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1765, 01, vol. 1
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MERCURE
DE FRANCE,
DÉDIÉ AU ROI.
JANVIER 1765.
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine.
Situsin
BayanSarily.
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis - a- vis la Comédie Françoife.
PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grand'Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi,
BIBLIOTHECA
REGLA
MIRACENSIS.
AVERTISSEMENT.
LEE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer ,
francs de port , les paquets & lettres ,
pour remettre , quant à la partie littéraire ,
à M. DE LA PLACE , Auteur du Mercure .
Le prix de chaque volume eft de 36fols ;
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols piece.
Les perfonnes de province auxquelles
on enverra le Mercure par la Pofte
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront d'autres voies que
la Pofte pour le faire venir , & qui prendront
les frais du port fur leur compte ,
ne payeront comme à Paris , qu'à raiſon
de 30 fols par volume , c'est- à dire , 24 liv.
d'avance , en s'abonnant pourſeize volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
A ij
w
Etrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci-deffus.
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la Pofte , en payant le droit
leurs ordres , afin que le paiement en foit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis
refteront au rebut,
On prie les perfonnes qui envoient des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pieces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M. Dɛ
LA PLACE , le trouve auffi au Bureau du
Mercure. Cette collection eft compofée de
cent huit volumes. On en prépare une
Table générale , par laquelle ce Recueil
fera terminé ; les Journaux ne fourniflant
plus un affez grand nombre de pieces pour
le continuer,
A VI S.
On trouvera le Mercure dans les Villes nommées
ci-après
A Bbeville , chez L. Voyez.
Amiens , chez François , & Godard.
Amfterdam , chez Rey.
Angers , chez Jahier & la veuve Foureau.
Arras , chez Michel Nicolas & Laureau.
Arles , chez Gaudion.
Avignon , chez Delaire & Payen.
Auxerre , chez Fournier .
Bâle en Suiffe , à la Pofte.
Beauvais , chez Defaint .
Berlin , chez Jean Neaulme .
Blois , chez Mallon .
Bordeaux , chez les freres Labottiere , Place du
Palais ; L. G. Labottiere , rue Saint Pierre ,
vis-à-vis le puits de la Samaritaine , Chappuis
l'aîné à la nouvelle Bourfe , Place Royale ,
& à la Pofte.
Breft , chez Malaffis.
Bruxelles , chez la veuve Pierre Vaffe & J. Vandenberghen.
Caen , chez Leroy.
Calais , chez Gilles Née , fur la grande Place,
Châlons en Champagne , chez Bricquet.
Charleville , chez Thezin .
Chartres , chez Feftil , & Goblin & le Tellier,
Chinon , chez Breton.
Colmar , chez Fontaine.
Coppenhague , chez les freres Philibert.
Dijon , à la Pofte , chez M. Coignard & Mailly.
Douay , chez Lannoy.
Dreux , chez le Tellier.
Francfort , à la Poſte .
Fribourg en Suiffe , chez Charles de Boffe.
I. Vol.
A iij
Grenoble , chez Giroaft.
Laon , chez Melleville.
La Rochelle , chez Chaboiceau Grand - Mailon
& Pavie .
Liege , chez Bourguignon .
Limoges , chez Barbou .
Lyon , chez J. Deville & à la Poſte.
Marſeille , chez Sibić , Molly & Jayne.
Meaux , chez Charles.
Metz , chez Bouchard.
Montpellier , chez Rigault .
Moulins , chez la veuve Faure.
Nancy , chez Babin.
Nantes , chez la veuve Vatard.
Nifmes , chez Gaudes.
Orléans , chez Rouzeau de Montault.
Poitiers , chez Faulcon l'aîné , Felix Faulcon & à
la Pofte.
Rennes , chez Ravaux , Julien , Charles Vatard ,
Garnier & Jacques Vatard .
Rheims , chez Godard & Cazin.
Rouen , chez Hérault & Fouques .
Saint-Germain- en Laye , chez la veuve Chave
peyre & Regnault.
Saint- Malo , chez Hovius.
Saint- Pierre- fur- Dive , chez Dupray.
Senlis , chez Defroques.
Sens , chez Lavigne.
Soiffons , chez Courtois .
Strafbourg , chez Dulleker & Konig.
Toulouſe , chez Robert .
Tours , chez Lambert & Billaut.
Troyes , chez Bouilleror .
Valenciennes , chez Quênel.
Verſailles , chez Fournier.
Villefranche de Rouergue , chez Veidelhié.
Vire , chez Calmé .
Vitry-le- François , chez Seneuze .
BIG
MERCURE
DE FRANCE
.
JANVIER 1765 .
ARTICLE PREMIER .
PIECES FUGITIVES.
EN VERS ET EN PROSE.
EPITRE pour le jour de l'an.
LORSQUE Janus chez les Romains
Ouvroit les portes de l'année ,
Des Augures & des Devins
En préfageoient la deſtinée ;
Au Palais de fes bienfaîteurs
Du pemple la foule entraînée ,
Imploroit les Dieux protecteurs .
A iv
3 MERCURE DE FRANCE.
Aux voeux qu'on faifoit pour
On en mêloit pour Mécénas ;
De fleurs on décoroit leur buſte ,
Et l'encens brûloit für leurs pas :
Le Sujet , dans ces jours de fête
Du Prince devenoit l'égal ,
Et le même bandeau royal
fembloit ceindre la même tête .
Augufte ,
>
Le jour de l'an Horace étoit
Chez l'heureux époux d'Octavie ,
Et le Peintre de Lavinie
Au lever Augufte afliftoit ,
Tous les beaux efprits d'Italie
Les chantoient tous deux à la fois ;
Le feul Ovide étoit , je crois ,
A la toilette de Julie.
A vingt ans l'amour féducteur
Peut bien faire que l'on oublie
Et le Miniftre & l'Empereur ,
Pour une maîtreſſe jolie ;
Mais cette douce & tendre erreur
A trente ans eſt une folie.
Si quelque autre petit Génie
Chez Mécénas le préfentoit ,
Par complaifance il écoutoit
Ses vers froids & fans harmonie ,
Mais que le zéle lui dictoit.
>
JANVIER. 1765.
Ce Mécénas , votre confrere ,
Comme vous aimoit les beaux Arts ;
La gloire àfon coeur étoit chere ,
Le trône augufte des Célars
Lui dut fa fplendeur paffagere :
D'un trône plus augufte encor
Vous êtes le Dieu Tutélaire ,
Et vous devez du fiecle d'or
Nous réalifer la chimère .
Puiffiez -vous préfider long- temps
A la grandeur de cet Empire ,
Et puiffai-je , dans quarante ans ,
Vous chanter encor fur ma lyre.
En formant des fouhaits fi dour ;
Si chers à mon ame attendrie ,
Seigneur , je n'en fais pas pour vous ,
Je n'en fais que pour ma Patrie .
Par M. LEGIER:
EPITAPHE pour feu M. RAMEAU,
CY gît le célebre Rameau.
Il fut , par fon vaſte génie ,
De la Mufique le flambeau
Et l'objet des traits de l'envie.
Mufes , pleurez fur ce tombeau
Le créateur de l'harmonie.
Par M. de C***
A Y
"То MERCURE DE FRANCE.
VERS mis au bas du portrait de Madame
la Comteffe de B *** , le lendemain de
Ja nomination à la place de Dame de
Mefdames de France.
E ILE a reçu pour apanage
Toutes les grâces du bel âge ,
L'efprit , le goût , mille talens ;
Mais , par fon riche caractère ,
Elle eſt toujours fûre de plaire ,
Autant que par fes agrémens .
Son air , fon maintien intéreſſe
Et chacun ne s'étonne plus
Que l'on ait choiſi la ſageſſe
Pour la compagne des vertus.
Par F ... DE CHA ... Ecuyer ,
ancien Lieutenant de Cavaleric.
JANVIER. 1765. II
DAPHNI
S.
EGLOGUE.
LE beau Berger Daphnis , l'âme émue , attendrie
,
D'un lent au bercail ramenoit fon troupeau ;
pas
Il venoit de quitter , au fond de la prairie ,
La Bergere Chloé , qui le long du ruiffeau ,
Par un autre chemin regagnoit fon hameau :
Chloé , jeune beauté , plus fraîche & plus brillante
Que l'aurore vermeille au lever d'un beau jour ,
que la tendre roſe , à peine encor naiſſante ,
Rejette , fuit , & voit d'une âme indifférente ,
Et l'hommage, & les voeux des Bergers d'alentour;
Le feul Daphnis a ſçu , ſecondé par l'Amour ,
Allumer dans fon coeur une flamme innocente ,
Et l'on ne vit jamais d'union plus touchante.
Ou
Si Chloé céde aux loix du plus beau des Bergers,
Daphnis brûle d'un feu que rien ne peut éteindre ;
Ils s'aiment fans rougir , ils fe parlent fans feindre:
Leurs ſentimens ne font ni faux ni paſſagers.
Le jour affis au bord d'une onde tranſparente ,
Sous un berceau formé par des myrthes fleuris ,
De leur commun bonheur tout augmente le prix ,
La Bouche des Amans eſt toujours éloquente.
Chloé dans fon Berger voit un Dieu qui l'enchante
,
1
A vj
IZ MERCURE DE FRANCE.
Et Daphnis dans Chloé voit la mere des ris.
Tantôt c'eſt un bouquet que fa main lui préſente ,
Et que Chloé reçoit avec un doux fouris ;
Tantôt c'eſt un ruban , qui , plus brillant qu'Iris ,
Forme cent noeuds autour de fa gorge naiffante
Tous les dons du Berger flatent fon jeune coeur
Auffi , d'un air riant , chaque jour elle - même ,
Au chapeau de Daphnis noue une tendre fleur :
L'Amour donne un grand prix à la moindre
faveur ,
Et ce Dieu fçait toujours embellir ce qu'il aime..
Après mille difcours , dictés par la candeur ,
Tour à tour , & tantôt mêlant leurs voix enſemble
Ils chantent le printems , le plaifir , le bonheur ,
Et l'empire éternel du Dieu qui les raſſemble.
Non , Pan ne forme point de fon auffi flateur ;
Sa voix a moins d'éclat , fa flute de douceur :
Non , les accens qu'Orphée autrefois fit entendre-
Aux pâles habitans de l'Empire des Morts ,
Quand fa lyre força le Dieu des fombres bords
A lui rendre l'objet de l'amour le plus tendre ,
N'auroient pas effacé leurs fublimes accords.
Uniffent- ils leur voir fous un dais de verdure ,
Le ferin , la fauvette & mille oifeaux divers ,
Attirés par leur chant , fufpendent leurs concers 3
L'eau qui coule auprès d'eux ceffe fon doux mur
mure ,
Et tout pour les ouïr fe tait dans la nature.
JANVIER. 1765-
x ;
"
Le foir , dans cette riche & brûlante faifon ,
Où des dons de Cérès la terre entiere abonde
Après que le Soleil , enfeveli fous l'onde ,
Laiffe à des feux plus doux éclairer l'horiſon ,
Ils fe difent l'adieu le plus touchant du monde ,
Et gagnent à regret leur ruftique maiſon.
La plus légère abfence à leurs yeux eft cruelle 3
Quoique le jour naiſſant les ramene au vallon
La plus courte des nuits leur paroît éternelle .
C'est ainsi que Daphnis , le coeur tout rempli
d'elle ,
Compoſoit
, en marchant
, une tendre
chanſon
;
Daphnis
chante
peut-être auffi-bien qu'Apollon
.
Le riche Palemon , qui fut jadis fon maître ,
Ce généreux Berger , la gloire du canton ,
Qui toujours plus heureux , & plus digne de l'être,,
Chaque femaine aux Dieux facrifie un mouton ;
Palemon voit Daphnis , il l'appelle & lui crie :
« Arrête-toi , Berger , fous ce riant berceau ;
›› la nature jamais ne fut plus embellie.
>> Vois la Lune éclairer cette plaine fleurie ;
>> A l'éclat doux & pur de fon pâle flambeau ,
>> Vois mille diamans briller fur le côteau :
כ כ
Arrête , approche ; enfin , fors de ta rêverie »
Que peut- on refufer à Palemon qui prie ?
T'obliger , dit Daphnis , eft un deftin ſi beau !
Et bien , dit Palemon , vois - tu ce jeune agneau
C'eft le plus gros qui foit dans notre bergerie :
34 MERCURE DE FRANCE.
Il eft à toi , Berger , fi fur ton chalumeau ,
Tu veux de tes chanfons dire la plus jolie .
Garde pour ma Chloé cette offrande chérie ,
Dit Daphnis , & je vais t'apprendre un air nou
veau.
* Tandis que je la vois d'une courfe légere
Regagner fa cabane avec tranquillité ,
Belle Lune , répand ta brillante clarté
Sur le fentier que fuit maintenant ma Bergere !
Qu'aucune nocturne terreur
Dans fon chemin ne la faififfe ;
Que la nature foit calme comme fon coeur
Et qu'un Zéphir plein de douceur
La careſſe & la rafraîchiſſe ;
Que du Berger qu'Amour a dompté par les traits ,
Tout préfente à fes yeux diftraits
L'image riante & chérie ,
Et que du fein de la prairie
Mille fleurs , en naiffant , parfument fes attraits.
.
Que du fond de chaque bocage
Vers où ma Chloé doit paffer ,
Le roffignol , par fon ramage ,
Semble vouloir lui retracer
La beauté du noud qui l'engage.
* Ce qui fuit eft une traduction libre de lafin du
premier livre de Daphnis , Poëme Allemand , par
CH. GESNER. L'Auteur , trouvant ce Morceau
analogue àfon fujet, a cru qu'il lui feroit plus aifé
dele traduire que d'en faire un meilleur.
JANVIER. 1765 . 15
Oui , que de fes concerts l'accord harmonieux
Soit auffi doux , Chloé , que ta tendre penſée ,
Quand t'occupant des traits du Dieu qui t'a bleffée ,
Unfoupir , vers le Ciel , dirige tes beaux yeux.
O Bergere tendre & fidelle !
On doit à tes attraits , à ton air enchanteur ,
Le regne du printems , & celui du bonheur :
Tout prend où tu parais une forme nouvelle ;
Les prés font plus rians , & chaque fleur plus belle
Exhale dans les airs une plus douce odeur ;
Mais , ma Chloé , quand tu me preſſes
Tendrement contre ton beau ſein ,
Quand un difcours naïf , un ſourire enfantin ,
Et mille innocentes careſſes
Affurent à mon coeur le plus heureux deſtin ;
Et quand , par un baiſer divin ,
Ta bouche fcelle tes promeffes :
Rempli du feu nouveau que je viens de puifer,
Sur ce trône , où mon âme aime à ſe repoſer ,'
Je ne vois plus les fleurs fur tes traces écloſes ,
Ni l'univers , ni le printems :
Je ne refpire plus le doux parfum des roſes ,
C'eſt ton ſeul baiſer que je fens .
Ainfi chanta Daphnis fur fa lyre champêtre ;
Palemon enchanté de fes douces chanſons ,
Lui dit , je donnerois , pour imiter tes fons ,
La moitié du troupeau que mon fils mene paître.
Par M. FRANÇOIS , ancien Officier de Cavalerie,
16 MERCURE DE FRANCE
LETTRE de Voiture , à Madame DE D ***
Commandante à V ....
MA belle Commandante, à la garde de Dieu ;,
""
Et fous la prudente conduite
De Maître Guillaume Mathieu ,
Garde-cochons du préfent lieu ;
A l'adreffe du vrai mérite ,
Je viens d'expédier à l'inftant une truite
Qui vous arrivera dans peu ,
Franche de droits & de port quitte.
Ordonnez qu'on la mette au bleu ,
Si vous ne l'aimez pas mieux frite ;
Et fitôt qu'elle fera cuite ,
Pour de bonnes raiſons , morbleu ,
Ne la mangez pas tout de ſuite :
Attendez à demain , où , d'un air non fufpect ,
De vos admirateurs j'irai groffir la troupe ,
Vous affûrer de mon reſpect ,
Et vous demander votre foupe.
Par le même
دوم
JANVIER. 1765. 17
ESSA1 fur les Tombeaux des Grands
Hommes dans les Sciences , les Lettres
& les Arts.
M. Titon Dutillet , Citoyen reſpectable
à tant d'égards , avoit imaginé un
moyen pour conferver la mémoire des
grands hommes ; tout le monde a connu
fon Parnaffe François. Ce projet , que
fon zele pour l'honneur des Lettres lui
avoit fait concevoir , & qui mériteroit
plus d'éloges s'il étoit moins faftueux ,
m'a fait naître une idée moins grande'
fans doute , mais plus modefte & plus
chrétienne ; c'eft de recueillir dans un
feut temple les cendres des grands hommes,
éparfes dans toutes nos églifes ; c'eſt de
former en quelque forte un Elifée chrétien
, où les reftes des hommes illuftres
dans les Sciences , les Lettres & les Arts ,
foient religieufement confervés .
La religion , la reconnoiffance & l'honneur
font également intéreffés à l'exécution
de ce projet. Il eft vrai qu'il n'eſt
peut- être pas à Paris une feule églife propre
à ce refpectable ufage ; mais la piété
de notre Monarque chéri éleve un temple
18 MERCURE DE FRANCE.
augufte ( a ) , temple digne des beaux jours
d'Athenes & de Rome , qui , en illuftrant.
le nom déja célebre du favant Architecte
(b ) , à qui la ftructure en eft confiée ,
prouve que le fiecle de Louis XV eft le
fiecle de la grande & fublime Architecture
( c). Cette bafilique , monument immortel
de la piété du Roi , ne pourroitelle
pas en être un du refpect de la Nation
pour la mémoire des grands hommes ?
Seroit il impoffible d'y placer les urnes
funéraires de ces hommes rares que l'Être
fuprême femble ne montrer aux autres
hommes que pour leur rappeller leur grandeur
? Cette collection précieuſe , enrichie
de tous les ornemens dont l'art fait
parer la mort même , ne pourroit- elle pas
fe lier à la maffe totale de la décoration ,
& par une diftribution bien entendue dans
les différentes parties de l'églife , contribuer
aux embelliffemens généraux ?
T
( a ) La nouvelle églife de Sainte, Genevieve.
( b ) M. Soufflot .
( c ) On ne peut , fans prévention , fe diffimuler
que dans les commencemens de ce fiecle les
Arts n'aient fouffert quelqu'altération , mais il y
auroit de l'injuſtice à ne pas convenir que depuis
environ trente ans , & fur-tout depuis le miniſtere
de M. le Marquis de Marigny , les Arts , & particulierement
l'Architecture , n'aient beaucoup
acquis .
JANVIER. 1765 . 19
Je le demande aux Artiftes , aux Amateurs
, au Public éclairé ; & fi cè projet
( a ) eft poffible , aucun obftacle étranger
ne doit s'y oppofer , puifque fans entraîner
de dépenfes de confidération , il acquitte
la Nation du tribut de reconnoiffance
qu'elle doit aux grands hommes , & procure
à cette Capitale un embelliſſement
d'autant plus à defirer , qu'une grande
partie de nos plus beaux maufolées eſt
comme enfouïe , & , pour ainfi dire , enfevelie
dans des églifes du plus mauvais
goût , & vraiment dignes de la barbarie des
fiecles gothiques qui les ont conftruites ,
Au refte , ce n'eft point ici un projet que
je défends , c'eft un projet que je propofe ,
& que je foumets au jugement des connoiffeurs.
S'il réuffit , fi cette idée , en qui je
me plais , & qui n'eft peut-être qu'une
agréable chimere , peut un jour fe réaliſer ;
O vous qui avez éclairé la France & l'univers
! Savans profonds , Poëtes , Orateurs ,
Artiſtes célebres , fortez de vos tombeaux
gothiques ; un nouvel Elifée fe prépare :
vos reftes précieux , confondus jufqu'ici
dans la foule des morts , vont recevoir le
dernier hommage que l'homme doit à
(a ) Ce projet n'eft pas nouveau : les grands
hommes ont en Angleterre une fépulture commune
à l'Abbaye de Weſtminſter.

20 MERCURE DE FRANCE.
l'homme , le dernier tribut que l'homme
peut rendre à la vertu .
Peut-être l'amour- propre & la prévention
embelliffent- ils à mes yeux ce projet ;
mais j'avoue que fi la fortune m'eût traité
comme elle traite fes favoris , j'aurois , au
pied du trône , demandé l'honneur de
l'exécuter moi-même . Ombres des Lafeuillade
& des d'Alibert ( a) , ombres patriotes ,
ombres cheres à jamais aux vrais Citoyens ,
qu'il eft beau de vous imiter !
( a ) M. d'Alibert , Tréforier de France , a fait
faire à fes dépens le tombeau de Defcartes tel
qu'on le voit à Sainte Genevieve ; & M. de Fieubet
, Confeiller d'Etat , en a fait l'épitaphe . On ne
fçauroit donner trop d'éloges à l'un & à l'autre ;
mais il faut convenir que , ni le tombeau , ni
l'épitaphe, ne font dignes de l'immortel Descartes.
J'invite les Gens de Lettres à travailler à une nouvelle
épitaphe ; car ( abſtraction faite de mon
projet ) je ne doute pas que , quand le temple
que l'on conftruit fera fini , on n'éleve un autre
maufolée à ce grand homme , la lumière des fiecles
& des nations , fæculi lumen , c'eſt la deviſe
de la médaille que les Hollandois firent frapper
en fon honneur.
Par M. REB ...
JANVIER. 1765. 21
VERS pour être mis au bas d'un Portrait.
ELL LLE.eut plus d'attraits en partage
Que le pinceau n'en a rendus ,
Et dans le coeur plus de vertus
Que de beautés fur fon viſage.
EPITRE à Mademoiſelle DoL....
TANDI
ANDIS qu'une Muſe importune
Ira , par d'indignes accens ,
Prodiguer un coupable encens
A la grandeur , à la fortune ;
Et qu'avec des airs méprisans ,
Ces capricieuſes idoles ,
Paieront de promeſſes frivoles
Leurs vils & lâches courtisans }
Jeune DoL... , daignez lire
Ces Vers , qu'adreffe à vos talens
Un inconnu qui les admire.
Vous plaire , voilà fon eſpoir :
Vous connoître , ce qui l'anime ;
Vous aimer ... ce n'eft point un crime.
Sans vous aimer , peut - on vous voir ?
1
8.2 MERCURE DE FRANCE
De Gauffin , éleve fidele ,
Votre début fut un fuccès ;
L'éclat de vos premiers effais ,
Sur la perte d'un grand modele ,
Commence à calmer nos regrets :
Ainfi , dans la faifon nouvelle ,
Les beaux jours fe fuivent de près.
Sur le Théatre de Thalie
Par une route peu ſuivie ,
La nature a conduit vos pas ;
Elle feule fçut vous inftruire ,
Seale elle forme vos appas :
Vous paroillez , on vous admire ;
Le Public ne fe trompe pas .
Oui , que toujours elle préſide
A votre voix , à votre jeu ,
Et croyez que ,
fans fon aveu ,
L'art ne fut jamais un bon guide.
Pour me toucher il faut fentir ;
Difciple de la double ſcène ,
De cette maxime certaine ,
Gardez-vous de vous départir.
L'art eft une route peu fûre ,
Où s'égare plus d'un Acteur ,
Qui , fuivant ce guide trompeur ,
Ofe , dans une folle erreur →
Sacrifier à l'impoſture
JANVIER. 1965 . 25
La belle & naïve nature ,
Qui feule a des droits fur mon coeur.
>
O toi , qui marches fur les traces
Toi , qui par des traits tout nouveaux
Sçus la fixer dans tes tableaux ;
Des ris , des amours & des graces ,
Des plaifirs & du ſentiment ,
Saint- Foix , Peintre heureux & charmant ,
Je vois l'objet de tes alarmes ;
J'accufe avec toi le deftin :
Pyrra , Lucinde , ah que de charmes
Vous perdez en perdant Gauffin !
Dis- tu ... de ce revers funefte >
Thalie elle- même gémit ...
Mais le phénix fe reproduit ,
La jeune Dot.... te refte .
;
L'aimable Amante d'Alcindor "
Sous les traits chaque jour encor ,
Va nous intéreffer , nous plaire ;
Zaïre & la veuve d'Hector ,
Probablement n'y perdront guère.
C'eſt-là que mon coeur vous attend ;
Votre voix tendre , enchantereſſe ,
Ce ton naïf & féduifant
Ce jeu , cette délicateſſe

Qu'affaiſonne le fentiment ,
D'amour de fierté , de tendreffe ,
$4
MERCURE DE FRANCE.
Cet enfemble délicieux ,
Ce vif attrait de la jeuneffe ,
Promettent encor à nos yeux
L'efpoir de répandre des larmes ;
A nos âmes ces doux foupirs ,
Cette pitié , pleine de charmes
Et ces craintes , & ces alarmes
Qu'aprête la main des plaifirs.
VERS à Mademoifelle Hus , jouant la ·
premiere femme animée dans les HOMMES
.
DIANE & fes jeunes
Compagnes ,
Sur le déclin d'un jour d'été ,
Danfant au milieu des campagnes
N'ont jamais dans leurs jeux mis plus de volupté.
Les Grâces , Terpficore même ,
Vous euffent vue avec un oeil jaloux:
Je ne fuis plus furpris de ce pouvoir fuprême ,
Que votre ſexe aimable eut de tout temps
fur nous.
Belle Hus , dans le fiecle où nous fommes ,
Un nouveau Prométhée, iroit - il dans les cieux
Ravir le feu divin pour animer des hommes !
Non ; il lui fuffiroit de celui de vos yeux.
<
R. D. L. C.
VERS
JANVIER. 1765. 25
VERS adreſſes à M. le M.... par Madame
DE VILLIERS , qui avoit trouvé fa
chienne perdue.
MARQUIS ! fans moita chienne étoit perdue ;
A m'en priver , de grand coeur je conſens :
Mais , pour prix de l'avoir rendue ,
Je retiens un de fes enfans.
CHARLES MARTEL.
ANECDOTE FRANÇOISE.
CHARLES
HARLES Martel , Duc des François *,
fut le premier Capitaine de fon fiecle , &
Eudes , Duc d'Aquitaine , fut le fecond.
Il eft rare qu'on pardonne à un rival ce
dégré de fupériorité. Eudes croyoit n'être
encore que l'émule de Charles , & déja il
étoit fon ennemi .
Bientôt même il eût voulu que chacun
de fes Sujets partageât fa haine . C'eſt ce
* Perfonne n'ignore qu'on nommoit ainſi la
feconde perfonne de l'Etat fous les Rois de la premiere
& de la feconde race . Ces Ducs avoient une
puiflance plus réelle que les Rois mêmes.
B
1
26 MERCURE DE FRANCE.
qu'il exigeoit , fur-tout de fa famille ; mais
Barfine , fa fille- unique , ne put s'y réfoudré.
Elle avoit vu Charles à la Cour de fon
pere , & tout en lui avoit frappé fes regards
& fon âme. Il n'étoit point encore dans
l'âge où l'on peut déployer les talens du
Général , mais il avoit déja toutes les
qualités qu'une belle exige dans un amant.
Barfine n'en exigeoit pas d'autres . On préfume
bien , toutefois , que Martel ne cella
point de lui plaire , lorfque deux ou trois
années de plus eurent fait de lui un héros.
Il eut à combattre des adverfaires dignes
de lui , mais il en triompha. Toute la
France le reconnut pour maître , quoiqu'il
n'eût pas le titre de Roi. Il s'en réſerva
feulement la puiffance. Il fçut même encore
l'augmenter. L'Allemagne devint pour
lui un nouveau champ de lauriers. Il remit
fous le joug les peuples qui s'étoient révolrés
, en dompra d'autres qui n'avoient encore
pu être foumis . Tels furent en particulier
les Saxons , nation des plus féroces ,
& prefque réduite au feul inftinct . Le
vainqueur féjourna quelque temps fur les
bords de l'Elbe : il n'épargna rien pour
adoucir les moeurs de ce peuple. Il défendit,
fur-tout , ces facrifices barbares où l'on
immoloit à Vifnou des victimes humaines.
On promit , en murmurant , d'obéir.
JANVIER. 1765. 27
Quelques jours après on avertit Charles
Martel que les Saxons préparoient un de
ces facrifices à leur Dieu pour effayer de
fe le rendre favorable contre lui , & qu'ils
n'en doutoient pas , vu l'importance de la
victime. Le Héros François accourt au lieu
indiqué fuivi d'un nombre ſuffiſant de
troupes. Il arrive , diffipe cette foule impie,
& apperçoit auprès d'un autel une jeune
fille vêtue de blanc & couronnée de fleurs.
Un vieillard forcené l'avoit faifie d'une
main , & de l'autre levoit la hache
pour
lui abattre la tête. Arrête barbare ! lui cria
le Chef des François , arrête ! ou crains
de fuccéder toi-même à la victime. Cette
menace eût été vaine fi celui qui la prononçoit
n'eût en même temps retenu le
.bras du Prêtre. Celui-ci en parut très-affligé.
Il attefta fon Dieu qu'il n'avoit manqué
ni de courage ni de zéle ; mais qu'il efpéroit
mieux réuffir une autre fois.
Charles , de fon côté , l'affura qu'il n'en
feroit rien. Il délia en même temps les
mains à la jeune victime , qui jufqu'alors
avoit regardé fort indifféremment tout ce
qui s'étoit paffé. Elle fixa un peu plus
attentivement fon libérateur. Lui - même
la regardoit avec admiration , avec tranfport.
Il ne concevoit pas comment rien
de fi beau pouvoit exifter dans un climat
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
fi fauvage. C'étoient effectivement toutes
les grâces de la beauté , unies à tout l'éclat
d'une extrême jeuneffe . Quoi , barbare !
difoit Charles Martel au Prêtre de Vifnou ,
quoi ! tu pouvois te réfoudre à immoler cet
objet divin?
Hélas ! répondit triftement le Druide ,
vous le voyez , la victime étoit bien choisie.
C'eſt à coup für la plus belle de nos Saxonnes
, & c'eft en même temps un rejetton
de nos premiers Souverains. Jamais tête
auffi illuftre n'eft encore tombée fous nos
coups , & je mourrai de regret qu'un tel
honneur m'ait été ravi.
Le Duc des François , pour toute réponſe
, fit enfermer ce vieux fanatique ;
& quant à la jeune Saxonne , il voulut
être lui-même fon gardien ; mais il daigna
être un gardien refpectueux . Isberge
( c'eft le nom de cette jeune beauté ) fut
fervie avec tous les foins , tous les égards
dus à fa naiffance. Elle y parut fenfible
mais cette fenfibilité avoit un double motif:
Isberge faifoit cas de ces foins pour euxmêmes
, & encore plus parce que c'étoit
Charles qui les lui faifoit rendre.
Isberge , quoique née du fang des Souverains
, n'étoit guères plus éclairée que
fes compatriotes , mais elle n'avoit rien
de leur férocité. Son ignorance ne nuifoit
JANVIER. 1765. 29.
point à fes charmes . Elle étoit née douce ,
ingénue , fenfible. Ses difcours partoient
de l'âme & l'affectoient dans autrui. On
éprouvoit tous les fentimens qu'elle vouloit
faire naître , & fouvent même fans
qu'elle le voulût. C'étoit une fleur née
dans un fol aride & fauvage ; mais qui
fecondée de quelques foins , eûr bientôt
pu effacer les fleurs du parterre le plus
brillant.
Elle regardoit Charles comme fon libérateur
, & il en coûtoit peu à fon âme
pour être reconnoiffante . Elle eût regretté
de lui devoir moins . Le Héros François ,
qui n'avoit pu d'abord la voir fans une
furprife mêlée d'intérêt , fentoit de jour
en jour cet intérêt s'accroître. Barfine
cependant , régnoit encore fur fon âme ,
& y régnoit impérieufement. Elle s'en
étoit emparée la premiere. On fait qu'en
amour cet avantage n'eft pas toujours
chimérique . En un mot , le fouvenir de
Barfine ne pouvoit encore être balancé par
la préfence d'Isberge.
Le Conquérant fut même tenté de ne
point l'enlever à fa patrie . Il ne vouloit
pointqueBarfine eût lieud'être ni inquiette,
ni jaloufe. On voit que les François d'alors
différoient en quelques points de ceux
d'aujourd'hui. Ce qui , dans ce tems - là
B iij ་
30 MERCURE DE FRANCE.
pouvoit être un obftacle , dans le nôtre ,
feroit un moyen. Toutefois Charles ne
vouloit pas qu'en reftant parmi fes compatriotes
, Isberge eût rien à redouter d'eux,
& fur tout que la hache infernale pût
jamais être levée fur elle. Peut- être auffi
ne vouloit-il que l'éprouver pour favoir
quel parti lui-même devoit prendre.
J'ai déja dit que la jeune Saxonne étoit
ingénue. Elle en fit preuve dans cette occafion
. Ses difcours pourroient fembler aujourd'hui
fort étranges , même fur les bords
de l'Elbe mais on y parloit alors comme
l'on penfoit ; on n'étoit point affez bien
élevé pour dire à propos ce qu'on ne penfoit
pas.
:
Belle Isherge , lui difoit Martel , je vais
bientôt quitter ces lieux ; je vais me féparer
de vous pour jamais. Ces mots firent
pâlir la jeune Saxonne : elle ne déguiſa
point la douleur qu'ils lui caufoient. Des
larmes coulerent de fes beaux yeux. Que
vous ai - je fait , s'écria- t - elle , pour me
fuir ? Je fens , moi , que je ne voudrois
jamais vous quitter. Pourquoi me haïffezvous
?
Moi , vous hair ! s'écria le Vainqueur
très- ému, croyez- vous que cela foit en mon
pouvoir ? Je ne redoute , au contraire
que de vous trop aimer.
JANVIER, 1765. 31
Eh ! pourquoi ? lui demanda naïvement
Isberge.
Ce pourquoi embraffa le Héros . Il
ajouta néanmoins : c'est parce que je crains
que vous ne m'aimiez pas toujours..
Eft- ce qu'on ceffe d'aimer quand on
aime une fois ? demanda encore Isberge.
Eft- ce qu'on aime toujours parmi vous ?
reprit Charles, Je n'en fais rien , ajouta la
belle Saxonne , mais je foupçonne qu'on
s'aime fans fe le dire & fans fe le demander.
CHARLES MARTEL.
Mais , pour me fuivre , ne regretterezvous
point votre patrie ?
ISBERGE.
Qu'est-ce qu'une patrie ? Ne pourrionsnous
pas avoir la même vous & moi !
CH. MARTEL .
Non ; mais vous pourriez habiter la
mienne , ou moi la vôtre.

