des portraits de Mde
la C. de Br. ...
L'EPREUVE dangereufe , conte moral.
LETTRE de M. de Voltaire à M. l'Abbé de Voi-
Jenon.
RÉPONSE de M. l'Abbé de Voifenon.
29
30
ibid.
47
48
PORTRAIT de M. Préville , Comédien du Roi. 49
VERS fur le portrait de M. le M. d Ch.....
Lieutenant-Général .
CINQUIÈME Lettre fur l'Amitié , &c. à M.
l'Abbé J......
ENIGMES.
LOGOGRYPHES.
Le Chevalier & la Fille du Berger , Romanceancienne.
ARTICLE II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ESSAI fur les erreurs & les fuperftitions , par
M. L. C *
*
53
55
62
62
65
71
DECEMBRE 1765. 287
LA Belle Berruyere , ou les Aventures de la
Marquile de Fierval.
FANNI , ou l'Heureux Repentir , Roman nouveau.
84
88
BIBLIOGRAPHIE inſtructive , ou Traité de la
connoillance des Livres rares & finguliers. 97
ANNONCES de Livres.
103
ARTICLE III . SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADÉMIE S.
119
120
Prix Littéraire , fondé par l'Académie Royale
des Infcriptions & Belles Lettres en l'année
1733
PRIX propofé par l'Académie des Sciences ,
Belles Lettres & Arts de Lyon.
ACADÉMIE de Dijon . Lettre à M. de la Place. 123
MÉDECINE , où l'on prouve combien la re hûte
d'une perfonne inoculée doit faire peu d'impreffion
, fi cet événement eft dans l'ordre
des chofes d'une rareté prodigieufe.
LETTRES à M. de la Place.
PHYSIQUE & Aftronomie.
ARTICLE IV . BEAUX ARTS.
GÉOGRAPHIE .
131
135
138
144
L'INDICATEUR fidèle, ou Guide des voyageurs. 145
ARTS UTILES. CHIRURGIE .
LETTRE de M. Rouffelot, Chirurgien de Paris ,
à M. D.... Médecin d'Avignon. 150
EXPOSÉ d'un nouveau traitement fur les réten
tions d'urine des hommes. 155
ARTS AGRÉABLE S.
RÉFLEXION fur la Peinture.
162
GRAVURE.
ESTAMPES nouvelles gravées d'après M. Vernet
, propofées par foufcription.
168
288 MERCURE DE FRANCE.
MUSIQUE.
LETTRE de M. D. L.... a M.... fur une
nouvelle dénomination des notes de la
Gamme.
ARTICLE V. SPECTACLES DE la Cour.
SUITE des Spectacles de la Cour à Fontaine-
175
BLEAU.
183
EXTRAIT du Prologue d'Eglé. 185
EXTRAIT du Poenie du Triomphe de Flore ,
Opéra Ballet. 196
EXTRAIT du Poëme de Zénis & Almafie , Bal-
Ballet Héroïque en un acte. 205
EXTRAIT de I Orpheline Léguée , Comédie en
trois actes.
215
SPECTACLES de Paris. Opéra. 250
COMÉDIE Françoiſe . 253
COMÉDIE ITALIENNE . 254
CONCERT Spirituel . 255
256
263
SUPPLÉMENT à l'article des Spectacles.
Avis divers.
ERRAT A.
L'on a imprimé dans le Mercure du mois
d'Octobre dernier que la terre de Villegontier fut
vendue 1200 livres . Il faut lire que cette terre fur
vendue en l'année 1020.
C'est par erreur que l'on a imprimé dans le
Mercure d'Octobre que l'Eau anti -fcorbutique du
fieur Chauvet fe vendoit chez lui . Elle fe débite
chez le fieur Manfon , Marchand Orfévre - Joailler,
rue Saint Honoré , au coin de celle de Richelieu .
L'Article IV , Beaux arts , de ce volume , a été
doublé par erreur.
De l'Imprimerie de Louis CELLOT , rue
Dauphine.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le