ISBERGE .
Hé bien reftons où nous fommes , ou
allons où vous voudrez .
CH. MARTEL.
Mais ne vaut- il pas mieux vous foumettre
les lieux qui vous ont vu naître , & les
barbares qui ont voulu vous égorger ?
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
I'SBERGE .
A la bonne heure , qu'ils nous foient
foumis.
CH . MARTEL .
Je veux qu'ils n'obéiffent qu'à vous
feule. Quel plaifir n'aurez - vous pas de
voir à vos pieds les cruels qui alloient vous
trancher la tête ! Ils trembleront à leur
tour ; ils vous craindront.
ISBERGE .
Oh ! je ne veux pas que l'on me crai-
´gne , je veux que l'on m'aime , je veux
aimer.
CH. MARTEL.
Il pourra fe trouver parmi les grands de
la nation , ou même parmi les petits , quelqu'un
qui réuffiffe à vous plaire .
ISBERGE.
( Avec vivacité )
Non , perfonne ne fe trouvera..
En prononçant ce dernier mot elle regarda
le Héros François avec des yeux qui en
difoient beaucoup plus que fes paroles. Il
en fut ému. Les coeurs auftères , c'est - àdire
, ceux qui n'ont ordinairement ni foibleſſes
ni vertus , feront furpris de voir le
JANVIER . 1765 . 33
}
redoutable Martel defcendre jufqu'à ces .
menus détails. Les grands coeurs , c'eſt- à .
dire ceux qui joignent beaucoup de vertus
à beaucoup de foibleffes , ne s'étonneront
de rien & ajouteront même au dialogue.
Ce fut aufli ce que fit Charles , & il ne
l'interrompit que pour aller fondre ſur une
troupe de Saxons qui marchoient en armes
pour le furprendre . Il les tailla en pieces ,
prit des mefures contre toute autre furprife
, & revintpaifiblement dire à Isberge,
ce n'eſt rien. Il avoit eu le plaifir de voir
couler fes larmes à fon départ , il eut la
douceur de les voir tarir fubitement à fon
retour.
Prefque en même temps il apprit que le
Duc d'Aquitaine étoit entré en France à
la tête d'une armée . Il eut regret d'avoir
pour ennemi le pere de fa maîtreffe ; mais
enfin , quel parti prendre ? Charles prit
celui d'aimer encore la fille qu'il ne pouvoit
oublier , & de battre le pere auffi - tôt
& auffi bien qu'il le pourroit.
Il prit donc foin d'affurer fes conquêtes ,
& marcha pour arrêter celles de cet ennemi .
Isberge eut la fatisfaction de le fuivre . Incertain
de ce qui fe paffoit dans l'âme de
Barfine , il craignoit qu'elle n'eût changé
à fon égard comme fon pere. Ainfi , à l'um
B.v
34 MERCURE DE FRANCE.
il oppofoit une armée & vouloit pouvoir
oppofer à l'autre une rivale .
Il n'y avoit alors nulle correfpondance
réglée même entre les nations les plus voifines.
Eudes croyoit encore Charles Martel
au fond de la Germanie , & déja il étoit
en France avec toute fon armée. Il mit en
délibération s'il feroit exhorter le Duc
d'Aquitaine à fe retirer volontairement
chez lui , ou s'il feroit de fon mieux pour
l'y contraindre. Ce dernier parti étoit , plus
que le premier , dans les moeurs du temps
& dans le caractère du Héros François . Il
s'y arrêta. Si Barfine m'aime , difoit- il ,
elle ne me haira pas pour avoir gagné une
bataille de plus , fût- ce même contre fon
pere. En conféquence , il vint fondre fur
les Aquitains qui s'attendoient peu à combattre
, & qui ne combattirent point. Eudes,
qui eût en vain combattu feul , s'enfuit
comme les autres , & abandonna au vainqueur
fon camp, fon bagage & une foule
de prifonniers. Parmi ce nombre étoit Barfine
, fa fille. On préfume bien que cette
capture ne fut pas celle dont notre Héros
fe trouva le moins flatté.
Barfine étoit encore plus fiere que fenfible.
Elle fe propofa d'humilier fon amant
victorieux : elle crut devoir ainfi venger
JANVIER. 1765. 35
fon pere de fa défaite. Un des premiers
foins de Charles Martel fut de faire rendre
à cette Princeffe les plus grands honneurs ,
& d'y joindre fon hommage particulier.
Elle reçut le tout avec une hauteur & un
dédain révoltant ; mais Charles n'en parut
qu'affligé. Cet homme , fi redoutable à la
tête d'une armée , étoit, aux pieds d'une
femme qu'il aimoit , l'efclave le plus foumis.
Ce contrafte n'eft point fans exemple ,
& fans doute ces exemples feront de tous
les fecles. Il faut pourtant le dire , Charles
n'étoit l'efclave de l'amour qu'autant que
la gloire ne l'appelloit point ailleurs , &
la gloire le laiffoit peu repofer. C'étoit là
fon premier tyran ; mais celui-ci , une fois
fatisfait , il retomboit au pouvoir de l'autre.
Il n'épargna rien pour adoucir l'aigreur
de Barfine , en même temps qu'il difpofoit
tout pour aller à la pourfuite de fon
pere. L'altiere Princeffe n'ignoroit pas ces.
difpofitions. Elle redoubla de rigueurs envers
celui qui les ordonnoit. Un autre
motifl'animoit encore. Elle n'ignoroit plus
l'aventure d'Isberge , & que cette belle
Saxonne avoit fuivi fon libérateur. Elle
regardoit cette ombre de concurrence
comme une extrême injure. Ofez- vous
encore me braver ? difoit- elle au Prince
François , un jour qu'il réitéroit fes hom-
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
mages ; quel peut être votre espoir & votre
but ? De retrouver en vous ce que je n'ai
pas dû perdre , lui répondit- il qu'ai -je
fait pour mériter votre haine ? Qu'avezvous
fait , reprit- elle , pour mériter mon
amour ? Examinez bien les lieux où je
fuis , & les projets que vous méditez. Vous
êtes , Madame , lui répliqua Martel , vous
êtes au milieu de la France , où l'ambition
d'un pere vous a conduite .J'aimerois mieux
que l'amour vous y eût appellée & reçue ;
mais fouffrez qu'il répare ce que la guerre
vous y fit éprouver de fâcheux . . .
guerre , interrompit Barfine , a fait de nous
deux ennemis. Peut-être il en coûte à mon
coeur mais il eſt des bornes qu'il faut
refpecter. Vous - même comment ofez vous
parler de tendreffe à la fille , lorfque vous
menacez les Etats du pere ?

La
Madame , reprit le Duc des François
rien n'eft plus fimple. C'eft ici l'amant qui
vous parle , & c'eft le Chef d'une Nation
illuftre qui va marcher contre le Duc
d'Aquitaine . Cette Nation n'a pas dû être
impunément bravée. Le Duc , votre pere ,
croiroit s'avilir en réparant de lui - même
cette injure : le fort des armes nous mettra
d'accord ; mais cet accord ne peut- il dèsa-
préfent fubfifter entre votre coeur & le
mien ?
JANVIER. 1765. 37 .
il ne
: Non , barbare ! s'écria Barfine ,
peut plus y avoir de relation entre nous :
l'ennemi de mon pere m'aura toujours pour
ennemi.
Encore une fois , Madame , reprit Char
les Martel , daignez ne pas confondre ce
qui doit être féparé. Je ne fus jamais l'en--
nemi du Prince votre pere ; mais je fuis
Duc des François. Je vais même vous don
ner une preuve exceffive de mon dévouement
à vos volontés. Devenez aujourd'hui
médiatrice entre les deux Nations : c'eſtà-
dire , engagez le Prince votre pere à
demander la paix , & je vous jure qu'elle
lui fera dès l'inftant même accordée.
Quel orgueil ! s'écria de nouveau l'altière
Princeffe. Eh de quel droit oferai- je
donner des confeils à mon pere ? Je refpecte
jufqu'à fes fautes , s'il en peut commettre.
Je fais plus ; j'exige que l'amant ,
qui dit m'aimer , approuve & imite ce
reſpect.
Ces derniers mots firent frémir le Héros
François. Il fe croyoit flétri même de les
avoir entendus. L'indignation , le couroux
éclatoient dans fes yeux. Cependant ces
mêmes yeux trouvcient encore Barfine
adorable . Peut-être même cette fierté qu'elle
déployoit devenoit- elle pour lui un nouvel
appât , tant le coeur humain eft fufceptible
38 MERCURE DE FRANCE.

de contradictions. Celui de Charles étoit
déchiré ; mais le Héros ne put fe démentir.
Il combattit de nouveau les réfolutions de
la Princeffe , ne put les vaincre , & finit
par l'affurer qu'il l'aimeroit , la refpecteroit
toujours ; mais que dès le jour fuivant il
alloit marcher contre le Duc d'Aquitaine.
Barfine lui répondit en l'affurant pour
jamais de fon averfion . Elle ajouta , avec
un dédain forcé , qu'il s'en confoleroit
fans doute aifément avec la petite Sauvage
des bords de l'Elbe. Madame , reprit Charles
, qui jugea n'avoir plus rien à ménager
cette petite Sauvage des bords de l'Elbe
pourroit figurer fur ceux de la Seine , &
même de la Garonne. Elle eft , d'ailleurs ,
née Princeffe , & malgré ce titre , elle daigne
favoir aimer. A ces mots il fortit , &
affecta de fortir avec aifance , mais au
fonds il étoit défefpéré.
Il fe rendit chez la tendre Isberge , qui
le reçut avec les yeux de l'amour & de la
joie . Il n'en recevoit jamais d'autre accueil.
Qu'Isberge eft digne d'être aimée ! difoit- il
en lui- même , & que je fuis injufte ; mais ,
hélas ! que j'en fuis bien puni ! La jeune
Saxonne vit aifément que Charles étoit
affligé , & fa propre joie difparut auffi -tôt.
Elle voulut connoître ce qui attriftoit fon
libérateur ; car elle n'ofoit encore le regar-
1
JANVIER. 1765: 39
der comme fon amant. Il éluda long- temps
fes queſtions ; mais elles devinrent fi preffantes
, qu'il ceffa enfin de diffimuler.
Charmante Isberge , lui dit-il , comment
vous apprendre que vous avez une rivale ,
& que fes rigueurs font la fource du cha
grin que j'éprouve ?
Ses rigueurs s'écria Isberge : elle ne
vous aime donc pas ?
Je n'ai que trop fujet de le croire , lui
répondit Martel.
Eh mais , reprit Isberge , il me femble
que c'eft elle qu'on doit plaindre.
Hélas ! point du tout , repliqua l'amant
de Barfine , je fuis le feul malheureux..
C'eft peu de ne pas m'aimer , l'ingrate me
haït ! ... N'en croyez rien , interrompit
vivement Isberge , cela eft impoffible .
Adorable Isberge ! cela n'eft que trop
vrai ; elle-même a eu foin de m'en inftruire
peut -être même y contribuez- vous
fans le vouloir .
Moi ! s'écria Isberge avec douleur , moi ,
contribuer à ce qu'on vous haïffe ! vous
n'en êtes point coupable, interrompit Charles
; & d'ailleurs ce n'eft fans doute qu'un
prétexte imaginé par l'inconftance.
Ah ! ne me cachez rien , diſoit la jeune
Saxonne en pleurant , je veux connoître
40 MERCURE DE FRANCE.
tout le mal que j'ai eu le malheur de vous
caufer.
Mais , charmante Isberge , repliquoit
l'affligé Martel , mon coeur ne vous accufe
de rien ; il s'accufe plutôt lui- même envers
vous.
N'importe , votre coeur gémit , vous
êtes affligé , & peut - être j'en fuis la caufe.
Non , je ne puis foutenir cette idée ! je
vais détromper ma rivale ; je veux qu'elle
ceffe de vous hair , duffiez - vous n'aimer
qu'elle.
Ce difcours & ce projet de la jeune
Saxonne paroîtront fans doute extrêmement
bifarres aux François & aux Françoifes
de nos jours. Il eft bon d'avertir
qu'ils le parurent même dès le temps de
Charles Martel. Ce Héros les combattit
de fon mieux ; mais , enfin , il crut devoir
céder il defira même cette finguliere
entrevue , & voici comment il raiſonnoit
Isberge , difoit- il , eft très -propre à
rendre jaloufe la plus belle des rivales
or , la jaloufie , loin d'éloigner de nous
une femme , l'en rapproche pour l'ordinaire.
D'un autre côté , fi Barfine s'en éloigne
de plus en plus , il eft du moins à propos
qu'elle puiffe apprécier le coeur qui me
vengera du fien.
JANVIER. 1765. 41-
Peut-être ce raiſonnement n'eft - il pas
moins bifarre que le projet d'Isberge.C'eftce
que je ne prétends point décider. J'avertis ,
de plus , que je ne crois point à l'héroïſme
exempt de foibleffes. Un grand homme ,
qui fe refuferoit la confolation d'être quelquefois
petit , feroit , à coup fûr , le plus
malheureux de tous les hommes ,
La fuite au Mercure prochain.
AU PHILOSOPHE BIENFAISANT.
POUR célébrer la gloire , Achille eut un
Homère :
Pour chanter Henri Quatre , il falloit un Voltaire:
Sage , mais en Héros , Bienfaiſant , mais en Roi ;
Quel Chantre , ô Stanislas , fera digne de toi !
Par M. DE LANEVERE , ancien Moufquetaire
du Roi. A Dax le premier Décembre 1764 .
42 MERCURE DE FRANCE
LE TOURTEREAU TUÉ A LA CHASSE ,
Romance, Air du Vaudeville d'Epicure.
CEUR par où regnoit l'innocence ,
Touchante image du bonheur ,
Modéle heureux de la conftance ,
Symbole aîlé de la douceur !
D'un plomb que le falpêtre anime ,
Tu reçois le coup dans tes flancs ;
Tu meurs , hélas ! trifte victime
De nos cruels amuſemens ! ...
* J'ai vu ... j'ai vu ta jeune ainante ,
Senfible au coup qu'on t'a porté ,
S'éloigner d'une alle tremblante ,
Et fuir d'un vol précipité.
Heureufe fi la main cruelle
Sous qui tu tombas expirant
L'eût , par une atteinte mortelle ,
Rejointe à fon fidele amant !. ..
Je la fuivis dans un boccage,
Où s'enyvrant de les douleurs ,
Son trifte & douloureux ramage
A mes yeux arracha des pleurs.
De l'écho , la Nymphe attendrie ,
* Ils étoient deux . Le premierfut tué du premier
coup , & le fecond fut manqué de l'autre par un
chaffeur qui avoit un fufil à deux coups.
JANVIER. 1765.
45
<
Répéta fes tendres accens.
Ecoutes-les , ombre chérie ;
Je les retiens , je te les rends . '
<<<Ainfi l'on t'enleve à ma flame !
» Ainfi s'éteignent nos amours !
›› La mort , fans reſpecter leur trame ,
» A pu trancher de fi beaux jours !
» Quel crime ? peut- être infidele ? .
» Non , non , tu ne le fus jamais :
>> Notre tendreffe mutuelle
» Servoit d'exemple en nos forêts....
...
» Un même jour nous donna l'être à
» D'époux conftans , gages chéris ,
» Un même berceau nous vit naître
» Toujours heureux , toujours unis.
» L'himen devoit ( * amans encore }
>> couronner nos tendres deſirs ,
» Quand le printems eût fait éclore
» Un fanctuaire à nos plaifirs .
» De ce témoin de ma tendreſſe ,
>> De l'arbre où je reçus ta foi ,
» Entends la voix de ma triſteſſe ,
» Ombre chérie , écoutes- moi !
» Aux pleurs je confacre le reſte
>> Des jours deſtinés au bonheur.
* C'étoient deux jeunes de l'années
44 MERCURE DE FRANCE.
» Tu meurs frappé d'un coup funeſte ,
و ر
* Moi , je mourrai de ma douleur » .
On fçait qu'à leurs moitiés fidelles ,
Dans leurs tendres engagemens ,
Les innocentes tourterelles
Gardent la foi de leurs fermens.
Depuis ce jour triſte , mourante
Elle confie à nos forêts ,
D'une voix plaintive , touchante ,
Ses pleurs , fon amour , fes regrets.
Toi , dont le fouvenir fi tendre
Pour jamais nourira fon coeur ,
Charmant oiſeau , puiffe ta cendre
Etre fenfible à fa douleur !
Puiffai- je , au gré de ma tendreffe ,
Comme- toi , pour t'avoir chanté ,
Vivre chéri de ma maîtrelle ,
Et mourir auffi regretté ! , ..
* Allufion à ce vers fi fameux : Si ce n'eft lui ,
ce fera ma douleur !
VERS à Madame DE B*** qui en deman_
doit à l'Auteurfur lejugement de Paris.
LORSQUE le prix de la beauté
Alloit devenir l'apanage
De la Reine des ris , des jeux , de la gaité ;
Si Paris eût vu ce viſage
JANVIER. 1765.
45
Où brille tant de majeſté ,
Ces yeux pleins de vivacité ,
Qui , fans parler , ont leur langage ,
Vénus n'eût pas eu fon fuffrage.
Par M. VILLEMAIN , fils.
EPITAPHE d'un Plagiaire.
CY git un
ignorant Docteur ,
De fon métier panégyriſte :
S'il ne fut jamais bon Auteur ,
Du moins il étoit bon copiſte.
I
Par le même.
COMPLIMENT de bonne année à un
Cardinal , dont le nom ne fera pas une
énigme pour tout François patriote &
lettre.
A
VANT que l'an nouveau commence ,
Et , d'un flot de vains complimens ,
Vienne inonder votre Eminence ,
Daignez prêter , Seigneur , l'oreille aux voeux
ardens ,
Que me dictent pour vous les plus vifs fentimens
Qu'inſpirent le reſpect & la reconnoiſſance.
MERCURE DE FRANCE.
Eft celui
Si , tel qu'on vous vit à vingt ans
Le feul tribut capable de vous plaire
que l'amour ou l'eftime défère
Aux bienfaits , aux vertus , aux grâces , aux
talens ,
Mon culte vous plaira ; j'honore , je révère ,
Je reſpecte à genoux tous vos titres brillans :
Mais tandis qu'en public je me courbe &
m'abaiffe
Devant ces objets impofans ,
Un motif plus flatteur m'occupe & m'intéreſſe ,
Et c'est votre âme feule à qui mon coeur adreſſe
Ses prieres & fon encens.
V.la belle Epit. de M. L. D. B. à M. le D. deN.
Par un CHAN. de Melun. 1
IS
Décembre 1764.
SUR
DE
CHLOÉ.
E Chloé tout le monde vante
Le minois , la grâce touchante ,
Le coeur , la voix dont la douceur ravit ... ,
Mais on fe tait fur fon efprit.
BETTY.
JANVIER. 1765 . 4
VERS adreffés à Mademoiſelle de P. L.
dont le nom eft FÉLICITÉ.
ECIE , vous dont la
complaiſance
Me devroit un peu de retour ;
Si je vous donnois en ce jour
L'hiftoire de votre naiſſance ,
Sachez qu'un prodige nouveau
Dont vous ignorez le myſtère
Et dont j'étois dépofitaire ,
Vous illuftra dès le berceau.
Des Dieux une troupe d'élite
Vint préfider à cet inftant ,
Et tous de vous faire un préſent
Sembloient envier le mérite.
Junon vous donna la beauté ;
L'Amour , la fraîcheur animée :
Vous reçûtes de Cythérée
Les grâces , la légèreté ;
De Flore la douceur naïve ,
Echo vous gardoit les accords.
J'applaudiffois à leurs efforts ,
Quand la Félicité tardive ,
Jaloufe de votre renom ,
Vint encor animer la commune allégreſſe.
Vous eûtes les attraits & fa délicateſſe ,
Et vous confervâtes fon nom .
ParM. LE N... DE CLINCHAMPS . De Landivy
48 MERCURE
DE FRANCE
.
CANTA TILL E.
D E l'amour le plus doux hommage
Eft celui de la volupté ;
Mon coeur à l'attrait qui l'engage
Affez long-temps a réſiſté ,
Flore , ne peut- on être fage
Qu'au prix de la félicité ?
Je brûle , je languis une affreufe trifteffe
Me confume dans mon printems ;
L'ennui de, ma fombre jeuneſſe
Non ,
Avec lenteur mefure les inftans !
14
Flore il n'eſt pas vrai que mon fort و
t'intéreſſe :
Si tu partageois ma tendreffe ,
Tu partagerois mes tourmens.
Ecoute un amant qui t'adore ;
La raiſon égare ton coeur :
Peux-tu la confulter ´encore
Quand l'amour t'appelle au bonheur ?
Sans autre inftinct que la nature ,
Toujours guidé par fes defirs ,
Le jeune oiſeau fous la verdure
Donne & goûte de vrais plaifirs .
Ecoute
JANVIER. 1765. £49
Ecoute un amant qui t'adore ;
La raifon égare ton coeur :
Peux-tu la confulter encore
Quand l'amour t'appelle au bonheur ?
Ceffe de me bercer d'une vaine eſpérance ;
Il m'en a trop coûté d'obéir à tes voeux ,
N'oppofe plus de réfiſtance
A la pureté de mes feux.
Soit amour , foit reconnoiffance ,
Tout t'invite à me rendre heureux.
Par l'Auteur de l'Epitre à Mélanie.
So MERCURE DE FRANCE .
AVERTISSEMENT concernant les Lettres
de HENRI IV.
Mle Comte d'Argenſon a laiffé par fon
teftament à M. le Préfident Hénault un
préfent digne de fon ami , & bien conforme
à fon goût pour notre hiſtoire , dont il fait
fa continuelle étude : ce font des Lettres
originales de Henri IV, en deux volumes
in-folio. Ce préfent lui a attiré , de la
part de plufieurs Gens de Lettres , célèbres
par leurs lumières & par leur bibliothéque ,
un nombre confidérable d'autres Lettres
écrites ou fignées de la main même de
quelques - uns de nos Rois. On comprend
que ce recueil eft fufceptible d'augmentations
, & M. le Préfident Hénault nous
permet d'inviter tous les Littérateurs à y
contribuer , non que fon deffein foit d'enfouir
ce tréfor , comme font ce qu'on
appelle les curieux , mais pour en faire
part au Public. Il a bien voulu nous confier
celles -ci , & nous nous conformons avec
plaifir à fes intentions .
Nous ajouterons feulement que ce qui
nous refte d'un fi grand Roi , doit être précieux
pour les François & pour les Etrangers
mêmes : le Public partagera fans doute
la reconnoiffance que nous devons à M. le
Préfident Hénault.
JANVIER. 1765. 51
LETTRES DE HENRI IV,
PREMIERE LETTRE.
JE ne te fçaurois qu'eferire , finon
le
que
je fuis ycy defpuis hier à boires de leau
quy me fait tout le bien du monde . Monfieur
de Monluc y eft auffy quy dit qu'il
eft plus à moy que à home qui vive. Je
gouuerne. A propos de cella , je te prie
recherche dedans mon petit coffre la lettre
qu'il m'efcriuit , dans laquelle il me mande
qu'il ne me peult continuer la garnifon de
ma compagnie fy pres de moy , puifque
je l'emploie ailleurs que au fervice du Roy.
Dedans celle- la mefmes il dit auffy quil
◄ entendu que aulx Eftatz quỷ fe font tenus
en Bearn , je me fuis defclairé contre le
fervice du Roy. Enuoie-moy le double de
cefte letre & garde bien l'original , car
deuant que nous départons il faut qu'il
m'en face ung petit de réparation , mais
je te prie envoie-la- moi par home exprès
& à diligance , car une autre fois je ne
ferois pas à telle comodité. Je feray cella
bien joliemant & gratieufement , & feront
& luy & les fyens beaucoub plus mes amys
après. Je te prie ny fault point. Je t'enuoie
Cij
32 MERCURE
DE FRANCE .
les mulets & les . . . . . pour aporter une
partie des meubles . D'auffy - toft qu'ils
feront de retour je m'en iray. Je fois
befoigner à Semeac à dilligeance . Recommande-
moy à la fillete . J'ai enuoié chercher
Maiftre Amanin . A Dieu.
De Baigneres le xii de Septembre 1 570.
Au dos , à Madame ,
Madame de Gramont * •
* Corifande d'Andouin , veuve de Philibert ,
Comte de Gramont.
SECONDE LETTRE.
TU
U deis que je ne fois conte de mes
enfants ; Dieu te veuille garder d'en eftre
tant en peine comme je fuis , j'en fuis fy
tourmenté que j'en fuis à prefque mourir.
Il fault prandre patiance je te prie pour
l'amour de Dien , & fy tu maimes ne t'en
fafches point , & garde que fa fame ne
s'en fafche point. Je t'enuore Maiſtre
Cofme en diligeance , quy te dira tout ce
qui en eft. Cella ne lui part que de langueur
; mais il me defplaift de s'en eſtre
allé ainfin. Ce font des tours de ton frere.
L'on tient la Rochelle pour rendue. 11
font contants de recevoir Monfieur de
JANVIER. 1765 . 33
Biron pour Gouverneur avecques fix Enfei
gnes de geans de pied . Que les rébelles &
mutins deBearn panfent hardimant en leurs
affaires, ils auront bientoft plus de mal qu'ils
ne panfent , & de quoy , quant je les en
vouldrois garder je ne fçaurois , & ce
n'eftoit pas mon intention. Il eft paffé
plus de deux cens Gantilshomes par cefte
Ville quy m'ont tous promis de me venir
treuuer fy j'en ay affaire. J'ay incontinant
que j'eus reçeu ta lettre & celle que Monfieur
de Belfunce t'efcriuoit , dépefché en
pofte vers le Roi de Navarre pour demander
la Comanderie d'Orion. Je m'affure
qu'il l'aura. Je te prie mande- luy avecques
mes recommandations , & qu'il me tarde
bien fort que je ne le voie. Jene te fçaurois
efcrire dauantage. Je fuis bien fort mallade
& du corps & de l'efprit. A Dieu.
De Bourdeaulx ce 10 de Mars 1573 ..
Au dos , à Madame de Gramont.
TROISIEME LETTRE.
POUR le moings , graces à Dieu , ay-je
fy bien fait que j'ay reprins les Places quy
auoient efté occupées en ce pais ycy par
ces voleurs & larrons qui s'en étoient faifis;
car aiant une entreprinfe fur Ranfon , je
C iij
34 MERCURE DE FRANCE.
l'envoyay hier exécuter , laquelle Dieu
favorrifa tant qu'elle réufcit ainfin que je
défirois. La Place fut prinfe , ces brigands
chaffés , une partie de tués & d'autres
prifonniers , de maniere que ce pais eſt
à préfent en liberté , quy fera caufe que ,
après avoir parlé à Monſieur de la Valete ,
je me difpoferay de tant plus vollontiers
à m'en aller de dela , puifque j'ay randu
du tout ce pais fi libre que dors en avant
ils fe garderont bien s'ils veulent , combien
que je me réfoult de faire ce que ledit
fieur de la Valete treuuera bon que je
face. Tu pourras advertir nos voifins de
Bayonne & de Dax de ce deffus , & leur
dire que je t'ay mandé que tu leur falle
fçauoir , afin auffy qu'ils voient que je ne
fuis point inutille là où je demeure. J'ay
enuoyé le Tapiffier chercher tes garderob.
bes à Monréal , elles feront tantoft je crois
ycy ; mais de les enuoier en la par Bearn , je
ne fçay fy elles feroient feures : par l'aultre
cofté elles le feroient encore moins , de
maniere que je ne les feray point partirque
tu n'en aies bonne affeurance , car
foubs le paffeport que tu eus l'autre fois ,
nos beufs font encore prins en Bearn , &
je ne les puis ravoir : voilà tout ce que
je t'en puis dire. Je partiray Vandredy
d'ycy pour aller treuuer Monfieur de la
JANVIER. 1765 .
Valete à Aulx. De là je te manderay de
mes nouuelles. A Dieu.
De Semeac le 30 de Juin 1579 .
Sy Gabriel n'eftoit point empefché de
de la , je vouldrois bien qu'il veint jufques
ycy pour faire ce que je veulx faire. Je te
prie mande-moy cyl y pourra venir , car
j'en chercherois un aultre.
Au dos , à Madame de Gramont.
QUATRIEME LETTRE.
II. vient d'arryver un de vos laques qui
a efté pryfonnyer dys jours au brouage ;
l'on luy a retenu votre fettre & de ma
feur toutes fois craygnant la faffon don
St. Luc c'eft affeuré que je man refantyroys
, il me les ranvoye par un des fyens
qui ne doyt arryuer que ce foyr . Le vefeau
où eftoyt venu ce porteur part dans vn
eure , ce quy me le fayt renuoyer ayant
retenu Efpryt pour des refons dont vous
oyrres bientoft parler. J'eus hier des nouuelles
d'Alemagne ; notre armée ſera le
dernier de Juylet , à l'ancyen calcul , à la
Place Montre qui eft en France . La charge
de cheval de blé an Champagne & Bourgougne
vaut fynquante livres , à Parys
Civ
16 MERCURE
DE FRANCE.
rante : c'eft pytyé de voyr comme le peuple
meurt de fayn . Sy aués befoyn d'un
cheual de coche , il y an a vn dans ma
troupe tout comme les votres , fort beau .
J'arryvys avffoyr de Marans où j'étoys allé
pour pouruoyr à la garde d'yccluy. Ha ,
que je vous y fouheté c'eft le lyeu le plus
felon votre humeur que j'aye jamais veu ,
pour ce ceul refpect fuys- je après à les
changer. C'eft une ille renfermée de marés
boquageus où de cent an fan pas il y a des
canaus pour aller chercher le boys par
beteau , l'eau clere , peu courante , les
canaus de toutes largeurs , des bateaus de
toutes grandeurs; parmy ces défers myle jardyns
où lon ne ya que par beteau. L’yſle
a deux lyeues de tour ayfyn anuyronée ,
paffe une ryuyere par le piet du château ,
au mylyeu du Bourc qui eft auffy logeable
que Pau peu de mefons qui n'antre de
bateau. Cefte ryporte
petyt
vyere s'étant an deus bras quy portent nonfeulement
grant bateaux; mes les nauyre
de fyquante tonneaus y vyennent , il n'y
a que deux lycues jufques à la mer , certes
ceft un canal , non une ryuyere , contremont
vont les grans bateaus jufques à
Nyort , où il y a douze lyeues , ynfynys
moulyns & meteryes ynfulées , tant de
forte d'oyfeaus qui chantent , de toute forte
fa

dans fon
JANVIER 1765 . 57
de ceux de mer , je vous an anuoye des
plumes ; de poyfon , c'eſt une monftreuofité
que la cantyté , la grandeur & le prys ;
une grande carpe troys fous , & cync un
brochet ; c'est un lyeu de grant trafic , &
tout par beteaux , la terre très - plene de
blés & très -baus : l'on y peut eftre plefanmant
an pais & feuremant an guerre ; l'on
fy peut réjouyr auec ce que l'on ayme &
playndre une abfance ; ha qu'yl y fet bon
chanter. Je pars Jeudy pour aller à Pons ,
où je feray plus près de vous , mes je n'y
feray gueres de féjour. Je croys que mes
autres laques font morts , il n'en eft reuenu
nul. Mon âme , tenés- moi an votre bonne
grace , croyés ma fydélyté eftre blanche &
hors de tache , il n'an fut jamays fa pareille.
Sy cela vous aporte du contantement,
Vyués heureufe , votre efclave vous adore
vyolamant. Je te befe , mon coeur , un mylyon
de foys les mayns. Ce xvij Juyn .
CINQUIEME LETTRE.
MONGLAS vyent d'arryuer. Il me hâte
plus que les autres
& avec
des refons
quy
font
fort à crayndre
, & quy ne ce doyuent
efcryre
, elles
vous
feront
dytes
. Il n'y a eut
nul
combat
depuys
celuy
d'auprès
Montargys
; le Duc
du Meyne
c'eft
retyré
à
fon
Gouvernement
, & M. Daumalle
chés
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
luy : Parys n'a voulu recebuoyr les Souyces
du Roy , ny M. de Guyfe auffy qui c'eſt
préfanté au Faubourc. J'ai l'âme fort traverfée
& non fans caufe. Reguardés fy la
ranffon de Nauaylles pourroyt eftre modérée
par votre faueur. Je vous fuplye
amployés-vous-y pour l'amour de Tach, &
de moy ; ce porteur paffe par St. Ceuer
& y repaffera au retour. Tenés-moy an
votre bonne grace comme celuy quy vous
fera fidelle efclaue jufques au rombeau .
Dumont, ce 8 Deffambre
J'ay deus petys fanglyers pryués & deux
fans de byche. Mandés- moy fy les voulés.
IL
SIXIEME LETTRE.
L ne ce fauue poynt de laques ou pour
le moyns fort peu qu'yls ne foyent déualifés
ou les lettres ouuertes : il eft arryué cet ou
huyt Gentylshomes de ceux quy estoient
à l'armée étrangere , qui affeurent ( comme
eft vray ) , car l'un eft M. de Monlouet
frere des Rambouylet , quy eſtoyt un des
députés pour treter , qu'yl n'y a pas dys
Gentylshomes quy ayent promys de ne
porter les armes M. de Bouyllon n'a
poynt promys ; bref , il il ne c'eft ryen
perdu quy ne ce recouue pour de l'argent.
JANVIER . 1765 . 59
á
M. Dumeyne a fayt un acte , de quoy il
ne fera gueres loué. Il a tué Sacre- more
luy demandant récompance de ces feruyces,
coups de pouygnar : l'on me mande que
ne le voulant contenter , il cregnyt qu'eftant
mal contant il ne defcouryt fes fegrets
qu'il fçauoyt tous , maymes l'anrreprynfe
contre la perfonne du Roy , de quoy il
eftoyt chef de l'excécutyon . Dieu les veut
vayncre par eus- mefmes , car feftoyt le plus
utylle fervyteur qu'yls ufent : il fut anterré
qu'yl n'eftoyt pas encore mort. Sur ce mot
vyent d'arryuer Morlans & un laques de
mon coufyn quy ont efté defvalyfés de
lettres & d'abylemans. M. de Turene fera
ycy demayn. Il a pryns autour de Syjac
dyfe-huyt fors an troys jours. Je feray
peut- eftre quelque chofe de meylleur bientoft,
s'yl playt à Dieu . Le bruyt de ma mort
allant à Pau & Maux , courut à Parys , &
quelques Prefcheurs an leurs fermons la
metoyent pour un des bons eurs que Dieu
leur auoyent promys. JJee ttee bbeeffee uunn mylyon
de foys les mayns. De Montauban ce 14
Januyer.
*
60 MERCURE DE FRANCE ,
SEPTIEME LETTRE .
HYER reuynt Pychery , qui me porta
une courte lettre de vous , & me dyt que
l'on luy an auoyt pryfe un autre ; tout fut
ouuert , reguarday ce que vous me mandyés.
Il me uynt hyer un home de Parys
auec amples anys de tout. Le Roy y eft
aryué fort aplaudy du menu peuple , dyfant
tout haut que les Lygueurs ne fefoyent que
menaffer, mes que le Roy auoyt chaffé les
étrangers. La Royne - Mere n'a montré
joye de fon arriuée , ayns dyt par tout que
fans le Roy M. de Guyfe les eût défayts .
Il y a des partycularytés que je ne puys
efcryre pour avoir perdu le chyfre que
j'auois auec vous . Guytry & Cleruant n'ont
fygné la capytulatyon , & ont répondu
qu'yls aymoyent mieus perdre leur bien
que de manquer à feruir leur mettre. Ils
font à Geneue , je les auré au premyer jour.
La capytulatyon confyfte an troys poynts :
ceus qui voudront obeyr à l'Edit demeu
reront libres an leur mefon ; ceux qui ne
le voudront fayre , & promettront de ne
porter plus les armes jouyront de leurs
biens an pays étranger ; ceus quy ne feront
Bien
n'y l'un n'y l'autre feront conduyts hors
de France an fureté . Tygnonuyle fera deJANVIER.
1765. 61
main усу. Il ne vyent encore nulle armée
fur nos bras. Mon coeur , tenés - moy en
uotre bonne grace , & vous affeurés toufjours
de ma fydélyté qui fera ynuyolable.
Je vous bayfe un mylyon de foys les
mayns & à petyte foeur. Ce 12 Januyer.
HUITIEME LETTRE.
Vous ne treuués point les chemyns
dangereus pour fayre plefyr au moyndre
de vos amys ; mes s'yl me faut efcryre pour
me donner du contantemant , les chemyns
font trop dangereus. Voilà les témoygnages®
que j'ay de la part que je poffede an votre
bonne grace . J'efcrys la lettre à Meryteyn
que demandés , & vous l'anuoye toute
ouuerte ; je croys qu'yl ce mefcontantera ,
mes j'ayme mieus votre bonne grace que
la fyene. J'avoys bloqué le Mafdagenes ,
mes je n'y auoys mené l'artyleryes cregnant
que l'armée du Maréchal ne me la fyt
leuer de deuant an dylygence , le Gran
Pryeur de Toulouſe eftant joynt auec
l'armée de Languedoc à luy , je uoys monter
à cheual auec troys cens cheuaus &
donneray jufques à la tefte de leur armée ;
ce cefa grans cas fi je ne foys quelqué
chofe. Je fynys , croyant certeynement que
ne me uoulés poynt de bien. Il cft an uous
62 MERCURE DE FRANCE.
de m'an donner telle ynprefyon qu'il uous
plera. Je uous befe un mylyon de foys les
mayns. Ce xxiij Feuryer.
JPAL
NEUVIEME LETTRE.
moy;
'AI reçu une lettre de vous , ma M...:
par laquelle vous me mandés que ne me
voullés mal , mais que vous ne vous pouués
affeurer en chofe fy mobylle que moy.
Ce m'a eſté un extrême plefyr de fçauoyr
le premyer , & vous aués grant tort de
demeurer au doute quétes. Quelle actyon
des myenes aués-vous connu muable , je
dis pour voftre reguart ? Voſtre ſoupfon
tournoyt & vous panfyés que ce fut
j'ay demeuré toufjours fixce an l'amour &
feruice que je vous ay voué , Dieu m'an
eft témoyn. Vous aués opynyon que l'home
de delà eft piqué : auffy étyl , mais c'eſt
de force ; il fayt gloyre d'auoyr ateynt la
perfectyon de dyfymuler. Je luy rabats
cefte opynyon tant que je puys ; il ne le
faut eftre qu'an aféres d'eftat , encore le
fautyl bien accompagner de prudance.
Hyer le Marefchal & le Grant Pryeur
vyndrent nous préfanter la bataylle , fachant
bien que j'auoys conjedyé toutes
mes troupes ; ce fut au haut des vygnes
du cotté d'Agen. Ils eftoyent cynq cens
JANVER. 1765 .
cheuaus & près de troys myllhomes de
piet. Après auoyr efté fync heures à mettre
leur ordre , qui fut affés confus , ils partyrent
réfolus de nous jetter dans les foffés
de la Vylle , ce qu'yls deuoyent vérytablement
fayre , car toute leur ynfanterye vynt
au combat. Nous les refûmes à la muraylle
de ma vygne quy eft la plus loyn , & nous
retyrames au pas tousjours efcarmouchant
jufques à fync cens pas de la Vyle où
eftoyt notre gros quy pouuoyt eſtre de
troys cens Arquebufyers . L'on les ramena
de là jufques où ils nous auoyent affayllys ;
c'eſt la plus furyeufe efcarmouche que
jaye jamays veue , & de moyndre éfet ,
car il n'y a eu que troys foldats bléfés ,
tous de ma guarde , dont les deus n'eft
ryen. Il y demeura deus des leurs de quy
nous ufmes la dépouylle , & d'autres qu'yls
retyrerent à notre veue , & force bleffés
que nous voyons amener. Mon âme , tenésmoy
an votre bonne grace , c'eft ce que je
defyre le plus du monde . Sur cefte véryté,
je vous béfe un mylyon de foys les mayns.
Ce premyer Mars.
2
64 MERCURE DE FRANCE.
DIXIEME LETTRE.
POUR acheuer de me peindre , il m'eft
fa
arriué l'un des plus extrefmes malheurs
que je pouuoys crayndre , quy eft la mort
fubyte de M. le Prynce. Je le playns comme
ce qu'yl me deuoyt eftre , non comme ce
qu'yl m'étoyt. Je fuis afteure la feulle bute
où vifent tous les perfydes de la M.....
Ils lè l'ont empoifonné , les traitres ; fy
eft- ce que Dieu demeurera le maître &
l'exécuteur. Ce pauure
moy par grace
Prynce ( non de coeur ) , jeudy ayant couru
la bague , foupa ce portant byen ; à mynuyt
luy prynt un vomiffement très- violant quy
luy dura jufqu'au matyn ; tout le vendredy
il demeura au lit ; le foir il foupa , &
ayant bien dormy, il fe leva le famedy
matyn , difna debout , & puis joua aux
échets ; il fe leva de fa chere , ce mit à
Prome latre:tout d'un
promener par fa chambre deuyfant auec
l'un & l'autre : tout d'un coup il dyt , bayl
lés moy ma chere , je fens une grande foybleffe
. Il ne fut affys , qu'yl perdyt la parole,
& foudayn après il rendyt l'âme affys : les
marques de poifon fortyrent foudayn . Il
n'eft pas croyable l'étonnement que cela
a aporté an ce pays là. Je pars dès l'aube
du jour pour y aller pouruoyr en dylyJANVIER.
1765 . 65
geance. Je me vois en chemayn d'auoyr
byen de la peine ; pryez Dieu hardymant
pour moy : fy j'en échappe , il faudra bien
que ce foyt luy quy m'ayt gardé jufques
au tombeau , dont je fuys peut- eftre plus
près que je ne penfe . Je vous demeureray
fydelle efclave . Bon foyr , mon âme. Je
vous bayfe un mylyon de foys les mayns.
ONZIEME LETTRE.
DIEU ceft quel regret ce m'eft de partyr
d'ycy fans vous aler béfer les mayns ;
certes , mon coeur , j'an fuys au grabat.
Vous trouuerés eftrange ( & dirés que je
ne me fuys poynt trompé ) , ce que Lyceran
uous dyra : le diable eſt deſchéné ; je ſuys
à playndre , & c'eft merueylles que je ne
fucombe fous le fays. Sy je n'eftoys Huguenot
, je me feroys Turc. Ha ! les vyolantes
efpreuues par où l'on fonde ma feruelle ;
je ne puys fayllir d'eftre bientoft ou fou
ou abyle home : cette année fera ma pierre
de touche ; c'eſt un mal bien douloureux
que le domestique. Touttes les peines que
peut receuoyr un efpryt font fans ceffe
excercées fur le myen , je dis touttes enfemble
. Plégnés - moy , mon âine , & n'y
portés point votre efpece de tormant ,
celuy que j'apréhande le plus. Je pars venc'eft
.
66 MERCURE DE FRANCE.
"
dredy & voys à Clayrac. Je retiendré uotre
précepte , de me tayre. Croyés que ryen
qu'un manquement d'amytyé ne me peut
fayre changer la réfolutyon que j'ay d'eftre
éternellement à vous , non tousjours efclaue
, mais ouy byen forcere . Mon tout ,
aymé-moy ; votre bonne grace eft l'apuy
de mon efpryt au choc des afflyctyons ; ne
me refufe ce foutyen. Bon foyr , mon âme;
je te béſe les piets un myllyon de foys.
De Nerac ce 8 Mars à mynuyt
DOUZIEME LETTRE.
IL m'arryua hyer , l'un à mydy , l'autre
au foyr , deus courryers de St. Jean * , le
premyer rapportoyt , comme Belcafiel ,
Page de Madame la Prynceffe , & fon
Valet-de- chambre , s'an eftoyent fuys foudeyn
après auoyr ueu mort leur mettre ,
auoyent treuué deus cheuaus valant deus
cens efcus à une oftellerye du Faubourc
que l'on y tenoyt il y auoyt quinfe jours ,
& auoyt chefqun une malette plene d'argent
, an quys l'ofte dyt que ceftoyt un
nommé Brylant quy ly auoyt baillé les
cheuaus , & luy alloyt dyre tous les jours
fufent bien trétés quy ; que fy il bayloyt
D'Angely
JANVIER. 1765.
67
aus autres cheuaus catre mefures d'auoyne ,
qu'yl leur an baylat huyt , qu'il payroyt
aufli au double ; ( ce Brylant eft un home
que Madame la Prynceffe a mys an la
mefon & luy fefoyt tout gouuerner ) . Il
fut tout foudeyn pryns , confeffa avoir
bayllé myle efcus au Page , & luy auoir
acheté fes cheuaus par le commandemant
de fa Mettreffe pour aller an Ytalye. Le
fecond confirme & dit de plus , que l'on
auoyt fayt efcryre une lettre à ce Brylant
au Valet- de- chambre , qu'on fçauoyt eftre
à Poytiers , par où il luy mandoyt eftre à
deus cens pas de la porte , qu'il vouloyt
parler à luy : l'autre fortyt foudeyn , l'ambufquade
quy yeftoyt là le prynt & fue
mené à St. Jean . Il n'auoys encore efté
ouy , mais bien , difoy- t'yl à ceux qui le
menoyent, ha que Madame eft méchante !
que l'on prégne le Taylleur , je diray tout
Jans géne : ce quy fut fayt. Voilà ce que
l'on an fet jufques à cefteure. Souuenésvous
de ce que je vous an ayt dyt d'autref
fois je ne me trompe gueres an mes jugemens
; c'eft une dangereufe befte qu'une
mauuefe fame. Tous ces anpoyfonneurs
font P..... Voilà les ynftrutyons de la
Dame. J'ay defcouuert un tueur pour moy.
Dieu me guardera , & je uous an manderay
bientoft d'auantage. Le Gouuerneur &
68 MERCURE DE FRANCE.
les Capyteynes de Tayleboure m'ont anuoyé
deus foldats , efcryt qu'yls n'ouuryroient
leur Place à perfonne qu'à moy ; de
quoy je fuys fort ayfe. Les enemys les
prefent , & ils font fy ampreffés à la véryfycatyon
de ce fayt , qu'yl ne leur donnent
nul ampefchemant. Ils ne leffent fortyr
home vyuant de St. Jean que ceus quy
m'anuoyent. M. de la Trymouylle y eft luy
vyngtieme feulemant. L'on m'efcryt que
fyje tardoys beaucouc , il y pourroyt auoyr
du mal , & grant , cela me fayt hafter de
faffon que je prandré vynt mettres & m'y
anyray jour & nuyt pour eftre de retour à
Ste. Foy à l'affamblée. Mon âme , je me
porte aflés bien du cors , mays fort aflygé
de l'efpryt. Aymés-moy , & me le faytes
paroyftre ; ce fera une grande confolatyon
pour moy ; je ne manqueray point
à la fydélyté que je vous ay uouée., Sur
cefte véryté , je uous béfe un mylyon de
foys les mayns.
D'Aynfet ce 13 Mars.
Lafuite au Mercure prochain.
4
JANVIER. 1765 .
69
LE mot de la première Enigme du Mercure
de Décembre eft l'orgue. Celui de
la feconde eft plume. Celui du premier
Logogryphe eft Carême , dans lequel on
trouve crême ( St. ) , felon la nouvelle ortographe
, pour ( St. ) chrême ; crème , partie
graiffeufe du lait dont on fait le beure ;
Carme , Moine qui tire fon nom du Mont-
Carmel en Judée ; forte de bois appellé
charme , qui fe nommoit autrefois carme :
vers que nos anciens Poètes appelloient
carme , de carmen ; mere , mare , race ,
rame , marc , St. Marc l'Evangélifte , le
marc du raiſin , &c. arme , amer , acre ,
acre , faveur qui a de l'âcreté ; âcre , meſure
de terre femblable à celle qu'on dit arpent ,
mer., âme , arc. Celui du fecond Logogryphe
eft boulet , duquel ôtez t , refte
boule. Et celui du troifieme eit mens.
A
ENIGM E.
deux êtres divers je dois mon exiſtence ;
Et telle eft , cher Lecteur , la rigueur de mon fort :
Je les fuis , attaché fans ceffe à leur préfence ;
Ils ne paroiffent plus , ils me donnent la mort.
70 MERCURE DE FRANCE.

A peine je fuis né que l'on me voit décroître ;
Touchois-je à mon midi , je vais toujours croiffant ,
Quoique différemment vous me voyez paroître :
Je ſuis tel à ma mort que j'étois en naiſſant .
Mon deftin eft , mortels , bien différent du vôtre ;
Je meurs en un climat pour revivre en un autre ,
Je change inceffamment & de forme & de lieu
Et ne me tiens jamais dans un même milieu .
Quoique je ne fois rien , je fais par - tout ma ronde
Je regne tour à tour fur la moitié du monde :
Mille feux allumés avec empreffement
Sont le tribut qu'on paie à mon avénement.
Quelquefois dans les cieux j'exerce mon empire ;
Le favant , l'ignorant , alors chacun m'admire :
Tantôt on me recherche , & tantôt on me fuit ;
Je ne fuis point efprit , je ne fuis point matière ,
Je n'ai , ni ſentiment , ni couleur , ni lumière ,
Je fuis moins qu'un ſoupir , je ne ſuis d'aucun
prix ,
Te ne fuis rien enfin , .... devinez qui je fuis.
S
AUTR E.
ÉPARÉ des mortels , j'habite la Cité *
Conduit par la fidélité ,
Je marche au milieu des alarmes :
Je me plairois à voir couler des larmes
* Civitas.

JANVIER. 1765 71 1
Sans qu'on pût m'accufer de trop de cruauté,
Un Prince redouté
M'a permis de porter ſes armes :
Almanach ambulant , je dévance le jour:
Ne me connoît-tu pas , toi qui connoît l'amour à
J
LOGO GRYPHE.
E me trouve par-tout ; au Collége , au Palais §
Au Spectacle , à l'Académie ;
Les Cours de Médecine & de Philoſophie
De moi ne fe paſſent jamais.
Plus d'un Prédicateur m'introduit dans la chaire }
Je fais l'érudit , le fçavant :
J'ai fur-tout un goût dominant
Pour les difcours latins , l'ode & le commentaire
Après ce trait frapant fi j'échappe à vos yeux
Onze pieds combinés de diverſe manière
Vous donneront un Saint qu'en Irlande on révère
Un vin pétillant & fumeux ;
Une Prêtreffe de Cythère ,
Qui , par ſa pénitence , obtint la ſainteté ;
Une autre dont Corinthe admira la beauté ;
L'époufe de Jacob , grace à Laban ſon peres
Un Apôtre ; un arbre flottant ;
Jn Royaume Indien ; une herbe aromatique
Une plante un mont de l'Afrique ¿ ¿
Un titre pris très-fréquemment ,
4
72 MERCURE DE FRANCE.
r
• Et fort rare dans la pratique ;
Des Negres & des Turcs l'ordinaire aliment ;
Un nombre qui de trois eft fuivi conſtamment ;
Le Pontife de Tartarie
Qui fe fait refpecter juſqu'à l'idolâtrie ;
De la même contrée un fameux conquérant ;
Une Ville au Pérou qui tient le premier rang.
J'offre encore la mère d'Augufte ;
Ce qu'évite avec foin l'homme pieux & jufte ;
Des fêtes dans le Nord ; l'étiquette de Cour ;
Le mois où nous voyons renaître la nature ;
Notre première nourriture ;
Et de Conftantinople un célebre Fauxbourg.
Pour le coup , cher Lecteur , dans ce long bayar.
dage ,
J'ai préſenté vingt fois ma véritable image.
JE
AUTRE.
E fuis plus prompte qu'un éclair ;
Sans parcourir , fans fendre l'air
Je fuis plus vite encor que foudre ou coulevrine :
Si c'eft trop peu pour que l'on me devine
Neuf lettres compofent mon nom .
Avec quatre je fuis un Auteur de renom ;
Un Saint ; une Ville d'Afie ;
C
Un Prince électif d'Italie ;
L'inftrument
JANVIER. 1765 . 73
L'inftrument des plaisirs du matin , du grivois ;
Ce qui pare ou gâte un minois ;
Un Prophéte fameux ; un des bouts de la terre ;
Ce Dieu , qu'on prend fouvent pour le Dieu du
tonnerre ;
Un excellent poiſſon ; un duvet , un coton ;
Ce qui fait taire le canon ;
Un lieu toujours fâcheux ; un mince ou gros
falaire ;
Des habitans des airs la voiture ordinaire :
J'aiguife. ou donne l'appétit ;
Dans un feſtin bourgeois je fais un très- grand
bruit ;
Je fuis dans le blafon un mot , une figure ;
Je fus avant ma foeur (par certaine impofture ),
L'époufe du fils d'Abraham ;
Ma foeur l'eut enfuite à mon dam ;
On me voit toujours dans la game ;
Je deviens un adverbe , ou bien je fuis la femme
Que Junon métamorphofa ,
Qu'Argus dès-lors toujours garda :
Ce dernier trait va me faire connoître ;
'y confens , me voilà , je crains peu de paroître.
Par M. DE BOUSSANELLE , Meftre de Camp de
Cavalerie , Capitaine au Commiffaire- Général.
D
74 MERCURE DE FRANCE.
ARIETT E.
NANET
ANETTE eft dans cet heureux âge
Où l'on fent naître le defir ;
Ses yeux , fon maintien , fon langage
Annoncent déja le plaifir .
C'eſt une fleur qui pour éclore i
N'attend que les pleurs de l'aurore
Qui vont la faire épanouir,
Les parolesfont de M. DU SAUSO1s, lejeune.
Nanete son maintien son langage,An
Flute ou F
noncent fir: C'est une
pour
fleur qui
la faire épanouir,
3
Qui fanou ir.
ir
3 3
W
W

JANVIER. 1765. 75
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE à M. DE LA PLACE , fur
l'Hiftoire de la réunion de la Bretagne à
la France , par M. P'ABBÉ IRAIL, en
ce qui concerne le Maréchal DE RIEUX.
NOus avons vu dans votre Journal ,
Monfieur , l'annonce de l'Hiftoire de la
réunion de la Bretagne à la France , par
M. l'Abbé Irail ; elle nous eft parvenue
depuis. Elle rafflemble , en effet , bien des
faits qu'il faudroit chercher dans plufieurs
volumes.
L'Auteur dit dans fa Préface qu'il n'a
youlu mécontenter perfonne : il peut avoir
tenu parole à certains égards ; mais ce n'eſt
pas fans étonnement que nous y avons
remarqué , qu'en parlant du Maréchal de
Rieux , tuteur de la Ducheffe Anne , il
s'eft fervi de termes bien peu ménagés :
ceux , par exemple , * de fujet factieux , de
tuteur remuant & dangereux , de chef de
* Pag. 157 & 177.
Dij
76 MERCURE
DE FRANCE
,
I
parti , paffent fans doute les bornes de
T'impartialité , & ce n'eft , pour ainfi dire ,
que par de pareils traits qu'il laiffe voir un
Seigneur , dont la mémoire femblera toujours
mériter des égards ; ne fût - ce que
par l'honneur que lui avoit fait fon Souverain
, de le nommer tuteur de fon héritiere
: honneur dont il étoit très-digne par
fa naiffance , puifqu'il defcendoit de mâle
en mâle d'Alain le Grand , Duc de Bretagne
, Comte de Vannes , & en même
temps Seigneur de Rieux , Château que ce
Prince avoit fait rebâtir fur la fin du neuvieme
fiecle , & qui , peu de temps après ,
a donné le nom à fes defcendans, On
jugera dans la fuite fi les qualités perfonnelles
du Maréchal le rendoient indigne
de fa naiffance & de l'honneur que lui
avoit fait le Duc François II.
Chaque individu fe croit en droit de
difcuter & d'examiner ; c'eft cette derniere
faculté qui a fait naître le projet de faire
voir au peuple que des imputations autfi
graves ne font point le fruit d'une recherche
indifférente , & qu'il eft des Hiftoriens
affez accrédités pour que leur témoignage
ne déshonore point la balance quand
on les mettra en parallele avec M. l'Abbé
Irail , qui veut donner une idée trop humiliante
d'un Général qui réuniffoit en få
JANVIER . 1765.
perfonne les qualités d'un homme d'Etat
à celles d'un grand Capitaine . Mais auparavant
de faire parler les Hiftoriens , difons
un mot des circonftances critiques dans
lefquelles le Maréchal de Rieux s'étoit
trouvé à l'occafion de ceux qui prétendoient
époufer fa pupile.
Le Duc avoit promis fon héritiere au
Sire d'Albret * , & ce Prince , peu de temps
avant fa mort, y avoit fait confentir le
Maréchal de Rieux , qui en avoit donné
fon fcellé à garder à Catherine d'Alançon ,
Comteffe de Laval.
Etoit - il donc étonnant , qu'après des
engagemens auffi formels , le Maréchal
eût refpecté les promeffes qu'il avoit faites
à un Prince mourant , & qu'il eût agi avec
fermeté pour les mettre à exécution ; furtout
dans un temps où la fauffe répugnance
de voir la Bretagne unie à la France occupoit
l'efprit de toute la Nation ? D'ailleurs,
fe livrer au Roi des Romains , c'étoit
s'affujettir à une domination étrangere ,
& attirer pour toujours les troupes Allemandes
& Angloifes en Bretagne.
M. l'Abbé Irail , parlant de la réconciliation
de la Ducheffe avec fon tuteur ,
dit que pour ménager la délicateffe d'un
*
Lobineau , pag. 807 & 808 .
D iij
78 MECURE DE FRANCE.
chef de parti * , on avoit fupprimé le mot
de pardon d'autres avoient dit avant lui
que le Maréchal en avoit rejetté la propofition
avec hauteur , & M. l'Abbé Irail ,
avant de prononcer , auroit pu fe donner
la peine d'examiner fi ce Seigneur étoit
dans le cas d'un terme auffi flétriffant , &
fifa conduite ne devoit pas l'en garantir.
Lobineau dit à cette occafion ** , « que
» par les lettres de réconciliation , du
» 9 Août , cette Princeffe avoit approuvé
» tout ce que fon tuteur avoit fait ; que
» ce tuteur , dans le temps même qu'il
étoit brouillé avec fa pupile , & qu'il
» avoit fur les bras une armée de François
fupérieure à la fienne , avoit pris fes
» mefures fi prudemment , qu'il les avoit
empêché de paffer la riviere de Vilaine ,
» & que , loin de recevoir aucun échec ,
» il leur avoit enlevé , avec peu de Bre-
» tons & d'Anglois , la plupart des Places
ככ
י כ ל
"
-23
qu'ils tenoient en Baffe - Bretagne ; &
» enfin , que malgré les divifions furvenues
» entre la Ducheffe & le Maréchal , celui- ci
» avoit fait voir qu'il n'avoit jamais eu en
» vue que le bien du pays en général , &
» celui de cette Princeffe en particulier ;
» que dès qu'un moment de paix avoit
ود
* Pag. 177.
**
Pag. 807 & 808.
JANVIER. 1765 . $79
permis de refpirer , il s'étoit uniquement
" occupé à mettre le bon ordre par- tout ,
» à contenter les troupes étrangeres qui
» étoient en Bretagne , à les faire bien
vivre enfemble , & faire exécuter aux
» François les articles du Traité de Francfort
, qui concernoient la Bretagne » .
Voilà des traits marqués qui auroient
dû retarder le jugement de M. l'Abbé
Irail ; ils font d'un Hiftorien impartial
qui ne caractérifoit perfonne à la légère.
Étoit-il donc étonnant , qu'après tant de
procédés de diftinction , le Maréchal n'ait
pas voulu foumettre fa réputation à une
pareille claufe ; & y eût- on reconnu certe
noble fermeté avec laquelle le même Seigncur
avoit parlé peu de temps auparavant
en fon Château d'Ancenis à Madame de
Beaujeu , foeur du Roi , & Régente de
France , lorfqu'elle lui dit , que le Roi
avoit donné ordre de mettre le fiege devant
Nantes, & qu'il lui répondit * : « Madame,
» ce ne font pas-là les termes que le Roi
» a promis , or bien foit ; mais fes gens
n'y entreront ni par force ni par compo-
» fition. Ceux qui ont confeillé le Roi d'y
» mettre le fiege ne l'ont pas bien confeillé
». Mais , fuppofant pour un moment
que la puiffance du Maréchal fût
* Lobineau , pag . 768.
"
و د
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
affez grande vis-à- vis d'une Ducheffe de
Bretagne pour empêcher qu'elle ne le mécontentât
, cette Puiffance eût-elle été affez
redoutable pour lui fauver dans la fuite
les traits d'indignation & de vengeance
que cette Princeffe , devenue Reine de
France , pouvoit lui faire effuyer , fi elle
eût cru fon ancien tuteur repréhenfible
par fa conduite envers elle ? Cette Reine ,
malgré fes grandes qualités , étoit vindicative
; M. l'Abbé Irail en convient :
témoin l'affaire du Maréchal de Gié ,
qu'elle ne put jamais oublier ; & voyons
fi , au lieu de marques de vengeance , cette
Reine n'a pas donné au Maréchal de
Rieux , ainfi que les Rois , fes époux , les
preuves les plus effentielles & les plus conftantes
de leur eftime & de leur affection.
Charles VIII * lui avoit d'abord donné
le Colier de fon Ordre ; décoration auffi
diftinguée alors , qu'elle devint commune
dans la fuite.
La Reine l'avoit fait fon Lieutenant-
Général en Bretague , où il gouvernoit en
fon nom & celui du Roi. Louis XII lui
avoit confirmé ce titre en 1512 , & il le
conferva avec toute l'autorité attachée à
cette place immenfe jufqu'à fa mort , arrivée
fous le regne de François I , qui lui
* D'Argentré , pag . 818. Lobineau , pag. 83 2.
JANVIER. 1765. 81
avoit continué la même confiance . On voit
que ce Monarque , dans fes patentes ,
le
traitoit de fon très- cher & très-amé oncle (a);
& M. Dufail , Confeiller au Parlement de
Bretagne , dans une de fes OEuvres , imprimées
en 1606 , dit que ce Prince difoit
être Breton , parce qu'il étoit forti de la
Maifon de la Reine par les femmes .
Charles VIII , incontinent après fon
mariage , avoit mené le Maréchal de
Rieux (b) à fon expédition du Royaume de
Naples ; il en facilita l'entrée à ce Monarque
par la défaite des Arragonnois , qu'il
combattit au pieddu Mont- Caflin , une des
clefs de ce Royaume (c) ; & au retour , il le
fervit utilement à la journée de Fornoüe.
Dès 1500 Louis XII avoit fait affembler
une armée fur la frontiere de Languedoc
, dont il donna le commandement
au Maréchal de Rieux , qu'il avoit fait en
même temps fon Lieutenant- Général dans
ce pays - là. « Les Maréchaux de Rieux & de
» Gié (d) , dit Mezeray , conduifirent cette
» armée en Rouffillon, où plus de deux mil-
» les Gentilshommes de marque étoient
» accourus pour combattre fous les enfei-
(a) D'Argentré, pag. 818. Lobineau , pag. 832
(b) Mezerai , onzieme vol. pag. 238.
( c) Lobineau , pag. 821.
(d) Pag, 30s.
Dv
*82
MERCURE
DE
FRANCE
.
!T
t
» gnes de ces fameux Maréchaux de Rieux
» & de Gié »
و ر
ور
Enfin , une lettre de la Reine Anne à
fon ancien tuteur , à l'occafion d'une maladie
, va témoigner la part qu'elle prenoit
dans fa confervation. « Mon Coufin , le
Roi vous écrit vous envenir par- deçà ,
» parce que ici vous pourez mieulx rafraîchir
& guarir (a) ; & vous affure qu'il eft
»fort content de vous , cognoiffant la
grande peine & foing que avez pris en
» fon armée ; & lui femble bien que fi
» n'avoit été la cauſe de votre dite mala-
" die , que fon affaire s'en fût mieulx porté.
Motay s'en va devers vous , auquel j'ai
donné charge de vous en dire plus à
plein. Et adieu , mon Coufin , qu'il vous
» ait en fa fainte & digne garde. Ecrit à
Lyon le deuxieme jour de Novembre.
Signé , ANNE ».
ود
ود
و د
»
Pour donner une véritable idée du Maréchal
de Rieux , & n'y rien mettre de
fufpect , fervons- nous du langage des Hiftoriens
, dont quelques-uns ont vécu de fon
temps.
Le Ferron (b) dit de lui « qu'il étoit de
» moyenne ſtature , toutesfois fort & puif-
» fant , ayant magnanime courage ; que
(a ) Actes de Bretagne.
(b ) Hiftoire des Comtes de Harcourt.
JANVIER . 1765 . 83
nos Rois l'avoient conftitué leur Lieu-
» tenant- Général , & conducteur de leurs
» armées , auxquelles charges s'étoit fi ver-
» tueufement comporté en bonne fidélité ,
» qu'il avoit meu fon nom être perpétué
» en gloire & honneur » . D'Argentré ,
qu'il étoit homme avifé ( a ) , vigilant &
grand Capitaine , ayant fait preuve de
fa valeur en diverfes batailles & grandes
›› charges
23
"".
Dom Lobineau (b), parlant de la malheureufe
bataille de Saint- Aubin du Cormier ,
à l'occafion de laquelle M. l'Abbé Irail ne
parle pas plus du Maréchal de Rieux que
s'il n'eût repréfenté dans l'armée qu'un fimple
Capitaine de Réitres ou de Lanſquenets
, dit « que les François attaquerent
» d'abord l'avant- garde , commandée par
» le Maréchal de Rieux , qui les de
façon à les rebuter , ce qui leur fit dire ,
après avoir reculé plus de fix vingts pas :
» donnons plus bas » .
ود
93
reçut
Mezeray ( c) , « que l'avant- garde Bre-
» tonne & le Maréchal de Rieux firent
» merveilles de bien attaquer & de bien
» défendre ; mais que les autres ne les
feconderent
pas ".
ود
( a ) Pag. 818.
(b) Lobineau qui cite Jaligny , pag. 785.
( c ) 11 vol. pag. 216 .
Dvj
$4 MERCURE DE FRANCE.
C'eſt maintenant au Public à juger
le Maréchal de Rieux n'avoit d'autre mérite
que celui d'être un Sujet factieux , un
tuteur remuant & dangereux , un chef de
parti ; & fi M. l'Abbé Irail a tenu parole ,
en annonçant qu'il ne vouloit mécontenter
perfonne ; & fi fon témoignage doit l'emporter
fur tout ce qu'on vient de citer...
Deux petites remarques qu'on va faire
font indifférentes à la queftion , mais elles
aideront à prouver le peu d'exactitude de
M. l'Abbé Irail.
Cet Auteur ( a ) paroît attribuer à François
II de s'être le premier intitulé Duc de
Bretagne par lagrace de Dieu ; on pourroit
lui prouver que l'époque de ce titre eſt
plus reculée (b ).
C'eſt apparemment fans y penfer que ,
parlant des grâces de la Reine Anne , il
dit, en citant Brantome , qu'on la comparoit
à Mademoiſelle de Chateauneuf , h
célebre alors à la Cour ( c) ; l'anacronifine eft
un peu frappant , puifque la belle Mademoifelle
deChateauneuf (Renée de Rieux),
que d'Aubigné ( d ) qualifie de Princeffe de
Bretagne , n'étoit pas née plus de vingt
( a ) Pag. 40.
(3 ) Actes de Bret . tom . II , p. 1032 & autres,
( c ) Pag. 33 .
( d) Tom. 3 , liv. I , pag. 33.
JANVIER. 1765.
ans après la mort de la Reine Anne *
& cette faveur de M. l'Abbé Irail envers
la petite-fille du Maréchal feroit- elle une
récompenfe de fon peu de ménagement
pour la mémoire de l'ayeul ?
Vous obligerez fans doute le Public ,
& fur-tout nos Bretons , fi vous voulez
bien faire inférer mes petites remarques
dans votre Journal.
A Paris , le 15 Novembre 1764. DUPLESSIS.
LES AMANS MALHEUREUX , ON
le Comte de COMMINGE , Drame en
trois Actes ; chez l'Esclapart , Libraire,
quai de Gefyres ; brochure in- 8 °. 1764.
IL n'eft peut - être point de Tragédie
dont le fujet foit auffi intéreffant, que celui
de ce Drame. L'action fe paffe dans l'Abbaye
de la Trappe , dans unfouterrein profond
, deftiné aux fépultures des Religieux,
éclairé d'une lampe funebre , à l'aide de
laquelle on découvre le tombeau de Rancé
adoffé à une croix , & deux foffes nouvelle
ment creufées. Le Comte de Comminge paroît
profterné au pied de cette croix,panché
fur ce tombeau. Ses malheurs , caufés par
l'amour , l'ont conduit dans cette retraite
86 MFRCURE DE FRANCE.
confacrée à la pénitence : il y a pris l'habit
& le nom de Frere Arfene ; il y implore
en vain les fecours de la religion pour combattre
& vaincre une paffion cruelle. La
priere , le jeûne , les macérations ne lui
préfentent que d'impuiffantes armes. Le
Pere Abbé de la Trappe defcend dans le
fouterrein il a apperçu les larmes du
Frere Arfene ; il doit favoir quels font fes
chagrins.
De ces ennuis lui dit - il qu'enferme un
obftiné filence 9
Peut-être , avec raiſon , notre Regle s'offenfe.
Je pourrois réclamer vos devoirs & mes droits ,
De mon autorité faire entendre la voix ;
Mais j'écarte le Chef , & ſa rigueur ſévère :
Vous ne voyez ici que l'ami , que le pere ,
Que l'homme .... qui faura fur ves maux s'attendrir
;
Et fenfible avec vous , & pleurer & gémir.
Non , la religion n'eft point impitoyable ,
C'eſt l'erreur qui la peint farouche , haïffable :
Toujours l'oreille ouverte aux cris du malheureux,
Elle eft prête à verfer fes fecours généreux ;
Appui de tout mortel que l'infortune opprime
Dans ce monde , féjour d'injuftice & de crime ,
Où fans ceffe combat un génie inhumain ,
Dans ce fentier de pleurs , c'eft la premiere main
Qui ſoutienne nos pas & qui feche nos larmes .
O mon fils ! dans mon ſein dépofez vos allarmes .
JANVIER. 1765.
Il y a cinq ans que Comminge eft à la
Trappe. Le Pere Abbé fait encore à peine
fon rang & fon nom. Les larmes , les
gémiffemens qu'il laiffe échapper font
craindre à ce Religieux , que quelque grand
crime n'ait fouillé fa vie ; il fe hâte de le
raffurer.
Aux
yeux d'un Dieu vengeur votre remords
l'expie ;
Pour éteindre la foudre une larme fuffit.
S'il eft des attentats que la terre punit ,
Et qu'au glaive des loix fa juſtice abandonne ,
Mon frere , il n'en eft point que le Ciel ne pardonne.
Comminge n'a point à rougir de ces forfaits
que la honte accompagne. L'amour
feul ; mais comment parler de cette paffion
? dans quel lieu ? devant qui ? Raffuré
de nouveau par le Pere Abbé, il dit :
C'eſt donc à l'amitié que va s'ouvrir mon âme.
Dans ces murs pleins de vous , pleins de la vérité ,
S'il eſt encore permis à mon humilité
De fe repréſenter le monde & fes chimères
.Son fugitif éclat , les grandeurs paffagères
D'en offrir à vos yeux le frivole tableau ,
Sachez que fon preſtige entoura mon berceau.
La maifon de Comminge , où j'ai puiſé la vie ,
Arrête au trône feul fa tige enorgueillie.
>
88 MERCURE DE FRANCE.
Des fonges de la terre avidemment épris ,
Mes ayeux de nos Rois furent les favoris ,
Prodiguerent leur fang pour cette fauffe gloire
Qui fuit l'horreur des camps ,
l'homicide victoire ,
Mériterent des Cours ces dons empoisonneurs
Quedans ce fecle aveugle on nomme les honneurs.
Mon pere , le foutien , l'amour de fa famille >
De fon frere avec moi voyoit croître la fille :
Un fentiment fecret fe mêla dans mes jeux ;
Adelaïde enfin . eut bientôt tous mes voeux .
Sa main avec fon coeur in'alloit être donnée :
Tout ferroit les liens d'un heureux hymenée ;
L'autel nous attendoit. . . ou plutôt le tombeau
...
L'intérêt divife les deux freres . On interdit
à Comminge la vue de ce qu'il aime ;
le hafard lui remet des titres qui pouvoient
fervir la haine de fon pere & ruiner abfo-
Iument celui d'Adelaïde ; il ne confulte
que l'amour ; il les brûle : on l'enferme dans
une tour ; il n'en fort que pour apprendre
qu'Adelaïde eft mariée . Elle étoit inftruite
du fort de fon Amant ; c'étoit à l'engagement
qu'elle prendroir qu'il devroit fa
liberté. Elle lui avoit donné une preuve
d'amour en donnant fa main à un autre.
Elle avoit fait choix de l'homme le plus
haïffable , le Comte d'Ermanfay. Comminge
, accablé de fa perte , vole aux lieux:
qu'elle habite. Surpris aux pieds de cette
1
JANVIER. 1765. 89
femme par un mari jaloux , il s'étoit batty
contre lui , l'avoit bleffé ; avoit été renfermé
dans un cachot ; délivré par un
homme qui lui dit , en lui ouvrant la
porte fors , c'est par ton rival que ta
chaîne eft rompue. Le défefpoir le conduir
à l'Abbaye de la Trappe.
Je viens donc en ces lieux ajoute- il } ; cett
ardeur . . . immortelle
fe cache à vos regards fous l'effet d'un faint zele .
Je m'enchaîne à vos loix. J'appelle à mon fecour
Cette fauffe raiſon , phantôme de nos jours ,
Cette philofophie impuiſſante & ſtérile ,
Qui n'apporte à nos maux qu'un remede inutiles
J'éprouve la foibleffe ; & fes fophifmes vains ,
Bien loin de les calmer , irritent mes chagrins..
Vers la religion mes triftes yeux fe levent ,
Et les rayons fereins dans mon âme s'élevent 5
Mon efprit éclairé l'embraſſe avec tranſport :
Elle fait dans mon coeur defcendre le remord.
Mais , mon Pere , ce coeur n'eft pas encor foumis.
Le Pere Abbé le confole . Ses malheurs ,
fes foibleffes le lui rendent encore plus
cher ; il lui doit de l'appui . Comminge n'ele
pas le feul qui fouffre. Un jeune Religieux,
le Frere Euthime paroît dans le même accablement
: les foins paternels de ce refpectable
Abbé doivent s'étendre jufqu'à lui . Le
90 MERCURE DE FRANCE .
e
coeur de Comminge femble attaché par une
fimpathie fecrette à ce jeune Religieux ,
qui de fon côté fuit fes pas. Ils ne fe connoiffent
point : tous deux refpectent la loi
févère qui preferit le filence. Le Pere Abbé
permet à Comminge de parler à un étranger
qui vient d'arriver , & qui demande à s'entretenir
avec un folitaire : ce font des confolations
qu'il cherche. Dans l'état où fe
trouve Comminge , peut- il en donner à perfonne
? Cet étranger arrive ( le Pere Abbé
eft forti ) ; c'eft le Chevalier d'Orvigny ;
c'eft le frere de l'époux d'Adelaide. Il re-
* connoît Comminge , malgré les auftérités &
fon habillement. Celui- ci fent augmenter
fon trouble ; un mouvement invincible
F'entraîne à demander des nouvelles de
cette femme que la religion ne peut bannir
de fon fouvenir : il fe rappelle avec effroi
que c'étoit un rival qui lui avoit rendu fa
liberté : il en parle avec douleur. D'Orvigny
lui apprend que lui- même eft le rival. Il
n'a pu voir fa belle- four fans la plaindre
d'être liée à fon frere qui la méritoit fi peu ;
& la pitié le mena facilement à l'amour..
Ce fut Adelaide elle-même qui le pria
de délivrer fon amant ; il obéit : honteux
d'un penchant qu'il ne pouvoit furmonter ;
il s'eft éloigné d'elle. Un château voifin
de l'Abbaye de la Trappe lui fert de retraite,
1
JANVIER. 1765 .
Il cherche des fecours contre fa foibleffe ;
Comminge fe fent incapable de lui en donner.
Ces lieux , lui - dit- il , femblent l'afyle
des malheureux. Dans ce moment Euthime
paroît ; il fe traîne à la foffe que ,
felon l'ufage des Religieux de la Trappe ,
Comminge creufe tous les jours : il prend
la bêche & la pioche , & femble vouloir
épargner ces horribles travaux à Comminge ;
ces inftrumens échappent de fes mains : il
s'éloigne en foupirant. D'Orvigny veut le
fuivre, fon ami l'arrête ; ils reprennent
tous deux la converfation qu'Euthime a
interrompue. Comminge apprend en frémiffant
qu'Adelaide eft libre. Il eft lié par
des voeux éternels ; fon déſeſpoir augmente
à chaque inftant. D'Orvigny le quitte avec
douleur & avec effroi.
Comminge ouvre le fecond Acte. Son
coeur eft déchiré , l'homme reprend fon
empire fur lui.
Quel nuage de mort s'étend autour de moi !
Sais-je ce que je veux ? . . . Sais- jc ce que je dois ?
Dans ce lieu d'Orvigny révient & va m'attendre.
Eh ! quel eft mon eſpoir ? & dois-je prétendre
? ...
• que
Rejetter des liens ; rompre des fers facrés ...
Trahir tous les fermens que ma bouche a jurés...
Et le voeu de mon coeur , le voeu de la nature ,
Le ferment folennel d'une tendrefle pure ,
2 MERCURE DE FRANCE.
N'ont- ils pas précédé ces fermens odieux ?
L'homme eft- il un eſclave enchaîné par les cieux
Pour fa foibleffe eft- il quelque joug volontaire?
Des humains malheureux le bienfaiteur , le pere ,
Ce Dieu qui nous créa , qu'on ne peut trop chérir,
Comme un fembre tyran verroit avec plaifir
L'aiguillon des douleurs déchirer fon image ,
Une éternelle mort détruire fon ouvrage !
Mes larmes nourriroient fa jalouſe fureur ,
Et mes tourmens feroient la gloire & la grandeur!
Ce feroit le fervir , lui rendre un digne hommage,
Que d'épuifer mes jours dans un long esclavage !....
Non , je reprend mes droits. L'aveugle humanitý
Ne doit former des voeux que pour la liberté ;
Que pour faifir , hélas ! la lueur peu conftante :
D'un bonheur fugitif qui trompe notre attente,
Tous ces affreux fermens ſont enfin oubliés ;
J'adore Adelaide , & je vole à fes pieds.
Pourfuit , lâche Comminge , outrage un Dieu fuprême
;
A l'audace , au parjure , ajoute le blafphême.
Apoftat facrilège , où vient de t'emporter
Un amour infenfé ... que tu ne peut dompter..
Tu parle de brifer la chaîne qui te lie !
Juge de ta baffeffe , & vois ta perfidie .
Si ce phantôme vain qui fafcine les yeux ,
Qui n'a de la vertu que l'éclat ſpécieux ;
Si l'honneur t'arrachoit ta promelle frivole ,
Réponds 2 Oferois- tu manquer à ta parole =
JANVIER 1765 .
و
Et la religion , tous les peuples des cieux....
Dieu même par ta bouche a prononcé tes voeux.
D'Orvigny le furprend au milieu de ces
combats. Il tient une lettre dans fes mains.
Son vifage eft innondé de larmes . Tour
alarme Comminge dans l'état affreux où il
fe trouve. Il veut voir la lettre que tient
d'Orvigny ; mais la pitié ne permet pas રે
celui-ci de la lui remettre. L'obftination
de Comminge l'emporte. Il lit qu'Adelaïde
n'eft plus depuis un an. Il tombe évanoui
à cette affreufe nouvelle fur une des fépultures
des Religieux . Le Pere Abbé , étonné
de la feconde vifite de cet étranger , veut
en favoir le motif : il vient. Comminge
revient à lui , ramaffe fes forces , & ne peut
que lui dire : elle eft morte , mon Pere . Il
retombe après ces mots. Le Pere Abbé
l'embraffe , le foutient ; lui parle comme
un ami tendre , & ne peut diffiper fon
trouble. Il craint que tant d'égarement ne
fcandalife un étranger. Il prie d'Orvigny
de fe retirer . Comminge s'écrie avec tranfport
:
Qu'il demeure
Mon pere...qu'à fes yeux je gémiffe.. je meure !
Tous mes crimes encor ne lui font pas connus.
Il m'avoit fuppofé quelque ombre de vertus ;
Il pourroit m'eſtimer ; de fon erreur extrême
94
MERCURE DE FRANCE.
Qu'il foir défabulé ; ... que d'Orvigny , vousmême....
T
Que l'enfer , .. que le Ciel , .. que l'univers entier
Apprennent des forfaits ... qu'on ne peut expier.
Qu'une âme fans remords devant vous ſe déploye .
Oui , dans ce même inftant où le Ciel me foudroie
,
Je formois le projet .. tous mes liens rompus .
J'allois porter mon coeur aux pieds .. elle n'eft
plus !
Et ce Dieu m'en punit.
....
Il retombe après ces mots. D'Orvigny
fe retire. Le Pere Abbé , fenfible aux tourmens
de Comminge , s'efforce d'adoucir fon
défefpoir. Que la religion eft fublime ;
' elle eft confolante , qu'elle eft aimable
dans la bouche de ce Religieux Il parvient
à le calmer ; mais fes déchiremens
fubfiftent encore ; c'eft à Dieu feul à le
foutenir. Oui , mon cher Arfene , lui dit-il,
qu'e
Vous êtes un dépôt à ſes ſoins confié ;
D'un fi cruel tourment le Ciel aura pitić.
Qu'un espoir courageux vous flatte & vous anime.
Criez à votre Dieu du profond de l'abîme ;
D'un honteux esclavage il brifera les fers,
}
Voulez vous réveiller dans votre âme impuiffante
JANVIER. 1765. 95
Les fublimes clans , cette famme agillante
Qui nous porte à l'amour de la Divinité ?
Qu'un tableau de terreur frappe l'humanité.
Devant vos yeux fans ceffe appellez la peinture
De cette mort , l'effroi de l'humaine nature .
Plus docile à nos loix , achevez de creuſer
Cette foffe , où l'argile ira le dépofer :
Mais ce fouffle immortel , cet efprit d'un Dieu
même ,
Tremblez qu'il n'ait ſur vous attiré l'anathême
Tremblez , enviſagez l'Arbitre Souverain :
Sur cette foffe affis , la balance à la main.
Le Pere a diſparu , vous voyez votre Juge ;
Il prononce : où fera , mortel , votre refuge ?
En lui montrant fa foffe.
C'est donc là que panché fous le glaive d'un Dieu ,
C'est là que vous devez enfevelir ce feu ,
Qu'il faut que votre coeur fe foumette , fe brife ,
Sur vos devoirs cruels que la mort vous inſtruiſe ...
Avec ce maître affreux je vous laiffe....
Le Pere Abbé le quitte après ce difcours
vraiment terrible &d'un pathétique fublime
dont nous connoiffons peu d'exemples. Il
va près d'Euthime. Il doit apprendre fes
fecrets. Comminge , refté feul , va travailler
à fa foffe. La terre femble réfifter fous fes
coups ; elle feroit fenfible fi elle s'ouvroit .
06 MERCURE DE FRANCE.
Pendant qu'il s'occupe de ce travail , Euthime
defcend dans ce fouterrein. Il va
recueillir les larmes de Comminge aux pieds
de la croix , où il l'a vu fouvent pleurer.
Il le regarde en gémiffant. Ce malheureux
Religieux ne l'apperçoit point. Il inter-.
rompt fon travail pour regarder encore une
fois le portrait d'Adelaide qu'il a confervé.
Il le tire de fon fein , le mouille de larmes .
Euthime , attentif à fes actions , s'approche
avec trouble ; il voit le portrait , étend les
deux mains vers Comminge ! & s'écrie , ah !
Comte de Comminge . Celui- ci remet précipitamment
ce portrait dans fon fein. Cette
voix l'émeut, c'eft Euthime ; il le voit fuir ,
il veut le fuivre ; Euthime lui fait figne de la
main de refter. Il faut lire cette fcene dans la
piece même , il n'y a rien de plus pathétique.
Pendant que Comminge déplore fes
malheurs , le trouble que lui infpire Euthime
, qui s'eft échappé d'un air mourant ,
d'Orvigny revient. Il a vu en paffant
Euthime porté par des Religieux qui le
conduifent
Aux lieux où la pitié , d'une main bienfaiſante ,
Prodigue fes fecours à la vie expirante,
L'émotion de Comminge augmente ; il
court s'informer de l'état de ce Religieux .
11
JANVIER . 1765. 97
Il revient au troifieme Acte avec d'Orvigny.
Il aime à refpirer dans ces lieux
fombres qui lui retracent fans ceffe l'image
de la mort. Il l'attend avec l'impatience
naturelle aux malheureux. Euthime eft
toujours préfent à ſon eſprit ; il ſemble
partager
fon coeur avec le fouvenir d'Adelaide.
D'où me vient cet intérêt puiſſant ?
Seroit- ce du malheur le fuprême aſcendant ?
Et des infortunés l'âme éprouvée & tendre ,
Plus qu'une autre âme enfin , cherche- t- elle à s'étendre
?
Ou le Ciel , pour accroître & nos maux & nos foins,
Met- il ce fentiment au rang de nos befoins ?
L'accablement de Comminge augmente
par toutes ces différentes impreffions.
Avec nos fens flétris nos efprits s'affoibliſſent
Et de notre raifon les forces nous trahiffent.
J'euffe autrefois d'un fonge écarté les erreurs :
J'ouvre aujourd'hui mon âme à ces vaines terreurs .
Lorſque l'aftre du jour brille au plus haut des cieux,
La regle nous permet d'appeller fur nos yeux
D'un fommeil confolant les douceurs fugitives ,
La mort même abaiffoit mes paupieres craintives
Dans le fein du repos j'eflayois d'affoupir
Les tortures d'un coeur fatigué de gémir.
E
98
MERCURE
DE
FRANCE
.
Quel fonge m'a rempli de fes traces funebres !
J'errois dans les déferts à travers les ténébres.
Du fond de noirs tombeaux , antiques monumens,
J'entendois s'échapper de longs gémillemens ;
Dans les débris épars de ces vieux mauſolées
Je voyois fe traîner des ombres défolées ;
D'un lamentable écho les chants retentiffoient ;
Des monceaux de cercueils juſqu'aux ´cieux s'entalloient.
A la fombre lueur d'une torche fanglante ,
J'apperçois une femme égarée & tremblante ,
En vêtemens de deuil , les bras levés au ciel ,
J'approche ,
tombe !
• · Adelaide ! à fes genoux je · •
Et n'embraffe , effrayé , qu'une plaintive tombe !
Je repoule de moi ce tombeau gémiſſant.
Sous les habits d'Euthime un ſpectre menaçant
Se leve , fe découvre : à mes regards préfente....
quelle image ! .... la mort cauſe moins d'épouvante
.
D'un tourbillon de feu il étoit entouré ;
On pouvoit voir fon coeur de flammes dévoré.
« Arrête , m'a- t-il dit , d'une voix douloureuſe
cruel ! ... ma deſtinée eſt affez malheureuſe !
>> Puiſſai - je , dans ces feux allumés par le Ciel ,
» Expier les erreurs d'un penchant criminel !
JANVIER 1765. 99
>> Contemple un monument des céleftes ven-
...
», geances : .
›› Pleure , il eft encore temps , répare tes offenfes...
» Tu vois Adelaide ... » . A ces mots expirans
Il lance dans mon fein un de les traits brûlans.
« Je t'attends , pourfuit - il » je m'écrie ,
retombe ,
il
Et rentre en murmurant dans la nuit de la tombe.
La foudre y fuir le ſpectre , & l'enfer a mugi.
Dans ce moment quatre Religieux paroiffent
; ils prennent les cordes d'une cloche
qu'ils ont coutume de fonner quand
un d'eux eſt prêt à mourir . Comminge ne
doute point que ce ne foit
pour Euthime.
Le Pere Abbé confirme ce preffentiment ;
il vient fuivi de deux Religieux qui préparent
le lit de cendre fur lequel doit
expirer Euthime. Les autres Religieux defcendent
en filence dans le fouterrein pour
affiſter à ſa mort. Le Pere Abbé leur dir
Que chacun prenne place & m'écoute. La mort
Sur un de nous s'arrête & va finir fon fort.
Le Frere Euthimè eft prêt à fortir de la vie.
Il attend vos ſecours ; par ma bouche il vous prie
D'une commune voix d'implorer l'Eternel.
Que cet infortuné , vainqueur d'un corps mortel ,
Plein de ce feu facré que l'efpérance allume ,
Au calice de mort boive fans amertume .
E ij
MERCURE DE FRANCE.
Et que fon âpie en paix , rejettant fes liens ,
S'élance au fein d'un Dieu , la fource des vrais
biens.
Il prononce alors à haute voix une prière
fublime , de ce fublime fombre & terrible
qui convient à la fituation . Euthime approche
foutenu par deux Religieux . On le
couche fur la cendre. Il demande fi fa foffe
eft éloignée : onla lui montre ; il la regarde
en difant :
Mon courage incertain demande à s'affermir ;
Soutenons ce fpectacle , ... il apprend à mourir,
Il a de grands fecrets à révéler. Le Pere
Abbé lui a permis de parler , & il dit :
Vertueux Solitaires ,
Vous avez cru ma foi , ma piété fincère ;
Que digne enfin du nom que vous n'avez donné ,
J'étois , par un faint zèle , aux autels entraîné :
Il faut vous détromper. Contemplez dans Euthime
Des défordres du coeur la honteuse victime ; ...
En un mot
une femme. • ·
Comminge s'écrie àce mot ; l'étonnement
fe peint fur le vifage de tous les Religieux ;
de Pere Abbé faifi n'a que la force de dire :
en ce lieu ! Euthime n'eft autre qu'Adelaïde.
Elle montre Comminge & continue :
JANVIER . 1765 . ΙΟΥ
Voilà d'un culte impie
·
Le trop fatal objet . . & que j'ai trop chéri
Pour qui Dieu tant de fois fut oublié , trahi ;
Je vous l'ai dit , ma mort & mon aveu fincère
Vous rendront Dieu plus grand & fa bonté plus
chère.
Elle entre dans le détail de fes erreurs ,
peint les commencemens de fon amour
fa violence ; mêle cette hiftoire de réflexions
touchantes & pieufes qui montrent
une âme long- temps égarée & qui revient
à Dieu. Elle raconte fon mariage ; quels
fentimens enflammoient fon coeur jufques
dans les bras d'Ermanfay. Elle fait délivrer
Comminge qui avoit bleffé fon époux.
Libre , rendue à elle- même , elle ne cherche
que fon amant.
Je demande Comminge aux lieux de fa naiſſance ';
A mes triſtes regards tout cache fa préſence :
D'une profonde nuit fon fort l'enveloppoit.
Ne pouvant pofféder tout ce qui m'occupoit ,
J'attends quelques douceurs de voir , d'aimer fa
mère ;
Elle vient près de moi d'une triftefle chère
Nous faifions nos plaifirs ; par la voix des douleurs ?
Dieu quelquefois appelle , & vient s'ouvrir les
coeurs ;
Le mien le repouſſoit.
C
E iij.
102 MERCURE DE FFRRAANNCE.
Toujours plus occupée de fon amant ,
elle en quitte la mère ; & fuivie d'une de
fes femmes , déguifée en homme , elle va
le chercher par-tout. Elle fe rappelle enfin
le nom d'un ami de Comminge ; elle efpere
qu'il lui en donnera des nouvelles : il demeuroit
près de la Trappe , elle y vole.
C'est ici que d'un Dieu le bras fe manifefte .
J'étois près de ces lieux ; un fentiment céleſte
Me preffe , me maîtrife & me force d'entrer
Dans votre temple où Dieu paroiffoit m'attirer.
Parmi toutes ces voix qui chantent fes louanges ,
Qui s'élevent à lui far les aîles des Anges,
Je diftingue une voix , ... un fon ... accoutumé
A pénétrer un coeur toujours plus enflamnié....
Par un fonge trompeur je crois être trompée ;
J'approche , .. de quels traits je demeure frappée : .
Je découvre à travers les outrages du temps ,
Et de l'austérité les fillons pénitens ,.
Je revois . . . . . cet objet ... d'une immortelle
flamme ;
Je pouffe un cri d'effroi , ... de furprife , ... d'aniour
: ...
" ... Toutes les paffions m'agitent tour à tour
Aufli tôt , connoiffez combien l'homme s'égare ,
Lorſqu'un Dieu courroucé des élus le fépare !
Je conçois le projet ... d'enlever à ce Dieu
Une âme qu'il fembloit échauffer de fon feu.
JANVIER. 1765 . 103
Je m'informe ,... j'apprends ... Comminge à vos
autels
Venoit d'être enchaîné par des voeux éternels ...
Le jour même .... où le Ciel dans ce ſéjour
m'amene.
Comminge à cet endroit du récit d'Adelaïde
jette un cri de douleur & de défefpoir.
Elle l'exhorte au filence & à la réſignation
. Elle continue à peindre les déchiremens
de fon coeur à cette affreufe nouvelle
que Comminge n'exiftoit plus pour
elle.
Pour m'enchaîner ici , ( continue-t -elle ) que'de
liens m'attachent !
Vingt fois ces murs par moi furent abandonnés ,
Autant de fois mes pas y furent ramenés :
M'éloigner d'un afyle .. ah ! c'étoit le Ciel même,
Où refpire , où demeure , où mourra ce que j'aime,
Je ne le puis jamais ; .. •
près de lui je vivrai :
L'air qui vient l'animer , je le refpirerai :
S'il faut que je renonce au plaifir de lui dire
Qu'il eft l'unique objet qui me charme, m'infpire ;
Du moins ... je l'entendrai ,
jours.
... je le verrai tou-
L'amour a décidé. Je viens à vous , mon Père , "
Vous ne m'effrayez point par votre regle auftère ,
Comminge la fuivoit. Cette brûlante ardeur
Prend à vos yeux les traits d'une fainte ferveur : .
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
M
Dieu feul , Dieu feul connoît la perfidie humaine ;
Enfin vous m'admettez à l'effai d'une chaîne , ..
Je lui tends les deux mains , Comminge la portoit-
Eh mon Père ! quel coeur parmi vous habitoit ?
Il faut que tout entier à vos regards il s'ouvre ;
Que de tous mes forfaits le tiflu ſe découvre.
Miférable , ... on croyoit que c'étoit l'Eternel
Qui me tenoit fans ceffe attachée à l'autel :
Unhomme..y recevoit mon facrilege hommage
C'étoit d'un homme , ô Dieu ! que j'encenfois.
l'image :
C'étoit -là ton rival , c'étoit- là ton vainqueur ;
Que dis- je ? il n'étoit point d'autre Dieu pour mon
coeur.
Compagne de fes pas & dans les mêmes lieux ;:
Sûre que l'un & l'autre y finiroient leur vie ,
Qu'auprès de lui ma cendre y feroit recueillie ,
Pouvant à fes côtés & pleurer & gémir ;
Du bonheur de l'aimer pouvant enfin jouir.
Sans retour , fans eſpoir , je me croyois heureuſe ::
Qu'eût infpiré de plus une ardeur vertueuſe ?
Je me diffimalois qu'une fombre langueur
Sur mes jours répandue en defféchoit la fleur...
Je mourois pour Comminge. A ma folle entraînée ,.
Je n'y déplorois point ma trifte deſtinée ;
Peu fenfible à ma fin , je diſois feulement :
Là , je ne pourrai plus adorer mon amant,
JANVIER. 1765 . 105
Vous ferez étonnez qu'avec tant de foibleffe ,"
Avec tous les tranſports de l'amoureuſe yvreffe ,
Une femme ait dompté ce mouvement puiſſant ;
Qu'elle ait pu fubjuguer ce defir fi preffant
De fe faire connoître au tyran de fon âmè.
Ce eft point la vertu qui repouſſoit ma flamme ;
C'étoit, .... c'étoit l'amour , la crainte de troubler
Des jours qui m'ont páru dans la paix s'écouler.
fe
Elle eft revenue de cette erreur en voyant
fon portrait entre les mains de Comminge.
Les pleurs qu'il verfoit , l'accablement dans
lequel il étoit plongé ; tout étoit pour elle ,
tout venoit d'elle . Elle n'a pu foutenir ce
fpectacle , elle a fui mourante. Ses yeux ſe
font ouverts fur fa vie paffée. Dieu l'attendoit
à ce moment. Elle expire en pleurant
fes égaremens , offrant fon exemple à Comminge,&
l'adorant toujours . Il tombe auprès
de fon corps. Le Père Abbé termine la
Piece par ces vers :
O malheureux Arfene ! ...
Loin d'un fi trifte objet que la pitié l'entraîne ;
Le premier des devoirs de la Religion
:
Eft de céder aux foins de la compaffion ',
De fecourir le foible , & même le coupable...
Des humaines erreurs exemple déplorable !
...
Dès le premier foupir par fon coeur égaré ;
Grand Dieu , qu'est - ce que l'homme aux paſſions
livré !
F.y.
106 MERCURE DE FRANCE.
On ne peut lire ce Drame intéreſſant
fans être profondément ému. L'Auteur a
étudié les grands maîtres de l'art , & vient
de montrer qu'il y a bien des beautés qui
leur font échappées ; que ceux qui fe plaignent
que tous les fujets , tous les grands
refforts font épuifés , ne prouvent que leur
impuiffance. On trouve dans cet Ouvrage
le pathétique , le fombre & l'énergie dont
les Piéces Angloifes font remplies . Les
François yverront avec plaifir leur élégance,
& la fimplicité majeftueufe des Grecs. Si
ce Drame pouvoit être joué fur notre
Théatre , il y feroit fûrement le plus grand
effet. Ce feroit un genre nouveau qui
notre fcène , & que les gens de
goût regretteront toujours. Jamais l'amour
n'a joué un rôle plus pathétique dans nos
Tragédies. L'efpece d'intérêt qu'on trouve
dans celle - ci eft bien fupérieur à celui
d'Inès , qu'on a regardé jufqu'ici avec raifon
comme l'Ouvrage le plus touchant du
Théatre François. Le reffort de la Religion
y eft employé avec beaucoup de dignité.
On l'y peint telle qu'elle eft réellement :
la confolatrice des malheureux , la terreur
des méchans qui la rejettent , l'efpérance
de ceux qui la cherchent , la bienfaitrice
de l'humanité . Il eſt fâcheux , nous ofons
le dire , que M. d'Arnaud , qui eft l'auteur
manque à
JANVIER . 1765. 107
pour y
de ce Drame , n'air point encore voulu
travailler dans ce genre ; il eft fait
avoir les plus grands fuccès. Nous croyons
devoir l'exhorter à s'y livrer , & pour la
fatisfaction du Public , & pour fa gloire.
Il eſt certainement un de ceux qui poffedent
à un degré fupérieur la magie de la belle
poéfie , & l'entente du Théatre fi peu connue
aujourd'hui.
VIES des Peres , des Martyrs & des autres
principaux Saints , tirées des actes originaux
& des monumens les plus authentiques
; avec des notes hiftoriques & critiques.
Ouvrage traduit de l'Anglois.
Tome II. AVille- Franche- de- Rouergue,
chez Pierre VEDEILHÉ , Libraire- Imprimeur
: à Paris , chez BARBOU , rue
St. Jacques , aux Cigognes, M. DCC
LXIV. in- 8 , de 776 pages.
LE premier volume de cet ouvrage a
été annoncé dans un de nos Mercures ; le
fecond , qui ne s'eft pas fait beaucoup attendre
, foutient parfaitement l'idée avantageufe
que nous avons conçue du premier .
Nous nous fommes affurés par nous- mêmes
E vj
108 MERCURE DE FRANCE .
que les vies qu'on préfente dans cette bonne
traduction d'un excellent original font
marquées au coin de la vérité & de l'exactitude
: on n'y trouve point ces hiftoriettes
apocryphes qui deshonorent la mémoire
de tant d'illuftres perfonnages , & qui font
plus capables de porter à la fuperftition , &
de l'entretenir , que d'édifier : la critique la
plus faine a préfidé aux recherches du
fçavant M. B... & au travail de fes deux
habiles traducteurs qui ont eu le talent
peu commun de fe rendre propre cet
ouvrage , & de lui donner un air original ,
que fon Auteur même reconnoît & approuve
volontiers. Cet aveu , qui n'ôte
rien du mérite réel de l'ouvrage Anglois ,.
fait l'éloge de la modeftie de M. B.
& des talens de fes traducteurs , dont le:
goût , les connoiffances hiftoriques & la
fagacité brillent dans l'exécution de leur
plan , dans le ftyle & dans les notes critiques
qu'ils ont répandues avec beaucoup.
de difcernement.
Ce deuxieme volume contient les vies
des Saints dont l'Eglife honore la mémoire
depuis le premier Février jufqu'au 15 Mars
inclufivement. Sous chaque jour on- fait
ordinairement mention de plufieurs Saints
dont on rapporte les actions de manière
que le fimple fidéle aura de quoi nourris
JANVIER. 1765. 100
fa piété , s'édifier & s'inftruire ; le chrétien ,
inftruit des principes de la religion , de
quoi s'y fortifier ; & le plus verfe dans les
fciences eccléfiaftiques , de quoi fatisfaire
fon érudition , & l'augmenter même. Ont
voit par-là la lecture de cet ouvrage
ne fçauroit être trop recommandée , puifqu'elle
peut être également utile à tout le
monde. Nous pouvons affurer que plufieurs
Prélats de France font de ces vies un trèsgrand
cas..
que
DICTIONNAIRE Domestique portatif ,
contenant toutes les connoiffances relatives
à l'économie domeftique & rurale ;
où l'on détaille les différentes branches
de l'agriculture ; la manière de foigner
les chevaux , celle de nourrir & de con--
ferver toutes fortes de beftiaux ; celle
d'élever les abeilles , les vers àfoie ; &
dans lequel on trouve les inftructions
néceffaires fur la chaffe , la pêche, les
le commerce ;: la procédure , l'office
, la cuifine , & c. Ouvrage également
utile à ceux qui vivent de leurs rentes ,
ou qui ont des terres ; comme aux ferarts
,
110 MERCURE DE FRANCE.
miers , auxjardiniers , aux commerçans
& aux artiftes ; par une fociété de Gens
de Lettres. A Paris , chez Vincent.
Imprimeur- Libraire , rue St. Severin ,
1764 ; avec approbation & privilege du
Roi ; trois volumes in- 8°.
Nous avons annoncé cet ouvrage
"
dans
un de nos précédens volumes , comme une
des plus utiles collections qui aient été
faites en ce genre ; & nous avons promis
d'en donner un exttait un peu plus étendu ;
mais cet extrait , qui eût été de faifon
alors , paroît d'autant moins néceffaire
actuellement , que le mérite de ce Dictionnaire
eft généralement reconnu. Tous
les écrits publics lui ont donné les plus
grands éloges ; & le débit qu'en fait le
Libraire l'a fi fort répandu dans le monde ,
qu'il feroit aujourd'hui inutile d'en faire
l'analyfe. On a d'abord fenti l'avantage
la néceffité même d'un pareil livre pour
tous ceux qui ont des terres à faire valoir ,
des arbres à cultiver , des procès à foutenir ,
des beftiaux à conferver ; &c. & c. & c. en
un mot , pour tous les états , pour toutes
les conditions. Il n'étoit plus queftion que
de favoir fi l'ouvrage étoit bien exécuté.
>
JANVIER. 1765. IIIC'eſt
à quoi s'eft portée toute l'attention
des Lecteurs ; & l'on a été auffi content
du travail des Auteurs , que du fond des
matières. Ils ne fe font pas contentés de
puifer dans les meilleures fources , & de
faire les meilleurs choix ; ils ont encore
donné un ordre plus méthodique aux
matériaux qu'ils ont employés ; ils y ont
répandu plus de clarté , les ont traités
avec plus de préciſion , y ont jetté plus
d'intérêt . Ce livre eft d'une néceffité indifpenfable
pour toutes les perfonnes qui veulent
s'inftruire à peu de frais & en peu de
temps , de toutes les chofes qui font d'un
ufage univerfel dans l'intérieur d'une maifon
, & qu'on ignore cependant , faute
d'avoir eu jufqu'à préfent des moyens
faciles pour s'en procurer la connoiffance .
ANNONCES DE LIVRES.
L'AMI des jeunes gens , avec cette
épigraphe :

Petite hinc , juvenefque , fenefque
Finem animo certum , miferifque viatica canis.
Perf. Satyr. V. vers 64. 65.
Par M. G *** ; A Lille , chez Jean-
Baptifte Henri , Imprimeur - Libraire
fur la grand place ; & fe vend à Paris ,
112 MERCURE DE FRANCE.
chez Duchefne , rue S. Jacques ; 1764 , "
avec approbation & privilege ; 2 parties :
in-1 2.
il
Depuis le célebre ouvrage de l'Ami des
hommes , on a vu paroître fucceflivement
lAmi des femmes , l'Ami des filles , l'Ami
des arts , l'Ami de la paix , l'Ani de la
fortune , l'Ami des mufes , & enfin l'Ami
des jeunes gens , que nous annonçons.
L'Auteur ne fe pique pas de dire des
chofes nouvelles fur l'éducation de la jeuneffe
, qui fait l'objet de fon ouvrage ;
n'a pas balancé de prendre par- tout ce qu'il
a cru de plus propre à perfectionner fon;
fujet. Il fe fert quelquefois des mêmes:
expreffions dont les autres fe font fervis.
Platon , Xenophon , Ciceron , Séneque
Quintillien , Plutarque , Bacon
Loke
,
Montaigne , Fleury , Fenelon , Crouzas
Rollin , La Chalotais , Rouſſeau , &c , lui²
ont fourni quantité de matériaux. Il a dònné
à fon Livre la forme d'entretien , & ill
l'a divifé par journées , dont la première
préfente des confidérations fur nos devoirs.
On fait voir dans la feconde journée
combien l'éducation ordinaire eft défectueufe
, & les foins qu'on doit avoir de
former le corps des enfans. La troifiéme
traite de ce qu'on doit faire pour former
le coeur des jeunes gens. La quatriéme eft
و
JANVIER. 1765. H
intitulée de la culture de l'efprit. Les interlocuteurs
font l'Auteur , un Chevalier ,
une Comteffe , &c. La Scène fe paffe à la
campagne.
MAGAZIN des Adolefcens , ou Entretiens
d'un gouverneur avec fon éleve , dans
lefquels on retrace aux yeux des jeunes
gens qui fortent de rhétorique : 1. les
régles de la langue françoife , dans la plupart
des cas douteux. 2. Les principes de
l'éloquence , & les divers genres de ftyle.
3 °. Des exemples fervant d'application
aux régles , & tirés , foit de Cicéron
foit des Orateurs François les plus eftimés,
tant de la Chaire que du Barreau ; le tout
entremêlé de réflexions propres à former
& les moeurs & le goût. A Paris , chez
Guillyn , Libraire , quai des Auguſtins ,
du côté du Pont S. Michel, au lys d'or ;
1764 , avec approbation & permiffion ..
Un volume in- 12.
Voici encore un de ces Livres , dont on
fe flatte que le titre pourra contribuer au
fuccès . On a vu des Magafins des enfans
des adolefcentes , des Magafins nouveaux
&c. réuffir pour le débit ; on efpere que
le Magafin des adolefcens , qui ne le céde
pas aux premiers , pourra fe vendre également.
Il eft fait pour des jeunes gens de:
114 MERCURE DE FRANCE.
15 à 16 ans , & l'arrangement des niatières
y eft en forme de dialogue , comme
dans les autres. L'objet général de celui - ci
eft de faciliter à un jeune homme fortant
de rhétorique , la revue de fes humanités ;
& les fujets traités dans les quinze entretiens
qui le compofent , font fur la langue
françoife , l'ortographe , la langue latine
& l'éloquence.
LETTRES de M. de la Condamine , à
M. le Docteur Maty , fur l'état préſent de
l'inoculation en France. I. Sur la défenfe
provifoire de l'inoculation , p. 1. M. Sur
l'avis demandé par le Parlement aux Facultés
de Médecine & de Théologie , au
fujet de l'inoculation , page 33. III . Sur
ce qu'on doit attendre de l'Arrêt définitif
du Parlement au fujet de l'inoculation
, pag. 69. IV. Notice des ouvrages
qui ont paru depuis un an pour & contre
l'inoculation , pag. 101. V. Sur les trois
dernieres affemblées de la Faculté de Médecine
, &c. pag. 157 ; avec cette épigraphe
: natura decimus , perit hac millefimus
arte. Le prix eft de vingt-quatre fols. A
Paris , chez Prault , quai de Gefvres , au
Paradis ; chez Piffot , quai de Conti , à
la Sageffe ; chez Durand , neveu , rue S.
Jacques , à la Sageſſe ; chez Panckoucke ,
JANVIER. 1765. 115
rae & près la Comédie Françoife , au Parnaffe
; & fe diftribue gratis chez l'Auteur ,
1764 ; brochure in- 12 de 208 pages.
On voit dans ce titre , qui eft trèslong
, & qui peut même tenir lieu de
table de l'ouvrage , tout ce que contient
cette brochure inftructive & intéreffante.
Elle fervira de fuite aux autres écrits de
M. de la Condamine fur une méthode
dont il a été le premier & le plus zélé
partifan en France .
DICTIONNAIRE de Titres originaux ,
pour les Fiefs , le Domaine du Roi
'Hiſtoire , la Généalogie , & généralement
tous les objets qui concernent le
gouvernement de l'Etat ; ou inventaire
général du cabinet du Chevalier Blondeau
de Chernage , ci- devant Lieutenant d'infanterie
, demeurant à Paris , fauxbourg
S. Germain , rue Guénégaud , la porte cochère
à côté de l'hôtel d'Artois ; à Paris ,
chez Panckouke , à côté de la Comédie
Françoife , & chez l'Auteur ; 1764 ; avec
approbation & privilege du Roi ; brochure
in- 12 de 184 pages. Tome quatrième .
A mefure que les trois premiers tomes
de cet ouvrage ont paru , nous les avons
annoncés dans le Mercure. Cette quatrieme
partie ne demande point d'explication
716 MERCURE DE FRANCE.
particulière. Elle eft la fuite d'un ouvrage
utile , & que l'on connoît actuellement.
:
HISTOIRE de l'établiffement du Chriftianifme
, tirée des feuls Auteurs Juifs &
Payens , où l'on trouve une preuve folide
de la vérité de cette Religion ; avec cette
épigraphe fatis firmum eft teftimonium
ad probandam veritatem , quod ab ipfis per-.
hibetur inimicis. Lactantius , divinarum
inftitutionum , lib. IV : cap. 12. Les témoignages
que les ennemis même rendent
à la vérité , en eft une preuve folide . Lactance
, liv. IV des inftitutions divines ,
chap. 12 : par M. Bullet , Profeffeur Royals
de théologie , & Doyen de l'Univerfité de
Befançon ; des Académies de Befançon ,
de Lyon , Affocié de l'Académie Royale
des Infcriptions & Belles-Lettres . A Be-
Sançon , chez Fantet , le cadet , Libraire ,
grande rue ; 1764. Et à Paris , chez Til- ,
liard , quai des Auguftins , à S. Benoît . Un
volume in-4° de 330 pages.
On préfente ici à ceux qui attaquent le
Chriftianifme , la feule efpéce de preuve
qu'ils affectent de demander, & à laquelle
ils paroiffent confentir à fe rendre , je
veux dire , l'aveu même de gens qui n'étoient
pas prévenus pour notre Religion ;..
qui non-feulement ne cherchoient
à pas a
JANVIER. 1765. 11
*
la favorifer , mais qui faifoient encore
tous leurs efforts pour la combattre . On
joint dans cet ouvrage les témoignages
des Juifs à ceux des Payens : les uns n'étant
pas moins ennemis du Chriftianifme
que les autres , leur dépofition doit être
d'un poids égal . On ne fe contente pas
de
-tranfcrire ici quelques paffages ifolés , on
-forme une hiftoire fuivie de l'établiſſement
de la Religion Chrétienne ; on dif
cute ces paffages ; on les rend plus forts &
plus lumineux en les rapprochant les uns
des autres , & c.
LETTRE de M. l'Abbé Winkelmann ;
Antiquaire de Sa Sainteté , à M. le Comte
de Brühl , Chambellan du Roi de Pologne,
Electeur de Saxe , fur les découvertes
d'Herculanum , traduite de l'Allemand . A
Drefde , & fe trouve à Paris chez N. M.
Tilliard , quai des Auguftins , à S. Benoît ;
1764. Volume in-4° de 112 pages.
Cet ouvrage contient des détails trèscirconftanciés
, & un récit fidéle de tout
ce qui s'eft paffé avant que de parvenir à
la découverte d'Herculanum , & de plufieurs
lieux des environs , que perfonne
n'a mieux vu ni mieux expliqué que l'Auteur
de cette Lettre. Les Sçavans & les
Curieux en font un grand cas.. Le même
118 MERCURE DE FRANCE.
"
Libraire , Tilliard , vend auffi un grand
ouvrage , intitulé : Les plus beaux Monumens
de Rome moderne , ou Recueil des
plus belles vues des principales églifes ,
places , palais , fontaines , &c. qui font
dans Rome ; deffinés par Jean Barbault
Peintre , ancien Penfionnaire du Roi à
Rome , & gravés en 44 planches & plufieurs
vignettes , par d'habiles maîtres ;
avec la defcription hiftorique de chaque
édifice. Un volume in-folio Atlantico. A
Rome ; 1763.
NOUVELLES Pompes & autres inventions
de M. Darles de Liniere , Ecuyer ;
par privilege exclufif du 12 Août 1763 ,
regiftré en la Cour de Parlement de Paris
le premier Août 1764. A Paris , à la Fabrique
, faubourg S. Denis ; au Bureau ,
rue des Foffés - Montmartre ; & chez Fatout
, négociant , rue de la Verrerie , &
Boudet , Imprimeur du Roi , rue S. Jacques
; 1764 ; brochure in- 4° de dix-fept
pages,
M. de Liniere a inventé des pompes
d'une conftruction nouvelle ; on en verra
la defcription , & l'on en connoîtra les
avantages en lifant cet imprimé , auquel
nous renvoyons nos Lecteurs .
TRAITÉ hiſtoriqué des plantes qui croifJANVIER
. 1765 .
fent dans la Lorraine & les trois Evêchés ;
tome III. A Paris , chez Durand , neveu ,
rue S. Jacques , & chez Didot , quai des
Auguftins.
M. Buchoz , Médecin de Nancy , eſt
Auteur de ce Traité , que nous avons déja
annoncé plufieurs fois , & que nous rappellons
aujourd'hui à l'occafion du troifiéme
tome qui paroît nouvellement , &
qui feta bientôt fuivi du quatrième.
PROSPECTUS d'une édition complette
des ouvrages du célebre Leibnitz ; brochure
de 16 pages , grand- in -4° .
L'Auteur de ce Profpectus , M. du Tens ,
chargé des affaires de Sa Majefté Britannique
à la Cour du Roi de Sardaigne , à
Turin , explique dans ce Profpectus les
reffources qu'il compte avoir pour exécuter
une édition complette des oeuvres de
Leibnitz. Elle fera compofée de quatre
volumes in- 4° , beau caractère & beau
papier ; & le tout fera divifé en cinq parties.
La première comprendra la logique
& la métaphyfique ; la feconde , la phyfi
que ; la troifiéme , les mathématiques ; la
quatrième , la jurifprudence ; & la cinquiéme
, les Mifcellanea. On a mis à la
fin de ce Profpectus le catalogue des divers
écrits du Philofophe allemand.
#20 MERCURE DE FRANCE.

PRINCIPES de l'art de la guerre , détaillés
avec ordre , & prouvés par une defcription
exacte de la difcipline militaire
des anciens Grecs & Romains ; Tome premier.
A Strasbourg , chez Jonas Lorenz
Imprimeur ; 1764 ; avec permiflion des
Supérieurs ; in-12 .
J
C'est ici le premier volume d'un Livre
qui doit avoir une fuite , & dont l'Auteur
garde l'anonyme. Son but eft de donner
une defcription exacte de la difcipline militaire
des Grecs & des Romains , & particuliérement
de ce qui a rapport à la compofition
& à l'arrangement des légions
romaines , fi fameufes dans l'antiquité . Ce
Livre fe vend un écu le volume en feuille
, & quatre liv. relié : ce n'eft point abfolument
bien cher , vu le grand nombre
de planches dont il eft orné.
RECHERCHES philofophiques fur l'origine
des idées que nous avons , du beau
& du fublime , précédées d'une differtation
fur le goût ; traduites de l'Anglois
de M. Burke , par M. l'Abbé Desfrançois
. A Londres , & fe vendent à Paris, chez
Hochereau , quai de Conti , vis à - vis les
marches du pont- neuf, au phénix ; 1765 ;
2 vol. in- 12 .
Nous croyons que ces recherches feront
d'autant
JANVIER. 1765 . 12.1
d'autant plus de plaifir , qu'il nous femble
que nous n'avons rien , ni de fi fuivi , ni de fi
étendu fur ce fujet. Ceux qui connoiſſent
les traités de Crouzas , du Père André , de
l'Abbé Dubos , & c , verront avec plaifir
ce que cette traduction a de commun avec
ces Auteurs , & en quoi elle en differe.
Mais ils fçauront gré, fur- tout, à M. l'Abbé
Desfrançois , d'avoir enrichi notre littérature
d'un excellent ouvrage.
: CHRONOLOGIE des Rois du grand Empire
des Egyptiens , depuis l'époque de fa
fondation par Ménès , jufqu'à celle de fa
ruine , par
, par la conquête de Cambyfe , fils de:
Cyrus ; par M. Dorigny , Chevalier de
l'Ordre royal & militaire de S. Louis , cidevant
Capitaine des grenadiers au régiment
de Champagne . A Paris , chez Vincent
, Imprimeur-Libraire , rue S. Sevcrin
; 1765 ; avec approbation & privilege
du Roi ; 2 vol . in - 12.
On lit avec plaifir , à la tête de cet ou
vrage fçavant une préface qui lui fert
d'introduction. Le Livre eft divifé en
quatre fections. Dans la première , après
avoir rappellé l'hiftoire de la difperfion
des hommes , & conduit Ménès , à la fuite
de Cham , jufques fur les bords du Nil ,
On voit que l'Egypte fut bientôt partagée
F
122 MERCURE DE FRANCE.
en diverfes principautés. L'époque du
régne de Séfoftris , qui fert de bafe à toute
la chronologie Egyptienne , y eft établie
fur des autorités inconteftables. Les différentes
monarchies qui partagerent l'Egypte
, font diftinguées dans la feconde
& la troifiéme fection on y voit celles
des dynasties qui appartiennent à chacun
des Etats. La quatriéme fection enfin , eſt
particuliérement employée à l'éclairciffement
des monumens de l'hiftoire Egyptienne
. Ce Livre nous a paru abfolument
néceffaire , non-feulement à ceux qui étudient
cette hiſtoire , une des plus curieufes
de l'antiquité ; mais encore aux amateurs
de l'hiſtoire ancienne , avec laquelle celle
d'Egypte a des rapports effentiels , & fur
laquelle elle jette une lumière qui conduit
fùrement le Lecteur , malgré l'obfcurité de
ces temps reculés .
BIBLIOTHEQUE des Génies & des Fées,
A Paris , chez Duchefne , rue S. Jacques ,
au temple du goût ; 1765 ; avec approbation
& privilége du Roi ; 2 vol. in- 12 .
On a raffemblé dans ce Recueil plufieurs
ouvrages de féérie qui fe trouvoient
difperfés dans des feuilles volantes ou
dans des écrits périodiques. On a eu foin
de ne choisir que ceux que le public a le
JANVIER . 1765 . 125
plus goûtés , & qui étoient comme perdus
pour lui , faute d'être réunis en un corps
d'ouvrage. Ce choix ne pourra donc manquer
d'être applaudi de nouveau , furtout
lorfqu'on s'appercevra qu'on s'eſt
moins appliqué à groffir & à multiplier
les volumes , qu'à les rendre agréables &
piquans.

ETAT militaire de la France pour l'année
1765 ; feptiéme édition , corrigée &
augmentée de l'Etat- Major des régimens
de recrue ; par MM . de Montandre - Lonthamps,
Chevalier de Montandre, & Rouf
fel ; prix , 3 liv. relié. A Paris , chez Guil
lyn , quai des Auguftins , du côté du pont
S. Michel , au lys d'or ; avec approbation
& privilége du Roi ; un volume in- 12
petit-format.
Ce petit ouvrage eft connu depuis plufieurs
années , & il s'imprime tous les
ans , avec les changemens qui arrivent
dans les troupes du Roi nous l'avons
annoncé en différens temps , & fon grand
débit prouve combien il eft agréable au
public.
ALMANACH chinois. A Paris , chez Duchefne
, rue S. Jacques , au temple du goût,
in- 12.
124 MERCURE DE FRANCE.
Il y a plusieurs chofes à fçavoir touchant
ce petit almanach dont il vient
>
d'être fait mention dans les Nouvelles Eccléfiaftiques.
1 °. Ce n'eſt point un ouvrage
compofé nouvellement il y a fept ou
huit ans qu'il parut pour la première fois
chez Duchefne , fous la forme d'almanach
, & il n'a point été réimprimé depuis
: on y a feulement joint tous les ans
un calendrier nouveau ; mais l'ouvrage a
toujours été tel qu'il eft aujourd'hui.
2º. Les matières qu'il renferme fe trouvent
, fans aucun changement ni addition
quelle- conque , dans les Obfervations fur les
écrits modernes de l'Abbé Desfontaines
& ne font que l'extrait de l'histoire de la
Chine par le Père Duhalde , & de quelques
volumes des Lettres édifiantes , dont
l'Abbé Desfontaines a rendu compte dans
le temps. Il y a donc près de trente ans , que
tout ce qui compofe l'Almanach Chinois
eft fous les yeux du public ; & nous fommes
en état de prouver que le nouvel éditeur
n'y a pas ajouté un mot , ni changé
une expreffion . 3°. Les feuilles de l'Abbé
Desfontaines , où fe trouvent les divers
extraits qui forment l'Almanach Chinois
s'imprimoient alors avec privilége du Roi,
& l'on ne trouva rien dans ces extraits qui
fut repréhenfible. On les a copiés trèsJANVIER.
1765.
125
fidélement ; on les a raffemblés à - peu - près
dans le même ordre qu'ils occupent dans
le Journal ; on a donné à ce recueil le titre
d'Almanach Chinois ; on l'a foumis au
tribunal du Chef de la Librairie ; & après
avoir obtenu la permiffion de faire reparoître
de nouveau ces mêmes extraits fous
un autre titre , le libraire les a fait imprimer
, fans que la perfonne, à qui on l'attribue
dans les Nouvelles Eccléfiaftiques , y
ait eu d'autre part , que de lui en avoir
peut-être propofé le titre. Voilà ce que
nous pouvons affurer de ce petit ouvrage ,
fans craindre d'être démentis fur aucun de
ces articles.
LETTRE de Cain après fon crime , à
Méhala, fon époufe. A Paris , de l'imprimerie
de Sébastien Jorry, rue & vis - à- vis
de la Comédie Françoife , au grand Monarque
& aux Cigognes ; 1765 ; avec approbation
; brochure in 80, en beau papier
& belle gravure .
Cette Lettre n'eft ni de M. Dorat , ni
de M. de Pefay , Auteurs de plufieurs petites
Piéces qui ont paru fous le même format
, chez le même Libraire , & avec les
mêmes ornemens du burin & de la typo
graphie. La Lettre de Caïn , ainfi que les
autres , eft en vers , & paroît devoir être
E iij ·
126 MERCURE DE FRANCE.
placée dans le cabinet des amateurs, parmi
les jolies éditions de pocfies mêlées de
gravures. Les vers ne déparent pas la belle
eftampe qui eft à la tête de la brochure
nouvelle .
INSTITUTES au droit criminel , ou Principes
généraux fur ces matières , ſuivant
le droit civil , canonique & la jurifprudence
du royaume ; avec un traité parti
culier des crimes ; in- 4° .
INSTITUTION Criminelle , fuivant les
loix & ordonnances du royaume ; in 4° de
1300 pages.
Nous annonçons ces deux ouvrages ,
non-pas comme des productions nouvelles
, mais comme appartenant nouvellement
à Cellot , imprimeur - Libraire , grand'
falle du palais , & rue dauphine , maiſon
de M. Jombert : il les a acquis depuis peu
de M. Muyart de Vouglans , Avocat au
Parlement .
On trouve chez le même Libraire.
LETTRES du Marquis de Rofelle ; par
Mde Elie de Beaumont ; nouvelle édition ,
revue & corrigée ; z . vol. brochés ,
CLOVIS , Poëme héroï-comique , 3 vol.
broch. 1765.
CONSIDÉRATIONS fur l'état préfent de
la littérature en Europe ; vol. broch.
1765
JANVIER 1765. 127
TRAITÉ des juftices de Seigneur , &
des droits en dépendans ; in- 4 ; 1764 ;
TRAITE de la Garde - noble , par M.
Merveilleux , Avocat & Profeffeur en
Droit; vol. in- 12.
CATALOGUE hebdomadaire , ou Lifte
des Livres nouveaux qui font mis en vente
chaque femaine , tant en France que chez
l'Etranger.
Depuis 1763 , on a commencé à débiter
tous les huit jours cette feuille pério
dique : elle eft de quatres pages en deux
colonnes , & contient la lifte des Livres
qui font & feront mis en vente dans le
courant de la femaine : elle eft divifée en
deux parties ; la première contient les titres
des Livres nationaux , ou ceux qui font
imprimés en France ; & la feconde , les
titres des Livres étrangers , ou qu'on imprime
dans les différens Etats de l'Europe.
On y trouve auffi le nombre des volumes
, les noms des Auteurs , & l'adreffe
des Libraires qui les vendent. Les titres
des Arrêts , Edits , Déclarations , &c. l'annonce
des morceaux divers de Mufique
des Eftampes , Cartes , &c. A chaque article
du Livre , de l'Eftampe ou de la Carte
, le prix eft marqué , ainfi que l'indica-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
tion du caractère , de l'impreffion , & la
qualité du papier dont font compofés les
ouvrages. On y voit s'ils font reliés ou brochés
, ou en feuilles . Les Libraires ont une
feuille particulière pour eux. Chaque mois
de Janvier on diftribue une table , qui indique
les livres annoncés pendant l'année
, avec l'indication où le titre , & c. fe
trouve dans les recueils. Ces recueils fe
relient ou fe brochent. On paye pendant
l'année , pour recevoir chaque femaine ces
feuilles , y compris la table , par la pofte , &
franc de port , la fomme de 6 liv. 12 fols.
Il faut affranchir les ports de lettres & de
l'envoi de l'argent. On s'adreffe à Defpilly
, Libraire , rue S. Jacques , à la croix
d'or. On trouve chez le même Libraire .
des recueils complets de ce catalogue pour
1763 & 1764. Chaque recueil fe vend ,
fçavoir :
Les recueils reliés , 7 liv. 12 fols.
Les brochés & envoyés par la pofte , 7
liv. 12 fols.
Les tables féparées , 12 fols.
Ce Libraire avertit le public , qu'il ſe
charge de procurer les Livres étrangers
qui ne fe trouvent pas à Paris , & dont
l'entrée eft permiſe en France : les perfonnes
qui les défireront font priées de lui
en remettre les notes, & un compte : cha-
1
JANVIER. 1765. 129
que quinzaine il fait la demande de ces
livres , & ayant l'adreffe des Amateurs , il
leur fait part de l'arrivée.
LETTRE à l'Auteur du Mercure , fur les
EPHEMERIDES TROYENNES .
JE profite , Monfieur , pour me renouveller
dans votre fouvenir , de l'occafion
que m'offre notre almanach prochain : en
voici le titre :
EPHEMERIDES Troyennes pour l'année
1765 : Tacita advocatione cives juvemus .
Senec. de Trang, animi . Cap. 3. A Troyes ,
chez Gobelet , Imprimeur-Libraire ; & à
.Paris , chez Duchefne.
Elles offrent pour cette année : 1 °. plufieurs
augmentations aux articles réunis
fous le titre général de Curiofités & fingularités
fur l'artillerie , qui a appartenu à
la ville de Troyes ; fur les chauffées pavées
, qui formoient fes anciennes avenues
; fur la Cathédrale , S. Jacques- aux-
Nonnains , la Chair fallée , les Cordeliers,
S. Remi , le College , Moutier- la- Celle ,
& c. & c.
2º. La vie de Hafting, fameux chef des
Normands , né , fuivant Glaber , au diocèfe
de Troyes.. Cette vie , formée de la
F v
130 MERCURE DE FRANCE.
réunion de tous les faits relatifs à ce Forban
, répandus dans les annales & chroniques
contemporaines , ou prefque contemporaines
, offre un tableau des incurfrons
des Normands dans l'Aquitaine par
la Loire , depuis l'année 841 jufqu'en
882. On y a joint quelques notes fur ceux
de ces faits qui avoient le plus befoin
d'éclairciffement.
3°. Un mémoire fur les titres auxquels
la collation d'une partie des cures du diocèfe
de Troyes a paffé à divers monaſtères
, & fur les reffources préfentes & effecrives
qu'offrent les dixmes qui ont fuivi
les collations en mains étrangères , pour
lever une partie des obftacles , des entraves
& des charges qui s'opposent aux progrès
de l'agriculture.
Ces Éphémérides ont pour frontifpice
ce beau portail de S. Nicolas , devant lequel
M. Girardon , dans fa vieilleſſe , ſe
faifoit apporter un fiége , pour en contempler
plus à fon aife l'enfemble & les
détails , qui lui paroiffoient exquis.
J'ai l'honneur d'être avec toute la cordialité
Champenoife , votre , & c.
GROSLEY,
JANVIER. 1765. 131
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADÉMIES.
SUITE de laféance publique de l'Académie
de DIJON , &c.
CETTE ETTE lecture a été fuivie d'un Dif
cours de M. Perret fur les caufes qui infpirent
aux habitans de Dijon l'amour des
fciences , par lequel ils fe font diftingués
dans la République des Lettres. Si le génie ,
le goût & les talens dépendoient abfolument
des caufes phyfiques , on ne pourroit
attribuer les qualités de l'efprit qu'à la
nature du climat , à la température de l'air
& aux productions du pays. Il eft vrai
qu'entre toutes les Nations féparées les
unes des autres par des efpaces immenfes ,
on trouve prefque toujours une grande
différence d'efprit & de caractère. Les uns,
placés dans des lieux brûlés par le foleil ,
montrent beaucoup d'ardeur , de feu , de
fenfibilité ; les autres exilés , pour ainfi
dire , dans les glaces du Nord , participent
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
à l'efpece d'engour diffement que la nature
y éprouve , & leurs fenfations ont moins
de force & d'activité. La diverfité des
impreffions phyfiques doit auffi en produire
une très-fenfible dans les opérations de
l'efprit & dans les mouvemens du coeur.
Mais pourquoi , dans un pays tempéré ,
remarque- t-on une multitude de contrariétés
frappantes dans les idées , les inclinations
, les moeurs & les manieres ? La température
de l'air y étant à- peu -près uniforme
, il femble que fon influence devroit
s'y manifefter par des impreffions égales
fur les corps & fur les efprits. Si M. de Montefquieu
, fans rejetter les caufes phyfiques
qui donnent à une Nation la même forte
d'efprit , défigne en même temps la religion
, les loix du gouvernement , les exemples
des chofes paffées , les moeurs & les
manières : ce font auffi ces mêmes caufes
morales que M. Perret confidère comme
le principe de l'amour des Dijonnois pour
les Sciences , les Arts & les Belles Lettres.
En louant cette noble ardeur , il ne prétend
néanmoins défigner ici précisément , ni la
vivacité de l'efprit , ni le feu de l'imagination.
Je fçais , dit- il , que ce font des
préfens de la nature , que l'éducation peut
développer , diriger & régler ; je veux
uniquement parler du goût pour les Lettres,
JANVIER . 1765. 11-3-3
& de l'amour de l'étude , qui régnent plus
généralement dans les habitans de Dijon.
Ce goût eſt fondé fur la conftitution particuliere
de cette Ville , excité par l'exemple
des hommes célebres qu'elle a produits ,
foutenu par l'émulation , entretenu par le
ton de la Société. Telles font les fources
d'où coulent les avantages que paroiffent
avoir les Citoyens de la Capitale fur les
habitans des autres parties de la Bourgogne.
Au refte , fi les hommes nés dans les pays
différens , mais voifins , ne montrent , ni
les mêmes inclinations , ni les mêmes talens
; c'eft que les uns font libres de diriger
leurs travaux vers les objets les plus
propres à faire briller l'efprit , & que les
autres font quelquefois forcés , par des
caufes relatives à la pofition , aux befoins ,
aux ufages locaux , de l'abaiffer aux chofes
communes & ordinaires.
M. le Préſident de Ruffey a terminé la
féance par la lecture de la feconde partie
de fon Effai Hiftorique fur les Académies ,
contenant celles de France. Les bornes
prefcrites à la durée des féances académiques
ne lui ont permis de parler que des
Académies fondées dans le dernier fiecle.
L'Auteur commence cet ouvrage par
l'état des fciences en France avant l'étaY34
MERCURE DE FRANCE..
1
}
bliffement des Académies. Elles étoient
concentrées dans les cloîtres & dans les
écoles du Clergé. Il attribue la barbarie
de ces temps groffiers à l'efpece de fervirude
où étoient réduits les peuples par le
gouvernement féodal , dont la deftruction
commença à élever l'efprit des François.
« Louis XI , en fappant les fondemens.
» du gouvernement féodal , rompit les
» fers de fes fujets , leur fit le premier goû
» ter la douceur de n'obéir qu'à un maître ,
» & prépara l'efprit des François à rece-
» voir les femences de la fcience qui de-
» voient y germer un jour avec tant de
>> fuccès ».
Le féjour des François en Italie foustrois
Rois , malgré le tumulte des armes ,
leur infpira quelque goût pour les lettres
& les fciences. François I y conclut le
deffein de les attirer en France ; & la fondation
du College Royal fut le fruit de
ce glorieux projet . L'horreur des guerres
civiles qui défolerent ce Royaume fous
les Rois fes fucceffeurs , le fit preſque
retomber dans la barbarie , d'où François I
l'avoit tiré.
" Enfin , Louis XIII , ayant affermi
l'autorité Royale & terraffé l'héréfie
» par la prife de la Rochelle la paix

» ramena en France les Arts & les Lettres.
JANVIER 1765. TFS
» Richelieu fon Miniftre , ce génie vaſte ,
» actif & entreprenant, fit entrer leur retour
» dans le plan de fes vues politiques , &
» réuffit en 1635 à les fixer dans ce
» Royaume par le glorieux établiſſement
» de l'Académie Françoife ».
M. de Ruffey s'attache feulement à
faire connoître les principaux traits de l'hif
toire de cette compagnie, dont M. Péliffon
& M. l'Abbé d'Olivet fon continuateur
ont épuifé les détails. La protection de
Louis XIV & de fon fucceffeur , l'entrée
de la Reine Chriftine à l'Académie , la
réception de Mgr. le Comte de Clermont
célébrée en fon temps par une réponſe de
cet Académicien à M. l'Abbé Leblanc
font des anectodes glorieufes & intéreffantes
qu'il fe plaît à rappeller. Il fait menrion
des illuftres Bourguignons qui ont été
décorés du titre d'Académiciens ; & n'oublie
pas , fur- tour , les cinq prix remportés
par M. de la Monoye , qui fut prié par
'Académie de ne plus concourir , pour ne
pas décourager fes rivaux.
par
"
Il finit ainfi cette notice de la premiere
Académie de France : « l'Académie Françoife
vient de faire une délibération
digne d'elle & de fon amour pour la
Patrie ; en fe propofant de donner pour
fujet de fes prix les éloges des grands.
"
ور
136 MERCURE DE FRANCE.
*
و د
.39
» hommes de France , c'eft fe charger d'acquitter
envers eux le tribut de reconnaiffance
que la Nation doit à leur mé-
» moire ; c'eft exciter l'émulation de tous
les François ; c'eft féconder dans leur
» coeur les femences du defir de la gloire ,
» que la nature & leur amour pour leur
» Roi & pour leur Patrie y ont de tout
temps répandues ; c'eft , en un mot , le
plus noble emploi de l'éloquence Françoife
».

»
"
"
L'Auteur paffe à l'Académie de Peinture
& de Sculpture , fondée en 1648.
Après des réflexions fur fon établiffement ,
fes progrès , fes fuccès , l'expofition publique
de fes ouvrages , il applaudit au
zele patriotique de M. de la Live , Introducteur
des Ambaffadeurs , « qui a raf
» femblé dans une galerie les plus beaux
» tableaux de l'Ecole Françoife , dans le
deffein de faire honneur à la Nation.
» en les faifant connoître & admirer aux
Ambaffadeurs étrangers qu'il reçoit chez
» lui ».
M. de Ruffey , s'étant propofé de fuivre
l'ordre chronologique , parle enfuite
de l'Académie des infcriptions & médailles
, fondée en 1663 , depuis nommée
Académie des Belles - Lettres par le
Duc d'Orléans , Régent. La deftination
JANVIER. 1765. *137
primitive , les changemens arrivés dans
fa conſtitution , les divers travaux qui l'ont
occupée , les fçavans qu'elle a raffemblés ,
dont plufieurs ont eu la Bourgogne pour
patrie , & font membres de l'Académie, de.
Dijon , les prix fondés par M. le Préfident
Durey de Noinville & par M. le Comte
de Caylus , offrent un vafte fujet à la plume
de l'Historien, que la nature de fon ouvrage
l'a forcé de traiter fuperficiellement.
M. de Ruffey s'eft étendu davantage
en parlant de l'Académie des Sciences.
La multitude des objets utiles & intéreffans
qu'elle embraffe , la célébrité de fes.
découvertes , le nombre infini de fes ouvrages
, qui forme un tréfor national ,
où l'Europe entiere peut s'enrichir , fourniffent
à l'Auteur la plus ample matiere . Il
s'explique ainfi fur l'entrée mémorable du
Czar Pierre à l'Académie en 1717. « Un
» Monarque fouverain d'un des plus vaf
» tes Etats , vint s'affeoir parmi les Aca-
´» démiciens , les reconnur pour fes Maîtres
, les écouta , profita de leurs leçons ,
» défira d'être admis dans ce Corps illuf-
» tre , & fe crut honoré du titre d'Acadé-
» micien » .
Il rapporte une autre anecdote non
moins glorieufe ; ce font les fameux voyages
dans le Nord & fous l'équateur, entre138
MERCURE DE FRANCE.
ود
"3
pris en 1735 par fept Académiciens pour
méfurer la terre. « Il falloit , dit - il , autant
» de courage pour aller près du pôle contempler
les horreurs de la nature , que
»pour aller refpirer le feu dans la zone
» torride ; les dangers étoient pareils pour
» ces modernes Argonautes ; & M M. de
Maupertuis & de la Condamine ont acquis
une gloire égale par l'heureux fuc-
» cès de ce voyage philofophique ».
و د
Parmi tous les Sçavans de Bourgogne
qui ont brillé dans l'Académie des Sciences
, l'Auteur diftingue particulierement
M. de Buffon , Honoraire de l'Académie
de Dijon ; il en parle en ces termes :
« La découverte du miroir ardent d'Archimede
, dûe au génie fcrutateur de
M. de Buffon , mérite auffi place dans
» ce Difcours. Nouveau Prométhée , il
fçut dérober le feu du ciel pour embra-
» fer des corps à la diftance de deux cens
pieds ; & les fpectres folaires de plufieurs
» miroirs réunis , forment à fa volonté un
degré de chaleur inconnu jufqu'ici aux
Chymiftes les plus habiles ».
n
-23
"
Après avoir parlé de l'Académie d'Architecture
, fondée en 1671 , M. de Ruffey
fait mention de l'Académie d'Arles , où
l'on ne recevoit que des Gentilshommes ;
de celles de Soiffons , de Nifmes , d'AnJANVIER.
1765. 139
gers , de Villefranche , & des Jeux Floraux
de Toulouſe , érigés en Académie en 1694,
fur lefquelles il rapporte plufieurs anecdotes
curieufes & intéreffantes.
ÉCOLE ROYALE VETÉRINAIRE.
LE Mardi , 6 Novembre , los Eleves
de l'Ecole Royale Vétérinaire fe diftinguerent
de nouveau dans un concours qui
eut pour objet la difcuffion de tous les
points différens qui avoient fait la matière
d'un Cours pratique d'opérations fur les
animaux. Ils expoferent d'abord les préceptes
généraux dont tout Opérateur doit
être inftruit ; les différentes obfervations
à faire , eu égard à l'animal à opérer &
à l'opération en elle-même ; les moyens
qu'on doit employer pour y difpofer le
malade ; les circonftances où l'on peut
être libre de ne pas s'arrêter à ces moyens.
préparatoires ; les attentions que l'on doit
faire avant l'opération , dans le moment
que l'on opére, & après que l'animal eſt
opéré. Avant l'opération , fur la nature
du mal , fur la néceffité d'opérer , fur la
difpofition anatomique de la partie malade
, fur le changement qu'elle peut avoir
140 MERCURE DE FRANCE.
éprouvé de la part de la maladie , fur l'endroit
où l'opération doit être faite , & qui
peut être un lieu de néceffité ou un lieu
d'élection ; fur le temps où il convient
d'opérer , & dont quelquefois l'Opérateur
a le choix ; fur les préparatifs néceffaires
pour le manuel de l'opération & le
panfement qui y convient ; fur les inftrumens
dont on doit fe fervir dans les différens
cas , &c. Pendant qu'on opére , fur la
maniere de s'en acquitter fûrement, promptement
& avec adreffe . Après que l'animal
eft opéré , fur l'application de l'appareil
convenable , s'il en eft befoin , fur les
matières à employer , fur l'ordre dans lequel
elles doivent l'être , fur le bandage qui
peut être néceffaire pour maintenir ce même
appareil , fur la forme qu'il doit avoir , fur
les moyens de l'affujettir & de le fixer
fur ceux d'empêcher que l'animal ne nuiſe
au fuccès de l'opération par des mouvemens
quelconques , fur le régime enfin
auquel on doit le foumettre , &c. & c. &c.
Ils defcendirent enfuite dans le détail
des opérations particulieres , foit de celles
par lefquelles on divife les parties , foit de
celles par lefquelles on les réunit & on les
rapproche , foit de celles dont le but eft
l'extraction de quelques corps nuifibles &
non naturels. Ils expliquerent tous les cas
JANVIER. 1765 . f 4.1
où les unes & les autres doivent avoir
lieu, les précautions qu'elles exigent, la manière
de les pratiquer, &c. &c. Les démonítrations
qu'ils en firent furent d'autant plus
claires & d'autant plus fatisfaifantes , que
chacun d'eux , armés des inftrumens propres
à l'opération , dont la difcuffion lui
étoit échue par le fort , en développa trèsintelligiblement
le manuel .
L'ouverture des abfcès , celles des tumeurs
enkiſtées , ainfi que leur extirpation ,
la cautérifation en général & en particulier,
l'extirpation des glandes & des loupes ,
l'extraction des corps étrangers , les futures
diverfes fans obmiffion de la gaftroraphie
& de celles du tendon , la faignée , le trépan
, la fection des oreilles , les opérations
à pratiquer fur les paupières , l'extirpation
de l'onglet , l'opération de la fiftulé lacrymale
, celle de la cataracte , vulgairement
appellée dragon en terme de maréchallerie ,
l'extirpation du polype, celles par lefquelles
on coupe le frein de la langue , les barbillons
& le lampas , la bronchotomie , la
ligature de l'artère intercoftale , l'opération
pour l'empième plaparacenthère , celles que
demandent l'hernie ombilicale & l'hydrocelle
, l'introduction de la fonde dans la
veffie , la ponction à cette même poche
urinaire dans le cas de l'infuffifance de la
142 MERCURE DE FRANCE.
fonde , la lithotomie ou l'extraction du
calcul , bien moins rare dans les animaux
qu'on ne le penfe , & plus commune encore
dans les boeufs que dans les chevaux ; l'opération
de la fiftule à l'anus , celle de la
déffolure , l'amputation de la queue à la
manière des Anglois , &c. Tels furent les
objets fur lesquelles les Eleves s'étendirent
affez pour prouver leur capacité &
leur zèle. Ils laifferent en arriere les opérations
qu'exigent le phimofis & le paraphimofis
, ainfi que celle de la caftraction ,
parce qu'ils ne pouvoient fe livrer décem
ment à ces matières dans une aſſemblée
publique , honorée de la préfence de plufieurs
perfonnes du féxe & de la premiere
confidération.
de
Tous les tréfors de la Chirurgie étant
ouverts & abondamment répandus ici ,
il étoit de la reconnoiffance dûe à cette
partie fi importante , fi fûre & fi bien
approfondie de la médecine humaine ,
foumettre à la décifion des maîtres de
l'art l'application heureuſe & raifonnée des
reffources & des richeffes qu'il a offertes
à la Médecine Vétérinaire. Auffi plufieurs
de ceux qui honorent leur profeffion par
des talens dont la fupérioriré foutient avec
éclat la célébrité & la réputation que la
Chirurgie eut de tout temps dans la Ville
JANVIER. 1765 .. 145
de Lyon , voulurent- ils bien facrifier des
momens précieux , à la fatisfaction d'encourager
les Eleves par l'honneur qu'ils
leur firent en daignant en être les Juges.
Les Eleves qui concoururent & qui entrerent
en lice font les fieurs Abilguard
envoyé à l'Ecole par Sa Majeſté le Roi de
Danemarck ; le fieur Brugnoni , qui y a
été envoyé par Sa Majefté le Roi de Sardaigne
; les fieurs d'Anguien, Defavenieres,
Defchaux , Faure , Chabert & Thevenet
de la Généralité de Lyon; Gay& Bethofux,
de celle du Dauphiné ; Beauvais & Didney
, de la Généralité d'Amiens ; Pean
envoyé par le Corps de la Gendarmerie ;
Kamerlet , par la Ville de Nancy ; Bredin
& Chanu , de la Province de Bourgogne ;
Barjolin , Dupain & Miral , de celle du
Limofin ; Preflier & Puzenas , de la Généralité
de Moulins ; d'Auvergne cadet
Petite , Beaumont fils , Thomas , Parnet
& Damne , de la Province de Franche-
Comté , & Rumbert , de celle de Bugey.
?
De ces vingt - huit Eleves , il y en a
treize qui ont été couronnés : ces treize
Eleves font les fieurs d'Anguien , Chabert,
Bethoux Beauvais , Pean , Barjolin
Dupain , Puzenas , Damne , Brugnoni ,
Parnet & le fieur Bredin , que fes travaux
hors de l'Ecole & un féjour de deux mois
144 MERCURE DE FRANCE.
dans la Champagne , où il s'eft fait connoître
par des fervices importans , n'ont
pu diftraire du fouvenir des principes plu--
tôt confiés à fon intelligence qu'à fa mé-.
moire. Les uns & les autres ont tiré au
fort , à l'exception du fieur Brugnoni , qui:
n'afpiroit qu'à la gloire qu'il a juftement
méritée . Le fieur Bethoux a été le plus heureux
, & les acclamations des autres Eleves,
de ceux même qui étoient fes rivaux , lui
ont prouvé qu'une conduite fage & de.
bonnes moeurs font , ainfi qu'une application
foutenue , de fûrs garans des fuffrages
qu'on est toujours forcé d'accorder à des
fentimens eftimables.
Le fieur Abilguard , les fieurs Defchaux,
Petite , Gay , Rumbert , Defavenieres
Faure & Chanu ont obtenu l'acceffit : à
l'égard des autres contendans , leur émulation
doit d'autant moins fouffrir de ce:
revers , que les Maîtres éclairées qui ont
prononcé,n'en onttrouvé aucuns de médiocres
.
Le fieur Brachet , de la Province de
Bugey , étoit au furplus fur le point de
concourir , malgré le temps qu'il venoit
d'employer à fecourir très - efficacement les
beftiaux du pays de Gex , attaqués d'une
péripneumonie épidémique , lorfqu'une
maladie lui a ravi l'occafion de montrer
fes
JANVIER. 1765 . 145
fes talens & de difputer aux plus inftruits.
de fes concurrens l'avantage & la victoire
qu'ils ont remportée.
ARTICLE IV.
ARTS UTILE S.
CHIRURGIE.
LETTRE de Monfieur FLURAnt , Chirurgien
à Lyon , à˜MM……….
MESSIE ESSIEURS ,
En préfentant au comité refpectable que
vous formez les faits finguliers que la pratique
chirurgicale nous offre , les obfervations
n'en font que plus avantageufes !
à l'humanité ; d'une le
recueil que
part ,
vous publiez d'année en année ; de l'autre ,
les réflexions que vous y ajoutez fouvent ,
font des moyens fûrs d'éclairer les praticiens
curieux de s'inftruire , & d'étendre
les progrés d'un Art qui ne peut attendre
fa perfection que de vous.
Ceux qui , comme moi , Meffieurs , ont
G
146 MERCURE DE FRANCE.
:
l'avantage de vous appartenir par une affociation
toujours très - honorable , doivent
être plus particuliérement animés du même
zéle j'ai cru devoir en conféquence
vous adreffer des détails fur une opération
de la taille très - remarquable que je
viens de faire ; & plus encore , foumettre
à votre jugement les obfervations que les
difficultés que j'ai éprouvées m'ont donné
lieu de faire fur les différentes méthodes
de tailler. La premiere partie feule ne préfenteroit
qu'un fait hiftorique fingulier ;
la feconde , au contraire , peut être waiment
utile , & ceft à ce titre qu'elle peut
être digne de votre attention.
Je fus confulté le 16 Juin de cette année
par M. Grand , ancien Négociant à
Lyon , malade depuis nombre d'années ,
& néanmoins d'un tempérament affez fort.
Sur le rapport qu'il me fit des douleurs
auxquelles il étoit en proie , je foupçonnai
l'existence d'un corps étranger dans la veffie
; je le fondai , & en effet j'y reconnus
une pierre dont la groffeur me parut
énorme : je le taillai le 20 , en préſence
de Meffieurs Charmeton & Pontau , mes
confreres ; quelques autres Chirurgiens
affifterent à cette opération.
Parvenu heureufement dans la veffie ,
je fentis un volume confidérable de pierres
JANVIER. 1765. 147
que je ne pouvois faifir avec les tenettes .
Après plufieurs efforts , je chargeai, & j'en
tirai une femblable à un oeuf de pigeon :
beaucoup d'embarras & la figure de cette
pierre me firent juger qu'elle n'étoit pas
feule ; je reportai la tenette , je rechargai
une pierre encore plus groffe ; & enfin ( on
aura peine à le croire ) , j'en tirai de cette
veffie jufqu'à vingt-quatre l'une après l'autre
, dont feize de la groffeur d'une noix
médiocre ou d'un oeuf de pigeon , & dont
huit plus petites , comparables à une fève
ou à une noifette : le total pefant quinze
à feize onces .
J'employai un quart - d'heure à cette
opération. Les maîtres de l'art jugeront
qu'il étoit impoffible d'y mettre moins de
temps , fur-tout lorfque l'on ne s'affujettit
pas à la maxime pernicieufe de vouloir
opérer à la minute.
Toutes les pierres dont il s'agit font à
facettes , & on apperçoit aifément qu'elles
étoient raffemblées de façon à ne former
qu'une feule maffe bornée & maintenue
les parois de la veffie .
par
Le vuide de cette poche étoit donc fans
doute occupé totalement par cet affemblage
monftrueux qui devoit égaler en
total le volume du poing ; auffi n'avois- je
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
cru y reconnoître avec la fonde qu'une
feule pierre des plus groffes.
L'application des parois de la veffie fur
tous ces corps réunis occafionna la peine
que j'eus à faifir la premiere de ces pierres ,
& même la feconde , qu'il fallut , pour
ainfi dire , arracher d'entre les autres. Ces
premieres , une fois détachées , l'édifice
s'écroula ; je fentis alors mes tenettes dans
un tas de pierres dont je fus effrayé pour
le malade je prévoyois & j'avois lieu de
craindre que l'introduction & la fortie auffi
fouvent répétée des inftrumens , fur - tout
armés de pierres auffi groffes , n'échauffaffent
, n'enflamaffent & ne meurtriffent les
paffages ; mais je dois le dire , pour affurer
l'efficacité de la méthode que j'ai employée ,
cette opération n'a été fuivie d'aucun accident
, à un peu d'échimofe près au périné :
d'ailleurs point d'inflammation ; nulle irritation
; nulle extravafion ; très - peu de
douleur , pas même de la fiévre . Dans la
fuite peu de fuppuration ; les urines coulant
librement dès le premier jour par la plaie ,
dès le huitieme par l'urétre , & ne fortant
plus aujourd'hui douzieme par la plaie
fermée en plus grande partie tel eft l'état
actuel de mon malade , que j'efpere dans
peu rendre à fa famille éplorée , parfaitement
guéri de fon opération,
JANVIER. 1765. 149
Un rétabliſſement fi prompt après une
maladie de cette conféquence , & plus encore
l'état de calme où le malade a été
conftamment dès le quart- d'heure qui a
fuivi l'opération , doivent infailliblement
exiter le defir de connoître quelle eſt la
méthode d'après laquelle j'ai travaillé . A
en juger par un tel fuccès , elle doit être
regardée comme une des plus fûres je
pourrois même ajouter une réuffice conftante
à l'égard de plufieurs autres malades
taillés à- peu-près de la même manière ,
fi le fait dont je parle n'étoit fuffifant.
Les méthodes les plus ufitées fe rapportent
en général au grand appareil & à l'appareil
latéral.
Par le grand appareil on ouvre l'urétre
dans l'endroit du périné où la fonde eft
fenfible , demanière que dans un homme
de taille ordinaire on a au moins l'étendue
de trois travers de doigt à parcourir dans
ce canal avant que de parvenir à la veffie :
or , comme l'urétre eft un canal membraneux
affez étroit , muni de plus en cet
endroit de la glande proftate , il arrive
prefque toujours que le paffage des inftrumens
feuls , & à plus forte raifon des inftrumens
qui ont chargé une pierre , pour
peu qu'elle foit groffe , produit dans ce
canal des dilatations forcées , des contu-
G iij
Iso MERCURE DE FRANCE.
fions , des déchiremens , fources de tous
les accidens qui accompagnent fouvent
cette méthode ; tels , par exemple , que
l'inflammation à l'urétre , à la veffie , les
fuppurations énormes , les infiltrations de
matière purulente & de l'urine ; l'inflammation
au ventre , la fièvre , &c. &c.
C'eſt à la fréquence de ces accidens que
l'on doit l'idée heureufe d'ouvrir l'urétre
beaucoup plus près de la veffie , au haſard
de beaucoup plus de difficultés pour l'opération.
Cette méthode , qui fe nomme l'appareil
latéral , devroit plutôt être appellée le
bas - appareil , puifque la différence effentielle
confifte en ce que l'on opére plus
bas & plus près de l'anus ; car il ne faut
point imaginer , comme quelques chirurgiens
l'ont penfe , que l'on dût ouvrir
dans cette méthode le corps même de la
veflie.
Ce que l'on fe propofe effentiellement
dans cette méthode , eft la fection totale
de la glande proftate : c'eft en effet ce
corps glanduleux , au-deffus & au- dedans
duquel paffe l'urétre , qui préfente le plus
d'obftacle. Dès qu'il eft une fois coupé ,
on n'a plus à redouter les déchiremens ;
le fphincter prête toujours affez. Auffi eftce
pour parvenir à ce but que les PratiJANVIER.
1765. 151
ciens affujettis à cette méthode , ont imaginé
des moyens & des inftrumens divers .
Meffieurs Rau , le Dran , le Cat , Pontau
, font arrivés au même point , quoiqu'avec
des inftrumens différens. La méthode
de M. Pontau , que j'ai fuivie , eſt
conforme à l'appareil latéral : mais les inftrumens
nouveaux qu'il a imaginés , &
tels que je les ai employés , demanderoient
une defcription trop longue ; je
n'ai garde d'ailleurs de lui enlever la fatisfaction
de la publier lui-même , comme
il fe propofe de le faire ; il me fuffira de
dire que je fuis fûr d'avoir coupé entiérement
la glande proftate , & d'être parvenu
jufques au fphincter de la veffie fans
accident , en incifant avec une lame con
duite dans une fonde cannelée , placée
après la première ouverture , & dont la
cannelure , de même que le tranchant , fe
trouvent convenable
trouvent dirigés dans le fens convenable
par le fecours d'un cylindre à l'efprit de
vin , qui fait office véritable de niveau.
Il eft une autre méthode qui va au
même but , mais d'une façon trop différente
pour n'en pas faire mention : je
veux parler de celle du frère Cofme , connue
d'une part par des fuccès ; de l'autre ,
par les obfervations judicieufes & critiques
qu'elle a fuggérées à l'Académie .
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
Ce frère , à qui un heureux génie , &
de la prudence , ont affuré une réputation
foutenue , a profité de la découverte ancienne
d'un biftouri caché , pour en faire
un lithotome , au moyen d'un manche
compofé qu'il y a ajouté , & qu'il a ainfi
approprié à la taille.
La méchanique de cet inftrument étant
telle qu'il s'ouvre dans la veffie pour couper
de dedans au dehors , il ne peut manquer
de porter l'incifion encore plus loin
qu'aucun de ceux qui ont été imaginés à
cet effet. Mais qu'il me foit permis de
le dire , uniquement en vue du bien de
l'humanité c'eft précisément dans la facilité
de cet inftrument à couper les parties
que j'entrevois du péril . Quoique
j'euffe fait ces réflexions fur le lithotome
du frère Cofme il y a long- temps , j'ai été
trop frappé du mauvais effet dont l'ufage
d'un tel inftrument auroit été fuivi dans
une opération pareille à celle dont je parle
, pour me refufer à publier mes idées
à ce fujet.
Le lithotome caché s'ouvrant dans la
vellie , la lame tranchante doit y parcourir
un certain efpace : il faut donc fuppofer
cet efpace dans cette veffie , pour être affuque
ce tranchant n'y fera aucun dommage
; c'eſt de quoi je me fuis convaincu

JANVIER. 1765 . 153
en faifant moi même des expériences avec
cet inftrument or dans le malade dont je
parle , il eft très-fûr que le corps pierreux
occupoit toute la capacité urinaire : j'en ai
les preuves dans la fréquence de l'évacuation
d'urine , à laquelle le malade étoit
fujet ; dans la petite quantité qu'il en rendoit
chaque fois ; dans la gêne que j'ai
éprouvée dans la veffie avec la fonde , &
plus encore avec les tenettes , lors de l'opération
; enfin , dans le volume de l'affemblage
des calculs , comparé avec l'ampleur
naturelle d'une veffie urinaire. il eſt
conféquemment à préfumer que le lithothome
du frère Cofme auroit eu peine à
trouver place ; qu'il y auroit eu encore
plus de peine à le déployer dans ces cavités
, & qu'en voulant forcer fon développement
, ce n'auroit été qu'aux dépens de
ce qui pouvoit prêter le plus , de manière
que cet inftrument fe trouvant entre le
volume des pierres & la veffie celle- ci
auroit été inévitablement endommagée &
incifée dans la partie voifine de fon col ,
ce qui pouvoit donner lieu à une fiftule ,
à l'inflammation , à l'infiltration de l'urine
dans le tiffu cellulaire qui entoure la
veffie ; & on fçait de combien de maux de
tels accidens peuvent être la fource.
Je me bornerai à ces obfervations fuc-
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
cintes fur la méthode du frère Cofme,
pour ne point répéter d'ailleurs celles que
de très-bons Auteurs ont déja faites. Au
refte , je n'ai point prétendu déprimer un
inftrument qui , dans des cas ordinaires , &
plus encore entre des mains auffi heureufes
que celles de fon auteur , peut n'avoir
aucun mauvais fuccès : j'ai eu feulement
en vue d'infpirer aux nouveaux lithotomiſtes
, entraînés par la facilité apparente
qu'il préfente , de la retenue , pour ne pas
fe livrer avec trop de fécurité , & fans réferve
, à l'ufage d'un inftrument que l'on
ne fçauroit admettre auffi généralement
que fes partifans l'ont prétendu jufqu'ici.
Le public , qui ne fçauroit être indifférent
fur ce qui intéreffe la vie & la fanté ,
verra toujours fans doute avec beaucoup
de fatisfaction , l'Académie royale de Chirurgie
, donner tous fes foins à examiner ,
à corriger , à perfectionner , en un mot ,
les inftrumens & les méthodes d'opérer
qui préfentent du particulier ou du nouveau
: c'eft en conféquence qu'il ne peut
qu'approuver les réflexions critiques de
M. Bordenave fur la méthode de tailler
du frere Jacques , malgré la cenfure d'un
anonyme , inférée dans le Mercure de
Juin , cenfure à laquelle M. Bordenave
auroit affurément beaucoup de chofes à
1
JANVIER. 1765. 155
répondre , à moins qu'il ne les juge affez
inconféquentes pour ne mériter aucune
réplique.
J'ai l'honneur d'être , & c.
,
FLURANT , Chirurgien gradué , aſſocié
à l'Académie Royale de Chirurgie.
ARTS AGRÉABLES.
ON
MUSIQUE.
AVI S.
N nous prie de propofer aux Libraires
de France & d'Hollande , l'acquifition
d'un manufcrit original de 400 pages in-
4°, d'une écriture très-nette , & orné de
cinquante deffeins de planches. L'ouvrage
a pour titre : Diclionnaire de mufique ,
contenant l'explication de tous les termes de
L'art , tant grecs & latins , qu'italiens &
françois , employés dans la théorie & dans
la pratique. Il a paffé fous les yeux de fett
M. Rameau, & il renferme quantité de
nores fçavantes qui le rendent extrêmement
curieux. Il eft beaucoup plus éten→
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
du , plus complet , plus approfondi que
celui de l'Abbé Broffard , auquel il manque
tant de chofes. Ce manufcrit , enregiftré
fous le n ° 354 , au bureau de la
chancellerie , & revêtu de l'approbation
du cenfeur royal , eft en état d'être mis
fous preffe. L'Aureur en fera une compotion
raifonnable , & prendra tous les arrangemens
qu'il lui fera poffible d'accepter
pour en faciliter l'acquifition : Il faut s'adreffer
à M. de Luffe , rue galande , au
coin de celle des trois portes , du côté de
la rue galande, vis - à- vis celle des Anglois ,
près la place Maubert ; à Paris .
* M. Marin.
>
AVERTISSEMENT à meffieurs les fouf
cripteurs du Journal hebdomadaire ou
FEUILLE CHANTANTE , qui paroît chaque
femaine chez le fieur DE LA CHEVARDIERE
marchand de musique rue du
Roule , à la croix d'or.

>
L'accueil que le public a daigné faire
au Journal de mufique hebdomadaire , la
décence , l'ordre & l'exactitude qui ont
régné dans cet ouvrage, promettent à l'Editeur
la continuation du fuccès le plus
heureux pour l'année 1765 ; & ce n'eft
que dans la vue de fon amuſement , que
JANVIER. 1765. 157
le fieur de la Chevardiere le continuera.
On recevra le premier Janvier 1765
tine table alphabétique de tous les airs qui
ont paru pendant 1764 , pour fervir de
renfeignement aux perfonnes , qui ayant
confervé avec foin leurs feuilles , voudront
les faire relier. S'ils en ont égaré ,
l'Editeur fe fera un plaifir de les leur remplacer
à peu de frais . On en trouvera auffi
chez lui , au premier Janvier , des exemplaires
complets très-proprement reliés : il
n'y aura que la reliure qui augmentera le
prix.
L'accompagnement de violon , baffe ou
claveffin que l'on trouve dans ce Recueil ,
le rend extrêmement complet : c'est ce qui
n'a pas encore été obfervé pour ces feuilles
volantes qui ont paru jufqu'à préfent.
On a foin auffi de faire graver les airs fur
la clef de fol , fur la feconde ligne , pour
que les perfonnes qui ne chantent point
s'amufent avec les inftrumens : ils peuvent
s'exécuter prefque avec tous ceux qui
font en ufage.
On fuivra pour l'année 1765 le même
ordre que pour la dernière : ainfi il paroîtra
une feuille chaque femaine , compofée
de deux airs , qui fera rendue chez
les foufcripteurs à Paris , port franc , &
pour la Province , moyennant dix - huit
livres , également port franc.
158 MERCURE DE FRANCE.
Meffieurs les abonnés de Province font
priés de renouveller leur abonnement dans
le courant du mois de Décembre , en
affranchiffant le port de l'argent & de la
lettre d'avis.
Quant à meffieurs les abonnés de Paris ,
ils auront la bonté de renouveller leur
abonnement depuis le 15 Décembre , juſ
qu'au premier Janvier 1765 , & d'en remettre
le prix au facteur de la feuille ,
qui leur donnera quittance fignée de l'Editeur.
Comme la plupart des abonnés font gens
d'efprit & de mérite , fi quelques-uns s'étoient
amufés pour leurs délaffemens à
faire de jolis vers , & qu'ils fuffent bien
aiſe de les voir inférer & mis en mufique
dans le Journal , l'Editeur fe fera un plaifir
de les recevoir & de les faire paroître
promptement : il faudra les adreffer à M.
de la Chevardiere , marchand de mufique ,
rue du Roule , à la croix d'or.
Il paroît auffi chez le même un recueil
de férénades en trio pour deux violons &
baffe , par M. le Breton , de tous les jolis
airs d'Opéra-comiques , avec des agrémens
nouveaux & variations. Prix , fept livres
quatre fols. Le fecond recueil eft fous
preffe.
JANVIER. 1765. 159
LA Meffe des morts de feu M. Gilles ,
maître de mufique de S. Etienne de Touloufe
; avec un carillon ajouté pour la fin
de la Meffe ; par M. Corrette. A Paris
aux adreffes ordinaires ; à Rouen , chez
M. Laigle , rue des Carmes , & à Lyon
chez les frères Goux. Prix , 7 liv. 4 f.
RECUEIL d'airs choifis , avec accompagnement
de harpe & de lyre ; par Mdme,
de S. Aubin. A Paris , chez Lemenu
auteur & maître de mufique , rue du
Roule , à la clef d'or. Prix , 6 liv.
C
L'ART de toucher le clavecin , felon la
manière perfectionnée des modernes ; par
M. Marpourg , muficien de S. M. le Roi
de Pruffe ; mis au jour par M. Valentin
Roefa , muficien de S. A. S. Mgr le Prince
de Monaco , d'après les confeils des plus
grands maîtres , & particuliérement de
MM. Honover , &c. qui en reconnoiffent
l'utilité ; avec une nouvelle manière d'accorder
le clavecin , fondée fur l'égalité du
tempérament par M. Sorge , organiſte
& mathématicien à l'Obfiein. A Paris :
chez Lemenu ; & à Lyon , chez M. Caf
teaux. Prix , 9 liv,
SIXIEME Recueil des récréations dePo
160 MERCURE DE FRANCE.
lymnie ; ou choix d'ariertes , parodies ,
airs à la mode , tendres & légers , avec
accompagnement de violon , flûte , hautbois
, par- deffus de viole , &c. Ces airs
feront auffi très-bien à deux inftrumens
de deffus , au défaut de la voix : dédiées
au beau Séxe ; recueillis & mis en ordre
par M. Leloup , maître de flûte , éditeur
de ces recueils , où l'on trouvera celui- ci ,
ainfi que les précédens ; quaj Pelletier ,
chez M. Debrie , marchand orphévre , à
l'écu de France. Prix , 3 liv. 12 f. Le
fuccès de ce recueil eft fuffifamment conftaté
par fon débit.
L'AMOUR & Vénus , cantatille à voix
feule & fymphonie , dédiée à Mde Def
prés ; mife en mufique par M. Pouteau ,
organiſte de S. Jacques de la Boucherie &
de S. Martin- des-Champs. Les paroles
font de M. Guichard. A Paris , chez l'Auteur
, rue Planche- Mibray , chez une Lingère
, à l'image Nôtre- Dame ; M. Leclerc,
rue S. Honoré , à Ste Cécile ; Mlle Caf
tagneri , rue des Prouvaires , à la mufique
royale. Prix , 1 liv. 16 f.
C'eft le premier ouvrage d'un jeune
artifte , connu par fes talens pour l'orgue.
LE coup d'aîle de l'Amour , ariette nouJANVIER.
1765 .
161
velle , avec ſymphonie ; par M. le Che-
⚫valier d'Herbain. Aux adreffes ordinaires.
Prix , 1 liv. 4 f.
IL faut céder à fon vainqueur , ariette
théatrale, à voix feule de deffus, & grande
fymphonie , qui offre le tableau des ravages
d'un torrent. Par le même , & aux
mêmes adreffes. Prix , 2 liv . 8 f.
LE danger du badinage , ariette , avec
accompagnement ; par M. Lemenu. Chez
l'Auteur , rue du Roule. Prix , 1 liv.
4 f.
LE galant Précepteur , ariette , avec
accompagnement de deux violons , alto
& baffo. Par le même. Prix , 1 liv. 16 f.
LE rêveur infortuné , ariette , avec fymphonie
& guitarre obligée ; par le même .
Prix , 1 liv. 4 ..
› > LES doutes amoureux ariette avec
fymphonie & guitarre obligée ; par le
même . Prix , 1 liv. 4 f.
162 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
SPECTACLES DE LA COUR.
LE
A VERSAILLES , ( a ) .
Sur le Théatre du Roi.
E Mardi , 20 Novembre , les Comédiens
François repréfenterent le Mariage
fait & rompu , Comédie en trois Actes &
en vers de feu M. DUFRESNY . Le fieur
BONNEVAL jouoit le rôle du Préfident.
Le fieur MOLÉ , celui de Valere. Le fieur
GRANDVAL le faux Damis. Le fieur
BOURET , le rôle de Ligournois . Celui de
Glacignac , par le fieur ARMAND. Le rôle
de la Préfidente , par la Dlle DROUIN.
Celui de la veuve , par la Dlle DOLIGNY .
L'hôteffe , par la Dlle BELLECOUR . La
Tante , par la Dlle SANLAVILLE..
( a ) Ordonnés par M. le Duc DE FLEURY ,
Pair de France , Premier Gentilhomme de la
Chambre du Roi , en exercice ; & conduits par
M. PAPILLON de la Ferté , Intendant des
Menus-Plaifirs du Roi.
JANVIER. 1765. 163
Cette Comédie fut fuivie du Mercure
galant , Comédie en trois Actes & en vers
de feu M. BOURSAULT.
L'Amant de Cécile étoit joué par le fieur
MOLÉ. Le Père , par le fieur BLAINVILLE.
Merlin , par le fieur BOURET . M. Michault
, par le fieur DAUBERVAL . Boniface
, Imprimeur ; la Riffole , foldat ; le
Poëte , & Sangfuë , Procureur , étoient
rendus , avec tout le bon comique dont ces
divers rôles font fufceptibles , par l'inimitable
PRÉVILLE . Le rôle de Brigandeau,
autre Procureur , par le fieur AUGÉ . La
Dlle DOLIGNY jouoit Cécile. La Dlle
Luzy , Lifette. Les deux Babillardes
furent jouées très-agréablemént , & avec
beaucoup de naturel , par les Diles BELLECOUR
& LEKAIN .
Le 21 , les Comédiens Italiens repréfenterent
Arlequin complaifant , Comédie
Italienne en un Acte , qui fut fuivie
du Bucheron , Comédie en un Acte , mêlée
d'Ariettes.
Le Jeudi 22 , les Comédiens François
repréfenterent Brutus , Tragédie de M.
de VOLTAIRE. Les rôles de Brutus & de
Caffius , confuls ; le premier , par le fieur
BRIZARD ; le fecond , par le freur BLAINVILLE.
Titus , fils de Brutus , par le fieur
MOLE. Meffala , par le fieur PAULIN,
164 MERCURE DE FRANCE.
.
Arons , par le fieur DUBOIS , &c. Tullie ,
fille de Tarquin , par la Dlle DUBOIS , &c .
Après la tragédie , on joua l'Aveugle
clair-voyant , comédie en un Acte & en
vers du feu fieur LEGRAND.
Le fieur BELLECOUR jouoit Damon. Le
fieur DAUBERVAL , Léandre. Le fieur
ARMAND , Martin , valet de Damon , & c.
La Dlle SANLA VILLE , la Tante. La Dlle
DESPINAY , Léonor. La Dlle LEKAIN ,
Lifette .
Le Mardi 27 , l'Etourdi , comédie de
MOLIERE en S Actes & en vers , fut repréfentée
par les Comédiens François . Le
rôle de Lélie , par le fieur MoLÉ : celui
de Mafcarille, par le fieur PREVILLE : celui
de Léandre par le fieur DAUBERVAL :
celui d'Andrès , par le fieur LAMERY.
Les fieurs BOURET , BONNEVAL & BLAINVILLE
, jouoient les vieillards. La Dlle
DESPINAY , Célie efclave. La Dlle Do-
LIGNY , la fille d'Anfelme .
,
On donna pour feconde Piéce l'Impromptu
de campagne , comédie en un Acte
& en vers du feu fieur PoISSON. Le fieur
BONNEVAL jouoit le Comte . Le fieur PAULIN
, Lucas jardinier. Le fieur MoLÉ ,
Erafte. Le fieur PREVILLE , Frontin. Le
fieur BLAINVILLE , Damis , pere d'Erafte.
La Dlle SANLAVILLE , la Comteſſe. La
JANVIER . 1765 . 165
Dlle DOLIGNY , Ifabelle. La Dlle Luzy ,
Lifette.
Le Mercredi 28 , les Comédiens Italiens
jouerent la Nouvelle troupe , Piéce
en un Acte. Le chef de troupe étoit repréſenté
par
le fieur DEHESSES . Son garçon
, Pierrot , par le fieur DESBROSSES .
Le maître de Ballet , par le fieur BALLETTI.
L'Arlequin , par le fieur CARLIN. Un
Payfan , par le fieur CAILLOT. Mde Brecourt
, femme du chef de troupe , par le
fieur CHAMPVILLE , travesti . Les Actrices
de la troupe , par les Dlles LARUETTE ,
LEONORE , BERARD , BOGNOLI. Juftine ,
par la Dlle FAVARD. La Débutante , par
la Dlle DESGLANDS .
La feconde Piéce fut le Maréchal , Comédie
en deux Actes , mêlée d'ariettes .
Le 29 , les Comédiens François repréfenterent
Mérope , tragédie de M. de VOLTAIRE
. Poliphonte fut joué par le fieur
VILLIERS , débutant. Egyfte , par le fieur
LAMERY , autre débutant (a) , actuellement
reçu aux appointemens . La Dile Du-
MESNIL jouoit Mérope . Le fieur BRIZARD,
Narbas , & c.
Le 4 Décembre , par les mêmes Comédiens
François , le Joueur , Comédie de
( a ) Voyez ſur l'un & l'autre des ces débuts le
Mercure de Dicembre 1764.
166 MERCURE DE FRANCE .
REGNARD ens Actes & en vers . Le fieur
BLAINVILLE jouoit le rôle dé Géronte . Le
fieur BELLECOUR , celui de Valére . Le fieur
FEUILLY , le rôle d'Hector , valet de Valére.
Le fieur DAUBERVAL , Dorante . Le
fieur PRÉVILLE , le Marquis. Le fieur Bou-
M. de Toutabas. La Dlle DESPINAY
, Angélique. La Dlle SANLAVILLE , la
Comteffe . La Dlle Luzy , Mde la Ref
fource. La Dlle FANIER , Mde Adam . La
Dlle LEKAIN , Nérine.
>
Pour feconde Piéce on donna , Criſpin
rival de fon maître , Comédie en un Acte
& en profe de feu M. LESAGE. Le fieur
PRÉVILLE jouoit le rôle de Crifpin. Le
fieur FEUILLY , celui de la Branche. Le
fieur LAMERY , celui de Valére , &c. Les
Dlles SANLAVILLE , DESPINAY & LUZY
rempliffoient les rôles des Mdmes Oronte,
Angélique & Lifette.
Le Mercredis , les Comédiens Italiens
jouerent le Retour d'Arlequin , Piéce Italienne
en un Acte , à la fuite de laquelle
on exécuta l'Opéra- comique , ou la Comédie
mêlée d'ariettes , intitulée : On ne
s'avife jamais de tout.
Le Jeudi 6 , les Comédiens François
repréſenterent Péneloppe , tragédie de feu
M. l'abbé GENEST. Le rôle de Penelope
'fut joué par la Dlle DUMESNIL . Celui
JANVIER. 1765 167
d'Iphife , par la Dlle DUBOIS . Uliffe , par
le fieur BRIZARD. Télémaque , par le fieur
MOLÉ , & C.
La petite Piéce qui fuivit étoit le Fat
puni , Comédie en un Acte & en profe
Auteur anonyme. Le fieur BELLECOUR
joua le rôle du Marquis. Le fieur MOLÉ ,
celui de Valére. Le fieur AuGÉ , Pafquin.
La Dlle Huss , Mde de Clorinville. La
Dlle DESPINAY , Angélique. La Dlle BELLECOUR
, Juftine.
Le Mardi 11 , par les Comédiens François
, les Bourgeoifes à la mode , Comédie
en 5 Actes & en profe du feu fieur DANCOUR.
M. Simon , Notaire , le fieur BONNEVAL.
M. Griffaud , Commiffaire , le
fieur BOURET. Le Chevalier , le fieur Mo-
LÉ. Frontin , le fieur PRÉVILLE . M. Joffe ,
orphévre , le fieur DAUBERVAL. Angélique
& Araminte , les Dlles PRÉVILLE &
DESPINAY. Marianne , la Dlle DOLIGNY.
Lifette , la Dlle FANIER . Mde Amelin
marchande , la Dlle DROUIN.
Pour feconde Piéce , la Famille extravagante
, Comédie en un Acte & en vers
du feu fieur LEGRAND . Pietremine , Procureur
, le fieur BOURET . Cléon , le fieur
MOLÉ. Son valet , le fieur ARMAND. Mde
Riffolé , mère du Procureur , Lucrece , fa
foeur , Suzon , fa fille , Elize , fa pupille ,
168 MERCURE DE FRANCE.
1
1
les Diles DROUIN , PRÉVILLE , DOLIGNY ,
DESPINAY. Lifette , la Dlle FANIER.
Le Mercredi 12 , les Comédiens Italiens
jouerent l'amitié d'Arlequin & de
Scapin , Piéce nouvelle Italienne de M.
GOLDONI . Enfuite le Cadi dupé , Comédie
en un Acte , mêlée d'Ariettes.
Le Jeudi 13 , les Coméd. Franç. repréfenterent
D. Sanche
d'Arragon
, Comédie
en 5 Actes
& en vers du grand
CORNEILLE
.
Le rôle de Carlos
, Cavalier
inconnu
,
étoit rempli
par le fieur BELLECOUR
. Ceux
des Grands
de Caftille
, par les fieurs
Mo-
LÉ , DAUBERVAL
, LAMERY
. D. Raimond
.
de Moncade
, par le fieur BLAINVILLE
. La
Dhe
CLAIRON
jouoit
le rôle d'Isabelle
,
Reine
de Caftille
. La Dlle
DUMESNIL
,
celui de Léonor
, Reine
d'Arragon
. Elvire
& Blanche
, Dames
d'honneur
, par
la Dlle DUBOIS
& la Dlle DESPINAY
.
Pour petite
Piéce , les Fourberies
de Scapin
, Comédie
en 3 Actes & en profe , de
MOLIERE
. Le fieur PRÉVILLE
jouoit
le
rôle de Scapin
. Le fieur MOLÉ
, celui de
Léandre
, &c. Les rôles des femmes
, fçavoir
Zerbinette
, Hyacinte
, fille de Géronte,
& Nérine
ſa nourrice
, étoient
joués
par les Dlles
BELLECOUR
, DOLIGNY
&
SANLAVILLE
.
Le Mardi 18 , les Comédiens François
repréſenterent
JANVIER . 1765 .
169
"
repréſenterent Nanine , Comédie en trois
Actes & en vers de M. de VOLTAIRE.
Le fieur BELLECOUR jouoit le rôle du
Comte. Le fieur BRIZARD , Philippe Humbert.
Le fieur PAULIN , Blaife . Les fieurs
PREVILLE & FEUILLY , Hermon & Marin.
La Baronne étoit jouée par la Dlle PRÉ-
VILLE. La Marquife , par la Dlle DROUIN.
Nanine , par la Dlle DESPINAY .
Pour feconde Piéce , on donna la fauffe
Agnès , Comédie en trois Actes & en profe
de feu M.
NÉRICAULT
DESTOUCHES. Le
fieur
PREVILLE jouoit le rôle de M. Def
mazures. Le fieur MOLE , celui de Léandre.
Le fieur ARMAND , celui de Lolive , &c.
La Dlle Huss , celui
d'Angélique . La Dlle
DROUIN , celui de la Baronne . La Dlle
Luzy , la Préfidente. La Dlle FANIER , la
Comteffe , &c.
Le
Mercredi 19 on exécuta Daphnis &
Alcimadure , Paftorale
Languedocienne ,
précédée d'un Prologue intitulé : les Jeux
Floraux. Cet Opéra , dont les paroles &
la mufique font de M.
MONDONVILLE ,
avoit été repréſenté pour la première fois
à
Fontainebleau en 1754 , en préſence de
LEURS
MAJESTÉS , & enfuite à Paris ,
fur le théâtre de
l'Académie Royale de
Mufique,
Dans le Prologue , la Dile DUBOIS a
H
170 MERCURE
DE FRANCE.
chanté le rôle d'Ifaure. Dans la Paſtorale ,
le fieur JELIOTTE & la Dlle FEL , tous
deux de la Mufique du Roi , & Penfionnaires
de l'Académie Royale , ont chanté
l'un le rôle de Daphnis ; l'autre , celui
d'Alcimadure. Le feur TRIAL , Penfionnaire
du Roi au Théâtre Italien , a chanté
le rôle de Jeanet , frere d'Alcimadure, Il
n'eft pas néceffaire d'infifter fur la jeuneſſe
& l'agrément de la voix qu'a confervé
Mlle FEL. Le Public en a les preuves au
Concert fpirituel ; & cette forte de phénomène
, quoique devenu familier , n'en
eſt pas moins agréable , & tous les jours
plus admiré. Cette cantatrice célebre a
exécuté le rôle d'Alcimadure , & n'a pas
laiffe appercevoir qu'elle ait difcontinué
l'exercice du théâtre. La même juſtice
tous égards eft due à M. JELIOTTE. On a
trouvé dans M, TRIAL le chanteur muficien
, & l'Acteur qui pofféde l'intelligence
théatrale .
Les Ballets , de la compofition
de MM,
LAVAL pere & fils , ont fait grand plaifir.
On doit prifer fur- tout l'art avec lequel
ils ont été adaptés à un petit eſpace
de manière à faire cependant autant d'effet
que fur un grand théâtre.
Une indifpofition
a empêché la Dlle
dont
LANI de danfer. La Dlle GUIMARD ,
>
JANVIER . 1765. 171
on ne peut laiffer paffer l'occafion de louer
les grâces & le talent , danfoit dans le Prelogue
avec le fieur CAMPIONI , & dans
le troifiéme Acte de la Paftorale en Matelote
, avec le fieur DAUBERVAL , dont
la légercté & les talens diftingués , déja
connus dans l'Europe , paroiffent chaque
jour faire de nouveaux progrès , par le
nouveau plaifir qu'ils procurent. Ce même
Danfeur remplaçoit au Prologue , dans un
pas de deux avec la Dlle LIONOIs , le fieur
LANI, qu'une indifpofition avoit empêché
de faire ce fervice. Le fieur GARDEL danfoit
dans le troifiéme Acte. La Dlle VESTRIS
dans le quatrième. Le fieur LEGER &
la Dlle GAUDOT danfoient un pas de deux
dans les Chaffeurs du troifiéme Acte.
La repréſentation de cet Opéra a fait
affez de plaifir pour qu'on en ait indiqué
une feconde au Lundi 3 1 Décembre. L'exécution
a été conduite par M. FRANCEUR ,
Surintendant de la Mufique du ROI , enfémeftre.
Le Jeudi 20 Décembre , les Comédiens
François repréſenterent Mithridate , tragédie
de RACINE , dans laquelle la Dlle
CLAIRON a joué le rôle de Monime. Le
fieur BRIZARD celui de Mithridate . Le fieur
MOLE , celui de Xiphares. Le fieur La-
MERY , celui de Pharnace , &c.
Hij
172. MERCURE DE FRANCE.
Pour petite Piéce le Legs , Comédie
en un Acte & en profe de feu M. Ma-
RIVAUX. Le fieur PREVILLE jouoit le
rôle de Marquis . La Dlle PRÉVILLE , celui
de la Comteffe . Ce rôle a fait d'autant
plus d'honneur à cette Actrice , qu'il paroiffoit
impoffible de le revoir fur la ſcène
après l'inimitable Comédienne ( la Dlle
DANGEVILLE ) , qui l'avoit établi . Rien de
plus propre à confirmer à la Dlle PRÉVILLE
les fuffrages des connoiffeurs , que les
divers caractères qu'elle a tenté depuis
quelque temps , & dans tous lefquels elle
a toujours le fuccès le plus décidé. Le
fieur ARMAND jouoit le rôle de l'Epine.
Le fieur MOLÉ , celui du Chevalier. La
- Dile DESPINAY , Hortenfe. La Dlle Luzy ,
Lifette .
FIN de l'Article des Spectacles fur le
théâtre du Ro1 , à Versailles , pour
l'année 1764.
JANVIER . 1765. , 173
EXTRAIT d'un Divertiffement exécuté
en préfence de NOSSEIGNEURS LES
ENFANS DE FRANCE à Trianon ,
le Mercredi 28 Novembre 1764 , à l'occafion
d'une colation qui leur y fut préfentée.
Les interlocuteurs étoient une Fée ,
la Demoiſelle FEL , de la Mufique du Roi ,
& Penfionnaire de l'Académie.
Un Soldat , le fieur PRÉVILLE , Penfionnaire
du Roi au Théâtre François .
Un Berger , le fieur CLAIRVAL , Penfionnaire
du Roi au Théâtre Italien.
Un Payfan , le fieur RICHER , ancien
Page de la Mufique du Roi.
L'Amour , un enfant .
Dès que les Princes furent entrés &
affis , on frappa à la porte affez fortement.
Madame de BEAUSIRE , qui devoit avoir
l'honneur de préfenter la colation , alla
voir qui pouvoit prendre cette liberté.
Elle revint dire à M. le Duc DE LA VAUGUION
: « C'eft , Monfieur , une espece de
H iij
174
MECURE DE FRANCE.
I
" : » Fée je n'en connoiffois pas dans ce
» pays- ci . Faut- il qu'elle entre ? Elle eſt
» fuivie d'un Berger qui fe dit forcier.
» Peut- être nos auguftes Princes s'amufe-
» ront- ils de leur préfence . Ces gens - là ont
quelquefois des reffources pour le plai-
39
fir "
La Fée , par un couplet , expofe qu'elle
vient de fort loin pour fervir à cette fête ,
& qu'il ne lui faut qu'un coup de baguette
pour tout embellir. Par un autre coupler
le Berger , qui fe vante d'être affez bon
forcier , défie la Fée , & fe propofe de l'emporter
fur elle . Celle - ci s'en étonne , &
l'avertit qu'elle chante le premier rejetton
du trône. Elle termine les deux couplets.
qui regardent l'aîné des Princes par ces
vers :
:
>> Mais bientôt notre coeur charmé ,
›› Adore en lui le fils d'un fage
>> Et de LOUIS LE BIEN-AIMÉ .
Le Berger répond par un premier couplet
, dans lequel , au nom de la Provence ,.
il célebre l'enfance du fecond de nos Pripces
, & les dons précieux qui l'embelliffent ..
Il continue pour le troifieme des Princes
par le couplet fuivant..
JANVIER. 1765. 175
1
Air. Monfeigneur vous ne voyez rien.
>> J'oſe encore élever la voix ,
>> Toujours au nom de nos Provinces.
» C'eft pour le plus jeune à la fois
» Et le plus malin de nos Princes.
» La gaieté préfide à fes jeux ;
» Un feu pur brille dans les yeux ,
→ Ses jeux , fa gaieté ,
» De fon coeur tout peint la bonté.
par
La Fée chante enfuite les grâces de la
jeuneffe dans MADAME , embellie la
fineffe de fon efprit & par la bonté de
fon âme. Le Berger acheve cet éloge par
un troifieme couplet.
Un Payfan qui pouffe & veut voir ce
qui fe paffe , chante plufieurs couplets ,
dans lefquels il exprime la joie de voir
ces enfans , ces demi-Dieux.
» Comme eux ( continue- t- il ) dans leur premier
» âge .
, כ
>> J'ai vu jadis leurs parens ;
» Ils en font l'augufte image ,
>> Qu'ils en aient les fentimens.
Nous copierons le troifieme couplet du
Payfan.
L'air eft LA ROMANCE DE SANCHO. Je
nefuis qu'une Bergere , &c.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
>> Pour échauffer leur mémoire
>> De faits grands & glorieux ,
>> Il ne leur faut d'autre hiftoire
Que celle de leurs ayeux.
לכ
55 Ils y verront les modéles .
» Des plus utiles vertus .
>> La France a fes Marc- Aurele ,
» les Trajans & les Titus ( a ) .
و
Le Berger ajoute le couplet fuivant qui
nous paroît l'ouvrage du fentiment & l'expreffion
de la vérité.
Air. Cher Annette reçois l'hommage .
>> Au plaifir notre âme eft livrée ;
» Le Ciel réunit en ces lieux ,
» D'une tige augufte & facrée ,
» Les rameaux les plus précieux.
>> Enfans du plus tendre des Peres ,
›› Heureux fils d'un Roi citoyen ,
כ כ
Soyez nos maîtres & nos freres ,
>> C'eſt charmer nos coeurs & le fien.
( a ) Il faut fuppofer , en lifant ce couplet ,
dont la pensée eft très - jufte , ainfi que l'application
, que l'Auteur a oublié , dans la précipitation
de ces fortes d'ouvrages , qu'il faifoit parler un
payfan. Ces fortes de méprifes deviennent fi fréquentes
aujourd'hui , qu'il eft peut - être indifpenfable
d'en avertir en quelqu'occafion que ce foit.
JANVIER 1765 . 177
Le Payfan reprend pour célébrer M. le
Duc de la VAUGUYON & Madame la Comreffe
de MARSAN. Il chante la reconnoiffance
que les François doivent à leurs
foins & à leur lumieres pour l'inftitution
des Princes. Rien n'eft plus jufte , rien n'eſt
plus vrai que ce que contiennent les couplets
de ce Payfan ; mais le Mentor , mais
la Minerve dont l'Auteur emploie les comparaifons
, toutes juftes qu'elles font , forr
tomber le mafque payſan pour ne laiſſer
voir que le Poëte.
La Fée applaudit au zéle des autres interlocuteurs
, mais il eft temps , dit-elle ,
de montrer quel eft fon pouvoir, Elle fait
alors une efpece d'invocation magique.
Elle voit les divers peuples de la terre qui
demandent des Rois à la Maifon de Bourbon.
Dans un fecond couplet , pour montrer
des effets de fon pouvoir , elle veut
faire naître des fleurs dans la faifon des
frimats. Elle ordonne à l'Amour de faire
naître ces fleurs aux pieds de la Princeffe.
Alors un enfant , vêtu en amour , préfenta
aux Princes une corbeille remplie des plus
précieuſes fleurs du printems , en récitant
les vers fuivans .
›› De nos jardins vous voyez la parure ;
» J'en ai pour vous dépouillé ce féjour >
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
Daignez les accepter . Les dons de la nature
>>Sont les feuls qu'à vos pieds doive placer l'Amour.
» Mais parmi ces douces offrandes
>> Qu'ont des hivers refpecté les rigueurs ,
>> Vous n'y verrez ni liens ni guirlandes ;
>> Il ne vous en faut pas pour enchaîner les coeurs.
Enfaite un Soldat qui fendit la preſſe
( le fieur Préville ) chanta les couplets
fuivans.
>>
, כ
Air. La faridondaine.
» Ah çà rangez-vous
Que j'les voie en face ;
J'pouvons comme vous
>> Avoir notre place.
» Oui ,
>> J'entens chanter l'Roi
>> Et fa cher famille ;
>> Morgué malgré moi-
و ر
>> Tout mon fang pétille :
ɔɔ Quï ‚ ·
>> J'ons comme vous l'coeur haut
» L'âme vive & tendre ,
>> Et puis quand il faut
» Du fang à répandre ,
>> Bon.
LE BERGER au Soldat.
Mais à quel titte te montre-tu ?
JANVIER. 1765 . 179
LE SOLDA T.
Air. Reçois dans ton galatas.
>> J'ai fervi fous deux Bourbons
» Et voilà mon plus beau titre ;
» Nos exploits font nos guidons ,
>> Et la Victoire notre arbître .
» Dans les champs de Fontenoy
>> Mon chef de file étoit le Roi.
Deuxieme couplet.
>> Je vois ici fes enfans ,
» Je retrouve en eux fa gloire ;
» Puiffai-je vivre long- temps ,
>> Je les fuis tous à la victoire :
>> Mais qu'ils fongen que leurs papas
L'enchaînent toujours fur leurs pas.
ל כ
Troifieme couplet.
Qu'ils marchent dans leur fentier ;
Que l'aîné foit Capitaine ,
Le fecond vrai Grenadier ,
>> Et le troisieme Porte- Enfeigne :
>> Bientôt les deux mondes foumis
» Ne vivront qu'à l'ombre des lis.
CHILE BERGER au Soldat .
Nous fçavons tout cela très- bien ; n'a-tu riem
de mieux à dire ?
Hvi
180 MERCURE DE FRANCE.
LE SOLDA t.
Vous avez donc dit de bien belles chofes vous
autres ?
LE BERGER.
Mais nous avons fait de notre mieux.
LE SOLDA T.
» Eh bien , je m'en vas vous conter une hif-
>> toire , un conte ; ouï , un conte de Fée , & cela
» vient à point. Il y en a juftement une ici ;
>> écoutez .
و د
1
CC
>> Il y avoit une fois un Roi & une Reine : ce
» Roi étoit l'objet du plus tendre amour
'de fes
fujets , & le nom u'on lui avoit donné en
>> étoit bien la preuve ; il s'appelloit LE BIEN-
» AIMÉ. Cette Reine , ah ! c'étoit bien la meil-
» leure Reine ; une candeur , une bonté , enfin
>> c'étoit la Reine de tous les coeurs. Ils avoient
» des enfans. Vous imaginez bien qu'à leur naif-
>> fance on n'avoit pas manqué de convoquer
> toutes les Fées , tous les Génies, excepté pourtant
cette petite vilaine Fée Caraboffe ; on l'avoit
» miſe en pénitence pour s'être avisée d'inſpirer
» à un jeune Prince aimable , vif & charmant ,
>> certaine pétite eſpieglerie , ... enfin ça ne fait
2 rien à mon hiftoire. On avoit placé auprès de
>> ces Princes, dès leur enfance ,des perfonnes fages,
12
JANVIER . 1765 . 181
در
refpectables , choifies dans les deux fexes , & ce
» n'étoit ni les Génies ni les Fées qui les avoient
» nommées ; oh que non ; c'étoit le Roi , c'étoient
» la Reine , c'étoit le père , c'étoit la mère , c'étoit
>> tous les bons coeurs , & cela valoit bien mieux ,
» n'eft-il pas vrai ?
>>Voilà nos Princes devenus grands , il s'agif-
» foit de les amufer , & vous croyez bien que
» c'étoit à qui mieux mieux . On imagina des
» Comédies , des Ballets ; on leur difoit des éloges
, on leur chantoit des éloges , & toujours
>> des éloges , ils écoutoient tout , parce qu'ils fontbons
, mais ils ne s'amufoient guères , parce
5. qu'ils penfent jufte , & que la premiere leçon
» qu'ils ont reçue , c'eſt qu'il ne faut pas écouter
55 des louanges , mais les mériter.
» Il y avoit un pauvre Soldat , affez bon vivant,
» comme moi , par exemple. Il fuivoit toutes
>> ces petites fêtes par pur amour pour ſes Maîtres:
>> mais il ne fe feroit jamais flatté d'y être admis.
5 Voilà comme il ne faut jurer de rien. Il eut ce
>> bonheur-là un jour. Il n'avoit pas d'efprit , lui ,
& pourtant il ne fut guère embarraffé ; il leur
›› contoit des hiſtoires : par exemple , il leur di-
>>foit , mes Princes , quand vous allez dans une
» forêt , vous voyez un grand arbre , un beau
si chêne plus élevé , plùs majestueux que tous
» les autres , il est toujours verd & frais ; cer
182 MFRCURE DE FRANCE.
> arbre a des branches qu'il étend & qui le cou
›› ronnent . Ce font fur ces branches que les pau-
> vres petits oiſeaux viennent établir leur nid ,
> chercher un afyle , & , pour ainsi dire , à l'a-
> bri de leur protection , jouir des bienfaits que
> leur procure le grand chêne . Cet arbre , c'eſt le
> Roi , vous êtes les branches , & les oifeaux font
>> fes fujets.
"
>> Il contoit encore qu'il y avoit autrefois un
> Génie , fouverain d'un grand Royaume. Il avoit
> trois enfans . Un jour il les fit venir & leur *
>> dit: mes enfans , je ne doute pas que vous
> ne vouliez vous faire aimer de mes peuples .
> mais je voudrois fçavoir comment vous espérez -
» y parvenir. Voyons , choififfez quelles vertus
» vous defirez pofféder , & comme Génie , je
> vais vous en donner. L'un choifit le courage
& la force , l'autre la prudence & la finefle ,
un autre la candeur & l'affabilité. i
›› Lé courageux ne parla que de mettre des
ss armées fur pied , de combattre , de ravager ,
» de conquérir ; il ne fut que redouté. Le Génie
→ fon pere lui dit ; mon fils , ce ne font pas des
» Royaumes qu'il faut conquérit , ce font des
>> coeurs. Ce n'eft pas du fang qu'il faut répandre ,
55 ce font des bienfaits. Un d'entre eux avoit mis
> en ufage tous les refforts de l'efprit. Il s'étoit
concilié quelques fuffrages ; il commençoit par
JANVIER. 1765. 18
55 féduire , mais on finiffoit par s'en méfier. Son
» père lui dit , la meilleur politique , mon fils ,
>> eſt de mériter l'eftime publique. L'homme fin
>> peut féduire , mais c'est l'homme franc que l'on
>> aime.
›› Celui qui avoit reçu le don d'affabilité & de
›› bienfaiſance aimoit le peuple , recevoit tous les
» fujets de fon père avec bonté , ſe plaiſoit à leur
faire partager fes plaifirs . S'ils avoient des peines
, il daignoit les confoler , quelquefois même
» il les aidoit à en fupporter le poids. Enfin , il:
» prévenoit tout le monde par fes bienfaits , il
» étoit prévenu par tous les coeurs. Il fut adoré.
1
Le Génie fouverain appella fes trois fils , &:
» leur dit : réuniſſez entre vous toutes les qualités
» que vous avez defiré pofféder chacun en parti-
» culier. Ayez de la force , du courage pour re-
>> pouffer les ennemis de votre Patrie , & la défen-
>> dre de toute infulte. Ayez de la fineſſe d'eſprit ,
» de la politique même quand vous en aurez
» befoin ; mais foyez toujours bons & bienfaifans ,
» & vous ferez fûrs de réunir tous les voeux &
>> tous les coeurs..
» Le Soldat leur contoit ainfi tout plein de
petites hiftoires . Sçavez-vous ce qu'il arriva ?
c'eft qu'il fut toujours admis au plaifir de fes
» Maîtres , & cela non pas parce qu'il avoit de
» l'efprit , mais parce qu'il avoit du bon ſens ,
» & qu'il s'étoit bien mis dans la tête qu'au184
MERCURE DE FRANCE.
près des grands Princes , il faut que jufqu'à
>> leur amuſement tout ferve à leur inftruc-
» tion. Voilà mon conte , & je m'en retourne ,
à moins que vous ne me priiez bien fort de
>> refter ».
Le Berger prie le Soldat de refter , il
veut lui montrer ce qu'il fçait faire. Il
invite dans un couplet les habitans des
bois à faire entendre leurs concerts . Auffitôt
on entendit , du bofquet voifin , une
fymphonie champêtre , exécutée par des
cors de chaffe , clarinettes , hautbois , baffons
, &c,
La Fée évoque les feux , & commande
dans un couplet aux fufées de voler dans
les airs. A l'inftant on vit partir un fort
joli feu d'artifice enfuite le Berger ne
voulant pas céder en pouvoir & en galanterie
, appelle le Dieu des feftins à fon
fecours. On fervit une colation brillante ,
pendant laquelle le Berger & la Fée chanterent
un duo , après lequel le concert de
fymphonie recommença & termina la fête.
Nous avons rapporté en entier tout ce
que dit le Soldat , parce qu'il n'en eft pas
de même que du rôle du Berger. Tout eft
analogue dans le rôle du Soldat au fond
de fentiment que doit avoir ce perfonnage,
JANVIER 1765. 185
& à la forme dans laquelle il doit s'énoncer.
Les paroles des couplets de ce Divertiffement
font de M. POINCINET ; & le
conte du Soldat , copié d'après la façon
dont l'a récité M. PREVILLE , a été arrangé.
& narré par cet Acteur d'après le ſujet
donné l'Auteur des couplets.
par
Li
OPERA.
E Mardi 4 Décembre , l'Académie
" Royale de Mufique a repris Armide ,
Poëme de QUINAULT , mufique de LULLI.
Cet Opéra avoit été remis au théâtre ,
en dernier lieu , le 3 Novembre 1761 ,
interrompu pendant le mois de Février
1762 , repris les Mars de la même année
, jufques & compris le 26 dudit
mois.
Dans la repriſe actuelle , l'indifpofi
tion de Mlle CHEVALIER l'ayant empêché
de chanter , elle eft remplacée par Mlle
DU BOIS . M. LE GROS a chanté le rôle
de Renaud. A la première repréſentation ,
il ne paroiffoit pas jouir librement de fa
voix ; & le poids d'un grand rôle du genre
héroïque , dans lequel il faut néceffaire186
MERCURE DE FRANCE.
ment de l'habitude & de l'intelligence
théatrale , a dû faire fur ce nouvel Acteur
l'impreffion d'un début. On a remarqué
en effet que dans les repréfentations
fubféquentes , fon organe , plus dégagé
des entraves de la crainte , a repris fon
premier éclat , & les beautés qu'on y admire
avec juſtice. Il eſt peut-être avantageux
pour un Sujet d'une auffi grande
efpérance , qu'un peu d'embarras d'un
côté , & les encouragemens du Public
de l'autre , lui faffent fentir , d'une manière
bien plus pénétrante que tous les
confeils , & l'importance de fon art , &
l'étendue des talens qu'il exige ; en même
temps , l'indifpenfable néceffité de les
acquérir pour atteindre au premier rang.
,
Le rôle de la Haine , perfonnage fingénieufement
introduit par le Poëte dramatique
, eft rendu par M. LARRIVÉE avec
autant de perfection qu'il a été compofé
par les illuftres Auteurs de l'Opéra d'Armide.
Il n'y a pas de comparaifon à faire
pour les connoiffeurs , du dégré d'intelligence
& d'action que cet Acteur met aujourd'hui
dans ce morceau , avec la manière
dont il l'exécutoit à la précédente:
reprife ; quoique dès-lors il parût laiffer
peu de chofes à defirer. Nous prendrons
JANVIER. 1765 187
occafion de -là de faire remarquer deux
chofes , la première , eft une juftice à rendre
au travail & aux foins éclairés de
M. LARRIVÉE , par lefquels il a finguliérement
perfectionné les talens naturels ,
qui avoient mérité nos premiers fuffrages ;
la feconde, eft la vérité, & pour ainfi dire la
vie , que donne au chant théatral cette diftribution
intelligente dans le débit & dans
l'action , qui diftingue tous les divers fens
des paroles , & qui met en jeu toutes les
nuances des paffions & tous leurs divers
mouvemens ; talent rare actuellement ,
précieux fur tous les théâtres , mais plus
néceffaire que jamais fur celui de l'Opé
ra car il ne faut que l'exemple de M.
LARRIVÉE pour faire voir que cette même
mufique , fi fauffement accufée de monotonie
, de langueur & d'infipidité , devient
le langage le plus énergique du coeur
& de l'efprit , quand elle eft chantée , ou ,
parlons plus précisément , quand elle eft
débitée dans l'efprit conftitutif de fon
genre. Si l'on récufoit cet exemple pour
preuve de ce qu'on avance , à caufe de la.
féduction qu'on peut fuppofer dans la
voix de M. LARRIVÉE , rappellons - nous la
jeune Mlle DURANCI dans Clorinde : offrons-
la , même dans l'Opéra d'Armide
jouant une des. confidentes , applaudie à
Di
188 MERCURE DE FRANCE.
la première repréfentation & digne de
l'être dans ce rôle très - fubordonné , par le
preflige eftimable de l'art du théâtre. Ce
n'eſt donc point dans la chofe ; ce n'eft
ni dans le genre , ni dans l'efpèce de notre
récitatif, que font les vices qu'on lui reproche
, mais dans la façon dont on le
rend depuis long-temps , & qui fe pervertit
journellement de plus en plus : c'eſt
dans ce chant lamentable & traîné , où
nos belles & grandes voix filent méthodiquement
l'ennui dans toutes les régles
de la déraifon , c'eft- à- dire , des prétendus
agrémens du chant.
La repriſe d'Armide a jufqu'à préfent
attiré un très-grand concours de fpectateurs
, & ce fuccès eft au pair de la nouveauté
qui réuffiroit avec le plus d'éclat.
Le fpectacle eft le même qu'à la précédente
remife , à cela près des augmentations
qu'ont exigées les dimenfions plus
étendues du nouveau théâtre . M. PILOT
dont nous avons parlé dans le temps qu'il
a exécuté le rôle de Renaud dans l'autre
repriſe , a repris ce même rôle le Vendredi
21 Décembre. Ce Sujet eft encore un
de ceux qu'il faut diftinguer à ce théâtre ,
pour l'exécution & l'intelligence du chant
dramatique , ainfi que pour la chaleur de
l'expreffion dans le jeu .
JANVIER 1765. 189
Nous ne dirons rien des Ballets , quoiqu'infiniment
agréables , & ayant grande
part au fucès de cette remife , parce qu'ils
font exécutés , à- peu -près , par les mêmes
Talens qu'ils étoient il y a deux & trois
ans , fur-tout dans les principales entrées.
Nous ne devons pas cependant obmettre ,
par juftice pour M. GARDEL , & par déférence
pour la vérité , qu'il y remplace
M. VESTRIS abfent , avec des applaudiffemens
univerfels & le fuffrage raiſonné
des connoiffeurs , attendu que ce jeune
Sujet , qui a toujours couru à pas de géant
à la perfection de fon talent , femble aujourd'hui
l'avoir atteinte.
On a continué les Jeudis Naïs , paftorale
héroïque , en attendant la repriſe des
Talens lyriques .
COMEDIE FRANÇOISE.
PENDANT ENDANT l'abfence de M. LE KAIN ,
occafionnée par une longue indifpofition ,
tous les Comédiens ont fait chacun dans
leur emploi des efforts pour que le fervice
ne fouffrît pas de la privation des tragédies
, qu'on ne pouvoit pas mettre au
théâtre par cet accident. M. MOLÉ , entr'autres
, a fait des études laborieufes
190 MERCURE DE FRANCE.
pour fuppléer dans plufieurs rôles à l'Acteur
malade. Il avoit déja joué le rôle
de Caffandre dans Olimpie. Il a joué enfuite
Lincée dans Hypermeneftre , Achille
dans Iphigénie , & le 24 Novembre Polieucte
dans la tragédie de ce nom . Le 26
du même mois , on donna une repréſentation
de Phédre & Hippolite , dans laquelle
Mlle CLAIRON joua le rôle d'Aricie.
Il n'eft pas befoin d'avertir combien
cette célebre Tragédienne donna de
valeur à ce fecond rôle. Mile DUMESNIL
jouoit le rôle de Phédre & M. MOLÉ
celui d'Hippolite .
Le 30 , on remit le Malade imaginaire
avec tous fes agrémens. Cette Piéce , du
grand créateur de notre fcène comique , a
beaucoup amufé. Tous nos premiers Acreurs
& Actrices de la Comédie fe font
prêtés avec zèle à la plaifanterie du fpectacle
qui termine cette Piéce , & qui en
forme les agrémens.
Les Décembre , on donna une repréfentation
de Tancréde , tragédie de M.
de VOLTAIRE , dans laquelle reparut M.
LE KAIN. Cet Acteur fut reçu avec de
très -grands applaudiffemens.
N. B. L'Article des Spectacles de la
Cour ayant occupé dans ce Mercure , déja
JANVIER. 1765
hargé de beaucoup de matières , une grande
partie de l'espace deftiné aux Spectacles ,
on eft obligé de remettre au fecond volume
de ce mois , la fuite du journal de la Comédie
Françoife , celui de la Comédie Italienne
, & les Concerts fpirituels du mois
dernier.
CÉRÉMONIE
PUBLIQUE.
POMPE FUNEBRE.
LE Lundi 16 Décembre 1764 , plufieurs
Amateurs , aflociés par foufcription , ont
fait célébrer dans l'Eglife de MM . les
Prêtres de l'Oratoire à Paris , un fervice
folemnel en mufique pour l'ame de feu
M. RAMEAU. On exécuta la fameufe
Meffe de GILLES , avec des morceaux admirables
, tirés des ouvrages du défunt ,
adaptés à quelques parties de cette Meſſe,
Enfuite la Profe Dies ira , dies illa , de la
compofition de M. l'Abbé DuGut , Maître
de mufique de S. Germain l'Auxerrois
, morceau dans lequel il y a , malgré
fa prodigieufe étendue , beaucoup de variété
, & plufieurs traits de génie dignes
des grands Maîtres.
Pendant l'Offertoire on exécuta le De
192 MERCURE DE FRANCE.
t


profundis de M. REBEL , Surintendant de
la Mufique du ROI , Chevalier de S. Michel.
Le corps de mufique étoit au moins
auffi nombreux à ce Service , & compofé
à- peu-près des mêmes Sujets qu'il avoit
été à celui qui fut exécuté par l'Académie
Royale de Mufique , aux frais de fes
Directeurs , peu de temps après le décès
de M. RAMEAU.
> MM . LARRIVÉE LE GROS , GELIN ,
MUGUET , DURAND , & c. chanterent les
récits. L'exécution fut généralement admirée
: elle étoit conduite par M. LE BRETON
, Maître de Mufique de l'Orcheſtre
de l'Académie Royale .
On a peu vu d'occafions , & il feroit
difficile d'en trouver , où fût réunie une
affembléc plus nombreuſe , & en même
temps plus diftinguée dans tous les ordres
de la fociété , foit quant au rang , foit
à la diftinction dans les lettres , dans
les arts , dans les talens & dans les connoiffances.
Son Alteffe Séréniffime Monfeigneur
le PRINCE DE CONDÉ honora cette
cérémonie de fa préſence.
quant
ARTICLE
JANVIER. 1765. 193
}
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES.
EXTRAIT d'une Lettre de WARSOVIE , du 26
Octobre 1764.
Le Prince Evêque de Cracovie , & le Comte Podoski
, référendaire de la Couronne , arriverent
ici le 21 de ce mois : le lendemain ils eurent une
audience du Roi , à qui ils renouvellerent de vive
voix l'acte par lequel ils reconnoiffent Sa Majefté.
Les autres Magnats qui s'étoient oppofés à la
confédération générale , viennent fucceffivement
reconnoître la légitimité de l'élection . Le Comte
Branicki , grand Général de la Couronne , & Caftellan
de Cracovie , a envoyé ici le fieur Lewiski
Juge de Przemifs , avec deux actes qu'il l'a chargé
de préfenter de fa part au Roi ; par l'un , il rétracte
le Manifefte qu'il avoit ci -devant publié contre la
tenue de la Diète de convocation ; & par l'autre ,
il reconnoît la légitimité de l'élection de Sa Majefté
: celui- ci a été gracieuſement reçu ; mais on
a fur le chainp renvoyé l'autre , parce qu'il contenoit
plufieurs claufes , & qu'il y avoit un grand
nombre d'expreffions dont on n'a pas été fatisfait.
De WILNA , le 13 Novembre 1764.
Ces jours derniers , les Commiffaires du Prince
Czartoriski , Grand -Chancelier de Lithuanie
I
194 MERCURE DE FRANCE.
font arrivés en cette ville pour s'emparer , au nom
de ce Prince , & à titre de confifcation , des biens
appartenans au Prince Radziwill. Ils ont déja pris
poffeffion du Palais où il faifoit fa réfidence.
De VIENNE , le . 31 Octobre 1764.
On mande de Commorre qu'on y a reffenti ily
a quelques jours de nouvelles fecouffes de tremblement
de terre , qui ont répandu l'effroi parmi
les habitans.
De MUNICH , le 7 Novembre 1764.
Avant-hier , le Chapitre d'Ausbourg a élu d'une
voix unanime pour Coadjuteur de cet Evêché , le
Prince Clément de Saxe , Evêque de Ratisbonne
& de Freyfingen.
De RATISBONNE , le 15 Novembre 1764.
Le 9 de ce mois , le Miniftre directorial de
Mayence a porté à la Direction publique une Lettre
de la Ducheffe Douairière & Régente de Saxe-
Weymar , datée du 6 Août dernier. Son Alteffe
Séréniffime annonce à la Diète que les différends
qui fubfiftoient depuis tant d'années entre la Maifon
Ducale & l'Evêché de Fulde pour le Bailliage
de Filchsberg , ont été terminés à l'amiable au
mois de Mai dernier. Elle remercie en même
temps les Etats de l'Empire de la protection qu'ils
ont bien voulu accorder en cette circonſtance à ſa
Maiſon.
De MADRID , le 13 Novembre 1764.
Suivant des Lettres de Lisbonne du 30 du mois
dernier , on y a appris par un vaiffeau qui vient
JANVIER. 1765. 195
E
d'arriver de l'Inde , qu'Ali - Kan s'eft emparé des
établiffemens que les Portugais avoient auprès de
Goa , d'où ils tiroient le poivre. On prétend que
c'eſt par le confeil d'un Européen qu'Ali - Kan a
fait cette conquête . On ajoute qu'il y a beaucoup
de François & d'Anglois dans fes troupes , & l'on
paroît craindre qu'il ne fafle le fiége de Goa.
De PARME , le 13 Novembre 1764
Le 30 du mois dernier l'Infant déclara le mariage
de la Princeffe Louiſe fa fille avec le Prince
des Afturies.
,
Le fieur Tronchin ayant été appellé pour inoculer
le Prince Ferdinand de Parme , l'opération
s'eft faite le 23 du mois dernier avec le plus
grand fuccès ; la petite vérole s'eft montrée fans
aucun accident , & le Prince eft entiérement rétabli.
Le fieur Tronchin a été honoré du titre de
-premier Médecin de l'Infant , & la Communauté
de cette Ville voulant lui donner un témoignage
de fa reconnoiffance , a demandé à Son Altelle
Royale la permiffion d'infcrire ce Médecin célébre
& fes defcendans au rang des citoyens nobles ;
de placer dans l'Hôtel- de- Ville une inſcription en
marbre qui éternifât la mémoire du fervice qu'il
vient de rendre à cet Etat , & de frapper une médaille
repréfentant d'un côté fon effigie ; de l'autre,
un emblême allégorique compofé d'après une
comparaiſon tirée d'un Mémoire du fieur de la
Condamine fur l'inoculation . On verra un fleuve
rapide que s'efforce de traverfer plufieurs nageurs
entraînés par le torrent , tandis qu'un
homme , fur le rivage , montre à un autre homme
une petite barque dans laquelle il pourra gagner
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
en fûreté l'autre bord : on lira pour devife ceş
mots d'Ovide : Tutiffimus ibis . L'Infant a approuvé
cette propofition .
Le Prince de Darmſtadt , qui avoit époulé la
Princeffe de Modène , veuve du Prince Antoine
Farnèfe , Duc de Parme , vient de mourir de la
petite vérele au Bourg de Saint- Donin , dans la
cinquante-cinquième année de fon âge .
De GESNES , le 17 Novembre 1764.
On mande de Livourne que le commerce eft
rétabli entre les Corfes & la Place de la Baftie , où
ceux- ci ont apporté une grande quantité de vivres,
fans que Pafcal Paoli s'y foit oppofé.
Du 29.
On apprend de Saint - Florent que la fermeté &
la bonne conduite du Baron de Screiber , qui
commande dans cette Place , ayant ôté aux Rebelles
toute efpérance de la réduire , ils fe font enfin
déterminés , comme on l'a déja annoncé , à
abandonner leur projet . En conféquence , ils ont
détruit , pendant la nuit du 30 Septembre , les fortifications
qu'ils avoient élevées dans les environs
de la Place , & ont mis le feu à la tranchée de S.
Roch fous la redoute de Sainte-Marie , après en
avoir retiré leurs canons en très - mauvais état . Le
14 de ce mois ils ont brulé également les fortifications
qu'ils avoient conftruites à Olzi pour gêner
l'arrivée de nos Bâtimens.
JANVIER. 1765. 197
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
De FONTAINEBLEAU , le 14 Novembre 1764.
LeE Roi & Monfeigneur le Dauphin font partis
aujourd'hui pour Choily , d'où Monfeigneur le
Dauphin partira demain pour Verſailles . Sa Majefté
s'y rendra le 17. La Reine , Madame la
Dauphine , Madame Adélaide & Mefdames Victoire
, Sophie & Louife font parties aujourd'hui
pour Verfailles , où fe font rendus avant hier
Monſeigneur le Duc de Berry , Monfeignende
Comte de Provence & Monfeigneur le Conte
d'Artois.
nes , .
Le Roi ayant nommé à l'Intendance de Strasbourg
le fieur de Blair , Intendant de Valencient-
Sa Majesté vient de nommer , pour le remplacer
dans cette dernière Intendance , le fieur
Taboureau , dont la place de Préfident au Grand'
Confeil a été accordée au fieur d'Agay , Maître
des Requêtes. Le fieur Taboureau a été préſenté
au Roi par le Duc de Choifeul le 9 de ce mois ,
& les fieurs de Blair & d'Agay le 11 .
De VERSAILLES , le 5 Décembre 1764.
La place de Vice -Amiral des Mers du Ponent
étant vacante par la mort du Comte Dubois- de-
Ta- Motte , le Roi y a nommé le Marquis de Maf-
Liac , Lieutenant - Général des Armées Navales ,
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
à qui Sa Majesté avoit accordé l'expectative de
Vice- Amiral.
Le 18 du mois dernier , Leurs Majeftés & la
Famille Royale fignerent le contrat de mariage
du Marquis de Luc avec Demoiſelle de Caftellane.
Le même jour , le Marquis de Maffiac prêta
ferment entre les mains du Roi en qualité de
Vice- Amiral . La Ducheffe de Duras , la Marquife
de Duras , la Ducheffe de Mazarin , la Marquife
de Villeroy & la Ducheffe de Villequier , Dame
d'Honneur de Meldames Victoire , Sophie &
Louiſe , firent le même jour leurs révérences à
Leurs Majeftés & à la Famille Royale à l'occafion
de la mort de la Maréchale de Duras. La
Ducheffe de Lauraguais , Dame d'Atours de Madame
la Dauphine , & la Marquife de Flavacourt ,
Dame du Palais de la Reine , curent le même honneur
à l'occafion de la mort du Marquis de
Nelle. Le Comte d'Eyck , Envoyé extraordinaire
de Bavière , a reçu le 21 au matin un Courier de
fa Cour , qui lui a apporté l'ordre de notifier au
Roi le mariage arrêté entre le Roi des Romains,
& la Princeffe Jofephe de Bavière , foeur de l'Electeur
: Sa Majesté à donné ſur le champ à ce Miniftre
une audience particulière , dans laquelle il
s'eft acquitté de fa Commiffion.
Le Roi a accordé les entrées de fa Chambre au
Comte de Béthune , Chevalier d'Honneur de
Madame Adélaïde , en furvivance du Baron de
Montmorency
.
Vers la fin du même mois , le Comte d'Eu
prit congé de Leurs Majeftés & de la Famille
Royale pour fe rendre en Languedoc , où ce
ой
Prince doit tenir les Etats.
Le 25 , la Princelle de Solre fut préfentée à
JANVIER. 1765. 199
Leurs Majeftés & à la Famille Royale par la Ducheffe
d'Havre , & prit le même jour le tabouret
chez la Reine .
Le Roi vient d'accorder les entrées de fa Cham
bre au Baron de Montmorency , Chevalier d'Honneur
de Madame Adélaïde.
Le Roi a diſpoſé du Régiment de Chapt , Dragons
, en faveur du Marquis de Belfunce , Capitaipe
d'infanterie ; du Régiment d'infanterie de
Béarn , dont étoit pourvu le Comte de Boisgelin
, en faveur du Comte de Creffolles ,
Colonel du Régiment d'Infanterie de l'Ile-de-
France ; de celui de l'Ifle- de France , en faveur
du Comte de Bérenger , Colonel dans le Corps
des Grenadiers de France ; & de la place de Colonel
dans les Grenadiers de France , en faveur du
fieur de Mailly , Capitaine dans le Régiment de
Chartres Cavalerie .
Le 2 de ce mois la Marquife du Luc a été préfentée
à Leurs Majeſtés & à la Famille Royale par
la Vicomteffe de Caſtellane .
Monfeigneur le Duc de Berry , Monfeigneur le
Comte d'Artois , Monfeigneur le Comte de Provence
& Madame , conduits par le Duc de la
Vauguyon & la Comteffe de Marfan , fe rendirent
à Trianon le 28 du mois dernier . On y avoit préparé
un divertiſſement orné de chants , qui fut
exécuté par la Demoiſelle Fel & les fieurs Richer
Préville & Clairval. Il y eut enfuite un concert
une collation & un feu d'artifice . Cette fête avoit
été ordonnée par la Dame de Beaufire , Lectrice
de la Reine. Le fieur Poinfinet , Auteur des fcènes
du divertiſſement , eut l'honneur d'être préſenté
aux Princes & à la Princelle.
Liv
200 MERCURE DE FRANCE.
De Paris , le 7 Décembre 1764.
L'Ouverture du Parlement s'eft faite le 12 du
mois dernier avec les cérémonies ordinaires : il
y a eu une Meffe folemnelle célébrée par l'Abbé
de Sailly , Chantre de la Sainte Chapelle , & Aumônier
de Madame la Dauphine. Le fieur de
Maupeou , premier Préfident , y a affifté avec
toutes les Chambres.
La rentrée de la Cour des Aydes fe fit le même
jour. Après la Meſſe , célébrée , felon la coutume
, dans la Salle de la Cour , les trois Chambres
s'affemblèrent dans la première , où l'on fit la
lecture des Ordonnances & des Réglemens. Les
Huifliers & Greffiers ayant prêté ferment , le fieur
de Lamoignon de Malesherbes , premier Préfident
, prononça un difcours fur l'égalité d'ame
néceffaire au Magiftrat. Le fieur Clément de Bar
ville , Avocat- Général , prit enfuite la parole , &
fit voir comment les Magiftrats pourroient devenir
les reftaurateurs de la vertu dans la Nation.
Gabrielle -Charlotte de Beauveau , Abbeſſe de
S. Antoine , affiftée des Abbelles de Montmartre
& de Sainte Perrine de Chaillot , a été bénite par
l'Archevêque de Cambray dans l'Eglife de fon
Abbaye.
Le 20 le Marquis de Paulmy , Protecteur de
l'Académie de S. Luc , y a fait la diftribution des
prix aux Eléves qui les ont mérités. Le premier
prix de l'année dernière , qui n'avoit point été
adjugé , a été remporté par le fieur Martin ,
Peintre , & celui de cette année par le fieur Barat
, Sculpteur. Le fecond , par le fieur Barbier ,
Sculpteur , & le troifiéme par le fieur Suvé ,
JANVIER. 1765 . 201
Peintre. Le même jour le Comte de la Tourd'Auvergne
, Maréchal des Camps & Armées du
Roi , a été reçu Amateur- Honoraire de ladite
Académie.
Il vient de paroître un Edit du Roi , donné à
-Verfailles le mois dernier , & enregistré au Parlement
le premier de ce mois , dont voici la fubftance
. Le Roi s'étant fait rendre un compte exact
de tout ce qui concerne la Société des Jéfuites
& ayant réfolu de faire uſage du droit qui lui
appartient effentiellement , en expliquant fes intentions
à ce fujet , ordonne par le préfent Edit
perpétuel & irrévocable , qu'à l'avenir la Société
des Jéfuites n'ait plus lieu dans le Royaume ;
permettant néanmoins à ceux qui étoient dans ladite
Société de vivre en particuliers dans les Etats
de Sa Majeſté , fous l'autorité fpirituelle des ordinaires
des lieux , en fe conformant aux Loix du
Royaume , & le comportant en toutes choſes
comme de bons & fidéles Sujets du Roi. Veut
en outre Sa Majefté que toutes procédures criminelles
qui auroient été commencées à l'occaſion
de l'Inftitut & Société des Jéfuites , relativement
à des Ouvrages imprimés ou autrement › contre
quelques perfonnes que ce foit , & de quelque
état , qualité & condition qu'elles puiffent être ,
circonftances & dépendances , foient & demeurent
éteintes & affoupies.
Le Marquis de Béthune , Chevalier , Commandeur
des Ordres du Roi , Lieutenant-Général de
fes Armées , & Colonel-Général de la Cavalerie
Légère , fe rendit le 3 de ce mois au Couvent
des Peres Cordéliers , revêtu du manteau & du
collier de l'Ordre de S- Michel . Il y préfida au
Chapitre des Chevaliers de cet Ordre, avec lesquels
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
il afſiſta au ſervice qu'on célebre tous les ans le
premier Lundi de l'Avent pour le repos de l'ame
des Rois , des Chevaliers & Officiers de l'Ordre ,
défunts . Il n'y eut point de réception ce jour-là.
Le fieur Darles de Liniere a inventé des pompes
d'une conftruction particulière , qui agiffent
par trois principes ou moyens méchaniques , qu'il
a imaginés. Les expériences en ont été faites ici
& à Breft , par les ordres du Duc de Choiſeul ,
Miniftre de la Guerre & de la Marine , qui en a
examiné lui- même les effets. Leur fuccès a déterminé
Sa Majesté à accorder à l'Auteur un privikge
exclufif. Ce privilége , & ceux qui lui ont été
fucceffivement accordés par plufieurs Puiffances de
l'Europe , femblent être garants des avantages
qu'on peut retirer de ces pompes pour le fervice
de la Marine & pour l'avantage du Commerce .
On trouvera des détails fur leur méchaniſme
dans un Profpectus & un Mémoire imprimés ,
qui fe diftribuent à la Manufacture établie pour
cet objet , grande rue du fauxbourg S. Denis ,
vis- à-vis de S. Lazare ; au Bureau de ladite Manufacture
, rue des Folles- Montmartre , près de la
rue Montmartre ; chez le fieur Fattard , Négociant
, rue de la Verrerie , & chez le fieur Boudet,
Imprimeur du Roi , rue S. Jacques .
LOTERIES.
Le quarante-feptiéme tirage de la Loterie de
l'Hôtel - de- Ville s'eft fait le 26 Novembre , en la
manière accoutumée. Le lot de cinquante mille
liv, eft échu au n ° 82605 : celui de vingt mille
livres , au n° 94391 , & les deux de dix mille
livres , aux numéros 91632 & 97388 .
JANVIER. 1765. 203
Les Décembre on a tiré la Loterie de l'Ecole
Royale militaire. Les numéros fortis de la roue
de fortune font , 30 , 74 , 89 , 88 , 14.
BAPTÊM E.
Le 24 Novembre la Comteffe de Sparre de
Cronnberg , fille du Comte de Sparre de Cronnberg
, Colonel & Major du Régiment Royal Suédois
, a été baptifée dans l'Eglife Paroifliale de S.
Roch , & a été tenue fur les fonts par le Roi de
Pologne , Duc de Lorraine & de Bar , & par la
Reine , repréſentés par le Comte de Sceaux -Tavannes
& par la Comteffe de Noailles. Elle a été
nommée Marie-Staniflas- Jofephe.
MORTS.
Jean- Baptifte-Jofeph de Fontanges , Evêque de
Lavaur , eft mort en fon Diocèſe le 8 Novembre ,
âgé de quarante- fix ans .
René- Gabriel , Comte de Boisgelin , Brigadier
des Armées du Roi & Colonel du Régiment de
Béarn , eft mort le 24 du même mois au Châreau
de Lanteuil , près de Bayeux en Normandie,
âgé de trente - huit ans.
Pierre-François , Comte de Montaigu , Brigadier
des Armées du Roi , & ci-devant fon Ambaffadeur
auprès de la République de Venife , eft
mort en cette Ville le 25 .
Antoine- Nicolas Dumefniel , Marquis de Som .
mery , ancien Meſtre de Camp de Dragons , eft
mort le 6 du même mois en fon Château de
Sommery en Normandie , âgé de foixante - dixfept
ans.
>
Anne Achard Joumard Tizon , Comte d'Ar-
I vj
204 MERCURE DE FRANCE .
f
gence , eft mort en fon Château de Dirac , auprès
d'Angoulême , âgé de quatre-vingt ans.
Françoile -Mafcranie de la Roche - Aymond ,
veuve de Pierre Philippe , Marquis de la Roche-
Aymon, eft morte le 24 Novembre à Montluçon
en Bourbonnois , âgée de quatre- vingt un an.
Marie-Charlotte-Elifabeth - Prançoife Parfait le
Cornier de Sainte - Helene , époufe de Charles -Antoine
de Bernart , Marquis d'Avernes , eſt morte
S du même mois au Château de Saint Jouin en
Normandie , dans la vingt - quatrième année de
fon âge.
le
Magdelaine- Françoife Martineau , veuve de ..
Michel- Etienne Turgot , Chevalier , Marquis de
Soulmont , Confeiller d'Etat ordinaire , ancien
Prévôt des Marchands de la Ville de Paris , &
Honoraire de l'Académie des Infcriptions &
Belles- Lettres , eft morte en fon Château du
Tremblay le 28 , âgée de foixante - fept ans.
SERVICE.
Les Décembre on a célébré dans l'Eglife Paroiffiale
de Nôtre-Dame de Verfailles , un Service
pour feu Madame Louife- Elifabeth , Duchelle
de Parme . La Reine y a aſſiſté , ainfi que
Monfeigneur le Dauphin , Madame la Dauphine ,
Madame Adélaïde & Mesdames Sophie & Louife.
EXTRAIT d'une Lettre écrite de Marvejols ,
dans le Gevaudan , le premier Novembre 1764
сс« Il paroît depuis deux mois dans cette Pro-
>> vince aux environs de Langogne & de la
>> Forêt de Merçoire , une bête farouche qui répand
la confternation dans toutes les campaÉlle
a déja dévoré une vingtaine de per- gnes.
fonnes , fur-tout des enfans , & particuliére-
>> ment des jeunes filles ; il n'y a guère de jours
ود
در
JANVIER. 1765. - 205
>> qui ne foient marqués par quelque nouveau dé-
>>faftre. Lafrayeur qu'elle infpire empêche les Bu-
>> cherons d'aller dans les forêts , ce qui rend le
>> bois fort rare & fort cher.
>> Ce n'eft que depuis huit jours qu'on a pu par-
>> venir à voir de près cet animal redoutable . II
>>eft beaucoup plus haut qu'un loup ; il eft bas
du devant & fes pattes font armées de griffes .
» Il a le poil rougeâtre ; la tête fort groffe , longue
& finiffant en muſeau de lévrier ; les
>> oreilles petites , droites comme des cornes ;
>> le poitrail large & un peu gris ; le dos rayé de
>> noir , & une gueule énorme armée de dents
>> fi tranchantes , qu'il a féparé plufieurs têtes du
>> corps , comme pourroit le faire un raſoir. II
» a le pas affez lent , & court en bondiffant . Il
» eft d'une agilité & d'une vîteffe extrêmes ; dans
» un intervalle de temps fort court , on le voit
>> à deux ou trois lieues de diftance ; il s'appro-
›› che de fa proie , ventre à terre & en rampant ,
» & ne paroît pas alors plus grand qu'un gros
>> renard. A une ou deux toifes de diftance , il fe
>> dreffe fur fes pieds de derriere & s'élance fur
>> fa proie , qu'il attaque toujours au col par
>> derriere ou par le côté. Il craint les boeufs qui
>> le mettent en fuite . L'allarme eft univerfelle
>> dans ce canton : on vient de faire des Prières
>> publiques ; le Marquis de Marangis a raffem-
>> blé quatre cens Payfans pour donner la chaffe à
>> cet animal féroce ; mais on n'a pu encore l'at-
>> teindre >>
ל כ
De REIMS , le 15 Novembre 1764.
Le 30 du mois dernier , le fieur Rouillé d'Orfeuil
, Intendant de cette Province , a pofé la
premiere pierre qui fervira de fondement au Piédeſtal
qu'on va conftruire au milieu de la Place
106 MERCURE DE FRANCE.
Royale pour y recevoir la Statue de Sa Majesté. Le
fieur Sutaine , Lieutenant des Habitans , & les
autres Membres du Corps de Ville , le Lieutenant
de Police & autres Officiers Civils , le Grand
Vicaire de ce Dioceſe , les deux Sénéchaux du
Chapitre de la Cathédrale , & les Grands Vicaires
des Abbayes de Saint Remy , de Saint Nicaiſe
& de Saint Denis de Reims , les Capitaines
de la Milice bourgeoife , le Maître de l'Arfenal
& les Maîtres des Ouvrages partirent de l'Hôtel
de Ville vers les neuf heures du matin , précédés
de la Compagnie de l'Arquebufe , de quarante
Ouvriers en veftes , culottes & bas blanc ; de huit
Ouvriers Marbriers en habits bleus , veftes & culottes
rouges , & des Entrepreneurs des Bâtimens
de la Place Royale portant une auge , une
équerre , un plomb , un ſceau & deux aiguierres
d'argent , une truelle de même métal , un marteau
garni de rubans or & argent & un tablier en
moire d'argent garni d'une frange auffi d'argent ;
après eux marchoient les Gardes du Lieutenant
des Habitans , fuivis des Sergens de la Fortereffe
portant fur des plats d'argent deux Médailles d'argent
* & deux de bronze & différentes monnoies
d'or , d'argent de billon & de cuivre , ayant
cours avec les boîtes de plomb qui devoient
renfermer ces Médailles & ces différentes monnoies.
La marche étoit fermée par la Compagnie
>
C
* Ces quatre Médailles repréfentent d'un côté le
Monument que la Ville doit ériger à la gloire de Sa
Majefté, & de l'autre l'infcription fuivante , Lu-
DOVICO XV. REGI CHRISTIANISS . PRINCIPI
OPTIMO , HOC AMORIS MONUMENT. DECRE
VERUNT SEN. POP . QUE REM. ET PRIM. LA◄
PIDEM PP. M. DCC, LXIV,
JANVIER. 1765 207
des Capitaines de la Milice Bourgeoife . Ce cortége
s'étant rendu à l'Hôtel de l'Intendance , le'
Corps de Ville préfenta au fieur Rouillé d'Or
feuil un bouquet garni d'un ruban or & argent ,
& on en diftribua de femblables à toutes les perfonnes
qui compofoient le cortége . L'Intendant
s'étant mis à la tête du Corps de Ville , on ſe rendit
à la Place Royale. La Compagnie de l'Arquebufe
fit l'enceinte du Piédeſtal , & les Gardes du
Lieutenant des Habitans fe formerent en haie.
Les Médailles & les Monnoies furent préſentées à
l'Intendant qui les mit dans leurs boîtes & qui ,
après avoir reçu les outils des mains de l'Archirecte
, pofa & fcella en plâtre dans leurs cafes
ces cinq boîtes , qui furent placées au milieu du
plan de la premiere marche du Piédeſtal , aux
quatre coins & au milieu d'un quarré de cinq
pieds de longueur fur trois de largeur ; les huit
Ouvriers Marbriers , eſcortés de quatre Fusiliers ,
apporterent enfuite une pierre de même dimenfion
que le quarré , couverte d'une branche de
laurier. Alors , un des Ouvriers harangua l'Intendant
& le Corps de Ville ; après quoi le fieur
Rouillé d'Orfeuil pofa cette pierre au bruit de
la moufqueterie & du canon au fon des clo-

ches & aux acclamations redoublées de Vive le
Roi. On plaça une feuille de plomb de la grandeur
de la pierre , qui fut couverte de deux autres
groffes pierres fcellées , Après cette cérémonie
on retourna dans le même ordre à l'Hôtel
de l'Intendance , devant lequel la Compagnie de
l'Arquebufe fit les falves accoutumées ; & delà
les Officiers Municipaux fe rendirent à l'Hôtel
de Ville . Le fieur Rouillé d'Orfeuil a diftribué
de l'argent aux Ouvriers qui travaillent à la conf
208 MERCURE DE FRANCE.
truction de la Place Royale , & la Ville leur a
donné du vin .
AVIS DIVERS.
LES perfonnes qui par état employent du vinaigre
diftilé , bien déflegmé , foit pour faire des fels
ou autres compofitions , font averties par le fieur
Maille , Vinaigrier - Diftillateur , que la nouwelle
conftruction d'un fourneau qu'il a imaginé
pour faire cette diftillation dans des vaiffeaux de
grais , le met à portée de vendre ce vinaigre
d'une qualité beaucoup fupérieure . L'Auteur n'a
pas feulement fixé fon attention à perfectionner
cette qualité de vinaigre , mais à prévenir les dangers
que peut occafionner celui qui fe diftille chez
différens particuliers dans des vaiffeaux de cuivre.
Son vinaigre Romain , pour la confervation de la
bouche , fe diftribue toujours avec le plus heureux
fuccès , tant dans les Cours étrangères qu'à
celle de France . L'Auteur donne avis que différens
particuliers , flattés par l'efpoir du gain , fe
mêlent de le contrefaire & trompent les perfonnes
à qui ils le vendent ce que
l'on peut éviter en
s'adreffant directement à lui. Ce vinaigre blanchit
les dents , empêche qu'elles ne fe carient , & en
arrête le progrès , les raffermit dans leurs alvéoles,
prévient l'haleine forte & raffraîchit les lèvres .
L'Auteur vend auffi différens vinaigres pour blanchir
la peau , guérir les dartres farineuſes , les
boutons , noircir les cheveux roux ou blancs , ainſi
que les fourcils , ôter les taches de rouſſeur &
marques de couches,& le véritable vinaigre des quaJANVIER.
1765. 209
tre voleurs , préſervatif contre tout air contagieux;
& généralement toutes fortes de vinaigres , tant
à l'ufage des bains que de la table , au nombre de
deux cens fortes . L'on diftribue toujours en fon
magafin de Sêve , près Paris , le nouveau caffis
blanc , pour aider à la digeftion des alimens , le
nouveau ratafia des Sultannes , le Courier de
Cythère , & généralement toutes fortes de liqueurs
& eaux d'odeurs , tant françoifes qu'étrangères.
L'on s'adreffera pour les vinaigres au fieur Maille,
rue Saint André des Arcs , la troisième portecochére
à droite en entrant par le Pont Saint-
Michel , entre la rue Mâcon & la rue Haute-
Feuille , de l'autre côté , à Paris ; & pour le caffis ,
ratafia & autres liqueurs d'odeurs , en fon maga
fin à Sêve , près Paris , route de la Cour. Le prix
des moindres bouteilles pour les dents ou autres
propriétés eft de 3 livres , le caffis blanc 4 liv.
la pinte , le ratafia des Sultanes 6 liv. la pinte , &
8 liv. le Courier de Cythère. Les perfonnes qui
voudront emporrer de ces fortes de vinaigres aux
Ifles , dont l'ufage eft fi néceſſaire , peuvent le
faire fans craindre que le temps ni l'éloignement
du tranfport puiffent altérer leurs qualités. Ledit
fieur Maille fait les envois au defir des perfonnes ,
en remettant l'argent par la Pofte , franc de port ,
ainfi que les lettres , & envoie en même temps
la manière de s'en fervir , avec une liſte générale
de ſes vinaigres , & leurs prix.
La fieur Ferron , Marchand à Paris , demeurant
Enclos de l'Abbaye Saint Germain - des- Prés , en
entrant par la rue du Colombier , à l'enſeigne de
Saint Nicolas , a l'honneur de faire part au Public
qu'il pofféde feul le fecret de faire des Savon
210 MERCURE DE FRANCE.
nettes légeres de pure crême de favon , qui durent
plus que les lourdes , & ne fe mettent point en
pouffiere ou en bouillie dans le baffin ; il eft le
feul poffeffeur dudit fecret de la veuve Simon
Bailly , que l'on a fait paffer pour morte ; ceux
qui voudront s'affurer du contraire , pourront
s'adreffer à elle - même , en fa demeure , rue du
Petit- Lyon , vis-à- vis la rue Françoiſe , chez laquelle
ledit Ferron a travaillé long- temps pour
fe perfectionner dans ledit fecret : ledit Sieur
vend auffi des pains de pâte graffe incorruptible
de fines odeurs pour les mains d'une bonté
fingulière .
>
Le Public étant trompé tous les jours par des
Savonnettes contrefaites , qui , loin d'être utiles
& agréables , fe mettent en pouffière ou en bouillie
dans le baffin , & ne font que gâter & tacher
le linge ; ledit Sieur , pour y remédier , continue
de mettre le nom de Bailly fur chaque Savonnette.
Les prix font toujours les mêmes , & l'on trouvera
chez le le fieur Ferron les mêmes facilités
qu'avoit ladite veuve Bailly.
Le fieur MONDON , qui a été long-temps chef
d'attélier chez M. du Crollai , bijoutier du Roi ,
vient de finir pour fon compte une pièce de bijouterie
d'un genre tout neuf & d'un travail immenfe.
C'eſt une forte de Potpouri , muni de deux
caffolettes , & propre par fes détails à tenir fa
place dans un cabinet de curiofité. Ce morceau
repréſente un trône Chinois , occupé par l'Empereur
dans un moment de cérémonie . Les figures
font au nombre de huit , outre un oifeau , le tour
dans le goût Chinois on a feulemnt corrigé un
JANVIER. 1765. 211
peu ce goût dans le corps de la pièce , pour adoucis
ce qui auroit pû paroître difforme à notre vue.
Le corps du bâtiment eft de laque garni de
bronze doré , artiftement cizelé , avec des incruftemens
de lapis , corail , burgot & de nacre de
perle : tout ce travail eft d'un goût leger , riche
& rempli de détails qui ont exigé un temps confidérable
& une patience unique.
La piéce , en total , porte un pied deux pouces
& demi de haut fur un pied de profondeur & un
pied fept pouces de large . Elle peut le mettre fur
une confole de bois doré à deflus de marbre noir
& de trois pieds quatre pouces de haut . Ce morceau
peut actuellement fe voir chez M. Drais , bijoutier
, neveu de M. Ducrollay , place Dauphine
, la troifiéme boutique à gauche en entrant
par le Pont-Neuf.
LA Compagnie d'Agence générale , établie à
Paris , avertit qu'elle n'a aucune part aux Avis ,
Placards , Tarifs & Projets d'établiſſemens de
correfpondance répandus avec profufion dans le
Royaume ; les uns fans nom ni demeure de Com
pagnie ; les autres , fous différens noms . La Com .
pagnie fe renferme dans fa circulaire annexée à
la Gazette de France le 10 Mai dernier . Qu'ainfi
on doit s'adreſſer directement à M. de PRÉMILON
& Compagnie , rue S. Louis au Marais , vis-à - vis
l'Hôtel Turpin à Paris.
Le fieur BRESSON DE MAILLARD , Graveur &
Privilégié pour les ouvrages en deffeins & vignettes
des Enfans de France , enfeigne l'art de peindre
fans maître, & d'exécuter fur le champ différentes
fortes d'ouvrages , deffeins à la grecque & autres
212 MERCURE DE FRANCE.
tant en fleurs que figures d'animaux , ornemens ,
cartouches , rubans , armoiries & la façon de les
colorier & d'exécuter foi - même des fujets , tant en
meubles que pour peindre fur foie .
On trouvera chez ledit Sieur , en fa nouvelle
demeure , rue S. Jacques , près , & adoflée à l'Eglife
des Mathurins , aux armes du Duc DE BOURGOGNE,
même boutique qu'occupoit le fieur Neuveux
, Paris , un affortiment de delleins , caractères
en cuivre , & ce qui eft nécellaire pour s'en
fervir ; comme auffi une fuite de petires eftampes ,
deviſes , emblêmes , fentences choifies , fables &
autres très-proprement gravées & enluminées ,
bouquets , fouhaits de bonnes fêtes & étrennes
papiers peints en vignettes , étiquets & enveloppes
de la petite Pofte , billets de commiflion & de
vifite ; toutes fortes de papiers à fleurs pour les
cabinets , velin, ou emblèmes d'Allemagne &
autres.
L'Epouſe du feur MAILLARD montre aux
Dames la manière de fe fervir des planches à
jours , que fon mari exécute parfaitement. Elle
fournit les couleurs & autres chofes qui y font
relatives . Elle deffine & colore très - bien les fleurs
& autres ouvrages .
Ceux qui fouhaiteront les originaux de la première
main defdits ouvrages & marchandiſes ,
s'adrefferont directement audit fieur MAILLARD .
C
JANVIER. 1765. 213 .
J'AI
AP PROBATION.
A1 lu , par ordre de Monfeigneur le Vice-
Chancelier , le premier volume du Mercure du
mois de Janvier 1765 , & je n'y ai rien trouvé
qui puiffe en empêcher l'impreſſion . A Paris , ce
premier Janvier 1765. GUIROY .
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER .
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
E PITRE pour le jour de l'an.
EPITAPHE de feu M. RAMEAU .
VERS mis au bas du portrait de Madame la
Comteffe de B***, le lendemain de fa nomination
à la place de Dame de Meſdames de
France.
DAPHNIS. Eglogue.
LETTRE de Voiture à Madame de D ***
Commandante à V ...
6
2
10
I I
>
16
ESSAI fur les Tombeaux des Grands Hommes
dans les Sciences , les Lettres & les Arts.
être mis au bas d'un Portrait. VERS
pour
EPITRE à Mademoiſelle DOL....
17
21.
ibid.
214 MERCURE DE FRANCE.
VERS à Mademoiſelle Hus , jouant la première
femme animée dans les HOMMES.
VERS adreffés à M. le M.... par Madame
de Villiers , qui avoit trouvé la chienne perdue.
CHARLES MARTEL , Anecdote françoife.
Au Philofophe Bienfaifant."
24
25
ibid
LE Tourtereau tué à la chaffe , Romance. Air
du Vaudeville d'Epicure.
VERS à Madame de B*** qui en demandoit à
l'Auteur fur le jugement de Paris.
EPITAPHE d'un Plagiaire.
COMPLIMENT de bonne année à un CARDINAL,
dont le nom ne fera pas une énigme pour
tout François patriote & lettré.
41
42
44
45
4
+
1
45
SUR Chloé. 46
VERS adreffés à Mademoiſelle de P. L. dont
le nom eft Félicité. 47
CANTATILLE .
48 AVERTISSEMENT concernant les Lettres de
1
Henri IV. 50
LETTRES de Henri IV. Premiere Lettre. 51
SECONDE Lettre.

52
TROISIEME Lettre. 53
QUATRIEME Lettre .
CINQUIEME Lettre,
55
57
SIXIEME Lettre.
58
SEPTIEME Lettre .
HUITIEME Lettre.
60
61
1
JANVIER . 1765 : Lis
NEUVIEME Lettre. 62
DIXIEME Lettre.
ONZIEME Lettre.
64
65
DOUZIEME Lettre,
ÉNIGMES.
LOGOGRYPHES.
ARIETTE.
ART . II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LETTRE à M. de la Place , fur l'Hiftoire de
la réunion de la Bretagne à la France
par M. l'Abbé Irail , en ce qui concerne
le Maréchal DE RIEUX.
LES Amans malheureux , ou le Comte de
Comminge , Drame en trois Actes ; chez
l'Esclapart , Libraire , quai de Geſvres .
VIES des Pères, des Martyrs & des autres principaux
Saints , &c. à Paris chez Barbou.
DICTIONNAIRE Domeſtique portatif , contenant
toutes les connoiffances relatives à l'économie
domeſtique & rurale , &c. à Paris,
chez Vincent .
ANNONCES de Livres.
LETTRE à l'Auteur du Mercure , fur les éphémérides
Troyennes..
66
69
71
74
75
85
107
109
III
ART. III . SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADÉMIE S.
SUITE de la féance publique de l'Académie
127
de DIJON , &c.
ECOLE Royale Vétérinaire,
131
189
216 MERCURE DE FRANCE.
ART. IV . BEAUX ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE .
LETTRE de Monfieur Flurant , Chirurgien à
Lyon , à M***.
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE,
Avis aux Libraires .
ART. V. SPECTACLES.
SPECTACLES de la Cour à Versailles .
EXTRAIT d'un Divertiſſement exécuté en préfence
de NoSSEIGNEURS LES ENFANS DE
FRANCE à Trianon , le Mercredi 28 Novembre
1764 , à l'occafion d'une colation qui
leur y fut préfentée.
OPÉRA.
COMÉDIE Françoife.
CÉRÉMONIE publique . Pompe Funébre .
ART. VI . Nouvelles Politiques.
FRANCE . Nouvelles de la Cour.
Avis divers.
145
Iss
162
173
185
189
191
193
197
208
De l'Imprimerie de LOUIS CELLOT , rue
Dauphine.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le